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L ART CHRETIEN
ARRAS. — Typographie Kouêst-au Leroy,
REVUE
DE
L ART CHRETIEN
RECUEIL MENSUEL
D'ARCHEOLOGIE RELIGIEUSE
DIRIGÉ PAR
M. L'ABBE J. CORBLET
de la Société Impériale des ^Antiquaires de Jrance
ANNÉE
TARIS
LIBRAIRIE DE CH. BLERIOT, 55, QUAI DES GRANDS AUGUSTINS
MDCCCLKll
THE GETTV CENTER
LIBRARY
MONUMENTS CHRÉTIENS PRIMITIFS
à Marseille-
QlATHlE.MIi; ARTICLE
SARCOPHAGE N" 5.
L'ordonnance architecturale de ce sarcophage est aussi
gracieuse qu'imposaute {Voir la planche ci-joinle). Huit
arbres s'élancent en forme de colonnes uniformes, confondant
leurs rameaux à larges feuilles pour dessiner des arcades et
diviser les compartiments. De nombreux symboles rehaussent
encore l'harmonie du plan et rendent plus sensible la vie
de cette végétation en berceau. Pour varier l'ensemble des
troncs d'arbres espacés avec symétrie, l'artiste a disposé sur
deux d'entr'eux d'énormes serpents qui les enlacent étroite-
ment dans toute leur hauteur, tandis qu'un limaçon, chargé
de sa coquille, s'allonge pour atteindre le sommet d'un troi-
sième.
C'est dans les sept compartiments que se déroule une série
de compositions qui seront l'objet de notre étude.
Des mains sacrilèges ont mutilé cette belle page de l'art
'• Voir le tome iv, p. 5.
6 MONUMENTS CHRÉTIENS PIUMITJFS
chrétien primitif. Heureusement les débris retrouvés pres-
qu'intégralement ont pu être coordonnés par les soins du
conservateur du Musée marseillais, fidèle à la prescription
toujours providentielle des paroles évangéliques : Colliyite
fragmenta ne perçant ' . Il nous sera donc facile d'en inter-
préter les scènes historiques, si ce n'est au centre où la com-
position a disparu à peu près en entier.
Elle a disparu à une époque antérieure au saccagement
de l'abbaye de Saint-Victor, et l'on jugera combien cette
mutilation spéciale mérite de regrets , sous le rapport de
l'Iconographie chrétienne.
Quel motif a pu inspirer un pareil acte de vandalisme ?
L'historien de Marseille, on le sait, a publié dans ses An-
nales les bas-reliefs antiques conservés dans la double église
de Saint-Victor. Le dessin du sarcophage qui nous occupe,
fort grossier d'ailleurs et inexact dans son ouvrage, n'accuse
que des ombres, au point où le marbre a été brisé à coups
de marteau; mais l'annaliste en passe la cause sous silence.
Il y a lieu pourtant de s'étonner que parmi les nombreux
monuments réunis autrefois dans nos célèbres catacombes,
celui-là seul ait été dégradé : pas plus que les autres il
n'était jamais sorti du sanctuaire confié à la garde des
moines.
Dans un livret imprimé et vendu avec l'autorisation des
chanoines de Saint- Victor ^, on a invoqué une vieille tradition
pour expliquer cette fâcheuse mutilation. Certes, si le fait
transmis à la mémoire de nos aïeux était absolument vrai,
il ne saurait justifier l'action des Iconoclastes qui en au-
raient été les auteurs.
• JOAN. VI, 10.
- Notice des vionumcnts conservés dans l'église..., de Saint-Victor de Mar-
seille, page 18.
A MAIiSEILLF.. 7
x\(lmettûns, en eftet, [mur un instant, que la composition du
sujet détruit renfermât quelque réminiscence payenne, une
ligure allégorique sans voiles, je ne sais quoi d'équivalent,
pourquoi aurait-on attaché plus d'importance à ces simples
indications que ne l'avaient fait les premiers fidèles ? Et sur-
tout, pourquoi, dans le but de se dégager d'un détail excep-
tionnel, se serait-on permis de dénaturer la composition en-
tière ?
Mais la tradition invoquée est dénuée de preuves, au
témoignage de l'auteur de la Notice. Nous en sommes aussi
pleinement convaincu : l'observation qui va suivre suffira
sans aucun doute à nos lecteurs pour le leur démontrer.
La composition du milieu de notre sarcophage apparte-
nait par le fond et les détails à la religion chrétienne : histo-
rique, elle n'a pu comporter que des personnages du Nouveau
Testament : or, jamais les artistes chrétiens qui avaient cru
pouvoir, du consentement de l'Église, représenter habituelle-
ment sans voiles Adam et Eve au paradis terrestre, Isaac sur
son bûcher, Daniel dans la fosse aux lions, Jonas rejeté sur
le rivage par la baleine, etc., n'ont montré, dépouillés même
légèrement, les disciples régénérés du Sauveur : allégorique,
elle n'a pu être combinée qu'à l'aide des signes traditionnels,
symboles sacrés et très-chastes, comme on peut s'en con-
vaincre en examinant les sarcophages dont le sujet central
ne constitue point un souvenir historique.
Notre grand intérêt serait maintenant de pouvoir saisir le
secret total de la composition disparue. Pour arriver à un
résultat au moins probable, s'il ne nous était pas donné
d'atteindre à la certitude, il n'est pas de recherches que
nous n'ayons faites dans le riche et vaste domaine des pro-
duits de l'Art chrétien. Plusieurs hypothèses se sont pré-
sentées à notre esprit. Avant de les exposer, décrivons le
8 MONUMENTS f.HRKTJENS PRIMITIKS
iiuirbrc devenu muet et indiquons en termes précis les restes
de la scène qui n'ont pas été violés, jusqu'aux plus humbles
jalons que le marteau a respectés. 11 nous paraît superflu
d'ajouter que la fidélité de notre gravure ne laisse rien à
désirer.
Deux cerfs se désaltèrent à des sources d'eau qui jail-
lissent du sein d'un monticule ; au sommet de ce monticule, un
tenon qui servit peut-être de base à un objet quelconque
est demeuré debout : dans l'étendue du compartiment on
remarque sept autres tenons et un fort éclat de marbre au
centre même. Les trois tenons de la partie supérieure sont
également espacés : deux d'entr'eux ont conservé les traces
d'une faible ornementation, c'est-à-dire que le ciseau les a
légèrement travaillés (;à et là ; les tenons qui font partie du
dos de chaque cerf sont d'aplomb avec les lignes saillantes
de leur corps.
Quant à l'éclat du marbre qui se voit au milieu, on y
distingue au-dessous un double appendice à peine fouillé en
creux. Déplus, dans tous les sens du champ du bas-relief,
entre les tenons et sauf à l'endroit brisé, le marbre a été uni
})ar le ciseau .
A droite et à gauche de cette composition centrale, quatre
Apôtres se tiennent debout, deux à deux, sous leurs arcades
respectives r on reconnaîtra saint Pierre et saint Paul dans
les Apôtres les plus rapprochés : leur main droite est levée
en vif témoignage d'admiration. De la gauche, saint Paul
tient le volum.e relié de l'Evangile , et saint Pierre serre un
\)an de son manteau. Le reste de leur costume est conforme
à la tradition dont nous avons déjà parlé.
La pose accentuée des bienheureux disciples nous révèle
iiicontestablement une scène importante. On dirait qu'ils
admirent, pleins de respect et d'amour, ou le Fils de Dieu lui-
A MARSEILLE. ^^^ 9
même en personne ou un symbole qui le leur rappelle éner-
giquement. Ils font plus; ils adhèrent de toute leur con-
viction à ce qu'ils entendent ou à ce qu'ils contemplent.
Ce groupe d'Apôtres nous a conduit à une première hypo-
thèse : il nous a incliné à penser que le Sauveur des hom-
mes, seul ou avec ses deux jeunes disciples, comme on le
représente si souvent dans la composition de Jésus docteur,
occupait la partie supérieure du compartiment central : ou
bien que l'artiste l'avait sculpté assis sur un trône avec le
livre ouvert de l'Evangile, sujet très-familier encore aux
ouvriers de l'art chrétien primitif.
L'allégorie des cerfs se désaltérant n'avait rien d'opposé
ni d'étranger à la présence de Jésus : elle pouvait, au reste,
avoir son trait d'union dans l'agneau hautement symbolique
qui aurait été posé en rapport avec les cerfs, comme il s'en
montre à peu près toujours inséparable dans les marbres et
les verres antiques '.
Il nous semblait alors voir apparaître Jésus, sous la forme
d'un adolescent plein de charme et de vérité , debout ,
montrant du doigt la source d'eau vive ouverte à ses pieds,
appelant à lui les âmes altérées et répétant les mêmes paroles
qu'il fit entendre à Jérusalem :
« Jésus étant entré dans le temple, dit l'Evangéliste, le
« dernier jour qui était un jour solennel, il se tenait debout
« et criait, disant : Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi
« et qu'il boive; celui qui croit en moi, suivant l'Ecriture,
' Dans un travail précédent , nous avons publié une frise où figure le
même sujet [Revue de l'Art Chrétien, mai 1859). Sans sortir de l'abbaye de
Saint-Victor, on aurait pu voir, avant la Révolution, un autre sarcophage dont
le principal sujet renfermait l'agneau et les cerfs se désaltérant à ses pieds,
«ntrc deux palmiers (Voir le dessin qu'en a donné Ruffi dans V Histoire de
Marseille, tome ii, 125).
10 MONUMENTS CimÉTIENS PRIMITIFS
« des fleuves d'eau vive s'échapperont de son cœur ' : » ou
redisant aussi la miséricordieuse et pressante invitation que
le disciple bien-aimé attache à ses lèvres dans l'Apocalypse :
« Je donnerai gratuitement à boire de la source d'eau vive à
« celui cpii aura soif ^. »
Dans cette interprétation, les cerfs représentent les fidèles
saintement altérés. Ils sont, en etfet, aux termes du royal
Psalmiste, le plus sensible symbole de la soif ardente qui
tourmente les âmes des vrais disciples ^ ; et l'Agneau, d'a-
près l'Apocalypse, les conduit avec une généreuse dilection
aux fontaines inépuisables "* .
Prises en elles-mêmes et à part, de semblables composi-
tions appartenaient à l'ordre traditionnel : et quoique nous ne
les ayons jamais rencontrées en relation avec l'allégorie des
cerfs, ce n'était point une raison suffisante pour en repousser
l'admission. Il y a quelques types que les antiquaires érudits
savent fort bien ne pas avoir été reproduits, quoiqu'ils fussent
fort instructifs et pieusement poétiques.
Une seconde hypothèse s'est offerte à notre étude, au sou-
venir de deux sarcophages encore existants dans la crypte
vénérable de l'église Saint-Maximin. Ces sarcophages, qui
ont renfermé les ossements de sainte Marie -Madeleine et de
saint Sidoine, ont aussi été brisés dans le compartiment cen-
tral. L'un d'eux se montre avec dix tenons, l'autre avec six :
la surface entre les tenons paraît de même unie au ciseau.
' .JoA^. vil, 37,
- Apoc. XXI; 6.
' Quemadmodum desiderat cervus ad fontes aquaium, ita desiderat anima
niea ad te, Dcus.... sitivit anima mea ad Deum fortcm, vivum Fsaha.
xi.1, 1, 2.
* .Ipoc. vit, 17.
A MARSEILLE. Jl
L'a})l)éFaillon, qui les a dessinés dans son ouvrage élevé à
la gloire des apôtres de la Provence ', a essayé d'interpréter
les sujets mutilés du milieu. Il croit que la Croix triomphante
du Sauveur les décorait tous deux. Celui de saint Sidoine a
maintenu, à la vérité, une partie de l'arbre de la Rédemption,
émaillée de pierres précieuses ; dans l'autre, il n'en reste au-
cune trace.
Le sujet de notre sarco])hage marseillais n'était-il pas le
fruit de la même conception ? Pour être exact, nous devons
dire que les tombeaux de la crypte de saint Maximin ne
l)résentent point l'allégorie des cerfs ; à leur place on recon-
naît les deux figurines traditionnelles à costume guerrier.
Malgré cette différence de détails, il semble, à première vue,
surtout en examinant les rapports des tenons supérieurs et
l'existence du tenon qui domine le monticule, que le type glo-
rieux de la Croix a pu être reproduit sur notre sarcophage :
et loin que l'allégorie des cerfs en éloignât la possibilité,
elle y rencontrerait une certaine harmonie : à la base de la
Croix, ils indiqueraient aux fidèles qu'ils boiront à longs
traits la vie éternelle dans le sang même qui découla de
l'arbre divin -. Rien ne s'opposerait davantage à cette idée,
en ce qui concerne les Apôtres. Ils seraient là dans leur
admirable expression, tant en leur nom qu'en celui de l'É-
glise, pour exalter le triomphe de la Croix et se nourrir
avidement des fruits de sa victoire; Pierre et Paul surtout y
méditeraient les paroles brûlantes que les générations auront à
recueillir dans leurs discours et dans leurs épitres sur le
magnifique thème de l'étendard sacré de leur Maître.
' Monuments inédits sur l'apostolat de sfinte Marie- Madeleine en l'ro-
v&ncc... etc., tome 1, 461 et 763,
- Qui bibit meum sanguinem habet vitam yeternam. Joan. vu. 55.
H MONUMENTS CHRÉTIENS TRIMITIFà
En supposant cpie la Croix latine concordât difficilement,
si elle s'y trouvait unique et sans autre ornement , avec le
nombre et la distance respective des tenons, nous avions
combiné un autre plan qui complétait le type de la Croix
ti'iompliante.Il s'agissait de placer, à l'extrémité de la longue
branche, la couronne émaillée avec le monogramme du Christ,
le X et le P entrelacés dans une des formes variées qu'a in-
ventées l'art chrétien primitif; ou sans monogramme avec une
Hamme au centre; ou bien l'alpha et l'oméga pendant aux
croisillons; ou la bannière à droite et à gauche, comme était
figurée plus particulièrement la croix dite de Résurrection.
Le sujet en est magnifique , et il a été plusieurs fois répété
dans les sarcophages '. Naturel au IV^ siècle, alors que la
Croix trop longtemps humiliée triomphait en tous lieux ;
éminemment éloquent en iconographie chrétienne, depuis la
révélation " du Labarum à Constantin et la révélation plus
salutaire encore dont fut l'objet l'impératrice Hélène, sa
présence domine un nombre considérable de monuments :
elle suscite dans les imaginations et dans les cœurs un en-
thousiasme inexprimable. Les poètes Prudence, Paulin,
Fortunat de Poitiers, la popularisent au plus haut degré, en
célébrant dans leurs hymnes les vertus et l'immortalité de
l'étendard réel de Jésus-Christ.
' Sur l'un des sarcophages d'Arles dessinés par Millin, on admire cette
scène : la croix enrichie de perles ; à ses pieds les deux figurines ; sur les
branches deux colombes ; à son sommet le monogramme du Christ entrelacé
dans une couronne feuillagée ; à côté de la croix, deux Apôtres sont debout
dans une attitude qui rappelle les nôtres. Voyage dans le Midi de la France,
planche lxv, 3.
Dans les Antiquités des Basses-Alpes de Henri, le même sujet est gravé sur
un sarcophage ; on y voit de plus le soleil et la lune à droite et à gauche du
monogramme couronné.
Voyez aussi Aringui, Eoma svbtcrranea , tome i, 311.
A MARSEILLE. 13
Le coiiiplcment de la couronne llorissaute relève le noble
éclat de la Croix. Ce vers antique le traduit avec bonheur:
« Porte d'abord la Croix, si tu veux conquérir la couronne ' . •>
Et, si notre interprétation allégorique obtenait une faveur
légitime, elle remettrait en notre mémoire le distique du même
saint Paulin, composé par lui en face de deux croix émaillées
et ceintes d'une couronne de fleurs :
Ardua tlorigerae criix cingilur oiLe coronw
Et Domini fuso lincla cniore nibet *.
Elle ferait aussi souvenir de la belle mosaïque de St-Jean-
de-Latran à Rome, où la Croix veuve de Jésus-Christ est
décorée avec splendeur, plantée sur le sommet d'une mon-
tagne mystique et baignée d'eau. Cette eau s'échappe en
quatre courants dans lesquels viennent s'abreuver des cerfs
et des brebis.
A la suite de cet exposé, dont on me pardonnera la lon-
gueur, s'il sert à rendre plus facile la tâche des interprètes
qui examineront ce sarcophage après moi, il est de mon
devoir de dire mes doutes à l'endroit de toutes ces hypo-
thèses. Deux mots suffiront à cet égard : indépendamment de
la distribution des tenons qui ne laissent pas à l'imagination
le pouvoir de se méprendre, outre l'éclat du marbre, au mi-
lieu du compartiment, qui ne peut s'accorder avec nos pre-
miers sujets précités, il s'élève contre la supposition d'une
scène à personnages, une difficulté majeure : la surface entre
les tenons et dans tous les sens, à l'exception de la brisure
du centre, étant unie au ciseau, on ne peut admettre qu'il y
eût là des statuettes inhérentes au bloc ; car, quel que soit
' ToUe crucem, si vis auferre coronam. S. Paulim opéra.
' S. Paulini Epist. XII, ad Severum.
14 MONUMENTS CHRÉTIENS PRIMITIFS
le relief des statuettes sur les sarcophages, elles sont prises
toujours dans la masse du marbre et y adhèrent de toute
leur forme ; et puis, lors même qu'elles en seraient encore plus
détachées, comment l'ouvrier aurait-il pu unir le marbre
derrière ces statuettes ?
Evidemment à cette place privilégiée de notre sarcophage
s'épanouissait une composition en saillie, retenue au bloc par
les tenons ; une sculpture à jour, fouillée comme on fouille
les arbres, les croix, les couronnes.
Quelle était cette composition? Notre dernière hypothèse
l'a montré à nos lecteurs : plus probable que toute autre ,
elle ne résoud pas néanmoins victorieusement la question
relative au nombre et à la distance qu'occupent les tenons.
C'est pourquoi nous préférons nous tenir sur la réserve et
ne pas sortir du domaine des hypothèses, à l'égard de cette
étude qui, selon nous, attend encore son juge : et adliuc sub
judice lis est.
En poursuivant l'exposé des scènes successives du sarco-
phage, nous avons sous nos yeux trois sujets qui paraissent
fréquemment sur les monuments chrétiens primitifs ; le qua-
trième est fort rare.
Celui qui occupe l'extrémité à droite — par rapport au
spectateur — représente saint Pierre avec un Israélite et
discutant ensemble : l'Israélite est bien reconnaissable à son
couvre-chef perlé , coiffure dont il y a un grand nombre
d'exemples sur les sarcophages ' . Nous pensons qu'il n'est
autre que le serviteur du grand-prêtre Caïphe, le même qui
interpella le disciple eifrayé en lui disant : Ne vous ai-je pas
vu dans le jardin avec Jésus de Nazareth, et auquel Pierre
' Voir surtout lus saicophages où est gravé It; sujet de Moysc frappant le
rocher avec uu bâton.
A MARSEILLE. 15
répondit négativement '. Il porte le costume des serviteurs,
La scène de ce compartiment est voisine de celle cpii rappelle
Jésus-Christ prédisant à saint Pierre qu'il le trahirait par
trois fois avant que le coq eût chanté : elle en est comme
la suite et l'accomplissement. Le Sauveur dans cette compo-
sition a, comme toujours, trois doigts de sa main droite levés.
Quelques archéologues ont cru y reconnaître le symbolisme
du triple reniement. Le coq est aux pieds de l'Apôtre qui
parait déconcerté des paroles de son auguste Maître et qui a
le bras droit levé pour protester qu'il ne l'abandonnera jamais,
quand même il serait délaissé par tous les disciples.
Pour l'interprétation des deux scènes appartenant aux
compartiments de gauche, nous ne serons pas d'accord avec
des antiquaires justement renommés. Dans l'une et dans
l'autre, un personnage est conduit devant les tribunaux.
La première à l'extrémité du sarcophage se retrouve sou-
vent sur des bas-reliefs primitifs : le prisonnier est amené
par des gardes, les mains liées derrière le dos. Au tombeau
de Junius Bassus extrait des catacombes de Kome, il est
entre deux gardes romains ; à celui de sainte Marie-Made-
leine qu'on possède à St-Maximin, on n'en remarque qu'un,
comme dans le sarcophage marseillais ; mais le sujet est le
même sur les trois bas-reliefs. Dans chacun d'eux apparaît
un arbuste noueux qu'on prendrait pour un roseau : dans
les deux derniers on distingue un objet indécis^ pouvant
peut-être indiquer une proue de barque : le prisonnier porte
le costume donné par la tradition au Sauveur et aux Apô-
trea : tunique, manteau et sandales. Le garde porte la
chlamyde agrafée des Romains ; il tient des deux mains
un rouleau, ou une arme, ou ini bâton assez mal accusée
' JoAN XVIII, 26.
16 mojNUMENTs chrétiens primitifs
Torrigio voit dans cette composition Jésus-Christ conduit au
supplice. Bottari pense qu'on doit y voir la prise du Sau-
veur au Jardin des Olives : selon lui l'arbuste noueux
serait un olivier. Aringlii, au contraire, l'interprète par la
prise de saint Pierre à Jérusalem ; enfin, l'abbé Faillon, dans
l'explication qu'il donne du tombeau de sainte Marie-Made-
leine, dit aussi comme Bottari que le sujet dont il s'agit
représente l'arrestation de Jésus au Jardin des Oliviers ' .
Nous sommes de l'avis d'Aringhi ; avant d'en formuler les
raisons, occupons-nous de la scène suivante d'un autre pri-
sonnier traîné par les juifs^, la corde au cou.
Ce type a plus d'une similitude avec les deux scènes posées
à la môme place dans les tombeaux de Bassus et de sainte
Marie-Madeleine. C'est encore dans les trois un prisonnier
conduit par des gardes dont les costumes sont néanmoins
différents. L'abbé Faillon y retrouve le Sauveur, au moment
où il fut souffleté par l'un des serviteurs du pontife Anne ^.
Je répète que, dans ce sujet comme dans l'autre, si l'arres-
tation ne concerne pas Jésus-Christ, elle regarde l'un de ses
disciples traîné devant les juges \ Or, pas plus que dans
le premier sujet, je ne puis y découvrir le Sauveur.
' Monuments inédits de l'apostolat de sainte Marie- Madeleine, tome 1, page
459,
- Monuments inédits, t, 1, 463.
^ Millin, qui a beaucoup parlé de nos tombeaux marseillais, s'est tû sur cha-
cune de ces compositions. Quant au rédacteur de la Notice des monuments de
^'ain^Fzc^ordontnous nous sommes occupé plus haut,après avoir dit naïvement,
;i l'occasion de la figure brisée du milieu du sarcophage » qu'elle ne pouvait
« être que l'esprit des ténèbres, qui tâchait de détourner les humains des eaux
» salutaires dont les cerfs se désaltèrent, » il ajoute, comme pour confirmer
sonjugement : « Au reste, Judas est représenté sur ce tombeau, la corde au
« cou et la bourse à la main. » C'est une distraction un peu forte, qui a été
répétée dans les Notices successives du Musée de Marseille, à l'article des sar-
cophages.
A MARSEILLE. 17
Des interprètes de rantiquitë chrétienne ont cru recon-
naître quelques scènes de la Passion de l' Homme-Dieu dans
certains sarcophages primitifs. Ils avouent qu'à la vérité dans
les siècles les plus rapprochés du berceau du christianisme,
il n'y a pas un seul monument de sculpture ou de peinture, ni
une mosaïque, où l'on ait présenté à la piété des fidèles le
Christ flagellé, couronné d'épines, portant sa croix ou mou-
rant sur l'infâme gibet; mais ils pensent qu'il n'en a pas été
de même des scènes antérieures à la flagellation : nous n'hé-
sitons pas à nous prononcer dans un sens plus général. Nous
croyons donc que l'art chrétien n'a représenté qu'un seul
trait de la Passion du Sauveur, c'est celui où il est amené
devant Pilate et où le gouverneur de la Judée proteste en
faveur du Juste devant tout le peuple assemblé, se lavant les
mains pour témoigner de sa propre innocence en cette accu-
sation inouïe : deux scènes ordinairement unies, quoique ren-
fermées dans un double compartiment ^ . Or, ce fait excep-
tionnel, l'art chrétien ne l'a figuré que parce qu'il renferme
pour le divin accusé plutôt un titre de gloire qu'un souvenir
d'humiliation et de douleur. C'est pourquoi partout où ces
antiquaires, habituellement si judicieux dans leurs observa-
tions, ont signalé le Sauveur soit en état d'arrestation, soit
chez Hérode, soit ailleurs, il faut reconnaître un de ses dis-
ciples traîné devant ses juges spéciaux.
Personne, en efî'et, n'ignore à quel point lesjpremiers
athlètes de la foi se sont étudiés à dérober à tous les regards
l'ignominie du supplice du Rédempteur. On ne voulait mon-
trer l'Homme-Dieu que sous de nobles attributs, de riantes
* Voir notre sarcophage no 2, dans la Revue de Vjrt chrétien, juillet 1859,
et les tombeaux de Junius Bassus et de sainte Marie-Madeleine dans l'ou
vrage de l'abbé Paillon déjà cité .
18 MOxNUMENTS CIJRÉTIENS TRIMITIFS
couleurs, de glorieuses allégories. Sa puissance, ses prédica-
tions, ses miracles, la mission qu'il confia à ses Apôtres
reviennent constamment dans toutes les pages de l'art pri-
mitif; ses souffrances n'y apparaissent jamais '.
La Croix même, lugubre et émouvant trophée de la mort,
la croix ne devait être peinte ou sculptée cpie resplendissante
d'émaux et de perles, que surmontée de couronnes, que
triomphante en un mot.
» La mort du Sauveur était de préférence rappelée par le
« symbole de l'Agneau , mais cette innocente victime on ne
<• la voulait pas morte; il la fallait vivante ^. »
Si les disciples au contraire sont reproduits par l'art chré-
tien, arrêtés, conduits en prison et même lapidés % leur
présence et leur humiliation couvrent d'honneur leur divin
Maître ; car ils sont les témoins de sa divinité ; ils en publient
le triomphe à leur manière ; pleins de joie et de dévouement,
ils la confesseront jusqu'à la mort \
Au reste, si notre opinion pouvait être contrariée par
quelque fait certain et inconnu de nous, elle n'en serait pas
moins fondée pour les scènes de notre sarcophage marseillais.
L'art chrétien des premiers âges , nul ne le contestera, a
toujours manifesté Jésus-Christ durant sa vie mortelle, selon
le type traditionnel que voici : Figure d'adolescent, imberbe,
à longs cheveux abondants et bouclés sur les épaules. Après
sa résurrection, il est ordinairement peint et sculpté avec la
* Raoll-Rochette, Mémoire sur les antiquités chrétiennes (dans les Mém.
de l jicad. des Inscrip., etc., p. 165).
* Le Christ triomphant ou le Don de Dieu, par M. Gbimouard de Saiwt-
Ladrekt (Extrait de la Revue de l'Art Chrétien, p. 2).
^ Comme saint Etienne dans le sarcophage n^ 2. — Revue de l Art CV/re-
<«<?jj, juillet 1859.
* Acl. Apost., v,41.
A mauseill;:. 19
barbe et les cheveux d'un homme âgé, et rarement dans
l'éclat de la jeunesse '.
« Dans cette multitude sans nombre de figures du Sauveur
« pendant sa vie mortelle, sculptées sur les anciens sarco-
« phages, nous ne connaissons, dit le docte et fort judicieux
« Bottari, qu'un seul exemple où il est montré d'une ma-
« nière contraire à la tradition;, c'est celui du tombeau de
<« Junius Bassus ^. »
Bottari en signalant ce fait unique aurait dû fournir des
preuves pour démontrer le fait même de l'exception : il ne
l'a point fait; mais au fond il est si peu rassuré en lace de
son affirmation, qu'on voit bien qu'il incline à donner droit
au sentiment d'Ariiighi. L'abbé Faillon appuie la remarque
de Bottari et confirme en particulier l'application de cette
règle invariable, en indiquant les autres groupes du même
sarcophage où Jésus-Christ parait toujours imberbe : il en
conclut que sur le tombeau de Bassus, ce n'est point le Sau-
veur qui est conduit en prison, puisqu'il est barbu ^ Nous
nous sommes demandé pourquoi le savant archéologue ne
concluait pas de même pour la scène du tombeau de sainte
Madeleine. C'est qu'il n'a point reconnu l'identité des com-
positions dans les deux bas -reliefs. Or, plus on examine
attentivement ces sujets, plus on est frappé de leur simili-
tude : même pose du garde romain; arbuste noueux des deux
côtés; même place où se passe la scène, à l'extrémité gauche
du sarcophage. Si donc cette identité était démontrée, comme
Jésus-Christ est barbu dans cette composition, l'exception
' On s'en rendra compte en parcourant les grands ouvrages inspirés par
l'étude des Catacombes de Rome et en visitant les sarcophages de Marseille,
d'Arles, de Toulouse, d'Aix, de St-Maximin, etc.
*l<"vol., p. 35.
' Momnnenls inédits... tome i,443, note a.
20 MONUMENTS CHRÉTIENS PRIMITIFS
alléguée disparaîtrait. Que l'on compare maintenant les
planches des trois sarcophages, il deviendra évident qu'elles
se ressemblent, qu'elles redisent le même type, et dès-lors
il suit pour notre double composition en particulier, que les
prisonniers mis en scène étant barbus et à courte cheve-
lure, représentent des disciples du Sauveur, et non le Sau-
veur en personne.
Nous n'avons pas à nous occuper beaucoup du nom de ces
disciples. Saint Pierre et saint Paul ont été conduits devant
les juges, ils l'ont même été bien des fois par les Juifs et parles
soldats de l'empire. Assurément, nous admettrons toujours de
préférence qu'il est question de ces deux Apôtres plutôt que
de tout autre disciple, parce qu'ils se montrent le plus sou-
vent dans les sarcophages primitifs et dans bien des scènes
différentes.
Rien n'empêche pourtant que l'on ne s'arrête à la personne
seule de saint Pierre. On y serait d'autant mieux disposé
que le chef des Apôtres est déjà représenté dans les deux
derniers compartiments à droite, ainsi que nous l'avons ex-
posé. Le Sauveur lui avait prédit que « devenu vieux, il
serait forcé de livrer ses mains, qu'un autre le ceindrait et
le mènerait malgré lui ' . »
Nous aurions là son arrestation à Jérusalem par ordre
d'Hérode et sa dernière arrestation à Rome fulminée par
l'empereur Néron. Quant à la variété des costumes, il est à
remarquer qu'une première fois, c'est un soldat romain qui
exécute l'ordre d'arrêt ■; la seconde fois ce sont deux jeunes
personnages à longue tunique et en sandales dont l'un a pour
couvre-chef une toque festonnée et élégante
' JOAN. XXI, 18.
' Sa tunique est relevée par une ceinture : il porte la chlamydc, costume
des soldats romains, comme on le voit sur la colonne Trajane.
A MARSEILLE. 21
Il nous reste à indiquer les symboles répandus sur la déco-
ration architecturale du monument chrétien.
Les deux serpents qui étreignent les avant-derniers arbres
et qui s'élancent pour dévorer de petites colombes ou des
œufs dans leurs nids, signifient sans contredit la fureur du
démon : ce serpent antique, selon les saints Livres, qui s'a-
nime et se jette sur les jeunes âmes encore pures et blanches
d'innocence pour les dévorer ' . Dans certains sarcophages la
tentation d'Adam et d'Eve, au Paradis terrestre, est désignée
par le serpent entortillé autour de l'arbre de la science du bien
et du mal. De douces colombes habitent dans les feuillacres
entrelacés des arbres mystiques qui les nourrissent de leurs
fruits. Les nids des colombes sont formés de petits paniers
de joncs. Au sommet de quelques-uns des arbres, l'œil attentif
peut saisir des pains — mémorial des agapes ou symbole de
l'Eucharistie — de forme ronde, avec une incision en croix
qui" avait fait donner par les Romains à leur pain domes-
tique le nom de Quadra, et que le Christianisme, dit Raoul-
Rochette, s'était si facilement appropriés, en y attachant avec
le signe de la rédemption l'intention qui lui était propre ^.
Le limaçon qui s'allonge pour monter vers les branches
portant sur son dos sa fragile maison, est fort rare dans les
sarcophages. Je ne l'ai vu qu'une fois , dans l'ouvrage
d'Aringhi, parmi les animaux symboliques représentés par
l'art chrétien. Millin pense que le limaçon est ici un emblème
de prudence : à notre avis, il serait plutôt sur les sarcophages
un emblème de résurrection.
L. T.DASSY. O.M. I.
Correspondant des Comités historiques.
* Au sarcophage d'Arles qui porte la même ordonnnance d'architecture, il
n'y a qu'un seul serpent.
* Tableau des Catacovihea de Rome, page 152.
DES LANTERNES
L'usage des lanternes est fort ancien, comme en fait foi
l'histoire de Diogène.
Sur d'anciennes gravures, on voit souvent le Christ au
Jardin des Oliviers, au moment où les soldats arrivent pour
le faire prisonnier, munis de torches et de lanternes. On re-
présente parfois les retraites sauvages des ermites et des
anachorètes éclairées la nuit par une lanterne.
Le premier dessin que nous donnons est
une lanterne romane en cuivre rouge. Elle
est percée d'ouvertures remplies par des
cabochons en cristal de roche qui devaient
produire un effet de lumière très-vif par
l'éclairage intérieur. Entre les cabochons
serpentent des arabesques gravées. Ce cu-
rieux meuble provient de l'église de
Wetteren,dans les Flandres, près de Gand,
et servait prol)ablement pour accompa-
gner le prêtre, quand il portait le saint
Viatique.
DKà LANTERNES. 23
La seconde^, de style ogival, était destinée à être suspen-
due, en forme de lampe, à une voûte ou à un
plafond. Je l'ai dessinée d'après une vignette
d'un manuscrit de la Bibliothèque royale de
Bruxelles, portant le numéro 9,169.
Un enfant de chœur, portant une bannière
ornée delà croix et une sonnette, est
le sujet de la troisième vignette. La
hampe de la bannière est surmontée
d'une lanterne couronnée d'un globe
et de la croix. C'est une gravure
de 1493 qui figure dans la grande
chronique allemande, connue vul-
gairement sous le nom de Chronique
de Nurenberg.
Le Musée de la porte de Hal
conserve un bouclier du XIV siècle,
d'une forme très-simple et de petite dimension. Au milieu
se trouve un crochet ou crampon
pour y attacher une lanterne
sourde. Cette partie manque à
cette arme curieuse, qui pouvait
aussi servir pendant les ténèbres
de la luùt. On désignait ces sortes
d'armes sous le nom de boucliers
de nuit {fig. 4). Le grand cadre du
centre est fixé sur l'arme par des
chevilles ou boulons à têtes rondes
rivées, le tenant isolé du champ. Il en est de môme du petit
cadre ovale qui entoure le crampon destiné à agrafer au
milieu la lanterne sourde.
ARNAUD SCHAEPKENS.
LES CATACOMBES
considérées comme type primitif des églises
chrétiennes \
Quand tout venait de changer dans le monde moral, et
que, des hauteurs du Calvaire, un Dieu jetant à tous les
peuples une parole d'unité, les conviait à une vie nouvelle
dans un même culte et une même foi ; quand cette double
expression des premiers besoins de l'humanité s'était mani-
festée par d'innombrables symboles , ne fallait-il pas à cette
religion qui recueillait l'immense héritage de toutes les âmes,
des temples où respirât, comme dans ses dogmes et ses
prières, l'esthétique d'un intime et mystérieux enseigne-
ment ? Cette religion du cœur et de l'esprit ne pouvait ab-
jurer un droit qu'avaient usurpé sur ses primitives inspira-
tions les fausses doctrines du paganisme — et si celui-ci,
comme nous l'avons établi déjà, variait les formes de son
architecture religieuse d'après les caractères différents de ses
divinités ' , comment les premiers maîtres du Christianisme
* Extrait d'une Histoire générale du Symbolisme religieux, que l'auteur
achève en ce moment, et dont il a bien voulu détacher pour les lecteurs de la
Rei-ue co curieux chapitre. Les notes qui se réduisent ici, pour plus de brièveté,
à de simples renvois, seront accompagnées dans l'ouvrage de M. l'abbé Auber
des textes originaux qui servent au sien de pièces justificatives, et deviendront
un vaste recueil de matériaux et de témoignages empruntés à tous les siècles.
' Cette thèse fait le sujet d'un des chapitres précédents.
I.KS rATACOMBES. 25
auraient-ils pu méconnaître l'importance d'une création pa-
rallèle au profit de la véritable révélation ? Cet idéal néces-
saire ne s'était-il pas d'ailleurs essayé, pour ainsi dire, chez
le peuple dépositiiire des prophéties, et ne semblait-il pas
encore indiquer de loin aux enfants de la promesse un taber-
nacle, nouveau comme tout le reste, et le plus digne par son
spiritualisme du Dieu qu'on y devait adorer « en esprit et en
vérité ' ? » Ce Dieu qui réalisait en sa personne le type des
patriarches ", qui avait prescrit à Noé les mesures diverses
de l'arche libératrice;, mesures dont les nombres renferment
des mystères symboliques ^, devait-il faire moins pour son
Eglise en qui tous les hommes doivent être sauvés, et que
l'arche représentait, au dire de tous les interprètes '' ? — Il
y avait plus : cette grande merveille qu'on appela le temple
de Salomon, qui ne s'était élevée à si grands frais qu'afin de
préfigurer l'EgUse et le corps du Sauveur % n'offrait rien qui
ne fût symbolique, depuis ses fondements inébranlables de
marbre et de porphyre, jusqu'à ses plafonds de cèdre par-
fumé; depuis sa distribution intérieure jusqu'aux innombra-
bles ornements qui en décoraient les murs, jusqu'aux meubles
et enfin aux images qui servent au culte ou à l'embellisse-
ment ®. A suivre les Pères dans l'explication minutieuse
qu'ils ont donnée des particularités de cette magnifique con-
* JOAN. IV, 23.
* V. HoET, Démonstration évangélique, éd. Migne, Cursus compl. Script.
Sac, t. II, col. 859.
f S. IsiDOR. Hi.spAL., Questio. in Vet. Testam. — In Gènes., c. 7.
* S. AuGUST., De Civit. Dei, lib. xv, c. 26.
■^ Id., Prœfat. in Psalm. cxxvj, — Theodoret. , in Lib. I Paraliponien.,
quest. 1.
* V. les interprètes modernes d'après toute la tradition: Tirin, Estius,
Calmet, Sacy, Corneille de la Pierre.— Evseb., /ita Constant., \ih. iv, c, 18 ;
— Hist. eccles., lib. x, c. 4.
TOMK VI. 3
2G LES CATACOMiiES.
struction, on voit bien que tous les mystères qu'elle renferme
sont applicables à des vérités spirituelles de la seconde loi.
C'est dans saint Augustin surtout qu'il faut en chercher la
preuve : ce grand génie a tout résumé en quelques mots, soit
de ses œuvres oratoires, soit de ses commentaires sur les
psaumes ' , et nous reviendrons à beaucoup de ses idées quand
nous aurons à produire les nombreux enseignements que
l'Esprit-Saint a prodigués sur cette matière.
Les traditions architecturales étaient donc toutes faites
depuis longtemps, à l'aurore du Christianisme. Il n'eut plus
qu'à les prendre pour les continuer en les perfectionnant.
Mais avant d'épancher sur les vastes dimensions de ses
cathédrales et de ses églises monastiques les reflets de ce
génie divin qui j parle une langue si riche et si variée, il
lui fallut se rétrécir en de médiocres espaces. Le berceau de
l'art chrétien devait s'environner de ténèbres, sans doute
pour manifester d'autant plus à la lumière qui devait les
suivre, la gloire trop longtemps contestée de cette éternelle
Sagesse, qui n'opère jamais plus évidemment que par les con-
trastes.
En effet, c'est réellement dans les catacombes qu'il est
logique d'aller chercher le prototype des églises chrétiennes.
Pour peu qu'on en veuille étudier le plan intérieur, on voit
bientôt quels rapports nos monuments sacrés gardent encore
avec ces lieux vénérables où se conservent nos plus religieux
souvenirs. L'abside avec le trône épiscopal qu'entourent les
sièges du presbytère ; l'autel élevé sur une crypte où reposent
les sacrées reliques des Martyrs ; les vides circulaires ménagés
en voûtes {monumenta arciiata), presque toujours terminés
eux-mêmes en hémicycles dans les parois latérales, pour y
* In Psahn. xxxix et XLiv.
LES CATACMMBKS. 27
recevoir d'autres corps h mesure que la persécution les y
envoyait, et qui sont devenus par la suite ces chapelles des
bas-côtés, inaugurées sous le vocable de tant de saints; ou ces
arcatures continues, bien plus anciennes, décorant les murs
intérieurs de nos plus vieux oratoires'; enfin, jusqu'à ces
vestibules {cuhicula) introduisant à la pièce principale, et qui
représentaient très-exactement cette annexe qu'on appela plus
tard le diaconicum ou sacristie : tout prête à faire comparer
ces pieux sanctuaires à ceux qui s'ouvrent pour nous chaque
jour, et dont nous voyons que le plan original n'a souffert
que de légères modifications ^. Nous ne pouvons donc ad-
mettre avec plusieurs écrivains de notre temps que l'art ca-
tholique se soit inspiré d'abord des basiliques profanes de la
Rome payenne\ On retrouve, il est vrai, dans nos temples,
de frappantes analogies avec les anciens édifices publics, et
ce que nous venons d'en dire convient, jusqu'à un certain
point, aux uns et aux autres. Mais on a trop répète, comme
fait archéologique, une erreur qui enlèverait absolument à la
Rome souterraine son antériorité de date sur nos basiliques
religieuses, en la privant de l'influence directe qu'il faut lui
accorder sur celles-ci. Cette influence est manifeste, et tout
en admettant de frappantes ressemblances quant aux plans de
ces constructions si différentes dans leur but^ en avouant que
rien ne dut paraître plus convenable aux exigences du nou-
• Ces observations se fortifient beaucoup des nouvelles découvertes faites
dans les Catacombes par M. Louis Perret, de Lyon, dont le beau travail a
été publié en 1855.
* V. AuiNGHi, Roma suhterranea, tom. i, p. 461, et la planche de la
page 471. — Romx, in-f", 1651.
' Ainsi ont pensé, d'après les données vulgarisées jusqu'à nous, MM. Bâ-
tissier, IJist. de l'Art monumental, p. 359 et 454, Raoul-Rochettc, Renouvier,
Schmitt, et bien d'autres.
28 LES CATACOMBES.
veau culte que ces vastes enceintes si commodes pour une
nombreuse assemblée, et où la religion prenait si avanta-
geusement la place de la magistrature civile, on doit se
garder d'oublier ces mêmes nefs, ce même hémicycle absidal,
cette même position du clergé et du peuple indiqués tout
d'abord dans les catacombes, dont nous avons vu l'origine
dans l'Apocalypse, et à laquelle, par cette double raison, l'on
dut se garder de renoncer plus tard ' . Voilà, nous semble-
t-il, et pour répondre à une question d'un de nos savants collè-
gues de la Société française d'arcliéologie, « conmient il s'est
fait que le Christianisme inclina vers cette forme monu-
mentale, et qu'il en a même produit spontanément des
spécimens durant l'ère orageuse des persécutions ^. » Et
qu'on n'aille pas nous objecter que les catacombes, devenues
le refuge des chrétiens persécutés, purent bien être disposées
par eux sur le modèle des basiliques de la ville supérieure.
En fût- il ainsi, cela prouverait tout au plus qu'il y avait
certains rapports entre celles-ci et la description de l'Eglise
éternelle où Dieu s'était révélé à saint Jean ; mais auquel de
ces deux objets pense -t-on que l'Eglise ait pu donner la
préférence ? — Nous irons plus loin, et de ce qu'il y avait
dans la Kome souterraine des lieux consacrés en formes di-
' V. ce qu'a dit de cette abside primitive le P.LijPI, Dissertazioni e Lettere
ftlologiche, etc., 1" part., {J xvij et xxvj ; in-4o, Faenza, 1755.
• V. M. DE RoisiN, Origines de la basilique chrétienne; Bullet. monu-
mental, t. xxvj, p 263. — Ces édifices, en effet, devaient être simples et
bien différents des églises du Moyen Age par leur côté architectural, comme
il convenait à des tentatives nécessairement timides. C'est ce qui faisait dire
à saint Jean Chrysostôme, dès le IV •= siècle, que les basiliques et les palais des
princes l'emportaient de beaucoup par la splendeur et la magnificence de l'ar-
chitecture sur les constructions élevées à la gloire des Saints (V. Ilomil. xxvj,
in II Cor., n» 5).
LES CATACOMBES. 29
verses, spliériques, obloiigs ou carrés ', nous n'hésiterons
pas à expliquer par là comment beaucoup d'églises ou baptis-
tères célèbres ont pu adopter ces plans dont on accuse trop
légèrement la prétendue excentricité. Aussi dès que s'inter-
rompirent les persécutions qui avaient forcé les premiers
chrétiens à se cacher, les églises qu'ils purent bâtir au grand
jour n'eurent point d'autres formes ; et quand cette assertion
manquerait des preuves positives qu'on peut lui donner ^, on
le conclurait très^bien par induction, puisqu'au rapport des
historiens, les lieux sacrés démolis ou brûlés par les persécu-
teurs se relevant aussitôt que la paix nous était rendue, les
lois symboliques relatives à la construction et qui venaient
des traditions apostoliques % forçaient d'en reproduire l'an-
cienne ordonnance déjà consacrée.
Remarquons d'ailleurs que l'ensemble si vanté des basi-
liques romaines dut se ]ilier d'abord à de nombreuses re-
touches pour l'accommoder à sa nouvelle destination, soit
' V. BoTTAKi, Future e sculpture sayre estratte del cimitery di Roma, t. u,
p. 112, pi. xojv ; et t. iii, p. 91, 92 ; et pi. clvj et dxxxv.
* V. M. DE RoisiiN, nb. svj).
* Les canons qui forment l'ensemble du livre connu sous le nom des Consti-
tutions apostoliques sont, au sentiment de tous les critiques, d'une époque
bien postérieure au temps des Apôtres, et ne peuvent guères remonter au-delà
du Ille siècle. Mais on reconnaît généralement qu'ils expriment des tradi-
tions puisées au berceau du Christianisme, et dues à quelque plume catho-
lique qui en aura formé un seul corps, lorsque la liberté rendue à l'Église
permit d'établir au grand jour le dï'oit ecclésiastique jusqu'alors tenu secret,
aussi bien que les usages de la liturgie. Ainsi les règles invoquées sous le nom
d'apostoliques ont toujours pu l'être, et la continuité du respect qu'elles ont
toujours obtenu dans toutes les Églises, et notamment au deuxième concile de
Nicée en 782, constate siirement la légitimité de notre confiance. On peut donc
s'en faire une autorité en matière d'archéologie et d'histoire, et l'on saura dé-
sormais, quand nous aurons à nous appuyer sur elles, dans quel sens ortho-
doxe nous persisterons à la citer.
30 LES CATACOMBES.
qu'on ait utilisé aussitôt celles que Constantin donna aux
catholiques, soit qu'il ait fallu bientôt en élever d'autres sui-
des plans plus conformes aux développements de la liturgie.
Nous savons ce que devait être au W siècle la cathédrale de
Trêves dont les fouilles récentes ont révélé les dispositions
primitives ' ; ou encore cette église de Saint-Hyppolite martyr,
dont Prudence se plaît à décrire si exactement les trois nefs,
les chapelles latérales, l'abside avec son siège épiscopal ^.
Mais quelque beaux édifices que fussent ces palais ou ces
prétoires, qui n'en étaient pas moins quelquefois des lieux de
transactions commerciales, et même des promenades pu-
bliques, il y avait loin de ces usages de la vie profane aux
grandes choses de la religion. Plus celle-ci marchait, plus
elle aspirait à d'autres pensées. Elle voulait avant tout que
dans l'asile du Sacrifice et de la prière tout parlât à l'esprit
et au cœur de ses adeptes. Ce quadrilatère allongé, dont rien
ne tempérait la sécheresse que deux rangs de colonnes à
chapiteaux insignifiants ; ces fenêtres à plein-cintre, distri-
buées symétriquement et sans nombre arrêté à la surface des
murs, pour donner à un intérieur sans mystère un jour partout
égal ; cette architrave grecque dont la masse, surmontée
d'une frise dessinée au hasard, allourdissait des portes aux
lignes perpendiculaires et horizontales, et pesait sur des co-
lonnes qui ne s'y rattachaient que par un système de souten-
nement froid et absolu ; tout cela n'était guères d'un utile
secours à la pensée religieuse, et ne rappelait pas mal non
plus le matérialisme de l'art payen. Si donc on put admettre
d'abord ces dispositions générales qu'on eût trouvées sans
• Voir la description qu'en a donnée M. de Roisin, Bulletin des Comités
historiques, 1849, tom. i, Archéologie, p. 233.
- PlUI)K^T., Perislephan, hymn.xi, v. 215.
LKS CATACOMBES. 31
beaucoup d'efforts eu sortant des souterrains sacrés, ce ne
put être qu'à condition d'en changer les détails, et de tout
reporter aux principes d'un spiritualisme nouveau. Et voilù
comment on convint tout de suite que l'église chrétienne
aurait la forme d'une nef (de vaûs, vaisseau^ et non de vaèi
temple) ; que l'autel serait, d'après les Constitutions aposto-
liques ', tourné vers l'Orient; que l'axe longitudinal, en
sortant du sanctuaire, se briserait du Nord au Sud par une
brusque déviation de sa ligne naturelle ' ; que la forme de
croix serait donnée au monument par le double prolonge-
ment du transsept à droite et à gauche — Il n'y eut pas
loin, un peu plus tard, de cette ordonnance élémentaire à
ses développements successifs, et ce que l'art y ajouta dans
l'intérêt de la pensée doctrinale devint une conséquence de
ce premier élan fondé sur les données positives de l'Ecriture
et de la Tradition. Qui ne voit aujourd'hui le germe aussi
fécond que remarquable de toutes ces idées et de beaucoup
d'autres dans la description si connue qu'Eusèbe de Césarée
nous a donnée de l'église de Tyr relevée de ses ruines en 51 5
par son évêque Paulin ' ? Il est clair, d'après ce texte^, que
l'importance attachée à chaque détail de ce vaste et magni-
* Lib. II, c. 57, ap. Coteuer, Patres œvi apostolici, tom. i, p. 261, in-f",
1672. Il faut bien ici remarquer ces importants détails de l'orientation des absi-
dioles orientées comme l'abside, et de cette forme de nef, dont l'étymologie
même a sa signification absolue. Voilà toute une église telle que le Moyen Age
nous en a tant donné, et son origine la rattache comme son plan au plan des
Catacombes.
* Ce symbole de la déviation de l'axe se remarque à Poitiers dans le bap-
tistère de Saint- Jean, qui date du IV" siècle. On en a donc attribué à tort
l'apparition au XI« ou XII'^ siècle ; et c'est une des erreurs que nous signalons
àM.Trémollière,dans son a^rticle Sy)nholis7ne dans l Encyclopédie duXIX^ siè-
cle, tom. xxiii.
^ Hist. écoles., lib. x, c. 4.
32 I-ES CATACOMBES.
fique édifice venait des symboles qui y traduisaient les vérités
de la foi. C'est donc avec raison qu'un docte écrivain de nos
jours, constatant que toutes les églises bâties au IV' siècle en
Orient et en Occident conservaient les formes antérieures à
la paix de Constantin, fait observer que les mystères cachés
sous les particularités de la construction étaient compris du
peuple fidèle comme autant d'objets de l'enseignement reli-
gieux ' ; car Eusèbe, que nous suivons ici, n'est pas seulement
l'historien de ce fait : il avait prêché au jour même de la
dédicace de cette église, et en avait exposé tout le symbolisme
devant une affluence considérable que présidait un grand
nombre d'évêques.
Concluons que notre symbolisme actuel, vivant encore
dans tous nos temples catholiques du Moyen- Age, est sorti
tout fait de ces églises souterraines qui abritèrent les
premiers chrétiens, et que les catacombes furent vraiment les
premières basiliques oii s'offrit le sacrifice de propitiation.
l'abbé auber
Chanoine de TÉglise «le Poiliei?.
' Cf D. GuÉUAKGKU, Institut, liturgiques, t. \, p. 94. — Fledry, Hist.
ecclés., livre x, n" 'S.
DU RÉALISME ET DES SYMBOLES
dans VAn chrétien.
PREMIER AllTICLK.
I. — L'art est une langue; l'imitation de la nature est
son moyen; il a pour but l'expression de la pensée : imiter
la nature, sans autre intention, c'est parler pour ne rien
dire. Exprimer sa pensée par des images peintes ou sculp-
tées, sans nul souci de la vérité des formes et de leur beauté,
ce serait peut-être de l'imagerie; ce ne serait pas de l'art.
La saine notion de l'art comprend simultanément une idée
de vérité et une idée de beauté, qui doivent se manifester à
la fois dans la pensée et dans la forme. Consacré uniquement
à la reproduction de la nature comme elle tombe journelle-
ment sous nos sens, l'art s'affaisse dans le pire des réalismes,
celui qui exclut jusqu'au choix des formes, jusqu'à la con-
venance des pensées.
L'art veut-il s'élever au-dessus des sensations vulgaires,
jusqu'au sentiment de la beauté, il saisit de plus haut les
rapports et les proportions des choses, il les idéalise. Le goût
qui sait comprendre et atteindre le beau cesse d'être grossière-
ment réaliste : s'il ne se met en garde contre les séductions
34 DU UÉALJSMK ^T DES SYMBOLES
des formes, ces formes fussent-elles idéalisées, il n'est pas
cependant à l'abri d'un réalisme plus raffiné. Sous le nom de
réalisme, nous entendons proscrire toute préoccupation exa-
gérée des formes, de leur réalité, de leur beauté même, au
détriment de la prépondérance que doivent toujours conser-
ver les idées; nous voulons combattre toute tendance à la
représentation positive de faits, qui ne s'inquiéterait pas
assez d'en faire ressortir la signification. Ces exigences, ap-
plicables à toutes les branches de l'art, sont surtout indis-
pensables quand il s'agit d'art chrétien.
II, — La nature par elle-même est toujours belle; les
deux racontent la gloire de Dieu et le firmament publie les
œuvres de ses mains ; la terre, la mer, les fleuves, les mon-
tagnes tiennent des discours ; les arbres aussi parlent à leur
manière; dans ce concert harmonieux, les fleurs, les plan-
tes, les^ feuilles ont leurs accents poétiques. Il n'est pas
d'être créé qui n'ait sa poésie; il n'en est pas, à mesure qu'il
monte dans l'échelle des êtres animés, dont la poésie ne
s'élève proportionnellement. Le corps de l'homme. Ce chef-
d'œuvre du monde invisible, n'est-il pas à lui seul tout un
poëme?
Pour être beau, pour être vrai, pour être abondant
en fortes et saines pensées, suffirait-il donc à l'artiste de
copier la nature? Non, parce que, dans un sens, elle est
inimitable, et que, dans un autre, nous pouvons beaucoup
mieux faire que de tenter une imitation impossible.
Par la voix de la nature, c'est Dieu qui se fait entendre ;
en vain nous voudrions répéter ses accents divins , tout au
plus pourrions-nous, comme un écho, en faire retentir les
syllabes les plus sonores, désormais dépourvues d'aucun sens.
Pour parler véritablement la langue de la nature, il faudrait
soi-même posséder la puissance créatrice, faire circuler en
DANS l'art ghuétien. 35
réalité dans im tableau, l'air, la lumière et la vie. Nous n'en
pouvons montrer que des apparences éloignées. Cependant
il est quekpie chose dans l'art qui dépasse en élévation et en
beauté tout ce qui se peut voir dans la nature, c'est l'idée. L'art
ne serait-il qu'une traduction, pour traduire il faut com-
prendre; or, la nature ne se comprend pas elle-même, tandis
que l'art porte le sceau d'une intelligence qui la comprend.
Comparer l'art à la nature et lui donner une sorte de
préférence, ce n'est pas faire une comparaison injurieuse aux
œuvres divines. Car la plus belle des œuvres de Dieu, n'est-ce
pas l'intelligence de l'homme, laite à l'image du Créateur?
Quelque chose de plus beau que toutes les beautés de la na-
ture célébrées par David, c'est l'âme de David qui les célèbre.
III. — Les œuvres d'art développent le sentiment des
beautés de la nature, elles ravivent nos impressions, elles
nous invitent à les revoir d'un œil attentif, et toutes ces
merveilles qui, en passant habituellement sous nos regards,
y restaient comme inaperçues, deviennent une source perpé-
tuelle de jouissance et d'admiration.
Le peintre réaliste lui-même, pour peu qu'il soit habile
dans le maniement du pinceau, s'élève facilement dans ses
œuvres au-dessus de ses théories. Il ne peut reproduire au-
cune partie de la nature sans y imprimer le cachet de sa pen-
sée. Il est nécessaire qu'il comprenne^, au moins en quelque
manière, le jeu de la lumière et des ombres, qu'il se fasse une
idée des formes, qu'il sente quelque chose en les voyant.
Cette idée, ces sentiments, sont à certains égards supérieurs
à l'objet de ses imitations.
Nous comparerions volontiers le réalisme dans l'art avec
l'égoïsme en morale ; l'un et l'autre pèchent par ce qu'ils
ont d'étroit; en s'élargissant, ils rentrent dans le vrai. Cher-
cher son propre intérêt dans l'intérêt de tous, n'est plus
36 I>1) RÉALISME ET DES SYMBOLES
égoïsme, mais largeur de vues et d'aifections ; emprunter
aux réelles beautés de la nature l'expression des sentiments
qu'elles inspirent n'est pas réalisme, mais saine intelligence
de l'art. C'est parce que le véritable intérêt n'est jamais isolé
que l'égoïste n'est jamais excusable ; c'est parce que toute
imitation de la nature renferme au moins une idée, que l'ar-
tiste ne saurait s'excuser non plus, quand il ne se la propose
pas comme objet principal. N'aurait-il à peindre qu'une
pierre informe, un lambeau de vêtement, l'idée serait par
exemple de faire sentir combien, sur la plus humble surface,
la lumière peut se piontrer riche de teintes, de reflets et de
contrastes.
C'est surtout l'idée morale qui est capable de tout élever,
de tout embellir. Voici un pauvre mendiant, le réaliste se
contentera de le peindre épuisé et difforme ; faites percer dans
ses traits défigurés un reste de dignité, un sentiment de ré-
signation, ou bien qu'il paraisse reconnaissant sous la main
qui le soulage, aussitôt vous sentez que sous ce corps abject,
il est une âme belle ou capable de le devenir; le contraste de-
vient une nouvelle source de beauté ; le laid cesse de l'être, dès
qu'il apparait comme une œuvre inachevée, ou comme une
réparation commencée.
Il est une poésie de la souffrance, de la difformité qui en est
l'indice et l'effet; cette poésie consiste dans les bons senti-
ments, dans toutes les salutaires vérités qui s'y rattachent,
dans la couronne qui doit en récompenser le bon usage. L'art
ne devrait jamais représenter une laideur physique, sans la
réhabiliter en quelque sorte par la beauté morale.
IV. — L'égoïste manque souvent à son véritable intérêt
par cela seul qu'il en fait l'objet exclusif de ses poursuites,
de même souvent aussi le réaliste cesse d'être vrai par
cela seul qu'il veut l'être trop grossièrement.
DANS l'aP.T CURÉTIEN. 37
L'imitation prise trop à la lettre n'est jamais vraie parce
qu'elle ne peut pas être complète. « Il faut que l'art, dit
à ce sujet un jeune écrivain, auquel il n'a manqué probable-
ment que de prolonger sa vie pour prendre rang parmi les
hommes les plus éminents de notre siècle, il faut que l'art
change toutes les valeurs absolues, qu'il n'en conserve pas une
seule pour reproduire la valeur d'ensemble, puisque l'échelle
sur laquelle se développe la reproduction est beaucoup plus
bornée. L'école réaliste ne voit pas enfin que l'art n'est
qu'une aiFaire de rapports, que les rapports seuls et l'har-
monie qui en résulte sont l'objet de l'art, et constituent, pour
l'esprit, la beauté '. »
Une réalité absolue, non pas atteinte (elle ne peut l'être),
mais visée seulement, a pour conséquence de rompre dans
la représentation l'harmonie des rapports qui fait le charme
de la nature.
V. — L'artiste veut-il uniquement s'attacher à cette poésie
qui rejaillit des effets de la nature pris en eux-mêmes, il masse
les objets, il en supprime les détails ; les figures humaines
dans un paysage, n'apparaissent plus elles-mêmes que com-
prises dans un système général d'accord et d'opposition; l'ac-
tion est un prétexte, il en résultera une impression générale
de gaîté ou de mélancolie, de grandeur ou de joie; mais il
n'en sortira aucune pensée susceptible d'être rigoureusement
renfermée dans une proposition grammaticale ; c'est comme
une belle symphonie.
Dans ce genre, prendre au réel la nette et précise déter-
mination des objets, ce serait en manquer tout l'effet. Vous
ne chercherez pas à distinguer une feuille d'une autre feuille,
un arbre d'un autre arbre ; ce que vous ne faites pas, l'es-
i fragments d'art et de philosophie , par Ai,. Tonwely ; Tours, 1859, p. 77 .
38 HIJ IIÉALISME ET DES SYMBOLES
prit le fait autant qu'il le faut pour le degré d'illusion utile
au but que vous avez dû vous proposer. Vous n'avez pas
voulu tenter la reproduction impossible des formes de la na-
ture, vous avez obtenu la réalité des impressions qu'elle est
capable de produire, vous êtes vrai.
Yl. — Quelquefois une imitation plus stricte, utile ou
vraie comme étude, cesse de l'être, transportée dans une œu-
vre définitive.
Passionné pour les études anatomiques, Michel-Ange les
étale là où elles ne devraient pas plus paraître que l'écha-
faudage lorsque la voûte est construite. A force d'être exact
dans la reproduction de chaque muscle du corps humain, il
cesse d'être vrai dans la représentation de ce corps lui-
même. Il n'est pas vrai que dans les circonstances où il les
montre, les hommes contractent leurs muscles à ce point ;
il n'est pas vrai qu'ils prennent les attitudes forcées qu'il
leur donne.
Est-ce une action que vous avez à me mettre sous les
yeux? un tableau, quelque soit sa dimension, n'embrasse
qu'un instant, un aspect; l'action, au contraire, comprend
une succession d'aspects et d'instants souvent très-variés.
Choisirez-vous un seul instant, un seul aspect, tels qu'ils se
sont réellement présentés, vous rendrez tout au plus un
détail, un épisode de l'action, mais non pas le fait lui-même.
Pour le rendre, il faut en exprimer la substance, en dégager
les traits caractéristiques, les grouper comme s'ils avaient
été simultanés, comme s'il eût été possible de les embras-
ser tous d'un regard.
Mais ce travail, tout témoin intelligent d'une action se le
fait à lui-même, pour s'en rendre compte, en embrasser
l'ensemble et en conserver le souvenir; sans être peintre, il se
fait intérieurement un tableau, et c'est ce tableau que Par-
DANS l'aHT CMUÉTICN. 39
tiste a mission de fixer sur l:i toile. Ici encore, ici surtout,
pour être vrai, élevé et complet, il faut renoncer à une trop
servile représentation de la réalité.
VII. — L'imitation de la nature doit donc subordonner
son mode et sa mesure aux différents genres dans lesquels
s'exerce le génie des arts ; il en est de lui comme de l'écri-
vain; quand ce dernier prend la plume, son style s'élève ou
s'abaisse, s'orne ou se simplifie, suivant la nature delà com-
position. Le langage de la prose diffère de celui des vers, le
chant d'un poème épique ne doit pas se confondre avec un
chapitre d'histoire, le ton d'un discours n'est pas celui de la
conversation, l'ode et l'élégie ont chacune leurs accents.
De même une peinture de chevalet destinée à l'ornement
d'un salon ne peut être conçue comme une peinture murale
fixée sur un monument public, devenue partie intégrante
d'une église ; un vitrail ne peut pas être ordonnancé comme
un bas-relief. La finesse du modelé, qualité éminente ici,
ne serait plus bonne là où il faut surtout de la fermeté dans
les profils.
L'art monumental demande peu de mouvement, mais des
lignes simples, suivies, peu multipliées, qui forment corps avec
l'architecture; elles ne sauraient convenir à un tableau de
genre, dont le principal mérite sera de prendre la nature sur
le fait, dans un détail familier de la vie.
Tantôt vous aurez atteint la perfection, si mon œil fixé
sur votre ouvrage oublie que c'est un tableau; tantôt au con-
traire, si vous me faites sentir la pierre, dans le temple,
afin que ma pensée s'élève avec elle. Vous me montrerez des
corps, mais ce ne seront plus seulement des* corps, ce seront
des pensées liées à tout un ensemble de chants, de cérémo-
nies, de prières, de souvenirs, qui rempliront aussi bien mon
âme que l'enceinte sacrée.
40 DD RÉALISME ET DES SYMBOLES
VIII. — Le Christianisme constitue au-dessus de la na-
ture tout un ordre surnaturel.
L'Art chrétien a pour mission d'exprimer des vérités, des
faits, des sentiments surnaturels.
L'ordre surnaturel ne détruit pas la nature, il l'épure et
l'élève. L'Art chrétien doit aussi, sans rien dénaturer;, sur-
naturaliser tout ce qu'il atteint.
Toute œuvre doit plaire par sa beauté, doit instruire par
l'expression de quelque utile vérité; les œuvres d'un art
véritablement chrétien doivent faire quelque chose de plus,
elles doivent édifier.
Aux réalités des faits, des formes, des proportions, des
attitudes, l'artiste empruntera tous ses moyens d'action;
mais il le fera avec sobriété, avec à-propos par rapport à
l'idée qu'il en doit faire ressortir; l'artiste chrétien en le fai-
sant se proposera pardessus tout de faire jaillir une source
d'abondante édification ; il ne fera pas de l'imitation de la
nature son but unique, ni même son objet principal.
Quel relief, me direz- vous, dans ces formes ! comme elles
se détachent du fond ! quelle vie dans ces chairs ! il semble-
rait que le sang y circule !
Et que m'importe, si c'est la prière d'un Saint que je vous
ai demandé de me représenter ? Que m'importe si, sur des
physionomes humaines, je vous ai demandé de me peindre les
plus pures affections de l'âme, si, d'un grand événement, je
vous ai demandé de tirer une haute pensée, une utile leçon ?
IX. — L'Art chrétien, obligé de parler à l'esprit et sur-
tout au cœur, aux yeux secondairement, destiné à repré-
senter beaucoup de choses qui ne se voient point, à ex-
primer principalement des vérités et des sentiments surna-
turels, ne doit pas seulement, pour remplir toute l'étendue de
sa mission, éviter les écarts d'un réalisme outré, il lui est né-
1)AN.S l'aKT GIIUKTIEN. 41
cessaire de recourir à ce langage figuré connu sous le nom de
symbolisme.
La parole elle-même aurait bientôt atteint les dernières
limites de sa puissance d'expression, si, obligée de prendre
chaque terme dans son sens propre, elle devait s'interdire
toute figure.
Les choses visibles sont la figure et l'image des invisibles ;
celles qui sont présentes nous disent celles qui ne le sont
plus ; les objets ont la signification de leur usage, ils nous
rappellent ceux qui nous les ont donnés, ceux qui s'en sont
servi et ils nous les représentent : ainsi, par exemple, la
croix, c'est Jésus-Christ crucifié, c'est Jésus-Christ vainqueur,
c'est le Christianisme fondé par cet instrument de salut.
Les termes de comparaison sont pris pour les choses
mêmes auxquelles on les compare, et deviennent des méta-
phores. Toutes les langues en sont remplies ; à chaque instant,
sans même y prendre garde, nous en répétons quelques-unes,
devenues usuelles.
Il n'y a pas de langue plus habituellement figurée que celle
des Saintes Ecritures ; les symboles les plus accrédités de
l'Art chrétien, la main divine et l'Ancien des jours pour re-
présenter Dieu, l'agneau pour représenter son divin Fils à
l'état de victime, la colombe pour représenter le Saint-
Esprit et par extension l'âme fidèle remplie de son soufile
divin, ne sont que la traduction et la mise en scène des
figures de ces Livres sacrés.
L'Art chrétien primitif est tout en symboles ; le besoin de
beaucoup dire en est la raison, plus encore que la nécessité
où on était de se cacher. Quand le triomphe du Christianisme
fut consommé, l'Art chrétien conserva encore son caractère
presque exclusivement symbolique; la juxta-position des
personnages, leurs tailles respectives, leurs costumes, les
42 l»U FIÉALISIIE ET DES SVMIiOLES
moindres accessoires, gardèrent souvent une signification
mystérieuse.
X. — Nous donnons le nom de symbole à toute image
exprimant une idée figurée qui ne se trouve pas nécessaire-
ment comprise dans la représentation des objets.
Analogues aux caractères hiéroglyphiques, les images
symboliques en diffèrent notablement. L'hiéroglyphe n'est
qu'un signe, l'idée de l'art n'y entre pour rien; l'artiste dans
l'emploi des symboles ne doit jamais oublier qu'il est tenu h
la vérité et à la beauté des formes.
Les symboles doivent appartenir à un langage convenu,
qu'il n'est pas libre d'inventer à plaisir.
Pour représenter Dieu surtout, nous avons déjà, dans
cette Revue *, établi en principe, d'après les plus hautes auto-
rités, qu'en dehors des symboles usités dans les Saintes
Écritures, aucun autre ne saurait être légitimement employé.
Il n'est pas nécessaire d'être très- versé dans la mystique
pour savoir que, dans leurs plus intimes communications
avec le Ciel, les secrets de ce monde et de l'autre révélés aux
Saints, revêtent souvent des apparences symboliques.
Ces figures, ces images, ces symboles sont toujours à peu
près les mêmes dans les mêmes circonstances et offrent de
singulières ressemblances avec ceux qui sont en usage dans
l'Art chrétien ; n'est-il pas permis d'en conclure qu'ils ne sont
point absolument arbitraires, mais fondés souvent sur les
rapports essentiels qui existent entre les choses, antérieure-
ment à toute convention. — Les anges, les démons, n'ont pas
de corps; ceux qu'on leur attribue, aussi bien dans le domaine
de l'imagination que dans celui de l'art, n'ont et ne peuvent
avoir aucune réalité physique : ils appartiennent entière-
ment au langage symbolique.
• Tome 11, p. 34.
itAXs l'aut chuétikn. 43
Cependant toutes les formes dont nous nous servons pour
représenter les Anges expriment quelques-unes des qualités
qui leur appartiennent bien réellement : l'intelligence, Tim-
mortalité, la beauté, la pureté, l'exécution forte et rapide ; et
il est plus que douteux qu'il soit possible d'imaginer aucune
autre figure qui leur convienne aussi bien que celle d'un
chaste et beau jeune homme aîlé, devenu le type de leur
représentation.
Les Démons, au contraire, impliquent une idée de dif-
formité morale qui ne peut se bien traduire que par des dif-
formités physiques : aussi ne citera-t-on très-probablement
jamais une apparition du Démon, soit qu'il ait pris momen-
tanément un corps, ou que l'imagination le lui ait prêté, où
il ne soit montré sous une forme plus ou moins abjecte et
hideuse. Il se transforme, il est vrai, en ange de lumière,
mais c'est en dissimulant sa propre personnalité, en se don-
nant pour un autre; aussitôt qu'il se présente comme Dé-
mon, aussitôt que l'âme qu'il veut séduire, que l'âme séduite
elle-même le reconnaissent pour ce qu'il est, le prestige dis-
paraît, l'esprit du mal se manifeste tel qu'il est, laid et ignoble
comme le mal lui-même.
XI. — Le symbolisme peut être admis dans les compo-
sitions de l'Art chrétien en des mesures fort diverses.
Elles peuvent être symboliques dans leur foraie principale
ou seulement renfermer des symboles.
Quelle place faire dans une composition au symbole ou au
réel? Il importe à l'artiste de se faire cette question, avant de
mettre la main à l'œuvre, et leur proportion une fois détermi-
née, d'après la nature du sujet et des impressions qu'il veut
produire, il la maintiendra jusqu'au parfait accomplissement
de sa tâche: c'est une condition de vérité autant que de clarté
et de précision.
44 I)U RÉALISME Eï DES SYMBOLES DANS L'ART CHRKTJEN.
Il n'y a pas d'anachronisme à rénnir, par exemple, dans
une pensée symbolique autour de la Crèche du Sauveur, les
Prophètes qui d'avance étaient rendus présents par les as-
pirations de leurs désirs, et les Saints des siècles futurs qui
ont remonté le cours des âges dans leurs ardentes médita-
tions, pour assister à l'accomplissement de ce consolant mys-
tère; mais il faut qu'à première vue, l'on sache, l'on com-
prenne le sens de cette association de personnages apparte-
nant à des temps, à des lieux si divers.
Tout serait confondu si on introduisait les mêmes person-
nages dans une représentation où, autant que le comportent
les procédés de l'art, tout annoncerait d'ailleurs l'intention
de rendre la réalité historique dans ses strictes conditions
de temps et de lieu.
La nature d'une composition historique n'est jamais ce-
pendant si exclusive de l'emploi de tout symbole, qu'il n'y ait
lieu d'y recourir accessoirement ; il en est de toujours utiles, de
souvent nécessaires, pour faire reconnaître, par exemple, tel
personnage ou telle classe de personnages dont ils sont les at-
tributs consacrés par l'usage; on ne devra pas craindre de
couvrir la tête d'un Pape, d'un Roi, d'un Evêque, de la tiare,
de la couronne, de la mitre, bien qu'ils ne les aient certaine-
ment pas portées dans les circonstances de la vie où on les
montre placés, bien que l'usage de ces insignes soit d'une
époque postérieure à celle où le spectateur doit se trans-
porter. Mais il faut que chacun de ces emblèmes soit autorisé
par un usage bien établi ; le langage des symboles doit tou-
jours être clair plus qu'aucun autre et se tenir soigneusement
en garde contre l'invasion du néologisme.
GRIMOUARD DE SAINT-LAURENT -
(La suite à un jirochain numéro.)
PEINTURES DE M. FLANDRIN
à Saïnt-Germain-des-Prés
Il n'est bruit dans le monde des arts que des peintures de
M. H. riandrin à l'église de Saint-Germain-des-Prés. Les
échafaudages qui ont si longtemps encombré ce précieux
monument ont en partie disparu; les voiles qui cachaient le
mystère du travail et des méditations de l'artiste sont
tombés, et ceux qui, sur la foi de certains critiques de l'école
du Siècle, avaient cru que la religion était désormais
impuissante à féconder le génie et que l'Art chrétien avait
fait son temps comme l'Eglise, ont pu s'assurer qu'au
XIX® siècle la sève de l'inspiration religieuse n'est pas
encore tarie. Si le Salon ne voit plus étaler sur ses murailles,
à côté d'un art resplendissant de sensualisme, que quelques
rares et faibles pages de sainteté , c'est que la peinture mu-
rale a pris de nos jours, et surtout dans les édifices reli-
gieux, un si vaste développement qu'elle réclame le concours
des artistes les plus intelligents et les plus habiles; c'est là,
sur des surfaces sans autres limites que l'édifice, et non sur
une toile à tableau , que doivent se concentrer à l'avenir
toute la force vive du génie et tous les efforts de l'étude et
de la méditation .
.40 l'HIMUliLS ItE M. n.AM)UÎN
Sauf deux bujets importauts encore inachevés, M. H.
Flandrin a peint seul la vaste église de Saint-Germain-des-
Prés. On a pu, par cet exemple, et eu comparant ce qui s'est
fait dans d'autres églises, où chaque artiste a suivi sa fan-
taisie, apprécier les avantages de l'unité de pensée et d'exé-
cution.
M. flandrin a pu ainsi donner un vaste développement à
une grande idée préconçue; son programme, en effet, n'est
autre chose que l'histoire complète de la Religion unie à
l'humanité, depuis les premiers faits bibliques jusqu'aux
dernières scènes de la rédemption . Il a suivi les plus pures
traditions du dogme et de l'art chrétien, avec la naïveté de
l'art primitif et la science de l'art moderne.
La Revue a déjà fait connaître à ses lecteurs les peintures
de M. Flandrin à Saint-Vincent de Paul * et à Saint-Martin-
d'Ain ay, à Lyon ^ ; elle trouvera peut-être matière dans la
description de celles de Saint-Germain-des-Prés à des études
précieuses d'iconographie chrétienne. Elle pourra en même
temps s'occuper, en dehors de ces belles pages, de la décO'
ration employée dans cette église comme tradition archéolo-
gique de l'époque romane. La critique , tout en louant les
eiforts faits dans cette difficile tâche de la décoration poly-
chrome, devra signaler les écueils contre lesquels seraient
entraînés, surtout en province, les ornemanistes tapageurs,
qui déjà ne se sont que trop inspirés des modernes peintures
de la Sainte-Chapelle de Paris.
Aujourd'hui nous nous bornons à indiquer les sujets
traités par M. Flandrin dans ses peintures murales de
Saint-Germain-des-Prés, en notant les textes qui les accom-
pagnent.
' Tome 11, |,agf ilO.
■' '\'<Hr\v I, |Kij.'c ;i6b.
A saint-(;eiimain-dks-i*kks. 47
I. — PRINCIPALX SUJETS.
1» (Première arcade à gauche, en entrant). Annonciation, incar-
nation de Jésus-Christ dans le sein de la très-sainte Vierge. —
Moïse se prosterne devant le buisson ardent, que la flamme n'em-
brase pas (figure prophétique de la maternité virginale de Marie).
Texte (au-dessus du vitrail) : « Domine, mitte quem missurus
es. » (Envoyez, Seigneur, celui que nous attendons). Exode, \s, l'a.
2<> (Deuxième arcade de gauche). Naissance de l'enfant Jésus à
Bethléem. — Adam et Eve réprimandés par Dieu (le Sauveur
promis, avec la réparation de la désobéissance d'Eve).
Texte : « Per hominem mors, per hominem resurreclio. » (Un
homme nous a valu la mort, un homme nous rend la vie). II Cor.,
XV, 21.
3" Adoration de Notre-Seigneur parles mages. — Balaam prophé-
tise qu'un astre s'élèvera du milieu d'Israël.
Texte : « Habitantibus iu regione umbree... lux orta est. » (La
lumière s'est levée sur ceux qui habitaient dans les ténèbres). /saie,
IX, 2.
4" Baptême de Notre-Seigneur dans le Jourdain, pour annoncer
le don de régénération qu'il doit accorder à l'eau employée dans le
premier des sacrements. — Le passage de la mer Rouge, où l'en-
nemi seul périt, tandis que le peuple de Dieu en sort miraculeuse-
ment pour de glorieuses destinées.
Texte: « Erit sanguis vobis in signum. » (Le sang vous sera un
signe). Exode, xii, 13.
50 Institution de l'Eucharistie par Notre-Seigneur (prêtre selon
l'ordre de Melchisédech). Ps. cix, 5. — Melchisédech;, offrant le sa-
crifice du pain et du vin, bénit Abraham, père des croyants.
Texte: « Novi Testamenti mediator est. » (11 est le médiateur d'une
nouvelle alliance). Hebr., ix, 15.
6" (Cinquième arcade de droite). Trahison de Judas. — Joseph
vendu par ses frères.
Texte : « Pro sainte vestra misit me Deus. » (Dieu m'a envoyé
pour votre salut). Gen., XLV, 5.
7° (Quatrième arcade). Mort de Jésus-Christ sur le Calvaire. —
48 PEINTURES DE M. FLANDRIN
Isaac au moment d'être immolé par son père.
Texte : « Proprio filio non pepercit. » (il n'a pas épargne son
propre fils). Rom., \n\, 32.
8° lîÉsuRRECTiON DE Jésus-Christ. — Jonas rendu au jour par le
monstre marin.
Texte: a Signum Jonse propbetœ » (Le signe du prophète Jonas).
Matth., XII, 39.
9" Mission des Apôïhes pour réunir les nations dans une même
foi. — Dispersion des peuples au pied de la tour de Babel, par la
confusion des langues.
Texte: « Gentes esse cohseredes... promissionis in Gliristo.» (Les
nations hériteront toutes de la promesse en Jésus-Christ). Gai.,
III, 6.
iO° (Non encore achevé). Ascension de Notre-Seigneur. — Préli-
minaires du jugement dernier.
Texte: « Semel oblatus... secmido apparebit (Victime d'abord...
il reviendra, etc.). Eebr'., ix, 28.
H. — personnages de l'ancien testament.
A la hauteur des Vitraux.
1" (Au-dessus de la première arcade, à gauche, en entrant).
Adam et Eve ; — Abel, Enoch.
2° (Deuxième arcade de gauche). Noé, Abraham ; — Isaac, Mel-
chisédech.
3° Jacob, Joseph ; — Moïse, Job.
4° Aaron, Josué ; — Marie (sœur de Moïse), Débora, Jahel.
5" Judith, Gédéon ; — Samson.
6» (Au-dessus de la cinquième arcade, à droite). Samuel, David ;
— Salomou.
7° Isaïe, Ézéchias ; — Jérémie, Baruch.
8° Ézéchiel, Daniel ; — Élie, Elisée.
9» Habacuc, Sophonie ; — Osée, Joël.
10" Amos, Michée, Nahum ; — Malachie, Zacharie, saint Jean-
Baptiste.
P. S.
BIBLIOGRAPHIE
HISTOIRE DE L'ABBAYE DE SAINT-DENIS EN FRANCE, par
M™" Félicie d'Ayzac, dignitaire Jionoraire de la Maison impériale de
Saint-Denis. Paris, imprimé par autorisation de l'Empereur à l'imprimerie
impériale, 1861, deux gros volumes in 8° (20 francs.)
L'ancienne église abbatiale de Saint-Denis nnit deux genres de
gloire qui concentrent sur elle l'attention de l'antiquaire et de This-
torien: la beauté de l'architecture et la richesse des souvenirs.
Fondée par Dagobert, reconstruite par Charlemagne, elle fut ré-
édifîée en H40 par Snger, qui fît respirer dans son architecture
tout le génie de son époque. Saint Louis fit reconstruire les Irans-
septs et les voûtes ; Philippe-le-Hardi ajouta six travées à la nef et
fit élever, en 1280, la flècbe qui couronne la tour du nord.
La façade principale est remarquable par son ordonnance géné-
rale et par la beauté de sa statuaire. La porte principale est à plein
cintre, tandis que les portes latérales sont à ogive {{ig. 1, à la page
suivante).
L'intérieur a un aspect grandiose; les voûtes s'élèvent à 30 mètres
du sol; on compte 111 mètres depuis le portail jusqu'à l'abside
[fig. 2, à la page 51).
Malgré les travaux de deux savants bénédictins, Dom Doublet et
Dom Félibien , l'histoire de l'abbaye de Saint-Denis n'était pas
assez connue, surtout sous le rapport de l'art et du régime inté-
rieur ou administratif. C'est à ce point de vue que se place surtout
]\|me Félicie d'Ayzac, en réservant la partie purement historique
pour une seconde publication.
Grâce à l'abondante moisson qu'elle a faite dans les cartulaires
et les archives, elle a pu réunir de nombreux renseignements qui
avaient échappé à ses devanciers et faire revivre, sous des traits
50
BIBLIOGRAPHIE
1 — Porhil (le 1 f^li c Simt Di iiis
BIHl.IOGllAlMI fi.
51
2. — liitciitur lie '.''J^'li.^'j SaiiU-I'ciiis
52 BIBLIOGRAPHIE.
animés, la pUysiouomie de la plus illustre de nos abbayes royales,
depuis sa fondation, au VII« siècle, jusqu'à sa transformation en
maison impériale d'éducation pour les filles des officiers supérieurs
légionnaires. Après un sommaire liistoiique, qui était nécessaire
pour l'intelligence de la partie descriptive, elle consacre sept livres
à la règle et aux mœurs des habitants de l'abbaye, — à ses pompes
religieuses, — à son organisation intérieure, — à ses possessions,
ses droits et ses revenus, — <i ses anciens bâtiments, — enfin à ses
bâtiments nouveaux.
Le chapitre consacré aux obsèques des Rois nous a particulière-
ment intéressé. Nous en résumerons quelques curieuses particu-
larités.
Jusqu'au XIII" siècle, on faisait bouillir les cadavres des Rois
avant de les confier à la terre. Plus tard on se contentait de les plon-
ger dans de l'eau saturée de chaux, pour dessécher les chairs; on
les enveloppait de bandelettes imprégnées d'aromates et après les
avoir revêtus des insignes de la royauté, on les déposait dans un
cercueil de bois bitumineux, en ayant soin de combler tous les
vides avec des matières odorantes. Cette caisse était revêtue d'un
cercueil en plomb, oii étaient gravés le nom, l'âge et la date du dé-
cès du prince, et déposé dans une troisième bière eu chêne, sur la-
quelle on clouait un drap mortuaire en velours noir. Ce cercueil
recouvert encore d'un ample drap d'or était exposé dans la chambre
du trépas pendant dix-huit jours. Pendant les six premiers jours, on
mettait à côté un lit de parade aux draps d'or, une table où étaient
, servis les repas du Roi et Veffigie du défunt, statue en pied, moulée
en cire, tenant les mains jointes, et revêtue de tous les insignes
royaux : C'est ce qu'on appelait la Représentation. Les pompes des
funérailles ne commençaient qu'un mois après le jour du décès. Le
cercueil était porté à Notre-Dame, où était célébré un service so-
lennel. On se rendait de là à l'abbaye de Saint-Denis. Quatre hé-
raults d'armes marchaient en tête du cortège ; venaient ensuite
vingt-quatre crieurs de Paris en robes de deuil, les quatre ordres
mendiants, les paroisses de la ville, les gentilshommes de la maison
du Roi défunt, portant des cierges de cire jaune. Le cercueil, sur-
monté de la Représentation dont nous avons parlé, était porté par
les hannouars ou porteurs de sel de Paris. Les personnages les plus
HIBLIOGHAPHIE. î>3
émineuts du royaume tenaient sur des carreaux de velouis les
honneurs du Roi. Venaient ensuite le Parlement en robes rouges, la
Chambre des comptes, le Cliâlclet, la Municipalité, l'Université,
rArcbevèquc de Paris à clieval, les Princes et les Grands du
royaume, les Ambassadeurs, les Cardinaux, des pauvres vêtus de
deuil et portant des torches allumées. Le cortège était fermé par la
noblesse, la maréchaussée, le connétable, l'armée et la foule in-
nombrable de la bourgeoisie et du peuple.
L'Abbé de Saint-Denis, accompagné de ses religieux, de ses
grands vassaux et de ses gentilshommes, se rendait au-devant du
cortège, au champ du Landil, où l'Archevêque de Paris lui fai-
sait la remise du corps du défunt. Le cercueil restait déposé pen-
dant quarante jours dans une chiipelle ardente. « La pieuse coutume
de ce dépôt, dit iM"'^ F. d'Ayzac, il est permis de le croire, fut
imaginée et établie par l'effet d'un pieux regret.' Un sentiment
délicat des convenances fit juger peu séant de rendre si tôt à Ja
tombe les restes de ceux qui naguères étaient entourés de tant de
témoignages de dévouement et d'amour. Entre la présentation du
corps et l'ouverture du sépulcre viennent se placer, pour les rois,
ces quarante jours de grand deuil, de prières et de tristesse autour
de leurs restes, comme pour témoigner qu'on ne s'en séparait qu'à
regret et pour s'accoutumer peu à peu à l'absence du souverain
que le plus irrésistible de tous les pouvoirs avait effacé de la terre. »
Pendant les jours du dépôt, on dressait une table dans la salle
des gardes-du-corps ; à l'heure du dîner, un hérault s'écriait trois
fois : « Le roi est servi » , et quelque temps après, il répétait :
« Le roi est mort. » C'est alors seulement que commençait le repas
des gardes-du-corps.
Le jour de l'inhumation, le cercueil était érigé sur un immense
catafalque où des fîguies allégoriques représentaient les princi-
pales vertus du prince défunt. On y déposait les deux couronnes du
sacre, la couronne funèbre et les honneurs du roi, c'est-à-dire l'épée,
le sceptre et la maiu de justice.
Quand le cercueil était descendu dans le caveau royal, les
écuyers y jetaient lour à tour les éperons, les gantelets, l'écu, la
cotte d'armes et l'armet timbré du roi ; le manteau royal y était
jeté par un grand dignitaire, le fanon par le premier valet tran-
o4 BlBLlOGr.APIlIE.
chant, les honneurs par les priuces du sang ; le chancelier et les
maréchaux y précipitaient leur bâton de dignité qu'ils avaient
brisé... Le hérault criait trois fois du fond du caveau : « Le roi
est mort, priez pour l'âme de ly ! » Puis s'élançant du caveau, il
criait : «Vive le Roi», elles fanfares des clairons proclamaient
l'avènement d'un nouveau règne.
BIBUOâRÂPHIE. 55
La vaste crypte de Saint-Denis est la plus curieuse nécropole de
l'Europe {fig. 3). Les nombreux tombeaux qui y sont renfermés ont
donné lieu à plus d'une erreur archéologique. Il résulte des re-
cherches de M. le baron de Guilhermy ' qu'on ne doit pas faire
remonter au-delà du règne de Louis IX la construction des monu-
ments érigés aux prédécesseurs de ce saint Roi, et que ce n'est qu'à
dater du règne de Philippe-le-Hardi que les figures royales qui ont
échappé au vandalisme peuvent être considérées comme des por-
traits authentiques.
Depuis Dagobert I" jusqu'à Louis XV, tous les rois de France
furent enterrés à Saint-Denis, à l'exception de Charlemagne,
Louis VII et Louis XI.
Les deux beaux volumes que vient de publier M™« F. d'Ayzac
sortent des presses de l'imprimerie impériale. Ils ne sont pas illus-
trés de vignettes, mais deux planches gravées avec soin y sont
annexées; l'une représente une vue générale de l'abbaye copiée
sur celle du Monasticum Gallicanum; l'autre a été calquée sur une
carte manuscrite, mais sans date, qui appartient à la Bibliothèque
impériale *.
Nous n'apprendronç rien de nouveau à nos lecteurs en disant
que M"* F. d'Ayzac unit la poésie de l'imagination à une immense
érudition. Ici, bien plus encore que dans ses travaux extérieurs,
elle a donné essor à ses brillantes et solides qualités : aussi VHis-
toire de l'Abbaye de Saint-Denis sera assurément un des ouvrages
qui fera le plus d'honneur à la littérature sérieuse de notre époque.
J. CORBLET.
RECHERCHES HISTORIQUES SUR L'IMPRIMERIE ET LA LI-
BRAIRIE A AMIENS, avec une description de livres divers imprimés
dans cette ville, par F. Pocy. Amiens, 1861,tn-8°.
Le premier ouvrage connu, imprimé à Amiens, est un Recueil de
coutumes qui paraît dater de 1507. Depuis cette époque jusque
' Monographie de l'église royale de Saint-Denis.
* Nous devons à l'obligeance de M. Lecoifre, les trois vues qui accom-
pagnent notr« article ; il en a fait graver le» bois pour la Semaine des Fa-
milles.
56 BIBLIOGRAPHIE.
1609, on ne connaît aucun ouvrage imprimé dans celte ville.
M. Pouy signale les productions des imprimeurs des deux derniers
siècles et sème son récit de piquantes anecdocles. Il donne d'inté-
ressants détails sur la législation et l'organisation des imprimeurs
d'Amiens avant 1789, sur les livres brûlés parla main du bourreau,
sur la censure, sur les almanachs et les journaux, sur l'origine de
la librairie à Amiens, sur les principales collections bibliographiques
du département de la Somme, etc. La seconde partie de ses savantes
Recherches est consacrée à la description de divers ouvrages exé-
cutés à Amiens, qui se recommandent soit par leur rareté, soit par
certaines particularités, ou qui offrent un certain intérêt au point
de vue artistique, historique, archéologique ou Httéraire.
DE LÀ IvrUSIQUE AU XV"^ SIECLE. Notice sur un manuscrit de laBihlio-
thèque de Dijon, par Stephen Morelot. iw-4«.
L'histoire de la musique au moyen-âge est encore à faire, malgré
les nombreux travaux publiés sur cette intéressante question : aussi
doit-on applaudir à la publication de tous les documents qui peu-
vent jeter quelque jour sur les origines de l'art musical. Le ma-
nuscrit dont M. Morelot publie des fragments, renferme plus de 200
chansons françaises du XV* siècle à trois et' quatre parties et plu-
sieurs motets religieux. Ce manuscrit ne nous fournit pas seulement
de précieux monuments de la musique populaire de cette époque ;
il nous fait connaître les formes scientifiques les plus compliquées
dont faisaient usage les compositeurs du XV* siècle.
HISTOIRE ABRÉGÉE DU TRÉSOR DE L'ABBAYE ROYALE DE
SAINT-PIERRE DE CORBIE ; nouvelle édition augmentée de notes, par
M. H. Dusevel. Amiens, Lemer, 1861, m-16 de 94 pages.
Cet opuscule était devenu fort rare, et nous félicitons M. Du-
sevel de l'avoir fait réimprimer, en y ajoutant un certain nombre de
notes expUcatives. L'abbaye de Corbie possédait les corps de saint
Adhédard, saint Paschase Ratbert, saint Précord ; des reliques
moins importantes de sainte Balhilde, saint Anschaire, saint Gérard,
saint Gentien, saint Ktienne, etc.; aussi le nombre de ses châsses et
reliquaires était-il considérable. Parmi les objets d'art les plus cu-
rieux, on trouve mentionné « un ancien crucifix d'yvoire, attaché
sur une croix de cuivre éraaillé. »
J. GORBLET.
-SARCOPHAGE -AUTEL
de r église Saint -Zenon, à Vérone.
Le sarcophage-autel dont je désire entretenir les lecteurs
de la Revue de l'Art chrétien., et dont je dois le dessin à un
de mes amis, se trouve dans la crypte de notre basilique
Saint-Zénon.
On sait qu'en souvenir des mystères des catacombes, on
conserva longtemps l'usage de célébrer la Messe sur le tom-
beau des Martyrs, et qu'on retrouve encore aujourd'hui une
commémoration de cette touchante pratique dans les re-
liques que l'on dépose dans les pierres sacrées.
L'autel-sarcophage de notre basilique a contenu les corps
de trois Saints : 1" saint Crescentien, martyr du IV siècle,
dont il est fait mention dans les Actes du pape saint Marcel ' ;
2° notre évêque saint Lucille , qui assista au Concile de
S"ardes, en 547, et qui est mentionné dans V Apologie de saint
Athanase; o° notre évêque saint Lupicin (XIP siècle), dont les
reliques sont actuellement dans l'abside centrale de la crypte.
' BoLLAND., 5 sept., page 488.
TOME Yi. Février 1862. 5.
58 SARCOPHAGE- AUTEL
En 1576 on lisait l'inscription suivante au côté nord de
l'autel ' :
CORPORA SANCTORVM CRESCENTIANI MARTYRIS
LVCILLI ET LVPICINI CONFESSORVM
EPISCOPORVM VERONENSIVM
Lorsqu'on ferma l'abside, ce sarcophage continua à servir
d'autel, et on reproduisit sur le mur de clôture l'ancienne in-
scription suivante :
HIC CRESCENTIANI MARTYRIS OSSA QVIESCVNT
ET CVM LVCILLO TV LVPICINE SIMUL
COELESTIS PATRIAE CONSORTES ATQVE SEPVLCHRl
VERONAM PRAESVL DICIT VTERQVE SVAM
Et plus haut :
DIVIS
CRESCENTIANO LVCILLO
ET LVPICINO
Ce précieux monument nous parait offrir les caractères du
commencement du IX® siècle. Tl est en calcaire tertiaire ; la
table est en marbre rouge de Vérone. Il a 0"'97 de hauteur,
0"84 de largeur et 2™20 de longueur. 11 était jadis entière-
ment peint, et on voit encore quelques restes des couleurs
qu'on a grattées, en endommageant un peu la sculpture en
quelques endroits.
La face principale est divisée en trois compartiments {voir
la planche ci-jointe) ; au centre, on voit le Christ en croix,
• Sfi. Episcoporum Veronensium monumenta. Venetiis, 1576.
DE l/ ÉGLISE SAINT-ZÉNON, A VÉllONR 59
vetii d'un court jupon, ayant deux clous aux pieds. Il est
encore vivant; et, tournant la tête vers saint Jean, il semble
lui donner pour mère la très-sainte Vierge qui, debout
auprès de la croix, verse des larmes amères. Deux Anges
éplorés, aîlés et vêtus, planent au-dessus de la croix ; ils
portent probablement quelques instruments de la passion.
Les deux compartiments latéraux sont divisés en deux ar-
cades à plein cintre, soutenus par des colonnes torses ; sous
chaque arcade est assis un Evangéliste, tenant sur un pu-
pitre son Evangile et accompagné de l'animal symbolique qui
lui est propre. Tous quatre ont les pieds nus; saint Mathieu
et saint Jean les tiennent sur un escabeau. Il est à remar-
quer que ce dernier Apôtre est jeune et imberbe près de la
croix, tandis qu'il est âgé et barbu, lorsqu'il écrit son Evan-
gile. Je crois qu'une simple raison chronologique peut suffire
ici pour expliquer cette différence, sans qu'il soit besoin de
recourir au motif allégué par M. Didron', c'est-à-dire à
l'influence du style byzantin.
Deux oiseaux et des palmes symboliques accompagnent
l'extrados des arcades.
La face postérieure nous montre les fruits immédiats de la
Eédemption, à savoir : les âmes des justes délivrées des
Limbes et les âmes du Purgatoire introduites dans la gloire
du Paradis {voir la planche ci-jointe). Je ne crois du moins
y reconnaître que ces deux sujets, bien que l'ensemble pa-
raisse, au premier coup-d'œil, être divisé en plus de deux
scènes. En effet, je reconnais le divin Rédempteur, figuré
deux fois seulement et parfaitement reconnaissable à son
nimbe crucifère. Les quatre personnages qui sont à gauche
ne nous semblent pas former une représentation spéciale; ils
• Manuel d'Iconograpliie chrétienne , p. 304.
GO SARCIlOriIAGE-AlTtL
paraissent en reliition avec les deux figures qui sont près du
Sauveur : c'est donc une même scène, représentant les justes
délivrés par Jésus-Christ. 11 serait difficile de déterminer
leur identité. Celui que le Christ touche à l'épaule est sans
doute Adam; le suivant est Eve, reconnaissable à sa longue
chevelure. Il en est ainsi du reste dans d'autres représen-
tations analogues, d'une haute antiquité.
Sur la droite, nous voyons le Sauveur délivrer une âme
des flammes du Purgatoire, tandis qu'un de ses Anges en
retire une autre. Cette circonstance est parftiitement con-
forme à la doctrine de l'Eglise, comme l'a très-bien établi
dans cette Revue ' le II. P. Dom Renom, contre une affirma-
tion contraire de M. l'abbé Pascal.
Le bas-relief du côté de l'épitre représente une chasse. A
A.J.
terre, l'ours terrassé par les chiens est frappé par le couteau
du veneur. Derrière, un autre chasseur tient un chien en
' To-.f.o. m, \)»i.c 196.
DE l'JvGLISK S.U.NT-ZKNON, A VÉRONE. (il
laisse et a un olipliaiit à la main. Sur les arbres, (rautrcjs
chasseurs poursuivent et frappent ours et singes, animaux
qui ont la faculté grimpante.
La chasse, symbole des vicissitudes de la vie humaine, se
trouve représentée sur divers sarcophages anciens. Ici l'ours
et le singe sont peut-être le symbole des vices que l'honnne
doit poursuivre et détruire en lui-même dans tontes les cir-
constances de la vie '.
Le côté correspondant a été mutilé ; on y a gravé, en
1808, l'inscription suivante :
ik
\Ër (SiasscsEMifflAMo.
[Fi;i©©©MflT.'-\
!A. ©o .D8©3„ E)]E= Êïï>. 7 S KO g
Cette inscription moderne n'en remplace pas une plus
' Voyez S. Mflitoms Chu-is, n[>. SpicU. Soh'sni., t. m, Ursus, Sii/iic,
Tcnalio, Ycndior.
62 SARCHOPHAGE-AUÏEL DE l'ÉGLISE SAINT-ZÉNON, A VÉRONE.
ancienne. Les inscriptions dont ont parlé divers historiens,
étaient placées près de l'autel et non pas sur le monument
lui-même; d'ailleurs, l'inégalité de la surface sur laquelle est
gravée l'inscription de 1808 prouve évidemment qu'il y
avait là des sculptures qui ont été coupées.
Ce sarcophage-autel n'a pas assurément le mérite artis-
tique de ceux des premiers siècles ; mais il appartient à une
époque encore assez reculée pour intéresser vivement l'ar-
chéologue qui ne recherche pas seulement la perfection des
formes dans les monuments, mais qui aime à constater l'état
des arts à toutes les époques et surtout à celles qui ne nous
ont légué qu'un fort petit nombre de spécimens.
ANTONIO BERTOLDI.
Vérone, 18(51
DU RÉALISME ET DES SYMBOLES
dans VArt chrétien.
DKDXIEMK KT DERNIER ARTICI.K
XII. — En appliquant à un sujet spécial les idées que
nous avons émises, nous espérons réussir à les faire mieux
goûter de nos lecteurs ; nous prendrons pour exemple le bap-
tême de Notre-Seigneur.
Il s'agit d'abord de fixer le type du Sauveur du monde ;
un réalisme grossier se contenterait de copier à la lettre le
corps du portefaix assez bien conformé pour servir de modèle
dans un atelier ; comprenant la nécessité de s'élever plus
haut, il est des artistes qui ne trouveraient rien de mieux,
en les copiant également, que d'attribuer au Christ les chairs
blanches et délicates, le noble port d'un jeune homme de
bonne famille qui aurait consenti à se dépouiller de ses vête-
ments pour poser devant eux; d'autres enfin croiraient avoir
atteint le nec plus ultra de l'idéal, s'ils avaient pu imiter les
formes d'un beau marbre antique. Mais l'artiste vraiment
chrétien, en s'aidant de tout ce qu'il a vu pour peindre le corps
* Voir le numéro de janvier 1862, p. 33.
64 DU IIÉALISMK ET DES SYxMBOLES
de l'Homme-Bieu, prendra à cœur d'imaginer quelque chose
que l'œil ne puisse jamais rencontrer en aucun autre corps
vivant, en aucune image profane, quelque chose qui exprime
la force sans effort, la santé sans eifervescence de la chair
et du sang, la beauté sans rien de sensuel, quelque chose enfin
qui réponde à l'idée que nous pouvons nous faire d'un corps
glorieux, éclairé, outre la lumière ordinaire, par les premières
hieurs d'un rayonnement propre.
XIII . — Que l'artiste chrétien ait à peindre le Christ
dans le cours de sa vie mortelle et passible, ou dans les gloires
de sa Résurrection ; qu'il ait à le détacher d'une toile ou à le
fixer sur un mur, nous admettons qu'il doit se faire aujour-
d'hui une loi d'être toujours vrai autant que noble dans les
proportions générales, d'être exact autant que naturel et
facile dans tous les mouvements et toutes les attitudes; il
le peut sans rien sacrifier des qualités plus précieuses qu'il
doit surtout ambitionner. S'il fallait toutefois choisir entre
ces œuvres primitives où, avec plus ou moins de raideur,
de sécheresse dans les membres^ avec des fautes d'anatomie,
de perspective, d'équilibre^ apparaît au moins l'intention
manifeste de résoudre le difficile problème que nous avons
posé, rinJ:ention de diviniser un corps qui est efi^ectivement
celui d'un Dieu ; s'il fallait, dis-je, choisir entre ces œuvres
primitives et tant de Christs de toutes les écoles modernes où se
montre le désir de séduire les yeux, bien plus que l'intention
d'édifier et d'instruire, nous n'hésiterions pas : assurément
il y a une plus forte somme de vérité et de beauté là où
l'idée que nous devons nous faire de l'Homme-Dieu est
mieux sentie, que là où l'anatomie du corps est mieux ren-
due.
Nous le dirions, même en mettant hors de concours ces
produits de pinceaux quelquefois habiles sans contredit.
DANS i/aUT CUUKTIKN. 05
mais déplorablement fourvoyés, où le nom sacré du Christ est
attribué à des figures ignobles qui sembleraient dignes du
pilori.
Ces figures au reste cadrent bien avec l'idée de ces C/in'sis
humanitaires conçus en certains esprits de nos jours, C/irisls
qui semblent vomir le blasphème à pleine bouche, et qui
ne sont pas plus le divin Sauveur des hommes et leur juge, que
Satan transformé en anû'C de lumière ne devient un bon an2;e.
XIV. — Le corps du Fils de Dieu étant dessiné avec une
mesure délicate de symbolisme qui ennoblisse et spiritualise
ce que l'observation apprend à imiter des effets de la na-
ture , il faut fixer les autres termes de la composition .
L'Evangile nous apprend que Jésus se plongea dans les
eaux du Jourdain pour recevoir le baptême de saint Jean.
Pour représenter l'immersion complète, telle que le rap-
porte le texte sacré, les artistes des premiers siècles et ceux
du Moyen Age ont imaginé un fleuve de convention élevé
autour du corps qu'il devait baigner, souvent sous la forme
d'un monticule, sans atteindre les autres personnages placés
au même niveau.
Quand on a voulu faire couler le fleuve selon ses lois natu-
relles, il a fallu supprimer l'immersion et souvent on a sup-
primé le fleuve lid-môme. Un faible filet d'eau où trempent
les pieds du Christ ne peut en effet constituer ni un fleuve
ni une immersion.
Ce sont, comme le monticule onde des temps primitifs, des
moyens convenus et d'une valeur plus symbolique que réelle
pour exprimer des choses que les ressources de l'art se
refusent à reproduire tout à la fois selon la réalité historique
et selon la réalité naturelle.
Il paraît bien difficile de composer un groupe supportable
a la vue, en faisant disparaître la plus grande partie du corps
66 DU KÉALISME ET DES SYMBOLES
de Jésus dans les eaux du Jourdain, tandis que saint Jean,
demeuré sur ses bords, resterait élevé au-dessus, autant que
le demanderait la différence naturelle des plans ; aussi, aucun
artiste, que nous sachions, ne l'a jamais tenté avec succès.
Témoins de la scène évangélique, nous n'aurions rien vu
sans doute qui ne satisfit nos yeux autant que notre cœur,
parce que les saints personnages qui en furent les acteurs
nous auraient apparu sous autant d'aspects qu'ils firent de
mouvements.
Nous les aurions vu l'un et l'autre s'aborder, s'humilier,
s'abaisser, se relever, l'eau jaillir en blanche écume, se
répandre en flots d'argent, puis le Sauveur étant remonté sur
la rive, le ciel s'illuminer d'une splendeur soudaine et la
divine Colombe briller dans cette lumière d'un éclat et d'une
douceur incomparables.
C'est de tout cet enchaînement successif de faits que se
serait formé le tableau déroulé sous nos reafards. Immobiliser
un seul de ces faits dans un moment donné, l'immobiliser
à un point de vue horizontal, ce serait nous le montrer tout
autre que nous aurions pu le voir.
Si divers qu'aient été les procédés et les tendances de
toutes les écoles, aucune n'a reculé devant la nécessité de
chercher une position plus ou moins conventionnelle qui ré-
sumât tous les mouvements et tous les aspects dont le Christ
et son saint Précurseur purent donner le spectacle au ciel et
à la terre, comme aucune n'a hésité à représenter l'Appa-
rition du Saint-Esprit simultanément avec le Baptême, bien
qu'en réalité elle l'ait suivi.
XV. — Nous ferons toutefois remarquer une différence
caractéristique entre les termes du langage figuré, au service
de l'Art chrétien dans ses anciennes périodes, et ceux que
nous lui voyons employer dans les temps modernes. Ces
DANS l'art CIlliKTlEN. 67
termes maintenant sont empruntés h. la nature réelle ; com-
parés avec ce qu'ils signifient, ils n'en diffèrent (jue du petit
au grand ou du tout à la partie. Considérez, au contraire,
beaucoup d'œuvres primitives, vous y verrez ce qui réellement
ne s'est jamais vu et ne peut se voir.
Etait-ce impuissance d'imitation, inhabilité de novice?
Oui peut-être, jusqu'à un certain point; mais il faut aussi y
voir le sentiment d'une impuissance plus radicale: celle des
images purement naturelles pour représenter avec une force
suffisante d'expression les vérités que l'artiste avait mission
de figurer.
Vos petits ruisseaux sont jolis, ils sont vrais; j'en ai vu
de semblables, j'ai vu aussi de belles nappes d'eau comme
celles que vous attribuez au Jourdain en d'autres circons-
tances; vous me les rappelez et vous faites jouir mes sens.
Mais si je veux méditer sur les eaux sanctifiées par le contact
du Sauveur, je ne vous réponds pas que le fleuve aux formes
tout archaiques , où m'apparaîtra son divin corps en effet sub-
mergé, ne me donnera pas tout d'abord à?penser davantage.
Nous en dirons autant des rayons lumineux qui, à la
lettre, jaillissaient du ciel ou de la divine colombe en filets
d'or : les modernes, pour peindre cette clarté céleste, prennent
les mêmes moyens qui leur serviraient pour imiter un vif
éclat de la lumière naturelle : pour qui veut réfléchir, la dis-
proportion n'en paraît que plus grande entre la réalité et sa
représentation.
Transportés sur les bords du Jourdain et pénétrant par la
foi jusqu'aux réalités invisibles, nous apercevrions encore
des yeux de l'âme le Père céleste qui fit entendre sa voix
et les Anges qui ne pouvaient rester étrangers là où la
Trinité se manifestait tout entière.
Que nos lecteurs ne s'effraient pas d'un ordre d'idées sj
68 DU KÉxUlSME ET DES SYMBOLES
multiple, si vaste, si élevé ; nous ne disons rien que d'autres
n'aient pensé, rien que le symbolisme chrétien n'ait tenté de
traduire dans son langage.
XVI. — La plus ancienne représentation du Baptême de
N. S. Jésus-Christ que nous connaissions personnellement,
a été découverte par Bosio, dans la catacombe de Pontien ' .
Elle n'appartient point aux siècles les plus primitifs, mais
seulement à l'époque du mouvement considérable qui se pro-
duisit dans les arts au VHP siècle, mouvement auquel les
Papes Adrien P", saint Léon III, Pascal I, Adrien II, atta-
chèrent principalement leur nom, à Rome, tandis qu'il fut im-
primé par Charlemagne dans le reste de l'Europe. Cette
peinture, tout imparfaite et simple qu'elle apparaisse, est ce-
pendant conçue dans le mode tout substantiel de pensée que
nous venons d'exposer.
Le Christ plongé dans l'eau jusqu'à la ceinture, reçoit si-
multanément le baptême de saint Jean, qui lui pose la main
sur la tête, et le souffle du Saint-Esprit, représenté par un
faisceau de rayons qui s'échappe du bec de la divine co-
lombe. Il porte le nimbe simple ainsi que son saint Précur-
seur. Celui-ci pose les pieds sur une rive toute de convention
comme le fleuve lui-même; sur l'autre rive, un cerf, image
des âmes saintes, vient s'abreuver à ces eaux qui préservent
de toute soif, et un Ange, sortant à moitié d'un nuage, vient
représenter toute la cour céleste^, indiquant son rapport de
subordination avec le Fils de Dieu, en portant avec respect
dans ses mains les vêtements dont Jésus s'est humblement
dépouillé.
Empruntez à d'autres œuvres du même temps la main
bénissante de Dieu le Père, et vous aurez réuni dans un
U(»)ia sollcranca, \). 13J.
DANS i/aut CIinKriEN. Gl»
cadre étroit rensem])le d'idées le plus iui>gnirK[iie ([ui se
puisse concevoir.
XVII. — Nous iivoiis déjà parlé des Saints appelés à figu-
rer dans la représentation des Mystères de la vie de Notre-
Seigneur Jésus-Christ, sans aucun égard à la distance des
temps et des lieux. Il n'est rien de plus fréquent dans l'Art
chrétien. Fra Angelico nous en offre des exemples multipliés,
particulièrement dans les peintures murales qui ornent les
cellules du couvent de Saint-Marc, à Florence ; une seule
doit nous occuper : celle qui représente Notre-Seigneur baptisé
par saint Jean, en présence de la sainte Vierge et de saint
Dominique. Bien que, sans aucune impossibilité, Marie ait pu
accompagner son Fils jusqu'aux bords du Jourdain, ce n'est
évidemment pas à un autre titre que saint Dominique qu'elle
y apparaît ici : c'est pour exprimer que mieux qu'aucun autre
elle a recueilli les fruits de ce mystèi'e, et pour dire qu'elle
savait toujours s'y rendre présente par l'élan de son cœur.
11 n'est pas douteux que beaucoup de Saints se soient crus
transportés au milieu des événements qui faisaient l'objet de
leurs pensées. Quand bien même ils seraient uniquement l'ef-
fet d'une imagination fortement impressionnée, ces mysté-
rieux phénomènes de la vie intérieure mériteraient particu-
lièrement l'attention de l'artiste chrétien, comme manifestait
une manière de voir et de sentir propre aux âmes privilégiées
qu'il a surtout mission de représenter.
Ces considérations peuvent paraître bien élevées, appli-
quées à un usage qui s'explique tout simplement par le désir
de faire honneur à des patrons particuliers. Elles montre-
ront au moins comment, sur ce point, autant que sur beau-
coup d'autres, l'Art chrétien, en suivant ses propres allures,
s'est rencontré avec les conceptions de l'ascétisme le plus pur
et le pbis élevé.
70 DU RKAI.lSMi; ET DES SYMBOLES
Il oPt d'ailleurs fort à remarquer que cet usage a pris son
principal développement dans les écoles issues de la floraison
franciscaine, au nombre desquelles nous n'hésitons pas à
ranf^er celle du pieux dominicain de Fiesole ; écoles dont le
symbolisme spécial nous semble avoir des liens aussi étroits
avec la théologie mystique, que le symbolisme en général
avec les enseignements généraux de la théologie.
XVIII. — Deux Anges, descendus à terre et portant respec-
tueusement à genoux les vêtements du Sauveur, complètent
la composition de Fra Angelico et concourent avec l'expres-
sion de piété qui respire dant toutes les têtes, avec le carac-
tère aérien des formes et des couleurs, à la rendre tout as-
cétique ou plutôt toute céleste. Cependant on y reconnaît une
tendance non équivoque à l'imitation de la nature, une ob-
servation sérieuse des mouvements et des attitudes, un sen-
timent vrai du paysage, une intention de faire véritablement
un fleuve qui fuit dans le lointain; en conséquence, il a fallu se
contenter d'une immersion partielle de la moitié des jambes,
que la loi inflexible du niveau n'aurait môme pas permis d'ob-
tenir, si elle eut été rigidement observée.
Raphaël avait fait plus qu'obéir à cette tendance qui ,
sagement comprise, aurait dû s'associer avec les traditions
symboliques et mystiques de l'école de son maître; il avait
en grande partie violemment rompu avec ces traditions,
lorsqu'il fut chargé du grand travail des loges du Vatican.
Dans le Baptême de Nolre-Seiyneur ^ dont il confia l'exé-
cution à Jules Romain, le Jourdain est un ruisseau, l'im-
mersion est nulle, le nimbe est remplacé par des rayons lumi-
neux, et le Saint-Esprit ne manifeste sa présence par aucun
signe.
Nous y voyons au contraire apparaître un nouvel élément
de composition qui, pour mériter d'être taxé de naturalisme,
DANS l'AIIT CIlRÉriEN. 71
(le réalisme môme, ne nous en semble que plus contraire aux
réalités de l'histoire, à la vraie représentation du sujet.
Nous voulons parler de quatre personnages se dépouillant de
leurs vêtements et déjà entièrement ou presque entièrement
nus. Là évidemment l'amour du nu est le motif; la prépa-
ration au baptême n'est que le prétexte.
Nous ne nions pas qu'il y ait dans ces corps une vigueur
de vérité anatomique, capable de lutter avec Michel- Ange,
unie à cette grâce de contours qui n'abandonna jamais
Eaphaël ; nous ne nions pas que parmi ceux qu'avait touchés
la parole de saint Jean et dont le tour était venu de recevoir
le baptême, il n'y en eut d'occupés à se déshabiller au moment
011 le Fils de Dieu s'assujettissait à ce signe de pénitence ;
mais en faire une partie principale d'une composition où l'on
ne compte en tout que dix figures, nous ne craignons pas de
le dire, c'est gravement tomber dans le faux.
Nous disons que Raphaël avait alors rompu en grande
partie avec le symbolisme traditionnel; nous ne disons pas
que la rupture fut complète. Ce symbolisme en effet n'a pas
été entièrement exilé de ce tableau : il y est représenté par
quatre beaux Anges, dont deux à genoux à terre remplissent
l'office ordinaire de porter les vêtements du Sauveur, tandis
que les deux autres restent noblement suspendus en l'air
dans un sentiment d'admiration.
Une idée nous viendrait même, si l'ensemble du travail des
loges ne semblait s'y refuser, c'est que ces quatre personnes
qui se dépouillent , mis en regard de ces quatre Anges ,
auraient pu exprimer la Terre et le Ciel : la Terre renou-
velée bientôt par le sacrement de la régénération, en pré-
sence du Ciel heureux et satisfait. Mais alors il eut été digne
de Raphaël, tout en indiquant le dépouillement d'une ma-
nière plus sommaire, de concilier ces nobles sentiments avec
72 w iu'ali-mk kt ijks symboles
l'expivstiiou (le l'attente, dans ces têtes qui se contentent
de se courber presque unitbrniénient.
XIX. — Un Baptême de Notre- Seigneur Jésus-Christ, de
Salviati, conservé à la Pinacothèque de Venise, sans avoir
d'ailleurs rien de mystique dans les expressions, les atti-
tudes, le faire en général, est composé au contraire exactement
selon les mêmes données que celui de Beato Angelico, avec
cette seule diiférence que sainte Catherine y tient la place de
saint Dominique, et (pi'il su complète dans sa partie supé-
rieure par un Père éternel entouré d'Anges.
Nous ne connaissons d'ailleurs aucun sujet où on ait
plus longtemps respecté la tradition. La donnée des anges
préposés à la garde des vêtements du Fils de Dieu, maintenue
pendant tout le Moyen Age, survivant à la Renaissance,
se retrouve jusqu'à la fin du XVIP siècle, dans les œuvres
des maîtres en vogue, comme André Sacchi, Carie Maratte,
et plus près de nous encore, dans les ouvrages de ces peintres
ambulants, venus principalement de l'Italie, qu'on voit dans
beaucoup d'églises de nos campagnes et de nos petites villes.
Le courant opposé dont nous avons constaté la présence
dans les œuvres de Raphaël avait cependant fait son chemin ;
et, pour ne citer que des œuvres éminentes, nous en avons la
preuve dans le Baptême de Noire-Seigneur, qui figure parmi
les Sept Sacrements du Poussin.
Nous n'y voyons plus ni anges, ni saints, ni gloire; les
nimbes, les rayons, tous les signes symboliques ont disparu,
la colombe qui plane au-dessus du Christ, quelques regards
qui commencent à se tourner vers elle, un homme qui met sa
main devant ses yeux pour indiquer qu'elle est éblouissante,
— impressions qui, si elles étaient vives, devraient être
partagées par d'autres spectateurs , — ce sont là les seuls
indices d'une intervention surnaturelle.
DANS r/AUT r.îiuKTiEX. 7;{
Des hommes nus ou k peu près, qui attendent leur tour
pour recevoir le baptême, ou qui, après l'avoir reçu, sont oc-
cupés à reprendre leurs vêtements, sont traités au contraire
avec une complaisance qui s'accorde bien avec le peu d'em-
pressement qu'ils mettent à se couvrir.
Le genre de beauté qui appartient à ce tableau , c'est la
large majesté du paysage, quelque chose de grave, de noble,
d'antique, de recueilli même, dans les poses, les draperies,
les sentiments, mais d'une manière tout humaine et qui le
cède sous ce rapport précisément à des œuvres profanes de
notre grand maître, aux Bergers d'Arcadie par exemple.
Pour bien sentir ce qui manque ici, il faut s'attacher au
personnage du Christ. Dans tout le tableau, il n'en est pas de
moins divin; il est lourd et épais; son attitude, son expres-
sion sont naturelles et convenables sans doute ; mais le pre-
mier venu pourrait les prendre.
Nous maintenons que cet acte de la vie d'un Dieu fait
homme ne s'est point ainsi passé, ne considérât-on que ce
qui en a paru extérieurement. Pour vouloir être trop vrai de
cette vérité de bas étage, l'art moderne entre les mains des
hommes même dont l'élévation de caractère et de génie est
le moins contestable, perd trop souvent la faculté de soule-
ver les âmes au vrai niveau des grandes choses.
XX. — Que conclure ? Que malgré trois ou quatre
siècles de fortes études et d'illustres exemples, il faille revenir
aux formes archaïques d'un autre âge et s'efforcer unique-
ment d'exprimer de grandes et belles pensées dans un langage
symbolique qui ne serait plus compris ?
Celui qui tirerait de nos paroles semblable conclusion nous
aurait bien mal compris. Mais on peut en conclure que l'infir-
mité des choses créées ne leur permet guère d'être en
progrès sur tous les points à la fois; partout le déclin suit
74 DU KÉAUSME KT UES SYMBoLliS
de près répanouissement, et sur une même tige il est des
fleurs qui se flétrissent au mutin même où d'autres commen-
cent à éclore.
Aucun âge, aucune école n'off're dans les arts tous les
genres de perfection réunis. Conduits par des vues différentes,
A^ous portez ici vos préférences, là nous portons les nôtres;
les unes et les autres peuvent être justifiées, les critiques
l'être également; tout dépend de ce que l'on veut, de ce que
l'on cherche. Vous voulez de la vie, du relief, de la lumière,
des ombres, de la vérité dans les formes, les mouvements ;
nous voulons des pensées qui nous instruisent, des sentiments
qui nous touchent, de la vérité dans la représentation sub-
stantielle du sujet.
Mettons-nous d'accord en empruntant h toutes les écoles
ce qu'elles ont de bon, non pas selon les procédés d'un
ecclectisme arbitraire, mais en nous conduisant par des prin-
cipes que nous nous efforcerons de nous rendre communs ;
tombons d'accord qu'il faut plaire aux yeux par la forme, et
atteindre l'âme par l'idée, que forme et idée doivent puiser
dans la vérité la première condition de leur beauté.
Vous étudierez les œuvres que nous admirons pour en
faire passer l'idée dans les vôtres ; nous nous attacherons à
celles dont les mérites vous captivent pour en prendre tout
ce qui peut, sans l'absorber, prêter du charme à une pen-
sée solidement chrétienne.
Nous traiterons le même sujet : vous,- par son côté histo-
rique, nous, par son côté mystique ; vous, en le montrant
comme il dut paraître, nous, autant que possible, tel qu'il
est en substance; vous, sur une toile qui sera à elle seule
tout son monument, dans une série de peintures murales oii
les faits s'étalent ; nous, dans un tableau d'autel, les pan-
neaux d'une verrière, l'émail destiné à orner une châsse,
1111 vase sacré, là enfin où les idées se concentrent.
JIANS l'art CHIIKTIKN. 7o
XXÏ. — S'agit-il toujours du lijipteme de Notre-Seigueur
Jésus-Christ, vous, vous disposerez vos fonds, vos plans, vos
groupes, de manière h donner une idée soit de la Judée,
soit d'une campagne, des rives d'un fleuve quelconque,
et d'une foule diversement impressionnée ; il vous est
loisible de faire distinguer ceux qui vont bientôt devenir
les premiers disciples du Sauveur de ceux qui seront
ses ennemis, ceux qu'excite une vaine curiosité de ceux que
touche un premier mouvement de la grâce, ceux qui viennent
de recevoir le baptême de saint Jean de ceux qui s'y pré-
parent; mais à une condition, c'est que de tous ces regards,
de ces expressions, de ces mouvements, que vous avez libre-
ment choisis, il n'y en ait aucun qui ne serve à concentrer
l'attention sur le fait principal, à le faire comprendre, aucun
qui ne concoure à produire une impression décisive ou de
foi, ou d'espérance, ou de renouvellement, tout autant que
dans l'œuvre que nous nous proposons de composer dans
l'intention d'obtenir plus directement cette impression.
Pour nous, nous n'avons pas besoin de déterminer un
temps et un lieu en particulier, tous les temps sont à nous ;
notre lieu, c'est la terre entière régénérée ; ou, si nous vou-
lons rappeler la Palestine, le Jourdain, à cause de leur signi-
fication, un signe nous suffit, un peu d'eau, un palmier; ce
qu'il nous faut, ce sont des Anges, des Saints, qui nous ap-
prennent comment nous devons nous-mêmes envisager un si
fécond mystère. Mais ces Anges, ces Saints, le Christ, son
saint Précurseur, la terre, le ciel, les eaux, les astres, la
lumière, nous ne dessinerons rien qui ne soit bien propor-
tionné, rien qui ne soit en rapport avec des couleurs et des
formes bien réelles, rien qui ne soit d'une intelligence fa-
cile.
Les uns et les autres, par l'ensemble soutenu de nos coni-
76 DU RÉALISME ET DES SYMBOLES DANS LART CHRÉTIEN.
positions, nous dirons si clairement ce qu'elles sont, que
chacune d'elles soit comprise comme elle doit l'être, et qu'à
première vue tous puissent dire: ceci est du symbole, cela
est de l'histoire.
Le réalisme absolu est une chimère ; entendu comme ten-
dance et appliqué à l'imitation de la nature, il est un principe
de dégradation; entendu delà reproduction trop littérale
des faits, il est toujours étroit et entraîne souvent dans le
faux.
Le symbolisme dans l'art représente l'élément le plus im-
matériel ; il lui appartient d'élever l'art, mais élever n'est pas
détruire ; il détruirait l'art, s'il ne prenait pour base le réel.
Guidé par un goût judicieux, l'art chrétien prendra aux
réalités visibles, leurs beautés, leurs proportions, sans ou-
blier jamais qu'il n'est pas au-dessus de sa noble mission de
faire pénétrer dans les cœurs les réalités même que l'œil ne
peut naturellement apercevoir.
H. GRIMOUARD DE SAINT-LAURENT.
QUATRE SCEAUX
de la province de Limbourg.
La publication des sceaux belges du Moyen Age formerait
un beau livre d'art, qui aurait un grand intérêt pour l'his-
toire de la gravure et de la sculpture. Déjà depuis longtemps
les savants belges se sont distingués par la publication par-
tielle de ces antiquités nationales qui ont un si grand prix
pour l'histoire de leur pays. Le nombre de ces cachets ou
empreintes en cire, en plomb ou en terre glaise, est si con-
sidérable, qu'on en découvre encore journellement de nou-
veaux.
Les quatre sceaux ou empreintes dont nous donnons le
dessin dans cet article appartiennent à l'époque romane et
ogivale. Sur le premier, de forme ovale pointu figure saint
Servais, évêque de Tongnes, en costume épiscopal {fîg. 1). Il
porte d'une main sa crosse épiscopale et de l'autre un livre.
Autour de la figure on lit : STS. SERVATIUS EPS. Ce sceau est
78 QUATRE SCEAUX
imprimé au moyen d'un cachet en ivoire, qui provient du
trésor ou des urcliives de Maëstricht.
La seconde planche {fi g. 2) est dessinée d'après un cachet
en cire de 1225, de l'église de Notre-Dame à Maëstricht.
La Vierge y figure assise, la tête couronnée et nimbée, te-
nant de la main gauche un livre ouvert avec l'abréviation
de Mater Chrisli, et de la droite un lys. Le bord en grande
partie brisé porte en inscription SIGNUM ECCLËË. Le costume
de la sainte Vierge est fort riche. La tête et les épaules sont en
partie voilées; son corps est drapé à la manière byzantine,
d'une tunique talaire serrée aux reins par une large cein-
ture. Ses deux manches, très-larges aux mains, sont ornées
1)K LA rKOYINGE I>E LIMBOUKG. 79
éofiilemerit comme le ))ord inférieur, d'ornements en lo-
s an se
La troisième pkmclie figure un sceau double de l'époque
ogivale. Il est rare de rencontrer un bas-relief de ce genre,
composé et taillé avec plus de goût et de talent. La province
de Limbourg, qui a vu naître les Van Eyck, ne restait pas
en arrière dans la sculpture à l'époque où ses peintres pro-
duisaient les plus beaux chefs-d'œuvre de l'art chrétien.
Ce sceau représente le règne simultané du prince-eveque
de Liège et du duc de Brabant sur la ville de Maëstricht.
On y voit les armes de la commune, l'étoile d'argent sur
fond de gueules (la Stella malutina de la Vierge ou l'étoile
80 OUATUE SCiiAUX
qui guidait les bateliers vers la chapelle de Notre-Dame au
Rivage, Maria ad littus, près de la Meuse).
Saint Lambert avec le péron liégeois y ligure pour l'au-
torité, liégeoise. Saint Servais avec la clé épiscopale dont
cette Revue a publié le dessin dans le volume de 1860, re-
présente l'Autorité brabançonne, avec l'écusson double aux
armes du Brabant et du Limbourg, victorieusement unies à
là célèbre journée de Woeringen. Ce sceau, qui a été publié
à différentes reprises en Belgique, a un intérêt particulier
parce qu'il réunit les armes liégeoises, brabançonnes et lim-
bourgeoises, avec celles de la commune qui n'y apparaissent
que timidement sur un petit écusson aux pieds des deux
évêques. Le- bord porte cette inscription : s. COE f TOCIUS
t OPIDI t TRAJECTENSIS f AD f CAS. C'est le sceau de la com-
niune et de la ville de lilaëstricht au XV siècle.
Eiiliu Kl quatrième planche tigure le sceau circulaire de
DF, LA PROVINCE DE L1M1Î(K,RG. 81
Bilsen, petite ville du comté de Looz, dans la province de
Limbourg. Les armes de cette ville (branche de cliène) y fi-
gurent à côté de celles du comté de l.ooz, cpii sont hurclées
|l|i||l'l'|l||ll'|H t
d'or et de gueules de dix pièces. Les armes de la ville de
Bilsen sont, d'après l'historien du comté du Looz, un arbre
nourri de sinople sur un tertre de même. Le sceau qui était
attaché à un diplôme de 1578 porte pour inscription:
t S. SCABINORUM et VILLE DE LOSSEN BILSE.
ARNAUD 8CIIAEPKENS.
LE LION ET LE BOEUF
sculptés aux portails des Eglises.
M. l'abbé F. Poisson nous écrivait de ]\Iortagne-sur-Sè-
vres (Vendée), à la date du 10 octobre:
« Monsieur le Directeur,
(I J'exerce le saint Ministère dans une église du diocèse
de Luçon qui ne manque pas d'intérêt au point de vue de
l'art. L'ensemble de cette église est roman, le chœur et le
transsept du XP siècle, les trois nefs, selon moi, du XIP.
La façade actuelle a son cachet bien marqué du XIV* siècle ;
elle a été faite probablement dans le dessein d'une complète
reconstruction, comme le montrent à l'intérieur plusieurs li-
gnes qu'on n'a pas essayé de raccorder avec le reste, et la fe-
nêtre delà grande nef, qui, dans le principe, était coupée par
la voûte romane au-dessus de laquelle elle s'élevait de plus
d'un mètre.
« Cette façade est construite en granit et assez soigneuse-
ment appareillée. Entre le contrefort et le portail de la grande
nef, à moitié hauteur entre la naissance et la pointe de l'o-
LE LION ET LE UŒVV SCULPTÉS AfX IMjnTAILS DES ÉGLISES. 83
give, se trouvent deux animaux, un lion ;i droite, un bœuf à
gauche, qui , sculptés chacun dans un bloc de granit, ressortent
sur le plat du nuir d'environ ()™20'". C'est sur ce détail que
je désire attirer votre attention.
« Pourquoi ces deux animaux sont-ils seuls représentés
sur cette ta(;ade ? Ils ne peuvent être regardés comme des
animaux évangéliques, puisque les deux autres sont absents
et l'ont toujours été, comme il est facile de s'en convaincre
au premier coup d'œil. Ces deux sujets étant relativement
sculptés d'une manière plus grossière que les chapiteaux qui
ornent le portail, j'inclinais à croire avec phisieurs que ces
animaux, retirés d'un monument plus ancien, peut-être de
la façade primitive, avaient été placés, par suite d'une simple
fantaisie d'artiste et sans raison symbolique, dans la nou-
velle construction. Mais, en parcourant le /îa^?'o?îa/ de Du-
rand de Mende, j'ai trouvé le passage suivant : « Des pein-
« turcs ou des représentations, les unes sont sur l'église,
« comme le coq ou l'aigle ; les autres hors de l'église, à sa-
« voir : aux portes et au front du temple, comme le bœuf et
« le lion. » (Livre i, chap. o, u. 5).
« Ce passage m'a naturellement frappé, en me présentant
comme un fait assez ordinaire ce que je prenais pour un fait
accidentel. Il est vrai que Durand écrivait au XIIP siècle
et que la façade en question ne remonte qu'au XIV^. Mais
ce qui se faisait avant Durand et à son époque, a pu se faire
après lui ; du reste, cette objection est d'autant moins sérieuse
que, les animaux sculptés dont il s'agit étant probablement
plus anciens que la construction à laquelle ils adhèrent, on a
pu les replacer ainsi pour reproduire un détail de la façade du
XIP siècle.
« Comment et pourquoi ces animaux sont-ils ainsi placés?
Si ce qui précède explique le comment^ il ne donne pas la rai-
84 LE L1(»N ET LE DœUF
SOU du jmirquoi. Je l'ai iuutilemeut cherchée daus Duraud
deMeude.
M Ou m'a dit que ce meuie motif de décoratiou existait
daus uue église du diocèse de Poitiers avec deux vers latins
explicatifs eu iuscriptiou. Je ue vous garantirai pas ce fait,
que je n'ai pu vérifier, mais qui m'a été donné comme certain.
« Serait-ce abuser de votre bouté, Monsieur l'Abbé, et trop
compter sur votre zèle si connu pour l'extension des études
archéologiques, que de vous prier de vouloir bien m'honorer
d'une courte réponse. Si même vous jugiez cette question
capable d'intéresser vos lecteurs, et si vous préfériez publier
votre réponse dans la Revue de l'Art chrétien, je vous auto-
i-ise à faire de ma lettre l'usage que bou vous semblera. »
« Agréez, etc. ferd. poisson. »
Les deux bas-reliefs dont nous parle M. Poisson sont-ils
réellement plus anciens que le portail actuel ? On pourrait
alors supposer qu'ils faisaient partie d'un autre monument,
où ils auraient figuré comme attributs de saint Marc et de
saint Luc, et que des circonstances que nous ne pouvons
déterminer maintenant, auraient empêché d'encastrer dans le
portail les deux autres animaux évangélistiques.
Mais quand bien même cette supposition serait vraie, il
resterait toujours à expliquer le texte de Guillaume Durand.
Pourquoi sculptait-on le lion et le bœuf aux portails des
églises ? Il y a là une désignation formelle et nous devons
rechercher la cause qui a déterminé le choix de ces deux
animaux pour décorer les portails.
Remarquons tout d'abord que le plus grand nombre des
monuments qui existaient du temps de Guillaume Durand,
ont disparu de nos jours, et que nous n'aurions pas le droit
de suspecter la véracité de l'évêque de Mende, quand bien
SCIILI'TÉS AUX COUTA II.S DES ÉGLISES. 85
même nous ne trouverions nulle part des exemples du fait
qu'il mentionne.
Voit-on encore sur quelques portails cette représentation
du bœuf et du lion ? C'est une question sur laquelle nous ap-
pelons l'attention de nos collaborateurs.
L'église du Poitou dont on a parlé à M. l'abbé Poisson,
doit être celle de l'antique abbaye de Moreaux, qui date du
Xir siècle. On y voit sculptés en forte saillie, sur le portail,
à droite un lion, à gaucbe un bœuf. L'inscription suivante
est gravée en lettres capitales sur l'un des voussoirs :
UT : FUIT : INTROITUS : TEMPLI : SCI. SALOMONIS
SIC : EST : ISTIUS : IN MEDIO : BOVIS : ATQ^: LEONIS.
Ces deux animaux servent de piédestaux à deux statues d'é-
vêque. L'inscription constate une analogie matérielle : on voit
là un bœuf et un lion, comme on voyait des lions et des bœufs
supportant les bassins placés à l'entrée du temple de Salo-
mon. Mais le christianisme a souvent emprunté des figures
et des symboles, soit au judaïsme, soit au paganisme, en y
ajoutant une autre signification, et c'est cette idée symbolique
que nous devons chercher à déterminer.
Nous nous rappelons avoir vu des bœufs dans les décora-
tions sculptées de plusieurs porches ; mais nous ne pourrions
affirmer qu'ils n'y figurassent point comme attribut de saint
Luc, de saint Saturnin, de saint Taurin, de saint Médard, de
saint Tryphème, de sainte Brigitte, etc., ou comme emblème
de la patience, de la force chrétienne ou du travail.
Tout le monde sait qu'aux deux tours du portail de Laon,
sur la corniche du premier étage des tourillons, il y a huit
statues de bœufs. Leur présence est interprétée par une
tradition historique sur laquelle nous reviendrons plus tard.
86 LE LIO.N ET LK IKflCF
Quiiut iui lion, on peut constater son existence sur de
nombreux monuments.
On sait que les Egyptiens, les Grecs et les Romains pla-
çaient (les lions aux portes des édifices publics ; que le trône
de Salomon était flanqué de deux lions ; enfin que, dans l'an-
tiquité, le lion était le symbole de la force, de la générosité
et de la vigilance ; mais nous ne devons nous occuper ici que
des monuments clirétiens.
Il y avait deux lions à l'entrée de Saint-Séverin, à Paris,
où les dignitaires de cette église rendaient leurs sentences
judiciaires intcr leones ' .
Au portail de Laitre-sous-Amance (Meurthe), deux co-
lonnes accouplées reposent sur un lion accroupi. On remarque
sur un chapiteau deux bœufs accouplés dont la tête est sur-
montée du joug ^.
A Courcy (Calvados), un lion (XII® siècle) dont le cou est
garni d'un collier dentelé, surmonte le pignon du chevet ^
Aux portails de Saint-Gilles et de Saint-Trophime d'Arles,
des lions mordent la base des colonnes, ou broyent sous leurs
dents des moutons et des guerriers armés.
A Moissac, un lion assis se trouve sous les pieds de saint
Pierre ; d'autres lions écrasent ici un serpent, là une espèce
de porc. D'autres lions d'un très-beau style figurent sur un
linteau.
Au porche de l'ancienne cathédrale de Dax, on voit un
lion, écrasé sous les pieds du Christ.
ASaint-Poichaire de Poitiers, un naïf sculpteur, craignant
sans doute qu'on ne se méprît sur la ressemblance de son
• Lerœif, Ilist. de la ville et du diocèse de Paris, t i, p. 174.
* Notice sur l'église de TMitre, par M. A. Digot.
' liulletin mon., t. xv, p. 448.
SCULPTÉS AUX PORTAILS DES ÉGLISES. 87
œuvre, a tracé le mot Inoiics au-dessous de l'image qu'il ve-
nait d'ébaucher sur un chapiteau.
Au portail de Saint-Vulfran d'Abl)eville, un lion accroupi,
revêtu d'un manteau, tient dans ses griffes un écusson et
une bannière. « Ce lion, dit M. Dusevel ', comme celui qui
servait de girouette an clocher du beffroi de l'Hôtel-de-Ville,
ne serait-il pas quelque emblème de féodalité, un souvenir
des hauts et puissants seigneurs qui possédèrent autrefois
Abbe ville? »
Des lions au repos supportent les colonnes du portail à
l'abbaye de Saint-Zénon, à Vérone.
Le portail de la cathédrale de Ferrare (XIP siècle) est orné
de deux lions ; l'un tient un bœuf et l'autre un mouton.
A Saint-Jacques de Ratisbonne, les cinq archivoltes de la
voussure retombent sur dix lions.
Les deux lions en marbre rouge qui sont aux portails de
Notre-Dame de Plaisance et de la cathédrale d'Ancône,
écrasent sous leurs pattes, l'un un serpent, l'autre un qua-
drupède à tête de bélier. Ces animaux, comme beaucoup
d'autres sculptures analogues d'Italie, ont une tête qui res-
semble à celle de l'ours blanc ^.
On remarque encore des lions à l'extérieur des cathédrales
de Cologne, d'Arles et du Mans , des églises de Vienne
(Isère), d'Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), etc., et, en
Italie, à Saint-Laurent de Gênes, Saint-Antoine de Padoue,
Saint-Pierre et Saint-Paul de Ravenne, aux églises de
Sienne, Reggio, Parme, Bologne, Modène, Foligno, etc.
L'album de Villars de Honnecourt contient six planches %
* Le département de la Somme . Abbeville, p. 9.
• Bull, mon., t. vu, p. 71, 115.
^ Planches 25, 36, 46, 47, 51 et 52.
gg LE LION ET LE «OEUF
OÙ se trouvent des études de lion, ce qui nous prouve que les
artistes du XIIF siècle cousidéraient cet animal comme un
type qui pouvait être souvent reproduit.
Recherchons les motifs de cette réprésentation si fréquente
au moyen- âge. Mais avant d'indiquer le sens symbolique
du lion, quand il est seul, rappelons qu'il peut exprimer des
idées bien diverses quand il accompagne un personniige en
qualité d'attribut ou quand il fait partie d'une scène histo-
rique .
Le lion rappelle la solitude et le désert, quand il accom-
pagne des Saints qui ont vécu dans le silence de la retraite,
comme saint Jérôme, saint Antoine, saint Paul ermite,
saint Onuphre, sainte Marie l'Egyptienne, etc. ; il est l'em-
blème de la force chrétienne * , placé sous les pieds des mar-
tyrs qui ont enduré les supplices avec une énergie surhumaine,
comme saint Adrien, sainte Nathalie ; il rappelle les scènes
sanglantes de l'amphithéâtre à côté de saint Ignace, de
sainte Euphémie; il n'a également qu'une signification histo-
rique quand il accompagne Daniel et Samson.
Quand le lion fait partie de l'ornementation des tombeaux
de princes ou de chevaliers, il rappelle leur courage guerrier ;
il symbolise la force de l'âme, la victoire remportée sur les
passions, quand il accompagne les tombes d'autres person-
nages ; on ne peut lui donner que cette signification dans les
sépultures des évêques, des prêtres, des femmes, etc.
Un chapiteau du portail de Saint-Agnan de Cosne nous
montre un lion buvant dans un calice. C'est évidemment
l'emblème du chrétien qui puise sa forcé dans le banquet eu-
charistique.
Il y avait jadis une lionne allaitant deux lionceaux de-
' Léo signifitat fortitudinom. Eiist.vth. , lib. ii, isme?!.
SCULITKS AUX l'OI'.TAILS DES ÉGLISES. 89
vaut l'église Saint-Martial de Limoges : c'est Louis le Débon-
naire qui les avait fait sculpter pour perpétuer le souvenir
des victoires que son aïeul Pépin le Bref avait remportées
sur WaïfFre. Une inscription sur une lame de (iuivre ne
pouvait laisser aucun doute à cet égard ' .
Dans la même ville, à Saint-Michel-des-Lions, on voyait
jadis deux lions sortant à mi-corps de la façade; mais ils ap-
partiennent à un monument bien antérieur. L'église a été bâ-
tie sur l'emplacement de l'ancien château de Sedulius, oii se
trouvaient quatre lions en pierre, qui avaient peut-être fait
partie d'un temple dédié à Orus ^.
Les lions de Sainte-Marie-Majeure, à Rome, ont également
une origine païenne ; ils proviennent des temples détruits
d'Isis et de Sérapis.
En laissant de côté ces divers exemples Cfui peuvent s'ex-
pliquer dans un sens historique, il n'en reste pas moins un
grand nombre de lions dont la présence au portail des
églises ne peut être interprêtée que par le symbolisme.
Mgr Cousseau pense que dans les églises d'Italie « la dis-
position particulière des colonnes, qui rappelle le temple de
Salomon, indique le siège sur lequel s'exerçaitjadis le pouvoir
de la juridiction pontificale. Or, ajoute-t-il, dans les églises
de moindre importance, où les dimensions du portail n'étaient
point en harmonie avec de grands décors, la même idée se
reproduisait, mais sur une plus petite échelle, dans les petits
lions qui, au lieu de supporter la colonne, étaient supportés
par elle ^ »
Dans le même ordre d'idées, on a dit que le siège de Salo-
* Allou, Descrij^t. des mon. de la Hanlc-Vicnnc, p. 171.
' De RoMAiNKT, Ilist. du Limousin, p. 322,
* BuUet. inonum., t. ix, p. 478.
TOME VI. 7.
90 Lt: LION CT LE BCEUF
mon étant supporté par des lions, on avait pu figurer ces ani-
maux dans un endroit où la justice était rendue ' .
D'après ce système, les lions seraient des emblèmes d'au-
torité et de juridiction, parce que certains actes de justice
étaient proclamés du portail de l'église, et portaient la for-
mule inter leones. Mais cette formule ne fait que constater
l'endroit où avait lieu la proclamation, et ce lieu était choisi
non pas à cause des lions, mais à cause de l'élévation du
parvis d'où on pouvait dominer la foule, et parce qu'on était
sûr d'avoir un nombreux auditoire au sortir des offices.
M. l'abbé Crosnier ^ voit dans ces lions la figure des princes
de la terre, qui ont persécuté l'Eglise : tantôt ils mordent
la base de la colonne, rolumna et firmamentum veritatis, dit
l'apôtre saint Paul ; tantôt ils broient sous leur dent meur-
trière des agneaux, des hommes, des guerriers armés, qui
représentent les diverses catégories de martyrs de l'Eglise.
Quand le lion est au repos, ce serait l'autorité temporelle
scmmise au joug de la foi ; quand il écrase le porc ou le serpent,
ce serait la puissance civile s'opposant au développement de
la corruption et de l'hérésie.
Cette interprétation, savamment exposée, ne nous paraît
point s'appuyer sur les saints Pères, ni sur les glossateurs du
moyen-âge. Le lion écrasant le dragon, par exemple, ne nous
semble point rappeler l'intervention de la puissance civile
dans la répression du schisme et de l'hérésie : nous y trouvons
bien plutôt la traduction d'un hymne paschal attribué au roi
Robert :
Christus invictus leo
Di-acono sursrens obruto.
* null. mon., t. X, p. 532.
' Iconographie chclicnne, p. 175.
SCULPTÉS AUX IOllT\ILS DKS ÉGLISES. 91
Four ces divers exemples de lions domptant un l)clier ou
un serpent, nous préférerions l'opinion de M. Schnaase',
qui se rapproche de la nôtre. Il voit là un symbole de la force
de l'église qui terrasse ses ennemis.
D'autres antiquaires ont expliqué la présence des lions
sculptés à nos portails, en disant qu'on considérait jadis ces
animaux comme étant doués de la faculté d'éloigner les ma-
lins esprits et de paralyser leur mauvais vouloir. En suppo-
sant qu'on ait attribué au lion vivant certains privilèges
merveilleux de cette nature, on ne l'accordait certainement
pas à sa représentation sculptée. Aussi cette explication nous
parait-elle peu satisfaisante.
C'est dans l'Ecriture sainte qu'il faut rechercher l'origine
des idées symboliques. On sait que Jacob mourant prédit en
ces termes les futures grandeurs de son fils Juda : « Juda est
un jeune lion ; vous vous êtes levé, mon fils, pour ravir la
proie : en vous reposant, vous vous êtes couché comme un
lion et comme une lionne : qui le réveillera? » (Gen. xlix, 9).
Saint Zenon , saint Hilaire , Rhaban Maur et presque tous
les commentateurs ont appliqué cette prophétie à Notre-
Seigneur qui s'est levé pour monter sur la croix, qui a i^avi
ainsi au démon la proie qu'il voulait dévorer, qui s'est couché
dans le sépulcre , plein de force et de majesté, et qui s'est
réveillé de la mort par sa propre puissance ^. Aussi Jésus-
Christ est-il désigné sous le nom de lion de la tribu de Juda
(Apoc. V, 5).
Dans d'autres endroits de la sainte Ecriture, le lion est
pris en mauvaise part: Conculcahis leonem et draconem (ps.xc).
— Salva me ex are leonis (Ps. xxi). L'apôtre saint Pierre
' Btdlet. monum., t. viii, p 558.
* S. Zknoiv, lib. II, Trart. 43
92 LE MON ET LE B(fiUF
compare le démon à un lion rugissant qui rôde autour de
nous, en cherchant à nous dévorer (I Petr. v, 8).
Voilà deux sources différentes de symbolisme. Aussi le
lion sera tout à la fois la figure de Jésus-Christ et l'emblème
du démon et de ses satellites. Mais dans ce dernier cas, les
artistes le représenteront dans une position humiliante qui
rappellera sa défaite. Ainsi, au grand portail de Notre-Dame
d'Amiens, le Sauveur foule un lion du pied droit et un dra-
gon de l'autre.
Les données de l'Écriture furent considérablement ampli-
fiées par les écrivains ecclésiastiques et les auteurs de Bes-
tiaires qui savaient trouver, dans les légendes de l'histoire
naturelle, des comparaisons et des allégories ayant principale-
ment pour but d'exciter la piété. Le R. P. Cahier ' , M"' Fé-
licie d'Ayzac ^ et M. Hippeau ^ ont savamment étudié le
symbolisme du lion d'après les Bestiaires du moyen-âge. Ils
nous permettront de leur emprunter quelques citations.
M'"^ F. d'Ayzac a parfaitement démontré, dans son Étude
sur le Tétramorphe , que chacun des animaux apocalyptiques,
donnés en attribut aux évangélistes, est avant tout une fi-
gure de Jésus-Christ : l'Homme indique le verbe fait chair ;
le Veau ou le Bœuf, son immolation ; le Lion, sa royauté et
sa résurrection; l'Aigle, son triomphe et son ascension: Chris-
tus est homo nascendo, vitulus moriendo^ leo resurgendo, aquila
ascendendo^ dit saint Jérôme.
Le lion, par sa force et la majesté de ses allures, a toujours '
été considéré comme le roi des animaux, et en cette qualité
• Vitraux de Bourges, p. 78.— Mélanges d'hist. et d'arckéol., t. ii.
' Etude sur le tétraniorphe, dans le tome vu des Annales archéologiques,
p. 151.
* Iconographie religieuse, dans le Bulletin de la Société des Beaux-Arts de
Caen, 2« vol., 2= cahi.-r, p. 109.
SCL'LPTÉS AUX PORTAILS DES ÉGLISES. 93
il figure la puissance et la royauté de Jésus-Christ, dont saint
Ambroise a dit : ko quia fortis. Le Bestiaire anglo-normand
de Philippe de Thann exprime cette idée en disant :
Li leon senefie
Le fîz saincte Marie
Reiz est de tu le g^ens
Sans nul redulement.
« Les yeux du lion, dit M"" F. d'Ayzac, que les natura-
listes disaient entr' ouverts et étincelants durant son som-
meil, en avaient fait chez les païens un emblème de la vigi-
lance ; ils furent, parmi les chrétiens, surtout durant le moyen-
âge, une allusion mystérieuse à cette nature divine, que n'é-
teignit point le tombeau, où l'humanité du Sauveur subissait
une mort réelle ' . »
■ Saint Epiphane s' appuyant sur une fausse observation
d'Elien, dit que le lion eftace avec sa queue la trace de ses
pas et que, par là même, il est l'image du Sauveur, qui ca-
cha sa venue sur la terré de manière à dépister les recher-
ches du démon.
Les poètes religieux du moyen-âge étaient tellement amou-
reux de symbolisme, qu'ils décomposaient le lion, pour y
trouver des significations diverses : la partie antérieure du
lion, forte et puissante, figurait selon eux la nature divine de
* Cette pensée est exprimée par S. Augustijj, De Civitat., 1. i, c. 41 ;
S. HiLAiRE, in psalin. 131 ; S. Brunon d'Asti, in Gènes. , c. xnx. — V. Ayin.
archéoL, t. vu, p. 208. — Plusieurs anciens auteurs ont fait remarquer que
les lions étaient placés à la porte des temples, comme des gardiens vigilants,
à cause du privilège qu'on leur attribuait de dormir les yeux ouverts : témoin
ce vers d'Alciat :
Est leo, sed custos, oculis quia dormit apertis ;
Templorum idcirco ponitur antc fores.
94 LE LION ET LE B(IEUF
Jésus-Christ et, lapartie postérieure, d'une apparence un peu
grêle, représentait sa nature humaine :
Force do Déilé
Demustre piz carré ;
Le trait qu'il a derrère
De mult gredle tnanere
Demustre humanité
Quil out od Déité.
(Philippe de Thann.)
Ces diverses traditions réunies suffisaient bien pour que
les artistes adoptassent le lion comme une figure du Sauveur;
mais ils durent être surtout frappés d'une légende merveil-
leuse qui donnait au lion la signification spéciale de Jésus-
Christ ressuscitant. On croyait que les lionceaux en naissant
restaient trois jours sans vie, et que leur père, après ce laps
de temps, les ressuscitait en soufflant sur eux et en rugissant.
Voici comment le Bestiaire ms. de l'Arsenal ^ expose cette
tranformation :
« La tierche vertu del lion ce est que quand la lionesse en-
fante son lioncel, ele le rend tôt mort par la bouche, c'est une
forme de char en forme de lionchel ; puis le garde ele m
jors tôt mors, et al tiers jor vient li lions et si l'aleine, et
demaine grant ruiement [bruit] sor lui, et tant lui vait entor
et ruit et alaine sor lui que si met vit par son alener et le
resuscite... et alsi li poissans Père resuscita de mort al tiers
jor son saint fils nostre segnor Jhu Crist. »
Abailard a resserré en une strophe cette légende tout en-
tière :
' Mijlanij. il fiisl et d'arcli , t. ii.
SOULl'TÉS AUX l'OKTAlLS i>ES Élil.lSES. 95
Ut Leonis catulus
[•■ [ Resiinexit Domimis
Qucm iiîgilus palrius
Die terlia
Suscitât vivifîcus
Teste pliysicci.
Ce singulier rapprochement n'est point tle l'invention du
moyen-uge; on le retrouve dans Origène', saint Epiphane ^,
saint Eucher % le vénérable Bède % etc., et dans presque tous
les anciens commentateurs du chapitre XLix" de la Genèse.
A-Ussi, comme le fait fort bien remarquer le R. P. Cahier ^,
le lion, aux yeux des auteurs ecclésiastiques qui l'interprè-
tent, figure spécialement la résurrection du Sauveur, bien
plutôt que la puissance divine proprement dite ^.
Il est si bien le symbole de la résurrection, que c'est seule-
ment par ce motif qu'il est devenu l'attribut de saint Marc.
« Saint Marc, dit Guillaume Durand, est figuré par un lion
rugissant dans le désert, parce qu'il se propose surtout de
décrire la résurrection du Christ. C'est pourquoi son évangile
est lu le jour de Pâques (lib. 7, c. 4-4, n° 4). »
Ainsi donc le lion, nimbé ou non, quand il est seul, est
t Nam physioJogus de catulo leonis hrec scribit quod, quum fueiit natus,
tribus diebus et tribus noctibus doimiat ; tuni deinde patris frcmitu vel nigitu
tanquam tremefactus cubilis locus suscitet catuluni dormientein. In Gcnes.
Jiomil. xvii.
^ Physiologus, c. i.
' In Gènes., lib. i.
* In Gènes.
* Vitraux de Bouryes, p. 78.
® S. Bhunon d'Asti, in Gènes., c. 49. — S. Yves de Cuaivtres, Sermo
de Convenientia.
96 LE LlUA' tT LE BfKUF
ordinairement le symbole de la résurrection du Sauveur ' ; il
conserve assurément cette même signification quand il est à
côté du bœuf, qui est la figure de l'immolation de Jésus-
Christ, comme nous allons le voir.
M"*' F. d'Ayzac, dans son Élude sur le tétramorphe^ montre
1° que le veau est un attribut de Jésus-Christ, parce qu'il
indique l'immolation et le sacerdoce du Dieu fait homme;
2" que le taureau indique son sacerdoce, sa force, sa toute
puissance, ses abaissements, sa patience et ses vengeances
au jour du jugement dernier ; 3" que le bœuf a les mêmes
sens de sacerdoce, de puissance, de patience et d'abaisse-
ment; 4" et qu'enfin la génisse rousse des sacrifices judaïques
représente Jésus fait homme, Jésus immolé, Jésus rédempteur.
Elle cite à l'appui des textes incontestables. Saint Yves de
Chartres " nous dit que Jésus-Christ a été immolé pour le
genre humain, comme le veau l'était pour le salut des Juifs,
que Jésus était sans péché, comme la victime judaïque était
sans tache. Ce même auteur, en parlant de la génisse rousse
des expiations judaïques, voit dans son sexe faible et dépen-
dant, la nature humaine du Christ ; dans sa couleur rougeâtre,
la mort sanglante du Sauveur. Beaucoup d'autres écrivains
ecclésiastiques ont expliqué de la même manière le symbo-
lisme du bœuf ^
' Quand les vitraux peints ou les sculptures offrent le parallèle de l'Ancien
et du Nouveau Testament, des figures et des réalités, le lion devient le pen-
dant de la Résurrection Ainsi une verrière de Saint-Jean de Lyon nous montre
un lion et son lionceau dans un médaillon c^ui correspond au panneau de la
Résurrection, tandis que plus loin le serpent d'airain correspond au Calvaire
et l'aigle à l'Ascension.
- De convenientia.
' Le bœuf, dit saint Grégoire, figure Jésus-Christ, parce qu'il s'est laissé
égorger comme une victime {Moral, lib. xxxi, c. 21). — Est homo [Jésus
Christus) dum vivit, bos duni morilur, leo vero quando resurgit,.. (HiLDE-
BEUDi Opéra, ]). 1318)
SdULPTÉS AUX PORTAILS DES ÉGLISI'S. 97
Si 011 a donné le veau p(jur attribut à saint Luc, c'est
parce que cet animal représente la Passion de Jésus-Christ,
dont cet évangéliste a raconté l'histoire avec de nombreux
détails. « Luc, dit Guillaume Durand, est désigné par un
veau parce qu'il se propose principalement de décrire la
passion où le Christ, tout à la fois Christ et victime, s'offrit
comme une victime à Dieu son Père ' . » Le VIP Ordo ro-
manus^ en décrivant les cérémonies du baptême, dit qu'après
que le diacre avait lu aux catéchumènes le commencement
de l'évangile selon saint Luc, le prêtre prononçait ces pa-
roles : « L'évangéliste Luc porte la ligure du taureau, pour
rappeler l'immolation de Notre-Seigneur ^. »
Nous avons déjà dit un mot des bœufs qui sont sur les
tours de Notre-Dame de Laon. Une tradition populaire ex-
plique leur présence, en disant que c'est pour rappeler que
des bœufs auraient traîné des matériaux de construction sur
un pont gigantesque , partant du bourg et aboutissant au
portail. Même en admettant le fait, cette glorification^ qui
sent l'apothéose païenne, nous semble bien peu dans l'esprit
du moyen-âge.
M. J. Marion '^ a donné une explication plus vraisem-
blable, en invoquant un texte de Guillaume de Nogent. Ce
chroniqueur raconte qu'un clerc avait été envoyé au bas de
la montagne, pour y chercher des matériaux ; il s'empressa
d'obéir à cet ordre; mais en gravissant la colline, un des
bœufs qu'il conduisait tomba de lassitude. Il était désormais
impossible de continuer la route... Mais bientôt un autre
bœuf, venu on ne sait d'où, accourut se placer sous le joug,
• Ration., 1. vu, c. 44, n" 4.
' Patrologie de Migne, t. 78, col, 997.
' Essai hist. et archéoJ sur la cathédrale de Laon. In-8°, Paris, 1843.
98 LE LION ET LE BŒUF
et tnûna lestement son fardeau jusqu'au portail de Notre-
Dame. A peine délié, il descendit la montagne sans guide,
et personne ne put savoir ce qu'il devint.
On pourrait faire observer tout d'abord qu'il ne s'agit ici
que d'un seul bœuf, tandis qu'il y en a huit aujourd'hui sur
les tours de Notre-Dame, et que probablement il y en avait
seize dans l'origine. Mais une objection plus grave à faire
contre cette interprétation, c'est qu'elle est toute moderne et
qu'elle a été produite pour la première fois, si je ne me trompe,
par M. J. Marion. Comment admettre que les écrivains an-
térieurs, ceux du moyen-âge surtout, aient gardé le silence
sur la corrélation d'un miracle avec ces énormes bœufs, qui
ne peuvent certes échapper à l'œil le plus distrait ? Ce silence
s'expliquerait, si nos pères n'ont vu dans ces statues que les
emblèmes ordinaires de la Passion du Sauveur. Ce n'aurait
pas été à leurs yeux un fait anormal et jugé digne d'une re-
marque spéciale.
Ce ne sont que des doutes et non pas une opinion que
nous émettons sur l'origine des bœufs de Laon. Nous serions
heureux de voir nos savants collègues de la Société acadé-
mique de Laon élucider cette intéressante question.
Eevenons maintenant à notre point de départ. M. l'abbé
Poisson nous demandait l'explication du bœuf et du lion,
dont Guillaume Durand constate la présence ordinaire dans
les portails, sans en donner le motif. Il paraîtrait naturel, au
premier abord, de ne voir dans le bœuf qu'une réminiscence
de ceux qui soutenaient les bassins sacrés du temple de Sa-
lomon ; dans le lion, un souvenir de ceux que les anciens
plaçaient à la porte des édifices publics. Mais nous devons
nous rappeler qu'en admettant les types payens ou judaïques,
la Eeligion y attacha toujours de nouvelles idées symboliques.
Tout en admettant que le bœuf et le lion peuvent exprimer
SCULPTÉS AUX rOUTAlI.S DES ÉGLISES. 99
bien des idées diverses, nous avons montré que le plus ordi-
nairement le premier était le type de la passion du Sauveur,
et le second l'emblème de sa résurrection. On pourrait in-
sister en demandant pourquoi ces symboles doivent figurer
au portail des églises i)lut6t que partout ailleurs. Ici la ré-
ponse nous semble facile. La porte principale de l'église est
la figure de Jésus-Christ, qui a dit de lui-même : Ego mm
ostium. Saint Eucher ', saint Isidore -, Alcuin, Rupert,
Hugues de Saint-Victor % Honorius d'Autun , Durand de
Mende sont unanimes sur ce point, en faisant remarquer que
Jésus-Christ est la porte par laquelle on arrive au salut et à la
Jérusalem céleste^ . Or, ajouterons-nous, comment Jésus-Christ
a-t-il opéré notre salut? Par sa passion volontaire qui nous a
racheté du péché originel et par sa résurrection qui nous a
conquis droit de cité dans les ci eux. On s'explique donc faci-
lement que ce soit à côté de la porte principale figurant Jésus-
Christ, que soient représentés le lion et le bœuf symbolisant
sa passion et son triomphe sur la mort. Le portail ainsi or-
donnancé semble nous dire : C'est grâce à Jésus-Christ, à
Jésus-Christ mourant, à Jésus-Christ ressuscitant, que vous
entrerez dans le ciel, dont l'intérieur de ce temple est l'i-
mage.
l'abbe j. corblet.
' Ostium ergo templi Dominus est (Comment, sur le ii« livre des liois,n. 8).
* Christus, ostium, quia per ipsum ad Dcura ingredimur (vii^ livre des
Elymologies, c. 2).
' Ostium domus ipse est Christus qui ait : Ego sum ostium. [De Templo
Salomonis, lib. iv, tit. 3.)
* Le Pontifical fait dire à l'Êvêque consécrateur, au moment de l'onction
des portes : Benedicta sis ; sis introitus salutis et pacis.... per cum qui se
ostium appelavit, Jésus Christus.
LE TEMPS DE NOËL
{Cantiques, — Liturgie. — Coutumes.)
On ignore l'origine du mot Noël, qui semble particulier à
notre langue; on ne le trouve ni dans la liturgie grecque,
ni dans la liturgie latine, et, malgré sa désinence hébraïque,
il est également étranger à l'hébreu. L'étymologie la moins
improbable serait celle qui ferait dériver Noël du mot natale^
nom latin de cette glorieuse fête. Chez nos pères, ce mot était
une exclamation de joie et correspondait aux vivats de notre
époque. Noël î Noël ! ce cri magique était la vieille acclama-
tion de bonheur de nos aïeux, quand un prince chéri venait
les visiter, quand une reine donnait un héritier à la cou-
ronne, quand une victoire était remportée.
On a donné le nom de Noël à des cantiques populaires,
destinés à célébrer le Messie attendu ou déjà arrivé. Nos
pères les aimaient et les chantaient durant les longues veil-
lées de l'Avent. En Normandie, en Bourgogne et dans plu-
sieurs autres provinces, aux quatre dimanches qui précèdent
Noël, les hautbois de l'Avent, ménétriers rustiques payés par
la ville, s'en allaient de maison en maison, confiant aux échos
de la nuit leurs pieuses mélodies. Un événement qui montrait
LE TEMPS DE NOËL. |(H
dans la crèche de Bethléem le divin Libérateur, depuis tant
de siècles promis à la terre , apportant la paix aux hommes
de bonne volonté, dans cette nuit de Noël que nos ancêtres,
selon Bède, appelaient la mh-e et la reine des îmits, devait
naturellement obtenir la préférence sur beaucoup d'autres
fêtes de l'année chrétienne , et devenir le premier objet du
culte de la poésie populaire.
Aussi le iVoè7, se produisant dans les mille dialectes de la
langue romane, dès que le peuple, au IX® siècle, cessa d'en-
tendre le latin, retentit dans tous les sanctuaires de la
France, d'où il se propagea dans les églises des autres nations
de l'Europe. Toujours simple et naïve, cette poésie des cités
et de la chaumière était colportée par les trouvères et les
troubadours ; à la faveur du chant qui en était toujours l'ac-
compagnement obligé, elle se gravait dans toutes les mé-
moires, s'acclimatait au foyer domestique et se transmettait
comme un héritage de génération en génération.
La grande Bible des Noëls remplaçait à l'intérieur les
mystères de la Nativité^ représentés sur la place publique.
Quelques Noëls étaient même distribués par personnages et
pouvaient être à la fois joués et chantés. Tel est celui où l'on
voit Joseph et Marie cherchant un asile dans Bethléem et ne
trouvant partout que des refus.
Notre littérature a conservé les noms de quelques-uns de
ces rapsodes chrétiens à qui nous devons ces petits chefs-
d'œuvre de grâce et de piété. En 1520, on imprima à Paris
les Noëls de feu maître Lucas le Moigne^ en son vivant curé de
Saint -Geor ge- du -Pui- la -Garde ^ au diocèse de Poitou, et,
en \ 558, les Cantiques du premier advénement de Jésus-Christ
par le comte d'Alsinois. Tours vit publier, en 1675, la gravide
Bible des Noëls vieux et nouveaux. On trouve dans ce dernier
recueil le célèbre Noël qui commence par ces mots :
102 LE TEMIS UE NOËL
A la venue de Noël
Chacun se doit bien réjouir.
Besançon a produit deux auteurs de Noéls, le P. Christin
Prost, capucin, mort en 1696, et François Gauthier, impri-
meur-libraire de cette ville, où il mourut en 1730. En Bour-
ccosine, tout le monde lisait, tout le monde chantait, tout le
monde apprenait les Noël Bourguignons de Gui-Barôzai (Bas-
RoséJ, vigneron célèbre qui était le chantre le plus populaire
de cette ancienne province. Plus tard, en 1701, Bernard de
la Monnoye publiait, sous le pseudonyme et sous la protec-
tion de son devancier, Gui-Barôzai^ ses spirituels et malins
Noëls, résultat d'un défi, qui ont acquis une assez grande
célébrité pour être réédités à Paris (1842), avec une traduc-
tion littérale en regard du texte patois et avec de nombreuses
notes.
L'idiome provençal s'est personnifié avec éclat, sous le
règne de Louis XIV, dans un poète qui, par ses mérites
divers et le nombre de ses productions, n'a pu avoir ni rivaux
ni imitateurs. Nous voulons parler de l'abbé Nicolas Sabely,
bénéficier et maître de musique de l'église collégiale de Saint-
Pierre-d'Avignon, où il mourut en 1675, à l'âge de 61 ans,
non loin de Monteux, son pays natal. Ses Noèls furent si
goûtés de son temps qu'on les chanta dans toute la France ;
on les chante encore aujourd'hui devant les crèches des
églises, dans la Provence. Un des plus connus est le fameux
Noël dei trcs Boumians (des trois Bohémiens), que plusieurs
critiques attribuent à un autre provençal, Louis Puech. Ces
Bohémiens s'olFrent à dire la bonne aventure à l'Enfant- Jésus,
à Marie et à Joseph, et, par la chiromancie, devinent tour
à tour leurs grandeurs et dévoilent le mystère auguste de la
LE TEMPS DE NOËL. 103
naissance du Dieu fait homme, clans un récit semé de traits
charmants et de beautés incomparables.
Le Languedoc est aussi justement fier des Nocls de Pierre
Goudouli ou Goudelin, Vllomere des Gascons, né en 1579 et
mort en 1 G 49. Un autre poète patois, Arnaud Daubasse,
maître peignier de Villeneuve-sur-Lot, composait, chaque
année, un nouveau Noël qu'il faisait chanter à l'église par
ses deux filles. Né à Moissac en 16G4, il mourut à Villeneuve
en 1727.
En 1 720, un maître d'écriture de Bordeaux, Pierre Gobain,
recueillit les divers Noëls français et gascons qui étaient ré-
pandus dans le Bordelais, et en publia la collection en un
volume in-1 8 de 90 pages. Il joignit à ce recueil quelques
pièces de sa composition dans le même genre, entr 'autres les
Noëls Rébeillats-bous, meynades et puisque du premier père,
que les habitants des campagnes chantent encore avec délices.
Nous avons lu d'autres Noëls patois, dont quelques termes
accusent une origine Landaise, Bazadaise ou Garonnaise.
Nous regrettons d'en ignorer les auteurs.
L'Espagne, l'Italie, l'Allemagne ont aussi leurs Noëls.
Lope de Véga a chanté le Messie en beaux vers castillans.
Nous trouvons dans le Dictionnaire de plain-chant de M. Joseph
d'Ortigue, un Noël plein de grâce et de naïveté, en patois
Valencien, sous ce titre qui indique un chant d'allégresse :
Tonadilla alegre.
Qui le croirait ? Luther lui-même a célébré le mémorable
événement de la naissance temporelle du Fils de Dieu, base
des mystères de la religion catholique qu'il avait désertée ;
on peut lire le texte primitif et la traduction de son travail
dans le Dictionnaire que nous avons cité.
Parmi les nombreux poètes chrétiens qui sont venus dé-
poser auprès de la crèche de Bethléem les hommages de leur
104 J'K TEMPS UE NOËL.
muse latine, trois ont puisé dans leur piété des accents trop
suaves pour ne les pas mentionner. Les deux premiers sont
Abailard et saint Bernard, unanimes au moins dans les
louanges de la Vierge-Mère et de son divin Fils. Le troisième
est l'immortel auteur du Stabat Mater dolorosa, le bienheu-
reux Jacopone. On lui doit le Stabal de la crèche jusqu'ici
trop peu connu , malgré les justes réclamations de feu
M. Ozanam. Nos lecteurs trouveront ces trois pièces dans le
tome m" du Ralional de Guillaume Durand, traduit et annoté
par M. Charles Barthélémy.
Ce terme de Noël, qui signifie déjà tant de choses, nais-
sance du Sauveur, joie, cantique, a été pieusement usurpé
par les adorateurs de la crèche, qui en ont fait un nom
propre. Un saint l'a porté; de hauts personnages l'ont préféré
à leurs titres de noblesse et Tout placé à côté de leur nom
patronymique.
Le Messie promis à Adam, à Abraham, à David, figuré par
les Patriarches, annoncé, signalé, prédit par une longue et
illustre suite de Prophètes, le réparateur de l'œuvre de Dieu
défigurée par le péché, avait été attendu quatre mille ans ; la
sainte Eglise, môme après le mystère accompli, semble at-
tendre son Emmanuel, pendant les quatre semaines de l'Avent,
l'appelle par ses soupirs embrasés et se prépare graduellement
à son avènement. Le 17 décembre, elle ouvre la série septé-
naire des jours qui précèdent la vigile de Noël, et qui sont
célèbres dans la liturgie sous le nom de [éries majeures. Tous
les jours, à vêpres, on chante une antienne solennelle, qui
est un cri vers le Messie, et dans laquelle on lui donne
quelqu'un des titres qui lui sont attribués dans l'Ecriture.
(Jes antiennes doublées, même triplées dans certaines Eglises,
sont vulgairement appelées les 0 de l'Avent, parce qu'elles
conmiencent toutes par cette exclamation. L'instant choisi
LE TEMPS riE NOËL. 105
pour faire entendre cet admiral)lc appel à la charité du Fils
de Dieu, est l'heure des vêpres^ parce que c'est sur le soir du
monde, vergente mundi vespere, que la lumière du monde, le
véritable Orient, est venu parmi nous. Le 18 décembre, on
GéVehre VExpedalion de V enfantement de la sainte Vierge^
nouvelle fête préparatoire à la fêle des fêtes, et communément
désignée sous le nom de Notre-Dame-de-l'O , à cause des
grandes antiennes commençant par 0, qu'on chante en ces
jours.
La nativité du Sauveur est le plus grand événement de
l'histoire du monde. Le calendrier de Charlemagne appelle le
mois de décembre C/irist-Monalh., mois du Christ, ou Heilig-
Monath, mois saint. C'est de la naissance du Sauveur que
date l'ère chrétienne ; il y a dans cette supputation une haute
raison; tous les jours chrétiens découlent du premier jour du
Christ sur la terre. Un grand peintre, dans un tableau de la
nativité de Jésus, a fait partir toute la lumière du corps de
l'Enfant divin; il en est de même pour la société; elle ne
peut avoir d'autre lumière que celle qui jaillit de la nuit
rayonnante de Noël. C'est pour une raison identique que
l'année civile commençait jadis à Noël, et que cette fête était
appelée le jour des Calendes. Les Provençaux ont conservé
un souvenir de cette appellation dans les Aubades de Calme,
promenades musicales dont les vieux Noëls font tous les frais.
L'espace nous manque pour retracer les coutumes tradi-
tionnelles et les vénérables institutions qui sont nées de la
fête de l'Enfant-Jésus. Nous abrégerons nos récits. Disons un
mot pourtant de cette bûche de Noël, qui brûlera jusqu'à
la messe de minuit , brûlera encore pour le réveillon , et ne
sera pas encore consumée à la messe du point du jour. « Cette
« bûche, dit Marclietti, représente Jésus -Christ qui s'est
« comparé lui-même à du bois vert dans nos Evangiles. »
106 LE TEMPS DE NOËL.
En arrivant à Rouen, par la Seine, on trouve à droite un
petit bois, où la charité chrétienne, à une époque déjà bien
éloignée de nous, aimait à déposer ses bienfaits. C'est là qu'é-
tait le tronc de l'aumône, trésor ouvert pour les pauvres sur
le chemin de la solitude. Ingénieuse délicatesse ! Le tronc in-
violable d'un arbre mourant de caducité était le seul inter-
médiaire dont la bienfaisance osât se servir pour assister le
mallieur. Trop maltraité par les ans et les orages pour donner
encore des fruits ou même un peu d'ombre, l'arbre n'en était
que plus apte à receler le bienfait inattendu qui devait sou-
lager l'indigent trop honteux ou trop timide pour tendre la
main à son semblable. Dans certaines provinces de France,
les mères ont laissé à leurs enfants une aimable réminiscence
de cet usage Normand, en cachant de petits présents dans
la huche de Noël. Les troncs de nos églises ne sont qu'une imi-
tation transformée du môme usage.
Dès l'origine, les chrétiens entourèrent du plus tendre
respect les lieux et les objets sanctifiés par la présence du
Sauveur. La crèclie, en particulier, cette pauvre crèche de
bois où le divin Fils de Marie avait été déposé, où il avait
dormi, fiit, de la part des pèlerins, l'objet du culte le plus
empressé. Saint Jérôme voulut en être le gardien durant les
longues années qu'il passa dans la sainte grotte. Transportée
à Rome, l'an 642, lors de l'invasion du mahométisme, elle
est encore aujourd'hui le plus précieux trésor de l'une des
basiliques de la Ville éternelle. De là le nom de Sainte-Marie-
à-la- Crèche donné à cette église déjà décorée du titre de
Sainte-Marie-Majeurc.
Rome a donc succédé à Bethléem. Aussi nulle part on n'a
rendu autant d'honneur au grand mystère de Noël. Une
église y est dédiée à l'Enfant-Jésus ; une autre a été bâtie sur
l'emplacement du temple de Jupiter capitolin, au lieu môme
LE TJiMFS bK NOi L. 1()7
OÙ, selon une tradition untorisée, la sainte Mère de Dieu,
tenant son Fils entre ses bras, apparut dans le Ciel, au milieu
d'un cercle d'or, à l'empereur Auguste. Cette église, chantée
plus tard par Pétrarque, fut appelée l'Autel du Cûd, Ara
Cœli, soit parce qu'elle est le point le plus éminent de la cité,
soit parce qu'on la considérait comme ayant été le premier
monument qui ait annoncé à l'antique Rome le rapprocliement
du Ciel et de la terre. On y conserve une ancienne figure de
l'Enfant- Jésus, // sanfo Bambino, la plus vénérée de toutes les
images du même genre qui sont à Rome. Chaque année, aux
fôtes de Noël, on l'expose dans une crèche, près de laquelle
sont représentés Auguste et la Sibylle. C'est la fête des
enfants ; tous les privilèges sont pour eux , même celui de
prêcher du haut de petites chaires dans cette même église; la
foule ne manque jamais au sermon du petit Cicéron chrétien.
« A Rome, dit un auteur, le presepio occupe toutes les
« pensées — Pour le Romain plus peut-être que pour aucun
« autre peuple, Noël est une fête capitale, une fête de
« famille. Ainsi, dans la cité chrétienne, ce n'est pas la bonne
« année qu'on vous souhaite, c'est la bonne fête. Le capo
<< d'anno n'est rien, Noël est tout. N'est-il pas, en eifet,
« très-logique ' de choisir, pour s'offrir des vœux mutuels,
« l'anniversaire de l'événement le plus social, par conséquent
« le plus heureux qui ait marqué les annales du monde ? »
Dès le IX® siècle, on dressait dans les églises, en face du
maître- autel , des espèces de tentes qui simulaient la crèche
du Sauveur. A côté figuraient un Ange^, saint Joseph, le
bœuf et l'âne. Divers chants liturgiques analogues à cette
représentation étaient exécutés par le chœur des prêtres et
des fidèles. « Au X'' siècle, dit M. Magnin ', on voit s'établir
' Journal des Savanls, numéro d'août 1861, p. 491.
108 I-E TEMPS LE NOËL.
dans les cathédrales et les abbayes l'usage de joindre à ces
naïfs et simples offices un autre spectacle dont le sujet et la
forme étaient laissés au goût et à la discrétion du préchantre
(ju de l'écolatre. Emprunté presque toujours aux livres his-
toriques ou moraux de l'Ancien Testament, aux paraboles
évangéliques, à l'Apocalypse et aux légendes les plus mer-
A'eilleuses des Saints et des Martyrs , ce jeu supplémentaire
ajoutait tout l'attrait de la variété et le piquant de l'imprévu
aux autres récréations et gracieuses réjouissances qui ren-
daient la célébration de Noël si chère au peuple et à une
grande partie du clergé, et leur en faisait, pendant le reste de
l'année, désirer si ardemment le retour. »
L'art chrétien s'est exercé maintes fois sur le berceau du
Sauveur. Que de crèches dans nos chapelles, où les grands et
petits aiment à s'arrêter! Nous avons visité près de Lisbonne,
dans une église, un monument de cette espèce tellement
important, que le faubourg lui-même, Belem^ abréviation de
Bethléem^ lui a emprunté son nom. L'amour de la crèche avec
l'Enfant-Dieu vêtu de langes ou de dentelles, avec la sainte
Vierge, saint Joseph, les bergers et leurs agneaux, a envahi
la maison du riche où elle remplace pour quelques jours tous
les jouets; elle apparaît même sous le chaume et dans la rue;
car la joie est pour tous au beau jour de Noël ; la joie est la
fortune du pauvre, comme elle fut le prix de l'innocence des
pasteurs.
l'abbe j.-b. pardiac.
BIBLIOGRAPHIE
Mémoires historiques sur l'origine et le cidle de la Vierge miraculeuse de
Sainle-Marie-Majeure , par Mgr Fabi Montani. Rome, 1861. — Note sur
une Sépulture chrétienne du Moyen Age trouvée à Etaples, par M. l'abbé
Cochet. Amiens, 1861, in-8°. — Table générale des matières contenues
dans la seconde série du Bulletin monumental, par M. l'abbé Auber.
Caen, 1861, in-S». — Histoire des rues d'Amiens, par M. Goze. Amiens,
1861, 4 vol. in-12. — Histoire du tulle et des dentelles mécaniques en
Angleterre et en France, par M. Fergusson fils. Paris, 1862, in-12. —
Notice historique sur l'abhaye de Sery, par M. Dausy. Amiens, 1861, in-8''.
Il existe déjà soixante-sept ouvrages sur la Madone miracu-
leuse de Sainte-Marie Majeure. Cependant, Mgr Fabi Montani a
trouvé moyen de dire des choses neuves dans la publication qu'il
vient de faire à Rome, des Mémoires historiques sur Vorigïne et le
culte de la vierge miraculeuse de Sainte-Marie Majeure. Il consacre
deux chapitres àTexamen d'une question que n'a pas encore résolue
l'archéologie contemporaine. La tradition populaire attribuant la
Vierge libérienne au pinceau de saint Luc, l'auteur se demande s:
cet évangéliste a été réellement peintre, et il penche pour l'affir-
mative, malgré ceux qui objectent que s'il était juif, ce qui n'est pas
prouvé, la tradition est une erreur, puisque le mosaïsme inter-
disait la peinture et la sculpture aux Hébreux, à cause de leur in-
clination à l'idolâtrie. Quant à la vraie origine de l'image libérienne,
Mgr Fabi Montani n'admet pas que ce tableau ait pu figurer au
triomphe de Vespasien, et pense qu'il a été envoyé par les Pères
d'Èphèse à Sixte III, qui l'aurait fait transporter sur le mont Esquilin ;
il réfute l'opinion des écrivains, qui ont prétendu qu'avant le Con-
cile d'Éphèse, on ne représentait jamais la Vierge tenant son Fils
dans ses bras.
110
DlDLIOGr.APlUt:.
— Le ±\ mai 18(51, on a trouvé à Étaples, duns un cimelièrc dé-
laissé à la (ni du XIV« siècle, nne sépulture cbrélienne consistant
eu uu petit caveau construit avec de la chaux et du silex, dans
lequel étaient déposés des ossements et divers objets funéraires.
Une couche de terre noire avait été formée par le bois décomposé
du cercueil, dont il ne restait que quelques clous et ferrures.
M. Souquet, vice-consul à Étaples, adressa à M. Cochet la photo-
graphie dont nous reproduisons ici le dessin, et lui demanda son
avis sur l'époque de ce tombeau. C'est à cette occasion que notre
savant collaborateur vient de publier une Note sur une sépulture
chrétienne du moyen-âge , trouvée à Etaples ; il pense qu'elle est celle
d'un chevalier chrétien inhumé avec ses armes au XIII^ ou au
XIV® siècle. Voici, d'après MM. Souquet et Cochet, l'indication des
objets trouvés dans ce tombeau :
1. Épée en fer longue de 88 c.
avec pommeau de cuivre ; lame
creuse par le milieu ; tranche des
deux côtés. Sa longueur rappelle
l'époque mérovingienne ; mais la
forme de la poignée accuse le
Moyen Age.
2. Eperon en fer, de la même
forme que ceux de l'époque mé-
rovingienne. Les éperons à pointes
sans molette ont dû persévérer
jusqu'au cœur du Moyen Age.
Leur présence dans un tombeau
prouve que le défunt appartenait
à la noblesse : car, comme le dit
un ancien proverbe : « Vilain ne
sait ce que valent éperons. »
3. Plaque en fer surmontée d'un
petit cylindre, avec un manche
par dessous; c'est peut-être un
fragment de lampe.
4. Quatre clous en fer dont deux
à tête ronde et deux à tête aplatie.
5. Objet on fer ressemblant à
un dossier de selle
S(^pultiiro (l'Étaples iSOi;
BIULlOGli.U'IHI^
111
f). Deux objets que M. Souquct croit être des espcces d'étriers à trois
branches et sur lesquels M. Cochet réserve son opinion.
7. Un petit vase en terre blanchâtre, -sans veiiiis. Le charbon de bois qu'il
contenait encore démontre qu'il a servi à l'usage de cassolette dans la céré-
monie des funérailles. Comme cette coutume liturgique ne paraît point re-
monter au-delà du Xlir siècle, on doit être à peu près fixé sur la date de
cette sépulture. Ce vase a la forme de ceux qu'on a trouvés à Bouteille, près
Dieppe, en 1857.
ET ET
Vases chrétiens trotivi's à Bouteilles (1857).
Cette clécoiivei"te est d'autant plus intéressante qu^elle prouve
que l'iuhumatioa armée a duré plus longtemps dans le Boulonnais
que dans la Normandie.
~ M. Tabbé Auber avait publié, en 1846, la Table générale des
matières contenues dans la première série du Bulletin monumental ; il
vient de continuer cette œuvre de patience par la Table de la se-
conde série, qui comprend dix volumes comme la première. La
valeur d'un recueil périodique est certainement doublée par une
bonne table analytique, et celle de M. Auber nous semble ne rien
laisser à désirer.
— Presque toutes nos villes de province ont maintenant leur his-
toire : mais l'Histoire, un peu fière par nature, dédaigne une foule
de petits faits qui ne lui semblent pas relever de son domaine. La
Chronique des rues n'a point cette prétention ; elle trouve encore à
glaner là où les autres ont moissonné, et rien n'échappe ù ses fa-
milières causeries. C'est un cadre où viennent se grouper succes-
sivement les grands événements et les petites historiettes, les
112 BIBLIOGRAPHIE.
sompliicuix niomimonls et les modestes hùlcUerics, les glorieux:
souvenii's et les légendes populaires. Nous devons féliciter M. Goze
d'avoir si bien compris l'inléi-cl de ces sortes de publications; son
Histoire des rues d'Amiens tiendra une place distinguée à côté des
ouvrages analogues publiés récemment sur les rues de Paris, de
Rouen, de Lyon, d'Abbeville, etc.
— M. Fergusson fils vient de composer une intéressante Histoit^e
du tulle et des dentelles mécaniques en Angleterre et en France. Selon
quelques auteurs, le tulle aurait emprunté son nom à la ville de
Tulle ; mais c'est à tort, puisqu'on n'en a jamais fabriqué dans
celte ville. On pourrait supposer que le mot Tulle vient de Tuly,
qu'on trouve dans un inventaire anglais de 1315 ; mais M. Fran-
cisque Michel lui donne la signification de toile peinte fabriquée à
Toidouse. « Si l'on n'accepte point, dit M. Fergusson, les noms ni de
Toulouse ni même de TullC;, malgré leur alfinité apparente, ne
pourrait-on pas en chercher l'origine dans les broderies célèbres que
l'on fabriquait en Lorraine et particulièrement à Toul? Il est
certain du moins que, dans ces broderies, on exécutait à l'aiguille, en
écartant et en rassemblant les fils, une espèce de jour ou de point
de filet. Ce genre de travail, très-répandu au Moyen-Age, se fait en-
core de nos jours sur la mousseline et la baiiste ; il prit naissance
en Italie, dans les couvents, d'où il passa en Espagne, puis dans la
Flandre espagnole vers 1530, puis enfin en France. Or, comme la
dentelle, dont le fond est le point de tulle, fut créée peu de temps
après en Allemagne (1551), et que ce fond ressemble aux jours
pratiqués dans les broderies de Toul, en latin Tullum ou Tullo, ou
peut s'expliquer aussi qu'il ait pris en allemand le nom de Tûll et
en français celui de Tulle. »
— La Notice historique sur l'abbaye de Sery que vient de publier
M. Darsy, est remplie de savantes recherches, comme les ouvrages
précédents de l'auteur. Sery, situé près de Gamaches, ne fut
d'abord qu'un simple prieuré, fondé en 1127; un siècle plus tard,
il prit la règle de Prémontré. L'emplacement primitif de l'abbaye
n'est plus maintenant qu'un cimetière; une partie de l'église a été
détruite : ce qui en reste est converti en habitation.
J. CORBLET.
Revue de l'Arl chrétien
iars
1862
oculplure du Porclie principal de SlVulfraiL d'Abl^eville -
LETTRE AU DIRECTEUR DE LA REVUE
sur quelques Sculptures de Lion-
Mon cher Collègue,
Je viens de lire votre excellent travail sur le Lion et le
Bœuf sculptés aux portails des églises.
Vous citez, dans cette étude iconographique, entr'autres
exemples, le lion du portail de l'église Saint-Yulfran d'Abbe-
ville , qui est accroupi , revêtu d'un manteau , et qui tient
dans ses griffes un écusson et une bannière, et vous rappelez
ce que j'ai dit de ce lion dans ma Notice sur Abbeville.
J'avais d'abord pensé que le lion de Saint-Yulfran, comme
celui qui servait de girouette au clocber de l'hôtel-de-ville,
pouvait être un emblème de féodalité, un souvenir des hauts
et puissants seigneurs qui possédèrent autrefois Abbeville;
mais en réfléchissant bien j'ai dû modifier cette opinion.
Le lion de Saint-Vulfran me semble aujourd'hui pouvoir
comporter deux significations, selon qu'il est pris en bonne
ou en mauvaise part.
Dans la première hypothèse, ce lion me parait être l'image
de l'Eglise de Jésus-Christ et de la vigilance épiscopale, ce
que semble indiquer la place qu'il occupe entre les deux sta-
tues de saint Firmin et de saintGermain l'Ecossais, qui passent
pour avoir prêché les premiers l'Evangile dans nos contrées.
Au second cas, le lion de Saint-Vulfran représenterait,
TOME Yi. Mars 1862. 9.
Il.i LETTRE ai: DIIiKf.TEUR T>E LA REVUE
selon moi, et comme le porte d'ailleurs une tradition locale,
le féroce Nabucliodonosor, le prince hérétique qui fait la
guerre aux prédicateurs et leur obtient la palme du martyre,
en les mettant à mort.
Quant au manteau dont ce lion est revêtu, il caractérise
la royauté de Nabucliodonosor changé en bête ; la bannière
qu'il tient est destinée à rappeler la victoire remportée sur
l'idolâtrie, par nos premiers Évoques^, dans le Ponthieu et le
Vimeu.
Le lion de Saint- Vulfran pourrait bien encore être le sym-
bole de l'Eglise tout entière, s'il remontait à une époque plus
ancienne, si par' exemple il datait du XIP siècle; mais au
XVP siècle, où l'on exécuta cette statue, le lion avait en gé-
néral une autre signification.
Vos lecteurs, en examinant la planche ci-jointe, dessinée
par M. Duthoit, pourront adopter l'opinion qui leur semblera
la plus admissible. Le lion , vous le savez, est de toutes les
images symboliques qui se rencontrent dans les églises et sur
les tombeaux anciens, la plus fréquemment représentée ; de
telle sorte qu'il serait difficile, pour ne pas dire impossible,
de donner parfois une explication positive^ claire et bien cer-
taine de tous les spécimens de cet intéressant symbole.
Vous dites, dans le même article, que le lion a une signifi-
cation historique quand il accompagne Daniel et Samson. Le
fait est vrai, et c'est probablement pour restei* dans votre
sujet que vous n'avez pas cru devoir ajouter que plusieurs
antiquaires le regardent aussi, en ce cas, comme une repré-
sentation mystique : suivant eux, Daniel dans la fosse aux
lions serait l'emblème du Purgatoire, et le lion déchiré par
Samson ', tel qu'on le voit au portail de l'église romane de
' Voir la gravure représentant ce sujet, t. v de la Bevve de l'jirt chré-
lin, p. 588.
SLlll OrELQlIKS SCULPTlillES HK LION. 115
Berteauconrt (Somme), offrirait l'image du diable vaincu par
Jésus-Christ, ou la gueule de l'Enfer brisée par le Sauveur
pour en tirer nos premiers parents ' .
C'est avec raison que vous ajoutez que le lion est tout à la
fois la figure de Jésus -Christ et l'emblème du démon et de
ses satellites ; je pense comme vous à cet égard, et crois aussi
que dans ce dernier cas, les artistes le représentaient dans
une position humiliante qui rappelle sa défaite ; c'est ainsi
qu'au grand portail de Notre-Dame d'Amiens le Sauveur
foule un lion du pied droit et un dragon de l'autre. Ce lion,
au portail d'Amiens, est effectivement le symbole du démon,
de l'Antéchrist écrasé par son vainqueur.
Bien que vous n'ayez eu à vous occuper que du lion sculpté
aux portails des églises, comme l'indique le titre de votre
intéressant travail, permettez-moi de dire ici quelques mots,
par forme de digression, sur les tombeaux du département de
la Somme, où le lion est figuré.
Dans la cathédrale d'Amiens , à l'entrée de la nef, on re-
marque une magnifique tombe en bronze supportée par des
lionceaux ; cette tombe est celle de l'évêque Evrard de Fouil-
loy, qui jeta les fondements de cette vaste basilique. Le pré-
lat est représenté dans la position d'un pontife béatifié, foulant
aux pieds deux dragons. Les lionceaux nous paraissent être
là comme les gardiens du temple ou de la tombe du pieux
évêque.
Ces lionceaux peuvent encore être pris pour l'emblème de
la victoire d'Evrard sur les vices de son temps ; le lion avait,
en effet, quelquefois cette signification, et c'est pour la rap-
peler qu'on voit assez souvent des lions placés à l'entrée de
la chaire à prêcher, comme il s'en trouve à celle de Corbie
et ailleurs.
' Manuel d'Iconographie chrétienne grecque et latine, in-8", 184.5, p. 104.
HT) I.ETTRK AU DIUECTEUR DE LA l'.EVUE
Au fond d'une niche pratiquée dans l'épaisseur du mur
de clôture de la même cathédrale , on voit le tombeau de l'é-
vêque Ferry de Beauvoir. Ce prélat est , suivant l'usage du
XV^ siècle, couché sur sa tombe, revêtu de ses habits pontifi-
caux. A ses pieds on remarque également un lion qui est
éveillé : cet animal offre sans doute le symbole de la Résur-
rection. Si ses yeux étaient fermés, on pourrait dire qu'il
représente le Christ au tombeau, ou le Christ qui, malgré son
sommeil, a vaincu le démon.
Vous verrez , mon cher Collègue , si cette dernière inter-
prétation vous convient mieux que la première.
Dans la seconde moitié du XP siècle , on donna au lion
une signification non-seulement mystique, mais encore mo-
rale. Lorsque sur un monument de cette époque, il saisit un
chien ou tout autre animal à la gorge , c'est l'image du lion
qui cherche une proie à dévorer [circuit leo quœrens quem
devorct) ; mais c'est aussi le symbole des passions violentes et
déréglées. Or, sur le tombeau de Raoul de Crespy, à Mont-
didier, on voit un lion qui semble étrangler un chien ; cet
emblème convenait parfaitement au bas de la tombe d'un
puissant seigneur comme Raoul, qui était le plus fameux
usurpateur de son temps, et qui s'était fait connaître par ses
fréquents mariages et les répudiations scandaleuses de ses
femmes légitimes.
Enfin, dans l'église d'Ailly-sur-Noye, sur la table qui sur-
monte le tombeau de Jean Hautbourdin , bâtard de Saint -Pol,
un lion est aussi représenté aux pieds de ce seigneur, qui
passait pour le plus beau et le plus vaillant guerrier du
XY" siècle ; mais pour exprimer sans doute son ardeur, son
intrépidité dans les combats, ce lion semble prêt à se relever,
et sa queue qui se dresse indique, ce me semble, plutôt la vic-
toire que la niurt chez l'homme illustre dont il orne le tombeau.
SI IV UliKLOl'KS Si:Ul.l'Tl UKS DlC l.lUN. 117
Je conclus, comme vous^ ([ue le lion exprime des idées
bien diverses dans la symbolique chrétienne. Tantôt il re-
présente le fidèle gardien du temple ; tantôt c'est le symbole
du prédicateur de Jésus-Christ, de la Résurrection du Sau-
veur, de la Force, de la Royauté; d'autres fois, enfin, il offre
au contraire rmia,i2;e du Démon, de l'Antéchrist, des Persé-
cuteurs de l'Eglise. Il est donc vrai, comme vous l'avez dit
vous-même, qu'il joue un grand rôle dans cette symbolique,
et qu'il n'est pas toujours facile d'expliquer d'une manière
précise ce que signifient certains lions, tels par exemple que
celui du portail de Saint-Vulfran, qui a motivé ma lettre.
Agréez, mon cher Collègue, l'assurance de mes sentiments
dévoués.
H. DUSETEL
de la Société impériale des Antiquaires de France.
P. -S. Vous inclinez à croire que les bœufs de la cathédrale
de Laon ont un caractère symbolique et ne sont pas dus à
un souvenir local. Vous trouverez une confirmation de votre
opinion dans le dernier n" du Bulletin monumental (u" 2,
page 175), où M. Darcel s'exprime en ces termes : « Un dé-
tail distinctif de la cathédrale de Laon, c'est l'existence de
grandes figures de bœufs dans les tours : or, si l'on pénètre
à Bamberg (Bavière), dans les cours voisines des tours, on
remarque les mômes figures architectoniques. Elle ne sont
pas visibles à l'extérieur, à cause des constructions adossées
à la cathédrale. » Vous en concluerez sans doute qu'une
semblable décoration monimientale, qu'on retrouve identique
à Laon et à Bambei'g, ne peut s'expliquer que par une in-
terprétation applicable aux deux cathédrales, et non point
par une légende locale, dont l'authenticité est plus que sus-
pecte.
D'UN ARGUMENT
des premiers siècles de notre ère contre le dogme
de la Résurrection-
Parmi les idées nouvelles que le Christianisme jeta dans
le monde, la doctrine de la Résurrection fut de celles que la
société païenne reçut avec le plus d'étonnement. La pieuse
croyance des fidèles à la renaissance des corps n'inspirait
souvent aux idolâtres que le dédain et la raillerie. Cette ré-
sistance des esprits à admettre un semblable mystère, se me-
surerait rien qu'à compter les écrits que les Pères durent con-
sacrer à la défense du dogme contesté ; mais nous possédons
sur ce point des données plus précises, et les réponses même
des fidèles semblent nous faire connaître, dans ses derniers
détails, le système d'attaque des incrédules.
Je viens de parler des railleries : on les voit déjà se pro-
duire dans l'Aréopage^, lorsque prêche saint Paul : « Quel-
" ques-uns, nous apprennent les Actes, quelques-uns se mo-
" .quèrent; d'autres dirent dans leur étonnement : Vous nous
« reparlerez de ces choses. ' » Chez ces derniers, une foi
' .Ida A pont, xvii, 32.
d'un augu-ment j»es premiers siècles i\[)
docile a pu féconder tout d'abord les leçons du grand Apôtre.
Voyons ce qu'objectaient les incrédules.
Comprise par eux dans un sens tout grossier, l'annonce de
la résurrection leur semblait une bizarre imposture. « Quoi,
« s'écriaient-ils, les cadavres détruits par la putréfaction,
« évanouis dans l'air, réduits en poudre, ceux que dévorent
« les bêtes et le feu, ceux des naufragés qui se dissolvent
« dans l'eau, tous ceux-là se reformeront pour reconstituer
« un corps ! » Puis venaient les questions captieuses : « Un
« homnie pressé par la faim a mangé la chair d'un de ses sem-
« l)lables; cette chair, qu'il s'est assimilée, à qui reviendra-
« t-elle, à lui, ou bien au mort dont elle formait d'abord la
« substance? »
Les Gentils demandaient encore si les enfants mort-nés
renaîtraient, bien qu'ils n'eussent pas vu le jour; si l'on re-
naîtrait contrefait, comme on avait pu l'être; si nos cheveux
tombés sous les ciseaux nous seraient tous rendus, puisqu'il
est écrit que pas un cheveu de notre tête ne périra '. On
riait de Jouas, ce grand type de la renaissance promise ^.
Mais après toutes ces railleries au milieu desquelles le Chris-
tianisme devait se répandre et grandir, était toujours sérieuse-
ment opposée l'impossibilité de reconstruire un corps détruit
et divisé. Dans cette ferme assurance, et pour priver leurs
victimes de la vie future, les païens brûlaient les corps des
martyrs, en jetaient les cendres dans les fleuves, pour que
rien n'en restât sur la terre. « Les chrétiens perdront ainsi,
« se disaient-ils , cet espoir de la résurrection qui leur fait
• AuGCST., Civ. Dei, xxij, 12 ; et" A.thknagoh., de Resiirr. iv.
* AtGCST. EjJtsl. eu, ad Deograt; Civ. Dei, i, 14 ; voir encoio pour les
railleries des païens, Miinut. Feux, OcUv. \i ; Aukob. ii, 13; Okigi. Cuutra
Cels. 1. 1, éd, de 1658, p. 7.
120 d'l'X argument des premiers SIKCLKS liE NOTRE ERE
« introduire une foi nouvelle et courir joyeusement à la mort.
« Voyons si leur Dieu pourra les faire renaître ! ' »
Nos pères réussissaient mal sans doute à convaincre plei-
nement de tels adversaires, car l'argument païen est souvent
repris et combattu dans leurs écrits ^
Un grand désastre vint le faire revivre.
Lorsque les hordes d'AlaVic saccagèrent la cité éternelle,
ceux qui attribuaient à l'abandon des temples tant de mas-
sacres et d'infortunes, insultèrent à la foule des chrétiens
égorgés et demeurés alors sans sépulture.
" C'est là, disait l'Evêque d'Hippone, c'est là ce qu'une
« foi pieuse ne saurait guère redouter. Il est écrit que pas un
« cheveu de notre tête ne périra, et les bêtes qui dévorent
n un cadavre ne sauraient l'empêcher de ressusciter. La
« Vérité ne dirait pas: Ceux qui tuent le corps sont impuis-
" sants à tuer l'âme, si ce que l'ennemi peut faire des restes
« de ses victimes était un empêchement à l'autre vie. Dieu
« nous garde de révoquer en doute ce qu'a dit la Vérité ! Le
« sol n'a point recouvert les cadavres d'un grand nombre de
" chrétiens; mais nul d'entr'eux n'a pu être séparé du ciel
« et de la terre que remplit de sa présence Celui qui sait d'où
« la créature doit être rappelée pour la résurrection. Les
<< gentils ne peuvent insulter aux chrétiens restés sans sé-
" pulture, car il est promis aux fidèles que non-seulement la
" terre, mais tous les éléments dans le sein desquels le corps
' EuSEB., Ilist. eccL, v, i, in fine. Lua païens croyaient que les fidèles ne
brûlaient pas leurs morts dans la crainte de les empêcher de ressusciter (Mi-
KDT. Félix, Octavhis, c. xi et xxiv).
* Tatian. VI ; Athenagor., de Resurr., iv ; Irew., v, 3; Tertull.,
de Carne Chrisii, xv ; Ambros. De fide Resurr., n, 58; Paul. Nol.,
Poem. XXXIV, v. 270 et sqq. ; Greg. Tcron. H. Fr. x, 13, Cwlor. mart. i,
95, ptf
CO.NTRE l.E IJOC.ME DE I, A RÉSlilUîECTIO.V. 1*21
« serait confondu, le rendront à la vie éternelle, au jour fixé
" par le Très-Haut ' . »
Dans un livre consacré à confondre l'erreur des idolâtres,
ce n'était pas toutefois à eux seuls que s'adressait saint
Augustin. Invoquer l'Evangile que ceux-ci se refusaient à
reconnaître, c'eût été leur parler une langue inconnue. L'é-
veque d'IIippone faisait sans doute appel à des frères troublés
par les clameurs païennes, par la stupeur surtout dont se
sentaient alors saisies quelques-unes des Ames les mieux
douées ^. Tous les fidèles n'avaient point — il s'en plaignait
avec amertume — * une foi également robuste ; tous ne se
disaient pas, avec leurs saints Docteurs, qu'il n'y avait pas
merveille plus grande à reconstruire qu'à créer *.
L'antique terreur du défaut de sépulture remplissait encore
certains esprits. Une perfection que j'ose dire surhumaine
pouvait seule faire demander par les pénitents de l'Egypte
que leur corps ne fût pas enseveli, mais jeté dans les ileuves
ou exposé pour servir de pâture aux chiens et aux loups ^.
Les hérétiques, d'ailleurs, se succédaient remettant sans
cesse en question la réalité du dogme consolateur. Après l'é-
cole gnostique, Théodore, évoque d'Egine, Eutychès devaient
répandre en Orient le venin de leur fausse doctrine ^. L'Occi-
' Civ. Dei, i.
- Voir, dans les œuvres de saint Augustin, le pJ 2 de la lettre n" 154 que
lui adresse Macédonius, après les massacres de Rome.
"' Civit. Dei, i, 35 ; cf. la belle Histoire de la destruction du paganisme en
Occident, par M, le comte Beugnot, t. ii, p. 105 et 106.
"* Athenagor., De Resurr., la ,• Iren., v, 3; Ambros., de fide Resurr., ii,
58 ; Gregor. Tcr., h. Fr. x, 13; Sacrament. Greyorian. dans Muratori,
Liturg. rom. t. ii, p. 356, etc.
5 JoHAN. Cltm. Grad. v, 22 et 28.
" Gregor. Tcrom. Glor. mart. 95; Dom "Bvlteav, Dialogues de saint Gré-
goire-le-Grand , préface, p. Lxxvil, etc.
122 d'un argument les premiers siècles de notre ère
dent L'Ut de même ses épreuves; la vieille objection des païens
y reparut dans la bouche des incrédules.
Rien n'est plus curieux à étudier, pour l'histoire des er-
reurs humaines, qu'un long chapitre où Grégoire de Tours
raconte sa discussion avec un prêtre gaulois. Celui-ci, in-
fecté, dit-il, de l'hérésie saducéenne, appuie chaque propo-
sition sur un texte des Livres saints et ne se rend pas facile-
ment.
'• Des os réduits en poudre, dit-il, peuvent-ils donc rece-
« voir de nouveau l'existence et former un homme vivant? »
« Certes, répond Grégoire, nous croyons que Dieu res-
« suscitera sans peine le cadavre tombé en poudre et divisé
« [)ar le vent sur la terre et les eaux. »
« Vous vous trompez, répond l'incrédule, et vous soutenez
« une grande erreur avec de séduisantes paroles, lorsque
« vous dites que l'homme dévoré par les bêtes, englouti dans
« les Ilots, mangé par les poissons, dispersé par le courant des
« eaux, détruit par la putréfaction dans le sein de la terre,
« sera ressuscité un jour \ »
Il y avait plus d'un degré dans l'erreur que Grégoire de-
vait ainsi combattre. Les gnostiques niaient la Résurrection
parce que le Christ, pur fantôme, disaient-ils, n'était mort et
ne s'était relevé de son tombeau qu'en apparence ^. Le prêtre
gaulois déclarait au contraire que le Seigneur, réellement
fait homme, était mort et ressuscité. La reconstitution de
la chair était le seul point qu'il tint pour impossible ^
Chez des chrétiens d'une foi moins chancelante, l'idée fu-
neste attachée par le vulgaire à la privation de sépulture, je
* m st. Franc, x, 13.
* Voir mes Inscriptions chrétiennes de la Gaule, t. u, disseit. n" 478.
' GuEG. TuRON. loc, cil.
CONTRE LE DOGME DE LA UÉSlUillECTlON, IÎ13
ne sais quel souvenir peut-être des âmes errantes que re[)ous-
sait Cliaron, de Falinure et de son ombre désolée, laissait ce-
pendant encore place à l'erreur.
Pour eux, les païens de Lyon avaient frappé juste, en je-
tant dans le Ivhône les corps des Martyrs afin de les empêcher
de renaître. Les paroles de saint Augustin sur les massacres
de Rome me semblent attester l'existence de cette croyance
étrange. Les monuments de l'épigraphie nous la montreront
vivante encore à une époque moins reculée.
Souvent, dans les imprécations formulées sur les épitaplies
contre les violateurs des tombes, on demande à Dieu que le
coupable soit privé de la résurrection.
C'était parfois, me semble-t-il, la peine du talion appelée
sur ceux qui, dispersant les restes d'un mort;, le privaient,
selon quelques-uns, du bienfait de la vie future.
Je sais combien peut sembler étrange une proposition sem-
blable, et je n'avancerai que preuves en main.
Deux des formules d'imprécations dont je rappelle l'exi-
stence ne contiennent à l'appui de ma thèse que racclamation
NON RESVRGAT *.
Une troisième a plus de valeur, puisqu'elle fait précéder
• GoRi, Inscr. Etr. t. m, p. 105:
SI QVIS HVNC SEPVLCHRVM VIOLAVE
RIT PARTEM HABEAT CVM IVDA TRADITOREM
ET IN DIE IVDICII KON RESVRGAT
OuERici, SyUoge,Y). 352 (Inscription attribuée au X« siècle) :
•f- PETRVS INDIGKV
S PRESBlTELi TT PA
MATHII JOHIS ET PA
VLl DEPCHOH OMS V
T NVLLVS VIOLET
HVC SEPVLCKVM
12<i d'un argument des premiers siècles de notre ère
immédiiitement ces mots du vœu : INSEPVLTVS lACEAT, éta-
blissant ainsi une corrélation visible entre les deux idées ' .
Un dernier monument paraîtra, je l'espère, plus concluant
âmes lecteurs.
La belle collection épigrapliique du palais Giovio, à Corne,
contient une épitaphe dont la fin, devenue illisible, n'est pas
même, si mes souvenirs ne me trompent, arrivée jusqu'à
nous tout entière.
En tête de cette inscription qui me paraît appartenir aux
dernières années du sixième siècle, est gravée, aux deux côtés
d'un vase, l'image d'un agneau soutenant une longue croix
latine.
J'avais renoncé, non sans regret, à connaître dans toute son
étendue, un texte dont le début semblait promettre une for-
mule intéressante, lorsqu'un manuscrit de Peiresc, signalé
ET QVI PRESVM8ERI
T IN DIEM IVDICII
NON RESVKGAT.
Je n'ignore pas que ces deux textes peuvent se rapporter au célèbre ver-
set du psaume l'^'" : Ideo non résurgent impii injudicio, verset que les Pères
expliquent dans des sens divers, mais conformes à la doctrine de la résur-
rection générale (Cyrill., Catech. xvm, 14; Ambhos., Enarr. in Psalm.
1, Lvi ; Theodor., In Psalm. i, 5 ; Greg. Tor., Hist. Fr.,x, 13, etc.). Mais
dans le cas même oîi les rédacteurs des inscriptions que l'on vient de lire au-
raient eu ce passage en vue, il ne faut pas oublier qu'il a parfois été pris
dans un sens absolu. C'est ainsi que le comprenaient Lactance (vu, 20, 21)
et le prêtre dont parle Grégoiie de Tours (Hist. Fr., x, 13).
' Bosio, Roma Sotteranea, p. 436:
MALE PEREAT INSEPVL
TVS lACEAT NON RE
SVRGAT CVM IVDA
PARTEM HABEAT
SI QVIS SEPVLCRVM
HVNC VIOLAVERIT
CONTRE lE DOCME DE i.A IlÉsURUECTIOIN. 123
à mon uttentioii par le savant M. Léopold Delisle, a mis
sous mes yeux une copie complète du monument.
Je reproduis cette transcription ancienne :
B M
HIG REUVIESCIT IN l'Af'.E FAAIVLA Xl'I GVAT
ELDA SPE QVE VIXET IN HOC SECVLO
ANNVS PL. M. LI DEPS SD 111 RAL SE
PTB ITER HIC BEQVIESCVNT BASILi
VS FILIVS IPSIVS VNA C FILIO SYO
GVNTIVNE QVI ViXET IN HOC SECVLO
ANNVS PL M XL ADIVRO VVS 0
MNES XPIANl ET TE CVSTVDE BEAT(/).
IVLIANI PER DO ET PER TREMENDA DIE
IVDIGII VT HVVE SEPVLCRVM VIOLARI
NVNQVAM PERMITTATIS SED CONSERVET(Mr)
VSQVE AD FINEM MVNDl VT POSIM
SINfi IMPEDIMENTO IN VITA REDIRE
CVM VENERIT QVI IVDICATVRVS EST VIVOS
ET MORTVOS '.
• Cette dernière formule atteste la persistance du sentiment
combattu par les Pères.
Pour les chrétiens dont elle termine l'épitaphe, l'espoir de
' Bibliothèque impériale, supplément latin, n" 101, t. i, f" 16. Cotte copie
contient quelques inexactitudes. Voici celle que j'ai prise à Côme :
B M
HIC HEQV1E.SCIT IIM PACE
FAMVLA XPl GVWTELDA
sp F QVI vixiT IN HOC .SE {Spectobilis fcminci)
CVLO ANNVS PS MS L
DPS S D m KL. SEPT
ITER HIC REQVIESCVNT
EASILIVS FILIVS IPSIV VNA C
FiLIO SVO CVKTIONE QVI VIXIT
150 11' UN AIIGLMENT DES l'REMIKUS SIÈCLES DE NOTRE ÈRE.
la résuiTection devait donc s'évanouir, si la terre ne recou-
vrait leurs restes jusqu'à la consommation des siècles.
L'adjuration étrange qui démontre cette croyance n'éton-
nait apparemment ni les fidèles, ni le gardien d'église aux-
quels elle s'adressait ' . Le centre chrétien dans lequel vécurent
(luntelda et ses fils semble donc avoir professé, comme eux,
une de ces erreurs que Grégoire de Tours nous montre conçues,
développées par la réflexion, l'étude, même chez un ministre
du Seigneur.
C'est là une des vicissitudes à travers lesquelles Dieu a
voulu faire croître et mûrir dans le cœur des hommes, l'idée
consolatrice qid marque le plus nettement l'avènement de la
Foi nouvelle.
EDMOND LE BLANT.
ÏN HOC SECVLO ANWVS PL MS L (^)
ADIVRO VOS OMNES XPIATJI...
liVKC SErVLCR
RovELLl [Sloria dl Como, 1789, in-4", t. i, p. 329) n'a rien déchiffré au-
delà du mot OMNES. Le défaut de temps et surtout un groupe sculpté, placé
maladroitement devant le bas du marbre, m'ont empêché d'étudier la fin
très fruste du fragment parvenu jusqu'à nous.
' Une autre inscription du nord de l'Italie parle aussi des prêtres gardiens
d'un sanctuaire (Maffei, Mnseuvi Veronense, p. 181).
NOTE SUR DES MARMITES EN BRONZE
CONSERVÉES DANS QUELQUES COLLECTIONS
ARCHÉOLOGIQUES,
à propos (ïun vase de ce genre trouvé à Caudehec-
les-Elbeuf, en 1 86 1 .
Le 9 mars 1861, une marmite en bronze, possédant ses
trois pieds et deux supports pour une anse qui a disparu, a
été trouvée à Saint-Pierre-lès-Elbeuf (ancien territoire de
Caudebec-lès-Elbeuf). Ce vase, qui fut recueilli en creusant
les fondements d'une maison, gisait à une très-petite pro-
fondeur ifig. 1).
Ho-, i _ Paint-Pir.rro lès-Elbciif (1801).
^28 NOTES SUR LES MARMITES EN BRONZE
Il était vide et sans couvercle, muni de deux tenons et
d'une anse en fer ; pour le reste, il ne présentait aucun signe
distinctif. Sa grandeur est celle d'une marmite ordinaire.
Cet objet est entré dans le cabinet de M. Tronel, amateur
d'antiquités, à Elbeuf. Consulté à ce sujet par M. le curé
d'Amfreville-la-Mivoie, près Rouen, voici quelle a été ma
réponse :
« Monsieur l'Abbé et cher Confrère,
« Je vous remercie beaucoup d'avoir bien auguré de ma
bonne volonté, mais hélas ! dans la question que vous me
soumettez, la lumière manque complètement, à moi d'abord,
et à d'autres aussi, je le crains bien du moins.
« La marmite en bronze, dont vous m'envoyez le dessin,
est chose vulgaire en archéologie ; toutefois, ce n'est pas
chose éclaircie. A ma connaissance, votre marmite est la
septième de ce genre trouvée dans la Seine-Inférieure. Je
crois que le Musée de Rouen en possède au moins cinq. En
tout cas, voici dans quel ordre et dans quelles localités elles
ont été découvertes : à Lillebonne, en 1856; — aux Loges,
près Fécamp, en 1843; — au Val-de-la-Haye, près Rouen,
en 1846; — et à Tourville-la-Chapelle, près Dieppe, en
184.7. La sixième a été recueillie à Vatteville-la-Rue , en
1859'.
« Le Musée d'Abbe ville en possède aussi cinq, trouvées
dans l'arrondissement communal de ce nom. — M. Houbi-
gant, de Nogent-les-Vierges (Oise), en a deux dans sa collec-
tion, l'une trouvée à Riaux, près Liancourt, en 183-4, et
• Cette marmite moins grande que les autres avait une anse en fer et elle
contenait un chandelier ou porte-lampe en cuivre. Elle est conservée chez
M. le docteur Gueroult, à Caudebec en Caux.
CONSEUVÉKS DANS QUELQUES COLLECTIONS ARCIlliOLOGIQUES. 121)
l'autre aux environs du Cani}) de Cnteiioy, près (lermont
(Oise).
M Dans les reproductions qu'il a faites des objets qui com-
posent sa collection d'antiquités bellovaques, M. Houbigant
fait figurer parmi les objets romains ou gallo-ronuiins qu'elle
renferme, une marmite et un chandelier. Au bas de la planche
on lit cette attribution : « Marmite et flambeau trouvés près
du Camp de Catenoy. On croit que ces objets étaient à l'u-
sage des soldats et qu'ils sont du Bas-Empire. » J'ai hâte
d'ajouter que rien ne semble motiver cette assertion. Le
Musée de Nantes renferme une marmite recueillie dans les
marais de Donges (Loire-Inférieure). Le Catalogue de 1856 la
qualifie de gauloise ', mais sans motif ni fondement.
« M. de Caumont me paraît beaucoup plus sage quand il
dit dans son Bulletin Monumental, t. xxiv, p. 9 : « Il existe
« à Poitiers et dans beaucoup de musées, des vases en cuivre
« montés sur trois pieds comme nos marmites et sur l'âge des-
« quels je n'ose encore me prononcer, (^elui que je reproduis
« aurait été, d'après l'indication du Catalogue manuscrit^
« trouvé dans un cercueil, à Saint-Maurice de Gençay
« (Vienne). »
» Maintenant, Monsieur l'Abbé, il faudrait examiner et
discuter les faits, afin de savoir quelles conséquences on peut
tirer de ces prémisses. Par elles-mêmes, ces marmites ne
disent rien; elles ne portent ni date, ni attribution, ni carac-
tère distinctif quelconque. Le milieu dans lequel elles se
trouvent peut seul éclairer leur origine. Or, la plupart sont
trouvées en terre ou dans des marais, ce qui ne détermine
rien. Quelques-unes ont été rencontrées avec des chandeliers
' GuÉRACD et BAKEi^iTEAC, C'aUiloguc du Musée archéologique de Nantes,
publié en 1856, p. 91.
TOMK Y!. 10
130 NOTES SUR LKS MARMITES EN DUONZE
de bronze renfermés dedans. Ainsi en fut-il h Uiaux (Oise),
en 185i, et aux Loges (Seine-Inférieure) , en 1845. {fîg. 2 et
h
3.
Lfis Logos (pics Fécamp), J845.
3). Mais les chandeliers ou pieds de lampes eux-mêmes sont
mal-aisés à déterminer. On en trouve de semblables jusqu'au
XIV« siècle'.
<< Cependant aux Loges, la matière s'éclaire d'un jour
nouveau, car avec trois chandeliers la marmite renferme
trois cuillères en cuivre; et sur chacune de ces cuillères figure
une fleur-de-lys. Ce signe trahit assez l'époque capétienne
et le Moyen-Age chrétien, du moins pour le dépôt des Loges.
A présent, tous les autres dépôts du même genre, et non
déterminés avec la même précision, doivent-ils rentrer dans
cette catégorie? Je ne le pense pas. D'où il suit que pour le
cas que vous me proposez, aucune conclusion un peu sé-
rieuse ne saurait être tirée sans une connaissance bien ap-
profondie du milieu dans lequel gisait la marmite de Saint-
Pierre-les-Elbeuf. D'après le peu que vous m'en dites, je
' L'abbé Coublet et H. Duskvel, Rei'MC àe l'Art chrétien, t. m, p. 14-15,
.%-:38, pi. J, (Ig 1.
O.OiNSERVÉES DANS QUELQUES COLLECTIONS AIICIIÉOLOGKJUES. 131
suis porté à croire que votre pièce n'est pas antique. Il doit
eu être de môme de la plupart de ses pareilles. »
l'aBBE COCHET.
P. S. — Ceci était écrit lorsque j'ai eu l'occasion de com-
muniquer mes observations à M. West-Wood, antiquaire
anglais d'Oxford. Ce savant
archéologue voulut bien
m'envoyer le dessin d'une
pierre tombale du XIV siè-
cle, conservée dans le Musée
d'York. On y voit au milieu
une croix fleurie à chacune
de ses branches, et à droite et
à gauche une cloche et une-
marmite en bronze sembla-
ble aux nôtres. Ces deux
instruments, rares sur les
tombes chrétiennes du
Moyen Age , paraissent à
notre savant confrère indi-
quer la sépulture d'un fon-
deur de métaux. Ce curieux
monument était autrefois
placé dans l'hôpital de Saint-
Mary'sAbbey,àYork(^</.4).
De cette pièce il résulterait,
ce me semble, qu'au XIV®
siècle on fondait encore des
marmites comme les nôtres. La longue durée de ces marmites
explique sans doute leur abondance dans les collections.
l'abbe c.-t.
Yoik, Musée. — Pierre tombale du XIV».
SYMBOLISME
du Cantique des Cantiques
S'il nous manquait une preuve pour établir l'autorité du
sens allégorique dans les Livres saints, le Cantique des Can-
tiques, ainsi nommé par un hébraïsme qui en exprime l'ex-
cellence, nous en donnerait une sans réplique. Tl n'en est pas
de plus absolue, en effet, puisque rien dans ce Livre sacré ne
doit être pris à la lettre, et qu'il faut le lire comme une figure
prophétique de la sainte union de Jésus-Christ et de son
Eglise. Ce point une fois décidé par l'unanimité des docteurs,
depuis Origène, regardé par saint Jérôme comme s' étant
surpassé dans l'exposition qu'il en a faite ^, jusqu'à Bossuet
et Michaélis dans leurs doctes scholies, on n'a plus qu'à
laisser aux excès de la pensée humaine les détestables aber-
rations qu'elle osa produire à ce sujet. Qu'à la suite de
Théodore de Mopsueste et d'autres ennemis de nos vérités
' Extrait d'un ouvrage inédit de l'auteur qui aura pour titre : Histoire du
Symbolisme religieux.
* S. HiKRONVM., Prœfatio in orig. Cantic.
SYMBOLISME TW CANTIQUE DES CANTIQUES. -133
religieuses, Bcze, Gi'otiiis, Voltaire, Renan, vautrent donc
leur imagination en de honteuses turpitudes ; qu'ils se fossent
de l'Esprit-Saint, de l'Eglise, des âmes les plus pures, autant
de complices de leurs calomnieuses traductions... ce liber-
tinage impie est jugé ! A Dieu ne plaise que nous le com-
battions ici ! mais nous devons dire comment le sens littéral
n'est pas admissible, et pourquoi le symbolisme est seul ac-
ceptable : double assertion que nous désirons prouver.
Et d'abord, quel est l'objet naturel et obvie de ce poème
oriental ?4L)'est un épi thalame composé en vers, dont la me-
sure nous est inconnue, comme celle de tous les vers hé-
breux; où l'Epoux et l'Epouse, dans un dialogue empreint
du caractère enthousiaste de la poésie asiatique, s'expriment
une tendresse nnituelle et chantent les douceurs de ce pur
amour. La vivacité du style, qu'animent des images aussi
colorées qu'inusitées chez les nations de l'Occident et le dan-
ger qu'il y aurait eu à livrer cette lecture aux jeunes esprits
dont l'inexpérience aurait pu transporter à des idées phy-
siques ces expressions mal comprises encore d'une affection
toute surnaturelle, avaient fait interdire ce livre aux Juifs
eux-mêmes jusqu'à l'âge où se pouvaient exercer les fonc-
tions sacerdotales ' . Ce n'est pas le seul bon ouvrage qu'on
ait dû éloigner ainsi de certaines intelligences trop peu ca-
pables de s'en bien servir. Les premiers chapitres de la
Genèse, entr'autres, n'étaient donnés aux Israélites qu'après
l'âge de trente ans. Il faut donc s'être entièrement éloigné
des véritables sentiments du Christianisme, de la vénération
due aux saintes pages d'où jaillissent ses dogmes et sa
' s. HiERON., Prœjatio in Ezechielem. — D. Calmet, Commentaire sur
la Genèse, in -4", p. 155. — Bossokt, Maximes et réflexions sur la Comédie
n° XXI.
134 SYMBOLISME
morale, pour avoir vu dans celle-ci une œuvre purement pro-
fane, indigne des constantes inspirations qui dominent tout
le reste, sans prendre garde à cette impérieuse alternative
qui doit faire adopter tous les livres de la Bible comme ve-
nant de Dieu, ou les faire tous rejeter également s'il en est
un seul qui n'en vienne pas.
Le consentement unanime fies auteurs dont l'Eglise s'ho-
nore, celui des docteurs juifs, qui tiennent ce livre, aussi
bien que nous, pour canonique et sacré, l'a fait regarder
comme un chant mystérieux inspiré à Salomon , non par son
union avec la fille du roi d'Egypte, mais par un esprit de
prophétie qui, sous les feintes apparences d'une pastorale,
décrit les célestes amours du Christ et de l'Eglise. L'opinion
contraire soutenue par l'évoque de Mopsueste, qui préten-
dait n'admettre qu'une réalité purement matérielle, parut
une impiété aux Pères du second Concile général, tenu à
Constantinople, en 555 : elle fut une des erreurs qui firent
prononcer sa condamnation ' . La lettre n'est donc rien dans
ce poème de la Sagesse éternelle. Il ne faudrait pour s'en
convaincre qu'étudier ce qu'en ont dit les plus beaux génies
de tous les siècles, et apprécier justement des autorités telles
que Théodoret, qui ne peut certes passer pour trop mystique,
saint Jean Chrysostôme, saint Cyprien, saint Basile, les deux
saints Grégoire de Nice et de Nazianze, le V. Bède, saint
Grégoire-le-Grand, saint Bernard, saint Thomas d'Aquin, et
d'autres encore, tous suivis par les plus illustres commenta-
teurs modernes. Aux yeux de ces grands hommes, le Can-
tique est un écrit i)urement spirituel. Ceux qui bazardèrent
une explication opposée, et n'y virent que l'expression d'un
* V. Concilium Constantinop. V, apud P. Labbe, ad ann. 553. — Tille-
mont, Mém. pour servir à l lliUoire ecclésiastique, t. xix, p. 440.
DU CANTIQUE DES CANTIQUES. 135
mariage cliarnel se laissèrent prendre à quelques termes mé-
taphoriques, dont un peu plus d'étude et de réflexion leur
eût fait découvrir le sens véritable. Les parfums, les baisers,
les cheveux, le cou et autres détails tout humains dans l'ac-
ception propre des mots, ne leur parurent que des choses
sensibles, et cette grossière explication devait amener néces-
sairement d'autres idées plus grossières encore... De là les
orgies d'imagination de Voltaire et de ses complices dont le
criminel sensualisme n'estimait rien qu'à la mesure du déver-
gondage de leur esprit. Rien n'était plus facile que d'éviter
ce piège, où s'est perdu leur honneur d'écrivain, en se sou-
venant que les autres livres bibliques sont pleins de sem-
blables allusions ; que les Prophètes surtout s'en servent à
profusion en mille endroits que nous pourrions citer ' , et
qu'en suivant la trace des interprètes les plus respectés
ils fussent arrivés au même terme sans compromettre ce
qu'ils pouvaient avoir de sens commun et de bonne foi.
Bossuet fait observer avec la justesse qui le distingue, que
le Psaume 44" est dans le même cas et ne peut s'entendre
que d'une noce mystique dans laquelle l'union future du
Verbe divin se prépare d'avance avec l'humanité qui soupire
après lui ^. On rencontre presque à chaque ligne de nos
Livres saints des mots et des choses qu'il ne faut prendre
que dans un sens indispensablement figuratif. Tel est, entre
mille autres, dans notre Cantique, le 4" verset du chapitre ii
où l'Epouse dit de son p]poux qu'il a réglé en elle l'exercice
de la charité ^ — Quel autre amour que celui de Dieu, qui
implique celui du prochain et celui de soi-même, aurait be-
' V. le chapitre xvj d'Ézéchiel.
- Bossuet, Prœfat. in Cantic. Canticor.
^ Ordinavit in me charitatem (Cant. ii, 4 )
436 SYMBOLISME
soiii (l'être réglé et pourrait l'être? Ou ne parlerait pas en ces
termes d'une passion terrestre à qui tout frein est un joug
qu'elle supporte impatiemment. Ce n'est qu'en Dieu et dans
les choses qui tiennent à lui que se trouvent la modération
des désirs et l'usage sagement rîiisonné des sentiments na-
turels : ce qui fait dire par saint Augustin , que si quel-
qu'un voulait comprendre beaucoup de passages du divin
Cantique selon la réalité charnelle, il favoriserait moins en
lui la charité véritable qui doit naître du commerce des
saintes Lettres, que les sentiments criminels d'une coupable
volupté ' .
Quant à l'action qui se développe sous la plume inspirée
de Salomon, il paraît bien que ce sage prince a voulu en faire
une sorte d'églogue, dont la forme convenait mieux aux
usages civils des mariages de son temps. Rien n'oblige de
croire que cette forme ait été inspirée, et l'esprit particulier
de l'écrivain a pu la choisir dans l'ordre d'idées quilui conve-
nait le mieux . Mais il paraissait tout simple qu'une union my-
stique fût représentée par l'union naturelle de deux époux,
celle-ci ayant été sanctifiée dès le principe par Dieu qui l'in-
stitua.
Les personnages de ce petit drame, qui se conduit d'ail-
leurs avec autant d'habileté littéraire que de feu, de délica-
tesse et de variété, se réduisent à deux, l'époux et l'épouse.
Mais leur rôle change et se représente à diverses fois, sous
trois aspects diiFérents. C'est ici particulièrement qu'il faut
reconnaître la transparence du voile allégorique sous lequel
on les retrouve toujours. Tour-à-tour roi et reine, ou bergère
' Velut si quis quani multa scripta sunt in Cantico canticorum cainalitcr
accipiat, non ad hiniinosrc chaiitatis fructum, sed ad libidinosai cupiditatis
effcctum (S. Aigist. De Spirilu cl iJtleru, c. 3.)
DU CANTIQUE DES CANTIQUES. 137
et pasteur, ou vigneron et simple fille des champs, travail-
lant aux soins de la vigne et des jiirdins, on les voit se revê-
tir par anticipation des traits que le Nouveau-Testament
donnera un jour au Sauveur et à l'Eglise fondée par lui. Et
comme il sera roi, d'après sa propre et infaillible parole *, il
sera encore le bon ])asteur, le pasteur souverain de tous les
bercails ^; il sera la vigne et môme le vigneron^ agissant tou-
jours de concert avec son Père, à qui il donne cette qualifi-
cation dans l'Evangile ^ Pour l'Eglise, il n'est pas un caracr
tère de Jésus-Christ qu'elle ne revête ; elle s'anime de son
esprit, elle vit de sa vie; sa mission terrestre n'est que la
continuation de la sienne. Avec lui elle est reine ^ ; elle
coopère au travail de son époux^ dans le champ où Dieu cul-
tive, arrose et donne l'accroissement; elle paît les brebis et
les agneaux ^.
Ces traits généraux sont parfaitement conformes à l'idée
que l'Evangile nous donne du Sauveur et de son Eglise. Ils
servent encore à nous démontrer pour une foule d'autres, que
l'Esprit saint les a toujours en vue dans le livre que nous ana-
lysons. Mais ce qui n'est pas moins merveilleux, et ce qui
prouverait que de hautes et saintes autorités l'ont considéré
sous le même aspect, c'est le soin que saint Jean et d'autres
auteurs sacrés semblent avoir eu de nous montrer, soit dans
l'Apocalypse, soit dans les Evangiles, sous les mêmes figures
' Dixit Ei Pilatus : Ergo Rex es ïu i Respondit Jcsus : Tu dicis quia Rox
sum Ego (JoAN., xviij, 37.)
^ Ego sum Pastor bonus (Joan., x. 14.) — Rex super eos et Pastor unus
erit omnium eorum (Ezech., xxxvij, 24.)
^ Ego sum vitis vera, et Pater meus agricola est (Joan., xv, 1.)
* Astitit Regina a dextris tuis, Deus>(Ps. xlix, 10.) — Piinceps ipse sedebit
in Ea (EzÉcii , xljv, 3.)
'' Pasce agnos nieos.., Pasce oves meas (Joaw., xxi, 16, 17.)
138 SYMltOLISME
de l'Époux et de l'Epouse ce même Sauveur, cette môme Eglise
que uous devons voir dans le cantique de Salomon. Après les
avoir dépeints sous les mûmes traits dans la parabole des
vierges folles et des vierges sages, après avoir rattaché mainte
autre comparaison à ce poëme des anciens jours qui semble en
avoir éveillé la pensée, ce sont toujours des épouses parées
pour recevoir l'Epoux ', des vierges prudentes entrant aux
noces avec lui par une porte qui se referme aussitôt ' ; c'est
saint Jean-Baptiste appelé Vami de V Époux '\ — Ce titre
d'Epouse admet nécessairement des conséquences très-appli-
cables à l'Eglise dans sa maternelle fécondité. C'est à ce titre
qu'il faut lui approprier les paroles de l'Epoux, que « ses
mamelles lui sont plus douces que le vin \ — N'est-ce pas en
effet, comme du sein de l'Eglise que s'épanche en forme de
lait nourrissant, la doctrine surnaturelle du salut? Uans douze
passages du Cantique cette même expresssion se renouvelle
et se plie à des explications identiques. Le moyen-âge l'avait
bien compris et le rendit admirablement, entre mille autres
sujets d'iconographie dans une des belles verrières de Bourges.
A l'un des médaillons supérieurs de cette grande page où
l'Apocalypse se résume en quinze scènes des plus significa-
tives, on voit représentée une reine assise, vêtue de rouge
et de vert (charité et régénération), comme fort souvent le
Sauveur, et laissant paraître à découvert ses deux mamelles
où deux hommes puisent de leur bouche la vie et l'immorta-
lité. De ses deux mains étendues elle tient sur leur tête une
' Sponsam paratam sponso suo (Apoc. xxl, 10.) — Rapprochez ce que nous
disons ici do notre explication de ce passage de l'Apocalypse, ci-après.
* Virgines quae paratae erant intraverunt ad nuptias, et clausa est janua
(Math., XXV, 10.) ,
"' Amiens Sponsi (Joan., ix, 29.)
* Meliora sunt ubera tua vino (Cant. iv, 10).
DU CAISTIQUE DES CANTIOUES. i'i\)
cguroiinc. C'est rcniblcmc de l'éternelle récompense accor-
dée an saint empressement des enfants de Dieu vers les biens
surnaturels. C'est en môme temps la traduction du Cantique :
Meliora sunt ubera tua vino ; et celle d'Isaïe engageant les
amis de Dieu à puiser aux mamelles de ses consolations^ à sa-
vourer ce torrent qui les inonde de gloire^ à se faire porter sur
ses genoux, et suspendre à son sein ' . On voit que tout ici
respire le sentiment d'une mère, et combien tant de passages
s'expliquant naturellement Tun par l'autre, rendent aussi
très-naturel le sens chaste et honnête qu'il faut toujours
donner à la parole de Dieu.
Voyons maintenant comment une fois entré dans ce fond
de pensées allégoriques, le poëte doit simplement en élaborer
les détails et ajuster à son sujet les ornements qui en dépen-
dent. Qui n'a point remarqué jusqu'à quel point de singu-
larité, explicable seulement à ceux qui prennent au sérieux
les études bibliques, s'élève la poésie de l'Orient? Son langage
ne connaît rien de trop expressif. Pas d'images donc qu'elle
n'admette, de formes hardies qu'elle ne choisisse, de simple
objet qu'elle ne colore, de limites grammaticales qu'elle
n'excède. Cette vivacité de trait, favorisée par une nature
toujours bouillante des ardeurs locales, se révèle à chaque page
et s'empare d'un choix de termes, dont s'étonne l'imagination
plus froide denos pays tempérés. Mais, de même qu'en lisant
les poètes du Nord, comme ceux du moyen-âge ou de la
basse latinité, il faut faire la part du caractère du peuple qui
s'y reflète, apprécier ses habitudes propres et ses idées na-
' Sugatis et repleamini ab ubere consolationis ejus, ut mulgeatis, et deliciis
affluatis ab omnimoda gloria ojus... — Declinabo super eani (Jérusalem , autre
Symbole de l'Église et de lame fidèle ) quasi fluvium pacis, et quasi torren-
tem iuundantem gloriam gentiuni quain sugetis ; ad ubera purtabimini, et super
gciiua blandientur vobis (Isaie, Ixvj, 11 et 12.
140 SYMBOLISME
tionales, dont le style se ressent toujours : ainsi faut-il jugier
la poésie des Hébreux d'après les influences de leur ciel qu'elle
a dû subir. Partout la littérature ressemble à certaines
plantes indigènes : leurs dispositions générales, l'agencement
des feuilles, des pétales et des corolles, la forme et l'attitude
des fleurs et des fruits qu'elles étalent, ont une certaine ex-
centricité, plus ou moins étrange à ceux qui n'habitent pas
les plages où elles s'épanouissent: elles n'en ont pas moins
leurs beautés réelles que goûte une analyse raisonnée et qui
élève notre âme au ciel avec leurs parfums et leurs couleurs.
Mettons-nous donc, pour juger sainement des poèmes de la
Bible, au point de vue du peuple qui les écrivit. Saisissons
l'esprit de son langage si expansif dans la concision ferme de
sa phrase énergique ; et nous serons moins étonnés des scènes
vivement colorées de l'auteur, et du tour littéraire qu'il leur
donne. Jusqu'alors, ni depuis, aucun époux ne s'était avisé
de comparer son épouse aux plus belles cavales du char d'un
prince, ses joues à celles d'une tourterelle, ses yeux à ceux
d'une colombe; encore moins ses cheveux à un troupeau de
chèvres, et ses dents à une réunion de brebis tondues, puri-
fiées dans le lavoir ' . Mais toutes ces similitudes s'expliquent
aisément pour quiconque a l'expérience des bestiaires trans-
mis par les anciens à nos pères du moyen-âge. On reconnaît
par une foule de souvenirs en quelles proportions peuvent
plaire à un jeune homme les allusions tirées de la vitesse pro-
verbiale des coursiers de l'Orient, l'élégance modeste et l'in-
violable fidélité de la tourterelle. Le troupeau de chèvres rap-
' Equitatui meo in cuiribus phaiaonis assimilavi te, arnica mea, pukhrse
sunt genaj tu;i! sicut turturis (Cant. i, 8 et 9). — Oculi tui columbarum...
Capilli tui sicut gt'cgi-s caprarum, quïe asconderunt de monte Galaad. . . Dentés
tui sicut gregcs tonsaïuni quue asconderunt de lavacio.. (Ib., iv, 1, 2.)
DU CAMTIUUE Hliï^ CAMIUL'KS. 141
pelle cette indépendance de lu volonté ([ui ne s (MK^lniine qu'à
un objet aimé *. Kt dans tout cela ne voit-on pas autant de
traits fort convenables au cœur d'un Dieu qui, en se taisant
homme, a consenti de même à lier sa toute puissance, et à
consacrer dans l'union intime qui l'attache à notre nature
réformée par lui les plus tendres preuves du plus généreux
amour ?
De son côté, l'épouse ne reste pas au-dessous de ces har-
dies métaphores. Le nom de son bien-aimé est comparé à
l'onction d'une huile parfumée ; lui-môme, il est une grappe
de raisin de Chypre dans les vignes d'Engaddi, un chevreuil,
un faon de biche ^ . Et ainsi dans tout le cours de cette fraîche
et naïve pastorale tout ce que la nature crée de vif et de
gracieux, d'agréable et de beau, tout ce qu'estiment les per-
sonnages divers qui se succèdent, pauvres ou riches, rois ou
bergers, dans ce drame plein de mouvement et d'effet, est
successivement adapté par le poëte à la situation changeante
de ses héros. De là, l'intervention si fréquente de ces mille
objets de comparaison qui rapprochent d'eux les plantes aro-
matiques, les oiseaux, les détails de la vie champêtre, et le
luxe des habitations royales, et l'opulence des meubles et
des habits. Le lys des champs, la fleur des vallées deviennent
les emblèmes de la simplicité de l'épouse et de la pureté de
son cœur. L'Epoux est beau comme le cèdre et le palmier.
Le lit nuptial s'embellit de colonnes d'argent; le marbre, le
bois précieux, les baumes les plus exquis ornent et parfument
leur demeure. On voit briller sur leurs vêtements l'or et le
' V. Tous les Bestiaires ou Pkisiologucs donnés par le Moyen-Ago : Hugues
de Saint- Victor, Théobald, Guillaume-le-Noimand,et beaucoup d'autres dont
nous parlerons.
* Oleum effusum nomen tuum (Cant, i, 2.) — Botrus Cypri dilectus meus,
in vineis Engaddi (i, 13.) — Similis capreae hinnuloque cervorum (ii, 10.)
14-2 SYMDOLISiME
saphir; l'hyaciiitlie et l'ivoire s'y mêlent et témoignent,
connue tout le reste, des vertus intérieures dont ces pamres
ne sont que la noble et riche expression. Il est clair que de
telles bouches ne distillent que des rayons de miel ; de tels
époux ne peuvent se nourrir que du vin le plus pur et du
lait le plus exquis. Dans leurs jardins ne croissent que des
arbres choisis, aux fruits délicieux : la vigne féconde, l'at-
trayante grenade, l'olive et la noix h l'huile abondante et
pure. Et remarquons bien qu'il n'est ni un de ces fruits, ni
un de ces arbres qui n'ait dans la flore morale, dans la bota-
nique sacrée, une signification toute mystique, sur laquelle
nous aurons occasion de revenir.
Au jugement de plusieurs interprètes que résument D. Cal-
met, dans la préface de son commentaire littéral, et Bossuet
dans son exposition latine, l'action racontée par le poëte hé-
breux se divise en sept journées, et fait allusion en cela aux
usages suivis dans les mariages des Orientaux. On sait que
chez les Israélites en particulier, les cérémonies de noces se
prolongeaient pendant sept jours, ce nombre sacré étant
donné par une raison symbolique à l'œuvre importante qui
devait perpétuer celle de la création. Ce rite fut exactement
observé dans les mariages de Jacob, de Samson et de Tobie.
Là encore une foule de paysages se rapportent évidemment
à ces habitudes qu'on pourrait reconnaître, de nos jours
même, dans ce pays aux mœurs constantes et immobiles. Les
voyageurs modernes constatent cette persistance des antiques
mœurs patriarcales parmi les arabes de la Palestine. Outre
que le langage de ces peuples est plein de figures et de pa-
raboles, le cérémonial du mariage ne diffère que par quelques
omissions insignifiantes de celui que nous lisons dans l'histoire
des temps bibliques.
Un ancien consul de France envoyé par Louis XIV dans
DU CAM'IQl'l-; bliS TA^tTIOlES. 14.'}
le Levant a pu y leniarquer ces usages des populations mu-
sulmanes, chez lesquelles se sont conservées les traditions
des premiers temps, et il observa que tout se passait à
une noce dont il fut témoin selon la description du Cnu-
tique des cantiques. Il y vit l'épouse se tenaut debout', at-
titude officielle, indice de la haute opinion qu'on se faisait
de son mérite, recevoir les félicitations de plusieurs des in-
vités commis à cette charge, et qui tour-à-tour firent l'éloge
de sou visage, apostrophant ou ses yeux, ou sa bouche, ou
ses joues, ou sou cou, et célébrant ainsi tous les détails
de sa personne en des termes hyperboliques tels que ceux
qui nous surprennent le plus dans le livre inspiré ^. On con-
çoit que dans cette énumératiou la poésie du style ne faisait
abstraction d'aucun des détails que repousserait la civilisation
européenne, et dont les races primitives n'avaient pas à se
scandaliser comme nous. C'est ce qui explique les nombreuses
expressions répandues dans le Cantique, le dialogue, parfois
si extraordinaire à notre sens, qui s'établit entre les deux
époux, et les comparaisons inattendues qui y fleurissent.
Pour peu qu'on ait d'ailleurs l'habitude des Livres saints,
et même celle des ouvrages profanes de la littérature orien-
tale, il suffit de rappeler en faveur de ces excentricités d'une
parole aussi imagée, une foule de textes où les choses qui
nous semblent aussi délicates ne sont pas traitées autrement,
et dont nous ne méconnaissons la portée réelle qu'à dé-
faut de cette simplicité des mœurs et de la foi qui faisait
tout accepter sans autre importance que celle de la pensée
dominante. Il ne faut voir là qu'un langage humain, comme
celui qu'employait saint Paul pour faire entendre aux Romains
' Astitit Regina a dextris tuis, Deus (Ps., xlix, 10.)
- Le chevalier d'Hervicux, cité par Sacy dans sa Frvfacc de l'Jpocalypse.
M4 SYMBOLISME
qu'après avoir été, dans le paganisnie ou dans le judaïsme
à jamais déchus, les esclaves de l'impureté et de la prostitu-
tion des sens, ils ne devaient plus consacrer ces mômes
membres qu'à des œuvres d'innocence et de sainteté ' . Il
n'en est pas autrement quand Dieu établit dans l'institution
du mariage que l'homme et la femme deviendraient une même
chair -; qiuxnd Ezéchiel, de la part du Très-Haut, rappelle
à Jérusalem l'état d'abaissement où l'avaient réduite son
apostasie et ses passions , les bienfaits divins dont elle
avait été l'objet, et la tendre piété dont il protégea sa jeu-
nesse en couvrant sa nudité, en purifiant ses souillures na-
tives ^ Certes, tout ce contexte est formé d'expressions peu
admissibles aujourd'hui dans notre langue, qu'on appelle la
plus polie du monde, et qui ne le sera cependant jamais à
l'égal de celle des Israélites. Ainsi pourrions-nous citer mille
autres endroits.
Qu'y a-t-il donc dans ce style de moins extraordinaire
que dans celui du Cantique de Salomon? Et pourquoi, mécon-
naissant à dessein, ou par ignorance, une appréciation qui
doit se faire jour dans l'interprétation de tous les dialectes,
' Humanum dico pi opter infirmitatom carnis vcstijc: Sicut ciiim exhibuistis
membra vestra seivire immunditisc... Ita nunc cxhibcte membra vestra servire
in sanctificationem (Rom. vi, 24.)
- Itaque eiunt duo in una carne [Gen., ii, 24.1
* Quando nata es, in die ortus tui, non est preecisus umbilicus tuus, et aqua
non es Iota in salutem, nec sale salita, nec involuta pannis... Projecta es super
faciem terrse in abjectione animée tuae... Transiens autem per te, vidi te con-
culcari in sanguine tuo... Vive, dixi... in sanguine tuo vive... Et grandis ef-
fecta... Pervenisti ad mundum muliebrem, ubera tua intumuerunt, et pilus
tuus germinavit ; et eras nuda et confusione plena; et transivi per te, et vidi
te, et ccce tempus tuum, tcinpus amantiuni, et cxpandi amictum ineum super
te, et operui ignominiam tuain, etc., etc. Voir tout ce passage dans Ezéchiel,
ch. XV j.
1)1" CANTIOCI': DKS CANTIOrKS. l-io
(les esprits si digues <Vune mitre tache se sont-ils ciTorcés de
souiller la pensée divine de lu fange de leurs mauvaises pen-
sées? Outre que cette injustice sacrilège avait contre elle les
enseignements de la raison, des plus illustres savants, de l'E-
glise elle-même, mère assez peu accoutumée à pervertir ses
enfants, ces doctes génies de tous les siècles qui brilleront
à jamais dans l'auréole du Christianisme, se respectaient as-
sez sans doute pour ne transiger avec aucune des moindres
exigences de la pudeur publique et de la sainteté des plus
chers devoirs. Or, tous se sont unanimement accordés sur
cette exégèse de la sainte parole, tous ont blâmé d'une répi-i-
mande sévère, soit dans leurs écrits, soit dans les assemblées
ecclésiastiques, le téméraire orgueil de ces traducteurs hété-
rodoxes qui n'ont voulu voir qu'un sens vulgaire et d'autant
plus regrettable dans ces mystiques épanchenicnts du plus
chaste amour qui fut jamais. Ne jugeons donc point ces pages
vénérables avec le sens de l'homme terrestre et charnel.
Remontons à ce mariage saint qui unit le premier homme à
la première femme avant la chute originelle; considérons ces
noces innocentes dans le caractère élevé que Dieu leur donna,
et qui furent eu tout, dit saint Augustin, dignes de l'heu-
reuse demeure où elles se firent ' ; — et nous verrons dispa-
raître l'enveloppe matérielle pour ne plus admirer dans cet
épithalame sacré que l'union prophétisée de l'Epoux divin et
de l'Epouse «• choisie avant tous les siècles » ^; qu'un chant
mystérieux honorant dans l'Incarnation l'alliance du Verbe
' Illae nuptiae dignœ felicitate paradisi ; nam quum ordinatè se animus vin-
cit, ut iirationales motus ejus menti rationiqué subdantur, si tamen et illa
Deo subdita est, laudis atque virtutis est (S. Adgust., De Civitale Dci,
lib. xii, c. 23. — V. aussi saint Thomas d'Aquin cité par Vives dans sa Glose
sur ce passage de ce Père .
* Elegit nos ante mundi constitutioncm {Ei)hes., /. 4.)
' TOME YI . 11.
1 40 SYMBOLISME
avec lu nature humaine, ou avec l'âme juste à laquelle il
s'unit également, soit dans ce môme mystère, soit clans la
nourriture Eucharistique. Enfin, dans cette terminologie qui
blesse au premier abord notre fausse délicatesse, nous n'aper-
cevrons plus que des modes d'une langue à part, d'une ac-
ception qui n'a plus rien de naturel, et qri ne peuvent se
comprendre que par les âmes spirituelles. C'est pour ces âmes
seules que l'Esprit- Saint les a dictés. Voulant donner
une signification morale à des sentiments physiques , et
prédire pour la consolation des justes de son temps les fu-
tures destinées de l'Épouse-Vierge qui devait descendre de
Salomon selon la chair, il s'est servi des mêmes mots qu'em-
ploie nécessairement la parole des hommes. L'amour appli-
qué à Dieu n'est pas autre que l'amour ressenti pour la
créature, sinon qu'il a pour objet un Etre infiniment plus
digne, vers lequel il s'élève tout épuré des émotions sen-
suelles. C'est toujours cette même flamme invisible, spiil-
tuelle qu'on sent en soi sans pouvoir la définir justement,
et dont la chaleur active préoccupe notre cœur d'une fin quel-
conque, plus ou moins digne de lui. Ainsi beaucoup d'autres
expressions modifient autour de celles-là leur modification
propre, y passent à une forme nouvelle, uniquement figurée.
La lettre n'est plus là; l'esprit seul y règne et donne une
vie bien supérieure à ces choses, à ces paroles qui sans lu^
eussent continué de ramper dans les conditions intimes de
leur nature vulgaire.
L'Allemagne du Moyen Age nous a laissé l'héritage poé-
tique d'un de ses plus illustres Meister Sanger ou maîtres
chanteurs^ troubadours de cette contrée alors si naïve dans
la littérature chrétienne. Henri Frauenlob, dont la mémoire
est encore vénérée à Mayence, aimait à célébrer dans ses
beaux vers, à la fin du XlIP siècle, les saintes et pudiques
1)11 CANTIQUE DKrf CANTIQUF.S. M7
beiuités (le la foiiinie chrétienne dont il prontiit le type dans
celles de la Vierge Mère de Dieu. Dans un hymne admirable
de sentiment et de poésie, il chante les chastes amours de la
Dame vierge et du Seigneur roi qui en a fait sa fiancée.
C'est une reproduction très-reconnaissable, sinon une imita-
tion fidèle du Cantique des cantiques; et là ce poète si mo-
deste par sa retenue habituelle, s'empare de toutes les
scènes, de toutes les images, de toutes les expressions de
l'œuvre biblique, et sa langue s'y prête si docilement à la
pensée que nous n'oserions actuellement le traduire sans
d'importantes modifications, tant il y manque de précautions
et de voiles ! Accuserait- on de téméraires étrangetés cette
muse à qui son siècle a décerné la couronne de la chasteté et
de la candeur? Disons plutôt que ce siècle n'avait ni les
tendances ni les passions désordonnées du nôtre. Les trou-
vères et leurs chants plus ou moins licencieux, qu'on oppo-
serait peut-être ici à nos raisonnements, ne sont qu'une
preuve de notre thèse, et quand on parlait, quand on écri-
vait, quand on chantait ainsi sous l'égide sacrée de la plus
chaste des religions, il fallait bien que la pensée fût plus
pure que la langue ne semblait l'être, et que les poètes,
comme les sculpteurs et les peintres, missent beaucoup moins
de licence dans celles de leurs œuvres qui nous étonnent, que
de pureté naïve dans leurs intentions qu'on n'apprécie pas
assez ' .
Il est bien entendu que les auteurs romans que nous si-
gnalons ici, ne sont point de ceux qui s'appliquèrent à des
* V. le recueil allemand : Heinrichvon moisscii des Frauenbes. Lciche,
Spriicke iind Lieder — (Hymnes, Proverbes et Chansons de Henri de Meissen
Frauenlobes). — V. encore Drecx-Duradieu : Récréations historiques, t. i,
p. 129 et suiv.
14f> SYMliOLISME
œuvres profanes. Si le sentiment religieux peut éi)urer la
pensée et l'expression qui tendent à un enseignement divin,
il n'est que blâmable de consacrer l'une et l'autre à des écrits
dont le but est de llatter, en les excitant, les plus déshono-
rantes passions.
Loin de nous dune Salomon et la Sunamite. Loin même un
roi purement allégorique et le peuple en qui reposeraient
toutes ses alFections. Rien de tout cela n'existe dans les
deux personnages du poème sacré. Il faut y adorer le souffle
divin, appliquant à notre conduite ses pieuses leçons. C'est
ce que comprendra quiconque se sera dépouillé, comme dit
saint Paul par une autre allégorie, du vieil homme, de ses
œuvres sensuelles, et aura revêtu comme une robe de sim-
plicité et d'innocence, l'Esprit qui donne la conuiiissance de
Jésus-Christ ' .
D'ailleurs, ces raisons d'interdire tout autre sens que ce-
lui de l'allégorie, ressortent de l'esprit du judaïsme: car elles
existaient déjà chez les Juifs qui ne voulaient rattacher qu'à
Dieu et à la Synagogue, aimée de Lui et l'aimant elle-même,
les choses sensibles qui symbolisaient cette union, véritable
symbole aussi du mariage virginal contracté sur le Cal-
vaire^.
Nous avons signalé comme les plus complets et les plus
remarquables de tous les deux Commentaires de saint Ber-
nard et de Bossuet sur notre Cantique. Ils nous semblent,
en effet, réunir à eux deux, quoique avec des caractères di-
' Expoliantes vos veterem hominem cum actibus suis, et induentes novum
(Coloss. 111, 9.y
* TiiÉODORET, Prœfatio in C'antic — Voir comment saint Isidore de Séville
explique très naturellement de la Synagogue et de l'Eglise qui lui a succédé
tout ce chapitre vije et viij'^ du Cantique (S. Isid. Hispal. ad app appendix
vj. — Migm;, t. vij, col. 1130.)
Dl' CAMTIQIJK DES CANTIQUES. 149
vers, ce que les Pères des premiers siècles ont dit de plus
substîintiel et de mieux approprié au sujet. Tous deux s'ac-
cordent, avec leurs devanciers, sur le point culminant de
l'interprétation, et n'y voient qu'une continuelle allusion à
la vie spirituelle de l'Epoux mystique et de l'Epouse qui
règne avec Lui sur le monde régénéré des âmes chrétiennes.
Bossuet, plus docte dans ses recherches, plus occupé du sens
nsiturel des mots, résout les difficultés grammaticales en
même temps ([ue celle de l'exégèse ; par là il aide à une tra-
duction exacte; il sauvegarde l'intégrité du texte, il n'ou-
blie rien de ce qui en élucide les obscurités. Nous ne croyons
pas qu'il soit possible de. rapprocher plus ingénieusement que
ne l'a fait ce grand génie, les passages bibliques analogues à
ceux qu'il creuse et approfondit. Mais c'est toujours au sens
allégorique et spirituel qu'il tend et qu'il arrive; c'est par là
qu'il perfectionne l'examen de chaque verset. Avec ce beau
Commentaire, en un mot, on va jusqu'au fond de la phrase,
on comprend la lettre et on adore ri]sprit.
Saint Bernard, pour être moins érudit, s'attachant moins
au dehors historique, se dégage d'autant plus de la lettre, et
spiritualise tout ce qu'il dit. Pour cette âme habituellement
nourrie aux sources de la contemphition solitaire, c'est évi-
demment le mysticisme qui doit dominer la pensée interpré-
tative : il s'y adonne exclusivement, et fait de son Com-
mentaire l'un de ses plus beaux ouvrages, tant par la piété
onctueuse que par le génie de son intuition ascétique. Ele-
vant ses pensées aux choses du Ciel, il prend occasion d'une
phrase, d'un mot, pour établir une suite de considérations
pratiques qui reviennent toutes à l'avancement de l'esprit et
du cœur dans les voies de la perfection évangélique. Le saint
Docteur a donc fait un livre de la plus haute utilité pour les
âmes appelées de Dieu à la vie intérieure. Aussi, ce livre
J50 SYMBOLISME
a-t-il mérité sur tous les autres de môme genre, dus à cette
plume si laborieuse, la préférence des meilleurs juges '. C'é-
tait, en partie, le fruit des méditations de l'abbé de Clair-
vaux, lorsque en 1155, après ses fatigues en Poitou, pour
les aifaires du schisme de Gérard d'Angoulême contre le pape
Innocent II, rendu enfin à sa chère solitude et caché dans
une cabane de ses grands bois ', il fut amené par les événe-
ments auxquels il avait pris une si grande et si glorieuse
part, à considérer dans l'Eglise, battue par tant de tempêtes,
cette Epouse obscurcie, il est vrai, aux regards des hommes,
par l'éclat trompeur du soleil de la terre', mais toujours belle
de ses grâces intérieures, aimée d'autant plus, et d'autant
plus glorifiée par l'Epoux céleste, qu'elle était méconnue de
ses propres enfants qui l'outrageaient, par ses protecteurs
naturels qui la dépouillaient du sacré vêtement de sa foi * . De
ces saintes et mélancoliques pensées, renfermées d'abord dans
l'âme du pieux anachorète, naquirent des développements
communiqués bientôt à l'âme de ses religieux qui l' écoutaient
chaque jour aux conférences du monastère; ce qui fit que peu
après, un autre Bernard, prieur de la Chartreuse-des-Portes,
en Bourgogne, lui demanda pour lui et ses frères, une copie de
ces édifiantes instructions ^ On voit par les lettres du Saint
qu'il s'y refusa longtemps, ne comptant point faire un ou-
vrage de ces simples instructions destinées seulement aux
* SixTus Sepjeînsis, Bihliotheca sancla,\\h. iv.— GrKRiiices, abbas Igma-
ccnsis. Serm. 3, de SS. apostol. Petro et Paulo.
* Inlroductio in app. S. Bernardi ; init. t. i, lib. ii, c. 6.
•* Nigra suin sed formosa (Cant. i, 4.)... Nolite considerare quod fusca sum,
quia decoloravit me sol {ib. 5.) — Voir l'exposition plus au long do ce Nigra
sum, dans le serm. xxvj.
* Custodes perçusse lunt me, et vulneraverunt me ; tulcrunt pallium nieuiu
(Cant., V. 7)
» S. Bjcun, Epistola^ 141, 153 et 154, pp. 70 et 109, t i.
DV CANTFQUE DES CANTIQUES. 451
Ames qu il gouvernait. Cependant de nouvelles instances
triomphèrent de ces difficultés; il céda, et c'est ainsi que
furent écrits, en plus grand nombre, les sermons sur le Can-
tique des Cantiques'. Car, étant mort en H 53, et les 45'
et 46" faisant allusion à l'hérésie de Pierre de Bruys, qui
mouidten H 47, on ne peut douter que cette année-là en-
core, et peut-être aussi pendant les six autres qui suivirent,
il ne continua ses entretiens sur la même matière. Quelques-
uns de ces derniers appartiennent, d'après ses biographes ^, à
Gilbert Hoylandus, moine de Cîteaux, dont les souvenirs et
le style ont pu nous transmettre ce qu'il avait entendu de la
bouche du saint et éloquent abbé.
Dans ce travail, dont chaque sermon est proprement un
chapitre et qui forme par son ensemble le IIF tome de l'édition
de 1 679, les inductions morales, les règles pratiques ressortent
du texte avec les considérations affectives d'un cœur inspiré.
Quiconque le lira dans les conditions que l'auteur exige en
commençant, y trouvera un charme qui va jusqu'à la séduction
et qui retient le lecteur, comme malgré soi penché sur ces
pages si douces ^ Telle dut être l'attention religieuse de ces
hommes d'élite retirés avec saint Bernard dans le silence de
leur ombreuse vallée, lorsque après les fatigues de chaque
journée, rangés le soir autour de lui sous les voûtes romanes
d'une vaste enceinte au jour assombri, saisis par le respect
' Sixte de Sienne s'est trompé en attribuant les 86 discours à la dernière
année de la vie de saint Bernard. L'éditeur de Lyon que nous suivons (1679,
6 tom. en 2 vol. in-f"), a restitué leurs véritables dates à une grande partie
d'entre eux au commencement du t. m, verso du titre (I*'" vol. p. 274.)
* SixTK DE Sienne, loc. cit.
s Ante carnem disciplinse studiis edomitam et mancipatam spiritui ; ante
spretam et abjectam sseculi pompam, indigne ab impuris lectio sancta prae-
sumitur [Serm i, n" 2.)
152 SY.MDOLlS.Mn
des Écntures et par la présence de, ce grand Saint qui domi-
nait ce cloître comme son époque, ils écoutaient les révéla-
tions du livre divin, pleins du recueillement où nous devrions
tous le lire et le méditer. Comme cette transformation des
choses humaines en pensées divines devait alors leur paraître
belle ! Comme la foi devait les élever au-dessus des sens et
de la simple raison sous la pénétrante influence de cette ma-
jestueuse parole ! et comme ce symbolisme inattendu, ex-
primé du texte en un torrent de science sacrée, était bien
propre à jeter d'avance à ces âmes pures et recueillies, avec
le méi)ris des voluptés mondaines, quelque rayon précurseur
de la lumière du Ciel !
Si accoutumé, en effet, (pi'ils pussent être à l'étude du
symbolisme, auquel nul d'entre eux n'avait pu jusqu'alors
demeurer complètement étranger, comme le font supposer
plusieurs passages de ces allocutions ', ils devaient peu s'at-
tendre d'abord à ce renversement absolu de leurs perceptions
ordinaires, à voir surgir de tant de mots difficiles à manier,
de tant de positions si périlleuses à l'homme charnel, ces
vives fleurs de piété, ces douces leçons de chaste pudeur.
C'est que plus l'expression paraît gênante, suspecte aux
oreilles des profanes, plus elle devient facile et nette dans
cette large et étonnante traduction, dont chaque ligne trace
un emblème de la vertu, dont chaque mot est pris à partie,
et se change en quelque précepte inespéré. Cherchons-en une
idée exacte par quelques citations de cette aimable et ingé-
nieuse habileté.
« D'où vient, dit-il en commençant, d'où vient à cet écrit
de Salomon le nom de cantique des cantiques, qui n'est donné
à aucun autre dans l'Écriture? Moïse, Débora, Judith, la
' Voir ht Cuniuv, Scnii i. n" 6 et 7
nu CANTIQUE DES CANTIQUES. 153
mère de Samuel, d'autres proplictes nous ont laissé des chants :
aucun d'eux n'est décoré de ce titre. Salomon lui-même ne
prétend pas faire du sien le témoignage de sa reconnaissance
pour .la gloire et les richesses qu'il tient de Dieu, pour la paix
qui immortalise son règne, pour la sagesse qu'il avait pré-
férée à tout. Son cantique a un objet bien supérieur, et il le
désigne par un caractère d'excellence, parce qu'une ins])i-
ration divine y célèbre les louanges du Christ et de son Eglise,
la grâce d'un saint amour, le mystère d'un mariage éternel.
Là soupire le désir de l'âme sainte dans son épithalame spi-
rituel. C'est le plus beau de tous les éloges, mais dont le sens
n'est que figuré, car le poëte sacré y voile sa face comme
Moïse, personne alors ne pouvant encore supporter de son
regard l'éclat radieux de cette face divine ' . »
Bientôt, le saint baiser que souhaite l'épouse au commen-
cement du 1" chapitre ' devient le symbole des ardentes as-
pirations de la Judée vers 1-e mystère promis de l'Incarnation.
De là, le saint commentateur passe au sens moral : il veut
que l'âme chrétienne aspire également au saint baiser de Jé-
sus-Christ qu'à présent elle possède. Comme elle l'aime quand
elle l'a goûté ! Comme elle souhaite d'y revenir ! Mais ce bon-
heur n'est point à celle que charge encore le poids de ses pé-
chés, que dominent les passions de la chair, qui recherche
d'autres jouissances que celles de l'esprit. Et comme il y a
divers degrés dans la perfection par laquelle on s'élève à Jé-
sus-Christ, et au bonheur tout spirituel de le connaître et de
l'aimer, ce que saint Bernard appelle le saint baiser de sa
bouche pure et sacrée, '< il y a aussi, ajoute-t-il, avant d'ar-
' In Cantico, serm. i, n" 5.
- Osculetur van osculo oris sui, quia moliora sunt ubeia tua vino (Cant.
r, 1.
154 SYMBOLISME
river à cette grâce suprême, de moindres bonheurs qu'il faut
mériter et obtenir. Ame convertie, épouse nouvelle du Sei-
gneur, n'aspirez donc tout d'abord qu'au pieux baisementde
ses pieds, prosternée avec le publicain, rampante avec Ma-
deleine pécheresse; témoignez ainsi votre repentir, versez
sur ces pieds divins des larmes qui vous purifient, devenez
ainsi une de ces brebis qui remontent du lavoir dégagées,
comme des sou'llures d'une toison onéreuse, des affections
mondaines et de l'attache aux vanités. Cette humble confes-
sion vous vaudra d'entendre les consolantes assurances de la
réconciliation que vous cherchiez: vos péchés vous sont re-
mis; relevez- vous, fiille de Sion, de la poussière de votre es-
clavage. »
De là, le pieux symboliste passe à un second degré de la
vie intérieure: c'est le second baiser; c'est celui des mains
sacrées de Jésus-Christ. On n'y arrive qu'en persévérant dans
la pureté recouvrée à ses pieds, qu'en veillant de près sur
soi-même, afin de ne plus souiller la robe d'innocence qu'a-
vait rendue la miséricorde du Sauveur. Parvenu donc à ces
mains bienveillantes, on trouve dans l'humble baiser qu'on
leur donne une force supérieure pour s'élever à d'autres ver-
tus. « Alors ce sont ces mains pleines de grâce qui versent à
l'âme l'énergie de la continence, les fruits de bonnes œuvres,
le courage d'entreprendre toujours plus. L'humilité accom-
pagne ces dons et les couronne, car ce n'est point de soi-
même qu'on les a acquis. Et si on les a reçus, comment
pourrait-on se les attribuer? »
Mais voici l'heureux succès de ces dignes efforts qui se
complète. Après ces faveurs saintement reçues, on peut en
désirer de plus grandes. Les grâces de choix autorisent à
une plus active confiance, etnous arrivons à ce baiser, chaste
et précieux indice d'une union parfaite, dans laquelle l'E-
DU CANTIQUE DES CANTIQUES. 155
poux des Vierges nous conmiunique tout sou esprit, qui ne
fait plus qu'un avec le nôtre ' . »
Cette affluence de pensées, cette abondance de dévotes
théories règne ainsi du commencement à la fin de cette belle
exposition. Ce baiser pacifique inaugurant dans l'œuvre de
Salomon, roi de la paix^ tout ce chant nuptial de l'Agneau
divin, fournit, comme une source intarissable, la matière des
neuf premiers discours de saint Bernard, et y devient l'occa-
sion d'une merveilleuse glose, où en étendant les trois prin-
cipes susdits du progrès de l'âme dans la spiritualité, on voit la
nature de Dieu et celle des créatures spirituelles et corporel-
les définies avec un admirable mélange de sublimité et d'onc-
tion, la Miséricorde et la Justice caractérisées dans les termes
de la plus haute et de la plus claire théologie, l'esprit de la
piété monastique fortifié dans la pratique de l'amour divin par
l'étude des meilleures règles de la psalmodie et de l'oraison.
Et tout le reste du livre marche avec cette même richesse
d'imagination, cette même justesse de rapprochements, jus-
qu'à devenir un traité, le plus complet qu'on nous ait jamais
donné peut-être des exercices de la perfection chrétienne et
religieuse. Et parmi ces riantes fieurs jetées avec autant d'art
que de simplicité dans cette fraîche composition, on entend
le saint Docteur frapper de sa charitable éloquence le relâche-
ment et la paresse, exalter la ferveur, encourager le faible,
exciter le fort, faire ressortir tant de mouvements divers d'un
fond qu'il sait accommoder à toutes les situations de la vie
parfaite. Parfois môme il y trouve une source de tendresse
affectueuse d'où son âme s'élance tout entière avec une tou-
chante effusion de sentiment. Ayant par exemple à expliquer
le 4® verset du I®"" chapitre^, il fait remarquer le mot Cedar,
' In Cant. serm. m.
' Nigra sum sed formosa sicut tabeinacula Cedar, sicut pelles Salomonis,
15G SYMBOLISME
qui signitic en hébreu les ténèbres ; il le rapproche des lenLes
de Salomon^ image, par leur beauté mystique, de la vie cé-
leste des élus, et s'étend sur les ténèbres morales de cette
vie passagère, où nous habitons comme une tente ce corps
mortel, dont l'âme immortelle doit s'échapper un jour vers la
demeure impérissable de sa vie à venir. Pendant ce séjour
de la terre, l'âme contracte toujours quelque tache qui ternit
l'éclat de sa beauté : Niyra sum. Le commentateur déplore
donc les maux de cet exil, où tout fait naître pour le cœur
humain tant d'amertume, et prend de là occasion de s'é-
pancher sur la mort de son frère Gérard, moine de Clair-
veaux, qui vivait avec lui sous la règle commune, et que les
plus belles qualités rendaient si digne de ses regrets. Ce dis-
cours prononcé en 1158 est le vingt-sixième. On croit y
entendre les lamentations d'un prophète. Tout y est saisis-
sant de sentiment fraternel et de religieuse résignation. Les
accents de cette douleur si profonde et si vivement exprimée
expliqueraient tous seuls quels éléments de charité s'entrete-
naient au foyer de ce cœur si aimant et si pur.
Nous pourrions en prolongeant cette analyse faire un gros
livre. D'autres ont déjà traité au long cette matière que nous
ne pouvons qu'effleurer. Mais en fait d'explication de ce
livre et de l'Apocalypse dont nous essaierons au même point
de vue un plus ample développement, nous recommandons
surtout celle qu'en a donné en ces derniers temps une pieuse
anonyme d'Italie, pauvre et sublime religieuse d'un couvent
de Naples, vivant avec l'Esprit de sagesse en de merveil-
leuses communications. Cette exposition, approuvée de plu-
sieurs maîtres fort savants dans les choses spirituelles, ren-
ferme une application symbolique de ce beau cantique aux
secrets les plus élevés du mysticisme chrétien. Ce sont des lu-
mières nouvelles et inattendues qui viennent encore indiquer
DU CANTIQUli DES CANTIQUES. J 57
le livre divin comme une source véritable et sûre des plus
ravissantes contemplations ' .
Notre but devait être différent, et en le poursuivant sans
préoccupation aucune de la vie ascétique, nous avons pu,
croyons-nous, démontrer au moins l'esprit symbolique d'une
des plus belles églogues de la Bible. C'est beaucoup de voir
saint Bernard s'y recueillir avec tant de vénération et en
faire un tel profit. On s'est tant efforcé de ranger le pieux
docteur parmi ceux qui n'avaient que faire du Symbolisme;
on l'a revêtu malencontreusement d'une si étrange igno-
rance du langage figuré de la sculpture chrétienne de son
siècle, qu'il est utile à notre cause d'avoir prouvé que ce
grand génie du XIP siècle admet bien réellement avec la
tradition catholique, si bien connue par lui, cette règle impé-
rieuse autant qu'immuable de l'exégèse chrétienne.
l'abbé auber
Charoine de l'église de Poitiers.
' V. Explication des saintes Ecritures par une servante de Dieu, Le Can-
tique et V Apocalypse, publiés par D. Luigi Navano, t'. F"", avertissement,
in 8°, 1855.
BiBLiOGRAPHIE
HISTOIRE DE SAINT FIRMIN, Marti/r, premier Evêque d'Amiens, ■par
M. Charles Salmon. Arras, Rousseau- Leroy , 1861, ^-8° de 523 pages.
[10 fra7ics.)
L'examen superficiel de la Collection des BoUandistes, étalée sur
les rayons d'une bibliothèque, ferait peuser un moment que l'ha-
giograpliie a dit son dernier mot : l'étude sérieuse de ces in-folio
compacts mène à un sentiment opposé ; elle montre que tous les
fruits d'une érudition trois fois séculaire ne sont pas encore venus
à maturité. Si les personnages que la Religion a mis sur l'autel ai-
mèrent Dieu par-dessus toutes choses, ils aimèrent aussi beaucoup
l'humanité, et celle-ci a contracté à leur égard une dette de recon-
naissance qu'elle ne saurait trop payer. La plupart des Saints ont
mérité des statues sur la place publique ; on s'était jusqu'aujour-
d'hui contenté de leur en élever dans les temples, notre époque a
trouvé l'hommage insuffisant, et saint Bernard, monté sur le pié-
destal de Dijon, étend sa main de bronze pour appeler autour de
lui, Martin, Rémi, Amand, Vaast, Omer, Bertin et cent autres aux-
quels nos pères sont, comme nous-mêmes, redevables d'une double
félicité. L'histoire des Saints primitifs, c'est l'histoire du progrès
chez les nations modernes, de la lutte du bien contre le mal, de la
civihsation victorieuse de la barbarie, de la vérité écrasant l'erreur.
Le beau génie, le grand cœur, le parfait chrétien qui s'appelait
Frédéric Ozanam a consigné ces idées dans quelques pages, honneur
des lettres et de la science françaises ; M. de Montalembert s'est
complu à développer les généralités esquissées par Ozauam : mais
leur plan, à tous deux, est trop vaste pour aborder les questions de
détail et se restreindre dans les étroites limites d'une ville ou d'une
miîLiuGUAi'im:, IfiO
piovince. Concenlrer raclion religieuse d'iinc cité siii riiDinuio qui
lui aunonra la lîonne Nouvelle, c'est à dire la liberté, est une tAche
qui demanderait à peu près autant de volumes que l'on compte de
grands centres de population eu France; celte tâche, lieureuseracnt,
n'exige pas assez d'unité pour incomber à un seul écrivain, elle
peut se répartir entre tous les historiens locaux et chacun tl'eux a
le droit d'apporter sa pierre à l'édifice commun. Telle a dû être la
pensée de M. Charles Solmon, en offrant à sou pays natal une His-
toire de saint Firmin, martyr et premier cvêque (V Amiens.
Firmin,né à Pampelune en Navarre, converti à la Foi chrétienne
par saint Honeste et saint Saturnin, cet évêque que saint Pierre en-
voya dans les Gaules sous le règne de l'empereur Claude, Firmin,
issu d'une maison sénatoriale, était à l'âge de dix-sept ans aussi
versé dans les lettres profanes que dans la doctrine catholique.
Promu au sacerdoce, puis à l'épiscopat, par saint Honorât qui,
après Saturnin, occupa le siège ensanglanté de Toulouse, le jeune
Espagnol - il avait alors trente et un ans, reçut avec joie la mission
d'aller prêcher l'Evangile aux nations lointaines; patrie, famille,
biens terrestres, il abandonna tout sans hésiter pour obéir à la pa-
role du divin Maître. Les Pyrénées franchies, Firmin commença
son apostolat en Guyenne, d'où il gagna l'Auvergne ; faisant un
brusque retour vers l'Ouest, il parcourut successivement l'Anjou et
la Normandie : enfin, il pénétra dans la Gaule-Belgique et s'arrêta
chez les Bellovaques. Précédemment évangélisé par saint Lucien,
compagnon de saint Denys l'Aréopagite, le peuple de Beauvais n'é-
tait pas étranger au dogme nouveau, Firmin obtint du succès;
bientôt dénoncé au gouverneur Valerius qui reconnut en lui un
redoutable adversaire, il fut battu de verges et jeté en prison. Il
allait cueillir la palme du martyre, lorsqu'une circonstance fortuite
brisa ses chaînes et le rendit aux chrétiens avides d'écouter la pa-
role ardente de sa charité. Le danger évanoui, l'apôtre courut en
affronter un pire ; quittant les Bellovaques en pleurs, il se rendit à
Amiens où divers miracles et des conversions multipliées signa-
lèrent sa présence. Les Morins encore plongés dans les ténèbres de
l'idolâtrie ne pouvaient non plus échapper au zèle de Firmin;
inaccessible à la crainte, il aborda résolument cette race sauvage et
parvint à y implanter quelques semences de bon grain. Amiens,
i60 mBLiOGRvriiiE,
ioutefois, ville chérie du saint Pontife, ne le vil pas longtemps éloi-
gné de son territoire. Au retour de Firmin, les oracles devenus
muets, les sacrifices interrompus à la suite de ses prédications pu-
bliques irritèrent au dernier point les prêtres des idoles qui portè-
rent leurs doléances au tribunal des gouverneurs Longulus et Sé-
bastien, Ceux-ci abandonnant leur résidence de Trêves arrivèrent
immédiatement chez les Ambiani -poin' combattre le champion sus-
cité par le Dieu des Chrétiens. A l'arrestation décrétée contre lui,
l'Évèquc répondit en s'offraut spontanément à la colère des Pro-
consuls : il confessa généreusement devant eux la Foi de Jésus-
Christ, et la récompense ne se fit pas attendre ; un bourreau noc-
turne décapita le martyr au fond d'un sombre cachot. Bienfaits et
dévouements sortent rarement de la mémoire du peuple ; le corps
de Firmin, inhumé par le sénateur Faustinianusdans une sépulture
de famille, reçut aussitôt l'hommage des fidèles que de nombreux
prodiges attiraient en foule à Abladène. Un jour vint néanmoins,
où les traces du vénérable tombeau disparurent complètement; on
connaissait son existence dans l'enceinte de la Cathédrale élevée par
saint Firmin le Confesseur, mais on ignorait le lieu précis qu'il y
occupait. Jaloux de rassembler dans la nouvelle église, dont il ache-
vait les constructions, toutes les reliques appartenant à l'ancienne,
Saint Salve, évêque d'Amiens (VI? siècle) adressa au Ciel de ferventes
prières pour obtenir la révélation des restes de son glorieux prédé-
cesseur. Dieu consentit à exaucer les désirs de Salve ; saint Firmin
le Martyr, exhumé cinq siècles après son trépas, fut renfermé dans
un coffre en bois doré et déposé au sein d'une crypte bâtie à cette
intention. Vers I HO, les Amiénois, répondant à l'appel de saint
Geoffroy, offrirent à leur saint Patron une custode beaucoup plus
riche que la précédente; la piété démonstrative du Xfll® siècle fit
encore davantage ; en 1204, une troisième châsse, due à l'initiative
de Thibaut d'Heilly^ reçut les dépouilles mortelles de Firmin. Cette
nouvelle fiertre était d'or pur, couverte de ciselures et de joyaux ;
les excès du deinier siècle l'anéantirent, et, si quelques auteurs ne
l'avaient pas minutieusement décrite, il n'en serait demeuré aucune
trace, faute de dessins.
Les faits dont le résumé précède sont complétés par l'Histoire du
culte de saint Firmin en Picardie et en Espagne.
BIBLIOGRAPHIE. 161
M. Salmon expose avec clarté et mélliotlo, et sa narration four-
mille de détails cnrienx. Il est seulement regrettable que des récits
de miracles et de cérémonies publiques, liés intimement à Thisloire
politique d'Amiens, soient noyés ça et là dans des longueurs faciles
à éviter. Les hagiographes primitifs étaient des chroniqueurs, pré-
parant la besogne des historiens futurs; pourquoi l'écrivain, ou-
blieux du titre imprimé sur le frontispice de son livre, a-t-il parfois
délaissé la sévère concision du style historique pour s'enfoncer dans
les prohxités légendaires? Une seconde édition, nous n'en doutons
pas, fera justice des inutilités, elle les supprimera.
A côté d'alinéas, un peu trop déguisés en chapitres, surgissent
des pages nombreuses où l'érudition est servie par une plume ha-
bile. Citons eu première ligne un Résumé de l'histoire ecclésiastique
de la Picardie, qui sert d'introduction k l'ouvrage. C'est un hors-
d'œuvre, il est vrai, mais un hors-d'œuvre excellent, prouvant
chez son auteur une connaissance approfondie du sujet. Le cha-
pitre VI, Amiens sous la domination romaine, étude consciencieuse,
intéressante au plus haut degré, les Recherches sur les monuments
de la liturgie de saint Firmin, basées sur des pièces justificatives
multipliées à la fin du volume, sont également dignes de louange.
Toutefois, le point sur lequel nous nous arrêtons de préférence, et
pour le travail qu'il a coûté, et parce qu'il mérite en réalité un
éloge sans restriction, est le chapitre XII, intitulé ÉiJoque de la
vie et de la mort de saint Firmin. La France et l'Espagne, mises à
contribution par M. Salmon, lui ont fourni les arguments d'une
thèse soutenue aujourd'hui avec avantage par divers historiens.
Tirant profit des savantes recherches de Mi\I. Paillon et Arbellol,
de dom Piolin, d'Obanos et de Maceda, récrivain picard a fait pour
le diocèse d'Amiens ce que M. le chanoine Robitaille fait mainte-
nant pour l'Artois: il s'est efforcé de reculer jusqu'aux temps aposto
liques l'introduction du christianisme dans le nord des Gaules.
Suivant notre faible jugement, M. Salmon, contraire à l'opinion
des Bollandistes, prouve, sauf meilleur avis : 1° que saint Firmin
prêcha à Amiens vers la fin du I" siècle; 2° que cet Évêque souf-
frit le martyre au commencement du second, sous le règne de
Trajan.
L'exécution matérielle de l'œuvre laisse peu à désirer ; ce volume
TOME VI. 12
1G9 BlBLIOGHAPllIE.
de GOO papes prand iu-8" est remarquable sovis tons les rapports.
Aussi bien que Paris, la province compte de bons protes, de bons
correcteurs, voir même des imprimeurs dégoût; Arras possède
quelques-uns de cesderniers, et M. Rousseau-Leroy est du nombre.
Félicitons M. Salmon d'avoir rencontré un typographe aussi dis-
tingué ; nous devons à leur association un des plus beaux livres
sortis des presses artésiennes.
Deux bois, dessinés par l'habile M. Duthoit, ornent l'Histoire de
saint Firmin; elle en eût exigé davantage. L'une de ces gravures
représente la statue de l'Évèque, au grand portail de Notre-Dame
d'Amiens ; l'autre donne la figure d'une ancienne châsse d'argent
du XIII" siècle, restituée en 1850 à Mgr de Salinis qui y déposa,
le 14 juin 1851, les reliques du premier de ses prédécesseurs.
Quoiqu'inférieure eu richesse à la fiertre de Thibaut d'Heilly,
la custode fournie aux reliques de saint Firmin par la piété d'un
collectionneur anonyme, est néanmoins une œuvre d'art capitale.
Nous ne pouvons donc mieux terminer le compte-rendu d'un ou-
vrage trop peu ménagé par nous, — l'auteur est de nos amis, —
qu'en empruntant à M. Salmon la description du monument le plus
précieux qui soit au Trésor de la cathédrale d'Amiens. (V. la planche.)
Cette châsse est d'argent, ornée d'émaux, de ciselures et de
pierres diverses. Elle remonte à, la fin du XII® siècle ou au com-
mencement du XIIP; elle est donc contemporaine de la châsse que
le vandalisme de 1793 fit disparaître et qu'elle est venue remplacer.
Comme tous les grands reliquaires de cette époque, elle a la
la forme d'un tombeau. Elle est longue de O'^jTo, haute do 0'",48,
et de 0'",5-5, y compris les pommes qui la surmontent.
Quatorze statuettes garnissent ses quatre faces ; une adossée à
chaque extrémité contre les pignons, six sur chacun des grands
côtés.
Les deux pignons et l'arête du toit sont extérieurement bordés
d'une crête de 0'",035™, dorée, découpée à jour et très-déhcatement
travaillée. L'ensemble est sommé de trois pommes aussi en vermeil.
Au bas de la châsse, une plinthe saillante est ornée d'une guir-
lande courante émaillée, reproduite au-dessus et au-dessous des
douze statues latérales. Des inscriptions, or sur champ d'émail bleu,
remplacent les guirlandes aux pignons.
tllU-HKiJlAIMIIK.
1G3
164 BIBLIOGRAPHIE.
Sur riiii de ces pignons apparaît la statue assise de Notre-Sei-
gneur, vêtue d'une robe à larges manches, dont le bord est couvert
de broderies. Les pieds du Christ sont nus ; il bénit de la main
droite; la gauche qui s'appuyait sur un livre, a disparu. La tigure,
haute de 0'",26, est abritée sous une ogive trilobée. On lit à ses pieds
en lettres onciales :
t TE. PRECOR. VT. FACIAS. OMNI. ME. CRIMINI. PVDOREM.
Au-dessus .
t UERM. SOPHIA. PATRIS. QUE. REPLES. LUMINE. MUNDUM.
A l'autre extrémité, on voit une statue de femme tenant de la
main droite un sceptre; de la gauche, un livre à fermoir et plat
ciselé. Cette figure est haute de 0"',23.
En-dessous est écrit :
t FERT. OPPUS. AVTOREM. RETINES. CO. PROLE E. MVNDVM.
Au-dessus :
t EN PRETER. MOREM. GENITURA. PARITs GENITOREM.
Les douze figurines, placées sur les grands côtés, mesurent O^IS;
elles représentent sans doute les Apôtres, nimbés, pieds nus, un
livre dans la main gauche et barbus pour la plupart. Une arcature
en plein cintre, reposant sur des colonnettes et dont les tympans
sont occupés par des Anges à mi-corps, les ailes éployées, encadre
les compagnons du Sauveur.
Un riche bandeau où les pierres alternent avec l'émail, contourne
les encorbellements du toit, divisé lui-même en trois comparti-
ments creux que séparent des bandeaux identiques à l'ornement ci-
dessus. Chaque compartiment renferme deux personnages en demi-
relief, assis, nimbés et partout les mêmes. L'un desdits personnages
qui porte un nimbe double et festonné doit être Notre-Seigneur ;
l'autre n'a qu'un seul cercle autour de la tête.
eu. DE LINAS.
CHRONIQUE
Le Ministre de Fliilérieur de Belgique a adressé la circulaire sui-
vante aux gouverneurs de province. Nos lecteurs y trouveront
d'excellents avis pour la conservation des tableaux qui dépérissent
parfois dans les églises, faute de conseils ou d'expérience :
« Bruxelles, le 20 janvier 1862.
« Monsieur le Gouverneur,
« Les précautions que la conservation des tableaux exige, sont
simples et d'une exécution facile. L'expérience prouve cependant
qu'un grand nombre d'administrations publiques les ignorent ou
les perdent de vue.
« Souvent, en effet, la Commission des monuments est appelée
à constater le déplorable état dans lequel se trouvent des œuvres
importantes, soit à défaut de soins, soit par suite de mesures inin-
telligentes.
« A ma demande, cette Commission a résumé les points qui
doivent être spécialement signalés à des administrations commu-
nales, des conseils des hospices et des bureaux de marguilliers :
« 4° L'humidité est, pour les productions du pinceau, l'un des
agents les plus actifs de destruction : elle difforme les panneaux ou
consomme la toile et fait éclater la peinture par écailles. 11 faut
toujours que l'air circule derrière l'étendue entière d'un tableau.
Une légère charpente en bois peut être utilement établie pour pré-
server une œuvre de grande valeur, des inconvénients que présente
la proximité d'un mur souvent humide et quelquefois salpêtre ;
l()t) nilUiJiNiuuE.
« 2" L'aclioii du soleil est funeste et rapide. Les ravages qu'il
cause sont profonds et parfois irréparables.
« Des réclamations fréquentes se sont élevées contre l'habitude
de placer des rideaux devant les tableaux. On peut, jusqu'à un
certain point, obtenir un résultat équivalent en plaçant des stores
aux fenêtres par lesquelles le soleil pénètre, ou en couvrant le vi-
trage d'une couleur blanchâtre et mate ;
a 3" Autant que possible, il faut éloigner les cierges des ta-
bleaux.
« La fumée grasse de ces cierges forme, avec la poussière et
rimmidilé, une matière gluante qui ternit bientôt l'éclat de la
couleur.
« Le voisinage des cierges donne naissance à d'autres accidents,
et l'on pourrait citer des tableaux qui ont été troués par les élei-
guoirs ou endommagés par la chute de gouttes de cire brûlante;
« 4° La poussière et les traces d'humidité doivent être enlevées
à de fréquentes reprises et avec une délicatesse infinie. On doit,
pour cette opération, employer du linge fin hors d'usage ou des
morceaux de vieux foulard. Il faut éviter surtout l'application d'une
huile quelconque destinée à rendre aux tableaux un éclat momen-
tané. Cette huile s'imbibe dans la couleur, dans la toile ou dans le
panneau, et il devient impossible d'empêcher l'ouvrage de pousser
chaque jour davantage, au noir. L'huile employée dans ces con-
ditions exerce sur la toile une influence désastreuse.
« Il ne faut permettre qu'aux hommes de l'art de laver et de
nettoyer les tableaux. L'opération du nettoyage est celle qui détruit
le plus d'ouvrages, elle est sans contredit très-dangereuse. Les uns
se croient assez éclairés pour la tenter et sacrifient des chefs-
d'œuvre ; d'autres se vantent de posséder des secrets et leur travail
a le même résultat funeste.
« L'emploi du savon a toujours des conséquences fâcheuses et
doit être invariablement proscrit.
« 5" Le choix du vernis est une question sérieuse. On ne peut se
mettre assez en garde contre les compositions employées depuis le
renchérissement considérable de la gomme-mastic. Un mauvais
vernis fait gercer toute la superficie d'un tableau et parfois le perd
pour toujours. Le vernis doit, en général, être rafraîchi au bout de
C.IUVOMQUE. 107
dix ans environ, afin d'empêcher la cJiancissnrc et le dessèchement
de la couleur qid précède la production des écailles.
« Un tableau qui n'est pas protégé par le vernis, se couvre de
poussière, que riiumidité de l'air y fixe ensuite et fait pénétrer dans
tous les pores, de manière à modifier le ton gén(;ral et à augmenter
les chances de destruction. Le vernis ne peut être appliqué que par
des hommes compétents.
« Je viens d'indiquer, Monsieur le Gouverneur, quels sont les
souis, pour ainsi dire journaliers, que les tableaux anciens ré-
clament.
« Il serait difficile de dire quels sont les travaux de restauration
qu'il importe d'exécuter dans tous les cas particuliers qui peuvent
se présenter.
« La Commission royale des monuments s'empressera toujours
de donner, de concert avec MM. les commissaires de l'Académie
royale de Belgique, les conseils qui lui seront demandés au sujet
des questions délicates qui se rattachent à la conservation des
objets.
<( Dans tous les cas, même dans ceux qui paraissent les plus
simples, les administrations doivent user de la plus grande circon-
spection dans le choix des artistes auxquels les travaux de restau-
ration sont confiés.
« Je vous prie. Monsieur le Gouverneur, de vouloir bien porter
le contenu de cette circulaire à la connaissance des administrations
quGiSon objet intéresse. Elles apprécieront facilement l'importance
des conseils qui leur sont donnés, et combien elles engageraient
leur responsabilité, eu s'abstenant de s'y conformer exactement. »
LE MINISTRE DE L'INTÉRIEUR, ALP. VANDENPEEREBOOM.
— M. E. de Busscher a décrit, dans le Bulletin de l'Académie
royale de Belgique, les peintures murales découvertes en 1861 dans
la chapelle de Saint-Jean et Saint-Paul, à Gand. On y voit un arbre
de Jessé remarquablement exécuté. Jessé, portant une longue barbe
blanche, est coiffé du bonnet juif; sa tête repose sur un oreiller or-
nementé. La sainte Vierge qui fleurit au sommet de l'arbre, tient
un livre d'une main, et de l'autre, une palme d'or ; sa tête couronnée
168 CHRONIQUE.
est entourée de l'auréole. M. Jean Béthune doit reproduire en
grandeur naturelle ces curieuses peintures.
— M. G. d'Heilly en racontant dans la Revue des Beaux-Arts un
voyage qu'il a fait récemment sur les bords du Rhin, note la parti-
cularité suivante sur la cathédrale de Strasbourg : « Un gardien
spirituel et érudit m'a fait visiter la plate-forme. Les balustres et
parois sont couverts de noms incrustés dans la pierre, d'inscriptions,
d'adages, etc. On y trouve les grands noms de Goethe, d'Herder, de
Lcssing, de Gessner, de Wieland, et enfin celui de Voltaire qui est
gravé au coin à droite au-dessus de l'entrée qui conduit à l'horloge.
En 1798, la foudre brisa en deux la pierre, et ne laissa subsister
que la moitié de ce nom fameux : ....taire. Les gardiens de l'é-
poque ont bêtement reformé le nom entier. Il y avait pourtant je
ne sais quelle sombre fatalité dans le grand nom de cet ennemi du
Culte catholique, emporté par la foudre du Dieu dont ses écrits
avaient si souvent nié la puissance, l'infinité et même l'existence. »
— M. Grésy a lu à ses collègues de la Société des Antiquaires de
France, une Notice sur un timbre d'horloge du XV<^ siècle, conservé
au théâtre de Melun, portant l'inscription suivante : Ante omnia
fratres charissimi diligatur Deus deinde proximus. L'an MIIII^
lïIM^ XVIII me fit reffire M. N. Petit. Viennent ensuite les armes
parlantes de l'abbaye de Barbeaux : deux poissons adossés et sépa-
rés par une crosse en pal, à laquelle est suspendue une coquille.
L'anse est formée par un triangle trinitaire sur lequel reposent trois
têtes de moines. Serait-ce une traduction iconographique du pré-
cepte évangélique de l'inscription, un emblème de l'union frater-
nelle en Dieu ? Ce timbre monastique, auquel les machinistes du
théâtre réservaient un rôle assez déplacé, va figurer au nouveau
musée de Melun.
j. c.
Flanche V.
REVUE DE EART CHRETIEN
\m.
Echelle de ira 5,2'"'" pour raftlre
PLAN DE IJÉGLTSE S^. ETIENNE DE MEUS
el de soR Baplislère (Ardeche).
lilh tK.Besavarq-DuUlle-ux Arra';.
F, de S':Aîeca
1P62.
P.EVUE DE L'AllT CHRETIEH
Planche
Echelle de lO"" à 5,?""" pour raetre.
l._ BAPTISTÈRE ET FAÇADE
de l'Eglise de MELAS.
r u :."■■ à TVi"" peur ir.etre.
î _ Intèrleiir du Bap^isUie de MÊLAS ,
LilK Ih Dfisavanj-DMUUeuvr, Arras
r de;' A Féal
UNE ÉGLISE CATHÉDRALE DU V SIÈCLE
ET SON BAPTISTERE
Saint-Etienne de Mêlas [Ardèche)-
De nombreux travaux d'archéologie nationale , fruit de
laborieuses études, ont depuis quelques années fait avancer
à grands pas cette science encore nouvelle. L'étude spéciale
des monuments religieux de la période ogivale, si parfaite dans
son ensemble, paraît avoir déjà épuisé toutes les reclierclies
et prononcé son dernier mot.
L'ère romane secondaire (XP et XIP siècles) ne tardera
pas, on le sent, à être déterminée d'une manière définitive ;
mais il existe entre cette époque et celle de l'origine des
constructions religieuses dans les Gaules au IV® siècle, une
immense lacune à combler. La science après nous avoir
initiés, forte de ses preuves, aux styles égyptien, grec et
romain, s'arrête devant les ruines amassées par les Barbares
du X^ siècle, par les Sarrasins et les hommes du Nord ; elle
cherche, en tâtonnant, une architecture de pierre là où il
TOME VI. Avril 1862. 13.
170 UNE ÉGLISi: CATHÉDRALE DU V^ SIÈCLE
n'y en avait pas, et se tait en accusant les Normands et la
prétendue terreur de la fin du monde. C'est en Italie où l'ac-
tion presque nulle des siècles sur la durée des monuments a
laissé debout tout ce que les liommes n'ont pas voulu ren-
verser, qu'elle va chercher quelque lumière. Cependant l'an-
cienne Province romaine n'a jamais cessé de partager avec
l'Italie cet art de bien construire, favorisé par des maté-
riaux de choix et des ciments indestructibles. Aussi sommes-
nous persuadé qu'avec moins de routine, plus de zèle et
d'indépendance dans les recherches, on parviendra bientôt
dans la vallée du Rhône, à reconnaître tous les éléments du
style appelé Roman primordial ou Latin pour le rattacher à
celui qu'on désigne sous le nom de Secondaire^ et combler
enfin cette lacune inconcevable^!
Nous choisissons aujourd'hui parmi les spécimens de cette
époque méconnue, un édifice, le plus ancien que nous sachions
encore debout et complet ; digne d'intérêt par son antiquité
même et particulièrement par la faveur dont il fut honoré
pendant un quart de siècle , et qui , par les dépendances et
accessoires dont il se trouva doté, nous off're encore aujour-
d'hui, sur une modeste échelle il est vrai, un type de nos
églises cathédrales des premiers siècles.
I.
L'histoire nous apprend que les Barbares d'outre-Rhin
ravagèrent les Gaules au commencement du V^ siècle, et
qu'ils détruisirent entr'autres villes, Alhe d'Augxiste, capitale
du pays des Helviens, après avoir porté le fer et le feu dans
le pays des Cabales et peu de temps avant leur défaite dans
les campagnes d'Arles. Les traditions de l'église de Viviers
nous enseignent que le clergé d'Albe, dont l'évêque Avole
ET SON UAI'TISTKRK. 171
avait péri sous le fer des Barbares, se réfugia k JNlélas où
saint Mamert, évêque de Vienne, vint sacrer évêque Auxonne,
qui sur l'avis de son Clergé transféra, vers l'an 430, le siège
épiscopal à Viviers.
L'opinion, qui est unanime à reconnaître qu'un certain
laps de temps s'écoula entre la ruine d'Albe et le transfert
de son évêclié à Viviers, se trouve divisée sur le fait du
séjour du clergé à Mêlas, bien qu'elle ne puisse lui assigner
un autre refuge. Mais l'étude récente que nous avons faite
sur la défense de la capitale des Hel viens, basée sur la dis-
position de ses abords, et d'après la topographie des lieux ',
nous a convaincu de ce séjour dans une localité d'origine
romaine, origine attestée par les ruines, monnaies, bétons,
etc., en nous obligeant à reconnaître que Mêlas était un des
châteaux (castra) qui protégeaient les abords de la capitale,
€t que le clergé, par une facile prévoyance bientôt justifiée,
dut choisir ce castrum de préférence à tous les autres.
Etabli sur la voie d'Albe à Lyon, ce château commandait
l'entrée de la vallée et le passage du torrent dans le lit duquel
s'élèvent encore les ruines du pont. Ce lieu doté d'un mo-
nastère de femmes au Vil' siècle, vicairie du Pagus Viva-
riensis au IX* siècle, confirmé comme possession de l'église
de Viviers dans la charte de Charles-le-Chauve donnée à
Besançon en 877, jouissait, on le voit, d'une certaine impor-
tance à la fin de ce même siècle, quand fut réparée la partie
orientale de sou église.
Au travers de tant de ruines, quelles causes ont, quinze
siècles durant, protégé son église jusqu'à ce jour?
Les causes les plus fréquentes de destruction aux lieux où
• Aperçu géographique sur le pays des Helviens, par le V" dk Sai?;t-
Akdéol. Bulletin de l'Académie Delphinale, année 1860.
172 UNE KGLISE CATHEDRALE HL V* SIECLE
l'action du temps est presque nulle, se réduisent ù deux : la
violence et les reconstructions.
L'unique souvenir que cette partie de la vallée du Rhône
ait gardé de la première de ces causes , concerne la rapide
invasion des Sarrasins, effectuée de 757 à 759 ; elle fut
bientôt arrêtée dans sa marche, aux approches de Vienne,
par les armes victorieuses de Charles Martel qui la refoula
jusqu'aux portes de Narbonne.
Echappée aux coups de ces mécréants, que les cathédi-ales
et les abbayes attiraient de préférence à cause des trésors et
des objets de prix qu'elles étaient censées posséder, l'église
de Mêlas fut redevable à des circonstances spéciales d'échap-
per à la dernière de ces causes, plus dévastatrice encore, les
reconstructions par nécessité d'agrandissement.
Le bourg de Mêlas, heureusement pour le sort de son église,
ue pouvait ni s'accroître ni prospérer. La voie romaine qui
le rattachait à Albe, tracée sur des pentes abruptes, suspen-
due sur des précipices et ravagée par des torrents, devint
bientôt impraticable. Le passage se fit d'Albe ruinée à
Viviers. Au XIP siècle, le baron Adhémar fit construire un
château sur le rocher qui dominait au nord l'ancien caslrum
de Mêlas, au point où ce dernier avait planté son signal dont
la partie prise pour le tout , lui avait laissé le nom de
Tigillum (par élision Tillium)^ d'où le nouveau château prit
le nom de Monstilium. Un village dont les murs et les ruines
de son église se voient encore, se forma autour du château
sous le nom de Tilliau. Au XVP siècle, ce môme village des-
cendit sur les bords du Rhône dont la navigation fit la for-
tune, et s'accrut sous le nom de Teil, aux dépens de Mêlas,
qu'il absorba dans la commune, sinon dans la paroisse.
Après r affirmation historique de son existence au V« siècle,
après l'explication des circonstances qui ont préservé son
KT SON BAI'TlS'rPlIlK. 173
église de la ruine jusqu'à ce jour, vient s'ajouter la preuve
d'une liiiute antiquité dans la différence entre le niveau du
pavé de cette église et le sol qui l'environne.
Le pavé de nos villes romaines est généralement enfoui
à un ou deux mètres, alors môme que, situées sur un pla-
teau, ces villes semblent devoir être à l'abri de tout attéris-
sement. Albe et Valence sont dans ce cas. L'église méro-
vingienne de Saint-Laurent à Grenoble, située au pied d'une
montagne, se trouve enfouie sur un côté à une profondeur
de six mètres. On pourrait presque assigner la part de chaque
siècle dans cet exhaussement du sol. L'église de Mêlas, éta-
blie sur un plan incliné du nord au sud, est enfouie à un
mètre et demi environ, et son baptistère distant de quatre
mètres se trouve enfoui à deux mètres de profondeur. Cepen-
dant le sommet du tertre n'est qu'à quelques pas ; cette dis-
position ne se prête guères à un exhaussement du sol qu'a-
près une longue période de temps écoulée.
Mais abordons la masse de l'édifice pour le juger de l'œil,
le toucher du doigt; interrogeons sa forme, ses lignes, ses
pierres, elles nous diront la part de l'ère romaine qui cesse
dans le midi à l'invasion Sarrasine, et celle de l'ère Carlo-
vingienne qui finit avec le X" siècle.
Eemarquons d'abord la nature et la provenance des deux
sortes de pierres qui constituent les parties essentielles {Voir
la planche 2, n° 1). L'une est un calcaire oxfordien, gris,
dur, susceptible d'être poli ; l'autre est un grès (crétacé su-
périeur) blanc, tendre et facile à tailler. La première provient
des carrières de Lussas, distantes de vingt-trois kilomètres.
C'est la pierre qu'Albe employa de préférence dans ses édi-
fices, temples, tombeaux, dalles, conduits, fûts, etc. Les
Komains estimaient le marbre, et, à son défaut, ce qui en
approchait le plus. La qualité des matériaux est luie des
174 UNE KGIISE l'.ATHÉDRALE DU V* SIÈCLE
conditions de la durée de leurs œuvres. Bientôt après lamine
de cette ville, les voies pour le transport ayant cessé d'être
praticables, cette exploitation fut abandonnée pour n'être
reprise cpi'au XYIIF siècle. La deuxième pierre est exploitée
à la porte de Mêlas, sous le nom de pierre du Tlieil. Elle fut
substituée à la première, ainsi que celle de la Gorce, l'une
au nord, l'autre au midi, dans toutes les constructions posté-
rieures du Bas-Yivarais élevées entre le Rhône et l'Ardèche.
La blancheur, la légèreté, la facilité de la taille, et avec cela
une consistance éprouvée par un usage de plusieurs siècles,
justifient cette préférence.
N'oublions pas de faire la part des époques distinctes aux-
quelles furent employées ces deux sortes de matériaux.
Examinons d'abord le flanc méridional de l'église, dégagé
récemment à sa base : on peut le diviser en trois parties. A
l'est les contreforts, les larges assises du chœur; à l'ouest
de pareilles assises dans l'épaisseur du mur de face, et entre
deux, le mur de la nef construit en moellons et recouvert sur
les trois quarts de sa surface de cubes de pierre dure d'un
petit appareil régulier de i 2 centimètres environ de hauteur,
dégrossis à la pointe et rangés en lignes horizontales. La
partie supérieure à main droite en est seule dépouillée.
Dans la partie inférieure à gauche , on remarque la porte
primitive, murée après l'érection de la façade ' .
Le mur du chœur offre un travail pareil à celui de l'ouest,
auquel il se rattache par une corniche courant sous le toit.
Cette corniche , dont le profil se fait remarquer sur les con-
structions de la vallée du Rhône antérieures au TX® siècle ,
' Sous \e st'uil de cette porte se trouvait une inscription tumulaire en ca-
pitales romaines, antérieure au X"' siècle, d'après l'ensemble de la formule,
des caractères, des abréviations et des lettres cruciformes.
ET SON nAPTlSTÈRE. 175
fait corpv? avec le mur en petit appareil et reproduit ce profil
sur les rampants de la façade. Le mur du chœur est construit
en pierres blanches taillées à la hache, disposées en assises
de moyen appareil. A une certaine hauteur, le moellon irré-
gulier se substitue à la pierre taillée pour faire le massif du
clocher dont la partie supérieure présente de part en part,
mais sans aucun raccord , l'emploi de petits cubes, débris du
chœur primitif.
Il y a là évidemment deux époques et deux systèmes. Le
petit appareil dans la vallée inférieure du Rhône disparaît à
l'époque Carlo vingienne pour êti'C, h l'imitation de l'antique,
remplacé jusqu'à nos jours par cet appareil moyen composé
de pierres de hauteur égale pour chaque assise et de longueur
variable.
Ce petit appareil se voit tout semblable à Albe , employé
au théâtre romain, à l'antique église de Saint-Martin, aux
aqueducs, dans plusieurs habitations privées, et à Mêlas, dis-
tant de sept kilomètres de cette ville, dans un mur romain
mis à découvert par la tranchée d'un chemin rectifié, mur
enduit à sa base d'un béton de ce même ciment dont les
ruines d'Albe attestent le fréquent usage. Une observation
attentive permet de reconnaître que la nef de l'église con-
struite en petit appareil, fait corps avec les fondations de
l'église entière, que le mur de l'ouest est une application
faite après coup et que le chœur a été relevé sur les an-
ciennes fondations.
Voici l'état des découvertes faites il y a peu d'années par
le savant et modeste curé de Mêlas, qui a eu l'obligeance de
nous en faire part, lorsqu'il fit déblayer la base du mur
méridional pour y établir un jardin : deux couches de terre
d'inhumation superposées contenaient des débris d'ossements
et de planches, traces de l'ancien cimetière abandonné de-
17G UNE ÉGLISE CATIIP^OriALE DU V* SIÈCLE
puis plusieurs siècles et transféré au côté nord. Sous ces
couches et joignant le mur de la nef, s'étendait le pavé d'un
ancien cloître, de celui probablement du monastère annexé
à cette église au VIP siècle. Il était formé de fûts de demi-
colonnes en pierre dure de Lussas posées sur leur partie
convexe.
Devant l'abside, un épais béton remplaçait ce singulier
pavé. On mit à découvert sous l'un et l'autre deux rangs su-
perposés de tombes gallo-romaines. Elles étaient construites
en dalles et moellons affectant la forme d'un carré long
plus étroit aux pieds qu'à la tête. Les joints des pierres
étaient lûtes avec ce ciment romain qui contient de la
brique pilée et tel qu'on le voit dans les débris énumérés
déjà tant à Albe qu'à Mêlas. Chaque tombe renfermait une
petite lampe en terre cuite placée près de la joue gauche
du cadavre et un vase pour les parfums, d'une grandeur
moindre pour les enfants. Le ciment d'une de ces tombes
renfermait dans sa pâte une médaille de Faustine mère par-
faitement conservée.
Ici éclate la preuve évidente de la haute antiquité de
cet édifice : les tombes gallo-romaines qui touchaient au
mur de l'église manquaient de parois sur ce côté, le mur de
l'église en tenant lieu ; il est donc antérieur à ces tombes.
Il devient dès-lors intéressant de pénétrer à l'intérieur
pour étudier sur la face interne de ce mur le mode de con-
struction des églises de cette période si peu connue. Il accuse
parfaitement les deux systèmes remarqués au dehors sur les
quatre travées qui composent la nef. Les trois premières sont
décorées chacune d'un faux arc à plein cintre d'une pro-
fondeur de 25 centimètres environ. Entre chacun de ces
arcs, contre le nuir qui les sépare, une colonne en pierre de
Lussas est enchâssée au tiers de son diamètre.
ET SON BAPTISTKUE. 177
La base des deux premières colonnes est corintliienne ;
celle des deux suivantes est composée de deux tores super-
posés, sans gorge, avec oves sur le tore supérieur, et celle des
deux colonnes voisines du chœur est ionique. Chaque colonne
est surmontée d'un chapiteau ouvragé, d'un tailloir qu'une
corniche courant à la naissance de la voûte rattache l'un à
l'autre, et enfin de l'arc doubleau de la voûte. Sous le pre-
mier faux arc, l'ancienne porte bouchée offre une seconde
voussure en cintre surbaissé plus évasée que son ouverture.
Sous le deuxième faux arc s'ouvre au midi une fenêtre en
plein cintre évasant à l'intérieur et au dehors, et dont l'ou-
verture est d'environ 30 centimètres de large sur iO centi-
mètres de hauteur. La quatrième travée delà nef fait partie,
avec le chœur, de cette reconstruction, sur les anciennes
bases que nous avons remarquées au dehors. Voici en quoi
elle diffère des trois autres : au lieu d'être décorée d'un
faux arc, elle en renferme deux dans le même intervalle et
sous une même hauteur, ce qui les fait étroits et élancés.
A partir de cette travée jusqu'au fond du chœur, il y a
absence de sculpture. Le chapiteau n'est qu'un tailloir com-
posé de baguettes superposées. En revanche, l'architecte,
dans cette partie refaite et agrandie, a fait preuve de talent
dans l'élévation de la coupole, la disposition des jours et le
raccordement des lignes. Tandis que les murs de l'église
primitive ont une épaisseur de 1 mètre oO c. et forment une
nef large de 4 mètres sur la largeur des trois premières tra-
vées, les murs de la quatrième, construits extérieurement
à l'aploml) des fondations, ont une épaisseur de 1 mètre
20 c. seulement, ce qui donne à l'intérieur une largeur de
60 c. en sus. Cette différence ne choque pas l'œil. Elle a
été prise à 20 c. en avant de la troisième colonne et y pro-
duit l'aspect d'un pihistre. Cependant la corniche de cette
178 UiNE ÉGLISE CATHÉDRALE DO V* SIÈCLE
partie reconstruite, y compris la liauteur de la troisième
colonne, a été rabaissée de 30 c. environ. Il le fallait ainsi
pour que le sommet de la voûte en berceau brisé couvrît,
sous une môme courbe, toute la nef à une même hauteur,
puisqu'elle avait dans cette partie élargie, \m diamètre de
60 c, en sus.
L'arc du chœur, sensiblement plus bas que la voûte de la
nef repose sur des pieds-droits dont les impostes se raccordent
à ceux des pieds-droits du double faux arc qui est pareille-
ment reproduit dans le chœur, mais surmonté ici d'une
étroite et longue fenêtre. Une coupole octogone sur encor-
bellement donne à cette partie une grande légèreté.
L'abside semi-circulaire qui termine le chœur à l'orient,
au lieu de suivre la trace des anciennes fondations dans leur
demi-cercle, aifecte la forme d'un demi-cercle allongé en fer à
cheval. {Voir le plan de l'Église^ planche 1). Les murs laté-
raux font une saillie sur la nef et^ pour cela, sont bâtis à
l'aplomb des anciennes fondations, les laissant déborder de
50 c. à l'extérieur, tandis que dans le fond du sanctuaire on
a obtenu le demi-cercle allongé par le procédé contraire.
Le mur de l'ouest ou de façade a été appliqué contre
l'ancien ; construit à une époque où l'exhaussement plusieurs
fois séculaire du sol dominait le pavé de l'église à plus
d'un mètre, sa porte a été établie à ce dernier niveau. Elle
conduit dans l'intérieur par un escalier de sept marches. Ce
portail construit entièrement en pierres blanches de moyen
appareil, se compose d'une ouverture carrée sous linteau
horizontal, enchâssée sous trois voussures à plein cintre
{planche 2, n" 1). Sous le pignon est percée une petite fenêtre
étroite comme une meurtrière, et les rampants du toit sont
couronnés en forme de fronton par une corniche de la
même pierre, qui va se rattacher aux contreforts du chœur,
ET SON BAPTISTÈRE. HO
en suivant le sommet des murs latéraux. Une étude atten-
tive sur l'agrandissement progressif des chœurs du V** au
XIP siècle, appuyée de nombreuses comparaisons et fortifiée
par quelques dates authentiques nous font assignera cette ré-
paration la fin du IX® siècle, et le XP à l'érection de la façade.
L'église de Mêlas est accompagnée du côté nord , d'une
sorte de bas-coté composé d'tm mur épais, décoré de fausses
arcades à plein cintre, d'une voûte en quart de cercle dont un
cordon de pierres accuse la naissance, et d'rnie abside en
hémycicle éclairée par une toute petite fenêtre {Voir le plan
de r Église, planche i). Le bas-coté finit vers le milieu de la
longueur de la nef. Il ne communiquait avec l'église que
par une étroite porte. C'était le lieu désigné dans les pre-
miers siècles sous le nom de Secreiarium ou Diaconicnm. Ce
lieu servait de sacristie, dépôt pour les ornements du culte,
les vases sacrés, le trésor, et c'était dans son abside qu'était
déposée la réserve eucharistique. Il fut, à la fin du XV® siè-
cle, mis en communication avec la nef par une ouverture en
arc aigu, et peu d'années après par une seconde en plein
cintre, décorée sur un côté de son épaisseur d'une niche ou-
verte sous une courbe en accolade. Une inscription lapidaire
enchâssée contre le premier de ces deux arcs relate qu'en
1410 cette chapelle fut faite en l'honneur de la Mère de
Dieu. Elle le fut en ce sens qu'un autel y fut consacré et
livré à la piété des fidèles au moyen de ces ouvertures.
Terminons cet examen par l'étude des chapiteaux qui
couronnent les six colonnes de la nef.
Les archéologues qui placent invariablement au XP ou
au XIP siècle la construction de cette église, reconnaissent
pourtant que les chapiteaux sont pour la plupart antérieurs
à cette époque. Trois sur les quatre les plu» rapprochés du
chœurs datent de la grande réparation faite au chœur et à la
180 VISE ÉGLISE CATIIÉDUALE W \" SIECLE
voûte. Les deux premiers en entrant, cachés par le cintre
et la balustrade d'une tribune fermée hors le temps des
offices, ont été rarement vus et étudiés.
Après une observation attentive, nous restons persuadé
qu'ils appartiennent à l'église primitive. On sent que des
siècles de barbarie se sont écoulés entre ce beau travail et le
ciseau grossier des quatre autres chapiteaux. On serait
d'abord tenté de les attribuer au XIP siècle, si le XIP siècle
avait jamais produit un chapiteau aussi corinthien que celui
placé à droite (fig. 1); c'est une pièce franchement romaine.
Si les caulicaules y recouvrent un peu trop les volutes dans les
angles, si la disposition des acanthes inférieures a légère-
ment varié, c'est que le IV siècle n'était plus le siècle
d'Auguste ni môme celui d'Adrien ; c'était la décadence,
mais non encore la barbarie. Le chapiteau composite qui lui
fait face est sorti de la môme main {fig. 2). Cependant si le
ET SON lUn'lSTKIU':. ISI
premier charme et provoque radmiratioii, le second laisse stu-
péfait à kl vue d'un sujet de l'exécution lu plus grossière, dé-
coupé au milieu de rinceaux aussi souples que gracieux. On y
voit Abraham prêt à frapper son fils. A sa droite est un ange
qui d'une main arrête son bras et de l'autre lui présente un
bélier enchevêtré dans les volutes. Sur l'autre face est un ser-
viteur portant une hache et conduisant un âne chargé de
fagots. Ce sujet a été reproduit depuis la sanctification des
catacombes jusqu'au XII" siècle.
Devant un tel disparate on suppose d'alDord qu'un artiste
maladroit du moyen-âge a taillé ce sujet dans la masse d'un
deuxième rang de feuillage. Il y a plutôt lieu de croire que ces
deux chapiteaux ont été faits par quelque sculpteur d'orne-
ments de la ville d'Albe, habile dans sa spécialité, mais
incapable d'aborder convenablement la nature vivante, qui
exige de plus sérieuses études.
Cette division entre l'étude du vif et celle de l'ornementa-
tion existe aussi de nos jours. Aux XI" et XIP siècles de pareils
sujets se présentent grossiers et dépourvus de proportions,
mais on y trouve une pieuse naïveté, on y sent une âme là
ou à peine on reconnaît un corps. Ici il n'en est pas de même;
le sujet est traité brutalement à l'exclusion de tout sentiment
chrétien. On le supposerait fait sur commande par quelqn' ou-
vrier d'Albe encore payen.
Abraham {jig. o), de même que l'ange est vêtu d'une braie
qui rappelle celle de la Gallia braccata, dont cette région du
Ehône faisait partie. Le front est bas, les cheveux sont courts
[more romano), épais et par couches superposées. Quelques
poils courent des oreilles au menton, la lèvre supérieure est
imberbe, le cercle des yeux est formé par un bourrelet sail-
lant et la prunelle est trouée. Un pareil type de figure se
retrouve le plus souvent sur nos monnaies mérovingiennes.
18'2 LNE ÉGLISE CATllliDRALE DU V« SIÈCLE
Le pied du billot sur lequel est agenouillé Tsaac, se terndne
par la griffe dé lion employée dans l'ameublement de l'an-
cienne Rome. Les deux grandes et belles volutes à fines ner-
vures qui abritent cette étrange composition enroulent des
feuilles d'olivier franchement découpées, au travers desquelles
circulent l'air et la lumière.
Auprès de ces deux chapiteaux les quatre autres présen-
tent peu d'intérêt. Le deuxième à main gauche est le seul
historié. On y voit un vénérable personnage drapé dans une
robe longue mais juste au corps, assis derrière des barreaux
au travers desquels il passe la main droite qu'un ange lui
saisit. Il a les cheveux longs tombant sur les épaules. Il est
coiffé d'un bonnet large et carré marqué d'une croix. Serait-ce
là une allusion à la délivrance des évêques d'Albe et
Viviers ?
Disons pour terminer que cette église, de même que la
majeure partie des plus anciennes cathédrales, était dédiée à
saint Etienne. Et il est à remarquer que tandis que toutes les
églises du diocèse de Viviers et celles de beaucoup d'autres
sous le vocable de ce Saint, célèbrent sa fête le jour de l'inven-
tion de ses reliques qui eut lieu en l'an 415, l'église de Mêlas,
antérieure à cet événement, n'a cessé, selon l'observation
de M. l'abbé Alignol, de la célébrer le jour de son martyre.
De l'ensemble des fortes et nombreuses présomptions
énumérées plus haut, et des preuves établies à la suitC;, nous
sommes amené à conclure que les fondations de cette église
et les flancs de sa nef dans les trois premières travées appar-
partiennent à l'église du IV siècle qui recueillit dans les pre-
mières années du siècle suivant les débris du clergé d'Albe
et servit de cathédrale à l'évêque Auxonne que saint
Mamert de Vienne y vint sacrer ; que la quatrième travée
de la nef et le chœur sous coupole, moins les fondations, ont
KT SON BAPTlSTKIir.. 18.'{
été refaits ainsi que la voûte entière, lu'corniclie et le tailloir
des chapiteaux, à la fin du IX*" siècle ; que la façade a été
élevée au XP siècle, et le fond de l'abside relevé de nos
jours.
II
Dans ce temps-là les églises cathédrales étaient habituel-
lement accompagnées d'un baptistère presque toujours de
forme octogone comme celui de Constantin à Rome et celui
d'Aix en Provence. Il était isolé et placé ordinairement au
côté gauche de l'entrée, c'est-à-dire au nord, l'église étant
orientée. Sa coupole était supportée par des colonnes entre
lesquelles étaient placés dans des enfoncements, des autels,
des cuves pour les enfants et des vestiaires. L'église de
Saint-Etienne de Mêlas devenue provisoirement cathédrale
fut nécessairement pourvue de cet accessoire. Il existe
encore dans son entier tel que le fit édifier l'évêque Auxonne.
{VoiJ' le 'plan du baptistère, planche 1).
Comme l'église , il a échappé aux mêmes causes de de-
struction ; son existence qu'on peut regarder en effet comme
extraordinaire, a dépendu d'une situation extraordinaire.
C'est ainsi que la reconstruction sur une plus vaste échelle
de toutes les cathédrales aux époques postérieures, a entraîné
la destruction des baptistères qui y attenaient. Si quelques-
unes ont été relevées sur une autre place, les causes de ce
changement ont pu amener l'abandon ou la destruction de
ces édifices complémentaires. Si Mêlas avait conservé l'évê-
ché, il serait devenu une ville, et sa petite église avec son
baptistère, démolie ainsi qu'il fut fait à Viviers dès le
VP siècle et plus tard au XIP pour faire place à une plus
vaste, n'existerait plus. On peut donc concevoir pourquoi
184 UN'K ÉGLISE CAÏIIKDIIALE UIJ V SIECLE
les aiiciL'us 1)iiptistères sont rares et comment celui do Mêlas a
siirvéou .
Examinons quelques détails de sa construction (planche 2,
îz° 1). Ses murs sont revêtus du petit appareil disposé par
couches horizontales, mais offrant un peu moins de précision
qu'au mur de l'église. Au lieu d'être taillé dans un calcaire
dur, il a été [)ris dans un calcaire schisteux extrait des en-
virons. Cependant ses murs épais de \ mètre 20 cent., épais-
seur forte relativement à son diamètre intérieur qui n'est
que de 4 mètres 60 cent, sous coupole, et ses huit absides
en hémicycle qui l'enveloppent comme de puissants contre-
forts, compensent largement les imperfections de la bâtisse
au point de vue de sa solidité, si l'on considère surtout que
dans cette région les mortiers sont du ciment.
Son enfouissement profond dans le sol, qui est de 2 mètres,
le protégeait mieux encore que l'église.
Il est de forme octogone ; quatre de ses côtés plus grands
alternent avec quatre plus petits [planche 1). Chaque côté
contient une abside en hémicycle, ouverte sous une double
voussure dont les pieds-droits sont dépourvus d'imposte, et
la naissance de sa voûte est sans cordon. Chaque abside est
séparée de sa voisine par une colonne engagée au tiers etdont
le chapiteau ébauché accuse le plan corinthien. Huit ban-
deaux plats s'élèvent au-dessus des colonnes et vont se réu-
nir en étoile au centre de la coupole. Le rayon des arcs des
petites absides se trouvant plus court que celui des quatre
grandes, il en résulte que la naissance de la voûte qui date
du sommet des grands arcs, s'appuie au-dessus des petits
arcs sur un mur vertical d'une hauteur égale à la différence
des rayons. L'architecte a profité de cette surface pour y
percer des jours d'une exiguïté inconnue au XF siècle {Voir
la planche 2, if 2). Ce ne sont pas des fenêtres, pas même
ET SON BAI'TISTKUK. 18"»
(les meurtrières, mais de simples trous de !20 cent, sur 50,
qui pur uu évasement à l'iutérieiir, éclairaient suffisamment
ce lieu dans sa primitive destination, et le protégeaient, par
cette disposition, contre des surprises qu'il était alors permis
de redouter ' . Au dehors le mur suit le mouvement des
absides ^ ; en évitant des angles on a fait une économie dans
le volume et la taille des pierres.
Dès le VP siècle la pierre blanche et tendre prise sur les
lieux fut seule employée aux constructions, à l'exclusion de
la pierre de Lussas dont l'exploitation pénible et dispendieuse
avait été abandonnée dès la ruine d'Albe, son transport étant
depuis lors devenu impraticable. Oi' ces colonnes, comme
celles de l'église primitive^, sont en pierre dure de Lussas.
Les tronçons furent, tout comme ceux du cloître, enlevés
aux ruines d'Albe. Il s'y en trouve, il est vrai, deux ou trois
fragments en pierre blanche, mais on voit qu'ils y sont
intercalés comme supplément et STq:)erposés sans égard à
leur densité respective. Albe li 'employa que rarement cette
pierre pour des fûts. On ne l'y trouve guères qu'en corniches
et chambranles. Ici les chapiteaux, quoique sinq^lement
épannelés, indiquent par leur plan et leur profil, que le ciseau
devait en dégager l'acanthe et, dans les bases, la triple
moulure corinthienne.
Une preuve évidente qui démontre incontestablement
l'ancienneté de l'église, c'est l'égalité de niveau entre le
pavé et celui de l'ancienne église qui n'a pas varié depuis
le IV" siècle. Se figurerait-on un architecte du XF ou XIP
' Transformé en chapelle, un plus grand besoin de lumière y a fait pra-
tiquer postérieurement aux dépens de son harmonie, trois fenêtres carrées,
dont une dans la voûte.
- Quelques années plus tard ce procédé fut employé par S. Honorât dans
les angles orientaux de l'église de la Tiinité qu'il fit bâtir dans l'île de Lérins.
TOME Yl, 14.
186 l'NE ÉGLISE CATUBDKALE PU V" SIÈCLE
siècle voulant élever, nous ne savons à quelle intention, une
chapelle octogone à huit h dix pas d'une église, creuser le
sol connue pour une citerne et l'y enfouir? Comment y ac-
céder? par un escalier extérieur? Mais dans le dégagement
circulaire du sol autour de cet édifice, opéré il y a peu d'an-
nées, il n'en a pas été trouvé de traces, non plus que de
porte, A cette époque comme toujours, on bâtissait sur le
niveau du sol. C'est ainsi qu'a agi, au XP siècle, l'archi-
tecte dans l'élévation de la ftiçade. Au lieu d'ouvrir la porte
au niveau du pavé, dût-on y descendre par un escalier exté-
rieur, il tint compte du niveau du sol, il y établit le seuil
de la porte et plaça l'escalier à l'intérieur ' .
En résumé, l'appareil de ce baptistère et ses gros maté-
riaux sont de même forme et de même nature que ceux de
l'église; son pavé est au même niveau " ; son emplacement est
exactement celui d'an baptistère des premiers âges et sa
forme en est parfaitement liturgique.
A toutes ces preuves énoncées qui, nous l'espérons, ont
dû convaincre les esprits sur l'antiquité de cette église,
nous en ajoutons une dernière qui suffirait seule à défaut
détentes les autres. C'est qu'une des églises delà capitale
des Helviens, éloignée de sept kilomètres, dédiée à saint
Martin, évoque de Vienne, ruinée avec la ville en 410 et
découverte dans ses fondements il y a peu d'années , est
identique à celle de Mêlas dans ses plan, ordonnance, dispo-
' Au temps où le baptistèie de Mêlas n'avait plus rien à retenir de son ancien
privilège, alors que chaque paroisse possédait des fonts, il fut mis en commu-
nication immédiate avec l'église par un couloir voûté en plein cintre ouvrant
dans la deuxième travée de la nef. Quelques moulures terminées par une tête,
semblent indiquer que cette modification a été opérée pendant le XIII^ siècle.
* Son pavé a été exhaussé d'un mètre pour éviter l'humidité. Un sondage
pratiqué jusqu'à la base des colonnes nous a montré son premier niveau.
KT SON li.Vl'TISTERi:. 187
sitioiis, murs, a]>pareil et mortiei". Sa largeur est la môme, su
longueur seule est un peu moindre. On pourrait dire que
Saint-Martin d'Albe est un Saint-Etienne de Mêlas ruiné,
comme Saint-Etienne est un Saint-Martin debout.
Si par les efforts tentés pour jeter quelque lumière
sur un point obscur des annales de l'église de Viviers,
nous avons réussi à persuader que le refuge des successeurs
de saint Janvier, illustré par la présence de saint Mamert,
conserve encore les édifices religieux consacrés ou élevés par
leurs mains, avant le temps où il leur fut permis de fixer sur
le rocher de Viviers le siège illustré par tant de saints et
d'éminents prélats, nous éprouverons la satisfaction d'avoir
ramené un saint respect sur cette église antique et véné-
rable, éveillé la sollicitude dont elle est digne et réclamé des
soins pour sa conservation, eu égard à la place importante
qu'elle occuperait désormais dans la chronologie de nos an-
ciens monuments.
V*' F. DE SAINT- ANDÉOL.
LES CATACOMBES DE ROME
au point de rue de la Controverse-
Au moment où le protestantisme attaquait les croyances
traditionnelles de l'univei's chrétien, où il traitait d'idolâtries
nouvelles l'invocation des saints, le purgatoire, la prière pour
les morts, le culte de la Vierge et des images, il ne se dou-
tait pas qu'un témoin irrécusable allait bientôt s'élever pour
attester l'antiquité de ces dogmes.
Une Pompeïa chrétienne allait sortir de terre et fournir au
débat soulevé par l'hérésie d'importantes pièces à conviction
en faveur de l'Eglise, sa constitution, ses sacrements. Con-
temporaines de la primitive Eglise, les catacombes de Rome
gardaient enfouies, depuis des siècles, des monuments au-
thentiques de la foi des âges apostoliques. La science allait
mettre au jour ces monuments ; l'archéologie allait devenir
l'auxiliaire de la Bible et de la tradition pour défendre l'in-
tégrité du symbole catholique.
Vers la fin du XVP siècle, un avocat Maltais, du nom de
Bosio, découvrit les catacombes, depuis longtemps oubliées.
Il consacra son temps et sa fortune à explorer la ville sou-
LES CATACOMBES DE ROME. 189
terraine. Pendant trente-trois ans, il passa les jonrs et sou-
vent les nuits à en visiter les innombrables galeries. Prenant
en main tantôt la pelle et la pioche pour creuser et se frayer
un chemin, tantôt la plume et le crayon pour dessiner les
chambres, copier les peintures et les inscriptions, il laissa
un travail important, mais inachevé.
Ses recherches et ses travaux devaient être le point de
départ d'autres recherches et d'autres travaux inspirés par
l'amour de la science et delà religion, tels que les ouvrages
du R. P. Marchi et de M. Perret. Le R. J. Spencer Northcote
vient de publier à Rome, sur ce sujet, un petit volume très-
intéressant cpii s'adresse à tous les lecteurs sérieux ' . Il y ré-
sume ce qu'il importe à un catholique de savoir sur ces
cryptes obscures d'où jaillissent tant de lumières.
L'auteur s'occupe plus des catacombes romaines au point
de vue archéologique qu'au point de vue religieux. j\Iais la
signification des peintures et des inscriptions qui s'y trou-
vent est si clairement et si uniformément catholique, qu'une
fois leur authenticité et leur âge établis, la conséquence
dogmatique se présente d'elle-même à l'esprit du lecteur. On
va en juger par les courtes citations que nous empruntons au
R. Spencer.
La constitution de l'Eglise primitive, son identité avec
celle de l'Eglise catholique actuelle, la similitude de leur hié-
rarchie, résultent avec évidence de nombreux documents.
Cela est d'autant plus important que cette question est deve-
nue le pivot de la controverse entre les protestants et nous.
« Il nous est presque permis d'avancer, dit l'auteur, qu'alors
même que tous les écrits des Pères auraient péri, il serait
' R. J. Spewceh NoiiTHcoTE, Les Calacomhes romaines. Paris, Pous
sielgue Rusand, 22, rue Saint-Sulpicc.
100 LV.a CATACOMBES Di: liOÎIE
possible de reconstruire l'édifice entier de l'ordre ecclésias-
tique à l'aide des inscriptions éparses dans les inscriptions
funéraires des catacombes. Evêque, prêtre, diacre, sous-dia-
cre, acolyte, exorciste, lecteur, tous ces titres sont men-
tionnés, à diverses reprises, sur les pierres tombales de la
Rome souterraine. » (Page 7o).
Calvin demandait dédaigneusement : « Quel est le monu-
ment de l'antiquité chrétienne qui ait jamais parlé de vos
exorcistes ? » S'il eût pu accompagner, un demi-siècle plus
tard, Antoine Bosio dans ses visites au cimetière Saint-Ca-
lixte, il eût pu y lire une foule de réponses comme celle-ci à
la question qu'il posait :
PAVLVS EXOIÎCISTA DEPOSITVS MAllTYIllES
« Paul exorciste enseveli aux (ou près des) martyrs. »
Si , de ce dernier échelon de la hiérarchie , nous montons
au premier, nous trouvons la primauté de saint Pierre écrite
sur les murs des catacombes aussi clairement que dans l'E-
vangile.
Moïse frappant le rocher de sa baguette y fait le sujet
d'un grand nombre de peintures et de sculptures de la pre-
mière moitié du IIP siècle et du siècle suivant. Le spectateur
ignorant ou superficiel pourrait même se demander pourquoi
les premiers chrétiens revenaient aussi fréquemment sur un
pareil sujet, eux, disciples de la Loi nouvelle, qui avaient
abrogé celle dont Moïse était le chef. INIais un examen attentif
change bientôt en joie l'étonnement du catholique, et lui
montre la confirmation d'un des points de sa croyance là oii
il ne voyait qu'une énigme. Moïse n'est ici que la symbolisa-
tion du prince des Apôtres, devenu le Moïse du nouvel Israël.
Ce rocher frappé par la baguette était le Christ, dit saint
AU l'OliNT DE VUE DE LA Cu.Ni HOVEltSE. liU
Paul (I Cor., X, 4), et les eaux qui en jaillissent sont celles
du baptême et de la grâce conférés par la Loi nouvelle. C'est
là, dit le R. Spencer, l'interprétation unanime des Pères de
l'Église.
Le nom de Prlrtis^ surmontant plusieurs de ces figures,
lève tout doute sur la personnification représentée ; il dé-
montre sui'abondamment que, sous les traits de Moïse, c'est
bien le vicaire de Jésus-Christ que la primitive Eglise a voulu
désigner. L'antithèse est évidente.
D'autres productions de l'Art chrétien des Catacombes
corroborent cette démonstration. » Lorsque Notre-Seigneur,
dit le R. Spencer, est représenté ressuscitant Lazare, chan-
geant l'eau en vin, ou accomplissant d'antres miracles, il tient
à la main une baguette avec laquelle il touche l'objet sur le-
quel il va exercer son pouvoir. Cette baguette, symbole d'au-
torité, ne se rencontre jamais, sur ces monuments primitifs,
que dans la main du Christ lui-même, de saint Pierre ou de
Moïse, ou, pour mieux dire, seulement dans celle du Christ
ou de saint Pierre; car elle ne se trouve jamais à la main de
Moïse ;, excepté lorsqu'il en frappe le rocher; et alors, nous
l'avons vu, il est la figure de saint Pierre. Un bas-relief
sculpté sur la face principale d'un sarcophage offre un remar-
quable exemple de ce symbolisme. A la suite des scènes retra-
(j-ant différents miracles du Sauveur et où il tient lui-même
la baguette, vient un groupe où il ne la porte plus ; elle a
passé aux mains de saint Pierre, ou plutôt ce groupe repré-
sente le don f^iit au prince des Apôtres de cette baguette »
(page 77).
Le coq })lacé à ses pieds ne laisse pas de doute sur l'inten-
tion de l'artiste et la signification de cette allégorie.
Une autre de ces peintures représente saint Pierre comme
le chef du sacerdoce et de la Loi nouvelle. Au milieu se voit
192 LES CATACOMBES DE ROME
Isaac étendu sur l'autel; d'un côté, se tient Abraham, la
main levée ])01iy immoler son fils, que protège une main sor-
tant du ciel ; de l'autre côté, on aperçoit saint Pierre, portant
d'une main les clefs mystiques qu'il presse sur sa poitrine, et,
de l'aiiti'e, touchant la victime dont il est le nouveau sacri-
ficateur.
Si nous voulions passer en revue toutes les vérités attestées
par la voix grave et irrécusable de ces témoins providentiels,
il nous faudrait énumérer un à un tous les articles de notre
symbole.
Le sacrement de Pénitence, par exemple, est représenté,
dans la catacombe de saint Hermès, par un homme agenouillé
devant un prêtre qui lui donne l'absolution.
Le sacrement de l'Eucharistie s'y retrouve représenté sous
des allégories qui sont l'application exacte et rigoureuse de
cette description, fixité par saint Jérôme, des trésors de l'E-
vêque : « Corpus Domini in canistro vimineo , et sanguis in
vitro. Le corps de Notre-Seigneur dans une corbeille d'osier,
et soH sang dans un calice de verre » .
Mais nous voulons nous en tenir aux points de la foi dont
nous parlions au début de cet article.
Le purgatoire et la prière pour les morts, par lesquels nous
commencerons, ont leur fondement dans la Bible. On lisait
déjà dans l'Ancien Testament : « C'est une sainte et salutaire
pensée de prier pour les morts, afin qu'ils soient délivrés de
leurs péchés » (Macch., ii, 12). Pour se débarrasser de ce
texte importun, les protestants ont retranché du canon des
Ecritures le livre d'où il est tiré. L'expédient est commode.
C'est ainsi qu'ils ont retranché l'épitre de saint Jacques,
parce qu'elle établit le mérite des œuvres et l'institution du
sacrement de l'Extreme-Onction. Beaucoup d'entre eux re-
jettent, à présent, l'inspiration des Livres saints elle-même.
AU POINT DE VUE DE LA CONTROVERSE. . 103
Quand la parole de Dieu les gène, ces messieurs ne se gênent
pas avec elle. Bientôt ils nous abandonneront cette vieille
relique comme les autres.
Mais la Bible, que les ignorants du parti ont encore la
bonhomie de croire prolestante , la Bible n'est pas leur seule
ennemie. La science est, pour eux, une accusatrice non moins
sévère et non moins formelle. Les quelques inscriptions sui-
vantes l'attestent. Parmi elles, les unes sont écrites en grec,
d'autres en latin ; dans plusieurs, ces deux langues sont
mêlées, suivant l'usage du temps :
âyp. aiaîanoc nAa>AAmN heoy
AOTAOC niCTOG
.EKO1MH0I1 EN FIPIINH MNHœil AVIOV
O ©EOC EIG TOTG AUiNAC.
« Aurelius yElianus de Paphlagonie, fidèle serviteur de
Dieu; il repose en paix. Souviens-toi de lui, Seigneur, pour
l'éternité. »
«
VICTORIA REFRIGERER
IS SPIRITVS TVVS IN BONO.
(( Victoria, puisse ton âme se rafraîchir dans le bien, »
c'est-à-dire en Dieu.
BENEMERENTI SORORI BON.... VIII
KAL. NOB.
AEOYC XPIGTOYG ONNinoTEG
CniPIT.. TOY. PEa>. UEPE. IN X.
" A ma sœur bien méritante Bon (osa, qui mourut) le hui-
tième jour avant les calendes de novembre. Puisse le Christ
Dieu tout-puissant rafraîchir ton âme dans le Christ ! »
iDi LES CATACOMBES DE ROME
KALEMIRE DEYS REFRIGERET
SPIRITVM TVVM VNA GVM SO
RORIS TU^ HILARE.
« C'aleiiura, puisse Dieu rîitraîcbir votre unie avec celle de
votre sœur Ililaire ! »
Des parents /ont graver ces mots :
AlIMHrPFG ET AEOÎSTIÂ CEIPIKE 4>EÏA1E
BENEWERTI MINHCBHG IHGOYC O KTPIOG
TËKINON.
« Démétrius et Léontia, à leur fille bien méritante Syriaca.
Souviens-toi, Seigneur Jésus, de notre enfant. •>
De pieux enfants, au contraire, s'expriment ainsi :
DOMINE NE QVANDO ADVMBRETUR
SPIRITVS VENERIS DE FILIIS 1PSE[VS
QVI SVPERSÏITES SVNT BENEROSVS
PROJEGTUS.
« Seigneur, ne laissez pas l'âme de notre mère Vénus sé-
journer dans les ténèbres. Ceux de ses iils qui lui ont sur-
vécu, Benerosus et Projectus, ont érigé ce monument. »
« Ces inscriptions et mille antres semblables des quatre
premiers siècles seraient une anomalie dans un cimetière pro-
testant, dit ^Igr Gerbet dans son Esquisse de Rome chrétienne.
Elles feraient crier au papisme. » IMais. elles prouvent en
même temps que le papisme est le cbristianisme primitif.
C'est tout ce qu'il nous faut.
En voici deux qui justifient jusqu'an langage employé par
l'Eglise au chevet des mourants :
Ai: rOlNT DE VUE liE LA CONTROVKllSE. 195
ZDSIME VIVAS IN NOMINE XTl.
« Zozirae, puisses-tu vivre dans le nom du Christ. »
RVTA OMNIBVS SVBDITA ET AFFABIUS
BIBET IN NOMINE PEÏRÎ IN FACE X.
« Ruta, soumise et afïable envers tout le monde, vivra au
nom de Pierre dans la paix du Christ. »
VIVAS IN NOMINE LAVRENTII.
« Puisses-tu vivre au nom de Laurent ! »
« Nous ne voulons pas rechercher présentement, dit le R.
Spencer, la valeur précise de ces expressions : Yivas in no-
mine, soit qu'elles s'applicpient au Christ, soit qu'elles s'ap-
pliquent à ses Saints. Nous prétendons seulement faire re-
marquer que l'Eglise, de nos jours, ne fait que répéter les
paroles que nous retrouvons aux Catacombes, lorsqu'au lit de
mort de ses enfants, elle dit à l'âme prête à s'envoler : « Sors
de ce monde, âme chrétienne, non-seulement au nom de Dieu
le Pl're tout-puissant qui Va créée, au nom de Jésus-Christ qui
t'a rachetée, au nom de l'Esprit-Saint qui fa été donné, mais
encore, au nom des saints Apôtres et des Evangélistes, au nom
des saints Martyrs et des Confesseurs, etc., etc. » (Pages 185
et 186).
Arrivons à l'invocation des Saints.
Les premiers chrétiens ne priaient pas seulement pour les
morts ; ils demandaient aux morts, qu'ils supposaient dans
la gloire, de prier pour eux. Communion touchante et su-
blime que la mort n'a pu rompre et qui fait communiquer
les chrétiens à travers les mondes !
196 LES CATACOMBES DE ROME
Nous choisissons au hasard parmi les abondants témoi-
gnages que nous avons sous les yeux :
DOMINA' BASSILA. COMMENDAMUS TIBI
CRi^SCRNTINlJS ET MICINA FI LIA NOSïRA
CBESCEN... QVE VIXIÏ MEN. X. ET DIES...
« Nous Crescentinus et Micina, nous vous recommandons,
ô saint Bazile, notre fille Crescentina, qui a vécu dix mois
et... jours. •)
GENTIANVS FIDELIS IN PAGE QVI VIX
IT ANNIS XXI MENSS VIII DIES
XVI ET IN ORATIONIS TVIS
ROGES PRO NOBIS QVIA SCIMVS TE IN X.
« Gentianus, fidèle en paix, qui vécut vingt et un ans,
huit mois et seize jours, priez pour nous dans vos prières,
parce que nous vous savons (être) dans le Christ. »
AIONYCIOG NHniOG AKAKOC EN0AAE
KEITE META T12N AFIliN MNHCKEC9E
AE KAl HMQN EN TAIG AlIAIC YMiiN
nPEYXAlG KAI TOT TAY^ATOC KAl
rPAiiANTOG
« Denis, enfant innocent, reposez ici avec les saints ;
souvenez-vous de nous dans vos saintes prières, de moi qui
ai gravé et de moi qui ai écrit (cette inscription). »
Dans la crypte du pape saint Alexandre, qui date de la
' Les mots dominus et domina étaient employés dans les anciennes inscrip
tiona dans le sens de sanctus ou sancta.
AU rOlNT DE VUE Itli LA C.ONTIiOVERSE. 11)7
première moitié du second siècle, \)rb^ du toiabenu de ce saint
pontife, on lit l'inscription suivante, tracée par Sylvina,
sur le tombeau de sa mère martyre, Sylva :
SEMPER IN CHHISTO DEO VIVAS, VAH, PETE VAll PETE
PRO SYLVINA, ET TV QVOQVE PETE ALEXANDEH.
« Vis toujours dans le Christ-Dieu, ô Sylva. Prie, Sylva,
prie pour Sylvina, et vous aussi priez pour ellC;, Alexandre. >»
Enfin, il y a d'innombrables exemples de cette formule
aussi courte que significative :
VIVEZ EN PAIX, ET PRIEZ POUR NOUS.
QUE TON ESPRIT REPOSE EN DIEU. PRIE POUR TA SCEUR.
PRIE POUR TON ÉPOUX.
PRIE POUR TES PARENTS.
Nous n'en finirions pas de citer tous ces vieux témoins de
notre sainte Foi. En retrouvant les termes mêmes, par les-
quels nous l'exprimons aujourd'hui, pétrifiés sur les murailles
des catacombes, nous sommes sûrs de son antiquité; en la
puisant aux âges mêmes où l'Eglise prend sa source, nous
sommes sûrs de sa pureté. La négation seule en est moderne.
Pour infirmer ces témoignages, nos adversaires doivent
aller jusqu'à prétendre que l'Eglise primitive interpréta mal
la pensée du Christ et des apôtres ; que le vrai et pur chris-
tianisme fut une espèce de mort-né inconnu au monde jusqu'à
la venue de Luther et la révélation de Calvin qui l'ont res-
suscité. Ces nouveaux messies ne seraient même pas les
derniers ; car étant reniés eu grande partie par leurs Piéritiers
actuels, ceux-ci seraient les vrais révélateurs, les seuls qu'il
faille écouter, les seuls infaillibles. Encore, d'autres peu-
vent-ils venir demain abroger leur enseignement, comme ils
198 LI^S CATACO.MBES DK ROME
ont :vl)rog('' celui des premiers réformateurs qui avaient
abrogé celui de l'Eglise. Eu dehors de l'Eglise véritable, le
christianisme est une toile de Pénélope sur laquelle l'ouvrier
évangélique d'aujourd'hui défait sans cesse le travail de son
collègue de la veille.
C'est donc la plus orgueilleuse et la plus sotte des inad-
vertances de préférer, dans le christianisme, les opinions
nouvelles et perpétuellement changeantes des protestants à
la foi antique et immuable de l'Eglise primitive. Devant ces
croyances mobiles, toujours provisoires, jamais définitives,
le catholique doit être heureux et fier des certificats d'origine
que la science moderne apporte à son symbole. 11 doit être
heureux de posséder ces nouveaux titres de noblesse, ces
vieux blasons de sa foi retrouvés dans les catacombes. Chaque
pierre tumulaire est, pour lui, le glorieux écusson d'un an-
cêtre. La palme du martyre qui y est gravée, la fiole de sang
qu'elle recouvre avec les ossements, sont les nobles pihes qui
en ornent le champ; les inscriptions sont les devises. La cou-
ronne seule est absente de ces armoiries de l'humihté, de la
foi et du courage chrétiens ; elle attendait les héros au ciel ,
où Dieu lui-même l'a déposée sur leur front.
Quels services les Dioclétien n'ont-ils pas rendus à la vé-
rité, en forçîint les chrétiens de leur temps à reléguer sous la
terre tant de précieux monuments ! J\Iis ainsi à l'abri des in-
jures du temps et des révolutions qui agitent sa surfiice, ces
monuments ont été conservés à l'avenir, et ils apportent au-
jourd'hui à la controverse catholique un auxiliaire d'un prix
inestimable. Rome, attaquée par l'hérésie, n'a qu'à frapper
du pied la terre pour en ûiire surgir des légions de défenseurs.
Si les bornes de cet article nous le permettaient, nous par-
lerions encore des peintures et des sculptures qui attestent la
vénération des premiers fidèles pour les reliques et les images.
AU POLM DE VUE DE LA CU.STllÛYEnSF.. il)!)
Nous signalerions les ex-voto offerts :i sainte Agnès, saint
Sébastien et autres J\lartyrs; les médailles portant le inono-
grannne du Christ, que Ton trouve suspendues au eou de
certains corps. Là encore, nous nionti'erions l'origine antique
et vénérable des pieux usages, des moindres pratiques ou dé-
votions conservées, non inveidées par nous. Le protestant croit
triompher à ce propos ; il se rit de ces signes extérieurs de
religion; il croit ou il dit que cela remplace, chez nous, le
culte en esprit et en vérité.
Quand nous verrons ces ennemis systématiques du symbo-
lisme, dans le catholicisme, le blâmer ailleurs, il sera temps
de leur répondre sérieusement. Mais tant que nous les ver-
rons approuver un bon fils^d'attacher du prix à l'image de ses
parents qu'il pleure, de la vénérer en proportion de l'amour
qu'il leur portait, nous ne croirons pas à la sincérité du re-
proche qu'ils nous adressent avec tant d'affectation, et nous
aurons le droit de les taxer d'inconséquence ou de parti pris.
La consécration apportée par la science à l'antiquité de nos
croyances nous rappelle les efforts malheureux tentés naguère
par M. le pasteur Puaux pour assigner à chacune d'elles la
date de leur naissance. C'était apparemment une tâche in-
grate et difficile pour tout adversaire de l'Eglise véritable;
car plusieurs de ses confrères, qui se l'était imposée comme
lui, ont abouti à des dates fort différentes entre elles et sur-
tout fort peu d'accord avec les siennes.
M. l'abbé Robert, dans un excellent ouvrage, a relevé la
plus grande partie des inexactitudes et des bévues dont four-
mille le « Tableau de l'établissement des dogmes, coutumes
et usages de l'Eglise romaine » de M. Puaux.
Si cette réfutation sommaire et courtoise ne suffisait pas à
M. le pasteur, il trouvera encore dans la Eome souterraine
ample matière à corriger son malencontreux tableau.
200 LES CATACOMBES DE nOME
Par exemple , il fixe au VHP siècle le commencement du
culte de la sainte Vierge et des images. Eh bien ! sans aller
à Rome, M. Puaux n'a qu'à entrer à la bibliothèque impériale
de Paris et à demander le savant ouvrage de M. Perret. Il y
trouvera , entre autres dessins importants , la copie d'une
fresque, représentant précisément la sainte Vierge ayant de-
vant elle son divin Fils, qu'elle semble présenter aux hommes.
D'après les autorités les plus graves, cette fresque est du IP
siècle. Pour peu que M. Puaux sache soustraire les chiffres
aussi bien que les dogmes, il verra donc qu'il se trompe au
moins de six siècles sur huit.
Mais on ne peut pas plus attribuer à l'auteur de la fresque
originale l'invention du culte de la Vierge et des images qu'on
ne peut attribuer à Esteban Murillo l'invention de la croyance
à l'Immaculée Conception, parce qu'il a donné ce nom à l'une
de ses célèbres toiles. Les deux artistes n'ont fait que tra-
duire par le pinceau une croyance antérieurement existante.
M. Puaux en veut-il la preuve? Nous le conduirons dans la
catacombe des saints Nérée et Acliillée, vers une autre fresque
qui remonte au temps de Domitien, quelques années à peine
après le martyre de saint Pierre et de saint Paul. Elle repré-
sente encore la Vierge Marie assise sur un trône, revêtue du
costume des ricbes matronnes romaines et présentant le Sau-
veur à l'adoration des trois Mages. Nous le répétons, la date
de cette peinture est certainement antérieure à la fin du
I" siècle. Or, saint Pierre étant mort à Rome l'an 66, M. le
pasteur comprendra que le culte de la Vierge et des images
devait se pratiquer du temps et sous les yeux mêmes du prince
des Apôtres. Puis, faisant un dernier effort, il avouera peut-
être enfin que ce disciple de Jésus devait vénérer lui-même
la Mère de son divin Maître. Il y avait un précédent céleste,
plus ancien encore, que saint Pierre ne pouvait ignorer et que
AU FÛINT DE VUE DE LA CONTROVERSE. 201
jNI. Fuînix lie saurait mépriser : celui de l'Ange qui, de la part
de Dieu, avait salué Marie pleine de grâce. Que M. le pasteur
nous permette de préférer l'exemple de l'Ange , des Apôtres
et des premiers fidèles à son opinion.
La vue des deux fresques qui nous suggèrent ces réflexions
a fait naître en nous un désir : celui d'en voir l'image devenir
populaire. Nous voudrions en voir reproduire par la litliogra-
phie une réduction pouvant entrer dans les livres d'église.
Par le sujet lui-même , par leur date , leur origine , elles se-
raient un objet de piété à joindre aux belles gravures popu-
laires de Dusseldorf. Mais elles auraient surtout l'avantage
d'être une réfutation matérielle de la prétendue nouveauté
des croyances qu'elles supposent. Une note explicative, im-
primée au verso, dirait en quelques mots l'authenticité des
originaux. En parlant à la fois aux yeux et à l'esprit, ces
images seraient une prédication sensible, au moyen de laquelle
les plus simples seraient prémunis contre l'accusation de nou-
veauté qu'on oppose à l'un de nos dogmes les plus attaqués.
L'illustre Cuvier a recomposé, à l'aide des fossiles antédi-
luviens, plusieurs espèces du règne animal disparues du
globe. M. de Rossi recompose, à l'aide des matériaux fournis
par les catacombes, le symbole catholique aux âges aposto-
liques, et prouve son identité avec le nôtre. Peut-être, des
protestants allant à Rome chercher les plaisirs du touriste et
peut-être raviver les haines du sectaire, trouveront -ils au
musée de Latran la lumière qui éclaira saint Paul sur le che-
min de Damas.
15
PRÉCIS
DE L'HISTOIRE DE L'ART CHRÉTIEN
en France & en Belgique
ONZIÈME ARTICLE *.
CHAPITRE QUATRIÈME.
OKIGIWE DU SYSTEME OGIVAL '
Le système ogival ne fut complètement adopté qu'au
XIIP siècle. Mais comme l'ogive se marie au plein cintre
dans le cours du XIP siècle et que nous l'avons déjà vue ap-
paraître pendant la période romane -byzantine sur quelques
points du Nord de la France, nous croyons devoir placer ici
quelques réflexions sur l'origine du système ogival.
* Voir le numéro de novembre 1861, p. 564.
' J'ai publié un Mémoire sur l'origine du système ogival dans YInvestiga»
leur, journal de l'Institut historique (n" d'août 1850), et je l'ai fait tirer à part
à un très -petit nombre d'exemplaires. Ce travail a été litléralement reproduit
dans le Dictionnaire d' Archéologie sacrée, publié chez Migne en 1852 (t. ii,
p. 447 et suiv ), par M. l'abbé Bourassé, sans qu'une simple note indiquât
que j'en étais l'auteur. Reproduisant aujourd'hui, avec des modifications, mes
recherches de 185U, je suis obligé de constater cet oubli, pour qu'on ne
suppose point que j'ai emprunté une partie de mon article au Dictionnaire
de M. Bourassé : < e qui serait le contrepicd de la vérité. J. corblkt.
riiÉcis DE l'uistoiue de l'art chuétien. 203
Plusieurs archéologues se sont engages dans une fausse
voie, en voulant [)rouver que V invention de la forme ogivale
remonte à tel ou tel siècle du Moyen-Age et appartient ex-
clusivement à telle ou telle nation. L'ogive, considérée dans
son application à l'architecture, a existé dans les temps les
plus reculés. On la rencontre sur les bords du Gange et de
rindus, dans l'Asie Mineure, le Mexique et même dans les
constructions cyclopéennes des Pélasges : mais l'ogive, dans
ces diverses contrées, n'était qu'un ornement accessoire, une
figure accidentelle, et non pas le principe générateur d'un
système architectonique. Le problème ne consiste donc pas
à savoir quand fut inventée cette forme curviligne qui résulte
de deux arcs de cercle, mais à rechercher les causes qui mo-
tivèrent l'admission générale de cette forme dans un nouveau
système architectural. Les opinions les plus contradictoires
ont été émises à ce sujet : nous allons reproduire les princi-
pales.
Milizia ' et M. Boisserée, en retrouvant dans nos cathé-
drales la grandiose végétation des forêts, s'imaginent de pla-
cer le berceau de l'architecture gothique dans les sombres
forêts qui servaient de temples aux Germains. L'art se serait
modelé sur cette sauvage et forte nature : la cathédrale du
XlIP siècle serait la forêt qui s'est faite pierre. Mais n'y a-
t-il pas neuf siècles qui séparent le Franc de Germanie du
Français du Moyen-Age ? Et d'ailleurs le développement ra-
pide de la civilisation chrétienne n'avait-il point élevé d'in-
franchissables barrières entre les idées d'alors et les souvenirs
confus du culte primitif des Germains? Le système de Milizia
n'est pas plus soutenable que celui de Chateaubriand, qui
voit le patron de l'ogive dans la feuille de palmier; saisir un
* Vie des Archilcctes.
204 PRÉCIS DE L'illSTOIlU': lŒ l'art GUaÉTIEN
ingénieux rapport, ce n'est point déterminer une origine.
Amaury Duval ' avance que cette architecture qu'il l)ap-
tise du nom de xiloïdique (lu/2;, bois), est due à l'imitation
des églises primitives construites en bois. Cette hypothèse n'a
pas même pour elle un vernis de vraisemblance. 11 suffit de
parcourir les descriptions , tout incomplètes qu'elles soient,
que quelques chroniqueurs nous ont laissées des basiliques en
bois, pour se convaincre de la différence radicale qui existe
entre ces deux gein-es de construction. Qu'y a-t-il de commun
entre un monument du XIIP siècle et ces primitives églises
sans voûte, où tout trahit l'art romain en décadence? Com-
ment le caractère ogival se serait-il déjà manifesté dans ces
antiques monuments, alors que nous n'en retrouvons pas la
moindre trace dans les édifices en pierre des IX^ et X" siècles?
Une opinion analogue a été émise par James Hall ^, qui
considère le style gothique comme une imitation des premières
chapelles bâties en Angleterre par les missionnaires, avec de
simples branches entrelacées.
Une bien plus haute antiquité a été octroyée à cette archi-
tecture dans un Mémoire adressé à l'Académie de Belgique
en 1848. L'auteur y avance sérieusement que l'arche de Noë
et le temple de Salomon. étaient tous deux de style ogival ^.
Warburton % Wilson et beaucoup d'écrivains antérieurs
au XIX* siècle, ont attribué l'importation de cette architec-
ture aux Goths, les moins barbares d'entre les hordes du
Nord qui envahirent les Gaules. Cette opinion a été solide-
ment réfutée depuis longtemps, bien que l'on ait conservé
cette dénomination impropre de gothique^ que le temps semble
' France littéraire, t. xvi.
- Essai on tJie origine of gothic architecture.
^ Bulletins de l'Académie royale de Belgique, 1848.
* Notes sur les essais moraux de Pope.
DN FRANCE ET EN nEI.GIQUE. 205
avoir consacrée. Il est déiiioutré que les Goths n'avaient
nullement le génie artistique; mais on a peut-être été troj)
loin en les considérant comme dominés par un instinct des-
tructif des beaux -arts. Ils ont, il est vrai, laissé bien des
ruines sur leur sanglant passage, mais quel est, au Moyen-
Age, le peuple vainqueur qui n'ait point fait subir aux na-
tions domptées ces tristes conséquences de la défaite ? Quand
les Gotlis curent affermi leur domination improvisée, ils em-
ployèrent les bras des vaincus à l'érection de divers monu-
ments. Théodoric, roi des Ostrogotlis, fit élever des aqueducs,
des thermes et des palais par des artistes italiens. Ne doit-on
pas môme reconnaître qu'il avait une certaine compréhension
de l'art, lorsqu'il écrivait à son architecte des conseils que
Louis XÏV n'a pas su donner aux Perrault et aux Mansard :
« Censenius ut et antiquain nilorem pristinum conlineas et nova
simili antiqiiitate producas, quia sicut décorum corpus uno con-
venit colore vestiri^ ita nitor palatii similis débet per universa
membra diffundi. » Ne croirait-on pas entendre parler quelque
sage inspecteur de la Société française pour la conservation
des monuments ? »
César Cerasiani, G. Wren, R. Willis ' donnent une origine
sarrasine à l'arc à ogive; mais il est bien évident que le style
mauresque ne renferme aucun des éléments du style ogival.
Quel air de famille peut-on constater entre l'arc en fer à che-
val et l'arc tiers-point, entre la coupole à minarets et la fièche
gothique ? Le palais de l'Alhambra , il est vrai , nous offre
des ogives ; mais on sait que ce monument ne remonte qu'à
l'an 1275.
M. E. Boid voit dans Too^ive une invention des Arabes ^
' Remarques sur l'Architecture du Moyen Age, 1833.
* Hislolre et Analyse des principaux styles d'architecture, 1835.
206 PRÉCIS DE l'histoihe de l'art chrétien
suggérée par les formes compliquées des ouvrages orientaux
en treillage. Il cite à l'appui de son hypothèse les ogives des
monuments de Caboul et d'Ispahan ; mais il n'eu parle que
par les descriptions toutes poétiques des auteurs arabes qui
n'ont été confirmées par aucun voyageur.
M. Ch. Lenorraand suppose que les Arabes faisaient d'a-
bord usage du mode byzantin, mais que, au VHP siècle,
quand ils eurent conquis le second empire des Perses, ils
empruntèrent l'architecture des Sassanides, qui était à
ogives ; que de là ils l'introduisirent au Caire, puis en Sicile,
au X' siècle, et que ce nouveau système, par une sorte d'in-
filtration, se serait répandu dans tout l'Occident. On peut
répondre à ce savant antiquaire : T Qu'il n'est nullement
prouvé que l'architecture des Sassanides fût ogivale : les
ruines de ces antiques monuments semblent, au contraire,
démontrer qu'ils ont été construits par les artistes grecs et
romains que l'empereur Valérien fit venir en Perse, pendant
sa captivité (239-269) ; 2" Qu'il serait étonnant, dans cette hy-
pothèse, que les Arabes n'eussent point, pendant leur séjour
en Espagne, introduit l'élément ogival dans les mosquées
mauresques; 5" Qu'il cite à l'appui de ses conjectures des
dates qui sont tout au moins contestables. Ainsi, par exemple,
le palais de la Ziza, en Sicile, d'après les recherches de ]\Iil-
ner, ne daterait que de l'an 1213. Quand bien même on dé-
montrerait évidemment que ce monument est du X" siècle,
on pourrait toujours présumer que ses ogives ont été ajoutées
à une époque postérieure , probablement au XP siècle , alors
que les Normands conquirent la Sicile. 4° Ajoutons avec
M. le comte de Laborde ' qu'on se trompe en attribuant aux
Arabes un génie inventif et qu'ils étaient plus habiles à per-
fectionner qu'ingénieux à concevoir.
' VoyiKjc pUlofcsqnc en Espagne.
E;\ FnA.NCK LT EN IIELGlyUE. 207
Whittingtuii ', lord Aberdeeii, M. llittorf donnent égale-
ment une origine orientale à l'ogive, dont ils citent des
exemples dans l'Arabie, la Perse et l'Asie- Mineure. C'est de
l'Orient qu'elle aurait été rapportée dans nos contrées par les
pèlerins et les Croisés. Mais, comme l'a observé Milner ^, la
date des édifices qu'on allègue comme une preuve concluante
est fort suspecte ; les monuments à ogive de la Perse ne sont
pas antérieurs à Tamerlan, et l'on n'en trouve aucun dans la
Terre-Sainte. Les partisans de cette opinion sont tout au
moins obligés de convenir que l'ogive orientale diffère beau-
coup de celle de l'Occident, qu'elle n'est point accompagnée
de ces gracieux ornements qui embellissent la nôtre et qu'en-
fin l'usage en était fort rare avant le XIIP siècle.
D'après J. Barry, Payne, Knight, Seroux d'Agincourt '
et M. Quatremère de Quincy, les exemples de voûtes d'arêtes,
qui seraient l'origine de l'ogive, se rencontrent dans l'archi-
tecture greco-romaine des temps de la décadence, et le style
ogival chrétien ne serait qu'une application plus complète de
cet ancien système.
F. Rehm, J. Carter, Ed. King % etc., attribuent à l'An-
gleterre le développement primitif de l'architecture à ogives.
Mais l'étude comparative des monuments prouve que nos
cathédrales gothiques sont plus anciennes que celles de la
Grande-Bretagne, où la lutte du style circulaire et du style
à ogive n'apparaît que vers la fin du règne de Henri II, mort
en 1189.
Selon M. Parker, d'Oxford, c'est à la race normande que
serait dû le style ogival. Les Normands auraient emprunté
' Revue historique des Antiquités ecclésiastiques de la France.
^ Treatise on the ecclesiastical architecture of England.
'' Histoire de V Art par les Monuments .
* Monumcnla anliqua, 1805.
208 PRÉCIS DE l'histoire de l'art chrétien
leurs idées artistiques à tous les pays qu'ils ont parcourus,
à l'Anjou, au Poitou, au Midi, à la Sicile, à l'Orient, et c'est
du mélange de tous ces styles, combinés et perfectionnés, que
serait sortie une architecture nouvelle.
Vasari, Palladio, L. Stieglitz, D.Fiorillo, Th. Hope ', etc.,
font honneur à l'Allemagne de l'invention de cette architec-
ture, qu'ils appellent germanique ; mais il est constaté que
l'ogive n'apparaît en Allemagne que vers le milieu du
XIP siècle, et même dans beaucoup de monuments de cette
époque, on voit le plein cintre régner sans partage.
J. Dallaway et R. Smirke " font venir d'Italie le style à
ogive, vers l'an 1 100. Il est vrai que l'Italie n'est pas aussi
dépourvue de monuments gothiques qu'on l'avait prétendu ;
mais l'ogive y apparaît plus tard qu'ailleurs, et les premiers
monuments construits dans ce système ont été l'œuvre d'ar-
chitectes allemands.
L'invention de l'ogive a été attribuée aux Egyptiens par
E. Ledwich % aux Hébreux par E. Lascell-es \ aux Lombards
par H. Watton % aux Normands par Godwin '*, aux Francs-
Maçons par J. Hall ^
Hallam ^ a développé cette dernière opinion, en y ajoutant
quelques réserves. Il dit que si les anciennes archives de
cette association existaient, elles pourraient jeter du jour
sur le progrès de l'architecture gothique et peut-être nous en
* Histoire de l'Arcliiteclare, 1835.
* Archœologia , t. xv.
' Antiquités de l'Irlande.
* Origine héraldique de l Architecture gothique.
^ Eléments d' Architecture , 1804.
^ Vie de Chaucer, 1804.
' Essai sur l'Architecture gothique .
^ L'Europe au Moi/en Age, t. iv, p. 231.
EN FRANCK KT EN KCLGIQUE. 209
faire connaître l'origine. 11 croit que l'introduction remar-
quable et presque simultanée de ce nouveau genre dans toutes
les parties de l'Europe ne peut s'expliquer ni par les circon-
stances locales ni par le goût et le caprice d'une seule nation,
Bentluim, Milner ', M. A. Lenoir, pensent que l'ogive s'est
formée par l'intersection des arceaux. On remarque dans un
grand nombre de monuments du XI*" siècle et surtout aux
supports des corniches, des arcs circulaires qui, en se croi-
sant, produisent naturellement des ogives. Nos ancêtres,
frappés de la beauté de cette nouvelle forme , l'auraieut em-
ployée d'abord comme ornement, et, considérant ensuite
qu'elle réunissait la solidité à la grâce, ils l'auraient adoptée
comme élément générateur de leur architecture ? Avec ce
système on s'expliquerait facilement la présence simultanée
du cintre et de l'ogive pendant une longue période, et le
triomphe définitif de cette dernière forme dans presque toute
l'Europe, mais à des époques diiïérentes.
CMoller croit que l'intempérie des climats septentrionaux
a nécessité l'élévation des pignons et que de là serait provenue
la forme ascendante du style ogival. On pourrait opposer à
cette opinion que les églises de Norwége, de Suède et de Suisse
ont des couvertures plates, et que ce serait surtout dans ces
pays neigeux que la nécessité dont on parle aurait dû se mani-
fester.
* Treatise on arc/i. of England, 1811.
^liO PUÉCIS J)E LlllSTOlRE DE LAHT CHRÉTIEN
MM. Yoiing, Mérimée, Bourassé ', VioUet-le-Duc ^ voient
la principale cause de l'emploi de l'ogive dans ses propriétés
de résistance et dans la solidité qu'elle donne aux monuments
à toit élevé. C'est la voûte d'arête répartissant son poids sur
quatre supports qui aurait nécessité l'emploi de l'ogive, con-
sidérée comme système de construction.
M. A. de Caumout, après avoir admis que l'inclinaison
ogivale a pu avoir été adoptée pour faciliter l'écoulement des
eaux pluviales et donner par là plus de solidité aux édifices,
termine le remarquable chapitre qu'il a écrit sur ce sujet en
disant que rarcliitecture ogivale s'est développée sous la
triple influence des conceptions de nos artistes indigènes, des
souvenirs romains et du goût oriental. Par là même il conci-
lie ensemble les opinions divergentes de Seroux d'Agincourt,
de Bentham et de M. Ch. Lenormand.
M. le docteur Woillez ^ établit que l'apparition de l'ogive
résulte en général de l'adoption des voûtes à nervures croi-
sées, et que c'est d'abord en Picardie que ce germe de l'art
ogival fut fécondé par l'expérience.
M. le docteur Batissier * fait remarquer que le système
ogival n'est point sorti d'un seul jet du cerveau de quelqu'ar-
tiste; que l'ogive fut admise d'abord comme élément nouveau
et exceptionnel dans l'architecture ; que son emploi n'a été
cause d'aucune révolution, et que son avènement n'a fait que
coïncider avec d'autres innovations importantes, dont le con-
cours simultané était nécessaire pour développer un nouveau
système d'architecture.
' Dictionnaire d'Archéologie sacrée.
* Dictionnaire de V Architecture française, v" Construction.
' Mém. de la Soc. des Anliq. de Picardie, t. i\', p. 284.
^ Histoire de l'.lrt tnonnmcnbil , jt. 497.
EN TRANCF, KT KN HEI.GKjdK. 211
D'après M. L. Vitct ', l'arcliitecture ogivale est née des
mêmes circonstances et s'est dévelop])ée d'après les mêmes
lois que les langues et les institutions, à cette même épocpie.
Son principe serait dans l'émancipation, dans la liberté, dans
l'esprit d'association et de commune, entin dans des senti-
ments tout indigènes et tout nationaux.
Ce n'est point un motif de goût, selon 31. ]). Ramée ^, qui
a fait triompher l'ogive. Ce résultat sei'uit dû à la puissance
de l'art séculier qui, au XIIP siècle, détrôna l'art sacerdotal.
Ce serait donc l'influence des artistes laïques, et surtout des
francs-maçons, qui aurait fait Henrir le nouveau style dans
la chrétienté.
M. Michelet ^ a donné à l'ogive une origine tellement mys-
térieuse, qu'elle échappe à l'appréciation du simple vulgaire.
« Dans le triangle ogival, dit-il, deux lignes sont courbes,
c'est-à-dire composées d'une infinité de lignes droites (??).
Cette aspiration commune de lignes infinies en nombre,
qui est le mystère de l'ogive, apparaît dans l'Inde et la
Perse ; elle domine dans notre Occident au Moyen-Age. Aux
deux bouts du monde, se présente l'effort de l'infini vers l'in-
fini (??), autrement dit la tendance universelle, catholique. »
S'il nous était permis, après ces diverses autorités, d'ex-
primer notre opinion personnelle, nous la résumerions ainsi :
1° L'arcliitecture gothique ne nous est point venue de l'O-
rient. Quand bien même on admettrait que les Arabes aient
connu l'ogive avant nous, les rares monuments où elle appa-
raît n'étaient pas assez remarquables pour exercer une in-
fluence quelconque sur l'esprit des pèlerins et des Croisés qui
les avaient visités.
' Monographie de Notre-Dame de Nuyon.
' Manuel de V Histoire générale de l'.Irchitecliire.
* Histoire de France, t. n, p 668.
212 TRÉCIS DE l'histoire DE l'aRT CHRÉTIEN.
2" Le système ogival est un produit fiutochthoiie de l'Oc-
cident. Il a eu tout à la fois des causes morales dans le besoin
d'innovations qui travailla le XIP siècle et dans les ardentes
inspirations de la Foi; et des causes purement matérielles
dans l'utilité de l'arc brisé pour la solidité des édifices, dans
la tendance à exhausser de plus en plus les monuments, dans
l'élévation des voûtes à nervures croisées, etc.
5° L'arc ogival, se produisant chez nous plutôt qu'en An-
gleterre, en Allemagne, en Italie, etc., doit être considéré
comme une innovation française.
-i" Les premières manifestations de l'ogive apparaissent en
Picardie et dans les provinces avoisinantes. Nous serions
donc en droit de réclamer pour la Picardie l'invention du
système ogival ; mais nous n'insisterons pas sur ce sujet, dans
la crainte de nous faire accuser d'un patriotisme trop exclusif
en plaçant dans notre province natale le berceau de l'archi-
tecture gothique, comme nous y avons déjà placé dans un
autre travail ' le berceau de la langue française.
J. CORBLET.
* Glossaire étymologique et comparatif du patois picard, précédé de re-
cherches historiques sur le Dialecte romano-picard.
HISTOIRE DE S. JACQUES LE MAJEUR
et du Pèlerinage de Compostelle-
Tout travail littéraire a son origine propre : les uns ra-
content ce qu'ils ont vu, les autres ce qu'ils ont pensé. Les
vrais travailleurs de la pensée sont rares ; mais les touristes
abondent sous toutes les zones. J'ai voulu, moi aussi, goûter
des voyages; j'ai couru sur terre et sur mer; j'ai vu, j'ai
contemplé et j'ai tâclié de retenir. Compostelle est un de mes
souvenirs les plus chers ; Compostelle ! immortel pèlerinage,
que nos pères du bon vieux temps connaissaient mieux que
nous. Que de choses nous aurions dû conserver, qui sont
tombées par notre indifférence ou notre relâchement î
Ce que tant d'illustres écrivains ont exécuté pour Home et
Jérusalem avec la double autorité du savoir et du génie, je
veux le tenter, avec le seul mérite du bon vouloir, au profit
de Compostelle. Je ne rougis point d'ofïrir à des contemporains
préoccupés d'autres soucis l'histoire dont mon œuvre porte le
titre. Ceux qui dédaigneront cet opuscule comptent peut-être
parmi leurs ancêtres quelque pèlerin de Saint- Jacques. Tel
qui sourit à ce mot de pèlerin, le sera peut-être un jour lui-
même ; un revers , une déception , un retour providentiel à
2U PÈLERIN AGE DE COMPOSTELLE.
des idées (Vid^ord combattues, }>uis acceptées avec enthou-
siasme, suffisent pour conduire au pied des autels où tant
d'autres ont prié et pleuré. Les mobilités du cœur humain,
aujourd'hui mauvais, demain repentant, font tout espérer,
comme elles font tout craindre.
■ J'écris donc })0ur tous, même pour les esprits forts, qui
me refuseront jusqu'à leur pitié; pour les amis de l'histoire,
que toutes les questions du passé intéressent; pour les amis
des légendes et du merveilleux, qui trouveront en Espagne
des récits aussi curieux qu'en Belgique et en Allemagne ;
pour les amis de l'hagiographie, pour toutes les âmes chré-
tiennes, qui étudieront avec moi quelques-uns des person-
nages évangéliques et les pèlerins canonisés ou vénérés qui
ont représenté leur siècle auprès d'un tombeau aujourd'hui
trop solitaire. J'écris aussi pour les archéologues, à qui je
révélerai des merveilles qui ne sont pas même soupçonnées.
J'écris pour mon pays, que tant de liens unissent à la pé-
ninsule Ibérique ; les pèlerinages avaient abaissé les Pyrénées
et ouvert de nombreux passages à la France sur le chemin de
la Galice ; de nombreuses pages de mon travail prouveront
la vieille amitié de la fille aînée de V église et du royaume
catholique. J'écris enfin pour l'Espagne, pour ce beau pays
si justement fier de ses traditions ; je lui dois plus qu'une
aimable hospitalité de quelques jours; je lui dois des impres-
sions bienheureuses, des jouissances du cœur et de l'esprit.
Je me hâte de le proclamer et je veux payer au moins une
partie de ma dette chérie en déposant auprès du tombeau,
qui fut et qui sera son palladium et sa gloire, l'humble hom-
mage de ma reconnaissance et de mon opuscule.
Pardonnez-moi, chers lecteurs, de vous entretenir encore
de ma personne. La justification du plan que j'ai adopté,
m'en fait un devoir. Enfant de la Gironde, habitant de P)or-
PÈLERINAGE HE COMI'OSTELLE. 21 T)
(leaux, j'avais devant moi les deux voies qui couduiseut en
Galice, la mer et les montagnes. Mon aller s'est effectué ])ar
l'Océan, grâce au service transatlantique créé récemment, et
mon retour par terre; double voyage très- varié, de Bordeaux
à Compostelle et de Compostelle à Bordeaux, durant lequel
je serai votre guide, si vous daignez m'honorer de quelque
confiance. C'est une Odyssée chrétienne que je vous propose.
Aventureuse ou non, elle est trop pittoresque pour n'être
pas du goût de ceux-là même à qui un motif religieux ne
saurait suffire. Partons et allons solliciter des Galiciens une
hospitalité bienveillante en échange des secours que le dio-
cèse de Bordeaux leur a envoyés^, dans leur détresse, en 1853.
CHAPITRE PREMIER.
ITINÉltAIRE DE BOUUKAUX A COMPOSTELLE.
Quand nos ancêtres, surtout ceux du Midi de la France,
choisissaient la voie de mer pour abréger leur pèlerinage, ils
s'embarquaient d'ordinaire à Bayonne ou au Cap -Breton. Le
bâtiment, grand ou petit, bon ou mauvais, qui les portait,
les déposait plus ou moins tardivement à la Corogne, à Vigo
ou sur une côte quelconque de la Galice. Natures ardentes et
généreuses, ils comptaient pour peu les ennuis et les dangers
d'une traversée incertaine; tout s'oubliait au terme du pè-
lerinage.
Plus heureux que nos pères avec moins de mérite, nous
mettrons à profit la vapeur, ce progrès féerique de la navi-
gation au XIX® siècle, et nous trouverons dans l'antique
port de la lune de Bordeaux ce que nous chercherions vaine-
ment ailleurs. Nous voulons parler du service mensuel établi
depuis peu de temps entre Bordeaux et Rio-Janeiro ; service
216 PÈLERINAGE DU COMl'OSTELLE.
éminemment ntilc non-sciilcment un commerce, mais encore
à la piété chrétienne et aux pèlerinages; car de Lisbonne, où
les pacpiebots font leur première station trois jours après leur
départ de la capitale de la Guienne, il est facile de se rendre
à Compostelle.
Partons avec joie, cliers lecteurs ; les peuples cpie nous
allons visiter, sont nos frères. De même que la Galatie d'Asie,
le Portugal et la Galice, en Europe, ont été peuplés primi-
tivement par des colonies de Celtes ou Galls ; nos ancêtres
étaient un peu cosmopolites ; ne le sommes-nous pas nous-
mêmes par la frécpience et la rapidité de nos communications ?
Partons, le ciel lui-même nous invite à lever l'ancre; car
il a été dit depuis longtemps :
Rouge vesp?'e et blanc matin
Réjouissent le pèlerin.
Le bourdon et l'escarcelle ont toujours été la marque par-
ticulière des pèlerins, ou, comme parle Gruillaume de Malmes-
bury, le soulagement et Vindice du voyageur * . Munis de ces
deux indispensables compagnons de la route , entonnons le
chant des pèlerins :
Écoutez-nous, roi Christ,
Écoutez-nous, Seigneur,
Et dirigez notre voie *.
Et voguons sous la garde de saint Raphaël , protecteur des
* Solatin et indicia itineris.
- Audi nos, Rex Chiistc,
Audi nos, Domine,
Et viam nostram dirige.
Poésies populaires latines du Moyen Aye, pai' M. Édélestais'i; du Méril.
Palis, 1817, Y 56. — Voir la suite dans les deux pages suivantes de l'ouvrage.
rKLKUlNAUK LK COAirO.STELLK. 217
lointaines pérégrinations. Le Galicien., nne des caravelles de
Christophe Colomb à son cpiatrièrae voyage, fut perce à jour
par les tarières ' ; que l'Ange du Seigneur préserve des tarières
et des naufrages les Messageries impériales h qui nous aban-
donnons pour trois jours notre existence. Rapides comme
l'aile de l'hirondelle, exacts comme le soleil, les paquebots
transatlantiques^ véritables traits d'union entre l'ancien et le
nouveau monde, se balancent sur l'élément liquide avec une
majesté et une placidité qui semblent défier les orages. Si le
sort nous favorise, la Guienne, la chère Guiemie sera la dépo-
sitaire de notre personne et de notre fortune. Grâce à son
nom, notre orgueil provincial nous fera croire que nous
sommes encore chez nous, même quand nous n'apercevrons
plus la Garonne, la Gironde et le golfe de Gascogne. Causer,
lire, jouer, méditer, tout est possible abord, à moins qu'un
mal toujours redouté, presque toujours inévitable, rarement
dangereux, ne vous tienne captif dans une chambrette déco-
rée du nom de cabine.
Les berlingues., îlots portugais, que nous saluons du regard
et de la main, nous font pressentir le Tage et Lisbonne. Nous
voici à la barre du fleuve ; Belem se présente avec sa forte-
resse-miniature et son église mauresque ; encore quelques mi-
nutes, la machine s'arrête; la ville d'Ulysse est devant nous,
ville toute blanche, toute neuve, qu'on ne devrait voir que de
loin ; ceux qui ont fait le tour du globe, classent son port
parmi les quatre plus beaux de l'univers. Ne serait -il pas
encore plus ravissant, si tout notre littoral océanique lui ex-
pédiait de plus nombreux bâtiments ?
Si quelque chose a disparu de votre bazar de voyage, sou-
venez-vous que vous foulez le sol qui a vu naître saint Antoine
' Christophe CoJomh, par Rosklt.y de Lougi'Es, t ir, p. 257.
TOME VI. 16.
218 lÈLEl^INAGF, DE COMFOSTELLE.
de Padoiie et allez l'invoquer dans l'église érigée, sous son
vocable, au-dessus de l'appartement oii il vint au monde.
Hâtons-nous, reprenons la mer à bord de la Liisitanie. Dieu
aidant, nous serons dans quinze heures en présence de Porto,
plus célèbre pour ses vins que pour ses monuments. C'est le
Bordeaux du Portugal. Un roi des temps modernes est allé
expier dans ses murs un rêve malheureux. Son tombeau, peu
connu de l'Europe, couronne une montagne au-delà du Douro,
près de l'embouchure de ce fleuve, et une place qui porte au-
jourd'hui son nom, Praca de Carlos Alberto^ rappelle au tou-
riste et au penseur des calamités qui durent encore et dont
ce prince a été une des premières victimes.
Braga est sur notre route. Son calvaire du Bom Jésus de
Monte est justement célèbre ; mais un double souvenir d'un
autre genre y intéresse le pèlerin de Saint-Jacques et le Fran-
çais. Cette ville doit à l'Apôtre de l'Espagne et du Portugal
son premier évêque et peut-être son premier martyr, saint
Pierre, dont le Martyrologe Romain et les Bollandistes lixent
la fête au 26 avril. Vers la fin du XP siècle, un noble enfant
du Quercy;, un illustre Bénédictin de l'abbaye de Moissac,
connu dans l'histoire soug le nom et la qualification de saint
Gérault^ fut amené de Moissac par Bernard, primat de To-
lède, qui le fit chantre de sa cathédrale et ensuite archevêque
de Braga. Après avoir évangélisé ce pays, il termina sa car-
rière en 1109. Le Martyrologe de saint Benoit place sa fête
au 5 décembre. Sa vie a été écrite par Jean Maldonat, cité
par François Harseus en son Epitome.
Au XVr siècle, l'église de Braga fut gouvernée par un
pieux dominicain, Barthélémy des Martyrs, qu'elle n'a pas
encore oublié.
Braga fut jusqu'au XIIP siècle la rivale de Compostelle
et lui disputa la juridiction sur quelques évêchés.
PKLEIUNAUE UE COWFOSTELLE. 219
Nous sommes trop pressés pour nous arrêter à Barcellos et
à Viana-, arrivons à Caininha. Ici finit le Portugal; ne m'en
veuillez pas de vous avoir promenés dans ce pays lointain ;
c'est une terre favorisée du ciel, vrai paradis de l'Europe. Un
de ces proverbes hyperboliques (pii durent autant (pie l'his-
toire, est conçu en ces termes : Dieu fil le Portugal et se reposa.
Nous allons changer de pays, mais non pas entièrement de
langage. Le Portugais s'est formé du Gallego, l'idiome d'Al-
phonse X, que le peuple, opiniâtre là comme ailleurs;, s'ob-
stine à parler presque exclusivement.
Un petit Heuve très-paciiique, le Minho, sépare le Portugal
et la Galice. Si le souffle d'un vent favorable se joint à l'im-
pulsion de la rame, nous aborderons dans quelques heures à
Tuy^ ville forte qui, du haut de la montagne où elle est assise,
menace de l'autre côté du fleuve la ville portugaise de Valence.
Réglons nos comptes le mieux possible avec la douane et la
police du royaume d'Espagne, où nous venons d'entrer, et re-
commandons-nous à l'apôtre et au patron de ce pays encore
aujourd'hui si chrétien.
Nous voici en Galice; ne foulons qu'avec respect un sol où
tant de pèlerins ont laissé l'empreinte vénérée de leurs pieds.
Encore quelques stations à travers des routes bordées de cet
utile maïs, zea maïs, que les gens de nos campagnes ne con-
naissent guère que sous le nom de blé d'Espagne; encore un
peu de patience , quand nous rencontrerons ces lentes cara-
vanes de chars rustiques dont les essieux criards font gémir
les airs et les oreilles par les notes les plus aiguës et les plus
discordantes. Ce bruit s'entend d'une demi-lieue et ne déplait
pas aux naturels du pays. Ils ont ainsi un instrument de mu-
sique qui ne leur coûte rien et qui joue de lui-même, tout
seul, tant que la route dure. A l'agrément se joint l'utilité :
ce bruit perçant et continu avertit les bouviers qui cheminent
220 PÈLEKINAGË UE CO.MrOSTELLfc:.
en sens contraire dans des sentiers trop étroits où ils ne
pourraient se croiser, de s'arrêter assez tôt pour laisser
passer celui qui est le plus proche de l'issue du sentier. Les
consolations qui nous attendent, seront mieux goûtées après
quelques fatigues, quelques ennuis et quelques terreurs plus
ou moins cliimériques. La petite cité de Purrino n'est at-
trayante ni par son nom, ni par sa physionomie, et ne mérite
pas la moindre halte ; allons nous reposer quelques heures à
Vigo sur les bords d'une baie incomparable, d'où les bâti-
ments qu'elle a abrités peuvent gagner l'Océan par deux
issues également sûres.
Avançons , avançons vers le terme désiré de notre voyage ,
vers Compostelle. Une petite ville, el Padron, qui est sur
notre chemin, doit fixer notre attention. Son nom a une rai-
son d'être, dont nous dirons plus tard l'origine.
Gravissons cette montagne; c'est la Montagne de Sai?it-
Marc, Monte de san Marcos. Jadis les pèlerins l'appelaient la
Montagne de la joie ^ Monte del gozo, parce que de sa cime
élevée ils apercevaient pour la première fois le pieux objet de
leurs désirs et dès ce moment livraient leur cœur à la plus
douce joie. Mais l'esprit de pénitence tempérait ces premiers
transports. Avant d'aller plus loin, ils se prosternaient, et le
point de la montagne qu'ils touchaient de leur front incliné
dans la poussière, s'appelait le lieu de r/iiwii liât ion, el humil-
ladoiro.
Compostelle nous apparaît dans le lointain; ce n'est pas un
mirage mensonger, mais une consolante réalité. Salut, ville
chérie ! Je n'ai point encore sillonné tes rues, je n'ai point
encore visité tes monuments; mais déjà tu es plus belle à mes
yeux que tant de splendides capitales. Un tombeau m'attire
dans tes murs ; c'est à l'ombre de ce tombeau que je veux
prier. Combien d'autres l'ont fait avant moi ! Les uns ont
PÈLERINAGE DE COMPOSTE LLE. 221
humilié leur pourpre royale devant ce marbre sans épitaphe
et ont tâché d'y expier les séductions et les faiblesses du pou-
voir. Les autreSj, pauvres volontaires ou résignés, coupables
ou craignant de l'être, ont trouvé sur les mêmes dalles la paix
du cœur dans les larmes de la pénitence ; la date de leur
pèlerinage a été celle d'une vie nouvelle et de jours plus se-
reins. Que de bonheur caché sous leurs grossiers camails à
coquilles î Que de récits pour les soirées du village !
Les temps sont changés ; les voyages autour du monde et
les vulgaires trains de plaisir ont remplacé les pèlerinages; un
nouveau courant d'idées et d'affections circule dans la société;
des besoins nouveaux, fébriles, insatiables tourmententune gé-
nération nouvelle qu'on dirait sans ancêtres; mais qu'importe?
Un pèlerin de Saint-Jacques, un Jacopite ' , si tard venu qu'il
soit au XIX" siècle, n'en est pas moins le successeur de plu-
sieurs générations de chrétiens au même tombeau ; il renoue
le fil de nos traditions nationales, et à ce titre il aspire au
respect de ses contemporains, sans aucun souci des sarcasmes
du scepticisme ou de l'ignorance.
' Les pèleiinagos étaient si communs pendant le Moyen Age, qu'on dut
créer un mot particulier pour exprimer chaque espèce différente Les pèlerins
delà Terre-Sainte, avant de letourner dans leur pays, coupaient des branches
de palmier qu'ils emportaient conmie un témoignage de raccomplissement de
leur vœu. De là le nom de iJaîmarii, j^almatl, pulmiçjeri, par lequel on les
désignait Notre langue a conservé le vieux mot de Paumiers, qu'on trouve
dans nos anciens poètes. Raymond de Plaisance et Foulques d'Anjou furent
surnommés Palmiers. Ce surnom est devenu le nom propre de quelques fa-
milles qui le portent encore aujourd'hui. — Les pèlerins de Rome étaient
appelés Romei , de là l'origine des noms Romieu, Roumieu de certaines fa-
milles. — Les pèlerins de Compostelle s'appelaient Peregrini ; de là les noms
de Pèregrin, Pèlegrin qui appartient encore aujourd'hui à certaines familles.
{Poésies populaires latines antérieures au XI I^ siècle, par M. Edélestand
DC MÉR1I-. Paris, 1843, p. 191). Les derniers étaient encore appelés Jacobitœ
ou Jacobipetœ, pèlerins de suint Jacques. [Glossaire de Ducange.)
222 PÈLERINAGE DE COMPOSTELLE.
Dieu soit loué ! Nous voici à Composteile, Qu'est-ce donc
que cette ville, célèbre dans tout l'univers chrétien ? Son
histoire et su gloire ne sont autres que celle de l'apôtre, dont
la Providence lui a confié les immortelles reliques. Que de
cités qui doivent leur nom, leur grandeur, leur prospérité au
passage de quelque serviteur de Dieu ou au culte de leur dé-
pouille mortelle ?
l'abbé pardiac.
[I.a suite à un prochain numéro.)
ANCIENS DESSINS DE CHANDELIERS
M. l'abbé Corblet a publié dans le volume de 4859 de la Revue
une notice très développée sur les chandeliers et sur l'origine de
ces instruments du culte. La publication de ce savant travail nous
dispense de faire l'historique des chandeliers en usage dans les
églises. Nous nous bornerons donc dans cette courte note à mettre
sous les yeux des lecteurs trois dessins de chandeliers calqués sur
des vignettes de manuscrits, et un autre dessiné d'après une cise-
lure en style roman, qui figure au Musée royal de Belgique. Ce
chandelier, très-simple de forme, est tenu par un ange qui occupe
le haut d'un des volets ou battants de ce magnifique reliquaire en
vermeil [fig. \). Le second {fig. 2) est calqué sur une vignette de
1. 2.
l'époque romane. Il est placé sur un autel, en partie visible^ près
224
DESSINS UE CHANDELIERS.
du calice donl se sert l'oliiciaiit. Ce chandelier, d'une forme Irappue,
supporte une chandelle ou bougie enlacée d'une bande tournée en
spirale. Le petit chandelier que leprésente la figure 3 porte une
'Wi
V-
V
torche dont la pointe serpente du côté gauche. La figwe 4 est éga-
lement un chandelier de l'époque ogivale ; il ressemble beaucoup
au précédent, excepté que le pied et la bobèche en sont plus déve-
loppés et que le nœud qui est au milieu du pied, au lieu d'"être
orné de moulures, est formé d'une simple boule. Ce chandelier est
surmonté d'un cierge allumé. L'usage des chandeliers en métal est
très-ancien, comme cela est démontré dans le travail de M. l'abbé
Corblet, et il est bien à regretter que le clergé admette, de nos jours,
sur les autels, des chandeliers en bois, comme cela se voit à la cha-
pelle du Saint-Sacrement de Saiute-Gudule à Bruxelles. On donne
ainsi un aspect sombre au reste des ornements, tandis que le métal
reflète son éclat sur l'ensemble de l'autel.
ARNAUD SCHAEPKENS.
REVUE DE L'ART CHRETIEN 1862 ,
W
00
CD
CD
CTJ
07
MONUMENTS CHRÉTIENS PRIMITIFS
à Marseille '
SIXIÈME ARTICLK *.
SARCOPHAGE N" 0 : JÉSUS ENFANT GLORIFIÉ
Ce sarcophage a renfermé pendant plusieurs siècles les
ossements du saint abbé Cassien; mais on se convaincra sans
peine, en mesurant ses faibles dimensions, qu'il n'a pas été
construit pour servir de première sépulture au célèbre fon-
dateur de l'abbaye de Saint- Victor : sa longueur à l'intérieur
ne porte que 1""20. L'artiste chrétien l'avait donc destiné à
recevoir la dépouille d'un enfant. (Voir la planche ci-jointe. J
L'historien de Marseille nous apprend que ce sarcophage
reposait de son temps sur quatre colonnes de marbre ' . D'a-
près son dessin, les colonnes soutenaient un entablement
détaché du monument supérieur. Ne serait-il pas permis d'y
voir un ancien autel que les moines auraient transformé en
* Voir le numéro de janvier 1862, p.' 5.
' RiFrr, t. II, 126.
TOME Yi. Mai 1862. 17.
22G MONUMENTS CHRÉTIENS PRIMITIFS
mausolée, à l'époque du moyen-âge où l'on commença à
exhausser de la sorte les sépulcres de quelques saints dis-
tingués ' ?
La table de marbre et les colonnettes n'ont pas été re-
trouvées parmi les débris antiques recueillis dans le souter-
rain marseillais.
Plusieurs interprétations ont été données à ce bas-relief
chrétien : l'archéologue Saint-Vincent reconnaît le Sauveur
au centre du tableau ; à ses côtés seraient les apôtres Pierre
et Paul, en leur qualité de patrons de l'abbaye; quant à
l'enfant porté sur les bras de son père , il serait offert par
ses parents au monastère, pour l'y faire élever ; le personnage
debout, le plus à droite, serait l'abbé Cassien lui-même ^.
Au reste, Saint-Vincent attribue cette explication au
savant Le Fournier, moine de Saint- Victor au XVIIP siècle.
Grosson a adopté l'opinion des deux précédents anti-
quaires, en faisant remarquer pour sa part que « dans le cos-
tume ancien les vêtements des moines étaient la tunique
et la chlamyde '. »
Millin a interprété différemment le groupe de la dernière
arcade de gauche : « Persuadé que cette tombe chrétienne
' On s'éloignait alors des usages primitifs. En effet, dans les siècles pré
cédents, les ossements des Saints avaient été invariablement placés sous les
autels (Selvaggio, Antiq. Christ., t. m, 375), conformément à la vision de
saint Jean : Vidi sub altare Del animas interfectorum, Apoc, vj. Le fait est
confirmé par le poète Prudence, dans ces vers trop peu poétiques :
Sic venerarior ossa libet
Ossibus altar et impositum
Illa Del sita sub pedibus
Prospicit hsec, populosque suos
Carminé propitiata fovet.
' Notice des Monuments..., etc., 17, 18.
* Almanach historique de Marseille, année 1773, p 81.
A MARSEILLE. 227.
représentait comme les autres un trait de la sainte Écri-
ture, ). il pensait « qu'on y avait figuré l'oblation de Jésus
au Temple ' . »
Les derniers éditeurs de la Notice sur les tableaux et autres
monuments du Musée de Marseille ont donné à leur tour
l'explication que voici :
« A l'arcade du milieu, un personnage vêtu comme un
prêtre ; aux arcades les plus rapprochées, deux assistants ; à
l'extrémité droite, un homme tenant son bonnet et de l'autre
côté, une femme accompagnée d'un homme qui paraît offrir
au prêtre un petit enfant qu'il tient dans ses bras, indiquant
la cérémonie d'un oblat consacré par ses parents à la vie
monastique, selon l'usage des premiers siècles de l'institution
cénobitique '. »
Nous avons déjà fait remarquer avec quelle négligence
avaient été dessinés dans les ouvrages de Rufïi et de Millin
les beaux sarcophages que nous étudions. Nous pouvons for-
tifier ici notre observation critique.
Dans ce sarcophage, les têtes, les poses sont défigurées;
les costumes, incertains. La planche de Millin est encore
plus erronée. Le Jésus du centre s'y montre d'un âge mûr ;
le personnage le plus à droite tient à la main un bonnet ou
une toque, tandis que, en réalité, il soutient ou relève un
pan de son manteau ; à la gauche de Jésus, on dirait une
femme plutôt qu'un homme ^
Le plan de notre page d'art chrétien se développe en cinq
compartiments : les arcs en sont surbaissés et géminés ; les
colonnes ont été empruntées à l'ordre dorique.
' Voyage dans le Midi de la France, t. m, 177.
' La dernière édition de cette Notice est de. 1851.
'Planche lvi de l'Atlas.
228 MO.Nl'MENTS CilliÉTIENS l'HlMITlFS
Un enfant en occupe le milieu. Vêtu d'une tunique à
manches étroites, il porte par-dessus une sorte de manteau
qui ondule jusqu'aux avant bras et se termine en pointe
vers le genou. C'est la partie du costume que les Latins pa-
raissent avoir désigné sous le nom de planeta^ qui pouvait
être aussi le colobium des Orientaux ' . Les mains de l'enfant
sont ouvertes et ses bras à demi étendus ; les pieds n'ac-
cusent aucune trace de chaussure.
Deux personnages barbus et drapés comme on représente
les apôtres sur les sarcophages chrétiens primitifs se tien-
nent debout à ses côtés et sous leur arcade respective. De la
main droite, ils gesticulent comme des hommes en admiration.
Un troisième personnage, plus jeune et imberbe, drapé
comme les autres, exprime ses pensées avec une douce per-
suasion.
A l'arcade opposée figure un groupe plein de mouvement :
un homme d'un âge peu avancé, en tunique et en manteau,
présente sur ses mains un petit enfant. Une jeune femme
marche derrière lui, timide et se tenant à sa personne ; sa tête
est à demi voilée et son vêtement flotte jusqu'au sol.
Tel est l'ensemble de cette composition dont le cadre, on
le voit, est peu étendu, mais dont l'interprétation nous paraît
assez difficile.
Avons-nous devant les yeux une seule scène, ou bien
faut-il y admettre des sujets indépendants? Quel est cet
enfant si bien posé sous l'arcade centrale ? Est-il là dans un
état d'isolement, ou comme un terme vers lequel tous les
autres personnages convergent? Quels sont les autres per-
sonnages debout et discutant ; enfin à quel fait historique
' /inalecta de re vestiaria, Fekrahilis, p. 65. Ce vêtement est sans con-
tredit l'origine des chasubles du Moyen Age, si ornées et si majestueuses.
A .MAllSEILI.i;. 229
se rattache le groupe de famille qui occupe rextrémité gauche
(lu plan?
Les esprits qui ont pénétré les secrets de l'antiquité
chrétienne, conviennent que certains sujets représentés sur
les sarcophages sont encore pour la science des livres à peu
près scellés. La pensée réelle qui les a conçus n'apparaît
qu'au milieu de graves incertitudes. Après les travaux fort
remarquables des archéologues du XVIIP siècle et malgré
les dissertations judicieuses de plusieurs modernes, il reste
divers points à définir, quelques symboles à justifier, des
détails historiques à éclaircir. Pour resserrer de plus en plus
le champ des conjectures, il importe donc d'interroger per-
se véramment tous les bas-reliefs renfermés dans les musées,
et ceux que d'heureuses fouilles révèlent au labeur des
pionniers de l'Iconologie chrétienne. Qu'ils apportent avec
confiance le fruit de leurs patientes études, afin de préparer
pour un avenir rapproché, s'il est possible, le dernier mot de
cet art admirable qui naquit avec l'Eglise.
On ne s'étonnera donc pas de la divergence d'opinions
qu'a fait naître l'examen du sarcophage connu sous le nom
de l'abbé Cassien. Pour ce qui nous concerne, quoique le
jugement que nous allons émettre nous paraisse fondé sur
des indices majeurs, nous n'en tenons pas moins à déclarer
que nos afiirmations ne sauraient être péremptoires ; laissant
ainsi à d'autres archéologues le désir et l'espérance de trou-
ver la clef véritable qui nous aurait échappé.
Si l'enfant debout à la place d'honneur pouvait être pris
à part, il serait naturel d'y voir l'image du jeune enfant que
le sarcophage avait d'abord recelé. De nombreux exemples
cités dans des ouvrages spéciaux viendraient à l'appui de
cette interprétation : et sans nous éloigner du Musée mar-
seillais, nous pourrions invoquer le portrait en pied d'une
230 MONUMENTS CHRÉTIENS PRIMITIFS
jeune chrétienne, grossièrement taillé en creux sur un marbre
avec son inscription : la pieuse défunte a été également re-
présentée les bras étendus et recommandant son âme à Dieu ' .
Nous dirons quelques mots de plus pour favoriser cette ex-
plication : le jeune enfant porté sur les bras de son père,
pourrait être le même élu du Seigneur sculpté au milieu du
sarcophage. Après avoir été offert à Dieu dès l'âge le plus
tendre, il n'avait pas tardé à quitter la vie présente : peut-
être cet enfant béni du sanctuaire, ce jeune lévite portait-il
à l'autel un vêtement assez semblable à celui des prêtres , et
sur sa tombe privilégiée, on aurait voulu consigner ce double
fait. Enfin s'il était possible de ramener la date de cet ou-
vrage d'art chrétien jusqu'à l'abbé Cassien et qu'il y eût lieu
d'accepter le monastère de Saint-Yictor comme déjà fondé,
ne pourrait- on pas voir ici le témoignage d'une de ces pre-
mières oblations qui deviennent si fréquentes dans la suite
des siècles? Le costume de I'Oblat défunt ne serait- il pas,
dans ce cas, plus particulièrement celui des innocents élèves
de la vie cénobitique ?
Mais une difficulté réelle m'empêche d'embrasser l'inter-
prétation précédente. Je ne puis m'expliquer, en effet, ce
mouvement des personnages qui ont été sculptés et mis en
action aux côtés de l'enfant central. Il est hors de doute que
ce sont là des Apôtres : leur similitude avec les disciples du
Sauveur habituellement figurés sur les sarcophages, ne nous
permet pas d'hésiter à cet égard. Or, à quelle fin les apôtres
apparaîtraient-ils comme acteurs dans une scène aussi
modeste? Dans quel but les aurait-on attachés à ce tableau,
* Deus meus es... cormnendo spiritum meum ; telle est la fin de l'inscription.
Ce rnaibre inédit sera publié, en son lieu, dans la suite des Monuments chré-
tiens primilifs à Marseille.
A MARSEILLE. 231
contemplant un défunt qui n'est pas même un adolescent,
discourant en face de lui ou lui adressant la parole?
L'enfant de notre sarcophage, quel qu'il ait été durant sa
vie mortelle, a-t-il pu devenir l'objet de tant d'honneurs et
recevoir après son trépas une pareille gloire ?
Dirons-nous dans une seconde explication que la douce
figure qui brille entre les Apôtres est une de celles que l'ar-
chéologie sacrée désigne sous l'appellation d'ÛRANTE.Cetype,
en eifet, reproduit un grand nombre de fois sur les sarco-
phages et dans les peintures des premiers siècles, était vive-
ment affectionné par l'Eglise. Avec ses mains étendues, son
attitude ferme, I'Orante exprimait encore autre chose que
la prière chrétienne en action ; les disciples de l'Evangile eu
avaient fait comme la personnification de leurs croyances
au dogme de la résurrection des morts ' . On conçoit dès lors
sa présence largement manifestée à tous les regards, au sein
des Catacombes et dans les lieux où s'assemblaient les pre-
miers chrétiens. On comprend surtout sa reproduction toute
mystérieuse sur les sarcophages. Ici nous nous expliquerons
au moins la pose accentuée et énergique des trois Apôtres,
prédicateurs zélés de cet article de notre foi. A leurs gestes,
on dirait qu'ils publient ou qu'ils expliquent au peuple fidèle
le suprême événement qui doit le préoccuper par dessus toutes
choses.
Mais, dans cette hypothèse, où serait la raison du groupe
qui se montre en dehors des Apôtres? Quelles relations y
aurait-il à établir entre l'offrande d'un enfant et le symbole
de la résurrection des morts?
Le Fournier, Saint-Vincens et Millin reconnaissent le Sau-
veur au centre de la composition. Ils sont d'accord en cela
' Rama subterranea, Akikghi, t. ii, 578.
232 IHONUMENTS CHRÉTIENS PUIAUTIFS
avec la tradition, qui ne s'est jamais lassée dans l'antiquité
de multiplier sur les tombeaux l'image auguste de Jésus.
Seulement ces doctes archéologues ne paraissent pas avoir
saisi l'âge sous lequel l'artiste chrétien l'avait représenté.
Pour nous, Jésus est ici à l'état d'enfant. La raison du
sujet est des plus naturelles : c'est un entant qui doit être
déposé dans le sarcophage ; habitué à sculpter de préférence
l'image du Sauveur au milieu de ses marbres funéraires, l'ar-
tiste chrétien se sera inspiré du contraste qui frappait son
imagination. Souvent il l'avait exécutée sous la forme d'un
adolescent plein de grâce ; il aura cru opportun de figurer
ici Jésus dans un âge encore plus tendre. Le tableau rappel-
lerait ainsi historiquement son enfance et présenterait en
même temps dans sa personne le symbolisme éloquent de cet
âge que l'Evangile avait préconisé en termes si magnifiques.
Or, dans les deux sens, le jeune néophyte du sarcophage
devait recevoir une sorte d'apothéose par la représentation
du Fils de Dieu enfant. En contemplant l'image si pure du
divin modèle, on se persuaderait avec intérêt que l'humble
défunt avait conservé en son âme l'innocence baptismale. A
son sujet aussi, les fidèles goûteraient l'heureuse occasion
d'admirer Jésus dans une autre phase de sa vie et de glorifier
du même trait l'enfance avec sa couronne évangélique.
Les saints Livres ne nous parlent pas longuement des pre-
mières années de Jésus. On dit de lui qu'en croissant et se
fortifiant, il surabondait en sagesse et que la grâce de Dieu
habitait en lui ' . On raconte qu'aux approches de la fête de
Pâque, ses parents le conduisaient habituellement à Jéru-
salem, et qu'à l'âge de douze ans, ayant été amené par eux
dans la Ville sainte, il s'en trouva séparé et comme perdu ;
' Luc:., c. Il, 40.
A MARSEII-LE. 2;}.3
qu'après trois jours de sollicitude et de reclierclics, Joseph
et Marie eurent enfin le bonheur de le rencontrer au Temple,
au milieu des Docteurs, les écoutant et les interrogeant' ; que
là, tous ceux qui l'entendaient étaient ravis de la prudence
de ses questions et de la justesse de ses réponses ".
Saint Luc, revenant sur un témoignage glorieux qu'il avait
déjà donné au saint Enfant, termine le récit de son pèleri-
nage à Jérusalem par cet éloge suhlime : « Jésus croissait
en sagesse, en âge et en grâces devant Dieu et en présence
des hommes \ »
Jésus enfant apparaissait ainsi sous la mystérieuse in-
fluence du symbolisme ; sa vue redisait tout ce que cet âge
devait obtenir de vénération et d'amour dans le christianisme.
En eifet, le Sauveur ne s'était pas contenté d'entourer les
enfants d'une tendresse profonde et inouïe dans la morale
payenne, alors qu'il se livrait aux exercices solennels de la
prédication : il s'était interrompu dans ses discours pour
presser entre ses bras ceux qui s'approchaient de sa personne
sacrée, et les caresser avec effusion; mais remarquons sur-
tout l'esprit de son enseignement en ce qui concerne l'en-
fance : il exige que ses disciples s'attachent à ressembler
aux plus jeunes du premier âge '' . Jésus affirme que le royaume
du ciel ne leur appartiendra qu'à cette condition ^ « Dans
ce royaume, dit-il encore, le plus grand sera celui qui se
sera fait le plus petit. » Il va proclamer que tout disciple
qui reçoit un enfant en son nom le reçoit lui-même "^ et il
' Luc, c. II, 46.
- Luc. , c. H, 47.
" Luc, c. ir, 52.
* Math., c. xviii, 3.
^ Math., c. xviii, 4.
® Math., c. xviii, 5,
234 MONUMENTS CHRÉTIENS PRIMITIFS
anathématise quiconque scandalise ou méprise l'innocente
créature '.
^ La pensée de l'artiste chrétien renfermait une grande in-
telligence : elle devenait très-instructive : dans son tableau
Jésus et l'enfant se trouvent exaltés à la fois.
Quelle douce figure dans cet Enfant-Dieu ! Quelle modestie
dans sa pose 1 Et quelle naïveté dans son expression ! Ses
bras indiquent la prière ; ou bien ils se sont ouverts pour
révéler et communiquer la paix de son âme. La simplicité
de son vêtement ajoute encore à l'harmonie du caractère.
Les Apôtres que l'artiste a placés à droite et à gauche de
Jésus enfant, saint Pierre et saint Paul sans doute, publient
avec ardeur sa gloire et ses vertus. Le disciple le plus à
droite de la scène est imberbe ; on pourrait y voir saint Jean,
le bien-aimé de Jésus, qui dans le collège apostolique a le
mieux retracé dans ses mœurs la candeur et la pureté de
l'enfance.
Le groupe de l'extrême - gauche explique sans effort la
pensée génératrice du tableau ; il y répond en outre avec
bonheur : c'est l'offrande sacrée d'un enfant par ses propres
parents.
Nous partageons pleinement la conviction du docte auteur
du Voijaye dans le Midi de la France^ qui n'admet que des
scènes de la sainte Ecriture sur les sarcophages chrétiens
primitifs , sans y méconnaître pourtant certains types et
divers détails symboliques qui s'y rencontrent ; mais en
adoptant les faits de l'histoire biblique à l'exclusion de toute
représentation étrangère, Millin nous paraît s'être trompé
dans le souvenir qu'il invoque en cet endroit. Notre groupe
lui a paru figurer la purification de la Vierge, c'est-à dire
* Math., c. xviu, 10.
A MARSEILLE. 235
Joseph et Marie présentant à Dieu le Christ nouveau-né,
quarante jours après sa naissance ' .
J'aurais d'abord une vraie répugnance à accepter l'offrande
de Jésus des mains seules de Joseph. Au IV* et au V® siècle,
l'art chrétien n'aurait pas reproduit de la sorte le sujet dont il
s'agit. Si, à cette époque, les disciples de l'Evangile n'avaient
plus à voiler aux yeux des Juifs et des payens les dogmes
sculptés, peints ou gravés de leurs saintes croyances, je crois
qu'ils n'auraient pas hésité à déposer résolument l'Enfant-
Dieu entre les mains de la Vierge ; c'est par Marie, de pré-
férence, que Jésus aurait été présenté à l'Eternel.
En dehors de cette raison, l'enfant lui-même porté sur l^s
bras du père repousse par son âge l'interprétation de Millin :
cet enfant est déjà grand. Sa tunique, le reste de son vête-
ment font assez voir qu'il y a là un fils de quelques années.
Ses mains sont jointes pieusement et tout en lui révèle qu'il
participe avec connaissance et avec foi à l'acte religieux dont
il est le sujet.
Pour nous qui, dans l'exposé du bas-relief, avons cru
pouvoir nous arrêter à l'idée de l'enfance chrétienne honorée
et célébrée en la personne de Jésus, nous trouvons bien na-
turelle ici la reproduction de l'événement de l'Evangile le
plus approprié à cette idée, celui qui consacre la bonté de
Jésus pour les enfants et l'ardente confiance d'un père et
d'une mère ofi'rant leur fils à ses immortelles bénédictions.
« Jésus s'étant avancé vers les frontières de la Judée au-delà
du Jourdain.... de petits enfants lui furent amenés, afin
qu'il leur imposât les mains et qu'il priât sur eux. Les Dis-
ciples s'opposaient avec quelques reproches à cette touchante
manifestation ; mais Jésus leur dit : Laissez ces petits enfants
' Tom. m, 177.
23G MONUMENTS CHRÉTIENS PRIMITIFS
et ne les empêchez pas de venir à moi; et leur ayant imposé
les mains il quitta ce lieu ' . » Saint Marc ajoute qu'il embrassa
ces enftuits et qu'il les bénit paternellement^.
Ainsi deux époux Israélites se sont avancés vers le Sau-
veur avec une respectueuse confiance : le père élève l'enfant
pour que Jésus le bénisse. L'épouse jeune et modeste n'ose
se détacher de son époux. Sa crainte bien marquée ne sur-
prend point devant le texte sacré qui nous montre les
Apôtres opposés à cette présentation familière des enfants.
Sous le voile de ce fait évangélique se cache une figure
pleine d'intérêt, suave et pressante invitation adressée aux
parents d'offrir leurs enfants au Sauveur. La piété des fa-
milles chrétiennes saisira un langage si éloquent et les jeunes
enfants de leur côté, à la vue de l'offrande d'un des leurs,
comprendront l'exhortation qui leur est faite : ils iront à
Jésus qui les attend, les bras ouverts, dans l'espérance de
reposer un jour en paix dans son céleste empire.
Comme les traits historiques de l'Ancien Testament ont
souvent été reproduits dans l'iconographie chrétienne, surtout
quand ces traits devenus publics appartenaient au domaine
du peuple nouveau, il serait possible que le groupe de fa-
mille se rapportât spécialement à l'offrande du jeune Samuel.
Au rapport du premier livre des Rois, <' Elcana était triste
de la stérilité d'Anne son épouse... Anne, de son côté, ver-
sait souvent des pleurs... Dans son affliction, elle pria le
Seigneur et lui fit vœu, si elle devenait mère, de con-
sacrer pour toujours son enfant à son culte. Cette prière
fut exaucée; Anne mit au monde un fils qu'elle nomma
Samuel.
' Math., xix, 13.
^Mauc, X, 16.
A .MAl'.SEILLK. 2']7
« Elcunii et son épouse vinrent plus tard ù Silo [nmv exé-
cuter leur vœu : Samuel était encore un petit enfant,
infantulus^ et ils le présentèrent au grand prêtre Héli, ([iii
le consacra au service du Temple. Le jeune Samuel servait
le Seigneur revêtu de l'éphod de lin ; sa mère lui avait fait
en outre une petite tunique ' .
Ce fait sculpté sur le bas-relief chrétien ne contrarierait
en rien l'interprétation générale que nous en avons donnée.
Le jeune Samuel est regardé dans l'Eglise comme la figure
de Jésus enfant. Sa présence est donc un autre titre de
gloire qui revient au Fils de Dieu : elle est encore un souve-
nir sagement produit à l'honneur de l'enfance évangélique.
Enfin Samuel et ses parents brillent à la place qui leur est
assignée comme de dignes modèles à proposer aux pères,
aux mères, aux enfants des familles chrétiennes.
L.-T. DASSY,
r.oirespomlant dr. Ministùre pour les Travaux hisloriqnes.
' I Reg. 2, 3.
NOUVELLES PARTICULARITÉS
Relanres à la Sépulture chrétienne du Moyen Age,
I, — PIQUES DANS LES FOSSES. — II. BOUCLES ET ANNEAUX. — III. CHA-
PELETS. — IV. COQUILLES PERCÉES. — V. SANDALES OU CHAUSSURES.
En 1860 j'ai soumis aux lecteurs de la Revue de l'Art
Chrétien quelques détails particuliers et tout-à-fait spéciaux
que j'avais observés dans les sépultures chrétiennes du Moyen
Age. — Depuis deux ans mes recherches ont continué sur
cette branche si intéressante de notre archéologie nationale
et j'ai recueilli plusieurs particularités nouvelles que je crois
de nature à intéresser les liturgistes, les archéologues et les
ecclésiologistes.
Quelques-unes des observations que je vais avoir l'honneur
de soumettre à mes lecteurs sont le fruit de lectures et de
voyages, mais la plupart sont le résultat de découvertes per-
sonnelles. Ce sont surtout des études faites au sein de la
tombe chrétienne à l'aide de fouilles que je dirigeais moi-
même. Je ne garantis bien que celles-là; les autres, je les donne
pour ce qu'elles valent, je ne m'en fais l'écho qu'autant que
les auteurs m'ont paru mériter quelque confiance. Presque
SÉPULTURE CHRÉTIENNE DU MOYEN AGE. 23'J
toujours je cite mes témoins, laissant à chacun le mérite de
son dire et la responsabilité de son assertion.
I. Piques dans les fosses. — La première particularité
que je ferai connaître cette année me paraît surtout spéciale
au diocèse d'Evreux ; cela est si vrai que la seule paroisse
du diocèse de Rouen où le fait m'ait été révélé, est celle de
Caudebec-lès-Elbeuf qui n'est entrée dans notre circonscrip-
tion diocésaine que depuis le Concordat, par suite de la
division départementale de 1790. Cette coutume, qui du
reste est le privilège d'une Confrérie, consiste à déposer une
pique en fer dans la fosse du défunt, et à côté de sa bière.
La Confrérie qui garde cette pratique est une société de
Saint-Micliel dont l'origine ne nous est pas connue. Malgré
nos recherches, nous n'avons pu nous procurer ni les règle-
ments, ni les statuts de cette association qui du reste n'existe
plus à Caudebec et qui languit dans le diocèse d'Evreux.
Nous avons su seulement qu'à Caudebec-lès-Elbeuf, au
moment de sa suppression, qui eut lieu vers 1820, la Con-
frérie de Saint-Michel ne se composait plus que d'une
dizaine d'associés qui tous ont disparu. Chaque année quel-
qu'un d'entre eux faisait le pèlerinage du Mont Saint-Michel
aux périls de la mer, et à son retour les frères allaient au
devant de lui jusqu'aux limites de la paroisse. Tout frère
portait avec lui une hallebarde, dont il était propriétaire.
Cette hallebarde se composait d'une pique en fer munie d'une
hampe, et, à la mort de chacun d'eux, la pique était déposée
dans la fosse à côté du défunt. Les trois fossoyeurs de Cau-
debec que j'ai interrogés, assurent avoir rencontré de ces
piques qu'ils remettaient en terre.
A Caudebec il ne reste guère que le souvenir de la Con-
frérie de Saint-Michel. J'excepte pourtant une statue de
l'Archange, en costume de guerrier et la lance à la main,
24.0 SÉPULTURE ClIUÉTiENNE
que l'on voit dans l'église et un vieux drapeau à deux cou-
leurs que l'on portait encore uaguères aux processions. Ce
guidon quadripartit était surmonté de la lance en fer de
Saint-Michel. Dans le département de l'Eure, la Confrérie
existe encore, notamment àHuest et à Fauville près Evreux,
où les abus qui l'ont détruite ailleurs ne se sont pas fait
sentir.
IL Boucles et anneaux.
— Dans nos premières Particu-
larités relatives à la sépulture
chrétienne du Moyen-Age^ nous
avons donné le cercueil d'un
religieux de l'abbaye de Sainte-
Geneviève de Paris ' . Ce sarco-
phage ouvert en 1807, lors de
la destruction de la basilique
abbatiale, nous a été conservé
dans son état primitif par
M. Alexandre Lenoir et a été
publié, vers 1850, par M. Al-
bert Lenoir son fils '\ Nous
reproduisons une seconde fois
cette sépulture monastique dont
le cercueil est Franc, tandis que
le dernier occupant est vrai-
semblablement un religieux du
XIIL siècle d'après son costume
et les quatre vases à charbon
qui l'accompagnent.
' Revue de l'Art chrétien, t. iv, p. 43-1. — Quelques paiiicularités rela-
tives à la Sépulture chrétienne du Moyen Age, p. 12.
* A. LiiNOin, Statisl. mon. de Paris, 13" livr., pi. xi, fig. 1 à 10.
DU MOVKN A(;i;. 2'<1
Le lecteur reinurijueru que 1(> religieux ainsi repi'éseuté
dans son costume monastique possède une ceinture fermée
au moyen d'une boucle encore bien reconnaissable. Il nous
semble que cette ceinture et cette boucle, ornements de la
vie, firent partie de la sépulture monastique du Moyen- Age.
— Deux faits nouveaux vont le prouver. Ces deux faits se
sont présentés à nous d'eux-mêmes , pendant l'année qui
vient de finir.
Au mois de juillet 1861 on creusait au nord de l'église
prieuriale d'Auffay (arrondissement de Dieppe), les fonda-
tions d'une sacristie. Averti que l'on rencontrait dans les
fouilles des carrelages émaillés, des pierres tombales et même
des sépultures accompagnées de vases à encens, je me rendis
sur les lieux et je trouvai moi-même un squelette portant à
sa ceinture une boucle et deux anneaux en bronze. Je re-
produis ici, dans leur grandeur naturelle et dans la position
respective qu'elles occupaient au sein de la terre, ces trois
pièces intéressantes, elles étaient encore enveloppées dans
des matières noires que je pris pour des restes de cuir ou de
tissu ' . Etait-ce là les restes d'un laïque ou ceux d'un reli-
' TiuUet. de la Soc. (1rs Anliq. de Normandie, 2e année, p. 383. — Vigie
de Dieppe, du 2 août 1861. — IVonrcllistc de lioiicn du 4 août 1861.
TOME YI. 18
24'2 SÉrULTlHE ClIllÉTIENNE
gieux? C'est ce que je ne pouvais décider iitteiulu qu'au
moyen-âge laïques et moines portaient des ceintures. « Cin-
gula pro lurabis, » dit une description de Paris au XIV siè-
cle '. Quoique la rencontre eût lieu dans un cloître, je restai
cependant incertain sur l'attribution.
Mais une seconde découverte, faite quelques mois après,
m'a fait penser qu'il s'agissait bien ici de costume mona-
stique.
Au mois d'octobre dernier, fouillant les ruines de la célèbre
abbaye de Saint- Wandrille , je trouvai devant le maître-
autel môme de l'antique basilique une sépulture que je ne
saurais supposer être autre chose que celle d'un bénédictin
de Fontenelle. A la ceinture du défunt se trouvait aussi une
boucle et deux anneaux de bronze parfaitement semblables à
ceux d'Auiïay. On peut en juger par l'exacte reproduction
que nous donnons ici. Seulement la bèclie de l'ouvrier ayant
soulevé les objets au moment où je détouruais les yeux, je ne
puis dire au juste la place exacte des trois objets. Je suis
porté à croire que la disposition était la même qu'à Auffay.
De cette double découverte faite au sein d'un prieuré et
' IhiJlctbi (In (Jomilé de /a linu/uc, de VInst. ci <hs iirla de lu France,
t. m. p. 520.
DU MOYEN ACE. i^i'i
d'une abbaye derordre de Saint-Benoît, j'ai quelque droit de
conclure que la ceinture et les boucles faisaient loi dans la
sépulture monastique du Moyen-Age.
Comme dernier rapprochement je citerai la boucle ci-jointe
entièrement semblable aux nôtres, et que je dois à l'obligeance
de M. L. Métayer, de Bernay. Ce jeune et zélé explorateur
a trouvé cet ornement, en I808, dans une des sépultures de
la Madeleine de Bernay, cette ancienne léproserie qui a
donné des choses si curieuses. Cette maladrerie était comme
beaucoup d'autres desservie par des Frères infirmiers.
m. Les chapelets. — Au premier abord et en considé-
rant la grande quantité de chapelets qui se voient chaque
jour dans les demeures chrétiennes et dans les mains catho-
liques, on serait tenté de croire qu'il doit s'en rencontrer
beaucoup sm^ les morts. Il n'en est pourtant pas ainsi, et jus-
qu'à présent dans mes nombreuses fouilles d'églises et de
cimetières chrétiens, je n'ai encore recueilli que deux cha-
pelets. Les faits de ce genre signalés ailleurs ne sont pas
non plus très-multipliés. Toutefois, j'ai hâte d'attirer l'at-
tention sur cette particularité qui devra s'ofirir de temps en
temps à l'explorateur chrétien.
La première fois que nous avons rencontré un chapelet ou
une portion de chapelet, ce fut en 1860, en fouillant dans
â44 SÉI'ULTIÎR!: CIIUKTIENNK
l'église démolie d'Etran près Dieppe. Les grains en bois
étaient montés sur une chaînette d'argent ou de cuivre
argenté.
Nous savons qu'il était près d'un corps, mais n'étant pas
présent au moment de la découverte^ nous ne pouvons dire
sur quelle partie du corps il était placé.
Le second chapelet qui se soit présenté à nos observations,
ce fut dans l'église abbatiale de Saint-Wandrille en octobre
1861. Ce chapelet accompagna autrefois le corps d'un
religieux inhumé sous le clocher dans un caveau qui avait
DU MOYEN agi:. 245
été visité. Il se compose de grains en bois montés sur des
fils de laiton ; la croix elle-même est formée avec des grains
de bois, et nous croyons qu'elle se terminait par une mé-
daille de cuivre, communément nommée de Saint -Benoit
ou Croix des Sorciers. Nous donnons ici cette médaille cu-
rieuse bien connue des amateurs \ Nous l'attribuons aux
' Dans la pensée que quelques-uns de nos lecteurs pourraient ne pas con-
naître l'interprétation de cette médaille qui se trouve pourtant dans le Maga-
sin j)iUoresque de 1841, t. IX, p. 92-93, nous la répéterons ici; il est vrai que
ce recueil populaire l'a donnée d'une manière assez incomplète. Du côté
de la croix les quatre lettres C. S. P. B. placées dans les angles signifient
Crux Sancti Patris Benedicti. Dans le champ de la croix les lettres qui vont
de haut en bas C. S. S. M. L. signifient Crux sancta sit mihi Lux. Les cinq
lettres du croisillon N. D. S. M. D. veulent dire : Non dœmon sit mihi Dux. —
246 SÉPULTU1\E CH«ÉTIEiNNE
premières années du XVIP siècle, et nous avons la certitude
qu'elle descendit dans la fosse à côté d'un Bénédictin, pro-
bablement réformé de la congrégation de Saint-Maur.
A ces modestes découvertes nous allons joindre les trou-
vailles faites ou signalées par nos confrères. Des faits bien
constatés sont et seront toujours les seuls éléments de la
véritable science.
En 1861, des chapelets en bois montés sur un fil de cuivre
jaune, ont été observés à Bernay dans l'ancien couvent des
Cordeliers ; ils accompagnaient des corps qui doivent être
ceux d'anciens religieux ' .
Enfin un dernier chapelet venu à notre connaissance a été
rencontré, en 1838, par M. L. Métayer, de Bernay, dans le
chœur de Saint-Léger de Rostes (Eure). C'était un religieux
capucin vêtu de sa chasuble, ayant auprès de la tête un vase
à charbon et au côté droit un cordon de fil auquel était
suspendu un chapelet composé de grains en bois dur et noir
comme de l'ébène. Les dizaines étaient indiquées par d'autres
grains de bois blanc, recouverts d'un tissu de soie de couleur.
Au verso de la croix on voit le monogramme du nom de Jésus : I. H. S. et
au dessous les trois clous de la passion; autour sont les lettres : V. R. S. N.
S. M. V. S. V. Q. L. I, V. B., ce que l'on traduit par ces quatre vers .
Vade rétro, Satana,
Non suadeas mihi vana ;
Sunt vana quse libas
Ipse venena bibas.
On nous a assuré que l'origine de cette croix ou médaille de Saint-Benoît
ne remontait qu'au XVIIe siècle. Dans ce cas la nôtre serait un des plus
anciens monuments de ce genre, mais on ajoute qu'à cette époque elle fut
plutôt renouvelée qu'instituée. Cette dévotion se propagea surtout en Bavière.
— Le Révérend Père abbé deSolesmes, le célèbre et savant dom Guéranger,
vient de composer un Essai sur l'origine, la significatioji et les privilèges de
la médaille ou croix de Saint-Benoit. Cette notice est actuellement sous presse.
' L. Mkt.weu, Journal de l'arrond. de Bernay du 5 sept. 1861.
nu MOYEN AUK. -^H
A ce chapelet étaient attachées deux médailles et une petite
croix d'ébène se démontant en trois parties. Les grains de ce
chapelet n'étaient pas montés sur un fil de laiton, mais
passés à un cordonnet de soie. Dans le cercueil fait en bois
de poirier et rempli de bruyères, on avait placé une monnaie
iruste du XVP siècle, il est probable que la sépulture était
voisine de la Ligue ' .
ly. Les coquilles. — Au commencement de 48{>1,
M. Legoutteux, quincaillier à Fécamp, rue Neuve du Marché^
a fait construire une cave dans une maison qui lui appartient
située rue des Forts et actuellement occupée par le sieur
Lecointe, pâtissier-confiseur.
Pour asseoir cette cave, on creusa jusqu'à la profondeur
de plus de trois mètres du sol actuel. Dans cette excavation,
on rencontra des ossements humains et des tombeaux en
pierre. Ces cercueils étaient construits avec des moellons
maçonnés sur les côtés et recouverts de dalles brutes formant
encaissement. Il est probable que plusieurs ont dû offrir pour
la tête des entailles carrées ou circulaires.
Les sarcophages étaient si pressés en cet endroit, qu'on eu
a reconnu jusqu'à trois rangs superposés.
Ces tombeaux, par leur matière et leur forme, rappellent
évidemment ceux de Bouteilles, d'Etran, de Rouxmesnil, du
Petit- Appeville (Seine -Inférieure), du Câtillon près de Bé-
nouville- sur-Orne (Calvados), des abbayes de Jumiéges et de
Saint- Wandrille et de la cathédrale de Worcester, qui tous
appartiennent au XIP et au XIIL' siècle de l'ère chrétienne.
Quelques-uns d'entr'eux, nous a-t-on assuré, ont offert
des vases à charbon ; deux de ces vases se sont montrés en-
tiers et ont été recueillis par MM. Legoutteux, père et fils.
Malheureusement l'un d'eux a été cassé après sa découverte.
* L. Métayer, Bulletin motmmcnlal , t. xxvni, p. 424.
248 SÉl'LLTL'RE CHRÉTIENNE
Tous deux nous ayant été rerais par les propriétaires, il nous
a été facile d'y reconnaître des vases du XllP siècle.
Ces vases, ronds et sans anse, possèdent au col un simple
bourrelet. Ils sont rayés ou cannelés horizontalement sur la
panse. Le pied en est bombé et ils tiennent difficilement sur
le fond. La terre est blanche, fine, et bien cuite, en un mot,
ils ressemblent entièrement à ceux qui furent trouvés , en
1856, à Leure, section du Havre, dans la sépulture de
Pierre Bérenguier et dont un spécimen existe au musée-
bibliothèque de cette ville. De pareils vases ont été rencon-
trés dans les sépultures de Saint -Denis- de -Lillebonne, en
185i; de Sigy près de Neufchâtel, en 1835; de l'abbaye
d' Auraale, en J 859 ; de la Léproserie de Janval près Dieppe
en 1860; de l'abbaye de Saint- Wandrille, en 1861 et dans
des tranchées, à Bully et à Douvrend (Seine-Liférieure).
Au moment de leur découverte, les vases de Fécamp con-
tenaient, et ils contiennent encore, le charbon de bois, qui
y brûla le jour de l'inhumation. Ils sont noircis au dedans par
la flamme et la fumée; tous deux, sont percés sur la panse,
d'un rang de trous pratiqués après la cuisson; autant de preu-
ves deleurrôle d'encensoir dans
les funérailles chrétiennes.
Outre ces deux vases, il a
été aussi recueilli, dans ce
champ des morts, plusieurs co-
quilles, dites pèlerines, percées
de deux trous circulaires. Deux
de ces pèlerines m'ont été re-
mises (j'en reproduis une ici) :
malheureusement on ignore
l'endroit précis qu'elles occupaient sur les défunts, observa-
tion qui m'eut révélé leur rôle pendant la vie.
nu MOYEN AGE.
249
Déjà vers 1850, M. Vitecoq de Fécamp, avait trouvé au
même endroit de semblables coquilles et eu assez graud nom-
bre. 11 m'en a remis une que
j'ai fait graver et que je re-
produis également ici dans sa
forme naturelle. A quoi pou-
vaient servir ces coquilles ?
C'est ce que nous ignorons.
Etaient-elles des marques d'un
pèlerinage fait au Mont Saint-
Micliel, ou à Saint- Jacques de
Compostelle ? Ou bien étaient-
elles seulement le signe distiuctif d'une confrérie de Saint-
Jacques ou de Saint-Michel? C'est ce que nous ne saurions
dire.
En nous parlant de la découverte faite en 1850, M. Vite-
coq nous assura que les morts trouvés alors portaient une de
ces coquilles sur chaque épaule; nous citons cette assertion
à défaut d'observation meilleure. Ce qui est certain, c'est
qu'il a été rencontré ailleurs qu'à Fécamp des coquilles de ce
genre. Même sans sortir de notre pays, nous pouvons citer
celle que nous avons vue à Jumiéges, dans ce petit musée
gémétique, que fonda M. Casimir Caumont et que conserve,
en l'augmentant, M. Lepel-Cointel, le religieux propriétaire
des ruines de l'abbaye. La coquille forée qui figure dans une
des montres a été recueillie, vers 1858, dans les sépultures
qui entourent le grand monastère fondé par saint Philibert.
En 1858, notre ami Métayer, de Bernay, a trouvé une pèle-
rine dans les caveaux-sépulcres de la Léproserie de la Ma-
deleine ' .
' i\'ote sur les fouilles exécutées à la Madeleine de JJernai/ en 1858, p. 3.
250 SÉrULTLUE CHllÉTIKNNE
M. Gosse, (le Genève, en signale aussi de tout-à-fait sem-
blables dans les anciennes sépultures de la Suisse et de la
Savoie. Chose singulière! Elles sont percées de la même ma-
nière que celles de Jumiéges et de Fécamp.
Malheureusement M. Gosse n'étant pas présent au moment
de la découverte, n'a pas pu voir dans quel milieu se trou-
vaient ces coquilles; du moins, il a négligé de nous en in-
struire. Toutefois, tout porte à croire que les coquilles de La
Balmeetde Zurich sont contemporaines de celles de Fécamp.
Voici, après tout, en quels termes s'exprime notre zélé con-
frère : « J'ajouterai, dit-il, la circonstance très-heureuse de
la découverte faite cette année (1855) dans un tombeau de
la Balme (près de La Roche eu Faucigny) d'une coquille
marine, le Janira maxima
(le Peclen maximus de
Linnée) : elle présente,
près de la charnière, deux
trous qu'on y a pratiqués
pour pouvoir la suspen-
dre. Elle est, du reste,
-%^\^^^ quant à sa composition,
dans un état à peu près
normal. Cependant, on a
remarqué qu'elle estd'une
grande friabilité ' . » Nous
reproduisons ici le dessin
de la coquille de La Balme tel que le donne M. Gosse ; on
remarquera la plus grande similitude avec nos coquilles de
Fécamp.
' Nns coquilles de Fécanip, au contraire, sont aussi solid('S que si elles sur-
aient du fond des mers.
- DU MOYEN AGK. 2*il
Ce fait de la découverte d'une coquille inui'iiic dans une
sépulture, n'est pas unique en Suisse. M. Keller, de Zurich,
en a trouvé une n.on loin de cette ville ; voici ce qu'il dit ;i
ce sujet, lorsqu'en J841, il décrivit, dans les Mémoires de la
Société des Antiquaires de Zurich (t. \"^ p. 29), les exhuma-
tions faites à Entibuchel, près Balgrist, canton de Zurich :
« Le squelette, n" G, parait avoir été celui d'une femme;
la tête reposait sur une pierre; à son cou étaient des mor-
ceaux de corail, et près de sa poitrine se trouvait une coquille
de l'océan Indien, la Cyprica tijgris) elle était percée à
deux endroits et il est probable qu'elle a servi d'ornement ' . »
Si, en dehors des coquilles percées, il nous était permis de
citer celles qui ont apparu dans les cercueils, nous en indi-
querions des exemples rencontrés dans la Gaule romaine et
dans la capitale même de l'Empire.
C'est ainsi que des coquilles ont été vues dans un cercueil
en plomb que contenait un caveau en brique, découvert à la
gare d'Angers, le 15 juillet 1848. M. Godard-Faultrier, qui
nous a laissé le récit de cette curieuse trouvaille, dit qu'on
a recueilli au bas du cercueil , deux pèlerines qu'il appelle
des peignes de Saint-Jaccpies. Le même auteur cite encore
deux ou trois pèlerines vers le milieu du môme sarcophage
et comme placées sur le corps. Enfin, dans le plan qu'il nous
a laissé du cercueil et des objets qu'il contenait, il figure sept
coquilles dont quatre sur le corps et trois au-dessous des
pieds ^.
Il paraît bien que la pèlerine, soit en nature, soit en effigie,
plaisait aux Gallo-Komains du Bas-Empire, car sur un beau
' Gosse, Siiite à la notice sur d'anciens cimetières troiœe's soit en Savoie,
soit dans le canton de Genève, p. 20-21, pi. iv, fig. 4.
' Godaud-Faultriew, Rapport snr un tovtheau gallo-romain adrcsscà
M. Bordillon, préfet de Maine-et-Loire, p. 4 et 5, pi. ix.
252 SÉPULTURE CHRÉTIENNE
cercueil en plomb du IV® ou du V* siècle, contemporain de
celui d'Angers, découvert à Londres, en 1851, on voit figu-
rer, sur le couvercle et sur les côtés, un grand nombre de
pèlerines en relief ' . Il en est de même sur de beaux sarco-
phages en plomb , trouvés à Yorck et à Colchester depuis
un siècle -.
Il parait bien qu'il s'en trouvait aussi dans les sépultures
des clirétiens des catacombes , car M. Perret en représente
une dans le bel ouvrage qu'il a publié sous les auspices du
gouvernement français. Cette coquille est conservée à la cus-
tode des reliques de Saint- Appolinaire ^
Enfin, dans ses Recherches sur les antiquités de la Russie
méridionale et des côtes de la Mer noire ^ ]\I. Alexis OuwarofF
reproduit une coquille trouvée dans les tombeaux de la Cri-
mée ; mais cette dernière est en or et ne nous donne la
pèlerine qu'en figure.
V. Les sandales ou chaussures. — La cinquième parti-
cularité que nous avons à révéler dans la sépulture chrétienne
du Moyen Age est celle des sandales, bottines ou chaussures
funèbres.
Ces chaussures étaient-elles purement funèbres, ou en
d'autres termes, spéciales aux défunts et à leurs sépultures?
C'est ce que nous ne pourrions affirmer positivement ; mais
du moins nous le présumons fortement. Les textes des deux
plus grands oracles liturgiques du Moyen Age nous semblent
prouver très-clairement que cette chaussure était symbo-
lique, et qu'elle était, sinon une prescription de la liturgie, du
moins une de ses émanations les plus directes et une de ses
pratiques les plus répandues. Voici, en eifet, comment s'ex-
' RoAcu Smith, Collectanea antiqua. vol. m, p. 48, pi. xiv.
' WiuGHT, The ceit, thc roman and the saxons, 2 éd., p. 113 et 114.
^ PiiuUET, Les Catacombes de Rome, t. iv, pi. .\ii, fig. 8.
T)li MOYEN AGI-:. 253
priment à ce sujet Jean Beleth, chancelier de l'Université de
Paris au XIP siècle, et son commentateur Guillaume Durand,
évêque de Mende au XllP : (Mortui) habeant et soleas in
pedibus quo significent ita se paratos esse ad judicium '.
— Et ut quidam dicunt, debent liabere caligas circa tibias
ut per hoc ipsos esse paratos ad judicium reprœsentetur ".
C'est à cette coutume qui fut autant ecclésiastique que
laïque et aussi bien monastique que populaire, que nous attri-
buons la présence des nombreuses semelles de cuir de san-
dales qu'en octobre 1861, nous avons extrait des sépultures
bénédictines de Saint- Wandrille. Nous n'en avons pas trouvé
moins d'une douzaine dans des cercueils de plâtre qui ne
nous 'paraissent pas remonter au-delà des XI V°, XY^ et
XVr siècles \
Déjà il y a deux cents ans il avait été rencontré des chaus-
sures dans cette même abbaye de Fontenelle lors des répara-
tions exécutées par Dom Laurent Hunault en 1671 \ Le
lecteur pourra remarquer que les pieds du religieux Génove-
fain, représenté en tête de cet article, sont couverts de bot-
tines et de ligatures qui ont lui aspect entièrement funèbre.
Les fouilles pratiquées à l'abbaye de Jumiéges de 1 830 à
1840 par M. Casimir Caumont ont aussi montré autour des
jambes des abbés des bottines de cuir ou des sandales avec
leurs ligatures ^ Nous même, nous avons pu en reconnaître
en octobre 1861 , dans l'exploration du chapitre de Jumiéges
que M. Lepel-Cointel a bien voulu faire en notre présence.
' JoHAiN. Belktii. Divin, offic. explicatio, c. CLix.
* DuRAKDUs, nationale divin, offic, lib. xii, c. 35.
^ Revue de la Normandie, l'^ année, ]862, p. 140-141.
'* » Quatre bottines de cuir, parfaitement conservées. » Guii.mkth, Descr.
(jéo(j.,hist., stal. et 7non. des arrond. etc, t. il, p. 173.
^ Sépult. gaiiL, mm. , franq. cl norm., p. 365.
234 SÉPULTUHK CHRÉTIENNE
En 1801 également, dans la cathédrale de Worcester, on
a trouvé dans le nnir même de l'édifice un squelette ayant
aux pieds des sandales dont les semelles de cuir avaient très-
peu servi '. Un petit nombre d'années auparavant, l'évêcpie
Lyndewode, récemment découvert en Angleterre, avait été
trouvé avec des sandales à ses pieds ^ ; ce qui prouva aux
Antiquaires anglais que cette coutume avait persévéré dans
la Grande-Bretagne jusqu'au XVP siècle.
Des découvertes analogues ont été faites à Angers dans
plusieurs églises. M. Godard-Faultrier cite des sandales, des
semelles ou des bottines de cuir sur un abbé de Toussaint
trouvé en 1845 % et sur François d'Orignai, abbé de Saint-
Serges, trouvé en 4857 \ Ce dernier vivait au XV* siècle.
La coutume paraît remonter très-loin, car un historien
milanais assure qu'en 1658, on retrouva dans la basilique
ambroisienne le tombeau de Bernard, roi d'Italie et petit-
fils de Charlemagne. Ce prince, inhumé en 818, avait encore
conservé à ses pieds et autour de ses jambes des chaussures
de cuir rouge et des semelles de bois '\
On a surtout recueilli en abondance des chaussures sym-
boliques en bois sculpté dans les tombeaux souabiens de
l'époque carlovingienne , explorés, en 184-6, à Oberflacht
' The gentleman s magazine, octobre 1861, p. 427.
* yîrchœoloçfia, vol, xxxiv, p. 403. — Wylie, The graves oj t/ie Jle-
v)anni, p. 2G.
* Goi)aud-Fai;ltuikr, Nouvelles archéologiques, décembre 1853, p. 11. —
La Paroisse, 1" année, p. 9, 15 sept. 1861.
* II). No/e sur un tombeau découv. à Saint-Serges d'Angers, p. 2. —La Pa-
roisse, 1^= année, p. 9, 15 sept. 1861.
" Superstites adhuc à corio rubeo calcei utrumque pedem contengebant : iidem
que ligncam quisque soleam hinc inde coriaceis indutam habebunt. » PcRi-
rKi.M, .Monument basilic, ambros.
DU .MOYEN AGE. 2.^)5
près Stutgai't, dans le Wurtemberg *. Le célèbre docteur
J. Grimm prétend que la coutume des chaussures funèbres
existe encore en Allemagne ".
On cite môme des traces de cet usage dèsl'éporpie romaine.
M. Deville a reconnu une semelle dorée dans un tombeau de
Quatre-Mares près Rouen, en 1815 \ Nous-même en avons
trouvé à Cany, en i8i9 *, et M. Godard-Faultrier eii signale
à Angers, la môme année ^.
l'abbé COCHET.
' VoiN DdiiiucH, Die Iieidengraber am Lupfen hei Oherjlacht, pi. xiii, n" 4.
— Wyi.ik, The graves of the y/Iemanni iyisurbese, p. 24-26.
- Wylie, Archœologia, vol. xxxvi, p. r29-161.
'" Devillk, Découverte de scpult. antiques à Quatre-Mares, dans la Revue
de Rouen, année 1845, t. i, p. 124. — La Normandie souter , 2" édition,
p. 49.
* La Normandie solder., 1'" édition, p. 5:1-54 : 2'^ édition, p. G3-64. —
GiRARDiiN, Précis analyt. des trav. de l'acad. de Rouen, année 1852, pi, iv.
* Goi)Aud-Faui.trikii, La Paroisse, P'" année, n" 9, p. 229, 5 sept. 1861.
HISTOIRE DE S. JACQUES LE MAJEUR
et du Pèlerinage de Composrelle.
nEUXlÈME ARTIfl.K *.
CHAPITRE II.
SAINT JACQUKS LE MAJEDR ET QUELQUES PERSOWIS'AGES ÉVAKGIÎLIQUES.
Deux apôtres ont également porté le nom de Jacques; le
saint Evangile les distingue de deux manières : d'abord, par
leur nom patrorfymique : l'un est Jacques de Zébédée, c'est-
à-dire fils de Zébédée, Jacobus Zebedœi\ L'autre est Jacques
d'Alphée, c'est-à-dire fils d'Alphée, Jacobus Alphœi^-, ensuite,
par voie de dissemblance : l'un est Jacques le Mineur, Maria
Jacobi Minoris % qualification qui a valu à l'autre apôtre le
nom de Majeur, quoique ce dernier terme n'ait pas été em-
ployé par les écrivains sacrés.
* Voir le numéro d'avril 1862, p. 213.
' Matth., X, 3.
- Tbid.
' Mauc, XV, 40.
l'l';).KlilNAGK DK CuMrciSTKI.l.i;. «57
Saint Jacques le Majeur, fils de Zébédée, a été ainsi sur-
nommé soit à cause d'un âge plus avancé que celui de son
homonyme, soit à cause de la priorité de sa vocation, soit à
cause d'une taille plus élevée, soit enfin à cause de l'impor-
tance des faveurs dont son divin Maître daigna l'honorer.
Il n'entre pas dans notre sujet de parler longuement de
saint Jacques le Mineur. Il était fils d'Alphée et de Marie,
parente de la très-sainte Vierge; il était donc, selon la chair,
parent de Notre-Seigneur, et non son frcTe, quoique le saint
Evangile, pour se conformer au langage des Juifs, lui donne
cette épithète : « Fratrcs ejus Jacobus et Joseph et Simon et
« Judas ' . ') Marie, sa mère, est appelée dans l'Évangile Marie
de Cléophas, Maria Cleopha -, c'est-à-dire femme de Cléophas,
qui est le même qu'Alphée, et Marie de Jacques, Maria Ja-
cobi^, c'est-à-dire mère de Jacques.
Saint Jacques le Mineur eut quatre frères : V Saint Simon,
apôtre, surnommé le zélé y Simojiem, qui vocatur j^e/o^es \ et
le Cananéen , Cananœus ^, sans doute pour le distinguer de
Simon-Pierre^ , de Simon le Cyrénéen % de Simon le Lépreux *,
de Simon le Corroijeur^^ de Si77ion le Noir '", et surtout de
Judas Iscariote. fils de Simon *\ et ensuite parce qu'il était,
comme saint Barthélémy, de la célèbre ville de Cana, en
' Matth., XIII, 55.
- JOAN., XIX, 25.
"" Matth., xxvii, 56. — Mauc, xv, 40; xvi, 1.
■' Lcc, vx, 15. — Jct.,i, 13.
^ Matth., x, 4. — Marc, v, 18.
« Marc, ui, 16. — Luc, v, 8. — II Pétri, i, 1.
" Matth., xxvii, 32. — Marc, xv, 21.
" Marc, xiv, 3.
" .4ct., X, 6.
'» Act., XIII, I.
" JoAN., V, 72; XIII, 2, 26.
tome VI. 19.
258 l'KLERINAliE DE COMrOSÏELLE.
Galilée, où Notre - Seigneur opéra son premier miracle.
2" Saint Judey apôtre et auteur de la deuxième épître ca-
tholique, où il s'appelle lui-même frère de Jacques, frater
Jacobi\ pour donner plus d'autorité à sa parole. Le texte
sacré exprime sa fraternité avec saint Jacques par ces mots :
Jude de Jacques, Judas Jacohi ", c'est-à-dire frère de
Jacques. Saint Matthieu '', saint Marc '', et le canon de la
Messe le nomment Thaddée. On le distingue plus communé-
ment sous ce nom , de peur que son nom de Jude, dont l'or-
thographe latine est la même que celle de Judas Iscariote,
ne soit confondu avec celui du traître qui livra Notre-Sei-
gneur aux Juifs. Le texte grec de saint Mathieu l'appelle
Lehhée. Il prêcha la Foi en Mésopotamie, pendant que saint
Simon évangélisait rp]gypte. Les deux frères se réunirent en
Perse, y convertirent un grand nombre d'infidèles, et furent
martyrisés en même temps. Une fête commune leur a été
consacrée par l'Eglise, le 28 octobre. 5" Saint Joseph, appelé
Barsahas, surnommé le Juste ^, qui fut mis sur les rangs avec
saint Matthias, lorsque les Apôtres s'assemblèrent pour don-
ner un successeur au traître Judas. Le Martyrologe Romain
fixe sa fête au 20 juillet. -4" Saint Siméon, qui n'est pas men-
tionné dans le Nouveau Testament, mais dont la tradition et
le Martyrologe Eomain célèbrent les louanges. Il fut évêque
de Jérusalem après son frère saint Jacques le Mineur et fut
crucifié à l'âge de 120 ans. La sainte Eglise l'honore le 18 fé-
vrier.
Telles sont les annales évangéliques , annales mille fois
' Jl'd^, I.
* Lcc^, VI, J6. - AcL, I, V?,.
5 Matth., X, 3.
* Marc, m, 18.
» Acl. I, %>>.
PKLEUINACK. PK COMPOSTF.t.LE. 25*.»
glorieuses, de rimmortelle fiunille de saint Jacques le Mi-
neur. Privilégié entre tous ses frères, il fut élevé, dit saint
Epiphane, avec l'enfant Jésus. Il partage avec ses frères
l'honneur d'avoir été appelé dans l'Evangile ' frères c'est-à-
dire parent de Notre-Seigneur. Il est le seul de sa famille et
le seul des Apôtres à qui saint Paul ait donné cette précieuse
qualification : « Aliuni Apostoloruni vidi neminem, nisi Jaco-
«< bum fratrem Domini-. » Selon les apparences physiques, il
était frh^e de Notre-Seigneur par une ressemblance de traits
si frappante, que Judas craignait une méprise de la part des
Juifs qui devaient arrêter son maître et se crut obligé de le
leur signaler d'une manière infaillible par un baiser perfide.
Quelques interprètes ont supposé que saint Jean faisait allu-
sion à cette ressemblance par ces mots de l'Apocalypse : J'ai
\\\ quelqu'un qui ressemblait au Fils de l'Homme : « Vidi...
« similem Filio hominis^ . » Il avait aussi, à un degré éminent,
la pureté de Notre-Seigneur, sa foi, sa sagesse, son amour
de la paix * et l'innocence de sa vie. Comme le Sauveur, il
priait sans cesse et le front contre terre, à tel point que son
front et ses genoux étaient devenus aussi durs que la peau
d'un chameau ^ A l'austérité d'un jeûne de chaque jour il
ajoutait la privation constante de vin et de viande. Après
la mort de son divin Maître, il jura de ne rien manger jusqu'à
ce qu'il l'eût vu ressuscité. Notre-Seigneur récompensa sa
' Matt., xiii, 25.
* Galat., 1, 19.
^ Apoc, I, 12, 13.
* Un tableau d'Overbeck, reproduit en gravure par Franc. Keller, repré-
sente saint Jacques le Mineur avec une branche d'olivier à la main. C'est
une innovation qui ne trouve son excuse que dans une des qualités du saint.
* S. JoANKis Chrysostomi opéra edict. Migne, t. vu, col. 113. — Légende
du Bréviaire romain (1 mai].
260 l'KU',lU.\AGE DE COMTOSTELLE.
foi par la laveur d'une apparition spéciale : « Deindè visus
« est Jacobo * . »
La sainteté de saint Jacques lui valut, comme à l'un de
ses frères, le surnom de Juste. Les fidèles se réjouissaient,
quand ils pouvaient toucher la frange de ses vêtements. De
leur côté, les Apôtres, par une considération particulière pour
sa vertu, lui confièrent le gouvernement de l'Eglise naissante
de Jérusalem et la garde du saint Sépulcre. 11 fut donc le
premier évêque de lo, ville sainte; il fut aussi le premier parmi
les apôtres qui célébra la messe , après l'Ascension du Sei-
gneur, s'il faut en croire un auteur du XIIP siècle, Jacques
de Voragine, auquel nous devons une précieuse collection de
curieux récits, connus sous le nom (VHistoire Lombarde ou
Légende dorée. Un autre auteur ajoute, dans un ouvrage non
moins curieux et plus rare, que les Apôtres et la sainte Vierge
communièrent de la main de saint Jacques le Mineur ^.
Son zèle s'étendait au delà de Jérusalem, comme le té-
moigne son épitre catholique .^ ainsi appelée parce qu'elle n'est
adressée à aucune église particulière, mais aux douze tribus
dispersées dans l'univers. Par cette épître, un des modèles
de l'éloquence chrétienne, il partage avec saint Jude l'hon-
neur d'être classé parmi les écrivains sacrés. Il assista,
l'an 51, au concile de Jérusalem, où fut discutée la question
de la circoncision et des autres cérémonies légales. Il y parla
après saint Pierre et fit adopter par les Apôtres une décision
qui fut envoyée aux chrétiens que les Juifs convertis avaient
' I Cor., XV. 7.
- Lucis evangelicœ suh vélum, sacroram emhleinatinn,recondilœ,j)ars terlia;
hoc est cœleste panthéon sive calum novum in Jesta et gexta sanctonini fotins
anni ; varie illustratmn per R. P. Hkkricdm Engklgrave, s. ;'. Antverpiœ,
1658, t. 1, p. 188.
l'KLERlNAGE DE COMTOSTELLE. 2Gl
voulu iu(|uiéter. Au témoignage de salut Paul, il était avec
saint Pierre et saint Jean une des colonnes de l'Eglise '.
Epuisé de travaux et de vieillesse, le saint Apôtre avait
atteint la 50" année de son épiscopat et la 90'" de son âge.
Les Juifs, irrités d'avoir échoué contre saint Paul, parce qu'il
en avait appelé à César et qu'il avait été envoyé à Rome,
tournèrent toute leur fureur contre saint Jacques. Ils le lapi-
dèrent et le précipitèrent du haut du temple. Surmontant la
douleur de ses membres brisés, le Saint levait les mains vers
le ciel et priait pour ses bourreaux, en empruntant les paroles
du Sauveur . « Pardonnez -leur, parce qu'ils ne savent ce
<i qu'ils font. » Pendant que ses lèvres mourantes murmuraient
ces douces paroles de la miséricorde divine, un foulon dé-
chargea sur sa tête un coup violent avec l'instrument de son
métier et consomma son martyre. C'était l'an 65 de l'ère
nouvelle; Néron régnait à Rome depuis sept ans '. Saint
Jacques fut enseveli près du temple; mais plus tard son corps
fut porté à Rome ^; le pape Jean III lui dédia une église en
559 et assigna à sa fête , jointe à celle de saint Philippe , le
1" jour de mai.
L'Art chrétien, convertissant en un titre de gloire pour
saint Jacques le Mineur l'instrument de son supplice, lui a
donné pour attribut caractéristique un bâton de foulon. Con-
tentons-nous de citer la façade méridionale de la cathédrale
de Chartres, un triptyque du maître-autel de la cathédrale
de Meissen, en Allemagne, et un retable de la cathédrale de
Clermont.
' Galat., Il, 9.
- S. HiERONYMi opéra omnia, édit. Migne, t. ii, col. 613.
"' La vie et les miracles de sainte Anne avec un abrégé des Vies des Saints
et Saintes qui composent la famille de Jésus. Bordeaux, 1690, chez Simon
de la Court, p. 356.
262 l'ÈLEUINAGE DE COMPOSTELLE.
La question ainsi dégagée, nous étudierons plus facilement
le Saint le plus populaire de la catholique Espagne, saint
Jacques le Majeur ou saint Jacques le Grande ainsi qu'il est
appelé dans certains livres. Retracer sa vie, ses courses apos-
toliques, ses prédications et les hommages que toute la chré-
tienté, mais surtout l'Espagne et la France, lui ont décernés,
c'est presque écrire une épopée. L'histoire a ses grands
hommes, connus d'un petit nombre de lettrés ; l'Eglise a ses
héros, dont le nom est répété chaque jour par des milliers de
savants et d'ignorants, de grands et de petits, dont le nom
est invoqué, dont le nom est porté comme une marque assurée
de protection. Celui dont j'ai entrepris un peu témérairement
l'histoire et que dorénavant je n'appellerai plus que saint
Jacques, sans addition de son surnom de Majeur, est grand
et illustre entre tous les autres. A défaut d'éloquence, il me
suffira d'être vrai pour faire aimer et admirer un des parents
du Sauveur, un de ses plus chers disciples, un de nos pre-
miers pères dans la foi.
Saint Jacques naquit à Bethsaïde , petite ville de la Ga-
lilée, située à l'une des extrémités du fameux lac de Géné-
sareth. Il eut donc la même patrie que le Prince des Apôtres,
saint Philippe et saint André. Zébédée fut son père; par sa
mère Salomé, sœur ou du moins parente de la sainte Vierge,
selon l'interprétation fournie par le Propre des Saints du dio-
cèse de Bordeaux ' , il était lui-même parent, à un degré plus
ou moins éloigné, du Messie promis à l'univers.
On s'accorde généralement à croire que Marie Jacobé et
Marie Salomé, mères des deux apôtres appelés Jacques, étaient
sœurs ; les deux apôtres dont elles étaient les mères, étaient
donc cousins germains.
" XXV Mdii
l'ÉLElUNAGE HE COAU'OSTELLl';. 263
La tradition rapporte qu'après la mort du Christ les deux
sœurs s'embarquèrent avec sainte Madeleine, saint La-
zare, etc., et que cette sainte troupe aborda en Provence, à
l'embouchure du Rhône, sur les côtes de l'île appelée au-
jourd'hui la Camargue. « On croit, dit M. Faillon, que l'en-
« droit où abordèrent les saints Apôtres de la Provence est
« dans le voisinage du Gras dOrcjon ', à une petite distance
« de la ville qui porte aujourd'hui indifFéremment le nom
« des Saintes Maries ou celui de Notre-Dame-de- la-Mer. On
•' ajoute que, voulant rendre grâce à Dieu, qui les avait con-
« duits par sa providence, ces saints personnages lui éle-
« vèrent un autel de terre pétrie, parce que, sans doute, ils
« ne trouvaient pas d'autres matériaux dans ce lieu ; et que
« Dieu, pour témoigner combien leur religion lui était
" agréable, lit sourdre une source d'eau douce - dans cet en-
« droit même, où l'on n'en trouvait auparavant que de salée;
« que ce prodige les déterminant à convertir ce lieu en ora-
" toire, ils le dédièrent à Dieu en l'iionneur de la bien-
" heureuse Vierge Marie, et que cette circonstance engagea
« les saintes Maries Jacobé et Salomé à se fixer elles-mêmes
<( dans ce lieu, en se construisant une cellule jointe à l'ora-
« toire, tandis que les autres saints personnages de cette
<' troupe allèrent exercer leur zèle à Marseille , à Aix et ail-
" leurs. Ces deux pièces, l'oratoire et la cellule qui y était
« jointe, furent l'origine de l'église actuelle de Notre-Dame-
" de-la-Mer, et le motif de la réédification de cette ville
« après sa destruction par les Sarrasins. La tradition ajoute
* Gras ou Grau signifie embouchure . Le terme latin gradiis ou grattis dé-
rive, selon Du Cange, a çjradiendo, c'est-à-dire de la marche du fleuve vers
la mer.
' Cette source existe encore. Le peuple lui attribue la propriété de guérir
les morsures des chiens enragés.
264 PÈLERINAGE 1>E CO.MroSTELLE.
'1 que ces saintes femmes, sachant par les propîiéties de
■'< Notre-Seigneur que la Palestine devait être bientôt dé-
" vastée et entièrement ruinée, avaient apporté avec elles,
« en partant de Jérusalem, trois têtes des saints Innocents,
" et une autre qu'on prétend être celle de saint Jacques. Il
« est certain, du moins, que trois têtes de petits enfants, et
'< une autre plus considérable, furent déposées dans la terre
« avec les corps des saintes Maries, qu'on inhuma à côté
« de la source, dans l'oratoire dédié à la très-sainte Vierge,
" et où était l'autel dont nous avons parlé * . »
L'auteur si érudit, que nous venons de citer, démontre la
vérité de cette tradition par des arguments trop péremptoires
pour n'être pas acceptés, mais trop étendus pour être admis
dans mon travail. Cette tradition, qui fait remonter au
P'" siècle la prédication de l'Evangile dans une partie des
Gaules, est mille fois glorieuse pour notre pays et méritait
une mention particulière. Le soleil de la loi de grâce s'est
levé sur nous en même temps que sur la Péninsule Ibérique.
L'Art chrétien a reproduit le voyage des saintes Maries
Jacobé et Salomé dans un petit groupe, aujourd'hui mutilé,
qui termine la crête du toit de l'église de Notre-Dame-de-la-
Mer, du côté du couchant. Un jeune artiste plein d'avenir,
M. Aie. Giraud, a bien voulu dessiner ce groupe, au profit
de mes lecteurs.
Ce sont deux figures de femmes dans une nacelle qui vogue
sur la mer ; type reçu dans le pays pour désigner ces deux
saintes, ainsi que la ville de Notre-Dame-de-la-Mer.
Nous n'avons assigné qu'une date approximative au mo-
nument de l'église dont nous parlons. Mais les draperies
* Monuments inédits sur l'nposlolat de sainte Marie-Madeleine, etc., t. i,
roi. 1267-68.
PMLERlNAaE DE COMPOSTJ'LLE.
265
rappellent les formes et les règles de la sculpture des Ro-
mains. L'église, à son tour, offre des caractères non contredits
Voyage des saintes Maries Jacobé et Salorné.
(Monument antériuur au IX° sièclf.)
par l'histoire de sa fondation, et d'une antiquité telle, qu'il
n'y a point de témérité à adopter pour ce monument une
époque antéi'ieure au siècle de Louis-le-Débonnaire ' .
' Une autre église, celle de Lisbonne, a dans ses armoiries une barque en
mémoire de la bai'que qui y porta miraculeusement le corps de saint Vincent,
diacre et martyr à Valence, depuis le cap qui porte encore aujourd'hui le
nom de ce saint, et qui anciennement se nommait le promontoire sacre des
Algarves. Les deux corbeaux qu'on remarque sur la proue et la poupe rap-
pellent les deux oiseaux de cette espèce qui défendirent le corps du saint
exposé, après son martyre, aux bêtes féroces. D. Alphonse Henriquez, pre-
mier roi de Portugal, plaça ce dépôt sacré dans l'église cathédrale, qui en fit
ses armoiries ainsi que la ville de Lisbonne : « En memoria, dit l'historien,
de la nave que ano 1173, milagrosamente conduxo el divino cuerpo de
San Vincente Martir, patron suyo, desde el cabo asi dicho, antiguamente pro-
vwntorio sacro del ./Igarve, colocada en la cathedral por el primero Rey
D. Alfonso Henriquez. »
266 rÈLERINAGE DE COMPOSTELLE,
Ce type explique l'origine du nom de Notre-Dame-de-la-
Barque^ sancta Maria de Ratis, donné primitivement à l'église
desSai7ites, en mémoire de la barque sur laquelle abordèrent
les saints Apôtres du pays, comme l'attestent les auteurs de
Provence, Ruffi, Suarez, Bouche, Guesnay, Noguier.
Lors des ravages des Sarrasins, les reliques des saintes
Maries furent cachées sous terre. On les découvrit en 1448,
au moyen des fouilles ordonnées par le roi René et dirigées
par les commissaires que délégua le pape Nicolas V. Leur
authenticité une fois reconnue, le roi René et la reine Isa-
belle de Lorraine arrivèrent pour les honorer. La cour bril-
lante qui les accompagnait assista aux fêtes par lesquelles on
célébra la bienheureuse invention de ces reliques. Le bon roi
offrit des châsses pour renfermer le pieux trésor ; puis il fit
présent à l'église de trois tableaux peints par lui-même, que
la gravure a reproduits dans le siècle dernier. L'un avait
pour sujet la Vierge-Mère, une autre sainte Marie Jacobé et
le troisième sainte Marie Salomé. Le roi- artiste avait repré-
senté les saintes Maries avec un vase de parfums à la main,
conformément au texte de saint Marc, qui nous apprend
qu'après le sabbat elles achetèrent des parfums pour venir
embaumer Jésus : « Et cùm transisset sabbatum, Maria Mag-
<i dalene, et Maria Jabobi, et Salome emerunt aromata ut ve-
« nientes ungerent Jesum' . » La prose si populaire, 0 filii et
filiœ, que les fidèles chantent avec tant d'allégresse au jour
de Pâques , rend aussi hommage à cet acte intentionnel de
piété :
Et Maria Magdalene,
Et Jacobi et Salome
Venerunt corpus ungere.
' Marc, xvi, 1.
I-^KLKRINAGE DE COAU'USTELLi:. 2(17
Les Grecs ont donné le nom de Myrrophorvs aux suintes
emèaMmewses de Jésus. Ils en comptent six, parmi lesquelles
figurent de plein droit Jacobé et Salomé ' , Elles figurent aussi,
sous un costume de veuve, avec ou sans parfums, auprès des
saints sépulcres dont la religion de nos pères a décoré tant
de chapelles.
L'église de Notre-Dame-de-la-]\Ier a conservé les précieux
restes de ses évangéliques fondatrices et les montre chaque
année, le 22 octobre, à la foule empressée et recueillie. On ne
saurait trop honorer les illustres ancêtres de notre foi.
Saint Jacques me pardonnera d'avoir consacré quelques
ligues à sa glorieuse mère et à la sœur de sa mère, insépa-
rables dans leur tombeau comme dans notre culte. Quand la
mère et le fils sont grands tous les deux devant Dieu et de-
vant les hommes, comment parler de l'un sans parler de
l'autre? Et quand la Providence, la céleste distributrice des
faveurs temporelles et spirituelles, a doté de leurs cendres
des royaumes différents, le pèlerin qui s'exile pour quelques
jours dans un but de dévotion, peut-il oublier les sanctuaires
chéris qu'il a laissés dans sa patrie? A chaque pays ses joies
et ses consolations. Si la Galice nous vante le tombeau de
saint Jacques et contemple avec orgueil les phalanges de
pèlerins qui se succèdent de siècle en siècle dans son immor-
telle basilique, celui de la mère de cet apôtre, sur les bords
d'une lie provençale, n'est pas sans quelque gloire. Il a eu
' Dans l'église grecque, le deuxième dimanche après Pâques, que nous
appelons du Bon-Pasteur ^ est désigné sous le nom de dimanche des saintes
Jfijrrophores ou porte-parfums. On y célèbre particulièrement la piété des
saintes femmes qui portèrent des parfums au sépulcre pour embaumer le
corps du Sauveur. Joseph d'Arimathie a aussi une part dans les cantiques
dont se compose l'office de l'église grecque durant cette semaine. [L année
liturgique, par Duin Guéranger, '2" partie du temps pascal, p. 1(34 )
208 l'ÈLERINAGE DE COMPOSTELLE.
ses historiens, ses poètes, ses prodiges et ses pèlerins de toute
classe et de toute province. Le royaume tres-chrétienn^QsX pas
un des moins riches en reliques et eh souvenirs religieux.
Par un privilège qui ne devait pas être réservé à tous les
Apôtres, le texte sacré nous a révélé les noms du père et de
la mère de saint Jacques, et leur a assuré par cette seule
mention une infaillible innnortalité.
La Providence donna tardivement ' à saint Jacques un
frère, du nom de Jean, encore plus illustre que les auteurs
de ses jours, lui frère qui devait être l'ami du Sauveur,
apôtre, évangéliste, martyr, le type le plus complet de l'in-
nocence, le favori du ciel et de la terre.
Jacques et Jean étaient pêcheurs comme leur père. Un jour
qu'ils raccommodaient leurs filets, Notre-Seigneur les aperçut
dans leur barque et les appela. A l'instant, ils quittent leurs
filets et leur père et suivent Jésus de Nazareth. « Illi autem,
« statim relictis retibus et pâtre, secuti sunt eum ^ » Leur
vocation avait suivi de près, peut-être immédiatement, celle
de saint Pierre et de saint André, avec lesquels ils avaient
de commun la patrie et la profession.
Le nom de Jacques a la même étymologie que celui de
Jacob; en hébreu, il signifie littéralement supplantateur,
supplantator ; celui de Jean se traduit par deux mots, grâce
du Seigneur, Domini fjralia. Dans le sens spirituel, ces deux
noms signifient chacun une vertu, selon saint Bernardin de
Sienne : « Petrus interpretatur obediens, Jacobus pauper,
« Joannes castus et luminosus gratiâ Dei ^ »
' Selon quelques auteurs, saint Jacques était né 12 ans avant le Messie, et
6 ans avant saint Jean l 'Evangéliste, son frère,
* Matth., IV, 22.
° S. Bkrnaudim Senk^jsis, Ordinis Seraphici M'movwn, Scrmoncs eximii
de Christo Domino, etc. Lugduni, 1650, t. iii, p. 201.
l'KI.ElUNAGK DE CO.MrOSTKLI.E. ^(lO
Les deux frères reçurent du divin Maître un surnom qui
exprime un nouveau mérite : ils furent appelés Boancrges^
c'est-à-dire enfants du tonnerre : « imposuit eis nomen Boa-
« nergeSj quod est filii tonitrui '. » Par cette qualification, le
Sauveur désignait cette trompette éclatante de la vérité, que
ces deux apôtres devaient faire retentir dans tout l'univers,
et qui fit trembler la terre pour l'assujettir au joug adorable
du Seigneur.
Quelques interprètes appliquent particulièrement à saint
Jean ce nom d'enfant du tonnerre^ parce que ses écrits, sur-
tout son évangile, sont comme un tonnerre qui se fait en-
tendre du haut des nuées à cause de leur sublimité ; une lé-
gende rapporte que lorsque saint Jean écrivit son immortel
chapitre de la divinité du Verbe, le ciel souscrivit à chacune
de ses paroles par un coup de tonnerre.
Mais la même épithète exprime aussi la puissance, l'é-
nergie et la sphère d' activité de la prédication de saint Jacques
qui retentit du couchant à l'aurore, en Espagne et en Pa-
lestine ; elle peint également la mfde sévérité des traits qui
distinguent la figure de cet apôtre, et elle symbolise la ter-
reur qu'il imprima aux ennemis du nom chrétien, comme
nous le dirons plus tard. Il faut ajouter que les phénomènes
atmosphériques de la Galice, patrie adoptive de saint Jacques
après sa mort, justifient, à leur façon, le surnom de Boanerges.
J'ai entendu, près de Compostelle, des explosions électriques
tellement formidables que le sol ébranlé semblait s'agiter sur
ses bases. V enfant du tonnerre habite donc le pays des ton-
nerres, pour en être sans doute le paratonnerre. On l'invoque
avec saint Jean l'évangéliste et sainte Barbe contre la foudre.
Saint Jacques fut honoré comme saint Jean, mais à un
-* Mahc, m, 17.
270 l'KLKKlNAGE DE COMPOSTELLE.
degré inférieur, de l'amitié de Jésus-Christ. Il assista comme
témoin et comme acteur à l'une des pêches miraculeuses ' ;
il assista à la guérison de la belle-mère de saint Pierre ^ et
de l'hémorroïsse, à la résurrection de la fille d'un chef de la
synagogue nommé Jaïre % à la transfiguration '', à l'agonie
de Notre-Seigueur dans le jardin des Oliviers ^ et à toutes les
apparitions deNotre-Seigneur après sa glorieuse résurrection.
Les Samaritains refusèrent un jour de recevoir Notre-Sei-
gneur chez eux parce qu'il allait à Jérusalem. Jacques et
Jean, les deux enfants du tonnerre, indignés de cet outrage,
dirent à leur maître : « Voulez-vous que nous commandions
« au feu du ciel de descendre sur ces gens-là ?» — « Vous ne
« savez à quel esprit vous appartenez, » répondit le Sauveur **.
A une autre époque, le prophète Elle avait pu user de moyens
violents pour venger la gloire du Seigneur ; mais la loi de
grâce venait d'être inaugurée par V Agneau de Dieu. L'esprit
de douceur, de mansuétude et d'immolation devait seul pré-
sider au zèle des Apôtres.
Les Apôtres avaient tout abondonné pour suivre Jésus-
Christ. Quelle devait être leur récompense ? Notre-Seigneur
promit à chacun d'eux un trône à côté du trône de sa gloire,
quand viendrait le temps de la Régénération,, c'est-à-dire du
jugement dernier \ Salomé appliquait à la création d'un
royaume temporel ces paroles qui flattaient son ambition
maternelle ; d'un côté, elle redoutait la prépondérance de
« LtJc, V, 4-10.
« Maiu;., I, 29-31.
5 Marc, v, 22-43.
* Matth., XVII, 1-10.
" Matth., xxvi, 36-38.
8 Luc, IX, 51-56.
' Matth , xix, 26-30.
PÈLERINAGE IlE COMFOS'l'EM.K. 271
saint Pierre, qu'elle voyait préféré aux autres dans les
grandes occasions ; mais d'un autre côté, elle comptait sur le
mérite de ses fils et sur les droits que leur parenté avec le
Sauveur semblait leur conférer. Elle aborde donc avec con-
fiance Notre-Seigneur : « Ordonnez, lui dit-elle, que mes deux
fils soient assis dans votre royaume, l'un à votre droite et
l'autre à votre gauche. » — « Vous ne savez pas ce que vous
demandez, » leur répond Jésus '. Les disciples insistent;
Notre-Seigneur supporte leur ignorante importunité et en
profite pour leur tracer une règle de conduite plus conforme
à l'humilité évangélique. Une primauté autrement désirable
que toutes celles de ce monde était réservée à saint Jacques ;
le moment approche d'en parler.
L'aBBE l'ARDlAC.
[La suite au prochain numéro.]
• Matth., XX, 20-24 — Bossuet a supérieurement explané ce passage
évangélique dans le Précis d'un Panégyrique pour la fête de saint Jacques.
L'ÉGLISE DE NOGENT- LES-VIERGES
[Note adduionnelle )
Monsieur le Directeur,
Ma notice sur l'église de Nogent-les-Vierges , insérée dans le nu-
méro de mai 1860 delà Revue de l'Art chrétien, contient, sm^Béatrix
de Bourbon, reine de Bohême, des erreurs que M. Houbigant a
bien voulu me signaler et que je crois devoir rectifier. J'avais eu
le tort d'accepter, sans recourir aux sources, les allégations de
M. Graves. Quelle que fût la confiance due, en général, à ce conscien-
cieux auteur, j'aurais dû faire, en écrivant la notice, ce que j'ai fait
depuis.
Je ferai remarquer, d'abord, une faute de typographie, dans
la reproduction de l'inscription du monument élevé à Creil sur la
place des Marais. La date est 1385 et non 1395. Mais cette date
de 1385, qui se trouve dans le Dictionnaire historique de Moréri,
est fausse elle-même, comme je le démontrerai plus loin.
Louis Ii^f, duc de Bourbon, fut mis, en 1318, en possession de la
chatellenie de Creil, dont le possesseur devait hommage au comte
de ClermoLit, et qui était affectée, par privilège, à l'aîné de la mai-
son de Bourbon*.
En 1325, il abandonna cette chatellenie à Charles-le-Bel, roi de
France. Mais, deux ans après, et sous Philippe de Valois, elle ren-
tra en sa possession.
Béalrix de Bourbon, fille de Louis P'' et de Marie de Hainaut,
' Histoire de la ville de Creil ^ par M Mathow, de Keauvais. 1861.
F/KGLISE DE NOGENT-LhS-VII.UGES. '273
('•[lousa, eu 133i* ou 1335*, Johan de Luxenibouig, loi de Bolièmc,
ol lui apporta en dot, à titre de Ijaioiinie, la terre deCreil, estimée
4,000 livres de rente, à charge d'hommage envers les comtes de
Clermont.
De ce mariage naquit un fils, du nom de AVenceslas, qui fut
comte, puis duc de Luxembourg, et mourut le 13 décembre 1383,
selon Moréri.
En 1346^ Jehan de Luxembourg, roi de Bohème, bien qu'il fût
devenu aveugle, accourut en persoune au secours du roi Philippe
de Valois, attaqué par les Anglais. Il fut tué glorieusement h la
funeste bataille de Grécy*.
Béatrix de Bourbon, sa veuve, revint en France, où elle se re-
maria avec Eudes, seigneur de Grancey, eu Bourgogne.
J'ignore la date de la donation faite par cette princesse aux com-
munes de Creil, Montataire et Nogent-les- Vierges, dont il est ques-
tion daus ma Notice. La procession annuelle qui a lieu en recon-
naissance de cette donation, est fixée au jour de l'Ascension ; l'in-
dication du mois de juin, que j'ai donnée, est donc trop générale,
et par là, inexacte.
Le 7 aoiit 1374, Béatrix de Bourbon, du consentement de son
deuxième mari, Eudes de Grancey, et de son fils V^euceslas, trans-
porta la baronnie de Creil à Charles V, roi de France, et à la reine
sa femme, qui la réunirent à la couronne. La reine de Bohême x'e-
çut, en échange, les ville et chatellenie de Bar-sur- Aube *.
' MoRERi, Dictionnaire historique. Louis I«'' mourut en janvier 1341, ou,
selon Piganiol de la Force, en février 1342, et Marie de Hainaut en août 1354.
- Nicolas Vigner, Histoire des comtes et ducs de Luxemhoury , publiée,
pour la première fois, par Duchesne, en 1617. Dans l'édition donnée en 1619
par Nicolas Pavillon, avec de nombreuses notes, la date du mariage de Béa-
trix est reculée à 1336. On sait que l'année commençait alors à Pâques ; de là ,
dans les divers historiens, des différences chronologiques. Pour vérifier les
dates, il faudrait connaître le jour et le mois du mariage.
' Voir, dans les Chroniques de Froissart, le récit de cette mort héroïque.
'* On le voit par là, c'est à tort que M. Graves a écrit que le comté de Cler-
mont appartenait à la reine de Bohême, laquelle n'a possédé que la baronnie
de Creil. Dans une Histoire de la ville de Creil, par M. Mathon, insérée, en
1861, dans les Mémoires de la Société académique de Beauvais, l'acte de
cession du 7 aoiit 1374 est donné en entier.
TOME VI. 20
274 l'église de iSOfiENT-LES-VIEltOES.
Nicolas Viguer, dans son Histoire des comlcs et ducs de Luxem-
bourg, dit que Béatrix de Bourbon survécut de 37 ans, à Jeban de
Bobèrae, ce qui place sa mort eu 1383 et non en 1385.
A l'appui du fuit, Nicolas Pavillon, annotateur de Vigner, donne
la teneur de Tépitapbe qui se lisait encore, au temps de Pigauiol de
la Force (1742), dans Téglise des Jacobins de Paris, où la reine de
Bobème avait été inbumée. Voici cette épitapbe :
CY. GiST TRES NOBLE ET TRES PVISSANTE DAME MADAME
BIATRIX. DE BOURBON. ROYNE DE BOESME ET COMTESSE DE
LVCCEMBOURC. LAQVELLE FVT FILLE DV DVC LOYS DE BOVR-
BON ET DE MADAME MARIE DE HAINAVT ET FEMME DE FEV
lEHAN ROY DE BOESME. QVI TRESPASSA LE VENDREDI XXV^
lOVR DV MOIS DE DECEMBRE MIL IIF. IIII" ET TROIS.
Pigauiol de la Force, daus sa Description de Paris (tom.v,p.l09),
en parle ainsi dans l'énumération des tombeaux des Jacobins :
« Béatrix de Bourbon, fille de Louis 1", duc de Bourbon, et de
« Marie de Haiuaut,fut mariée eu 1334, à Jean de Luxembourg, roi
(( de Bohême, et, eu secondes noces à Eudes, seigneur de Grancey,
(i en Bourgogne. Elle mourut le 25 décembre 1383 et lut inhumée
« dans cette église, où l'on voit sa ligure, debout et appuyée contre
« un des piliers du sanctuaire du maître-autel et son épitapheau-
« dessous, outre un tombeau de marbre qui est dans la nef à main
(( gauche. »
Le musée de Versailles possède une copie en plâtre, haute de
4™69% de la statue ci-dessus mentionnée. La figure originale est
dans l'église de Saint-Denis.
Il y a lieu de rectifier l'inscription de la place des Marais, à
Creil.
Dans ma Notice, j'ai décrit. Monsieur le Directeur, la verrière qui
orne la fenêtre de Tabside dans l'église de Nogent-les-Vierges, et
qui représente le martyre des deux Saintes. Depuis, on y a mis celte
légende : Comment sainte Maure et sainte Brigide furent martyrisées.
Au-dessous, huit tableaux, plus petits, y ont été ajoutés. En
voici les légendes :
L ÉGLISE DE NOGENT-LES-VIEUGES. 27ri
Comment naquirent en h'cosse sainte Maure et sainte liriijide.
Comment elles furent baptisées.
Comment elles secouraient les malhevt^eux.
Comment elles refusèrent de riches alliances.
Comment elles partirent en pèlerinage.
Comment elles bénirent Dieu à leur arrivée à Jérusalem.
Comment leurs corps furent transportés et arrêtés à Nogent par la
reine Bathilde.
Comment leurs sainta Reliques y sont honorées.
Ces tableaux, fabriqués sur ]es dessins de M. A. Lavignc, chez
M. Lévèque, h Beauvais, sont, en général, assez bien composés;
mais la couleur n'en est pas suffisamment harmonisée avec celle
du martyre représenté au-dessus.
Deux autres croisées, qui se trouvent, à droite et à gauche, dans
les murs latéraux du cIioRur, ont été garnies de verrières bien
réussies.
A droite, est représenté saint Louis, roi de France, en pied, por-
tant le sceptre de la main droite et la couronne d'épines de la main
gauche. Par respect pour la sainte relique, la main est recouverte
d'un pan du manteau royal. Au-dessus sont les écussons de saint
Louis et de sa femme. Au bas, dans un cartouche, saint Louis est
représenté à genoux, en prières. On lit l'inscription suivante : A
saint Louis, Boy de France, visitant en pèlerinage l'église de Nogent-
les- Vierges et ordonnant à ses frais la constructioti du chœur actuel, la
paroisse reconnaissante.
A gauche est représentée Béatrix de Bourbon, aussi en pied, et
tenant la donation faite aux trois communes. Au-dessus, ses armes
et celles de Jehan, son premier mari. Au-dessous, dans un car-
touche, celui-ci est à genoux et en prières. Voici l'inscription :
A Béatrix de Bourbon, reine de Hongrie, faisant don à Nogent-les-
Vierges de ses prairies autrefois communales, la Commune reconnais-
sante * .
Cette inscription contient une faute grave et qui devra être rec-
tifiée. Béatrix était reine de Bohême et non de Hongrie. La Bohême
et la Hongrie formaient deux royaumes distincts. Ce qui a pu pro-
' En 17P3, ces prairies ont été partagées entre les habitants.
276 l'église de nogent-les-vierges
duire la confusion, c'est qu'une autre Béatrixaélé, dans ce temps-
là^ reine de Hongrie.
Je profite des rectifîcatioiis qui motivent ma lettre, pour ajouter
à ma Notice quelques renseignements sur les œuvres de Michel
Bourdin.
Le musée de Versailles, outre les ouvrages déjà énuroérés de ce
sculpteur, possède la statue, en marbre, d'Amador de la Porte; il
est à genoux et revêtu d'une casaque, décoré de la croix de l'ordre
de Malte.
Amador de la Porte, grand'croix de Malte, grand prieur de
France, ambassadeur de son ordre eu France, gouverneur d'Angers
en 1619, du Havre en 1626, lieutenant du roi au pays d'Aunis en
1633, est mort à Paris, le 31 octobre 1640.
Cette statue, haute de 1™46% placée autrefois dans l'église du
prieuré du Temple, ornait le tombeau, en marbre noir et blanc, du
grand Prieur '.
On connaît encore, de notre sculpteur, les statues de saint Ger-
vais et de saint Protais, au portail de l'église des Saints-Gervais-et-
Protais, à Paris®.
L'église Sainte-Croix d'Orléans possède une de ses plus belles
œuvres. On y voit, dans la chapelle de la Vierge, placée au rond-
point, où se trouve la sépulture de la maison de Longueville, qui
l'a fait décorer en marbre blanc et noir, au-dessus de l'autel et dans
une niche, une figure de Notre-Dame de Pitié, en marbre blanc,
d'une grande beauté '.
' Voir, dans la Description de Paris de Piganiol de la Fokck, t. iv, pagos
225-229, les insciiptions de ce mausolée. D'après son épitaphe, Amador de
la Porte est né en 1555, étant mort en 1640 à 85 ans. Octogesimum œtatis
annmn excedente Justro , morte justorum ohdormivit in Domino anno Sal.
1640.
^ Piganiol de la Force, t. lu, pages 502 et 505.
' Essai historique sur Orléans, par Polldche, m.dcc.lxxviii. Cet auteur
rapporte la tradition qui fait mourir à Oi'léans Michel Bourdin , en punition
d'un vol commis à Notre-Dame de Cléry en 1622. (Voir, à ce sujet, la note
qui est aux pages 275 et 276 de la livraison de mai 1860 de la Revue de l'Art
chrétien]
l'église de NOGENT-LES-VIERGES. 277
Pour compléter la notice de l'église de Nogent-les-Vicrges, il me
reste à mentionner une belle horloge astronomique, établie par
l'habile M. Vérité, horloger à Beauvais*.
Elle a sept cadrans. Celui du milieu indique les heures. Au-
dessus, est un baromètre; au-dessous, le quantième du mois; à
droite, en haut, les révolutions de la lune, et eu bas, les mois; A
gauche, en haut, les révolutions du soleil, et en bas, les jours de la
semaine.
Un cadran extérieur répète les heures.
Cette œuvre remarquable se recommande à la fois par la régu-
larité de la marche et par la simplicité des rouages.
Veuillez agréer, etc.
ÉLIE PETIT.
' La réputation, déjà si justement étendue de M. Vérité, s'est accrue par
la magnifique horloge qu'il a faite pour Ms'' Mathieu, cardinal-archevêque de
Besançon, et qui est dans la cathédrale de cette ville.
BIBLIOGRAPHIE
NUMISMATIQUE BÉTHUNOISE, Recueil historique de Monnaies, Mé-
reaux, Médailles et Jetons de la ville et de V arrondissement de Béthvne,
par L. Dakcoistje, Ârras, A. Brissy , 1859 (1862).
Lorsque, sons le litre modeste A'Essai, il publiait, en 184.3, son
Histoire monétaire de la province d'Artois, ^l. A. Hormand ne con-
sacra, faute de documents, qu'un petit nombre de pjages aux mon-
naies de Béthune. Toutefois, mettant sa confiance dans l'avenir,
notre si regretté collègue et ami terminait son chapitre par un acte
d'espérance. «Un jour viendra, disait-il, où de nouvelles décou-
vertes combleront les lacunes que je n'ai pu remplir. » L'appel
adressé à l'avenir par l'érudit numismate n'a pas été vain ; un
homme, depuis longtemps connu dans la science par de remar-
quables travaux, s'est chargé d'y répondre. L'auteur des Recherches
historiques sur Hénin-Liétard et de la Numismatique Douaisienne ,
M. Dancoisne, vient, sous le titre de Numismatique Béthunoise, de
livrer au monde savant le fruit de patientes et laborieuses investi-
gations.
L'ouvrage se divise en deux parties. La première, précédée d'une
courte introduction, esquisse rapide de l'histoire de Béthune et de
ses seigneurs, traite des monnaies, méreaux, médailles et jetons
appartenant au chef-lieu de l'arrondissement. Les monétaires mé-
rovingiens sont rares ; M. Dancoisne produit un tiers de sol d'or
(VHP siècle) qu'il a récemment trouvé, et un autre qu'il croit, avec
raison, être plus que douteux. Absence totale de pièces karolin-
giennes, mais, comme M. Hermand, l'auteur a la foi du numismate;
il compte sur de futures découvertes. Les monnaies seigneuriales pu-
bliées sont au nombre de 12, chiffre que M. Dancoisne eût pu faci-
lement enfler ; il s'est borné à présenter les types principaux sans
iiii;i-i(i(iHAi'iiii:. 271»
tenir comide des vaiiélés peu saillantes : ce sonUles deiiiors et une
obole d'argent du XII* siècle et du XIII*, époque après laquelle la
monnaie de Bétluine, tombée en discrédit, fut délaissée sans regret.
Un intérêt puissant s'attache aux articles relatifs aux méreaux.
Ces petits disques de plomb, d'abord marques conventionnelles,
destinées dans les villes à tenir lieu de fractions de monnaies,
furent ensuite employés sur le marché aux grains de Béthuue à
payer le salaire des portefaix : quand ceux-ci en possédaient une
quantité suffisante, Targenlier de la ville en remboursait la valeur
en argent légal. Les méreaux servirent aussi de bons desecours pour
les indigents, et, aux corporations ou commerçants, de signes re-
présentatifs pour effectuer, dans le cercle de leurs relations parti-
culières, des transactions de minime importance. Après les méreaux
communaux, les méreaux ecclésiastiques, jetons de présence qui at-
testaient l'assiduité du clergé à paraître aux offices et lui donnaient
droit à certaines distributions de pain, de vin ou d'argent. De ces
derniers, comme des pièces communales, M. Dancoisne fournit des
spécimens choisis, provenant de la collégiale de Saint-Barthélémy,
de l'église de Saint-Vaast, du prieuré de Saint-Prix et de l'associa-
tion des ChaiH tables de Saint-Eloi.
Je ne mentionnerai pas les médailles commémoratives d'événe-
ments politiques, les jetons et les billets de confiance qui occupent
une large place au sein du volume ; j'ai hâte d'arriver à la seconde
partie. Elle renferme une nomenclature alphabétique des com-
munes de l'arrondissement qui firent frapper des monnaies, mé-
dailles ou enseignes de pèlerinage. Chaque localité a son article sé-
paré ; Alîouagne et la sainte Larme, Amettes et le B. Benoît Labre,
Carvin-Épinoy et saint Druon, Notre-Dame de Libercourt, les mé-
dailles seigneuriales et religieuses d'Hénin-Liélard, Isbergue et la
Sainte qui porte ce nom, La Beuvrière et sainte Christine, Lambres
et saint Lambert, les monnaies mérovingiennes et karolingiennes
de Lens avec les médailles qui rappellent la victoire du grand
Condé, Liilers et son Chapitre, Locon et saint Maur, enfin les mon-
naies et médailles de Saint-Venant, passent tour à tour sous les
yeux du lecteur.
M. Dancoisne expose avec une lucidité et une méthode dont on
ne saurait trop le louer; son style est simple, ferme et coulant :
280 BIBLIOGRAPHIE.
quoique chaque article soit accouipagné d'aperçus liisloriques d'une
haute valeur, toute longueur, toute digression inutile est évitée
avec soin, et, pour les lecteurs qui voudraient plus qu'une instruc-
tion amusante, 23 pièces justificatives puisées dans les archives
municipales de Béthune sont rejetées à la fin du livre.
La Numismatique Béthunoise, ornée de 27 belles planches repré-
senlant environ 180 sujets, sort des presses de M. A Brissy, impri-
meur à Arras ; elle fait le plus grand honneur au goût de ce typo-
graphe distingué qui, avec M. Rousseau-Leroy, accapare la clien-
tèle des érudits artésiens.
CH. DE BINAS.
LES TRÉSORS SACRÉS DE COLOGNE, ohjets d'art du Moyen Age con-
servés dans les églises et dans les sacristies de cette ville, dessinés et décrits
par Franz Bock, texte traduit de l'allemand par MM. W. et E. Sdckac.
Paris, A. Morel, 1862, grand m-8" de 186 pages et 48 planches.
Je visitais pour la seconde fois, il y a deux ans, les églises de
Cologne et j'avais le bonheur d'avoir pour guide mon savant ami
l'abbé Franz Bock; je lui exprimais le regret que sa Description des
Trésors sacrés ne soit pas connue en France, où il y a si peu de per-
sonnes qui connaissent la langue allemande. Le vœu que je formais
alors vient d'être exaucé, et prochainement M. Morel éditera une
traduction d'un ouvrage analogue de M. le docteur Bock sur les
richesses liturgiques d'Aix-la-Chapelle. Ceux qui ont visité Cologne
admireront de nouveau, dans d'excellentes lithograpliies, les objets
d'art dont le souvenir leur est resté: mais que de merveilles nou-
velles se révéleront à leur attention ! Ce ne sont pas seulement les
églises célèbres de Cologne, celles que visitent tous les voyageurs,
qui contiennent des chefs-d'œuvre de l'art catholique, il y en a
partout : à Saint-Martin, à Saint-Alban, à Sainte-Colombe, à Saint-
Pierre, à Sainte-Cécile, à Saint-Jacob, à Saint-Jean, à Saint-
Séveiin, eic. M. Bock a décrit tous ces objets avec une science
parfaite, et, à leur occasion, il a souvent résolu de difiiciles pro-
blèmes d'archéologie et de liturgie.
J. CORBLET.
KQT'^ .. , .
MONUMENT FUNERAIRE
du chanoine Ruyschen, à St-Servais de Maêstricht.
L'usage de placer des ex-voto dans les églises, pour expii-
mer la reconnaissance envers Dieu, ou pour rappeler la mé-
moire des morts, a sensiblement diminué depuis deux siècles.
Ces ex-voto funéraires où respirait le génie des arts, pendant
les XIV et XV siècles, ont été remplacés par de lourds mo-
numents qui, pour la plupart, témoignent plutôt delà vanité
des survivants que de leur esprit religieux et artistique. Sur
ces tombeaux fastueux sont représentés des armes de familles,
des armes d'alliance, des couronnes et divers emblèmes qui
contrastent singulièrement avec les inscriptions éplorées qui
les accompagnent. Il y a même quelques monuments funé-
raires du XVIIPet du XIX' siècle qui sont composés de ma-
nière à faire douter de leur destination religieuse. Le sujet
principal est ordinairement le Temps, grand vieillard ailé et
décharné, appuyant le pied sur le globe du monde et bran-
dissant d'un air menaçant sa faux exterminatrice. Puis vient
le portrait du défunt, entouré de génies ailés, d'armoiries
aux riches lambrequins: une pompeuse inscription énumère,
dans un style tout païen, ses titres et ses qualités. Le sen-
timent religieux n'y apparaît que rarement; pour le trouver
dans les ex-voto, il faut remonter au Moyen Age, ou, sans al-
ler si loin, aux siècles des Van Eyck et des Rubens, qui pei-
TOMK vr. Juin 1862, o|
2,S2 MOiSUMliNT FLINÉRAIKE DE UUISCUEN.-
gnirenttant de pieux personnages dans l'attitude de la prière,
sur les volets de leurs magistrales compositions.
La Renaissance nous a légué des sculptures funéraires
d'une riche imagination, exemptes de cet aspect lugubre qui
glace les tableaux et les bas-reliefs votifs dont nous avons
parlé précédemment. Expressifs dans l'ensemble des lignes et
des groupes, ces monuments ont encore l'avantage d'unir
d'une manière intelligente et gracieuse, F architecture et la
peinture dans un même cadre. Nous citerons comme exemple
le bas-relief votif en pierre dont nous offrons la gravure en
tête de cet article : il est loin sans doute d'être irréprochable
dans ses formes ; mais on y constate un véritable talent ar-
tistique et un harmonieux ensemble.
Dans la partie supérieure, le Rédempteur bénissant d'une
main, porte de l'autre le globe surmonté de la croix. Plus
bas, deux anges soutiennent, l'un la colonne de la passion,
l'autre le sceptre de Marie terminé par une fleur de lys. La
zone inférieure nous montre celui auquel le monument est
consacré, le chanoine de Saint-Servais, Gilles Ruyschen, en
prière^ agenouillé; il est accompagné de saint Servais, le pa-
tron et l'évoque des villes de Tongres et de Maëstricht. La
sainte Vierge tenant le Christ enfant dans ses l)ras, plane au-
dessus de lui ; elle est couronnée par deux anges. Un prie-dieu
sur lequel est un livre ouvert, est timbré des armes du cha-
noine.
L'architecture du cadre est composée avec le goût et le luxe
habituels aux artistes de la Renaissance. Sur son socle formé
de deux banderolles en parties déroulées, et réunies au mi-
lieu par un ange qui les expose, on lit une invocation implo-
rant la miséricorde divine pour le salut du défunt qui mourut
pendant la seconde moitié du XVP siècle.
ARNAUD SCIÎAEPKENS.
LA PRIÈRE DE MARIE ET LE BON PASTEUR
Etude sur un Sarcophage d'Arles.
I. Marie est Mère de Dieu, c'est le premier et le plus beau
de ses titres, celui d'où dérivent tous les autres. Ce titre, l'Art
chrétien l'exprime par la ligure d'une jeune mère tenant son
fils sur son sein. On dit communément que ce mode de repré-
sentation se répandit à la suite du concile 'd'Ephèse; l'étude
des monuments qui nous restent de cette époque ne justifie
pas cette opinion. Ce concile proclama une vérité qui, ob-
scurcie un instant par les sophismes de Nestorius, avait dès
le commencement brillé de tout son éclat dans les croyances
de r Eglise, comme une condition inséparable du mystère
fondamental de l'Incarnation. Dans celle des images attri-
buées à saint Luc ' qui semblerait avoir le plus de droit à
cette vénérable origine, la Madone de Sainte- Marie -
Majeure, la Vierge-Mère porte son divin Fils entre ses bras.
' Nous croirions qu'il y aurait de notre part une sorte de témérité à ne
tenir aucun compte de la tradition qui fait de saint Luc, le premier peintre de
la sainte Vierge, quand beaucoup des critiques les plus éminents et les ))Uis
284 ÉTUDE SC1\ l!N SAllCOPIIAGE D'.'.îtLES.
Parmi les peintures des Catacombes qui, en dehors de
l'adoration des Mages où Marie figure comme personnage his-
torique, représentent incontestablement la sainte Vierge,
nous n'en connaissons que deux oiielle^soit accompagnée de
l'Enfant-Jésus; l'une, placée dans le cimetière de Sainte-
Agnès *, attribuée devant nous sur les lieux même au
IP siècle par le regrettable P. Marchi, est tout au moins du
commencement du IV siècle, c'est-à-dire dans tous les cas
antérieure au Concile d'Ephèse, et l'autre du cimetière de
Saint-Jules est très postérieure à ce Concile, étant proba-
blement une œuvre du VIP ou du VHP siècle '\
sévères ne craignent pas de l'admettre, et que cette croyance est répandue de-
puis un temps immémorial en un si grand nombre d'églises particulières. —
On ne lui oppose rien d'ailleurs que des arguments négatifs: saint Luc, dit-on,
était médecin et non pas peintre... Où a-ton vu qu'un médecin de profes-
sion ne puisse avoir quelque talent en peinture f On fait observer que la plu-
part des images prétendues de sa main diffèrent notablement de style et de
type... On pourrait en conclure qu'il n'a pas peint toutes celles qu'on lui at-
tribue, que beaucoup,* toutes peut-être, ne sont que des copies, des imitations
plus ou moins éloignées des originaux ; il ne s'en suit pas qu'il n'ait pas
peint les originaux. D'après les révélations de la sœur Émerique, la Ma-
done de Sainte-Marie Majeure ne serait elle-même qu'une copie de ce
genre, et l'original, dû réellement à saint Luc, serait renfermé dans l'un des
piliers de la basilique. On a essayé de distinguer le saint Luc, peintre de Ma-
dones, du saint Évangéliste en faisant de lui un moine grec du VIII» siècle ;
aucune supposition n'est moins soutenable, elle tombe devant ce seul fait que
la tradition dont nous parlons est mentionnée par Théophile, lecteur, écri-
vain du VI« siècle.
' La question de l'antiquité de cette image, est surtout subordonnée à celle
du chrisme dont elle est accompagnée. En admettant sur l'autorité de
M. le chevalier de Rossi, que ce signe ne s'est répandu qu'à la suite de la vi-
sion de Constantin, faut-il en conclure qu'il ait été sans exemple aupara
vant ? Bosio, Roma softeranea, p. 471;Bottaui, Fitture e sculpture sacre,
(.. III, pi. (i.iii; d'AGiKCOOKT, t. Vj pi. XI, fig. 8; Pjîruet, Catac, t. ii,
pi. VI.
* BosK), p. 579.
ÉTUDE .SUR UiN sAncoriiAGK d'aulis. 285
Sur les fonds de verre, on ne connaît qu'une seule figure de
mère portant son enfant ' : rien n'autorise à la prendre pour
la Mère de Dieu. Ce genre de représentation est également
étranger aux sculptures des sarcophages ; il est fréquent au
contraire dans les mosaïques, non pas toutefois dans les plus
primitives: nous en pourrions citer une dizaine, mais toutes
du VHP ou du IX" siècle ^
IL Si nous devons en juger par les monuments, nous dirons
que pendant toute la première période de l'Art chrétien jus-
qu'à cette époque, Marie fut principalement représentée
dans l'attitude alors consacrée pour exprimer la prière, c'est-
à-dire del)out et les mains levées au Ciel. La Madone de
l'Ara Cœli, une de celles que la tradition fait remon-
ter à saint Luc, remarquable, si la gravure que nous en
avons sous les yeux est fidèle ', parla similitude de son type
avec celle de Sainte-Marie-Majeure, se rapporte à cet ordre
d'idées, bien que les mains y soient inégalement levées, con-
trairement à toutes les figures dont nous allons parler et où
elles le sont avec une symétrie parfaite.
La peinture du cimetière de Sainte-Agnès résume ces deux
modes de représentation, la Sainte-Vierge s'y montrant les
bras étendus et son divin Fils assis sur ses genoux. Nous
n'en connaissons qu'un second exemple, mais il en fait sup-
poser un très-grand nombre d'autres intermédiaires, étant
donné par le sceau moderne du mont Athos; c'est un monu-
' BoLDETTi, p. 202;' d'Agiwcolrt, t. V, pi. XII, fig. 22; Perret, Catac,
t. IV, pi. XXVI ; G.\RUCCi, Vetri ornati, etc., pi. xxx, fig. 1.
^CiAMPiJNi, Vet. mo7i.,t. II, pi. XXXVIII, xmv, xlix, li, Liv; de Sacr.
cedif., pi. xxiv, Passeri, 3Iomimenta sacra ehurnea, à la suite de Goni,
Thés. vet. Dypt., t. m, pi. v; Fointaka, Chiese di Roma, t. ii, pi. xviii,
XXVI.
^ Chiese di Roma. t. ii, pi. xiv.
286 ÉTUDE SUR UN SARCOPHAGE D ARLES.
ment curieux de la persistance des types dans l'art byzantin,
dont nous devons la connaissance à M. Didron '.
Marie, au contraire, est représentée uniquement dans son
rôle d'intercession sur plusieurs fonds de verre où elle est
désignée par son nom ; dans toutes les peintures des Cata-
combes et les sculptures des sarcophages où il est possible de
la reconnaître ; dans l'une des plus anciennes mosaïques absi-
diales de Rome, celle de l'Oratoire de Saint- Venance, atte-
nant au baptistère de Saint- Jean-de-Latran, où elle est
facilement reconnaissable ", au-dessous de son divin Fils, au
milieu des Apôtres saint Pierre et saint Paul et de plusieurs
autres Saints. Nous pouvons citer trois autres exemples
de ce genre appartenant à des monuments antérieurs au
X^ siècle: 1° un marbre gravé de Saint-Maximin en Pro-
vence, publié par le R. P. Garucci, où elle est désignée par
ces mots : MARIA VIRGO. MINESTER DE TEMPVIO GEROSALE ^ ;
2" une peinture du VHP siècle environ, découverte par d'A-
gincourt dans une chapelle souterraine qui était enfouie
derrière le chœur de la basilique de Saint-Laurent hors les
Murs , et où elle apparaît entre sainte Catherine et une
autre sainte '' ; 5" enfin la plus ancienne monnaie impériale
qui soit connue comme portant son effigie^ : cette monnaie est
du règne de Jean Zimiscès ; on y lit ces caractères : MP 0V
Merc de Dieu.
L'objet spécial de notre étude est d'éclaircir la significa-
tion de la scène centrale de l'un des sarcophages étudiés par
nous dans le musée d'Arles (n" 19), où l'on voit parallèlement
« Ann. Arch., t. i,p. 213; Hist. de Dieu, p. 291, fig. 73.
' CiAMPiNi, Vet. mon., t. ii, pi. xxxi.
3 Voyez-en la gravure dans le tome ir, p. 236, de la Revue de l'Art chrétien.
* D'Agincocrt, t. V, pi. XI, fig. 2 .
* Valsh, An Essai/ un Ancient coins, etc., in-8", London, 1828, pi. 38.
ÉTUDE SUll UN SAUCOPIIAGE JiAKLL.S. Oj^T
au Bon-Pasteur, une femme dans l'attitude que nous venons
de voir attribuée à la Très-sainte Vierge. Le Bon-Pasteur est
placé entre deux palmiers ; la femme, entre deux autres arbres
que l'on peut prendre pour des oliviers, est accompagnée de co-
lombes, comme le Pasteur l'est lui -même de brebis ; elle semble
s'adresser à lui et l'invoquer, tandis que celui-ci, se retour-
nant vers elle, semble l'exaucer.
III. L'attitude dont il s'agit n'est point exclusivement
propre à la sainte Vierge, nos lecteurs ne l'ignorent pas ;
exprimant la prière, elle convient à tous ceux qui pi-ient :
Daniel dans la fosse aux lions, les trois jeunes Hébreux dans
la fournaise, la prennent ordinairement; on la donne, dans
les monuments primitifs, à quelques autres hommes ; elle y est
cependant plus habituelle aux femmes auxquelles on donne
alors le nom à'Orantes.
Il appartient, en effet, spécialement à la femme de prier,
tandis que le fait de l'homme est d'agir; étrangère au gou-
vernement des peuples et au maniement des armes, il lui est
donné de participer à tout par la prière; les humbles filles du
Carmel, au fon'd du cloître qui les enferme, peuvent aussi ga-
gner des batailles et faire germer les bonnes lois : sans contre-
dit, la prière de Marie, la plus sainte des femmes, la première
des créatures, mais aussi la plus humble, a plus fait pour la con-
version du monde que les travaux de tous les Apôtres réunis.
Il y a beaucoup de ces figures à'Orantes complètement
isolées et sans aucun signe particulier qui les distingue ; il
serait possible qu'en les représentant les artistes chrétiens
n'aient pas eu d'autre intention que d'exprimer une idée
abstraite de prière, que de faire une invitation générale à
prier.
Il en est d'autres aussi qui sont nommées ; c'est la chré-
tienne dont on a voulu honorer la sépulture, ou la martyre,
288 ÉTUDE SUR IN SARCOPHAGE d'aRLES.
la sainte dont on réclame la protection. Nous considérons
dans tous les cas comme plus probable que la figure à'Orante
implique^ habituellement du moins, l'idée de l'état de béa-
titude.
IV. Le rôle de VOrante gagne singulièrement en impor-
tance, lorsqu'au lieu d'être seule elle se montre assistée par
deux autres personnages, dans lesquels on ne peut se dipenser
de reconnaître saint Pierre et saint Paul ; car leurs noms
sont écrits sur plusieurs fonds de verre et sur un sarcophage
de Saragosse ; dans une peinture du cimetière de Saint-
Calixte ' , nous avons reconnu leurs types bien caractérisés
tels qu'ils étaient conçus alors.
La signification de la présence des princes des apôtres
dans cette circonstance ne nous semble pas douteuse; ils
représentent l'Eglise : c'est seulement au sein de l'Eglise et
en union avec elle que la prière a toute son efficacité. \JOrantG
elle-même peut être considérée comme une sorte de person-
nification de l'Eglise: alors les Apôtres l'assistent comme les
chefs du ministère sacré. Cette interprétation ne préjudicie
point à l'idée que d'ailleurs nous offrira la figure de cette
sainte femme. L'Eglise est épouse, elle est mère, elle est
vierge comme Marie; les rapports de l'Eglise avec Dieu se ré-
sument dans un degré moins éminent en ceux qu'entretient
avec lui toute âme véritablement chrétienne; mais les Vierges
ont un titre spcial pour la représenter; il en est de même des
saintes femmes dont l'Ecriture a rendu la chasteté célèbre.
' Maraiigoni en a donné une gravure [Acta sancti Fictorici, in 4°, Rome
1774, p. 40) ; elle est bien grossière, mais elle a le mérite d'avoir été faite avant
la disparition de VOrante, maintenant détaeliée de la paroi de Y Jrcosolicmn
sur laquelle elle était peinte ; nous avons entendu sur les lieux attribuer cet
accident à la précaution délicate de certains touristes très-désireux de préserver
les Romains du danger d'invoquer un témoignage favorable à l'antiquité de
leurs prétendues superstitions.
ÉTUDE SL'R UN SAllCOrHAGE D'aRLES. 280
V. Un sujet fort analogue de composition avec VOrante
entre les deux Ai)ôtres est celui de la chaste Suzanne entre
les deux vieillards qui tentèrent de la séduire, telle qu'on la
voit sur un sarcophage d'Arles ^ Modestement vêtue, toute
entière à la lecture du livre des Saintes-Ecritures, elle ne
prend nulle attention à ses deux séducteurs qui, placés cha-
cun derrière un arbre, se penchent vers elle avec un mouve-
ment plus pittoresque que ne le comporte d'ordinaire la
placidité de ce genre de monuments.
Tout cet ensemble s'accorde bien avec la pensée des inter-
prètes qui considèrent Suzanne comme étant ici la ligure de
l'Eglise et de sa pureté inaltérable au milieu de tous les
genres de séductions. L'analogie qu'il offre avec le sujet
précédent paraîtra plus sensible encore, quand nous aurons
fait observer que la femme placée entre les deux Apôtres
n'est pas toujours en prière ; elle est souvent caractérisée
par un livre ouvert ou fermé qu'elle tient à la main; on la
voit aussi le plus souvent entre deux arbres, soit qu'elle prenne
l'une ou l'autre attitude.
Seulement il est à remarquer que Suzanne entre les deux
vieillards occupe une partie latérale sur la face du sar-
cophage où elle est placée, tandis que la composition de la
femme accompagnée de saint Pierre et de saint Paul se voit
toujours au centre de ces monuments, position d'ailleurs
réservée uniquement au Sauveur lui-même et où il est repré-
senté dans le sentiment le plus propre à la fois à le glorifier
et à mettre en relief le prix de la Rédemption .
VI. VOrante^ quand elle occupe une place aussi privilé-
' N" 131 du Musée. On voit la gravure de ce sarcophage, mais très-mau-
vaise, dans VAhrégé chj-ono logique de l'hist. d'Arles, par M. de Noble la
Lalzière, in-4'^ Arles 1809, pi, xxiii, fig. 2.
290 ÉTUDE SUR UN SARCOPHAGE D'ARLES.
giée, peut-elle être autre que la Mère de Dieu ou la
personnification directe de l'Eglise? Une distinction est à
faire entre les différents genres de monuments : sur les fonds
de verre, la vénération des chrétiens de Rome pour l'une
de leurs plus illustres héroïnes, pour celle qui rappelle le
souvenir le plus gracieux et peut-être le plus touchant,
leur vénération pour sainte Agnès, est constatée par la
fréquente apparition de son nom ' appliqué aux figures
d'Orantes, soit qu'elle s'y montre seule entre les deux
arbres, avec des colombes, soit qu'elle soit accompagnée des
Apôtres.
11 n'y a rien là qui doive nous surprendre; nous y voyons
la preuve du rang exceptionnel accordé de toute antiquité
chrétienne au culte des saints Patrons. Sainte Agnès était
la sainte Geneviève de Rome; saint Laurent, qui partageait
avec elle de semblables honneurs, occupe sur un autre fond
de verre un siège élevé entre saint Pierre et saint Paul '.
Chaque église particulière, chaque lieu, chaque personne
a ses patrons^ ses saints de prédilection ; Marie est toujours
et partout la patronne de tous, partout elle partage plus ou
moins avec les Saints du lieu les honneurs d'un culte de
prééminence; et ce seul fait manifeste l'éminente supério-
rité du rang qu'elle occupe dans la confiance et l'estime des
chrétiens.
A ne considérer que les fragiles monuments qui nous oc-
cupent en ce moment, où la Vierge plusieurs fois nommé-
ment désignée au milieu de saint Pierre et de saint Paul,
* Garucci, Vetri ornati di figure in oro, in-fol. Rome 1858; le nom de
sainte Agnès paraît sous ces diverses formes AGNES, AGNE, ANNES,
ANNE, ANE. Une autre de ces figures porte le nom inconnu de PERE-
GRINA, pi. XXI, XXII.
* Gauuccï, V't'^ oni., pi. XX.
LillDE SUR UN SARCOPHAGE D'aRLES. 291
l'est cependant moins souvent que sainte Agnès, on pourrait
croire que toutes deux sont mises sur la même ligne : on le
pourrait d'autant mieux que deux de ces verres les montrent
également en Ora??;^^ à côté l'une de l'autre, sans rien qui
les distingue. Et pour achever d'induire en erreur, si on ne
savait pas combien il règne encore d'incertitude sur la valeur
honorifique accordée à la droite ou à la gauche dans ces
temps reculés, il arrive que le nom de sainte Agnès se lit à
la première de ces deux positions.
N'est-ce pas parce que le rang de la Reine des vierges
était présent à tous les esprits qu'on a pu, sans l'exprimer,
lui associer l'une des premières dignitaires de sa cour virgi-
nale, quand il s'agissait ou d'honorer spécialement celle-ci,
ou, par la réunion de deux types excellents chacun, dans leur
genre, quoiqu'à des degrés divers, d'exalter surtout la virgi-
nité et la prière ?
Il s'agit d'ailleurs ici des produits d'une branche infé-
rieure de l'art. Les doreurs sur verre inventaient peu ; ils se
contentaient de reproduire des types consacrés par d'autres
monuments, et c'est même ce qui fait principalement l'im-
portance archéologique de leurs œuvres ; il est présumable
cependant que, semblables aux imagiers de nos jours, ils ont
pu se permettre quelques innovations pour satisfaire telle ou
telle dévotion particulière, innovations qui n'eussent pas été
admises en des lieux consacrés au culte public.
VII. Nous ne connaissons aucune des peintures des Cata-
combes où, placée entre les deux Apôtres, VOranie soit nom-
mée; les sarcophages n'en offrent qu'un seul exemple, à
Saragosse, où le nom de FLORIA se lit avec ceux de petrvs
et de PAVLVS ' . A notre avis sur un monument de ce genre,
• Ilagiocjlypta. Note du P. GARLCCi,p. 170. Le sarcophage dont il s'agit
292 ÉTUliE SDU UN SARCOPHAGE d'aRLES.
une senibluble détermination de la personne de VOrante^ faite
dans les conditions où elle est placée, au profit d'une idée
évidemment locale, constitue une exception , tout autant que
l'inscription servant à la constater.
Quelques auteurs ont supposé qu'en maintes occasions, sous
la figure de VOrante, on s'était simplement proposé de repré-
senter la chrétienne dont le sarcophage devait contenir les
restes ; cette conjecture nous paraît hors de toute vraisem-
blance.
Quand on a voulu sculpter sur ces monuments la figure de
ceux auxquels ils étaient destinés, on l'a fait d'une toute
autre nuuiière : on les a renfermées en des médaillons qui en
occupent, il est vrai, le point culminant, mais de telle sorte
qu'il ne soit pas possible de les confondre avec les person-
nages des sujets sacrés, placés tout autour comme des espé-
rances de salut et des formules de prière.
Il serait singulier, s'il en était autrement pour les Orantes,
que les femmes seules eussent obtenu sur les monuments un
privilège toujours refusé aux hommes.
VIII. Les difî'érents degrés de liaison qui peuvent exister
est précisément celui dont le R. P. Garucci invoquait le témoignage avant
d'avoir adopté la même opinion que nous, relativement à celui des Apôtres,
qui de la main du Sauveur reçoit le don du volume sacré. On voit que re-
présentant un tout autre sujet, ce sarcophage demeure étranger à la question,
comme nous l'avions soupçonné. (Revue de VArt chrétien, t. ii, p. 261). On
nous permettra de faire observer à ce propos que, quant au sarcophage
d'Arles, mis aussi d'abord en avant par le savant auteur pour soutenir sa pre-
mière thèse, on y voit (nous nous en sommes de nos propres yeux assuré
depuis) derrière l'apôtre de droite, non pas un coq, mais le phénix sur le
palmier. Au reste, nous avons vu beaucoup d'autres monuments dont nous
parlions alors par le témoignage des autres, ou dont nous ignorions l'exis-
tence, et tous sont venus, sur les points essentiels, confirmer les jugements que
nous avions essayé de porter dans notre étude sur le Christ triomphant et le
Don de Dieu.
ÉTUDK Sl'Il UN SAUCOIMIAGK d'AULES. 'J!!,!
entre les sujets peu nombreux habituellement rû[)étés sur
les sarco[)hages ' n'ont pas été tous encore parfaitement sai-
sis et appréciés; il est palpable cependant qu'ils ne sont pas
jetés à leur place sans aucun ordre; la composition centrale
notamment, nous le répétons, s'y montre spécialement con-
sacrée à Jésus, dans les termes les plus propres à le mettre
en relief en qualité de Rédempteur, quand elle ne l'est pas à
VOrante. L'étude des sarcophages prête donc à VOrante
une importance que les fonds de verre, à considérer sur-
tout leur caractère plus privé, ne lui donnent pas au même
degré.
Le rôle de VOrante centrale sur les sarcophages n'est pas
seulement relevé par le fait d'occuper la place du Sauveur,
et par l'assistance de saint Pierre et de saint Paul ; il l'est
encore par la nature de cette assistance. Dans plusieurs
visites consécutives au musée de Saint- Jean de Latran,
nous avons noté plusieurs sarcophages où les deux apôtres
remplissent l'office d'Ur et d'Aaron près de Moïse sur le
mont Raphidien et soutiennent les bras de VOrante.
Nous aurions toutefois besoin, nous le sentons, de les re-
voir avant de rien affirmer, par la raison qu'observant plus
attentivement dans la Roma sotteranea les gravures d'autres
monuments analogues, où d'abord les apôtres nous avaient
paru remplir vis-à-vis de VOrante le même office, nous nous
sommes aperçu qu'au lieu de lui soutenir les bras de leurs
mains, ils les tendaient seulement vers elle. Mais pourquoi
le font-ils? pour fixer vers elle toute l'attention des specta-
* Ces monuments demandent selon nous à être étudiés par groupes, d'après
les séries et les nuances offertes dans la répétition des mêmes sujets, sans
distinction à -peu près de localité ; à Rome, dans le reste de l'Italie, dans nos
anciennes villes du midi des Gaules, ils procèdent tous d'une même école
dont l'influence se fait sentir dans la pensée comme dans l'exécution.
294 ÉTUDE SUR UN SARr.ûFllAGE D'aRLES.
teurs, et de cette manière ils relèvent son rôle encore plus
s'il est possible.
Cette dernière intention est surtout manifeste dans une
peinture du cimetière des Saints Marcellin et Pierre', où
d'ailleurs VOrante est remarquable par la coiffure riche et
élevée qu'elle porte sur la tête. Il est au contraire une autre
peinture du môme cimetière où, d'après la gravure de Bosio,
ses bras seraient bien réellement soutenus par les apôtres '.
IX. Une peinture du cimetière de Sainte- Agnès ^ accorde
non moins d'importance au personnage de VOrante^ dans un
ensemble de scènes où les deux apôtres cependant ne fi-
gurent pas. Placée en face au milieu d'un arcosolium^ elle est
accompagnée, dans deux compartiments séparés, des cinq
vierges sages s' avançant à gauche avec leurs lampes allu-
mées, assises à droite au festin nuptial; l'époux, sous la
figure du Bon-Pasteur, apparaît dans un compartiment su-
périeur au sommet de l'arc, au-dessus de celle que nous pou-
vons difiicilement, dans cette circonstance, nous défendre
d'appeler la Vierge des vierges ; et dans les parties latérales,
sur les parois de la retombée de la voûte, on voit d'un côté
Daniel dans la fosse aux lions, et de l'autre, la chute d'Adam
et d'Eve.
Daniel ne nous offre avec les autres scènes du monument
aucun rapport que nous puissions saisir, mais il n'en est pas
de même de la chute du premier homme et surtout de la pre-
mière femme : dans les peintures des Catacombes comme
dans les sculptures des sarcophages, la représentation de cette
' Bosio, p. 381. Nous renvoyons aussi en général pour toutes les peintures
des Catacombes au grand ouvrage de M. Perret, mais nous ne pouvons pas
les indiquer en détail, n'ayant pas cet ouvrage dans ce moment sous les yeux.
• Bosio, p. 389.
^ Ibid., p. 461.
ÉTLiDE Sun UN SAUCOPIIAGE d'aRLES. 2^U
chute est fréquemment rapprochée de L^ femme privilégiée
dont kl signilication nous occupe; elle l'est, soit que celle-ci
conserve l'attitude d'Orante, comme dans l'exemple précé-
dent, soit qu'elle tienne un livre connne dans un sarcopha^^e
du cimetière de Sainte-Lucine * , maintenant transporté au
musée de Saint-Jean de Latran , où l'opposition entre l'an-
cienne et la nouvelle Eve nous a paru particulièrement
sentie.
Un autre sarcophage du même Musée, provenant du ci-
metière de Sainte-Agnès ', nous a montré, à côté de la femme
de la composition centrale, non plus la chute de la mère du
genre humain, mais probablement sa création.
X. La corrélation entre le Bon-Pasteur et l'idée exprimée
par les Orantes est, s'il est possible, encore mieux accusée
que les précédentes.
Ce n'est pas sans intention que nous disons les Orantes au
pluriel, nous avons effectivement d'abord en vue plusieurs
exemples où le Bon-Pasteur, soit sous sa figure ordinaire,
soit assis et entouré de son troupeau , est accompagné de
deux de ces saintes femmes ^
Un sarcophage du cimetière de Sainte-Lucine * associe,
au contraire, au sujet central de la femme assistée par les
apôtres, la double répétition de celui du Bon-Pasteur aux
deux extrémités du même monument. Sur un autre sarco-
phage du musée d'Arles \ le centre étant occupé par un
médaillon à portrait, VOrcmte et le Bon-Pasteur, sans aucun
sujet intermédiaire, se correspondent aux deux extrémités ;
' Bosio, p. 159.
' Ihid.,]). 425.
■^ Ihid., p. 269, 271, 273.
' Ihid. , p, 291 .
^ N- 126 du Musée.
290 ÉTUCK si!i; i;n sarcoimiack d'arl?:s.
la citation eutin du cimetière des Saints-Marcelliii et Pierre ' ,
où le Bou-Pasteur et VOrante, avec deux colombes, sont pla-
cés à côté l'un de l'autre, mais séparés par des arbres, nous
ramène au sarcophage qui est l'objet principal de nos inves-
tigations.
Pour en compléter l'exposé, nous ferons observer que les
olivierS;, les colombes et les fleurs se retrouvent fréquemment
comme attributs des Oranles^ tandis que les palmiers entre
lesquels on les rencontre aussi quelquefois, sont plutôt ap-
propriés à la présence du Sauveur ^.
XL Au résumé, à s'en tenir aux indications positives, on
dira que VOrante représente quelquefois Marie, qu'elle ne la
représente pas toujours; en méditant le sujet, on arrivera
à dire par induction que VOrante représente la femme régé-
nérée, la femme, la Vierge par excellence, la nouvelle Eve
pouvant servir de type à l'âme chrétienne, à l'Eglise; par
conséquent, Marie d'une manière absolue, et d'une manière
relative, par assimilation, toute vierge, toute femme mar-
chant sur ses traces, que l'on veut spécialement ou honorer
ou invoquer.
Mais il est des situations qui impliquent tellement la di-
gnité supérieure de Marie, qu'elles n'ont pas dû facilement
être communiquées à d'autres; il en est qui nous paraissent
complètement incommunicables , et de ce nombre nous
croyons devoir compter celle qui a frappé notre attention sur
le sarcophage d'Arles.
Coopératrice de l'œuvre de la rédemption par l'efficacité de
son intercession toute-puissante, on comprend que la très-
' Bosio, p 38.
* Nous avons remarqué beaucoup d'Oranges voilées et chaussées, beaucoup
qui ont la tête et les pieds nus ; il ne semble pas y avoir eu de règle à cet
égard dans les époques primitives.
KTUDK Sril U.\ SARCdl'IlAr.!': D'.\r>LKS. 297
sainte Mère de Dieu puisse, sur les sarcophages, prendre
vis-à-vis de nous la place assignée au Rédempteur ou au
symbole de la rédemption, et que seule elle le puisse sans une
diminution considérable et probablement très-rare de la pen-
sée fondamentale qui en vivifie l'ensemble.
Sur les autres monuments, sur les fonds de veri'e en par-
ticulier, où la pensée de la rédemption, avec d'autres sujets
groupés tout autour, n'est pas habituellement mise en relief
à la place même occupée par VOranle, on s'explique que la
substitution se soit faite plus facilement, même lorsque la
présence de deux apôtres vient relever son rôle.
Quoi qu'il en soit, dans les mouuments figurés de l'Art
chrétien, l'on voit, à toutes les époques, tous les personnages
qui, selon les occasions, acquièrent quelque droit à la préémi-
nence, occuper la première place, la place même que viennent
de quitter Jésus ou Marie.
• Ce qu'on ne voit point , ce qu'on ne doit point voir du
moins, c'est que, Jésus présent, aucune autre créature vienne
se placer à ses côtés, au même rang, si ce n'est Celle à
qui s'appliquent ces paroles prophétiques : Aslitit Regma a
dexins luis. On a représenté maintes fois Marie effective-
ment assise à côté de son divin Fils. Le sujet dont nous
nous occupons exigeait qu'ils fussent l'un et l'autre debout
sous la figure qui les représente, le premier, comme l'au-
teur de toute miséricorde ; la seconde, comme celle qui tou-
jours la demande et l'obtient : la diversité même de ces
attributions établit suffisamment la différence hiérarchique
existant à l'infini entre le Fils et la Mère ; à cela près, il
n'est aucune distinction honorifique (pie Jésus ne partage ici
avec Marie.
L'union qui s'établit entre le divin Pasteur et toutes les
fîmes qui prient a été très-légitimement exprimée par la ré-
TOMK \l. 22.
298 ÉTUDE sril LN' SAHCOPllAGE d'aULES.
pétition des figures à'Oranles autour de sa houlette sacrée,
mais entre toutes les âmes, il en est une dont la prière vaut
à elle seule plus que la prière de tous les anges et de tous les
saints ensemble : c'est la prière de Marie, s'élevant seule,
pour ainsi dire, jusqu'au niveau de la source de toutes les
grâces pour leur servir de canal.
XII. Que dirons-nous de plus : que ce rôle que nous
voyons à Marie dans notre sarcophage exprime sous une
forme monumentale et pleine d'une saveur antique, VOra
pro nohis que nous lui adressons tous les jours ; que cette
expression de la miséricorde divine portée dans la ligure du
Bon-Pasteur jusqu'à ses dernières limites n'est autre chose
que le Miserere iwbis, résumant tous nos rapports avec Jésus,
comme VOra pro nobis^ prononcé avec l'excès de la confiance,
résume tous nos rapports avec Marie.
Ces paroles : Jésus, ayez pitié de nous! Marie, priez pour
nous! prononcées naguère d'une voix éteinte par un père
mourant, étaient la suprême consolation de ses enfants.
Peut-être est-ce après avoir éprouvé une consolation sem-
blable qu'une famille chrétienne de la Rome des Gaules fit
sculpter, au VP ou VIP siècle, sur le tombeau de son cime-
tière des Aly camps, cette double image de la Miséricorde in-
finie et de l'invocation souverainement efiicace de la Mère de
miséricorde.
Dans les temps postérieurs, Marie a continué d'être re-
présentée priant pour nous : seulement le mode de représen-
tation s'est modifié, comme l'attitude passée en usage pour
prier. Les yeux levés au ciel, les mains pressées contre son
cœur, plusieurs des images dont le mouvement miraculeux
des yeux fut canoniquement constaté à l'époque de la pre-
mière invasion des Etats pontificaux, en 1796 et 1797, la
ÉTUDE SUR UN SAP.C.Ol'HAOK DAI'.LES. 29U
montrent dans ce sentiment ' ; il est porté au plus haut de-
gré dans la Vierge qui, en 1850, les circonstances étant
analogues, fut à Rimini le sujet de semblables merveilles.
Nous nous reposerons volontiers sur ce souvenir si abondant
lui-même en consolations, d'autant plus que la Madone de
Rimini était d'avance invoquée sous le titre de Mère de mi-
séricorde^ et que nous avons sujet de lui crier plus haut que
jamais : Mère de miséricorde^ priez pour nom!
H. GRIMOUAKD DE SAINT-LAURENT.
' Mauchetti, Prodigi awenuti in moite sacre imagine, etc. Rotna in-8»,
1797.
ZOOLOGIE MYSTIQUE
L'Ag.
leaii.
I. L'Agneau, nommé dans l'Ecriture pour dé.'igner le Fils
de Dieu, se montre investi de ce rôle allégorique sur les
sarcophages chrétiens et les fresques des Catacombes, por-
tant la croix latine implantée droite sur f-on front. On le voit
L'Agnoau sur 1p ro- (Fond Je verre, d'après Busnarottil.
alors, fréquemment, tantôt debout à côté du Sauveur dont il
est l'image sensible et dominant diverses scènes du haut du
y.OOLOGIK. MVSTIQUl'- 301
roc aux quatre fleuves, figures des Evangélistes, tantôt seul
sur ce même roc, remplaçant l'image du Fils de l'Homme et
recevant les adorations dues à la sainteté du Christ. Sur un
bas-relief superposé à la porte du cimetière de l'église cathé-
drale de San Severino (Etats romains) ', on le voit orné du
nimbe surcroisé, portant la ci'oix de passion dans sa patte
droite, et placé entre deux des attributs des Evangélistes, à
savoir l'ange ailé, portant le nimbe uni, chargé du livre symbo-
lique et revêtu de deux tuniques et de l'étole : et le taureau,
également ailé, destitué de nimbe et portant le livre. Dans une
chambre sépulcrale des Catacombes de la voie latine, une
fresque offre l'Agneau divin au repos, armé de la croix d'as-
cension, veillant sur les cendres bénies de ses saints et de
ses martyrs ". Cet emblème est l'un des plus beaux que ren-
ferment les Catacombes : car la croix dite de Passion et celle
de Résurrection ne figurent point au complet toutes nos
saintes espérances ; mais la croix dite à'Ascensiofi les résume
et les réunit, et devait, certes, à ce titre, trouver place sous
les voûtes des Catacombes. La croix de passion est l'emblème
de la Rédemption de la terre ; celle de Résurrection est celui
du passage du séjour ténébreux des morts à la demeure des
vivants ; la croix d'Ascension achève l'idée, et traduit
l'appel des vivants au séjour de la vraie lumière.
L'Agneau, emblème primitif et spécial du Sauveur du
monde % représenta seul, sur la croix, à partir du IV^ siècle,
la personne de Jésus-Christ. Quelques crucifix avaient paru
avant cette époque, présentant le Fils de Dieu sous le type
humain \ Mais le Concile d'Elvire assemblé en l'an 503
' Bosio, Roma, p. 627,
* Bosio, Fresque inurah, p. 307. — Et Bottari, Roma, ii, p. 108.
'Rhab. Macr, De Univ., viii, 8. — Et tous les mystiques chrétieni.
* TEllTrLMAN.
302
ZOOLOGIE MYSTIQUE.
décréta alors par prudence et pour prévenir les profanations
des iconoclastes, que « ce qui doit être adoré ne serait
plus peint sur les murs : Placuit picturas esse in ecclesia
non debere, ne quod colitur et adoratur in parietibus depin-
gatur. » Delà, ce déluge d'allégories, ces
figures d'Agneaux et de Bons-Pasteurs
qui tapissent les Catacombes et qui rap-
pelaient aux fidèles, sans pourtant violer
ce canon, les objets et les épisodes pro-
pres à réveiller leur foi et à réchauffer
leur ferveur. Les croix furent peintes
en rouge, l'Agneau qui s'y coucha fut
])lanc. Mais le Sauveur étant Agneau
dans sa fréquente mise en scène avec
différents personnages, ceux-ci ne pou-
vaient rester hommes ; l'Agneau leur
prêta sa figure et accomplit quelquefois
seul tous les rôles dans les œuvres d'art
de ce temps. Nous n'en donnerons ici d'autre preuve, entre
beaucoup d'autres, que le sarcophage de Bassus'; un Agneau
assis dans une fournaise et onze autres, la patte levée ou
tenant un sceptre ou une baguette, emblème, selon Bède,
de la vertu de la croix , y remplacent , en les caractérisant
très-clairement par leurs gestes et leurs attitudes, divers
personnages historiques : tels sont les trois jeunes hébreux
jetés vivants dans la fournaise et type des saints et des justes :
Moyse, étendant la main, ici pour recevoir le décalogue, et
là pour frapper le rocher : saint Jean baptisant Jésus-Christ :
plus loin, Jésus-Christ lui-même, d'abord baptisé dans les
eaux du Jourdain, ensuite bénissant les pains, et enfin res-
Lc Bon-Pasteur des Catacombes.
' Bosio, Borna, loi. 45.
i.'agnkau, nOl
.suscitant le Lazare eimnaillotté (Unis un linceul. Tous ces
personnages, leur suite, leurs spectateurs, sont des agneaux.
Ainsi l'abus n'eut plus de bornes, jusqu'à ce que, au
VIP siècle (692), le Concile appelé in Trullo (du dôme du
palais impérial de Constantinopîe où il avait été tenu), tout
en approuvant les figures usitées sous l'ancienne loi, voulut
qu'on leur substituât des peintures moins énigmatiques, et
plus convenables aussi à la dignité de leurs objets et au règne
exclusif de la loi nouvelle où les figures ont cessé. Il ordon-
nait en même temps et d'une manière formelle, que le Christ
fût représenté désormais, non plus sons la forme d'Agneau,
mais sous une ligure humaine. Ainsi l'abus fut réprimé, mais
on vit subsister l'usage, et l'allégorie de l'Agneau se continua
dans une certaine limite. Dans les Catacombes de Saint-Mar-
cellin et Saint-Pierre ' , une antique fresque de voûte repré-
sente dans ses quatre angles Jésus sous la forme d'Agneau,
portant dans sa patte une palme, et sur son dos son propre
sang, figuré par une de ces fioles où les chrétiens des pre-
miers âges recueillaient le sang des martyrs. Pour qu'il ne
demeure aucun doute sui* l'intention de ce sujet, cette fiole,
image de la divine Eucharistie, est nimbée, et à juste titre.
Nous comptons revenir sur cette peinture, exemple rare, à
cette époque, de l'appropriation du nimbe à un objet inanimé,
mais très-rationnel dans son intention hiératique, et que
motive et justifie la sainteté de son objet.
On voit pendant toute la période du Moyen Age, en statue
et en bas-relief, l'Agneau, couché sur le livre aux sept
sceaux tel qu'il est montré dans l'Apocalypse. Cette image
toute biblique a encore aujourd'hui de la grandeur, quoique
bien déchue du type idéal de l'Agneau dans les Catacombes.
' Bosio, Roma, p. 363, 9» cubiculus.
30i ZOOLOGIE MYSTion:.
C'est dans le XIV® siècle qu'elle perdit son plus antique et
plus noble caractère ; alors son type hiératique s'effaça pro-
gressivement. Depuis cette époque, on voit l'Agneau, sans
attributs mystérieux, soit fixé sur un médaillon, soit porté
sur un bras de saint Jean-Baptiste, qui le montre de l'autre
main.
II. Sur les fresques des Catacombes, l'Agneau paissant,
l'Agneau dansant ou caressant le Bon-Pasteur, représente,
L'Agiiri'.u, figurij Je i'iimo justP, recovant les paresses du Boa-l'.;st(Mir.
ainsi que la brebis dansante qu'on y rencontre quelquefois,
le peuple du divin bercail, l'âme juste réclamant sa part des
caresses que le Maître dispense à l'Enfant prodigue, montré
sous la figure d'une brebis, et quelquefois même d'un bouc
qu'il rapporte sur ses épaules ' .
III. L'Agneau, dont on reconnaît quelquefois certains
membres dans l'agencement des monstres hybrides qui sont
' Bosio, Roma, fresque des Catacombes de Sainte-Agnès, p. 473.
l'agneau. 305
les emblèmes du Démon ou de la réuuiou du div^ei's péchés,
figure alors, ainsi que le bélier lui-même, l'ignorance, la stu-
pidité, l'ineptie, l'engourdissement paresseux de l'âme,
péchés souvent reprochés, dans les livres des moralistes, aux
laïques [à lagenl laye), et plus sévèrement encore aux clercs,
aux religieux et à leurs abbés.
TV. L'Agneau représente quelquefois encore la vie active;
il est mis alors en parallèle avec la chèvre, image de la vie
théorique ou contemplative. <> Agna, vita activa in Levitico :
« Agat pœnitentiam et olFerat agnam de grege, si ve capram » ,
quœ est contemplât ivtL^ vitœ figura ' .
FELICIE d'aYZAC,
Dignitairi' hnnoraii-f de U Maison inipcTialc de Saint Denis.
' RjiAB. Mai li, De Unircrso, vjii, 7, et dans tous les aulfurs inystiqnos.
HISTOIRE DE S. JACQUES LE MAJEUR
et du Pèlerinage de Compostelle.
TROISIEME ARTICLE
CHAPITRE m.
VRKDICATIOUS DE SAINT PIERRE, DE SAINT PACL
ET DE SAINT JACQUES, EN ESPAGNE.
De tous les pays dont se composait l'ancien monde romain,
l'Espagne est le plus occidental. Son éloignement l'exposait
donc à ne recevoir que très-tard le bienfeit de l'Evangile.
Mais la Providence donne des ailes à la Foi , et, quel que
soit le foyer d'où elle parte, Jérusalem ou Eome, elle lui im-
prime une force d'expansion qui atteint les dernières limites
du globe. De nombreux auteurs, que nomme Florez dans son
savant ouvrage Espana Sagrada ' , soutiennent que saint
* Voir les numéros d'avril 186-2, p. 213, et de mai 1862, p. 256.
' Espana Sagrada, por el P, M. F. Henrique Florez, del Orden de san
Augustin. En Madrid, ano de 1748, t, m, p. 2-5.
rKl.EUINAUK DE COMrOSTKLLK. 307
Pierre a prêché en Espagne. D'après ces écrivains, le prince
des Apôtres, après avoir ordonné saint Epaphrodite (22
mars), évêque de Terracine, serait parti de cette ville pour
l'Espagne, où il aurait laissé un évêque, du nom d'Epinète,
à Sirmium .
Mais ces prétentions ne sont pas démontrées ; ce qui l'est
davantage, c'est la mission de sept évoques ordonnés à Rome
et envoyés en Espagne. Le Martyrologe romain cite (15 mai)
leurs noms et ceux des villes où ils se reposèrent de leurs
glorieux et féconds travaux ' .
On sait par ailleurs ce que saint Pierre et ses premiers suc-
cesseurs ont fait pour établir le Christianisme au-delà des
Pyrénées et dans plusieurs autres pays, a II est manifeste, dit
« Innocent 1" dans une de ses lettres ^, que dans toute
« l'Italie, les Gaules, les Espagnes, l'Afrique, la Sicile et les
« îles intermédiaires, personne n'a fondé des églises, si ce
« n'est ceux que le vénérable apôtre Pierre et ses successeurs
« ont élevés au sacerdoce. » Les Papes de cette époque
ordonnaient évêgues des (/enlils de nombreux missionnaires
chargés de créer eux-mêmes leurs diocèses par la conver-
sion des infidèles, comme des rois qui seraient couronnés
d'avance pour des royaumes qu'ils sauraient conquérir par
leur sagesse et par leurs armes ^
Le Docteur des nations, écrivant aux Pomains, leur promet
d'aller les voir, lors de son voyage en Espagne, dont il exprime
jusqu'à deux fois le projet '. Son plan de voyage, en quittant
' Dans le Bréviaire gothique, la fête de ces sept évêques est fixée au 1*'
mai ; une très-longue hymne y célèbre leur gloire. \Liturgia Mozarahica,
édit. Migne, t. ii, col. 1111-1116.)
* Ikkocknt I, Ejpis^ ad Décent.
' Thom.\ssin, De Veter. et Nov. cccles. discipL, p. 1, lib. r, c. r.iv.
* Rom. XV, 24, 28. -
308 rÈf.EHlMAGE 1»E COMl'ÛSTELLE.
la Grèce, était de passer en Italie, puis dans les Gaules, et
de se rendre en Espagne. Mais il dut ajourner l'exécution
de son pieux dessein. Arrêté par les Juifs à Jérusalem, il
fut envoyé captif à Home, où il passa deux ans dans les fers.
Mais après sa délivrance, il réalisa ses intentions et alla en
Espagne, où il })rcclia la foi du Christ' . Parmi ceux qu'il con-
vertit, la sainte Eglise a placé sur ses autels sainte Zantippe
et sainte Polyxène (!2o septembre). Elles sont du moins appe-
lées par le Martyrologe romain disciples des Apôtres, Apo-
slolorum dàcipulœ.
Le voyage de saint Paul en Espagne est un fait historique
soutenu ptir des autorités si graves et si nombreuses, qu'il
serait plus que téméraire de le contester. Les Pères grecs et
latins et les écrivains espagnols les plus anciens sont una-
nimes sur ce point. Pour abréger, je citerai, sans accompagne-
ment d'aucun texte, les noms de saint Jean Chrysostôme, de
saint Sophrone, patriarche de Jérusalem, de saint Athanase,
de saint Cyrille de Jérusalem, de Théodoret, de saint Jérôme,
de saint Grégoire-le-Grand , de saint Isidore, du vénérable
Bède, de saint Anselme, de saint Thomas-d'Aquin, de Cor-
nélius a Lapide, de Tirinus, de Luc de Tuy, de Florez.
' Selon le P. Dubois, savant Célestin, saint Crescent, disciple de Notre-
Seigncur et premier évêquc de Vienne dans les Gaules, avait reçu de saint
Paul le gouvernement de cette église qu'il venait de fonder. [Antiqiiœ sanctce
ac senatoriœ Viennce Allohrofjorum Gallicorum, sacrœ et i^rophance plurimo}
antiquitates , auctore Joannc a Bosco, p. 21. — Opuscule faisant partie du
livre intitulé : Floriacensis vcfvs hihliollieca Benedicthia , opéra Joannis a
Bosco parisiensis. Lugduni, 1605.) L'Apôtre des nations donna pour succes-
seur à saint Crescent un autre disciple du Christ, saint Zacharie, qui fit don
à l'église naissante de Vienne « de la saincte toiiaiUe ou mnnlil sur lequel
Il notre Rédempteur avait consacré la saincte Eucharistie.» [Histoire de l'An-
tiquité et Sainteté de la cité de Vienne en la Gaule ('isalpine, par Mcssire Jean
Le Lièvre. Vienne, 1623, p. 58.). Saint Zacharie fut le Protomartyr des
Gaules, comme saint Amadour en fut le premier soUtaiie.
l'Ki.Elw. N'AGI', iHi, i:(v\ii'(isii',i.i.i;. non
L'!Uiti([UO hréviîiire de Tolède et celui des é^i^lises de Iliiescu
et de Jacii {iffirmeiit le même fuit.
A ceux que taut de ])reuves ne peuveut convaincre, on
peut encore montrer les vestiges de Li prédication de saint
Paul en Espagne : l'église de Tortose !i toujours lionoré, et
sans contradiction, la mémoire de son premier évé([ue saint
Ruius, qu'elle prétend avoir reçu de la main de saint Paul.
Si c'est le même personnage que VÉlu du Seigneur qui est
nommé dans VÉ pitre aux Romains ', on peut supposer que
saint Paul l'avait attaché à sa personne et en avait fait
le premier pasteur des néophytes de Tortose. L'église de
Tarragone revendique, à son tour ", pour premier évêque
un Saint, du nom de saint Paul ^ qui n'est autre, selon le
Martyrologe romain (22 mars), que le proconsul Sergius
Paulus^ converti et baptisé par le grand Apôtre. Devenu
premier évoque de Narbonne, selon le môme Martyrologe, il
aurait été plus tard premier évêque de Tarragone, selon la
tradition constante de cette église et selon Florez ^ Un auteur
espagnol parle d'une pierre qu'on voyait autrefois à Viana avec
une inscription antique qui attestait la croyance commune
touchant l'évangélisation de l'Espagne par saint Paul. L'in-
scription est un vers léonin que deux pieds de trop font
malheureusement clocher :
Sauhis pra'co cruels fait nobi.s piimonlia Jiicis *.
' Rom. XVI, 13.
- On montre encore dans cette ville la pierre sur laquelle moahiit saint
Paul pour prêcher l'évangile.— Dans un désert de la Palestine, j'ai visité
avec bonheur un fragment <lu rocher du haut duquel saint Jean-Baptiste an-
nonçait aux Juifs celui dont il était le précurseur.
'' Esjjuna Sagrada, tome III, p. 24.
* Invesiigationes historicas de las antiguedades del Retjno de Navara: por
el Pf Joseph DE MoRET. S. J En Pamploua, ano do 1669, p. 164.
310 rÈLKllLXAGE DE COAli'OSTELLE.
L'apostolat de saint Pierre et de saint Paul en Espagne
repose, on le voit, sur des preuves et des traditions respec-
tables. L'ordre clironologique place antérieurement à ce
double apostolat celui de saint Jacques ; mais je l'ai réservé
pour ce moment à cause de son importance, et dans le désir
de traiter cette question, sans me laisser détourner de mon
chemin par quelque nouvelle digression.
La première persécution suscitée contre l'église de Jéru-
salem ne dispersa que les fidèles et non les Apôtres ' . Ceux-ci
restèrent dans la Ville sainte, même après la lapidation de
saint Etienne, le protomartyr de la religion du Christ, afin
d'y maintenir et d'y fortifier l'Eglise naissante, et d'empêcher
les Juifs de croire qu'ils l'avaient étouffée dans ses langes.
Ainsi, quoique Jésus-Christ leur eût dit de fuir d'une ville
dans une autre lorsqu'ils seraient persécutés, ils demeurèrent
néanmoins, parce que c'était ici le cas où les pasteurs doivent
exposer leur vie pour leurs brebis. Ils restèrent encore
plusieurs années à Jérusalem, pendant lesquelles cette ville,
qui avait été le berceau de la religion, en fut le centre et
comme la métropole.
La première persécution de Jérusalem fit périr saint
Etienne vers la fin de l'an 5o. La seconde immola saint
Jacques, comme nous le dirons plus tard, dans le courant de
l'an 45 ou 44. C'est donc dans l'intervalle de ces deux révolu-
tions, c'est-à-dire dans un espace d'environ dix ans, que saint
Jacques exer(;.a son zèle apostolique, soit en Asie, soit en
Europe.
Selon les calculs les plus exacts, les Apôtres ne se disper-
sèrent que vers l'an 37 ou 38, à l'exception de saint Jacques
le Mineur, qui dut rester à Jérusalem, en qualité d'évêque
' ./et. VIII, 1.
l'KLEKI.NAGE Dli COMI'OSTELLE. .'Hl
de la cité sainte. Il faut donc encore restreindre l'apostolat
de saint Jacques le Majeur entre les années 57 ou 38 et les
années 43 ou 44, et réduire son action en dehors de Jérusa-
lem à une durée de cinq à sept ans.
La paix dont l'Eglise jouit momentanément i)ar toute la
Judée, la Galilée et la Samarie ' , fut le moment marqué par
la Providence pour la dispersion des Apôtres. Le fils de
Zébédée n'évangélisa point la Galilée, sa patrie, parce que
7ml n'est prophète dans soji pays "•; mais il prêcha, dit le Bré-
viaire romain ', dans la Judée et la Samarie. Lorsque Jésus-
Christ envoya les Apôtres faire leur première mission, il leur
défendit d'entrer dans les villes des Samaritains \ Il avait
fait lui-même une exception à sa défense, lorsqu'il s'arrêta à
Sichar, ville de la Samarie ^ La défense fut levée quand, après
sa résurrection, il déclara aux Apôtres qu'ils lui serviraient
de témoins dans Jérusalem, dans toute la Judée, daîis la Sa-
marie et jusqu'aux extrémités de la terre". Saint Jacques
ne fit donc pas difiiculté d'annoncer l'Évangile aux Samari-
tains.
L'heure de la séparation venait de sonner pour saint
Jacques. Il revient à Jérusalem et se dispose au départ. L'ad-
mirable vision de saint Pierre au sujet du centenier Corneille
ne lui permet pas de rester plus longtemps parmi les Juifs,
Il ira jusqu'aux confins du monde, usque ad ultimum terrœ \
pour faire participer aux bienfaits de la foi les Gentils de ces
' .4ct. IX, 31.
" Lcc. IV, 24.
■•' 25 juillet.
* Matth. X, 5.
^ JOAN, IV, 5.
« j4ct. 1, 8.
' Ibid.
;Jh2 VÈLElllNAGE DK œ.MPOSTELLE.
lointaines contrées. Comme les autres apôtres, il va deman-
der à la Vierge-Mère, à la coopératrice de la rédemption, une
dernière bénédiction. Il se prosterne à ses pieds et embrasse
respectueusement ses mains. « Va, lui dit la sainte Vierge,
obéis au précepte de mon fils, ton maître; et. là où tu auras
converti le plus d'hommes, en Espagne, érige un temple en
mon honneur, selon les ordres que je te donnerai ' . »
L'année 37 touchait à son terme " . L'apôtre dit un der-
nier adieu à la ville sainte et s'éloigna de ses murs. Son
zèle dut lui faire adopter la voie la plus courte pour aller à
Joppé. Joppé, aujourd'hui JaiFa, est une des pins anciennes
villes du monde. Que d'émotions réveille son nom dans le
cœur du pèlerin français ! C'est là qu'il a foulé pour la pre-
mière fois la Terre-Sainte', c'est là qu'il s'est prosterné sur le
sable humide de la grève pour baiser avec autant d'amour
que de respect le sol sacré de la Palestine. On pleure, on
adore ; le cœur se dilate sous un ciel nouveau ; la brise qui
vous caresse n'a-t-elle pas déjà précédé les pas ihxplus beau
des enfants des Jiommes, de l'Homme-Dieu et de ses disciples?
Jonas s'était embarqué à Joppé pour Tharsis, afin de fuir
la face du Seigneur ^ Neuf siècles plus tard, saint Jacques
s'y embarque à son tour pour obéir à la voix du divin Maître
et porter la lumière de l'Evangile aux Gentils que saint
Pierre, dans une vision dont il fnt favorisé dans cette même
ville'', aperçut sous la forme de toute sorte d'animaux réu-
nis dans une nappe, qui descendait du ciel comme l'Eglise,
dont elle était la figure, et qui remontait ensuite vers le sé-
jour des élus.
' Acta Sanciorum, 25 julii.
- Chronicon sacro pav i,v Hayi:.
' JoMyTi. I, 3.
* Acl. X, 11 20.
l'KLKlUNAGE I>1-. C0.MI'0STE!.1.E. 313
La rrovidence n'a pas voulu satisfaire notre curiosité à
l'égard du voyage luaritiine de s:\int Jacques ; nous ignorons
les péripéties de cette longue traversée sur cette mer capri-
cieuse que nous appelons la Médilerranée^ et que les Juifs
désignaient sous le nom de grande Mer, mare magnwn ' , ou
Mer occidentale, mare occidentale -. Ce qui ne concerne que
riiomine, et non Dieu ou les âmes, est d'un trop mince inté-
rêt pour occuper les écrivains sacrés, toujours plus attentifs
à nous édifier qu'à nous distraire.
Quant au voyage lui-même, c'est un fait historique at-
testé par des autorités si nombreuses et si imposantes, qu'on
n'avait jamais songé, avant le XIIP siècle, à le révoquer en
doute. Il compte parmi ses défenseurs saint Jérôme, Théo,
doret, saint Isidore et son contemporain saint Julien, arche-
vêque de Tolède. Un écrivain anglais du VIP siècle, saint
Adhelme,évêque de Scherburn, affirme clairement l'apostolat
de saint Jacques en Espagne. Nous extrayons son témoignage
de son poème sur les autels dédiés à la bienheureuse Marie et
aux douze Apôtres :
Hic qnoquo Jacobus crelus genitore vetusto
PrimiUis Hispanus conveilit dogmate gentes ^.
Un autre historien anglais, le vénérable Bède, qui vivait
au VHP siècle, a écrit dans le même sens.
Mais au quatrième concile de Latran, en 1215, Eodrigue
Chimenez, archevêque de Tolède, jaloux de Compostelle, leva
' Num. XXXIV, 5, 6, 7.— Joslé, 1, 4.
' Deut. XI, 24.
"• PafroL, édit. Mignc, t. 89, col. 293.
TOME VI. 23.
314 l'ÈLElilNAdE DK CO.Ml'USTELI-E.
l'éteiulard de îii révolte contre la tradition de son pays et des
autres contrées de la catholicité. Cette témérité n'obtint au-
cun succès. Vers l'année loiO, un Dominicain, le Père
Alexandre François, renouvela l'attaque. Vains efforts!
Quelques années plus tard, saint Pie V faisait insérer dans
le Bréviaire imprimé par ses ordres le fait contesté. Mendoza
survint et discuta victorieusement le grand procès que le
pontife avait résolu par voie d'autorité. La cause semblait
donc irrévocablement jugée. La contradiction n'était plus ni
décente, ni licite. Baronius osa cependant se la permettre
dans un de ses ouvrages ' . Ses raisonnements captieux furent
cause que Clément VIII retrancha cet article du Bréviaire ;
mais Urbain VÎIl l'y rétablit et ses successeurs l'y ont main-
tenu. Le Martyrologe Romain est d'accord avec le Bréviaire.
Vers la lin du XVIP siècle, le P. Christianus Lupus, flamand,
de l'ordre de Saint- Augustin, s'insurgea, quoique un peu tard,
contre la croyance générale. Ses arguments furent répétés
sans réplique, en 1682, par Dom Gaspard Ybangez de Sé-
govie, marquis de Mondejar. Trois autres écrivains, trois
autres puissances sont intervenus dans les débats: le cardinal
d'Aguirre, que Bossuet appelait la lumûre de V Église ; Guil-
laume Cuper, l'un des plus savants Bollandistes, qui visita,
pour mieux éclairer la question, les mystérieux cabinets de
l'Escurial et le trésor de la cathédrale de Tolède ; et Florez,
l'immortel historien de l'Eglise d'Espagne. Leurs glorieuses
pages ont mis fin à cette longue querelle dont nous avons
exposé impartialement les phases diverses. L'Espagne est
restée en possession de sa légende, et personne aujourd'hui ne
songe à lui disputer un de ses titres les plus précieux. Oui,
saint Jacques a été le premier apôtre de la péninsule Ibé-
« Jnnaîes eccJ., Antucrpise, 161*2, t. ix.
1>ÈLERINA(4K DE COMPOSTELLE. 31 ÎS
rique. Il y a dans les annales de l'humanité peu de faits aussi
avérés, aussi universellement admis que la mission de saint
Jacques en Espagne. Ce grand événement fait partie non-
seulement de l'histoire de l'Espagne, mais encore de l'histoire
de l'Eglise catholique.
L'Art chrétien s'est inspiré de l'histoire et a publié à sa
façon l'apostolat de saint Jacques en Espagne. On le trouve
représenté, avec la condamnation et l'exécution de l'Apôtre,
sur une rosace des vitraux de Keims.
Donc, pendant que saint Thomas prêchait dans l'extrême
Orient, saint Jacques semait la parole divine dans les régions
occidentales du monde romain. Dès le F"" siècle, l'Evangile
était publié jusqu'aux extrémités de la terre, en Espagne,
très-probablement dans les Gaules , et saint Paul pouvait
dire aux premiers chrétiens : « Je rends grâces à Dieu de
ce que hi foi est annoncée dans l'univers entier * . »
L'île de Sardaigne a prétendu^, par la plume de certains
auteurs, avoir été évangélisée par saint Jacques. Si cette
pieuse ambition s'appuyait sur des preuves solides, il fau-
drait supposer que l'Apôtre se serait arrêté dans cette île
avant d'entrer dans l'Océan par le détroit des Colonnes d'Her-
cule. Mais cette assertion est entièrement gratuite et ne peut
soutenir aucun examen.
Il n'est guère plus probable que saint Jacques ait prêché
dans les Gaules. Notre belle patrie doit à d'autres représen-
tants de Jésus sur la terre l'honneur d'être et d'être appelée
la fille aînée de rÉglise.
Vincent de Beauvais affirme dans son Miroir hislorial ^
que l'Irlande a possédé quelque temps l'Apôtre de l'Espagne.
* Coloss., I, 3-7.
- Spéculum historiale, lib. 8, cap. 7.
3l() l'ÈLEUINAGE UE COMro.S'lEl.l.E.
Mais ce témoignage unique, contredit d'ailleurs par le si-
lence de la tradition, ne saurait équivaloir à une preuve
décisive.
Sortons du cliamp des hypothèses et rentrons dans le do-
maine de l'histoire et de la tradition. Il est probable que
saint Jacques visita les côtes méditerranéennes de l'Espagne,
en particulier les villes de Barcelone, de Tarragone, de Va-
lence. Il laissa à Carthagène pour premier évoque un de ses
disciples, plus tard martyr, saint Isicius; Grenade reçut
aussi de sa main son premier pasteur , saint Cécilius , qui
l'avait suivi de Jérusalem.
Après avoir doublé le détroit, l'infetigable Apôtre prêcha
dans l'Andalousie. Un de ses autres compagnons de voyage,
saint Pie, fut le premier évoque de Séville. Le Portugal en-
tendit à sou tour cet enfant du tonnerre^ dont l'éloquence
confirmée par de nombreux prodiges terrassait les cœurs les
plus rebelles. La Galice était le principal foyer de l'idolâtrie:
pour mieux détruire l'empire du démon, saint Jacques se fixa
plus longuement dans cette contrée, aux environs d'Iria-
Flavia, qui fait aujourd'hui partie de la ville nommée Pa-
dron.
Le globe des anciens finissait là, du moins de ce côté. Se-
lon une tradition, Iria ou lllia-Flama avait été fondée par
lllia^ fille d'un prince illien ou troyen, et par son origine
établissait un lien de parenté entre l'Espagne et l'Asie. Enée
n'avait-il pas aussi implanté la race asiatique dans la belle
Italie ? Mais une parenté plus étroite que celle du sang de-
vait bientôt relier entre elles tous les, peuples, tous les cli-
mats, sans distinction de Grecs et de Romains, de Juifs ou
de Gentils. Il était réservé à saint Jacques, venu de la Pa-
lestine aux confins de la péninsule Ibérique, d'opérer pour sa
part ce bienheureux prodige de la fraternité chrétienne en
PÈLERINAGK DE COMl'OSTKLLE. .'J i 7
prcchaiit à rOricnt et à rOccident un seul Dieu , un seul
Sauveur, un Père unique du genre humain.
Flavius Dexter, dans sa Chronique^ son commentateur
Franciscus Bivarius et quelques auteurs espagnols attribuent
à saint Jacques le Majeur l'épître catholique qui porte son
nom. Nous ne souscrivons pas à cette opinion peu commune
et peu fondée. Mais s'il était vrai, comme le prétendent les
partisans de cette opinion, que cette épître eût été composée
en Espagne et par l'Apôtre de l'Espagne, on ne pourrait lui
assigner d'autre date que celle du séjour assez prolongé de
saint Jacques en Galice.
La prédication de saint Jacques porta ses fruits. La bonne
nouvelle eut bientôt des adeptes nombreux, parmi lesquels
l'Apôtre choisit neuf disciples qui devaient l'accompagner et
le seconder. Anastase, un de ces neuf disciples, mérita que
son maître lui confiât l'église naissante d'Iria-Flavia, dont
il fut le premier pasteur. Un autre, du nom de Théodore,
fut aussi mis à la tête d'une autre chrétienté de la Galice.
La tradition de certaines églises qui se croient redevables
à saint Jacques de leurs premiers évêques, nous permet de
retrouver l'héroïque itinéraire de cet immortel Apôtre depuis
Iria-Flavia jusqu'à Saragosse, une de ses plus importantes
stations. Il ne nous paraît pas improbable que saint Jacques
ait suivi la ligne qu'on pourrait tirer par les villes que nous
allons nommer avec les évêques ordonnés et préposés à leurs
églises par l'Apôtre :
Bra2;a saint Pierre.
Orense saint Arcadius.
Lugo saint Capiton.
Astorga saint Efren.
Palencia saint Nestor.
On attribue aussi à saint Jacques l'évangélisation de Tu-
318 PÈLERINAGE DE COMPOSTELLE,
delà et de Lérida. Dans cette dernière ville, une curieuse
légende, dont les mœurs populaires retracent encore aujour-
d'hui le souvenir, rappelle la prédication de l'Apôtre. Re-
vêtu de l'habit du pauvre, de la pénule apostolique, saint
Jacques marchait encore nu~pieds, ainsi qu'il est représenté
sur les monuments religieux du moyen-âge. Un jour ses
pieds sont blessés par une épine ; l'homme de Dieu ne peut
aller plus loin; il s'arrête. Les anges s'approchent avec des
fanaux et l'éclairent pendant la douloureuse extraction de
l'épine. Le lieu où s'arrêta l'Apôtre, où descendirent les
anges, c'est la rue de Lérida qui s'appelle aujourd'hui la
rue des Chevaliers, Calle de los Caballeros. Un oratoire dé-
dié à saint Jacques j a été élevé en mémoire de l'événement ;
chaque année , au jour de la fête du saint, on y célèbre les
saints Mystères et on y prêche. Dès la veille, les enfants, ces
anges de la terre, annoncent au peuple par leurs chants et
leurs promenades au flambeau la fête de Santiago. Heureux
les peuples qui conservent leurs souvenirs et leurs légendes !
Une légende plus autorisée et plus connue concerne Sara-
gosse, ville fameuse à plus d'un titre, fortement assise sur
les bords de l'Ebre. Saint Jacques y prêcha plusieurs jours
et convertit à la foi de Jésus-Christ huit hommes , succès
qu'il n'avait encore obtenu nulle part, quant au nombre. Or,
les nouveaux disciples sortaient de la ville, chaque nuit, pour
vaquer à la prière et se faire instruire, loin du tumulte et
des agitations de la cité. C'est pendant une de ces nuits sanc-
tifiées par de ])ieux entretiens que saint Jacques et ses néo-
phytes entendirent sur une des rives du fleuve un concert
angélique; les esprits célestes chantaient en l'honneur de la
Vierge immaculée : Ave^ Maria, gratta plcna. L'Apôtre flé-
chit le genou et distingua la Mère de Jésus-Christ. Elle était
sur un pilier de marbre blanc, supra pilare, entourée de my-
rÈLEHINAGE DE COAll'OSTKLLK. ;il<J
riiidcs d'anges. Gloire lut rendue au Très-Haut par les auges,
qui firent encore retentir les airs de ces paroles empruntées
aux offices de la terre : Benrdicamus Ihmwio.
N^ S" DEL PILAR.
(D'après um; anricnnn gravuif.)
Quand ces voix pures eurent fait silence, la glorieuse
Vierge parla au saint Apôtre : « C'est ici, mon tils, la, place
« où il faut bâtir une église en mon honneur. Cette colonne,
<« sur laquelle tu m'aperçois, c'est mon Fils, tou nniîtrc, qui
320 PÈLERINAGE DU CO.MrOSïKLLE-
" i'a envoyée du ciel par les mains des anges ; elle sera le
;- centre de la chapelle fine tu vas me consacrer ; de merveil-
<| leuses choses y seront accomplies par mon Fils en faveur
Il de ceux qui viendront m'y implorer. Cette colonne restera
<' là jusqn'à la fin des siècles et le Christ ne manquera ja-
« mais d'adorateurs dans cette cité. »
Ainsi parla la Vierge ; les anges qui l'assistaient la trans-
portèrent à Jérusalem, auprès de son fils adoptif, frère de
saint Jacques, et regagnèrent eux-mêmes le séjour que la
Providence leur avait fixé.
Après avoir abandonné son âme à la reconnaissance envers
Dieu et la Mère de Dieu, saint Jacques exécuta les ordres
qui lui avaient été imposés. L'oratoire qu'il bâtit avec l'aide
de ses disciples autour de la colonne avait une longueur de
16 pas sur 8 de large. La sainte Vierge revint souvent dans
ce lieu et unit sa voix au chant des fidèles.
Telle est la légende de Notre-Dame del Pilar ou de la
Colonne; notre gravure [page 519) représente l'apparition de
la sainte Vierge au grand Apôtre de l'Espagne.
La sainte Eglise a sanctionné cette légende en autorisant
l'office, pour le 12 octobre, de cette bienheureuse apparition.
Dans le Propre des Saints espagnols et dans le Breviariiun
marianum imprimé à Lérida en 1839 avec l'approbation de
Rome, cette fête est inscrite sous ce nom : Conwi. B, V. M.
de Colwnnâ. Le concours et la piété des fidèles et les fixveurs
miraculeuses qu'ils ont recueillies ont donné à ce sanctuaire
une popularité et une importance extraordinaires. Les Ara-
gonais, en particulier, sont justement fiers de l'église de la
Vierge à Saragosse, qu'ils appellent la mère de toutes les
églises de la ville, Madré de todas las iglesias de la ciudad.
Le pape Clément XII autorisa l'office de Notre-Dame del
Pilar ; Pie VII éleva la fête au rang des fêtes de première
PKLElUiVAliE DE COMlMi.STELLK. iiL' t
classe avec octave et approuva un office j^ropre, mais seule-
ment pour tout le royaume d'Aragon, dont Saragosse est la
capitale.
La protection que la sainte Vierge avait promise à la ville
de son choix n'a point été stérile, « car, dans les jours nais-
« sauts de l'Eglise, lorsque les premiers fidèles n'avaient
" d'autres temples que les antres des monts sauvages, d'au-
« très images de Dieu et des saints que celles gravées dans
<< les cœurs ; lorsque la persécution ne laissait debout que les
<' autels païens et les statues des fausses divinités, Saragosse
« conserva miraculeusement l'imao-e vénérée de Notre-Dame
<' del Pilar. Les martyrs qu'elle donna à la croix sont innom-
<' brables. Pendant le règne affreux de Dioclétien, le sang de
« ses confesseurs inonda ses places publiques, au point que
" les habitants avaient nommé Sainle la rue où ils furent
<i immolés en plus grand nombre. Cette ville tomba au pou-
i< voir des Visigotlis, commandés par leur roi Euric, et se
» conserva néanmoins pure d'arianisme ; le respect que sa
« piété inspirait était tel, que dans le VP siècle, les fils de
<• Clovis, Childebert et Clotaire, l'ayant assiégée dans leur
« expédition d'Espagne, l'épargnèrent en considération de
" saint Vincent. Les vainqueurs se retirèrent après avoir
« demandé pour unique trophée la moitié de l'étole du mar-
« tyr, auquel ils consacrèrent ensuite une basilique à Pa-
» ris ' . » La domination musulmane ne put interrompre à
Saragosse les exercices du culte chrétien. Le cimeterre des
féroces enfmts de Mahomet s'émoussa contre la colonne dont
la Reine des armées avait fait son trône.
Il n'est pas sans importance pour l'histoire de saint
' L'Espagne historique, Ullcraire et monumenlale , par BI. P. A. GAi'ZKNCJi
Dt Lastovuw, p. 52.
322 PÈLEUlNAaE I)K CO.Ml'QriTELLE.
Jacques, et même pour celle de l'Eglise d'Espagne, de fixer
l'époque de l'apparition de la sainte Vierge à Saragosse.
L'hymne de Marcus Maximus, pour les premières vêpres de
la fête de Notre-Dame del Pilar^ lui assigne pour date l'an 59
de l'ère chrétienne :
0 grandis appaiitio,
Jacobo facta piiniitùs
Anne Dono tricesimo
Natalis ahiii Domini !
Ce L!:rand événement eut donc lieu de lon!>;ues années
avant l'Assomption de la sainte Vierge; par une prérogative
unique, le sanctuaire qui lui fut dédié l'honora vivante et
anticipa eu quelque sorte sur les hommages que la cour
céleste devait offrir plus tard à la Reine des anges et des
hommes.
Le grain de la foi catholique que saint Jacques a semé
en Espagne, qu'il a arrosé de ses sueurs, sera dans peu
d'années un grand arbre. L'Apôtre a rempli son mandat ' ;
mais la Providence qui le rappelle en Palestine, le ramènera
bientôt en Galice. Le Saint affronte de nouveau les hasards
de la mer et revoit le beau ciel qui l'a vu naître. Il se hâte
d'aller vénérer à Eplièse la Mère de Dieu qui l'a honoré de
tant de faveurs, et retrouve le disciple bien-aimé, son frère,
saint Jean l'Evangéliste. L'auguste Reine des Apôtres l'ac-
cueille avec bonté, lui communique les progrès de l'Evangile
en Espagne et lui révèle son prochain martyre. Notre héros
• Flavics Dkxteu prétend dans sa Chronique [Patrol., édit. Migne, t. 31,
col. 135) que saint Jacques, après avoir quitté l'Espagne, évangélisa les
Gaules, la Grande-Bretagne et la Vénétie. C'est un témoignage de plus
en faveur de ceux qui datent du le"" siècle la conversion des Gnules au
christianisme.
t>KI,i;iUNAGE DE CuAJroSTKLl.K. 3:23
s'enflamme à la pensée du combat suprême qui Tattend; il
implore nue dernière lois la protection de la Vierge pour
l'Espagne et particulièrement pour le sanctuaire cpi'il lui a
dédié, en reçoit l'a.^surance par un sourire plein de douceur
et reprend le chemin de Jérusalem.
Depuis le jour oii la sainte A'^ierge a })roiiiis à l'Espagne
aide et protection, dix-huit siècles se sont écoulés à travei'S
les vicissitudes les plus lamentables et les révolutions les plus
désastreuses. L'Espagne, si voisine d'autres pays hérétiques
ou pervertis, envahie successivement par les hordes barbares
et par les voluptueux disciples du Coran, l'Espagne a con-
servé intacte la foi qu'elle tient de saint Jacques ; l'Espagne
est encore aujourd'hui le royaume Catholique par excellence.
Heureux les pays qui n'abdiquent pas leurs croyances!
CHAPITRE IV.
MAUTYRE DE SAINT JA( QDES.
De retour en Palestine, saint Jacques assiste avec quel-
ques autres Apôtres à la consécration de la Santa casa de
Nazareth ; il prêche aux Juifs le Messie mort par eux et pour
eux , ressuscité, assis à la droite du Père ; Y Enfant du ton-
nerre éclate, gronde, tonne dans la synagogue; des prodiges
de toute nature démontrent la vérité de sa parole ; les pé-
cheurs se jettent à ses pieds; les prêtres et les chefs du
peuple, couverts de confusion, se retirent ; le démon frémit,
les magiciens tremblent.
Parmi ces derniers, l'histoire et la légende citent liermo-
gène, plus jaloux que tous les autres et plus acharné à la perte
de l'apôtre. Le magicien envoyé vers saint Jacques son dis-
ciple Philétus, pour convaincre d'erreur l'apôtre du Christ en
'S-2'i rÈLEHlNAGE DE COMPOSTELLE.
présence des juifs. Lu foule s'assemble, on se groupe autour
(les deux champions ; mais tous les arguments de Philétus sont
réfutés, la vérité triomphe et brille d'un nouvel éclat après
avoir dissipé les nuages du paradoxe et de la mauvaise foi.
Ce qui est encore plus consolant, c'est que Philétus convaincu
et persuadé soit par une simple exposition delà doctrine, soit
par les miracles qu'opère saint Jacques, se déclare converti.
Il revient vers son maître, exalte l'enseignement nouveau qu'il
vient d'entendre et manifeste sans détour sa pleine adhésion à
l'E van aile. Confus et furieux, Herm'ooène fait enchaîner son
disciple et le lie si étroitement que tout mouvement lui est
interdit. « Nous verrons, s'écrie-t-il, si ton Jacques pourra
« te délier. » Philétus informe suint Jacques du sort auquel
il vient d'être réduit. Saint Jacques lui fuit parvenir son
manteau. A peine le captif a-t-il touché ce manteau, que ses
chaînes brisées tombent et qu'il court avertir saint Jacques
de sa délivrance.
Hermogène ne peut plus contenir sa colère ; il invoque les
démous, implore des maléfices plus puissants et conjure tous
les malins esprits de lui amener Jacques et Philétus, tous
deux garrottés. Les démons font gémir les airs d'horribles
hurlements et se plaignent que l'Ange du Seigneur les a
attachés avec des chaînes embrasées et qu'il leur fait endurer
d'horribles tortures. Une prière de suint Jacques suffit pour
faire cesser leurs tourments : « Retournez , leur dit-il, vers
« celui qui vous a députés vers moi, et amenez-le garrotté,
« mais sain et sauf. » Les démons obéissent, attachent les
mains à Hermogène derrière le dos et le traînent auprès de
saint Jacques. L'Apôtre adresse quelques reproches au magi-
cien, l'éclairé sur le danger de sa liaison avec les malins
esprits et met un terme à sa confusion en le faisant délier
par Philétus. « Tu es libre, lui dit saint Jacques, va où tu
rKLK;ii.N..(it; dI': iiuiU'ubrKi.i.!:. 32.j
" voudras; caria vengeance n'est pas permise aux disciples
« du Christ. » — « Je conn;iis les fureurs des dénions, ré-
" pond Hermogène; si tu ne me donnes pas quelque chose
" qui t'appartienne, ils me tueront. » Et Jacques lui donne
son bâton. Hermogène n'était déjà plus le même homme. Il
prend tous ses livres de magie, en charge les bras et la tête
de ses disciples et les jette aux pieds de l'Apôtre. Il consomme
son sacrifice en les livrant aux flanmies ; mais Jacques crai-
gnant que l'odeur de l'incendie n'inquète ceux qui ne sont
pas prévenus, fait enfermer tous ces livres dans des caisses
dont il augmente le poids avec des pierres et du plomb, et les
fait précipiter dans la mer. Hermogène se prosterne aux
pieds de l'Apôtre dans les sentiments d'une vraie pénitence,
s'attache à l'homme de Dieu et obéit à toutes ses volontés.
La crainte du Seigneur hâte ses progrès dans la perfection ;
le Tout-Puissant opère par ses mains de nombreux prodiges,
à la suite desquels quantité d'hommes abjurent leurs égare-
ments d'esprit et de cœur et se convertissent à la foi du
Christ.
L'épisode de saint Jacques et d'Hermogène est le thème
d'admirables bas -reliefs du XVP siècle qui décorent un des
transsepts de la cathédrale d'Amiens. Cette composition est
partagée en quatre compartiments ; \° saint Jacques prêche
la Loi nouvelle aux Juifs ; 2" il fait un exorcisme ; 5" en pré-
sence des juges africains, il présente deux de ses doigts au
démon et le défie de les mordre ; i-** Hermogène enchaîné
demande pardon à saint Jacques. » L'expression simple et
ft naïve des têtes, dit M. Dusevel ' , la singularité des costumes
« des divers personnages, notamment de Philète et d'Her-
<i mogène qui, suivant l'usage du temps, ont des robes à fleurs
' Nolicc suf la Cathédrale d'Amiens, p. 56.
32G VÈLEIIINAGE LIE COMPOàTELLlî.
« d'or et à ramages, bordées de caractères grecs et latins et
<> la curieuse deutelle des arcades sous lesquelles ils se trou-
<i vent, excitent vivement l'attention des étrangers. »
Une peinture de l'église Saint -Macaire (Gironde) a égale-
ment pour sujet la légende du célèbre Hermogène, que nous
trouvons encore reproduite sur les vitraux de Bourses et de
Chartres.
Les Juifs irrités de la défection d'un magicien enrenom qu'ils
croyaient inébranlable et de celle de tous ses admii-ateurs,
corrompent à prix d'argent deux centurions de Jérusalem,
Ly.sias etThéocrite, et obtiennent l'incarcération de Jacques;
ils organisent ensuite une sédition et font traduire leur vic-
time devant un tribunal ; mais l'attitude magnanime de l'A-
pôtre leur impose un respect qui les étonne eux-mêmes ; ils
l'écoutent pendant qu'il démontre, par les Ecritures, la
Passion et la Résurrection de Jésus-Christ. Ils se sentent
touchés et éclairés, confessent leurs torts et se rangent parmi
les disciples de la nouvelle doctrine.
Quelques jours s'écoulent; Abiathar, grand-prêtre pour
cette année, jure de venger ses autels déserts et, dans ce but,
provoque par ses largesses une violente émeute. Un scribe,
du nom de Josias, jette une corde au cou de l'Apôtre et le
conduit au prétoire d'Hérode, fils d'Aristobule. Le roi Hé-
rode ' était un vrai courtisan du peuple, esclave de l'opinion
publique beaucoup plus que de son devoir. « Les plus grands
« crimes commis à cette époque, dit Mgr Mislin^, portent tous
' Il ne s'agit pas du vieil Hérode, Tinstigateur du massacre des Innocents;
il ne s'agit pas non plus de son fils Hérode Antiphas, le décollateur de saint
Jean-Baptiste, de cet Hérode qui appelait Jésus-Christ un roi de théâtre; il
s'agit du troisième Hérode, Hérode Agrippa, persécuteur de saint Pierre et
meurtrier de saint Jaco^ues.
'^ Les saints Limx, par Mgr Mislik . Paris 1858, t, 2, p. 353.
l'KM.niNAor, Di; (;(iMP0STr.i,i,i'. .'{O"
" le cîicliet (le lu faiblesse des princes qui vouliiient se rendre
M populaires. C'est une des marques distiuctivcs delà famille
« d'Hérode. » Plût à Dieu que cette marque eût disparu avec
cette famille ! Combien est juste cette exclamation deBossuet:
« Rois, gouvernez hardiment. Le peuple doit craindre le
« prince ; le prince ne doit craindre que de faire le mal. Si le
« prince craint le peuple, tout est perdu. »
Au lieu de résister aux passions sanguinaires de la foule,
Hérode lui promet une large satisfaction, et, sjuis procès,
sans jugement, il condamne le juste à la décollation. L'apôtre
marche au supplice d'un pas ferme et généreux ; une joie
sereine brille sur son front et va s'accroître par la consolation
d'un acte de bienfaisance envers un infortuné. Il s'approche
d'un paralytique couché sur le chemin et répond par ces
paroles à sa prière : « Au nom de Jésus-Christ pour l'amour
a duquel je vais au supplice, lève-toi et bénis le Seigneur. »
Et le paralytique se lève guéri.
Témoin de ce miracle, Josias tombe aux pieds de l'Apôtre
et sollicite son pardon par un torrent de larmes. — « La
« paix soit avec toi, » lui dit saint Jacques en l'embrassant.
Ce baiser du pardon avant le martyre, ces paroles si frater-
nelles, ce souhait si tendre sont, aux yeux des investigateurs
des coutumes chrétiennes, la forme et la formule la plus an-
tique du baiser de paix que le ministre des autels donnait
autrefois au peuple avant la communion, dont les pieux Ma-
ronites ont conservé l'usage ' et que le rit romain a maintenu
entre les membres du clergé dans les Messes solennelles. Peu
de cérémonies ont une origine aussi reculée, aussi vénérable,
* Eu 1858 nous avons assisté, à Nazareth, à la messe des Maronites dans
leur modeste église. Avant la communion, le célébrant donna la paix au
prêtre qui l'assistait et celui-ci à l'un des fidèles. Les hommes la transmirent
aux hommes et les l'emmes aux femmes.
328 rÈu-:mxAGE i)E cu^iro.sTELLE.
aussi touchante que le baiser de paix de nos sanctuaires.
Saiiit Jacques arrive au lieu du supplice avec Josias, son
nouveau disciple, bientôt son néophyte par le baptême qu'il
lui confè.re et bientôt encore le compagnon de son martyre
et de sa gloire; il adresse à Dieu une prière et présente sa
tête au bourreau, qui l'abat par un double coup d'épée :
« Occidit autem Jacobum, fratrem Joannis, gladio \ »
L'exécuteur ramasse cette tête sanglante, la lève vers le
ciel et la montre, un genou en terre, aux satellites envoyés
par Hérode. Ceux-ci veulent s'en emparer, mais leurs mains
se dessèchent, la terre tremble et les anges entonnent dans
les cieux les louanges de VApôlre prolomartyr^ immolé par
les ordres du prince protopersécuteur de r Église ".
Tous les Apôtres ont conquis la palmé du martyre; mais
saint Jacques est le seul dont saint Luc nous ait raconté
la mort. Cette glorieuse exception s'explique par les cir-
constances extraordinaires qui ont signalé ce drame sanglant.
Il n'est pas inutile de remarquer que les deux Apôtres,
du nom de Jacques, tous les deux parents de Notre-Seigneur,
sont morts dans la même ville que leur divin Maître, aux
' Art. XII, 2.
- OuDEUici YnAJAS, Historia ecclesiastica, édit. Migne, col. 111, 112. —
Légende dorée. — Un des vitraux modernes de l'église Saint-Michel, à Bor-
deaux, représente le baptême de Josias par saint Jacques. — Une des pein-
tures si antiques et si curieuses de l'église Saint- Macaire (Gironde) représente
successivement la conversion de Josias, son baptême et son martyre. — Le
Mudo (Juan Fernandez Navarreti), un des artistes les plus renommés de
l'Espagne, s'est immortalisé par le tableau du Martyre de saint Jacques-le-
Majeitr. On rapporte que, pour se venger de Santoyo, secrétaire du roi
Philippe II, le Mudo donna sa figure au bourreau du saint, et que Philippe
dut protéger ce chef-d'œuvre centime le ressentimimt de son secrétaire. Mais
le P. Siguenza, qui habitait alors l'Escurial où ce tableau avait été exposé,
affirme que cette laide et singulière figure du bourreau de saint Jacques est
tout simplement colle d'un artisan de I.ogrono, patrie du peintre.
PÈLERINAGE DE COMPOSTELLE. ;{29
environs du Cîilvaire; ils ont été dignes de mêler leur sang
au sang divin du Rédempteur, leur frcre^ et par la confession
de leur foi, ils ont scellé avec rauteur de leur glorieuse no-
blesse une alliance nouvelle plus durable que celle de la
nature, et aussi immuable que les joies éternelles qui en sont
la récompense.
Saint Jacques tient le même rang entre les Apôtres que
saint Etienne entre les Saints; ils sont tous les deux, en un
sens, les prémices des Martyrs. Saint Jean l'ii^vangéliste, mar-
tyr de désir, a donné le premier, il est vrai, l'exemple du
martyre ; mais saint Jacques en a achevé la consonnnation .
Sainte Hélène honora par la construction d'une superbe
église l'immortel théâtre du martyre de saint Jacques; plus
tard, l'Espagne, si zélée pour le culte de son premier apôtre,
bâtit un magnifique couvent sur le même emplacement. C'é-
tait le célèbre Monastère de Saint-Jacques, sur le mont Sion.
Une petite chapelle occupa et occupe encore la parcelle de
terre arrosée d'un sang si précieux. Les Espagnols en ont été
dépossédés par les Arméniens schismatiques , qui en sont
encore aujourd'hui les maîtres.
On s'accorde généralement à fixer au 25 mars, jour si mé-
morable dans l'Eglise, la décollation de saint Jacques. Mais
la sainte Eglise célèbre, sous le signe du Lion, le 25 juillet,
cette mort ou plutôt ce triomphe de l'invincible apôtre.
Il est moins facile d'en préciser l'année. François Bivarius,
commentateur de Flavius Dexter, a essayé de résoudre cette
dernière question dans une longue et savante dissertation.
Nous croyons nous écarter peu de la vérité en donnant pour
date à un événement aussi important l'une des années 45
ou 44.
L'aBBE l'ARDIAC.
{La suite au prochain numéro ]
TOMK VI. 24
BIBLIOGRAPHIE
ATHÈNES décrite et dessinée, par Erke-^t BRETo^', de la Société det
Antiquaires de France. Paris, Gide, 1862 ; grand ni-8° de 379 pages, orné
de 8 'planches tirées à part et de 160 vignettes (10 fr.).
Alliènes, qui a conservé tant de monuments antiques, contem-
porains de son ancienne gloire, a toujours attiré l'attention des
archéologues. Les ouvrages de Chandler, Dodwell , Ottfried Mul-
1er, Pittakis, Letronne, Leuormand, Beulé, etc., ont conquis une
juste estime dans le monde savant ; mais ils n'en ont guère franchi
le cei'cle. Il fallait une plume habile et un crayon expérimenté pour
vulgariser les connaissances acquises et les offrir au public sous la
forme d'un élégant volume accessible à toutes les intelligences
comme à toutes les bourses. M. Ernest Bieton a entrepris cette
œuvre difficile, où la science, sans abdiquer sa gravité, doit se dé-
pouiller de ses aspérités, et il a obtenu un succès analogue à celui
qu'il avait déjà remporté en décrivant les ruines de Pompéï.
Nous ne suivrons pas M. Ernest Breton dans la description des
temples, des autels, des gymnases, des tombeaux de l'Athènes du
paganisme; mais nous lui emprunterons quelques détails sur les
antiquités chrétiennes de la capitale actuelle de la Grèce.
On sait que le Parthénon, bâti dans l'Acropole, sous la direction
de Phidias et consacré à Minerve par Périclès, devint au VII* siècle
ime église chrétienne, sous le vocable de la Sagesse Divine (sainte
Sophie), et qu'il fut eu partie détruit par les Vénitiens pendant le
lUnLIOGUAI'llIli, 331
siège do 1087. La façade occidonlale est la mieux conservée: c'est
sur ses colonnes que M. Pillakis a découverUle nombreuses iuscrip-
tions gravées à la pointe.
1 l''f <-
FaeuJe occidentale du Parthenon.
La plus ancienne remonte au VII* siècle ; elle est relalivc à la mort
de l'évêque André:
.:fMOKTU)BP)eei£HM^
rAWAPeAcoAntï)
HNenicê exoYc
'ECQ
a Le 15 du mois d'octobre, le premier jour de l'indiclion 7, est
mort André, noire saint évêquc, eu l'an 0202 (après J, G. CDi.) »
33Î BIBLIOGIVAPIIIE
L'inscription suivante, remplie d'abréviations, a été gravée au
XIV« siècle :
qtxTXG
a Est mort dans le Seigneur le serviteur de Dieu, Nicolas, prêtre
et vicaire de la sainte église d'Athènes, au mois de juillet, le et
derindiction...,le jourquatrième, en l'an 6822 (après J.-C. 131-4.) »
M. E. Breton fait observer que ces dates reportent la création du
monde à 3,508 ans avant J.-C, suivant l'ère juive^ adoptée par les
Grecs, et non pas à 4,004 ans, comme le fait notre chronologie.
On trouve de nombreuses épitaphes analogues à colles que nous
venons de citer, relatant la mort de métropolitains, d'archevêques,
d'évêques, de prêtres, de diacres, d'archivistes, de procureurs, de
scribes, de moines, de chanoines, d'abbés, etc.
Une autre catégorie d'inscriptions est purement commémorative.
Elles commencent presque toutes par ces mots en abrégé: MvrjdOrjTi
Kûpie (Souvenez-vous, Seigneur) ; en voici deux exemples :
(.0
iKlCAHC lAC Amnii)
<( Souvenez-vous, Seigneur, de votre serviteur Grégoire, diacre
et économe de l'église d'Athènes. »
BinLlOGUAPIIIE.
333
iC€ BQHTAâi
p
V
« Scigiicui', secourez votre serviteur, le diacre Cyriaquc, Seigneur,
secourez-le. »
Ces inscriptions ont été épargnées par les Turcs, de même que
quelques restes de peintures byzantines où on leconnaît une tète
de la Vierge et plusieurs médaillons d'Apôtres. M. E. Breton a éga-
lement vu ailleurs des symboles chrétiens que les Musulmans ont
respectés, faute d'en comprendre la signitication; sur une fontaine,
au pied de l'Acro-Gorynthe, deux marbres byzantins porteulchacun
un monogramme du Christ.
Un des plus curieux monuments chrétiens d'Athènes est la petite
église des Saints-Apôtres, devenue souterraine, située dans le voi-
sinage de la grotte de Pan ; on y pénètre,, en B, par la muraille mé-
«w^N^Tvmmm\^w^\^^^
Plan de Véglise des Saints-Apèitres .
'î P
S
1
Embouchure du canal de la CiejisyJii',
lidionale. Le cul de four en ])riques C qui a remplacé rancienne
entrée, abrite la fontaine de la Clepsydre, dont il est question dans
Aristophane et dans l'iutarque. L'eau s'échappe à dix pieds de
profondeur d'une fissure de rocher, décorée d'un petit frontispice
de marbre composé de deux pieds-droits, avec un fronton portant
sur la frise le seul mot<!)PVNIKOV.
L'autel, dont on ne voit plus de traces, devait être situé en A'. On
334 uraL'OGRAriuE.
y voit encore des peintui-es représentaut le Christ eiilre hi Vici'ge
et saint Je.'in-Baptiste.
<=> rMi ru N
Intérieur de l'église des Saints- Apûtrcs.
L'église est jonchée de décombres. Su voûte , à plein-cinlre ,
repose sur des parois verticales, dont la jiartie inféiienre est taillée
dans le roc. Les figures des douzes Apôtres sont peintes sur les parois,
ainsi, qu'une Annonciation. Ces fresques, qui sont fort endomma-
gées, semblent remonter au X" siècle.
De même qu'à Rome, quelques-uns des temples païens d'Athènes
ont cédé leur emplacement au culte catholique. Une église de style
ogival, à une seule nef, fût élevée à une époque inconnue sur les
ruines du temple de Diane Agrotera, sous l'invocation de saint
Pierre crucifié. Elle a perdu toute sa façade; ses arcs doubleaux
reposaient sur des colonnes de marbre de l'Hymette, provenant
sans doute de l'ancien temple.
Mais CCS restes d'antiquités chrétiennes sont peu de chose auprès
des chefs-d'œuvre de Mnésiclès, d'Ictinus et de Phidias. Il faut
en lire la description dans l'excellent ouvrage de notre savant
collaborateur, où l'intelligence du texte est facilitée par de nom-
breux dessins exécutés d'après nature.
J COKBLET.
CHRONIQUE
On sait qu'une partie des revenus des Cliapilres était tlcslinée à
récompenser l'assiduité de leurs membres aux offices et qu'eu gé-
néral leur présence était constatée par la distribution de jetons eu
plomb, nommés ma? allas, merellus, merel, mereau. Le trésorier
remboursait en monnaie ces valeurs fictives qui, du reste, avaient
cours dans l'crtaines villes épiscopales. M. Rouyer pense que les
plus anciens méreaux ne sont pas antérieurs au Xlli'' siècle. Il fau-
drait reculer plus loin l'existence de ces pièces de convention, si l'on
admet les conclusions d'un travail que vient de publier M. A. Digot,
dans les Mémoires de la Société archéologique de Lorraine. Parmi les
méreaux du Cbapitre de Tout qu'il a décrits, il en est un qu'il ûiit
remonter au Xl^ ou XIP siècle. C'est une masse de plomb, coulée
grossièrement, et offrant une concavité entourée d'une bordure en
saillie. D'un côté, la surface est parfaitement lisse ; de l'autre, on
voit une croix, sans aucune inscription. M. Digot trouve que ce
méreau, d'un poids considérable et d'un travail grossier, a quelque
ressemblance avec les deniers frappés à Toul, par les évêques
Gérard, Brunon et Ricuin.
— M. l'abbé Clerc a publié un intéressant Mémoire dans le der-
nier volume des travaux de l'Académie de Reims sur ces deux ques-
tions : 1° Quel était le costume des moines deLuxeuil?2o En quoi
la tonsure irlandaise ditrérait-elle dé la forme générale des ton-
sures? Primitivement, et sans doute jusqu'au IX*; siècle, les moines
de saint Golomban portaient l'habit blanc qui, selon les principes de
la liturgie, est l'expression de la joie ; ils prirent ensuite la robe
brune, emblème de la pénitence. Ils portaient la tonsure à la ma-
nière des Irlandais, c'est-à-dire qu'ils ne se rasaient que pardevant,
en domi-cercle, d'une oreille à l'autre ; ils prétendaient en cela.
ooo ciinoMQi;E.
iinitiT l'iipùlre s.'iiiit Jean, qui laissait croitre ses cho.veux sur le
«Icnièro de la tête.
— Quelques erreurs ty[iographiques se sont glissées dans l'ar-
ticle de M. Antonio Bertoldi, sur le sarcophage-autel de Saint-Zénon
(u" de février, pages 37 et 38). Nous rétablissons ici les deux pas-
sages qui ont été altérés : L'antel-sarcophage de notre basilique
contient les corps de trois Saints : 1° saint Crescentien, martyr du
VI* siècle, dont il est fait mention dans les Actes du pape saint
Marcel; 2" notre VI* évêque, saint Lucille, qui assista au Concile de
Sardes, en 347, et qui est mentionné dans V Apologie de saint Atlia-
nase; 3° notre XII* évêque saint Lupicin. Actuellement il se trouve
dans l'abside centrale de la crypte : auparavant il était dans l'église
supérieure, au devant de l'abside du côté de l'épître, maintenant
fermé. — Après les inscriptions de la page 58, il faut ajouter celte
phrase : Plus tard on transféra ce sarcophage dans la crypte; je
crois que ce fut en 1808, alors qu'on fit la récognition des eainls
corps.
— Nos lecteurs connaissent toute l'importance du tableau polyp-
tique d'Anchin, conservé dans la sacristie de Notre-Uame de Douai,
duquel M. l'abbé Deliaisne a publié la description dans notre Revue
(t. IV, p. 449). On se rappelle que notre savant collaborateur s'est
prononcé contre l'attribution qu'on avait faite de ce chef-d'œuvre
a Memling, mais qu'il n'a point osé se prononcer sur son auteur,
en l'absence de preuves positives. On nous assure que M. Alphonse
Wautei's, archiviste de la ville de Bruxelles, vient de trouver un
document authentique, constatant que cette œuvre admirable a été
exécutée vers l'an 1313 par Jehan Bellegambe, natif de Douai.
M. Dehaisne avait fixé sa date approximative entre 1311 et 1520;
un témoignage inattendu vient de montrer la sagacité de ses con-
jectures.
— La société impériale des AuLi(juaires de France a nommé notre
collaborateur, M. A. de Barthélémy, à la place de membre résidant,
vacante par le décès de M. le commandant Delamare.
J. COaBLET.
REVUE DE 1:aRT CHRETIEN.
^- baiidaie de Samt Edme .
>• Sandale de Comminges
• Chaussure de Sa:nl Rerre de LuxemBour
■*ry-3uit::eaji ^Ar
LES SANDALES ET LES BAS
P U K M 1 K It A 11 T I C I, K .
PRELIMINAIRES.
Lorsque j'entrepris, il y a quatre ans, la publication dont
commence ici la troisième partie, mon projet n'était pas de
donner à ce travail l'extension considérable qu'il a acquise
depuis. Le plan que je voulais suivre en premier lieu consi-
stait simplement : 1° à revenir avec plus de détails sur la
description des vêtements ou étoffes que mes Rapports à Son
Excellence M. le Ministre de l'instruction publique avaient
signalés, 2" à reproduire par la lithographie un choix d'ob-
jets, soit inédits, soit imparfaitement copiés par mes devan-
ciers. Il m'a été bientôt difficile de ne pas franchir des limites
aussi restreintes. D'abord, plusieurs personnes, à la tête des-
quelles j'inscrirai MM. Oudet, Thibaud et Van Drivai, ont mis
à ma disposition des monuments nouveaux; puis l'on m'a fait
observer qu'une suite de monographies, sans lien entre elles,
TOME VI, Juillet 1862. 25.
338 LES SAXIJALES ET LES RAS.
fatiguerait à la longue, malgré riiitérèt particulier de cha-
cune, et qu'il serait plus convenable de grouper dans un seul
article les divers objets appartenant à la même catégorie,
en joignant à leur étude individuelle une étude d'ensemble,
propre à généraliser les faits avancés. Je n'ai pas reculé de-
vant le surcroit de travail que m'imposait une pareille tâche ;
les bourses, les tuniccUcs éptscopalcs, la mitre, les r/ants, ont
été traités sous l'impression des bienveillants avis que j'avais
reçus. Néanmoins, la méthode suivie à l'occasion des précé-
dents sujets présente assez d'inconvénients pour m'en dépar-
tir quelquefois. Se borner aux appartenances d'une localité,
d'un personnage, conduit à passer rapidement sur les objets
analogues, ou à des redites, double écueil qu'il faut savoir
éviter. J'oifre donc aujourd'hui aux lecteurs indulgents,
dont le concours ne m'a pas failli depuis l'heure où j'ai
abordé le genre d'études auxquelles toute mon existence est
vouée, une série de brèves notices sur les anciennes chaus-
sures que j'ai pu rencontrer en France, notices accompagnées
d'un aperçu de l'histoire des calceamenla, fasciœ, tibialia,
laïques ou sacrés, de l'antiquité aux temps modernes.
Aux documents que j'ai rassemblés moi-même, à la science
des liturgistes d'autrefois, je pourrai joindre la profonde
érudition renfermée dans quelques ouvrages récemment édi-
tés. MM. Rich, Roacli Smith, le chanoine llock en Angle-
terre, les splendides publications du Comité impérial des
monuments de Vienne ' , les excellents travaux de mon docte
' Grâce à l'extrêiiie bienveillance de S. E. M. le baron Charles de Czoer-
nig, président de la Commission impériale et royale des monuments historiques
de Vienne, j'ai pu obtenir du gouvernement autrichien la collection presque
complète de l'Annuaire et des Communications (Mitt/ieilungen) publiés à ses
frais. Ces recueils, pleins de savantes recherches, sont au point de vue de
la gravure et de la chromolithographie des modèles difficiles à surpasser.
LES SANHAi.KS KT l.tS lîAS. :{;!<)
ami j\I. l'abbé J'ock en Allemagne', le i-ecucil inachevé (bi
regrettable M. Gaiissen en France"-, me fonrniront, comme
texte et gravures, matière à de nombreux emprunts.
CHAPITRE I.
AACIKNNKS flIATTSSrRKS ^n^SK!lVK^:S• KN l'HA^CK.
Sandales île sainte Aldegonde à Maubeu(/e. — Lorsque la
bienheureuse Aldegonde, fille de race mérovingienne, subis-
sait les poursuites d'un prince anglais qui voulait l'épouser
malgré sa résistance, la jeune vierge (elle avait alors treize
ans) surprise par les émissaires de ce prétendant, s'enfuit
en leur abandonnant l'un de ses souliers et traversa miracu-
leusement la Sambre avec l'aide de deux anges qui la sou-
tinrent au-dessus de l'eau •\ Une tradition veut que l'unique
chaussure, emportée par la sainte sur l'autre rive, ait été
' Non content de ni'adresser ses ouvrages parus, M. l'abbé Bock, dont le
nom fiiit autorité en matière de vêtements liturgiques et d'anciennes étofFes,
a eu l'obligeance de me communiquer les épreuves des admirables planches
in-folio qui doivent illustrer les Kleinodien des Heil-Romischen Reiches
(Joyaux de la couronne du Saint-Empiie romain), édités par l'ordre de S. M.
l'empereur d'Autriche.
- M. Gaussen, digne émule de Willemin, après avoir consacré sa vie en-
tière à la publication du Portefeuille archéologique de la Champagne, est
mort à la peine sans avoir vu terminer son ouviage. Dans une préface écrite
avec le cœur, M. d'Arbois de Jubainville a su peindre en peu de mots toutes
les misères qui assaillirent un artiste distingué, sans le détoui'ner un instant
du but qu'il s'était proposé ; mais pourquoi le savant archiviste de l'Aube et
M. le chanoine Tridon ont-ils interrompu le texte explicatif qu'ils étaient si
bien en mesure de terminer?
' R. P. AwuRÉ TxuQUET, Vie adviirahle de la très-illuslrc jyrincesse xainte
aldegonde, éd. Estienivk, Maubeuge, 18:37. p. '^3.
340 LES SANDALES ET LES BAS.
conservée de temps immémorial dans le trésor de la Collé-
giale de Maubeuge '. Rayssius, qui mentionne cette relique,
suit les mêmes errements : << Solea seu suppagmentum ejusdem
(S. Aldegundis), quod reliquit in ulteriori Sal)is ripa, cum
ab Eudone consequeretur, ac eumdem Sabim siccis plantis
pertransisset ". » Le sentiment du chanoine douaisien est,
on le voit, complètement d'accord avec la tradition énoncée
ci-dessus. La Solea de sainte Aldegonde a été peinte dans
un inventaire illustré à la fin du XV^ siècle, inventaire re-
copié au XVIP et continué jusque vers 1650. Le pre-
mier recueil est malheureusement égaré, le second m'a été
communiqué par son propriétaire actuel, M. Bottiau, procu-
reur impérial à Valenciennes et héritier de la bibliothèque
de feu M. Estienne. Le dessin que j'ai calqué laisse voir à
peine l'extrémité aiguë du soulier .(environ 0'",02!7'"), simple
semelle de cuir épais, piqué sur les bords; le reste est caché
sous une double custode verte et rouge, semée d'oiseaux et de
iieurs très-certainement brodés en soie de couleur. On lit en
marge : « Il y a présentement xxii pièces atficqees à ung
fille d'or. — Lan 1642 on y at mis encore une bague avecque
une agate et 4 rubis et deux peti brasselle dor ou illiat
24 piesse^ »
La précieuse sandale, dérobée à la convoitise des agents
révolutionnaires, se trouvait, en 1807, entre les mains du
prince de Ghistelles, qui la remit alors à j\L Bévenot, curé-
' Vie, etc., notes de M. Estien.ne, n° vi, p. 4.
' Hierogazojyhi/iacium BeIgicuni,Tp. 13.
"' Inventaire cité, fol. 14, v. — Je sollicite une indulgence bien méritée
pour l'orthographe des nobles chanoinesses qui transcrivirent ces notes, car
leur travail fournit aujourd'hui, en texte et dessins, assez de documents pour
rétablir à peu près le riche trésor de Maubeuge, absorbé par la Révolu-
tion.
LES SANDALES ET LES BAS. 3 il
doyen de MauLeiige. Cet ecclésiastique la i)laça dans la sa-
cristie de son église paroissiale, où, grâce ti l'obligeance de
M. l'archiprêtre Babeur, j'ai pu la contempler à mon aise en
I808. L'aspect de la relique n'a guère changé depuis le
XV siècle ; la custode interne de velours vert est toujours
visible, moins les broderies qui sont usées ; mais la couver-
ture extérieure a été remplacée ou cachée par un reps bleu-
clair, lamé d'argent. Les joyaux mentionnés par l'inventaire
subsistent encore pour la plupart. Les deux bracelets d'or,
disposés longitudinalement, forment chaînette et sont ornés
chacun de douze intailles grossières, six cornalines et six la-
zulites. Ij'agale montée en bagne avec quatre rubis était au-
trefois un camée sur onyx représentant une impératrice
romaine ; un vandale quelconque a barbarement gratté cette
tête, tout en respectant la monture qui consiste en un mé-
daillon d'or ovale (0'",0i7"' sur 0"',044'") cantonné de quatre
fleurs de lis émaillées bleu et blanc, alternant avec quatre
pierres'. Des vingt deux pièces qui existaient avant 1642,
douze ont disparu en laissant néanmoins des traces sur l'é-
toffe. Le reste se compose de deux agates blanches et un
onyx antiques, un jaspe diapré vert et blanc, deux lazulites
et quatre cornalines ; ces pierres sont également gravées en
creux.
La sandale de Maubeuge est renfermée dans une caisse en
bois de peu d'apparence et garantie par une glace mobile.
Autant que l'on peut juger d'un objet à, peine entrevu sous
d'épaisses enveloppes, celui-ci doit appartenir au genre de
cliaussui'e nommé solea par les anciens, c'est-à-dire une se-
' Ce camée intact est peint dans V Inventairn. fol. 37, v- — La montuiQ
est un petit chef-d'œuvre de bijouterie, style Louis XIII, mais, si mes yeux
n'ont pas failli, je soupçonne fort que les anciens rubis sont remplacés au-
jourd'hui par des strass.
312 LES SANDALES ET LES BAS.
melle attachée sur le cou-de-pied an moyen de courroies, telle
que la portent les Capucins et les Carmes. On objectera peut-
être que sa longueur (O^^Se*^) s'oppose à ce qu'on puisse l'at-
tribuer à un enfant de treize ans, mais je ferai observer que,
de cette longueur, il faut retrancher deux centimètres de
pointe au minimum, et que les princesses franques étaient
des femmes robustes, issues de la race teutonique qui n'a ja-
mais eu la prétention d'entrer en lutte avec les dames chi-
noises ponr l'exiguïté des pieds.
Quoi qu'il en soit, si notre soulier remonte à 644 (sainte
Aldegonde naquit vers la fin de 650) , il est incontestable-
ment l'un des plus vieux spécimens de chaussure que nous
possédions. Rien d'ailleurs ne vient combattre son authenti-
cité, car il est assez difficile d'admettre que l'on ait gardé
aussi longtemps, sans raisons très-majeures, un o'ojet dénué
de toute valeur intrinsèque.
On m'a encore montré dans la sacristie de Maubeuge une
petite mule d'argent renfermant un morceau du soulier de
sainte Aldegonde. Ce reliquaire, qui provenait également de
l'ancien trésor capitulaire, était passé aux mains du chanoine
Cambier ; égaré à la mort de cet ecclésiastique, il a été re-
trouvé depuis peu.
Souliers de sainte Bathilde à Clielles. — Lorsque l'on
ferma les maisons religieuses, en 1792, une portion des re-
liques appartenant à l'abbaye de Chelles put être sauvée et
se trouve aujourd'hui dans l'église paroissiale de la commune.
Un savant distingué, M. Eugène Grésy, qui visitait cette
église en l85o, y rencontra une petite châsse de bois noir,
forme pupitre, couverte d'ornements en cuivre repoussé,
roses et lis, style Louis XIII^, avec le monogramme I H S,
compris entre les deux lettres S. B. La châsse, close par un
verre dormant, n'était plus exposée faute d'authentiques ;
LKS SANDALKS ET LKS UAS. 343
son ouverture fit découvrir trois chaussures en cordouan
noir; une isolée, une paire: le tout à l'intérieur niaroquiné
de couleur fauve, à l'empeigne brodée en soie au point re-
fendu ou de chaîuette. Je ifai pas eu riieureuse chance de
voir ces curieux calcci^ mais M. Grésy en a donné une de-
scription si exacte, accompagnée de gravures enluminées si
consciencieuses ', qu'aidé de l'une et des autres^ je crois
n'être pas tro}) hardi en formulant à mon tour une opinion
sur la matière.
Le soulier dépareillé mesure 0"',*28'" de longueur ; l'em-
peigne, élégamment taillée en fer de lance^ remonte sur le cou-
de-pied ; deux courroies faisant corps avec le reste se croisent
pour aboutir à des oreillettes {ansœ) correspondantes à droite
et à gauche du quartier. L'ornementation consiste en deux
palmiers inégaux, posés bout à bout, l'un sur l'empeigne,
l'autre sur la languette, le premier, chargé de fruits ; l'en-
semble esquissé en blanc, rouge et vert : un léger filet blanc
suit à distance le contour des solutions de continuité.
La paire a 0'",27'. Le passage du pied, bordé aussi d'une
baguette blanche, dessine une sorte de cœur arrondi par la
base. Une lanière mince et assez longue pour faire le tour
de la cheville s'engage dans une oreillette unique. Des fleu-
rons découpés comme à l' emporte-pièce, appliqués sur fond
de cuir doré et rechampis de traits polychromes, blanc, rouge,
vert, décorent l'empeigne.
D'une rare élégance, ces trois souliers ont le quartier
élevé; la semelle très-étroite, sans renfort, est aussi souple
que les autres pièces auxquelles elle se joint par une couture
cachée sous un passe-poil. En marchant, le pied devait ap-
puyer en grande partie sur l'empeigne et le quartier qui ce-
' Revue archéol. , 1856, xi^ liv., janvier, p. 60:^ et pi. 273.
344 LES SANDALES ET LES liAS.
pendant n'offrent aucune trace de frottement, en dépit de
crevasses au talon , inarque certaine d'un fréquent usage.
C'étaient donc des chaussures de cérémonie et non destinées
à la vie ordinaire.
Si l'on demande à quel sexe les calcei de Clielles ont ap-
partenu, leurs dimensions (ils mesurent environ 0'",25"^ de
circonférence à l'orteil) et leur luxe répondront que c'est à
des femmes de haute taille et d'un rang élevé. Quant à la date
probable de ces vêtements, quelques considérations vont la
déterminer, je l'espère.
En premier lieu, les trois chaussures sont contemporaines;
leur identité de matière et de travail est complète; une lé-
gère différence réside seule dans la forme et l'ornementa-
tion; ce que je dirai pour l'une, peut donc s'appliquer à
toutes. Or, le soulier dépareillé est exactement semblable aux
sandales funèbres du B. Éginon, évêque de Vérone, mort en
80!2, sandales dont je parlerai ailleurs avec plus de détails.
Quant à la paire, elle est taillée sur le patron de la sandale,
dite de Saint-Sylvestre, conservée à Saint-Martin des Monts.
Cette dernière est, je crois, du XIIF siècle, comme la mitre
qui partage son attribution, mais le genre de calceus auquel
elle se rattache a si peu varié depuis l'antiquité, que l'objec-
tion tirée d'une telle analogie resterait sans valeur eu face
des rapports déjà énoncés.
Le VHP siècle offre certainement un âge respectable ; il
faut néaimioins remonter encore plus loin. M. E. Grésy rap-
proche très -judicieusement la broderie des souliers de
Chelles de quelques motifs peints dans les catacombes et sur
un manuscrit grec du TX^ siècle ' ; eh bien, ces mêmes végé-
taux à feuilles en accolade, ces palmettes contournées en
' Revue arch., lue. cit.
LES SANDALES ET LES BAS. 345
volutes, un précieux débris d'origine incontestablement chré-
tienne et gallo-romaine me les montre réunies. Je veux par-
ler des plaques d'argent ciselé que j'ai dessinées en 1856
dans l'église Saint-Eusèbe à Aux erre, plaques qui ne peuvent
être postérieures au IV" siècle, car le coffret qu'elles or-
naient fut trouvé pêle-mêle avec des fioles de martyre et des
ossements '. Assigner à nos calcei une date aussi reculée
manquerait de vraisemblance ; celle du VHP siècle sera
moins difficile à justifier.
Je reprends l'argumentation de M. Grésy.
Parmi les reliques conservées dans la paroisse de Saint-
André, à Chelles, figurent les corps des saintes Batliilde,
reine des Francs, fijndatrice du monastère {+ 680), et Bertille,
première abbesse (-\- 692). La lettre B, inscrite sur la châsse,
fournirait donc matière à confusion, si l'on ne savait qu'en
1647 un des souliers de sainte Bathilde et son voile furent
donnés à l'abbaye de Corbie ^ , ce qui explique le nombre
impair des chaussures incluses dans la cassette et milite en
faveur de leur authenticité. Après une épidémie qui sévit
gravement sur sa maison, Madeleine de la Meilleraye, ab-
besse de Chelles, sœur du Maréchal, fit faire quantité de
nouvelles châsses; le 15 juillet 1651, elle procéda à l'ouver-
ture de la fiertre de sainte Bathilde et divers miracles s'opé-
rèrent par l'attouchement des os vénérés ^ La probabilité
'Rapport, etc., 1857, p. 21.
* " Corpus S. Bathildis thecœ aigentcaî, caput vero proprio scrinio inclu-
sum etiam nunc in monasteiio Kalensi colitur, prseter insignem maxilla; su-
perioris portionem, quam Corbeienses nostii, anno 1647, ab illustri abbatissa
Magdalena obtinuerunt, et in argentea effigie, una cum S. reginse ac monachœ
vélo aUeroque calceo, posuerunt. » Mabillon, Acta SS. 0. S, B., saec. II,
p. 784, Monitum. — V. encore Lebedi", Hist. du dioc. de Paris, t. vi, p 42;
IJist. abrégée du trésor de l'abb. roy. de Corbie, p. 30, 1757, in-16.
^ Hist. ms. de Chelles, 3 vol , Bibl. du grand- sémin. de Meaux.
3-iG LES SANDALES ET LES BAS.
veut qu'un tel monieut d'enthousiasme ait déterminé la com-
mande des reliquaires neufs, et qu'alors les quatre souliers
découverts aient été retirés à part, dans la custode où
M. Grésy put passer la main, grâce à l'absence motivée d'un
d'entre eux. Malheureusement, si les lettres S. B. doivent
se traduire par sanctœ Bathildis, on lit dans un Mémorial
annexé au Cartulaire de Chelles ' qu'en 1544 on renferma
dans l'ancienne châsse de sainte Bathilde des « reliques et
des vêtements de plusieurs saints qu'on avait trouvés dans
une mauvaise châsse de bois. » D'où, l'erreur commise par
M*"^ de la IMeilleraye.
Les historiens scrupuleux se sont tus sur des objets non
reconnus authentiques. Le Gallia christiana omet le voile et
la sandale, quand il mentionne l'insigne portion de mâchoire
envoyée à Corbie ; V Histoire mamiscrite de Chelles^ fort pro-
lixe à l'endroit de cette mâchoire, ne dit rien sur le reste;
V Histoire abrégée du trésor de Corbie, qui, chapitre v, n" 7,
parle du soulier, l'a passé sous silence au chapitre ii, n" o.
La différence de taille entre les chaussures, leurs dimen-
sions presque masculines, font reculer les moins incrédules;
mais ce qui enlève toute confiance à M. Grésy est un in-
ventaire des saintes reliques de Chelles extrait d'un ma-
nuscrit de la maison et reproduit dans l'histoire précitée'.
Parmi cent cinquante articles, dont bon nombre respirent
le merveilleux, figurent sept souliers révérés, et ceux de
sainte Bathilde n'y sont pas compris. 1° Un soulier de
la sainte Vierge, 2" un de sainte Anne, 5° un des saints
Innocents, 4" deux paires de sandales dont les saints Apôtres
usaient pour célébrer la messe. Ces dernières mettent un
terme aux doutes de notre savant confrère ; en elles il recon-
' Bibliothèque de Meaiix. Rédigé avec soin en 1530 avec continuation.
- ï. I, p. 29.
LES SANDALES ET LES BAS. 3-47
naît à la fois d'anciennes chaussures liturgiques et les rares
spécimens qu'il a eu le bonheur de signaler le premier '.
A un système formulé avec autant de bonne foi que de
talent, il est facile d'opposer des raisons non moins spé-
cieuses. Grecs et Romains évitaient soigneusement la gêne
dans .leurs habits et leurs chaussures; les Barbares, quoi-
qu'ayant un costume plus étriqué, ne dédaignaient pas leurs
aises; aussi les vêtements sacerdotaux, empruntés aux An-
ciens, conservèrent-ils longtemps une ampleur remarquable.
Les sandales liturgiques, en particulier, ont toujours pu se
mettre et se retirer sans effort, comme une pantoufle. Le
pied d'un homme ordinaire mesurant aujourd'hui entre
0"',26o'" et 0"',27% il est impossible d'accepter ([ueles prêtres
gallo-romains ou francs, dont les extrémités inférieures
non comprimées dès l'enfance acquéraient un développe-
ment complet, aient voulu célébrer la messe avec une
chaussure trop courte. Au contraire, les longueurs de 0'»,27''
et O^jSS" ne devaient pas répugner à l'anglo-saxonne Ba-
thilde et aux nobles religieuses ses compagnes , une haute
taille impliquant chez elles un pied proportionné ". Les mo-
numents prouvent en outre qu'aux premiers siècles de la mo-
narchie française la forme des souliers était identique pour
les hommes et les femmes d'un rang élevé; le calceamentum
episcopale se distinguait seulement par un c/rtn/.s' disposé en
croix que l'on n'y rencontre pas toujours.
' Revue arcJi., loc. cit.
'^ J'ai mesuré par curiosité les pieds de quelques statues antiques choisies
entre les modèles les plus élégants; voici les résultats obtenus : Vénus de
Médicis, type mignon, C", 235™ ; Diane chasseresse du Louvre, plus grande
que nature, 0'^,318™, encore les dames de la cour de François I"'', choquées
de la taille des pieds de la déesse, y firent-elles retoucher; Apollon du Bel-
védère, mêmes proportions, 0"i,323'" ; Antinoiis, 0"'27'' ; Jason ou Cincinna-
tus. G™, 292"'.
3i8 LES SANDALES ET LES BAS.
L'erreur reprochée à M""*" de la Meilleraye est peu vrai-
semblable. Cette abbesse n'ignorait certainement pas la
fraude commise en 1544 ; elle la connaissait si bien, qu'entre
deux paires de chaussures, elle sut choisir pour Corbie la
plus antique d'aspect. On n'accusera pas le XVIP siècle
d'un trop grand savoir en fait d'archéologie pratiqiie du
Moyen Age. M'"" de la Meilleraye fut donc guidée par des
motifs étrangers à la science. Le Mémorial , d'ailleurs ,
parle de vêtements en général et n'en spécifie aucun.
L'omission signalée dans l'Liventaire trouve son explica-
tion. Ce document ne mentionne que des reliques isolées, et,
à l'époque où on le rédigea, les chaussures de sainte Ba-
thilde, incluses dans sa châsse, purent être regardées comme
partie intégrante du corps de la reine, en supposant que
leur existence fût connue.
Le silence gardé par le Gallia christiana se comprend vis-
à-vis d'un objet d'ordre secondaire, silence d'ailleurs ample-
ment compensé par la note d'un écrivain aussi sérieux que
D. Mabillon ' . L'historien du trésor de Corbie parle une fois du
soulier et s'abstient d'une répétition. Je soupçonne Y Histoire
manuscrile de Chelles d'avoir été composée au XVIIF siècle,
lorsque le goût du jour portait à démolir toutes les traditions.
La seule objection qui me paraisse irréfutable réside dans la
différence de longueur entre les chaussures, ce qui défend de
les attribuer à un même individu; mais rien n^empêclie le
soulier dépareillé d'avoir appartenu à la fondatrice du mo-
nastère.
Je me résume. Quelle que soit la provenance des sandales
de Chelles, leur forme et surtout les maigres profils de leur
* Ce soulier est aussi mentionné par D. Coquelin, (1678) « De S. Bathilde...
Calceus et medietas veli ejus. » Hisl. reg. abb. S. Pétri Corb. compendium ,
Mém. de la Soc. des Antiq. de Pic, t. viii, p. 392.
LES SAMJALRS ET LKS UAS. .'{.iO
ornementation les reportent à des tenii)s antérieurs au
IX® siècle. La tradition relative à sainte Batliilde a été ac-
ceptée par une abbesse, l'illustre Mabillon et le chanoine
Lebeuf. En face d'autorités aussi respectables , le doute
peut être toléré, la négation absolue est interdite.
Sandales de Commitujes. — Suivant l'iiistorien érudit de
la cathédrale de Comminges, le trésor de cette église possé-
dait jadis trois paires de sandales en soie, blanc, rouge et
violet, attribuées au saint évoque Bertrand de l'Ile- Jourdain
(1085-1150). Lorsque j'explorai, en 1856, l'antique métro-
pole des Conoenœ^ je n'y rencontrai que deux chaussures,
victimes d'une restauration si habile ou plutôt si déplorable,
qu'il me fut impossible de distinguer le vieux du neuf. Je me
contentai alors de reproduire la silhouette de l'objet, sans
m'arrêter aux détails. Heureusement, un artiste, qui m'avait
précédé à Comminges, vit les sandales et s'empressa de les
dessiner dans l'état de dégradation où elles se trouvaient en-
core au moment de sa visite. Son croquis, publié dans un ou-
vrage rare et dispendieux , est pris d'une façon assez peu
intelligente; il m'a néanmoins été fort utile, car, placé à
côté du mien, il a résolu les doutes que j'avais conçus et m'a
permis de rétablir la forme primitive d'un vêtement très-
curieux * .
Les chaussures de Comminges (V. la planche, fig. B) sont
des espèces de souliers montants ou bottines, ayant le flanc
interne fendu et garni d'une double rangée d'œillets qui per-
mettaient de les lacer sur la cheville. La semelle, de maro-
quin rouge, est moderne, légèrement pointue, et mesure
0"\28'' de long contre 0"',09° de large à la naissance des or-
teils. La trépointe, en tissu à larges raies alternatives, vert
' Le baron L. d'Agos, Vie et miracles de S. Bertrand, p. 289. — Voyages
piit. dans l'anc. France, Languedoc , t. ii, fol. 81 his. r., pi. 188 his.
350 LtS SANDALES ET LES BAS.
et argent, parait ancienne. L'empeigne est faite d'une tapis-
serie de soie au point carré, exécutée sur canevas ; l'orne-
mentation consiste en un échiqueté ou réticulé, inscrivant
des lions, des étoiles et des croix ' .
Trop courts, trop étroits et surtout trop difficiles à mettre
pour être liturgiques, ces calcei^ s'ils ont figuré dans une
garde-robe masculine (je n'en suis pas certain), n'ont pu
convenir qu'à un costume séculier. Les souliers montants, à
empeigne munie d'une ouverture antérieure, sont ccmimuns
sur les monuments à partir du XI" siècle, et, si l'on rencontre
encore au XV® des bottines lacées à l'intérieur ^, les chaus-
sures de Barthélémy de Roye (1221) et de Thibaut de Mont-
morency (1267) présentent la même particularité ^ Elles dif-
fèrent à peine des sandales de Comminges, les dernières sur-
tout, émaillées de pois ou petites roues. En ajoutant à cela
que nos calc.ei présentent une grande analogie comme dessin
et main-d'œuvre avec une aumônière du XIIP siècle, appar-
tenant à la cathédrale de Troyes % on leur concédera facile-
ment une antiquité au moins égale, sinon plus reculée. Un
évêque n'est pas toujours à l'autel, il peut avoir une stature
médiocre, et les usages de la vie ordinaire ne lui interdisent
pas les vêtements de luxe; il y aurait donc peu d'inconvé-
nients à laisser à saint Bertrand un objet qu'on voudrait lui
attribuer, si la tradition, telle qu'il faut l'interpréter, ne
mentionnait expressément des sandales liturgiques, aujour-
d'hui perdues. On doit s'arrêter devant un pareil obstacle,
et, de ce qui précède, je tirerai pour toute conclusion que
' Rapport, etc., 1857, p. 65.
' WiLLEMiTv, Mon. franc, inédit., pi. 159 et 160, Alexandre de Berneval
et Wi tasse de Guiry.
^ MoNTFAUcoN, Mon. de la mon. franc., t. ii, pi. 14,1 et 34, 'J.
* Portefeuille arch. de ht Champagne, Toxtrine, pi. 12. ■
LES SANDALES ET LES ISAS. .'{ O I
les m/tr/ (le Commiiiges ont appartenu à quel(|iic liant per-
sonnage du XIIP siècle ' .
Sandales funéraires de saint Edmond, à Sens. — Saint Ed-
mond ou Edme , archevêque de Cantorbéry, persécuté par
Henri III, roi d'Angleterre, se réfugia, en 1259, dans le mo-
nastère de Pontigny (ordre de Citeaux, diocèse d'Auxerre),
où l'abbé Jean III le reçut avec bonheur'. Après sa mort
(1210), Edmond fut inhumé dans l'église de la maison qui
l'avait accueilli. En ouvrant la tombe du saint prélat, on
trouva ses restes encore revêtus de pontificalia^ parmi les-
quels des sandales intactes. Lors de mon voyage à Sens
(1856), ces chaussures étaient entre les mains de M. Chau-
veau, vicaire général; j'ignore leur destinée ultérieure'.
Elles sont en tissu de soie pourpre, altéré par le temps, et
doublées de cendal jadis vert. Leur longueur ne dépasse pas
0"\50^ Elles ont la forme d'un soulier montant jusque sur
la cheville fV. la planche fig. A) et l'aspect des chaussons
vulgairement dits de Strasbourg. Une large échancrure
écaillée, ouverte sur la partie antérieure, s'arrondit au centre
du cou-de-pied. Des rinceaux, à la fois élégants et capricieux,
couvrent l'empeigne et le quartier ; une guirlande encadrée
' Peut-être à l'évêque Bertrand de Gouth {l'295'1300i, devenu depuis
le pape Clément V.
- Il Praedictura Edinundiim régis Angliœ persecutiones defugientem l.Ttus
excepit, sanum et infirmum curavit, sepelivitque mortuum. » Gall . christ.,
t. XIII, p. 446.
^ Rapport, etc , 1857. p. 19. — Fort, arch., Textrine, pi. 7, san.s texte.
— L'ouverture du tombeau de saint Edmond remonte assez loin, car D. Mar-
tène cite, comme les ayant vus au trésor de Pontigny, l'anneau pastoral et
la coupe du prélat, plus le calice et la patène avec lesquels il fut inhumé, Voy.
litt., t. I, part. I, p. 58.— D'après une communication que m'a faite M. le cha-
noine Carlier, l'exhumation de Gauthier Cornut, archevêque de Sens (-f-1241|,
fit aussi découvrir une paire de sandales funèbres qui furent réintégrées dans
le cercueil.
352 LES SANDALES Eï LES BAS.
de baoïLiettes circule iuitoiir du col de la ouôtre. Toute l'or-
nementation, brodée eu or, au plumetis, offre un remar-
quable spécimeu à'opus anglicum. Ces sandales, qui devaient
s'attacher au moyeu de cordons cousus aux renflements de
l'écliancrure, étaient d'un usage commode, le pied y péné-
trait avec facilité, et l'action de les mettre ou de les retirer
n'entravait aucunement la gravité du cérémonial liturgique.
Sandales de sai?it Louis d'Anjou à Saint-Maximin fVarJ ' .
— Au nombre des objets légués par le jeune évêque de Tou-
louse (J297) à la maison des Dominicains de Saint-Maximin
figuraient deux sandales dont une seule a pu résister au zèle
indiscret de quelques dévots ; encore, sous prétexte d'obtenir
des reliques, ont-ils déchiqueté jusqu'au dernier lambeau
l'étoife qui la recouvrait. De cette chaussure, longue de
0'",i28'' et légèrement arrondie à l'extrémité, il ne reste plus
que la semelle de liège, épaisse de 0'";,008™, garnie à l'inté-
rieur de chamois rouge et au dehors d'une basane blanche,
le renfort en toile écrue de l'empeigne et sa doublure en cen-
dal jaune. La trépointe, heureusement, a conservé les traces
d'un riche tissu qui, au dire de témoins oculaires ^, resplen-
dissait, il y a peu d'années, sur l'intégrité du vêtement. Une
étude minutieuse m'a permis de rétablir le dessin de ce tissu
dont le champ d'or côtelé (reps) présente une série de raies
alternatives ; 1 " argent , chargé d'ellipses imbriquées en
jaune, bordé d'un double filet vert ; 2° or, semé de croisettes
d'argent à cœur blanc, vert ou jaune, encadré d'une ba-
guette d'argent que prolongent deux filets jaunes : réunion
de caractères essentiellement byzantins. Malgré l'absence du
quartier, qui a certainement existé, il est facile de déter-
• Rapport, etc., 1857, p. 58.
- M. L. Rostan et le sacristain de l'église
LES SAiSDAI.ES ET LES BAS. 3o;j
miner hi forme des sandales de suint Louis; elles ne diffé-
raient pas de nos pantoufles modernes.
Sandales de saint Pierre de Luxembourg, â Avignon. — A
la mort du bienheureux Pierre de Luxembourg (1387), ses
sandales échurent aux Célestins d'Avignon. Déposées au
magasin national, lorsqu'on ferma les couvents, elles y furent
reconnues par un ecclésiastique et transférées dans l'église
paroissiale de Saint-Pierre, qui les conserva jusqu'en 1823.
A cette époque, on les donna à la chapelle du petit-sémi-
naire, où elles existent encore '. J'ai vu et dessiné, en 1856,
les chaussures du jeune cardinal; elles sont en maroquin
noir bordé de maroquin rouge, sans quartier, et appar-
tiennent au genre sandalium (F. la planche, fi<j. C). L'em-
peigne, longue de O'",07o'", ne couvre que les doigts du pied
et présente à son extrémité une ouverture découpée en cœur.
La semelle, qui mesure 0"',262™, est en cuir noir, épaisse
de 0'",009"' et munie d'une trépointe rouge piquée en soie
blanche. L'empeigne a pour tout ornement un entrelacs gau-
fré, entrelacs reproduit à l'intérieur de la semelle (talon),
qui est contournée par une baguette prolongeant un cordon
de roses aussi gauffré". Ces sandales, impropres aux usages
de la vie extérieure, ne conviennent pas davantage aux Pon-
tificalia d'un cardinal, évêque de Metz, bien que le nôtre fût
simple diacre ; j'y reconnais, pour mon compte, des pan-
toufles domestiques que le saint portait ordinairement dans
sa maison, les pieds nus sans doute, vu son austérité bien
connue.
f CH. DE LINAS.
iLa suite à un prochain numéro.)
' A, Caixron', Hist. du B. Pierre de Luxemhourif .
- Rapport, etc., 1857, p. 29.
TOMK Vt. 26.
DES VOUTES EN BOIS
et de leur Réparation '.
Les anciens architectes, qni comprenaient niienx que nous
ce qui faisait l'harmonie de leurs créations, n'avaient pas
craint d'employer les voûtes de charpente dans des édifices
de premier ordre, où leur légèreté, leur sonorité, leur am-
pleur leur assuraient une juste préférence. Maintenant,
dans la plupart des monuments publics d'Angleterre, et no-
tamment dans les églises, on construit des voûtes de bois,
peintes et dorées, dont l'efiet est d'une grande richesse.
Il y a en France d'anciennes voûtes en merrain qui sont
de véritables chefs-d'œuvre. Nous pouvons citer comme
exemple la magnifique voûte de l'ancienne église Saint-
Jean de Dijon, et celle de la grande salle du palais de justice
à Rouen, qui date des premières années du XVP siècle, et
dont la hardiesse surprend toujours , puisque , malgré ses
vastes proportions, sa charpente se soutient s^ns poinçons et
sans entraits.
' Nous rendrons compte dans un prochain numéro de la Revue de l'excel-
lent ouvi'age que vient de publier M. Raymond Bordeaux, sous le titre de
Traité de la réparation des églises. En attendant, nous reproduisons ici, avec
son autorisation, le chapitre qui concerne les voûtes en bois.
DES VOUTKS EN BOIS ET DE LEUll l'.Él AUATIO.X. SM^
Les voûtes de bois qui appartiennent à répoqiie ogivale
ont pour pièces principales d'abord des poutres horizontales,
placées sur le sens de Tépaisseur des murs et qu'on nomme
sablun'cs ou plat es- formes^ puis des arbalétriers cintrés en
ogive, dont Técartement est maintenu par des poutres hori-
zontales et transversales appelées c.nlraits ou tirants. Un po-
teau vertical assemblé sur le milieu de l'entrait, et qui se
nomme poinçon ou chandelle^ supporte la poutre faîtière et
soutient les arbalétriers à leur partie supérieure. Ces maî-
tresses pièces font en même temps partie de la toiture pro-
prement dite. La voûte, qui cache les chevrons et les pièces
secondaires de la charpente, est composée de douves de mer-
rain. Ces douves forment une voûte en berceau ogival. Elles
dissimulent les arbalétriers en laissant visible le côté des sa-
blières ou plates-formes, les entraits tout entiers et les poin-
tons. Mais les grosses pièces, exposées ainsi à la vue, n'ont
point été laissées sans ornements. Les poinçons ont pris l'as-
pect de colonnettes, les entraits se sont couverts de sculp-
tures variées, les sablières chargées de moulures deviennent
des corniches souvent très-ornées. Quelquefois le bout des
pièces de bois secondaires, destinées à relier les sablières aux
madriei-s de la charpente extérieure, forment de place en
place des modillons ornés de sculptures; ces pièces acces-
soires se nomment sabots ou blochels. Enfin, sur la ligne la
plus élevée des voûtes de cette espèce, des rosaces décou-
pées, des écussons, des enjolivements divers se trouvent sus-
pendus.
Rouen présente plusieurs spécimens de ces voûtes en char-
pente, à Saint-Godard et dans quelques églises supprimées,
au nombre desquelles nous citerons celle des Augustins, dont
la voûte en lambris est un excellent type du genre. A Caen,
nous indiquerons la voûte de l'ancienne église des Ca,rmes et
3.")(» DKS VOUTEK EN lîOIS
celle de l'église Saint-Sauveur, au coin de hi rue Froide, ré-
cemment altérée par des restaurations où l'esprit de l'archi-
tecture gothique n'a pas été assez suivi. A Chartres, une
église supprimée et livrée à l'administration de la guerre,
Saint-André, je crois, a aussi une voûte en bois qui est re-
marquable ' .
Le XVP siècle vit inventer des voûtes en bois à plein
cintre ou d'autres à courbe surbaissée. Philibert Delorme, le
grand architecte de la cour de Henri II, goûtait si fort les
voûtes de charpente qu'il leur consacra une notable partie de
ses écrits sur l'architecture. C'est à lui qu'on doit l'inven-
tion des voûtes en anse de panier qui portent son nom et qui,
à la lin du XVP siècle, avaient pris la place des voûtes ogi-
vales à entraits et poinçons.
Mais les voûtes à la Philibert Delorme n'ont pas la légè-
r-eté et l'élancement des voûtes gothiques; leur peu d'éléva-
tion les rapproche des plafonds, et leur inventeur les avait
destinées plutôt pour des palais que pour des églises.
On voit au XVP siècle quelques exemples de voûtes en
bois qui simulaient les riches voûtes à pendentifs de la Re-
naissance, et qui étaient construites à arêtes, avec des ner-
vures, des liernes et des clefs tombantes et ouvragées comme
les voûtes de pierre. Le chœur de Saint-Etienne le Vieux, à
Caen, en fournit un exemple.
Les voûtes de bois font néanmoins le désespoir de tous les
architectes vulgaires, des amateurs d'églises badigeonnées
et des marguilliers qui veulent du nouveau. Les poinçons et
les entraits apparents au-dessous de la voûte blessent leurs
yeux délicats, et les douves noircies par le temps leur font
invoquer le secours du plâtrier. Ils sont enchantés quand
* Elle a été brûlée en mais 1861.
ET DE LEUR UÉPAl'.ATION. 357
ct4ui-ci a arrangé la voûte de l'église comme un galetas ou
comme une mansarde. Mais jamais il n'ont songé que la lai-
deur de ces voûtes vient des dégradations qu'on leur fait su-
lur, de^ araignées (pii les encombrent, des échelles et des
débris de toutes sortes que ces administrateurs soiijucux ont
accrochés à leurs poutres sculptées. C'est alors qu'on s'ima-
gine, sur la pro])osition d'un maçon, de faire mettre un en-
duit connue celui que Ton voit aux voûtes de la Madeleine
de Verneuil, à celles de Breteuil (Eure), à celles de Saint-
Patrice de Rouen, ou que, par un rafânement de mauvais
goût, on établit un plafond orné de moulures en sapin, comme
un l'a fait sottement en 1851 dans l'église de Saint-André, à
quelques lieues d'Evreux ' .
Les voûtes de bois n'ont besoin ni du maçon, ni du plâ-
trier. Pour les restaurer, il faut le concours du charpentier
ou d'un menuisier au courant de la menuiserie gothique.
On devra d'abord se garder de faire disparaître les poutres
apparentes qui soutiennent ces voûtes et en maintiennent
l'écartement. Outre que les. poinçons et les entraits sont sou-
vent ornés de sculptures, ils sont caractéristiques et indis-
pensables à la solidité de tout l'édilice. Ils empêchent la
charpente de pousser les murs en dehors, et jouent le rôle
des contre-forts et des piliers-butants qui soutiennent l'ef-
fort des voûtes dans les églises voûtées en pierre. Aussi il
' '■ Ce n'est pas que les églises à voûtes ck- bois soient absolument rares.
Il en existe même à qui ce genre de construction, laissé apparent à dessein,
donne une physionomie très-pittoresque, qu'il faudrait bien se garder de leur
ôter par l'établissement d'une méchante voûte en plâtre, sous prétexte d'amé-
lioration, ainsi que je l'ai vu faire à un curé malavisé et à des fabriciens
ignares. Il n'existe point de termes pour caractériser dignement un semblable
vandalisme. » 31. Scunn , Manuel de l'architeclurc des monuments religieux.
\). 102. — Voyez aussi p. 46(5.
358 DES VOUTES EN BOIS
est à remarquer que les églises voûtées en merrain avec
entraits n'ont à l'extérieur que des contre-forts peu impor-
tants. La suppression des poutres qui maintiennent les
voûtes de bois entraînerait donc la nécessité de remanier les
gros murs et de les flanquer de solides piliers-butants.
Les désastreux effets de la suppression des poutres sont
indubitables'. Partout, dans nos campagnes, l'inspection
extérieure des murs révèle si la voûte a été privée de ces
appuis si utiles ; partout où les entraits ont été sciés, les
combles s'affaissent et les gros murs se lézardent et sur-
plombent. Il faut alors reprendre les murailles ébranlées et
remplacer les poutres supprimées par des barres de fer dont
la maigreur produit le plus mauvais effet. Certes, c'est une
étrange manière de restaurer que de conduire à une ruine
imminente par un affaiblissement certain :
Nam si débilitas redit^, iustauratio non est *.
Mais si l'on conserve les poutres qui supportent et relient
la voûte, qui la divisent en travées, il devient déraisonnable
de cacher avec du plâtre les douves de merrain qui consti-
tuent cette voûte ; car ce plafonnage n'a d'autre but, de l'a-
veu môme de ceux qui l'emploient, que de donner à une
voûte de bois un peu de l'apparence d'une voûte de maçon-
nerie. Or, si des murs de pierre peuvent supporter un cou-
ronnement en bois, il serait contre les lois de la stabilité
que des madriers supportassent une construction en pierre.
' Je ne puis énuméi'er ici toutes les églises tombées par suite de l'enlève-
ment des entraits; mais tout récemment encore l'église romane de Saint-Aubin
de Scellon, l'une des plus remarquables de l'arrondissement de Bernay, s'est
écroulée à la suite de cette absurde mutilation.
* AuHELii Pridkistii, De Resurrectionc Carmen.
KT DE LEUR RÉPARATION. 359
Aussi rien n'est plus illogique que ces prétendues restaura-
tions où des entraits conservés forcément trahissent des
voûtes en bois masquées sous un enduit postiche.
C'est ici le cas d'appliquer les principes que nous avons
formulés dans l'un des chapitres de notre première partie,
où nous avons démontré que rien n'est moins monumental
et moins convenable pour une église que ces puérils traves-
tissements ' .
On peut répondre, il est vrai, que si ces voûtes de bois
ont été autrefois en harmonie avec les vitraux brillants, avec
les boiseries couvertes de sculptures, avec toutes les ri-
chesses artistiques des anciens jours, la plupart d'entre elles
sont devenues sombres et poudreuses, et que les ravages du
temps qui laissent sur la pierre de pittoresques empreintes
leur ont causé, à elles, une triste décrépitude; qu'il faut
donc forcément les cacher et celer sous un enduit protecteur
leurs planches disjointes et vermoulues.
L'objection est sans force, car on peut les ramener à leur
état primitif. Au lieu du maçon, ce sera un menuisier intel-
ligent que l'on prendra pour les restaurer. La dépense sera
moindre et le résultat meilleur.
Si ces voûtes sont complètement pourries, si les poutres
en sont grossières, s'il n'y a pas de sculptures, s'il n'existe
qu'un lambris informe et moderne, il vaudra mieux ne pas
gaspiller d'argent en plâtrages fragiles, en laides barres de fer
substituées aux fermes et aux entraits, mais ce sera alors le
cas de faire franchement la dépense et de remplacer la voûte
de bois qui ne peut être restaurée par une voûte véritable en
maçonnerie légère, moins coûteuse qu'on ne le suppose si
' K Toute cette hypocrisie de la matière et de la forme est souverainement
déplaisante. Il n'y a pas d'art auquel la sincérité soit plus nécessaire qu'elle
ne l'est à l'architecture » Fortotil, De l'Jrt en Allemagne , 1. 1»"", p. 199.
360 DES VOUTES EN BOIS
l'on suit exactement les procédés des architectes gothiques.
Mais, dans la plupart des cas, avec i)eu de dépense on ra-
mènera les voûtes de merrain à leur état originaire, et on
leur restituera l'aspect élégant et pittoresque qu'elles avaient
eu d'abord.
On les fera simplement débarrasser des souillures que la
négligence y a laissé s'attacher, des supertetations imagi-
nées par le mauvais goût et des raccommodages disparates.
Les douves pourries ou vermoulues seront remplacées avec
du merrain choisi ; les pièces déjetées ou brisées seront re-
mises en place.
Si le temps et la poussière ont trop noirci la voûte, si la
pluie en pénétrant par places y a fait des taches, un lavage à
la brosse restituera au bois une couleur plus soignée. Si l'on
a eu le mauvais goût de la faire blanchir à la chaux ou cou-
vrir d'un badigeon à l'huile, l'eau chaude et la lessive en fe-
ront justice. Quelquefois un encaustique à la cire ou un ver-
nis transparent pourront être appliqués pour donner du
brillant à la voûte restaurée.
Mais cette restauration ne se fera pas sans précaution , car
ces voûtes, les plus défigurées en apparence, gardent sou-
vent de curieux débris d'antiquité et des vestiges d'anciennes
décorations.
Il y en a qui ont été couvertes de peintures précieuses. La
voûte de l'église des Carmes, à Caen, par exemple, est en-
core décorée de grandes scènes qui représentent la vie de
Jésus-Christ et qui ont été exécutées par un peintre de l'é-
cole de Restout, sinon par un membre de cette famille d'ar-
tistes. J'indique ici ces peintures ignorées, parce qu'elles
s'effacent tous les jours , les curieuses nefs de l'église des
Carmes étant aujourd'hui transformées en magasin.
Il y en a d'autres où l'on avait peint des décorations d'un
ET DE LEUll RÉPARATION. 3Gt
beau style. Telle était la voûte de Saint-Nicolas-le-?einteur,
à Koiieii, cette église autrefois fameuse par ses splendides
verrières, et qui, changée en atelier à la suite de la Révolu-
tion, ne subsiste plus que dans une lithographie des Voyages
dans Vancienne France.
A Tours, les églises de Notre-Dame Ja Riche et de Saint-
Saturnin ont des voûtes en bois qui malheureusement ont été
plâtrées, mais dont les entraits et les poinçons sculptés sont
intéressants.
Dans la haute Normandie, surtout aux environs d'Evreux
et de Lisieux, celles de ces voûtes qui n'ont reçu d'injures
ni du temps ni des hommes ont conservé des détails curieux.
Voici un tyi)e d'entrait qui domine surtout dans l'ancien
évêché de Lisieux : luie guivre gigantesque semble vouloir
dévorer entre ses dents formidables le madrier de chêne à
l'extrémité duquel elle est sculptée. Nous plaçons à côté un
croquis de l'assemblage du poinçon qui porte sur cet entrait:
nous avons dessiné ces détails de charpente dans l'église de
Bois-Anzeray (Eurej.
362 DES VOUTES EN BOIS
A l'endroit où le poinçon est greffé sur l'entrait, celui-ci
présente un rentiement destiné à compenser l' affaiblissement
produit par la mortaise, et on a profité de cette saillie pour y
sculpter des armoiries.
Les entraits étaient ainsi ouvragés de préférence à trois
endroits, aux deux bouts et au milieu, c'est-à-dire aux points
de jonction avec les sablières et avec le poinçon. Le milieu
portait souvent des blasons, placés ainsi en évidence :
Enlraits et poiiiyons de l'ancienne (5glise de Sotleville-les-Rouen.
ET Dli LEUR RÉPARATION. 363
Certaines de ces poutres ont été sculptées dans toute leur
étendue et enrichies de torsades, d'oves, de perles, etc.
M. Bouet en a dessiné une, qui était extrêmement riche,
dans le chœur de l'église de Livarot ; elle était décorée de
torsades et d'entrelacs avec les armoiries des anciens comtes
de ce bourg ; des rageurs^ ou têtes de requin d'un grand re-
lief, étaient sculptés à chaque extrémité« Malheureusement,
cet entrait a été supprimé vers 1850, pour mettre plus en
évidence un pitoyable rétable d'autel fraîchement confec-
tionné dans le style soi-disant grec ou romain. Un poinçon
également sculpté a forcément disparu par la même occasion.
Les poutres de la nef, quoique beaucoup plus simples,
peuvent donner une idée de la richesse d'ornementation qui
caractérisait celles du chœur. Les églises voisines sont re-
marquables par des charpentes du même genre. A l'entrée
de Livarot, il existe une chapelle de la lin du XV^ siècle,
celle du château de la Pipardière, qui est pleine de boiseries
ornées. On y voit une tribune de bois sculpté et des voûtes
de bois curieuses. La charpente même du clocher placé sur
le milieu de la nef est visible de l'intérieur et couverte d'or-
nements. L'art du charpentier fut ainsi poussé très-loin dans
la construction de cette chapelle seigneuriale. On peut aussi
citer la voûte en charpente de l'église de Landelle, près de
Vire, qui semble avoir été imitée au XVIP siècle dans les
églises des environs ' .
A ces sculptures exécutées sur les grosses poutres ve-
naient se joindre d'élégantes découpures en menuiserie, des
rosaces à jour, des écussons formant une série de culs-de-
' Quelques-unes des poutres sculptées de la voûte de l'église Saint-Aubin
de Guérande, en Bretagne, ont été lithographiées dans les Voyages dans l'an-
cienne France. Elles sont aussi terminées par dos têtes de requins ou de cro-
codiles.
3Gi
DES VOUTES EN BOIS
lampe sur la ligne de faîtage au point
le pins élevé de ces voûtes.
La voûte de la nef de la petite église
de Guernan ville, au diocèse d'Evreux, a
conservé d'intéressants fragments d'une
décoration de ce genre.
La vignette ci-contre représente une
portion de la nervure faîtière de cette
voûte ogivale. Cette nervure est décorée
d'une riche moulure bordée de feuilles
le persil, en bois découpé à jour ; des
rosaces sont placées au point de jonction
des baguettes ou couvre-joints, qui des-
cendent des deux côtés de
cette voûte pour en assembler
les douves.
Des rinceaux sont peints en noir
sur ces douves dans l'entre -deux
des convre-joints ou nervures vei*-
ticales, connue on le voit sur cette
seconde ligure.
On conservera avec soin les écus-
sons suspendus à ces voûtes. Ils
fournissent toujours de précieux
renseignements pour l'histoire de
l'église qui les renferme. En eifet,
à côté des armoiries seigneuriales,
on retrouve la marque des plus
A (iutiiiaiiville
ET liK LKIH llliPAIlATION. .'JO.'i
liuiiibles bienfaiteurs. A la suite des blasons nobiliaires
viennent les chiifres des curés successifs, les emblèmes et
les devises des confréries, la trace, en un mot, de tous ceux
qui contribuèrent à la construction ou à la décoration du
temple.
Quelquefois les nervures ou baguettes qui divisent la voûte
en bandes ou voussures verticales ont été rehaussées de vives
couleurs ou ciselées d'élégantes guillochures. Quelquefois
aussi ces couvre-joints se terminent à leur partie inférieure
par un feuillage ou un cul-de-lampe, comme on peut le voir
dans lavignette suivante, où est représentée une portion d'en-
trait sculpté de la voûte de l'église de la Ferrière-sur-Risle
(diocèse d'Evreux). On remarquera le riche profil des mou-
lures de la plate-forme ou sablière de cette voûte.
Fragment de la voûte de la Fciiièr
Nous donnons à la page suivante un croquis de la voûte,
aujourd'hui très-altérée, de la petite église de Saint-Sébastien,
près Evreux; les nervures sont guiilochées chacune d'un
dessin différent.
Aux ornements sculptés venaient se joindre des ornements
peints qui, je crois, n'ont encore été signalés nulle part, et
qui peut-être n'existent que dans la contrée que j'habite, où
366
IiES VOUTES EN BOIS
Fiaerncnls de la voûlc de Saint-Sébastien, près Évrcui
ET DE LETR REPAltATION.
367
j'en ai vu des exemples variés '. Ces ornements ont été tra-
cés à cru sur le merrain non peint des voûtes, à l'aide d'un
emporte-pièce en tôle découpée ou en cuir i)ercé à jour. Ils
font, sur le bois naturel, un effet assez semblable aux dorures
que les relieurs exécutent sur le plat des livres. Voici des
fragments de cette ornementation bien simple, mais d'un
très-bon effet, que j'ai relevés dans deux églises entre Evreux
et Lisieux :
A Fontaine-la-Soret.
A Boisne) .
' M. Bouet nous écrit que l'on voit de beaux dessins du même genre et
exécutés avec soin à la voûte de charpente fort curieuse qui couvre l'une de»
églises de Dijon.
368 DES VOUTES KN BOIS
J'ai recueilli à liugles, dans l'église Saint-Germain, cet
autre échantillon, qui reparaît de place en place sous le ba-
digeon :
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Non loin de là, aussi à Rugles, le lambris de la voûte ogi-
vale de l'église abandonnée de Notre-Dame * porte encore les
dentelles suivantes, faites de même à l'aide d'un emporte-
pièce ou pochoir :
C'est encore avec des emporte-pièces semblables, frottés
de couleur rouge, qu'on a tracé sur la voûte de l'église
' Cette église de Notre-Dame de Rugles est tiès-dignc de la visite des an-
tiquaires, car ses murs en petit appareil romain avec chaînes de briques en
font un des monuments les plus anciens de la haute Normandie. C'est sans
doute la plus vieille église du diocèse d'Evreux.
KT l)K Lia K HKl'AKATIu.N,
300
d'Illiers-rÉvôquc (Eure) cet oi-neiiient dans le style du
XV*= siècle :
C(;t uutre type a été relevé dans l'église de Konian, près
Damville :
On remai\pie des broderies du même genre à la voûte de
l'église d'Harcourt (Eure).
Parfois les sablières ont été décorées de peintures assez
curieuses, par exemple, à Chéronvilliers, où la partie unie
de ces pièces de charpente est enjolivée de rul)ans en zigzag
peints en rouge et en noir.
Pour résumer ces détails, on voit que, loin de masquer ces
anciennes voûtes, le moyen d'en tirer parti est de les restau-
rer dans leur style primitif, en conservant tous leurs orne-
ments peints ou sculptés. Les enduits dont on voudrait les
charger en compromettraient la solidité et ne tarderaient
point à se gercer et à se détacher par lambeaux. D'ailleurs
le plafonnage des voûtes de merrain a un nutre défaut, c'est
TOMK V£. 27
370 DES vorxEs eis bois.
de les rendre extrêmement sourdes et de les priver de leur
sonorité^ si précieuse pour une église. Les nefs voûtées en
bois sont en effet comparables à la caisse sonore d'un grand
instrument de musique, et cette raison suffirait à elle seule
pour faire proscrire le badigeon et surtout les enduits.
RAYMOND BORDEAUX.
ZOOLOGIE MYSTIQUE
LAiiîilo
^pe.
L'antilope, appelée encore aptalops, aplalon, astalon^anlula
ilans les Bestiaires, est la figure allégorique de l'homme do-
miné par l'instinct des sens.
Le signalement de cet animal et l'histoire de sa capture
dans les auteurs du Moyen- Age, ne sont pas exempts de
méprises et rentrent dans le domaine du fabuleux, bien
qu'on les y voie affirmés par un témoignage unanime : l'Eu-
rope et l'Asie elle-même étaient alors à son sujet les échos
de l'antiquité.
Nommée jachmur chez les Arabes, calopus dans Albert le
Grand et wn/s dans le Physiologue de S. Epiphane, l'antilope,
fière, sauvage, élancée comme la gazelle, surpasse le cerf à
la course et franchit de vastes abîmes par des bonds d'un élan
prodigieux ', Son poil est roux pendant l'été, plus foncé et
' Greecè avôoXo']/ : « Animalcervo similis circa Euphratein, serratis cornibus,
quibus hœreus in ramis arborum facile capitur (Eustath. in Hexamer.). Idem
Petro T)aimïano antholopus , et calopus Alberto, et Arabihus Jamur \e\ .7ach-
mur. Et in Lcxico Coptico riavrôXo']/, Epiphanio, (opo, Unts.
37-2 ZOOLOGIE MYSTIQUE.
fauve en hiver; ses cornes sont caduques, longues, couchées
en arrière, tranchantes, dentelées en scie. ]\lassives à l'inté-
rieur, ce qui les rend très-vigoureuses, elles brisent sans
effort les branchages entrelacés des arbres dans les fourrés
impénétrables où l'antilope se jette en fuyant. Commune aux
monts de la Syrie, elle aime les bords de l'Euphrate, et sou-
vent, lassée, haletante, elle descend vers les vallées et
cherche les eaux fortunées qui ont arrosé le Paradis ' . Sui-
vant les anciens écrivains, elle recouvre sa vigueur après
s'être désaltérée et prend son élan vers des bois « moult
espés et enronscinés : » elle s'y enfonce dans des halliers
remplis d'une espèce de liane excessivement déliée, mais
dont les rameaux, aussi forts que souples, forment en s'en-
trelaçant des liens et comme des pièges inextricables. Le
])auvre animal « juc tant à ses sultif vergetés soutif et de-
lietes, » qu'il y embarrasse ses cornes et y est, au dire de
Philip de Thann :
« pris a ronscenie
« Coine uu poiscon a une roi t. »
c'est-à-dire embarrassée dans les broussailles comme dans un
filet. Dans cette détresse, l'antilope se débat et pousse de longs
bêlements : c'est là le signal de sa perte; ces vagissements pro-
II Kt quant l'Ile ad sai grant
Il Une eve vait querant
Il Ki vent de Parais
« U hume fud primes mis,
« Ceo est EuiVaten
(1 Issi le apelat l'em;... »
(L'appelle-t-on.)
Philip dk 'I'hawjv, T/iv /Icslian/.
l'am'ILOvk. 373
iuiigés et répétés par les éelios attirent l)ientôt les chasseurs,
(|ui s'emparent de l'animal et souvent le frappent sur place.
AntiUipc embarrassée dans un fourré (Besli.iire ms. do la Bibl. imp.)
Le Bestiaire de l'Arsenal rapporte les mômes circon-
stances de la chasse de l'antilope. Ainsi, après les pliysio-
logues, s'expriment à son sujet tous les Bestiaires, et ils
expliquent aussi uniformément cette tradition. L'antilope
est la figure du chrétien; ses deux cornes sont l'emblème de
la connaissance des deux Testaments, c'est-à-dire de la loi
ancienne et de la loi nouvelle, qui sont l'armure de son
à me :
« Iceste biesle seiiefie
u Flusiors liome ki sont eu vie,
« Ki ont dons cornes linement,
n C'est l'uns et l'autre Testainont.
{Bestiaire man. de la Bibl. impèr.)
« Hom, dit à son tour le Bestiaire de V Arsenal^ eschive-
toi del cleable, car tu as les deux cornes : ce sont deux ent
(end) emens que tu as de bien et de mal qui senefient les deus
Testamens, le vies et la novele, por coi tu peus tranchier et
colper les plantes des menues vergelètes, ce sont tôt li vices
374 Z001.IM.IK MYSTIOUK.
corporel, avost (à savoir) : fornications, avarice, ivrece, en-
vie, orgoels, homicide, détracions, luxure et tôt altre ma-
nière depéchié. »
Ces Testaments, les chrétiens les connaissent, ils y ont vu
la règle à suivre et des préservatifs certains contre les occa-
sions mauvaises; néanmoins ne laissent-ils pas « qu'ils n'al-
lent au buisson juer — et lor cornes envoloper !» — Le
chasseur, disent les Bestiaires, c'est l'irréconciliable ennemi
du repos des hommes, « cest cil ki le fol home cace — tant
quil l'ataint en ceste place ' : » le buisson, c'est
« Li biel mang i er,
« Li biel boire e.l souef coacier,
f( Les bieles famés, li biel draps,
« Li palefroit ambiant et cras -,
« L'or, l'argent et la grant pecune '"
« Ki tant fait mal caus ki l'aiine, etc*. »
Aussi, l'imprudent qui a touché l'arbre défendu ne peut-il
plus s'en éloigner et doit-il y trouver sa perte :
(f Tant demeurent sor le buiscon,
c( Que li vénères a larron
« Vient sor ans ^ »
Philip deThann, connue le Physiologue de S. Epiphane,
' " Venato)*, diabolus, in cujus figura Nembroth ille gigas venator coram
Domino, ut in Genesi, etc. » (Rhabaiv. Maur., De Universo, vin, 1. —
V. aussi S. Brunon. Astkns., in Gènes, et allas. — S. Anselm. Cawtcau,
Op. omnia. — Ludolph. Saxojiens., m Vita Christi, etc.).
* Riche (de crassus).
' Les grands trésors (pccunis;) qui nuisent tant à ceux qui les amassent.
* Li Bestiaires, manusc. de la Biblioth. imp.
•^ Même Bestiaire : '^De la nature al Jslalon qui tant a diverse nature
corne vos ci aprics urcs.
i-'antij,ope. .'{75
prête eu surplus une allusion aux eaux où rantiloj)e va
boire avant de courir vers le bois : c'est, dit-il, la honteuse
ivresse, cette cause de tant de vices, et les « vergetés » du
buisson sont les « nof péchés criminals », principalement la
luxure. « For ce, conclut après les mêmes explications le
Liv?-e des natures des besles en s'adressant à son lecteur, te
dois bien tu garder de cest péciés que par le délit (attrait) de
luxure ne soies enlaciés, que li deables ne tochies (t'occie) :
cest li venaii'es qui tosjors te gaite por engigner : li vins et
les femes déportent home de Dieu ' . »
Outre le texte explicatif, le sens moral de la légende de
l'antilope est encore reproduit par les enluminures des ma-
nuscrits de la Bibliothèque impériale. Celle du Bestiaire
coté 632-15, folio 5 mérite une explication ; nous en donnons
le dessin à la page suivante.
Au bas, l'antilope /oanf et s'enlaciant dans le buiscon, est
arrêtée par le long épieu d'un chasseur lancé à la course après
elle : elle est percée de part en part. Au-dessus, la moralité.
C'est, en haut de la miniature, Jésus en buste, environné
d'une gloire et la tête ornée du nimbe croisé et gemmé. En
bas, un religieux, debout, la main gauche armée d'une croix
et semblant bénir de la droite, évangélise de son mieux :
mais, comme celle du Sauveur, sa bénédiction tombe à vide ;
fort peu parmi son auditoire s'appliquent ses enseignements.
* Bestiaire de l'Arsenal, fol. 204. L'interprétation donnée dans ce manu-
scrit au sujet de l'antilope est la même que celle du Physiologue de saint Epi-
phane : « Tu igitur, spiritalis homo, considéra quanto te uro generosiorem
fecerit Deus : loco enim duorum duo tibi dédit Testamenta, novum videlicet
et vêtus, quse cornua sunt contra potestates adversas, ut ne te circumveniat
diabolus, ... Oceanus copiam divitiaruin significat : tanus vero, vita^ volupta-
tem, qua implicitus homo finem negligit. Venator igitur, hoc est diabolus,
illum aggreditur ; quem voluptatibus nuncupatum fidemque negligentem in-
veniens, in suam potestateni redigit (S. Kpipiiaw., Vlii/sioloij., m).
37C ZOOLCGIK MYSTIQUE.
Sur les cinq auditeurs groupés dont le visage est vu de face,
trois semblent rire ou ricaner ; un quatrième, la tête appuyée
sur sa main, rêve à autre chose ou sommeille ; aux pieds du
ministre de paix, deux religieux jouent aux dés et sont ab-
sorbés par leur jeu; un autre, reconnaissable à son costume
et à ses cheveux en couronne, est assis devant une table
couverte de mets savoureux : vaquant à deux soins à la fois,
il embrasse de ses deux bras une femme jeune et parée at-
Antilopes spirituelles saisies par le veneur infernal. (Bestiaire ms. de la Bibl. iœp.)
tablée a côté de lui. Ainsi, les trois concupiscences, l'orgueil
montré dans les rieurs, l'avarice dans ceux qui jouent, la
volupté dans les derniers, personnifient les aptalops. Derrière
eux s'est glissé li vénères : ce vénères ou vénéor^ habile à la
chasse des âmes, a, par-dessus son corps humain, un pelage
de bête fauve, indiquant la rapacité, les embûches, la
cruauté du tentateur. Il a aussi deux longues cornes, mar-
quant sa. fatale puissance ; des oreilles couchées et inclinées
vers la terre, indiquant l'endurcissement, la surdité spiri-
l'antilope. 377
tiielle, rticoueil des pensées terrestres et basses ; enfin ses
gros yeux flamboyants, son bec crocliu d'oiseau de proie,
expriment son avidité, sa soif pour la curée des âmes. —
Cependant, il guette sa proie du poste où il est embusqué;
riant d'une joie infernale, dominant de toute sa taille le
groupe ivre et préoccupé, ses bras s'ouvrent et s'arrondissent,
prêts à étouffer sans mot dire ces antilopes imprudentes
prises au piège du buiscon.
rÉLiciE d'ayzac,
Dignilaire honoraire de la Maison impéiialc de Saint Denis.
HISTOIRE DE S. JACQUES LE MAJEUR
et du Pèlerinage de Coinpostelle.
yUATlllEME ARTICLE
CHAPITRE V.
THAJiSI.ATlOW DES RELIQUES DE SAIKT JACQUES EW ESPAGKE.
La haine des Juifs poursuivit suint Jacques, même après
sa mort ; ils ne permirent point aux chrétiens, alors présents
à Jérusalem, de creuser un lit funèbre à ses restes mutilés
et de leur assurer un repos qu'on ne refuse pas au criminel
après son supplice. Ils jetèrent le corps de T Apôtre parmi
les immondices de la cité et le laissèrent exposé à la voracité
des chiens^ peut-être aussi nombreux alors qu'aujourd'hui,
et à la rapacité des oiseaux de proie. Mais Dieu qui est
admirable dans ses saints^ qui garde exaclement tous leurs os,
protégea son serviteur contre la malice de ses ennemis.
Saint Jacques avait été suivi d'Espagne en Judée par sept
de ses disciples '. Ceux-ci, après avoir assisté au martyre
* Voir les numéros d'avril, p. 213, de mai, p. 256 et de juin, p. 306.
' Espana Sagrada, tome m, p. 136.
l'KI.EHINAGK HE COMl'OSTEI.I.E. 379
de leur maitre, recueillirent pendant la nuit son corps et sa
tête et parvinrent à transporter à Joppé leur pieux trésor.
Un navire, que le ciel semblait avoir envoyé, était prêt à
partir; ils s'eml)ar(pient , pleins de confiance en Dieu,
voguent sans danger sur une nier tranquille et au bout de
sept jours, selon quelques auteurs, abordent à Iria-Flavia,
un des ports de la Galice. Un auge avait été le pilote et avait
veillé sur le dépôt sacré dont l'Espagne devait bientôt être si
fière.
De tous les incidents de cette traversée miraculeuse, nous
ne rapporteroys que le suivant, qui est présenté sous forme
de légende par quelques auteurs et dernièrement encore par
un journal Portugais ' . Une animation inaccoutumée régnait
à Iria-Flavia. Un mariage qui allait unir deux familles puis-
santes causait tout ce mouvement. L'époux, seigneur du
pays, était à cheval, g^ccompagné d'un nombreux cortège.
Tout à coup le coursier s'emporte, n'obéit plus au frein et
entraîne son cavalier dans la mer. Une barque, semblable à
un point dans l'immensité, sillonnait paisiblement l'océan
entre l'embouchure du Minho et le port d'Iria-Flavia. Un
homme était assis au pied du mât, et six autres l'entou-
raient, debout, les yeux fixés sur le rivage. Tous portaient
le costume des apôtres du Christ. Un disque lumineux do-
minait ce groupe et projetait sur les eaux une lueur qui
dirigeait la barque dans sa course aventureuse. Le coursier
s'avance dans la mer, malgré les efforts désespérés de son
maitre et arrive si près de la barque, qu'un dialogue peut
s'établir entre le seigneur du pays, que nous nommerons
Maya sur la foi de certains écrivains, et entre les voyageurs :
— u Qui êtes-vous? dit Maya aux étrangers.
' 0 Nacional du Porto, quinta feiia. 27 sept. 1860,
380 rÈLEIUXAGE DE COiMPÛSTELLE.
— Serviteurs de Dieu, répondireut-ils.
— D'où venez-vous ?
— De Joppé.
— Où allez-vous ?
— Où Dieu voudra nous conduire. Celui que nous suivons,
est Jacques, fils de Zébédée, un des douze apôtres du Christ
et nous sommes ses disciples.
— Vous êtes des disciples de Jacques ?
— A dire vrai, nous le fûmes, dit encore un des voya-
geurs ; car Jacques a souffert le martyre. — Et en terminant
ces paroles, l'étranger montra du doigt un co^re de bois de
cèdre, placé au fond de la barque. Il reprit : — Nous l'avons
soustrait à la fureur de ceux qui nous poursuivaient^ et
confiants dans la Providence, nous cherclions une terre hos-
pitalière où nous puissions le déposer.
Grande fut la surprise de Maya, en jentendant ces paroles ;
il ne pouvait expliquer que par une intervention surnaturelle,
l'heureuse issue du voyage de ces inconnus.
— Disciples du Christ, s'écria-t-il, je vous oifre mon
palais. — Nous nous réjouissons, répondirent-ils ; car Jésus-
Christ a dit à ses disciples : Qui vous reçoit, me reçoit ; et
qui me reçoit, reçoit celui qui m'a envoyé.
Maya allait continuer le colloque ; mais une nouvelle
surprise lui était préi)arée : regardant son cheval qui par un
brusque mouvement avait fait surnager une plus grande
partie de son corps, il le vit, il se vit lui-même entièrement
couverts de coquillages. Il jeta sur les disciples un regard
interrogateur pour avoir l'explication de ce nouveau my-
stère; mais les disciples, agenouillés devant la sainte relique,
ne conversaient plus qu'avec Dieu et le bénissaient d'avoir
glorifié son serviteur par tant de prodiges.
Un rayon de lumière illumina soudainement l'intelligence
l'kLEniN'AGE DE C.OMl'OSTELLE. 38!
dtî Maya; il était croyant. 11 lit comprendre le ciiangcnient
et le désir de son âme en conrbant la tête. Alors un des dis-
ciples prenant avec la main de Teaii de la mer, la versa snr
la tête de Maya en disant : « Je te baptise an nom du Père,
« du Fils et du Saint-Esprit. » — Amen, répondirent les autres
disciples. — Amen, répondit Maya.
Le nouveau chrétien ramena son cheval, redcveini docile,
sortit sain et sauf de l'Océan et revint an milieu de la foule
éperdue, tremblante, qui avait tout contemplé, mais n'avait
pu rien comprendre.
La légende ajoute cpi'au moment où l'eau régénératrice
tomba sur le front de ]\[aya, une voix céleste fut entendue
dans les cieux et déclara que les coquillages des futurs pè-
lerins de saint Jacques seraient considérés comme un
symbole des vertus du grand apôtre de l'Espagne. Le zèle
apostolique qui lui fit braver plusieurs fois les terribles
hasards de la mer, est signifié de deux manières : 1" par un
canard, attribut peu ordinaire de l'apôtre, mais consacré par
un des vitraux de Reims. Cet oiseau aquatique était devenu
lui symbole de navigation dans le langage des monuments
du Moyen Age ; et son nom avait même reçu dans plusieurs
idiotismes français le sens de Flottage. Quoique plus d'un
apôtre ait entrepris de longs voyages pour porter au loin
l'Evangile, nul autre cependant ne semble avoir exécuté une
si longue traversée pour annoncer Jésus-Christ aux nations
infidèles, et l'oiseau nageur est aussi bien approprié à saint
Jacques que la pèlerine et le bourdon, qui lui furent affectés
à d'autres époques. 2" Par un des produits de la mer. Un
coquillage marin est l'attribut naturel de l'ancien pêcheur
de Galilée, de l'apôtre-marin pendant sa vie et môme après
sa mort. Un prodige a révélé la volonté du ciel et a imposé
aux pèlerin.s de Saint-Jacques, à l'imagerie chrétienne, à
.']82 rkLKlUXAtil-; de COMrOSTliLLE.
Turt clirétien, un emblème devenu si po])uliure, que ceux-là
môme en comprennent la signiliciition , qui en ignorent
peut-être l'origine.
Les pèlerins avaient tant d'amour et de respect pour les
coquilles qu'ils avaient rapportées de Compostelle, en signe
de pèlerinage, qu'ils ne voulaient pas s'en séparer à la mort.
On en a découvert dans des cercueils, en beaucoup d'endroits.
Voltaire, dont la science était si superficielle, prétendait
que les bancs de coquillages trouvés au sommet des Alpes
n'étaient autre chose que des coquilles détachées du cha-
peron ou du collet des pèlerins qui se rendaient à Rome.
Cette lourde plaisanterie n'avait pas même les apparences du
vrai, puisque les pèlerins de Rome n'ont jamais porté de
coquilles sur leur chaperon.
Les grands maîtres de l'art ont unanimement placé un ou
plusieurs coquillages, comme attribut caractéristique, sur le
chapeau, le camail ou le bourdon de Saint-Jacques. Il est à
regretter qu'Overbeck , le fondateur d'une école si digne
d'encouragement, ait manqué dans une de ses compositions
à cette règle iconographique.
Deux médaillons des vitraux de Bornages n'ont d'autre
ornement qu'un semis de coquillages en l'honneur de l'apôtre
et du pèlerinage de Compostelle.
Parmi les mollusques, un seul a été adopté par la tradition
et par l'usage comme attribut de saint Jacques. Il appartient
à la famille des Pectinides à cause de l'analogie de sa
forme avec le Peigne. Dans le langage scientifique de l'his-
toire naturelle, il est appelé Peclen Jacobœus, et dans le
langage vulgaire Peigne de Saint-Jacques^ Coquille de Saiîit-
Jacques et pèlerine ; ce dernier terme provient de ce que les
pèlerins de Saint- Jacques ornaient de quelques valves de ce
mollusque leur camail ou })èlerine de cuir; usage qui existe
rKr.EHINAGE DE COMPOSTELMÏ, .'ÎS.'I
oncorfî piiriiii nous et en Espagne. Los Espagnols lui floniient
le nom de Venera ' .
Voici le dessin d'une valve de coquille de Saint-Jaccpies,
Coquille et Bourdon de Saint-Jacques.
semblable à celles que j'ai rapportées de mon pèlerinage.
Nous y joignons le bourdon et la gourde, compagnons obligés
• Un apôtie a donné son nom à un coquillage ; un autre a donné le sien à
un poisson de l'Océan et delà Méditerrannée. Nous voulons parler du pois-
son connu sous le nom vulgaire de Dorée, à cause de sa couleur générale
mêlée de peu de vert et de beaucoup d'or ; les ichthyologistes le désignent
sous celui de Zée Forgeron [Zeus Faher. Linn), à cause des teintes basanées
dont une partie de son corps paraît enfumée. L'existence d'une tache noiie et
ronde, placée do chaque côté vers la partie antérieure du corps, a inspiré
diverses croyances au peuple. Ici l'on considère ces taches comme résultant
de l'impression des doigts de saint Pierre, quand cet apôtre tira ce poisson de
l'eau, pour prendre dans sa bouche, ])ar l'ordre du Sauveur, la pièce de
monnaie qui devait satisfaire le fisc. De là le nom de Poisson de Saint-Pierre.
donné à ce thoracin. Ailleurs, ces empreintes sont celles des doigts de saint
Christophe qui prit ce poisson pour amuser l'Enfant-Jésus, f{uand il le portait
sur ses épaules en lui faisant traverser un fleuve. De là encore le nom de
Poisson de Saint -Christophe. On l'a aussi appelé Poisson de Saisit- Martin, à
cause de la saison où on le pêche. (Voy. Du Cange aux mots Citula et Pisris).
38i PÈLERINAGE DE CO.MPOSTELLE.
de tout pèlerin, de venus pour cela même un attribut de pè-
lerinage ; sur certains monuments, v. g. sur un reliquaire
fort intéressant du XV siècle, placé derrière l'autel du
Sacré-Cœur à la cathédrale de Bordeaux, saint Jacques n'est
(Caractérisé que par le bourdon et la gourde.
La coquille de Saint-Jacques est un mollusque bivalve des
mers d'Europe. Dans la langue héraldique, une coquille dont
on voit le dedans ou le creux, prend le nom de Vannet^ h
cause de sa ressemblance à un van à vanner le grain. Très-peu
de familles le portent dans leur écu; celle de Vannelat^ à
cause de son nom, porte d'azur, à un Vannet d'or. On a
conservé le nom de coquille au meuble d'armoiries qui repré-
sente une coquille de Saint- Jacques montrant le dos. On voit
figurer jusqu'à 8 et 9 coquilles sur l'écu des nombreuses fa-
milles ou des cités ' qui ont adopté ce meuble armoriai, soit à
cause de leur nom, comme les familles Jacques, Coquille, soit
à cause d'un pèlerinage au tombeau du Saint. La famille de
Pimentales , qui prétend descendre du Seigneur dont je
viens de raconter la légende, porte pour cette raison des
coquilles dans ses armoiries. Elle s'est bornée à cinq.
La botanique a voulu glorifier, de son côté, l'immortel
apôtre en désignant sous le nom de Bourdon de Saint-Jacques
une des fleurs les plus majestueuses de nos jardins. C'est le
nom vulgaire d'une plante de la famille des malvacées; ses
larges corolles blanches, jaunes, roses^ purpurines, etc.,
souvent doubles, font l'ornement de tous les jardins sous les
noms plus connus de Mauve-Rose, Passe-Rose^ Rosier-Bâton,
Rose-Trémiere. Ce dernier nom, altération évidente de celui
de Rose d' Outre-mer, révèle une origine exotique; à l'époque
' Les annoiries d'Aurillac sont de giiciilcs à trois coquilles d argent, au
chef cousu d'azur, chargé de trois fleurs de lys d'or.
i'i;LKiiiNA(iE UE r,u,Mi'osri:LLE. :;8.j
(les ( /l'oistules, elle nous a été apportée de Syrie ', pays de
saint Jacques; son origine et sa forme élancée, verticale
comme celle d'un bourdon, l'ont fait surnommer iJou/ï/o/?. (/c
Sainl-Jacques. Pour les botanistes, c'est VAlcée Rose (Alcea
Rosa. Linn.j. — Un pieux désir de populariser le nom de
l'apôtre de l'Espagne, a fait encore donner son nom à une
plante de la tribu des Sénécionées, que les pèlerins rencon-
traient fréquemment sur leur passage ; je veux parler de !a
Jacobéc , ou Jacobœa , comprenant la Jacohee vulgaire ou
herbe de Sainl-Jacques ou séneçon Jacobée (senccio Jacobœa.
Linn.), plante médicinale très-commune dans les prairies, les
fossés, le long des bois, etc., durant le mois de juin. Ses
feuilles, redoutées des troupeaux, nourrissent les chenilles
du Phalœna Jacobœa pronuba. L'autre espèce est la Jacobée
maritime, nom vulgaire de la cinéraire maritime. — Il faut
ajouter au bouquet des fleurs de saint Jacques deux autres
fleurs : le Lotier de saint Jacques, Lotus Jacobœus, nom donné
par Linnée à ce Lotus originaire de VUe Saint' Jacques, une
des Antilles anglaises, près de l'île Saint-Thomas; puis
V Amaryllis Saint-Jacques ou lis de Saint-Jacques [Amo.ryllis
formosissima. Linn,), dont les grandes fleurs écarlates rap-
pellent la couleur rouge de l'épée armorialle des chevaliers
de Saint- Jacques,
Pour compléter dès-à-présent les attributs de saint Jacques,
je mentionnerai Ip large chapeau orné de coquilles^ que les
enfants eux-mêmes connaissent, et que les artistes ne placent
' La Passe-Rose est cultivée encore aujourd'hui en Syrie, en particulier au
jardin des Oliviers, par les Franciscains. Le frère chargé du jardin m'a
donné de la graine de cette fleur, que j'ai propagée dans le département de
la Gironde en mémoire de Notre- Seigneur et de l'un de ses apôtres — J'ai
également propagé le hlé de Booz, variété si curieuse que j'ai apportée du
champ même de Booz, voisin de Bethléem.
TOME VI. 28.
386 l'ÈLKlUiSAGE DE COMrOSTELLK .
pas toujours sur le chef de l'apôtre, préférant le jeter eu
arrière. Cet attribut traditionnel a déterminé les chapeliers
à adopter saint Jacques pour patron de leur corporation *.
Le livre, dépositaire de la vraie science, est un attribut
commun à saint Jacques et aux autres apôtres.
Les disciples de l'apôtre avaient admiré les desseins misé-
ricordieux du divin j\Iaitre des cœurs dans l'événement que
j'ai raconté. Leur émotion durait encore, quand ils arri-
vèrent à l'embouchure de VUUa {Ulia) ; un vent favorable
leur fit l'cmonter ce fleuve jusqu'à L'ia-Flavia, où Maya les
attendait. Cette ville est à trois lieues de la mer, près de la
jonction de l'Ulla et du Sar {Taris). Ils débarquent leur pré-
cieux trésor avec un autel sur lequel les apôtres avaient
célébré le Saint-Sacrifice et une colonne sur laquelle saint
Jacques avait été décollé. Le corps du Saint est déposé sur
une grande pierre à laquelle la barque est attachée; la
pierre semble s'attendrir et s'ouvre miraculeusement en
forme de tombeau comme pour offrir une couche au disciple
du Christ et donner à l'exilé une hospitalité respectueuse.
Dieu n'oublie jamais ceux qui ont combattu pour sa gloire
ou pour sa doctrine ; aux victimes des passions de la foule
ou des pouvoirs iniques, il élève un trône ou un autel qui
est plus qu'un trône, suspend en leur faveur les lois de la
nature et donne à leurs ossements persécutés un tombeau qui
n'est pas toujours creusé par la main de l'homme, mais où
nul homme ne pourra plus les inquiéter.
Cette pierre, qui vers le milieu du XYIP siècle conservait
encore sa forme miraculeuse, s'il faut en croire un grave
' Dans quelques pays, en particulier dans l'Auvergne, les chapeliers se
mettaient sous le patronage de sainte Barbe ou de saint Michel. (Histoire des
comrmmaulés des arts et métiers de V .4 nvergnc , par J.-B. Bodillet. Cler-
mont-Feriand, 1857, p. 75).
l'Kl.tlUNACF, DE C.OMI'OSTEI.LK. 3S7
auteur de la Compagnie de Jésus ', fut, aux yeux du pays
eouverti ù la foi chrétienne, un monument assez important
pour donner son nom à la ville. Les Espagnols appellent
Padruu une colonne, une pieire où Ton grave une inscrip-
tion destinée à perpétuer le souvenir d'un grand événement ^.
Iria-Flavia a donc perdu soii nom dans la géographie mo-
derne et ne s'appelle plus que Padron depuis des siècles.
Florez est un des nombreux auteurs qui attestent cette éty-
mologie : « La voz Padron se dériva por la piedra en que los
« discipulos pusierou el cuerpo del apostol al tiempo de
<( pasarle a la tierra desde la nave ^ » (Jette opiniou em-
prunte un nouvel argument au dialecte Galicien, dans lequel
ou appelle Padroues les pierres auxquelles on amarre les
bateaux. « Debemos insistir en e\ Padron por la coluna
« a que ataron la barca ; a cuyas piedras ullaman en Galicia
» Padrones. » ]\rais Florez lui-même rapproche de cette éty-
mologie celle qui suppose tautive l'orthographe de Padron
qu'on devait écrire Patron, nom que la ville aurait reçu pour
avoir favorisé le débarquement des restes du saint patron de
l'Espagne : « La voz padron se dériva de patronns por haber
<• llegado alli el patron de Espana \ » Dans quelques vieux
écrits, cette ville est eu effet appelée Villa pat roni. Dans l'his-
toire de Compostelle, elle est désignée sous le nom de palronus.
L'une et l'autre de ces étymologies proclament l'importance
du culte de saint Jacques chez les premiers chrétiens de la
' I. Ipsa rupes se expandens, et in sepulori formam effingens, sanctum
(I cadaver excepit : perseveratqiie hodiè eadem specie" sepulcri. » {Lucis evan-
yelicce stib vélum sacrorumemblematum jmrs iertut, hoc est cœleste Panthéon,
por R. P. Henriccm Eagki.guavk, S. J. Antverpiae, 1658. t. ii, p. 48).
- On lit dans la 6« édit. du Dictionnaire de la langue castillane par l'aca-
démie Espagnole, Madrid, 1822 : » Padron, la rolumna de piedra con una
« lapida o inscripcion de alguna cosa que sea peipetua y publica. »
' Espana Sayrada, tonio xix, p. 4.
388 l'ÈLEUINAGE DE COMPOSTELLE.
Galice et rappellent un nom plus cher à la Péninsule que ceux
(les héros païens qui ont aouIu immortaliser leur mémoire
dans les appellations de Lisbonne, Saragosse, Gibraltar.
Un simple souvenir, mais un souvenir religieux suffit pour
attirer à Padron les populations voisines et nécessiter des
accroissements successifs. La prospérité matérielle est sou-
vent ici-bas la récompense des cités chrétiennes.
Mais la Providence a ses pieuses industries, connue nous
avons nos calculs; elle place loin ses bienfaits, multiplie les
difficultés du chemin pour nous les faire désirer et apprécier.
Les montagnes, les solitudes d'un accès difficile, c'est-à-dire
les lieux les plus proches du ciel et les plus éloignés du tour-
billon où s'agitent et se discutent les intérêts humains, tels
sont les théâtres les plus ordinaires des miséricordes du Sei-
gneur. La poussière et le bruit des grandes routes où tout
le monde passe, croyants et incroyants ; les rivages tumul-
tueux des mers sillonnées par des pirates, par les enfants de
Mahomet comme par les disciples du Christ, ne sauraient
convenir au culte des tombeaux ni aux effusions d'une âme
qui a besoin de s'entretenir avec Dieu. La plupart des grands
faits évangéliques ont eu pour témoins des montagnes ; il
faut traverser les mers et ensuite le désert pour arriver au
Saint-Sépulcre dans la cité sainte ou au tombeau de sainte
Catherine sur le mont Sinaï. Que d'hommes peu réfléchis
ont reproché à Rome les déserts qui l'entourent ? Que ne
reproche-t-on aussi au fleuve qui baigne ses murs, la mai-
greur de ses eaux ou les limites étroites de son parcours ? Un
peu de mystère va bien à nos goûts et à notre intelligence.
Souvenez-vous de la sainte Baume, de la Camargue, de
Eocamadour, de Manrèse, de Monsarrat et de l'empressement
laborieux avec lequel nos pères visitaient tous ces pieux
rendez-vous de la chrétienté : presque toujours des mon-
l'ÈLElUNAdi; l)l': CO.Ml'OSTELLIC. ,380
tagnus, pur conséquent des fatigues longues, pénibles, inéii-
toires. Les plus saintes choses, dès qu'elles sont trop faci-
lement accessibles, perdent de leur prestige et de leur attrait
aux yeux du riche et mcMue du ])auvre. Les })èlerinages se
sont ralentis, depuis qu'on a facilité les connnunications par
des véhicules de toute sorte et par l'emploi de la vapeur sur
terre et sur nier. Les voyageurs sont partout ; les aiï'aires ou
les plaisirs les attirent dans les cinq parties du monde ; mais
les pèlerins sont rares ; on va i)lus à Constantinople, à
Athènes, au Caire ou à Suez qu'à Jérusalem, beaucoup plus
à Grenade et à Séville qu'en Galice.
Nous sommes ainsi faits ; la civilisation augmente les
jouissances par le progrès, par le rafiinement des arts et de
l'industrie ; mais elle affaiblit ou éteint la foi dans les cœurs
où devrait germer la reconnaissance ; la conquête de la terre
et des éléments nous fait oublier le ciel et les amis de Dieu.
Mais l'indifférence publique ou le dédain de certains
esprits ne font pas varier l'économie de la divine Providence ;
elle garde à distance ses trésors ; Dieu n'est prodigue de ses
doiis que dans ses sanctuaires les plus recidés; c'est là
surtout qu'il fait entendre cette miséricordieuse parole :
« Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui êtes char-
« gés, et je vous soulagerai ' . »
A cinq lieues d'Iria-Flavia, dans la profondeur des terres,
habitait alors un petit peuple dont la modeste résidence était
appelée, on ne sait pourquoi, liberum donum^ Libre-Don,
par les Komains. Deux rivières innavigables, le Sar et la
Sarela, serpentent autour de la déclivité où ce village, de-
venu cité importante et capitale d'une province, étale aujour-
' Venite ad me, omues qui laboiatiti et oiieiati cstis, et egu leficiain vos.
(Matth. XI, 28),
390 PÈLEP.INAGE DE COMPOSTELLE.
d'hui sou humble parure de vieilles maisons. L'obscurité de
son nom, l'exiguité de son territoire, sa situation aux ex-
trémités du globe ', étaient des conditions dignes de fixer
l'attention de cette même Providence qui n'avait pas dédai-
gné la bourgade de Bethléem pour en faire le berceau du
Messie. La plus petite des bourgades de l'Ibérie devait, ù
son tour, être glorifiée par un événement que l'histoire pro-
fane n'a pas daigné raconter, mais qui n'en occupe pas moins
une large place dans les annales de l'Eglise.
C'est donc en ce lieu, providentiellement appelé liber uuh
doinim, que les disciples du grand apôtre apportèrent leur
trésor, inestimable don que la riche Asie semblait envoyer à
l'Europe pour la faire participer d'une manière moins inégale
aux bienfaits du Tout-Puissant. Une grotte s'oiFre à eux ; ils
y trouvent quelques outils de maçonnerie dont ils se servent
pour abattre une statue de Bacchus, divinité du pays, et
construire un tombeau à leur maître. Mais au lieu de creuser
horizontalement dans les parois de la grotte selon la coutume
des Juifs, suivie par les chrétiens des Catacombes, imitée
encore aujourd'hui par l'Espagne -, ils bâtirent un petit
• Ce lieu, appelé plus tard Compostelle, n'est pas très-éloigné du cap
Finistère {Finis terra), qui était regardé par les anciens comme le point le
plus occidental de l'Europe et l'endroit où le monde finissait.
* Le tombeau de Notre-Seigneur, ceux des rois et des prophètes, près de
Jérusalem, présentaient la forme de locidi [Loculus, lieu petit, étroit, dim.
de locus.) creusés horizontalement dans le roc. Il m'a été permis de m'en
convaincre. Ces formes de tombeaux sont les plus fréquentes dans les cata-
combes de Rome. Les riches familles espagnoles ensevelissent leurs proches de
la même manière dans l'épaisseur du mur du cimetière. L'excavation horizon-
tale yjratiquée dans le mur a juste les dimensions nécessaires à la bière. On est
obligé de mesurer l'espace, même aux riches, dans ce rendez-vous universel
des grands et des petits. Les pauvres sont moins à l'étroit dans les fosses du
champ commun. J'ai visité en Portugal et en Espagne un certain nombre de
cimetières, et j'ai constaté partout ce mode anti(pie de sépulture.
rkLEllINAOE DE COMPOSTEI.LE. 301
édifice en marbre, taillé eu arcade : « Feceruiit parvain
<i arcuatam domiim, iibi construxere lapideo opère sepul-
« cnim ' . I) On avait longtemps ignoré le nom de ces arcs
turaulaires : les antiquaires des derniers siècles s'étaient
bornés à désigner sous le nom de monumenls arqués (monu-
menta arcuata) les tombeaux qui présentaient cette parti-
cularité si remarquable. 11 n'y a pas longtemps qu'une
inscription des catacombes a révélé son véritable nom,
arcisolium. C'est donc cette dernière dénomination qu'il faut
«appliquer au tombeau en arcades de saint Jac(iues. Les tom-
beaux païens n'avaient jamais affecté cette forme, qui est
d'origine chrétienne. On est donc autorisé à supposer une
sorte d'inspiration chez les disciples de l'apôtre, architectes
improvisés qui imitèrent ce qu'ils n'avaient jamais vu, ou
créèrent simultanément avec Kome un genre dont les mo-
numents du polythéisme n'avaient pu donner l'idée, l'a/T/xo/e
chrétien.
Le travail achevé, on chanta des psaumes à la gloire de
Dieu et de son glorieux apôtre, et on inaugura sur cet humble
tombeau un culte qui devait durer autant que les siècles.
Le martyrologe Romain a fixé au 25 juillet la fête de la
translation des reliques de saint Jacques. Mais le Propre des
saints de l'Espagne, appi-ouvépar plusieurs papes, réserve ce
jour pour le martyre du Saint et renvoie au 50 décembre, en
vertu d'une tradition immémoriale, la translation de ses
reliques.
Les disciples ne pouvaient se résoudre à s'éloigner du cher
patron de leur patrie. Quand les intérêts de la foi les appe-
lèrent dans d'autres contrées, ils laissèrent deux d'entr'eux,
• Le pape Léon III, cité par Fi.ORKZ. (Espana sayrada, tomo m,
p. xi.viii, append.)
302 riii-KniNAGE de coaipustelle.
Anastase et Théodore auprès de ce tombeau, pour en être en
quelque sorte les gardiens et les chapelains. Fidèles à leur
mission, ces deux disciples ne quittèrent jamais ce poste de
faveur et furent enterrés, selon leur désir, à la droite et à la
gauche de leur maître. C'est dans cette situation respective
que leurs corps furent découverts plus tard avec celui de
l'apôtre.
L'art chrétien ne pouvait séparer ceux que la mort elle-
même n'avait pu désunir. Une des façades de la basilique
Gallicienne dédiée à saint Jacques, est ornée d'une statue du
Saint avec ses attributs, entre deux disciples qui ne peuvent
être que ceux dont nous avons parlé.
La présence du patron de l'Espagne dans le pays qu'il
avait évangélisé durant sa vie mortelle, ne fut point stérile
pour la foi chrétienne. Les amis de Dieu ont le privilège de
faire le bien même après leur mort. Les pays circonvoisins
embrassèrent de bonne heure notre sainte religion et la chré-
tienté de la Galice se lit remarquer bientôt entre toutes les
autres par sa ferveur et ses œuvres saintes. Le Portugal,
l'Espagne et l'Aquitaine honorent d'un culte particulier
sainte Quiterie, fille d'un prince de la Galice. Au milieu des
ténèbres et des dissolutions du paganisme, dont elle était
entourée, cette jeune néophyte soupçonna les avantages de
la virginité et préféra, dans un exil volontaire, la couronne
de l'innocence et la palme du martyre à la brillante union
rêvée par son père. L'église du Mas d'Aire (département des
Landes) possède le tombeau de l'intrépide héroïne Galli-
cienne, un des premiers témoins de la foi préchée par l'A-
pôtre ' .
J.-B. PARDI AC.
[La suite au prochain nutnéru)
' Officia propria diœrcsis Bnrdigahnxis. 22 IMuii.
NOTRE-DAME DE MISÉRICORDE
à Familleureux [Hainaut).
Au commencement du XIP siècle, le territoire qu'occupe
nctuellement le village de Familleureux ' , était encore pres-
qu'entier couvert de bois. Ce domaine appartenait alors au
chapitre de Nivelles, qui le céda en fief à une famille noble du
Brabant. Des défrichements eurent lieu par les soins du nou-
veau vassal qui s'y fit construire une demeure seigneuriale
et une chapelle, autour desquelles se groupèrent les habita-
tions des colons.
Le château et le domaine de Familleureux passèrent dans
la suite aux seigneurs de Bois-Seigneur-Isaac et, le 1 1 mai
1404, ils devinrent la propriété d'un noble chevalier,
Wautier de Bousies, plus connu sous le nom de Fier-à-Bras
de Vertaing;.
' La commune de Familleureux est située à vingt-deux kilomètres N.-E. de
Mens. Anciennement comprise dans le duché de Brabant, elle fait aujourd'hui
partie de la province de Hainaut, canton de Seneffe. Elle est traversée par le
chemin de fer de Braine-le-Comte à Charleroy, à deux kilomètres et demi de
la station de Manage.
TOME VI. Août 1862. 29.
3'J4 NOTRE- LA ME UE Al ISÉUl CORDE
Ce seigneur, qui était fils nuturel d'Eustache II de Bou-
sies, sire de Vertaing, de Feluy, etc., fournit une brillante
carrière militaire. « C'était, dit l'annaliste Vinchant, un
personnage sage etbien expérimenté aux armes.» En 1580, il
se trouva avec son pennon dans l'armée anglaise que le comte
Thomas de Buckingliam, oncle du roi Richard II, conduisit
au secours de Jean IV, duc de Bretagne, attaqué par les
Français, et il donna, pendant cette guerre, des preuves d'une
grande valeur. Deux ans après, il combattit contre les Fla-
mands sous les drapeaux français, fut du nombre des che-
valiers qui forcèrent le passage de la Lys, se trouva au siège
de Commines, et assista à la célèbre bataille de Koosebeke,
livrée le 27 novembre 1382. Plus tard, il devint l'un des
contidents et des plus zélés serviteurs du comte d'Ostrevant,
fils aine d'Albert de Bavière, comte de Hainaut, et accompa-
gna ce jeune prince à un magnifique tournois que le roi d'An-
gleterre donna à Londres, au mois d'octobre 1 390. Fier-à-Bras
de Vertaing excita ensuite le comte de Hainaut à la guerre
contre les Frisons ; puis il passa en Angleterre, où il enrôla
des gens d'armes et des archers qu'il conduisit à l'armée du
comte Albert de Bavière, fut présent à l'assemblée des Etats
que ce souverain convoqua à Mons, au sujet de l'expédition
de Frise, et prit avec les chevaliers hennuyers l'engagement
de le seconder dans son entreprise contre les Frisons. On
connaît les résultats de cette expédition : les malheureux
Frisons payèrent chèrement les écarts du comte de Hainaut
et le crime des conspirateurs. Cette guerre fut une des plus
sanglantes de notre histoire ' .
Le bâtard de Vertaint^; continua à se dévouer au service
' ViKCH.VNT, Annales du Haiiiaul, t. m, pp. 289-312. — Froissahd, Chro-
niques, t. Il et m; édition de J. A. Bucliou.
A FAMILLEUREUX. .Wr)
du comte d'Ostrevaut, (|ui lui accorda, en lôîiT, une pension
annuelle et viagère d'environ InO livres sur la recette du
domaine de Rœulx ' .
Quelques annéesplus tard, le sire Fier-à-Bras prit sa retraite
et vint au château de Familleureux pour s'y reposer des fa-
tigues de la guerre. A côté de sa demeure, s'élevait la cha-
pelle castrale qui avait été bâtie au XIl^ siècle sur la Motte
de Familleureux par l'un des premiers seigneurs de ce do-
maine. Cet édifice, qui subsiste encore de nos jours, est digne
de fixer un instant notre attention. Il forme le chœur de
l'église paroissiale et consiste en une abside terminée par
un mur plat à pignon triangulaire orné à ses angles in-
férieurs de deux croix en pierre bleue. On a muré les trois
fenêtres pratiquées à son chevet, ainsi que le quatre-feuilles
qui surmonte celle du milieu. Six autres fenêtres romano-ogi-
vales, dont le contour est en pierres taillées, éclairent le
sanctuaire qui a 12 mètres (30 cent, de longueur sur 5 mètres
40 cent, de largeur. La voûte se compose d'un lambris en
planches ; il est divisé en carrés longs qui se coupent à angles
droits. La retombée des arceaux repose sur de simples con-
soles formant des statuettes parfaitement coloriées. Aux clefs
de la voûte sont figurés quelques personnages de la Bible.
Cette chapelle, qui était dédiée à Notre-Dame de Famil-
leureux, ne fut érigée en paroisse qu'en l'année 1512. Avant
cette époque, l'église paroissiale avait son siège près de la
ferme de Courrière, qui appartenait à l'abbaye de Bonne-
Espérance ".
' Archives du Royaume. Compte du domaine de Rœu/x. Années 1397 à
1411.
- En vertu d'un diplôme de Nicolas, évêque de Cambrai, daté de l'an
1162, l'autel de Familleureux relevait de l'abbé de cette maison religieuse,
(Maghe, Chronic. Bonce Spei.)
390 NOTllE-llAME Dli MISÉRICORDE
En considération des nombreux mii-acles qui s'opéraient
alors dans la chapelle castrtde. l'abbé Jean Cornu autorisa ce
cliangement et l'antique édifice de Courrière demeura sup-
primé ' . Comme le sanctuaire de Marie n'était pas assez
vaste pour contenir les paroissiens et les nombreux pèlerins
qui y venaient prier et que le service divin n'était pas en
rapport avec la piété des fidèles, l'abbaye de Bonne-Espé-
rance et la communauté de Familleureux firent construire
de connnun accord deux chapelles latérales, une nef, ainsi
qu'un cloclier au-dessous duquel fut reportée la porte à plein-
cintre de la chapelle seigneuriale. Cette porte est ornée d'une
archivolte à quatre rangs de tores qui s'appuient sur des
pilastres et des colonnettes en retraite les unes sur les
autres.
L'église de Familleureux fut agrandie vers la fin du
XVIIP siècle. On y ajouta les nefs latérales où furent élevés
deux autels : l'un sous l'invocation de Notre-Dame de Misé-
ricorde et l'autre dédié à saint Barthélémy, apôtre. Deux
rangées de quatre colonnes cylindriques en pierres bleues
d'Ecaussines, les extrêmes engagées, supportent d'un coté,
dans la nef centrale, des voûtes ogivales à nervures croisées,
et de l'autre, dans les bas-côtés, des arcs à plein-cintre. Les
fenêtres qui donnent le jour aux nefs sont au nombre de six;
elles dessinent un arc cintré dont le contour est en pierres
taillées.
Parmi les objets d'art que possède cette paroisse, il en est
un qui mérite de fixer l'attention, tant à cause de son an-
cienneté, que de la légende curieuse qui s'y rattache. C'est
un tableau en bois sculpté offrant la représentation d'un épi-
sode de la vie de Fier-à-Bras de Vertaing, que nous avons fait
' MAGHE,CV/ro?!. Bonœ Spei.
A FAMILLEUllEUX. 'MH
comiîiitre [)lus liuut. La traditioii l'uuruit au sujet de ce ta-
bleau les détails suivants :
C'était au commencement du XV siècle. Par une belle
journée d'été, les lia1)itants de Familleureux se trouvaient
réunis sur la place publique de leur localité avec ceux des
villages voisins, pour prendre part à des réjouissances et à
des jeux populaires, que le bâtard de Vertaing avait organisés
à l'occasion d'un événement heureux arrivé dans sa famille.
Ces populations rustiques, joyeuses de s'associer au bonheur
du noble seigneur qui les avait invitées, prenaient leurs ébats
avec un entrain remarquable. Tout à coup, au milieu de la
fête, une rixe s'élève entre les manants de Familleureux et
ceux de Houdeng. Fier-à-Bnis, averti à l'instant, accourt
pour apaiser le tumulte qui allait toujours croissant; mais ses
efforts sont vains et il se voit obligé de se retirer devant les
insultes et les menaces grossières des hommes de Houdeng,
qui avaient été les premiers agresseurs. Le sire de Familleu-
reux, dont l'irritation fut au comble, jura d'exterminer les
coupables et de livrer leurs habitations aux flammes et au
pillage. Les préparatifs de son expédition contre Houdeng
étaient en train de s'accomplir^, lorsque les auteurs de l'iii-
sulte, en ayant été instruits et redoutant le châtiment dont
ils étaient menacés, s'acheminèrent vers le château de Fa-
milleureux pour aller implorer leur pardon et désarmer par
tous moyens le courroux du seigneur qu'ils avaient irrité à un
si haut point.
Mais le bâtard de Vertaing, inaccessible aux prières, vou-
lait venger son injure dans le sang. Averti de la présence des
coupables à la porte de son manoir, dont ils sollicitent hum-
blement l'entrée, le chevalier offensé se saisit de son glaive,
et, suivi de son fidèle lévrier, il s'élance vers ces malheureux
et étend mort sur place le premier qui s'offre à lui. A ce
398 NOTRE-DAME DE MISÉRICORDE
sanglant spectacle, ses compagnons demandent grâce en
poussant des cris déchirants ; mais le féroce seigneur, que
la vue du sang anime, reste insensible à leurs supplications
et s'apprête à faire de nouvelles victimes. Déjà, il lève le
bras pour frapper, quand tout à coup l'image de la miséricor-
dieuse Vierge Marie se dresse devant lui et le sépare de ceux
sur qui il brûle d'exercer sa vengeance. Au moment même
de cette apparition, une main invisible enlève le casque du
sire Fier-à-Bras, qui, frappé de ces prodiges, revient à des
sentiments plus humains et pardonne promptement aux
hommes de Houdeng l'offense qu'il en avait reçue.
Telle est la légende merveilleuse représentée sur le tableau
dont la gravure est en tête de cet article. A gauche de cette
remarquable sculpture, on voit le sire Fier-à-Bras de Ver-
taing au pied d'un arbre couvert de son feuillage. 11 est vêtu
d'une robe courte à larges manches et serrée par une cein-
ture. Pour chaussure, il porte une sorte de brodequins qui
lui couvrent le pied et une partie de la jambe; sa figure est
barbue. Il tient de la main droite le glaive qu'il remet dans
le fourreau à la vue de l'image de la Mère de Dieu. Derrière
lui on distingue la main qui a enlevé son casque, et à l'angle,
dans le fond, le château de Familleureux. Le chien qui l'a
suivi se tient à côté de lui.
Tout le côté opposé est occupé par une ligne de huit per-
sonnages à genoux, dans l'attitude de la prière. Ce sont les
manants de Houdeng qui sollicitent leur pardon. Ces hommes
à figures barbues sont nu-tête et nu-pieds, mais chacun
d'eux est vêtu d'un costume qui lui est particulier. Tandis
que les uns ont une robe longue à larges manches, les autres
portent un vêtement court avec des manches étroites et ser-
rées au poignet. Au-dessous d'eux, on remarque couché le
cadavre de leur compagnon qui fut victime de la vengeance
A FA.MILLEUHEUX. 3'.)!)
(lu bâtard de Vertaing. Cet individu imberbe est vêtu d'une
robe avec ceinture; sa tête est légèrement penchée en arrière;
le sang coule de la blessure qu'il a reçue au front, au-dessus
de l'œil droit.
Entre le seigneur de Familleureux et les hommes de Hou-
deng se montre l'image de la sainte Vierge. Marie est drapée
dans un long manteau ; elle porte son divin Fils sur le bras
droit et tient une fleur de la main gauche. L'Enfant-Jésus a
un livre ouvert dans lequel il indique du doigt ce qui s'y
trouve écrit, sans doute cette belle et touchante maxime de
l'Evangile : « Bienheureux les misérieordievx, car ils obtieti-
dronl miséricorde . »
Ce monument de sculpture sur bois nous parait très-ancien.
Il date, ti coup sûr, de la première moitié du XV siècle. Le
costume des personnages, l'orthographe et la forme des carac-
tères de l'inscription qui se trouve au-dessous, la probabilité
même d'une amende honorable faite par le sire Fier-à-Bras
de Vertaing, tout nous confirme dans cette opinion. Long-
temps ce tableau fut placé dans le chœur, près de la tribune
du seigneur de Familleureux ; ce n'est qu'au commencement
de ce siècle qu'on l'a transporté à côté de l'autel de Notre-
Dame de Miséricorde. Il a deux encadrements distincts. Dans
la partie inférieure du premier, on lit une inscription en ca-
ractères gothiques, composée des deux lignes suivantes :
Ce 6t It ramenorancc ^cl offensée que djil î>e i^oubnliig nrotent fnlt à ilîone.
itcrnbrog be Ocrtatng en ee Ptle et maison bu iamilleus iffls.
Le second encadrement est moderne. On y a mis en lettres
capitales, sans doute pour le vulgaire, la môme incription,
orthographiée différemment, avec le millésime 1441, par le-
quel on a voulu peut-être indiquer l'année de l'exécution du
4-00 NOTRE-DAME DE MISÉRICORDE
tableau. Mais où l'auteur de ces nouveaux caractères a-t-il
été puiser cette date? Nous n'avons pu nous renseigner à cet
égard. Au reste, voici ce que nous avons copié textuelle-
ment :
CEST IL REMOMORANCE DEL OFFENCE QVE CEVLX DE HOVDAING AVOIENT
FAIT A MONSIEUR FIER A BRAS DE VERTAING EN LA VILLE ET MAISON
DE FAMILLIEVREVX. GUÉRISON DES MALADES PRIEZ PR NOUS. MCCCCXLI.
La hauteur du tableau de Faniilleureux est de 1 mètre
20 cent., et sa largeur de 1 mètre 80 cent., l'encadrement
moderne non compris. Quoique plus de quatre siècles aient
passé sur cette œuvre d'art, elle est encore dans un bon
état de conservation. Les personnages ont gardé leur an-
cienne peinture.
Les témoins de l'événement extraordinaire que nous avons
raconté se hâtèrent de le publier, et l'on comprend sans
peine qu'à la suite de la médiation touchante de la Mère de
Dieu entre le farouche seigneur et les vilains qui criaient
miséricorde^ les populations de la contrée, vivement impres-
sionnées par ce prodige éclatant, accoururent en foule à Fa-
niilleureux invoquer la sainte Vierge, sous le titre de Noire-
Dame de Miséricorde ^ probablement en mémoire du pardon
qu'elle avait obtenu pour les hommes de Houdeng.
Notre-Dame de Miséricorde de Familleureux était antre-
fois tout particulièrement honorée dans les maladies conta-
gieuses. Ainsi, lorsque des localités des diverses provinces de
la Belgique avaient à souifrir d'une épidémie, les populations
souvent terrifiées entreprenaient un pèlerinage à ce san-
ctuaire de Marie et y imploraient avec confiance la Consola-
trice des affligés. Parmi les endroits qui, au XV siècle, furent
ravagés par une maladie pestilentielle, on cite le village de
A lAMILLliUUEUX. " /,()|
Marche-lez-Ecoiissiiines, situé à quatre kilonièties de Fuiiiil-
leureux. Le fléau éclata avec une telle intensité qu'il frappa
en peu de temps un grand nombre de personnes de tout
âge, de tout sexe et de toute condition. Les remèdes humains
étant impuissants pour combattre le mal, les habitants
consternés eurent recours à Dieu et vinrent à Familleureux,
en procession solennelle, supplier sa sainte ]\Ière d'inter-
céder auprès de lui en leur faveur. Le saint Sacrifice fut cé-
lébré au milieu des gémissements et des ardentes prières des
familles désolées. Le Ciel s'émut à leurs supplications et
bientôt, dit la tradition, la contagion diminua et disparut
ensuite entièrement.
Depuis l'époque de cette heureuse délivrance du fléau de
la peste, la paroisse de Marche-lez-Ecoussinnes, reconnais-
sante de la puissante protection de la Vierge miraculeuse de
Familleureux, vient annuellement à son sanctuaire faire
une démonstration pieuse le 9 du mois de septembre. Après
une messe d'action de grâces célébrée à l'autel de Marie, a
lieu la procession solennelle dans laquelle on porte une
statue très-ancienne de la Mère de Dieu et qui repose à Fa-
milleureux.
PRÉCIS
DE L'HISTOIRE DE L'ART CHRÉTIEN
en France & en Belgique'
DIXIEME ARTICLE
CHAPITRE CINQUIEME.
XU' SIECLE.
Article I". — .architecture (style roinano-ogival.)
Dates historiques. — Suger, dans son livre intitulé De
Hebus in administratione sua gestis, consacre de nombreux
chapitres à la description de l'abbaye de Saint-Denis' et
nous fournit de précieux renseignements sur l'état des
beaux-arts au Xir siècle. Ou voit que déjà à cette époque,
de même qu'à la nôtre, on ne savait point toujours respecter
les œuvres du passé et qu'on les défigurait souvent par de
prétendus embellissements. Suger, considérant comme bar-
bares certaines œuvres léguées par le siècle de Cliarlemagne,
s'efforçait de déguiser leur vétusté sous une physionomie
plus moderne. Chaque siècle s'est comporté de la même ma-
nière envers ses devanciers. M. de Montalembert a écrit un
' Voir le numéro d'avril, page 202.
PRÉCIS DE l'histoire DE l'aRT CHRÉTIEN. 403
livre fort éloquent sur le vandalisme de notre époque. N'y
aurait-il pas matière à faire un ouvrage analogue, non pas
seulement sur les destructions opérées par la Renaissance,
mais sur celles qu'ont accomplies les siècles du Moyen-
Age?
Si le XIP siècle a eu parfois le zèle inconsidéré de la des-
truction, il faut lui tenir compte de la beauté des œuvres
qu'il substituait aux anciennes. A cette époque, comme au
siècle suivant, on démolissait volontiers un chœur, une tour,
une chapelle ; mais on remplaçait la partie détruite par une
œuvre supérieure : nos architectes modernes ont souvent la
môme ambition, mais, hélas ! ils sont souvent les seuls à ad-
mirer les résultats de leurs bouleversements.
La construction des églises était, au XIP siècle, une
œuvre de foi et de piété à laquelle souvent prenaient part,
sous la direction de l'architecte, des personnes de tout rang
qui se trouvaient suffisamment rémunérées de leur labeur
par la satisfaction de leur conscience. « C'est un prodige
inouï, dit Aimon, abbé de Saint-Pierre-sur-Dive, dans une
lettre de 1 1 45 aux moines de Tutteberg, c'est un prodige de
voir des hommes puissants, fiers de leur naissance, habitués
à une vie molle, s'attacher à un chariot et traîner des
pierres, de la chaux, des pièces de bois et tout ce qu'il faut
pour le saint édifice. Parfois, mille personnes, hommes et
femmes, sont attelés à un seul chariot, tant la charge est
pesante, et cependant on n'entendrait pas le plus léger
bruit. Quand ils s'arrêtent en route, ils se parlent^ mais seu-
lement de leurs péchés, dont ils se confessent avec larmes et
prières. Alors les prêtres les exhortent à déposer les haines,
à remettre les dettes, et si quelqu'un se trouve endurci au
point de ne vouloir pardonner à ses ennemis, il est aussitôt
exclu de la sainte compagnie. »
40-4 iMiÉr.is DE l'iusïoire de l'art chrétien
On voit par cette citation que les laïcs contribuaient, dans
une certaine part, à la construction des édifices ; ils en
eurent quelquefois môme la direction. Le clergé ne pouvait
plus suffire à toutes les entreprises. L'indépendance que
conquirent les serfs ou les vassaux inférieurs, par suite de
l'aifrancliissement des communes, dut contribuer à faire épa-
nouir les arts ailleurs que dans les cloîtres et à les faire sor-
tir du domaine exclusif du clergé.
Caractî<:res généraux. — Les Vénitiens, qui faisaient en
France un trafic considérable, contribuèrent au développe-
ment du goût byzantin, qui influença surtout l'ornementa-
tion architecturale. Ce courant venu du Midi remonta vers
le Nord et se fit très-peu sentir dans les provinces de
l'Ouest.
Les églises sont moins lourdes et moins sévères qu'au
siècle précédent. Les lignes perpendiculaires commencent à
dominer; les façades offrent moins de massifs de maçonnerie;
la décoration devient plus riche. Mais le caractère le plus
distinctif de cette époque est le travail d'élaboration qui de-
vait amener le triomphe du style ogival. C'est avec raison
qu'on a désigné ce style sous le nom de romano-ogival ou de
transition, car on y trouve réunis les éléments de la période
précédente et ceux qui doivent inspirer l'art ogival du
XIIP siècle.
Dans la plupart des monuments de cette époque, l'ogive
et le plein-cintre sont en présence, non-seulement comme
formes décoratives, mais comme procédés de construction.
Tantôt les deux formes sont entremêlées, tantôt l'une des
deux, domine exclusivement dans une partie de l'édifice. En
général, le plein-cintre règne dans les parties basses, tandis
que les étages supérieurs sont réservés à l'ogive : mais on
peut citer d'autres nombreux exemples où les rôles sont in-
EN FRANCl-: ET K.\ liEIXllQLI^ 405
tervertis. An commencement dn Xll" siècle, il y a des mo-
numents tout en pleiii-ciutre, et, h la fin, des monuments
tout en ogives, mais où les autres caractères généraux pré-
sentent assez d'analogie pour faire classer ces édifices dans
une même famille. Ici, d'ailleurs, encore plus que dans les
autres styles, nous devons trouver des nuances nombreuses
selon les dates et les pays. Ainsi, dans la province ecclésia-
stique de Lyon, les églises n'ont été ogivales qu'accidentelle-
ment vers la fin du XIP siècle et même pendant le XIII*'.
Ainsi donc, l'absence de l'ogive dans un monument du Midi,
ne suffit point pour qu'on l'attribue à une date antérieure
au XIIP siècle, de même qu'en Picardie la présence du
cintre brisé ne prouve pas qu'un monument soit postérieur
au Xr siècle, puisque dès cette époque, l'ogive romane ap-
paraît dans la crypte de Nesle (Somme), aux églises de Saint-
Germer et du Coudray (Oise), etc.
On qualifie de romane l'ogive de cette époque (fig. 1),
parce qu'elle n'a point encore le caractère élancé qu'elle doit
prendre au XIIP' siècle et que ses moulures appartiennent à
l'école romane.
Plan. — Les petites églises rurales conservent la forme
des anciennes basiliques. Dans les édifices plus importants,
les bas-côtés ne s'arrêtent pas à la courbure de l'abside, ils
se prolongent ordinairement autour du chœur, qui s'entoure
de chapelles. On a longtemps admis que cette disposition, à
40(3 l'RÉGIS DE l'histoire DE L'aRT CHRÉTIEN
laquelle on est convenu de donner le nom de cliorea^ n'avait
apparu qu'au XIP siècle; mais on en a constaté divers
exemples au siècle précédent : à la cathédrale de Valence,
dédiée en 1093, à celle de Nevers (1097j, à Saint-Hilaire
de Poitiers (104.9), etc. M. Alfred Ramé suppose même que
le prolongement des bas-côtés autour du chœur s'est produit
dans quelques monuments carlovingiens du centre et de
l'ouest de la France.
En général, le chœur est plus bas que la nef, tandis qu'au
XIIP siècle, il est plus élevé.
L'obligation qui incomba aux chanoines de réciter souvent
l'Office des morts et celui de la sainte Vierge, les retint plus
longtemps dans l'église; ils songèrent à se prémunir contre
le froid. De là ces clôtures de chœur d'abord basses et à
claires- voies, qui devaient s'exhausser dans les siècles sui-
vants et se décorer de bas-reliefs.
Les nefs élargissent leurs proportions; plusieurs étages de
colonnes s'élèvent jusqu'aux retombés des voûtes. De nom-
breuses fenêtres s'ouvrent au-dessus des arcs latéraux et
versent un jour plus abondant dans l'église.
Une forme aussi exceptionnelle en France qu'elle est ré-
pandue en Allemagne, est celle des transsepts à terminaison
circulaire (cathédrales de Noyon, Soissons et Tournai).
M. L. Vitet pense que cette manière de construire est d'ori-
gine orientale, et qu'on n'en trouve d'admirables essais que là
où cette influence a été directe, comme dans les villes mar-
chandes de la Germanie. Il se demande pourquoi une forme
dont les effets sont si gracieux, qui jette tant de netteté dans
les lignes de l'architecture, n'a pas été plus généralement
adoptée. « Serait-ce la séparation des Eglises grecque et ro-
maine qui, en lui imprimant un caractère pour ainsi dire
schismatique, aurait nui à sa fortune en Occident ? En se-
EN FRANCE Eï EN ItELGIUUi:. /|07
rait-il des églises à transsepts semi-circulaires comme de ces
églises à coupoles semées de loin en loin dans quelques-unes
de nos provinces, véritables chefs-d'œuvre d'élégance qui
seraient probablement moins rares, si la fidélité aux tradi-
tions latines avait permis d'en multiplier les imitations ? »
Quelques églises de cette époque sont circulaires : telles
sont celles de Charoux (Vienne) et de Rieux-Morinville
(Aude). Ce sont des souvenirs de l'église du Saint-Sépulcre,
à Jérusalem. C'est également à l'influence des modèles orien-
taux que sont dues les coupoles du Périgord et de quelques
provinces avoisinantes. Une autre forme exceptionnelle est
celle qu'on remarque à l'église d'Aigueperse, en Auvergne,
où le chœur, droit dans la première partie, se termine par la
moitié d'un décagone.
On remarque plus fréquemment dans la disposition du
plan la déviation de l'axe principal, qui est une traduc-
tion iconographique de Vinclinato capite de l'Evangile. Dans
le Bordelais, presque toutes les églises romanes ont leur ab-
side inclinée du côté du nord ; quelques-unes, en très-petit
nombre, sont inclinées vers le sud.
Les tristes nécessités de l'époque firent parfois fortifier les
églises pour les mettre à l'abri du pillage ; elles étaient alors
munies de créneaux, de
mâchicoulis et de meur-
trières. Telles sont les
églises d'Elne (Pyrénées-
Orientales ) , de Mague-
rone (Hérault) et de Royat
(Puy-de-Dôme) (fig. 2) :
Plusieurs conciles s'oc-
cupèrent des abus qui 2.
pouvaient naître de la transformation militaire de ces édises.
408 l'RKCIà DE J/UISTOIRK DE l'aIIT CHUÉT[EN
Un concile d'Avignon, tenu en 1209, défendit de fortifier les
monuments religieux et ordonna même de détruire ceux qui
étaient munis de fortifications, à moins qu'ils ne fussent né-
cessaires pour s'opposer à renvahissement des infidèles,
?iisi forte ad repnllendam instanliam paganorum.
Cryptes. — • C'est le dernier âge des cryptes dont on ne
pourra plus citer que de bien rares exemples sous le règne
du style ogival. Une des plus vastes est celle de Notre-Dame
de Boulogne, qui mesure plus de cent mètres de longueur.
Elle comprend trois nefs, un
chœur, des transsepts, des cha-
pelles latérales et absidales. Celle
d'Issoire {fig. 5), que quelques
archéologues attribuent au XF
siècle, est accompagnée de cinq
chapelles dont trois carrées et
deux demi-circulaires. 3,
Appareil. — Le grand appareil est beaucoup plus usité
que le moyen. Les appareils réticulés, en arêtes de poissons,
etc., que nous avons signalés dans les siècles précédents, con-
tinuent à être en usage ; mais les décorations en briques de-
viennent de pins en })lns rares. Les linteaux ne sont guère
employés que pour couvrir les petites ouvertures.
Contreforts. — Placés à l'endroit on s'exerce la poussée
des nervures, ils deviennent plus saillants et plus forts; mais
leurs assises, disposées en retraits, en dissimulent la lour-
deur. Souvent ils sont surmontés de clochetons quadrangu-
laires, et l'amortissement de la face principale se couvre
d'imbrications. Les arcs-boutants sont moins rares et moins
massifs qu'à la fin de la précédente période. Ils n'ont encore
d'autre but que de soutenir les murs et de neutraliser la
poussée des voûtes. Ce n'est qu'au XIIF siècle qu'on en ti-
EN FRANCE ET EN DELGIOLE. 4U!»
rera un admirable parti pour donner à l'édifice une physio-
nomie plus légère et plus hardie.
Corniches. — Les corniches inférieures, destinées à sépa-
rer les étages, se composent uniquement, en Normandie, de
tores et de cavets. Ailleurs, elles s'appuient sur des modil-
lons ou corbeaux taillés en bizeaux
(fig. 4) ou en dents de scie, découpés en
arcades, où figurent des têtes humaines, 4.
des monstres, des animaux, des fleurons, des pampres, des
rosaces, des entrelacs, des enroulements, des dessins géomé-
triques et des dispositions tellement variées qu'elles échap-
pent à rénumération [fig. 5 à 12).
6.
8.
9.
Portes. — Ogivales ou cintrées, elles sont richement dé-
TOMK VI. 30
410 l'RÉClIS DE l'histoire DE l'aUT CHRÉTIEN
corces {fig. 13) et pourvues de colonnes à chapiteaux variés;
les voussures, qui se multiplient, se tapissent tantôt de per-
sonnages, tantôt de chevrons, d'étoiles, d'entrelacs, de feuil-
lages, etc. [jig. 14).
13.
U.
Les pieds-droits, ornés de figures en demi- relief, forment
(pielquefois un tout continu avec les arcs qui les surmontent.
On voit, pour la première fois, apparaître des statues aux
voussures et aux parois latérales des portes. Nous en appré-
cierons le caractère au chapitre sculpture. Le linteau et le
tympan se parent de trèfles, de diverses moulures et de bas-re-
liefs. Des portes construites aux X® et XP siècles, et qui étaient
restées lisses, furent sculptées à cette époque. La baie du
portail principal est quelquefois divisée en deux parties par
un trumeau qui supporte une grande statue ; mais cette inter-
position d'un pilier central ne fut généralement admise qu'au
Xlir et surtout au XI V*^ siècle. Les portes latérales
EN FRANCE ET EN BELGIQUE. Ht
s'ouvrent sur la nef et le chœur, taudis (^u'au siècle suivant
elles donnent presque toujours entrée par les transsepts.
Porches. — Parmi les porches (pii sont annexés aux mo-
numents romano-ogivals, il en est qui sont postérieurs à l'é-
rection des églises. On ne les élevait })oint seulement dans
un but de décoration, mais aussi dans un but d'utilité, pour
défendre l'entrée des temples contre les injures de l'air.
Quelques-uns, armés de mâchicoulis et de créneaux, oifrent
une véritable défense militaire.
Fenêtres. — On trouve encore, surtout dans les cam-
pagnes, de petites fenêtres étroites sans colonnettes [fig. 15)
comme au siècle précédent; mais, en général, elles sont
beaucoup plus larges et sont formées d'une archivolte sup-
portée par des colonnes {fig. 16).
LJà>
15.
16.
Les fenêtres, isolées, géminées ou ternées, sont tantôt en
cintre, tantôt en ogive. La fenêtre centrale de la façade
prend de grandes proportions, et, vers l'approche de l'ère
ogivale, elle offre un luxe remarquable de moulures à cubes
pyramidaux et même de figures en relief.
Roses. — L'œil-de-bœuf agrandi se divise en rayons qui
partent du centre de la baie circulaire pour aboutir au grand
17.
Nolrc-Darao de N'oyaii.
: on en voit quel-
.\
41:2 rai'cis de lhistûiiu: de i/aut chrétien
cercle de circonférence {fuj. 17), orné parfois de moulures et
de figures en relief (Saint-Etienne de
Beauvais); ces rayons ou colonnes sont
rarement réunis par des trilobés. Cette
disposition des roses romanes leur a
.t, fait donner le nom
^__£^ de roues de sainte
Callierifip; elles sont
situées à l'extrémité
des transsepts ou au-
dessus du grand portail
quefois au centre de l'abside.
Tours — Divisées en plusieurs étages
par des corniches, elles
sont percées de baies cin-
trées ou ogivales et déco-
rées d'arcades simulées
ifif/. IHel 19).
Au commencement du
XIP siècle, elles étaient
quadrangulaires, surmon-
tées de pyramides à quatre
pans, Hanquées aux angles
de contreforts à nombreux
larmiers. Plus tard, elles
se couronnent de flèches
octoi!;ones revêtues d'im-
bricationset dont les angles
sont garnis de clochetons
en encorbellement. Ou
voit se multiplier les clo-
chers junieaux, ordinairement d'inégale hauteur, pour syra~
18
Sainlc-Cioix de Lii'fto.
19.
?i.-I)<nnf de Novon.
liN l'MlANCIi ET lv\ lltl/ilutli:. H,'!
l)olisei', (lit-oii, dans lit tour moins élevée, le i)onvoii* tcni-
])orel, vt dans la tour la [dus haute, lu i)uissan('e spiritucdlc.
On trouve des tours roniano-ogivales jieeonij)agnant des édi-
fices de style postérieur : cela provient de ce que, lors(|irnn
reconstruisait n\\^'. éfilisc, on laissait souvent sidisislci' Taii-
cieu clocher ])ar niotit" (réc()noiiii(\
Colonnes. — Ja's piliers sont cantonnés d'un ^laiid
noinbnî de fûts (pii se détachent du massif on ils m', sont en-
Lij'agés (|iu; d'un tiers environ. (îomnu^ à réj)0([iie |)récé(h'nte,
ils sont souvent décorés d(ï divers oi'iiements. (^iiel(|ues-uns
sont entourés, de distancer en distance, de UKadures ioikU's
en formes d'ainieaux, ([ui
leur font doiUHîr le nom
dacolonncs ainwlécs. Dans
(juelques provinces, la
réunion des colonnettes
en faisceau ne se produi-
sit que vers le milieu du
XI F" siècle, et les angles
saillants qui séparent les
l'ûts annelés furent gra-
cieusement" oniemiaités.
J^es angles de la ]>lintli(;
offrent aussi, de I I ."JO à
lîi.'JO, un(! {((dite d(''-
coration (|u"oii nonim(;
pdllc ou ;ji'i/l'''. Les r.o-
loniies isolées em[)loyées
comme piles (flf/. tiOj
sont usitées dans les pio- '^''
vinces où survécurent le ))liis longtem])S l(;s traditions
ronuiines. On les taillait au tour, selon la iiK-thode antique.
414 PRÉCIS DE I/UISTOIRE DE l'aRT CHRÉTIEN.
Chapiteaux. — Ils présentent une étonnante variété et
parfois nne grande perfection. Les chapiteaux historiés per-
sistent jusqu'à La lin du XIP siècle dans le Poitou, le Berry,
la Bourgogne, l'Aquitaine et l'Auvergne (/?//. 21 et 22). Dans
y^
21.
22.
le nord de la France, les figures de chapiteaux sont rares
et n'ont plus d'autre but que de remplacer les volutes aux
angles des tailloirs. Dans la plupart des monuments de tran-
sition, la corbeille, qui rappelle souvent le galbe corynthien,
se tapisse de feuillages profondément fouillés qui n'ont pas
toujours leur type dans la flore indigène. On voit souvent
reproduites des feuilles plates appartenant aux plantes mo-
nocotylédones dont les différents genres se rencontrent dans
les eaux et les endroits marécageux. C'est le commencement
de l'imitation de la nature végétale qui doit tant influencer
l'art du XII? siècle.
EN I-llA.NCE ET EN DEÎ.CilnUE. 11.")
Les tiiilloirs sont tantôt épais et massifs {fig. !25) et tantôt
d'une médiocre dimension {fig. 24). On en voit parfois deux
t2'l
24.
superposés Tun à l'autre, et dont le second se projette en
saillie.
Arcades. — Elles acquièrent un surliaussement considé-
rable. L'ogive employée souvent, à cette époque, dans les
arcades, reste décorée de moulures romanes et se combine
avec des pleins-cintres. La plus ancienne forme de l'ogive
n'est môme qu'un plein-cintre brisé, c'est-à-dire qui pré-
sente à son sommet un angle à peine sensible, tandis que l'o-
give à lancette qui règne au XIII" siècle et qui api)araît
même dès le milieu du XIP siècle en certaines contrées, est
formée par deux arcs qui ont chacun leur centre en dehors
du contour de l'arc qui lui est opposé.
Des arcades cintrées, surhaussées ou ogivales sont simu-
lées sur le nu des murs, à l'intérieur des églises. Dans le
416 PRÉCIS DE l'histoire de l'art chrétien
Midi, où le cintre domine presqu'exclusivement, on voit des
arcades semi circulaires reposant sur des consoles qui rap-
pellent tout à fait l'ornementation romaine. Cette reproduc-
tion des formes antiques n'est qu'exceptionnelle dans le Nord
de la France (les Minimes, à Compiègne).
Les arcades sont souvent géminées et même ternées
{/îg. 25). On en voit de mitre es [fiy. 27), comme au siècle
précédent, dans le Nivernais et l'Auvergne. C'est assez im-
proprement qu'on range parmi les arcades cette forme pri-
mitive que les Anglais appellent arc rampanl^ et qu'il vau-
drait mieux appeler arc angulaire^ puisqu'elle consiste dans
la juxta-position de deux angles droits.
25.
27.
Voûtes. — Les voûtes ogivales en arête sont employées
presque partout. Elles sont renforcées d'arcs diagonaux
juxta-posés à la voûte et prenant leur point d'appui, comme
les arcs doubleaux, sur le tailloir des chapiteaux et parfois
sur des culs-de-larapes ifig. 26) en saillie sur le nu du mur.
La croix qui divise la voûte en quatre compartiments est
resserrée ou écartée, formée uniquement de deux arcs diago-
naux ou traversée à son intersection par un doubleau inter-
calaire, pourvue ou non de formerets, embrassant une seule
ou bien deux travées. Ce système des arcs en croix, inconnu
des Komains et des Byzantins, est le principe du système
EN FRANCE ET EN IVELaïU'JE- 417
Ogival qui doit se développer plus tard. Il s'était révélé dans
la seconde moitié du siècle précédent : les croisées d'ogive
apparaissent en 1059 à l'église de Bosclierville, en 10()7 à
Saint-Martin des Chamj)s, à Paris. Mais la routine et l'im-
puissance empêchèrent l'adoption générale de ce système,
qui ne devint universel, du moins pour les grandes nets et
les transsepts, qu'au milieu du XIP siècle.
Les arcs doubleaux, au lieu d'être rectangulaires, se pro-
filent souvent sous la forme d'un gros boudin. Les clefs de
voûtes commencent à être ciselées avec soin ; elles figurent
des rosaces, des animaux, des personnages, des feuillages, etc.
Nous devons faire remarquer que, à cette époque, on voûta
beaucoup des églises des siècles précédents , soit parce
qu'elles n'avaient été que plafonnées, soit parce que leurs
voûtes primitives, produit d'un art encore en enfance, s'é-
taient promptement écroulées.
Ornements. — Les principaux ornements de la période
romano-ogivale sont les zig-zags, les frettes, les dents de scie,
les étoiles, les pointes de diamant, les ?Kittes {fig. 28), les
28.
29.
30.
31.
32.
festons, les perles [fig. 29), les dentelles, les violettes {fig. 50 1,
les rinceaux, les bandelettes [fig. ù\), les arabesques, les en-
roulements, les entrelacs [fig. 52j, les arcades simulées, etc.
il8 PRÉCIS DE L'ilIàTOlRE DE l'aRT CHRÉTIEN
On commence à rencontrer, snrtout h la fin de cette époque,
des fleurons, des Irois-feiiilks, des quatre- feuilles^ etc.
Les statues adossées sur les murs sont
protégées contre la pluie par un dais
richement décoré, en ibrme d'édicule
(/?</. 35). Les petits monuments qui y
sont figurés reproduisent en général une
forme architecturale d'un style antérieur
à l'époque où le dais a été construit. Les
artistes variaient les dessins des dais
réunis dans un même portail. Là, comme
dans les chapiteaux, ils s'ingéniaient à
éviter l'uiuformité. Les culs-de-lampes ou
consoles {fig. 34) qui servent de supports
aux statues sont également sculptées
avec une grande richesse.
Géographie des styles. — L'influence
byzantine est beaucoup plus grande dans
le Midi et le Périgord que dans le Nord
de la France. Elle est presque nulle en
Bretagne et en Normandie. — L'ogive
se montre rarement dans l'Est et le Midi, qui conservent la
plupart des caractères architectoniques du siècle précédent,
mais avec une plus grande perfection de détails.
Belgique. — L'art flamand s'inspire tout à la fois des
écoles qui régnent sur les bords du Rhin, de la Moselle et de
la Meuse, et de l'influence orientale. Le type du XP siècle
persévère longtemps dans les contrées situées à droite de la
Meuse. La coupole a})paraît pour la première -fois en Belgique
à Notre-Dame de Ruremonde, — On remarque dans les
Flandres le commencement des appareils en briques.
Nord de la France. — C'est en Picardie que le style à
34.
EN FRANCK ET EN BELGIQUE. il 9
Ogives nous semble avoir pris son premier développement ;
il apparaît bientôt après tlans l'Ile-de-France, la Champagne,
la Lorraine, l'Orléanais, etc. — Vers le milieu du XIP siècle,
les voûtes en berceau sont remplacées, pour les grandes
nefs, par des voûtes d'arête. — Abandon des chapiteaux
historiés. Rareté des statues. Sobriété et correction dans les
décorations murales. — Les rapports de la Picardie avec les
bords du Rhin introduisent dans cette province quelques dis-
positions d'origine étrangère (transsepts circulaires de Sois-
sons et de Noyon ; plan en forme de croix de Lorraine, à
Saint-Quentin). — Sur les bords de l'Oise, grande finesse
dans les profils; quelques colonnes engagées, au lieu d'être
cylindriques, présentent la forme d'une arête.
Normandie. — Tours carrées, fort élevées, couronnées de
hautes pyramides. Les angles saillants qui séparent les co-
lonnes sont ornementés. Infériorité artistique par rapport
au Midi, surtout pour la statuaire. Fréquence des zig-zags
et desfrettes.
Périgord et Angoumois. — Églises à coupole qui se mo-
dulent plus ou moins sur Saint-Front de Périgueux.
Poitou., Anjou, Saintonge. — Grande richesse d'ornements
qui sembleraient inspirés par les tapis fabriqués en Perse
dont on décorait alors les églises. — Quelques monuments,
à coupoles.
Bretagne. • — Porte principale à double arceau soutenu
par de simples pieds-droits. — Tour carrée élevée au centre.
— La transition ne s'y produit qu'après la première moitié
du XIP siècle.
Auvergne. — Triphorium à arcades multilobées. Portails
et archivoltes lisses. Rareté des bas-reliefs et des statues.
Tours peu élevées. Contreforts rares. Pas de colonnes en
faisceau. Absence de zig-zags et de frettes cannelées. Mar-
520 TRÉCIS DE l'histoire DE l'aUT CHRÉTIEN
queteiies en pierres de couleur, moulures en damiers. —
Beaucoup de monuments sont construits par une confrérie
de maçons qui s'appelaient les Logeurs du bon Dieu.
Bords du Rhin. — Les contreforts ne sont que de simples
pilastres peu épais, s'élevant jusqu'à la corniche du toit : on
leur doiHie le nom de bandes lombardes. — Portail occidental
remplacé par une abside. — Tours nombreuses avec fronton
triangulaire; arcatures prodiguées au couronnement. —
Fréquence des corbeilles godronnées et cubiques.
Lyonnais, Bourgogne, Bourbonnais. — Régularité du plan,
élégance des galbes, correction des détails. — Pas d'ogives.
Contreforts en bandes lombardes, sans retraits en larmier.
Pilastres cannelés. Bases et chapiteaux ifty. 55 et 06) qui
conservent quelque souvenir de l'antique.
36.
Guyenne et Gascogne. — Elégance des formes sculpturales.
Pas de losanges, de tores rompus, de méandres. Lignes aj*-
rondies et gracieuses. Abside triangulaire des chapelles,
dont l'intérieur est pourtant circulaire. Eeproduction des
formes antiques. Fidélité au plein-cintre.
Languedoc, Provence et Dauphiné. — Contreforts en
bandes lombardes. Corniches soutenues par de véritables con-
soles, comme dans l'ordre corinthien. Appareil d'ornemen-
tation formé de marbres polychromes. Perfection des parties
sculptées. Dcî? figiu-es naturelles ou fantastiques accom-
EN FRANCIS ET EX BELGIQUE. i^l
piigiient les rinceaux et les feuillages. — Sur le littoral
uiéditérannéen, où les villes avaient des relations directes
îivec rOrieut, riulluence byzantine se révèle par des al)sides
à pans coupés, des arcatures plates décorant les murs, des
moulures coniplicpiéeS;, des feuillages aigus et dentelés.
Exemples du style romano-ogival. — « Le plus beau
monument d'architecture de l'épocpie de transition , dit
^1. I). Kamée, le plus grand et le plus complet;, c'est l'an-
cienne cathédrale de Noyon. Elle se compose de trois nefs,
de deux transsepts dont les faces septentrionale et méridio-
nale sont circulaires, d'un chœur circulaire autour durjuel
j-ayonnent cinq chapelles également circulaires. Sur chacune
des faces orientales des transsepts, il existe un porche. A
l'ouest, on entre dans l'église Notre-Dame par trois portes
précédées d'un porche qui a été ajouté au XI V^ siècle. Le
portail est flanqué de deux tours énormes d'apparence impo-
sante et massive. Quatre escaliers commodes, clairs et spa-
cieux, conduisent au magnifique triphorium ou tribunes (lu
premier étage, dont les ouvertures sur la nef se composent
d'une grande arcade à ogive divisée par une colonne qui
supporte un côté des deux autres ogives; la nef est formée
de [)iliers carrés, flanqués de fines colonnettes et de colonnes
ciselées supportant des arcs à ogive. Les colonnettes du
chœur, qui s'élèvent au nombre de trois au-dessus des cha-
piteaux de chaque colonne du rez-de-chaussée et qui s'é-
lancent jusqu'à la naissance de la voûte, ont sept anne-
lures.... Le chevet penche à droite.... L'ornementation est
rare dans cette église : elle ne se montre qu'aux chapiteaux
et à quelques consoles du chœur. Tous les chapiteaux de la
partie qui date du XIP siècle sont composés de feuillages
formés de plantes grasses, de feuilles exotiques. Notre-Dame
de Noyon est peut-être le monument religieux où l'ogive se
i2'2 l'HKCis DE l'iii3to;rk de i/art chrétien
trouve niclée an plein-ciiitre de la manière la plus pronon-
cée, la plus extraordinaire, la plus énigmaticpie. »
Notre-Dame de Poitiers {pg. 37) contraste vivement avec
Notre-Dame de Noyon par la surabondance des reliefs et la
37.
richesse de la partie décorative. Au-dessus de ses trois por-
tails régnent deux étages de galeries. L'ogive n'apparaît
qu'aux portails latéraux ; partout ailleurs, c'est le plein-
cintre qui règne exclusivement.
L'église de l'ancien prieuré de Saint-Leu d'Esserent (Oise)
appartient au siècle précédent par sa fondation (1080), mais
sa façade, le chœur et les trois tours sont du style de transi-
EN FRANXE ET EN TiEI.GIOCE. 4^;j
tion. Le cliœur est flanqué de deux tours carrées et garni de
cinq chapelles. Au-dessus du porche est une vaste salle qui
servait jadis de bibliothèque au prieuré. On connaît peu
d'exemples de cette curieuse disposition.
L'église Saint-Quentin [fuj. 58), à Tournai, n'a qu'une
seule nef dont le côté droit n'est éclairé par aucun jour. La
façade est d'une grande simplicité : une porte romane, deux
étages superposés de trois arcades ogivales, deux tourelles
rondes couvertes d'une flèche eu bois.
.38.
Le portail central de Saint-Pierre de Roye offre trois archi-
voltes en retraite ogivo-romanes. La première se compose
de deux rangs de chevrons brisés, l'un en creux, l'autre en
relief; la deuxième, de monstres fantastiques d'une concep-
424 TRÉcis DE l'histoire de l'art chrétien
tioii riche et variée ; ils sont séparés par des circonférences
en creux , dans le centre desquelles s'enfoncent deux têtes
de clous accolées. Une guirlande de cintres intersectés se
glisse entre ces deux voussures. Sur la troisième se profile
un cordon de crosses végétales. Les chapitaux sont fort re-
marquables : ce sont des oiseaux qui, bec contre bec,
boivent dans la même coupe, des bandelettes croisées, des
enroulements, des entrelacs, etc. L'archivolte se compose
d'une plate-bande de crochets aifrontés et d'un cordon d'oves
et de feuillages qui jadis se terminait par deux crapauds dont
on ne voit plus que les pattes. Au haut du pignon se trouve
une petite rosace dont les rayons partent d'un trèfle central
aboutissant directement à la circonférence.
Les églises suivantes appartiennent, en tout ou en grande
partie, au style romano-ogival :
Cathédrales de Laon, Tulle, Châlons-sur-Marne, Soissons,
Langres, Autun, Angers, Vienne, Vaison, Senlis, etc.
Saint- Sauveur, à Bruges.
Saint-Bavon, àGand.
Saint-Martin, à Saint-ïron (Belgique).
Notre-Dame, à Châlons-sur-Marne.
Saint-Éloi, à Tracy-le-Val (Oise).
Saint-Martin, à Laon. .
Notre-Dame d'Etampes.
Saint-Sauveur, à Ne vers.
Saint-Martin, à Avallon.
Saint-Ours, à Loches.
Sainte-Trinité, à Laval.
Sainte-Croix, à la Charité-sur-Loire (Nièvre).
Sainte-Madeleine, à Troyes.
Sainte-Foy, à Conques (Aveyron).
Notre-Dame-de-la- Couture, au Mans.
EN l'ItANCK HT KiN llKl.dlnlM:. \-2l\
Siiiiit-Martin-tle-Sescas (Gironde).
Saint-Nazaire, à Carcassonne.
Saint-Sernin, à Toulouse.
Saint-lMiiurice, à Vienne.
Les églises de Saint-Loup et de Champeaux (Seine-et-
Marne), de Fécamp (Seine-Inférieure), de Nantua (Ain), de
Civray et de Parthenay-le-Vieux (Vienne), de Sainte-Croix,
près d'Arles, de Beaulieu (Corrèze), de Beaune (Côte-d'Or)
de Saint-Gilles (Gard), de Font-Gombaud (Lidre), de Paray-
le-Monial (Saône-et-Loire), de ]\Iontréal (Yonne), etc
Monastères. — Deux écoles arcliitecturales sont en pré-
sence : celle de Cluny, qui admet la richesse dans l'orne-
mentation, et celle de Citeaux, inspirée par saint Bernard
qui proscrit le luxe dans la sculpture. Cette sévérité admet
pourtant bien des exceptions, car les églises cistercieinios
39.
CloUic df Nivollc
de Longpont, de Foigny, de Vaux-Clair, sont décoi'ées avec
une certaine maîïnificence.
31.
4:2(-) rtii^.cis de i.'iiistôiiU'; hk i/aist chrétien
On remarque deux dispositions particulières dans les
églises de l'ordre de Cîteaux : le chevet est carré, pour évi-
ter les frais qu'entraîne la construction des absides; quatre
chapelles sont placées latéralement au sanctuaire et ont leur
entrée dans les transsepts.
Les cloîtres étaient la partie habitée de l'abbaye où l'ar-
chitecture étalait le plus volontiers ses splendeurs. Nous
donnons h la page précédente ffig. 59J le dessin du cloître
de Nivelles (Belgique), qui a été récemment restauré.
Les cuisines abbatiales étaierit rondes, carrées ou octo-
gones, à un ou plusieurs étages, et contenaient plusieurs
cheminées ou fourneaux. Leur toit conique, hémisphérique
ou octogone était terminé par une lanterne centrale qui
laissait échapper les vapeurs de la cuisine.
Fanaux de cimetières et chapelles sépulcrales. — On
voit dans certains cimetières des édicules nommés fanaitx
lampiers ou lanternes des morts, ayant la forme d'une tou-
relle ou d'un pilier terminé par une lanterne de pierre dont
les ouvertures regardent les quatre ])oints cardinaux. Ces
colonnes cylindriques ou carrées sont ordinairement flanquées
de colonnettes engagées et surmontées d'une croix. Un flam-
beau nocturne allumé dans la lanterne conviait les fidèles à
prier pour les morts. Ces fanaux pouvaient accessoirement
servir de phare indicateur pour les voyageurs. Presque
tous avaient à leur base un autel orienté où se célébrait
probablement la messe d'inhumation. La colonne de
Fenioux (Charente-Liférieure) se compose de onze colonnes,
engagées reposant sur un même socle [fig. 40). Les onze pe-j
tits piliers carrés qui reposent sur l'architrave laissent entre]
eux autant d'intervalles par où on apercevait la lumière
qu'on y mettait pendant la nuit.
Les chapelles sépulcrales avaient la même destination que
Ki\ rn.VNi.K ET EN r.Ki.(ji(,)( E. ' ii.1
les colonnes creuses et pouviiient, en outre, servir :i diverses
cérémonies mortuaires. Elles ont ordinairement la forme
40.
rVune tour circulaire à plusieurs étages dont le toit est sur-
monté d'un fanal. Elles étaient souvent dédiées à saint Mi-
chel, parce que cet archange doit remplir un rôle important
au jugement dernier. La chapelle des morts de Montmorillon
est remarquable par la bizarrerie de ses sculptures ; l'extérieur
est entièrement roman et l'intérieur est tout ogival, La
crypte paraît avoir servi de charnier dans l'origine. Ce petit
monument, aujourd'hui dépourvu de sa lanterne sépulcrale,
faisait jadis partie du cimetière de la Maison-Dieu .
J. CORBLET.
\Ln suite à un prochain miinéro.
RECHERCHES
Sur la Vie et rOEuvre de Jean Bellegambe,
peintre douaisien du XVI siècle-
I.
Tous les artistes et les voyageurs qui ont visité le Nord
de la Frauce, ont vu et admiré dans la ville de Douai, en
l'une des salles de la sacristie de l'église Notre-Dame, le ta-
bleau connu sous le nom de Retable d'Anchin . Nul d'entr'eux
n'a pu oublier cet immense polyptyque et ses neuf pan-
neaux dont les 254 personnages, dispersés au sein de frais
paysages ou sous de magnifiques constructions architectu-
rales, représentent, sur la face extérieure, toute la terre vé-
nérant la Croix, et, sur la face intérieure, tout le ciel adorant
la sainte Trinité ; nul d'entr'eux n'a pu oublier la curieuse
histoire de ce retable, exécuté au XVP siècle, pour dora
Charles Coguin, abbé d'Anchin, conservé jusqu'à la Révolu-
tion sur le grand autel ou dans la trésorerie de cette abbaye,
jeté par les vandales de 95 dans les greniers du Musée de
Douai, séparé en plusieurs fragments qui furent cédés, ven-
dus à vil prix et dispersés en diverses mains, et enfin heu-
reusement retrouvé et reconstitué, grâce au zèle et aux sacri-
HECHKUCUES SUU JliAN liED.EGA.MHi;. .'(>2!l
iicL'S tlii tluctcur EsGciUier qui, à sa mort, le légua ;i l'église
Notre-Diime. Lougtemps ce clief-d'œuvre avait été altribué
à Meralinc; une étude, publiée dans les Mr moires de la Socirlr
d'agriculture, sciences et aris de Duuai et dans la Hecue de
F Art chrétien, a complètement détruit cette opinion cpie i)ré-
cédemment déjà l'on avait attacpiée ' . L'auteur de cette étude;
avait ensuite prononcé, en hésitant, les noms de Jean Gos-
saert de Maubeuge (Mabuse) et de Gérard liorenbault, quand
l'un de ces hasards heureux, qui arrivent parfois aux travail-
leurs, a levé enfin tous les doutes à cet égard et a donné à la
France, à la Flandre, à la ville de Douai, un nom de ])lus à
ajouter aux noms glorieux dont elles peuvent s'enorgueillir.
Le 25 avril 1802, un érudit à qui l'histoire artistique de
nos contrées doit plusieurs découvertes importantes, M. Al-
phonse Wauters , le savant archiviste de la bibliothèque
royale de Bruxelles, visitait de nouveau et plus que jamais
admirait le retable d'Auchin ; et il se demandait, aussi
avec hésitation, si Jeau de Maubeuge u'était pas l'auteur de
ce chef-d'œuvre. Trois jours après, dans les riches archives
qui sont confiées à ses soins, il trouva un manuscrit intitulé:
Mémorial à MM. Vabbé et religieux d'Auchin pour satisfaire
que M. le duc de Croy et d'Aerschott leur at requis par ses let-
tres du 2S de décembre 1600, ensuite du commandement de
Son Altesse sérénissime '. Eu feuilletant, en étudiant cet in-
'■ Mémoires de la Société Impériale d'agriculture, sciences et arts séant à
Douai. Année 1858-1859. De l'.-irt chrétien en Flandre, par l'abbé C. De-
haisnes. Etude sur le Retable d' Anchin, dans la Revue de V Jjt chrétien, 1860.
* Ce manuscrit est coté n° 7876. Il renferme trois copies du même travail ;
la dernière est surchargée de corrections et constitue évidemment la rédaction
primitive. Toutes les trois oiFrent, sans variantes, le passage dont je me sers
ici. Une annotation reproduite à la fin de toutes trois porte qu'on les a coUa-
tionnées, le 2 mars 1601, avec « le premier exemplaire. » (Note de M. \^'au-
ters).
430 RFCHERCHF.S
ventaire, quelles ue fui'cnt pas sa surprise et sa juie de lire
le passage suivant : " Les plus cxcpUentes pinctures sont de la
<' table du r/rand aufel à doubles feu il letz^ peinturée par l'ex-
«I cellrtit jjainfre Bf'hjdnihc. n
« Cette phrase, ajoute M. Wauters dans la brochure (pi'il
a publiée pour rendre compte de sa découverte ', cette
phrase, je crois, ne laisse aucun doute. Kédigéeparun moine
de l'abbaye, cinquante-cinq ans seulement après la mort de
l'abbé Cokin -, à une époque où les traditions sur Bellegambe
n'étaient pas encore eftacées, elle constitue un renseignement
parfaitement authentique. Quoique le sujet du tableau n'y
soit pas indiqué, deux circonstances attestent qu'il s'agit ici
de notre polyptyque. On sait que ce dernier ornait jadis le
maître-autel de l'église a])batiale. Le manuscrit rapporte en
outre que le tableau de Bellegambe était à doubles volets; or,
le polyptyque offre précisément cette disposition si rare.
Charlemagne y étiuit représenté sous les traits de l'empereur
Maximilien, mort en 1519, on pourrait supposer avec quel-
que vraisemblance que Bellegambe peignit son tableau vers
ce temps. D'un autre côté, l'abbé Charles Cokin, qui fit
exécuter ce retable, n'exerça qu'en 1511 les fonctions d'abbé
d'Anchin. La date probable de l'exécution serait donc de
15H à 1519 ^ ..
' Jean Bellegambe de Douai, le peintre du tableau polyptyque d'Anchin,
par M. Alphonse Wauters. Bruxelles, Emm. Devroye , 1862. Br. in-8" de
22 pages.
- Charles Coguin de Saint-Aragon, coadjuteur de l'abbé d'Anchin en 1507,
exerça les fonctions d'abbé en son propre nom de 1511 à 1546. Dom Fran-
çois de Bar, qui écrivit peu d'années après la mort de cet abbé, l'appelle
Coli'in alias Coguin et adopte ensuite ce dernier nom ; M. Escallier, dans son
Histoire de l'abbaye d' Anchin,ei^\. Leglay,dans le Cameracum christianum,
l'ont imité. Nous avons donc employé le nom de Coguin plutôt que celui de
Cokin, que l'on trouve dans le manuscrit de Bruxelles.
■' Jean Bellegambe . par M Alph. Wauters, p. 14.
^1 R .IKA.N (IKI.I.LdAMIiK. /JiJl
La (.'itiitioii ciupriiiitée au inanuscrit de P.i iixcllcs et les
observations jii(licienses dont l'a l'ait saivi'e Al. Wauters ,
établissent (jue .leaii lîelleganibe est raiiteni' du retable
d'Aucliin ; mais toutefois, elles n'olfrent pas Tniie de ri;>i
preuves irrét"utal)les, de ees démonstrations évidentes aux-
quelles eliacnn doit néeessaireirient se rendi'e. Ijl/Kd'ijciti/ancc
Ih'/(/(', en parlant, de la découverte du savant archiviste, avait
semblé annonce]' nue sorte de contrat passé entre l'abbé
d'Ancliin et le peintre, une pièce du commencement du XVP
siècle revêtue de sii^natures; et le maïuiscrit d(; BiMixelles a
(îté é(;rit ])lus de quatre-vingts ans après répo(pie assignée
comme la date probable du tableau ; il ne reirièrme, an sujet
du retable, que deux lignes qui, au premier abord, peuvent
paraître peu explicites. Trompés en partie dans leur es[)oir,
des es[)rits sérieux conservent encore quelques doutes sur le
véritable auteur de la peinture j>ossédée par Téglise Notre-
Dame. Ils se demandent si les deux lignes citées par M. Wau-
ters s'appliquent nécessairement à ce tableau, si le retable du
maître-autel d'Ancbin n'a point pu, aune époque quelconque,
être ]*emplacé par une autre œuvre qui ne fût pas de Belle-
gambe, si l'auteur du Méniurial, en citant ce dernier nom
an commencement du XV^ll'' siècle, ne s'est pas appuyé sur
une tradition vague et incertaine, et entin s'il est possible
(jue le maitre qui a exécuté une œuvre aussi importante n'ait
pas été connu jusqu'aujourd'hui dans le pays et dans la ville
qui l'ont vu naître et travailler. Le savant archiviste de
Bruxelles n'a point réfuté d'avance, dans sa 1)rochure, ces
objections difterentes qui ont leur côté spécieux; quand
même il les aurait prévues, il ne pouvait les détruire com-
plètement, parce qu'il n'avait pas sous la main les documents
qui peuvent servir à établir sa thèse. Les recherches parti-
culières que nous avons faites depuis plusieurs années sur les
i'Si KKGUERGHES
manuscrits d'Aucliiii, l'étude comparative que nous avons
établie entre ces manuscrits et celui de Bruxelles, le soin
avec lequel nous avons suivi les publications relatives à Jean
Bellegambe, l'examen attentif de toutes ses œuvres auquel
nous nous sonnnes livrés de nouveau, tout cela nous permet
de réfuter les objections qui ont été soulevées contre l'opinion
de M. Wauters, de faire connaître jusqu'à un certain point
la vie de Jean Bellegambe et de donner une idée de son œuvre
et de son talent. Le peintre, les peintures nous ont semblé
mériter une étude sérieuse : nous l'essayons.
II.
Au commencement du XVIP siècle, l'abbaye d'Anchin s'e-
norgueillissait décompter au nombre de ses religieux le grand-
prieur dom François de Bar, savant historien qui a laissé
plusieurs ouvrages importants sur l'histoire ecclésiastique
du nord de la France, et qui a parlé, dans plusieurs de ses
écrits, de la question que nous traitons ici. François de Bar
naquit en 1528, à Seizencourt, village situé aujourd'hui dans
le département de l'Aisne, d'une famille noble alliée à celle
de Charles Coguin, le commettant du retable conservé à
Notre-Dame de Douai. Petit-neveu de ce célèbre abbé, il fut
envoyé jeune encore dans le monastère d'Anchin ; comme il
nous dit lui-même qu'il y étudia les belles-lettres, on peut
supposer qu'il y entra avant l'âge de dix-huit ans, par consé-
quent du vivant même de son grand-oncle qui mourut en 1 o i6;
du moins son arrivée à l'abbaye fut postérieure de bien peu
d'années, puisque, vers 1556, après qu'il y eut terminé ses
études littéraires et théologiques, ses supérieurs l'envoyèrent
passer quelques années à l'Université de Paris. Rentré au
monastère d'Anchin, il y professa avec beaucoup de talent,
SI'U JEAN BEJ.LEtiAMBE. iS'.i
fut élevé, dès 157^, à la dignité de grand-[)rieiir et se distin-
gua au milieu des afliiires les })lus difficiles par sa piété et ses
vertus, ses talents et son lial)ileté. Les embarras suscités par
les guerres qui désolaient la Flandre et le zèle qu'il apporta
à mettre un terme aux troubles intérieurs du monastère cau-
sés par l'indiscipline de quelques religieux et la faiblesse
d'un abbé, ne purent le détourner de se livrer aux recherches
les plus étendues et les plus actives sur l'histoire ecclésia-
stique de la Flandre et de l'Artois. Dans les dix années qui
précédèrent sa mort, ari-ivée le 25 mars 1(30(), il consigna
par écrit, dans un grand nombre d'ouvrages, le résultat de
ses longs travaux ; la bibliotlièt[ue publique de Douai possède
encore aujourd'hui vingt forts volumes écrits de sa main qui
contiennent l'histoire des évêchés de Cambrai, d'Arras, de
Tournai, de Saint-Omer, de G and et des monastères de ces
diocèses. Nul ouvrage- n'offre des renseignements aussi cer-
tains et aussi étendus sur le nord de la France et le midi de
la Belgique : bien que la grande Histoire de l'abbaye d'An-
chin^ écrite par dom François de Bar en trois volumes in-
folio, soit malheureusement perdue, le docteur Escallier, en
se contentant le plus souvent de traduire ce qui nous reste
de ce religieux, a pu donner au public sa curieuse et impor-
tante Monographie de l'abbaye d'Anchin '.
En lisant dans la brochure de jM. AYauters que le Méinu-
rial, qui désigne Jean Bellegambe connne l'auteur du retable
de Notre-Dame, a été rédigé en l'an 1601, pour l'archiduc
Albert, par un religieux de l'abbaye d'Anchin, nous nous
sommes demandé si cet inventaire officiel, qui révèle dans
son auteur une connaissance sérieuse de l'histoire du mo-
* François de Bar, Manuscrits de la Bibliothèque de Douai, n" 767, t. iii,
f° 245 et passim. — Foppews, Bihliotheca Belgica,a.u mot Franciscus de Bar.
— Escallier, V Ahhaye d' Jnchin, passim.
434 RECHERCUJiS
iiastère et de ses richesses artistiques et autres, ne pouvait
pas être l'œuvre de raiinaliste d'Auchin, de l'érudit qui
avait étudié tous les écrits et toutes les traditions, toutes les
archives et tous les comptes de l'abbaye, du travailleur in-
fatigable qui était, en cette môme année 1(301, occupé à
écrire V Histoire d'Anchm^ en un mot du grand-prieur dom
François de Bar. Désireux d'éclaircir nos doutes à cet égard,
nous avons demandé à Bruxelles un fac-similé du manuscrit
en question ; une communication bienveillante nous a en-
voyé les lignes consacrées au retable d'Auchin dans la mi-
nute même du Mémorial^ et à peine y avions-nous jeté les
yeux^ que nous avons reconnu la main de l'historien d'Au-
chin ; en comparant cki fac-similé avec les manuscrits mêmes
de la bibliothèque de Douai et particulièrement avec les
numéros 770 et 77 J qui ont été écrits l'un en 1599 et
l'autre en 1601, et par conséquent à Fépoque oii le Mémorial
a été rédigé, nous n'avons plus eu le moindre doute à cet
égard, nous avons acquis la certitude que la minute du ma-
nuscrit de Bruxelles est de la main de dom François de Bar.
L'on comprendra facilement rinq)ortance de ce renseigne-
ment qui complète la curieuse découverte de M. Wauters.
L'on avait dit que l'inventaire dans lequel Jean Bellegambe
est désigné comme l'auteur du retable d'Auchin était écrit
par un religieux inconnu, qui sans doute n'avait point vécu
sous Charles Coguin, qui avait indiqué un nom d'artiste
peut-être au hasard, ou du moins peut-être d'après de vagues
indications que s'étaient transmises quelques générations de
religieux. Et voilà qu'aujourd'hui, par le curieux renseigne-
ment que nous a fourni la comparaison de l'écriture du ma-
nuscrit de Bruxelles avec celle des manuscrits de Douai, il
est prouvé que la phrase du Mémorial a été écrite par l'au-
teur des ouvrages les plus complets qui aient été composés sur
SIU JEAN BELLEGAMBE. i.Jo
l'histoire ecclésiustique de la Flandre, par un religieux qui a
vécu plus de cinquante ans dans l'altbaye d'Anchin, qui y a
exercé les fonctions de grand-prieur pendant plus de trente
■ans, qui a étudié d'une manière toute spéciale l'histoire de ce
monastère qu'il avait écrite en trois volumes; petit-neveu de
Charles Coguin, fier de cette parenté dont il parle avec com-
jdaisance, plus fier encore des travaux de son grand-oncle,
qu'il énumère longuement, ce religieux devait eonnaitre tous
les détails relatifs aux ouvrages exécutés ])ar ordre de ce
prélat protecteur des arts, et surtout ce (pu se rapportait
au retable, œuvre qui avait coûté des sonnnes immenses et
que l'on considérait comme le trésor du couvent ; enfin ,
reçu dans l'abbaye du vivant môme de Charles Coguin ou du
moins peu d'années après sa mort, il avait vécu longtemps
avec un grand nombre de religieux qui avaient vu travailler
l'auteur du retable. L'on avait invoqué contre l'opinion de
M. Wauters le silence de François de Bar en rappelant que
ce savant annaliste d'Anchin avait dit, en parlant de la
peinture du maitre-autel excellenter depictarum sans don-
ner le nom de l'auteur, et voilà qu'aujourd'hui il est prouvé
que la minute du manuscrit de Bruxelles, dans lequel on lit
le nom de Jean Bellegambe, a été rédigée par dom François
de Bar lui-même. Rien n'est plus curieux, mais surtout rien
n'est plus concluant que l'argument fourni par la comparai-
son de l'écriture des deux manuscrits : à part la signature
de Jean Bellegambe ou celle de Charles Coguin, aucun témoi-
gnage ne pouvait être plus solide que celui du savant anna-
liste d'Anchin. L'on ne peut donc mettre en doute l'authen-
ticité et l'autorité de la phrase du Mémorial^ dans lequel on
lit : « Les plus excellentes pinctures sont de la table du
grand autel à doubles feuilletz , peinturée par l'excellent
paintre Belgambe. »
436 RECllEHGHES
Mais, comme nous l'iivoiis déjà dit, l'on s'est demandé si
cette phrase ne pouvait pas indiquer un retable autre que le
tableau polyptyque que possède l'église Notre-Dame. Une
étude sérieuse de deux passages des manuscrits de François,
de Bar conservés à Douai et une comparaison attentive de
ces deux passages avec la phrase du manuscrit conservé à
Bruxelles démontrent de la manière la plus évidente que
dans les deux manuscrits il est question du même tableau.
Dans son Historia episcopatus Atrebatensis^ ouvrage écrit en
1599, François de Bar, racontant en abrégé la vie de tous
les abbés d'Anchin, parle en deux endroits différents du re-
table qui ornait le maître-autel de l'église abbatiale. Il dit
dans les lignes consacrées à l'abbé Guillaume Brunel : « Le
«^ retable d'argent et de vermeil du maitre-autel fut enfermé
« dans une immense custode en bois, que plus tard Charles
« Coguin agrandit avec beaucoup de magnificence, en la fai-
« sant artistement orner de peintures et de découpures à
« jours'. » Et ailleurs en parlant de l'abbé Coguin lui-même:
« Il fit recouvrir le retable d'argent et de vermeil au moyen
<• du tableau du maître-autel qui ofi're deux volets tournant
« sur gonds ; cette peinture exécutée par un artiste excellent
« coûta des sommes immenses ^. »
' Summi altaris tabulam argenteam ac auro tectam capsà ingenti inclusi
quara Carolus Coguin postmodum quam ditissime auxit picturis ac fenestiis
iugeniose distinctain. — François de Bah, Historia episcopatus Atrehatensis ,
t. III, p. 198, n° 767 des mss. de la bibl. de Douai. — Sur le maître-autel de
l'église de l'abbaye se trouvait un magnifique retable en argent, doré avec le
plus grand soin, exécuté au XIII'' siècle par un religieux d'Anchin. C'est pour
recouvrir ce retable qu'on plaça une custode en bois au-dessus de l'autel. Dom
Charles Coguin voulut embellir et cacher cette custode au moyen de peintures ;
et c'est pour cela qu'il fit exécuter le retable aujourd'hui conservé à Notre-Dame.
* Duplici quoque tabularum summi altaris revolutione excellenter depicta-
rum cingi mensam argenteam ac deauratam incredibili sumptu fccit. — Fran-
çois DE Bah. Même manuscrit, p. 21(3.
SIU JKAN BKI.I.KCAiMlii:. i.;n
C'est (lu retable .'miourcrhui cunservé ii N()tre-l)aine (ju'il
est question clans ces deux passages de Francjois de Bar : en
effet, ce retable provient d'Anchin, puisqu'on y trouve les
armes de l'abbaye, son église avec son portique roman et ses
quatre clochers, son entrée principale avec ses trois portes
surmontées de plusieurs fenêtres accouplées auxquelles con-
duit un escalier de pierre; il a été exécuté par ordre de dom
Charles Cogiiin , puisque l'on y voit le portrait, le patron
et les armes de cet abbé, armes, patron et portrait qui rap-
pellent presque exactement une miniature du n° 1125 des
manuscrits de la bibliothèque de Douai, enluminé par ordre
du même prélat. Un examen sérieux et détaillé du retable
conduit au même résultat: en faisant tourner sur leurs gonds
les volets mobiles, on retrouve cette disposition exceptionnelle
si bien décrite par François de Bar dans les mots diiplici
tabiilarum revolutione ; et c'est bien à ces neuf immenses pan-
neaux, exécutés avec le fini le plus parfait, que l'on peut
appliquer ces autres paroles du même auteur : incredibili
sumptu fecit. Rappelons d'ailleurs que, loin d'inventer ces
arguments pour le besoin de notre thèse, nous ne faisons que
suivre en cela l'opinion de M. Escallier qui s'appuyait non-
seulement sur les raisons que nous venons de développer,
mais aussi sur les traditions qu'il avait recueillies de plusieurs
prêtres, anciens religieux de l'abbaye d'Anchin ' . Ces preuves
suffisent, nous l'espérons du moins, pour démontrer à nos
lecteurs que les deux passages du manuscrit de Douai sont
relatifs au tableau aujourd'hui conservé à Notre-Dame. Or,
en comparant le texte de ces passages aux deux lignes trou-
vées par M. Wauters, l'on est amené à conclure que dans les
deux ouvrages François de Bar parle de la même peinture.
' EscAF.LiKR, r Ahhnyc d'Anchin. p. 246.
.i.:.{8 UECllEI'.illlES
En effet, dans le manuscrit de Bruxelles comme dans celui
de Douai, il est question d'un retable possédé à la fin du
XVP siècle par l'abbaye d'Ancliin; ce retable est désigné ici
par les mots à doubles femlletz^ et là par diiplici tabularum
revolutioney expressions qui témoignent d'une disposition à la
fois identique et tout exceptionnelle ; il est pla,cé au même
endroit, sur le maître-autel, puisqu'on lit d'un côté la lable
du grand aulel et de l'autre sunimi alla ris tabulam, îabulamnt
summi altaris; enfin François de Bar dit ici pinrturée par
l'excellent peinlre, et là eoccellenter depiclarum. Il y a tant
de rapports entre le texte des deux manuscrits, queTon pour-
rait croire qu'en l'an 160] , dans le Mémorial qu'il a envoyé
à Bruxelles, l'annaliste d'Anchin n'a fait que traduire en
français le texte latin qu'il avait écrit deux ans auparavant,
en 1509, dans le manuscrit aujourd'hui conservé à Douai.
Ainsi donc, tout démontre que dans ces deux écrits difi'érents,
il est question de la même peinture. Nous avons prouvé plus
haut que le tableau conservé à Notre-Dame est aussi le même
que celui du manuscrit de Douai : deux choses semblables à
une troisième sont seml)lables entre elles, comme disent les
mathématiciens ; donc le retable dont il est parlé dans le ma-
nuscrit signalé par M. Wauters, est bien celui qui a été
retrouvé par M. Escallier ; donc l'auteur du retable d'Anchin
est V excellent peintre Belgambe.
Les preuves que nous venons de développer contiennent la
réfutation de toutes les autres objections qui avaient été sou-
levées. L'on avait parlé du silence de François de Bar, et
c'est François de Bar lui-même qui a écrit de sa main les
lignes dans lesquelles se lit le nom du vieux maître douai-
sien. L'on avait dit que cette indication était due à un reli-
gieux inconnu, qui n'oflrait aucune garantie de véracité ; et
le Mémorial a été rédigé par l'annaliste du monastère, par le
SI II lEAN lîKI.I.KdA.MrtE. .{HW
[tins saviint (le sos liistoriens. L'on i^'était (IcinaïKlé si le re-
table n'avait pas été remplacé par lui autre ; et François de
Bar nous dit qu>.n 1601 la peinture exécutée par Bellegauibe
pour sou grand oncle Charles Coguin se trouvait sur le
maître-autel de l'abbaye; d'un autre côté, aujourd'hui encore
nous voyons les armes du même Charles Coguin sur le tableau
qui, jusqu'au siècle dernier, a orné le même maitre-autel. A
ceux qui ont trouvé étonnant que Jean Bellegambe, s'il est
réellement l'auteur du tableau polyptyque conservé à Notre-
Dame, ait pu jusqu'aujourd'hui rester inconnu, et rester
inconnu dans le pays et dans la ville où il est né, où il a tra-
vaillé, nous répondrons en demandant si la naissance et la
vie de l'auteur de la Châsse de saiiUe Ursule sont connues
depuis longtemps à Bruges; si, même de nos jours, elles sont
dégagées des fables et des légendes "dont on les avait entou-
rées. Du reste, en parlant de Jean Bellegambe, nous allons
prouver que ce vieux maître a joui d'une grande réputation
dans sa patrie et même au-delà des monts.
III
Située non loin des cités qui ont vu naître et travailler les
Van Eyck, Van der Weyden et Memlinc, habitée par de
nobles familles et par une riche bourgeoisie qui entretenait
des relations commerciales avec la Flandre, renfermant dans
son enceinte beaucoup d'églises et plusieurs maisons reli-
gieuses, entourée de riches et puissantes abbayes, la ville de
Douai dut nécessairement ressentir le mouvement artistique
que les vieux maîtres flamands imprimèrent à leur })ays
d'abord, puis à toute l'Europe. Un érudit, à qui les recher-
ches les plus minutieuses ne coûtent rien quand il s'agit de
440 l'.IOCllEHC.IlKS
l'histoire de sîi cité natale, M. A. Preux, eu a trouvé les
preuves les plus évidentes dans les riches archives de cette
ville ' . Le plus ancien peintre de Douai que l'on connaisse
est Colart Talon, qui fut reçu bourgeois en 1 422. Nous trou-
vons ensuite Nicaise de Cambray, né à Villers-au-Tertre, qui
fut admis au nombre des citoyens de la même ville le i 5
juillet 1445, et qui est qualifié du nom de peintre dans un
compte présenté au duc de Bourgogne en 1448 ou 1449 ; ses
enfants, Simonnet etGoddefrin, exercent la même profession;
le premier peignait à Lille en 1 4o5; et c'est probablement à
la même famille qu'il faut l'attacher Jean de Cambray qui,
avec plusieurs autres peintres et ouvriers de Douai, Arras et
Cambrai, fut appelé pour travailler à Bruges en 1468. En
1 450, mourait à Douai Jehan Lefebvre, entailleur (sculpteur),
qui donna à l'église Sainl-Pierre, pour être placée en face de
sa tombe, sur une mnpri.sc qui s'y trouvait, une statue de la
Vierge dorée de fin or bnmi. Un autre peintre douaisien,
Jehan Gossuin, revint, le 29 octobre 1 484, acquérir la bour-
geoisie dans sa ville natale; sa femme était de Courtray,
et l'on peut supposer qu'il contracta cette union, en allant
étudier sous les grands maîtres de la Flandre flamande.
Citons encore Guillaume Coustelier, qui vivait à la fin du XV
et au commencement du XVI" siècle, à l'époque où florissait
maître Jehan Bellegambe.
Ces noms qui forment une suite non interrompue de pein- M
très depuis le commencement du XV^ siècle, prouvent qu'il
' Tout ce que nous donnons sur les peintres douaisiens qui ont précédé
Bellegambe est emprunté à un travail publié par M. A. Preux dans les Sou-
venirs de la Flandre u-allonne (année 1862, p 23 à 3.3). Nous i appellerons
ici, comme M. Preux l'a lait aussi, que nous avions parlé des anciens peintres
de Douai dans VArt cJiréllen en Flandre (p. 238), en ne citant toutefois au
XVe siècle que les noms des artistes de la famille de Canihraij (C D.)
SUR JEAN BELLKGAMBK. 411
y avait à Douai une tradition aTtistii|ue (|ui se jierpétuaii
de génération en génération, Mallieiireusement, les notes
nécessairement arides et incomplètes du registre cutx bourgeois
ne donnent que la profession de ces artistes, sans même nous
apprendre s'ils étaient autre chose que des peintres de décors
et d'armoiries. ]\Iais en lisant, dans plusieurs testaments,
que des statues et des vitraux doivent être placés près des
tombes ; en voyant, dans nos historiens les plus anciens, qu'il
existait dans les églises de Douai un grand nombre de vieux
tableaux ; en se rappelant qu'un bourgeois de notre ville,
Guérard Duhem, veut sur sa tombe ung épilaphe ou tableau oh
il soit paint V image de la Vierge Marie tenant son petit enfant
Jésus j, et un angele qui présentera à ladite sainte Vierge la
représentation du testateur avec les représentatiom< de défunte
Marguerite de Haucourt (pti fut sa femme et de ses trois filles
quil a eu d'elle ' ; en se rappelant tout cela, l'on se dit qu'il y
a eu certainement à Douai plusieurs peintres dignes du nom
d'artistes; l'on se croit autorisé à répéter avec les Souvenirs de
la Flandre wallonne, qu'autour de Nicaise de Cambray et de
ses fils durent se grouper un certain nombre d'élèves.
De tous ces peintres, le plus célèbre aujourd'hui, celui sur
qui la découverte de M. Wauters attire principalement l'at-
tention de tous ceux qui s'occupent de l'histoire de l'art, est
maître Jean Bellegambe, Les archives de la ville offrent des
noms de cette famille dans les premières années du XV
siècle. Le père de l'auteur du retable se nommait Georges ;
cayelier ou fabricant de chaises de profession, il était aussi
ménétrier, et c'est sans doute en cette dernière qualité qu'il
fut nommé à plusieurs reprises maire de la confrérie de
Notre-Dame du Joyel. Jean, l'uiûquefils, issu de son premier
• A. PiiKUx, Souvenirs dota Flandre Wat tonne, p. 83.
TOME VI, 32
ÂA^ hei;heiigiies
mariage, naquit pr(>l);il)lement vers 1470; les détails que les
archives de la ville fournissent sur sa vie sont malheureuse-
ment bien incomplets; le registre aux testaments nous ap-
prend qu'en 1521 il comparut devant les échevins comme
exécuteur testamentaire de sa sœur Guillemette ; dans cette
pièce il est appelé maître Jehan BeUegamhe, paintre, ainsi que
dans un registre aux actes qui nous lait connaître qu'en 1S31 ,
il vendit à un autre bourgeois de Douai, pour la somme de
2,000 livres parisis, une maison faisant toucquet des rues de
la Clauerye et de la Saunerye ' . Les passages de ces deux
registres, cités par M. Preux, ont une importance considé-
rable pour déterminer plusieurs circonstances de la vie de
Jean Bellegambe : en effet, la première nous apprend d'abord
qu'il était à Douai en 1521 , qu'il a\ait à cette époque cinq
enfants vivants, Philippe, Martin, Mariette, Catherine et
Poline, et que sa sœur possédait des tableaux et des manu-
scrits sans doute peints par son frère ; la seconde nous le
montre, en 1531, bourgeois de Douai et possesseur d'une
maison qu'il vend à un prix élevé pour l'époque. Ces détails
sont curieux et intéressants ; mais malheureusement ils sont
inconq)lets, et l'on n'a encore rien découvert sur ce qu'il y a
de plus important dans la vie d'un peintre, sur les maîtres,
les études, les voyages de Jean Bellegambe; espérons que de
nouvelles recherches aboutiront à nous faire mieux con-
naître sa physionomie artistique. Ajoutons que le portrait
de l'auteur du retable d'Anchin se voit dans un recueil de
dessins qui se trouve à la bibliothèque d'Arras " : les traits
* Tous ces détails sont empruntés à la brochure de M. A. Preux : Résur-
rection d'un grand artiste, Jehan Bellegambe de Douai, in-8°. Douai, War-
telle, 1862, p. 9 à il.
* Bibliothèque d'Arras. Manuscrits n" 266, f. 280. Ce portrait a été indi-
qué par plusieurs auteurs. Un fac-similé en a été reproduit dans les Souve-
nirs de la Flandre ical tonne. Juin 1862.
S1!M .lEAN BELLEGAMIilî. 413
(lu peintre ont quelque chose d'irrégulier et de coninnin; des
cheveux longs et plats encadrent sa figure; la petite toque
coquettement posée sur sa tête et le surtout léger dont il est
revêtu, semblent être son costume d'atelier; à en juger par
les yeux, par la position de la tête et de la main droite, nous
sommes portés à croire que l'artiste s'est peint dans cette
attitude ; ce serait d'après son tableau, que le dessin conservé
à Arras aurait été calqué par une main dont l'inexpérience
se révèle par une certaine indécision ; au ])as il est écrit en
caractères delà première moitié du XVP siècle : Maistre Jehan,
Bellcgamhe, paintre excellent ; ce portrait précède immédia-
tement celui de Raphaël.
Voilà tout ce que l'on sait aujourd'hui sur l'un des plus
grands artistes de l'école flamande primitive; l'ingrate posté-
l'ité a presque complètement oublié le peintre qui a exécuté
le retable d'Anchin. Hâtons-nous d'ajouter que longtemps le
nom de ce vieux maitre fut connu et admiré dans l'Italie, dans
la Flandre et surtout dans sa ville natale. Guichardin,dans sa
Description des Pays-Bas, écrite en i o60, le met au nombre
des meilleurs peintres de la Flandre; Vasari fait de même
dans ses Vies des Peintres qui parurent huit ans plus tard ' :
ces deux écrivains, le dernier surtout, font autorité dans
l'histoire de l'art. JMais c'est principalement à Douai que se
conserva le souvenir de ce grand artiste ; trois passages
d'auteurs différents cités par M. Preux en fourniront la
preuve. Jean Frasneau de Lestoquoy dit dans un ouvrage
imprimé à Douai en 1616, qui a pour titre : Jardin dlli/rer
ou cabinet des fleurs :
' Vasaui, Opère, tome ii, page JlOO. Di divcisi artefici fianiminghi,
sono anco stati famosi pittoii Giovanni Bcllagamba di Douai, Diiick
d'Harlem, utc.
444 - HKCHERCHES
Peintre tlouisicn, le maistre des couleurs,
Tu pourrais exercer Ion art avec les fleurs ;
Le glaïeul fournirait ses diverses tainlures
Pour te faire inventer des diverses painlures.
11 ajoute en note : ' C'était un paiiitre du surnom de Bel-
gambe, paintre très-excellent duquel sont issus les Belgambe
semblablement paintres ; il estoitdictle niaistre des couleurs,
selon Guicardin, en la description des Pays-Bas, à raison de
l'art qu'il avoit à composer et accoraoder les plus vives cou-
leurs, surpassant, en ce regard, avec sa vivacité tous autres
paintres. L'on voit encores pour le présent de ses paintures,
encores qu'anciennes estre aussi vives en leurs couleurs que
si elles estoient nouvellement faites et paintes. »
En 1607, un poète douaisien, Jacques Loys, disait en par-
lant de Vaast Bellegambe, peintre qui descendait de l'auteur
du retable :
Que maître aussi des couleurs l'on peut dire
Comme l'ayeul que tout le monde admire '.
Et le Père Philippe Petit;, dans un ouvrage imprimé en
1655, après avoir parlé d'un tableau de Jean Bellegambe,
faisait ainsi l'éloge de ce vieux maître : « Peintre autant es-
timé que fut aucun dans ces XVII provinces, nommé com-
munément le maistre des couleurs. Encor aujourd'huy la
moindre pièce sortie de son pinceau est grandement re-
cherchée '. »)
' Les Œvrres poéiiquea de Jacques jL(/*/s. Douai, Pierre Auioy, 1612, p 109.
• Fondations du couvent de Sainte-Croix, etc., recueillies par le R. P.
Philippe Petit. Douai. V" -Mare. Wiyon, 1(35:3, p. l-li.
St R .lEAN BELLtGAMBE. -Uri
Rappelons de nouveau que François de Bar l'appelle juniiirc
excellent dans le manuscrit de Bruxelles et que les mêmes
expressions se lisent au bas du portrait conservé à Arras.
Plus tard, le vieux maître douaisien partagea le sort des
Van Eyck, des Van derWeyden, des Memlinc, des Stuerbout
et de tant d'autres grands artistes de l'école primitive : il
fut oublié. Et même, tandis que l'on conservait quelques
souvenirs vagues, on du moins le nom des maîtres de la
Flandre flamande, on perdait complètement la mémoire de
Jean Bellegambe : les histoires de peintres, écrites en Flandre,
en France, ne le citaient plus; pendant la première moitié du
XIX^ siècle, on n'avait conservé qu'imparfaitement le sou-
venir de Jean Bellegambe. En 1859, son nom fut rappelé
d'après Guichardin et les notes de M. Guilmot par l'auteur
de VArt chrétien en Flandre '; et depuis quelque temps,
M. A. Preux recherchait, dans les livres imprimés à Douai
et dans les archives de la ville, tout ce qui pouvait concerner
cet artiste douaisien, quand enfin l'heureuse découverte de
M. Wauters a fait subitement sortir de l'obscurité le nom de
celui que l'on avait appelé longtemps le maUre des couleurs,
l'excellent peintre Jehan Bellegambe.
A. ASSELIN ET G. DEHAISNES.
(La suite au prochain numéro.)
' L'Art chrétien en Flandre, par m. c. dehaisnes, p. 287.
BIBLIOGRAPHIE
HISTOIRE SIGILLAIRE DE LA VILLE DE SAINT -OMER, par
31 M. A. Hermawt et L. Deschamvs de Pas ; m-^° de 160 pages et 45
2)lançhes, Paris, 1861, prix -iO francs.
Le nom de sceau ou scel {sigillum] s'applique toujours aux em-
preintes en cire, obtenues à l'aide d'une matrice gravée en creux et
fixée au bas des actes pour assurer leur authenticité. A partir du
XII* siècle, chaque juridiction, soit séculière, soit ecclésiasiique,
eut son scel qui représenta d'abord la figure du seigneur ou du
chef administratif et, plus tard, ses armoiries ou emblèmes qui
finirent par être seuls employés.
Une histoire sigillaire, qu'elle concerne une ville, qu'elle regarde
l'ensemble d'un État, otl're donc au moins autant d'intérêt qu'un
recued numismatique. Aussi nettement et en plus grandes dimen-
sions que le métal, la cire a conservé les images contemporaines
d'une multitude de personnages qui, à diverses époques, illus-
trèrent leur nom ou servirent efficacement leur patrie.
Remarquable par l'excellente conservation de ses archives muni-
cipales auxquelles on a joint ce qui restait des archives du chapitre
de Notre-Dame, la ville de Saint-Omer en particulier ouvrait à la
science une mine féconde à exploiter. M. A. Hermand s'en aperçut,
et, il y a 25 ans, commença l'ébauche du livre dont nous avons à
rendre compte.
Une savante introduction (les sceaux et leur usage) initie le
lecteur au but que Ton a voulu atteindre en composant l'ouvrage,
divisé en deux parties. La première (administration civile) com-
HlliLIDGIlAl'llIE. 447
prend les sceaux de la cité, des châtelains, du haiilia^'e eldes bour-
geois appartenant aux familles éclievinales; la seconde, tout ec-
clésiastique, décrit les sceaux de l'église de Saint-Omer, des justices
seignenriales dépendantes du chapitre, des Pré^ôts, des Kvèqnefl,
des paroisses, de l'abbaye de Saint-Bei'tin, enfin, des maisons reli-
gieuses^ intrà et exti^à muros : 45 planches, reproduisant 333 em-
preintes sigillaires, illustrent le texte déjà si riclie par lui-même.
La part légitime qui revient à chacun des auteurs de ce splcndidc
volume est assez difiicile à déterminei"; INL A. Hermand, nous l'a-
vons dit tout à l'heure, en conçut le plan primitif, mais après la
mort prématurée de cet érudit numismate, advenue en 1858,
M. L. Deschamps de Pas, qu'il s'était associé depuis longtemps,
resta seul chargé d'un travail à peine préparé. Sauf donc l'ordon-
nance générale des idées qui est sans doute du fait de M. Hermand,
tout le détail;, classement, dessins, rédaction, appartient à son trop
modeste collaborateur. M. Deschamps de Pas, qui, sur le frontispice
d'un livre publié à ses frais, n'a voulu occuper que le second rang,
mérite, suivant nous, le premier; infatigable explorateur des archives
de Saint-Omer, Lille et Arras, il est parvenu, en plaçant les unes
à côté des autres des empreintes partiellement dégradées, à recon-
stituer dans leur entier les sceaux les plus rares et les plus curieux,
besogne ingrate, exigeant à la fois la patience du savant et l'ha-
bileté de l'artiste.
M. L. Deschamps de Pas a été puissamment secondé dans l'exé-
cution matérielle de son livre par M. A. Deschamps de Pas, dont le
beau talent est si connu des lecteurs de ]a. Revue. Ce dernier, chaque
monument original devant les yeux, a reproduit lui-même sur
pierre les dessins de son frère ; il n'existe donc nulle part une
œuvre archéologique aussi fidèle et aussi consciencieuse.
CARÏULAIRE MUNICIPAL DE SAINT-MAXIMIN , public: par M. L.
RosTAW, SOUS les auspices et aux dépens de M. le duc dk LuviSKS ; m-4°,
Paris, H. Pion, 1862.
Il existe, en notre pays de France, un grand seigneur, qui est aussi
un grand savant et qui, s'il avait voulu s'en donner la peine, aurait pu
être aussi un artiste distingué ; il s'appelle le duc de Luynes : ne lui
dites pas que je l'ai nommé, sa modestie égale son mérite, et il pour-
448 BIBLIOGRAPHIE.
rait se ]>lessei' de mes louanges. M. le duc de Luynes ne se contente
pas de travailler lui-même, il vient libéralement en aide à ceux qui
travaillent, et, que l'on manie la plume ou le pinceau, on est toujours
sur de trouver chez lui bourse ouverte, pourvu que l'on ait du ta-
lent: M. L. Pioslan en sait quelque chose. L'érudit provençal, ayant
rencontré dans les archives municipales de Saint-Maximin, un Cartu-
laire renfermant les privilèges et statuts de cette modeste localité,
crut que la publication pourrait en être intéressante et communiqua
son projet dans un hôtel bien connu de la rue Saint-Dominique.
Les résultats font juger de l'accueil qu'il y reçut : l'antique
Registre, contenant 107 pièces généralement inédites (1295 à 1653),
est aujourd'hui imprimé chez M. H. Pion et mis à la portée de tout
le monde. Un Cartulaire ne s'analyse guère, aussi ne signalerai-je
à l'attention qu'une taxe de pain (KIY*^ siècle) en langue proven-
çale, une préface et uue multitude de notes auxquelles le profond
savoir de M. Hostan donne la plus haute valeur : pour le reste,
toile, lege.
CH. DE LINAS.
SAINT-DÉSIRÉ, par M. L. Desrosiers, in-4° accompagné de 5 planches
(2/r.).
L'église de Saint-Désiré (Allier) témoigne par ses dimensions que
le village où elle est située avait jadis quelqu'importance. On sait
d'ailleurs qu'au XP siècle il avait un arcliiprêtre et un archidiacre
et que ce fut primitivement une forte station du pagum des Bi-
luriges. Une crypte à trois nefs s'étend sous l'église ; elle est attri-
buée au X"" siècle, par M. Desrosiers. Une coupole sur pendentifs
s'élève sur l'intertranssept qui date du Xll" siècle. L'auteur en con-
clut que l'école byzantine des rives du Rhône s'est étendue dans
tout le Velay, jusque sur les frontières de l'Auvergne, et que l'école
auvergnate s'appropria la coupole et l'introduisit dans le Bour-
bonnais. On projette de restaurer cette église, si intéressante a di-
vers titres. L'excellente notice de M. Desrosiers contribuera assu-
rément à faire fixer ratlention du gouvernement sur un des plus
curieux monuments du Bourbonnais.
i. CORBLET.
RfcVUS DE L'ART CHRETIEN, Septembre 1862.
IVOIRE SCULPTÉ
DU TRÉSOR DE l'eGMSE DE TONGRES.
Arras, typ. Rousseau -Lero
IVOIRE SCULPTÉ
du Trésor de l'Eglise de Tongres.
L'église de Tongres possède trois ivoires sculptés dans
son trésor. Deux d'entre eux ornaient encore, il y a peu de
temps, l'autel de la chapelle méridionale de l'église de
Genoels-Elderen, village situé près de la ville de Tongres.
Ils font partie, depuis peu, du trésor de l'église de cette ville.
L'un représ'ente le Christ foulant aux pieds V aspic et le basi-
lic ; l'autre, divisé en deux tableaux, figure deux des prin-
cipales scènes de la vie de la sainte Vierge : la Salutation et
la Visitation ; le troisième ivoire, celui qui l\iit le sujet de
cet article, est incrusté dans la couverture d'un Evangéliaire,
rare spécimen de l'Art chrétien des premiers siècles du
Moyen- Age.
Cet ivoire, dont nous oifrons le dessin en tête de cet ar-
ticle, représente le Calvaire et le réveil des morts sortant
de leur sépulcre, au moment où l'Homme-Dieu expira. Au
milieu, on voit le Christ sur la croix; son corps n'est pas
TOME VI, Septembre 18G2. 33
450 IVOUIE SCLLI-TÉ
meurtri par les clous, sa tête ue porte pas de couronne d'é-
pines, son front est large, et sa riche chevelure, tressée en
nattes, tombe sur ses épaules. Au-dessus de sa tête, deux
anges suspendent un diadème perlé que bénit la main divine
sortant d'un nuage. La croix qui est sans (itulus et le Christ
•qui est imberbe indiquent la haute antiquité de cette
œuvre.
Du côté droit du Sauveur on voit l'f^glise planter au pied
de la croix la bannière de la résurrection, le signe du
triomphe de la nouvelle Loi. Elle tient près du cœur un pe-
tit bouquet composé de trois feuilles, symbole de la Trinité.
La sainte Vierge, triste et affligée, pleurant la mort de son
divin Fils, essuie ses larmes avec son voile. Du côté gauche de
la croix, on voit la Synagogue, la tête en partie voilée, tenant
une palme, s'éloigner de la croix, à qui elle jette un dernier
regard. Sa mission est finie au moment où le sacrifice divin
est accompli. Puis vient une quatrième figure, une jeune
femme qui a la tête nue et les cheveux frisés ; elle tient le
rouleau ou le Livre des anciens. Elle arrive, hésitant et in-
décise, comme l'Eglise grecque non unie, portant et élevant
sa main vers la tête.
Dans la partie supérieure du tableau on voit le soleil et
la lune entourés d'un cercle de feu d'où s'échappent des
flammes; le soleil est personnifié par une espèce d'Apollon
antique qui appuie sa tête sur la main gauche et tient un
sceptre de la droite. La tête est entourée de l'auréole den-
telée ou couronne rayonnante, signe distinctif du Dieu de
l'antiquité. La lune est représentée par une jeune femme
dans une attitude de tristesse, la tête en partie voilée et
couronnée du croissant.
Sur le reliquaire en vermeil de la sainte Croix du musée
delà Porte-de-IIal, à Bruxelles, figurent également, comme
iiu THK.sou iiii l'Église dk ToiSGiif'iri. .'/.M
sur l'ivoire de ïoiigres, rÉglise et la Synagogue. Nous don-
nons les dessins de ces deux figures, qui datent de deux
siècles plus tard (jue celles de l'ivoire de Tongres. L']'>lise
est une jeune femme forte et cambrée qui a la tête couronnée;
une abondante chevelure serpente sur ses deux épaules et
de la main droite elle tient un calice. La Synagogue, aux
formes chétives, faible et défaillante, et à la vue obscurcie,
occupe le côté gauche de la croix.
Dans le compartiment inférieur de l'ivoire de Tongres
sont les morts qui sortent de leurs tombeaux, puis la terre et
les eaux. Cette partie du bas-relief est la moins heureuse;
i5"2 IVUlRE SCULPTÉ
les iigures sont trappues, leurs formes ont moins d'cim[)leur.
Tout semble y être réuni dans un trop étroit espace. La terre
est symbolisée par une jeune femme allaitant un serpent
cpii enlace son bras droit, tandis que de la main gauche elle
s'attache à un arbre. Elle a les jambes croisées et sa forte
chevelure retombe eu tresses sur ses épaules ; c'est une
sorte de Cybcle comme ou eu voit souvent sculptées sur les
chapiteaux romans. L'Océan est représenté par ini vieux
Neptune cpii s'appuie sur un vase renversé d'où s'échappent
des eaux. Il occupe le côté gauche du tableau, là où s'écoulent
l'eau et le sang du Sauveur. De la main droite il montre un
poisson qui, dans la langue grecque, iy.zv(j, par une disposi-
tion ingénieuse des lettres^ exprime le nom du Christ. Sa
tète chauve est armée de deux grandes cornes dont les
pointes se terminent en têtes de serpents. C'est au milieu de
ces deux figures symbolisant la terre et la mer que les morts
sortent de leurs tombeaux, au moment où le Christ meurt
sur la croix.
Le I\. P. Arthur Martin pense que l'ivoire de ïongres
date de la fin du IX" siècle. Il est très-probable que c'est j
une œuvre de l'école italienne de cette époque.
Ce bas-relief, comme nous l'avons dit, est incrusté dans
la couverture d'un Evangéliaire dont l'écriture parait être
postérieure au X*" siècle. Jusque vers la fin du siècle der-
nier, ou le présentait à baiser aux chanoines du chapitre de l
Tongres, avec ces paroles : Ecce lex sacra.
Eu examinant à part chaque figure de cette composition
vraiment chrétienne, tout ami de l'art regrettera sans
doute que le nom de son auteur ne soit pas venu jusqu'à
nous. Pour faire mieux ressortir la beauté de cette œuvre,
nous en donnons trois croquis représentant des détails des-
sinés sur une plus grande échelle que dans notre première
DU ÏUÉSOU HE L'ÎGLISE DE TOXORKS. -^ri,']
planche. Ce sont les têtes de deux ligures ullégoriqucs ([ui
accompagnent le Sauveur ififi. I et 2) et celle du soleil.
Nous terminerons cette note en signalant aux archéo-
logues la couverture sculptée sur ivoire «d'un manuscrit (pii
se trouve à la bibliothèque de l'Univei'sité de Liège et où
sont représentés le Christ et le portrait de l'évêque Xotger;
l'ivoire des trois Résurrections de la cathédrale de Saint-
Paul de la même ville, et l'Evangéliaire qui a été acquis
par un amateur de Liège, M. le baron de Crassier, à ]\Iaes-
tricht, et dont la couverture sculi)tée en ivoire est ornée
d'une croix double et des figures de la Vierge et de saint
Jean.
ARNAUD SCIIAEPKENS.
Bruxelles, juin 1862.
RECHERCHES
Sur la Vie et rOEuvre de Jean Belle gamhe,
peintre douaisien du XVb siècle-
DEUXIKMK AKTICl.K *.
IV.
Jean Bellegumbe était dans la maturité de l'âge et dans
tout l'éclat de son génie , quand il peignit le retable d'An-
cliin. Aucun de ceux qui ont étudié ce chef-d'œuvre ne s'é-
tonnera de nous entendre dire qu'avant d'arriver à tant de
sublimité, à tant de puissance, à tant de sûreté et de sou-
plesse dans la main, il avait dû nécessairement beaucoup tra-
vailler : son pinceau devait avoir produit un grand nombre
de miniatures et de tableaux. Quelles sont ces œuvres ? Que
sont-elles devenues? Quelles sont celles qui nous ont été con-
servées? Quelles sont celles qui peuvent être attribuées au
vieux maître douaisien? Voilà des questions auxquelles nous
allons essayer de répondre. Hélas ! trop souvent nos réponses
seront incomplètes et incertaines ! Trop souvent nous aurons
à accuser et l'oubli injuste de la postérité, et les ravages du
temps, et la fureur des incendies, des révolutions, et l'igno-
* Voirie numéro d'août, page 428.
UKCllERCUKS SUR JKAN UliLLEGAMBli. 453
rance de l'homme ! Mais toutefois, eu fouillaut daus uos vieux
auteurs, eu cherchant daus les musées et les collectious par-
ticulières de la ville de Douai, nous avons trouvé des rensei-
gnements curieux, nous avons rencontré des œuvres qui ne
peuvent être que de Jean Bellegambe ou de son école.
Et d'abord, François de Bar, dans la phrase du manusci'it
de Bruxelles qui nous fait connaître le nom de l'auteur du re-
table d'Anchin, nous apprend que cette abbaye possédait, du
même maître, un retable qui décorait l'autel Saint^Mau-
rice et plusieurs autres tableaux * . En lisant les deux pas-
sages, cités plus haut, de Jacques Loys et de Frasneau de
Lestocquoy, l'on est amené à conclure qu'au commencement
du XVII" siècle, il existait, dans la ville de Douai, un cer-
tain nombre de tableaux peints par Jean Bellegambe, connus
et admirés par toute la population ^.
Nous avons aussi rapporté les lignes dans lesquelles le P.
Philippe Petit, prédicateur général du couvent des Frères
Prêcheurs de Douai , fait le plus grand éloge du vieux maître
douaisien, à l'occasion de « la peinture delà table d'autel
représentante la mort et miracles de notre P. S. Dominique.
Voici ce qu'il dit à la même page : « Sur ceste table d'autel
« de notre fondateur, on y voit cette épitaphe : Devant ceste
« chapelle repose le corps de M. Thomas de le Papoire, seigneur
" dudit lieu et de Pipaix, conseillier et maistre des recjuestes
" de l'empereur Charles V, lequel mourut Fan lo55. Auprès
" de luy repose le corps de M. M. Margueritte Oudart ,
« vefve dudict M. Thomas, laquelle a faict faire ceste
' Jean Bellegambe qu'y a peint aussy la table de la chapelle suint 31auii<e
et plusieurs tableaux. Texte cité ])ar 31. W'auters , Jean Bellegauibi', p 14.
- Op. et loc. cit.
456 RECHERCHES
« table d'autel.... Elle mourut l'an 1544 '. » Cette indica-
tion est précieuse; non-seulement elle nous fait connaître un
retable de Jean Bellegambe qui devait être assez important,
puisqu'il représentait la mort et les miracles de saint Domi-
nique, mais elle nous donne le nom de la commettante,
épouse d'un douaisien investi de la confiance de Charles-
Quint ; de plus, elle porte à croire que l'auteur du retable
d'Anchin, dont nos archives ne constatent l'existence que
jusqu'en 1531 , peignait probablement encore après 1535,
puisque sur l'autel élevé aux frais de Marguerite Oudart fut
placé un retable dû à son pinceau. Le couvent des Domi-
nicains devait encore posséder d'autres œuvres du même
maître : nous lisons en effet dans le Registre aux testaments
reposant aux archives de Douai , que la sœur de Jean Belle-
gambe donne à un Frère Prêcheur wi psautier escrit à la
main en pappier et ung tablet qui se dot là ou est une nativité
et une îire dame de pitié., au Cloître des Dominicains, pour être
placé devant son tombeau, iing tableau de nre dame de pitié
à courtines de sage, ainsi que le livre de sainte Catherine de
Senne à sa belle-mère, et ung tableau de la Nativité nre dame
à sa sœur Mariette ~. On peut supposer, sans trop de témé-
rité, qu'une partie au moins des tableaux et des manuscrits
de Guillemette Bellegambe avaient été exécutés par son frère.
L'église des Dominicains renfermait donc plusieurs œuvres
de notre vieux maître. Peut-être ont-elles été la proie des
flammes lors de l'incendie qui dévora le couvent en 1785;
peut-être ont-elles péri, ont-elles été égarées au milieu
• Philippe Petit : Fondation du couvent de lasaincte Croix. Douai. 1653,
p. 142.
- Registre aux Testaments àe la ville de Douai. Années 1510 et suiv. fol,
286. I\I. Preux qui a, le premier, indiqué l'existfnce de ce testament, en a cité
plusieurs passages.
SUR JEAN BEI.LEGAMBE. 457
des orages de la Kévolution, comme les autres ta1)leaHx que
possédaieut Douai et Ancliin.
V.
Mais heureusemeut tout n'a point subi ce triste sort : plu-
sieurs peintures , plusieurs panneaux , aujourd'hui encore
conservés dans les collections de notre ville, peuvent et
doivent être attribués à Jean Bellegambe ou à son école. Les
lecteurs de cette Revue ont lu, il y a deux ans, une longue
étude sur le retable d'Ancbin accompagnée d'un dessin au
trait à feuillets mobiles ' . Nous ne dirons donc rien de ce
chef-d'œuvre , nous contentant de leur rappeler que c'est
une peinture tellement caractéristique, et dansla composition
et dans le groupe, et dans le faire et dans les procédés, et
dans l'exécution des têtes, des étoiïes, des constructions
architecturales, qu'après l'avoir étudiée, l'on doit flicilement
distinguer le maître qui l'a produite de tous les autres maî-
tres de l'école flamande primitive. Les mêmes numéros de
la Revue de l'Art Chrétien ont aussi donné la description de
deux autres retables qui se trouvent l'un à Douai dans la
collection de M. le docteur Tesse, et l'autre chez M. le doyen
d'Oisy-le-Verger. Ajoutons ici que tout , dans le triptyque
de M. Tesse, rappelle le tableau légué à Notre-Dame par
M. Escallier. Le groupe principal estd'une ressemblance frap-
pante avec celui du retable d'Anchin ; commettants, patrons,
écussons, armoiries, tout est ordonné et exécuté de la même
manière; l'architecture, quoique moins riche, rappelle le
' Revue de l'art chrétien. Essai sur le retable d'Anchin, par l'abbé C.
Dehaisnes. Année 1860. Numéros de septembre et d'octobre.
458 RECHERCHES
même style jusque dans ses détails ; les étoifes, la crosse, la
mitre oft'rent la même fermeté et la même finesse de main ;
partout analogie dans la conception, le faire et la touche.
Les calculs approximatifs faits pour la date de ces deux ta-
bleaux reporteraient leur exécution vers 1518 et 1319. Le
triptyque de M. Tesse ue peutêtre une copie : jamais imitateru-
n'aurait peint une tête aussi vivante que celle de l'abbé
Jacques Coëne; jamais il n'aurait rendu si admirablement
la splendide ornementation de la chape dont les orfrois sont
autant de miniatures. Nous n'oserions pas affirmer avec
autant de certitude que le triptyque d'Oisy-le-Verger est de
Jean Bellegambe lui-même; il est difficile d'apprécier cette
peinture qui a beaucoup souffert.
Nous n'hésitons pas à placer au nombre des œuvres du
vieux maître douaisien, deux volets d'un triptyque conservé
dans le musée de notre ville sous le numéro 200 ' . La partie
centrale, qui est perdue, devait représenter l'Immaculée-Con-
ception. Cette pieuse croyance, qui est aujourd'hui un dogme,
est proclamée sur les deux panneaux extérieurs de ce trip-
tyque, par des personnages qui représentent tout le monde
catholique, de même que, sur le retable d'Anchin, toute la
terre vénère la croix. Le panneau de droite montre, au
milieu d'arcades qui laissent entrevoir diverses constructions
architecturales, un pape assis sur un trône richement orné;
portant la tiare et la triple croix des Souverains-Pontifes, il
' Ce triptyque avait, fermé, une largeur de 1 m. 85 et, ouvert, une largeur
de 3 ni. 69. — Il suffit d'un «eu! coup-d'œil pour voir que les deux volets
mobiles , aujourd'hui réunis, ont été placés dans un sens opposé à eelui
qu'ils occupaient primitivement. Le triptyque de M. le doyen d'Oisy-le-Verger
et deux autres petits triptyques conseivés dans la Cathédrale d'Arras, peu-
vent donner une idée exacte de la forme du grand triptyque de l'immaculée-
Conceptinu, et du riche encadrement dont il devait être orné.
SUR JKAN BKLLEGAJIBE. ^riO
semble, d'un geste de la inuin, donner un décret au monde
entier; les paroles tracées dans un cartouche placé au-des-
sus de sa tête, sont empruntées presque exactement à la
bulle Grave 7iimis de M8ô ; ce pape est presque certai-
nement Sixte lY, qui publia deux bidles favorables à la
croyance à rimmaculée-Conception, Tune en 1476;, et l'autre,
celle que nous venons d'indiquer, en 1485. A ses pieds, à
droite, saint Jérôme, la tôte rasée, revêtu des insignes du
cardinalat, avec le lion son symbole, et à gauche, saint Am-
broise et saint Augustin portant la chape, la crosse et la
mitre des évêques, et tenant à la main, l'unie fouet, et l'autre
le cœur enflammé que la tradition des siècles leur a don-
nés ; ces trois saints personnages montrent, 'sur des ban-
deroles et sur un livre, des passages, tirés de leurs écrits,
qui sont favorables à l'Immaculée-Conception. Saint Jean-
Chrysostôme, portant un phylactère sur lequel on lit aussi
un texte analogue emprunté à ses ouvrages, et plusieurs au-
tres évêques se montrent au second plan ; dans les balcons
qui ornent les. arcades gracieuses des constructions architec-
turales, des prélats d'occident et d'orient en costume du
XV^ siècle annoncent que les deux églises viennent de se
réunir dans la croyance à la naissance sans tache de la Mère
de Dieu. Voilà la tradition, la papauté, la catholicité tout
entière qui élèvent leur voix en faveur de cette vérité ; l'autre
panneau va nous montrer l'Université de Paris et la ville
de Douai parlant en même temps. Durant tout le Moyen
Age, l'Université de Paris a été la grande école du monde
catholique : elle se montrait si favorable à la croyance à l'Im-
maculée-Conception qu'en 1497, tous ses membres, avant
d'être reçus , devaient s'engager à soutenir cette opinion :
aussi ce sont ses docteurs que le peintre a représentés, mais
sur un plan moins avancé, en regard du Pape. Dans une large
460 nECUEHCIlES
fenêtre, au-dessus de laquelle ou lit : Facilitas (hculofjicr pari-
sien— et un texte des statuts de l'Université favorable à
rimraaculée-Conceptiou, se montrent saint Bonaventure por-
tant la robe grise des Franciscains sous sa cliape d'éveque ,
Pierre Lombard, évêque de Paris, Duns Scott, le docteur
subtil, et plusieurs autres prélats et i-eligieux : les trois pre-
miers, dans les attitudes les plus variées et les plus vraies,
indiquent des extraits de leurs ouvrages dans lesquels ils ont
soutenu la croyance dont il est ici question. A une autre
fenêtre de l'arrière [)lan, David et des prophètes semblent
indiquer que les saints de l'Ancien Testament glorifient aussi
la Mère de Dieu. Au premier plan , la ville de Douai vé-
nère la Vierge Immaculée ; cette ville et sa bourgeoisie sont
représentées par un groupe qui se compose d'un homme assez
âgé, probablement le chef du magistrat de la cité, puis d'une
femme, sans doute son épouse, et de trois autres personnages
qui paraissent être leurs enfants; auprès d'eux un ange por-
tant une tablette sur laquelle on lit un texte de saint Bernard
relatif à la sainte Vierge. Ces cinq personnes, richement vê-
tues pour des bourgeois, sont agenouillées les mains jointes
et prient les yeux tournés vers le panneau central. Der-
rière eux, comme les patrons, les protecteurs de cette
famille et de la cité, sont représentés un Dominicain qui,
pour rappeler que son ordre a cessé de s'opposer à la croyance
à rimmaculée-Conception^ porte un passage de saint Thomas
d'Aquin favorable à cette opinion, et un Franciscain qui
rappelle sans doute que les enfants de saint François ont
toujours soutenu cette glorieuse prérogative de la sainte
Vierge. Ces deux religieux figurent certainement la ville de
Douai : en effet, le Franciscain tient en sa main le gracieux
beffroi de cette cité, tel qu'il a été reconstruit après l'in-
cendie de 1171, et, de même que le Dominicain, il indique
siT. ,ii:an bicllecamui:. 4t)l
du doigt cet édifice qui, en Fhuidre pluscjuc [lartont iiillcurs,
représente la l)ourgeoisie. Du reste, rinscription de la ban-
derole que tient le Franciscain le dit assez : Ivr sei;vi MEI
rURITATIS TU.E ORTUM... YEXrilANTES, VIUGO GLOUIOSISSIMA ,
CIVrr.VTEM IIANC SANCTAM ILEllEDIÏABUNT. DiUlS le fond, OR
aperçoit les tours et le clocher de la ville, piirmi lesquels se
distingue encore le beffroi, avec le riche couronnement que
l'incendie venait de dévorer quelques années auparavant.
La peinture que nous venons de décrire est polychrome :
celle de la face extérieure est une grisaille. Elle représente
des épisodes de la vie de saint Joachim et de sainte Anne,
que les peintres de l'école primitive rattachaient toujours
à rimmaculée-Conceptiou. Sur le volet de droite saint Joa-
chim offre un agneau eu holocauste ; mais il est repoussé
par le grand-prêtre et par les pharisiens à cause de la stéri-
lité de sa femme. Sur le volet de gauche, nous voyons sainte
Anne, accompagnée de Judith, sa suivante, distribuant des
aumônes aux pauvres, afin d'obtenir du ciel le bonheur d'être
mère; et à l'arrière-plan, d'abord l'ange Gabriel annonçant
à cette sainte femme que sa prière sera exaucée, et ensuite
saint Joachim rencontrant, sous la porte d'or des évangiles
apocryphes, son épouse qui lui fait part de la jiromesse de
l'ange. Au haut des constructions architecturales, des ar-
moiries offrant une roue et trois pots. Les rapports qui
existent entre les sujets et entre les constructions de la par-
tie polychrome et de la grisaille, nous font penser qu'elles
sont de la même époque et de la même main .
Il y a plusieurs années déjà, un critique de goût, M. A.
Cahier, a parfaitement fait ressortir les analogies frappantes
qui existent entre ce volet et le retable : nous ne ferons que
résumer ici ses idées. Dans les deux tableaux, même mélange
de style, même forme élancée à des arcades en plein cintre,
4G2 RECllERCilKS
mômes colonnes grecques, mômes arabesques sur les piliers,
mêmes balcons où se réunissent les évoques, mômes perspec-
tives ouvrant sur des fenêtres ogivales à meneaux en pierre ;
pour les personnages, même pose, môme expression dans la
physionomie, même manière de peindre la tête. Les étoffes,
les chapes, les mitres, les croix, les objets d'orfèvrerie offrent
la ressemblance la plus frappante ; il n'est pas jusqu'à l'écri-
ture des phylactères qui ne soit absolument la même ; les
procédés de peinture n'offrent pas de différence ; et si quel-
ques têtes, comme celles du Pape, de saint Augustin,
offrent des tons rouges et plats qui ont poussé au noir, il
faut attribuer cela au pinceau qui a essayé de restaurer ces
panneaux il y a déjà plusieurs années '.
L'auteur que nous venons de citer, dans son étude sur
ces panneaux, a prouvé qu'ils proviennent du couvent des
Cordeliers (plus tard Récollets wallons), qui avaient érigé
dans leur église une chapelle et une confrérie en l'honneur
de rimmaculée-Conception. Quant aux commettants, les
armoiries indiquent qu'ils sont de la famille des Pottier.
D'un autre côté, un Collart Pottier fut chef du magistrat
en 1510 et en 1514; c'est probablement à cette époque, qu'il
fit exécuter ce retable et qu'on le peignit auprès du beffroi
qui semble rappeler les fonctions qu'il exerçait ".
Comme nous le disions plus haut, le compartiment central
de ce retable de l' Immaculée-Conception est perdu ; mais il est
possible de se faire une idée du sujet que probablement Jean
Bellegambe y avait peint, en étudiant un tableau sur bois
' A. Cahier, Uni^ieiix lahlean dumusée de Douai. — Mémorial de la
société d'agriculture, sciences et arts de Douai, t iv, 2* série. — Tout ce
que nous venons de dire sur les panneaux du musée n'est en général que le
résumé du travail de RI. A. Cahier.
- A. PiiKlx, Jehan Bellegandte de Douai, p. 1 1.
Slll JEAN nKI.LK(;A.MnF.. 4(53
du XVP siècle, qui se trouve à Douai, dans la liclic collec-
tion de M. Amédée Thomassiu. Ce petit tableau représente
aussi rimmaculée-Conception ; dans l'ouverture de l'une de
ces arcades genre renaissance qu'aimait à reproduire .lean
Bellegambe, au premier plan d'un lointain paysage ([ui rap-
pelle aussi le retable d'Anchin, l'auteur a peint sainte Anne,
les mains jointes et les yeux modestement baissés ; de son
sein s'échappent des rayons ardents qui forment un cercle lu-
mineux, au centre duquel apparaît vaguement, rose et douce,
l'enfant conçue sans péché, qui sera plus tard la Weve du Fils
de Dieu : c'est une pensée originale et hardie, qui est rendue
avec une grande pureté et un rare bonheur. Le paysage offre
trois épisodes de la vie de saint Joachim et de sainte Anne ;
ici le pieux vieillard qui, dans sa tristesse, s'est retiré dans
la campagne pour garder ses troupeaux, entend l'ange lui
annoncer que la stérilité de sa femme cessera; là, sainte
Anne distribue des aumônes à plusieurs pauvres qui l'en-
tourent; et ailleurs, les deux époux se rencontrent sous la
porte dorée : dans un balcon qu'offre l'arcade, on voit plusieurs
évêques. Lorsque le tableau a été restauré, la tête du princi-
pal personnage , qui est d'ailleurs belle et pieuse , a perdu
quelque chose de son caractère primitif ; heureusement l'on
n'a pas touché aux autres parties de cette peinture, et en exa-
minant la construction architecturale et ses ornements qui
rappellent tout à fait ce que l'on trouve sur les quatre re-
tables que nous venons de décrire, en voyant des évêques.
dans un balcon qui sont identiquement semblables à ceux
que l'on voit aussi dans des bidcons sur le tableau po-
lyptyque et sur les volets du ]\Iusée, en étudiant les trois
épisodes du paysage qui rappellent ceux des panneaux de
rimmaculée-Conception, nous avons cru qu'il y a lieu de
ranger ce tableau au nombre des productions de Jean Belle-
4GI RECHERCHES
gambe. On pourrait peut-être sans trop de témérité voir dans
ce charmant panneau, une première étude ou du moins une
idée générale du retable dont nous venons de décrire les deux
volets ; les mêmes épisodes sont reproduits, et Ton sait que
les maîtres de cette époque se copiaient souvent eux-mêmes ;
la petite peinture de M. Tliomassin pourrait bien être rela-
tivement au grand retable des Récollets Wallons, ce que le
tryptyque de M. Tesse est au grand polyptyque retrouvé par
M. Escallier.
YI.
Les hommes spéciaux qui ont longemps pratiqué la^ peinture
s'accordent avec les amateurs pour reconnaître la main du
vieux maître douaisien dans les deux volets d'un petit trip-
tyque de la collection léguée à la ville de Douai par M. Es-
callier'. Si le compartiment central est évidemment d'une
autre main, il en est tout autrement des deux volets; celui
de droite offre un personnage du XVI^ siècle derrière lequel se
tient debout saint Jean-Baptiste, et celui de gauche une
femme pieusement agenouillée, protégée par saint Jean
l'Evangéliste ; sur le chanfrein du premier de ces panneaux,
on lit en caractères et en chiffres de l'époque : i524, ea die
XXVIII... Les rapports frappants qui existent entre le saint
Jean-Captiste de ce tableau et celui du retable d'Anchin,
entre la pose et les vêtements de ses commettants et ceux de
la famille Pottier sur les panneaux du musée, le coloris de
ces deux volets, la date de 1524, tout porte à croire qu'ils
sont ou de la main ou de l'école de Jean Bellegambe.
11 existe dans la cathédrale d'Arras deux petits triptyques,
* Musée de Douai, n" 29 du catalogue (157 du catalogue Escallier).
SUR .lli.VN lICl.LiaiA.MlJE. .Ui3
offrant le millésime de 1 528, que des connaisseurs ont raj)-
prochés du retable d'Anchin : ils rappellent davantage Jean
de Maubeuge, Le type et la pose des personnages, sauf peut-
être un ange (pu ouvre un panier, offrent un caractère tout
différent de ce cpii se voit dans les peintures de Jean 13elle-
gambe ; la tête de la Vierge révèle une alliance plus intime
de l'art des bords du Rhin et des écoles italiennes ; plus
fine, la touche a moins de largeur ; les constructions archi-
tecturales, presque exactement les mêmes, sont d'un style
grec i)eut-etre plus pur; les vêtements sont moins étudiés
dans les détails de l'ornementation ; enfin, dans les paysages
il y a plus de perspective aérienne et le feuille des arbres
prouve une science plus complète.
Dans la même ville d'Arras, un heureux hasard nous a
fait découvrir, au milieu d'une foule d'autres oltjets d'art,
deux petits panneaux du XVP siècle qui, au premier coup
d'œil, nous ont rappelé l'école de Jean Bellegambe. Sur le
panneau de droite, un personnage de cinquante à soixante
ans, revêtu du costume de l'époque et portant à son bras les
armes d'Espagne, est agenouillé les mains jointes; auprès de
lui son écuyer; derrière, saint Nicaise son patron, qui tient
dans ses mains sa tête sanglante, symbole ordinaire du mar-
tyre par la décapitation. Le panneau de gauche montre une
femme d'environ vingt-cinq à trente ans, en costume du
XVP siècle, et, derrière elle, saint Jean l'Evangéliste et
sainte Claire avec les attributs que la tradition leur a donnés.
L'on voit sur la face extérieure, qui est d'une autre main et
d'une date postérieure , d'un côté la Mort sous la forme
d'un squelette décharné, donnant la bénédiction et s'ap-
puyant sur une bêche de fossoyeur, et de l'autre côté une
épitaphe en quarante vers français, surmontée d'un écusson
armorié. Cette inscription et les recherches que nous avons
TOMK VI. 'U
4(16 RLCUERCIIKS
faites nous ont fait connaître que le connnettant était
Nicaise l^adani, de Béthune, chroniqueur renommé, long-
temps héraut d'armes de Charles -Quint sons le uom de
Grenade , et plus tard })révôt de Bapaume, mort à Ar-
ras en 1547. La femme de l'autre panneau était son
épouse, Jeanne liicouart. A en juger par les traits de Nicaise
Ladam et de sa femme, ainsi que par la peinture elle-même,
la partie polychrome a été peinte de 1515 à 1525. Sur ces
deux volets, nous avons retrouvé dans le commettant^ le
type, la pose et le mouvement que nous avons déjà indi-
qués plusieurs fois précédemment; le Saint-Jean, dont le ca-
ractère est malheureusement dénaturé par un repeint qui
enlève toute proportion à la tête, rappelle celui du tableau
polyptyque d'Anchin, par la pose et le calice symbolique. Si
le sujet principal, qui nous aurait oifert un point de compa-
raison plus solide encore que l'étude des commettants, n'existe
plus, du moins nous trouvons des analogies frappantes dans
les moindres détails du costume et des objets d'orfèvrerie.
L'étoffe du vêtement de saint Nicaise rappelle la chape de
Jacques Coëne dans le triptyque de M. Tesse; la crosse de
sainte Claire est tout-à-fait semblable à celles qui se voient
dans le tableau polyptyque et dans les panneaux du Musée;
et le chapelet et la boucle de ceinture de Jeanne Ricouart sont
identiquement reproduits dans les peintures dont nous venons
de parler. La date concorde avec l'opinion de ceux qui at-
tribuent ces volets à Bellegambe ou à son école : comme la
veuve du conseiller de Charles-Quint qui fit exécuter par le
vieux maître douaisien et placer sur la tombe de son époux
le retable de la chapelle de Saint-Dominique, le héraut
d'armes du même empereur aurait fait peindre par le même
artiste, un retable qui fut ensuite placé sur sa tombe dans
rédise Saint-Jean-en-Konville, à Arras.
SUR JEAN BKLLEGAMllK. .\(;~
Nous avons vu, il y a quelques années, à Paris, chez
M. Forgeais, archéologue et marchand, un panneau qui
montrait sur Tune de ses faces, le portrait de Charles Coguin;
les traits, l'attitude et la chape de l'abbé, la crosse qu'il
porte, le prie-Dieu devant lequel il est agenouillé, tout rap-
pelle le retable d'Anchin; il en est de même du paysage qui
oflre des arbres, un pont jeté sur un ruisseau et des mon-
tagnes dans le fond. Il est à regretter que le Musée de Douai
n'ait pas acquis ce panneau qui, si nos souvenirs ne nous
trompent pas, doit être de Jean Bellegambe lui-même.
VII.
Voilà tout ce que nous avons pu recueillir sur Jean Belle-
gambe et sur son œuvre, dans nos auteurs les plus anciens,
dans les brochures qui viennent d'être publiées, et dans nos
recherches à travers les bibliothèques, les musées et les col-
lections particulières : sans doute le travail et peut-être le
hasard fourniront encore de nouveaux renseignements.
Nous n'avons pas voulu tarder davantage à présenter à ceux
qui s'occupent d'histoire artistique, ces quelques pages qui
ont été écrites avec toute la conviction que peuvent inspirer
l'étude, le goût des arts et le désir de faire connaître un ar-
tiste chrétien dont le nom a été si longtemps oublié.
A. ASSELIN ET C. DEHAISNES.
LES SANDALES ET LES BAS
DEUXIEME AUTiri.E
CHAPITRE II
CHALiSSDRES DES ANCIENS.
De tous les êtres vivants, l'homme est celui dont les or-
ganes de locomotion sont les plus délicats et les plus sen-
sibles; il est donc vraisemblable que le roi de la création
chercha, dès l'origine, à défendre ses extrémités inférieures
contre l'inclémence des saisons, les épines ou les cailloux.
La première chaussure fut probablement végétale et l'écorce
des arbres en fit les frais ' . Puis, la nécessité enfantant l'in-
dustrie, le roseau ou le palmier tressés fournirent des éléments
moins destructibles. Mais un tel préservatif, approprié aux
climats chauds, restait insuffisant dans les régions froides,
et l'homme, pour courir à la recherche du gibier dont il se
* Voir le numéro de juillet, p. 337.
' PiiiLosTRATE, v'il.a Jpollonii , lib ii, c. 9, mentionne les souliers d'écoice
des habitants de l'Inde.
LKS SANDALES KT LES liAS. 469
nourrissait, iniagitia de lui deniander le vêtement des pieds
comme il lui avait déjà empriuité celui du corps. Uiie])eau
d'animal, tournée le poil en dedans, liée autour de la che-
ville par des tendons sécliés au soleil, constitua le soulier
primitif. Quand on eut inventé les moyens de travailler le
bois et de préparer le cuir, apparut la semelle attachée avec
des courroies, solea,- une empeigne et un quartier, progres-
sivement annexés à cette semelle, produisirent le çalceus.
La civilisation croissant et la sensualité aussi, les jambes, à
l'exemple des pieds, exigèrent une couverture; d'abord sépa-
rés du ppclule, Vocrea et le libiale s'incorporèrent ensuite à
lui pour former les péronés^ le cothurne et les bottes. Plus
tard, de nouvelles enveloppes en tissu, fasciœ paliilcs, cru-
rales, empêchèrent la peau nue de toucher immédiatement
à la chaussure. Ces dernières feront le sujet d'un chapitre
ultérieur; je ne veux traiter ici que des objets classés par
les anciens jurisconsultes sous la dénomination de calcea-
nienla.
^ I. Peuples orlenlaux.
I. Juifs. — L'antiquité hébraïque est trop pauvre en mo-
numents ligures pour qu'il soit possible de rétablir exacte-
ment la forme des chaussures israélites ; je l'essayerai néan-
moins à l'aide des textes sacrés mis en regard des bas-reliefs
assyriens. De temps immémorial les Juifs portèrent des cal-
ceamenta; à diverses reprises, Dieu ordonne à Moïse et à
Josué de quitter leur chaussure ' . Ces calceamevta étaient
de deux espèces : la première, que mentionnent la Genèse
et Isaïe, consistait en une semelle attachée à la jambe par
' Exode, ni, 5; .Josué, v, 16.
470 LES SANDALES ET LES BAS.
des courroies ' ; l'autre engageait l'intégrité du pied. Lorsque
les Gabaonites voulurent en imposer à Josué, ils se présen-
tèrent devant lui chaussés de « calceamenta perantiqna ad
indicinni vetustatis pittaciis consuta ' ; » mais le verset 7 du
chapitre iv de Ruth est beaucoup plus explicite. En effet, si
la majorité des interprêtes y rend le mot SV3 par calccamen-
tum ou un équivalent, la paraphrase chaldaïque dit: « Excal-
ciavit vir vaginam suam : » or, vagina (étui, fourreau} ne
peut répondre qu'à l'idée d'un objet creux, un soulier muni
d'empeigne et de quartier. La chaussure des femmes est
très-vaguement indiquée ; des ornements la relevaient, <' in
die isto auferet Dominus ornamentum calceamentorum ; »
elle affectait la couleurbleue : « et calceavi ianthino * : » Un
classement établi par Abarbanel me permettra de préciser
davantage. Ce commentateur distingue trois genres de calcea-
menta : 1° la chaussure que le simple mouvement du pied
fait tomber; 2" la chaussure qui, tenant plus fortement au
pied, a besoin d'être retirée ; 5° la chaussure attachée par
des cordons \ Je reviendrai sur la dernière au sujet des As-
syriens. Le n" 2 dont parlent Ruth et le Deutéronome n'est
autre que la pantoufle arrondie, sans cordons, à semelle
plane {marJwub), généralement usitée chez les Orientaux ; le
n" 1 me semble personnel au beau sexe. La Vulgate, pour
exprimer la chaussure de Judith, emploie le terme samla-
lium, toujours appliqué par les Gi'ecs et les Romains à un
« ' A filo subtegminis usque ad corrigiam caligoe,» Gcn., xiv, 23. — « Nec
rumpetur corrigia calceamenti ejus. » Isaïe, v, 27.
* Cousus avec des fils enduits de poix. JosuÉ, ix 5
^ISAÏK, III, 18 — EZKCHIEL, XVI, 10.
* In Deut., XXV, 9, ap. S. Cahen, Trad. de la Bible, t. XVI, p. 57, n. 7.
Toute cette note qui explique le v. 7 du c. iv de Ruth présente le plus haut
intérêt.
LK3 SAMiALi:S ET LES lîAS. /(7 I
caiccus mtdicbris; lesdites sandales étaient éclatantes,
puisque, métaphore à part, elles ravii'ent Holopherne '; de
plus, le Cantique des cantiques peint admirablement la dé-
marche l)alancée d'une femme chaussée de pantoufles sans
quartier'. La sandale de cuir ou d'étoffe, encore aujourd'hui
portée par les dames turques, arméniennes, grecques, mau-
resques et juives, sandale qu'un sim[)le mouvement engage
ou dégage et dont l'empeigne, voire la semelle intérieure,
sont fréquemment chargées de riches hrodei'ies en or, réunit,
à mou sens, les conditions indispensables pour i-appeler celle
des temps bibliques. Les Israélites usaient à la guerre de
bottines en fer et en airain ^ ; aller pieds nus était chez eux
signe de deuil ^ ; enfin, quoique leur chaussure n'eût pas
grande valeur, ils la considéraient comme un objet de pre-
mière nécessité, môme relativement aux classes indigentes^.
n. Assyriens et peuples de l'Asie mineure. — Les scul-
ptures assyriennes fournissent un nombre assez considérable
de types humains pour qu'il soit permis à l'étude de recon-
naître la forme des chaussures chez les peuples araméens.
Le bas-relief de la chasse aux lions recueilli par M. Layard
dans les ruines du palais de Nemrod offre deux soldats chaus-
sés de soleœ munies de quartiers et attachées par des cour-
roies croisées sur le cou-de-pied ". Les fouilles de M. Botta
' » Iiiduitque sandalia pi^dibus suis. » x, 3, — Sandalia cjiis lapiicrunt
11 oculos ejus. » XVI, 11.
■ '■* Il Quam pulchli sunt gressus tui in calceamentis, u vu, 1.
' 11 Fenum et œs calceamentum ejus. » Deul., xxxiir, 25. — Et ocieas
<• aercas habebat (Goliath) in cruiibus. » Reg., i, xvii, 6.
* 11 Vade.... et c-alceamenta toile de pcdibus tuis. » Isaîk, xx, 2, et aussi
Ezéchieî, xxiv, 17 et 23.
* Il Samuel pecunias et usque ad calceamenta... non aecepit. » Ercle-
siastL, xLvi, 22 — « Pro eo quod vendiderit.... paupeiem pro calcea-
mentis... Ul possideamus... pnupeies pro calceamentis. • Amos,ii,<>: viii, (i.
•■• .\. DE LoNGPKUiKR, Rev. aïcli. t IV, p. 300 ot pi. 69.
472 LES SANDALES ET LES BAS.
ont rais au jour une solea plus éléraentaire encore, car elle
n'a qu'une simple bride contournant les chevilles avec un
sous-pied pour retenir la semelle'. Toutefois, la chaussure
ordinaire des Chaldéens (les monuments l'attribuent aux hé-
ros, rois, seigneurs, eunuques et soldats) consistait en une
crepida enveloppant le talon et les côtés du pied dont la
partie supérieure restait découverte. Un anneau de métal
uni ou ciselé, traversé par le gros orteil, assujettissait la se-
melle contre la plante; cinq cordons, deux internes, trois
externes, partant de trous percés dans le quartier, se nouaient
sur le cou-de-pied. Il en existe des spécimens coloriés en
rouge ou en noir. Un esclave et, je crois aussi, une femme
portent la même chaussure sans quartier, avec sous -pied
et bride aboutissant à l'anneau ■. Une autre variété munie
de quartiers distingue les Assyriens tributaires qui saluent
le grand roi au jour du Nourouz^; enfin, M. Botta en cons-
tate l'usage actuel parmi les peuples mésopotamiques et
notamment au mont Sindjar. Peut-être serait-il trop hardi
d'accorder aux œuvres d'art ninivites la prodigieuse anti-
quité qu'on voudrait leur assigner, néanmoins leur âge est
assez respectable pour qu'une chaussure qu'elles retracent
et dont la forme persiste après tant de siècles écoulés, ne
diffère en rien des calceamenta à courroies de la G-enèse et
d'Isaïe. Quelques cavaliers assyriens ont par-dessus leur
anaxyris (caleçon), collante et bigarrée, une sorte de brode-
quins montant jusqu'à mi-jambe , ouverts et lacés par-
devant; brodequins qui garantissent aussi la peau nue des
' Monument de Ninire, pi. 92, 98 et autres.
- Botta, loc. cit , pi. 19, 20, 41, 81 (rouge), 101, 119, 155, (noir, brique
émaillée). — PI. 127 et 92.
' Bas relief de Persépolis ; Flandfn et CosTE, Voi/. en Perse, pi. 108.
LES SANDALES ET LES BAS. 473
fantassins '. Hérodote y lait sans donte allusion (juaiul il dit
que les Babyloniens avaient une chaussure nationale ana-
logue à celle des Béotiens". Parfois ce cothurne n'a aucune
solution de continuité : dans le costume des palfreniers, il
dépasse souvent le genou ; alors la courroie est disposée en
échelle ou en zigzag. On doit croire que la semelle en était
peu résistante, car la plupart des individus qui le portent
chaussent en outre un socque à quartier élevé dont l'em-
peigne s'effile en pointe recourbée ^.
Les bas-reliefs de Yasili-Kaïa offrent un spécimen curieux
des plus anciennes chaussures de l'Asie mineure : les souliers
ou bottes des hommes sont démesurément longs, pointus et
arqués ; ceux des femmes rappellent le type chinois. Le ca-
chet du Céleste-Empire est également reconnaissable aux
pieds d'un soldat lycaonien, sculpture coloriée que M. Texier
croit contemporaine de la venue des premiers Grecs en Asie;
le soulier lacé parait en cuir et s'emboîte dans une cnémide
semblable \
in. Phéniciens et Egyptiens. — Le peu qui nous est ré-
vélé des chaussures phéniciennes a trait aux fonctions sacer-
dotales. Hérodien rapporte qu'Héliogabale fit participer aux
sacrifices les généraux et les premiers officiers de l'empire,
revêtus de l'habit phénicien, avec des calceamenta de lin
comme les portaient en Phénicie ceux qui prédisaient l'ave-
nir. Apulée attribue des souliers jaunâtres aux prêtres de la
déesse de Syrie ^ .
Botta, loc. cit. pi. 64, 67, 99, 145 (cavalieis) ; 90 (t'antassiiis).
- « 'VTTOov^aaTa eKt/ojpia TrapairXrîtjia Tr,Gi BoiOTVjai auSadi. » i, 195.
' BoTT.A, loc- cil. \A. 67, 81, 13-2, 150 et 36, 37, 39, 129, 133, 135, etc.
4 Ch. Tkxier, Descripl, de l'Asie Mineure, Ptoiium, pi. 75 et 78; Ko-
pieh, pi. 103.
^ Hisl. rom,, 1. v, 13. — « Pedes lutcis induti caiccis » Mêlant., 1. vni
474- LES SAN'DALES ET LES BAS
L'image des dieux, rois, pontifes et guerriers de l'Egypte,
se montre prescpie toujours avec une soka pointue et recour-
bée, maintenue par une courroie longitudinale avec sous-pied
agrafé sur la cheville '; Sétif I, roi de la XIX ''' dynastie,
est ainsi figuré au IMusée du Louvre (B,7). Hérodote nous
apprend que les prêtres égyptiens mettaient des souliers
de papyrus (ÛTro^-zip-ara (SùSXiva), Le nom latinisé de ces sou-
liers était baxa ou baxea ; Apulée en chausse le thauma-
turge Zachlas et aussi la déesse Isis ^. Plus d'un original en
a été découvert au fond des hypogées de l'Egypte. Parfois les
baxeœ ont le quartier et l'empeigne du soulier ; parfois un
simple lien de feuilles est adapté à la semelle; parfois encore
un appendice, destiné à passer entre le gros orteil et le doigt
voisin, fait saillie à la partie antérieure. M. Rich a repro-
duit un type de ce dernier genre d'après le modèle en papy-
rus de la collection de Berlin ^. Un livre où l'on peut trouver
d'utiles renseignements donne sous l*a vague rubrique :
« Sandale et bal)ouche des femmes de l'ancienne Egypte,
d'après les monuments, » la gravure de deux baxeœ fort
curieuses * . La première, semelle à bride, vient d'être signalée ;
l'autre, tressée en forme de baris, navire particulier à l'E-
gypte, se nommait chez les Grecs tisfAoxplç , ■nepi^Apov^ n'Aoïà-
' V. Descripl. de l'Egypte par la Comm. française ; Cit. Lenormaint, Mu-
sée des ant. égypt.; Texier, loc. cit. pi. 132 (Sésostris, bas-relief de Nym-
phio) : MoNTFAUcoK, Ant. expL, t. ii, pi. 118, (statuette d'Osiris), etc., etc.
^ Lib. n, 87. — c Pedes palmeis baxeis inductus. n Métani. 1. ii. — « Pc-
des ambrosios tegebant soleœ, palmae victiicis foliis intextre. n Ih., 1 xi. —
Le thaumaturge Apollonius de Tyane portait aussi une chaussure de pa-
pyrus. Piiir.osTUATE, Jpoll. vila.
* Dict des ant., p. 78.
* Histoire de la chaussure, par MM. P. Lachoiv, Dl'cheswe et Skuk,
p. 5.
LES SANDALKS ET LES BAS. iT:",
fjiov, dy.di.ziov: suivant Jiiliiis Pollux, elle fut d'abonl à l'usage
des servantes * .
IV. Perses. — Les monuments achéménides offrent plu-
sieurs espèces de chaussures complètement distinctes. Les
soldats portent un calceus fermé, noué sur le cou-de-pied
avec des cordons. Les Mages, Satrapes, officiers du palais et
Doryphores ont des souliers dont l'empeigne, partagée en
deux pièces jointes par une couture, se découpe vers le haut
en trois paires d'oreilles [ligulœ) réunies au moyen de bou-
tons. Le bord antérieur de ces souliers, qui couvrent la che-
ville, est en outre garni d'une languette demi-circulaire re-
montant d'à peu près O'^OB" le long de la jambe. Les rois
semblent chaussés de bottes ou bottines collantes pareilles à
celles que j'ai signalées chez les Assyriens ^ Quelques tribu-
taires présents à ia solennité du Nourouz ont la même botte
parfaitement caractérisée; un chamelier bactrien , vêtu
comme les mougyks russes, en porte d'assez amples pour re-
cevoir ses larges braies. Sauf le cas d'un personnage dont le
cou-de-pied est chargé de nœuds % toutes les chaussures
précitées manquent d'ornements, malgré l'or qui les relevait,
suivant le poëte Denys :
Xpuaw o'à[xctt TTooEUCiv £X0(7[ji.yic;avTO TTî'oiÀa *.
Il est assez difficile de déterminer la forme des chaus-
' Onomasticon, vu, 22. L'écinvain cite ce vois du Trophonius de Céphiro-
DOllE :
Nîiv ô w(T7T£p 7] Ospâiraiva, à'yo) TTcptéapioai;.
' Flandiw et CosTE, Voij. en Perse, pi. 100, 101, J23, 147, 152, etc.;
Persépolis. — Le soulier actuel des prêtres guébres, pointu, recourbé, sans
ouverture et dépassant la cheville, pourrait bien être une réminiscence de
l'antique chaussure royale des Perses. V. Banier, Cér. rel., t. v.
' / 01/. en Perse, pi. 105, 106, 107 et 108 ; Persépolis.
* Périeg., 1061. — Etiewne, De urhihris, mentionne une chaussure per-
sique, particulière aux femmes, à laquelle il donne peu de valeur [IxiTtXii,) .
i76 LES SANDALES ET LES BAS.
sures parthes et sassanides, toutes cachées sous de A^astes
pantalons, maintenus autour de la cheville, soit par des ru-
bans longs et flottants noués sur le cou-de-pied soit au
moyen de courroies bouclées. Tertullien, qui rencontra des
Parthes et des Mèdes venus à Rome sous le règne de Sévère,
relate qu'ils portaient des bottes enrichies de perles, et, au
XIP siècle, Tzetzès parle encore des chaussures persiques
couvertes de perles et de pierres précieuses. Les bas-reliefs
de Chapour présentent une série de personnages en bottes et
larges pantalons descendant à mi-jambes ; le roi ou prêtre,
sculpté à Tengh-i-Saoulek, est vêtu absolument de la même
manière. Les chasseurs brodés sur le suaire de saint Lazare
à Autun (XIP siècle), deux héros peints sur une faïence re-
lativement moderne à Astérabad, portent des bottes assujet-
ties au genou par des jarretières qui, chez les derniers, sont
munies de boucles très-riches. Enfin, les bottes appartiennent
toujours au costume persan moderne ' . Certains cavaliers
sassanides ont aussi Vanaxyris collante et rayée , confondue
avecle peduk que surmonte un nœud énorme '. La chaussure
des femmes, profondément ensevelie sous les plis des robes
ou des pantalons, est presque invisible; elle devait ressem-
bler aux pantoufles des dames guèbres : ses rares s[)écimens
sont dénués d'ornements; un seid étale une double rangée de
perles \
• « Et in peionibus uniones emergere de luto cupiunt. » De Hab. mul. —
Chil. 1, 29, 3. — V. .^nt. expl . t. I, pi. 31, 1, Parthc ; Voij. en Perse,
pi. 33, 14, 186, 53, 225 ; Homm.\ire de Heix, Turquie et Perse ; Dibeux,
La Perse, pi. 65, 66, 70 et 77 ; etc , etc.
- Voy. en Perse, pi. 183 et 186. Les Mingréliens, peuples du Caucase sur
les bords de la mer noire, portent encore des souliers rayés qui permettent de
suppléer à l'état fiuste des bas-reliefs de Nakch-i-Roustam. V. Chardin,
Voy. en Perse, pi. 2, éd. Langlès.
* AVy. en Perse, jjI. 9 et 186 ; Ch.^kdip:, loc. cH, pi. 75
LES SAND.W.KS liT LES DAS. 177
V. Scythes, baccs, (iollts, lliins cl Louihanls. — Aiiiniicii
iMarcellin nous apprend que les Huns cachaient leurs jambes
velues sous des peaux de chevreau, et Paul Warnefrid ra])-
porte que le soulier des Lombards, retenu par des courroies
lacées, était fendu sur le cou de-pied jusqu'à la naissance
des orteils. La statue n* 7, au musée des Antiques du Louvre,
offre un exemple de cette chaussure dont les cordons dispo-
sés en treillis vont se réunir autour du pantalon qu'ils main-
tiennent à la cheville. Sidoine Apollinaire dit que les Gotlis
portaient des bottines en cuir de cheval attachées par un
nœud au bas de la jambe, dont le haut restait découvert. Les
bas-reliefs de la colonne de Théodose représentent des
Scythes ou des Goths chaussés d'un socciis à double lan-
guette pareil à celui des histrions étrusques ' . Sauf le cas
d'une carhatina liée avec des lanières croisées, les souliers
des Daces, figurés sur les monuments, diffèrent peu du cal-
ceus achéménide et dénoncent une communauté d'origine^.
D'après les objets d'art trouvés dans les nécropoles de Koul-
Oba et de Panticapée (Crimée), on voit que les Scythes
avaient une chaussure à demi-voilée par leurs braies flot-
tantes, ou bien, par-dessus Vanaxyris collante et bariolée.
' Rer. gest-, xxxi. — » Calcei vero eis erant usque ad summum pollicem
pêne aperti, et alteinatim laqueis corrigiarum retenti. » De gestis Langob.,
IV, 23.
Nec tangeie possunt
Altatse suram pelles, ac poplite nudo
Peronem pauper nodas suspendit equiiium.
Carm. vu, 456. — Ba^dihi, Imp. Orient., t. Ji, pi. i etsuiv.
* Ant. expl., t. I, pi. .32, 51, 2, 54, 69 ; m, pi; 34 ; suppl. , m, pi. 4.—
« Persaî qui sunt originitus scythie. » Am. Marcellin, Ioc. cit. — Le type
de toutes les chaussures des barbares, originaires de l'Asie, se retrouve sur
les monumiMits assyriens et perses.
478 LES SANDALES Eï LES BAS.
des bottes molles à entonnoir «. Ces bottes se nommaient
certainement tzangues ; elles étaient fabriquées avec le cuir
roussâtre que le voyageur Mandeville vit préparer en Tartarie
et que nous appelons cuir de Russie : un passage du Chronicon
paschale lève tous les doutés que mon assertion pourrait sou-
lever. Il y est dit que Tzatliius, fils de Zamnaxis, roi des
Lazes, étant venu demander à l'empereur Justin le Thrace
l'investiture des états de son père, parut à la cour revêtu du
costume byzantin, mais avec les tzangues roussâtres de. son
pays ornées de perles à la mode persique'. Or, les Lazes étant
une tribu scythe soumise aux Perses, on doit en conclure
que le nom barbare gfécisé rÇayyta, d'une chaussure commune
à eux et à leurs maîtres, fut emprunté aux idiomes orien-
taux. Je reparlerai plus bas des tzangues.
^11. Grecs et Romains.
Les anciens peuples du Latium eurent évidemment leurs
chaussures particulières, mais un contact journalier avec les
races helléniques, tant par l'Italie méridionale et la Sicile que
parla conquête de la Grèce elle-même, introduisit prompte-
ment dans le costume romain des éléments dont la forme et
le nom ne perdirent jamais leur cachet originel. La chaus-
sure est de ce nombre, et Rome ne se fit pas faute de copier
les calceamenta grecs. Quoiqu'elle n'en ait pas adopté le to-
tal, établir pour chaque nationalité une nomenclature dis-
' Dubois de Monpérkux, Voyage autour du Caucase, fig.; nécr. de Pan-
ticapée ; vase de Koul-Oba.
- <i Ta yàp Trî^aYyta àuTou -/[v àreo t/ji; "/wpotç àuxoû poucotîa, Oepcuôi
<jy-/iw.aTi, à'/ovTH [^.apYapita;. » Chron. pasch , p. 332, anno 4 Justini Thra-
cis (520). Les chaussures parthes, que TertuUien, cité plus haut, nomme pé-
ronés, n'étaient autre chose que des tzangues.
LKS SA.NDAI.KS KT LES I5AS'. 470
tiucte conduirait ù «le trop longs développements. Je préfère
donc grouper dans un même pai-agraphe toutes les chaus-
sures grecques et romaines classées en trois catégories :
1° chaussure laissant la partie supérieure du pied à nu, .s-o-
leci; 2" chaussure couvrant l'intégrité du pied, calcciis ;
S" chaussure garantissant à la fois le pied et la jambe, co-
t/uimus. Mon cadre est fort élasticpie, je le sais, aussi les
calceameuia douteux ou dont les noms seuls ont été conservés
par Isidore et Julius Pollux à titre de renseignements ' se-
ront-ils relégués à la fin.
I. Chaussure laissant la partie supérieure du pied à nu. —
Solea. — On doit entendre généralement par solea toute
chaussure qui ne garantissait que la plante du pied : « Om-
nia ferme id genus, quibus plantarum calces tantum infimae
teguntur, cetera prope nuda et teretibus habenis vincta
sunt, soleas dixerunt ; nonnunquam voce gr£eca crepidu-
las -. » Les Romains, ennemis de la gêne^ portaient la solea
dans leurs habitudes de vie ordinaire, hors du costume offi-
ciel ; elle consistait en une simple semelle attachée par des
courroies non croisées : on la mettait et la retirait facilement,
aussi la prenait-on pour assister aux repas, l'usage étant de
se coucher pieds nus sur les lits du triclinium ^ Pétrone
nous montre Trimalchion jouant à la paume « soleatus. «
Cette chaussure était commune aux deux sexes; un magis-
trat manquait à la bienséance s'il en usait sur son tri1)uiial \
' Origines, lib xix, c. 38, De calceamentis — Onomasticon, lib. vu, c. 22.
Calceorum species. — Les citations que je pourrai faire d'Isidore et de Pollux
seront empruntées à ces chapitres, désignés une fois pour toutes.
^ AiiLU Gellk, xhi, 21. — Isidore, loc. c?'t— Festus, De verb.sign.
^ Plaute, Trucul., ii, 4, v 12 et 16. — Horace, lib. ii, sat. viir,
'' Satyr., 27. — Propeuce. — Ovide, Ars amandi, ii, 212 :
Et tenero soleam deme vel adde pedi.
Qi]l]NTiLiE>J, XI, 3 : « Stetit soleatus prÈetor populi Romani, d
480 LES SA.NbALliS KT LES lîAS.
Il y avait des soleœ de cuir, de bois et même de laine ; leur
courroie, corrigia^ ameulum^ n'existait pas toujours, ainsi
que Pline le remarque à propos de la statue de Cornélie,
« soleisque sine amento insignis : » alors un tenon passant
entre les orteils devait y suppléer ' .
Sculponea. — C'était une chaussure grossière propre aux
esclaves employés à la campagne. Un calembourg de Plaute
fait comprendre le rapport des sculponeœ «à la aolea ; Stalinon
dit à Olympion d'acheter des provisions de bouche et entre
autres des soles « soleas, » à quoi Chalinus riposte :
Qui qufeso, potius quam sculponeas
Qiiibus baluatur tibi os, seuex nequissime *.
M. Ricli croit avoir retrouvé un type de sculponea sur la
figurine en bronze d'un esclave occupé à des travaux rus-
tiques ; si l'érudit anglais ne se trompe pas, il a reproduit
une chaussure analogue à celle du philosophe Posidonius,
statue n" 89 des Antiques du Louvre.
Carbatina. — Julius Pollux dit que la y.arjcarivn tire son
nom des Cariens qui l'inventèrent. Chaussure éminemment
rustique, elle était faite d'un morceau de peau de bœuf crue
placé sous le pied^ puis relevé en gouttière, de façon à ga-
rantir le talon et les orteils. Des courroies, passant par des
trous percés sur les bords, s'enroulaient autour de la jambe.
Quand les soldats de Xénophon eurent usé leurs vieux sou-
liers, ils se fabriquèrent des carbatines ^ ; Catulle affecte pour
' Satyr., 95.— Mabtial, xiv, 65. -« Soleœ niateiiale.s, ex mateiia corio
intexta. n Isidore, Ioc cit. — Hist. nat. xxxiv, 14. — Ant. cxpj.^ m. pi. 35.
— Dict. des Ant. p. 590.— Chardin, Ioc. cit. pi. 19.
-C.\TON, R. rust., 59 et 135. — Orig., Ioc. cit. — Casina, ii, 8, .59.
' « Kap^drivai ir£7roir,a£vai in twv VEOOxpxtov [iciwv. » Aiiahasi.i, i\,
5, 14.
LES SANDALES ET LES IIAS. 181
elles lin souveniin mépris ; on les rencontre sur des vases
grecs et des peintures de Pompeï ; elles sont toujours en
usage chez les paysans italiens et les Kabyles *.
Crepida. — l^a y.pr^rùiy^ chaussure nationale des Hellènes,
n'était portée par les Komains qu'avec le costume grec, c'est-
à-dire le pallium ou la chlamyde. On voyait au Capitole la
statue de Lucius Scipion, « non solum cnm chlamyde, sed
etiam ciim crepidis; -> Pleminius est repris pour s'être mon-
tré au gymnase « cum pallio crepidisque; » Tibère, pendant
le séjour qu'il fit à Rhodes avant la mort d'Auguste « rede-
git se, deposito patrio habitu, ad pallium et crepidas ". » La
crépide consistait en une semelle garnie sur les cotés, soit
d'un cuir percé de trous, soit de simples lanières tournées en
boucle {amœ)^
Ansaque compresses colligit arta pedem '.
Une courroie {corngia)^ passant à travers les amœ, attachait
la crépide au pied ; les femmes avaient parfois des courroies
dorées. Une agrafe de métal, que je crois être l'objet désigné
par Pline sous le nom iVobstragulum, placé entre le gros or-
teil et le doigt voisin, ajuste souvent la corrigia k la se-
' Ista cum lingua, si iisus vcniat tibi, posais
Culos et crepidas lingere caibatinas.
98, 4. — TiscHBEiN, Peint, de vases, i. 14; Mufteo borbon., xt, 25 ; Hopk,
The cosi. of the Anrienfs ; RicH, Dirt. des avi.; Mag. piff., 186], p. 281.
— Hesychius définit la ravbatine, y.ovoT£)>aov ou [Jtovdoîpuov, c'est à-dire d"nn
seul morceau de cuir. Je pense qu'il faut confondre avec cette chaussure
l'aÙTOij/EOiiT (improvisé) calceus rudis sine arte confectus, dont parle Hermip-
pus cité par Pollux.
- Peusk, I, 127. — CirKKo>, Pro Eabirin, 10 ; Tjte Livk, xxix, 19; Scé-
TOAF, Tibère, 1.3.
' TiBHLT.E, I, 8, 14. a Apellem .. feruntquc a sutore reprehensuin, quod in
crepidis una intus pauciores fecis.set ansas. » Pline. Hisf.. ndt., xxxv, .36,12.
TOMK VI. • 35.
482 LES SANDALES ET LES BAS.
nielle ; les dames romaines poussaient le luxe jusqu'à enri-
ehir Vobstraguliim de perles ' , La crépide s'adaptait indiiFé-
remment à l'un ou l'autre pied ^; Pollux, cpii lui donne aussi
le nom d'a^Trio-, la traite de chaussure militaire; on la trouve
sur beaucoup de statues grecques, notamment l'Apollon du
Belvédère et la Diane chasseresse, n" 178 du Louvre.
La Sycchas, 2u//ào-, dit Pollux, ressemblait fort à la cré-
pide; elle tirait son nom de ce qu'elle embrassait le pied. On
rencontrerait peut-être dans Montfaucon quelques spécimens
de si/rchas ^
Le Diabalhrum^ AidoccOpov^ appartenait aux deux sexes ;
Festus le signale comme une espèce de solea grecque. Eus-
tathe dit que c'était surtout une chaussure de femme, et
quand Naevius, cité par Varron, l'attribue aux hommes,
c'est pour désigner une mise efféminée. La figure d'un sa-
vant byzantin, chaussé de patins à quartiers et à courroies,
me paraît offrir le type du diabathmm, dont l'usage, en
Orient, persistait au XVIP siècle *.
La Fulmenta, Kào-o-jfjLa, dérivatif de fulcrum., fulcimen^
fulcimentum (appui, soutien), était une semelle, ou plutôt
une réunion de semelles ajoutées à la chaussure pour re-
hausser la taille des individus :
Subjicit liuic fulcrum : fulmentas quatuor addil *.
* « Jam pedum candor, intra ami gracile vinculum positus. » Péiuone,
126. — » Quin et pcdibus, nec crepidarum tantum obstragulis, sed totis soc-
culis addunt (maigaritas). Hist. nat. ix, 56.
* <( Et idem utrique aptiim pedi, vel dextro vel sinistro. » Isidore, loc. cit.
' Jnt. expl., t. m, pi. 35 ; t. ii, pi. 100.
* Onomast. loc. cit. — « Diabathra in pedibus habcbat et erat amictus epi-
croco, utrumque vocabulum gra cum. n Vauroîn, De ling. lat., yi, 3; Ant.
expl., \n, pi 4, 5, X^ siècle; CiiArx'ois'nYi.K, Décad. de Verni), grec, Tllus-
trations, dame turque.
' Liuii.lLis, .fal.. IV, 9.
LES SANDALES ET LES l!AS. 183
L^fulmciila se fixait avec des clous ; « fulmentas clavis aîneis
subducere. » Elle était à l'usage des soldats :
FidmoMÎas juhecim sub|iini;i soccis,
dit plaisamment l'esclave Stasime qui veut s'engager ' . Les
dames romaines mettaient des semelles de liège à leur chaus-
sure d'hiver. La Pallas de Velletri, une autre statue de Mi-
nerve et une jeune femme sculptée sur un bas-relief d'Ar-
gos ont des fuhncnlœ aux pieds ".
On donnait le nom de Scabillum, KpouTréçta, à une semelle
de bois très-épaisse munie d'une fente horizontale profonde,
où se logeait un petit instrument de métal que la pression du
■pied faisait raisonner. Le scabillum battait la mesure, gui-
dait le chœur, accompagnait le joueur de flûte et indiquait
l'instant marqué pour lever et baisser le rideau ^
Ainsi que l'indique son nom, la Gallica fut empruntée aux
Gaulois. Elle s'introduisit à Rome vers le temps de Cicéron ;
on la portait avec la laccrna^ manteau qui avait la même ori-
gine; leur usage était inconvenant et an ti nation al *. Sous
' Ldcilius,.xxviii, 46. — Placte, Trinummus , m, 2, 94.
- Pline, Hist. nat., xvi, 13. — Jnt. du Louvre, n" 310; RicH, loc. cit.
p. 288 ; Charton, f^oi/. anc. et mod., t. I, p. 302.
' Poixiix, loc. cit.; cet auteur parle de Crupeziphores béotiens. — ScÉ-
TONE, Caligula, 54. — » Mimi ergo est jam exitus... deinde scabilla concre-
pant, aulœuin toUitur. « Cicéron, C'œ/. 21 .— AntexpL, ni, pi. 191. Rubens,
De Re vest., p. 187.
. * Il Deinde cum calceis et toga, nuUis nec gallicis nec lacerna. » Cicéron
Philip., II, 30. — Il T. Castricius... cum discipulos quosdam suos senatores
(I vidisset, die feriato tunicis et lacernis indutos et gallicis calceatos « So-
<| leatos tamen vos populi romani senatores per urbis vias ingredi nequaquam
'< décorum est. » Plerique autem ex ils qui audierant, requirebant, cur so-
« leatos dixisset, qui gallicas, non soleas haberent. Sed Castricius profecto,
■I scite atque incorrupte locutus est... Gallicas autem verbum opinor novum,
« non diu ante setatem M. Ciceronis usurpari cœptum. » Aci.u Gei.le, xiri,
21. (V. le reste de la cit. à l'art. Solea),
-484 LES SANDALES ET LES BAS.
l'empire, dit M. Rich, les gallicœ devinrent à la mode, on
en fit yiour toutes les classes et de qualités diiFé rentes. D'après
un sarcophage d'Amendola, représentant une bataille entre
les Romains et les Gaulois, cet auteur prétend que les galli-
cœ étaient des souliers bas, à semelle épaisse et dont l'empei-
gne laissait le cou-de-pied entièrement découvert. L'expli-
cation du savant anglais ne concorde pas tout à fait avec les
calcei fermés qu'il donne pour spécimens ; elle répond peu au
texte d'Aulu Gelle où l'analogie des soleœ et des gallicœ se
trouve nettement spécifiée. Je crois qu'une chaussure à jour
{feneslrata) , publiée par Montfaucon d'après Bonanni ,
et deux autres nudipedes de Y Antiquité expliquée^ sont de vé-
ritables gallicœ. Bauduin avance que la semelle des gallicœ
était en bois, ce qui est probable, car notre mot galoche, dé-
rivé de gallica, exprime une chaussure ainsi fabriquée. Il y
eut aussi des gallicœ en roseaux tressés :
Calipfa(iiie remota
Gallica sit pedibiis molli redimita papyio *.
Le type qu'en donne Bauduin est assez vraisemblable ; il
a beaucoup de ressemblance avec Valpargata en jonc des Es-
pagnols.
La caliga était par excellence la chaussure militaire des
Romains. L'immense majorité des monuments en fait une
solea, laissant les orteils à nu, et attachée au moyen d'un
système de courroies multiples, qui couvrent le cou-de-pied
et finissent par environner la jambe de cercles parallèles '.
^ Dict. des ont. p. 297 et 298.— Ant. expl.. m, pi. 35 et pi. 8, fig. i (pa-
tricien) et 3 (philosophe). On conseivo au Musée de Londres une chaussure
analogue a celle de la pi. 35, mais ]j1us grossière. — De calceo ant , c. 14.
— ('(irmen ad sénat Isacuni , ap. Rijbkns, De Re l'est., p. 155.
' « Caligul;o, caliga?, vel a callo pedum dicta;,.vel c^uia ligentur. » Isidore,
foc. cit. — La calige n'appartenait qu'aux langs inférieurs de l'armée : « C.
JkJarins, ad consulatmii a caliga perductus.» Sknéqpe, Dehenef. v, 16.
LES SANDALES ET LES BAS. i.Sf)
M. Ricli en veut faire un calccus fermé, et présente, à l'ap-
pui de son o})inion, un bas-relief tumulaire de Milan où l'on
voit un homme assis en face de deux souliers, avec l'ins-
cription svTOR CALIGARIVS, ([lie l'érudit écrivain interprête
par cordonnier m valiges. Je me permettrai un avis moins
absolu, car sntor caliyarius peut signifier également (pie le
défunt avait la double spécialité de coi'donnier ordinaire et
de fabricant de caliges (le cordonnier-bottier de nos vieilles
enseignes); de i)lus, les objets placés devant ce personnage
sont-ils réellement des caliges? N'y verrait-on pas plutôt
des souliers véritables {opus sulorisi ou simplement des fornu^s
en bois {lentipellium, y.xlci:ovi)? L'état fruste du marbre rend
la question difficile à résoudre. J'essayerai de mettre
M. Ricli d'accord avec les errements acceptés jus(pi'à lui, en
disant (pie les Romains nommaient caliga leur chaussure ex-
clusivement militaire, qu'elle fût ouverte ou fermée. Pompée
portait des fasciœ blanches sous ses caliges ' ; les soldats
purent imiter cet exemple, surtout en Germanie où le froid
exigeait que le pied fût garanti. Justin relate que dans l'ar-
mée d'Antiochus « etiam gregarii milites caligas auro figè-
rent. •) Le soldat romain renforçait sa chaussure de clous
serrés et pointus :
Quum duo crura liabeas, otl'endere tôt caligas, lot
Millia clavorum '.
Suétone, reprochant à Caligula de ne s'habiller ni en Ro-
' Dict. des ant., p. 96. — « Et eiiiin mihi caligae ejus et fasciîe cretata? non
placebant. » CicÉiiOiv, Ad Altic, ii, 3.
'■' Hist. xxxviri, 10 — JcvÉNAf,, sal. xvi, 24; V. encoie Id., m, 217 et
Pliwe, Hist. nul., IX, 33. Josèphk, Bell. Jud. vi, 7, parle ainsi du Centu-
rion Julianus ; « Ta yàp uTToo'/ifxaTa 7r£T:Q(p[X£vai ttuxvoî; xai Ôîî'givJJXo!; e/cov,
wffirsp Twv à'XXojv cTpaxioTtov eV.acTOi;. » — Ant. expl., m, 35. — FKiuiARr,
De Re vest., anal., pi. 6, are de Const.
486 LES SANDALES ET LES BAS.
main ni eu citoyen, l'accuse d'avoir paru eu public « modo
" iu crepidis vel cothuruis, modo in speculatoria caliga,
« noiniunquam socco muliebri ' . » Caïus ne tira donc pas
son sobriquet d'un usage immodéré de la calige, mais bien de
ce que cette chaussure, incompatible avec la dignité suprême,
le faisait particulièrement remarquer.
II. Chaussure couvrant l'mtéfjrilé du pied. — Calceus. —
Le Calceus appelé par les Grecs, y.cû-œi^ /aÀ/.rtxa^v, iir.câr,^.x
■A.OÙOV., était, ainsi que l'indique son noni;, un soulier montant
qui enveloppait tout le pied. Cette chaussure généralement
noire, commune aux deux sexes, avait une empeigne cousue
et la forme de nos souliers couverts ou brodeqiuns ordinaires;
on pouvait l'attacher avec des cordons et elle ne s'adaptait
pas indiiféremment à l'un ou l'autre pied -. Aurélien inter-
dit aux hommes l'usage des calcei rouges, jaunes et verts, qu'il
toléra pour les femmes. Il y avait aussi des calcei blancs ;
les histrions en portaient. Un luxe eflfréné s'introduisit plus
tard dans la chaussure des Romains qui finirent par préférer,
même aux souliers dorés, les ca/ce? de pourpre, brodés à l'ai-
guille, Tiopfvpd xoà y.iyvnzà. ^ Le calceus était l'accompagnement
obligé de la toge ; « proprium togœ tormentum » dit Tertul-
lien \
' Caliyula, 52. — V. pour les figures de caliges ; ./nt. expl.; Imp. Orient ,
Malliot, lîech. sur les cost. t. i, etc. etc. — Le bas-relief n" 555 du Louvre
représente le centurion C. Maccenius avec des caliges ouvertes, et, ceci je l'ai
vérifié moi-même sur les plâtres, la plupart des caliges de la colonne trajane
sont dans le même cas.
- Du Caage, Gloss. (jrœc. — Zoinark. — Poi.llx. — Ei.iein,', Var. llist.,
VII, 4. — « Si mane sibi calceus perperam ac sinister pro dextero induceretur,
ut dirum. «"Spétonk, .'liiguste, 92. — RicH, loc cit. — Canius, stat. n° 107
du Louvre.
^ Vopisccs, Aurél., 49.— Martial, vu, 82. — Phèdre. v,7, 37. — Suirr.r-
çius,ap. RuBKNS, Zoc.ci^ p. 149.— S. J. Ciirys., iïoî«. 22^ Ad poji. Antioch.
* De Pallio, c. 5. — Y. aussi Pline, vu, ejiist. 3, etc. etc.
LKS SANliALES ET LES li.VS. 487
h'()bstri(jillt(in était un calceiis renforce de deux plaques
de cuir, cousues à la semelle et trouées pour livrer passage
aux courroies ' .
Pollux mentionne des chaussures précieuses qn'il nomme
calcei fenestrali, « I.'/i<7zcù Tolv^elii Ù7rccJr,p.a, y.où QpvnziyJv :
zxvrai âè Y,xl ).zT:zoa-/ièd<; wv5'pi.a^3v . » Le IMusée des antiquités
de Londres possède quelques spécimens de ce genre de sou-
liers exhumés du fond de la Tamise, où la vase qui les recou-
vrait assura leur conservation. Ces curiosités, uniques au
monde, sont en peau de truie [sicine) noire et découpée en
réseaux élégamment variés. Trois d'entre elles sont d'un seul
morceau recousu aux extrémités ; un renfort de cuir leur
tient lieu de semelle, et des ligulœ livraient passages aux cor-
dons absents. Les dimensions de deux souliers, restés intacts,
(0,1 Ve-^' sur 0,076"" et 0,252'° sur O.OSS'"; peuvent les faire
attribuer à une jeune fille et à une femme; un autre (0,223""
sur 0,070""), à semelle quadruple, munie de gros clous rivés
sans apparence de couture, à courroies et oreilles taillées
dans le quartier, doit avoir chaussé une paysanne; son affinité
avec la solea et le pays où il a été trouvé m'engagent à le
regarder comme une gallica rustique, conforme au sentiment
d'AuluGelle-,
Les souliers de femme, calceoli^ étaient minces et déformes
diverses ; j\L Rich en offre trois modèles d'après les pein-
' Rien, loc. cil. — "Obstrigilli sunt qui per plantas consuti sunt et ox .su-
porioro parte conigia trahitur, unde ot nominantui'. » Tsidohk.
• Ch. Roach S.MiTH, Cal. of the .Mvs. nf London ant., p. 6(3 et pi ix.
Lettre du même à l'auteur, b''' déc. 1856. — L'.-/?i^ exjjL, t. \u, pi. 35, offre
une chaussure qui participe de la crépide et du calcens feneslmlus. Les sou-
liers du ihéteur Euménius (statue trouvée à Clèves, IV« siècle) me paraissent
ég-d\ement feneslrali , mais la gravure que j'ai sous les yeux est trop impar-
faite pour y renvoyer le lecteur.
488 LES SANDALES ET LES BAS.
turcs de Ponipéï : ils moment jusqu'à la cheville, ont des
semelles et des talons bas; leur empeigne est tout d'une
pièce , et leurs cordons, lorsqu'il y en a, sont passés dans
l'ourlet qui arrête la partie supérieure. Outre les couleurs
indiquées ci-dessus, on portait des calceuli blancs; ceux des
suivantes de Tliéodora (mosîiïque de Ravenne, VP siècle) et
de sainte Cécile (mosaïque de son église à Kome, 822) sont
entièrement rouges ' .
Les Patriciens et les sénateurs avaient une chaussure par-
ticulière que prenait tout individu admis dans leurs rangs';
Isidore en parle ainsi : « Patricios calceos liomulus reperit
« quattuor corrigiarum assutaque luna. His soli Patricii
" utebantur. Luna autem in eis non sideris formam, sed
«' iiotam centenarii numeri significabat, quod initio patricii
« senatores centum fuerint. » Plus bas, le même auteur
ajoute : » Mullei similes sunt cothurnorum solo alto, supe-
0 riore autem parte cum osseis sunt vel eeneis malleolis, ad
" quos lora deligabantur. Dicti autem sunt a colore rubro,
0 qualis est mulli piscis. » Calcei patricii et mulkn doivent
être confondus ensemble si l'on en croit Festus : « Mulleos
0 genus calceorum aiunt esse, quibus reges Albanorum primi
(' deinde Patricii usi sunt. M. Cato originem libro septimo :
" Qui magistratum curulem cepisset, calceos mulleos alluci-
" natos (uncinatos ?], ceteri péronés. Item Titinius in satira :
« Jam cum muleis te ostendisti, quos tibiatis in calceos. •>
Les antiques statues patriciennes, dont le vêtement est assez
* Dict. (lésant.., [>. 94. — » Calceis feniineis albis et teiiuibus inductus. »
Apllék, Méfam. 1. mi. — Une Juiioii étrusque eu bronze porte des souliers
'acés pardevant, avec des courroies entourant la jambe comme celles du cal-
ceiis palriclus. Mus. Corlonmse, yjl. 5, in-t'ol. Rome, 1750.
* 'I Apertain cuiiani vidit lAsinius) post Cœsaris mortem ; mutavit calceos;
pater conscriptus repente factus est. i. Cicékon, f'/tilip., xiii, 13.
LES SANDALES ET LES BAS. 4H0
relevé pour que roi» puisse embrasser reusenible de leur
chaussure, porteut une sorte de bottine close, eu matière
souple, peau chamoisée sans doute, dessinant les formes.
Deux rubans, souvent très-lai\aes, pnrtent de la semelle vers
la naissance des orteils et viennent se lier sur le cou-de-
pied ; une autre courroie, également double, assujettit le haut
du calcpus à la jambe qu'elle entoure jusqu'au milieu, où
elle s'arrête en nœuds à liouts ])endants. César. Auguste et
Caligula (n" JOO et 7û du Louvi-e) sont ainsi figurés. La
statue équestre de Marc-Aurèle, les diptyques consulaires
de Stilicon (400), Boëce (487), Anastase (517), Magnus (518),
ofirent des corrigiœ pcdulcH cr(jisées en sautoir; celles de
Boëce rappellent l'aspect des monuments sassanides. Les
courroies forment un réseau sur la chaussure du consul Ani-
cius Faustus Basilius (541); au contraire une seule ban-
delette divise longitudinalement les souliers de INIarc-Aurèle
en pontife et d'un sénateur. L'image du consul Flavius Félix
(428) montre les quatre courroies d'Isidore nettement carac-
térisées ; deux partent de la pointe de la semelle, les autres
sont disposées en étrier. Un jeune patricien, revêtu de la
prétexte et la bulle au cou, m'a paru être dans le même cas ' .
Aucun doute ne peut exister sur la couleur et la matière
du calceus patricius; il était rouge vif, suivant une ancienne
inscription de Caïus Marins ; en peau éoarlate préparée à
l'alun, suivant ^Martial :
Coccina non lœstirn cingit aluta pedem *.
' V. An(. expl , iv, 28 ; suppl., iiï, 81; ihid., 3 ; iil, 8 et 5. — Goiii,
Thés. vet. dipt., I, 1,4, 5, 11. — Les Jrls sompt., t. I, pi. 2 et 1.
* " De MAJVVBIEI-S CIMBRinS ET TEVTOKICEIS AEDKM HONORI VICTOR FE-
ciT VESTE TRivMPHAri cALCEis pvNiciEis » ap. Ferrari, Dc Rc vesl., anal.,
p. 106. - II, 29.
490 LES SAN IJ A LES ET LES BAS.
Les corrifjiœ crurales étaient de cuir noir :
Nam ut quisque insauus ni^ris médium inipediit crus
Pellibus, et latum demisit peclore clavum.
Un vers de Ju vénal prouvera tout à l'heure que les corri-
(jiœ pedides n'avaient pas une autre couleur. Néanmoins,
après qu'Aurélien eut réservé la chaussure rouge à la dignité
impériale, les consuls adoptèrent les soidiers dorés '.
Dion Cassius rapporte que Jules César usait parfois d'une
chaussure rouge et élevée, à l'instar des rois d'Albe, dont il
prétendait tirer son origine -. Une figure étrusque, publiée
par Montfaucon, réunit, à mon sens, les divers caractères
du calceus albain de César, des péronés curides de Caton et
des midlei de Titinius. Cette figure présente un calceamentum
à semelle épaisse, montant presque jusqu'au genou, avec des
courroies disposées à la patricienne ^
Elusieurs auteurs confirment l'assertion d'Isidore relative-
ment à la liina :
Lunata nusquam pellis et nuscfuam topça
dit Martial ; « quam enim non expédiât in algore, et ar-
« dore rigere nudipedem, quam in calceo uncipedem » s'é-
' HouACE, lib. 1, sat. vi, 27. — Cassiodoke, Varia, lib. vl, 1 : « Calceis
aureis cgredere. » Forni. Cons..
Quid si taie decus recitasses in aure Senatus,
Stravissent plantis aurea fila luis.
FoRTUNAT, lib. 111,20, 9.
5 « 'V'j/-/-,À^ xai Ipu0p//pdw. » Jlist. rom., 43.
^ Ant. expl ., i!i, ^9.
LES SANDALES ET LES liAS. V.)\
crie l'énergique Tertullien. Stace nous appieud i[nv rcnfance
même avait droit à cet ornement :
Sic le clare puer gt'iiil'.iin sihi curiu seiisit
Priinaque patriciu clansit vestigia lima '.
Mais une difficulté reste à éclaircir; il s'agit maintenant
de déterminer la place exacte du croissant que les artistes
s'abstinrent de sculpter, probablement à cause de sa nature
délicate et fragile. Lu (jallica de Bonanni porte un mallcoliis
battant sur le cou-de-pied; les souliers consulaires de F. Fé-
lix et.de F. Taurus Clementinus (51 5) sont agrafés par devant,
à la hauteur des chevilles, avec une fibule hémisphérique;
enfin, le vers de Martial:
Non extrema sedet liuiaia ligula planta -,
qu'on lise extrema ou externa , me semble résoudre la
question, car les ligulse ou oreilles, qui couvrent les chevilles
se réunissent toujours sur le cou-de-pied. Une plaisante re-
partie d'Hérode Atticus à Braduas fait encore mieux com-
prendre la position qu'occupait la luna^ Braduas portait sur
sa chaussure la marque de sa haute naissance, laquelle mar-
que consistait en un ènKKfvpiov èlec^dvzivov jxwozidta (littérale-
ment couvre-cheville d'ivoire en forme de croissant) : Tu as
ta noblesse sur l'articulation du pied, lui dit le rhéteur \
' Ex>igr., 1, 50.— De Pallia, 5.—Sili\v,x, 2, 27. — Zo.naki:, Jnu., dit
que les chaussures patriciennes différaient des autres, tt.ts eTraXAayîi tcov
'tfxâvTwv xai TW Tu:rw tou ypau.aaTo;.
* Ant. expl., !ll, 35. — Goui, loc. cit. l, pi. d.—Epiyr., ii, 29.
■'Philostrate, Vit. Sophist-, 1. ii, 1, 18.
49^2 LES SANDALES ET LES BAS.
Le croissant était donc disposé de manière à ce que ses cor-
nes, engagées dans les corrigiœ pédales noires,
Ap[)Osilara nigrœ luiiam subtexit alut*,
présentassent un écartement suffisant pour dissimuler les
malléoles. Le croissant elli[)tique d'ivoire, trouvé dans les
Catacombes et publié par M. Rich, a tous les caractères de
la lana patricienne ' .
Le soccus^ soccultis ou soccelliis était une pantoufle sans
<iordons, couvrant le pied tout entier : « Socci cujus diminu-
« tione soccelli a})pellati inde quod soccum habeant, in quo
« pars plantaî iniciatur... nam socci non ligantur, sed tan-
« tuni intromittuntur. » L'expression soccis indutus, géné-
ralement employée par les anciens auteurs, rend très-bien
l'idée d'un pied enveloppé du soccus ^ Cette chaussure, por-
tée en Grèce par les deux sexes, n'était guère admise à Rome
qu'au théâtre et chez les femmes, qui l'enrichissaient d'or ou
môme de perles \ Le soccus était particulièrement affecté à
la comédie, en opposition au cothurne des acteurs tragiques ;
il rentrait alors dans le genre dit talaris parce qu'il renfermait
le talon. Montfaucon et M. Rich en donnent deux spécimens;
j'en trouve un autre dans le Muséum Cortonense. Ce dernier,
qui appartient à des histrions étrusques, ressemble à une
bottine munie de languettes, rabattues par devant et par
' Jdvknai., sat. vu, 19-2. — Dict. des nut., 379.
* Isidore, loc. cit. — " Pallium quo amictus, soocos quibus indutus çsset.»
CicÉROK, De Orat., m, 32.
^ « Alius soccis obauratis... femina'n mcntiebatur. » Apulée, Métam. xr.
■ — " Caïus... super caetera muliebria, socculos induebat e margaritis. ).Pli^e,
Hist. nat., xxxvir, 6. — La mosaïque de Ravenne représente Théodora avec
f\es socciiJi aitrali. — V. encore Teutcllien, De idolatria.
LES SANDALKS K'V LES BAS, 49.]
derrière '. Les socci ccrniii (de fimambiile), faits comme des
chaussons, n'avaient pas de semelle ; ceux des particuli(M-s,
usités dans la vie extérieure,
Adsido, accurrunt servi, soccos detraluint,
étaient parfois garnis de petits clous aigus ".
Les anciens appelaient sandaliiim, (javâdliov^ aâvâakov^ une
sorte de pantoufle que les Romaines empruntèrent aux dames
grecques; Isidore la désigne sous le nom de soccus snbtalaris^
ce qui prouve qu'elle manquait de quartier, mais elle avait
une empeigne finement tailladée ffenestrata) où brillaient
l'or, la pourpre et les broderies
HavoàXia te twv XaTiToa/iOÔiv
'Ecp diT xà ypuca zixZz £7T£(jtiv avôefxa '.
Les spécimens désignés par M. Rich et la sandale de l'im-
pératrice Théophanie (Musée de Cluny, Dyptique, n" 387,
X^ siècle) sont conformes aux textes précités et très-analogues
à la babouche des dames de Constantinople, qui en diffère
seulement par l'absence de découpures. Les écrivains comme
' Hune socci caepere pedem grandt-sque cothurni.
Horace, Ars poet. 80. — « Talaies calcei socci sunt qui iude nominati vi-
dentur, quod ea figura sint ut contingant talum. » Orig., loc. cil. — Ant-
expl , I, ISl.—Dict. des ani., 590.— Mus. cort. pi. 18 et 19.
*■' « Cernui socci sunt sine solo lingulati, quos nos foliatos vocainus " Orig.,
loc. cit. — Térence, Heaut. i, 1, 72. — <> Clavati quasi callivati eo quod
minutis clavis, id est acutis, sola calcis vinciantur. ^^ Orig. loc. cit.— Clé-
ment d'Alexandrie, PcVdag. 1. II, c. xi.
^ « Subtalares, quod sub talc sunt quasi subcalares. » Orig., loc. cit.
— Céphisodore, Troph., ap. Onomast., loc. cit. — KaTct/pucov {nzôZr^^oL Eua
TTopcpupoùv »?-ra x£VTr,TOv. EpictÈte, Enchirid.— Li.cien, Philopseudes.
49 i LES SANDALES ET LES BAS.
les artistes font de la sandale une chaussure particulière au
beau sexe; tantôt Omphrile caresse Hercule à coups de san-
dale, tantôt une élégante agite cette même sandale au bout
de son pied mignon '. Les dames grecques et romaines atta-
chaient un si haut prix à leurs précieuses sandales qu'elles
avaient des esclaves pour les porter, scwdaligprulœ, et des
boîtes enrichies d'or, imy^pixjova aavèoCj.oQ-riy.ac!^ pour les ren-
fermer '.
C'est ici le lieu de parler du calceolm répandus attribué par
Cicéron à la junon de Lanuvi'iim ■'. J'ai fait voir l'existence
d'un calceamenlum à pointe recourbée en Egypte, en Assyrie
et en Asie mineure ; on peut le rencontrer sur d'antiques vases
grecs ou italo-grecs; mais, en Europe, il appartient surtout
aux Etrusques, race essentiellement asiatique. Gori a publié
quelques spécimens de calceolus répandus ; ils sont lacés
sur le cou-de-pied et leur quartier relativement peu élevé les
classe entre le cal cens et la sandale \ Julius Pollux, à
l'article 2a:v^à).£ov, parle des aavâdhx Tvpp-nviy-o!.^ qu'il nomme
plus loin Tvpprtvovpyn (ouvrage étrusque), sandales dont la
' Dict. des nnt. p, 553. — Lucien, De scr'th Jiist. 10; Dial. des Dieux,
13, 2.
Utinam tibi commitigari videam sandalio caput.
Térkxce, Eunncli., v, S, 4.
Démet sandalio innixa digitis prioiibus.
ToRPiLics, ap. NoiNios Marckllus.
- Placte, Triniim., i, 2. — Ménandrk, Misog., ap. Onomasl. loc. cit. —
Un calendrier romain, publié par Montfaucon, qui le fait remonter au IV« siè-
cle, représente le mois de janvier sous la figure d'un homme richement vêtu
et chaussé de sandales. Ant. expL, siippl., i, 5. Je cite cette gravure sous
toutes réserves.
^ K Cum pelle caprina, cum hasta, cum scutulo, cum calceolis répandis- »
Cicéron, De nat. Deor., i, 29.
* GoRi, Mus. Elnisc. pi. 3 et 47. — Jiino Lanuvina sur un denier romain,
ap. VisroNTi, 3Ins. !>. C/ein , t n, pi. A, vu, 12
LES SANDALES ET LES BAS. 49a
semelle mesurait quatre doigts en largeur et dont les cuiii-
roies étaient dorées (îp.avTeo- iizlxp'jaoi) ; ajoutant que Phidias
clîaussa Minerve de (yrrliénicnncs et que Saplio ti-aite de mau-
vais travail lydien leurs courroies variées :
ITotxîXod [xo(aOX-/i(j Auoiov xooio'v Ipyov.
Il serait assez difficile d'admettre que ces sandales tyrrhé-
niennes pussent diiFérer beaucoup du calceolus répandus
étrusque; néanmoins je ne me dissimule pas que la Minerve
de Phidias, en souliers chinois, renverserait singulièrement
les idées reçues jusqu'à ce jour.
III. Chaussure garantissant à la fois le pied et la jambe. —
Cothurnus. — L'expression zcQopoo- fut d'abord appliquée par
les Grecs à toute chaussure qui montait jusqu'au mollet.
Hérodote, rapportant que l'athénien Alcméon remplit ses
cothurnes d'or dans le trésor de Crésus, désigne certaine-
ment par v.èQopvoi une espèce de botte.s molles et élastiques * ;
mais à l'ordinaire, les anciens entendaient ce mot dans le
sens d'un haut brodequin collant à la jambe et lacé par de-
vant. On voit le cothurne sur les monuments assyriens et
Ovide témoigne de son origine asiatique :
Lydius apta pedum vincla cotluirniis nral.
Les célèbres terres cnites peintes du Musée Campana, ca-
taloguées, sous le nom de tombeau lydien, présentent des
spécimens précieux de la chaussure mentionnée par le poëte
latin. La femme, au type oriental, couchée près de son mari,
' « KoOdpvouç Toùç £upicx£ HupuTcxTOUi; EovTa:; uToor,i7a[/.£vo(;. » Chaussé des
cothurnes les plus larges qu'il rencontra, vi, 125. Le reste du passage con-
firme mon interprétation.
lOG LES SANDALES ET LES BAS.
porte un cuthiiriie à pointe recourbée, dont la tige monte
jusqu'au milieu de la jambe en n'en couvrant que la partie
postérieure, l'antérieure se trouvant garantie par une lan-
guette arrondie au sommet. L'échancrure qui part delà nais-
sance des orteils, en s'élargissant progressivement, se ferme au
moyen d'une courroie lacée sur le cou-de-pied et venant s'ar-
rêter dans un œillet, après avoir contourné trois ou quatre
fois le bas du mollet. Cette chaussure, commune aux deux
sexes, apparaît tantôt rouge, tantôt noire ; la courroie est
jaune ou blanche, la languette jaune^ et le galon qui borde
l'échancrure, blanc '.
Un cothurne splendide était attribué par les Grecs et les
Romains à Diane, à Mercure, à la déesse Roma, et plus
spécialement à Bacchus ^ La tragédie qui prit naissance aux
fêtes de ce Dieu chaussa ses acteurs du cothurne '. Selon
PoUux et Isidore, le cothurne s'adaptait indifféremment aux
' La frise peinte qui décorait l'intérieur de la chambre sépulchrale, m'a
permis de compléter les détails cachés sous la robe de la statue et d'attribuer
la chaussure aux deux sexes.
Et Tyrrhena pedum circumdat vincula plantis.
Virgile, Eneid , viii, 458.
Clément d'Alexakduie, Pcedag. ii. xi, mentionne aussi le cothurne
tyrrhénien. La chaussure rouge de César et les Calcei patricii en dérivaient
certainement.
* Antoine se montra dans Alexandrie costumé en Bacchus n thyrsum te-
nens cothurnisque succinctus.« V. Patkrcclds, ii, 82
^ Virgile. Ed., viii 10.— Ovide, Pont., iv, 16, 29.— Jdvénal, sat. vu,
72. — M. Rich conclut de ce vers de Juvénal ivi, 633) :
Fingimus hsec, altum satira sumente cothurnum
et d'une figure d'acteur, chaussé de fulmenta (villa Albani), que les co-
thurnes tragiques avaient d'épaisses semelles de liège pour grandir l'individu
qui les portait [Dict. des ant., p. 200). Isidore laisse entendre que ces se-
melles étaient en saule : « Quos quidam (cothurnos tragÈedorum) calones
etiani appollynt eo quod ex salice fiebant. »
LES SANltALhS i,T LES IJAS. -197
deux pieds ; de lu vient peut-être que le tenue col/uirnus est
souvent employé au singulier. Les cothurnes, chargés de
cinq cents livres de plomb, que l'hercule Athanatus portait
sur la scène, devaient être en cuir très-fort ; il y en avait
aussi de pourpre :
Puiiiceo stabis sinus evincta cotliuriio.
Et même de laine :
Sume laiieos colhunios, semper relluos calceos.
Ces derniers n'étaient pas d'une grande solidité '. Le co-
thurne est figuré sur les monuments avec des revers plus ou
moins riches ; il est tantôt lacé, tantôt boutonné, tantôt main-
tenu par des courroies diversement agencées; il appar-
tient aux chasseurs, aux héros, aux militaires. Les Romains,
néanmoins, ne l'acceptaient pas comme leur, car Cicéron
s'élève contre l'insolence de Tuditanus qui paraissait en pu-
blic «cum palla et cothurnis '\ »
Les péronés étaient une chaussure de peau non tannée :
Vestigia nuda sinistii
Instituere pedis; crudus legit altéra pero.
' Pline, Hint. nul., vu, 19. — Virgilk, Buc.ol., vif, 32 — Querolus, com.
faussement attr. à Plante. — « Sed taie est ut in dextro et lœvo conveniat
pede » Orig., loc. cit. — Les Grecs appelaient le cothurne Théramène, à
cause de l'ambiguïté politique (TroXtTct'av à(/'^oO£p'.(7L/.ov) de ce personnage.
Onom., loc. cit.
* V. Jnt. expL, i, 151 (Bacchus) ; m, 2 (Priisias) ; iv, 2 (Télamon et il
Marcus Nœvius ; etc.— Rich, loc. cil. — Philip., m, 6.
TOME VI :J6
i98 LES SANDALES ET LES BAS.
Avec le [)oil tourné en dedans :
Nil vetihun fecisse volet, quem non [siidel allô
Per f^laciem peione le^i, qui summovct Euros
Pellibus invei'sis.
Ces vers nous apprennent en outre que le pcro couvrait
les jambes '. Suivant Isidore, les péronés, « rustica calcia-
menta » avaient une semelle garnie de clous [clavati péronés);
ils chaussaient les laboureurs, les bergers, les chasseurs et
généralement tous les individus qui menaient la rude exis-
tence des champs. Les monuments ligiu'ent ce cakeamentum,
tantôt comme une botte molle, fermée, montant plus ou
moins haut, tantôt comme une espèce de cothurne lacé '.
Calliraaque et avec lui PoUux appellent èvâpoij.îâer^ , pluriel
d'èvJ^ofjiîç , une chaussure particulière à Diane. Un grand
nombre de figures de la déesse portent une sorte de cothurne,
qui couvre tout le pied eu laissant les orteils à nu. Ce co-
thurne, très-convenable pour la course, ne peut être autre
chose cpi'un endromis. Il n'a pas de nom en latin, mais il est
difficile à méconnaître dans la description minutieuse que
fait Sidoine Apollinaire du calceanientum de la déesse Roma :
Ferpetuo slat piaula solo, sedfascia primos
Sislitur ad digilos ; retinacula bina cothurnis
' Virgile, Eneid., vu, 089. — .Jcvémai., sal. xiv, 185.
'^ Niivem si poscat sibi peionatiis aiatur
PEiiSE, V. 102. — V. .Jutcxpl., i. 187 (Diane); m, 177 (chasseur). Dlcl.
des ant-, p. 474. — L. Perret, Les Calac. t. iv, pi. 17, 5, et t. v, pi. 40, 132
(bon pasteur). (;tc. — Quant aux « peiones effœminati » de TertuUien, ils sont
une allusion de l'écrivain aux Ixangucs iin[)oitées à Rome par les orientaux,
chaussures qu'il désigne certainemcn! sous le nom de péronés, dans un autre
de ses ouvrages [De Pallio, 5i.
us SANDM.LS ET LKS BAS. 4<.)<)
Millil iii advorsum viuclo de fornicc pollcx,
Quoi sUingaii! oiopidas et conciiii't'ulibiis aiisis
Viiicluî iiin pandas texaal [Miv crura calcnas '.
Ucudroinis, tiui cliiiusse Diane et plusieurs autres statues
antiques, appai'ait fréquemment sur les ])as-reliefs de la co-
lonne de 'riiéodose '■. ]\larc Aurèle (n" ^0 du Louvi-e) porte
aussi Ycmlrontis.
*
cil. DE LINAS.
\La suite au prochain numéro.)
' In Delum, 237 ; In Dianam, 16. — Carni. ii, Jd Anlh., -400. La plante
du pied pose sur une semelle droite, mais l'empeigne s'anète à la naissance
des orteils ; le pouce renvoie d'un côté à l'autre deux courroies fixées au
sommet du cothurne et qui, api'ès avoir traversé des œillets correspondants,
se croisent sur la jambe en chaînes repliées — Endromis, lat. signifie man-
teau grossier. ,
■' Ant. expl. iir, 157 (Etrusque) ; iv.l (Pyrrhus); i, 87 (Diane); etc., etc.
Dict. des ant., p. 245. — Imp. Orient., loc. cit.
HISTOIRE DE S. JACQUES LE MAJEUR
et du Pèlerinage de Compostelle-
(■K\Ql IKMK AUTICLI':
CHAPITRE VI.
SORT DC TOMBEAU DE SAIMT JACQUES PENDANT LES HUIT l'IlEMIEUS SIÈCLES.
Les fidèles purent visiter pendant les deux premiers siècles
le tombeau de saint Jacques. La persécution, cpii fit ailleurs
tant de martyrs, cpai'gna la Galice pendant cette longue pé-
riode. ]\Iais plus tard elle s'étendit dans ce pays comme un
torrent dévastateur et immola les pacifiques disciples de la
foi nouvelle. Au glaive des tyrans succéda l'invasion des
Barbares, peut-être encore plus fatale. Les autels et les
temples du Très-Haut furent renversés, les asiles de la
prière profanés. Le tombeau de saint Jacques lui-même fut
livré au pillage et disparut sous des ruines. Une forêt inculte
occupa bientôt ces lieux vénérés, et le peuple, ne pouvant
* Voir le numéiu de juillet, p. 378.
rÈLEiUNAGE DE CO.Ml'OSTELLE. 501
plus discerner l'emplacement du tombeau, ne conserva que
le souvenir de la forme arcliitecturale qui avait frappé ses
sens.
La conversion, en 587, de Récarède 1'' dit \g Cat/ioliffue^
roi des Visigoths d'Espagne, consola la religion sans tarir la
source de tons ses malheurs. Les fidèles profitèrent des bien-
faits de la paix pour aller honorer saint Jacques, sinon sur
son tombeau dont la trace était presque aussi effacée dans
les esprits que sur le sol, du moins à Iria-Flavia, où la tra-
dition du débarquement des reliques n'était pas oblitérée;
telle était à cette époque la dévotion de l'Espagne pour le
grand apôtre, qu'on vénérait jusqu'aux lieux on ses restes
sacrés n'avaient fait que passer. La coutume des pèlerinages
à L'ia-Flavia se maintint longtemps, même après la dé-
couverte du tombeau de l'Apôtre. J'en trouve la preuve
dans certains auteurs, en particulier dans Ambroise Mora-
les, historiographe de Philippe II. Selon cet écrivain,
saint Jacques avait habité quelque temps cette cité, y avait
célébré la sainte Messe et s'était désaltéré à une fontaine,
dont l'excellence et la fraîcheur étaient un attrait de plus
pour les pèlerins. Deux souvenirs, l'un de la vie et des actes
du saint, l'autre du passage de ses reliques, attiraient donc en
ce lieu un grand concours de peuple. Morales ajoute que dans
le voisinage de la même ville , les pèlerins visitaient avec
respect un rocher que le saint avait entr'ouvert, en le frap-
pant de son bâton, pour s'y créer un asile contre les pour-
suites des gentils; on le gravissait à genoux et en récitant
quelques prières. Un autre rocher, sur lequel avait dormi
l'Apôtre, était encore signalé à l'attention et à la vénération
des fidèles.
Le roi Récarède fut un des pèlerins d'Iria-Flavia ; [)ar re-
connaissance pour le grand Apôtre, à (pii l'Espagne était re-
5{l2 rÈLERlA'AGE DE COMPOSTELLE.
devable des premières lueurs de la foi, il le proclama l'u-
nique patron de l'Espagne^ patron unico de Espana. Quelques
auteurs, il est vrai, prétendent que le patronage de saint
Jacques ne date que de la bataille de Clavijo, qui eut lieu en
845, et du vœu de Kamire I" ; mais leur contradiction est
sans fondement; car Alphonse le Chaste, prédécesseur de
Ramire, avoue que de son temps l'apôtre saint Jacques était
reconnu comme patron de l'Espagne.
Iria-Flavia ne fit pas cependant oublier entièrement le
tombeau du saint. Dans un concile national d'Espagne, de
l'an 676, où furent tracées les limites des diocèses de ce
pays, on lit à propos de celui d'Osma : « Osma a pour limites
« Fusta et Alarzon par le chemin gui conduit à Saint-Jacques. »
Or, Osma, qui appartient aujourd'hui à la province de Soria,
occupe presque le milieu de la carte entre Perpignan et
Santiago et se trouve par conséquent à une distance énorme
de cette dernière ville. Cet obstacle n'effrayait pas cepen-
dant les pèlerins. Le chemin qu'ils suivaient pour se rendre
au tombeau du saint était si fréquenté, qu'on lui donna le
nom du saint lui-même. On l'appela aussi plus tard le Chemin
français, à cavise de l'affluence des pèlerins de notre nation
qui le sillonnaient en toute saison.
Cependant, un événement de la plus haute importance ve-
nait de s'accomplir en Espagne. L'islamisme pénétrait en
vainqueur dans cette riche contrée. Eodrigue (Rodericus) ve-
nait de monter sur le trône des Gotlis. Il n'y porta que des
vices. Il enleva Cava, la fille du comte Julien, gouverneur de la
ville de Ceuta, la seule qui restât aux Goths sur la côte d'A-
frique. Julien, au désespoir, oublie ce qu'il doit à sa patrie et
ne songe qu'à venger son lioinieur paternel, indignement ou-
tragé. 11 propose à Mousa, lieutenant en Afrique du calife
A'abd, de l'aider ;i faire la riUKjuête de rEspagnc. Le traité
I'ÈLEKINAGL: de COMrOSTLLt.E. oU.'{
est conclu ; vingt-cinq mille Sarrasins, sous le counuiindement
(le Tarik, abordent le 28 avril 71 1 sur la côte d'Algcsiras.
Le lieu où Tarik établit son camp, c'est-à-dire sur le mont
Calpé, a gardé les traces de son nom : c'est aujourd'hui
Gibraltar, mot formé par la corruption de Djehol-Tarik, mon-
tagne de Tarik. Les Goths, amollis par les douceurs d'une
longue paix, sont battus près de Xérès. Leur roi Kodrigue
disparaît dans la mêlée. A cette nouvelle, Mousa passe lui-
même le détroit. En quinze mois toute l'Espagne est subju-
guée de Gibraltar à Gihon, sur les bords de la baie de Bis-
caye, et s'incline devant l'étendard du prophète. Le royaume
des Wisigoths disparaît, après une durée de près de trois
siècles.
Les nouveaux maîtres apportèrent avec eux de nouvelles
mœurs, de nouvelles lois et un nouveau culte. Le catholi-
cisme se réfugia avec Pelage dans les montagnes des Astu-
ries. Pelage, élu roi, fixa à Oviédo le siège de ce chétif em-
pire qui devait lutter pendant sept siècles pour l'indépen-
dance et la religion nationales. Soumise à la terrible épreuve
de l'invasion Sarrasine, l'Espagne sut eu triompher par ses
armes, et sa foi toujours pure lui a mérité le plus beau des
titres pour un peuple, celui de catholique. L'Espagne a été
pendant des siècles la splendeur de l'Europe.
Aussitôt que les Maures virent ces chrétiens prendre la
forme d'un Etat, ils députèrent à Pelage un de leurs géné-
raux, nommé Aliaman. Le musulman se présenta devant
Pelage, l'épée dans une main, l'or dans l'autre. Pelage le
reçut dans la fameuse grotte de Covadonga , près de San-
tillane, qu'on regardait comme consacrée à la Mère de Dieu.
Pelage refuse les offres qu'on lui fait ; une armée assiège la
grotte; mais le roc, frappé de mille traits, les renvoie mim-
culeusement contre les infidèles; les chrétiens hasardent une
504 l'KLl'KlNAGfci DE COMl'OSTELLE.
sortie, tuent Aliaman, font un grand carnage de leurs en-
nemis et dispersent ceux qu'ils ne peuvent atteindre. Cette
victoire fut regardée comme un prodige. Dans le Marianum
Breviarimn , imprimé en Espagne et approuvé par Eome,*
il en est fait mention, au 25 juillet, sous ce titre : Commemor.
B. V. de Covadongâ.
La Galice fut un peu protégée par sa position contre les
impiétés des musulmans. Iria-Flavia devint même un lieu de
refuge pour beaucoup d'évêques fugitifs, qui choisissaient
de préférence ce séjour, non-seulement à cause de la sûreté
qu'il leur offrait, mais aussi dans le but d'y honorer saint
Jacques : propter honorein S. Jacobi. Il est donc permis de
croire que l'invasion à peu près complète de l'Espagne par
les Sarrasins n'interrompit point en Galice, ni peut-être ail-
leurs, le culte du grand Apôtre. Il plut au Seigneur de con-
soler les pieux sujets des descendants de Pelage par un pro-
dige, dont l'objet fut la glorification du Tout-Puissant et de
saint Jacques, et le fruit immédiat et durable un redouble-
blement de dévotion pour cet Apôtre dans toute la chré-
tienté.
L ABBE TARDIAC.
[La suite au prochain numéro.
lEVlfE BE L'ART CHRÉTIEN
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MONUMENTS CHRÉTIENS PRIMITIFS
à Marseille.
SEPTIKME ARTICLE .
SARCOPHAGE N" 7 : JÉSUS DOCTEUR.
Le sarcophage u" 7 a souffert des mutilations assez no-
tables. Il n'est même plus entier dans l'ensemble de sa
composition : une figure et la face latérale de gauche
manquent au tableau.
La longueur du bas-relief intégral devait être de : 1,62;
sa hauteur est de : 0,48.
A l'époque où Millin signala dans son Voyage le sarco-
phage qui nous occupe, il y remarqua k un couvercle dont le
« bord formait une espèce de frise, sur laquelle il y avait
« douze agneaux, symbole des douze Apôtres'. » Je suppose
* Voir le numéro de mai 1862, p. 225.
* Vot/age dans le Midi de la France, t. m, 177.
TOME VI. Octobre 1862, 37.
riOO MOiSUiMli.NTS CIIURTIENS PRIMITIFS ,
que ce couvercle n'était autre qu'une partie de l'Hutel déjà
décrit par nous au premier article de ce travail archéologique.
Le marbre coupé en deux servait, en effet, défrise à un double
tombeau avant que, sur nos observations, le directeur ac-
tuel du Musée ne l'ait réuni et disposé sur des bases, pour
rappeler l'autel primitif de Saint-Victor.
De tous les tombeaux conservés dans notre Musée marseil-
lais, celui-ci seul a été tiré des carrières de Cassis (Bouches-
du-Rhône); les autres, d'un marbre blanc, nous ont été ap-
portés de Carrare (Italie).
L'artiste chrétien a exécuté son œuvre avec un intérêt
réel : le plan, les poses, les détails de la staluaire ont de quoi
contenter une saine critique.
Jésus occupe le centre du sujet; trois personnages se
tiennent debout à sa droite et trois autres à sa gauche.
Le Sauveur, assis sur un siège de forme élégamment ou-
vragée, apparaît sous une arcade surbaissée que soutiennent
deux pilastres d'ordre corinthien : c'est un adolescent ai-
mable, doux et sérieux; une chevelure longue, bouclée, orne
sa tête et retombe avec grâce sur ses épaules; l'auréole cir-
culaire unie et non croisée illumine cette tête auguste ; ses
mains soutiennent le volume divin, roulé; ses pieds portent
une chaussure sans ornement; en tunique et largement drapé
dans son manteau, Jésus siège noblement en qualité de doc-
teur pour révéler aux siens sa morale et ses mystères.
Les Apôtres, qui l'admirent et l'écoutent en lui adressant
des questions, assistent debout, par respect, à cet enseigne-
ment céleste. Chacun d'eux tient en main le saint volume
en rouleau, ce précieux Evangile qu'ils publieront un jour
après le Sauveur. Vêtus comme leur maître, ils n'ont de dif-
fèrent que la chaussure, remplacée chez eux par des sandales
ornées. Une niche plate et carrée les encadre . ces niches
A MAKSlilLLi:. 507
sont séparées les unes des autres par des briuiclies de vigne
en guirlandes.
Evidemment l'artiste a représenté sut ce sarcophage le su-
jet si souvent reproduit dans l'Iconographie chrétienne,
JÉSUS docteur; sujet éminenuiient goûté par nos pères et
combiné par un art pieux avec une riche variété. Nous en
avons longuement parlé en décrivant un de nos principaux'
sarcophages ' .
L'Apôtre le plus à gauche présente dans sa tenue une
particularité qui aura frappé l'attention de nos honorables
lecteurs : l'index de sa main droite est appliqué contre sa
bouche, comme pour l'empêcher de s'ouvrir. On a dû déjà
remarquer ce signe spécial de pose dans un précédent sarco-
phage ^
A notre avis, le mouvement de l'index est symbolique; il
indique dans nos trois personnages qui l'emploient l'admira-
tion du silence. C'est ainsi qu'on a exprimé dans l'antiquité
l'attitude d'un homme qui a des raisons pour se taire ou qui
s'impose le silence par un sentiment de vénération pour la
personne qui parle ' .
' Revue de l'.irt chrétien, juillet 1859 — sarcophage n" 2.
^ Revue de l'Art chrétien^ mai 1859 — sarcophage n° 1.
'" Ovide avait dit quelque part : « Premit vocera, digitoque silentia sua-
det. » Saint Jean Dainascène parle ainsi de l'hérétique Nestorius : « Pudeat
Nestorius ac manum ori iniponat. » Brev. Rom., légende delà fête .d« Saint-
Joachim.
Nous devons mentionner cependant, dans les deux personnages qui figurent
au tombeau n" 1, une nuance d'expression qui pourrait manquer de similitude
et serait susceptible par là même d'une interprétation différente. En eflet, les
deux Apôtres sur ce tombeau paraissent avoir imprimé à leurs doigts un autre
mouvement : ce serait le nez et non la bouche qu'ils toucheraient ou presse-
raient de leur main. Dans ce dernier sens et conformément à ce que fait ob-
server Aringhi dans sa Roma suhterranea , à l'occasion de saint Pierre et du
prophète Jonas |torn. ii, 399, 598, 61.3, 623. etc.), il y auiait là un emblème
oOS MONIMEMS Clir.liTIl.NS l'RiMITirS
Sur la face latérale de droite, au lieu de ces écailles tail-
lées et symétriquemeut rangées, dans quelques sarcophages,
le monogramme du Christ a été sculpté dans sa compositiou
entière, c'est-à-dire, ï alpha. Vomv(]a, le christos. réunis et
insérés dnns un cercle..
Ce saint monogramme, appelé improprement par quelques-
uns pru Christo. varie beaucoup dans sa forme sur les sarco-
phages des premiers siècles. Nous l'avons ici complet et re-
présentant à la fois le nom divin et humain du Sauveur, com-
biné avec l'étendard du salut. C'est le monogramme cruci-
forme dans son dernier développement. La croix est latine ;
elle touche au disque qui l'entoure par le sommet et la base;
les croisillons qui la traversent sont plus étendus que la par-
tie supérieure de la haste, mais isolés du disque : à cette
partie s'attache et s'arrondit une sorte de crochet, variante
de la panse qui compose la lettre grecque rho.
Avec la forme régulière de la croix latine le chi ordinaire
a perdu ilans notre monogramme sa disposition naturelle de
croix de Saint- André ou de croix en sautoir : il est devenu
une croix à fut vertical et à traverses horizontales : ainsi, au
lieu de six branches, le cJii et le rho entrelacés n'en ont plus
que quatre.
Ce dessin du monogramme cruciforme avec crochet, re-
do tristesse : « IMœrentis ar^Bi symbolum. » Resterait à comprendre l'ac-
tualité de cette expression de chagrin pour notre sujet n" 1, où tout est triom-
phant, puisqu'il indique la mission donnée par Jésus Christ à ses Apôtres.
Pour compléter cette note, ajoutons un texte que le même Aringhi emprunte
à saint Epiphanc. « Ce Père parlant de certains hérétiques qui affectaient une
" pareille attitud»,- dans leurs prières : Vocantur, inquit, trascodrugitiie ob
■' hanc causam : trascus apud ipsos pertica appellatur druggus.vero nasus.et
" ob eo quod imponunt digitum suum indicem in nasum dum orant, tristitiae
« nimirum et uUronea; gratia, ab aliquibus trascodrugitœ appellati sunt... •
Hccrcl.. -IS.
{
A MAUSEILI.E. oO'.l
paruît sur plusieurs inonuments primitifs. Nous le voyons
en particulier sur les sarcophages qui représentent la mission
évangélique oîi l'apôtre saint Paul reçoit une longue croix
latine des mains de Jésus-Christ. A Saint-Trophinie d'Arles,
dans le bas-relief d'un autel, le même dessin se montre sur
la tête du Sauveur. Nous retrouvons le rho à crochet, sur
l'un des monuments de Saint-Victor qui nous restent à dé-
crire, au centre d'une décoration à jour aussi gracieuse de
style que féconde en symbolisme.
Notre sarcophage n'étant pas antérieur à la conversion de
Constantin, il n'y a pas lieu pour nous d'entrer, à notre
tour, dans la discussion dont continue à être l'objet l'ori-
gine du chrisme ou monogramme du Fils de Dieu.
La science archéologique n'a pas dit son dernier mot sur
cette difficile question : maintenons donc toute réserve, en
face du texte de l'historien Eusèbe ', jusqu'à ce que d'autres
découvertes nous mettent à même de voir finir nos incerti-
tudes".
L.-T. DA8SY.
' Ali s'ijft i\v. la visiciii df Constantin, cvt histoiien ilécrit ;iinsi le mono-
gramme : « Etat eniin littera P in ipso meilio X cuiiose sculptiblliter inscripta
" qua- totum Chiisti noinen peispicue sigiiificavit » De vila Constavlini,
lib. I, cap. 22. Si ce monogramme avait été connu, Constantin aurait-il pris
la peine de le dépeindre aux artistes qu'il iasse!ubla, et Eusèbe auiait il eu
besoin, pour sa part, de It; désigner avec tant de détails, comme s'il s'était î^gi
d'une chose nouvelle.
- Le chevalier de Rossi, qui a si profondément étudié tous les marbres con-
nus de l'antiquité chrétienne, dans son magnifique ouvi'age donl le premier
volume vient de païaître sous ce titre : Inscriptiones clirisliame iirhis liaiiice
septlmo sœcido anliquiorcs , pages 24, 28, 29, incline fortement à croire le
saint monogramme antérieur à la conversion de Constantin.
NOUVELLES KEMARQUP:^
SUR LA DÉCOUVERTE
DU COEUR DU ROI CHARLES V
dans la Cathédrale de Rouen.
En mai 1862.
Le 16 septembre 1580, le roi Charles V mourait au châ-
teau de Beaulté-sur -Marne ' , à quelques pas de ce bois de
Vincennes ^ où le plus saint de ses prédécesseurs rendait, au
siècle précédent, une justice demeurée célèbre. Le pieux roi,
qui savait par avance l'heure de sa mort, avait réglé coura-
geusement jusqu'aux moindres détails de ses funérailles.
Suivant son désir, et conformément à un usage fort usité
alors pour les grands de la terre, sa dépouille mortelle fut
partagée entre trois églises différentes.
' Le P. Daniel, Abrégé de l'Histoire de France^ t. vu, p. 88.
* Le Président Hénaut-t, Abrégé chronologique de l'Hist. de France,
p. 333, édit. du 17^9. — La Marne s'unit à la Seine près de Charenton et
touche au bois do Vincennes.
DÉcouviiRTK ne C(ii':ru iiu r.oi ciiaiu.es v. Ml
Ses entrailles, la moins nol»le partie de lui-même, l'niciit
portées àl'ubbaye de iManbiiisson, près Pontoise, où reposait
déjà sa mère, Bonne de Boliême, l'épouse du roi Jean '. Son
corps fut inhumé à Saint-Denis, dans la thnpcllc des Charles
(pii porta son nom et ([U'il avait probablement élevée par
suite de ce culte qu'il professait i»our la mort. 11 s'y assit au
milieu de ses fidèles serviteurs qui l'avaient précédé dans la
tombe, Duguesclin, Barbtizan et Bureau de la Rivière. Il les
voulut rangés autour de son cercueil, comme il les avait vus
assis autour de son trône, et, le premier de nos rois, il ai)[)rit
à ses successeurs ([u'il ne mettait pas de différence
Entre porlei' lescoplie et le bien sotileuir.
Enfin, dans les premiers jours d'octobre, son cœur fut a})-
porté à Rouen, et, le 10 du même mois, l'archevêque Messire
Guillaume de l'Estranges, après une cérémonie solennelle^, le
descendit dans le caveau que le monarque s'était préparé de-
puis treize années. Car ce roi, si sage dans les affaires de la
vie, ne l'avait pas été moins })our les choses de la mort. Sa-
chant combien les désirs des mourants, même ceux des rois,
sont souvent peu réalisés après la vie, et comme il est rare
de rencontrer de fidèles exécuteurs testamentaires, il avait
voulu lui-même préparer l'édifice de sa dernière demeure.
C'était du reste une coutume assez fréquente au Moyen-Age,
et même dans l'antiquité, que de désigner soi-même le lieu de
sa sépulture, de faire creuser son sarcophage, de graver sa
dalle tumulaire et jusqu'à son inscription suprême.
' Le Graisi) ï) Adssy, /)es Scjnt/tiirc.f intliona/es, p. '>i94.
- Les PP. BuuMOY, LoNGUKVAi,, I/ial. de lEylisc gallicane, liv. xi,i,
t. xvm, p. 273, édit. do 18-27.
5i2 DÉCOUVEKTE
Charles V ne s'était pas contenté de faire creuser dans la
partie haute du chœur de notre cathédrale, juste en face du
trône pontifical d'aujourd'hui ', le caveau où devait reposer
la plus noble partie de lui-même, il avait voulu prévoir jus-
qu'au monument destiné à recouvrir le lieu de son repos. Il
avait commandé à un habile sculpteur flamand, non-seule-
ment un cénotaphe de marbre noir orné sur toutes ses faces
et décoré de statuettes allégoriques, mais une statue d'al-
bâtre et de marbre blanc" qui devait le représenter couché
sur le dos et portant dans ses mains son cœur qu'il offrait à
la ville de Rouen et à la province de Normandie. Aussi, dès
-1368, douze ans avant sa mort, nous le voyons donner à
Hennequin, i/maginier de Liège, un à-compte de 200 francs
d'or sur \ ,000 que doit coûter ce monument en pleine con-
fection, tandis qu'il verse à Jehan Périer, maître des œuvres
de l'église de Rouen, 100 fr. d'argent à-compte sur 200
« pour cause de certaine œuvre de maçonnerie de pierre qu'il
a faite pour lui en ladite église ^ »
Cette œuvre de maçonnerie que le roi ne désigne pas,
c'est le caveau que son cœur s'est préparé pour lui-même,
chacun le comprend.
' La Chaire primitive de nos archevêques étail un siège de marbre placé
derrière l'autel, au fond de l'abside et élevé de 8 degrés. Lebrun des
Mauettes. Voyages lUurg. en France, p. 275. — Il en 4tait de même à
Lyon, à Vienne, dans les anciennes églises de France et dans tout l'Orient.
Id., ibid. p. 11, 16, 39, 45 et 479.
'^ Il ne m'a pas été possible de savoir si la statue royale de Rouen
était de marbre ou d'albâtre. Le compte de 1368 semble indiquer qu'elle était
en albâtre ; tous les auteurs des deux derniers siècles parlent de marbre blanc.
MOKTFACCON, DlJCAREL, LeBRL'N DES MaRETTES, FaUIN, PoMMERAYE, Ctc.
' A. Lepkevost, Archives de la Normandie, t. ii, p. 336.— Deville, Les
Tombeaux de la Cathédrale de Rouen, p. 175-176.
[M GOKUli mi IlOI CHAULES V. !)!'{
Bienfaiteur du cliapitre' et de l'église'-, des collèges'' et d(î
l'Plôtel-Dieu '' , le sage roi avait laissé de magnifiques fonda-
tions qui, pendant quatre siècles, conservèrent sa mémoire,
et perpétuèrent la prière pour le repos de son âme. Par un
acte de sa volonté souveraine, un autel royal s'était élevé dans
le sanctuaire môme de Notre-Dame, et chaque jour le saint
Sacrifice s'y offrait pour le prince, tandis que les cloches son-
naient % que des cierges brûlaient et que l'encens fumait
' Charles V écrivit à Grégoire XI, pape d'Avignon, poui- le prier d'accorder
à l'église métropolitaine de Rouen dans laquelle il a élu sa sépulture, des
grâces et des privilèges qui puissent la distinguer des autres églises ; en con-
séquence le Pape accorda au chapitre et au clergé de cette église une bulle
d'exemption que ce prince confirma ensuite par ses lettres paienles. Farin,
Hist. de la ville de Rouen, t. m, p. 32, édit. de Ddsocili.kt, 1731.
^ Dans les lettres de fondation de Charles V, on remarque une donation
au maître de l'œuvre de N.-D pour nettoyer quaire fois par an à Noël, à
Pâques, à la Pentecôte el à l'Assomption, des images d'albâtre de la Sainte
Vierge et de saint Michel placées dans la nef de l'église et le dais (tabernacu-
lum) qui surmonte la tête de la Vierge. Il esl probable que le roi avait donné
ces images auxquelles il s'intéressait tant.
* Le collège des Clémentins, rue de l'Hôpital, fondé en 1349 par le pape
Clément VI était composé de douze prêtres, deux diacres et deux sous-diacres.
Le roi leur donne pour la messe quotidienne une rente annuelle de 100 livres
parisis, payable aux deux termes de Pâques et de Saint-Michel, à partager
entr'eux par portions égales.
* (( Charles V, roi de France, dil Lebiiun des Mauettes, donna des biens
considérables à cette maison (l'ancien Hôtel-Dieu, situé alors près de la Cathé-
drale, dans la rue qui porte encore le nom de la Madeleine). Aussi en recon-
naissance, tous les jours, vers six heuies du soir aussitôt que l'Office de
Compiles esl achevé, l'officiant dit à haute voix: » Ames dévotes priez Dieu
pour Charles V, roi de France, et pour nos autres bienfaiteurs : » et une re-
ligieuse vaidire la même chose dans les siiUes des malades. «'^loiAo'^, Voijages
liturg . en France^ p. 385.
^ Dans sa charte de donation, le roi Charles avait demandé qu'auç messes
et aux vigiles qu'il fondai!, on sonnât la fameuse cloche appelée Rigaull, du
nom de l'archevêque qui l'avait donnée.
514 nÉCOUVKRTE
Mutoiir de son image auguste et vénérée ' .
Cet état de choses dura jusqu'au XVIII*' siècle ^ et l'on a
de la peine à s'expliquer comment des chanoines qui jouis-
saient encore des biens légués par le roi, qui étaient déposi-
taires de ses dernières volontés, qui eux-mêmes proclamaient
chaque jour ses immenses bienfaits, « wimensis benefidis ; »
comment, dis-je, ils ont pu décider l'enlèvement du mau-
solée.
' Voici en quels termes touchants le pieux roi demande les suffrages de
l'église de Rouen et fonde au milieu d'elle comme un foyer permanent de
prières. « Ardenti mortis desiderio affectamus ut in ecclesia Ro homagensi ad
quam singularem ac specialem devotionem gerimus et habemus, cum ipsa velut
lucerna super montem posita tanquam major et metropolis ac primitiva pie-
cipuaque tocius ducatus nostri Normannie chirius elucescat, due misse sub-
missa voce misse régis KaroJi nuncupande quamdiu vitam in humanis egeri-
mus , unam videlicet de nancto spiritti reliqua de dicta virgine gloriosa
immédiate et absque uUo intervallo post illam de sancto spiritu finitum inci-
pienda ; nobis vero sublatis c medio pro defunclis in Choro dicte ecclesie super
altare, regiinn etiam altare nuncupandum, juxta majus ipsius ecclesie altare
a sinistra parte constructum et erectum statim finitis et completis in eadem
ecclesia matutinis, de cetero singulis diebus accensis et continue ardentibus in
dictis missis duobus cereis, quolibet duarum librarum cere, et in levatione
eorporis XPl in eis facienda duabus torchiis, qualibet sex librarum ponderis,
celebrentur. » Lettres de fondation du roi Charles V. aux archives départe-
mentales de la Seine -Inférieure, fonds du chapitre, Liasse n" 4 bis. Déjà dès
1197, le pape Innocent ITI avait dit que l'église de Rouen comptait des rois
pour nourriciers, et Richard-Cœur- de-Lion, célébrait ainsi l'église de Rouen,
en 1198- « Venerabilis lotomagensis ecclesia quas inter universas terrarum
nostrarum pluiimà celebritate dignoscitnr » Charfa Rick Reg. nng. pro
exe. apud Pommeraye, Concilia Rot. eccle., p. 191. — C'est pourquoi l'ar-
chevêque Gautier de Coutances pouvait éciire de son église qu'elle avait des
rois pour nourriciers ; » Rotomagensis ecclesiœ mamillis rcgum allectata?. «
Charta Walt,, arch. rot. pro exe. ibid. p. 190.
* Lkbui'im des Mauettes, Voyages liturg. en France, p. 361. — Lecoq
DE ViLLERAY, .-ihrégé de l'Hist. eccles. civil et relig. de Rouen, p. 150
et 151.
I
m; I okiir I)[i Rdi ciiAnij;.-: V. rii.'i
C'est pourtant ce qui fut résolu en plein chii}>iti'e, de 1722
à 1725, quand on décida la grande œuvre de la transiornia-
tion du sanctuaire et de l'autel, travail (pii reçut un com-
mencement d'exécution en 1750.
Le 50 juin de cette année, on démolit les trois tombeaux
des princes anglais et anglo-normands qui enrichissaient le
sanctuaire. Les images de Richard-Cœur-de-Lionet de Henri-
le-Jeune furent ensevelies sous le rendilai dont on exhaussa
le sanctuaire régénéré. Il est probable qu'il en fut de même
de la table et de l'inscription funéraire de Jean de Lancastre,
duc de Bedford, régent du royaume sous Henri VI. Les au-
teurs anglais nous ont conservé le dessin et le contexte de ce
mémorial peu flatteur pour notre patrie ' .
Mais si l'on crut pouvoir se mettre à l'aise et agir sans
cérémonie à l'égard de princes étrangers et d'une dynastie
depuis longtemps éteinte, on ne se trouva pas aussi autorisé
à l'égard d'un roi de France, en face d'un fils de Hugues-
Capet, dont la dynastie occupait encore le trône avec une
gloire et une puissance incontestées.
Pour se mettre en règle et à l'abri de tout reproche, le
Chapitre de Rouen jugea prudent d'en référer au roi
Louis XV alors régnant. Dans une lettre écrite en 1755, les
chanoines exposèrent au prince leurs projets d'amélioration
pour le chœur et l'autel; puis ils ajoutèrent qu'ils se trou-
vaient arrêtés par la présence d'un ancien tombeau royal
dont ils exagérèrent à dessein la détérioration. Ils dépei-
gnirent le mausolée comme un amas de ruines, indigne du
sanctuaire et de la majesté royale, et ils proposèrent au jeune
' Sawdford, Hist. yen. des rois d'Angleterre, p. 314. — Devii.le, Les
Tombeaux de la cathédrale de Rouen, pi. \. — DrcAUKL, Antiquités anglo-
normandes, p. 26, pi. X, fig. 11.
5I(> DÉCOUVERTE
monarque de remplacer par un monument plus frais et plus
convenable ce fâcheux et regrettable anachronisme.
Le roi fit attendre deux ans sa réponse, mais enfin, le
12 février 1737, il fit écrire aux chanoines, par M. deChau-
velin, garde des sceaux, la lettre suivante datée du palais de
Versailles :
« Sur les représentations. Messieurs;, que vous avez faites
et dont j'ai rendu compte au roi, qu'il n'y a plus d'un an-
cien tombeau construit dans votre église auprès du sanctuaire
et qui renfernioit le cœur du roi Charles cinq, que des restes
informes et en ruine auxquels vous souhaiteriez substituer
un monument plus convenable et plus décent: Sa Majesté
veut bien vous permettre de démolir cet ancien tombeau, à
condition que vous ferez mettre dans la même place, comme
vous l'off^rez, une tombe de marbre noir avec une inscription
en lettres d'or, à la perpétuelle mémoire du roi Charles
cinq. »
Cette lettre fut communiquée au Chapitre le 22 février.
Aussitôt qu'ils se sentirent autorisés, les chanoines ne per-
dirent pas un instant dans la poursuite de l'œuvre si désirée
de la régénération du chœur et du sanctuaire. Dès le 25 fé-
vrier ils se mirent en besogne et voici le procès-verbal qu'ils
nous ont laissé de cette mémorable journée :
« En conséquence de l'ordonnance de vendredy dernier
(22 février), cejourd'huy sur les quatre heures après midy.
Messieurs de la Bellonière, Leclercq et de Marcouville, com-
missaires nommés pour veiller sur les ouvrages qui se font
dans le chœur de cette église, en présence de M. le doyen et
plusieurs Messieurs, ont fait démolir et détruire le tombeau
de Charles cinq, roi de France, dont a été dressé par le secré-
taire du Chapitre, par ordre de Messieurs^, le suivant pro-
cès-verbal :
MU ciii'UH DU luii ciiAiiLt:? V. :,I7
<• Let()iiibe:iii de Charles cinq étoit de forme carrée, })or-
taiit trois pieds de haut sur qiuitre pieds de large et sept de
longueur, surmonté d'une grande table de marbre noir sur
laquelle étoit représentée en marbre blanc et de gi-andeur
naturelle, la figure de Charles cinq, tenant de sa main dioite
un cœur de même matière. Les pourtours du tombeau avec
son socle cannelé étoient d'ardoises et mutilés eu plusieurs
endroits.
« Au pied du tombeau qui finissoit dans la ligne des deux
colonnes qui terminent les stalles, s'est trouvé un puits de
vingt-six pieds de profondeur, prenant six pieds d'eau très-
claire.
« A la teste du tombeau, en fouillant environ deux pieds,
il s'est trouvé une pierre d'environ vingt-cinq pouces sur la
longueur et un pied et demi sur la largeur, qui couvre la su-
perficie d'un petit caveau d'environ quinze pouces en carré
(sic) et un pied de profondeur, au fond duquel est le cœur de
Charles V, soutenu par une petite grille de fer faite en forme
d'étoile,
« Sur la superficie de ce petit caveau, sous la première
pierre, s'est trouvée une plaque de plomb sans inscription,
posée sur une grille de fer qui sert de couvercle au cœur
du roy.
'< Ce cœur est renfermé dans une boette d'étain en forme
de cœur, qui s'est trouvée ouverte en plusieurs endroits,
et sur le champ on a fait refermer et sceller à mortier ledit
caveau.
" La table de marbre noir dont il est parlé cy-dessus a été
destinée pour, conformément aux ordres du roy, du douze fé-
vrier dernier, servir de tombe sur laquelle on gravera une
inscription en lettres d'(ir.
« La figure de marbre blanc représentant Charles V a été
oiS DEC UU VF.'; TE
posée dîiiis lii première arcade de la chapelle de la Sainte-
Vierge, derrière le cJiœur à droite {sic) en entrant ' . »
C'est une chose triste assurément que de voir un Chapitre
priver ainsi une église séculaire de ses plus beaux et de se&
plus curieux ornements. Qu'y a-t-il xlonc de stable ici-bas,
puisqu'il des i)ériodes données l'amour de la nouveauté s'em-
])are aussi du clergé, corps essentiellement conservateur et
dépositaire des éléments les plus immuables de la société, du
clergé, dont les dogmes et la morale sont invariables, dont la
discipline et la liturgie changent si peu qu'aujourd'hui en-
core il s'accommode parfaitement de l'architecture des XP,
XIP et XIIP siècles. En admettant que les iconoclastes et
que le poids du temps aient outragé le royal tombeau, n'é-
tait-il pas plus convenable et plus digne de le restaurer avec
ses propres bienfaits, plutôt que de le faire disparaître pour
toujours ?
Pour s'expliquer cette conduite si incompréhensible du
Chapitre de Rouen, il faut se rappeler quel vent de réforme
soufflait dans les esprits du dernier siècle à propos des insti-
tutions et des monuments du Moyen-Age. L'esprit du temps
ne voulait pas plus des tombeaux à fleur de sol que des
jubés, des fresques, des verrières, des retables de bois ou
d'albâtre, des balustrades et des autels de pierre. On ne
goûtait guère que le grec et le romain, et l'architecture
chrétienne était stigmatisée de l'épithète de gothique qui a
enfin cessé d'être une injure.
Les chanoines, toutefois, ne se dissinmlèrent pas totale-
ment la valeur du monument auquel ils touchaient. Comp-
tant quelque peu sur les amateurs d'antiquités que renfer-
* Registre 'des Délibérations capitnlaiics) roininençavf le 1 janvier 1734 et
finissant le 15 jm/lel 174 l. Iiif. mss. aux aicliivi'S du cliaiDilre.
UU email in ROI C.IIAIILKS V. 511)
nuiit déjà la vieille et intelligente cité rouennaise, ils char-
gèrent «< les coniniissaircs jiour laulcl de vendre au plus
grand avantage du Chapitre les tables d'ardoises qui étoient
autour du tombeau ' . »
Quant à la statue elle-même, ce document historique que
Montfiiucon avait figuré dès 1729, parmi les Mornniwm de
la monarchie franroise ", elle fut placée, comme nous l'avons
dit, dans la chapelle de la Sainte-Vierge, déjà riche du tom-
beau des Brezé et des d'Amboise, et qui devint ainsi le Saint-
Denis de la Normandie. C'est là que le bénédictin Duplessis
a vu la royale image en 1740 ^ ; que l'anglais Ducarel l'a ad-
mirée eu 1752% et que le rouennais Lecoq de Villeray la
signalait à ses concitoyens en 1759 ^ C'est là enfin que la
Kévolution l'a brisée en 1795, en même temps qu'elle exhu-
mait des catacombes de Saint Denis le corps du sage roi et
toute la dynastie de Hugues Capet*^.
Il est vraisemblable que cette statue fut déposée, non sur un
cénotaphe qui avait été démoli et aliéné, mais sur la grande
table de marbre noir qui la supportait depuis quatre siècles.
Un moment cette table avait été réservée pour fermer le
caveau et recevoir l'inscription proposée par le Chapitre et
acceptée par le roi. Mais l'inscription fut gravée sur une
' Délibération du vondredy 6 mars 1737.
"■* M()i\Ti"A[( o^', Les mon. de la Monarchie frunçoisc, t. m, p. 65, pi. xii,
fig. .'^.
^ Ddplkssis, Description géographique et historique de ta Haute-Nor-
mandie, t. H, p. 27-28.
* DiXAUEL, Antiquités anglo-normandes, p 2G-27, traduction de Léchaudé-
d'Anisy Caea, 1823.
* Lecoq v>v. Yilluuw , Abrégé de l'/Jist. écries, civile et relig. de Rouen.
p. 150-151.
** Cu.\TKAi!BRiAi\D, Génie du christianisme, t. ni, note x, p. 321-349, et
surtout 335, édit. 1829.
520 DÉCdl' VERTE
plaque Je marbre blanc, de forme circulaire et d'un dia-
mètre de 80 centimètres. On donna deux louis au sculpteur
de l'œuvre dont le nom est resté inconnu. Il est probable
que les lettres furent dorées selon l'engagement qu'on avait
pris.
Quant à l'inscription elle-même, elle fut composée par
l'abbé Terrisse, chanoine et archidiacre ' , le personnage le
plus classique et le plus lettré de la compagnie ^ . Nous la re-
produisons ici telle qu'elle nous a été conservée par Ducarel
qui, après l'avoir copiée à Rouen en 1752, l'a publiée à
Londres en 1767.
D. 0. M.
ET
AETERNAE MEMORIAE
îîAPIENTISSIMI FRINCIPIS
CAROL[ V.
GALLIARVM REGIS,
NORMANNIAE ANTEA DVCIS,
QVI HANC ECCLESIAM
AMORE SINGVLARI COMPVLSVS
BENEFlCnSQVE IMMENSIS PROSECVTVS
EAMDEM AVGVSTISSIMI CORUIS SVI
RELIQVIT HEREDEM,
VBl IN OMNIVM ANIMIS VIVERE
NVNQVAM DESINET.
OBUT ANNO SALVTIS HVMANAE
MCGCLXXX.
' « Monsieur l'archidiacre Terrisse a été piié de faire des inscriptions que
le chapitre veut qu'on mette sur les tombeaux des princes qui ont été enterrés
dans le sanctuaire de cette église (Henri le jeune, Richard Cœur-de-Lioa et
le duc de Bedtordj et celle que l'on mettera (sic) sur la table de marbre qui
sera posée au niveau du pavé du chœur, à la place du tombeau qui y est au-
jourd'hui élevé, en cas qu'on obtienne la permission de l'abaisser. » Délib.
capitul. du 14 décembre 1736, exirait du Registre de 1734 à 1744.
' Sur l'abbé Terrisse, voir la notice que nous avons donnée dans nos Eglises
de l'arrond de Dieppe, t. i«'', p. 233-36.
DU CœUR nu HUl CUAULLS V. .cil
Ce marbre tut entouré (l'iuie ])aiule de cuivit! .sortie des
ateliers de Thomas Mette, maître fondeur, à Rouen. Le
marché passé à cet effet dit que c'était « pour encadrei- hi
tombe carrément comme elle est maintenant. » Nous croyons
au contraire que la bande était circulaire, présentant un
épatement à chacun des points cardinaux. Sur la pointe
orientale on avait gravé la couronne de France. Ce cadre
métallique destiné à relever l'inscription lui devint funeste.
La première Képublique friande de métaux et qui ne fit pas
grâce aux balustrades de cuivre de la Métropole, pour les-
quelles la cité tout entière avait intercédé, n'épargna pas
même ce lambeau de cuivre. L'encadrement une fois enlevé, le
marbre partit avec lui, tandis que, s'il eut été seul, la Répu-
blique lui eut pardonné, comme elle épargna dans le même
sanctuaire les épitaphes de Henri-le-Jeune, de Richard Cœur-
de-Lion et du duc de Bedford ' .
Depuis tantôt soixante-dix ans, rien ne parlait plus du
cœur de Charles V, dans la cathédrale de Rouen. La Messe
quotidienne ne se célébrait plus, l'anniversaire du 10 oc-
tobre était tombé avec les fondations, le Chapitre n'encen-
sait plus la royale image qui, depuis longtemps déjà exilée
du sanctuaire, avait complètement disparu de la chapelle de
la Sainte- Vierge. Dans le chœur de Notre Dame, il ne restait
plus devant le grand aigle et en face du trône pontifical
qu'une légère cavité remplie d'un plâtre inégal et gênante
pour les pieds des chantres et du célébrant. Ce creux circu-
laire indiquait seul le lieu où avait existé l'inscription de
Charles V.
' ' La République a besoin de fei- et de plomb el elle n'a pas besoin de
marbre. » disaient les membres du distric' de Dieppe aux trésoriers de Der-
chigny qui leur appor aieni le maître-autel de leur église. Les Eglises de l'ar-
rondissement de Dieppe, t. ii, p. 158.
522 DÉCOUVERTE
Ce vide respecté pendant un demi-siècle, nous semblait
tout à la fois une indication et un appel. Depuis longtemps
des amis de nos monuments et de notre histoire gémissaient
de l'abandon dans lequel était tombée la mémoire de Charles-
le-Sage. Depuis environ un an, M. l'abbé Colas, M. Barthé-
lémy et moi, nous avions résolu d'y mettre un terme. Avec
le concours des administrations civile et ecclésiastique, nous
songions à faire cesser cette viduité de notre cathédrale.
Une nouvelle inscription sur marbre, projetée et préparée
par nous, allait enfin réparer un trop long oubli. Nous ne
songions guères qu'à reproduire celle que le Chapitre avait
gravée en 1757.
Toutefois, avant de placer cette épitaphe, dont le contexte
exagéré par la légitime reconnaissance du XVIIP siècle,
n'avait plus sa raison d'être au XIX^, nous avons eu la com-
mune pensée de nous assurer si la cathédrale possédait en-
core la relique royale que nous songions à honorer.
A deux différentes reprises, en effet, la cathédrale avait
été au pouvoir de ses ennemis. A ces deux époques malheu-
reuses, des mains avides avaient fouillé son sol sacré pour
piller les tombeaux qu'il renferme et retirer de ses sépultures
le plomb, le fer, le cuivre et l'argent qu'elles pouvaient ren-
fermer. C'est ainsi que les réformés de 1562 avaient déterré
le cœur du cardinal d'Estouteville pour s'emparer des deux
plats d'argent qui le contenaient. Qui eut osé, après cela,
assurer que pareille violation n'avait point été infligée au
cœur de Charles V ? Le cœur d'un roi a toujours de quoi
tenter les passions ignorantes et cupides.
Qu'on ne dise pas que nos histoires de Rouen auraient
gardé trace d'une semblable visite. Nous répondrons à cela
qu'aucun historien de Rouen du dernier siècle n'avait men-
tionné la visite furtive et accidentelle faite au cœur de
in; i:u:uu du roi ciiaiilks v. 5i23
Charles V,le 123 février 1757. Cette vérificatioinnystérieiisc
avait même échappé à M. Deville qui, en 1S55, publia un
livre spécial sur les tombeaux de notre cathédrale. Ce n'est
qu'en 1851 seulement et dans un ouvrage aussi peu lu que
peu digne de l'être, que ^I. Fallue, ce regrettable historien
de notre j!Iétropole,a publié le procès-verbal que nous avons
reproduit ' , procès-verbal qui pèche peut-être pîir quelques
détails, mais qui n'en est pas moins d'un grand intérêt ré-
trospectif. Nous l'avouons ingénument, aucun de nous n'a-
vait lu le livre de M. Fallue, et par là même aucun ne con-
naissait le document de 1757, dont la première communica-
tion nous arriva par M. Deville, qui l'avait trouvé dans les
archives et qui voulut bien nous le communiquer le lende-
main même de notre découverte et en réponse à la bonne
nouvelle qu'il en avait reçue. 'l'uv.ur:
Du reste, nous le disons hautement, quand bien môme
nous aurions connu cette première vérification, postérieure à
'lo62, nous n'en eussions pas moins résolu et exécuté la
nôtre : car, enfin, 1795 avait passé par là. Or, à cette ter-
rible époque, les tombeaux avaient été partout fouillés par
mesure administrative, pour rechercher des métaux utiles,
hélas ! à la défense de la patrie, seule excuse de tant de pro-
fanations ^ 1
Mgr de Bonnechose, archevêque de Rouen, à qui il avait
été fait part du double projet que nous avions conçu sous le
' Fallue, Histoire jjolitique et religieuse de l'Église de Rouen, t. iv,
p. 339-40.
* On peut citer notamment une circulaire du citoyen Bouchotte, ministre de
la guerre, datée du 12 prairial an II ■ un acte de l'administration des Domaines
du 25 frimaire an il, et des ai'rêtés des 13 et 17 seplembre 1793, ordon-
nant « d'enlever des souterrains et des caveaux destinés aux sépultures, 1''.
fer et le plomb que l'orgueil et l'aristocratie y avaient accumulés. »
a24 DÉCOUVERTK
))on plaisir tic son agrément présumé, nous accorda son en-
tière approbation. Il n'y mit d'autre réserve que le désir bien
légitime, chez un prélat aussi éclairé, de pouvoir contempler
à son tour le résultat de nos recherches, s'il était heureux.
Cette condition était pour nous un encouragement et une
récompense.
Monseigneur eut la bonté d'adjoindre aux trois 'personnes
déjà nommées M. l'abbé Robert, chanoine, si bien connu par
ses travaux d'architecture religieuse, et à cause de cela ré-
cemment nommé intendant de l'œuvre de Notre-Dame.
Toutes les mesures étant prises pour ne gêner en rien le
service de la Métropole, la recherche fut commencée le lundi
26 mai, vers trois heures de l'après-midi. La fouille a duré
trois heures environ, et elle a été, comme chacun sait, cou-
ronnée d'un plein succès. A six heures un quart nous décou-
vrions le caveau royal possédant encore la précieuse relique
que lui avait confié le XIV® siècle. Ce caveau, placé à
75 centimètres du pavage actuel, était formé avec deux
pierres superposées, solidement noyées dans un bain de dur
et épais mortier. Chose singulière, les deux pierres présen-
taient des trèfles incrustés du Xlir" siècle, ce qui prouve
qu'on avait employé des débris mêmes de la cathédrale.
Le caveau que ces pierres recouvraient depuis bientôt
cinq siècles, avait 56 centimètres de profondeur, 64 de lon-
gueur sur 47 de largeur.
Deux grils de fer, placés à quelques centimètres de l'en-
trée et du fond du caveau, supportaient deux plaques de
plomb de 48 centimètres en carré. La première des deux
plaques, placée sur le gril supérieur, était destinée à arrêter
l'humidité et la chute des matériaux. Elle a été trouvée re-
couverte de sable mélangé d'eau d'interposition. La seconde
plaque avait reçu le cœur du roi et elle l'offrait encore, ré-
DU c(h:uu Dr noi (;harlp:s v. 5i25
<liiit en poussière, nuiis recomiaissable par la lornie qii'allec-
tait ce vénérable débris.
Nous donnons iei, d'après M. l')arthéleniy, la eoujx' du
royal ea\-eau tel qu'il était cpuind la fermeture était c'Ui-
plète.
Le viscère royal avait été déposé ici enfermé dans une
boite d'étain ou plutôt d'alliage, épaisse de o à i millimètres,
et affectant la forme d'un cœur humain. Cette boîte, fabri-
quée de deux morceaux soudés ensemble, avait été en ma-
jeure partie rongée par l'oxyde. Toute la poi-tion adhérente
à la feuille de plomb n'offrait plus qu'un résidu noir, cendre
et métallique. La partie supérieure, au contraire, s'était bu^n
conservée et elle montrait, d'un côté surtout, tout le bril-
lant du métal primitif.
526 DÉCOUVERTE
Nous reproduisons ici l'aspect que nous présenta le cftveau
du cœur après l'enlèvement de la première plaque de plomb.
La poussière étalée sous la plaque de ploml) était aussi de
denx sortes : sur les bords, le dépôt était noir et métallique ;
au milieu, la couleur du débris était rougeâtre et ressemblait
h du tan de corroyeur. Cette teinte tannée et l'agrégatiou
des parcelles feraient croire à un embaumement, à moins
qu'elle ne soit l'efiet de la décomposition du viscère royal '.
' Dans le désir de coinplé tu' nos renseignements sur tout ce qui concerne
cette importante découverte, nous avons cru pouvoir détacher quelques par-
celles de ces précieux débris, afin de les soumeitre à une analyse chimique ;
nous désirions ainsi être renseignés sur les arts, l'induslrie et les coutumes du
XIV'' siècle ; dans cette intention, nous nous sommes adressé à notre ami
M. Girardin . chimiste habile, dont la scienc(> el le dévouemeni nous sont
T)[J CffilTR mi ROI CHAULES V. 527
La relique étant ainsi reconnue, elle a été aussitôt dessi-
née par M. Barthélémy, puis elle a été religieusement dépo-
sée dans la sacristie du Chapitre par les soins de ^I. l'abbé
connus depuis longtemps. Voici la réponse qu'a bien voulu nous transmettre
réminent doyen de la faculté des sciences de Lille :
« Mon cher confrère et ami,
" Vous m'avez envoyé, pour les analyser, trois objets d'un haut intérêt, à
savoir ;
« 1° Un morceau de plomb provenant de la plaque qui supportait le cœur
de Charles V,à la cathédrale de Rouen ;
I' 2" Un morceau de plaque métallique qui enveloppait le cœur de
Charles V ;
« S° Une poussière rousse provenant du cœur du même roi.
« Voici les résultais de mon examen :
<! 1° Le morceau de plomb, assez épais, est recouvert d'une croûte terreuse
d'un blanc rosé dans la partie supérieure. Cette croûte consiste en carbonate
de plomb mêlé d'un peu de peroxide de fer ei de sable.
n Le métal débarrassé de cette enveloppe due à son oxidation, a tous les ca-
ractères physiques et chimique du plomb. C'est, en effet, du plomb presque
pur ; je n'y ai trouvé qu'une trace d'étain et de fer.
« 2° La plaque métallique qui enveloppait le cœur est formée par un métal
plus dur que le plomb, dont l'extérieur est presque partout recouvert d'une
matière noirâtre, grenue, friable. Les surfaces non oxidées ou sulfurées sont
d'un blanc grisâtre, d'apparence métallique. Le métal non attaqué par l'alté-
ration peut être entamé avec le couteau ; sa tranche fraîche est très-brillante
et offre la couleur de l'étain.
« D'après mon analyse, cette plaque est de l'étain contenant un peu de
cuivre et une trace de plomb. Il n'y a pas trace d'argent. La matière noirâtre
et grenue qui la recouvre est du sulfure d'étain avec un peu de sulfure de
cuivre.
« 3" Quant à la poussière rousse qui provient du cœur de Charles V, voic-i
les caractères qu'elle m'a fournis.
« Cette poudre brune, entremêlée de points blancs, n'a aucune odeur bien
appréciable. Chauffée sur une lame de platine, elle noircit, s'enflamme, brûle
avec une flamme fuligineuse dont l'odeur est aromatique et rappelle celle du
baume. Elle s'incinère difficilement, laiase une cendre grise, alcaline, qui fait
effervescence avec l'acide chlorhydrique dans lequel elle se dissout p'resquc
528 ' DÉCOUVERTE
Robert, intendant de l'œuvre de Notre-Dame. Elle y a été
conservée sous clef jusqu'au 6 juin suivant, et pendant dix
jours elle y a reçu la visite de plusieurs personnes notables
de la cité, spécialement de M. Namuroy, secrétaire général
de la Seine-Inférieure, faisant fonction de préfet, en l'ab-
sence de M. le baron Le Roy, en tournée de révision.
Mgr l'archevêque que les feuilles publitpies avaient in-
formé de la découverte, pendant le cours de sa visite -pasto-
rale, s'empressa, à son retour à Rouen, de venir contempler
le royal dépôt confié à sa cathédrale, et dont la possession
jetait sur elle un nouvel éclat. Le mercredi 29, à une heure
après midi, Monseigneur visita avec un grand intérêt le ca-
totalemeut .en la colorant fortement en jaune. La solution acide lenferme
beaucoup de fer et de phosphates,
« Cette poudre calcinée dans un tube de verre se comporte comme une
matière organique très-azotée; elle noircit, dégage d'abondantes vapeurs hui-
leuses empyreumatiques et du gaz qui ramènent fortement au bleu le papier
rouge de tournesol.
» L'eau distillée tiède se colore légèrement en jaune brun par son contact
avec cette matière; elle se trouble ensuite faiblement par l'ébullition, par l'a-
cide azotique, par le chloride du mercure ; elle précipite fortement par l'acé-
tate triplombique. Elle laisse par l'évaporation une matière noirâtre que la
chaleur charbonne. Il y a des traces de chlorures et de sulfates dans la cendre.
« L'alcool rectifié bouillant enlève à cette poudre une matière résineuse
balsamique qui rougit par l'acide sulfurique concentré. L'alcool est coloré en
jaune et précipita abondamment en blanc par l'eau.
Il L'éther mis en contact avec le résidu lui enlève une matière organique
qui, par l'évaporation spontanée, prend une belle couleur violette ; cette ma
tière a une odeur suave II n'y a pas trace de matière grasse.
)i II résulte donc de ces essais que la poussière rousse renferme, outre des
substanses lésineuses balsamiques qui ont servi à l'embaumement, une ma-
tière animale riche en fer et en phosphates ; ce qui démontre bien que cette
poussière est le restant du cœur de Charles V.
« Croyez, mon cher abbé, à tous les sentiments affectueux de votre tout
dévoué. GiRAUPiN.
m t(iKUR DU uoi l'iiAr.Lts V. 5r>*.)
veau construit par une main royale et placé clnupie jour,
sous ses yeux, en face de sa chaire pontificale ; puis, dans la
sacristie, il contempla avec une émotion véritable et conte-
nue ce qui restait du cœur d'un des meilleurs rois qui aient
gouverné la France.
Dès ce moment il fut résolu qu'une enveloppe nouvelle se-
rait préparée pour recevoir le précieux dépôt confié à la
garde de l'église de Kouen, et que, dans le plus bref délai, il
serait rendu à son premier asile.
Muni des instructions de Sa Grandeur, M. Barthélémy fit
exécuter par M. Bécaille, habile i)lombier de Rouen, un
cœur en étain et une boîte en plomb destinée à conserver la.
relique royale le plus longtemps possible.
Toutes choses étant prêtes. Monseigneur réunit de nou-
veau à la cathédrale, le vendredi G juin, les quatre témoins
et agents de la découverte, puis il procéda à l'enveloppement
et à la déposition du cœur.
Pour témoigner du vif intérêt qu'il portait à cet acte de
haute conservation, Monseigneur voulut lui-même présider à
toutes les phases de l'opération. En sa présence, les restes
du cœur et les débris de la boite du XIV siècle fiu'ent soi-
gneusement déposés dans le nouveau cœur d'étain, qui fut
immédiatement soudé par le plombier. Alors Monseigneur
enveloppa cette précieuse boîte avec un ruban violet large
de trois centimètres, et il forma avec lui une croix sur chaque
face, puis il scella les bouts du cordon avec un sceau de cire
rouge deux fois répété. Ce premier étui étant ainsi scellé, il
fut placé dans une boîte en plomb toute remplie de charbon
de bois finement broyé.
Sur cette seconde caisse, de forme carrée, on lit, gravée
en belles lettres romaines, l'inscription suivante :
o30 DÉCOUVERTE DU CIEUR hU «01 CHARLES V.
COR
CARGLI V
FRANCORVM REGIS
RECOGA'ITVM
ANN. DNI. MDCCCLXII.
Le ro3^al et vénérable dépôt, étant ainsi soigneusement re-
fermé, a été respectueusement déposé, en présence de Mon-
seigneur, dans le caveau qu'il occupait depuis 1380. Les
grilles de fer et les plaques de plomb étant également remises
en leur place primitive, le caveau a été muré de rechef par
les maçons de la cathédrale.
Prochainement, une inscription gravée sur marbre blanc,
composée à nouveau et avec une certitude rajeunie de cinq
siècles, prendra place dans le chœur de Notre-Dame, et elle
indiquera au respect de tous, le lieu où repose le cœur du
plus sage des rois de France.
Regrettons que le défaut de ressources ne permette pas de
faire revivre sur son mausolée l'image d'un prince qui fut le
maître de Duguesclin et le fondateur de la Bibliothèque im-
périale, qui en Normandie se montra le protecteur de l'E-
glise et le bienfaiteur de l' Hôtel-Dieu de Rouen ', qui encou-
ragea les découvertes des navigateurs normands et qui vint
lui-même à Dieppe récompenser Jehan le Roannois, le pionnier
de laGuinée% et qui entin, monté sur le premier trône de
l'Europe, n'oublia jamais qu'il avait été duc de Normandie.
l'abbé COCHET.
' Lebrun des Mauettes, Voyages liturgiques de France, p. 385.
* ViLLANï DE Bem.efond, Relation des castes d'Afrique appelées Guinée,
p. 410.
LES SANDALES ET LES BAS
'IliOlSIKMK AIMICJ.I':
CHAPITRE III
CHAUSSOllKS IMPÉRIALES, A UOMK ET A BYZAMCE.
L'étude consciencieuse des monuments figurés prouve que
la seule différence admissible entre les chaussures patri-
ciennes ou même vulgaires et la chaussure du maître su-
prênie, l'Empereur, résidait plutôt dans la couleur et l'orne-
mentation que dans la forme générale. Toutefois, certaines
désignations spéciales n'étant employées par les écrivains
qu'au sujet des calceamenta imperialia, j'ai cru devoir con-
sacrer à ces derniers un chapitre séparé.
Nous avons vu Caligula paraître en public avec des socculi
de perles. Héiiogabale portait sur sa chaussure des pierres
précieuses et même des intailles, qu'Alexandre Sévère sup-
prima lors de son avènement au trône'. Aurélien, en inter-
disant les souliers rouges aux hommes, semble avoir réservé
* Voir le numéro de septembre, p. 468.
' Lampuide, Heliog., 23: Alex. Sev., 4.
532 I.KS SA.MIALES ET \.ES i!AS.
cette couleur pour l'usage exclusif de la dignité souveraine.
Carin, à l'exemple d'Héliogabale, «liabuit gemmas in calceis ; »
enfiii Dioclétien rendit obligatoire la présence des joyaux sur
le costume impérial'. Mais si l'on excepte le fils de Julia
Soémias, nul, peut-être, ne poussa aussi loin que Gallien le
luxe des vêtements, et c'est dans son histoire qu'il faut cher-
cher la première mention de deux chaussures, affectées après
lui aux monarques de l'Occident et de l'Orient, le cajnpagus
et la zancha.
I. Campcujus. — Après -avoir énuméré la chlamyde de
])()urpre, les riches ii1)ules, la. tunique rouge et or, le bau-
drier orné de }>ierreries, qui formaient la parure de Gallien,
Tj-ebellius Pollio ajoute : « Caligas gemmatas annexuit,
« quum campagos reticulos appellaret. » D'autre part, Ju-
lius Capitolinus dit à propos de Maximin le jeune, « Calcea-
" mentum ejus, id est, campagum regium... posuerunt...
0 quum de longis atque ineptis hominibus diceretur, caliga
" Maximinî-. » De ces deux textes il résulte évidemment
que le campagus était une sorte de calige attachée avec des
courroies, disposée en réseau sur la jand)e et le pied nus, au
lieu d'être contournée en cercles parallèles : Hoffmann ne le
comprend pas autrement ^
Je n'ai rencontré qu'un spécimen antique bien caractérisé
du campagus; il appartient à un chef scythe, figuré sur la
colonne de Théodose, et diffère peu de.la chaussure des High-
' Voi'iscrs, 17. — « Ornameiita geiiiniarum vcstibus calceaniontisqtic
« (Dioclctianus) indidit ; iiam piius iiiiperii insigne in chlamydo ])Ui-piirca
« tantum eiat. » Einiioi'K, ix, 16.
'^ GalUenuspat., 16. — {'^it. 3Iaxim.,28.
' " Fuerunt autem et campagi ex génère soleai'um, non intégra solidaque
« pelle crura operientes, sed fasciis mullis l'etieiilafiin inijik'xis gerente.s. n
(Etym. Y.r/.u.-xi^, flexiirn .) Lçx. unh\, CAMr.VGis.
LES SANDALES ET LES 1!AK. i}Mi
latui-.'r.s : m;ii.s on ne peut guère se liera rexactitiide des
grav^ures de Bauduri, et le personnage que je cite prête beau-
coup à la critique quant à lii forme exacte des pal ides. Il
faut donc chercher ailleurs pour savoir si le raiiipaf/us était
une solea ou un calccus. Le consid Basilius porte des souliers
compris sous un réseau, et l'empereur Lothaire un cothurne
enveloppé par les mailles d'un filet d'or; un Nicé})hore lioto-
niateet aussi le moiuirque byzantin, tissé au centre du suaire
de Bamberg, laissent soupçonner une chaussure analogue que
les vers suivants de Corippus décrivent incontestablement :
Pui pureo surce résonant fulgente cothaino ;
Ci'iiraque piiuiceis indnxit regia vinclis,
Parthica Ciivipano dederant quae tergoia fiicu,
Qui £olet edomilos victor calcare tyrannos,
Uomanus priuceps et barbara colla doQiaro :
Sanguiiieis pra:;lala rosis laudata rubore,
Lcctaqp.e pro sacris tactu moUissiraa plantis :
Augustis solis hoc cullu competil uti,
Sub quorum est pedibus legum cruor, omne profecto
Mysteriutu certa rerum ratione probatur '.
Or, à mon sens, le poète établit ici une distinction tran-
chée entre les deux parties de ce calceamentum réservé aux
seuls Augustes; eu dessous, un cothurne de pourpre, en des-
sus, des courroies de cuir persan teint en Campanie : les
' Imp. Orient., ii, pi. 4. — Ant. expl., m, l. — Les )4rts sompt. i, pi. 11. —
WiLLEMirj, pi. 40. — Mél. d'arch., ii, 32. (La miniature- byzantine de la
bibl. iinp. et l'étoffe trouvée dans le cercueil de Gunther (XI*-' siècle) ne pré-
sentent malheureusement qu'un échappé de la jambe des personnages ; leur
chaussure rouge est ornée de bandelettes et de perles; au talon et à la
pointe du pied apparaît une fleur polylobée. — De Laud. Jvsfini /un, u,
104
334 LES SANDALES ET LES BAS.
courroies tiennent, à n'en pas douter, au campagus; quel nom
recevait le cothurne dans le langage ordinaire? Udo. Martial
appelle iiinsi une chaussure en laine ou en poil de chèvre;
Ulpien range les odones parmi les calceamenta,-\â Donation de
Constantin attribue aux clercs de l'Église romaine les san-
dales blanches sénatoriales avec les odones {ùv:oâihiia.x(x moi
(jav§akia Xeuxà ^id chviosv) ; saint Epiphane traite les càovia. de
braies (opxat); enfin \Onio F, par deux fois, fait chausser au
Pape les odhones avant le campagus^ et cette place leur est
nettement assignée par Théodulfe :
Lineacrusque pedesque tegaut talaiia, ut apte,
Qui super addatur, campagus ipse decens *.
Les rapports de Vudo avec le campagus préciseront la na-
ture du dernier; en effet, r?/f/o, désigné comme calceamentum
par un jurisconsulte, ne pouvait être à cause de cela inclus
sous une enveloppe superposée : donc le campagus primitif
n'était qu'une semelle ou une sandale très-découverte atta-
chée au moyen de cordons. Le lecteur me pardonnera cette
excursion prématurée hors du domaine laïque; sans l'aide des
textes ecclésiastiques, la question demeurerait probablement
insoluble^.
' Epitj., XIV, 140. — « Alla causa est odonum quia usum calceamentorum
(( prsestant. >» Diy., 34, 2, 25. La distinction est établie entre les odones et
les bas ou les chaussons. — Du Cange, Gloss., cdo. — Contra Catharos.
— Mus. liai. H, p. 64. — Parœn. ad Episc.,\, m, 458.
^ On trouvera la preuve de ce que j'avance dans le Ménologe de Basile II,
(nis. du Vatican, X.<^ ou XI'' siècle, publié à Urbin, in-fol., 1737.) Les figures
gravées, t. I, p. 7, 47, 51, 114, 115 et li)9, présentent des cavipagi dont le
pedw?e est une sandale très-découverte ou plutôt une carhatine. Divers per-
sonnages, t. u, p. 79 et 208, sont chaussés de ca???^a^t complètement réticulés
où le pied n'est garanti que par une simple semelle. Partout les udones
sont nettement indiqués ; ils s'arrêtent en bourrelet à mi-jambe.
LES SANDALES ET LES lîAS. o3o
Une miniature du manuscrit 510 de la bibliothèque impé-
riale (IX" siècle), deux peintures byzantines du XP siècle au
Louvre, représentent divers personnages dont les jambes et
les pieds disparaissent sous des bandages blancs, analogues
aux appareils chirurgicaux pour la réduction des fractures.
Ces chaussures bizarres ne sont autre chose que des odoues
et des campacji ou xyrides ' .
Zancha. — Dans une lettre conservéepar Trebellius Pollio,
Gallien compte au nombre des présents qu'il envoie à Claude
le Gothique « Zanchas de nostris Parthicis, paria tria. »
Une loi des fils de Théodose prononce l'exil contre tout indi-
vidu qui se permettrait à Rome l'usage des braies et des
tzangues^. L'historien Procope mentionne parmi les insignes
accordés aux satrapes héréditaires d'Arménie, une chaussure
rouge, montant jusqu'au genou, que l'Empereur et le roi de
Perse avaient seuls le droit de porter^. Enfin Codin, après
avoir dit que les souliers impériaux {ùnoâ-riiioczoc) étaient dépo-
sés dans le vestiaire, signale une autre espèce de chaussure
nommée Tçayyta, chargée, sur les flancs de la tige et du
quartier, d'aigles brodées en or, avec des perles et des
pierres précieuses. L'Empereur mettait les tzangues quand il
' Les Arts sompt., t. i , pi. 31 : Saint Léonce et saint Georges, pi. 57, 59.— La
fig. de Zacharie (Bibl. imp. 61, X*= siècle) est chaussée de campagi et d'odones
bruns. Les campagi se nommaient en grec çupîSeç, sans doute parce que
leurs courroies rappelaient la feuille étroite et allongée du glaïeul, xau-irâjcta
et i^uyaéaota. Suidas.
- Claud. 17. — Jrc. et Jlon., Cod. Theod., xiv, 10, 2. « Usum tzanga-
« rum adque bracharum intra urbem venerabilem nemini liceat usurpare. »
' « TTCoSvî;ji.aTa [J-s/pt le; '(ôvu '^oivixoo ypwrj(,aTo;, a ot) fiaGiXsa fxovov
'Po)(j.aioj T£ xat Ilspawv uTrooîÎGÔai Os^aiç. » De ^dif. Justin., m, 1. —
LuiTPRANi) donne à cette chaussure le nom de caliges : « Rubricatarum pel-
« liumcaligis, ut isthic (c. p.) imperatorum moris est uterctur. » Antapod.,
m, 35.)
530 IJiS SANDALES KT LES BAS.
assistait aux processions et aux litanies; l'ouvrier qui con-
fectionnait ces bottes ne s'appelait pas xî^uyydpioç, mais bien
ryy.yyài ' . Je ne suis pas assez versé dans les langues sémiti-
ques pour suivre Hoffmann sur le terrain des étymologies et
prétendre quetçayyta dérive de l'arabe tzaçjath^ mais j'ai l'in-.
time conviction qu'un mot, où la sifflante ç est redoublée par
l'antéposition d'un - ou d'un à (certains écrivent cJçayyta), ne
peut être grec et qu'il a été emprunté à l'un de ces idiomes
orientaux si abondants en consonnes. Aux faits que je viens
d'exposer, si l'on veut bien adjoindre ma citation antérieure
des tzangiœs persiqiies du roi des Lazes, on conclura de
l'ensemble, sans liésiter, que les tzangues, chaussures person-
nelles aux souverains de Byzance, étaient de hautes bottes
rouges, en maroquin ou cuir de Kussie brodé avec l'art mer-
veilleux, encore aujourd'hui déployé par les Asiatiques dans
ces sortes d'ouvrages.
Une médaille de Licinius (308-523) le représente en cos-
tume impérial, chaussé de tzangues molles, formant enton-
noir. Basile II (975-1025) est peint sur un psautier de la
bibliothèque impériale avec des tzangues couvertes de perles
et montant jusqu'aux genoux. Un autre manuscrit byzantin
de la même collection (XP siècle) montre les figures de Salo-
' L'empereur Nicéphore était n aj^cioniis calceamentis calceatus n quand il
donna audience aux ambassadeurs d'Othon. Ll'itprawd, Ley. c. p., 3. De
Off. c. p., V, 14. « "l'^yovxa |x. irXayuov xolzol tàç y.\ir^aci.i; xoù stti TÔiv xapawv,
« àatoù; oik )\.(0o)v /.ai jj.apy^-'-p'-'^^- — ^- encore la Chronique de PhraivtzÈs,
ut; 18, où il est dit que le cadavre de l'Empercui- fût reconnu à sa chaussure
particulière sur laquelle étaient des aigles brodées en or ; la CTtronoijraphie
de Theoph AIMES, p. 263 «'Ex twv àX-/iOiv(7)v vip T(^7YYto)v l^Mioçi'Cz-o » — Les
Latins nomment les tzangues impériales ocreœ ou calkjCB : " Ocreis, ut mos
-1 est in illo imperio insignitus purpureis. . Augustus appellatus est. » Gujl-
<i LAUMK Dic TY(i, 1. 15, C. 23. (C Callgis rubcis secundum moiem indutus. »
ALI5É1UC.
LES SANUALKS ET LliS 15AS. 537
mou et de plusieurs rois avec des Izanf/iœs pourpres ou écar-
lates, mais déuuées d'ornemeuts. Ou aperçoit des tzanfjucs^
brodées aux chevilles, sous le paludamentum de Justinien
(mosaïque de Ravenue). Enfin, ce qui prouve surabondam-
ment l'origine orientale des tzaïKjucs^ l'image de saint Jacques
le Persan, Ilspatç, au musée du Louvre (XP siècle), en porte
de blanches, tout à fait semblables aux péronés latins. Or,-
TertuUiennommejrje/wies les chaussures luxueuses des Parthes
et des Mèdes, et certaines bottes sont encore appelées zancœ
dans quelques textes latins du moyen-âge ' .
Aux grands dignitaires de l'empire d'Orient incombait
aussi une chaussure distinct! ve. Les souliers {ùv:oâr^^ixzx) du
Despote étaient bicolores (âicoléoc)^ pourpre foncé (o|cws)et
blanc, avec des aigles en perles sur les côtés et le quartier;
l'empeigne présentait l'aspect d'une mosaïque. Les souliers
du Sébastocrator, bleu-céleste (■nepdvsx). portaient aux mêmes
places des aigles tissées ou brodées en or sur un fond écarlate;
ceux du César, du Panhypersébaste et du Protovestiaire,
sans ornements, étaient bleu-céleste, jaune citron et de cou-
leur verte". Tout haut personnage, déchu de son rang ou
• Malliot, Rech. sur les costumes, t. i, pi. 49, 4, d'apiès Khell. — Les
tzangnes du Licinius ne diffèrent pas des bottes scythes figurées sur le vase
de Koul-Oba. — D'Agincodrt, Peint., pi. 47, 5. — Les Arts sompt. t. 1, pi.
44,45,58. — De Hah. mul. — « Similiter acceisivit sutores calceamentorum,
« precepit illis ut magnas zanchas ex lihcorum pellibus operarent. " Vit.
S. Maximiani, ap. MuRATOur, t. ii, p 105. Le préfet de Rome, en diverses
circonstances, chevauchait à côté du Pape « calceatus zanca una aurea, id est
una caliga, altéra rubea. » 3Ius. Ital., t, ir, p. 170, Ordo, xn. — Contelo-
liio, De Prœf. urbis, ap. Sallengre, t. i, p. 517, pi., p. 519.
-CoDiK, m, 6 : « 'Eyovra aîToùc [jLapyaptTapctvou; £/. TrXayt'cov tô xat Itti
Tcov xapïwv viToi ETiàvo) Twv u7roÔ7]L;.a-ttov Toiv y.ov^T/J.oyj . » iD., ibid. 17 :
« 'AîToùç aDÇtij.a-zc.ivQuç Itç àî'pa /.ôxxivov. » L'interprète latin rend ce passage
par « Aquilas fimbriatas desinentes in umbonem coccineum. » J'ai pensé qu'il
TO.ME vx. 39.
538 LES SANDALES ET LES BAS.
tombé en défaveur, échangeait sa chaussure éclatante contre
des lu'odequins noirs; j'en ai trouvé maints exemples dans
Pachymère.
Je serai bref relativement aux chaussures d'impératrices,
difficiles à apprécier sur les monuments à cause de l'ampleur
des robes. Les souliers de Théodora (Ravenne) sont dorés,
avec une empeigne très-découverte et un quartier bas; ceux
d'une sainte Hélène (IX^ siècle), arrondis à l'extrémité et de
couleur rouge, se distinguent par une bande longitudinale
fclavus) ornée de pierreries. Le calceamentiim d'Eudoxie, en-
richi de perles, ue diifère en rien de la chaussure de son
mari Romain Diogène (1068) également cachée sous une tu-
nique talaire ' .
CH. DE LINAS.
{La suite au prochain numéro.)
valait mieux traduire ainsi : « Aquilas auro textas in campo coccineo. n La
mentiion, faite par Nicéphore Grégoras (iv, 1) des souliers du Sébastocrator,
« OTi £V Toïç xuavoïç TreotÀoi; xa\ /puffoucfrElç «Ùtw £v-/]p^ad^ovTO àsTOi. », porte
à croiie que les aigles étaient brodées et non tissées. ('Evapaô^co, j'adapte,
arrange, ajuste.) — Codin, loc. cit., 23 et iv, A et 5. Dans leurs souliers, le
Despote, le Sébastocrator et le César avaient des xocXt^oîi, caligœ ; ce vête-
ment sera expliqué plus loin.
* Mss.510 Bibl. imp.; Arts sompt. i, pi. 32, — Gom , Thés ., vei. dipt. , ni, 1.
HISTOIRE DE S. JACQUES LE MAJEUR
et du Pèlerinage de Compostelle-
SIXIKMK AUTICLK
CHAPITRE VU
INVENTION DES RELIQUES DE SAINT JACQUES.
C'était en 812. Le pape saint Léon III gouvernait l'E-
glise, Charlemagne régnait en Occident, pendant qu'un autre
roi, Alphonse II, édifiait son peuple dans le petit royaume
de Léon et des Asturies. L'Eglise et l'histoire ont surnommé
ce dernier le Chaste^ et le Ciel a voulu récompenser ses ver-
tus par une faveur miraculeuse, casta placent superis * . C'est
sous le règne de ce prince, que Dieu daigna révéler le tom-
beau de saint Jacques : quelques personnes de distinction
avertirent Théodomir, évêque d'Iria-Flavia, qu'au-dessus de
ia forêt qui cachait depuis longtemps le tombeau de l'Apôtre,
* Voir le numéio de septembre, p. 500.
' Albii Tibclu Elegiarum. lib. 11, eleg. i, v. 13, edit. Lemaire.
540 l'Èl-LULNAGIi LiK COAU'OSTELLE .
elles avaient aperçu imitammeiit plusieurs lumières et en-
tendu des concerts angéliques. Le vénérable prélat se trans-
porte sur les lieux et distingue les mêmes phénomènes; il
s'approche et découvre au milieu des ronces le tombeau de
saint Jacques sous une arcade de marbre. La joie inonde son
âme, il court, il va tout racouter à Alphonse le Chaste; le
roi partage son allégresse et vient constater par lui-même le
grand événement ; il bâtit une église sur le tombeau du
saint et transporte à Libre-Don , avec l'autorisation du
Pape , la résidence des évêques d'Iria-Flavia.
Le tombeau était resté intact sous son toit d'épines, et les
reliques qu'il contenait n'avaient été ni outragées, ni muti-
lées ; Théodomir y trouva le corps entier du saint avec la tête
à part. Le bâton de voyage du saint était à côté du corps. Ce
bâton ou boui'don se voit encore aujourd'hui, à quelques pas
du tombeau. 11 est enfermé dans un étui de métal, ouvert à
la base, afin que les fidèles puissent le toucher. En 1 8o0,
on m'a montré , dans la fameuse cathédrale de Saint-
Janvier, à Naples, le bâton de saint Pierre. La sainte
Eglise aime à honorer tout ce qui a appartenu à ses fonda-
teurs. Un bâton était toute leur fortune. Ces sublimes in-
sensés comptaient sur l'appui de Dieu pour soumettre les
peuples à leur houlette pastorale.
La sainte Eglise romaine ne fête que deux i?iventions,
celle de la sainte Croix, au 5 mai, qui eut lieu en 326, et
celle de saint Etienne, protomartyr, au 5 août, qui eut lieu
en 415. Beaucoup moins ancienne que ces deux inventions
authentiques, celle de l'Apôtre protomartyr ne se présente
pas à nous avec le même caractère de certitude, puisqu'elle
n'entre point dans le cycle liturgique; mais elle est revêtue
de toutes les conditions qui font accepter un fait historique :
elle a en effet pour garant la sincérité et les vertus d'un roi
l'ÈLEHlNAGli DE COMTOSTELLE. oil
et {l'un évoque, à qui hi postérité n'a décerné que des
louanges; l'autorité d'un Pape, aussi prudent qu'il était
saint, et celle d'autres papes qui afFi-ancliirent l'église de
Libre -Don de la suprématie de toute autre église, en la pla-
çant sous la juridiction iunnédiate du Saint-Siège, par une
raison unique, toujours répétée dans les mômes termes, c'est
qu'elle est eu possession du corps de l'apôtre saint Jacques :
" Porqiœ cl glorioso cuerpo de! apostol Santiago dcscansa en
ellaj » enfin, la tradition universelle, constante de l'Es-
pagne et de l'univers clirétien, confirmée par la dévotion de
toutes les classes de la société et parle Ciel lui-même qui se
prononce au moyen des prodiges, discutée et prouvée par les
historiens les plus graves, en particulier par l'auteur der///.s-
toire de CompostcHe , si souvent citée dans Florez.
Une autre preuve non moins démonstrative se déduit du
théâtre même de l'événement et du changement de nom qui
en fut la conséquence. Libre-Don, surnonnné d'abord Lioi-
Saint^Liigar-Santo, s'appelle encore aujourd'hui le Champ-de-
rÉloile; une ville naquit autour du tombeau et emprunta à
ce champ le nom qu'elle porte encore.
Les érudits ont beaucoup discuté sur l'étymologie de Com-
postelle. On trouve dans Florez ' l'exposé des opinions qui
ont été agitées sur cette question. La première a tellement
torturé les mots pour en extraire une étymologie un peu
vraisemblable, que j'ose à peine la rapporter. Les défen-
seurs de cette opinion, s'appuyant sur Hardouin et Lsaac
Vossius, veulent faire croire que les mots latins Jacobus apos-
tolus ont été transformés successivement en Jacobo apos-
tolo^ ou Mac apostol^ ou Giacomo Postolo^ ou Jacomo apostolo,
dont on aurait formé par contraction le terme de Com-
' Espana Sayrada, tuino xiv, p. 09, 74.
54â PÈLERINAGE DE COMPOSTELLE.
postellc. Pourquoi ont -ils oublié que la langue du Cid
a toujours appelé saint Jacques Santiago et jamais Giacomo^
ni Jacomo, ni Jiac? Le nom de l'Apôtre n'a donc pu engen-
drer celui de Compostelle.
La seconde opinion force le sens d'un mot ])our justifier
l'étymologie qu'elle a inventée. Elle fait dériver Compostelle
de Compote Stella, qu'on est obligé de traduire : étoile de bon
augure; mais l'adjectif latin compos ne peut se plier à cette
signification.
La troisième opinion, qui est la i)lus naturelle et la plus
commune, est aussi la plus favorable à notre cause. Avec les
deux mots Campus stellœ, Champ de VEtoile, elle compose
sans eiFort et sans altération notable le nom de Compostelle ,
Champ de V Étoile ' . Une étoile avait conduit les Mages au
berceau du Messie ; une autre étoile a plané sur le tombeau
d'un Apôtre pour le révéler au monde chrétien. Il n'est pas
étrange qu'à une époque où la langue latine était encore par-
lée par le peuple dans l'Europe chrétienne, on ait réuni les
noms latins de l'étoile miraculeuse et du champ qu'elle avait
éclairé, pour en faire uif nom unique qui devait perpétuer le
souvenir de l'événement. Quand même la tradition serait
muette sur cette question; quand même l'histoire^ qui enre-
gistre les faits d'un ordre surnaturel, quand ils tombent sous
les sens, aurait oublié de mentionner celui-ci, le nom seul
de Compostelle serait un argument difficile à combattre.
Ce nom a fait oublier les précédents et a prévalu exclusi-
vement à partir du XIP siècle. Les Français disent indiffé-
remment Compostelle ou Saint-Jacques de Compostelle; mais
les Espagnols, qui ont longtemps possédé l'Amérique et qui
* Lucis evangelicœ , sub vélum sacrorum. emhlematum , reconditcn; hoc est
céleste panthéon, sive cœlum novum infesta et fjesta sanctorum. Per R. P,
Heniicum Engclgrave, S- J. Antverpiaî, 1658, t. ii, p. 51.
riCLKHINAGE DE COMToSTELLE. 543
ont profité (le leur domination pour imposer h plusieurs villes
du Nouveau-JMonde le nom de Saint-Jacques de Compostelle ,
dans le but d'y propager le culte du grand Apôtre, distin-
guent par l'addition du ntim de la province la ville de Comyo-
stelle ou de Santiago qu'ils veulent désigner. Celle qui nous
occupe est ordinairement a[)pelée par eux Santiago de Galicia.
La chrétienté apprit avec allégresse ce qui venait de se
passer au fond de l'Espagne ; la relation de Théodomir cou-
rut dans les villes et les villages et excita un enthousiasme
qui n'a été surpassé que par celui des Croisades. Le Ciel,
conséquent avec lui-même, encouragea par des guérisons mi-
raculeuses l'ardeur qui porta les populations vers le tombeau
du saint. Le monument avait à peine secoué le linceul de
broussailles qui le couvrait, qu'il avait déjà repris un air de
vie et de magnificence.
Un prodige, dont toute l'Europe retentit, mit le comble à
l'enthousiasme universel ; le peuple, toujours ami du mer-
veilleux, ne put contenir plus longtemps l'impérieux besoin
d'émotions qui l'attirait à Compostelle.
Nous devons le récit de ce prodige au célèbre Jean Tur-
pin, archevêque de Reims, compagnon de voyage de Cîharle-
magne en Espagne et auteur de la vie de ce prince et de
celle de Roland. Il nous suffit de traduire : « Charles avait
« épuisé ses forces aux guerres si longues et si pénibles
« qu'il avait dû entreprendre; il soupirait après le repos. 11
« aperçoit tout à coup dans le ciel un chemin d'étoiles cora-
« mençant à la merde Frise, courant entre le pays des Teu-
n tons, l'Italie et la Gaule, et suivant en ligne droite l'A-
« quitaine, à travers la Gascogne, le pays Basque [Basdam)^
« la Navarre et l'Espagne jusqu'à la Galice. Le phénomène
« se renouvelant chaque nuit, Charles en médite la signifi-
« cation. Préoccupé^ ^gité, il voit en songe un héros d'une
l'ELERINAGE DE COJirOSTELLE.
beauté extraordinaire : — Que dis-tu, mon fils? demande
le héros. — Qui êtes-vous ? répond Charles. — Je suis
Jacques l'apôtre, disciple du Christ, fils de Zébédée^ frère
de Jean l'Evangéliste; j'ai été martyrisé par Hérode; mon
corps repose en Galice, où les Sarrasins oppriment les
chrétiens; tu es le plus brave et le plus puissant des sou-
verains; va, délivre la Galice des mains de ces Moabites.
Le chemin d'étoiles que tu as vu briller dans le ciel, si-
gnifie qu'avec la nombreuse armée qui, sous tes ordres,
terrassera cette perfide race de païens et rendra sûre la
route qui conduit à mon église et à mon tombeau, tu dois
aller en Galice; donne cet exemple à tous les peuples
qui viendront auprès de mon tombeau solliciter le par-
don de leurs fautes et chanter les louanges du Très-Haut.
Pars sans retard, je serai ton protecteur dans le danger;
j'obtiendrai pour toi, à cause de tes travaux, une cou-
ronne dans les cieux, et ton nom sera célèbre jusqu'à la
fin des âges.
« Ainsi parla l'Apôtre. Charles crut h la promesse qui lui
était faite, rassembla ses armées et partit pour aller com-
battre les Sarrasins. Il leur enleva Pampelune, visita le
tombeau de saint Jacques, poursuivit sa course jusqu'à
Iria-Flavia et jusqu'aux bords de la mer, où il planta sa
lance, rendant grâces à Dieu et à son Apôtre. A son re-
tour, il bâtit à Paris l'église de Saint-Jacques, entre la
Seine et le Mont des Martyrs . ' »
Je trouve dans ce passage l'origine d'une appellation
qui prouve combien cette légende s'accrédita parmi le peuple;
les astronomes appellent Voie Lactée {via Lactea) une im-
mense zone lumineuse, blanchâtre comme du lait, irrégulière,
' .JonANNKS TuRPiWDS, (le. Vifa Caroli, Magni et Rolnndi. Francofurti ap^
Ma'num, 1566, cap ii, nr, v.
l'iaEiiiNAGE ni:; (.OMi'OSTi:i.Li:. 5i5
qui coupe l'écliptique vers les deux solstices, et dont l'appa-
rition dans une nuit sereine pronostique le beau temps. Se-
lon la mythologie, cette espèce de ceinture céleste reçut son
nom d'une goutte de lait que Junon répandit lorsqu'elle re-
poussa Hercule, que Jupiter avait approché d'elle pour lui
donner l'immortalité. Mais les mythologues et les savants
réunis n'ont pu faire accepter aux pauvres (Vespril ce nom
païen. Saint Jacques a détrôné la reine des dieux, et le bril-
lant météore dans lequel il apparut à Charlemagne pour lui
désigner l'endroit de l'Ibérie où reposaient ses reliques, a
été et est encore appelé par le vulgaire chemin de Sainl-
Jacqiws.
L'histoire profane, à part l'ouvrage de Turpin, parle peu
du voyage de Charlemagne en Galice; mais l'art chrétien,
complément de l'histoire, en a reproduit les détails et les
heureux résultats dans un magnifique vitrail de la cathédrale
de Chartres.
J'ai dit que Vlnve^itioii des reliques de saint Jacques
eut lieu l'an 812. Charlemagne, qui mourut en 814, est
donc un des premiers monarques et des premiers fidèles qui
soient allés prier en Galice depuis cet événement providen-
tiel'. Il appartenait à un prince si chrétien, si magnanime,
d'ouvrir la liste des rois-pèlen'ns et d'inaugurer, avant de
terminer sa laborieuse carrière, cette sainte coutume des pè-
' Les Bordelais se trompent quand ils affirment sans preuve que saint
Mommolin arrivait de Compostelle quand il mourut, dans leur ville, au mo-
nastère de Sainte-Croix. Ce saint abbé, dont l'église du même nom conserve
les reliques, mourut au VII« ou au plus tard au VIII" siècle. Il ne put donc
vénérer un tombeau qui n'était pas encore découvert et dont on connaissait à
peine l'existence dans les Gaules. Ayant partagé l'erreur commune dans mon
petit livre sur saint Mommolin, j'avoue aujourd'hui sans détour que je me suis
trompé, et je reconnais que le prétendu pèlerinage du pieux Bénédictin n'est
qu'une fiction dénuée de tout fondement.
o4G rÈI.EiilNAGE DE COMPOSTELLE.
leriiiages qui devait bientôt entrer si profondément dans les
mœurs sociales. Un bréviaire allemand, cité par dom Gué-
ranger, confirme l'expédition du grand roi en Galice et sa
dévotion envers saint Jacques : « Guasconiam, Hispîiniam
« atque Galœciam ab idolatris expugnavit, ac sepulcrum
« sancti Jacobi hodienio lionoi'i restituit ' . » Il ne faut donc
pas s'étonner que ce prince, honoré comme Bienheureux par
de nombreuses églises, ait été inhumé à Aix-la-Chapelle
avec l'escarcelle, un des attributs des pèlerins.
Tous les échos du monde chrétien retentirent des mer-
veilles qui s'opéraient en Galice par la main de Dieu et l'in-
tercession de saint Jacques. Les pèlerins, de retour dans
leur pays, racontaient leurs impressions et popularisaient
par leur enthousiasme le culte du fils de Zébédée. Les églises
ambitionnèrent quelque parcelle de ses reliques ; quelques-
unes en obtinrent: Toulouse, Arras, Liège, Venise, Pistoie.
J'en ai vénéré un fragment dans l'incomparable cathédrale
de Burgos. La tête de saint Jacques a eu le môme sort que
celle de saint Jean-Baptiste ; elle s'est multipliée sous la
plume de quelques écrivains irréfléchis qui ont pris la partie
pour le tout, ou qui ont confondu saint Jacques le Majeur
avec saint Jacques le Mineur. Le célèbre Allemand Hurter
a écrit sur cette question quelques lignes qui ne sont pas ir-
réprochables'.
J.-B. TARDIAC.
[La suite au inochaln ninnéru)
' Année liturgique. Le temps du Noël, 2» partie, p. 500.
- Tableau des institutions et des mœurs de l'Eglise au moyen âge, otc, par
Frédéric Hurter ; traduit de l'allemand par Jean Cohen, Paris, 1843, t. 3,
p. 337.
TOMBEAU DE WALERAM III
DUC DE LIMBOURG,
à l église de Rolduc, près d' Aix-la-Chapelle.
L'église de l'abbaye de llolduc possède le tombeau de
Waleram III, duc de Limbourg, qui est enterré au milieu de
la grande nef de l'église, devant le chœur. La statue en
pied, en pierre de taille, sculptée en 1689, représente Wa-
leram couvert de son armure, casque en tête, les deux mains
en croix sur la poitrine.
L'ancien tombeau qui fut renversé par les iconoclastes
était en pierre de sable et reposait sur des colonnettes. Le
sculpteur qui, en Î689, renouvela le monument, soit qu'un
bon modèle lui ait manqué, soit qu'il ait suivi son goût par-
ticulier, a revêtu le vaillant guerrier limbourgeois d'une
armure qui date d'un temps bien postérieur à son siècle.
Ce tombeau est un précieux souvenir des anciens ducs de
Limbourg ; c'est le seul de cette dimension qui rappelle à la
postérité, dans le duché actuel, cette vaillante race de guer-
riers qui prirent une part active aux guerres des croisades.
518 TOMBEAU DE WALERAM III.
Waleram mourut entre le 25 mai et le 2 juillet de l'année
1226. Son monument, qui est couvert d'un treillage en
Tombeau de Walcram III.
cuivre jaune^ est entouré de l'inscription suivante qui est
incrustée en caractères de cuivre :
ISTE FUIT TALIS VIRTUTIBUS, IMPERIALIS MAJESTAS SIMILEM NESCIVIT
IIABERE l'ER ORBEM LlMBORGlI DTIX, ARCHOS ARLO.V COilES IN LUCELIMBORG
WALRAMUS DlCTfJS, DU.X HENRICUS PATER EJUS.
Obilt 1226.
A. SCHAEPKENS.
BIBLIOGRAPHIE
TRAITÉ DE LA RÉPARATION DES ÉGLISES ; principes d'archéologie
pratique, par Raymond Boiideaux. Paris, Juhry, 1862, in-Q^ de 400pa(jes,
avec 90 figures intercalées dans le texte '.
Cet ouvrage est la seconde édition d'un livre paru en 1832 sons
le litre un peu long de : Principes d'arc/iéologie pratique appliqués à
l'entretien, la décoration et l' ameublement c^^tistique des églises. C'est
un excellent Manuel qui devrait être cnire les mains de tous les
architectes et de tous les ecclésiastiques. Plus que jamais on
restaure les églises, et plus que jamais aussi, le vandalisme est à
Tordre du jour. On ne se borne pas à altérer l'architecture des mo-
numents par des additions malencontreuses, on détruit sous pré-
texte de restaurer. Certains architectes encouragent cette manie de
reconstruction au nom même de l'archéologie. On rêve pour les
églises une complète unité de style ; et on démolit, dans un monu-
ment roman, les adjonctions des époques ogivales pour les rem-
placer trop souvent par de mauvais pastiches. Les hommes de
goût ont beau protester : les architectes officiels sont omnipotents
et ne prennent aucun souci de l'opinion publique. L'ouvrage de
M. R. Bordeaux est de nature à éclairer le clergé sur les funestes
conseils qu'on lui donne pour de faux embellissements et des ré-
parations destructives.
' L'édition in-S", de 7 fr., et l'édition in-lb de 4 fr., sont en vente, à Pa-
ris, chez Aubry, rue Dauphine, 6-, Deiache, rue du Bouloy, 7 ; Durand, rue
des Grès, 7 ; Dumoulin, quai des Grands-Augustins, 13, et à Bruxelles, chez
Decq.
530 ' UUiLlOtillAl'llIE
Est-ce a dire que nuus considérons loules les opinions de l'au-
teur comme incontestables? Assurément, non. Dans les apprécia-
tions qui dépendent du goût, il doit y avoir quelques divergences,
même entre ceux qui se trouvent d'accord sur les points principaux.
Nous en trouvons nne preuve dans la note de la page 336, où
M, Bordeaux s'exprime en ces termes :
M J'ai vu avec regret la Revue de iArt chrétien publier sans au-
cune observation ni restriction les ligues suivantes signées de
M. Scliayes, écrivain parfois trop partisan des églises remises à
neuf et du gothique en fonte de fer : « En débarrassant la belle et
« colossale statue de la sainte Vierge, sculptée en 1457, des ori-
« peaux en soie et dentelles dont, depuis la domination espagnole,
« une dévotion peu éclairée a coutume d'afïubler toutes les images
« de la Mère du Sauveur, le respectable curé-doyen de Saiut-
« Pierre (à Louvain) a fait preuve de bon goût, et, bravant, non
« sans de vives réclamations, un préjugé populaire, il a donné un
u exemple que devraient s'empresser de suivre tous ses confrères. »
[Revue de l'Art chrétien, t. i, p. 312.) C'est sans doute un abus de
parer ainsi toutes les statues de la Vierge, mais avant de suivre le
conseil trop radical de M. Schayes, les ecclésiastiques qui seraient
tentés de suivre l'exemple donné à Louvain feront bien de lire une
courte mais savante note sur les vêtements d'étoffe donnés à certaines
statues de la sainte Vierge, note où M. Charles Desmoulins a traité
cette question d'une façon péremptoire. »
J'ai lu Tintéressante Notice de M. Desmoulins; elle prouve sim-
plement que l'usage de vêtir les vierges est d'origine méridionale
et qu'elle pénétra en France vers le commencement du XV« siècle.
Quelle que soit l'antiquité de cet abus, je ne l'en trouve pas moins
déplorable, au point de vue de l'art. Tout n'est pas à louer dans le
Moyen Age, ni surtout à imiter. Je comprends qu'un curé respecte
d'anciennes traditions, par mesure de prudence et pour ne pas
froisser les préjugés de ses paroissiens; mais je Tapprouverai, s'il
peut parvenir à modifier l'opinion populaire et à supprimer sans
danger pour la piété les toilettes mondaines des statues. Je ne re-
gretterai nullement de ne plus voir dans les églises d'Espagne et
d'Italie, saint Joseph en manteau de brigand, avec un feutre ga-
lonné sur la tôle, saint Michel en costume de chasse, saint Jacques
en habit de paladin, la Vierge en robe de bal.
l!lltLIU(;itAl'lllK. 5;>l
J'ajouterai que quand bien même je n'aurais pas partagé l'o-
pinion de M. Scbayes, je n'en aurais pas moins publié son ar-
ticle sans observation ni restriction. Plus d'une fois dans le cours de
la Revue, j'ai déclaré que je voulais laisser à cbaque collaboraleur
la responsabilité toute entière de ses appréciations. Le système des
notes de la direction me paraît avoir de très-graves inconvénients,
et je n'y aurai jamais recours.
M. R. Bordeaux me permettra de lui signaler une petite inexac-
titude relative à une autre citation do la Revue de l'Art Chrétien.
A la fin du cbapilre VP, il se plaint de ce que plusieurs des idées
qu'il a développées ont été résumées dans un article reproduit par
la Revue de l'Art Chrétien, sans que la véritable source de ces em-
prunts ait été indiquée. 11 ajoute : « La Revue de l'Art Chrétien dé-
clare, au reste, avoir emprunté cet article à V Univers qui lui-même
en fait honneur à la Revue de la Bretagne et de la Vendée. » C'est de
ce dernier recueil que nous avons extrait directement cet article de
chronique et non point de VCnivers que nous n'avons pas même
nommé. L'article commence ainsi (tome IV, page 109) : «Nous em-
pruntons à la Revue de la Bretagne et de la Vendée un article très-re-
marquable de M. Paul de Gourcy sur la restauration des églises. »
Il nous semble que M. R. Bordeaux devait interpeller uniquement
M. Paul de Gourcy et la Revue de Bretagne, et que la Revue de l'Art
Chrétien, simple reproductrice et citant sa source, ne devait pas
apparaître en première ligne dans cette réclamation dont nous re-
connaissons d'ailleurs toute la justice.
M. R. Bordeaux a eu l'excellente idée de faire exécuter deux ti-
rages, l'un in-8°, au prix de 7 fr.,et l'autre in-18, qui ne coûte que
4 fr., en faveur du clergé rural. Nous recommandons très-vivement
cette excellente publication, qui n'a point d'analogue; elle est des-
tinée à rendre d'immenses services à l'archéologie pratique.
J. GORBLET.
MÉMOIRES DE LA SOCIÉTÉ DES ANTIQUAIRES DE LONDRES,
tomes XXXV et xxxvi.
MINIATURES. — Une miniature du XIII^ siècle reproduit un su-
jet assez fréquent au moyen-âge, « la Roue de la vie humaine. »
M. Jones la décrit et l'explique. Au centre Jésus-Ghrist dit : Cunctu
htrl blBLlOGRAlMllE.
simul cerna: iot U7n 7Ydionc guberno : Knx. qniûre anglos, les quatre
âges de lu vie : l'enfance, infantia, s'appuie sur une main essayant
à se lever et tendant l'autre pour qu'on lui aide : la jeunesse,
inventus, est un roi couronné, assis, le sceptre en main; la vieil-
leese regarde en arrière et s'appuie sur un bâton, senectus ; enfin,
la décrépitude^ decrepitus, gît couchée et soutfreteuse, h peine
enveloppée dans un manteau trop étroit.
Du Gluist, moyeu de cette roue humaine, partent des rais ou
rayons qui aboutissent chacun à un médaillon entouré de sa légende.
En bas, une mère tient son enfant sur ses genoux, devant un feu
pétillant, où chauffe dans un pot à trois pieds le repas léger du
nouveau-né : Mitis sum et humilis : lacté vivo puro.
La petite fille a grandi et est devenue coquette; elle soigne sa
chevelure et se regarde au miroir : Nunquam ero labilis, etatem
mensuro.
Un enfant pèse : les plateaux de sa balance sont égaux : Uito decens
seculi speculo probatur. Tl y a entre cesdeux dernières légendes une
inversion facile à rectifier.
Le jeune homme ne songe qu'au plaisir de la vie: il part à che-
val pour la chasse, le faucon au poing: Non ymago speculi: sed uita
letatur.
La roue a tourné : au haut, c'est le roi assis qui juge et gou-
verne : Rex sum, rego seculum : mundus meus totus.
La roue commence à redescendre ; le vieillard se retourne pour
voir le long chemin qu'il a parcouru; il est coitfé d'un capuchon,
parce que déjà sa tête est dégarnie, et il lui faut un bâton pour
soutenir ses forces afiaiblies : Sunio michi baculum : morti fere notus.
Le grand-père s'appuie sur l'épaule de son petit-fils qui s'impa-
tiente de tant de retard et tire le vieillard par son bâton pour le
faire marcher plus vite : Dacrepitati deditus : mors erit michi esse.
Malade, le vieillard dort dans un lit ; sa femme lui apporte une
potion : Jnfirmitati deditus : incipio déesse.
Mort, il est porté à l'église, quatre cierges brûlent aux coins de sa
bière, et un prêtre lui récite les dernières prières : Putavi quod
viverem : uita me decepit.
Encore un tour et la roue aura rapproché la tombe du berceau •
Uersus sum in cinerem: uita me decepit.
iiilii,iuGi;Ai'iliK, «,";.■{
sÉPULTUiiE. — M. Wylic s'occupe des usages funèbres, et cite des
croix troav(;es dans des lombes^ dr. genre de celles (léconverlcs par
i\l. l'abbé Cochet.
CORI'ORATION DES ARCHERS. — Saint Sébastien fut, à cause de son
martyre par les ilècbes, le patron de la corporation des archers
h Bruges, à Pnris*, i\ Amiens '^ etc. Voici une in?cri[iliondel6aO qui
mentionne le don de 3,600 llorins fait par Menri, duc de Glocester,
frère de Cliarles 11, lorsqu'il prit rang parai les archers de Saint-
Sébastien de Bruges:
HENRIGVS GLOCESTRIjE DUX CAROLI II ANGLI^ REGIS FRATER
HAG XVIII IVLIJ. M.DC.LYI NATVS ANNOS XVI
ME S. SEBASTIANI SODALITIO PR^MIVM FIXIT.
ARCHITECTURE. — M.Parker continue ses excursions dans l'ouest de
laFi-ance et explore Gençay, Angoulême, Bordeaux et Saint-Émi-
liou. Savantes et substantielles études sur une terre qui ne paraît
mdlement étrangère à l'archéologue anglais.
SIGILLOGRAPHIE. — ïrès-beau sceau ogival de la fin du XIIl^ siècle.
Le sujet est la Sainte-Trinité. Le Père assis sur un trône, PATER,
pieds chaussés, le nimbe crucifère en tête, tient la croix où meurt
son Fils, FiLivs, dont les pieds croisés ne sont percés que d'un seul
clou. Son chef est couronné d'épines et entouré d'un nimbe uni;
l'Esprit-Saint, S. SPS, vole vers lui sous la forme d'une colombe. —
Le fond est un ciel où brillent les astres ; en exergue: t S' 8API-
TULl. SANCTE. TRINITATIS. D'BRECHIN.
ORFÈVRERIE. — M. Morgaii signale un calice émaillé du XV®
siècle ; sur chacune des six faces du pied est gravé le monogramme
de Jésus, IHS. On lit sur la coupe, on gothique carrée: Calicem sa-
lutaris accipiam et nomen Domini invocabo.
Dom Martène, dans son Voyage littéraire, t. m, p. 234, donne le
dessin du calice de saint Ludger. qui vivait au VHP siècle ; le pied
porte : t HIC CALIX SANGUINIS DNI NPI IHU XPI et le bord de la
coupe : t AGITUR HAEC SUMMUS PER POCLA TRIUMPHUS.
EPiGRAFHiE. — M. Parker parcourt l'Aquitaine en archéologue et
• Société de sphragistique , t. m, p. 345.
* Mém. de la Soc. des Jnt. de Picardie, année 18.56, p. ].39.
TOMK YI, 40.
554 blBLIOGlUPllIE.
décrit les églises de Langon, de Bazas, d'Uzcslo, d'Agcnelde
Moissac. Il {oublie un fac-siuiilc de celle inscription du cloître de
Moissac, dont les quatre dernières lignes, gravées d'initiales, sont
encore pour lui, comme pour les plus savants, une véritable
énigme.
ANNO. AB. INCARNA
TIONE. jETERNI
PRINCIPIS, MILLESIMO
CENTEHJIO. FACTViM
EST. CLAVSTRViM. ISTVD
TEMPORE.
DOMNI.
ANSQVITILH.
ABBATIS.
AMEN.
V. V. V.
M. \). M.
R. R. R.
F. F. F.
Je lui cmpiuiilc également celle antre inscription en veis qui
fixe hi date de la dédicace de l'église de Moissac :
IDIBVS. OGTONIS. DOMVS. ISTA. DICATA. KOVEMBRIS.
GAVDET. PONTIFICKS. IIOS. CONVENISSE. CELEBRES.
AVXIVS (AUCH). OSTINDVM. LACTORA (LEGTOURE). DEDIT. RAIMVNDVM.
GONVENA (CGMMINGES). WILELMVAI. UIREXIT. AGINNA (AGEN). WILELMVM.
IVSSIT. ET. ERAGLIVM. N (nON) DEESSE. BEORUA (BIGORRE). BENIGNVM.
ellorevs (oléron). stephanvm. concessit. et. advra (aire).petrvm.
te.dvranne. sw. nrmqve. tolosa (toulouse). patronvm.
RESPVITVR. FVLCO. SIMONIS. DANS. IVRA. GADVRCO (gAUORS).
MYRIADES. LVSTRIS. APPONENS. TRES. DVODENIS (1063).
VIRGINEVM. PARTV. DARAT. ORBl. TVNG. VENERANDVM.
RANG. TIBI. XPE. DS. REX. INSTITVIT. CLODOVEVS.
AVXIT. MVNIFICVS. POST. IIVNG. D0NI3. LVDOVIGVS.
X. BARBIER DE MONTAULT.
UIliLIOGRAPHIE. 555
MÉTHODE ÉLÉMENTAIRE DE L'ACCOMPAGNEMENT DU PLAIN-
CHANT sur l'orgue transpositeur, par M. l'abbé Ph. Moiun et M. Em.
Amiot. Ouvrage nouveau approuvé par Mgr l'Evêque de Dijon, et spécia-
lement destiné à MM. les curés, vicaires. Instituteurs. Troisième édition
augmentée des tableaux des accords reproduits en notation alphabétique, et
d'un Appendice ou moyen mécanique pour trouver facilement les accords
sur le clavier. Prix net : ^ fr. 50 \franeo).
11 ost inutile de faire •l'éloge d'un ouvrage de ce genre, qui, en
moins de iWux ans, est arrivé à sa troisième édition. Il suftil de
rappeler en peu de mots les tiires qui lui ont valu un si rapide
succès. — Trois cliiti'rcs suffisent pour représenter sous les notes
tous les accords parfaits (et d'autres encore); trois remarques suf-
fisent pour les faire jouer à première vue sur le clavier ; trois
règles suffisent pour en enseigner l'emploi. — Sous le rapport de la
variété, aucune méthode élémentaire n'otfre autant de ressources.
— Quant cl l'orthodoxie des principes, les auteurs peuvent sur ce
point détier la critique la plus sévère et la plus éclairée. — On se
procure cet ouvi'age en s'adressant directement aux auteurs, à Saint-
Loup de-lci- S aile, par Verdun-sur-le- Douhs [Saône-et-Loire).
HISTOIRE DE MONTMIRAIL-EN-BRIE,par 31. l'abbé Boiiel, chanoine
titidaire de la. cathédrale de Chûlons-sur-Marne . Montmirail ,1862 , Brodard,
in-12 de 431 pages.
Nous avons rendu compte dans cette Revue (t. m, p. 140) de
l'excellente Histoire du bienheureux Jean, seigneur de Montmirail,
par M. l'abbé Boitel. L'ouvrage que nous annonçons en est la suite
et comprend les faits qui se sont accomplis à Monlmirail-en-Brie,
depuis l'an 1351 jusqu'à nos jours. Le savant chanoine do Cbàlons
a consacré dix années de recherches et de travaux à la composition
de cette nouvelle œuvre où l'on retrouve toutes les qualités qui ont
assuré le succès de V Histoire du bienheureux Jean.
J. CORbLET.
CHRONIQUE
— L'aicliéologie provinciale vient de faire nne perte regrettable
eu la personne de M. E. de Marsy, procureui' impérial à Compiègne,
décédé à l'âge de 48 ans. Il avait publié un grand nombre de bro-
ebp.res sur l'histoire, la biographie, les mœurs et la nuaiisuialique
de Picardie. Nous citerons eutr'autres les publications suivantes :
Notice sur quelques anciens coins monétaires d'Abbeville. — Sigillo-
graphie du Ponthieu. — ■ Notice sur Antoine Le Comte, jurisconsulte
noyonnais. — Note sur un miracle arivé en 1531, à Saint-Vulfran
d'Abbeville. — Notice sur quelques procès faits à des cadavres. — No-
tice biographique sur M . de Cayrol, etc. 11 préparait depuis longtemps
une Histoire de la ville de Doullens et une seconde édition des Mon-
naies des Evêques des fous, œuvre de M, le docteur RigoUot. Nous
espérons que ces ouvrages ne resteront pas inachevés et qu'ils seront
publiés un jour par le fils de M. de Marsy, qui a hérité des goûts et
des aptitudes de son père.
— Le Journal des Beaux-Arts (d'Anvers) signale et flétrit un sin-
gulier procédé en usage à Audenarde pour ouvrir les triptyques. Il y
a dans cette ville, à Notre-Dame de Pomèle, un excellent triptyque
signé Joan. Snellinck f. 1608. Ce peintre, qui naquit à Malines en
1^44 et mourut en 1638, était un vigoureux coloriste de la trempe
d'Otto Vœnius, mais de forme plus gothique; son triptyque repré-
sente, au milieu, la Création; à gauche, Adam et Eve dans le pa-
radis ; à droite, Adam et Eve chassés. C'est d'une peinture solide,
brillante, et traitée en grandeur naturelle. A tous égards ce tableau
mérite des soins particuliers. Or, voici le soin qu'on en a. Comme
CIIROMUL'K. 001
les volets du triptyciue sont toujoui's fermés, que celui-ci est placé à
environ trois mètres au dessus du sol, que les charnières des volets
du triptyque sont délabrées, il arrive que ces volets ferment mal et
que, le poids les entraînant, ils adhèrent très-forlcmient à la battée
intérieure de l'encadrement <lu triptyque. Poui' ouvrii- ces volets, à
la demande des curieux, ou emploie nn moyen orii^inal que nous
recommandons à tontes les personnes qui voudraient détruire rapi-
dement un tableau. On prend une perche dont on introduit un bout
entre les volets, puis onfaituu violentetrort ; alors ceux-ci s'ouvrent
(ce qui ne réussit pas toujours). En cas de insistance, on pousse le
bâton plus avant et on redouble la dose d'efforts. Les volets ouverts,
on peut suivre sur le grand panneau du milieu les dégâts résultant
de ce sauvage procédé. En effet, la peinture est enlevée, froissée et
écaillée sur une bande correspondant à l'ouverture des volets. Il
est probable que le panneau lui-même est fendu. 11 serait si simple
de placer là deux cordes qui, dans tous les cas, coûteraient moins
que l'instrument du supplice auquel le tableau de Snellinck est pé-
riodiquement condamné !
— Quatre de nos coliaboiaieurs figurent dans la liste des lauréats
de l'Académie des inscriptions et des belles-lettres, pour le concours
des antiquités nationales : ce sont M'"'= Félicie d'Ayzac (2'^ médaille
pour son Histoire de l'Abbaye de Saint- Denis), M. Deschamps de Pas
(mention très-honorable pour son Histoire si gillaire de Saint-Omer),
M. de Barthélémy (mention honorable pour son Histoire du diocèse
de Châlons-sur-Marne) et M. Salmon (mention pour son Histoire de
saint Firmin).
— La comniission du Musée Napqléoii (d'Amiens) vient de publier
les comptes de la loterie que le gouvernement lui avait concédée
pour Tachèvement du monument élevé en vertu de la loi du 20 avril
1854 sur un terrain domanial. Déjà une [)remiôro loterie avait rap-
porté près de 51 0,000 fr.; la seconde, qui n'a pas été moins heureuse
et qui ne s'élevait qu'à 800,000 billets, a {uoduit un bénéfice de
483,543 fr. 72. Si on ajoute par la pensée à ces deux sommes les
intérêts qu'elles ont produits postérieurement aux comptes-rendus,
on aura ainsi une appréciation exacte des travaux considérables
558 CllUOMQlJE.
que le Musée Napoléon devait entraîner. La commission que S. Ex.
M. le Ministre de l'inlérieur a instituée aura bientôt la satisfaction
d'avoir achevé un Musée qui, sous le rapport monumental, n'aura
point de rival dans les autres villes de province.
— Notre collaLorateur M. l'abbé Ijarbier de Montault vient d'être
nommé chevalier de l'ordre du Saint-Sépulcre. C'est une nouvelle
et bien légitime récompense des services qu'il a rendus à l'Archéo-
logie et à l'Art cbrélieu. Revenu de Rome depuis peu de iem])s,
M. Barbier de Montaull prépaie divers travaux sur l'Iconographie
chrétienne de l'ilulie ; plusieurs d'entr'eux sont destinés à notre
Revue.
— Nous trouvons dans le dernier volume des Bulletins de la
Société des sciences, belles-letti^es et arts du département du Var, une
intéressante Notice de M. V. Brun, sur la sculpture navale et la
chronologie des maîtres sculpteurs du port de Toulon. C'est à l'ori-
gine même de la navigation que remonte la sculpture appliquée
aux bâtiments de mer. Un vaisseau de Ptolémée Philadelphe était
décoré de nombreuses statues; celui de Caligula était enrichi de
pierrreries. Les Vénitiens et les Génois transportaient sur leurs
vaisseaux, dès le XV« siècle, le luxe de leurs palais. C'est à Toulon,
le plus ancien port de Fiance, que furent exécutées chez nous les
premières décorations navales; elles durent à Puget un goût plus
pur et une meilleure distribution. M. Brun apprécie les œuvres des
autres sculpteurs du port de Toulon, Girardon, Levray, Turreau,
Veyrier, Rombaud, Toro, Gibert, Lauge,F. Brun, etc. La peinture a
rempli un rùle moins important dans la décoration des vaisseaux
modernes ; elle n'apparaît plus guère qu'à la poupe et dans la
chambre de l'amiral. Les Le Brun, les de la Roze et les Vanloo
ont laissé à Toulon le souvenir de leurs oeuvres maritimes. Ces ap-
plications de l'art oui été délaissées par la marine, et il ne faut
guère espérer les voir revivre. Les navires cuirassés et blindés ne
songeront jamais à historier leur éperon.
— La Société d'Archéologie fondée à Nantes depuis une douzaine
d'années a otïèrt son musée au déparlement de la Loirc-lnférieuro.
ciiiiOMuijt;. 559
Celle oUVc ayant é\é acccpléc par le conseil généi-al, le musée a
pris le 'litre de Musée départemental d'archéologie ; il sera entretenu
aux frais du département. Celle circonstance doit êtie notée, at-
tendu que les autres collections qui existent dans les villes de pro-»
vince sont ordinairement des propriétés municipales et dépar-
tementales.
— Le Musée royal d'antiquités de Belgique vient d'acquérir deux
pierres tombales du XIV" siècle qui se trouvaient autrefois dans le
chœur de l'église de l'abbaye de Villers, non loin des mausolées de
Henri II, et de Jean III, ducs de Brabant Ces pierres, incrustées de
marbre blanc, portent l'une et l'autre l'effigie d'un chevalier bra-
bançon, étendu sous une chapelle gotliique, les pieds appuyés sur
un lion. Peu de monuments donnent une idée plus exacle de l'ar-
chitecture et des costumes militaires de l'époque. Il résulte de Tin-
scription d'une de ces pierres qu'elle recouvrait les restes de sire
Raes de Greis, chevalier, seigneur de Bierc, porte-étendard du duc
de Brabant, etc., mort en 1318.
— Une découverte assez importante pour Thistoire d'Anvers
vient d'être faite par M. Mertens, bibliothécaire de celte ville. Sous
l'emplacement de l'ancienne église de Sainte-Walburge, M. Mertens
a trouvé la crypte dans laquelle sainte Walburge a résidé lors
de son séjour à Anvers, au VIP siècle. L'invasion des Normands
eut lieu dans le siècle suivant ; et ces barbares détruisirent de fond
en comble la chapelle dont ou voit encore quelques vestiges. Seule,
la crypte a échappé à leur fureur. Elle est encore très-bien con-
servée et n'a rien perdu de son cachet original.
— Les grands travaux qu'on exécute ti Rouen ont amené la dé-
couverte de diverses antiquités qui vont eniichir le musée de la
ville. Une importante trouvaille a été faite dans l'enceinte de l'Hôtel
de la Pomme de Pin : c'est un collier d'or du XVi« siècle, ou plutôt
un bijou que l'on portait au cou, comme les décorations du Saint-
Esprit et de la Toison-d'Or. La Normandie en donne la description
suivante : « C'est une cassolette de forme rectangulaire, présentant
en relief sur la face principale, la rencontre de Jésus et de Madc-
oGO CHliOMOUE.
leine. Le CUuist est séparé, par un arbre, de la Pécheresse qui
tient dans ses mains la cassette pleine du parfum destiné par elle
à être versé aux pieds du Sauveur. Au revers, une plaque d'émail
*noir, enjolivée d'arabesques, se s^onlève pour former cachette, et
les côtés de la pelite scène sont limités par des consoles allongées
où viennent se joindre les deux extrémités d'un même chaînon. »
— Le 9 septembre, on a inauguré à AUonville (Seine-Inférieure),
un monument coramémoratif élevé à la mémoire de Pierre Blain
d'Esnambac. célèbre navigateur normand, fondateur de la puis-
sance française aux Antilles et zélé protecteur des missionnaires
dans ces contrées. L'inscription du monument a été composée par
M. l'abbé Cochet et approuvée par la société des Antiquaires de
Normandie.
— La Revue s'est occupée, à diverses reprises, des significations
symboliques que les auteurs religieux du moyen-âge ont données
aux pierres pn-cieuses. 11 n'est pas sans intérêt de mettre en regard
de ces appréciations les qualités que l'antiquité prêtait k ces mêmes
pierres précieuses. D'après les préjugés populaires des Anciens
(et quelques-uns ont survécu pendant le moyen-âge) le diamant se
ternissait quand il touchait à la main d'un traître ; l'émeraude se
brisait au doigt d'une femme adultère; le rubis calmait la colère;
la topaze consolait; l'agate rendait joyeux ; le jaspe guérissait des
maladies de langueur ;raméthistepréservaitde l'ivresse; l'hyacinthe
chassait l'insomnie; le saphir rendait impossible l'action du venin
des reptiles; la calcédoine faisait réussir dans les entreprises difficiles;
la turquoise ôtait aux chutes leur danger ; la cornaline égayait ;
l'opale^ à l'aide de certaines incantations, permettait de devenir
invisible; elles perles enfin, gouttes d'eau tombées du ciel, disait-on,
et durcies en touchant la terre, inspiraient l'amour. Cléopâtre,
d'après un savant anglais, n'aurait fait dissoudre dans du vinaigre
la plus précieuse de ses perles que pour inspirera Antoine la passion
insensée qui lui coûta l'empire du monde, la vie et l'honneur.
J. GORBLET.
rf.vtjïï: dk i/art ctirktikn. i\,,\riiibi.- law.
I.A M G RI' niî
T;ilil.';ill lit
;eph
Arras. ////>. heitsseau-l.eroy
LES SANDALES ET LES BAS
QHATKIKME ARTirr.E *.
CHAPITRE IV.
corp d'œii, kapidk stii les chaussures du moyeîj âge.
J'ai, dans un précédent cliapitre, indiqué la forme des
chaussures usitées chez les peuples l)arbares, cantonnés dans
l'Europe orientale, avant leur établissement définitif sur le
sol romain. Certains d'entre eux ont été omis, à savoir les
tribus germaniques qui, devenues maîtresses delà Gaule, en-
fantèrent cette reine de la civilisation, cette élégante arbitre
du goût et de la mode qu'on appelle la France. L'omission a
été faite à dessein, d'abord parce que l'immense majorité des
vainqueurs copia la cordonnerie des vaincus, comme ceux-
ci, en semblable occurrence, avaient copié l'Asie et la Grèce;
ensuite, parce que les Francs, ayant fondé la plus dnrable de
toutes les dominations nouvelles qui se snbstituèrent à l'Em-
pire d'Occident, eurent sur les autres envahisseurs une in-
* Voir le numéro d'octobie, p. 531.
lOiMiv VI. Novcmbif ISfiO. 41.
562 LES SANDALES ET LES I!AS.
fliience incontestée. D'aillenrs, sans exagération d'amour-
propre national, la France au Moyen- Age peut être considérée
comme un centre autour duquel rayonnèrent tous les éléments
(le la société moderne.
Sidoine Apollinaire (V® siècle) décrit ainsi la chaussure des
compagnons du jeune prince {rpgius juvenis) burgunde,
Sigismer : « Quorum pedes primi, perone setoso, talosadus-
« que vinciebantur. Genua, crura, surœque sine tegmine'.»
Le défaut de monuments ligures empêche de savoir si nos
ancêtres conservèrent longtemps ces bottines velues qui ou-
trepassaient à peine la cheville, en laissant à nu le reste de
la jambe. Il est vraisemblable que l'usage en demeura parmi
les classes inférieures; mais, lorsqu'en 508, Clovis eut reçu
de l'empereur Anastase le titre et les insignes de Consul ^,
les grands, toujours disposés à suivre l'exemple du maître,
durent se laisser peu à peu entraîner vers les magnificences
du costume romain. Les guerriers, semi-romains, semi-bar-
bares, sculptés en porphyre rouge, sur la place Saint-Marc,
à Venise, portent des calceoli fenestrati très -découverts,
attachés avec des courroies croisées dans le genre des an-
ciennes chaussures patriciennes. M. Pottier ne veut pas as-
signer à ces bas-reliefs une date postérieure au VI® siècle ',
et ils appartiennent, sans aucun doute, à la période comprise
entre l'invasion germanique et larenaissance carolingienne. Le
VIIP-IX® siècle fournit les premiers renseignements exacts que
nous possédions sur les calceamenta franco-gaulois. Eginhard
rapporte que Charlemagne « vestitu patrio id est Francico
<i utebatur »; qu'il couvrait ses jambes de tibialia serrés avec
' Lib. IV, ep. 20.
- Grkgoiue de Tours, Hisl. Franc, ii, 38.
* Momim. Franc, incd., pi. 3 et p. 2,
Li:S dANliALES ET LES BAS. 5G3
des bandelettes, et que sa cliaiissure adhérait fortement aux
pieds. Les mosaïques du Triclinium de Léon III, à Saint-
Jean de l^atrai), prouvent la vérité de cette assertion. Bien
que l'historien précité mentionne plus bas la répugnance
éprouvée par l'empereur à l'égard des vêtements étran-
gers, réi)ugnance telle, que les pressantes instances des
papes Adrien et Léon le décidèrent seules à prendre à
Kome la longue tunique, la chlaniyde et les « calcei Ro-
« mano more formati, » il n'en n'est pas moins certain
qu'une sorte de campa f/ us était sa chaussure ordinaire. Or,
excepté les jours de fête, Charlemagne s'habillant comme
la masse de ses sujets ', il faut en conclure qu'au IX^ siècle,
le modèle des chaussures franques primitives était déjà ou-
blié. Les souliers, élégamment ajustés avec des courroies croi-
sées sur les tibialia, sont bien loin du pero scfosus et des
jambes nues dont parle Sidoine Apollinaire^.
L'usage du campagus persista sous les successeurs de
Charlemagne. Un poète contemporain narrant les circon-
stances qui accompagnèrent le baj^tême d'Herold, roi de Da-
nemarck, cérémonie faite devant Louis-le-Débonnaire et sa
' .( ...Et tibialia ; tum fasciolis crura ot pedes calceamentis constringebat...
Aliis autem diebus habitas ojus paruni a communi et plebeio abhorrebat. «
B. Car. 31., Vita, 23. — C. Raspotm, de Basil, et Pair. Later., c. xr, lit
tihiaria ctan fasciolis. — V. N Alkmawni, de Later. pariet, rest., pi. 1, 4,6.
Konie, 1756, in-4<'.
^ Le Moine de Saint-Gall est là-dessus parfaitement explicite. « Erat an-
tiquorum ornatus vel paratura Francorum, calceamenta forinsecus aurata,
corrigiis tricubitalibus insignita, fasciolae crurales vermiculatœ, et subtus eas
tibialia ac coxalia linea, cjuamvis e.x eodem colore, tamen opère pretiosissinio
variata. » De Geslis Caroli M., lib. i, cap. 36. Ce texte a, je le pense, in-
duit en erreur tous les peintres archéologues qui n'avaient pas eu recours aux
écrits de l'évêque de Clermont ; et voilà comment Herbe, avec tant d'aulres,
a pu confondre la chaussure des Francs de Clovis avec celle des Francs de
Chailrmagne,
564 LKS SANDALES ET LES BAS.
cour (826), revêt le néophyte de clmussures à couiToies do-
rées et de gants blancs ' . Plnsieurs miuiatiires représentent
l'emperenr Lothaire, Charles-le-Chaiive, et lenrs officiers
avec le campagus, soit fermé, soit laissant les orteils à nn. On
le rencontre encore aux TX° et X^ siècles sur divers monu-
ments ; au XP, sur les peintures de Saint-Savin et sur la
tapisserie de Baveux où il sillonne les jambes des princes
saxons et normands; au XIP, sur quekpies manuscrits''. 11
disparait alors pour se confiner dans les montagnes de l'E-
cosse où il est resté jusqu'aujourd'hui la chaussure nationale
des highlamlers ^.
Le cothurne lacé fut aussi adopté par les Francs; la Bible
de Charles-le-Chauve en fournit deux spécimens : l'un at-
teint le genou, l'autre, arrêté à la' naissance du mollet, est
orné d'un supplément de bandelettes croisées qui rappellent
le campagiis \
Bon nombre de peintures, exécutées du IX® siècle au
XIV% offrent des individus chaussés d'une sorte de bottine
ipero) recouvrant plus ou moins la jambe. Tantôt retenues par
des jarretières, tantôt flottant sur les chevilles, ces bottines
' Peistiinguntque pedes aurea plectra suos.
Aurea per dorsum resplendent tegmina latum
Ornantuique manus tegmine candidulo.
EiiMOLDUS NiGEi.LBs, Carm. 3S2.
^ Bibl. jmp. n" 256, anc. f. 1, ; Ecang., Musée desSouv. ; Bihle de Charles-
le-Chauve ; WiLLEMiN, pi. 6 et 17 ; Ecang. desaint Emmeran de Ralisbonne,
ap. EcKHAiiT, Comm. de rehits Franciœ orient.^ t. ii, pi. à la p. 56-4, IX« s.
— WiLLEMiN, pi. 26. Les Arts sompt., t. i,pl.-12. Bibl. de Cambrai, n» 364,
X« s. — Ibid., n' 487, XII^ s.
' Les chaussures attachées à la jambe avec des cordons ci'oisés (cothurne,
esclavage), étaient encore portées par les dames il y a trente ans. Ce retour
de mode datait de la fin du XVIIP siècle.
'P. L.\f:uoi\, nisloirc de la chaussure, pp. 27 et 28, fig.
Li:S SANItALES ET LES RAS. Mil)
en niiitièrc souple oiit l'aspect d'un bas ou d'une chaussette;
le Dictionnaire de Jean de Garlande, écrit pendant la seconde
moitié du Xl"^ siècle, nous en apprend le nom. » Tybialia di-
« cuntur gallice estivaiis. — Crépite (crépita ferina et mo-
« naclialis), gallice boles à creperon. » Et ailleurs : « Equi-
" til)ialia dicuntur cslivax, ab equus^ «, um^ quia adequantur
" tibie ' . I) 11 ne peut régner d'équivoque sur la signification
constante des mots estivaux et botes au Moyen-Age; les sta-
tuts de l'hôpital Saint- Julien, en Angleterre, donnés par Mi-
chel, abbé de Saint-Alban {XIV siècle), attribuent aux lé-
preux de larges estivaux ou bottes : il en est de même pour
les prêtres et religieux attachés à la maison : mais, à l'article
qui concerne ces derniers, la valeur du terme œstivalia est
nettement définie. « Calceamenta pedum siint caligœ et a3Sti-
(' valia, sint sotulares erecti, cum tribus, vel quatuor nodulis
« circa tibias, quibus uti consueverunt. Sotulares vero bas-
" SOS cum uno nodulo et laqueatos omnino interdicimus et
" damnamus-. » Les peintures de Saint-Savin(XP siècle], et
* Le texte porte « crépitas fevrineas. » — « Vel diciiur hiec crépita a crepo,
quia crepat, id est sonat in incessu. » Ap. H. Géraud, Paris soiis Philippe-
le-Bel, App., p. 587 et 591. — Quelques uns font dériver estivaux (Ital.,
stivale botte, stivaletto bottine) du latin œstivalis, d'autres du roman esttiyer
(renfermer) ; pourquoi ce mot ne viendrait-il pas aussi bien à'equitibialia !
* Ap. M.MTUiJîD Paris, Àdd. ad Fitas ahh. S. Alhani, p. 162, 164,
168. — « Eslivalibu.s etiam largis seu bolis altis pro calccamentis utantur. »
Cap. yen. S. f'ictoris Massil., 1312, ap. Du Cange.
'Que ferai-je s'ils me toUent mes botes
Qui sont si grands que es pies me sabotent,
A chacun pas cuit les perdie en ienclostre,
Grand peor ai que nés perdre en la boe.,..
dit un moine du XIIÏ^ siècle. (Roman de Guillaume au Court nez.) — C.îisa-
Riis d'Heisterbach [Hist. meni., lib. vil, c. 39.)"nomme indifféremment les
souliers de moine hoti ou cotJivrni. Ap. Méivagk, Dict. étym. de la langue
franc., Botte.
566 LES SANDALES ET LES BAS.
les figures des mois, empruntées à un manuscrit français du
XIIP siècle, présentent une série de paysans chaussés dVs-
iivaux serrés autour de la jambe, et entièrement conformes
aux prescriptions que Ton vient de lire'. Les tibialia du
IX® siècle ne dépassent guère la naissance du mollet, non
plus que ceux des XP et XII' ; il s'en trouve au X® qui
montent jusqu'au genou; les XIIP et XIV^ en ont de longs
et de courts. Leurs couleurs étaient le blanc, le noir, le vert,
le rouge et le jaune '; leur matière le cordouan ou la basane '' .
Les estivaux., durant la période ci-dessus, furent communs à
toutes les classes de la société; la seule diiFérence entre le
riche et le pauvre résidait dans la finesse du cuir et l'élégance
du travail. Ces bottines commodes s'adaptaient aux costumes
propres à chaque circonstance et à chaque saison ; on en fai-
sait de fourrées, d'autres remplaçaient nos pantoufles noc-
turnes \
La fin du XIV* siècle vit naître une nouvelle mode à^ esti-
vaux fendus ou à tige tailladée [incisi]; on en porta jusqu'au
XVP siècle conjointement avec les estivaux fermés. Ce der-
' Peint, de Saint-Savin, pi. 12. Les Arts som.pt., t. i, pi. 93 et 94.
* V. EcKART, loc. cit.; Moi\tfaccon, 3Ion. de la mon. franc., t. i, pi. 27 ;
Les Arts sompt., t. i, pi. 23, 26, 27, 43, 50, 66, 67, 71, 78, 88, 89, 109 ;
123 (Italie); 147, 148 (Belgique); Le Moyen Age, etc., Miniat,des ms., pi. F,
Dd, J ; Id., cost. des ducs de Bavière ; Id., Corpor. des métiers, fol. iv, v
(vitrail.)
* « Hic quoque (Guarinus abbas) sotulaies corrigiatos, pro ocreis de cote
quam vulgus bazan appellat, commutavit. n Matthiec Pauis, VitX abh.
S. Albanl. Garin vivait au XII' siècle.
* Uns estivaus forrés d'ermine
Chauça li rois.
Roman de Percevul.
«Pour la façon d'avoir fourré de gris rouge une paire de bottes de cuir fauve
à relever de nuit. » — « Haultes bottines à relever. » Comptes de ta maison
d'Orléans, XIV« siècle, ap. Hist. de ta chauss., p. 33, 60, 61.
LES S.\^DALES ET LES bAri. o07
nier nom, toiitctuis, ne semble plus leur avoir été attribué eu
France après le règne de Charles V; dès lors, bolle^ boUine^
restent seuls en usage dans la langue ' .
Quoique, notannnent à })iu'tir du XIV^ siècle, on eût
chaussé des estivaux à haute tige dont l'extrémité supérieui'e
maintenue par une jarretière, se rabattait on se relevait à
volonté de façon à couvrir les genoux^, la véritable botte
équestre, formée i)ar la réunion intime des tibialia et des
cnimlia ne semble pas antérieure au XV® siècle. On l'appela
longtemps huése, lieuse^ houseau, traduction romane du latin
ocreœ^ c rural ia'\- la terme botte ne fut exclusivement appli-
qué qu'assez tard aux chaussures employées pour monter à
cheval. Le plus ancien modèle de bottes éperonnées, que j'aie
rencontré, se trouve dans le manuscrit de Renaud de Mon-
tauban (règne de Charles VII) ; ou en voit également dans le
Livre des Marques de Rouie (1466j et les Tournois du roi René.
Ces bottes en cuir souple pouvaient au besoin envelopper la
cuisse du cavalier; elles furent l'origine des bottes molles à
entonnoir, chaussure favorite des raffinés sous Louis XIII.
' (I Q,uicunrjue incisos sotulares, quos vulgus estivallos vocamus portavurit.»
Staf. Ord. Cartus., part. 2, cap. 1 , {^ 1- (1368). — Hisf. de la chaiiss., p. 61,
67, 76, 78. — Le Moyen Age, etc., Vie privée, fol. xl, v. — Les Arts
sompt., t. I, pi. 152, ^54 ; t. ii, pi 23, 30, 34, 35, 36 ipaysans), 50, 51, 52,
53 (nobles ou officiers), 113, 123, etc., etc. — Willemin, pi. 127, (1314;
estivaux bouclés ou lacés par devant du haut en bas).
'' V. Hist. de la C/uiuss.,\:,. 48, 57, 58; 62, 63 (Angleterre; ; 64, 68 ^Italie).
' Les mois huésc, lieuse, house, houzemi [osa] paraissent aussi avoir été em-
ployés durant lout le Moyen Age pour désigner les estivaux à hautes tiges.
Après avoir assassiné l'empereur Alexis, «Marcuflex (Murzuphle) chaussa les
hueses (tzangues) vermoilles, par laie et le conseils des autres Grecs. » Vil-
LEHARUOiN, Coiiq. de Constantinople, n° 116. — Il a élé surabondamment
démontré ailleurs que les termes tatins, ocrex, péronés, odones, caligx, txangce
répondent à l'idée que nous nous faisons des estivaux. » Monacho uti orario in
monasterio, vel tzangas habere non liceat. » Conc. Aurel., 1, 20 |511), etc.
568 LES SA MD A LES ET LE. s BAS.
La botte à tige raide (botte forte ou de postillon), type primor-
dial de nos bottes à l'éciiyère, ne date que de Louis XIV ' .
Les paysans et les classes inférieures, au IX* siècle,
usaient de hauts tibiaJia, laissant à découvert les orteils
maintenus par des courroies horizontal-es ; je n'en connais
pas d'exemples après la seconde race".
Dans son Capitulaire de 817, Louis-le-Débonnaire prescrit
aux Eeligieux « subtalares per noctem in œstate diuis, in
« hieme vero soccos. » Plusieurs textes démontrent que la
chaussure monacale et certainement rustique, appellée soccus
au IX^ siècle, était une galoche en feutre à semelle de bois,
peut-être même un sabot ; elle tenait du soca<s romain en ce
syns qu'elle n'avait pas de cordons et emboitait complètement
le pied pour le préserver du froid •'. Les subtalares (sub talo)
au contraire étaient en cuir, à large empeigne, vraies sandales
faciles à introduire''. En effet, les souliers du IX® siècle,
* ï. I, p. 73, Bibl. de l'Ars. — Willemîis', pi. 167. — Les Arts sompt.,
t. II, pi. 7'2. — Les Alleninida euieut, vers la lin du XV" siècle, des bottes
à retrcussis tailladés. V. Hist- de la Chauss., p. 76. — ,V. Ibid., bottes à
revers (1596), p. 81 ; bottes à entonnoir, p. 83 et sqq.; bottes fortes, p. 91.
* Bibl. imp. 6862, anc. f. lat. ; Arts sompt. , i, pi. 25. Hist. de la Chaus. p. 29.
^ Cap. Monach., 22. — Filtra ad soccos faciendum xii. » Coiut. Jnsegisi,
sœc. IV Bened., pars, 1, p. 639. — « Soccos filtrinos duos. » Adalhard,
Stat. Corb., lib. i, c. 3. — « In monasterio vero etiamsi prolixius egressus
est ad culturam, lignea tantum sola, quce vulgo soccos monasteria vocant
Gallicana continuato potitus est usu. » Vita S. Liipicini ahh. Jurensis, n" 2.
— Saiat Pierre Damien [Fita S. Rudolphi, c. m) établit au XI'' siècle
une différence tranchée entre le calceus et le soccus ; « Quamlibet gravis
bruma ligesceret, simplicibus soccis muniebat pedes, cum tamen frater ejus
solis calceis contentus csset. »
'* » Subtalares non niniis stricti sint, sed competentur ampli... desuper vero
alti sufficienter. n Lih. ord. S .-Victoris Paris., c. 18, ap. Du Cange. —
Il est évident que les termes subtalares, sotulares., appliqués d'abord aux.
chaussures ouvertes par opposition aux socci, . désignèrent plus tard toute
espèce de souliers.
LES SAM)ALr.S ET LKS liAS. i')(i\)
échancrés en pointe sur le cou-de-pied, ont des quartiers ar-
]'etés à la cheville. Au X^ siècle et au XP, on porta des sou-
liers montants, soit fermés, soit ouverts et maintenus avec
des lacets ou des boucles ' . Il y eut aussi des demi-souliers,
pantoufles qui ne couvraient que l'avant-pied -. Jean de
Garlande nomme les souliers sotulares ; Jean de Gênes fait
venir sodilar de solea^ je partage plus volontiers l'opinion
qui voit dans subtalariH la forme première du terme dont
nous avons obtenu solers, puis enfin souliers •\ Aux XII*^ et
XIIP siècles, les solers ou soiders (je néglige le reste des or-
thograplies anciennes de ce mot) se montrèrent, tantôt très-
couverts avec des cordons noués sur le cou-de-pied, tantôt
fortement échancrés et maintenus par des brides; d'.autres
étaient munis d'une double languette comme les socci des
histrions étrusques; chez d'autres, l'empeigne circulaire-
ment découpée laissait voir les chausses ; d'autres enfin, la-
téralement fendus, se laçaient comme nos brodequins de
dames \ Ces formes diverses, plus on moins. altérées par le
caprice des cordonniers, ont persisté jusqu'à nos jours ;
néanmoins, grâce à un revirement subit de la mode, les chaus-
sures, dont la pointe s'était démesurément allongée durant
les XIV^ et Xy^ siècles, passèrent d'un extrême à l'autre ;
elles se raccourcirent tout à coup pour devenir rondes ou
carrées. Le type nouveau, aussi disgracieux que l'exagération
qu'il remplaçait (on en vit qui atteignaient O^'oS" de large),
* y^rts sompt., 1. 1, pi. 17, 42 ; Willemin, pi. 44 ; ms. 698 Bibl. de Saint-
Omer. — J. de Garlande, loc. cit., p. 587.
^ (I Talibus est, ut ita dicam, dimidiis utebalur subtalaribus ut superior
ars pedum videretur tectà. » Vita S. Gudulce, n' 2.
^ Loc. cit., p, 587. — CatJiolicon.
* V. WiLLEMiN, pi. 88, 92, 94, 101, etc. Hist.de la Chauss., p. 45 e 46
D'Agiwcodrt, Peint-, pi. 66 (Italie). Sandales de Comminges, fig. B., etc.
370 LES SAi\i>ALES KT LES 15AS.
domina pendant la première moitié du XVP siècle. 11 parait
originaire d'Allemagne ainsi que les souliers à crevées qui
durèrent jusqu'à Henri lY. Les souliers dits camus, qui don-
naient à l'homme bien portant l'apparence d'un goutteux, ne
survécurent guère à François II ; Charles IX revint aux chaus-
sures effilées, dites en bec de cane, dont Henri III écrasa la
pointe. Le XVIP siècle adopta un moment les carrures exces-
sives, mais en dissimula le ridicule sous une profusion de
nœuds et de dentelles' . On se tromperait toutefois en croyant
que les chaussures monstrueuses envahirent complètement les
peuples de l'Europe occidentale. Du XIV® siècle au XVIP,'
bon nombre de gens surent garder un juste milieu et ren-
fermèrent leurs pieds dans des étuis proportionnés aux
dimensions de ces membres.
Il convient maintenant d'appliquer aux modes ci-dessus
énumérées les différents noms qu'elles reçurent au Moyen-
Age. Jean de Garlande mentionne les « sotulares ad laqueos
« cum liripipiis et ad plusculas {boucle, bouglettes). » Nul
besoin d'appuyer sur les souliers lacés et à boucles, nous les
avons conservés ; autre chose est des souliers cum liripipiis
ou liripipiati. Je pense qu'il faut entendre par ces expres-
sions une chaussure ornée de galons, cousus sur l'empeigne
et bordant aussi le tour du col. Les miniatures du IX® au
XIIP siècle inclus en offrent de fréquents exemples ^ . Les
* V. Hist. de la chauss., p. 68, 69, 72, 73, 77, 78, 80, 81, 85. — Ibid.
77, 81, 85, 87. — Glill. P.auadiw, 31ém. de l'Iiisl. de Lyon, lib. m, c. 5;
» L'on fit d'autres souliers qu'on nommait becs de cane^ ayans un bec devant
de quatre à cinq doigts de longueur. »
•i Loc. cit., p 587. — tt Ne calceos vel sotulares portent laquatos. » Stat.
Guidonis ep. Traj., (1310), Batavia sac, p. 174. — " Sotulares ad laqueos n
Lib. nig. Cap. Paris., (1325). — " Sotulares laqueati i. Stat. Cist., (1439)
ap. Mautèwe, t. IV, col. 1600. — « Sotularibus ad bouclelas argenteas. »
Conc. Paris., 2, (1346). — « Sotulares non habeant laqueatos nunquam liri-
LES SANDALES ET Li;S liAS. 571
souliers consutilii devaient être piqués, brodés ou soutachés ;
les escolletez [excolaii^ scotati), dont l'empeigne avait une
large incision en forme de collier, remontent au XIP-XIIP
siècle; d'abord à l'usage des grands, ils passèrent ensuite
aux classes bourgeoises. Les souliers à courroies [corrigiati)
servaient pour l'équitation ; enfin les monuments contiennent
quelques exemples de solulares rigali (rayés) et .scaca/ï (échi-
quetés) '. Au temps d'Edouard III (XIV® siècle), on porta des
souliers en cuir repoussé ; le ^lusée des Antiquités de
Londres en possède un original très-remarquable, quoique
l'un des côtés de l'empeigne soit à peu près détruit : elle est
couverte de personnages et d'animaux parmi lesquels on re-
connaît l'histoire de la Licorne, et aussi d'inscriptions nom-
breuses, entre autres, Ainor vincit omnia avec la célèbre
devise : Honny soit qui mal y pense. La même collection
renferme encore un soulier analogue, orné de guirlandes et de
dessins fort élégants, plus une semelle en cuir gaulFré, où le
fer a imprimé de capricieuses arabesques. Ces derniers ob-
jets sont contemporains du premier. Les souliers trenchiés,
eshichiés, tailladés {fenestrati, incisi) et à crevées {scissi, cnm
piatos. )) Charta Card. S. Stephani leg. apost. pro reform. Univ. Paris.
(1215). - V. Arts sompt., t. i, pi. 17, 19, 41, 42, 50, 63, 64, 66, 79, 80,
95 : Ms. 698 Bibl. de Saint-Oiner • etc., etc.
Souliers a latz, aussi houzeaulx.
Roman de la Rose.
• K Sotulares consutitii. n Cane. Lalcr., 16 (1215) : Stat. BcnedicU, ep.
Mass. (1230): Conc. Tarrac. (1282) : Conc. Saut., I, (1298). — » Consuti
laqueis. » Syn. Rothom. (1299). — « Sotulares excolati... scotati. » Stat.
ms. S. Vict. Mass (1531), ap. Dr Catjge : Conc. Tarrac, (1591), ap. Conc.
Hispan., t. iv, p. 615.— « Sotulares corrigiati. » Stat. Cltiniac (1467) : Stat.
Cisterc, (1437), ap. Martelé, t. iv, col. 1590. — Jrts sompt., t. i, pi. 79,
80 (ms. 1194, Bibl. imp.)- — Le Jlojjcn Age, etc., Vie privée des châteaux,
de, fol. xij, r. (ms. 7266, Bibl. imp.), etc., elc.
572 LES SANDALES ET LES BAS.
scissuris) appartiennent à une très-haute antiquité, ainsi que
je l'ai démontre ailleurs ; le jMiisée de Londres en a trois
charmants spécimens que l'on peut attribuer au XIIP-XIV°
siècle et un quatrième plus riche, incontestablement du
XIV°» Celui-ci fait comprendi-e la plaisanterie de Chaucer
{The Milleres ^a/e), lorsqu'il dépeint un élégant clerc de pa-
roisse ayant les fenêtres de Saint-Paul découpées sur ses
souliers :
Willi Poules windowes corven ou bis sboos.
Toutes ces chaussures, malheureusement incomplètes et
délabrées, sont eu cuir artistemeut travaillé' .
l^QA chaussures à la poulaine [cakei roslrati, cum polams)
exigent une étude spéciale. L'usage des souliers à pointe
aiguë et recourbée, importé d'Orient en Italie par les
Etrusques, persévéra dans cette dernière contrée jusqu'a-
près la chute de l'Empire '. Mentionnés par les auteurs by-
zantins sans interruption notable % les rosira calceorum ren-
* « Sotulares feiiestrali. » Slat. Ca]). gen. Ord. Cisierc. (1529) ap Mau-
TÈKE, t. IV, col. 16-12. — H Sotulares incisi. i. Stat- S. Vict., (1531) : Conc.
Tolct , (1582). — « Calcei scissi. » Conc. Reinense, (1583). « Cum scissuris. »
Conc. Tarrac. (1591). — RoAcii Smith., Catal. of the 3Ius. London ant.
pi. XII, XIII, 1, 2, 3, 4; p. 12(5, n» 628, 127, n» 629. — Stat. ms. de l'Ordre
de la Cour, d'épines, c. 10, ap. Du Cakge. — Une ancienne peinture du
XIV« siècle, qui décorait jadis les murs de la chapelle Saint-Etienne au vieux
palais de Westminster, offrait plusieurs spécimens de chaussures fenestrées
très élégantes. Rock, The Chitrch, etc. t ii, p. 240. fig.
* (1 Rostratis tabulatisque calceis ut legiiia iucedere. « De Discip. sc/iol.,
c. 2, attr. à BoECE (VI^ siècle).
^ L'empereur Maurice (VI"^ siècle) nomme cespointes ptoôwvia : « ']"à utto-
S'/l[j.aTa aÙTÔJv ToTÔixà X'^ccgutoc, Bi/a. pojÔtoviwv, àîrXwç IppatxaÉva utto Ouwv
aciwv, xai p.v) ttÎvô'ov. » (Slrutég.., lib. xii, p. 303.) Léon lePhilosophe (X' s.)
les appelle oçsîai (Inst. railit., c. vi, Ji 26.) et Anne Commème (XII» siècle)
TTêotXwv Tvpoî^Xao'.Ta. [Alexicul., lib. iv, p. 140.)
LES SANDALES ET LKS BAS. o73
trèrent par la voie des Arabes d'Espagne dans rF.iiropc occi-
dentale ; Guibert de Nogeut, irrité contre les toilettes disso-
lues des jeunes filles de son époque, le fait entendre assez
clairement. Quant à la date de ce retour, elle est fixée par
Adalbéron de Laon au commencement du XI^ siècle ' . Ordéric
Vital attribue à Foulques-le-Rechin, comte d'Anjou, la ré-
surrection des chaussures pointues; le passage est trop cu-
rieux pour n'être pas transcrit littéralement ici : « Ipse
(Fulco) nimirum, quia pedes habebat déformes, instituit sibi
fieri longos et in summitate acutissimos subtolares ; ita ut
operiret pedes, et eorum celaret tubera, quas vulgo vocantur
uniones. Insolitus inde mos in occiduum orbem processit,
levibusque et novitatum amatoribus veliementer placuit.
Unde sutores in calceamentis quasi caudas scorpionum, quas
Yulgo pigacias appellant, faciunt. Idque calceamenti genus
pêne cuncti divites et egeni nimium expetunt. Nam antea
omni tempore rotundi subtolares ad formam pedum ageban-
tur, eisque summi et médiocres, clerici et laici competenter
utebantur. At modo seculares perversis moribus competens
scema superbe cupiunt : et quod olim liouorabiles viri tur-
pissimum indicaverunt, et omnino quasi stercus refutave-
runt, hoc moderni quasi mel dulce œstimant, et veluti spé-
ciale decus ampiectantes g•estant^ » Beaucoup moins afiir-
' « Vestium qualitates in tantum sunt ab illa vcteii fiugalitate dissimiles,
ut dilatatio inanicarum, tunicaiTim angustia, calceoium de Corduba lostra
tortitia. » De Vita sua, lib. i, c. 11 (XI« siècle).
Cœpit summa pedum cum tortis tendei e rostris.
Carm. ad Roherl.um reg., 106.
S. PiEiiUK Damiew (XI« siècle) décrit ainsi la chaussure d'un Clerc dé-
bauché qu'il avait connu dans sa jeunesse : « Calceus postrema ad aquilini
rostri speciem non falleret. » [Opusc. XLll, c. 7.)
- Hist. eccl., lib. viii (1089:.
574- LES SAXDAl.ES ET LES BAS.
matif que Guillaume de Malmesbuiy, qui place au XI^ siècle
l'invention des calcei acummali ' , l'historien normand se
contente de les présenter comme une mode ancienne, juste-
ment méprisée et remise en vigueur par le caprice intéressé
du prince angevin. Les pointes en queue de scorpion ou pi-
gaches continuèrent pendant le XIP siècle à prolonger les
chaussures ; le poète Jean de Hauteville en affuble les pieds
d'une compagne de Vénus : voici sa description qui ne
manque pas d'intérêt.
Soleee substringitur arcu
Calceus obliqiio, pedis instar faclus, ut ipsos
Exprimet aiticulos, cujus deductior ante
Pinnula procedit, pauloque reflexior exit.
Et fugit in longuni, tractumqiie inclinât acumen *.
A.U XIII ^ siècle les Papes et les Conciles durent interdire
au clergé l'usage des sotulares rosfrati^ que le XIV" exagéra
jusqu'au plus complet ridicule. « Davantage » dit Guillaume
Paradin « portoient les hommes des souliers ayans une longue
« pointe devant, de demi pied de longueur : les plus riches
« et apparens en portoient d'un pied, et les princes de deux
« pieds, qui estoit chose la plus absurde et ridicule que l'on
« eut sceu voir. » Pour soutenir des machines aussi extra-
vagantes on fut obligé de les rembourrer de foin, d'employer
la baleine ou de les attacher aux chausses avec des chaînettes
* « Tune iisiis calceoium cum acuininatis aculeis inventus. 'i De Gesl.
Angl., lib. iv, c. 1 (Guillaume le Roux).
"' Architrenius , lib. ii, c. 3.
^ « Prohibemus sotulares lostratos ne habeant. » Gallon, Légat d'Inno-
cent III (v. 1209). — " Nec portent sotulares rostratos. » Conc. Tarrac.
(1282).
LKS SAiNDALKS l'/l' M-S liAS. 573
de métal; de plus on lesonia de brodtM'ies et d'éniiiiix ' . Malgré
les défenses renouvelées par l'autorité ecclésiastique et les
sages ordonnances de nos rois, les souliers à la poidaine, —
ce nom date du XIV^ siècle, — n'en persistèrent pas moins
durant le cours du XV^^. On en voyait encore du temps de
Rabelais ; le c. 21 du Concile i)rovincial de Sens (1528) formule
l'interdiction suivante : « Ne clerici lunatis seu cornutis ac
' Mém. de l'IIisl. de Lyon, lib. m, o. 5. — « Prohibcmus etiam ut clerici
proesertim bcneficiati caligis cathenatis publiée utantur. » Stat. Eccl.
Cadurc, etc. (add. du XIV" siècle) ap. Martèwe, t. iv, col. 728.— V. Arts
sompt., t. 1. pi. 121, 147, 148, 149: Le Moyen Age, etc., Miniut., pi. 7,
17 his : Hisl. de la Chauss., p. 47, 48, 49, 50, 53, 55. — .. Pour faire et
forgier une paire de coûtes et poulains tous poinçonnez de feuillaiges verrez
et esmaillez de ses armes (du Dauphin). " Comptes royaux, 1352. — » Pour
Ixxj paires de chausses semelées, biodées, desquelles sont Ixviij paires à
longues poulaines de balaine pour le Roy N. S. » Ap. Labordk, Notice des
émaux du Louvre, p. 4G4.
' " Sotulares habebant, in quibus rostra longissima in parte anteriori ad
modum unius cornu in longum : alii in obliquum, ut grifFones habent rétro et
naturaliter pro unguibus, gerunt; ipsi communiter deportabant, quae quidem
rostra pouleanas gallice nominabant, et quia res erat valde turpis , ideo
Dominus rex Francise Carolus fecit per prsecones Parisiis proclaniari publiée,
ne aliquis quicumque esset qui auderet talia deportare : et etiam quod neque
artifices sub magna' pmna de cœtero taies calceos, sed et neque ocreas sic
punctatas, lacère prassumerent, nec vendere quicunque : nam simili modo
dominus papa Urbanus quintus in Romana Curia inhibuerat valde stricte. »
Contin. de Naingis, an. 1365. — « Ne clerici utantur sotularibus de polena. «
Conc. Andeg., c. 13 (1365). — « NuUus familisris episcopi soiulares déférât
cum polanis. » Conc. Vabr., 48 (1368). — « Neque gérant sotulares aut
ocreas ad poulentiam. » Stat. Eccl. Nannel. (1389), ap. Martèke, t. iv,
col. 984. — « Nec poterit aliquis ipsorum — poulenam in sotularibus dé-
ferre. 1) Ordin. Caroll V (1365). — » Idem quod nuUus vir vel mulier audeat
portare in suis estivalibus, sotularibus vel botinis punctas dictas de Poiayna.n
Litt. Caroll V, pro Montispessulanis (1367). Ces ordonnances furent renou-
velées sous Charles VI. — Méwagk pense que poulaine vient de Polanus.
Folonus (Polonais) ; en eifet, les peuples Slaves ont encore les chaussures
pointues dans leur costume national. {Dict. éti/m.. Pon.AiNE.)
o70 LES SANDALES ET LES lUS.
iiimis fenestratis calceis iitautur. » Martial d'Auvergne (fin
du XV siècle) disserte agréablement sur les poulaines de son
époque : « Il y ha six ou liuict varlets cordoanniers qui se
« sont plainctz en la cour de ceanz : de ce quil faut niain-
« tenant mettre, aux poinctes des souUiers qu'on faict, trop
« de bourre. Disans quilz sont trop grevés, et qu'ilz ne
'I pourroyent fournir des compaignons, ni continuer ceste
« charge, silz nen avoient plus grand gaige quilz navoyent
« accoustumé, attendu que le cuyr est cher et que les dictes
" poullaines sont plus fortes à faire quilz ne souloyent. Si
tt ha la cour faict faire information — Et tout vu et consi-
« déré. . . que les dicts compaignons feront les dictes pollaines
« grosses et menues à l'appétit des compaignons ' , » La
mode des poulaines avait gagné l'Italie, l'Allemagne et
l'Angleterre ; entre les spécimens de chaussures conservés
au Musée de Londres, ou distingue une pointe de soulier
contemporaine de Richard II. Elle est en cuir gauffré, très-
aigue, fortement recourbée et mesure neuf pouces anglais de
long ; l'intérieur est encore garni de la mousse qui le rem-
bourrait^.
Le catalogue des archives du baron de Joursanvault men-
tionne aux Comptes du duc d'Orléans des patins et des pen-
thofles. Rabelais nous apprend que les semelles des pantoufles
' Arrelz d'.lmours, n° 42, p. 359, Lyon, 1546. — Une ordonnance d'E-
douard IV (1462), défend à tout gentilhomme anglais de porter des bottes
dont la poinle excéderait deux pouces. — Moïsstuelet dit que les princes
portaient à leurs souliers des poulaines d'un quart d'aune de long et même
plus. — V. Ilist. delà Chaus., p. 52, 53, 66, 67, 69 ; Les Arts sompt., t. ii,
pi. 1, 3, 24, 25, 31, (Allemagne).; 32 (id.) ; 45, 46, (Flandre) ; 58, (Suisse) ;
108, (Allemagne, XVI« siècle). — V. encore, Conc. Avenion.. (1457) ; Co7ic.
Senon., (1460) ; Conc. Liman., (1582) : ap. Du Caisge.
' Cat. of the Mus., etc., p. 128, n" 632. V. encore, [hid:, pi. xiii, fig. 2
et pi. XIV, fig 1.
REVUE DE LART CHRÉTIEN.
de j.;nsî j']
1. Sole a crucifère d'après un marûre 31:^1 que .
^ '- arLalina du pape Honoriusl .d'après la mosaïque de l'i'Ac.ie. m vià nompntana
i et4. Caudales conservées dans l'Eglise de r.3inT-.^l3rhn-des-/'\o-nls
LES SANDALES ET LES 1)AS. 577
étaient en liège et il chausse ses religieuses de TliéleMiie de
« soliers, escai'i)ins et paiitouphles de velours cramoisy
« rouge, ou violet, descbiquetées à barbe d'escrevisse. »
Les escarpins, du bas latin scapmus (semelle), ou de l'italien
scarpa (soulier), se nommaient également esca/fins^ csraji-
g lions., cschapins :
Tolo dolente, hors de la chambre esi,
Désafublée, chauciée en eschapins.
M. Lacroix avance que l'escarpin était dans l'origine une
sorte de chaussure de cuir; on ne peut douter que ce ne fut
une chaussure d'intérieur : :•
Isent des lis, les eschapins chaucent.
Il ne faudrait pas confondre les patins avec les galoches ;
dans un compte de la duchesse d'Orléans figurent ensemble
« une paire de patins et les boucles de trois paires de ga-
loiches. » Les galoches étaient un soulier à semelle de bois;
les patins, en bois et en fer, exhaussés sur des appendices, sans
empeigne et maintenus par une simple bride, garantissaient
de la boue une autre chaussure plus délicate '. Les hauts
talons doivent vraisemblablement leur origine aux patins
qui, sous diverses formes, persistent encore aujourd'hui dans
les contrées humides de l'Europe.
L'ampleur des robes permet rarement de reconnaître la
coupe exacte des chaussures de femme. Au IX*^ siècle, les
' Hist. de la chaus., p. 64, 66 et 74. — Gargantua, c. 56. — Willemin,
pi. 162. — Le Moyen Age, etc., Miniat., ms. do Boccace, Bibl. de l'Ar-
senal. — «Nec etiam in ecclesia vel claustro porta bunt (canonici) patinossive
soccos ferratos strepitum magnum facientes. » Stat. ms. Eccl. .4quens. 1295.
— fl Pierre Boivin acheta du bois convenable à faire patins et galoches. »
Letl. de remis., 1417, ap. Do Cangk.
TOME VI 12
578 LES SA.NDALES ET LES BAS.
dames aussi bien que les hommes portaient des calcei liripi-
piati ; une figure de sainte Radegonde (XI® siècle) a des san-
dales bleues, ouvertes jusqu'aux orteils, avec bi'ide sur le
cou-de-pied ; au contraire, la chaussure écarlate d'une reine,
peinte à la même époque, est entièrement close. Les XII%
XIIP et XIV®, siècles montrent une parfaite analogie entre
les chaussures des deux sexes; cette analogie s'étendait alors
jusqu'aux estivaux. Les distinctions bien tranchées re-
montent à peine au XV® siècle ' .
Les artisans qui confectionnaient les chaussures neuves se
nommaient au Moyen-Age alutarii, cordubanarii, cordonarii^
ronlocmiers, cordouaniers ; ils travaillaient le cordowan ou
cordouan {cordebisus, aluta)^ peau de chèvre préparée à l'alun.
Ces peaux, que fournissait l'Espagne, principalement Cor-
doue, étaient de diverses couleurs, mais le plus fréquem-
ment blanches on rouges ^ Les cordonniers parisiens for-
' Arts sompt., t. i, pi. 17, 61, 52, 66, 79, 80, 89, 111, 147 {estivaux.
XIV« siècle); t. ii, pi. 31, 32, 52, 53, 56, 66, 74, etc., etc — Willemin,
pi. 25, 60, 62, 64, 89, etc. — Peint- de S. Savin. , pi. 19. Etc., etc.
* « Alutarii sunt qui faciunt calciamenta de alluta,... qui conservant sibi
formipedias {formes), equitibialia [estivaux) et spatulas {escîices). »J. de Gar-
LAWDE, loc. cit., p. 590, 591. — V. Coudebisus, ap. Du Cakce.
Iste tuo dictas de nomine Corduba pelles,
Hic niveas, aller protrahit inde rubras.
Théoddlfe, Carm., lib. i, p. 138.
« Melega civitas, ubi sit copia de cordewan vermeil. » Roger de Hoteden,
In Ricardo i, p. 715. — Ces peaux constituaient une marchandise très-chère:
« Quia ab urbe deportari ad cœteros soient pretiosi corii species. » Ap. Do
Cawge, loc. cit — Les cordonniers s'appelaient aussi cerdones et sueor, sueur,
de sîitor. — M. P. Lacroix 'loc. cit. p. 39j avance que jusqu'à Philippe-le-
Bel, on ne se servit guère en Fr;ince que de cuir et de bois pour confection-
ner les chaussures, mais qu'après ce prince les riches étoffes furent employées
pour les classes élevées. Lorsque Geoffroy Plantagenet reçut à Rouen
l'ordre de Chevalerie, avant son mariage avec la fille du roi d'Angleterre
LES SANDALES ET LES BAS. 57<)
niaient une corpoi^ition et uviiient leurs statuts au Xlll'"
siècle ; on y lit qu'ils pouvaient faire des souliers de basane
(matière de qualité inférieure) en certaines conditions, sans
toutefois mélanger celle-ci dans leurs ouvrages avec le cor-
douan, si ce n'est pour les contreforts. Il leur était aussi in-
terdit d'employer le cordouan tanné et de coudre le vieux
cuir avec le neuf; enfui, ils fabriquaient spécialement les
solers (calcei) et \e&hueses (tibialia). Des statuts et règlements
furent peu à peu accordés par les rois de France aux cordon-
niers des autres villes et toutes ces corporations eurent leur
bannière et leurs armoiries. Au XVIP siècle, les statuts et
règlements de la communauté des maîtres cordonniers-sueurs
de Pans, ayant été revus et augmentés, furent confirmés par
Louis XIII (1014). En 1645, Henri-Michel Buch, dit le bon
Henri, institua la communauté des Frères-Cordonniers des
SS. Crépin et Crépinien, qui acquit toute l'importance d'un
Ordre religieux, reconnu et autorisé. Son premier protecteur
fut Gaston J. B. de Reiity, issu d'une des plus nobles familles
de l'Artois ; ses statuts reçurent l'approbation successive des
archevêques de Paris, Hardouin dePéréfixe (1664) et Fran-
çois deGondi (1695) '.
(1127), il portait incoatestabli;ment une chaussure en tissu d'or : « Caligis
holosericis calceatur, pedes ejus sotularibus in superficie leunculos aureos ha-
bentibus muniuntur. » {.Teaw de Marmodtier.s, iib. i.) Les souliers peints
de Philippe et Jean, frères et fils de saint Louis (Willkmin, pi. 92j sont de
même matière, et les monuments peuvent en fournir bien d'autres exemples
antérieurs au XIV« siècle.
' Le Livre des métiers, tit. 84, p. 227 et suiv. — On fabriquait aussi des
cordouans en Provence et en Flandre ; ces derniers furent momentanément
prohibés parce qu'ils « estoient partie courroyez en tan. » Hist. de la Chauss.
p. 36. — En 1345 on corroyait le cordouan à Paris : V. l'art, xx de l'or-
donnance de Philippe de Valois, relative aux tanneurs, etc. — V. Hist.
des Cordonniers, à la suite d« VHist. de la Chauss.; nomb. grav. et pièces
justif.
5H0 LES SANDALES ET LES UAS.
On trouve, dans le Livre des Métiers , les statuts de la
corpoi'iition des çavetonniers owchavetonniers de petits solers.
Ces artisans, qu'il faut se garder de confondre avec les save-
tiers, payaient, pour droit de métier, la même somme que les
cordonniers (16 sols parisis) dont ils pouvaient exercer l'é-
tat (I se ilz avoient de quoi. » Leur spécialité était de faire
<i de petits solers de bazane. » Comme les cordonniers, ils
avaient défense de mettre de la basane à un soulier de cor-
douan, mais il leur était permis de mettre du cordouan à un
ouvrage en basane. Les droits annuels qu'ils payaient au
Souverain étaient aussi de beaucoup inférieurs à la somme
imposée aux véritables cordonniers ' .
La corporation des savetiers {pictacmrii , corvesarii ,
courvoisiers, cavaliers, sueurs de viel) existait à Paris au
Xlir siècle; on voit alors, dans leur fort bref règlement,
qu'ils cousaient et raccommodaient les chaussures. Les statuts
de i 659 sont beaucoup plus explicites et rappellent les or-
donnances rendues en faveur du métier depuis Charles VIL
Les savetiers peuvent faire des souliers neufs pour leur fa-
mille (1SÎ6); ils ont le droit exclusif de travailler le Adeux
cuir (1598 et 1618); nul autre qu'eux ne doit s'intituler
bobelineur et confectionneur des souliers dits bobelins; enfin
l'article 45 oblige les maîtres cordonniers à employer le cuir
mis en suif pour leurs semelles, avec défense d'user «de cuir
« maigre en doublure ni autres ouvrages s'ils n'en sont re-
« quis et avoués et non autrement. » Le cuir maigre était
donc exclusivement réservé aux savetiers, dont les corpora-
tions, établies dans les diiférentes villes du royaume, pos-
sédaient aussi bannières et armoiries '.
• Tit. 85, p 231 et suiv.
- » Pictaciarii viles sunt qui consuunt voteres sotularcs, rcnovando pictacia
(benielle intérieure) et intercutia (cuir placé entre les deux semelles) et soleas
LLS SANIIAI.ES KT LtS liA.S. TiSl
CHAPITRE V.
CllAlSSI.UKS MÏCUGIQIKS JJAKS l'aîNTIQUITK KT fUKZ f.KS IMIK^IIKIIS
CIIUKTIEIVS.
Les prêtres juifs aviiieiit toujours les pieds nus lorscpi'ils
paraissaient dans le temple. Le ïalmud se sert des paroles
que Dieu adressa à Moïse sur le mont Horeb, pour expliquer
cette circonstance ; d'autres, au contraire, prétendent que la
Loi n'interdit pas les souliers, mais que, le chapitre 28 de
l'Exode restant muet à leur é'i;ard, les ministres de la relio;ion
devaient s'en abstenir pendant l'exercice des fonctions sa-
cerdotales ' .
Le paganisme ne suivit aucune règle fixe à l'endroit des
chaussures liturgiques. Les pieds du pontife officiant se
montraient nus ou couverts, selon la divinité vénérée et le
lieu où était bâti son sanctuaire. Une formule de Pythagore
prescrit de sacrifier et d'adorer pieds nus; Didon s'approche
de l'autel :
Unum exuta pedem vinclis in veste recincta.
Les Vestales et certains prêtres d'Hercule étaient dé-
chaussés; lud ne pouvait aborder le temple de Diane, en
Crète, sans quitter ses souliers; Prudence assure que les
sénateurs en faisaient autant devant le char de Cybèle :
(semelle) et impedias (empeigne) Pictaciavii dicuntur savetiers. » J. de
Garlande, loc. cit., p. 590. — Le Livre des met., tit. 86, p. 23.3. — Hist.
des Cordon., Pièces justif. et Armor. — hesmbobelins étaient sans doute des
souliers en vieux cuir.
* Bradn, De Fest. sac. Hcehr., lib. i, p. 46. « Quia sacerdotes .sempcr
discalceati incedunt super pavimentum. » — Id., ihid., p. 154. — Gemara
liabyl., c. IX. — Les Rabbins, à la synagogue, sont toujours chaussés.
582 LES SANDALES ET LES BAS.
Niidare phintas ante cari)entum scio
Proceres togatos, Matris Ideœ sacris.
Enfin, les monuments présentent divers exemples de
sacrificateurs nudipedea ' .
La chaussure sacerdotale se montre aussi fréquemment que
la nudité des pieds. Les prêtres de l'Egypte et de la Phénicie
portaient des calceamenta en matières végétales, telles que
le papyrus et le lin ; il était interdit aux Flamines romains
d'en avoir qui eussent été confectionnés avec la peau d'un
animal mort naturellement ; Athénée mentionne les souliers
laconiens blancs d'un pontife d'Hercule, et Appien attribue
le phœcasùim aux prêtres d'Alexandrie. Quant aux mé-
dailles et aux marbres antiques, les sacrificateurs chaussés y
apparaissent à chaque instant ^.
' Jambliqik, De rit. Pyth., Symb. m. — Eneid., iv, 518
Forte revertebar festis Vestalibus, illac
Qua nova Roniano nunc via juncta foro est,
Hue pede mationam vidi descendere nudo.
Ovr^E, Fast., vi. 395. — « Virgines simul ex sacerdotio V<'St;e, nudo pede
fugientia sacra comitantur. » Fi.oros, r, 13,
Pes nudus, tonsœque comse, castumque cubile.
SiLius Italicus, De Bello Pan., ni, 28- — SoLI^', c. 17. — Péristéph,
In Roman , 154. — Dd Chodl, De la Relig. des anc. Romains, p. 152, 164,
235, 237. etc.
- Hérodote, ii. — HÉRODitw, v, 13. — Apolke, Meta., viii, ne dit pas
en quoi étaient faits les souliers jaunes des prêtres de la déesse de Syrie. —
« Sane flaminicœ non licebat, neque calceos, neque soleas morticinas habere.
Morticinae autem dicuntur, quee de pecudibus sua sponte mortuis fiebant. »
Servius, Li jEneid., iv, 518. — « Et ne Philologia ipsius Phronesis careret
ornatibus, ejus pectori, quo verius comeretur apponit, calceos prseterea ex
papyro textili subligavit : ne quid ejus membra pollueret morticinium. »
Martiaîmcs Capeli.a, De Nupt. Philol., lib. ii. — Deipnos., v, 14. — De
Bello civ., V. — Do Choul, loc. cit., p 77, 217, 278, 279. — Feurari, i,
10. — V encore Athicnke, lib. vu.
LES SANDALES ET LES lîAS. r)83
Les disciples de la Loi nouvelle, inclinés devant l:i parole
de Dieu écrite dans la Loi ancienne, ne virent jamais (pTun
symbole dans le cérémonial liturgique de cette dernière; s'ils
lui empruntèrent le nom de cpielques habits saci'és, ce i'ut à
la condition expresse d'en modifier ostensiblement la foi-me.
Vis-à-vis (les Gentils, dont ils repoussaient à la fois les doc-
trines perverses et le culte extérieur, les chrétiens a})p()r-
tèrent encore ])lus de réserve ; ils proscrivirent avec énergie
tout vêtement qui pouvait rappeler ceux des pontifes
païens'. Placé entre deux liturgies également antipathi(pies,
quel parti le christianisme naissant prit-il à l'égard de la
chaussure? La question a été vivement controversée , des
autorités respectables ont soutenu le pour et le contre; néan-
moins, à l'aide des textes et des monuments figurés, la diffi-
culté n'est pas impossible à résoudre.
Saint Matthieu et aussi saint Luc font dire à Jésus-Christ
confiant aux Apôtres la mission d'enseigner les peuples :
« Vous n'aurez pas de chaussures. » Saint Marc, à l'inverse,
met ces paroles dans la bouche du divin Maître : « Vous se-
rez chaussés de sandales. » La contradiction est en apparence
flagrante; elle l'est moins après une étude attentive. En
effet, saint Matthieu écrit : « Vous ne posséderez {[my^xmr.aOz)
ni besace, ni deux tuniques^ ni chaussures » ; et saint Luc,
dont le grec est relativement plus pur : « Vous ne porterez
ni bourse, ni besace, ni chaussures (p-Vi oaorà^sTe oxkldvziov,
irhxs r.-npxv iirize vnoâriiJ.xTc/.). Or, à mon sens, les termes zr/i<7-/j(7(3e,
êaazd'c^ere s'appliquent ici, non à un vêtement inhérent à la
personne, mais à un fardeau dont elle serait chargée. Cela
est si vrai que saint j\Iatthieu emploie le verbe Bajc-âÇM (je
porte im fardeau^ j'emporte), pour exprimer l'acte d'humilité
* V. Marangowi, Délie rose gentil., c xxxni.
584 LES SANDALES ET LES BAS.
de saint Jean-Baptiste à l'égard du Sauveur : « Cujus nun suni
dignus calceamenta portare {yT.od-hiJ.y.ia Qy.a-ddy.i). » Si donc
saint Matthieu et saint Luc n'ont formulé qu'une défense,
relative aux chaussures comprises dans un bagage quel-
conque, ils ne désavouent en rien Sidiit Marc qui a pres-
crit les sandales aux pieds. D'ailleurs, les quatre Évan-
gélistes s'accordant pour donner des chaussures à Jésus-
Christ, il serait invraisemblable que l'PIumble par excellence
eût interdit à ses disciples un objet dont il faisait lui môme
usage ; de plus saint Luc, rédacteur des Actes des Apôtres,
met des sandales aux pieds de saint Pierre, prisonnier d'Hé-
rode. Supposer, qu'à trois années de distance, le compagnon
de saint Paul se soit contredit ainsi, serait une énormité.
Une objection grave pourrait sortir d'un autre passage de
saint Luc. Après la Cène, le Sauveur dit aux Apôtres :
« Quando misi vos sine sacculo et pera et calceamentis. »
Mais comme il ajoute : « Numquid aliquid defuit vobis ? »
on a le droit de croire que la cliaussure était comprise parmi
les choses nécessaires qui ne manquèrent jamais aux envoyés
du Fils de Dieu * .
Saint Augustin penche vers la chaussure apostolique;
André Du Saussay a écrit longuement en sa faveur. Saint
Bonaventure, répondant à un docteur incoinui qui attribuait
un calceamentum au Christ et aux Apôtres, s'appuye sur
saint Jean Chrysostôme, et notamment sur saint Jérôme, pour
nier l'exactitude du fait. Mais, comme dans son opuscule, la
discussion roule toute entière sur le sens réel des termes
calceus (chaussure enveloppant l'intégrité du pied) et solecij
• Saint Matthieu, m, 11 ; x, 9 et 10. — Saint Marc, i, 7 ; vi, 8 et 9.
— Saint Lcc, iji, 16 ; x, 4. — Saint Jean, i, 27. — Jet. jipost., xii, 8.
— D'après les idées généralement admises; saint Luc écrivit son Evangile
de 53 à 56 et rédigea les Actes des Apôtres vers 59.
LES SANIIALES ET LUS lîAS. fiS"»
sandalium (cluuissuro laissant la partie siij)ériciire du pied
découverte), le docteur Sérapliique finit par admettre les
sandales apostoliques dont, au reste, les anciennes peintures
et sculptures lui confirment am[)lement l'existence'. J'ai
sans doute eu tort, <et je le confesse humblement ici, d'avoir
voulu résoudre grannnatîcalement une question qui préoccupa
tant d'illustres écrivains ; peut-être aurais-je mieux fait de
dire simplement que saint Matthieu et saint Lucont rendu la
pensée symbolique du Maître, relative au détachement des
biens terrestres, tandis que saint Marc a reproduit littérale-
ment la parole divine. Cette dernière solution n'a pas échappé
à saint Bonaventure, car, après avoir cité les trois textes
évangéliques, il ajoute : « Quid aiitem Domiai hœc verba
mandata non tantum spiritualiter, sed etiam ad litteram
fuerint observata, patet ex autoiitatibus prœdictis ". »
Les chaussures apostoliques étant reconnues en principe,
reste à établir leur genre. Interrogeons sur ce point les pre-
miers âges du christianisme, alors que chacun s'efforçait
d'imiter les apôtres à l'extérieur comme à l'intérieur.
Parmi les chrétiens de la primitive Eglise, les uns suivirent
à la lettre les évangiles de saint Matthieu et de saint Luc ;
les autres s'en rapportèrent à saint JMarc et aux Actes. Au
IP siècle, Lucien, le Voltaire de son temps, bafoue le chré-
tien Chleuocharme, couvert d'un manteau usé, la tête et les
' De Consensu Evangelist. — Panoplia episc.^ 1. vu, c. 2 et 3. — De San-
daliis aposlol., Opusc. — Saint-Jérôme, Episl. 18, ad Eusloch., « Et
Moyses et Jésus in Nave midis in sanctam terram pedibus jubentur incedere.
, Et discipuli sine calceamentorum onere, et vinculis pcUium ad piBedicatlonem
novi evangelii destinantur.' Et milites vestimuntis Jesu forte divisis, caligas
non habebant quas toUerent. Nec enim poterat habere Dominus quod prohi-
huerat seivis. » lu., Epist. 91, ad Ageruc. « Apostoli toto oibe pcicgrini non
caligas habuere in pedibus. »
- Opusc. cit.
586 LES SANDALES ET LES BAS.
pieds mis (dvjnôâerotj)', an IIP, Tertullien se prononce contre
le calceus et recommande la luidité des pieds. Clément
d'Alexandrie, postérienr à Tertullien de quelques années,
est encore plus explicite. Après avoir concédé aux femmes
les souliers blancs, et en voyage, les souliers graissés, l'au-
teur du Pédagogue pousse les homnïes en général à l'absten-
tion de toute chaussure (dwiioâ-nGioc), h moins qu'ils ne soient
à l'armée; selon lui, avoir les pieds nus {yvij.vola x^-naBai lola
Tiodh) est favorable à la santé, quand la nécessité n'ordonne
pas le contraire; si l'on n'est pas en route et qu'il y ait im-
possibilité d'agir autrement, il recommande l'usage de
chaussures ouvertes ou légères ifâlocv-aia 'h (^oLiY^aaioia) , du
genre de celles que les Athéniens nommaient y.oviT:odaa (pieds
poudreux), riq)pelant à ce propos les paroles de saint Jean-
Baptiste qui se déclare indigne de délier les cordons de la
chaussure du Messie '. Au IV siècle, saint Jérôme cite
Platon pour conclure à la nudité absolue des pieds -, et ail-
leurs, interprétant mystiquement le verset 15 du chapitre VI
de l'épître aux Ephésiens, il ajoute : « Si quis non est Jésus
nave, nec apostolus, calciet pedes suos in prœparatione
Evangelii pacis. Si quis autem apostolus est, et inter duode-
cim numerari potest, nequaquam tollatin via calceamentum
suum, nec ad scorpiones et colubros declinandum calcanenm
tegat ^ » Juvencus suit la leçon de saint Marc :
Non gerainas vestes sed planlis tegmina bina.
' Philopalria, 21. — De Pallio, c. 5 : « Si quis calceatus inducitur, mun-
dissimum opus est, aiit pedes nudi magis, certe viriles magis quam in calceis.»
— Pœdag., lib. ii, c. 11.
Et Plato prœcepit duas corporis summitates non esse velandas ; nec
assuefieri debeie mollitieiei capitis et pedum. Cum hœc enim habueiint firmi-
tatem, ca'tera robustiora sunt. » Comm. hiMalth., x, 10.
' " Kc(i u7;ooT,aâ[a.cVûi toÙ; 7:oSaç sv Éxoiixacîa tou svay^eXlou tt); et-
LES SANDALES ET LES BAS. 587
Stiiiit Augustin, qui lui-in(jin(3 })ortait une clnnissure mo-
deste, concilie ainsi les textes évangéliciues : << Sic et cal-
ceamenta cum dicit Matthœus in via non portanda, curani
proliibet,, qua ideo cogitantur ne desint. Proinde Marcus
dicendo eos sandaliis vel soleis, aliquid hoc calceanientum
mysticaî significationis liabere adniouet, ut pes neque tectus
sit neque nudus ad terrani, id est nec occultetur evange-
lium, nec terrenis innitatur'. » Au VP siècle, saint Ful-
gence, évoque de Ruspe, marchait souvent pieds nus, mais
parfois aussi, conformément à la pensée de S. Augustin, il se
servait de chaussures ouvertes ^. Saint Bonaventure cite les
exemples de deux prédicateurs de la Foi dans les Gaules ;
l'un, saint Martial, voyageait nu-pieds à l'imitation du Christ
et de saint Pierre, l'autre, saint Front, usait de sandales *.
Une simple lecture de ce qui précède, démontre claire-
ment que, sauf peut-être le sentiment absolu de saint Jérôme,
aucun texte ancien ne conteste formellement au Christ, aux
Apôtres et aux chrétiens primordiaux l'usage d'une chaus-
pv^'vYiç. Et calceati pedes in praeparatione evangelii pacis. » Comment., 1. m,
In Ephes. — Les artistes chrétiens se sont appuyés sur cette explication
mystique du verset de saint Paul pour représenter le Christ et les Apôtres
sans aucune espèce de chaussure.
* De Hist. evang . , lib. ii, In 3Inf.th., x. etc., v. 14. — «i Vestis ejus et
calceamenta ex moderato et competenti habitu erant, nec nitida nimium, nec
abjecta plurimum, » Possidius, S- Augiist- Vita. c. xxii, 25. — De Conc.
evangelisL , lib. ii, c. xxx, 75.
^ <i Ut nec ipsa calceamenta suscipiens clericoium, fréquenter nudis pedibus
ambulabat. — Sic studio humilitatis ambitionem vestium fugiebat, ut nec ipsa
calceamenta suscipiens clericoruin, aut caligis in tempore hyemis, autcaligulis
in tempore aestatis simpliciter uterotur. » ^. Fulg. T'ita, c. 18, n"^ 19 et 38.
^ De Sandal. Apost • Sanctus Domini Martialis pergens ad priedicanduni
nec calceam. nta propriis induebat pedibus nudis incedens pedibus,
imitator Christi etB. Pétri apostolorum principis, consanguinei sui. » « Bea-
tus Fronto castra et urbes, in vicina loca calceatus tantum sandaliis peia-
grans gentium catcrvis divini Verbi semina ero'gabat »
588 LES SANDALES ET LES BAS.
sure qui, hiissant la partie supérieure du pied à découvert,
en garantissait néanmoins la plante. Cette chaussure, nette-
ment énoncée d'ailleurs, et dont saint Jean-Baptiste se dé-
clare indigne de délier les cordons, était le calceamcntuin
grossier des pauvres et des artisans, la solea ou une sorte de
carbat iiia en cuir travaillé à laquelle, par analogie, saint Marc
et saint Luc donnent le nom de (jxvâdhov, mot traduit une
fois en latin par sandalium, et une autre par l'expression
caractéristique caliga (chaussure à courroies ' .}
Les plus vieux monuments chrétiens offrent de fréquentes
images du Christ, des Apôtres et de leurs disciples chaussés
de la solea. Je mentionnerai comme exemples, les mosaïques
de Sainte-Agathe-Majeure, à E,avenne(400 environ), de Saint-
Cosme et Saint-Damien, à Rome (550) et de Saint-Vital,
aussi à Ravennne (o47 environ) : le Christ, triomphant dans
les cieux, y est représenté avec la solea aux pieds ^. La tra-
dition des soleœ apostoliques ne se perdit jamais au Moyen-
Age; six grandes figures d'apôtres, brodées sur le magnifique
antipendium (XIIP siècle) que j'ai dessiné dans la cathédrale
d'Anagni, portent la solea. Les mêmes personnages, compris
parmi les sujets placés au-dessous, ont indifféremment les
pieds nus ou munis d'une semelle à courroies.
a ' 'VtcoûcScUsvou!; cjavoâXio:. Calceatos sandaliis. » S. Marc, vi, 9. —
« ITepiCox^ai xcù u7:oûr|(jai -ot cavotxXia cou. Praecingere et calcea caligas
tuas. » Jet. Apost., XII, 8. — >. Sandalia autem sunt calceamenta desuper
corium non habentia. « Papias, Vocub., (XI« siècle).
- CiAMPiNi, Vet. monim., l. i, pi. 46 ; t. Ji, pi. 16 et 19 ; iUd.. pi. 28,
Mos. de Saint-Laurent, à Rome, (578). — V. encore : Pkubet, Les Cata-
combes, t. iii, pi. 46, (Ille siècle) ; ibid., pi. 58 (Vie siècle) : Rostan, Mon
icon. de l'église de Saint-Maximin, (Var), in-l'ol., Chàlons-sur-Saône, 1862.
Sarcophages, fig. 4 à 13 (IV'' siècle) : Aringiii, Roma subt. nov., t. i, p. 277
à 331, 427, 623 ; t. ii, p. 137, 161, 163, 255, 273, 329, (IIIo au Vg siècle) :
Bdokarotti, Osserv. sopra aie. framm. di vetro, pi. \mi, 1 ; xvi, 2, xvU, 1,
(premiers siècles) : Arts sompt., pi. 5, 8 et 9 (Ville siècle) : etc., etc.
LES SAM>AhES ET LES BAS. oSO
Aux ministres d'un culte, établi par le Christ et ses dis-
ciples, incomba nécessairement pour chaussure liturgique,
celle que les Maîtres avaient afFectionnée. Ia^ diacre saint Lau-
rent, peint vers le IV® siècle, au fond d'une chambre sépul-
crale du cimetière de Saint-Jules (Rome), a des solcœ. Je
donne ici un spécimen de solca crucifère {i\ la pi. jîg. \) qui
remonte à une très haute antiquité ; ce fragment de marbre^
trouvé dans la Sabine, faisait partie, au XVIP siècle, de la
collection du cardinal Brancaccio ' . La véritable sandale,
pantoufle fortement échancrée, retenue sur le cou-de-pied
au moyen d'une bride, chausse, au IV® siècle, saint ]\raximin
recevant du Christ la mission évangélique. Au VF siècle, la
sandale, attachée avec des courroies multiples, prend la phy-
sionomie des carbatinœ rustiques, justifiant ainsi le nom de
ca??îpa^îM qu'on lui donnait alors. L'évêque Maximianus et
son clergé, figurés sur la mosaïque de Saint-Vital, à Ra-
venne, portent la carbatina àii pauvre qui^ légèrement modi-
fiée, resta, longtemps encore, la chaussure ordinaire des
Papes. Le campagus d'Honorius I {v. la pi. fig. 2), restitué
par Rocca d'après la mosaïqne de Sainte-Agnès (VIF siècle),
fait suffisamment apprécier la forme et l'usage de ce calcea-
mentiim. Divers monuments, contemporains ou postérieurs,
offrent des images de Souverains-Pontifes chaussés de la
même façon ^.
cri. DE LIN AS.
\La suite au lyrochain numéro.
* Aringhi, loc. cit., t. II, p. 355. Cctto peinture était déjà fort détériorée
il y a deux cents ans. — Magri, Hierol., p. 59, fig.
- RosTAN, loc. cit , fig. 7 — <i Cum ergo incidisset psachnion beati viri
excubitor, et corrigiam campagiorum ejus, statim tradidit euni sacellarius
pratfecto urbis. » Ilist. de exil. S. Mart. PP. (^50). jRer. arch., t. vu,
pi, 145. Etc., etc.
GRANDES DÉCOUVERTES HISTORIQUES
RELATIVES
à saijit Jean-Baptiste et aux Evangéllstes.
Les merveilleuses découvertes que je v^ais signaler, con-
cernant saint Jean-Baptiste et les quatre Evangélistes,
doivent modifier considérablement les idées qu'on s'était
faites sur ces saints personnages. C'est toute une révolution
historique qui vient de s'accomplir, sans trop se faire annon-
cer, — tout comme la révolution de Grèce.
Depuis l'origine du Christianisme jusqu'au 29 octobre
1862, ou avait toujours cru que saint Jean-Baptiste et
saint Jean l'Evangéliste étaient deux personnages bien dis-
tincts. Erreur, profonde erreur! Le Précurseur etl'Apôti'e ne
sont qu'une seule et même individualité. Le fait est consigné
au Moniteur du. 29 octobre, à la page 1515. Il est vrai que
ce n'est pas dans la partie officielle, mais dans un article de
Variétés signé par M. Paul Dalloz, écrivain très-connu et
très-apprécié dans la critique d'art, mais qui n'avait pas en-
core abordé le terrain de la haute érudition.
GRANDKS lUiCOliVERTlCS llISTOllIUUES. 591
]^a vérité reste toujours digne d'amoiir et de respect,, n'iiii-
})orte à quelle place et sous quelle latitude (slle se révèle;
M. Dalloz, par conséquent, ([uoique n'écrivant (|u'iï la
deuxième page du Journal officiel de l'Empire, n'en a pas
moins droit d'exiger que nous lui prêtions une oreille atten-
tive.
11 n'a pas fait un travail cv /nvfcsso sur la matière; il
glisse ses découvertes dans un article artistique sur les
Saints-Évangiles^ édités par l'Imprimerie impériale, pour
figurer à l'Exposition de Londres. L'auteur semble même ne
pas s'apercevoir de tout l'imprévu de ses révélations; car il
n'est pas plus impressionné que s'il annonçait un fait tout
ordinaire. Ali! qu'on a bien eu raison de dire que les plus
grandes découvertes sont faites par ceux qui ne les cherchent
pas !
Comme il s'agit d'innovations historiques qui doivent bou-
leverser toutes les idées reçues, fsxire remaniei' les bases de
renseignement chrétien et infliger un erratum à tous les
catéchismes, nous nous garderons bien de recourir à ces
pâles analyses qu'on peut toujours soupçonner d'infidélité.
Nous citerons tout entier un texte où chaque mot peut avoir
sa valeur. Il n'y a, au reste, que vingt-quatre lignes; mais
quelles lignes ! Nous demanderons seulement la permission
de respirer entre chaque paragraphe, pour méditer sur les
conséquences historiques, religieuses, morales et artistiques,
qui découlent de chaque découverte.
I.
M. Dalloz, en appréciant le mérite des quatre grandes
figures d'Evangélistes, dont M. Lehman a orné la nouvelle
édition des Évangiles^ s'exprime en ces termes, au sujet de
sa peinture de l'évangéliste saint Jean :
59'2 GRANDES DÉCOUVERTES HLSTORIOUES
« Quant à son saint Jean, sa figure nerveuse et féminine
» rappelle celle de Jésus-Christ. Le Précurseur n'a-t-il pas
a été pris pour le Messie lui-même ? Nous avons aussi trouvé
« quelque ressemblance an saint Jean de M. Lehman avec
" celui re[)résenté par une miniature du Livre d'Heures du
« roi Henri IV. On sent que cette douce physionomie peut,
« à l'occasion, se contracter de colère et lancer aux Phari-
« siens le terrible anathème : Race de vipères ! »
Il n'y a pas ici d'obscurités ni d'ambages; c'est aussi clair
que le jour. Jean l'Evangéliste a été le Précurseur de son
divin Maître ; c'est le Précurseur Jean-Baptiste qui a écrit
l'Evangile et l'Apocalypse ; c'est Jean l'Evangéliste qui prê-
chait dans le désert de Judée et qui, voyant des Pharisiens
impénitents venir solliciter le baptême dans le Jourdain,
s'écria : « Race de vipères, qui vous a appris à fuir la colère
(S. dont vous êtes menacés ? » Bref, ces deux saints n'en font
qu'un seul, qu'on devrait bien désormais appeler : VApôlre
saint Jean-Baptiste VÊvajigéliste.
Il existe des critiques méticuleux qui accordent une im-
portance excessive aux questions de chronologie. Ceux-là
pourront objecter que le saint Jean qui a baptisé Notre-Sei-
gneur, a été décapité avant la passion du Fils de l'homme,
et que le saint Jean qui a écrit un évangile^, a continué de
vivre longtemps après la résurrection du Sauveur, puisqu'il
n'est mort que vers l'an 104 de l'ère nouvelle. Je conviens
que c'est là une objection qui, au premier abord, a quelque
chose de spécieux : mais c'est ici le cas, plus que jamais, de
se rappeler qu'en bonne logique il ne faut jamais rejeter un
fait évidemment prouvé d'ailleurs, quand bien même on ne
pourrait pas en expliquer quelques circonstances restées
obscures.
Je me suis parfois demandé comment il se fait que l'évan-
sua SAINT JKAN-n.VPTISTK KT LKS ÉV.wr.ÉLISTIi.S. oO.'J
géliste saint Jean soit le seul apôtre dont on ne connaisse
point (le relifpies. Cela s'explique à merveille, maintenant
que l'on a constaté l'identité de rËvangéliste avec le Pré-
curseur. N'ayant eu qu'un seul corps pendant sa vie, il ne
pouvait pas en laisser deux après sa mort. Les reliques de
saint Jean-Baptiste sont celles de saint Jean l'Evangéliste.
Aussi l'église d'Amiens peut, à juste titre, se glorifier d'un
double bonheur, puisqu'elle possède le chef vénéré de celui
qui a baptisé Notre-Seigueur, et qui a écrit l'Apocalypse dans
la solitude de Pathraos !
Les sculpteurs et les peintres, s'inspirant de l'article du
Moniteur, sauront désormais qu'ils peuvent représenter de
trois manières différentes l'apôtre saint Jean-Baptiste-l'Évan-
géliste, fils de Zacliarie et frère de saint Jacques-le-Majeur.
Ils devront lui donner une figure nerveuse, quand il dit aux
Pharisiens : Race de vipères...; une figure féminine, quand
il n'interpelle pas de la sorte les pécheurs endurcis; enfin,
ils pourront fondre ces deux caractères tant soit peu opposés,
connue l'a fait la miniature du Livre d'Heures d'Henri IV,
et donner au Précurseur une physionomie à la fois douce et
rude, calme et agitée, indulgente et sévère, nerveuse et fé-
minine, quand ils voudront inontrer que saint Jean ne dit
pas : Race de vipères mais qu'il pourra bien le dire à
V occasion.
N'oublions pas de remarquer un détail important. On sait
que les Juifs prirent d'abord saint Jean-Baptiste pour le
Messie. On a dit, pour expliquer leur erreur passagère, qu'ils
avaient dû être profondément frappés par la vie mortifiée, la
pureté de doctrine et la mission mystérieuse du divin Pré-
curseur^ et que, dans l'état des esprits d'alors, il n'y avait
qu'un pas à franchir entre l'admiration et l'adoration.
M. Dalloz rétablit la vérité sur ce point. Ce n'est pas une
TOMK VI. 43.
594 GRANDES DÉCOUVERTES HISTORIQUES
considération morale, mais une ressemblance physique qui a
produit ce quiproquo momentané.
(Ici, je ne puis m'empêcher d'ouvrir une parenthèse^ pour
faire remarquer combien les artistes du Moyen- Age ont été
peu intelligents. Ils auraient dû exprimer cette ressemblance
qu'avait le Précurseur avec celui qu'on a appelé le plus beau
des enfants des hommes : ils n'y ont pas songé. Les clôtures
de la cathédrale d'Amiens ont répété dix fois les traits de la
victime d'Hérode avec une âpreté qui ne rappelle nullement
la figure diiBon-Pasteiir. Je ne voudrais pas affirmer que la
physionomie de ces statues ne soit pas nerveuse ; mais à coup
sûr elle n'est pas féminine).
L'explication qu'a donnée M. Dalloz sur le motif qui a induit
les Juifs en erreur, pourra encore soulever les scrupules des
gens qui sont entichés de chronologie ; ils diront que lorsque
les Pharisiens allaient trouver saint Jean dans le désert, ils
ne pouvaient point être séduits par la ressemblance qu'il avait
avec Jésus, puisque les Juifs ne connaissaient guère alors la
figure du véritable Messie, qui vivait dans la plus profonde
obscurité, et ne s'était point encore révélé par une vie pu-
blique. Je ne me charge point assurément de répondre à toutes
ces arguties de détail, mais je ne m'en incline pas moins de-
vant l'affirmation du Moniteur^ en me disant qu'après tout il
y a bien peu de systèmes historiques sur lesquels ne planent
pas quelques nuages.
Des savants ont démontré que le premier évoque de Paris
et TAréopagite n'étaient qu'un seul Denis; d'autres ont af-
firmé que le pape saint Clet n'était autre que saint Anaclet.
Il y en a même qui ont condensé trois existences présumées en
une seule individualité réelle, et qui ont prouvé que Marie-
Magdeleine, Marie, sœur <le Lazare, et Marie, la pécheresse
de Naïui, n'étaient qu'une seule et môme Marie.
SUR SAINT JEAIN-IiAl'TISTK ET LES ÉVANGÉMSTES. ^dt)
]j'écrivain du Moniictir, marchant .sur la trace de ces éiu-
ditS;, continue à restituer à l'unité les saints qu'on avait eu
le tort de dédoubler. C'est la théorie de l'unité qui, du do-
maine de la politique, va passer dans les régions de l'his-
toire. 11 est probable qu'on ne s'arrêtera pas là. Pourquoi
n'appliquerait- on pas ce système de réduction aux deux Tar-
quin, aux deux Scipion^ aux deux Catoii, aux deux Pline,
aux deux Sénèque, et même aux trois Hérode, aux trois
Ciovis, aux trois Childéric? Pourquoi pas aussi aux deux
saints Jacques de l'Evangile. N'est-il pas possible que ce soit
un seul Apôtre, qu'on aurait appelé mineur^ dans sa jeunesse,
et majeur^ quand il aura eu atteint sa majorité?
Ce n'est là, il est vrai, qu'une simple hypothèse que nous
ne nous arrêterons pas à développer; nous avons hâte de
rentrer dans le domaine des faits bien constatés, en écoutant
les nouvelles révélations que M. Dalloz va nous faire sur le
farouche saint Matthieu et sur Y Apôtre saint Marc.
IL
« Cette tête rude et sereine, dit M. Dalloz, c'est bien là
« saint Matthieu, tel que nous l'enseigne l'Histoire, le fa-
« rouche publicain devenu l'Apôtre de la loi de charité. »
Les plus petits détails biographiques sont à recueillir quand
il s'agit des hommes célèbres, et, à plus forte raison, de ceux
que l'Eglise a placés sur ses autels. Il est curieux surtout
d'avoir des renseignements intimes sur leur caractère. Nous
apprenons ici que celui de saint Mathieu était farouche. C'est
un détail intéressant qu'il faut ajouter au peu que nous con-
naissions déjà de cet Apôtre.
On sait que les Romains donnaient le nom de publicain au
fonctioiniaire chargé de recueillir les impôts ; c'était une es-
.596 GRANDES DÉCOUVERTES HISTORIQUES
pèce de percepteur des contributions directes et indirectes.
A cette époque où le mécanisme administratif n'était pas
aussi avancé que de nos jours, un publicain avait besoin de
dépenser autant d'adresse que de paroles persuasives, pour
déterminer les Juifs à verser leur argent dans la caisse des
dominateurs étrangers. Matthieu, dont le caractère farouche
devait l'entraîner à la solitude, a donc été bien mal inspiré
de choisir une pareille profession, qui devait le mettre en
contact perpétuel avec la société. Mais, hélas ! on ne se con-
naît jamais bien soi-même, et le publicain de Capharnaiim
ne se doutait sûrement pas qu'il était né avec un caractère
farouche.
En se convertissant, Matthieu dut nécessairement modifier
son naturel. C'est sans doute pour exprimer cette transforma-
tion que M. Lehman lui donne une tête rude et sereine : rude,
pour rappeler que le publicain était farouche ; sereme, pour
montrer que l'Apôtre n'est plus farouche. Comme la peinture
est habile à fondre les contrastes et comme elle sait faire re-
vivre le passé et rayonner l'avenir à travers le présent !
M. Dalloz, par un excès de modestie, ne s'attribue pas le
mérite d'un renseignement qui lui est pourtant tout person-
nel ; il le met sur le compte de VHistoire. Nous soupçonnons
que l'Histoire^, assez peu causeuse sur saint Matthieu, n'avait
révélé à personne jusqu'ici cette appréciation de caractère.
Puisqu'elle a confié cette nouvelle au rédacteur du i¥om7ei/;-,
il faut en conclure qu'elle a pour lui des faveurs toutes
spéciales et qu'elle lui réserve des communications confi-
dentielles, refusées à tout autre qu'à lui.
m.
Ecoutons maintenant ce que l'Histoire nous apprend de
saint Luc, par V entremise de son secrétaire intime :
SUR SAINT JEAN-IiAI'TlSTE 1':T LES liVANGÉLISTES. T)!)?
« Saint Luc tient le pinceau et peint la Vierge Marie.
« M- Lehman s'est souvenu que le prédicateur des Gaules
« et de l'Italie, ces deux patries de l'art, est réputé pour
« avoir su la peinture. »
On savait ipie saint Luc avait été le compagnon de voyage
de saint Paul; miiis on ignorait dans ([uels lieux, après la
mort du grand Apôtre, il avait prêché rÉvangile. 11 parait
que c'est dans les Gaules, qui étaient alors une des deux pa-
tries de l'art. Voilà, certes, un fleuron de plus ajouté à la
couronne de l'Eglise gallicane, grâce àla mémoire de M. Dalloz
qui a remonté plus haut que les traditions de toutes les églises
de France ' .
M. Dalloz nous dit en passant que les Gardes et l'Italie sont
les deux patries de l'Art. J'avoue que je croyais à l'Art un
plus grand nombre de patries adoptives. J'éprouve d'ailleurs
un peu d'hésitation sur la manière dont il faut interprêter
ces deux actes de naissance. S'agit-il du berceau de l'art dans
l'antiquité? Mais, le Parthénon d'Athènes et les statues de
Phidias vont se formaliser, en s'entendant préférer les dol-
mens et les menhirs des forets celtiques. S'agit-il du Moyen
Age? les cathédrales de Cologne, d'Ulm et de Bamberg,
' Saint Epiphane a dit {adv. her. 51) que saint Luc avait prêché dans la
Dalmatie, la Gaule, l'Italie et la Macédoine. Il a confondu les Galates avec
les Gaulois que les Grecs nommaient également yaÀaxal. La Galatie, province
de l'Asie -Mineure, oùsnint Paulfondaune église,était souvent désignée sous le
nom de Gaule grecque L'erreur géographique de saint Epiphane a été repro-
duite dans plusieurs Encyclopédies. Aussi nous ne ferons pas un grave re-
proche à M. Dalloz d'avoir acceplé sans contrôle l'assertion de quelques Bio-
graphies universelles. — Saint Paul, dans sa deuxième Epître à Timothée, dit
que son disciple Crescent a prêché in Gcdatiam. Saint Epiphane a pensé
qu'il s'agissait là des Gaules el non de la Galatie. Ici la question peut être
débattue, car l'église de Vienne, en Dauphiné, réclame saint Crescent pour son
fondateur.
598 GRANDES DÉCOUVERTES HISTORIQUES
se voyant oubliées, vont chercher noise aux basiliques ita-
liennes. S'agit-il de temps plus modernes? les ombres de Mu-
rillo, de Velasquez, d'Albert Durer, de Van-Dick,deE,ubens
et de Rembrandt vont tressaillir de dépit; et l'Allemagne, la
Hollande, la Belgique et l'Espagne seront peu flattées d'ap-
prendre que l'art n'est qu'un étranger qui s'est borné à faire
dans leurs contrées quelques petits voyages d'agrément.
IV.
Nous arrivons à l'évangéliste saint Marc, que saint Jé-
rôme, mal informé sans doute, s'est borné à désigner sous le
nom de disciple de saint Pierre.
« Le saint Marc, dit M. Dalloz, a bien l'aspect sauvage
de l'Apôtre qui prit pour symbole le lion, se comparant à lui:
Vox clamautis in deserto. »
Jusqu'ici on n'avait compté que douze Apôtres. Voici le
collège apostolique enrichi d'un nouveau membre ; saint
Marc est le treizième.
M. Dalloz avait supprimé l'un des deux saints Jean ; il
nous offre en échange un Apôtre de plus : nous n'avons pas
à nous plaindre.
Cette découverte est d'une importance extrême, mais j'au-
rais presque autant aimé qu'elle n'eût pas été faite. Désor-
mais je serai obligé de mettre une réserve à mon admiration,
quand je considérerai les portails de nos cathédrales, où les
Apôtres sont invariablement fixés au nombre de douze. Par
une fatalité inouïe, saint ^larc a toujours été oublié. Ne pour-
rait-on pas réparer cette déplorable omission? Le Gouver-
nement ne pourrait-il pas allouer les fonds nécessaires pour
corriger cette défectueuse iconographie, et ajouter une trei-
zième niche à toutes nos galeries incomjdètes?
SUR SAINT JEAN-BAPTISTE ET LES ÉVANGÉLISTES. !S9'J
Je siivais bien ([uc les artistes du Moyen Age avaient
donné le lion pour attribut à saint Marc, parce que cet évan-
géliste(je devrais dire cet Apôtre) ouvre son récit en parlant
de saint Jean-Ba])tiste, qu'il appelle : La voix de celui qui a
crié dans le désert, pour préparer les sentiers du Seigneur.
Mais j'ignorais complètement qu'il se fût appliqué à lui-même
cette comparaison prophétique d'Isaïe,et surtout qu'il eût,
pour ainsi parler, blasonné sa renommée future, en prenant
pour symbole le roi des déserts. Je me demande quand et
comment il a pu faire ce choix ? S'est-il fait peindre par saint
Luc, en lui recommandant de l'accoster d'un lion ? A-t-il
voulu montrer par là qu'il était aussi sauvage que les ani-
maux des forets? Dans quel Musée conserve-t-on ce portrait
authentique? En vérité, la joie que j'éprouve en apprenant
tant de choses nouvelles, de la bouche- de M. Dalloz, est
quelque peu troublée par le regret de ne pas avoir de plus
amples détails.
Il en est un pourtant que je suis bien satisfait d'avoir re-
cueilli, c'est que saint Marc avait un aspect sauvage. Déci-
dément, les Evangélistes avaient une mine peu agréable ! En
laissant de côté saint Luc, dont on ue nous donne pas le si-
gnalement, je serais assez em.barrassé pour accorder une pré-
férence quelconque à la figure de l'un des trois autres. La
tête rude du farouche saint Mathieu ne m'est pas plus sympa-
thique que V aspect sauvage de saint Marc, et je ne saurais
me décider en faveur de saint Jean, parce que j'aurais tou-
jours à craindre que sa physionomie ne se contractât de colère
pour lancer le terrible anathhne : Race de vipères!
V.
Les érudits peuvent se classer en deux catégories : ceux
qui font des notes et ceux qui n'en font pas. Les premiers
600 GRANISHS DÉCOUVERTES HISTORIQUES
abusent souvent du droit de renvoyer leurs lecteurs à des
ouvrages qu'il leur serait difficile de consulter. Ces prudents
écrivains n'osent faire un seul pas sans s'étayer sur une foule
de citations grecques, latines et françaises. S'ils avancent
que Dieu a créé le ciel et la terre, ils indiquent vite en note :
Voyez la Genèse, chapitre i, verset I, — ou, ce qui est de
meilleur genre : Cf.Ge?}es., cap. i, /. î, ap. Bibl. vulgat.
ex edit. Sixti V et démentis V7//, Ro7nœ, 1592, inf, f 3, r".
S'ils se hasardent à dire que le vainqueur d'Austeriitz et
deMarengo a été un grand guerrier, ils renvoient le lecteur
aux Mémoires de Bourrienne, de Montholon, de Constant, de
Montiguy, de Las Cases, etc., dont ils indiquent l'édition^
le volume, le livre, le chapitre et la page, et même à quel-
ques manuscrits conservés à la Bibliothèque impériale ou aux
archives de l'Empire. Il y a d'autres historiens, au contraire,
qui n'offrent au lecteur que la garantie de leur parole, as-
sumant pour leur compte la responsabilité de leurs assertions.
Ils ont l'air de dire au lecteur : Croyez-moi ou ne me lisez
pas. C'est ainsi qu'en a agi M. Thiers dans son Histoire du
Consulat et de l'Empire.
M . Dalloz me semble appartenir à cette dernière école —
sous ce rapport seulement, bien entendu. — Pas une note,
pas une seule désignation de sources. Ceux qui n'aiment pas
les notes se déclareront satisfaits. Mais comme il s'agit de
faits entièrement nouveaux, qui bouleversent toutes les
vieilles données historiques, j'aurais assez aimé à voir indi-
qués les documents inédits qui ont dû servir de base à ces
systèmes novateurs. M. Dalloz ne l'a pas fait ; c'est le seul
reproche que je me crois en droit de lui adresser. Il a évi-
demment en sa possession des renseignements manuscrits des
premiers siècles, qui sont restés inconnus à tous les histo-
riens. Pourquoi ne pas les faire connaître? En les réservant
SUR SAINT JEAlN-UAlTISTE liT LKS ÉVANGÉLISTES. 601
pour lui seul, il s'expose à ce que ses doctrines historiques
ne reçoivent pus la sanction de la po[)ularité. Elles resteront le
privilège d'un très-petit nombre d'adeptes, et il y aura en-
core dans l'avenir une foule d'esprits routiniers qui s'oLstine-
neront à croire qu'il y a eu deux saints Jean, que le Précur-
seur ne ressemblait pas physiquement à son divin Maître,
que saint Matthieu n'était pas autrement farouche, et que
saint Marc n'a jamais été Apôtre.
Pour moi, ma conviction est bien arrêtée; j'accepte aveu-
glément le cours d'histoire sainte de M. Dalloz, qui, en vingt
lignes, m'a appris plus de choses que n'auraient pu le faire
vingt in-folios des siècles passés. Aussi je renonce volontiers à
la lecture de ces poudreux ouvrages qui se traînent toujours
dans l'ornière des opinions reçues, et, persuadé que la science
ecclésiastique a besoin d'être un peu sécularisée, je consa-
crerai désormais mes veilles à la lecture des Variétés du
Moniteur. J'espère avoir toujours la bonne fortune d'y ren-
contrer des aperçus historiques qu'il me serait impossible de
trouver ailleurs.
J. CORBLET.
SAINTE CÉCILE
glorifiée par les Arts,
Le culte de cette vierge martyre remonte aux premiers
siècles (lu Christianisme, comme le prouve l'insertion immé-
moriale de son nom vénéré au Canon de la blesse, document
liturgique de la plus haute antiquité : il figure également
dans les premiers ^lartyrologes parvenus jusqu'à nous, entre
autres dans celui d'Adon, archevêque de Vienne, au
IX« siècle.
Une église fut érigée à Rome sur l'emplacement de la
maison où elle avait souffert le martyre, au III** siècle, sous
le règne de l'empereur Alexandre Sévère. Cette basilique,
rebâtie depuis , est devenue un des plus illustres sanc-
tuaires de la Ville éternelle, et conserve les restes précieux
de sa patronne vénérée.
Le Sacramentaire du pape saint Léon-le-Grand (V® siècle)
avait ordonné, en l'honneur de Cécile, une formule de
prière très-remarquable.
La France ne fit pas attendre ses pieux hommages ; car
notre Missel gallican,, antérieur à Charlemagne, contient^ à
la louange de cette même Sainte, un très-bel office, publié
par Mabillon.
L'Espagne ne demeura pas en arrière, et les livres de sa
SAINTE ClîClLl!;. (J03
liturgie mozarabe, écrits au VI" ou VII® siècle, consacrèrent
non moins éloquemment la mémoire île l'héroïne chrétienne.
Le poète Fortunat, évêque de Poitiers (mort en 599), la
nomme parmi les vierges honorées de son temps^ et la pro-
clame un des ornements de la Cour céleste.
Ses actes, résumés par le Bréviaire romain (22 novembre),
nous la montrent vraiment prédestinée au concert des Anges
dans le ciel. Dès sa plus tendre enfance, cette jeune Romaine,
issue d'une famille patricienne, mais dédaignant les avan-
tages de la naissance, avait voué à Dieu son cœur et sa vir-
ginité. Ses parents, imbus des préjugés du paganisme, con-
trarièrent son pieux dessein, et lui firent épouser Valérien^
noble Romain, rempli, comme eux, de pensées toutes mon-
daines. Le jour des noces, tandis que des voix mélodieuses et
d'agréables instruments chantaient les douceurs de l'hymen
et les triomphes de l'amour profane, Cécile, recueillie en soi-
même, adressait à Dieu un hymne intérieur de louange et de
supplication : Et cantantibvs organù, illa in corde suo soli
Domino decantahat. Ces termes textuels d'une suave légende
donnèrent lieu, sans doute, d'attribuer à sainte Cécile le pa-
tronage de l'harmonie et de rattacher à sa mémoire l'inven-
tion de l'orgue, symbole par excellence de la musique reli-
gieuse.
Dieu exauça les prières de son humble servante, et en-
voya un Ange pour préserver de toute atteinte cette chaste
épouse de Jésus-Christ, qui appartenait au ciel avant d'être
fiancée à Valérien.
Ce jeune païen, son frère Tiburce, et d'autres infidèles
en grand nombre durent leur conversion à ce mariage,
miraculeusement transformé en apostolat.
Les Pères de l'Eglise ont à l'envi célébré les glorieux mé-
rites de la sainte martyre. Son panégyrique figure égale-
604 SAINTE CÉCILE
ment parmi les ouvrages des docteurs du Moyen-Age, tels
que Guillaume d'Auvergne, évoque de Paris, Albert-le-
Grand, et autres théologiens.
Les prédicateurs français du XVIP siècle suivirent ces
beaux modèles, et traitèrent le même sujet; nous pouvons
nommer, entre tous, le Père Sénault. de l'Oratoire : ce bril-
lant panégyriste de la courageuse vierge romaine s'élève à
une grande hauteur de pensées et d'images, quand il vient,
à parler de l'art distingué que cet auge terrestre aimait à
cultiver.
De nos jours, un pieux et savant écrivain, dom Guéranger,
fondateur de la nouvelle Congrégation des Bénédictins de
France, a publié une remarquable Vie de sainte Cécile.
Dans ce travail plein d'érudition, il explique parfaitement
comment la chrétienté a proclamé sainte Cécile la reine de
r harmonie.
L'art que Cécile aimait, et qu'elle a sanctifié par ses vertus
sublimes, ne s'est point montré ingrat envers sa mémoire.
Au XVI' siècle, dom Maur Chiaula, bénédictin de Palerme,
mit en musique un drame sacré, moitié latin et moitié ita-
lien, de Théophile Folenge, religieux du même ordre; sainte
Cécile était le sujet de cet oratorio, qui fut exécuté dans une
église de Palerme, à l'instar des mystères du Moyen-Age ' .
Le siècle suivant goûta les belles hymnes latines que notre
grand lyrique Santeuil^, l'Horace chrétien de la France, avait
composées pour l'office de cette même vierge -martyre.
Le protestantisme anglais, bien qu'hostile au culte des
saints, a respecté le nom de Cécile ; et la solennité du 22 no-
vembre a trouvé grâce devant l'hérésie, du moins comme fête
civile et artistique. On la voit inscrite au calendrier de l'église
' ZiEGELBAi'Jtu, niai. lui. 0. s. B. pars secunda, p. 346.
GLORIFIÉE PAR LES ARTS. 005
anglicane, (le munie que snr celui de Rome. Voltaire va nons
expliquer, à sa manière, cette bizarrerie frappante : « Les rois
« d'Angleterre, qui ont conservédans leur île Ijeauconpdeleurs
it anciens usages, perdus dans le continent, ont lenr poète
« eu titre d'office; il est obligé de faire tous les nus, une ode
« à la, louange de sainte Cécile, qui jouait si merveilleuse-
« ment du clavecin ou du psaltérion, qu'im Ange descendit
« du ciel pour l'écouter de plus près ' . »
Vers la fin du XVII" siècle, le célèbre Dryden, un de ces
poètes en titre iVoffice, eut à payer le tribut annuel, et s'en
acquitta d'une façon remarquable. Ses deux odes de circon-
stance sur le pouvoir de la musique sont réputées le chef-
d'œuvre de la littérature anglaise dans le genre lyrique ; un
beau désordre y règne,- tout y respire l'enthousiasme et le
feu sacré. Elles ont été plusieurs fois mises en musique, no-
tamment en 1755, par l'illustre allemand Georges-Frédéric
Haendel, le maestro adoptif de nos voisins d'Outre-Mauche,
dont le ciel épais n'a produit jusqu'ici aucun compositeur
passable.
Après Dryden nous pourrions citer Congrève, Addisson,
Pope et d'autres, qui remplirent avec honneur la même tâche.
Ce thème poétique exerça, pendant plusieurs siècles, le ta-
lent des versificateurs britanniques; nulle part, peut-être,
sainte Cécile n'a obtenu de plus magnifiques éloges que sous
les brumes de la froide et positive Albion.
La peinture et la sculpture ont pris soin, comme l'éloquence
et la poésie, de célébrer l'auguste patronne de la musique.
Une indication sommaire des principales œuvres inspirées
par cette Heur de nos légendes chrétiennes ne sera peut-être
pas sans intérêt.
' Dict. j)JnIo.<t. au mot poètes.
C06 SAINTE CÉCILE
Les Catacombes d'abord renferment deux images bien vé-
nérables, dans la partie la mieux connue de ces vastes sou-
terrains, où le corps de l'illustre vierge fut primitivement
inhumé. Ces peintures, contemporaines de son martyre, re-
montent par conséquent au IIP siècle : l'une est un frag-
ment de mosaïque provenant du cimetière de Saint-Calixte,
qui s'étendait sous la voie Appienne : elle représente Cécile
et son fiancé Yalérien, vêtus et drapés à la Romaine, la tête
rayonnante du nimbe des bienheureux, et tenant à la main la
couronne du martyre. L'autre image a été découverte, de-
puis quelques années seulement, sur un pan de muraille du
cimetière de Saint-Cyriaque inexploré jusqu'alors : cette
figure, d'un grand et beau type, nous montre une femme
richement parée, avec l'inscription authentique : Sanda
Cœcilia ; ses attributs symboliques sont les mêmes que dans
la précédente. Ces deux peintures ont été reproduites, avec
leurs vraies couleurs, dans le splendide ouvrage de M. Louis
Perret sur les Catacombes (t. i, pi. 75, et t. m, pi. 39). On
voit par ce fac-similé qu'elles furent exécutées rapidement,
seule manière dont les artistes chrétiens pussent travailler
en ces temps de persécution, où ils décoraient à la hâte les
tombeaux cachés des saints Martyrs.
Lorsqu'au IX^ siècle (vers 821) le pape Pascal P'' tira de
sa sépulture primitive le corps intact de Cécile, pour le trans-
férer dans la basilique érigée en son honneur sur le lieu
même de son supplice, il fit orner l'abside de mosaïques par-
venues jusqu'à nous. Le docte archéologue Ciampini en
donne la description accompagnée de planches [Vetera mo-
nimentay t. Il, p. 116, col. 2 et p. lo8 : une de ces cu-
rieuses gravures (p. 160) nous remet sous les yeux Cécile et
Valérien; l'un et l'autre ont la tête entourée du nimbe, et
tiennent en main la couronne des élus ; la vierge romaine est
GLORIFIEE ÏAR LES ARTS. G07
vetiie en mariée ; sa physionomie respire une douce séré
ni té.
Cette église, déjà fort ancienne, acquit une nouvelle splen-
deur sous les auspices de Pascal I^^ Ce même i)()ntiie la gra-
tifia d'objets précieux, entre autres d'un magnificpu; orne-
ment de couleur pourpre et or, où d'habiles mains avaient
retracé quelques épisodes de la légende ' .
Ce sanctuaire privilégié, restauré à différentes re[)rises,
s'enrichit successivement de chefs-d'œuvre, parmi lesquels
on distingue les tableaux où le Guide a traduit les prin-
cipales circonstances de la vie et de la passion de Cécile ;
mais le plus beau morceau, est sans contredit, une statue
sculptée par Etienne Maderne, à la fin du XVP siècle, re-
présentant la sainte martyre couchée sur le côté, posture
modeste qu'elle-même prit en expirant, et qu'elle avait gar-
dée dans le sépulcre où le pape Pascal la retrouva, comme
au jour de sa mort.
Vers 1450, le pieux fra Giovanni di Fiesole, dit VAngelico,
plaçait sainte Cécile dans le tableau du Couronnement de la
Vierge et des Miracles de saint Jérôme, destiné au couvent
des Dominicains de Fiesole, où ce peintre était moine profès;
on l'admire maintenant au Musée du Louvre.
Au XVIe siècle, Jacques de Puntormo peignit à fresque
une sainte Cécile, tenant des roses à la main, au-dessus de
la porte d'un bâtiment de Fiesole, le Poggio^ alors occupé
par une confrérie artistique et pieuse, érigée sous l'invoca-
tion de cette Sainte .
Au commencement du môme siècle, le divin Raphaël fit
un merveilleux tableau de sainte Cécile pour l'église Saint-
Jean du Mont-de-Bologne. Dans cette ravissante composition,
' Anastask, de VU 2)ontif., t. i, p- 268.
608 SAINTE CÉCILE
lii mélodieuse vierge, aux pieds de laquelle gisent épars les
emblèmes de la musique protaue, abaisse son psaltériou an-
tique, et, le regard fixé vers les cieux, écoute les harmonies
plus parfaites que des Anges exécutent au-dessus de sa tête.
A ses côtés sont groupés saint Paid, saint Jean l'Evangéliste,
saint Augustin et sainte Madeleine, auditeurs attentifs et
recueillis du concert céleste.
Ce chef-d'œuvre incomparable, que Vasari appelle u?ia
tavola divina e non pinta (un tableau divin plutôt que peint
de main d'hommei, était sur bois. A la fin du siècle dernier,
on l'apporta à Paris, pour le mettre sur toile et pour le res-
taurer, par un procédé ingénieux que les Italiens ne connais-
saient pas alors. Cette opération ayant bien réussi, on l'ex-
posa en 1802, au Louvre, où le public vint l'admirer. Nous
le possédions par droit de conquête ; mais il fallut, an grand
regret des connaisseurs, le rendre aux Bolonais, après les
événements de 1815, qui nous ont obligés à restituer à
l'Italie et à l'Allemagne plusieurs joyaux du même prix.
Une autre église de Bologne, dédiée sous le titre de Sainte-
Cécile, avait été peinte à fresque, aux XV° et XVP siècles,
par Francia et ses élèves; l'histoire de la patronne leur avait
fourni le sujet de cette œuvre magistrale.
Le Dominiquin, une des gloires de l'école bolonaise, au
XVir siècle, embellit de cinq fresques la chapelle de Sainte-
Cécile, dans l'église de Saint-Louis des Français, à Eome :
ces pages où se déroule la légende, subsistent, quoique alté-
rées par différentes restaurations ; une d'elles représente la
noble et charitable Romaine, distribuant ses biens aux
pauvres; une autre retrace les douloureuses circonstances
de sa mort ; la dernière nous la montre, non plus au milieu
des tourments, mais déjà dans le ciel, associée au chœur des
bienheureux et jouant du violon, tandis que ses compagnes
GLORIFKE PAU LES ARTS. G09
émues eiitoiment les louanges de Dieu. Le mC'me sanctuaire
garda longtemps une copie de la sainte Cécile de Raphaël,
faite par Le Guide.
Outre ces peintures murales, Le l)(jnruiiquiu consacra
spécialement deux tableaux sur toile à la sainte musicienne.
Le premier montrait Cécile assise devant un orgue dont ses
doigts parcouraient le clavier, tandis qu'un chœur d'Anges
groupés au-dessus d'elle se joignait à ses accords. Dans le
second, la bienheureuse joue de la basse de viole, en chan-
tant les paroles traditionnelles du psaume 118 : Fiat cor
memn immaculatum ut non confiindar ! Sa figure respire une
tendre piété ; un Ange, messager du Très-Haut, lui sert de
pupitre, en lui tenant le livre noté. Par cette allégorie, le
peintre a voulu exprimer combien les vœux et les prières de
Cécile étaient agréables au Seigneur, et combien ses purs
accents délectaient même les Esprits célestes. Louis XIV fit
acheter pour sa galerie ce dernier ouvrage, qui se voit au
Musée actuel du Louvre.
Un contemporain du Dominiquin, et de la même école.
Le Guerchin, nous a laissé une autre sainte Cécile touchant
l'orgue ou le clavecin : elle appartient également à la collec-
tion du Louvre.
Les Carraches reproduisirent à fresque la légende en-
tière, dans le cloître deSaint-Michel-du-Bois, à Bologne ; l'un
de ces tableaux, imité de Kaphaël, idéalisait la sainte musi-
cienne, ravie en extase, à l'audition miraculeuse des mélo-
dies ineffables, et jetant à terre son instrument, par humilité.
Il paraît que ces peintures précieuses sont maintenant expo-
sées aux intempéries de l'air et dans un état déplorable '.
Le digne élève des Carraches, Guido Reni, a peint Cécile
' Du Pays, Itinéraire de l Italie, p. 412.
TOME VI. 44
610 SAINTE CÉCILE
s'appuyant sur lui clavier d'orgue, et tenant une palme,
double symbole de son talent et de son martyre. Cette pro-
duction de la première et meilleure manière du Guide, ap-
partient au p.'dais ducal de Lucques.
Cantarini, disciple du Guide, peignit, à l'instar de son
maître, une sainte Cécile touchant l'orgue, et, à côté d'elle, un
Ange attentif : le Musée royal de Munich garde ce tableau
estimé .
On cite encore deux saintes Cécile de Carlo Dolci, peintre
florentin du XVIP siècle, échues, l'une à la galerie du pa-
lais de l'Hermitage de Saint-Pétersbourg, l'autre au Musée
royal de Dresde.
Déjà, avant le Dominiquin, le Guerchin et le Guide, on
avait du Parmesan une sainte Cécile, jouant aussi de l'orgue,
suivant la tradition admise. *
Rubens la peignit de môme dans un tableau indiqué
comme appartenant à la galerie du château royal de Postdam.
Il traita plusieurs fois cette figure d'après d'autres données;
par exemple, il en orna la voûte de l'église des Jésuites
d'Anvers, incendiée en 1718.
Van-Dick, imitateur en cela du Dominiquin, la représente
jouant du violoncelle, et accompagnée par un chœur d'Anges
qui plane au-dessus de sa tête.
Ces exemples, et d'autres dont j'omets la nomenclature,
démontrent que les écoles de Flandre et d'Allemagne ne res-
tèrent pas en arrière de celles d'Italie, pour varier un thème
plein de charme. Les gravures sur bois d'Outre-Rhin, l'a-
vaient aussi popularisé, au XVP siècle, par des images très-
répandues alors ; entre ces produits naïfs et parfois gracieux
de l'ancieime xilographie germanique, je citerai la fameuse
chronique de Nuremberg, imprimée dans cette ville en 1493.
Une des deux mille estampes, mêlées au texte latin de cet
GLORIFIÉE PAR LES ARTS. (ill
énorme in-tblio, curieux prototype de nos livres illustrés,
offre un luiste de sainte Cécile modelé à l'antique.
Notons, en passant, les stalles historiées de la cathédrale
d'Ulm, (|ui exhibent, dans la variété d(^ leurs sculptures,
l'iniage de la sainte martyre.
L'école espagnole du XVIP siècle nous offre une sainte
Cécile de Zurbaran, Cette toile a fait momentanément i)artie
d'une collection que le roi Lous-PhUippe avait formée au
Louvre, et qui a été vendue en détail après la catastrophe
de 1818.
Nous arrivons enfin à des œuvres françaises.
Avant les grandes compositions apparaissent les minia-
tures du Moyen-Age ou de la Renaissance. Le XV siècle
nous a légué, en ce genre, un véritable bijou, à savoir, le
riche Missel de Jean Ju vénal des Ursins, que j\[. Ambroise
Firmin Didot, le savant typographe-bibliophile, vient d'ac-
quérir et de céder sans bénéfice à la ville de Paris. Il en a
retracé les beautés dans une bonne Notice, où se trouve l'in-
dication suivante : « On ne saurait rien voir de plus gra-
« cieux ni de plus touchant que la miniature qui nous repré-
« sente sainte Cécile dans sa chambre nuptiale, disant à son
« jeune époux Valérien qu'un Ange la protégeait, et que
« depuis longtemps elle était fiancée au divin Maître. Au
" moment où elle le convertit, un Ange descend sur eux, et
" les unit en posant sur leurs têtes les couronnes du mar-
« tyre. »
Du XV siècle nous passons au XVIP, et des petites mi-
niatures à la peinture magistrale. Le Musée de ]\Iontpellier
possède une belle sainte Cécile attribuée à la jeunesse du
Poussin. Son ami, Jacques Stella, en fit une autre pour les
Jésuites du collège de Lyon. Puis, le gracieux Mignard vint
imiter avec bonheur d'illustres devanciers ; cette composition.
612 SAINTE CÉCILE
primitivement destinée au château de Versailles, a pris place
au Musée du Louatc. La Sainte est coiffée d'un turban ;
elle est assise, lève les yeux au ciel, et chante en s' accom-
pagnant de la harpe : un Ange debout et appuyé sur son
genou, tient un livre de musique ouvert; à gauche, on voit
une basse de viole, posée contre une table recouverte d'un
tapis; à droite, gisent épars plusieurs autres instruments.
Dans cette brillante page, Mignard s'est souvenu à la fois de
Raphaël et du Dominicpiin; mais^ tout en leur empruntant, il
a su imprimer son cachet individuel aux idées que l'un et
l'autre lui avaient fournies.
Pour couronner cette glorieuse série de monuments
iconographiques, Paul Delaroche exposa, au salon de 1837,
une nouvelle sainte (décile , qui a été bien gravée par
M. Forster.
Le suffrage public, ratifiant les éloges unanimes de la
presse, rangea cette délicieuse composition parmi les meil-
leures productions d'un génie habituellement heureux et
sympathique. C'était son premier essai de peinture reli-
gieuse ; mais il prouva que son talent flexible pouvait s'éle-
ver tout d'abord aux plus hautes conceptions d'un genre
nouveau cependant pour lui. D'ailleurs, en restant soi-même
dans le libre usage des thèmes classiques et dans le rajeunis-
sement spontané de la figure traditionnelle, le peintre favori
du dix-neuvième siècle s'était approprié habilement les in-
spirations tombées dans le domaine commun de l'art. Les
maîtres ont toujours aimé ce suave et fécond sujet d'étude ;
probablement, P. Delaroche ne sera pas le dernier de ceux
qu'aura inspirés cette personnification touchante de l'hé-
roïsme chrétien dans la femme régénérée, ce mélange sur-
humain de force et de douleur, ce type accompli de l'âme
pure, cette poésie intime d'un cœur transporté au-dessus
GLORIFIÉE PAR LES ARTS". (il 3
(les affections terrestres sur les ailes de lu loi et de l'amour
divin.
La sculpture moderne a voulu payer également son tribut
d'hommage; M. Foyatier exposa, au salon de 1815, une
statue de sainte Cécile, qui, nous devons le dire, fut sévère-
ment critiquée...
L'ancienne peinture sur verre avait souvent revêtu de ses
plus riches coideurs les actes de l'illustre martyre : les fe-
nêtres historiées de nos vieilles basiliques conservent des
■fragments précieux de sa légende, popidaire au Moyen- Age;
témoin la métropole de Bourges, où les imagiers du treizième
siècle l'ont fidèlement retracée.
La splendide église d'Alby porte le titre de Sainte-
Cécile, dont le culte y demeure vivace et fervent, après tant
de siècles et de révolutions. Outre les témoignages quotidiens
de la confiance des populations, cet admirable vaisseau voit,
chaque année, le 22 novembre, les virtuoses du Languedoc
accourir de quinze ou vingt lieues à la ronde pour fêter di-
gnement, sous ses voûtes antiques, leur chère et vénérée
patronne.
Ces souvenirs, et d'autres que des recherches plus éten-
dues nous révéleraient sans doute, démontrent bien l'ancien-
neté de la dévotion à sainte Cécile, perle choisie dans le
riche écrin des légendes romaines. En adoptant le même
patronage, les nouvelles sociétés chorales de France ont
suivi une louable impulsion du passé.
L'harmonie, à laquelle le paganisme avait donné pour pro-
tecteurs le dieu Apolton et la muse Euterpe, de mythologique
mémoire, a retrouvé dans Cécile une sainte titulaire. Mais
quelle difîërence profonde entre ces deux ordres d'idées !
D'un côté, l'empire des passions, le culte des sens, le
charme frivole d'une audition souvent dangereuse ;derautre.
614- SAINTE CÉCILl': GLORIFIÉE l'AR LES ARTS.
la vertu et la pureté personnifiées. Les vibrations éthérées de
la lyre chrétienne ont-elles jamais troublé la paix ou l'inno-
cence du cœur? Tel est l'incontestable avantage des chants
sacrés sur les modulations profanes : cette supériorité mo-
rale du sentiment religieux faisait dire à un éminent com-
positeur, Lully : « Je donnerais volontiers mes airs d'o-
péras les plus estimés pour la mélopée anticpie et simple des
préfaces du Missel romain. » L'Eglise a divinisé en quelque
sorte la musique et les autres arts, en les appliquant aux
louanges du vrai Dieu; sainte 'Cécile, substituée sur nos
autels aux déités mensongères du Parnasse, exprime admira-
blement cette heureuse transformation. Puisse-t-elle donc
inspirer et bénir ceux qui l'invoquent comme leur reine!
Puissent leurs accents rester toujours dignes d'une si haute
protection et d'une origine céleste! Car, ainsi que l'a dit
Chateaubriand : << Le chant nous vient des Anges, et la
« source des concerts est dans le ciel. Le Christianisme
« a inventé l'orgue et donné des soupirs à l'airain même. 11
« a sauvé la musique en des siècles barbares. »
A. DUPIIE,
Bibliothécaire de la ville de Blois.
P. S. Si les limites restreinles de cet article nous l'avaient permis, nous
aurions pu parler de quelques autres tal^leaux où figure la patronne de la
Musique. Nous nous jjornerons, en terminant, à mentionner le Marti/re de
saillie Cécile, [lar Jules Romain, dans les thermes du palais Valérien, à
Rome; un tal)le;iu de Jean SchefFer, au musée de Vienne, en Autriche;
sainte Cécile louchant de l'oryue, par Lucas de Leyde ; sainte Cécile plongée
dans une chaudière d'huile bouillante, par Circiniaco, à Sainl-Etienne-le-
Rond, à Rome; sainte Ceri/e, par Vanius, cti'.
LA MORT DE SAINT JOSEPH
Tableau attribué à Raphaël.
On s'occupe beaucoup (l;i!is le monde artistique d'un nui-
gnifique tableau représentant la mort de saint Joseph, qu'on
attribue à Raphaël ( V. la gra vivre qui est en tête de cette livraison) .
Cette toile ne mesure que 47 centimètres de largeur sur
45 de hauteur. Elle est longtemps restée ignorée, parce
qu'elle a été transmise, de génération en génération, dans une
même famille de Eome. M. l'abbé Nicolle, secrétaire de Son
Eminence le Cardinal di Pietro, vient de mettre ce tableau
en vente au prix de huit millions. Dans une Notice explica-
tive qu'il a publiée, il laisse déborder son enthousiasme pour
ce chef-d'œuvre qu'il dit être tout entier de la main de
Raphaël, supérieur à la Transfiguration et à tout ce que le
génie humain a produit de plus inspiré.
Saint Joseph, couché sur son lit d'agonie, va rendre son
âme à Dieu. Ses yeux sont fixés sur le ciel où il va trouver
la récompense de ses vertus. A sa droite, le Sauveur lui
soulève la tête pour recueillir son dernier soupir et semble
lui révéler les secrets de l'éternité. De -l'autre côté, on voit
Marie oppressée d'une profonde douleur que tempèrent pour-
tant la résignation et la foi.
Les critiques et les artistes qui partagent l'opinion de
M. l'abbé Nicolle, invoquent une tradition qui affirme que
Raphaël a exécuté cette œuvre, pendant sa dernière maladie,
pour se préparer à la mort du juste. Ils y reconnaissent son
dessin et sa couleur.
616 UN TABLEAU ATTRIBUÉ A RAPHAËL.
Le Journal des Beaux-Arts est loin de souscrire à cet avis :
« Ce tableau, nous dit-il, de beaucoup postérieur à l'époque
de Raphaël, procède de l'école française et ressemble à un
Lesueur déteint. Ni le style, ni les caractères, ni le dessin,
ni la couleur ne sont de Raphaël, ni même ne rappellent
de loin Raphaël. »
Un de nos amis, dans les Annales de Saint-Joseph, apprécie
ce tableau de la manière suivante : « Un raccourcis des
plus savants caractérise le sujet principal dont la tête et le
torse peints en pleine lumière, sont vraiment forts beaux; les
traits de la Vierge sont nobles et dignes en tous points d'un
personnage aussi sublime ; mais, en compensation, le Christ
est lourd et même, convenons-en, un peu vulgaire. Il nous a
été donné, pendant nos voyages, d'étudier beaucoup de vrais
Raphaëls et aucune des trois manières du maître ne nous a
rien offert qui, de près ou de loin, ressemblât au tableau de
M. Nicolle. »
M. Ch. Pelloquet, dans un article du Monde illustré, trouve
dans la Vierge un souvenir confus d'André del Sarto, mais
il reconnaît le style éclectique de l'école bolonaise dans l'en-
semble de la composition.
Un artiste belge, M. Picqué, croit reconnaître dans cette
toile une esquisse faite pour une fresque de Carlo Maratti
qui aurait été gravée, en contre partie, par Rob.-Van. Au-
denaerde.
Quelle que soit la divergence des opinions sur l'auteur de
ce tableau, ce n'en est pas moins une œuvre éminemment
remarquable, où respire une grande élévation de pensées et
un grand fini d'exécution. 11 est donc vivement à désirerque
l'administration du Louvre puisse acquérir ce chef-d'œuvre
et que, d'un autre côté, M. l'abbé Nicolle abaisse ses préten-
tions à un chiffre abordable. j. o.
à
REVUE DE L'ART CHRETIEN
5,6, Sandales attribuées an B Eqinon , eveqiae de Vérone + BC2
7,8,9, lO.Sanaales ecclésiasiiriues prises surb'ois maiiusm^s d-uX!': silcle
11. Sandale d Arno-ult 1" Arrhevêque de Trêves + 1183.
12. Sandale de Philippe de Dreux eveque de Beauvais + 1217 .( d'après son lombeau
13. Sandale Je-A/illia-m deWanefle^e /eveque deWinclieskr.U^? -i486.
LES SANDALES ET LES BAS
(.INQUIEME ARTICLE
CHAPITRE VI.
s A W D A L E s E P I S C O P A L E S .
Forme, matière et couleur. — Suivant toute probabilité,
rorigine d'une chaussure, exclusivement affectée aux céré-
monies du culte, remonte au pape saint Etienne I (255-257),
qui interdit au clergé l'usage des vêtements sacerdotaux
hors de l'enceinte sacrée ' . La première chaussure épiscopale
fut incontestablement la solea [fig. l), semelle attachée au
moyen de deux courroies latérales, croisées sur le cou-de-
pied, lesquelles, après avoir contourné le bas de la jambe,
venaient se réunir à un appendice en métal ou en cuir (06-
strayuluin), placé entre le gros orteil et le doigt voisin. Le
pape Pelage II est ainsi représenté sur le grand arc de
* Voir le numéro de novembre, p. 561.
* « Hic constituit sacerdotes et levitas ut vestes sacratas in usa quotidiano
non uti, nisi in ecclesia tantum. » Anastase, 5. Slephamis, 24.
TOMK V Décembre 1862. 45.
618 LES SANDALES ET LES BAS.
Saint-Laurent extra-miiros (578), et les restes d'une statue
de saint Hippolyte, évêque et martyr (IIP siècle), font com-
prendre qu'elle portait la même chaussure ' .
De la solea^ qui laissait les orteils complètement dénudés,
à lucarbatina, la transition ne fut pas difficile. Cette dernière,
agreste et populaire, qui ne garantissait que la plante et les
bords extérieurs du pied, rentrait, comme la solea, dans
l'esprit apostolique. On ignore le moment précis où les car-
hatinx s'introduisirent dans le costume épiscopal ; mais le
nom de campagus qu'elles reçurent d'abord, appartenant déjà
à un cal cecunent 11771 impérial de forme analogue, il serait
invraisemblable de leur assigner une date antérieure au
TV® siècle, lorsque, sortie des catacombes, l'Eglise prit place
aux côtés du souverain temporel. D'ailleurs, le terme cam-
paguSy spécifiant un vêtement ecclésiastique, ne parait pas
avant le YP siècle et, seulement au YIP, on le rencontre ap-
pliqué à la chaussure pontificale , bien que tout porte à
reculer cette application jusqu'à une époque plus éloi-
gnée^.
L'assertion d'un écrivain du VIP siècle et un passage
d'Anastase tendraient à faire du campagus un objet exclu-
sivement réservé au Pape. Les vers de Théodulfe, cités au
chapitre III, et surtout les monuments, dont je m'occuperai
tout à l'heure, prouvant que les Evêques portaient le cam-
pagus aussi bien que le Souverain-Pontife, les termes absolus
de VHypomnesticon ne peuvent toucher qu'à un minime dé-
• CiAMPiNi, \Ul. mon., t. II, pi. 28. — Anastase, éd. Migne, t. i, p. 1295.
Cette statue, provenant des fouilles opérées à Saint-Laurent exlra-muros en
1551, a été déposée au Vatican.
. * S. Grégoire, lib. vin, ép. 27. — De Exllio S. Martini PP., v. au
chap. préc.
LES SANDALES fcT LES BAS. Gtî)
tail croriiemeiit OU de couleur'. Après le VHP siècle, cain-
pagusj, synonyme de sandaliumy dispanùt du vocabulaire
liturgique; Amalaire (81:2), Anastase (809) et Durand, qui
l'emploient comme une locution vieillie, en altèrent l'ortho-
graphe véritable, et, si plus tard, le mot conserve son sens
primitif dans quelques Bulles émanées du Saint-Siège, l'ex-
ception confirme la règle".
Sauf le calceamentum de Maximianus, à St-VitaldeRavenne
(VP siècle), ca/ceame/z/wm. très-analogue à la chaussure actuelle
du montagnard des Abruzzes, tous les campagi figurés sur
les mosaïques se ressemblent entre eux, qu'ils appartiennent
à des Papes on à des Evoques. Ils consistent en une semelle
munie d'un quartier, de flancs bas et d'une courte empeigne,
soit taillée carrément, soit découpée en cœur ; des courroies
croisées ou une bride transversale les attachent au p ied
[fi g. 2). La sandale antique gardée à Saint-Martin des Monts
(Rome), qu'elle provienne ou non du pape saint Martin (649-
654), constitue un campagus remontant à une époque très-
reculée {fig. 4j. Je pense avecRocca que cette chaussure avait
' ft Particula sancti orarii, id est fascialis [S. Martini 1) quée «ibi ab eo di-
missa, et unus ex campagis ejus, id est caligis, quos nullus alius inter homines
portât, nisi sanctus Papa Roraanus. » Uyi)omn.,dc Anast. apocris., ap. Coll.
Anast. Bibl., éd. Sihmond, 1620, p. 259. — » Accedens enim Maurianus
subdiaconus, orarium de ejus collo abstulit, et iinte pedes ejus projecit et
compages ipsius abscidit. ■> Awastase, Sleph. m, 272. (Dégrad. de Con-
stantin.)
- « Congruum est ut nosmetipsos absolvamus de sandaliis, sive ut alio no-
mine campohis, qui supersunt in pedibus. » De Eccl. off., lib. ii, c. 18. —
Parmi les Ordo que Mabillon ne considère pas comme postérieurs au Villes.,
le n" I, se tait quant aux chaussures ; le n" v dit « odhones et campagos • et
le n" VIII, (Qûomodo episcopus ordinetur) « et induit euin dalmatica, pianota
et cmnpobus » Mus. liai., t. ii, p. 6, 1, 64,88, — « Dalmaticœ, campagc-
rura, etc.... usum tilîi concedimus. » Privil. d'Urbain II à Hugues, abbé de
Cluny (1088), ap. Dd Cange. — Durakd écrit compagus.
620 LES SANDALES ET LES BAS.
autrefois des cordons et un quartier que le temps, si ce n'est
la main des hommes, a fait disparaître '.
Les Annales de l'Eglise Gallicane mentionnent de bonne
heure une chaussure épiscopale appelée subtalaris. On lit dans
les Actes des Evoques du Mans que saint Innocent (545),
saint Iladoin (655), saint Béraire (670), Gauziolène (770)
laissèrent par testament et en usufruit fprecariaj à divers
abbés « ad opus episcopi cambutta I et subtalares IL » Le
legs du dernier était même fort riche : « cambuttam I opti-
« mam et subtalares II bene ornatos. » Toutefois, le premier
liturgiste, qui applique la dénomination sandalitim à la chaus-
sure ecclésiastique, est Bède (VHP siècle). Cet auteur entend
par sandale ou solea, un vêtement laissant la partie supé-
rieure du pied découverte, et il l'attribue aux prêtres en gé-
néral". Amalaire spécifie la sandale épiscopale et la montre
assez conforme aux campagi de notre planche ffig. 2 et A).
On y voit, en sus de la semelle, une empeigne et un quartier
non adhérents l'un à l'autre ; une languette prolonge l'em-
peigne sur le cou-de-pied ; la chaussure entière est doublée
de peau blanche, fortement cousue à la partie externe
autour de l'entrée du pied ; des courroies servent à l'atta-
cher ^. Walafrid Strabon (842) se borne à ranger au nombre
• Revue arcJi., t vu, pi. 145. — V. Cl^mpini, loc. cit., })1. 29, Honoiius I
et Symmaque (S -Agnès, 626| ; pi. 31, Jean IV, Théodore I, saint Venance
et saint Domnio, évoques (Oiat. de S. -Venance, 641); pi. 37, Giégoire IV et
saint Mai'c pape (S. -Marc, 774). — Tkes. pont, antiq., t. il, p. 379, pi.
- Mabillow, Ànalecta, p. 246, 269, 273, 286. — « Induunt quoque sacer-
dotes pedes sandaliis. » De Sept. ord. — Proinde Marcus dicendo calceari eos
sandaliis vel soleis, aliquid hoc calceamentum mysticae significationis habere
admonet, ut pes nec tectus sit neque nudus ad terram, id est nec occultetur
evangelium, nec tenenis commodis innitatui'. » In Marcmn, c. vi, lib. ii ;
Op. \, p. 58.
' « Lingua de albo corio quœ subtus calcaneum est.... Lingua quae inde
LES SANDALES ET LES DAS. 621
(les ponli/iralia les sainlnles, que lllmbaii Maur (817), à
l'exemple de Bcde, nomme soleœ sacerdotis, eu rapportaut
leur origine au texte de saint j\[arc. La Messe de Ratold
(986)- les mentionne, tandis que le Sacramentaire de saint
Grégoire, la Messe d'Illyricus et le Pontifical de saint Pru-
dence (8i0) sont muets à leur égard ' . Le fîiux Alcuni (après
1000) développe les idées de Klniban Maur : « Sandaliœ di-
cuntur solea3. Est autem genus calceamenti quo induiintur
ministri ecclesiœ, subterius quidem solea muniens pedes a
terra, snperius vero nil operimenti liabens : patet, quo jussi
sintApostoli a Domino indui. » Ives de Chartres (1097) et
Hugues de Saint- Victor (1120), moins absolus, accordent
une empeigne tailladée à la sandale, dont Rupert de Tuit
(1111) fait un ornement réservé aux évêques, « sandalia pon-
tificis*. » Honorius d'Autun (1150), au livre I, chapitre 210
du Gemma animœ, reproduit sensiblement le texte d'Ama-
laire ; mais, chapitre 209, après avoir dit que sandalium
dérivait de sandyœ (plante à fl-eurs écarlates) ou de sandaraca
(rouge orangé), couleur avec laquelle on teignait cette chaus-
surgit el est separata a corio sandalioium Lingua superior... At intiinsecus
de albo corio circumdala sunt sandalia Superior pars sandaliorun» per
quam pes intrat, multis filis consuta est, ut ne dissolvanlur duo coria....
Lingua quse super pedem est.... Corrigias supererogatas sandaliis. » De
EccL off., lib. 11, c. 25.
' De Reb. eccl., c. 24. — « Induunt quoque sacerdotes pedes sandaliis sive
soleis, quod genus calceamenti evangelica auctoritate eis concessum est ut
Marci evangelium testatur. » De Inslit. clerlc, lib. i, c.22. — S. Grkgoike,
Op. compL, t. III. — u Deinde ministcr det sandalia (^episcopo). » De Ant.
eccl. rit., t. i, p. 541 et Ihid.., Ord. iv et vi.
- De Div. off., c. Quid sign. vest. — « Habent autem ad terram soleam
integram, ne pes tangat ad terram : supra vero constat ex corio quibusdam
locis pertuso. » Sermo de sign. induvi. saccrrf., ap. Hittoup, p. 417, C. —
V. Sandalia... intégra sunt inferius... et desuper sunl forata. » Spec. eccl.,
c. 6 et De Sacram., c. 54. — De Div. off., lib. l, c. 24.
622 LES SANDALES ET LES BAS.
sure, raiiteiir iiientioniie aussi la tradition apostolique et
les ouvertures pratiquées daus l'empeigne ' . Sicard de Cré-
mone (H 95) ajoute aux donuées précédentes que la sandale
pouvait avoir quatre languettes, ou tout au moins deu:s:, ser-
vant de ligulœ aux courroies d'attache : Innocent III (1198)
définit l'empeigne « corium fenestratum -. » Durand (1290)
ne modifie en rien les idées de ses devanciers quant à la
forme des sandales. Saint Charles Borromée rapporte que
l'empeigne était jadis fenestrée, preuve qu'au XVP siècle
cet usage n'existait plus depuis longtemps ^
Jean Diacre (870) qui décrit une figure de saint Grégoire-
le-Grand, peinte au temps de ce Pape (590-604) dans la cha-
pelle de Saint-André près l'église Saint-Grégoire, à Kome,
en néglige la chaussure : Rocca s'étonne d'un tel silence et
le traite d'oubli ''. L'omission me parait peu regrettable,
car, selon toute probabilité, si l'écrivain avait parlé des
chaussures de son personnage, il se serait borné à une simple
mention comme il l'a fait au sujet des caligœ de Gordien, père
de saint Grégoire et nous n'en saurions pas beaucoup davan-
tage.
Amalaire enseigne que les sandales liturgiques étaient en
cuir noir, qu'une bande étroite, travail du cordonnier, par-
tait de la languette supérieure pour aboutir à la pointe du
' " Sandalia a sandica herba vel a sandaraco dicuntur quo dopingi ferun-
twr... Est aiitein genus calceamenti incisi, quo partini pes tegitur, partim
nudus cernitur. »
* « Habens lingiias quatuor, vcl ad minus duas bgandas, unam supra pedem,
alteram a calcaueo surgontem. » MHrale, Cod. Vatic. 4975, p. 20. — Myst.
fliis., bb. 1, c. 48.
■^ Rat. div. ojf., bb. m, c. 8. — « Qure fenestrata etiam superne obm
fuisse non sine myst(M-ii ratione. » Acta Eccl. MedioL, De Snpp. Mis.,
n« 3.
'* .?. Gregorii Vila, bb. iv, c. 84. — TItcs. ponl ant., t ii, p. 374.
à
LES SANIJALKS ET LES 13AS. 023
pied et, (jiic de ehaque coté de cette l)ande s'échappaient des
galons tiaiisversaux, llonoriiis d'Autiin éoit que rempeigue
des sandales, faite avec la peau d'un animal niurt, était nuire,
après avoir plus haut donné à entendre qu'elle était rouge
orangé. Sicard de Crémone admet des sandales en cuir, soit
noir, soit rouge, doublées de peau blanche, piquées, galon-
nées et ornées de pierreries '. Durand ne parle également
que du cuir comme matière des sandales; mais outre le rouge
et le noir, l'évoque de Mende reconnait qu'elles étaient aussi
parfois d'autres couleurs. Saint Charles garde le silence sur
ces questions de détail. Bonanni avoue que les sandales du
Souverain Pontife et des Evoques sont depuis longtemps
closes à l'instar de nos souliers, qu'elles ne sont plus en peau,
mais en soie teinte d'une couleur correspondante à celle de
la fête du jour et que la seule différence, établie entre les
chaussures papales et épiscopales, réside dans une croix d'or
brodée sur les premières ". Cette croix, à tort ou à raison,
l'épiscopat français tout entier l'arbore aujourd'hui. Le même
auteur, traitant des mules que porte le Saint Père en habit
ordinaire, dit qu'elles sont en étoffe rouge, sans oser fran-
chir le XVP siècle pour trouver l'origine de l'adoption de
cette couleur. Des titres bien plus anciens existent cepen-
' " Extiinsccus vero nigrum apparct Linea opère sutoiis facta, pio-
cedens alingua sandalii usque ad finem ojus... Linese procedentos ex utiaque
parte. « De Eccl. off., loc. cit. — « Fiunt autcm sandalia ex pellibus ani-
malium mortuorum. » Gemma an., lib. i, c, 210 et 209. — « Intus album,
foris nigrum vel ruljeum, muUis filis et lineis contextum, gemmis ornatum. »
Mitral.e, loc. cit.
'-' « (ciuandoque diversis coloribus variatum. " Ration., loc. cit. — La
Gerar. eccl., c. 71, p. 296.— Du Saussay [Van. episc, lib. vui, c. 10, m.
attribue cette clôture de l'empeigne aux caprices des cordonniers plutôt qu'à
la volonté des évoques ; on verra tout, à l'heure que le caprice, si caprice il
y a, remonte assez loin.
624 LES SANDALES ET LES BAS.
dant : Georges Metochita rapporte que Michel Cérulaire,
patriarche de Constaiitinople (XP siècle), usurpa les chaus-
sures rouges {èpv9poocc(^£iç) qui appartenaient uniquement
au Souverain Pontife, assertion confirmée par Balsamon
(XIP siècle). Margunio (XYI^ siècle) y v.oit même le motif
qui sépara Michel de l'église romaine * .
Quoique l'examen des monuments prouve mainte fois que
les prescriptions liturgiques, relatives à la confection des san-
dales, n'ont pas toujours été observées à la rigueur, il dé-
montre aussi, qu'en cédant aux exigences du climat ou à des
considérations particulières, les Evêques ont veillé à ce que
leur chaussure ne s'écartât jamais en certains points de la
tradition apostolique. Les sandales fcampagi) de Maxi-
mianus, à Ravenne, sont entièrement noires et sans orne-
ments ; celles d'Honorius I et. de Symmaque (Sainte-Agnès)
sont noires avec une croix blanche : Jean IV, Théodore I,
saint Venance et saint Domnio, évêques (Oratoire de Saint-
Venance), Honorius I ou saint Grégoire (Sainte-Martine du
Forum, 678), Jean VII (Saint-Pierre du Vatican, 706) por-
tent des chaussures à croix noire. Ces sandales sont blanches
à croix rouge sur la copie du portrait de Léon III, peinte
dans un manuscrit du Vatican d'après la mosaïque disparue
de Sainte-Suzanne (797) . Il n'y a pas à tenir compte des calcei
' « Et infra rochettum utitur (Papa) seniper toga et alba, et caligis rubris
cum sandaliis ainea cruce ornatis. » — Sacr. CcBrein., lib. m, c. 4 ; 1582
(1573). — Orat. hist-, i. — o "Ouxs yàp tw xrjç êaGiXeiaç Xojpw xarot to tou
àyiou Kojvcrtaxivou vo[j.i^o(^.£vov ôéaTuicij-a xaTacTS'^eTat, ouSs xoxxoêacpsai tte-
8(Xoii; xotTa TO tuttcoÔev OîaTpii^s-oct. » Médit, de Pair, priv., p. 451, De
Patriarch. C. P. — « Atà to ty.cîpscOai àutov exSaXeiv Ta xoxxoêacpîî TrsûiXa,
xa\ xojXud[/.£vov utco Toîi ïlaTia ttjç PoifATiÇ, ôiç àuTOU ij.dvou k/m-zoc, Içoutriav
lYxaXXo)7rti^£ij9at toutoiç, xai [jtr, toïc à'XXot^ xôiv naxpiap-/(ov ÉçEÏvai touto
TToTsiv. » De Process. S. Spir. Dial.
LES SANDALKS ET LES BAS. 625
crucifères de Félix III ou IV (Saint-Cosme et Saint-Dumien),
la figure ayant été restaurée du temps de Grégoire XIII
(XVP siècle), mais les quartiers des campagi de saint Domnio
sont relevés par un fleuron et la languette des sandales de
Pasclial I (Sainte-Cécile, 820) offre une découpure semblable,
dont le dessin reparait sur l'empeigne '. Le campagus^ at-
tribué au pape saint Martin ffig. A) est en peau l)leue, couvert
d'applications soie et or, disposées de manière à figurer unX.
Quelques-uns y reconnaissent une croix, pourquoi ne pas y
voir l'initiale de Xpiarcç, ou mieux une fantaisie d'artisan.
Reginald de Durliam parle ainsi des sandales que saint
Cuthberht (687) avait aux pieds lorsqu'on exhuma cet
évêque en 4104 : « In pedibus calciamenta pontificalia gerit
quÊe vulgus vocare sandalia consuevit. Quse, ex regione su-
periori multis foraminibus minimis patere videntur quorum
operamina artificiosa ex industria taliter comprobantur ^. »
' RoccA, loc. cit., p. 375 et 376. — Ciampini, loc. cit., pi. 42, 16, 31 et
52. — Les minutieuses recherches de Rocca (loc. cit.) lui ont permis de
constater la présence fréquente de la croix sur les anciennes chaussures pa-
pales ; il en conclut que cet usage remonte fort loin et que son oubli tient à
la négligence des mosaïstes. A Sainte-Marie du Transtévère (1143), où saint
Pierre, saint Calixte, saint Jules, saint Corneille et Innocent II sont repré-
sentés, l'avant dernier seul porte des sandales crucifères Les stalues d'Ur-
bain VI (1389), Martin V (1431;, Eugène IV (1447), Nicolas V, Calixte III,
Pie II, Paul II, Sixte IV, Innocent VIII (XV» siècle). Pie IIL Léon X,
Paul III et IV, Pie V, Grégoire XIII et Sixte V (XVI^ siècle) ont des croix
sur leur chaussure. Les effigies de Sixte III (Saint-Laurent), Paschal I
(Sain te -Cécile et Sainte-Praxède), Grégoire IV (Saint-Marc), Honorius III
et IV (Sainte-Bibiane, 1250, Ara-Caîli, 1287), Boniface IX (Saint-Paul hors
des murs, 1440) manquent de cet ornement.
^ De ^/(hnir. S. CiUhberti. p. 88. — Ces sandales ne purent être chaussées
au saint qu'en 698, lorsqu'on éleva son corps. " Omnia autem vestimenta et
calceamenta.... attrita non erant et ficones novi, quibus calceatus est, in
basilica nostra inter reliquias pro lestimoniis usque hodie habcntur. » Vita
S. Cuthherli, Akonyme, ap. Bèdk, Op. hisl. min.
G26 • LES SANDALES ET LES BAS.
Les sandales du B. Eginou, évêque de Vérone (802), étudiées
par Gerbert dans l'abbaye de Reichnaw ffig. 5 et 6), ont
l'aspect de chaussons sans semelle caractérisée ; elles sont
faites d'une seule pièce de cuir souple, rouge vif ; leur quar-
tier est relativement élevé; une languette flingua siiperiorj^
taillée en fer-de-lance et issaut d'une base rectangulaire,
avance sur le cou-de-pied; deux courroies fligaturœ), ména-
gées dans les flancs à une faible distance de la languette,
venaient se croiser de manière à passer à travers deux
oreilles (ansœ, ligulssj correspondantes, ouvertes sur le bord
supérieur du quartier. Une élégante piqûre contourne le
passage du pied fsuperior pars sandaliorum per quam pes in-
trat, multis filis consuta est). L'empeigne, suivant les for-
mules liturgiques, est ornée d'un galon vertical d'où s'é-
chappent, vers le haut, deux branches courbées en S, vers le
bas, deux prolongements latéraux étalés en croix sur la
pointe du pied ' , On serait tenté de croire à première vue
que cette disposition cruciforme, usitée jusqu'au XIV® siècle
inclus ", avait pour but réel de représenter l'instrument du
salut ; les Evoques modernes ont sûrement pensé ainsi en
brodant la croix sur leurs sandales, à moins qu'ils n'aient
voulu s'arroger une prérogative papale. Mais, outre que les
liturgistes, décrivant l'ornementation des chaussures episco-
pales, disent tous « lineae procedentes ex utraque parte»,
sans compléter leur phrase par les mots « in formam crucis » ,
employés textuellement ou sous entendus dans une interpréta-
tion symbolique, les calceamenla striés de bandelettes se ren-
' lier Alcman , p. i?'), pi i\-. Vêtus lit. A/em., tom i, p 252 et
pi. IX.
* On la rencontio cncoïc au XV*" siècle sur les tombeaux de quelques
Papes .
LES SANDALES ET LES BAS. C27
contrent également aux pieds de quelques images royales. Or,
lorsque, sous le règne de Constantin, l'épiscopat fut devenu
une véritable magistratui'e, les dignitaires ecclésiastiques du-
rent inconstablement adopter, au moins en partie, les in-
signes de leur rang civil. Chez les Komains, nobles et plé-
béiens se reconnaissant particulièrement aux chaussures, je
ne puis voir dans les galons cruciformes des anciennes san-
dales liturgiques autre chose qu'un souvenir des quatre
courroies, marques distinctives du calceus patricius '.
Deux saints évêques, peints sur un manuscrit du IX® s.,
portent des chaussures noires. Au X" siècle, je rencontre
une figure de saint Germain ayant des sandales bleues, ornées
d'une iinca blanche et aussi un évoque chaussé de calcei
violets. Une miniature du même temps offre un très-curieux
spécimen de sandales épiscopales : l'empeigne, de couleur
pourpre, semble entièrement close ; un filet de perles la con-
tourne ; au-dessus, un système de courroies disposées en lo-
sange rappelle les reticuli du campagus. Les sandales d'un
saint Dunstan, également du X® siècle, présentent les lineœ
cruciformes indiquées par Amalaire ^. Au XI" siècle, quel-
ques effigies de saint Omer en habits pontificaux sont chaus-
sées de bottines noires et pointues, dépassant la cheville ;
un galon d'or borde l'entrée du pied et se prolonge jusqu'au
centre de l'empeigne où il détermine un Y, Tantôt [fîg. 8)
' Peut-être ces galons lappelaient-ilslcs courroies de la solea primitive ou
du camjMgïis im\-)éria\. Un liturgiste moderne de l'Allemagne semble approu-
ver la dernière opinion : « Erat nutem campagus genus calceamenti, quod
regibus et imperatoribus Treb. PoUio in Gallienis et Capitolinus in Maximo
juniore adscribunt. Ejusmodi autem calceos primum solos usurpasse epi-
scopos... verisimile est » Kuazer, De Jpost. necnon anf. Eccl . occid. lit.,
p. 322, ÎJ 1S5. Augsbourg, 1786, in-S".
'^ Arts sompt., t. i, ])1. 23, 33, 43. — Wjij.kmin, pi. 27 (989). — 3Is. du
British-Mus. , ap. Rock, loc. cit
628 Li:S SANDALES ET LES BAS.
un filet blanc, accosté de deux perles, sort de l'angle formé
par cet Y et va jusqu'à l'extrémité du soulier ; sur d'autres,
toute l'ornementation est blanche. Les sandales de saint
Réol {fîfj. 9) sont fauves, couvertes de perles et d'enroule-
ments blancs; elles ont une légère fente à la partie antérieure
de la tige : celles de saint Vindicien [fig. 10) sont noires et
décorées de la même façon. Les chaussures de saint Amand
et de saint Momelin sont dorées et relevées de broderies
blanches dans le goût des précédentes. L'or, appliqué sur les
chaussures épiscopales, n'étonnera pas si l'on veut bien se
rappeler que depuis Aurélien les calcei patricii furent dorés.
Deux figures, également copiées sur le manuscrit de Valen-
ciennes auquel j'emprunte mes quatre dernières citations,
ont des bottines noires : saint Aldebert, comme saint Réol,
porte des lineœ cruciformes en perles ; Saint Jean, évoque ou
abbé, les a en galon rouge. Au reste, les lineœ opère sutoris
factœ sont nettement caractérisées sur toutes les sandales
ci -dessus, mais la lingua j manque. Une uutre image de saint
Orner {fig. 7) est chaussée de carbatinœ dorées, analogues à
celles de Maximinianus, sauf les courroies que l'on ne peut
voir ' .
•Les miniatures du XII^ siècle montrent encore quelques
sandales noires; un saint Grégoire en a de blanches à lineœ
cruciformes. L'évêque Frémaut (1183) est représenté sur la
mosaïque du Musée d'Arras, chaussé de sandales rouges à
lineœ cruciformes blanches. Lors de l'exhumation du pape
Adrien IV, mort en llo9, on trouva ses pieds revêtus « san-
daliis corii Turcici (maroquin rouge) ad flores margaritis or-
' Vita S. Audom., ms. 698 à Saint-Omer. — Vita S. Jmandi, nis. 460 à
Valencienncs. — S. Audom. l'ita, ms. app. à Mgr de La Tour d'Auvergne,
archevêque de Bourges. Ce volume est l'ancien Codex nrgenteus de la cathé-
drale de Saint-Omer. ..
LES SANDALES ET LES BAS. 029
luitis, sine cruce ' . » Par malheur, si les documents 'jue je
viens d'exposer renseignent sur la matière et rornementatioii
des sandales, ils en taisent à peu près la forme rigoureuse
que les vêtements talaires ne permettent jamais aux ])eintres
d'indiquer complètement. Une découverte assez récente va
combler la lacune. Les sandales funèbres de l'archevêque
Arnould I {1185), extraites de sa tombe à la cathédrale de
Trêves [fig. 11), sont en fine peau rouge doublée de blanc ;
l'extérieur est couvert d'élégants rinceaux brodés à l'aiguille;
le quartier^ coupé droit, est encadré par une ligne de petites
roses, comprise entre deux filets, ligne qui en outre tend à
l'isoler de l'empeigne. Quelques cabochons clairsemés appa-
raissent çà et là au milieu des enroulements ; l'unique linea
qui partage longitudinalement l'empeigne en comporte quatre.
Cette empeigne est profondement entaillée de façon à déter-
miner quatre ligulœ, plus une lingua superior^ en tout cinq
appendices formant oreilles pour passer les cordons ( corium
fenestratum). Les parties pleines sont forées en écumoire
d'une multitude de petits trous qui traversent aussi la dou-
blure ; la semelle, très mince, est en cuir blanc ^.
' V. la fig. de S. Germain, chaussé de sandales noires à un seul filet lon-
gitudinal rouge, accosté de perles semblables; ms. 192, bibl. imp., Jrts
sompt., t 1, pi. 65. — Le Moyen Age, Miniat.. pi. c. — Id., ibid., pi. xv,
fig. de S. Grégoire en sandales noires unies. — Dionigi, Sacr. Vat. bas.
crypt. mon., p. 124. — V. encore d'Agiisjcourt, t. v, pi. 69, Pascal II
chaussé de hauts brodequins galonnés en croix ; pi. 66, saint Apollonius,
évêque de Brescia, avec des sandales échiquetées.
'^ V. Bock, Geschichte, elc, lief. iv, p. 14, pi. 1. Ces sandales offrent
une très grande analogie de coupe avec les chaussures impériales du Xll« s.
conservées à Vienne et dont il sera parlé dans le chapitre suivant. On remar-
quera en outre les faramina minima^ signalés plus haut à l'occasion des san-
dales de saint Cuthberht. Ces trous étaient-ils destinés à empêcher le pied de
s'échauffer î Répondaient-ils à la prescription « ut pes nec tectus sit neque
nudus ad terram » ? Peut-être remplissaient-ils ce double but.
03U LES SANDALES ET LES BAS.
Si l'usage des sandales de peau brodée est fort ancien, le
premier exemple de chaussures liturgiques en soie ne re-
monte qu'au XIIP siècle ; c'est l'Angleterre qui le fournit.
On lit dans un inventaire de la cathédrale de Salisbury
(1222) : « Duo paria sandaliorum, unum de serico indico (soie
bleue), qnod sunt episcopi Gosselini, et aliud de viridi cendell
brusdato (cendal vert brodé) quod fuit episcopi Herberti ' . »
Un tel luxe alla toujours en croissant durant la période qui
nous occupe. L'effigie tumulaire en émail de Philippe de
Dx'eux, évêque de Beauvais (1217), était chaussée de san-
dales rouges richement brodées en or, avec une linea en
argent {flg. 12); Geoffroy de Loudon légua à son église du
Mans (1255) « sandalia et sotulares rubri serici, auri pre-
ciosorumque lapidum varietate distincta. » L'inventaire de
Saint-Paul de Londres (1295) mentionne « sandalia cum ca-
ligis de rubeo sameto diasperato, breudata cum imaginibus
regum in rotellis simplicibus. — Item, sandalia Henrici de
Wengham episcopi cum flosculis de perlis indici coloris et
leopardis de perlis albis ^. » La sandale {fi g. 5), conservée
à Saint-Martin-des-Monts (Rome), est en soie bleue tournant
au vert : un entrelacs courant, encadré de deux baguettes,
forme la linea ; d'autres entrelacs quadrilobés relèvent
l'empeigne et le quartier ^ Le modèle pantoufle de cette
* Rock, Thechurch, etc.t ii, p. 238.
- Le Monit. des urch., t. 43, pi. 505, d'après Gaigiiières. — Mabillon,
Analec , p. 335. — Dugdalk, Ilist. of S. Paul' s, p. 315. On lit à la même
page : » Sandalia de rubeo sameto cum caligis bioudatis sotulares sunt
breudatse ad modum crucis. « Voilà donc la croi.v installée sur les sandales
des évêques anglais au XIII<^ siècle.
V. RoccA, loc. cit., p. 379, pi. Cette sandale accompagne une mitre pa-
reille d'étoffe, couleur et Iravail ; toutes deux sont attribuées au pape saint
Silvestre I. J'ai trop soigneusement étudié la mitre pour n'êti-e pas convaincu
qu'elle da'.c du XIIP siècle, et la sandale tomberait de droil dans mon appré-
LES SANDALES ET LIOS lîAS. 031
clmiissure l'emporta définitivement au XII 1'' siècle sur
les types anciens, et il a persévéré jusqu'à nos jours. La
sandale de saint Louis d'Anjou montre une cou])e identique ;
une sandale grise, galonnée d'or et semée de perles, que je
rencontre dans le Psautier de saint Louis, n'en difFère pas
essentiellement, quoique moins éloignée des patrons du XP
siècle. La sandale de saint Edme (fig. JB), décrite au cha-
pitre I, oiFre un curieux exemple des sandales brodequins,
encore usitées deux cents ans plus tard en Angleterre. Les
Imeœ cruciformes se voient sur quelques chaussures épisco-
pales duXIIP siècle, mais les sandales unies sont bien moins
rares ; les verrières de Bourges et de Tours fourmillent d'é-
veques en calcei monochromes, blancs, rouges, bleus, violets,
noirs et fréquemment jaunes (or) ' .
J'ai à ma disposition peu de renseignements sur les chaus-
sures épiscopales du XIV^ siècle, mais tout m'induit à penser
qu'elles ne différèrent pas de celles du XlIP. L'effigie tu-
mulaire coloriée de l'évêque Giffard (1 501) à Worcester, porte
des sandales rouges, ornées d'une croix en pierreries. Les
sandales funèbres de Boniface VIII (1505) étaient « nigri
coloris, acuta et cuspidata more Gothico, sine cruce et serico
nigro ad flores parvos auro intextos, longitudinis palmi unius
et quarti unius. » Le même Pape est sculpté sur sa tombe,
dation, à supposer que l'entrelacs quadrilobé ne parlât pas suffisanniient à
l'œil des archéologues.
' Bibl. de l'Ars.; Moyen Age etc., Miniat., pi. 12. — Tombe en bronze
d'Evrard du Fouilloy (1223) à la cathédrale d'Amiens; Wjli.emin, pi. 90. —
Evêque peint à S. Géréon de Cologne ; Bock, loc. cit., pi. x. Ces sandales
sont blanches, galonnées d'or. — On voit au croisillon sud de la cathédrale de
Reims une statue d'archevêque chaussée de sandales à lineœ cruciformes, cou-
vertes de joyaux ; Gailhab.\ui), VArch. du V' au XVII" siècle, pi. 14. —
Martin et Cahieu, Vitraux de Bourges, pi. 12, 13, 17 et 18. — Mauchakd,
et BouHAPSÉ, Verrières de Tours.
632 LES SANDALES ET LES BAS.
avec des campagi antiques, fleuroniiés au bout. Enfin, les
chaussures de Burgliard, archevêque de Magdebourg (1525),
ont des galons cruciformes, et celles d'Urbain VI (1389), une
linea resplendissante de broderies et de joyaux.
L'épiscopat aux XV^ et XVP siècles, semble avoir adopté
des sandales en tissus plus ou moins riches et s'être abstenu
d'y placer aucun signe caractérisque. La bottine de William
Patten de Waneflete, évêque de Winchester (1447-1486),
conservée au collège de Sainte-Marie-Magdeleine à Oxford,
est en velours cramoisi, frisé d'or, doublé de chevreau blanc
très mince ; une broderie de fleurs en or et de feuilles mi-
parties jaune et vert décore l'ensemble du vêtement [fig. 15).
Toutefois les statues tombales d'Innocent VII (1448"), Ni-
colas V (1455), Paul II (1471) et Alexandre VI (1505) ont
des lineœ cruciformes sur leurs sandales ; les lineœ de Paul II
sont môme chargées en cœur d'une croisette de pierreries ^.
L'usage d'assortir les sandales au reste des po?itificalia me
semble dater du XIIP siècle; l'ornement complet, or à fleurs-
de-lys rouges, bordé d'argent, qui revêtait la figure pré-
citée de Philippe de Dreux, correspond exactement avec
sa chaussure.
En résumant les faits que je viens d'exposer, on trouve :
1° qu'au VHP siècle déjà les sandales n'étaient plus entière-
« Rock, loc. oit , p. 242, — Diowigi, loc. cit., p. 129 et pi. 49. — Bock,
loc. cit., p. 16. — Le tombeau d'Urbain VI est gravé ap. Dionigi, pi. 56.
- Rock, loc. cit., p, 250, fig. — Diomgi, loc. cit. , pi. 57, 53, 54, 47. —
L'opinion formulée ici relativement à l'ornementation des chaussures épisco-
pales aux XV« et XVI"^ siècles, ne doit pas être acceptée d'une manière trop
absolue. J'ai dii l'adopter moi-même, faute de monuments originaux, en face
de monuments sculptés ou peints sur lesquels on ne distingue aucune trace de
croix ou de linex. — Y . la Danse des morts de Bâle ; Arts sompt. , t. ii, pi. 58;
la châsse de sainte Ursule à Bruges et un bon nombre de tableaux dq
temps.
LES SANDALES ET LKS RAS. G33
ment conformes iuix règles prescrites par les liturgistes ,
2° que ces règles, observées en partie jusqu'à la fin du
XII® siècle, étaient totalement tombées en désuétude au
XIV®, ne laissant d'autre trace que les lineœ, apparentes
jusqu'au XVP.
Maintenant les évoques portent des sandales en soie unie,
satin ou gros de Naples, blanc, rouge^, vert, violet, selon la
couleur affectée à l'office du jour. Ces sandales en forme
d'escarpins, sont munies de deux pattes {Hgulœ), réunies sur
le cou-de-pied à l'aide de cordons ou de boucles ; une croi-
sette brodée d'or en décore généralement l'empeigne.
CH. DE LINAS.
[La suite au prochain volume.
lOME vr. 46
HISTOIRE DE S. JACQUES LE MAJEUR
ei du Pèlerinage de Compostelle-
SEPTIEME ARTICLE
CHAPITRE VIII.
BATAILLE DE C L A V IJ O
Les successeurs de Pelage avaient dilaté pas à pas les li-
mites du royaume chrétien en Espagne. L'un d'eux cepen-
dant, Finfâme Mauregat, un usurpateur, humilia l'Espagne
devant le Croissant. Afin de faire appuyer par les Maures
son pouvoir illégitime, il souscrivit honteusement un impôt
annuel de i 00 jeunes filles des plus belles, qui devaient être
choisies par moitié dans les rangs de la noblesse et parmi le
peuple :
Vectigal trucibus pendere flebile
Urgetur domiuis imperiosiùs ;
Centenasque lupis sponte rapacibus
Lectas sistere virgines *.
* Voir le numéro d'octobre, p. 538.
* Proprium Sanctorum Hispanorum , 23 maii, hymn ad Matutinum. —
C'est près de la Corogne qu'abordaient les galères sur lesquelles on embar-
quait les jeunes chrétiennes. Ce lieu, que ne baigne plus l'Océan, s'appelle
encore aujourd'hui le lieu des galères.
PÈLERINAGE DE COMPOSTELLE. 635
Ce traité ignominieux pour l'Espagne, pour la religion et
pour l'humanité, avait été effacé, il est vrai, par Alphonse
le Chaslc h la bataille de Lutos;mais Abdérame II (Al)derra-
maniis), second calife Onmiiade de Cordoiie, voulut le remettre
en vigueur; il fit réclamer au prince chrétien les enfanta de
tribut. C'était en 845. Ramire P"" (Ranimirus), successeur
d'Alphonse le Chaste, occupait alors le trône de Léon. Nature
fière, magnanime, héroïque, il repousse avec indignation la
requête des députés du calife; mais il sait à quoi l'expose
son refus; il rassemble une armée, ne laissant dans les champs
que les bras impropres au dur métier des armes, et convoque
autour de sa personne les évoques, les abbés et les religieux,
afin qu'ils intercèdent auprès du Dieu Sabaoth pour l'Es-
pagne opprimée.
Abdérame, de son côté, Abdérame le Victorieux n'écoute
que les impétueuses inspirations de son orgueil et de sa co-
lère, et promet au prophète de châtier par l'extermination du
nom chrétien un refus que personne jusqu'alors n'avait osé
risquer. Il fait appel à tous les enfants du Coran, une armée
innombrable accourt de l'Yémen, de l'Atlas et de la Mau-
ritanie, et vient se réunir à celle de la Péninsule.
Quelques jours après, deux peuples, deux religions étaient
en présence dans une plaine qui s'étend entre Naxara (au-
jourd'hui Najera dans le pays de Rioja^ province de Logrono)
et A/6e//a (aujourd'hui Alvelda dans le même pays). La ba~
taille s'engage avec acharnement et se prolonge jusqu'à la
nuit ; enfin le nombre l'emporte; Ranire se replie avec ses
troupes fatiguées et se réfugie sur une montagne voisine du
pays de Rioja, nommée Clarijo, « in proximum collem, cui
« Clavijio nomen est... Clavigium, Rivogia montem '. » La
Ibid.
63G rÈLERINAGE Dr, C.OMrOSTELLE.
honte (le lu défaite, l'incertitude de ses conséquences, les
pertes qu'on avait à regretter, firent verser des larmes
amères, mais tournèrent aussi tous les cœurs vers Dieu. Après
de longues heures de prières et de gémissements, Ramire
succombe à la fatigue et au sommeil. Une vision bienheureuse
vient charmer son repos. Un guerrier magnifique lui appa-
raît. « — Qui es-tu, dit Kamire? — Je suis, dit le guerrier,
« Jacques l'apôtre, à qui le Seigneur a confié la garde de
<• l'Espagne. Ne crains pas, demain je serai avec toi, et sous
« mon commandement, tu remporteras sur les Sarrasins une
« victoire immortelle. Beaucoup des tiens tomberont, ce se-
«1 ront des martyrs. Ne doute pas de "mes paroles et de mes
« promesses; en voici la garantie : toi et les Sarrasins,
<- vous me verrez constamment sur un cheval blanc ; ma main
« sera armée d'un grand étendard de la même couleur ' . »>
Ramire s'éveille avec un nouveau courage et s'empresse de
faire part de sa vision aux prélats et aux chefs de l'armée.
Les consciences se purifient par le repentir et la confession,
et l'on puise dans la sainte communion une confiance sans
bornes et une force invincible.
Le lendemain, les soldats de l'évangile s'élancent du Cla-
vijo comme des lions sur les infidèles. Ils vont au combat
comme à une fête. La montagne retentit de leurs cris mille
fois répétés, Santiago! Santiago! Selon sa promesse, l'apôtre
guerrier leur apparaît, monté sur un destrier d'une blancheur
éclatante, un étendard couleur de neige dans une main, un
glaive étincelant dans l'autre. Il marche à la tête des Espa-
gnols, son regard lance la foudre, sa main terrasse les Maures,
son cheval les foule aux pieds. Soixante-dix mille Sarrasins
tond)ent sous les coups des chrétiens; leur calife, échappé au
' I j i 'y' ana saffrada, t. xix, p. 331, 33"2.
pKi,iiuiNA(;i!: Di: gomiostei.i.f.. (i.'IT
carnage, regagne presque seul lu ville de Cordoue et va ca-
cher sa honte au fond de son palais.
Cette bataille de Clavijo^ que certains auteurs appellent à
tort bataille de Logrono, du nom de la ville près de laquelle
elle fut livrée; que d'autres plus inexcusables encore, en
particulier L. A. Sédillot, dans son Histoire si excentrique
des Arabes^ ont négligé de mentionner, eut pour résultats
l'abaissement des Maures jusqu'alors trop redoutés, l'abolition
du honteux tribut qui pesait sur les chrétiens, l'extension
du royaume de Léon par la soumission de Calahorra et sur-
tout un accroissement de confiance dans la protection de
saint Jacques. C'est de ce jour mémorable que date le cri
de guerre de la nation espagnole : Santiago! Santiago! ou
bien : Santiago! Cietra Espana '/ Ce cri belliqueux troubla
plus d'une fois le voluptueux sommeil des califes et poursui-
vit l'islamisme au désert, après l'avoir chassé de l'Espagne.
Il est gravé dans l'histoire, d'où il ne peut s'effacer, et l'Es-
pagne, qui lui doit son salut, ne l'oubliera jamais.
L'armée victorieuse entonna l'hymne de la délivrance, et
des feux allumés sur les sommets des montagnes annoncèrent
à la Castille que Léon était libre et vengé. Un autel fut
dressé sur le champ de bataille de Clavijo avec les lances,
les boucliers et les autres armes abandonnées par les infidèles ;
noble trophée qui attesta longtemps la gloire de ce grand
triomphe. Mais les vainqueurs ne s'attribuèrent pas le mé-
rite de cette journée; saint Jacques en fut proclamé le héros
et fut surnommé dès lors Mafamoros^ tue-Mores. Notre langue
s'est*emparée de cette expression qu'elle a dénaturée, puis-
' Saint Jacques ! Saint .Jacques !.... Sainl Jacques, protégez l'Espagne qu
\'u\c au combat 1
638 PÈLEIUNAGE 1)E COMPOSTELLE.
qu'elle ne lui fait signifier abusivement qu'un faux brave, un
matamore ' .
Ramire était, aux yeux de ses contemporains, le Charles-
Martel du IX^ siècle. Mais loin de se prévaloir d'une vic-
toire qu'il devait à une intervention surnaturelle beaucoup
plus qu'à ses armes, il prouva par ses actes qu'il n'était point
ingrat envers le puissant patron de l'Espagne. Il conféra à
l'église de Saint-Jacques-de-Compostelle plusieurs privilèges
et lui constitua certains droits, en particulier ceux-ci :
Pour chaque arpent de terre labourable qui serait enlevée
aux Sarrasins, il était prescrit d'oilrir annuellement à l'église
de Compostelle,pour la nourriture des chanoines, une mesure
du meilleur froment et une mesure de vin. Il voulut aussi
que sur les dépouilles des Sarrasins dans les futures expédi-
tions, les chrétiens réservassent pour le glorieux patron de
l'Espagne une portion égale à la portion d'un soldat. Ces do-
nations, quoique éventuelles de leur nature, ne pouvaient
manquer de devenir positives par l'ardeur martiale qui em-
brasait le cœur des Espagnols après le triomphe de Clavijo.
Le roi, qui en comprenait l'importance, les confirma par un
serment solennel, qui devait lier aussi ses successeurs. Sa
femme Urraca, son fils Ordonius, son frère Garcia firent le
même serment. Les archevêques, évêques et abbés réunis
firent acte d'acceptation et menacèrent de malédictions et
d'excommunication quiconque n'observerait pas religieuse-
ment les volontés du prince.
Ramire signa de sa main ces privilèges en 872. Depuis
cette époque jusqu'à l'an 1492, où se consomna l'œuvre
d'affranchissement sous les murs de Grenade, que d'arpents
furent conquis sur les infidèles, et que de redevances durent
être envoyées au chapitre de Corapostelle, et par le chapitre
' Une ville du Texas, en Amérique, s'appelle Malamoros.
rÈLEUlNACii; JiK COAiroSTELLE. 639
aux pauvres du Seigneur! Mais qui se souvient aujourd'hui
de la pieuse libéralité deRamire? La révolution a soufflé sur
les institutions les plus saintes par leur antiquité et leur na-
ture; elle a promené en Espagne comme chez nous son niveau
égalitaire, et l'Espagne n'a conservé du passé que sa foi; mais
les œuvres dont la foi avait semé et fécondé le royaume
catholique, ont disparu et n'ont pas été remplacées. Le cha-
pitre chargé de la garde du tombeau de l'apôtre, du patron de
l'Espagne, recevait, avons-nous dit, en échange de ses prières,
un tribut annuel prélevé sur les terres enlevées aux Musul-
mans; Mahomet était devenu tribulaire de saint Jacques.
Rien n'a été respecté, ni la pensée sainte qui avait inspiré
la fondation, ni la fondation elle-même; le célèbre chapitre
de Compostelle, qui comptait dans ses rangs tant de digni-
taires et plusieurs cardinaux, ce chapitre que la dévotion des
rois pour saint Jacques avait enrichi, au profit des malheu-
reux, de tant de privilèges; ce chapitre a été dépouillé de
toutes ses prérogatives, et assimilé aux chapitres des autres
cathédrales. Quelques milliers de réaux forment aujourd'hui
la modeste et unique ressource des chanoines de l'une des
basiliques les plus importantes et les plus renommées de
l'univers.
Avant et depuis l'évangile, l'histoire mentionne diverses
apparitions du genre de celle que nous avons rapportée.
Quand Dieu ne daigne pas défendre lui-même sa cause, il la
confie à ses anges ou à ses saints, et ses ennemis sont con-
fondus. Un ange, aux armes d'or^ apparaît sur un coursier
superbe à Héliodore entré dans le temple de Jérusalem pour
en piller le trésor; le cheval se précipite sur le pi'ofanateur
et le foule aux pieds, pendant que deux autres anges le fla-
gellent chacun de son côté et le frappent sans relâche. —
Deux apôtres, saint Jean et saint Philippe, montés sur des
640 rÈLKUINAGE DE COMl'OSTELLE.
chevaux blancs, apparaissent à Tliéoclose et lui assurent la
victoire contre le tyran Eugène. — Vers l'an 805, dans le
siècle de Kaniire, l'empereur Nicépliore T"" attribua le recou-
vrement du Péloponèse et la déroute des Abariens à l'appa-
rition et au concours de saint André pendant le combat, et
pour ce motif il érigea en métropole le siège épiscopal de
Patras, ville illustre parle niartyre de cet apôtre. — En 1539,
les Milanais ayant battu les Impériaux, rendirent grâces de
leur victoire à saint Ambroise, cpi'ils prétendirent avoir
aperçu pendant le combat, armé d'un fouet qu'il levait sur
leurs ennemis. Delà l'usage parmi les peintres de représenter
saint Ambroise avec un fouet à la main. — Au commence
ment du XVF siècle, saint Casimir, patron de la Pologne,
apparaît dans les airs aux Lithuaniens effrayés du nombre
bien supérieur de leurs ennemis et leur fait remporter une
victoire éclatante ' .
Mais de toutes ces apparitions historiques ou tradition-
nelles, de toutes ces légendes nationales, aucune n'a été aussi
favorisée que celle qui lie le nom de Ramire P'' à celui de
saint Jacques; la liturgie espagnole en célèbre le souvenir, le
23 mai, par une fête particulière sous ce nom : Fête de V ap-
parition de saint Jacques apôtre et patron des Espagnes. Cette
légende a inspiré les chants sacrés et les vers de plusieurs
poètes ; elle a eu l'appui de l'art par la peinture et la sculpture,
de la piété par l'imagerie religieuse. Saint Jacques surui^ che-
val blanC;, portant d'une main un étendard blanc timbré
d'une croix rouge, et de l'autre un glaive dont il frappe les
Mores tremblants à ses pieds, c'est un sujet que tout le
monde connaît et que la majesté du lieu saint n'a pas re-
poussé. Je l'ai contemplé, sous forme de sculpture, au-dessus
du tombeau de l'apôtre à Compostelle et dans l'église Saint-
' Sixième leçon de l'office de aaint Casimir [4 mars) dans le Bréviaire romain.
l'ÈLElUNAGL D"; CO.Ml'OSTELLK. C41
Jacques, à Bilbao '. Comme peinture, il est un des ornements
de la cathédrale de Séville.Le saint Jacques Mata-Mores ([u'on
admire dans cette église, est une des' toiles les plus remar-
quables d'un peintre andaloux, du licencié Juan de las Roe-
las, que l'on connaît, parmi les artistes espagnols, sous le
nom de l'abbé Roelas {el clérigo Roélas), mort en 1625. La
France subordonnant son goût à la légende, n'a pas plus dédai-
gné le cheval de bataille de saint Jacques que la monture paci-
fique de saint IMartiii et les humbles animaux de la grotte de
Bethléem. Un tableau de la chapelle Saint- Jacques dans
l'église Saint-Michel, à Bordeaux, représente le sujet dont
nous parlons.
L'immortel Rubens a traité ce sujet. Son œuvre pleine de
feu, de noblesse et de majesté, a été reproduite en sculpture
par le ciseau de Corn. Galle. Citons encore le tableau de
Mathieu Kager, gravée par Wolfang Kilian.
Les médailles que j'ai apportées de Compostelle ne re-
présentent l'apôtre que dans cette attitude militaire ^ Au
' Une des rues de Bilbao porte le nom de Saint-Jacques, calle de Santiago.
Bordeaux a conservé à l'une de ses rues le nom anglais de Saint- James ,
qui date de l'an 1152, époque où le mot Saint-James commença à être substi-
tué à celui de Saint Jacques. C'est le seul vestige, à Bordeaux, de la domina-
tion anglaise dans l'Aquitaine.
La ville de la Réole, résidence privilégiée de Richard Cœur-de-Lion, avait
autrefois l'hôpital el la rue Saint-James. — L'église principale de Bergerac
porte encore aujourd'hui le nom de Saint-Jûmes, comme le palais royal de
Londres.
Dans quelques villes de France, on trouve des rues désignées sous le nom
français de Saint- Jacques, par exemple, à Paris, Amiens, Abbeville, Orléans,
Le Puy, etc.
En ancien provençal, le nom de Jacques se traduisait par Gaumes. Telle
est, selon nous, l'étymologle d'un nom assez répandu aujourd'hui dans toutes
les parties de la France.
' Quand on représente simplement saint Jacques avec une épée, cet attribut
lappelle non une bataille, mais l'instrument de supplice du Saint.
G 12
PELERINAGE DE COMPOSTELLE.
Au reste, la gravure suivante fixera le lecteur sur ce point
d'iconographie très-commun, mais trop peu compris jusqu'ici :
Bataille de Clavijo.en 845-
Chaque année, Ovicdo, Astorga, Léon, Compostelle célè-
brent par de splendides processions le souvenir d'une victoire
si importante au double point de vue de la religion et de la po-
litique. Une place d'honneur dans ces cérémonies est réservée
àuncertainnombrede jeunes filles; leur présence rappelle
ù la ibis la servitude imposée jadis par les Mores et l'heureuse
PÈLERINAGE UE CUAU'OsTliLLI'.. (W.)
délivrance du pays. L'exhibition des étendards et autres
objets enlevés aux Mores dans cette l)ataille et conservés
jusqu'aujourd'hui, démontre, à dix siècles d'intervalle, la
sanglante défaite par laquelle Dieu et saint Jacques châtièrent
ces farouches ennemis de la chrétienté. La famille des marquis
de Yillalobos, à Astorga, compte parmi ses ascendants le
guerrier qui enleva aux Mores un de ces curieux étendards;
celle des Mirandas, dans les Asturies, orne son blason de
cinq demi-corps de filles, en souvenir des cinq jeunes filles
qu'un de ses ancêtres arracha des mains des Sarrasins dans
la même bataille.
L'histoire, la liturgie, la poésie, les beaux-arts et la tradi-
tion sont d'accord sur le prodige de l'apparition de saint
Jacques et la victoire qui en fut la précieuse conséquence.
En présence de tant de preuves, comment qualifier le doute
émis sur l'authenticité de ce prodige par Pierre de Marca
dans son Histoire de Béani ' ? Cet auteur admet cependant
d'autres apparitions bien moins démontrées que celle de saint
Jacques.
Les auteurs espagnols Luc de Tuy, Gil Gonzalez, Zamoray
Coria, saint Thomas de Villeneuve, Garibai, Fr. Antonio
Remesar, etc., rapportent une foule d'apparitions de saint
Jacques, soit en Espagne, soit en Italie, soit en Afrique, soit
en Amérique. Les chrétiens du Nouveau-Monde ont professé
dès le commencement une grande dévotion pour le patron
de toutes les Espagnes,- ils ont donné son nom à plusieurs
villes. Pour un certain nombre de cités, ils ont créé des appel-
lations assez bizarres en rapprochant le nom de saint Jacques
de sa qualité de cavalier; car le nom de Santiago-de-los-Ca-
balleros est commun à plusieurs villes de l'Amérique. C'est
' Histoire de Béarn, par Pieuue de Marca. Paris, 1640, p. 217.
■ 644 PiaERINAGE J>E COMPOSTELLE.
une allusion manifeste aux apparitious de saint Jacques,
surnommé quelquefois le soldat et le cavalier^ à cause du
cheval blanc qu'il montait dans diverses rencontres des Es-
pagnols contre leurs ennemis. Selon quelques écrivains, on
peut compter jusqu'à 5,800 victoires remportées par les Es-
pagnols depuis Pelage jusqu'à nos jours, grâce à la puissante
protection de saint Jacques.
J.-B. PARDI AC.
[La suite à un procliairi mtnu'ro)
PRÉCIS
DE L'HISTOIRE DE L'ART CHRETIEN
en France & en Belgique'
TliKlZlEME AU'IICLK
CHAPITRE V
XII SIECLE.
Article ii. — Sculpture.
Le XIP siècle fut pour les beaux-arts une époque de tran-
sition et de progrès continus. Il fut témoin de la dernière
lutte entre l'influence des souvenirs romains et les aspirations
de l'esprit créateur qui ne de \^ait obtenir qu'au siècle suivant
un triomphe définitif. Tandis que l'arcliitecture rompait avec
les traditions antiques et que l'ogive sortait du plein-cintre
comme une fleur de son bouton, les arts accessoires qui of-
fraient aux monuments religieux le tribut de leur hommage
et de leur décoration, subissaient une révolution analogue.
' Voii' le numéro d'août, p. '402,
646 l'RÉCls DE LÎIISTOIRE DB l'aRT CHRÉTIEN.
Sculpture sur pierre. — A partir du XIP siècle, les re-
présentations (les figures humaines tinrent une large place
dans l'architecture. Il n'en était pas ainsi dans l'antiquité.
La Grèce s'était presque toujours bornée aux ornements vé-
gétaux dans la décoration de ses temples. Le Parthénon, le
temple d'Egine et celui de Thésée sont à peu près les seuls
où apparaisse la figure humaine. Chez les Romains, ce n'est
que sur les tombeaux et les arcs de triomphe que la statuaire
s'allie à l'architecture.
Les scènes historiques et symboliques exilées des chapi-
teaux, dans beaucoup de provinces, s'étalent avec plus d'am-
pleur sur les larges surfaces des portails. On peut reprocher
aux statues de cette époque l'allongement démesuré du buste.
i — Portail de Notre-Dame de Poitiers-
la roideur des membres, l'ignorance de l'anatomie, la deshar-
monie des proportions, l'incorrection de certains détails, mais
on doit apprécier l'expression calme et recueillie des phy-
sionomies, où domine un profond sentiment religieux ffg. i
KN l'HANCK ET LN liKI.GKjl T.. (JAl
et 2). Les cheveux sont traités avec soin ; les yeux sont
toujours saillants et fendus et les sourcils très-iirqués.
2. — Même église
Ce qui frappe surtout l'attention, c'est ce type conven-
tionnel de grandeur démesurée qui imprime aux personnages
un caractère surhumain. Pendant cette période hiératique,
les artistes, comme autrefois Eschyle, quand on l'engageait
à refaire l'hymne d'Apollon, se disaient qu'il était des tradi-
tions sacrées dont on ne pouvait s'écarter sans une dange-
reuse témérité. C'est là, sans doute, un des motifs de cette
absence de vie qui caractérise ces statues au visage immo-
bile, allongées sous les voussures et ressemblant à des pha-
langes de morts qui attendraient le réveil du j ugement der-
nier. On ne peut point l'attribuer uniquement à l'impéritie
des artistes; ils ont su, quand ils le voulaient, en symboli-
G-48 inÉGlS DE L'ilTSTOIRK I>E l'aRT CHRÉTIEN
sant les vices, donner une ternl)le énergie aux créations de
leur ciseau.
A Texceptiuii du Christ, de la Yierge, des Apôtres et des
Anges, tous les personnages sont revêtus du costume de l'é-
poque, heureux anachronisme qui nous fournit de précieux
renseignements sur les variations de la mode qui fut de tout
temps, si nous eu croyons un vieil auteur, mi-partie femme
et mi-partie caméléon, c'est-à-dire changeance par un bout et
transmutation par l'autre. La tunique des hommes s'allonge et
elle est recouverte en partie par un manteau à plis serrés.
Les femmes sont vêtues d'une simple robe étroite qui descend
jusqu'à la cheville ; leur tête est nue ou couverte d'un voile
en forme de guimpe.
C'est alors seulement qu'on essaya de reproduire la res-
semblance des physionomies. Des portails offrent parfois les
traits des rois, des princes, des évêques, des abbés qui fu-
rent les fondateurs ou les bienfaiteurs de l'église. Nous de-
vons ajouter toutefois que bien des méprises ont eu lieu dans
ces sortes d'appréciations : plus d'une fois on a baptisé du
nom de Philippe I*^' un Salomon siégeant sur un trône capé-
tien, et on a cru trop vite reconnaître les traits de Louis-le-
Gros dans un David qui usurpait imprudemment le manteau
de nos rois et le sceptre fleurdelysé.
On remarque un sensible progrès dans l'exécution des bas-
reliefs. Les sujets qu'on reproduit le plus souvent, avec une
complète identité dans l'exécution des principaux types,
sont : Jésus bénissant, entouré des symboles évangélistiques,
la Nativité, le Massacre des Innocents, la Résurrection de
Lazarre, l'Annonciation^ le Pèsement des âmes, le Jugement
général, l'Enfer.
Nous avons dit que les chapiteaux s'enveloppaient de dé-
corations végétales, et surtout de plantes aroïdes avec leurs
EN FRANCK ET KN nKLGIOlE. 049
baies qu'on a souvent confondues avec la pomme de pin. Afais
dans certaines provinces, et surtout dans le Midi, on continua
à sculpter des scènes symboliques et des animaux fantas-
tiques. C'est contre ces représentations que s'insursieait sé-
vèrement saint Bernard, en disant : « A quoi servent dans les
cloîtres ces monstruosités ridicules, ces admirables difformi-
tés ? Que font ici ces singes immondes, ces lions farouches,
ces centaures, ces moitiés d'hommes, ces tigres tachetés, ces
soldats combattant, ces chasseurs donnant du cor? Vous
pouvez voir plusieurs corps réunis sur une seide tête ou plu-
sieurs têtes sur un seul corps ; un quadrupède à queue de
serpent à côté d'un serpent à tète de quadrupède; un monstre
cheval par devant et chèvre par derrière; un animal à cornes
traînant la croupe d'un cheval ; enfin de toutes parts une va-
riété de formes si étonnante qu'il est plus attrayant de lire
les marbres que les livres. » Il est heureux que les anathemes
de saint Bernard soient restés sans effet ; si sa doctrine
exclusive avait triomphé , nous aurions été privés de ces
belles pages de sculpture, plus attrayantes en effet que bien
des livres^ où revivent les croyances et les traditions des
siècles écoulés. A ce témoignage isolé de l'abbé deClairvaux
qui semble ne voir dans ces compositions que les caprices
d'une imagination en délire, on peut opposer les apprécia-
tions unanimes que nous ont données saint iMeliton, saint
Epiphane, saint Ambroise, saint Eucher, saint Hildefonse,
saint Bonaventure et bien d'autres Pères de l'Eglise, dont
les artistes n'ont fait que traduire les allusions mystiques,
empruntées à la zoologie plus ou moins fabuleuse qui avait
cours à cette époque.
Au XIF siècle,* oii l'amour des sciences naturelles fut ac-
tivé parles grandes expéditions d'outre-mer et les traductions
des œuvres complètes d'Aristote, tout est symbole pour la
TOME VI 47
GoO TRÉCIS DE l'histoire DE l'aRT CHRÉTIEN
science comme pour l'art. Ne connaissant qu'à demi les
croyances populaires de cette époque et les traditions légen-
daires que les prédicateurs expliquaient dans un but exclu-
sivement moralisateur, nous ne comprenons pas toujours ces
représentations allégoriques des vices et des vertus ; mais
nous devons humblement reconnaître que jadis les plus illet-
trés lisaient couramment ces pages de pierre dont nous
sommes si fiers de pouvoir parfois épeler quelques lettres.
A côté des légendes et des symboles^ l'histoire sacrée avait
sa place, conmie on peut le voir à Saint-Trophime d'Arles, où
l'attitude expressive des physionomies s'allie avec une inspi-
ration vraiment chrétienne. La vie des saints était quel-
quefois aussi mise à contribution. Le chapiteau dont nous
donnons ici le dessin [jig . 5) rappellerait, suivant M. LéoDroyn ,
3. — Saint M; rtin de Soscas (Gironde).
la puissance miraculeuse que saint Martin exerçait sur les
animaux.
EN FRANCK F,T KN BELGIQUE. Ori I
Sculpture sur bois. — Les stalles primitives n'étaient que
des espèces d'enfoncements plancliéïés où les prêtres se te-
naient debout au IX" siècle : la longueur des offices fit ad-
mettre des potences (rcclinatoriaj où il était permis de s'ap-
puyer. Vers le XI" siècle, on adapta aux stalles des banquettes
mobiles qu'on appela miséricordes parce qu'elles étaient un
effet de l'indulgente compassiou qu'on avait eu pour la fa-
tigue des ecclésiastiques. Au XIP siècle, elles devinrent d'un
usage plus général et furent disposées le long du chœur, au
lieu d'être reléguées, comme anciennement, derrière l'autel.
Le seul exemple connu de stalles romanes se trouve dans
l'église de Ratzburg, en Allemagne.
Les portes d'églises ne sont pas encore sculptées. Leur or-
nementation consiste en lignes symétriques de clous à grosse
tête et en pentures dont l'extrémité s'épanouit en ara-
besques. La porte Sainte-Anne, à Notre-Dame de Paris, pa-
raît être de la fin du XIP siècle. C'est un des plus riches
exemples de cette splendide ornementation en fer forgé dont
les rinceaux s'enroulent avec tant de souplesse qu'ils sem-
blent vouloir rivaliser avec les chefs-d'œuvre de la ta-
pisserie.
Autels. — L'autel du Moyen Age a deux formes : c'est
une table ou un tombeau ; le premier est un souvenir de la
table de la cène, où Jésus-Christ institua l'Eucharistie ; le
second rappelle les tombeaux des martyrs sur lesquels le sa-
cerdoce des catacombes offrit d'abord le saint Sacrifice. Les
autels-tables sont presque tous antérieurs au XIII" siècle.
A partir de cette époque, la forme de sarcophage a toujours
prévalu dans l'Eglise latine. Les autels cubiques des Xle et
XIP siècles ont des ouvertures carrées sur la face principale
pour recevoir des reliques. Ils sont parfois enrichis de mo-
saïques, de peintures, de sculptures, de pierres incrustées et
652 ruÉGis DK l'histoire de l'aut chrétien
d'inscriptions. Un des plus curieux autels romans que nous
connaissions est celui de l'église Saint-Germer ffig. 4\ C'est
une table rectangulaire , reposant
sur neuf colonnes écourtées dont les
piédestaux sont à angles saillants ;
un boudin sert de base aux fûts. Les
feuilles de chapiteaux se lancéolent
4- ou se roulent en volute. Les tailloirs,
ceux du moins qui n'ont pas subi de dégradation, sont enve-
loppés d'une plate-bande perforée. A l'extrémité du cordon
de chaque arcade, se dessine une petite feuille ou un arc en
relief.
Les cathédrales et les abbayes étaient munies d'autels
d'une riche exécution ; mais dans les églises paroissiales ils
ne consistaient souvent qu'en un simple massif de maçon-
nerie régulière supportant une table de pierre.
Il y a des autels du XIP s. à la cathédrale de Marseille, à
Chatillon-sur-Marne, à Sainte-Marguerite, près de Dieppe,
à Pontorson (Manche), etc.
Fonts et Bénitiers. — Les fonts baptismaux du XII" siècle
ont les mêmes formes qu'au siècle précédent. Ce sont des
cuves cylindriques cantonnées ou non de colonnettes, des
cuves carrées décorées d'arcatures ffig. 5), des fonts pédi-
cules, c'est-à-dire des bassins supportés par un fût, et enfin-
des coupes hémisphériques soutenues par des cariatides. Cette
dernière forme ne se rencontre guère qu'en Bretagne. Un
trou était pratiqué au fond de la cuve pour l'écoulement de
l'eau baptismale.
La Picardie est riche en fonts romans. On en voit à Com-
piègne, à Espaubourg, à Saint-Just (Oise), à Montdidier, à
Airainc (Somme), etc. Ceux de la cathédrale d'Amiens, en
pierre de liais, ont la forme d'une table allongée, supportée
EN FRANCE ET ExN BELGIQUE. 0,^3
par cinq petits pilastres; quatre figures de prophètes sont
sculptés aux angles ; les noms de Zacharie et de Joël sont
seuls restés visibles.
S- — Fonts dcSiiinle-Marie de Chigiiac (Doidognc)
Il y avait autrefois, devant la porte et à l'extérieur des
églises, des fontaines où les fidèles, dans une intention sym-
bolique, se lavaieni le visage et les mains.
Telle est l'origine desbénitiers du Moyen-
Age qui, sous le rapport de la forme, ne dif-
fèrent de certainsfonts baptismaux que par
leur petite dimension. Jusqu'au XIP siècle
ce furent de petites cuves supportées par
une colonnette ou un petit pilier ffig. 6) ;
ils étaient ordinairement placés en dehors
de l'église, sous le porche. Plus tard, on leur substitua des
réservoirs appliqués contre un mur intérieur de l'église ou
sur une colonne, et surmontés d'un dais.
6. —Bénitier de St-Avenltn
(Haute-Garonne).
054 PRÉCIS DE LUISTOIRE ]JE l'aUT CHRÉTIEN
Les bénitiers portatifs avaient en général la forme d'un
l)etit seau muni d'une anse ; on
en faisait en ivoire, en cuivre, en
argent. Un habile sculpteur de Lyon,
M. Viollet, a exécuté récemment un
bénitier roman dont nous donnons
ici le dessin (^^. 7). Il s'est inspiré
dans cette composition du bénitier de
la cathédrale de Milan et de plusieurs
vases analogues sculptés ou dessinés
dans divers monuments des XP et
Xir siècles. C'est un excellent modèle
7. que nous recommandons aux églises
qui auraient besoin d'un mobilier roman.
Sépultures. — La décoration des tombeaux quadrilatères
des Xr et XIP siècles accuse sou-
vent l'influence du style byzantin.
Ils reposent sur de courtes colonnes
cylindriques ou sur un soubasse-
ment en pierre ffig. 8) ; leur cou-
vercle plat ou de forme prisma-
tique est plus souvent uni que cou-
vert de sculptures ; leur décoration
la plus habituelle consiste en une
simple croix gravée. Ils commen-
cent à être décorés de la statue couchée du défunt.
C'est vers la fin du XIP siècle que s'introduisit l'usage
des dalles gravées qui servaient tout à la fois à paver les
églises et à recouvrir la dépouille des morts. Elles repré-
sentent l'effigie du défunt, des inscriptions funéraires, des
arabesques, des écussons, des détails d'architecture, etc.
.1. CORBLET.
Tombeau de la reine Adélaïde.
(.Saint-Jean-au-Bois).
CHRONIQUE
M. Jules Solou vient de publier une spirituelle et courageuse
brochure intitulée : Du Vandalisme àAuch. L'auteur nous permettra
de lui signaler une erreur qui, si elle n'était pas rectifiée, pourrait
faire soupçonner de vandalisme le conservateur actuel de la Biblio-
thèque d'Amiens, dont le zèle bibliographique est aussi apprécié
que la science archéologique, par tous ceux qui le connaissent.
M. J. Solon dit en parlant de la bibliothèque de la ville d'Aucb,
transférée récemment dans l'ancienne église des Carmélites : a II
est fort heureux que les larges dimensions de la nef aient permis
d'y placer les rayons de la bibliothèque et que le bibliothécaire
n'ait pas suivi l'exemple de celui d'Amiens, qui, il y a quelques an-
nées^ trouvant que les manuscrits in-folio que renfermait la biblio-
thèque ne pouvaient pas entrer dans les rayons, crut que le meilleur
parti était de les réduire, en les rognant, à la hauteur nécessaire.»
M. J. Solon a puisé ce renseignement erroné de tout point dans
l'ouvrage que M. le comte de Montalembert a publié en 1839, sur
le Vandalisme et le catholicisme dans l'art. Dans sa lettre à M. Victor
Hugo, datée de 1833, et insérée dans ce volume, l'honorable .pair de
France s'exprime en ces termes: « On a nommé, il y a quelques
années, à Amiens, un bibliothécaire dont toute la vie précédente
avait été complètement étrangère à ce genre d'études et qui trou-
vant que les manuscrits in-folio que renfermait sa bibliothèque ne
pouvaient pas entrer dans les rayons des casiers, crut que le meil-
leur parti était de les réduire, en les rognant, à la hauteur néces-
saire. » Cette accusation ne pourrait être appliquée qu'à M. Dela-
haye qui a été chargé de la conservation de la bibliothèque de
1826 à 1846; mais elle n'est point fondée. Il existe à la biblio-
thèque d'Amiens un imprimé qui a été déplorablement rogné par
un relieur, mais aucun manuscrit n'a subi les injures dont on parle.
056 CHRONIQUE.
M. J. Ganiior, dans son Catalogue des manuscrits publié en 1843,
rend un hommage légitime à M. Le Prince, ancien négociant, qui
consacra gratuitement ses loisirs à la reliure de plus de 500 vo-
lumes. « Nous ne savons, dit-il, sur quelle preuve on s'est fondé,
mais, nous, qui avons examiné tous ces volumes un par un, feuil-
let par feuillet, nous pouvons assurer qu'ils ont été reliés avec une
attention qui allait jusqu'au scrupule; que toutes les feuilles de vé-
lin, môme les plus insignifiantes et les plus inutiles, ont été cou-
servées aux recueils dont elles faisaient partie. » Sans mettre en
doute la bonne foi de MM. de Montalembert et J. Selon, nous
avons cru devoir mentionner une erreur, préjudiciable à la bonne
renommée littéraire de la ville d'Amiens, erreur qui pourrait s'ac-
créditer et prendre à la longue une place incontestée à côté des
actes authentiques qui sont enregistrés dans le Martyrologe de
l'Art.
— La Direction des Musées impériaux vient de faire restaurer les
quarante et quelques tableaux qui décoraient le chœur de Notre-
Dame de Paris. Tous ces tableaux, dus aux plus illustres maîtres de
l'école française des XVIIe et XVIIl*^ siècles, seront placés dans la
galerie destinée à cette école et qui occupe le premier étage du
nouveau Louvre, depuis le pavillon MoUien jusqu'au pavillon
Daru.
— ^M. Fr. C. Louandre, ancien bibliothécaire-archiviste d'Abbeville,
est décédé le 21 novembre à l'âge de 76 ans. Il s'était spécialement
occupé de l'histoire du Ponthieu, avec autant de zèle que de suc-
cès; il a publié entr'autres ouvrages : Biographie d'Abbeville et de
ses environs, IS^O, in-S". — Histoire d'Abbeville et du comté de Pon-
thieu, 1844, 2"= édition, 2 vol. in-8°. — Notice historique sur VHôtel-
Dieu d'Abbeville. — Diverses notices insérées dans les Bulletins des
comités historiques et dans les Mémoires de la Société d'émula-
tion d'Abbeville. — Cet estimable savant a eu la joie de voir son
fils suivre, comme lui, la laborieuse carrière de l'érudition et con-
quérir une légitime renommée que le temps ne pourra qu'accroître.
J. CORBLET.
TABLE DES ARTICLES
DANS LE TOME SIXIÈME DE LA REVUE DE L'ART CHRETIEN
Sarcophages du inusée de Marseille,
par le R. P. Dassy ... 5, 225, 5u5
DesLanternes.parM. Schaepkens. 22
Les Catacombes considérées comme
type des basiliques chrétiennes,
par M. l'abbé Aubeu 24
Du Réalisme et des Symboles dans
l'art clirétien. par M. le comte
GrimouauddeSt-Laurent. .33, G3
Peintures de M. Flandrin h Saint-
Germain-des-Prés 45
Sarcophage-autel de l'église Saint-
Zénon à Vérone, par M. .\ntonio
Bertoldi 57
Quatre Sceaux de la province de
Limbourg, par M. Schaepkens. 77
Le Lion et le Bœuf sculptés au por-
tail des églises, par M. l'abbé
J. CORBLET 82
Le Temps deNoël(cantiques-litur-
gie-coutumes) , par M. Pardiac. 100
Lettre sur quelques sculptures de
lion, par M, Dusevel .... 113
D'un Argument des premiers siècles
de notre ère contre le dogme de
la résurrection, par M. Le Blant. 118
Note sur des Marmiles en broiize
conservées dans quel(|ues collée -
lions archéologiques, par M. rabl)é
Cochet 127
Symbolisme du Cantique des canti-
ques, par M. l'abbé Aurer . .
132
Une égUse cathédrale du V-' siècle et
son baptistère : Saint-Élienne de
Mêlas (Ardèche), par M. le V'«^ de
Saint-Anuéol 169
Les Catacombes de Rome au point
de vue de la controverse . . . 189
De l'origine de l'ogive, par M. l'abbé
J. CORBLET 202
Histoire de saint Jacques le Majeur
et du pèlerinage de Composlelle.
par M. l'abbé Pardiac, 213, 250, 306
378, 500, 539, 631.
Anciens dessins de Chandeliers, par
M. Arnaud Schaepkens. ... 223
Nouvelles parlicularitéssur la sculp-
ture chrétienne du moyen-ûge,
par M. l'abbé Cochet .... 238
L'église de Nogent-les-Vierges,note
additionnelle, par M. Élie Petit. 272
Monument funéraire du chanoine
Ruyschen, à Saint-Servais de
Maëstricht, par M. Schaepkens. 281
«158
TABLE DKS AUTICLES.
La prière de Marie et le bon Pas-
teur, élude sur un sarcophage
d'Arles, par M. le C'= Grimouard
DE Saint- Laurent 283
Zoologie mystique
M^e F. d'Ayzac
l'Agneau , par
300
Les Sandales et les Bas, par M. de
LlNAS . . . 337, 468, 531, 561, 617
Des Voûtes en bois et de leur répa-
ration, par M. Raym. Bordeaux. 354
Zoologie mystique : l'Antilope, par
M-^o F. d'Atzac ...... 871
Tableau sculpté de l'église de
Familleureux (Hainaut), par M.
Lejeune 393
L'Architecture du XII© siècle en
France et en Belgique, par M.
l'abbé J. CORHLET 402
Recherches critiques sur Jean
Bellegambe et sur son œuvre,
par MM. A. Asselin et l'abbé
C. Dehaisne 428,454
Ivoire sculpté du trésor de l'église
de Tongres, par M. Schaepkens. 449
Nouvelles Remarques sur la décou-
verte du coiur do Charles V,
dans la cathédrale de Rouen , par
M. l'abbé Cochet 510
Tombeau de Waleram III, duc de
Liinitourg, à l'éghse de Rolduc,
par M. Arnaud Schaepkens. . 547
Grandes Découvertes historiques re-
latives à saint Jean-Baptiste et
aux Évangélistes, par M. J. Cor-
blet 590
Sainte Cécile glorifiée par les arts ,
par M. DuPRÉ 602
La Mort de saint Joseph, tableau
attribué à Raphaël 615
La sculpture chrétienne au Xlla
siècle, par M. J. Corblet . . .
645
Comptes-rendus bibhographiques ,
par MM. l'abbé J. Corblet, Charles
de Linas et l'abbé Barbier de
Montault, 49, 109, 158, 278, 330,
446, 549
Chronique, par M. J. Corblet, 165, 335,
556 et 655
TABLE DES DESSINS
Agneau (!') — sur le roc, fond do verre
des Catacombes, 301 ; — recevant les
caresses du Bon-Pasteur, 301.
Anneaux et boucles en bronze trouvés
dans des sépultures chrétiennes, 241,
242, 243.
Antilope — embarrassée dans un fourré,
miniature, 373 ; — saisie par le ve-
neur infernal, 376.
Arcade — ternée, 416
ibid.
mitrée ,
Arceaux intersectés formant des ogives,
209.
Autel — de Saint-Germer, 652 ; — de
Saint-Zénon à Vérone (planche) , 57 ;
détails des bas-reliefs, 60,61.
Bannière à lanterne, 23.
Baptistère de Mêlas (planche 2), 169.
Base romane, 420.
BÉNITIER portatif exécuté par M. Viollet,
.654.
Bon-Pasteur (le) des Catacombes, 302.
^PoucLIER de nuit, 23.
Carbatina du pape Houorius III (pl.),
577.
Caveau où était renfermé le cœur de
Charles V, à la cathédrale de Rouen,
525, 526.
Cercueil d'un religieux, de l'abbaye de
Sainte-Geneviève de Paris, 240.
Chandelier — trouvé aux Loges, prés
Fécamps, 1.30;— de répo(iue romane,
223 ; — de l'époque ogivale, 224.
Chapelets trouvés dans des sépultures
chrétiennes, 244, 245^
Chapiteaux — du V« siècle, 180, —
romans, 414, 415, 420, 650.
Chasse de saint Firmin, à la cathédrale
d'Anùens, 163.
Cloître de Nivelles (Belgique), 425.
Colonne du XII<= siècle, 413.
Coquilles —et bourdon des pèlerins de
Saint-Jacques, 383 ; — trouvées dans
des tombeaux, 248, 249, 250.
Crypte de l'église d'Issoire, 408.
Cul-de-lampe roman, 416.
Dais et consoles du Xlle siècle^ 418.
Église (1'), statuette d'un reliquaire do
l'époque romane, 451.
Église — de Royat, 407 ; — de Notre-
Dame de Poitiers, 422; — de Saint-
Quentin, à Tournai, 423 ; — de Saint-
Denis, portail, 50; intérieur, 51;
caveaux funéraires , 54 ; — de Saint-
Étiennede Mêlas (planche 1), 169 ; —
des saints Apôtres, à Athènes, plan,
333 ; vue de l'intérieur, 334.
Entraits et poinçons de voûtes, 361,
362.
Fanal de Fénioux (Charente-Inférieure),
427.
mo
TAlîLE DES DESSINS.
Fenêtres du Xlle siècle, 411.
Fonts liaptisinaux tle CliigiiaCj 6.53.
Inscriptions clirétii'unes du Parlliéiion ,
331, 332, 333.
Ivoire sculpté de l'église de Tongres
(planche), 449; détails de cette sculp-
ture, 453.
Jacques le Majeur (saint) à la bataille
de Clavijo, 643.
Lanterne— romane. 22 ; — ogivale, 23.
Lion sculpté au porche de SL-Vulfran
d'Abbeville (plancbeK 113.
Marmite en bronze, trouvée — à Saiiit-
Pierre-lès-Elbeuf, 127 ; — aux Loges,
près Fécamps, 130.
médaille de saint Benoit, 245.
MODILLONS du XII'î siècle, 409.
Monument funéraire du chanoine Ruys-
chen, h Saint-Servais de Maëstricht
(planche), 281.
Mort (la) de saint Joseph, tableau attri-
bué à Raphaël (planche), 561.
Notre-Dame — del Pilar et saint Jac-
ques le Majeur, 319; —de Miséricorde,
tableau sculpté de l'église de Fauiil-
leureux en Hainaut (planche), 393.
Ogive romane, 405.
Ornements du style romano-ogival,417
Parthénon, façade occidentale, 331.
Pierre tombale d'un fondeur de mé-
taux (XlVe siècle), 131.
Porte d'église au XIU siècle, 410.
Poutre décorée et peinte, 370.
Rose de N.-D. de Noyoïi, 412.
Sandales — de saint Edme, de Com-
niinges, de saint Pierre de Luxem-
bourg (planche). 337 ; — conservées
dans l'église de Saint-Martin-des-Monts
(planche), 577.
Sarcophages du Musée de Marseille
(planches), 1,225,505.
Sceaux— do Maëstricht, 78, 79, 80;— de
Bihsen, 81.
Sculpture du portail de N.-D. de Poi-
tiers, 646, 647.
Sépulture d'Étaples, lio.
SoLEA crucifère, d'après un marbré an-
tique (planche), 577.
Synagogue (la), statuette d'un reli-
quaire du XIP^ siècle, 451.
Tombeau— arqué, 664 ; — deWaleram III,
à l'église de Rolduc, 547;— de la reine
Adélaïde, 651.
Tour— de Sainte-Croix de Liège 412; —
de N.-D. de Noyon, iùid.
Vases chrétiens trouvés à Bouteilles, 111
Voussures du XIP siècle, 4io.
VOUTES en bois du moyen-âge, 364,
365, 366, 367, 368, 369.
Voyage des saintes Marie Jacobô et
Salomé, sculpture antérieure au IX" s.
265.
Ces 147 dessins (dont 14 planches lithographiées ou gravées, tirées hors
texte), ont été exécutés par MM. Barthélémy, R. Bordeaux, Agi. Bouvenne,
Ern. Breton, A. Deschamps de Pas, Ddthoit, L. Dbouyn, Ebocodut, Aie.
Giraud, Laugier, Th. Lejeune, De Saint-Andéol, A. Schaepkens, Violet et
West-Wood.
TABLE ANALYTIQUL:
DES MATIERES
CONTEMJKS DANS LE TOME SIXIEME DE LA RLVUE DE l'aRT CIIUÉTIE.N '
A
Abdaye — tl'Anchin, 132; —de Luxoiiil,
335 ; — de Sailli-Denis, 19 ; — (h
Saint-Viclor, à Marseille, G, 'J ; — de
Sery, 112.
Abbayes, leurs cuisines, 426.
Abbeville , sculpture du portail de
Saint-Vuiïran, 87,113.
Abdérame le Victorieux, C35.
Abraham ligure sur un chapiteau, 181.
Adam et Eve figurés sur un inonuiiient
du IXe siècle, 67.
ÂGES de la vie (les quatre) figurés dans
une niinialure, 552.
Agneau (1') —, ses significations mysti-
ques, 9, 10, 300 ; — recevant les ca-
resses du Bon-Pasteur, 304, 305,
AiLLY-suR-NoYE, tombeau de Jean Haut-
bourdin, 116.
AiMON, abbé de Saint-Pierre-sur-Dive,
une de ses lettres, 403.
Albe d'Auguste, ville détruite, 170.
Aldegonde (ste),ses sandales conservées
à Maubeuge,339.
Allemagne (1') n'est point la patrie ori-
ginaire de l'ogive, 208.
AMIENS; bas-reliefs de sa catliédrale re-
présentant la légende de saint Jacques
le Majeur, 325. V. Cathédrale, Châsse,
Ganiier, Muée.
Anachronisîies — qui doivent être per-
mis dans l'art, 44, 69;— de costume, 648.
Anasyris, 472. 476, 477.
Angelico (Fra), 6;07.
Anges, leur n'i)réseiitation, 43, 70.
Angleterre {!') n'est point la patrie de
l'ogive, 207.
Anne (sainte), 461.
Anneaux en broiizo trouvés dans des
sépultures chrétiennes, 240.
Antilope il'), ses significations mysti-
ques. 371.
Apôtres — figurés sur un sarcoiihage,
11, 506 ; — leur ciiaiissure, 583.
Appareil — du style latin, 175, 186 ,
— du XIL' siècle, 108.
Apparitions de divers saints dans des
batailles, 639.
Aquitaine, ses églises romanes, 407.
Arares (les) ont-ils inventé l'ogive?205.
Arbre de Jessé peint dans une cliapelle
de Gaiid, 167.
Arcades, leurs diverses formes au Xlle
siècle, 115.
Arceaux intersectés,209.
Archers, leur corporation, 553.
Architectes officiels, leurs réparations
destructives, 549.
Architecture — du Ve siècle, 173 ; —
du Xll» siècle, ses principaux carac-
tères, 404 ; ses principales œuvres en
France et en Belgique, 421; — ogivale,
son origine, 202. V. Art chrétien. Ca-
thédrale, Église, Voûte, etc.
Arles, étude sur un de ses sarcophages,
283 ; note sur un autre tombeau, 12;
son portail de .Saint-Trophime, 80.
Arnould, archevêque de Trêves, ses
sandales, 629.
* Nous n'avons pas inséré dans cette table les noms des auteurs d'articles et de
dessins ; ils sont imprimés d'une manière assez saillante dans les deux tables pré-
cédentes pour que nous ayons cru cette répétition inutile — j. coriu.et.
662
TABLE ANALYTIQUE.
Arras, indication de qaelciuos anciens
tableaux qui y sont conservés, 464, 628
j^R'f (1') __, son but, 33 ; — ne doit pas
se borner à copier la nature, 34,39; —
peut allier le réel au figuré dans une
même composition, 44; — n'aurait
que deux, patries, d'après le Moniteur ^
597.
Art chrétien — ; sa mission, 40; son
langage symbolique, 41 ; son l)ut et
ses conditions, 63, 74; — des premiers
siècles, 5, 18, 26, 225, 505; — du Xlle
siècle, 402, 645. Voyez Architecture,
Catacombes, Peinture, Sculpture, Tom-
beaux, etc.
Assyriens, leurs chaussures, 471.
Athènes, ses monuments antiques, 330 ;
ses églises, 333.
AUBER (M. l'abbé), sa Table du Bulletin
monumental, 111.
AUDENARDE, comment on y ouvre un
triptyque, 556.
Augustin (saint) — défend le dogme de
la résurrection des corps, 120 ; — son
opinion sur la chaussure des apôtres,
587.
AuTEL-SARcoPHAGE de l'égUse Saint-
Zénon, à Vérone, 57, 336.
Autels du Xlle siècle, 651.
Auvergne, caractères spéciaux de ses
églises au Xlle siècle, 419.
Ayzac (Me F. d'). — Compte rendu de son
Histoire de l'abbaye de Saint- Denis en
France, 49 ; — son opinion sur la si-
gnirication mystique du lion, 92, et du
bœuf, 96.
Axe des églises incliné dès le Xe siècle,
31.
Bandelettes, 417.
Bannière portée par un enfant de
chœur, 23.
Baptême de Notre Seigneur, comment
on doit le représenter, 05, 68, 75.
Baptistère — de Saint-Jean, à Poi-
tiers, 31 — de Mêlas, 183.
Bar (Fr. de), son Histoire de l'abbaye
d'Anchin, 432, 455.
Barbier de Montault (M), nommé che-
valier de l'ordre du Saint-Sépulcre,
558.
Barque figurant dans les armoiries de
l'église de Lisbonne, 265.
Basiliques chrétiennes (les) ont les
catacombes pour type architectu-
ral, 24.
Bas-reliefs — de l'église deFamilleu-
reux (Haiuaul) 396 ; — du XIP siècle,
648.
Bataille de Clavijo, 637.
Bathilke (sainte), ses souliers conservés
à Chelles, 342.
BATON de Foulon, attribut de saint Jac-
ques le Mineur, 261.
BÉATRix de Bourbon, 272.
Belgique, caractères spéciaux de ses
églises au XII^ siècle, 418. V. Maes-
tricht.
Bellegambe , peintre douaisien , re-
cherches sur sa vie et son œuvre,
428, 454.
BÉNITIERS — romans, 653 ; — portatifs,
654.
Bernard (saint), son Commentaire sur
le Cantique des cantiques, 149 ; ses
opinions artistiques, 649.
Bestiaires du moyen-àge, 92,373.
BÉTHUNE, monnaies et jetons qu'on y
a frappés, 278.
BiLSEN, sceau de cette ville, 81.
Blain d'Esnambac, monument élevé à
sa mémoire, 560.
Bock (l'abbé Franz), traduction de son
ouvrage intitulé : les Trésors sacrés de
Cologne, 280.
Bœuf — , ses significations mystiques.
96 , 98 ; — sculpté au portail des
égUses, 82.
Bœufs des tours de la cathédrale de
Laon, 85, 97, 117.
Boisserée (M.), son opinion sur l'origine
de l'ogive 203.
Boitel (M. l'abbé), son Histoire de Mont-
mirail, 555.
Bon Pasteur (le) figuré sur des sarco-
phages, 287, 295, 302, 304.
Bordeaux (M. R.), compte-rendu de son
Trailéde la réparation des églises,l48.
TAULE ANALYTIOUE.
663
Bordeaux, ilinôrairc do Bordoaux ;\
Compostello, 215.
BossuET, son inlerpr6lalioii ilu Canlique
des cantiques, M8.
Boucles — du XlVe siècle, 5G7 ; - trou-
vées dans des sépultures chrélii'nn(>s,
240.
Bouclier muni d'une l:uilorne,23.
BouRDiN (Miciicl), œuvres de ce sculp-
teur, 276.
BouRPON de saint Jacques, 383, 381.
Bourges, détails d'une verrière de sa
catliédrale, 138.
Bourgogne, caractères spéciaux de ses
églises au Xlle siècle, 420.
Bretagne, caractères spéciaux de ses
églises au Xlle siècle, 419.
Breton (M. E.), compte-rendu de son
ouvrage sur Athènes, 331.
Bucn (Hicliel) institue la confrérie des
frères cordonniers, 579.
Bûche de Noël (la) expliquée par Mar-
chetti, 105.
Calceamenta, 469, 470, 472, 473, 538,
582, 618, 619, 626.
Calceoli, souliers de femme, 487.
Calceus, chaussure composée d'une se-
melle, d'une empeigne et d'un quar-
tier, 343, 344, 350, 469, 486, 627.
Calice — où boit un lion, 88; — du
XVe siècle, 553.
Caliga, chaussure militaire des Romains,
484, 622.
Campnyus, cliaussure impériale , 532,
563, 618, 619, 620, 627, 632.
Canard, attribut de saint Jacques le
Majeur, 381.
Cantarini, 610.
Cantique des cantiques, étude sur la
signification de ses allégories, 132.
Cantiques de Noël, 100.
Caractères généraux du style ro-
mano-ogival, 404.
Carhatiiia, chaussure rustique, 480 , 618.
Carraches (les) 609.
Cartulaire de Saint-Maximin. 447.
Catacombes—, leurs peintures, G8, 2J4,
301, 301, 600 ; — ont élé le type des
premières églises chrétiennes, 24-, —
leurs inscriptions au pnint de vue
tliéologi(iue, 188.
Cathédrale —d'Amiens, G52 ; — d'An-
c6ne,87;— d'Arras, 405 ;— deBamberg,
117; —de Dax, 86; — deLaon, 85, 97,
117; —de Lisbomic, 265; — do Mêlas,
sa description, 169 ; — de Noyon, 406,
412, 421 ; — de Paris, 651, 656; —de
Poitiers, 422 ; — de Rouen, 511; — de
Strasbourg, 168.
Cathédrales du Xlle siècle, 424.
Cauderec-lès- Elbeuf , marmite en
bronze trouvée dans son territoire,
127 ;— son ancienne Confrérie de Saint-
Michel, 539.
Caumont (M. doj, son opinion sur les
origines de l'architecture ogivale, 210.
Caveau funéraire de Charles V à Rouen,
525.
Çavetonniers, différents des savetiers,
580.
CÉCILE (sainte), œuvres de poésie, d'é-
loquence, de musique, de peinture et
de sculpture composées en son hon-
neur, 602.
Cercueil, voyez Sarcophage.
Cerfs symboliques, 8, 9, 10.
Chaldéens, leurs chaussures, 472.
Chandeliers — de l'époque romane,
223 ; — de l'époque ogivale, 224 ; —
d'époque indéterminée, 130.
Chapelets trouvés dans des cercueils
chrétiens du moyen-âge, 243.
Chapelle castrale de Familleureux,
(Hainault), 395.
Chapelles sépulci'ales, 426.
Chapiteaux — du V^ siècle, 177, 180 ;
— romano-ogivals, 114, 648, 650.
Chapitre de Notre-Dame de Rouen, 5ic.
Charlemagne guidé en Espagne par
saint Jacques le Majeur. 543.
Charles V, son cu'ur découvert dans
la cathédrale de Rouen, 511.
Chasse représentée sur un monument
du IXe siècle, 60.
Chasse de saint Firmin, à Notre-Dame
d'Amiens, 162.
mi
TABLE ANALYTIQUE.
Chaussures — des morts, 254 ; — an-
ciennes, conservées en France, 339;—
des anciens, 468 ; — impériales. 531 ;
— du moyen-âge, 561 ; — liturgiques,
581, 617. V. sandales.
Chèvre (la), sa signiOcalion mystique,
305.
Chiaula (D. Maur), son Oratorio de
sainte Cécile, 601.
Chignac, fonts romans de son église,
653.
Chorea, 106.
Christianisme (le) prêché au premier
siècle dans les Gaules, 161, 263. 308,
597.
Chronique de Nuremberg, 610.
CÎTEAUX, son écolo architecturale, 425.
Clavijo, sa célèbro bataille, C34.
Clergé (le) n'a plus le domaine exclusif
de l'art au Xlle siècle, 404.
Cloître de Nivelles, 425.
Clôtures de chœur, leur origine, 400.
Cluny, son école architecturale, 425.
Cochet (l'abbé), analyse de sa Sote sur
une sépulture chrétienne d'Etoples ,
110.
Cœur de Charles V trouvé à N.-D. de
Rouen, 526 ; — son analyse chimique,
527.
COGUiN (Ch.). abbé d'Anchin, 430.
Collier d'or du XVI'^ siècle, 559.
Colonnes romano-ogivales, 113.
Comminges, sandales conservées dans
son église, 349.
Communion des saints, dogme exprimé
dans diverses inscriptions des cata-
combes, 195.
Compostelle, histoire de son pèleri-
nage, 215, 314, 541, 539, 634.
Conception immaculée de Marie, ta-
bleau relatif à ce dogme, 458, 463.
Concile in Trullo, ses prescriptions ico-
nographiques, 303.
Confrérie de Saint-Michel à Caudebec,
239.
Congrégation des cordonniers, 579.
Console du XlJe siècle, 418.
Constitutions apostoliques, leur date et
leur valeur, 29.
Construction (ia) des églises au moyen-
âge était une œuvre de foi, 403.
Contreforts du Xll» siècle, 408.
Coq de saint Pierre, 15.
Coquille, attribut de saint Jacques le
Majeur, 381.
Coquilles découvertes dans des cer-
cueils du n)oyen-âge, 247.
Cordonniers, leur corporation, 578.
Corniches romano-ogivales, 409.
Corrigiœ, courroies de chaussures, 471,
480, 481, 489, 490.
Cothurne, chaussure garantissant le
pied et la jambe, 495, 564.
Couleurs des sandales épiscopales,
623.
Cousseau (Mgr;, son ophiion sur les
lions qui décorent les portails des
églises, en ItaUe, 89.
Crèches de la fête de Noël, 106, 108.
Crepida, chaussure grecque, 472, 481.
Crescent (saint), 308,597.
Crescentien (saint), ses reliques, 57.
Croix — d'Ascension, 301 ; — de saint
Benoît, 245 ; — des sandales épisco-
pales, 623, 626 ; — latine des siècles
primitifs, 12, 18 ; — trouvées dans des
tombeaux, 553.
Crosnier (M. l'abbé), son opinion sur
la signification des lions sculptés, 90.
Crucifiement du Sauveur, 449.
Crypte — de saint Denis, 55 ; — de
sainte AValburge, à Anvers, 559.
Cryptes du Xlle siècle, 408.
Culte de la sainte Vierge et des images
exprimé dans les fresques des pre-
miers siècles, 200,
Cuthbert (saint), ses sandales, 625.
I>
Dais duXII^ siècle, 418.
Dalloz (M.) , ses bévues historiques,
591.
Dancoisne (M.), compte-rendu de sa
Numismatique béthunoise, 278,
Daniel dans la fosse aux lions, 294.
Darsy (M.), sa. Notice historique sur l'ab-
baye de Scnj, 112.
TAULE ANALYTKJIJE.
G65
Delvuoche (Paulj, t)l2.
DÉMON figuré — par le lioit, yi ; — par
un vciiour, :i~6.
Deschami's de Pas (M.), conipto rendu
de sou Histoire sigiUuue de la ville d<:
Sainf-Omer, IIG.
Desrosiers (M.), sou ouvrage surSaint-
Désirô, 418.
Diahathrum, chaussure dos Grecs, 482.
DOLCi (Carlo), 610.
DOMINIQUIN (le), 608.
Douai, ses aiiciens peintres, 440.
Dragon écrasé par un liou, 90.
Dryden, ses odes à sainle Cécile, 605.
Durand (Guillaume), ses reuseignemenls
sur la décoration des portails, 83, 84.
DusEVEL (M.) publie une nouvelle édi-
tion de l'Histoire du trésor do Saint-
Pie/ re de Corbie, 56.
K
Ecriture-Sainte (1') est la véritable
source des idées symboliques, iil.
Edme (saint), ses sandales, 631.
Edmond (saint), ses sandales, 361.
Eginon (le B.), ses sandales, 626.
Église (1') — figurée à côté de Jésus
crucifié, 450; — personnifiée par une
Oranle, 288 ; — et par la chaste Su-
zanne, 289.
Église — de Saint- Vulfran d'Abbeville,
87, 113 ; — d'Alby,613; — des Saints-
Apôtres, à Athènes, 333; — de Com-
niinges, 349 ; — de Courcy, 86 ; — de
FamiUeureux, 396 ; — de Saint Mar-
tial et de Saint-Michel, à Limoges, 8 > ;
— de Saint-Servais, à Maëstriclit, 282 ;
— de Mêlas, 169 ; —de Mortagne-sur-
Sèvres, 82, 84 ; — de Moreaux, 85 ; —
de Nogent-les-Vierges , 272 ; — de
Notre-Dame de la Mer, 264 , — de
Saint-Porchaire, à Poitiers, 86 ; — de
Rolduc, 347 ; — de Saint-Martin des
Monts, à Rome, 630 ; — de Saint-
Pierre, à Roye, 423 ;— de Royat, 407;—
de Saint-Denis, 49 ; — de Saint-Désiré,
448 ; — de Saint-Leu d'Esserent, 422 ;
— de Tongres, 449; — de Saint-Quen-
tin, :ï Totunai, 4J3 ; —de Sainl-Zé-
non, à Vérone, 57,336;— de Sescas, G.5o.
V. Art c/uétilu, CalItédraU', Portail,
Voûte, etc.
Eglises — priniilives, construites en
bois, 204;— circulaires, 4o7;— fortiliées,
ibid.; — du IV« siècle, 30, 32 : — du
_ XII..- siècle, 424.
Égyptiens, leurs chaussures, 474.
Endromis , chaussure particulière à
Diane, 498.
Enseignes de pèlerinages, 279.
Entraits — ou poutres apparentes des
voûtes, 358; — ne doivent pas être
supprimés, 359 ; — ligures et décrits,
361.
Éperons trouvés dans un tombeau chré-
tien, 110.
Épitaphe — de Ciiarles V, 520; — de
Waleram, 548.
Épitaphes comminatoires contre les vio-
lations de sépulture, 123, 125.
Escarpins, chaussure d'intérieur, 577.
Espagne (1') — évangélisée par saint
Paul et saint Jacques le Majeur, 309,
314: — envahie par l'islamisme, 502 ;
— remporte la victoire sur les Maures,
634. V. Cumposielle, Galice, Iria, Pierre.
Estivaux, espèce de bottes, 565, 566, 578.
Étaples, sépulture chrétienne du moyen-
âge qu'on y a découverte, 110.
Étymologie — de Compostel/e, 541 ; —
de Padron, 387 ; — de Tulle. 112.
Eucharistie (1') représentée dans les
Catacombes sous diverses allégories,
192, 313.
Évangéliaire du Xe siècle, 452.
Évangélistes sculptés sur un monu-
ment du IXs siècle, 59 .
Évêques, leurs sandales, 617.
Exemples de style romano-ogival , 421.
Exorcistes, existence de leur ordre
mentionnée dans les Catacombes, 190.
Paillon (l'abbé) interprète les sujets
de divers sarcophages, 11,16, 19.
Fa.milleureux (Hainaut). V. Église.
48
666
TABLE ANALYTIQUE.
Fanaux de cimetières, 426.
Fasciœ, 469, 485.
Fenêtres romano-ogivales, 411.
FÉNioux, son fanal de cimetière, 426.
Fergusson (M.), son Histoire du tulle, 112.
Ferjies des voûtes en bois, 359.
FÊTE de l'Apparition de saint Jacques le
Majeur, 640.
FiER-A-BRAs de Vertaing. épisode de sa
vie, 396.
FiRMiN (saint), sa vie et son culte, 189.
Flandrin (M.), ses peintures h fresque à
Saint-Germain des Prés, 44.
Fonts baptismaux du Xlle siècle, 652.
Fortifications d'églises, 407.
Foulques le Réchin, comte d'Anjou,
ressuscite la mode des souliers poin-
tus, 573.
Fra angelico, sa fresque du baptême de
Notre-Seigneur Jésus-Christ, 69.
Francia, 608.
Francs-maçons ; on leur a attribué
l'invention du système ogival, 208.
Frauenlob, ses poèmes mystiques, 146.
Fulmentum, chaussure antique, 482.
G
Galice (la), physionomie de cette con-
trée, 220 ; son culte envers saint Jac-
ques, 540. V. Compostelle, Espagne.
Ga/lica, chaussure d'origine gauloise,
483, 491.
Garnier (M.), bibliothécaire d'Amiens,
055.
Géographie des styles d'architecture au
Xlle siècle, 418.
GiRARDiN (M.) analyse la poussière pro-
venant du cœur de Charles V, 528.
GOTns (les) — ont eu une certaine com-
préhension des conditions de l'art,
205;— leurs chaussures, 477.
GozE (M.), son Histoire des i-ues d'Amiens,
111.
Grecs, leurs chaussures, 478.
Grésy (M.), son opinion sur les souliers
de sainte Bathilde, 344, 346.
GuÉRANGER (dom), sa Vie de sainte Cé-
cile, 604.
Guerchin (le), 609.
Gui-Barôzai, ses cantiques, 102.
Guide (le), ses peintures de la vie de
sainte Cécile, 607, 610.
H
HÉRÉTIQUES des premiers siècles qui ont
nié le dogme de la résurrection des
corps, 121.
Hermogène,— sa légende, 323 ; — figuré
sur divers monuments, 325.
Horloge astronomique, 277.
Huns, leurs chaussures, 477.
Iconographie — des anges, 70 ; — des
apôtres, 506 ; — des quatre Ages de
la vie, 552; — du bœuf, 83 ; — du
Cantique des cantiques, 138 ; — de
rimmaculée-Conception, 458, 163; —
des Évangélistes, 59 ; — de saint Jac-
ques le Majeur, 325, 381, 640 ; — de
saint Jacques le Mineur, 261 ; — du
Jourdain, 67; — de saint Jean-Bap-
tiste, 68; — du lion, 83, 88, 90 ; —
de la Bienheureuse Vierge Marie, 200,
296, 458 ; — de Notre-Seigneur Jésus-
Christ, 59. 63, 2.32, 449, 506 ; — des
Orantes, 287 ; — de saint Pierre et de
saint Paul, 291 ; — du Purgatoire, 59,
60. V. Symbolisme.
Imitation (1') de la nature, prise trop à
la lettre, n'est jamais vraie dans l'art,
37, 39.
Inscription— d'une châsse du Xlie siècle,
164 ;— d'un timbre monastique, 168 ; —
delà croix de saint Benoît, 245;— d'un
tableau sculpté du XVe siècle, 399 ; —
relative aux archers de Bruges, 553.
Voyez Êpitaphe.
Inscriptions — des Catacombes ; argu-
ments qu'elles fournissent à la contro-
verse Ihéologique. 190 ; — chrétiennes
du Parthénon, 331 ; — relatives à la
résurrection des corps, 123 ; — de
l'église de Vérone, 58, 61 ; — de celle
de Moissac, 554.
TAULK ANALYTIQUE.
(107
Inventions ilc relifiucs l'èlivs iiar l'Ej^liso
univorsolle, 540
Irid Flavia, villo espagnole, 31G, 379,
386, 501.
IssoiHE, crypte de son église, 488.
IvomEsculplé de l'églisede Tongres,449.
Jacobée, origine du nom de cette
plante, 385.
jAcyuEs LE Majeuh (S.), lii.stoire de cet
apôtre, de son culte et du pèlerinage
de Conipostelle, 213, 25G, 306, 378,
500, 539, 634.
Jacques le Mineur (saint), 257.
Jean Baptiste (saint), confondu avec
saint Jean l'Évan géiiste, 592 ; —son ico-
nographie, 68.
Jean (saint) l'évangtMlste, imberbe ou
barbu, 59.
Jean de Luxembourg, roi de Bohème,
273.
Jésus-Christ, — comment il doit être
représenté, 63 — docteur, sujet d'un
sarcophage, 505 ; — enfant, glorifié,
sujet d'un autre sarcophage, 232 ; —
expirant sur la croix, 58, 449 ; — fi-
guré par l'agneau, 301 ; — et par le
lion, 91, 115; —représenté imberbe,
IH ; — scènes de sa vie peintes à
St.-Germain des Prés, 47 ; — sculpté
sur un sarcophage, 9.
Joseph (saint) , sa mort représentée
dans un tableau attribué ;\Raphaël,615.
Josias, — son martyre, 327 ; — figuré
sur divers monuments, 328.
Jourdain (le), comment on représente
ce fleuve, 67.
Juifs, leurs chaussures, 469.
Justice rendue inter Leones, 86, 90,
Laon, bonifs sculptés iId sa cathédrale,
85, 97, 117.
LÉGENDE — de Cliarlemagne et de saint
Jac(iues le M., 544 ;— dllerinogénes,
323, — de Clavijo, 635 : — de Maya,
379 ; — de N.-D. de Miséricordi-,
•S.,1; — de N.-D. del l'ilar, 318.
Légendes du moyen-âge, 97.
Lehman (M.), ses figures d'évangélislcs
dans une nouvelle édition des Saints
Évangiles, 591.
Lenohmand (M.), son opinion sur l'o-
rigine orientale de l'ogive. 206.
Liège, tours de Sainte-Croix, 412.
ii>/w/œ ou pattes de sandales,G22, 626, 633.
Limbes, leur représentation au IX^ siècle,
59, 60.
Lineœ, 627, 628, 631, 632.
Lingua OU languette des sandales, 626.
628, 629.
Lion — sculpté au portail des églises,
82; — figuré dans des monuments de
l'antiquité et du moyen-âge, 86, 113;
— ses significations historiques et
symboliques, 80, 114, 117 ; —attribut
de saint Marc, 599.
Liturgie — du temps de Noël, 104; —
espagnole, 320 ; — glorifiant sainte Cé-
cile, 602 ; — relative aux sandales
épiscopales, 624.
Louandre (M.), sa mort, 656.
Louis d'Anjou (saint), ses sandales con-
servées ;\ Saint-Maximin, 3:.2.
Luc (saint), — explication de son at-
tribut, 97 ; — a-t-il été peintre? 108.
283 ; — a-t-il prêché dans les Gaules?
597.
LuciLE (sainte), ses reliques, 57.
Luna, ornement des chaussures antiques,
490
Lune personnifiée, 4.50. 453.
LupiciN (saint), ses reliques, 57.
LuxEUiL, costume et tonsure des moines
de cette abbaye, 335.
Laitre-Sous-Amance (Meurthe) , son
portail, 86.
Lambert (saint), figuré sur un sceau, 80.
Lanternes romanes et ogivales, 22.
ni
Madeleine (.<ainle). son apostolat dans
les Gaules, 263.
668
TABLE ANALYTIQUE.
Ma DONEsha))iil(}estle toilettes iiiondaiiies,
550.
Maestuicht, sceaux conservés dans ses
archives, '78 ; monument funéraire de
Saint-Servals, 282.
Manuscrits de la bilj). d'Amiens, 655.
Maratti (Carlo), 616.
Marc (saint) pris pour un apùtre, 598 :
explication de son attribut, 95, 599.
Marie — apparaissant à saint Jacques
le Majeur, 318 ; — figurée sur un
sceau, 79 ; — peinte à la lin du pre-
mier siècle, 200 : — portant l'Enfant-
Jésus, 284 ; — dans l'attitude de la
prière, 286; — liirurée par une Oranto,
296. Voyez Conception.
Marie Jacobé et Marie Salomé, leur
voyage en barque, sculpté au Ville siè-
cle, 265.
Marion (M.), son explication des bœufs
sculptés de Laon, 97.
Marmites en bronze de quelques col-
lections archéologiques, 127.
Marseille, sarcophages de son Musée,
5, 225, 505,
Marst (M. de), sa mort, 556.
Martin (s.) représenté sur un chapiteau,
650.
Matamoros. surnom de saint Jacques. 637.
Mathieu (saint), qualifié de farouche par
un écrivain du Moniteur, 595.
Maure (sainte) et sainte Brigide, 274.
Maya, sa légende, 379.
MÈDES, leurs chaussures, 476.
Mêlas, ancienne résidence épiscopale,
171; description de sa cathédrale, 173.
Menuiserie du moyen âge et de la re-
naissance, 364.
MÈRE aux — de Béthune, 279;— de Toui,
335.
Michel-Ange cesse d'être vrai à force
d'être exact, 38.
Michelet (M.), sa nébuleuse explication
de l'ogive, 211.
Midi de la France, caractères spéciaux
de ses églises, 420.
MiGNARD, 612.
Millin, défectuosités de ses planches,
227, et de ses interprétations, 234.
Miniatures, 551, 611.
Missel de Jean Juvénal des Ursins. 611.
MoDiLLONS romano-ogivals, 409.
Moissac, — sculptures de son portail,
86 ; — inscriptions de son église, 554.
Mommolin (S.), erreur rectifiée, 545.
Monogramme cruciforme, 508.
Montalembert (M. de), erreur qu'il a
commise, 665.
Montani (Mgr), %G?' Mémoires historiques
sur la Vierge miraculeuse de Sainte-
Marie-Majeure, 169.
Moîîtdidier , tombeau de Raoul de
Crespy, 116.
MONTMORiLLON,sachapelledesmorts,427.
Monument funéraire du XV!»" siècle, 281.
MoREAUx (Vienne), bas-reliefs de son
église, 85.
MORELOT (M.), sa 'Notice sur la musique
au XFe siècle, 56.
MORIN, sa Méthode élémentaire de l'ac-
compagnement du plnin-chant, 555.
MORT (la), sous forme d'un squelette, 465.
MoRTAGNE-suR-SÈvRES (Vendée) , bas-
relief de son église, 82, 84. 98.
MOYSE, ses traits donnés à Saint-Pierre,
191.
Musée — Napoléon d'Amiens, 557 ; —
d'Arles, 12. 283,295 ;— d'Arras, 628 ;—
de Bruxelles. 23, 450 ;— de Douai, 458,
464 ; — de Londres, 489 ; — de Mar-
seille, 5, 225, 505; — de Melun, 168;
— de Nantes, 129, 558 ; — de Saint-
Jean de Latran, à Rome, 295 ; — de
Rouen, 128, 559 ; — d'York, 131;— du
Louvre, 656.
Musique religieuse, sa supériorité, 614.
Myrrophores (les six), 267.
Mystères joués dans les églises, 107.
IW
Nantes, V. Musée.
Navires sculptés et peints, 558.
NiCAiSE (saint), 465.
NicoLLE (M. l'abbé) met en vente un
tableau qu'il attribue à Raphaël, 615.
Nimbe donné à un objet inanimé. 303.
Nivelles, son cloître monastique, 425.
Noces des orientaux, 142.
TABLK AXAL\riQUE.
UGl)
NOEL, ct'lrliralioii de cclU' Irli', — au
moyen-figCj 105, lOG ; — ;i Roiiu',
107.
NOELS — (lu moyen â|^o, 100 ; — des
deux derniers siècles, 101 ; — des pays
étrangers, 103.
NOGENT-LES-VlEUGES, SOU église, 272.
Nord de la France, caractères spéciaux,
de ses églLses au Xlle siècle, 418.
Normandie, caractères spéciaux de son
architecture rontano - ogivale , 419.
V. Rouen, Sépultures, VoiUes en bois.
Notre-Dame — de Miséricorde, sa lé-
gende, 397 ; — figurée dans un lias-
relief, 398 ; — del pilar, 319. Voyez
Cathédrale, Marie.
NoYON, Voyez Cathédrale.
O
0 de l'avent, 104.
Obsèques des rois de France, 52.
Obstrigillum, espèce de soulier, 487,
617.
Océan (1') figuré sous les traits de Nep-
tune, 452.
Ocrea, 469.
Odones, espèce de sandale, 534.
Ogive, — étude sur son origine, 202 ;
— elle n'apparaît point partout ù, la
même époque, 405.
Orante, ce qu'exprimait cette figure,
231, 287, 293.
Ornements de la période roniano-ogi-
vale, 417.
Ours, figuré sur un monument du
IX" siècle, 60.
Padron, étymologie de ce nom de ville,
387.
Paix (baiser de), 327.
Pantoufles domestiques, 353.
Paris, V. Cathédrale, Musée, Saint-Ger-
main des Près.
Parthénon, ses inscriptions chrétiennes,
331.
l'AUTMES, leurs chau.ssures. 476.
Passion (la) — du Sauveur a-t-elle été
figurée dans les monuments primi-
lifs? 17 ;— ligurée par le l)œuf,9G, 98.
Patriciens, leurs chaussures, 488.
Pattes des hases, 113.
Paul (saint), son voyageen Espagne, 308.
Paulin (saint), son distique sur deux
croix émaillées, 13.
Peignes de saint Jacques, 251, 382.
Peinture (la) religieuse est-elle en dé-
cadence? 45.
Peintures — de Jean Bellegamhe,455.
— des Catacombes, 606 -, — des voûtes
en bois, 360, 370 ; — murales de
Saint-Germain-des-Prés, 47. V. Cécile.
PÈLERINAGE de CompostcUe, 215, 501,
— de Familleureux, 400.
PÈLERINES percées de deux trous cir-
culaires, 248, 2.50.
PÈLERINS, leurs noms au moyen-âge,
221 ; leurs enseignes, 279.
PÈRES de l'Église, leur interprétation du
Cantique des canti(iues, 134.
Péronés, espèce de cothurne, 469, 490,
497, 537.
Perses, leurs chaussures, 475.
Phéniciens, leurs chaussures, 473.
Philippe de Dreux, évêque de Beau-
vais, ses sandales. 630.
Picardie (la), berceau de l'ogive, 212 ;
caractères de son architecture, au
Xlle siècle, 419 ; — ses fonts romans,
652.
Pieds de quelques statues antiques,
leur dimension, 347.
Pierre (saint) — représenté sons les
traits de Moyse, 190 ; — a-t-il prêché
en Espagne? 300;— son coq, 115.
Pierre (saint) et saint Paul, sculptés
sur un sarcophage, 8, 11, 14, 15, 20,
291.
Pierre (saint) , archevêque de Braga,
218.
Pierre de Luxembourg (le B ), ses san-
dales conservées à Avignon, 353.
Pierre tombale — d'un fondeur de
métaux, 131 ; — du XIV« siècle, .559.
Pierres précieuses, qualités que leur
prêtait l'antiquité, .560.
f)70
TABLE ANALYTIQUE.
Pù^adius OU pointes de souliers, 574.
Piques ensevelies dans des fosses mor-
tuaires, 239.
Plan — d'une cathédrale au y^ siècle,
179;— des églises romano-ogivales,405.
Poésies — des Hébreux. UO ; — com-
posées en l'honneur de sainte Cécile,
604.
Poisson (M. l'abbé), sa lettre au direc-
teur de la Revue, 82.
Poisson — de saint Pierre, 383 — de
saint Christophe, iHd.
Poitiers, v. Cathédrale, Église, Portail.
Pontificalia, 632.
PoncHES romano-ogivals, 411.
PouTAiL — des églises d'Italie, 87 ; — de
N.-D. deToitiers,646. 647;— deLaitie,
86. Y. Lion.
Portes — romano-ogivales, 409 ; —
d'église, 651.
Poulaine des souliers, 572.
Poussin (le), 72, 611.
PouY (M.). Compte-rendu de ses Recher-
ches historiques sur l' imprimerie à
Amiens, 55.
PuAUx (M.), ses opinions protestantes
réfutées par l'archéologie, 199.
Puntormo (J. de), 607.
Purgatoire, allusions à ce dogme dans
les inscriptions des Catacombes, 193 ;—
sa représentation au IXe siècle, 59, 60.
R
Ramirb, vainqueur des Maures, 635.
Raphaël, — son baptême de Notre-Sei-
gneur, 70 ; — son tableau de sainte
Cécile, 607; — autre tableau qu'on
vient de lui attribuer, 614.
RÉALISME (du) dans l'art, 36, 37, 63,
76.
RELIQUAIRE du musée de Bruxelles,450.
Reliques— conservées à Chelles, 345;—
de saint Jacques le Majeur, 378, 539 ;
— de l'église Saint-Zénon, à Vérone,
336 ; — de saint Vincent, 265 ; — des
saintes Marie, 266 ; — des Saints pla-
cés sous l'autel, 226; — fêle de leurin-
vention, 540.
Réol (saint), ses sandales, 628.
Représentation funéraire, 52.
Restauration des voûtes en bois, 358.
Résurrection des corps ; ce dogme
attaqué aux premiers siècles de notre
ère. 118.
Résurrection (la) du Sauveur est sym-
bolisée par le lion, 96.
Retable d'Anchin, recherches sur l'au-
teur de cette œuvre, 428, 457.
Rhin (bords du), caractères particuliers
de leurs églises au Xlle siècle, 420.
RoLDUc, son tombeau de Waleram, 547.
Romains, leurs chaussures, 478.
Rome célèbre avec pompe la fête deNoël,
107. V. Catacombes, Église, Musée.
Roses romano-ogivales. 411.
RosTAN(M.) publie lecartulaire munici-
pal de Saint-Maximin, 447.
Roue de la vie humaine, 551.
Rouen, on y découvre le cœur de Char-
les V, 522, et diverses antiquités, 559.
V. Cathédrale, Musée.
RoYAT, son église fortifiée, 407.
RoYE, portail de son église, 423.
RUBENS, 610, 641.
Rues qui portent le nom de saint-Jacques,
641.
RuiscHEN, son monument funéraire,
281.
S
Sabliers des voûtes en bois, 355, 369.
Saint-Aventin, bénitier de son église,
6.53.
Saint-Denis, voyez Abbaye.
Saint-Germain-des-Prés, ses pein-
tures murales par M. Flandrin, 46.
Saint-Germer, autel roman de son
église, 652.
Saint-Leu, son église, 422.
Saint-Maximin, ses sarcophages chré-
tiens, 10, 11, 15 ; — sandales du Xllle
siècle conservées dans son église, 352.
Salmon (M. Ch.), compte-rendu de son
Histoire de saint Firmin, 158.
SalOiMON, voyez Cantique des cantiques.
SALViATijSon Baptême de N.-S. J.-C.,l%.
TAltLE ANALYTKjUE.
G71
Sandales — de saint Ediiiond, .'i Sens,
311 — flo sainl Louis-d'Anjou, à
Saint-Maxiniiu, ;55-2 — du 15. l'i(>rrede
Luxembourg, conservées à Avignon,
353 ; — de sainte Aldegoiuh;, 3ay ;
— de Coinniiuges, 349; —trouvées
dans des sépultures bénédictines, 253;
— forme, couleur et matière des san-
dales, 4(j«, 5;50. r)()l, 017. V. Chaussure.
Sandalium, pantoulle d'origine grecque,
493, 619, 620, Cr'l.
Saragosse. protégée par Notre-Dame
del pilar, 321.
Sarcophages — d'Arles, 12, 286, 295,
— de Marseille, 5. 225, 505; — d'un
religieux de Sainte- Geneviève de
Paris; — deSaint-Maximin, 10; —de
Vérone, 57, 336.
Savetiers, leur corporation, 580.
Scabillum, chaussure antique, 483.
Sceaux — de la province de Lirabourg,
77— deSaint-Omer, 446; —de cha-
pitre, 553.
ScHNAASE (M.), son opinion sur le
bélier écrasé par un lion, 91.
Scu/ponea, chaussure romaine, 480.
Sculpture — assyrienne, 47i — du
Xlle siècle, 414. 645 ; — du XVe siècle,
399 ; — du XVIe siècle, 282 ; — des
voûtes en bois, 363 ; — des navires,
558.
Scythes, leurs chaussures, 477.
SÉPULTURE chrétienne du moyen-âge,
238, 654. V. Sarcophages, Tombeaux.
Serpents symboliques, 21.
Servais (saint), figuré sur un sceau,
76, 80.
Soccuti, 531.
Socciis, pantouQe sans cordons, 492.
Solea, semelle attachée avec des cour-
roies, 340, 469, 474, 479, 617.
Soleil personnifié, 450, 453.
Sotulares rostrati ou souliers à la pou-
laine, 574.
Souliers, voyez Chaussures.
Spencer (M.), son ouvrage sur les ca-
tacombes romaines, 189.
Stalles, 651.
Statues — de Charles V, 519 — du
Xlle siècle, 646 ; — antiques, 3 17.
Style romano-tigival, ses caractères,
404, IIK.
Subtahiris, chaussure épiscopale, 568,
(i2().
SUGEii, sa conduite par raïqjurl auv
(euvres du passé, 4o2.
Suzanne, iJersonnifianl l'Église, 289,
Si/cchas, (\si)èce de crépide, 482.
Symbolisme — de l'art. :J3, 649 , — de
l'art (iirétiiMi , lu , 40, 6;j ; — de
l'agneau. IJOO ; —de l'antilope, 371;
— du bœuf. '.6 ; — du Canliiiue des
cantiques, 132 ; — du lion, 88, 93,
113; — du limaçon, 21 , — du
serpent, 21 ; — du temple de Sa-
lomon, 25. V. Iconographie.
Synagogue (la), représentée à coté du
Calvaire, 4ri0.
Tableaux, — avis pour leur bonne con-
servation, 165; —de Jean Bellegandje,
442 ; — représentant sainte Cécile,
607; — de N.-D. de Paris, 656. Voyez
Peinture, Raphaël, Rétable, etc.
Tibialia, espèce de bottes, 469, 562, 566.
568.
Temple (le) de Salomon n'offrait rien
qui ne fût symbolique, 25.
Terre (la) symbolisée, 452.
Testament (l'ancien et le nouveau)
mis en parallèle dans les vitraux, 94.
Théologie (la) peut trouver des argu-
ments dans les inscriptions des cata-
combes, 188.
Timbre d'horloge du XV« siècle, 168.
Tombeau — de saint Jacques le Majeur,
500, 539 ; — de Charles V, 517.
Tombeaux — décorés de lions, 88, 115 ;
— des églises de Montdidier et d'Ailly-
sur-Noye, 116; — de la cathédrale de
Rouen, 515 ; — du XII^ siècle, 654.
TONGRES, ivoires sculptés conservés dans
son église, 449.
Tournai, son église de St-Quentin, 423.
Tours romano-ogivales, 412.
Traditions légendaires du moyen Age,
93. Voyez Légendes.
672
TABLE ANALYTIQUE.
Tkansition du pleiii-cintrc ;\ l'ogive,
404.
Transsepts circulaires, 406.
Tryptique — de la cathédrale d'Arras,
464; —ouvert k l'aide, d'un bâton,
556. Voyez Retnô/e.
Tronc des églises, leur origine, lOG.
Tulle (le), origine de ce mot, 112.
Type uniforme de la statuaire romane,
647.
TzANGUES, chaussure impériale, 535
478.
U
Uiio, espèce de sandale, 534.
V
Violateurs des tombes anathématisés,
112.
Voie lactée, pourquoi est-elle appelée
chemin de Saint-Jacques, 554,
Voltaire, son nom inscrit à la cathé-
drale de Strasbourg, 168.
Voussures romano-ogivales, 410.
Voûtes— d'arête considérées comme une
des causes de l'adoption de l'ogive,
207, 210, 212 ; — en pierre, leur forme
au Xlle siècle, 416 ; — en bois, de
l'époque ogivale, à Rouen, Caen, etc.,
355; — de leur réparation, 357; — en
Normandie, 361, 362.
ViOLLET (M.), son bénitier roman, 654.
ycv
Vandalisme (actes de), 6, 358, 402, 515,
55.
Van-Dick. 610.
Vases funéraires, m, 247.
Veau, voyez Bœuf.
Vérone, voyez Sarcophage.
Verres peints des catacombes, 291, 297,
300.
Verrières de Nogent-les-Vierges, 274.
ViLLARS DE HONNECOURT a dcssiné des
études de lion dans son album, 88.
Vincent (saint), son corps porté mira-
culeusement à Lisbonne, 265.
Walburce (sainte), découverte de sa
crypte, 559.
Waleram III, son tombeau, 547.
Wauters (M.), sa découverte relative à,
l'auteur du rétable d'Anchin, 429.
Zancha, chaussure impériale, 535,
Zoologie mystique, 300, 371. Voyez
Agneau, Antilope, Bœuf, Lion, etc.
ZURBARAN, 611.
ARRAS. — Typographie Rousseau-Lcioy.
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