Skip to main content

Full text of "Revue de l'art chrétien"

See other formats


'  ^F 


.»  ^ 


■  '-^âi^ 


-«vt\ 


># 


^-kMi. 


-■^  j^'^v 


^"  ,,  ^^wï^^p? 


/i^Y 


Mo 


IfEVUE 


L  ART    CHRETIEN 


ARRAS.  —  Typographie  Kouêst-au  Leroy, 


REVUE 


DE 


L  ART  CHRETIEN 

RECUEIL    MENSUEL 

D'ARCHEOLOGIE  RELIGIEUSE 

DIRIGÉ  PAR 

M.   L'ABBE  J.   CORBLET 

de  la  Société  Impériale  des  ^Antiquaires  de  Jrance 


ANNÉE 


TARIS 

LIBRAIRIE  DE  CH.  BLERIOT,  55,  QUAI  DES  GRANDS  AUGUSTINS 

MDCCCLKll 


THE  GETTV  CENTER 
LIBRARY 


MONUMENTS   CHRÉTIENS   PRIMITIFS 

à  Marseille- 


QlATHlE.MIi;    ARTICLE 


SARCOPHAGE    N"   5. 

L'ordonnance  architecturale  de  ce  sarcophage  est  aussi 
gracieuse  qu'imposaute  {Voir  la  planche  ci-joinle).  Huit 
arbres  s'élancent  en  forme  de  colonnes  uniformes,  confondant 
leurs  rameaux  à  larges  feuilles  pour  dessiner  des  arcades  et 
diviser  les  compartiments.  De  nombreux  symboles  rehaussent 
encore  l'harmonie  du  plan  et  rendent  plus  sensible  la  vie 
de  cette  végétation  en  berceau.  Pour  varier  l'ensemble  des 
troncs  d'arbres  espacés  avec  symétrie,  l'artiste  a  disposé  sur 
deux  d'entr'eux  d'énormes  serpents  qui  les  enlacent  étroite- 
ment dans  toute  leur  hauteur,  tandis  qu'un  limaçon,  chargé 
de  sa  coquille,  s'allonge  pour  atteindre  le  sommet  d'un  troi- 
sième. 

C'est  dans  les  sept  compartiments  que  se  déroule  une  série 
de  compositions  qui  seront  l'objet  de  notre  étude. 

Des  mains  sacrilèges  ont  mutilé  cette  belle  page  de  l'art 

'•  Voir  le  tome  iv,  p.  5. 


6  MONUMENTS   CHRÉTIENS   PIUMITJFS 

chrétien  primitif.  Heureusement  les  débris  retrouvés  pres- 
qu'intégralement  ont  pu  être  coordonnés  par  les  soins  du 
conservateur  du  Musée  marseillais,  fidèle  à  la  prescription 
toujours  providentielle  des  paroles  évangéliques  :  Colliyite 
fragmenta  ne  perçant  ' .  Il  nous  sera  donc  facile  d'en  inter- 
préter les  scènes  historiques,  si  ce  n'est  au  centre  où  la  com- 
position a  disparu  à  peu  près  en  entier. 

Elle  a  disparu  à  une  époque  antérieure  au  saccagement 
de  l'abbaye  de  Saint-Victor,  et  l'on  jugera  combien  cette 
mutilation  spéciale  mérite  de  regrets  ,  sous  le  rapport  de 
l'Iconographie  chrétienne. 

Quel  motif  a  pu  inspirer  un  pareil  acte  de  vandalisme  ? 
L'historien  de  Marseille,  on  le  sait,  a  publié  dans  ses  An- 
nales les  bas-reliefs  antiques  conservés  dans  la  double  église 
de  Saint-Victor.  Le  dessin  du  sarcophage  qui  nous  occupe, 
fort  grossier  d'ailleurs  et  inexact  dans  son  ouvrage,  n'accuse 
que  des  ombres,  au  point  où  le  marbre  a  été  brisé  à  coups 
de  marteau;  mais  l'annaliste  en  passe  la  cause  sous  silence. 
Il  y  a  lieu  pourtant  de  s'étonner  que  parmi  les  nombreux 
monuments  réunis  autrefois  dans  nos  célèbres  catacombes, 
celui-là  seul  ait  été  dégradé  :  pas  plus  que  les  autres  il 
n'était  jamais  sorti  du  sanctuaire  confié  à  la  garde  des 
moines. 

Dans  un  livret  imprimé  et  vendu  avec  l'autorisation  des 
chanoines  de  Saint- Victor  ^,  on  a  invoqué  une  vieille  tradition 
pour  expliquer  cette  fâcheuse  mutilation.  Certes,  si  le  fait 
transmis  à  la  mémoire  de  nos  aïeux  était  absolument  vrai, 
il  ne  saurait  justifier  l'action  des  Iconoclastes  qui  en  au- 
raient été  les  auteurs. 

•  JOAN.   VI,   10. 

-  Notice  des  vionumcnts  conservés  dans  l'église...,  de  Saint-Victor  de  Mar- 
seille, page  18. 


A    MAIiSEILLF..  7 

x\(lmettûns,  en  eftet,  [mur  un  instant,  que  la  composition  du 
sujet  détruit  renfermât  quelque  réminiscence  payenne,  une 
ligure  allégorique  sans  voiles,  je  ne  sais  quoi  d'équivalent, 
pourquoi  aurait-on  attaché  plus  d'importance  à  ces  simples 
indications  que  ne  l'avaient  fait  les  premiers  fidèles  ?  Et  sur- 
tout, pourquoi,  dans  le  but  de  se  dégager  d'un  détail  excep- 
tionnel, se  serait-on  permis  de  dénaturer  la  composition  en- 
tière ? 

Mais  la  tradition  invoquée  est  dénuée  de  preuves,  au 
témoignage  de  l'auteur  de  la  Notice.  Nous  en  sommes  aussi 
pleinement  convaincu  :  l'observation  qui  va  suivre  suffira 
sans  aucun  doute  à  nos  lecteurs  pour  le  leur  démontrer. 

La  composition  du  milieu  de  notre  sarcophage  apparte- 
nait par  le  fond  et  les  détails  à  la  religion  chrétienne  :  histo- 
rique, elle  n'a  pu  comporter  que  des  personnages  du  Nouveau 
Testament  :  or,  jamais  les  artistes  chrétiens  qui  avaient  cru 
pouvoir,  du  consentement  de  l'Église,  représenter  habituelle- 
ment sans  voiles  Adam  et  Eve  au  paradis  terrestre,  Isaac  sur 
son  bûcher,  Daniel  dans  la  fosse  aux  lions,  Jonas  rejeté  sur 
le  rivage  par  la  baleine,  etc.,  n'ont  montré,  dépouillés  même 
légèrement,  les  disciples  régénérés  du  Sauveur  :  allégorique, 
elle  n'a  pu  être  combinée  qu'à  l'aide  des  signes  traditionnels, 
symboles  sacrés  et  très-chastes,  comme  on  peut  s'en  con- 
vaincre en  examinant  les  sarcophages  dont  le  sujet  central 
ne  constitue  point  un  souvenir  historique. 

Notre  grand  intérêt  serait  maintenant  de  pouvoir  saisir  le 
secret  total  de  la  composition  disparue.  Pour  arriver  à  un 
résultat  au  moins  probable,  s'il  ne  nous  était  pas  donné 
d'atteindre  à  la  certitude,  il  n'est  pas  de  recherches  que 
nous  n'ayons  faites  dans  le  riche  et  vaste  domaine  des  pro- 
duits de  l'Art  chrétien.  Plusieurs  hypothèses  se  sont  pré- 
sentées à  notre  esprit.  Avant  de  les  exposer,  décrivons  le 


8  MONUMENTS    f.HRKTJENS    PRIMITIKS 

iiuirbrc  devenu  muet  et  indiquons  en  termes  précis  les  restes 
de  la  scène  qui  n'ont  pas  été  violés,  jusqu'aux  plus  humbles 
jalons  que  le  marteau  a  respectés.  11  nous  paraît  superflu 
d'ajouter  que  la  fidélité  de  notre  gravure  ne  laisse  rien  à 
désirer. 

Deux  cerfs  se  désaltèrent  à  des  sources  d'eau  qui  jail- 
lissent du  sein  d'un  monticule  ;  au  sommet  de  ce  monticule,  un 
tenon  qui  servit  peut-être  de  base  à  un  objet  quelconque 
est  demeuré  debout  :  dans  l'étendue  du  compartiment  on 
remarque  sept  autres  tenons  et  un  fort  éclat  de  marbre  au 
centre  même.  Les  trois  tenons  de  la  partie  supérieure  sont 
également  espacés  :  deux  d'entr'eux  ont  conservé  les  traces 
d'une  faible  ornementation,  c'est-à-dire  que  le  ciseau  les  a 
légèrement  travaillés  (;à  et  là  ;  les  tenons  qui  font  partie  du 
dos  de  chaque  cerf  sont  d'aplomb  avec  les  lignes  saillantes 
de  leur  corps. 

Quant  à  l'éclat  du  marbre  qui  se  voit  au  milieu,  on  y 
distingue  au-dessous  un  double  appendice  à  peine  fouillé  en 
creux.  Déplus,  dans  tous  les  sens  du  champ  du  bas-relief, 
entre  les  tenons  et  sauf  à  l'endroit  brisé,  le  marbre  a  été  uni 
})ar  le  ciseau . 

A  droite  et  à  gauche  de  cette  composition  centrale,  quatre 
Apôtres  se  tiennent  debout,  deux  à  deux,  sous  leurs  arcades 
respectives  r  on  reconnaîtra  saint  Pierre  et  saint  Paul  dans 
les  Apôtres  les  plus  rapprochés  :  leur  main  droite  est  levée 
en  vif  témoignage  d'admiration.  De  la  gauche,  saint  Paul 
tient  le  volum.e  relié  de  l'Evangile ,  et  saint  Pierre  serre  un 
\)an  de  son  manteau.  Le  reste  de  leur  costume  est  conforme 
à  la  tradition  dont  nous  avons  déjà  parlé. 

La  pose  accentuée  des  bienheureux  disciples  nous  révèle 
iiicontestablement  une  scène  importante.  On  dirait  qu'ils 
admirent,  pleins  de  respect  et  d'amour,  ou  le  Fils  de  Dieu  lui- 


A    MARSEILLE.  ^^^  9 

même  en  personne  ou  un  symbole  qui  le  leur  rappelle  éner- 
giquement.  Ils  font  plus;  ils  adhèrent  de  toute  leur  con- 
viction à  ce  qu'ils  entendent  ou  à  ce  qu'ils  contemplent. 

Ce  groupe  d'Apôtres  nous  a  conduit  à  une  première  hypo- 
thèse :  il  nous  a  incliné  à  penser  que  le  Sauveur  des  hom- 
mes, seul  ou  avec  ses  deux  jeunes  disciples,  comme  on  le 
représente  si  souvent  dans  la  composition  de  Jésus  docteur, 
occupait  la  partie  supérieure  du  compartiment  central  :  ou 
bien  que  l'artiste  l'avait  sculpté  assis  sur  un  trône  avec  le 
livre  ouvert  de  l'Evangile,  sujet  très-familier  encore  aux 
ouvriers  de  l'art  chrétien  primitif. 

L'allégorie  des  cerfs  se  désaltérant  n'avait  rien  d'opposé 
ni  d'étranger  à  la  présence  de  Jésus  :  elle  pouvait,  au  reste, 
avoir  son  trait  d'union  dans  l'agneau  hautement  symbolique 
qui  aurait  été  posé  en  rapport  avec  les  cerfs,  comme  il  s'en 
montre  à  peu  près  toujours  inséparable  dans  les  marbres  et 
les  verres  antiques  '. 

Il  nous  semblait  alors  voir  apparaître  Jésus,  sous  la  forme 
d'un  adolescent  plein  de  charme  et  de  vérité ,  debout , 
montrant  du  doigt  la  source  d'eau  vive  ouverte  à  ses  pieds, 
appelant  à  lui  les  âmes  altérées  et  répétant  les  mêmes  paroles 
qu'il  fit  entendre  à  Jérusalem  : 

«  Jésus  étant  entré  dans  le  temple,  dit  l'Evangéliste,  le 
«  dernier  jour  qui  était  un  jour  solennel,  il  se  tenait  debout 
«  et  criait,  disant  :  Si  quelqu'un  a  soif,  qu'il  vienne  à  moi 
«  et  qu'il  boive;  celui  qui  croit  en  moi,  suivant  l'Ecriture, 

'  Dans  un  travail  précédent  ,  nous  avons  publié  une  frise  où  figure  le 
même  sujet  [Revue  de  l'Art  Chrétien,  mai  1859).  Sans  sortir  de  l'abbaye  de 
Saint-Victor,  on  aurait  pu  voir,  avant  la  Révolution,  un  autre  sarcophage  dont 
le  principal  sujet  renfermait  l'agneau  et  les  cerfs  se  désaltérant  à  ses  pieds, 
«ntrc  deux  palmiers  (Voir  le  dessin  qu'en  a  donné  Ruffi  dans  V Histoire  de 
Marseille,  tome  ii,  125). 


10  MONUMENTS   CimÉTIENS   PRIMITIFS 

«  des  fleuves  d'eau  vive  s'échapperont  de  son  cœur  '  :  »  ou 
redisant  aussi  la  miséricordieuse  et  pressante  invitation  que 
le  disciple  bien-aimé  attache  à  ses  lèvres  dans  l'Apocalypse  : 
«  Je  donnerai  gratuitement  à  boire  de  la  source  d'eau  vive  à 
«  celui  cpii  aura  soif  ^.  » 

Dans  cette  interprétation,  les  cerfs  représentent  les  fidèles 
saintement  altérés.  Ils  sont,  en  etfet,  aux  termes  du  royal 
Psalmiste,  le  plus  sensible  symbole  de  la  soif  ardente  qui 
tourmente  les  âmes  des  vrais  disciples  ^  ;  et  l'Agneau,  d'a- 
près l'Apocalypse,  les  conduit  avec  une  généreuse  dilection 
aux  fontaines  inépuisables  "* . 

Prises  en  elles-mêmes  et  à  part,  de  semblables  composi- 
tions appartenaient  à  l'ordre  traditionnel  :  et  quoique  nous  ne 
les  ayons  jamais  rencontrées  en  relation  avec  l'allégorie  des 
cerfs,  ce  n'était  point  une  raison  suffisante  pour  en  repousser 
l'admission.  Il  y  a  quelques  types  que  les  antiquaires  érudits 
savent  fort  bien  ne  pas  avoir  été  reproduits,  quoiqu'ils  fussent 
fort  instructifs  et  pieusement  poétiques. 

Une  seconde  hypothèse  s'est  offerte  à  notre  étude,  au  sou- 
venir de  deux  sarcophages  encore  existants  dans  la  crypte 
vénérable  de  l'église  Saint-Maximin.  Ces  sarcophages,  qui 
ont  renfermé  les  ossements  de  sainte  Marie  -Madeleine  et  de 
saint  Sidoine,  ont  aussi  été  brisés  dans  le  compartiment  cen- 
tral. L'un  d'eux  se  montre  avec  dix  tenons,  l'autre  avec  six  : 
la  surface  entre  les  tenons  paraît  de  même  unie  au  ciseau. 


'  .JoA^.  vil,  37, 

-  Apoc.  XXI;  6. 

'  Quemadmodum  desiderat  cervus  ad  fontes  aquaium,  ita  desiderat  anima 

niea  ad  te,  Dcus....  sitivit  anima  mea   ad  Deum    fortcm,    vivum Fsaha. 

xi.1,  1,  2. 

*  .Ipoc.  vit,  17. 


A    MARSEILLE.  Jl 

L'a})l)éFaillon,  qui  les  a  dessinés  dans  son  ouvrage  élevé  à 
la  gloire  des  apôtres  de  la  Provence  ',  a  essayé  d'interpréter 
les  sujets  mutilés  du  milieu.  Il  croit  que  la  Croix  triomphante 
du  Sauveur  les  décorait  tous  deux.  Celui  de  saint  Sidoine  a 
maintenu,  à  la  vérité,  une  partie  de  l'arbre  de  la  Rédemption, 
émaillée  de  pierres  précieuses  ;  dans  l'autre,  il  n'en  reste  au- 
cune trace. 

Le  sujet  de  notre  sarco])hage  marseillais  n'était-il  pas  le 
fruit  de  la  même  conception  ?  Pour  être  exact,  nous  devons 
dire  que  les  tombeaux  de  la  crypte  de  saint  Maximin  ne 
l)résentent  point  l'allégorie  des  cerfs  ;  à  leur  place  on  recon- 
naît les  deux  figurines  traditionnelles  à  costume  guerrier. 

Malgré  cette  différence  de  détails,  il  semble,  à  première  vue, 
surtout  en  examinant  les  rapports  des  tenons  supérieurs  et 
l'existence  du  tenon  qui  domine  le  monticule,  que  le  type  glo- 
rieux de  la  Croix  a  pu  être  reproduit  sur  notre  sarcophage  : 
et  loin  que  l'allégorie  des  cerfs  en  éloignât  la  possibilité, 
elle  y  rencontrerait  une  certaine  harmonie  :  à  la  base  de  la 
Croix,  ils  indiqueraient  aux  fidèles  qu'ils  boiront  à  longs 
traits  la  vie  éternelle  dans  le  sang  même  qui  découla  de 
l'arbre  divin  -.  Rien  ne  s'opposerait  davantage  à  cette  idée, 
en  ce  qui  concerne  les  Apôtres.  Ils  seraient  là  dans  leur 
admirable  expression,  tant  en  leur  nom  qu'en  celui  de  l'É- 
glise, pour  exalter  le  triomphe  de  la  Croix  et  se  nourrir 
avidement  des  fruits  de  sa  victoire;  Pierre  et  Paul  surtout  y 
méditeraient  les  paroles  brûlantes  que  les  générations  auront  à 
recueillir  dans  leurs  discours  et  dans  leurs  épitres  sur  le 
magnifique  thème  de  l'étendard  sacré  de  leur  Maître. 


'  Monuments  inédits  sur  l'apostolat  de  sfinte  Marie- Madeleine  en    l'ro- 
v&ncc...  etc.,  tome  1,  461  et  763, 

-  Qui  bibit  meum  sanguinem  habet  vitam  yeternam.  Joan.  vu.  55. 


H  MONUMENTS   CHRÉTIENS   TRIMITIFà 

En  supposant  cpie  la  Croix  latine  concordât  difficilement, 
si  elle  s'y  trouvait  unique  et  sans  autre  ornement ,  avec  le 
nombre  et  la  distance  respective  des  tenons,  nous  avions 
combiné  un  autre  plan  qui  complétait  le  type  de  la  Croix 
ti'iompliante.Il  s'agissait  de  placer,  à  l'extrémité  de  la  longue 
branche,  la  couronne  émaillée  avec  le  monogramme  du  Christ, 
le  X  et  le  P  entrelacés  dans  une  des  formes  variées  qu'a  in- 
ventées l'art  chrétien  primitif;  ou  sans  monogramme  avec  une 
Hamme  au  centre;  ou  bien  l'alpha  et  l'oméga  pendant  aux 
croisillons;  ou  la  bannière  à  droite  et  à  gauche,  comme  était 
figurée  plus  particulièrement  la  croix  dite  de  Résurrection. 
Le  sujet  en  est  magnifique  ,  et  il  a  été  plusieurs  fois  répété 
dans  les  sarcophages  '.  Naturel  au  IV^  siècle,  alors  que  la 
Croix  trop  longtemps  humiliée  triomphait  en  tous  lieux  ; 
éminemment  éloquent  en  iconographie  chrétienne,  depuis  la 
révélation  "  du  Labarum  à  Constantin  et  la  révélation  plus 
salutaire  encore  dont  fut  l'objet  l'impératrice  Hélène,  sa 
présence  domine  un  nombre  considérable  de  monuments  : 
elle  suscite  dans  les  imaginations  et  dans  les  cœurs  un  en- 
thousiasme inexprimable.  Les  poètes  Prudence,  Paulin, 
Fortunat  de  Poitiers,  la  popularisent  au  plus  haut  degré,  en 
célébrant  dans  leurs  hymnes  les  vertus  et  l'immortalité  de 
l'étendard  réel  de  Jésus-Christ. 


'  Sur  l'un  des  sarcophages  d'Arles  dessinés  par  Millin,  on  admire  cette 
scène  :  la  croix  enrichie  de  perles  ;  à  ses  pieds  les  deux  figurines  ;  sur  les 
branches  deux  colombes  ;  à  son  sommet  le  monogramme  du  Christ  entrelacé 
dans  une  couronne  feuillagée  ;  à  côté  de  la  croix,  deux  Apôtres  sont  debout 
dans  une  attitude  qui  rappelle  les  nôtres.  Voyage  dans  le  Midi  de  la  France, 
planche  lxv,  3. 

Dans  les  Antiquités  des  Basses-Alpes  de  Henri,  le  même  sujet  est  gravé  sur 
un  sarcophage  ;  on  y  voit  de  plus  le  soleil  et  la  lune  à  droite  et  à  gauche  du 
monogramme  couronné. 

Voyez  aussi  Aringui,  Eoma  svbtcrranea ,  tome  i,  311. 


A    MARSEILLE.  13 

Le  coiiiplcment  de  la  couronne  llorissaute  relève  le  noble 
éclat  de  la  Croix.  Ce  vers  antique  le  traduit  avec  bonheur: 
«  Porte  d'abord  la  Croix,  si  tu  veux  conquérir  la  couronne  ' .  •> 
Et,  si  notre  interprétation  allégorique  obtenait  une  faveur 
légitime,  elle  remettrait  en  notre  mémoire  le  distique  du  même 
saint  Paulin,  composé  par  lui  en  face  de  deux  croix  émaillées 
et  ceintes  d'une  couronne  de  fleurs  : 

Ardua  tlorigerae  criix  cingilur  oiLe  coronw 
Et  Domini  fuso  lincla  cniore  nibet  *. 

Elle  ferait  aussi  souvenir  de  la  belle  mosaïque  de  St-Jean- 
de-Latran  à  Rome,  où  la  Croix  veuve  de  Jésus-Christ  est 
décorée  avec  splendeur,  plantée  sur  le  sommet  d'une  mon- 
tagne mystique  et  baignée  d'eau.  Cette  eau  s'échappe  en 
quatre  courants  dans  lesquels  viennent  s'abreuver  des  cerfs 
et  des  brebis. 

A  la  suite  de  cet  exposé,  dont  on  me  pardonnera  la  lon- 
gueur, s'il  sert  à  rendre  plus  facile  la  tâche  des  interprètes 
qui  examineront  ce  sarcophage  après  moi,  il  est  de  mon 
devoir  de  dire  mes  doutes  à  l'endroit  de  toutes  ces  hypo- 
thèses. Deux  mots  suffiront  à  cet  égard  :  indépendamment  de 
la  distribution  des  tenons  qui  ne  laissent  pas  à  l'imagination 
le  pouvoir  de  se  méprendre,  outre  l'éclat  du  marbre,  au  mi- 
lieu du  compartiment,  qui  ne  peut  s'accorder  avec  nos  pre- 
miers sujets  précités,  il  s'élève  contre  la  supposition  d'une 
scène  à  personnages,  une  difficulté  majeure  :  la  surface  entre 
les  tenons  et  dans  tous  les  sens,  à  l'exception  de  la  brisure 
du  centre,  étant  unie  au  ciseau,  on  ne  peut  admettre  qu'il  y 
eût  là  des  statuettes  inhérentes  au  bloc  ;  car,  quel  que  soit 

'  ToUe  crucem,  si  vis  auferre  coronam.  S.  Paulim  opéra. 
'  S.  Paulini  Epist.  XII,  ad  Severum. 


14  MONUMENTS   CHRÉTIENS   PRIMITIFS 

le  relief  des  statuettes  sur  les  sarcophages,  elles  sont  prises 
toujours  dans  la  masse  du  marbre  et  y  adhèrent  de  toute 
leur  forme  ;  et  puis,  lors  même  qu'elles  en  seraient  encore  plus 
détachées,  comment  l'ouvrier  aurait-il  pu  unir  le  marbre 
derrière  ces  statuettes  ? 

Evidemment  à  cette  place  privilégiée  de  notre  sarcophage 
s'épanouissait  une  composition  en  saillie,  retenue  au  bloc  par 
les  tenons  ;  une  sculpture  à  jour,  fouillée  comme  on  fouille 
les  arbres,  les  croix,  les  couronnes. 

Quelle  était  cette  composition?  Notre  dernière  hypothèse 
l'a  montré  à  nos  lecteurs  :  plus  probable  que  toute  autre , 
elle  ne  résoud  pas  néanmoins  victorieusement  la  question 
relative  au  nombre  et  à  la  distance  qu'occupent  les  tenons. 

C'est  pourquoi  nous  préférons  nous  tenir  sur  la  réserve  et 
ne  pas  sortir  du  domaine  des  hypothèses,  à  l'égard  de  cette 
étude  qui,  selon  nous,  attend  encore  son  juge  :  et  adliuc  sub 
judice  lis  est. 

En  poursuivant  l'exposé  des  scènes  successives  du  sarco- 
phage, nous  avons  sous  nos  yeux  trois  sujets  qui  paraissent 
fréquemment  sur  les  monuments  chrétiens  primitifs  ;  le  qua- 
trième est  fort  rare. 

Celui  qui  occupe  l'extrémité  à  droite  —  par  rapport  au 
spectateur  —  représente  saint  Pierre  avec  un  Israélite  et 
discutant  ensemble  :  l'Israélite  est  bien  reconnaissable  à  son 
couvre-chef  perlé ,  coiffure  dont  il  y  a  un  grand  nombre 
d'exemples  sur  les  sarcophages  ' .  Nous  pensons  qu'il  n'est 
autre  que  le  serviteur  du  grand-prêtre  Caïphe,  le  même  qui 
interpella  le  disciple  eifrayé  en  lui  disant  :  Ne  vous  ai-je  pas 
vu  dans  le  jardin  avec  Jésus  de  Nazareth,  et  auquel  Pierre 


'  Voir  surtout   lus  saicophages  où  est  gravé  It;   sujet  de  Moysc  frappant  le 
rocher  avec  uu  bâton. 


A    MARSEILLE.  15 

répondit  négativement  '.  Il  porte  le  costume  des  serviteurs, 
La  scène  de  ce  compartiment  est  voisine  de  celle  cpii  rappelle 
Jésus-Christ  prédisant  à  saint  Pierre  qu'il  le  trahirait  par 
trois  fois  avant  que  le  coq  eût  chanté  :  elle  en  est  comme 
la  suite  et  l'accomplissement.  Le  Sauveur  dans  cette  compo- 
sition a,  comme  toujours,  trois  doigts  de  sa  main  droite  levés. 
Quelques  archéologues  ont  cru  y  reconnaître  le  symbolisme 
du  triple  reniement.  Le  coq  est  aux  pieds  de  l'Apôtre  qui 
parait  déconcerté  des  paroles  de  son  auguste  Maître  et  qui  a 
le  bras  droit  levé  pour  protester  qu'il  ne  l'abandonnera  jamais, 
quand  même  il  serait  délaissé  par  tous  les  disciples. 

Pour  l'interprétation  des  deux  scènes  appartenant  aux 
compartiments  de  gauche,  nous  ne  serons  pas  d'accord  avec 
des  antiquaires  justement  renommés.  Dans  l'une  et  dans 
l'autre,  un  personnage  est  conduit  devant  les  tribunaux. 

La  première  à  l'extrémité  du  sarcophage  se  retrouve  sou- 
vent sur  des  bas-reliefs  primitifs  :  le  prisonnier  est  amené 
par  des  gardes,  les  mains  liées  derrière  le  dos.  Au  tombeau 
de  Junius  Bassus  extrait  des  catacombes  de  Kome,  il  est 
entre  deux  gardes  romains  ;  à  celui  de  sainte  Marie-Made- 
leine qu'on  possède  à  St-Maximin,  on  n'en  remarque  qu'un, 
comme  dans  le  sarcophage  marseillais  ;  mais  le  sujet  est  le 
même  sur  les  trois  bas-reliefs.  Dans  chacun  d'eux  apparaît 
un  arbuste  noueux  qu'on  prendrait  pour  un  roseau  :  dans 
les  deux  derniers  on  distingue  un  objet  indécis^  pouvant 
peut-être  indiquer  une  proue  de  barque  :  le  prisonnier  porte 
le  costume  donné  par  la  tradition  au  Sauveur  et  aux  Apô- 
trea  :  tunique,  manteau  et  sandales.  Le  garde  porte  la 
chlamyde  agrafée  des  Romains  ;  il  tient  des  deux  mains 
un  rouleau,  ou  une  arme,  ou  ini  bâton  assez  mal  accusée 

'    JoAN     XVIII,  26. 


16  mojNUMENTs  chrétiens  primitifs 

Torrigio  voit  dans  cette  composition  Jésus-Christ  conduit  au 
supplice.  Bottari  pense  qu'on  doit  y  voir  la  prise  du  Sau- 
veur au  Jardin  des  Olives  :  selon  lui  l'arbuste  noueux 
serait  un  olivier.  Aringlii,  au  contraire,  l'interprète  par  la 
prise  de  saint  Pierre  à  Jérusalem  ;  enfin,  l'abbé  Faillon,  dans 
l'explication  qu'il  donne  du  tombeau  de  sainte  Marie-Made- 
leine, dit  aussi  comme  Bottari  que  le  sujet  dont  il  s'agit 
représente  l'arrestation  de  Jésus  au  Jardin  des  Oliviers  ' . 
Nous  sommes  de  l'avis  d'Aringhi  ;  avant  d'en  formuler  les 
raisons,  occupons-nous  de  la  scène  suivante  d'un  autre  pri- 
sonnier traîné  par  les  juifs^,  la  corde  au  cou. 

Ce  type  a  plus  d'une  similitude  avec  les  deux  scènes  posées 
à  la  môme  place  dans  les  tombeaux  de  Bassus  et  de  sainte 
Marie-Madeleine.  C'est  encore  dans  les  trois  un  prisonnier 
conduit  par  des  gardes  dont  les  costumes  sont  néanmoins 
différents.  L'abbé  Faillon  y  retrouve  le  Sauveur,  au  moment 
où  il  fut  souffleté  par  l'un  des  serviteurs  du  pontife  Anne  ^. 

Je  répète  que,  dans  ce  sujet  comme  dans  l'autre,  si  l'arres- 
tation ne  concerne  pas  Jésus-Christ,  elle  regarde  l'un  de  ses 
disciples  traîné  devant  les  juges  \  Or,  pas  plus  que  dans 
le  premier  sujet,  je  ne  puis  y  découvrir  le  Sauveur. 

'  Monuments  inédits  de  l'apostolat  de  sainte  Marie- Madeleine,  tome  1,  page 
459, 

-  Monuments  inédits,  t,  1,  463. 

^  Millin,  qui  a  beaucoup  parlé  de  nos  tombeaux  marseillais,  s'est  tû  sur  cha- 
cune de  ces  compositions.  Quant  au  rédacteur  de  la  Notice  des  monuments  de 
^'ain^Fzc^ordontnous  nous  sommes  occupé  plus  haut,après  avoir  dit  naïvement, 
;i  l'occasion  de  la  figure  brisée  du  milieu  du  sarcophage  »  qu'elle  ne  pouvait 
«  être  que  l'esprit  des  ténèbres,  qui  tâchait  de  détourner  les  humains  des  eaux 
»  salutaires  dont  les  cerfs  se  désaltèrent,  »  il  ajoute,  comme  pour  confirmer 
sonjugement  :  «  Au  reste,  Judas  est  représenté  sur  ce  tombeau,  la  corde  au 
«  cou  et  la  bourse  à  la  main.  »  C'est  une  distraction  un  peu  forte,  qui  a  été 
répétée  dans  les  Notices  successives  du  Musée  de  Marseille,  à  l'article  des  sar- 
cophages. 


A    MARSEILLE.  17 

Des  interprètes  de  rantiquitë  chrétienne  ont  cru  recon- 
naître quelques  scènes  de  la  Passion  de  l' Homme-Dieu  dans 
certains  sarcophages  primitifs.  Ils  avouent  qu'à  la  vérité  dans 
les  siècles  les  plus  rapprochés  du  berceau  du  christianisme, 
il  n'y  a  pas  un  seul  monument  de  sculpture  ou  de  peinture,  ni 
une  mosaïque,  où  l'on  ait  présenté  à  la  piété  des  fidèles  le 
Christ  flagellé,  couronné  d'épines,  portant  sa  croix  ou  mou- 
rant sur  l'infâme  gibet;  mais  ils  pensent  qu'il  n'en  a  pas  été 
de  même  des  scènes  antérieures  à  la  flagellation  :  nous  n'hé- 
sitons pas  à  nous  prononcer  dans  un  sens  plus  général.  Nous 
croyons  donc  que  l'art  chrétien  n'a  représenté  qu'un  seul 
trait  de  la  Passion  du  Sauveur,  c'est  celui  où  il  est  amené 
devant  Pilate  et  où  le  gouverneur  de  la  Judée  proteste  en 
faveur  du  Juste  devant  tout  le  peuple  assemblé,  se  lavant  les 
mains  pour  témoigner  de  sa  propre  innocence  en  cette  accu- 
sation inouïe  :  deux  scènes  ordinairement  unies,  quoique  ren- 
fermées dans  un  double  compartiment  ^ .  Or,  ce  fait  excep- 
tionnel, l'art  chrétien  ne  l'a  figuré  que  parce  qu'il  renferme 
pour  le  divin  accusé  plutôt  un  titre  de  gloire  qu'un  souvenir 
d'humiliation  et  de  douleur.  C'est  pourquoi  partout  où  ces 
antiquaires,  habituellement  si  judicieux  dans  leurs  observa- 
tions, ont  signalé  le  Sauveur  soit  en  état  d'arrestation,  soit 
chez  Hérode,  soit  ailleurs,  il  faut  reconnaître  un  de  ses  dis- 
ciples traîné  devant  ses  juges  spéciaux. 

Personne,  en  efî'et,  n'ignore  à  quel  point  lesjpremiers 
athlètes  de  la  foi  se  sont  étudiés  à  dérober  à  tous  les  regards 
l'ignominie  du  supplice  du  Rédempteur.  On  ne  voulait  mon- 
trer l'Homme-Dieu  que  sous  de  nobles  attributs,  de  riantes 


*  Voir  notre  sarcophage  no  2,  dans  la  Revue  de  Vjrt  chrétien,  juillet  1859, 
et  les  tombeaux  de  Junius  Bassus  et  de  sainte  Marie-Madeleine  dans  l'ou 
vrage  de  l'abbé  Paillon  déjà  cité . 


18  MOxNUMENTS  CIJRÉTIENS  TRIMITIFS 

couleurs,  de  glorieuses  allégories.  Sa  puissance,  ses  prédica- 
tions, ses  miracles,  la  mission  qu'il  confia  à  ses  Apôtres 
reviennent  constamment  dans  toutes  les  pages  de  l'art  pri- 
mitif; ses  souffrances  n'y  apparaissent  jamais  '. 

La  Croix  même,  lugubre  et  émouvant  trophée  de  la  mort, 
la  croix  ne  devait  être  peinte  ou  sculptée  cpie  resplendissante 
d'émaux  et  de  perles,  que  surmontée  de  couronnes,  que 
triomphante  en  un  mot. 

»  La  mort  du  Sauveur  était  de  préférence  rappelée  par  le 
«  symbole  de  l'Agneau ,  mais  cette  innocente  victime  on  ne 
<•  la  voulait  pas  morte;  il  la  fallait  vivante  ^.  » 

Si  les  disciples  au  contraire  sont  reproduits  par  l'art  chré- 
tien, arrêtés,  conduits  en  prison  et  même  lapidés  %  leur 
présence  et  leur  humiliation  couvrent  d'honneur  leur  divin 
Maître  ;  car  ils  sont  les  témoins  de  sa  divinité  ;  ils  en  publient 
le  triomphe  à  leur  manière  ;  pleins  de  joie  et  de  dévouement, 
ils  la  confesseront  jusqu'à  la  mort  \ 

Au  reste,  si  notre  opinion  pouvait  être  contrariée  par 
quelque  fait  certain  et  inconnu  de  nous,  elle  n'en  serait  pas 
moins  fondée  pour  les  scènes  de  notre  sarcophage  marseillais. 

L'art  chrétien  des  premiers  âges ,  nul  ne  le  contestera,  a 
toujours  manifesté  Jésus-Christ  durant  sa  vie  mortelle,  selon 
le  type  traditionnel  que  voici  :  Figure  d'adolescent,  imberbe, 
à  longs  cheveux  abondants  et  bouclés  sur  les  épaules.  Après 
sa  résurrection,  il  est  ordinairement  peint  et  sculpté  avec  la 


*  Raoll-Rochette,  Mémoire  sur  les  antiquités  chrétiennes  (dans  les  Mém. 
de  l  jicad.  des  Inscrip.,  etc.,  p.  165). 

*  Le  Christ  triomphant  ou  le  Don  de  Dieu,  par  M.  Gbimouard  de  Saiwt- 
Ladrekt  (Extrait  de  la  Revue  de  l'Art  Chrétien,  p.  2). 

^  Comme  saint  Etienne  dans  le  sarcophage  n^  2.  —  Revue  de  l Art  CV/re- 
<«<?jj,  juillet  1859. 

*  Acl.    Apost.,  v,41. 


A  mauseill;:.  19 

barbe  et  les  cheveux  d'un  homme  âgé,  et  rarement  dans 
l'éclat  de  la  jeunesse  '. 

«  Dans  cette  multitude  sans  nombre  de  figures  du  Sauveur 
«  pendant  sa  vie  mortelle,  sculptées  sur  les  anciens  sarco- 
«  phages,  nous  ne  connaissons,  dit  le  docte  et  fort  judicieux 
«  Bottari,  qu'un  seul  exemple  où  il  est  montré  d'une  ma- 
«  nière  contraire  à  la  tradition;,  c'est  celui  du  tombeau  de 
<«  Junius  Bassus  ^.  » 

Bottari  en  signalant  ce  fait  unique  aurait  dû  fournir  des 
preuves  pour  démontrer  le  fait  même  de  l'exception  :  il  ne 
l'a  point  fait;  mais  au  fond  il  est  si  peu  rassuré  en  lace  de 
son  affirmation,  qu'on  voit  bien  qu'il  incline  à  donner  droit 
au  sentiment  d'Ariiighi.  L'abbé  Faillon  appuie  la  remarque 
de  Bottari  et  confirme  en  particulier  l'application  de  cette 
règle  invariable,  en  indiquant  les  autres  groupes  du  même 
sarcophage  où  Jésus-Christ  parait  toujours  imberbe  :  il  en 
conclut  que  sur  le  tombeau  de  Bassus,  ce  n'est  point  le  Sau- 
veur qui  est  conduit  en  prison,  puisqu'il  est  barbu  ^  Nous 
nous  sommes  demandé  pourquoi  le  savant  archéologue  ne 
concluait  pas  de  même  pour  la  scène  du  tombeau  de  sainte 
Madeleine.  C'est  qu'il  n'a  point  reconnu  l'identité  des  com- 
positions dans  les  deux  bas -reliefs.  Or,  plus  on  examine 
attentivement  ces  sujets,  plus  on  est  frappé  de  leur  simili- 
tude :  même  pose  du  garde  romain;  arbuste  noueux  des  deux 
côtés;  même  place  où  se  passe  la  scène,  à  l'extrémité  gauche 
du  sarcophage.  Si  donc  cette  identité  était  démontrée,  comme 
Jésus-Christ  est  barbu  dans   cette  composition,  l'exception 

'  On  s'en  rendra  compte  en  parcourant  les  grands  ouvrages  inspirés  par 
l'étude  des  Catacombes  de  Rome  et  en  visitant  les  sarcophages  de  Marseille, 
d'Arles,  de  Toulouse,  d'Aix,  de  St-Maximin,  etc. 

*l<"vol.,  p.  35. 

'  Momnnenls  inédits...  tome  i,443,  note  a. 


20  MONUMENTS   CHRÉTIENS   PRIMITIFS 

alléguée  disparaîtrait.  Que  l'on  compare  maintenant  les 
planches  des  trois  sarcophages,  il  deviendra  évident  qu'elles 
se  ressemblent,  qu'elles  redisent  le  même  type,  et  dès-lors 
il  suit  pour  notre  double  composition  en  particulier,  que  les 
prisonniers  mis  en  scène  étant  barbus  et  à  courte  cheve- 
lure, représentent  des  disciples  du  Sauveur,  et  non  le  Sau- 
veur en  personne. 

Nous  n'avons  pas  à  nous  occuper  beaucoup  du  nom  de  ces 
disciples.  Saint  Pierre  et  saint  Paul  ont  été  conduits  devant 
les  juges,  ils  l'ont  même  été  bien  des  fois  par  les  Juifs  et  parles 
soldats  de  l'empire.  Assurément,  nous  admettrons  toujours  de 
préférence  qu'il  est  question  de  ces  deux  Apôtres  plutôt  que 
de  tout  autre  disciple,  parce  qu'ils  se  montrent  le  plus  sou- 
vent dans  les  sarcophages  primitifs  et  dans  bien  des  scènes 
différentes. 

Rien  n'empêche  pourtant  que  l'on  ne  s'arrête  à  la  personne 
seule  de  saint  Pierre.  On  y  serait  d'autant  mieux  disposé 
que  le  chef  des  Apôtres  est  déjà  représenté  dans  les  deux 
derniers  compartiments  à  droite,  ainsi  que  nous  l'avons  ex- 
posé. Le  Sauveur  lui  avait  prédit  que  «  devenu  vieux,  il 
serait  forcé  de  livrer  ses  mains,  qu'un  autre  le  ceindrait  et 
le  mènerait  malgré  lui  ' .  » 

Nous  aurions  là  son  arrestation  à  Jérusalem  par  ordre 
d'Hérode  et  sa  dernière  arrestation  à  Rome  fulminée  par 
l'empereur  Néron.  Quant  à  la  variété  des  costumes,  il  est  à 
remarquer  qu'une  première  fois,  c'est  un  soldat  romain  qui 
exécute  l'ordre  d'arrêt  ■;  la  seconde  fois  ce  sont  deux  jeunes 
personnages  à  longue  tunique  et  en  sandales  dont  l'un  a  pour 
couvre-chef  une  toque  festonnée  et  élégante 

'  JOAN.  XXI,   18. 

'  Sa  tunique  est  relevée  par  une  ceinture  :  il  porte  la  chlamydc,  costume 
des  soldats  romains,  comme  on  le  voit  sur  la  colonne  Trajane. 


A    MARSEILLE.  21 

Il  nous  reste  à  indiquer  les  symboles  répandus  sur  la  déco- 
ration architecturale  du  monument  chrétien. 

Les  deux  serpents  qui  étreignent  les  avant-derniers  arbres 
et  qui  s'élancent  pour  dévorer  de  petites  colombes  ou  des 
œufs  dans  leurs  nids,  signifient  sans  contredit  la  fureur  du 
démon  :  ce  serpent  antique,  selon  les  saints  Livres,  qui  s'a- 
nime et  se  jette  sur  les  jeunes  âmes  encore  pures  et  blanches 
d'innocence  pour  les  dévorer  ' .  Dans  certains  sarcophages  la 
tentation  d'Adam  et  d'Eve,  au  Paradis  terrestre,  est  désignée 
par  le  serpent  entortillé  autour  de  l'arbre  de  la  science  du  bien 
et  du  mal.  De  douces  colombes  habitent  dans  les  feuillacres 
entrelacés  des  arbres  mystiques  qui  les  nourrissent  de  leurs 
fruits.  Les  nids  des  colombes  sont  formés  de  petits  paniers 
de  joncs.  Au  sommet  de  quelques-uns  des  arbres,  l'œil  attentif 
peut  saisir  des  pains  —  mémorial  des  agapes  ou  symbole  de 
l'Eucharistie  —  de  forme  ronde,  avec  une  incision  en  croix 
qui"  avait  fait  donner  par  les  Romains  à  leur  pain  domes- 
tique le  nom  de  Quadra,  et  que  le  Christianisme,  dit  Raoul- 
Rochette,  s'était  si  facilement  appropriés,  en  y  attachant  avec 
le  signe  de  la  rédemption  l'intention  qui  lui  était  propre  ^. 

Le  limaçon  qui  s'allonge  pour  monter  vers  les  branches 
portant  sur  son  dos  sa  fragile  maison,  est  fort  rare  dans  les 
sarcophages.  Je  ne  l'ai  vu  qu'une  fois ,  dans  l'ouvrage 
d'Aringhi,  parmi  les  animaux  symboliques  représentés  par 
l'art  chrétien.  Millin  pense  que  le  limaçon  est  ici  un  emblème 
de  prudence  :  à  notre  avis,  il  serait  plutôt  sur  les  sarcophages 
un  emblème  de  résurrection. 

L.  T.DASSY.  O.M.  I. 

Correspondant  des  Comités    historiques. 

*  Au  sarcophage  d'Arles  qui  porte  la  même  ordonnnance  d'architecture,  il 
n'y  a  qu'un  seul  serpent. 

*  Tableau  des  Catacovihea  de  Rome,  page  152. 


DES   LANTERNES 


L'usage  des  lanternes  est  fort  ancien,  comme  en  fait  foi 
l'histoire  de  Diogène. 

Sur  d'anciennes  gravures,  on  voit  souvent  le  Christ  au 
Jardin  des  Oliviers,  au  moment  où  les  soldats  arrivent  pour 
le  faire  prisonnier,  munis  de  torches  et  de  lanternes.  On  re- 
présente parfois  les  retraites  sauvages  des  ermites  et  des 
anachorètes  éclairées  la  nuit  par  une  lanterne. 

Le  premier  dessin  que  nous  donnons  est 
une  lanterne  romane  en  cuivre  rouge.  Elle 
est  percée  d'ouvertures  remplies  par  des 
cabochons  en  cristal  de  roche  qui  devaient 
produire  un  effet  de  lumière  très-vif  par 
l'éclairage  intérieur.  Entre  les  cabochons 
serpentent  des  arabesques  gravées.  Ce  cu- 
rieux meuble  provient  de  l'église  de 
Wetteren,dans  les  Flandres,  près  de  Gand, 
et  servait  prol)ablement  pour  accompa- 
gner le  prêtre,  quand  il  portait  le  saint 
Viatique. 


DKà  LANTERNES.  23 

La  seconde^,  de  style  ogival,  était  destinée  à  être  suspen- 
due, en  forme  de  lampe,  à  une  voûte  ou  à  un 
plafond.  Je  l'ai  dessinée  d'après  une  vignette 
d'un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale  de 
Bruxelles,  portant  le  numéro  9,169. 

Un  enfant  de  chœur,  portant  une  bannière 
ornée  delà  croix  et  une  sonnette, est 
le  sujet  de  la  troisième  vignette.  La 
hampe  de  la  bannière  est  surmontée 
d'une  lanterne  couronnée  d'un  globe 
et  de  la  croix.  C'est  une  gravure 
de  1493  qui  figure  dans  la  grande 
chronique  allemande,  connue  vul- 
gairement sous  le  nom  de  Chronique 
de  Nurenberg. 

Le   Musée  de  la  porte    de  Hal 
conserve  un  bouclier  du  XIV  siècle, 
d'une  forme  très-simple  et  de  petite  dimension.  Au  milieu 

se  trouve  un  crochet  ou  crampon 
pour  y  attacher  une  lanterne 
sourde.  Cette  partie  manque  à 
cette  arme  curieuse,  qui  pouvait 
aussi  servir  pendant  les  ténèbres 
de  la  luùt.  On  désignait  ces  sortes 
d'armes  sous  le  nom  de  boucliers 
de  nuit  {fig.  4).  Le  grand  cadre  du 
centre  est  fixé  sur  l'arme  par  des 
chevilles  ou  boulons  à  têtes  rondes 
rivées,  le  tenant  isolé  du  champ.  Il  en  est  de  môme  du  petit 
cadre  ovale  qui  entoure  le  crampon  destiné  à  agrafer  au 
milieu  la  lanterne  sourde. 


ARNAUD   SCHAEPKENS. 


LES    CATACOMBES 

considérées  comme  type  primitif  des  églises 
chrétiennes  \ 


Quand  tout  venait  de  changer  dans  le  monde  moral,  et 
que,  des  hauteurs  du  Calvaire,  un  Dieu  jetant  à  tous  les 
peuples  une  parole  d'unité,  les  conviait  à  une  vie  nouvelle 
dans  un  même  culte  et  une  même  foi  ;  quand  cette  double 
expression  des  premiers  besoins  de  l'humanité  s'était  mani- 
festée par  d'innombrables  symboles ,  ne  fallait-il  pas  à  cette 
religion  qui  recueillait  l'immense  héritage  de  toutes  les  âmes, 
des  temples  où  respirât,  comme  dans  ses  dogmes  et  ses 
prières,  l'esthétique  d'un  intime  et  mystérieux  enseigne- 
ment ?  Cette  religion  du  cœur  et  de  l'esprit  ne  pouvait  ab- 
jurer un  droit  qu'avaient  usurpé  sur  ses  primitives  inspira- 
tions les  fausses  doctrines  du  paganisme  —  et  si  celui-ci, 
comme  nous  l'avons  établi  déjà,  variait  les  formes  de  son 
architecture  religieuse  d'après  les  caractères  différents  de  ses 
divinités  ' ,  comment  les  premiers  maîtres  du  Christianisme 


*  Extrait  d'une  Histoire  générale  du  Symbolisme  religieux,  que  l'auteur 
achève  en  ce  moment,  et  dont  il  a  bien  voulu  détacher  pour  les  lecteurs  de  la 
Rei-ue  co  curieux  chapitre.  Les  notes  qui  se  réduisent  ici,  pour  plus  de  brièveté, 
à  de  simples  renvois,  seront  accompagnées  dans  l'ouvrage  de  M.  l'abbé  Auber 
des  textes  originaux  qui  servent  au  sien  de  pièces  justificatives,  et  deviendront 
un  vaste  recueil  de  matériaux  et  de  témoignages  empruntés  à  tous  les  siècles. 

'  Cette  thèse  fait  le  sujet  d'un  des  chapitres  précédents. 


I.KS    rATACOMBES.  25 

auraient-ils  pu  méconnaître  l'importance  d'une  création  pa- 
rallèle au  profit  de  la  véritable  révélation  ?  Cet  idéal  néces- 
saire ne  s'était-il  pas  d'ailleurs  essayé,  pour  ainsi  dire,  chez 
le  peuple  dépositiiire  des  prophéties,  et  ne  semblait-il  pas 
encore  indiquer  de  loin  aux  enfants  de  la  promesse  un  taber- 
nacle, nouveau  comme  tout  le  reste,  et  le  plus  digne  par  son 
spiritualisme  du  Dieu  qu'on  y  devait  adorer  «  en  esprit  et  en 
vérité  '  ?  »  Ce  Dieu  qui  réalisait  en  sa  personne  le  type  des 
patriarches  ",  qui  avait  prescrit  à  Noé  les  mesures  diverses 
de  l'arche  libératrice;,  mesures  dont  les  nombres  renferment 
des  mystères  symboliques  ^,  devait-il  faire  moins  pour  son 
Eglise  en  qui  tous  les  hommes  doivent  être  sauvés,  et  que 
l'arche  représentait,  au  dire  de  tous  les  interprètes  ''  ?  —  Il 
y  avait  plus  :  cette  grande  merveille  qu'on  appela  le  temple 
de  Salomon,  qui  ne  s'était  élevée  à  si  grands  frais  qu'afin  de 
préfigurer  l'EgUse  et  le  corps  du  Sauveur  %  n'offrait  rien  qui 
ne  fût  symbolique,  depuis  ses  fondements  inébranlables  de 
marbre  et  de  porphyre,  jusqu'à  ses  plafonds  de  cèdre  par- 
fumé; depuis  sa  distribution  intérieure  jusqu'aux  innombra- 
bles ornements  qui  en  décoraient  les  murs,  jusqu'aux  meubles 
et  enfin  aux  images  qui  servent  au  culte  ou  à  l'embellisse- 
ment ®.  A  suivre  les  Pères  dans  l'explication  minutieuse 
qu'ils  ont  donnée  des  particularités  de  cette  magnifique  con- 

*  JOAN.   IV,  23. 

*  V.  HoET,  Démonstration  évangélique,  éd.  Migne,  Cursus  compl.  Script. 
Sac,  t.  II,  col.  859. 

f  S.  IsiDOR.  Hi.spAL.,  Questio.  in  Vet.  Testam.  —  In  Gènes.,  c.  7. 

*  S.  AuGUST.,  De  Civit.  Dei,  lib.  xv,  c.  26. 

■^  Id.,  Prœfat.  in  Psalm.  cxxvj,  —  Theodoret.  ,  in  Lib.  I  Paraliponien., 
quest.   1. 

*  V.  les  interprètes  modernes  d'après  toute  la  tradition:  Tirin,  Estius, 
Calmet,  Sacy,  Corneille  de  la  Pierre.—  Evseb., /ita  Constant., \ih.  iv,  c,  18  ; 
—  Hist.  eccles.,  lib.  x,  c.  4. 

TOMK  VI.  3 


2G  LES   CATACOMiiES. 

struction,  on  voit  bien  que  tous  les  mystères  qu'elle  renferme 
sont  applicables  à  des  vérités  spirituelles  de  la  seconde  loi. 
C'est  dans  saint  Augustin  surtout  qu'il  faut  en  chercher  la 
preuve  :  ce  grand  génie  a  tout  résumé  en  quelques  mots,  soit 
de  ses  œuvres  oratoires,  soit  de  ses  commentaires  sur  les 
psaumes  ' ,  et  nous  reviendrons  à  beaucoup  de  ses  idées  quand 
nous  aurons  à  produire  les  nombreux  enseignements  que 
l'Esprit-Saint  a  prodigués  sur  cette  matière. 

Les  traditions  architecturales  étaient  donc  toutes  faites 
depuis  longtemps,  à  l'aurore  du  Christianisme.  Il  n'eut  plus 
qu'à  les  prendre  pour  les  continuer  en  les  perfectionnant. 

Mais  avant  d'épancher  sur  les  vastes  dimensions  de  ses 
cathédrales  et  de  ses  églises  monastiques  les  reflets  de  ce 
génie  divin  qui  j  parle  une  langue  si  riche  et  si  variée,  il 
lui  fallut  se  rétrécir  en  de  médiocres  espaces.  Le  berceau  de 
l'art  chrétien  devait  s'environner  de  ténèbres,  sans  doute 
pour  manifester  d'autant  plus  à  la  lumière  qui  devait  les 
suivre,  la  gloire  trop  longtemps  contestée  de  cette  éternelle 
Sagesse,  qui  n'opère  jamais  plus  évidemment  que  par  les  con- 
trastes. 

En  effet,  c'est  réellement  dans  les  catacombes  qu'il  est 
logique  d'aller  chercher  le  prototype  des  églises  chrétiennes. 
Pour  peu  qu'on  en  veuille  étudier  le  plan  intérieur,  on  voit 
bientôt  quels  rapports  nos  monuments  sacrés  gardent  encore 
avec  ces  lieux  vénérables  où  se  conservent  nos  plus  religieux 
souvenirs.  L'abside  avec  le  trône  épiscopal  qu'entourent  les 
sièges  du  presbytère  ;  l'autel  élevé  sur  une  crypte  où  reposent 
les  sacrées  reliques  des  Martyrs  ;  les  vides  circulaires  ménagés 
en  voûtes  {monumenta  arciiata),  presque  toujours  terminés 
eux-mêmes  en  hémicycles  dans  les  parois  latérales,  pour  y 

*   In  Psahn.  xxxix  et  XLiv. 


LES   CATACMMBKS.  27 

recevoir  d'autres  corps  h  mesure  que  la  persécution  les  y 
envoyait,  et  qui  sont  devenus  par  la  suite  ces  chapelles  des 
bas-côtés,  inaugurées  sous  le  vocable  de  tant  de  saints;  ou  ces 
arcatures  continues,  bien  plus  anciennes,  décorant  les  murs 
intérieurs  de  nos  plus  vieux  oratoires';  enfin,  jusqu'à  ces 
vestibules  {cuhicula)  introduisant  à  la  pièce  principale,  et  qui 
représentaient  très-exactement  cette  annexe  qu'on  appela  plus 
tard  le  diaconicum  ou  sacristie  :  tout  prête  à  faire  comparer 
ces  pieux  sanctuaires  à  ceux  qui  s'ouvrent  pour  nous  chaque 
jour,  et  dont  nous  voyons  que  le  plan  original  n'a  souffert 
que  de  légères  modifications  ^.  Nous  ne  pouvons  donc  ad- 
mettre avec  plusieurs  écrivains  de  notre  temps  que  l'art  ca- 
tholique se  soit  inspiré  d'abord  des  basiliques  profanes  de  la 
Rome  payenne\  On  retrouve,  il  est  vrai,  dans  nos  temples, 
de  frappantes  analogies  avec  les  anciens  édifices  publics,  et 
ce  que  nous  venons  d'en  dire  convient,  jusqu'à  un  certain 
point,  aux  uns  et  aux  autres.  Mais  on  a  trop  répète,  comme 
fait  archéologique,  une  erreur  qui  enlèverait  absolument  à  la 
Rome  souterraine  son  antériorité  de  date  sur  nos  basiliques 
religieuses,  en  la  privant  de  l'influence  directe  qu'il  faut  lui 
accorder  sur  celles-ci.  Cette  influence  est  manifeste,  et  tout 
en  admettant  de  frappantes  ressemblances  quant  aux  plans  de 
ces  constructions  si  différentes  dans  leur  but^  en  avouant  que 
rien  ne  dut  paraître  plus  convenable  aux  exigences  du  nou- 


•  Ces  observations  se  fortifient  beaucoup  des  nouvelles  découvertes  faites 
dans  les  Catacombes  par  M.  Louis  Perret,  de  Lyon,  dont  le  beau  travail  a 
été  publié  en  1855. 

*  V.  AuiNGHi,  Roma  suhterranea,  tom.  i,  p.  461,  et  la  planche  de  la 
page  471.  —  Romx,  in-f",  1651. 

'  Ainsi  ont  pensé,  d'après  les  données  vulgarisées  jusqu'à  nous,  MM.  Bâ- 
tissier,  IJist.  de  l'Art  monumental,  p.  359  et  454,  Raoul-Rochettc,  Renouvier, 
Schmitt,  et  bien  d'autres. 


28  LES   CATACOMBES. 

veau  culte  que  ces  vastes  enceintes  si  commodes  pour  une 
nombreuse  assemblée,  et  où  la  religion  prenait  si  avanta- 
geusement la  place  de  la  magistrature  civile,  on  doit  se 
garder  d'oublier  ces  mêmes  nefs,  ce  même  hémicycle  absidal, 
cette  même  position  du  clergé  et  du  peuple  indiqués  tout 
d'abord  dans  les  catacombes,  dont  nous  avons  vu  l'origine 
dans  l'Apocalypse,  et  à  laquelle,  par  cette  double  raison,  l'on 
dut  se  garder  de  renoncer  plus  tard  ' .  Voilà,  nous  semble- 
t-il,  et  pour  répondre  à  une  question  d'un  de  nos  savants  collè- 
gues de  la  Société  française  d'arcliéologie,  «  conmient  il  s'est 
fait  que  le  Christianisme  inclina  vers  cette  forme  monu- 
mentale, et  qu'il  en  a  même  produit  spontanément  des 
spécimens  durant  l'ère  orageuse  des  persécutions  ^.  »  Et 
qu'on  n'aille  pas  nous  objecter  que  les  catacombes,  devenues 
le  refuge  des  chrétiens  persécutés,  purent  bien  être  disposées 
par  eux  sur  le  modèle  des  basiliques  de  la  ville  supérieure. 
En  fût- il  ainsi,  cela  prouverait  tout  au  plus  qu'il  y  avait 
certains  rapports  entre  celles-ci  et  la  description  de  l'Eglise 
éternelle  où  Dieu  s'était  révélé  à  saint  Jean  ;  mais  auquel  de 
ces  deux  objets  pense -t-on  que  l'Eglise  ait  pu  donner  la 
préférence  ?  —  Nous  irons  plus  loin,  et  de  ce  qu'il  y  avait 
dans  la  Kome  souterraine  des  lieux  consacrés  en  formes  di- 


'  V.  ce  qu'a  dit  de  cette  abside  primitive  le  P.LijPI,  Dissertazioni  e  Lettere 
ftlologiche,  etc.,  1"  part.,  {J  xvij  et  xxvj  ;  in-4o,  Faenza,  1755. 

•  V.  M.  DE  RoisiN,  Origines  de  la  basilique  chrétienne;  Bullet.  monu- 
mental, t.  xxvj,  p  263.  —  Ces  édifices,  en  effet,  devaient  être  simples  et 
bien  différents  des  églises  du  Moyen  Age  par  leur  côté  architectural,  comme 
il  convenait  à  des  tentatives  nécessairement  timides.  C'est  ce  qui  faisait  dire 
à  saint  Jean  Chrysostôme,  dès  le  IV •=  siècle,  que  les  basiliques  et  les  palais  des 
princes  l'emportaient  de  beaucoup  par  la  splendeur  et  la  magnificence  de  l'ar- 
chitecture sur  les  constructions  élevées  à  la  gloire  des  Saints  (V.  Ilomil.  xxvj, 
in  II  Cor.,  n»  5). 


LES    CATACOMBES.  29 

verses,  spliériques,  obloiigs  ou  carrés  ',  nous  n'hésiterons 
pas  à  expliquer  par  là  comment  beaucoup  d'églises  ou  baptis- 
tères célèbres  ont  pu  adopter  ces  plans  dont  on  accuse  trop 
légèrement  la  prétendue  excentricité.  Aussi  dès  que  s'inter- 
rompirent les  persécutions  qui  avaient  forcé  les  premiers 
chrétiens  à  se  cacher,  les  églises  qu'ils  purent  bâtir  au  grand 
jour  n'eurent  point  d'autres  formes  ;  et  quand  cette  assertion 
manquerait  des  preuves  positives  qu'on  peut  lui  donner  ^,  on 
le  conclurait  très^bien  par  induction,  puisqu'au  rapport  des 
historiens,  les  lieux  sacrés  démolis  ou  brûlés  par  les  persécu- 
teurs se  relevant  aussitôt  que  la  paix  nous  était  rendue,  les 
lois  symboliques  relatives  à  la  construction  et  qui  venaient 
des  traditions  apostoliques  %  forçaient  d'en  reproduire  l'an- 
cienne ordonnance  déjà  consacrée. 

Remarquons  d'ailleurs  que  l'ensemble  si  vanté  des  basi- 
liques romaines  dut  se  ]ilier  d'abord  à  de  nombreuses  re- 
touches pour  l'accommoder  à  sa  nouvelle  destination,  soit 


'  V.  BoTTAKi,  Future  e  sculpture  sayre  estratte  del  cimitery  di  Roma,  t.  u, 
p.  112,  pi.  xojv  ;  et  t.  iii,  p.  91,  92  ;  et  pi.  clvj  et  dxxxv. 

*  V.  M.  DE  RoisiiN,  nb.  svj). 

*  Les  canons  qui  forment  l'ensemble  du  livre  connu  sous  le  nom  des  Consti- 
tutions apostoliques  sont,  au  sentiment  de  tous  les  critiques,  d'une  époque 
bien  postérieure  au  temps  des  Apôtres, et  ne  peuvent  guères  remonter  au-delà 
du  Ille  siècle.  Mais  on  reconnaît  généralement  qu'ils  expriment  des  tradi- 
tions puisées  au  berceau  du  Christianisme,  et  dues  à  quelque  plume  catho- 
lique qui  en  aura  formé  un  seul  corps,  lorsque  la  liberté  rendue  à  l'Église 
permit  d'établir  au  grand  jour  le  dï'oit  ecclésiastique  jusqu'alors  tenu  secret, 
aussi  bien  que  les  usages  de  la  liturgie.  Ainsi  les  règles  invoquées  sous  le  nom 
d'apostoliques  ont  toujours  pu  l'être,  et  la  continuité  du  respect  qu'elles  ont 
toujours  obtenu  dans  toutes  les  Églises,  et  notamment  au  deuxième  concile  de 
Nicée  en  782,  constate  siirement  la  légitimité  de  notre  confiance.  On  peut  donc 
s'en  faire  une  autorité  en  matière  d'archéologie  et  d'histoire,  et  l'on  saura  dé- 
sormais, quand  nous  aurons  à  nous  appuyer  sur  elles,  dans  quel  sens  ortho- 
doxe nous  persisterons  à  la  citer. 


30  LES   CATACOMBES. 

qu'on  ait  utilisé  aussitôt  celles  que  Constantin  donna  aux 
catholiques,  soit  qu'il  ait  fallu  bientôt  en  élever  d'autres  sui- 
des plans  plus  conformes  aux  développements  de  la  liturgie. 
Nous  savons  ce  que  devait  être  au  W  siècle  la  cathédrale  de 
Trêves  dont  les  fouilles  récentes  ont  révélé  les  dispositions 
primitives  '  ;  ou  encore  cette  église  de  Saint-Hyppolite  martyr, 
dont  Prudence  se  plaît  à  décrire  si  exactement  les  trois  nefs, 
les  chapelles  latérales,  l'abside  avec  son  siège  épiscopal  ^. 
Mais  quelque  beaux  édifices  que  fussent  ces  palais  ou  ces 
prétoires,  qui  n'en  étaient  pas  moins  quelquefois  des  lieux  de 
transactions  commerciales,  et  même  des  promenades  pu- 
bliques, il  y  avait  loin  de  ces  usages  de  la  vie  profane  aux 
grandes  choses  de  la  religion.  Plus  celle-ci  marchait,  plus 
elle  aspirait  à  d'autres  pensées.  Elle  voulait  avant  tout  que 
dans  l'asile  du  Sacrifice  et  de  la  prière  tout  parlât  à  l'esprit 
et  au  cœur  de  ses  adeptes.  Ce  quadrilatère  allongé,  dont  rien 
ne  tempérait  la  sécheresse  que  deux  rangs  de  colonnes  à 
chapiteaux  insignifiants  ;  ces  fenêtres  à  plein-cintre,  distri- 
buées symétriquement  et  sans  nombre  arrêté  à  la  surface  des 
murs,  pour  donner  à  un  intérieur  sans  mystère  un  jour  partout 
égal  ;  cette  architrave  grecque  dont  la  masse,  surmontée 
d'une  frise  dessinée  au  hasard,  allourdissait  des  portes  aux 
lignes  perpendiculaires  et  horizontales,  et  pesait  sur  des  co- 
lonnes qui  ne  s'y  rattachaient  que  par  un  système  de  souten- 
nement  froid  et  absolu  ;  tout  cela  n'était  guères  d'un  utile 
secours  à  la  pensée  religieuse,  et  ne  rappelait  pas  mal  non 
plus  le  matérialisme  de  l'art  payen.  Si  donc  on  put  admettre 
d'abord  ces  dispositions  générales  qu'on  eût  trouvées  sans 


•  Voir  la  description  qu'en  a  donnée  M.  de  Roisin,  Bulletin  des  Comités 
historiques,  1849,  tom.  i,  Archéologie,  p.  233. 
-  PlUI)K^T.,  Perislephan,  hymn.xi,  v.  215. 


LKS   CATACOMBES.  31 

beaucoup  d'efforts  eu  sortant  des  souterrains  sacrés,  ce  ne 
put  être  qu'à  condition  d'en  changer  les  détails,  et  de  tout 
reporter  aux  principes  d'un  spiritualisme  nouveau.  Et  voilù 
comment  on  convint  tout  de  suite  que  l'église  chrétienne 
aurait  la  forme  d'une  nef  (de  vaûs,  vaisseau^  et  non  de  vaèi 
temple)  ;  que  l'autel  serait,  d'après  les  Constitutions  aposto- 
liques ',  tourné  vers  l'Orient;  que  l'axe  longitudinal,  en 
sortant  du  sanctuaire,  se  briserait  du  Nord  au  Sud  par  une 
brusque  déviation  de  sa  ligne  naturelle  '  ;  que  la  forme  de 
croix  serait  donnée  au  monument  par  le  double  prolonge- 
ment du  transsept  à  droite  et  à  gauche  —  Il  n'y  eut  pas 
loin,  un  peu  plus  tard,  de  cette  ordonnance  élémentaire  à 
ses  développements  successifs,  et  ce  que  l'art  y  ajouta  dans 
l'intérêt  de  la  pensée  doctrinale  devint  une  conséquence  de 
ce  premier  élan  fondé  sur  les  données  positives  de  l'Ecriture 
et  de  la  Tradition.  Qui  ne  voit  aujourd'hui  le  germe  aussi 
fécond  que  remarquable  de  toutes  ces  idées  et  de  beaucoup 
d'autres  dans  la  description  si  connue  qu'Eusèbe  de  Césarée 
nous  a  donnée  de  l'église  de  Tyr  relevée  de  ses  ruines  en  51 5 
par  son  évêque  Paulin  '  ?  Il  est  clair,  d'après  ce  texte^,  que 
l'importance  attachée  à  chaque  détail  de  ce  vaste  et  magni- 


*  Lib.  II,  c.  57,  ap.  Coteuer,  Patres  œvi  apostolici,  tom.  i,  p.  261,  in-f", 
1672.  Il  faut  bien  ici  remarquer  ces  importants  détails  de  l'orientation  des  absi- 
dioles  orientées  comme  l'abside,  et  de  cette  forme  de  nef,  dont  l'étymologie 
même  a  sa  signification  absolue. Voilà  toute  une  église  telle  que  le  Moyen  Age 
nous  en  a  tant  donné,  et  son  origine  la  rattache  comme  son  plan  au  plan  des 
Catacombes. 

*  Ce  symbole  de  la  déviation  de  l'axe  se  remarque  à  Poitiers  dans  le  bap- 
tistère de  Saint- Jean,  qui  date  du  IV"  siècle.  On  en  a  donc  attribué  à  tort 
l'apparition  au  XI«  ou  XII'^  siècle  ;  et  c'est  une  des  erreurs  que  nous  signalons 
àM.Trémollière,dans  son  a^rticle  Sy)nholis7ne  dans  l Encyclopédie duXIX^ siè- 
cle, tom.  xxiii. 

^  Hist.  écoles.,  lib.  x,  c.  4. 


32  I-ES   CATACOMBES. 

fique  édifice  venait  des  symboles  qui  y  traduisaient  les  vérités 
de  la  foi.  C'est  donc  avec  raison  qu'un  docte  écrivain  de  nos 
jours,  constatant  que  toutes  les  églises  bâties  au  IV'  siècle  en 
Orient  et  en  Occident  conservaient  les  formes  antérieures  à 
la  paix  de  Constantin,  fait  observer  que  les  mystères  cachés 
sous  les  particularités  de  la  construction  étaient  compris  du 
peuple  fidèle  comme  autant  d'objets  de  l'enseignement  reli- 
gieux '  ;  car  Eusèbe,  que  nous  suivons  ici,  n'est  pas  seulement 
l'historien  de  ce  fait  :  il  avait  prêché  au  jour  même  de  la 
dédicace  de  cette  église,  et  en  avait  exposé  tout  le  symbolisme 
devant  une  affluence  considérable  que  présidait  un  grand 
nombre  d'évêques. 

Concluons  que  notre  symbolisme  actuel,  vivant  encore 
dans  tous  nos  temples  catholiques  du  Moyen- Age,  est  sorti 
tout  fait  de  ces  églises  souterraines  qui  abritèrent  les 
premiers  chrétiens,  et  que  les  catacombes  furent  vraiment  les 
premières  basiliques  oii  s'offrit  le  sacrifice  de  propitiation. 

l'abbé  auber 

Chanoine  de  TÉglise  «le  Poiliei?. 


'  Cf    D.  GuÉUAKGKU,  Institut,  liturgiques,  t.  \,  p.  94.  —  Fledry,  Hist. 
ecclés.,  livre  x,  n"  'S. 


DU  RÉALISME   ET   DES  SYMBOLES 
dans  VAn  chrétien. 


PREMIER    AllTICLK. 


I.  —  L'art  est  une  langue;  l'imitation  de  la  nature  est 
son  moyen;  il  a  pour  but  l'expression  de  la  pensée  :  imiter 
la  nature,  sans  autre  intention,  c'est  parler  pour  ne  rien 
dire.  Exprimer  sa  pensée  par  des  images  peintes  ou  sculp- 
tées, sans  nul  souci  de  la  vérité  des  formes  et  de  leur  beauté, 
ce  serait  peut-être  de  l'imagerie;  ce  ne  serait  pas  de  l'art. 

La  saine  notion  de  l'art  comprend  simultanément  une  idée 
de  vérité  et  une  idée  de  beauté,  qui  doivent  se  manifester  à 
la  fois  dans  la  pensée  et  dans  la  forme.  Consacré  uniquement 
à  la  reproduction  de  la  nature  comme  elle  tombe  journelle- 
ment sous  nos  sens,  l'art  s'affaisse  dans  le  pire  des  réalismes, 
celui  qui  exclut  jusqu'au  choix  des  formes,  jusqu'à  la  con- 
venance des  pensées. 

L'art  veut-il  s'élever  au-dessus  des  sensations  vulgaires, 
jusqu'au  sentiment  de  la  beauté,  il  saisit  de  plus  haut  les 
rapports  et  les  proportions  des  choses,  il  les  idéalise.  Le  goût 
qui  sait  comprendre  et  atteindre  le  beau  cesse  d'être  grossière- 
ment réaliste  :  s'il  ne  se  met  en  garde  contre  les  séductions 


34  DU   UÉALJSMK  ^T  DES  SYMBOLES 

des  formes,  ces  formes  fussent-elles  idéalisées,  il  n'est  pas 
cependant  à  l'abri  d'un  réalisme  plus  raffiné.  Sous  le  nom  de 
réalisme,  nous  entendons  proscrire  toute  préoccupation  exa- 
gérée des  formes,  de  leur  réalité,  de  leur  beauté  même,  au 
détriment  de  la  prépondérance  que  doivent  toujours  conser- 
ver les  idées;  nous  voulons  combattre  toute  tendance  à  la 
représentation  positive  de  faits,  qui  ne  s'inquiéterait  pas 
assez  d'en  faire  ressortir  la  signification.  Ces  exigences,  ap- 
plicables à  toutes  les  branches  de  l'art,  sont  surtout  indis- 
pensables quand  il  s'agit  d'art  chrétien. 

II,  —  La  nature  par  elle-même  est  toujours  belle;  les 
deux  racontent  la  gloire  de  Dieu  et  le  firmament  publie  les 
œuvres  de  ses  mains  ;  la  terre,  la  mer,  les  fleuves,  les  mon- 
tagnes tiennent  des  discours  ;  les  arbres  aussi  parlent  à  leur 
manière;  dans  ce  concert  harmonieux,  les  fleurs,  les  plan- 
tes, les^  feuilles  ont  leurs  accents  poétiques.  Il  n'est  pas 
d'être  créé  qui  n'ait  sa  poésie;  il  n'en  est  pas,  à  mesure  qu'il 
monte  dans  l'échelle  des  êtres  animés,  dont  la  poésie  ne 
s'élève  proportionnellement.  Le  corps  de  l'homme.  Ce  chef- 
d'œuvre  du  monde  invisible,  n'est-il  pas  à  lui  seul  tout  un 
poëme? 

Pour  être  beau,  pour  être  vrai,  pour  être  abondant 
en  fortes  et  saines  pensées,  suffirait-il  donc  à  l'artiste  de 
copier  la  nature?  Non,  parce  que,  dans  un  sens,  elle  est 
inimitable,  et  que,  dans  un  autre,  nous  pouvons  beaucoup 
mieux  faire  que  de  tenter  une  imitation  impossible. 

Par  la  voix  de  la  nature,  c'est  Dieu  qui  se  fait  entendre  ; 
en  vain  nous  voudrions  répéter  ses  accents  divins ,  tout  au 
plus  pourrions-nous,  comme  un  écho,  en  faire  retentir  les 
syllabes  les  plus  sonores,  désormais  dépourvues  d'aucun  sens. 
Pour  parler  véritablement  la  langue  de  la  nature,  il  faudrait 
soi-même  posséder  la  puissance  créatrice,  faire  circuler  en 


DANS  l'art  ghuétien.  35 

réalité  dans  im  tableau,  l'air,  la  lumière  et  la  vie.  Nous  n'en 
pouvons  montrer  que  des  apparences  éloignées.  Cependant 
il  est  quekpie  chose  dans  l'art  qui  dépasse  en  élévation  et  en 
beauté  tout  ce  qui  se  peut  voir  dans  la  nature,  c'est  l'idée.  L'art 
ne  serait-il  qu'une  traduction,  pour  traduire  il  faut  com- 
prendre; or,  la  nature  ne  se  comprend  pas  elle-même,  tandis 
que  l'art  porte  le  sceau  d'une  intelligence  qui  la  comprend. 

Comparer  l'art  à  la  nature  et  lui  donner  une  sorte  de 
préférence,  ce  n'est  pas  faire  une  comparaison  injurieuse  aux 
œuvres  divines.  Car  la  plus  belle  des  œuvres  de  Dieu,  n'est-ce 
pas  l'intelligence  de  l'homme,  laite  à  l'image  du  Créateur? 
Quelque  chose  de  plus  beau  que  toutes  les  beautés  de  la  na- 
ture célébrées  par  David,  c'est  l'âme  de  David  qui  les  célèbre. 
III.  —  Les  œuvres  d'art  développent  le  sentiment  des 
beautés  de  la  nature,  elles  ravivent  nos  impressions,  elles 
nous  invitent  à  les  revoir  d'un  œil  attentif,  et  toutes  ces 
merveilles  qui,  en  passant  habituellement  sous  nos  regards, 
y  restaient  comme  inaperçues,  deviennent  une  source  perpé- 
tuelle de  jouissance  et  d'admiration. 

Le  peintre  réaliste  lui-même,  pour  peu  qu'il  soit  habile 
dans  le  maniement  du  pinceau,  s'élève  facilement  dans  ses 
œuvres  au-dessus  de  ses  théories.  Il  ne  peut  reproduire  au- 
cune partie  de  la  nature  sans  y  imprimer  le  cachet  de  sa  pen- 
sée. Il  est  nécessaire  qu'il  comprenne^,  au  moins  en  quelque 
manière,  le  jeu  de  la  lumière  et  des  ombres,  qu'il  se  fasse  une 
idée  des  formes,  qu'il  sente  quelque  chose  en  les  voyant. 
Cette  idée,  ces  sentiments,  sont  à  certains  égards  supérieurs 
à  l'objet  de  ses  imitations. 

Nous  comparerions  volontiers  le  réalisme  dans  l'art  avec 
l'égoïsme  en  morale  ;  l'un  et  l'autre  pèchent  par  ce  qu'ils 
ont  d'étroit;  en  s'élargissant,  ils  rentrent  dans  le  vrai.  Cher- 
cher son  propre  intérêt  dans  l'intérêt  de  tous,  n'est  plus 


36  I>1)    RÉALISME    ET    DES    SYMBOLES 

égoïsme,  mais  largeur  de  vues  et  d'aifections  ;  emprunter 
aux  réelles  beautés  de  la  nature  l'expression  des  sentiments 
qu'elles  inspirent  n'est  pas  réalisme,  mais  saine  intelligence 
de  l'art.  C'est  parce  que  le  véritable  intérêt  n'est  jamais  isolé 
que  l'égoïste  n'est  jamais  excusable  ;  c'est  parce  que  toute 
imitation  de  la  nature  renferme  au  moins  une  idée,  que  l'ar- 
tiste ne  saurait  s'excuser  non  plus,  quand  il  ne  se  la  propose 
pas  comme  objet  principal.  N'aurait-il  à  peindre  qu'une 
pierre  informe,  un  lambeau  de  vêtement,  l'idée  serait  par 
exemple  de  faire  sentir  combien,  sur  la  plus  humble  surface, 
la  lumière  peut  se  piontrer  riche  de  teintes,  de  reflets  et  de 
contrastes. 

C'est  surtout  l'idée  morale  qui  est  capable  de  tout  élever, 
de  tout  embellir.  Voici  un  pauvre  mendiant,  le  réaliste  se 
contentera  de  le  peindre  épuisé  et  difforme  ;  faites  percer  dans 
ses  traits  défigurés  un  reste  de  dignité,  un  sentiment  de  ré- 
signation, ou  bien  qu'il  paraisse  reconnaissant  sous  la  main 
qui  le  soulage,  aussitôt  vous  sentez  que  sous  ce  corps  abject, 
il  est  une  âme  belle  ou  capable  de  le  devenir;  le  contraste  de- 
vient une  nouvelle  source  de  beauté  ;  le  laid  cesse  de  l'être,  dès 
qu'il  apparait  comme  une  œuvre  inachevée,  ou  comme  une 
réparation  commencée. 

Il  est  une  poésie  de  la  souffrance,  de  la  difformité  qui  en  est 
l'indice  et  l'effet;  cette  poésie  consiste  dans  les  bons  senti- 
ments, dans  toutes  les  salutaires  vérités  qui  s'y  rattachent, 
dans  la  couronne  qui  doit  en  récompenser  le  bon  usage.  L'art 
ne  devrait  jamais  représenter  une  laideur  physique,  sans  la 
réhabiliter  en  quelque  sorte  par  la  beauté  morale. 

IV.  —  L'égoïste  manque  souvent  à  son  véritable  intérêt 
par  cela  seul  qu'il  en  fait  l'objet  exclusif  de  ses  poursuites, 
de  même  souvent  aussi  le  réaliste  cesse  d'être  vrai  par 
cela  seul  qu'il  veut  l'être  trop  grossièrement. 


DANS    l'aP.T    CURÉTIEN.  37 

L'imitation  prise  trop  à  la  lettre  n'est  jamais  vraie  parce 
qu'elle  ne  peut  pas  être  complète.  «  Il  faut  que  l'art,  dit 
à  ce  sujet  un  jeune  écrivain,  auquel  il  n'a  manqué  probable- 
ment que  de  prolonger  sa  vie  pour  prendre  rang  parmi  les 
hommes  les  plus  éminents  de  notre  siècle,  il  faut  que  l'art 
change  toutes  les  valeurs  absolues,  qu'il  n'en  conserve  pas  une 
seule  pour  reproduire  la  valeur  d'ensemble,  puisque  l'échelle 
sur  laquelle  se  développe  la  reproduction  est  beaucoup  plus 
bornée.  L'école  réaliste  ne  voit  pas  enfin  que  l'art  n'est 
qu'une  aiFaire  de  rapports,  que  les  rapports  seuls  et  l'har- 
monie qui  en  résulte  sont  l'objet  de  l'art,  et  constituent,  pour 
l'esprit,  la  beauté  '.  » 

Une  réalité  absolue,  non  pas  atteinte  (elle  ne  peut  l'être), 
mais  visée  seulement,  a  pour  conséquence  de  rompre  dans 
la  représentation  l'harmonie  des  rapports  qui  fait  le  charme 
de  la  nature. 

V. — L'artiste  veut-il  uniquement  s'attacher  à  cette  poésie 
qui  rejaillit  des  effets  de  la  nature  pris  en  eux-mêmes,  il  masse 
les  objets,  il  en  supprime  les  détails  ;  les  figures  humaines 
dans  un  paysage,  n'apparaissent  plus  elles-mêmes  que  com- 
prises dans  un  système  général  d'accord  et  d'opposition;  l'ac- 
tion est  un  prétexte,  il  en  résultera  une  impression  générale 
de  gaîté  ou  de  mélancolie,  de  grandeur  ou  de  joie;  mais  il 
n'en  sortira  aucune  pensée  susceptible  d'être  rigoureusement 
renfermée  dans  une  proposition  grammaticale  ;  c'est  comme 
une  belle  symphonie. 

Dans  ce  genre,  prendre  au  réel  la  nette  et  précise  déter- 
mination des  objets,  ce  serait  en  manquer  tout  l'effet.  Vous 
ne  chercherez  pas  à  distinguer  une  feuille  d'une  autre  feuille, 
un  arbre  d'un  autre  arbre  ;  ce  que  vous  ne  faites  pas,  l'es- 

i  fragments  d'art  et  de  philosophie ,  par  Ai,.  Tonwely  ;  Tours,  1859,  p.  77  . 


38  HIJ    IIÉALISME   ET    DES    SYMBOLES 

prit  le  fait  autant  qu'il  le  faut  pour  le  degré  d'illusion  utile 
au  but  que  vous  avez  dû  vous  proposer.  Vous  n'avez  pas 
voulu  tenter  la  reproduction  impossible  des  formes  de  la  na- 
ture, vous  avez  obtenu  la  réalité  des  impressions  qu'elle  est 
capable  de  produire,  vous  êtes  vrai. 

Yl.  —  Quelquefois  une  imitation  plus  stricte,  utile  ou 
vraie  comme  étude,  cesse  de  l'être,  transportée  dans  une  œu- 
vre définitive. 

Passionné  pour  les  études  anatomiques,  Michel-Ange  les 
étale  là  où  elles  ne  devraient  pas  plus  paraître  que  l'écha- 
faudage lorsque  la  voûte  est  construite.  A  force  d'être  exact 
dans  la  reproduction  de  chaque  muscle  du  corps  humain,  il 
cesse  d'être  vrai  dans  la  représentation  de  ce  corps  lui- 
même.  Il  n'est  pas  vrai  que  dans  les  circonstances  où  il  les 
montre,  les  hommes  contractent  leurs  muscles  à  ce  point  ; 
il  n'est  pas  vrai  qu'ils  prennent  les  attitudes  forcées  qu'il 
leur  donne. 

Est-ce  une  action  que  vous  avez  à  me  mettre  sous  les 
yeux?  un  tableau,  quelque  soit  sa  dimension,  n'embrasse 
qu'un  instant,  un  aspect;  l'action,  au  contraire,  comprend 
une  succession  d'aspects  et  d'instants  souvent  très-variés. 
Choisirez-vous  un  seul  instant,  un  seul  aspect,  tels  qu'ils  se 
sont  réellement  présentés,  vous  rendrez  tout  au  plus  un 
détail,  un  épisode  de  l'action,  mais  non  pas  le  fait  lui-même. 

Pour  le  rendre,  il  faut  en  exprimer  la  substance,  en  dégager 
les  traits  caractéristiques,  les  grouper  comme  s'ils  avaient 
été  simultanés,  comme  s'il  eût  été  possible  de  les  embras- 
ser tous  d'un  regard. 

Mais  ce  travail,  tout  témoin  intelligent  d'une  action  se  le 
fait  à  lui-même,  pour  s'en  rendre  compte,  en  embrasser 
l'ensemble  et  en  conserver  le  souvenir;  sans  être  peintre,  il  se 
fait  intérieurement  un  tableau,  et  c'est  ce  tableau  que  Par- 


DANS    l'aHT   CMUÉTICN.  39 

tiste  a  mission  de  fixer  sur  l:i  toile.  Ici  encore,  ici  surtout, 
pour  être  vrai,  élevé  et  complet,  il  faut  renoncer  à  une  trop 
servile  représentation  de  la  réalité. 

VII.  —  L'imitation  de  la  nature  doit  donc  subordonner 
son  mode  et  sa  mesure  aux  différents  genres  dans  lesquels 
s'exerce  le  génie  des  arts  ;  il  en  est  de  lui  comme  de  l'écri- 
vain; quand  ce  dernier  prend  la  plume,  son  style  s'élève  ou 
s'abaisse,  s'orne  ou  se  simplifie,  suivant  la  nature  delà  com- 
position. Le  langage  de  la  prose  diffère  de  celui  des  vers,  le 
chant  d'un  poème  épique  ne  doit  pas  se  confondre  avec  un 
chapitre  d'histoire,  le  ton  d'un  discours  n'est  pas  celui  de  la 
conversation,  l'ode  et  l'élégie  ont  chacune  leurs  accents. 

De  même  une  peinture  de  chevalet  destinée  à  l'ornement 
d'un  salon  ne  peut  être  conçue  comme  une  peinture  murale 
fixée  sur  un  monument  public,  devenue  partie  intégrante 
d'une  église  ;  un  vitrail  ne  peut  pas  être  ordonnancé  comme 
un  bas-relief.  La  finesse  du  modelé,  qualité  éminente  ici, 
ne  serait  plus  bonne  là  où  il  faut  surtout  de  la  fermeté  dans 
les  profils. 

L'art  monumental  demande  peu  de  mouvement,  mais  des 
lignes  simples,  suivies, peu  multipliées,  qui  forment  corps  avec 
l'architecture;  elles  ne  sauraient  convenir  à  un  tableau  de 
genre,  dont  le  principal  mérite  sera  de  prendre  la  nature  sur 
le  fait,  dans  un  détail  familier  de  la  vie. 

Tantôt  vous  aurez  atteint  la  perfection,  si  mon  œil  fixé 
sur  votre  ouvrage  oublie  que  c'est  un  tableau;  tantôt  au  con- 
traire, si  vous  me  faites  sentir  la  pierre,  dans  le  temple, 
afin  que  ma  pensée  s'élève  avec  elle.  Vous  me  montrerez  des 
corps,  mais  ce  ne  seront  plus  seulement  des*  corps,  ce  seront 
des  pensées  liées  à  tout  un  ensemble  de  chants,  de  cérémo- 
nies, de  prières,  de  souvenirs,  qui  rempliront  aussi  bien  mon 
âme  que  l'enceinte  sacrée. 


40  DD   RÉALISME    ET   DES   SYMBOLES 

VIII.  —  Le  Christianisme  constitue  au-dessus  de  la  na- 
ture tout  un  ordre  surnaturel. 

L'Art  chrétien  a  pour  mission  d'exprimer  des  vérités,  des 
faits,  des  sentiments  surnaturels. 

L'ordre  surnaturel  ne  détruit  pas  la  nature,  il  l'épure  et 
l'élève.  L'Art  chrétien  doit  aussi,  sans  rien  dénaturer;,  sur- 
naturaliser tout  ce  qu'il  atteint. 

Toute  œuvre  doit  plaire  par  sa  beauté,  doit  instruire  par 
l'expression  de  quelque  utile  vérité;  les  œuvres  d'un  art 
véritablement  chrétien  doivent  faire  quelque  chose  de  plus, 
elles  doivent  édifier. 

Aux  réalités  des  faits,  des  formes,  des  proportions,  des 
attitudes,  l'artiste  empruntera  tous  ses  moyens  d'action; 
mais  il  le  fera  avec  sobriété,  avec  à-propos  par  rapport  à 
l'idée  qu'il  en  doit  faire  ressortir;  l'artiste  chrétien  en  le  fai- 
sant se  proposera  pardessus  tout  de  faire  jaillir  une  source 
d'abondante  édification  ;  il  ne  fera  pas  de  l'imitation  de  la 
nature  son  but  unique,  ni  même  son  objet  principal. 

Quel  relief,  me  direz- vous,  dans  ces  formes  !  comme  elles 
se  détachent  du  fond  !  quelle  vie  dans  ces  chairs  !  il  semble- 
rait que  le  sang  y  circule  ! 

Et  que  m'importe,  si  c'est  la  prière  d'un  Saint  que  je  vous 
ai  demandé  de  me  représenter  ?  Que  m'importe  si,  sur  des 
physionomes  humaines,  je  vous  ai  demandé  de  me  peindre  les 
plus  pures  affections  de  l'âme,  si,  d'un  grand  événement,  je 
vous  ai  demandé  de  tirer  une  haute  pensée,  une  utile  leçon  ? 

IX.  —  L'Art  chrétien,  obligé  de  parler  à  l'esprit  et  sur- 
tout au  cœur,  aux  yeux  secondairement,  destiné  à  repré- 
senter beaucoup  de  choses  qui  ne  se  voient  point,  à  ex- 
primer principalement  des  vérités  et  des  sentiments  surna- 
turels, ne  doit  pas  seulement,  pour  remplir  toute  l'étendue  de 
sa  mission,  éviter  les  écarts  d'un  réalisme  outré,  il  lui  est  né- 


1)AN.S    l'aKT    GIIUKTIEN.  41 

cessaire  de  recourir  à  ce  langage  figuré  connu  sous  le  nom  de 
symbolisme. 

La  parole  elle-même  aurait  bientôt  atteint  les  dernières 
limites  de  sa  puissance  d'expression,  si,  obligée  de  prendre 
chaque  terme  dans  son  sens  propre,  elle  devait  s'interdire 
toute  figure. 

Les  choses  visibles  sont  la  figure  et  l'image  des  invisibles  ; 
celles  qui  sont  présentes  nous  disent  celles  qui  ne  le  sont 
plus  ;  les  objets  ont  la  signification  de  leur  usage,  ils  nous 
rappellent  ceux  qui  nous  les  ont  donnés,  ceux  qui  s'en  sont 
servi  et  ils  nous  les  représentent  :  ainsi,  par  exemple,  la 
croix, c'est  Jésus-Christ  crucifié, c'est  Jésus-Christ  vainqueur, 
c'est  le  Christianisme  fondé  par  cet  instrument  de  salut. 

Les  termes  de  comparaison  sont  pris  pour  les  choses 
mêmes  auxquelles  on  les  compare,  et  deviennent  des  méta- 
phores. Toutes  les  langues  en  sont  remplies  ;  à  chaque  instant, 
sans  même  y  prendre  garde,  nous  en  répétons  quelques-unes, 
devenues  usuelles. 

Il  n'y  a  pas  de  langue  plus  habituellement  figurée  que  celle 
des  Saintes  Ecritures  ;  les  symboles  les  plus  accrédités  de 
l'Art  chrétien,  la  main  divine  et  l'Ancien  des  jours  pour  re- 
présenter Dieu,  l'agneau  pour  représenter  son  divin  Fils  à 
l'état  de  victime,  la  colombe  pour  représenter  le  Saint- 
Esprit  et  par  extension  l'âme  fidèle  remplie  de  son  soufile 
divin,  ne  sont  que  la  traduction  et  la  mise  en  scène  des 
figures  de  ces  Livres  sacrés. 

L'Art  chrétien  primitif  est  tout  en  symboles  ;  le  besoin  de 
beaucoup  dire  en  est  la  raison,  plus  encore  que  la  nécessité 
où  on  était  de  se  cacher.  Quand  le  triomphe  du  Christianisme 
fut  consommé,  l'Art  chrétien  conserva  encore  son  caractère 
presque  exclusivement  symbolique;  la  juxta-position  des 
personnages,  leurs  tailles  respectives,  leurs  costumes,  les 


42  l»U    FIÉALISIIE    ET   DES    SVMIiOLES 

moindres  accessoires,  gardèrent  souvent  une    signification 
mystérieuse. 

X.  —  Nous  donnons  le  nom  de  symbole  à  toute  image 
exprimant  une  idée  figurée  qui  ne  se  trouve  pas  nécessaire- 
ment comprise  dans  la  représentation  des  objets. 

Analogues  aux  caractères  hiéroglyphiques,  les  images 
symboliques  en  diffèrent  notablement.  L'hiéroglyphe  n'est 
qu'un  signe,  l'idée  de  l'art  n'y  entre  pour  rien;  l'artiste  dans 
l'emploi  des  symboles  ne  doit  jamais  oublier  qu'il  est  tenu  h 
la  vérité  et  à  la  beauté  des  formes. 

Les  symboles  doivent  appartenir  à  un  langage  convenu, 
qu'il  n'est  pas  libre  d'inventer  à  plaisir. 

Pour  représenter  Dieu  surtout,  nous  avons  déjà,  dans 
cette  Revue  *,  établi  en  principe,  d'après  les  plus  hautes  auto- 
rités, qu'en  dehors  des  symboles  usités  dans  les  Saintes 
Écritures,  aucun  autre  ne  saurait  être  légitimement  employé. 

Il  n'est  pas  nécessaire  d'être  très- versé  dans  la  mystique 
pour  savoir  que,  dans  leurs  plus  intimes  communications 
avec  le  Ciel,  les  secrets  de  ce  monde  et  de  l'autre  révélés  aux 
Saints,  revêtent  souvent  des  apparences  symboliques. 

Ces  figures,  ces  images,  ces  symboles  sont  toujours  à  peu 
près  les  mêmes  dans  les  mêmes  circonstances  et  offrent  de 
singulières  ressemblances  avec  ceux  qui  sont  en  usage  dans 
l'Art  chrétien  ;  n'est-il  pas  permis  d'en  conclure  qu'ils  ne  sont 
point  absolument  arbitraires,  mais  fondés  souvent  sur  les 
rapports  essentiels  qui  existent  entre  les  choses,  antérieure- 
ment à  toute  convention. — Les  anges,  les  démons,  n'ont  pas 
de  corps; ceux  qu'on  leur  attribue,  aussi  bien  dans  le  domaine 
de  l'imagination  que  dans  celui  de  l'art,  n'ont  et  ne  peuvent 
avoir  aucune  réalité  physique  :  ils  appartiennent  entière- 
ment au  langage  symbolique. 

•  Tome  11,  p.  34. 


itAXs  l'aut  chuétikn.  43 

Cependant  toutes  les  formes  dont  nous  nous  servons  pour 
représenter  les  Anges  expriment  quelques-unes  des  qualités 
qui  leur  appartiennent  bien  réellement  :  l'intelligence,  Tim- 
mortalité,  la  beauté,  la  pureté,  l'exécution  forte  et  rapide  ;  et 
il  est  plus  que  douteux  qu'il  soit  possible  d'imaginer  aucune 
autre  figure  qui  leur  convienne  aussi  bien  que  celle  d'un 
chaste  et  beau  jeune  homme  aîlé,  devenu  le  type  de  leur 
représentation. 

Les  Démons,  au  contraire,  impliquent  une  idée  de  dif- 
formité morale  qui  ne  peut  se  bien  traduire  que  par  des  dif- 
formités physiques  :  aussi  ne  citera-t-on  très-probablement 
jamais  une  apparition  du  Démon,  soit  qu'il  ait  pris  momen- 
tanément un  corps,  ou  que  l'imagination  le  lui  ait  prêté,  où 
il  ne  soit  montré  sous  une  forme  plus  ou  moins  abjecte  et 
hideuse.  Il  se  transforme,  il  est  vrai,  en  ange  de  lumière, 
mais  c'est  en  dissimulant  sa  propre  personnalité,  en  se  don- 
nant pour  un  autre;  aussitôt  qu'il  se  présente  comme  Dé- 
mon, aussitôt  que  l'âme  qu'il  veut  séduire,  que  l'âme  séduite 
elle-même  le  reconnaissent  pour  ce  qu'il  est,  le  prestige  dis- 
paraît, l'esprit  du  mal  se  manifeste  tel  qu'il  est,  laid  et  ignoble 
comme  le  mal  lui-même. 

XI.  —  Le  symbolisme  peut  être  admis  dans  les  compo- 
sitions de  l'Art  chrétien  en  des  mesures  fort  diverses. 

Elles  peuvent  être  symboliques  dans  leur  foraie  principale 
ou  seulement  renfermer  des  symboles. 

Quelle  place  faire  dans  une  composition  au  symbole  ou  au 
réel?  Il  importe  à  l'artiste  de  se  faire  cette  question,  avant  de 
mettre  la  main  à  l'œuvre,  et  leur  proportion  une  fois  détermi- 
née, d'après  la  nature  du  sujet  et  des  impressions  qu'il  veut 
produire,  il  la  maintiendra  jusqu'au  parfait  accomplissement 
de  sa  tâche:  c'est  une  condition  de  vérité  autant  que  de  clarté 
et  de  précision. 


44  I)U    RÉALISME    Eï    DES    SYMBOLES  DANS   L'ART    CHRKTJEN. 

Il  n'y  a  pas  d'anachronisme  à  rénnir,  par  exemple,  dans 
une  pensée  symbolique  autour  de  la  Crèche  du  Sauveur,  les 
Prophètes  qui  d'avance  étaient  rendus  présents  par  les  as- 
pirations de  leurs  désirs,  et  les  Saints  des  siècles  futurs  qui 
ont  remonté  le  cours  des  âges  dans  leurs  ardentes  médita- 
tions, pour  assister  à  l'accomplissement  de  ce  consolant  mys- 
tère; mais  il  faut  qu'à  première  vue,  l'on  sache,  l'on  com- 
prenne le  sens  de  cette  association  de  personnages  apparte- 
nant à  des  temps,  à  des  lieux  si  divers. 

Tout  serait  confondu  si  on  introduisait  les  mêmes  person- 
nages dans  une  représentation  où,  autant  que  le  comportent 
les  procédés  de  l'art,  tout  annoncerait  d'ailleurs  l'intention 
de  rendre  la  réalité  historique  dans  ses  strictes  conditions 
de  temps  et  de  lieu. 

La  nature  d'une  composition  historique  n'est  jamais  ce- 
pendant si  exclusive  de  l'emploi  de  tout  symbole,  qu'il  n'y  ait 
lieu  d'y  recourir  accessoirement  ;  il  en  est  de  toujours  utiles,  de 
souvent  nécessaires,  pour  faire  reconnaître,  par  exemple,  tel 
personnage  ou  telle  classe  de  personnages  dont  ils  sont  les  at- 
tributs consacrés  par  l'usage;  on  ne  devra  pas  craindre  de 
couvrir  la  tête  d'un  Pape,  d'un  Roi,  d'un  Evêque,  de  la  tiare, 
de  la  couronne,  de  la  mitre,  bien  qu'ils  ne  les  aient  certaine- 
ment pas  portées  dans  les  circonstances  de  la  vie  où  on  les 
montre  placés,  bien  que  l'usage  de  ces  insignes  soit  d'une 
époque  postérieure  à  celle  où  le  spectateur  doit  se  trans- 
porter. Mais  il  faut  que  chacun  de  ces  emblèmes  soit  autorisé 
par  un  usage  bien  établi  ;  le  langage  des  symboles  doit  tou- 
jours être  clair  plus  qu'aucun  autre  et  se  tenir  soigneusement 
en  garde  contre  l'invasion  du  néologisme. 

GRIMOUARD   DE   SAINT-LAURENT - 
(La  suite  à  un  jirochain  numéro.) 


PEINTURES  DE    M.   FLANDRIN 
à  Saïnt-Germain-des-Prés 


Il  n'est  bruit  dans  le  monde  des  arts  que  des  peintures  de 
M.  H.  riandrin  à  l'église  de  Saint-Germain-des-Prés.  Les 
échafaudages  qui  ont  si  longtemps  encombré  ce  précieux 
monument  ont  en  partie  disparu;  les  voiles  qui  cachaient  le 
mystère  du  travail  et  des  méditations  de  l'artiste  sont 
tombés,  et  ceux  qui,  sur  la  foi  de  certains  critiques  de  l'école 
du  Siècle,  avaient  cru  que  la  religion  était  désormais 
impuissante  à  féconder  le  génie  et  que  l'Art  chrétien  avait 
fait  son  temps  comme  l'Eglise,  ont  pu  s'assurer  qu'au 
XIX®  siècle  la  sève  de  l'inspiration  religieuse  n'est  pas 
encore  tarie.  Si  le  Salon  ne  voit  plus  étaler  sur  ses  murailles, 
à  côté  d'un  art  resplendissant  de  sensualisme,  que  quelques 
rares  et  faibles  pages  de  sainteté ,  c'est  que  la  peinture  mu- 
rale a  pris  de  nos  jours,  et  surtout  dans  les  édifices  reli- 
gieux, un  si  vaste  développement  qu'elle  réclame  le  concours 
des  artistes  les  plus  intelligents  et  les  plus  habiles;  c'est  là, 
sur  des  surfaces  sans  autres  limites  que  l'édifice,  et  non  sur 
une  toile  à  tableau ,  que  doivent  se  concentrer  à  l'avenir 
toute  la  force  vive  du  génie  et  tous  les  efforts  de  l'étude  et 
de  la  méditation . 


.40  l'HIMUliLS    ItE    M.    n.AM)UÎN 

Sauf  deux  bujets  importauts  encore  inachevés,  M.  H. 
Flandrin  a  peint  seul  la  vaste  église  de  Saint-Germain-des- 
Prés.  On  a  pu,  par  cet  exemple,  et  eu  comparant  ce  qui  s'est 
fait  dans  d'autres  églises,  où  chaque  artiste  a  suivi  sa  fan- 
taisie, apprécier  les  avantages  de  l'unité  de  pensée  et  d'exé- 
cution. 

M.  flandrin  a  pu  ainsi  donner  un  vaste  développement  à 
une  grande  idée  préconçue;  son  programme,  en  effet,  n'est 
autre  chose  que  l'histoire  complète  de  la  Religion  unie  à 
l'humanité,  depuis  les  premiers  faits  bibliques  jusqu'aux 
dernières  scènes  de  la  rédemption .  Il  a  suivi  les  plus  pures 
traditions  du  dogme  et  de  l'art  chrétien,  avec  la  naïveté  de 
l'art  primitif  et  la  science  de  l'art  moderne. 

La  Revue  a  déjà  fait  connaître  à  ses  lecteurs  les  peintures 
de  M.  Flandrin  à  Saint-Vincent  de  Paul  *  et  à  Saint-Martin- 
d'Ain  ay,  à  Lyon  ^  ;  elle  trouvera  peut-être  matière  dans  la 
description  de  celles  de  Saint-Germain-des-Prés  à  des  études 
précieuses  d'iconographie  chrétienne.  Elle  pourra  en  même 
temps  s'occuper,  en  dehors  de  ces  belles  pages,  de  la  décO' 
ration  employée  dans  cette  église  comme  tradition  archéolo- 
gique de  l'époque  romane.  La  critique ,  tout  en  louant  les 
eiforts  faits  dans  cette  difficile  tâche  de  la  décoration  poly- 
chrome, devra  signaler  les  écueils  contre  lesquels  seraient 
entraînés,  surtout  en  province,  les  ornemanistes  tapageurs, 
qui  déjà  ne  se  sont  que  trop  inspirés  des  modernes  peintures 
de  la  Sainte-Chapelle  de  Paris. 

Aujourd'hui  nous  nous  bornons  à  indiquer  les  sujets 
traités  par  M.  Flandrin  dans  ses  peintures  murales  de 
Saint-Germain-des-Prés,  en  notant  les  textes  qui  les  accom- 
pagnent. 

'   Tome  11,  |,agf   ilO. 
■'  '\'<Hr\v  I,  |Kij.'c  ;i6b. 


A  saint-(;eiimain-dks-i*kks.  47 

I.  —  PRINCIPALX  SUJETS. 

1»  (Première  arcade  à  gauche,  en  entrant).  Annonciation,  incar- 
nation de  Jésus-Christ  dans  le  sein  de  la  très-sainte  Vierge.  — 
Moïse  se  prosterne  devant  le  buisson  ardent,  que  la  flamme  n'em- 
brase pas  (figure  prophétique  de  la  maternité  virginale  de  Marie). 

Texte  (au-dessus  du  vitrail)  :  «  Domine,  mitte  quem  missurus 
es.  »  (Envoyez,  Seigneur,  celui  que  nous  attendons).  Exode,  \s,  l'a. 

2<>  (Deuxième  arcade  de  gauche).  Naissance  de  l'enfant  Jésus  à 
Bethléem.  —  Adam  et  Eve  réprimandés  par  Dieu  (le  Sauveur 
promis,  avec  la  réparation  de  la  désobéissance  d'Eve). 

Texte  :  «  Per  hominem  mors,  per  hominem  resurreclio.  »  (Un 
homme  nous  a  valu  la  mort,  un  homme  nous  rend  la  vie).  II  Cor., 
XV,  21. 

3"  Adoration  de  Notre-Seigneur  parles  mages. — Balaam prophé- 
tise qu'un  astre  s'élèvera  du  milieu  d'Israël. 

Texte  :  «  Habitantibus  iu  regione  umbree...  lux  orta  est.  »  (La 
lumière  s'est  levée  sur  ceux  qui  habitaient  dans  les  ténèbres). /saie, 
IX,  2. 

4"  Baptême  de  Notre-Seigneur  dans  le  Jourdain,  pour  annoncer 
le  don  de  régénération  qu'il  doit  accorder  à  l'eau  employée  dans  le 
premier  des  sacrements.  —  Le  passage  de  la  mer  Rouge,  où  l'en- 
nemi seul  périt,  tandis  que  le  peuple  de  Dieu  en  sort  miraculeuse- 
ment pour  de  glorieuses  destinées. 

Texte:  «  Erit  sanguis  vobis  in  signum.  »  (Le  sang  vous  sera  un 
signe).  Exode,  xii,  13. 

50  Institution  de  l'Eucharistie  par  Notre-Seigneur  (prêtre  selon 
l'ordre  de  Melchisédech).  Ps.  cix,  5. —  Melchisédech;,  offrant  le  sa- 
crifice du  pain  et  du  vin,  bénit  Abraham,  père  des  croyants. 

Texte:  «  Novi  Testamenti  mediator  est.  »  (11  est  le  médiateur  d'une 
nouvelle  alliance).  Hebr.,  ix,  15. 

6"  (Cinquième  arcade  de  droite).  Trahison  de  Judas.  —  Joseph 
vendu  par  ses  frères. 

Texte  :  «  Pro  sainte  vestra  misit  me  Deus.  »  (Dieu  m'a  envoyé 
pour  votre  salut).  Gen.,  XLV,  5. 

7°  (Quatrième  arcade).  Mort  de  Jésus-Christ  sur  le  Calvaire.  — 


48  PEINTURES    DE    M.    FLANDRIN 

Isaac  au  moment  d'être  immolé  par  son  père. 

Texte  :  «  Proprio  filio  non  pepercit.  »  (il  n'a  pas  épargne  son 
propre  fils).  Rom.,  \n\,  32. 

8°  lîÉsuRRECTiON  DE  Jésus-Christ.  — Jonas  rendu  au  jour  par  le 
monstre  marin. 

Texte:  a  Signum  Jonse  propbetœ  »  (Le  signe  du  prophète  Jonas). 
Matth.,  XII,  39. 

9"  Mission  des  Apôïhes  pour  réunir  les  nations  dans  une  même 
foi.  —  Dispersion  des  peuples  au  pied  de  la  tour  de  Babel,  par  la 
confusion  des  langues. 

Texte:  «  Gentes  esse  cohseredes...  promissionis  in  Gliristo.»  (Les 
nations  hériteront  toutes  de  la  promesse  en  Jésus-Christ).  Gai., 
III,  6. 

iO°  (Non  encore  achevé).  Ascension  de  Notre-Seigneur.  —  Préli- 
minaires du  jugement  dernier. 

Texte:  «  Semel  oblatus...  secmido  apparebit  (Victime  d'abord... 
il  reviendra,  etc.).  Eebr'.,  ix,  28. 

H.  —  personnages  de  l'ancien  testament. 
A  la  hauteur  des  Vitraux. 

1"  (Au-dessus  de  la  première  arcade,  à  gauche,  en  entrant). 
Adam  et  Eve  ;  —  Abel,  Enoch. 

2°  (Deuxième  arcade  de  gauche).  Noé,  Abraham  ;  —  Isaac,  Mel- 
chisédech. 

3°  Jacob,  Joseph  ;  —  Moïse,  Job. 

4°  Aaron,  Josué  ;  —  Marie  (sœur  de  Moïse),  Débora,  Jahel. 

5"  Judith,  Gédéon  ;  —  Samson. 

6»  (Au-dessus  de  la  cinquième  arcade,  à  droite).  Samuel,  David  ; 
—  Salomou. 

7°  Isaïe,  Ézéchias  ;  — Jérémie,  Baruch. 

8°  Ézéchiel,  Daniel  ;  —  Élie,  Elisée. 

9»  Habacuc,  Sophonie  ;  —  Osée,  Joël. 

10"  Amos,  Michée,  Nahum  ;  —  Malachie,  Zacharie,  saint  Jean- 
Baptiste. 

P.  S. 


BIBLIOGRAPHIE 


HISTOIRE  DE  L'ABBAYE  DE  SAINT-DENIS  EN  FRANCE,  par 
M™"  Félicie  d'Ayzac,  dignitaire  Jionoraire  de  la  Maison  impériale  de 
Saint-Denis.  Paris,  imprimé  par  autorisation  de  l'Empereur  à  l'imprimerie 
impériale,  1861,  deux  gros  volumes  in  8°  (20  francs.) 

L'ancienne  église  abbatiale  de  Saint-Denis  nnit  deux  genres  de 
gloire  qui  concentrent  sur  elle  l'attention  de  l'antiquaire  et  de  This- 
torien:  la  beauté  de  l'architecture  et  la  richesse  des  souvenirs. 

Fondée  par  Dagobert,  reconstruite  par  Charlemagne,  elle  fut  ré- 
édifîée  en  H40  par  Snger,  qui  fît  respirer  dans  son  architecture 
tout  le  génie  de  son  époque.  Saint  Louis  fit  reconstruire  les  Irans- 
septs  et  les  voûtes  ;  Philippe-le-Hardi  ajouta  six  travées  à  la  nef  et 
fit  élever,  en  1280,  la  flècbe  qui  couronne  la  tour  du  nord. 

La  façade  principale  est  remarquable  par  son  ordonnance  géné- 
rale et  par  la  beauté  de  sa  statuaire.  La  porte  principale  est  à  plein 
cintre,  tandis  que  les  portes  latérales  sont  à  ogive  {{ig.  1,  à  la  page 
suivante). 

L'intérieur  a  un  aspect  grandiose;  les  voûtes  s'élèvent  à  30  mètres 
du  sol;  on  compte  111  mètres  depuis  le  portail  jusqu'à  l'abside 
[fig.  2,  à  la  page  51). 

Malgré  les  travaux  de  deux  savants  bénédictins,  Dom  Doublet  et 
Dom  Félibien  ,  l'histoire  de  l'abbaye  de  Saint-Denis  n'était  pas 
assez  connue,  surtout  sous  le  rapport  de  l'art  et  du  régime  inté- 
rieur ou  administratif.  C'est  à  ce  point  de  vue  que  se  place  surtout 
]\|me  Félicie  d'Ayzac,  en  réservant  la  partie  purement  historique 
pour  une  seconde  publication. 

Grâce  à  l'abondante  moisson  qu'elle  a  faite  dans  les  cartulaires 
et  les  archives,  elle  a  pu  réunir  de  nombreux  renseignements  qui 
avaient  échappé  à  ses  devanciers  et  faire  revivre,  sous  des  traits 


50 


BIBLIOGRAPHIE 


1    —  Porhil  (le  1  f^li  c  Simt  Di  iiis 


BIHl.IOGllAlMI  fi. 


51 


2.  —  liitciitur  lie  '.''J^'li.^'j  SaiiU-I'ciiis 


52  BIBLIOGRAPHIE. 

animés,  la  pUysiouomie  de  la  plus  illustre  de  nos  abbayes  royales, 
depuis  sa  fondation,  au  VII«  siècle,  jusqu'à  sa  transformation  en 
maison  impériale  d'éducation  pour  les  filles  des  officiers  supérieurs 
légionnaires.  Après  un  sommaire  liistoiique,  qui  était  nécessaire 
pour  l'intelligence  de  la  partie  descriptive,  elle  consacre  sept  livres 
à  la  règle  et  aux  mœurs  des  habitants  de  l'abbaye,  —  à  ses  pompes 
religieuses, — à  son  organisation  intérieure,  —  à  ses  possessions, 
ses  droits  et  ses  revenus,  —  <i  ses  anciens  bâtiments,  —  enfin  à  ses 
bâtiments  nouveaux. 

Le  chapitre  consacré  aux  obsèques  des  Rois  nous  a  particulière- 
ment intéressé.  Nous  en  résumerons  quelques  curieuses  particu- 
larités. 

Jusqu'au  XIII"  siècle,  on  faisait  bouillir  les  cadavres  des  Rois 
avant  de  les  confier  à  la  terre.  Plus  tard  on  se  contentait  de  les  plon- 
ger dans  de  l'eau  saturée  de  chaux,  pour  dessécher  les  chairs;  on 
les  enveloppait  de  bandelettes  imprégnées  d'aromates  et  après  les 
avoir  revêtus  des  insignes  de  la  royauté,  on  les  déposait  dans  un 
cercueil  de  bois  bitumineux,  en  ayant  soin  de  combler  tous  les 
vides  avec  des  matières  odorantes.  Cette  caisse  était  revêtue  d'un 
cercueil  en  plomb,  oii  étaient  gravés  le  nom,  l'âge  et  la  date  du  dé- 
cès du  prince,  et  déposé  dans  une  troisième  bière  eu  chêne,  sur  la- 
quelle on  clouait  un  drap  mortuaire  en  velours  noir.  Ce  cercueil 
recouvert  encore  d'un  ample  drap  d'or  était  exposé  dans  la  chambre 
du  trépas  pendant  dix-huit  jours.  Pendant  les  six  premiers  jours,  on 
mettait  à  côté  un  lit  de  parade  aux  draps  d'or,  une  table  où  étaient 
,  servis  les  repas  du  Roi  et  Veffigie  du  défunt,  statue  en  pied,  moulée 
en  cire,  tenant  les  mains  jointes,  et  revêtue  de  tous  les  insignes 
royaux  :  C'est  ce  qu'on  appelait  la  Représentation.  Les  pompes  des 
funérailles  ne  commençaient  qu'un  mois  après  le  jour  du  décès.  Le 
cercueil  était  porté  à  Notre-Dame,  où  était  célébré  un  service  so- 
lennel. On  se  rendait  de  là  à  l'abbaye  de  Saint-Denis.  Quatre  hé- 
raults  d'armes  marchaient  en  tête  du  cortège  ;  venaient  ensuite 
vingt-quatre  crieurs  de  Paris  en  robes  de  deuil,  les  quatre  ordres 
mendiants,  les  paroisses  de  la  ville,  les  gentilshommes  de  la  maison 
du  Roi  défunt,  portant  des  cierges  de  cire  jaune.  Le  cercueil,  sur- 
monté de  la  Représentation  dont  nous  avons  parlé,  était  porté  par 
les  hannouars  ou  porteurs  de  sel  de  Paris.  Les  personnages  les  plus 


HIBLIOGHAPHIE.  î>3 

émineuts  du  royaume  tenaient  sur  des  carreaux  de  velouis  les 
honneurs  du  Roi.  Venaient  ensuite  le  Parlement  en  robes  rouges,  la 
Chambre  des  comptes,  le  Cliâlclet,  la  Municipalité,  l'Université, 
rArcbevèquc  de  Paris  à  clieval,  les  Princes  et  les  Grands  du 
royaume,  les  Ambassadeurs,  les  Cardinaux,  des  pauvres  vêtus  de 
deuil  et  portant  des  torches  allumées.  Le  cortège  était  fermé  par  la 
noblesse,  la  maréchaussée,  le  connétable,  l'armée  et  la  foule  in- 
nombrable de  la  bourgeoisie  et  du  peuple. 

L'Abbé  de  Saint-Denis,  accompagné  de  ses  religieux,  de  ses 
grands  vassaux  et  de  ses  gentilshommes,  se  rendait  au-devant  du 
cortège,  au  champ  du  Landil,  où  l'Archevêque  de  Paris  lui  fai- 
sait la  remise  du  corps  du  défunt.  Le  cercueil  restait  déposé  pen- 
dant quarante  jours  dans  une  chiipelle  ardente.  «  La  pieuse  coutume 
de  ce  dépôt,  dit  iM"'^  F.  d'Ayzac,  il  est  permis  de  le  croire,  fut 
imaginée  et  établie  par  l'effet  d'un  pieux  regret.'  Un  sentiment 
délicat  des  convenances  fit  juger  peu  séant  de  rendre  si  tôt  à  Ja 
tombe  les  restes  de  ceux  qui  naguères  étaient  entourés  de  tant  de 
témoignages  de  dévouement  et  d'amour.  Entre  la  présentation  du 
corps  et  l'ouverture  du  sépulcre  viennent  se  placer,  pour  les  rois, 
ces  quarante  jours  de  grand  deuil,  de  prières  et  de  tristesse  autour 
de  leurs  restes,  comme  pour  témoigner  qu'on  ne  s'en  séparait  qu'à 
regret  et  pour  s'accoutumer  peu  à  peu  à  l'absence  du  souverain 
que  le  plus  irrésistible  de  tous  les  pouvoirs  avait  effacé  de  la  terre.  » 

Pendant  les  jours  du  dépôt,  on  dressait  une  table  dans  la  salle 
des  gardes-du-corps  ;  à  l'heure  du  dîner,  un  hérault  s'écriait  trois 
fois  :  «  Le  roi  est  servi  »  ,  et  quelque  temps  après,  il  répétait  : 
«  Le  roi  est  mort.  »  C'est  alors  seulement  que  commençait  le  repas 
des  gardes-du-corps. 

Le  jour  de  l'inhumation,  le  cercueil  était  érigé  sur  un  immense 
catafalque  où  des  fîguies  allégoriques  représentaient  les  princi- 
pales vertus  du  prince  défunt.  On  y  déposait  les  deux  couronnes  du 
sacre,  la  couronne  funèbre  et  les  honneurs  du  roi,  c'est-à-dire  l'épée, 
le  sceptre  et  la  maiu  de  justice. 

Quand  le  cercueil  était  descendu  dans  le  caveau  royal,  les 
écuyers  y  jetaient  lour  à  tour  les  éperons,  les  gantelets,  l'écu,  la 
cotte  d'armes  et  l'armet  timbré  du  roi  ;  le  manteau  royal  y  était 
jeté  par  un  grand  dignitaire,  le  fanon  par  le  premier  valet  tran- 


o4  BlBLlOGr.APIlIE. 

chant,  les  honneurs  par  les  priuces  du  sang  ;  le  chancelier  et  les 
maréchaux  y  précipitaient  leur  bâton  de  dignité  qu'ils  avaient 
brisé...  Le  hérault  criait  trois  fois  du  fond  du  caveau  :    «  Le  roi 


est  mort,  priez  pour  l'âme  de  ly  !  »  Puis  s'élançant  du  caveau,  il 
criait  :  «Vive  le  Roi»,  elles  fanfares  des  clairons  proclamaient 


l'avènement  d'un  nouveau  règne. 


BIBUOâRÂPHIE.  55 

La  vaste  crypte  de  Saint-Denis  est  la  plus  curieuse  nécropole  de 
l'Europe  {fig.  3).  Les  nombreux  tombeaux  qui  y  sont  renfermés  ont 
donné  lieu  à  plus  d'une  erreur  archéologique.  Il  résulte  des  re- 
cherches de  M.  le  baron  de  Guilhermy  '  qu'on  ne  doit  pas  faire 
remonter  au-delà  du  règne  de  Louis  IX  la  construction  des  monu- 
ments érigés  aux  prédécesseurs  de  ce  saint  Roi,  et  que  ce  n'est  qu'à 
dater  du  règne  de  Philippe-le-Hardi  que  les  figures  royales  qui  ont 
échappé  au  vandalisme  peuvent  être  considérées  comme  des  por- 
traits authentiques. 

Depuis  Dagobert  I"  jusqu'à  Louis  XV,  tous  les  rois  de  France 
furent  enterrés  à  Saint-Denis,  à  l'exception  de  Charlemagne, 
Louis  VII  et  Louis  XI. 

Les  deux  beaux  volumes  que  vient  de  publier  M™«  F.  d'Ayzac 
sortent  des  presses  de  l'imprimerie  impériale.  Ils  ne  sont  pas  illus- 
trés de  vignettes,  mais  deux  planches  gravées  avec  soin  y  sont 
annexées;  l'une  représente  une  vue  générale  de  l'abbaye  copiée 
sur  celle  du  Monasticum  Gallicanum;  l'autre  a  été  calquée  sur  une 
carte  manuscrite,  mais  sans  date,  qui  appartient  à  la  Bibliothèque 
impériale  *. 

Nous  n'apprendronç  rien  de  nouveau  à  nos  lecteurs  en  disant 
que  M"*  F.  d'Ayzac  unit  la  poésie  de  l'imagination  à  une  immense 
érudition.  Ici,  bien  plus  encore  que  dans  ses  travaux  extérieurs, 
elle  a  donné  essor  à  ses  brillantes  et  solides  qualités  :  aussi  VHis- 
toire  de  l'Abbaye  de  Saint-Denis  sera  assurément  un  des  ouvrages 
qui  fera  le  plus  d'honneur  à  la  littérature  sérieuse  de  notre  époque. 

J.   CORBLET. 

RECHERCHES  HISTORIQUES  SUR  L'IMPRIMERIE  ET  LA  LI- 
BRAIRIE A  AMIENS,  avec  une  description  de  livres  divers  imprimés 
dans  cette  ville,  par  F.  Pocy.  Amiens,  1861,tn-8°. 

Le  premier  ouvrage  connu,  imprimé  à  Amiens,  est  un  Recueil  de 
coutumes  qui  paraît  dater  de  1507.  Depuis  cette  époque  jusque 


'  Monographie  de  l'église  royale  de  Saint-Denis. 

*  Nous  devons  à  l'obligeance  de  M.  Lecoifre,  les  trois  vues  qui  accom- 
pagnent notr«  article  ;  il  en  a  fait  graver  le»  bois  pour  la  Semaine  des  Fa- 
milles. 


56  BIBLIOGRAPHIE. 

1609,  on  ne  connaît  aucun  ouvrage  imprimé  dans  celte  ville. 
M.  Pouy  signale  les  productions  des  imprimeurs  des  deux  derniers 
siècles  et  sème  son  récit  de  piquantes  anecdocles.  Il  donne  d'inté- 
ressants détails  sur  la  législation  et  l'organisation  des  imprimeurs 
d'Amiens  avant  1789,  sur  les  livres  brûlés  parla  main  du  bourreau, 
sur  la  censure,  sur  les  almanachs  et  les  journaux,  sur  l'origine  de 
la  librairie  à  Amiens,  sur  les  principales  collections  bibliographiques 
du  département  de  la  Somme,  etc.  La  seconde  partie  de  ses  savantes 
Recherches  est  consacrée  à  la  description  de  divers  ouvrages  exé- 
cutés à  Amiens,  qui  se  recommandent  soit  par  leur  rareté,  soit  par 
certaines  particularités,  ou  qui  offrent  un  certain  intérêt  au  point 
de  vue  artistique,  historique,  archéologique  ou  Httéraire. 

DE  LÀ  IvrUSIQUE  AU  XV"^  SIECLE.  Notice  sur  un  manuscrit  de  laBihlio- 

thèque  de  Dijon,  par  Stephen  Morelot.  iw-4«. 

L'histoire  de  la  musique  au  moyen-âge  est  encore  à  faire,  malgré 
les  nombreux  travaux  publiés  sur  cette  intéressante  question  :  aussi 
doit-on  applaudir  à  la  publication  de  tous  les  documents  qui  peu- 
vent jeter  quelque  jour  sur  les  origines  de  l'art  musical.  Le  ma- 
nuscrit dont  M.  Morelot  publie  des  fragments,  renferme  plus  de  200 
chansons  françaises  du  XV*  siècle  à  trois  et'  quatre  parties  et  plu- 
sieurs motets  religieux.  Ce  manuscrit  ne  nous  fournit  pas  seulement 
de  précieux  monuments  de  la  musique  populaire  de  cette  époque  ; 
il  nous  fait  connaître  les  formes  scientifiques  les  plus  compliquées 
dont  faisaient  usage  les  compositeurs  du  XV*  siècle. 

HISTOIRE  ABRÉGÉE  DU  TRÉSOR  DE  L'ABBAYE  ROYALE  DE 
SAINT-PIERRE  DE  CORBIE  ;  nouvelle  édition  augmentée  de  notes,  par 
M.  H.  Dusevel.  Amiens,  Lemer,  1861,  m-16  de  94  pages. 

Cet  opuscule  était  devenu  fort  rare,  et  nous  félicitons  M.  Du- 
sevel de  l'avoir  fait  réimprimer,  en  y  ajoutant  un  certain  nombre  de 
notes  expUcatives.  L'abbaye  de  Corbie  possédait  les  corps  de  saint 
Adhédard,  saint  Paschase  Ratbert,  saint  Précord  ;  des  reliques 
moins  importantes  de  sainte  Balhilde,  saint  Anschaire,  saint  Gérard, 
saint  Gentien,  saint  Ktienne,  etc.;  aussi  le  nombre  de  ses  châsses  et 
reliquaires  était-il  considérable.  Parmi  les  objets  d'art  les  plus  cu- 
rieux, on  trouve  mentionné  «  un  ancien  crucifix  d'yvoire,  attaché 
sur  une  croix  de  cuivre  éraaillé.  » 

J.    GORBLET. 


-SARCOPHAGE -AUTEL 
de   r église    Saint -Zenon,    à   Vérone. 


Le  sarcophage-autel  dont  je  désire  entretenir  les  lecteurs 
de  la  Revue  de  l'Art  chrétien.,  et  dont  je  dois  le  dessin  à  un 
de  mes  amis,  se  trouve  dans  la  crypte  de  notre  basilique 
Saint-Zénon. 

On  sait  qu'en  souvenir  des  mystères  des  catacombes,  on 
conserva  longtemps  l'usage  de  célébrer  la  Messe  sur  le  tom- 
beau des  Martyrs,  et  qu'on  retrouve  encore  aujourd'hui  une 
commémoration  de  cette  touchante  pratique  dans  les  re- 
liques que  l'on  dépose  dans  les  pierres  sacrées. 

L'autel-sarcophage  de  notre  basilique  a  contenu  les  corps 
de  trois  Saints  :  1"  saint  Crescentien,  martyr  du  IV  siècle, 
dont  il  est  fait  mention  dans  les  Actes  du  pape  saint  Marcel  '  ; 
2°  notre  évêque  saint  Lucille ,  qui  assista  au  Concile  de 
S"ardes,  en  547,  et  qui  est  mentionné  dans  V Apologie  de  saint 
Athanase;  o°  notre  évêque  saint  Lupicin  (XIP  siècle),  dont  les 
reliques  sont  actuellement  dans  l'abside  centrale  de  la  crypte. 

'  BoLLAND.,  5  sept.,  page  488. 

TOME  Yi.  Février  1862.  5. 


58  SARCOPHAGE- AUTEL 

En  1576  on  lisait  l'inscription  suivante  au  côté  nord  de 
l'autel  '  : 

CORPORA  SANCTORVM  CRESCENTIANI  MARTYRIS 

LVCILLI  ET  LVPICINI  CONFESSORVM 

EPISCOPORVM  VERONENSIVM 

Lorsqu'on  ferma  l'abside,  ce  sarcophage  continua  à  servir 
d'autel,  et  on  reproduisit  sur  le  mur  de  clôture  l'ancienne  in- 
scription suivante  : 

HIC  CRESCENTIANI  MARTYRIS  OSSA  QVIESCVNT 

ET  CVM  LVCILLO  TV  LVPICINE  SIMUL 

COELESTIS  PATRIAE  CONSORTES  ATQVE  SEPVLCHRl 

VERONAM  PRAESVL  DICIT  VTERQVE  SVAM 


Et  plus  haut  : 


DIVIS 

CRESCENTIANO  LVCILLO 

ET  LVPICINO 


Ce  précieux  monument  nous  parait  offrir  les  caractères  du 
commencement  du  IX®  siècle.  Tl  est  en  calcaire  tertiaire  ;  la 
table  est  en  marbre  rouge  de  Vérone.  Il  a  0"'97  de  hauteur, 
0"84  de  largeur  et  2™20  de  longueur.  11  était  jadis  entière- 
ment peint,  et  on  voit  encore  quelques  restes  des  couleurs 
qu'on  a  grattées,  en  endommageant  un  peu  la  sculpture  en 
quelques  endroits. 

La  face  principale  est  divisée  en  trois  compartiments  {voir 
la  planche  ci-jointe)  ;  au  centre,  on  voit  le  Christ  en  croix, 

•  Sfi.  Episcoporum  Veronensium  monumenta.  Venetiis,  1576. 


DE   l/ ÉGLISE   SAINT-ZÉNON,    A    VÉllONR  59 

vetii  d'un  court  jupon,  ayant  deux  clous  aux  pieds.  Il  est 
encore  vivant;  et,  tournant  la  tête  vers  saint  Jean,  il  semble 
lui  donner  pour  mère  la  très-sainte  Vierge  qui,  debout 
auprès  de  la  croix,  verse  des  larmes  amères.  Deux  Anges 
éplorés,  aîlés  et  vêtus,  planent  au-dessus  de  la  croix  ;  ils 
portent  probablement  quelques  instruments  de  la  passion. 
Les  deux  compartiments  latéraux  sont  divisés  en  deux  ar- 
cades à  plein  cintre,  soutenus  par  des  colonnes  torses  ;  sous 
chaque  arcade  est  assis  un  Evangéliste,  tenant  sur  un  pu- 
pitre son  Evangile  et  accompagné  de  l'animal  symbolique  qui 
lui  est  propre.  Tous  quatre  ont  les  pieds  nus;  saint  Mathieu 
et  saint  Jean  les  tiennent  sur  un  escabeau.  Il  est  à  remar- 
quer que  ce  dernier  Apôtre  est  jeune  et  imberbe  près  de  la 
croix,  tandis  qu'il  est  âgé  et  barbu,  lorsqu'il  écrit  son  Evan- 
gile. Je  crois  qu'une  simple  raison  chronologique  peut  suffire 
ici  pour  expliquer  cette  différence,  sans  qu'il  soit  besoin  de 
recourir  au  motif  allégué  par  M.  Didron',  c'est-à-dire  à 
l'influence  du  style  byzantin. 

Deux  oiseaux  et  des  palmes  symboliques  accompagnent 
l'extrados  des  arcades. 

La  face  postérieure  nous  montre  les  fruits  immédiats  de  la 
Eédemption,  à  savoir  :  les  âmes  des  justes  délivrées  des 
Limbes  et  les  âmes  du  Purgatoire  introduites  dans  la  gloire 
du  Paradis  {voir  la  planche  ci-jointe).  Je  ne  crois  du  moins 
y  reconnaître  que  ces  deux  sujets,  bien  que  l'ensemble  pa- 
raisse, au  premier  coup-d'œil,  être  divisé  en  plus  de  deux 
scènes.  En  effet,  je  reconnais  le  divin  Rédempteur,  figuré 
deux  fois  seulement  et  parfaitement  reconnaissable  à  son 
nimbe  crucifère.  Les  quatre  personnages  qui  sont  à  gauche 
ne  nous  semblent  pas  former  une  représentation  spéciale;  ils 

•  Manuel  d'Iconograpliie  chrétienne ,  p.  304. 


GO  SARCIlOriIAGE-AlTtL 

paraissent  en  reliition  avec  les  deux  figures  qui  sont  près  du 
Sauveur  :  c'est  donc  une  même  scène,  représentant  les  justes 
délivrés  par  Jésus-Christ.  11  serait  difficile  de  déterminer 
leur  identité.  Celui  que  le  Christ  touche  à  l'épaule  est  sans 
doute  Adam;  le  suivant  est  Eve,  reconnaissable  à  sa  longue 
chevelure.  Il  en  est  ainsi  du  reste  dans  d'autres  représen- 
tations analogues,  d'une  haute  antiquité. 

Sur  la  droite,  nous  voyons  le  Sauveur  délivrer  une  âme 
des  flammes  du  Purgatoire,  tandis  qu'un  de  ses  Anges  en 
retire  une  autre.  Cette  circonstance  est  parftiitement  con- 
forme à  la  doctrine  de  l'Eglise,  comme  l'a  très-bien  établi 
dans  cette  Revue  '  le  II.  P.  Dom  Renom,  contre  une  affirma- 
tion contraire  de  M.  l'abbé  Pascal. 

Le  bas-relief  du  côté  de  l'épitre  représente  une  chasse.  A 


A.J. 


terre,  l'ours  terrassé  par  les  chiens  est  frappé  par  le  couteau 
du  veneur.  Derrière,  un  autre  chasseur  tient  un  chien  en 


'  To-.f.o.  m,  \)»i.c  196. 


DE    l'JvGLISK   S.U.NT-ZKNON,   A    VÉRONE.  (il 

laisse  et  a  un  olipliaiit  à  la  main.  Sur  les  arbres,  (rautrcjs 
chasseurs  poursuivent  et  frappent  ours  et  singes,  animaux 
qui  ont  la  faculté  grimpante. 

La  chasse,  symbole  des  vicissitudes  de  la  vie  humaine,  se 
trouve  représentée  sur  divers  sarcophages  anciens.  Ici  l'ours 
et  le  singe  sont  peut-être  le  symbole  des  vices  que  l'honnne 
doit  poursuivre  et  détruire  en  lui-même  dans  tontes  les  cir- 
constances de  la  vie  '. 

Le  côté  correspondant  a  été  mutilé  ;  on  y  a  gravé,  en 
1808,  l'inscription  suivante  : 


ik 


\Ër    (SiasscsEMifflAMo. 


[Fi;i©©©MflT.'-\ 


!A.    ©o    .D8©3„    E)]E=    Êïï>.    7  S  KO  g 


Cette  inscription  moderne  n'en   remplace  pas  une  plus 


'  Voyez  S.  Mflitoms  Chu-is,  n[>.  SpicU.    Soh'sni.,    t.    m,  Ursus,  Sii/iic, 
Tcnalio,  Ycndior. 


62  SARCHOPHAGE-AUÏEL   DE    l'ÉGLISE   SAINT-ZÉNON,    A    VÉRONE. 

ancienne.  Les  inscriptions  dont  ont  parlé  divers  historiens, 
étaient  placées  près  de  l'autel  et  non  pas  sur  le  monument 
lui-même;  d'ailleurs,  l'inégalité  de  la  surface  sur  laquelle  est 
gravée  l'inscription  de  1808  prouve  évidemment  qu'il  y 
avait  là  des  sculptures  qui  ont  été  coupées. 

Ce  sarcophage-autel  n'a  pas  assurément  le  mérite  artis- 
tique de  ceux  des  premiers  siècles  ;  mais  il  appartient  à  une 
époque  encore  assez  reculée  pour  intéresser  vivement  l'ar- 
chéologue qui  ne  recherche  pas  seulement  la  perfection  des 
formes  dans  les  monuments,  mais  qui  aime  à  constater  l'état 
des  arts  à  toutes  les  époques  et  surtout  à  celles  qui  ne  nous 
ont  légué  qu'un  fort  petit  nombre  de  spécimens. 


ANTONIO   BERTOLDI. 


Vérone,  18(51 


DU  RÉALISME  ET  DES  SYMBOLES 
dans  VArt  chrétien. 


DKDXIEMK   KT    DERNIER    ARTICI.K 


XII.  —  En  appliquant  à  un  sujet  spécial  les  idées  que 
nous  avons  émises,  nous  espérons  réussir  à  les  faire  mieux 
goûter  de  nos  lecteurs  ;  nous  prendrons  pour  exemple  le  bap- 
tême de  Notre-Seigneur. 

Il  s'agit  d'abord  de  fixer  le  type  du  Sauveur  du  monde  ; 
un  réalisme  grossier  se  contenterait  de  copier  à  la  lettre  le 
corps  du  portefaix  assez  bien  conformé  pour  servir  de  modèle 
dans  un  atelier  ;  comprenant  la  nécessité  de  s'élever  plus 
haut,  il  est  des  artistes  qui  ne  trouveraient  rien  de  mieux, 
en  les  copiant  également,  que  d'attribuer  au  Christ  les  chairs 
blanches  et  délicates,  le  noble  port  d'un  jeune  homme  de 
bonne  famille  qui  aurait  consenti  à  se  dépouiller  de  ses  vête- 
ments pour  poser  devant  eux;  d'autres  enfin  croiraient  avoir 
atteint  le  nec  plus  ultra  de  l'idéal,  s'ils  avaient  pu  imiter  les 
formes  d'un  beau  marbre  antique.  Mais  l'artiste  vraiment 
chrétien,  en  s'aidant  de  tout  ce  qu'il  a  vu  pour  peindre  le  corps 

*   Voir  le  numéro  de  janvier  1862,  p.  33. 


64  DU    IIÉALISMK    ET   DES   SYxMBOLES 

de  l'Homme-Bieu,  prendra  à  cœur  d'imaginer  quelque  chose 
que  l'œil  ne  puisse  jamais  rencontrer  en  aucun  autre  corps 
vivant,  en  aucune  image  profane,  quelque  chose  qui  exprime 
la  force  sans  effort,  la  santé  sans  eifervescence  de  la  chair 
et  du  sang,  la  beauté  sans  rien  de  sensuel,  quelque  chose  enfin 
qui  réponde  à  l'idée  que  nous  pouvons  nous  faire  d'un  corps 
glorieux,  éclairé, outre  la  lumière  ordinaire,  par  les  premières 
hieurs  d'un  rayonnement  propre. 

XIII .  —  Que  l'artiste  chrétien  ait  à  peindre  le  Christ 
dans  le  cours  de  sa  vie  mortelle  et  passible,  ou  dans  les  gloires 
de  sa  Résurrection  ;  qu'il  ait  à  le  détacher  d'une  toile  ou  à  le 
fixer  sur  un  mur,  nous  admettons  qu'il  doit  se  faire  aujour- 
d'hui une  loi  d'être  toujours  vrai  autant  que  noble  dans  les 
proportions  générales,  d'être  exact  autant  que  naturel  et 
facile  dans  tous  les  mouvements  et  toutes  les  attitudes;  il 
le  peut  sans  rien  sacrifier  des  qualités  plus  précieuses  qu'il 
doit  surtout  ambitionner.  S'il  fallait  toutefois  choisir  entre 
ces  œuvres  primitives  où,  avec  plus  ou  moins  de  raideur, 
de  sécheresse  dans  les  membres^  avec  des  fautes  d'anatomie, 
de  perspective,  d'équilibre^  apparaît  au  moins  l'intention 
manifeste  de  résoudre  le  difficile  problème  que  nous  avons 
posé,  rinJ:ention  de  diviniser  un  corps  qui  est  efi^ectivement 
celui  d'un  Dieu  ;  s'il  fallait,  dis-je,  choisir  entre  ces  œuvres 
primitives  et  tant  de  Christs  de  toutes  les  écoles  modernes  où  se 
montre  le  désir  de  séduire  les  yeux,  bien  plus  que  l'intention 
d'édifier  et  d'instruire,  nous  n'hésiterions  pas  :  assurément 
il  y  a  une  plus  forte  somme  de  vérité  et  de  beauté  là  où 
l'idée  que  nous  devons  nous  faire  de  l'Homme-Dieu  est 
mieux  sentie,  que  là  où  l'anatomie  du  corps  est  mieux  ren- 
due. 

Nous  le  dirions,  même  en  mettant  hors  de  concours  ces 
produits   de   pinceaux   quelquefois  habiles  sans  contredit. 


DANS    i/aUT    CUUKTIKN.  05 

mais  déplorablement  fourvoyés,  où  le  nom  sacré  du  Christ  est 
attribué  à  des  figures  ignobles  qui  sembleraient  dignes  du 
pilori. 

Ces  figures  au  reste  cadrent  bien  avec  l'idée  de  ces  C/in'sis 
humanitaires  conçus  en  certains  esprits  de  nos  jours,  C/irisls 
qui  semblent  vomir  le  blasphème  à  pleine  bouche,  et  qui 
ne  sont  pas  plus  le  divin  Sauveur  des  hommes  et  leur  juge,  que 
Satan  transformé  en  anû'C  de  lumière  ne  devient  un  bon  an2;e. 

XIV.  —  Le  corps  du  Fils  de  Dieu  étant  dessiné  avec  une 
mesure  délicate  de  symbolisme  qui  ennoblisse  et  spiritualise 
ce  que  l'observation  apprend  à  imiter  des  effets  de  la  na- 
ture ,  il  faut  fixer  les  autres  termes  de  la  composition . 
L'Evangile  nous  apprend  que  Jésus  se  plongea  dans  les 
eaux  du  Jourdain  pour  recevoir  le  baptême  de  saint  Jean. 
Pour  représenter  l'immersion  complète,  telle  que  le  rap- 
porte le  texte  sacré,  les  artistes  des  premiers  siècles  et  ceux 
du  Moyen  Age  ont  imaginé  un  fleuve  de  convention  élevé 
autour  du  corps  qu'il  devait  baigner,  souvent  sous  la  forme 
d'un  monticule,  sans  atteindre  les  autres  personnages  placés 
au  même  niveau. 

Quand  on  a  voulu  faire  couler  le  fleuve  selon  ses  lois  natu- 
relles, il  a  fallu  supprimer  l'immersion  et  souvent  on  a  sup- 
primé le  fleuve  lid-môme.  Un  faible  filet  d'eau  où  trempent 
les  pieds  du  Christ  ne  peut  en  effet  constituer  ni  un  fleuve 
ni  une  immersion. 

Ce  sont,  comme  le  monticule  onde  des  temps  primitifs,  des 
moyens  convenus  et  d'une  valeur  plus  symbolique  que  réelle 
pour  exprimer  des  choses  que  les  ressources  de  l'art  se 
refusent  à  reproduire  tout  à  la  fois  selon  la  réalité  historique 
et  selon  la  réalité  naturelle. 

Il  paraît  bien  difficile  de  composer  un  groupe  supportable 
a  la  vue,  en  faisant  disparaître  la  plus  grande  partie  du  corps 


66  DU    KÉALISME   ET    DES    SYMBOLES 

de  Jésus  dans  les  eaux  du  Jourdain,  tandis  que  saint  Jean, 
demeuré  sur  ses  bords,  resterait  élevé  au-dessus,  autant  que 
le  demanderait  la  différence  naturelle  des  plans  ;  aussi,  aucun 
artiste,  que  nous  sachions,  ne  l'a  jamais  tenté  avec  succès. 

Témoins  de  la  scène  évangélique,  nous  n'aurions  rien  vu 
sans  doute  qui  ne  satisfit  nos  yeux  autant  que  notre  cœur, 
parce  que  les  saints  personnages  qui  en  furent  les  acteurs 
nous  auraient  apparu  sous  autant  d'aspects  qu'ils  firent  de 
mouvements. 

Nous  les  aurions  vu  l'un  et  l'autre  s'aborder,  s'humilier, 
s'abaisser,  se  relever,  l'eau  jaillir  en  blanche  écume,  se 
répandre  en  flots  d'argent,  puis  le  Sauveur  étant  remonté  sur 
la  rive,  le  ciel  s'illuminer  d'une  splendeur  soudaine  et  la 
divine  Colombe  briller  dans  cette  lumière  d'un  éclat  et  d'une 
douceur  incomparables. 

C'est  de  tout  cet  enchaînement  successif  de  faits  que  se 
serait  formé  le  tableau  déroulé  sous  nos  reafards.  Immobiliser 
un  seul  de  ces  faits  dans  un  moment  donné,  l'immobiliser 
à  un  point  de  vue  horizontal,  ce  serait  nous  le  montrer  tout 
autre  que  nous  aurions  pu  le  voir. 

Si  divers  qu'aient  été  les  procédés  et  les  tendances  de 
toutes  les  écoles,  aucune  n'a  reculé  devant  la  nécessité  de 
chercher  une  position  plus  ou  moins  conventionnelle  qui  ré- 
sumât tous  les  mouvements  et  tous  les  aspects  dont  le  Christ 
et  son  saint  Précurseur  purent  donner  le  spectacle  au  ciel  et 
à  la  terre,  comme  aucune  n'a  hésité  à  représenter  l'Appa- 
rition du  Saint-Esprit  simultanément  avec  le  Baptême,  bien 
qu'en  réalité  elle  l'ait  suivi. 

XV.  —  Nous  ferons  toutefois  remarquer  une  différence 
caractéristique  entre  les  termes  du  langage  figuré,  au  service 
de  l'Art  chrétien  dans  ses  anciennes  périodes,  et  ceux  que 
nous  lui  voyons  employer  dans    les  temps  modernes.  Ces 


DANS   l'art   CIlliKTlEN.  67 

termes  maintenant  sont  empruntés  h.  la  nature  réelle  ;  com- 
parés avec  ce  qu'ils  signifient,  ils  n'en  diffèrent  (jue  du  petit 
au  grand  ou  du  tout  à  la  partie.  Considérez,  au  contraire, 
beaucoup  d'œuvres  primitives,  vous  y  verrez  ce  qui  réellement 
ne  s'est  jamais  vu  et  ne  peut  se  voir. 

Etait-ce  impuissance  d'imitation,  inhabilité  de  novice? 
Oui  peut-être,  jusqu'à  un  certain  point;  mais  il  faut  aussi  y 
voir  le  sentiment  d'une  impuissance  plus  radicale:  celle  des 
images  purement  naturelles  pour  représenter  avec  une  force 
suffisante  d'expression  les  vérités  que  l'artiste  avait  mission 
de  figurer. 

Vos  petits  ruisseaux  sont  jolis,  ils  sont  vrais;  j'en  ai  vu 
de  semblables,  j'ai  vu  aussi  de  belles  nappes  d'eau  comme 
celles  que  vous  attribuez  au  Jourdain  en  d'autres  circons- 
tances; vous  me  les  rappelez  et  vous  faites  jouir  mes  sens. 
Mais  si  je  veux  méditer  sur  les  eaux  sanctifiées  par  le  contact 
du  Sauveur,  je  ne  vous  réponds  pas  que  le  fleuve  aux  formes 
tout  archaiques ,  où  m'apparaîtra  son  divin  corps  en  effet  sub- 
mergé, ne  me  donnera  pas  tout  d'abord  à?penser  davantage. 

Nous  en  dirons  autant  des  rayons  lumineux  qui,  à  la 
lettre,  jaillissaient  du  ciel  ou  de  la  divine  colombe  en  filets 
d'or  :  les  modernes,  pour  peindre  cette  clarté  céleste,  prennent 
les  mêmes  moyens  qui  leur  serviraient  pour  imiter  un  vif 
éclat  de  la  lumière  naturelle  :  pour  qui  veut  réfléchir,  la  dis- 
proportion n'en  paraît  que  plus  grande  entre  la  réalité  et  sa 
représentation. 

Transportés  sur  les  bords  du  Jourdain  et  pénétrant  par  la 
foi  jusqu'aux  réalités  invisibles,  nous  apercevrions  encore 
des  yeux  de  l'âme  le  Père  céleste  qui  fit  entendre  sa  voix 
et  les  Anges  qui  ne  pouvaient  rester  étrangers  là  où  la 
Trinité  se  manifestait  tout  entière. 

Que  nos  lecteurs  ne  s'effraient  pas  d'un  ordre  d'idées  sj 


68  DU    KÉxUlSME    ET   DES    SYMBOLES 

multiple,  si  vaste,  si  élevé  ;  nous  ne  disons  rien  que  d'autres 
n'aient  pensé,  rien  que  le  symbolisme  chrétien  n'ait  tenté  de 
traduire  dans  son  langage. 

XVI.  —  La  plus  ancienne  représentation  du  Baptême  de 
N.  S.  Jésus-Christ  que  nous  connaissions  personnellement, 
a  été  découverte  par  Bosio,  dans  la  catacombe  de  Pontien  ' . 
Elle  n'appartient  point  aux  siècles  les  plus  primitifs,  mais 
seulement  à  l'époque  du  mouvement  considérable  qui  se  pro- 
duisit dans  les  arts  au  VHP  siècle,  mouvement  auquel  les 
Papes  Adrien  P",  saint  Léon  III,  Pascal  I,  Adrien  II,  atta- 
chèrent principalement  leur  nom,  à  Rome,  tandis  qu'il  fut  im- 
primé par  Charlemagne  dans  le  reste  de  l'Europe.  Cette 
peinture,  tout  imparfaite  et  simple  qu'elle  apparaisse,  est  ce- 
pendant conçue  dans  le  mode  tout  substantiel  de  pensée  que 
nous  venons  d'exposer. 

Le  Christ  plongé  dans  l'eau  jusqu'à  la  ceinture,  reçoit  si- 
multanément le  baptême  de  saint  Jean,  qui  lui  pose  la  main 
sur  la  tête,  et  le  souffle  du  Saint-Esprit,  représenté  par  un 
faisceau  de  rayons  qui  s'échappe  du  bec  de  la  divine  co- 
lombe. Il  porte  le  nimbe  simple  ainsi  que  son  saint  Précur- 
seur. Celui-ci  pose  les  pieds  sur  une  rive  toute  de  convention 
comme  le  fleuve  lui-même;  sur  l'autre  rive,  un  cerf,  image 
des  âmes  saintes,  vient  s'abreuver  à  ces  eaux  qui  préservent 
de  toute  soif,  et  un  Ange,  sortant  à  moitié  d'un  nuage,  vient 
représenter  toute  la  cour  céleste^,  indiquant  son  rapport  de 
subordination  avec  le  Fils  de  Dieu,  en  portant  avec  respect 
dans  ses  mains  les  vêtements  dont  Jésus  s'est  humblement 
dépouillé. 

Empruntez  à  d'autres  œuvres  du  même  temps  la  main 
bénissante  de  Dieu  le  Père,   et  vous  aurez  réuni  dans  un 

U(»)ia  sollcranca,  \).  13J. 


DANS   i/aut  CIinKriEN.  Gl» 

cadre  étroit  rensem])le  d'idées  le  plus  iui>gnirK[iie  ([ui  se 
puisse  concevoir. 

XVII.  —  Nous  iivoiis  déjà  parlé  des  Saints  appelés  à  figu- 
rer dans  la  représentation  des  Mystères  de  la  vie  de  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ,  sans  aucun  égard  à  la  distance  des 
temps  et  des  lieux.  Il  n'est  rien  de  plus  fréquent  dans  l'Art 
chrétien.  Fra  Angelico  nous  en  offre  des  exemples  multipliés, 
particulièrement  dans  les  peintures  murales  qui  ornent  les 
cellules  du  couvent  de  Saint-Marc,  à  Florence  ;  une  seule 
doit  nous  occuper  :  celle  qui  représente  Notre-Seigneur  baptisé 
par  saint  Jean,  en  présence  de  la  sainte  Vierge  et  de  saint 
Dominique.  Bien  que,  sans  aucune  impossibilité,  Marie  ait  pu 
accompagner  son  Fils  jusqu'aux  bords  du  Jourdain,  ce  n'est 
évidemment  pas  à  un  autre  titre  que  saint  Dominique  qu'elle 
y  apparaît  ici  :  c'est  pour  exprimer  que  mieux  qu'aucun  autre 
elle  a  recueilli  les  fruits  de  ce  mystèi'e,  et  pour  dire  qu'elle 
savait  toujours  s'y  rendre  présente  par  l'élan  de  son  cœur. 

11  n'est  pas  douteux  que  beaucoup  de  Saints  se  soient  crus 
transportés  au  milieu  des  événements  qui  faisaient  l'objet  de 
leurs  pensées.  Quand  bien  même  ils  seraient  uniquement  l'ef- 
fet d'une  imagination  fortement  impressionnée,  ces  mysté- 
rieux phénomènes  de  la  vie  intérieure  mériteraient  particu- 
lièrement l'attention  de  l'artiste  chrétien,  comme  manifestait 
une  manière  de  voir  et  de  sentir  propre  aux  âmes  privilégiées 
qu'il  a  surtout  mission  de  représenter. 

Ces  considérations  peuvent  paraître  bien  élevées,  appli- 
quées à  un  usage  qui  s'explique  tout  simplement  par  le  désir 
de  faire  honneur  à  des  patrons  particuliers.  Elles  montre- 
ront au  moins  comment,  sur  ce  point,  autant  que  sur  beau- 
coup d'autres,  l'Art  chrétien,  en  suivant  ses  propres  allures, 
s'est  rencontré  avec  les  conceptions  de  l'ascétisme  le  plus  pur 
et  le  pbis  élevé. 


70  DU    RKAI.lSMi;    ET    DES    SYMBOLES 

Il  oPt  d'ailleurs  fort  à  remarquer  que  cet  usage  a  pris  son 
principal  développement  dans  les  écoles  issues  de  la  floraison 
franciscaine,  au  nombre  desquelles  nous  n'hésitons  pas  à 
ranf^er  celle  du  pieux  dominicain  de  Fiesole  ;  écoles  dont  le 
symbolisme  spécial  nous  semble  avoir  des  liens  aussi  étroits 
avec  la  théologie  mystique,  que  le  symbolisme  en  général 
avec  les  enseignements  généraux  de  la  théologie. 

XVIII. — Deux  Anges,  descendus  à  terre  et  portant  respec- 
tueusement à  genoux  les  vêtements  du  Sauveur,  complètent 
la  composition  de  Fra  Angelico  et  concourent  avec  l'expres- 
sion de  piété  qui  respire  dant  toutes  les  têtes,  avec  le  carac- 
tère aérien  des  formes  et  des  couleurs,  à  la  rendre  tout  as- 
cétique ou  plutôt  toute  céleste.  Cependant  on  y  reconnaît  une 
tendance  non  équivoque  à  l'imitation  de  la  nature,  une  ob- 
servation sérieuse  des  mouvements  et  des  attitudes,  un  sen- 
timent vrai  du  paysage,  une  intention  de  faire  véritablement 
un  fleuve  qui  fuit  dans  le  lointain;  en  conséquence,  il  a  fallu  se 
contenter  d'une  immersion  partielle  de  la  moitié  des  jambes, 
que  la  loi  inflexible  du  niveau  n'aurait  môme  pas  permis  d'ob- 
tenir, si  elle  eut  été  rigidement  observée. 

Raphaël  avait  fait  plus  qu'obéir  à  cette  tendance  qui , 
sagement  comprise,  aurait  dû  s'associer  avec  les  traditions 
symboliques  et  mystiques  de  l'école  de  son  maître;  il  avait 
en  grande  partie  violemment  rompu  avec  ces  traditions, 
lorsqu'il  fut  chargé  du  grand  travail  des  loges  du  Vatican. 
Dans  le  Baptême  de  Nolre-Seiyneur ^  dont  il  confia  l'exé- 
cution à  Jules  Romain,  le  Jourdain  est  un  ruisseau,  l'im- 
mersion est  nulle,  le  nimbe  est  remplacé  par  des  rayons  lumi- 
neux, et  le  Saint-Esprit  ne  manifeste  sa  présence  par  aucun 
signe. 

Nous  y  voyons  au  contraire  apparaître  un  nouvel  élément 
de  composition  qui,  pour  mériter  d'être  taxé  de  naturalisme, 


DANS    l'AIIT    CIlRÉriEN.  71 

(le  réalisme  môme,  ne  nous  en  semble  que  plus  contraire  aux 
réalités  de  l'histoire,  à  la  vraie  représentation  du  sujet. 
Nous  voulons  parler  de  quatre  personnages  se  dépouillant  de 
leurs  vêtements  et  déjà  entièrement  ou  presque  entièrement 
nus.  Là  évidemment  l'amour  du  nu  est  le  motif;  la  prépa- 
ration au  baptême  n'est  que  le  prétexte. 

Nous  ne  nions  pas  qu'il  y  ait  dans  ces  corps  une  vigueur 
de  vérité  anatomique,  capable  de  lutter  avec  Michel- Ange, 
unie  à  cette  grâce  de  contours  qui  n'abandonna  jamais 
Eaphaël  ;  nous  ne  nions  pas  que  parmi  ceux  qu'avait  touchés 
la  parole  de  saint  Jean  et  dont  le  tour  était  venu  de  recevoir 
le  baptême,  il  n'y  en  eut  d'occupés  à  se  déshabiller  au  moment 
011  le  Fils  de  Dieu  s'assujettissait  à  ce  signe  de  pénitence  ; 
mais  en  faire  une  partie  principale  d'une  composition  où  l'on 
ne  compte  en  tout  que  dix  figures,  nous  ne  craignons  pas  de 
le  dire,  c'est  gravement  tomber  dans  le  faux. 

Nous  disons  que  Raphaël  avait  alors  rompu  en  grande 
partie  avec  le  symbolisme  traditionnel;  nous  ne  disons  pas 
que  la  rupture  fut  complète.  Ce  symbolisme  en  effet  n'a  pas 
été  entièrement  exilé  de  ce  tableau  :  il  y  est  représenté  par 
quatre  beaux  Anges,  dont  deux  à  genoux  à  terre  remplissent 
l'office  ordinaire  de  porter  les  vêtements  du  Sauveur,  tandis 
que  les  deux  autres  restent  noblement  suspendus  en  l'air 
dans  un  sentiment  d'admiration. 

Une  idée  nous  viendrait  même,  si  l'ensemble  du  travail  des 
loges  ne  semblait  s'y  refuser,  c'est  que  ces  quatre  personnes 
qui  se  dépouillent ,  mis  en  regard  de  ces  quatre  Anges , 
auraient  pu  exprimer  la  Terre  et  le  Ciel  :  la  Terre  renou- 
velée bientôt  par  le  sacrement  de  la  régénération,  en  pré- 
sence du  Ciel  heureux  et  satisfait.  Mais  alors  il  eut  été  digne 
de  Raphaël,  tout  en  indiquant  le  dépouillement  d'une  ma- 
nière plus  sommaire,  de  concilier  ces  nobles  sentiments  avec 


72  w  iu'ali-mk  kt  ijks  symboles 

l'expivstiiou  (le   l'attente,  dans  ces  têtes  qui   se   contentent 

de  se  courber  presque  unitbrniénient. 

XIX.  —  Un  Baptême  de  Notre- Seigneur  Jésus-Christ,  de 
Salviati,  conservé  à  la  Pinacothèque  de  Venise,  sans  avoir 
d'ailleurs  rien  de  mystique  dans  les  expressions,  les  atti- 
tudes, le  faire  en  général,  est  composé  au  contraire  exactement 
selon  les  mêmes  données  que  celui  de  Beato  Angelico,  avec 
cette  seule  diiférence  que  sainte  Catherine  y  tient  la  place  de 
saint  Dominique,  et  (pi'il  su  complète  dans  sa  partie  supé- 
rieure par  un  Père  éternel  entouré  d'Anges. 

Nous  ne  connaissons  d'ailleurs  aucun  sujet  où  on  ait 
plus  longtemps  respecté  la  tradition.  La  donnée  des  anges 
préposés  à  la  garde  des  vêtements  du  Fils  de  Dieu,  maintenue 
pendant  tout  le  Moyen  Age,  survivant  à  la  Renaissance, 
se  retrouve  jusqu'à  la  fin  du  XVIP  siècle,  dans  les  œuvres 
des  maîtres  en  vogue,  comme  André  Sacchi,  Carie  Maratte, 
et  plus  près  de  nous  encore,  dans  les  ouvrages  de  ces  peintres 
ambulants,  venus  principalement  de  l'Italie,  qu'on  voit  dans 
beaucoup  d'églises  de  nos  campagnes  et  de  nos  petites  villes. 

Le  courant  opposé  dont  nous  avons  constaté  la  présence 
dans  les  œuvres  de  Raphaël  avait  cependant  fait  son  chemin  ; 
et,  pour  ne  citer  que  des  œuvres  éminentes,  nous  en  avons  la 
preuve  dans  le  Baptême  de  Noire-Seigneur,  qui  figure  parmi 
les  Sept  Sacrements  du  Poussin. 

Nous  n'y  voyons  plus  ni  anges,  ni  saints,  ni  gloire;  les 
nimbes,  les  rayons,  tous  les  signes  symboliques  ont  disparu, 
la  colombe  qui  plane  au-dessus  du  Christ,  quelques  regards 
qui  commencent  à  se  tourner  vers  elle,  un  homme  qui  met  sa 
main  devant  ses  yeux  pour  indiquer  qu'elle  est  éblouissante, 
—  impressions  qui,  si  elles  étaient  vives,  devraient  être 
partagées  par  d'autres  spectateurs ,  —  ce  sont  là  les  seuls 
indices  d'une  intervention  surnaturelle. 


DANS  r/AUT  r.îiuKTiEX.  7;{ 

Des  hommes  nus  ou  k  peu  près,  qui  attendent  leur  tour 
pour  recevoir  le  baptême,  ou  qui,  après  l'avoir  reçu,  sont  oc- 
cupés à  reprendre  leurs  vêtements,  sont  traités  au  contraire 
avec  une  complaisance  qui  s'accorde  bien  avec  le  peu  d'em- 
pressement qu'ils  mettent  à  se  couvrir. 

Le  genre  de  beauté  qui  appartient  à  ce  tableau ,  c'est  la 
large  majesté  du  paysage,  quelque  chose  de  grave,  de  noble, 
d'antique,  de  recueilli  même,  dans  les  poses,  les  draperies, 
les  sentiments,  mais  d'une  manière  tout  humaine  et  qui  le 
cède  sous  ce  rapport  précisément  à  des  œuvres  profanes  de 
notre  grand  maître,  aux  Bergers  d'Arcadie  par  exemple. 

Pour  bien  sentir  ce  qui  manque  ici,  il  faut  s'attacher  au 
personnage  du  Christ. Dans  tout  le  tableau,  il  n'en  est  pas  de 
moins  divin;  il  est  lourd  et  épais;  son  attitude,  son  expres- 
sion sont  naturelles  et  convenables  sans  doute  ;  mais  le  pre- 
mier venu  pourrait  les  prendre. 

Nous  maintenons  que  cet  acte  de  la  vie  d'un  Dieu  fait 
homme  ne  s'est  point  ainsi  passé,  ne  considérât-on  que  ce 
qui  en  a  paru  extérieurement.  Pour  vouloir  être  trop  vrai  de 
cette  vérité  de  bas  étage,  l'art  moderne  entre  les  mains  des 
hommes  même  dont  l'élévation  de  caractère  et  de  génie  est 
le  moins  contestable,  perd  trop  souvent  la  faculté  de  soule- 
ver les  âmes  au  vrai  niveau  des  grandes  choses. 

XX.  —  Que  conclure  ?  Que  malgré  trois  ou  quatre 
siècles  de  fortes  études  et  d'illustres  exemples,  il  faille  revenir 
aux  formes  archaïques  d'un  autre  âge  et  s'efforcer  unique- 
ment d'exprimer  de  grandes  et  belles  pensées  dans  un  langage 
symbolique  qui  ne  serait  plus  compris  ? 

Celui  qui  tirerait  de  nos  paroles  semblable  conclusion  nous 
aurait  bien  mal  compris.  Mais  on  peut  en  conclure  que  l'infir- 
mité des  choses  créées  ne  leur  permet  guère  d'être  en 
progrès  sur  tous  les  points  à  la  fois;  partout  le  déclin  suit 


74  DU    KÉAUSME    KT    UES   SYMBoLliS 

de  près  répanouissement,  et  sur  une  même  tige  il  est  des 
fleurs  qui  se  flétrissent  au  mutin  même  où  d'autres  commen- 
cent à  éclore. 

Aucun  âge,  aucune  école  n'off're  dans  les  arts  tous  les 
genres  de  perfection  réunis.  Conduits  par  des  vues  différentes, 
A^ous  portez  ici  vos  préférences,  là  nous  portons  les  nôtres; 
les  unes  et  les  autres  peuvent  être  justifiées,  les  critiques 
l'être  également;  tout  dépend  de  ce  que  l'on  veut,  de  ce  que 
l'on  cherche.  Vous  voulez  de  la  vie,  du  relief,  de  la  lumière, 
des  ombres,  de  la  vérité  dans  les  formes,  les  mouvements  ; 
nous  voulons  des  pensées  qui  nous  instruisent,  des  sentiments 
qui  nous  touchent,  de  la  vérité  dans  la  représentation  sub- 
stantielle du  sujet. 

Mettons-nous  d'accord  en  empruntant  h  toutes  les  écoles 
ce  qu'elles  ont  de  bon,  non  pas  selon  les  procédés  d'un 
ecclectisme  arbitraire,  mais  en  nous  conduisant  par  des  prin- 
cipes que  nous  nous  efforcerons  de  nous  rendre  communs  ; 
tombons  d'accord  qu'il  faut  plaire  aux  yeux  par  la  forme,  et 
atteindre  l'âme  par  l'idée,  que  forme  et  idée  doivent  puiser 
dans  la  vérité  la  première  condition  de  leur  beauté. 

Vous  étudierez  les  œuvres  que  nous  admirons  pour  en 
faire  passer  l'idée  dans  les  vôtres  ;  nous  nous  attacherons  à 
celles  dont  les  mérites  vous  captivent  pour  en  prendre  tout 
ce  qui  peut,  sans  l'absorber,  prêter  du  charme  à  une  pen- 
sée solidement  chrétienne. 

Nous  traiterons  le  même  sujet  :  vous,- par  son  côté  histo- 
rique, nous,  par  son  côté  mystique  ;  vous,  en  le  montrant 
comme  il  dut  paraître,  nous,  autant  que  possible,  tel  qu'il 
est  en  substance;  vous,  sur  une  toile  qui  sera  à  elle  seule 
tout  son  monument,  dans  une  série  de  peintures  murales  oii 
les  faits  s'étalent  ;  nous,  dans  un  tableau  d'autel,  les  pan- 
neaux d'une  verrière,  l'émail  destiné  à  orner  une  châsse, 
1111  vase  sacré,  là  enfin  où  les  idées  se  concentrent. 


JIANS    l'art    CHIIKTIKN.  7o 

XXÏ.  —  S'agit-il  toujours  du  lijipteme  de  Notre-Seigueur 
Jésus-Christ,  vous,  vous  disposerez  vos  fonds,  vos  plans,  vos 
groupes,  de  manière  h  donner  une  idée  soit  de  la  Judée, 
soit  d'une  campagne,  des  rives  d'un  fleuve  quelconque, 
et  d'une  foule  diversement  impressionnée  ;  il  vous  est 
loisible  de  faire  distinguer  ceux  qui  vont  bientôt  devenir 
les  premiers  disciples  du  Sauveur  de  ceux  qui  seront 
ses  ennemis,  ceux  qu'excite  une  vaine  curiosité  de  ceux  que 
touche  un  premier  mouvement  de  la  grâce,  ceux  qui  viennent 
de  recevoir  le  baptême  de  saint  Jean  de  ceux  qui  s'y  pré- 
parent; mais  à  une  condition,  c'est  que  de  tous  ces  regards, 
de  ces  expressions,  de  ces  mouvements,  que  vous  avez  libre- 
ment choisis,  il  n'y  en  ait  aucun  qui  ne  serve  à  concentrer 
l'attention  sur  le  fait  principal,  à  le  faire  comprendre,  aucun 
qui  ne  concoure  à  produire  une  impression  décisive  ou  de 
foi,  ou  d'espérance,  ou  de  renouvellement,  tout  autant  que 
dans  l'œuvre  que  nous  nous  proposons  de  composer  dans 
l'intention  d'obtenir  plus  directement  cette  impression. 

Pour  nous,  nous  n'avons  pas  besoin  de  déterminer  un 
temps  et  un  lieu  en  particulier,  tous  les  temps  sont  à  nous  ; 
notre  lieu,  c'est  la  terre  entière  régénérée  ;  ou,  si  nous  vou- 
lons rappeler  la  Palestine,  le  Jourdain,  à  cause  de  leur  signi- 
fication, un  signe  nous  suffit,  un  peu  d'eau,  un  palmier;  ce 
qu'il  nous  faut,  ce  sont  des  Anges,  des  Saints,  qui  nous  ap- 
prennent comment  nous  devons  nous-mêmes  envisager  un  si 
fécond  mystère.  Mais  ces  Anges,  ces  Saints,  le  Christ,  son 
saint  Précurseur,  la  terre,  le  ciel,  les  eaux,  les  astres,  la 
lumière,  nous  ne  dessinerons  rien  qui  ne  soit  bien  propor- 
tionné, rien  qui  ne  soit  en  rapport  avec  des  couleurs  et  des 
formes  bien  réelles,  rien  qui  ne  soit  d'une  intelligence  fa- 
cile. 

Les  uns  et  les  autres,  par  l'ensemble  soutenu  de  nos  coni- 


76  DU  RÉALISME  ET  DES  SYMBOLES  DANS  LART  CHRÉTIEN. 

positions,  nous  dirons  si  clairement  ce  qu'elles  sont,  que 
chacune  d'elles  soit  comprise  comme  elle  doit  l'être,  et  qu'à 
première  vue  tous  puissent  dire:  ceci  est  du  symbole,  cela 
est  de  l'histoire. 

Le  réalisme  absolu  est  une  chimère  ;  entendu  comme  ten- 
dance et  appliqué  à  l'imitation  de  la  nature,  il  est  un  principe 
de  dégradation;  entendu  delà  reproduction  trop  littérale 
des  faits,  il  est  toujours  étroit  et  entraîne  souvent  dans  le 
faux. 

Le  symbolisme  dans  l'art  représente  l'élément  le  plus  im- 
matériel ;  il  lui  appartient  d'élever  l'art,  mais  élever  n'est  pas 
détruire  ;  il  détruirait  l'art,  s'il  ne  prenait  pour  base  le  réel. 

Guidé  par  un  goût  judicieux,  l'art  chrétien  prendra  aux 
réalités  visibles,  leurs  beautés,  leurs  proportions,  sans  ou- 
blier jamais  qu'il  n'est  pas  au-dessus  de  sa  noble  mission  de 
faire  pénétrer  dans  les  cœurs  les  réalités  même  que  l'œil  ne 
peut  naturellement  apercevoir. 

H.    GRIMOUARD    DE   SAINT-LAURENT. 


QUATRE  SCEAUX 


de  la   province  de  Limbourg. 


La  publication  des  sceaux  belges  du  Moyen  Age  formerait 
un  beau  livre  d'art,  qui  aurait  un  grand  intérêt  pour  l'his- 
toire de  la  gravure  et  de  la  sculpture.  Déjà  depuis  longtemps 
les  savants  belges  se  sont  distingués  par  la  publication  par- 
tielle de  ces  antiquités  nationales  qui  ont  un  si  grand  prix 
pour  l'histoire  de  leur  pays.  Le  nombre  de  ces  cachets  ou 
empreintes  en  cire,  en  plomb  ou  en  terre  glaise,  est  si  con- 
sidérable, qu'on  en  découvre  encore  journellement  de  nou- 
veaux. 

Les  quatre  sceaux  ou  empreintes  dont  nous  donnons  le 
dessin  dans  cet  article  appartiennent  à  l'époque  romane  et 
ogivale.  Sur  le  premier,  de  forme  ovale  pointu  figure  saint 
Servais,  évêque  de  Tongnes,  en  costume  épiscopal  {fîg.  1).  Il 
porte  d'une  main  sa  crosse  épiscopale  et  de  l'autre  un  livre. 
Autour  de  la  figure  on  lit  :  STS.  SERVATIUS  EPS.  Ce  sceau  est 


78  QUATRE    SCEAUX 

imprimé  au  moyen  d'un  cachet  en  ivoire,  qui  provient  du 
trésor  ou  des  urcliives  de  Maëstricht. 


La  seconde  planche  {fi g.  2)  est  dessinée  d'après  un  cachet 
en  cire  de  1225,  de  l'église  de  Notre-Dame  à  Maëstricht. 
La  Vierge  y  figure  assise,  la  tête  couronnée  et  nimbée,  te- 
nant de  la  main  gauche  un  livre  ouvert  avec  l'abréviation 
de  Mater  Chrisli,  et  de  la  droite  un  lys.  Le  bord  en  grande 
partie  brisé  porte  en  inscription  SIGNUM  ECCLËË.  Le  costume 
de  la  sainte  Vierge  est  fort  riche.  La  tête  et  les  épaules  sont  en 
partie  voilées;  son  corps  est  drapé  à  la  manière  byzantine, 
d'une  tunique  talaire  serrée  aux  reins  par  une  large  cein- 
ture. Ses  deux  manches,  très-larges  aux  mains,  sont  ornées 


1)K    LA    rKOYINGE    I>E    LIMBOUKG.  79 

éofiilemerit   comme   le  ))ord   inférieur,    d'ornements   en   lo- 


s  an  se 


La  troisième  pkmclie  figure  un  sceau  double  de  l'époque 
ogivale.  Il  est  rare  de  rencontrer  un  bas-relief  de  ce  genre, 
composé  et  taillé  avec  plus  de  goût  et  de  talent.  La  province 
de  Limbourg,  qui  a  vu  naître  les  Van  Eyck,  ne  restait  pas 
en  arrière  dans  la  sculpture  à  l'époque  où  ses  peintres  pro- 
duisaient les  plus  beaux  chefs-d'œuvre  de  l'art  chrétien. 

Ce  sceau  représente  le  règne  simultané  du  prince-eveque 
de  Liège  et  du  duc  de  Brabant  sur  la  ville  de  Maëstricht. 
On  y  voit  les  armes  de  la  commune,  l'étoile  d'argent  sur 
fond  de  gueules  (la  Stella  malutina  de  la  Vierge  ou  l'étoile 


80  OUATUE    SCiiAUX 

qui  guidait  les  bateliers  vers  la  chapelle  de  Notre-Dame  au 
Rivage,  Maria  ad  littus,  près  de  la  Meuse). 

Saint  Lambert  avec  le  péron  liégeois  y  ligure  pour  l'au- 
torité, liégeoise.  Saint  Servais  avec  la  clé  épiscopale  dont 
cette  Revue  a  publié  le  dessin  dans  le  volume  de  1860,  re- 
présente l'Autorité  brabançonne,  avec  l'écusson  double  aux 
armes  du  Brabant  et  du  Limbourg,  victorieusement  unies  à 
là  célèbre  journée  de  Woeringen.  Ce  sceau,  qui  a  été  publié 
à  différentes  reprises  en  Belgique,  a  un  intérêt  particulier 
parce  qu'il  réunit  les  armes  liégeoises,  brabançonnes  et  lim- 
bourgeoises,  avec  celles  de  la  commune  qui  n'y  apparaissent 
que  timidement  sur  un  petit  écusson  aux  pieds  des  deux 
évêques.  Le-  bord  porte  cette  inscription  :  s.  COE  f  TOCIUS 
t  OPIDI  t  TRAJECTENSIS  f  AD  f  CAS.  C'est  le  sceau  de  la  com- 
niune  et  de  la  ville  de  lilaëstricht  au  XV  siècle. 


Eiiliu  Kl  quatrième  planche  tigure  le  sceau  circulaire  de 


DF,    LA    PROVINCE    DE    L1M1Î(K,RG.  81 

Bilsen,  petite  ville  du  comté  de  Looz,  dans  la  province  de 
Limbourg.  Les  armes  de  cette  ville  (branche  de  cliène)  y  fi- 
gurent à  côté  de  celles  du  comté  de  l.ooz,  cpii  sont  hurclées 


|l|i||l'l'|l||ll'|H  t 


d'or  et  de  gueules  de  dix  pièces.  Les  armes  de  la  ville  de 
Bilsen  sont,  d'après  l'historien  du  comté  du  Looz,  un  arbre 
nourri  de  sinople  sur  un  tertre  de  même.  Le  sceau  qui  était 
attaché  à  un  diplôme  de  1578  porte  pour  inscription: 
t  S.  SCABINORUM  et  VILLE  DE  LOSSEN  BILSE. 


ARNAUD    8CIIAEPKENS. 


LE  LION  ET  LE  BOEUF 

sculptés  aux  portails  des  Eglises. 


M.  l'abbé  F.  Poisson  nous  écrivait  de  ]\Iortagne-sur-Sè- 
vres  (Vendée),  à  la  date  du  10  octobre: 

«  Monsieur  le  Directeur, 

(I  J'exerce  le  saint  Ministère  dans  une  église  du  diocèse 
de  Luçon  qui  ne  manque  pas  d'intérêt  au  point  de  vue  de 
l'art.  L'ensemble  de  cette  église  est  roman,  le  chœur  et  le 
transsept  du  XP  siècle,  les  trois  nefs,  selon  moi,  du  XIP. 
La  façade  actuelle  a  son  cachet  bien  marqué  du  XIV*  siècle  ; 
elle  a  été  faite  probablement  dans  le  dessein  d'une  complète 
reconstruction,  comme  le  montrent  à  l'intérieur  plusieurs  li- 
gnes qu'on  n'a  pas  essayé  de  raccorder  avec  le  reste,  et  la  fe- 
nêtre delà  grande  nef,  qui,  dans  le  principe,  était  coupée  par 
la  voûte  romane  au-dessus  de  laquelle  elle  s'élevait  de  plus 
d'un  mètre. 

«  Cette  façade  est  construite  en  granit  et  assez  soigneuse- 
ment appareillée.  Entre  le  contrefort  et  le  portail  de  la  grande 
nef,  à  moitié  hauteur  entre  la  naissance  et  la  pointe  de  l'o- 


LE    LION    ET    LE    UŒVV    SCULPTÉS    AfX    IMjnTAILS    DES    ÉGLISES.       83 

give,  se  trouvent  deux  animaux,  un  lion  ;i  droite,  un  bœuf  à 
gauche,  qui ,  sculptés  chacun  dans  un  bloc  de  granit,  ressortent 
sur  le  plat  du  nuir  d'environ  ()™20'".  C'est  sur  ce  détail  que 
je  désire  attirer  votre  attention. 

«  Pourquoi  ces  deux  animaux  sont-ils  seuls  représentés 
sur  cette  ta(;ade  ?  Ils  ne  peuvent  être  regardés  comme  des 
animaux  évangéliques,  puisque  les  deux  autres  sont  absents 
et  l'ont  toujours  été,  comme  il  est  facile  de  s'en  convaincre 
au  premier  coup  d'œil.  Ces  deux  sujets  étant  relativement 
sculptés  d'une  manière  plus  grossière  que  les  chapiteaux  qui 
ornent  le  portail,  j'inclinais  à  croire  avec  phisieurs  que  ces 
animaux,  retirés  d'un  monument  plus  ancien,  peut-être  de 
la  façade  primitive,  avaient  été  placés,  par  suite  d'une  simple 
fantaisie  d'artiste  et  sans  raison  symbolique,  dans  la  nou- 
velle construction.  Mais,  en  parcourant  le /îa^?'o?îa/ de  Du- 
rand de  Mende,  j'ai  trouvé  le  passage  suivant  :  «  Des  pein- 
«  turcs  ou  des  représentations,  les  unes  sont  sur  l'église, 
«  comme  le  coq  ou  l'aigle  ;  les  autres  hors  de  l'église,  à  sa- 
«  voir  :  aux  portes  et  au  front  du  temple,  comme  le  bœuf  et 
«  le  lion.  »  (Livre  i,  chap.  o,  u.  5). 

«  Ce  passage  m'a  naturellement  frappé,  en  me  présentant 
comme  un  fait  assez  ordinaire  ce  que  je  prenais  pour  un  fait 
accidentel.  Il  est  vrai  que  Durand  écrivait  au  XIIP  siècle 
et  que  la  façade  en  question  ne  remonte  qu'au  XIV^.  Mais 
ce  qui  se  faisait  avant  Durand  et  à  son  époque,  a  pu  se  faire 
après  lui  ;  du  reste,  cette  objection  est  d'autant  moins  sérieuse 
que,  les  animaux  sculptés  dont  il  s'agit  étant  probablement 
plus  anciens  que  la  construction  à  laquelle  ils  adhèrent,  on  a 
pu  les  replacer  ainsi  pour  reproduire  un  détail  de  la  façade  du 
XIP  siècle. 

«  Comment  et  pourquoi  ces  animaux  sont-ils  ainsi  placés? 
Si  ce  qui  précède  explique  le  comment^  il  ne  donne  pas  la  rai- 


84  LE    L1(»N    ET    LE    DœUF 

SOU  du  jmirquoi.  Je  l'ai  iuutilemeut  cherchée  daus  Duraud 
deMeude. 

M  Ou  m'a  dit  que  ce  meuie  motif  de  décoratiou  existait 
daus  uue  église  du  diocèse  de  Poitiers  avec  deux  vers  latins 
explicatifs  eu  iuscriptiou.  Je  ue  vous  garantirai  pas  ce  fait, 
que  je  n'ai  pu  vérifier,  mais  qui  m'a  été  donné  comme  certain. 

«  Serait-ce  abuser  de  votre  bouté,  Monsieur  l'Abbé,  et  trop 
compter  sur  votre  zèle  si  connu  pour  l'extension  des  études 
archéologiques,  que  de  vous  prier  de  vouloir  bien  m'honorer 
d'une  courte  réponse.  Si  même  vous  jugiez  cette  question 
capable  d'intéresser  vos  lecteurs,  et  si  vous  préfériez  publier 
votre  réponse  dans  la  Revue  de  l'Art  chrétien,  je  vous  auto- 
i-ise  à  faire  de  ma  lettre  l'usage  que  bou  vous  semblera.  » 

«  Agréez,  etc.  ferd.  poisson.  » 

Les  deux  bas-reliefs  dont  nous  parle  M.  Poisson  sont-ils 
réellement  plus  anciens  que  le  portail  actuel  ?  On  pourrait 
alors  supposer  qu'ils  faisaient  partie  d'un  autre  monument, 
où  ils  auraient  figuré  comme  attributs  de  saint  Marc  et  de 
saint  Luc,  et  que  des  circonstances  que  nous  ne  pouvons 
déterminer  maintenant,  auraient  empêché  d'encastrer  dans  le 
portail  les  deux  autres  animaux  évangélistiques. 

Mais  quand  bien  même  cette  supposition  serait  vraie,  il 
resterait  toujours  à  expliquer  le  texte  de  Guillaume  Durand. 
Pourquoi  sculptait-on  le  lion  et  le  bœuf  aux  portails  des 
églises  ?  Il  y  a  là  une  désignation  formelle  et  nous  devons 
rechercher  la  cause  qui  a  déterminé  le  choix  de  ces  deux 
animaux  pour  décorer  les  portails. 

Remarquons  tout  d'abord  que  le  plus  grand  nombre  des 
monuments  qui  existaient  du  temps  de  Guillaume  Durand, 
ont  disparu  de  nos  jours,  et  que  nous  n'aurions  pas  le  droit 
de  suspecter  la  véracité  de  l'évêque  de  Mende,  quand  bien 


SCIILI'TÉS    AUX    COUTA II.S   DES    ÉGLISES.  85 

même  nous  ne  trouverions  nulle  part  des  exemples  du  fait 
qu'il  mentionne. 

Voit-on  encore  sur  quelques  portails  cette  représentation 
du  bœuf  et  du  lion  ?  C'est  une  question  sur  laquelle  nous  ap- 
pelons l'attention  de  nos  collaborateurs. 

L'église  du  Poitou  dont  on  a  parlé  à  M.  l'abbé  Poisson, 
doit  être  celle  de  l'antique  abbaye  de  Moreaux,  qui  date  du 
Xir  siècle.  On  y  voit  sculptés  en  forte  saillie,  sur  le  portail, 
à  droite  un  lion,  à  gaucbe  un  bœuf.  L'inscription  suivante 
est  gravée  en  lettres  capitales  sur  l'un  des  voussoirs  : 

UT  :  FUIT  :  INTROITUS  :  TEMPLI  :  SCI.  SALOMONIS 
SIC  :  EST  :  ISTIUS  :  IN  MEDIO  :  BOVIS  :  ATQ^:  LEONIS. 

Ces  deux  animaux  servent  de  piédestaux  à  deux  statues  d'é- 
vêque. L'inscription  constate  une  analogie  matérielle  :  on  voit 
là  un  bœuf  et  un  lion,  comme  on  voyait  des  lions  et  des  bœufs 
supportant  les  bassins  placés  à  l'entrée  du  temple  de  Salo- 
mon.  Mais  le  christianisme  a  souvent  emprunté  des  figures 
et  des  symboles,  soit  au  judaïsme,  soit  au  paganisme,  en  y 
ajoutant  une  autre  signification,  et  c'est  cette  idée  symbolique 
que  nous  devons  chercher  à  déterminer. 

Nous  nous  rappelons  avoir  vu  des  bœufs  dans  les  décora- 
tions sculptées  de  plusieurs  porches  ;  mais  nous  ne  pourrions 
affirmer  qu'ils  n'y  figurassent  point  comme  attribut  de  saint 
Luc,  de  saint  Saturnin,  de  saint  Taurin,  de  saint  Médard,  de 
saint  Tryphème,  de  sainte  Brigitte,  etc.,  ou  comme  emblème 
de  la  patience,  de  la  force  chrétienne  ou  du  travail. 

Tout  le  monde  sait  qu'aux  deux  tours  du  portail  de  Laon, 
sur  la  corniche  du  premier  étage  des  tourillons,  il  y  a  huit 
statues  de  bœufs.  Leur  présence  est  interprétée  par  une 
tradition  historique  sur  laquelle  nous  reviendrons  plus  tard. 


86  LE    LIO.N    ET    LK    IKflCF 

Quiiut  iui  lion,  on  peut  constater  son  existence  sur  de 
nombreux  monuments. 

On  sait  que  les  Egyptiens,  les  Grecs  et  les  Romains  pla- 
çaient (les  lions  aux  portes  des  édifices  publics  ;  que  le  trône 
de  Salomon  était  flanqué  de  deux  lions  ;  enfin  que,  dans  l'an- 
tiquité, le  lion  était  le  symbole  de  la  force,  de  la  générosité 
et  de  la  vigilance  ;  mais  nous  ne  devons  nous  occuper  ici  que 
des  monuments  clirétiens. 

Il  y  avait  deux  lions  à  l'entrée  de  Saint-Séverin,  à  Paris, 
où  les  dignitaires  de  cette  église  rendaient  leurs  sentences 
judiciaires  intcr  leones  ' . 

Au  portail  de  Laitre-sous-Amance  (Meurthe),  deux  co- 
lonnes accouplées  reposent  sur  un  lion  accroupi.  On  remarque 
sur  un  chapiteau  deux  bœufs  accouplés  dont  la  tête  est  sur- 
montée du  joug  ^. 

A  Courcy  (Calvados),  un  lion  (XII®  siècle)  dont  le  cou  est 
garni  d'un  collier  dentelé,  surmonte  le  pignon  du  chevet  ^ 

Aux  portails  de  Saint-Gilles  et  de  Saint-Trophime  d'Arles, 
des  lions  mordent  la  base  des  colonnes,  ou  broyent  sous  leurs 
dents  des  moutons  et  des  guerriers  armés. 

A  Moissac,  un  lion  assis  se  trouve  sous  les  pieds  de  saint 
Pierre  ;  d'autres  lions  écrasent  ici  un  serpent,  là  une  espèce 
de  porc.  D'autres  lions  d'un  très-beau  style  figurent  sur  un 
linteau. 

Au  porche  de  l'ancienne  cathédrale  de  Dax,  on  voit  un 
lion,  écrasé  sous  les  pieds  du  Christ. 

ASaint-Poichaire  de  Poitiers,  un  naïf  sculpteur,  craignant 
sans  doute  qu'on  ne  se  méprît  sur  la  ressemblance  de  son 


•  Lerœif,  Ilist.  de  la  ville  et  du  diocèse  de  Paris,  t   i,  p.  174. 

*  Notice  sur  l'église  de  TMitre,  par  M.  A.  Digot. 
'  liulletin  mon.,  t.  xv,  p.  448. 


SCULPTÉS    AUX   PORTAILS    DES    ÉGLISES.  87 

œuvre,  a  tracé  le  mot  Inoiics  au-dessous  de  l'image  qu'il  ve- 
nait d'ébaucher  sur  un  chapiteau. 

Au  portail  de  Saint-Vulfran  d'Abl)eville,  un  lion  accroupi, 
revêtu  d'un  manteau,  tient  dans  ses  griffes  un  écusson  et 
une  bannière.  «  Ce  lion,  dit  M.  Dusevel  ',  comme  celui  qui 
servait  de  girouette  an  clocher  du  beffroi  de  l'Hôtel-de-Ville, 
ne  serait-il  pas  quelque  emblème  de  féodalité,  un  souvenir 
des  hauts  et  puissants  seigneurs  qui  possédèrent  autrefois 
Abbe ville?  » 

Des  lions  au  repos  supportent  les  colonnes  du  portail  à 
l'abbaye  de  Saint-Zénon,  à  Vérone. 

Le  portail  de  la  cathédrale  de  Ferrare  (XIP  siècle)  est  orné 
de  deux  lions  ;  l'un  tient  un  bœuf  et  l'autre  un  mouton. 

A  Saint-Jacques  de  Ratisbonne,  les  cinq  archivoltes  de  la 
voussure  retombent  sur  dix  lions. 

Les  deux  lions  en  marbre  rouge  qui  sont  aux  portails  de 
Notre-Dame  de  Plaisance  et  de  la  cathédrale  d'Ancône, 
écrasent  sous  leurs  pattes,  l'un  un  serpent,  l'autre  un  qua- 
drupède à  tête  de  bélier.  Ces  animaux,  comme  beaucoup 
d'autres  sculptures  analogues  d'Italie,  ont  une  tête  qui  res- 
semble à  celle  de  l'ours  blanc  ^. 

On  remarque  encore  des  lions  à  l'extérieur  des  cathédrales 
de  Cologne,  d'Arles  et  du  Mans ,  des  églises  de  Vienne 
(Isère),  d'Arles-sur-Tech  (Pyrénées-Orientales),  etc.,  et,  en 
Italie,  à  Saint-Laurent  de  Gênes,  Saint-Antoine  de  Padoue, 
Saint-Pierre  et  Saint-Paul  de  Ravenne,  aux  églises  de 
Sienne,  Reggio,  Parme,  Bologne,  Modène,  Foligno,  etc. 

L'album  de  Villars  de  Honnecourt  contient  six  planches  % 


*  Le  département  de  la  Somme  .  Abbeville,  p.  9. 

•  Bull,  mon.,  t.  vu,  p.  71,  115. 

^  Planches  25,  36,  46,  47,  51  et  52. 


gg  LE    LION    ET    LE    «OEUF 

OÙ  se  trouvent  des  études  de  lion,  ce  qui  nous  prouve  que  les 
artistes  du  XIIF  siècle  cousidéraient  cet  animal  comme  un 
type  qui  pouvait  être  souvent  reproduit. 

Recherchons  les  motifs  de  cette  réprésentation  si  fréquente 
au  moyen- âge.  Mais  avant  d'indiquer  le  sens  symbolique 
du  lion,  quand  il  est  seul,  rappelons  qu'il  peut  exprimer  des 
idées  bien  diverses  quand  il  accompagne  un  personniige  en 
qualité  d'attribut  ou  quand  il  fait  partie  d'une  scène  histo- 
rique . 

Le  lion  rappelle  la  solitude  et  le  désert,  quand  il  accom- 
pagne des  Saints  qui  ont  vécu  dans  le  silence  de  la  retraite, 
comme  saint  Jérôme,  saint  Antoine,  saint  Paul  ermite, 
saint  Onuphre,  sainte  Marie  l'Egyptienne,  etc.  ;  il  est  l'em- 
blème de  la  force  chrétienne  * ,  placé  sous  les  pieds  des  mar- 
tyrs qui  ont  enduré  les  supplices  avec  une  énergie  surhumaine, 
comme  saint  Adrien,  sainte  Nathalie  ;  il  rappelle  les  scènes 
sanglantes  de  l'amphithéâtre  à  côté  de  saint  Ignace,  de 
sainte  Euphémie;  il  n'a  également  qu'une  signification  histo- 
rique quand  il  accompagne  Daniel  et  Samson. 

Quand  le  lion  fait  partie  de  l'ornementation  des  tombeaux 
de  princes  ou  de  chevaliers,  il  rappelle  leur  courage  guerrier  ; 
il  symbolise  la  force  de  l'âme,  la  victoire  remportée  sur  les 
passions,  quand  il  accompagne  les  tombes  d'autres  person- 
nages ;  on  ne  peut  lui  donner  que  cette  signification  dans  les 
sépultures  des  évêques,  des  prêtres,  des  femmes,  etc. 

Un  chapiteau  du  portail  de  Saint-Agnan  de  Cosne  nous 
montre  un  lion  buvant  dans  un  calice.  C'est  évidemment 
l'emblème  du  chrétien  qui  puise  sa  forcé  dans  le  banquet  eu- 
charistique. 

Il  y  avait  jadis  une  lionne  allaitant  deux  lionceaux   de- 

'  Léo  signifitat  fortitudinom.  Eiist.vth.  ,  lib.  ii,  isme?!. 


SCULITKS    AUX    l'OI'.TAILS    DES    ÉGLISES.  89 

vaut  l'église  Saint-Martial  de  Limoges  :  c'est  Louis  le  Débon- 
naire qui  les  avait  fait  sculpter  pour  perpétuer  le  souvenir 
des  victoires  que  son  aïeul  Pépin  le  Bref  avait  remportées 
sur  WaïfFre.  Une  inscription  sur  une  lame  de  (iuivre  ne 
pouvait  laisser  aucun  doute  à  cet  égard  ' . 

Dans  la  même  ville,  à  Saint-Michel-des-Lions,  on  voyait 
jadis  deux  lions  sortant  à  mi-corps  de  la  façade;  mais  ils  ap- 
partiennent à  un  monument  bien  antérieur.  L'église  a  été  bâ- 
tie sur  l'emplacement  de  l'ancien  château  de  Sedulius,  oii  se 
trouvaient  quatre  lions  en  pierre,  qui  avaient  peut-être  fait 
partie  d'un  temple  dédié  à  Orus  ^. 

Les  lions  de  Sainte-Marie-Majeure,  à  Rome,  ont  également 
une  origine  païenne  ;  ils  proviennent  des  temples  détruits 
d'Isis  et  de  Sérapis. 

En  laissant  de  côté  ces  divers  exemples  Cfui  peuvent  s'ex- 
pliquer dans  un  sens  historique,  il  n'en  reste  pas  moins  un 
grand  nombre  de  lions  dont  la  présence  au  portail  des 
églises  ne  peut  être  interprêtée  que  par  le  symbolisme. 

Mgr  Cousseau  pense  que  dans  les  églises  d'Italie  «  la  dis- 
position particulière  des  colonnes,  qui  rappelle  le  temple  de 
Salomon,  indique  le  siège  sur  lequel  s'exerçaitjadis  le  pouvoir 
de  la  juridiction  pontificale.  Or,  ajoute-t-il,  dans  les  églises 
de  moindre  importance,  où  les  dimensions  du  portail  n'étaient 
point  en  harmonie  avec  de  grands  décors,  la  même  idée  se 
reproduisait,  mais  sur  une  plus  petite  échelle,  dans  les  petits 
lions  qui,  au  lieu  de  supporter  la  colonne,  étaient  supportés 
par  elle  ^  » 

Dans  le  même  ordre  d'idées,  on  a  dit  que  le  siège  de  Salo- 


*  Allou,  Descrij^t.  des  mon.  de  la  Hanlc-Vicnnc,  p.  171. 
'  De  RoMAiNKT,  Ilist.  du  Limousin,  p.  322, 

*  BuUet.  inonum.,  t.  ix,  p.  478. 

TOME    VI.  7. 


90  Lt:   LION    CT    LE    BCEUF 

mon  étant  supporté  par  des  lions,  on  avait  pu  figurer  ces  ani- 
maux dans  un  endroit  où  la  justice  était  rendue  ' . 

D'après  ce  système,  les  lions  seraient  des  emblèmes  d'au- 
torité et  de  juridiction,  parce  que  certains  actes  de  justice 
étaient  proclamés  du  portail  de  l'église,  et  portaient  la  for- 
mule inter  leones.  Mais  cette  formule  ne  fait  que  constater 
l'endroit  où  avait  lieu  la  proclamation,  et  ce  lieu  était  choisi 
non  pas  à  cause  des  lions,  mais  à  cause  de  l'élévation  du 
parvis  d'où  on  pouvait  dominer  la  foule,  et  parce  qu'on  était 
sûr  d'avoir  un  nombreux  auditoire  au  sortir  des  offices. 

M.  l'abbé  Crosnier  ^  voit  dans  ces  lions  la  figure  des  princes 
de  la  terre,  qui  ont  persécuté  l'Eglise  :  tantôt  ils  mordent 
la  base  de  la  colonne,  rolumna  et  firmamentum  veritatis,  dit 
l'apôtre  saint  Paul  ;  tantôt  ils  broient  sous  leur  dent  meur- 
trière des  agneaux,  des  hommes,  des  guerriers  armés,  qui 
représentent  les  diverses  catégories  de  martyrs  de  l'Eglise. 
Quand  le  lion  est  au  repos,  ce  serait  l'autorité  temporelle 
scmmise  au  joug  de  la  foi  ;  quand  il  écrase  le  porc  ou  le  serpent, 
ce  serait  la  puissance  civile  s'opposant  au  développement  de 
la  corruption  et  de  l'hérésie. 

Cette  interprétation,  savamment  exposée,  ne  nous  paraît 
point  s'appuyer  sur  les  saints  Pères,  ni  sur  les  glossateurs  du 
moyen-âge.  Le  lion  écrasant  le  dragon,  par  exemple,  ne  nous 
semble  point  rappeler  l'intervention  de  la  puissance  civile 
dans  la  répression  du  schisme  et  de  l'hérésie  :  nous  y  trouvons 
bien  plutôt  la  traduction  d'un  hymne  paschal  attribué  au  roi 
Robert  : 

Christus  invictus  leo 
Di-acono  sursrens  obruto. 


*  null.  mon.,  t.  X,  p.  532. 

'  Iconographie  chclicnne,  p.  175. 


SCULPTÉS   AUX    IOllT\ILS    DKS    ÉGLISES.  91 

Four  ces  divers  exemples  de  lions  domptant  un  l)clier  ou 
un  serpent,  nous  préférerions  l'opinion  de  M.  Schnaase', 
qui  se  rapproche  de  la  nôtre.  Il  voit  là  un  symbole  de  la  force 
de  l'église  qui  terrasse  ses  ennemis. 

D'autres  antiquaires  ont  expliqué  la  présence  des  lions 
sculptés  à  nos  portails,  en  disant  qu'on  considérait  jadis  ces 
animaux  comme  étant  doués  de  la  faculté  d'éloigner  les  ma- 
lins esprits  et  de  paralyser  leur  mauvais  vouloir.  En  suppo- 
sant qu'on  ait  attribué  au  lion  vivant  certains  privilèges 
merveilleux  de  cette  nature,  on  ne  l'accordait  certainement 
pas  à  sa  représentation  sculptée.  Aussi  cette  explication  nous 
parait-elle  peu  satisfaisante. 

C'est  dans  l'Ecriture  sainte  qu'il  faut  rechercher  l'origine 
des  idées  symboliques.  On  sait  que  Jacob  mourant  prédit  en 
ces  termes  les  futures  grandeurs  de  son  fils  Juda  :  «  Juda  est 
un  jeune  lion  ;  vous  vous  êtes  levé,  mon  fils,  pour  ravir  la 
proie  :  en  vous  reposant,  vous  vous  êtes  couché  comme  un 
lion  et  comme  une  lionne  :  qui  le  réveillera?  »  (Gen.  xlix,  9). 
Saint  Zenon  ,  saint  Hilaire ,  Rhaban  Maur  et  presque  tous 
les  commentateurs  ont  appliqué  cette  prophétie  à  Notre- 
Seigneur  qui  s'est  levé  pour  monter  sur  la  croix,  qui  a  i^avi 
ainsi  au  démon  la  proie  qu'il  voulait  dévorer,  qui  s'est  couché 
dans  le  sépulcre ,  plein  de  force  et  de  majesté,  et  qui  s'est 
réveillé  de  la  mort  par  sa  propre  puissance  ^.  Aussi  Jésus- 
Christ  est-il  désigné  sous  le  nom  de  lion  de  la  tribu  de  Juda 
(Apoc.  V,  5). 

Dans  d'autres  endroits  de  la  sainte  Ecriture,  le  lion  est 
pris  en  mauvaise  part:  Conculcahis  leonem  et  draconem  (ps.xc). 
—  Salva  me  ex  are  leonis  (Ps.  xxi).  L'apôtre  saint  Pierre 


'  Btdlet.  monum.,  t.  viii,  p    558. 
*  S.  Zknoiv,  lib.  II,  Trart.  43 


92  LE    MON    ET    LE   B(fiUF 

compare  le  démon  à  un  lion  rugissant  qui  rôde  autour  de 
nous,  en  cherchant  à  nous  dévorer  (I  Petr.  v,  8). 

Voilà  deux  sources  différentes  de  symbolisme.  Aussi  le 
lion  sera  tout  à  la  fois  la  figure  de  Jésus-Christ  et  l'emblème 
du  démon  et  de  ses  satellites.  Mais  dans  ce  dernier  cas,  les 
artistes  le  représenteront  dans  une  position  humiliante  qui 
rappellera  sa  défaite.  Ainsi,  au  grand  portail  de  Notre-Dame 
d'Amiens,  le  Sauveur  foule  un  lion  du  pied  droit  et  un  dra- 
gon de  l'autre. 

Les  données  de  l'Écriture  furent  considérablement  ampli- 
fiées par  les  écrivains  ecclésiastiques  et  les  auteurs  de  Bes- 
tiaires qui  savaient  trouver,  dans  les  légendes  de  l'histoire 
naturelle,  des  comparaisons  et  des  allégories  ayant  principale- 
ment pour  but  d'exciter  la  piété.  Le  R.  P.  Cahier  ' ,  M"'  Fé- 
licie  d'Ayzac  ^  et  M.  Hippeau  ^  ont  savamment  étudié  le 
symbolisme  du  lion  d'après  les  Bestiaires  du  moyen-âge.  Ils 
nous  permettront  de  leur  emprunter  quelques  citations. 

M'"^  F.  d'Ayzac  a  parfaitement  démontré,  dans  son  Étude 
sur  le  Tétramorphe ,  que  chacun  des  animaux  apocalyptiques, 
donnés  en  attribut  aux  évangélistes,  est  avant  tout  une  fi- 
gure de  Jésus-Christ  :  l'Homme  indique  le  verbe  fait  chair  ; 
le  Veau  ou  le  Bœuf,  son  immolation  ;  le  Lion,  sa  royauté  et 
sa  résurrection;  l'Aigle,  son  triomphe  et  son  ascension:  Chris- 
tus  est  homo  nascendo,  vitulus  moriendo^  leo  resurgendo,  aquila 
ascendendo^  dit  saint  Jérôme. 

Le  lion,  par  sa  force  et  la  majesté  de  ses  allures,  a  toujours  ' 
été  considéré  comme  le  roi  des  animaux,  et  en  cette  qualité 

•  Vitraux  de  Bourges,  p.  78.—  Mélanges  d'hist.  et  d'arckéol.,  t.  ii. 

'  Etude  sur  le  tétraniorphe,  dans  le  tome  vu  des  Annales  archéologiques, 
p.  151. 

*  Iconographie  religieuse,  dans  le  Bulletin  de  la  Société  des  Beaux-Arts  de 
Caen,  2«  vol.,  2=  cahi.-r,  p.  109. 


SCL'LPTÉS    AUX    PORTAILS   DES   ÉGLISES.  93 

il  figure  la  puissance  et  la  royauté  de  Jésus-Christ,  dont  saint 
Ambroise  a  dit  :  ko  quia  fortis.  Le  Bestiaire  anglo-normand 
de  Philippe  de  Thann  exprime  cette  idée  en  disant  : 

Li  leon  senefie 
Le  fîz  saincte  Marie 
Reiz  est  de  tu  le  g^ens 
Sans  nul  redulement. 

«  Les  yeux  du  lion,  dit  M""  F.  d'Ayzac,  que  les  natura- 
listes disaient  entr' ouverts  et  étincelants  durant  son  som- 
meil, en  avaient  fait  chez  les  païens  un  emblème  de  la  vigi- 
lance ;  ils  furent,  parmi  les  chrétiens,  surtout  durant  le  moyen- 
âge,  une  allusion  mystérieuse  à  cette  nature  divine,  que  n'é- 
teignit point  le  tombeau,  où  l'humanité  du  Sauveur  subissait 
une  mort  réelle  ' .  » 

■  Saint  Epiphane  s' appuyant  sur  une  fausse  observation 
d'Elien,  dit  que  le  lion  eftace  avec  sa  queue  la  trace  de  ses 
pas  et  que,  par  là  même,  il  est  l'image  du  Sauveur,  qui  ca- 
cha sa  venue  sur  la  terré  de  manière  à  dépister  les  recher- 
ches du  démon. 

Les  poètes  religieux  du  moyen-âge  étaient  tellement  amou- 
reux de  symbolisme,  qu'ils  décomposaient  le  lion,  pour  y 
trouver  des  significations  diverses  :  la  partie  antérieure  du 
lion,  forte  et  puissante,  figurait  selon  eux  la  nature  divine  de 


*  Cette  pensée  est  exprimée  par  S.  Augustijj,  De  Civitat.,  1.  i,  c.  41  ; 
S.  HiLAiRE,  in  psalin.  131  ;  S.  Brunon  d'Asti,  in  Gènes. ,  c.  xnx.  —  V.  Ayin. 
archéoL,  t.  vu,  p.  208.  —  Plusieurs  anciens  auteurs  ont  fait  remarquer  que 
les  lions  étaient  placés  à  la  porte  des  temples,  comme  des  gardiens  vigilants, 
à  cause  du  privilège  qu'on  leur  attribuait  de  dormir  les  yeux  ouverts  :  témoin 
ce  vers  d'Alciat  : 

Est  leo,  sed  custos,  oculis  quia  dormit  apertis  ; 

Templorum  idcirco  ponitur  antc  fores. 


94  LE    LION    ET    LE    B(IEUF 

Jésus-Christ  et,  lapartie  postérieure,  d'une  apparence  un  peu 
grêle,  représentait  sa  nature  humaine  : 

Force  do  Déilé 
Demustre  piz  carré  ; 
Le  trait  qu'il  a  derrère 
De  mult  gredle  tnanere 
Demustre  humanité 
Quil  out  od  Déité. 

(Philippe  de  Thann.) 


Ces  diverses  traditions  réunies  suffisaient  bien  pour  que 
les  artistes  adoptassent  le  lion  comme  une  figure  du  Sauveur; 
mais  ils  durent  être  surtout  frappés  d'une  légende  merveil- 
leuse qui  donnait  au  lion  la  signification  spéciale  de  Jésus- 
Christ  ressuscitant.  On  croyait  que  les  lionceaux  en  naissant 
restaient  trois  jours  sans  vie,  et  que  leur  père,  après  ce  laps 
de  temps,  les  ressuscitait  en  soufflant  sur  eux  et  en  rugissant. 
Voici  comment  le  Bestiaire  ms.  de  l'Arsenal  ^  expose  cette 
tranformation  : 

«  La  tierche  vertu  del  lion  ce  est  que  quand  la  lionesse  en- 
fante son  lioncel,  ele  le  rend  tôt  mort  par  la  bouche,  c'est  une 
forme  de  char  en  forme  de  lionchel  ;  puis  le  garde  ele  m 
jors  tôt  mors,  et  al  tiers  jor  vient  li  lions  et  si  l'aleine,  et 
demaine  grant  ruiement  [bruit]  sor  lui,  et  tant  lui  vait  entor 
et  ruit  et  alaine  sor  lui  que  si  met  vit  par  son  alener  et  le 
resuscite...  et  alsi  li  poissans  Père  resuscita  de  mort  al  tiers 
jor  son  saint  fils  nostre  segnor  Jhu  Crist.  » 

Abailard  a  resserré  en  une  strophe  cette  légende  tout  en- 
tière : 

'  Mijlanij.  il  fiisl    et  d'arcli  ,  t.  ii. 


SOULl'TÉS    AUX    l'OKTAlLS    i>ES    Élil.lSES.  95 

Ut  Leonis  catulus 

[•■    [  Resiinexit  Domimis 

Qucm  iiîgilus  palrius 

Die  terlia 
Suscitât  vivifîcus 

Teste  pliysicci. 

Ce  singulier  rapprochement  n'est  point  tle  l'invention  du 
moyen-uge;  on  le  retrouve  dans  Origène',  saint  Epiphane  ^, 
saint  Eucher  %  le  vénérable  Bède  %  etc.,  et  dans  presque  tous 
les  anciens  commentateurs  du  chapitre  XLix"  de  la  Genèse. 

A-Ussi,  comme  le  fait  fort  bien  remarquer  le  R.  P.  Cahier  ^, 
le  lion,  aux  yeux  des  auteurs  ecclésiastiques  qui  l'interprè- 
tent, figure  spécialement  la  résurrection  du  Sauveur,  bien 
plutôt  que  la  puissance  divine  proprement  dite  ^. 

Il  est  si  bien  le  symbole  de  la  résurrection,  que  c'est  seule- 
ment par  ce  motif  qu'il  est  devenu  l'attribut  de  saint  Marc. 
«  Saint  Marc,  dit  Guillaume  Durand,  est  figuré  par  un  lion 
rugissant  dans  le  désert,  parce  qu'il  se  propose  surtout  de 
décrire  la  résurrection  du  Christ.  C'est  pourquoi  son  évangile 
est  lu  le  jour  de  Pâques  (lib.  7,  c.  4-4,  n°  4).  » 

Ainsi  donc  le  lion,  nimbé  ou  non,  quand  il  est  seul,  est 


t  Nam  physioJogus  de  catulo  leonis  hrec  scribit  quod,  quum  fueiit  natus, 
tribus  diebus  et  tribus  noctibus  doimiat  ;  tuni  deinde  patris  frcmitu  vel  nigitu 
tanquam  tremefactus  cubilis  locus  suscitet  catuluni  dormientein.  In  Gcnes. 
Jiomil.  xvii. 

^  Physiologus,  c.  i. 

'  In  Gènes.,  lib.  i. 

*  In  Gènes. 

*  Vitraux  de  Bouryes,  p.  78. 

®  S.  Bhunon  d'Asti,  in  Gènes.,  c.  49.  —  S.  Yves  de  Cuaivtres,  Sermo 
de  Convenientia. 


96  LE    LlUA'    tT    LE    BfKUF 

ordinairement  le  symbole  de  la  résurrection  du  Sauveur  '  ;  il 
conserve  assurément  cette  même  signification  quand  il  est  à 
côté  du  bœuf,  qui  est  la  figure  de  l'immolation  de  Jésus- 
Christ,  comme  nous  allons  le  voir. 

M"*'  F.  d'Ayzac,  dans  son  Élude  sur  le  tétramorphe^  montre 
1°  que  le  veau  est  un  attribut  de  Jésus-Christ,  parce  qu'il 
indique  l'immolation  et  le  sacerdoce  du  Dieu  fait  homme; 
2"  que  le  taureau  indique  son  sacerdoce,  sa  force,  sa  toute 
puissance,  ses  abaissements,  sa  patience  et  ses  vengeances 
au  jour  du  jugement  dernier  ;  3"  que  le  bœuf  a  les  mêmes 
sens  de  sacerdoce,  de  puissance,  de  patience  et  d'abaisse- 
ment; 4"  et  qu'enfin  la  génisse  rousse  des  sacrifices  judaïques 
représente  Jésus  fait  homme,  Jésus  immolé,  Jésus  rédempteur. 
Elle  cite  à  l'appui  des  textes  incontestables.  Saint  Yves  de 
Chartres  "  nous  dit  que  Jésus-Christ  a  été  immolé  pour  le 
genre  humain,  comme  le  veau  l'était  pour  le  salut  des  Juifs, 
que  Jésus  était  sans  péché,  comme  la  victime  judaïque  était 
sans  tache.  Ce  même  auteur,  en  parlant  de  la  génisse  rousse 
des  expiations  judaïques,  voit  dans  son  sexe  faible  et  dépen- 
dant, la  nature  humaine  du  Christ  ;  dans  sa  couleur  rougeâtre, 
la  mort  sanglante  du  Sauveur.  Beaucoup  d'autres  écrivains 
ecclésiastiques  ont  expliqué  de  la  même  manière  le  symbo- 
lisme du  bœuf  ^ 

'  Quand  les  vitraux  peints  ou  les  sculptures  offrent  le  parallèle  de  l'Ancien 
et  du  Nouveau  Testament,  des  figures  et  des  réalités,  le  lion  devient  le  pen- 
dant de  la  Résurrection  Ainsi  une  verrière  de  Saint-Jean  de  Lyon  nous  montre 
un  lion  et  son  lionceau  dans  un  médaillon  c^ui  correspond  au  panneau  de  la 
Résurrection,  tandis  que  plus  loin  le  serpent  d'airain  correspond  au  Calvaire 
et  l'aigle  à  l'Ascension. 

-  De  convenientia. 

'  Le  bœuf,  dit  saint  Grégoire,  figure  Jésus-Christ,  parce  qu'il  s'est  laissé 
égorger  comme  une  victime  {Moral,  lib.  xxxi,  c.  21).  —  Est  homo  [Jésus 
Christus)  dum  vivit,  bos  duni  morilur,  leo  vero  quando  resurgit,..  (HiLDE- 
BEUDi  Opéra,  ]).   1318) 


SdULPTÉS    AUX    PORTAILS    DES    ÉGLISI'S.  97 

Si  011  a  donné  le  veau  p(jur  attribut  à  saint  Luc,  c'est 
parce  que  cet  animal  représente  la  Passion  de  Jésus-Christ, 
dont  cet  évangéliste  a  raconté  l'histoire  avec  de  nombreux 
détails.  «  Luc,  dit  Guillaume  Durand,  est  désigné  par  un 
veau  parce  qu'il  se  propose  principalement  de  décrire  la 
passion  où  le  Christ,  tout  à  la  fois  Christ  et  victime,  s'offrit 
comme  une  victime  à  Dieu  son  Père  ' .  »  Le  VIP  Ordo  ro- 
manus^  en  décrivant  les  cérémonies  du  baptême,  dit  qu'après 
que  le  diacre  avait  lu  aux  catéchumènes  le  commencement 
de  l'évangile  selon  saint  Luc,  le  prêtre  prononçait  ces  pa- 
roles :  «  L'évangéliste  Luc  porte  la  ligure  du  taureau,  pour 
rappeler  l'immolation  de  Notre-Seigneur  ^.  » 

Nous  avons  déjà  dit  un  mot  des  bœufs  qui  sont  sur  les 
tours  de  Notre-Dame  de  Laon.  Une  tradition  populaire  ex- 
plique leur  présence,  en  disant  que  c'est  pour  rappeler  que 
des  bœufs  auraient  traîné  des  matériaux  de  construction  sur 
un  pont  gigantesque ,  partant  du  bourg  et  aboutissant  au 
portail.  Même  en  admettant  le  fait,  cette  glorification^  qui 
sent  l'apothéose  païenne,  nous  semble  bien  peu  dans  l'esprit 
du  moyen-âge. 

M.  J.  Marion  '^  a  donné  une  explication  plus  vraisem- 
blable, en  invoquant  un  texte  de  Guillaume  de  Nogent.  Ce 
chroniqueur  raconte  qu'un  clerc  avait  été  envoyé  au  bas  de 
la  montagne,  pour  y  chercher  des  matériaux  ;  il  s'empressa 
d'obéir  à  cet  ordre;  mais  en  gravissant  la  colline,  un  des 
bœufs  qu'il  conduisait  tomba  de  lassitude.  Il  était  désormais 
impossible  de  continuer  la  route...  Mais  bientôt  un  autre 
bœuf,  venu  on  ne  sait  d'où,  accourut  se  placer  sous  le  joug, 


•  Ration.,  1.  vu,  c.  44,  n"  4. 

'  Patrologie  de  Migne,  t.  78,  col,  997. 

'  Essai  hist.  et  archéoJ    sur  la  cathédrale  de  Laon.  In-8°,  Paris,  1843. 


98  LE    LION    ET   LE   BŒUF 

et  tnûna  lestement  son  fardeau  jusqu'au  portail  de  Notre- 
Dame.  A  peine  délié,  il  descendit  la  montagne  sans  guide, 
et  personne  ne  put  savoir  ce  qu'il  devint. 

On  pourrait  faire  observer  tout  d'abord  qu'il  ne  s'agit  ici 
que  d'un  seul  bœuf,  tandis  qu'il  y  en  a  huit  aujourd'hui  sur 
les  tours  de  Notre-Dame,  et  que  probablement  il  y  en  avait 
seize  dans  l'origine.  Mais  une  objection  plus  grave  à  faire 
contre  cette  interprétation,  c'est  qu'elle  est  toute  moderne  et 
qu'elle  a  été  produite  pour  la  première  fois,  si  je  ne  me  trompe, 
par  M.  J.  Marion.  Comment  admettre  que  les  écrivains  an- 
térieurs, ceux  du  moyen-âge  surtout,  aient  gardé  le  silence 
sur  la  corrélation  d'un  miracle  avec  ces  énormes  bœufs,  qui 
ne  peuvent  certes  échapper  à  l'œil  le  plus  distrait  ?  Ce  silence 
s'expliquerait,  si  nos  pères  n'ont  vu  dans  ces  statues  que  les 
emblèmes  ordinaires  de  la  Passion  du  Sauveur.  Ce  n'aurait 
pas  été  à  leurs  yeux  un  fait  anormal  et  jugé  digne  d'une  re- 
marque spéciale. 

Ce  ne  sont  que  des  doutes  et  non  pas  une  opinion  que 
nous  émettons  sur  l'origine  des  bœufs  de  Laon.  Nous  serions 
heureux  de  voir  nos  savants  collègues  de  la  Société  acadé- 
mique de  Laon  élucider  cette  intéressante  question. 

Eevenons  maintenant  à  notre  point  de  départ.  M.  l'abbé 
Poisson  nous  demandait  l'explication  du  bœuf  et  du  lion, 
dont  Guillaume  Durand  constate  la  présence  ordinaire  dans 
les  portails,  sans  en  donner  le  motif.  Il  paraîtrait  naturel,  au 
premier  abord,  de  ne  voir  dans  le  bœuf  qu'une  réminiscence 
de  ceux  qui  soutenaient  les  bassins  sacrés  du  temple  de  Sa- 
lomon  ;  dans  le  lion,  un  souvenir  de  ceux  que  les  anciens 
plaçaient  à  la  porte  des  édifices  publics.  Mais  nous  devons 
nous  rappeler  qu'en  admettant  les  types  payens  ou  judaïques, 
la  Eeligion  y  attacha  toujours  de  nouvelles  idées  symboliques. 
Tout  en  admettant  que  le  bœuf  et  le  lion  peuvent  exprimer 


SCULPTÉS   AUX    rOUTAlI.S   DES   ÉGLISES.  99 

bien  des  idées  diverses,  nous  avons  montré  que  le  plus  ordi- 
nairement le  premier  était  le  type  de  la  passion  du  Sauveur, 
et  le  second  l'emblème  de  sa  résurrection.  On  pourrait  in- 
sister en  demandant  pourquoi  ces  symboles  doivent  figurer 
au  portail  des  églises  i)lut6t  que  partout  ailleurs.  Ici  la  ré- 
ponse nous  semble  facile.  La  porte  principale  de  l'église  est 
la  figure  de  Jésus-Christ,  qui  a  dit  de  lui-même  :  Ego  mm 
ostium.  Saint  Eucher  ',  saint  Isidore  -,  Alcuin,  Rupert, 
Hugues  de  Saint-Victor  %  Honorius  d'Autun ,  Durand  de 
Mende  sont  unanimes  sur  ce  point,  en  faisant  remarquer  que 
Jésus-Christ  est  la  porte  par  laquelle  on  arrive  au  salut  et  à  la 
Jérusalem  céleste^ .  Or,  ajouterons-nous, comment  Jésus-Christ 
a-t-il  opéré  notre  salut?  Par  sa  passion  volontaire  qui  nous  a 
racheté  du  péché  originel  et  par  sa  résurrection  qui  nous  a 
conquis  droit  de  cité  dans  les  ci  eux.  On  s'explique  donc  faci- 
lement que  ce  soit  à  côté  de  la  porte  principale  figurant  Jésus- 
Christ,  que  soient  représentés  le  lion  et  le  bœuf  symbolisant 
sa  passion  et  son  triomphe  sur  la  mort.  Le  portail  ainsi  or- 
donnancé semble  nous  dire  :  C'est  grâce  à  Jésus-Christ,  à 
Jésus-Christ  mourant,  à  Jésus-Christ  ressuscitant,  que  vous 
entrerez  dans  le  ciel,  dont  l'intérieur  de  ce  temple  est  l'i- 
mage. 

l'abbe  j.  corblet. 

'  Ostium  ergo  templi  Dominus  est  (Comment,  sur  le  ii«  livre  des  liois,n.  8). 

*  Christus,  ostium,  quia  per  ipsum  ad  Dcura  ingredimur  (vii^  livre  des 
Elymologies,  c.  2). 

'  Ostium  domus  ipse  est  Christus  qui  ait  :  Ego  sum  ostium.  [De  Templo 
Salomonis,  lib.  iv,  tit.  3.) 

*  Le  Pontifical  fait  dire  à  l'Êvêque  consécrateur,  au  moment  de  l'onction 
des  portes  :  Benedicta  sis  ;  sis  introitus  salutis  et  pacis....  per  cum  qui  se 
ostium  appelavit,  Jésus  Christus. 


LE  TEMPS  DE  NOËL 


{Cantiques,  —  Liturgie.  —  Coutumes.) 


On  ignore  l'origine  du  mot  Noël,  qui  semble  particulier  à 
notre  langue;  on  ne  le  trouve  ni  dans  la  liturgie  grecque, 
ni  dans  la  liturgie  latine,  et,  malgré  sa  désinence  hébraïque, 
il  est  également  étranger  à  l'hébreu.  L'étymologie  la  moins 
improbable  serait  celle  qui  ferait  dériver  Noël  du  mot  natale^ 
nom  latin  de  cette  glorieuse  fête.  Chez  nos  pères,  ce  mot  était 
une  exclamation  de  joie  et  correspondait  aux  vivats  de  notre 
époque.  Noël  î  Noël  !  ce  cri  magique  était  la  vieille  acclama- 
tion de  bonheur  de  nos  aïeux,  quand  un  prince  chéri  venait 
les  visiter,  quand  une  reine  donnait  un  héritier  à  la  cou- 
ronne, quand  une  victoire  était  remportée. 

On  a  donné  le  nom  de  Noël  à  des  cantiques  populaires, 
destinés  à  célébrer  le  Messie  attendu  ou  déjà  arrivé.  Nos 
pères  les  aimaient  et  les  chantaient  durant  les  longues  veil- 
lées de  l'Avent.  En  Normandie,  en  Bourgogne  et  dans  plu- 
sieurs autres  provinces,  aux  quatre  dimanches  qui  précèdent 
Noël,  les  hautbois  de  l'Avent,  ménétriers  rustiques  payés  par 
la  ville,  s'en  allaient  de  maison  en  maison,  confiant  aux  échos 
de  la  nuit  leurs  pieuses  mélodies.  Un  événement  qui  montrait 


LE   TEMPS    DE   NOËL.  |(H 

dans  la  crèche  de  Bethléem  le  divin  Libérateur,  depuis  tant 
de  siècles  promis  à  la  terre ,  apportant  la  paix  aux  hommes 
de  bonne  volonté,  dans  cette  nuit  de  Noël  que  nos  ancêtres, 
selon  Bède,  appelaient  la  mh-e  et  la  reine  des  îmits,  devait 
naturellement  obtenir  la  préférence  sur  beaucoup  d'autres 
fêtes  de  l'année  chrétienne ,  et  devenir  le  premier  objet  du 
culte  de  la  poésie  populaire. 

Aussi  le  iVoè7,  se  produisant  dans  les  mille  dialectes  de  la 
langue  romane,  dès  que  le  peuple,  au  IX®  siècle,  cessa  d'en- 
tendre le  latin,  retentit  dans  tous  les  sanctuaires  de  la 
France,  d'où  il  se  propagea  dans  les  églises  des  autres  nations 
de  l'Europe.  Toujours  simple  et  naïve,  cette  poésie  des  cités 
et  de  la  chaumière  était  colportée  par  les  trouvères  et  les 
troubadours  ;  à  la  faveur  du  chant  qui  en  était  toujours  l'ac- 
compagnement obligé,  elle  se  gravait  dans  toutes  les  mé- 
moires, s'acclimatait  au  foyer  domestique  et  se  transmettait 
comme  un  héritage  de  génération  en  génération. 

La  grande  Bible  des  Noëls  remplaçait  à  l'intérieur  les 
mystères  de  la  Nativité^  représentés  sur  la  place  publique. 
Quelques  Noëls  étaient  même  distribués  par  personnages  et 
pouvaient  être  à  la  fois  joués  et  chantés.  Tel  est  celui  où  l'on 
voit  Joseph  et  Marie  cherchant  un  asile  dans  Bethléem  et  ne 
trouvant  partout  que  des  refus. 

Notre  littérature  a  conservé  les  noms  de  quelques-uns  de 
ces  rapsodes  chrétiens  à  qui  nous  devons  ces  petits  chefs- 
d'œuvre  de  grâce  et  de  piété.  En  1520,  on  imprima  à  Paris 
les  Noëls  de  feu  maître  Lucas  le  Moigne^  en  son  vivant  curé  de 
Saint -Geor ge- du -Pui- la -Garde  ^  au  diocèse  de  Poitou,  et, 
en  \  558,  les  Cantiques  du  premier  advénement  de  Jésus-Christ 
par  le  comte  d'Alsinois.  Tours  vit  publier,  en  1675,  la  gravide 
Bible  des  Noëls  vieux  et  nouveaux.  On  trouve  dans  ce  dernier 
recueil  le  célèbre  Noël  qui  commence  par  ces  mots  : 


102  LE   TEMIS    UE   NOËL 

A  la  venue  de  Noël 
Chacun  se  doit  bien  réjouir. 

Besançon  a  produit  deux  auteurs  de  Noéls,  le  P.  Christin 
Prost,  capucin,  mort  en  1696,  et  François  Gauthier,  impri- 
meur-libraire de  cette  ville,  où  il  mourut  en  1730.  En  Bour- 
ccosine,  tout  le  monde  lisait,  tout  le  monde  chantait,  tout  le 
monde  apprenait  les  Noël  Bourguignons  de  Gui-Barôzai  (Bas- 
RoséJ,  vigneron  célèbre  qui  était  le  chantre  le  plus  populaire 
de  cette  ancienne  province.  Plus  tard,  en  1701,  Bernard  de 
la  Monnoye  publiait,  sous  le  pseudonyme  et  sous  la  protec- 
tion de  son  devancier,  Gui-Barôzai^  ses  spirituels  et  malins 
Noëls,  résultat  d'un  défi,  qui  ont  acquis  une  assez  grande 
célébrité  pour  être  réédités  à  Paris  (1842),  avec  une  traduc- 
tion littérale  en  regard  du  texte  patois  et  avec  de  nombreuses 
notes. 

L'idiome  provençal  s'est  personnifié  avec  éclat,  sous  le 
règne  de  Louis  XIV,  dans  un  poète  qui,  par  ses  mérites 
divers  et  le  nombre  de  ses  productions,  n'a  pu  avoir  ni  rivaux 
ni  imitateurs.  Nous  voulons  parler  de  l'abbé  Nicolas  Sabely, 
bénéficier  et  maître  de  musique  de  l'église  collégiale  de  Saint- 
Pierre-d'Avignon,  où  il  mourut  en  1675,  à  l'âge  de  61  ans, 
non  loin  de  Monteux,  son  pays  natal.  Ses  Noèls  furent  si 
goûtés  de  son  temps  qu'on  les  chanta  dans  toute  la  France  ; 
on  les  chante  encore  aujourd'hui  devant  les  crèches  des 
églises,  dans  la  Provence.  Un  des  plus  connus  est  le  fameux 
Noël  dei  trcs  Boumians  (des  trois  Bohémiens),  que  plusieurs 
critiques  attribuent  à  un  autre  provençal,  Louis  Puech.  Ces 
Bohémiens  s'olFrent  à  dire  la  bonne  aventure  à  l'Enfant- Jésus, 
à  Marie  et  à  Joseph,  et,  par  la  chiromancie,  devinent  tour 
à  tour  leurs  grandeurs  et  dévoilent  le  mystère  auguste  de  la 


LE   TEMPS    DE    NOËL.  103 

naissance  du  Dieu  fait  homme,  clans  un  récit  semé  de  traits 
charmants  et  de  beautés  incomparables. 

Le  Languedoc  est  aussi  justement  fier  des  Nocls  de  Pierre 
Goudouli  ou  Goudelin,  Vllomere  des  Gascons,  né  en  1579  et 
mort  en  1 G 49.  Un  autre  poète  patois,  Arnaud  Daubasse, 
maître  peignier  de  Villeneuve-sur-Lot,  composait,  chaque 
année,  un  nouveau  Noël  qu'il  faisait  chanter  à  l'église  par 
ses  deux  filles.  Né  à  Moissac  en  16G4,  il  mourut  à  Villeneuve 
en  1727. 

En  1 720,  un  maître  d'écriture  de  Bordeaux,  Pierre  Gobain, 
recueillit  les  divers  Noëls  français  et  gascons  qui  étaient  ré- 
pandus dans  le  Bordelais,  et  en  publia  la  collection  en  un 
volume  in-1 8  de  90  pages.  Il  joignit  à  ce  recueil  quelques 
pièces  de  sa  composition  dans  le  même  genre,  entr 'autres  les 
Noëls  Rébeillats-bous,  meynades  et  puisque  du  premier  père, 
que  les  habitants  des  campagnes  chantent  encore  avec  délices. 
Nous  avons  lu  d'autres  Noëls  patois,  dont  quelques  termes 
accusent  une  origine  Landaise,  Bazadaise  ou  Garonnaise. 
Nous  regrettons  d'en  ignorer  les  auteurs. 

L'Espagne,  l'Italie,  l'Allemagne  ont  aussi  leurs  Noëls. 
Lope  de  Véga  a  chanté  le  Messie  en  beaux  vers  castillans. 
Nous  trouvons  dans  le  Dictionnaire  de  plain-chant  de  M.  Joseph 
d'Ortigue,  un  Noël  plein  de  grâce  et  de  naïveté,  en  patois 
Valencien,  sous  ce  titre  qui  indique  un  chant  d'allégresse  : 
Tonadilla  alegre. 

Qui  le  croirait  ?  Luther  lui-même  a  célébré  le  mémorable 
événement  de  la  naissance  temporelle  du  Fils  de  Dieu,  base 
des  mystères  de  la  religion  catholique  qu'il  avait  désertée  ; 
on  peut  lire  le  texte  primitif  et  la  traduction  de  son  travail 
dans  le  Dictionnaire  que  nous  avons  cité. 

Parmi  les  nombreux  poètes  chrétiens  qui  sont  venus  dé- 
poser auprès  de  la  crèche  de  Bethléem  les  hommages  de  leur 


104  J'K    TEMPS    UE    NOËL. 

muse  latine,  trois  ont  puisé  dans  leur  piété  des  accents  trop 
suaves  pour  ne  les  pas  mentionner.  Les  deux  premiers  sont 
Abailard  et  saint  Bernard,  unanimes  au  moins  dans  les 
louanges  de  la  Vierge-Mère  et  de  son  divin  Fils.  Le  troisième 
est  l'immortel  auteur  du  Stabat  Mater  dolorosa,  le  bienheu- 
reux Jacopone.  On  lui  doit  le  Stabal  de  la  crèche  jusqu'ici 
trop  peu  connu ,  malgré  les  justes  réclamations  de  feu 
M.  Ozanam.  Nos  lecteurs  trouveront  ces  trois  pièces  dans  le 
tome  m"  du  Ralional  de  Guillaume  Durand,  traduit  et  annoté 
par  M.  Charles  Barthélémy. 

Ce  terme  de  Noël,  qui  signifie  déjà  tant  de  choses,  nais- 
sance du  Sauveur,  joie,  cantique,  a  été  pieusement  usurpé 
par  les  adorateurs  de  la  crèche,  qui  en  ont  fait  un  nom 
propre. Un  saint  l'a  porté;  de  hauts  personnages  l'ont  préféré 
à  leurs  titres  de  noblesse  et  Tout  placé  à  côté  de  leur  nom 
patronymique. 

Le  Messie  promis  à  Adam,  à  Abraham,  à  David,  figuré  par 
les  Patriarches,  annoncé,  signalé,  prédit  par  une  longue  et 
illustre  suite  de  Prophètes,  le  réparateur  de  l'œuvre  de  Dieu 
défigurée  par  le  péché,  avait  été  attendu  quatre  mille  ans  ;  la 
sainte  Eglise,  môme  après  le  mystère  accompli,  semble  at- 
tendre son  Emmanuel,  pendant  les  quatre  semaines  de  l'Avent, 
l'appelle  par  ses  soupirs  embrasés  et  se  prépare  graduellement 
à  son  avènement.  Le  17  décembre,  elle  ouvre  la  série  septé- 
naire des  jours  qui  précèdent  la  vigile  de  Noël,  et  qui  sont 
célèbres  dans  la  liturgie  sous  le  nom  de  [éries  majeures.  Tous 
les  jours,  à  vêpres,  on  chante  une  antienne  solennelle,  qui 
est  un  cri  vers  le  Messie,  et  dans  laquelle  on  lui  donne 
quelqu'un  des  titres  qui  lui  sont  attribués  dans  l'Ecriture. 
(Jes  antiennes  doublées,  même  triplées  dans  certaines  Eglises, 
sont  vulgairement  appelées  les  0  de  l'Avent,  parce  qu'elles 
conmiencent  toutes  par  cette  exclamation.  L'instant  choisi 


LE    TEMPS    riE    NOËL.  105 

pour  faire  entendre  cet  admiral)lc  appel  à  la  charité  du  Fils 
de  Dieu,  est  l'heure  des  vêpres^  parce  que  c'est  sur  le  soir  du 
monde,  vergente  mundi  vespere,  que  la  lumière  du  monde,  le 
véritable  Orient,  est  venu  parmi  nous.  Le  18  décembre,  on 
GéVehre  VExpedalion  de  V enfantement  de  la  sainte  Vierge^ 
nouvelle  fête  préparatoire  à  la  fêle  des  fêtes,  et  communément 
désignée  sous  le  nom  de  Notre-Dame-de-l'O ,  à  cause  des 
grandes  antiennes  commençant  par  0,  qu'on  chante  en  ces 
jours. 

La  nativité  du  Sauveur  est  le  plus  grand  événement  de 
l'histoire  du  monde.  Le  calendrier  de  Charlemagne  appelle  le 
mois  de  décembre  C/irist-Monalh.,  mois  du  Christ,  ou  Heilig- 
Monath,  mois  saint.  C'est  de  la  naissance  du  Sauveur  que 
date  l'ère  chrétienne  ;  il  y  a  dans  cette  supputation  une  haute 
raison;  tous  les  jours  chrétiens  découlent  du  premier  jour  du 
Christ  sur  la  terre.  Un  grand  peintre,  dans  un  tableau  de  la 
nativité  de  Jésus,  a  fait  partir  toute  la  lumière  du  corps  de 
l'Enfant  divin;  il  en  est  de  même  pour  la  société;  elle  ne 
peut  avoir  d'autre  lumière  que  celle  qui  jaillit  de  la  nuit 
rayonnante  de  Noël.  C'est  pour  une  raison  identique  que 
l'année  civile  commençait  jadis  à  Noël,  et  que  cette  fête  était 
appelée  le  jour  des  Calendes.  Les  Provençaux  ont  conservé 
un  souvenir  de  cette  appellation  dans  les  Aubades  de  Calme, 
promenades  musicales  dont  les  vieux  Noëls  font  tous  les  frais. 
L'espace  nous  manque  pour  retracer  les  coutumes  tradi- 
tionnelles et  les  vénérables  institutions  qui  sont  nées  de  la 
fête  de  l'Enfant-Jésus.  Nous  abrégerons  nos  récits.  Disons  un 
mot  pourtant  de  cette  bûche  de  Noël,  qui  brûlera  jusqu'à 
la  messe  de  minuit ,  brûlera  encore  pour  le  réveillon ,  et  ne 
sera  pas  encore  consumée  à  la  messe  du  point  du  jour.  «  Cette 
«  bûche,  dit  Marclietti,  représente  Jésus -Christ  qui  s'est 
«   comparé  lui-même  à  du  bois  vert  dans  nos  Evangiles.  » 


106  LE   TEMPS    DE   NOËL. 

En  arrivant  à  Rouen,  par  la  Seine,  on  trouve  à  droite  un 
petit  bois,  où  la  charité  chrétienne,  à  une  époque  déjà  bien 
éloignée  de  nous,  aimait  à  déposer  ses  bienfaits.  C'est  là  qu'é- 
tait le  tronc  de  l'aumône,  trésor  ouvert  pour  les  pauvres  sur 
le  chemin  de  la  solitude.  Ingénieuse  délicatesse  !  Le  tronc  in- 
violable d'un  arbre  mourant  de  caducité  était  le  seul  inter- 
médiaire dont  la  bienfaisance  osât  se  servir  pour  assister  le 
mallieur.  Trop  maltraité  par  les  ans  et  les  orages  pour  donner 
encore  des  fruits  ou  même  un  peu  d'ombre,  l'arbre  n'en  était 
que  plus  apte  à  receler  le  bienfait  inattendu  qui  devait  sou- 
lager l'indigent  trop  honteux  ou  trop  timide  pour  tendre  la 
main  à  son  semblable.  Dans  certaines  provinces  de  France, 
les  mères  ont  laissé  à  leurs  enfants  une  aimable  réminiscence 
de  cet  usage  Normand,  en  cachant  de  petits  présents  dans 
la  huche  de  Noël.  Les  troncs  de  nos  églises  ne  sont  qu'une  imi- 
tation transformée  du  môme  usage. 

Dès  l'origine,  les  chrétiens  entourèrent  du  plus  tendre 
respect  les  lieux  et  les  objets  sanctifiés  par  la  présence  du 
Sauveur.  La  crèclie,  en  particulier,  cette  pauvre  crèche  de 
bois  où  le  divin  Fils  de  Marie  avait  été  déposé,  où  il  avait 
dormi,  fiit,  de  la  part  des  pèlerins,  l'objet  du  culte  le  plus 
empressé.  Saint  Jérôme  voulut  en  être  le  gardien  durant  les 
longues  années  qu'il  passa  dans  la  sainte  grotte.  Transportée 
à  Rome,  l'an  642,  lors  de  l'invasion  du  mahométisme,  elle 
est  encore  aujourd'hui  le  plus  précieux  trésor  de  l'une  des 
basiliques  de  la  Ville  éternelle.  De  là  le  nom  de  Sainte-Marie- 
à-la- Crèche  donné  à  cette  église  déjà  décorée  du  titre  de 
Sainte-Marie-Majeurc. 

Rome  a  donc  succédé  à  Bethléem.  Aussi  nulle  part  on  n'a 
rendu  autant  d'honneur  au  grand  mystère  de  Noël.  Une 
église  y  est  dédiée  à  l'Enfant-Jésus  ;  une  autre  a  été  bâtie  sur 
l'emplacement  du  temple  de  Jupiter  capitolin,  au  lieu  môme 


LE  TJiMFS   bK   NOi  L.  1()7 

OÙ,  selon  une  tradition  untorisée,  la  sainte  Mère  de  Dieu, 
tenant  son  Fils  entre  ses  bras,  apparut  dans  le  Ciel,  au  milieu 
d'un  cercle  d'or,  à  l'empereur  Auguste.  Cette  église,  chantée 
plus  tard  par  Pétrarque,  fut  appelée  l'Autel  du  Cûd,  Ara 
Cœli,  soit  parce  qu'elle  est  le  point  le  plus  éminent  de  la  cité, 
soit  parce  qu'on  la  considérait  comme  ayant  été  le  premier 
monument  qui  ait  annoncé  à  l'antique  Rome  le  rapprocliement 
du  Ciel  et  de  la  terre.  On  y  conserve  une  ancienne  figure  de 
l'Enfant- Jésus,  //  sanfo  Bambino,  la  plus  vénérée  de  toutes  les 
images  du  même  genre  qui  sont  à  Rome.  Chaque  année,  aux 
fôtes  de  Noël,  on  l'expose  dans  une  crèche,  près  de  laquelle 
sont  représentés  Auguste  et  la  Sibylle.  C'est  la  fête  des 
enfants  ;  tous  les  privilèges  sont  pour  eux ,  même  celui  de 
prêcher  du  haut  de  petites  chaires  dans  cette  même  église;  la 
foule  ne  manque  jamais  au  sermon  du  petit  Cicéron  chrétien. 

«  A  Rome,  dit  un  auteur,  le  presepio  occupe  toutes  les 
«  pensées —  Pour  le  Romain  plus  peut-être  que  pour  aucun 
«  autre  peuple,  Noël  est  une  fête  capitale,  une  fête  de 
«  famille.  Ainsi,  dans  la  cité  chrétienne,  ce  n'est  pas  la  bonne 
«  année  qu'on  vous  souhaite,  c'est  la  bonne  fête.  Le  capo 
<<  d'anno  n'est  rien,  Noël  est  tout.  N'est-il  pas,  en  eifet, 
«  très-logique  '  de  choisir,  pour  s'offrir  des  vœux  mutuels, 
«  l'anniversaire  de  l'événement  le  plus  social,  par  conséquent 
«   le  plus  heureux  qui  ait  marqué  les  annales  du  monde  ?  » 

Dès  le  IX®  siècle,  on  dressait  dans  les  églises,  en  face  du 
maître- autel ,  des  espèces  de  tentes  qui  simulaient  la  crèche 
du  Sauveur.  A  côté  figuraient  un  Ange^,  saint  Joseph,  le 
bœuf  et  l'âne.  Divers  chants  liturgiques  analogues  à  cette 
représentation  étaient  exécutés  par  le  chœur  des  prêtres  et 
des  fidèles.  «  Au  X''  siècle,  dit  M.  Magnin  ',  on  voit  s'établir 

'  Journal  des  Savanls,  numéro  d'août  1861,  p.  491. 


108  I-E    TEMPS    LE    NOËL. 

dans  les  cathédrales  et  les  abbayes  l'usage  de  joindre  à  ces 
naïfs  et  simples  offices  un  autre  spectacle  dont  le  sujet  et  la 
forme  étaient  laissés  au  goût  et  à  la  discrétion  du  préchantre 
(ju  de  l'écolatre.  Emprunté  presque  toujours  aux  livres  his- 
toriques ou  moraux  de  l'Ancien  Testament,  aux  paraboles 
évangéliques,  à  l'Apocalypse  et  aux  légendes  les  plus  mer- 
A'eilleuses  des  Saints  et  des  Martyrs ,  ce  jeu  supplémentaire 
ajoutait  tout  l'attrait  de  la  variété  et  le  piquant  de  l'imprévu 
aux  autres  récréations  et  gracieuses  réjouissances  qui  ren- 
daient la  célébration  de  Noël  si  chère  au  peuple  et  à  une 
grande  partie  du  clergé,  et  leur  en  faisait,  pendant  le  reste  de 
l'année,  désirer  si  ardemment  le  retour.  » 

L'art  chrétien  s'est  exercé  maintes  fois  sur  le  berceau  du 
Sauveur.  Que  de  crèches  dans  nos  chapelles,  où  les  grands  et 
petits  aiment  à  s'arrêter!  Nous  avons  visité  près  de  Lisbonne, 
dans  une  église,  un  monument  de  cette  espèce  tellement 
important,  que  le  faubourg  lui-même,  Belem^  abréviation  de 
Bethléem^  lui  a  emprunté  son  nom.  L'amour  de  la  crèche  avec 
l'Enfant-Dieu  vêtu  de  langes  ou  de  dentelles,  avec  la  sainte 
Vierge,  saint  Joseph,  les  bergers  et  leurs  agneaux,  a  envahi 
la  maison  du  riche  où  elle  remplace  pour  quelques  jours  tous 
les  jouets;  elle  apparaît  même  sous  le  chaume  et  dans  la  rue; 
car  la  joie  est  pour  tous  au  beau  jour  de  Noël  ;  la  joie  est  la 
fortune  du  pauvre,  comme  elle  fut  le  prix  de  l'innocence  des 
pasteurs. 

l'abbe  j.-b.  pardiac. 


BIBLIOGRAPHIE 


Mémoires  historiques  sur  l'origine  et  le  cidle  de  la  Vierge  miraculeuse  de 
Sainle-Marie-Majeure ,  par  Mgr  Fabi  Montani.  Rome,  1861.  —  Note  sur 
une  Sépulture  chrétienne  du  Moyen  Age  trouvée  à  Etaples,  par  M.  l'abbé 
Cochet.  Amiens,  1861,  in-8°.  —  Table  générale  des  matières  contenues 
dans  la  seconde  série  du  Bulletin  monumental,  par  M.  l'abbé  Auber. 
Caen,  1861,  in-S».  —  Histoire  des  rues  d'Amiens,  par  M.  Goze.  Amiens, 
1861,  4  vol.  in-12.  —  Histoire  du  tulle  et  des  dentelles  mécaniques  en 
Angleterre  et  en  France,  par  M.  Fergusson  fils.  Paris,  1862,  in-12.  — 
Notice  historique  sur  l'abhaye  de  Sery,  par  M.  Dausy.  Amiens,  1861,  in-8''. 

Il  existe  déjà  soixante-sept  ouvrages  sur  la  Madone  miracu- 
leuse de  Sainte-Marie  Majeure.  Cependant,  Mgr  Fabi  Montani  a 
trouvé  moyen  de  dire  des  choses  neuves  dans  la  publication  qu'il 
vient  de  faire  à  Rome,  des  Mémoires  historiques  sur  Vorigïne  et  le 
culte  de  la  vierge  miraculeuse  de  Sainte-Marie  Majeure.  Il  consacre 
deux  chapitres  àTexamen  d'une  question  que  n'a  pas  encore  résolue 
l'archéologie  contemporaine.  La  tradition  populaire  attribuant  la 
Vierge  libérienne  au  pinceau  de  saint  Luc,  l'auteur  se  demande  s: 
cet  évangéliste  a  été  réellement  peintre,  et  il  penche  pour  l'affir- 
mative, malgré  ceux  qui  objectent  que  s'il  était  juif,  ce  qui  n'est  pas 
prouvé,  la  tradition  est  une  erreur,  puisque  le  mosaïsme  inter- 
disait la  peinture  et  la  sculpture  aux  Hébreux,  à  cause  de  leur  in- 
clination à  l'idolâtrie.  Quant  à  la  vraie  origine  de  l'image  libérienne, 
Mgr  Fabi  Montani  n'admet  pas  que  ce  tableau  ait  pu  figurer  au 
triomphe  de  Vespasien,  et  pense  qu'il  a  été  envoyé  par  les  Pères 
d'Èphèse  à  Sixte  III,  qui  l'aurait  fait  transporter  sur  le  mont  Esquilin  ; 
il  réfute  l'opinion  des  écrivains,  qui  ont  prétendu  qu'avant  le  Con- 
cile d'Éphèse,  on  ne  représentait  jamais  la  Vierge  tenant  son  Fils 
dans  ses  bras. 


110 


DlDLIOGr.APlUt:. 


—  Le  ±\  mai  18(51,  on  a  trouvé  à  Étaples,  duns  un  cimelièrc  dé- 
laissé à  la  (ni  du  XIV«  siècle,  nne  sépulture  cbrélienne  consistant 
eu  uu  petit  caveau  construit  avec  de  la  chaux  et  du  silex,  dans 
lequel  étaient  déposés  des  ossements  et  divers  objets  funéraires. 
Une  couche  de  terre  noire  avait  été  formée  par  le  bois  décomposé 
du  cercueil,  dont  il  ne  restait  que  quelques  clous  et  ferrures. 
M.  Souquet,  vice-consul  à  Étaples,  adressa  à  M.  Cochet  la  photo- 
graphie dont  nous  reproduisons  ici  le  dessin,  et  lui  demanda  son 
avis  sur  l'époque  de  ce  tombeau.  C'est  à  cette  occasion  que  notre 
savant  collaborateur  vient  de  publier  une  Note  sur  une  sépulture 
chrétienne  du  moyen-âge ,  trouvée  à  Etaples  ;  il  pense  qu'elle  est  celle 
d'un  chevalier  chrétien  inhumé  avec  ses  armes  au  XIII^  ou  au 
XIV®  siècle.  Voici,  d'après  MM.  Souquet  et  Cochet,  l'indication  des 
objets  trouvés  dans  ce  tombeau  : 

1.  Épée  en  fer  longue  de  88  c. 
avec  pommeau  de  cuivre  ;  lame 
creuse  par  le  milieu  ;  tranche  des 
deux  côtés.  Sa  longueur  rappelle 
l'époque  mérovingienne  ;  mais  la 
forme  de  la  poignée  accuse  le 
Moyen  Age. 

2.  Eperon  en  fer,  de  la  même 
forme  que  ceux  de  l'époque  mé- 
rovingienne. Les  éperons  à  pointes 
sans  molette  ont  dû  persévérer 
jusqu'au  cœur  du  Moyen  Age. 
Leur  présence  dans  un  tombeau 
prouve  que  le  défunt  appartenait 
à  la  noblesse  :  car,  comme  le  dit 
un  ancien  proverbe  :  «  Vilain  ne 
sait  ce  que  valent  éperons.  » 

3.  Plaque  en  fer  surmontée  d'un 
petit  cylindre,  avec  un  manche 
par  dessous;  c'est  peut-être  un 
fragment  de  lampe. 

4.  Quatre  clous  en  fer  dont  deux 
à  tête  ronde  et  deux  à  tête  aplatie. 

5.  Objet  on  fer  ressemblant  à 
un  dossier  de  selle 


S(^pultiiro  (l'Étaples  iSOi; 


BIULlOGli.U'IHI^ 


111 


f).  Deux  objets  que  M.  Souquct  croit  être  des  espcces  d'étriers  à  trois 
branches  et  sur  lesquels  M.  Cochet  réserve  son  opinion. 

7.  Un  petit  vase  en  terre  blanchâtre,  -sans  veiiiis.  Le  charbon  de  bois  qu'il 
contenait  encore  démontre  qu'il  a  servi  à  l'usage  de  cassolette  dans  la  céré- 
monie des  funérailles.  Comme  cette  coutume  liturgique  ne  paraît  point  re- 
monter au-delà  du  Xlir  siècle,  on  doit  être  à  peu  près  fixé  sur  la  date  de 
cette  sépulture.  Ce  vase  a  la  forme  de  ceux  qu'on  a  trouvés  à  Bouteille,  près 
Dieppe,  en  1857. 


ET  ET 

Vases  chrétiens  trotivi's  à  Bouteilles  (1857). 


Cette  clécoiivei"te  est  d'autant  plus  intéressante  qu^elle  prouve 
que  l'iuhumatioa  armée  a  duré  plus  longtemps  dans  le  Boulonnais 
que  dans  la  Normandie. 

~  M.  Tabbé  Auber  avait  publié,  en  1846,  la  Table  générale  des 
matières  contenues  dans  la  première  série  du  Bulletin  monumental  ;  il 
vient  de  continuer  cette  œuvre  de  patience  par  la  Table  de  la  se- 
conde série,  qui  comprend  dix  volumes  comme  la  première.  La 
valeur  d'un  recueil  périodique  est  certainement  doublée  par  une 
bonne  table  analytique,  et  celle  de  M.  Auber  nous  semble  ne  rien 
laisser  à  désirer. 

—  Presque  toutes  nos  villes  de  province  ont  maintenant  leur  his- 
toire :  mais  l'Histoire,  un  peu  fière  par  nature,  dédaigne  une  foule 
de  petits  faits  qui  ne  lui  semblent  pas  relever  de  son  domaine.  La 
Chronique  des  rues  n'a  point  cette  prétention  ;  elle  trouve  encore  à 
glaner  là  où  les  autres  ont  moissonné,  et  rien  n'échappe  ù  ses  fa- 
milières causeries.  C'est  un  cadre  où  viennent  se  grouper  succes- 
sivement  les   grands   événements  et  les  petites  historiettes,   les 


112  BIBLIOGRAPHIE. 

sompliicuix  niomimonls  et  les  modestes  hùlcUerics,  les  glorieux: 
souvenii's  et  les  légendes  populaires.  Nous  devons  féliciter  M.  Goze 
d'avoir  si  bien  compris  l'inléi-cl  de  ces  sortes  de  publications;  son 
Histoire  des  rues  d'Amiens  tiendra  une  place  distinguée  à  côté  des 
ouvrages  analogues  publiés  récemment  sur  les  rues  de  Paris,  de 
Rouen,  de  Lyon,  d'Abbeville,  etc. 

—  M.  Fergusson  fils  vient  de  composer  une  intéressante  Histoit^e 
du  tulle  et  des  dentelles  mécaniques  en  Angleterre  et  en  France.  Selon 
quelques  auteurs,  le  tulle  aurait  emprunté  son  nom  à  la  ville  de 
Tulle  ;  mais  c'est  à  tort,  puisqu'on  n'en  a  jamais  fabriqué  dans 
celte  ville.  On  pourrait  supposer  que  le  mot  Tulle  vient  de  Tuly, 
qu'on  trouve  dans  un  inventaire  anglais  de  1315  ;  mais  M.  Fran- 
cisque Michel  lui  donne  la  signification  de  toile  peinte  fabriquée  à 
Toidouse.  «  Si  l'on  n'accepte  point,  dit  M.  Fergusson,  les  noms  ni  de 
Toulouse  ni  même  de  TullC;,  malgré  leur  alfinité  apparente,  ne 
pourrait-on  pas  en  chercher  l'origine  dans  les  broderies  célèbres  que 
l'on  fabriquait  en  Lorraine  et  particulièrement  à  Toul?  Il  est 
certain  du  moins  que,  dans  ces  broderies,  on  exécutait  à  l'aiguille,  en 
écartant  et  en  rassemblant  les  fils,  une  espèce  de  jour  ou  de  point 
de  filet.  Ce  genre  de  travail,  très-répandu  au  Moyen-Age,  se  fait  en- 
core de  nos  jours  sur  la  mousseline  et  la  baiiste  ;  il  prit  naissance 
en  Italie,  dans  les  couvents,  d'où  il  passa  en  Espagne,  puis  dans  la 
Flandre  espagnole  vers  1530,  puis  enfin  en  France.  Or,  comme  la 
dentelle,  dont  le  fond  est  le  point  de  tulle,  fut  créée  peu  de  temps 
après  en  Allemagne  (1551),  et  que  ce  fond  ressemble  aux  jours 
pratiqués  dans  les  broderies  de  Toul,  en  latin  Tullum  ou  Tullo,  ou 
peut  s'expliquer  aussi  qu'il  ait  pris  en  allemand  le  nom  de  Tûll  et 
en  français  celui  de  Tulle.  » 

—  La  Notice  historique  sur  l'abbaye  de  Sery  que  vient  de  publier 
M.  Darsy,  est  remplie  de  savantes  recherches,  comme  les  ouvrages 
précédents  de  l'auteur.  Sery,  situé  près  de  Gamaches,  ne  fut 
d'abord  qu'un  simple  prieuré,  fondé  en  1127;  un  siècle  plus  tard, 
il  prit  la  règle  de  Prémontré.  L'emplacement  primitif  de  l'abbaye 
n'est  plus  maintenant  qu'un  cimetière;  une  partie  de  l'église  a  été 
détruite  :  ce  qui  en  reste  est  converti  en  habitation. 

J.    CORBLET. 


Revue    de   l'Arl    chrétien 


iars 


1862 


oculplure  du  Porclie  principal  de  SlVulfraiL  d'Abl^eville  - 


LETTRE  AU    DIRECTEUR   DE   LA  REVUE 
sur  quelques  Sculptures  de  Lion- 


Mon  cher  Collègue, 

Je  viens  de  lire  votre  excellent  travail  sur  le  Lion  et  le 
Bœuf  sculptés  aux  portails  des  églises. 

Vous  citez,  dans  cette  étude  iconographique,  entr'autres 
exemples,  le  lion  du  portail  de  l'église  Saint-Yulfran  d'Abbe- 
ville ,  qui  est  accroupi ,  revêtu  d'un  manteau ,  et  qui  tient 
dans  ses  griffes  un  écusson  et  une  bannière,  et  vous  rappelez 
ce  que  j'ai  dit  de  ce  lion  dans  ma  Notice  sur  Abbeville. 

J'avais  d'abord  pensé  que  le  lion  de  Saint-Yulfran,  comme 
celui  qui  servait  de  girouette  au  clocber  de  l'hôtel-de-ville, 
pouvait  être  un  emblème  de  féodalité,  un  souvenir  des  hauts 
et  puissants  seigneurs  qui  possédèrent  autrefois  Abbeville; 
mais  en  réfléchissant  bien  j'ai  dû  modifier  cette  opinion. 

Le  lion  de  Saint-Vulfran  me  semble  aujourd'hui  pouvoir 
comporter  deux  significations,  selon  qu'il  est  pris  en  bonne 
ou  en  mauvaise  part. 

Dans  la  première  hypothèse,  ce  lion  me  parait  être  l'image 
de  l'Eglise  de  Jésus-Christ  et  de  la  vigilance  épiscopale,  ce 
que  semble  indiquer  la  place  qu'il  occupe  entre  les  deux  sta- 
tues de  saint  Firmin  et  de  saintGermain  l'Ecossais,  qui  passent 
pour  avoir  prêché  les  premiers  l'Evangile  dans  nos  contrées. 

Au  second  cas,  le  lion  de  Saint-Vulfran  représenterait, 

TOME  Yi.  Mars  1862.  9. 


Il.i  LETTRE     ai:    DIIiKf.TEUR    T>E    LA    REVUE 

selon  moi,  et  comme  le  porte  d'ailleurs  une  tradition  locale, 
le  féroce  Nabucliodonosor,  le  prince  hérétique  qui  fait  la 
guerre  aux  prédicateurs  et  leur  obtient  la  palme  du  martyre, 
en  les  mettant  à  mort. 

Quant  au  manteau  dont  ce  lion  est  revêtu,  il  caractérise 
la  royauté  de  Nabucliodonosor  changé  en  bête  ;  la  bannière 
qu'il  tient  est  destinée  à  rappeler  la  victoire  remportée  sur 
l'idolâtrie,  par  nos  premiers  Évoques^,  dans  le  Ponthieu  et  le 
Vimeu. 

Le  lion  de  Saint- Vulfran  pourrait  bien  encore  être  le  sym- 
bole de  l'Eglise  tout  entière,  s'il  remontait  à  une  époque  plus 
ancienne,  si  par' exemple  il  datait  du  XIP  siècle;  mais  au 
XVP  siècle,  où  l'on  exécuta  cette  statue,  le  lion  avait  en  gé- 
néral une  autre  signification. 

Vos  lecteurs,  en  examinant  la  planche  ci-jointe,  dessinée 
par  M.  Duthoit,  pourront  adopter  l'opinion  qui  leur  semblera 
la  plus  admissible.  Le  lion ,  vous  le  savez,  est  de  toutes  les 
images  symboliques  qui  se  rencontrent  dans  les  églises  et  sur 
les  tombeaux  anciens,  la  plus  fréquemment  représentée  ;  de 
telle  sorte  qu'il  serait  difficile,  pour  ne  pas  dire  impossible, 
de  donner  parfois  une  explication  positive^  claire  et  bien  cer- 
taine de  tous  les  spécimens  de  cet  intéressant  symbole. 

Vous  dites,  dans  le  même  article,  que  le  lion  a  une  signifi- 
cation historique  quand  il  accompagne  Daniel  et  Samson.  Le 
fait  est  vrai,  et  c'est  probablement  pour  restei*  dans  votre 
sujet  que  vous  n'avez  pas  cru  devoir  ajouter  que  plusieurs 
antiquaires  le  regardent  aussi,  en  ce  cas,  comme  une  repré- 
sentation mystique  :  suivant  eux,  Daniel  dans  la  fosse  aux 
lions  serait  l'emblème  du  Purgatoire,  et  le  lion  déchiré  par 
Samson  ',  tel  qu'on  le  voit  au  portail  de  l'église  romane  de 

'  Voir  la  gravure   représentant  ce  sujet,  t.  v  de  la  Bevve  de  l'jirt  chré- 
lin,  p.  588. 


SLlll    OrELQlIKS   SCULPTlillES   HK   LION.  115 

Berteauconrt  (Somme),  offrirait  l'image  du  diable  vaincu  par 
Jésus-Christ,  ou  la  gueule  de  l'Enfer  brisée  par  le  Sauveur 
pour  en  tirer  nos  premiers  parents  ' . 

C'est  avec  raison  que  vous  ajoutez  que  le  lion  est  tout  à  la 
fois  la  figure  de  Jésus -Christ  et  l'emblème  du  démon  et  de 
ses  satellites  ;  je  pense  comme  vous  à  cet  égard,  et  crois  aussi 
que  dans  ce  dernier  cas,  les  artistes  le  représentaient  dans 
une  position  humiliante  qui  rappelle  sa  défaite  ;  c'est  ainsi 
qu'au  grand  portail  de  Notre-Dame  d'Amiens  le  Sauveur 
foule  un  lion  du  pied  droit  et  un  dragon  de  l'autre.  Ce  lion, 
au  portail  d'Amiens,  est  effectivement  le  symbole  du  démon, 
de  l'Antéchrist  écrasé  par  son  vainqueur. 

Bien  que  vous  n'ayez  eu  à  vous  occuper  que  du  lion  sculpté 
aux  portails  des  églises,  comme  l'indique  le  titre  de  votre 
intéressant  travail,  permettez-moi  de  dire  ici  quelques  mots, 
par  forme  de  digression,  sur  les  tombeaux  du  département  de 
la  Somme,  où  le  lion  est  figuré. 

Dans  la  cathédrale  d'Amiens ,  à  l'entrée  de  la  nef,  on  re- 
marque une  magnifique  tombe  en  bronze  supportée  par  des 
lionceaux  ;  cette  tombe  est  celle  de  l'évêque  Evrard  de  Fouil- 
loy,  qui  jeta  les  fondements  de  cette  vaste  basilique.  Le  pré- 
lat est  représenté  dans  la  position  d'un  pontife  béatifié,  foulant 
aux  pieds  deux  dragons.  Les  lionceaux  nous  paraissent  être 
là  comme  les  gardiens  du  temple  ou  de  la  tombe  du  pieux 
évêque. 

Ces  lionceaux  peuvent  encore  être  pris  pour  l'emblème  de 
la  victoire  d'Evrard  sur  les  vices  de  son  temps  ;  le  lion  avait, 
en  effet,  quelquefois  cette  signification,  et  c'est  pour  la  rap- 
peler qu'on  voit  assez  souvent  des  lions  placés  à  l'entrée  de 
la  chaire  à  prêcher,  comme  il  s'en  trouve  à  celle  de  Corbie 
et  ailleurs. 

'  Manuel  d'Iconographie  chrétienne  grecque  et  latine,  in-8",  184.5,  p.  104. 


HT)  I.ETTRK   AU    DIUECTEUR    DE    LA    l'.EVUE 

Au  fond  d'une  niche  pratiquée  dans  l'épaisseur  du  mur 
de  clôture  de  la  même  cathédrale ,  on  voit  le  tombeau  de  l'é- 
vêque  Ferry  de  Beauvoir.  Ce  prélat  est ,  suivant  l'usage  du 
XV^  siècle,  couché  sur  sa  tombe,  revêtu  de  ses  habits  pontifi- 
caux. A  ses  pieds  on  remarque  également  un  lion  qui  est 
éveillé  :  cet  animal  offre  sans  doute  le  symbole  de  la  Résur- 
rection. Si  ses  yeux  étaient  fermés,  on  pourrait  dire  qu'il 
représente  le  Christ  au  tombeau,  ou  le  Christ  qui,  malgré  son 
sommeil,  a  vaincu  le  démon. 

Vous  verrez ,  mon  cher  Collègue ,  si  cette  dernière  inter- 
prétation vous  convient  mieux  que  la  première. 

Dans  la  seconde  moitié  du  XP  siècle ,  on  donna  au  lion 
une  signification  non-seulement  mystique,  mais  encore  mo- 
rale. Lorsque  sur  un  monument  de  cette  époque,  il  saisit  un 
chien  ou  tout  autre  animal  à  la  gorge ,  c'est  l'image  du  lion 
qui  cherche  une  proie  à  dévorer  [circuit  leo  quœrens  quem 
devorct)  ;  mais  c'est  aussi  le  symbole  des  passions  violentes  et 
déréglées.  Or,  sur  le  tombeau  de  Raoul  de  Crespy,  à  Mont- 
didier,  on  voit  un  lion  qui  semble  étrangler  un  chien  ;  cet 
emblème  convenait  parfaitement  au  bas  de  la  tombe  d'un 
puissant  seigneur  comme  Raoul,  qui  était  le  plus  fameux 
usurpateur  de  son  temps,  et  qui  s'était  fait  connaître  par  ses 
fréquents  mariages  et  les  répudiations  scandaleuses  de  ses 
femmes  légitimes. 

Enfin,  dans  l'église  d'Ailly-sur-Noye,  sur  la  table  qui  sur- 
monte le  tombeau  de  Jean  Hautbourdin ,  bâtard  de  Saint -Pol, 
un  lion  est  aussi  représenté  aux  pieds  de  ce  seigneur,  qui 
passait  pour  le  plus  beau  et  le  plus  vaillant  guerrier  du 
XY"  siècle  ;  mais  pour  exprimer  sans  doute  son  ardeur,  son 
intrépidité  dans  les  combats,  ce  lion  semble  prêt  à  se  relever, 
et  sa  queue  qui  se  dresse  indique,  ce  me  semble,  plutôt  la  vic- 
toire que  la  niurt  chez  l'homme  illustre  dont  il  orne  le  tombeau. 


SI  IV    UliKLOl'KS    Si:Ul.l'Tl  UKS    DlC    l.lUN.  117 

Je  conclus,  comme  vous^  ([ue  le  lion  exprime  des  idées 
bien  diverses  dans  la  symbolique  chrétienne.  Tantôt  il  re- 
présente le  fidèle  gardien  du  temple  ;  tantôt  c'est  le  symbole 
du  prédicateur  de  Jésus-Christ,  de  la  Résurrection  du  Sau- 
veur, de  la  Force,  de  la  Royauté;  d'autres  fois,  enfin,  il  offre 
au  contraire  rmia,i2;e  du  Démon,  de  l'Antéchrist,  des  Persé- 
cuteurs de  l'Eglise.  Il  est  donc  vrai,  comme  vous  l'avez  dit 
vous-même,  qu'il  joue  un  grand  rôle  dans  cette  symbolique, 
et  qu'il  n'est  pas  toujours  facile  d'expliquer  d'une  manière 
précise  ce  que  signifient  certains  lions,  tels  par  exemple  que 
celui  du  portail  de  Saint-Vulfran,  qui  a  motivé  ma  lettre. 

Agréez,  mon  cher  Collègue,  l'assurance  de  mes  sentiments 
dévoués. 

H.  DUSETEL 

de  la  Société  impériale  des  Antiquaires  de  France. 

P. -S.  Vous  inclinez  à  croire  que  les  bœufs  de  la  cathédrale 
de  Laon  ont  un  caractère  symbolique  et  ne  sont  pas  dus  à 
un  souvenir  local.  Vous  trouverez  une  confirmation  de  votre 
opinion  dans  le  dernier  n"  du  Bulletin  monumental  (u"  2, 
page  175),  où  M.  Darcel  s'exprime  en  ces  termes  :  «  Un  dé- 
tail distinctif  de  la  cathédrale  de  Laon,  c'est  l'existence  de 
grandes  figures  de  bœufs  dans  les  tours  :  or,  si  l'on  pénètre 
à  Bamberg  (Bavière),  dans  les  cours  voisines  des  tours,  on 
remarque  les  mômes  figures  architectoniques.  Elle  ne  sont 
pas  visibles  à  l'extérieur,  à  cause  des  constructions  adossées 
à  la  cathédrale.  »  Vous  en  concluerez  sans  doute  qu'une 
semblable  décoration  monimientale,  qu'on  retrouve  identique 
à  Laon  et  à  Bambei'g,  ne  peut  s'expliquer  que  par  une  in- 
terprétation applicable  aux  deux  cathédrales,  et  non  point 
par  une  légende  locale,  dont  l'authenticité  est  plus  que  sus- 
pecte. 


D'UN   ARGUMENT 

des  premiers  siècles  de  notre  ère  contre  le  dogme 
de  la  Résurrection- 


Parmi  les  idées  nouvelles  que  le  Christianisme  jeta  dans 
le  monde,  la  doctrine  de  la  Résurrection  fut  de  celles  que  la 
société  païenne  reçut  avec  le  plus  d'étonnement.  La  pieuse 
croyance  des  fidèles  à  la  renaissance  des  corps  n'inspirait 
souvent  aux  idolâtres  que  le  dédain  et  la  raillerie.  Cette  ré- 
sistance des  esprits  à  admettre  un  semblable  mystère,  se  me- 
surerait rien  qu'à  compter  les  écrits  que  les  Pères  durent  con- 
sacrer à  la  défense  du  dogme  contesté  ;  mais  nous  possédons 
sur  ce  point  des  données  plus  précises,  et  les  réponses  même 
des  fidèles  semblent  nous  faire  connaître,  dans  ses  derniers 
détails,  le  système  d'attaque  des  incrédules. 

Je  viens  de  parler  des  railleries  :  on  les  voit  déjà  se  pro- 
duire dans  l'Aréopage^,  lorsque  prêche  saint  Paul  :  «  Quel- 
"  ques-uns,  nous  apprennent  les  Actes,  quelques-uns  se  mo- 
"  .quèrent;  d'autres  dirent  dans  leur  étonnement  :  Vous  nous 
«  reparlerez  de  ces  choses.  '  »  Chez  ces  derniers,  une  foi 

'  .Ida  A  pont,  xvii,  32. 


d'un  augu-ment  j»es  premiers  siècles  i\[) 

docile  a  pu  féconder  tout  d'abord  les  leçons  du  grand  Apôtre. 
Voyons  ce  qu'objectaient  les  incrédules. 

Comprise  par  eux  dans  un  sens  tout  grossier,  l'annonce  de 
la  résurrection  leur  semblait  une  bizarre  imposture.  «  Quoi, 
«  s'écriaient-ils,  les  cadavres  détruits  par  la  putréfaction, 
«  évanouis  dans  l'air,  réduits  en  poudre,  ceux  que  dévorent 
«  les  bêtes  et  le  feu,  ceux  des  naufragés  qui  se  dissolvent 
«  dans  l'eau,  tous  ceux-là  se  reformeront  pour  reconstituer 
«  un  corps  !  »  Puis  venaient  les  questions  captieuses  :  «  Un 
«  homnie  pressé  par  la  faim  a  mangé  la  chair  d'un  de  ses  sem- 
«  l)lables;  cette  chair,  qu'il  s'est  assimilée,  à  qui  reviendra- 
«  t-elle,  à  lui,  ou  bien  au  mort  dont  elle  formait  d'abord  la 
«  substance?  » 

Les  Gentils  demandaient  encore  si  les  enfants  mort-nés 
renaîtraient,  bien  qu'ils  n'eussent  pas  vu  le  jour;  si  l'on  re- 
naîtrait contrefait,  comme  on  avait  pu  l'être;  si  nos  cheveux 
tombés  sous  les  ciseaux  nous  seraient  tous  rendus,  puisqu'il 
est  écrit  que  pas  un  cheveu  de  notre  tête  ne  périra  '.  On 
riait  de  Jouas,  ce  grand  type  de  la  renaissance  promise  ^. 
Mais  après  toutes  ces  railleries  au  milieu  desquelles  le  Chris- 
tianisme devait  se  répandre  et  grandir,  était  toujours  sérieuse- 
ment opposée  l'impossibilité  de  reconstruire  un  corps  détruit 
et  divisé.  Dans  cette  ferme  assurance,  et  pour  priver  leurs 
victimes  de  la  vie  future,  les  païens  brûlaient  les  corps  des 
martyrs,  en  jetaient  les  cendres  dans  les  fleuves,  pour  que 
rien  n'en  restât  sur  la  terre.  «  Les  chrétiens  perdront  ainsi, 
«  se  disaient-ils ,  cet  espoir  de  la  résurrection  qui  leur  fait 


•  AuGCST.,  Civ.  Dei,  xxij,  12  ;  et"    A.thknagoh.,  de  Resiirr.  iv. 

*  AtGCST.  EjJtsl.  eu,  ad  Deograt;  Civ.  Dei,  i,  14  ;  voir  encoio  pour  les 
railleries  des  païens,  Miinut.  Feux,  OcUv.  \i  ;  Aukob.  ii,  13;  Okigi.  Cuutra 
Cels.  1.  1,  éd,  de  1658,  p.  7. 


120  d'l'X    argument   des   premiers    SIKCLKS    liE    NOTRE    ERE 

«  introduire  une  foi  nouvelle  et  courir  joyeusement  à  la  mort. 
«  Voyons  si  leur  Dieu  pourra  les  faire  renaître  !  '  » 

Nos  pères  réussissaient  mal  sans  doute  à  convaincre  plei- 
nement de  tels  adversaires,  car  l'argument  païen  est  souvent 
repris  et  combattu  dans  leurs  écrits  ^ 

Un  grand  désastre  vint  le  faire  revivre. 

Lorsque  les  hordes  d'AlaVic  saccagèrent  la  cité  éternelle, 
ceux  qui  attribuaient  à  l'abandon  des  temples  tant  de  mas- 
sacres et  d'infortunes,  insultèrent  à  la  foule  des  chrétiens 
égorgés  et  demeurés  alors  sans  sépulture. 

"  C'est  là,  disait  l'Evêque  d'Hippone,  c'est  là  ce  qu'une 
«  foi  pieuse  ne  saurait  guère  redouter.  Il  est  écrit  que  pas  un 
«  cheveu  de  notre  tête  ne  périra,  et  les  bêtes  qui  dévorent 
n  un  cadavre  ne  sauraient  l'empêcher  de  ressusciter.  La 
«  Vérité  ne  dirait  pas:  Ceux  qui  tuent  le  corps  sont  impuis- 
"  sants  à  tuer  l'âme,  si  ce  que  l'ennemi  peut  faire  des  restes 
«  de  ses  victimes  était  un  empêchement  à  l'autre  vie.  Dieu 
«  nous  garde  de  révoquer  en  doute  ce  qu'a  dit  la  Vérité  !  Le 
«  sol  n'a  point  recouvert  les  cadavres  d'un  grand  nombre  de 
"  chrétiens;  mais  nul  d'entr'eux  n'a  pu  être  séparé  du  ciel 
«  et  de  la  terre  que  remplit  de  sa  présence  Celui  qui  sait  d'où 
«  la  créature  doit  être  rappelée  pour  la  résurrection.  Les 
<<  gentils  ne  peuvent  insulter  aux  chrétiens  restés  sans  sé- 
"  pulture,  car  il  est  promis  aux  fidèles  que  non-seulement  la 
"  terre,  mais  tous  les  éléments  dans  le  sein  desquels  le  corps 


'  EuSEB.,  Ilist.  eccL,  v,  i,  in  fine.  Lua  païens  croyaient  que  les  fidèles  ne 
brûlaient  pas  leurs  morts  dans  la  crainte  de  les  empêcher  de  ressusciter  (Mi- 
KDT.  Félix,  Octavhis,  c.  xi  et  xxiv). 

*  Tatian.  VI  ;  Athenagor.,  de  Resurr.,  iv  ;  Irew.,  v,  3;  Tertull., 
de  Carne  Chrisii,  xv  ;  Ambros.  De  fide  Resurr.,  n,  58;  Paul.  Nol., 
Poem.  XXXIV,  v.  270  et  sqq.  ;  Greg.  Tcron.  H.  Fr.  x,  13,  Cwlor.  mart.  i, 
95,  ptf 


CO.NTRE    l.E    IJOC.ME   DE    I, A    RÉSlilUîECTIO.V.  1*21 

«  serait  confondu, le  rendront  à  la  vie  éternelle,  au  jour  fixé 
"  par  le  Très-Haut  ' .  » 

Dans  un  livre  consacré  à  confondre  l'erreur  des  idolâtres, 
ce  n'était  pas  toutefois  à  eux  seuls  que  s'adressait  saint 
Augustin.  Invoquer  l'Evangile  que  ceux-ci  se  refusaient  à 
reconnaître,  c'eût  été  leur  parler  une  langue  inconnue.  L'é- 
veque  d'IIippone  faisait  sans  doute  appel  à  des  frères  troublés 
par  les  clameurs  païennes,  par  la  stupeur  surtout  dont  se 
sentaient  alors  saisies  quelques-unes  des  Ames  les  mieux 
douées  ^.  Tous  les  fidèles  n'avaient  point  —  il  s'en  plaignait 
avec  amertume  —  *  une  foi  également  robuste  ;  tous  ne  se 
disaient  pas,  avec  leurs  saints  Docteurs,  qu'il  n'y  avait  pas 
merveille  plus  grande  à  reconstruire  qu'à  créer  *. 

L'antique  terreur  du  défaut  de  sépulture  remplissait  encore 
certains  esprits.  Une  perfection  que  j'ose  dire  surhumaine 
pouvait  seule  faire  demander  par  les  pénitents  de  l'Egypte 
que  leur  corps  ne  fût  pas  enseveli,  mais  jeté  dans  les  ileuves 
ou  exposé  pour  servir  de  pâture  aux  chiens  et  aux  loups  ^. 

Les  hérétiques,  d'ailleurs,  se  succédaient  remettant  sans 
cesse  en  question  la  réalité  du  dogme  consolateur.  Après  l'é- 
cole gnostique,  Théodore,  évoque  d'Egine,  Eutychès  devaient 
répandre  en  Orient  le  venin  de  leur  fausse  doctrine  ^.  L'Occi- 


'  Civ.  Dei,  i. 

-  Voir,  dans  les  œuvres  de  saint  Augustin,  le  pJ  2  de  la  lettre  n"  154  que 
lui  adresse  Macédonius,  après  les  massacres  de  Rome. 

"'  Civit.  Dei,  i,  35  ;  cf.  la  belle  Histoire  de  la  destruction  du  paganisme  en 
Occident,  par  M,  le  comte  Beugnot,  t.  ii,  p.  105  et  106. 

"*  Athenagor.,  De  Resurr.,  la  ,•  Iren.,  v,  3;  Ambros.,  de  fide Resurr.,  ii, 
58  ;  Gregor.  Tcr.,  h.  Fr.  x,  13;  Sacrament.  Greyorian.  dans  Muratori, 
Liturg.  rom.  t.  ii,  p.  356,  etc. 

5  JoHAN.  Cltm.  Grad.  v,  22  et  28. 

"  Gregor.  Tcrom.  Glor.  mart.  95;  Dom  "Bvlteav,  Dialogues  de  saint  Gré- 
goire-le-Grand ,  préface,  p.  Lxxvil,  etc. 


122        d'un  argument  les  premiers  siècles  de  notre  ère 

dent  L'Ut  de  même  ses  épreuves;  la  vieille  objection  des  païens 

y  reparut  dans  la  bouche  des  incrédules. 

Rien  n'est  plus  curieux  à  étudier,  pour  l'histoire  des  er- 
reurs humaines,  qu'un  long  chapitre  où  Grégoire  de  Tours 
raconte  sa  discussion  avec  un  prêtre  gaulois.  Celui-ci,  in- 
fecté, dit-il,  de  l'hérésie  saducéenne,  appuie  chaque  propo- 
sition sur  un  texte  des  Livres  saints  et  ne  se  rend  pas  facile- 
ment. 

'•  Des  os  réduits  en  poudre,  dit-il,  peuvent-ils  donc  rece- 
«    voir  de  nouveau  l'existence  et  former  un  homme  vivant?  » 

«  Certes,  répond  Grégoire,  nous  croyons  que  Dieu  res- 
«  suscitera  sans  peine  le  cadavre  tombé  en  poudre  et  divisé 
«   [)ar  le  vent  sur  la  terre  et  les  eaux.  » 

«  Vous  vous  trompez,  répond  l'incrédule,  et  vous  soutenez 
«  une  grande  erreur  avec  de  séduisantes  paroles,  lorsque 
«  vous  dites  que  l'homme  dévoré  par  les  bêtes,  englouti  dans 
«  les  Ilots,  mangé  par  les  poissons,  dispersé  par  le  courant  des 
«  eaux,  détruit  par  la  putréfaction  dans  le  sein  de  la  terre, 
«   sera  ressuscité  un  jour  \  » 

Il  y  avait  plus  d'un  degré  dans  l'erreur  que  Grégoire  de- 
vait ainsi  combattre.  Les  gnostiques  niaient  la  Résurrection 
parce  que  le  Christ,  pur  fantôme,  disaient-ils,  n'était  mort  et 
ne  s'était  relevé  de  son  tombeau  qu'en  apparence  ^.  Le  prêtre 
gaulois  déclarait  au  contraire  que  le  Seigneur,  réellement 
fait  homme,  était  mort  et  ressuscité.  La  reconstitution  de 
la  chair  était  le  seul  point  qu'il  tint  pour  impossible  ^ 

Chez  des  chrétiens  d'une  foi  moins  chancelante,  l'idée  fu- 
neste attachée  par  le  vulgaire  à  la  privation  de  sépulture,  je 


*  m  st.  Franc,  x,  13. 

*  Voir  mes  Inscriptions  chrétiennes  de  la  Gaule,  t.  u,  disseit.  n"  478. 
'  GuEG.  TuRON.  loc,  cil. 


CONTRE   LE   DOGME   DE   LA    UÉSlUillECTlON,  IÎ13 

ne  sais  quel  souvenir  peut-être  des  âmes  errantes  que  re[)ous- 
sait  Cliaron,  de  Falinure  et  de  son  ombre  désolée,  laissait  ce- 
pendant encore  place  à  l'erreur. 

Pour  eux,  les  païens  de  Lyon  avaient  frappé  juste,  en  je- 
tant dans  le  Ivhône  les  corps  des  Martyrs  afin  de  les  empêcher 
de  renaître.  Les  paroles  de  saint  Augustin  sur  les  massacres 
de  Rome  me  semblent  attester  l'existence  de  cette  croyance 
étrange.  Les  monuments  de  l'épigraphie  nous  la  montreront 
vivante  encore  à  une  époque  moins  reculée. 

Souvent,  dans  les  imprécations  formulées  sur  les  épitaplies 
contre  les  violateurs  des  tombes,  on  demande  à  Dieu  que  le 
coupable  soit  privé  de  la  résurrection. 

C'était  parfois,  me  semble-t-il,  la  peine  du  talion  appelée 
sur  ceux  qui,  dispersant  les  restes  d'un  mort;,  le  privaient, 
selon  quelques-uns,  du  bienfait  de  la  vie  future. 

Je  sais  combien  peut  sembler  étrange  une  proposition  sem- 
blable, et  je  n'avancerai  que  preuves  en  main. 

Deux  des  formules  d'imprécations  dont  je  rappelle  l'exi- 
stence ne  contiennent  à  l'appui  de  ma  thèse  que  racclamation 
NON  RESVRGAT  *. 

Une  troisième  a  plus  de  valeur,  puisqu'elle  fait  précéder 

•  GoRi,  Inscr.  Etr.  t.  m,  p.  105: 

SI    QVIS    HVNC    SEPVLCHRVM   VIOLAVE 

RIT  PARTEM   HABEAT   CVM   IVDA   TRADITOREM 
ET    IN  DIE   IVDICII   KON    RESVRGAT 

OuERici,  SyUoge,Y).  352  (Inscription  attribuée  au  X«  siècle)  : 

•f-   PETRVS    INDIGKV 
S   PRESBlTELi   TT   PA 
MATHII    JOHIS    ET    PA 
VLl    DEPCHOH    OMS    V 
T    NVLLVS    VIOLET 
HVC    SEPVLCKVM 


12<i        d'un  argument  des  premiers  siècles  de  notre  ère 
immédiiitement  ces  mots  du  vœu  :  INSEPVLTVS  lACEAT,  éta- 
blissant ainsi  une  corrélation  visible  entre  les  deux  idées  ' . 

Un  dernier  monument  paraîtra,  je  l'espère,  plus  concluant 
âmes  lecteurs. 

La  belle  collection  épigrapliique  du  palais  Giovio,  à  Corne, 
contient  une  épitaphe  dont  la  fin,  devenue  illisible,  n'est  pas 
même,  si  mes  souvenirs  ne  me  trompent,  arrivée  jusqu'à 
nous  tout  entière. 

En  tête  de  cette  inscription  qui  me  paraît  appartenir  aux 
dernières  années  du  sixième  siècle,  est  gravée,  aux  deux  côtés 
d'un  vase,  l'image  d'un  agneau  soutenant  une  longue  croix 
latine. 

J'avais  renoncé,  non  sans  regret,  à  connaître  dans  toute  son 
étendue,  un  texte  dont  le  début  semblait  promettre  une  for- 
mule intéressante,  lorsqu'un  manuscrit  de  Peiresc,  signalé 


ET   QVI   PRESVM8ERI 
T   IN    DIEM  IVDICII 
NON    RESVKGAT. 

Je  n'ignore  pas  que  ces  deux  textes  peuvent  se  rapporter  au  célèbre  ver- 
set du  psaume  l'^'"  :  Ideo  non  résurgent  impii  injudicio,  verset  que  les  Pères 
expliquent  dans  des  sens  divers,  mais  conformes  à  la  doctrine  de  la  résur- 
rection générale  (Cyrill.,  Catech.  xvm,  14;  Ambhos.,  Enarr.  in  Psalm. 
1,  Lvi  ;  Theodor.,  In  Psalm.  i,  5  ;  Greg.  Tor.,  Hist.  Fr.,x,  13,  etc.).  Mais 
dans  le  cas  même  oîi  les  rédacteurs  des  inscriptions  que  l'on  vient  de  lire  au- 
raient eu  ce  passage  en  vue,  il  ne  faut  pas  oublier  qu'il  a  parfois  été  pris 
dans  un  sens  absolu.  C'est  ainsi  que  le  comprenaient  Lactance  (vu,  20,  21) 
et  le  prêtre  dont  parle  Grégoiie  de  Tours  (Hist.  Fr.,  x,  13). 

'  Bosio,  Roma  Sotteranea,  p.  436: 

MALE  PEREAT    INSEPVL 
TVS    lACEAT    NON    RE 
SVRGAT   CVM  IVDA 
PARTEM    HABEAT 
SI    QVIS    SEPVLCRVM 
HVNC   VIOLAVERIT 


CONTRE    lE    DOCME    DE   i.A    IlÉsURUECTIOIN.  123 

à  mon  uttentioii  par  le  savant  M.  Léopold   Delisle,  a  mis 
sous  mes  yeux  une  copie  complète  du  monument. 
Je  reproduis  cette  transcription  ancienne  : 

B  M 

HIG    REUVIESCIT    IN    l'Af'.E   FAAIVLA    Xl'I    GVAT 

ELDA   SPE    QVE   VIXET   IN    HOC   SECVLO 
ANNVS   PL.    M.    LI   DEPS   SD   111   RAL   SE 
PTB    ITER    HIC    BEQVIESCVNT    BASILi 
VS    FILIVS   IPSIVS    VNA   C   FILIO   SYO 
GVNTIVNE   QVI   ViXET   IN   HOC   SECVLO 
ANNVS   PL   M   XL   ADIVRO   VVS   0 
MNES   XPIANl   ET    TE   CVSTVDE    BEAT(/). 
IVLIANI   PER    DO    ET   PER   TREMENDA    DIE 
IVDIGII    VT    HVVE   SEPVLCRVM   VIOLARI 
NVNQVAM   PERMITTATIS   SED  CONSERVET(Mr) 
VSQVE   AD   FINEM   MVNDl   VT   POSIM 
SINfi   IMPEDIMENTO   IN   VITA    REDIRE 
CVM  VENERIT   QVI   IVDICATVRVS   EST   VIVOS 
ET   MORTVOS  '. 

•    Cette  dernière  formule  atteste  la  persistance  du  sentiment 
combattu  par  les  Pères. 

Pour  les  chrétiens  dont  elle  termine  l'épitaphe,  l'espoir  de 


'  Bibliothèque  impériale,  supplément  latin,  n"  101,  t.  i,  f"  16.  Cotte  copie 
contient  quelques  inexactitudes.  Voici  celle  que  j'ai  prise  à  Côme  : 

B  M 

HIC    HEQV1E.SCIT    IIM    PACE 
FAMVLA    XPl    GVWTELDA 

sp  F  QVI  vixiT  IN  HOC  .SE  {Spectobilis  fcminci) 

CVLO    ANNVS    PS    MS    L 
DPS   S   D   m   KL.    SEPT 
ITER    HIC    REQVIESCVNT 
EASILIVS    FILIVS    IPSIV    VNA    C 
FiLIO    SVO    CVKTIONE    QVI    VIXIT 


150  11' UN    AIIGLMENT   DES   l'REMIKUS   SIÈCLES   DE   NOTRE    ÈRE. 

la  résuiTection  devait  donc  s'évanouir,  si  la  terre  ne  recou- 
vrait leurs  restes  jusqu'à  la  consommation  des  siècles. 

L'adjuration  étrange  qui  démontre  cette  croyance  n'éton- 
nait apparemment  ni  les  fidèles,  ni  le  gardien  d'église  aux- 
quels elle  s'adressait  ' .  Le  centre  chrétien  dans  lequel  vécurent 
(luntelda  et  ses  fils  semble  donc  avoir  professé,  comme  eux, 
une  de  ces  erreurs  que  Grégoire  de  Tours  nous  montre  conçues, 
développées  par  la  réflexion,  l'étude,  même  chez  un  ministre 
du  Seigneur. 

C'est  là  une  des  vicissitudes  à  travers  lesquelles  Dieu  a 
voulu  faire  croître  et  mûrir  dans  le  cœur  des  hommes,  l'idée 
consolatrice  qid  marque  le  plus  nettement  l'avènement  de  la 
Foi  nouvelle. 

EDMOND   LE   BLANT. 


ÏN   HOC   SECVLO    ANWVS   PL   MS   L  (^) 
ADIVRO    VOS   OMNES   XPIATJI... 


liVKC    SErVLCR 


RovELLl  [Sloria  dl  Como,  1789,  in-4",  t.  i,  p.  329)  n'a  rien  déchiffré  au- 
delà  du  mot  OMNES.  Le  défaut  de  temps  et  surtout  un  groupe  sculpté,  placé 
maladroitement  devant  le  bas  du  marbre,  m'ont  empêché  d'étudier  la  fin 
très  fruste  du  fragment  parvenu  jusqu'à  nous. 

'  Une  autre  inscription  du  nord  de  l'Italie  parle  aussi  des  prêtres  gardiens 
d'un  sanctuaire  (Maffei,  Mnseuvi  Veronense,  p.  181). 


NOTE  SUR  DES  MARMITES  EN  BRONZE 

CONSERVÉES  DANS  QUELQUES  COLLECTIONS 
ARCHÉOLOGIQUES, 

à  propos  (ïun  vase  de  ce  genre  trouvé  à  Caudehec- 
les-Elbeuf,  en  1 86 1 . 


Le  9  mars  1861,  une  marmite  en  bronze,  possédant  ses 
trois  pieds  et  deux  supports  pour  une  anse  qui  a  disparu,  a 
été  trouvée  à  Saint-Pierre-lès-Elbeuf  (ancien  territoire  de 
Caudebec-lès-Elbeuf).  Ce  vase,  qui  fut  recueilli  en  creusant 
les  fondements  d'une  maison,  gisait  à  une  très-petite  pro- 
fondeur ifig.  1). 


Ho-,  i    _  Paint-Pir.rro  lès-Elbciif  (1801). 


^28  NOTES    SUR    LES    MARMITES    EN    BRONZE 

Il  était  vide  et  sans  couvercle,  muni  de  deux  tenons  et 
d'une  anse  en  fer  ;  pour  le  reste,  il  ne  présentait  aucun  signe 
distinctif.  Sa  grandeur  est  celle  d'une  marmite  ordinaire. 

Cet  objet  est  entré  dans  le  cabinet  de  M.  Tronel,  amateur 
d'antiquités,  à  Elbeuf.  Consulté  à  ce  sujet  par  M.  le  curé 
d'Amfreville-la-Mivoie,  près  Rouen,  voici  quelle  a  été  ma 
réponse  : 

«  Monsieur  l'Abbé  et  cher  Confrère, 

«  Je  vous  remercie  beaucoup  d'avoir  bien  auguré  de  ma 
bonne  volonté,  mais  hélas  !  dans  la  question  que  vous  me 
soumettez,  la  lumière  manque  complètement,  à  moi  d'abord, 
et  à  d'autres  aussi,  je  le  crains  bien  du  moins. 

«  La  marmite  en  bronze,  dont  vous  m'envoyez  le  dessin, 
est  chose  vulgaire  en  archéologie  ;  toutefois,  ce  n'est  pas 
chose  éclaircie.  A  ma  connaissance,  votre  marmite  est  la 
septième  de  ce  genre  trouvée  dans  la  Seine-Inférieure.  Je 
crois  que  le  Musée  de  Rouen  en  possède  au  moins  cinq.  En 
tout  cas,  voici  dans  quel  ordre  et  dans  quelles  localités  elles 
ont  été  découvertes  :  à  Lillebonne,  en  1856;  —  aux  Loges, 
près  Fécamp,  en  1843; — au  Val-de-la-Haye,  près  Rouen, 
en  1846;  —  et  à  Tourville-la-Chapelle,  près  Dieppe,  en 
184.7.  La  sixième  a  été  recueillie  à  Vatteville-la-Rue ,  en 
1859'. 

«  Le  Musée  d'Abbe ville  en  possède  aussi  cinq,  trouvées 
dans  l'arrondissement  communal  de  ce  nom.  —  M.  Houbi- 
gant,  de  Nogent-les-Vierges  (Oise),  en  a  deux  dans  sa  collec- 
tion, l'une  trouvée  à  Riaux,  près  Liancourt,  en  183-4,  et 


•  Cette  marmite  moins  grande  que  les  autres  avait  une  anse  en  fer  et  elle 
contenait  un  chandelier  ou  porte-lampe  en  cuivre.  Elle  est  conservée  chez 
M.  le  docteur  Gueroult,  à  Caudebec  en  Caux. 


CONSEUVÉKS   DANS   QUELQUES    COLLECTIONS    ARCIlliOLOGIQUES.         121) 

l'autre  aux  environs  du  Cani})  de  Cnteiioy,  près  (lermont 
(Oise). 

M  Dans  les  reproductions  qu'il  a  faites  des  objets  qui  com- 
posent sa  collection  d'antiquités  bellovaques,  M.  Houbigant 
fait  figurer  parmi  les  objets  romains  ou  gallo-ronuiins  qu'elle 
renferme,  une  marmite  et  un  chandelier.  Au  bas  de  la  planche 
on  lit  cette  attribution  :  «  Marmite  et  flambeau  trouvés  près 
du  Camp  de  Catenoy.  On  croit  que  ces  objets  étaient  à  l'u- 
sage des  soldats  et  qu'ils  sont  du  Bas-Empire.  »  J'ai  hâte 
d'ajouter  que  rien  ne  semble  motiver  cette  assertion.  Le 
Musée  de  Nantes  renferme  une  marmite  recueillie  dans  les 
marais  de  Donges  (Loire-Inférieure).  Le  Catalogue  de  1856  la 
qualifie  de  gauloise  ',  mais  sans  motif  ni  fondement. 

«  M.  de  Caumont  me  paraît  beaucoup  plus  sage  quand  il 
dit  dans  son  Bulletin  Monumental,  t.  xxiv,  p.  9  :  «  Il  existe 
«  à  Poitiers  et  dans  beaucoup  de  musées,  des  vases  en  cuivre 
«  montés  sur  trois  pieds  comme  nos  marmites  et  sur  l'âge  des- 
«  quels  je  n'ose  encore  me  prononcer,  (^elui  que  je  reproduis 
«  aurait  été,  d'après  l'indication  du  Catalogue  manuscrit^ 
«  trouvé  dans  un  cercueil,  à  Saint-Maurice  de  Gençay 
«  (Vienne).  » 

»  Maintenant,  Monsieur  l'Abbé,  il  faudrait  examiner  et 
discuter  les  faits,  afin  de  savoir  quelles  conséquences  on  peut 
tirer  de  ces  prémisses.  Par  elles-mêmes,  ces  marmites  ne 
disent  rien;  elles  ne  portent  ni  date,  ni  attribution, ni  carac- 
tère distinctif  quelconque.  Le  milieu  dans  lequel  elles  se 
trouvent  peut  seul  éclairer  leur  origine.  Or,  la  plupart  sont 
trouvées  en  terre  ou  dans  des  marais,  ce  qui  ne  détermine 
rien.  Quelques-unes  ont  été  rencontrées  avec  des  chandeliers 

'  GuÉRACD  et  BAKEi^iTEAC,  C'aUiloguc  du  Musée  archéologique  de  Nantes, 
publié  en  1856,  p.  91. 

TOMK    Y!.  10 


130  NOTES   SUR   LKS   MARMITES   EN    DUONZE 

de  bronze  renfermés  dedans.  Ainsi  en  fut-il  h  Uiaux  (Oise), 
en  185i,  et  aux  Loges  (Seine-Inférieure) ,  en  1845.  {fîg.  2  et 


h 


3. 


Lfis  Logos  (pics  Fécamp),  J845. 


3).  Mais  les  chandeliers  ou  pieds  de  lampes  eux-mêmes  sont 
mal-aisés  à  déterminer.  On  en  trouve  de  semblables  jusqu'au 
XIV«  siècle'. 

<<  Cependant  aux  Loges,  la  matière  s'éclaire  d'un  jour 
nouveau,  car  avec  trois  chandeliers  la  marmite  renferme 
trois  cuillères  en  cuivre;  et  sur  chacune  de  ces  cuillères  figure 
une  fleur-de-lys.  Ce  signe  trahit  assez  l'époque  capétienne 
et  le  Moyen-Age  chrétien,  du  moins  pour  le  dépôt  des  Loges. 
A  présent,  tous  les  autres  dépôts  du  même  genre,  et  non 
déterminés  avec  la  même  précision,  doivent-ils  rentrer  dans 
cette  catégorie?  Je  ne  le  pense  pas.  D'où  il  suit  que  pour  le 
cas  que  vous  me  proposez,  aucune  conclusion  un  peu  sé- 
rieuse ne  saurait  être  tirée  sans  une  connaissance  bien  ap- 
profondie du  milieu  dans  lequel  gisait  la  marmite  de  Saint- 
Pierre-les-Elbeuf.  D'après  le  peu  que  vous  m'en  dites,  je 


'  L'abbé  Coublet  et  H.  Duskvel,  Rei'MC  àe  l'Art  chrétien,  t.  m,  p.  14-15, 
.%-:38,  pi.  J,  (Ig    1. 


O.OiNSERVÉES    DANS    QUELQUES    COLLECTIONS    AIICIIÉOLOGKJUES.        131 

suis  porté  à  croire  que  votre  pièce  n'est  pas  antique.  Il  doit 
eu  être  de  môme  de  la  plupart  de  ses  pareilles.  » 

l'aBBE  COCHET. 

P.  S.  —  Ceci  était  écrit  lorsque  j'ai  eu  l'occasion  de  com- 
muniquer mes  observations  à  M.  West-Wood,  antiquaire 

anglais  d'Oxford.  Ce  savant 
archéologue  voulut  bien 
m'envoyer  le  dessin  d'une 
pierre  tombale  du  XIV  siè- 
cle, conservée  dans  le  Musée 
d'York.  On  y  voit  au  milieu 
une  croix  fleurie  à  chacune 
de  ses  branches,  et  à  droite  et 
à  gauche  une  cloche  et  une- 
marmite  en  bronze  sembla- 
ble aux  nôtres.  Ces  deux 
instruments,  rares  sur  les 
tombes  chrétiennes  du 
Moyen  Age ,  paraissent  à 
notre  savant  confrère  indi- 
quer la  sépulture  d'un  fon- 
deur de  métaux.  Ce  curieux 
monument  était  autrefois 
placé  dans  l'hôpital  de  Saint- 
Mary'sAbbey,àYork(^</.4). 
De  cette  pièce  il  résulterait, 
ce  me  semble,  qu'au  XIV® 
siècle  on  fondait  encore  des 
marmites  comme  les  nôtres.  La  longue  durée  de  ces  marmites 
explique  sans  doute  leur  abondance  dans  les  collections. 

l'abbe  c.-t. 


Yoik,  Musée.  —  Pierre  tombale  du  XIV». 


SYMBOLISME 
du   Cantique  des  Cantiques 


S'il  nous  manquait  une  preuve  pour  établir  l'autorité  du 
sens  allégorique  dans  les  Livres  saints,  le  Cantique  des  Can- 
tiques, ainsi  nommé  par  un  hébraïsme  qui  en  exprime  l'ex- 
cellence, nous  en  donnerait  une  sans  réplique.  Tl  n'en  est  pas 
de  plus  absolue,  en  effet,  puisque  rien  dans  ce  Livre  sacré  ne 
doit  être  pris  à  la  lettre,  et  qu'il  faut  le  lire  comme  une  figure 
prophétique  de  la  sainte  union  de  Jésus-Christ  et  de  son 
Eglise.  Ce  point  une  fois  décidé  par  l'unanimité  des  docteurs, 
depuis  Origène,  regardé  par  saint  Jérôme  comme  s' étant 
surpassé  dans  l'exposition  qu'il  en  a  faite  ^,  jusqu'à  Bossuet 
et  Michaélis  dans  leurs  doctes  scholies,  on  n'a  plus  qu'à 
laisser  aux  excès  de  la  pensée  humaine  les  détestables  aber- 
rations qu'elle  osa  produire  à  ce  sujet.  Qu'à  la  suite  de 
Théodore  de  Mopsueste  et  d'autres  ennemis  de  nos  vérités 


'  Extrait  d'un  ouvrage  inédit  de  l'auteur  qui  aura  pour  titre  :  Histoire  du 
Symbolisme  religieux. 

*  S.  HiKRONVM.,  Prœfatio  in  orig.  Cantic. 


SYMBOLISME   TW   CANTIQUE   DES   CANTIQUES.  -133 

religieuses,  Bcze,  Gi'otiiis,  Voltaire,  Renan,  vautrent  donc 
leur  imagination  en  de  honteuses  turpitudes  ;  qu'ils  se  fossent 
de  l'Esprit-Saint,  de  l'Eglise,  des  âmes  les  plus  pures,  autant 
de  complices  de  leurs  calomnieuses  traductions...  ce  liber- 
tinage impie  est  jugé  !  A  Dieu  ne  plaise  que  nous  le  com- 
battions ici  !  mais  nous  devons  dire  comment  le  sens  littéral 
n'est  pas  admissible,  et  pourquoi  le  symbolisme  est  seul  ac- 
ceptable :  double  assertion  que  nous  désirons  prouver. 

Et  d'abord,  quel  est  l'objet  naturel  et  obvie  de  ce  poème 
oriental ?4L)'est  un  épi thalame  composé  en  vers,  dont  la  me- 
sure nous  est  inconnue,  comme  celle  de  tous  les  vers  hé- 
breux; où  l'Epoux  et  l'Epouse,  dans  un  dialogue  empreint 
du  caractère  enthousiaste  de  la  poésie  asiatique,  s'expriment 
une  tendresse  nnituelle  et  chantent  les  douceurs  de  ce  pur 
amour.  La  vivacité  du  style,  qu'animent  des  images  aussi 
colorées  qu'inusitées  chez  les  nations  de  l'Occident  et  le  dan- 
ger qu'il  y  aurait  eu  à  livrer  cette  lecture  aux  jeunes  esprits 
dont  l'inexpérience  aurait  pu  transporter  à  des  idées  phy- 
siques ces  expressions  mal  comprises  encore  d'une  affection 
toute  surnaturelle,  avaient  fait  interdire  ce  livre  aux  Juifs 
eux-mêmes  jusqu'à  l'âge  où  se  pouvaient  exercer  les  fonc- 
tions sacerdotales  ' .  Ce  n'est  pas  le  seul  bon  ouvrage  qu'on 
ait  dû  éloigner  ainsi  de  certaines  intelligences  trop  peu  ca- 
pables de  s'en  bien  servir.  Les  premiers  chapitres  de  la 
Genèse,  entr'autres,  n'étaient  donnés  aux  Israélites  qu'après 
l'âge  de  trente  ans.  Il  faut  donc  s'être  entièrement  éloigné 
des  véritables  sentiments  du  Christianisme,  de  la  vénération 
due  aux   saintes  pages   d'où   jaillissent  ses    dogmes   et  sa 


'  s.  HiERON.,  Prœjatio  in  Ezechielem.  —  D.  Calmet,  Commentaire  sur 
la  Genèse,  in -4",  p.  155.  —  Bossokt,  Maximes  et  réflexions  sur  la  Comédie 
n°  XXI. 


134  SYMBOLISME 

morale,  pour  avoir  vu  dans  celle-ci  une  œuvre  purement  pro- 
fane, indigne  des  constantes  inspirations  qui  dominent  tout 
le  reste,  sans  prendre  garde  à  cette  impérieuse  alternative 
qui  doit  faire  adopter  tous  les  livres  de  la  Bible  comme  ve- 
nant de  Dieu,  ou  les  faire  tous  rejeter  également  s'il  en  est 
un  seul  qui  n'en  vienne  pas. 

Le  consentement  unanime  fies  auteurs  dont  l'Eglise  s'ho- 
nore, celui  des  docteurs  juifs,  qui  tiennent  ce  livre,  aussi 
bien  que  nous,  pour  canonique  et  sacré,  l'a  fait  regarder 
comme  un  chant  mystérieux  inspiré  à  Salomon ,  non  par  son 
union  avec  la  fille  du  roi  d'Egypte,  mais  par  un  esprit  de 
prophétie  qui,  sous  les  feintes  apparences  d'une  pastorale, 
décrit  les  célestes  amours  du  Christ  et  de  l'Eglise.  L'opinion 
contraire  soutenue  par  l'évoque  de  Mopsueste,  qui  préten- 
dait n'admettre  qu'une  réalité  purement  matérielle,  parut 
une  impiété  aux  Pères  du  second  Concile  général,  tenu  à 
Constantinople,  en  555  :  elle  fut  une  des  erreurs  qui  firent 
prononcer  sa  condamnation  ' .  La  lettre  n'est  donc  rien  dans 
ce  poème  de  la  Sagesse  éternelle.  Il  ne  faudrait  pour  s'en 
convaincre  qu'étudier  ce  qu'en  ont  dit  les  plus  beaux  génies 
de  tous  les  siècles,  et  apprécier  justement  des  autorités  telles 
que  Théodoret,  qui  ne  peut  certes  passer  pour  trop  mystique, 
saint  Jean  Chrysostôme,  saint  Cyprien,  saint  Basile,  les  deux 
saints  Grégoire  de  Nice  et  de  Nazianze,  le  V.  Bède,  saint 
Grégoire-le-Grand,  saint  Bernard,  saint  Thomas  d'Aquin,  et 
d'autres  encore,  tous  suivis  par  les  plus  illustres  commenta- 
teurs modernes.  Aux  yeux  de  ces  grands  hommes,  le  Can- 
tique est  un  écrit  i)urement  spirituel.  Ceux  qui  bazardèrent 
une  explication  opposée,  et  n'y  virent  que  l'expression  d'un 

*  V.  Concilium  Constantinop.  V,  apud  P.  Labbe,  ad  ann.  553.  —  Tille- 
mont,  Mém.  pour  servir  à  l  lliUoire  ecclésiastique,  t.  xix,  p.  440. 


DU   CANTIQUE   DES    CANTIQUES.  135 

mariage  cliarnel  se  laissèrent  prendre  à  quelques  termes  mé- 
taphoriques, dont  un  peu  plus  d'étude  et  de  réflexion  leur 
eût  fait  découvrir  le  sens  véritable.  Les  parfums,  les  baisers, 
les  cheveux,  le  cou  et  autres  détails  tout  humains  dans  l'ac- 
ception propre  des  mots,  ne  leur  parurent  que  des  choses 
sensibles,  et  cette  grossière  explication  devait  amener  néces- 
sairement d'autres  idées  plus  grossières  encore...  De  là  les 
orgies  d'imagination  de  Voltaire  et  de  ses  complices  dont  le 
criminel  sensualisme  n'estimait  rien  qu'à  la  mesure  du  déver- 
gondage de  leur  esprit.  Rien  n'était  plus  facile  que  d'éviter 
ce  piège,  où  s'est  perdu  leur  honneur  d'écrivain,  en  se  sou- 
venant que  les  autres  livres  bibliques  sont  pleins  de  sem- 
blables allusions  ;  que  les  Prophètes  surtout  s'en  servent  à 
profusion  en  mille  endroits  que  nous  pourrions  citer  ' ,  et 
qu'en  suivant  la  trace  des  interprètes  les  plus  respectés 
ils  fussent  arrivés  au  même  terme  sans  compromettre  ce 
qu'ils  pouvaient  avoir  de  sens  commun  et  de  bonne  foi. 
Bossuet  fait  observer  avec  la  justesse  qui  le  distingue,  que 
le  Psaume  44"  est  dans  le  même  cas  et  ne  peut  s'entendre 
que  d'une  noce  mystique  dans  laquelle  l'union  future  du 
Verbe  divin  se  prépare  d'avance  avec  l'humanité  qui  soupire 
après  lui  ^.  On  rencontre  presque  à  chaque  ligne  de  nos 
Livres  saints  des  mots  et  des  choses  qu'il  ne  faut  prendre 
que  dans  un  sens  indispensablement  figuratif.  Tel  est,  entre 
mille  autres,  dans  notre  Cantique,  le  4"  verset  du  chapitre  ii 
où  l'Epouse  dit  de  son  p]poux  qu'il  a  réglé  en  elle  l'exercice 
de  la  charité ^  —  Quel  autre  amour  que  celui  de  Dieu,  qui 
implique  celui  du  prochain  et  celui  de  soi-même,  aurait  be- 


'  V.  le  chapitre  xvj  d'Ézéchiel. 

-  Bossuet,  Prœfat.  in  Cantic.  Canticor. 

^  Ordinavit  in  me  charitatem  (Cant.  ii,  4  ) 


436  SYMBOLISME 

soiii  (l'être  réglé  et  pourrait  l'être?  Ou  ne  parlerait  pas  en  ces 
termes  d'une  passion  terrestre  à  qui  tout  frein  est  un  joug 
qu'elle  supporte  impatiemment.  Ce  n'est  qu'en  Dieu  et  dans 
les  choses  qui  tiennent  à  lui  que  se  trouvent  la  modération 
des  désirs  et  l'usage  sagement  rîiisonné  des  sentiments  na- 
turels :  ce  qui  fait  dire  par  saint  Augustin ,  que  si  quel- 
qu'un voulait  comprendre  beaucoup  de  passages  du  divin 
Cantique  selon  la  réalité  charnelle,  il  favoriserait  moins  en 
lui  la  charité  véritable  qui  doit  naître  du  commerce  des 
saintes  Lettres,  que  les  sentiments  criminels  d'une  coupable 
volupté  ' . 

Quant  à  l'action  qui  se  développe  sous  la  plume  inspirée 
de  Salomon,  il  paraît  bien  que  ce  sage  prince  a  voulu  en  faire 
une  sorte  d'églogue,  dont  la  forme  convenait  mieux  aux 
usages  civils  des  mariages  de  son  temps.  Rien  n'oblige  de 
croire  que  cette  forme  ait  été  inspirée,  et  l'esprit  particulier 
de  l'écrivain  a  pu  la  choisir  dans  l'ordre  d'idées  quilui  conve- 
nait le  mieux .  Mais  il  paraissait  tout  simple  qu'une  union  my- 
stique fût  représentée  par  l'union  naturelle  de  deux  époux, 
celle-ci  ayant  été  sanctifiée  dès  le  principe  par  Dieu  qui  l'in- 
stitua. 

Les  personnages  de  ce  petit  drame,  qui  se  conduit  d'ail- 
leurs avec  autant  d'habileté  littéraire  que  de  feu,  de  délica- 
tesse et  de  variété,  se  réduisent  à  deux, l'époux  et  l'épouse. 
Mais  leur  rôle  change  et  se  représente  à  diverses  fois,  sous 
trois  aspects  diiFérents.  C'est  ici  particulièrement  qu'il  faut 
reconnaître  la  transparence  du  voile  allégorique  sous  lequel 
on  les  retrouve  toujours.  Tour-à-tour  roi  et  reine,  ou  bergère 


'  Velut  si  quis  quani  multa  scripta  sunt  in  Cantico  canticorum  cainalitcr 
accipiat,  non  ad  hiniinosrc  chaiitatis  fructum,  sed  ad  libidinosai  cupiditatis 
effcctum  (S.  Aigist.  De  Spirilu  cl  iJtleru,  c.  3.) 


DU   CANTIQUE   DES   CANTIQUES.  137 

et  pasteur,  ou  vigneron  et  simple  fille  des  champs,  travail- 
lant aux  soins  de  la  vigne  et  des  jiirdins,  on  les  voit  se  revê- 
tir par  anticipation  des  traits  que  le  Nouveau-Testament 
donnera  un  jour  au  Sauveur  et  à  l'Eglise  fondée  par  lui.  Et 
comme  il  sera  roi,  d'après  sa  propre  et  infaillible  parole  *,  il 
sera  encore  le  bon  ])asteur,  le  pasteur  souverain  de  tous  les 
bercails  ^;  il  sera  la  vigne  et  môme  le  vigneron^  agissant  tou- 
jours de  concert  avec  son  Père,  à  qui  il  donne  cette  qualifi- 
cation dans  l'Evangile  ^  Pour  l'Eglise,  il  n'est  pas  un  caracr 
tère  de  Jésus-Christ  qu'elle  ne  revête  ;  elle  s'anime  de  son 
esprit,  elle  vit  de  sa  vie;  sa  mission  terrestre  n'est  que  la 
continuation  de  la  sienne.  Avec  lui  elle  est  reine  ^  ;  elle 
coopère  au  travail  de  son  époux^  dans  le  champ  où  Dieu  cul- 
tive, arrose  et  donne  l'accroissement;  elle  paît  les  brebis  et 
les  agneaux  ^. 

Ces  traits  généraux  sont  parfaitement  conformes  à  l'idée 
que  l'Evangile  nous  donne  du  Sauveur  et  de  son  Eglise.  Ils 
servent  encore  à  nous  démontrer  pour  une  foule  d'autres,  que 
l'Esprit  saint  les  a  toujours  en  vue  dans  le  livre  que  nous  ana- 
lysons. Mais  ce  qui  n'est  pas  moins  merveilleux,  et  ce  qui 
prouverait  que  de  hautes  et  saintes  autorités  l'ont  considéré 
sous  le  même  aspect,  c'est  le  soin  que  saint  Jean  et  d'autres 
auteurs  sacrés  semblent  avoir  eu  de  nous  montrer,  soit  dans 
l'Apocalypse,  soit  dans  les  Evangiles,  sous  les  mêmes  figures 


'  Dixit  Ei  Pilatus  :  Ergo  Rex  es  ïu  i  Respondit  Jcsus  :  Tu  dicis  quia  Rox 
sum  Ego  (JoAN.,  xviij,  37.) 

^  Ego  sum  Pastor  bonus  (Joan.,  x.  14.)  —  Rex  super  eos  et  Pastor  unus 
erit  omnium  eorum  (Ezech.,  xxxvij,  24.) 

^  Ego  sum  vitis  vera,  et  Pater  meus  agricola  est  (Joan.,  xv,  1.) 

*  Astitit  Regina  a  dextris  tuis,  Deus>(Ps.  xlix,  10.)  —  Piinceps  ipse  sedebit 
in  Ea  (EzÉcii  ,  xljv,  3.) 

''  Pasce  agnos  nieos..,  Pasce  oves   meas  (Joaw.,  xxi,  16,  17.) 


138  SYMltOLISME 

de  l'Époux  et  de  l'Epouse  ce  même  Sauveur,  cette  môme  Eglise 
que  uous  devons  voir  dans  le  cantique  de  Salomon.  Après  les 
avoir  dépeints  sous  les  mûmes  traits  dans  la  parabole  des 
vierges  folles  et  des  vierges  sages,  après  avoir  rattaché  mainte 
autre  comparaison  à  ce  poëme  des  anciens  jours  qui  semble  en 
avoir  éveillé  la  pensée,  ce  sont  toujours  des  épouses  parées 
pour  recevoir  l'Epoux  ',  des  vierges  prudentes  entrant  aux 
noces  avec  lui  par  une  porte  qui  se  referme  aussitôt  '  ;  c'est 
saint  Jean-Baptiste  appelé  Vami  de  V Époux  '\  —  Ce  titre 
d'Epouse  admet  nécessairement  des  conséquences  très-appli- 
cables à  l'Eglise  dans  sa  maternelle  fécondité.  C'est  à  ce  titre 
qu'il  faut  lui  approprier  les  paroles  de  l'Epoux,  que  «  ses 
mamelles  lui  sont  plus  douces  que  le  vin  \ —  N'est-ce  pas  en 
effet,  comme  du  sein  de  l'Eglise  que  s'épanche  en  forme  de 
lait  nourrissant,  la  doctrine  surnaturelle  du  salut?  Uans douze 
passages  du  Cantique  cette  même  expresssion  se  renouvelle 
et  se  plie  à  des  explications  identiques.  Le  moyen-âge  l'avait 
bien  compris  et  le  rendit  admirablement,  entre  mille  autres 
sujets  d'iconographie  dans  une  des  belles  verrières  de  Bourges. 
A  l'un  des  médaillons  supérieurs  de  cette  grande  page  où 
l'Apocalypse  se  résume  en  quinze  scènes  des  plus  significa- 
tives, on  voit  représentée  une  reine  assise,  vêtue  de  rouge 
et  de  vert  (charité  et  régénération),  comme  fort  souvent  le 
Sauveur,  et  laissant  paraître  à  découvert  ses  deux  mamelles 
où  deux  hommes  puisent  de  leur  bouche  la  vie  et  l'immorta- 
lité. De  ses  deux  mains  étendues  elle  tient  sur  leur  tête  une 


'  Sponsam  paratam  sponso  suo  (Apoc.  xxl,  10.)  —  Rapprochez  ce  que  nous 
disons  ici  do  notre  explication  de  ce  passage  de  l'Apocalypse,  ci-après. 

*  Virgines  quae  paratae  erant  intraverunt  ad  nuptias,  et   clausa  est  janua 
(Math.,  XXV,  10.)  , 

"'  Amiens  Sponsi  (Joan.,  ix,  29.) 

*  Meliora  sunt  ubera  tua  vino  (Cant.  iv,  10). 


DU    CAISTIQUE    DES   CANTIOUES.  i'i\) 

cguroiinc.  C'est  rcniblcmc  de  l'éternelle  récompense  accor- 
dée an  saint  empressement  des  enfants  de  Dieu  vers  les  biens 
surnaturels.  C'est  en  môme  temps  la  traduction  du  Cantique  : 
Meliora  sunt  ubera  tua  vino  ;  et  celle  d'Isaïe  engageant  les 
amis  de  Dieu  à  puiser  aux  mamelles  de  ses  consolations^  à  sa- 
vourer ce  torrent  qui  les  inonde  de  gloire^  à  se  faire  porter  sur 
ses  genoux,  et  suspendre  à  son  sein  ' .  On  voit  que  tout  ici 
respire  le  sentiment  d'une  mère,  et  combien  tant  de  passages 
s'expliquant  naturellement  Tun  par  l'autre,  rendent  aussi 
très-naturel  le  sens  chaste  et  honnête  qu'il  faut  toujours 
donner  à  la  parole  de  Dieu. 

Voyons  maintenant  comment  une  fois  entré  dans  ce  fond 
de  pensées  allégoriques,  le  poëte  doit  simplement  en  élaborer 
les  détails  et  ajuster  à  son  sujet  les  ornements  qui  en  dépen- 
dent. Qui  n'a  point  remarqué  jusqu'à  quel  point  de  singu- 
larité, explicable  seulement  à  ceux  qui  prennent  au  sérieux 
les  études  bibliques,  s'élève  la  poésie  de  l'Orient?  Son  langage 
ne  connaît  rien  de  trop  expressif.  Pas  d'images  donc  qu'elle 
n'admette,  de  formes  hardies  qu'elle  ne  choisisse,  de  simple 
objet  qu'elle  ne  colore,  de  limites  grammaticales  qu'elle 
n'excède.  Cette  vivacité  de  trait,  favorisée  par  une  nature 
toujours  bouillante  des  ardeurs  locales,  se  révèle  à  chaque  page 
et  s'empare  d'un  choix  de  termes,  dont  s'étonne  l'imagination 
plus  froide  denos  pays  tempérés.  Mais,  de  même  qu'en  lisant 
les  poètes  du  Nord,  comme  ceux  du  moyen-âge  ou  de  la 
basse  latinité,  il  faut  faire  la  part  du  caractère  du  peuple  qui 
s'y  reflète,  apprécier  ses  habitudes  propres  et  ses  idées  na- 

'  Sugatis  et  repleamini  ab  ubere  consolationis  ejus,  ut  mulgeatis,  et  deliciis 
affluatis  ab  omnimoda  gloria  ojus...  —  Declinabo  super  eani (Jérusalem ,  autre 
Symbole  de  l'Église  et  de  lame  fidèle  )  quasi  fluvium  pacis,  et  quasi  torren- 
tem  iuundantem  gloriam  gentiuni  quain  sugetis  ;  ad  ubera  purtabimini,  et  super 
gciiua  blandientur  vobis  (Isaie,  Ixvj,  11  et  12. 


140  SYMBOLISME 

tionales,  dont  le  style  se  ressent  toujours  :  ainsi  faut-il  jugier 
la  poésie  des  Hébreux  d'après  les  influences  de  leur  ciel  qu'elle 
a  dû  subir.  Partout  la  littérature  ressemble  à  certaines 
plantes  indigènes  :  leurs  dispositions  générales,  l'agencement 
des  feuilles,  des  pétales  et  des  corolles,  la  forme  et  l'attitude 
des  fleurs  et  des  fruits  qu'elles  étalent,  ont  une  certaine  ex- 
centricité, plus  ou  moins  étrange  à  ceux  qui  n'habitent  pas 
les  plages  où  elles  s'épanouissent:  elles  n'en  ont  pas  moins 
leurs  beautés  réelles  que  goûte  une  analyse  raisonnée  et  qui 
élève  notre  âme  au  ciel  avec  leurs  parfums  et  leurs  couleurs. 
Mettons-nous  donc,  pour  juger  sainement  des  poèmes  de  la 
Bible,  au  point  de  vue  du  peuple  qui  les  écrivit.  Saisissons 
l'esprit  de  son  langage  si  expansif  dans  la  concision  ferme  de 
sa  phrase  énergique  ;  et  nous  serons  moins  étonnés  des  scènes 
vivement  colorées  de  l'auteur,  et  du  tour  littéraire  qu'il  leur 
donne.  Jusqu'alors,  ni  depuis,  aucun  époux  ne  s'était  avisé 
de  comparer  son  épouse  aux  plus  belles  cavales  du  char  d'un 
prince,  ses  joues  à  celles  d'une  tourterelle,  ses  yeux  à  ceux 
d'une  colombe;  encore  moins  ses  cheveux  à  un  troupeau  de 
chèvres,  et  ses  dents  à  une  réunion  de  brebis  tondues,  puri- 
fiées dans  le  lavoir  ' .  Mais  toutes  ces  similitudes  s'expliquent 
aisément  pour  quiconque  a  l'expérience  des  bestiaires  trans- 
mis par  les  anciens  à  nos  pères  du  moyen-âge.  On  reconnaît 
par  une  foule  de  souvenirs  en  quelles  proportions  peuvent 
plaire  à  un  jeune  homme  les  allusions  tirées  de  la  vitesse  pro- 
verbiale des  coursiers  de  l'Orient,  l'élégance  modeste  et  l'in- 
violable fidélité  de  la  tourterelle.  Le  troupeau  de  chèvres  rap- 


'  Equitatui  meo  in  cuiribus  phaiaonis  assimilavi  te,  arnica  mea,  pukhrse 
sunt  genaj  tu;i!  sicut  turturis  (Cant.  i,  8  et  9).  —  Oculi  tui  columbarum... 
Capilli  tui  sicut  gt'cgi-s  caprarum,  quïe  asconderunt  de  monte  Galaad. . .  Dentés 
tui  sicut  gregcs  tonsaïuni  quue  asconderunt  de  lavacio..  (Ib.,  iv,  1,  2.) 


DU    CAMTIUUE    Hliï^    CAMIUL'KS.  141 

pelle  cette  indépendance  de  lu  volonté  ([ui  ne  s  (MK^lniine  qu'à 
un  objet  aimé  *.  Kt  dans  tout  cela  ne  voit-on  pas  autant  de 
traits  fort  convenables  au  cœur  d'un  Dieu  qui,  en  se  taisant 
homme,  a  consenti  de  même  à  lier  sa  toute  puissance,  et  à 
consacrer  dans  l'union  intime  qui  l'attache  à  notre  nature 
réformée  par  lui  les  plus  tendres  preuves  du  plus  généreux 
amour  ? 

De  son  côté,  l'épouse  ne  reste  pas  au-dessous  de  ces  har- 
dies métaphores.  Le  nom  de  son  bien-aimé  est  comparé  à 
l'onction  d'une  huile  parfumée  ;  lui-môme,  il  est  une  grappe 
de  raisin  de  Chypre  dans  les  vignes  d'Engaddi,  un  chevreuil, 
un  faon  de  biche  ^ .  Et  ainsi  dans  tout  le  cours  de  cette  fraîche 
et  naïve  pastorale  tout  ce  que  la  nature  crée  de  vif  et  de 
gracieux,  d'agréable  et  de  beau,  tout  ce  qu'estiment  les  per- 
sonnages divers  qui  se  succèdent,  pauvres  ou  riches,  rois  ou 
bergers,  dans  ce  drame  plein  de  mouvement  et  d'effet,  est 
successivement  adapté  par  le  poëte  à  la  situation  changeante 
de  ses  héros.  De  là,  l'intervention  si  fréquente  de  ces  mille 
objets  de  comparaison  qui  rapprochent  d'eux  les  plantes  aro- 
matiques, les  oiseaux,  les  détails  de  la  vie  champêtre,  et  le 
luxe  des  habitations  royales,  et  l'opulence  des  meubles  et 
des  habits.  Le  lys  des  champs,  la  fleur  des  vallées  deviennent 
les  emblèmes  de  la  simplicité  de  l'épouse  et  de  la  pureté  de 
son  cœur.  L'Epoux  est  beau  comme  le  cèdre  et  le  palmier. 
Le  lit  nuptial  s'embellit  de  colonnes  d'argent;  le  marbre,  le 
bois  précieux,  les  baumes  les  plus  exquis  ornent  et  parfument 
leur  demeure.  On  voit  briller  sur  leurs  vêtements  l'or  et  le 

'  V.  Tous  les  Bestiaires  ou  Pkisiologucs  donnés  par  le  Moyen-Ago  :  Hugues 
de  Saint- Victor,  Théobald,  Guillaume-le-Noimand,et  beaucoup  d'autres  dont 
nous  parlerons. 

*  Oleum  effusum  nomen  tuum  (Cant,  i,  2.)  —  Botrus  Cypri  dilectus  meus, 
in  vineis  Engaddi  (i,  13.)  —  Similis  capreae  hinnuloque  cervorum  (ii,  10.) 


14-2  SYMDOLISiME 

saphir;  l'hyaciiitlie  et  l'ivoire  s'y  mêlent  et  témoignent, 
connue  tout  le  reste,  des  vertus  intérieures  dont  ces  pamres 
ne  sont  que  la  noble  et  riche  expression.  Il  est  clair  que  de 
telles  bouches  ne  distillent  que  des  rayons  de  miel  ;  de  tels 
époux  ne  peuvent  se  nourrir  que  du  vin  le  plus  pur  et  du 
lait  le  plus  exquis.  Dans  leurs  jardins  ne  croissent  que  des 
arbres  choisis,  aux  fruits  délicieux  :  la  vigne  féconde,  l'at- 
trayante grenade,  l'olive  et  la  noix  h  l'huile  abondante  et 
pure.  Et  remarquons  bien  qu'il  n'est  ni  un  de  ces  fruits,  ni 
un  de  ces  arbres  qui  n'ait  dans  la  flore  morale,  dans  la  bota- 
nique sacrée,  une  signification  toute  mystique,  sur  laquelle 
nous  aurons  occasion  de  revenir. 

Au  jugement  de  plusieurs  interprètes  que  résument  D.  Cal- 
met,  dans  la  préface  de  son  commentaire  littéral,  et  Bossuet 
dans  son  exposition  latine,  l'action  racontée  par  le  poëte  hé- 
breux se  divise  en  sept  journées,  et  fait  allusion  en  cela  aux 
usages  suivis  dans  les  mariages  des  Orientaux.  On  sait  que 
chez  les  Israélites  en  particulier,  les  cérémonies  de  noces  se 
prolongeaient  pendant  sept  jours,   ce    nombre  sacré  étant 
donné  par  une  raison  symbolique  à  l'œuvre  importante  qui 
devait  perpétuer  celle  de  la  création.  Ce  rite  fut  exactement 
observé  dans  les  mariages  de  Jacob,  de  Samson  et  de  Tobie. 
Là  encore  une  foule  de  paysages  se  rapportent  évidemment 
à  ces   habitudes  qu'on  pourrait  reconnaître,  de  nos  jours 
même,  dans  ce  pays  aux  mœurs  constantes  et  immobiles.  Les 
voyageurs  modernes  constatent  cette  persistance  des  antiques 
mœurs  patriarcales  parmi  les  arabes  de  la  Palestine.  Outre 
que  le  langage  de  ces  peuples  est  plein  de  figures  et  de  pa- 
raboles, le  cérémonial  du  mariage  ne  diffère  que  par  quelques 
omissions  insignifiantes  de  celui  que  nous  lisons  dans  l'histoire 
des  temps  bibliques. 

Un  ancien  consul  de  France  envoyé  par  Louis  XIV  dans 


DU    CAM'IQl'l-;    bliS   TA^tTIOlES.  14.'} 

le  Levant  a  pu  y  leniarquer  ces  usages  des  populations  mu- 
sulmanes, chez  lesquelles  se  sont  conservées  les  traditions 
des  premiers  temps,  et  il  observa  que  tout  se  passait  à 
une  noce  dont  il  fut  témoin  selon  la  description  du  Cnu- 
tique  des  cantiques.  Il  y  vit  l'épouse  se  tenaut  debout',  at- 
titude officielle,  indice  de  la  haute  opinion  qu'on  se  faisait 
de  son  mérite,  recevoir  les  félicitations  de  plusieurs  des  in- 
vités commis  à  cette  charge,  et  qui  tour-à-tour  firent  l'éloge 
de  sou  visage,  apostrophant  ou  ses  yeux,  ou  sa  bouche,  ou 
ses  joues,  ou  sou  cou,  et  célébrant  ainsi  tous  les  détails 
de  sa  personne  en  des  termes  hyperboliques  tels  que  ceux 
qui  nous  surprennent  le  plus  dans  le  livre  inspiré  ^.  On  con- 
çoit que  dans  cette  énumératiou  la  poésie  du  style  ne  faisait 
abstraction  d'aucun  des  détails  que  repousserait  la  civilisation 
européenne,  et  dont  les  races  primitives  n'avaient  pas  à  se 
scandaliser  comme  nous.  C'est  ce  qui  explique  les  nombreuses 
expressions  répandues  dans  le  Cantique,  le  dialogue,  parfois 
si  extraordinaire  à  notre  sens,  qui  s'établit  entre  les  deux 
époux,  et  les  comparaisons  inattendues  qui  y  fleurissent. 

Pour  peu  qu'on  ait  d'ailleurs  l'habitude  des  Livres  saints, 
et  même  celle  des  ouvrages  profanes  de  la  littérature  orien- 
tale, il  suffit  de  rappeler  en  faveur  de  ces  excentricités  d'une 
parole  aussi  imagée,  une  foule  de  textes  où  les  choses  qui 
nous  semblent  aussi  délicates  ne  sont  pas  traitées  autrement, 
et  dont  nous  ne  méconnaissons  la  portée  réelle  qu'à  dé- 
faut de  cette  simplicité  des  mœurs  et  de  la  foi  qui  faisait 
tout  accepter  sans  autre  importance  que  celle  de  la  pensée 
dominante.  Il  ne  faut  voir  là  qu'un  langage  humain,  comme 
celui  qu'employait  saint  Paul  pour  faire  entendre  aux  Romains 


'  Astitit  Regina  a  dextris  tuis,  Deus  (Ps.,  xlix,  10.) 

-  Le  chevalier  d'Hervicux,  cité  par  Sacy  dans  sa  Frvfacc  de  l'Jpocalypse. 


M4  SYMBOLISME 

qu'après  avoir  été,  dans  le  paganisnie  ou  dans  le  judaïsme 
à  jamais  déchus,  les  esclaves  de  l'impureté  et  de  la  prostitu- 
tion des  sens,  ils  ne  devaient  plus  consacrer  ces  mômes 
membres  qu'à  des  œuvres  d'innocence  et  de  sainteté  ' .  Il 
n'en  est  pas  autrement  quand  Dieu  établit  dans  l'institution 
du  mariage  que  l'homme  et  la  femme  deviendraient  une  même 
chair  -;  qiuxnd  Ezéchiel,  de  la  part  du  Très-Haut,  rappelle 
à  Jérusalem  l'état  d'abaissement  où  l'avaient  réduite  son 
apostasie  et  ses  passions ,  les  bienfaits  divins  dont  elle 
avait  été  l'objet,  et  la  tendre  piété  dont  il  protégea  sa  jeu- 
nesse en  couvrant  sa  nudité,  en  purifiant  ses  souillures  na- 
tives ^  Certes,  tout  ce  contexte  est  formé  d'expressions  peu 
admissibles  aujourd'hui  dans  notre  langue,  qu'on  appelle  la 
plus  polie  du  monde,  et  qui  ne  le  sera  cependant  jamais  à 
l'égal  de  celle  des  Israélites.  Ainsi  pourrions-nous  citer  mille 
autres  endroits. 

Qu'y  a-t-il  donc  dans  ce  style  de  moins  extraordinaire 
que  dans  celui  du  Cantique  de  Salomon?  Et  pourquoi,  mécon- 
naissant à  dessein,  ou  par  ignorance,  une  appréciation  qui 
doit  se  faire  jour  dans  l'interprétation  de  tous  les  dialectes, 


'  Humanum  dico  pi  opter  infirmitatom  carnis  vcstijc:  Sicut  ciiim  exhibuistis 
membra  vestra  seivire  immunditisc...  Ita  nunc  cxhibcte  membra  vestra  servire 
in  sanctificationem  (Rom.  vi,  24.) 

-  Itaque  eiunt  duo  in  una  carne  [Gen.,  ii,  24.1 

*  Quando  nata  es,  in  die  ortus  tui,  non  est  preecisus  umbilicus  tuus,  et  aqua 
non  es  Iota  in  salutem,  nec  sale  salita,  nec  involuta  pannis...  Projecta  es  super 
faciem  terrse  in  abjectione  animée  tuae...  Transiens  autem  per  te,  vidi  te  con- 
culcari  in  sanguine  tuo...  Vive,  dixi...  in  sanguine  tuo  vive...  Et  grandis  ef- 
fecta...  Pervenisti  ad  mundum  muliebrem,  ubera  tua  intumuerunt,  et  pilus 
tuus  germinavit  ;  et  eras  nuda  et  confusione  plena;  et  transivi  per  te,  et  vidi 
te,  et  ccce  tempus  tuum,  tcinpus  amantiuni,  et  cxpandi  amictum  ineum  super 
te,  et  operui  ignominiam  tuain,  etc.,  etc.  Voir  tout  ce  passage  dans  Ezéchiel, 
ch.  XV j. 


1)1"    CANTIOCI':    DKS    CANTIOrKS.  l-io 

(les  esprits  si  digues  <Vune  mitre  tache  se  sont-ils  ciTorcés  de 
souiller  la  pensée  divine  de  lu  fange  de  leurs  mauvaises  pen- 
sées? Outre  que  cette  injustice  sacrilège  avait  contre  elle  les 
enseignements  de  la  raison,  des  plus  illustres  savants,  de  l'E- 
glise elle-même,  mère  assez  peu  accoutumée  à  pervertir  ses 
enfants,  ces  doctes  génies  de  tous  les  siècles  qui  brilleront 
à  jamais  dans  l'auréole  du  Christianisme,  se  respectaient  as- 
sez sans  doute  pour  ne  transiger  avec  aucune  des  moindres 
exigences  de  la  pudeur  publique  et  de  la  sainteté  des  plus 
chers  devoirs.  Or,  tous  se  sont  unanimement  accordés  sur 
cette  exégèse  de  la  sainte  parole,  tous  ont  blâmé  d'une  répi-i- 
mande  sévère,  soit  dans  leurs  écrits,  soit  dans  les  assemblées 
ecclésiastiques,  le  téméraire  orgueil  de  ces  traducteurs  hété- 
rodoxes qui  n'ont  voulu  voir  qu'un  sens  vulgaire  et  d'autant 
plus  regrettable  dans  ces  mystiques  épanchenicnts  du  plus 
chaste  amour  qui  fut  jamais.  Ne  jugeons  donc  point  ces  pages 
vénérables  avec  le  sens  de  l'homme  terrestre  et  charnel. 
Remontons  à  ce  mariage  saint  qui  unit  le  premier  homme  à 
la  première  femme  avant  la  chute  originelle;  considérons  ces 
noces  innocentes  dans  le  caractère  élevé  que  Dieu  leur  donna, 
et  qui  furent  eu  tout,  dit  saint  Augustin,  dignes  de  l'heu- 
reuse demeure  où  elles  se  firent  '  ;  —  et  nous  verrons  dispa- 
raître l'enveloppe  matérielle  pour  ne  plus  admirer  dans  cet 
épithalame  sacré  que  l'union  prophétisée  de  l'Epoux  divin  et 
de  l'Epouse  «•  choisie  avant  tous  les  siècles  »  ^;  qu'un  chant 
mystérieux  honorant  dans  l'Incarnation  l'alliance  du  Verbe 

'  Illae  nuptiae  dignœ  felicitate  paradisi  ;  nam  quum  ordinatè  se  animus  vin- 
cit,  ut  iirationales  motus  ejus  menti  rationiqué  subdantur,  si  tamen  et  illa 
Deo  subdita  est,  laudis  atque  virtutis  est  (S.  Adgust.,  De  Civitale  Dci, 
lib.  xii,  c.  23.  —  V.  aussi  saint  Thomas  d'Aquin  cité  par  Vives  dans  sa  Glose 
sur  ce  passage  de  ce  Père . 

*  Elegit  nos  ante  mundi  constitutioncm  {Ei)hes.,  /.  4.) 

'     TOME   YI .  11. 


1 40  SYMBOLISME 

avec  lu  nature  humaine,  ou  avec  l'âme  juste  à  laquelle  il 
s'unit  également,  soit  dans  ce  môme  mystère,  soit  clans  la 
nourriture  Eucharistique.  Enfin,  dans  cette  terminologie  qui 
blesse  au  premier  abord  notre  fausse  délicatesse,  nous  n'aper- 
cevrons plus  que  des  modes  d'une  langue  à  part,  d'une  ac- 
ception qui  n'a  plus  rien  de  naturel,  et  qri  ne  peuvent  se 
comprendre  que  par  les  âmes  spirituelles.  C'est  pour  ces  âmes 
seules  que  l'Esprit- Saint  les  a  dictés.  Voulant  donner 
une  signification  morale  à  des  sentiments  physiques  ,  et 
prédire  pour  la  consolation  des  justes  de  son  temps  les  fu- 
tures destinées  de  l'Épouse-Vierge  qui  devait  descendre  de 
Salomon  selon  la  chair,  il  s'est  servi  des  mêmes  mots  qu'em- 
ploie nécessairement  la  parole  des  hommes.  L'amour  appli- 
qué à  Dieu  n'est  pas  autre  que  l'amour  ressenti  pour  la 
créature,  sinon  qu'il  a  pour  objet  un  Etre  infiniment  plus 
digne,  vers  lequel  il  s'élève  tout  épuré  des  émotions  sen- 
suelles. C'est  toujours  cette  même  flamme  invisible,  spiil- 
tuelle  qu'on  sent  en  soi  sans  pouvoir  la  définir  justement, 
et  dont  la  chaleur  active  préoccupe  notre  cœur  d'une  fin  quel- 
conque, plus  ou  moins  digne  de  lui.  Ainsi  beaucoup  d'autres 
expressions  modifient  autour  de  celles-là  leur  modification 
propre,  y  passent  à  une  forme  nouvelle,  uniquement  figurée. 
La  lettre  n'est  plus  là;  l'esprit  seul  y  règne  et  donne  une 
vie  bien  supérieure  à  ces  choses,  à  ces  paroles  qui  sans  lu^ 
eussent  continué  de  ramper  dans  les  conditions  intimes  de 
leur  nature  vulgaire. 

L'Allemagne  du  Moyen  Age  nous  a  laissé  l'héritage  poé- 
tique d'un  de  ses  plus  illustres  Meister  Sanger  ou  maîtres 
chanteurs^  troubadours  de  cette  contrée  alors  si  naïve  dans 
la  littérature  chrétienne.  Henri  Frauenlob,  dont  la  mémoire 
est  encore  vénérée  à  Mayence,  aimait  à  célébrer  dans  ses 
beaux  vers,  à  la  fin  du  XlIP  siècle,  les  saintes  et  pudiques 


1)11    CANTIQUE    DKrf    CANTIQUF.S.  M7 

beiuités  (le  la  foiiinie  chrétienne  dont  il  prontiit  le  type  dans 
celles  de  la  Vierge  Mère  de  Dieu.  Dans  un  hymne  admirable 
de  sentiment  et  de  poésie,  il  chante  les  chastes  amours  de  la 
Dame  vierge  et  du  Seigneur  roi  qui  en  a  fait  sa  fiancée. 
C'est  une  reproduction  très-reconnaissable,  sinon  une  imita- 
tion fidèle  du  Cantique  des  cantiques;  et  là  ce  poète  si  mo- 
deste par  sa  retenue  habituelle,  s'empare  de  toutes  les 
scènes,  de  toutes  les  images,  de  toutes  les  expressions  de 
l'œuvre  biblique,  et  sa  langue  s'y  prête  si  docilement  à  la 
pensée  que  nous  n'oserions  actuellement  le  traduire  sans 
d'importantes  modifications,  tant  il  y  manque  de  précautions 
et  de  voiles  !  Accuserait- on  de  téméraires  étrangetés  cette 
muse  à  qui  son  siècle  a  décerné  la  couronne  de  la  chasteté  et 
de  la  candeur?  Disons  plutôt  que  ce  siècle  n'avait  ni  les 
tendances  ni  les  passions  désordonnées  du  nôtre.  Les  trou- 
vères et  leurs  chants  plus  ou  moins  licencieux,  qu'on  oppo- 
serait peut-être  ici  à  nos  raisonnements,  ne  sont  qu'une 
preuve  de  notre  thèse,  et  quand  on  parlait,  quand  on  écri- 
vait, quand  on  chantait  ainsi  sous  l'égide  sacrée  de  la  plus 
chaste  des  religions,  il  fallait  bien  que  la  pensée  fût  plus 
pure  que  la  langue  ne  semblait  l'être,  et  que  les  poètes, 
comme  les  sculpteurs  et  les  peintres,  missent  beaucoup  moins 
de  licence  dans  celles  de  leurs  œuvres  qui  nous  étonnent,  que 
de  pureté  naïve  dans  leurs  intentions  qu'on  n'apprécie  pas 
assez  ' . 

Il  est  bien  entendu  que  les  auteurs  romans  que  nous  si- 
gnalons ici,  ne  sont  point  de  ceux  qui  s'appliquèrent  à  des 


*  V.  le  recueil  allemand  :  Heinrichvon  moisscii  des  Frauenbes.  Lciche, 
Spriicke  iind  Lieder  —  (Hymnes,  Proverbes  et  Chansons  de  Henri  de  Meissen 
Frauenlobes).  —  V.  encore  Drecx-Duradieu  :  Récréations  historiques,  t.  i, 
p.  129  et  suiv. 


14f>  SYMliOLISME 

œuvres  profanes.  Si  le  sentiment  religieux  peut  éi)urer  la 
pensée  et  l'expression  qui  tendent  à  un  enseignement  divin, 
il  n'est  que  blâmable  de  consacrer  l'une  et  l'autre  à  des  écrits 
dont  le  but  est  de  llatter,  en  les  excitant,  les  plus  déshono- 
rantes passions. 

Loin  de  nous  dune  Salomon  et  la  Sunamite.  Loin  même  un 
roi  purement  allégorique  et  le  peuple  en  qui  reposeraient 
toutes  ses  alFections.  Rien  de  tout  cela  n'existe  dans  les 
deux  personnages  du  poème  sacré.  Il  faut  y  adorer  le  souffle 
divin,  appliquant  à  notre  conduite  ses  pieuses  leçons.  C'est 
ce  que  comprendra  quiconque  se  sera  dépouillé,  comme  dit 
saint  Paul  par  une  autre  allégorie,  du  vieil  homme,  de  ses 
œuvres  sensuelles,  et  aura  revêtu  comme  une  robe  de  sim- 
plicité et  d'innocence,  l'Esprit  qui  donne  la  conuiiissance  de 
Jésus-Christ  ' . 

D'ailleurs,  ces  raisons  d'interdire  tout  autre  sens  que  ce- 
lui de  l'allégorie,  ressortent  de  l'esprit  du  judaïsme:  car  elles 
existaient  déjà  chez  les  Juifs  qui  ne  voulaient  rattacher  qu'à 
Dieu  et  à  la  Synagogue,  aimée  de  Lui  et  l'aimant  elle-même, 
les  choses  sensibles  qui  symbolisaient  cette  union,  véritable 
symbole  aussi  du  mariage  virginal  contracté  sur  le  Cal- 
vaire^. 

Nous  avons  signalé  comme  les  plus  complets  et  les  plus 
remarquables  de  tous  les  deux  Commentaires  de  saint  Ber- 
nard et  de  Bossuet  sur  notre  Cantique.  Ils  nous  semblent, 
en  effet,  réunir  à  eux  deux,  quoique  avec  des  caractères  di- 


'  Expoliantes  vos  veterem  hominem  cum  actibus  suis,  et  induentes  novum 
(Coloss.  111,  9.y 

*  TiiÉODORET,  Prœfatio  in  C'antic  —  Voir  comment  saint  Isidore  de  Séville 
explique  très  naturellement  de  la  Synagogue  et  de  l'Eglise  qui  lui  a  succédé 
tout  ce  chapitre  vije  et  viij'^  du  Cantique  (S.  Isid.  Hispal.  ad  app  appendix 
vj.  —  Migm;,  t.  vij,  col.  1130.) 


Dl'    CAMTIQIJK   DES   CANTIQUES.  149 

vers,  ce  que  les  Pères  des  premiers  siècles  ont  dit  de  plus 
substîintiel  et  de  mieux  approprié  au  sujet.  Tous  deux  s'ac- 
cordent, avec  leurs  devanciers,  sur  le  point  culminant  de 
l'interprétation,  et  n'y  voient  qu'une  continuelle  allusion  à 
la  vie  spirituelle  de  l'Epoux  mystique  et  de  l'Epouse  qui 
règne  avec  Lui  sur  le  monde  régénéré  des  âmes  chrétiennes. 
Bossuet,  plus  docte  dans  ses  recherches,  plus  occupé  du  sens 
nsiturel  des  mots,  résout  les  difficultés  grammaticales  en 
même  temps  ([ue  celle  de  l'exégèse  ;  par  là  il  aide  à  une  tra- 
duction exacte;  il  sauvegarde  l'intégrité  du  texte,  il  n'ou- 
blie rien  de  ce  qui  en  élucide  les  obscurités.  Nous  ne  croyons 
pas  qu'il  soit  possible  de.  rapprocher  plus  ingénieusement  que 
ne  l'a  fait  ce  grand  génie,  les  passages  bibliques  analogues  à 
ceux  qu'il  creuse  et  approfondit.  Mais  c'est  toujours  au  sens 
allégorique  et  spirituel  qu'il  tend  et  qu'il  arrive;  c'est  par  là 
qu'il  perfectionne  l'examen  de  chaque  verset.  Avec  ce  beau 
Commentaire,  en  un  mot,  on  va  jusqu'au  fond  de  la  phrase, 
on  comprend  la  lettre  et  on  adore  ri]sprit. 

Saint  Bernard,  pour  être  moins  érudit,  s'attachant  moins 
au  dehors  historique,  se  dégage  d'autant  plus  de  la  lettre,  et 
spiritualise  tout  ce  qu'il  dit.  Pour  cette  âme  habituellement 
nourrie  aux  sources  de  la  contemphition  solitaire,  c'est  évi- 
demment le  mysticisme  qui  doit  dominer  la  pensée  interpré- 
tative :  il  s'y  adonne  exclusivement,  et  fait  de  son  Com- 
mentaire l'un  de  ses  plus  beaux  ouvrages,  tant  par  la  piété 
onctueuse  que  par  le  génie  de  son  intuition  ascétique.  Ele- 
vant ses  pensées  aux  choses  du  Ciel,  il  prend  occasion  d'une 
phrase,  d'un  mot,  pour  établir  une  suite  de  considérations 
pratiques  qui  reviennent  toutes  à  l'avancement  de  l'esprit  et 
du  cœur  dans  les  voies  de  la  perfection  évangélique.  Le  saint 
Docteur  a  donc  fait  un  livre  de  la  plus  haute  utilité  pour  les 
âmes  appelées  de  Dieu  à  la  vie  intérieure.  Aussi,  ce  livre 


J50  SYMBOLISME 

a-t-il  mérité  sur  tous  les  autres  de  môme  genre,  dus  à  cette 
plume  si  laborieuse,  la  préférence  des  meilleurs  juges  '.  C'é- 
tait, en  partie,  le  fruit  des  méditations  de  l'abbé  de  Clair- 
vaux,  lorsque  en  1155,  après  ses  fatigues  en  Poitou,  pour 
les  aifaires  du  schisme  de  Gérard  d'Angoulême  contre  le  pape 
Innocent  II,  rendu  enfin  à  sa  chère  solitude  et  caché  dans 
une  cabane  de  ses  grands  bois  ',  il  fut  amené  par  les  événe- 
ments auxquels  il  avait  pris  une  si  grande  et  si  glorieuse 
part,  à  considérer  dans  l'Eglise,  battue  par  tant  de  tempêtes, 
cette  Epouse  obscurcie,  il  est  vrai,  aux  regards  des  hommes, 
par  l'éclat  trompeur  du  soleil  de  la  terre',  mais  toujours  belle 
de  ses  grâces  intérieures,  aimée  d'autant  plus,  et  d'autant 
plus  glorifiée  par  l'Epoux  céleste,  qu'elle  était  méconnue  de 
ses  propres  enfants  qui  l'outrageaient,  par  ses  protecteurs 
naturels  qui  la  dépouillaient  du  sacré  vêtement  de  sa  foi  * .  De 
ces  saintes  et  mélancoliques  pensées,  renfermées  d'abord  dans 
l'âme  du  pieux  anachorète,  naquirent  des  développements 
communiqués  bientôt  à  l'âme  de  ses  religieux  qui  l' écoutaient 
chaque  jour  aux  conférences  du  monastère;  ce  qui  fit  que  peu 
après,  un  autre  Bernard,  prieur  de  la  Chartreuse-des-Portes, 
en  Bourgogne,  lui  demanda  pour  lui  et  ses  frères,  une  copie  de 
ces  édifiantes  instructions  ^  On  voit  par  les  lettres  du  Saint 
qu'il  s'y  refusa  longtemps,  ne  comptant  point  faire  un  ou- 
vrage de  ces  simples  instructions  destinées   seulement  aux 

*  SixTus  Sepjeînsis,  Bihliotheca  sancla,\\h.  iv.— GrKRiiices,  abbas  Igma- 
ccnsis.  Serm.  3,  de  SS.  apostol.  Petro  et  Paulo. 

*  Inlroductio  in  app.  S.  Bernardi  ;  init.  t.  i,  lib.  ii,  c.  6. 

•*  Nigra  suin  sed  formosa  (Cant.  i,  4.)...  Nolite  considerare  quod  fusca  sum, 
quia  decoloravit  me  sol  {ib.  5.)  —  Voir  l'exposition  plus  au  long  do  ce  Nigra 
sum,  dans  le  serm.  xxvj. 

*  Custodes  perçusse lunt  me,  et  vulneraverunt  me  ;  tulcrunt  pallium  nieuiu 
(Cant.,  V.  7) 

»  S.  Bjcun,  Epistola^  141,  153  et  154,  pp.  70  et  109,  t    i. 


DV   CANTFQUE   DES    CANTIQUES.  451 

Ames  qu  il  gouvernait.  Cependant  de  nouvelles  instances 
triomphèrent  de  ces  difficultés;  il  céda,  et  c'est  ainsi  que 
furent  écrits,  en  plus  grand  nombre,  les  sermons  sur  le  Can- 
tique des  Cantiques'.  Car,  étant  mort  en  H 53,  et  les  45' 
et  46"  faisant  allusion  à  l'hérésie  de  Pierre  de  Bruys,  qui 
mouidten  H  47,  on  ne  peut  douter  que  cette  année-là  en- 
core, et  peut-être  aussi  pendant  les  six  autres  qui  suivirent, 
il  ne  continua  ses  entretiens  sur  la  même  matière.  Quelques- 
uns  de  ces  derniers  appartiennent,  d'après  ses  biographes  ^,  à 
Gilbert  Hoylandus,  moine  de  Cîteaux,  dont  les  souvenirs  et 
le  style  ont  pu  nous  transmettre  ce  qu'il  avait  entendu  de  la 
bouche  du  saint  et  éloquent  abbé. 

Dans  ce  travail,  dont  chaque  sermon  est  proprement  un 
chapitre  et  qui  forme  par  son  ensemble  le  IIF  tome  de  l'édition 
de  1 679,  les  inductions  morales,  les  règles  pratiques  ressortent 
du  texte  avec  les  considérations  affectives  d'un  cœur  inspiré. 
Quiconque  le  lira  dans  les  conditions  que  l'auteur  exige  en 
commençant,  y  trouvera  un  charme  qui  va  jusqu'à  la  séduction 
et  qui  retient  le  lecteur,  comme  malgré  soi  penché  sur  ces 
pages  si  douces  ^  Telle  dut  être  l'attention  religieuse  de  ces 
hommes  d'élite  retirés  avec  saint  Bernard  dans  le  silence  de 
leur  ombreuse  vallée,  lorsque  après  les  fatigues  de  chaque 
journée,  rangés  le  soir  autour  de  lui  sous  les  voûtes  romanes 
d'une  vaste  enceinte  au  jour  assombri,  saisis  par  le  respect 


'  Sixte  de  Sienne  s'est  trompé  en  attribuant  les  86  discours  à  la  dernière 
année  de  la  vie  de  saint  Bernard.  L'éditeur  de  Lyon  que  nous  suivons  (1679, 
6  tom.  en  2  vol.  in-f"),  a  restitué  leurs  véritables  dates  à  une  grande  partie 
d'entre  eux  au  commencement  du  t.  m,  verso  du  titre  (I*'"  vol.  p.  274.) 

*  SixTK  DE  Sienne,  loc.  cit. 

s  Ante  carnem  disciplinse  studiis  edomitam  et  mancipatam  spiritui  ;  ante 
spretam  et  abjectam  sseculi  pompam,  indigne  ab  impuris  lectio  sancta  prae- 
sumitur  [Serm    i,  n"  2.) 


152  SY.MDOLlS.Mn 

des  Écntures  et  par  la  présence  de,  ce  grand  Saint  qui  domi- 
nait ce  cloître  comme  son  époque,  ils  écoutaient  les  révéla- 
tions du  livre  divin,  pleins  du  recueillement  où  nous  devrions 
tous  le  lire  et  le  méditer.  Comme  cette  transformation  des 
choses  humaines  en  pensées  divines  devait  alors  leur  paraître 
belle  !  Comme  la  foi  devait  les  élever  au-dessus  des  sens  et 
de  la  simple  raison  sous  la  pénétrante  influence  de  cette  ma- 
jestueuse parole  !  et  comme  ce  symbolisme  inattendu,  ex- 
primé du  texte  en  un  torrent  de  science  sacrée,  était  bien 
propre  à  jeter  d'avance  à  ces  âmes  pures  et  recueillies,  avec 
le  méi)ris  des  voluptés  mondaines,  quelque  rayon  précurseur 
de  la  lumière  du  Ciel  ! 

Si  accoutumé,  en  effet,  (pi'ils  pussent  être  à  l'étude  du 
symbolisme,  auquel  nul  d'entre  eux  n'avait  pu  jusqu'alors 
demeurer  complètement  étranger,  comme  le  font  supposer 
plusieurs  passages  de  ces  allocutions  ',  ils  devaient  peu  s'at- 
tendre d'abord  à  ce  renversement  absolu  de  leurs  perceptions 
ordinaires,  à  voir  surgir  de  tant  de  mots  difficiles  à  manier, 
de  tant  de  positions  si  périlleuses  à  l'homme  charnel,  ces 
vives  fleurs  de  piété,  ces  douces  leçons  de  chaste  pudeur. 
C'est  que  plus  l'expression  paraît  gênante,  suspecte  aux 
oreilles  des  profanes,  plus  elle  devient  facile  et  nette  dans 
cette  large  et  étonnante  traduction,  dont  chaque  ligne  trace 
un  emblème  de  la  vertu,  dont  chaque  mot  est  pris  à  partie, 
et  se  change  en  quelque  précepte  inespéré.  Cherchons-en  une 
idée  exacte  par  quelques  citations  de  cette  aimable  et  ingé- 
nieuse habileté. 

«  D'où  vient,  dit-il  en  commençant,  d'où  vient  à  cet  écrit 
de  Salomon  le  nom  de  cantique  des  cantiques,  qui  n'est  donné 
à  aucun  autre  dans  l'Écriture?  Moïse,  Débora,  Judith,  la 

'  Voir  ht  Cuniuv,  Scnii    i.  n"  6  et  7 


nu    CANTIQUE    DES  CANTIQUES.  153 

mère  de  Samuel, d'autres  proplictes  nous  ont  laissé  des  chants  : 
aucun  d'eux  n'est  décoré  de  ce  titre.  Salomon  lui-même  ne 
prétend  pas  faire  du  sien  le  témoignage  de  sa  reconnaissance 
pour  .la  gloire  et  les  richesses  qu'il  tient  de  Dieu,  pour  la  paix 
qui  immortalise  son  règne,  pour  la  sagesse  qu'il  avait  pré- 
férée à  tout.  Son  cantique  a  un  objet  bien  supérieur,  et  il  le 
désigne  par  un  caractère  d'excellence,  parce  qu'une  ins])i- 
ration  divine  y  célèbre  les  louanges  du  Christ  et  de  son  Eglise, 
la  grâce  d'un  saint  amour,  le  mystère  d'un  mariage  éternel. 
Là  soupire  le  désir  de  l'âme  sainte  dans  son  épithalame  spi- 
rituel. C'est  le  plus  beau  de  tous  les  éloges,  mais  dont  le  sens 
n'est  que  figuré,  car  le  poëte  sacré  y  voile  sa  face  comme 
Moïse,  personne  alors  ne  pouvant  encore  supporter  de  son 
regard  l'éclat  radieux  de  cette  face  divine  ' .  » 

Bientôt,  le  saint  baiser  que  souhaite  l'épouse  au  commen- 
cement du  1"  chapitre  '  devient  le  symbole  des  ardentes  as- 
pirations de  la  Judée  vers  1-e  mystère  promis  de  l'Incarnation. 
De  là,  le  saint  commentateur  passe  au  sens  moral  :  il  veut 
que  l'âme  chrétienne  aspire  également  au  saint  baiser  de  Jé- 
sus-Christ qu'à  présent  elle  possède.  Comme  elle  l'aime  quand 
elle  l'a  goûté  !  Comme  elle  souhaite  d'y  revenir  !  Mais  ce  bon- 
heur n'est  point  à  celle  que  charge  encore  le  poids  de  ses  pé- 
chés, que  dominent  les  passions  de  la  chair,  qui  recherche 
d'autres  jouissances  que  celles  de  l'esprit.  Et  comme  il  y  a 
divers  degrés  dans  la  perfection  par  laquelle  on  s'élève  à  Jé- 
sus-Christ, et  au  bonheur  tout  spirituel  de  le  connaître  et  de 
l'aimer,  ce  que  saint  Bernard  appelle  le  saint  baiser  de  sa 
bouche  pure  et  sacrée,  '<  il  y  a  aussi,  ajoute-t-il,  avant  d'ar- 


'  In  Cantico,  serm.  i,  n"  5. 

-  Osculetur  van  osculo  oris  sui,  quia  moliora    sunt  ubeia  tua    vino  (Cant. 
r,  1. 


154  SYMBOLISME 

river  à  cette  grâce  suprême,  de  moindres  bonheurs  qu'il  faut 
mériter  et  obtenir.  Ame  convertie,  épouse  nouvelle  du  Sei- 
gneur, n'aspirez  donc  tout  d'abord  qu'au  pieux  baisementde 
ses  pieds,  prosternée  avec  le  publicain,  rampante  avec  Ma- 
deleine pécheresse;  témoignez  ainsi  votre  repentir,  versez 
sur  ces  pieds  divins  des  larmes  qui  vous  purifient,  devenez 
ainsi  une  de  ces  brebis  qui  remontent  du  lavoir  dégagées, 
comme  des  sou'llures  d'une  toison  onéreuse,  des  affections 
mondaines  et  de  l'attache  aux  vanités.  Cette  humble  confes- 
sion vous  vaudra  d'entendre  les  consolantes  assurances  de  la 
réconciliation  que  vous  cherchiez:  vos  péchés  vous  sont  re- 
mis; relevez- vous,  fiille  de  Sion,  de  la  poussière  de  votre  es- 
clavage. » 

De  là,  le  pieux  symboliste  passe  à  un  second  degré  de  la 
vie  intérieure:  c'est  le  second  baiser;  c'est  celui  des  mains 
sacrées  de  Jésus-Christ.  On  n'y  arrive  qu'en  persévérant  dans 
la  pureté  recouvrée  à  ses  pieds,  qu'en  veillant  de  près  sur 
soi-même,  afin  de  ne  plus  souiller  la  robe  d'innocence  qu'a- 
vait rendue  la  miséricorde  du  Sauveur.  Parvenu  donc  à  ces 
mains  bienveillantes,  on  trouve  dans  l'humble  baiser  qu'on 
leur  donne  une  force  supérieure  pour  s'élever  à  d'autres  ver- 
tus. «  Alors  ce  sont  ces  mains  pleines  de  grâce  qui  versent  à 
l'âme  l'énergie  de  la  continence,  les  fruits  de  bonnes  œuvres, 
le  courage  d'entreprendre  toujours  plus.  L'humilité  accom- 
pagne ces  dons  et  les  couronne,  car  ce  n'est  point  de  soi- 
même  qu'on  les  a  acquis.  Et  si  on  les  a  reçus,  comment 
pourrait-on  se  les  attribuer?  » 

Mais  voici  l'heureux  succès  de  ces  dignes  efforts  qui  se 
complète.  Après  ces  faveurs  saintement  reçues,  on  peut  en 
désirer  de  plus  grandes.  Les  grâces  de  choix  autorisent  à 
une  plus  active  confiance,  etnous  arrivons  à  ce  baiser,  chaste 
et  précieux  indice  d'une  union  parfaite,  dans  laquelle  l'E- 


DU   CANTIQUE   DES   CANTIQUES.  155 

poux  des  Vierges  nous  conmiunique  tout  sou  esprit,  qui  ne 
fait  plus  qu'un  avec  le  nôtre  ' .  » 

Cette  affluence  de  pensées,  cette  abondance  de  dévotes 
théories  règne  ainsi  du  commencement  à  la  fin  de  cette  belle 
exposition.  Ce  baiser  pacifique  inaugurant  dans  l'œuvre  de 
Salomon,  roi  de  la  paix^  tout  ce  chant  nuptial  de  l'Agneau 
divin,  fournit,  comme  une  source  intarissable,  la  matière  des 
neuf  premiers  discours  de  saint  Bernard,  et  y  devient  l'occa- 
sion d'une  merveilleuse  glose,  où  en  étendant  les  trois  prin- 
cipes susdits  du  progrès  de  l'âme  dans  la  spiritualité,  on  voit  la 
nature  de  Dieu  et  celle  des  créatures  spirituelles  et  corporel- 
les définies  avec  un  admirable  mélange  de  sublimité  et  d'onc- 
tion, la  Miséricorde  et  la  Justice  caractérisées  dans  les  termes 
de  la  plus  haute  et  de  la  plus  claire  théologie,  l'esprit  de  la 
piété  monastique  fortifié  dans  la  pratique  de  l'amour  divin  par 
l'étude  des  meilleures  règles  de  la  psalmodie  et  de  l'oraison. 
Et  tout  le  reste  du  livre  marche  avec  cette  même  richesse 
d'imagination,  cette  même  justesse  de  rapprochements,  jus- 
qu'à devenir  un  traité,  le  plus  complet  qu'on  nous  ait  jamais 
donné  peut-être  des  exercices  de  la  perfection  chrétienne  et 
religieuse.  Et  parmi  ces  riantes  fieurs  jetées  avec  autant  d'art 
que  de  simplicité  dans  cette  fraîche  composition,  on  entend 
le  saint  Docteur  frapper  de  sa  charitable  éloquence  le  relâche- 
ment et  la  paresse,  exalter  la  ferveur,  encourager  le  faible, 
exciter  le  fort,  faire  ressortir  tant  de  mouvements  divers  d'un 
fond  qu'il  sait  accommoder  à  toutes  les  situations  de  la  vie 
parfaite.  Parfois  môme  il  y  trouve  une  source  de  tendresse 
affectueuse  d'où  son  âme  s'élance  tout  entière  avec  une  tou- 
chante effusion  de  sentiment.  Ayant  par  exemple  à  expliquer 
le  4®  verset  du  I®""  chapitre^,  il  fait  remarquer  le  mot  Cedar, 

'  In  Cant.  serm.  m. 

'  Nigra  sum  sed  formosa      sicut  tabeinacula  Cedar,  sicut  pelles  Salomonis, 


15G  SYMBOLISME 

qui  signitic  en  hébreu  les  ténèbres  ;  il  le  rapproche  des  lenLes 
de  Salomon^  image,  par  leur  beauté  mystique,  de  la  vie  cé- 
leste des  élus,  et  s'étend  sur  les  ténèbres  morales  de  cette 
vie  passagère,  où  nous  habitons  comme  une  tente  ce  corps 
mortel,  dont  l'âme  immortelle  doit  s'échapper  un  jour  vers  la 
demeure  impérissable  de  sa  vie  à  venir.  Pendant  ce  séjour 
de  la  terre,  l'âme  contracte  toujours  quelque  tache  qui  ternit 
l'éclat  de  sa  beauté  :  Niyra  sum.  Le  commentateur  déplore 
donc  les  maux  de  cet  exil,  où  tout  fait  naître  pour  le  cœur 
humain  tant  d'amertume,  et  prend  de  là  occasion  de  s'é- 
pancher sur  la  mort  de  son  frère  Gérard,  moine  de  Clair- 
veaux,  qui  vivait  avec  lui  sous  la  règle  commune,  et  que  les 
plus  belles  qualités  rendaient  si  digne  de  ses  regrets.  Ce  dis- 
cours prononcé  en  1158  est  le  vingt-sixième.  On  croit  y 
entendre  les  lamentations  d'un  prophète.  Tout  y  est  saisis- 
sant de  sentiment  fraternel  et  de  religieuse  résignation.  Les 
accents  de  cette  douleur  si  profonde  et  si  vivement  exprimée 
expliqueraient  tous  seuls  quels  éléments  de  charité  s'entrete- 
naient au  foyer  de  ce  cœur  si  aimant  et  si  pur. 

Nous  pourrions  en  prolongeant  cette  analyse  faire  un  gros 
livre.  D'autres  ont  déjà  traité  au  long  cette  matière  que  nous 
ne  pouvons  qu'effleurer.  Mais  en  fait  d'explication  de  ce 
livre  et  de  l'Apocalypse  dont  nous  essaierons  au  même  point 
de  vue  un  plus  ample  développement,  nous  recommandons 
surtout  celle  qu'en  a  donné  en  ces  derniers  temps  une  pieuse 
anonyme  d'Italie,  pauvre  et  sublime  religieuse  d'un  couvent 
de  Naples,  vivant  avec  l'Esprit  de  sagesse  en  de  merveil- 
leuses communications.  Cette  exposition,  approuvée  de  plu- 
sieurs maîtres  fort  savants  dans  les  choses  spirituelles,  ren- 
ferme une  application  symbolique  de  ce  beau  cantique  aux 
secrets  les  plus  élevés  du  mysticisme  chrétien.  Ce  sont  des  lu- 
mières nouvelles  et  inattendues  qui  viennent  encore  indiquer 


DU    CANTIQUli    DES   CANTIQUES.  J  57 

le  livre  divin  comme  une  source  véritable  et  sûre  des  plus 
ravissantes  contemplations  ' . 

Notre  but  devait  être  différent,  et  en  le  poursuivant  sans 
préoccupation  aucune  de  la  vie  ascétique,  nous  avons  pu, 
croyons-nous,  démontrer  au  moins  l'esprit  symbolique  d'une 
des  plus  belles  églogues  de  la  Bible.  C'est  beaucoup  de  voir 
saint  Bernard  s'y  recueillir  avec  tant  de  vénération  et  en 
faire  un  tel  profit.  On  s'est  tant  efforcé  de  ranger  le  pieux 
docteur  parmi  ceux  qui  n'avaient  que  faire  du  Symbolisme; 
on  l'a  revêtu  malencontreusement  d'une  si  étrange  igno- 
rance du  langage  figuré  de  la  sculpture  chrétienne  de  son 
siècle,  qu'il  est  utile  à  notre  cause  d'avoir  prouvé  que  ce 
grand  génie  du  XIP  siècle  admet  bien  réellement  avec  la 
tradition  catholique,  si  bien  connue  par  lui,  cette  règle  impé- 
rieuse autant  qu'immuable  de  l'exégèse  chrétienne. 

l'abbé  auber 

Charoine  de  l'église  de  Poitiers. 

'  V.  Explication  des  saintes  Ecritures  par  une  servante  de  Dieu,  Le  Can- 
tique et  V Apocalypse,  publiés  par  D.  Luigi  Navano,  t'.  F"",  avertissement, 
in  8°,  1855. 


BiBLiOGRAPHIE 


HISTOIRE  DE  SAINT  FIRMIN,  Marti/r,  premier  Evêque  d'Amiens,  ■par 
M.  Charles  Salmon.  Arras,  Rousseau- Leroy ,  1861,  ^-8°  de  523  pages. 
[10  fra7ics.) 

L'examen  superficiel  de  la  Collection  des  BoUandistes,  étalée  sur 
les  rayons  d'une  bibliothèque,  ferait  peuser  un  moment  que  l'ha- 
giograpliie  a  dit  son  dernier  mot  :  l'étude  sérieuse  de  ces  in-folio 
compacts  mène  à  un  sentiment  opposé  ;  elle  montre  que  tous  les 
fruits  d'une  érudition  trois  fois  séculaire  ne  sont  pas  encore  venus 
à  maturité.  Si  les  personnages  que  la  Religion  a  mis  sur  l'autel  ai- 
mèrent Dieu  par-dessus  toutes  choses,  ils  aimèrent  aussi  beaucoup 
l'humanité,  et  celle-ci  a  contracté  à  leur  égard  une  dette  de  recon- 
naissance qu'elle  ne  saurait  trop  payer.  La  plupart  des  Saints  ont 
mérité  des  statues  sur  la  place  publique  ;  on  s'était  jusqu'aujour- 
d'hui contenté  de  leur  en  élever  dans  les  temples,  notre  époque  a 
trouvé  l'hommage  insuffisant,  et  saint  Bernard,  monté  sur  le  pié- 
destal de  Dijon,  étend  sa  main  de  bronze  pour  appeler  autour  de 
lui,  Martin,  Rémi,  Amand,  Vaast,  Omer,  Bertin  et  cent  autres  aux- 
quels nos  pères  sont,  comme  nous-mêmes,  redevables  d'une  double 
félicité.  L'histoire  des  Saints  primitifs,  c'est  l'histoire  du  progrès 
chez  les  nations  modernes,  de  la  lutte  du  bien  contre  le  mal,  de  la 
civihsation  victorieuse  de  la  barbarie,  de  la  vérité  écrasant  l'erreur. 
Le  beau  génie,  le  grand  cœur,  le  parfait  chrétien  qui  s'appelait 
Frédéric  Ozanam  a  consigné  ces  idées  dans  quelques  pages,  honneur 
des  lettres  et  de  la  science  françaises  ;  M.  de  Montalembert  s'est 
complu  à  développer  les  généralités  esquissées  par  Ozauam  :  mais 
leur  plan,  à  tous  deux,  est  trop  vaste  pour  aborder  les  questions  de 
détail  et  se  restreindre  dans  les  étroites  limites  d'une  ville  ou  d'une 


miîLiuGUAi'im:,  IfiO 

piovince.  Concenlrer  raclion  religieuse  d'iinc  cité  siii  riiDinuio  qui 
lui  aunonra  la  lîonne  Nouvelle,  c'est  à  dire  la  liberté,  est  une  tAche 
qui  demanderait  à  peu  près  autant  de  volumes  que  l'on  compte  de 
grands  centres  de  population  eu  France;  celte  tâche, lieureuseracnt, 
n'exige  pas  assez  d'unité  pour  incomber  à  un  seul  écrivain,  elle 
peut  se  répartir  entre  tous  les  historiens  locaux  et  chacun  tl'eux  a 
le  droit  d'apporter  sa  pierre  à  l'édifice  commun.  Telle  a  dû  être  la 
pensée  de  M.  Charles  Solmon,  en  offrant  à  sou  pays  natal  une  His- 
toire de  saint  Firmin,  martyr  et  premier  cvêque  (V Amiens. 

Firmin,né  à  Pampelune  en  Navarre,  converti  à  la  Foi  chrétienne 
par  saint  Honeste  et  saint  Saturnin,  cet  évêque  que  saint  Pierre  en- 
voya dans  les  Gaules  sous  le  règne  de  l'empereur  Claude,  Firmin, 
issu  d'une  maison  sénatoriale,  était  à  l'âge  de  dix-sept  ans  aussi 
versé  dans  les  lettres  profanes  que  dans  la  doctrine  catholique. 
Promu  au  sacerdoce,  puis  à  l'épiscopat,  par  saint  Honorât  qui, 
après  Saturnin,  occupa  le  siège  ensanglanté  de  Toulouse,  le  jeune 
Espagnol  -  il  avait  alors  trente  et  un  ans,  reçut  avec  joie  la  mission 
d'aller  prêcher  l'Evangile  aux  nations  lointaines;  patrie,  famille, 
biens  terrestres,  il  abandonna  tout  sans  hésiter  pour  obéir  à  la  pa- 
role du  divin  Maître.  Les  Pyrénées  franchies,  Firmin  commença 
son  apostolat  en  Guyenne,  d'où  il  gagna  l'Auvergne  ;  faisant  un 
brusque  retour  vers  l'Ouest,  il  parcourut  successivement  l'Anjou  et 
la  Normandie  :  enfin,  il  pénétra  dans  la  Gaule-Belgique  et  s'arrêta 
chez  les  Bellovaques.  Précédemment  évangélisé  par  saint  Lucien, 
compagnon  de  saint  Denys  l'Aréopagite,  le  peuple  de  Beauvais  n'é- 
tait pas  étranger  au  dogme  nouveau,  Firmin  obtint  du  succès; 
bientôt  dénoncé  au  gouverneur  Valerius  qui  reconnut  en  lui  un 
redoutable  adversaire,  il  fut  battu  de  verges  et  jeté  en  prison.  Il 
allait  cueillir  la  palme  du  martyre,  lorsqu'une  circonstance  fortuite 
brisa  ses  chaînes  et  le  rendit  aux  chrétiens  avides  d'écouter  la  pa- 
role ardente  de  sa  charité.  Le  danger  évanoui,  l'apôtre  courut  en 
affronter  un  pire  ;  quittant  les  Bellovaques  en  pleurs,  il  se  rendit  à 
Amiens  où  divers  miracles  et  des  conversions  multipliées  signa- 
lèrent sa  présence.  Les  Morins  encore  plongés  dans  les  ténèbres  de 
l'idolâtrie  ne  pouvaient  non  plus  échapper  au  zèle  de  Firmin; 
inaccessible  à  la  crainte,  il  aborda  résolument  cette  race  sauvage  et 
parvint  à  y  implanter  quelques  semences  de  bon  grain.  Amiens, 


i60  mBLiOGRvriiiE, 

ioutefois,  ville  chérie  du  saint  Pontife,  ne  le  vil  pas  longtemps  éloi- 
gné de  son  territoire.  Au  retour  de  Firmin,  les  oracles  devenus 
muets,  les  sacrifices  interrompus  à  la  suite  de  ses  prédications  pu- 
bliques irritèrent  au  dernier  point  les  prêtres  des  idoles  qui  portè- 
rent leurs  doléances  au  tribunal  des  gouverneurs  Longulus  et  Sé- 
bastien, Ceux-ci  abandonnant  leur  résidence  de  Trêves  arrivèrent 
immédiatement  chez  les  Ambiani  -poin'  combattre  le  champion  sus- 
cité par  le  Dieu  des  Chrétiens.  A  l'arrestation  décrétée  contre  lui, 
l'Évèquc  répondit  en  s'offraut  spontanément  à  la  colère  des  Pro- 
consuls :  il  confessa  généreusement  devant  eux  la  Foi  de  Jésus- 
Christ,  et  la  récompense  ne  se  fit  pas  attendre  ;  un  bourreau  noc- 
turne décapita  le  martyr  au  fond  d'un  sombre  cachot.  Bienfaits  et 
dévouements  sortent  rarement  de  la  mémoire  du  peuple  ;  le  corps 
de  Firmin, inhumé  par  le  sénateur  Faustinianusdans  une  sépulture 
de  famille,  reçut  aussitôt  l'hommage  des  fidèles  que  de  nombreux 
prodiges  attiraient  en  foule  à  Abladène.  Un  jour  vint  néanmoins, 
où  les  traces  du  vénérable  tombeau  disparurent  complètement;  on 
connaissait  son  existence  dans  l'enceinte  de  la  Cathédrale  élevée  par 
saint  Firmin  le  Confesseur,  mais  on  ignorait  le  lieu  précis  qu'il  y 
occupait.  Jaloux  de  rassembler  dans  la  nouvelle  église,  dont  il  ache- 
vait les  constructions, toutes  les  reliques  appartenant  à  l'ancienne, 
Saint  Salve,  évêque  d'Amiens  (VI?  siècle)  adressa  au  Ciel  de  ferventes 
prières  pour  obtenir  la  révélation  des  restes  de  son  glorieux  prédé- 
cesseur. Dieu  consentit  à  exaucer  les  désirs  de  Salve  ;  saint  Firmin 
le  Martyr,  exhumé  cinq  siècles  après  son  trépas,  fut  renfermé  dans 
un  coffre  en  bois  doré  et  déposé  au  sein  d'une  crypte  bâtie  à  cette 
intention.  Vers  I  HO,  les  Amiénois,  répondant  à  l'appel  de  saint 
Geoffroy,  offrirent  à  leur  saint  Patron  une  custode  beaucoup  plus 
riche  que  la  précédente;  la  piété  démonstrative  du  Xfll®  siècle  fit 
encore  davantage  ;  en  1204,  une  troisième  châsse,  due  à  l'initiative 
de  Thibaut  d'Heilly^  reçut  les  dépouilles  mortelles  de  Firmin.  Cette 
nouvelle  fiertre  était  d'or  pur,  couverte  de  ciselures  et  de  joyaux  ; 
les  excès  du  deinier  siècle  l'anéantirent,  et,  si  quelques  auteurs  ne 
l'avaient  pas  minutieusement  décrite,  il  n'en  serait  demeuré  aucune 
trace,  faute  de  dessins. 

Les  faits  dont  le  résumé  précède  sont  complétés  par  l'Histoire  du 
culte  de  saint  Firmin  en  Picardie  et  en  Espagne. 


BIBLIOGRAPHIE.  161 

M.  Salmon  expose  avec  clarté  et  mélliotlo,  et  sa  narration  four- 
mille de  détails  cnrienx.  Il  est  seulement  regrettable  que  des  récits 
de  miracles  et  de  cérémonies  publiques,  liés  intimement  à  Thisloire 
politique  d'Amiens,  soient  noyés  ça  et  là  dans  des  longueurs  faciles 
à  éviter.  Les  hagiographes  primitifs  étaient  des  chroniqueurs,  pré- 
parant la  besogne  des  historiens  futurs;  pourquoi  l'écrivain,  ou- 
blieux du  titre  imprimé  sur  le  frontispice  de  son  livre,  a-t-il  parfois 
délaissé  la  sévère  concision  du  style  historique  pour  s'enfoncer  dans 
les  prohxités  légendaires?  Une  seconde  édition,  nous  n'en  doutons 
pas,  fera  justice  des  inutilités,  elle  les  supprimera. 

A  côté  d'alinéas,  un  peu  trop  déguisés  en  chapitres,  surgissent 
des  pages  nombreuses  où  l'érudition  est  servie  par  une  plume  ha- 
bile. Citons  eu  première  ligne  un  Résumé  de  l'histoire  ecclésiastique 
de  la  Picardie,  qui  sert  d'introduction  k  l'ouvrage.  C'est  un  hors- 
d'œuvre,  il  est  vrai,  mais  un  hors-d'œuvre  excellent,  prouvant 
chez  son  auteur  une  connaissance  approfondie  du  sujet.  Le  cha- 
pitre VI,  Amiens  sous  la  domination  romaine,  étude  consciencieuse, 
intéressante  au  plus  haut  degré,  les  Recherches  sur  les  monuments 
de  la  liturgie  de  saint  Firmin,  basées  sur  des  pièces  justificatives 
multipliées  à  la  fin  du  volume,  sont  également  dignes  de  louange. 
Toutefois,  le  point  sur  lequel  nous  nous  arrêtons  de  préférence,  et 
pour  le  travail  qu'il  a  coûté,  et  parce  qu'il  mérite  en  réalité  un 
éloge  sans  restriction,  est  le  chapitre  XII,  intitulé  ÉiJoque  de  la 
vie  et  de  la  mort  de  saint  Firmin.  La  France  et  l'Espagne,  mises  à 
contribution  par  M.  Salmon,  lui  ont  fourni  les  arguments  d'une 
thèse  soutenue  aujourd'hui  avec  avantage  par  divers  historiens. 
Tirant  profit  des  savantes  recherches  de  Mi\I.  Paillon  et  Arbellol, 
de  dom  Piolin,  d'Obanos  et  de  Maceda,  récrivain  picard  a  fait  pour 
le  diocèse  d'Amiens  ce  que  M.  le  chanoine  Robitaille  fait  mainte- 
nant pour  l'Artois:  il  s'est  efforcé  de  reculer  jusqu'aux  temps  aposto 
liques  l'introduction  du  christianisme  dans  le  nord  des  Gaules. 
Suivant  notre  faible  jugement,  M.  Salmon,  contraire  à  l'opinion 
des  Bollandistes,  prouve,  sauf  meilleur  avis  :  1°  que  saint  Firmin 
prêcha  à  Amiens  vers  la  fin  du  I"  siècle;  2°  que  cet  Évêque  souf- 
frit le  martyre  au  commencement  du  second,  sous  le  règne  de 
Trajan. 

L'exécution  matérielle  de  l'œuvre  laisse  peu  à  désirer  ;  ce  volume 

TOME  VI.  12 


1G9  BlBLIOGHAPllIE. 

de  GOO  papes  prand  iu-8"  est  remarquable  sovis  tons  les  rapports. 
Aussi  bien  que  Paris,  la  province  compte  de  bons  protes,  de  bons 
correcteurs,  voir  même  des  imprimeurs  dégoût;  Arras  possède 
quelques-uns  de  cesderniers,  et  M.  Rousseau-Leroy  est  du  nombre. 
Félicitons  M.  Salmon  d'avoir  rencontré  un  typographe  aussi  dis- 
tingué ;  nous  devons  à  leur  association  un  des  plus  beaux  livres 
sortis  des  presses  artésiennes. 

Deux  bois,  dessinés  par  l'habile  M.  Duthoit,  ornent  l'Histoire  de 
saint  Firmin;  elle  en  eût  exigé  davantage.  L'une  de  ces  gravures 
représente  la  statue  de  l'Évèque,  au  grand  portail  de  Notre-Dame 
d'Amiens  ;  l'autre  donne  la  figure  d'une  ancienne  châsse  d'argent 
du  XIII"  siècle,  restituée  en  1850  à  Mgr  de  Salinis  qui  y  déposa, 
le  14  juin  1851,  les  reliques  du  premier  de  ses  prédécesseurs. 

Quoiqu'inférieure  eu  richesse  à  la  fiertre  de  Thibaut  d'Heilly, 
la  custode  fournie  aux  reliques  de  saint  Firmin  par  la  piété  d'un 
collectionneur  anonyme,  est  néanmoins  une  œuvre  d'art  capitale. 
Nous  ne  pouvons  donc  mieux  terminer  le  compte-rendu  d'un  ou- 
vrage trop  peu  ménagé  par  nous,  —  l'auteur  est  de  nos  amis,  — 
qu'en  empruntant  à  M.  Salmon  la  description  du  monument  le  plus 
précieux  qui  soit  au  Trésor  de  la  cathédrale  d'Amiens. (V.  la  planche.) 

Cette  châsse  est  d'argent,  ornée  d'émaux,  de  ciselures  et  de 
pierres  diverses.  Elle  remonte  à,  la  fin  du  XII®  siècle  ou  au  com- 
mencement du  XIIP;  elle  est  donc  contemporaine  de  la  châsse  que 
le  vandalisme  de  1793  fit  disparaître  et  qu'elle  est  venue  remplacer. 

Comme  tous  les  grands  reliquaires  de  cette  époque,  elle  a  la 
la  forme  d'un  tombeau.  Elle  est  longue  de  O'^jTo,  haute  do  0'",48, 
et  de  0'",5-5,  y  compris  les  pommes  qui  la  surmontent. 

Quatorze  statuettes  garnissent  ses  quatre  faces  ;  une  adossée  à 
chaque  extrémité  contre  les  pignons,  six  sur  chacun  des  grands 
côtés. 

Les  deux  pignons  et  l'arête  du  toit  sont  extérieurement  bordés 
d'une  crête  de  0'",035™,  dorée,  découpée  à  jour  et  très-déhcatement 
travaillée.  L'ensemble  est  sommé  de  trois  pommes  aussi  en  vermeil. 

Au  bas  de  la  châsse,  une  plinthe  saillante  est  ornée  d'une  guir- 
lande courante  émaillée,  reproduite  au-dessus  et  au-dessous  des 
douze  statues  latérales.  Des  inscriptions,  or  sur  champ  d'émail  bleu, 
remplacent  les  guirlandes  aux  pignons. 


tllU-HKiJlAIMIIK. 


1G3 


164  BIBLIOGRAPHIE. 

Sur  riiii  de  ces  pignons  apparaît  la  statue  assise  de  Notre-Sei- 
gneur,  vêtue  d'une  robe  à  larges  manches,  dont  le  bord  est  couvert 
de  broderies.  Les  pieds  du  Christ  sont  nus  ;  il  bénit  de  la  main 
droite;  la  gauche  qui  s'appuyait  sur  un  livre,  a  disparu.  La  tigure, 
haute  de  0'",26,  est  abritée  sous  une  ogive  trilobée.  On  lit  à  ses  pieds 
en  lettres  onciales  : 

t  TE.  PRECOR.  VT.  FACIAS.  OMNI.  ME.  CRIMINI.  PVDOREM. 

Au-dessus  . 

t  UERM.  SOPHIA.  PATRIS.  QUE.  REPLES.  LUMINE.  MUNDUM. 

A  l'autre  extrémité,  on  voit  une  statue  de  femme  tenant  de  la 
main  droite  un  sceptre;  de  la  gauche,  un  livre  à  fermoir  et  plat 
ciselé.  Cette  figure  est  haute  de  0"',23. 

En-dessous  est  écrit  : 

t  FERT.  OPPUS.  AVTOREM.  RETINES.  CO.  PROLE  E.  MVNDVM. 
Au-dessus  : 

t  EN  PRETER.  MOREM.  GENITURA.  PARITs  GENITOREM. 

Les  douze  figurines,  placées  sur  les  grands  côtés,  mesurent  O^IS; 
elles  représentent  sans  doute  les  Apôtres,  nimbés,  pieds  nus,  un 
livre  dans  la  main  gauche  et  barbus  pour  la  plupart.  Une  arcature 
en  plein  cintre,  reposant  sur  des  colonnettes  et  dont  les  tympans 
sont  occupés  par  des  Anges  à  mi-corps,  les  ailes  éployées,  encadre 
les  compagnons  du  Sauveur. 

Un  riche  bandeau  où  les  pierres  alternent  avec  l'émail,  contourne 
les  encorbellements  du  toit,  divisé  lui-même  en  trois  comparti- 
ments creux  que  séparent  des  bandeaux  identiques  à  l'ornement  ci- 
dessus.  Chaque  compartiment  renferme  deux  personnages  en  demi- 
relief,  assis,  nimbés  et  partout  les  mêmes.  L'un  desdits  personnages 
qui  porte  un  nimbe  double  et  festonné  doit  être  Notre-Seigneur  ; 
l'autre  n'a  qu'un  seul  cercle  autour  de  la  tête. 

eu.    DE   LINAS. 


CHRONIQUE 


Le  Ministre  de  Fliilérieur  de  Belgique  a  adressé  la  circulaire  sui- 
vante aux  gouverneurs  de  province.  Nos  lecteurs  y  trouveront 
d'excellents  avis  pour  la  conservation  des  tableaux  qui  dépérissent 
parfois  dans  les  églises,  faute  de  conseils  ou  d'expérience  : 

«  Bruxelles,  le  20  janvier  1862. 

«  Monsieur  le  Gouverneur, 

«  Les  précautions  que  la  conservation  des  tableaux  exige,  sont 
simples  et  d'une  exécution  facile.  L'expérience  prouve  cependant 
qu'un  grand  nombre  d'administrations  publiques  les  ignorent  ou 
les  perdent  de  vue. 

«  Souvent,  en  effet,  la  Commission  des  monuments  est  appelée 
à  constater  le  déplorable  état  dans  lequel  se  trouvent  des  œuvres 
importantes,  soit  à  défaut  de  soins,  soit  par  suite  de  mesures  inin- 
telligentes. 

«  A  ma  demande,  cette  Commission  a  résumé  les  points  qui 
doivent  être  spécialement  signalés  à  des  administrations  commu- 
nales, des  conseils  des  hospices  et  des  bureaux  de  marguilliers  : 

«  4°  L'humidité  est,  pour  les  productions  du  pinceau,  l'un  des 
agents  les  plus  actifs  de  destruction  :  elle  difforme  les  panneaux  ou 
consomme  la  toile  et  fait  éclater  la  peinture  par  écailles.  11  faut 
toujours  que  l'air  circule  derrière  l'étendue  entière  d'un  tableau. 
Une  légère  charpente  en  bois  peut  être  utilement  établie  pour  pré- 
server une  œuvre  de  grande  valeur,  des  inconvénients  que  présente 
la  proximité  d'un  mur  souvent  humide  et  quelquefois  salpêtre  ; 


l()t)  nilUiJiNiuuE. 

«  2"  L'aclioii  du  soleil  est  funeste  et  rapide.  Les  ravages  qu'il 
cause  sont  profonds  et  parfois  irréparables. 

«  Des  réclamations  fréquentes  se  sont  élevées  contre  l'habitude 
de  placer  des  rideaux  devant  les  tableaux.  On  peut,  jusqu'à  un 
certain  point,  obtenir  un  résultat  équivalent  en  plaçant  des  stores 
aux  fenêtres  par  lesquelles  le  soleil  pénètre,  ou  en  couvrant  le  vi- 
trage d'une  couleur  blanchâtre  et  mate  ; 

a  3"  Autant  que  possible,  il  faut  éloigner  les  cierges  des  ta- 
bleaux. 

«  La  fumée  grasse  de  ces  cierges  forme,  avec  la  poussière  et 
rimmidilé,  une  matière  gluante  qui  ternit  bientôt  l'éclat  de  la 
couleur. 

«  Le  voisinage  des  cierges  donne  naissance  à  d'autres  accidents, 
et  l'on  pourrait  citer  des  tableaux  qui  ont  été  troués  par  les  élei- 
guoirs  ou  endommagés  par  la  chute  de  gouttes  de  cire  brûlante; 

«  4°  La  poussière  et  les  traces  d'humidité  doivent  être  enlevées 
à  de  fréquentes  reprises  et  avec  une  délicatesse  infinie.  On  doit, 
pour  cette  opération,  employer  du  linge  fin  hors  d'usage  ou  des 
morceaux  de  vieux  foulard.  Il  faut  éviter  surtout  l'application  d'une 
huile  quelconque  destinée  à  rendre  aux  tableaux  un  éclat  momen- 
tané. Cette  huile  s'imbibe  dans  la  couleur,  dans  la  toile  ou  dans  le 
panneau,  et  il  devient  impossible  d'empêcher  l'ouvrage  de  pousser 
chaque  jour  davantage,  au  noir.  L'huile  employée  dans  ces  con- 
ditions exerce  sur  la  toile  une  influence  désastreuse. 

«  Il  ne  faut  permettre  qu'aux  hommes  de  l'art  de  laver  et  de 
nettoyer  les  tableaux.  L'opération  du  nettoyage  est  celle  qui  détruit 
le  plus  d'ouvrages,  elle  est  sans  contredit  très-dangereuse.  Les  uns 
se  croient  assez  éclairés  pour  la  tenter  et  sacrifient  des  chefs- 
d'œuvre  ;  d'autres  se  vantent  de  posséder  des  secrets  et  leur  travail 
a  le  même  résultat  funeste. 

«  L'emploi  du  savon  a  toujours  des  conséquences  fâcheuses  et 
doit  être  invariablement  proscrit. 

«  5"  Le  choix  du  vernis  est  une  question  sérieuse.  On  ne  peut  se 
mettre  assez  en  garde  contre  les  compositions  employées  depuis  le 
renchérissement  considérable  de  la  gomme-mastic.  Un  mauvais 
vernis  fait  gercer  toute  la  superficie  d'un  tableau  et  parfois  le  perd 
pour  toujours.  Le  vernis  doit,  en  général,  être  rafraîchi  au  bout  de 


C.IUVOMQUE.  107 

dix  ans  environ,  afin  d'empêcher  la  cJiancissnrc  et  le  dessèchement 
de  la  couleur  qid  précède  la  production  des  écailles. 

«  Un  tableau  qui  n'est  pas  protégé  par  le  vernis,  se  couvre  de 
poussière,  que  riiumidité  de  l'air  y  fixe  ensuite  et  fait  pénétrer  dans 
tous  les  pores,  de  manière  à  modifier  le  ton  gén(;ral  et  à  augmenter 
les  chances  de  destruction.  Le  vernis  ne  peut  être  appliqué  que  par 
des  hommes  compétents. 

«  Je  viens  d'indiquer,  Monsieur  le  Gouverneur,  quels  sont  les 
souis,  pour  ainsi  dire  journaliers,  que  les  tableaux  anciens  ré- 
clament. 

«  Il  serait  difficile  de  dire  quels  sont  les  travaux  de  restauration 
qu'il  importe  d'exécuter  dans  tous  les  cas  particuliers  qui  peuvent 
se  présenter. 

«  La  Commission  royale  des  monuments  s'empressera  toujours 
de  donner,  de  concert  avec  MM.  les  commissaires  de  l'Académie 
royale  de  Belgique,  les  conseils  qui  lui  seront  demandés  au  sujet 
des  questions  délicates  qui  se  rattachent  à  la  conservation  des 
objets. 

<(  Dans  tous  les  cas,  même  dans  ceux  qui  paraissent  les  plus 
simples,  les  administrations  doivent  user  de  la  plus  grande  circon- 
spection dans  le  choix  des  artistes  auxquels  les  travaux  de  restau- 
ration sont  confiés. 

«  Je  vous  prie.  Monsieur  le  Gouverneur,  de  vouloir  bien  porter 
le  contenu  de  cette  circulaire  à  la  connaissance  des  administrations 
quGiSon  objet  intéresse.  Elles  apprécieront  facilement  l'importance 
des  conseils  qui  leur  sont  donnés,  et  combien  elles  engageraient 
leur  responsabilité,  eu  s'abstenant  de  s'y  conformer  exactement.  » 

LE  MINISTRE  DE  L'INTÉRIEUR,   ALP.  VANDENPEEREBOOM. 

—  M.  E.  de  Busscher  a  décrit,  dans  le  Bulletin  de  l'Académie 
royale  de  Belgique,  les  peintures  murales  découvertes  en  1861  dans 
la  chapelle  de  Saint-Jean  et  Saint-Paul,  à  Gand.  On  y  voit  un  arbre 
de  Jessé  remarquablement  exécuté.  Jessé,  portant  une  longue  barbe 
blanche,  est  coiffé  du  bonnet  juif;  sa  tête  repose  sur  un  oreiller  or- 
nementé. La  sainte  Vierge  qui  fleurit  au  sommet  de  l'arbre,  tient 
un  livre  d'une  main,  et  de  l'autre,  une  palme  d'or  ;  sa  tête  couronnée 


168  CHRONIQUE. 

est  entourée  de  l'auréole.  M.  Jean  Béthune   doit  reproduire  en 
grandeur  naturelle  ces  curieuses  peintures. 

—  M.  G.  d'Heilly  en  racontant  dans  la  Revue  des  Beaux-Arts  un 
voyage  qu'il  a  fait  récemment  sur  les  bords  du  Rhin,  note  la  parti- 
cularité suivante  sur  la  cathédrale  de  Strasbourg  :  «  Un  gardien 
spirituel  et  érudit  m'a  fait  visiter  la  plate-forme.  Les  balustres  et 
parois  sont  couverts  de  noms  incrustés  dans  la  pierre,  d'inscriptions, 
d'adages,  etc.  On  y  trouve  les  grands  noms  de  Goethe,  d'Herder,  de 
Lcssing,  de  Gessner,  de  Wieland,  et  enfin  celui  de  Voltaire  qui  est 
gravé  au  coin  à  droite  au-dessus  de  l'entrée  qui  conduit  à  l'horloge. 
En  1798,  la  foudre  brisa  en  deux  la  pierre,  et  ne  laissa  subsister 
que  la  moitié  de  ce  nom  fameux  :  ....taire.  Les  gardiens  de  l'é- 
poque ont  bêtement  reformé  le  nom  entier.  Il  y  avait  pourtant  je 
ne  sais  quelle  sombre  fatalité  dans  le  grand  nom  de  cet  ennemi  du 
Culte  catholique,  emporté  par  la  foudre  du  Dieu  dont  ses  écrits 
avaient  si  souvent  nié  la  puissance,  l'infinité  et  même  l'existence.  » 

—  M.  Grésy  a  lu  à  ses  collègues  de  la  Société  des  Antiquaires  de 
France,  une  Notice  sur  un  timbre  d'horloge  du  XV<^  siècle,  conservé 
au  théâtre  de  Melun,  portant  l'inscription  suivante  :  Ante  omnia 
fratres  charissimi  diligatur  Deus  deinde  proximus.  L'an  MIIII^ 
lïIM^  XVIII  me  fit  reffire  M.  N.  Petit.  Viennent  ensuite  les  armes 
parlantes  de  l'abbaye  de  Barbeaux  :  deux  poissons  adossés  et  sépa- 
rés par  une  crosse  en  pal,  à  laquelle  est  suspendue  une  coquille. 
L'anse  est  formée  par  un  triangle  trinitaire  sur  lequel  reposent  trois 
têtes  de  moines.  Serait-ce  une  traduction  iconographique  du  pré- 
cepte évangélique  de  l'inscription,  un  emblème  de  l'union  frater- 
nelle en  Dieu  ?  Ce  timbre  monastique,  auquel  les  machinistes  du 
théâtre  réservaient  un  rôle  assez  déplacé,  va  figurer  au  nouveau 
musée  de  Melun. 

j.  c. 


Flanche  V. 


REVUE    DE  EART  CHRETIEN 


\m. 


Echelle  de  ira  5,2'"'"  pour  raftlre 
PLAN    DE  IJÉGLTSE   S^.  ETIENNE  DE  MEUS 

el  de  soR  Baplislère  (Ardeche). 


lilh  tK.Besavarq-DuUlle-ux  Arra';. 


F,  de  S':Aîeca 


1P62. 


P.EVUE    DE    L'AllT    CHRETIEH 


Planche 


Echelle  de  lO""  à  5,?"""  pour  raetre. 

l._  BAPTISTÈRE    ET  FAÇADE 
de  l'Eglise  de   MELAS. 


r  u    :."■■  à  TVi""  peur  ir.etre. 

î  _  Intèrleiir  du  Bap^isUie  de  MÊLAS , 


LilK   Ih  Dfisavanj-DMUUeuvr,  Arras 


r    de;' A  Féal 


UNE  ÉGLISE  CATHÉDRALE  DU  V  SIÈCLE 


ET  SON  BAPTISTERE 


Saint-Etienne  de  Mêlas  [Ardèche)- 


De  nombreux  travaux  d'archéologie  nationale ,  fruit  de 
laborieuses  études,  ont  depuis  quelques  années  fait  avancer 
à  grands  pas  cette  science  encore  nouvelle.  L'étude  spéciale 
des  monuments  religieux  de  la  période  ogivale,  si  parfaite  dans 
son  ensemble,  paraît  avoir  déjà  épuisé  toutes  les  reclierclies 
et  prononcé  son  dernier  mot. 

L'ère  romane  secondaire  (XP  et  XIP  siècles)  ne  tardera 
pas,  on  le  sent,  à  être  déterminée  d'une  manière  définitive  ; 
mais  il  existe  entre  cette  époque  et  celle  de  l'origine  des 
constructions  religieuses  dans  les  Gaules  au  IV®  siècle,  une 
immense  lacune  à  combler.  La  science  après  nous  avoir 
initiés,  forte  de  ses  preuves,  aux  styles  égyptien,  grec  et 
romain,  s'arrête  devant  les  ruines  amassées  par  les  Barbares 
du  X^  siècle,  par  les  Sarrasins  et  les  hommes  du  Nord  ;  elle 
cherche,  en  tâtonnant,  une  architecture  de  pierre  là  où  il 

TOME  VI.  Avril  1862.  13. 


170  UNE    ÉGLISi:   CATHÉDRALE   DU   V^   SIÈCLE 

n'y  en  avait  pas,  et  se  tait  en  accusant  les  Normands  et  la 
prétendue  terreur  de  la  fin  du  monde.  C'est  en  Italie  où  l'ac- 
tion presque  nulle  des  siècles  sur  la  durée  des  monuments  a 
laissé  debout  tout  ce  que  les  liommes  n'ont  pas  voulu  ren- 
verser, qu'elle  va  chercher  quelque  lumière.  Cependant  l'an- 
cienne Province  romaine  n'a  jamais  cessé  de  partager  avec 
l'Italie  cet  art  de  bien  construire,  favorisé  par  des  maté- 
riaux de  choix  et  des  ciments  indestructibles.  Aussi  sommes- 
nous  persuadé  qu'avec  moins  de  routine,  plus  de  zèle  et 
d'indépendance  dans  les  recherches,  on  parviendra  bientôt 
dans  la  vallée  du  Rhône,  à  reconnaître  tous  les  éléments  du 
style  appelé  Roman  primordial  ou  Latin  pour  le  rattacher  à 
celui  qu'on  désigne  sous  le  nom  de  Secondaire^  et  combler 
enfin  cette  lacune  inconcevable^! 

Nous  choisissons  aujourd'hui  parmi  les  spécimens  de  cette 
époque  méconnue,  un  édifice,  le  plus  ancien  que  nous  sachions 
encore  debout  et  complet  ;  digne  d'intérêt  par  son  antiquité 
même  et  particulièrement  par  la  faveur  dont  il  fut  honoré 
pendant  un  quart  de  siècle ,  et  qui ,  par  les  dépendances  et 
accessoires  dont  il  se  trouva  doté,  nous  off're  encore  aujour- 
d'hui, sur  une  modeste  échelle  il  est  vrai,  un  type  de  nos 
églises  cathédrales  des  premiers  siècles. 


I. 


L'histoire  nous  apprend  que  les  Barbares  d'outre-Rhin 
ravagèrent  les  Gaules  au  commencement  du  V^  siècle,  et 
qu'ils  détruisirent  entr'autres  villes,  Alhe  d'Augxiste,  capitale 
du  pays  des  Helviens,  après  avoir  porté  le  fer  et  le  feu  dans 
le  pays  des  Cabales  et  peu  de  temps  avant  leur  défaite  dans 
les  campagnes  d'Arles.  Les  traditions  de  l'église  de  Viviers 
nous  enseignent  que  le  clergé  d'Albe,  dont  l'évêque  Avole 


ET   SON    UAI'TISTKRK.  171 

avait  péri  sous  le  fer  des  Barbares,  se  réfugia  k  JNlélas  où 
saint  Mamert,  évêque  de  Vienne,  vint  sacrer  évêque  Auxonne, 
qui  sur  l'avis  de  son  Clergé  transféra,  vers  l'an  430,  le  siège 
épiscopal  à  Viviers. 

L'opinion,  qui  est  unanime  à  reconnaître  qu'un  certain 
laps  de  temps  s'écoula  entre  la  ruine  d'Albe  et  le  transfert 
de  son  évêclié  à  Viviers,  se  trouve  divisée  sur  le  fait  du 
séjour  du  clergé  à  Mêlas,  bien  qu'elle  ne  puisse  lui  assigner 
un  autre  refuge.  Mais  l'étude  récente  que  nous  avons  faite 
sur  la  défense  de  la  capitale  des  Hel viens,  basée  sur  la  dis- 
position de  ses  abords,  et  d'après  la  topographie  des  lieux  ', 
nous  a  convaincu  de  ce  séjour  dans  une  localité  d'origine 
romaine,  origine  attestée  par  les  ruines,  monnaies,  bétons, 
etc.,  en  nous  obligeant  à  reconnaître  que  Mêlas  était  un  des 
châteaux  (castra)  qui  protégeaient  les  abords  de  la  capitale, 
€t  que  le  clergé,  par  une  facile  prévoyance  bientôt  justifiée, 
dut  choisir  ce  castrum  de  préférence  à  tous  les  autres. 

Etabli  sur  la  voie  d'Albe  à  Lyon,  ce  château  commandait 
l'entrée  de  la  vallée  et  le  passage  du  torrent  dans  le  lit  duquel 
s'élèvent  encore  les  ruines  du  pont.  Ce  lieu  doté  d'un  mo- 
nastère de  femmes  au  Vil'  siècle,  vicairie  du  Pagus  Viva- 
riensis  au  IX*  siècle,  confirmé  comme  possession  de  l'église 
de  Viviers  dans  la  charte  de  Charles-le-Chauve  donnée  à 
Besançon  en  877,  jouissait,  on  le  voit,  d'une  certaine  impor- 
tance à  la  fin  de  ce  même  siècle,  quand  fut  réparée  la  partie 
orientale  de  sou  église. 

Au  travers  de  tant  de  ruines,  quelles  causes  ont,  quinze 
siècles  durant,  protégé  son  église  jusqu'à  ce  jour? 

Les  causes  les  plus  fréquentes  de  destruction  aux  lieux  où 


•  Aperçu  géographique  sur   le  pays  des  Helviens,  par  le  V"  dk   Sai?;t- 
Akdéol.  Bulletin  de  l'Académie  Delphinale,  année  1860. 


172  UNE    KGLISE   CATHEDRALE    HL    V*    SIECLE 

l'action  du  temps  est  presque  nulle,  se  réduisent  ù  deux  :  la 
violence  et  les  reconstructions. 

L'unique  souvenir  que  cette  partie  de  la  vallée  du  Rhône 
ait  gardé  de  la  première  de  ces  causes ,  concerne  la  rapide 
invasion  des  Sarrasins,  effectuée  de  757  à  759  ;  elle  fut 
bientôt  arrêtée  dans  sa  marche,  aux  approches  de  Vienne, 
par  les  armes  victorieuses  de  Charles  Martel  qui  la  refoula 
jusqu'aux  portes  de  Narbonne. 

Echappée  aux  coups  de  ces  mécréants,  que  les  cathédi-ales 
et  les  abbayes  attiraient  de  préférence  à  cause  des  trésors  et 
des  objets  de  prix  qu'elles  étaient  censées  posséder,  l'église 
de  Mêlas  fut  redevable  à  des  circonstances  spéciales  d'échap- 
per à  la  dernière  de  ces  causes,  plus  dévastatrice  encore,  les 
reconstructions  par  nécessité  d'agrandissement. 

Le  bourg  de  Mêlas,  heureusement  pour  le  sort  de  son  église, 
ue  pouvait  ni  s'accroître  ni  prospérer.  La  voie  romaine  qui 
le  rattachait  à  Albe,  tracée  sur  des  pentes  abruptes,  suspen- 
due sur  des  précipices  et  ravagée  par  des  torrents,  devint 
bientôt  impraticable.  Le  passage  se  fit  d'Albe  ruinée  à 
Viviers.  Au  XIP  siècle,  le  baron  Adhémar  fit  construire  un 
château  sur  le  rocher  qui  dominait  au  nord  l'ancien  caslrum 
de  Mêlas,  au  point  où  ce  dernier  avait  planté  son  signal  dont 
la  partie  prise  pour  le  tout ,  lui  avait  laissé  le  nom  de 
Tigillum  (par  élision  Tillium)^  d'où  le  nouveau  château  prit 
le  nom  de  Monstilium.  Un  village  dont  les  murs  et  les  ruines 
de  son  église  se  voient  encore,  se  forma  autour  du  château 
sous  le  nom  de  Tilliau.  Au  XVP  siècle,  ce  môme  village  des- 
cendit sur  les  bords  du  Rhône  dont  la  navigation  fit  la  for- 
tune, et  s'accrut  sous  le  nom  de  Teil,  aux  dépens  de  Mêlas, 
qu'il  absorba  dans  la  commune,  sinon  dans  la  paroisse. 

Après  r affirmation  historique  de  son  existence  au  V«  siècle, 
après  l'explication  des  circonstances  qui  ont  préservé   son 


KT   SON    BAI'TlS'rPlIlK.  173 

église  de  la  ruine  jusqu'à  ce  jour,  vient  s'ajouter  la  preuve 
d'une  liiiute  antiquité  dans  la  différence  entre  le  niveau  du 
pavé  de  cette  église  et  le  sol  qui  l'environne. 

Le  pavé  de  nos  villes  romaines  est  généralement  enfoui 
à  un  ou  deux  mètres,  alors  môme  que,  situées  sur  un  pla- 
teau, ces  villes  semblent  devoir  être  à  l'abri  de  tout  attéris- 
sement.  Albe  et  Valence  sont  dans  ce  cas.  L'église  méro- 
vingienne de  Saint-Laurent  à  Grenoble,  située  au  pied  d'une 
montagne,  se  trouve  enfouie  sur  un  côté  à  une  profondeur 
de  six  mètres.  On  pourrait  presque  assigner  la  part  de  chaque 
siècle  dans  cet  exhaussement  du  sol.  L'église  de  Mêlas,  éta- 
blie sur  un  plan  incliné  du  nord  au  sud,  est  enfouie  à  un 
mètre  et  demi  environ,  et  son  baptistère  distant  de  quatre 
mètres  se  trouve  enfoui  à  deux  mètres  de  profondeur.  Cepen- 
dant le  sommet  du  tertre  n'est  qu'à  quelques  pas  ;  cette  dis- 
position ne  se  prête  guères  à  un  exhaussement  du  sol  qu'a- 
près une  longue  période  de  temps  écoulée. 

Mais  abordons  la  masse  de  l'édifice  pour  le  juger  de  l'œil, 
le  toucher  du  doigt;  interrogeons  sa  forme,  ses  lignes,  ses 
pierres,  elles  nous  diront  la  part  de  l'ère  romaine  qui  cesse 
dans  le  midi  à  l'invasion  Sarrasine,  et  celle  de  l'ère  Carlo- 
vingienne  qui  finit  avec  le  X"  siècle. 

Eemarquons  d'abord  la  nature  et  la  provenance  des  deux 
sortes  de  pierres  qui  constituent  les  parties  essentielles  {Voir 
la  planche  2,  n°  1).  L'une  est  un  calcaire  oxfordien,  gris, 
dur,  susceptible  d'être  poli  ;  l'autre  est  un  grès  (crétacé  su- 
périeur) blanc,  tendre  et  facile  à  tailler.  La  première  provient 
des  carrières  de  Lussas,  distantes  de  vingt-trois  kilomètres. 
C'est  la  pierre  qu'Albe  employa  de  préférence  dans  ses  édi- 
fices, temples,  tombeaux,  dalles,  conduits,  fûts,  etc.  Les 
Komains  estimaient  le  marbre,  et,  à  son  défaut,  ce  qui  en 
approchait  le  plus.  La  qualité  des  matériaux  est  luie  des 


174  UNE   KGIISE    l'.ATHÉDRALE   DU   V*  SIÈCLE 

conditions  de  la  durée  de  leurs  œuvres.  Bientôt  après  lamine 
de  cette  ville,  les  voies  pour  le  transport  ayant  cessé  d'être 
praticables,  cette  exploitation  fut  abandonnée  pour  n'être 
reprise  cpi'au  XYIIF  siècle.  La  deuxième  pierre  est  exploitée 
à  la  porte  de  Mêlas,  sous  le  nom  de  pierre  du  Tlieil.  Elle  fut 
substituée  à  la  première,  ainsi  que  celle  de  la  Gorce,  l'une 
au  nord,  l'autre  au  midi,  dans  toutes  les  constructions  posté- 
rieures du  Bas-Yivarais  élevées  entre  le  Rhône  et  l'Ardèche. 
La  blancheur,  la  légèreté,  la  facilité  de  la  taille,  et  avec  cela 
une  consistance  éprouvée  par  un  usage  de  plusieurs  siècles, 
justifient  cette  préférence. 

N'oublions  pas  de  faire  la  part  des  époques  distinctes  aux- 
quelles furent  employées  ces  deux  sortes  de  matériaux. 

Examinons  d'abord  le  flanc  méridional  de  l'église,  dégagé 
récemment  à  sa  base  :  on  peut  le  diviser  en  trois  parties.  A 
l'est  les  contreforts,  les  larges  assises  du  chœur;  à  l'ouest 
de  pareilles  assises  dans  l'épaisseur  du  mur  de  face,  et  entre 
deux,  le  mur  de  la  nef  construit  en  moellons  et  recouvert  sur 
les  trois  quarts  de  sa  surface  de  cubes  de  pierre  dure  d'un 
petit  appareil  régulier  de  i  2  centimètres  environ  de  hauteur, 
dégrossis  à  la  pointe  et  rangés  en  lignes  horizontales.  La 
partie  supérieure  à  main  droite  en  est  seule  dépouillée. 

Dans  la  partie  inférieure  à  gauche ,  on  remarque  la  porte 
primitive,  murée  après  l'érection  de  la  façade  ' . 

Le  mur  du  chœur  offre  un  travail  pareil  à  celui  de  l'ouest, 
auquel  il  se  rattache  par  une  corniche  courant  sous  le  toit. 
Cette  corniche ,  dont  le  profil  se  fait  remarquer  sur  les  con- 
structions de  la  vallée  du  Rhône  antérieures  au  TX®  siècle , 


'  Sous  \e  st'uil  de  cette  porte  se  trouvait  une  inscription  tumulaire  en  ca- 
pitales romaines,  antérieure  au  X"'  siècle,  d'après  l'ensemble  de  la  formule, 
des  caractères,  des  abréviations  et  des  lettres  cruciformes. 


ET   SON    nAPTlSTÈRE.  175 

fait  corpv?  avec  le  mur  en  petit  appareil  et  reproduit  ce  profil 
sur  les  rampants  de  la  façade.  Le  mur  du  chœur  est  construit 
en  pierres  blanches  taillées  à  la  hache,  disposées  en  assises 
de  moyen  appareil.  A  une  certaine  hauteur,  le  moellon  irré- 
gulier se  substitue  à  la  pierre  taillée  pour  faire  le  massif  du 
clocher  dont  la  partie  supérieure  présente  de  part  en  part, 
mais  sans  aucun  raccord ,  l'emploi  de  petits  cubes,  débris  du 
chœur  primitif. 

Il  y  a  là  évidemment  deux  époques  et  deux  systèmes.  Le 
petit  appareil  dans  la  vallée  inférieure  du  Rhône  disparaît  à 
l'époque  Carlo vingienne  pour  êti'C,  h  l'imitation  de  l'antique, 
remplacé  jusqu'à  nos  jours  par  cet  appareil  moyen  composé 
de  pierres  de  hauteur  égale  pour  chaque  assise  et  de  longueur 
variable. 

Ce  petit  appareil  se  voit  tout  semblable  à  Albe ,  employé 
au  théâtre  romain,  à  l'antique  église  de  Saint-Martin,  aux 
aqueducs,  dans  plusieurs  habitations  privées,  et  à  Mêlas,  dis- 
tant de  sept  kilomètres  de  cette  ville,  dans  un  mur  romain 
mis  à  découvert  par  la  tranchée  d'un  chemin  rectifié,  mur 
enduit  à  sa  base  d'un  béton  de  ce  même  ciment  dont  les 
ruines  d'Albe  attestent  le  fréquent  usage.  Une  observation 
attentive  permet  de  reconnaître  que  la  nef  de  l'église  con- 
struite en  petit  appareil,  fait  corps  avec  les  fondations  de 
l'église  entière,  que  le  mur  de  l'ouest  est  une  application 
faite  après  coup  et  que  le  chœur  a  été  relevé  sur  les  an- 
ciennes fondations. 

Voici  l'état  des  découvertes  faites  il  y  a  peu  d'années  par 
le  savant  et  modeste  curé  de  Mêlas,  qui  a  eu  l'obligeance  de 
nous  en  faire  part,  lorsqu'il  fit  déblayer  la  base  du  mur 
méridional  pour  y  établir  un  jardin  :  deux  couches  de  terre 
d'inhumation  superposées  contenaient  des  débris  d'ossements 
et  de  planches,  traces  de  l'ancien  cimetière  abandonné  de- 


17G  UNE   ÉGLISE    CATIIP^OriALE    DU    V*  SIÈCLE 

puis  plusieurs  siècles  et  transféré  au  côté  nord.  Sous  ces 
couches  et  joignant  le  mur  de  la  nef,  s'étendait  le  pavé  d'un 
ancien  cloître,  de  celui  probablement  du  monastère  annexé 
à  cette  église  au  VIP  siècle.  Il  était  formé  de  fûts  de  demi- 
colonnes  en  pierre  dure  de  Lussas  posées  sur  leur  partie 
convexe. 

Devant  l'abside,  un  épais  béton  remplaçait  ce  singulier 
pavé.  On  mit  à  découvert  sous  l'un  et  l'autre  deux  rangs  su- 
perposés de  tombes  gallo-romaines.  Elles  étaient  construites 
en  dalles  et  moellons  affectant  la  forme  d'un  carré  long 
plus  étroit  aux  pieds  qu'à  la  tête.  Les  joints  des  pierres 
étaient  lûtes  avec  ce  ciment  romain  qui  contient  de  la 
brique  pilée  et  tel  qu'on  le  voit  dans  les  débris  énumérés 
déjà  tant  à  Albe  qu'à  Mêlas.  Chaque  tombe  renfermait  une 
petite  lampe  en  terre  cuite  placée  près  de  la  joue  gauche 
du  cadavre  et  un  vase  pour  les  parfums,  d'une  grandeur 
moindre  pour  les  enfants.  Le  ciment  d'une  de  ces  tombes 
renfermait  dans  sa  pâte  une  médaille  de  Faustine  mère  par- 
faitement conservée. 

Ici  éclate  la  preuve  évidente  de  la  haute  antiquité  de 
cet  édifice  :  les  tombes  gallo-romaines  qui  touchaient  au 
mur  de  l'église  manquaient  de  parois  sur  ce  côté,  le  mur  de 
l'église  en  tenant  lieu  ;  il  est  donc  antérieur  à  ces  tombes. 

Il  devient  dès-lors  intéressant  de  pénétrer  à  l'intérieur 
pour  étudier  sur  la  face  interne  de  ce  mur  le  mode  de  con- 
struction des  églises  de  cette  période  si  peu  connue.  Il  accuse 
parfaitement  les  deux  systèmes  remarqués  au  dehors  sur  les 
quatre  travées  qui  composent  la  nef.  Les  trois  premières  sont 
décorées  chacune  d'un  faux  arc  à  plein  cintre  d'une  pro- 
fondeur de  25  centimètres  environ.  Entre  chacun  de  ces 
arcs,  contre  le  nuir  qui  les  sépare,  une  colonne  en  pierre  de 
Lussas  est  enchâssée  au  tiers  de  son  diamètre. 


ET    SON    BAPTISTKUE.  177 

La  base  des  deux  premières  colonnes  est  corintliienne  ; 
celle  des  deux  suivantes  est  composée  de  deux  tores  super- 
posés, sans  gorge,  avec  oves  sur  le  tore  supérieur,  et  celle  des 
deux  colonnes  voisines  du  chœur  est  ionique.  Chaque  colonne 
est  surmontée  d'un  chapiteau  ouvragé,  d'un  tailloir  qu'une 
corniche  courant  à  la  naissance  de  la  voûte  rattache  l'un  à 
l'autre,  et  enfin  de  l'arc  doubleau  de  la  voûte.  Sous  le  pre- 
mier faux  arc,  l'ancienne  porte  bouchée  offre  une  seconde 
voussure  en  cintre  surbaissé  plus  évasée  que  son  ouverture. 
Sous  le  deuxième  faux  arc  s'ouvre  au  midi  une  fenêtre  en 
plein  cintre  évasant  à  l'intérieur  et  au  dehors,  et  dont  l'ou- 
verture est  d'environ  30  centimètres  de  large  sur  iO  centi- 
mètres de  hauteur.  La  quatrième  travée  delà  nef  fait  partie, 
avec  le  chœur,  de  cette  reconstruction,  sur  les  anciennes 
bases  que  nous  avons  remarquées  au  dehors.  Voici  en  quoi 
elle  diffère  des  trois  autres  :  au  lieu  d'être  décorée  d'un 
faux  arc,  elle  en  renferme  deux  dans  le  même  intervalle  et 
sous  une  même  hauteur,  ce  qui  les  fait  étroits  et  élancés. 
A  partir  de  cette  travée  jusqu'au  fond  du  chœur,  il  y  a 
absence  de  sculpture.  Le  chapiteau  n'est  qu'un  tailloir  com- 
posé de  baguettes  superposées.  En  revanche,  l'architecte, 
dans  cette  partie  refaite  et  agrandie,  a  fait  preuve  de  talent 
dans  l'élévation  de  la  coupole,  la  disposition  des  jours  et  le 
raccordement  des  lignes.  Tandis  que  les  murs  de  l'église 
primitive  ont  une  épaisseur  de  1  mètre  oO  c.  et  forment  une 
nef  large  de  4  mètres  sur  la  largeur  des  trois  premières  tra- 
vées, les  murs  de  la  quatrième,  construits  extérieurement 
à  l'aploml)  des  fondations,  ont  une  épaisseur  de  1  mètre 
20  c.  seulement,  ce  qui  donne  à  l'intérieur  une  largeur  de 
60  c.  en  sus.  Cette  différence  ne  choque  pas  l'œil.  Elle  a 
été  prise  à  20  c.  en  avant  de  la  troisième  colonne  et  y  pro- 
duit l'aspect  d'un  pihistre.  Cependant  la  corniche  de  cette 


178  UiNE   ÉGLISE   CATHÉDRALE   DO   V*  SIÈCLE 

partie  reconstruite,  y  compris  la  liauteur  de  la  troisième 
colonne,  a  été  rabaissée  de  30  c.  environ.  Il  le  fallait  ainsi 
pour  que  le  sommet  de  la  voûte  en  berceau  brisé  couvrît, 
sous  une  môme  courbe,  toute  la  nef  à  une  même  hauteur, 
puisqu'elle  avait  dans  cette  partie  élargie,  \m  diamètre  de 
60  c,  en  sus. 

L'arc  du  chœur,  sensiblement  plus  bas  que  la  voûte  de  la 
nef  repose  sur  des  pieds-droits  dont  les  impostes  se  raccordent 
à  ceux  des  pieds-droits  du  double  faux  arc  qui  est  pareille- 
ment reproduit  dans  le  chœur,  mais  surmonté  ici  d'une 
étroite  et  longue  fenêtre.  Une  coupole  octogone  sur  encor- 
bellement donne  à  cette  partie  une  grande  légèreté. 

L'abside  semi-circulaire  qui  termine  le  chœur  à  l'orient, 
au  lieu  de  suivre  la  trace  des  anciennes  fondations  dans  leur 
demi-cercle,  aifecte  la  forme  d'un  demi-cercle  allongé  en  fer  à 
cheval.  {Voir  le  plan  de  l'Église^  planche  1).  Les  murs  laté- 
raux font  une  saillie  sur  la  nef  et^  pour  cela,  sont  bâtis  à 
l'aplomb  des  anciennes  fondations,  les  laissant  déborder  de 
50  c.  à  l'extérieur,  tandis  que  dans  le  fond  du  sanctuaire  on 
a  obtenu  le  demi-cercle  allongé  par  le  procédé  contraire. 

Le  mur  de  l'ouest  ou  de  façade  a  été  appliqué  contre 
l'ancien  ;  construit  à  une  époque  où  l'exhaussement  plusieurs 
fois  séculaire  du  sol  dominait  le  pavé  de  l'église  à  plus 
d'un  mètre,  sa  porte  a  été  établie  à  ce  dernier  niveau.  Elle 
conduit  dans  l'intérieur  par  un  escalier  de  sept  marches.  Ce 
portail  construit  entièrement  en  pierres  blanches  de  moyen 
appareil,  se  compose  d'une  ouverture  carrée  sous  linteau 
horizontal,  enchâssée  sous  trois  voussures  à  plein  cintre 
{planche  2,  n"  1).  Sous  le  pignon  est  percée  une  petite  fenêtre 
étroite  comme  une  meurtrière,  et  les  rampants  du  toit  sont 
couronnés  en  forme  de  fronton  par  une  corniche  de  la 
même  pierre,  qui  va  se  rattacher  aux  contreforts  du  chœur, 


ET   SON   BAPTISTÈRE.  HO 

en  suivant  le  sommet  des  murs  latéraux.  Une  étude  atten- 
tive sur  l'agrandissement  progressif  des  chœurs  du  V**  au 
XIP  siècle,  appuyée  de  nombreuses  comparaisons  et  fortifiée 
par  quelques  dates  authentiques  nous  font  assignera  cette  ré- 
paration la  fin  du  IX®  siècle,  et  le  XP  à  l'érection  de  la  façade. 

L'église  de  Mêlas  est  accompagnée  du  côté  nord ,  d'une 
sorte  de  bas-coté  composé  d'tm  mur  épais,  décoré  de  fausses 
arcades  à  plein  cintre,  d'une  voûte  en  quart  de  cercle  dont  un 
cordon  de  pierres  accuse  la  naissance,  et  d'rnie  abside  en 
hémycicle  éclairée  par  une  toute  petite  fenêtre  {Voir  le  plan 
de  r Église,  planche  i).  Le  bas-coté  finit  vers  le  milieu  de  la 
longueur  de  la  nef.  Il  ne  communiquait  avec  l'église  que 
par  une  étroite  porte.  C'était  le  lieu  désigné  dans  les  pre- 
miers siècles  sous  le  nom  de  Secreiarium  ou  Diaconicnm.  Ce 
lieu  servait  de  sacristie,  dépôt  pour  les  ornements  du  culte, 
les  vases  sacrés,  le  trésor,  et  c'était  dans  son  abside  qu'était 
déposée  la  réserve  eucharistique.  Il  fut,  à  la  fin  du  XV®  siè- 
cle, mis  en  communication  avec  la  nef  par  une  ouverture  en 
arc  aigu,  et  peu  d'années  après  par  une  seconde  en  plein 
cintre,  décorée  sur  un  côté  de  son  épaisseur  d'une  niche  ou- 
verte sous  une  courbe  en  accolade.  Une  inscription  lapidaire 
enchâssée  contre  le  premier  de  ces  deux  arcs  relate  qu'en 
1410  cette  chapelle  fut  faite  en  l'honneur  de  la  Mère  de 
Dieu.  Elle  le  fut  en  ce  sens  qu'un  autel  y  fut  consacré  et 
livré  à  la  piété  des  fidèles  au  moyen  de  ces  ouvertures. 

Terminons  cet  examen  par  l'étude  des  chapiteaux  qui 
couronnent  les  six  colonnes  de  la  nef. 

Les  archéologues  qui  placent  invariablement  au  XP  ou 
au  XIP  siècle  la  construction  de  cette  église,  reconnaissent 
pourtant  que  les  chapiteaux  sont  pour  la  plupart  antérieurs 
à  cette  époque.  Trois  sur  les  quatre  les  plu»  rapprochés  du 
chœurs  datent  de  la  grande  réparation  faite  au  chœur  et  à  la 


180  VISE   ÉGLISE    CATIIÉDUALE    W    \"  SIECLE 

voûte.  Les  deux  premiers  en  entrant,  cachés  par  le  cintre 
et  la  balustrade  d'une  tribune  fermée  hors  le  temps  des 
offices,  ont  été  rarement  vus  et  étudiés. 

Après  une  observation  attentive,  nous  restons  persuadé 
qu'ils  appartiennent  à  l'église  primitive.  On  sent  que  des 
siècles  de  barbarie  se  sont  écoulés  entre  ce  beau  travail  et  le 
ciseau  grossier  des  quatre  autres  chapiteaux.  On  serait 
d'abord  tenté  de  les  attribuer  au  XIP  siècle,  si  le  XIP  siècle 
avait  jamais  produit  un  chapiteau  aussi  corinthien  que  celui 
placé  à  droite  (fig.  1);  c'est  une  pièce  franchement  romaine. 
Si  les  caulicaules  y  recouvrent  un  peu  trop  les  volutes  dans  les 
angles,  si  la  disposition  des  acanthes  inférieures  a  légère- 
ment varié,  c'est  que  le  IV  siècle  n'était  plus  le  siècle 
d'Auguste  ni  môme   celui  d'Adrien  ;  c'était  la  décadence, 


mais  non  encore  la  barbarie.  Le  chapiteau  composite  qui  lui 
fait  face  est  sorti  de  la  môme  main  {fig.  2).  Cependant  si  le 


ET   SON    lUn'lSTKIU':.  ISI 

premier  charme  et  provoque  radmiratioii,  le  second  laisse  stu- 
péfait à  kl  vue  d'un  sujet  de  l'exécution  lu  plus  grossière,  dé- 
coupé au  milieu  de  rinceaux  aussi  souples  que  gracieux.  On  y 
voit  Abraham  prêt  à  frapper  son  fils.  A  sa  droite  est  un  ange 
qui  d'une  main  arrête  son  bras  et  de  l'autre  lui  présente  un 
bélier  enchevêtré  dans  les  volutes.  Sur  l'autre  face  est  un  ser- 
viteur portant  une  hache  et  conduisant  un  âne  chargé  de 
fagots.  Ce  sujet  a  été  reproduit  depuis  la  sanctification  des 
catacombes  jusqu'au  XII"  siècle. 

Devant  un  tel  disparate  on  suppose  d'alDord  qu'un  artiste 
maladroit  du  moyen-âge  a  taillé  ce  sujet  dans  la  masse  d'un 
deuxième  rang  de  feuillage.  Il  y  a  plutôt  lieu  de  croire  que  ces 
deux  chapiteaux  ont  été  faits  par  quelque  sculpteur  d'orne- 
ments de  la  ville  d'Albe,  habile  dans  sa  spécialité,  mais 
incapable  d'aborder  convenablement  la  nature  vivante,  qui 
exige  de  plus  sérieuses  études. 

Cette  division  entre  l'étude  du  vif  et  celle  de  l'ornementa- 
tion existe  aussi  de  nos  jours.  Aux  XI"  et  XIP  siècles  de  pareils 
sujets  se  présentent  grossiers  et  dépourvus  de  proportions, 
mais  on  y  trouve  une  pieuse  naïveté,  on  y  sent  une  âme  là 
ou  à  peine  on  reconnaît  un  corps.  Ici  il  n'en  est  pas  de  même; 
le  sujet  est  traité  brutalement  à  l'exclusion  de  tout  sentiment 
chrétien.  On  le  supposerait  fait  sur  commande  par  quelqn' ou- 
vrier d'Albe  encore  payen. 

Abraham  {jig.  o),  de  même  que  l'ange  est  vêtu  d'une  braie 
qui  rappelle  celle  de  la  Gallia  braccata,  dont  cette  région  du 
Ehône  faisait  partie.  Le  front  est  bas,  les  cheveux  sont  courts 
[more  romano),  épais  et  par  couches  superposées.  Quelques 
poils  courent  des  oreilles  au  menton,  la  lèvre  supérieure  est 
imberbe,  le  cercle  des  yeux  est  formé  par  un  bourrelet  sail- 
lant et  la  prunelle  est  trouée.  Un  pareil  type  de  figure  se 
retrouve  le  plus  souvent  sur  nos  monnaies  mérovingiennes. 


18'2  LNE    ÉGLISE   CATllliDRALE    DU    V«  SIÈCLE 

Le  pied  du  billot  sur  lequel  est  agenouillé  Tsaac,  se  terndne 
par  la  griffe  dé  lion  employée  dans  l'ameublement  de  l'an- 
cienne Rome.  Les  deux  grandes  et  belles  volutes  à  fines  ner- 
vures qui  abritent  cette  étrange  composition  enroulent  des 
feuilles  d'olivier  franchement  découpées,  au  travers  desquelles 
circulent  l'air  et  la  lumière. 

Auprès  de  ces  deux  chapiteaux  les  quatre  autres  présen- 
tent peu  d'intérêt.  Le  deuxième  à  main  gauche  est  le  seul 
historié.  On  y  voit  un  vénérable  personnage  drapé  dans  une 
robe  longue  mais  juste  au  corps,  assis  derrière  des  barreaux 
au  travers  desquels  il  passe  la  main  droite  qu'un  ange  lui 
saisit.  Il  a  les  cheveux  longs  tombant  sur  les  épaules.  Il  est 
coiffé  d'un  bonnet  large  et  carré  marqué  d'une  croix.  Serait-ce 
là  une  allusion  à  la  délivrance  des  évêques  d'Albe  et 
Viviers  ? 

Disons  pour  terminer  que  cette  église,  de  même  que  la 
majeure  partie  des  plus  anciennes  cathédrales,  était  dédiée  à 
saint  Etienne.  Et  il  est  à  remarquer  que  tandis  que  toutes  les 
églises  du  diocèse  de  Viviers  et  celles  de  beaucoup  d'autres 
sous  le  vocable  de  ce  Saint,  célèbrent  sa  fête  le  jour  de  l'inven- 
tion de  ses  reliques  qui  eut  lieu  en  l'an  415,  l'église  de  Mêlas, 
antérieure  à  cet  événement,  n'a  cessé,  selon  l'observation 
de  M.  l'abbé  Alignol,  de  la  célébrer  le  jour  de  son  martyre. 

De  l'ensemble  des  fortes  et  nombreuses  présomptions 
énumérées  plus  haut,  et  des  preuves  établies  à  la  suitC;,  nous 
sommes  amené  à  conclure  que  les  fondations  de  cette  église 
et  les  flancs  de  sa  nef  dans  les  trois  premières  travées  appar- 
partiennent  à  l'église  du  IV  siècle  qui  recueillit  dans  les  pre- 
mières années  du  siècle  suivant  les  débris  du  clergé  d'Albe 
et  servit  de  cathédrale  à  l'évêque  Auxonne  que  saint 
Mamert  de  Vienne  y  vint  sacrer  ;  que  la  quatrième  travée 
de  la  nef  et  le  chœur  sous  coupole,  moins  les  fondations,  ont 


KT    SON    BAPTlSTKIir..  18.'{ 

été  refaits  ainsi  que  la  voûte  entière,  lu'corniclie  et  le  tailloir 
des  chapiteaux,  à  la  fin  du  IX*"  siècle  ;  que  la  façade  a  été 
élevée  au  XP  siècle,  et  le  fond  de  l'abside  relevé  de  nos 
jours. 


II 


Dans  ce  temps-là  les  églises  cathédrales  étaient  habituel- 
lement accompagnées  d'un  baptistère  presque  toujours  de 
forme  octogone  comme  celui  de  Constantin  à  Rome  et  celui 
d'Aix  en  Provence.  Il  était  isolé  et  placé  ordinairement  au 
côté  gauche  de  l'entrée,  c'est-à-dire  au  nord,  l'église  étant 
orientée.  Sa  coupole  était  supportée  par  des  colonnes  entre 
lesquelles  étaient  placés  dans  des  enfoncements,  des  autels, 
des  cuves  pour  les  enfants  et  des  vestiaires.  L'église  de 
Saint-Etienne  de  Mêlas  devenue  provisoirement  cathédrale 
fut  nécessairement  pourvue  de  cet  accessoire.  Il  existe 
encore  dans  son  entier  tel  que  le  fit  édifier  l'évêque  Auxonne. 
{VoiJ'  le 'plan  du  baptistère,  planche  1). 

Comme  l'église ,  il  a  échappé  aux  mêmes  causes  de  de- 
struction ;  son  existence  qu'on  peut  regarder  en  effet  comme 
extraordinaire,  a  dépendu  d'une  situation  extraordinaire. 
C'est  ainsi  que  la  reconstruction  sur  une  plus  vaste  échelle 
de  toutes  les  cathédrales  aux  époques  postérieures,  a  entraîné 
la  destruction  des  baptistères  qui  y  attenaient.  Si  quelques- 
unes  ont  été  relevées  sur  une  autre  place,  les  causes  de  ce 
changement  ont  pu  amener  l'abandon  ou  la  destruction  de 
ces  édifices  complémentaires.  Si  Mêlas  avait  conservé  l'évê- 
ché,  il  serait  devenu  une  ville,  et  sa  petite  église  avec  son 
baptistère,  démolie  ainsi  qu'il  fut  fait  à  Viviers  dès  le 
VP  siècle  et  plus  tard  au  XIP  pour  faire  place  à  une  plus 
vaste,  n'existerait  plus.  On  peut  donc  concevoir  pourquoi 


184  UN'K    ÉGLISE    CAÏIIKDIIALE    UIJ    V  SIECLE 

les  aiiciL'us  1)iiptistères  sont  rares  et  comment  celui  do  Mêlas  a 
siirvéou . 

Examinons  quelques  détails  de  sa  construction  (planche  2, 
îz°  1).  Ses  murs  sont  revêtus  du  petit  appareil  disposé  par 
couches  horizontales,  mais  offrant  un  peu  moins  de  précision 
qu'au  mur  de  l'église.  Au  lieu  d'être  taillé  dans  un  calcaire 
dur,  il  a  été  [)ris  dans  un  calcaire  schisteux  extrait  des  en- 
virons. Cependant  ses  murs  épais  de  \  mètre 20 cent.,  épais- 
seur forte  relativement  à  son  diamètre  intérieur  qui  n'est 
que  de  4  mètres  60  cent,  sous  coupole,  et  ses  huit  absides 
en  hémicycle  qui  l'enveloppent  comme  de  puissants  contre- 
forts, compensent  largement  les  imperfections  de  la  bâtisse 
au  point  de  vue  de  sa  solidité,  si  l'on  considère  surtout  que 
dans  cette  région  les  mortiers  sont  du  ciment. 

Son  enfouissement  profond  dans  le  sol,  qui  est  de  2  mètres, 
le  protégeait  mieux  encore  que  l'église. 

Il  est  de  forme  octogone  ;  quatre  de  ses  côtés  plus  grands 
alternent  avec  quatre  plus  petits  [planche  1).  Chaque  côté 
contient  une  abside  en  hémicycle,  ouverte  sous  une  double 
voussure  dont  les  pieds-droits  sont  dépourvus  d'imposte,  et 
la  naissance  de  sa  voûte  est  sans  cordon.  Chaque  abside  est 
séparée  de  sa  voisine  par  une  colonne  engagée  au  tiers  etdont 
le  chapiteau  ébauché  accuse  le  plan  corinthien.  Huit  ban- 
deaux plats  s'élèvent  au-dessus  des  colonnes  et  vont  se  réu- 
nir en  étoile  au  centre  de  la  coupole.  Le  rayon  des  arcs  des 
petites  absides  se  trouvant  plus  court  que  celui  des  quatre 
grandes,  il  en  résulte  que  la  naissance  de  la  voûte  qui  date 
du  sommet  des  grands  arcs,  s'appuie  au-dessus  des  petits 
arcs  sur  un  mur  vertical  d'une  hauteur  égale  à  la  différence 
des  rayons.  L'architecte  a  profité  de  cette  surface  pour  y 
percer  des  jours  d'une  exiguïté  inconnue  au  XF  siècle  {Voir 
la  planche  2,  if  2).  Ce  ne  sont  pas  des  fenêtres,  pas  même 


ET   SON    BAI'TISTKUK.  18"» 

(les  meurtrières,  mais  de  simples  trous  de  !20  cent,  sur  50, 
qui  pur  uu  évasement  à  l'iutérieiir,  éclairaient  suffisamment 
ce  lieu  dans  sa  primitive  destination,  et  le  protégeaient,  par 
cette  disposition,  contre  des  surprises  qu'il  était  alors  permis 
de  redouter  ' .  Au  dehors  le  mur  suit  le  mouvement  des 
absides  ^  ;  en  évitant  des  angles  on  a  fait  une  économie  dans 
le  volume  et  la  taille  des  pierres. 

Dès  le  VP  siècle  la  pierre  blanche  et  tendre  prise  sur  les 
lieux  fut  seule  employée  aux  constructions,  à  l'exclusion  de 
la  pierre  de  Lussas  dont  l'exploitation  pénible  et  dispendieuse 
avait  été  abandonnée  dès  la  ruine  d'Albe,  son  transport  étant 
depuis  lors  devenu  impraticable.  Oi'  ces  colonnes,  comme 
celles  de  l'église  primitive^,  sont  en  pierre  dure  de  Lussas. 
Les  tronçons  furent,  tout  comme  ceux  du  cloître,  enlevés 
aux  ruines  d'Albe.  Il  s'y  en  trouve,  il  est  vrai,  deux  ou  trois 
fragments  en  pierre  blanche,  mais  on  voit  qu'ils  y  sont 
intercalés  comme  supplément  et  STq:)erposés  sans  égard  à 
leur  densité  respective.  Albe  li 'employa  que  rarement  cette 
pierre  pour  des  fûts.  On  ne  l'y  trouve  guères  qu'en  corniches 
et  chambranles.  Ici  les  chapiteaux,  quoique  sinq^lement 
épannelés,  indiquent  par  leur  plan  et  leur  profil,  que  le  ciseau 
devait  en  dégager  l'acanthe  et,  dans  les  bases,  la  triple 
moulure  corinthienne. 

Une  preuve  évidente  qui  démontre  incontestablement 
l'ancienneté  de  l'église,  c'est  l'égalité  de  niveau  entre  le 
pavé  et  celui  de  l'ancienne  église  qui  n'a  pas  varié  depuis 
le  IV"  siècle.  Se  figurerait-on  un  architecte  du  XF  ou  XIP 

'  Transformé  en  chapelle,  un  plus  grand  besoin  de  lumière  y  a  fait  pra- 
tiquer postérieurement  aux  dépens  de  son  harmonie,  trois  fenêtres  carrées, 
dont  une  dans  la  voûte. 

-  Quelques  années  plus  tard  ce  procédé  fut  employé  par  S.  Honorât  dans 
les  angles  orientaux  de  l'église  de  la  Tiinité  qu'il  fit  bâtir  dans  l'île  de  Lérins. 

TOME   Yl,  14. 


186  l'NE   ÉGLISE   CATUBDKALE   PU    V"  SIÈCLE 

siècle  voulant  élever,  nous  ne  savons  à  quelle  intention,  une 
chapelle  octogone  à  huit  h  dix  pas  d'une  église,  creuser  le 
sol  connue  pour  une  citerne  et  l'y  enfouir?  Comment  y  ac- 
céder? par  un  escalier  extérieur?  Mais  dans  le  dégagement 
circulaire  du  sol  autour  de  cet  édifice,  opéré  il  y  a  peu  d'an- 
nées, il  n'en  a  pas  été  trouvé  de  traces,  non  plus  que  de 
porte,  A  cette  époque  comme  toujours,  on  bâtissait  sur  le 
niveau  du  sol.  C'est  ainsi  qu'a  agi,  au  XP  siècle,  l'archi- 
tecte dans  l'élévation  de  la  ftiçade.  Au  lieu  d'ouvrir  la  porte 
au  niveau  du  pavé,  dût-on  y  descendre  par  un  escalier  exté- 
rieur, il  tint  compte  du  niveau  du  sol,  il  y  établit  le  seuil 
de  la  porte  et  plaça  l'escalier  à  l'intérieur  ' . 

En  résumé,  l'appareil  de  ce  baptistère  et  ses  gros  maté- 
riaux sont  de  même  forme  et  de  même  nature  que  ceux  de 
l'église;  son  pavé  est  au  même  niveau  "  ;  son  emplacement  est 
exactement  celui  d'an  baptistère  des  premiers  âges  et  sa 
forme  en  est  parfaitement  liturgique. 

A  toutes  ces  preuves  énoncées  qui,  nous  l'espérons,  ont 
dû  convaincre  les  esprits  sur  l'antiquité  de  cette  église, 
nous  en  ajoutons  une  dernière  qui  suffirait  seule  à  défaut 
détentes  les  autres.  C'est  qu'une  des  églises  delà  capitale 
des  Helviens,  éloignée  de  sept  kilomètres,  dédiée  à  saint 
Martin,  évoque  de  Vienne,  ruinée  avec  la  ville  en  410  et 
découverte  dans  ses  fondements  il  y  a  peu  d'années ,  est 
identique  à  celle  de  Mêlas  dans  ses  plan,  ordonnance,  dispo- 


'  Au  temps  où  le  baptistèie  de  Mêlas  n'avait  plus  rien  à  retenir  de  son  ancien 
privilège,  alors  que  chaque  paroisse  possédait  des  fonts,  il  fut  mis  en  commu- 
nication immédiate  avec  l'église  par  un  couloir  voûté  en  plein  cintre  ouvrant 
dans  la  deuxième  travée  de  la  nef.  Quelques  moulures  terminées  par  une  tête, 
semblent  indiquer  que  cette  modification  a  été  opérée  pendant  le  XIII^  siècle. 

*  Son  pavé  a  été  exhaussé  d'un  mètre  pour  éviter  l'humidité.  Un  sondage 
pratiqué  jusqu'à  la  base  des  colonnes  nous  a  montré  son  premier  niveau. 


KT    SON    li.Vl'TISTERi:.  187 

sitioiis,  murs,  a]>pareil  et  mortiei".  Sa  largeur  est  la  môme,  su 
longueur  seule  est  un  peu  moindre.  On  pourrait  dire  que 
Saint-Martin  d'Albe  est  un  Saint-Etienne  de  Mêlas  ruiné, 
comme  Saint-Etienne  est  un  Saint-Martin  debout. 

Si  par  les  efforts  tentés  pour  jeter  quelque  lumière 
sur  un  point  obscur  des  annales  de  l'église  de  Viviers, 
nous  avons  réussi  à  persuader  que  le  refuge  des  successeurs 
de  saint  Janvier,  illustré  par  la  présence  de  saint  Mamert, 
conserve  encore  les  édifices  religieux  consacrés  ou  élevés  par 
leurs  mains,  avant  le  temps  où  il  leur  fut  permis  de  fixer  sur 
le  rocher  de  Viviers  le  siège  illustré  par  tant  de  saints  et 
d'éminents  prélats,  nous  éprouverons  la  satisfaction  d'avoir 
ramené  un  saint  respect  sur  cette  église  antique  et  véné- 
rable, éveillé  la  sollicitude  dont  elle  est  digne  et  réclamé  des 
soins  pour  sa  conservation,  eu  égard  à  la  place  importante 
qu'elle  occuperait  désormais  dans  la  chronologie  de  nos  an- 
ciens monuments. 

V*'  F.  DE  SAINT- ANDÉOL. 


LES  CATACOMBES  DE  ROME 
au   point   de   rue    de   la    Controverse- 


Au  moment  où  le  protestantisme  attaquait  les  croyances 
traditionnelles  de  l'univei's  chrétien,  où  il  traitait  d'idolâtries 
nouvelles  l'invocation  des  saints,  le  purgatoire,  la  prière  pour 
les  morts,  le  culte  de  la  Vierge  et  des  images,  il  ne  se  dou- 
tait pas  qu'un  témoin  irrécusable  allait  bientôt  s'élever  pour 
attester  l'antiquité  de  ces  dogmes. 

Une  Pompeïa  chrétienne  allait  sortir  de  terre  et  fournir  au 
débat  soulevé  par  l'hérésie  d'importantes  pièces  à  conviction 
en  faveur  de  l'Eglise,  sa  constitution,  ses  sacrements.  Con- 
temporaines de  la  primitive  Eglise,  les  catacombes  de  Rome 
gardaient  enfouies,  depuis  des  siècles,  des  monuments  au- 
thentiques de  la  foi  des  âges  apostoliques.  La  science  allait 
mettre  au  jour  ces  monuments  ;  l'archéologie  allait  devenir 
l'auxiliaire  de  la  Bible  et  de  la  tradition  pour  défendre  l'in- 
tégrité du  symbole  catholique. 

Vers  la  fin  du  XVP  siècle,  un  avocat  Maltais,  du  nom  de 
Bosio,  découvrit  les  catacombes,  depuis  longtemps  oubliées. 
Il  consacra  son  temps  et  sa  fortune  à  explorer  la  ville  sou- 


LES   CATACOMBES   DE   ROME.  189 

terraine.  Pendant  trente-trois  ans,  il  passa  les  jonrs  et  sou- 
vent les  nuits  à  en  visiter  les  innombrables  galeries.  Prenant 
en  main  tantôt  la  pelle  et  la  pioche  pour  creuser  et  se  frayer 
un  chemin,  tantôt  la  plume  et  le  crayon  pour  dessiner  les 
chambres,  copier  les  peintures  et  les  inscriptions,  il  laissa 
un  travail  important,  mais  inachevé. 

Ses  recherches  et  ses  travaux  devaient  être  le  point  de 
départ  d'autres  recherches  et  d'autres  travaux  inspirés  par 
l'amour  de  la  science  et  delà  religion,  tels  que  les  ouvrages 
du  R.  P.  Marchi  et  de  M.  Perret.  Le  R.  J.  Spencer  Northcote 
vient  de  publier  à  Rome,  sur  ce  sujet,  un  petit  volume  très- 
intéressant  cpii  s'adresse  à  tous  les  lecteurs  sérieux  ' .  Il  y  ré- 
sume ce  qu'il  importe  à  un  catholique  de  savoir  sur  ces 
cryptes  obscures  d'où  jaillissent  tant  de  lumières. 

L'auteur  s'occupe  plus  des  catacombes  romaines  au  point 
de  vue  archéologique  qu'au  point  de  vue  religieux.  j\Iais  la 
signification  des  peintures  et  des  inscriptions  qui  s'y  trou- 
vent est  si  clairement  et  si  uniformément  catholique,  qu'une 
fois  leur  authenticité  et  leur  âge  établis,  la  conséquence 
dogmatique  se  présente  d'elle-même  à  l'esprit  du  lecteur.  On 
va  en  juger  par  les  courtes  citations  que  nous  empruntons  au 
R.  Spencer. 

La  constitution  de  l'Eglise  primitive,  son  identité  avec 
celle  de  l'Eglise  catholique  actuelle,  la  similitude  de  leur  hié- 
rarchie, résultent  avec  évidence  de  nombreux  documents. 
Cela  est  d'autant  plus  important  que  cette  question  est  deve- 
nue le  pivot  de  la  controverse  entre  les  protestants  et  nous. 
«  Il  nous  est  presque  permis  d'avancer,  dit  l'auteur,  qu'alors 
même  que  tous  les  écrits  des  Pères  auraient  péri,  il  serait 


'  R.  J.  Spewceh  NoiiTHcoTE,    Les  Calacomhes   romaines.   Paris,    Pous 
sielgue  Rusand,  22,  rue  Saint-Sulpicc. 


100  LV.a   CATACOMBES    Di:    liOÎIE 

possible  de  reconstruire  l'édifice  entier  de  l'ordre  ecclésias- 
tique à  l'aide  des  inscriptions  éparses  dans  les  inscriptions 
funéraires  des  catacombes.  Evêque,  prêtre,  diacre,  sous-dia- 
cre, acolyte,  exorciste,  lecteur,  tous  ces  titres  sont  men- 
tionnés, à  diverses  reprises,  sur  les  pierres  tombales  de  la 
Rome  souterraine.  »  (Page  7o). 

Calvin  demandait  dédaigneusement  :  «  Quel  est  le  monu- 
ment de  l'antiquité  chrétienne  qui  ait  jamais  parlé  de  vos 
exorcistes  ?  »  S'il  eût  pu  accompagner,  un  demi-siècle  plus 
tard,  Antoine  Bosio  dans  ses  visites  au  cimetière  Saint-Ca- 
lixte,  il  eût  pu  y  lire  une  foule  de  réponses  comme  celle-ci  à 
la  question  qu'il  posait  : 

PAVLVS  EXOIÎCISTA  DEPOSITVS  MAllTYIllES 
«  Paul  exorciste  enseveli  aux  (ou  près  des)  martyrs.  » 

Si ,  de  ce  dernier  échelon  de  la  hiérarchie ,  nous  montons 
au  premier,  nous  trouvons  la  primauté  de  saint  Pierre  écrite 
sur  les  murs  des  catacombes  aussi  clairement  que  dans  l'E- 
vangile. 

Moïse  frappant  le  rocher  de  sa  baguette  y  fait  le  sujet 
d'un  grand  nombre  de  peintures  et  de  sculptures  de  la  pre- 
mière moitié  du  IIP  siècle  et  du  siècle  suivant.  Le  spectateur 
ignorant  ou  superficiel  pourrait  même  se  demander  pourquoi 
les  premiers  chrétiens  revenaient  aussi  fréquemment  sur  un 
pareil  sujet,  eux,  disciples  de  la  Loi  nouvelle,  qui  avaient 
abrogé  celle  dont  Moïse  était  le  chef.  INIais  un  examen  attentif 
change  bientôt  en  joie  l'étonnement  du  catholique,  et  lui 
montre  la  confirmation  d'un  des  points  de  sa  croyance  là  oii 
il  ne  voyait  qu'une  énigme.  Moïse  n'est  ici  que  la  symbolisa- 
tion  du  prince  des  Apôtres,  devenu  le  Moïse  du  nouvel  Israël. 
Ce  rocher  frappé  par  la  baguette  était  le  Christ,  dit  saint 


AU    l'OliNT    DE    VUE    DE    LA    Cu.Ni  HOVEltSE.  liU 

Paul  (I  Cor.,  X,  4),  et  les  eaux  qui  en  jaillissent  sont  celles 
du  baptême  et  de  la  grâce  conférés  par  la  Loi  nouvelle.  C'est 
là,  dit  le  R.  Spencer,  l'interprétation  unanime  des  Pères  de 
l'Église. 

Le  nom  de  Prlrtis^  surmontant  plusieurs  de  ces  figures, 
lève  tout  doute  sur  la  personnification  représentée  ;  il  dé- 
montre sui'abondamment  que,  sous  les  traits  de  Moïse,  c'est 
bien  le  vicaire  de  Jésus-Christ  que  la  primitive  Eglise  a  voulu 
désigner.  L'antithèse  est  évidente. 

D'autres  productions  de  l'Art  chrétien  des  Catacombes 
corroborent  cette  démonstration.  »  Lorsque  Notre-Seigneur, 
dit  le  R.  Spencer,  est  représenté  ressuscitant  Lazare,  chan- 
geant l'eau  en  vin,  ou  accomplissant  d'antres  miracles,  il  tient 
à  la  main  une  baguette  avec  laquelle  il  touche  l'objet  sur  le- 
quel il  va  exercer  son  pouvoir.  Cette  baguette,  symbole  d'au- 
torité, ne  se  rencontre  jamais,  sur  ces  monuments  primitifs, 
que  dans  la  main  du  Christ  lui-même,  de  saint  Pierre  ou  de 
Moïse,  ou,  pour  mieux  dire,  seulement  dans  celle  du  Christ 
ou  de  saint  Pierre;  car  elle  ne  se  trouve  jamais  à  la  main  de 
Moïse ;,  excepté  lorsqu'il  en  frappe  le  rocher;  et  alors,  nous 
l'avons  vu,  il  est  la  figure  de  saint  Pierre.  Un  bas-relief 
sculpté  sur  la  face  principale  d'un  sarcophage  offre  un  remar- 
quable exemple  de  ce  symbolisme.  A  la  suite  des  scènes  retra- 
(j-ant  différents  miracles  du  Sauveur  et  où  il  tient  lui-même 
la  baguette,  vient  un  groupe  où  il  ne  la  porte  plus  ;  elle  a 
passé  aux  mains  de  saint  Pierre,  ou  plutôt  ce  groupe  repré- 
sente le  don  f^iit  au  prince  des  Apôtres  de  cette  baguette  » 
(page  77). 

Le  coq  })lacé  à  ses  pieds  ne  laisse  pas  de  doute  sur  l'inten- 
tion de  l'artiste  et  la  signification  de  cette  allégorie. 

Une  autre  de  ces  peintures  représente  saint  Pierre  comme 
le  chef  du  sacerdoce  et  de  la  Loi  nouvelle.  Au  milieu  se  voit 


192  LES   CATACOMBES   DE   ROME 

Isaac  étendu  sur  l'autel;  d'un  côté,  se  tient  Abraham,  la 
main  levée  ])01iy  immoler  son  fils,  que  protège  une  main  sor- 
tant du  ciel  ;  de  l'autre  côté,  on  aperçoit  saint  Pierre,  portant 
d'une  main  les  clefs  mystiques  qu'il  presse  sur  sa  poitrine,  et, 
de  l'aiiti'e,  touchant  la  victime  dont  il  est  le  nouveau  sacri- 
ficateur. 

Si  nous  voulions  passer  en  revue  toutes  les  vérités  attestées 
par  la  voix  grave  et  irrécusable  de  ces  témoins  providentiels, 
il  nous  faudrait  énumérer  un  à  un  tous  les  articles  de  notre 
symbole. 

Le  sacrement  de  Pénitence,  par  exemple,  est  représenté, 
dans  la  catacombe  de  saint  Hermès,  par  un  homme  agenouillé 
devant  un  prêtre  qui  lui  donne  l'absolution. 

Le  sacrement  de  l'Eucharistie  s'y  retrouve  représenté  sous 
des  allégories  qui  sont  l'application  exacte  et  rigoureuse  de 
cette  description,  fixité  par  saint  Jérôme,  des  trésors  de  l'E- 
vêque  :  «  Corpus  Domini  in  canistro  vimineo ,  et  sanguis  in 
vitro.  Le  corps  de  Notre-Seigneur  dans  une  corbeille  d'osier, 
et  soH  sang  dans  un  calice  de  verre  » . 

Mais  nous  voulons  nous  en  tenir  aux  points  de  la  foi  dont 
nous  parlions  au  début  de  cet  article. 

Le  purgatoire  et  la  prière  pour  les  morts,  par  lesquels  nous 
commencerons,  ont  leur  fondement  dans  la  Bible.  On  lisait 
déjà  dans  l'Ancien  Testament  :  «  C'est  une  sainte  et  salutaire 
pensée  de  prier  pour  les  morts,  afin  qu'ils  soient  délivrés  de 
leurs  péchés  »  (Macch.,  ii,  12).  Pour  se  débarrasser  de  ce 
texte  importun,  les  protestants  ont  retranché  du  canon  des 
Ecritures  le  livre  d'où  il  est  tiré.  L'expédient  est  commode. 
C'est  ainsi  qu'ils  ont  retranché  l'épitre  de  saint  Jacques, 
parce  qu'elle  établit  le  mérite  des  œuvres  et  l'institution  du 
sacrement  de  l'Extreme-Onction.  Beaucoup  d'entre  eux  re- 
jettent, à  présent,  l'inspiration  des  Livres  saints  elle-même. 


AU    POINT    DE    VUE   DE   LA   CONTROVERSE.  .  103 

Quand  la  parole  de  Dieu  les  gène,  ces  messieurs  ne  se  gênent 
pas  avec  elle.  Bientôt  ils  nous  abandonneront  cette  vieille 
relique  comme  les  autres. 

Mais  la  Bible,  que  les  ignorants  du  parti  ont  encore  la 
bonhomie  de  croire  prolestante ,  la  Bible  n'est  pas  leur  seule 
ennemie.  La  science  est,  pour  eux,  une  accusatrice  non  moins 
sévère  et  non  moins  formelle.  Les  quelques  inscriptions  sui- 
vantes l'attestent.  Parmi  elles,  les  unes  sont  écrites  en  grec, 
d'autres  en  latin  ;  dans  plusieurs,  ces  deux  langues  sont 
mêlées,  suivant  l'usage  du  temps  : 

âyp.  aiaîanoc  nAa>AAmN  heoy 

AOTAOC  niCTOG 

.EKO1MH0I1  EN  FIPIINH  MNHœil  AVIOV 

O  ©EOC  EIG  TOTG  AUiNAC. 

«  Aurelius  yElianus  de  Paphlagonie,  fidèle  serviteur  de 
Dieu;  il  repose  en  paix.  Souviens-toi  de  lui,  Seigneur,  pour 

l'éternité.  » 

« 

VICTORIA  REFRIGERER 
IS  SPIRITVS  TVVS  IN  BONO. 

((  Victoria,  puisse  ton  âme  se  rafraîchir  dans  le  bien,  » 
c'est-à-dire  en  Dieu. 

BENEMERENTI  SORORI  BON....  VIII 
KAL.  NOB. 

AEOYC  XPIGTOYG  ONNinoTEG 
CniPIT..  TOY.  PEa>.  UEPE.  IN  X. 

"  A  ma  sœur  bien  méritante  Bon  (osa,  qui  mourut)  le  hui- 
tième jour  avant  les  calendes  de  novembre.  Puisse  le  Christ 
Dieu  tout-puissant  rafraîchir  ton  âme  dans  le  Christ  !  » 


iDi  LES   CATACOMBES  DE   ROME 

KALEMIRE  DEYS  REFRIGERET 

SPIRITVM  TVVM    VNA    GVM    SO 

RORIS  TU^  HILARE. 

«  C'aleiiura,  puisse  Dieu  rîitraîcbir  votre  unie  avec  celle  de 
votre  sœur  Ililaire  !  » 

Des  parents /ont  graver  ces  mots  : 

AlIMHrPFG  ET  AEOÎSTIÂ  CEIPIKE  4>EÏA1E 

BENEWERTI  MINHCBHG  IHGOYC  O  KTPIOG 

TËKINON. 

«  Démétrius  et  Léontia,  à  leur  fille  bien  méritante  Syriaca. 
Souviens-toi,  Seigneur  Jésus,  de  notre  enfant.  •> 
De  pieux  enfants,  au  contraire,  s'expriment  ainsi  : 

DOMINE  NE  QVANDO  ADVMBRETUR 

SPIRITVS   VENERIS   DE   FILIIS   1PSE[VS 

QVI  SVPERSÏITES  SVNT  BENEROSVS 

PROJEGTUS. 

«  Seigneur,  ne  laissez  pas  l'âme  de  notre  mère  Vénus  sé- 
journer dans  les  ténèbres.  Ceux  de  ses  iils  qui  lui  ont  sur- 
vécu, Benerosus  et  Projectus,  ont  érigé  ce  monument.  » 

«  Ces  inscriptions  et  mille  antres  semblables  des  quatre 
premiers  siècles  seraient  une  anomalie  dans  un  cimetière  pro- 
testant, dit  ^Igr  Gerbet  dans  son  Esquisse  de  Rome  chrétienne. 
Elles  feraient  crier  au  papisme.  »  IMais.  elles  prouvent  en 
même  temps  que  le  papisme  est  le  cbristianisme  primitif. 
C'est  tout  ce  qu'il  nous  faut. 

En  voici  deux  qui  justifient  jusqu'an  langage  employé  par 
l'Eglise  au  chevet  des  mourants  : 


Ai:    rOlNT   DE    VUE    liE    LA    CONTROVKllSE.  195 

ZDSIME  VIVAS  IN  NOMINE  XTl. 

«  Zozirae,  puisses-tu  vivre  dans  le  nom  du  Christ.  » 

RVTA  OMNIBVS  SVBDITA  ET  AFFABIUS 
BIBET  IN  NOMINE  PEÏRÎ  IN  FACE  X. 

«  Ruta,  soumise  et  afïable  envers  tout  le  monde,  vivra  au 
nom  de  Pierre  dans  la  paix  du  Christ.  » 

VIVAS  IN  NOMINE  LAVRENTII. 

«  Puisses-tu  vivre  au  nom  de  Laurent  !  » 

«  Nous  ne  voulons  pas  rechercher  présentement,  dit  le  R. 
Spencer,  la  valeur  précise  de  ces  expressions  :  Yivas  in  no- 
mine,  soit  qu'elles  s'applicpient  au  Christ,  soit  qu'elles  s'ap- 
pliquent à  ses  Saints.  Nous  prétendons  seulement  faire  re- 
marquer que  l'Eglise,  de  nos  jours,  ne  fait  que  répéter  les 
paroles  que  nous  retrouvons  aux  Catacombes,  lorsqu'au  lit  de 
mort  de  ses  enfants,  elle  dit  à  l'âme  prête  à  s'envoler  :  «  Sors 
de  ce  monde,  âme  chrétienne,  non-seulement  au  nom  de  Dieu 
le  Pl're  tout-puissant  qui  Va  créée,  au  nom  de  Jésus-Christ  qui 
t'a  rachetée,  au  nom  de  l'Esprit-Saint  qui  fa  été  donné,  mais 
encore,  au  nom  des  saints  Apôtres  et  des  Evangélistes,  au  nom 
des  saints  Martyrs  et  des  Confesseurs,  etc.,  etc.  »  (Pages  185 
et  186). 

Arrivons  à  l'invocation  des  Saints. 

Les  premiers  chrétiens  ne  priaient  pas  seulement  pour  les 
morts  ;  ils  demandaient  aux  morts,  qu'ils  supposaient  dans 
la  gloire,  de  prier  pour  eux.  Communion  touchante  et  su- 
blime que  la  mort  n'a  pu  rompre  et  qui  fait  communiquer 
les  chrétiens  à  travers  les  mondes  ! 


196  LES   CATACOMBES   DE   ROME 

Nous  choisissons  au  hasard  parmi  les  abondants  témoi- 
gnages que  nous  avons  sous  les  yeux  : 

DOMINA'  BASSILA.  COMMENDAMUS  TIBI 

CRi^SCRNTINlJS    ET    MICINA    FI  LIA    NOSïRA 

CBESCEN...  QVE  VIXIÏ  MEN.  X.  ET  DIES... 

«  Nous  Crescentinus  et  Micina,  nous  vous  recommandons, 
ô  saint  Bazile,  notre  fille  Crescentina,  qui  a  vécu  dix  mois 
et... jours.  •) 

GENTIANVS  FIDELIS  IN  PAGE  QVI  VIX 

IT  ANNIS  XXI  MENSS  VIII  DIES 

XVI  ET  IN  ORATIONIS  TVIS 

ROGES  PRO  NOBIS  QVIA  SCIMVS  TE  IN  X. 

«  Gentianus,  fidèle  en  paix,  qui  vécut  vingt  et  un  ans, 
huit  mois  et  seize  jours,  priez  pour  nous  dans  vos  prières, 
parce  que  nous  vous  savons  (être)  dans  le  Christ.  » 

AIONYCIOG  NHniOG  AKAKOC  EN0AAE 

KEITE  META  T12N  AFIliN  MNHCKEC9E 

AE  KAl  HMQN  EN  TAIG  AlIAIC  YMiiN 

nPEYXAlG  KAI  TOT  TAY^ATOC  KAl 

rPAiiANTOG 

«  Denis,  enfant  innocent,  reposez  ici  avec  les  saints  ; 
souvenez-vous  de  nous  dans  vos  saintes  prières,  de  moi  qui 
ai  gravé  et  de  moi  qui  ai  écrit  (cette  inscription).  » 

Dans  la  crypte  du  pape  saint  Alexandre,  qui  date  de  la 


'  Les  mots  dominus  et  domina  étaient  employés  dans  les  anciennes  inscrip 
tiona  dans  le  sens  de  sanctus  ou  sancta. 


AU    rOlNT    DE    VUE    Itli    LA    C.ONTIiOVERSE.  11)7 

première  moitié  du  second  siècle,  \)rb^  du  toiabenu  de  ce  saint 
pontife,  on  lit  l'inscription  suivante,  tracée  par  Sylvina, 
sur  le  tombeau  de  sa  mère  martyre,  Sylva  : 

SEMPER  IN  CHHISTO  DEO  VIVAS,  VAH,  PETE  VAll  PETE 
PRO  SYLVINA,  ET  TV  QVOQVE  PETE  ALEXANDEH. 

«  Vis  toujours  dans  le  Christ-Dieu,  ô  Sylva.  Prie,  Sylva, 
prie  pour  Sylvina,  et  vous  aussi  priez  pour  ellC;,  Alexandre.  >» 

Enfin,  il  y  a  d'innombrables  exemples  de  cette  formule 
aussi  courte  que  significative  : 

VIVEZ  EN  PAIX,  ET  PRIEZ  POUR  NOUS. 

QUE  TON  ESPRIT   REPOSE  EN  DIEU.  PRIE  POUR  TA  SCEUR. 

PRIE  POUR  TON  ÉPOUX. 

PRIE  POUR  TES  PARENTS. 

Nous  n'en  finirions  pas  de  citer  tous  ces  vieux  témoins  de 
notre  sainte  Foi.  En  retrouvant  les  termes  mêmes,  par  les- 
quels nous  l'exprimons  aujourd'hui,  pétrifiés  sur  les  murailles 
des  catacombes,  nous  sommes  sûrs  de  son  antiquité;  en  la 
puisant  aux  âges  mêmes  où  l'Eglise  prend  sa  source,  nous 
sommes  sûrs  de  sa  pureté.  La  négation  seule  en  est  moderne. 

Pour  infirmer  ces  témoignages,  nos  adversaires  doivent 
aller  jusqu'à  prétendre  que  l'Eglise  primitive  interpréta  mal 
la  pensée  du  Christ  et  des  apôtres  ;  que  le  vrai  et  pur  chris- 
tianisme fut  une  espèce  de  mort-né  inconnu  au  monde  jusqu'à 
la  venue  de  Luther  et  la  révélation  de  Calvin  qui  l'ont  res- 
suscité. Ces  nouveaux  messies  ne  seraient  même  pas  les 
derniers  ;  car  étant  reniés  eu  grande  partie  par  leurs  Piéritiers 
actuels,  ceux-ci  seraient  les  vrais  révélateurs,  les  seuls  qu'il 
faille  écouter,  les  seuls  infaillibles.  Encore,  d'autres  peu- 
vent-ils venir  demain  abroger  leur  enseignement,  comme  ils 


198  LI^S    CATACO.MBES    DK   ROME 

ont  :vl)rog(''  celui  des  premiers  réformateurs  qui  avaient 
abrogé  celui  de  l'Eglise.  Eu  dehors  de  l'Eglise  véritable,  le 
christianisme  est  une  toile  de  Pénélope  sur  laquelle  l'ouvrier 
évangélique  d'aujourd'hui  défait  sans  cesse  le  travail  de  son 
collègue  de  la  veille. 

C'est  donc  la  plus  orgueilleuse  et  la  plus  sotte  des  inad- 
vertances de  préférer,  dans  le  christianisme,  les  opinions 
nouvelles  et  perpétuellement  changeantes  des  protestants  à 
la  foi  antique  et  immuable  de  l'Eglise  primitive.  Devant  ces 
croyances  mobiles,  toujours  provisoires,  jamais  définitives, 
le  catholique  doit  être  heureux  et  fier  des  certificats  d'origine 
que  la  science  moderne  apporte  à  son  symbole.  11  doit  être 
heureux  de  posséder  ces  nouveaux  titres  de  noblesse,  ces 
vieux  blasons  de  sa  foi  retrouvés  dans  les  catacombes.  Chaque 
pierre  tumulaire  est,  pour  lui,  le  glorieux  écusson  d'un  an- 
cêtre. La  palme  du  martyre  qui  y  est  gravée,  la  fiole  de  sang 
qu'elle  recouvre  avec  les  ossements,  sont  les  nobles  pihes  qui 
en  ornent  le  champ;  les  inscriptions  sont  les  devises.  La  cou- 
ronne seule  est  absente  de  ces  armoiries  de  l'humihté,  de  la 
foi  et  du  courage  chrétiens  ;  elle  attendait  les  héros  au  ciel , 
où  Dieu  lui-même  l'a  déposée  sur  leur  front. 

Quels  services  les  Dioclétien  n'ont-ils  pas  rendus  à  la  vé- 
rité, en  forçîint  les  chrétiens  de  leur  temps  à  reléguer  sous  la 
terre  tant  de  précieux  monuments  !  J\Iis  ainsi  à  l'abri  des  in- 
jures du  temps  et  des  révolutions  qui  agitent  sa  surfiice,  ces 
monuments  ont  été  conservés  à  l'avenir,  et  ils  apportent  au- 
jourd'hui à  la  controverse  catholique  un  auxiliaire  d'un  prix 
inestimable.  Rome,  attaquée  par  l'hérésie,  n'a  qu'à  frapper 
du  pied  la  terre  pour  en  ûiire  surgir  des  légions  de  défenseurs. 

Si  les  bornes  de  cet  article  nous  le  permettaient,  nous  par- 
lerions encore  des  peintures  et  des  sculptures  qui  attestent  la 
vénération  des  premiers  fidèles  pour  les  reliques  et  les  images. 


AU    POLM    DE    VUE    DE    LA    CU.STllÛYEnSF..  il)!) 

Nous  signalerions  les  ex-voto  offerts  :i  sainte  Agnès,  saint 
Sébastien  et  autres  J\lartyrs;  les  médailles  portant  le  inono- 
grannne  du  Christ,  que  Ton  trouve  suspendues  au  eou  de 
certains  corps.  Là  encore,  nous  nionti'erions  l'origine  antique 
et  vénérable  des  pieux  usages,  des  moindres  pratiques  ou  dé- 
votions conservées,  non  inveidées  par  nous.  Le  protestant  croit 
triompher  à  ce  propos  ;  il  se  rit  de  ces  signes  extérieurs  de 
religion;  il  croit  ou  il  dit  que  cela  remplace,  chez  nous,  le 
culte  en  esprit  et  en  vérité. 

Quand  nous  verrons  ces  ennemis  systématiques  du  symbo- 
lisme, dans  le  catholicisme,  le  blâmer  ailleurs,  il  sera  temps 
de  leur  répondre  sérieusement.  Mais  tant  que  nous  les  ver- 
rons approuver  un  bon  fils^d'attacher  du  prix  à  l'image  de  ses 
parents  qu'il  pleure,  de  la  vénérer  en  proportion  de  l'amour 
qu'il  leur  portait,  nous  ne  croirons  pas  à  la  sincérité  du  re- 
proche qu'ils  nous  adressent  avec  tant  d'affectation,  et  nous 
aurons  le  droit  de  les  taxer  d'inconséquence  ou  de  parti  pris. 

La  consécration  apportée  par  la  science  à  l'antiquité  de  nos 
croyances  nous  rappelle  les  efforts  malheureux  tentés  naguère 
par  M.  le  pasteur  Puaux  pour  assigner  à  chacune  d'elles  la 
date  de  leur  naissance.  C'était  apparemment  une  tâche  in- 
grate et  difficile  pour  tout  adversaire  de  l'Eglise  véritable; 
car  plusieurs  de  ses  confrères,  qui  se  l'était  imposée  comme 
lui,  ont  abouti  à  des  dates  fort  différentes  entre  elles  et  sur- 
tout fort  peu  d'accord  avec  les  siennes. 

M.  l'abbé  Robert,  dans  un  excellent  ouvrage,  a  relevé  la 
plus  grande  partie  des  inexactitudes  et  des  bévues  dont  four- 
mille le  «  Tableau  de  l'établissement  des  dogmes,  coutumes 
et  usages  de  l'Eglise  romaine  »  de  M.  Puaux. 

Si  cette  réfutation  sommaire  et  courtoise  ne  suffisait  pas  à 
M.  le  pasteur,  il  trouvera  encore  dans  la  Eome  souterraine 
ample  matière  à  corriger  son  malencontreux  tableau. 


200  LES    CATACOMBES   DE    nOME 

Par  exemple ,  il  fixe  au  VHP  siècle  le  commencement  du 
culte  de  la  sainte  Vierge  et  des  images.  Eh  bien  !  sans  aller 
à  Rome,  M.  Puaux  n'a  qu'à  entrer  à  la  bibliothèque  impériale 
de  Paris  et  à  demander  le  savant  ouvrage  de  M.  Perret.  Il  y 
trouvera ,  entre  autres  dessins  importants ,  la  copie  d'une 
fresque,  représentant  précisément  la  sainte  Vierge  ayant  de- 
vant elle  son  divin  Fils,  qu'elle  semble  présenter  aux  hommes. 
D'après  les  autorités  les  plus  graves,  cette  fresque  est  du  IP 
siècle.  Pour  peu  que  M.  Puaux  sache  soustraire  les  chiffres 
aussi  bien  que  les  dogmes,  il  verra  donc  qu'il  se  trompe  au 
moins  de  six  siècles  sur  huit. 

Mais  on  ne  peut  pas  plus  attribuer  à  l'auteur  de  la  fresque 
originale  l'invention  du  culte  de  la  Vierge  et  des  images  qu'on 
ne  peut  attribuer  à  Esteban  Murillo  l'invention  de  la  croyance 
à  l'Immaculée  Conception,  parce  qu'il  a  donné  ce  nom  à  l'une 
de  ses  célèbres  toiles.  Les  deux  artistes  n'ont  fait  que  tra- 
duire par  le  pinceau  une  croyance  antérieurement  existante. 
M.  Puaux  en  veut-il  la  preuve?  Nous  le  conduirons  dans  la 
catacombe  des  saints  Nérée  et  Acliillée,  vers  une  autre  fresque 
qui  remonte  au  temps  de  Domitien,  quelques  années  à  peine 
après  le  martyre  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul.  Elle  repré- 
sente encore  la  Vierge  Marie  assise  sur  un  trône,  revêtue  du 
costume  des  ricbes  matronnes  romaines  et  présentant  le  Sau- 
veur à  l'adoration  des  trois  Mages.  Nous  le  répétons,  la  date 
de  cette  peinture  est  certainement  antérieure  à  la  fin  du 
I"  siècle.  Or,  saint  Pierre  étant  mort  à  Rome  l'an  66,  M.  le 
pasteur  comprendra  que  le  culte  de  la  Vierge  et  des  images 
devait  se  pratiquer  du  temps  et  sous  les  yeux  mêmes  du  prince 
des  Apôtres.  Puis,  faisant  un  dernier  effort,  il  avouera  peut- 
être  enfin  que  ce  disciple  de  Jésus  devait  vénérer  lui-même 
la  Mère  de  son  divin  Maître.  Il  y  avait  un  précédent  céleste, 
plus  ancien  encore,  que  saint  Pierre  ne  pouvait  ignorer  et  que 


AU  FÛINT  DE  VUE  DE  LA  CONTROVERSE.  201 

jNI.  Fuînix  lie  saurait  mépriser  :  celui  de  l'Ange  qui,  de  la  part 
de  Dieu,  avait  salué  Marie  pleine  de  grâce.  Que  M.  le  pasteur 
nous  permette  de  préférer  l'exemple  de  l'Ange ,  des  Apôtres 
et  des  premiers  fidèles  à  son  opinion. 

La  vue  des  deux  fresques  qui  nous  suggèrent  ces  réflexions 
a  fait  naître  en  nous  un  désir  :  celui  d'en  voir  l'image  devenir 
populaire.  Nous  voudrions  en  voir  reproduire  par  la  litliogra- 
phie  une  réduction  pouvant  entrer  dans  les  livres  d'église. 
Par  le  sujet  lui-même ,  par  leur  date ,  leur  origine ,  elles  se- 
raient un  objet  de  piété  à  joindre  aux  belles  gravures  popu- 
laires de  Dusseldorf.  Mais  elles  auraient  surtout  l'avantage 
d'être  une  réfutation  matérielle  de  la  prétendue  nouveauté 
des  croyances  qu'elles  supposent.  Une  note  explicative,  im- 
primée au  verso,  dirait  en  quelques  mots  l'authenticité  des 
originaux.  En  parlant  à  la  fois  aux  yeux  et  à  l'esprit,  ces 
images  seraient  une  prédication  sensible,  au  moyen  de  laquelle 
les  plus  simples  seraient  prémunis  contre  l'accusation  de  nou- 
veauté qu'on  oppose  à  l'un  de  nos  dogmes  les  plus  attaqués. 

L'illustre  Cuvier  a  recomposé,  à  l'aide  des  fossiles  antédi- 
luviens, plusieurs  espèces  du  règne  animal  disparues  du 
globe.  M.  de  Rossi  recompose,  à  l'aide  des  matériaux  fournis 
par  les  catacombes,  le  symbole  catholique  aux  âges  aposto- 
liques, et  prouve  son  identité  avec  le  nôtre.  Peut-être,  des 
protestants  allant  à  Rome  chercher  les  plaisirs  du  touriste  et 
peut-être  raviver  les  haines  du  sectaire,  trouveront -ils  au 
musée  de  Latran  la  lumière  qui  éclaira  saint  Paul  sur  le  che- 
min de  Damas. 


15 


PRÉCIS 

DE   L'HISTOIRE   DE   L'ART  CHRÉTIEN 

en  France  &  en  Belgique 


ONZIÈME    ARTICLE  *. 


CHAPITRE     QUATRIÈME. 


OKIGIWE   DU   SYSTEME  OGIVAL  ' 


Le  système  ogival  ne  fut  complètement  adopté  qu'au 
XIIP  siècle.  Mais  comme  l'ogive  se  marie  au  plein  cintre 
dans  le  cours  du  XIP  siècle  et  que  nous  l'avons  déjà  vue  ap- 
paraître pendant  la  période  romane -byzantine  sur  quelques 
points  du  Nord  de  la  France,  nous  croyons  devoir  placer  ici 
quelques  réflexions  sur  l'origine  du  système  ogival. 

*  Voir  le  numéro  de  novembre  1861,  p.  564. 

'  J'ai  publié  un  Mémoire  sur  l'origine  du  système  ogival  dans  YInvestiga» 
leur,  journal  de  l'Institut  historique  (n"  d'août  1850),  et  je  l'ai  fait  tirer  à  part 
à  un  très -petit  nombre  d'exemplaires.  Ce  travail  a  été  litléralement  reproduit 
dans  le  Dictionnaire  d' Archéologie  sacrée,  publié  chez  Migne  en  1852  (t.  ii, 
p.  447  et  suiv  ),  par  M.  l'abbé  Bourassé,  sans  qu'une  simple  note  indiquât 
que  j'en  étais  l'auteur.  Reproduisant  aujourd'hui,  avec  des  modifications,  mes 
recherches  de  185U,  je  suis  obligé  de  constater  cet  oubli,  pour  qu'on  ne 
suppose  point  que  j'ai  emprunté  une  partie  de  mon  article  au  Dictionnaire 
de  M.  Bourassé  :  <  e  qui  serait  le  contrepicd  de  la  vérité.        J.  corblkt. 


riiÉcis  DE  l'uistoiue  de  l'art  chuétien.  203 

Plusieurs  archéologues  se  sont  engages  dans  une  fausse 
voie,  en  voulant  [)rouver  que  V invention  de  la  forme  ogivale 
remonte  à  tel  ou  tel  siècle  du  Moyen-Age  et  appartient  ex- 
clusivement à  telle  ou  telle  nation.  L'ogive,  considérée  dans 
son  application  à  l'architecture,  a  existé  dans  les  temps  les 
plus  reculés.  On  la  rencontre  sur  les  bords  du  Gange  et  de 
rindus,  dans  l'Asie  Mineure,  le  Mexique  et  même  dans  les 
constructions  cyclopéennes  des  Pélasges  :  mais  l'ogive,  dans 
ces  diverses  contrées,  n'était  qu'un  ornement  accessoire,  une 
figure  accidentelle,  et  non  pas  le  principe  générateur  d'un 
système  architectonique.  Le  problème  ne  consiste  donc  pas 
à  savoir  quand  fut  inventée  cette  forme  curviligne  qui  résulte 
de  deux  arcs  de  cercle,  mais  à  rechercher  les  causes  qui  mo- 
tivèrent l'admission  générale  de  cette  forme  dans  un  nouveau 
système  architectural.  Les  opinions  les  plus  contradictoires 
ont  été  émises  à  ce  sujet  :  nous  allons  reproduire  les  princi- 
pales. 

Milizia  '  et  M.  Boisserée,  en  retrouvant  dans  nos  cathé- 
drales la  grandiose  végétation  des  forêts,  s'imaginent  de  pla- 
cer le  berceau  de  l'architecture  gothique  dans  les  sombres 
forêts  qui  servaient  de  temples  aux  Germains.  L'art  se  serait 
modelé  sur  cette  sauvage  et  forte  nature  :  la  cathédrale  du 
XlIP  siècle  serait  la  forêt  qui  s'est  faite  pierre.  Mais  n'y  a- 
t-il  pas  neuf  siècles  qui  séparent  le  Franc  de  Germanie  du 
Français  du  Moyen-Age  ?  Et  d'ailleurs  le  développement  ra- 
pide de  la  civilisation  chrétienne  n'avait-il  point  élevé  d'in- 
franchissables barrières  entre  les  idées  d'alors  et  les  souvenirs 
confus  du  culte  primitif  des  Germains?  Le  système  de  Milizia 
n'est  pas  plus  soutenable  que  celui  de  Chateaubriand,  qui 
voit  le  patron  de  l'ogive  dans  la  feuille  de  palmier;  saisir  un 

*  Vie  des  Archilcctes. 


204  PRÉCIS   DE   L'illSTOIlU':    lŒ    l'art   GUaÉTIEN 

ingénieux  rapport,  ce  n'est  point  déterminer  une  origine. 

Amaury  Duval  '  avance  que  cette  architecture  qu'il  l)ap- 
tise  du  nom  de  xiloïdique  (lu/2;,  bois),  est  due  à  l'imitation 
des  églises  primitives  construites  en  bois.  Cette  hypothèse  n'a 
pas  même  pour  elle  un  vernis  de  vraisemblance.  11  suffit  de 
parcourir  les  descriptions ,  tout  incomplètes  qu'elles  soient, 
que  quelques  chroniqueurs  nous  ont  laissées  des  basiliques  en 
bois,  pour  se  convaincre  de  la  différence  radicale  qui  existe 
entre  ces  deux  gein-es  de  construction.  Qu'y  a-t-il  de  commun 
entre  un  monument  du  XIIP  siècle  et  ces  primitives  églises 
sans  voûte,  où  tout  trahit  l'art  romain  en  décadence?  Com- 
ment le  caractère  ogival  se  serait-il  déjà  manifesté  dans  ces 
antiques  monuments,  alors  que  nous  n'en  retrouvons  pas  la 
moindre  trace  dans  les  édifices  en  pierre  des  IX^  et  X"  siècles? 

Une  opinion  analogue  a  été  émise  par  James  Hall  ^,  qui 
considère  le  style  gothique  comme  une  imitation  des  premières 
chapelles  bâties  en  Angleterre  par  les  missionnaires,  avec  de 
simples  branches  entrelacées. 

Une  bien  plus  haute  antiquité  a  été  octroyée  à  cette  archi- 
tecture dans  un  Mémoire  adressé  à  l'Académie  de  Belgique 
en  1848.  L'auteur  y  avance  sérieusement  que  l'arche  de  Noë 
et  le  temple  de  Salomon. étaient  tous  deux  de  style  ogival  ^. 

Warburton  %  Wilson  et  beaucoup  d'écrivains  antérieurs 
au  XIX*  siècle,  ont  attribué  l'importation  de  cette  architec- 
ture aux  Goths,  les  moins  barbares  d'entre  les  hordes  du 
Nord  qui  envahirent  les  Gaules.  Cette  opinion  a  été  solide- 
ment réfutée  depuis  longtemps,  bien  que  l'on  ait  conservé 
cette  dénomination  impropre  de  gothique^  que  le  temps  semble 

'  France  littéraire,  t.  xvi. 

-  Essai  on  tJie  origine  of  gothic  architecture. 

^  Bulletins  de  l'Académie  royale  de  Belgique,  1848. 

*  Notes  sur  les  essais  moraux  de  Pope. 


DN    FRANCE    ET    EN    nEI.GIQUE.  205 

avoir  consacrée.  Il  est  déiiioutré  que  les  Goths  n'avaient 
nullement  le  génie  artistique;  mais  on  a  peut-être  été  troj) 
loin  en  les  considérant  comme  dominés  par  un  instinct  des- 
tructif des  beaux -arts.  Ils  ont,  il  est  vrai,  laissé  bien  des 
ruines  sur  leur  sanglant  passage,  mais  quel  est,  au  Moyen- 
Age,  le  peuple  vainqueur  qui  n'ait  point  fait  subir  aux  na- 
tions domptées  ces  tristes  conséquences  de  la  défaite  ?  Quand 
les  Gotlis  curent  affermi  leur  domination  improvisée,  ils  em- 
ployèrent les  bras  des  vaincus  à  l'érection  de  divers  monu- 
ments. Théodoric,  roi  des  Ostrogotlis,  fit  élever  des  aqueducs, 
des  thermes  et  des  palais  par  des  artistes  italiens.  Ne  doit-on 
pas  môme  reconnaître  qu'il  avait  une  certaine  compréhension 
de  l'art,  lorsqu'il  écrivait  à  son  architecte  des  conseils  que 
Louis  XÏV  n'a  pas  su  donner  aux  Perrault  et  aux  Mansard  : 
«  Censenius  ut  et  antiquain  nilorem  pristinum  conlineas  et  nova 
simili  antiqiiitate  producas,  quia  sicut  décorum  corpus  uno  con- 
venit  colore  vestiri^  ita  nitor  palatii  similis  débet  per  universa 
membra  diffundi.  »  Ne  croirait-on  pas  entendre  parler  quelque 
sage  inspecteur  de  la  Société  française  pour  la  conservation 
des  monuments  ?  » 

César  Cerasiani,  G.  Wren,  R.  Willis  '  donnent  une  origine 
sarrasine  à  l'arc  à  ogive;  mais  il  est  bien  évident  que  le  style 
mauresque  ne  renferme  aucun  des  éléments  du  style  ogival. 
Quel  air  de  famille  peut-on  constater  entre  l'arc  en  fer  à  che- 
val et  l'arc  tiers-point,  entre  la  coupole  à  minarets  et  la  fièche 
gothique  ?  Le  palais  de  l'Alhambra ,  il  est  vrai ,  nous  offre 
des  ogives  ;  mais  on  sait  que  ce  monument  ne  remonte  qu'à 
l'an  1275. 

M.  E.  Boid  voit  dans  Too^ive  une  invention  des  Arabes  ^ 


'  Remarques  sur  l'Architecture  du  Moyen  Age,   1833. 

*  Hislolre  et  Analyse  des  principaux  styles  d'architecture,  1835. 


206  PRÉCIS  DE  l'histoihe  de  l'art  chrétien 

suggérée  par  les  formes  compliquées  des  ouvrages  orientaux 
en  treillage.  Il  cite  à  l'appui  de  son  hypothèse  les  ogives  des 
monuments  de  Caboul  et  d'Ispahan  ;  mais  il  n'eu  parle  que 
par  les  descriptions  toutes  poétiques  des  auteurs  arabes  qui 
n'ont  été  confirmées  par  aucun  voyageur. 

M.  Ch.  Lenorraand  suppose  que  les  Arabes  faisaient  d'a- 
bord usage  du  mode  byzantin,  mais  que,  au  VHP  siècle, 
quand  ils  eurent  conquis  le  second  empire  des  Perses,  ils 
empruntèrent  l'architecture  des  Sassanides,  qui  était  à 
ogives  ;  que  de  là  ils  l'introduisirent  au  Caire,  puis  en  Sicile, 
au  X'  siècle,  et  que  ce  nouveau  système,  par  une  sorte  d'in- 
filtration, se  serait  répandu  dans  tout  l'Occident.  On  peut 
répondre  à  ce  savant  antiquaire  :  T  Qu'il  n'est  nullement 
prouvé  que  l'architecture  des  Sassanides  fût  ogivale  :  les 
ruines  de  ces  antiques  monuments  semblent,  au  contraire, 
démontrer  qu'ils  ont  été  construits  par  les  artistes  grecs  et 
romains  que  l'empereur  Valérien  fit  venir  en  Perse,  pendant 
sa  captivité  (239-269)  ;  2"  Qu'il  serait  étonnant,  dans  cette  hy- 
pothèse, que  les  Arabes  n'eussent  point,  pendant  leur  séjour 
en  Espagne,  introduit  l'élément  ogival  dans  les  mosquées 
mauresques;  5"  Qu'il  cite  à  l'appui  de  ses  conjectures  des 
dates  qui  sont  tout  au  moins  contestables.  Ainsi,  par  exemple, 
le  palais  de  la  Ziza,  en  Sicile,  d'après  les  recherches  de  ]\Iil- 
ner,  ne  daterait  que  de  l'an  1213.  Quand  bien  même  on  dé- 
montrerait évidemment  que  ce  monument  est  du  X"  siècle, 
on  pourrait  toujours  présumer  que  ses  ogives  ont  été  ajoutées 
à  une  époque  postérieure ,  probablement  au  XP  siècle ,  alors 
que  les  Normands  conquirent  la  Sicile.  4°  Ajoutons  avec 
M.  le  comte  de  Laborde  '  qu'on  se  trompe  en  attribuant  aux 
Arabes  un  génie  inventif  et  qu'ils  étaient  plus  habiles  à  per- 
fectionner qu'ingénieux  à  concevoir. 

'  VoyiKjc  pUlofcsqnc  en  Espagne. 


E;\    FnA.NCK    LT    EN    IIELGlyUE.  207 

Whittingtuii  ',  lord  Aberdeeii,  M.  llittorf  donnent  égale- 
ment une  origine  orientale  à  l'ogive,  dont  ils  citent  des 
exemples  dans  l'Arabie,  la  Perse  et  l'Asie- Mineure.  C'est  de 
l'Orient  qu'elle  aurait  été  rapportée  dans  nos  contrées  par  les 
pèlerins  et  les  Croisés.  Mais,  comme  l'a  observé  Milner  ^,  la 
date  des  édifices  qu'on  allègue  comme  une  preuve  concluante 
est  fort  suspecte  ;  les  monuments  à  ogive  de  la  Perse  ne  sont 
pas  antérieurs  à  Tamerlan,  et  l'on  n'en  trouve  aucun  dans  la 
Terre-Sainte.  Les  partisans  de  cette  opinion  sont  tout  au 
moins  obligés  de  convenir  que  l'ogive  orientale  diffère  beau- 
coup de  celle  de  l'Occident,  qu'elle  n'est  point  accompagnée 
de  ces  gracieux  ornements  qui  embellissent  la  nôtre  et  qu'en- 
fin l'usage  en  était  fort  rare  avant  le  XIIP  siècle. 

D'après  J.  Barry,  Payne,  Knight,  Seroux  d'Agincourt  ' 
et  M.  Quatremère  de  Quincy,  les  exemples  de  voûtes  d'arêtes, 
qui  seraient  l'origine  de  l'ogive,  se  rencontrent  dans  l'archi- 
tecture greco-romaine  des  temps  de  la  décadence,  et  le  style 
ogival  chrétien  ne  serait  qu'une  application  plus  complète  de 
cet  ancien  système. 

F.  Rehm,  J.  Carter,  Ed.  King  %  etc.,  attribuent  à  l'An- 
gleterre le  développement  primitif  de  l'architecture  à  ogives. 
Mais  l'étude  comparative  des  monuments  prouve  que  nos 
cathédrales  gothiques  sont  plus  anciennes  que  celles  de  la 
Grande-Bretagne,  où  la  lutte  du  style  circulaire  et  du  style 
à  ogive  n'apparaît  que  vers  la  fin  du  règne  de  Henri  II,  mort 
en  1189. 

Selon  M.  Parker,  d'Oxford,  c'est  à  la  race  normande  que 
serait  dû  le  style  ogival.  Les  Normands  auraient  emprunté 

'  Revue  historique  des  Antiquités  ecclésiastiques  de  la  France. 
^  Treatise  on  the  ecclesiastical  architecture  of  England. 
''  Histoire  de  V Art  par  les  Monuments . 
*  Monumcnla  anliqua,  1805. 


208  PRÉCIS  DE  l'histoire  de  l'art  chrétien 

leurs  idées  artistiques  à  tous  les  pays  qu'ils  ont  parcourus, 
à  l'Anjou,  au  Poitou,  au  Midi,  à  la  Sicile,  à  l'Orient,  et  c'est 
du  mélange  de  tous  ces  styles,  combinés  et  perfectionnés,  que 
serait  sortie  une  architecture  nouvelle. 

Vasari,  Palladio,  L.  Stieglitz,  D.Fiorillo,  Th.  Hope  ',  etc., 
font  honneur  à  l'Allemagne  de  l'invention  de  cette  architec- 
ture, qu'ils  appellent  germanique  ;  mais  il  est  constaté  que 
l'ogive  n'apparaît  en  Allemagne  que  vers  le  milieu  du 
XIP  siècle,  et  même  dans  beaucoup  de  monuments  de  cette 
époque,  on  voit  le  plein  cintre  régner  sans  partage. 

J.  Dallaway  et  R.  Smirke  "  font  venir  d'Italie  le  style  à 
ogive,  vers  l'an  1 100.  Il  est  vrai  que  l'Italie  n'est  pas  aussi 
dépourvue  de  monuments  gothiques  qu'on  l'avait  prétendu  ; 
mais  l'ogive  y  apparaît  plus  tard  qu'ailleurs,  et  les  premiers 
monuments  construits  dans  ce  système  ont  été  l'œuvre  d'ar- 
chitectes allemands. 

L'invention  de  l'ogive  a  été  attribuée  aux  Egyptiens  par 
E.  Ledwich  %  aux  Hébreux  par  E.  Lascell-es  \  aux  Lombards 
par  H.  Watton  %  aux  Normands  par  Godwin  '*,  aux  Francs- 
Maçons  par  J.  Hall  ^ 

Hallam  ^  a  développé  cette  dernière  opinion,  en  y  ajoutant 
quelques  réserves.  Il  dit  que  si  les  anciennes  archives  de 
cette  association  existaient,  elles  pourraient  jeter  du  jour 
sur  le  progrès  de  l'architecture  gothique  et  peut-être  nous  en 


*  Histoire  de  l'Arcliiteclare,  1835. 

*  Archœologia ,  t.  xv. 

'  Antiquités  de  l'Irlande. 

*  Origine  héraldique  de  l Architecture  gothique. 
^  Eléments  d' Architecture ,  1804. 

^  Vie  de  Chaucer,  1804. 

'  Essai  sur  l'Architecture  gothique . 

^  L'Europe  au  Moi/en  Age,  t.  iv,  p.  231. 


EN    FRANCK    KT   EN    KCLGIQUE.  209 

faire  connaître  l'origine.  11  croit  que  l'introduction  remar- 
quable et  presque  simultanée  de  ce  nouveau  genre  dans  toutes 
les  parties  de  l'Europe  ne  peut  s'expliquer  ni  par  les  circon- 
stances locales  ni  par  le  goût  et  le  caprice  d'une  seule  nation, 
Bentluim,  Milner  ',  M.  A.  Lenoir,  pensent  que  l'ogive  s'est 
formée  par  l'intersection  des  arceaux.  On  remarque  dans  un 
grand  nombre  de  monuments  du  XI*"  siècle  et  surtout  aux 
supports  des  corniches,  des  arcs  circulaires  qui,  en  se  croi- 


sant, produisent  naturellement  des  ogives.  Nos  ancêtres, 
frappés  de  la  beauté  de  cette  nouvelle  forme ,  l'auraieut  em- 
ployée d'abord  comme  ornement,  et,  considérant  ensuite 
qu'elle  réunissait  la  solidité  à  la  grâce,  ils  l'auraient  adoptée 
comme  élément  générateur  de  leur  architecture  ?  Avec  ce 
système  on  s'expliquerait  facilement  la  présence  simultanée 
du  cintre  et  de  l'ogive  pendant  une  longue  période,  et  le 
triomphe  définitif  de  cette  dernière  forme  dans  presque  toute 
l'Europe,  mais  à  des  époques  diiïérentes. 

CMoller  croit  que  l'intempérie  des  climats  septentrionaux 
a  nécessité  l'élévation  des  pignons  et  que  de  là  serait  provenue 
la  forme  ascendante  du  style  ogival.  On  pourrait  opposer  à 
cette  opinion  que  les  églises  de  Norwége,  de  Suède  et  de  Suisse 
ont  des  couvertures  plates,  et  que  ce  serait  surtout  dans  ces 
pays  neigeux  que  la  nécessité  dont  on  parle  aurait  dû  se  mani- 
fester. 

*  Treatise  on  arc/i.  of  England,  1811. 


^liO  PUÉCIS   J)E   LlllSTOlRE   DE    LAHT   CHRÉTIEN 

MM.  Yoiing,  Mérimée,  Bourassé  ',  VioUet-le-Duc  ^  voient 
la  principale  cause  de  l'emploi  de  l'ogive  dans  ses  propriétés 
de  résistance  et  dans  la  solidité  qu'elle  donne  aux  monuments 
à  toit  élevé.  C'est  la  voûte  d'arête  répartissant  son  poids  sur 
quatre  supports  qui  aurait  nécessité  l'emploi  de  l'ogive,  con- 
sidérée comme  système  de  construction. 

M.  A.  de  Caumout,  après  avoir  admis  que  l'inclinaison 
ogivale  a  pu  avoir  été  adoptée  pour  faciliter  l'écoulement  des 
eaux  pluviales  et  donner  par  là  plus  de  solidité  aux  édifices, 
termine  le  remarquable  chapitre  qu'il  a  écrit  sur  ce  sujet  en 
disant  que  rarcliitecture  ogivale  s'est  développée  sous  la 
triple  influence  des  conceptions  de  nos  artistes  indigènes,  des 
souvenirs  romains  et  du  goût  oriental.  Par  là  même  il  conci- 
lie ensemble  les  opinions  divergentes  de  Seroux  d'Agincourt, 
de  Bentham  et  de  M.  Ch.  Lenormand. 

M.  le  docteur  Woillez  ^  établit  que  l'apparition  de  l'ogive 
résulte  en  général  de  l'adoption  des  voûtes  à  nervures  croi- 
sées, et  que  c'est  d'abord  en  Picardie  que  ce  germe  de  l'art 
ogival  fut  fécondé  par  l'expérience. 

M.  le  docteur  Batissier  *  fait  remarquer  que  le  système 
ogival  n'est  point  sorti  d'un  seul  jet  du  cerveau  de  quelqu'ar- 
tiste;  que  l'ogive  fut  admise  d'abord  comme  élément  nouveau 
et  exceptionnel  dans  l'architecture  ;  que  son  emploi  n'a  été 
cause  d'aucune  révolution,  et  que  son  avènement  n'a  fait  que 
coïncider  avec  d'autres  innovations  importantes,  dont  le  con- 
cours simultané  était  nécessaire  pour  développer  un  nouveau 
système  d'architecture. 


'  Dictionnaire  d'Archéologie  sacrée. 

*  Dictionnaire  de  V Architecture  française,  v"  Construction. 
'  Mém.  de  la  Soc.  des  Anliq.  de  Picardie,  t.  i\',  p.  284. 
^  Histoire  de  l'.lrt  tnonnmcnbil ,  jt.  497. 


EN    TRANCF,    KT    KN    HEI.GKjdK.  211 

D'après  M.  L.  Vitct  ',  l'arcliitecture  ogivale  est  née  des 
mêmes  circonstances  et  s'est  dévelop])ée  d'après  les  mêmes 
lois  que  les  langues  et  les  institutions,  à  cette  même  épocpie. 
Son  principe  serait  dans  l'émancipation,  dans  la  liberté,  dans 
l'esprit  d'association  et  de  commune,  entin  dans  des  senti- 
ments tout  indigènes  et  tout  nationaux. 

Ce  n'est  point  un  motif  de  goût,  selon  31.  ]).  Ramée  ^,  qui 
a  fait  triompher  l'ogive.  Ce  résultat  sei'uit  dû  à  la  puissance 
de  l'art  séculier  qui,  au  XIIP  siècle,  détrôna  l'art  sacerdotal. 
Ce  serait  donc  l'influence  des  artistes  laïques,  et  surtout  des 
francs-maçons,  qui  aurait  fait  Henrir  le  nouveau  style  dans 
la  chrétienté. 

M.  Michelet  ^  a  donné  à  l'ogive  une  origine  tellement  mys- 
térieuse, qu'elle  échappe  à  l'appréciation  du  simple  vulgaire. 
«  Dans  le  triangle  ogival,  dit-il,  deux  lignes  sont  courbes, 
c'est-à-dire  composées  d'une  infinité  de  lignes  droites  (??). 
Cette  aspiration  commune  de  lignes  infinies  en  nombre, 
qui  est  le  mystère  de  l'ogive,  apparaît  dans  l'Inde  et  la 
Perse  ;  elle  domine  dans  notre  Occident  au  Moyen-Age.  Aux 
deux  bouts  du  monde,  se  présente  l'effort  de  l'infini  vers  l'in- 
fini (??),  autrement  dit  la  tendance  universelle,  catholique.  » 

S'il  nous  était  permis,  après  ces  diverses  autorités,  d'ex- 
primer notre  opinion  personnelle,  nous  la  résumerions  ainsi  : 

1°  L'arcliitecture  gothique  ne  nous  est  point  venue  de  l'O- 
rient. Quand  bien  même  on  admettrait  que  les  Arabes  aient 
connu  l'ogive  avant  nous,  les  rares  monuments  où  elle  appa- 
raît n'étaient  pas  assez  remarquables  pour  exercer  une  in- 
fluence quelconque  sur  l'esprit  des  pèlerins  et  des  Croisés  qui 
les  avaient  visités. 

'  Monographie  de  Notre-Dame  de  Nuyon. 

'  Manuel  de  V Histoire  générale  de  l'.Irchitecliire. 

*  Histoire  de  France,  t.  n,  p    668. 


212  TRÉCIS   DE   l'histoire   DE   l'aRT   CHRÉTIEN. 

2"  Le  système  ogival  est  un  produit  fiutochthoiie  de  l'Oc- 
cident. Il  a  eu  tout  à  la  fois  des  causes  morales  dans  le  besoin 
d'innovations  qui  travailla  le  XIP  siècle  et  dans  les  ardentes 
inspirations  de  la  Foi;  et  des  causes  purement  matérielles 
dans  l'utilité  de  l'arc  brisé  pour  la  solidité  des  édifices,  dans 
la  tendance  à  exhausser  de  plus  en  plus  les  monuments,  dans 
l'élévation  des  voûtes  à  nervures  croisées,  etc. 

5°  L'arc  ogival,  se  produisant  chez  nous  plutôt  qu'en  An- 
gleterre, en  Allemagne,  en  Italie,  etc.,  doit  être  considéré 
comme  une  innovation  française. 

-i"  Les  premières  manifestations  de  l'ogive  apparaissent  en 
Picardie  et  dans  les  provinces  avoisinantes.  Nous  serions 
donc  en  droit  de  réclamer  pour  la  Picardie  l'invention  du 
système  ogival  ;  mais  nous  n'insisterons  pas  sur  ce  sujet,  dans 
la  crainte  de  nous  faire  accuser  d'un  patriotisme  trop  exclusif 
en  plaçant  dans  notre  province  natale  le  berceau  de  l'archi- 
tecture gothique,  comme  nous  y  avons  déjà  placé  dans  un 
autre  travail  '  le  berceau  de  la  langue  française. 

J.  CORBLET. 


*  Glossaire  étymologique  et  comparatif  du  patois  picard,  précédé  de  re- 
cherches historiques  sur  le  Dialecte  romano-picard. 


HISTOIRE  DE  S.  JACQUES  LE  MAJEUR 
et  du  Pèlerinage  de  Compostelle- 


Tout  travail  littéraire  a  son  origine  propre  :  les  uns  ra- 
content ce  qu'ils  ont  vu,  les  autres  ce  qu'ils  ont  pensé.  Les 
vrais  travailleurs  de  la  pensée  sont  rares  ;  mais  les  touristes 
abondent  sous  toutes  les  zones.  J'ai  voulu,  moi  aussi,  goûter 
des  voyages;  j'ai  couru  sur  terre  et  sur  mer;  j'ai  vu,  j'ai 
contemplé  et  j'ai  tâclié  de  retenir.  Compostelle  est  un  de  mes 
souvenirs  les  plus  chers  ;  Compostelle  !  immortel  pèlerinage, 
que  nos  pères  du  bon  vieux  temps  connaissaient  mieux  que 
nous.  Que  de  choses  nous  aurions  dû  conserver,  qui  sont 
tombées  par  notre  indifférence  ou  notre  relâchement  î 

Ce  que  tant  d'illustres  écrivains  ont  exécuté  pour  Home  et 
Jérusalem  avec  la  double  autorité  du  savoir  et  du  génie,  je 
veux  le  tenter,  avec  le  seul  mérite  du  bon  vouloir,  au  profit 
de  Compostelle.  Je  ne  rougis  point  d'ofïrir  à  des  contemporains 
préoccupés  d'autres  soucis  l'histoire  dont  mon  œuvre  porte  le 
titre.  Ceux  qui  dédaigneront  cet  opuscule  comptent  peut-être 
parmi  leurs  ancêtres  quelque  pèlerin  de  Saint- Jacques.  Tel 
qui  sourit  à  ce  mot  de  pèlerin,  le  sera  peut-être  un  jour  lui- 
même  ;  un  revers ,  une  déception ,  un  retour  providentiel  à 


2U  PÈLERIN  AGE    DE   COMPOSTELLE. 

des  idées  (Vid^ord  combattues,  }>uis  acceptées  avec  enthou- 
siasme, suffisent  pour  conduire  au  pied  des  autels  où  tant 
d'autres  ont  prié  et  pleuré.  Les  mobilités  du  cœur  humain, 
aujourd'hui  mauvais,  demain  repentant,  font  tout  espérer, 
comme  elles  font  tout  craindre. 

■  J'écris  donc  })0ur  tous,  même  pour  les  esprits  forts,  qui 
me  refuseront  jusqu'à  leur  pitié;  pour  les  amis  de  l'histoire, 
que  toutes  les  questions  du  passé  intéressent;  pour  les  amis 
des  légendes  et  du  merveilleux,  qui  trouveront  en  Espagne 
des  récits  aussi  curieux  qu'en  Belgique  et  en  Allemagne  ; 
pour  les  amis  de  l'hagiographie,  pour  toutes  les  âmes  chré- 
tiennes, qui  étudieront  avec  moi  quelques-uns  des  person- 
nages évangéliques  et  les  pèlerins  canonisés  ou  vénérés  qui 
ont  représenté  leur  siècle  auprès  d'un  tombeau  aujourd'hui 
trop  solitaire.  J'écris  aussi  pour  les  archéologues,  à  qui  je 
révélerai  des  merveilles  qui  ne  sont  pas  même  soupçonnées. 
J'écris  pour  mon  pays,  que  tant  de  liens  unissent  à  la  pé- 
ninsule Ibérique  ;  les  pèlerinages  avaient  abaissé  les  Pyrénées 
et  ouvert  de  nombreux  passages  à  la  France  sur  le  chemin  de 
la  Galice  ;  de  nombreuses  pages  de  mon  travail  prouveront 
la  vieille  amitié  de  la  fille  aînée  de  V église  et  du  royaume 
catholique.  J'écris  enfin  pour  l'Espagne,  pour  ce  beau  pays 
si  justement  fier  de  ses  traditions  ;  je  lui  dois  plus  qu'une 
aimable  hospitalité  de  quelques  jours;  je  lui  dois  des  impres- 
sions bienheureuses,  des  jouissances  du  cœur  et  de  l'esprit. 
Je  me  hâte  de  le  proclamer  et  je  veux  payer  au  moins  une 
partie  de  ma  dette  chérie  en  déposant  auprès  du  tombeau, 
qui  fut  et  qui  sera  son  palladium  et  sa  gloire,  l'humble  hom- 
mage de  ma  reconnaissance  et  de  mon  opuscule. 

Pardonnez-moi,  chers  lecteurs,  de  vous  entretenir  encore 
de  ma  personne.  La  justification  du  plan  que  j'ai  adopté, 
m'en  fait  un  devoir.  Enfant  de  la  Gironde,  habitant  de  P)or- 


PÈLERINAGE    HE    COMI'OSTELLE.  21 T) 

(leaux,  j'avais  devant  moi  les  deux  voies  qui  couduiseut  en 
Galice,  la  mer  et  les  montagnes.  Mon  aller  s'est  effectué  ])ar 
l'Océan,  grâce  au  service  transatlantique  créé  récemment,  et 
mon  retour  par  terre;  double  voyage  très- varié,  de  Bordeaux 
à  Compostelle  et  de  Compostelle  à  Bordeaux,  durant  lequel 
je  serai  votre  guide,  si  vous  daignez  m'honorer  de  quelque 
confiance.  C'est  une  Odyssée  chrétienne  que  je  vous  propose. 
Aventureuse  ou  non,  elle  est  trop  pittoresque  pour  n'être 
pas  du  goût  de  ceux-là  même  à  qui  un  motif  religieux  ne 
saurait  suffire.  Partons  et  allons  solliciter  des  Galiciens  une 
hospitalité  bienveillante  en  échange  des  secours  que  le  dio- 
cèse de  Bordeaux  leur  a  envoyés^,  dans  leur  détresse,  en  1853. 

CHAPITRE  PREMIER. 

ITINÉltAIRE  DE   BOUUKAUX   A    COMPOSTELLE. 

Quand  nos  ancêtres,  surtout  ceux  du  Midi  de  la  France, 
choisissaient  la  voie  de  mer  pour  abréger  leur  pèlerinage,  ils 
s'embarquaient  d'ordinaire  à  Bayonne  ou  au  Cap -Breton.  Le 
bâtiment,  grand  ou  petit,  bon  ou  mauvais,  qui  les  portait, 
les  déposait  plus  ou  moins  tardivement  à  la  Corogne,  à  Vigo 
ou  sur  une  côte  quelconque  de  la  Galice.  Natures  ardentes  et 
généreuses,  ils  comptaient  pour  peu  les  ennuis  et  les  dangers 
d'une  traversée  incertaine;  tout  s'oubliait  au  terme  du  pè- 
lerinage. 

Plus  heureux  que  nos  pères  avec  moins  de  mérite,  nous 
mettrons  à  profit  la  vapeur,  ce  progrès  féerique  de  la  navi- 
gation au  XIX®  siècle,  et  nous  trouverons  dans  l'antique 
port  de  la  lune  de  Bordeaux  ce  que  nous  chercherions  vaine- 
ment ailleurs.  Nous  voulons  parler  du  service  mensuel  établi 
depuis  peu  de  temps  entre  Bordeaux  et  Rio-Janeiro  ;  service 


216  PÈLERINAGE   DU   COMl'OSTELLE. 

éminemment  ntilc  non-sciilcment  un  commerce,  mais  encore 
à  la  piété  chrétienne  et  aux  pèlerinages;  car  de  Lisbonne,  où 
les  pacpiebots  font  leur  première  station  trois  jours  après  leur 
départ  de  la  capitale  de  la  Guienne,  il  est  facile  de  se  rendre 
à  Compostelle. 

Partons  avec  joie,  cliers  lecteurs  ;  les  peuples  cpie  nous 
allons  visiter,  sont  nos  frères.  De  même  que  la  Galatie  d'Asie, 
le  Portugal  et  la  Galice,  en  Europe,  ont  été  peuplés  primi- 
tivement par  des  colonies  de  Celtes  ou  Galls  ;  nos  ancêtres 
étaient  un  peu  cosmopolites  ;  ne  le  sommes-nous  pas  nous- 
mêmes  par  la  frécpience  et  la  rapidité  de  nos  communications  ? 
Partons,  le  ciel  lui-même  nous  invite  à  lever  l'ancre;  car 
il  a  été  dit  depuis  longtemps  : 

Rouge  vesp?'e  et  blanc  matin 
Réjouissent  le  pèlerin. 

Le  bourdon  et  l'escarcelle  ont  toujours  été  la  marque  par- 
ticulière des  pèlerins,  ou,  comme  parle  Gruillaume  de  Malmes- 
bury,  le  soulagement  et  Vindice  du  voyageur  * .  Munis  de  ces 
deux  indispensables  compagnons  de  la  route ,  entonnons  le 
chant  des  pèlerins  : 

Écoutez-nous,  roi  Christ, 
Écoutez-nous,  Seigneur, 
Et  dirigez  notre  voie  *. 

Et  voguons  sous  la  garde  de  saint  Raphaël ,  protecteur  des 

*  Solatin  et  indicia  itineris. 

-  Audi  nos,  Rex  Chiistc, 
Audi  nos,  Domine, 
Et  viam  nostram  dirige. 
Poésies  populaires  latines  du  Moyen  Aye,  pai'  M.  Édélestais'i;  du  Méril. 
Palis,  1817,  Y   56.  — Voir  la  suite  dans  les  deux  pages  suivantes  de  l'ouvrage. 


rKLKUlNAUK   LK   COAirO.STELLK.  217 

lointaines  pérégrinations.  Le  Galicien.,  nne  des  caravelles  de 
Christophe  Colomb  à  son  cpiatrièrae  voyage,  fut  perce  à  jour 
par  les  tarières  '  ;  que  l'Ange  du  Seigneur  préserve  des  tarières 
et  des  naufrages  les  Messageries  impériales  h  qui  nous  aban- 
donnons pour  trois  jours  notre  existence.  Rapides  comme 
l'aile  de  l'hirondelle,  exacts  comme  le  soleil,  les  paquebots 
transatlantiques^  véritables  traits  d'union  entre  l'ancien  et  le 
nouveau  monde,  se  balancent  sur  l'élément  liquide  avec  une 
majesté  et  une  placidité  qui  semblent  défier  les  orages.  Si  le 
sort  nous  favorise,  la  Guienne,  la  chère  Guiemie  sera  la  dépo- 
sitaire de  notre  personne  et  de  notre  fortune.  Grâce  à  son 
nom,  notre  orgueil  provincial  nous  fera  croire  que  nous 
sommes  encore  chez  nous,  même  quand  nous  n'apercevrons 
plus  la  Garonne,  la  Gironde  et  le  golfe  de  Gascogne.  Causer, 
lire,  jouer,  méditer,  tout  est  possible  abord,  à  moins  qu'un 
mal  toujours  redouté,  presque  toujours  inévitable,  rarement 
dangereux,  ne  vous  tienne  captif  dans  une  chambrette  déco- 
rée du  nom  de  cabine. 

Les  berlingues.,  îlots  portugais,  que  nous  saluons  du  regard 
et  de  la  main,  nous  font  pressentir  le  Tage  et  Lisbonne.  Nous 
voici  à  la  barre  du  fleuve  ;  Belem  se  présente  avec  sa  forte- 
resse-miniature et  son  église  mauresque  ;  encore  quelques  mi- 
nutes, la  machine  s'arrête;  la  ville  d'Ulysse  est  devant  nous, 
ville  toute  blanche,  toute  neuve,  qu'on  ne  devrait  voir  que  de 
loin  ;  ceux  qui  ont  fait  le  tour  du  globe,  classent  son  port 
parmi  les  quatre  plus  beaux  de  l'univers.  Ne  serait -il  pas 
encore  plus  ravissant,  si  tout  notre  littoral  océanique  lui  ex- 
pédiait de  plus  nombreux  bâtiments  ? 

Si  quelque  chose  a  disparu  de  votre  bazar  de  voyage,  sou- 
venez-vous que  vous  foulez  le  sol  qui  a  vu  naître  saint  Antoine 

'  Christophe  CoJomh,  par  Rosklt.y  de  Lougi'Es,  t  ir,  p.  257. 

TOME    VI.  16. 


218  lÈLEl^INAGF,    DE    COMFOSTELLE. 

de  Padoiie  et  allez  l'invoquer  dans  l'église  érigée,  sous  son 
vocable,  au-dessus  de  l'appartement  oii  il  vint  au  monde. 

Hâtons-nous,  reprenons  la  mer  à  bord  de  la  Liisitanie.  Dieu 
aidant,  nous  serons  dans  quinze  heures  en  présence  de  Porto, 
plus  célèbre  pour  ses  vins  que  pour  ses  monuments.  C'est  le 
Bordeaux  du  Portugal.  Un  roi  des  temps  modernes  est  allé 
expier  dans  ses  murs  un  rêve  malheureux.  Son  tombeau,  peu 
connu  de  l'Europe,  couronne  une  montagne  au-delà  du  Douro, 
près  de  l'embouchure  de  ce  fleuve,  et  une  place  qui  porte  au- 
jourd'hui son  nom,  Praca  de  Carlos  Alberto^  rappelle  au  tou- 
riste et  au  penseur  des  calamités  qui  durent  encore  et  dont 
ce  prince  a  été  une  des  premières  victimes. 

Braga  est  sur  notre  route.  Son  calvaire  du  Bom  Jésus  de 
Monte  est  justement  célèbre  ;  mais  un  double  souvenir  d'un 
autre  genre  y  intéresse  le  pèlerin  de  Saint-Jacques  et  le  Fran- 
çais. Cette  ville  doit  à  l'Apôtre  de  l'Espagne  et  du  Portugal 
son  premier  évêque  et  peut-être  son  premier  martyr,  saint 
Pierre,  dont  le  Martyrologe  Romain  et  les  Bollandistes  lixent 
la  fête  au  26  avril.  Vers  la  fin  du  XP  siècle,  un  noble  enfant 
du  Quercy;,  un  illustre  Bénédictin  de  l'abbaye  de  Moissac, 
connu  dans  l'histoire  soug  le  nom  et  la  qualification  de  saint 
Gérault^  fut  amené  de  Moissac  par  Bernard,  primat  de  To- 
lède, qui  le  fit  chantre  de  sa  cathédrale  et  ensuite  archevêque 
de  Braga.  Après  avoir  évangélisé  ce  pays,  il  termina  sa  car- 
rière en  1109.  Le  Martyrologe  de  saint  Benoit  place  sa  fête 
au  5  décembre.  Sa  vie  a  été  écrite  par  Jean  Maldonat,  cité 
par  François  Harseus  en  son  Epitome. 

Au  XVr  siècle,  l'église  de  Braga  fut  gouvernée  par  un 
pieux  dominicain,  Barthélémy  des  Martyrs,  qu'elle  n'a  pas 
encore  oublié. 

Braga  fut  jusqu'au  XIIP  siècle  la  rivale  de  Compostelle 
et  lui  disputa  la  juridiction  sur  quelques  évêchés. 


PKLEIUNAUE    UE    COWFOSTELLE.  219 

Nous  sommes  trop  pressés  pour  nous  arrêter  à  Barcellos  et 
à  Viana-,  arrivons  à  Caininha.  Ici  finit  le  Portugal;  ne  m'en 
veuillez  pas  de  vous  avoir  promenés  dans  ce  pays  lointain  ; 
c'est  une  terre  favorisée  du  ciel,  vrai  paradis  de  l'Europe.  Un 
de  ces  proverbes  hyperboliques  (pii  durent  autant  (pie  l'his- 
toire, est  conçu  en  ces  termes  :  Dieu  fil  le  Portugal  et  se  reposa. 

Nous  allons  changer  de  pays,  mais  non  pas  entièrement  de 
langage.  Le  Portugais  s'est  formé  du  Gallego,  l'idiome  d'Al- 
phonse X,  que  le  peuple,  opiniâtre  là  comme  ailleurs;,  s'ob- 
stine à  parler  presque  exclusivement. 

Un  petit  Heuve  très-paciiique,  le  Minho,  sépare  le  Portugal 
et  la  Galice.  Si  le  souffle  d'un  vent  favorable  se  joint  à  l'im- 
pulsion de  la  rame,  nous  aborderons  dans  quelques  heures  à 
Tuy^  ville  forte  qui,  du  haut  de  la  montagne  où  elle  est  assise, 
menace  de  l'autre  côté  du  fleuve  la  ville  portugaise  de  Valence. 
Réglons  nos  comptes  le  mieux  possible  avec  la  douane  et  la 
police  du  royaume  d'Espagne,  où  nous  venons  d'entrer,  et  re- 
commandons-nous à  l'apôtre  et  au  patron  de  ce  pays  encore 
aujourd'hui  si  chrétien. 

Nous  voici  en  Galice;  ne  foulons  qu'avec  respect  un  sol  où 
tant  de  pèlerins  ont  laissé  l'empreinte  vénérée  de  leurs  pieds. 
Encore  quelques  stations  à  travers  des  routes  bordées  de  cet 
utile  maïs,  zea  maïs,  que  les  gens  de  nos  campagnes  ne  con- 
naissent guère  que  sous  le  nom  de  blé  d'Espagne;  encore  un 
peu  de  patience ,  quand  nous  rencontrerons  ces  lentes  cara- 
vanes de  chars  rustiques  dont  les  essieux  criards  font  gémir 
les  airs  et  les  oreilles  par  les  notes  les  plus  aiguës  et  les  plus 
discordantes.  Ce  bruit  s'entend  d'une  demi-lieue  et  ne  déplait 
pas  aux  naturels  du  pays.  Ils  ont  ainsi  un  instrument  de  mu- 
sique qui  ne  leur  coûte  rien  et  qui  joue  de  lui-même,  tout 
seul,  tant  que  la  route  dure.  A  l'agrément  se  joint  l'utilité  : 
ce  bruit  perçant  et  continu  avertit  les  bouviers  qui  cheminent 


220  PÈLEKINAGË    UE    CO.MrOSTELLfc:. 

en  sens  contraire  dans  des  sentiers  trop  étroits  où  ils  ne 
pourraient  se  croiser,  de  s'arrêter  assez  tôt  pour  laisser 
passer  celui  qui  est  le  plus  proche  de  l'issue  du  sentier.  Les 
consolations  qui  nous  attendent,  seront  mieux  goûtées  après 
quelques  fatigues,  quelques  ennuis  et  quelques  terreurs  plus 
ou  moins  cliimériques.  La  petite  cité  de  Purrino  n'est  at- 
trayante ni  par  son  nom,  ni  par  sa  physionomie,  et  ne  mérite 
pas  la  moindre  halte  ;  allons  nous  reposer  quelques  heures  à 
Vigo  sur  les  bords  d'une  baie  incomparable,  d'où  les  bâti- 
ments qu'elle  a  abrités  peuvent  gagner  l'Océan  par  deux 
issues  également  sûres. 

Avançons ,  avançons  vers  le  terme  désiré  de  notre  voyage , 
vers  Compostelle.  Une  petite  ville,  el  Padron,  qui  est  sur 
notre  chemin,  doit  fixer  notre  attention.  Son  nom  a  une  rai- 
son d'être,  dont  nous  dirons  plus  tard  l'origine. 

Gravissons  cette  montagne;  c'est  la  Montagne  de  Sai?it- 
Marc,  Monte  de  san  Marcos.  Jadis  les  pèlerins  l'appelaient  la 
Montagne  de  la  joie  ^  Monte  del  gozo,  parce  que  de  sa  cime 
élevée  ils  apercevaient  pour  la  première  fois  le  pieux  objet  de 
leurs  désirs  et  dès  ce  moment  livraient  leur  cœur  à  la  plus 
douce  joie.  Mais  l'esprit  de  pénitence  tempérait  ces  premiers 
transports.  Avant  d'aller  plus  loin,  ils  se  prosternaient,  et  le 
point  de  la  montagne  qu'ils  touchaient  de  leur  front  incliné 
dans  la  poussière,  s'appelait  le  lieu  de  r/iiwii  liât  ion,  el  humil- 
ladoiro. 

Compostelle  nous  apparaît  dans  le  lointain;  ce  n'est  pas  un 
mirage  mensonger,  mais  une  consolante  réalité.  Salut,  ville 
chérie  !  Je  n'ai  point  encore  sillonné  tes  rues,  je  n'ai  point 
encore  visité  tes  monuments;  mais  déjà  tu  es  plus  belle  à  mes 
yeux  que  tant  de  splendides  capitales.  Un  tombeau  m'attire 
dans  tes  murs  ;  c'est  à  l'ombre  de  ce  tombeau  que  je  veux 
prier.  Combien  d'autres  l'ont  fait  avant  moi  !  Les  uns  ont 


PÈLERINAGE  DE   COMPOSTE LLE.  221 

humilié  leur  pourpre  royale  devant  ce  marbre  sans  épitaphe 
et  ont  tâché  d'y  expier  les  séductions  et  les  faiblesses  du  pou- 
voir. Les  autreSj,  pauvres  volontaires  ou  résignés,  coupables 
ou  craignant  de  l'être,  ont  trouvé  sur  les  mêmes  dalles  la  paix 
du  cœur  dans  les  larmes  de  la  pénitence  ;  la  date  de  leur 
pèlerinage  a  été  celle  d'une  vie  nouvelle  et  de  jours  plus  se- 
reins.  Que  de  bonheur  caché  sous  leurs  grossiers  camails  à 
coquilles  î  Que  de  récits  pour  les  soirées  du  village  ! 

Les  temps  sont  changés  ;  les  voyages  autour  du  monde  et 
les  vulgaires  trains  de  plaisir  ont  remplacé  les  pèlerinages;  un 
nouveau  courant  d'idées  et  d'affections  circule  dans  la  société; 
des  besoins  nouveaux,  fébriles,  insatiables  tourmententune  gé- 
nération nouvelle  qu'on  dirait  sans  ancêtres;  mais  qu'importe? 
Un  pèlerin  de  Saint-Jacques,  un  Jacopite  ' ,  si  tard  venu  qu'il 
soit  au  XIX"  siècle,  n'en  est  pas  moins  le  successeur  de  plu- 
sieurs générations  de  chrétiens  au  même  tombeau  ;  il  renoue 
le  fil  de  nos  traditions  nationales,  et  à  ce  titre  il  aspire  au 
respect  de  ses  contemporains,  sans  aucun  souci  des  sarcasmes 
du  scepticisme  ou  de  l'ignorance. 

'  Les  pèleiinagos  étaient  si  communs  pendant  le  Moyen  Age,  qu'on  dut 
créer  un  mot  particulier  pour  exprimer  chaque  espèce  différente  Les  pèlerins 
delà  Terre-Sainte,  avant  de  letourner  dans  leur  pays,  coupaient  des  branches 
de  palmier  qu'ils  emportaient  conmie  un  témoignage  de  raccomplissement  de 
leur  vœu.  De  là  le  nom  de  iJaîmarii,  j^almatl,  pulmiçjeri,  par  lequel  on  les 
désignait  Notre  langue  a  conservé  le  vieux  mot  de  Paumiers,  qu'on  trouve 
dans  nos  anciens  poètes.  Raymond  de  Plaisance  et  Foulques  d'Anjou  furent 
surnommés  Palmiers.  Ce  surnom  est  devenu  le  nom  propre  de  quelques  fa- 
milles qui  le  portent  encore  aujourd'hui.  —  Les  pèlerins  de  Rome  étaient 
appelés  Romei ,  de  là  l'origine  des  noms  Romieu,  Roumieu  de  certaines  fa- 
milles. —  Les  pèlerins  de  Compostelle  s'appelaient  Peregrini  ;  de  là  les  noms 
de  Pèregrin,  Pèlegrin  qui  appartient  encore  aujourd'hui  à  certaines  familles. 
{Poésies  populaires  latines  antérieures  au  XI I^  siècle,  par  M.  Edélestand 
DC  MÉR1I-.  Paris,  1843,  p.  191).  Les  derniers  étaient  encore  appelés  Jacobitœ 
ou  Jacobipetœ,  pèlerins  de  suint  Jacques.  [Glossaire  de  Ducange.) 


222  PÈLERINAGE   DE   COMPOSTELLE. 

Dieu  soit  loué  !  Nous  voici  à  Composteile,  Qu'est-ce  donc 
que  cette  ville,  célèbre  dans  tout  l'univers  chrétien  ?  Son 
histoire  et  su  gloire  ne  sont  autres  que  celle  de  l'apôtre,  dont 
la  Providence  lui  a  confié  les  immortelles  reliques.  Que  de 
cités  qui  doivent  leur  nom,  leur  grandeur,  leur  prospérité  au 
passage  de  quelque  serviteur  de  Dieu  ou  au  culte  de  leur  dé- 
pouille mortelle  ? 

l'abbé  pardiac. 

[I.a  suite  à  un  prochain  numéro.) 


ANCIENS  DESSINS  DE  CHANDELIERS 


M.  l'abbé  Corblet  a  publié  dans  le  volume  de  4859  de  la  Revue 
une  notice  très  développée  sur  les  chandeliers  et  sur  l'origine  de 
ces  instruments  du  culte.  La  publication  de  ce  savant  travail  nous 
dispense  de  faire  l'historique  des  chandeliers  en  usage  dans  les 
églises.  Nous  nous  bornerons  donc  dans  cette  courte  note  à  mettre 
sous  les  yeux  des  lecteurs  trois  dessins  de  chandeliers  calqués  sur 
des  vignettes  de  manuscrits,  et  un  autre  dessiné  d'après  une  cise- 
lure en  style  roman,  qui  figure  au  Musée  royal  de  Belgique.  Ce 
chandelier,  très-simple  de  forme,  est  tenu  par  un  ange  qui  occupe 
le  haut  d'un  des  volets  ou  battants  de  ce  magnifique  reliquaire  en 
vermeil  [fig.  \).  Le  second  {fig.  2)  est  calqué  sur  une  vignette  de 


1.  2. 

l'époque  romane.  Il  est  placé  sur  un  autel,  en  partie  visible^  près 


224 


DESSINS   UE   CHANDELIERS. 


du  calice  donl  se  sert  l'oliiciaiit.  Ce  chandelier,  d'une  forme  Irappue, 
supporte  une  chandelle  ou  bougie  enlacée  d'une  bande  tournée  en 
spirale.  Le  petit  chandelier  que  leprésente  la   figure  3  porte  une 


'Wi 


V- 


V 


torche  dont  la  pointe  serpente  du  côté  gauche.  La  figwe  4  est  éga- 
lement un  chandelier  de  l'époque  ogivale  ;  il  ressemble  beaucoup 
au  précédent,  excepté  que  le  pied  et  la  bobèche  en  sont  plus  déve- 
loppés et  que  le  nœud  qui  est  au  milieu  du  pied,  au  lieu  d'"être 
orné  de  moulures,  est  formé  d'une  simple  boule.  Ce  chandelier  est 
surmonté  d'un  cierge  allumé.  L'usage  des  chandeliers  en  métal  est 
très-ancien,  comme  cela  est  démontré  dans  le  travail  de  M.  l'abbé 
Corblet,  et  il  est  bien  à  regretter  que  le  clergé  admette,  de  nos  jours, 
sur  les  autels,  des  chandeliers  en  bois,  comme  cela  se  voit  à  la  cha- 
pelle du  Saint-Sacrement  de  Saiute-Gudule  à  Bruxelles.  On  donne 
ainsi  un  aspect  sombre  au  reste  des  ornements,  tandis  que  le  métal 
reflète  son  éclat  sur  l'ensemble  de  l'autel. 


ARNAUD  SCHAEPKENS. 


REVUE  DE  L'ART   CHRETIEN   1862 , 


W 


00 


CD 

CD 


CTJ 
07 


MONUMENTS  CHRÉTIENS  PRIMITIFS 
à  Marseille ' 


SIXIÈME    ARTICLK    *. 


SARCOPHAGE  N"  0  :  JÉSUS  ENFANT  GLORIFIÉ 

Ce  sarcophage  a  renfermé  pendant  plusieurs  siècles  les 
ossements  du  saint  abbé  Cassien;  mais  on  se  convaincra  sans 
peine,  en  mesurant  ses  faibles  dimensions,  qu'il  n'a  pas  été 
construit  pour  servir  de  première  sépulture  au  célèbre  fon- 
dateur de  l'abbaye  de  Saint- Victor  :  sa  longueur  à  l'intérieur 
ne  porte  que  1""20.  L'artiste  chrétien  l'avait  donc  destiné  à 
recevoir  la  dépouille  d'un  enfant.  (Voir  la  planche  ci-jointe. J 

L'historien  de  Marseille  nous  apprend  que  ce  sarcophage 
reposait  de  son  temps  sur  quatre  colonnes  de  marbre  ' .  D'a- 
près son  dessin,  les  colonnes  soutenaient  un  entablement 
détaché  du  monument  supérieur.  Ne  serait-il  pas  permis  d'y 
voir  un  ancien  autel  que  les  moines  auraient  transformé  en 


*  Voir  le  numéro  de  janvier  1862,  p.' 5. 
'  RiFrr,  t.  II,  126. 

TOME  Yi.  Mai  1862.  17. 


22G  MONUMENTS  CHRÉTIENS   PRIMITIFS 

mausolée,  à  l'époque  du  moyen-âge  où  l'on  commença  à 
exhausser  de  la  sorte  les  sépulcres  de  quelques  saints  dis- 
tingués '  ? 

La  table  de  marbre  et  les  colonnettes  n'ont  pas  été  re- 
trouvées parmi  les  débris  antiques  recueillis  dans  le  souter- 
rain marseillais. 

Plusieurs  interprétations  ont  été  données  à  ce  bas-relief 
chrétien  :  l'archéologue  Saint-Vincent  reconnaît  le  Sauveur 
au  centre  du  tableau  ;  à  ses  côtés  seraient  les  apôtres  Pierre 
et  Paul,  en  leur  qualité  de  patrons  de  l'abbaye;  quant  à 
l'enfant  porté  sur  les  bras  de  son  père ,  il  serait  offert  par 
ses  parents  au  monastère,  pour  l'y  faire  élever  ;  le  personnage 
debout,  le  plus  à  droite,  serait  l'abbé  Cassien  lui-même  ^. 

Au  reste,  Saint-Vincent  attribue  cette  explication  au 
savant  Le  Fournier,  moine  de  Saint- Victor  au  XVIIP  siècle. 

Grosson  a  adopté  l'opinion  des  deux  précédents  anti- 
quaires, en  faisant  remarquer  pour  sa  part  que  «  dans  le  cos- 
tume ancien  les  vêtements  des  moines  étaient  la  tunique 
et  la  chlamyde  '.  » 

Millin  a  interprété  différemment  le  groupe  de  la  dernière 
arcade  de  gauche  :   «  Persuadé  que  cette  tombe  chrétienne 

'  On  s'éloignait  alors  des  usages  primitifs.  En  effet,  dans  les  siècles  pré 
cédents,  les  ossements  des  Saints  avaient  été  invariablement  placés  sous  les 
autels  (Selvaggio,  Antiq.  Christ.,  t.  m,  375),  conformément  à  la  vision  de 
saint  Jean  :  Vidi  sub  altare  Del  animas  interfectorum,  Apoc,  vj.  Le  fait  est 
confirmé  par  le  poète  Prudence,  dans  ces  vers  trop  peu  poétiques  : 

Sic  venerarior  ossa  libet 
Ossibus  altar  et  impositum 
Illa  Del  sita  sub  pedibus 
Prospicit  hsec,  populosque  suos 
Carminé  propitiata  fovet. 

'  Notice  des  Monuments...,  etc.,  17,  18. 

*  Almanach  historique  de  Marseille,  année  1773,  p   81. 


A    MARSEILLE.  227. 

représentait  comme  les  autres  un  trait  de  la  sainte  Écri- 
ture, ).  il  pensait  «  qu'on  y  avait  figuré  l'oblation  de  Jésus 
au  Temple  ' .  » 

Les  derniers  éditeurs  de  la  Notice  sur  les  tableaux  et  autres 
monuments  du  Musée  de  Marseille  ont  donné  à  leur  tour 
l'explication  que  voici  : 

«  A  l'arcade  du  milieu,  un  personnage  vêtu  comme  un 
prêtre  ;  aux  arcades  les  plus  rapprochées,  deux  assistants  ;  à 
l'extrémité  droite,  un  homme  tenant  son  bonnet  et  de  l'autre 
côté,  une  femme  accompagnée  d'un  homme  qui  paraît  offrir 
au  prêtre  un  petit  enfant  qu'il  tient  dans  ses  bras,  indiquant 
la  cérémonie  d'un  oblat  consacré  par  ses  parents  à  la  vie 
monastique,  selon  l'usage  des  premiers  siècles  de  l'institution 
cénobitique  '.  » 

Nous  avons  déjà  fait  remarquer  avec  quelle  négligence 
avaient  été  dessinés  dans  les  ouvrages  de  Rufïi  et  de  Millin 
les  beaux  sarcophages  que  nous  étudions.  Nous  pouvons  for- 
tifier ici  notre  observation  critique. 

Dans  ce  sarcophage,  les  têtes,  les  poses  sont  défigurées; 
les  costumes,  incertains.  La  planche  de  Millin  est  encore 
plus  erronée.  Le  Jésus  du  centre  s'y  montre  d'un  âge  mûr  ; 
le  personnage  le  plus  à  droite  tient  à  la  main  un  bonnet  ou 
une  toque,  tandis  que,  en  réalité,  il  soutient  ou  relève  un 
pan  de  son  manteau  ;  à  la  gauche  de  Jésus,  on  dirait  une 
femme  plutôt  qu'un  homme  ^ 

Le  plan  de  notre  page  d'art  chrétien  se  développe  en  cinq 
compartiments  :  les  arcs  en  sont  surbaissés  et  géminés  ;  les 
colonnes  ont  été  empruntées  à  l'ordre  dorique. 


'  Voyage  dans  le  Midi  de  la  France,  t.  m,  177. 
'  La  dernière  édition  de  cette  Notice  est  de. 1851. 
'Planche  lvi  de  l'Atlas. 


228  MO.Nl'MENTS   CilliÉTIENS    l'HlMITlFS 

Un  enfant  en  occupe  le  milieu.  Vêtu  d'une  tunique  à 
manches  étroites,  il  porte  par-dessus  une  sorte  de  manteau 
qui  ondule  jusqu'aux  avant  bras  et  se  termine  en  pointe 
vers  le  genou.  C'est  la  partie  du  costume  que  les  Latins  pa- 
raissent avoir  désigné  sous  le  nom  de  planeta^  qui  pouvait 
être  aussi  le  colobium  des  Orientaux  ' .  Les  mains  de  l'enfant 
sont  ouvertes  et  ses  bras  à  demi  étendus  ;  les  pieds  n'ac- 
cusent aucune  trace  de  chaussure. 

Deux  personnages  barbus  et  drapés  comme  on  représente 
les  apôtres  sur  les  sarcophages  chrétiens  primitifs  se  tien- 
nent debout  à  ses  côtés  et  sous  leur  arcade  respective.  De  la 
main  droite,  ils  gesticulent  comme  des  hommes  en  admiration. 

Un  troisième  personnage,  plus  jeune  et  imberbe,  drapé 
comme  les  autres,  exprime  ses  pensées  avec  une  douce  per- 
suasion. 

A  l'arcade  opposée  figure  un  groupe  plein  de  mouvement  : 
un  homme  d'un  âge  peu  avancé,  en  tunique  et  en  manteau, 
présente  sur  ses  mains  un  petit  enfant.  Une  jeune  femme 
marche  derrière  lui,  timide  et  se  tenant  à  sa  personne  ;  sa  tête 
est  à  demi  voilée  et  son  vêtement  flotte  jusqu'au  sol. 

Tel  est  l'ensemble  de  cette  composition  dont  le  cadre,  on 
le  voit,  est  peu  étendu,  mais  dont  l'interprétation  nous  paraît 
assez  difficile. 

Avons-nous  devant  les  yeux  une  seule  scène,  ou  bien 
faut-il  y  admettre  des  sujets  indépendants?  Quel  est  cet 
enfant  si  bien  posé  sous  l'arcade  centrale  ?  Est-il  là  dans  un 
état  d'isolement,  ou  comme  un  terme  vers  lequel  tous  les 
autres  personnages  convergent?  Quels  sont  les  autres  per- 
sonnages debout  et  discutant  ;  enfin  à  quel  fait  historique 


'  /inalecta  de  re  vestiaria,  Fekrahilis,  p.  65.  Ce  vêtement  est  sans  con- 
tredit l'origine  des  chasubles  du  Moyen  Age,  si  ornées  et  si  majestueuses. 


A    .MAllSEILI.i;.  229 

se  rattache  le  groupe  de  famille  qui  occupe  rextrémité  gauche 
(lu  plan? 

Les  esprits  qui  ont  pénétré  les  secrets  de  l'antiquité 
chrétienne,  conviennent  que  certains  sujets  représentés  sur 
les  sarcophages  sont  encore  pour  la  science  des  livres  à  peu 
près  scellés.  La  pensée  réelle  qui  les  a  conçus  n'apparaît 
qu'au  milieu  de  graves  incertitudes.  Après  les  travaux  fort 
remarquables  des  archéologues  du  XVIIP  siècle  et  malgré 
les  dissertations  judicieuses  de  plusieurs  modernes,  il  reste 
divers  points  à  définir,  quelques  symboles  à  justifier,  des 
détails  historiques  à  éclaircir.  Pour  resserrer  de  plus  en  plus 
le  champ  des  conjectures,  il  importe  donc  d'interroger  per- 
se véramment  tous  les  bas-reliefs  renfermés  dans  les  musées, 
et  ceux  que  d'heureuses  fouilles  révèlent  au  labeur  des 
pionniers  de  l'Iconologie  chrétienne.  Qu'ils  apportent  avec 
confiance  le  fruit  de  leurs  patientes  études,  afin  de  préparer 
pour  un  avenir  rapproché,  s'il  est  possible,  le  dernier  mot  de 
cet  art  admirable  qui  naquit  avec  l'Eglise. 

On  ne  s'étonnera  donc  pas  de  la  divergence  d'opinions 
qu'a  fait  naître  l'examen  du  sarcophage  connu  sous  le  nom 
de  l'abbé  Cassien.  Pour  ce  qui  nous  concerne,  quoique  le 
jugement  que  nous  allons  émettre  nous  paraisse  fondé  sur 
des  indices  majeurs,  nous  n'en  tenons  pas  moins  à  déclarer 
que  nos  afiirmations  ne  sauraient  être  péremptoires  ;  laissant 
ainsi  à  d'autres  archéologues  le  désir  et  l'espérance  de  trou- 
ver la  clef  véritable  qui  nous  aurait  échappé. 

Si  l'enfant  debout  à  la  place  d'honneur  pouvait  être  pris 
à  part,  il  serait  naturel  d'y  voir  l'image  du  jeune  enfant  que 
le  sarcophage  avait  d'abord  recelé.  De  nombreux  exemples 
cités  dans  des  ouvrages  spéciaux  viendraient  à  l'appui  de 
cette  interprétation  :  et  sans  nous  éloigner  du  Musée  mar- 
seillais, nous  pourrions  invoquer  le  portrait  en  pied  d'une 


230  MONUMENTS   CHRÉTIENS   PRIMITIFS 

jeune  chrétienne,  grossièrement  taillé  en  creux  sur  un  marbre 
avec  son  inscription  :  la  pieuse  défunte  a  été  également  re- 
présentée les  bras  étendus  et  recommandant  son  âme  à  Dieu  ' . 
Nous  dirons  quelques  mots  de  plus  pour  favoriser  cette  ex- 
plication :  le  jeune  enfant  porté  sur  les  bras  de  son  père, 
pourrait  être  le  même  élu  du  Seigneur  sculpté  au  milieu  du 
sarcophage.  Après  avoir  été  offert  à  Dieu  dès  l'âge  le  plus 
tendre,  il  n'avait  pas  tardé  à  quitter  la  vie  présente  :  peut- 
être  cet  enfant  béni  du  sanctuaire,  ce  jeune  lévite  portait-il 
à  l'autel  un  vêtement  assez  semblable  à  celui  des  prêtres  ,  et 
sur  sa  tombe  privilégiée,  on  aurait  voulu  consigner  ce  double 
fait.  Enfin  s'il  était  possible  de  ramener  la  date  de  cet  ou- 
vrage d'art  chrétien  jusqu'à  l'abbé  Cassien  et  qu'il  y  eût  lieu 
d'accepter  le  monastère  de  Saint-Yictor  comme  déjà  fondé, 
ne  pourrait- on  pas  voir  ici  le  témoignage  d'une  de  ces  pre- 
mières oblations  qui  deviennent  si  fréquentes  dans  la  suite 
des  siècles?  Le  costume  de  I'Oblat  défunt  ne  serait- il  pas, 
dans  ce  cas,  plus  particulièrement  celui  des  innocents  élèves 
de  la  vie  cénobitique  ? 

Mais  une  difficulté  réelle  m'empêche  d'embrasser  l'inter- 
prétation précédente.  Je  ne  puis  m'expliquer,  en  effet,  ce 
mouvement  des  personnages  qui  ont  été  sculptés  et  mis  en 
action  aux  côtés  de  l'enfant  central.  Il  est  hors  de  doute  que 
ce  sont  là  des  Apôtres  :  leur  similitude  avec  les  disciples  du 
Sauveur  habituellement  figurés  sur  les  sarcophages,  ne  nous 
permet  pas  d'hésiter  à  cet  égard.  Or,  à  quelle  fin  les  apôtres 
apparaîtraient-ils  comme  acteurs  dans  une  scène  aussi 
modeste?  Dans  quel  but  les  aurait-on  attachés  à  ce  tableau, 


*  Deus  meus  es...  cormnendo  spiritum  meum  ;  telle  est  la  fin  de  l'inscription. 
Ce  rnaibre  inédit  sera  publié,  en  son  lieu,  dans  la  suite  des  Monuments  chré- 
tiens primilifs  à  Marseille. 


A    MARSEILLE.  231 

contemplant  un  défunt  qui  n'est  pas  même  un  adolescent, 
discourant  en  face  de  lui  ou  lui  adressant  la  parole? 

L'enfant  de  notre  sarcophage,  quel  qu'il  ait  été  durant  sa 
vie  mortelle,  a-t-il  pu  devenir  l'objet  de  tant  d'honneurs  et 
recevoir  après  son  trépas  une  pareille  gloire  ? 

Dirons-nous  dans  une  seconde  explication  que  la  douce 
figure  qui  brille  entre  les  Apôtres  est  une  de  celles  que  l'ar- 
chéologie sacrée  désigne  sous  l'appellation  d'ÛRANTE.Cetype, 
en  eifet,  reproduit  un  grand  nombre  de  fois  sur  les  sarco- 
phages et  dans  les  peintures  des  premiers  siècles,  était  vive- 
ment affectionné  par  l'Eglise.  Avec  ses  mains  étendues,  son 
attitude  ferme,  I'Orante  exprimait  encore  autre  chose  que 
la  prière  chrétienne  en  action  ;  les  disciples  de  l'Evangile  eu 
avaient  fait  comme  la  personnification  de  leurs  croyances 
au  dogme  de  la  résurrection  des  morts  ' .  On  conçoit  dès  lors 
sa  présence  largement  manifestée  à  tous  les  regards,  au  sein 
des  Catacombes  et  dans  les  lieux  où  s'assemblaient  les  pre- 
miers chrétiens.  On  comprend  surtout  sa  reproduction  toute 
mystérieuse  sur  les  sarcophages.  Ici  nous  nous  expliquerons 
au  moins  la  pose  accentuée  et  énergique  des  trois  Apôtres, 
prédicateurs  zélés  de  cet  article  de  notre  foi.  A  leurs  gestes, 
on  dirait  qu'ils  publient  ou  qu'ils  expliquent  au  peuple  fidèle 
le  suprême  événement  qui  doit  le  préoccuper  par  dessus  toutes 
choses. 

Mais,  dans  cette  hypothèse,  où  serait  la  raison  du  groupe 
qui  se  montre  en  dehors  des  Apôtres?  Quelles  relations  y 
aurait-il  à  établir  entre  l'offrande  d'un  enfant  et  le  symbole 
de  la  résurrection  des  morts? 

Le  Fournier,  Saint-Vincens  et  Millin  reconnaissent  le  Sau- 
veur au  centre  de  la  composition.  Ils  sont  d'accord  en  cela 

'  Rama  subterranea,  Akikghi,  t.  ii,  578. 


232  IHONUMENTS    CHRÉTIENS    PUIAUTIFS 

avec  la  tradition,  qui  ne  s'est  jamais  lassée  dans  l'antiquité 
de  multiplier  sur  les  tombeaux  l'image  auguste  de  Jésus. 
Seulement  ces  doctes  archéologues  ne  paraissent  pas  avoir 
saisi  l'âge  sous  lequel  l'artiste  chrétien  l'avait  représenté. 

Pour  nous,  Jésus  est  ici  à  l'état  d'enfant.  La  raison  du 
sujet  est  des  plus  naturelles  :  c'est  un  entant  qui  doit  être 
déposé  dans  le  sarcophage  ;  habitué  à  sculpter  de  préférence 
l'image  du  Sauveur  au  milieu  de  ses  marbres  funéraires,  l'ar- 
tiste chrétien  se  sera  inspiré  du  contraste  qui  frappait  son 
imagination.  Souvent  il  l'avait  exécutée  sous  la  forme  d'un 
adolescent  plein  de  grâce  ;  il  aura  cru  opportun  de  figurer 
ici  Jésus  dans  un  âge  encore  plus  tendre.  Le  tableau  rappel- 
lerait ainsi  historiquement  son  enfance  et  présenterait  en 
même  temps  dans  sa  personne  le  symbolisme  éloquent  de  cet 
âge  que  l'Evangile  avait  préconisé  en  termes  si  magnifiques. 
Or,  dans  les  deux  sens,  le  jeune  néophyte  du  sarcophage 
devait  recevoir  une  sorte  d'apothéose  par  la  représentation 
du  Fils  de  Dieu  enfant.  En  contemplant  l'image  si  pure  du 
divin  modèle,  on  se  persuaderait  avec  intérêt  que  l'humble 
défunt  avait  conservé  en  son  âme  l'innocence  baptismale.  A 
son  sujet  aussi,  les  fidèles  goûteraient  l'heureuse  occasion 
d'admirer  Jésus  dans  une  autre  phase  de  sa  vie  et  de  glorifier 
du  même  trait  l'enfance  avec  sa  couronne  évangélique. 

Les  saints  Livres  ne  nous  parlent  pas  longuement  des  pre- 
mières années  de  Jésus.  On  dit  de  lui  qu'en  croissant  et  se 
fortifiant,  il  surabondait  en  sagesse  et  que  la  grâce  de  Dieu 
habitait  en  lui  ' .  On  raconte  qu'aux  approches  de  la  fête  de 
Pâque,  ses  parents  le  conduisaient  habituellement  à  Jéru- 
salem, et  qu'à  l'âge  de  douze  ans,  ayant  été  amené  par  eux 
dans  la  Ville  sainte,  il  s'en  trouva  séparé  et  comme  perdu  ; 

'  Luc:.,  c.  Il,  40. 


A    MARSEII-LE.  2;}.3 

qu'après  trois  jours  de  sollicitude  et  de  reclierclics,  Joseph 
et  Marie  eurent  enfin  le  bonheur  de  le  rencontrer  au  Temple, 
au  milieu  des  Docteurs,  les  écoutant  et  les  interrogeant'  ;  que 
là,  tous  ceux  qui  l'entendaient  étaient  ravis  de  la  prudence 
de  ses  questions  et  de  la  justesse  de  ses  réponses  ". 

Saint  Luc,  revenant  sur  un  témoignage  glorieux  qu'il  avait 
déjà  donné  au  saint  Enfant,  termine  le  récit  de  son  pèleri- 
nage à  Jérusalem  par  cet  éloge  suhlime  :  «  Jésus  croissait 
en  sagesse,  en  âge  et  en  grâces  devant  Dieu  et  en  présence 
des  hommes  \  » 

Jésus  enfant  apparaissait  ainsi  sous  la  mystérieuse  in- 
fluence du  symbolisme  ;  sa  vue  redisait  tout  ce  que  cet  âge 
devait  obtenir  de  vénération  et  d'amour  dans  le  christianisme. 

En  eifet,  le  Sauveur  ne  s'était  pas  contenté  d'entourer  les 
enfants  d'une  tendresse  profonde  et  inouïe  dans  la  morale 
payenne,  alors  qu'il  se  livrait  aux  exercices  solennels  de  la 
prédication  :  il  s'était  interrompu  dans  ses  discours  pour 
presser  entre  ses  bras  ceux  qui  s'approchaient  de  sa  personne 
sacrée,  et  les  caresser  avec  effusion;  mais  remarquons  sur- 
tout l'esprit  de  son  enseignement  en  ce  qui  concerne  l'en- 
fance :  il  exige  que  ses  disciples  s'attachent  à  ressembler 
aux  plus  jeunes  du  premier  âge  '' .  Jésus  affirme  que  le  royaume 
du  ciel  ne  leur  appartiendra  qu'à  cette  condition  ^  «  Dans 
ce  royaume,  dit-il  encore,  le  plus  grand  sera  celui  qui  se 
sera  fait  le  plus  petit.  »  Il  va  proclamer  que  tout  disciple 
qui  reçoit  un  enfant  en  son  nom  le  reçoit  lui-même  "^  et  il 


'  Luc,  c.  II,  46. 
-  Luc. ,  c.  H,  47. 
"  Luc,  c.  ir,  52. 
*  Math.,  c.  xviii,  3. 
^  Math.,  c.  xviii,  4. 
®  Math.,  c.  xviii,  5, 


234  MONUMENTS    CHRÉTIENS   PRIMITIFS 

anathématise  quiconque  scandalise  ou  méprise  l'innocente 
créature  '. 

^  La  pensée  de  l'artiste  chrétien  renfermait  une  grande  in- 
telligence :  elle  devenait  très-instructive  :  dans  son  tableau 
Jésus  et  l'enfant  se  trouvent  exaltés  à  la  fois. 

Quelle  douce  figure  dans  cet  Enfant-Dieu  !  Quelle  modestie 
dans  sa  pose  1  Et  quelle  naïveté  dans  son  expression  !  Ses 
bras  indiquent  la  prière  ;  ou  bien  ils  se  sont  ouverts  pour 
révéler  et  communiquer  la  paix  de  son  âme.  La  simplicité 
de  son  vêtement  ajoute  encore  à  l'harmonie  du  caractère. 

Les  Apôtres  que  l'artiste  a  placés  à  droite  et  à  gauche  de 
Jésus  enfant,  saint  Pierre  et  saint  Paul  sans  doute,  publient 
avec  ardeur  sa  gloire  et  ses  vertus.  Le  disciple  le  plus  à 
droite  de  la  scène  est  imberbe  ;  on  pourrait  y  voir  saint  Jean, 
le  bien-aimé  de  Jésus,  qui  dans  le  collège  apostolique  a  le 
mieux  retracé  dans  ses  mœurs  la  candeur  et  la  pureté  de 
l'enfance. 

Le  groupe  de  l'extrême  -  gauche  explique  sans  effort  la 
pensée  génératrice  du  tableau  ;  il  y  répond  en  outre  avec 
bonheur  :  c'est  l'offrande  sacrée  d'un  enfant  par  ses  propres 
parents. 

Nous  partageons  pleinement  la  conviction  du  docte  auteur 
du  Voijaye  dans  le  Midi  de  la  France^  qui  n'admet  que  des 
scènes  de  la  sainte  Ecriture  sur  les  sarcophages  chrétiens 
primitifs ,  sans  y  méconnaître  pourtant  certains  types  et 
divers  détails  symboliques  qui  s'y  rencontrent  ;  mais  en 
adoptant  les  faits  de  l'histoire  biblique  à  l'exclusion  de  toute 
représentation  étrangère,  Millin  nous  paraît  s'être  trompé 
dans  le  souvenir  qu'il  invoque  en  cet  endroit.  Notre  groupe 
lui  a  paru  figurer  la  purification  de  la  Vierge,  c'est-à  dire 

*  Math.,  c.  xviu,  10. 


A    MARSEILLE.  235 

Joseph  et  Marie  présentant  à  Dieu  le  Christ  nouveau-né, 
quarante  jours  après  sa  naissance  ' . 

J'aurais  d'abord  une  vraie  répugnance  à  accepter  l'offrande 
de  Jésus  des  mains  seules  de  Joseph.  Au  IV*  et  au  V®  siècle, 
l'art  chrétien  n'aurait  pas  reproduit  de  la  sorte  le  sujet  dont  il 
s'agit.  Si,  à  cette  époque,  les  disciples  de  l'Evangile  n'avaient 
plus  à  voiler  aux  yeux  des  Juifs  et  des  payens  les  dogmes 
sculptés,  peints  ou  gravés  de  leurs  saintes  croyances,  je  crois 
qu'ils  n'auraient  pas  hésité  à  déposer  résolument  l'Enfant- 
Dieu  entre  les  mains  de  la  Vierge  ;  c'est  par  Marie,  de  pré- 
férence, que  Jésus  aurait  été  présenté  à  l'Eternel. 

En  dehors  de  cette  raison,  l'enfant  lui-même  porté  sur  l^s 
bras  du  père  repousse  par  son  âge  l'interprétation  de  Millin  : 
cet  enfant  est  déjà  grand.  Sa  tunique,  le  reste  de  son  vête- 
ment font  assez  voir  qu'il  y  a  là  un  fils  de  quelques  années. 
Ses  mains  sont  jointes  pieusement  et  tout  en  lui  révèle  qu'il 
participe  avec  connaissance  et  avec  foi  à  l'acte  religieux  dont 
il  est  le  sujet. 

Pour  nous  qui,  dans  l'exposé  du  bas-relief,  avons  cru 
pouvoir  nous  arrêter  à  l'idée  de  l'enfance  chrétienne  honorée 
et  célébrée  en  la  personne  de  Jésus,  nous  trouvons  bien  na- 
turelle ici  la  reproduction  de  l'événement  de  l'Evangile  le 
plus  approprié  à  cette  idée,  celui  qui  consacre  la  bonté  de 
Jésus  pour  les  enfants  et  l'ardente  confiance  d'un  père  et 
d'une  mère  ofi'rant  leur  fils  à  ses  immortelles  bénédictions. 
«  Jésus  s'étant  avancé  vers  les  frontières  de  la  Judée  au-delà 
du  Jourdain....  de  petits  enfants  lui  furent  amenés,  afin 
qu'il  leur  imposât  les  mains  et  qu'il  priât  sur  eux.  Les  Dis- 
ciples s'opposaient  avec  quelques  reproches  à  cette  touchante 
manifestation  ;  mais  Jésus  leur  dit  :  Laissez  ces  petits  enfants 

'  Tom.  m,  177. 


23G  MONUMENTS   CHRÉTIENS   PRIMITIFS 

et  ne  les  empêchez  pas  de  venir  à  moi;  et  leur  ayant  imposé 
les  mains  il  quitta  ce  lieu  ' .  »  Saint  Marc  ajoute  qu'il  embrassa 
ces  enftuits  et  qu'il  les  bénit  paternellement^. 

Ainsi  deux  époux  Israélites  se  sont  avancés  vers  le  Sau- 
veur avec  une  respectueuse  confiance  :  le  père  élève  l'enfant 
pour  que  Jésus  le  bénisse.  L'épouse  jeune  et  modeste  n'ose 
se  détacher  de  son  époux.  Sa  crainte  bien  marquée  ne  sur- 
prend point  devant  le  texte  sacré  qui  nous  montre  les 
Apôtres  opposés  à  cette  présentation  familière  des  enfants. 

Sous  le  voile  de  ce  fait  évangélique  se  cache  une  figure 
pleine  d'intérêt,  suave  et  pressante  invitation  adressée  aux 
parents  d'offrir  leurs  enfants  au  Sauveur.  La  piété  des  fa- 
milles chrétiennes  saisira  un  langage  si  éloquent  et  les  jeunes 
enfants  de  leur  côté,  à  la  vue  de  l'offrande  d'un  des  leurs, 
comprendront  l'exhortation  qui  leur  est  faite  :  ils  iront  à 
Jésus  qui  les  attend,  les  bras  ouverts,  dans  l'espérance  de 
reposer  un  jour  en  paix  dans  son  céleste  empire. 

Comme  les  traits  historiques  de  l'Ancien  Testament  ont 
souvent  été  reproduits  dans  l'iconographie  chrétienne,  surtout 
quand  ces  traits  devenus  publics  appartenaient  au  domaine 
du  peuple  nouveau,  il  serait  possible  que  le  groupe  de  fa- 
mille se  rapportât  spécialement  à  l'offrande  du  jeune  Samuel. 

Au  rapport  du  premier  livre  des  Rois,  <'  Elcana  était  triste 
de  la  stérilité  d'Anne  son  épouse...  Anne,  de  son  côté,  ver- 
sait souvent  des  pleurs...  Dans  son  affliction,  elle  pria  le 
Seigneur  et  lui  fit  vœu,  si  elle  devenait  mère,  de  con- 
sacrer pour  toujours  son  enfant  à  son  culte.  Cette  prière 
fut  exaucée;  Anne  mit  au  monde  un  fils  qu'elle  nomma 
Samuel. 


'  Math.,  xix,  13. 
^Mauc,  X,  16. 


A    .MAl'.SEILLK.  2']7 

«  Elcunii  et  son  épouse  vinrent  plus  tard  ù  Silo  [nmv  exé- 
cuter leur  vœu  :  Samuel  était  encore  un  petit  enfant, 
infantulus^  et  ils  le  présentèrent  au  grand  prêtre  Héli,  ([iii 
le  consacra  au  service  du  Temple.  Le  jeune  Samuel  servait 
le  Seigneur  revêtu  de  l'éphod  de  lin  ;  sa  mère  lui  avait  fait 
en  outre  une  petite  tunique  ' . 

Ce  fait  sculpté  sur  le  bas-relief  chrétien  ne  contrarierait 
en  rien  l'interprétation  générale  que  nous  en  avons  donnée. 
Le  jeune  Samuel  est  regardé  dans  l'Eglise  comme  la  figure 
de  Jésus  enfant.  Sa  présence  est  donc  un  autre  titre  de 
gloire  qui  revient  au  Fils  de  Dieu  :  elle  est  encore  un  souve- 
nir sagement  produit  à  l'honneur  de  l'enfance  évangélique. 
Enfin  Samuel  et  ses  parents  brillent  à  la  place  qui  leur  est 
assignée  comme  de  dignes  modèles  à  proposer  aux  pères, 
aux  mères,  aux  enfants  des  familles  chrétiennes. 

L.-T.    DASSY, 

r.oirespomlant  dr.  Ministùre  pour  les  Travaux  hisloriqnes. 
'  I  Reg.  2,  3. 


NOUVELLES  PARTICULARITÉS 
Relanres  à  la  Sépulture  chrétienne  du  Moyen  Age, 


I,   —   PIQUES   DANS   LES   FOSSES.   —   II.    BOUCLES   ET   ANNEAUX.    —    III.    CHA- 
PELETS. —  IV.   COQUILLES   PERCÉES.   —  V.    SANDALES  OU  CHAUSSURES. 


En  1860  j'ai  soumis  aux  lecteurs  de  la  Revue  de  l'Art 
Chrétien  quelques  détails  particuliers  et  tout-à-fait  spéciaux 
que  j'avais  observés  dans  les  sépultures  chrétiennes  du  Moyen 
Age.  —  Depuis  deux  ans  mes  recherches  ont  continué  sur 
cette  branche  si  intéressante  de  notre  archéologie  nationale 
et  j'ai  recueilli  plusieurs  particularités  nouvelles  que  je  crois 
de  nature  à  intéresser  les  liturgistes,  les  archéologues  et  les 
ecclésiologistes. 

Quelques-unes  des  observations  que  je  vais  avoir  l'honneur 
de  soumettre  à  mes  lecteurs  sont  le  fruit  de  lectures  et  de 
voyages,  mais  la  plupart  sont  le  résultat  de  découvertes  per- 
sonnelles. Ce  sont  surtout  des  études  faites  au  sein  de  la 
tombe  chrétienne  à  l'aide  de  fouilles  que  je  dirigeais  moi- 
même.  Je  ne  garantis  bien  que  celles-là;  les  autres,  je  les  donne 
pour  ce  qu'elles  valent,  je  ne  m'en  fais  l'écho  qu'autant  que 
les  auteurs  m'ont  paru  mériter  quelque  confiance.  Presque 


SÉPULTURE   CHRÉTIENNE   DU    MOYEN    AGE.  23'J 

toujours  je  cite  mes  témoins,  laissant  à  chacun  le  mérite  de 
son  dire  et  la  responsabilité  de  son  assertion. 

I.  Piques  dans  les  fosses.  —  La  première  particularité 
que  je  ferai  connaître  cette  année  me  paraît  surtout  spéciale 
au  diocèse  d'Evreux  ;  cela  est  si  vrai  que  la  seule  paroisse 
du  diocèse  de  Rouen  où  le  fait  m'ait  été  révélé,  est  celle  de 
Caudebec-lès-Elbeuf  qui  n'est  entrée  dans  notre  circonscrip- 
tion diocésaine  que  depuis  le  Concordat,  par  suite  de  la 
division  départementale  de  1790.  Cette  coutume,  qui  du 
reste  est  le  privilège  d'une  Confrérie,  consiste  à  déposer  une 
pique  en  fer  dans  la  fosse  du  défunt,  et  à  côté  de  sa  bière. 

La  Confrérie  qui  garde  cette  pratique  est  une  société  de 
Saint-Micliel  dont  l'origine  ne  nous  est  pas  connue.  Malgré 
nos  recherches,  nous  n'avons  pu  nous  procurer  ni  les  règle- 
ments, ni  les  statuts  de  cette  association  qui  du  reste  n'existe 
plus  à  Caudebec  et  qui  languit  dans  le  diocèse  d'Evreux. 

Nous  avons  su  seulement  qu'à  Caudebec-lès-Elbeuf,  au 
moment  de  sa  suppression,  qui  eut  lieu  vers  1820,  la  Con- 
frérie de  Saint-Michel  ne  se  composait  plus  que  d'une 
dizaine  d'associés  qui  tous  ont  disparu.  Chaque  année  quel- 
qu'un d'entre  eux  faisait  le  pèlerinage  du  Mont  Saint-Michel 
aux  périls  de  la  mer,  et  à  son  retour  les  frères  allaient  au 
devant  de  lui  jusqu'aux  limites  de  la  paroisse.  Tout  frère 
portait  avec  lui  une  hallebarde,  dont  il  était  propriétaire. 
Cette  hallebarde  se  composait  d'une  pique  en  fer  munie  d'une 
hampe,  et,  à  la  mort  de  chacun  d'eux,  la  pique  était  déposée 
dans  la  fosse  à  côté  du  défunt.  Les  trois  fossoyeurs  de  Cau- 
debec que  j'ai  interrogés,  assurent  avoir  rencontré  de  ces 
piques  qu'ils  remettaient  en  terre. 

A  Caudebec  il  ne  reste  guère  que  le  souvenir  de  la  Con- 
frérie de  Saint-Michel.  J'excepte  pourtant  une  statue  de 
l'Archange,  en  costume  de  guerrier  et  la  lance  à  la  main, 


24.0  SÉPULTURE   ClIUÉTiENNE 

que  l'on  voit  dans  l'église  et  un  vieux  drapeau  à  deux  cou- 
leurs que  l'on  portait  encore  uaguères  aux  processions.  Ce 
guidon  quadripartit  était  surmonté  de  la  lance  en  fer  de 
Saint-Michel.  Dans  le  département  de  l'Eure,  la  Confrérie 
existe  encore,  notamment  àHuest  et  à  Fauville  près  Evreux, 
où  les  abus  qui  l'ont  détruite  ailleurs  ne  se  sont  pas  fait 
sentir. 

IL  Boucles  et  anneaux. 
— Dans  nos  premières  Particu- 
larités relatives  à  la  sépulture 
chrétienne  du  Moyen-Age^  nous 
avons  donné  le  cercueil  d'un 
religieux  de  l'abbaye  de  Sainte- 
Geneviève  de  Paris  ' .  Ce  sarco- 
phage ouvert  en  1807,  lors  de 
la  destruction  de  la  basilique 
abbatiale,  nous  a  été  conservé 
dans  son  état  primitif  par 
M.  Alexandre  Lenoir  et  a  été 
publié,  vers  1850,  par  M.  Al- 
bert Lenoir  son  fils  '\  Nous 
reproduisons  une  seconde  fois 
cette  sépulture  monastique  dont 
le  cercueil  est  Franc,  tandis  que 
le  dernier  occupant  est  vrai- 
semblablement un  religieux  du 
XIIL  siècle  d'après  son  costume 
et  les  quatre  vases  à  charbon 
qui  l'accompagnent. 


'  Revue  de  l'Art  chrétien,  t.  iv,  p.  43-1.  —  Quelques  paiiicularités  rela- 
tives à  la  Sépulture  chrétienne  du  Moyen  Age,  p.  12. 

*  A.  LiiNOin,  Statisl.  mon.  de  Paris,  13"  livr.,  pi.  xi,  fig.  1  à  10. 


DU  MOVKN  A(;i;.  2'<1 

Le  lecteur  reinurijueru  que  1(>  religieux  ainsi  repi'éseuté 
dans  son  costume  monastique  possède  une  ceinture  fermée 
au  moyen  d'une  boucle  encore  bien  reconnaissable.  Il  nous 
semble  que  cette  ceinture  et  cette  boucle,  ornements  de  la 
vie,  firent  partie  de  la  sépulture  monastique  du  Moyen- Age. 
—  Deux  faits  nouveaux  vont  le  prouver.  Ces  deux  faits  se 
sont  présentés  à  nous  d'eux-mêmes ,  pendant  l'année  qui 
vient  de  finir. 

Au  mois  de  juillet  1861  on  creusait  au  nord  de  l'église 
prieuriale  d'Auffay  (arrondissement  de  Dieppe),  les  fonda- 
tions d'une  sacristie.  Averti  que  l'on  rencontrait  dans  les 
fouilles  des  carrelages  émaillés,  des  pierres  tombales  et  même 
des  sépultures  accompagnées  de  vases  à  encens,  je  me  rendis 
sur  les  lieux  et  je  trouvai  moi-même  un  squelette  portant  à 
sa  ceinture  une  boucle  et  deux  anneaux  en  bronze.  Je  re- 


produis ici,  dans  leur  grandeur  naturelle  et  dans  la  position 
respective  qu'elles  occupaient  au  sein  de  la  terre,  ces  trois 
pièces  intéressantes,  elles  étaient  encore  enveloppées  dans 
des  matières  noires  que  je  pris  pour  des  restes  de  cuir  ou  de 
tissu  ' .  Etait-ce  là  les  restes  d'un  laïque  ou  ceux  d'un  reli- 


'  TiuUet.  de  la  Soc.  (1rs  Anliq.  de  Normandie,  2e  année,  p.  383.  —   Vigie 
de  Dieppe,  du  2  août  1861.  —  IVonrcllistc  de  lioiicn  du  4  août  1861. 

TOME    YI.  18 


24'2  SÉrULTlHE    ClIllÉTIENNE 

gieux?  C'est  ce  que  je  ne  pouvais  décider  iitteiulu  qu'au 
moyen-âge  laïques  et  moines  portaient  des  ceintures.  «  Cin- 
gula  pro  lurabis,  »  dit  une  description  de  Paris  au  XIV  siè- 
cle '.  Quoique  la  rencontre  eût  lieu  dans  un  cloître,  je  restai 
cependant  incertain  sur  l'attribution. 

Mais  une  seconde  découverte,  faite  quelques  mois  après, 
m'a  fait  penser  qu'il  s'agissait  bien  ici  de  costume  mona- 
stique. 

Au  mois  d'octobre  dernier,  fouillant  les  ruines  de  la  célèbre 
abbaye  de  Saint- Wandrille ,  je  trouvai  devant  le  maître- 
autel  môme  de  l'antique  basilique  une  sépulture  que  je  ne 
saurais  supposer  être  autre  chose  que  celle  d'un  bénédictin 
de  Fontenelle.  A  la  ceinture  du  défunt  se  trouvait  aussi  une 
boucle  et  deux  anneaux  de  bronze  parfaitement  semblables  à 
ceux  d'Auiïay.  On  peut  en  juger  par  l'exacte  reproduction 
que  nous  donnons  ici.  Seulement  la  bèclie  de  l'ouvrier  ayant 


soulevé  les  objets  au  moment  où  je  détouruais  les  yeux,  je  ne 

puis  dire  au  juste  la  place  exacte  des  trois  objets.  Je  suis 

porté  à  croire  que  la  disposition  était  la  même  qu'à  Auffay. 

De  cette  double  découverte  faite  au  sein  d'un  prieuré  et 


'  IhiJlctbi   (In  (Jomilé  de    /a   linu/uc,  de  VInst.  ci  <hs  iirla   de  lu    France, 
t.  m.  p.  520. 


DU    MOYEN    ACE.  i^i'i 

d'une  abbaye  derordre  de  Saint-Benoît,  j'ai  quelque  droit  de 
conclure  que  la  ceinture  et  les  boucles  faisaient  loi  dans  la 
sépulture  monastique  du  Moyen-Age. 

Comme  dernier  rapprochement  je  citerai  la  boucle  ci-jointe 


entièrement  semblable  aux  nôtres,  et  que  je  dois  à  l'obligeance 
de  M.  L.  Métayer,  de  Bernay.  Ce  jeune  et  zélé  explorateur 
a  trouvé  cet  ornement,  en  I808,  dans  une  des  sépultures  de 
la  Madeleine  de  Bernay,  cette  ancienne  léproserie  qui  a 
donné  des  choses  si  curieuses.  Cette  maladrerie  était  comme 
beaucoup  d'autres  desservie  par  des  Frères  infirmiers. 

m.  Les  chapelets.  —  Au  premier  abord  et  en  considé- 
rant la  grande  quantité  de  chapelets  qui  se  voient  chaque 
jour  dans  les  demeures  chrétiennes  et  dans  les  mains  catho- 
liques, on  serait  tenté  de  croire  qu'il  doit  s'en  rencontrer 
beaucoup  sm^  les  morts.  Il  n'en  est  pourtant  pas  ainsi,  et  jus- 
qu'à présent  dans  mes  nombreuses  fouilles  d'églises  et  de 
cimetières  chrétiens,  je  n'ai  encore  recueilli  que  deux  cha- 
pelets. Les  faits  de  ce  genre  signalés  ailleurs  ne  sont  pas 
non  plus  très-multipliés.  Toutefois,  j'ai  hâte  d'attirer  l'at- 
tention sur  cette  particularité  qui  devra  s'ofirir  de  temps  en 
temps  à  l'explorateur  chrétien. 

La  première  fois  que  nous  avons  rencontré  un  chapelet  ou 
une  portion  de  chapelet,  ce  fut  en  1860,  en  fouillant  dans 


â44  SÉI'ULTIÎR!:    CIIUKTIENNK 

l'église  démolie  d'Etran  près  Dieppe.  Les  grains  en  bois 
étaient  montés  sur  une  chaînette  d'argent  ou  de  cuivre 
argenté. 

Nous  savons  qu'il  était  près  d'un  corps,  mais  n'étant  pas 
présent  au  moment  de  la  découverte^  nous  ne  pouvons  dire 
sur  quelle  partie  du  corps  il  était  placé. 

Le  second  chapelet  qui  se  soit  présenté  à  nos  observations, 
ce  fut  dans  l'église  abbatiale  de  Saint-Wandrille  en  octobre 


1861.    Ce    chapelet    accompagna   autrefois  le  corps    d'un 
religieux  inhumé  sous  le  clocher  dans  un  caveau   qui  avait 


DU  MOYEN  agi:.  245 

été  visité.  Il  se  compose  de  grains  en  bois  montés  sur  des 
fils  de  laiton  ;  la  croix  elle-même  est  formée  avec  des  grains 


de  bois,  et  nous  croyons  qu'elle  se  terminait  par  une  mé- 
daille de  cuivre,  communément  nommée  de  Saint -Benoit 
ou  Croix  des  Sorciers.  Nous  donnons  ici  cette  médaille  cu- 


rieuse bien  connue  des  amateurs  \  Nous  l'attribuons  aux 


'  Dans  la  pensée  que  quelques-uns  de  nos  lecteurs  pourraient  ne  pas  con- 
naître l'interprétation  de  cette  médaille  qui  se  trouve  pourtant  dans  le  Maga- 
sin j)iUoresque  de  1841,  t.  IX,  p.  92-93,  nous  la  répéterons  ici;  il  est  vrai  que 
ce  recueil  populaire  l'a  donnée  d'une  manière  assez  incomplète.  Du  côté 
de  la  croix  les  quatre  lettres  C.  S.  P.  B.  placées  dans  les  angles  signifient 
Crux  Sancti  Patris  Benedicti.  Dans  le  champ  de  la  croix  les  lettres  qui  vont 
de  haut  en  bas  C.  S.  S.  M.  L.  signifient  Crux  sancta  sit  mihi  Lux.  Les  cinq 
lettres  du  croisillon  N.  D.  S.  M.  D.  veulent  dire  :  Non  dœmon  sit  mihi  Dux.  — 


246  SÉPULTU1\E    CH«ÉTIEiNNE 

premières  années  du  XVIP  siècle,  et  nous  avons  la  certitude 
qu'elle  descendit  dans  la  fosse  à  côté  d'un  Bénédictin,  pro- 
bablement réformé  de  la  congrégation  de  Saint-Maur. 

A  ces  modestes  découvertes  nous  allons  joindre  les  trou- 
vailles faites  ou  signalées  par  nos  confrères.  Des  faits  bien 
constatés  sont  et  seront  toujours  les  seuls  éléments  de  la 
véritable  science. 

En  1861,  des  chapelets  en  bois  montés  sur  un  fil  de  cuivre 
jaune,  ont  été  observés  à  Bernay  dans  l'ancien  couvent  des 
Cordeliers  ;  ils  accompagnaient  des  corps  qui  doivent  être 
ceux  d'anciens  religieux  ' . 

Enfin  un  dernier  chapelet  venu  à  notre  connaissance  a  été 
rencontré,  en  1838,  par  M.  L.  Métayer,  de  Bernay,  dans  le 
chœur  de  Saint-Léger  de  Rostes  (Eure).  C'était  un  religieux 
capucin  vêtu  de  sa  chasuble,  ayant  auprès  de  la  tête  un  vase 
à  charbon  et  au  côté  droit  un  cordon  de  fil  auquel  était 
suspendu  un  chapelet  composé  de  grains  en  bois  dur  et  noir 
comme  de  l'ébène.  Les  dizaines  étaient  indiquées  par  d'autres 
grains  de  bois  blanc,  recouverts  d'un  tissu  de  soie  de  couleur. 

Au  verso  de  la  croix  on  voit  le  monogramme  du  nom  de  Jésus  :  I.  H.  S.  et 
au  dessous  les  trois  clous  de  la  passion;  autour  sont  les  lettres  :  V.  R.  S.  N. 
S.  M.  V.  S.  V.  Q.  L.   I,  V.   B.,  ce  que  l'on  traduit  par  ces   quatre    vers  . 

Vade  rétro,  Satana, 

Non  suadeas  mihi  vana  ; 

Sunt  vana  quse  libas 

Ipse  venena  bibas. 
On  nous  a  assuré  que  l'origine  de  cette  croix  ou  médaille  de  Saint-Benoît 
ne  remontait  qu'au  XVIIe  siècle.  Dans  ce  cas  la  nôtre  serait  un  des  plus 
anciens  monuments  de  ce  genre,  mais  on  ajoute  qu'à  cette  époque  elle  fut 
plutôt  renouvelée  qu'instituée.  Cette  dévotion  se  propagea  surtout  en  Bavière. 
—  Le  Révérend  Père  abbé  deSolesmes,  le  célèbre  et  savant  dom  Guéranger, 
vient  de  composer  un  Essai  sur  l'origine,  la  significatioji  et  les  privilèges  de 
la  médaille  ou  croix  de  Saint-Benoit.  Cette  notice  est  actuellement  sous  presse. 
'  L.  Mkt.weu,  Journal  de  l'arrond.  de  Bernay  du  5  sept.  1861. 


nu    MOYEN    AUK.  -^H 

A  ce  chapelet  étaient  attachées  deux  médailles  et  une  petite 
croix  d'ébène  se  démontant  en  trois  parties.  Les  grains  de  ce 
chapelet  n'étaient  pas  montés  sur  un  fil  de  laiton,  mais 
passés  à  un  cordonnet  de  soie.  Dans  le  cercueil  fait  en  bois 
de  poirier  et  rempli  de  bruyères,  on  avait  placé  une  monnaie 
iruste  du  XVP  siècle,  il  est  probable  que  la  sépulture  était 
voisine  de  la  Ligue  ' . 

ly.  Les  coquilles.  —  Au  commencement  de  48{>1, 
M.  Legoutteux,  quincaillier  à  Fécamp,  rue  Neuve  du  Marché^ 
a  fait  construire  une  cave  dans  une  maison  qui  lui  appartient 
située  rue  des  Forts  et  actuellement  occupée  par  le  sieur 
Lecointe,  pâtissier-confiseur. 

Pour  asseoir  cette  cave,  on  creusa  jusqu'à  la  profondeur 
de  plus  de  trois  mètres  du  sol  actuel.  Dans  cette  excavation, 
on  rencontra  des  ossements  humains  et  des  tombeaux  en 
pierre.  Ces  cercueils  étaient  construits  avec  des  moellons 
maçonnés  sur  les  côtés  et  recouverts  de  dalles  brutes  formant 
encaissement.  Il  est  probable  que  plusieurs  ont  dû  offrir  pour 
la  tête  des  entailles  carrées  ou  circulaires. 

Les  sarcophages  étaient  si  pressés  en  cet  endroit,  qu'on  eu 
a  reconnu  jusqu'à  trois  rangs  superposés. 

Ces  tombeaux,  par  leur  matière  et  leur  forme,  rappellent 
évidemment  ceux  de  Bouteilles,  d'Etran,  de  Rouxmesnil,  du 
Petit- Appeville  (Seine -Inférieure),  du  Câtillon  près  de  Bé- 
nouville- sur-Orne  (Calvados),  des  abbayes  de  Jumiéges  et  de 
Saint- Wandrille  et  de  la  cathédrale  de  Worcester,  qui  tous 
appartiennent  au  XIP  et  au  XIIL'  siècle  de  l'ère  chrétienne. 

Quelques-uns  d'entr'eux,  nous  a-t-on  assuré,  ont  offert 
des  vases  à  charbon  ;  deux  de  ces  vases  se  sont  montrés  en- 
tiers et  ont  été  recueillis  par  MM.  Legoutteux,  père  et  fils. 
Malheureusement  l'un  d'eux  a  été  cassé  après  sa  découverte. 

*  L.  Métayer,  Bulletin  motmmcnlal ,  t.  xxvni,  p.  424. 


248  SÉl'LLTL'RE    CHRÉTIENNE 

Tous  deux  nous  ayant  été  rerais  par  les  propriétaires,  il  nous 
a  été  facile  d'y  reconnaître  des  vases  du  XllP  siècle. 

Ces  vases,  ronds  et  sans  anse,  possèdent  au  col  un  simple 
bourrelet.  Ils  sont  rayés  ou  cannelés  horizontalement  sur  la 
panse.  Le  pied  en  est  bombé  et  ils  tiennent  difficilement  sur 
le  fond.  La  terre  est  blanche,  fine,  et  bien  cuite,  en  un  mot, 
ils  ressemblent  entièrement  à  ceux  qui  furent  trouvés  ,  en 
1856,  à  Leure,  section  du  Havre,  dans  la  sépulture  de 
Pierre  Bérenguier  et  dont  un  spécimen  existe  au  musée- 
bibliothèque  de  cette  ville.  De  pareils  vases  ont  été  rencon- 
trés dans  les  sépultures  de  Saint -Denis- de -Lillebonne,  en 
185i;  de  Sigy  près  de  Neufchâtel,  en  1835;  de  l'abbaye 
d' Auraale,  en  J  859  ;  de  la  Léproserie  de  Janval  près  Dieppe 
en  1860;  de  l'abbaye  de  Saint- Wandrille,  en  1861  et  dans 
des  tranchées,  à  Bully  et  à  Douvrend  (Seine-Liférieure). 

Au  moment  de  leur  découverte,  les  vases  de  Fécamp  con- 
tenaient, et  ils  contiennent  encore,  le  charbon  de  bois,  qui 
y  brûla  le  jour  de  l'inhumation.  Ils  sont  noircis  au  dedans  par 
la  flamme  et  la  fumée;  tous  deux,  sont  percés  sur  la  panse, 
d'un  rang  de  trous  pratiqués  après  la  cuisson;  autant  de  preu- 
ves deleurrôle  d'encensoir  dans 
les  funérailles  chrétiennes. 

Outre  ces  deux  vases,  il  a 
été  aussi  recueilli,  dans  ce 
champ  des  morts,  plusieurs  co- 
quilles, dites  pèlerines,  percées 
de  deux  trous  circulaires.  Deux 
de  ces  pèlerines  m'ont  été  re- 
mises (j'en  reproduis  une  ici)  : 
malheureusement  on  ignore 
l'endroit  précis  qu'elles  occupaient  sur  les  défunts,  observa- 
tion qui  m'eut  révélé  leur  rôle  pendant  la  vie. 


nu    MOYEN    AGE. 


249 


Déjà  vers  1850,  M.  Vitecoq  de  Fécamp,  avait  trouvé  au 
même  endroit  de  semblables  coquilles  et  eu  assez  graud  nom- 
bre. 11  m'en  a  remis  une  que 
j'ai  fait  graver  et  que  je  re- 
produis également  ici  dans  sa 
forme  naturelle.  A  quoi  pou- 
vaient servir  ces  coquilles  ? 
C'est  ce  que  nous  ignorons. 
Etaient-elles  des  marques  d'un 
pèlerinage  fait  au  Mont  Saint- 
Micliel,  ou  à  Saint- Jacques  de 
Compostelle  ?  Ou  bien  étaient- 
elles  seulement  le  signe  distiuctif  d'une  confrérie  de  Saint- 
Jacques  ou  de  Saint-Michel?  C'est  ce  que  nous  ne  saurions 
dire. 

En  nous  parlant  de  la  découverte  faite  en  1850,  M.  Vite- 
coq  nous  assura  que  les  morts  trouvés  alors  portaient  une  de 
ces  coquilles  sur  chaque  épaule;  nous  citons  cette  assertion 
à  défaut  d'observation  meilleure.  Ce  qui  est  certain,  c'est 
qu'il  a  été  rencontré  ailleurs  qu'à  Fécamp  des  coquilles  de  ce 
genre.  Même  sans  sortir  de  notre  pays,  nous  pouvons  citer 
celle  que  nous  avons  vue  à  Jumiéges,  dans  ce  petit  musée 
gémétique,  que  fonda  M.  Casimir  Caumont  et  que  conserve, 
en  l'augmentant,  M.  Lepel-Cointel,  le  religieux  propriétaire 
des  ruines  de  l'abbaye.  La  coquille  forée  qui  figure  dans  une 
des  montres  a  été  recueillie,  vers  1858,  dans  les  sépultures 
qui  entourent  le  grand  monastère  fondé  par  saint  Philibert. 
En  1858,  notre  ami  Métayer,  de  Bernay,  a  trouvé  une  pèle- 
rine dans  les  caveaux-sépulcres  de  la  Léproserie  de  la  Ma- 
deleine ' . 


'  i\'ote  sur  les  fouilles  exécutées  à  la  Madeleine  de  JJernai/  en  1858,  p.  3. 


250  SÉrULTLUE    CHllÉTIKNNE 

M.  Gosse,  (le  Genève,  en  signale  aussi  de  tout-à-fait  sem- 
blables dans  les  anciennes  sépultures  de  la  Suisse  et  de  la 
Savoie.  Chose  singulière!  Elles  sont  percées  de  la  même  ma- 
nière que  celles  de  Jumiéges  et  de  Fécamp. 

Malheureusement  M.  Gosse  n'étant  pas  présent  au  moment 
de  la  découverte,  n'a  pas  pu  voir  dans  quel  milieu  se  trou- 
vaient ces  coquilles;  du  moins,  il  a  négligé  de  nous  en  in- 
struire. Toutefois,  tout  porte  à  croire  que  les  coquilles  de  La 
Balmeetde  Zurich  sont  contemporaines  de  celles  de  Fécamp. 
Voici,  après  tout,  en  quels  termes  s'exprime  notre  zélé  con- 
frère :  «  J'ajouterai,  dit-il,  la  circonstance  très-heureuse  de 
la  découverte  faite  cette  année  (1855)  dans  un  tombeau  de 
la  Balme  (près  de  La  Roche  eu  Faucigny)  d'une  coquille 

marine,  le  Janira  maxima 
(le   Peclen    maximus   de 
Linnée)  :  elle  présente, 
près  de  la  charnière,  deux 
trous  qu'on  y  a  pratiqués 
pour  pouvoir  la  suspen- 
dre. Elle  est,  du  reste, 
-%^\^^^    quant  à   sa  composition, 
dans  un  état  à  peu  près 
normal.  Cependant,  on  a 
remarqué  qu'elle  estd'une 
grande  friabilité  ' .  »  Nous 
reproduisons  ici  le  dessin 
de  la  coquille  de  La  Balme  tel  que  le  donne  M.  Gosse  ;  on 
remarquera  la  plus  grande  similitude  avec  nos  coquilles  de 
Fécamp. 


'  Nns  coquilles  de  Fécanip,  au  contraire,  sont  aussi  solid('S  que  si  elles  sur- 
aient du  fond  des  mers. 


-   DU   MOYEN    AGK.  2*il 

Ce  fait  de  la  découverte  d'une  coquille  inui'iiic  dans  une 
sépulture,  n'est  pas  unique  en  Suisse.  M.  Keller,  de  Zurich, 
en  a  trouvé  une  n.on  loin  de  cette  ville  ;  voici  ce  qu'il  dit  ;i 
ce  sujet,  lorsqu'en  J841,  il  décrivit,  dans  les  Mémoires  de  la 
Société  des  Antiquaires  de  Zurich  (t.  \"^  p.  29),  les  exhuma- 
tions faites  à  Entibuchel,  près  Balgrist,  canton  de  Zurich  : 
«  Le  squelette,  n"  G,  parait  avoir  été  celui  d'une  femme; 
la  tête  reposait  sur  une  pierre;  à  son  cou  étaient  des  mor- 
ceaux de  corail,  et  près  de  sa  poitrine  se  trouvait  une  coquille 
de  l'océan  Indien,  la  Cyprica  tijgris)  elle  était  percée  à 
deux  endroits  et  il  est  probable  qu'elle  a  servi  d'ornement  ' .  » 

Si,  en  dehors  des  coquilles  percées,  il  nous  était  permis  de 
citer  celles  qui  ont  apparu  dans  les  cercueils,  nous  en  indi- 
querions des  exemples  rencontrés  dans  la  Gaule  romaine  et 
dans  la  capitale  même  de  l'Empire. 

C'est  ainsi  que  des  coquilles  ont  été  vues  dans  un  cercueil 
en  plomb  que  contenait  un  caveau  en  brique,  découvert  à  la 
gare  d'Angers,  le  15  juillet  1848.  M.  Godard-Faultrier,  qui 
nous  a  laissé  le  récit  de  cette  curieuse  trouvaille,  dit  qu'on 
a  recueilli  au  bas  du  cercueil ,  deux  pèlerines  qu'il  appelle 
des  peignes  de  Saint-Jaccpies.  Le  même  auteur  cite  encore 
deux  ou  trois  pèlerines  vers  le  milieu  du  môme  sarcophage 
et  comme  placées  sur  le  corps.  Enfin,  dans  le  plan  qu'il  nous 
a  laissé  du  cercueil  et  des  objets  qu'il  contenait,  il  figure  sept 
coquilles  dont  quatre  sur  le  corps  et  trois  au-dessous  des 
pieds  ^. 

Il  paraît  bien  que  la  pèlerine,  soit  en  nature,  soit  en  effigie, 
plaisait  aux  Gallo-Komains  du  Bas-Empire,  car  sur  un  beau 

'  Gosse,  Siiite  à  la  notice  sur  d'anciens  cimetières  troiœe's  soit  en  Savoie, 
soit  dans  le  canton  de  Genève,  p.  20-21,  pi.  iv,  fig.  4. 

'  Godaud-Faultriew,  Rapport  snr  un  tovtheau  gallo-romain  adrcsscà 
M.  Bordillon,  préfet  de  Maine-et-Loire,  p.  4  et  5,  pi.  ix. 


252  SÉPULTURE    CHRÉTIENNE 

cercueil  en  plomb  du  IV®  ou  du  V*  siècle,  contemporain  de 
celui  d'Angers,  découvert  à  Londres,  en  1851,  on  voit  figu- 
rer, sur  le  couvercle  et  sur  les  côtés,  un  grand  nombre  de 
pèlerines  en  relief  ' .  Il  en  est  de  même  sur  de  beaux  sarco- 
phages en  plomb ,  trouvés  à  Yorck  et  à  Colchester  depuis 
un  siècle  -. 

Il  parait  bien  qu'il  s'en  trouvait  aussi  dans  les  sépultures 
des  clirétiens  des  catacombes  ,  car  M.  Perret  en  représente 
une  dans  le  bel  ouvrage  qu'il  a  publié  sous  les  auspices  du 
gouvernement  français.  Cette  coquille  est  conservée  à  la  cus- 
tode des  reliques  de  Saint- Appolinaire  ^ 

Enfin,  dans  ses  Recherches  sur  les  antiquités  de  la  Russie 
méridionale  et  des  côtes  de  la  Mer  noire ^  ]\I.  Alexis  OuwarofF 
reproduit  une  coquille  trouvée  dans  les  tombeaux  de  la  Cri- 
mée ;  mais  cette  dernière  est  en  or  et  ne  nous  donne  la 
pèlerine  qu'en  figure. 

V.  Les  sandales  ou  chaussures.  —  La  cinquième  parti- 
cularité que  nous  avons  à  révéler  dans  la  sépulture  chrétienne 
du  Moyen  Age  est  celle  des  sandales,  bottines  ou  chaussures 
funèbres. 

Ces  chaussures  étaient-elles  purement  funèbres,  ou  en 
d'autres  termes,  spéciales  aux  défunts  et  à  leurs  sépultures? 
C'est  ce  que  nous  ne  pourrions  affirmer  positivement  ;  mais 
du  moins  nous  le  présumons  fortement.  Les  textes  des  deux 
plus  grands  oracles  liturgiques  du  Moyen  Age  nous  semblent 
prouver  très-clairement  que  cette  chaussure  était  symbo- 
lique, et  qu'elle  était,  sinon  une  prescription  de  la  liturgie,  du 
moins  une  de  ses  émanations  les  plus  directes  et  une  de  ses 
pratiques  les  plus  répandues.  Voici,  en  eifet,  comment  s'ex- 

'  RoAcu  Smith,  Collectanea  antiqua.  vol.  m,  p.  48,  pi.  xiv. 

'  WiuGHT,  The  ceit,  thc  roman  and  the  saxons,  2  éd.,  p.  113  et  114. 

^  PiiuUET,  Les  Catacombes  de  Rome,  t.  iv,  pi.  .\ii,  fig.  8. 


T)li    MOYEN    AGI-:.  253 

priment  à  ce  sujet  Jean  Beleth,  chancelier  de  l'Université  de 
Paris  au  XIP  siècle,  et  son  commentateur  Guillaume  Durand, 
évêque  de  Mende  au  XllP  :  (Mortui)  habeant  et  soleas  in 
pedibus  quo  significent  ita  se  paratos  esse  ad  judicium  '. 
—  Et  ut  quidam  dicunt,  debent  liabere  caligas  circa  tibias 
ut  per  hoc  ipsos  esse  paratos  ad  judicium  reprœsentetur  ". 

C'est  à  cette  coutume  qui  fut  autant  ecclésiastique  que 
laïque  et  aussi  bien  monastique  que  populaire,  que  nous  attri- 
buons la  présence  des  nombreuses  semelles  de  cuir  de  san- 
dales qu'en  octobre  1861,  nous  avons  extrait  des  sépultures 
bénédictines  de  Saint- Wandrille.  Nous  n'en  avons  pas  trouvé 
moins  d'une  douzaine  dans  des  cercueils  de  plâtre  qui  ne 
nous 'paraissent  pas  remonter  au-delà  des  XI V°,  XY^  et 
XVr  siècles  \ 

Déjà  il  y  a  deux  cents  ans  il  avait  été  rencontré  des  chaus- 
sures dans  cette  même  abbaye  de  Fontenelle  lors  des  répara- 
tions exécutées  par  Dom  Laurent  Hunault  en  1671  \  Le 
lecteur  pourra  remarquer  que  les  pieds  du  religieux  Génove- 
fain,  représenté  en  tête  de  cet  article,  sont  couverts  de  bot- 
tines et  de  ligatures  qui  ont  lui  aspect  entièrement  funèbre. 

Les  fouilles  pratiquées  à  l'abbaye  de  Jumiéges  de  1 830  à 
1840  par  M.  Casimir  Caumont  ont  aussi  montré  autour  des 
jambes  des  abbés  des  bottines  de  cuir  ou  des  sandales  avec 
leurs  ligatures  ^  Nous  même,  nous  avons  pu  en  reconnaître 
en  octobre  1861 ,  dans  l'exploration  du  chapitre  de  Jumiéges 
que  M.  Lepel-Cointel  a  bien  voulu  faire  en  notre  présence. 


'  JoHAiN.  Belktii.  Divin,  offic.  explicatio,  c.  CLix. 
*  DuRAKDUs,  nationale  divin,  offic,  lib.  xii,  c.  35. 
^  Revue  de  la  Normandie,  l'^  année,  ]862,  p.  140-141. 
'*  »  Quatre  bottines  de  cuir,  parfaitement  conservées.  »   Guii.mkth,  Descr. 
(jéo(j.,hist.,  stal.  et  7non.  des  arrond.  etc,  t.  il,  p.  173. 
^  Sépult.  gaiiL,  mm. ,  franq.  cl  norm.,  p.  365. 


234  SÉPULTUHK  CHRÉTIENNE 

En  1801  également,  dans  la  cathédrale  de  Worcester,  on 
a  trouvé  dans  le  nnir  même  de  l'édifice  un  squelette  ayant 
aux  pieds  des  sandales  dont  les  semelles  de  cuir  avaient  très- 
peu  servi  '.  Un  petit  nombre  d'années  auparavant,  l'évêcpie 
Lyndewode,  récemment  découvert  en  Angleterre,  avait  été 
trouvé  avec  des  sandales  à  ses  pieds  ^  ;  ce  qui  prouva  aux 
Antiquaires  anglais  que  cette  coutume  avait  persévéré  dans 
la  Grande-Bretagne  jusqu'au  XVP  siècle. 

Des  découvertes  analogues  ont  été  faites  à  Angers  dans 
plusieurs  églises.  M.  Godard-Faultrier  cite  des  sandales,  des 
semelles  ou  des  bottines  de  cuir  sur  un  abbé  de  Toussaint 
trouvé  en  1845  %  et  sur  François  d'Orignai,  abbé  de  Saint- 
Serges,  trouvé  en  4857  \  Ce  dernier  vivait  au  XV*  siècle. 

La  coutume  paraît  remonter  très-loin,  car  un  historien 
milanais  assure  qu'en  1658,  on  retrouva  dans  la  basilique 
ambroisienne  le  tombeau  de  Bernard,  roi  d'Italie  et  petit- 
fils  de  Charlemagne.  Ce  prince,  inhumé  en  818,  avait  encore 
conservé  à  ses  pieds  et  autour  de  ses  jambes  des  chaussures 
de  cuir  rouge  et  des  semelles  de  bois  '\ 

On  a  surtout  recueilli  en  abondance  des  chaussures  sym- 
boliques en  bois  sculpté  dans  les  tombeaux  souabiens  de 
l'époque  carlovingienne ,  explorés,  en  184-6,  à  Oberflacht 


'  The  gentleman  s  magazine,  octobre  1861,  p.  427. 

*  yîrchœoloçfia,  vol,  xxxiv,  p.  403.  — Wylie,  The  graves  oj  t/ie  Jle- 
v)anni,  p.  2G. 

*  Goi)aud-Fai;ltuikr,  Nouvelles  archéologiques,  décembre  1853,  p.  11. — 
La  Paroisse,  1"  année,  p.  9,  15  sept.  1861. 

*  II).  No/e  sur  un  tombeau découv.  à  Saint-Serges  d'Angers,  p.  2.  —La Pa- 
roisse, 1^=  année,  p.  9,  15  sept.  1861. 

"  Superstites  adhuc  à  corio  rubeo  calcei  utrumque  pedem  contengebant  :  iidem 
que  ligncam  quisque  soleam  hinc  inde  coriaceis  indutam  habebunt.  »  PcRi- 
rKi.M,  .Monument  basilic,  ambros. 


DU    .MOYEN    AGE.  2.^)5 

près  Stutgai't,  dans  le  Wurtemberg  *.  Le  célèbre  docteur 
J.  Grimm  prétend  que  la  coutume  des  chaussures  funèbres 
existe  encore  en  Allemagne  ". 

On  cite  môme  des  traces  de  cet  usage  dèsl'éporpie  romaine. 
M.  Deville  a  reconnu  une  semelle  dorée  dans  un  tombeau  de 
Quatre-Mares  près  Rouen,  en  1815  \  Nous-même  en  avons 
trouvé  à  Cany,  en  i8i9  *,  et  M.  Godard-Faultrier  eii  signale 
à  Angers,  la  môme  année  ^. 

l'abbé  COCHET. 


'  VoiN  DdiiiucH,  Die  Iieidengraber  am  Lupfen  hei  Oherjlacht,  pi.  xiii,  n"  4. 
—  Wyi.ik,  The  graves  of  the  y/Iemanni  iyisurbese,  p.  24-26. 

-  Wylie,  Archœologia,  vol.  xxxvi,  p.  r29-161. 

'"  Devillk,  Découverte  de  scpult.  antiques  à  Quatre-Mares,  dans  la  Revue 
de  Rouen,  année  1845,  t.  i,  p.  124.  —  La  Normandie  souter  ,  2"  édition, 
p.  49. 

*  La  Normandie  solder.,  1'"  édition,  p.  5:1-54  :  2'^  édition,  p.  G3-64.  — 
GiRARDiiN,  Précis  analyt.  des  trav.   de  l'acad.  de  Rouen,  année  1852,  pi,  iv. 

*  Goi)Aud-Faui.trikii,  La  Paroisse,  P'"  année,  n"  9,  p.  229,  5  sept.  1861. 


HISTOIRE  DE  S.  JACQUES  LE  MAJEUR 
et  du  Pèlerinage  de  Composrelle. 


nEUXlÈME    ARTIfl.K  *. 


CHAPITRE  II. 

SAINT   JACQUKS   LE   MAJEDR   ET   QUELQUES  PERSOWIS'AGES   ÉVAKGIÎLIQUES. 

Deux  apôtres  ont  également  porté  le  nom  de  Jacques;  le 
saint  Evangile  les  distingue  de  deux  manières  :  d'abord,  par 
leur  nom  patrorfymique  :  l'un  est  Jacques  de  Zébédée,  c'est- 
à-dire  fils  de  Zébédée,  Jacobus  Zebedœi\  L'autre  est  Jacques 
d'Alphée,  c'est-à-dire  fils  d'Alphée,  Jacobus  Alphœi^-,  ensuite, 
par  voie  de  dissemblance  :  l'un  est  Jacques  le  Mineur,  Maria 
Jacobi  Minoris  %  qualification  qui  a  valu  à  l'autre  apôtre  le 
nom  de  Majeur,  quoique  ce  dernier  terme  n'ait  pas  été  em- 
ployé par  les  écrivains  sacrés. 

*  Voir  le  numéro  d'avril  1862,  p.  213. 

'  Matth.,  X,  3. 

-  Tbid. 

'  Mauc,  XV,  40. 


l'l';).KlilNAGK    DK   CuMrciSTKI.l.i;.  «57 

Saint  Jacques  le  Majeur,  fils  de  Zébédée,  a  été  ainsi  sur- 
nommé soit  à  cause  d'un  âge  plus  avancé  que  celui  de  son 
homonyme,  soit  à  cause  de  la  priorité  de  sa  vocation,  soit  à 
cause  d'une  taille  plus  élevée,  soit  enfin  à  cause  de  l'impor- 
tance des  faveurs  dont  son  divin  Maître  daigna  l'honorer. 

Il  n'entre  pas  dans  notre  sujet  de  parler  longuement  de 
saint  Jacques  le  Mineur.  Il  était  fils  d'Alphée  et  de  Marie, 
parente  de  la  très-sainte  Vierge;  il  était  donc,  selon  la  chair, 
parent  de  Notre-Seigneur,  et  non  son  frcTe,  quoique  le  saint 
Evangile,  pour  se  conformer  au  langage  des  Juifs,  lui  donne 
cette  épithète  :  «  Fratrcs  ejus  Jacobus  et  Joseph  et  Simon  et 
«  Judas  ' .  ')  Marie,  sa  mère,  est  appelée  dans  l'Évangile  Marie 
de  Cléophas,  Maria  Cleopha  -,  c'est-à-dire  femme  de  Cléophas, 
qui  est  le  même  qu'Alphée,  et  Marie  de  Jacques,  Maria  Ja- 
cobi^,  c'est-à-dire  mère  de  Jacques. 

Saint  Jacques  le  Mineur  eut  quatre  frères  :  V  Saint  Simon, 
apôtre,  surnommé  le  zélé  y  Simojiem,  qui  vocatur  j^e/o^es  \  et 
le  Cananéen ,  Cananœus  ^,  sans  doute  pour  le  distinguer  de 
Simon-Pierre^ ,  de  Simon  le  Cyrénéen  %  de  Simon  le  Lépreux  *, 
de  Simon  le  Corroijeur^^  de  Si77ion  le  Noir  '",  et  surtout  de 
Judas  Iscariote.  fils  de  Simon  *\  et  ensuite  parce  qu'il  était, 
comme  saint  Barthélémy,  de  la  célèbre  ville  de  Cana,  en 


'  Matth.,  XIII,  55. 

-  JOAN.,  XIX,  25. 

""  Matth.,  xxvii,  56.  —  Mauc,  xv,  40;  xvi,  1. 

■'  Lcc,  vx,  15.  —  Jct.,i,  13. 

^  Matth.,  x,  4.  —  Marc,  v,  18. 

«  Marc,  ui,  16.  —  Luc,  v,  8.  —  II  Pétri,  i,  1. 

"  Matth.,  xxvii,  32.  —  Marc,  xv,  21. 

"  Marc,  xiv,  3. 

"  .4ct.,  X,  6. 

'»  Act.,  XIII,  I. 

"  JoAN.,  V,  72;  XIII,  2,  26. 

tome  VI.  19. 


258  l'KLERINAliE   DE    COMrOSÏELLE. 

Galilée,  où  Notre  -  Seigneur  opéra  son  premier  miracle. 
2"  Saint  Judey  apôtre  et  auteur  de  la  deuxième  épître  ca- 
tholique, où  il  s'appelle  lui-même  frère  de  Jacques,  frater 
Jacobi\  pour  donner  plus  d'autorité  à  sa  parole.  Le  texte 
sacré  exprime  sa  fraternité  avec  saint  Jacques  par  ces  mots  : 
Jude  de  Jacques,  Judas  Jacohi  ",  c'est-à-dire  frère  de 
Jacques.  Saint  Matthieu  '',  saint  Marc  '',  et  le  canon  de  la 
Messe  le  nomment  Thaddée.  On  le  distingue  plus  communé- 
ment sous  ce  nom ,  de  peur  que  son  nom  de  Jude,  dont  l'or- 
thographe latine  est  la  même  que  celle  de  Judas  Iscariote, 
ne  soit  confondu  avec  celui  du  traître  qui  livra  Notre-Sei- 
gneur  aux  Juifs.  Le  texte  grec  de  saint  Mathieu  l'appelle 
Lehhée.  Il  prêcha  la  Foi  en  Mésopotamie,  pendant  que  saint 
Simon  évangélisait  rp]gypte.  Les  deux  frères  se  réunirent  en 
Perse,  y  convertirent  un  grand  nombre  d'infidèles,  et  furent 
martyrisés  en  même  temps.  Une  fête  commune  leur  a  été 
consacrée  par  l'Eglise,  le  28  octobre.  5"  Saint  Joseph,  appelé 
Barsahas,  surnommé  le  Juste  ^,  qui  fut  mis  sur  les  rangs  avec 
saint  Matthias,  lorsque  les  Apôtres  s'assemblèrent  pour  don- 
ner un  successeur  au  traître  Judas.  Le  Martyrologe  Romain 
fixe  sa  fête  au  20  juillet.  -4"  Saint  Siméon,  qui  n'est  pas  men- 
tionné dans  le  Nouveau  Testament,  mais  dont  la  tradition  et 
le  Martyrologe  Eomain  célèbrent  les  louanges.  Il  fut  évêque 
de  Jérusalem  après  son  frère  saint  Jacques  le  Mineur  et  fut 
crucifié  à  l'âge  de  120  ans.  La  sainte  Eglise  l'honore  le  18  fé- 
vrier. 

Telles  sont  les  annales  évangéliques ,  annales  mille  fois 

'  Jl'd^,  I. 

*  Lcc^,  VI,  J6.  -  AcL,  I,  V?,. 
5  Matth.,  X,  3. 

*  Marc,  m,  18. 
»  Acl.  I,  %>>. 


PKLEUINACK.    PK   COMPOSTF.t.LE.  25*.» 

glorieuses,  de  rimmortelle  fiunille  de  saint  Jacques  le  Mi- 
neur. Privilégié  entre  tous  ses  frères,  il  fut  élevé,  dit  saint 
Epiphane,  avec  l'enfant  Jésus.  Il  partage  avec  ses  frères 
l'honneur  d'avoir  été  appelé  dans  l'Evangile  '  frères  c'est-à- 
dire  parent  de  Notre-Seigneur.  Il  est  le  seul  de  sa  famille  et 
le  seul  des  Apôtres  à  qui  saint  Paul  ait  donné  cette  précieuse 
qualification  :  «  Aliuni  Apostoloruni  vidi  neminem,  nisi  Jaco- 
«<  bum  fratrem  Domini-.  »  Selon  les  apparences  physiques,  il 
était  frh^e  de  Notre-Seigneur  par  une  ressemblance  de  traits 
si  frappante,  que  Judas  craignait  une  méprise  de  la  part  des 
Juifs  qui  devaient  arrêter  son  maître  et  se  crut  obligé  de  le 
leur  signaler  d'une  manière  infaillible  par  un  baiser  perfide. 
Quelques  interprètes  ont  supposé  que  saint  Jean  faisait  allu- 
sion à  cette  ressemblance  par  ces  mots  de  l'Apocalypse  :  J'ai 
\\\  quelqu'un  qui  ressemblait  au  Fils  de  l'Homme  :  «  Vidi... 
«  similem  Filio  hominis^ .  »  Il  avait  aussi,  à  un  degré  éminent, 
la  pureté  de  Notre-Seigneur,  sa  foi,  sa  sagesse,  son  amour 
de  la  paix  *  et  l'innocence  de  sa  vie.  Comme  le  Sauveur,  il 
priait  sans  cesse  et  le  front  contre  terre,  à  tel  point  que  son 
front  et  ses  genoux  étaient  devenus  aussi  durs  que  la  peau 
d'un  chameau  ^  A  l'austérité  d'un  jeûne  de  chaque  jour  il 
ajoutait  la  privation  constante  de  vin  et  de  viande.  Après 
la  mort  de  son  divin  Maître,  il  jura  de  ne  rien  manger  jusqu'à 
ce  qu'il  l'eût  vu  ressuscité.  Notre-Seigneur  récompensa  sa 


'  Matt.,  xiii,  25. 

*  Galat.,  1,  19. 

^  Apoc,  I,  12,  13. 

*  Un  tableau  d'Overbeck,  reproduit  en  gravure  par  Franc.  Keller,  repré- 
sente saint  Jacques  le  Mineur  avec  une  branche  d'olivier  à  la  main.  C'est 
une  innovation  qui  ne  trouve  son  excuse  que  dans  une  des  qualités  du  saint. 

*  S.  JoANKis  Chrysostomi  opéra  edict.  Migne,  t.  vu,  col.  113.  —  Légende 
du  Bréviaire  romain  (1  mai]. 


260  l'KU',lU.\AGE    DE    COMTOSTELLE. 

foi  par  la  laveur  d'une  apparition  spéciale  :  «  Deindè  visus 
«  est  Jacobo  * .  » 

La  sainteté  de  saint  Jacques  lui  valut,  comme  à  l'un  de 
ses  frères,  le  surnom  de  Juste.  Les  fidèles  se  réjouissaient, 
quand  ils  pouvaient  toucher  la  frange  de  ses  vêtements.  De 
leur  côté,  les  Apôtres,  par  une  considération  particulière  pour 
sa  vertu,  lui  confièrent  le  gouvernement  de  l'Eglise  naissante 
de  Jérusalem  et  la  garde  du  saint  Sépulcre.  11  fut  donc  le 
premier  évêque  de  lo,  ville  sainte;  il  fut  aussi  le  premier  parmi 
les  apôtres  qui  célébra  la  messe ,  après  l'Ascension  du  Sei- 
gneur, s'il  faut  en  croire  un  auteur  du  XIIP  siècle,  Jacques 
de  Voragine,  auquel  nous  devons  une  précieuse  collection  de 
curieux  récits,  connus  sous  le  nom  (VHistoire  Lombarde  ou 
Légende  dorée.  Un  autre  auteur  ajoute,  dans  un  ouvrage  non 
moins  curieux  et  plus  rare,  que  les  Apôtres  et  la  sainte  Vierge 
communièrent  de  la  main  de  saint  Jacques  le  Mineur  ^. 

Son  zèle  s'étendait  au  delà  de  Jérusalem,  comme  le  té- 
moigne son  épitre  catholique .^  ainsi  appelée  parce  qu'elle  n'est 
adressée  à  aucune  église  particulière,  mais  aux  douze  tribus 
dispersées  dans  l'univers.  Par  cette  épître,  un  des  modèles 
de  l'éloquence  chrétienne,  il  partage  avec  saint  Jude  l'hon- 
neur d'être  classé  parmi  les  écrivains  sacrés.  Il  assista, 
l'an  51,  au  concile  de  Jérusalem,  où  fut  discutée  la  question 
de  la  circoncision  et  des  autres  cérémonies  légales.  Il  y  parla 
après  saint  Pierre  et  fit  adopter  par  les  Apôtres  une  décision 
qui  fut  envoyée  aux  chrétiens  que  les  Juifs  convertis  avaient 


'  I  Cor.,  XV.  7. 

-  Lucis  evangelicœ  suh  vélum,  sacroram  emhleinatinn,recondilœ,j)ars  terlia; 
hoc  est  cœleste  panthéon  sive  calum  novum  in  Jesta  et  gexta  sanctonini  fotins 
anni  ;  varie  illustratmn  per  R.  P.  Hkkricdm  Engklgrave,  s.  ;'.  Antverpiœ, 
1658,  t.  1,  p.  188. 


l'KLERlNAGE    DE   COMTOSTELLE.  2Gl 

voulu  iu(|uiéter.  Au  témoignage  de  salut  Paul,  il  était  avec 
saint  Pierre  et  saint  Jean  une  des  colonnes  de  l'Eglise  '. 

Epuisé  de  travaux  et  de  vieillesse,  le  saint  Apôtre  avait 
atteint  la  50"  année  de  son  épiscopat  et  la  90'"  de  son  âge. 
Les  Juifs,  irrités  d'avoir  échoué  contre  saint  Paul,  parce  qu'il 
en  avait  appelé  à  César  et  qu'il  avait  été  envoyé  à  Rome, 
tournèrent  toute  leur  fureur  contre  saint  Jacques.  Ils  le  lapi- 
dèrent et  le  précipitèrent  du  haut  du  temple.  Surmontant  la 
douleur  de  ses  membres  brisés,  le  Saint  levait  les  mains  vers 
le  ciel  et  priait  pour  ses  bourreaux,  en  empruntant  les  paroles 
du  Sauveur  .  «  Pardonnez -leur,  parce  qu'ils  ne  savent  ce 
<i  qu'ils  font.  »  Pendant  que  ses  lèvres  mourantes  murmuraient 
ces  douces  paroles  de  la  miséricorde  divine,  un  foulon  dé- 
chargea sur  sa  tête  un  coup  violent  avec  l'instrument  de  son 
métier  et  consomma  son  martyre.  C'était  l'an  65  de  l'ère 
nouvelle;  Néron  régnait  à  Rome  depuis  sept  ans  '.  Saint 
Jacques  fut  enseveli  près  du  temple;  mais  plus  tard  son  corps 
fut  porté  à  Rome  ^;  le  pape  Jean  III  lui  dédia  une  église  en 
559  et  assigna  à  sa  fête ,  jointe  à  celle  de  saint  Philippe ,  le 
1"  jour  de  mai. 

L'Art  chrétien,  convertissant  en  un  titre  de  gloire  pour 
saint  Jacques  le  Mineur  l'instrument  de  son  supplice,  lui  a 
donné  pour  attribut  caractéristique  un  bâton  de  foulon.  Con- 
tentons-nous de  citer  la  façade  méridionale  de  la  cathédrale 
de  Chartres,  un  triptyque  du  maître-autel  de  la  cathédrale 
de  Meissen,  en  Allemagne,  et  un  retable  de  la  cathédrale  de 
Clermont. 


'  Galat.,  Il,  9. 

-  S.  HiERONYMi  opéra  omnia,  édit.  Migne,  t.  ii,  col.  613. 

"'  La  vie  et  les  miracles  de  sainte  Anne  avec  un  abrégé  des  Vies  des  Saints 
et  Saintes  qui  composent  la  famille  de  Jésus.  Bordeaux,  1690,  chez  Simon 
de  la  Court,  p.  356. 


262  l'ÈLEUINAGE    DE    COMPOSTELLE. 

La  question  ainsi  dégagée,  nous  étudierons  plus  facilement 
le  Saint  le  plus  populaire  de  la  catholique  Espagne,  saint 
Jacques  le  Majeur  ou  saint  Jacques  le  Grande  ainsi  qu'il  est 
appelé  dans  certains  livres.  Retracer  sa  vie,  ses  courses  apos- 
toliques, ses  prédications  et  les  hommages  que  toute  la  chré- 
tienté, mais  surtout  l'Espagne  et  la  France,  lui  ont  décernés, 
c'est  presque  écrire  une  épopée.  L'histoire  a  ses  grands 
hommes,  connus  d'un  petit  nombre  de  lettrés  ;  l'Eglise  a  ses 
héros,  dont  le  nom  est  répété  chaque  jour  par  des  milliers  de 
savants  et  d'ignorants,  de  grands  et  de  petits,  dont  le  nom 
est  invoqué,  dont  le  nom  est  porté  comme  une  marque  assurée 
de  protection.  Celui  dont  j'ai  entrepris  un  peu  témérairement 
l'histoire  et  que  dorénavant  je  n'appellerai  plus  que  saint 
Jacques,  sans  addition  de  son  surnom  de  Majeur,  est  grand 
et  illustre  entre  tous  les  autres.  A  défaut  d'éloquence,  il  me 
suffira  d'être  vrai  pour  faire  aimer  et  admirer  un  des  parents 
du  Sauveur,  un  de  ses  plus  chers  disciples,  un  de  nos  pre- 
miers pères  dans  la  foi. 

Saint  Jacques  naquit  à  Bethsaïde ,  petite  ville  de  la  Ga- 
lilée, située  à  l'une  des  extrémités  du  fameux  lac  de  Géné- 
sareth.  Il  eut  donc  la  même  patrie  que  le  Prince  des  Apôtres, 
saint  Philippe  et  saint  André.  Zébédée  fut  son  père;  par  sa 
mère  Salomé,  sœur  ou  du  moins  parente  de  la  sainte  Vierge, 
selon  l'interprétation  fournie  par  le  Propre  des  Saints  du  dio- 
cèse de  Bordeaux  ' ,  il  était  lui-même  parent,  à  un  degré  plus 
ou  moins  éloigné,  du  Messie  promis  à  l'univers. 

On  s'accorde  généralement  à  croire  que  Marie  Jacobé  et 
Marie  Salomé,  mères  des  deux  apôtres  appelés  Jacques,  étaient 
sœurs  ;  les  deux  apôtres  dont  elles  étaient  les  mères,  étaient 
donc  cousins  germains. 

"  XXV  Mdii 


l'ÉLElUNAGE   HE    COAU'OSTELLl';.  263 

La  tradition  rapporte  qu'après  la  mort  du  Christ  les  deux 
sœurs  s'embarquèrent  avec  sainte  Madeleine,  saint  La- 
zare, etc.,  et  que  cette  sainte  troupe  aborda  en  Provence,  à 
l'embouchure  du  Rhône,  sur  les  côtes  de  l'île  appelée  au- 
jourd'hui la  Camargue.  «  On  croit,  dit  M.  Faillon,  que  l'en- 
«  droit  où  abordèrent  les  saints  Apôtres  de  la  Provence  est 
«  dans  le  voisinage  du  Gras  dOrcjon  ',  à  une  petite  distance 
«  de  la  ville  qui  porte  aujourd'hui  indifFéremment  le  nom 
«  des  Saintes  Maries  ou  celui  de  Notre-Dame-de- la-Mer.  On 
•'  ajoute  que,  voulant  rendre  grâce  à  Dieu,  qui  les  avait  con- 
«  duits  par  sa  providence,  ces  saints  personnages  lui  éle- 
«  vèrent  un  autel  de  terre  pétrie,  parce  que,  sans  doute,  ils 
«  ne  trouvaient  pas  d'autres  matériaux  dans  ce  lieu  ;  et  que 
«  Dieu,  pour  témoigner  combien  leur  religion  lui  était 
"  agréable,  lit  sourdre  une  source  d'eau  douce  -  dans  cet  en- 
«  droit  même,  où  l'on  n'en  trouvait  auparavant  que  de  salée; 
«  que  ce  prodige  les  déterminant  à  convertir  ce  lieu  en  ora- 
"  toire,  ils  le  dédièrent  à  Dieu  en  l'iionneur  de  la  bien- 
"  heureuse  Vierge  Marie,  et  que  cette  circonstance  engagea 
«  les  saintes  Maries  Jacobé  et  Salomé  à  se  fixer  elles-mêmes 
<(  dans  ce  lieu,  en  se  construisant  une  cellule  jointe  à  l'ora- 
«  toire,  tandis  que  les  autres  saints  personnages  de  cette 
<'  troupe  allèrent  exercer  leur  zèle  à  Marseille ,  à  Aix  et  ail- 
"  leurs.  Ces  deux  pièces,  l'oratoire  et  la  cellule  qui  y  était 
«  jointe,  furent  l'origine  de  l'église  actuelle  de  Notre-Dame- 
"  de-la-Mer,  et  le  motif  de  la  réédification  de  cette  ville 
«  après  sa  destruction  par  les  Sarrasins.  La  tradition  ajoute 

*  Gras  ou  Grau  signifie  embouchure .  Le  terme  latin  gradiis  ou  grattis  dé- 
rive, selon  Du  Cange,  a  çjradiendo,  c'est-à-dire  de  la  marche  du  fleuve  vers 
la  mer. 

'  Cette  source  existe  encore.  Le  peuple  lui  attribue  la  propriété  de  guérir 
les  morsures  des  chiens  enragés. 


264  PÈLERINAGE    1>E    CO.MroSTELLE. 

'1  que  ces  saintes  femmes,  sachant  par  les  propîiéties  de 
■'<  Notre-Seigneur  que  la  Palestine  devait  être  bientôt  dé- 
"  vastée  et  entièrement  ruinée,  avaient  apporté  avec  elles, 
«  en  partant  de  Jérusalem,  trois  têtes  des  saints  Innocents, 
"  et  une  autre  qu'on  prétend  être  celle  de  saint  Jacques.  Il 
«  est  certain,  du  moins,  que  trois  têtes  de  petits  enfants,  et 
'<  une  autre  plus  considérable,  furent  déposées  dans  la  terre 
«  avec  les  corps  des  saintes  Maries,  qu'on  inhuma  à  côté 
«  de  la  source,  dans  l'oratoire  dédié  à  la  très-sainte  Vierge, 
"  et  où  était  l'autel  dont  nous  avons  parlé  * .  » 

L'auteur  si  érudit,  que  nous  venons  de  citer,  démontre  la 
vérité  de  cette  tradition  par  des  arguments  trop  péremptoires 
pour  n'être  pas  acceptés,  mais  trop  étendus  pour  être  admis 
dans  mon  travail.  Cette  tradition,  qui  fait  remonter  au 
P'"  siècle  la  prédication  de  l'Evangile  dans  une  partie  des 
Gaules,  est  mille  fois  glorieuse  pour  notre  pays  et  méritait 
une  mention  particulière.  Le  soleil  de  la  loi  de  grâce  s'est 
levé  sur  nous  en  même  temps  que  sur  la  Péninsule  Ibérique. 

L'Art  chrétien  a  reproduit  le  voyage  des  saintes  Maries 
Jacobé  et  Salomé  dans  un  petit  groupe,  aujourd'hui  mutilé, 
qui  termine  la  crête  du  toit  de  l'église  de  Notre-Dame-de-la- 
Mer,  du  côté  du  couchant.  Un  jeune  artiste  plein  d'avenir, 
M.  Aie.  Giraud,  a  bien  voulu  dessiner  ce  groupe,  au  profit 
de  mes  lecteurs. 

Ce  sont  deux  figures  de  femmes  dans  une  nacelle  qui  vogue 
sur  la  mer  ;  type  reçu  dans  le  pays  pour  désigner  ces  deux 
saintes,  ainsi  que  la  ville  de  Notre-Dame-de-la-Mer. 

Nous  n'avons  assigné  qu'une  date  approximative  au  mo- 
nument de  l'église  dont  nous  parlons.  Mais  les  draperies 


*  Monuments  inédits  sur  l'nposlolat  de  sainte  Marie-Madeleine,  etc.,  t.  i, 
roi.  1267-68. 


PMLERlNAaE    DE   COMPOSTJ'LLE. 


265 


rappellent  les  formes  et  les  règles  de  la  sculpture  des  Ro- 
mains. L'église,  à  son  tour,  offre  des  caractères  non  contredits 


Voyage  des  saintes  Maries  Jacobé  et  Salorné. 
(Monument  antériuur  au  IX°  sièclf.) 

par  l'histoire  de  sa  fondation,  et  d'une  antiquité  telle,  qu'il 
n'y  a  point  de  témérité  à  adopter  pour  ce  monument  une 
époque  antéi'ieure  au  siècle  de  Louis-le-Débonnaire  ' . 


'  Une  autre  église,  celle  de  Lisbonne,  a  dans  ses  armoiries  une  barque  en 
mémoire  de  la  bai'que  qui  y  porta  miraculeusement  le  corps  de  saint  Vincent, 
diacre  et  martyr  à  Valence,  depuis  le  cap  qui  porte  encore  aujourd'hui  le 
nom  de  ce  saint,  et  qui  anciennement  se  nommait  le  promontoire  sacre  des 
Algarves.  Les  deux  corbeaux  qu'on  remarque  sur  la  proue  et  la  poupe  rap- 
pellent les  deux  oiseaux  de  cette  espèce  qui  défendirent  le  corps  du  saint 
exposé,  après  son  martyre,  aux  bêtes  féroces.  D.  Alphonse  Henriquez,  pre- 
mier roi  de  Portugal,  plaça  ce  dépôt  sacré  dans  l'église  cathédrale,  qui  en  fit 
ses  armoiries  ainsi  que  la  ville  de  Lisbonne  :  «  En  memoria,  dit  l'historien, 
de  la  nave  que  ano  1173,  milagrosamente  conduxo  el  divino  cuerpo  de 
San  Vincente  Martir,  patron  suyo,  desde  el  cabo  asi  dicho,  antiguamente  pro- 
vwntorio  sacro  del  ./Igarve,  colocada  en  la  cathedral  por  el  primero  Rey 
D.  Alfonso  Henriquez.  » 


266  rÈLERINAGE   DE   COMPOSTELLE, 

Ce  type  explique  l'origine  du  nom  de  Notre-Dame-de-la- 
Barque^  sancta  Maria  de  Ratis,  donné  primitivement  à  l'église 
desSai7ites,  en  mémoire  de  la  barque  sur  laquelle  abordèrent 
les  saints  Apôtres  du  pays,  comme  l'attestent  les  auteurs  de 
Provence,  Ruffi,  Suarez,  Bouche,  Guesnay,  Noguier. 

Lors  des  ravages  des  Sarrasins,  les  reliques  des  saintes 
Maries  furent  cachées  sous  terre.  On  les  découvrit  en  1448, 
au  moyen  des  fouilles  ordonnées  par  le  roi  René  et  dirigées 
par  les  commissaires  que  délégua  le  pape  Nicolas  V.  Leur 
authenticité  une  fois  reconnue,  le  roi  René  et  la  reine  Isa- 
belle de  Lorraine  arrivèrent  pour  les  honorer.  La  cour  bril- 
lante qui  les  accompagnait  assista  aux  fêtes  par  lesquelles  on 
célébra  la  bienheureuse  invention  de  ces  reliques.  Le  bon  roi 
offrit  des  châsses  pour  renfermer  le  pieux  trésor  ;  puis  il  fit 
présent  à  l'église  de  trois  tableaux  peints  par  lui-même,  que 
la  gravure  a  reproduits  dans  le  siècle  dernier.  L'un  avait 
pour  sujet  la  Vierge-Mère,  une  autre  sainte  Marie  Jacobé  et 
le  troisième  sainte  Marie  Salomé.  Le  roi- artiste  avait  repré- 
senté les  saintes  Maries  avec  un  vase  de  parfums  à  la  main, 
conformément  au  texte  de  saint  Marc,  qui  nous  apprend 
qu'après  le  sabbat  elles  achetèrent  des  parfums  pour  venir 
embaumer  Jésus  :  «  Et  cùm  transisset  sabbatum,  Maria  Mag- 
<i  dalene,  et  Maria  Jabobi,  et  Salome  emerunt  aromata  ut  ve- 
«  nientes  ungerent  Jesum' .  »  La  prose  si  populaire,  0  filii  et 
filiœ,  que  les  fidèles  chantent  avec  tant  d'allégresse  au  jour 
de  Pâques ,  rend  aussi  hommage  à  cet  acte  intentionnel  de 
piété  : 

Et  Maria  Magdalene, 
Et  Jacobi  et  Salome 
Venerunt  corpus  ungere. 

'  Marc,  xvi,  1. 


I-^KLKRINAGE    DE   COAU'USTELLi:.  2(17 

Les  Grecs  ont  donné  le  nom  de  Myrrophorvs  aux  suintes 
emèaMmewses  de  Jésus.  Ils  en  comptent  six,  parmi  lesquelles 
figurent  de  plein  droit  Jacobé  et  Salomé  ' ,  Elles  figurent  aussi, 
sous  un  costume  de  veuve,  avec  ou  sans  parfums,  auprès  des 
saints  sépulcres  dont  la  religion  de  nos  pères  a  décoré  tant 
de  chapelles. 

L'église  de  Notre-Dame-de-la-]\Ier  a  conservé  les  précieux 
restes  de  ses  évangéliques  fondatrices  et  les  montre  chaque 
année,  le  22  octobre,  à  la  foule  empressée  et  recueillie.  On  ne 
saurait  trop  honorer  les  illustres  ancêtres  de  notre  foi. 

Saint  Jacques  me  pardonnera  d'avoir  consacré  quelques 
ligues  à  sa  glorieuse  mère  et  à  la  sœur  de  sa  mère,  insépa- 
rables dans  leur  tombeau  comme  dans  notre  culte.  Quand  la 
mère  et  le  fils  sont  grands  tous  les  deux  devant  Dieu  et  de- 
vant les  hommes,  comment  parler  de  l'un  sans  parler  de 
l'autre?  Et  quand  la  Providence,  la  céleste  distributrice  des 
faveurs  temporelles  et  spirituelles,  a  doté  de  leurs  cendres 
des  royaumes  différents,  le  pèlerin  qui  s'exile  pour  quelques 
jours  dans  un  but  de  dévotion,  peut-il  oublier  les  sanctuaires 
chéris  qu'il  a  laissés  dans  sa  patrie?  A  chaque  pays  ses  joies 
et  ses  consolations.  Si  la  Galice  nous  vante  le  tombeau  de 
saint  Jacques  et  contemple  avec  orgueil  les  phalanges  de 
pèlerins  qui  se  succèdent  de  siècle  en  siècle  dans  son  immor- 
telle basilique,  celui  de  la  mère  de  cet  apôtre,  sur  les  bords 
d'une  lie  provençale,  n'est  pas  sans  quelque  gloire.  Il  a  eu 


'  Dans  l'église  grecque,  le  deuxième  dimanche  après  Pâques,  que  nous 
appelons  du  Bon-Pasteur ^  est  désigné  sous  le  nom  de  dimanche  des  saintes 
Jfijrrophores  ou  porte-parfums.  On  y  célèbre  particulièrement  la  piété  des 
saintes  femmes  qui  portèrent  des  parfums  au  sépulcre  pour  embaumer  le 
corps  du  Sauveur.  Joseph  d'Arimathie  a  aussi  une  part  dans  les  cantiques 
dont  se  compose  l'office  de  l'église  grecque  durant  cette  semaine.  [L  année 
liturgique,  par  Duin  Guéranger,  '2"  partie  du  temps  pascal,  p.  1(34  ) 


208  l'ÈLERINAGE    DE    COMPOSTELLE. 

ses  historiens,  ses  poètes,  ses  prodiges  et  ses  pèlerins  de  toute 
classe  et  de  toute  province.  Le  royaume  tres-chrétienn^QsX  pas 
un  des  moins  riches  en  reliques  et  eh  souvenirs  religieux. 

Par  un  privilège  qui  ne  devait  pas  être  réservé  à  tous  les 
Apôtres,  le  texte  sacré  nous  a  révélé  les  noms  du  père  et  de 
la  mère  de  saint  Jacques,  et  leur  a  assuré  par  cette  seule 
mention  une  infaillible  innnortalité. 

La  Providence  donna  tardivement  '  à  saint  Jacques  un 
frère,  du  nom  de  Jean,  encore  plus  illustre  que  les  auteurs 
de  ses  jours,  lui  frère  qui  devait  être  l'ami  du  Sauveur, 
apôtre,  évangéliste,  martyr,  le  type  le  plus  complet  de  l'in- 
nocence, le  favori  du  ciel  et  de  la  terre. 

Jacques  et  Jean  étaient  pêcheurs  comme  leur  père.  Un  jour 
qu'ils  raccommodaient  leurs  filets,  Notre-Seigneur  les  aperçut 
dans  leur  barque  et  les  appela.  A  l'instant,  ils  quittent  leurs 
filets  et  leur  père  et  suivent  Jésus  de  Nazareth.  «  Illi  autem, 
«  statim  relictis  retibus  et  pâtre,  secuti  sunt  eum  ^  »  Leur 
vocation  avait  suivi  de  près,  peut-être  immédiatement,  celle 
de  saint  Pierre  et  de  saint  André,  avec  lesquels  ils  avaient 
de  commun  la  patrie  et  la  profession. 

Le  nom  de  Jacques  a  la  même  étymologie  que  celui  de 
Jacob;  en  hébreu,  il  signifie  littéralement  supplantateur, 
supplantator  ;  celui  de  Jean  se  traduit  par  deux  mots,  grâce 
du  Seigneur,  Domini  fjralia.  Dans  le  sens  spirituel,  ces  deux 
noms  signifient  chacun  une  vertu,  selon  saint  Bernardin  de 
Sienne  :  «  Petrus  interpretatur  obediens,  Jacobus  pauper, 
«  Joannes  castus  et  luminosus  gratiâ  Dei  ^  » 

'  Selon  quelques  auteurs,  saint  Jacques  était  né  12  ans  avant  le  Messie,  et 
6  ans  avant  saint  Jean  l 'Evangéliste,  son  frère, 

*  Matth.,  IV,  22. 

°  S.  Bkrnaudim  Senk^jsis,  Ordinis  Seraphici  M'movwn,  Scrmoncs  eximii 
de  Christo  Domino,  etc.  Lugduni,  1650,  t.  iii,  p.  201. 


l'KI.ElUNAGK    DE    CO.MrOSTKLI.E.  ^(lO 

Les  deux  frères  reçurent  du  divin  Maître  un  surnom  qui 
exprime  un  nouveau  mérite  :  ils  furent  appelés  Boancrges^ 
c'est-à-dire  enfants  du  tonnerre  :  «  imposuit  eis  nomen  Boa- 
«  nergeSj  quod  est  filii  tonitrui  '.  »  Par  cette  qualification,  le 
Sauveur  désignait  cette  trompette  éclatante  de  la  vérité,  que 
ces  deux  apôtres  devaient  faire  retentir  dans  tout  l'univers, 
et  qui  fit  trembler  la  terre  pour  l'assujettir  au  joug  adorable 
du  Seigneur. 

Quelques  interprètes  appliquent  particulièrement  à  saint 
Jean  ce  nom  d'enfant  du  tonnerre^  parce  que  ses  écrits,  sur- 
tout son  évangile,  sont  comme  un  tonnerre  qui  se  fait  en- 
tendre du  haut  des  nuées  à  cause  de  leur  sublimité  ;  une  lé- 
gende rapporte  que  lorsque  saint  Jean  écrivit  son  immortel 
chapitre  de  la  divinité  du  Verbe,  le  ciel  souscrivit  à  chacune 
de  ses  paroles  par  un  coup  de  tonnerre. 

Mais  la  même  épithète  exprime  aussi  la  puissance,  l'é- 
nergie et  la  sphère  d' activité  de  la  prédication  de  saint  Jacques 
qui  retentit  du  couchant  à  l'aurore,  en  Espagne  et  en  Pa- 
lestine ;  elle  peint  également  la  mfde  sévérité  des  traits  qui 
distinguent  la  figure  de  cet  apôtre,  et  elle  symbolise  la  ter- 
reur qu'il  imprima  aux  ennemis  du  nom  chrétien,  comme 
nous  le  dirons  plus  tard.  Il  faut  ajouter  que  les  phénomènes 
atmosphériques  de  la  Galice,  patrie  adoptive  de  saint  Jacques 
après  sa  mort,  justifient,  à  leur  façon,  le  surnom  de  Boanerges. 
J'ai  entendu,  près  de  Compostelle,  des  explosions  électriques 
tellement  formidables  que  le  sol  ébranlé  semblait  s'agiter  sur 
ses  bases.  V enfant  du  tonnerre  habite  donc  le  pays  des  ton- 
nerres, pour  en  être  sans  doute  le  paratonnerre.  On  l'invoque 
avec  saint  Jean  l'évangéliste  et  sainte  Barbe  contre  la  foudre. 

Saint  Jacques  fut  honoré  comme  saint  Jean,  mais  à  un 

-*  Mahc,  m,  17. 


270  l'KLKKlNAGE    DE   COMPOSTELLE. 

degré  inférieur,  de  l'amitié  de  Jésus-Christ.  Il  assista  comme 
témoin  et  comme  acteur  à  l'une  des  pêches  miraculeuses  '  ; 
il  assista  à  la  guérison  de  la  belle-mère  de  saint  Pierre  ^  et 
de  l'hémorroïsse,  à  la  résurrection  de  la  fille  d'un  chef  de  la 
synagogue  nommé  Jaïre  %  à  la  transfiguration  '',  à  l'agonie 
de  Notre-Seigueur  dans  le  jardin  des  Oliviers  ^  et  à  toutes  les 
apparitions  deNotre-Seigneur  après  sa  glorieuse  résurrection. 

Les  Samaritains  refusèrent  un  jour  de  recevoir  Notre-Sei- 
gneur  chez  eux  parce  qu'il  allait  à  Jérusalem.  Jacques  et 
Jean,  les  deux  enfants  du  tonnerre,  indignés  de  cet  outrage, 
dirent  à  leur  maître  :  «  Voulez-vous  que  nous  commandions 
«  au  feu  du  ciel  de  descendre  sur  ces  gens-là  ?»  —  «  Vous  ne 
«  savez  à  quel  esprit  vous  appartenez,  »  répondit  le  Sauveur **. 
A  une  autre  époque,  le  prophète  Elle  avait  pu  user  de  moyens 
violents  pour  venger  la  gloire  du  Seigneur  ;  mais  la  loi  de 
grâce  venait  d'être  inaugurée  par  V Agneau  de  Dieu.  L'esprit 
de  douceur,  de  mansuétude  et  d'immolation  devait  seul  pré- 
sider au  zèle  des  Apôtres. 

Les  Apôtres  avaient  tout  abondonné  pour  suivre  Jésus- 
Christ.  Quelle  devait  être  leur  récompense  ?  Notre-Seigneur 
promit  à  chacun  d'eux  un  trône  à  côté  du  trône  de  sa  gloire, 
quand  viendrait  le  temps  de  la  Régénération,,  c'est-à-dire  du 
jugement  dernier  \  Salomé  appliquait  à  la  création  d'un 
royaume  temporel  ces  paroles  qui  flattaient  son  ambition 
maternelle  ;  d'un  côté,  elle  redoutait  la  prépondérance  de 


«  LtJc,  V,  4-10. 
«  Maiu;.,  I,  29-31. 
5  Marc,  v,  22-43. 
*  Matth.,  XVII,  1-10. 
"  Matth.,  xxvi,  36-38. 
8  Luc,  IX,  51-56. 
'  Matth  ,  xix,  26-30. 


PÈLERINAGE    IlE    COMFOS'l'EM.K.  271 

saint  Pierre,  qu'elle  voyait  préféré  aux  autres  dans  les 
grandes  occasions  ;  mais  d'un  autre  côté,  elle  comptait  sur  le 
mérite  de  ses  fils  et  sur  les  droits  que  leur  parenté  avec  le 
Sauveur  semblait  leur  conférer.  Elle  aborde  donc  avec  con- 
fiance Notre-Seigneur  :  «  Ordonnez,  lui  dit-elle,  que  mes  deux 
fils  soient  assis  dans  votre  royaume,  l'un  à  votre  droite  et 
l'autre  à  votre  gauche.  »  —  «  Vous  ne  savez  pas  ce  que  vous 
demandez,  »  leur  répond  Jésus  '.  Les  disciples  insistent; 
Notre-Seigneur  supporte  leur  ignorante  importunité  et  en 
profite  pour  leur  tracer  une  règle  de  conduite  plus  conforme 
à  l'humilité  évangélique.  Une  primauté  autrement  désirable 
que  toutes  celles  de  ce  monde  était  réservée  à  saint  Jacques  ; 
le  moment  approche  d'en  parler. 

L'aBBE   l'ARDlAC. 

[La  suite  au  prochain  numéro.] 


•  Matth.,  XX,  20-24   —  Bossuet   a   supérieurement   explané  ce   passage 
évangélique  dans  le  Précis  d'un  Panégyrique  pour  la  fête  de  saint  Jacques. 


L'ÉGLISE  DE  NOGENT- LES-VIERGES 
[Note  adduionnelle  ) 


Monsieur  le  Directeur, 

Ma  notice  sur  l'église  de  Nogent-les-Vierges ,  insérée  dans  le  nu- 
méro de  mai  1860  delà  Revue  de  l'Art  chrétien,  contient,  sm^Béatrix 
de  Bourbon,  reine  de  Bohême,  des  erreurs  que  M.  Houbigant  a 
bien  voulu  me  signaler  et  que  je  crois  devoir  rectifier.  J'avais  eu 
le  tort  d'accepter,  sans  recourir  aux  sources,  les  allégations  de 
M.  Graves.  Quelle  que  fût  la  confiance  due,  en  général,  à  ce  conscien- 
cieux auteur,  j'aurais  dû  faire,  en  écrivant  la  notice,  ce  que  j'ai  fait 
depuis. 

Je  ferai  remarquer,  d'abord,  une  faute  de  typographie,  dans 
la  reproduction  de  l'inscription  du  monument  élevé  à  Creil  sur  la 
place  des  Marais.  La  date  est  1385  et  non  1395.  Mais  cette  date 
de  1385,  qui  se  trouve  dans  le  Dictionnaire  historique  de  Moréri, 
est  fausse  elle-même,  comme  je  le  démontrerai  plus  loin. 

Louis  Ii^f,  duc  de  Bourbon,  fut  mis,  en  1318,  en  possession  de  la 
chatellenie  de  Creil,  dont  le  possesseur  devait  hommage  au  comte 
de  ClermoLit,  et  qui  était  affectée,  par  privilège,  à  l'aîné  de  la  mai- 
son de  Bourbon*. 

En  1325,  il  abandonna  cette  chatellenie  à  Charles-le-Bel,  roi  de 
France.  Mais,  deux  ans  après,  et  sous  Philippe  de  Valois,  elle  ren- 
tra en  sa  possession. 

Béalrix  de  Bourbon,  fille  de  Louis  P''  et  de  Marie  de  Hainaut, 

'  Histoire  de  la  ville  de  Creil ^  par  M    Mathow,  de  Keauvais.   1861. 


F/KGLISE    DE    NOGENT-LhS-VII.UGES.  '273 

('•[lousa,  eu  133i*  ou  1335*,  Johan  de  Luxenibouig,  loi  de  Bolièmc, 
ol  lui  apporta  en  dot,  à  titre  de  Ijaioiinie,  la  terre  deCreil,  estimée 
4,000  livres  de  rente,  à  charge  d'hommage  envers  les  comtes  de 
Clermont. 

De  ce  mariage  naquit  un  fils,  du  nom  de  AVenceslas,  qui  fut 
comte,  puis  duc  de  Luxembourg,  et  mourut  le  13  décembre  1383, 
selon  Moréri. 

En  1346^  Jehan  de  Luxembourg,  roi  de  Bohème,  bien  qu'il  fût 
devenu  aveugle,  accourut  en  persoune  au  secours  du  roi  Philippe 
de  Valois,  attaqué  par  les  Anglais.  Il  fut  tué  glorieusement  h  la 
funeste  bataille  de  Grécy*. 

Béatrix  de  Bourbon,  sa  veuve,  revint  en  France,  où  elle  se  re- 
maria avec  Eudes,  seigneur  de  Grancey,  eu  Bourgogne. 

J'ignore  la  date  de  la  donation  faite  par  cette  princesse  aux  com- 
munes de  Creil,  Montataire  et  Nogent-les- Vierges,  dont  il  est  ques- 
tion daus  ma  Notice.  La  procession  annuelle  qui  a  lieu  en  recon- 
naissance de  cette  donation,  est  fixée  au  jour  de  l'Ascension  ;  l'in- 
dication du  mois  de  juin,  que  j'ai  donnée,  est  donc  trop  générale, 
et  par  là,  inexacte. 

Le  7  aoiit  1374,  Béatrix  de  Bourbon,  du  consentement  de  son 
deuxième  mari,  Eudes  de  Grancey,  et  de  son  fils  V^euceslas,  trans- 
porta la  baronnie  de  Creil  à  Charles  V,  roi  de  France,  et  à  la  reine 
sa  femme,  qui  la  réunirent  à  la  couronne.  La  reine  de  Bohême  x'e- 
çut,  en  échange,  les  ville  et  chatellenie  de  Bar-sur- Aube  *. 

'  MoRERi,  Dictionnaire  historique.  Louis  I«''  mourut  en  janvier  1341,  ou, 
selon  Piganiol  de  la  Force,  en  février  1342,  et  Marie  de  Hainaut  en  août  1354. 

-  Nicolas  Vigner,  Histoire  des  comtes  et  ducs  de  Luxemhoury ,  publiée, 
pour  la  première  fois,  par  Duchesne,  en  1617.  Dans  l'édition  donnée  en  1619 
par  Nicolas  Pavillon,  avec  de  nombreuses  notes,  la  date  du  mariage  de  Béa- 
trix est  reculée  à  1336.  On  sait  que  l'année  commençait  alors  à  Pâques  ;  de  là  , 
dans  les  divers  historiens,  des  différences  chronologiques.  Pour  vérifier  les 
dates,  il  faudrait  connaître  le  jour  et  le  mois  du  mariage. 

'  Voir,  dans  les  Chroniques  de  Froissart,  le  récit  de  cette  mort  héroïque. 

'*  On  le  voit  par  là,  c'est  à  tort  que  M.  Graves  a  écrit  que  le  comté  de  Cler- 
mont appartenait  à  la  reine  de  Bohême,  laquelle  n'a  possédé  que  la  baronnie 
de  Creil.  Dans  une  Histoire  de  la  ville  de  Creil,  par  M.  Mathon,  insérée,  en 
1861,  dans  les  Mémoires  de  la  Société  académique  de  Beauvais,  l'acte  de 
cession  du  7  aoiit  1374  est  donné  en  entier. 

TOME  VI.  20 


274  l'église  de   iSOfiENT-LES-VIEltOES. 

Nicolas  Viguer,  dans  son  Histoire  des  comlcs  et  ducs  de  Luxem- 
bourg, dit  que  Béatrix  de  Bourbon  survécut  de  37  ans,  à  Jeban  de 
Bobèrae,  ce  qui  place  sa  mort  eu  1383  et  non  en  1385. 

A  l'appui  du  fuit,  Nicolas  Pavillon,  annotateur  de  Vigner,  donne 
la  teneur  de  Tépitapbe  qui  se  lisait  encore,  au  temps  de  Pigauiol  de 
la  Force  (1742),  dans  Téglise  des  Jacobins  de  Paris,  où  la  reine  de 
Bobème  avait  été  inbumée.  Voici  cette  épitapbe  : 


CY.  GiST  TRES  NOBLE  ET  TRES  PVISSANTE  DAME  MADAME 
BIATRIX.  DE  BOURBON.  ROYNE  DE  BOESME  ET  COMTESSE  DE 
LVCCEMBOURC.  LAQVELLE  FVT  FILLE  DV  DVC  LOYS  DE  BOVR- 
BON  ET  DE  MADAME  MARIE  DE  HAINAVT  ET  FEMME  DE  FEV 
lEHAN  ROY  DE  BOESME.  QVI  TRESPASSA  LE  VENDREDI  XXV^ 
lOVR  DV  MOIS  DE  DECEMBRE  MIL  IIF.  IIII"  ET  TROIS. 


Pigauiol  de  la  Force,  daus  sa  Description  de  Paris  (tom.v,p.l09), 
en  parle  ainsi  dans  l'énumération  des  tombeaux  des  Jacobins  : 
«  Béatrix  de  Bourbon,  fille  de  Louis  1",  duc  de  Bourbon,  et  de 
«  Marie  de  Haiuaut,fut  mariée  eu  1334,  à  Jean  de  Luxembourg,  roi 
((  de  Bohême,  et,  eu  secondes  noces  à  Eudes,  seigneur  de  Grancey, 
(i  en  Bourgogne.  Elle  mourut  le  25  décembre  1383  et  lut  inhumée 
«  dans  cette  église,  où  l'on  voit  sa  ligure,  debout  et  appuyée  contre 
«  un  des  piliers  du  sanctuaire  du  maître-autel  et  son  épitapheau- 
«  dessous,  outre  un  tombeau  de  marbre  qui  est  dans  la  nef  à  main 
((  gauche.  » 

Le  musée  de  Versailles  possède  une  copie  en  plâtre,  haute  de 
4™69%  de  la  statue  ci-dessus  mentionnée.  La  figure  originale  est 
dans  l'église  de  Saint-Denis. 

Il  y  a  lieu  de  rectifier  l'inscription  de  la  place  des  Marais,  à 
Creil. 

Dans  ma  Notice,  j'ai  décrit.  Monsieur  le  Directeur,  la  verrière  qui 
orne  la  fenêtre  de  Tabside  dans  l'église  de  Nogent-les-Vierges,  et 
qui  représente  le  martyre  des  deux  Saintes.  Depuis,  on  y  a  mis  celte 
légende  :  Comment  sainte  Maure  et  sainte  Brigide  furent  martyrisées. 

Au-dessous,  huit  tableaux,  plus  petits,  y  ont  été  ajoutés.  En 
voici  les  légendes  : 


L  ÉGLISE   DE   NOGENT-LES-VIEUGES.  27ri 

Comment  naquirent  en  h'cosse  sainte  Maure  et  sainte  liriijide. 

Comment  elles  furent  baptisées. 

Comment  elles  secouraient  les  malhevt^eux. 

Comment  elles  refusèrent  de  riches  alliances. 

Comment  elles  partirent  en  pèlerinage. 

Comment  elles  bénirent  Dieu  à  leur  arrivée  à  Jérusalem. 

Comment  leurs  corps  furent  transportés  et  arrêtés  à  Nogent  par  la 
reine  Bathilde. 

Comment  leurs  sainta  Reliques  y  sont  honorées. 

Ces  tableaux,  fabriqués  sur  ]es  dessins  de  M.  A.  Lavignc,  chez 
M.  Lévèque,  h  Beauvais,  sont,  en  général,  assez  bien  composés; 
mais  la  couleur  n'en  est  pas  suffisamment  harmonisée  avec  celle 
du  martyre  représenté  au-dessus. 

Deux  autres  croisées,  qui  se  trouvent,  à  droite  et  à  gauche,  dans 
les  murs  latéraux  du  cIioRur,  ont  été  garnies  de  verrières  bien 
réussies. 

A  droite,  est  représenté  saint  Louis,  roi  de  France,  en  pied,  por- 
tant le  sceptre  de  la  main  droite  et  la  couronne  d'épines  de  la  main 
gauche.  Par  respect  pour  la  sainte  relique,  la  main  est  recouverte 
d'un  pan  du  manteau  royal.  Au-dessus  sont  les  écussons  de  saint 
Louis  et  de  sa  femme.  Au  bas,  dans  un  cartouche,  saint  Louis  est 
représenté  à  genoux,  en  prières.  On  lit  l'inscription  suivante  :  A 
saint  Louis,  Boy  de  France,  visitant  en  pèlerinage  l'église  de  Nogent- 
les-  Vierges  et  ordonnant  à  ses  frais  la  constructioti  du  chœur  actuel,  la 
paroisse  reconnaissante. 

A  gauche  est  représentée  Béatrix  de  Bourbon,  aussi  en  pied,  et 
tenant  la  donation  faite  aux  trois  communes.  Au-dessus,  ses  armes 
et  celles  de  Jehan,  son  premier  mari.  Au-dessous,  dans  un  car- 
touche, celui-ci  est  à  genoux  et  en  prières.  Voici  l'inscription  : 
A  Béatrix  de  Bourbon,  reine  de  Hongrie,  faisant  don  à  Nogent-les- 
Vierges  de  ses  prairies  autrefois  communales,  la  Commune  reconnais- 
sante * . 

Cette  inscription  contient  une  faute  grave  et  qui  devra  être  rec- 
tifiée. Béatrix  était  reine  de  Bohême  et  non  de  Hongrie.  La  Bohême 
et  la  Hongrie  formaient  deux  royaumes  distincts.  Ce  qui  a  pu  pro- 

'  En  17P3,  ces  prairies  ont  été  partagées  entre  les  habitants. 


276  l'église  de  nogent-les-vierges 

duire  la  confusion,  c'est  qu'une  autre  Béatrixaélé,  dans  ce  temps- 
là^  reine  de  Hongrie. 

Je  profite  des  rectifîcatioiis  qui  motivent  ma  lettre,  pour  ajouter 
à  ma  Notice  quelques  renseignements  sur  les  œuvres  de  Michel 
Bourdin. 

Le  musée  de  Versailles,  outre  les  ouvrages  déjà  énuroérés  de  ce 
sculpteur,  possède  la  statue,  en  marbre,  d'Amador  de  la  Porte;  il 
est  à  genoux  et  revêtu  d'une  casaque,  décoré  de  la  croix  de  l'ordre 
de  Malte. 

Amador  de  la  Porte,  grand'croix  de  Malte,  grand  prieur  de 
France,  ambassadeur  de  son  ordre  eu  France,  gouverneur  d'Angers 
en  1619,  du  Havre  en  1626,  lieutenant  du  roi  au  pays  d'Aunis  en 
1633,  est  mort  à  Paris,  le  31  octobre  1640. 

Cette  statue,  haute  de  1™46%  placée  autrefois  dans  l'église  du 
prieuré  du  Temple,  ornait  le  tombeau,  en  marbre  noir  et  blanc,  du 
grand  Prieur  '. 

On  connaît  encore,  de  notre  sculpteur,  les  statues  de  saint  Ger- 
vais  et  de  saint  Protais,  au  portail  de  l'église  des  Saints-Gervais-et- 
Protais,  à  Paris®. 

L'église  Sainte-Croix  d'Orléans  possède  une  de  ses  plus  belles 
œuvres.  On  y  voit,  dans  la  chapelle  de  la  Vierge,  placée  au  rond- 
point,  où  se  trouve  la  sépulture  de  la  maison  de  Longueville,  qui 
l'a  fait  décorer  en  marbre  blanc  et  noir,  au-dessus  de  l'autel  et  dans 
une  niche,  une  figure  de  Notre-Dame  de  Pitié,  en  marbre  blanc, 
d'une  grande  beauté  '. 


'  Voir,  dans  la  Description  de  Paris  de  Piganiol  de  la  Fokck,  t.  iv,  pagos 
225-229,  les  insciiptions  de  ce  mausolée.  D'après  son  épitaphe,  Amador  de 
la  Porte  est  né  en  1555,  étant  mort  en  1640  à  85  ans.  Octogesimum  œtatis 
annmn  excedente  Justro ,  morte  justorum  ohdormivit  in  Domino  anno  Sal. 
1640. 

^  Piganiol  de  la  Force,  t.  lu,  pages  502  et  505. 

'  Essai  historique  sur  Orléans,  par  Polldche,  m.dcc.lxxviii.  Cet  auteur 
rapporte  la  tradition  qui  fait  mourir  à  Oi'léans  Michel  Bourdin  ,  en  punition 
d'un  vol  commis  à  Notre-Dame  de  Cléry  en  1622.  (Voir,  à  ce  sujet,  la  note 
qui  est  aux  pages  275  et  276  de  la  livraison  de  mai  1860  de  la  Revue  de  l'Art 
chrétien] 


l'église   de    NOGENT-LES-VIERGES.  277 

Pour  compléter  la  notice  de  l'église  de  Nogent-les-Vicrges,  il  me 
reste  à  mentionner  une  belle  horloge  astronomique,  établie  par 
l'habile  M.  Vérité,  horloger  à  Beauvais*. 

Elle  a  sept  cadrans.  Celui  du  milieu  indique  les  heures.  Au- 
dessus,  est  un  baromètre;  au-dessous,  le  quantième  du  mois;  à 
droite,  en  haut,  les  révolutions  de  la  lune,  et  eu  bas,  les  mois;  A 
gauche,  en  haut,  les  révolutions  du  soleil,  et  en  bas,  les  jours  de  la 
semaine. 

Un  cadran  extérieur  répète  les  heures. 

Cette  œuvre  remarquable  se  recommande  à  la  fois  par  la  régu- 
larité de  la  marche  et  par  la  simplicité  des  rouages. 

Veuillez  agréer,  etc. 

ÉLIE   PETIT. 


'  La  réputation,  déjà  si  justement  étendue  de  M.  Vérité,  s'est  accrue  par 
la  magnifique  horloge  qu'il  a  faite  pour  Ms''  Mathieu,  cardinal-archevêque  de 
Besançon,  et  qui  est  dans  la  cathédrale  de  cette  ville. 


BIBLIOGRAPHIE 


NUMISMATIQUE  BÉTHUNOISE,  Recueil  historique  de  Monnaies,  Mé- 
reaux,  Médailles  et  Jetons  de  la  ville  et  de  V arrondissement  de  Béthvne, 
par  L.  Dakcoistje,  Ârras,  A.  Brissy ,  1859  (1862). 

Lorsque,  sons  le  litre  modeste  A'Essai,  il  publiait,  en  184.3,  son 
Histoire  monétaire  de  la  province  d'Artois,  ^l.  A.  Hormand  ne  con- 
sacra, faute  de  documents,  qu'un  petit  nombre  de  pjages  aux  mon- 
naies de  Béthune.  Toutefois,  mettant  sa  confiance  dans  l'avenir, 
notre  si  regretté  collègue  et  ami  terminait  son  chapitre  par  un  acte 
d'espérance.  «Un  jour  viendra,  disait-il,  où  de  nouvelles  décou- 
vertes combleront  les  lacunes  que  je  n'ai  pu  remplir.  »  L'appel 
adressé  à  l'avenir  par  l'érudit  numismate  n'a  pas  été  vain  ;  un 
homme,  depuis  longtemps  connu  dans  la  science  par  de  remar- 
quables travaux,  s'est  chargé  d'y  répondre.  L'auteur  des  Recherches 
historiques  sur  Hénin-Liétard  et  de  la  Numismatique  Douaisienne , 
M.  Dancoisne,  vient,  sous  le  titre  de  Numismatique  Béthunoise,  de 
livrer  au  monde  savant  le  fruit  de  patientes  et  laborieuses  investi- 
gations. 

L'ouvrage  se  divise  en  deux  parties.  La  première,  précédée  d'une 
courte  introduction,  esquisse  rapide  de  l'histoire  de  Béthune  et  de 
ses  seigneurs,  traite  des  monnaies,  méreaux,  médailles  et  jetons 
appartenant  au  chef-lieu  de  l'arrondissement.  Les  monétaires  mé- 
rovingiens sont  rares  ;  M.  Dancoisne  produit  un  tiers  de  sol  d'or 
(VHP  siècle)  qu'il  a  récemment  trouvé,  et  un  autre  qu'il  croit,  avec 
raison,  être  plus  que  douteux.  Absence  totale  de  pièces  karolin- 
giennes, mais,  comme  M.  Hermand,  l'auteur  a  la  foi  du  numismate; 
il  compte  sur  de  futures  découvertes.  Les  monnaies  seigneuriales  pu- 
bliées sont  au  nombre  de  12,  chiffre  que  M.  Dancoisne  eût  pu  faci- 
lement enfler  ;  il  s'est  borné  à  présenter  les  types  principaux  sans 


iiii;i-i(i(iHAi'iiii:.  271» 

tenir  comide  des  vaiiélés  peu  saillantes  :  ce  sonUles  deiiiors  et  une 
obole  d'argent  du  XII*  siècle  et  du  XIII*,  époque  après  laquelle  la 
monnaie  de  Bétluine,  tombée  en  discrédit,  fut  délaissée  sans  regret. 

Un  intérêt  puissant  s'attache  aux  articles  relatifs  aux  méreaux. 
Ces  petits  disques  de  plomb,  d'abord  marques  conventionnelles, 
destinées  dans  les  villes  à  tenir  lieu  de  fractions  de  monnaies, 
furent  ensuite  employés  sur  le  marché  aux  grains  de  Béthuue  à 
payer  le  salaire  des  portefaix  :  quand  ceux-ci  en  possédaient  une 
quantité  suffisante,  Targenlier  de  la  ville  en  remboursait  la  valeur 
en  argent  légal.  Les  méreaux  servirent  aussi  de  bons  desecours  pour 
les  indigents,  et,  aux  corporations  ou  commerçants,  de  signes  re- 
présentatifs pour  effectuer,  dans  le  cercle  de  leurs  relations  parti- 
culières, des  transactions  de  minime  importance.  Après  les  méreaux 
communaux,  les  méreaux  ecclésiastiques,  jetons  de  présence  qui  at- 
testaient l'assiduité  du  clergé  à  paraître  aux  offices  et  lui  donnaient 
droit  à  certaines  distributions  de  pain,  de  vin  ou  d'argent.  De  ces 
derniers,  comme  des  pièces  communales,  M.  Dancoisne  fournit  des 
spécimens  choisis,  provenant  de  la  collégiale  de  Saint-Barthélémy, 
de  l'église  de  Saint-Vaast,  du  prieuré  de  Saint-Prix  et  de  l'associa- 
tion des  ChaiH tables  de  Saint-Eloi. 

Je  ne  mentionnerai  pas  les  médailles  commémoratives  d'événe- 
ments politiques,  les  jetons  et  les  billets  de  confiance  qui  occupent 
une  large  place  au  sein  du  volume  ;  j'ai  hâte  d'arriver  à  la  seconde 
partie.  Elle  renferme  une  nomenclature  alphabétique  des  com- 
munes de  l'arrondissement  qui  firent  frapper  des  monnaies,  mé- 
dailles ou  enseignes  de  pèlerinage.  Chaque  localité  a  son  article  sé- 
paré ;  Alîouagne  et  la  sainte  Larme,  Amettes  et  le  B.  Benoît  Labre, 
Carvin-Épinoy  et  saint  Druon,  Notre-Dame  de  Libercourt,  les  mé- 
dailles seigneuriales  et  religieuses  d'Hénin-Liélard,  Isbergue  et  la 
Sainte  qui  porte  ce  nom,  La  Beuvrière  et  sainte  Christine,  Lambres 
et  saint  Lambert,  les  monnaies  mérovingiennes  et  karolingiennes 
de  Lens  avec  les  médailles  qui  rappellent  la  victoire  du  grand 
Condé,  Liilers  et  son  Chapitre,  Locon  et  saint  Maur,  enfin  les  mon- 
naies et  médailles  de  Saint-Venant,  passent  tour  à  tour  sous  les 
yeux  du  lecteur. 

M.  Dancoisne  expose  avec  une  lucidité  et  une  méthode  dont  on 
ne  saurait  trop  le  louer;  son  style  est  simple,  ferme  et  coulant  : 


280  BIBLIOGRAPHIE. 

quoique  chaque  article  soit  accouipagné  d'aperçus  liisloriques  d'une 
haute  valeur,  toute  longueur,  toute  digression  inutile  est  évitée 
avec  soin,  et,  pour  les  lecteurs  qui  voudraient  plus  qu'une  instruc- 
tion amusante,  23  pièces  justificatives  puisées  dans  les  archives 
municipales  de  Béthune  sont  rejetées  à  la  fin  du  livre. 

La  Numismatique  Béthunoise,  ornée  de  27  belles  planches  repré- 
senlant  environ  180  sujets,  sort  des  presses  de  M.  A  Brissy,  impri- 
meur à  Arras  ;  elle  fait  le  plus  grand  honneur  au  goût  de  ce  typo- 
graphe distingué  qui,  avec  M.  Rousseau-Leroy,  accapare  la  clien- 
tèle des  érudits  artésiens. 

CH.    DE   BINAS. 

LES  TRÉSORS  SACRÉS  DE  COLOGNE,  ohjets  d'art  du  Moyen  Age  con- 
servés dans  les  églises  et  dans  les  sacristies  de  cette  ville,  dessinés  et  décrits 
par  Franz  Bock,  texte  traduit  de  l'allemand  par  MM.  W.  et  E.  Sdckac. 
Paris,  A.  Morel,  1862,  grand  m-8"  de  186  pages  et  48  planches. 

Je  visitais  pour  la  seconde  fois,  il  y  a  deux  ans,  les  églises  de 
Cologne  et  j'avais  le  bonheur  d'avoir  pour  guide  mon  savant  ami 
l'abbé  Franz  Bock;  je  lui  exprimais  le  regret  que  sa  Description  des 
Trésors  sacrés  ne  soit  pas  connue  en  France,  où  il  y  a  si  peu  de  per- 
sonnes qui  connaissent  la  langue  allemande.  Le  vœu  que  je  formais 
alors  vient  d'être  exaucé,  et  prochainement  M.  Morel  éditera  une 
traduction  d'un  ouvrage  analogue  de  M.  le  docteur  Bock  sur  les 
richesses  liturgiques  d'Aix-la-Chapelle.  Ceux  qui  ont  visité  Cologne 
admireront  de  nouveau,  dans  d'excellentes  lithograpliies,  les  objets 
d'art  dont  le  souvenir  leur  est  resté:  mais  que  de  merveilles  nou- 
velles se  révéleront  à  leur  attention  !  Ce  ne  sont  pas  seulement  les 
églises  célèbres  de  Cologne,  celles  que  visitent  tous  les  voyageurs, 
qui  contiennent  des  chefs-d'œuvre  de  l'art  catholique,  il  y  en  a 
partout  :  à  Saint-Martin,  à  Saint-Alban,  à  Sainte-Colombe,  à  Saint- 
Pierre,  à  Sainte-Cécile,  à  Saint-Jacob,  à  Saint-Jean,  à  Saint- 
Séveiin,  eic.  M.  Bock  a  décrit  tous  ces  objets  avec  une  science 
parfaite,  et,  à  leur  occasion,  il  a  souvent  résolu  de  difiiciles  pro- 
blèmes d'archéologie  et  de  liturgie. 

J.  CORBLET. 


KQT'^  .. ,    . 


MONUMENT  FUNERAIRE 
du  chanoine  Ruyschen,  à  St-Servais  de  Maêstricht. 


L'usage  de  placer  des  ex-voto  dans  les  églises,  pour  expii- 
mer  la  reconnaissance  envers  Dieu,  ou  pour  rappeler  la  mé- 
moire des  morts,  a  sensiblement  diminué  depuis  deux  siècles. 
Ces  ex-voto  funéraires  où  respirait  le  génie  des  arts,  pendant 
les  XIV  et  XV  siècles,  ont  été  remplacés  par  de  lourds  mo- 
numents qui,  pour  la  plupart,  témoignent  plutôt  delà  vanité 
des  survivants  que  de  leur  esprit  religieux  et  artistique.  Sur 
ces  tombeaux  fastueux  sont  représentés  des  armes  de  familles, 
des  armes  d'alliance,  des  couronnes  et  divers  emblèmes  qui 
contrastent  singulièrement  avec  les  inscriptions  éplorées  qui 
les  accompagnent.  Il  y  a  même  quelques  monuments  funé- 
raires du  XVIIPet  du  XIX'  siècle  qui  sont  composés  de  ma- 
nière à  faire  douter  de  leur  destination  religieuse.  Le  sujet 
principal  est  ordinairement  le  Temps,  grand  vieillard  ailé  et 
décharné,  appuyant  le  pied  sur  le  globe  du  monde  et  bran- 
dissant d'un  air  menaçant  sa  faux  exterminatrice.  Puis  vient 
le  portrait  du  défunt,  entouré  de  génies  ailés,  d'armoiries 
aux  riches  lambrequins:  une  pompeuse  inscription  énumère, 
dans  un  style  tout  païen,  ses  titres  et  ses  qualités.  Le  sen- 
timent religieux  n'y  apparaît  que  rarement;  pour  le  trouver 
dans  les  ex-voto,  il  faut  remonter  au  Moyen  Age,  ou,  sans  al- 
ler si  loin,  aux  siècles  des  Van  Eyck  et  des  Rubens,  qui  pei- 

TOMK  vr.  Juin  1862,  o| 


2,S2  MOiSUMliNT    FLINÉRAIKE    DE    UUISCUEN.- 

gnirenttant  de  pieux  personnages  dans  l'attitude  de  la  prière, 
sur  les  volets  de  leurs  magistrales  compositions. 

La  Renaissance  nous  a  légué  des  sculptures  funéraires 
d'une  riche  imagination,  exemptes  de  cet  aspect  lugubre  qui 
glace  les  tableaux  et  les  bas-reliefs  votifs  dont  nous  avons 
parlé  précédemment.  Expressifs  dans  l'ensemble  des  lignes  et 
des  groupes,  ces  monuments  ont  encore  l'avantage  d'unir 
d'une  manière  intelligente  et  gracieuse,  F  architecture  et  la 
peinture  dans  un  même  cadre.  Nous  citerons  comme  exemple 
le  bas-relief  votif  en  pierre  dont  nous  offrons  la  gravure  en 
tête  de  cet  article  :  il  est  loin  sans  doute  d'être  irréprochable 
dans  ses  formes  ;  mais  on  y  constate  un  véritable  talent  ar- 
tistique et  un  harmonieux  ensemble. 

Dans  la  partie  supérieure,  le  Rédempteur  bénissant  d'une 
main,  porte  de  l'autre  le  globe  surmonté  de  la  croix.  Plus 
bas,  deux  anges  soutiennent,  l'un  la  colonne  de  la  passion, 
l'autre  le  sceptre  de  Marie  terminé  par  une  fleur  de  lys.  La 
zone  inférieure  nous  montre  celui  auquel  le  monument  est 
consacré,  le  chanoine  de  Saint-Servais,  Gilles  Ruyschen,  en 
prière^  agenouillé;  il  est  accompagné  de  saint  Servais,  le  pa- 
tron et  l'évoque  des  villes  de  Tongres  et  de  Maëstricht.  La 
sainte  Vierge  tenant  le  Christ  enfant  dans  ses  l)ras,  plane  au- 
dessus  de  lui  ;  elle  est  couronnée  par  deux  anges.  Un  prie-dieu 
sur  lequel  est  un  livre  ouvert,  est  timbré  des  armes  du  cha- 
noine. 

L'architecture  du  cadre  est  composée  avec  le  goût  et  le  luxe 
habituels  aux  artistes  de  la  Renaissance.  Sur  son  socle  formé 
de  deux  banderolles  en  parties  déroulées,  et  réunies  au  mi- 
lieu par  un  ange  qui  les  expose,  on  lit  une  invocation  implo- 
rant la  miséricorde  divine  pour  le  salut  du  défunt  qui  mourut 
pendant  la  seconde  moitié  du  XVP  siècle. 

ARNAUD    SCIÎAEPKENS. 


LA  PRIÈRE  DE  MARIE  ET  LE  BON  PASTEUR 
Etude  sur  un  Sarcophage  d'Arles. 


I.  Marie  est  Mère  de  Dieu,  c'est  le  premier  et  le  plus  beau 
de  ses  titres,  celui  d'où  dérivent  tous  les  autres.  Ce  titre,  l'Art 
chrétien  l'exprime  par  la  ligure  d'une  jeune  mère  tenant  son 
fils  sur  son  sein.  On  dit  communément  que  ce  mode  de  repré- 
sentation se  répandit  à  la  suite  du  concile 'd'Ephèse;  l'étude 
des  monuments  qui  nous  restent  de  cette  époque  ne  justifie 
pas  cette  opinion.  Ce  concile  proclama  une  vérité  qui,  ob- 
scurcie un  instant  par  les  sophismes  de  Nestorius,  avait  dès 
le  commencement  brillé  de  tout  son  éclat  dans  les  croyances 
de  r Eglise,  comme  une  condition  inséparable  du  mystère 
fondamental  de  l'Incarnation.  Dans  celle  des  images  attri- 
buées à  saint  Luc  '  qui  semblerait  avoir  le  plus  de  droit  à 
cette  vénérable  origine,  la  Madone  de  Sainte- Marie - 
Majeure,  la  Vierge-Mère  porte  son  divin  Fils  entre  ses  bras. 


'  Nous  croirions  qu'il  y  aurait  de  notre  part  une  sorte  de  témérité  à  ne 
tenir  aucun  compte  de  la  tradition  qui  fait  de  saint  Luc,  le  premier  peintre  de 
la  sainte  Vierge,  quand  beaucoup  des  critiques  les  plus  éminents  et  les  ))Uis 


284  ÉTUDE    SC1\    l!N    SAllCOPIIAGE   D'.'.îtLES. 

Parmi  les  peintures  des  Catacombes  qui,  en  dehors  de 
l'adoration  des  Mages  où  Marie  figure  comme  personnage  his- 
torique, représentent  incontestablement  la  sainte  Vierge, 
nous  n'en  connaissons  que  deux  oiielle^soit  accompagnée  de 
l'Enfant-Jésus;  l'une,  placée  dans  le  cimetière  de  Sainte- 
Agnès  *,  attribuée  devant  nous  sur  les  lieux  même  au 
IP  siècle  par  le  regrettable  P.  Marchi,  est  tout  au  moins  du 
commencement  du  IV  siècle,  c'est-à-dire  dans  tous  les  cas 
antérieure  au  Concile  d'Ephèse,  et  l'autre  du  cimetière  de 
Saint-Jules  est  très  postérieure  à  ce  Concile,  étant  proba- 
blement une  œuvre  du  VIP  ou  du  VHP  siècle  '\ 


sévères  ne  craignent  pas  de  l'admettre,  et  que  cette  croyance  est  répandue  de- 
puis un  temps  immémorial  en  un  si  grand  nombre  d'églises  particulières.  — 
On  ne  lui  oppose  rien  d'ailleurs  que  des  arguments  négatifs:  saint  Luc,  dit-on, 
était  médecin  et  non  pas  peintre...  Où  a-ton  vu  qu'un  médecin  de  profes- 
sion ne  puisse  avoir  quelque  talent  en  peinture  f  On  fait  observer  que  la  plu- 
part des  images  prétendues  de  sa  main  diffèrent  notablement  de  style  et  de 
type...  On  pourrait  en  conclure  qu'il  n'a  pas  peint  toutes  celles  qu'on  lui  at- 
tribue, que  beaucoup,*  toutes  peut-être,  ne  sont  que  des  copies,  des  imitations 
plus  ou  moins  éloignées  des  originaux  ;  il  ne  s'en  suit  pas  qu'il  n'ait  pas 
peint  les  originaux.  D'après  les  révélations  de  la  sœur  Émerique,  la  Ma- 
done de  Sainte-Marie  Majeure  ne  serait  elle-même  qu'une  copie  de  ce 
genre,  et  l'original,  dû  réellement  à  saint  Luc,  serait  renfermé  dans  l'un  des 
piliers  de  la  basilique.  On  a  essayé  de  distinguer  le  saint  Luc,  peintre  de  Ma- 
dones, du  saint  Évangéliste  en  faisant  de  lui  un  moine  grec  du  VIII»  siècle  ; 
aucune  supposition  n'est  moins  soutenable,  elle  tombe  devant  ce  seul  fait  que 
la  tradition  dont  nous  parlons  est  mentionnée  par  Théophile,  lecteur,  écri- 
vain du  VI«  siècle. 

'  La  question  de  l'antiquité  de  cette  image,  est  surtout  subordonnée  à  celle 
du  chrisme  dont  elle  est  accompagnée.  En  admettant  sur  l'autorité  de 
M.  le  chevalier  de  Rossi,  que  ce  signe  ne  s'est  répandu  qu'à  la  suite  de  la  vi- 
sion de  Constantin,  faut-il  en  conclure  qu'il  ait  été  sans  exemple  aupara 
vant  ?  Bosio,  Roma  softeranea,  p.  471;Bottaui,  Fitture  e  sculpture  sacre, 
(..  III,  pi.    (i.iii;  d'AGiKCOOKT,   t.  Vj  pi.   XI,  fig.  8;  Pjîruet,  Catac,  t.  ii, 

pi.  VI. 

*  BosK),  p.  579. 


ÉTUDE  .SUR  UiN  sAncoriiAGK  d'aulis.  285 

Sur  les  fonds  de  verre,  on  ne  connaît  qu'une  seule  figure  de 
mère  portant  son  enfant  '  :  rien  n'autorise  à  la  prendre  pour 
la  Mère  de  Dieu.  Ce  genre  de  représentation  est  également 
étranger  aux  sculptures  des  sarcophages  ;  il  est  fréquent  au 
contraire  dans  les  mosaïques,  non  pas  toutefois  dans  les  plus 
primitives:  nous  en  pourrions  citer  une  dizaine,  mais  toutes 
du  VHP  ou  du  IX"  siècle  ^ 

IL  Si  nous  devons  en  juger  par  les  monuments,  nous  dirons 
que  pendant  toute  la  première  période  de  l'Art  chrétien  jus- 
qu'à cette  époque,  Marie  fut  principalement  représentée 
dans  l'attitude  alors  consacrée  pour  exprimer  la  prière,  c'est- 
à-dire  del)out  et  les  mains  levées  au  Ciel.  La  Madone  de 
l'Ara  Cœli,  une  de  celles  que  la  tradition  fait  remon- 
ter à  saint  Luc,  remarquable,  si  la  gravure  que  nous  en 
avons  sous  les  yeux  est  fidèle  ',  parla  similitude  de  son  type 
avec  celle  de  Sainte-Marie-Majeure,  se  rapporte  à  cet  ordre 
d'idées,  bien  que  les  mains  y  soient  inégalement  levées,  con- 
trairement à  toutes  les  figures  dont  nous  allons  parler  et  où 
elles  le  sont  avec  une  symétrie  parfaite. 

La  peinture  du  cimetière  de  Sainte-Agnès  résume  ces  deux 
modes  de  représentation,  la  Sainte-Vierge  s'y  montrant  les 
bras  étendus  et  son  divin  Fils  assis  sur  ses  genoux.  Nous 
n'en  connaissons  qu'un  second  exemple,  mais  il  en  fait  sup- 
poser un  très-grand  nombre  d'autres  intermédiaires,  étant 
donné  par  le  sceau  moderne  du  mont  Athos;  c'est  un  monu- 


'  BoLDETTi,  p.  202;'  d'Agiwcolrt,  t.  V,  pi.  XII,  fig.  22;  Perret,  Catac, 
t.  IV,  pi.  XXVI  ;  G.\RUCCi,  Vetri  ornati,  etc.,  pi.  xxx,  fig.  1. 

^CiAMPiJNi,  Vet.  mo7i.,t.  II,  pi.  XXXVIII,  xmv,  xlix,  li,  Liv;  de  Sacr. 
cedif.,  pi.  xxiv,  Passeri,  3Iomimenta  sacra  ehurnea,  à  la  suite  de  Goni, 
Thés.  vet.  Dypt.,  t.  m,  pi.  v;  Fointaka,  Chiese  di  Roma,  t.    ii,  pi.   xviii, 

XXVI. 

^  Chiese  di  Roma.  t.  ii,  pi.  xiv. 


286  ÉTUDE   SUR   UN    SARCOPHAGE  D  ARLES. 

ment  curieux  de  la  persistance  des  types  dans  l'art  byzantin, 
dont  nous  devons  la  connaissance  à  M.  Didron  '. 

Marie,  au  contraire,  est  représentée  uniquement  dans  son 
rôle  d'intercession  sur  plusieurs  fonds  de  verre  où  elle  est 
désignée  par  son  nom  ;  dans  toutes  les  peintures  des  Cata- 
combes et  les  sculptures  des  sarcophages  où  il  est  possible  de 
la  reconnaître  ;  dans  l'une  des  plus  anciennes  mosaïques  absi- 
diales  de  Rome,  celle  de  l'Oratoire  de  Saint- Venance,  atte- 
nant au  baptistère  de  Saint- Jean-de-Latran,  où  elle  est 
facilement  reconnaissable  ",  au-dessous  de  son  divin  Fils,  au 
milieu  des  Apôtres  saint  Pierre  et  saint  Paul  et  de  plusieurs 
autres  Saints.  Nous  pouvons  citer  trois  autres  exemples 
de  ce  genre  appartenant  à  des  monuments  antérieurs  au 
X^  siècle:  1°  un  marbre  gravé  de  Saint-Maximin  en  Pro- 
vence, publié  par  le  R.  P.  Garucci,  où  elle  est  désignée  par 
ces  mots  :  MARIA  VIRGO.  MINESTER  DE  TEMPVIO  GEROSALE  ^  ; 
2"  une  peinture  du  VHP  siècle  environ,  découverte  par  d'A- 
gincourt  dans  une  chapelle  souterraine  qui  était  enfouie 
derrière  le  chœur  de  la  basilique  de  Saint-Laurent  hors  les 
Murs ,  et  où  elle  apparaît  entre  sainte  Catherine  et  une 
autre  sainte  ''  ;  5"  enfin  la  plus  ancienne  monnaie  impériale 
qui  soit  connue  comme  portant  son  effigie^  :  cette  monnaie  est 
du  règne  de  Jean  Zimiscès  ;  on  y  lit  ces  caractères  :  MP  0V 
Merc  de  Dieu. 

L'objet  spécial  de  notre  étude  est  d'éclaircir  la  significa- 
tion de  la  scène  centrale  de  l'un  des  sarcophages  étudiés  par 
nous  dans  le  musée  d'Arles  (n"  19),  où  l'on  voit  parallèlement 

«  Ann.  Arch.,  t.  i,p.  213;  Hist.  de  Dieu,  p. 291,  fig.  73. 

'  CiAMPiNi,  Vet.  mon.,  t.  ii,  pi.  xxxi. 

3  Voyez-en  la  gravure  dans  le  tome  ir,  p.  236,  de  la  Revue  de  l'Art  chrétien. 

*  D'Agincocrt,  t.  V,  pi.  XI,  fig.  2  . 

*  Valsh,  An  Essai/  un  Ancient  coins,  etc.,  in-8",  London,  1828,  pi.  38. 


ÉTUDE   SUll   UN    SAUCOPIIAGE   JiAKLL.S.  Oj^T 

au  Bon-Pasteur,  une  femme  dans  l'attitude  que  nous  venons 
de  voir  attribuée  à  la  Très-sainte  Vierge.  Le  Bon-Pasteur  est 
placé  entre  deux  palmiers  ;  la  femme,  entre  deux  autres  arbres 
que  l'on  peut  prendre  pour  des  oliviers,  est  accompagnée  de  co- 
lombes, comme  le  Pasteur  l'est  lui  -même  de  brebis  ;  elle  semble 
s'adresser  à  lui  et  l'invoquer,  tandis  que  celui-ci,  se  retour- 
nant vers  elle,  semble  l'exaucer. 

III.  L'attitude  dont  il  s'agit  n'est  point  exclusivement 
propre  à  la  sainte  Vierge,  nos  lecteurs  ne  l'ignorent  pas  ; 
exprimant  la  prière,  elle  convient  à  tous  ceux  qui  pi-ient  : 
Daniel  dans  la  fosse  aux  lions,  les  trois  jeunes  Hébreux  dans 
la  fournaise,  la  prennent  ordinairement;  on  la  donne,  dans 
les  monuments  primitifs,  à  quelques  autres  hommes  ;  elle  y  est 
cependant  plus  habituelle  aux  femmes  auxquelles  on  donne 
alors  le  nom  à'Orantes. 

Il  appartient,  en  effet,  spécialement  à  la  femme  de  prier, 
tandis  que  le  fait  de  l'homme  est  d'agir;  étrangère  au  gou- 
vernement des  peuples  et  au  maniement  des  armes,  il  lui  est 
donné  de  participer  à  tout  par  la  prière;  les  humbles  filles  du 
Carmel,  au  fon'd  du  cloître  qui  les  enferme,  peuvent  aussi  ga- 
gner des  batailles  et  faire  germer  les  bonnes  lois  :  sans  contre- 
dit, la  prière  de  Marie,  la  plus  sainte  des  femmes,  la  première 
des  créatures,  mais  aussi  la  plus  humble,  a  plus  fait  pour  la  con- 
version du  monde  que  les  travaux  de  tous  les  Apôtres  réunis. 
Il  y  a  beaucoup  de  ces  figures  à'Orantes  complètement 
isolées   et  sans  aucun  signe  particulier  qui  les  distingue  ;  il 
serait  possible  qu'en  les  représentant  les  artistes  chrétiens 
n'aient  pas  eu  d'autre  intention  que  d'exprimer  une  idée 
abstraite  de  prière,  que  de  faire  une  invitation  générale  à 
prier. 

Il  en  est  d'autres  aussi  qui  sont  nommées  ;  c'est  la  chré- 
tienne dont  on  a  voulu  honorer  la  sépulture,  ou  la  martyre, 


288  ÉTUDE    SUR    IN    SARCOPHAGE   d'aRLES. 

la  sainte  dont  on  réclame  la  protection.  Nous  considérons 
dans  tous  les  cas  comme  plus  probable  que  la  figure  à'Orante 
implique^  habituellement  du  moins,  l'idée  de  l'état  de  béa- 
titude. 

IV.  Le  rôle  de  VOrante  gagne  singulièrement  en  impor- 
tance, lorsqu'au  lieu  d'être  seule  elle  se  montre  assistée  par 
deux  autres  personnages,  dans  lesquels  on  ne  peut  se  dipenser 
de  reconnaître  saint  Pierre  et  saint  Paul  ;  car  leurs  noms 
sont  écrits  sur  plusieurs  fonds  de  verre  et  sur  un  sarcophage 
de  Saragosse  ;  dans  une  peinture  du  cimetière  de  Saint- 
Calixte  ' ,  nous  avons  reconnu  leurs  types  bien  caractérisés 
tels  qu'ils  étaient  conçus  alors. 

La  signification  de  la  présence  des  princes  des  apôtres 
dans  cette  circonstance  ne  nous  semble  pas  douteuse;  ils 
représentent  l'Eglise  :  c'est  seulement  au  sein  de  l'Eglise  et 
en  union  avec  elle  que  la  prière  a  toute  son  efficacité.  \JOrantG 
elle-même  peut  être  considérée  comme  une  sorte  de  person- 
nification de  l'Eglise:  alors  les  Apôtres  l'assistent  comme  les 
chefs  du  ministère  sacré.  Cette  interprétation  ne  préjudicie 
point  à  l'idée  que  d'ailleurs  nous  offrira  la  figure  de  cette 
sainte  femme.  L'Eglise  est  épouse,  elle  est  mère,  elle  est 
vierge  comme  Marie;  les  rapports  de  l'Eglise  avec  Dieu  se  ré- 
sument dans  un  degré  moins  éminent  en  ceux  qu'entretient 
avec  lui  toute  âme  véritablement  chrétienne;  mais  les  Vierges 
ont  un  titre  spcial  pour  la  représenter;  il  en  est  de  même  des 
saintes  femmes  dont  l'Ecriture  a  rendu  la  chasteté  célèbre. 

'  Maraiigoni  en  a  donné  une  gravure  [Acta  sancti  Fictorici,  in  4°,  Rome 
1774,  p.  40)  ;  elle  est  bien  grossière,  mais  elle  a  le  mérite  d'avoir  été  faite  avant 
la  disparition  de  VOrante,  maintenant  détaeliée  de  la  paroi  de  Y  Jrcosolicmn 
sur  laquelle  elle  était  peinte  ;  nous  avons  entendu  sur  les  lieux  attribuer  cet 
accident  à  la  précaution  délicate  de  certains  touristes  très-désireux  de  préserver 
les  Romains  du  danger  d'invoquer  un  témoignage  favorable  à  l'antiquité  de 
leurs  prétendues  superstitions. 


ÉTUDE   SL'R    UN    SAllCOrHAGE   D'aRLES.  280 

V.  Un  sujet  fort  analogue  de  composition  avec  VOrante 
entre  les  deux  Ai)ôtres  est  celui  de  la  chaste  Suzanne  entre 
les  deux  vieillards  qui  tentèrent  de  la  séduire,  telle  qu'on  la 
voit  sur  un  sarcophage  d'Arles  ^  Modestement  vêtue,  toute 
entière  à  la  lecture  du  livre  des  Saintes-Ecritures,  elle  ne 
prend  nulle  attention  à  ses  deux  séducteurs  qui,  placés  cha- 
cun derrière  un  arbre,  se  penchent  vers  elle  avec  un  mouve- 
ment plus  pittoresque  que  ne  le  comporte  d'ordinaire  la 
placidité  de  ce  genre  de  monuments. 

Tout  cet  ensemble  s'accorde  bien  avec  la  pensée  des  inter- 
prètes qui  considèrent  Suzanne  comme  étant  ici  la  ligure  de 
l'Eglise  et  de  sa  pureté  inaltérable  au  milieu  de  tous  les 
genres  de  séductions.  L'analogie  qu'il  offre  avec  le  sujet 
précédent  paraîtra  plus  sensible  encore,  quand  nous  aurons 
fait  observer  que  la  femme  placée  entre  les  deux  Apôtres 
n'est  pas  toujours  en  prière  ;  elle  est  souvent  caractérisée 
par  un  livre  ouvert  ou  fermé  qu'elle  tient  à  la  main;  on  la 
voit  aussi  le  plus  souvent  entre  deux  arbres,  soit  qu'elle  prenne 
l'une  ou  l'autre  attitude. 

Seulement  il  est  à  remarquer  que  Suzanne  entre  les  deux 
vieillards  occupe  une  partie  latérale  sur  la  face  du  sar- 
cophage où  elle  est  placée,  tandis  que  la  composition  de  la 
femme  accompagnée  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul  se  voit 
toujours  au  centre  de  ces  monuments,  position  d'ailleurs 
réservée  uniquement  au  Sauveur  lui-même  et  où  il  est  repré- 
senté dans  le  sentiment  le  plus  propre  à  la  fois  à  le  glorifier 
et  à  mettre  en  relief  le  prix  de  la  Rédemption . 

VI.  VOrante^  quand  elle  occupe  une  place  aussi  privilé- 


'  N"  131  du  Musée.  On  voit  la  gravure  de  ce  sarcophage,  mais  très-mau- 
vaise, dans  VAhrégé  chj-ono logique  de  l'hist.  d'Arles,  par  M.  de  Noble  la 
Lalzière,  in-4'^  Arles  1809,  pi,  xxiii,  fig.  2. 


290  ÉTUDE   SUR    UN    SARCOPHAGE   D'ARLES. 

giée,  peut-elle  être  autre  que  la  Mère  de  Dieu  ou  la 
personnification  directe  de  l'Eglise?  Une  distinction  est  à 
faire  entre  les  différents  genres  de  monuments  :  sur  les  fonds 
de  verre,  la  vénération  des  chrétiens  de  Rome  pour  l'une 
de  leurs  plus  illustres  héroïnes,  pour  celle  qui  rappelle  le 
souvenir  le  plus  gracieux  et  peut-être  le  plus  touchant, 
leur  vénération  pour  sainte  Agnès,  est  constatée  par  la 
fréquente  apparition  de  son  nom  '  appliqué  aux  figures 
d'Orantes,  soit  qu'elle  s'y  montre  seule  entre  les  deux 
arbres,  avec  des  colombes,  soit  qu'elle  soit  accompagnée  des 
Apôtres. 

11  n'y  a  rien  là  qui  doive  nous  surprendre;  nous  y  voyons 
la  preuve  du  rang  exceptionnel  accordé  de  toute  antiquité 
chrétienne  au  culte  des  saints  Patrons.  Sainte  Agnès  était 
la  sainte  Geneviève  de  Rome;  saint  Laurent,  qui  partageait 
avec  elle  de  semblables  honneurs,  occupe  sur  un  autre  fond 
de  verre  un  siège  élevé  entre  saint  Pierre  et  saint  Paul  '. 

Chaque  église  particulière,  chaque  lieu,  chaque  personne 
a  ses  patrons^  ses  saints  de  prédilection  ;  Marie  est  toujours 
et  partout  la  patronne  de  tous,  partout  elle  partage  plus  ou 
moins  avec  les  Saints  du  lieu  les  honneurs  d'un  culte  de 
prééminence;  et  ce  seul  fait  manifeste  l'éminente  supério- 
rité du  rang  qu'elle  occupe  dans  la  confiance  et  l'estime  des 
chrétiens. 

A  ne  considérer  que  les  fragiles  monuments  qui  nous  oc- 
cupent en  ce  moment,  où  la  Vierge  plusieurs  fois  nommé- 
ment désignée  au  milieu  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul, 

*  Garucci,  Vetri  ornati  di  figure  in  oro,  in-fol.  Rome  1858;  le  nom  de 
sainte  Agnès  paraît  sous  ces  diverses  formes  AGNES,  AGNE,  ANNES, 
ANNE,  ANE.  Une  autre  de  ces  figures  porte  le  nom  inconnu  de  PERE- 
GRINA,  pi.  XXI,  XXII. 

*  Gauuccï,  V't'^  oni.,  pi.   XX. 


LillDE   SUR   UN   SARCOPHAGE   D'aRLES.  291 

l'est  cependant  moins  souvent  que  sainte  Agnès,  on  pourrait 
croire  que  toutes  deux  sont  mises  sur  la  même  ligne  :  on  le 
pourrait  d'autant  mieux  que  deux  de  ces  verres  les  montrent 
également  en  Ora??;^^  à  côté  l'une  de  l'autre,  sans  rien  qui 
les  distingue.  Et  pour  achever  d'induire  en  erreur,  si  on  ne 
savait  pas  combien  il  règne  encore  d'incertitude  sur  la  valeur 
honorifique  accordée  à  la  droite  ou  à  la  gauche  dans  ces 
temps  reculés,  il  arrive  que  le  nom  de  sainte  Agnès  se  lit  à 
la  première  de  ces  deux  positions. 

N'est-ce  pas  parce  que  le  rang  de  la  Reine  des  vierges 
était  présent  à  tous  les  esprits  qu'on  a  pu,  sans  l'exprimer, 
lui  associer  l'une  des  premières  dignitaires  de  sa  cour  virgi- 
nale, quand  il  s'agissait  ou  d'honorer  spécialement  celle-ci, 
ou,  par  la  réunion  de  deux  types  excellents  chacun,  dans  leur 
genre,  quoiqu'à  des  degrés  divers,  d'exalter  surtout  la  virgi- 
nité et  la  prière  ? 

Il  s'agit  d'ailleurs  ici  des  produits  d'une  branche  infé- 
rieure de  l'art.  Les  doreurs  sur  verre  inventaient  peu  ;  ils  se 
contentaient  de  reproduire  des  types  consacrés  par  d'autres 
monuments,  et  c'est  même  ce  qui  fait  principalement  l'im- 
portance archéologique  de  leurs  œuvres  ;  il  est  présumable 
cependant  que,  semblables  aux  imagiers  de  nos  jours,  ils  ont 
pu  se  permettre  quelques  innovations  pour  satisfaire  telle  ou 
telle  dévotion  particulière,  innovations  qui  n'eussent  pas  été 
admises  en  des  lieux  consacrés  au  culte  public. 

VII.  Nous  ne  connaissons  aucune  des  peintures  des  Cata- 
combes où,  placée  entre  les  deux  Apôtres,  VOranie  soit  nom- 
mée; les  sarcophages  n'en  offrent  qu'un  seul  exemple,  à 
Saragosse,  où  le  nom  de  FLORIA  se  lit  avec  ceux  de  petrvs 
et  de  PAVLVS  ' .  A  notre  avis  sur  un  monument  de  ce  genre, 

•  Ilagiocjlypta.  Note  du  P.  GARLCCi,p.  170.  Le  sarcophage  dont  il  s'agit 


292  ÉTUliE  SDU  UN  SARCOPHAGE  d'aRLES. 

une  senibluble  détermination  de  la  personne  de  VOrante^  faite 
dans  les  conditions  où  elle  est  placée,  au  profit  d'une  idée 
évidemment  locale,  constitue  une  exception ,  tout  autant  que 
l'inscription  servant  à  la  constater. 

Quelques  auteurs  ont  supposé  qu'en  maintes  occasions,  sous 
la  figure  de  VOrante,  on  s'était  simplement  proposé  de  repré- 
senter la  chrétienne  dont  le  sarcophage  devait  contenir  les 
restes  ;  cette  conjecture  nous  paraît  hors  de  toute  vraisem- 
blance. 

Quand  on  a  voulu  sculpter  sur  ces  monuments  la  figure  de 
ceux  auxquels  ils  étaient  destinés,  on  l'a  fait  d'une  toute 
autre  nuuiière  :  on  les  a  renfermées  en  des  médaillons  qui  en 
occupent,  il  est  vrai,  le  point  culminant,  mais  de  telle  sorte 
qu'il  ne  soit  pas  possible  de  les  confondre  avec  les  person- 
nages des  sujets  sacrés,  placés  tout  autour  comme  des  espé- 
rances de  salut  et  des  formules  de  prière. 

Il  serait  singulier,  s'il  en  était  autrement  pour  les  Orantes, 
que  les  femmes  seules  eussent  obtenu  sur  les  monuments  un 
privilège  toujours  refusé  aux  hommes. 

VIII.  Les  difî'érents  degrés  de  liaison  qui  peuvent  exister 

est  précisément  celui  dont  le  R.  P.  Garucci  invoquait  le  témoignage  avant 
d'avoir  adopté  la  même  opinion  que  nous,  relativement  à  celui  des  Apôtres, 
qui  de  la  main  du  Sauveur  reçoit  le  don  du  volume  sacré.  On  voit  que  re- 
présentant un  tout  autre  sujet,  ce  sarcophage  demeure  étranger  à  la  question, 
comme  nous  l'avions  soupçonné.  (Revue  de  VArt  chrétien,  t.  ii,  p.  261).  On 
nous  permettra  de  faire  observer  à  ce  propos  que,  quant  au  sarcophage 
d'Arles,  mis  aussi  d'abord  en  avant  par  le  savant  auteur  pour  soutenir  sa  pre- 
mière thèse,  on  y  voit  (nous  nous  en  sommes  de  nos  propres  yeux  assuré 
depuis)  derrière  l'apôtre  de  droite,  non  pas  un  coq,  mais  le  phénix  sur  le 
palmier.  Au  reste,  nous  avons  vu  beaucoup  d'autres  monuments  dont  nous 
parlions  alors  par  le  témoignage  des  autres,  ou  dont  nous  ignorions  l'exis- 
tence, et  tous  sont  venus,  sur  les  points  essentiels,  confirmer  les  jugements  que 
nous  avions  essayé  de  porter  dans  notre  étude  sur  le  Christ  triomphant  et  le 
Don  de  Dieu. 


ÉTUDK   Sl'Il    UN    SAUCOIMIAGK    d'AULES.  'J!!,! 

entre  les  sujets  peu  nombreux  habituellement  rû[)étés  sur 
les  sarco[)hages  '  n'ont  pas  été  tous  encore  parfaitement  sai- 
sis et  appréciés;  il  est  palpable  cependant  qu'ils  ne  sont  pas 
jetés  à  leur  place  sans  aucun  ordre;  la  composition  centrale 
notamment,  nous  le  répétons,  s'y  montre  spécialement  con- 
sacrée à  Jésus,  dans  les  termes  les  plus  propres  à  le  mettre 
en  relief  en  qualité  de  Rédempteur,  quand  elle  ne  l'est  pas  à 
VOrante.  L'étude  des  sarcophages  prête  donc  à  VOrante 
une  importance  que  les  fonds  de  verre,  à  considérer  sur- 
tout leur  caractère  plus  privé,  ne  lui  donnent  pas  au  même 
degré. 

Le  rôle  de  VOrante  centrale  sur  les  sarcophages  n'est  pas 
seulement  relevé  par  le  fait  d'occuper  la  place  du  Sauveur, 
et  par  l'assistance  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul  ;  il  l'est 
encore  par  la  nature  de  cette  assistance.  Dans  plusieurs 
visites  consécutives  au  musée  de  Saint- Jean  de  Latran, 
nous  avons  noté  plusieurs  sarcophages  où  les  deux  apôtres 
remplissent  l'office  d'Ur  et  d'Aaron  près  de  Moïse  sur  le 
mont  Raphidien  et  soutiennent  les  bras  de  VOrante. 
Nous  aurions  toutefois  besoin,  nous  le  sentons,  de  les  re- 
voir avant  de  rien  affirmer,  par  la  raison  qu'observant  plus 
attentivement  dans  la  Roma  sotteranea  les  gravures  d'autres 
monuments  analogues,  où  d'abord  les  apôtres  nous  avaient 
paru  remplir  vis-à-vis  de  VOrante  le  même  office,  nous  nous 
sommes  aperçu  qu'au  lieu  de  lui  soutenir  les  bras  de  leurs 
mains,  ils  les  tendaient  seulement  vers  elle.  Mais  pourquoi 
le  font-ils?  pour  fixer  vers  elle  toute  l'attention  des  specta- 

*  Ces  monuments  demandent  selon  nous  à  être  étudiés  par  groupes,  d'après 
les  séries  et  les  nuances  offertes  dans  la  répétition  des  mêmes  sujets,  sans 
distinction  à -peu  près  de  localité  ;  à  Rome,  dans  le  reste  de  l'Italie,  dans  nos 
anciennes  villes  du  midi  des  Gaules,  ils  procèdent  tous  d'une  même  école 
dont  l'influence  se  fait  sentir  dans  la  pensée  comme  dans  l'exécution. 


294  ÉTUDE    SUR    UN    SARr.ûFllAGE    D'aRLES. 

teurs,  et  de  cette  manière  ils  relèvent  son  rôle  encore  plus 
s'il  est  possible. 

Cette  dernière  intention  est  surtout  manifeste  dans  une 
peinture  du  cimetière  des  Saints  Marcellin  et  Pierre',  où 
d'ailleurs  VOrante  est  remarquable  par  la  coiffure  riche  et 
élevée  qu'elle  porte  sur  la  tête.  Il  est  au  contraire  une  autre 
peinture  du  môme  cimetière  où,  d'après  la  gravure  de  Bosio, 
ses  bras  seraient  bien  réellement  soutenus  par  les  apôtres  '. 

IX.  Une  peinture  du  cimetière  de  Sainte- Agnès  ^  accorde 
non  moins  d'importance  au  personnage  de  VOrante^  dans  un 
ensemble  de  scènes  où  les  deux  apôtres  cependant  ne  fi- 
gurent pas.  Placée  en  face  au  milieu  d'un  arcosolium^  elle  est 
accompagnée,  dans  deux  compartiments  séparés,  des  cinq 
vierges  sages  s' avançant  à  gauche  avec  leurs  lampes  allu- 
mées, assises  à  droite  au  festin  nuptial;  l'époux,  sous  la 
figure  du  Bon-Pasteur,  apparaît  dans  un  compartiment  su- 
périeur au  sommet  de  l'arc,  au-dessus  de  celle  que  nous  pou- 
vons difiicilement,  dans  cette  circonstance,  nous  défendre 
d'appeler  la  Vierge  des  vierges  ;  et  dans  les  parties  latérales, 
sur  les  parois  de  la  retombée  de  la  voûte,  on  voit  d'un  côté 
Daniel  dans  la  fosse  aux  lions,  et  de  l'autre,  la  chute  d'Adam 
et  d'Eve. 

Daniel  ne  nous  offre  avec  les  autres  scènes  du  monument 
aucun  rapport  que  nous  puissions  saisir,  mais  il  n'en  est  pas 
de  même  de  la  chute  du  premier  homme  et  surtout  de  la  pre- 
mière femme  :  dans  les  peintures  des  Catacombes  comme 
dans  les  sculptures  des  sarcophages,  la  représentation  de  cette 

'  Bosio,  p.  381.  Nous  renvoyons  aussi  en  général  pour  toutes  les  peintures 
des  Catacombes  au  grand  ouvrage  de  M.  Perret,  mais  nous  ne  pouvons  pas 
les  indiquer  en  détail,  n'ayant  pas  cet  ouvrage  dans  ce  moment  sous  les  yeux. 

•  Bosio,  p.  389. 

^  Ibid.,  p.  461. 


ÉTLiDE    Sun    UN    SAUCOPIIAGE   d'aRLES.  2^U 

chute  est  fréquemment  rapprochée  de  L^  femme  privilégiée 
dont  kl  signilication  nous  occupe;  elle  l'est,  soit  que  celle-ci 
conserve  l'attitude  d'Orante,  comme  dans  l'exemple  précé- 
dent, soit  qu'elle  tienne  un  livre  connne  dans  un  sarcopha^^e 
du  cimetière  de  Sainte-Lucine  * ,  maintenant  transporté  au 
musée  de  Saint-Jean  de  Latran  ,  où  l'opposition  entre  l'an- 
cienne et  la  nouvelle  Eve  nous  a  paru  particulièrement 
sentie. 

Un  autre  sarcophage  du  même  Musée,  provenant  du  ci- 
metière de  Sainte-Agnès  ',  nous  a  montré,  à  côté  de  la  femme 
de  la  composition  centrale,  non  plus  la  chute  de  la  mère  du 
genre  humain,  mais  probablement  sa  création. 

X.  La  corrélation  entre  le  Bon-Pasteur  et  l'idée  exprimée 
par  les  Orantes  est,  s'il  est  possible,  encore  mieux  accusée 
que  les  précédentes. 

Ce  n'est  pas  sans  intention  que  nous  disons  les  Orantes  au 
pluriel,  nous  avons  effectivement  d'abord  en  vue  plusieurs 
exemples  où  le  Bon-Pasteur,  soit  sous  sa  figure  ordinaire, 
soit  assis  et  entouré  de  son  troupeau ,  est  accompagné  de 
deux  de  ces  saintes  femmes  ^ 

Un  sarcophage  du  cimetière  de  Sainte-Lucine  *  associe, 
au  contraire,  au  sujet  central  de  la  femme  assistée  par  les 
apôtres,  la  double  répétition  de  celui  du  Bon-Pasteur  aux 
deux  extrémités  du  même  monument.  Sur  un  autre  sarco- 
phage du  musée  d'Arles  \  le  centre  étant  occupé  par  un 
médaillon  à  portrait,  VOrcmte  et  le  Bon-Pasteur,  sans  aucun 
sujet  intermédiaire,  se  correspondent  aux  deux  extrémités  ; 

'  Bosio,  p.  159. 

'  Ihid.,]).  425. 

■^  Ihid.,  p.  269,  271,  273. 

'  Ihid. ,  p,  291 . 

^  N-  126  du  Musée. 


290  ÉTUCK  si!i;  i;n  sarcoimiack  d'arl?:s. 

la  citation  eutin  du  cimetière  des  Saints-Marcelliii  et  Pierre  ' , 
où  le  Bou-Pasteur  et  VOrante,  avec  deux  colombes,  sont  pla- 
cés à  côté  l'un  de  l'autre,  mais  séparés  par  des  arbres,  nous 
ramène  au  sarcophage  qui  est  l'objet  principal  de  nos  inves- 
tigations. 

Pour  en  compléter  l'exposé,  nous  ferons  observer  que  les 
olivierS;,  les  colombes  et  les  fleurs  se  retrouvent  fréquemment 
comme  attributs  des  Oranles^  tandis  que  les  palmiers  entre 
lesquels  on  les  rencontre  aussi  quelquefois,  sont  plutôt  ap- 
propriés à  la  présence  du  Sauveur  ^. 

XL  Au  résumé,  à  s'en  tenir  aux  indications  positives,  on 
dira  que  VOrante  représente  quelquefois  Marie,  qu'elle  ne  la 
représente  pas  toujours;  en  méditant  le  sujet,  on  arrivera 
à  dire  par  induction  que  VOrante  représente  la  femme  régé- 
nérée, la  femme,  la  Vierge  par  excellence,  la  nouvelle  Eve 
pouvant  servir  de  type  à  l'âme  chrétienne,  à  l'Eglise;  par 
conséquent,  Marie  d'une  manière  absolue,  et  d'une  manière 
relative,  par  assimilation,  toute  vierge,  toute  femme  mar- 
chant sur  ses  traces,  que  l'on  veut  spécialement  ou  honorer 
ou  invoquer. 

Mais  il  est  des  situations  qui  impliquent  tellement  la  di- 
gnité supérieure  de  Marie,  qu'elles  n'ont  pas  dû  facilement 
être  communiquées  à  d'autres;  il  en  est  qui  nous  paraissent 
complètement  incommunicables ,  et  de  ce  nombre  nous 
croyons  devoir  compter  celle  qui  a  frappé  notre  attention  sur 
le  sarcophage  d'Arles. 

Coopératrice  de  l'œuvre  de  la  rédemption  par  l'efficacité  de 
son  intercession  toute-puissante,  on  comprend  que  la  très- 

'  Bosio,  p  38. 

*  Nous  avons  remarqué  beaucoup  d'Oranges  voilées  et  chaussées,  beaucoup 
qui  ont  la  tête  et  les  pieds  nus  ;  il  ne  semble  pas  y  avoir  eu  de  règle  à  cet 
égard  dans  les  époques  primitives. 


KTUDK   Sril    U.\    SARCdl'IlAr.!':   D'.\r>LKS.  297 

sainte  Mère  de  Dieu  puisse,  sur  les  sarcophages,  prendre 
vis-à-vis  de  nous  la  place  assignée  au  Rédempteur  ou  au 
symbole  de  la  rédemption,  et  que  seule  elle  le  puisse  sans  une 
diminution  considérable  et  probablement  très-rare  de  la  pen- 
sée fondamentale  qui  en  vivifie  l'ensemble. 

Sur  les  autres  monuments,  sur  les  fonds  de  veri'e  en  par- 
ticulier, où  la  pensée  de  la  rédemption,  avec  d'autres  sujets 
groupés  tout  autour,  n'est  pas  habituellement  mise  en  relief 
à  la  place  même  occupée  par  VOranle,  on  s'explique  que  la 
substitution  se  soit  faite  plus  facilement,  même  lorsque  la 
présence  de  deux  apôtres  vient  relever  son  rôle. 

Quoi  qu'il  en  soit,  dans  les  mouuments  figurés  de  l'Art 
chrétien,  l'on  voit,  à  toutes  les  époques,  tous  les  personnages 
qui,  selon  les  occasions,  acquièrent  quelque  droit  à  la  préémi- 
nence, occuper  la  première  place,  la  place  même  que  viennent 
de  quitter  Jésus  ou  Marie. 

•  Ce  qu'on  ne  voit  point ,  ce  qu'on  ne  doit  point  voir  du 
moins,  c'est  que,  Jésus  présent,  aucune  autre  créature  vienne 
se  placer  à  ses  côtés,  au  même  rang,  si  ce  n'est  Celle  à 
qui  s'appliquent  ces  paroles  prophétiques  :  Aslitit  Regma  a 
dexins  luis.  On  a  représenté  maintes  fois  Marie  effective- 
ment assise  à  côté  de  son  divin  Fils.  Le  sujet  dont  nous 
nous  occupons  exigeait  qu'ils  fussent  l'un  et  l'autre  debout 
sous  la  figure  qui  les  représente,  le  premier,  comme  l'au- 
teur de  toute  miséricorde  ;  la  seconde,  comme  celle  qui  tou- 
jours la  demande  et  l'obtient  :  la  diversité  même  de  ces 
attributions  établit  suffisamment  la  différence  hiérarchique 
existant  à  l'infini  entre  le  Fils  et  la  Mère  ;  à  cela  près,  il 
n'est  aucune  distinction  honorifique  (pie  Jésus  ne  partage  ici 
avec  Marie. 

L'union  qui  s'établit  entre  le  divin  Pasteur  et  toutes  les 
fîmes  qui  prient  a  été  très-légitimement  exprimée  par  la  ré- 

TOMK    \l.  22. 


298  ÉTUDE   sril    LN'    SAHCOPllAGE    d'aULES. 

pétition  des  figures  à'Oranles  autour  de  sa  houlette  sacrée, 
mais  entre  toutes  les  âmes,  il  en  est  une  dont  la  prière  vaut 
à  elle  seule  plus  que  la  prière  de  tous  les  anges  et  de  tous  les 
saints  ensemble  :  c'est  la  prière  de  Marie,  s'élevant  seule, 
pour  ainsi  dire,  jusqu'au  niveau  de  la  source  de  toutes  les 
grâces  pour  leur  servir  de  canal. 

XII.  Que  dirons-nous  de  plus  :  que  ce  rôle  que  nous 
voyons  à  Marie  dans  notre  sarcophage  exprime  sous  une 
forme  monumentale  et  pleine  d'une  saveur  antique,  VOra 
pro  nohis  que  nous  lui  adressons  tous  les  jours  ;  que  cette 
expression  de  la  miséricorde  divine  portée  dans  la  ligure  du 
Bon-Pasteur  jusqu'à  ses  dernières  limites  n'est  autre  chose 
que  le  Miserere  iwbis,  résumant  tous  nos  rapports  avec  Jésus, 
comme  VOra  pro  nobis^  prononcé  avec  l'excès  de  la  confiance, 
résume  tous  nos  rapports  avec  Marie. 

Ces  paroles  :  Jésus,  ayez  pitié  de  nous!  Marie,  priez  pour 
nous!  prononcées  naguère  d'une  voix  éteinte  par  un  père 
mourant,  étaient  la  suprême  consolation  de  ses  enfants. 
Peut-être  est-ce  après  avoir  éprouvé  une  consolation  sem- 
blable qu'une  famille  chrétienne  de  la  Rome  des  Gaules  fit 
sculpter,  au  VP  ou  VIP  siècle,  sur  le  tombeau  de  son  cime- 
tière des  Aly camps,  cette  double  image  de  la  Miséricorde  in- 
finie et  de  l'invocation  souverainement  efiicace  de  la  Mère  de 
miséricorde. 

Dans  les  temps  postérieurs,  Marie  a  continué  d'être  re- 
présentée priant  pour  nous  :  seulement  le  mode  de  représen- 
tation s'est  modifié,  comme  l'attitude  passée  en  usage  pour 
prier.  Les  yeux  levés  au  ciel,  les  mains  pressées  contre  son 
cœur,  plusieurs  des  images  dont  le  mouvement  miraculeux 
des  yeux  fut  canoniquement  constaté  à  l'époque  de  la  pre- 
mière invasion  des  Etats  pontificaux,  en   1796  et  1797,  la 


ÉTUDE   SUR    UN    SAP.C.Ol'HAOK    DAI'.LES.  29U 

montrent  dans  ce  sentiment  '  ;  il  est  porté  au  plus  haut  de- 
gré dans  la  Vierge  qui,  en  1850,  les  circonstances  étant 
analogues,  fut  à  Rimini  le  sujet  de  semblables  merveilles. 
Nous  nous  reposerons  volontiers  sur  ce  souvenir  si  abondant 
lui-même  en  consolations,  d'autant  plus  que  la  Madone  de 
Rimini  était  d'avance  invoquée  sous  le  titre  de  Mère  de  mi- 
séricorde^ et  que  nous  avons  sujet  de  lui  crier  plus  haut  que 
jamais  :  Mère  de  miséricorde^  priez  pour  nom! 

H.    GRIMOUAKD   DE   SAINT-LAURENT. 


'  Mauchetti,  Prodigi  awenuti  in  moite  sacre   imagine,  etc.  Rotna  in-8», 
1797. 


ZOOLOGIE  MYSTIQUE 


L'Ag. 


leaii. 


I.  L'Agneau,  nommé  dans  l'Ecriture  pour  dé.'igner  le  Fils 
de  Dieu,  se  montre  investi  de  ce  rôle  allégorique  sur  les 
sarcophages  chrétiens  et  les  fresques  des  Catacombes,  por- 
tant la  croix  latine  implantée  droite  sur  f-on  front.  On  le  voit 


L'Agnoau  sur  1p  ro-    (Fond  Je  verre,  d'après  Busnarottil. 

alors,  fréquemment,  tantôt  debout  à  côté  du  Sauveur  dont  il 
est  l'image  sensible  et  dominant  diverses  scènes  du  haut  du 


y.OOLOGIK.    MVSTIQUl'-  301 

roc  aux  quatre  fleuves,  figures  des  Evangélistes,  tantôt  seul 
sur  ce  même  roc,  remplaçant  l'image  du  Fils  de  l'Homme  et 
recevant  les  adorations  dues  à  la  sainteté  du  Christ.  Sur  un 
bas-relief  superposé  à  la  porte  du  cimetière  de  l'église  cathé- 
drale de  San  Severino  (Etats  romains)  ',  on  le  voit  orné  du 
nimbe  surcroisé,  portant  la  ci'oix  de  passion  dans  sa  patte 
droite,  et  placé  entre  deux  des  attributs  des  Evangélistes,  à 
savoir  l'ange  ailé,  portant  le  nimbe  uni,  chargé  du  livre  symbo- 
lique et  revêtu  de  deux  tuniques  et  de  l'étole  :  et  le  taureau, 
également  ailé,  destitué  de  nimbe  et  portant  le  livre.  Dans  une 
chambre  sépulcrale  des  Catacombes  de  la  voie  latine,  une 
fresque  offre  l'Agneau  divin  au  repos,  armé  de  la  croix  d'as- 
cension, veillant  sur  les  cendres  bénies  de  ses  saints  et  de 
ses  martyrs  ".  Cet  emblème  est  l'un  des  plus  beaux  que  ren- 
ferment les  Catacombes  :  car  la  croix  dite  de  Passion  et  celle 
de  Résurrection  ne  figurent  point  au  complet  toutes  nos 
saintes  espérances  ;  mais  la  croix  dite  à'Ascensiofi  les  résume 
et  les  réunit,  et  devait,  certes,  à  ce  titre,  trouver  place  sous 
les  voûtes  des  Catacombes.  La  croix  de  passion  est  l'emblème 
de  la  Rédemption  de  la  terre  ;  celle  de  Résurrection  est  celui 
du  passage  du  séjour  ténébreux  des  morts  à  la  demeure  des 
vivants  ;  la  croix  d'Ascension  achève  l'idée,  et  traduit 
l'appel  des  vivants  au  séjour  de  la  vraie  lumière. 

L'Agneau,  emblème  primitif  et  spécial  du  Sauveur  du 
monde  %  représenta  seul,  sur  la  croix,  à  partir  du  IV^  siècle, 
la  personne  de  Jésus-Christ.  Quelques  crucifix  avaient  paru 
avant  cette  époque,  présentant  le  Fils  de  Dieu  sous  le  type 
humain  \  Mais  le  Concile  d'Elvire   assemblé  en  l'an  503 

'  Bosio,  Roma,  p.  627, 

*  Bosio,  Fresque  inurah,  p.  307.  —  Et  Bottari,  Roma,  ii,  p.  108. 
'Rhab.  Macr,  De  Univ.,  viii,  8.  —  Et  tous  les  mystiques  chrétieni. 

*  TEllTrLMAN. 


302 


ZOOLOGIE   MYSTIQUE. 


décréta  alors  par  prudence  et  pour  prévenir  les  profanations 
des  iconoclastes,  que  «  ce  qui  doit  être  adoré  ne  serait 
plus  peint  sur  les  murs  :  Placuit  picturas  esse  in  ecclesia 
non  debere,  ne  quod  colitur  et  adoratur  in  parietibus  depin- 
gatur.  »  Delà,  ce  déluge  d'allégories,  ces 
figures  d'Agneaux  et  de  Bons-Pasteurs 
qui  tapissent  les  Catacombes  et  qui  rap- 
pelaient aux  fidèles,  sans  pourtant  violer 
ce  canon,  les  objets  et  les  épisodes  pro- 
pres à  réveiller  leur  foi  et  à  réchauffer 
leur  ferveur.  Les  croix  furent  peintes 
en  rouge,  l'Agneau  qui  s'y  coucha  fut 
])lanc.  Mais  le  Sauveur  étant  Agneau 
dans  sa  fréquente  mise  en  scène  avec 
différents  personnages,  ceux-ci  ne  pou- 
vaient rester  hommes  ;  l'Agneau  leur 
prêta  sa  figure  et  accomplit  quelquefois 
seul  tous  les  rôles  dans  les  œuvres  d'art 
de  ce  temps.  Nous  n'en  donnerons  ici  d'autre  preuve,  entre 
beaucoup  d'autres,  que  le  sarcophage  de  Bassus';  un  Agneau 
assis  dans  une  fournaise  et  onze  autres,  la  patte  levée  ou 
tenant  un  sceptre  ou  une  baguette,  emblème,  selon  Bède, 
de  la  vertu  de  la  croix ,  y  remplacent ,  en  les  caractérisant 
très-clairement  par  leurs  gestes  et  leurs  attitudes,  divers 
personnages  historiques  :  tels  sont  les  trois  jeunes  hébreux 
jetés  vivants  dans  la  fournaise  et  type  des  saints  et  des  justes  : 
Moyse,  étendant  la  main,  ici  pour  recevoir  le  décalogue,  et 
là  pour  frapper  le  rocher  :  saint  Jean  baptisant  Jésus-Christ  : 
plus  loin,  Jésus-Christ  lui-même,  d'abord  baptisé  dans  les 
eaux  du  Jourdain,  ensuite  bénissant  les  pains,  et  enfin  res- 


Lc  Bon-Pasteur  des  Catacombes. 


'  Bosio,  Borna,  loi.  45. 


i.'agnkau,  nOl 

.suscitant  le  Lazare  eimnaillotté   (Unis  un  linceul.  Tous  ces 
personnages,  leur  suite,  leurs  spectateurs,  sont  des  agneaux. 

Ainsi  l'abus  n'eut  plus  de  bornes,  jusqu'à  ce  que,  au 
VIP  siècle  (692),  le  Concile  appelé  in  Trullo  (du  dôme  du 
palais  impérial  de  Constantinopîe  où  il  avait  été  tenu),  tout 
en  approuvant  les  figures  usitées  sous  l'ancienne  loi,  voulut 
qu'on  leur  substituât  des  peintures  moins  énigmatiques,  et 
plus  convenables  aussi  à  la  dignité  de  leurs  objets  et  au  règne 
exclusif  de  la  loi  nouvelle  où  les  figures  ont  cessé.  Il  ordon- 
nait en  même  temps  et  d'une  manière  formelle,  que  le  Christ 
fût  représenté  désormais,  non  plus  sons  la  forme  d'Agneau, 
mais  sous  une  ligure  humaine.  Ainsi  l'abus  fut  réprimé,  mais 
on  vit  subsister  l'usage,  et  l'allégorie  de  l'Agneau  se  continua 
dans  une  certaine  limite.  Dans  les  Catacombes  de  Saint-Mar- 
cellin  et  Saint-Pierre  ' ,  une  antique  fresque  de  voûte  repré- 
sente dans  ses  quatre  angles  Jésus  sous  la  forme  d'Agneau, 
portant  dans  sa  patte  une  palme,  et  sur  son  dos  son  propre 
sang,  figuré  par  une  de  ces  fioles  où  les  chrétiens  des  pre- 
miers âges  recueillaient  le  sang  des  martyrs.  Pour  qu'il  ne 
demeure  aucun  doute  sui*  l'intention  de  ce  sujet,  cette  fiole, 
image  de  la  divine  Eucharistie,  est  nimbée,  et  à  juste  titre. 
Nous  comptons  revenir  sur  cette  peinture,  exemple  rare,  à 
cette  époque,  de  l'appropriation  du  nimbe  à  un  objet  inanimé, 
mais  très-rationnel  dans  son  intention  hiératique,  et  que 
motive  et  justifie  la  sainteté  de  son  objet. 

On  voit  pendant  toute  la  période  du  Moyen  Age,  en  statue 
et  en  bas-relief,  l'Agneau,  couché  sur  le  livre  aux  sept 
sceaux  tel  qu'il  est  montré  dans  l'Apocalypse.  Cette  image 
toute  biblique  a  encore  aujourd'hui  de  la  grandeur,  quoique 
bien  déchue  du  type  idéal  de  l'Agneau  dans  les  Catacombes. 

'  Bosio,  Roma,  p.  363,  9»  cubiculus. 


30i  ZOOLOGIE  MYSTion:. 

C'est  dans  le  XIV®  siècle  qu'elle  perdit  son  plus  antique  et 
plus  noble  caractère  ;  alors  son  type  hiératique  s'effaça  pro- 
gressivement. Depuis  cette  époque,  on  voit  l'Agneau,  sans 
attributs  mystérieux,  soit  fixé  sur  un  médaillon,  soit  porté 
sur  un  bras  de  saint  Jean-Baptiste,  qui  le  montre  de  l'autre 
main. 

II.  Sur  les  fresques  des  Catacombes,  l'Agneau  paissant, 
l'Agneau  dansant  ou  caressant  le  Bon-Pasteur,  représente, 


L'Agiiri'.u,  figurij  Je  i'iimo  justP,  recovant  les  paresses  du   Boa-l'.;st(Mir. 

ainsi  que  la  brebis  dansante  qu'on  y  rencontre  quelquefois, 
le  peuple  du  divin  bercail,  l'âme  juste  réclamant  sa  part  des 
caresses  que  le  Maître  dispense  à  l'Enfant  prodigue,  montré 
sous  la  figure  d'une  brebis,  et  quelquefois  même  d'un  bouc 
qu'il  rapporte  sur  ses  épaules  ' . 

III.  L'Agneau,    dont  on   reconnaît  quelquefois  certains 
membres  dans  l'agencement  des  monstres  hybrides  qui  sont 

'  Bosio,  Roma,  fresque  des  Catacombes  de  Sainte-Agnès,  p.  473. 


l'agneau.  305 

les  emblèmes  du  Démon  ou  de  la  réuuiou  du  div^ei's  péchés, 
figure  alors,  ainsi  que  le  bélier  lui-même,  l'ignorance,  la  stu- 
pidité, l'ineptie,  l'engourdissement  paresseux  de  l'âme, 
péchés  souvent  reprochés,  dans  les  livres  des  moralistes,  aux 
laïques  [à  lagenl  laye),  et  plus  sévèrement  encore  aux  clercs, 
aux  religieux  et  à  leurs  abbés. 

TV.  L'Agneau  représente  quelquefois  encore  la  vie  active; 
il  est  mis  alors  en  parallèle  avec  la  chèvre,  image  de  la  vie 
théorique  ou  contemplative.  <>  Agna,  vita  activa  in  Levitico  : 
«  Agat  pœnitentiam  et  olFerat  agnam  de  grege,  si  ve  capram  » , 
quœ  est  contemplât ivtL^  vitœ  figura  ' . 

FELICIE   d'aYZAC, 

Dignitairi'  hnnoraii-f  de  U  Maison  inipcTialc  de  Saint  Denis. 
'  RjiAB.  Mai  li,  De  Unircrso,  vjii,    7,  et  dans  tous  les  aulfurs  inystiqnos. 


HISTOIRE  DE  S.  JACQUES  LE  MAJEUR 
et  du  Pèlerinage  de  Compostelle. 


TROISIEME    ARTICLE 


CHAPITRE  m. 

VRKDICATIOUS  DE  SAINT  PIERRE,   DE  SAINT  PACL 
ET  DE  SAINT  JACQUES,  EN  ESPAGNE. 

De  tous  les  pays  dont  se  composait  l'ancien  monde  romain, 
l'Espagne  est  le  plus  occidental.  Son  éloignement  l'exposait 
donc  à  ne  recevoir  que  très-tard  le  bienfeit  de  l'Evangile. 
Mais  la  Providence  donne  des  ailes  à  la  Foi ,  et,  quel  que 
soit  le  foyer  d'où  elle  parte,  Jérusalem  ou  Eome,  elle  lui  im- 
prime une  force  d'expansion  qui  atteint  les  dernières  limites 
du  globe.  De  nombreux  auteurs,  que  nomme  Florez  dans  son 
savant  ouvrage  Espana  Sagrada  ' ,  soutiennent   que  saint 


*  Voir  les  numéros  d'avril  186-2,  p.  213,  et  de  mai  1862,  p.  256. 
'  Espana  Sagrada,  por  el  P,    M.  F.  Henrique  Florez,  del  Orden  de  san 
Augustin.  En  Madrid,  ano  de  1748,  t,  m,  p.  2-5. 


rKl.EUINAUK   DE    COMrOSTKLLK.  307 

Pierre  a  prêché  en  Espagne.  D'après  ces  écrivains,  le  prince 
des  Apôtres,  après  avoir  ordonné  saint  Epaphrodite  (22 
mars),  évêque  de  Terracine,  serait  parti  de  cette  ville  pour 
l'Espagne,  où  il  aurait  laissé  un  évêque,  du  nom  d'Epinète, 
à  Sirmium . 

Mais  ces  prétentions  ne  sont  pas  démontrées  ;  ce  qui  l'est 
davantage,  c'est  la  mission  de  sept  évoques  ordonnés  à  Rome 
et  envoyés  en  Espagne.  Le  Martyrologe  romain  cite  (15  mai) 
leurs  noms  et  ceux  des  villes  où  ils  se  reposèrent  de  leurs 
glorieux  et  féconds  travaux  ' . 

On  sait  par  ailleurs  ce  que  saint  Pierre  et  ses  premiers  suc- 
cesseurs ont  fait  pour  établir  le  Christianisme  au-delà  des 
Pyrénées  et  dans  plusieurs  autres  pays,  a  II  est  manifeste,  dit 
«  Innocent  1"  dans  une  de  ses  lettres  ^,  que  dans  toute 
«  l'Italie,  les  Gaules,  les  Espagnes,  l'Afrique,  la  Sicile  et  les 
«  îles  intermédiaires,  personne  n'a  fondé  des  églises,  si  ce 
«  n'est  ceux  que  le  vénérable  apôtre  Pierre  et  ses  successeurs 
«  ont  élevés  au  sacerdoce.  »  Les  Papes  de  cette  époque 
ordonnaient  évêgues  des  (/enlils  de  nombreux  missionnaires 
chargés  de  créer  eux-mêmes  leurs  diocèses  par  la  conver- 
sion des  infidèles,  comme  des  rois  qui  seraient  couronnés 
d'avance  pour  des  royaumes  qu'ils  sauraient  conquérir  par 
leur  sagesse  et  par  leurs  armes  ^ 

Le  Docteur  des  nations,  écrivant  aux  Pomains,  leur  promet 
d'aller  les  voir,  lors  de  son  voyage  en  Espagne,  dont  il  exprime 
jusqu'à  deux  fois  le  projet  '.  Son  plan  de  voyage,  en  quittant 


'  Dans  le  Bréviaire  gothique,  la  fête  de  ces  sept  évêques  est  fixée  au  1*' 
mai  ;  une  très-longue  hymne  y  célèbre  leur  gloire.  \Liturgia  Mozarahica, 
édit.  Migne,  t.  ii,  col.  1111-1116.) 

*  Ikkocknt  I,  Ejpis^  ad  Décent. 

'  Thom.\ssin,  De  Veter.  et  Nov.  cccles.  discipL,  p.  1,  lib.  r,  c.  r.iv. 

*  Rom.  XV,  24,  28.     - 


308  rÈf.EHlMAGE    1»E    COMl'ÛSTELLE. 

la  Grèce,  était  de  passer  en  Italie,  puis  dans  les  Gaules,  et 
de  se  rendre  en  Espagne.  Mais  il  dut  ajourner  l'exécution 
de  son  pieux  dessein.  Arrêté  par  les  Juifs  à  Jérusalem,  il 
fut  envoyé  captif  à  Home,  où  il  passa  deux  ans  dans  les  fers. 
Mais  après  sa  délivrance,  il  réalisa  ses  intentions  et  alla  en 
Espagne,  où  il  })rcclia  la  foi  du  Christ' .  Parmi  ceux  qu'il  con- 
vertit, la  sainte  Eglise  a  placé  sur  ses  autels  sainte  Zantippe 
et  sainte  Polyxène  (!2o  septembre).  Elles  sont  du  moins  appe- 
lées par  le  Martyrologe  romain  disciples  des  Apôtres,  Apo- 
slolorum  dàcipulœ. 

Le  voyage  de  saint  Paul  en  Espagne  est  un  fait  historique 
soutenu  ptir  des  autorités  si  graves  et  si  nombreuses,  qu'il 
serait  plus  que  téméraire  de  le  contester.  Les  Pères  grecs  et 
latins  et  les  écrivains  espagnols  les  plus  anciens  sont  una- 
nimes sur  ce  point.  Pour  abréger,  je  citerai,  sans  accompagne- 
ment d'aucun  texte,  les  noms  de  saint  Jean  Chrysostôme,  de 
saint  Sophrone,  patriarche  de  Jérusalem,  de  saint  Athanase, 
de  saint  Cyrille  de  Jérusalem,  de  Théodoret,  de  saint  Jérôme, 
de  saint  Grégoire-le-Grand ,  de  saint  Isidore,  du  vénérable 
Bède,  de  saint  Anselme,  de  saint  Thomas-d'Aquin,  de  Cor- 
nélius a  Lapide,  de  Tirinus,  de  Luc  de  Tuy,  de  Florez. 

'  Selon  le  P.  Dubois,  savant  Célestin,  saint  Crescent,  disciple  de  Notre- 
Seigncur  et  premier  évêquc  de  Vienne  dans  les  Gaules,  avait  reçu  de  saint 
Paul  le  gouvernement  de  cette  église  qu'il  venait  de  fonder.  [Antiqiiœ  sanctce 
ac  senatoriœ  Viennce  Allohrofjorum  Gallicorum,  sacrœ  et  i^rophance  plurimo} 
antiquitates ,  auctore  Joannc  a  Bosco,  p.  21.  —  Opuscule  faisant  partie  du 
livre  intitulé  :  Floriacensis  vcfvs  hihliollieca  Benedicthia ,  opéra  Joannis  a 
Bosco  parisiensis.  Lugduni,  1605.)  L'Apôtre  des  nations  donna  pour  succes- 
seur à  saint  Crescent  un  autre  disciple  du  Christ,  saint  Zacharie,  qui  fit  don 
à  l'église  naissante  de  Vienne  «  de  la  saincte  toiiaiUe  ou  mnnlil  sur  lequel 
Il  notre  Rédempteur  avait  consacré  la  saincte  Eucharistie.»  [Histoire  de  l'An- 
tiquité et  Sainteté  de  la  cité  de  Vienne  en  la  Gaule  ('isalpine,  par  Mcssire  Jean 
Le  Lièvre.  Vienne,  1623,  p.  58.).  Saint  Zacharie  fut  le  Protomartyr  des 
Gaules,  comme  saint  Amadour  en  fut  le  premier  soUtaiie. 


l'Ki.Elw. N'AGI',   iHi,  i:(v\ii'(isii',i.i.i;.  non 

L'!Uiti([UO  hréviîiire  de  Tolède  et  celui  des  é^i^lises  de  Iliiescu 
et  de  Jacii  {iffirmeiit  le  même  fuit. 

A  ceux  que  taut  de  ])reuves  ne  peuveut  convaincre,  on 
peut  encore  montrer  les  vestiges  de  Li  prédication  de  saint 
Paul  en  Espagne  :  l'église  de  Tortose  !i  toujours  lionoré,  et 
sans  contradiction,  la  mémoire  de  son  premier  évé([ue  saint 
Ruius,  qu'elle  prétend  avoir  reçu  de  la  main  de  saint  Paul. 
Si  c'est  le  même  personnage  que  VÉlu  du  Seigneur  qui  est 
nommé  dans  VÉ pitre  aux  Romains  ',  on  peut  supposer  que 
saint  Paul  l'avait  attaché  à  sa  personne  et  en  avait  fait 
le  premier  pasteur  des  néophytes  de  Tortose.  L'église  de 
Tarragone  revendique,  à  son  tour  ",  pour  premier  évêque 
un  Saint,  du  nom  de  saint  Paul  ^  qui  n'est  autre,  selon  le 
Martyrologe  romain  (22  mars),  que  le  proconsul  Sergius 
Paulus^  converti  et  baptisé  par  le  grand  Apôtre.  Devenu 
premier  évoque  de  Narbonne,  selon  le  môme  Martyrologe,  il 
aurait  été  plus  tard  premier  évêque  de  Tarragone,  selon  la 
tradition  constante  de  cette  église  et  selon  Florez  ^  Un  auteur 
espagnol  parle  d'une  pierre  qu'on  voyait  autrefois  à  Viana  avec 
une  inscription  antique  qui  attestait  la  croyance  commune 
touchant  l'évangélisation  de  l'Espagne  par  saint  Paul.  L'in- 
scription est  un  vers  léonin  que  deux  pieds  de  trop  font 
malheureusement  clocher  : 

Sauhis  pra'co  cruels  fait  nobi.s  piimonlia  Jiicis  *. 

'  Rom.  XVI,  13. 

-  On  montre  encore  dans  cette  ville  la  pierre  sur  laquelle  moahiit  saint 
Paul  pour  prêcher  l'évangile.— Dans  un  désert  de  la  Palestine,  j'ai  visité 
avec  bonheur  un  fragment  <lu  rocher  du  haut  duquel  saint  Jean-Baptiste  an- 
nonçait aux  Juifs  celui  dont  il  était  le  précurseur. 

''  Esjjuna  Sagrada,  tome  III,  p.  24. 

*  Invesiigationes  historicas  de  las  antiguedades  del  Retjno  de  Navara:  por 
el  Pf  Joseph  DE  MoRET.  S.  J    En  Pamploua,  ano  do  1669,  p.  164. 


310  rÈLKllLXAGE   DE    COAli'OSTELLE. 

L'apostolat  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul  en  Espagne 
repose,  on  le  voit,  sur  des  preuves  et  des  traditions  respec- 
tables. L'ordre  clironologique  place  antérieurement  à  ce 
double  apostolat  celui  de  saint  Jacques  ;  mais  je  l'ai  réservé 
pour  ce  moment  à  cause  de  son  importance,  et  dans  le  désir 
de  traiter  cette  question,  sans  me  laisser  détourner  de  mon 
chemin  par  quelque  nouvelle  digression. 

La  première  persécution  suscitée  contre  l'église  de  Jéru- 
salem ne  dispersa  que  les  fidèles  et  non  les  Apôtres  ' .  Ceux-ci 
restèrent  dans  la  Ville  sainte,  même  après  la  lapidation  de 
saint  Etienne,  le  protomartyr  de  la  religion  du  Christ,  afin 
d'y  maintenir  et  d'y  fortifier  l'Eglise  naissante,  et  d'empêcher 
les  Juifs  de  croire  qu'ils  l'avaient  étouffée  dans  ses  langes. 
Ainsi,  quoique  Jésus-Christ  leur  eût  dit  de  fuir  d'une  ville 
dans  une  autre  lorsqu'ils  seraient  persécutés,  ils  demeurèrent 
néanmoins,  parce  que  c'était  ici  le  cas  où  les  pasteurs  doivent 
exposer  leur  vie  pour  leurs  brebis.  Ils  restèrent  encore 
plusieurs  années  à  Jérusalem,  pendant  lesquelles  cette  ville, 
qui  avait  été  le  berceau  de  la  religion,  en  fut  le  centre  et 
comme  la  métropole. 

La  première  persécution  de  Jérusalem  fit  périr  saint 
Etienne  vers  la  fin  de  l'an  5o.  La  seconde  immola  saint 
Jacques,  comme  nous  le  dirons  plus  tard,  dans  le  courant  de 
l'an  45  ou  44.  C'est  donc  dans  l'intervalle  de  ces  deux  révolu- 
tions, c'est-à-dire  dans  un  espace  d'environ  dix  ans,  que  saint 
Jacques  exer(;.a  son  zèle  apostolique,  soit  en  Asie,  soit  en 
Europe. 

Selon  les  calculs  les  plus  exacts,  les  Apôtres  ne  se  disper- 
sèrent que  vers  l'an  37  ou  38,  à  l'exception  de  saint  Jacques 
le  Mineur,  qui  dut  rester  à  Jérusalem,  en  qualité  d'évêque 

'  ./et.  VIII,    1. 


l'KLEKI.NAGE    Dli    COMI'OSTELLE.  .'Hl 

de  la  cité  sainte.  Il  faut  donc  encore  restreindre  l'apostolat 
de  saint  Jacques  le  Majeur  entre  les  années  57  ou  38  et  les 
années  43  ou  44,  et  réduire  son  action  en  dehors  de  Jérusa- 
lem à  une  durée  de  cinq  à  sept  ans. 

La  paix  dont  l'Eglise  jouit  momentanément  i)ar  toute  la 
Judée,  la  Galilée  et  la  Samarie  ' ,  fut  le  moment  marqué  par 
la  Providence  pour  la  dispersion  des  Apôtres.  Le  fils  de 
Zébédée  n'évangélisa  point  la  Galilée,  sa  patrie,  parce  que 
7ml  n'est  prophète  dans  soji  pays  "•;  mais  il  prêcha,  dit  le  Bré- 
viaire romain  ',  dans  la  Judée  et  la  Samarie.  Lorsque  Jésus- 
Christ  envoya  les  Apôtres  faire  leur  première  mission,  il  leur 
défendit  d'entrer  dans  les  villes  des  Samaritains  \  Il  avait 
fait  lui-même  une  exception  à  sa  défense,  lorsqu'il  s'arrêta  à 
Sichar,  ville  de  la  Samarie  ^  La  défense  fut  levée  quand,  après 
sa  résurrection,  il  déclara  aux  Apôtres  qu'ils  lui  serviraient 
de  témoins  dans  Jérusalem,  dans  toute  la  Judée,  daîis  la  Sa- 
marie et  jusqu'aux  extrémités  de  la  terre".  Saint  Jacques 
ne  fit  donc  pas  difiiculté  d'annoncer  l'Évangile  aux  Samari- 
tains. 

L'heure  de  la  séparation  venait  de  sonner  pour  saint 
Jacques.  Il  revient  à  Jérusalem  et  se  dispose  au  départ.  L'ad- 
mirable vision  de  saint  Pierre  au  sujet  du  centenier  Corneille 
ne  lui  permet  pas  de  rester  plus  longtemps  parmi  les  Juifs, 
Il  ira  jusqu'aux  confins  du  monde,  usque  ad  ultimum  terrœ  \ 
pour  faire  participer  aux  bienfaits  de  la  foi  les  Gentils  de  ces 


'  .4ct.  IX,  31. 
"  Lcc.  IV,  24. 
■•'  25  juillet. 
*  Matth.  X,  5. 

^  JOAN, IV,   5. 

«  j4ct.  1,  8. 
'  Ibid. 


;Jh2  VÈLElllNAGE    DK    œ.MPOSTELLE. 

lointaines  contrées.  Comme  les  autres  apôtres,  il  va  deman- 
der à  la  Vierge-Mère,  à  la  coopératrice  de  la  rédemption,  une 
dernière  bénédiction.  Il  se  prosterne  à  ses  pieds  et  embrasse 
respectueusement  ses  mains.  «  Va,  lui  dit  la  sainte  Vierge, 
obéis  au  précepte  de  mon  fils,  ton  maître;  et.  là  où  tu  auras 
converti  le  plus  d'hommes,  en  Espagne,  érige  un  temple  en 
mon  honneur,  selon  les  ordres  que  je  te  donnerai  ' .  » 

L'année  37  touchait  à  son  terme  " .  L'apôtre  dit  un  der- 
nier adieu  à  la  ville  sainte  et  s'éloigna  de  ses  murs.  Son 
zèle  dut  lui  faire  adopter  la  voie  la  plus  courte  pour  aller  à 
Joppé.  Joppé,  aujourd'hui  JaiFa,  est  une  des  pins  anciennes 
villes  du  monde.  Que  d'émotions  réveille  son  nom  dans  le 
cœur  du  pèlerin  français  !  C'est  là  qu'il  a  foulé  pour  la  pre- 
mière fois  la  Terre-Sainte',  c'est  là  qu'il  s'est  prosterné  sur  le 
sable  humide  de  la  grève  pour  baiser  avec  autant  d'amour 
que  de  respect  le  sol  sacré  de  la  Palestine.  On  pleure,  on 
adore  ;  le  cœur  se  dilate  sous  un  ciel  nouveau  ;  la  brise  qui 
vous  caresse  n'a-t-elle  pas  déjà  précédé  les  pas  ihxplus  beau 
des  enfants  des  Jiommes,  de  l'Homme-Dieu  et  de  ses  disciples? 

Jonas  s'était  embarqué  à  Joppé  pour  Tharsis,  afin  de  fuir 
la  face  du  Seigneur  ^  Neuf  siècles  plus  tard,  saint  Jacques 
s'y  embarque  à  son  tour  pour  obéir  à  la  voix  du  divin  Maître 
et  porter  la  lumière  de  l'Evangile  aux  Gentils  que  saint 
Pierre,  dans  une  vision  dont  il  fnt  favorisé  dans  cette  même 
ville'',  aperçut  sous  la  forme  de  toute  sorte  d'animaux  réu- 
nis dans  une  nappe,  qui  descendait  du  ciel  comme  l'Eglise, 
dont  elle  était  la  figure,  et  qui  remontait  ensuite  vers  le  sé- 
jour des  élus. 

'  Acta  Sanciorum,  25  julii. 

-  Chronicon  sacro  pav  i,v  Hayi:. 

'  JoMyTi.    I,  3. 

*  Acl.  X,  11  20. 


l'KLKlUNAGE    I>1-.   C0.MI'0STE!.1.E.  313 

La  rrovidence  n'a  pas  voulu  satisfaire  notre  curiosité  à 
l'égard  du  voyage  luaritiine  de  s:\int  Jacques  ;  nous  ignorons 
les  péripéties  de  cette  longue  traversée  sur  cette  mer  capri- 
cieuse que  nous  appelons  la  Médilerranée^  et  que  les  Juifs 
désignaient  sous  le  nom  de  grande  Mer,  mare  magnwn  ' ,  ou 
Mer  occidentale,  mare  occidentale  -.  Ce  qui  ne  concerne  que 
riiomine,  et  non  Dieu  ou  les  âmes,  est  d'un  trop  mince  inté- 
rêt pour  occuper  les  écrivains  sacrés,  toujours  plus  attentifs 
à  nous  édifier  qu'à  nous  distraire. 

Quant  au  voyage  lui-même,  c'est  un  fait  historique  at- 
testé par  des  autorités  si  nombreuses  et  si  imposantes,  qu'on 
n'avait  jamais  songé,  avant  le  XIIP  siècle,  à  le  révoquer  en 
doute.  Il  compte  parmi  ses  défenseurs  saint  Jérôme,  Théo, 
doret,  saint  Isidore  et  son  contemporain  saint  Julien,  arche- 
vêque de  Tolède.  Un  écrivain  anglais  du  VIP  siècle,  saint 
Adhelme,évêque  de  Scherburn,  affirme  clairement  l'apostolat 
de  saint  Jacques  en  Espagne.  Nous  extrayons  son  témoignage 
de  son  poème  sur  les  autels  dédiés  à  la  bienheureuse  Marie  et 
aux  douze  Apôtres  : 

Hic  qnoquo  Jacobus  crelus  genitore  vetusto 
PrimiUis  Hispanus  conveilit  dogmate  gentes  ^. 

Un  autre  historien  anglais,  le  vénérable  Bède,  qui  vivait 
au  VHP  siècle,  a  écrit  dans  le  même  sens. 

Mais  au  quatrième  concile  de  Latran,  en  1215,  Eodrigue 
Chimenez,  archevêque  de  Tolède,  jaloux  de  Compostelle,  leva 


'  Num.  XXXIV,  5,  6,  7.— Joslé,  1,  4. 

'  Deut.  XI,  24. 

"•  PafroL,  édit.  Mignc,  t.  89,  col.  293. 

TOME    VI.  23. 


314  l'ÈLElilNAdE    DK    CO.Ml'USTELI-E. 

l'éteiulard  de  îii  révolte  contre  la  tradition  de  son  pays  et  des 
autres  contrées  de  la  catholicité.  Cette  témérité  n'obtint  au- 
cun succès.  Vers  l'année  loiO,  un  Dominicain,  le  Père 
Alexandre  François,  renouvela  l'attaque.  Vains  efforts! 
Quelques  années  plus  tard,  saint  Pie  V  faisait  insérer  dans 
le  Bréviaire  imprimé  par  ses  ordres  le  fait  contesté.  Mendoza 
survint  et  discuta  victorieusement  le  grand  procès  que  le 
pontife  avait  résolu  par  voie  d'autorité.  La  cause  semblait 
donc  irrévocablement  jugée.  La  contradiction  n'était  plus  ni 
décente,  ni  licite.  Baronius  osa  cependant  se  la  permettre 
dans  un  de  ses  ouvrages  ' .  Ses  raisonnements  captieux  furent 
cause  que  Clément  VIII  retrancha  cet  article  du  Bréviaire  ; 
mais  Urbain  VÎIl  l'y  rétablit  et  ses  successeurs  l'y  ont  main- 
tenu. Le  Martyrologe  Romain  est  d'accord  avec  le  Bréviaire. 
Vers  la  lin  du  XVIP  siècle,  le  P.  Christianus  Lupus,  flamand, 
de  l'ordre  de  Saint- Augustin,  s'insurgea,  quoique  un  peu  tard, 
contre  la  croyance  générale.  Ses  arguments  furent  répétés 
sans  réplique,  en  1682,  par  Dom  Gaspard  Ybangez  de  Sé- 
govie,  marquis  de  Mondejar.  Trois  autres  écrivains,  trois 
autres  puissances  sont  intervenus  dans  les  débats:  le  cardinal 
d'Aguirre,  que  Bossuet  appelait  la  lumûre  de  V Église  ;  Guil- 
laume Cuper,  l'un  des  plus  savants  Bollandistes,  qui  visita, 
pour  mieux  éclairer  la  question,  les  mystérieux  cabinets  de 
l'Escurial  et  le  trésor  de  la  cathédrale  de  Tolède  ;  et  Florez, 
l'immortel  historien  de  l'Eglise  d'Espagne.  Leurs  glorieuses 
pages  ont  mis  fin  à  cette  longue  querelle  dont  nous  avons 
exposé  impartialement  les  phases  diverses.  L'Espagne  est 
restée  en  possession  de  sa  légende, et  personne  aujourd'hui  ne 
songe  à  lui  disputer  un  de  ses  titres  les  plus  précieux.  Oui, 
saint  Jacques  a  été  le  premier  apôtre  de  la  péninsule  Ibé- 

«  Jnnaîes  eccJ.,  Antucrpise,  161*2,  t.  ix. 


1>ÈLERINA(4K   DE   COMPOSTELLE.  31 ÎS 

rique.  Il  y  a  dans  les  annales  de  l'humanité  peu  de  faits  aussi 
avérés,  aussi  universellement  admis  que  la  mission  de  saint 
Jacques  en  Espagne.  Ce  grand  événement  fait  partie  non- 
seulement  de  l'histoire  de  l'Espagne,  mais  encore  de  l'histoire 
de  l'Eglise  catholique. 

L'Art  chrétien  s'est  inspiré  de  l'histoire  et  a  publié  à  sa 
façon  l'apostolat  de  saint  Jacques  en  Espagne.  On  le  trouve 
représenté,  avec  la  condamnation  et  l'exécution  de  l'Apôtre, 
sur  une  rosace  des  vitraux  de  Keims. 

Donc,  pendant  que  saint  Thomas  prêchait  dans  l'extrême 
Orient,  saint  Jacques  semait  la  parole  divine  dans  les  régions 
occidentales  du  monde  romain.  Dès  le  F""  siècle,  l'Evangile 
était  publié  jusqu'aux  extrémités  de  la  terre,  en  Espagne, 
très-probablement  dans  les  Gaules ,  et  saint  Paul  pouvait 
dire  aux  premiers  chrétiens  :  «  Je  rends  grâces  à  Dieu  de 
ce  que  hi  foi  est  annoncée  dans  l'univers  entier  * .  » 

L'île  de  Sardaigne  a  prétendu^,  par  la  plume  de  certains 
auteurs,  avoir  été  évangélisée  par  saint  Jacques.  Si  cette 
pieuse  ambition  s'appuyait  sur  des  preuves  solides,  il  fau- 
drait supposer  que  l'Apôtre  se  serait  arrêté  dans  cette  île 
avant  d'entrer  dans  l'Océan  par  le  détroit  des  Colonnes  d'Her- 
cule. Mais  cette  assertion  est  entièrement  gratuite  et  ne  peut 
soutenir  aucun  examen. 

Il  n'est  guère  plus  probable  que  saint  Jacques  ait  prêché 
dans  les  Gaules.  Notre  belle  patrie  doit  à  d'autres  représen- 
tants de  Jésus  sur  la  terre  l'honneur  d'être  et  d'être  appelée 
la  fille  aînée  de  rÉglise. 

Vincent  de  Beauvais  affirme  dans  son  Miroir  hislorial  ^ 
que  l'Irlande  a  possédé  quelque  temps  l'Apôtre  de  l'Espagne. 


*  Coloss.,  I,  3-7. 

-  Spéculum  historiale,  lib.  8,  cap.  7. 


3l()  l'ÈLEUINAGE    UE   COMro.S'lEl.l.E. 

Mais  ce  témoignage  unique,  contredit  d'ailleurs  par  le  si- 
lence de  la  tradition,  ne  saurait  équivaloir  à  une  preuve 
décisive. 

Sortons  du  cliamp  des  hypothèses  et  rentrons  dans  le  do- 
maine de  l'histoire  et  de  la  tradition.  Il  est  probable  que 
saint  Jacques  visita  les  côtes  méditerranéennes  de  l'Espagne, 
en  particulier  les  villes  de  Barcelone,  de  Tarragone,  de  Va- 
lence. Il  laissa  à  Carthagène  pour  premier  évoque  un  de  ses 
disciples,  plus  tard  martyr,  saint  Isicius;  Grenade  reçut 
aussi  de  sa  main  son  premier  pasteur ,  saint  Cécilius ,  qui 
l'avait  suivi  de  Jérusalem. 

Après  avoir  doublé  le  détroit,  l'infetigable  Apôtre  prêcha 
dans  l'Andalousie.  Un  de  ses  autres  compagnons  de  voyage, 
saint  Pie,  fut  le  premier  évoque  de  Séville.  Le  Portugal  en- 
tendit à  sou  tour  cet  enfant  du  tonnerre^  dont  l'éloquence 
confirmée  par  de  nombreux  prodiges  terrassait  les  cœurs  les 
plus  rebelles.  La  Galice  était  le  principal  foyer  de  l'idolâtrie: 
pour  mieux  détruire  l'empire  du  démon,  saint  Jacques  se  fixa 
plus  longuement  dans  cette  contrée,  aux  environs  d'Iria- 
Flavia,  qui  fait  aujourd'hui  partie  de  la  ville  nommée  Pa- 
dron. 

Le  globe  des  anciens  finissait  là,  du  moins  de  ce  côté.  Se- 
lon une  tradition,  Iria  ou  lllia-Flama  avait  été  fondée  par 
lllia^  fille  d'un  prince  illien  ou  troyen,  et  par  son  origine 
établissait  un  lien  de  parenté  entre  l'Espagne  et  l'Asie.  Enée 
n'avait-il  pas  aussi  implanté  la  race  asiatique  dans  la  belle 
Italie  ?  Mais  une  parenté  plus  étroite  que  celle  du  sang  de- 
vait bientôt  relier  entre  elles  tous  les,  peuples,  tous  les  cli- 
mats, sans  distinction  de  Grecs  et  de  Romains,  de  Juifs  ou 
de  Gentils.  Il  était  réservé  à  saint  Jacques,  venu  de  la  Pa- 
lestine aux  confins  de  la  péninsule  Ibérique,  d'opérer  pour  sa 
part  ce  bienheureux  prodige  de  la  fraternité  chrétienne  en 


PÈLERINAGK    DE   COMl'OSTKLLE.  .'J  i  7 

prcchaiit  à  rOricnt  et  à  rOccident  un  seul  Dieu ,  un  seul 
Sauveur,  un  Père  unique  du  genre  humain. 

Flavius  Dexter,  dans  sa  Chronique^  son  commentateur 
Franciscus  Bivarius  et  quelques  auteurs  espagnols  attribuent 
à  saint  Jacques  le  Majeur  l'épître  catholique  qui  porte  son 
nom.  Nous  ne  souscrivons  pas  à  cette  opinion  peu  commune 
et  peu  fondée.  Mais  s'il  était  vrai,  comme  le  prétendent  les 
partisans  de  cette  opinion,  que  cette  épître  eût  été  composée 
en  Espagne  et  par  l'Apôtre  de  l'Espagne,  on  ne  pourrait  lui 
assigner  d'autre  date  que  celle  du  séjour  assez  prolongé  de 
saint  Jacques  en  Galice. 

La  prédication  de  saint  Jacques  porta  ses  fruits.  La  bonne 
nouvelle  eut  bientôt  des  adeptes  nombreux,  parmi  lesquels 
l'Apôtre  choisit  neuf  disciples  qui  devaient  l'accompagner  et 
le  seconder.  Anastase,  un  de  ces  neuf  disciples,  mérita  que 
son  maître  lui  confiât  l'église  naissante  d'Iria-Flavia,  dont 
il  fut  le  premier  pasteur.  Un  autre,  du  nom  de  Théodore, 
fut  aussi  mis  à  la  tête  d'une  autre  chrétienté  de  la  Galice. 

La  tradition  de  certaines  églises  qui  se  croient  redevables 
à  saint  Jacques  de  leurs  premiers  évêques,  nous  permet  de 
retrouver  l'héroïque  itinéraire  de  cet  immortel  Apôtre  depuis 
Iria-Flavia  jusqu'à  Saragosse,  une  de  ses  plus  importantes 
stations.  Il  ne  nous  paraît  pas  improbable  que  saint  Jacques 
ait  suivi  la  ligne  qu'on  pourrait  tirer  par  les  villes  que  nous 
allons  nommer  avec  les  évêques  ordonnés  et  préposés  à  leurs 
églises  par  l'Apôtre  : 

Bra2;a saint  Pierre. 

Orense saint  Arcadius. 

Lugo saint  Capiton. 

Astorga saint  Efren. 

Palencia saint  Nestor. 

On  attribue  aussi  à  saint  Jacques  l'évangélisation  de  Tu- 


318  PÈLERINAGE    DE    COMPOSTELLE, 

delà  et  de  Lérida.  Dans  cette  dernière  ville,  une  curieuse 
légende,  dont  les  mœurs  populaires  retracent  encore  aujour- 
d'hui le  souvenir,  rappelle  la  prédication  de  l'Apôtre.  Re- 
vêtu de  l'habit  du  pauvre,  de  la  pénule  apostolique,  saint 
Jacques  marchait  encore  nu~pieds,  ainsi  qu'il  est  représenté 
sur  les  monuments  religieux  du  moyen-âge.  Un  jour  ses 
pieds  sont  blessés  par  une  épine  ;  l'homme  de  Dieu  ne  peut 
aller  plus  loin;  il  s'arrête.  Les  anges  s'approchent  avec  des 
fanaux  et  l'éclairent  pendant  la  douloureuse  extraction  de 
l'épine.  Le  lieu  où  s'arrêta  l'Apôtre,  où  descendirent  les 
anges,  c'est  la  rue  de  Lérida  qui  s'appelle  aujourd'hui  la 
rue  des  Chevaliers,  Calle  de  los  Caballeros.  Un  oratoire  dé- 
dié à  saint  Jacques  j  a  été  élevé  en  mémoire  de  l'événement  ; 
chaque  année ,  au  jour  de  la  fête  du  saint,  on  y  célèbre  les 
saints  Mystères  et  on  y  prêche.  Dès  la  veille,  les  enfants,  ces 
anges  de  la  terre,  annoncent  au  peuple  par  leurs  chants  et 
leurs  promenades  au  flambeau  la  fête  de  Santiago.  Heureux 
les  peuples  qui  conservent  leurs  souvenirs  et  leurs  légendes  ! 
Une  légende  plus  autorisée  et  plus  connue  concerne  Sara- 
gosse,  ville  fameuse  à  plus  d'un  titre,  fortement  assise  sur 
les  bords  de  l'Ebre.  Saint  Jacques  y  prêcha  plusieurs  jours 
et  convertit  à  la  foi  de  Jésus-Christ  huit  hommes ,  succès 
qu'il  n'avait  encore  obtenu  nulle  part,  quant  au  nombre.  Or, 
les  nouveaux  disciples  sortaient  de  la  ville,  chaque  nuit,  pour 
vaquer  à  la  prière  et  se  faire  instruire,  loin  du  tumulte  et 
des  agitations  de  la  cité.  C'est  pendant  une  de  ces  nuits  sanc- 
tifiées par  de  ])ieux  entretiens  que  saint  Jacques  et  ses  néo- 
phytes entendirent  sur  une  des  rives  du  fleuve  un  concert 
angélique;  les  esprits  célestes  chantaient  en  l'honneur  de  la 
Vierge  immaculée  :  Ave^  Maria,  gratta  plcna.  L'Apôtre  flé- 
chit le  genou  et  distingua  la  Mère  de  Jésus-Christ.  Elle  était 
sur  un  pilier  de  marbre  blanc,  supra  pilare,  entourée  de  my- 


rÈLEHINAGE    DE    COAll'OSTKLLK.  ;il<J 

riiidcs  d'anges.  Gloire  lut  rendue  au  Très-Haut  par  les  auges, 
qui  firent  encore  retentir  les  airs  de  ces  paroles  empruntées 
aux  offices  de  la  terre  :  Benrdicamus  Ihmwio. 


N^  S"  DEL  PILAR. 

(D'après  um;  anricnnn  gravuif.) 

Quand  ces  voix  pures  eurent  fait  silence,  la  glorieuse 
Vierge  parla  au  saint  Apôtre  :  «  C'est  ici,  mon  tils,  la,  place 
«  où  il  faut  bâtir  une  église  en  mon  honneur.  Cette  colonne, 
<«  sur  laquelle  tu  m'aperçois,  c'est  mon  Fils,  tou  nniîtrc,  qui 


320  PÈLERINAGE    DU    CO.MrOSïKLLE- 

"  i'a  envoyée  du  ciel  par  les  mains  des  anges  ;  elle  sera  le 
;-  centre  de  la  chapelle  fine  tu  vas  me  consacrer  ;  de  merveil- 
<|  leuses  choses  y  seront  accomplies  par  mon  Fils  en  faveur 
Il  de  ceux  qui  viendront  m'y  implorer.  Cette  colonne  restera 
<'  là  jusqn'à  la  fin  des  siècles  et  le  Christ  ne  manquera  ja- 
«  mais  d'adorateurs  dans  cette  cité.  » 

Ainsi  parla  la  Vierge  ;  les  anges  qui  l'assistaient  la  trans- 
portèrent à  Jérusalem,  auprès  de  son  fils  adoptif,  frère  de 
saint  Jacques,  et  regagnèrent  eux-mêmes  le  séjour  que  la 
Providence  leur  avait  fixé. 

Après  avoir  abandonné  son  âme  à  la  reconnaissance  envers 
Dieu  et  la  Mère  de  Dieu,  saint  Jacques  exécuta  les  ordres 
qui  lui  avaient  été  imposés.  L'oratoire  qu'il  bâtit  avec  l'aide 
de  ses  disciples  autour  de  la  colonne  avait  une  longueur  de 
16  pas  sur  8  de  large.  La  sainte  Vierge  revint  souvent  dans 
ce  lieu  et  unit  sa  voix  au  chant  des  fidèles. 

Telle  est  la  légende  de  Notre-Dame  del  Pilar  ou  de  la 
Colonne;  notre  gravure  [page  519)  représente  l'apparition  de 
la  sainte  Vierge  au  grand  Apôtre  de  l'Espagne. 

La  sainte  Eglise  a  sanctionné  cette  légende  en  autorisant 
l'office,  pour  le  12  octobre,  de  cette  bienheureuse  apparition. 
Dans  le  Propre  des  Saints  espagnols  et  dans  le  Breviariiun 
marianum  imprimé  à  Lérida  en  1839  avec  l'approbation  de 
Rome,  cette  fête  est  inscrite  sous  ce  nom  :  Conwi.  B,  V.  M. 
de  Colwnnâ.  Le  concours  et  la  piété  des  fidèles  et  les  fixveurs 
miraculeuses  qu'ils  ont  recueillies  ont  donné  à  ce  sanctuaire 
une  popularité  et  une  importance  extraordinaires.  Les  Ara- 
gonais,  en  particulier,  sont  justement  fiers  de  l'église  de  la 
Vierge  à  Saragosse,  qu'ils  appellent  la  mère  de  toutes  les 
églises  de  la  ville,  Madré  de  todas  las  iglesias  de  la  ciudad. 

Le  pape  Clément  XII  autorisa  l'office  de  Notre-Dame  del 
Pilar  ;  Pie  VII  éleva  la  fête  au  rang  des  fêtes  de  première 


PKLElUiVAliE   DE    COMlMi.STELLK.  iiL' t 

classe  avec  octave  et  approuva  un  office  j^ropre,  mais  seule- 
ment pour  tout  le  royaume  d'Aragon,  dont  Saragosse  est  la 
capitale. 

La  protection  que  la  sainte  Vierge  avait  promise  à  la  ville 
de  son  choix  n'a  point  été  stérile,  «  car,  dans  les  jours  nais- 
«  sauts  de  l'Eglise,  lorsque  les  premiers  fidèles  n'avaient 
"  d'autres  temples  que  les  antres  des  monts  sauvages,  d'au- 
«  très  images  de  Dieu  et  des  saints  que  celles  gravées  dans 
<<  les  cœurs  ;  lorsque  la  persécution  ne  laissait  debout  que  les 
<'  autels  païens  et  les  statues  des  fausses  divinités,  Saragosse 
«  conserva  miraculeusement  l'imao-e  vénérée  de  Notre-Dame 
<'  del  Pilar.  Les  martyrs  qu'elle  donna  à  la  croix  sont  innom- 
<'  brables.  Pendant  le  règne  affreux  de  Dioclétien,  le  sang  de 
«  ses  confesseurs  inonda  ses  places  publiques,  au  point  que 
"  les  habitants  avaient  nommé  Sainle  la  rue  où  ils  furent 
<i  immolés  en  plus  grand  nombre.  Cette  ville  tomba  au  pou- 
i<  voir  des  Visigotlis,  commandés  par  leur  roi  Euric,  et  se 
»  conserva  néanmoins  pure  d'arianisme  ;  le  respect  que  sa 
«  piété  inspirait  était  tel,  que  dans  le  VP  siècle,  les  fils  de 
<•  Clovis,  Childebert  et  Clotaire,  l'ayant  assiégée  dans  leur 
«  expédition  d'Espagne,  l'épargnèrent  en  considération  de 
"  saint  Vincent.  Les  vainqueurs  se  retirèrent  après  avoir 
«  demandé  pour  unique  trophée  la  moitié  de  l'étole  du  mar- 
«  tyr,  auquel  ils  consacrèrent  ensuite  une  basilique  à  Pa- 
»  ris  ' .  »  La  domination  musulmane  ne  put  interrompre  à 
Saragosse  les  exercices  du  culte  chrétien.  Le  cimeterre  des 
féroces  enfmts  de  Mahomet  s'émoussa  contre  la  colonne  dont 
la  Reine  des  armées  avait  fait  son  trône. 

Il   n'est  pas   sans  importance   pour  l'histoire    de   saint 


'  L'Espagne  historique,  Ullcraire  et  monumenlale ,  par  BI.  P.  A.  GAi'ZKNCJi 
Dt  Lastovuw,  p.  52. 


322  PÈLEUlNAaE    I)K    CO.Ml'QriTELLE. 

Jacques,  et  même  pour  celle  de  l'Eglise  d'Espagne,  de  fixer 
l'époque  de  l'apparition  de  la  sainte  Vierge  à  Saragosse. 
L'hymne  de  Marcus  Maximus,  pour  les  premières  vêpres  de 
la  fête  de  Notre-Dame  del  Pilar^  lui  assigne  pour  date  l'an  59 
de  l'ère  chrétienne  : 

0  grandis  appaiitio, 
Jacobo  facta  piiniitùs 
Anne  Dono  tricesimo 
Natalis  ahiii  Domini  ! 

Ce  L!:rand  événement  eut  donc  lieu  de  lon!>;ues  années 
avant  l'Assomption  de  la  sainte  Vierge;  par  une  prérogative 
unique,  le  sanctuaire  qui  lui  fut  dédié  l'honora  vivante  et 
anticipa  eu  quelque  sorte  sur  les  hommages  que  la  cour 
céleste  devait  offrir  plus  tard  à  la  Reine  des  anges  et  des 
hommes. 

Le  grain  de  la  foi  catholique  que  saint  Jacques  a  semé 
en  Espagne,  qu'il  a  arrosé  de  ses  sueurs,  sera  dans  peu 
d'années  un  grand  arbre.  L'Apôtre  a  rempli  son  mandat  '  ; 
mais  la  Providence  qui  le  rappelle  en  Palestine,  le  ramènera 
bientôt  en  Galice.  Le  Saint  affronte  de  nouveau  les  hasards 
de  la  mer  et  revoit  le  beau  ciel  qui  l'a  vu  naître.  Il  se  hâte 
d'aller  vénérer  à  Eplièse  la  Mère  de  Dieu  qui  l'a  honoré  de 
tant  de  faveurs,  et  retrouve  le  disciple  bien-aimé,  son  frère, 
saint  Jean  l'Evangéliste.  L'auguste  Reine  des  Apôtres  l'ac- 
cueille avec  bonté,  lui  communique  les  progrès  de  l'Evangile 
en  Espagne  et  lui  révèle  son  prochain  martyre.  Notre  héros 

•  Flavics  Dkxteu  prétend  dans  sa  Chronique  [Patrol.,  édit.  Migne,  t.  31, 
col.  135)  que  saint  Jacques,  après  avoir  quitté  l'Espagne,  évangélisa  les 
Gaules,  la  Grande-Bretagne  et  la  Vénétie.  C'est  un  témoignage  de  plus 
en  faveur  de  ceux  qui  datent  du  le""  siècle  la  conversion  des  Gnules  au 
christianisme. 


t>KI,i;iUNAGE  DE    CuAJroSTKLl.K.  3:23 

s'enflamme  à  la  pensée  du  combat  suprême  qui  Tattend;  il 
implore  nue  dernière  lois  la  protection  de  la  Vierge  pour 
l'Espagne  et  particulièrement  pour  le  sanctuaire  cpi'il  lui  a 
dédié,  en  reçoit  l'a.^surance  par  un  sourire  plein  de  douceur 
et  reprend  le  chemin  de  Jérusalem. 

Depuis  le  jour  oii  la  sainte  A'^ierge  a  })roiiiis  à  l'Espagne 
aide  et  protection,  dix-huit  siècles  se  sont  écoulés  à  travei'S 
les  vicissitudes  les  plus  lamentables  et  les  révolutions  les  plus 
désastreuses.  L'Espagne,  si  voisine  d'autres  pays  hérétiques 
ou  pervertis,  envahie  successivement  par  les  hordes  barbares 
et  par  les  voluptueux  disciples  du  Coran,  l'Espagne  a  con- 
servé intacte  la  foi  qu'elle  tient  de  saint  Jacques  ;  l'Espagne 
est  encore  aujourd'hui  le  royaume  Catholique  par  excellence. 
Heureux  les  pays  qui  n'abdiquent  pas  leurs  croyances! 

CHAPITRE  IV. 

MAUTYRE  DE   SAINT  JA(  QDES. 

De  retour  en  Palestine,  saint  Jacques  assiste  avec  quel- 
ques autres  Apôtres  à  la  consécration  de  la  Santa  casa  de 
Nazareth  ;  il  prêche  aux  Juifs  le  Messie  mort  par  eux  et  pour 
eux ,  ressuscité,  assis  à  la  droite  du  Père  ;  Y  Enfant  du  ton- 
nerre éclate,  gronde,  tonne  dans  la  synagogue;  des  prodiges 
de  toute  nature  démontrent  la  vérité  de  sa  parole  ;  les  pé- 
cheurs se  jettent  à  ses  pieds;  les  prêtres  et  les  chefs  du 
peuple,  couverts  de  confusion,  se  retirent  ;  le  démon  frémit, 
les  magiciens  tremblent. 

Parmi  ces  derniers,  l'histoire  et  la  légende  citent  liermo- 
gène,  plus  jaloux  que  tous  les  autres  et  plus  acharné  à  la  perte 
de  l'apôtre.  Le  magicien  envoyé  vers  saint  Jacques  son  dis- 
ciple Philétus,  pour  convaincre  d'erreur  l'apôtre  du  Christ  en 


'S-2'i  rÈLEHlNAGE   DE   COMPOSTELLE. 

présence  des  juifs.  Lu  foule  s'assemble,  on  se  groupe  autour 
(les  deux  champions  ;  mais  tous  les  arguments  de  Philétus  sont 
réfutés,  la  vérité  triomphe  et  brille  d'un  nouvel  éclat  après 
avoir  dissipé  les  nuages  du  paradoxe  et  de  la  mauvaise  foi. 
Ce  qui  est  encore  plus  consolant,  c'est  que  Philétus  convaincu 
et  persuadé  soit  par  une  simple  exposition  delà  doctrine,  soit 
par  les  miracles  qu'opère  saint  Jacques,  se  déclare  converti. 
Il  revient  vers  son  maître,  exalte  l'enseignement  nouveau  qu'il 
vient  d'entendre  et  manifeste  sans  détour  sa  pleine  adhésion  à 
l'E  van  aile.  Confus  et  furieux,  Herm'ooène  fait  enchaîner  son 
disciple  et  le  lie  si  étroitement  que  tout  mouvement  lui  est 
interdit.  «  Nous  verrons,  s'écrie-t-il,  si  ton  Jacques  pourra 
«  te  délier.  »  Philétus  informe  suint  Jacques  du  sort  auquel 
il  vient  d'être  réduit.  Saint  Jacques  lui  fuit  parvenir  son 
manteau.  A  peine  le  captif  a-t-il  touché  ce  manteau,  que  ses 
chaînes  brisées  tombent  et  qu'il  court  avertir  saint  Jacques 
de  sa  délivrance. 

Hermogène  ne  peut  plus  contenir  sa  colère  ;  il  invoque  les 
démous,  implore  des  maléfices  plus  puissants  et  conjure  tous 
les  malins  esprits  de  lui  amener  Jacques  et  Philétus,  tous 
deux  garrottés.  Les  démons  font  gémir  les  airs  d'horribles 
hurlements  et  se  plaignent  que  l'Ange  du  Seigneur  les  a 
attachés  avec  des  chaînes  embrasées  et  qu'il  leur  fait  endurer 
d'horribles  tortures.  Une  prière  de  suint  Jacques  suffit  pour 
faire  cesser  leurs  tourments  :  «  Retournez  ,  leur  dit-il,  vers 
«  celui  qui  vous  a  députés  vers  moi,  et  amenez-le  garrotté, 
«  mais  sain  et  sauf.  »  Les  démons  obéissent,  attachent  les 
mains  à  Hermogène  derrière  le  dos  et  le  traînent  auprès  de 
saint  Jacques.  L'Apôtre  adresse  quelques  reproches  au  magi- 
cien, l'éclairé  sur  le  danger  de  sa  liaison  avec  les  malins 
esprits  et  met  un  terme  à  sa  confusion  en  le  faisant  délier 
par  Philétus.  «  Tu  es  libre,  lui  dit  saint  Jacques,  va  où  tu 


rKLK;ii.N..(it;  dI':  iiuiU'ubrKi.i.!:.  32.j 

"  voudras;  caria  vengeance  n'est  pas  permise  aux  disciples 
«  du  Christ.  »  —  «  Je  conn;iis  les  fureurs  des  dénions,  ré- 
"  pond  Hermogène;  si  tu  ne  me  donnes  pas  quelque  chose 
"  qui  t'appartienne,  ils  me  tueront.  »  Et  Jacques  lui  donne 
son  bâton.  Hermogène  n'était  déjà  plus  le  même  homme.  Il 
prend  tous  ses  livres  de  magie,  en  charge  les  bras  et  la  tête 
de  ses  disciples  et  les  jette  aux  pieds  de  l'Apôtre.  Il  consomme 
son  sacrifice  en  les  livrant  aux  flanmies  ;  mais  Jacques  crai- 
gnant que  l'odeur  de  l'incendie  n'inquète  ceux  qui  ne  sont 
pas  prévenus,  fait  enfermer  tous  ces  livres  dans  des  caisses 
dont  il  augmente  le  poids  avec  des  pierres  et  du  plomb,  et  les 
fait  précipiter  dans  la  mer.  Hermogène  se  prosterne  aux 
pieds  de  l'Apôtre  dans  les  sentiments  d'une  vraie  pénitence, 
s'attache  à  l'homme  de  Dieu  et  obéit  à  toutes  ses  volontés. 
La  crainte  du  Seigneur  hâte  ses  progrès  dans  la  perfection  ; 
le  Tout-Puissant  opère  par  ses  mains  de  nombreux  prodiges, 
à  la  suite  desquels  quantité  d'hommes  abjurent  leurs  égare- 
ments d'esprit  et  de  cœur  et  se  convertissent  à  la  foi  du 
Christ. 

L'épisode  de  saint  Jacques  et  d'Hermogène  est  le  thème 
d'admirables  bas -reliefs  du  XVP  siècle  qui  décorent  un  des 
transsepts  de  la  cathédrale  d'Amiens.  Cette  composition  est 
partagée  en  quatre  compartiments  ;  \°  saint  Jacques  prêche 
la  Loi  nouvelle  aux  Juifs  ;  2"  il  fait  un  exorcisme  ;  5"  en  pré- 
sence des  juges  africains,  il  présente  deux  de  ses  doigts  au 
démon  et  le  défie  de  les  mordre  ;  i-**  Hermogène  enchaîné 
demande  pardon  à  saint  Jacques.  »  L'expression  simple  et 
ft  naïve  des  têtes,  dit  M.  Dusevel  ' ,  la  singularité  des  costumes 
«  des  divers  personnages,  notamment  de  Philète  et  d'Her- 
<i  mogène  qui,  suivant  l'usage  du  temps,  ont  des  robes  à  fleurs 

'  Nolicc  suf  la  Cathédrale  d'Amiens,  p.  56. 


32G  VÈLEIIINAGE    LIE    COMPOàTELLlî. 

«  d'or  et  à  ramages,  bordées  de  caractères  grecs  et  latins  et 
<>  la  curieuse  deutelle  des  arcades  sous  lesquelles  ils  se  trou- 
<i  vent,  excitent  vivement  l'attention  des  étrangers.  » 

Une  peinture  de  l'église  Saint -Macaire  (Gironde)  a  égale- 
ment pour  sujet  la  légende  du  célèbre  Hermogène,  que  nous 
trouvons  encore  reproduite  sur  les  vitraux  de  Bourses  et  de 
Chartres. 

Les  Juifs  irrités  de  la  défection  d'un  magicien  enrenom  qu'ils 
croyaient  inébranlable  et  de  celle  de  tous  ses  admii-ateurs, 
corrompent  à  prix  d'argent  deux  centurions  de  Jérusalem, 
Ly.sias  etThéocrite,  et  obtiennent  l'incarcération  de  Jacques; 
ils  organisent  ensuite  une  sédition  et  font  traduire  leur  vic- 
time devant  un  tribunal  ;  mais  l'attitude  magnanime  de  l'A- 
pôtre leur  impose  un  respect  qui  les  étonne  eux-mêmes  ;  ils 
l'écoutent  pendant  qu'il  démontre,  par  les  Ecritures,  la 
Passion  et  la  Résurrection  de  Jésus-Christ.  Ils  se  sentent 
touchés  et  éclairés,  confessent  leurs  torts  et  se  rangent  parmi 
les  disciples  de  la  nouvelle  doctrine. 

Quelques  jours  s'écoulent;  Abiathar,  grand-prêtre  pour 
cette  année,  jure  de  venger  ses  autels  déserts  et,  dans  ce  but, 
provoque  par  ses  largesses  une  violente  émeute.  Un  scribe, 
du  nom  de  Josias,  jette  une  corde  au  cou  de  l'Apôtre  et  le 
conduit  au  prétoire  d'Hérode,  fils  d'Aristobule.  Le  roi  Hé- 
rode  '  était  un  vrai  courtisan  du  peuple,  esclave  de  l'opinion 
publique  beaucoup  plus  que  de  son  devoir.  «  Les  plus  grands 
«  crimes  commis  à  cette  époque,  dit  Mgr  Mislin^,  portent  tous 


'  Il  ne  s'agit  pas  du  vieil  Hérode,  Tinstigateur  du  massacre  des  Innocents; 
il  ne  s'agit  pas  non  plus  de  son  fils  Hérode  Antiphas,  le  décollateur  de  saint 
Jean-Baptiste,  de  cet  Hérode  qui  appelait  Jésus-Christ  un  roi  de  théâtre;  il 
s'agit  du  troisième  Hérode,  Hérode  Agrippa,  persécuteur  de  saint  Pierre  et 
meurtrier  de  saint  Jaco^ues. 

'^  Les  saints  Limx,  par  Mgr  Mislik .  Paris  1858,  t,  2,  p.  353. 


l'KM.niNAor,  Di;  (;(iMP0STr.i,i,i'.  .'{O" 

"  le  cîicliet  (le  lu  faiblesse  des  princes  qui  vouliiient  se  rendre 
M  populaires.  C'est  une  des  marques  distiuctivcs  delà  famille 
«  d'Hérode.  »  Plût  à  Dieu  que  cette  marque  eût  disparu  avec 
cette  famille  !  Combien  est  juste  cette  exclamation  deBossuet: 
«  Rois,  gouvernez  hardiment.  Le  peuple  doit  craindre  le 
«  prince  ;  le  prince  ne  doit  craindre  que  de  faire  le  mal.  Si  le 
«  prince  craint  le  peuple,  tout  est  perdu.  » 

Au  lieu  de  résister  aux  passions  sanguinaires  de  la  foule, 
Hérode  lui  promet  une  large  satisfaction,  et,  sjuis  procès, 
sans  jugement,  il  condamne  le  juste  à  la  décollation.  L'apôtre 
marche  au  supplice  d'un  pas  ferme  et  généreux  ;  une  joie 
sereine  brille  sur  son  front  et  va  s'accroître  par  la  consolation 
d'un  acte  de  bienfaisance  envers  un  infortuné.  Il  s'approche 
d'un  paralytique  couché  sur  le  chemin  et  répond  par  ces 
paroles  à  sa  prière  :  «  Au  nom  de  Jésus-Christ  pour  l'amour 
a  duquel  je  vais  au  supplice,  lève-toi  et  bénis  le  Seigneur.  » 
Et  le  paralytique  se  lève  guéri. 

Témoin  de  ce  miracle,  Josias  tombe  aux  pieds  de  l'Apôtre 
et  sollicite  son  pardon  par  un  torrent  de  larmes.  —  «  La 
«  paix  soit  avec  toi,  »  lui  dit  saint  Jacques  en  l'embrassant. 
Ce  baiser  du  pardon  avant  le  martyre,  ces  paroles  si  frater- 
nelles, ce  souhait  si  tendre  sont,  aux  yeux  des  investigateurs 
des  coutumes  chrétiennes,  la  forme  et  la  formule  la  plus  an- 
tique du  baiser  de  paix  que  le  ministre  des  autels  donnait 
autrefois  au  peuple  avant  la  communion,  dont  les  pieux  Ma- 
ronites ont  conservé  l'usage  '  et  que  le  rit  romain  a  maintenu 
entre  les  membres  du  clergé  dans  les  Messes  solennelles.  Peu 
de  cérémonies  ont  une  origine  aussi  reculée,  aussi  vénérable, 

*  Eu  1858  nous  avons  assisté,  à  Nazareth,  à  la  messe  des  Maronites  dans 
leur  modeste  église.  Avant  la  communion,  le  célébrant  donna  la  paix  au 
prêtre  qui  l'assistait  et  celui-ci  à  l'un  des  fidèles.  Les  hommes  la  transmirent 
aux  hommes  et  les  l'emmes  aux  femmes. 


328  rÈu-:mxAGE  i)E  cu^iro.sTELLE. 

aussi  touchante  que  le  baiser  de  paix  de  nos  sanctuaires. 

Saiiit  Jacques  arrive  au  lieu  du  supplice  avec  Josias,  son 
nouveau  disciple,  bientôt  son  néophyte  par  le  baptême  qu'il 
lui  confè.re  et  bientôt  encore  le  compagnon  de  son  martyre 
et  de  sa  gloire;  il  adresse  à  Dieu  une  prière  et  présente  sa 
tête  au  bourreau,  qui  l'abat  par  un  double  coup  d'épée  : 
«  Occidit  autem  Jacobum,  fratrem  Joannis,  gladio  \   » 

L'exécuteur  ramasse  cette  tête  sanglante,  la  lève  vers  le 
ciel  et  la  montre,  un  genou  en  terre,  aux  satellites  envoyés 
par  Hérode.  Ceux-ci  veulent  s'en  emparer,  mais  leurs  mains 
se  dessèchent,  la  terre  tremble  et  les  anges  entonnent  dans 
les  cieux  les  louanges  de  VApôlre  prolomartyr^  immolé  par 
les  ordres  du  prince  protopersécuteur  de  r Église  ". 

Tous  les  Apôtres  ont  conquis  la  palmé  du  martyre;  mais 
saint  Jacques  est  le  seul  dont  saint  Luc  nous  ait  raconté 
la  mort.  Cette  glorieuse  exception  s'explique  par  les  cir- 
constances extraordinaires  qui  ont  signalé  ce  drame  sanglant. 

Il  n'est  pas  inutile  de  remarquer  que  les  deux  Apôtres, 
du  nom  de  Jacques,  tous  les  deux  parents  de  Notre-Seigneur, 
sont  morts  dans  la  même  ville  que  leur  divin  Maître,  aux 

'  Art.  XII,  2. 

-  OuDEUici  YnAJAS,  Historia  ecclesiastica,  édit.  Migne,  col.  111,  112.  — 
Légende  dorée. —  Un  des  vitraux  modernes  de  l'église  Saint-Michel,  à  Bor- 
deaux, représente  le  baptême  de  Josias  par  saint  Jacques. —  Une  des  pein- 
tures si  antiques  et  si  curieuses  de  l'église  Saint- Macaire  (Gironde)  représente 
successivement  la  conversion  de  Josias,  son  baptême  et  son  martyre.  —  Le 
Mudo  (Juan  Fernandez  Navarreti),  un  des  artistes  les  plus  renommés  de 
l'Espagne,  s'est  immortalisé  par  le  tableau  du  Martyre  de  saint  Jacques-le- 
Majeitr.  On  rapporte  que,  pour  se  venger  de  Santoyo,  secrétaire  du  roi 
Philippe  II,  le  Mudo  donna  sa  figure  au  bourreau  du  saint,  et  que  Philippe 
dut  protéger  ce  chef-d'œuvre  centime  le  ressentimimt  de  son  secrétaire.  Mais 
le  P.  Siguenza,  qui  habitait  alors  l'Escurial  où  ce  tableau  avait  été  exposé, 
affirme  que  cette  laide  et  singulière  figure  du  bourreau  de  saint  Jacques  est 
tout  simplement  colle  d'un  artisan  de  I.ogrono,  patrie  du  peintre. 


PÈLERINAGE  DE  COMPOSTELLE.  ;{29 

environs  du  Cîilvaire;  ils  ont  été  dignes  de  mêler  leur  sang 
au  sang  divin  du  Rédempteur,  leur  frcre^  et  par  la  confession 
de  leur  foi,  ils  ont  scellé  avec  rauteur  de  leur  glorieuse  no- 
blesse une  alliance  nouvelle  plus  durable  que  celle  de  la 
nature,  et  aussi  immuable  que  les  joies  éternelles  qui  en  sont 
la  récompense. 

Saint  Jacques  tient  le  même  rang  entre  les  Apôtres  que 
saint  Etienne  entre  les  Saints;  ils  sont  tous  les  deux,  en  un 
sens,  les  prémices  des  Martyrs.  Saint  Jean  l'ii^vangéliste,  mar- 
tyr de  désir,  a  donné  le  premier,  il  est  vrai,  l'exemple  du 
martyre  ;  mais  saint  Jacques  en  a  achevé  la  consonnnation . 

Sainte  Hélène  honora  par  la  construction  d'une  superbe 
église  l'immortel  théâtre  du  martyre  de  saint  Jacques;  plus 
tard,  l'Espagne,  si  zélée  pour  le  culte  de  son  premier  apôtre, 
bâtit  un  magnifique  couvent  sur  le  même  emplacement.  C'é- 
tait le  célèbre  Monastère  de  Saint-Jacques,  sur  le  mont  Sion. 
Une  petite  chapelle  occupa  et  occupe  encore  la  parcelle  de 
terre  arrosée  d'un  sang  si  précieux.  Les  Espagnols  en  ont  été 
dépossédés  par  les  Arméniens  schismatiques ,  qui  en  sont 
encore  aujourd'hui  les  maîtres. 

On  s'accorde  généralement  à  fixer  au  25  mars,  jour  si  mé- 
morable dans  l'Eglise,  la  décollation  de  saint  Jacques.  Mais 
la  sainte  Eglise  célèbre,  sous  le  signe  du  Lion,  le  25  juillet, 
cette  mort  ou  plutôt  ce  triomphe  de  l'invincible  apôtre. 

Il  est  moins  facile  d'en  préciser  l'année.  François  Bivarius, 
commentateur  de  Flavius  Dexter,  a  essayé  de  résoudre  cette 
dernière  question  dans  une  longue  et  savante  dissertation. 
Nous  croyons  nous  écarter  peu  de  la  vérité  en  donnant  pour 
date  à  un  événement  aussi  important  l'une  des  années  45 
ou  44. 

L'aBBE    l'ARDIAC. 

{La  suite  au  prochain  numéro  ] 

TOMK    VI.  24 


BIBLIOGRAPHIE 


ATHÈNES  décrite  et  dessinée,  par  Erke-^t  BRETo^',  de  la  Société  det 
Antiquaires  de  France.  Paris,  Gide,  1862  ;  grand  ni-8°  de  379  pages,  orné 
de  8  'planches  tirées  à  part  et  de  160  vignettes  (10  fr.). 

Alliènes,  qui  a  conservé  tant  de  monuments  antiques,  contem- 
porains de  son  ancienne  gloire,  a  toujours  attiré  l'attention  des 
archéologues.  Les  ouvrages  de  Chandler,  Dodwell ,  Ottfried  Mul- 
1er,  Pittakis,  Letronne,  Leuormand,  Beulé,  etc.,  ont  conquis  une 
juste  estime  dans  le  monde  savant  ;  mais  ils  n'en  ont  guère  franchi 
le  cei'cle.  Il  fallait  une  plume  habile  et  un  crayon  expérimenté  pour 
vulgariser  les  connaissances  acquises  et  les  offrir  au  public  sous  la 
forme  d'un  élégant  volume  accessible  à  toutes  les  intelligences 
comme  à  toutes  les  bourses.  M.  Ernest  Bieton  a  entrepris  cette 
œuvre  difficile,  où  la  science,  sans  abdiquer  sa  gravité,  doit  se  dé- 
pouiller de  ses  aspérités,  et  il  a  obtenu  un  succès  analogue  à  celui 
qu'il  avait  déjà  remporté  en  décrivant  les  ruines  de  Pompéï. 

Nous  ne  suivrons  pas  M.  Ernest  Breton  dans  la  description  des 
temples,  des  autels,  des  gymnases,  des  tombeaux  de  l'Athènes  du 
paganisme;  mais  nous  lui  emprunterons  quelques  détails  sur  les 
antiquités  chrétiennes  de  la  capitale  actuelle  de  la  Grèce. 

On  sait  que  le  Parthénon,  bâti  dans  l'Acropole,  sous  la  direction 
de  Phidias  et  consacré  à  Minerve  par  Périclès,  devint  au  VII*  siècle 
ime  église  chrétienne,  sous  le  vocable  de  la  Sagesse  Divine  (sainte 
Sophie),  et  qu'il  fut   eu  partie  détruit  par  les  Vénitiens  pendant  le 


lUnLIOGUAI'llIli,  331 

siège  do  1087.  La  façade  occidonlale  est  la  mieux  conservée:  c'est 
sur  ses  colonnes  que  M.  Pillakis  a  découverUle  nombreuses  iuscrip- 
tions  gravées  à  la  pointe. 


1   l''f  <- 


FaeuJe  occidentale  du  Parthenon. 


La  plus  ancienne  remonte  au  VII*  siècle  ;  elle  est  relalivc  à  la  mort 
de  l'évêque  André: 


.:fMOKTU)BP)eei£HM^ 

rAWAPeAcoAntï) 
HNenicê  exoYc 

'ECQ 


a  Le  15  du  mois  d'octobre,  le  premier  jour  de  l'indiclion  7,  est 
mort  André,  noire  saint  évêquc,  eu  l'an  0202   (après  J,  G.  CDi.)  » 


33Î  BIBLIOGIVAPIIIE 

L'inscription  suivante,  remplie  d'abréviations,  a  été  gravée  au 
XIV«  siècle  : 


qtxTXG 

a  Est  mort  dans  le  Seigneur  le  serviteur  de  Dieu,  Nicolas,  prêtre 

et  vicaire  de  la  sainte  église  d'Athènes,  au  mois  de  juillet,  le et 

derindiction...,le  jourquatrième,  en  l'an  6822  (après  J.-C.  131-4.)  » 

M.  E.  Breton  fait  observer  que  ces  dates  reportent  la  création  du 
monde  à  3,508  ans  avant  J.-C,  suivant  l'ère  juive^  adoptée  par  les 
Grecs,  et  non  pas  à  4,004 ans,  comme  le  fait  notre  chronologie. 

On  trouve  de  nombreuses  épitaphes  analogues  à  colles  que  nous 
venons  de  citer,  relatant  la  mort  de  métropolitains,  d'archevêques, 
d'évêques,  de  prêtres,  de  diacres,  d'archivistes,  de  procureurs,  de 
scribes,  de  moines,  de  chanoines,  d'abbés,  etc. 

Une  autre  catégorie  d'inscriptions  est  purement  commémorative. 
Elles  commencent  presque  toutes  par  ces  mots  en  abrégé:  MvrjdOrjTi 
Kûpie  (Souvenez-vous,  Seigneur)  ;  en  voici  deux  exemples  : 


(.0 


iKlCAHC  lAC  Amnii) 


<(  Souvenez-vous,  Seigneur,  de  votre  serviteur  Grégoire,  diacre 
et  économe  de  l'église  d'Athènes.  » 


BinLlOGUAPIIIE. 


333 


iC€  BQHTAâi 


p 

V 

«  Scigiicui',  secourez  votre  serviteur,  le  diacre  Cyriaquc,  Seigneur, 
secourez-le.  » 

Ces  inscriptions  ont  été  épargnées  par  les  Turcs,  de  même  que 
quelques  restes  de  peintures  byzantines  où  on  leconnaît  une  tète 
de  la  Vierge  et  plusieurs  médaillons  d'Apôtres.  M.  E.  Breton  a  éga- 
lement vu  ailleurs  des  symboles  chrétiens  que  les  Musulmans  ont 
respectés,  faute  d'en  comprendre  la  signitication;  sur  une  fontaine, 
au  pied  de  l'Acro-Gorynthe,  deux  marbres  byzantins  porteulchacun 
un  monogramme  du  Christ. 

Un  des  plus  curieux  monuments  chrétiens  d'Athènes  est  la  petite 
église  des  Saints-Apôtres,  devenue  souterraine,  située  dans  le  voi- 
sinage de  la  grotte  de  Pan  ;  on  y  pénètre,,  en  B,  par  la  muraille  mé- 


«w^N^Tvmmm\^w^\^^^ 


Plan  de  Véglise  des  Saints-Apèitres  . 


'î  P 


S 
1 

Embouchure  du  canal  de  la  CiejisyJii', 


lidionale.  Le  cul  de  four  en  ])riques  C  qui  a  remplacé  rancienne 
entrée,  abrite  la  fontaine  de  la  Clepsydre,  dont  il  est  question  dans 
Aristophane  et  dans  l'iutarque.  L'eau  s'échappe  à  dix  pieds  de 
profondeur  d'une  fissure  de  rocher,  décorée  d'un  petit  frontispice 
de  marbre  composé  de  deux  pieds-droits,  avec  un  fronton  portant 
sur  la  frise  le  seul  mot<!)PVNIKOV. 

L'autel,  dont  on  ne  voit  plus  de  traces,  devait  être  situé  en  A'.  On 


334  uraL'OGRAriuE. 

y  voit  encore  des  peintui-es  représentaut  le  Christ  eiilre  hi  Vici'ge 
et  saint  Je.'in-Baptiste. 


<=>  rMi  ru  N 


Intérieur  de  l'église  des  Saints- Apûtrcs. 


L'église  est  jonchée  de  décombres.  Su  voûte ,  à  plein-cinlre , 
repose  sur  des  parois  verticales,  dont  la  jiartie  inféiienre  est  taillée 
dans  le  roc.  Les  figures  des  douzes  Apôtres  sont  peintes  sur  les  parois, 
ainsi,  qu'une  Annonciation.  Ces  fresques,  qui  sont  fort  endomma- 
gées, semblent  remonter  au  X"  siècle. 

De  même  qu'à  Rome,  quelques-uns  des  temples  païens  d'Athènes 
ont  cédé  leur  emplacement  au  culte  catholique.  Une  église  de  style 
ogival,  à  une  seule  nef,  fût  élevée  à  une  époque  inconnue  sur  les 
ruines  du  temple  de  Diane  Agrotera,  sous  l'invocation  de  saint 
Pierre  crucifié.  Elle  a  perdu  toute  sa  façade;  ses  arcs  doubleaux 
reposaient  sur  des  colonnes  de  marbre  de  l'Hymette,  provenant 
sans  doute  de  l'ancien  temple. 

Mais  CCS  restes  d'antiquités  chrétiennes  sont  peu  de  chose  auprès 
des  chefs-d'œuvre  de  Mnésiclès,  d'Ictinus  et  de  Phidias.  Il  faut 
en  lire  la  description  dans  l'excellent  ouvrage  de  notre  savant 
collaborateur,  où  l'intelligence  du  texte  est  facilitée  par  de  nom- 
breux dessins  exécutés  d'après  nature. 

J     COKBLET. 


CHRONIQUE 


On  sait  qu'une  partie  des  revenus  des  Cliapilres  était  tlcslinée  à 
récompenser  l'assiduité  de  leurs  membres  aux  offices  et  qu'eu  gé- 
néral leur  présence  était  constatée  par  la  distribution  de  jetons  eu 
plomb,  nommés  ma?  allas,  merellus,  merel,  mereau.  Le  trésorier 
remboursait  en  monnaie  ces  valeurs  fictives  qui,  du  reste,  avaient 
cours  dans  l'crtaines  villes  épiscopales.  M.  Rouyer  pense  que  les 
plus  anciens  méreaux  ne  sont  pas  antérieurs  au  Xlli''  siècle.  Il  fau- 
drait reculer  plus  loin  l'existence  de  ces  pièces  de  convention,  si  l'on 
admet  les  conclusions  d'un  travail  que  vient  de  publier  M.  A.  Digot, 
dans  les  Mémoires  de  la  Société  archéologique  de  Lorraine.  Parmi  les 
méreaux  du  Cbapitre  de  Tout  qu'il  a  décrits,  il  en  est  un  qu'il  ûiit 
remonter  au  Xl^  ou  XIP  siècle.  C'est  une  masse  de  plomb,  coulée 
grossièrement,  et  offrant  une  concavité  entourée  d'une  bordure  en 
saillie.  D'un  côté,  la  surface  est  parfaitement  lisse  ;  de  l'autre,  on 
voit  une  croix,  sans  aucune  inscription.  M.  Digot  trouve  que  ce 
méreau,  d'un  poids  considérable  et  d'un  travail  grossier,  a  quelque 
ressemblance  avec  les  deniers  frappés  à  Toul,  par  les  évêques 
Gérard,  Brunon  et  Ricuin. 

—  M.  l'abbé  Clerc  a  publié  un  intéressant  Mémoire  dans  le  der- 
nier volume  des  travaux  de  l'Académie  de  Reims  sur  ces  deux  ques- 
tions :  1°  Quel  était  le  costume  des  moines  deLuxeuil?2o  En  quoi 
la  tonsure  irlandaise  ditrérait-elle  dé  la  forme  générale  des  ton- 
sures? Primitivement,  et  sans  doute  jusqu'au  IX*;  siècle,  les  moines 
de  saint  Golomban  portaient  l'habit  blanc  qui,  selon  les  principes  de 
la  liturgie,  est  l'expression  de  la  joie  ;  ils  prirent  ensuite  la  robe 
brune,  emblème  de  la  pénitence.  Ils  portaient  la  tonsure  à  la  ma- 
nière des  Irlandais,  c'est-à-dire  qu'ils  ne  se  rasaient  que  pardevant, 
en  domi-cercle,  d'une   oreille  à  l'autre  ;  ils  prétendaient  en  cela. 


ooo  ciinoMQi;E. 

iinitiT  l'iipùlre  s.'iiiit  Jean,  qui  laissait  croitre  ses  cho.veux  sur  le 
«Icnièro  de  la  tête. 

—  Quelques  erreurs  ty[iographiques  se  sont  glissées  dans  l'ar- 
ticle de  M.  Antonio  Bertoldi,  sur  le  sarcophage-autel  de  Saint-Zénon 
(u"  de  février,  pages  37  et  38).  Nous  rétablissons  ici  les  deux  pas- 
sages qui  ont  été  altérés  :  L'antel-sarcophage  de  notre  basilique 
contient  les  corps  de  trois  Saints  :  1°  saint  Crescentien,  martyr  du 
VI*  siècle,  dont  il  est  fait  mention  dans  les  Actes  du  pape  saint 
Marcel;  2"  notre  VI*  évêque,  saint  Lucille,  qui  assista  au  Concile  de 
Sardes,  en  347,  et  qui  est  mentionné  dans  V Apologie  de  saint  Atlia- 
nase;  3°  notre  XII*  évêque  saint  Lupicin.  Actuellement  il  se  trouve 
dans  l'abside  centrale  de  la  crypte  :  auparavant  il  était  dans  l'église 
supérieure,  au  devant  de  l'abside  du  côté  de  l'épître,  maintenant 
fermé.  —  Après  les  inscriptions  de  la  page  58,  il  faut  ajouter  celte 
phrase  :  Plus  tard  on  transféra  ce  sarcophage  dans  la  crypte;  je 
crois  que  ce  fut  en  1808,  alors  qu'on  fit  la  récognition  des  eainls 
corps. 

—  Nos  lecteurs  connaissent  toute  l'importance  du  tableau  polyp- 
tique  d'Anchin,  conservé  dans  la  sacristie  de  Notre-Uame  de  Douai, 
duquel  M.  l'abbé  Deliaisne  a  publié  la  description  dans  notre  Revue 
(t.  IV,  p.  449).  On  se  rappelle  que  notre  savant  collaborateur  s'est 
prononcé  contre  l'attribution  qu'on  avait  faite  de  ce  chef-d'œuvre 
a  Memling,  mais  qu'il  n'a  point  osé  se  prononcer  sur  son  auteur, 
en  l'absence  de  preuves  positives.  On  nous  assure  que  M.  Alphonse 
Wautei's,  archiviste  de  la  ville  de  Bruxelles,  vient  de  trouver  un 
document  authentique,  constatant  que  cette  œuvre  admirable  a  été 
exécutée  vers  l'an  1313  par  Jehan  Bellegambe,  natif  de  Douai. 
M.  Dehaisne  avait  fixé  sa  date  approximative  entre  1311  et  1520; 
un  témoignage  inattendu  vient  de  montrer  la  sagacité  de  ses  con- 
jectures. 

—  La  société  impériale  des  AuLi(juaires  de  France  a  nommé  notre 
collaborateur,  M.  A.  de  Barthélémy,  à  la  place  de  membre  résidant, 
vacante  par  le  décès  de  M.  le  commandant  Delamare. 

J.  COaBLET. 


REVUE  DE  1:aRT  CHRETIEN. 


^-  baiidaie  de  Samt  Edme . 

>•  Sandale    de  Comminges 

•    Chaussure  de   Sa:nl  Rerre  de  LuxemBour 


■*ry-3uit::eaji  ^Ar 


LES  SANDALES  ET  LES  BAS 


P  U  K  M  1  K  It      A  11  T  I  C  I,  K  . 


PRELIMINAIRES. 

Lorsque  j'entrepris,  il  y  a  quatre  ans,  la  publication  dont 
commence  ici  la  troisième  partie,  mon  projet  n'était  pas  de 
donner  à  ce  travail  l'extension  considérable  qu'il  a  acquise 
depuis.  Le  plan  que  je  voulais  suivre  en  premier  lieu  consi- 
stait simplement  :  1°  à  revenir  avec  plus  de  détails  sur  la 
description  des  vêtements  ou  étoffes  que  mes  Rapports  à  Son 
Excellence  M.  le  Ministre  de  l'instruction  publique  avaient 
signalés,  2"  à  reproduire  par  la  lithographie  un  choix  d'ob- 
jets, soit  inédits,  soit  imparfaitement  copiés  par  mes  devan- 
ciers. Il  m'a  été  bientôt  difficile  de  ne  pas  franchir  des  limites 
aussi  restreintes.  D'abord,  plusieurs  personnes,  à  la  tête  des- 
quelles j'inscrirai  MM.  Oudet,  Thibaud  et  Van  Drivai,  ont  mis 
à  ma  disposition  des  monuments  nouveaux;  puis  l'on  m'a  fait 
observer  qu'une  suite  de  monographies,  sans  lien  entre  elles, 

TOME  VI,  Juillet  1862.  25. 


338  LES   SAXIJALES   ET   LES    RAS. 

fatiguerait  à  la  longue,  malgré  riiitérèt  particulier  de  cha- 
cune, et  qu'il  serait  plus  convenable  de  grouper  dans  un  seul 
article  les  divers  objets  appartenant  à  la  même  catégorie, 
en  joignant  à  leur  étude  individuelle  une  étude  d'ensemble, 
propre  à  généraliser  les  faits  avancés.  Je  n'ai  pas  reculé  de- 
vant le  surcroit  de  travail  que  m'imposait  une  pareille  tâche  ; 
les  bourses,  les  tuniccUcs  éptscopalcs,  la  mitre,  les  r/ants,  ont 
été  traités  sous  l'impression  des  bienveillants  avis  que  j'avais 
reçus.  Néanmoins,  la  méthode  suivie  à  l'occasion  des  précé- 
dents sujets  présente  assez  d'inconvénients  pour  m'en  dépar- 
tir quelquefois.  Se  borner  aux  appartenances  d'une  localité, 
d'un  personnage,  conduit  à  passer  rapidement  sur  les  objets 
analogues,  ou  à  des  redites,  double  écueil  qu'il  faut  savoir 
éviter.  J'oifre  donc  aujourd'hui  aux  lecteurs  indulgents, 
dont  le  concours  ne  m'a  pas  failli  depuis  l'heure  où  j'ai 
abordé  le  genre  d'études  auxquelles  toute  mon  existence  est 
vouée,  une  série  de  brèves  notices  sur  les  anciennes  chaus- 
sures que  j'ai  pu  rencontrer  en  France,  notices  accompagnées 
d'un  aperçu  de  l'histoire  des  calceamenla,  fasciœ,  tibialia, 
laïques  ou  sacrés,  de  l'antiquité  aux  temps  modernes. 

Aux  documents  que  j'ai  rassemblés  moi-même,  à  la  science 
des  liturgistes  d'autrefois,  je  pourrai  joindre  la  profonde 
érudition  renfermée  dans  quelques  ouvrages  récemment  édi- 
tés. MM.  Rich,  Roacli  Smith,  le  chanoine  llock  en  Angle- 
terre, les  splendides  publications  du  Comité  impérial  des 
monuments  de  Vienne  ' ,  les  excellents  travaux  de  mon  docte 


'  Grâce  à  l'extrêiiie  bienveillance  de  S.  E.  M.  le  baron  Charles  de  Czoer- 
nig,  président  de  la  Commission  impériale  et  royale  des  monuments  historiques 
de  Vienne,  j'ai  pu  obtenir  du  gouvernement  autrichien  la  collection  presque 
complète  de  l'Annuaire  et  des  Communications  (Mitt/ieilungen)  publiés  à  ses 
frais.  Ces  recueils,  pleins  de  savantes  recherches,  sont  au  point  de  vue  de 
la  gravure  et  de  la  chromolithographie  des  modèles  difficiles  à  surpasser. 


LES    SANHAi.KS    KT    l.tS    lîAS.  :{;!<) 

ami  j\I.  l'abbé  J'ock  en  Allemagne',  le  i-ecucil  inachevé  (bi 
regrettable  M.  Gaiissen  en  France"-,  me  fonrniront,  comme 
texte  et  gravures,  matière  à  de  nombreux  emprunts. 


CHAPITRE   I. 

AACIKNNKS   flIATTSSrRKS    ^n^SK!lVK^:S•    KN    l'HA^CK. 

Sandales  île  sainte  Aldegonde  à  Maubeu(/e.  —  Lorsque  la 
bienheureuse  Aldegonde,  fille  de  race  mérovingienne,  subis- 
sait les  poursuites  d'un  prince  anglais  qui  voulait  l'épouser 
malgré  sa  résistance,  la  jeune  vierge  (elle  avait  alors  treize 
ans)  surprise  par  les  émissaires  de  ce  prétendant,  s'enfuit 
en  leur  abandonnant  l'un  de  ses  souliers  et  traversa  miracu- 
leusement la  Sambre  avec  l'aide  de  deux  anges  qui  la  sou- 
tinrent au-dessus  de  l'eau  •\  Une  tradition  veut  que  l'unique 
chaussure,  emportée  par  la  sainte  sur  l'autre  rive,  ait  été 


'  Non  content  de  ni'adresser  ses  ouvrages  parus,  M.  l'abbé  Bock,  dont  le 
nom  fiiit  autorité  en  matière  de  vêtements  liturgiques  et  d'anciennes  étofFes, 
a  eu  l'obligeance  de  me  communiquer  les  épreuves  des  admirables  planches 
in-folio  qui  doivent  illustrer  les  Kleinodien  des  Heil-Romischen  Reiches 
(Joyaux  de  la  couronne  du  Saint-Empiie  romain),  édités  par  l'ordre  de  S.  M. 
l'empereur  d'Autriche. 

-  M.  Gaussen,  digne  émule  de  Willemin,  après  avoir  consacré  sa  vie  en- 
tière à  la  publication  du  Portefeuille  archéologique  de  la  Champagne,  est 
mort  à  la  peine  sans  avoir  vu  terminer  son  ouviage.  Dans  une  préface  écrite 
avec  le  cœur,  M.  d'Arbois  de  Jubainville  a  su  peindre  en  peu  de  mots  toutes 
les  misères  qui  assaillirent  un  artiste  distingué,  sans  le  détoui'ner  un  instant 
du  but  qu'il  s'était  proposé  ;  mais  pourquoi  le  savant  archiviste  de  l'Aube  et 
M.  le  chanoine  Tridon  ont-ils  interrompu  le  texte  explicatif  qu'ils  étaient  si 
bien  en  mesure  de  terminer? 

'  R.  P.  AwuRÉ  TxuQUET,  Vie  adviirahle  de  la  très-illuslrc  jyrincesse  xainte 
aldegonde,  éd.  Estienivk,  Maubeuge,  18:37.  p.  '^3. 


340  LES   SANDALES   ET    LES   BAS. 

conservée  de  temps  immémorial  dans  le  trésor  de  la  Collé- 
giale de  Maubeuge  '.  Rayssius,  qui  mentionne  cette  relique, 
suit  les  mêmes  errements  :  <<  Solea  seu  suppagmentum  ejusdem 
(S.  Aldegundis),  quod  reliquit  in  ulteriori  Sal)is  ripa,  cum 
ab  Eudone  consequeretur,  ac  eumdem  Sabim  siccis  plantis 
pertransisset  ".  »  Le  sentiment  du  chanoine  douaisien  est, 
on  le  voit,  complètement  d'accord  avec  la  tradition  énoncée 
ci-dessus.  La  Solea  de  sainte  Aldegonde  a  été  peinte  dans 
un  inventaire  illustré  à  la  fin  du  XV^  siècle,  inventaire  re- 
copié au  XVIP  et  continué  jusque  vers  1650.  Le  pre- 
mier recueil  est  malheureusement  égaré,  le  second  m'a  été 
communiqué  par  son  propriétaire  actuel,  M.  Bottiau,  procu- 
reur impérial  à  Valenciennes  et  héritier  de  la  bibliothèque 
de  feu  M.  Estienne.  Le  dessin  que  j'ai  calqué  laisse  voir  à 
peine  l'extrémité  aiguë  du  soulier  .(environ  0'",02!7'"),  simple 
semelle  de  cuir  épais,  piqué  sur  les  bords;  le  reste  est  caché 
sous  une  double  custode  verte  et  rouge,  semée  d'oiseaux  et  de 
iieurs  très-certainement  brodés  en  soie  de  couleur.  On  lit  en 
marge  :  «  Il  y  a  présentement  xxii  pièces  atficqees  à  ung 
fille  d'or.  —  Lan  1642  on  y  at  mis  encore  une  bague  avecque 
une  agate  et  4  rubis  et  deux  peti  brasselle  dor  ou  illiat 
24  piesse^  » 

La  précieuse  sandale,  dérobée  à  la  convoitise  des  agents 
révolutionnaires,  se  trouvait,  en  1807,  entre  les  mains  du 
prince  de  Ghistelles,  qui  la  remit  alors  à  j\L  Bévenot,  curé- 


'    Vie,  etc.,  notes  de  M.  Estien.ne,  n°  vi,  p.  4. 

'  Hierogazojyhi/iacium  BeIgicuni,Tp.  13. 

"'  Inventaire  cité,  fol.  14,  v.  —  Je  sollicite  une  indulgence  bien  méritée 
pour  l'orthographe  des  nobles  chanoinesses  qui  transcrivirent  ces  notes,  car 
leur  travail  fournit  aujourd'hui,  en  texte  et  dessins,  assez  de  documents  pour 
rétablir  à  peu  près  le  riche  trésor  de  Maubeuge,  absorbé  par  la  Révolu- 
tion. 


LES    SANDALES   ET  LES   BAS.  3  il 

doyen  de  MauLeiige.  Cet  ecclésiastique  la  i)laça  dans  la  sa- 
cristie de  son  église  paroissiale,  où,  grâce  ti  l'obligeance  de 
M.  l'archiprêtre  Babeur,  j'ai  pu  la  contempler  à  mon  aise  en 
I808.  L'aspect  de  la  relique  n'a  guère  changé  depuis  le 
XV  siècle  ;  la  custode  interne  de  velours  vert  est  toujours 
visible,  moins  les  broderies  qui  sont  usées  ;  mais  la  couver- 
ture extérieure  a  été  remplacée  ou  cachée  par  un  reps  bleu- 
clair,  lamé  d'argent.  Les  joyaux  mentionnés  par  l'inventaire 
subsistent  encore  pour  la  plupart.  Les  deux  bracelets  d'or, 
disposés  longitudinalement,  forment  chaînette  et  sont  ornés 
chacun  de  douze  intailles  grossières,  six  cornalines  et  six  la- 
zulites.  Ij'agale  montée  en  bagne  avec  quatre  rubis  était  au- 
trefois un  camée  sur  onyx  représentant  une  impératrice 
romaine  ;  un  vandale  quelconque  a  barbarement  gratté  cette 
tête,  tout  en  respectant  la  monture  qui  consiste  en  un  mé- 
daillon d'or  ovale  (0'",0i7"'  sur  0"',044'")  cantonné  de  quatre 
fleurs  de  lis  émaillées  bleu  et  blanc,  alternant  avec  quatre 
pierres'.  Des  vingt  deux  pièces  qui  existaient  avant  1642, 
douze  ont  disparu  en  laissant  néanmoins  des  traces  sur  l'é- 
toffe. Le  reste  se  compose  de  deux  agates  blanches  et  un 
onyx  antiques,  un  jaspe  diapré  vert  et  blanc,  deux  lazulites 
et  quatre  cornalines  ;  ces  pierres  sont  également  gravées  en 
creux. 

La  sandale  de  Maubeuge  est  renfermée  dans  une  caisse  en 
bois  de  peu  d'apparence  et  garantie  par  une  glace  mobile. 
Autant  que  l'on  peut  juger  d'un  objet  à,  peine  entrevu  sous 
d'épaisses  enveloppes,  celui-ci  doit  appartenir  au  genre  de 
cliaussui'e  nommé  solea  par  les  anciens,  c'est-à-dire  une  se- 

'  Ce  camée  intact  est  peint  dans  V Inventairn.  fol.  37,  v-  —  La  montuiQ 
est  un  petit  chef-d'œuvre  de  bijouterie,  style  Louis  XIII,  mais,  si  mes  yeux 
n'ont  pas  failli,  je  soupçonne  fort  que  les  anciens  rubis  sont  remplacés  au- 
jourd'hui par  des  strass. 


312  LES   SANDALES   ET   LES    BAS. 

melle  attachée  sur  le  cou-de-pied  an  moyen  de  courroies,  telle 
que  la  portent  les  Capucins  et  les  Carmes.  On  objectera  peut- 
être  que  sa  longueur  (O^^Se*^)  s'oppose  à  ce  qu'on  puisse  l'at- 
tribuer à  un  enfant  de  treize  ans,  mais  je  ferai  observer  que, 
de  cette  longueur,  il  faut  retrancher  deux  centimètres  de 
pointe  au  minimum,  et  que  les  princesses  franques  étaient 
des  femmes  robustes,  issues  de  la  race  teutonique  qui  n'a  ja- 
mais eu  la  prétention  d'entrer  en  lutte  avec  les  dames  chi- 
noises ponr  l'exiguïté  des  pieds. 

Quoi  qu'il  en  soit,  si  notre  soulier  remonte  à  644  (sainte 
Aldegonde  naquit  vers  la  fin  de  650) ,  il  est  incontestable- 
ment l'un  des  plus  vieux  spécimens  de  chaussure  que  nous 
possédions.  Rien  d'ailleurs  ne  vient  combattre  son  authenti- 
cité, car  il  est  assez  difficile  d'admettre  que  l'on  ait  gardé 
aussi  longtemps,  sans  raisons  très-majeures,  un  o'ojet  dénué 
de  toute  valeur  intrinsèque. 

On  m'a  encore  montré  dans  la  sacristie  de  Maubeuge  une 
petite  mule  d'argent  renfermant  un  morceau  du  soulier  de 
sainte  Aldegonde.  Ce  reliquaire,  qui  provenait  également  de 
l'ancien  trésor  capitulaire,  était  passé  aux  mains  du  chanoine 
Cambier  ;  égaré  à  la  mort  de  cet  ecclésiastique,  il  a  été  re- 
trouvé depuis  peu. 

Souliers  de  sainte  Bathilde  à  Clielles.  —  Lorsque  l'on 
ferma  les  maisons  religieuses,  en  1792,  une  portion  des  re- 
liques appartenant  à  l'abbaye  de  Chelles  put  être  sauvée  et 
se  trouve  aujourd'hui  dans  l'église  paroissiale  de  la  commune. 
Un  savant  distingué,  M.  Eugène  Grésy,  qui  visitait  cette 
église  en  l85o,  y  rencontra  une  petite  châsse  de  bois  noir, 
forme  pupitre,  couverte  d'ornements  en  cuivre  repoussé, 
roses  et  lis,  style  Louis  XIII^,  avec  le  monogramme  I  H  S, 
compris  entre  les  deux  lettres  S.  B.  La  châsse,  close  par  un 
verre  dormant,  n'était  plus  exposée  faute  d'authentiques  ; 


LKS   SANDALKS   ET    LKS    UAS.  343 

son  ouverture  fit  découvrir  trois  chaussures  en  cordouan 
noir;  une  isolée,  une  paire:  le  tout  à  l'intérieur  niaroquiné 
de  couleur  fauve,  à  l'empeigne  brodée  en  soie  au  point  re- 
fendu ou  de  chaîuette.  Je  ifai  pas  eu  riieureuse  chance  de 
voir  ces  curieux  calcci^  mais  M.  Grésy  en  a  donné  une  de- 
scription si  exacte,  accompagnée  de  gravures  enluminées  si 
consciencieuses  ',  qu'aidé  de  l'une  et  des  autres^  je  crois 
n'être  pas  tro})  hardi  en  formulant  à  mon  tour  une  opinion 
sur  la  matière. 

Le  soulier  dépareillé  mesure  0"',*28'"  de  longueur  ;  l'em- 
peigne, élégamment  taillée  en  fer  de  lance^  remonte  sur  le  cou- 
de-pied ;  deux  courroies  faisant  corps  avec  le  reste  se  croisent 
pour  aboutir  à  des  oreillettes  {ansœ)  correspondantes  à  droite 
et  à  gauche  du  quartier.  L'ornementation  consiste  en  deux 
palmiers  inégaux,  posés  bout  à  bout,  l'un  sur  l'empeigne, 
l'autre  sur  la  languette,  le  premier,  chargé  de  fruits  ;  l'en- 
semble esquissé  en  blanc,  rouge  et  vert  :  un  léger  filet  blanc 
suit  à  distance  le  contour  des  solutions  de  continuité. 

La  paire  a  0'",27'.  Le  passage  du  pied,  bordé  aussi  d'une 
baguette  blanche,  dessine  une  sorte  de  cœur  arrondi  par  la 
base.  Une  lanière  mince  et  assez  longue  pour  faire  le  tour 
de  la  cheville  s'engage  dans  une  oreillette  unique.  Des  fleu- 
rons découpés  comme  à  l' emporte-pièce,  appliqués  sur  fond 
de  cuir  doré  et  rechampis  de  traits  polychromes,  blanc,  rouge, 
vert,  décorent  l'empeigne. 

D'une  rare  élégance,  ces  trois  souliers  ont  le  quartier 
élevé;  la  semelle  très-étroite,  sans  renfort,  est  aussi  souple 
que  les  autres  pièces  auxquelles  elle  se  joint  par  une  couture 
cachée  sous  un  passe-poil.  En  marchant,  le  pied  devait  ap- 
puyer en  grande  partie  sur  l'empeigne  et  le  quartier  qui  ce- 

'    Revue  archéol. ,  1856,  xi^  liv.,  janvier,  p.  60:^  et  pi.  273. 


344  LES   SANDALES   ET   LES   liAS. 

pendant  n'offrent  aucune  trace  de  frottement,  en  dépit  de 
crevasses  au  talon ,  inarque  certaine  d'un  fréquent  usage. 
C'étaient  donc  des  chaussures  de  cérémonie  et  non  destinées 
à  la  vie  ordinaire. 

Si  l'on  demande  à  quel  sexe  les  calcei  de  Clielles  ont  ap- 
partenu, leurs  dimensions  (ils  mesurent  environ  0'",25"^  de 
circonférence  à  l'orteil)  et  leur  luxe  répondront  que  c'est  à 
des  femmes  de  haute  taille  et  d'un  rang  élevé.  Quant  à  la  date 
probable  de  ces  vêtements,  quelques  considérations  vont  la 
déterminer,  je  l'espère. 

En  premier  lieu,  les  trois  chaussures  sont  contemporaines; 
leur  identité  de  matière  et  de  travail  est  complète;  une  lé- 
gère différence  réside  seule  dans  la  forme  et  l'ornementa- 
tion; ce  que  je  dirai  pour  l'une,  peut  donc  s'appliquer  à 
toutes.  Or,  le  soulier  dépareillé  est  exactement  semblable  aux 
sandales  funèbres  du  B.  Éginon,  évêque  de  Vérone,  mort  en 
80!2,  sandales  dont  je  parlerai  ailleurs  avec  plus  de  détails. 
Quant  à  la  paire,  elle  est  taillée  sur  le  patron  de  la  sandale, 
dite  de  Saint-Sylvestre,  conservée  à  Saint-Martin  des  Monts. 
Cette  dernière  est,  je  crois,  du  XIIF  siècle,  comme  la  mitre 
qui  partage  son  attribution,  mais  le  genre  de  calceus  auquel 
elle  se  rattache  a  si  peu  varié  depuis  l'antiquité,  que  l'objec- 
tion tirée  d'une  telle  analogie  resterait  sans  valeur  eu  face 
des  rapports  déjà  énoncés. 

Le  VHP  siècle  offre  certainement  un  âge  respectable  ;  il 
faut  néaimioins  remonter  encore  plus  loin.  M.  E.  Grésy  rap- 
proche très -judicieusement  la  broderie  des  souliers  de 
Chelles  de  quelques  motifs  peints  dans  les  catacombes  et  sur 
un  manuscrit  grec  du  TX^  siècle  '  ;  eh  bien,  ces  mêmes  végé- 
taux à  feuilles  en  accolade,  ces  palmettes  contournées  en 

'  Revue  arch.,  lue.  cit. 


LES   SANDALES   ET   LES   BAS.  345 

volutes,  un  précieux  débris  d'origine  incontestablement  chré- 
tienne et  gallo-romaine  me  les  montre  réunies.  Je  veux  par- 
ler des  plaques  d'argent  ciselé  que  j'ai  dessinées  en  1856 
dans  l'église  Saint-Eusèbe  à  Aux  erre,  plaques  qui  ne  peuvent 
être  postérieures  au  IV"  siècle,  car  le  coffret  qu'elles  or- 
naient fut  trouvé  pêle-mêle  avec  des  fioles  de  martyre  et  des 
ossements  '.  Assigner  à  nos  calcei  une  date  aussi  reculée 
manquerait  de  vraisemblance  ;  celle  du  VHP  siècle  sera 
moins  difficile  à  justifier. 

Je  reprends  l'argumentation  de  M.  Grésy. 

Parmi  les  reliques  conservées  dans  la  paroisse  de  Saint- 
André,  à  Chelles,  figurent  les  corps  des  saintes  Batliilde, 
reine  des  Francs,  fijndatrice  du  monastère  {+  680),  et  Bertille, 
première  abbesse  (-\-  692).  La  lettre  B,  inscrite  sur  la  châsse, 
fournirait  donc  matière  à  confusion,  si  l'on  ne  savait  qu'en 
1647  un  des  souliers  de  sainte  Bathilde  et  son  voile  furent 
donnés  à  l'abbaye  de  Corbie  ^ ,  ce  qui  explique  le  nombre 
impair  des  chaussures  incluses  dans  la  cassette  et  milite  en 
faveur  de  leur  authenticité.  Après  une  épidémie  qui  sévit 
gravement  sur  sa  maison,  Madeleine  de  la  Meilleraye,  ab- 
besse de  Chelles,  sœur  du  Maréchal,  fit  faire  quantité  de 
nouvelles  châsses;  le  15  juillet  1651,  elle  procéda  à  l'ouver- 
ture de  la  fiertre  de  sainte  Bathilde  et  divers  miracles  s'opé- 
rèrent par  l'attouchement  des  os  vénérés  ^  La  probabilité 

'Rapport,  etc.,  1857,  p.  21. 

*  "  Corpus  S.  Bathildis  thecœ  aigentcaî,  caput  vero  proprio  scrinio  inclu- 
sum  etiam  nunc  in  monasteiio  Kalensi  colitur,  prseter  insignem  maxilla;  su- 
perioris  portionem,  quam  Corbeienses  nostii,  anno  1647,  ab  illustri  abbatissa 
Magdalena  obtinuerunt,  et  in  argentea  effigie,  una  cum  S.  reginse  ac  monachœ 
vélo  aUeroque  calceo,  posuerunt.  »  Mabillon,  Acta  SS.  0.  S,  B.,  saec.  II, 
p.  784,  Monitum.  —  V.  encore  Lebedi",  Hist.  du  dioc.  de  Paris,  t.  vi,  p  42; 
IJist.  abrégée  du  trésor  de  l'abb.  roy.  de  Corbie,  p.  30,  1757,  in-16. 

^  Hist.  ms.  de  Chelles,  3  vol  ,  Bibl.  du  grand- sémin.  de  Meaux. 


3-iG  LES   SANDALES    ET   LES  BAS. 

veut  qu'un  tel  monieut  d'enthousiasme  ait  déterminé  la  com- 
mande des  reliquaires  neufs,  et  qu'alors  les  quatre  souliers 
découverts  aient  été  retirés  à  part,  dans  la  custode  où 
M.  Grésy  put  passer  la  main,  grâce  à  l'absence  motivée  d'un 
d'entre  eux.  Malheureusement,  si  les  lettres  S.  B.  doivent 
se  traduire  par  sanctœ  Bathildis,  on  lit  dans  un  Mémorial 
annexé  au  Cartulaire  de  Chelles  '  qu'en  1544  on  renferma 
dans  l'ancienne  châsse  de  sainte  Bathilde  des  «  reliques  et 
des  vêtements  de  plusieurs  saints  qu'on  avait  trouvés  dans 
une  mauvaise  châsse  de  bois.  »  D'où,  l'erreur  commise  par 
M*"^  de  la  IMeilleraye. 

Les  historiens  scrupuleux  se  sont  tus  sur  des  objets  non 
reconnus  authentiques.  Le  Gallia  christiana  omet  le  voile  et 
la  sandale,  quand  il  mentionne  l'insigne  portion  de  mâchoire 
envoyée  à  Corbie  ;  V Histoire  mamiscrite  de  Chelles^  fort  pro- 
lixe à  l'endroit  de  cette  mâchoire,  ne  dit  rien  sur  le  reste; 
V Histoire  abrégée  du  trésor  de  Corbie,  qui,  chapitre  v,  n"  7, 
parle  du  soulier,  l'a  passé  sous  silence  au  chapitre  ii,  n"  o. 
La  différence  de  taille  entre  les  chaussures,  leurs  dimen- 
sions presque  masculines,  font  reculer  les  moins  incrédules; 
mais  ce  qui  enlève  toute  confiance  à  M.  Grésy  est  un  in- 
ventaire des  saintes  reliques  de  Chelles  extrait  d'un  ma- 
nuscrit de  la  maison  et  reproduit  dans  l'histoire  précitée'. 
Parmi  cent  cinquante  articles,  dont  bon  nombre  respirent 
le  merveilleux,  figurent  sept  souliers  révérés,  et  ceux  de 
sainte  Bathilde  n'y  sont  pas  compris.  1°  Un  soulier  de 
la  sainte  Vierge,  2"  un  de  sainte  Anne,  5°  un  des  saints 
Innocents,  4"  deux  paires  de  sandales  dont  les  saints  Apôtres 
usaient  pour  célébrer  la  messe.  Ces  dernières  mettent  un 
terme  aux  doutes  de  notre  savant  confrère  ;  en  elles  il  recon- 

'   Bibliothèque  de  Meaiix.  Rédigé  avec  soin  en   1530  avec  continuation. 
-  ï.  I,  p.  29. 


LES   SANDALES   ET   LES   BAS.  3-47 

naît  à  la  fois  d'anciennes  chaussures  liturgiques  et  les  rares 
spécimens  qu'il  a  eu  le  bonheur  de  signaler  le  premier  '. 

A  un  système  formulé  avec  autant  de  bonne  foi  que  de 
talent,  il  est  facile  d'opposer  des  raisons  non  moins  spé- 
cieuses. Grecs  et  Romains  évitaient  soigneusement  la  gêne 
dans  .leurs  habits  et  leurs  chaussures;  les  Barbares,  quoi- 
qu'ayant  un  costume  plus  étriqué,  ne  dédaignaient  pas  leurs 
aises;  aussi  les  vêtements  sacerdotaux,  empruntés  aux  An- 
ciens, conservèrent-ils  longtemps  une  ampleur  remarquable. 
Les  sandales  liturgiques,  en  particulier,  ont  toujours  pu  se 
mettre  et  se  retirer  sans  effort,  comme  une  pantoufle.  Le 
pied  d'un  homme  ordinaire  mesurant  aujourd'hui  entre 
0"',26o'"  et  0"',27%  il  est  impossible  d'accepter  ([ueles  prêtres 
gallo-romains  ou  francs,  dont  les  extrémités  inférieures 
non  comprimées  dès  l'enfance  acquéraient  un  développe- 
ment complet,  aient  voulu  célébrer  la  messe  avec  une 
chaussure  trop  courte.  Au  contraire,  les  longueurs  de  0'»,27'' 
et  O^jSS"  ne  devaient  pas  répugner  à  l'anglo-saxonne  Ba- 
thilde  et  aux  nobles  religieuses  ses  compagnes ,  une  haute 
taille  impliquant  chez  elles  un  pied  proportionné  ".  Les  mo- 
numents prouvent  en  outre  qu'aux  premiers  siècles  de  la  mo- 
narchie française  la  forme  des  souliers  était  identique  pour 
les  hommes  et  les  femmes  d'un  rang  élevé;  le  calceamentum 
episcopale  se  distinguait  seulement  par  un  c/rtn/.s' disposé  en 
croix  que  l'on  n'y  rencontre  pas  toujours. 

'   Revue  arcJi.,  loc.  cit. 

'^  J'ai  mesuré  par  curiosité  les  pieds  de  quelques  statues  antiques  choisies 
entre  les  modèles  les  plus  élégants;  voici  les  résultats  obtenus  :  Vénus  de 
Médicis,  type  mignon,  C", 235™  ;  Diane  chasseresse  du  Louvre,  plus  grande 
que  nature,  0'^,318™,  encore  les  dames  de  la  cour  de  François  I"'',  choquées 
de  la  taille  des  pieds  de  la  déesse,  y  firent-elles  retoucher;  Apollon  du  Bel- 
védère, mêmes  proportions,  0"i,323'"  ;  Antinoiis,  0"'27''  ;  Jason  ou  Cincinna- 
tus.  G™, 292"'. 


3i8  LES   SANDALES   ET   LES   BAS. 

L'erreur  reprochée  à  M""*"  de  la  Meilleraye  est  peu  vrai- 
semblable. Cette  abbesse  n'ignorait  certainement  pas  la 
fraude  commise  en  1544  ;  elle  la  connaissait  si  bien,  qu'entre 
deux  paires  de  chaussures,  elle  sut  choisir  pour  Corbie  la 
plus  antique  d'aspect.  On  n'accusera  pas  le  XVIP  siècle 
d'un  trop  grand  savoir  en  fait  d'archéologie  pratiqiie  du 
Moyen  Age.  M'""  de  la  Meilleraye  fut  donc  guidée  par  des 
motifs  étrangers  à  la  science.  Le  Mémorial ,  d'ailleurs , 
parle  de  vêtements  en  général  et  n'en  spécifie  aucun. 

L'omission  signalée  dans  l'Liventaire  trouve  son  explica- 
tion. Ce  document  ne  mentionne  que  des  reliques  isolées,  et, 
à  l'époque  où  on  le  rédigea,  les  chaussures  de  sainte  Ba- 
thilde,  incluses  dans  sa  châsse,  purent  être  regardées  comme 
partie  intégrante  du  corps  de  la  reine,  en  supposant  que 
leur  existence  fût  connue. 

Le  silence  gardé  par  le  Gallia  christiana  se  comprend  vis- 
à-vis  d'un  objet  d'ordre  secondaire,  silence  d'ailleurs  ample- 
ment compensé  par  la  note  d'un  écrivain  aussi  sérieux  que 
D.  Mabillon  ' .  L'historien  du  trésor  de  Corbie  parle  une  fois  du 
soulier  et  s'abstient  d'une  répétition.  Je  soupçonne  Y  Histoire 
manuscrile  de  Chelles  d'avoir  été  composée  au  XVIIF  siècle, 
lorsque  le  goût  du  jour  portait  à  démolir  toutes  les  traditions. 
La  seule  objection  qui  me  paraisse  irréfutable  réside  dans  la 
différence  de  longueur  entre  les  chaussures,  ce  qui  défend  de 
les  attribuer  à  un  même  individu;  mais  rien  n^empêclie  le 
soulier  dépareillé  d'avoir  appartenu  à  la  fondatrice  du  mo- 
nastère. 

Je  me  résume.  Quelle  que  soit  la  provenance  des  sandales 
de  Chelles,  leur  forme  et  surtout  les  maigres  profils  de  leur 

*  Ce  soulier  est  aussi  mentionné  par  D.  Coquelin,  (1678)  «  De  S.  Bathilde... 
Calceus  et  medietas  veli  ejus.  »  Hisl.  reg.  abb.  S.  Pétri  Corb.  compendium , 
Mém.  de  la  Soc.  des  Antiq.  de  Pic,  t.  viii,  p.  392. 


LES   SAMJALRS    ET   LKS    UAS.  .'{.iO 

ornementation  les  reportent  à  des  tenii)s  antérieurs  au 
IX®  siècle.  La  tradition  relative  à  sainte  Batliilde  a  été  ac- 
ceptée par  une  abbesse,  l'illustre  Mabillon  et  le  chanoine 
Lebeuf.  En  face  d'autorités  aussi  respectables  ,  le  doute 
peut  être  toléré,  la  négation  absolue  est  interdite. 

Sandales  de  Commitujes.  —  Suivant  l'iiistorien  érudit  de 
la  cathédrale  de  Comminges,  le  trésor  de  cette  église  possé- 
dait jadis  trois  paires  de  sandales  en  soie,  blanc,  rouge  et 
violet,  attribuées  au  saint  évoque  Bertrand  de  l'Ile- Jourdain 
(1085-1150).  Lorsque  j'explorai,  en  1856,  l'antique  métro- 
pole des  Conoenœ^  je  n'y  rencontrai  que  deux  chaussures, 
victimes  d'une  restauration  si  habile  ou  plutôt  si  déplorable, 
qu'il  me  fut  impossible  de  distinguer  le  vieux  du  neuf.  Je  me 
contentai  alors  de  reproduire  la  silhouette  de  l'objet,  sans 
m'arrêter  aux  détails.  Heureusement,  un  artiste,  qui  m'avait 
précédé  à  Comminges,  vit  les  sandales  et  s'empressa  de  les 
dessiner  dans  l'état  de  dégradation  où  elles  se  trouvaient  en- 
core au  moment  de  sa  visite.  Son  croquis,  publié  dans  un  ou- 
vrage rare  et  dispendieux ,  est  pris  d'une  façon  assez  peu 
intelligente;  il  m'a  néanmoins  été  fort  utile,  car,  placé  à 
côté  du  mien,  il  a  résolu  les  doutes  que  j'avais  conçus  et  m'a 
permis  de  rétablir  la  forme  primitive  d'un  vêtement  très- 
curieux  * . 

Les  chaussures  de  Comminges  (V.  la  planche,  fig.  B)  sont 
des  espèces  de  souliers  montants  ou  bottines,  ayant  le  flanc 
interne  fendu  et  garni  d'une  double  rangée  d'œillets  qui  per- 
mettaient de  les  lacer  sur  la  cheville.  La  semelle,  de  maro- 
quin rouge,  est  moderne,  légèrement  pointue,  et  mesure 
0"\28''  de  long  contre  0"',09°  de  large  à  la  naissance  des  or- 
teils. La  trépointe,  en  tissu  à  larges  raies  alternatives,  vert 

'  Le  baron  L.  d'Agos,  Vie  et  miracles  de  S.  Bertrand,  p.  289. —  Voyages 
piit.  dans  l'anc.  France,  Languedoc ,  t.  ii,  fol.  81  his.  r.,  pi.  188  his. 


350  LtS    SANDALES   ET   LES    BAS. 

et  argent,  parait  ancienne.  L'empeigne  est  faite  d'une  tapis- 
serie de  soie  au  point  carré,  exécutée  sur  canevas  ;  l'orne- 
mentation consiste  en  un  échiqueté  ou  réticulé,  inscrivant 
des  lions,  des  étoiles  et  des  croix  ' . 

Trop  courts,  trop  étroits  et  surtout  trop  difficiles  à  mettre 
pour  être  liturgiques,  ces  calcei^  s'ils  ont  figuré  dans  une 
garde-robe  masculine  (je  n'en  suis  pas  certain),  n'ont  pu 
convenir  qu'à  un  costume  séculier.  Les  souliers  montants,  à 
empeigne  munie  d'une  ouverture  antérieure,  sont  ccmimuns 
sur  les  monuments  à  partir  du  XI"  siècle,  et,  si  l'on  rencontre 
encore  au  XV®  des  bottines  lacées  à  l'intérieur  ^,  les  chaus- 
sures de  Barthélémy  de  Roye  (1221)  et  de  Thibaut  de  Mont- 
morency (1267)  présentent  la  même  particularité  ^  Elles  dif- 
fèrent à  peine  des  sandales  de  Comminges,  les  dernières  sur- 
tout, émaillées  de  pois  ou  petites  roues.  En  ajoutant  à  cela 
que  nos  calc.ei  présentent  une  grande  analogie  comme  dessin 
et  main-d'œuvre  avec  une  aumônière  du  XIIP  siècle,  appar- 
tenant à  la  cathédrale  de  Troyes  %  on  leur  concédera  facile- 
ment une  antiquité  au  moins  égale,  sinon  plus  reculée.  Un 
évêque  n'est  pas  toujours  à  l'autel,  il  peut  avoir  une  stature 
médiocre,  et  les  usages  de  la  vie  ordinaire  ne  lui  interdisent 
pas  les  vêtements  de  luxe;  il  y  aurait  donc  peu  d'inconvé- 
nients à  laisser  à  saint  Bertrand  un  objet  qu'on  voudrait  lui 
attribuer,  si  la  tradition,  telle  qu'il  faut  l'interpréter,  ne 
mentionnait  expressément  des  sandales  liturgiques,  aujour- 
d'hui perdues.  On  doit  s'arrêter  devant  un  pareil  obstacle, 
et,  de  ce  qui  précède,  je  tirerai  pour  toute  conclusion  que 

'  Rapport,  etc.,  1857,  p.  65. 

'  WiLLEMiTv,  Mon.  franc,  inédit.,  pi.  159  et  160,  Alexandre  de  Berneval 
et  Wi tasse  de  Guiry. 

^  MoNTFAUcoN,  Mon.  de  la  mon.  franc.,  t.  ii,  pi.  14,1  et  34, 'J. 
*  Portefeuille  arch.  de  ht  Champagne,  Toxtrine,  pi.  12.     ■ 


LES    SANDALES    ET   LES    ISAS.  .'{ O  I 

les  m/tr/ (le  Commiiiges  ont  appartenu  à  quel(|iic  liant  per- 
sonnage du  XIIP  siècle  ' . 

Sandales  funéraires  de  saint  Edmond,  à  Sens.  —  Saint  Ed- 
mond ou  Edme ,  archevêque  de  Cantorbéry,  persécuté  par 
Henri  III,  roi  d'Angleterre,  se  réfugia,  en  1259,  dans  le  mo- 
nastère de  Pontigny  (ordre  de  Citeaux,  diocèse  d'Auxerre), 
où  l'abbé  Jean  III  le  reçut  avec  bonheur'.  Après  sa  mort 
(1210),  Edmond  fut  inhumé  dans  l'église  de  la  maison  qui 
l'avait  accueilli.  En  ouvrant  la  tombe  du  saint  prélat,  on 
trouva  ses  restes  encore  revêtus  de  pontificalia^  parmi  les- 
quels des  sandales  intactes.  Lors  de  mon  voyage  à  Sens 
(1856),  ces  chaussures  étaient  entre  les  mains  de  M.  Chau- 
veau,  vicaire  général;  j'ignore  leur  destinée  ultérieure'. 
Elles  sont  en  tissu  de  soie  pourpre,  altéré  par  le  temps,  et 
doublées  de  cendal  jadis  vert.  Leur  longueur  ne  dépasse  pas 
0"\50^  Elles  ont  la  forme  d'un  soulier  montant  jusque  sur 
la  cheville  fV.  la  planche  fig.  A)  et  l'aspect  des  chaussons 
vulgairement  dits  de  Strasbourg.  Une  large  échancrure 
écaillée,  ouverte  sur  la  partie  antérieure,  s'arrondit  au  centre 
du  cou-de-pied.  Des  rinceaux,  à  la  fois  élégants  et  capricieux, 
couvrent  l'empeigne  et  le  quartier  ;  une  guirlande  encadrée 

'  Peut-être  à  l'évêque  Bertrand  de  Gouth  {l'295'1300i,  devenu  depuis 
le  pape  Clément  V. 

-  Il  Praedictura  Edinundiim  régis  Angliœ  persecutiones  defugientem  l.Ttus 
excepit,  sanum  et  infirmum  curavit,  sepelivitque  mortuum.  »  Gall .  christ., 
t.  XIII,  p.  446. 

^  Rapport,  etc  ,  1857.  p.  19.  —  Fort,  arch.,  Textrine,  pi.  7,  san.s  texte. 
—  L'ouverture  du  tombeau  de  saint  Edmond  remonte  assez  loin,  car  D.  Mar- 
tène  cite,  comme  les  ayant  vus  au  trésor  de  Pontigny,  l'anneau  pastoral  et 
la  coupe  du  prélat,  plus  le  calice  et  la  patène  avec  lesquels  il  fut  inhumé,  Voy. 
litt.,  t.  I,  part.  I,  p.  58.— D'après  une  communication  que  m'a  faite  M.  le  cha- 
noine Carlier,  l'exhumation  de  Gauthier  Cornut,  archevêque  de  Sens  (-f-1241|, 
fit  aussi  découvrir  une  paire  de  sandales  funèbres  qui  furent  réintégrées  dans 
le  cercueil. 


352  LES   SANDALES   Eï   LES   BAS. 

de  baoïLiettes  circule  iuitoiir  du  col  de  la  ouôtre.  Toute  l'or- 
nementation,  brodée  eu  or,  au  plumetis,  offre  un  remar- 
quable spécimeu  à'opus  anglicum.  Ces  sandales,  qui  devaient 
s'attacher  au  moyeu  de  cordons  cousus  aux  renflements  de 
l'écliancrure,  étaient  d'un  usage  commode,  le  pied  y  péné- 
trait avec  facilité,  et  l'action  de  les  mettre  ou  de  les  retirer 
n'entravait  aucunement  la  gravité  du  cérémonial  liturgique. 
Sandales  de  sai?it  Louis  d'Anjou  à  Saint-Maximin  fVarJ  ' . 
—  Au  nombre  des  objets  légués  par  le  jeune  évêque  de  Tou- 
louse (J297)  à  la  maison  des  Dominicains  de  Saint-Maximin 
figuraient  deux  sandales  dont  une  seule  a  pu  résister  au  zèle 
indiscret  de  quelques  dévots  ;  encore,  sous  prétexte  d'obtenir 
des  reliques,  ont-ils  déchiqueté  jusqu'au  dernier  lambeau 
l'étoife  qui  la  recouvrait.  De  cette  chaussure,  longue  de 
0'",i28''  et  légèrement  arrondie  à  l'extrémité,  il  ne  reste  plus 
que  la  semelle  de  liège,  épaisse  de  0'";,008™,  garnie  à  l'inté- 
rieur de  chamois  rouge  et  au  dehors  d'une  basane  blanche, 
le  renfort  en  toile  écrue  de  l'empeigne  et  sa  doublure  en  cen- 
dal  jaune.  La  trépointe,  heureusement,  a  conservé  les  traces 
d'un  riche  tissu  qui,  au  dire  de  témoins  oculaires  ^,  resplen- 
dissait, il  y  a  peu  d'années,  sur  l'intégrité  du  vêtement.  Une 
étude  minutieuse  m'a  permis  de  rétablir  le  dessin  de  ce  tissu 
dont  le  champ  d'or  côtelé  (reps)  présente  une  série  de  raies 
alternatives  ;  1  "  argent ,  chargé  d'ellipses  imbriquées  en 
jaune,  bordé  d'un  double  filet  vert  ;  2°  or,  semé  de  croisettes 
d'argent  à  cœur  blanc,  vert  ou  jaune,  encadré  d'une  ba- 
guette d'argent  que  prolongent  deux  filets  jaunes  :  réunion 
de  caractères  essentiellement  byzantins.  Malgré  l'absence  du 
quartier,  qui  a  certainement  existé,  il  est  facile  de  déter- 


•  Rapport,  etc.,  1857,  p.  58. 

-  M.  L.  Rostan  et  le  sacristain  de  l'église 


LES    SAiSDAI.ES    ET    LES    BAS.  3o;j 

miner  hi  forme  des  sandales  de  suint  Louis;  elles  ne  diffé- 
raient pas  de  nos  pantoufles  modernes. 

Sandales  de  saint  Pierre  de  Luxembourg,  â  Avignon.  — A 
la  mort  du  bienheureux  Pierre  de  Luxembourg  (1387),  ses 
sandales  échurent  aux   Célestins  d'Avignon.   Déposées   au 
magasin  national,  lorsqu'on  ferma  les  couvents,  elles  y  furent 
reconnues  par  un  ecclésiastique  et  transférées  dans  l'église 
paroissiale  de  Saint-Pierre,  qui  les  conserva  jusqu'en  1823. 
A  cette  époque,  on  les  donna   à  la  chapelle  du  petit-sémi- 
naire, où  elles  existent  encore  '.  J'ai  vu  et  dessiné,  en  1856, 
les  chaussures  du  jeune  cardinal;   elles   sont  en  maroquin 
noir  bordé  de  maroquin  rouge,   sans  quartier,   et  appar- 
tiennent au  genre  sandalium  (F.  la  planche,  fi<j.  C).  L'em- 
peigne, longue  de  O'",07o'",  ne  couvre  que  les  doigts  du  pied 
et  présente  à  son  extrémité  une  ouverture  découpée  en  cœur. 
La  semelle,  qui  mesure  0"',262™,  est  en  cuir  noir,  épaisse 
de  0'",009"'  et  munie  d'une  trépointe  rouge  piquée  en  soie 
blanche.  L'empeigne  a  pour  tout  ornement  un  entrelacs  gau- 
fré, entrelacs  reproduit  à  l'intérieur  de  la  semelle  (talon), 
qui  est  contournée  par  une  baguette  prolongeant  un  cordon 
de  roses  aussi  gauffré".  Ces  sandales,  impropres  aux  usages 
de  la  vie  extérieure,  ne  conviennent  pas  davantage  aux  Pon- 
tificalia  d'un  cardinal,  évêque  de  Metz,  bien  que  le  nôtre  fût 
simple  diacre  ;  j'y  reconnais,  pour  mon  compte,  des  pan- 
toufles domestiques  que  le  saint  portait  ordinairement  dans 
sa  maison,  les  pieds  nus  sans  doute,  vu  son  austérité  bien 
connue. 

f  CH.    DE   LINAS. 

iLa  suite  à  un  prochain  numéro.) 

'  A,  Caixron',  Hist.  du  B.  Pierre  de  Luxemhourif . 
-  Rapport,  etc.,  1857,  p.  29. 

TOMK    Vt.  26. 


DES   VOUTES   EN   BOIS 
et  de  leur  Réparation  '. 


Les  anciens  architectes,  qni  comprenaient  niienx  que  nous 
ce  qui  faisait  l'harmonie  de  leurs  créations,  n'avaient  pas 
craint  d'employer  les  voûtes  de  charpente  dans  des  édifices 
de  premier  ordre,  où  leur  légèreté,  leur  sonorité,  leur  am- 
pleur leur  assuraient  une  juste  préférence.  Maintenant, 
dans  la  plupart  des  monuments  publics  d'Angleterre,  et  no- 
tamment dans  les  églises,  on  construit  des  voûtes  de  bois, 
peintes  et  dorées,  dont  l'efiet  est  d'une  grande  richesse. 

Il  y  a  en  France  d'anciennes  voûtes  en  merrain  qui  sont 
de  véritables  chefs-d'œuvre.  Nous  pouvons  citer  comme 
exemple  la  magnifique  voûte  de  l'ancienne  église  Saint- 
Jean  de  Dijon,  et  celle  de  la  grande  salle  du  palais  de  justice 
à  Rouen,  qui  date  des  premières  années  du  XVP  siècle,  et 
dont  la  hardiesse  surprend  toujours  ,  puisque ,  malgré  ses 
vastes  proportions,  sa  charpente  se  soutient  s^ns  poinçons  et 
sans  entraits. 

'  Nous  rendrons  compte  dans  un  prochain  numéro  de  la  Revue  de  l'excel- 
lent ouvi'age  que  vient  de  publier  M.  Raymond  Bordeaux,  sous  le  titre  de 
Traité  de  la  réparation  des  églises.  En  attendant,  nous  reproduisons  ici,  avec 
son  autorisation,  le  chapitre  qui  concerne  les  voûtes  en  bois. 


DES    VOUTKS    EN    BOIS    ET    DE    LEUll    l'.Él  AUATIO.X.  SM^ 

Les  voûtes  de  bois  qui  appartiennent  à  répoqiie  ogivale 
ont  pour  pièces  principales  d'abord  des  poutres  horizontales, 
placées  sur  le  sens  de  Tépaisseur  des  murs  et  qu'on  nomme 
sablun'cs  ou  plat  es- formes^  puis  des  arbalétriers  cintrés  en 
ogive,  dont  Técartement  est  maintenu  par  des  poutres  hori- 
zontales et  transversales  appelées  c.nlraits  ou  tirants.  Un  po- 
teau vertical  assemblé  sur  le  milieu  de  l'entrait,  et  qui  se 
nomme  poinçon  ou  chandelle^  supporte  la  poutre  faîtière  et 
soutient  les  arbalétriers  à  leur  partie  supérieure.  Ces  maî- 
tresses pièces  font  en  même  temps  partie  de  la  toiture  pro- 
prement dite.  La  voûte,  qui  cache  les  chevrons  et  les  pièces 
secondaires  de  la  charpente,  est  composée  de  douves  de  mer- 
rain.  Ces  douves  forment  une  voûte  en  berceau  ogival.  Elles 
dissimulent  les  arbalétriers  en  laissant  visible  le  côté  des  sa- 
blières ou  plates-formes,  les  entraits  tout  entiers  et  les  poin- 
tons. Mais  les  grosses  pièces,  exposées  ainsi  à  la  vue,  n'ont 
point  été  laissées  sans  ornements.  Les  poinçons  ont  pris  l'as- 
pect de  colonnettes,  les  entraits  se  sont  couverts  de  sculp- 
tures variées,  les  sablières  chargées  de  moulures  deviennent 
des  corniches  souvent  très-ornées.  Quelquefois  le  bout  des 
pièces  de  bois  secondaires,  destinées  à  relier  les  sablières  aux 
madriei-s  de  la  charpente  extérieure,  forment  de  place  en 
place  des  modillons  ornés  de  sculptures;  ces  pièces  acces- 
soires se  nomment  sabots  ou  blochels.  Enfin,  sur  la  ligne  la 
plus  élevée  des  voûtes  de  cette  espèce,  des  rosaces  décou- 
pées, des  écussons,  des  enjolivements  divers  se  trouvent  sus- 
pendus. 

Rouen  présente  plusieurs  spécimens  de  ces  voûtes  en  char- 
pente, à  Saint-Godard  et  dans  quelques  églises  supprimées, 
au  nombre  desquelles  nous  citerons  celle  des  Augustins,  dont 
la  voûte  en  lambris  est  un  excellent  type  du  genre.  A  Caen, 
nous  indiquerons  la  voûte  de  l'ancienne  église  des  Ca,rmes  et 


3.")(»  DKS   VOUTEK    EN    lîOIS 

celle  de  l'église  Saint-Sauveur,  au  coin  de  hi  rue  Froide,  ré- 
cemment altérée  par  des  restaurations  où  l'esprit  de  l'archi- 
tecture gothique  n'a  pas  été  assez  suivi.  A  Chartres,  une 
église  supprimée  et  livrée  à  l'administration  de  la  guerre, 
Saint-André,  je  crois,  a  aussi  une  voûte  en  bois  qui  est  re- 
marquable ' . 

Le  XVP  siècle  vit  inventer  des  voûtes  en  bois  à  plein 
cintre  ou  d'autres  à  courbe  surbaissée.  Philibert  Delorme,  le 
grand  architecte  de  la  cour  de  Henri  II,  goûtait  si  fort  les 
voûtes  de  charpente  qu'il  leur  consacra  une  notable  partie  de 
ses  écrits  sur  l'architecture.  C'est  à  lui  qu'on  doit  l'inven- 
tion des  voûtes  en  anse  de  panier  qui  portent  son  nom  et  qui, 
à  la  lin  du  XVP  siècle,  avaient  pris  la  place  des  voûtes  ogi- 
vales à  entraits  et  poinçons. 

Mais  les  voûtes  à  la  Philibert  Delorme  n'ont  pas  la  légè- 
r-eté  et  l'élancement  des  voûtes  gothiques;  leur  peu  d'éléva- 
tion les  rapproche  des  plafonds,  et  leur  inventeur  les  avait 
destinées  plutôt  pour  des  palais  que  pour  des  églises. 

On  voit  au  XVP  siècle  quelques  exemples  de  voûtes  en 
bois  qui  simulaient  les  riches  voûtes  à  pendentifs  de  la  Re- 
naissance, et  qui  étaient  construites  à  arêtes,  avec  des  ner- 
vures, des  liernes  et  des  clefs  tombantes  et  ouvragées  comme 
les  voûtes  de  pierre.  Le  chœur  de  Saint-Etienne  le  Vieux,  à 
Caen,  en  fournit  un  exemple. 

Les  voûtes  de  bois  font  néanmoins  le  désespoir  de  tous  les 
architectes  vulgaires,  des  amateurs  d'églises  badigeonnées 
et  des  marguilliers  qui  veulent  du  nouveau.  Les  poinçons  et 
les  entraits  apparents  au-dessous  de  la  voûte  blessent  leurs 
yeux  délicats,  et  les  douves  noircies  par  le  temps  leur  font 
invoquer  le  secours  du  plâtrier.  Ils  sont  enchantés  quand 

*  Elle  a  été  brûlée  en  mais  1861. 


ET   DE   LEUR    UÉPAl'.ATION.  357 

ct4ui-ci  a  arrangé  la  voûte  de  l'église  comme  un  galetas  ou 
comme  une  mansarde.  Mais  jamais  il  n'ont  songé  que  la  lai- 
deur de  ces  voûtes  vient  des  dégradations  qu'on  leur  fait  su- 
lur,  de^  araignées  (pii  les  encombrent,  des  échelles  et  des 
débris  de  toutes  sortes  que  ces  administrateurs  soiijucux  ont 
accrochés  à  leurs  poutres  sculptées.  C'est  alors  qu'on  s'ima- 
gine, sur  la  pro])osition  d'un  maçon,  de  faire  mettre  un  en- 
duit connue  celui  que  Ton  voit  aux  voûtes  de  la  Madeleine 
de  Verneuil,  à  celles  de  Breteuil  (Eure),  à  celles  de  Saint- 
Patrice  de  Rouen,  ou  que,  par  un  rafânement  de  mauvais 
goût,  on  établit  un  plafond  orné  de  moulures  en  sapin,  comme 
un  l'a  fait  sottement  en  1851  dans  l'église  de  Saint-André,  à 
quelques  lieues  d'Evreux  ' . 

Les  voûtes  de  bois  n'ont  besoin  ni  du  maçon,  ni  du  plâ- 
trier. Pour  les  restaurer,  il  faut  le  concours  du  charpentier 
ou  d'un  menuisier  au  courant  de  la  menuiserie  gothique. 

On  devra  d'abord  se  garder  de  faire  disparaître  les  poutres 
apparentes  qui  soutiennent  ces  voûtes  et  en  maintiennent 
l'écartement.  Outre  que  les.  poinçons  et  les  entraits  sont  sou- 
vent ornés  de  sculptures,  ils  sont  caractéristiques  et  indis- 
pensables à  la  solidité  de  tout  l'édilice.  Ils  empêchent  la 
charpente  de  pousser  les  murs  en  dehors,  et  jouent  le  rôle 
des  contre-forts  et  des  piliers-butants  qui  soutiennent  l'ef- 
fort des  voûtes  dans  les  églises  voûtées  en  pierre.  Aussi  il 


'  '■  Ce  n'est  pas  que  les  églises  à  voûtes  ck-  bois  soient  absolument  rares. 
Il  en  existe  même  à  qui  ce  genre  de  construction,  laissé  apparent  à  dessein, 
donne  une  physionomie  très-pittoresque,  qu'il  faudrait  bien  se  garder  de  leur 
ôter  par  l'établissement  d'une  méchante  voûte  en  plâtre,  sous  prétexte  d'amé- 
lioration, ainsi  que  je  l'ai  vu  faire  à  un  curé  malavisé  et  à  des  fabriciens 
ignares.  Il  n'existe  point  de  termes  pour  caractériser  dignement  un  semblable 
vandalisme.  »  31.  Scunn ,  Manuel  de  l'architeclurc  des  monuments  religieux. 
\).  102.  —  Voyez  aussi  p.  46(5. 


358  DES   VOUTES  EN   BOIS 

est  à  remarquer  que  les  églises  voûtées  en  merrain  avec 
entraits  n'ont  à  l'extérieur  que  des  contre-forts  peu  impor- 
tants. La  suppression  des  poutres  qui  maintiennent  les 
voûtes  de  bois  entraînerait  donc  la  nécessité  de  remanier  les 
gros  murs  et  de  les  flanquer  de  solides  piliers-butants. 

Les  désastreux  effets  de  la  suppression  des  poutres  sont 
indubitables'.  Partout,  dans  nos  campagnes,  l'inspection 
extérieure  des  murs  révèle  si  la  voûte  a  été  privée  de  ces 
appuis  si  utiles  ;  partout  où  les  entraits  ont  été  sciés,  les 
combles  s'affaissent  et  les  gros  murs  se  lézardent  et  sur- 
plombent. Il  faut  alors  reprendre  les  murailles  ébranlées  et 
remplacer  les  poutres  supprimées  par  des  barres  de  fer  dont 
la  maigreur  produit  le  plus  mauvais  effet.  Certes,  c'est  une 
étrange  manière  de  restaurer  que  de  conduire  à  une  ruine 
imminente  par  un  affaiblissement  certain  : 

Nam  si  débilitas  redit^,  iustauratio  non  est  *. 

Mais  si  l'on  conserve  les  poutres  qui  supportent  et  relient 
la  voûte,  qui  la  divisent  en  travées,  il  devient  déraisonnable 
de  cacher  avec  du  plâtre  les  douves  de  merrain  qui  consti- 
tuent cette  voûte  ;  car  ce  plafonnage  n'a  d'autre  but,  de  l'a- 
veu môme  de  ceux  qui  l'emploient,  que  de  donner  à  une 
voûte  de  bois  un  peu  de  l'apparence  d'une  voûte  de  maçon- 
nerie. Or,  si  des  murs  de  pierre  peuvent  supporter  un  cou- 
ronnement en  bois,  il  serait  contre  les  lois  de  la  stabilité 
que  des  madriers  supportassent  une  construction  en  pierre. 

'  Je  ne  puis  énuméi'er  ici  toutes  les  églises  tombées  par  suite  de  l'enlève- 
ment des  entraits;  mais  tout  récemment  encore  l'église  romane  de  Saint-Aubin 
de  Scellon,  l'une  des  plus  remarquables  de  l'arrondissement  de  Bernay,  s'est 
écroulée  à  la  suite  de  cette  absurde  mutilation. 

*  AuHELii  Pridkistii,  De  Resurrectionc  Carmen. 


KT   DE    LEUR   RÉPARATION.  359 

Aussi  rien  n'est  plus  illogique  que  ces  prétendues  restaura- 
tions où  des  entraits  conservés  forcément  trahissent  des 
voûtes  en  bois  masquées  sous  un  enduit  postiche. 

C'est  ici  le  cas  d'appliquer  les  principes  que  nous  avons 
formulés  dans  l'un  des  chapitres  de  notre  première  partie, 
où  nous  avons  démontré  que  rien  n'est  moins  monumental 
et  moins  convenable  pour  une  église  que  ces  puérils  traves- 
tissements ' . 

On  peut  répondre,  il  est  vrai,  que  si  ces  voûtes  de  bois 
ont  été  autrefois  en  harmonie  avec  les  vitraux  brillants,  avec 
les  boiseries  couvertes  de  sculptures,  avec  toutes  les  ri- 
chesses artistiques  des  anciens  jours,  la  plupart  d'entre  elles 
sont  devenues  sombres  et  poudreuses,  et  que  les  ravages  du 
temps  qui  laissent  sur  la  pierre  de  pittoresques  empreintes 
leur  ont  causé,  à  elles,  une  triste  décrépitude;  qu'il  faut 
donc  forcément  les  cacher  et  celer  sous  un  enduit  protecteur 
leurs  planches  disjointes  et  vermoulues. 

L'objection  est  sans  force,  car  on  peut  les  ramener  à  leur 
état  primitif.  Au  lieu  du  maçon,  ce  sera  un  menuisier  intel- 
ligent que  l'on  prendra  pour  les  restaurer.  La  dépense  sera 
moindre  et  le  résultat  meilleur. 

Si  ces  voûtes  sont  complètement  pourries,  si  les  poutres 
en  sont  grossières,  s'il  n'y  a  pas  de  sculptures,  s'il  n'existe 
qu'un  lambris  informe  et  moderne,  il  vaudra  mieux  ne  pas 
gaspiller  d'argent  en  plâtrages  fragiles,  en  laides  barres  de  fer 
substituées  aux  fermes  et  aux  entraits,  mais  ce  sera  alors  le 
cas  de  faire  franchement  la  dépense  et  de  remplacer  la  voûte 
de  bois  qui  ne  peut  être  restaurée  par  une  voûte  véritable  en 
maçonnerie  légère,  moins  coûteuse  qu'on  ne  le  suppose  si 

'  K  Toute  cette  hypocrisie  de  la  matière  et  de  la  forme  est  souverainement 
déplaisante.  Il  n'y  a  pas  d'art  auquel  la  sincérité  soit  plus  nécessaire  qu'elle 
ne  l'est  à  l'architecture »  Fortotil,  De  l'Jrt  en  Allemagne ,  1. 1»"",  p.  199. 


360  DES   VOUTES    EN    BOIS 

l'on  suit  exactement  les  procédés  des  architectes  gothiques. 

Mais,  dans  la  plupart  des  cas,  avec  i)eu  de  dépense  on  ra- 
mènera les  voûtes  de  merrain  à  leur  état  originaire,  et  on 
leur  restituera  l'aspect  élégant  et  pittoresque  qu'elles  avaient 
eu  d'abord. 

On  les  fera  simplement  débarrasser  des  souillures  que  la 
négligence  y  a  laissé  s'attacher,  des  supertetations  imagi- 
nées par  le  mauvais  goût  et  des  raccommodages  disparates. 

Les  douves  pourries  ou  vermoulues  seront  remplacées  avec 
du  merrain  choisi  ;  les  pièces  déjetées  ou  brisées  seront  re- 
mises en  place. 

Si  le  temps  et  la  poussière  ont  trop  noirci  la  voûte,  si  la 
pluie  en  pénétrant  par  places  y  a  fait  des  taches,  un  lavage  à 
la  brosse  restituera  au  bois  une  couleur  plus  soignée.  Si  l'on 
a  eu  le  mauvais  goût  de  la  faire  blanchir  à  la  chaux  ou  cou- 
vrir d'un  badigeon  à  l'huile,  l'eau  chaude  et  la  lessive  en  fe- 
ront justice.  Quelquefois  un  encaustique  à  la  cire  ou  un  ver- 
nis transparent  pourront  être  appliqués  pour  donner  du 
brillant  à  la  voûte  restaurée. 

Mais  cette  restauration  ne  se  fera  pas  sans  précaution ,  car 
ces  voûtes,  les  plus  défigurées  en  apparence,  gardent  sou- 
vent de  curieux  débris  d'antiquité  et  des  vestiges  d'anciennes 
décorations. 

Il  y  en  a  qui  ont  été  couvertes  de  peintures  précieuses.  La 
voûte  de  l'église  des  Carmes,  à  Caen,  par  exemple,  est  en- 
core décorée  de  grandes  scènes  qui  représentent  la  vie  de 
Jésus-Christ  et  qui  ont  été  exécutées  par  un  peintre  de  l'é- 
cole de  Restout,  sinon  par  un  membre  de  cette  famille  d'ar- 
tistes. J'indique  ici  ces  peintures  ignorées,  parce  qu'elles 
s'effacent  tous  les  jours ,  les  curieuses  nefs  de  l'église  des 
Carmes  étant  aujourd'hui  transformées  en  magasin. 

Il  y  en  a  d'autres  où  l'on  avait  peint  des  décorations  d'un 


ET    DE    LEUll    RÉPARATION.  3Gt 

beau  style.  Telle  était  la  voûte  de  Saint-Nicolas-le-?einteur, 
à  Koiieii,  cette  église  autrefois  fameuse  par  ses  splendides 
verrières,  et  qui,  changée  en  atelier  à  la  suite  de  la  Révolu- 
tion, ne  subsiste  plus  que  dans  une  lithographie  des  Voyages 
dans  Vancienne  France. 

A  Tours,  les  églises  de  Notre-Dame  Ja  Riche  et  de  Saint- 
Saturnin  ont  des  voûtes  en  bois  qui  malheureusement  ont  été 
plâtrées,  mais  dont  les  entraits  et  les  poinçons  sculptés  sont 
intéressants. 

Dans  la  haute  Normandie,  surtout  aux  environs  d'Evreux 
et  de  Lisieux,  celles  de  ces  voûtes  qui  n'ont  reçu  d'injures 
ni  du  temps  ni  des  hommes  ont  conservé  des  détails  curieux. 


Voici  un  tyi)e  d'entrait  qui  domine  surtout  dans  l'ancien 
évêché  de  Lisieux  :  luie  guivre  gigantesque  semble  vouloir 
dévorer  entre  ses  dents  formidables  le  madrier  de  chêne  à 
l'extrémité  duquel  elle  est  sculptée.  Nous  plaçons  à  côté  un 
croquis  de  l'assemblage  du  poinçon  qui  porte  sur  cet  entrait: 
nous  avons  dessiné  ces  détails  de  charpente  dans  l'église  de 
Bois-Anzeray  (Eurej. 


362  DES   VOUTES  EN    BOIS 

A  l'endroit  où  le  poinçon  est  greffé  sur  l'entrait,  celui-ci 
présente  un  rentiement  destiné  à  compenser  l' affaiblissement 
produit  par  la  mortaise,  et  on  a  profité  de  cette  saillie  pour  y 
sculpter  des  armoiries. 

Les  entraits  étaient  ainsi  ouvragés  de  préférence  à  trois 
endroits,  aux  deux  bouts  et  au  milieu,  c'est-à-dire  aux  points 
de  jonction  avec  les  sablières  et  avec  le  poinçon.  Le  milieu 
portait  souvent  des  blasons,  placés  ainsi  en  évidence  : 


Enlraits  et  poiiiyons  de  l'ancienne  (5glise  de  Sotleville-les-Rouen. 


ET  Dli   LEUR   RÉPARATION.  363 

Certaines  de  ces  poutres  ont  été  sculptées  dans  toute  leur 
étendue  et  enrichies  de  torsades,  d'oves,  de  perles,  etc. 
M.  Bouet  en  a  dessiné  une,  qui  était  extrêmement  riche, 
dans  le  chœur  de  l'église  de  Livarot  ;  elle  était  décorée  de 
torsades  et  d'entrelacs  avec  les  armoiries  des  anciens  comtes 
de  ce  bourg  ;  des  rageurs^  ou  têtes  de  requin  d'un  grand  re- 
lief, étaient  sculptés  à  chaque  extrémité«  Malheureusement, 
cet  entrait  a  été  supprimé  vers  1850,  pour  mettre  plus  en 
évidence  un  pitoyable  rétable  d'autel  fraîchement  confec- 
tionné dans  le  style  soi-disant  grec  ou  romain.  Un  poinçon 
également  sculpté  a  forcément  disparu  par  la  même  occasion. 
Les  poutres  de  la  nef,  quoique  beaucoup  plus  simples, 
peuvent  donner  une  idée  de  la  richesse  d'ornementation  qui 
caractérisait  celles  du  chœur.  Les  églises  voisines  sont  re- 
marquables par  des  charpentes  du  même  genre.  A  l'entrée 
de  Livarot,  il  existe  une  chapelle  de  la  lin  du  XV^  siècle, 
celle  du  château  de  la  Pipardière,  qui  est  pleine  de  boiseries 
ornées.  On  y  voit  une  tribune  de  bois  sculpté  et  des  voûtes 
de  bois  curieuses.  La  charpente  même  du  clocher  placé  sur 
le  milieu  de  la  nef  est  visible  de  l'intérieur  et  couverte  d'or- 
nements. L'art  du  charpentier  fut  ainsi  poussé  très-loin  dans 
la  construction  de  cette  chapelle  seigneuriale.  On  peut  aussi 
citer  la  voûte  en  charpente  de  l'église  de  Landelle,  près  de 
Vire,  qui  semble  avoir  été  imitée  au  XVIP  siècle  dans  les 
églises  des  environs  ' . 

A  ces  sculptures  exécutées  sur  les  grosses  poutres  ve- 
naient se  joindre  d'élégantes  découpures  en  menuiserie,  des 
rosaces  à  jour,  des  écussons  formant  une  série  de  culs-de- 

'  Quelques-unes  des  poutres  sculptées  de  la  voûte  de  l'église  Saint-Aubin 
de  Guérande,  en  Bretagne,  ont  été  lithographiées  dans  les  Voyages  dans  l'an- 
cienne France.  Elles  sont  aussi  terminées  par  dos  têtes  de  requins  ou  de  cro- 
codiles. 


3Gi 


DES    VOUTES    EN    BOIS 

lampe  sur  la  ligne  de  faîtage  au  point 
le  pins  élevé  de  ces  voûtes. 

La  voûte  de  la  nef  de  la  petite  église 
de  Guernan ville,  au  diocèse  d'Evreux,  a 
conservé  d'intéressants  fragments  d'une 
décoration  de  ce  genre. 

La  vignette  ci-contre  représente  une 
portion  de  la  nervure  faîtière  de  cette 
voûte  ogivale.  Cette  nervure  est  décorée 
d'une  riche  moulure  bordée  de  feuilles 
le  persil,  en  bois  découpé  à  jour  ;  des 
rosaces  sont  placées  au  point  de  jonction 
des  baguettes  ou  couvre-joints,  qui  des- 
cendent  des   deux   côtés   de 
cette  voûte  pour  en  assembler 
les  douves. 


Des  rinceaux  sont  peints  en  noir 
sur  ces  douves  dans  l'entre -deux 
des  convre-joints  ou  nervures  vei*- 
ticales,  connue  on  le  voit  sur  cette 
seconde  ligure. 

On  conservera  avec  soin  les  écus- 
sons  suspendus  à  ces  voûtes.  Ils 
fournissent  toujours  de  précieux 
renseignements  pour  l'histoire  de 
l'église  qui  les  renferme.  En  eifet, 
à  côté  des  armoiries  seigneuriales, 
on   retrouve   la   marque   des   plus 


A   (iutiiiaiiville 


ET    liK    LKIH    llliPAIlATION.  .'JO.'i 

liuiiibles  bienfaiteurs.  A  la  suite  des  blasons  nobiliaires 
viennent  les  chiifres  des  curés  successifs,  les  emblèmes  et 
les  devises  des  confréries,  la  trace,  en  un  mot,  de  tous  ceux 
qui  contribuèrent  à  la  construction  ou  à  la  décoration  du 
temple. 

Quelquefois  les  nervures  ou  baguettes  qui  divisent  la  voûte 
en  bandes  ou  voussures  verticales  ont  été  rehaussées  de  vives 
couleurs  ou  ciselées  d'élégantes  guillochures.  Quelquefois 
aussi  ces  couvre-joints  se  terminent  à  leur  partie  inférieure 
par  un  feuillage  ou  un  cul-de-lampe,  comme  on  peut  le  voir 
dans  lavignette  suivante,  où  est  représentée  une  portion  d'en- 
trait  sculpté  de  la  voûte  de  l'église  de  la  Ferrière-sur-Risle 
(diocèse  d'Evreux).  On  remarquera  le  riche  profil  des  mou- 
lures de  la  plate-forme  ou  sablière  de  cette  voûte. 


Fragment  de  la  voûte  de  la  Fciiièr 


Nous  donnons  à  la  page  suivante  un  croquis  de  la  voûte, 
aujourd'hui  très-altérée,  de  la  petite  église  de  Saint-Sébastien, 
près  Evreux;  les  nervures  sont  guiilochées  chacune  d'un 
dessin  différent. 

Aux  ornements  sculptés  venaient  se  joindre  des  ornements 
peints  qui,  je  crois,  n'ont  encore  été  signalés  nulle  part,  et 
qui  peut-être  n'existent  que  dans  la  contrée  que  j'habite,  où 


366 


IiES   VOUTES   EN    BOIS 


Fiaerncnls  de  la  voûlc  de  Saint-Sébastien,  près  Évrcui 


ET   DE    LETR   REPAltATION. 


367 


j'en  ai  vu  des  exemples  variés  '.  Ces  ornements  ont  été  tra- 
cés à  cru  sur  le  merrain  non  peint  des  voûtes,  à  l'aide  d'un 
emporte-pièce  en  tôle  découpée  ou  en  cuir  i)ercé  à  jour.  Ils 
font,  sur  le  bois  naturel,  un  effet  assez  semblable  aux  dorures 
que  les  relieurs  exécutent  sur  le  plat  des  livres.  Voici  des 
fragments  de  cette  ornementation  bien  simple,  mais  d'un 
très-bon  effet,  que  j'ai  relevés  dans  deux  églises  entre  Evreux 
et  Lisieux  : 


A  Fontaine-la-Soret. 


A  Boisne) . 


'  M.  Bouet  nous  écrit  que  l'on  voit  de  beaux  dessins  du  même  genre  et 
exécutés  avec  soin  à  la  voûte  de  charpente  fort  curieuse  qui  couvre  l'une  de» 
églises  de  Dijon. 


368  DES   VOUTES    KN    BOIS 

J'ai  recueilli  à  liugles,  dans  l'église  Saint-Germain,  cet 
autre  échantillon,  qui  reparaît  de  place  en  place  sous  le  ba- 
digeon : 


M- 

11 

r   /^ 

j|a*j 

|"fel 

1  ^J 

Il  1^' 

|g^> 

1  V^'~ 

i   Y^-' 

1 

ri" 

i    />"•' 

^- 

-C.VI 

^ 

Sv- 

~ 

$T 

. 

- 

■^ 

_ 

r^ 

i 

_ 

- 

-J^! 

Non  loin  de  là,  aussi  à  Rugles,  le  lambris  de  la  voûte  ogi- 
vale de  l'église  abandonnée  de  Notre-Dame  *  porte  encore  les 
dentelles  suivantes,  faites  de  même  à  l'aide  d'un  emporte- 
pièce  ou  pochoir  : 


C'est  encore  avec  des  emporte-pièces  semblables,  frottés 
de  couleur  rouge,  qu'on  a  tracé  sur  la  voûte  de  l'église 


'  Cette  église  de  Notre-Dame  de  Rugles  est  tiès-dignc  de  la  visite  des  an- 
tiquaires, car  ses  murs  en  petit  appareil  romain  avec  chaînes  de  briques  en 
font  un  des  monuments  les  plus  anciens  de  la  haute  Normandie.  C'est  sans 
doute  la  plus  vieille  église  du  diocèse  d'Evreux. 


KT    l)K    Lia  K    HKl'AKATIu.N, 


300 


d'Illiers-rÉvôquc   (Eure)  cet   oi-neiiient   dans    le    style    du 
XV*=  siècle  : 


C(;t  uutre  type  a  été  relevé  dans  l'église  de  Konian,  près 
Damville  : 


On  remai\pie  des  broderies  du  même  genre  à  la  voûte  de 
l'église  d'Harcourt  (Eure). 

Parfois  les  sablières  ont  été  décorées  de  peintures  assez 
curieuses,  par  exemple,  à  Chéronvilliers,  où  la  partie  unie 
de  ces  pièces  de  charpente  est  enjolivée  de  rul)ans  en  zigzag 
peints  en  rouge  et  en  noir. 

Pour  résumer  ces  détails,  on  voit  que,  loin  de  masquer  ces 
anciennes  voûtes,  le  moyen  d'en  tirer  parti  est  de  les  restau- 
rer dans  leur  style  primitif,  en  conservant  tous  leurs  orne- 
ments peints  ou  sculptés.  Les  enduits  dont  on  voudrait  les 
charger  en  compromettraient  la  solidité  et  ne  tarderaient 
point  à  se  gercer  et  à  se  détacher  par  lambeaux.  D'ailleurs 
le  plafonnage  des  voûtes  de  merrain  a  un  nutre  défaut,  c'est 

TOMK   V£.  27 


370  DES  vorxEs  eis  bois. 

de  les  rendre  extrêmement  sourdes  et  de  les  priver  de  leur 

sonorité^  si  précieuse  pour  une  église.  Les  nefs  voûtées  en 


bois  sont  en  effet  comparables  à  la  caisse  sonore  d'un  grand 
instrument  de  musique,  et  cette  raison  suffirait  à  elle  seule 
pour  faire  proscrire  le  badigeon  et  surtout  les  enduits. 


RAYMOND    BORDEAUX. 


ZOOLOGIE  MYSTIQUE 


LAiiîilo 


^pe. 


L'antilope,  appelée  encore  aptalops,  aplalon,  astalon^anlula 
ilans  les  Bestiaires,  est  la  figure  allégorique  de  l'homme  do- 
miné par  l'instinct  des  sens. 

Le  signalement  de  cet  animal  et  l'histoire  de  sa  capture 
dans  les  auteurs  du  Moyen- Age,  ne  sont  pas  exempts  de 
méprises  et  rentrent  dans  le  domaine  du  fabuleux,  bien 
qu'on  les  y  voie  affirmés  par  un  témoignage  unanime  :  l'Eu- 
rope et  l'Asie  elle-même  étaient  alors  à  son  sujet  les  échos 
de  l'antiquité. 

Nommée  jachmur  chez  les  Arabes,  calopus  dans  Albert  le 
Grand  et  wn/s  dans  le  Physiologue  de  S.  Epiphane,  l'antilope, 
fière,  sauvage,  élancée  comme  la  gazelle,  surpasse  le  cerf  à 
la  course  et  franchit  de  vastes  abîmes  par  des  bonds  d'un  élan 
prodigieux  ',  Son  poil  est  roux  pendant  l'été,  plus  foncé  et 

'  Greecè  avôoXo']/  :  «  Animalcervo  similis  circa  Euphratein,  serratis  cornibus, 
quibus  hœreus  in  ramis  arborum  facile  capitur  (Eustath.  in  Hexamer.).  Idem 
Petro  T)aimïano  antholopus ,  et  calopus  Alberto,  et  Arabihus  Jamur  \e\  .7ach- 
mur.  Et  in  Lcxico  Coptico  riavrôXo']/,  Epiphanio,  (opo,  Unts. 


37-2  ZOOLOGIE   MYSTIQUE. 

fauve  en  hiver;  ses  cornes  sont  caduques,  longues,  couchées 
en  arrière,  tranchantes,  dentelées  en  scie.  ]\lassives  à  l'inté- 
rieur, ce  qui  les  rend  très-vigoureuses,  elles  brisent  sans 
effort  les  branchages  entrelacés  des  arbres  dans  les  fourrés 
impénétrables  où  l'antilope  se  jette  en  fuyant.  Commune  aux 
monts  de  la  Syrie,  elle  aime  les  bords  de  l'Euphrate,  et  sou- 
vent, lassée,  haletante,  elle  descend  vers  les  vallées  et 
cherche  les  eaux  fortunées  qui  ont  arrosé  le  Paradis  ' .  Sui- 
vant les  anciens  écrivains,  elle  recouvre  sa  vigueur  après 
s'être  désaltérée  et  prend  son  élan  vers  des  bois  «  moult 
espés  et  enronscinés  :  »  elle  s'y  enfonce  dans  des  halliers 
remplis  d'une  espèce  de  liane  excessivement  déliée,  mais 
dont  les  rameaux,  aussi  forts  que  souples,  forment  en  s'en- 
trelaçant  des  liens  et  comme  des  pièges  inextricables.  Le 
])auvre  animal  «  juc  tant  à  ses  sultif  vergetés  soutif  et  de- 
lietes,  »  qu'il  y  embarrasse  ses  cornes  et  y  est,  au  dire  de 
Philip  de  Thann  : 

«  pris  a  ronscenie 

«  Coine  uu  poiscon  a  une  roi  t.  » 

c'est-à-dire  embarrassée  dans  les  broussailles  comme  dans  un 
filet.  Dans  cette  détresse,  l'antilope  se  débat  et  pousse  de  longs 
bêlements  :  c'est  là  le  signal  de  sa  perte;  ces  vagissements  pro- 


II   Kt  quant  l'Ile  ad  sai  grant 
Il   Une  eve  vait  querant 
Il  Ki  vent  de  Parais 
«   U  hume  fud  primes  mis, 
«   Ceo  est  EuiVaten 
(1   Issi  le  apelat  l'em;...  » 
(L'appelle-t-on.) 

Philip  dk  'I'hawjv,  T/iv  /Icslian/. 


l'am'ILOvk.  373 

iuiigés  et  répétés  par  les  éelios  attirent  l)ientôt  les  chasseurs, 
(|ui  s'emparent  de  l'animal  et  souvent  le  frappent  sur  place. 


AntiUipc  embarrassée  dans  un  fourré   (Besli.iire  ms.  do  la  Bibl.  imp.) 


Le  Bestiaire  de  l'Arsenal  rapporte  les  mômes  circon- 
stances de  la  chasse  de  l'antilope.  Ainsi,  après  les  pliysio- 
logues,  s'expriment  à  son  sujet  tous  les  Bestiaires,  et  ils 
expliquent  aussi  uniformément  cette  tradition.  L'antilope 
est  la  figure  du  chrétien;  ses  deux  cornes  sont  l'emblème  de 
la  connaissance  des  deux  Testaments,  c'est-à-dire  de  la  loi 
ancienne  et  de  la  loi  nouvelle,  qui  sont  l'armure  de  son 
à  me  : 

«  Iceste  biesle  seiiefie 

u  Flusiors  liome  ki  sont  eu  vie, 

«  Ki  ont  dons  cornes  linement, 

n  C'est  l'uns  et  l'autre  Testainont. 

{Bestiaire  man.  de  la  Bibl.  impèr.) 

«  Hom,  dit  à  son  tour  le  Bestiaire  de  V Arsenal^  eschive- 
toi  del  cleable,  car  tu  as  les  deux  cornes  :  ce  sont  deux  ent 
(end)  emens  que  tu  as  de  bien  et  de  mal  qui  senefient  les  deus 
Testamens,  le  vies  et  la  novele,  por  coi  tu  peus  tranchier  et 
colper  les  plantes  des  menues  vergelètes,  ce  sont  tôt  li  vices 


374  Z001.IM.IK    MYSTIOUK. 

corporel,  avost  (à  savoir)  :  fornications,  avarice,  ivrece,  en- 
vie, orgoels,  homicide,  détracions,  luxure  et  tôt  altre  ma- 
nière depéchié.  » 

Ces  Testaments,  les  chrétiens  les  connaissent,  ils  y  ont  vu 
la  règle  à  suivre  et  des  préservatifs  certains  contre  les  occa- 
sions mauvaises;  néanmoins  ne  laissent-ils  pas  «  qu'ils  n'al- 
lent  au  buisson  juer  —  et  lor  cornes  envoloper  !»  —  Le 
chasseur,  disent  les  Bestiaires,  c'est  l'irréconciliable  ennemi 
du  repos  des  hommes,  «  cest  cil  ki  le  fol  home  cace  —  tant 
quil  l'ataint  en  ceste  place  '  :  »  le  buisson,  c'est 

« Li  biel  mang i  er, 

«  Li  biel  boire  e.l  souef  coacier, 

f(  Les  bieles  famés,  li  biel  draps, 

«  Li  palefroit  ambiant  et  cras  -, 

«  L'or,  l'argent  et  la  grant  pecune  '" 

«  Ki  tant  fait  mal  caus  ki  l'aiine,  etc*.  » 

Aussi,  l'imprudent  qui  a  touché  l'arbre  défendu  ne  peut-il 
plus  s'en  éloigner  et  doit-il  y  trouver  sa  perte  : 

(f  Tant  demeurent  sor  le  buiscon, 

c(  Que  li  vénères  a  larron 

«  Vient  sor  ans ^  » 

Philip  deThann,  connue  le  Physiologue  de  S.  Epiphane, 

'  "  Venato)*,  diabolus,  in  cujus  figura  Nembroth  ille  gigas  venator  coram 
Domino,  ut  in  Genesi,  etc.  »  (Rhabaiv.  Maur.,  De  Universo,  vin,  1.  — 
V.  aussi  S.  Brunon.  Astkns.,  in  Gènes,  et  allas.  —  S.  Anselm.  Cawtcau, 
Op.  omnia.  —  Ludolph.  Saxojiens.,  m  Vita  Christi,  etc.). 

*  Riche  (de  crassus). 

'  Les  grands  trésors  (pccunis;)  qui  nuisent  tant  à  ceux  qui  les  amassent. 

*  Li  Bestiaires,  manusc.  de  la  Biblioth.  imp. 

•^  Même  Bestiaire  :  '^De  la  nature  al  Jslalon  qui  tant  a  diverse  nature 
corne  vos  ci  aprics  urcs. 


i-'antij,ope.  .'{75 

prête  eu  surplus  une  allusion  aux  eaux  où  rantiloj)e  va 
boire  avant  de  courir  vers  le  bois  :  c'est,  dit-il,  la  honteuse 
ivresse,  cette  cause  de  tant  de  vices,  et  les  «  vergetés  »  du 
buisson  sont  les  «  nof  péchés  criminals  »,  principalement  la 
luxure.  «  For  ce,  conclut  après  les  mêmes  explications  le 
Liv?-e  des  natures  des  besles  en  s'adressant  à  son  lecteur,  te 
dois  bien  tu  garder  de  cest  péciés  que  par  le  délit  (attrait)  de 
luxure  ne  soies  enlaciés,  que  li  deables  ne  tochies  (t'occie)  : 
cest  li  venaii'es  qui  tosjors  te  gaite  por  engigner  :  li  vins  et 
les  femes  déportent  home  de  Dieu  ' .  » 

Outre  le  texte  explicatif,  le  sens  moral  de  la  légende  de 
l'antilope  est  encore  reproduit  par  les  enluminures  des  ma- 
nuscrits de  la  Bibliothèque  impériale.  Celle  du  Bestiaire 
coté  632-15,  folio  5  mérite  une  explication  ;  nous  en  donnons 
le  dessin  à  la  page  suivante. 

Au  bas,  l'antilope /oanf  et  s'enlaciant  dans  le  buiscon,  est 
arrêtée  par  le  long  épieu  d'un  chasseur  lancé  à  la  course  après 
elle  :  elle  est  percée  de  part  en  part.  Au-dessus,  la  moralité. 
C'est,  en  haut  de  la  miniature,  Jésus  en  buste,  environné 
d'une  gloire  et  la  tête  ornée  du  nimbe  croisé  et  gemmé.  En 
bas,  un  religieux,  debout,  la  main  gauche  armée  d'une  croix 
et  semblant  bénir  de  la  droite,  évangélise  de  son  mieux  : 
mais,  comme  celle  du  Sauveur,  sa  bénédiction  tombe  à  vide  ; 
fort  peu  parmi  son  auditoire  s'appliquent  ses  enseignements. 

*  Bestiaire  de  l'Arsenal,  fol.  204.  L'interprétation  donnée  dans  ce  manu- 
scrit au  sujet  de  l'antilope  est  la  même  que  celle  du  Physiologue  de  saint  Epi- 
phane  :  «  Tu  igitur,  spiritalis  homo,  considéra  quanto  te  uro  generosiorem 
fecerit  Deus  :  loco  enim  duorum  duo  tibi  dédit  Testamenta,  novum  videlicet 
et  vêtus,  quse  cornua  sunt  contra  potestates  adversas,  ut  ne  te  circumveniat 
diabolus,  ...  Oceanus  copiam  divitiaruin  significat  :  tanus  vero,  vita^  volupta- 
tem,  qua  implicitus  homo  finem  negligit.  Venator  igitur,  hoc  est  diabolus, 
illum  aggreditur  ;  quem  voluptatibus  nuncupatum  fidemque  negligentem  in- 
veniens,  in  suam  potestateni  redigit  (S.  Kpipiiaw.,  Vlii/sioloij.,  m). 


37C  ZOOLCGIK    MYSTIQUE. 

Sur  les  cinq  auditeurs  groupés  dont  le  visage  est  vu  de  face, 
trois  semblent  rire  ou  ricaner  ;  un  quatrième,  la  tête  appuyée 
sur  sa  main,  rêve  à  autre  chose  ou  sommeille  ;  aux  pieds  du 
ministre  de  paix,  deux  religieux  jouent  aux  dés  et  sont  ab- 
sorbés par  leur  jeu;  un  autre,  reconnaissable  à  son  costume 
et  à  ses  cheveux  en  couronne,  est  assis  devant  une  table 
couverte  de  mets  savoureux  :  vaquant  à  deux  soins  à  la  fois, 
il  embrasse  de  ses  deux  bras  une  femme  jeune  et  parée  at- 


Antilopes  spirituelles  saisies  par  le  veneur  infernal.  (Bestiaire  ms.  de  la  Bibl.  iœp.) 


tablée  a  côté  de  lui.  Ainsi,  les  trois  concupiscences,  l'orgueil 
montré  dans  les  rieurs,  l'avarice  dans  ceux  qui  jouent,  la 
volupté  dans  les  derniers,  personnifient  les  aptalops.  Derrière 
eux  s'est  glissé  li  vénères  :  ce  vénères  ou  vénéor^  habile  à  la 
chasse  des  âmes,  a,  par-dessus  son  corps  humain,  un  pelage 
de  bête  fauve,  indiquant  la  rapacité,  les  embûches,  la 
cruauté  du  tentateur.  Il  a  aussi  deux  longues  cornes,  mar- 
quant sa.  fatale  puissance  ;  des  oreilles  couchées  et  inclinées 
vers  la  terre,  indiquant  l'endurcissement,  la  surdité  spiri- 


l'antilope.  377 

tiielle,  rticoueil  des  pensées  terrestres  et  basses  ;  enfin  ses 
gros  yeux  flamboyants,  son  bec  crocliu  d'oiseau  de  proie, 
expriment  son  avidité,  sa  soif  pour  la  curée  des  âmes.  — 
Cependant,  il  guette  sa  proie  du  poste  où  il  est  embusqué; 
riant  d'une  joie  infernale,  dominant  de  toute  sa  taille  le 
groupe  ivre  et  préoccupé,  ses  bras  s'ouvrent  et  s'arrondissent, 
prêts  à  étouffer  sans  mot  dire  ces  antilopes  imprudentes 
prises  au  piège  du  buiscon. 

rÉLiciE  d'ayzac, 

Dignilaire  honoraire  de  la  Maison  impéiialc  de  Saint  Denis. 


HISTOIRE  DE  S.  JACQUES  LE  MAJEUR 
et  du  Pèlerinage  de  Coinpostelle. 


yUATlllEME    ARTICLE 


CHAPITRE  V. 

THAJiSI.ATlOW   DES  RELIQUES  DE   SAIKT  JACQUES   EW   ESPAGKE. 

La  haine  des  Juifs  poursuivit  suint  Jacques,  même  après 
sa  mort  ;  ils  ne  permirent  point  aux  chrétiens,  alors  présents 
à  Jérusalem,  de  creuser  un  lit  funèbre  à  ses  restes  mutilés 
et  de  leur  assurer  un  repos  qu'on  ne  refuse  pas  au  criminel 
après  son  supplice.  Ils  jetèrent  le  corps  de  T Apôtre  parmi 
les  immondices  de  la  cité  et  le  laissèrent  exposé  à  la  voracité 
des  chiens^  peut-être  aussi  nombreux  alors  qu'aujourd'hui, 
et  à  la  rapacité  des  oiseaux  de  proie.  Mais  Dieu  qui  est 
admirable  dans  ses  saints^  qui  garde  exaclement  tous  leurs  os, 
protégea  son  serviteur  contre  la  malice  de  ses  ennemis. 

Saint  Jacques  avait  été  suivi  d'Espagne  en  Judée  par  sept 
de  ses  disciples  '.  Ceux-ci,  après  avoir  assisté  au  martyre 


*  Voir  les  numéros  d'avril,  p.  213,  de  mai,  p.  256  et  de  juin,  p.  306. 
'  Espana  Sagrada,  tome  m,  p.  136. 


l'KI.EHINAGK    HE    COMl'OSTEI.I.E.  379 

de  leur  maitre,  recueillirent  pendant  la  nuit  son  corps  et  sa 
tête  et  parvinrent  à  transporter  à  Joppé  leur  pieux  trésor. 
Un  navire,  que  le  ciel  semblait  avoir  envoyé,  était  prêt  à 
partir;  ils  s'eml)ar(pient ,  pleins  de  confiance  en  Dieu, 
voguent  sans  danger  sur  une  nier  tranquille  et  au  bout  de 
sept  jours,  selon  quelques  auteurs,  abordent  à  Iria-Flavia, 
un  des  ports  de  la  Galice.  Un  auge  avait  été  le  pilote  et  avait 
veillé  sur  le  dépôt  sacré  dont  l'Espagne  devait  bientôt  être  si 
fière. 

De  tous  les  incidents  de  cette  traversée  miraculeuse,  nous 
ne  rapporteroys  que  le  suivant,  qui  est  présenté  sous  forme 
de  légende  par  quelques  auteurs  et  dernièrement  encore  par 
un  journal  Portugais  ' .  Une  animation  inaccoutumée  régnait 
à  Iria-Flavia.  Un  mariage  qui  allait  unir  deux  familles  puis- 
santes causait  tout  ce  mouvement.  L'époux,  seigneur  du 
pays,  était  à  cheval,  g^ccompagné  d'un  nombreux  cortège. 
Tout  à  coup  le  coursier  s'emporte,  n'obéit  plus  au  frein  et 
entraîne  son  cavalier  dans  la  mer.  Une  barque,  semblable  à 
un  point  dans  l'immensité,  sillonnait  paisiblement  l'océan 
entre  l'embouchure  du  Minho  et  le  port  d'Iria-Flavia.  Un 
homme  était  assis  au  pied  du  mât,  et  six  autres  l'entou- 
raient, debout,  les  yeux  fixés  sur  le  rivage.  Tous  portaient 
le  costume  des  apôtres  du  Christ.  Un  disque  lumineux  do- 
minait ce  groupe  et  projetait  sur  les  eaux  une  lueur  qui 
dirigeait  la  barque  dans  sa  course  aventureuse.  Le  coursier 
s'avance  dans  la  mer,  malgré  les  efforts  désespérés  de  son 
maitre  et  arrive  si  près  de  la  barque,  qu'un  dialogue  peut 
s'établir  entre  le  seigneur  du  pays,  que  nous  nommerons 
Maya  sur  la  foi  de  certains  écrivains,  et  entre  les  voyageurs  : 

—  u   Qui  êtes-vous?  dit  Maya  aux  étrangers. 


'   0  Nacional  du  Porto,  quinta  feiia.  27  sept.  1860, 


380  rÈLEIUXAGE    DE    COiMPÛSTELLE. 

—  Serviteurs  de  Dieu,  répondireut-ils. 

—  D'où  venez-vous  ? 

—  De  Joppé. 

—  Où  allez-vous  ? 

—  Où  Dieu  voudra  nous  conduire.  Celui  que  nous  suivons, 
est  Jacques,  fils  de  Zébédée,  un  des  douze  apôtres  du  Christ 
et  nous  sommes  ses  disciples. 

—  Vous  êtes  des  disciples  de  Jacques  ? 

—  A  dire  vrai,  nous  le  fûmes,  dit  encore  un  des  voya- 
geurs ;  car  Jacques  a  souffert  le  martyre.  —  Et  en  terminant 
ces  paroles,  l'étranger  montra  du  doigt  un  co^re  de  bois  de 
cèdre,  placé  au  fond  de  la  barque.  Il  reprit  :  —  Nous  l'avons 
soustrait  à  la  fureur  de  ceux  qui  nous  poursuivaient^  et 
confiants  dans  la  Providence,  nous  cherclions  une  terre  hos- 
pitalière où  nous  puissions  le  déposer. 

Grande  fut  la  surprise  de  Maya,  en  jentendant  ces  paroles  ; 
il  ne  pouvait  expliquer  que  par  une  intervention  surnaturelle, 
l'heureuse  issue  du  voyage  de  ces  inconnus. 

—  Disciples  du  Christ,  s'écria-t-il,  je  vous  oifre  mon 
palais.  —  Nous  nous  réjouissons,  répondirent-ils  ;  car  Jésus- 
Christ  a  dit  à  ses  disciples  :  Qui  vous  reçoit,  me  reçoit  ;  et 
qui  me  reçoit,  reçoit  celui  qui  m'a  envoyé. 

Maya  allait  continuer  le  colloque  ;  mais  une  nouvelle 
surprise  lui  était  préi)arée  :  regardant  son  cheval  qui  par  un 
brusque  mouvement  avait  fait  surnager  une  plus  grande 
partie  de  son  corps,  il  le  vit,  il  se  vit  lui-même  entièrement 
couverts  de  coquillages.  Il  jeta  sur  les  disciples  un  regard 
interrogateur  pour  avoir  l'explication  de  ce  nouveau  my- 
stère; mais  les  disciples,  agenouillés  devant  la  sainte  relique, 
ne  conversaient  plus  qu'avec  Dieu  et  le  bénissaient  d'avoir 
glorifié  son  serviteur  par  tant  de  prodiges. 

Un  rayon  de  lumière  illumina  soudainement  l'intelligence 


l'kLEniN'AGE    DE    C.OMl'OSTELLE.  38! 

dtî  Maya;  il  était  croyant.  11  lit  comprendre  le  ciiangcnient 
et  le  désir  de  son  âme  en  conrbant  la  tête.  Alors  un  des  dis- 
ciples prenant  avec  la  main  de  Teaii  de  la  mer,  la  versa  snr 
la  tête  de  Maya  en  disant  :  «  Je  te  baptise  an  nom  du  Père, 
«  du  Fils  et  du  Saint-Esprit.  »  —  Amen,  répondirent  les  autres 
disciples.  —  Amen,  répondit  Maya. 

Le  nouveau  chrétien  ramena  son  cheval,  redcveini  docile, 
sortit  sain  et  sauf  de  l'Océan  et  revint  an  milieu  de  la  foule 
éperdue,  tremblante,  qui  avait  tout  contemplé,  mais  n'avait 
pu  rien  comprendre. 

La  légende  ajoute  cpi'au  moment  où  l'eau  régénératrice 
tomba  sur  le  front  de  ]\[aya,  une  voix  céleste  fut  entendue 
dans  les  cieux  et  déclara  que  les  coquillages  des  futurs  pè- 
lerins de  saint  Jacques  seraient  considérés  comme  un 
symbole  des  vertus  du  grand  apôtre  de  l'Espagne.  Le  zèle 
apostolique  qui  lui  fit  braver  plusieurs  fois  les  terribles 
hasards  de  la  mer,  est  signifié  de  deux  manières  :  1"  par  un 
canard,  attribut  peu  ordinaire  de  l'apôtre,  mais  consacré  par 
un  des  vitraux  de  Reims.  Cet  oiseau  aquatique  était  devenu 
lui  symbole  de  navigation  dans  le  langage  des  monuments 
du  Moyen  Age  ;  et  son  nom  avait  même  reçu  dans  plusieurs 
idiotismes  français  le  sens  de  Flottage.  Quoique  plus  d'un 
apôtre  ait  entrepris  de  longs  voyages  pour  porter  au  loin 
l'Evangile,  nul  autre  cependant  ne  semble  avoir  exécuté  une 
si  longue  traversée  pour  annoncer  Jésus-Christ  aux  nations 
infidèles,  et  l'oiseau  nageur  est  aussi  bien  approprié  à  saint 
Jacques  que  la  pèlerine  et  le  bourdon,  qui  lui  furent  affectés 
à  d'autres  époques.  2"  Par  un  des  produits  de  la  mer.  Un 
coquillage  marin  est  l'attribut  naturel  de  l'ancien  pêcheur 
de  Galilée,  de  l'apôtre-marin  pendant  sa  vie  et  môme  après 
sa  mort.  Un  prodige  a  révélé  la  volonté  du  ciel  et  a  imposé 
aux  pèlerin.s  de   Saint-Jacques,  à  l'imagerie  chrétienne,  à 


.']82  rkLKlUXAtil-;    de    COMrOSTliLLE. 

Turt  clirétien,  un  emblème  devenu  si  po])uliure,  que  ceux-là 
môme  en  comprennent  la  signiliciition  ,  qui  en  ignorent 
peut-être  l'origine. 

Les  pèlerins  avaient  tant  d'amour  et  de  respect  pour  les 
coquilles  qu'ils  avaient  rapportées  de  Compostelle,  en  signe 
de  pèlerinage,  qu'ils  ne  voulaient  pas  s'en  séparer  à  la  mort. 
On  en  a  découvert  dans  des  cercueils,  en  beaucoup  d'endroits. 

Voltaire,  dont  la  science  était  si  superficielle,  prétendait 
que  les  bancs  de  coquillages  trouvés  au  sommet  des  Alpes 
n'étaient  autre  chose  que  des  coquilles  détachées  du  cha- 
peron ou  du  collet  des  pèlerins  qui  se  rendaient  à  Rome. 
Cette  lourde  plaisanterie  n'avait  pas  même  les  apparences  du 
vrai,  puisque  les  pèlerins  de  Rome  n'ont  jamais  porté  de 
coquilles  sur  leur  chaperon. 

Les  grands  maîtres  de  l'art  ont  unanimement  placé  un  ou 
plusieurs  coquillages,  comme  attribut  caractéristique,  sur  le 
chapeau,  le  camail  ou  le  bourdon  de  Saint-Jacques.  Il  est  à 
regretter  qu'Overbeck ,  le  fondateur  d'une  école  si  digne 
d'encouragement,  ait  manqué  dans  une  de  ses  compositions 
à  cette  règle  iconographique. 

Deux  médaillons  des  vitraux  de  Bornages  n'ont  d'autre 
ornement  qu'un  semis  de  coquillages  en  l'honneur  de  l'apôtre 
et  du  pèlerinage  de  Compostelle. 

Parmi  les  mollusques,  un  seul  a  été  adopté  par  la  tradition 
et  par  l'usage  comme  attribut  de  saint  Jacques.  Il  appartient 
à  la  famille  des  Pectinides  à  cause  de  l'analogie  de  sa 
forme  avec  le  Peigne.  Dans  le  langage  scientifique  de  l'his- 
toire naturelle,  il  est  appelé  Peclen  Jacobœus,  et  dans  le 
langage  vulgaire  Peigne  de  Saint-Jacques^  Coquille  de  Saiîit- 
Jacques  et  pèlerine  ;  ce  dernier  terme  provient  de  ce  que  les 
pèlerins  de  Saint- Jacques  ornaient  de  quelques  valves  de  ce 
mollusque  leur  camail  ou  })èlerine  de  cuir;  usage  qui  existe 


rKr.EHINAGE    DE   COMPOSTELMÏ,  .'ÎS.'I 

oncorfî  piiriiii  nous  et  en  Espagne.  Los  Espagnols  lui  floniient 
le  nom  de  Venera  ' . 

Voici  le  dessin  d'une  valve  de  coquille  de  Saint-Jaccpies, 


Coquille  et  Bourdon  de  Saint-Jacques. 


semblable  à  celles  que  j'ai  rapportées   de   mon  pèlerinage. 
Nous  y  joignons  le  bourdon  et  la  gourde,  compagnons  obligés 


•  Un  apôtie  a  donné  son  nom  à  un  coquillage  ;  un  autre  a  donné  le  sien  à 
un  poisson  de  l'Océan  et  delà  Méditerrannée.  Nous  voulons  parler  du  pois- 
son connu  sous  le  nom  vulgaire  de  Dorée,  à  cause  de  sa  couleur  générale 
mêlée  de  peu  de  vert  et  de  beaucoup  d'or  ;  les  ichthyologistes  le  désignent 
sous  celui  de  Zée  Forgeron  [Zeus  Faher.  Linn),  à  cause  des  teintes  basanées 
dont  une  partie  de  son  corps  paraît  enfumée.  L'existence  d'une  tache  noiie  et 
ronde,  placée  do  chaque  côté  vers  la  partie  antérieure  du  corps,  a  inspiré 
diverses  croyances  au  peuple.  Ici  l'on  considère  ces  taches  comme  résultant 
de  l'impression  des  doigts  de  saint  Pierre,  quand  cet  apôtre  tira  ce  poisson  de 
l'eau,  pour  prendre  dans  sa  bouche,  ])ar  l'ordre  du  Sauveur,  la  pièce  de 
monnaie  qui  devait  satisfaire  le  fisc.  De  là  le  nom  de  Poisson  de  Saint-Pierre. 
donné  à  ce  thoracin.  Ailleurs,  ces  empreintes  sont  celles  des  doigts  de  saint 
Christophe  qui  prit  ce  poisson  pour  amuser  l'Enfant-Jésus,  f{uand  il  le  portait 
sur  ses  épaules  en  lui  faisant  traverser  un  fleuve.  De  là  encore  le  nom  de 
Poisson  de  Saint -Christophe.  On  l'a  aussi  appelé  Poisson  de  Saisit- Martin,  à 
cause  de  la  saison  où  on  le  pêche.  (Voy.  Du  Cange  aux  mots  Citula  et  Pisris). 


38i  PÈLERINAGE    DE    CO.MPOSTELLE. 

de  tout  pèlerin,  de  venus  pour  cela  même  un  attribut  de  pè- 
lerinage ;  sur  certains  monuments,  v.  g.  sur  un  reliquaire 
fort  intéressant  du  XV  siècle,  placé  derrière  l'autel  du 
Sacré-Cœur  à  la  cathédrale  de  Bordeaux,  saint  Jacques  n'est 
(Caractérisé  que  par  le  bourdon  et  la  gourde. 

La  coquille  de  Saint-Jacques  est  un  mollusque  bivalve  des 
mers  d'Europe.  Dans  la  langue  héraldique,  une  coquille  dont 
on  voit  le  dedans  ou  le  creux,  prend  le  nom  de  Vannet^  h 
cause  de  sa  ressemblance  à  un  van  à  vanner  le  grain.  Très-peu 
de  familles  le  portent  dans  leur  écu;  celle  de  Vannelat^  à 
cause  de  son  nom,  porte  d'azur,  à  un  Vannet  d'or.  On  a 
conservé  le  nom  de  coquille  au  meuble  d'armoiries  qui  repré- 
sente une  coquille  de  Saint- Jacques  montrant  le  dos.  On  voit 
figurer  jusqu'à  8  et  9  coquilles  sur  l'écu  des  nombreuses  fa- 
milles ou  des  cités  '  qui  ont  adopté  ce  meuble  armoriai,  soit  à 
cause  de  leur  nom,  comme  les  familles  Jacques,  Coquille,  soit 
à  cause  d'un  pèlerinage  au  tombeau  du  Saint.  La  famille  de 
Pimentales  ,  qui  prétend  descendre  du  Seigneur  dont  je 
viens  de  raconter  la  légende,  porte  pour  cette  raison  des 
coquilles  dans  ses  armoiries.  Elle  s'est  bornée  à  cinq. 

La  botanique  a  voulu  glorifier,  de  son  côté,  l'immortel 
apôtre  en  désignant  sous  le  nom  de  Bourdon  de  Saint-Jacques 
une  des  fleurs  les  plus  majestueuses  de  nos  jardins.  C'est  le 
nom  vulgaire  d'une  plante  de  la  famille  des  malvacées;  ses 
larges  corolles  blanches,  jaunes,  roses^  purpurines,  etc., 
souvent  doubles,  font  l'ornement  de  tous  les  jardins  sous  les 
noms  plus  connus  de  Mauve-Rose,  Passe-Rose^  Rosier-Bâton, 
Rose-Trémiere.  Ce  dernier  nom,  altération  évidente  de  celui 
de  Rose  d' Outre-mer,  révèle  une  origine  exotique;  à  l'époque 


'   Les  annoiries    d'Aurillac   sont  de  giiciilcs   à  trois  coquilles  d  argent,  au 
chef  cousu  d'azur,  chargé  de  trois  fleurs  de  lys  d'or. 


i'i;LKiiiNA(iE  UE  r,u,Mi'osri:LLE.  :;8.j 

(les  ( /l'oistules,  elle  nous  a  été  apportée  de  Syrie  ',  pays  de 
saint  Jacques;  son  origine  et  sa  forme  élancée,   verticale 
comme  celle  d'un  bourdon,  l'ont  fait  surnommer  iJou/ï/o/?.  (/c 
Sainl-Jacques.  Pour  les  botanistes,   c'est  VAlcée  Rose  (Alcea 
Rosa.  Linn.j.  —  Un  pieux  désir  de  populariser  le  nom  de 
l'apôtre  de  l'Espagne,  a  fait  encore  donner  son  nom  à  une 
plante  de  la  tribu  des  Sénécionées,  que  les  pèlerins  rencon- 
traient fréquemment  sur  leur  passage  ;  je  veux  parler  de  !a 
Jacobéc ,  ou  Jacobœa  ,  comprenant  la  Jacohee  vulgaire  ou 
herbe  de  Sainl-Jacques  ou  séneçon  Jacobée  (senccio  Jacobœa. 
Linn.),  plante  médicinale  très-commune  dans  les  prairies,  les 
fossés,   le  long  des  bois,  etc.,   durant  le  mois  de  juin.  Ses 
feuilles,  redoutées  des  troupeaux,  nourrissent  les  chenilles 
du  Phalœna  Jacobœa  pronuba.  L'autre  espèce  est  la  Jacobée 
maritime,  nom  vulgaire  de  la  cinéraire  maritime.  —  Il  faut 
ajouter  au  bouquet  des  fleurs  de  saint  Jacques  deux  autres 
fleurs  :  le  Lotier  de  saint  Jacques,  Lotus  Jacobœus,  nom  donné 
par  Linnée  à  ce  Lotus  originaire  de  VUe  Saint' Jacques,  une 
des  Antilles   anglaises,   près   de   l'île  Saint-Thomas;  puis 
V Amaryllis  Saint-Jacques  ou  lis  de  Saint-Jacques  [Amo.ryllis 
formosissima.  Linn,),  dont  les  grandes  fleurs  écarlates  rap- 
pellent la  couleur  rouge  de  l'épée  armorialle  des  chevaliers 
de  Saint- Jacques, 

Pour  compléter  dès-à-présent  les  attributs  de  saint  Jacques, 
je  mentionnerai  Ip  large  chapeau  orné  de  coquilles^  que  les 
enfants  eux-mêmes  connaissent,  et  que  les  artistes  ne  placent 

'  La  Passe-Rose  est  cultivée  encore  aujourd'hui  en  Syrie,  en  particulier  au 
jardin  des  Oliviers,  par  les  Franciscains.  Le  frère  chargé  du  jardin  m'a 
donné  de  la  graine  de  cette  fleur,  que  j'ai  propagée  dans  le  département  de 
la  Gironde  en  mémoire  de  Notre- Seigneur  et  de  l'un  de  ses  apôtres  — J'ai 
également  propagé  le  hlé  de  Booz,  variété  si  curieuse  que  j'ai  apportée  du 
champ  même  de  Booz,  voisin  de  Bethléem. 

TOME    VI.  28. 


386  l'ÈLKlUiSAGE    DE    COMrOSTELLK . 

pas  toujours  sur  le  chef  de  l'apôtre,  préférant  le  jeter  eu 
arrière.  Cet  attribut  traditionnel  a  déterminé  les  chapeliers 
à  adopter  saint  Jacques  pour  patron  de  leur  corporation  *. 

Le  livre,  dépositaire  de  la  vraie  science,  est  un  attribut 
commun  à  saint  Jacques  et  aux  autres  apôtres. 

Les  disciples  de  l'apôtre  avaient  admiré  les  desseins  misé- 
ricordieux du  divin  j\Iaitre  des  cœurs  dans  l'événement  que 
j'ai  raconté.  Leur  émotion  durait  encore,  quand  ils  arri- 
vèrent à  l'embouchure  de  VUUa  {Ulia)  ;  un  vent  favorable 
leur  fit  l'cmonter  ce  fleuve  jusqu'à  L'ia-Flavia,  où  Maya  les 
attendait.  Cette  ville  est  à  trois  lieues  de  la  mer,  près  de  la 
jonction  de  l'Ulla  et  du  Sar  {Taris).  Ils  débarquent  leur  pré- 
cieux trésor  avec  un  autel  sur  lequel  les  apôtres  avaient 
célébré  le  Saint-Sacrifice  et  une  colonne  sur  laquelle  saint 
Jacques  avait  été  décollé.  Le  corps  du  Saint  est  déposé  sur 
une  grande  pierre  à  laquelle  la  barque  est  attachée;  la 
pierre  semble  s'attendrir  et  s'ouvre  miraculeusement  en 
forme  de  tombeau  comme  pour  offrir  une  couche  au  disciple 
du  Christ  et  donner  à  l'exilé  une  hospitalité  respectueuse. 
Dieu  n'oublie  jamais  ceux  qui  ont  combattu  pour  sa  gloire 
ou  pour  sa  doctrine  ;  aux  victimes  des  passions  de  la  foule 
ou  des  pouvoirs  iniques,  il  élève  un  trône  ou  un  autel  qui 
est  plus  qu'un  trône,  suspend  en  leur  faveur  les  lois  de  la 
nature  et  donne  à  leurs  ossements  persécutés  un  tombeau  qui 
n'est  pas  toujours  creusé  par  la  main  de  l'homme,  mais  où 
nul  homme  ne  pourra  plus  les  inquiéter. 

Cette  pierre,  qui  vers  le  milieu  du  XYIP  siècle  conservait 
encore  sa  forme  miraculeuse,  s'il  faut  en  croire  un  grave 

'  Dans  quelques  pays,  en  particulier  dans  l'Auvergne,  les  chapeliers  se 
mettaient  sous  le  patronage  de  sainte  Barbe  ou  de  saint  Michel.  (Histoire  des 
comrmmaulés  des  arts  et  métiers  de  V .4 nvergnc ,  par  J.-B.  Bodillet.  Cler- 
mont-Feriand,  1857,  p.  75). 


l'Kl.tlUNACF,    DE    C.OMI'OSTEI.LK.  3S7 

auteur  de  la  Compagnie  de  Jésus  ',  fut,  aux  yeux  du  pays 
eouverti  ù  la  foi  chrétienne,  un  monument  assez  important 
pour  donner  son  nom  à  la  ville.  Les  Espagnols  appellent 
Padruu  une  colonne,  une  pieire  où  Ton  grave  une  inscrip- 
tion destinée  à  perpétuer  le  souvenir  d'un  grand  événement  ^. 
Iria-Flavia  a  donc  perdu  soii  nom  dans  la  géographie  mo- 
derne et  ne  s'appelle  plus  que  Padron  depuis  des  siècles. 
Florez  est  un  des  nombreux  auteurs  qui  attestent  cette  éty- 
mologie  :  «  La  voz  Padron  se  dériva  por  la  piedra  en  que  los 
«  discipulos  pusierou  el  cuerpo  del  apostol  al  tiempo  de 
<(  pasarle  a  la  tierra  desde  la  nave  ^  »  (Jette  opiniou  em- 
prunte un  nouvel  argument  au  dialecte  Galicien,  dans  lequel 
ou  appelle  Padroues  les  pierres  auxquelles  on  amarre  les 

bateaux.  «  Debemos  insistir  en  e\  Padron por  la  coluna 

«  a  que  ataron  la  barca  ;  a  cuyas  piedras  ullaman  en  Galicia 
»  Padrones.  »  ]\rais  Florez  lui-même  rapproche  de  cette  éty- 
mologie  celle  qui  suppose  tautive  l'orthographe  de  Padron 
qu'on  devait  écrire  Patron,  nom  que  la  ville  aurait  reçu  pour 
avoir  favorisé  le  débarquement  des  restes  du  saint  patron  de 
l'Espagne  :  «  La  voz  padron  se  dériva  de  patronns  por  haber 
<•  llegado  alli  el  patron  de  Espana  \  »  Dans  quelques  vieux 
écrits,  cette  ville  est  eu  effet  appelée  Villa  pat roni.  Dans  l'his- 
toire de  Compostelle,  elle  est  désignée  sous  le  nom  de  palronus. 
L'une  et  l'autre  de  ces  étymologies  proclament  l'importance 
du  culte  de  saint  Jacques  chez  les  premiers  chrétiens  de  la 

'  I.  Ipsa  rupes  se  expandens,  et  in  sepulori  formam  effingens,  sanctum 
(I  cadaver  excepit  :  perseveratqiie  hodiè  eadem  specie"  sepulcri.  »  {Lucis  evan- 
yelicce  stib  vélum  sacrorumemblematum  jmrs  iertut,  hoc  est  cœleste  Panthéon, 
por  R.  P.  Henriccm  Eagki.guavk,  S.  J.  Antverpiae,  1658.  t.  ii,  p.  48). 

-  On  lit  dans  la  6«  édit.  du  Dictionnaire  de  la  langue  castillane  par  l'aca- 
démie Espagnole,  Madrid,  1822  :  »  Padron,  la  rolumna  de  piedra  con  una 
«  lapida  o  inscripcion  de  alguna  cosa  que  sea  peipetua  y  publica.  » 

'  Espana  Sayrada,  tonio  xix,  p.  4. 


388  l'ÈLEUINAGE   DE   COMPOSTELLE. 

Galice  et  rappellent  un  nom  plus  cher  à  la  Péninsule  que  ceux 
(les  héros  païens  qui  ont  aouIu  immortaliser  leur  mémoire 
dans  les  appellations  de  Lisbonne,  Saragosse,  Gibraltar. 

Un  simple  souvenir,  mais  un  souvenir  religieux  suffit  pour 
attirer  à  Padron  les  populations  voisines  et  nécessiter  des 
accroissements  successifs.  La  prospérité  matérielle  est  sou- 
vent ici-bas  la  récompense  des  cités  chrétiennes. 

Mais  la  Providence  a  ses  pieuses  industries,  connue  nous 
avons  nos  calculs;  elle  place  loin  ses  bienfaits,  multiplie  les 
difficultés  du  chemin  pour  nous  les  faire  désirer  et  apprécier. 
Les  montagnes,  les  solitudes  d'un  accès  difficile,  c'est-à-dire 
les  lieux  les  plus  proches  du  ciel  et  les  plus  éloignés  du  tour- 
billon où  s'agitent  et  se  discutent  les  intérêts  humains,  tels 
sont  les  théâtres  les  plus  ordinaires  des  miséricordes  du  Sei- 
gneur. La  poussière  et  le  bruit  des  grandes  routes  où  tout 
le  monde  passe,  croyants  et  incroyants  ;  les  rivages  tumul- 
tueux des  mers  sillonnées  par  des  pirates,  par  les  enfants  de 
Mahomet  comme  par  les  disciples  du  Christ,  ne  sauraient 
convenir  au  culte  des  tombeaux  ni  aux  effusions  d'une  âme 
qui  a  besoin  de  s'entretenir  avec  Dieu.  La  plupart  des  grands 
faits  évangéliques  ont  eu  pour  témoins  des  montagnes  ;  il 
faut  traverser  les  mers  et  ensuite  le  désert  pour  arriver  au 
Saint-Sépulcre  dans  la  cité  sainte  ou  au  tombeau  de  sainte 
Catherine  sur  le  mont  Sinaï.  Que  d'hommes  peu  réfléchis 
ont  reproché  à  Rome  les  déserts  qui  l'entourent  ?  Que  ne 
reproche-t-on  aussi  au  fleuve  qui  baigne  ses  murs,  la  mai- 
greur de  ses  eaux  ou  les  limites  étroites  de  son  parcours  ?  Un 
peu  de  mystère  va  bien  à  nos  goûts  et  à  notre  intelligence. 
Souvenez-vous  de  la  sainte  Baume,  de  la  Camargue,  de 
Eocamadour,  de  Manrèse,  de  Monsarrat  et  de  l'empressement 
laborieux  avec  lequel  nos  pères  visitaient  tous  ces  pieux 
rendez-vous   de  la  chrétienté  :  presque  toujours  des  mon- 


l'ÈLElUNAdi;    l)l':    CO.Ml'OSTELLIC.  ,380 

tagnus,  pur  conséquent  des  fatigues  longues,  pénibles,  inéii- 
toires.  Les  plus  saintes  choses,  dès  qu'elles  sont  trop  faci- 
lement accessibles,  perdent  de  leur  prestige  et  de  leur  attrait 
aux  yeux  du  riche  et  mcMue  du  ])auvre.  Les  })èlerinages  se 
sont  ralentis,  depuis  qu'on  a  facilité  les  connnunications  par 
des  véhicules  de  toute  sorte  et  par  l'emploi  de  la  vapeur  sur 
terre  et  sur  nier.  Les  voyageurs  sont  partout  ;  les  aiï'aires  ou 
les  plaisirs  les  attirent  dans  les  cinq  parties  du  monde  ;  mais 
les  pèlerins  sont  rares  ;  on  va  i)lus  à  Constantinople,  à 
Athènes,  au  Caire  ou  à  Suez  qu'à  Jérusalem,  beaucoup  plus 
à  Grenade  et  à  Séville  qu'en  Galice. 

Nous  sommes  ainsi  faits  ;  la  civilisation  augmente  les 
jouissances  par  le  progrès,  par  le  rafiinement  des  arts  et  de 
l'industrie  ;  mais  elle  affaiblit  ou  éteint  la  foi  dans  les  cœurs 
où  devrait  germer  la  reconnaissance  ;  la  conquête  de  la  terre 
et  des  éléments  nous  fait  oublier  le  ciel  et  les  amis  de  Dieu. 

Mais  l'indifférence  publique  ou  le  dédain  de  certains 
esprits  ne  font  pas  varier  l'économie  de  la  divine  Providence  ; 
elle  garde  à  distance  ses  trésors  ;  Dieu  n'est  prodigue  de  ses 
doiis  que  dans  ses  sanctuaires  les  plus  recidés;  c'est  là 
surtout  qu'il  fait  entendre  cette  miséricordieuse  parole  : 
«  Venez  à  moi,  vous  tous  qui  êtes  fatigués  et  qui  êtes  char- 
«  gés,  et  je  vous  soulagerai  ' .  » 

A  cinq  lieues  d'Iria-Flavia,  dans  la  profondeur  des  terres, 
habitait  alors  un  petit  peuple  dont  la  modeste  résidence  était 
appelée,  on  ne  sait  pourquoi,  liberum  donum^  Libre-Don, 
par  les  Komains.  Deux  rivières  innavigables,  le  Sar  et  la 
Sarela,  serpentent  autour  de  la  déclivité  où  ce  village,  de- 
venu cité  importante  et  capitale  d'une  province,  étale  aujour- 


'  Venite  ad  me,  omues  qui  laboiatiti  et  oiieiati  cstis,  et  egu  leficiain  vos. 
(Matth.  XI,  28), 


390  PÈLEP.INAGE    DE   COMPOSTELLE. 

d'hui  sou  humble  parure  de  vieilles  maisons.  L'obscurité  de 
son  nom,  l'exiguité  de  son  territoire,  sa  situation  aux  ex- 
trémités du  globe  ',  étaient  des  conditions  dignes  de  fixer 
l'attention  de  cette  même  Providence  qui  n'avait  pas  dédai- 
gné la  bourgade  de  Bethléem  pour  en  faire  le  berceau  du 
Messie.  La  plus  petite  des  bourgades  de  l'Ibérie  devait,  ù 
son  tour,  être  glorifiée  par  un  événement  que  l'histoire  pro- 
fane n'a  pas  daigné  raconter,  mais  qui  n'en  occupe  pas  moins 
une  large  place  dans  les  annales  de  l'Eglise. 

C'est  donc  en  ce  lieu,  providentiellement  appelé  liber uuh 
doinim,  que  les  disciples  du  grand  apôtre  apportèrent  leur 
trésor,  inestimable  don  que  la  riche  Asie  semblait  envoyer  à 
l'Europe  pour  la  faire  participer  d'une  manière  moins  inégale 
aux  bienfaits  du  Tout-Puissant.  Une  grotte  s'oiFre  à  eux  ;  ils 
y  trouvent  quelques  outils  de  maçonnerie  dont  ils  se  servent 
pour  abattre  une  statue  de  Bacchus,  divinité  du  pays,  et 
construire  un  tombeau  à  leur  maître.  Mais  au  lieu  de  creuser 
horizontalement  dans  les  parois  de  la  grotte  selon  la  coutume 
des  Juifs,  suivie  par  les  chrétiens  des  Catacombes,  imitée 
encore  aujourd'hui  par  l'Espagne  -,    ils  bâtirent  un  petit 

•  Ce  lieu,  appelé  plus  tard  Compostelle,  n'est  pas  très-éloigné  du  cap 
Finistère  {Finis  terra),  qui  était  regardé  par  les  anciens  comme  le  point  le 
plus  occidental  de  l'Europe  et  l'endroit  où  le  monde  finissait. 

*  Le  tombeau  de  Notre-Seigneur,  ceux  des  rois  et  des  prophètes,  près  de 
Jérusalem,  présentaient  la  forme  de  locidi  [Loculus,  lieu  petit,  étroit,  dim. 
de  locus.)  creusés  horizontalement  dans  le  roc.  Il  m'a  été  permis  de  m'en 
convaincre.  Ces  formes  de  tombeaux  sont  les  plus  fréquentes  dans  les  cata- 
combes de  Rome.  Les  riches  familles  espagnoles  ensevelissent  leurs  proches  de 
la  même  manière  dans  l'épaisseur  du  mur  du  cimetière.  L'excavation  horizon- 
tale yjratiquée  dans  le  mur  a  juste  les  dimensions  nécessaires  à  la  bière.  On  est 
obligé  de  mesurer  l'espace,  même  aux  riches,  dans  ce  rendez-vous  universel 
des  grands  et  des  petits.  Les  pauvres  sont  moins  à  l'étroit  dans  les  fosses  du 
champ  commun.  J'ai  visité  en  Portugal  et  en  Espagne  un  certain  nombre  de 
cimetières,  et  j'ai  constaté  partout  ce  mode  anti(pie  de  sépulture. 


rkLEllINAOE    DE    COMPOSTEI.LE.  301 

édifice  en  marbre,  taillé  eu  arcade  :  «  Feceruiit  parvain 
<i  arcuatam  domiim,  iibi  construxere  lapideo  opère  sepul- 
«  cnim  ' .  I)  On  avait  longtemps  ignoré  le  nom  de  ces  arcs 
turaulaires  :  les  antiquaires  des  derniers  siècles  s'étaient 
bornés  à  désigner  sous  le  nom  de  monumenls  arqués  (monu- 
menta  arcuata)  les  tombeaux  qui  présentaient  cette  parti- 
cularité si  remarquable.  11  n'y  a  pas  longtemps  qu'une 
inscription  des  catacombes  a  révélé  son  véritable  nom, 
arcisolium.  C'est  donc  cette  dernière  dénomination  qu'il  faut 
«appliquer  au  tombeau  en  arcades  de  saint  Jac(iues.  Les  tom- 
beaux païens  n'avaient  jamais  affecté  cette  forme,  qui  est 
d'origine  chrétienne.  On  est  donc  autorisé  à  supposer  une 
sorte  d'inspiration  chez  les  disciples  de  l'apôtre,  architectes 
improvisés  qui  imitèrent  ce  qu'ils  n'avaient  jamais  vu,  ou 
créèrent  simultanément  avec  Kome  un  genre  dont  les  mo- 
numents du  polythéisme  n'avaient  pu  donner  l'idée,  l'a/T/xo/e 
chrétien. 

Le  travail  achevé,  on  chanta  des  psaumes  à  la  gloire  de 
Dieu  et  de  son  glorieux  apôtre,  et  on  inaugura  sur  cet  humble 
tombeau  un  culte  qui  devait  durer  autant  que  les  siècles. 

Le  martyrologe  Romain  a  fixé  au  25  juillet  la  fête  de  la 
translation  des  reliques  de  saint  Jacques.  Mais  le  Propre  des 
saints  de  l'Espagne,  appi-ouvépar  plusieurs  papes,  réserve  ce 
jour  pour  le  martyre  du  Saint  et  renvoie  au  50  décembre,  en 
vertu  d'une  tradition  immémoriale,  la  translation  de  ses 
reliques. 

Les  disciples  ne  pouvaient  se  résoudre  à  s'éloigner  du  cher 
patron  de  leur  patrie.  Quand  les  intérêts  de  la  foi  les  appe- 
lèrent dans  d'autres  contrées,  ils  laissèrent  deux  d'entr'eux, 


•  Le    pape    Léon   III,    cité    par    Fi.ORKZ.    (Espana    sayrada,    tomo    m, 
p.  xi.viii,  append.) 


302  riii-KniNAGE  de  coaipustelle. 

Anastase  et  Théodore  auprès  de  ce  tombeau,  pour  en  être  en 
quelque  sorte  les  gardiens  et  les  chapelains.  Fidèles  à  leur 
mission,  ces  deux  disciples  ne  quittèrent  jamais  ce  poste  de 
faveur  et  furent  enterrés,  selon  leur  désir,  à  la  droite  et  à  la 
gauche  de  leur  maître.  C'est  dans  cette  situation  respective 
que  leurs  corps  furent  découverts  plus  tard  avec  celui  de 
l'apôtre. 

L'art  chrétien  ne  pouvait  séparer  ceux  que  la  mort  elle- 
même  n'avait  pu  désunir.  Une  des  façades  de  la  basilique 
Gallicienne  dédiée  à  saint  Jacques,  est  ornée  d'une  statue  du 
Saint  avec  ses  attributs,  entre  deux  disciples  qui  ne  peuvent 
être  que  ceux  dont  nous  avons  parlé. 

La  présence  du  patron  de  l'Espagne  dans  le  pays  qu'il 
avait  évangélisé  durant  sa  vie  mortelle,  ne  fut  point  stérile 
pour  la  foi  chrétienne.  Les  amis  de  Dieu  ont  le  privilège  de 
faire  le  bien  même  après  leur  mort.  Les  pays  circonvoisins 
embrassèrent  de  bonne  heure  notre  sainte  religion  et  la  chré- 
tienté de  la  Galice  se  lit  remarquer  bientôt  entre  toutes  les 
autres  par  sa  ferveur  et  ses  œuvres  saintes.  Le  Portugal, 
l'Espagne  et  l'Aquitaine  honorent  d'un  culte  particulier 
sainte  Quiterie,  fille  d'un  prince  de  la  Galice.  Au  milieu  des 
ténèbres  et  des  dissolutions  du  paganisme,  dont  elle  était 
entourée,  cette  jeune  néophyte  soupçonna  les  avantages  de 
la  virginité  et  préféra,  dans  un  exil  volontaire,  la  couronne 
de  l'innocence  et  la  palme  du  martyre  à  la  brillante  union 
rêvée  par  son  père.  L'église  du  Mas  d'Aire  (département  des 
Landes)  possède  le  tombeau  de  l'intrépide  héroïne  Galli- 
cienne, un  des  premiers  témoins  de  la  foi  préchée  par  l'A- 
pôtre ' . 

J.-B.    PARDI AC. 

[La  suite  au  prochain  nutnéru) 

'  Officia  propria  diœrcsis  Bnrdigahnxis.  22  IMuii. 


NOTRE-DAME   DE  MISÉRICORDE 
à  Familleureux  [Hainaut). 


Au  commencement  du  XIP  siècle,  le  territoire  qu'occupe 
nctuellement  le  village  de  Familleureux  ' ,  était  encore  pres- 
qu'entier  couvert  de  bois.  Ce  domaine  appartenait  alors  au 
chapitre  de  Nivelles,  qui  le  céda  en  fief  à  une  famille  noble  du 
Brabant.  Des  défrichements  eurent  lieu  par  les  soins  du  nou- 
veau vassal  qui  s'y  fit  construire  une  demeure  seigneuriale 
et  une  chapelle,  autour  desquelles  se  groupèrent  les  habita- 
tions des  colons. 

Le  château  et  le  domaine  de  Familleureux  passèrent  dans 
la  suite  aux  seigneurs  de  Bois-Seigneur-Isaac  et,  le  1 1  mai 
1404,  ils  devinrent  la  propriété  d'un  noble  chevalier, 
Wautier  de  Bousies,  plus  connu  sous  le  nom  de  Fier-à-Bras 
de  Vertaing;. 


'  La  commune  de  Familleureux  est  située  à  vingt-deux  kilomètres  N.-E.  de 
Mens.  Anciennement  comprise  dans  le  duché  de  Brabant,  elle  fait  aujourd'hui 
partie  de  la  province  de  Hainaut,  canton  de  Seneffe.  Elle  est  traversée  par  le 
chemin  de  fer  de  Braine-le-Comte  à  Charleroy,  à  deux  kilomètres  et  demi  de 
la  station  de  Manage. 

TOME  VI.  Août  1862.  29. 


3'J4  NOTRE- LA  ME    UE   Al  ISÉUl  CORDE 

Ce  seigneur,  qui  était  fils  nuturel  d'Eustache  II  de  Bou- 
sies,  sire  de  Vertaing,  de  Feluy,  etc.,  fournit  une  brillante 
carrière  militaire.  «  C'était,  dit  l'annaliste  Vinchant,  un 
personnage  sage  etbien  expérimenté  aux  armes.»  En  1580,  il 
se  trouva  avec  son  pennon  dans  l'armée  anglaise  que  le  comte 
Thomas  de  Buckingliam,  oncle  du  roi  Richard  II,  conduisit 
au  secours  de  Jean  IV,  duc  de  Bretagne,  attaqué  par  les 
Français,  et  il  donna,  pendant  cette  guerre,  des  preuves  d'une 
grande  valeur.  Deux  ans  après,  il  combattit  contre  les  Fla- 
mands sous  les  drapeaux  français,  fut  du  nombre  des  che- 
valiers qui  forcèrent  le  passage  de  la  Lys,  se  trouva  au  siège 
de  Commines,  et  assista  à  la  célèbre  bataille  de  Koosebeke, 
livrée  le  27  novembre  1382.  Plus  tard,  il  devint  l'un  des 
contidents  et  des  plus  zélés  serviteurs  du  comte  d'Ostrevant, 
fils  aine  d'Albert  de  Bavière,  comte  de  Hainaut,  et  accompa- 
gna ce  jeune  prince  à  un  magnifique  tournois  que  le  roi  d'An- 
gleterre donna  à  Londres,  au  mois  d'octobre  1 390.  Fier-à-Bras 
de  Vertaing  excita  ensuite  le  comte  de  Hainaut  à  la  guerre 
contre  les  Frisons  ;  puis  il  passa  en  Angleterre,  où  il  enrôla 
des  gens  d'armes  et  des  archers  qu'il  conduisit  à  l'armée  du 
comte  Albert  de  Bavière,  fut  présent  à  l'assemblée  des  Etats 
que  ce  souverain  convoqua  à  Mons,  au  sujet  de  l'expédition 
de  Frise,  et  prit  avec  les  chevaliers  hennuyers  l'engagement 
de  le  seconder  dans  son  entreprise  contre  les  Frisons.  On 
connaît  les  résultats  de  cette  expédition  :  les  malheureux 
Frisons  payèrent  chèrement  les  écarts  du  comte  de  Hainaut 
et  le  crime  des  conspirateurs.  Cette  guerre  fut  une  des  plus 
sanglantes  de  notre  histoire  ' . 

Le  bâtard  de  Vertaint^;  continua  à  se  dévouer  au  service 


'  ViKCH.VNT,  Annales  du  Haiiiaul,  t.  m,  pp.  289-312.  —  Froissahd,  Chro- 
niques, t.  Il  et  m;  édition  de  J.  A.  Bucliou. 


A    FAMILLEUREUX.  .Wr) 

du  comte  d'Ostrevaut,  (|ui  lui  accorda,  en  lôîiT,  une  pension 
annuelle  et  viagère  d'environ  InO  livres  sur  la  recette  du 
domaine  de  Rœulx  ' . 

Quelques  annéesplus  tard,  le  sire  Fier-à-Bras  prit  sa  retraite 
et  vint  au  château  de  Familleureux  pour  s'y  reposer  des  fa- 
tigues de  la  guerre.  A  côté  de  sa  demeure,  s'élevait  la  cha- 
pelle castrale  qui  avait  été  bâtie  au  XIl^  siècle  sur  la  Motte 
de  Familleureux  par  l'un  des  premiers  seigneurs  de  ce  do- 
maine. Cet  édifice,  qui  subsiste  encore  de  nos  jours,  est  digne 
de  fixer  un  instant  notre  attention.  Il  forme  le  chœur  de 
l'église  paroissiale  et  consiste  en  une  abside  terminée  par 
un  mur  plat  à  pignon  triangulaire  orné  à  ses  angles  in- 
férieurs de  deux  croix  en  pierre  bleue.  On  a  muré  les  trois 
fenêtres  pratiquées  à  son  chevet,  ainsi  que  le  quatre-feuilles 
qui  surmonte  celle  du  milieu.  Six  autres  fenêtres  romano-ogi- 
vales,  dont  le  contour  est  en  pierres  taillées,  éclairent  le 
sanctuaire  qui  a  12  mètres  (30  cent,  de  longueur  sur  5  mètres 
40  cent,  de  largeur.  La  voûte  se  compose  d'un  lambris  en 
planches  ;  il  est  divisé  en  carrés  longs  qui  se  coupent  à  angles 
droits.  La  retombée  des  arceaux  repose  sur  de  simples  con- 
soles formant  des  statuettes  parfaitement  coloriées.  Aux  clefs 
de  la  voûte  sont  figurés  quelques  personnages  de  la  Bible. 

Cette  chapelle,  qui  était  dédiée  à  Notre-Dame  de  Famil- 
leureux, ne  fut  érigée  en  paroisse  qu'en  l'année  1512.  Avant 
cette  époque,  l'église  paroissiale  avait  son  siège  près  de  la 
ferme  de  Courrière,  qui  appartenait  à  l'abbaye  de  Bonne- 
Espérance  ". 

'  Archives  du  Royaume.  Compte  du  domaine  de  Rœu/x.  Années  1397  à 
1411. 

-  En  vertu  d'un  diplôme  de  Nicolas,  évêque  de  Cambrai,  daté  de  l'an 
1162,  l'autel  de  Familleureux  relevait  de  l'abbé  de  cette  maison  religieuse, 
(Maghe,  Chronic.  Bonce  Spei.) 


390  NOTllE-llAME    Dli    MISÉRICORDE 

En  considération  des  nombreux  mii-acles  qui  s'opéraient 
alors  dans  la  chapelle  castrtde.  l'abbé  Jean  Cornu  autorisa  ce 
cliangement  et  l'antique  édifice  de  Courrière  demeura  sup- 
primé ' .  Comme  le  sanctuaire  de  Marie  n'était  pas  assez 
vaste  pour  contenir  les  paroissiens  et  les  nombreux  pèlerins 
qui  y  venaient  prier  et  que  le  service  divin  n'était  pas  en 
rapport  avec  la  piété  des  fidèles,  l'abbaye  de  Bonne-Espé- 
rance et  la  communauté  de  Familleureux  firent  construire 
de  connnun  accord  deux  chapelles  latérales,  une  nef,  ainsi 
qu'un  cloclier  au-dessous  duquel  fut  reportée  la  porte  à  plein- 
cintre  de  la  chapelle  seigneuriale.  Cette  porte  est  ornée  d'une 
archivolte  à  quatre  rangs  de  tores  qui  s'appuient  sur  des 
pilastres  et  des  colonnettes  en  retraite  les  unes  sur  les 
autres. 

L'église  de  Familleureux  fut  agrandie  vers  la  fin  du 
XVIIP  siècle.  On  y  ajouta  les  nefs  latérales  où  furent  élevés 
deux  autels  :  l'un  sous  l'invocation  de  Notre-Dame  de  Misé- 
ricorde et  l'autre  dédié  à  saint  Barthélémy,  apôtre.  Deux 
rangées  de  quatre  colonnes  cylindriques  en  pierres  bleues 
d'Ecaussines,  les  extrêmes  engagées,  supportent  d'un  coté, 
dans  la  nef  centrale,  des  voûtes  ogivales  à  nervures  croisées, 
et  de  l'autre,  dans  les  bas-côtés,  des  arcs  à  plein-cintre.  Les 
fenêtres  qui  donnent  le  jour  aux  nefs  sont  au  nombre  de  six; 
elles  dessinent  un  arc  cintré  dont  le  contour  est  en  pierres 
taillées. 

Parmi  les  objets  d'art  que  possède  cette  paroisse,  il  en  est 
un  qui  mérite  de  fixer  l'attention,  tant  à  cause  de  son  an- 
cienneté, que  de  la  légende  curieuse  qui  s'y  rattache.  C'est 
un  tableau  en  bois  sculpté  offrant  la  représentation  d'un  épi- 
sode de  la  vie  de  Fier-à-Bras  de  Vertaing,  que  nous  avons  fait 

'  MAGHE,CV/ro?!.  Bonœ  Spei. 


A    FAMILLEUllEUX.  'MH 

comiîiitre  [)lus  liuut.  La  traditioii  l'uuruit  au  sujet  de  ce  ta- 
bleau les  détails  suivants  : 

C'était  au  commencement  du  XV  siècle.  Par  une  belle 
journée  d'été,  les  lia1)itants  de  Familleureux  se  trouvaient 
réunis  sur  la  place  publique  de  leur  localité  avec  ceux  des 
villages  voisins,  pour  prendre  part  à  des  réjouissances  et  à 
des  jeux  populaires,  que  le  bâtard  de  Vertaing  avait  organisés 
à  l'occasion  d'un  événement  heureux  arrivé  dans  sa  famille. 
Ces  populations  rustiques,  joyeuses  de  s'associer  au  bonheur 
du  noble  seigneur  qui  les  avait  invitées,  prenaient  leurs  ébats 
avec  un  entrain  remarquable.  Tout  à  coup,  au  milieu  de  la 
fête,  une  rixe  s'élève  entre  les  manants  de  Familleureux  et 
ceux  de  Houdeng.  Fier-à-Bnis,  averti  à  l'instant,  accourt 
pour  apaiser  le  tumulte  qui  allait  toujours  croissant;  mais  ses 
efforts  sont  vains  et  il  se  voit  obligé  de  se  retirer  devant  les 
insultes  et  les  menaces  grossières  des  hommes  de  Houdeng, 
qui  avaient  été  les  premiers  agresseurs.  Le  sire  de  Familleu- 
reux, dont  l'irritation  fut  au  comble,  jura  d'exterminer  les 
coupables  et  de  livrer  leurs  habitations  aux  flammes  et  au 
pillage.  Les  préparatifs  de  son  expédition  contre  Houdeng 
étaient  en  train  de  s'accomplir^,  lorsque  les  auteurs  de  l'iii- 
sulte,  en  ayant  été  instruits  et  redoutant  le  châtiment  dont 
ils  étaient  menacés,  s'acheminèrent  vers  le  château  de  Fa- 
milleureux pour  aller  implorer  leur  pardon  et  désarmer  par 
tous  moyens  le  courroux  du  seigneur  qu'ils  avaient  irrité  à  un 
si  haut  point. 

Mais  le  bâtard  de  Vertaing,  inaccessible  aux  prières,  vou- 
lait venger  son  injure  dans  le  sang.  Averti  de  la  présence  des 
coupables  à  la  porte  de  son  manoir,  dont  ils  sollicitent  hum- 
blement l'entrée,  le  chevalier  offensé  se  saisit  de  son  glaive, 
et,  suivi  de  son  fidèle  lévrier,  il  s'élance  vers  ces  malheureux 
et  étend  mort  sur  place  le  premier  qui  s'offre  à  lui.  A  ce 


398  NOTRE-DAME   DE   MISÉRICORDE 

sanglant  spectacle,  ses  compagnons  demandent  grâce  en 
poussant  des  cris  déchirants  ;  mais  le  féroce  seigneur,  que 
la  vue  du  sang  anime,  reste  insensible  à  leurs  supplications 
et  s'apprête  à  faire  de  nouvelles  victimes.  Déjà,  il  lève  le 
bras  pour  frapper,  quand  tout  à  coup  l'image  de  la  miséricor- 
dieuse Vierge  Marie  se  dresse  devant  lui  et  le  sépare  de  ceux 
sur  qui  il  brûle  d'exercer  sa  vengeance.  Au  moment  même 
de  cette  apparition,  une  main  invisible  enlève  le  casque  du 
sire  Fier-à-Bras,  qui,  frappé  de  ces  prodiges,  revient  à  des 
sentiments  plus  humains  et  pardonne  promptement  aux 
hommes  de  Houdeng  l'offense  qu'il  en  avait  reçue. 

Telle  est  la  légende  merveilleuse  représentée  sur  le  tableau 
dont  la  gravure  est  en  tête  de  cet  article.  A  gauche  de  cette 
remarquable  sculpture,  on  voit  le  sire  Fier-à-Bras  de  Ver- 
taing  au  pied  d'un  arbre  couvert  de  son  feuillage.  11  est  vêtu 
d'une  robe  courte  à  larges  manches  et  serrée  par  une  cein- 
ture. Pour  chaussure,  il  porte  une  sorte  de  brodequins  qui 
lui  couvrent  le  pied  et  une  partie  de  la  jambe;  sa  figure  est 
barbue.  Il  tient  de  la  main  droite  le  glaive  qu'il  remet  dans 
le  fourreau  à  la  vue  de  l'image  de  la  Mère  de  Dieu.  Derrière 
lui  on  distingue  la  main  qui  a  enlevé  son  casque,  et  à  l'angle, 
dans  le  fond,  le  château  de  Familleureux.  Le  chien  qui  l'a 
suivi  se  tient  à  côté  de  lui. 

Tout  le  côté  opposé  est  occupé  par  une  ligne  de  huit  per- 
sonnages à  genoux,  dans  l'attitude  de  la  prière.  Ce  sont  les 
manants  de  Houdeng  qui  sollicitent  leur  pardon.  Ces  hommes 
à  figures  barbues  sont  nu-tête  et  nu-pieds,  mais  chacun 
d'eux  est  vêtu  d'un  costume  qui  lui  est  particulier.  Tandis 
que  les  uns  ont  une  robe  longue  à  larges  manches,  les  autres 
portent  un  vêtement  court  avec  des  manches  étroites  et  ser- 
rées au  poignet.  Au-dessous  d'eux,  on  remarque  couché  le 
cadavre  de  leur  compagnon  qui  fut  victime  de  la  vengeance 


A    FA.MILLEUHEUX.  3'.)!) 

(lu  bâtard  de  Vertaing.  Cet  individu  imberbe  est  vêtu  d'une 
robe  avec  ceinture;  sa  tête  est  légèrement  penchée  en  arrière; 
le  sang  coule  de  la  blessure  qu'il  a  reçue  au  front,  au-dessus 
de  l'œil  droit. 

Entre  le  seigneur  de  Familleureux  et  les  hommes  de  Hou- 
deng  se  montre  l'image  de  la  sainte  Vierge.  Marie  est  drapée 
dans  un  long  manteau  ;  elle  porte  son  divin  Fils  sur  le  bras 
droit  et  tient  une  fleur  de  la  main  gauche.  L'Enfant-Jésus  a 
un  livre  ouvert  dans  lequel  il  indique  du  doigt  ce  qui  s'y 
trouve  écrit,  sans  doute  cette  belle  et  touchante  maxime  de 
l'Evangile  :  «  Bienheureux  les  misérieordievx,  car  ils  obtieti- 
dronl  miséricorde .  » 

Ce  monument  de  sculpture  sur  bois  nous  parait  très-ancien. 
Il  date,  ti  coup  sûr,  de  la  première  moitié  du  XV  siècle.  Le 
costume  des  personnages,  l'orthographe  et  la  forme  des  carac- 
tères de  l'inscription  qui  se  trouve  au-dessous,  la  probabilité 
même  d'une  amende  honorable  faite  par  le  sire  Fier-à-Bras 
de  Vertaing,  tout  nous  confirme  dans  cette  opinion.  Long- 
temps ce  tableau  fut  placé  dans  le  chœur,  près  de  la  tribune 
du  seigneur  de  Familleureux  ;  ce  n'est  qu'au  commencement 
de  ce  siècle  qu'on  l'a  transporté  à  côté  de  l'autel  de  Notre- 
Dame  de  Miséricorde.  Il  a  deux  encadrements  distincts.  Dans 
la  partie  inférieure  du  premier,  on  lit  une  inscription  en  ca- 
ractères gothiques,  composée  des  deux  lignes  suivantes  : 

Ce 6t  It  ramenorancc  ^cl  offensée  que  djil  î>e  i^oubnliig  nrotent  fnlt  à  ilîone. 
itcrnbrog  be  Ocrtatng  en  ee  Ptle  et  maison  bu  iamilleus  iffls. 

Le  second  encadrement  est  moderne.  On  y  a  mis  en  lettres 
capitales,  sans  doute  pour  le  vulgaire,  la  môme  incription, 
orthographiée  différemment,  avec  le  millésime  1441,  par  le- 
quel on  a  voulu  peut-être  indiquer  l'année  de  l'exécution  du 


4-00  NOTRE-DAME   DE   MISÉRICORDE 

tableau.  Mais  où  l'auteur  de  ces  nouveaux  caractères  a-t-il 
été  puiser  cette  date?  Nous  n'avons  pu  nous  renseigner  à  cet 
égard.  Au  reste,  voici  ce  que  nous  avons  copié  textuelle- 
ment : 

CEST  IL  REMOMORANCE  DEL  OFFENCE  QVE  CEVLX  DE  HOVDAING  AVOIENT 
FAIT  A  MONSIEUR  FIER  A  BRAS  DE  VERTAING  EN  LA  VILLE  ET  MAISON 
DE   FAMILLIEVREVX.    GUÉRISON    DES   MALADES   PRIEZ  PR   NOUS.  MCCCCXLI. 

La  hauteur  du  tableau  de  Faniilleureux  est  de  1  mètre 
20  cent.,  et  sa  largeur  de  1  mètre  80  cent.,  l'encadrement 
moderne  non  compris.  Quoique  plus  de  quatre  siècles  aient 
passé  sur  cette  œuvre  d'art,  elle  est  encore  dans  un  bon 
état  de  conservation.  Les  personnages  ont  gardé  leur  an- 
cienne peinture. 

Les  témoins  de  l'événement  extraordinaire  que  nous  avons 
raconté  se  hâtèrent  de  le  publier,  et  l'on  comprend  sans 
peine  qu'à  la  suite  de  la  médiation  touchante  de  la  Mère  de 
Dieu  entre  le  farouche  seigneur  et  les  vilains  qui  criaient 
miséricorde^  les  populations  de  la  contrée,  vivement  impres- 
sionnées par  ce  prodige  éclatant,  accoururent  en  foule  à  Fa- 
niilleureux invoquer  la  sainte  Vierge,  sous  le  titre  de  Noire- 
Dame  de  Miséricorde  ^  probablement  en  mémoire  du  pardon 
qu'elle  avait  obtenu  pour  les  hommes  de  Houdeng. 

Notre-Dame  de  Miséricorde  de  Familleureux  était  antre- 
fois  tout  particulièrement  honorée  dans  les  maladies  conta- 
gieuses. Ainsi,  lorsque  des  localités  des  diverses  provinces  de 
la  Belgique  avaient  à  souifrir  d'une  épidémie,  les  populations 
souvent  terrifiées  entreprenaient  un  pèlerinage  à  ce  san- 
ctuaire de  Marie  et  y  imploraient  avec  confiance  la  Consola- 
trice des  affligés.  Parmi  les  endroits  qui,  au  XV  siècle,  furent 
ravagés  par  une  maladie  pestilentielle,  on  cite  le  village  de 


A    lAMILLliUUEUX.  "  /,()| 

Marche-lez-Ecoiissiiines,  situé  à  quatre kilonièties  de  Fuiiiil- 
leureux.  Le  fléau  éclata  avec  une  telle  intensité  qu'il  frappa 
en  peu  de  temps  un  grand  nombre  de  personnes  de  tout 
âge,  de  tout  sexe  et  de  toute  condition.  Les  remèdes  humains 
étant  impuissants  pour  combattre  le  mal,  les  habitants 
consternés  eurent  recours  à  Dieu  et  vinrent  à  Familleureux, 
en  procession  solennelle,  supplier  sa  sainte  ]\Ière  d'inter- 
céder auprès  de  lui  en  leur  faveur.  Le  saint  Sacrifice  fut  cé- 
lébré au  milieu  des  gémissements  et  des  ardentes  prières  des 
familles  désolées.  Le  Ciel  s'émut  à  leurs  supplications  et 
bientôt,  dit  la  tradition,  la  contagion  diminua  et  disparut 
ensuite  entièrement. 

Depuis  l'époque  de  cette  heureuse  délivrance  du  fléau  de 
la  peste,  la  paroisse  de  Marche-lez-Ecoussinnes,  reconnais- 
sante de  la  puissante  protection  de  la  Vierge  miraculeuse  de 
Familleureux,  vient  annuellement  à  son  sanctuaire  faire 
une  démonstration  pieuse  le  9  du  mois  de  septembre.  Après 
une  messe  d'action  de  grâces  célébrée  à  l'autel  de  Marie,  a 
lieu  la  procession  solennelle  dans  laquelle  on  porte  une 
statue  très-ancienne  de  la  Mère  de  Dieu  et  qui  repose  à  Fa- 
milleureux. 


PRÉCIS 

DE  L'HISTOIRE  DE  L'ART  CHRÉTIEN 

en  France  &  en  Belgique' 


DIXIEME    ARTICLE 


CHAPITRE    CINQUIEME. 


XU'   SIECLE. 


Article  I".  — .architecture  (style  roinano-ogival.) 

Dates  historiques.  —  Suger,  dans  son  livre  intitulé  De 
Hebus  in  administratione  sua  gestis,  consacre  de  nombreux 
chapitres  à  la  description  de  l'abbaye  de  Saint-Denis'  et 
nous  fournit  de  précieux  renseignements  sur  l'état  des 
beaux-arts  au  Xir  siècle.  Ou  voit  que  déjà  à  cette  époque, 
de  même  qu'à  la  nôtre,  on  ne  savait  point  toujours  respecter 
les  œuvres  du  passé  et  qu'on  les  défigurait  souvent  par  de 
prétendus  embellissements.  Suger,  considérant  comme  bar- 
bares certaines  œuvres  léguées  par  le  siècle  de  Cliarlemagne, 
s'efforçait  de  déguiser  leur  vétusté  sous  une  physionomie 
plus  moderne.  Chaque  siècle  s'est  comporté  de  la  même  ma- 
nière envers  ses  devanciers.  M.  de  Montalembert  a  écrit  un 

'  Voir  le  numéro  d'avril,  page  202. 


PRÉCIS   DE    l'histoire    DE   l'aRT    CHRÉTIEN.  403 

livre  fort  éloquent  sur  le  vandalisme  de  notre  époque.  N'y 
aurait-il  pas  matière  à  faire  un  ouvrage  analogue,  non  pas 
seulement  sur  les  destructions  opérées  par  la  Renaissance, 
mais  sur  celles  qu'ont  accomplies  les  siècles  du  Moyen- 
Age? 

Si  le  XIP  siècle  a  eu  parfois  le  zèle  inconsidéré  de  la  des- 
truction, il  faut  lui  tenir  compte  de  la  beauté  des  œuvres 
qu'il  substituait  aux  anciennes.  A  cette  époque,  comme  au 
siècle  suivant,  on  démolissait  volontiers  un  chœur,  une  tour, 
une  chapelle  ;  mais  on  remplaçait  la  partie  détruite  par  une 
œuvre  supérieure  :  nos  architectes  modernes  ont  souvent  la 
môme  ambition,  mais,  hélas  !  ils  sont  souvent  les  seuls  à  ad- 
mirer les  résultats  de  leurs  bouleversements. 

La  construction  des  églises  était,  au  XIP  siècle,  une 
œuvre  de  foi  et  de  piété  à  laquelle  souvent  prenaient  part, 
sous  la  direction  de  l'architecte,  des  personnes  de  tout  rang 
qui  se  trouvaient  suffisamment  rémunérées  de  leur  labeur 
par  la  satisfaction  de  leur  conscience.  «  C'est  un  prodige 
inouï,  dit  Aimon,  abbé  de  Saint-Pierre-sur-Dive,  dans  une 
lettre  de  1 1 45  aux  moines  de  Tutteberg,  c'est  un  prodige  de 
voir  des  hommes  puissants,  fiers  de  leur  naissance,  habitués 
à  une  vie  molle,  s'attacher  à  un  chariot  et  traîner  des 
pierres,  de  la  chaux,  des  pièces  de  bois  et  tout  ce  qu'il  faut 
pour  le  saint  édifice.  Parfois,  mille  personnes,  hommes  et 
femmes,  sont  attelés  à  un  seul  chariot,  tant  la  charge  est 
pesante,  et  cependant  on  n'entendrait  pas  le  plus  léger 
bruit.  Quand  ils  s'arrêtent  en  route,  ils  se  parlent^  mais  seu- 
lement de  leurs  péchés,  dont  ils  se  confessent  avec  larmes  et 
prières.  Alors  les  prêtres  les  exhortent  à  déposer  les  haines, 
à  remettre  les  dettes,  et  si  quelqu'un  se  trouve  endurci  au 
point  de  ne  vouloir  pardonner  à  ses  ennemis,  il  est  aussitôt 
exclu  de  la  sainte  compagnie.  » 


40-4  iMiÉr.is  DE  l'iusïoire  de  l'art  chrétien 

On  voit  par  cette  citation  que  les  laïcs  contribuaient,  dans 
une  certaine  part,  à  la  construction  des  édifices  ;  ils  en 
eurent  quelquefois  môme  la  direction.  Le  clergé  ne  pouvait 
plus  suffire  à  toutes  les  entreprises.  L'indépendance  que 
conquirent  les  serfs  ou  les  vassaux  inférieurs,  par  suite  de 
l'aifrancliissement  des  communes,  dut  contribuer  à  faire  épa- 
nouir les  arts  ailleurs  que  dans  les  cloîtres  et  à  les  faire  sor- 
tir du  domaine  exclusif  du  clergé. 

Caractî<:res  généraux.  —  Les  Vénitiens,  qui  faisaient  en 
France  un  trafic  considérable,  contribuèrent  au  développe- 
ment du  goût  byzantin,  qui  influença  surtout  l'ornementa- 
tion architecturale.  Ce  courant  venu  du  Midi  remonta  vers 
le  Nord  et  se  fit  très-peu  sentir  dans  les  provinces  de 
l'Ouest. 

Les  églises  sont  moins  lourdes  et  moins  sévères  qu'au 
siècle  précédent.  Les  lignes  perpendiculaires  commencent  à 
dominer;  les  façades  offrent  moins  de  massifs  de  maçonnerie; 
la  décoration  devient  plus  riche.  Mais  le  caractère  le  plus 
distinctif  de  cette  époque  est  le  travail  d'élaboration  qui  de- 
vait amener  le  triomphe  du  style  ogival.  C'est  avec  raison 
qu'on  a  désigné  ce  style  sous  le  nom  de  romano-ogival  ou  de 
transition,  car  on  y  trouve  réunis  les  éléments  de  la  période 
précédente  et  ceux  qui  doivent  inspirer  l'art  ogival  du 
XIIP  siècle. 

Dans  la  plupart  des  monuments  de  cette  époque,  l'ogive 
et  le  plein-cintre  sont  en  présence,  non-seulement  comme 
formes  décoratives,  mais  comme  procédés  de  construction. 
Tantôt  les  deux  formes  sont  entremêlées,  tantôt  l'une  des 
deux,  domine  exclusivement  dans  une  partie  de  l'édifice.  En 
général,  le  plein-cintre  règne  dans  les  parties  basses,  tandis 
que  les  étages  supérieurs  sont  réservés  à  l'ogive  :  mais  on 
peut  citer  d'autres  nombreux  exemples  où  les  rôles  sont  in- 


EN    FRANCl-:    ET    K.\    liEIXllQLI^  405 

tervertis.  An  commencement  dn  Xll"  siècle,  il  y  a  des  mo- 
numents tout  en  pleiii-ciutre,  et,  h  la  fin,  des  monuments 
tout  en  ogives,  mais  où  les  autres  caractères  généraux  pré- 
sentent assez  d'analogie  pour  faire  classer  ces  édifices  dans 
une  même  famille.  Ici,  d'ailleurs,  encore  plus  que  dans  les 
autres  styles,  nous  devons  trouver  des  nuances  nombreuses 
selon  les  dates  et  les  pays.  Ainsi,  dans  la  province  ecclésia- 
stique de  Lyon,  les  églises  n'ont  été  ogivales  qu'accidentelle- 
ment vers  la  fin  du  XIP  siècle  et  même  pendant  le  XIII*'. 
Ainsi  donc,  l'absence  de  l'ogive  dans  un  monument  du  Midi, 
ne  suffit  point  pour  qu'on  l'attribue  à  une  date  antérieure 
au  XIIP  siècle,  de  même  qu'en  Picardie  la  présence  du 
cintre  brisé  ne  prouve  pas  qu'un  monument  soit  postérieur 
au  Xr  siècle,  puisque  dès  cette  époque,  l'ogive  romane  ap- 
paraît dans  la  crypte  de  Nesle  (Somme),  aux  églises  de  Saint- 
Germer  et  du  Coudray  (Oise),  etc. 

On  qualifie  de  romane   l'ogive  de  cette  époque  (fig.  1), 


parce  qu'elle  n'a  point  encore  le  caractère  élancé  qu'elle  doit 
prendre  au  XIIP'  siècle  et  que  ses  moulures  appartiennent  à 
l'école  romane. 

Plan.  — Les  petites  églises  rurales  conservent  la  forme 
des  anciennes  basiliques.  Dans  les  édifices  plus  importants, 
les  bas-côtés  ne  s'arrêtent  pas  à  la  courbure  de  l'abside,  ils 
se  prolongent  ordinairement  autour  du  chœur,  qui  s'entoure 
de  chapelles.  On  a  longtemps  admis  que  cette  disposition,  à 


40(3  l'RÉGIS   DE   l'histoire    DE    L'aRT   CHRÉTIEN 

laquelle  on  est  convenu  de  donner  le  nom  de  cliorea^  n'avait 
apparu  qu'au  XIP  siècle;  mais  on  en  a  constaté  divers 
exemples  au  siècle  précédent  :  à  la  cathédrale  de  Valence, 
dédiée  en  1093,  à  celle  de  Nevers  (1097j,  à  Saint-Hilaire 
de  Poitiers  (104.9),  etc.  M.  Alfred  Ramé  suppose  même  que 
le  prolongement  des  bas-côtés  autour  du  chœur  s'est  produit 
dans  quelques  monuments  carlovingiens  du  centre  et  de 
l'ouest  de  la  France. 

En  général,  le  chœur  est  plus  bas  que  la  nef,  tandis  qu'au 
XIIP  siècle,  il  est  plus  élevé. 

L'obligation  qui  incomba  aux  chanoines  de  réciter  souvent 
l'Office  des  morts  et  celui  de  la  sainte  Vierge,  les  retint  plus 
longtemps  dans  l'église;  ils  songèrent  à  se  prémunir  contre 
le  froid.  De  là  ces  clôtures  de  chœur  d'abord  basses  et  à 
claires- voies,  qui  devaient  s'exhausser  dans  les  siècles  sui- 
vants et  se  décorer  de  bas-reliefs. 

Les  nefs  élargissent  leurs  proportions;  plusieurs  étages  de 
colonnes  s'élèvent  jusqu'aux  retombés  des  voûtes.  De  nom- 
breuses fenêtres  s'ouvrent  au-dessus  des  arcs  latéraux  et 
versent  un  jour  plus  abondant  dans  l'église. 

Une  forme  aussi  exceptionnelle  en  France  qu'elle  est  ré- 
pandue en  Allemagne,  est  celle  des  transsepts  à  terminaison 
circulaire  (cathédrales  de  Noyon,  Soissons  et  Tournai). 
M.  L.  Vitet  pense  que  cette  manière  de  construire  est  d'ori- 
gine orientale,  et  qu'on  n'en  trouve  d'admirables  essais  que  là 
où  cette  influence  a  été  directe,  comme  dans  les  villes  mar- 
chandes de  la  Germanie.  Il  se  demande  pourquoi  une  forme 
dont  les  effets  sont  si  gracieux,  qui  jette  tant  de  netteté  dans 
les  lignes  de  l'architecture,  n'a  pas  été  plus  généralement 
adoptée.  «  Serait-ce  la  séparation  des  Eglises  grecque  et  ro- 
maine qui,  en  lui  imprimant  un  caractère  pour  ainsi  dire 
schismatique,  aurait  nui  à  sa  fortune  en  Occident  ?  En  se- 


EN    FRANCE    Eï    EN    ItELGIUUi:.  /|07 

rait-il  des  églises  à  transsepts  semi-circulaires  comme  de  ces 
églises  à  coupoles  semées  de  loin  en  loin  dans  quelques-unes 
de  nos  provinces,  véritables  chefs-d'œuvre  d'élégance  qui 
seraient  probablement  moins  rares,  si  la  fidélité  aux  tradi- 
tions latines  avait  permis  d'en  multiplier  les  imitations  ?  » 

Quelques  églises  de  cette  époque  sont  circulaires  :  telles 
sont  celles  de  Charoux  (Vienne)  et  de  Rieux-Morinville 
(Aude).  Ce  sont  des  souvenirs  de  l'église  du  Saint-Sépulcre, 
à  Jérusalem.  C'est  également  à  l'influence  des  modèles  orien- 
taux que  sont  dues  les  coupoles  du  Périgord  et  de  quelques 
provinces  avoisinantes.  Une  autre  forme  exceptionnelle  est 
celle  qu'on  remarque  à  l'église  d'Aigueperse,  en  Auvergne, 
où  le  chœur,  droit  dans  la  première  partie,  se  termine  par  la 
moitié  d'un  décagone. 

On  remarque  plus  fréquemment  dans  la  disposition  du 
plan  la  déviation  de  l'axe  principal,  qui  est  une  traduc- 
tion iconographique  de  Vinclinato  capite  de  l'Evangile.  Dans 
le  Bordelais,  presque  toutes  les  églises  romanes  ont  leur  ab- 
side inclinée  du  côté  du  nord  ;  quelques-unes,  en  très-petit 
nombre,  sont  inclinées  vers  le  sud. 

Les  tristes  nécessités  de  l'époque  firent  parfois  fortifier  les 
églises  pour  les  mettre  à  l'abri  du  pillage  ;  elles  étaient  alors 
munies  de  créneaux,  de 
mâchicoulis  et  de  meur- 
trières. Telles  sont  les 
églises  d'Elne  (Pyrénées- 
Orientales  ) ,  de  Mague- 
rone  (Hérault)  et  de  Royat 
(Puy-de-Dôme)  (fig.  2)  : 

Plusieurs  conciles  s'oc- 
cupèrent   des    abus    qui  2. 
pouvaient  naître  de  la  transformation  militaire  de  ces  édises. 


408  l'RKCIà    DE   J/UISTOIRK   DE    l'aIIT   CHUÉT[EN 

Un  concile  d'Avignon,  tenu  en  1209,  défendit  de  fortifier  les 
monuments  religieux  et  ordonna  même  de  détruire  ceux  qui 
étaient  munis  de  fortifications,  à  moins  qu'ils  ne  fussent  né- 
cessaires pour  s'opposer  à  renvahissement  des  infidèles, 
?iisi  forte  ad  repnllendam  instanliam  paganorum. 

Cryptes.  — •  C'est  le  dernier  âge  des  cryptes  dont  on  ne 
pourra  plus  citer  que  de  bien  rares  exemples  sous  le  règne 
du  style  ogival.  Une  des  plus  vastes  est  celle  de  Notre-Dame 
de  Boulogne,  qui  mesure  plus  de  cent  mètres  de  longueur. 
Elle  comprend  trois  nefs,  un 
chœur,  des  transsepts,  des  cha- 
pelles latérales  et  absidales.  Celle 
d'Issoire  {fig.  5),  que  quelques 
archéologues  attribuent  au  XF 
siècle,  est  accompagnée  de  cinq 
chapelles  dont  trois  carrées  et 
deux  demi-circulaires.  3, 

Appareil.  —  Le  grand  appareil  est  beaucoup  plus  usité 
que  le  moyen.  Les  appareils  réticulés,  en  arêtes  de  poissons, 
etc., que  nous  avons  signalés  dans  les  siècles  précédents,  con- 
tinuent à  être  en  usage  ;  mais  les  décorations  en  briques  de- 
viennent de  pins  en  })lns  rares.  Les  linteaux  ne  sont  guère 
employés  que  pour  couvrir  les  petites  ouvertures. 

Contreforts.  —  Placés  à  l'endroit  on  s'exerce  la  poussée 
des  nervures,  ils  deviennent  plus  saillants  et  plus  forts;  mais 
leurs  assises,  disposées  en  retraits,  en  dissimulent  la  lour- 
deur. Souvent  ils  sont  surmontés  de  clochetons  quadrangu- 
laires,  et  l'amortissement  de  la  face  principale  se  couvre 
d'imbrications.  Les  arcs-boutants  sont  moins  rares  et  moins 
massifs  qu'à  la  fin  de  la  précédente  période.  Ils  n'ont  encore 
d'autre  but  que  de  soutenir  les  murs  et  de  neutraliser  la 
poussée  des  voûtes.  Ce  n'est  qu'au  XIIF  siècle  qu'on  en  ti- 


EN   FRANCE   ET   EN    DELGIOLE.  4U!» 

rera  un  admirable  parti  pour  donner  à  l'édifice  une  physio- 
nomie plus  légère  et  plus  hardie. 

Corniches.  —  Les  corniches  inférieures,  destinées  à  sépa- 
rer les  étages,  se  composent  uniquement,  en  Normandie,  de 
tores  et  de  cavets.  Ailleurs,  elles  s'appuient  sur  des  modil- 
lons  ou  corbeaux  taillés  en  bizeaux 
(fig.  4)  ou  en  dents  de  scie,  découpés  en 
arcades,  où  figurent  des  têtes  humaines,  4. 

des  monstres,  des  animaux,  des  fleurons,  des  pampres,  des 
rosaces,  des  entrelacs,  des  enroulements,  des  dessins  géomé- 
triques et  des  dispositions  tellement  variées  qu'elles  échap- 
pent à  rénumération  [fig.  5  à  12). 


6. 


8. 


9. 


Portes.  —  Ogivales  ou  cintrées,  elles  sont  richement  dé- 

TOMK    VI.  30 


410  l'RÉClIS   DE    l'histoire    DE   l'aUT   CHRÉTIEN 

corces  {fig.  13) et  pourvues  de  colonnes  à  chapiteaux  variés; 
les  voussures,  qui  se  multiplient,  se  tapissent  tantôt  de  per- 
sonnages, tantôt  de  chevrons,  d'étoiles,  d'entrelacs,  de  feuil- 
lages, etc.  [jig.  14). 


13. 


U. 


Les  pieds-droits,  ornés  de  figures  en  demi- relief,  forment 
(pielquefois  un  tout  continu  avec  les  arcs  qui  les  surmontent. 
On  voit,  pour  la  première  fois,  apparaître  des  statues  aux 
voussures  et  aux  parois  latérales  des  portes.  Nous  en  appré- 
cierons le  caractère  au  chapitre  sculpture.  Le  linteau  et  le 
tympan  se  parent  de  trèfles,  de  diverses  moulures  et  de  bas-re- 
liefs. Des  portes  construites  aux  X®  et  XP  siècles,  et  qui  étaient 
restées  lisses,  furent  sculptées  à  cette  époque.  La  baie  du 
portail  principal  est  quelquefois  divisée  en  deux  parties  par 
un  trumeau  qui  supporte  une  grande  statue  ;  mais  cette  inter- 
position d'un  pilier  central  ne  fut  généralement  admise  qu'au 
Xlir   et    surtout    au   XI V*^  siècle.     Les    portes    latérales 


EN   FRANCE   ET  EN    BELGIQUE.  Ht 

s'ouvrent  sur  la  nef  et  le  chœur,  taudis  (^u'au  siècle  suivant 
elles  donnent  presque  toujours  entrée  par  les  transsepts. 

Porches.  —  Parmi  les  porches  (pii  sont  annexés  aux  mo- 
numents romano-ogivals,  il  en  est  qui  sont  postérieurs  à  l'é- 
rection des  églises.  On  ne  les  élevait  })oint  seulement  dans 
un  but  de  décoration,  mais  aussi  dans  un  but  d'utilité,  pour 
défendre  l'entrée  des  temples  contre  les  injures  de  l'air. 
Quelques-uns,  armés  de  mâchicoulis  et  de  créneaux,  oifrent 
une  véritable  défense  militaire. 

Fenêtres.  —  On  trouve  encore,  surtout  dans  les  cam- 
pagnes, de  petites  fenêtres  étroites  sans  colonnettes  [fig.  15) 
comme  au  siècle  précédent;  mais,  en  général,  elles  sont 
beaucoup  plus  larges  et  sont  formées  d'une  archivolte  sup- 
portée par  des  colonnes  {fig.  16). 


LJà> 


15. 


16. 


Les  fenêtres,  isolées,  géminées  ou  ternées,  sont  tantôt  en 
cintre,  tantôt  en  ogive.  La  fenêtre  centrale  de  la  façade 
prend  de  grandes  proportions,  et,  vers  l'approche  de  l'ère 
ogivale,  elle  offre  un  luxe  remarquable  de  moulures  à  cubes 
pyramidaux  et  même  de  figures  en  relief. 

Roses.  —  L'œil-de-bœuf  agrandi  se  divise  en  rayons  qui 
partent  du  centre  de  la  baie  circulaire  pour  aboutir  au  grand 


17. 
Nolrc-Darao  de  N'oyaii. 

:  on  en  voit  quel- 


.\ 


41:2  rai'cis  de  lhistûiiu:  de  i/aut  chrétien 

cercle  de  circonférence  {fuj.  17),  orné  parfois  de  moulures  et 
de  figures  en  relief  (Saint-Etienne  de 
Beauvais);  ces  rayons  ou  colonnes  sont 
rarement  réunis  par  des  trilobés.  Cette 
disposition  des  roses  romanes  leur  a 
.t,  fait  donner  le   nom 

^__£^  de   roues    de    sainte 

Callierifip;  elles  sont 
situées  à  l'extrémité 
des  transsepts  ou  au- 
dessus  du  grand  portail 
quefois  au  centre  de  l'abside. 

Tours  —  Divisées  en  plusieurs  étages 
par  des  corniches,  elles 
sont  percées  de  baies  cin- 
trées ou  ogivales  et  déco- 
rées d'arcades  simulées 
ifif/.  IHel  19). 

Au  commencement  du 
XIP  siècle,  elles  étaient 
quadrangulaires,  surmon- 
tées de  pyramides  à  quatre 
pans,  Hanquées  aux  angles 
de  contreforts  à  nombreux 
larmiers.  Plus  tard,  elles 
se  couronnent  de  flèches 
octoi!;ones  revêtues  d'im- 
bricationset  dont  les  angles 
sont  garnis  de  clochetons 
en  encorbellement.  Ou 
voit  se  multiplier  les  clo- 
chers junieaux,  ordinairement  d'inégale  hauteur,  pour  syra~ 


18 

Sainlc-Cioix  de  Lii'fto. 


19. 

?i.-I)<nnf  de  Novon. 


liN    l'MlANCIi   ET    lv\    lltl/ilutli:.  H,'! 

l)olisei',  (lit-oii,  dans  lit  tour  moins  élevée,  le  i)onvoii*  tcni- 
])orel,  vt  dans  la  tour  la  [dus  haute,  lu  i)uissan('e  spiritucdlc. 
On  trouve  des  tours  roniano-ogivales  jieeonij)agnant  des  édi- 
fices de  style  postérieur  :  cela  provient  de  ce  que,  lors(|irnn 
reconstruisait  n\\^'.  éfilisc,  on  laissait  souvent  sidisislci'  Taii- 
cieu  clocher  ])ar  niotit"  (réc()noiiii(\ 

Colonnes.  —  Ja's  piliers  sont  cantonnés  d'un  ^laiid 
noinbnî  de  fûts  (pii  se  détachent  du  massif  on  ils  m',  sont  en- 
Lij'agés  (|iu;  d'un  tiers  environ.  (îomnu^  à  réj)0([iie  |)récé(h'nte, 
ils  sont  souvent  décorés  d(ï  divers  oi'iiements.  (^iiel(|ues-uns 
sont  entourés,  de  distancer  en  distance,  de  UKadures  ioikU's 
en  formes  d'ainieaux,  ([ui 
leur  font  doiUHîr  le  nom 
dacolonncs  ainwlécs.  Dans 
(juelques  provinces,  la 
réunion  des  colonnettes 
en  faisceau  ne  se  produi- 
sit que  vers  le  milieu  du 
XI F"  siècle,  et  les  angles 
saillants  qui  séparent  les 
l'ûts  annelés  furent  gra- 
cieusement" oniemiaités. 
J^es  angles  de  la  ]>lintli(; 
offrent  aussi,  de  I  I  ."JO  à 
lîi.'JO,  un(!  {((dite  d(''- 
coration  (|u"oii  nonim(; 
pdllc  ou  ;ji'i/l'''.  Les  r.o- 
loniies  isolées  em[)loyées 
comme  piles  (flf/.  tiOj 
sont  usitées  dans  les  pio-  '^'' 

vinces  où  survécurent  le  ))liis  longtem])S  l(;s  traditions 
ronuiines.  On  les  taillait  au  tour,  selon  la  iiK-thode  antique. 


414  PRÉCIS   DE    I/UISTOIRE  DE   l'aRT    CHRÉTIEN. 

Chapiteaux.  —  Ils  présentent  une  étonnante  variété  et 
parfois  nne  grande  perfection.  Les  chapiteaux  historiés  per- 
sistent jusqu'à  La  lin  du  XIP  siècle  dans  le  Poitou,  le  Berry, 
la  Bourgogne,  l'Aquitaine  et  l'Auvergne  (/?//.  21  et  22).  Dans 


y^ 


21. 


22. 


le  nord  de  la  France,  les  figures  de  chapiteaux  sont  rares 
et  n'ont  plus  d'autre  but  que  de  remplacer  les  volutes  aux 
angles  des  tailloirs.  Dans  la  plupart  des  monuments  de  tran- 
sition, la  corbeille,  qui  rappelle  souvent  le  galbe  corynthien, 
se  tapisse  de  feuillages  profondément  fouillés  qui  n'ont  pas 
toujours  leur  type  dans  la  flore  indigène.  On  voit  souvent 
reproduites  des  feuilles  plates  appartenant  aux  plantes  mo- 
nocotylédones  dont  les  différents  genres  se  rencontrent  dans 
les  eaux  et  les  endroits  marécageux.  C'est  le  commencement 
de  l'imitation  de  la  nature  végétale  qui  doit  tant  influencer 
l'art  du  XII?  siècle. 


EN    I-llA.NCE   ET    EN    DEÎ.CilnUE.  11.") 

Les  tiiilloirs  sont  tantôt  épais  et  massifs  {fig.  !25)  et  tantôt 
d'une  médiocre  dimension  {fig.  24).  On  en  voit  parfois  deux 


t2'l 


24. 


superposés  Tun  à  l'autre,  et  dont  le  second  se  projette  en 
saillie. 

Arcades.  —  Elles  acquièrent  un  surliaussement  considé- 
rable. L'ogive  employée  souvent,  à  cette  époque,  dans  les 
arcades,  reste  décorée  de  moulures  romanes  et  se  combine 
avec  des  pleins-cintres.  La  plus  ancienne  forme  de  l'ogive 
n'est  môme  qu'un  plein-cintre  brisé,  c'est-à-dire  qui  pré- 
sente à  son  sommet  un  angle  à  peine  sensible,  tandis  que  l'o- 
give à  lancette  qui  règne  au  XIII"  siècle  et  qui  api)araît 
même  dès  le  milieu  du  XIP  siècle  en  certaines  contrées,  est 
formée  par  deux  arcs  qui  ont  chacun  leur  centre  en  dehors 
du  contour  de  l'arc  qui  lui  est  opposé. 

Des  arcades  cintrées,  surhaussées  ou  ogivales  sont  simu- 
lées sur  le  nu   des  murs,  à  l'intérieur  des  églises.   Dans  le 


416  PRÉCIS  DE  l'histoire  de  l'art  chrétien 

Midi,  où  le  cintre  domine  presqu'exclusivement,  on  voit  des 
arcades  semi  circulaires  reposant  sur  des  consoles  qui  rap- 
pellent tout  à  fait  l'ornementation  romaine.  Cette  reproduc- 
tion des  formes  antiques  n'est  qu'exceptionnelle  dans  le  Nord 
de  la  France  (les  Minimes,  à  Compiègne). 

Les  arcades  sont  souvent  géminées  et  même  ternées 
{/îg.  25).  On  en  voit  de  mitre  es  [fiy.  27),  comme  au  siècle 
précédent,  dans  le  Nivernais  et  l'Auvergne.  C'est  assez  im- 
proprement qu'on  range  parmi  les  arcades  cette  forme  pri- 
mitive que  les  Anglais  appellent  arc  rampanl^  et  qu'il  vau- 
drait mieux  appeler  arc  angulaire^  puisqu'elle  consiste  dans 
la  juxta-position  de  deux  angles  droits. 


25. 


27. 


Voûtes.  —  Les  voûtes  ogivales  en  arête  sont  employées 
presque  partout.  Elles  sont  renforcées  d'arcs  diagonaux 
juxta-posés  à  la  voûte  et  prenant  leur  point  d'appui,  comme 
les  arcs  doubleaux,  sur  le  tailloir  des  chapiteaux  et  parfois 
sur  des  culs-de-larapes  ifig.  26)  en  saillie  sur  le  nu  du  mur. 
La  croix  qui  divise  la  voûte  en  quatre  compartiments  est 
resserrée  ou  écartée,  formée  uniquement  de  deux  arcs  diago- 
naux ou  traversée  à  son  intersection  par  un  doubleau  inter- 
calaire, pourvue  ou  non  de  formerets,  embrassant  une  seule 
ou  bien  deux  travées.  Ce  système  des  arcs  en  croix,  inconnu 
des  Komains  et  des  Byzantins,  est  le  principe  du  système 


EN   FRANCE   ET   EN    IVELaïU'JE-  417 

Ogival  qui  doit  se  développer  plus  tard.  Il  s'était  révélé  dans 
la  seconde  moitié  du  siècle  précédent  :  les  croisées  d'ogive 
apparaissent  en  1059  à  l'église  de  Bosclierville,  en  10()7  à 
Saint-Martin  des  Chamj)s,  à  Paris.  Mais  la  routine  et  l'im- 
puissance empêchèrent  l'adoption  générale  de  ce  système, 
qui  ne  devint  universel,  du  moins  pour  les  grandes  nets  et 
les  transsepts,  qu'au  milieu  du  XIP  siècle. 

Les  arcs  doubleaux,  au  lieu  d'être  rectangulaires,  se  pro- 
filent souvent  sous  la  forme  d'un  gros  boudin.  Les  clefs  de 
voûtes  commencent  à  être  ciselées  avec  soin  ;  elles  figurent 
des  rosaces,  des  animaux,  des  personnages,  des  feuillages,  etc. 
Nous  devons  faire  remarquer  que,  à  cette  époque,  on  voûta 
beaucoup  des  églises  des  siècles  précédents  ,  soit  parce 
qu'elles  n'avaient  été  que  plafonnées,  soit  parce  que  leurs 
voûtes  primitives,  produit  d'un  art  encore  en  enfance,  s'é- 
taient promptement  écroulées. 

Ornements.  —  Les  principaux  ornements  de  la  période 
romano-ogivale  sont  les  zig-zags,  les  frettes,  les  dents  de  scie, 
les  étoiles,  les  pointes  de  diamant,  les   ?Kittes  {fig.  28),  les 


28. 


29. 


30. 


31. 


32. 


festons,  les  perles  [fig.  29),  les  dentelles,  les  violettes  {fig.  50 1, 
les  rinceaux,  les  bandelettes  [fig.  ù\),  les  arabesques,  les  en- 
roulements, les  entrelacs  [fig.  52j,  les  arcades  simulées,  etc. 


il8  PRÉCIS   DE   L'ilIàTOlRE   DE   l'aRT    CHRÉTIEN 

On  commence  à  rencontrer,  snrtout  h  la  fin  de  cette  époque, 
des  fleurons,  des  Irois-feiiilks,  des  quatre- feuilles^  etc. 

Les  statues  adossées  sur  les  murs  sont 
protégées  contre  la  pluie  par  un  dais 
richement  décoré,  en  ibrme  d'édicule 
(/?</.  35).  Les  petits  monuments  qui  y 
sont  figurés  reproduisent  en  général  une 
forme  architecturale  d'un  style  antérieur 
à  l'époque  où  le  dais  a  été  construit.  Les 
artistes  variaient  les  dessins  des  dais 
réunis  dans  un  même  portail.  Là,  comme 
dans  les  chapiteaux,  ils  s'ingéniaient  à 
éviter  l'uiuformité.  Les  culs-de-lampes  ou 
consoles  {fig.  34)  qui  servent  de  supports 
aux  statues  sont  également  sculptées 
avec  une  grande  richesse. 

Géographie  des  styles.  —  L'influence 
byzantine  est  beaucoup  plus  grande  dans 
le  Midi  et  le  Périgord  que  dans  le  Nord 
de  la  France.  Elle  est  presque  nulle  en 
Bretagne  et  en  Normandie.  —  L'ogive 
se  montre  rarement  dans  l'Est  et  le  Midi,  qui  conservent  la 
plupart  des  caractères  architectoniques  du  siècle  précédent, 
mais  avec  une  plus  grande  perfection  de  détails. 

Belgique.  —  L'art  flamand  s'inspire  tout  à  la  fois  des 
écoles  qui  régnent  sur  les  bords  du  Rhin,  de  la  Moselle  et  de 
la  Meuse,  et  de  l'influence  orientale.  Le  type  du  XP  siècle 
persévère  longtemps  dans  les  contrées  situées  à  droite  de  la 
Meuse.  La  coupole  a})paraît  pour  la  première -fois  en  Belgique 
à  Notre-Dame  de  Ruremonde,  —  On  remarque  dans  les 
Flandres  le  commencement  des  appareils  en  briques. 

Nord  de  la  France.  —  C'est  en  Picardie   que  le   style   à 


34. 


EN    FRANCK   ET   EN    BELGIQUE.  il 9 

Ogives  nous  semble  avoir  pris  son  premier  développement  ; 
il  apparaît  bientôt  après  tlans  l'Ile-de-France,  la  Champagne, 
la  Lorraine,  l'Orléanais,  etc.  —  Vers  le  milieu  du  XIP  siècle, 
les  voûtes  en  berceau  sont  remplacées,  pour  les  grandes 
nefs,  par  des  voûtes  d'arête.  —  Abandon  des  chapiteaux 
historiés.  Rareté  des  statues.  Sobriété  et  correction  dans  les 
décorations  murales.  —  Les  rapports  de  la  Picardie  avec  les 
bords  du  Rhin  introduisent  dans  cette  province  quelques  dis- 
positions d'origine  étrangère  (transsepts  circulaires  de  Sois- 
sons  et  de  Noyon  ;  plan  en  forme  de  croix  de  Lorraine,  à 
Saint-Quentin).  —  Sur  les  bords  de  l'Oise,  grande  finesse 
dans  les  profils;  quelques  colonnes  engagées,  au  lieu  d'être 
cylindriques,  présentent  la  forme  d'une  arête. 

Normandie.  —  Tours  carrées,  fort  élevées,  couronnées  de 
hautes  pyramides.  Les  angles  saillants  qui  séparent  les  co- 
lonnes sont  ornementés.  Infériorité  artistique  par  rapport 
au  Midi,  surtout  pour  la  statuaire.  Fréquence  des  zig-zags 
et  desfrettes. 

Périgord  et  Angoumois.  —  Églises  à  coupole  qui  se  mo- 
dulent plus  ou  moins  sur  Saint-Front  de  Périgueux. 

Poitou.,  Anjou,  Saintonge.  —  Grande  richesse  d'ornements 
qui  sembleraient  inspirés  par  les  tapis  fabriqués  en  Perse 
dont  on  décorait  alors  les  églises.  —  Quelques  monuments, 
à  coupoles. 

Bretagne.  • —  Porte  principale  à  double  arceau  soutenu 
par  de  simples  pieds-droits.  —  Tour  carrée  élevée  au  centre. 
—  La  transition  ne  s'y  produit  qu'après  la  première  moitié 
du  XIP  siècle. 

Auvergne.  —  Triphorium  à  arcades  multilobées.  Portails 
et  archivoltes  lisses.  Rareté  des  bas-reliefs  et  des  statues. 
Tours  peu  élevées.  Contreforts  rares.  Pas  de  colonnes  en 
faisceau.  Absence  de  zig-zags  et  de  frettes  cannelées.  Mar- 


520  TRÉCIS   DE   l'histoire   DE   l'aUT    CHRÉTIEN 

queteiies  en  pierres  de  couleur,  moulures  en  damiers.  — 
Beaucoup  de  monuments  sont  construits  par  une  confrérie 
de  maçons  qui  s'appelaient  les  Logeurs  du  bon  Dieu. 

Bords  du  Rhin.  —  Les  contreforts  ne  sont  que  de  simples 
pilastres  peu  épais,  s'élevant  jusqu'à  la  corniche  du  toit  :  on 
leur  doiHie  le  nom  de  bandes  lombardes. —  Portail  occidental 
remplacé  par  une  abside.  —  Tours  nombreuses  avec  fronton 
triangulaire;  arcatures  prodiguées  au  couronnement.  — 
Fréquence  des  corbeilles  godronnées  et  cubiques. 

Lyonnais,  Bourgogne,  Bourbonnais.  —  Régularité  du  plan, 
élégance  des  galbes,  correction  des  détails.  —  Pas  d'ogives. 
Contreforts  en  bandes  lombardes,  sans  retraits  en  larmier. 
Pilastres  cannelés.  Bases  et  chapiteaux  ifty.  55  et  06)  qui 
conservent  quelque  souvenir  de  l'antique. 


36. 


Guyenne  et  Gascogne. —  Elégance  des  formes  sculpturales. 
Pas  de  losanges,  de  tores  rompus,  de  méandres.  Lignes  aj*- 
rondies  et  gracieuses.  Abside  triangulaire  des  chapelles, 
dont  l'intérieur  est  pourtant  circulaire.  Eeproduction  des 
formes  antiques.  Fidélité  au  plein-cintre. 

Languedoc,  Provence  et  Dauphiné.  —  Contreforts  en 
bandes  lombardes.  Corniches  soutenues  par  de  véritables  con- 
soles, comme  dans  l'ordre  corinthien.  Appareil  d'ornemen- 
tation formé  de  marbres  polychromes.  Perfection  des  parties 
sculptées.    Dcî?   figiu-es  naturelles   ou   fantastiques  accom- 


EN    FRANCIS    ET    EX    BELGIQUE.  i^l 

piigiient  les  rinceaux  et  les  feuillages.  —  Sur  le  littoral 
uiéditérannéen,  où  les  villes  avaient  des  relations  directes 
îivec  rOrieut,  riulluence  byzantine  se  révèle  par  des  al)sides 
à  pans  coupés,  des  arcatures  plates  décorant  les  murs,  des 
moulures  coniplicpiéeS;,  des  feuillages  aigus  et  dentelés. 

Exemples  du  style  romano-ogival.  —  «  Le  plus  beau 
monument  d'architecture  de  l'épocpie  de  transition  ,  dit 
^1.  I).  Kamée,  le  plus  grand  et  le  plus  complet;,  c'est  l'an- 
cienne cathédrale  de  Noyon.  Elle  se  compose  de  trois  nefs, 
de  deux  transsepts  dont  les  faces  septentrionale  et  méridio- 
nale sont  circulaires,  d'un  chœur  circulaire  autour  durjuel 
j-ayonnent  cinq  chapelles  également  circulaires.  Sur  chacune 
des  faces  orientales  des  transsepts,  il  existe  un  porche.  A 
l'ouest,  on  entre  dans  l'église  Notre-Dame  par  trois  portes 
précédées  d'un  porche  qui  a  été  ajouté  au  XI V^  siècle.  Le 
portail  est  flanqué  de  deux  tours  énormes  d'apparence  impo- 
sante et  massive.  Quatre  escaliers  commodes,  clairs  et  spa- 
cieux, conduisent  au  magnifique  triphorium  ou  tribunes  (lu 
premier  étage,  dont  les  ouvertures  sur  la  nef  se  composent 
d'une  grande  arcade  à  ogive  divisée  par  une  colonne  qui 
supporte  un  côté  des  deux  autres  ogives;  la  nef  est  formée 
de  [)iliers  carrés,  flanqués  de  fines  colonnettes  et  de  colonnes 
ciselées  supportant  des  arcs  à  ogive.  Les  colonnettes  du 
chœur,  qui  s'élèvent  au  nombre  de  trois  au-dessus  des  cha- 
piteaux de  chaque  colonne  du  rez-de-chaussée  et  qui  s'é- 
lancent jusqu'à  la  naissance  de  la  voûte,  ont  sept  anne- 
lures....  Le  chevet  penche  à  droite....  L'ornementation  est 
rare  dans  cette  église  :  elle  ne  se  montre  qu'aux  chapiteaux 
et  à  quelques  consoles  du  chœur.  Tous  les  chapiteaux  de  la 
partie  qui  date  du  XIP  siècle  sont  composés  de  feuillages 
formés  de  plantes  grasses,  de  feuilles  exotiques.  Notre-Dame 
de  Noyon  est  peut-être  le  monument  religieux  où  l'ogive  se 


i2'2  l'HKCis  DE  l'iii3to;rk  de  i/art  chrétien 

trouve  niclée  an  plein-ciiitre  de  la  manière  la  plus  pronon- 
cée, la  plus  extraordinaire,  la  plus  énigmaticpie.  » 

Notre-Dame  de  Poitiers  {pg.  37)  contraste  vivement  avec 
Notre-Dame  de  Noyon  par  la  surabondance  des  reliefs  et  la 


37. 


richesse  de  la  partie  décorative.  Au-dessus  de  ses  trois  por- 
tails régnent  deux  étages  de  galeries.  L'ogive  n'apparaît 
qu'aux  portails  latéraux  ;  partout  ailleurs,  c'est  le  plein- 
cintre  qui  règne  exclusivement. 

L'église  de  l'ancien  prieuré  de  Saint-Leu  d'Esserent  (Oise) 
appartient  au  siècle  précédent  par  sa  fondation  (1080),  mais 
sa  façade,  le  chœur  et  les  trois  tours  sont  du  style  de  transi- 


EN    FRANXE  ET   EN    TiEI.GIOCE.  4^;j 

tion.  Le  cliœur  est  flanqué  de  deux  tours  carrées  et  garni  de 
cinq  chapelles.  Au-dessus  du  porche  est  une  vaste  salle  qui 
servait  jadis  de  bibliothèque  au  prieuré.  On  connaît  peu 
d'exemples  de  cette  curieuse  disposition. 

L'église  Saint-Quentin  [fuj.  58),  à  Tournai,  n'a  qu'une 
seule  nef  dont  le  côté  droit  n'est  éclairé  par  aucun  jour.  La 
façade  est  d'une  grande  simplicité  :  une  porte  romane,  deux 
étages  superposés  de  trois  arcades  ogivales,  deux  tourelles 
rondes  couvertes  d'une  flèche  eu  bois. 


.38. 


Le  portail  central  de  Saint-Pierre  de  Roye  offre  trois  archi- 
voltes en  retraite  ogivo-romanes.  La  première  se  compose 
de  deux  rangs  de  chevrons  brisés,  l'un  en  creux,  l'autre  en 
relief;  la  deuxième,  de  monstres  fantastiques  d'une  concep- 


424  TRÉcis  DE  l'histoire  de  l'art  chrétien 

tioii  riche  et  variée  ;  ils  sont  séparés  par  des  circonférences 
en  creux  ,  dans  le  centre  desquelles  s'enfoncent  deux  têtes 
de  clous  accolées.  Une  guirlande  de  cintres  intersectés  se 
glisse  entre  ces  deux  voussures.  Sur  la  troisième  se  profile 
un  cordon  de  crosses  végétales.  Les  chapitaux  sont  fort  re- 
marquables :  ce  sont  des  oiseaux  qui,  bec  contre  bec, 
boivent  dans  la  même  coupe,  des  bandelettes  croisées,  des 
enroulements,  des  entrelacs,  etc.  L'archivolte  se  compose 
d'une  plate-bande  de  crochets  aifrontés  et  d'un  cordon  d'oves 
et  de  feuillages  qui  jadis  se  terminait  par  deux  crapauds  dont 
on  ne  voit  plus  que  les  pattes.  Au  haut  du  pignon  se  trouve 
une  petite  rosace  dont  les  rayons  partent  d'un  trèfle  central 
aboutissant  directement  à  la  circonférence. 

Les  églises  suivantes  appartiennent,  en  tout  ou  en  grande 
partie,  au  style  romano-ogival  : 

Cathédrales  de  Laon,  Tulle,  Châlons-sur-Marne,  Soissons, 
Langres,  Autun,  Angers,  Vienne,  Vaison,  Senlis,  etc. 

Saint- Sauveur,  à  Bruges. 

Saint-Bavon,  àGand. 

Saint-Martin,  à  Saint-ïron  (Belgique). 

Notre-Dame,  à  Châlons-sur-Marne. 

Saint-Éloi,  à  Tracy-le-Val  (Oise). 

Saint-Martin,  à  Laon.  . 

Notre-Dame  d'Etampes. 

Saint-Sauveur,  à  Ne  vers. 

Saint-Martin,  à  Avallon. 

Saint-Ours,  à  Loches. 

Sainte-Trinité,  à  Laval. 

Sainte-Croix,  à  la  Charité-sur-Loire  (Nièvre). 

Sainte-Madeleine,  à  Troyes. 

Sainte-Foy,  à  Conques  (Aveyron). 

Notre-Dame-de-la- Couture,  au  Mans. 


EN    l'ItANCK    HT   KiN    llKl.dlnlM:.  \-2l\ 

Siiiiit-Martin-tle-Sescas  (Gironde). 

Saint-Nazaire,  à  Carcassonne. 

Saint-Sernin,  à  Toulouse. 

Saint-lMiiurice,  à  Vienne. 

Les  églises  de  Saint-Loup  et  de  Champeaux  (Seine-et- 
Marne),  de  Fécamp  (Seine-Inférieure),  de  Nantua  (Ain),  de 
Civray  et  de  Parthenay-le-Vieux  (Vienne),  de  Sainte-Croix, 
près  d'Arles,  de  Beaulieu  (Corrèze),  de  Beaune  (Côte-d'Or) 
de  Saint-Gilles  (Gard),  de  Font-Gombaud  (Lidre),  de  Paray- 
le-Monial  (Saône-et-Loire),  de  ]\Iontréal  (Yonne),  etc 

Monastères.  —  Deux  écoles  arcliitecturales  sont  en  pré- 
sence :  celle  de  Cluny,  qui   admet  la  richesse  dans   l'orne- 
mentation, et  celle  de  Citeaux,  inspirée  par  saint  Bernard 
qui  proscrit  le  luxe  dans  la  sculpture.  Cette  sévérité  admet 
pourtant  bien  des  exceptions,  car  les  églises  cistercieinios 


39. 

CloUic  df  Nivollc 


de  Longpont,  de  Foigny,  de  Vaux-Clair,  sont  décoi'ées  avec 
une  certaine  maîïnificence. 


31. 


4:2(-)  rtii^.cis  de  i.'iiistôiiU';  hk  i/aist  chrétien 

On  remarque  deux  dispositions  particulières  dans  les 
églises  de  l'ordre  de  Cîteaux  :  le  chevet  est  carré,  pour  évi- 
ter les  frais  qu'entraîne  la  construction  des  absides;  quatre 
chapelles  sont  placées  latéralement  au  sanctuaire  et  ont  leur 
entrée  dans  les  transsepts. 

Les  cloîtres  étaient  la  partie  habitée  de  l'abbaye  où  l'ar- 
chitecture étalait  le  plus  volontiers  ses  splendeurs.  Nous 
donnons  h  la  page  précédente  ffig.  59J  le  dessin  du  cloître 
de  Nivelles  (Belgique),  qui  a  été  récemment  restauré. 

Les  cuisines  abbatiales  étaierit  rondes,  carrées  ou  octo- 
gones, à  un  ou  plusieurs  étages,  et  contenaient  plusieurs 
cheminées  ou  fourneaux.  Leur  toit  conique,  hémisphérique 
ou  octogone  était  terminé  par  une  lanterne  centrale  qui 
laissait  échapper  les  vapeurs  de  la  cuisine. 

Fanaux  de  cimetières  et  chapelles  sépulcrales.  —  On 
voit  dans  certains  cimetières  des  édicules  nommés  fanaitx 
lampiers  ou  lanternes  des  morts,  ayant  la  forme  d'une  tou- 
relle ou  d'un  pilier  terminé  par  une  lanterne  de  pierre  dont 
les  ouvertures  regardent  les  quatre  ])oints  cardinaux.  Ces 
colonnes  cylindriques  ou  carrées  sont  ordinairement  flanquées 
de  colonnettes  engagées  et  surmontées  d'une  croix.  Un  flam- 
beau nocturne  allumé  dans  la  lanterne  conviait  les  fidèles  à 
prier  pour  les  morts.  Ces  fanaux  pouvaient  accessoirement 
servir  de  phare  indicateur  pour  les  voyageurs.  Presque 
tous  avaient  à  leur  base  un  autel  orienté  où  se  célébrait 
probablement  la  messe  d'inhumation.  La  colonne  de 
Fenioux  (Charente-Liférieure)  se  compose  de  onze  colonnes, 
engagées  reposant  sur  un  même  socle  [fig.  40).  Les  onze  pe-j 
tits  piliers  carrés  qui  reposent  sur  l'architrave  laissent  entre] 
eux  autant  d'intervalles  par  où  on  apercevait  la  lumière 
qu'on  y  mettait  pendant  la  nuit. 

Les  chapelles  sépulcrales  avaient  la  même  destination  que 


Ki\  rn.VNi.K  ET  EN  r.Ki.(ji(,)(  E.        '  ii.1 

les  colonnes  creuses  et  pouviiient,  en  outre,  servir  :i  diverses 
cérémonies  mortuaires.    Elles   ont  ordinairement    la  forme 


40. 


rVune  tour  circulaire  à  plusieurs  étages  dont  le  toit  est  sur- 
monté d'un  fanal.  Elles  étaient  souvent  dédiées  à  saint  Mi- 
chel, parce  que  cet  archange  doit  remplir  un  rôle  important 
au  jugement  dernier.  La  chapelle  des  morts  de  Montmorillon 
est  remarquable  par  la  bizarrerie  de  ses  sculptures  ;  l'extérieur 
est  entièrement  roman  et  l'intérieur  est  tout  ogival,  La 
crypte  paraît  avoir  servi  de  charnier  dans  l'origine.  Ce  petit 
monument,  aujourd'hui  dépourvu  de  sa  lanterne  sépulcrale, 
faisait  jadis  partie  du  cimetière  de  la  Maison-Dieu . 


J.    CORBLET. 


\Ln  suite  à  un  prochain  miinéro. 


RECHERCHES 

Sur  la  Vie  et  rOEuvre  de  Jean  Bellegambe, 
peintre  douaisien   du  XVI  siècle- 


I. 


Tous  les  artistes  et  les  voyageurs  qui  ont  visité  le  Nord 
de  la  Frauce,  ont  vu  et  admiré  dans  la  ville  de  Douai,  en 
l'une  des  salles  de  la  sacristie  de  l'église  Notre-Dame,  le  ta- 
bleau connu  sous  le  nom  de  Retable  d'Anchin .  Nul  d'entr'eux 
n'a  pu  oublier  cet  immense  polyptyque  et  ses  neuf  pan- 
neaux dont  les  254  personnages,  dispersés  au  sein  de  frais 
paysages  ou  sous  de  magnifiques  constructions  architectu- 
rales, représentent,  sur  la  face  extérieure,  toute  la  terre  vé- 
nérant la  Croix,  et,  sur  la  face  intérieure,  tout  le  ciel  adorant 
la  sainte  Trinité  ;  nul  d'entr'eux  n'a  pu  oublier  la  curieuse 
histoire  de  ce  retable,  exécuté  au  XVP  siècle,  pour  dora 
Charles  Coguin,  abbé  d'Anchin,  conservé  jusqu'à  la  Révolu- 
tion sur  le  grand  autel  ou  dans  la  trésorerie  de  cette  abbaye, 
jeté  par  les  vandales  de  95  dans  les  greniers  du  Musée  de 
Douai,  séparé  en  plusieurs  fragments  qui  furent  cédés,  ven- 
dus à  vil  prix  et  dispersés  en  diverses  mains,  et  enfin  heu- 
reusement retrouvé  et  reconstitué,  grâce  au  zèle  et  aux  sacri- 


HECHKUCUES    SUU    JliAN    liED.EGA.MHi;.  .'(>2!l 

iicL'S  tlii  tluctcur  EsGciUier  qui,  à  sa  mort,  le  légua  ;i  l'église 
Notre-Diime.  Lougtemps  ce  clief-d'œuvre  avait  été  altribué 
à  Meralinc;  une  étude,  publiée  dans  les  Mr moires  de  la  Socirlr 
d'agriculture,  sciences  et  aris  de  Duuai  et  dans  la  Hecue  de 
F  Art  chrétien,  a  complètement  détruit  cette  opinion  cpie  i)ré- 
cédemment  déjà  l'on  avait  attacpiée  ' .  L'auteur  de  cette  étude; 
avait  ensuite  prononcé,  en  hésitant,  les  noms  de  Jean  Gos- 
saert  de  Maubeuge  (Mabuse)  et  de  Gérard  liorenbault,  quand 
l'un  de  ces  hasards  heureux,  qui  arrivent  parfois  aux  travail- 
leurs, a  levé  enfin  tous  les  doutes  à  cet  égard  et  a  donné  à  la 
France,  à  la  Flandre,  à  la  ville  de  Douai,  un  nom  de  ])lus  à 
ajouter  aux  noms  glorieux  dont  elles  peuvent  s'enorgueillir. 
Le  25  avril  1802,  un  érudit  à  qui  l'histoire  artistique  de 
nos  contrées  doit  plusieurs  découvertes  importantes,  M.  Al- 
phonse Wauters  ,  le  savant  archiviste  de  la  bibliothèque 
royale  de  Bruxelles,  visitait  de  nouveau  et  plus  que  jamais 
admirait  le  retable  d'Auchin  ;  et  il  se  demandait,  aussi 
avec  hésitation,  si  Jeau  de  Maubeuge  u'était  pas  l'auteur  de 
ce  chef-d'œuvre.  Trois  jours  après,  dans  les  riches  archives 
qui  sont  confiées  à  ses  soins,  il  trouva  un  manuscrit  intitulé: 
Mémorial  à  MM.  Vabbé  et  religieux  d'Auchin  pour  satisfaire 
que  M.  le  duc  de  Croy  et  d'Aerschott  leur  at  requis  par  ses  let- 
tres du  2S  de  décembre  1600,  ensuite  du  commandement  de 
Son  Altesse  sérénissime  '.  Eu  feuilletant,  en  étudiant  cet  in- 

'■  Mémoires  de  la  Société  Impériale  d'agriculture,  sciences  et  arts  séant  à 
Douai.  Année  1858-1859.  De  l'.-irt  chrétien  en  Flandre,  par  l'abbé  C.  De- 
haisnes.  Etude  sur  le  Retable  d' Anchin,  dans  la  Revue  de  V  Jjt  chrétien,  1860. 

*  Ce  manuscrit  est  coté  n°  7876.  Il  renferme  trois  copies  du  même  travail  ; 
la  dernière  est  surchargée  de  corrections  et  constitue  évidemment  la  rédaction 
primitive.  Toutes  les  trois  oiFrent,  sans  variantes,  le  passage  dont  je  me  sers 
ici.  Une  annotation  reproduite  à  la  fin  de  toutes  trois  porte  qu'on  les  a  coUa- 
tionnées,  le  2  mars  1601,  avec  «  le  premier  exemplaire.  »  (Note  de  M.  \^'au- 
ters). 


430  RFCHERCHF.S 

ventaire,  quelles  ue  fui'cnt  pas  sa  surprise  et  sa  juie  de  lire 
le  passage  suivant  :  "  Les  plus  cxcpUentes  pinctures  sont  de  la 
<'  table  du  r/rand  aufel  à  doubles  feu  il  letz^  peinturée  par  l'ex- 
«I  cellrtit  jjainfre  Bf'hjdnihc.   n 

«  Cette  phrase,  ajoute  M.  Wauters  dans  la  brochure  (pi'il 
a  publiée  pour  rendre  compte  de  sa  découverte  ',  cette 
phrase,  je  crois,  ne  laisse  aucun  doute.  Kédigéeparun  moine 
de  l'abbaye,  cinquante-cinq  ans  seulement  après  la  mort  de 
l'abbé  Cokin  -,  à  une  époque  où  les  traditions  sur  Bellegambe 
n'étaient  pas  encore  eftacées,  elle  constitue  un  renseignement 
parfaitement  authentique.  Quoique  le  sujet  du  tableau  n'y 
soit  pas  indiqué,  deux  circonstances  attestent  qu'il  s'agit  ici 
de  notre  polyptyque.  On  sait  que  ce  dernier  ornait  jadis  le 
maître-autel  de  l'église  a])batiale.  Le  manuscrit  rapporte  en 
outre  que  le  tableau  de  Bellegambe  était  à  doubles  volets;  or, 
le  polyptyque  offre  précisément  cette  disposition  si  rare. 
Charlemagne  y  étiuit  représenté  sous  les  traits  de  l'empereur 
Maximilien,  mort  en  1519,  on  pourrait  supposer  avec  quel- 
que vraisemblance  que  Bellegambe  peignit  son  tableau  vers 
ce  temps.  D'un  autre  côté,  l'abbé  Charles  Cokin,  qui  fit 
exécuter  ce  retable,  n'exerça  qu'en  1511  les  fonctions  d'abbé 
d'Anchin.  La  date  probable  de  l'exécution  serait  donc  de 
15H  à  1519  ^  .. 

'  Jean  Bellegambe  de  Douai,  le  peintre  du  tableau  polyptyque  d'Anchin, 
par  M.  Alphonse  Wauters.  Bruxelles,  Emm.  Devroye ,  1862.  Br.  in-8"  de 
22  pages. 

-  Charles  Coguin  de  Saint-Aragon,  coadjuteur  de  l'abbé  d'Anchin  en  1507, 
exerça  les  fonctions  d'abbé  en  son  propre  nom  de  1511  à  1546.  Dom  Fran- 
çois de  Bar,  qui  écrivit  peu  d'années  après  la  mort  de  cet  abbé,  l'appelle 
Coli'in  alias  Coguin  et  adopte  ensuite  ce  dernier  nom  ;  M.  Escallier,  dans  son 
Histoire  de  l'abbaye  d' Anchin,ei^\.  Leglay,dans  le  Cameracum  christianum, 
l'ont  imité.  Nous  avons  donc  employé  le  nom  de  Coguin  plutôt  que  celui  de 
Cokin,  que  l'on  trouve  dans  le  manuscrit  de  Bruxelles. 

■'  Jean  Bellegambe .  par  M    Alph.  Wauters,  p.   14. 


^1  R    .IKA.N    (IKI.I.LdAMIiK.  /JiJl 

La  (.'itiitioii  ciupriiiitée  au  inanuscrit  de  P.i  iixcllcs  et  les 
observations  jii(licienses  dont  l'a  l'ait  saivi'e  Al.  Wauters  , 
établissent  (jue  .leaii  lîelleganibe  est  raiiteni'  du  retable 
d'Aucliin  ;  mais  toutefois,  elles  n'olfrent  pas  Tniie  de  ri;>i 
preuves  irrét"utal)les,  de  ees  démonstrations  évidentes  aux- 
quelles eliacnn  doit  néeessaireirient  se  rendi'e.  Ijl/Kd'ijciti/ancc 
Ih'/(/(',  en  parlant,  de  la  découverte  du  savant  archiviste,  avait 
semblé  annonce]'  nue  sorte  de  contrat  passé  entre  l'abbé 
d'Ancliin  et  le  peintre,  une  pièce  du  commencement  du  XVP 
siècle  revêtue  de  sii^natures;  et  le  maïuiscrit  d(;  BiMixelles  a 
(îté  é(;rit  ])lus  de  quatre-vingts  ans  après  répo(pie  assignée 
comme  la  date  probable  du  tableau  ;  il  ne  reirièrme,  an  sujet 
du  retable,  que  deux  lignes  qui,  au  premier  abord,  peuvent 
paraître  peu  explicites.  Trompés  en  partie  dans  leur  es[)oir, 
des  es[)rits  sérieux  conservent  encore  quelques  doutes  sur  le 
véritable  auteur  de  la  peinture  j>ossédée  par  Téglise  Notre- 
Dame.  Ils  se  demandent  si  les  deux  lignes  citées  par  M.  Wau- 
ters  s'appliquent  nécessairement  à  ce  tableau,  si  le  retable  du 
maître-autel  d'Ancbin  n'a  point  pu,  aune  époque  quelconque, 
être  ]*emplacé  par  une  autre  œuvre  qui  ne  fût  pas  de  Belle- 
gambe,  si  l'auteur  du  Méniurial,  en  citant  ce  dernier  nom 
an  commencement  du  XV^ll''  siècle,  ne  s'est  pas  appuyé  sur 
une  tradition  vague  et  incertaine,  et  entin  s'il  est  possible 
(jue  le  maitre  qui  a  exécuté  une  œuvre  aussi  importante  n'ait 
pas  été  connu  jusqu'aujourd'hui  dans  le  pays  et  dans  la  ville 
qui  l'ont  vu  naître  et  travailler.  Le  savant  archiviste  de 
Bruxelles  n'a  point  réfuté  d'avance,  dans  sa  1)rochure,  ces 
objections  difterentes  qui  ont  leur  côté  spécieux;  quand 
même  il  les  aurait  prévues,  il  ne  pouvait  les  détruire  com- 
plètement, parce  qu'il  n'avait  pas  sous  la  main  les  documents 
qui  peuvent  servir  à  établir  sa  thèse.  Les  recherches  parti- 
culières que  nous  avons  faites  depuis  plusieurs  années  sur  les 


i'Si  KKGUERGHES 

manuscrits  d'Aucliiii,  l'étude  comparative  que  nous  avons 
établie  entre  ces  manuscrits  et  celui  de  Bruxelles,  le  soin 
avec  lequel  nous  avons  suivi  les  publications  relatives  à  Jean 
Bellegambe,  l'examen  attentif  de  toutes  ses  œuvres  auquel 
nous  nous  sonnnes  livrés  de  nouveau,  tout  cela  nous  permet 
de  réfuter  les  objections  qui  ont  été  soulevées  contre  l'opinion 
de  M.  Wauters,  de  faire  connaître  jusqu'à  un  certain  point 
la  vie  de  Jean  Bellegambe  et  de  donner  une  idée  de  son  œuvre 
et  de  son  talent.  Le  peintre,  les  peintures  nous  ont  semblé 
mériter  une  étude  sérieuse  :  nous  l'essayons. 


II. 


Au  commencement  du  XVIP  siècle,  l'abbaye  d'Anchin  s'e- 
norgueillissait décompter  au  nombre  de  ses  religieux  le  grand- 
prieur  dom  François  de  Bar,  savant  historien  qui  a  laissé 
plusieurs  ouvrages  importants  sur  l'histoire  ecclésiastique 
du  nord  de  la  France,  et  qui  a  parlé,  dans  plusieurs  de  ses 
écrits,  de  la  question  que  nous  traitons  ici.  François  de  Bar 
naquit  en  1528,  à  Seizencourt,  village  situé  aujourd'hui  dans 
le  département  de  l'Aisne,  d'une  famille  noble  alliée  à  celle 
de  Charles  Coguin,  le  commettant  du  retable  conservé  à 
Notre-Dame  de  Douai.  Petit-neveu  de  ce  célèbre  abbé,  il  fut 
envoyé  jeune  encore  dans  le  monastère  d'Anchin  ;  comme  il 
nous  dit  lui-même  qu'il  y  étudia  les  belles-lettres,  on  peut 
supposer  qu'il  y  entra  avant  l'âge  de  dix-huit  ans,  par  consé- 
quent du  vivant  même  de  son  grand-oncle  qui  mourut  en  1  o  i6; 
du  moins  son  arrivée  à  l'abbaye  fut  postérieure  de  bien  peu 
d'années,  puisque,  vers  1556,  après  qu'il  y  eut  terminé  ses 
études  littéraires  et  théologiques,  ses  supérieurs  l'envoyèrent 
passer  quelques  années  à  l'Université  de  Paris.  Rentré  au 
monastère  d'Anchin,  il  y  professa  avec  beaucoup  de  talent, 


SI'U    JEAN    BEJ.LEtiAMBE.  iS'.i 

fut  élevé,  dès  157^,  à  la  dignité  de  grand-[)rieiir  et  se  distin- 
gua au  milieu  des  afliiires  les  })lus  difficiles  par  sa  piété  et  ses 
vertus,  ses  talents  et  son  lial)ileté.  Les  embarras  suscités  par 
les  guerres  qui  désolaient  la  Flandre  et  le  zèle  qu'il  apporta 
à  mettre  un  terme  aux  troubles  intérieurs  du  monastère  cau- 
sés par  l'indiscipline  de  quelques  religieux  et  la  faiblesse 
d'un  abbé,  ne  purent  le  détourner  de  se  livrer  aux  recherches 
les  plus  étendues  et  les  plus  actives  sur  l'histoire  ecclésia- 
stique de  la  Flandre  et  de  l'Artois.  Dans  les  dix  années  qui 
précédèrent  sa  mort,  ari-ivée  le  25  mars  1(30(),  il  consigna 
par  écrit,  dans  un  grand  nombre  d'ouvrages,  le  résultat  de 
ses  longs  travaux  ;  la  bibliotlièt[ue  publique  de  Douai  possède 
encore  aujourd'hui  vingt  forts  volumes  écrits  de  sa  main  qui 
contiennent  l'histoire  des  évêchés  de  Cambrai,  d'Arras,  de 
Tournai,  de  Saint-Omer,  de  G  and  et  des  monastères  de  ces 
diocèses.  Nul  ouvrage- n'offre  des  renseignements  aussi  cer- 
tains et  aussi  étendus  sur  le  nord  de  la  France  et  le  midi  de 
la  Belgique  :  bien  que  la  grande  Histoire  de  l'abbaye  d'An- 
chin^  écrite  par  dom  François  de  Bar  en  trois  volumes  in- 
folio, soit  malheureusement  perdue,  le  docteur  Escallier,  en 
se  contentant  le  plus  souvent  de  traduire  ce  qui  nous  reste 
de  ce  religieux,  a  pu  donner  au  public  sa  curieuse  et  impor- 
tante Monographie  de  l'abbaye  d'Anchin  '. 

En  lisant  dans  la  brochure  de  jM.  AYauters  que  le  Méinu- 
rial,  qui  désigne  Jean  Bellegambe  connne  l'auteur  du  retable 
de  Notre-Dame,  a  été  rédigé  en  l'an  1601,  pour  l'archiduc 
Albert,  par  un  religieux  de  l'abbaye  d'Anchin,  nous  nous 
sommes  demandé  si  cet  inventaire  officiel,  qui  révèle  dans 
son  auteur  une  connaissance  sérieuse  de  l'histoire  du  mo- 

*  François  de  Bar,  Manuscrits  de  la  Bibliothèque  de  Douai,  n"  767,  t.  iii, 
f°  245  et  passim. — Foppews,  Bihliotheca  Belgica,a.u  mot  Franciscus  de  Bar. 
—  Escallier,  V Ahhaye d' Jnchin,  passim. 


434  RECHERCUJiS 

iiastère  et  de  ses  richesses  artistiques  et  autres,  ne  pouvait 
pas  être  l'œuvre  de  raiinaliste  d'Auchin,  de  l'érudit  qui 
avait  étudié  tous  les  écrits  et  toutes  les  traditions,  toutes  les 
archives  et  tous  les  comptes  de  l'abbaye,  du  travailleur  in- 
fatigable qui  était,  en  cette  môme  année  1(301,  occupé  à 
écrire  V Histoire  d'Anchm^  en  un  mot  du  grand-prieur  dom 
François  de  Bar.  Désireux  d'éclaircir  nos  doutes  à  cet  égard, 
nous  avons  demandé  à  Bruxelles  un  fac-similé  du  manuscrit 
en  question  ;  une  communication  bienveillante  nous  a  en- 
voyé les  lignes  consacrées  au  retable  d'Auchin  dans  la  mi- 
nute même  du  Mémorial^  et  à  peine  y  avions-nous  jeté  les 
yeux^  que  nous  avons  reconnu  la  main  de  l'historien  d'Au- 
chin ;  en  comparant  cki  fac-similé  avec  les  manuscrits  mêmes 
de  la  bibliothèque  de  Douai  et  particulièrement  avec  les 
numéros  770  et  77  J  qui  ont  été  écrits  l'un  en  1599  et 
l'autre  en  1601,  et  par  conséquent  à  Fépoque  oii  le  Mémorial 
a  été  rédigé,  nous  n'avons  plus  eu  le  moindre  doute  à  cet 
égard,  nous  avons  acquis  la  certitude  que  la  minute  du  ma- 
nuscrit de  Bruxelles  est  de  la  main  de  dom  François  de  Bar. 
L'on  comprendra  facilement  rinq)ortance  de  ce  renseigne- 
ment qui  complète  la  curieuse  découverte  de  M.  Wauters. 
L'on  avait  dit  que  l'inventaire  dans  lequel  Jean  Bellegambe 
est  désigné  comme  l'auteur  du  retable  d'Auchin  était  écrit 
par  un  religieux  inconnu,  qui  sans  doute  n'avait  point  vécu 
sous  Charles  Coguin,  qui  avait  indiqué  un  nom  d'artiste 
peut-être  au  hasard,  ou  du  moins  peut-être  d'après  de  vagues 
indications  que  s'étaient  transmises  quelques  générations  de 
religieux.  Et  voilà  qu'aujourd'hui,  par  le  curieux  renseigne- 
ment que  nous  a  fourni  la  comparaison  de  l'écriture  du  ma- 
nuscrit de  Bruxelles  avec  celle  des  manuscrits  de  Douai,  il 
est  prouvé  que  la  phrase  du  Mémorial  a  été  écrite  par  l'au- 
teur des  ouvrages  les  plus  complets  qui  aient  été  composés  sur 


SIU   JEAN    BELLEGAMBE.  i.Jo 

l'histoire  ecclésiustique  de  la  Flandre,  par  un  religieux  qui  a 
vécu  plus  de  cinquante  ans  dans  l'altbaye  d'Anchin,  qui  y  a 
exercé  les  fonctions  de  grand-prieur  pendant  plus  de  trente 
■ans,  qui  a  étudié  d'une  manière  toute  spéciale  l'histoire  de  ce 
monastère  qu'il  avait  écrite  en  trois  volumes;  petit-neveu  de 
Charles  Coguin,  fier  de  cette  parenté  dont  il  parle  avec  com- 
jdaisance,  plus  fier  encore  des  travaux  de  son  grand-oncle, 
qu'il  énumère  longuement,  ce  religieux  devait  eonnaitre  tous 
les  détails  relatifs  aux  ouvrages  exécutés  ])ar  ordre  de  ce 
prélat  protecteur  des  arts,  et  surtout  ce  (pu  se  rapportait 
au  retable,  œuvre  qui  avait  coûté  des  sonnnes  immenses  et 
que  l'on  considérait  comme  le  trésor  du  couvent  ;  enfin , 
reçu  dans  l'abbaye  du  vivant  môme  de  Charles  Coguin  ou  du 
moins  peu  d'années  après  sa  mort,  il  avait  vécu  longtemps 
avec  un  grand  nombre  de  religieux  qui  avaient  vu  travailler 
l'auteur  du  retable.  L'on  avait  invoqué  contre  l'opinion  de 
M.  Wauters  le  silence  de  François  de  Bar  en  rappelant  que 
ce  savant  annaliste  d'Anchin  avait  dit,  en  parlant  de  la 
peinture  du  maitre-autel  excellenter  depictarum  sans  don- 
ner le  nom  de  l'auteur,  et  voilà  qu'aujourd'hui  il  est  prouvé 
que  la  minute  du  manuscrit  de  Bruxelles,  dans  lequel  on  lit 
le  nom  de  Jean  Bellegambe,  a  été  rédigée  par  dom  François 
de  Bar  lui-même.  Rien  n'est  plus  curieux,  mais  surtout  rien 
n'est  plus  concluant  que  l'argument  fourni  par  la  comparai- 
son de  l'écriture  des  deux  manuscrits  :  à  part  la  signature 
de  Jean  Bellegambe  ou  celle  de  Charles  Coguin,  aucun  témoi- 
gnage ne  pouvait  être  plus  solide  que  celui  du  savant  anna- 
liste d'Anchin.  L'on  ne  peut  donc  mettre  en  doute  l'authen- 
ticité et  l'autorité  de  la  phrase  du  Mémorial^  dans  lequel  on 
lit  :  «  Les  plus  excellentes  pinctures  sont  de  la  table  du 
grand  autel  à  doubles  feuilletz ,  peinturée  par  l'excellent 
paintre  Belgambe.  » 


436  RECllEHGHES 

Mais,  comme  nous  l'iivoiis  déjà  dit,  l'on  s'est  demandé  si 
cette  phrase  ne  pouvait  pas  indiquer  un  retable  autre  que  le 
tableau  polyptyque  que  possède  l'église  Notre-Dame.  Une 
étude  sérieuse  de  deux  passages  des  manuscrits  de  François, 
de  Bar  conservés  à  Douai  et  une  comparaison  attentive  de 
ces  deux  passages  avec  la  phrase  du  manuscrit  conservé  à 
Bruxelles  démontrent  de  la  manière  la  plus  évidente  que 
dans  les  deux  manuscrits  il  est  question  du  même  tableau. 
Dans  son  Historia  episcopatus  Atrebatensis^  ouvrage  écrit  en 
1599,  François  de  Bar,  racontant  en  abrégé  la  vie  de  tous 
les  abbés  d'Anchin,  parle  en  deux  endroits  différents  du  re- 
table qui  ornait  le  maître-autel  de  l'église  abbatiale.  Il  dit 
dans  les  lignes  consacrées  à  l'abbé  Guillaume  Brunel  :  «  Le 
«^  retable  d'argent  et  de  vermeil  du  maitre-autel  fut  enfermé 
«  dans  une  immense  custode  en  bois,  que  plus  tard  Charles 
«  Coguin  agrandit  avec  beaucoup  de  magnificence,  en  la  fai- 
«  sant  artistement  orner  de  peintures  et  de  découpures  à 
«  jours'.  »  Et  ailleurs  en  parlant  de  l'abbé  Coguin  lui-même: 
«  Il  fit  recouvrir  le  retable  d'argent  et  de  vermeil  au  moyen 
<•  du  tableau  du  maître-autel  qui  ofi're  deux  volets  tournant 
«  sur  gonds  ;  cette  peinture  exécutée  par  un  artiste  excellent 
«  coûta  des  sommes  immenses  ^.  » 

'  Summi  altaris  tabulam  argenteam  ac  auro  tectam  capsà  ingenti  inclusi 
quara  Carolus  Coguin  postmodum  quam  ditissime  auxit  picturis  ac  fenestiis 
iugeniose  distinctain. —  François  de  Bah,  Historia  episcopatus  Atrehatensis , 
t.  III,  p.  198,  n°  767  des  mss.  de  la  bibl.  de  Douai.  —  Sur  le  maître-autel  de 
l'église  de  l'abbaye  se  trouvait  un  magnifique  retable  en  argent,  doré  avec  le 
plus  grand  soin,  exécuté  au  XIII''  siècle  par  un  religieux  d'Anchin.  C'est  pour 
recouvrir  ce  retable  qu'on  plaça  une  custode  en  bois  au-dessus  de  l'autel.  Dom 
Charles  Coguin  voulut  embellir  et  cacher  cette  custode  au  moyen  de  peintures  ; 
et  c'est  pour  cela  qu'il  fit  exécuter  le  retable  aujourd'hui  conservé  à  Notre-Dame. 

*  Duplici  quoque  tabularum  summi  altaris  revolutione  excellenter  depicta- 
rum  cingi  mensam  argenteam  ac  deauratam  incredibili  sumptu  fccit.  — Fran- 
çois DE  Bah.  Même  manuscrit,  p.  21(3. 


SIU    JKAN    BKI.I.KCAiMlii:.  i.;n 

C'est  (lu  retable  .'miourcrhui  cunservé  ii  N()tre-l)aine  (ju'il 
est  question  clans  ces  deux  passages  de  Francjois  de  Bar  :  en 
effet,  ce  retable  provient  d'Anchin,  puisqu'on  y  trouve  les 
armes  de  l'abbaye,  son  église  avec  son  portique  roman  et  ses 
quatre  clochers,  son  entrée  principale  avec  ses  trois  portes 
surmontées  de  plusieurs  fenêtres  accouplées  auxquelles  con- 
duit un  escalier  de  pierre;  il  a  été  exécuté  par  ordre  de  dom 
Charles  Cogiiin ,  puisque  l'on  y  voit  le  portrait,  le  patron 
et  les  armes  de  cet  abbé,  armes,  patron  et  portrait  qui  rap- 
pellent presque  exactement  une  miniature  du  n°  1125  des 
manuscrits  de  la  bibliothèque  de  Douai,  enluminé  par  ordre 
du  même  prélat.  Un  examen  sérieux  et  détaillé  du  retable 
conduit  au  même  résultat:  en  faisant  tourner  sur  leurs  gonds 
les  volets  mobiles,  on  retrouve  cette  disposition  exceptionnelle 
si  bien  décrite  par  François  de  Bar  dans  les  mots  diiplici 
tabiilarum  revolutione  ;  et  c'est  bien  à  ces  neuf  immenses  pan- 
neaux, exécutés  avec  le  fini  le  plus  parfait,  que  l'on  peut 
appliquer  ces  autres  paroles  du  même  auteur  :  incredibili 
sumptu  fecit.  Rappelons  d'ailleurs  que,  loin  d'inventer  ces 
arguments  pour  le  besoin  de  notre  thèse,  nous  ne  faisons  que 
suivre  en  cela  l'opinion  de  M.  Escallier  qui  s'appuyait  non- 
seulement  sur  les  raisons  que  nous  venons  de  développer, 
mais  aussi  sur  les  traditions  qu'il  avait  recueillies  de  plusieurs 
prêtres,  anciens  religieux  de  l'abbaye  d'Anchin  ' .  Ces  preuves 
suffisent,  nous  l'espérons  du  moins,  pour  démontrer  à  nos 
lecteurs  que  les  deux  passages  du  manuscrit  de  Douai  sont 
relatifs  au  tableau  aujourd'hui  conservé  à  Notre-Dame.  Or, 
en  comparant  le  texte  de  ces  passages  aux  deux  lignes  trou- 
vées par  M.  Wauters,  l'on  est  amené  à  conclure  que  dans  les 
deux  ouvrages  François  de  Bar  parle  de  la  même  peinture. 

'  EscAF.LiKR,  r Ahhnyc  d'Anchin.  p.  246. 


.i.:.{8  UECllEI'.illlES 

En  effet,  dans  le  manuscrit  de  Bruxelles  comme  dans  celui 
de  Douai,  il  est  question  d'un  retable  possédé  à  la  fin  du 
XVP  siècle  par  l'abbaye  d'Ancliin;  ce  retable  est  désigné  ici 
par  les  mots  à  doubles  femlletz^  et  là  par  diiplici  tabularum 
revolutioney  expressions  qui  témoignent  d'une  disposition  à  la 
fois  identique  et  tout  exceptionnelle  ;  il  est  pla,cé  au  même 
endroit,  sur  le  maître-autel,  puisqu'on  lit  d'un  côté  la  lable 
du  grand  aulel  et  de  l'autre  sunimi  alla  ris  tabulam,  îabulamnt 
summi  altaris;  enfin  François  de  Bar  dit  ici  pinrturée  par 
l'excellent  peinlre,  et  là  eoccellenter  depiclarum.  Il  y  a  tant 
de  rapports  entre  le  texte  des  deux  manuscrits,  queTon  pour- 
rait croire  qu'en  l'an  160] ,  dans  le  Mémorial  qu'il  a  envoyé 
à  Bruxelles,  l'annaliste  d'Anchin  n'a  fait  que  traduire  en 
français  le  texte  latin  qu'il  avait  écrit  deux  ans  auparavant, 
en  1509,  dans  le  manuscrit  aujourd'hui  conservé  à  Douai. 
Ainsi  donc,  tout  démontre  que  dans  ces  deux  écrits  difi'érents, 
il  est  question  de  la  même  peinture.  Nous  avons  prouvé  plus 
haut  que  le  tableau  conservé  à  Notre-Dame  est  aussi  le  même 
que  celui  du  manuscrit  de  Douai  :  deux  choses  semblables  à 
une  troisième  sont  seml)lables  entre  elles,  comme  disent  les 
mathématiciens  ;  donc  le  retable  dont  il  est  parlé  dans  le  ma- 
nuscrit signalé  par  M.  Wauters,  est  bien  celui  qui  a  été 
retrouvé  par  M.  Escallier  ;  donc  l'auteur  du  retable  d'Anchin 
est  V excellent  peintre  Belgambe. 

Les  preuves  que  nous  venons  de  développer  contiennent  la 
réfutation  de  toutes  les  autres  objections  qui  avaient  été  sou- 
levées. L'on  avait  parlé  du  silence  de  François  de  Bar,  et 
c'est  François  de  Bar  lui-même  qui  a  écrit  de  sa  main  les 
lignes  dans  lesquelles  se  lit  le  nom  du  vieux  maître  douai- 
sien.  L'on  avait  dit  que  cette  indication  était  due  à  un  reli- 
gieux inconnu,  qui  n'oflrait  aucune  garantie  de  véracité  ;  et 
le  Mémorial  a  été  rédigé  par  l'annaliste  du  monastère,  par  le 


SI  II    lEAN    lîKI.I.KdA.MrtE.  .{HW 

[tins  saviint  (le  sos  liistoriens.  L'on  i^'était  (IcinaïKlé  si  le  re- 
table n'avait  pas  été  remplacé  par  lui  autre  ;  et  François  de 
Bar  nous  dit  qu>.n  1601  la  peinture  exécutée  par  Bellegauibe 
pour  sou  grand  oncle  Charles  Coguin  se  trouvait  sur  le 
maître-autel  de  l'abbaye;  d'un  autre  côté,  aujourd'hui  encore 
nous  voyons  les  armes  du  même  Charles  Coguin  sur  le  tableau 
qui,  jusqu'au  siècle  dernier, a  orné  le  même  maitre-autel.  A 
ceux  qui  ont  trouvé  étonnant  que  Jean  Bellegambe,  s'il  est 
réellement  l'auteur  du  tableau  polyptyque  conservé  à  Notre- 
Dame,  ait  pu  jusqu'aujourd'hui  rester  inconnu,  et  rester 
inconnu  dans  le  pays  et  dans  la  ville  où  il  est  né,  où  il  a  tra- 
vaillé, nous  répondrons  en  demandant  si  la  naissance  et  la 
vie  de  l'auteur  de  la  Châsse  de  saiiUe  Ursule  sont  connues 
depuis  longtemps  à  Bruges;  si,  même  de  nos  jours,  elles  sont 
dégagées  des  fables  et  des  légendes  "dont  on  les  avait  entou- 
rées. Du  reste,  en  parlant  de  Jean  Bellegambe,  nous  allons 
prouver  que  ce  vieux  maître  a  joui  d'une  grande  réputation 
dans  sa  patrie  et  même  au-delà  des  monts. 


III 


Située  non  loin  des  cités  qui  ont  vu  naître  et  travailler  les 
Van  Eyck,  Van  der  Weyden  et  Memlinc,  habitée  par  de 
nobles  familles  et  par  une  riche  bourgeoisie  qui  entretenait 
des  relations  commerciales  avec  la  Flandre,  renfermant  dans 
son  enceinte  beaucoup  d'églises  et  plusieurs  maisons  reli- 
gieuses, entourée  de  riches  et  puissantes  abbayes,  la  ville  de 
Douai  dut  nécessairement  ressentir  le  mouvement  artistique 
que  les  vieux  maîtres  flamands  imprimèrent  à  leur  })ays 
d'abord,  puis  à  toute  l'Europe.  Un  érudit,  à  qui  les  recher- 
ches les  plus  minutieuses  ne  coûtent  rien  quand  il  s'agit  de 


440  l'.IOCllEHC.IlKS 

l'histoire  de  sîi  cité  natale,  M.  A.  Preux,  eu  a  trouvé  les 
preuves  les  plus  évidentes  dans  les  riches  archives  de  cette 
ville  ' .  Le  plus  ancien  peintre  de  Douai  que  l'on  connaisse 
est  Colart  Talon,  qui  fut  reçu  bourgeois  en  1  422.  Nous  trou- 
vons ensuite  Nicaise  de  Cambray,  né  à  Villers-au-Tertre,  qui 
fut  admis  au  nombre  des  citoyens  de  la  même  ville  le  i  5 
juillet  1445,  et  qui  est  qualifié  du  nom  de  peintre  dans  un 
compte  présenté  au  duc  de  Bourgogne  en  1448  ou  1449  ;  ses 
enfants,  Simonnet  etGoddefrin,  exercent  la  même  profession; 
le  premier  peignait  à  Lille  en  1  4o5;  et  c'est  probablement  à 
la  même  famille  qu'il  faut  l'attacher  Jean  de  Cambray  qui, 
avec  plusieurs  autres  peintres  et  ouvriers  de  Douai,  Arras  et 
Cambrai,  fut  appelé  pour  travailler  à  Bruges  en  1468.  En 
1 450,  mourait  à  Douai  Jehan  Lefebvre,  entailleur  (sculpteur), 
qui  donna  à  l'église  Sainl-Pierre,  pour  être  placée  en  face  de 
sa  tombe,  sur  une  mnpri.sc  qui  s'y  trouvait,  une  statue  de  la 
Vierge  dorée  de  fin  or  bnmi.  Un  autre  peintre  douaisien, 
Jehan  Gossuin,  revint,  le  29  octobre  1  484,  acquérir  la  bour- 
geoisie dans  sa  ville  natale;  sa  femme  était  de  Courtray, 
et  l'on  peut  supposer  qu'il  contracta  cette  union,  en  allant 
étudier  sous  les  grands  maîtres  de  la  Flandre  flamande. 
Citons  encore  Guillaume  Coustelier,  qui  vivait  à  la  fin  du  XV 
et  au  commencement  du  XVI"  siècle,  à  l'époque  où  florissait 
maître  Jehan  Bellegambe. 

Ces  noms  qui  forment  une  suite  non  interrompue  de  pein-   M 
très  depuis  le  commencement  du  XV^  siècle,  prouvent  qu'il 

'  Tout  ce  que  nous  donnons  sur  les  peintres  douaisiens  qui  ont  précédé 
Bellegambe  est  emprunté  à  un  travail  publié  par  M.  A.  Preux  dans  les  Sou- 
venirs de  la  Flandre  u-allonne  (année  1862,  p  23  à  3.3).  Nous  i  appellerons 
ici,  comme  M.  Preux  l'a  lait  aussi,  que  nous  avions  parlé  des  anciens  peintres 
de  Douai  dans  VArt  cJiréllen  en  Flandre  (p.  238),  en  ne  citant  toutefois  au 
XVe  siècle  que  les  noms  des  artistes  de  la  famille  de  Canihraij    (C   D.) 


SUR   JEAN    BELLKGAMBK.  411 

y  avait  à  Douai  une  tradition  aTtistii|ue  (|ui  se  jierpétuaii 
de  génération  en  génération,  Mallieiireusement,  les  notes 
nécessairement  arides  et  incomplètes  du  registre  cutx  bourgeois 
ne  donnent  que  la  profession  de  ces  artistes,  sans  même  nous 
apprendre  s'ils  étaient  autre  chose  que  des  peintres  de  décors 
et  d'armoiries.  ]\Iais  en  lisant,  dans  plusieurs  testaments, 
que  des  statues  et  des  vitraux  doivent  être  placés  près  des 
tombes  ;  en  voyant,  dans  nos  historiens  les  plus  anciens,  qu'il 
existait  dans  les  églises  de  Douai  un  grand  nombre  de  vieux 
tableaux  ;  en  se  rappelant  qu'un  bourgeois  de  notre  ville, 
Guérard  Duhem,  veut  sur  sa  tombe  ung  épilaphe  ou  tableau  oh 
il  soit  paint  V image  de  la  Vierge  Marie  tenant  son  petit  enfant 
Jésus j,  et  un  angele  qui  présentera  à  ladite  sainte  Vierge  la 
représentation  du  testateur  avec  les  représentatiom<  de  défunte 
Marguerite  de  Haucourt  (pti  fut  sa  femme  et  de  ses  trois  filles 
quil  a  eu  d'elle  '  ;  en  se  rappelant  tout  cela,  l'on  se  dit  qu'il  y 
a  eu  certainement  à  Douai  plusieurs  peintres  dignes  du  nom 
d'artistes;  l'on  se  croit  autorisé  à  répéter  avec  les  Souvenirs  de 
la  Flandre  wallonne,  qu'autour  de  Nicaise  de  Cambray  et  de 
ses  fils  durent  se  grouper  un  certain  nombre  d'élèves. 

De  tous  ces  peintres,  le  plus  célèbre  aujourd'hui,  celui  sur 
qui  la  découverte  de  M.  Wauters  attire  principalement  l'at- 
tention de  tous  ceux  qui  s'occupent  de  l'histoire  de  l'art,  est 
maître  Jean  Bellegambe,  Les  archives  de  la  ville  offrent  des 
noms  de  cette  famille  dans  les  premières  années  du  XV 
siècle.  Le  père  de  l'auteur  du  retable  se  nommait  Georges  ; 
cayelier  ou  fabricant  de  chaises  de  profession,  il  était  aussi 
ménétrier,  et  c'est  sans  doute  en  cette  dernière  qualité  qu'il 
fut  nommé  à  plusieurs  reprises  maire  de  la  confrérie  de 
Notre-Dame  du  Joyel.  Jean,  l'uiûquefils,  issu  de  son  premier 

•  A.  PiiKUx,  Souvenirs  dota  Flandre  Wat tonne,  p.  83. 

TOME  VI,  32 


ÂA^  hei;heiigiies 

mariage,  naquit  pr(>l);il)lement  vers  1470;  les  détails  que  les 
archives  de  la  ville  fournissent  sur  sa  vie  sont  malheureuse- 
ment bien  incomplets;  le  registre  aux  testaments  nous  ap- 
prend qu'en  1521  il  comparut  devant  les  échevins  comme 
exécuteur  testamentaire  de  sa  sœur  Guillemette  ;  dans  cette 
pièce  il  est  appelé  maître  Jehan  BeUegamhe,  paintre,  ainsi  que 
dans  un  registre  aux  actes  qui  nous  lait  connaître  qu'en  1S31 , 
il  vendit  à  un  autre  bourgeois  de  Douai,  pour  la  somme  de 
2,000  livres  parisis,  une  maison  faisant  toucquet  des  rues  de 
la  Clauerye  et  de  la  Saunerye  ' .  Les  passages  de  ces  deux 
registres,  cités  par  M.  Preux,  ont  une  importance  considé- 
rable pour  déterminer  plusieurs  circonstances  de  la  vie  de 
Jean  Bellegambe  :  en  effet,  la  première  nous  apprend  d'abord 
qu'il  était  à  Douai  en  1521 ,  qu'il  a\ait  à  cette  époque  cinq 
enfants  vivants,  Philippe,  Martin,  Mariette,  Catherine  et 
Poline,  et  que  sa  sœur  possédait  des  tableaux  et  des  manu- 
scrits sans  doute  peints  par  son  frère  ;  la  seconde  nous  le 
montre,  en  1531,  bourgeois  de  Douai  et  possesseur  d'une 
maison  qu'il  vend  à  un  prix  élevé  pour  l'époque.  Ces  détails 
sont  curieux  et  intéressants  ;  mais  malheureusement  ils  sont 
inconq)lets,  et  l'on  n'a  encore  rien  découvert  sur  ce  qu'il  y  a 
de  plus  important  dans  la  vie  d'un  peintre,  sur  les  maîtres, 
les  études,  les  voyages  de  Jean  Bellegambe;  espérons  que  de 
nouvelles  recherches  aboutiront  à  nous  faire  mieux  con- 
naître sa  physionomie  artistique.  Ajoutons  que  le  portrait 
de  l'auteur  du  retable  d'Anchin  se  voit  dans  un  recueil  de 
dessins  qui  se  trouve  à  la  bibliothèque  d'Arras  "  :  les  traits 

*  Tous  ces  détails  sont  empruntés  à  la  brochure  de  M.  A.  Preux  :  Résur- 
rection d'un  grand  artiste,  Jehan  Bellegambe  de  Douai,  in-8°.  Douai,  War- 
telle,  1862,  p.  9  à  il. 

*  Bibliothèque  d'Arras.  Manuscrits  n"  266,  f.  280.  Ce  portrait  a  été  indi- 
qué par  plusieurs  auteurs.  Un  fac-similé  en  a  été  reproduit  dans  les  Souve- 
nirs de  la  Flandre  ical tonne.  Juin  1862. 


S1!M   .lEAN    BELLEGAMIilî.  413 

(lu  peintre  ont  quelque  chose  d'irrégulier  et  de  coninnin;  des 
cheveux  longs  et  plats  encadrent  sa  figure;  la  petite  toque 
coquettement  posée  sur  sa  tête  et  le  surtout  léger  dont  il  est 
revêtu,  semblent  être  son  costume  d'atelier;  à  en  juger  par 
les  yeux,  par  la  position  de  la  tête  et  de  la  main  droite,  nous 
sommes  portés  à  croire  que  l'artiste  s'est  peint  dans  cette 
attitude  ;  ce  serait  d'après  son  tableau,  que  le  dessin  conservé 
à  Arras  aurait  été  calqué  par  une  main  dont  l'inexpérience 
se  révèle  par  une  certaine  indécision  ;  au  ])as  il  est  écrit  en 
caractères  delà  première  moitié  du  XVP  siècle  :  Maistre  Jehan, 
Bellcgamhe,  paintre  excellent  ;  ce  portrait  précède  immédia- 
tement celui  de  Raphaël. 

Voilà  tout  ce  que  l'on  sait  aujourd'hui  sur  l'un  des  plus 
grands  artistes  de  l'école  flamande  primitive;  l'ingrate  posté- 
l'ité  a  presque  complètement  oublié  le  peintre  qui  a  exécuté 
le  retable  d'Anchin.  Hâtons-nous  d'ajouter  que  longtemps  le 
nom  de  ce  vieux  maitre  fut  connu  et  admiré  dans  l'Italie,  dans 
la  Flandre  et  surtout  dans  sa  ville  natale.  Guichardin,dans  sa 
Description  des  Pays-Bas,  écrite  en  i o60,  le  met  au  nombre 
des  meilleurs  peintres  de  la  Flandre;  Vasari  fait  de  même 
dans  ses  Vies  des  Peintres  qui  parurent  huit  ans  plus  tard  '  : 
ces  deux  écrivains,  le  dernier  surtout,  font  autorité  dans 
l'histoire  de  l'art.  JMais  c'est  principalement  à  Douai  que  se 
conserva  le  souvenir  de  ce  grand  artiste  ;  trois  passages 
d'auteurs  différents  cités  par  M.  Preux  en  fourniront  la 
preuve.  Jean  Frasneau  de  Lestoquoy  dit  dans  un  ouvrage 
imprimé  à  Douai  en  1616,  qui  a  pour  titre  :  Jardin  dlli/rer 
ou  cabinet  des  fleurs  : 


'  Vasaui,  Opère,  tome  ii,  page  JlOO.  Di  divcisi  artefici  fianiminghi, 
sono  anco  stati  famosi  pittoii  Giovanni  Bcllagamba  di  Douai,  Diiick 
d'Harlem,  utc. 


444  -  HKCHERCHES 

Peintre  tlouisicn,  le  maistre  des  couleurs, 
Tu  pourrais  exercer  Ion  art  avec  les  fleurs  ; 
Le  glaïeul  fournirait  ses  diverses  tainlures 
Pour  te  faire  inventer  des  diverses  painlures. 


11  ajoute  en  note  :  '  C'était  un  paiiitre  du  surnom  de  Bel- 
gambe,  paintre  très-excellent  duquel  sont  issus  les  Belgambe 
semblablement  paintres  ;  il  estoitdictle  niaistre  des  couleurs, 
selon  Guicardin,  en  la  description  des  Pays-Bas,  à  raison  de 
l'art  qu'il  avoit  à  composer  et  accoraoder  les  plus  vives  cou- 
leurs, surpassant,  en  ce  regard,  avec  sa  vivacité  tous  autres 
paintres.  L'on  voit  encores  pour  le  présent  de  ses  paintures, 
encores  qu'anciennes  estre  aussi  vives  en  leurs  couleurs  que 
si  elles  estoient  nouvellement  faites  et  paintes.  » 

En  1607,  un  poète  douaisien,  Jacques  Loys,  disait  en  par- 
lant de  Vaast  Bellegambe,  peintre  qui  descendait  de  l'auteur 
du  retable  : 

Que  maître  aussi  des  couleurs  l'on  peut  dire 
Comme  l'ayeul  que  tout  le  monde  admire  '. 

Et  le  Père  Philippe  Petit;,  dans  un  ouvrage  imprimé  en 
1655,  après  avoir  parlé  d'un  tableau  de  Jean  Bellegambe, 
faisait  ainsi  l'éloge  de  ce  vieux  maître  :  «  Peintre  autant  es- 
timé que  fut  aucun  dans  ces  XVII  provinces,  nommé  com- 
munément le  maistre  des  couleurs.  Encor  aujourd'huy  la 
moindre  pièce  sortie  de  son  pinceau  est  grandement  re- 
cherchée '.  ») 


'  Les  Œvrres  poéiiquea  de  Jacques  jL(/*/s. Douai,  Pierre  Auioy,  1612,  p  109. 
•   Fondations  du   couvent  de  Sainte-Croix,  etc.,  recueillies  par   le  R.  P. 
Philippe  Petit.  Douai.  V"  -Mare.  Wiyon,  1(35:3,  p.  l-li. 


St  R   .lEAN    BELLtGAMBE.  -Uri 

Rappelons  de  nouveau  que  François  de  Bar  l'appelle  juniiirc 
excellent  dans  le  manuscrit  de  Bruxelles  et  que  les  mêmes 
expressions  se  lisent  au  bas  du  portrait  conservé  à  Arras. 

Plus  tard,  le  vieux  maître  douaisien  partagea  le  sort  des 
Van  Eyck,  des  Van  derWeyden,  des  Memlinc,  des  Stuerbout 
et  de  tant  d'autres  grands  artistes  de  l'école  primitive  :  il 
fut  oublié.  Et  même,  tandis  que  l'on  conservait  quelques 
souvenirs  vagues,  on  du  moins  le  nom  des  maîtres  de  la 
Flandre  flamande,  on  perdait  complètement  la  mémoire  de 
Jean  Bellegambe  :  les  histoires  de  peintres,  écrites  en  Flandre, 
en  France,  ne  le  citaient  plus;  pendant  la  première  moitié  du 
XIX^  siècle,  on  n'avait  conservé  qu'imparfaitement  le  sou- 
venir de  Jean  Bellegambe.  En  1859,  son  nom  fut  rappelé 
d'après  Guichardin  et  les  notes  de  M.  Guilmot  par  l'auteur 
de  VArt  chrétien  en  Flandre  ';  et  depuis  quelque  temps, 
M.  A.  Preux  recherchait,  dans  les  livres  imprimés  à  Douai 
et  dans  les  archives  de  la  ville,  tout  ce  qui  pouvait  concerner 
cet  artiste  douaisien,  quand  enfin  l'heureuse  découverte  de 
M.  Wauters  a  fait  subitement  sortir  de  l'obscurité  le  nom  de 
celui  que  l'on  avait  appelé  longtemps  le  maUre  des  couleurs, 
l'excellent  peintre  Jehan  Bellegambe. 

A.    ASSELIN    ET   G.    DEHAISNES. 
(La  suite  au  prochain  numéro.) 
'  L'Art  chrétien  en  Flandre,  par  m.  c.  dehaisnes,  p.  287. 


BIBLIOGRAPHIE 


HISTOIRE    SIGILLAIRE    DE    LA    VILLE    DE    SAINT -OMER,    par 

31  M.  A.  Hermawt  et  L.  Deschamvs  de  Pas  ;  m-^°  de  160  pages  et  45 
2)lançhes,  Paris,  1861,  prix  -iO  francs. 

Le  nom  de  sceau  ou  scel  {sigillum]  s'applique  toujours  aux  em- 
preintes en  cire,  obtenues  à  l'aide  d'une  matrice  gravée  en  creux  et 
fixée  au  bas  des  actes  pour  assurer  leur  authenticité.  A  partir  du 
XII*  siècle,  chaque  juridiction,  soit  séculière,  soit  ecclésiasiique, 
eut  son  scel  qui  représenta  d'abord  la  figure  du  seigneur  ou  du 
chef  administratif  et,  plus  tard,  ses  armoiries  ou  emblèmes  qui 
finirent  par  être  seuls  employés. 

Une  histoire  sigillaire,  qu'elle  concerne  une  ville,  qu'elle  regarde 
l'ensemble  d'un  État,  otl're  donc  au  moins  autant  d'intérêt  qu'un 
recued  numismatique.  Aussi  nettement  et  en  plus  grandes  dimen- 
sions que  le  métal,  la  cire  a  conservé  les  images  contemporaines 
d'une  multitude  de  personnages  qui,  à  diverses  époques,  illus- 
trèrent leur  nom  ou  servirent  efficacement  leur  patrie. 

Remarquable  par  l'excellente  conservation  de  ses  archives  muni- 
cipales auxquelles  on  a  joint  ce  qui  restait  des  archives  du  chapitre 
de  Notre-Dame,  la  ville  de  Saint-Omer  en  particulier  ouvrait  à  la 
science  une  mine  féconde  à  exploiter.  M.  A.  Hermand  s'en  aperçut, 
et,  il  y  a  25  ans,  commença  l'ébauche  du  livre  dont  nous  avons  à 
rendre  compte. 

Une  savante  introduction  (les  sceaux  et  leur  usage)  initie  le 
lecteur  au  but  que  Ton  a  voulu  atteindre  en  composant  l'ouvrage, 
divisé  en  deux  parties.  La  première   (administration  civile)  com- 


HlliLIDGIlAl'llIE.  447 

prend  les  sceaux  de  la  cité,  des  châtelains,  du  haiilia^'e  eldes  bour- 
geois appartenant  aux  familles  éclievinales;  la  seconde,  tout  ec- 
clésiastique, décrit  les  sceaux  de  l'église  de  Saint-Omer,  des  justices 
seignenriales  dépendantes  du  chapitre,  des  Pré^ôts,  des  Kvèqnefl, 
des  paroisses,  de  l'abbaye  de  Saint-Bei'tin,  enfin,  des  maisons  reli- 
gieuses^ intrà  et  exti^à  muros  :  45  planches,  reproduisant  333  em- 
preintes sigillaires,  illustrent  le  texte  déjà  si  riclie  par  lui-même. 

La  part  légitime  qui  revient  à  chacun  des  auteurs  de  ce  splcndidc 
volume  est  assez  difiicile  à  déterminei";  INL  A.  Hermand,  nous  l'a- 
vons dit  tout  à  l'heure,  en  conçut  le  plan  primitif,  mais  après  la 
mort  prématurée  de  cet  érudit  numismate,  advenue  en  1858, 
M.  L.  Deschamps  de  Pas,  qu'il  s'était  associé  depuis  longtemps, 
resta  seul  chargé  d'un  travail  à  peine  préparé.  Sauf  donc  l'ordon- 
nance générale  des  idées  qui  est  sans  doute  du  fait  de  M.  Hermand, 
tout  le  détail;,  classement,  dessins,  rédaction,  appartient  à  son  trop 
modeste  collaborateur.  M.  Deschamps  de  Pas,  qui,  sur  le  frontispice 
d'un  livre  publié  à  ses  frais,  n'a  voulu  occuper  que  le  second  rang, 
mérite,  suivant  nous,  le  premier;  infatigable  explorateur  des  archives 
de  Saint-Omer,  Lille  et  Arras,  il  est  parvenu,  en  plaçant  les  unes 
à  côté  des  autres  des  empreintes  partiellement  dégradées,  à  recon- 
stituer dans  leur  entier  les  sceaux  les  plus  rares  et  les  plus  curieux, 
besogne  ingrate,  exigeant  à  la  fois  la  patience  du  savant  et  l'ha- 
bileté de  l'artiste. 

M.  L.  Deschamps  de  Pas  a  été  puissamment  secondé  dans  l'exé- 
cution matérielle  de  son  livre  par  M.  A.  Deschamps  de  Pas,  dont  le 
beau  talent  est  si  connu  des  lecteurs  de  ]a.  Revue.  Ce  dernier,  chaque 
monument  original  devant  les  yeux,  a  reproduit  lui-même  sur 
pierre  les  dessins  de  son  frère  ;  il  n'existe  donc  nulle  part  une 
œuvre  archéologique  aussi  fidèle  et  aussi  consciencieuse. 

CARÏULAIRE  MUNICIPAL  DE  SAINT-MAXIMIN ,  public:  par  M.  L. 
RosTAW,  SOUS  les  auspices  et  aux  dépens  de  M.  le  duc  dk  LuviSKS  ;  m-4°, 
Paris,  H.  Pion,  1862. 

Il  existe,  en  notre  pays  de  France,  un  grand  seigneur,  qui  est  aussi 
un  grand  savant  et  qui,  s'il  avait  voulu  s'en  donner  la  peine,  aurait  pu 
être  aussi  un  artiste  distingué  ;  il  s'appelle  le  duc  de  Luynes  :  ne  lui 
dites  pas  que  je  l'ai  nommé,  sa  modestie  égale  son  mérite,  et  il  pour- 


448  BIBLIOGRAPHIE. 

rait  se  ]>lessei'  de  mes  louanges.  M.  le  duc  de  Luynes  ne  se  contente 
pas  de  travailler  lui-même,  il  vient  libéralement  en  aide  à  ceux  qui 
travaillent,  et,  que  l'on  manie  la  plume  ou  le  pinceau,  on  est  toujours 
sur  de  trouver  chez  lui  bourse  ouverte,  pourvu  que  l'on  ait  du  ta- 
lent: M.  L.  Pioslan  en  sait  quelque  chose.  L'érudit  provençal,  ayant 
rencontré  dans  les  archives  municipales  de  Saint-Maximin,  un  Cartu- 
laire  renfermant  les  privilèges  et  statuts  de  cette  modeste  localité, 
crut  que  la  publication  pourrait  en  être  intéressante  et  communiqua 
son  projet  dans  un  hôtel  bien  connu  de  la  rue  Saint-Dominique. 
Les  résultats  font  juger  de  l'accueil  qu'il  y  reçut  :  l'antique 
Registre,  contenant  107  pièces  généralement  inédites  (1295  à  1653), 
est  aujourd'hui  imprimé  chez  M.  H.  Pion  et  mis  à  la  portée  de  tout 
le  monde.  Un  Cartulaire  ne  s'analyse  guère,  aussi  ne  signalerai-je 
à  l'attention  qu'une  taxe  de  pain  (KIY*^  siècle)  en  langue  proven- 
çale, une  préface  et  uue  multitude  de  notes  auxquelles  le  profond 
savoir  de  M.  Hostan  donne  la  plus  haute  valeur  :  pour  le  reste, 
toile,  lege. 

CH.    DE   LINAS. 

SAINT-DÉSIRÉ,  par  M.  L.  Desrosiers,  in-4°  accompagné  de  5  planches 

(2/r.). 

L'église  de  Saint-Désiré  (Allier)  témoigne  par  ses  dimensions  que 
le  village  où  elle  est  située  avait  jadis  quelqu'importance.  On  sait 
d'ailleurs  qu'au  XP  siècle  il  avait  un  arcliiprêtre  et  un  archidiacre 
et  que  ce  fut  primitivement  une  forte  station  du  pagum  des  Bi- 
luriges.  Une  crypte  à  trois  nefs  s'étend  sous  l'église  ;  elle  est  attri- 
buée au  X""  siècle,  par  M.  Desrosiers.  Une  coupole  sur  pendentifs 
s'élève  sur  l'intertranssept  qui  date  du  Xll"  siècle.  L'auteur  en  con- 
clut que  l'école  byzantine  des  rives  du  Rhône  s'est  étendue  dans 
tout  le  Velay,  jusque  sur  les  frontières  de  l'Auvergne,  et  que  l'école 
auvergnate  s'appropria  la  coupole  et  l'introduisit  dans  le  Bour- 
bonnais. On  projette  de  restaurer  cette  église,  si  intéressante  a  di- 
vers titres.  L'excellente  notice  de  M.  Desrosiers  contribuera  assu- 
rément à  faire  fixer  ratlention  du  gouvernement  sur  un  des  plus 
curieux  monuments  du  Bourbonnais. 

i.  CORBLET. 


RfcVUS  DE  L'ART  CHRETIEN,  Septembre  1862. 


IVOIRE   SCULPTÉ 

DU    TRÉSOR    DE    l'eGMSE    DE    TONGRES. 


Arras,  typ.   Rousseau -Lero 


IVOIRE  SCULPTÉ 

du  Trésor  de  l'Eglise  de  Tongres. 


L'église  de  Tongres  possède  trois  ivoires  sculptés  dans 
son  trésor.  Deux  d'entre  eux  ornaient  encore,  il  y  a  peu  de 
temps,  l'autel  de  la  chapelle  méridionale  de  l'église  de 
Genoels-Elderen,  village  situé  près  de  la  ville  de  Tongres. 
Ils  font  partie,  depuis  peu,  du  trésor  de  l'église  de  cette  ville. 
L'un  représ'ente  le  Christ  foulant  aux  pieds  V aspic  et  le  basi- 
lic ;  l'autre,  divisé  en  deux  tableaux,  figure  deux  des  prin- 
cipales scènes  de  la  vie  de  la  sainte  Vierge  :  la  Salutation  et 
la  Visitation  ;  le  troisième  ivoire,  celui  qui  l\iit  le  sujet  de 
cet  article,  est  incrusté  dans  la  couverture  d'un Evangéliaire, 
rare  spécimen  de  l'Art  chrétien  des  premiers  siècles  du 
Moyen- Age. 

Cet  ivoire,  dont  nous  oifrons  le  dessin  en  tête  de  cet  ar- 
ticle, représente  le  Calvaire  et  le  réveil  des  morts  sortant 
de  leur  sépulcre,  au  moment  où  l'Homme-Dieu  expira.  Au 
milieu,  on  voit  le  Christ  sur  la  croix;  son  corps  n'est  pas 

TOME  VI,  Septembre  18G2.  33 


450  IVOUIE    SCLLI-TÉ 

meurtri  par  les  clous,  sa  tête  ue  porte  pas  de  couronne  d'é- 
pines, son  front  est  large,  et  sa  riche  chevelure,  tressée  en 
nattes,  tombe  sur  ses  épaules.  Au-dessus  de  sa  tête,  deux 
anges  suspendent  un  diadème  perlé  que  bénit  la  main  divine 
sortant  d'un  nuage.  La  croix  qui  est  sans  (itulus  et  le  Christ 
•qui  est  imberbe  indiquent  la  haute  antiquité  de  cette 
œuvre. 

Du  côté  droit  du  Sauveur  on  voit  l'f^glise  planter  au  pied 
de  la  croix  la  bannière  de  la  résurrection,  le  signe  du 
triomphe  de  la  nouvelle  Loi.  Elle  tient  près  du  cœur  un  pe- 
tit bouquet  composé  de  trois  feuilles,  symbole  de  la  Trinité. 
La  sainte  Vierge,  triste  et  affligée,  pleurant  la  mort  de  son 
divin  Fils,  essuie  ses  larmes  avec  son  voile. Du  côté  gauche  de 
la  croix,  on  voit  la  Synagogue,  la  tête  en  partie  voilée,  tenant 
une  palme,  s'éloigner  de  la  croix,  à  qui  elle  jette  un  dernier 
regard.  Sa  mission  est  finie  au  moment  où  le  sacrifice  divin 
est  accompli.  Puis  vient  une  quatrième  figure,  une  jeune 
femme  qui  a  la  tête  nue  et  les  cheveux  frisés  ;  elle  tient  le 
rouleau  ou  le  Livre  des  anciens.  Elle  arrive,  hésitant  et  in- 
décise, comme  l'Eglise  grecque  non  unie,  portant  et  élevant 
sa  main  vers  la  tête. 

Dans  la  partie  supérieure  du  tableau  on  voit  le  soleil  et 
la  lune  entourés  d'un  cercle  de  feu  d'où  s'échappent  des 
flammes;  le  soleil  est  personnifié  par  une  espèce  d'Apollon 
antique  qui  appuie  sa  tête  sur  la  main  gauche  et  tient  un 
sceptre  de  la  droite.  La  tête  est  entourée  de  l'auréole  den- 
telée ou  couronne  rayonnante,  signe  distinctif  du  Dieu  de 
l'antiquité.  La  lune  est  représentée  par  une  jeune  femme 
dans  une  attitude  de  tristesse,  la  tête  en  partie  voilée  et 
couronnée  du  croissant. 

Sur  le  reliquaire  en  vermeil  de  la  sainte  Croix  du  musée 
delà  Porte-de-IIal,  à  Bruxelles,  figurent  également,  comme 


iiu  THK.sou  iiii  l'Église  dk  ToiSGiif'iri.  .'/.M 

sur  l'ivoire  de  ïoiigres,  rÉglise  et  la  Synagogue.  Nous  don- 
nons les  dessins  de  ces  deux  figures,  qui  datent  de  deux 
siècles  plus  tard  (jue  celles  de   l'ivoire  de  Tongres.  L']'>lise 


est  une  jeune  femme  forte  et  cambrée  qui  a  la  tête  couronnée; 
une  abondante  chevelure  serpente  sur  ses  deux  épaules  et 
de  la  main  droite  elle  tient  un  calice.  La  Synagogue,  aux 
formes  chétives,  faible  et  défaillante,  et  à  la  vue  obscurcie, 
occupe  le  côté  gauche  de  la  croix. 

Dans  le  compartiment  inférieur  de  l'ivoire  de  Tongres 
sont  les  morts  qui  sortent  de  leurs  tombeaux,  puis  la  terre  et 
les  eaux.  Cette  partie  du  bas-relief  est  la  moins  heureuse; 


i5"2  IVUlRE    SCULPTÉ 

les  iigures  sont  trappues,  leurs  formes  ont  moins  d'cim[)leur. 
Tout  semble  y  être  réuni  dans  un  trop  étroit  espace.  La  terre 
est  symbolisée  par  une  jeune  femme  allaitant  un  serpent 
cpii  enlace  son  bras  droit,  tandis  que  de  la  main  gauche  elle 
s'attache  à  un  arbre.  Elle  a  les  jambes  croisées  et  sa  forte 
chevelure  retombe  eu  tresses  sur  ses  épaules  ;  c'est  une 
sorte  de  Cybcle  comme  ou  eu  voit  souvent  sculptées  sur  les 
chapiteaux  romans.  L'Océan  est  représenté  par  ini  vieux 
Neptune  cpii  s'appuie  sur  un  vase  renversé  d'où  s'échappent 
des  eaux.  Il  occupe  le  côté  gauche  du  tableau,  là  où  s'écoulent 
l'eau  et  le  sang  du  Sauveur.  De  la  main  droite  il  montre  un 
poisson  qui,  dans  la  langue  grecque,  iy.zv(j,  par  une  disposi- 
tion ingénieuse  des  lettres^  exprime  le  nom  du  Christ.  Sa 
tète  chauve  est  armée  de  deux  grandes  cornes  dont  les 
pointes  se  terminent  en  têtes  de  serpents.  C'est  au  milieu  de 
ces  deux  figures  symbolisant  la  terre  et  la  mer  que  les  morts 
sortent  de  leurs  tombeaux,  au  moment  où  le  Christ  meurt 
sur  la  croix. 

Le  I\.  P.  Arthur  Martin  pense   que  l'ivoire  de  ïongres 
date  de  la  fin  du  IX"  siècle.  Il  est  très-probable  que  c'est      j 
une  œuvre  de  l'école  italienne  de  cette  époque. 

Ce  bas-relief,  comme  nous  l'avons  dit,  est  incrusté  dans 
la  couverture  d'un  Evangéliaire  dont  l'écriture  parait  être 
postérieure  au  X*"  siècle.  Jusque  vers  la  fin  du  siècle  der- 
nier, ou  le  présentait  à  baiser  aux  chanoines  du  chapitre  de    l 
Tongres,  avec  ces  paroles  :  Ecce  lex  sacra. 

Eu  examinant  à  part  chaque  figure  de  cette  composition 
vraiment  chrétienne,  tout  ami  de  l'art  regrettera  sans 
doute  que  le  nom  de  son  auteur  ne  soit  pas  venu  jusqu'à 
nous.  Pour  faire  mieux  ressortir  la  beauté  de  cette  œuvre, 
nous  en  donnons  trois  croquis  représentant  des  détails  des- 
sinés sur  une  plus  grande  échelle  que  dans  notre  première 


DU    ÏUÉSOU    HE   L'ÎGLISE   DE   TOXORKS.  -^ri,'] 

planche.  Ce  sont  les  têtes  de  deux  ligures  ullégoriqucs  ([ui 
accompagnent  le  Sauveur  ififi.    I  et  2)  et  celle  du  soleil. 


Nous  terminerons  cette  note  en  signalant  aux  archéo- 
logues la  couverture  sculptée  sur  ivoire  «d'un  manuscrit  (pii 
se  trouve  à  la  bibliothèque  de  l'Univei'sité  de  Liège  et  où 
sont  représentés  le  Christ  et  le  portrait  de  l'évêque  Xotger; 
l'ivoire  des  trois  Résurrections  de  la  cathédrale  de  Saint- 
Paul  de  la  même  ville,  et  l'Evangéliaire  qui  a  été  acquis 
par  un  amateur  de  Liège,  M.  le  baron  de  Crassier,  à  ]\Iaes- 
tricht,  et  dont  la  couverture  sculi)tée  en  ivoire  est  ornée 
d'une  croix  double  et  des  figures  de  la  Vierge  et  de  saint 
Jean. 

ARNAUD    SCIIAEPKENS. 

Bruxelles,  juin  1862. 


RECHERCHES 

Sur  la  Vie  et  rOEuvre  de  Jean  Belle gamhe, 
peintre  douaisien   du  XVb  siècle- 

DEUXIKMK    AKTICl.K  *. 


IV. 


Jean  Bellegumbe  était  dans  la  maturité  de  l'âge  et  dans 
tout  l'éclat  de  son  génie ,  quand  il  peignit  le  retable  d'An- 
cliin.  Aucun  de  ceux  qui  ont  étudié  ce  chef-d'œuvre  ne  s'é- 
tonnera de  nous  entendre  dire  qu'avant  d'arriver  à  tant  de 
sublimité,  à  tant  de  puissance,  à  tant  de  sûreté  et  de  sou- 
plesse dans  la  main,  il  avait  dû  nécessairement  beaucoup  tra- 
vailler :  son  pinceau  devait  avoir  produit  un  grand  nombre 
de  miniatures  et  de  tableaux.  Quelles  sont  ces  œuvres  ?  Que 
sont-elles  devenues?  Quelles  sont  celles  qui  nous  ont  été  con- 
servées? Quelles  sont  celles  qui  peuvent  être  attribuées  au 
vieux  maître  douaisien?  Voilà  des  questions  auxquelles  nous 
allons  essayer  de  répondre.  Hélas  !  trop  souvent  nos  réponses 
seront  incomplètes  et  incertaines  !  Trop  souvent  nous  aurons 
à  accuser  et  l'oubli  injuste  de  la  postérité,  et  les  ravages  du 
temps,  et  la  fureur  des  incendies,  des  révolutions,  et  l'igno- 

*   Voirie  numéro  d'août,  page  428. 


UKCllERCUKS    SUR   JKAN    UliLLEGAMBli.  453 

rance  de  l'homme  !  Mais  toutefois,  eu  fouillaut  daus  uos  vieux 
auteurs,  eu  cherchant  daus  les  musées  et  les  collectious  par- 
ticulières de  la  ville  de  Douai,  nous  avons  trouvé  des  rensei- 
gnements curieux,  nous  avons  rencontré  des  œuvres  qui  ne 
peuvent  être  que  de  Jean  Bellegambe  ou  de  son  école. 

Et  d'abord,  François  de  Bar,  dans  la  phrase  du  manusci'it 
de  Bruxelles  qui  nous  fait  connaître  le  nom  de  l'auteur  du  re- 
table d'Anchin,  nous  apprend  que  cette  abbaye  possédait,  du 
même  maître,  un  retable  qui  décorait  l'autel  Saint^Mau- 
rice  et  plusieurs  autres  tableaux  * .  En  lisant  les  deux  pas- 
sages, cités  plus  haut,  de  Jacques  Loys  et  de  Frasneau  de 
Lestocquoy,  l'on  est  amené  à  conclure  qu'au  commencement 
du  XVII"  siècle,  il  existait,  dans  la  ville  de  Douai,  un  cer- 
tain nombre  de  tableaux  peints  par  Jean  Bellegambe,  connus 
et  admirés  par  toute  la  population  ^. 

Nous  avons  aussi  rapporté  les  lignes  dans  lesquelles  le  P. 
Philippe  Petit,  prédicateur  général  du  couvent  des  Frères 
Prêcheurs  de  Douai ,  fait  le  plus  grand  éloge  du  vieux  maître 
douaisien,  à  l'occasion  de  «  la  peinture  delà  table  d'autel 
représentante  la  mort  et  miracles  de  notre  P.  S.  Dominique. 
Voici  ce  qu'il  dit  à  la  même  page  :  «  Sur  ceste  table  d'autel 
«  de  notre  fondateur,  on  y  voit  cette  épitaphe  :  Devant  ceste 
«  chapelle  repose  le  corps  de  M.  Thomas  de  le  Papoire,  seigneur 
"  dudit  lieu  et  de  Pipaix,  conseillier  et  maistre  des  recjuestes 
"  de  l'empereur  Charles  V,  lequel  mourut  Fan  lo55.  Auprès 
"  de  luy  repose  le  corps  de  M.  M.  Margueritte  Oudart , 
«  vefve  dudict  M.  Thomas,  laquelle a  faict   faire  ceste 


'  Jean  Bellegambe  qu'y  a  peint  aussy  la  table  de   la   chapelle  suint  31auii<e 
et  plusieurs  tableaux.  Texte  cité  ])ar  31.  W'auters  ,  Jean    Bellegauibi',  p    14. 
-  Op.  et  loc.  cit. 


456  RECHERCHES 

«  table  d'autel....  Elle  mourut  l'an  1544  '.  »  Cette  indica- 
tion est  précieuse;  non-seulement  elle  nous  fait  connaître  un 
retable  de  Jean  Bellegambe  qui  devait  être  assez  important, 
puisqu'il  représentait  la  mort  et  les  miracles  de  saint  Domi- 
nique, mais  elle  nous  donne  le  nom  de  la  commettante, 
épouse  d'un  douaisien  investi  de  la  confiance  de  Charles- 
Quint  ;  de  plus,  elle  porte  à  croire  que  l'auteur  du  retable 
d'Anchin,  dont  nos  archives  ne  constatent  l'existence  que 
jusqu'en  1531 ,  peignait  probablement  encore  après  1535, 
puisque  sur  l'autel  élevé  aux  frais  de  Marguerite  Oudart  fut 
placé  un  retable  dû  à  son  pinceau.  Le  couvent  des  Domi- 
nicains devait  encore  posséder  d'autres  œuvres  du  même 
maître  :  nous  lisons  en  effet  dans  le  Registre  aux  testaments 
reposant  aux  archives  de  Douai ,  que  la  sœur  de  Jean  Belle- 
gambe donne  à  un  Frère  Prêcheur  wi  psautier  escrit  à  la 
main  en  pappier  et  ung  tablet  qui  se  dot  là  ou  est  une  nativité 
et  une  îire  dame  de  pitié.,  au  Cloître  des  Dominicains,  pour  être 
placé  devant  son  tombeau,  iing  tableau  de  nre  dame  de  pitié 
à  courtines  de  sage,  ainsi  que  le  livre  de  sainte  Catherine  de 
Senne  à  sa  belle-mère,  et  ung  tableau  de  la  Nativité  nre  dame 
à  sa  sœur  Mariette  ~.  On  peut  supposer,  sans  trop  de  témé- 
rité, qu'une  partie  au  moins  des  tableaux  et  des  manuscrits 
de  Guillemette Bellegambe  avaient  été  exécutés  par  son  frère. 
L'église  des  Dominicains  renfermait  donc  plusieurs  œuvres 
de  notre  vieux  maître.  Peut-être  ont-elles  été  la  proie  des 
flammes  lors  de  l'incendie  qui  dévora  le  couvent  en  1785; 
peut-être   ont-elles   péri,   ont-elles   été    égarées  au  milieu 

•  Philippe  Petit  :  Fondation  du  couvent  de  lasaincte  Croix.  Douai.  1653, 
p.  142. 

-  Registre  aux  Testaments  àe  la  ville  de  Douai.  Années  1510  et  suiv.  fol, 
286.  I\I.  Preux  qui  a,  le  premier,  indiqué  l'existfnce  de  ce  testament,  en  a  cité 
plusieurs  passages. 


SUR   JEAN    BEI.LEGAMBE.  457 

des  orages  de  la  Kévolution,  comme  les  autres  ta1)leaHx  que 
possédaieut  Douai  et  Ancliin. 


V. 


Mais  heureusemeut  tout  n'a  point  subi  ce  triste  sort  :  plu- 
sieurs peintures ,  plusieurs  panneaux  ,  aujourd'hui  encore 
conservés  dans  les  collections  de  notre  ville,  peuvent  et 
doivent  être  attribués  à  Jean  Bellegambe  ou  à  son  école.  Les 
lecteurs  de  cette  Revue  ont  lu,  il  y  a  deux  ans,  une  longue 
étude  sur  le  retable  d'Ancbin  accompagnée  d'un  dessin  au 
trait  à  feuillets  mobiles  ' .  Nous  ne  dirons  donc  rien  de  ce 
chef-d'œuvre ,  nous  contentant  de  leur  rappeler  que  c'est 
une  peinture  tellement  caractéristique,  et  dansla  composition 
et  dans  le  groupe,  et  dans  le  faire  et  dans  les  procédés,  et 
dans  l'exécution  des  têtes,  des  étoiïes,  des  constructions 
architecturales,  qu'après  l'avoir  étudiée,  l'on  doit  flicilement 
distinguer  le  maître  qui  l'a  produite  de  tous  les  autres  maî- 
tres de  l'école  flamande  primitive.  Les  mêmes  numéros  de 
la  Revue  de  l'Art  Chrétien  ont  aussi  donné  la  description  de 
deux  autres  retables  qui  se  trouvent  l'un  à  Douai  dans  la 
collection  de  M.  le  docteur  Tesse,  et  l'autre  chez  M.  le  doyen 
d'Oisy-le-Verger.  Ajoutons  ici  que  tout ,  dans  le  triptyque 
de  M.  Tesse,  rappelle  le  tableau  légué  à  Notre-Dame  par 
M.  Escallier.  Le  groupe  principal  estd'une  ressemblance  frap- 
pante avec  celui  du  retable  d'Anchin  ;  commettants,  patrons, 
écussons,  armoiries,  tout  est  ordonné  et  exécuté  de  la  même 
manière;  l'architecture,   quoique  moins  riche,  rappelle  le 


'  Revue  de  l'art  chrétien.  Essai  sur  le  retable  d'Anchin,  par  l'abbé  C. 
Dehaisnes.  Année  1860.  Numéros  de  septembre  et  d'octobre. 


458  RECHERCHES 

même  style  jusque  dans  ses  détails  ;  les  étoifes,  la  crosse,  la 
mitre  oft'rent  la  même  fermeté  et  la  même  finesse  de  main  ; 
partout  analogie  dans  la  conception,  le  faire  et  la  touche. 
Les  calculs  approximatifs  faits  pour  la  date  de  ces  deux  ta- 
bleaux reporteraient  leur  exécution  vers  1518  et  1319.  Le 
triptyque  de  M.  Tesse  ue  peutêtre  une  copie  :  jamais  imitateru- 
n'aurait  peint  une  tête  aussi  vivante  que  celle  de  l'abbé 
Jacques  Coëne;  jamais  il  n'aurait  rendu  si  admirablement 
la  splendide  ornementation  de  la  chape  dont  les  orfrois  sont 
autant  de  miniatures.  Nous  n'oserions  pas  affirmer  avec 
autant  de  certitude  que  le  triptyque  d'Oisy-le-Verger  est  de 
Jean  Bellegambe  lui-même;  il  est  difficile  d'apprécier  cette 
peinture  qui  a  beaucoup  souffert. 

Nous  n'hésitons  pas  à  placer  au  nombre  des  œuvres  du 
vieux  maître  douaisien,  deux  volets  d'un  triptyque  conservé 
dans  le  musée  de  notre  ville  sous  le  numéro  200  ' .  La  partie 
centrale,  qui  est  perdue,  devait  représenter  l'Immaculée-Con- 
ception.  Cette  pieuse  croyance,  qui  est  aujourd'hui  un  dogme, 
est  proclamée  sur  les  deux  panneaux  extérieurs  de  ce  trip- 
tyque, par  des  personnages  qui  représentent  tout  le  monde 
catholique,  de  même  que,  sur  le  retable  d'Anchin,  toute  la 
terre  vénère  la  croix.  Le  panneau  de  droite  montre,  au 
milieu  d'arcades  qui  laissent  entrevoir  diverses  constructions 
architecturales,  un  pape  assis  sur  un  trône  richement  orné; 
portant  la  tiare  et  la  triple  croix  des  Souverains-Pontifes,  il 


'  Ce  triptyque  avait,  fermé,  une  largeur  de  1  m.  85  et,  ouvert,  une  largeur 
de  3  ni.  69.  —  Il  suffit  d'un  «eu!  coup-d'œil  pour  voir  que  les  deux  volets 
mobiles ,  aujourd'hui  réunis,  ont  été  placés  dans  un  sens  opposé  à  eelui 
qu'ils  occupaient  primitivement.  Le  triptyque  de  M.  le  doyen  d'Oisy-le-Verger 
et  deux  autres  petits  triptyques  conseivés  dans  la  Cathédrale  d'Arras,  peu- 
vent donner  une  idée  exacte  de  la  forme  du  grand  triptyque  de  l'immaculée- 
Conceptinu,  et  du  riche  encadrement  dont  il  devait  être  orné. 


SUR   JKAN    BKLLEGAJIBE.  ^riO 

semble,  d'un  geste  de  la  inuin,  donner  un  décret  au  monde 
entier;  les  paroles  tracées  dans  un  cartouche  placé  au-des- 
sus de  sa  tête,  sont  empruntées  presque  exactement  à  la 
bulle  Grave  7iimis  de  M8ô  ;  ce  pape  est  presque  certai- 
nement Sixte  lY,  qui  publia  deux  bidles  favorables  à  la 
croyance  à  rimmaculée-Conception,  Tune  en  1476;,  et  l'autre, 
celle  que  nous  venons  d'indiquer,  en  1485.  A  ses  pieds,  à 
droite,  saint  Jérôme,  la  tôte  rasée,  revêtu  des  insignes  du 
cardinalat,  avec  le  lion  son  symbole,  et  à  gauche,  saint  Am- 
broise  et  saint  Augustin  portant  la  chape,  la  crosse  et  la 
mitre  des  évêques,  et  tenant  à  la  main,  l'unie  fouet,  et  l'autre 
le  cœur  enflammé  que  la  tradition  des  siècles  leur  a  don- 
nés ;  ces  trois  saints  personnages  montrent, 'sur  des  ban- 
deroles et  sur  un  livre,  des  passages,  tirés  de  leurs  écrits, 
qui  sont  favorables  à  l'Immaculée-Conception.  Saint  Jean- 
Chrysostôme,  portant  un  phylactère  sur  lequel  on  lit  aussi 
un  texte  analogue  emprunté  à  ses  ouvrages,  et  plusieurs  au- 
tres évêques  se  montrent  au  second  plan  ;  dans  les  balcons 
qui  ornent  les.  arcades  gracieuses  des  constructions  architec- 
turales, des  prélats  d'occident  et  d'orient  en  costume  du 
XV^  siècle  annoncent  que  les  deux  églises  viennent  de  se 
réunir  dans  la  croyance  à  la  naissance  sans  tache  de  la  Mère 
de  Dieu.  Voilà  la  tradition,  la  papauté,  la  catholicité  tout 
entière  qui  élèvent  leur  voix  en  faveur  de  cette  vérité  ;  l'autre 
panneau  va  nous  montrer  l'Université  de  Paris  et  la  ville 
de  Douai  parlant  en  même  temps.  Durant  tout  le  Moyen 
Age,  l'Université  de  Paris  a  été  la  grande  école  du  monde 
catholique  :  elle  se  montrait  si  favorable  à  la  croyance  à  l'Im- 
maculée-Conception qu'en  1497,  tous  ses  membres,  avant 
d'être  reçus ,  devaient  s'engager  à  soutenir  cette  opinion  : 
aussi  ce  sont  ses  docteurs  que  le  peintre  a  représentés,  mais 
sur  un  plan  moins  avancé,  en  regard  du  Pape.  Dans  une  large 


460  nECUEHCIlES 

fenêtre,  au-dessus  de  laquelle  ou  lit  :  Facilitas  (hculofjicr  pari- 
sien—  et  un  texte  des  statuts  de  l'Université  favorable  à 
rimraaculée-Conceptiou,  se  montrent  saint  Bonaventure  por- 
tant la  robe  grise  des  Franciscains  sous  sa  cliape  d'éveque , 
Pierre  Lombard,  évêque  de  Paris,  Duns  Scott,  le  docteur 
subtil,  et  plusieurs  autres  prélats  et  i-eligieux  :  les  trois  pre- 
miers, dans  les  attitudes  les  plus  variées  et  les  plus  vraies, 
indiquent  des  extraits  de  leurs  ouvrages  dans  lesquels  ils  ont 
soutenu  la  croyance  dont  il  est  ici  question.  A  une  autre 
fenêtre  de  l'arrière  [)lan,  David  et  des  prophètes  semblent 
indiquer  que  les  saints  de  l'Ancien  Testament  glorifient  aussi 
la  Mère  de  Dieu.  Au  premier  plan ,  la  ville  de  Douai  vé- 
nère la  Vierge  Immaculée  ;  cette  ville  et  sa  bourgeoisie  sont 
représentées  par  un  groupe  qui  se  compose  d'un  homme  assez 
âgé,  probablement  le  chef  du  magistrat  de  la  cité,  puis  d'une 
femme,  sans  doute  son  épouse,  et  de  trois  autres  personnages 
qui  paraissent  être  leurs  enfants;  auprès  d'eux  un  ange  por- 
tant une  tablette  sur  laquelle  on  lit  un  texte  de  saint  Bernard 
relatif  à  la  sainte  Vierge.  Ces  cinq  personnes,  richement  vê- 
tues pour  des  bourgeois,  sont  agenouillées  les  mains  jointes 
et  prient  les  yeux  tournés  vers  le  panneau  central.  Der- 
rière eux,  comme  les  patrons,  les  protecteurs  de  cette 
famille  et  de  la  cité,  sont  représentés  un  Dominicain  qui, 
pour  rappeler  que  son  ordre  a  cessé  de  s'opposer  à  la  croyance 
à  rimmaculée-Conception^  porte  un  passage  de  saint  Thomas 
d'Aquin  favorable  à  cette  opinion,  et  un  Franciscain  qui 
rappelle  sans  doute  que  les  enfants  de  saint  François  ont 
toujours  soutenu  cette  glorieuse  prérogative  de  la  sainte 
Vierge.  Ces  deux  religieux  figurent  certainement  la  ville  de 
Douai  :  en  effet,  le  Franciscain  tient  en  sa  main  le  gracieux 
beffroi  de  cette  cité,  tel  qu'il  a  été  reconstruit  après  l'in- 
cendie de  1171,  et,  de  même  que  le  Dominicain,  il  indique 


siT.  ,ii:an  bicllecamui:.  4t)l 

du  doigt  cet  édifice  qui,  en  Fhuidre  pluscjuc  [lartont  iiillcurs, 
représente  la  l)ourgeoisie.  Du  reste,  rinscription  de  la  ban- 
derole que  tient  le  Franciscain  le  dit  assez  :  Ivr  sei;vi  MEI 
rURITATIS  TU.E  ORTUM...  YEXrilANTES,  VIUGO  GLOUIOSISSIMA  , 
CIVrr.VTEM    IIANC    SANCTAM   ILEllEDIÏABUNT.    DiUlS    le    fond,  OR 

aperçoit  les  tours  et  le  clocher  de  la  ville,  piirmi  lesquels  se 
distingue  encore  le  beffroi,  avec  le  riche  couronnement  que 
l'incendie  venait  de  dévorer  quelques  années  auparavant. 

La  peinture  que  nous  venons  de  décrire  est  polychrome  : 
celle  de  la  face  extérieure  est  une  grisaille.  Elle  représente 
des  épisodes  de  la  vie  de  saint  Joachim  et  de  sainte  Anne, 
que  les  peintres  de  l'école  primitive  rattachaient  toujours 
à  rimmaculée-Conceptiou.  Sur  le  volet  de  droite  saint  Joa- 
chim offre  un  agneau  eu  holocauste  ;  mais  il  est  repoussé 
par  le  grand-prêtre  et  par  les  pharisiens  à  cause  de  la  stéri- 
lité de  sa  femme.  Sur  le  volet  de  gauche,  nous  voyons  sainte 
Anne,  accompagnée  de  Judith,  sa  suivante,  distribuant  des 
aumônes  aux  pauvres,  afin  d'obtenir  du  ciel  le  bonheur  d'être 
mère;  et  à  l'arrière-plan,  d'abord  l'ange  Gabriel  annonçant 
à  cette  sainte  femme  que  sa  prière  sera  exaucée,  et  ensuite 
saint  Joachim  rencontrant,  sous  la  porte  d'or  des  évangiles 
apocryphes,  son  épouse  qui  lui  fait  part  de  la  jiromesse  de 
l'ange.  Au  haut  des  constructions  architecturales,  des  ar- 
moiries offrant  une  roue  et  trois  pots.  Les  rapports  qui 
existent  entre  les  sujets  et  entre  les  constructions  de  la  par- 
tie polychrome  et  de  la  grisaille,  nous  font  penser  qu'elles 
sont  de  la  même  époque  et  de  la  même  main . 

Il  y  a  plusieurs  années  déjà,  un  critique  de  goût,  M.  A. 
Cahier,  a  parfaitement  fait  ressortir  les  analogies  frappantes 
qui  existent  entre  ce  volet  et  le  retable  :  nous  ne  ferons  que 
résumer  ici  ses  idées.  Dans  les  deux  tableaux,  même  mélange 
de  style,  même  forme  élancée  à  des  arcades  en  plein  cintre, 


4G2  RECllERCilKS 

mômes  colonnes  grecques,  mômes  arabesques  sur  les  piliers, 
mêmes  balcons  où  se  réunissent  les  évoques,  mômes  perspec- 
tives ouvrant  sur  des  fenêtres  ogivales  à  meneaux  en  pierre  ; 
pour  les  personnages,  même  pose,  môme  expression  dans  la 
physionomie,  même  manière  de  peindre  la  tête.  Les  étoffes, 
les  chapes,  les  mitres,  les  croix,  les  objets  d'orfèvrerie  offrent 
la  ressemblance  la  plus  frappante  ;  il  n'est  pas  jusqu'à  l'écri- 
ture des  phylactères  qui  ne  soit  absolument  la  même  ;  les 
procédés  de  peinture  n'offrent  pas  de  différence  ;  et  si  quel- 
ques têtes,  comme  celles  du  Pape,  de  saint  Augustin, 
offrent  des  tons  rouges  et  plats  qui  ont  poussé  au  noir,  il 
faut  attribuer  cela  au  pinceau  qui  a  essayé  de  restaurer  ces 
panneaux  il  y  a  déjà  plusieurs  années  '. 

L'auteur  que  nous  venons  de  citer,  dans  son  étude  sur 
ces  panneaux,  a  prouvé  qu'ils  proviennent  du  couvent  des 
Cordeliers  (plus  tard  Récollets  wallons),  qui  avaient  érigé 
dans  leur  église  une  chapelle  et  une  confrérie  en  l'honneur 
de  rimmaculée-Conception.  Quant  aux  commettants,  les 
armoiries  indiquent  qu'ils  sont  de  la  famille  des  Pottier. 
D'un  autre  côté,  un  Collart  Pottier  fut  chef  du  magistrat 
en  1510  et  en  1514;  c'est  probablement  à  cette  époque,  qu'il 
fit  exécuter  ce  retable  et  qu'on  le  peignit  auprès  du  beffroi 
qui  semble  rappeler  les  fonctions  qu'il  exerçait  ". 

Comme  nous  le  disions  plus  haut,  le  compartiment  central 
de  ce  retable  de  l' Immaculée-Conception  est  perdu  ;  mais  il  est 
possible  de  se  faire  une  idée  du  sujet  que  probablement  Jean 
Bellegambe  y  avait  peint,  en  étudiant  un  tableau  sur  bois 

'  A.  Cahier,  Uni^ieiix  lahlean  dumusée  de  Douai.  —  Mémorial  de  la 
société  d'agriculture,  sciences  et  arts  de  Douai,  t  iv,  2*  série.  —  Tout  ce 
que  nous  venons  de  dire  sur  les  panneaux  du  musée  n'est  en  général  que  le 
résumé  du  travail  de  RI.  A.  Cahier. 

-  A.  PiiKlx,  Jehan   Bellegandte  de  Douai,  p.    1  1. 


Slll    JEAN    nKI.LK(;A.MnF..  4(53 

du  XVP  siècle,  qui  se  trouve  à  Douai,  dans  la  liclic  collec- 
tion de  M.  Amédée  Thomassiu.  Ce  petit  tableau  représente 
aussi  rimmaculée-Conception  ;  dans  l'ouverture  de  l'une  de 
ces  arcades  genre  renaissance  qu'aimait  à  reproduire  .lean 
Bellegambe,  au  premier  plan  d'un  lointain  paysage  ([ui  rap- 
pelle aussi  le  retable  d'Anchin,  l'auteur  a  peint  sainte  Anne, 
les  mains  jointes  et  les  yeux  modestement  baissés  ;  de  son 
sein  s'échappent  des  rayons  ardents  qui  forment  un  cercle  lu- 
mineux, au  centre  duquel  apparaît  vaguement,  rose  et  douce, 
l'enfant  conçue  sans  péché,  qui  sera  plus  tard  la  Weve  du  Fils 
de  Dieu  :  c'est  une  pensée  originale  et  hardie,  qui  est  rendue 
avec  une  grande  pureté  et  un  rare  bonheur.  Le  paysage  offre 
trois  épisodes  de  la  vie  de  saint  Joachim  et  de  sainte  Anne  ; 
ici  le  pieux  vieillard  qui,  dans  sa  tristesse,  s'est  retiré  dans 
la  campagne  pour  garder  ses  troupeaux,  entend  l'ange  lui 
annoncer  que  la  stérilité  de  sa  femme  cessera;  là,  sainte 
Anne  distribue  des  aumônes  à  plusieurs  pauvres  qui  l'en- 
tourent; et  ailleurs,  les  deux  époux  se  rencontrent  sous  la 
porte  dorée  :  dans  un  balcon  qu'offre  l'arcade,  on  voit  plusieurs 
évêques.  Lorsque  le  tableau  a  été  restauré,  la  tête  du  princi- 
pal personnage ,  qui  est  d'ailleurs  belle  et  pieuse ,  a  perdu 
quelque  chose  de  son  caractère  primitif  ;  heureusement  l'on 
n'a  pas  touché  aux  autres  parties  de  cette  peinture,  et  en  exa- 
minant la  construction  architecturale  et  ses  ornements  qui 
rappellent  tout  à  fait  ce  que  l'on  trouve  sur  les  quatre  re- 
tables que  nous  venons  de  décrire,  en  voyant  des  évêques. 
dans  un  balcon  qui  sont  identiquement  semblables  à  ceux 
que  l'on  voit  aussi  dans  des  bidcons  sur  le  tableau  po- 
lyptyque et  sur  les  volets  du  ]\Iusée,  en  étudiant  les  trois 
épisodes  du  paysage  qui  rappellent  ceux  des  panneaux  de 
rimmaculée-Conception,  nous  avons  cru  qu'il  y  a  lieu  de 
ranger  ce  tableau  au  nombre  des  productions  de  Jean  Belle- 


4GI  RECHERCHES 

gambe.  On  pourrait  peut-être  sans  trop  de  témérité  voir  dans 
ce  charmant  panneau,  une  première  étude  ou  du  moins  une 
idée  générale  du  retable  dont  nous  venons  de  décrire  les  deux 
volets  ;  les  mêmes  épisodes  sont  reproduits,  et  Ton  sait  que 
les  maîtres  de  cette  époque  se  copiaient  souvent  eux-mêmes  ; 
la  petite  peinture  de  M.  Tliomassin  pourrait  bien  être  rela- 
tivement au  grand  retable  des  Récollets  Wallons,  ce  que  le 
tryptyque  de  M.  Tesse  est  au  grand  polyptyque  retrouvé  par 
M.  Escallier. 


YI. 


Les  hommes  spéciaux  qui  ont  longemps  pratiqué  la^  peinture 
s'accordent  avec  les  amateurs  pour  reconnaître  la  main  du 
vieux  maître  douaisien  dans  les  deux  volets  d'un  petit  trip- 
tyque de  la  collection  léguée  à  la  ville  de  Douai  par  M.  Es- 
callier'. Si  le  compartiment  central  est  évidemment  d'une 
autre  main,  il  en  est  tout  autrement  des  deux  volets;  celui 
de  droite  offre  un  personnage  du  XVI^  siècle  derrière  lequel  se 
tient  debout  saint  Jean-Baptiste,  et  celui  de  gauche  une 
femme  pieusement  agenouillée,  protégée  par  saint  Jean 
l'Evangéliste  ;  sur  le  chanfrein  du  premier  de  ces  panneaux, 
on  lit  en  caractères  et  en  chiffres  de  l'époque  :  i524,  ea  die 
XXVIII...  Les  rapports  frappants  qui  existent  entre  le  saint 
Jean-Captiste  de  ce  tableau  et  celui  du  retable  d'Anchin, 
entre  la  pose  et  les  vêtements  de  ses  commettants  et  ceux  de 
la  famille  Pottier  sur  les  panneaux  du  musée,  le  coloris  de 
ces  deux  volets,  la  date  de  1524,  tout  porte  à  croire  qu'ils 
sont  ou  de  la  main  ou  de  l'école  de  Jean  Bellegambe. 

11  existe  dans  la  cathédrale  d'Arras  deux  petits  triptyques, 

*  Musée  de  Douai,  n"  29  du  catalogue  (157  du  catalogue  Escallier). 


SUR    .lli.VN    lICl.LiaiA.MlJE.  .Ui3 

offrant  le  millésime  de  1 528,  que  des  connaisseurs  ont  raj)- 
prochés  du  retable  d'Anchin  :  ils  rappellent  davantage  Jean 
de  Maubeuge,  Le  type  et  la  pose  des  personnages,  sauf  peut- 
être  un  ange  (pu  ouvre  un  panier,  offrent  un  caractère  tout 
différent  de  ce  cpii  se  voit  dans  les  peintures  de  Jean  13elle- 
gambe  ;  la  tête  de  la  Vierge  révèle  une  alliance  plus  intime 
de  l'art  des  bords  du  Rhin  et  des  écoles  italiennes  ;  plus 
fine,  la  touche  a  moins  de  largeur  ;  les  constructions  archi- 
tecturales, presque  exactement  les  mêmes,  sont  d'un  style 
grec  i)eut-etre  plus  pur;  les  vêtements  sont  moins  étudiés 
dans  les  détails  de  l'ornementation  ;  enfin,  dans  les  paysages 
il  y  a  plus  de  perspective  aérienne  et  le  feuille  des  arbres 
prouve  une  science  plus  complète. 

Dans  la  même  ville  d'Arras,  un  heureux  hasard  nous  a 
fait  découvrir,  au  milieu  d'une  foule  d'autres  oltjets  d'art, 
deux  petits  panneaux  du  XVP  siècle  qui,  au  premier  coup 
d'œil,  nous  ont  rappelé  l'école  de  Jean  Bellegambe.  Sur  le 
panneau  de  droite,  un  personnage  de  cinquante  à  soixante 
ans,  revêtu  du  costume  de  l'époque  et  portant  à  son  bras  les 
armes  d'Espagne,  est  agenouillé  les  mains  jointes;  auprès  de 
lui  son  écuyer;  derrière,  saint  Nicaise  son  patron,  qui  tient 
dans  ses  mains  sa  tête  sanglante,  symbole  ordinaire  du  mar- 
tyre par  la  décapitation.  Le  panneau  de  gauche  montre  une 
femme  d'environ  vingt-cinq  à  trente  ans,  en  costume  du 
XVP  siècle,  et,  derrière  elle,  saint  Jean  l'Evangéliste  et 
sainte  Claire  avec  les  attributs  que  la  tradition  leur  a  donnés. 
L'on  voit  sur  la  face  extérieure,  qui  est  d'une  autre  main  et 
d'une  date  postérieure ,  d'un  côté  la  Mort  sous  la  forme 
d'un  squelette  décharné,  donnant  la  bénédiction  et  s'ap- 
puyant  sur  une  bêche  de  fossoyeur,  et  de  l'autre  côté  une 
épitaphe  en  quarante  vers  français,  surmontée  d'un  écusson 
armorié.  Cette  inscription  et  les  recherches  que  nous  avons 

TOMK    VI.  'U 


4(16  RLCUERCIIKS 

faites  nous  ont  fait  connaître  que  le  connnettant  était 
Nicaise  l^adani,  de  Béthune,  chroniqueur  renommé,  long- 
temps héraut  d'armes  de  Charles -Quint  sons  le  uom  de 
Grenade  ,  et  plus  tard  })révôt  de  Bapaume,  mort  à  Ar- 
ras  en  1547.  La  femme  de  l'autre  panneau  était  son 
épouse,  Jeanne  liicouart.  A  en  juger  par  les  traits  de  Nicaise 
Ladam  et  de  sa  femme,  ainsi  que  par  la  peinture  elle-même, 
la  partie  polychrome  a  été  peinte  de  1515  à  1525.  Sur  ces 
deux  volets,  nous  avons  retrouvé  dans  le  commettant^  le 
type,  la  pose  et  le  mouvement  que  nous  avons  déjà  indi- 
qués plusieurs  fois  précédemment;  le  Saint-Jean,  dont  le  ca- 
ractère est  malheureusement  dénaturé  par  un  repeint  qui 
enlève  toute  proportion  à  la  tête,  rappelle  celui  du  tableau 
polyptyque  d'Anchin,  par  la  pose  et  le  calice  symbolique.  Si 
le  sujet  principal,  qui  nous  aurait  oifert  un  point  de  compa- 
raison plus  solide  encore  que  l'étude  des  commettants,  n'existe 
plus,  du  moins  nous  trouvons  des  analogies  frappantes  dans 
les  moindres  détails  du  costume  et  des  objets  d'orfèvrerie. 
L'étoffe  du  vêtement  de  saint  Nicaise  rappelle  la  chape  de 
Jacques  Coëne  dans  le  triptyque  de  M.  Tesse;  la  crosse  de 
sainte  Claire  est  tout-à-fait  semblable  à  celles  qui  se  voient 
dans  le  tableau  polyptyque  et  dans  les  panneaux  du  Musée; 
et  le  chapelet  et  la  boucle  de  ceinture  de  Jeanne  Ricouart  sont 
identiquement  reproduits  dans  les  peintures  dont  nous  venons 
de  parler.  La  date  concorde  avec  l'opinion  de  ceux  qui  at- 
tribuent ces  volets  à  Bellegambe  ou  à  son  école  :  comme  la 
veuve  du  conseiller  de  Charles-Quint  qui  fit  exécuter  par  le 
vieux  maître  douaisien  et  placer  sur  la  tombe  de  son  époux 
le  retable  de  la  chapelle  de  Saint-Dominique,  le  héraut 
d'armes  du  même  empereur  aurait  fait  peindre  par  le  même 
artiste,  un  retable  qui  fut  ensuite  placé  sur  sa  tombe  dans 
rédise  Saint-Jean-en-Konville,  à  Arras. 


SUR    JEAN    BKLLEGAMllK.  .\(;~ 

Nous  avons  vu,  il  y  a  quelques  années,  à  Paris,  chez 
M.  Forgeais,  archéologue  et  marchand,  un  panneau  qui 
montrait  sur  Tune  de  ses  faces,  le  portrait  de  Charles  Coguin; 
les  traits,  l'attitude  et  la  chape  de  l'abbé,  la  crosse  qu'il 
porte,  le  prie-Dieu  devant  lequel  il  est  agenouillé,  tout  rap- 
pelle le  retable  d'Anchin;  il  en  est  de  même  du  paysage  qui 
oflre  des  arbres,  un  pont  jeté  sur  un  ruisseau  et  des  mon- 
tagnes dans  le  fond.  Il  est  à  regretter  que  le  Musée  de  Douai 
n'ait  pas  acquis  ce  panneau  qui,  si  nos  souvenirs  ne  nous 
trompent  pas,  doit  être  de  Jean  Bellegambe  lui-même. 


VII. 


Voilà  tout  ce  que  nous  avons  pu  recueillir  sur  Jean  Belle- 
gambe et  sur  son  œuvre,  dans  nos  auteurs  les  plus  anciens, 
dans  les  brochures  qui  viennent  d'être  publiées,  et  dans  nos 
recherches  à  travers  les  bibliothèques,  les  musées  et  les  col- 
lections particulières  :  sans  doute  le  travail  et  peut-être  le 
hasard  fourniront  encore  de  nouveaux  renseignements. 
Nous  n'avons  pas  voulu  tarder  davantage  à  présenter  à  ceux 
qui  s'occupent  d'histoire  artistique,  ces  quelques  pages  qui 
ont  été  écrites  avec  toute  la  conviction  que  peuvent  inspirer 
l'étude,  le  goût  des  arts  et  le  désir  de  faire  connaître  un  ar- 
tiste chrétien  dont  le  nom  a  été  si  longtemps  oublié. 

A.    ASSELIN  ET  C.  DEHAISNES. 


LES  SANDALES  ET  LES  BAS 


DEUXIEME    AUTiri.E 


CHAPITRE  II 


CHALiSSDRES  DES    ANCIENS. 


De  tous  les  êtres  vivants,  l'homme  est  celui  dont  les  or- 
ganes de  locomotion  sont  les  plus  délicats  et  les  plus  sen- 
sibles; il  est  donc  vraisemblable  que  le  roi  de  la  création 
chercha,  dès  l'origine,  à  défendre  ses  extrémités  inférieures 
contre  l'inclémence  des  saisons,  les  épines  ou  les  cailloux. 
La  première  chaussure  fut  probablement  végétale  et  l'écorce 
des  arbres  en  fit  les  frais  ' .  Puis,  la  nécessité  enfantant  l'in- 
dustrie, le  roseau  ou  le  palmier  tressés  fournirent  des  éléments 
moins  destructibles.  Mais  un  tel  préservatif,  approprié  aux 
climats  chauds,  restait  insuffisant  dans  les  régions  froides, 
et  l'homme,  pour  courir  à  la  recherche  du  gibier  dont  il  se 


*  Voir  le  numéro  de  juillet,  p.  337. 

'  PiiiLosTRATE,  v'il.a  Jpollonii ,  lib  ii,  c.  9,  mentionne  les  souliers  d'écoice 
des  habitants  de  l'Inde. 


LKS    SANDALES    KT   LES    liAS.  469 

nourrissait,  iniagitia  de  lui  deniander  le  vêtement  des  pieds 
comme  il  lui  avait  déjà  empriuité  celui  du  corps.  Uiie])eau 
d'animal,  tournée  le  poil  en  dedans,  liée  autour  de  la  che- 
ville par  des  tendons  sécliés  au  soleil,  constitua  le  soulier 
primitif.  Quand  on  eut  inventé  les  moyens  de  travailler  le 
bois  et  de  préparer  le  cuir,  apparut  la  semelle  attachée  avec 
des  courroies,  solea,-  une  empeigne  et  un  quartier,  progres- 
sivement annexés  à  cette  semelle,  produisirent  le  çalceus. 
La  civilisation  croissant  et  la  sensualité  aussi,  les  jambes,  à 
l'exemple  des  pieds,  exigèrent  une  couverture;  d'abord  sépa- 
rés du  ppclule,  Vocrea  et  le  libiale  s'incorporèrent  ensuite  à 
lui  pour  former  les  péronés^  le  cothurne  et  les  bottes.  Plus 
tard,  de  nouvelles  enveloppes  en  tissu,  fasciœ  paliilcs,  cru- 
rales, empêchèrent  la  peau  nue  de  toucher  immédiatement 
à  la  chaussure.  Ces  dernières  feront  le  sujet  d'un  chapitre 
ultérieur;  je  ne  veux  traiter  ici  que  des  objets  classés  par 
les  anciens  jurisconsultes  sous  la  dénomination  de  calcea- 
nienla. 

^  I.  Peuples  orlenlaux. 

I.  Juifs.  —  L'antiquité  hébraïque  est  trop  pauvre  en  mo- 
numents ligures  pour  qu'il  soit  possible  de  rétablir  exacte- 
ment la  forme  des  chaussures  israélites  ;  je  l'essayerai  néan- 
moins à  l'aide  des  textes  sacrés  mis  en  regard  des  bas-reliefs 
assyriens.  De  temps  immémorial  les  Juifs  portèrent  des  cal- 
ceamenta;  à  diverses  reprises,  Dieu  ordonne  à  Moïse  et  à 
Josué  de  quitter  leur  chaussure  ' .  Ces  calceamevta  étaient 
de  deux  espèces  :  la  première,  que  mentionnent  la  Genèse 
et  Isaïe,  consistait  en  une  semelle  attachée  à  la  jambe  par 

'  Exode,  ni,  5;  .Josué,  v,  16. 


470  LES    SANDALES   ET   LES    BAS. 

des  courroies  '  ;  l'autre  engageait  l'intégrité  du  pied.  Lorsque 
les  Gabaonites  voulurent  en  imposer  à  Josué,  ils  se  présen- 
tèrent devant  lui   chaussés  de  «  calceamenta  perantiqna  ad 
indicinni  vetustatis  pittaciis  consuta  '  ;  »  mais  le  verset  7  du 
chapitre  iv  de  Ruth  est  beaucoup  plus  explicite.  En  effet,  si 
la  majorité  des  interprêtes  y  rend  le  mot  SV3  par  calccamen- 
tum  ou  un  équivalent,  la  paraphrase chaldaïque  dit:  «  Excal- 
ciavit  vir  vaginam  suam  :  »  or,  vagina  (étui,  fourreau}  ne 
peut  répondre  qu'à  l'idée  d'un  objet  creux,  un  soulier  muni 
d'empeigne  et  de  quartier.   La  chaussure  des  femmes  est 
très-vaguement  indiquée  ;  des  ornements  la  relevaient,  <'  in 
die  isto  auferet  Dominus  ornamentum  calceamentorum  ;  » 
elle  affectait  la  couleurbleue  :  «  et  calceavi  ianthino  *  :  »  Un 
classement  établi  par  Abarbanel  me  permettra  de  préciser 
davantage.  Ce  commentateur  distingue  trois  genres  de  calcea- 
menta :  1°  la  chaussure  que  le  simple  mouvement  du  pied 
fait  tomber;  2"  la  chaussure  qui,  tenant  plus  fortement  au 
pied,  a  besoin  d'être  retirée  ;  5°  la  chaussure  attachée  par 
des  cordons  \  Je  reviendrai  sur  la  dernière  au  sujet  des  As- 
syriens. Le  n"  2  dont  parlent  Ruth  et  le  Deutéronome  n'est 
autre  que  la  pantoufle  arrondie,  sans   cordons,   à  semelle 
plane  {marJwub),  généralement  usitée  chez  les  Orientaux  ;  le 
n"  1  me  semble  personnel  au  beau  sexe.  La  Vulgate,  pour 
exprimer  la  chaussure  de  Judith,  emploie  le  terme  samla- 
lium,  toujours  appliqué  par  les  Gi'ecs  et  les  Romains  à  un 


«  '  A  filo  subtegminis  usque  ad  corrigiam  caligoe,»  Gcn.,  xiv,  23.  —  «  Nec 
rumpetur  corrigia  calceamenti  ejus.  »  Isaïe,  v,  27. 

*  Cousus  avec  des  fils  enduits  de  poix.  JosuÉ,  ix  5 

^ISAÏK,  III,    18   —   EZKCHIEL,   XVI,   10. 

*  In  Deut.,  XXV,  9,  ap.  S.  Cahen,  Trad.  de  la  Bible,  t.  XVI,  p.  57,  n.  7. 
Toute  cette  note  qui  explique  le  v.  7  du  c.  iv  de  Ruth  présente  le  plus  haut 
intérêt. 


LK3    SAMiALi:S   ET    LES    lîAS.  /(7  I 

caiccus  mtdicbris;  lesdites  sandales  étaient  éclatantes, 
puisque,  métaphore  à  part,  elles  ravii'ent  Holopherne  ';  de 
plus,  le  Cantique  des  cantiques  peint  admirablement  la  dé- 
marche l)alancée  d'une  femme  chaussée  de  pantoufles  sans 
quartier'.  La  sandale  de  cuir  ou  d'étoffe,  encore  aujourd'hui 
portée  par  les  dames  turques,  arméniennes,  grecques,  mau- 
resques et  juives,  sandale  qu'un  sim[)le  mouvement  engage 
ou  dégage  et  dont  l'empeigne,  voire  la  semelle  intérieure, 
sont  fréquemment  chargées  de  riches  hrodei'ies  en  or,  réunit, 
à  mou  sens,  les  conditions  indispensables  pour  i-appeler  celle 
des  temps  bibliques.  Les  Israélites  usaient  à  la  guerre  de 
bottines  en  fer  et  en  airain  ^  ;  aller  pieds  nus  était  chez  eux 
signe  de  deuil  ^  ;  enfin,  quoique  leur  chaussure  n'eût  pas 
grande  valeur,  ils  la  considéraient  comme  un  objet  de  pre- 
mière nécessité,  môme  relativement  aux  classes  indigentes^. 
n.  Assyriens  et  peuples  de  l'Asie  mineure.  —  Les  scul- 
ptures assyriennes  fournissent  un  nombre  assez  considérable 
de  types  humains  pour  qu'il  soit  permis  à  l'étude  de  recon- 
naître la  forme  des  chaussures  chez  les  peuples  araméens. 
Le  bas-relief  de  la  chasse  aux  lions  recueilli  par  M.  Layard 
dans  les  ruines  du  palais  de  Nemrod  offre  deux  soldats  chaus- 
sés de  soleœ  munies  de  quartiers  et  attachées  par  des  cour- 
roies croisées  sur  le  cou-de-pied  ".  Les  fouilles  de  M.  Botta 

'  »  Iiiduitque  sandalia  pi^dibus    suis.  »  x,    3,  —   Sandalia    cjiis  lapiicrunt 
11  oculos  ejus.  »   XVI,  11. 
■     '■*  Il  Quam  pulchli  sunt  gressus  tui  in  calceamentis,  u  vu,  1. 

'  11    Fenum  et   œs  calceamentum  ejus.  »  Deul.,   xxxiir,  25.  —  Et  ocieas 
<•  aercas  habebat  (Goliath)  in  cruiibus.  »  Reg.,  i,  xvii,  6. 

*  11  Vade....   et  c-alceamenta  toile  de  pcdibus  tuis.  »  Isaîk,  xx,  2,  et  aussi 
Ezéchieî,  xxiv,  17  et  23. 

*  Il  Samuel pecunias  et  usque   ad  calceamenta...  non  aecepit.   »  Ercle- 

siastL,   xLvi,   22    —  «    Pro   eo   quod   vendiderit....    paupeiem   pro  calcea- 
mentis... Ul  possideamus...  pnupeies  pro  calceamentis.  •  Amos,ii,<>:  viii,  (i. 

•■•  .\.  DE  LoNGPKUiKR,  Rev.  aïcli.  t    IV,  p.  300  ot  pi.  69. 


472  LES   SANDALES    ET    LES    BAS. 

ont  rais  au  jour  une  solea  plus  éléraentaire  encore,  car  elle 
n'a  qu'une  simple  bride  contournant  les  chevilles  avec  un 
sous-pied  pour  retenir  la  semelle'.  Toutefois,  la  chaussure 
ordinaire  des  Chaldéens  (les  monuments  l'attribuent  aux  hé- 
ros, rois,  seigneurs,  eunuques  et  soldats)  consistait  en  une 
crepida  enveloppant  le  talon  et  les  côtés  du  pied  dont  la 
partie  supérieure  restait  découverte.  Un  anneau  de  métal 
uni  ou  ciselé,  traversé  par  le  gros  orteil,  assujettissait  la  se- 
melle contre  la  plante;  cinq  cordons,  deux  internes,  trois 
externes,  partant  de  trous  percés  dans  le  quartier,  se  nouaient 
sur  le  cou-de-pied.  Il  en  existe  des  spécimens  coloriés  en 
rouge  ou  en  noir.  Un  esclave  et,  je  crois  aussi,  une  femme 
portent  la  même  chaussure  sans  quartier,  avec  sous -pied 
et  bride  aboutissant  à  l'anneau  ■.  Une  autre  variété  munie 
de  quartiers  distingue  les  Assyriens  tributaires  qui  saluent 
le  grand  roi  au  jour  du  Nourouz^;  enfin,  M.  Botta  en  cons- 
tate l'usage  actuel  parmi  les  peuples  mésopotamiques  et 
notamment  au  mont  Sindjar.  Peut-être  serait-il  trop  hardi 
d'accorder  aux  œuvres  d'art  ninivites  la  prodigieuse  anti- 
quité qu'on  voudrait  leur  assigner,  néanmoins  leur  âge  est 
assez  respectable  pour  qu'une  chaussure  qu'elles  retracent 
et  dont  la  forme  persiste  après  tant  de  siècles  écoulés,  ne 
diffère  en  rien  des  calceamenta  à  courroies  de  la  G-enèse  et 
d'Isaïe.  Quelques  cavaliers  assyriens  ont  par-dessus  leur 
anaxyris  (caleçon),  collante  et  bigarrée,  une  sorte  de  brode- 
quins montant  jusqu'à  mi-jambe  ,  ouverts  et  lacés  par- 
devant;  brodequins  qui  garantissent  aussi  la  peau  nue  des 


'  Monument  de  Ninire,  pi.  92,  98  et  autres. 

-  Botta,  loc.   cit  ,  pi.    19,  20,  41,  81  (rouge),  101,  119,  155,  (noir,  brique 
émaillée).  —  PI.  127  et  92. 

'  Bas  relief  de  Persépolis  ;  Flandfn  et  CosTE,  Voi/.  en  Perse,  pi.    108. 


LES    SANDALES    ET    LES    BAS.  473 

fantassins  '.  Hérodote  y  lait  sans  donte  allusion  (juaiul  il  dit 
que  les  Babyloniens  avaient  une  chaussure  nationale  ana- 
logue à  celle  des  Béotiens".  Parfois  ce  cothurne  n'a  aucune 
solution  de  continuité  :  dans  le  costume  des  palfreniers,  il 
dépasse  souvent  le  genou  ;  alors  la  courroie  est  disposée  en 
échelle  ou  en  zigzag.  On  doit  croire  que  la  semelle  en  était 
peu  résistante,  car  la  plupart  des  individus  qui  le  portent 
chaussent  en  outre  un  socque  à  quartier  élevé  dont  l'em- 
peigne s'effile  en  pointe  recourbée  ^. 

Les  bas-reliefs  de  Yasili-Kaïa  offrent  un  spécimen  curieux 
des  plus  anciennes  chaussures  de  l'Asie  mineure  :  les  souliers 
ou  bottes  des  hommes  sont  démesurément  longs,  pointus  et 
arqués  ;  ceux  des  femmes  rappellent  le  type  chinois.  Le  ca- 
chet du  Céleste-Empire  est  également  reconnaissable  aux 
pieds  d'un  soldat  lycaonien,  sculpture  coloriée  que  M.  Texier 
croit  contemporaine  de  la  venue  des  premiers  Grecs  en  Asie; 
le  soulier  lacé  parait  en  cuir  et  s'emboîte  dans  une  cnémide 
semblable  \ 

in.  Phéniciens  et  Egyptiens.  —  Le  peu  qui  nous  est  ré- 
vélé des  chaussures  phéniciennes  a  trait  aux  fonctions  sacer- 
dotales. Hérodien  rapporte  qu'Héliogabale  fit  participer  aux 
sacrifices  les  généraux  et  les  premiers  officiers  de  l'empire, 
revêtus  de  l'habit  phénicien,  avec  des  calceamenta  de  lin 
comme  les  portaient  en  Phénicie  ceux  qui  prédisaient  l'ave- 
nir. Apulée  attribue  des  souliers  jaunâtres  aux  prêtres  de  la 
déesse  de  Syrie  ^ . 


Botta,  loc.  cit.  pi.  64,  67,  99,  145  (cavalieis)  ;  90  (t'antassiiis). 
-  «  'VTTOov^aaTa  eKt/ojpia  TrapairXrîtjia  Tr,Gi  BoiOTVjai  auSadi.  »   i,  195. 
'  BoTT.A,  loc-  cil.  \A.  67,  81,  13-2,  150  et  36,  37,  39,  129,  133,  135,  etc. 
4  Ch.  Tkxier,  Descripl,  de    l'Asie    Mineure,    Ptoiium,    pi.  75  et  78;  Ko- 
pieh,  pi.  103. 

^  Hisl.  rom,,  1.  v,  13.  — «  Pedes  lutcis  induti  caiccis  »  Mêlant.,  1.  vni 


474-  LES   SAN'DALES    ET   LES    BAS 

L'image  des  dieux,  rois,  pontifes  et  guerriers  de  l'Egypte, 
se  montre  prescpie  toujours  avec  une  soka  pointue  et  recour- 
bée, maintenue  par  une  courroie  longitudinale  avec  sous-pied 
agrafé  sur  la  cheville  ';  Sétif  I,  roi  de  la  XIX '''  dynastie, 
est  ainsi  figuré  au  IMusée  du  Louvre  (B,7).  Hérodote  nous 
apprend  que  les  prêtres  égyptiens  mettaient  des  souliers 
de  papyrus  (ÛTro^-zip-ara  (SùSXiva),  Le  nom  latinisé  de  ces  sou- 
liers était  baxa  ou  baxea  ;  Apulée  en  chausse  le  thauma- 
turge Zachlas  et  aussi  la  déesse  Isis  ^.  Plus  d'un  original  en 
a  été  découvert  au  fond  des  hypogées  de  l'Egypte.  Parfois  les 
baxeœ  ont  le  quartier  et  l'empeigne  du  soulier  ;  parfois  un 
simple  lien  de  feuilles  est  adapté  à  la  semelle;  parfois  encore 
un  appendice,  destiné  à  passer  entre  le  gros  orteil  et  le  doigt 
voisin,  fait  saillie  à  la  partie  antérieure.  M.  Rich  a  repro- 
duit un  type  de  ce  dernier  genre  d'après  le  modèle  en  papy- 
rus de  la  collection  de  Berlin  ^.  Un  livre  où  l'on  peut  trouver 
d'utiles  renseignements  donne  sous  l*a  vague  rubrique  : 
«  Sandale  et  bal)ouche  des  femmes  de  l'ancienne  Egypte, 
d'après  les  monuments,  »  la  gravure  de  deux  baxeœ  fort 
curieuses  * .  La  première,  semelle  à  bride,  vient  d'être  signalée  ; 
l'autre,  tressée  en  forme  de  baris,  navire  particulier  à  l'E- 
gypte, se  nommait  chez  les  Grecs  tisfAoxplç ,  ■nepi^Apov^  n'Aoïà- 


'  V.  Descripl.  de  l'Egypte  par  la  Comm.  française  ;  Cit.  Lenormaint,  Mu- 
sée des  ant.  égypt.;  Texier,  loc.  cit.  pi.  132  (Sésostris,  bas-relief  de  Nym- 
phio)  :  MoNTFAUcoK,  Ant.  expL,  t.  ii,  pi.  118,  (statuette  d'Osiris),  etc.,  etc. 

^  Lib.  n,  87. —  c  Pedes  palmeis  baxeis  inductus.  n  Métani.  1.  ii.  —  «  Pc- 
des  ambrosios  tegebant  soleœ,  palmae  victiicis  foliis  intextre.  n  Ih.,  1  xi.  — 
Le  thaumaturge  Apollonius  de  Tyane  portait  aussi  une  chaussure  de  pa- 
pyrus. Piiir.osTUATE,  Jpoll.  vila. 

*  Dict    des  ant.,  p.  78. 

*  Histoire  de  la  chaussure,  par  MM.  P.  Lachoiv,  Dl'cheswe  et  Skuk, 
p.  5. 


LES    SANDALKS    ET    LES    BAS.  iT:", 

fjiov,  dy.di.ziov:  suivant  Jiiliiis  Pollux,  elle  fut  d'abonl  à  l'usage 
des  servantes  * . 

IV.  Perses.  —  Les  monuments  achéménides  offrent  plu- 
sieurs espèces  de  chaussures  complètement  distinctes.  Les 
soldats  portent  un  calceus  fermé,  noué  sur  le  cou-de-pied 
avec  des  cordons.  Les  Mages,  Satrapes,  officiers  du  palais  et 
Doryphores  ont  des  souliers  dont  l'empeigne,  partagée  en 
deux  pièces  jointes  par  une  couture,  se  découpe  vers  le  haut 
en  trois  paires  d'oreilles  [ligulœ)  réunies  au  moyen  de  bou- 
tons. Le  bord  antérieur  de  ces  souliers,  qui  couvrent  la  che- 
ville, est  en  outre  garni  d'une  languette  demi-circulaire  re- 
montant d'à  peu  près  O'^OB"  le  long  de  la  jambe.  Les  rois 
semblent  chaussés  de  bottes  ou  bottines  collantes  pareilles  à 
celles  que  j'ai  signalées  chez  les  Assyriens  ^  Quelques  tribu- 
taires présents  à  ia  solennité  du  Nourouz  ont  la  même  botte 
parfaitement  caractérisée;  un  chamelier  bactrien ,  vêtu 
comme  les  mougyks  russes,  en  porte  d'assez  amples  pour  re- 
cevoir ses  larges  braies.  Sauf  le  cas  d'un  personnage  dont  le 
cou-de-pied  est  chargé  de  nœuds  %  toutes  les  chaussures 
précitées  manquent  d'ornements,  malgré  l'or  qui  les  relevait, 
suivant  le  poëte  Denys  : 

Xpuaw  o'à[xctt  TTooEUCiv  £X0(7[ji.yic;avTO  TTî'oiÀa  *. 

Il  est  assez   difficile  de   déterminer  la  forme  des  chaus- 

'  Onomasticon,  vu,  22.  L'écinvain  cite  ce  vois  du  Trophonius  de  Céphiro- 
DOllE  : 

Nîiv  ô  w(T7T£p  7]  Ospâiraiva,  à'yo)  TTcptéapioai;. 

'  Flandiw  et  CosTE,  Voij.  en  Perse,  pi.  100,  101,  J23,  147,  152,  etc.; 
Persépolis.  — Le  soulier  actuel  des  prêtres  guébres,  pointu,  recourbé,  sans 
ouverture  et  dépassant  la  cheville,  pourrait  bien  être  une  réminiscence  de 
l'antique  chaussure  royale  des  Perses.  V.  Banier,  Cér.  rel.,  t.  v. 

'  /  01/.  en  Perse,  pi.  105,  106,  107  et  108  ;  Persépolis. 

*  Périeg.,  1061. —  Etiewne,  De  urhihris,  mentionne  une  chaussure  per- 
sique,  particulière  aux  femmes,  à  laquelle  il  donne  peu    de  valeur  [IxiTtXii,) . 


i76  LES   SANDALES    ET    LES   BAS. 

sures  parthes  et  sassanides,  toutes  cachées  sous  de  A^astes 
pantalons,  maintenus  autour  de  la  cheville,  soit  par  des  ru- 
bans longs  et  flottants  noués  sur  le  cou-de-pied  soit  au 
moyen  de  courroies  bouclées.  Tertullien,  qui  rencontra  des 
Parthes  et  des  Mèdes  venus  à  Rome  sous  le  règne  de  Sévère, 
relate  qu'ils  portaient  des  bottes  enrichies  de  perles,  et,  au 
XIP  siècle,  Tzetzès  parle  encore  des  chaussures  persiques 
couvertes  de  perles  et  de  pierres  précieuses.  Les  bas-reliefs 
de  Chapour  présentent  une  série  de  personnages  en  bottes  et 
larges  pantalons  descendant  à  mi-jambes  ;  le  roi  ou  prêtre, 
sculpté  à  Tengh-i-Saoulek,  est  vêtu  absolument  de  la  même 
manière.  Les  chasseurs  brodés  sur  le  suaire  de  saint  Lazare 
à  Autun  (XIP  siècle),  deux  héros  peints  sur  une  faïence  re- 
lativement moderne  à  Astérabad,  portent  des  bottes  assujet- 
ties au  genou  par  des  jarretières  qui,  chez  les  derniers,  sont 
munies  de  boucles  très-riches.  Enfin,  les  bottes  appartiennent 
toujours  au  costume  persan  moderne  ' .  Certains  cavaliers 
sassanides  ont  aussi  Vanaxyris  collante  et  rayée ,  confondue 
avecle  peduk  que  surmonte  un  nœud  énorme  '.  La  chaussure 
des  femmes,  profondément  ensevelie  sous  les  plis  des  robes 
ou  des  pantalons,  est  presque  invisible;  elle  devait  ressem- 
bler aux  pantoufles  des  dames  guèbres  :  ses  rares  s[)écimens 
sont  dénués  d'ornements;  un  seid  étale  une  double  rangée  de 
perles  \ 

•  «  Et  in  peionibus  uniones  emergere  de  luto  cupiunt.  »  De  Hab.  mul.  — 
Chil.  1,  29,  3.  —  V.  .^nt.  expl .  t.  I,  pi.  31,  1,  Parthc  ;  Voij.  en  Perse, 
pi.  33,  14,  186,  53,  225  ;  Homm.\ire  de  Heix,  Turquie  et  Perse  ;  Dibeux, 
La  Perse,  pi.  65,  66,  70  et  77  ;  etc  ,  etc. 

-  Voy.  en  Perse,  pi.  183  et  186.  Les  Mingréliens,  peuples  du  Caucase  sur 
les  bords  de  la  mer  noire,  portent  encore  des  souliers  rayés  qui  permettent  de 
suppléer  à  l'état  fiuste  des  bas-reliefs  de  Nakch-i-Roustam.  V.  Chardin, 
Voy.  en  Perse,  pi.  2,  éd.  Langlès. 

*  AVy.  en  Perse,  jjI.  9  et  186  ;  Ch.^kdip:,  loc.  cH,  pi.  75 


LES    SAND.W.KS    liT    LES    DAS.  177 

V.  Scythes,  baccs,  (iollts,  lliins  cl  Louihanls.  —  Aiiiniicii 
iMarcellin  nous  apprend  que  les  Huns  cachaient  leurs  jambes 
velues  sous  des  peaux  de  chevreau,  et  Paul  Warnefrid  ra])- 
porte  que  le  soulier  des  Lombards,  retenu  par  des  courroies 
lacées,  était  fendu  sur  le  cou  de-pied  jusqu'à  la  naissance 
des  orteils.  La  statue  n*  7,  au  musée  des  Antiques  du  Louvre, 
offre  un  exemple  de  cette  chaussure  dont  les  cordons  dispo- 
sés en  treillis  vont  se  réunir  autour  du  pantalon  qu'ils  main- 
tiennent à  la  cheville.  Sidoine  Apollinaire  dit  que  les  Gotlis 
portaient  des  bottines  en  cuir  de  cheval  attachées  par  un 
nœud  au  bas  de  la  jambe,  dont  le  haut  restait  découvert.  Les 
bas-reliefs  de  la  colonne  de  Théodose  représentent  des 
Scythes  ou  des  Goths  chaussés  d'un  socciis  à  double  lan- 
guette pareil  à  celui  des  histrions  étrusques  ' .  Sauf  le  cas 
d'une  carhatina  liée  avec  des  lanières  croisées,  les  souliers 
des  Daces,  figurés  sur  les  monuments,  diffèrent  peu  du  cal- 
ceus  achéménide  et  dénoncent  une  communauté  d'origine^. 
D'après  les  objets  d'art  trouvés  dans  les  nécropoles  de  Koul- 
Oba  et  de  Panticapée  (Crimée),  on  voit  que  les  Scythes 
avaient  une  chaussure  à  demi-voilée  par  leurs  braies  flot- 
tantes, ou  bien,  par-dessus  Vanaxyris  collante  et  bariolée. 


'  Rer.  gest-,  xxxi.  — »  Calcei  vero  eis  erant  usque  ad  summum  pollicem 
pêne  aperti,  et  alteinatim  laqueis  corrigiarum  retenti.  »  De  gestis  Langob., 
IV,  23. 

Nec  tangeie  possunt 
Altatse  suram  pelles,  ac  poplite  nudo 
Peronem  pauper  nodas  suspendit  equiiium. 

Carm.  vu,  456. —  Ba^dihi,  Imp.  Orient.,  t.  Ji,  pi.  i  etsuiv. 

*  Ant.  expl.,  t.  I,  pi.  .32,  51,  2,  54,  69  ;  m,  pi;  34  ;  suppl. ,  m,  pi.  4.— 
«  Persaî  qui  sunt  originitus  scythie.  »  Am.  Marcellin,  Ioc.  cit. —  Le  type 
de  toutes  les  chaussures  des  barbares,  originaires  de  l'Asie,  se  retrouve  sur 
les  monumiMits  assyriens  et  perses. 


478  LES    SANDALES    Eï    LES    BAS. 

des  bottes  molles  à  entonnoir  «.  Ces  bottes  se  nommaient 
certainement  tzangues  ;  elles  étaient  fabriquées  avec  le  cuir 
roussâtre  que  le  voyageur  Mandeville  vit  préparer  en  Tartarie 
et  que  nous  appelons  cuir  de  Russie  :  un  passage  du  Chronicon 
paschale  lève  tous  les  doutés  que  mon  assertion  pourrait  sou- 
lever. Il  y  est  dit  que  Tzatliius,  fils  de  Zamnaxis,  roi  des 
Lazes,  étant  venu  demander  à  l'empereur  Justin  le  Thrace 
l'investiture  des  états  de  son  père,  parut  à  la  cour  revêtu  du 
costume  byzantin,  mais  avec  les  tzangues  roussâtres  de. son 
pays  ornées  de  perles  à  la  mode  persique'.  Or,  les  Lazes  étant 
une  tribu  scythe  soumise  aux  Perses,  on  doit  en  conclure 
que  le  nom  barbare  gfécisé  rÇayyta,  d'une  chaussure  commune 
à  eux  et  à  leurs  maîtres,  fut  emprunté  aux  idiomes  orien- 
taux. Je  reparlerai  plus  bas  des  tzangues. 

^11.  Grecs  et  Romains. 

Les  anciens  peuples  du  Latium  eurent  évidemment  leurs 
chaussures  particulières,  mais  un  contact  journalier  avec  les 
races  helléniques,  tant  par  l'Italie  méridionale  et  la  Sicile  que 
parla  conquête  de  la  Grèce  elle-même,  introduisit  prompte- 
ment  dans  le  costume  romain  des  éléments  dont  la  forme  et 
le  nom  ne  perdirent  jamais  leur  cachet  originel.  La  chaus- 
sure est  de  ce  nombre,  et  Rome  ne  se  fit  pas  faute  de  copier 
les  calceamenta  grecs.  Quoiqu'elle  n'en  ait  pas  adopté  le  to- 
tal, établir  pour   chaque  nationalité  une  nomenclature  dis- 

'  Dubois  de  Monpérkux,  Voyage  autour  du  Caucase,  fig.;  nécr.  de  Pan- 
ticapée  ;  vase  de  Koul-Oba. 

-  <i  Ta  yàp  Trî^aYyta  àuTou  -/[v  àreo  t/ji;  "/wpotç  àuxoû  poucotîa,  Oepcuôi 
<jy-/iw.aTi,  à'/ovTH  [^.apYapita;.  »  Chron.  pasch  ,  p.  332,  anno  4  Justini  Thra- 
cis  (520).  Les  chaussures  parthes,  que  TertuUien,  cité  plus  haut,  nomme  pé- 
ronés, n'étaient  autre  chose  que  des  tzangues. 


LKS    SA.NDAI.KS   KT    LES    I5AS'.  470 

tiucte  conduirait  ù  «le  trop  longs  développements.  Je  préfère 
donc  grouper  dans  un  même  pai-agraphe  toutes  les  chaus- 
sures grecques  et  romaines  classées  en  trois  catégories  : 
1°  chaussure  laissant  la  partie  supérieure  du  pied  à  nu,  .s-o- 
leci;  2"  chaussure  couvrant  l'intégrité  du  pied,  calcciis  ; 
S"  chaussure  garantissant  à  la  fois  le  pied  et  la  jambe,  co- 
t/uimus.  Mon  cadre  est  fort  élasticpie,  je  le  sais,  aussi  les 
calceameuia  douteux  ou  dont  les  noms  seuls  ont  été  conservés 
par  Isidore  et  Julius  Pollux  à  titre  de  renseignements  '  se- 
ront-ils relégués  à  la  fin. 

I.  Chaussure  laissant  la  partie  supérieure  du  pied  à  nu.  — 
Solea.  —  On  doit  entendre  généralement  par  solea  toute 
chaussure  qui  ne  garantissait  que  la  plante  du  pied  :  «  Om- 
nia  ferme  id  genus,  quibus  plantarum  calces  tantum  infimae 
teguntur,  cetera  prope  nuda  et  teretibus  habenis  vincta 
sunt,  soleas  dixerunt  ;  nonnunquam  voce  gr£eca  crepidu- 
las  -.  »  Les  Romains,  ennemis  de  la  gêne^  portaient  la  solea 
dans  leurs  habitudes  de  vie  ordinaire,  hors  du  costume  offi- 
ciel ;  elle  consistait  en  une  simple  semelle  attachée  par  des 
courroies  non  croisées  :  on  la  mettait  et  la  retirait  facilement, 
aussi  la  prenait-on  pour  assister  aux  repas,  l'usage  étant  de 
se  coucher  pieds  nus  sur  les  lits  du  triclinium  ^  Pétrone 
nous  montre  Trimalchion  jouant  à  la  paume  «  soleatus.  « 
Cette  chaussure  était  commune  aux  deux  sexes;  un  magis- 
trat manquait  à  la  bienséance  s'il  en  usait  sur  son  tri1)uiial  \ 

'  Origines,  lib  xix,  c.  38,  De  calceamentis  —  Onomasticon,  lib.  vu,  c.  22. 
Calceorum  species. —  Les  citations  que  je  pourrai  faire  d'Isidore  et  de  Pollux 
seront  empruntées  à  ces  chapitres,  désignés  une  fois  pour  toutes. 

^  AiiLU  Gellk,  xhi,  21. —  Isidore,  loc.  c?'t— Festus,  De  verb.sign. 

^  Plaute,  Trucul.,  ii,  4,  v    12  et  16. — Horace,  lib.  ii,  sat.  viir, 

''  Satyr.,  27.  —  Propeuce. — Ovide,  Ars  amandi,  ii,  212  : 
Et  tenero  soleam  deme  vel  adde  pedi. 

Qi]l]NTiLiE>J,  XI,  3  :   «  Stetit  soleatus  prÈetor  populi  Romani,  d 


480  LES    SA.NbALliS    KT    LES    lîAS. 

Il  y  avait  des  soleœ  de  cuir,  de  bois  et  même  de  laine  ;  leur 
courroie,  corrigia^  ameulum^  n'existait  pas  toujours,  ainsi 
que  Pline  le  remarque  à  propos  de  la  statue  de  Cornélie, 
«  soleisque  sine  amento  insignis  :  »  alors  un  tenon  passant 
entre  les  orteils  devait  y  suppléer  ' . 

Sculponea.  —  C'était  une  chaussure  grossière  propre  aux 
esclaves  employés  à  la  campagne.  Un  calembourg  de  Plaute 
fait  comprendre  le  rapport  des  sculponeœ  «à  la  aolea  ;  Stalinon 
dit  à  Olympion  d'acheter  des  provisions  de  bouche  et  entre 
autres  des  soles  «  soleas,  »  à  quoi  Chalinus  riposte  : 

Qui  qufeso,  potius  quam  sculponeas 
Qiiibus  baluatur  tibi  os,  seuex  nequissime  *. 

M.  Ricli  croit  avoir  retrouvé  un  type  de  sculponea  sur  la 
figurine  en  bronze  d'un  esclave  occupé  à  des  travaux  rus- 
tiques ;  si  l'érudit  anglais  ne  se  trompe  pas,  il  a  reproduit 
une  chaussure  analogue  à  celle  du  philosophe  Posidonius, 
statue  n"  89  des  Antiques  du  Louvre. 

Carbatina.  —  Julius  Pollux  dit  que  la  y.arjcarivn  tire  son 
nom  des  Cariens  qui  l'inventèrent.  Chaussure  éminemment 
rustique,  elle  était  faite  d'un  morceau  de  peau  de  bœuf  crue 
placé  sous  le  pied^  puis  relevé  en  gouttière,  de  façon  à  ga- 
rantir le  talon  et  les  orteils.  Des  courroies,  passant  par  des 
trous  percés  sur  les  bords,  s'enroulaient  autour  de  la  jambe. 
Quand  les  soldats  de  Xénophon  eurent  usé  leurs  vieux  sou- 
liers, ils  se  fabriquèrent  des  carbatines  ^  ;  Catulle  affecte  pour 


'  Satyr.,  95.—  Mabtial,  xiv,  65.  -«  Soleœ  niateiiale.s,  ex  mateiia  corio 
intexta.  n  Isidore,  Ioc  cit. — Hist.  nat.  xxxiv,  14. — Ant.  cxpj.^  m.  pi.  35. 
—  Dict.  des  Ant.  p.  590.— Chardin,  Ioc.  cit.  pi.  19. 

-C.\TON,  R.  rust.,  59  et  135. —  Orig.,  Ioc.  cit. —  Casina,   ii,  8,  .59. 

'  «  Kap^drivai  ir£7roir,a£vai  in  twv  VEOOxpxtov  [iciwv.  »  Aiiahasi.i,  i\, 
5,  14. 


LES    SANDALES   ET    LES    IIAS.  181 

elles  lin  souveniin  mépris  ;  on  les  rencontre  sur  des  vases 
grecs  et  des  peintures  de  Pompeï  ;  elles  sont  toujours  en 
usage  chez  les  paysans  italiens  et  les  Kabyles  *. 

Crepida.  —  l^a  y.pr^rùiy^  chaussure  nationale  des  Hellènes, 
n'était  portée  par  les  Komains  qu'avec  le  costume  grec,  c'est- 
à-dire  le  pallium  ou  la  chlamyde.  On  voyait  au  Capitole  la 
statue  de  Lucius  Scipion,  «  non  solum  cnm  chlamyde,  sed 
etiam  ciim  crepidis;  ->  Pleminius  est  repris  pour  s'être  mon- 
tré au  gymnase  «  cum  pallio  crepidisque;  »  Tibère,  pendant 
le  séjour  qu'il  fit  à  Rhodes  avant  la  mort  d'Auguste  «  rede- 
git  se,  deposito  patrio  habitu,  ad  pallium  et  crepidas  ".  »  La 
crépide  consistait  en  une  semelle  garnie  sur  les  cotés,  soit 
d'un  cuir  percé  de  trous,  soit  de  simples  lanières  tournées  en 
boucle  {amœ)^ 

Ansaque  compresses  colligit  arta  pedem '. 

Une  courroie  {corngia)^  passant  à  travers  les  amœ,  attachait 
la  crépide  au  pied  ;  les  femmes  avaient  parfois  des  courroies 
dorées.  Une  agrafe  de  métal,  que  je  crois  être  l'objet  désigné 
par  Pline  sous  le  nom  iVobstragulum,  placé  entre  le  gros  or- 
teil et  le  doigt  voisin,   ajuste  souvent  la  corrigia  k  la  se- 

'  Ista  cum  lingua,  si  iisus  vcniat  tibi,  posais 
Culos  et  crepidas  lingere  caibatinas. 

98,  4. —  TiscHBEiN,  Peint,  de  vases,  i.  14;  Mufteo  borbon.,  xt,  25  ;  Hopk, 
The  cosi.  of  the  Anrienfs  ;  RicH,  Dirt.  des  avi.;  Mag.  piff.,  186],  p.  281. 
—  Hesychius  définit  la  ravbatine,  y.ovoT£)>aov  ou  [Jtovdoîpuov,  c'est  à-dire  d"nn 
seul  morceau  de  cuir.  Je  pense  qu'il  faut  confondre  avec  cette  chaussure 
l'aÙTOij/EOiiT  (improvisé)  calceus  rudis  sine  arte  confectus,  dont  parle  Hermip- 
pus  cité  par  Pollux. 

-  Peusk,  I,  127. —  CirKKo>,  Pro  Eabirin,  10  ;  Tjte  Livk,  xxix,  19;  Scé- 
TOAF,  Tibère,   1.3. 

'  TiBHLT.E,  I,  8,  14.  a  Apellem  ..  feruntquc  a  sutore  reprehensuin,  quod  in 
crepidis  una  intus  pauciores  fecis.set  ansas.  »  Pline.  Hisf..  ndt.,  xxxv,  .36,12. 

TOMK   VI.  •  35. 


482  LES    SANDALES    ET   LES   BAS. 

nielle  ;  les  dames  romaines  poussaient  le  luxe  jusqu'à  enri- 
ehir  Vobstraguliim  de  perles  ' ,  La  crépide  s'adaptait  indiiFé- 
remment  à  l'un  ou  l'autre  pied  ^;  Pollux,  cpii  lui  donne  aussi 
le  nom  d'a^Trio-,  la  traite  de  chaussure  militaire;  on  la  trouve 
sur  beaucoup  de  statues  grecques,  notamment  l'Apollon  du 
Belvédère  et  la  Diane  chasseresse,  n"  178  du  Louvre. 

La  Sycchas,  2u//ào-,  dit  Pollux,  ressemblait  fort  à  la  cré- 
pide; elle  tirait  son  nom  de  ce  qu'elle  embrassait  le  pied.  On 
rencontrerait  peut-être  dans  Montfaucon  quelques  spécimens 
de  si/rchas  ^ 

Le  Diabalhrum^  AidoccOpov^  appartenait  aux  deux  sexes  ; 
Festus  le  signale  comme  une  espèce  de  solea  grecque.  Eus- 
tathe  dit  que  c'était  surtout  une  chaussure  de  femme,  et 
quand  Naevius,  cité  par  Varron,  l'attribue  aux  hommes, 
c'est  pour  désigner  une  mise  efféminée.  La  figure  d'un  sa- 
vant byzantin,  chaussé  de  patins  à  quartiers  et  à  courroies, 
me  paraît  offrir  le  type  du  diabathmm,  dont  l'usage,  en 
Orient,  persistait  au  XVIP  siècle  *. 

La  Fulmenta,  Kào-o-jfjLa,  dérivatif  de  fulcrum.,  fulcimen^ 
fulcimentum  (appui,  soutien),  était  une  semelle,  ou  plutôt 
une  réunion  de  semelles  ajoutées  à  la  chaussure  pour  re- 
hausser la  taille  des  individus  : 

Subjicit  liuic  fulcrum  :  fulmentas  quatuor  addil  *. 

*  «  Jam  pedum  candor,  intra  ami  gracile  vinculum  positus.  »  Péiuone, 
126. —  »  Quin  et  pcdibus,  nec  crepidarum  tantum  obstragulis,  sed  totis  soc- 
culis  addunt  (maigaritas).  Hist.  nat.  ix,  56. 

*  <(  Et  idem  utrique  aptiim  pedi,  vel  dextro  vel  sinistro.  »  Isidore,  loc.  cit. 
'  Jnt.  expl.,  t.  m,  pi.  35  ;  t.  ii,  pi.  100. 

*  Onomast.  loc.  cit. —  «  Diabathra  in  pedibus  habcbat  et  erat  amictus  epi- 
croco,  utrumque  vocabulum  gra  cum.  n  Vauroîn,  De  ling.  lat.,  yi,  3;  Ant. 
expl.,  \n,  pi  4,  5,  X^  siècle;  CiiArx'ois'nYi.K,  Décad.  de  Verni),  grec,  Tllus- 
trations,  dame  turque. 

'  Liuii.lLis,  .fal..  IV,  9. 


LES  SANDALES   ET   LES   l!AS.  183 

L^fulmciila  se  fixait  avec  des  clous  ;  «  fulmentas  clavis  aîneis 
subducere.  »  Elle  était  à  l'usage  des  soldats  : 

FidmoMÎas  juhecim  sub|iini;i  soccis, 

dit  plaisamment  l'esclave  Stasime  qui  veut  s'engager  ' .  Les 
dames  romaines  mettaient  des  semelles  de  liège  à  leur  chaus- 
sure d'hiver.  La  Pallas  de  Velletri,  une  autre  statue  de  Mi- 
nerve et  une  jeune  femme  sculptée  sur  un  bas-relief  d'Ar- 
gos  ont  des  fuhncnlœ  aux  pieds  ". 

On  donnait  le  nom  de  Scabillum,  KpouTréçta,  à  une  semelle 
de  bois  très-épaisse  munie  d'une  fente  horizontale  profonde, 
où  se  logeait  un  petit  instrument  de  métal  que  la  pression  du 
■pied  faisait  raisonner.  Le  scabillum  battait  la  mesure,  gui- 
dait le  chœur,  accompagnait  le  joueur  de  flûte  et  indiquait 
l'instant  marqué  pour  lever  et  baisser  le  rideau ^ 

Ainsi  que  l'indique  son  nom,  la  Gallica  fut  empruntée  aux 
Gaulois.  Elle  s'introduisit  à  Rome  vers  le  temps  de  Cicéron  ; 
on  la  portait  avec  la  laccrna^  manteau  qui  avait  la  même  ori- 
gine; leur  usage  était  inconvenant  et  an  ti  nation  al   *.  Sous 

'  Ldcilius,.xxviii,  46.  — Placte,   Trinummus ,  m,  2,  94. 

-  Pline,  Hist.  nat.,  xvi,   13. —  Jnt.  du   Louvre,  n"  310;    RicH,  loc.   cit. 

p.  288  ;  Charton,  f^oi/.  anc.  et  mod.,  t.  I,  p.  302. 

'  Poixiix,  loc.  cit.;   cet   auteur  parle   de  Crupeziphores  béotiens.  —  ScÉ- 

TONE,  Caligula,  54.  — »  Mimi  ergo   est  jam  exitus...  deinde  scabilla   concre- 

pant,  aulœuin  toUitur.  «  Cicéron,  C'œ/.  21 .— AntexpL,  ni,  pi.  191.  Rubens, 

De  Re  vest.,  p.  187. 
.  *  Il  Deinde  cum  calceis  et  toga,  nuUis  nec  gallicis  nec  lacerna.  »  Cicéron 
Philip.,  II,  30. — Il  T.  Castricius...  cum  discipulos  quosdam  suos  senatores 
(I  vidisset,  die  feriato  tunicis  et  lacernis  indutos  et  gallicis  calceatos  «  So- 
<|  leatos  tamen  vos  populi  romani  senatores  per  urbis  vias  ingredi  nequaquam 
'<  décorum  est.  »  Plerique  autem  ex  ils  qui  audierant,  requirebant,  cur  so- 
«  leatos  dixisset,  qui  gallicas,  non  soleas  haberent.  Sed  Castricius  profecto, 
■I  scite  atque  incorrupte  locutus  est...  Gallicas  autem  verbum  opinor  novum, 
«  non  diu  ante  setatem  M.  Ciceronis  usurpari  cœptum.  »  Aci.u  Gei.le,  xiri, 
21.  (V.  le  reste  de  la  cit.  à  l'art.  Solea), 


-484  LES   SANDALES   ET   LES    BAS. 

l'empire,  dit  M.  Rich,  les  gallicœ  devinrent  à  la  mode,  on 
en  fit  yiour  toutes  les  classes  et  de  qualités  diiFé rentes.  D'après 
un  sarcophage  d'Amendola,  représentant  une  bataille  entre 
les  Romains  et  les  Gaulois,  cet  auteur  prétend  que  les  galli- 
cœ étaient  des  souliers  bas,  à  semelle  épaisse  et  dont  l'empei- 
gne laissait  le  cou-de-pied  entièrement  découvert.  L'expli- 
cation du  savant  anglais  ne  concorde  pas  tout  à  fait  avec  les 
calcei  fermés  qu'il  donne  pour  spécimens  ;  elle  répond  peu  au 
texte  d'Aulu  Gelle  où  l'analogie  des  soleœ  et  des  gallicœ  se 
trouve  nettement  spécifiée.  Je  crois  qu'une  chaussure  à  jour 
{feneslrata)  ,  publiée  par  Montfaucon  d'après  Bonanni , 
et  deux  autres  nudipedes  de  Y  Antiquité  expliquée^  sont  de  vé- 
ritables gallicœ.  Bauduin  avance  que  la  semelle  des  gallicœ 
était  en  bois,  ce  qui  est  probable,  car  notre  mot  galoche,  dé- 
rivé de  gallica,  exprime  une  chaussure  ainsi  fabriquée.  Il  y 
eut  aussi  des  gallicœ  en  roseaux  tressés  : 

Calipfa(iiie  remota 
Gallica  sit  pedibiis  molli  redimita  papyio  *. 

Le  type  qu'en  donne  Bauduin  est  assez  vraisemblable  ;  il 
a  beaucoup  de  ressemblance  avec  Valpargata  en  jonc  des  Es- 
pagnols. 

La  caliga  était  par  excellence  la  chaussure  militaire  des 
Romains.  L'immense  majorité  des  monuments  en  fait  une 
solea,  laissant  les  orteils  à  nu,  et  attachée  au  moyen  d'un 
système  de  courroies  multiples,  qui  couvrent  le  cou-de-pied 
et  finissent  par  environner  la  jambe  de  cercles  parallèles  '. 

^  Dict.  des  ont.  p.  297  et  298.—  Ant.  expl..  m,  pi.  35  et  pi.  8,  fig.  i  (pa- 
tricien) et  3  (philosophe).  On  conseivo  au  Musée  de  Londres  une  chaussure 
analogue  a  celle  de  la  pi.  35,  mais  ]j1us  grossière.  —  De  calceo  ant  ,  c.  14. 
—  ('(irmen  ad  sénat    Isacuni ,  ap.  Rijbkns,  De  Re  l'est.,  p.  155. 

'  «  Caligul;o,  caliga?,  vel  a  callo  pedum  dicta;,.vel  c^uia  ligentur.  »  Isidore, 
foc.  cit.  —  La  calige  n'appartenait  qu'aux  langs  inférieurs  de  l'armée  :  «  C. 
JkJarins,  ad  consulatmii  a  caliga  perductus.»  Sknéqpe,  Dehenef.  v,  16. 


LES    SANDALES   ET    LES   BAS.  i.Sf) 

M.  Ricli  en  veut  faire  un  calccus  fermé,  et  présente,  à  l'ap- 
pui de  son  o})inion,  un  bas-relief  tumulaire  de  Milan  où  l'on 
voit  un  homme  assis  en  face  de  deux  souliers,  avec  l'ins- 
cription svTOR  CALIGARIVS,  ([lie  l'érudit  écrivain  interprête 
par  cordonnier  m  valiges.  Je  me  permettrai  un  avis  moins 
absolu,  car  sntor  caliyarius  peut  signifier  également  (pie  le 
défunt  avait  la  double  spécialité  de  coi'donnier  ordinaire  et 
de  fabricant  de  caliges  (le  cordonnier-bottier  de  nos  vieilles 
enseignes);  de  i)lus,  les  objets  placés  devant  ce  personnage 
sont-ils  réellement  des  caliges?  N'y  verrait-on  pas  plutôt 
des  souliers  véritables  {opus  sulorisi  ou  simplement  des  fornu^s 
en  bois  {lentipellium,  y.xlci:ovi)?  L'état  fruste  du  marbre  rend 
la  question  difficile  à  résoudre.  J'essayerai  de  mettre 
M.  Ricli  d'accord  avec  les  errements  acceptés  jus(pi'à  lui,  en 
disant  (pie  les  Romains  nommaient  caliga  leur  chaussure  ex- 
clusivement militaire,  qu'elle  fût  ouverte  ou  fermée.  Pompée 
portait  des  fasciœ  blanches  sous  ses  caliges  '  ;  les  soldats 
purent  imiter  cet  exemple,  surtout  en  Germanie  où  le  froid 
exigeait  que  le  pied  fût  garanti.  Justin  relate  que  dans  l'ar- 
mée d'Antiochus  «  etiam  gregarii  milites  caligas  auro  figè- 
rent. •)  Le  soldat  romain  renforçait  sa  chaussure  de  clous 
serrés  et  pointus  : 

Quum  duo  crura  liabeas,  otl'endere  tôt  caligas,  lot 
Millia  clavorum  '. 

Suétone,  reprochant  à  Caligula  de  ne  s'habiller  ni  en  Ro- 

'  Dict.  des  ant.,  p.  96.  — «  Et  eiiiin  mihi  caligae  ejus  et  fasciîe  cretata?  non 
placebant.  »  CicÉiiOiv,  Ad  Altic,  ii,  3. 

'■'  Hist.  xxxviri,  10  —  JcvÉNAf,,  sal.  xvi,  24;  V.  encoie  Id.,  m,  217  et 
Pliwe,  Hist.  nul.,  IX,  33.  Josèphk,  Bell.  Jud.  vi,  7,  parle  ainsi  du  Centu- 
rion Julianus  ;  «  Ta  yàp  uTToo'/ifxaTa  7r£T:Q(p[X£vai  ttuxvoî;  xai  Ôîî'givJJXo!;  e/cov, 
wffirsp  Twv  à'XXojv  cTpaxioTtov  eV.acTOi;.  »  —  Ant.  expl.,  m,  35.  —  FKiuiARr, 
De  Re  vest.,  anal.,  pi.  6,  are  de  Const. 


486  LES   SANDALES    ET    LES    BAS. 

main  ni  eu  citoyen,  l'accuse  d'avoir  paru  eu  public  «  modo 
"  iu  crepidis  vel  cothuruis,  modo  in  speculatoria  caliga, 
«  noiniunquam  socco  muliebri  ' .  »  Caïus  ne  tira  donc  pas 
son  sobriquet  d'un  usage  immodéré  de  la  calige,  mais  bien  de 
ce  que  cette  chaussure,  incompatible  avec  la  dignité  suprême, 
le  faisait  particulièrement  remarquer. 

II.  Chaussure  couvrant  l'mtéfjrilé  du  pied.  —  Calceus.  — 
Le  Calceus  appelé  par  les  Grecs,  y.cû-œi^  /aÀ/.rtxa^v,  iir.câr,^.x 
■A.OÙOV.,  était,  ainsi  que  l'indique  son  noni;,  un  soulier  montant 
qui  enveloppait  tout  le  pied.  Cette  chaussure  généralement 
noire,  commune  aux  deux  sexes,  avait  une  empeigne  cousue 
et  la  forme  de  nos  souliers  couverts  ou  brodeqiuns  ordinaires; 
on  pouvait  l'attacher  avec  des  cordons  et  elle  ne  s'adaptait 
pas  indiiféremment  à  l'un  ou  l'autre  pied  -.  Aurélien  inter- 
dit aux  hommes  l'usage  des  calcei  rouges,  jaunes  et  verts,  qu'il 
toléra  pour  les  femmes.  Il  y  avait  aussi  des  calcei  blancs  ; 
les  histrions  en  portaient.  Un  luxe  eflfréné  s'introduisit  plus 
tard  dans  la  chaussure  des  Romains  qui  finirent  par  préférer, 
même  aux  souliers  dorés,  les  ca/ce?  de  pourpre,  brodés  à  l'ai- 
guille, Tiopfvpd  xoà  y.iyvnzà.  ^  Le  calceus  était  l'accompagnement 
obligé  de  la  toge  ;  «  proprium  togœ  tormentum  »  dit  Tertul- 
lien  \ 

'  Caliyula,  52. — V.  pour  les  figures  de  caliges  ;  ./nt.  expl.;  Imp.  Orient  , 
Malliot,  lîech.  sur  les  cost.  t.  i,  etc.  etc.  —  Le  bas-relief  n"  555  du  Louvre 
représente  le  centurion  C.  Maccenius  avec  des  caliges  ouvertes,  et,  ceci  je  l'ai 
vérifié  moi-même  sur  les  plâtres,  la  plupart  des  caliges  de  la  colonne  trajane 
sont  dans  le  même  cas. 

-  Du  Caage,  Gloss.  (jrœc.  —  Zoinark.  —  Poi.llx.  —  Ei.iein,',  Var.  llist., 
VII,  4. — «  Si  mane  sibi  calceus  perperam  ac  sinister  pro  dextero  induceretur, 
ut  dirum.  «"Spétonk,  .'liiguste,  92.  —  RicH,  loc  cit.  —  Canius,  stat.  n°  107 
du  Louvre. 

^  Vopisccs,  Aurél.,  49.— Martial, vu, 82. —  Phèdre.  v,7,  37.  —  Suirr.r- 
çius,ap.  RuBKNS,  Zoc.ci^  p.  149.— S.  J.  Ciirys.,  iïoî«.  22^  Ad poji.  Antioch. 

*  De  Pallio,  c.  5. —  Y.  aussi  Pline,  vu,  ejiist.  3,  etc.  etc. 


LKS    SANliALES    ET    LES    li.VS.  487 

h'()bstri(jillt(in  était  un  calceiis  renforce  de  deux  plaques 
de  cuir,  cousues  à  la  semelle  et  trouées  pour  livrer  passage 
aux  courroies  ' . 

Pollux  mentionne  des  chaussures  précieuses  qn'il  nomme 
calcei  fenestrali,  «  I.'/i<7zcù  Tolv^elii  Ù7rccJr,p.a,  y.où  QpvnziyJv  : 
zxvrai  âè  Y,xl  ).zT:zoa-/ièd<;  wv5'pi.a^3v .  »  Le  IMusée  des  antiquités 
de  Londres  possède  quelques  spécimens  de  ce  genre  de  sou- 
liers exhumés  du  fond  de  la  Tamise,  où  la  vase  qui  les  recou- 
vrait assura  leur  conservation.  Ces  curiosités,  uniques  au 
monde,  sont  en  peau  de  truie  [sicine)  noire  et  découpée  en 
réseaux  élégamment  variés.  Trois  d'entre  elles  sont  d'un  seul 
morceau  recousu  aux  extrémités  ;  un  renfort  de  cuir  leur 
tient  lieu  de  semelle,  et  des  ligulœ  livraient  passages  aux  cor- 
dons absents.  Les  dimensions  de  deux  souliers,  restés  intacts, 
(0,1  Ve-^'  sur  0,076""  et  0,252'°  sur  O.OSS'";  peuvent  les  faire 
attribuer  à  une  jeune  fille  et  à  une  femme;  un  autre  (0,223"" 
sur  0,070""),  à  semelle  quadruple,  munie  de  gros  clous  rivés 
sans  apparence  de  couture,  à  courroies  et  oreilles  taillées 
dans  le  quartier,  doit  avoir  chaussé  une  paysanne;  son  affinité 
avec  la  solea  et  le  pays  où  il  a  été  trouvé  m'engagent  à  le 
regarder  comme  une  gallica  rustique,  conforme  au  sentiment 
d'AuluGelle-, 

Les  souliers  de  femme,  calceoli^  étaient  minces  et  déformes 
diverses  ;  j\L   Rich  en  offre  trois  modèles  d'après  les  pein- 


'  Rien,  loc.  cil. —  "Obstrigilli  sunt  qui  per  plantas  consuti  sunt  et  ox  .su- 
porioro  parte  conigia  trahitur,  unde  ot  nominantui'.  »  Tsidohk. 

•  Ch.  Roach  S.MiTH,  Cal.  of  the  .Mvs.  nf  London  ant.,  p.  6(3  et  pi  ix. 
Lettre  du  même  à  l'auteur,  b'''  déc.  1856.  — L'.-/?i^  exjjL,  t.  \u,  pi.  35,  offre 
une  chaussure  qui  participe  de  la  crépide  et  du  calcens  feneslmlus.  Les  sou- 
liers du  ihéteur  Euménius  (statue  trouvée  à  Clèves,  IV«  siècle)  me  paraissent 
ég-d\ement  feneslrali ,  mais  la  gravure  que  j'ai  sous  les  yeux  est  trop  impar- 
faite pour  y  renvoyer  le  lecteur. 


488  LES    SANDALES   ET    LES    BAS. 

turcs  de  Ponipéï  :  ils  moment  jusqu'à  la  cheville,  ont  des 
semelles  et  des  talons  bas;  leur  empeigne  est  tout  d'une 
pièce  ,  et  leurs  cordons,  lorsqu'il  y  en  a,  sont  passés  dans 
l'ourlet  qui  arrête  la  partie  supérieure.  Outre  les  couleurs 
indiquées  ci-dessus,  on  portait  des  calceuli  blancs;  ceux  des 
suivantes  de  Tliéodora  (mosîiïque  de  Ravenne,  VP  siècle)  et 
de  sainte  Cécile  (mosaïque  de  son  église  à  Kome,  822)  sont 
entièrement  rouges  ' . 

Les  Patriciens  et  les  sénateurs  avaient  une  chaussure  par- 
ticulière que  prenait  tout  individu  admis  dans  leurs  rangs'; 
Isidore  en  parle  ainsi  :  «  Patricios  calceos  liomulus  reperit 
«  quattuor  corrigiarum  assutaque  luna.  His  soli  Patricii 
"  utebantur.  Luna  autem  in  eis  non  sideris  formam,  sed 
«'  iiotam  centenarii  numeri  significabat,  quod  initio  patricii 
«  senatores  centum  fuerint.  »  Plus  bas,  le  même  auteur 
ajoute  :  »  Mullei  similes  sunt  cothurnorum  solo  alto,  supe- 
0  riore  autem  parte  cum  osseis  sunt  vel  eeneis  malleolis,  ad 
"  quos  lora  deligabantur.  Dicti  autem  sunt  a  colore  rubro, 
0  qualis  est  mulli  piscis.  »  Calcei  patricii  et  mulkn  doivent 
être  confondus  ensemble  si  l'on  en  croit  Festus  :  «  Mulleos 
0  genus  calceorum  aiunt  esse,  quibus  reges  Albanorum  primi 
('  deinde  Patricii  usi  sunt.  M.  Cato  originem  libro  septimo  : 
"  Qui  magistratum  curulem  cepisset,  calceos  mulleos  alluci- 
"  natos  (uncinatos  ?],  ceteri  péronés.  Item  Titinius  in  satira  : 
«  Jam  cum  muleis  te  ostendisti,  quos  tibiatis  in  calceos.  •> 
Les  antiques  statues  patriciennes,  dont  le  vêtement  est  assez 


*  Dict.  (lésant..,  [>.  94.  —  »  Calceis  feniineis  albis  et  teiiuibus  inductus.  » 
Apllék,  Méfam.  1.  mi. —  Une  Juiioii  étrusque  eu  bronze  porte  des  souliers 
'acés  pardevant,  avec  des  courroies  entourant  la  jambe  comme  celles  du  cal- 
ceiis  palriclus.    Mus.    Corlonmse,  yjl.  5,  in-t'ol.  Rome,  1750. 

*  'I  Apertain  cuiiani  vidit  lAsinius)  post  Cœsaris  mortem  ;  mutavit  calceos; 
pater  conscriptus  repente  factus  est.  i.  Cicékon,  f'/tilip.,  xiii,  13. 


LES    SANDALES   ET   LES   BAS.  4H0 

relevé  pour  que  roi»  puisse  embrasser  reusenible  de  leur 
chaussure,  porteut  une  sorte  de  bottine  close,  eu  matière 
souple,  peau  chamoisée  sans  doute,  dessinant  les  formes. 
Deux  rubans,  souvent  très-lai\aes,  pnrtent  de  la  semelle  vers 
la  naissance  des  orteils  et  viennent  se  lier  sur  le  cou-de- 
pied  ;  une  autre  courroie,  également  double,  assujettit  le  haut 
du  calcpus  à  la  jambe  qu'elle  entoure  jusqu'au  milieu,  où 
elle  s'arrête  en  nœuds  à  liouts  ])endants.  César.  Auguste  et 
Caligula  (n"  JOO  et  7û  du  Louvi-e)  sont  ainsi  figurés.  La 
statue  équestre  de  Marc-Aurèle,  les  diptyques  consulaires 
de  Stilicon  (400),  Boëce  (487),  Anastase  (517),  Magnus  (518), 
ofirent  des  corrigiœ  pcdulcH  cr(jisées  en  sautoir;  celles  de 
Boëce  rappellent  l'aspect  des  monuments  sassanides.  Les 
courroies  forment  un  réseau  sur  la  chaussure  du  consul  Ani- 
cius  Faustus  Basilius  (541);  au  contraire  une  seule  ban- 
delette divise  longitudinalement  les  souliers  de  INIarc-Aurèle 
en  pontife  et  d'un  sénateur.  L'image  du  consul  Flavius  Félix 
(428)  montre  les  quatre  courroies  d'Isidore  nettement  carac- 
térisées ;  deux  partent  de  la  pointe  de  la  semelle,  les  autres 
sont  disposées  en  étrier.  Un  jeune  patricien,  revêtu  de  la 
prétexte  et  la  bulle  au  cou,  m'a  paru  être  dans  le  même  cas  ' . 
Aucun  doute  ne  peut  exister  sur  la  couleur  et  la  matière 
du  calceus  patricius;  il  était  rouge  vif,  suivant  une  ancienne 
inscription  de  Caïus  Marins  ;  en  peau  éoarlate  préparée  à 
l'alun,  suivant  ^Martial  : 

Coccina  non  lœstirn  cingit  aluta  pedem  *. 

'  V.  An(.   expl  ,  iv,  28  ;  suppl.,   iiï,  81;    ihid.,   3  ;    iil,  8   et  5.  —  Goiii, 
Thés.  vet.  dipt.,  I,  1,4,  5,  11. — Les  Jrls  sompt.,  t.  I,  pi.  2  et  1. 

*    "   De    MAJVVBIEI-S    CIMBRinS    ET     TEVTOKICEIS  AEDKM    HONORI    VICTOR    FE- 

ciT  VESTE  TRivMPHAri  cALCEis  pvNiciEis  »  ap.  Ferrari,  Dc  Rc  vesl.,  anal., 
p.  106.  -  II,  29. 


490  LES   SAN  IJ  A  LES   ET    LES   BAS. 

Les  corrifjiœ  crurales  étaient  de  cuir  noir  : 

Nam  ut  quisque  insauus  ni^ris  médium  inipediit  crus 
Pellibus,  et  latum  demisit  peclore  clavum. 

Un  vers  de  Ju vénal  prouvera  tout  à  l'heure  que  les  corri- 
(jiœ  pedides  n'avaient  pas  une  autre  couleur.  Néanmoins, 
après  qu'Aurélien  eut  réservé  la  chaussure  rouge  à  la  dignité 
impériale,  les  consuls  adoptèrent  les  soidiers  dorés  '. 

Dion  Cassius  rapporte  que  Jules  César  usait  parfois  d'une 
chaussure  rouge  et  élevée,  à  l'instar  des  rois  d'Albe,  dont  il 
prétendait  tirer  son  origine  -.  Une  figure  étrusque,  publiée 
par  Montfaucon,  réunit,  à  mon  sens,  les  divers  caractères 
du  calceus  albain  de  César,  des  péronés  curides  de  Caton  et 
des  midlei  de  Titinius.  Cette  figure  présente  un  calceamentum 
à  semelle  épaisse,  montant  presque  jusqu'au  genou,  avec  des 
courroies  disposées  à  la  patricienne  ^ 

Elusieurs  auteurs  confirment  l'assertion  d'Isidore  relative- 
ment à  la  liina  : 

Lunata  nusquam  pellis  et  nuscfuam  topça 

dit  Martial  ;    «  quam  enim  non  expédiât   in  algore,   et  ar- 
«   dore  rigere  nudipedem,  quam  in  calceo  uncipedem  »  s'é- 


'  HouACE,  lib.  1,   sat.  vi,  27.  —  Cassiodoke,  Varia,  lib.  vl,  1  :   «  Calceis 
aureis  cgredere.  »  Forni.  Cons.. 

Quid  si  taie  decus  recitasses  in  aure  Senatus, 
Stravissent  plantis  aurea  fila  luis. 

FoRTUNAT,  lib.  111,20,  9. 
5   «  'V'j/-/-,À^  xai  Ipu0p//pdw.  »  Jlist.  rom.,  43. 
^  Ant.  expl .,  i!i,  ^9. 


LES    SANDALES   ET    LES   liAS.  V.)\ 

crie  l'énergique  Tertullien.  Stace  nous  appieud  i[nv  rcnfance 
même  avait  droit  à  cet  ornement  : 

Sic  le  clare  puer  gt'iiil'.iin  sihi  curiu  seiisit 
Priinaque  patriciu  clansit  vestigia  lima  '. 

Mais  une  difficulté  reste  à  éclaircir;  il  s'agit  maintenant 
de  déterminer  la  place  exacte  du  croissant  que  les  artistes 
s'abstinrent  de  sculpter,  probablement  à  cause  de  sa  nature 
délicate  et  fragile.  Lu  (jallica  de  Bonanni  porte  un  mallcoliis 
battant  sur  le  cou-de-pied;  les  souliers  consulaires  de  F.  Fé- 
lix et.de  F.  Taurus  Clementinus  (51 5)  sont  agrafés  par  devant, 
à  la  hauteur  des  chevilles,  avec  une  fibule  hémisphérique; 
enfin,  le  vers  de  Martial: 

Non  extrema  sedet  liuiaia  ligula  planta  -, 

qu'on  lise  extrema  ou  externa ,  me  semble  résoudre  la 
question,  car  les  ligulse  ou  oreilles,  qui  couvrent  les  chevilles 
se  réunissent  toujours  sur  le  cou-de-pied.  Une  plaisante  re- 
partie d'Hérode  Atticus  à  Braduas  fait  encore  mieux  com- 
prendre la  position  qu'occupait  la  luna^  Braduas  portait  sur 
sa  chaussure  la  marque  de  sa  haute  naissance,  laquelle  mar- 
que consistait  en  un  ènKKfvpiov  èlec^dvzivov  jxwozidta  (littérale- 
ment couvre-cheville  d'ivoire  en  forme  de  croissant)  :  Tu  as 
ta  noblesse  sur  l'articulation  du  pied,  lui  dit  le  rhéteur  \ 


'  Ex>igr.,  1,  50.—  De  Pallia,  5.—Sili\v,x,  2,  27.  —  Zo.naki:,  Jnu.,  dit 
que  les  chaussures  patriciennes  différaient  des  autres,  tt.ts  eTraXAayîi  tcov 
'tfxâvTwv  xai  TW  Tu:rw  tou  ypau.aaTo;. 

*  Ant.  expl.,  !ll,  35. —  Goui,  loc.  cit.  l,  pi.  d.—Epiyr.,  ii,  29. 

■'Philostrate,  Vit.  Sophist-,  1.  ii,  1,  18. 


49^2  LES   SANDALES   ET   LES   BAS. 

Le  croissant  était  donc  disposé  de  manière  à  ce  que  ses  cor- 
nes, engagées  dans  les  corrigiœ  pédales  noires, 

Ap[)Osilara  nigrœ  luiiam  subtexit  alut*, 

présentassent  un  écartement  suffisant  pour  dissimuler  les 
malléoles.  Le  croissant  elli[)tique  d'ivoire,  trouvé  dans  les 
Catacombes  et  publié  par  M.  Rich,  a  tous  les  caractères  de 
la  lana  patricienne  ' . 

Le  soccus^  soccultis  ou  soccelliis  était  une  pantoufle  sans 
<iordons,  couvrant  le  pied  tout  entier  :  «  Socci  cujus  diminu- 
«  tione  soccelli  a})pellati  inde  quod  soccum  habeant,  in  quo 
«  pars  plantaî  iniciatur...  nam  socci  non  ligantur,  sed  tan- 
«  tuni  intromittuntur.  »  L'expression  soccis  indutus,  géné- 
ralement employée  par  les  anciens  auteurs,  rend  très-bien 
l'idée  d'un  pied  enveloppé  du  soccus  ^  Cette  chaussure,  por- 
tée en  Grèce  par  les  deux  sexes,  n'était  guère  admise  à  Rome 
qu'au  théâtre  et  chez  les  femmes,  qui  l'enrichissaient  d'or  ou 
môme  de  perles  \  Le  soccus  était  particulièrement  affecté  à 
la  comédie,  en  opposition  au  cothurne  des  acteurs  tragiques  ; 
il  rentrait  alors  dans  le  genre  dit  talaris  parce  qu'il  renfermait 
le  talon.  Montfaucon  et  M.  Rich  en  donnent  deux  spécimens; 
j'en  trouve  un  autre  dans  le  Muséum  Cortonense.  Ce  dernier, 
qui  appartient  à  des  histrions  étrusques,  ressemble  à  une 
bottine  munie  de  languettes,  rabattues  par  devant  et  par 


'  Jdvknai.,  sat.  vu,  19-2. — Dict.   des  nut.,  379. 

*  Isidore,  loc.  cit. —  "  Pallium  quo  amictus,  soocos  quibus  indutus  çsset.» 
CicÉROK,  De  Orat.,  m,  32. 

^  «  Alius  soccis  obauratis...  femina'n  mcntiebatur.  »  Apulée,  Métam.  xr. 
■ —  "  Caïus...  super  caetera  muliebria,  socculos  induebat  e  margaritis.  ).Pli^e, 
Hist.  nat.,  xxxvir,  6.  —  La  mosaïque  de  Ravenne  représente  Théodora  avec 
f\es  socciiJi  aitrali. — V.  encore  Teutcllien,  De  idolatria. 


LES   SANDALKS    K'V   LES   BAS,  49.] 

derrière  '.  Les  socci  ccrniii  (de  fimambiile),  faits  comme  des 
chaussons,  n'avaient  pas  de  semelle  ;  ceux  des  particuli(M-s, 
usités  dans  la  vie  extérieure, 

Adsido,  accurrunt  servi,  soccos  detraluint, 

étaient  parfois  garnis  de  petits  clous  aigus  ". 

Les  anciens  appelaient  sandaliiim,  (javâdliov^  aâvâakov^  une 
sorte  de  pantoufle  que  les  Romaines  empruntèrent  aux  dames 
grecques;  Isidore  la  désigne  sous  le  nom  de  soccus  snbtalaris^ 
ce  qui  prouve  qu'elle  manquait  de  quartier,  mais  elle  avait 
une  empeigne  finement  tailladée  ffenestrata)  où  brillaient 
l'or,  la  pourpre  et  les  broderies 

HavoàXia  te  twv  XaTiToa/iOÔiv 

'Ecp   diT  xà  ypuca  zixZz   £7T£(jtiv  avôefxa  '. 

Les  spécimens  désignés  par  M.  Rich  et  la  sandale  de  l'im- 
pératrice Théophanie  (Musée  de  Cluny,  Dyptique,  n"  387, 
X^  siècle)  sont  conformes  aux  textes  précités  et  très-analogues 
à  la  babouche  des  dames  de  Constantinople,  qui  en  diffère 
seulement  par  l'absence  de  découpures.  Les  écrivains  comme 


'  Hune  socci  caepere  pedem  grandt-sque  cothurni. 

Horace,  Ars  poet.  80. —  «  Talaies  calcei  socci  sunt  qui  iude  nominati  vi- 
dentur,  quod  ea  figura  sint  ut  contingant  talum.  »  Orig.,  loc.  cil.  —  Ant- 
expl  ,  I,  ISl.—Dict.  des  ani.,  590.—  Mus.  cort.  pi.  18  et  19. 

*■'  «  Cernui  socci  sunt  sine  solo  lingulati,  quos  nos  foliatos  vocainus  "  Orig., 
loc.  cit.  —  Térence,  Heaut.  i,  1,  72.  —  <>  Clavati  quasi  callivati  eo  quod 
minutis  clavis,  id  est  acutis,  sola  calcis  vinciantur.  ^^  Orig.  loc.  cit.—  Clé- 
ment d'Alexandrie,  PcVdag.  1.  II,  c.  xi. 

^  «  Subtalares,  quod  sub  talc  sunt  quasi  subcalares.  »  Orig.,  loc.  cit. 
—  Céphisodore,  Troph.,  ap.  Onomast.,  loc.  cit. —  KaTct/pucov  {nzôZr^^oL  Eua 
TTopcpupoùv  »?-ra  x£VTr,TOv.  EpictÈte,  Enchirid.—  Li.cien,  Philopseudes. 


49 i  LES    SANDALES    ET    LES    BAS. 

les  artistes  font  de  la  sandale  une  chaussure  particulière  au 
beau  sexe;  tantôt  Omphrile  caresse  Hercule  à  coups  de  san- 
dale, tantôt  une  élégante  agite  cette  même  sandale  au  bout 
de  son  pied  mignon  '.  Les  dames  grecques  et  romaines  atta- 
chaient un  si  haut  prix  à  leurs  précieuses  sandales  qu'elles 
avaient  des  esclaves  pour  les  porter,  scwdaligprulœ,  et  des 
boîtes  enrichies  d'or,  imy^pixjova  aavèoCj.oQ-riy.ac!^  pour  les  ren- 
fermer '. 

C'est  ici  le  lieu  de  parler  du  calceolm  répandus  attribué  par 
Cicéron  à  la  junon  de  Lanuvi'iim  ■'.  J'ai  fait  voir  l'existence 
d'un  calceamenlum  à  pointe  recourbée  en  Egypte,  en  Assyrie 
et  en  Asie  mineure  ;  on  peut  le  rencontrer  sur  d'antiques  vases 
grecs  ou  italo-grecs;  mais,  en  Europe,  il  appartient  surtout 
aux  Etrusques,  race  essentiellement  asiatique.  Gori  a  publié 
quelques  spécimens  de  calceolus  répandus  ;  ils  sont  lacés 
sur  le  cou-de-pied  et  leur  quartier  relativement  peu  élevé  les 
classe  entre  le  cal  cens  et  la  sandale  \  Julius  Pollux,  à 
l'article  2a:v^à).£ov,  parle  des  aavâdhx  Tvpp-nviy-o!.^  qu'il  nomme 
plus  loin  Tvpprtvovpyn   (ouvrage  étrusque),  sandales  dont  la 

'  Dict.  des  nnt.  p,  553.  — Lucien,  De  scr'th  Jiist.  10;  Dial.  des  Dieux, 
13,  2. 

Utinam  tibi  commitigari  videam  sandalio  caput. 

Térkxce,  Eunncli.,  v,  S,  4. 

Démet  sandalio  innixa  digitis  prioiibus. 

ToRPiLics,  ap.  NoiNios  Marckllus. 

-  Placte,  Triniim.,  i,  2.  —  Ménandrk,  Misog.,  ap.  Onomasl.  loc.  cit.  — 
Un  calendrier  romain,  publié  par  Montfaucon,  qui  le  fait  remonter  au  IV«  siè- 
cle, représente  le  mois  de  janvier  sous  la  figure  d'un  homme  richement  vêtu 
et  chaussé  de  sandales.  Ant.  expL,  siippl.,  i,  5.  Je  cite  cette  gravure  sous 
toutes  réserves. 

^  K  Cum  pelle  caprina,  cum  hasta,  cum  scutulo,  cum  calceolis  répandis-  » 
Cicéron,  De  nat.  Deor.,  i,  29. 

*  GoRi,  Mus.  Elnisc.  pi.  3  et  47. —  Jiino  Lanuvina  sur  un  denier  romain, 
ap.  VisroNTi,  3Ins.  !>.  C/ein  ,  t    n,  pi.  A,  vu,  12 


LES   SANDALES   ET  LES   BAS.  49a 

semelle  mesurait  quatre  doigts  en  largeur  et  dont  les  cuiii- 
roies  étaient  dorées  (îp.avTeo-  iizlxp'jaoi)  ;  ajoutant  que  Phidias 
clîaussa  Minerve  de  (yrrliénicnncs  et  que  Saplio  ti-aite  de  mau- 
vais travail  lydien  leurs  courroies  variées  : 

ITotxîXod  [xo(aOX-/i(j  Auoiov  xooio'v  Ipyov. 

Il  serait  assez  difficile  d'admettre  que  ces  sandales  tyrrhé- 
niennes  pussent  diiFérer  beaucoup  du  calceolus  répandus 
étrusque;  néanmoins  je  ne  me  dissimule  pas  que  la  Minerve 
de  Phidias,  en  souliers  chinois,  renverserait  singulièrement 
les  idées  reçues  jusqu'à  ce  jour. 

III.  Chaussure  garantissant  à  la  fois  le  pied  et  la  jambe. — 
Cothurnus.  —  L'expression  zcQopoo- fut  d'abord  appliquée  par 
les  Grecs  à  toute  chaussure  qui  montait  jusqu'au  mollet. 
Hérodote,  rapportant  que  l'athénien  Alcméon  remplit  ses 
cothurnes  d'or  dans  le  trésor  de  Crésus,  désigne  certaine- 
ment par  v.èQopvoi  une  espèce  de  botte.s  molles  et  élastiques  *  ; 
mais  à  l'ordinaire,  les  anciens  entendaient  ce  mot  dans  le 
sens  d'un  haut  brodequin  collant  à  la  jambe  et  lacé  par  de- 
vant. On  voit  le  cothurne  sur  les  monuments  assyriens  et 
Ovide  témoigne  de  son  origine  asiatique  : 

Lydius  apta  pedum  vincla  cotluirniis  nral. 

Les  célèbres  terres  cnites  peintes  du  Musée  Campana,  ca- 
taloguées, sous  le  nom  de  tombeau  lydien,  présentent  des 
spécimens  précieux  de  la  chaussure  mentionnée  par  le  poëte 
latin.  La  femme,  au  type  oriental,  couchée  près  de  son  mari, 

'  «  KoOdpvouç  Toùç  £upicx£  HupuTcxTOUi;  EovTa:;  uToor,i7a[/.£vo(;.  »  Chaussé  des 
cothurnes  les  plus  larges  qu'il  rencontra,  vi,  125.  Le  reste  du  passage  con- 
firme mon  interprétation. 


lOG  LES   SANDALES    ET    LES    BAS. 

porte  un  cuthiiriie  à  pointe  recourbée,  dont  la  tige  monte 
jusqu'au  milieu  de  la  jambe  en  n'en  couvrant  que  la  partie 
postérieure,  l'antérieure  se  trouvant  garantie  par  une  lan- 
guette arrondie  au  sommet.  L'échancrure  qui  part  delà  nais- 
sance des  orteils,  en  s'élargissant  progressivement,  se  ferme  au 
moyen  d'une  courroie  lacée  sur  le  cou-de-pied  et  venant  s'ar- 
rêter dans  un  œillet,  après  avoir  contourné  trois  ou  quatre 
fois  le  bas  du  mollet.  Cette  chaussure,  commune  aux  deux 
sexes,  apparaît  tantôt  rouge,  tantôt  noire  ;  la  courroie  est 
jaune  ou  blanche,  la  languette  jaune^  et  le  galon  qui  borde 
l'échancrure,  blanc  '. 

Un  cothurne  splendide  était  attribué  par  les  Grecs  et  les 
Romains  à  Diane,  à  Mercure,  à  la  déesse  Roma,  et  plus 
spécialement  à  Bacchus  ^  La  tragédie  qui  prit  naissance  aux 
fêtes  de  ce  Dieu  chaussa  ses  acteurs  du  cothurne  '.  Selon 
PoUux  et  Isidore,  le  cothurne  s'adaptait  indifféremment  aux 


'  La  frise  peinte  qui  décorait  l'intérieur  de  la  chambre  sépulchrale,  m'a 
permis  de  compléter  les  détails  cachés  sous  la  robe  de  la  statue  et  d'attribuer 
la  chaussure  aux  deux  sexes. 

Et  Tyrrhena  pedum  circumdat  vincula  plantis. 

Virgile,  Eneid  ,  viii,  458. 

Clément  d'Alexakduie,  Pcedag.  ii.  xi,  mentionne  aussi  le  cothurne 
tyrrhénien.  La  chaussure  rouge  de  César  et  les  Calcei  patricii  en  dérivaient 
certainement. 

*  Antoine  se  montra  dans  Alexandrie  costumé  en  Bacchus  n  thyrsum  te- 
nens  cothurnisque  succinctus.«  V.  Patkrcclds,  ii,  82 

^  Virgile.  Ed.,  viii  10.— Ovide,  Pont.,  iv,  16,  29.— Jdvénal,  sat.  vu, 
72. —  M.  Rich  conclut  de  ce  vers  de  Juvénal  ivi,  633)  : 

Fingimus  hsec,  altum  satira  sumente  cothurnum 
et  d'une  figure  d'acteur,  chaussé  de  fulmenta  (villa  Albani),  que  les  co- 
thurnes tragiques  avaient  d'épaisses  semelles  de  liège  pour  grandir  l'individu 
qui  les  portait  [Dict.  des  ant.,  p.  200).  Isidore  laisse  entendre  que  ces  se- 
melles étaient  en  saule  :  «  Quos  quidam  (cothurnos  tragÈedorum)  calones 
etiani  appollynt  eo  quod  ex  salice  fiebant.   » 


LES   SANltALhS   i,T   LES    IJAS.  -197 

deux  pieds  ;  de  lu  vient  peut-être  que  le  tenue  col/uirnus  est 
souvent  employé  au  singulier.  Les  cothurnes,  chargés  de 
cinq  cents  livres  de  plomb,  que  l'hercule  Athanatus  portait 
sur  la  scène,  devaient  être  en  cuir  très-fort  ;  il  y  en  avait 
aussi  de  pourpre  : 

Puiiiceo  stabis  sinus  evincta  cotliuriio. 
Et  même  de  laine  : 

Sume  laiieos  colhunios,  semper  relluos  calceos. 

Ces  derniers  n'étaient  pas  d'une  grande  solidité  '.  Le  co- 
thurne est  figuré  sur  les  monuments  avec  des  revers  plus  ou 
moins  riches  ;  il  est  tantôt  lacé,  tantôt  boutonné,  tantôt  main- 
tenu par  des  courroies  diversement  agencées;  il  appar- 
tient aux  chasseurs,  aux  héros,  aux  militaires.  Les  Romains, 
néanmoins,  ne  l'acceptaient  pas  comme  leur,  car  Cicéron 
s'élève  contre  l'insolence  de  Tuditanus  qui  paraissait  en  pu- 
blic «cum  palla  et  cothurnis  '\  » 

Les  péronés  étaient  une  chaussure  de  peau  non  tannée  : 

Vestigia  nuda  sinistii 
Instituere  pedis;  crudus  legit  altéra  pero. 

'  Pline,  Hint.  nul.,  vu,  19. — Virgilk,  Buc.ol.,  vif,  32  —  Querolus,  com. 
faussement  attr.  à  Plante.  —  «  Sed  taie  est  ut  in  dextro  et  lœvo  conveniat 
pede  »  Orig.,  loc.  cit.  —  Les  Grecs  appelaient  le  cothurne  Théramène,  à 
cause  de  l'ambiguïté  politique  (TroXtTct'av  à(/'^oO£p'.(7L/.ov)  de  ce  personnage. 
Onom.,  loc.  cit. 

*  V.  Jnt.  expL,  i,  151  (Bacchus)  ;  m,  2  (Priisias)  ;  iv,  2  (Télamon  et  il 
Marcus  Nœvius  ;  etc.— Rich,  loc.  cil.  —  Philip.,  m,  6. 

TOME  VI  :J6 


i98  LES    SANDALES   ET    LES   BAS. 

Avec  le  [)oil  tourné  en  dedans  : 

Nil  vetihun  fecisse  volet,  quem  non  [siidel  allô 
Per  f^laciem  peione  le^i,  qui  summovct  Euros 
Pellibus  invei'sis. 

Ces  vers  nous  apprennent  en  outre  que  le  pcro  couvrait 
les  jambes  '.  Suivant  Isidore,  les  péronés,  «  rustica  calcia- 
menta  »  avaient  une  semelle  garnie  de  clous  [clavati  péronés); 
ils  chaussaient  les  laboureurs,  les  bergers,  les  chasseurs  et 
généralement  tous  les  individus  qui  menaient  la  rude  exis- 
tence des  champs.  Les  monuments  ligiu'ent  ce  cakeamentum, 
tantôt  comme  une  botte  molle,  fermée,  montant  plus  ou 
moins  haut,  tantôt  comme  une  espèce  de  cothurne  lacé  '. 

Calliraaque  et  avec  lui  PoUux  appellent  èvâpoij.îâer^ ,  pluriel 
d'èvJ^ofjiîç ,  une  chaussure  particulière  à  Diane.  Un  grand 
nombre  de  figures  de  la  déesse  portent  une  sorte  de  cothurne, 
qui  couvre  tout  le  pied  eu  laissant  les  orteils  à  nu.  Ce  co- 
thurne, très-convenable  pour  la  course,  ne  peut  être  autre 
chose  cpi'un  endromis.  Il  n'a  pas  de  nom  en  latin,  mais  il  est 
difficile  à  méconnaître  dans  la  description  minutieuse  que 
fait  Sidoine  Apollinaire  du  calceanientum  de  la  déesse  Roma  : 

Ferpetuo  slat  piaula  solo,  sedfascia  primos 
Sislitur  ad  digilos  ;  retinacula  bina  cothurnis 

'  Virgile,  Eneid.,  vu,  089.  — .Jcvémai.,  sal.  xiv,  185. 
'^  Niivem  si  poscat  sibi  peionatiis  aiatur 

PEiiSE,  V.  102. —  V.  .Jutcxpl.,  i.  187  (Diane);  m,  177  (chasseur).  Dlcl. 
des  ant-,  p.  474. — L.  Perret,  Les  Calac.  t.  iv,  pi.  17,  5,  et  t.  v,  pi.  40,  132 
(bon  pasteur).  (;tc. —  Quant  aux  «  peiones  effœminati  »  de  TertuUien,  ils  sont 
une  allusion  de  l'écrivain  aux  Ixangucs  iin[)oitées  à  Rome  par  les  orientaux, 
chaussures  qu'il  désigne  certainemcn!  sous  le  nom  de  péronés,  dans  un  autre 
de  ses  ouvrages  [De  Pallio,  5i. 


us     SANDM.LS    ET    LKS    BAS.  4<.)<) 

Millil  iii  advorsum  viuclo  de  fornicc  pollcx, 
Quoi  sUingaii!  oiopidas  et  conciiii't'ulibiis  aiisis 
Viiicluî  iiin  pandas  texaal  [Miv  crura  calcnas  '. 

Ucudroinis,  tiui  cliiiusse  Diane  et  plusieurs  autres  statues 
antiques,  appai'ait  fréquemment  sur  les  ])as-reliefs  de  la  co- 
lonne de  'riiéodose '■.  ]\larc  Aurèle  (n"  ^0  du  Louvi-e)  porte 
aussi  Ycmlrontis. 

* 

cil.    DE    LINAS. 

\La  suite  au  prochain  numéro.) 

'  In  Delum,  237  ;  In  Dianam,  16.  — Carni.  ii,  Jd  Anlh.,  -400.  La  plante 
du  pied  pose  sur  une  semelle  droite,  mais  l'empeigne  s'anète  à  la  naissance 
des  orteils  ;  le  pouce  renvoie  d'un  côté  à  l'autre  deux  courroies  fixées  au 
sommet  du  cothurne  et  qui,  api'ès  avoir  traversé  des  œillets  correspondants, 
se  croisent  sur  la  jambe  en  chaînes  repliées  —  Endromis,  lat.  signifie  man- 
teau grossier.  , 

■'  Ant.  expl.  iir,  157  (Etrusque)  ;  iv.l  (Pyrrhus);  i,  87  (Diane);  etc.,  etc. 
Dict.  des  ant.,  p.  245. — Imp.  Orient.,  loc.  cit. 


HISTOIRE  DE  S.  JACQUES  LE  MAJEUR 
et  du  Pèlerinage  de  Compostelle- 


(■K\Ql  IKMK    AUTICLI': 


CHAPITRE  VI. 

SORT   DC   TOMBEAU    DE   SAIMT   JACQUES   PENDANT   LES   HUIT   l'IlEMIEUS   SIÈCLES. 

Les  fidèles  purent  visiter  pendant  les  deux  premiers  siècles 
le  tombeau  de  saint  Jacques.  La  persécution,  cpii  fit  ailleurs 
tant  de  martyrs,  cpai'gna  la  Galice  pendant  cette  longue  pé- 
riode. ]\Iais  plus  tard  elle  s'étendit  dans  ce  pays  comme  un 
torrent  dévastateur  et  immola  les  pacifiques  disciples  de  la 
foi  nouvelle.  Au  glaive  des  tyrans  succéda  l'invasion  des 
Barbares,  peut-être  encore  plus  fatale.  Les  autels  et  les 
temples  du  Très-Haut  furent  renversés,  les  asiles  de  la 
prière  profanés.  Le  tombeau  de  saint  Jacques  lui-même  fut 
livré  au  pillage  et  disparut  sous  des  ruines.  Une  forêt  inculte 
occupa  bientôt  ces  lieux  vénérés,  et  le  peuple,  ne  pouvant 

*  Voir  le  numéiu  de  juillet,  p.  378. 


rÈLEiUNAGE    DE   CO.Ml'OSTELLE.  501 

plus  discerner  l'emplacement  du  tombeau,  ne  conserva  que 
le  souvenir  de  la  forme  arcliitecturale  qui  avait  frappé  ses 
sens. 

La  conversion,  en  587,  de  Récarède  1''  dit  \g  Cat/ioliffue^ 
roi  des  Visigoths  d'Espagne,  consola  la  religion  sans  tarir  la 
source  de  tons  ses  malheurs.  Les  fidèles  profitèrent  des  bien- 
faits de  la  paix  pour  aller  honorer  saint  Jacques,  sinon  sur 
son  tombeau  dont  la  trace  était  presque  aussi  effacée  dans 
les  esprits  que  sur  le  sol,  du  moins  à  Iria-Flavia,  où  la  tra- 
dition du  débarquement  des  reliques  n'était  pas  oblitérée; 
telle  était  à  cette  époque  la  dévotion  de  l'Espagne  pour  le 
grand  apôtre,  qu'on  vénérait  jusqu'aux  lieux  on  ses  restes 
sacrés  n'avaient  fait  que  passer.  La  coutume  des  pèlerinages 
à  L'ia-Flavia  se  maintint  longtemps,  même  après  la  dé- 
couverte du  tombeau  de  l'Apôtre.  J'en  trouve  la  preuve 
dans  certains  auteurs,  en  particulier  dans  Ambroise  Mora- 
les, historiographe  de  Philippe  II.  Selon  cet  écrivain, 
saint  Jacques  avait  habité  quelque  temps  cette  cité,  y  avait 
célébré  la  sainte  Messe  et  s'était  désaltéré  à  une  fontaine, 
dont  l'excellence  et  la  fraîcheur  étaient  un  attrait  de  plus 
pour  les  pèlerins.  Deux  souvenirs,  l'un  de  la  vie  et  des  actes 
du  saint,  l'autre  du  passage  de  ses  reliques,  attiraient  donc  en 
ce  lieu  un  grand  concours  de  peuple.  Morales  ajoute  que  dans 
le  voisinage  de  la  même  ville ,  les  pèlerins  visitaient  avec 
respect  un  rocher  que  le  saint  avait  entr'ouvert,  en  le  frap- 
pant de  son  bâton,  pour  s'y  créer  un  asile  contre  les  pour- 
suites des  gentils;  on  le  gravissait  à  genoux  et  en  récitant 
quelques  prières.  Un  autre  rocher,  sur  lequel  avait  dormi 
l'Apôtre,  était  encore  signalé  à  l'attention  et  à  la  vénération 
des  fidèles. 

Le  roi  Récarède  fut  un  des  pèlerins  d'Iria-Flavia  ;  [)ar  re- 
connaissance pour  le  grand  Apôtre,  à  (pii  l'Espagne  était  re- 


5{l2  rÈLERlA'AGE    DE    COMPOSTELLE. 

devable  des  premières  lueurs  de  la  foi,  il  le  proclama  l'u- 
nique patron  de  l'Espagne^  patron  unico  de  Espana.  Quelques 
auteurs,  il  est  vrai,  prétendent  que  le  patronage  de  saint 
Jacques  ne  date  que  de  la  bataille  de  Clavijo,  qui  eut  lieu  en 
845,  et  du  vœu  de  Kamire  I"  ;  mais  leur  contradiction  est 
sans  fondement;  car  Alphonse  le  Chaste,  prédécesseur  de 
Ramire,  avoue  que  de  son  temps  l'apôtre  saint  Jacques  était 
reconnu  comme  patron  de  l'Espagne. 

Iria-Flavia  ne  fit  pas  cependant  oublier  entièrement  le 
tombeau  du  saint.  Dans  un  concile  national  d'Espagne,  de 
l'an  676,  où  furent  tracées  les  limites  des  diocèses  de  ce 
pays,  on  lit  à  propos  de  celui  d'Osma  :  «  Osma  a  pour  limites 
«  Fusta  et  Alarzon  par  le  chemin  gui  conduit  à  Saint-Jacques.  » 
Or,  Osma,  qui  appartient  aujourd'hui  à  la  province  de  Soria, 
occupe  presque  le  milieu  de  la  carte  entre  Perpignan  et 
Santiago  et  se  trouve  par  conséquent  à  une  distance  énorme 
de  cette  dernière  ville.  Cet  obstacle  n'effrayait  pas  cepen- 
dant les  pèlerins.  Le  chemin  qu'ils  suivaient  pour  se  rendre 
au  tombeau  du  saint  était  si  fréquenté,  qu'on  lui  donna  le 
nom  du  saint  lui-même.  On  l'appela  aussi  plus  tard  le  Chemin 
français,  à  cavise  de  l'affluence  des  pèlerins  de  notre  nation 
qui  le  sillonnaient  en  toute  saison. 

Cependant,  un  événement  de  la  plus  haute  importance  ve- 
nait de  s'accomplir  en  Espagne.  L'islamisme  pénétrait  en 
vainqueur  dans  cette  riche  contrée.  Eodrigue  (Rodericus)  ve- 
nait de  monter  sur  le  trône  des  Gotlis.  Il  n'y  porta  que  des 
vices.  Il  enleva  Cava,  la  fille  du  comte  Julien,  gouverneur  de  la 
ville  de  Ceuta,  la  seule  qui  restât  aux  Goths  sur  la  côte  d'A- 
frique. Julien,  au  désespoir,  oublie  ce  qu'il  doit  à  sa  patrie  et 
ne  songe  qu'à  venger  son  lioinieur  paternel,  indignement  ou- 
tragé. 11  propose  à  Mousa,  lieutenant  en  Afrique  du  calife 
A'abd,  de  l'aider  ;i  faire  la  riUKjuête  de  rEspagnc.  Le  traité 


I'ÈLEKINAGL:    de    COMrOSTLLt.E.  oU.'{ 

est  conclu  ;  vingt-cinq  mille  Sarrasins,  sous  le  counuiindement 
(le  Tarik,  abordent  le  28  avril  71 1  sur  la  côte  d'Algcsiras. 
Le  lieu  où  Tarik  établit  son  camp,  c'est-à-dire  sur  le  mont 
Calpé,  a  gardé  les  traces  de  son  nom  :  c'est  aujourd'hui 
Gibraltar,  mot  formé  par  la  corruption  de  Djehol-Tarik,  mon- 
tagne de  Tarik.  Les  Goths,  amollis  par  les  douceurs  d'une 
longue  paix,  sont  battus  près  de  Xérès.  Leur  roi  Kodrigue 
disparaît  dans  la  mêlée.  A  cette  nouvelle,  Mousa  passe  lui- 
même  le  détroit.  En  quinze  mois  toute  l'Espagne  est  subju- 
guée de  Gibraltar  à  Gihon,  sur  les  bords  de  la  baie  de  Bis- 
caye, et  s'incline  devant  l'étendard  du  prophète.  Le  royaume 
des  Wisigoths  disparaît,  après  une  durée  de  près  de  trois 
siècles. 

Les  nouveaux  maîtres  apportèrent  avec  eux  de  nouvelles 
mœurs,  de  nouvelles  lois  et  un  nouveau  culte.  Le  catholi- 
cisme se  réfugia  avec  Pelage  dans  les  montagnes  des  Astu- 
ries.  Pelage,  élu  roi,  fixa  à  Oviédo  le  siège  de  ce  chétif  em- 
pire qui  devait  lutter  pendant  sept  siècles  pour  l'indépen- 
dance et  la  religion  nationales.  Soumise  à  la  terrible  épreuve 
de  l'invasion  Sarrasine,  l'Espagne  sut  eu  triompher  par  ses 
armes,  et  sa  foi  toujours  pure  lui  a  mérité  le  plus  beau  des 
titres  pour  un  peuple,  celui  de  catholique.  L'Espagne  a  été 
pendant  des  siècles  la  splendeur  de  l'Europe. 

Aussitôt  que  les  Maures  virent  ces  chrétiens  prendre  la 
forme  d'un  Etat,  ils  députèrent  à  Pelage  un  de  leurs  géné- 
raux, nommé  Aliaman.  Le  musulman  se  présenta  devant 
Pelage,  l'épée  dans  une  main,  l'or  dans  l'autre.  Pelage  le 
reçut  dans  la  fameuse  grotte  de  Covadonga ,  près  de  San- 
tillane,  qu'on  regardait  comme  consacrée  à  la  Mère  de  Dieu. 
Pelage  refuse  les  offres  qu'on  lui  fait  ;  une  armée  assiège  la 
grotte;  mais  le  roc,  frappé  de  mille  traits,  les  renvoie  mim- 
culeusement  contre  les  infidèles;  les  chrétiens  hasardent  une 


504  l'KLl'KlNAGfci    DE   COMl'OSTELLE. 

sortie,  tuent  Aliaman,  font  un  grand  carnage  de  leurs  en- 
nemis et  dispersent  ceux  qu'ils  ne  peuvent  atteindre.  Cette 
victoire  fut  regardée  comme  un  prodige.  Dans  le  Marianum 
Breviarimn ,  imprimé  en  Espagne  et  approuvé  par  Eome,* 
il  en  est  fait  mention,  au  25  juillet,  sous  ce  titre  :  Commemor. 
B.  V.  de  Covadongâ. 

La  Galice  fut  un  peu  protégée  par  sa  position  contre  les 
impiétés  des  musulmans.  Iria-Flavia  devint  même  un  lieu  de 
refuge  pour  beaucoup  d'évêques  fugitifs,  qui  choisissaient 
de  préférence  ce  séjour,  non-seulement  à  cause  de  la  sûreté 
qu'il  leur  offrait,  mais  aussi  dans  le  but  d'y  honorer  saint 
Jacques  :  propter  honorein  S.  Jacobi.  Il  est  donc  permis  de 
croire  que  l'invasion  à  peu  près  complète  de  l'Espagne  par 
les  Sarrasins  n'interrompit  point  en  Galice,  ni  peut-être  ail- 
leurs, le  culte  du  grand  Apôtre.  Il  plut  au  Seigneur  de  con- 
soler les  pieux  sujets  des  descendants  de  Pelage  par  un  pro- 
dige, dont  l'objet  fut  la  glorification  du  Tout-Puissant  et  de 
saint  Jacques,  et  le  fruit  immédiat  et  durable  un  redouble- 
blement  de  dévotion  pour  cet  Apôtre  dans  toute  la  chré- 
tienté. 


L  ABBE   TARDIAC. 


[La  suite  au  prochain  numéro. 


lEVlfE  BE  L'ART  CHRÉTIEN 


(5,.^'^^^'^^^^,^^=^^"^^^^^'^"^^^^^^ 


f-J 

[>o 

oo 

Pd 

f^ 

-^ 

c_b 

-< 

!nzî 

r-ri 

CD 

p=l 

CJ 

rr", 

p^ 

-=iî 

NPJ 

LO 

CxQ 

t=) 

!=l 


MONUMENTS  CHRÉTIENS  PRIMITIFS 
à  Marseille. 


SEPTIKME     ARTICLE     . 


SARCOPHAGE  N"  7   :  JÉSUS  DOCTEUR. 

Le  sarcophage  u"  7  a  souffert  des  mutilations  assez  no- 
tables. Il  n'est  même  plus  entier  dans  l'ensemble  de  sa 
composition  :  une  figure  et  la  face  latérale  de  gauche 
manquent  au  tableau. 

La  longueur  du  bas-relief  intégral  devait  être  de  :  1,62; 
sa  hauteur  est  de  :  0,48. 

A  l'époque  où  Millin  signala  dans  son  Voyage  le  sarco- 
phage qui  nous  occupe,  il  y  remarqua  k  un  couvercle  dont  le 
«  bord  formait  une  espèce  de  frise,  sur  laquelle  il  y  avait 
«  douze  agneaux,  symbole  des  douze  Apôtres'.  »  Je  suppose 


*  Voir  le  numéro  de  mai  1862,  p.  225. 

*  Vot/age  dans  le  Midi  de  la  France,  t.  m,  177. 

TOME  VI.  Octobre  1862,  37. 


riOO  MOiSUiMli.NTS   CIIURTIENS   PRIMITIFS     , 

que  ce  couvercle  n'était  autre  qu'une  partie  de  l'Hutel  déjà 
décrit  par  nous  au  premier  article  de  ce  travail  archéologique. 
Le  marbre  coupé  en  deux  servait,  en  effet,  défrise  à  un  double 
tombeau  avant  que,  sur  nos  observations,  le  directeur  ac- 
tuel du  Musée  ne  l'ait  réuni  et  disposé  sur  des  bases,  pour 
rappeler  l'autel  primitif  de  Saint-Victor. 

De  tous  les  tombeaux  conservés  dans  notre  Musée  marseil- 
lais, celui-ci  seul  a  été  tiré  des  carrières  de  Cassis  (Bouches- 
du-Rhône);  les  autres,  d'un  marbre  blanc,  nous  ont  été  ap- 
portés de  Carrare  (Italie). 

L'artiste  chrétien  a  exécuté  son  œuvre  avec  un  intérêt 
réel  :  le  plan,  les  poses,  les  détails  de  la  staluaire  ont  de  quoi 
contenter  une  saine  critique. 

Jésus  occupe  le  centre  du  sujet;  trois  personnages  se 
tiennent  debout  à  sa  droite  et  trois  autres  à  sa  gauche. 

Le  Sauveur,  assis  sur  un  siège  de  forme  élégamment  ou- 
vragée, apparaît  sous  une  arcade  surbaissée  que  soutiennent 
deux  pilastres  d'ordre  corinthien  :  c'est  un  adolescent  ai- 
mable, doux  et  sérieux;  une  chevelure  longue,  bouclée,  orne 
sa  tête  et  retombe  avec  grâce  sur  ses  épaules;  l'auréole  cir- 
culaire unie  et  non  croisée  illumine  cette  tête  auguste  ;  ses 
mains  soutiennent  le  volume  divin,  roulé;  ses  pieds  portent 
une  chaussure  sans  ornement;  en  tunique  et  largement  drapé 
dans  son  manteau,  Jésus  siège  noblement  en  qualité  de  doc- 
teur pour  révéler  aux  siens  sa  morale  et  ses  mystères. 

Les  Apôtres,  qui  l'admirent  et  l'écoutent  en  lui  adressant 
des  questions,  assistent  debout,  par  respect,  à  cet  enseigne- 
ment céleste.  Chacun  d'eux  tient  en  main  le  saint  volume 
en  rouleau,  ce  précieux  Evangile  qu'ils  publieront  un  jour 
après  le  Sauveur.  Vêtus  comme  leur  maître,  ils  n'ont  de  dif- 
fèrent que  la  chaussure,  remplacée  chez  eux  par  des  sandales 
ornées.  Une  niche  plate  et  carrée  les  encadre  .  ces  niches 


A    MAKSlilLLi:.  507 

sont  séparées  les  unes  des  autres  par  des  briuiclies  de  vigne 
en  guirlandes. 

Evidemment  l'artiste  a  représenté  sut  ce  sarcophage  le  su- 
jet si  souvent  reproduit  dans  l'Iconographie  chrétienne, 
JÉSUS  docteur;  sujet  éminenuiient  goûté  par  nos  pères  et 
combiné  par  un  art  pieux  avec  une  riche  variété.  Nous  en 
avons  longuement  parlé  en  décrivant  un  de  nos  principaux' 
sarcophages  ' . 

L'Apôtre  le  plus  à  gauche  présente  dans  sa  tenue  une 
particularité  qui  aura  frappé  l'attention  de  nos  honorables 
lecteurs  :  l'index  de  sa  main  droite  est  appliqué  contre  sa 
bouche,  comme  pour  l'empêcher  de  s'ouvrir.  On  a  dû  déjà 
remarquer  ce  signe  spécial  de  pose  dans  un  précédent  sarco- 
phage ^ 

A  notre  avis,  le  mouvement  de  l'index  est  symbolique;  il 
indique  dans  nos  trois  personnages  qui  l'emploient  l'admira- 
tion du  silence.  C'est  ainsi  qu'on  a  exprimé  dans  l'antiquité 
l'attitude  d'un  homme  qui  a  des  raisons  pour  se  taire  ou  qui 
s'impose  le  silence  par  un  sentiment  de  vénération  pour  la 
personne  qui  parle  ' . 

'  Revue  de  l'.irt  chrétien,  juillet  1859  —  sarcophage  n"  2. 

^  Revue  de  l'Art  chrétien^  mai  1859  —  sarcophage  n°  1. 

'"  Ovide  avait  dit  quelque  part  :  «  Premit  vocera,  digitoque  silentia  sua- 
det.  »  Saint  Jean  Dainascène  parle  ainsi  de  l'hérétique  Nestorius  :  «  Pudeat 
Nestorius  ac  manum  ori  iniponat.  »  Brev.  Rom.,  légende  delà  fête  .d«  Saint- 
Joachim. 

Nous  devons  mentionner  cependant,  dans  les  deux  personnages  qui  figurent 
au  tombeau  n"  1,  une  nuance  d'expression  qui  pourrait  manquer  de  similitude 
et  serait  susceptible  par  là  même  d'une  interprétation  différente.  En  eflet,  les 
deux  Apôtres  sur  ce  tombeau  paraissent  avoir  imprimé  à  leurs  doigts  un  autre 
mouvement  :  ce  serait  le  nez  et  non  la  bouche  qu'ils  toucheraient  ou  presse- 
raient de  leur  main.  Dans  ce  dernier  sens  et  conformément  à  ce  que  fait  ob- 
server Aringhi  dans  sa  Roma  suhterranea ,  à  l'occasion  de  saint  Pierre  et  du 
prophète  Jonas  |torn.  ii,  399,  598,  61.3,  623.  etc.),  il  y  auiait  là  un  emblème 


oOS  MONIMEMS    Clir.liTIl.NS   l'RiMITirS 

Sur  la  face  latérale  de  droite,  au  lieu  de  ces  écailles  tail- 
lées et  symétriquemeut  rangées,  dans  quelques  sarcophages, 
le  monogramme  du  Christ  a  été  sculpté  dans  sa  compositiou 
entière,  c'est-à-dire,  ï alpha.  Vomv(]a,  le  christos.  réunis  et 
insérés  dnns  un  cercle.. 

Ce  saint  monogramme,  appelé  improprement  par  quelques- 
uns  pru  Christo.  varie  beaucoup  dans  sa  forme  sur  les  sarco- 
phages des  premiers  siècles.  Nous  l'avons  ici  complet  et  re- 
présentant à  la  fois  le  nom  divin  et  humain  du  Sauveur,  com- 
biné avec  l'étendard  du  salut.  C'est  le  monogramme  cruci- 
forme dans  son  dernier  développement.  La  croix  est  latine  ; 
elle  touche  au  disque  qui  l'entoure  par  le  sommet  et  la  base; 
les  croisillons  qui  la  traversent  sont  plus  étendus  que  la  par- 
tie supérieure  de  la  haste,  mais  isolés  du  disque  :  à  cette 
partie  s'attache  et  s'arrondit  une  sorte  de  crochet,  variante 
de  la  panse  qui  compose  la  lettre  grecque  rho. 

Avec  la  forme  régulière  de  la  croix  latine  le  chi  ordinaire 
a  perdu  ilans  notre  monogramme  sa  disposition  naturelle  de 
croix  de  Saint- André  ou  de  croix  en  sautoir  :  il  est  devenu 
une  croix  à  fut  vertical  et  à  traverses  horizontales  :  ainsi,  au 
lieu  de  six  branches,  le  cJii  et  le  rho  entrelacés  n'en  ont  plus 
que  quatre. 

Ce  dessin  du  monogramme  cruciforme  avec  crochet,   re- 

do  tristesse  :  «  IMœrentis  ar^Bi  symbolum.  »  Resterait  à  comprendre  l'ac- 
tualité de  cette  expression  de  chagrin  pour  notre  sujet  n"  1,  où  tout  est  triom- 
phant, puisqu'il  indique  la  mission  donnée  par  Jésus  Christ  à  ses  Apôtres. 

Pour  compléter  cette  note,  ajoutons  un  texte  que  le  même  Aringhi  emprunte 
à  saint  Epiphanc.  «  Ce  Père  parlant  de  certains  hérétiques  qui  affectaient  une 
"  pareille  attitud»,-  dans  leurs  prières  :  Vocantur,  inquit,  trascodrugitiie  ob 
■'  hanc  causam  :  trascus  apud  ipsos  pertica  appellatur  druggus.vero  nasus.et 
"  ob  eo  quod  imponunt  digitum  suum  indicem  in  nasum  dum  orant,  tristitiae 
«  nimirum  et  uUronea;  gratia,  ab  aliquibus  trascodrugitœ  appellati  sunt...  • 
Hccrcl..  -IS. 


{ 


A    MAUSEILI.E.  oO'.l 

paruît  sur  plusieurs  inonuments  primitifs.  Nous  le  voyons 
en  particulier  sur  les  sarcophages  qui  représentent  la  mission 
évangélique  oîi  l'apôtre  saint  Paul  reçoit  une  longue  croix 
latine  des  mains  de  Jésus-Christ.  A  Saint-Trophinie  d'Arles, 
dans  le  bas-relief  d'un  autel,  le  même  dessin  se  montre  sur 
la  tête  du  Sauveur.  Nous  retrouvons  le  rho  à  crochet,  sur 
l'un  des  monuments  de  Saint-Victor  qui  nous  restent  à  dé- 
crire, au  centre  d'une  décoration  à  jour  aussi  gracieuse  de 
style  que  féconde  en  symbolisme. 

Notre  sarcophage  n'étant  pas  antérieur  à  la  conversion  de 
Constantin,  il  n'y  a  pas  lieu  pour  nous  d'entrer,  à  notre 
tour,  dans  la  discussion  dont  continue  à  être  l'objet  l'ori- 
gine du  chrisme  ou  monogramme  du  Fils  de  Dieu. 

La  science  archéologique  n'a  pas  dit  son  dernier  mot  sur 
cette  difficile  question  :  maintenons  donc  toute  réserve,  en 
face  du  texte  de  l'historien  Eusèbe  ',  jusqu'à  ce  que  d'autres 
découvertes  nous  mettent  à  même  de  voir  finir  nos  incerti- 
tudes". 

L.-T.  DA8SY. 


'  Ali  s'ijft  i\v.  la  visiciii  df  Constantin,  cvt  histoiien  ilécrit  ;iinsi  le  mono- 
gramme :  «  Etat  eniin  littera  P  in  ipso  meilio  X  cuiiose  sculptiblliter  inscripta 
"  qua-  totum  Chiisti  noinen  peispicue  sigiiificavit  »  De  vila  Constavlini, 
lib.  I,  cap.  22.  Si  ce  monogramme  avait  été  connu,  Constantin  aurait-il  pris 
la  peine  de  le  dépeindre  aux  artistes  qu'il  iasse!ubla,  et  Eusèbe  auiait  il  eu 
besoin,  pour  sa  part,  de  It;  désigner  avec  tant  de  détails,  comme  s'il  s'était  î^gi 
d'une  chose  nouvelle. 

-  Le  chevalier  de  Rossi,  qui  a  si  profondément  étudié  tous  les  marbres  con- 
nus de  l'antiquité  chrétienne,  dans  son  magnifique  ouvi'age  donl  le  premier 
volume  vient  de  païaître  sous  ce  titre  :  Inscriptiones  clirisliame  iirhis  liaiiice 
septlmo  sœcido  anliquiorcs ,  pages  24,  28,  29,  incline  fortement  à  croire  le 
saint  monogramme  antérieur  à  la  conversion  de  Constantin. 


NOUVELLES  KEMARQUP:^ 

SUR  LA  DÉCOUVERTE 

DU  COEUR  DU  ROI  CHARLES  V 
dans  la   Cathédrale  de  Rouen. 

En  mai  1862. 


Le  16  septembre  1580,  le  roi  Charles  V  mourait  au  châ- 
teau de  Beaulté-sur -Marne  ' ,  à  quelques  pas  de  ce  bois  de 
Vincennes  ^  où  le  plus  saint  de  ses  prédécesseurs  rendait,  au 
siècle  précédent,  une  justice  demeurée  célèbre.  Le  pieux  roi, 
qui  savait  par  avance  l'heure  de  sa  mort,  avait  réglé  coura- 
geusement jusqu'aux  moindres  détails  de  ses  funérailles. 
Suivant  son  désir,  et  conformément  à  un  usage  fort  usité 
alors  pour  les  grands  de  la  terre,  sa  dépouille  mortelle  fut 
partagée  entre  trois  églises  différentes. 


'   Le  P.  Daniel,  Abrégé  de  l'Histoire  de  France^  t.  vu,  p.  88. 

*  Le  Président  Hénaut-t,  Abrégé  chronologique  de  l'Hist.  de  France, 
p.  333,  édit.  du  17^9.  —  La  Marne  s'unit  à  la  Seine  près  de  Charenton  et 
touche  au  bois  do  Vincennes. 


DÉcouviiRTK  ne  C(ii':ru  iiu  r.oi  ciiaiu.es  v.  Ml 

Ses  entrailles,  la  moins  nol»le  partie  de  lui-même,  l'niciit 
portées  àl'ubbaye  de  iManbiiisson,  près  Pontoise,  où  reposait 
déjà  sa  mère,  Bonne  de  Boliême,  l'épouse  du  roi  Jean  '.  Son 
corps  fut  inhumé  à  Saint-Denis,  dans  la  thnpcllc  des  Charles 
(pii  porta  son  nom  et  ([U'il  avait  probablement  élevée  par 
suite  de  ce  culte  qu'il  professait  i»our  la  mort.  11  s'y  assit  au 
milieu  de  ses  fidèles  serviteurs  qui  l'avaient  précédé  dans  la 
tombe,  Duguesclin,  Barbtizan  et  Bureau  de  la  Rivière.  Il  les 
voulut  rangés  autour  de  son  cercueil,  comme  il  les  avait  vus 
assis  autour  de  son  trône,  et,  le  premier  de  nos  rois,  il  ai)[)rit 
à  ses  successeurs  ([u'il  ne  mettait  pas  de  différence 

Entre  porlei'  lescoplie  et  le  bien  sotileuir. 

Enfin,  dans  les  premiers  jours  d'octobre,  son  cœur  fut  a})- 
porté  à  Rouen,  et,  le  10  du  même  mois,  l'archevêque  Messire 
Guillaume  de  l'Estranges,  après  une  cérémonie  solennelle^,  le 
descendit  dans  le  caveau  que  le  monarque  s'était  préparé  de- 
puis treize  années.  Car  ce  roi,  si  sage  dans  les  affaires  de  la 
vie,  ne  l'avait  pas  été  moins  })our  les  choses  de  la  mort.  Sa- 
chant combien  les  désirs  des  mourants,  même  ceux  des  rois, 
sont  souvent  peu  réalisés  après  la  vie,  et  comme  il  est  rare 
de  rencontrer  de  fidèles  exécuteurs  testamentaires,  il  avait 
voulu  lui-même  préparer  l'édifice  de  sa  dernière  demeure. 
C'était  du  reste  une  coutume  assez  fréquente  au  Moyen-Age, 
et  même  dans  l'antiquité,  que  de  désigner  soi-même  le  lieu  de 
sa  sépulture,  de  faire  creuser  son  sarcophage,  de  graver  sa 
dalle  tumulaire  et  jusqu'à  son  inscription  suprême. 


'  Le  Graisi)  ï)  Adssy,  /)es  Scjnt/tiirc.f  intliona/es,  p.  '>i94. 
-  Les  PP.    BuuMOY,  LoNGUKVAi,,  I/ial.    de    lEylisc   gallicane,    liv.  xi,i, 
t.  xvm,  p.  273,  édit.  do  18-27. 


5i2  DÉCOUVEKTE 

Charles  V  ne  s'était  pas  contenté  de  faire  creuser  dans  la 
partie  haute  du  chœur  de  notre  cathédrale,  juste  en  face  du 
trône  pontifical  d'aujourd'hui ',  le  caveau  où  devait  reposer 
la  plus  noble  partie  de  lui-même,  il  avait  voulu  prévoir  jus- 
qu'au monument  destiné  à  recouvrir  le  lieu  de  son  repos.  Il 
avait  commandé  à  un  habile  sculpteur  flamand,  non-seule- 
ment un  cénotaphe  de  marbre  noir  orné  sur  toutes  ses  faces 
et  décoré  de  statuettes  allégoriques,  mais  une  statue  d'al- 
bâtre et  de  marbre  blanc"  qui  devait  le  représenter  couché 
sur  le  dos  et  portant  dans  ses  mains  son  cœur  qu'il  offrait  à 
la  ville  de  Rouen  et  à  la  province  de  Normandie.  Aussi,  dès 
-1368,  douze  ans  avant  sa  mort,  nous  le  voyons  donner  à 
Hennequin,  i/maginier  de  Liège,  un  à-compte  de  200  francs 
d'or  sur  \  ,000  que  doit  coûter  ce  monument  en  pleine  con- 
fection, tandis  qu'il  verse  à  Jehan  Périer,  maître  des  œuvres 
de  l'église  de  Rouen,  100  fr.  d'argent  à-compte  sur  200 
«  pour  cause  de  certaine  œuvre  de  maçonnerie  de  pierre  qu'il 
a  faite  pour  lui  en  ladite  église  ^  » 

Cette  œuvre  de  maçonnerie  que  le  roi  ne  désigne  pas, 
c'est  le  caveau  que  son  cœur  s'est  préparé  pour  lui-même, 
chacun  le  comprend. 


'  La  Chaire  primitive  de  nos  archevêques  étail  un  siège  de  marbre  placé 
derrière  l'autel,  au  fond  de  l'abside  et  élevé  de  8  degrés.  Lebrun  des 
Mauettes.  Voyages  lUurg.  en  France,  p.  275.  —  Il  en  4tait  de  même  à 
Lyon,  à  Vienne,  dans  les  anciennes  églises  de  France  et  dans  tout  l'Orient. 
Id.,  ibid.  p.  11,  16,  39,  45  et  479. 

'^  Il  ne  m'a  pas  été  possible  de  savoir  si  la  statue  royale  de  Rouen 
était  de  marbre  ou  d'albâtre.  Le  compte  de  1368  semble  indiquer  qu'elle  était 
en  albâtre  ;  tous  les  auteurs  des  deux  derniers  siècles  parlent  de  marbre  blanc. 

MOKTFACCON,  DlJCAREL,   LeBRL'N   DES  MaRETTES,  FaUIN,  PoMMERAYE,  Ctc. 

'  A.  Lepkevost,  Archives  de  la  Normandie,  t.  ii,  p.  336.—  Deville,  Les 
Tombeaux  de  la  Cathédrale  de  Rouen,  p.  175-176. 


[M     GOKUli    mi    IlOI    CHAULES    V.  !)!'{ 

Bienfaiteur  du  cliapitre'  et  de  l'église'-,  des  collèges''  et  d(î 
l'Plôtel-Dieu '' ,  le  sage  roi  avait  laissé  de  magnifiques  fonda- 
tions qui,  pendant  quatre  siècles,  conservèrent  sa  mémoire, 
et  perpétuèrent  la  prière  pour  le  repos  de  son  âme.  Par  un 
acte  de  sa  volonté  souveraine,  un  autel  royal  s'était  élevé  dans 
le  sanctuaire  môme  de  Notre-Dame,  et  chaque  jour  le  saint 
Sacrifice  s'y  offrait  pour  le  prince,  tandis  que  les  cloches  son- 
naient %  que  des  cierges  brûlaient  et  que  l'encens  fumait 


'  Charles  V écrivit  à  Grégoire  XI,  pape  d'Avignon,  poui-  le  prier  d'accorder 
à  l'église  métropolitaine  de  Rouen  dans  laquelle  il  a  élu  sa  sépulture,  des 
grâces  et  des  privilèges  qui  puissent  la  distinguer  des  autres  églises  ;  en  con- 
séquence le  Pape  accorda  au  chapitre  et  au  clergé  de  cette  église  une  bulle 
d'exemption  que  ce  prince  confirma  ensuite  par  ses  lettres  paienles.  Farin, 
Hist.  de  la  ville  de  Rouen,  t.  m,  p.  32,  édit.  de  Ddsocili.kt,  1731. 

^  Dans  les  lettres  de  fondation  de  Charles  V,  on  remarque  une  donation 
au  maître  de  l'œuvre  de  N.-D  pour  nettoyer  quaire  fois  par  an  à  Noël,  à 
Pâques,  à  la  Pentecôte  el  à  l'Assomption,  des  images  d'albâtre  de  la  Sainte 
Vierge  et  de  saint  Michel  placées  dans  la  nef  de  l'église  et  le  dais  (tabernacu- 
lum)  qui  surmonte  la  tête  de  la  Vierge.  Il  esl  probable  que  le  roi  avait  donné 
ces  images  auxquelles  il  s'intéressait  tant. 

*  Le  collège  des  Clémentins,  rue  de  l'Hôpital,  fondé  en  1349  par  le  pape 
Clément  VI  était  composé  de  douze  prêtres,  deux  diacres  et  deux  sous-diacres. 
Le  roi  leur  donne  pour  la  messe  quotidienne  une  rente  annuelle  de  100  livres 
parisis,  payable  aux  deux  termes  de  Pâques  et  de  Saint-Michel,  à  partager 
entr'eux  par  portions  égales. 

*  ((  Charles  V,  roi  de  France,  dil  Lebiiun  des  Mauettes,  donna  des  biens 
considérables  à  cette  maison  (l'ancien  Hôtel-Dieu,  situé  alors  près  de  la  Cathé- 
drale, dans  la  rue  qui  porte  encore  le  nom  de  la  Madeleine).  Aussi  en  recon- 
naissance, tous  les  jours,  vers  six  heuies  du  soir  aussitôt  que  l'Office  de 
Compiles  esl  achevé,  l'officiant  dit  à  haute  voix:  »  Ames  dévotes  priez  Dieu 
pour  Charles  V,  roi  de  France,  et  pour  nos  autres  bienfaiteurs  :  »  et  une  re- 
ligieuse vaidire  la  même  chose  dans  les  siiUes  des  malades.  «'^loiAo'^,  Voijages 
liturg .  en  France^  p.  385. 

^  Dans  sa  charte  de  donation,  le  roi  Charles  avait  demandé  qu'auç  messes 
et  aux  vigiles  qu'il  fondai!,  on  sonnât  la  fameuse  cloche  appelée  Rigaull,  du 
nom  de  l'archevêque  qui  l'avait  donnée. 


514  nÉCOUVKRTE 

Mutoiir  de  son  image  auguste  et  vénérée  ' . 

Cet  état  de  choses  dura  jusqu'au  XVIII*'  siècle  ^  et  l'on  a 
de  la  peine  à  s'expliquer  comment  des  chanoines  qui  jouis- 
saient encore  des  biens  légués  par  le  roi,  qui  étaient  déposi- 
taires de  ses  dernières  volontés,  qui  eux-mêmes  proclamaient 
chaque  jour  ses  immenses  bienfaits,  «  wimensis  benefidis  ;  » 
comment,  dis-je,  ils  ont  pu  décider  l'enlèvement  du  mau- 
solée. 


'  Voici  en  quels  termes  touchants  le  pieux  roi  demande  les  suffrages  de 
l'église  de  Rouen  et  fonde  au  milieu  d'elle  comme  un  foyer  permanent  de 
prières.  «  Ardenti  mortis  desiderio  affectamus  ut  in  ecclesia  Ro  homagensi  ad 
quam  singularem  ac  specialem  devotionem  gerimus  et  habemus,  cum  ipsa  velut 
lucerna  super  montem  posita  tanquam  major  et  metropolis  ac  primitiva  pie- 
cipuaque  tocius  ducatus  nostri  Normannie  chirius  elucescat,  due  misse  sub- 
missa  voce  misse  régis  KaroJi  nuncupande  quamdiu  vitam  in  humanis  egeri- 
mus  ,  unam  videlicet  de  nancto  spiritti  reliqua  de  dicta  virgine  gloriosa 
immédiate  et  absque  uUo  intervallo  post  illam  de  sancto  spiritu  finitum  inci- 
pienda  ;  nobis  vero  sublatis  c  medio  pro  defunclis  in  Choro  dicte  ecclesie  super 
altare,  regiinn  etiam  altare  nuncupandum,  juxta  majus  ipsius  ecclesie  altare 
a  sinistra  parte  constructum  et  erectum  statim  finitis  et  completis  in  eadem 
ecclesia  matutinis,  de  cetero  singulis  diebus  accensis  et  continue  ardentibus  in 
dictis  missis  duobus  cereis,  quolibet  duarum  librarum  cere,  et  in  levatione 
eorporis  XPl  in  eis  facienda  duabus  torchiis,  qualibet  sex  librarum  ponderis, 
celebrentur.  »  Lettres  de  fondation  du  roi  Charles  V.  aux  archives  départe- 
mentales de  la  Seine -Inférieure,  fonds  du  chapitre,  Liasse  n"  4  bis.  Déjà  dès 
1197,  le  pape  Innocent  ITI  avait  dit  que  l'église  de  Rouen  comptait  des  rois 
pour  nourriciers,  et  Richard-Cœur- de-Lion,  célébrait  ainsi  l'église  de  Rouen, 
en  1198-  «  Venerabilis  lotomagensis  ecclesia  quas  inter  universas  terrarum 
nostrarum  pluiimà  celebritate  dignoscitnr  »  Charfa  Rick  Reg.  nng.  pro 
exe.  apud  Pommeraye,  Concilia  Rot.  eccle.,  p.  191.  —  C'est  pourquoi  l'ar- 
chevêque Gautier  de  Coutances  pouvait  éciire  de  son  église  qu'elle  avait  des 
rois  pour  nourriciers  ;  »  Rotomagensis  ecclesiœ  mamillis  rcgum  allectata?.  « 
Charta  Walt,,  arch.  rot.  pro  exe.  ibid.  p.  190. 

*  Lkbui'im  des  Mauettes,  Voyages  liturg.  en  France,  p.  361.  —  Lecoq 
DE  ViLLERAY,  .-ihrégé  de  l'Hist.  eccles.  civil  et  relig.  de  Rouen,  p.  150 
et  151. 


I 


m;  I okiir  I)[i  Rdi  ciiAnij;.-:  V.  rii.'i 

C'est  pourtant  ce  qui  fut  résolu  en  plein  chii}>iti'e,  de  1722 
à  1725,  quand  on  décida  la  grande  œuvre  de  la  transiornia- 
tion  du  sanctuaire  et  de  l'autel,  travail  (pii  reçut  un  com- 
mencement d'exécution  en  1750. 

Le  50  juin  de  cette  année,  on  démolit  les  trois  tombeaux 
des  princes  anglais  et  anglo-normands  qui  enrichissaient  le 
sanctuaire.  Les  images  de  Richard-Cœur-de-Lionet  de  Henri- 
le-Jeune  furent  ensevelies  sous  le  rendilai  dont  on  exhaussa 
le  sanctuaire  régénéré.  Il  est  probable  qu'il  en  fut  de  même 
de  la  table  et  de  l'inscription  funéraire  de  Jean  de  Lancastre, 
duc  de  Bedford,  régent  du  royaume  sous  Henri  VI.  Les  au- 
teurs anglais  nous  ont  conservé  le  dessin  et  le  contexte  de  ce 
mémorial  peu  flatteur  pour  notre  patrie  ' . 

Mais  si  l'on  crut  pouvoir  se  mettre  à  l'aise  et  agir  sans 
cérémonie  à  l'égard  de  princes  étrangers  et  d'une  dynastie 
depuis  longtemps  éteinte,  on  ne  se  trouva  pas  aussi  autorisé 
à  l'égard  d'un  roi  de  France,  en  face  d'un  fils  de  Hugues- 
Capet,  dont  la  dynastie  occupait  encore  le  trône  avec  une 
gloire  et  une  puissance  incontestées. 

Pour  se  mettre  en  règle  et  à  l'abri  de  tout  reproche,  le 
Chapitre  de  Rouen  jugea  prudent  d'en  référer  au  roi 
Louis  XV  alors  régnant.  Dans  une  lettre  écrite  en  1755,  les 
chanoines  exposèrent  au  prince  leurs  projets  d'amélioration 
pour  le  chœur  et  l'autel;  puis  ils  ajoutèrent  qu'ils  se  trou- 
vaient arrêtés  par  la  présence  d'un  ancien  tombeau  royal 
dont  ils  exagérèrent  à  dessein  la  détérioration.  Ils  dépei- 
gnirent le  mausolée  comme  un  amas  de  ruines,  indigne  du 
sanctuaire  et  de  la  majesté  royale,  et  ils  proposèrent  au  jeune 


'  Sawdford,  Hist.  yen.  des  rois  d'Angleterre,  p.  314.  —  Devii.le,  Les 
Tombeaux  de  la  cathédrale  de  Rouen,  pi.  \.  —  DrcAUKL,  Antiquités  anglo- 
normandes,  p.  26,  pi.  X,  fig.   11. 


5I(>  DÉCOUVERTE 

monarque  de  remplacer  par  un  monument  plus  frais  et  plus 
convenable  ce  fâcheux  et  regrettable  anachronisme. 

Le  roi  fit  attendre  deux  ans  sa  réponse,  mais  enfin,  le 
12  février  1737,  il  fit  écrire  aux  chanoines,  par  M.  deChau- 
velin,  garde  des  sceaux,  la  lettre  suivante  datée  du  palais  de 
Versailles  : 

«  Sur  les  représentations.  Messieurs;,  que  vous  avez  faites 
et  dont  j'ai  rendu  compte  au  roi,  qu'il  n'y  a  plus  d'un  an- 
cien tombeau  construit  dans  votre  église  auprès  du  sanctuaire 
et  qui  renfernioit  le  cœur  du  roi  Charles  cinq,  que  des  restes 
informes  et  en  ruine  auxquels  vous  souhaiteriez  substituer 
un  monument  plus  convenable  et  plus  décent:  Sa  Majesté 
veut  bien  vous  permettre  de  démolir  cet  ancien  tombeau,  à 
condition  que  vous  ferez  mettre  dans  la  même  place,  comme 
vous  l'off^rez,  une  tombe  de  marbre  noir  avec  une  inscription 
en  lettres  d'or,  à  la  perpétuelle  mémoire  du  roi  Charles 
cinq.  » 

Cette  lettre  fut  communiquée  au  Chapitre  le  22  février. 
Aussitôt  qu'ils  se  sentirent  autorisés,  les  chanoines  ne  per- 
dirent pas  un  instant  dans  la  poursuite  de  l'œuvre  si  désirée 
de  la  régénération  du  chœur  et  du  sanctuaire.  Dès  le  25  fé- 
vrier ils  se  mirent  en  besogne  et  voici  le  procès-verbal  qu'ils 
nous  ont  laissé  de  cette  mémorable  journée  : 

«  En  conséquence  de  l'ordonnance  de  vendredy  dernier 
(22  février),  cejourd'huy  sur  les  quatre  heures  après  midy. 
Messieurs  de  la  Bellonière,  Leclercq  et  de  Marcouville,  com- 
missaires nommés  pour  veiller  sur  les  ouvrages  qui  se  font 
dans  le  chœur  de  cette  église,  en  présence  de  M.  le  doyen  et 
plusieurs  Messieurs,  ont  fait  démolir  et  détruire  le  tombeau 
de  Charles  cinq,  roi  de  France,  dont  a  été  dressé  par  le  secré- 
taire du  Chapitre,  par  ordre  de  Messieurs^,  le  suivant  pro- 
cès-verbal : 


MU  ciii'UH  DU  luii  ciiAiiLt:?  V.  :,I7 

<•  Let()iiibe:iii  de  Charles  cinq  étoit  de  forme  carrée,  })or- 
taiit  trois  pieds  de  haut  sur  qiuitre  pieds  de  large  et  sept  de 
longueur,  surmonté  d'une  grande  table  de  marbre  noir  sur 
laquelle  étoit  représentée  en  marbre  blanc  et  de  gi-andeur 
naturelle,  la  figure  de  Charles  cinq,  tenant  de  sa  main  dioite 
un  cœur  de  même  matière.  Les  pourtours  du  tombeau  avec 
son  socle  cannelé  étoient  d'ardoises  et  mutilés  eu  plusieurs 
endroits. 

«  Au  pied  du  tombeau  qui  finissoit  dans  la  ligne  des  deux 
colonnes  qui  terminent  les  stalles,  s'est  trouvé  un  puits  de 
vingt-six  pieds  de  profondeur,  prenant  six  pieds  d'eau  très- 
claire. 

«  A  la  teste  du  tombeau,  en  fouillant  environ  deux  pieds, 
il  s'est  trouvé  une  pierre  d'environ  vingt-cinq  pouces  sur  la 
longueur  et  un  pied  et  demi  sur  la  largeur,  qui  couvre  la  su- 
perficie d'un  petit  caveau  d'environ  quinze  pouces  en  carré 
(sic)  et  un  pied  de  profondeur,  au  fond  duquel  est  le  cœur  de 
Charles  V,  soutenu  par  une  petite  grille  de  fer  faite  en  forme 
d'étoile, 

«  Sur  la  superficie  de  ce  petit  caveau,  sous  la  première 
pierre,  s'est  trouvée  une  plaque  de  plomb  sans  inscription, 
posée  sur  une  grille  de  fer  qui  sert  de  couvercle  au  cœur 
du  roy. 

'<  Ce  cœur  est  renfermé  dans  une  boette  d'étain  en  forme 
de  cœur,  qui  s'est  trouvée  ouverte  en  plusieurs  endroits, 
et  sur  le  champ  on  a  fait  refermer  et  sceller  à  mortier  ledit 
caveau. 

"  La  table  de  marbre  noir  dont  il  est  parlé  cy-dessus  a  été 
destinée  pour,  conformément  aux  ordres  du  roy,  du  douze  fé- 
vrier dernier,  servir  de  tombe  sur  laquelle  on  gravera  une 
inscription  en  lettres  d'(ir. 

«  La  figure  de  marbre  blanc  représentant  Charles  V  a  été 


oiS  DEC  UU  VF.';  TE 

posée  dîiiis  lii  première  arcade  de  la  chapelle  de  la  Sainte- 
Vierge,  derrière  le  cJiœur  à  droite  {sic)  en  entrant  ' .  » 

C'est  une  chose  triste  assurément  que  de  voir  un  Chapitre 
priver  ainsi  une  église  séculaire  de  ses  plus  beaux  et  de  se& 
plus  curieux  ornements.  Qu'y  a-t-il  xlonc  de  stable  ici-bas, 
puisqu'il  des  i)ériodes  données  l'amour  de  la  nouveauté  s'em- 
])are  aussi  du  clergé,  corps  essentiellement  conservateur  et 
dépositaire  des  éléments  les  plus  immuables  de  la  société,  du 
clergé,  dont  les  dogmes  et  la  morale  sont  invariables,  dont  la 
discipline  et  la  liturgie  changent  si  peu  qu'aujourd'hui  en- 
core il  s'accommode  parfaitement  de  l'architecture  des  XP, 
XIP  et  XIIP  siècles.  En  admettant  que  les  iconoclastes  et 
que  le  poids  du  temps  aient  outragé  le  royal  tombeau,  n'é- 
tait-il pas  plus  convenable  et  plus  digne  de  le  restaurer  avec 
ses  propres  bienfaits,  plutôt  que  de  le  faire  disparaître  pour 
toujours  ? 

Pour  s'expliquer  cette  conduite  si  incompréhensible  du 
Chapitre  de  Rouen,  il  faut  se  rappeler  quel  vent  de  réforme 
soufflait  dans  les  esprits  du  dernier  siècle  à  propos  des  insti- 
tutions et  des  monuments  du  Moyen-Age.  L'esprit  du  temps 
ne  voulait  pas  plus  des  tombeaux  à  fleur  de  sol  que  des 
jubés,  des  fresques,  des  verrières,  des  retables  de  bois  ou 
d'albâtre,  des  balustrades  et  des  autels  de  pierre.  On  ne 
goûtait  guère  que  le  grec  et  le  romain,  et  l'architecture 
chrétienne  était  stigmatisée  de  l'épithète  de  gothique  qui  a 
enfin  cessé  d'être  une  injure. 

Les  chanoines,  toutefois,  ne  se  dissinmlèrent  pas  totale- 
ment la  valeur  du  monument  auquel  ils  touchaient.  Comp- 
tant quelque  peu  sur  les  amateurs   d'antiquités  que  renfer- 


*  Registre  'des  Délibérations  capitnlaiics)  roininençavf  le  1  janvier  1734  et 
finissant  le  15  jm/lel  174  l.  Iiif.  mss.  aux  aicliivi'S  du  cliaiDilre. 


UU    email    in    ROI    C.IIAIILKS    V.  511) 

nuiit  déjà  la  vieille  et  intelligente  cité  rouennaise,  ils  char- 
gèrent «<  les  coniniissaircs  jiour  laulcl  de  vendre  au  plus 
grand  avantage  du  Chapitre  les  tables  d'ardoises  qui  étoient 
autour  du  tombeau  ' .  » 

Quant  à  la  statue  elle-même,  ce  document  historique  que 
Montfiiucon  avait  figuré  dès  1729,  parmi  les  Mornniwm  de 
la  monarchie  franroise  ",  elle  fut  placée,  comme  nous  l'avons 
dit,  dans  la  chapelle  de  la  Sainte-Vierge,  déjà  riche  du  tom- 
beau des  Brezé  et  des  d'Amboise,  et  qui  devint  ainsi  le  Saint- 
Denis  de  la  Normandie.  C'est  là  que  le  bénédictin  Duplessis 
a  vu  la  royale  image  en  1740  ^  ;  que  l'anglais  Ducarel  l'a  ad- 
mirée eu  1752%  et  que  le  rouennais  Lecoq  de  Villeray  la 
signalait  à  ses  concitoyens  en  1759  ^  C'est  là  enfin  que  la 
Kévolution  l'a  brisée  en  1795,  en  même  temps  qu'elle  exhu- 
mait des  catacombes  de  Saint  Denis  le  corps  du  sage  roi  et 
toute  la  dynastie  de  Hugues  Capet*^. 

Il  est  vraisemblable  que  cette  statue  fut  déposée,  non  sur  un 
cénotaphe  qui  avait  été  démoli  et  aliéné,  mais  sur  la  grande 
table  de  marbre  noir  qui  la  supportait  depuis  quatre  siècles. 

Un  moment  cette  table  avait  été  réservée  pour  fermer  le 
caveau  et  recevoir  l'inscription  proposée  par  le  Chapitre  et 
acceptée  par  le  roi.  Mais  l'inscription  fut  gravée  sur  une 


'  Délibération  du  vondredy  6  mars  1737. 

"■*  M()i\Ti"A[(  o^',  Les  mon.  de  la  Monarchie  frunçoisc,  t.  m,  p.  65,  pi.  xii, 
fig.  .'^. 

^  Ddplkssis,  Description  géographique  et  historique  de  ta  Haute-Nor- 
mandie, t.  H,  p.  27-28. 

*  DiXAUEL,  Antiquités  anglo-normandes,  p  2G-27,  traduction  de  Léchaudé- 
d'Anisy    Caea,  1823. 

*  Lecoq  v>v.  Yilluuw ,  Abrégé  de  l'/Jist.  écries,  civile  et  relig.  de  Rouen. 
p.  150-151. 

**  Cu.\TKAi!BRiAi\D,  Génie  du  christianisme,  t.  ni,  note  x,  p.  321-349,  et 
surtout  335,  édit.  1829. 


520  DÉCdl' VERTE 

plaque  Je  marbre  blanc,  de  forme  circulaire  et  d'un  dia- 
mètre de  80  centimètres.  On  donna  deux  louis  au  sculpteur 
de  l'œuvre  dont  le  nom  est  resté  inconnu.  Il  est  probable 
que  les  lettres  furent  dorées  selon  l'engagement  qu'on  avait 
pris. 

Quant  à  l'inscription  elle-même,  elle  fut  composée  par 
l'abbé  Terrisse,  chanoine  et  archidiacre  ' ,  le  personnage  le 
plus  classique  et  le  plus  lettré  de  la  compagnie  ^ .  Nous  la  re- 
produisons ici  telle  qu'elle  nous  a  été  conservée  par  Ducarel 
qui,  après  l'avoir  copiée  à  Rouen  en  1752,  l'a  publiée  à 
Londres  en  1767. 

D.  0.  M. 

ET 

AETERNAE  MEMORIAE 

îîAPIENTISSIMI    FRINCIPIS 

CAROL[    V. 

GALLIARVM    REGIS, 

NORMANNIAE  ANTEA  DVCIS, 

QVI    HANC   ECCLESIAM 

AMORE    SINGVLARI    COMPVLSVS 

BENEFlCnSQVE    IMMENSIS   PROSECVTVS 

EAMDEM    AVGVSTISSIMI    CORUIS    SVI 

RELIQVIT   HEREDEM, 

VBl    IN   OMNIVM    ANIMIS   VIVERE 

NVNQVAM   DESINET. 

OBUT   ANNO    SALVTIS    HVMANAE 

MCGCLXXX. 

'  «  Monsieur  l'archidiacre  Terrisse  a  été  piié  de  faire  des  inscriptions  que 
le  chapitre  veut  qu'on  mette  sur  les  tombeaux  des  princes  qui  ont  été  enterrés 
dans  le  sanctuaire  de  cette  église  (Henri  le  jeune,  Richard  Cœur-de-Lioa  et 
le  duc  de  Bedtordj  et  celle  que  l'on  mettera  (sic)  sur  la  table  de  marbre  qui 
sera  posée  au  niveau  du  pavé  du  chœur,  à  la  place  du  tombeau  qui  y  est  au- 
jourd'hui élevé,  en  cas  qu'on  obtienne  la  permission  de  l'abaisser.  »  Délib. 
capitul.  du  14  décembre  1736,  exirait  du  Registre  de  1734  à  1744. 

'  Sur  l'abbé  Terrisse,  voir  la  notice  que  nous  avons  donnée  dans  nos  Eglises 
de  l'arrond   de  Dieppe,  t.  i«'',  p.  233-36. 


DU    CœUR    nu    HUl    CUAULLS    V.  .cil 

Ce  marbre  tut  entouré  (l'iuie  ])aiule  de  cuivit!  .sortie  des 
ateliers  de  Thomas  Mette,  maître  fondeur,  à  Rouen.  Le 
marché  passé  à  cet  effet  dit  que  c'était  «  pour  encadrei-  hi 
tombe  carrément  comme  elle  est  maintenant.  »  Nous  croyons 
au  contraire  que  la  bande  était  circulaire,  présentant  un 
épatement  à  chacun  des  points  cardinaux.  Sur  la  pointe 
orientale  on  avait  gravé  la  couronne  de  France.  Ce  cadre 
métallique  destiné  à  relever  l'inscription  lui  devint  funeste. 

La  première  Képublique  friande  de  métaux  et  qui  ne  fit  pas 
grâce  aux  balustrades  de  cuivre  de  la  Métropole,  pour  les- 
quelles la  cité  tout  entière  avait  intercédé,  n'épargna  pas 
même  ce  lambeau  de  cuivre.  L'encadrement  une  fois  enlevé,  le 
marbre  partit  avec  lui,  tandis  que,  s'il  eut  été  seul,  la  Répu- 
blique lui  eut  pardonné,  comme  elle  épargna  dans  le  même 
sanctuaire  les  épitaphes  de  Henri-le-Jeune,  de  Richard  Cœur- 
de-Lion  et  du  duc  de  Bedford  ' . 

Depuis  tantôt  soixante-dix  ans,  rien  ne  parlait  plus  du 
cœur  de  Charles  V,  dans  la  cathédrale  de  Rouen.  La  Messe 
quotidienne  ne  se  célébrait  plus,  l'anniversaire  du  10  oc- 
tobre était  tombé  avec  les  fondations,  le  Chapitre  n'encen- 
sait plus  la  royale  image  qui,  depuis  longtemps  déjà  exilée 
du  sanctuaire,  avait  complètement  disparu  de  la  chapelle  de 
la  Sainte- Vierge.  Dans  le  chœur  de  Notre  Dame,  il  ne  restait 
plus  devant  le  grand  aigle  et  en  face  du  trône  pontifical 
qu'une  légère  cavité  remplie  d'un  plâtre  inégal  et  gênante 
pour  les  pieds  des  chantres  et  du  célébrant.  Ce  creux  circu- 
laire indiquait  seul  le  lieu  où  avait  existé  l'inscription  de 
Charles  V. 

'  '  La  République  a  besoin  de  fei-  et  de  plomb  el  elle  n'a  pas  besoin  de 
marbre.  »  disaient  les  membres  du  distric'  de  Dieppe  aux  trésoriers  de  Der- 
chigny  qui  leur  appor  aieni  le  maître-autel  de  leur  église.  Les  Eglises  de  l'ar- 
rondissement de  Dieppe,  t.  ii,  p.  158. 


522  DÉCOUVERTE 

Ce  vide  respecté  pendant  un  demi-siècle,  nous  semblait 
tout  à  la  fois  une  indication  et  un  appel.  Depuis  longtemps 
des  amis  de  nos  monuments  et  de  notre  histoire  gémissaient 
de  l'abandon  dans  lequel  était  tombée  la  mémoire  de  Charles- 
le-Sage.  Depuis  environ  un  an,  M.  l'abbé  Colas,  M.  Barthé- 
lémy et  moi,  nous  avions  résolu  d'y  mettre  un  terme.  Avec 
le  concours  des  administrations  civile  et  ecclésiastique,  nous 
songions  à  faire  cesser  cette  viduité  de  notre  cathédrale. 
Une  nouvelle  inscription  sur  marbre,  projetée  et  préparée 
par  nous,  allait  enfin  réparer  un  trop  long  oubli.  Nous  ne 
songions  guères  qu'à  reproduire  celle  que  le  Chapitre  avait 
gravée  en  1757. 

Toutefois,  avant  de  placer  cette  épitaphe,  dont  le  contexte 
exagéré  par  la  légitime  reconnaissance  du  XVIIP  siècle, 
n'avait  plus  sa  raison  d'être  au  XIX^,  nous  avons  eu  la  com- 
mune pensée  de  nous  assurer  si  la  cathédrale  possédait  en- 
core la  relique  royale  que  nous  songions  à  honorer. 

A  deux  différentes  reprises,  en  effet,  la  cathédrale  avait 
été  au  pouvoir  de  ses  ennemis.  A  ces  deux  époques  malheu- 
reuses, des  mains  avides  avaient  fouillé  son  sol  sacré  pour 
piller  les  tombeaux  qu'il  renferme  et  retirer  de  ses  sépultures 
le  plomb,  le  fer,  le  cuivre  et  l'argent  qu'elles  pouvaient  ren- 
fermer. C'est  ainsi  que  les  réformés  de  1562  avaient  déterré 
le  cœur  du  cardinal  d'Estouteville  pour  s'emparer  des  deux 
plats  d'argent  qui  le  contenaient.  Qui  eut  osé,  après  cela, 
assurer  que  pareille  violation  n'avait  point  été  infligée  au 
cœur  de  Charles  V  ?  Le  cœur  d'un  roi  a  toujours  de  quoi 
tenter  les  passions  ignorantes  et  cupides. 

Qu'on  ne  dise  pas  que  nos  histoires  de  Rouen  auraient 
gardé  trace  d'une  semblable  visite.  Nous  répondrons  à  cela 
qu'aucun  historien  de  Rouen  du  dernier  siècle  n'avait  men- 
tionné la  visite  furtive   et   accidentelle  faite   au  cœur  de 


in;  i:u:uu  du  roi  ciiaiilks  v.  5i23 

Charles  V,le  123  février  1757.  Cette  vérificatioinnystérieiisc 
avait  même  échappé  à  M.  Deville  qui,  en  1S55,  publia  un 
livre  spécial  sur  les  tombeaux  de  notre  cathédrale.  Ce  n'est 
qu'en  1851  seulement  et  dans  un  ouvrage  aussi  peu  lu  que 
peu  digne  de  l'être,  que  ^I.  Fallue,  ce  regrettable  historien 
de  notre  j!Iétropole,a  publié  le  procès-verbal  que  nous  avons 
reproduit  ' ,  procès-verbal  qui  pèche  peut-être  pîir  quelques 
détails,  mais  qui  n'en  est  pas  moins  d'un  grand  intérêt  ré- 
trospectif. Nous  l'avouons  ingénument,  aucun  de  nous  n'a- 
vait lu  le  livre  de  M.  Fallue,  et  par  là  même  aucun  ne  con- 
naissait le  document  de  1757,  dont  la  première  communica- 
tion nous  arriva  par  M.  Deville,  qui  l'avait  trouvé  dans  les 
archives  et  qui  voulut  bien  nous  le  communiquer  le  lende- 
main même  de  notre  découverte  et  en  réponse  à  la  bonne 
nouvelle  qu'il  en  avait  reçue.  'l'uv.ur: 

Du  reste,  nous  le  disons  hautement,  quand  bien  môme 
nous  aurions  connu  cette  première  vérification,  postérieure  à 
'lo62,  nous  n'en  eussions  pas  moins  résolu  et  exécuté  la 
nôtre  :  car,  enfin,  1795  avait  passé  par  là.  Or,  à  cette  ter- 
rible époque,  les  tombeaux  avaient  été  partout  fouillés  par 
mesure  administrative,  pour  rechercher  des  métaux  utiles, 
hélas  !  à  la  défense  de  la  patrie,  seule  excuse  de  tant  de  pro- 
fanations ^  1 

Mgr  de  Bonnechose,  archevêque  de  Rouen,  à  qui  il  avait 
été  fait  part  du  double  projet  que  nous  avions  conçu  sous  le 


'  Fallue,  Histoire  jjolitique  et  religieuse  de  l'Église  de  Rouen,  t.  iv, 
p.  339-40. 

*  On  peut  citer  notamment  une  circulaire  du  citoyen  Bouchotte,  ministre  de 
la  guerre,  datée  du  12  prairial  an  II  ■  un  acte  de  l'administration  des  Domaines 
du  25  frimaire  an  il,  et  des  ai'rêtés  des  13  et  17  seplembre  1793,  ordon- 
nant «  d'enlever  des  souterrains  et  des  caveaux  destinés  aux  sépultures,  1''. 
fer  et  le  plomb  que  l'orgueil  et  l'aristocratie  y  avaient  accumulés.  » 


a24  DÉCOUVERTK 

))on  plaisir  tic  son  agrément  présumé,  nous  accorda  son  en- 
tière approbation.  Il  n'y  mit  d'autre  réserve  que  le  désir  bien 
légitime,  chez  un  prélat  aussi  éclairé,  de  pouvoir  contempler 
à  son  tour  le  résultat  de  nos  recherches,  s'il  était  heureux. 
Cette  condition  était  pour  nous  un  encouragement  et  une 
récompense. 

Monseigneur  eut  la  bonté  d'adjoindre  aux  trois  'personnes 
déjà  nommées  M.  l'abbé  Robert,  chanoine,  si  bien  connu  par 
ses  travaux  d'architecture  religieuse,  et  à  cause  de  cela  ré- 
cemment nommé  intendant  de  l'œuvre  de  Notre-Dame. 

Toutes  les  mesures  étant  prises  pour  ne  gêner  en  rien  le 
service  de  la  Métropole,  la  recherche  fut  commencée  le  lundi 
26  mai,  vers  trois  heures  de  l'après-midi.  La  fouille  a  duré 
trois  heures  environ,  et  elle  a  été,  comme  chacun  sait,  cou- 
ronnée d'un  plein  succès.  A  six  heures  un  quart  nous  décou- 
vrions le  caveau  royal  possédant  encore  la  précieuse  relique 
que  lui  avait  confié  le  XIV®  siècle.  Ce  caveau,  placé  à 
75  centimètres  du  pavage  actuel,  était  formé  avec  deux 
pierres  superposées,  solidement  noyées  dans  un  bain  de  dur 
et  épais  mortier.  Chose  singulière,  les  deux  pierres  présen- 
taient des  trèfles  incrustés  du  Xlir"  siècle,  ce  qui  prouve 
qu'on  avait  employé  des  débris  mêmes  de  la  cathédrale. 

Le  caveau  que  ces  pierres  recouvraient  depuis  bientôt 
cinq  siècles,  avait  56  centimètres  de  profondeur,  64  de  lon- 
gueur sur  47  de  largeur. 

Deux  grils  de  fer,  placés  à  quelques  centimètres  de  l'en- 
trée et  du  fond  du  caveau,  supportaient  deux  plaques  de 
plomb  de  48  centimètres  en  carré.  La  première  des  deux 
plaques,  placée  sur  le  gril  supérieur,  était  destinée  à  arrêter 
l'humidité  et  la  chute  des  matériaux.  Elle  a  été  trouvée  re- 
couverte de  sable  mélangé  d'eau  d'interposition.  La  seconde 
plaque  avait  reçu  le  cœur  du   roi  et  elle  l'offrait  encore,  ré- 


DU  c(h:uu  Dr  noi  (;harlp:s  v.  5i25 

<liiit  en  poussière,  nuiis  recomiaissable  par  la  lornie  qii'allec- 
tait  ce  vénérable  débris. 

Nous  donnons  iei,  d'après  M.  l')arthéleniy,  la  eoujx'  du 
royal  ea\-eau  tel  qu'il  était  cpuind  la  fermeture  était  c'Ui- 
plète. 


Le  viscère  royal  avait  été  déposé  ici  enfermé  dans  une 
boite  d'étain  ou  plutôt  d'alliage,  épaisse  de  o  à  i  millimètres, 
et  affectant  la  forme  d'un  cœur  humain.  Cette  boîte,  fabri- 
quée de  deux  morceaux  soudés  ensemble,  avait  été  en  ma- 
jeure partie  rongée  par  l'oxyde.  Toute  la  poi-tion  adhérente 
à  la  feuille  de  plomb  n'offrait  plus  qu'un  résidu  noir,  cendre 
et  métallique.  La  partie  supérieure,  au  contraire,  s'était  bu^n 
conservée  et  elle  montrait,  d'un  côté  surtout,  tout  le  bril- 
lant du  métal  primitif. 


526  DÉCOUVERTE 

Nous  reproduisons  ici  l'aspect  que  nous  présenta  le  cftveau 
du  cœur  après  l'enlèvement  de  la  première  plaque  de  plomb. 


La  poussière  étalée  sous  la  plaque  de  ploml)  était  aussi  de 
denx  sortes  :  sur  les  bords,  le  dépôt  était  noir  et  métallique  ; 
au  milieu,  la  couleur  du  débris  était  rougeâtre  et  ressemblait 
h  du  tan  de  corroyeur.  Cette  teinte  tannée  et  l'agrégatiou 
des  parcelles  feraient  croire  à  un  embaumement,  à  moins 
qu'elle  ne  soit  l'efiet  de  la  décomposition  du  viscère  royal  '. 


'  Dans  le  désir  de  coinplé  tu'  nos  renseignements  sur  tout  ce  qui  concerne 
cette  importante  découverte,  nous  avons  cru  pouvoir  détacher  quelques  par- 
celles de  ces  précieux  débris,  afin  de  les  soumeitre  à  une  analyse  chimique  ; 
nous  désirions  ainsi  être  renseignés  sur  les  arts,  l'induslrie  et  les  coutumes  du 
XIV'' siècle  ;  dans  cette  intention,  nous  nous  sommes  adressé  à  notre  ami 
M.  Girardin  .    chimiste  habile,  dont    la   scienc(>   el   le   dévouemeni   nous  sont 


T)[J    CffilTR   mi    ROI    CHAULES   V.  527 

La  relique  étant  ainsi  reconnue,  elle  a  été  aussitôt  dessi- 
née par  M.  Barthélémy,  puis  elle  a  été  religieusement  dépo- 
sée dans  la  sacristie  du  Chapitre  par  les  soins  de  ^I.  l'abbé 


connus  depuis  longtemps.  Voici  la  réponse  qu'a  bien  voulu  nous  transmettre 
réminent  doyen  de  la  faculté  des  sciences  de  Lille  : 

«  Mon  cher  confrère  et  ami, 

"  Vous  m'avez  envoyé,  pour  les  analyser,  trois  objets  d'un  haut  intérêt,  à 
savoir  ; 

«  1°  Un  morceau  de  plomb  provenant  de  la  plaque  qui  supportait  le  cœur 
de  Charles  V,à  la  cathédrale  de  Rouen  ; 

I'  2"  Un  morceau  de  plaque  métallique  qui  enveloppait  le  cœur  de 
Charles  V  ; 

«  S°  Une  poussière  rousse  provenant  du  cœur  du  même  roi. 

«  Voici  les  résultais  de  mon  examen  : 

<!  1°  Le  morceau  de  plomb,  assez  épais,  est  recouvert  d'une  croûte  terreuse 
d'un  blanc  rosé  dans  la  partie  supérieure.  Cette  croûte  consiste  en  carbonate 
de  plomb  mêlé  d'un  peu  de  peroxide  de  fer  ei  de  sable. 

n  Le  métal  débarrassé  de  cette  enveloppe  due  à  son  oxidation,  a  tous  les  ca- 
ractères physiques  et  chimique  du  plomb.  C'est,  en  effet,  du  plomb  presque 
pur  ;  je  n'y  ai  trouvé  qu'une  trace  d'étain  et  de  fer. 

«  2°  La  plaque  métallique  qui  enveloppait  le  cœur  est  formée  par  un  métal 
plus  dur  que  le  plomb,  dont  l'extérieur  est  presque  partout  recouvert  d'une 
matière  noirâtre,  grenue,  friable.  Les  surfaces  non  oxidées  ou  sulfurées  sont 
d'un  blanc  grisâtre,  d'apparence  métallique.  Le  métal  non  attaqué  par  l'alté- 
ration peut  être  entamé  avec  le  couteau  ;  sa  tranche  fraîche  est  très-brillante 
et  offre  la  couleur  de  l'étain. 

«  D'après  mon  analyse,  cette  plaque  est  de  l'étain  contenant  un  peu  de 
cuivre  et  une  trace  de  plomb.  Il  n'y  a  pas  trace  d'argent.  La  matière  noirâtre 
et  grenue  qui  la  recouvre  est  du  sulfure  d'étain  avec  un  peu  de  sulfure  de 
cuivre. 

«  3"  Quant  à  la  poussière  rousse  qui  provient  du  cœur  de  Charles  V,  voic-i 
les  caractères  qu'elle  m'a  fournis. 

«  Cette  poudre  brune,  entremêlée  de  points  blancs,  n'a  aucune  odeur  bien 
appréciable.  Chauffée  sur  une  lame  de  platine,  elle  noircit,  s'enflamme,  brûle 
avec  une  flamme  fuligineuse  dont  l'odeur  est  aromatique  et  rappelle  celle  du 
baume.  Elle  s'incinère  difficilement,  laiase  une  cendre  grise,  alcaline,  qui  fait 
effervescence  avec  l'acide  chlorhydrique  dans   lequel  elle  se  dissout  p'resquc 


528  '  DÉCOUVERTE 

Robert,  intendant  de  l'œuvre  de  Notre-Dame.  Elle  y  a  été 
conservée  sous  clef  jusqu'au  6  juin  suivant,  et  pendant  dix 
jours  elle  y  a  reçu  la  visite  de  plusieurs  personnes  notables 
de  la  cité,  spécialement  de  M.  Namuroy,  secrétaire  général 
de  la  Seine-Inférieure,  faisant  fonction  de  préfet,  en  l'ab- 
sence de  M.  le  baron  Le  Roy,  en  tournée  de  révision. 

Mgr  l'archevêque  que  les  feuilles  publitpies  avaient  in- 
formé de  la  découverte,  pendant  le  cours  de  sa  visite -pasto- 
rale, s'empressa,  à  son  retour  à  Rouen,  de  venir  contempler 
le  royal  dépôt  confié  à  sa  cathédrale,  et  dont  la  possession 
jetait  sur  elle  un  nouvel  éclat.  Le  mercredi  29,  à  une  heure 
après  midi,  Monseigneur  visita  avec  un  grand  intérêt  le  ca- 


totalemeut  .en  la  colorant  fortement  en  jaune.   La  solution  acide  lenferme 
beaucoup  de  fer  et  de  phosphates, 

«  Cette  poudre  calcinée  dans  un  tube  de  verre  se  comporte  comme  une 
matière  organique  très-azotée;  elle  noircit,  dégage  d'abondantes  vapeurs  hui- 
leuses empyreumatiques  et  du  gaz  qui  ramènent  fortement  au  bleu  le  papier 
rouge  de  tournesol. 

»  L'eau  distillée  tiède  se  colore  légèrement  en  jaune  brun  par  son  contact 
avec  cette  matière;  elle  se  trouble  ensuite  faiblement  par  l'ébullition,  par  l'a- 
cide azotique,  par  le  chloride  du  mercure  ;  elle  précipite  fortement  par  l'acé- 
tate triplombique.  Elle  laisse  par  l'évaporation  une  matière  noirâtre  que  la 
chaleur  charbonne.  Il  y  a  des  traces  de  chlorures  et  de  sulfates  dans  la  cendre. 

«  L'alcool  rectifié  bouillant  enlève  à  cette  poudre  une  matière  résineuse 
balsamique  qui  rougit  par  l'acide  sulfurique  concentré.  L'alcool  est  coloré  en 
jaune  et  précipita  abondamment  en  blanc  par  l'eau. 

Il  L'éther  mis  en  contact  avec  le  résidu  lui  enlève  une  matière  organique 
qui,  par  l'évaporation  spontanée,  prend  une  belle  couleur  violette  ;  cette  ma 
tière  a  une  odeur  suave   II  n'y  a  pas  trace  de  matière  grasse. 

)i  II  résulte  donc  de  ces  essais  que  la  poussière  rousse  renferme,  outre  des 
substanses  lésineuses  balsamiques  qui  ont  servi  à  l'embaumement,  une  ma- 
tière animale  riche  en  fer  et  en  phosphates  ;  ce  qui  démontre  bien  que  cette 
poussière  est  le  restant  du  cœur  de  Charles  V. 

«  Croyez,  mon  cher  abbé,  à  tous  les  sentiments  affectueux  de  votre  tout 
dévoué.  GiRAUPiN. 


m  t(iKUR  DU  uoi  l'iiAr.Lts  V.  5r>*.) 

veau  construit  par  une  main  royale  et  placé  clnupie  jour, 
sous  ses  yeux,  en  face  de  sa  chaire  pontificale  ;  puis,  dans  la 
sacristie,  il  contempla  avec  une  émotion  véritable  et  conte- 
nue ce  qui  restait  du  cœur  d'un  des  meilleurs  rois  qui  aient 
gouverné  la  France. 

Dès  ce  moment  il  fut  résolu  qu'une  enveloppe  nouvelle  se- 
rait préparée  pour  recevoir  le  précieux  dépôt  confié  à  la 
garde  de  l'église  de  Kouen,  et  que,  dans  le  plus  bref  délai,  il 
serait  rendu  à  son  premier  asile. 

Muni  des  instructions  de  Sa  Grandeur,  M.  Barthélémy  fit 
exécuter  par  M.  Bécaille,  habile  i)lombier  de  Rouen,  un 
cœur  en  étain  et  une  boîte  en  plomb  destinée  à  conserver  la. 
relique  royale  le  plus  longtemps  possible. 

Toutes  choses  étant  prêtes.  Monseigneur  réunit  de  nou- 
veau à  la  cathédrale,  le  vendredi  G  juin,  les  quatre  témoins 
et  agents  de  la  découverte,  puis  il  procéda  à  l'enveloppement 
et  à  la  déposition  du  cœur. 

Pour  témoigner  du  vif  intérêt  qu'il  portait  à  cet  acte  de 
haute  conservation,  Monseigneur  voulut  lui-même  présider  à 
toutes  les  phases  de  l'opération.  En  sa  présence,  les  restes 
du  cœur  et  les  débris  de  la  boite  du  XIV  siècle  fiu'ent  soi- 
gneusement déposés  dans  le  nouveau  cœur  d'étain,  qui  fut 
immédiatement  soudé  par  le  plombier.  Alors  Monseigneur 
enveloppa  cette  précieuse  boîte  avec  un  ruban  violet  large 
de  trois  centimètres,  et  il  forma  avec  lui  une  croix  sur  chaque 
face,  puis  il  scella  les  bouts  du  cordon  avec  un  sceau  de  cire 
rouge  deux  fois  répété.  Ce  premier  étui  étant  ainsi  scellé,  il 
fut  placé  dans  une  boîte  en  plomb  toute  remplie  de  charbon 
de  bois  finement  broyé. 

Sur  cette  seconde  caisse,  de  forme  carrée,  on  lit,  gravée 
en  belles  lettres  romaines,  l'inscription  suivante  : 


o30  DÉCOUVERTE    DU    CIEUR    hU    «01    CHARLES    V. 

COR 

CARGLI   V 

FRANCORVM    REGIS 

RECOGA'ITVM 

ANN.    DNI.    MDCCCLXII. 

Le  ro3^al  et  vénérable  dépôt,  étant  ainsi  soigneusement  re- 
fermé, a  été  respectueusement  déposé,  en  présence  de  Mon- 
seigneur, dans  le  caveau  qu'il  occupait  depuis  1380.  Les 
grilles  de  fer  et  les  plaques  de  plomb  étant  également  remises 
en  leur  place  primitive,  le  caveau  a  été  muré  de  rechef  par 
les  maçons  de  la  cathédrale. 

Prochainement,  une  inscription  gravée  sur  marbre  blanc, 
composée  à  nouveau  et  avec  une  certitude  rajeunie  de  cinq 
siècles,  prendra  place  dans  le  chœur  de  Notre-Dame,  et  elle 
indiquera  au  respect  de  tous,  le  lieu  où  repose  le  cœur  du 
plus  sage  des  rois  de  France. 

Regrettons  que  le  défaut  de  ressources  ne  permette  pas  de 
faire  revivre  sur  son  mausolée  l'image  d'un  prince  qui  fut  le 
maître  de  Duguesclin  et  le  fondateur  de  la  Bibliothèque  im- 
périale, qui  en  Normandie  se  montra  le  protecteur  de  l'E- 
glise et  le  bienfaiteur  de  l' Hôtel-Dieu  de  Rouen  ',  qui  encou- 
ragea les  découvertes  des  navigateurs  normands  et  qui  vint 
lui-même  à  Dieppe  récompenser  Jehan  le  Roannois,  le  pionnier 
de  laGuinée%  et  qui  entin,  monté  sur  le  premier  trône  de 
l'Europe,  n'oublia  jamais  qu'il  avait  été  duc  de  Normandie. 

l'abbé   COCHET. 


'  Lebrun  des  Mauettes,  Voyages  liturgiques  de  France,  p.  385. 
*  ViLLANï  DE  Bem.efond,  Relation  des  castes  d'Afrique  appelées  Guinée, 
p.  410. 


LES  SANDALES  ET  LES  BAS 


'IliOlSIKMK    AIMICJ.I': 


CHAPITRE  III 

CHAUSSOllKS    IMPÉRIALES,    A    UOMK    ET    A    BYZAMCE. 

L'étude  consciencieuse  des  monuments  figurés  prouve  que 
la  seule  différence  admissible  entre  les  chaussures  patri- 
ciennes ou  même  vulgaires  et  la  chaussure  du  maître  su- 
prênie,  l'Empereur,  résidait  plutôt  dans  la  couleur  et  l'orne- 
mentation que  dans  la  forme  générale.  Toutefois,  certaines 
désignations  spéciales  n'étant  employées  par  les  écrivains 
qu'au  sujet  des  calceamenta  imperialia,  j'ai  cru  devoir  con- 
sacrer à  ces  derniers  un  chapitre  séparé. 

Nous  avons  vu  Caligula  paraître  en  public  avec  des  socculi 
de  perles.  Héiiogabale  portait  sur  sa  chaussure  des  pierres 
précieuses  et  même  des  intailles,  qu'Alexandre  Sévère  sup- 
prima lors  de  son  avènement  au  trône'.  Aurélien,  en  inter- 
disant les  souliers  rouges  aux  hommes,  semble  avoir  réservé 


*  Voir  le  numéro  de  septembre,  p.  468. 
'  Lampuide,  Heliog.,  23:  Alex.  Sev.,  4. 


532  I.KS    SA.MIALES    ET    \.ES    i!AS. 

cette  couleur  pour  l'usage  exclusif  de  la  dignité  souveraine. 
Carin,  à  l'exemple  d'Héliogabale,  «liabuit  gemmas  in  calceis  ;  » 
enfiii  Dioclétien  rendit  obligatoire  la  présence  des  joyaux  sur 
le  costume  impérial'.  Mais  si  l'on  excepte  le  fils  de  Julia 
Soémias,  nul,  peut-être,  ne  poussa  aussi  loin  que  Gallien  le 
luxe  des  vêtements,  et  c'est  dans  son  histoire  qu'il  faut  cher- 
cher la  première  mention  de  deux  chaussures,  affectées  après 
lui  aux  monarques  de  l'Occident  et  de  l'Orient,  le  cajnpagus 
et  la  zancha. 

I.  Campcujus.  —  Après  -avoir  énuméré  la  chlamyde  de 
])()urpre,  les  riches  ii1)ules,  la.  tunique  rouge  et  or,  le  bau- 
drier orné  de  }>ierreries,  qui  formaient  la  parure  de  Gallien, 
Tj-ebellius  Pollio  ajoute  :  «  Caligas  gemmatas  annexuit, 
«  quum  campagos  reticulos  appellaret.  »  D'autre  part,  Ju- 
lius  Capitolinus  dit  à  propos  de  Maximin  le  jeune,  «  Calcea- 
"  mentum  ejus,  id  est,  campagum  regium...  posuerunt... 
0  quum  de  longis  atque  ineptis  hominibus  diceretur,  caliga 
"  Maximinî-.  »  De  ces  deux  textes  il  résulte  évidemment 
que  le  campagus  était  une  sorte  de  calige  attachée  avec  des 
courroies,  disposée  en  réseau  sur  la  jand)e  et  le  pied  nus,  au 
lieu  d'être  contournée  en  cercles  parallèles  :  Hoffmann  ne  le 
comprend  pas  autrement  ^ 

Je  n'ai  rencontré  qu'un  spécimen  antique  bien  caractérisé 
du  campagus;  il  appartient  à  un  chef  scythe,  figuré  sur  la 
colonne  de  Théodose,  et  diffère  peu  de.la  chaussure  des  High- 


'  Voi'iscrs,  17.  —  «  Ornameiita  geiiiniarum  vcstibus  calceaniontisqtic 
«  (Dioclctianus)  indidit  ;  iiam  piius  iiiiperii  insigne  in  chlamydo  ])Ui-piirca 
«   tantum  eiat.  »    Einiioi'K,  ix,  16. 

'^  GalUenuspat.,  16.  —  {'^it.  3Iaxim.,28. 

'  "  Fuerunt  autem  et  campagi  ex  génère  soleai'um,  non  intégra  solidaque 
«  pelle  crura  operientes,  sed  fasciis  mullis  l'etieiilafiin  inijik'xis  gerente.s.  n 
(Etym.  Y.r/.u.-xi^, flexiirn .)  Lçx.  unh\,  CAMr.VGis. 


LES    SANDALES   ET    LES    1!AK.  i}Mi 

latui-.'r.s  :  m;ii.s  on  ne  peut  guère  se  liera  rexactitiide  des 
grav^ures  de  Bauduri,  et  le  personnage  que  je  cite  prête  beau- 
coup à  la  critique  quant  à  lii  forme  exacte  des  pal  ides.  Il 
faut  donc  chercher  ailleurs  pour  savoir  si  le  raiiipaf/us  était 
une  solea  ou  un  calccus.  Le  consid  Basilius  porte  des  souliers 
compris  sous  un  réseau,  et  l'empereur  Lothaire  un  cothurne 
enveloppé  par  les  mailles  d'un  filet  d'or;  un  Nicé})hore  lioto- 
niateet  aussi  le  moiuirque  byzantin,  tissé  au  centre  du  suaire 
de  Bamberg,  laissent  soupçonner  une  chaussure  analogue  que 
les  vers  suivants  de  Corippus  décrivent  incontestablement  : 

Pui  pureo  surce  résonant  fulgente  cothaino  ; 
Ci'iiraque  piiuiceis  indnxit  regia  vinclis, 
Parthica  Ciivipano  dederant  quae  tergoia  fiicu, 
Qui  £olet  edomilos  victor  calcare  tyrannos, 
Uomanus  priuceps  et  barbara  colla  doQiaro  : 
Sanguiiieis  pra:;lala  rosis  laudata  rubore, 
Lcctaqp.e  pro  sacris  tactu  moUissiraa  plantis  : 
Augustis  solis  hoc  cullu  competil  uti, 
Sub  quorum  est  pedibus  legum  cruor,  omne  profecto 
Mysteriutu  certa  rerum  ratione  probatur  '. 

Or,  à  mon  sens,  le  poète  établit  ici  une  distinction  tran- 
chée entre  les  deux  parties  de  ce  calceamentum  réservé  aux 
seuls  Augustes;  eu  dessous,  un  cothurne  de  pourpre,  en  des- 
sus,  des  courroies  de  cuir  persan  teint  en  Campanie  :  les 


'  Imp.  Orient.,  ii,  pi.  4. —  Ant.  expl.,  m,  l. —  Les  )4rts  sompt.  i,  pi.  11. — 
WiLLEMirj,  pi.  40.  —  Mél.  d'arch.,  ii,  32.  (La  miniature-  byzantine  de  la 
bibl.  iinp.  et  l'étoffe  trouvée  dans  le  cercueil  de  Gunther  (XI*-'  siècle)  ne  pré- 
sentent malheureusement  qu'un  échappé  de  la  jambe  des  personnages  ;  leur 
chaussure  rouge  est  ornée  de  bandelettes  et  de  perles;  au  talon  et  à  la 
pointe  du  pied  apparaît  une  fleur  polylobée.  —  De  Laud.  Jvsfini  /un,  u, 
104 


334  LES   SANDALES   ET    LES   BAS. 

courroies  tiennent,  à  n'en  pas  douter,  au  campagus;  quel  nom 
recevait  le  cothurne  dans  le  langage  ordinaire?  Udo.  Martial 
appelle  iiinsi  une  chaussure  en  laine  ou  en  poil  de  chèvre; 
Ulpien  range  les  odones  parmi  les  calceamenta,-\â  Donation  de 
Constantin  attribue  aux  clercs  de  l'Église  romaine  les  san- 
dales blanches  sénatoriales  avec  les  odones  {ùv:oâihiia.x(x  moi 
(jav§akia  Xeuxà  ^id  chviosv)  ;  saint  Epiphane  traite  les  càovia.  de 
braies  (opxat);  enfin  \Onio  F,  par  deux  fois,  fait  chausser  au 
Pape  les  odhones  avant  le  campagus^  et  cette  place  leur  est 
nettement  assignée  par  Théodulfe  : 

Lineacrusque  pedesque  tegaut  talaiia,  ut  apte, 
Qui  super  addatur,  campagus  ipse  decens  *. 

Les  rapports  de  Vudo  avec  le  campagus  préciseront  la  na- 
ture du  dernier;  en  effet, r?/f/o,  désigné  comme  calceamentum 
par  un  jurisconsulte,  ne  pouvait  être  à  cause  de  cela  inclus 
sous  une  enveloppe  superposée  :  donc  le  campagus  primitif 
n'était  qu'une  semelle  ou  une  sandale  très-découverte  atta- 
chée au  moyen  de  cordons.  Le  lecteur  me  pardonnera  cette 
excursion  prématurée  hors  du  domaine  laïque;  sans  l'aide  des 
textes  ecclésiastiques,  la  question  demeurerait  probablement 
insoluble^. 


'  Epitj.,  XIV,  140.  —  «  Alla  causa  est  odonum  quia  usum  calceamentorum 
((  prsestant.  >»  Diy.,  34,  2,  25.  La  distinction  est  établie  entre  les  odones  et 
les  bas  ou  les  chaussons.  —  Du  Cange,  Gloss.,  cdo.  —  Contra  Catharos. 
—  Mus.  liai.  H,  p.  64.  —  Parœn.  ad  Episc.,\,  m,  458. 

^  On  trouvera  la  preuve  de  ce  que  j'avance  dans  le  Ménologe  de  Basile  II, 
(nis.  du  Vatican,  X.<^  ou  XI''  siècle,  publié  à  Urbin,  in-fol.,  1737.)  Les  figures 
gravées,  t.  I,  p.  7,  47,  51,  114,  115  et  li)9,  présentent  des  cavipagi  dont  le 
pedw?e  est  une  sandale  très-découverte  ou  plutôt  une  carhatine.  Divers  per- 
sonnages, t.  u,  p.  79  et  208,  sont  chaussés  de  ca???^a^t  complètement  réticulés 
où  le  pied  n'est  garanti  que  par  une  simple  semelle.  Partout  les  udones 
sont  nettement  indiqués  ;  ils  s'arrêtent  en  bourrelet  à  mi-jambe. 


LES    SANDALES    ET    LES    lîAS.  o3o 

Une  miniature  du  manuscrit  510  de  la  bibliothèque  impé- 
riale (IX"  siècle),  deux  peintures  byzantines  du  XP  siècle  au 
Louvre,  représentent  divers  personnages  dont  les  jambes  et 
les  pieds  disparaissent  sous  des  bandages  blancs,  analogues 
aux  appareils  chirurgicaux  pour  la  réduction  des  fractures. 
Ces  chaussures  bizarres  ne  sont  autre  chose  que  des  odoues 
et  des  campacji  ou  xyrides  ' . 

Zancha.  —  Dans  une  lettre  conservéepar  Trebellius  Pollio, 
Gallien  compte  au  nombre  des  présents  qu'il  envoie  à  Claude 
le  Gothique  «  Zanchas  de  nostris  Parthicis,  paria  tria.  » 
Une  loi  des  fils  de  Théodose  prononce  l'exil  contre  tout  indi- 
vidu qui  se  permettrait  à  Rome  l'usage  des  braies  et  des 
tzangues^.  L'historien  Procope  mentionne  parmi  les  insignes 
accordés  aux  satrapes  héréditaires  d'Arménie,  une  chaussure 
rouge,  montant  jusqu'au  genou,  que  l'Empereur  et  le  roi  de 
Perse  avaient  seuls  le  droit  de  porter^.  Enfin  Codin,  après 
avoir  dit  que  les  souliers  impériaux  {ùnoâ-riiioczoc)  étaient  dépo- 
sés dans  le  vestiaire,  signale  une  autre  espèce  de  chaussure 
nommée  Tçayyta,  chargée,  sur  les  flancs  de  la  tige  et  du 
quartier,  d'aigles  brodées  en  or,  avec  des  perles  et  des 
pierres  précieuses.  L'Empereur  mettait  les  tzangues  quand  il 

'  Les  Arts  sompt.,  t.  i ,  pi.  31  :  Saint  Léonce  et  saint  Georges,  pi.  57,  59.— La 
fig.  de  Zacharie  (Bibl.  imp.  61,  X*=  siècle)  est  chaussée  de  campagi  et  d'odones 
bruns.  Les  campagi  se  nommaient  en  grec  çupîSeç,  sans  doute  parce  que 
leurs  courroies  rappelaient  la  feuille  étroite  et  allongée  du  glaïeul,  xau-irâjcta 
et  i^uyaéaota.  Suidas. 

-  Claud.  17.  — Jrc.  et  Jlon.,  Cod.  Theod.,  xiv,  10,  2.  «  Usum  tzanga- 
«  rum  adque  bracharum  intra  urbem  venerabilem  nemini  liceat  usurpare.  » 

'  «  TTCoSvî;ji.aTa  [J-s/pt  le;  '(ôvu  '^oivixoo  ypwrj(,aTo;,  a  ot)  fiaGiXsa  fxovov 
'Po)(j.aioj  T£  xat  Ilspawv  uTrooîÎGÔai  Os^aiç.  »  De  ^dif.  Justin.,  m,  1.  — 
LuiTPRANi)  donne  à  cette  chaussure  le  nom  de  caliges  :  «  Rubricatarum  pel- 
«  liumcaligis,  ut  isthic  (c.  p.)  imperatorum  moris  est  uterctur.  »  Antapod., 
m,  35.) 


530  IJiS    SANDALES    KT    LES    BAS. 

assistait  aux  processions  et  aux  litanies;  l'ouvrier  qui  con- 
fectionnait ces  bottes  ne  s'appelait  pas  xî^uyydpioç,  mais  bien 
ryy.yyài  ' .  Je  ne  suis  pas  assez  versé  dans  les  langues  sémiti- 
ques pour  suivre  Hoffmann  sur  le  terrain  des  étymologies  et 
prétendre  quetçayyta  dérive  de  l'arabe  tzaçjath^  mais  j'ai  l'in-. 
time  conviction  qu'un  mot,  où  la  sifflante  ç  est  redoublée  par 
l'antéposition  d'un  -  ou  d'un  à  (certains  écrivent  cJçayyta),  ne 
peut  être  grec  et  qu'il  a  été  emprunté  à  l'un  de  ces  idiomes 
orientaux  si  abondants  en  consonnes.  Aux  faits  que  je  viens 
d'exposer,  si  l'on  veut  bien  adjoindre  ma  citation  antérieure 
des  tzangiœs  persiqiies  du  roi  des  Lazes,  on  conclura  de 
l'ensemble,  sans  liésiter,  que  les  tzangues,  chaussures  person- 
nelles aux  souverains  de  Byzance,  étaient  de  hautes  bottes 
rouges,  en  maroquin  ou  cuir  de  Kussie  brodé  avec  l'art  mer- 
veilleux, encore  aujourd'hui  déployé  par  les  Asiatiques  dans 
ces  sortes  d'ouvrages. 

Une  médaille  de  Licinius  (308-523)  le  représente  en  cos- 
tume impérial,  chaussé  de  tzangues  molles,  formant  enton- 
noir. Basile  II  (975-1025)  est  peint  sur  un  psautier  de  la 
bibliothèque  impériale  avec  des  tzangues  couvertes  de  perles 
et  montant  jusqu'aux  genoux.  Un  autre  manuscrit  byzantin 
de  la  même  collection  (XP  siècle)  montre  les  figures  de  Salo- 

'  L'empereur  Nicéphore  était  n  aj^cioniis  calceamentis  calceatus  n  quand  il 
donna  audience  aux  ambassadeurs  d'Othon.  Ll'itprawd,  Ley.  c.  p.,  3.  De 
Off.  c.  p.,  V,  14.  «  "l'^yovxa  |x.  irXayuov  xolzol  tàç  y.\ir^aci.i;  xoù  stti  TÔiv  xapawv, 
«  àatoù;  oik  )\.(0o)v  /.ai  jj.apy^-'-p'-'^^-  —  ^-  encore  la  Chronique  de  PhraivtzÈs, 
ut;  18,  où  il  est  dit  que  le  cadavre  de  l'Empercui-  fût  reconnu  à  sa  chaussure 
particulière  sur  laquelle  étaient  des  aigles  brodées  en  or  ;  la  CTtronoijraphie 
de Theoph AIMES,  p.  263  «'Ex  twv  àX-/iOiv(7)v  vip  T(^7YYto)v  l^Mioçi'Cz-o  »  —  Les 
Latins  nomment  les  tzangues  impériales  ocreœ  ou  calkjCB  :  "  Ocreis,  ut  mos 
-1  est  in  illo  imperio  insignitus  purpureis.  .  Augustus  appellatus  est.  »  Gujl- 
<i  LAUMK  Dic  TY(i,  1.    15,  C.    23.    (C  Callgis  rubcis  secundum  moiem  indutus.  » 

ALI5É1UC. 


LES    SANUALKS   ET    LliS    15AS.  537 

mou  et  de  plusieurs  rois  avec  des  Izanf/iœs  pourpres  ou  écar- 
lates,  mais  déuuées  d'ornemeuts.  Ou  aperçoit  des  tzanfjucs^ 
brodées  aux  chevilles,  sous  le  paludamentum  de  Justinien 
(mosaïque  de  Ravenue).  Enfin,  ce  qui  prouve  surabondam- 
ment l'origine  orientale  des  tzaïKjucs^  l'image  de  saint  Jacques 
le  Persan,  Ilspatç,  au  musée  du  Louvre  (XP  siècle),  en  porte 
de  blanches,  tout  à  fait  semblables  aux  péronés  latins.  Or,- 
TertuUiennommejrje/wies  les  chaussures  luxueuses  des  Parthes 
et  des  Mèdes,  et  certaines  bottes  sont  encore  appelées  zancœ 
dans  quelques  textes  latins  du  moyen-âge  ' . 

Aux  grands  dignitaires  de  l'empire  d'Orient  incombait 
aussi  une  chaussure  distinct! ve.  Les  souliers  {ùv:oâr^^ixzx)  du 
Despote  étaient  bicolores  (âicoléoc)^  pourpre  foncé  (o|cws)et 
blanc,  avec  des  aigles  en  perles  sur  les  côtés  et  le  quartier; 
l'empeigne  présentait  l'aspect  d'une  mosaïque.  Les  souliers 
du  Sébastocrator,  bleu-céleste  (■nepdvsx).  portaient  aux  mêmes 
places  des  aigles  tissées  ou  brodées  en  or  sur  un  fond  écarlate; 
ceux  du  César,  du  Panhypersébaste  et  du  Protovestiaire, 
sans  ornements,  étaient  bleu-céleste,  jaune  citron  et  de  cou- 
leur verte".  Tout  haut  personnage,  déchu  de  son  rang  ou 


•  Malliot,  Rech.  sur  les  costumes,  t.  i,  pi.  49,  4,  d'apiès  Khell.  —  Les 
tzangnes  du  Licinius  ne  diffèrent  pas  des  bottes  scythes  figurées  sur  le  vase 
de  Koul-Oba.  —  D'Agincodrt,  Peint.,  pi.  47,  5. —  Les  Arts  sompt.  t.  1,  pi. 
44,45,58. —  De  Hah.  mul. —  «  Similiter  acceisivit  sutores  calceamentorum, 
«  precepit  illis  ut  magnas  zanchas  ex  lihcorum  pellibus  operarent.  "  Vit. 
S.  Maximiani,  ap.  MuRATOur,  t.  ii,  p  105.  Le  préfet  de  Rome,  en  diverses 
circonstances,  chevauchait  à  côté  du  Pape  «  calceatus  zanca  una  aurea,  id  est 
una  caliga,  altéra  rubea.  »  3Ius.  Ital.,  t,  ir,  p.  170,  Ordo,  xn.  —  Contelo- 
liio,  De  Prœf.  urbis,  ap.  Sallengre,  t.  i,  p.  517,  pi.,  p.  519. 

-CoDiK,  m,  6  :  «  'Eyovra  aîToùc  [jLapyaptTapctvou;    £/.  TrXayt'cov  tô  xat  Itti 

Tcov  xapïwv  viToi  ETiàvo)  Twv  u7roÔ7]L;.a-ttov  Toiv   y.ov^T/J.oyj .    »  iD.,    ibid.     17    : 

«  'AîToùç  aDÇtij.a-zc.ivQuç  Itç  àî'pa  /.ôxxivov.  »  L'interprète  latin  rend  ce  passage 

par  «  Aquilas  fimbriatas  desinentes  in  umbonem  coccineum.  »  J'ai  pensé  qu'il 

TO.ME    vx.  39. 


538  LES   SANDALES   ET    LES   BAS. 

tombé  en  défaveur,  échangeait  sa  chaussure  éclatante  contre 
des  lu'odequins  noirs;  j'en  ai  trouvé  maints  exemples  dans 
Pachymère. 

Je  serai  bref  relativement  aux  chaussures  d'impératrices, 
difficiles  à  apprécier  sur  les  monuments  à  cause  de  l'ampleur 
des  robes.  Les  souliers  de  Théodora  (Ravenne)  sont  dorés, 
avec  une  empeigne  très-découverte  et  un  quartier  bas;  ceux 
d'une  sainte  Hélène  (IX^  siècle),  arrondis  à  l'extrémité  et  de 
couleur  rouge,  se  distinguent  par  une  bande  longitudinale 
fclavus)  ornée  de  pierreries.  Le  calceamentiim  d'Eudoxie,  en- 
richi de  perles,  ue  diifère  en  rien  de  la  chaussure  de  son 
mari  Romain  Diogène  (1068)  également  cachée  sous  une  tu- 
nique talaire  ' . 

CH.    DE   LINAS. 

{La  suite  au  prochain  numéro.) 


valait  mieux  traduire  ainsi  :  «  Aquilas  auro  textas  in  campo  coccineo.  n  La 
mentiion,  faite  par  Nicéphore  Grégoras  (iv,  1)  des  souliers  du  Sébastocrator, 
«  OTi  £V  Toïç  xuavoïç  TreotÀoi;  xa\  /puffoucfrElç  «Ùtw  £v-/]p^ad^ovTO  àsTOi.  »,  porte 
à  croiie  que  les  aigles  étaient  brodées  et  non  tissées.  ('Evapaô^co,  j'adapte, 
arrange,  ajuste.) —  Codin,  loc.  cit.,  23  et  iv,  A  et  5.  Dans  leurs  souliers,  le 
Despote,  le  Sébastocrator  et  le  César  avaient  des  xocXt^oîi,  caligœ  ;  ce  vête- 
ment sera  expliqué  plus  loin. 

*  Mss.510  Bibl.  imp.;  Arts  sompt.  i,  pi.  32, — Gom ,  Thés .,  vei.  dipt. ,  ni,  1. 


HISTOIRE  DE  S.  JACQUES  LE  MAJEUR 
et  du  Pèlerinage  de  Compostelle- 


SIXIKMK    AUTICLK 


CHAPITRE  VU 

INVENTION    DES   RELIQUES   DE    SAINT  JACQUES. 

C'était  en  812.  Le  pape  saint  Léon  III  gouvernait  l'E- 
glise, Charlemagne  régnait  en  Occident,  pendant  qu'un  autre 
roi,  Alphonse  II,  édifiait  son  peuple  dans  le  petit  royaume 
de  Léon  et  des  Asturies.  L'Eglise  et  l'histoire  ont  surnommé 
ce  dernier  le  Chaste^  et  le  Ciel  a  voulu  récompenser  ses  ver- 
tus par  une  faveur  miraculeuse,  casta  placent  superis  * .  C'est 
sous  le  règne  de  ce  prince,  que  Dieu  daigna  révéler  le  tom- 
beau de  saint  Jacques  :  quelques  personnes  de  distinction 
avertirent  Théodomir,  évêque  d'Iria-Flavia,  qu'au-dessus  de 
ia  forêt  qui  cachait  depuis  longtemps  le  tombeau  de  l'Apôtre, 


*  Voir  le  numéio  de  septembre,  p.  500. 

'  Albii  Tibclu  Elegiarum.  lib.  11,  eleg.  i,  v.  13,  edit.  Lemaire. 


540  l'Èl-LULNAGIi    LiK    COAU'OSTELLE . 

elles  avaient  aperçu  imitammeiit  plusieurs  lumières  et  en- 
tendu des  concerts  angéliques.  Le  vénérable  prélat  se  trans- 
porte sur  les  lieux  et  distingue  les  mêmes  phénomènes;  il 
s'approche  et  découvre  au  milieu  des  ronces  le  tombeau  de 
saint  Jacques  sous  une  arcade  de  marbre.  La  joie  inonde  son 
âme,  il  court,  il  va  tout  racouter  à  Alphonse  le  Chaste;  le 
roi  partage  son  allégresse  et  vient  constater  par  lui-même  le 
grand  événement  ;  il  bâtit  une  église  sur  le  tombeau  du 
saint  et  transporte  à  Libre-Don  ,  avec  l'autorisation  du 
Pape  ,  la  résidence  des  évêques  d'Iria-Flavia. 

Le  tombeau  était  resté  intact  sous  son  toit  d'épines,  et  les 
reliques  qu'il  contenait  n'avaient  été  ni  outragées,  ni  muti- 
lées ;  Théodomir  y  trouva  le  corps  entier  du  saint  avec  la  tête 
à  part.  Le  bâton  de  voyage  du  saint  était  à  côté  du  corps.  Ce 
bâton  ou  boui'don  se  voit  encore  aujourd'hui,  à  quelques  pas 
du  tombeau.  11  est  enfermé  dans  un  étui  de  métal,  ouvert  à 
la  base,  afin  que  les  fidèles  puissent  le  toucher.  En  1 8o0, 
on  m'a  montré ,  dans  la  fameuse  cathédrale  de  Saint- 
Janvier,  à  Naples,  le  bâton  de  saint  Pierre.  La  sainte 
Eglise  aime  à  honorer  tout  ce  qui  a  appartenu  à  ses  fonda- 
teurs. Un  bâton  était  toute  leur  fortune.  Ces  sublimes  in- 
sensés comptaient  sur  l'appui  de  Dieu  pour  soumettre  les 
peuples  à  leur  houlette  pastorale. 

La  sainte  Eglise  romaine  ne  fête  que  deux  i?iventions, 
celle  de  la  sainte  Croix,  au  5  mai,  qui  eut  lieu  en  326,  et 
celle  de  saint  Etienne,  protomartyr,  au  5  août,  qui  eut  lieu 
en  415.  Beaucoup  moins  ancienne  que  ces  deux  inventions 
authentiques,  celle  de  l'Apôtre  protomartyr  ne  se  présente 
pas  à  nous  avec  le  même  caractère  de  certitude,  puisqu'elle 
n'entre  point  dans  le  cycle  liturgique;  mais  elle  est  revêtue 
de  toutes  les  conditions  qui  font  accepter  un  fait  historique  : 
elle  a  en  effet  pour  garant  la  sincérité  et  les  vertus  d'un  roi 


l'ÈLEHlNAGli    DE  COMTOSTELLE.  oil 

et  {l'un  évoque,  à  qui  hi  postérité  n'a  décerné  que  des 
louanges;  l'autorité  d'un  Pape,  aussi  prudent  qu'il  était 
saint,  et  celle  d'autres  papes  qui  afFi-ancliirent  l'église  de 
Libre -Don  de  la  suprématie  de  toute  autre  église,  en  la  pla- 
çant sous  la  juridiction  iunnédiate  du  Saint-Siège,  par  une 
raison  unique,  toujours  répétée  dans  les  mômes  termes,  c'est 
qu'elle  est  eu  possession  du  corps  de  l'apôtre  saint  Jacques  : 
"  Porqiœ  cl  glorioso  cuerpo  de!  apostol  Santiago  dcscansa  en 
ellaj  »  enfin,  la  tradition  universelle,  constante  de  l'Es- 
pagne et  de  l'univers  clirétien,  confirmée  par  la  dévotion  de 
toutes  les  classes  de  la  société  et  parle  Ciel  lui-même  qui  se 
prononce  au  moyen  des  prodiges,  discutée  et  prouvée  par  les 
historiens  les  plus  graves,  en  particulier  par  l'auteur  der///.s- 
toire   de  CompostcHe ,  si   souvent  citée  dans  Florez. 

Une  autre  preuve  non  moins  démonstrative  se  déduit  du 
théâtre  même  de  l'événement  et  du  changement  de  nom  qui 
en  fut  la  conséquence.  Libre-Don,  surnonnné  d'abord  Lioi- 
Saint^Liigar-Santo,  s'appelle  encore  aujourd'hui  le  Champ-de- 
rÉloile;  une  ville  naquit  autour  du  tombeau  et  emprunta  à 
ce  champ  le  nom  qu'elle  porte  encore. 

Les  érudits  ont  beaucoup  discuté  sur  l'étymologie  de  Com- 
postelle.  On  trouve  dans  Florez  '  l'exposé  des  opinions  qui 
ont  été  agitées  sur  cette  question.  La  première  a  tellement 
torturé  les  mots  pour  en  extraire  une  étymologie  un  peu 
vraisemblable,  que  j'ose  à  peine  la  rapporter.  Les  défen- 
seurs de  cette  opinion,  s'appuyant  sur  Hardouin  et  Lsaac 
Vossius,  veulent  faire  croire  que  les  mots  latins  Jacobus  apos- 
tolus  ont  été  transformés  successivement  en  Jacobo  apos- 
tolo^  ou  Mac  apostol^  ou  Giacomo  Postolo^  ou  Jacomo  apostolo, 
dont  on  aurait  formé  par   contraction  le  terme   de  Com- 

'   Espana  Sayrada,  tuino  xiv,  p.  09,  74. 


54â  PÈLERINAGE   DE    COMPOSTELLE. 

postellc.  Pourquoi  ont -ils  oublié  que  la  langue  du  Cid 
a  toujours  appelé  saint  Jacques  Santiago  et  jamais  Giacomo^ 
ni  Jacomo,  ni  Jiac?  Le  nom  de  l'Apôtre  n'a  donc  pu  engen- 
drer celui  de  Compostelle. 

La  seconde  opinion  force  le  sens  d'un  mot  ])our  justifier 
l'étymologie  qu'elle  a  inventée.  Elle  fait  dériver  Compostelle 
de  Compote  Stella,  qu'on  est  obligé  de  traduire  :  étoile  de  bon 
augure;  mais  l'adjectif  latin  compos  ne  peut  se  plier  à  cette 
signification. 

La  troisième  opinion,  qui  est  la  i)lus  naturelle  et  la  plus 
commune,  est  aussi  la  plus  favorable  à  notre  cause.  Avec  les 
deux  mots  Campus  stellœ,  Champ  de  VEtoile,  elle  compose 
sans  eiFort  et  sans  altération  notable  le  nom  de  Compostelle , 
Champ  de  V Étoile  ' .  Une  étoile  avait  conduit  les  Mages  au 
berceau  du  Messie  ;  une  autre  étoile  a  plané  sur  le  tombeau 
d'un  Apôtre  pour  le  révéler  au  monde  chrétien.  Il  n'est  pas 
étrange  qu'à  une  époque  où  la  langue  latine  était  encore  par- 
lée par  le  peuple  dans  l'Europe  chrétienne,  on  ait  réuni  les 
noms  latins  de  l'étoile  miraculeuse  et  du  champ  qu'elle  avait 
éclairé,  pour  en  faire  uif  nom  unique  qui  devait  perpétuer  le 
souvenir  de  l'événement.  Quand  même  la  tradition  serait 
muette  sur  cette  question;  quand  même  l'histoire^  qui  enre- 
gistre les  faits  d'un  ordre  surnaturel,  quand  ils  tombent  sous 
les  sens,  aurait  oublié  de  mentionner  celui-ci,  le  nom  seul 
de  Compostelle  serait  un  argument  difficile  à  combattre. 

Ce  nom  a  fait  oublier  les  précédents  et  a  prévalu  exclusi- 
vement à  partir  du  XIP  siècle.  Les  Français  disent  indiffé- 
remment Compostelle  ou  Saint-Jacques  de  Compostelle;  mais 
les  Espagnols,  qui  ont  longtemps  possédé  l'Amérique  et  qui 

*  Lucis  evangelicœ ,  sub  vélum  sacrorum.  emhlematum ,  reconditcn;  hoc  est 
céleste  panthéon,  sive  cœlum  novum  infesta  et  fjesta  sanctorum.  Per  R.  P, 
Heniicum  Engclgrave,  S- J.  Antverpiaî,  1658,  t.  ii,  p.  51. 


riCLKHINAGE    DE    COMToSTELLE.  543 

ont  profité  (le  leur  domination  pour  imposer  h  plusieurs  villes 
du  Nouveau-JMonde  le  nom  de  Saint-Jacques  de  Compostelle , 
dans  le  but  d'y  propager  le  culte  du  grand  Apôtre,  distin- 
guent par  l'addition  du  ntim  de  la  province  la  ville  de  Comyo- 
stelle  ou  de  Santiago  qu'ils  veulent  désigner.  Celle  qui  nous 
occupe  est  ordinairement  a[)pelée  par  eux  Santiago  de  Galicia. 

La  chrétienté  apprit  avec  allégresse  ce  qui  venait  de  se 
passer  au  fond  de  l'Espagne  ;  la  relation  de  Théodomir  cou- 
rut dans  les  villes  et  les  villages  et  excita  un  enthousiasme 
qui  n'a  été  surpassé  que  par  celui  des  Croisades.  Le  Ciel, 
conséquent  avec  lui-même,  encouragea  par  des  guérisons  mi- 
raculeuses l'ardeur  qui  porta  les  populations  vers  le  tombeau 
du  saint.  Le  monument  avait  à  peine  secoué  le  linceul  de 
broussailles  qui  le  couvrait,  qu'il  avait  déjà  repris  un  air  de 
vie  et  de  magnificence. 

Un  prodige,  dont  toute  l'Europe  retentit,  mit  le  comble  à 
l'enthousiasme  universel  ;  le  peuple,  toujours  ami  du  mer- 
veilleux, ne  put  contenir  plus  longtemps  l'impérieux  besoin 
d'émotions  qui  l'attirait  à  Compostelle. 

Nous  devons  le  récit  de  ce  prodige  au  célèbre  Jean  Tur- 
pin,  archevêque  de  Reims,  compagnon  de  voyage  de  Cîharle- 
magne  en  Espagne  et  auteur  de  la  vie  de  ce  prince  et  de 
celle  de  Roland.  Il  nous  suffit  de  traduire  :  «  Charles  avait 
«  épuisé  ses  forces  aux  guerres  si  longues  et  si  pénibles 
«  qu'il  avait  dû  entreprendre;  il  soupirait  après  le  repos.  11 
«  aperçoit  tout  à  coup  dans  le  ciel  un  chemin  d'étoiles  cora- 
«  mençant  à  la  merde  Frise,  courant  entre  le  pays  des  Teu- 
n  tons,  l'Italie  et  la  Gaule,  et  suivant  en  ligne  droite  l'A- 
«  quitaine,  à  travers  la  Gascogne,  le  pays  Basque  [Basdam)^ 
«  la  Navarre  et  l'Espagne  jusqu'à  la  Galice.  Le  phénomène 
«  se  renouvelant  chaque  nuit,  Charles  en  médite  la  signifi- 
«   cation.  Préoccupé^  ^gité,  il  voit  en  songe  un  héros  d'une 


l'ELERINAGE    DE    COJirOSTELLE. 


beauté  extraordinaire  :  —  Que  dis-tu,  mon  fils?  demande 
le  héros.  —  Qui  êtes-vous  ?  répond  Charles.  —  Je  suis 
Jacques  l'apôtre,  disciple  du  Christ,  fils  de  Zébédée^  frère 
de  Jean  l'Evangéliste;  j'ai  été  martyrisé  par  Hérode;  mon 
corps  repose  en  Galice,  où  les  Sarrasins  oppriment  les 
chrétiens;  tu  es  le  plus  brave  et  le  plus  puissant  des  sou- 
verains; va,  délivre  la  Galice  des  mains  de  ces  Moabites. 
Le  chemin  d'étoiles  que  tu  as  vu  briller  dans  le  ciel,  si- 
gnifie qu'avec  la  nombreuse  armée  qui,  sous  tes  ordres, 
terrassera  cette  perfide  race  de  païens  et  rendra  sûre  la 
route  qui  conduit  à  mon  église  et  à  mon  tombeau,  tu  dois 
aller  en  Galice;  donne  cet  exemple  à  tous  les  peuples 
qui  viendront  auprès  de  mon  tombeau  solliciter  le  par- 
don de  leurs  fautes  et  chanter  les  louanges  du  Très-Haut. 
Pars  sans  retard,  je  serai  ton  protecteur  dans  le  danger; 
j'obtiendrai  pour  toi,  à  cause  de  tes  travaux,  une  cou- 
ronne dans  les  cieux,  et  ton  nom  sera  célèbre  jusqu'à  la 
fin  des  âges. 

«  Ainsi  parla  l'Apôtre.  Charles  crut  h  la  promesse  qui  lui 
était  faite,  rassembla  ses  armées  et  partit  pour  aller  com- 
battre les  Sarrasins.  Il  leur  enleva  Pampelune,  visita  le 
tombeau  de  saint  Jacques,  poursuivit  sa   course  jusqu'à 
Iria-Flavia  et  jusqu'aux  bords  de  la  mer,  où  il  planta  sa 
lance,  rendant  grâces  à  Dieu  et  à  son  Apôtre.  A  son  re- 
tour, il  bâtit  à  Paris  l'église  de  Saint-Jacques,  entre  la 
Seine  et  le  Mont  des  Martyrs  .  '  » 
Je  trouve   dans   ce  passage  l'origine   d'une  appellation 
qui  prouve  combien  cette  légende  s'accrédita  parmi  le  peuple; 
les  astronomes  appellent  Voie   Lactée  {via  Lactea)   une  im- 
mense zone  lumineuse,  blanchâtre  comme  du  lait,  irrégulière, 

'  .JonANNKS  TuRPiWDS,  (le.  Vifa  Caroli,  Magni  et  Rolnndi.  Francofurti  ap^ 
Ma'num,  1566,  cap   ii,  nr,  v. 


l'iaEiiiNAGE  ni:;  (.OMi'OSTi:i.Li:.  5i5 

qui  coupe  l'écliptique  vers  les  deux  solstices,  et  dont  l'appa- 
rition dans  une  nuit  sereine  pronostique  le  beau  temps.  Se- 
lon la  mythologie,  cette  espèce  de  ceinture  céleste  reçut  son 
nom  d'une  goutte  de  lait  que  Junon  répandit  lorsqu'elle  re- 
poussa Hercule,  que  Jupiter  avait  approché  d'elle  pour  lui 
donner  l'immortalité.  Mais  les  mythologues  et  les  savants 
réunis  n'ont  pu  faire  accepter  aux  pauvres  (Vespril  ce  nom 
païen.  Saint  Jacques  a  détrôné  la  reine  des  dieux,  et  le  bril- 
lant météore  dans  lequel  il  apparut  à  Charlemagne  pour  lui 
désigner  l'endroit  de  l'Ibérie  où  reposaient  ses  reliques,  a 
été  et  est  encore  appelé  par  le  vulgaire  chemin  de  Sainl- 
Jacqiws. 

L'histoire  profane,  à  part  l'ouvrage  de  Turpin,  parle  peu 
du  voyage  de  Charlemagne  en  Galice;  mais  l'art  chrétien, 
complément  de  l'histoire,  en  a  reproduit  les  détails  et  les 
heureux  résultats  dans  un  magnifique  vitrail  de  la  cathédrale 
de  Chartres. 

J'ai  dit  que  Vlnve^itioii  des  reliques  de  saint  Jacques 
eut  lieu  l'an  812.  Charlemagne,  qui  mourut  en  814,  est 
donc  un  des  premiers  monarques  et  des  premiers  fidèles  qui 
soient  allés  prier  en  Galice  depuis  cet  événement  providen- 
tiel'. Il  appartenait  à  un  prince  si  chrétien,  si  magnanime, 
d'ouvrir  la  liste  des  rois-pèlen'ns  et  d'inaugurer,  avant  de 
terminer  sa  laborieuse  carrière,  cette  sainte  coutume  des  pè- 

'  Les  Bordelais  se  trompent  quand  ils  affirment  sans  preuve  que  saint 
Mommolin  arrivait  de  Compostelle  quand  il  mourut,  dans  leur  ville,  au  mo- 
nastère de  Sainte-Croix.  Ce  saint  abbé,  dont  l'église  du  même  nom  conserve 
les  reliques,  mourut  au  VII«  ou  au  plus  tard  au  VIII"  siècle.  Il  ne  put  donc 
vénérer  un  tombeau  qui  n'était  pas  encore  découvert  et  dont  on  connaissait  à 
peine  l'existence  dans  les  Gaules.  Ayant  partagé  l'erreur  commune  dans  mon 
petit  livre  sur  saint  Mommolin,  j'avoue  aujourd'hui  sans  détour  que  je  me  suis 
trompé,  et  je  reconnais  que  le  prétendu  pèlerinage  du  pieux  Bénédictin  n'est 
qu'une  fiction  dénuée  de  tout  fondement. 


o4G  rÈI.EiilNAGE    DE    COMPOSTELLE. 

leriiiages  qui  devait  bientôt  entrer  si  profondément  dans  les 
mœurs  sociales.  Un  bréviaire  allemand,  cité  par  dom  Gué- 
ranger,  confirme  l'expédition  du  grand  roi  en  Galice  et  sa 
dévotion  envers  saint  Jacques  :  «  Guasconiam,  Hispîiniam 
«  atque  Galœciam  ab  idolatris  expugnavit,  ac  sepulcrum 
«  sancti  Jacobi  hodienio  lionoi'i  restituit  ' .  »  Il  ne  faut  donc 
pas  s'étonner  que  ce  prince,  honoré  comme  Bienheureux  par 
de  nombreuses  églises,  ait  été  inhumé  à  Aix-la-Chapelle 
avec  l'escarcelle,  un  des  attributs  des  pèlerins. 

Tous  les  échos  du  monde  chrétien  retentirent  des  mer- 
veilles qui  s'opéraient  en  Galice  par  la  main  de  Dieu  et  l'in- 
tercession de  saint  Jacques.  Les  pèlerins,  de  retour  dans 
leur  pays,  racontaient  leurs  impressions  et  popularisaient 
par  leur  enthousiasme  le  culte  du  fils  de  Zébédée.  Les  églises 
ambitionnèrent  quelque  parcelle  de  ses  reliques  ;  quelques- 
unes  en  obtinrent:  Toulouse,  Arras,  Liège,  Venise,  Pistoie. 
J'en  ai  vénéré  un  fragment  dans  l'incomparable  cathédrale 
de  Burgos.  La  tête  de  saint  Jacques  a  eu  le  môme  sort  que 
celle  de  saint  Jean-Baptiste  ;  elle  s'est  multipliée  sous  la 
plume  de  quelques  écrivains  irréfléchis  qui  ont  pris  la  partie 
pour  le  tout,  ou  qui  ont  confondu  saint  Jacques  le  Majeur 
avec  saint  Jacques  le  Mineur.  Le  célèbre  Allemand  Hurter 
a  écrit  sur  cette  question  quelques  lignes  qui  ne  sont  pas  ir- 
réprochables'. 

J.-B.    TARDIAC. 

[La  suite  au  inochaln  ninnéru) 

'  Année  liturgique.  Le  temps  du  Noël,  2»  partie,  p.  500. 

-  Tableau  des  institutions  et  des  mœurs  de  l'Eglise  au  moyen  âge,  otc,  par 
Frédéric  Hurter  ;  traduit  de  l'allemand  par  Jean  Cohen,  Paris,  1843,  t.  3, 
p.  337. 


TOMBEAU  DE  WALERAM  III 


DUC  DE  LIMBOURG, 


à  l  église  de  Rolduc,  près  d' Aix-la-Chapelle. 


L'église  de  l'abbaye  de  llolduc  possède  le  tombeau  de 
Waleram  III,  duc  de  Limbourg,  qui  est  enterré  au  milieu  de 
la  grande  nef  de  l'église,  devant  le  chœur.  La  statue  en 
pied,  en  pierre  de  taille,  sculptée  en  1689,  représente  Wa- 
leram couvert  de  son  armure,  casque  en  tête,  les  deux  mains 
en  croix  sur  la  poitrine. 

L'ancien  tombeau  qui  fut  renversé  par  les  iconoclastes 
était  en  pierre  de  sable  et  reposait  sur  des  colonnettes.  Le 
sculpteur  qui,  en  Î689,  renouvela  le  monument,  soit  qu'un 
bon  modèle  lui  ait  manqué,  soit  qu'il  ait  suivi  son  goût  par- 
ticulier, a  revêtu  le  vaillant  guerrier  limbourgeois  d'une 
armure  qui  date  d'un  temps  bien  postérieur  à  son  siècle. 

Ce  tombeau  est  un  précieux  souvenir  des  anciens  ducs  de 
Limbourg  ;  c'est  le  seul  de  cette  dimension  qui  rappelle  à  la 
postérité,  dans  le  duché  actuel,  cette  vaillante  race  de  guer- 
riers qui  prirent  une  part  active  aux  guerres  des  croisades. 


518  TOMBEAU    DE    WALERAM   III. 

Waleram  mourut  entre  le  25  mai  et  le  2  juillet  de  l'année 
1226.  Son  monument,    qui  est  couvert  d'un  treillage    en 


Tombeau  de  Walcram  III. 


cuivre  jaune^  est  entouré  de  l'inscription  suivante  qui  est 
incrustée  en  caractères  de  cuivre  : 


ISTE  FUIT  TALIS  VIRTUTIBUS,  IMPERIALIS  MAJESTAS  SIMILEM  NESCIVIT 
IIABERE  l'ER  ORBEM  LlMBORGlI  DTIX,  ARCHOS  ARLO.V  COilES  IN  LUCELIMBORG 
WALRAMUS  DlCTfJS,    DU.X    HENRICUS    PATER   EJUS. 

Obilt  1226. 

A.  SCHAEPKENS. 


BIBLIOGRAPHIE 


TRAITÉ  DE  LA  RÉPARATION  DES  ÉGLISES  ;  principes  d'archéologie 
pratique,  par  Raymond  Boiideaux.  Paris,  Juhry,  1862,  in-Q^  de  400pa(jes, 
avec  90  figures  intercalées  dans  le  texte  '. 

Cet  ouvrage  est  la  seconde  édition  d'un  livre  paru  en  1832  sons 
le  litre  un  peu  long  de  :  Principes  d'arc/iéologie  pratique  appliqués  à 
l'entretien,  la  décoration  et  l' ameublement  c^^tistique  des  églises.  C'est 
un  excellent  Manuel  qui  devrait  être  cnire  les  mains  de  tous  les 
architectes  et  de  tous  les  ecclésiastiques.  Plus  que  jamais  on 
restaure  les  églises,  et  plus  que  jamais  aussi,  le  vandalisme  est  à 
Tordre  du  jour.  On  ne  se  borne  pas  à  altérer  l'architecture  des  mo- 
numents par  des  additions  malencontreuses,  on  détruit  sous  pré- 
texte de  restaurer.  Certains  architectes  encouragent  cette  manie  de 
reconstruction  au  nom  même  de  l'archéologie.  On  rêve  pour  les 
églises  une  complète  unité  de  style  ;  et  on  démolit,  dans  un  monu- 
ment roman,  les  adjonctions  des  époques  ogivales  pour  les  rem- 
placer trop  souvent  par  de  mauvais  pastiches.  Les  hommes  de 
goût  ont  beau  protester  :  les  architectes  officiels  sont  omnipotents 
et  ne  prennent  aucun  souci  de  l'opinion  publique.  L'ouvrage  de 
M.  R.  Bordeaux  est  de  nature  à  éclairer  le  clergé  sur  les  funestes 
conseils  qu'on  lui  donne  pour  de  faux  embellissements  et  des  ré- 
parations destructives. 

'  L'édition  in-S",  de  7  fr.,  et  l'édition  in-lb  de  4  fr.,  sont  en  vente,  à  Pa- 
ris, chez  Aubry,  rue  Dauphine,  6-,  Deiache,  rue  du  Bouloy,  7  ;  Durand,  rue 
des  Grès,  7  ;  Dumoulin,  quai  des  Grands-Augustins,  13,  et  à  Bruxelles,  chez 
Decq. 


530  '  UUiLlOtillAl'llIE 

Est-ce  a  dire  que  nuus  considérons  loules  les  opinions  de  l'au- 
teur comme  incontestables?  Assurément,  non.  Dans  les  apprécia- 
tions qui  dépendent  du  goût,  il  doit  y  avoir  quelques  divergences, 
même  entre  ceux  qui  se  trouvent  d'accord  sur  les  points  principaux. 
Nous  en  trouvons  nne  preuve  dans  la  note  de  la  page  336,  où 
M,  Bordeaux  s'exprime  en  ces  termes  : 

M  J'ai  vu  avec  regret  la  Revue  de  iArt  chrétien  publier  sans  au- 
cune observation  ni  restriction  les  ligues  suivantes  signées  de 
M.  Scliayes,  écrivain  parfois  trop  partisan  des  églises  remises  à 
neuf  et  du  gothique  en  fonte  de  fer  :  «  En  débarrassant  la  belle  et 
«  colossale  statue  de  la  sainte  Vierge,  sculptée  en  1457,  des  ori- 
«  peaux  en  soie  et  dentelles  dont,  depuis  la  domination  espagnole, 
«  une  dévotion  peu  éclairée  a  coutume  d'afïubler  toutes  les  images 
«  de  la  Mère  du  Sauveur,  le  respectable  curé-doyen  de  Saiut- 
«  Pierre  (à  Louvain)  a  fait  preuve  de  bon  goût,  et,  bravant,  non 
«  sans  de  vives  réclamations,  un  préjugé  populaire,  il  a  donné  un 
u  exemple  que  devraient  s'empresser  de  suivre  tous  ses  confrères.  » 
[Revue  de  l'Art  chrétien,  t.  i,  p.  312.)  C'est  sans  doute  un  abus  de 
parer  ainsi  toutes  les  statues  de  la  Vierge,  mais  avant  de  suivre  le 
conseil  trop  radical  de  M.  Schayes,  les  ecclésiastiques  qui  seraient 
tentés  de  suivre  l'exemple  donné  à  Louvain  feront  bien  de  lire  une 
courte  mais  savante  note  sur  les  vêtements  d'étoffe  donnés  à  certaines 
statues  de  la  sainte  Vierge,  note  où  M.  Charles  Desmoulins  a  traité 
cette  question  d'une  façon  péremptoire.  » 

J'ai  lu  Tintéressante  Notice  de  M.  Desmoulins;  elle  prouve  sim- 
plement que  l'usage  de  vêtir  les  vierges  est  d'origine  méridionale 
et  qu'elle  pénétra  en  France  vers  le  commencement  du  XV«  siècle. 
Quelle  que  soit  l'antiquité  de  cet  abus,  je  ne  l'en  trouve  pas  moins 
déplorable,  au  point  de  vue  de  l'art.  Tout  n'est  pas  à  louer  dans  le 
Moyen  Age,  ni  surtout  à  imiter.  Je  comprends  qu'un  curé  respecte 
d'anciennes  traditions,  par  mesure  de  prudence  et  pour  ne  pas 
froisser  les  préjugés  de  ses  paroissiens;  mais  je  Tapprouverai,  s'il 
peut  parvenir  à  modifier  l'opinion  populaire  et  à  supprimer  sans 
danger  pour  la  piété  les  toilettes  mondaines  des  statues.  Je  ne  re- 
gretterai nullement  de  ne  plus  voir  dans  les  églises  d'Espagne  et 
d'Italie,  saint  Joseph  en  manteau  de  brigand,  avec  un  feutre  ga- 
lonné sur  la  tôle,  saint  Michel  en  costume  de  chasse,  saint  Jacques 
en  habit  de  paladin,  la  Vierge  en  robe  de  bal. 


l!lltLIU(;itAl'lllK.  5;>l 

J'ajouterai  que  quand  bien  même  je  n'aurais  pas  partagé  l'o- 
pinion de  M.  Scbayes,  je  n'en  aurais  pas  moins  publié  son  ar- 
ticle sans  observation  ni  restriction.  Plus  d'une  fois  dans  le  cours  de 
la  Revue,  j'ai  déclaré  que  je  voulais  laisser  à  cbaque  collaboraleur 
la  responsabilité  toute  entière  de  ses  appréciations.  Le  système  des 
notes  de  la  direction  me  paraît  avoir  de  très-graves  inconvénients, 
et  je  n'y  aurai  jamais  recours. 

M.  R.  Bordeaux  me  permettra  de  lui  signaler  une  petite  inexac- 
titude relative  à  une  autre  citation  do  la  Revue  de  l'Art  Chrétien. 
A  la  fin  du  cbapilre  VP,  il  se  plaint  de  ce  que  plusieurs  des  idées 
qu'il  a  développées  ont  été  résumées  dans  un  article  reproduit  par 
la  Revue  de  l'Art  Chrétien,  sans  que  la  véritable  source  de  ces  em- 
prunts ait  été  indiquée.  11  ajoute  :  «  La  Revue  de  l'Art  Chrétien  dé- 
clare, au  reste,  avoir  emprunté  cet  article  à  V Univers  qui  lui-même 
en  fait  honneur  à  la  Revue  de  la  Bretagne  et  de  la  Vendée.  »  C'est  de 
ce  dernier  recueil  que  nous  avons  extrait  directement  cet  article  de 
chronique  et  non  point  de  VCnivers  que  nous  n'avons  pas  même 
nommé.  L'article  commence  ainsi  (tome  IV,  page  109)  :  «Nous  em- 
pruntons à  la  Revue  de  la  Bretagne  et  de  la  Vendée  un  article  très-re- 
marquable de  M.  Paul  de  Gourcy  sur  la  restauration  des  églises.  » 
Il  nous  semble  que  M.  R.  Bordeaux  devait  interpeller  uniquement 
M.  Paul  de  Gourcy  et  la  Revue  de  Bretagne,  et  que  la  Revue  de  l'Art 
Chrétien,  simple  reproductrice  et  citant  sa  source,  ne  devait  pas 
apparaître  en  première  ligne  dans  cette  réclamation  dont  nous  re- 
connaissons d'ailleurs  toute  la  justice. 

M.  R.  Bordeaux  a  eu  l'excellente  idée  de  faire  exécuter  deux  ti- 
rages, l'un  in-8°,  au  prix  de  7  fr.,et  l'autre  in-18,  qui  ne  coûte  que 
4  fr.,  en  faveur  du  clergé  rural.  Nous  recommandons  très-vivement 
cette  excellente  publication,  qui  n'a  point  d'analogue;  elle  est  des- 
tinée à  rendre  d'immenses  services  à  l'archéologie  pratique. 

J.    GORBLET. 

MÉMOIRES   DE   LA   SOCIÉTÉ  DES   ANTIQUAIRES  DE  LONDRES, 
tomes  XXXV  et  xxxvi. 

MINIATURES.  —  Une  miniature  du  XIII^  siècle  reproduit  un  su- 
jet assez  fréquent  au  moyen-âge,  «  la  Roue  de  la  vie  humaine.  » 
M.  Jones  la  décrit  et  l'explique.  Au  centre  Jésus-Ghrist  dit  :  Cunctu 


htrl  blBLlOGRAlMllE. 

simul  cerna:  iot U7n  7Ydionc  guberno  :  Knx.  qniûre  anglos,  les  quatre 
âges  de  lu  vie  :  l'enfance,  infantia,  s'appuie  sur  une  main  essayant 
à  se  lever  et  tendant  l'autre  pour  qu'on  lui  aide  :  la  jeunesse, 
inventus,  est  un  roi  couronné,  assis,  le  sceptre  en  main;  la  vieil- 
leese  regarde  en  arrière  et  s'appuie  sur  un  bâton,  senectus  ;  enfin, 
la  décrépitude^  decrepitus,  gît  couchée  et  soutfreteuse,  h  peine 
enveloppée  dans  un  manteau  trop  étroit. 

Du  Gluist,  moyeu  de  cette  roue  humaine,  partent  des  rais  ou 
rayons  qui  aboutissent  chacun  à  un  médaillon  entouré  de  sa  légende. 

En  bas,  une  mère  tient  son  enfant  sur  ses  genoux,  devant  un  feu 
pétillant,  où  chauffe  dans  un  pot  à  trois  pieds  le  repas  léger  du 
nouveau-né  :  Mitis  sum  et  humilis  :  lacté  vivo  puro. 

La  petite  fille  a  grandi  et  est  devenue  coquette;  elle  soigne  sa 
chevelure  et  se  regarde  au  miroir  :  Nunquam  ero  labilis,  etatem 
mensuro. 

Un  enfant  pèse  :  les  plateaux  de  sa  balance  sont  égaux  :  Uito  decens 
seculi  speculo  probatur.  Tl  y  a  entre  cesdeux  dernières  légendes  une 
inversion  facile  à  rectifier. 

Le  jeune  homme  ne  songe  qu'au  plaisir  de  la  vie:  il  part  à  che- 
val pour  la  chasse,  le  faucon  au  poing:  Non  ymago  speculi:  sed  uita 
letatur. 

La  roue  a  tourné  :  au  haut,  c'est  le  roi  assis  qui  juge  et  gou- 
verne :  Rex  sum,  rego  seculum  :  mundus  meus  totus. 

La  roue  commence  à  redescendre  ;  le  vieillard  se  retourne  pour 
voir  le  long  chemin  qu'il  a  parcouru;  il  est  coitfé  d'un  capuchon, 
parce  que  déjà  sa  tête  est  dégarnie,  et  il  lui  faut  un  bâton  pour 
soutenir  ses  forces  afiaiblies  :  Sunio  michi  baculum  :  morti  fere  notus. 

Le  grand-père  s'appuie  sur  l'épaule  de  son  petit-fils  qui  s'impa- 
tiente de  tant  de  retard  et  tire  le  vieillard  par  son  bâton  pour  le 
faire  marcher  plus  vite  :  Dacrepitati  deditus  :  mors  erit  michi  esse. 

Malade,  le  vieillard  dort  dans  un  lit  ;  sa  femme  lui  apporte  une 
potion  :  Jnfirmitati  deditus  :  incipio  déesse. 

Mort,  il  est  porté  à  l'église,  quatre  cierges  brûlent  aux  coins  de  sa 
bière,  et  un  prêtre  lui  récite  les  dernières  prières  :  Putavi  quod 
viverem  :  uita  me  decepit. 

Encore  un  tour  et  la  roue  aura  rapproché  la  tombe  du  berceau  • 
Uersus  sum  in  cinerem:  uita  me  decepit. 


iiilii,iuGi;Ai'iliK,  «,";.■{ 

sÉPULTUiiE.  —  M.  Wylic  s'occupe  des  usages  funèbres,  et  cite  des 
croix  troav(;es  dans  des  lombes^  dr.  genre  de  celles  (léconverlcs  par 
i\l.  l'abbé  Cochet. 

CORI'ORATION  DES  ARCHERS.  —  Saint  Sébastien  fut,  à  cause  de  son 
martyre  par  les  ilècbes,  le  patron  de  la  corporation  des  archers 
h  Bruges,  à  Pnris*,  i\  Amiens '^  etc.  Voici  une  in?cri[iliondel6aO  qui 
mentionne  le  don  de  3,600  llorins  fait  par  Menri,  duc  de  Glocester, 
frère  de  Cliarles  11,  lorsqu'il  prit  rang  parai  les  archers  de  Saint- 
Sébastien  de  Bruges: 

HENRIGVS   GLOCESTRIjE   DUX   CAROLI   II    ANGLI^   REGIS   FRATER 
HAG   XVIII   IVLIJ.    M.DC.LYI   NATVS   ANNOS   XVI 
ME   S.    SEBASTIANI    SODALITIO   PR^MIVM    FIXIT. 

ARCHITECTURE. — M.Parker  continue  ses  excursions  dans  l'ouest  de 
laFi-ance  et  explore  Gençay,  Angoulême,  Bordeaux  et  Saint-Émi- 
liou.  Savantes  et  substantielles  études  sur  une  terre  qui  ne  paraît 
mdlement  étrangère  à  l'archéologue  anglais. 

SIGILLOGRAPHIE.  —  ïrès-beau  sceau  ogival  de  la  fin  du  XIIl^  siècle. 
Le  sujet  est  la  Sainte-Trinité.  Le  Père  assis  sur  un  trône,  PATER, 
pieds  chaussés,  le  nimbe  crucifère  en  tête,  tient  la  croix  où  meurt 
son  Fils,  FiLivs,  dont  les  pieds  croisés  ne  sont  percés  que  d'un  seul 
clou.  Son  chef  est  couronné  d'épines  et  entouré  d'un  nimbe  uni; 
l'Esprit-Saint,  S.  SPS,  vole  vers  lui  sous  la  forme  d'une  colombe.  — 
Le  fond  est  un  ciel  où  brillent  les  astres  ;  en  exergue:  t  S'  8API- 
TULl.  SANCTE.  TRINITATIS.  D'BRECHIN. 

ORFÈVRERIE.  —  M.  Morgaii  signale  un  calice  émaillé  du  XV® 
siècle  ;  sur  chacune  des  six  faces  du  pied  est  gravé  le  monogramme 
de  Jésus,  IHS.  On  lit  sur  la  coupe,  on  gothique  carrée:  Calicem  sa- 
lutaris  accipiam  et  nomen  Domini  invocabo. 

Dom  Martène,  dans  son  Voyage  littéraire,  t.  m,  p.  234,  donne  le 
dessin  du  calice  de  saint  Ludger.  qui  vivait  au  VHP  siècle  ;  le  pied 
porte  :  t  HIC  CALIX  SANGUINIS  DNI  NPI  IHU  XPI  et  le  bord  de  la 
coupe  :  t  AGITUR  HAEC  SUMMUS  PER  POCLA  TRIUMPHUS. 

EPiGRAFHiE.  —  M.  Parker  parcourt  l'Aquitaine  en  archéologue  et 

•  Société  de  sphragistique ,  t.  m,  p.  345. 

*  Mém.  de  la  Soc.  des  Jnt.  de  Picardie,  année  18.56,  p.  ].39. 

TOMK    YI,  40. 


554  blBLIOGlUPllIE. 

décrit  les  églises  de  Langon,  de  Bazas,  d'Uzcslo,  d'Agcnelde 
Moissac.  Il  {oublie  un  fac-siuiilc  de  celle  inscription  du  cloître  de 
Moissac,  dont  les  quatre  dernières  lignes,  gravées  d'initiales,  sont 
encore  pour  lui,  comme  pour  les  plus  savants,  une  véritable 
énigme. 

ANNO.    AB.    INCARNA 

TIONE.    jETERNI 

PRINCIPIS,  MILLESIMO 

CENTEHJIO.  FACTViM 

EST.  CLAVSTRViM.  ISTVD 

TEMPORE. 

DOMNI. 

ANSQVITILH. 

ABBATIS. 

AMEN. 
V.    V.    V. 
M.    \).    M. 
R.    R.    R. 
F.    F.    F. 

Je  lui  cmpiuiilc  également  celle   antre   inscription  en  veis  qui 
fixe  hi  date  de  la  dédicace  de  l'église  de  Moissac  : 

IDIBVS.    OGTONIS.    DOMVS.    ISTA.    DICATA.    KOVEMBRIS. 

GAVDET.    PONTIFICKS.    IIOS.    CONVENISSE.   CELEBRES. 

AVXIVS  (AUCH).  OSTINDVM.  LACTORA  (LEGTOURE).  DEDIT.  RAIMVNDVM. 

GONVENA  (CGMMINGES).  WILELMVAI.  UIREXIT.   AGINNA  (AGEN).  WILELMVM. 

IVSSIT.  ET.  ERAGLIVM.  N  (nON)  DEESSE.  BEORUA  (BIGORRE).  BENIGNVM. 

ellorevs  (oléron).  stephanvm.  concessit.  et.  advra  (aire).petrvm. 
te.dvranne.  sw.  nrmqve.  tolosa  (toulouse).  patronvm. 

RESPVITVR.  FVLCO.  SIMONIS.  DANS.  IVRA.  GADVRCO  (gAUORS). 

MYRIADES.    LVSTRIS.    APPONENS.    TRES.    DVODENIS    (1063). 

VIRGINEVM.    PARTV.    DARAT.    ORBl.     TVNG.    VENERANDVM. 

RANG.    TIBI.    XPE.    DS.    REX.    INSTITVIT.    CLODOVEVS. 

AVXIT.    MVNIFICVS.    POST.    IIVNG.    D0NI3.    LVDOVIGVS. 

X.    BARBIER   DE   MONTAULT. 


UIliLIOGRAPHIE.  555 

MÉTHODE  ÉLÉMENTAIRE  DE  L'ACCOMPAGNEMENT  DU  PLAIN- 
CHANT  sur  l'orgue  transpositeur,  par  M.  l'abbé  Ph.  Moiun  et  M.  Em. 
Amiot.  Ouvrage  nouveau  approuvé  par  Mgr  l'Evêque  de  Dijon,  et  spécia- 
lement destiné  à  MM.  les  curés,  vicaires.  Instituteurs.  Troisième  édition 
augmentée  des  tableaux  des  accords  reproduits  en  notation  alphabétique,  et 
d'un  Appendice  ou  moyen  mécanique  pour  trouver  facilement  les  accords 
sur  le  clavier.  Prix  net  :  ^  fr.  50  \franeo). 

11  ost  inutile  de  faire  •l'éloge  d'un  ouvrage  de  ce  genre,  qui,  en 
moins  de  iWux  ans,  est  arrivé  à  sa  troisième  édition.  Il  suftil  de 
rappeler  en  peu  de  mots  les  tiires  qui  lui  ont  valu  un  si  rapide 
succès.  —  Trois  cliiti'rcs  suffisent  pour  représenter  sous  les  notes 
tous  les  accords  parfaits  (et  d'autres  encore);  trois  remarques  suf- 
fisent pour  les  faire  jouer  à  première  vue  sur  le  clavier  ;  trois 
règles  suffisent  pour  en  enseigner  l'emploi. —  Sous  le  rapport  de  la 
variété,  aucune  méthode  élémentaire  n'otfre  autant  de  ressources. 
—  Quant  cl  l'orthodoxie  des  principes,  les  auteurs  peuvent  sur  ce 
point  détier  la  critique  la  plus  sévère  et  la  plus  éclairée.  —  On  se 
procure  cet  ouvi'age  en  s'adressant  directement  aux  auteurs,  à  Saint- 
Loup  de-lci- S  aile,  par  Verdun-sur-le- Douhs  [Saône-et-Loire). 

HISTOIRE  DE  MONTMIRAIL-EN-BRIE,par  31.  l'abbé  Boiiel,  chanoine 
titidaire  de  la.  cathédrale  de  Chûlons-sur-Marne .  Montmirail ,1862 ,  Brodard, 
in-12  de  431  pages. 

Nous  avons  rendu  compte  dans  cette  Revue  (t.  m,  p.  140)  de 
l'excellente  Histoire  du  bienheureux  Jean,  seigneur  de  Montmirail, 
par  M.  l'abbé  Boitel.  L'ouvrage  que  nous  annonçons  en  est  la  suite 
et  comprend  les  faits  qui  se  sont  accomplis  à  Monlmirail-en-Brie, 
depuis  l'an  1351  jusqu'à  nos  jours.  Le  savant  chanoine  do  Cbàlons 
a  consacré  dix  années  de  recherches  et  de  travaux  à  la  composition 
de  cette  nouvelle  œuvre  où  l'on  retrouve  toutes  les  qualités  qui  ont 
assuré  le  succès  de  V Histoire  du  bienheureux  Jean. 

J.  CORbLET. 


CHRONIQUE 


—  L'aicliéologie  provinciale  vient  de  faire  nne  perte  regrettable 
eu  la  personne  de  M.  E.  de  Marsy,  procureui'  impérial  à  Compiègne, 
décédé  à  l'âge  de  48  ans.  Il  avait  publié  un  grand  nombre  de  bro- 
ebp.res  sur  l'histoire,  la  biographie,  les  mœurs  et  la  nuaiisuialique 
de  Picardie.  Nous  citerons  eutr'autres  les  publications  suivantes  : 
Notice  sur  quelques  anciens  coins  monétaires  d'Abbeville.  —  Sigillo- 
graphie du  Ponthieu.  — ■  Notice  sur  Antoine  Le  Comte,  jurisconsulte 
noyonnais.  —  Note  sur  un  miracle  arivé  en  1531,  à  Saint-Vulfran 
d'Abbeville.  —  Notice  sur  quelques  procès  faits  à  des  cadavres. —  No- 
tice biographique  sur  M .  de  Cayrol,  etc.  11  préparait  depuis  longtemps 
une  Histoire  de  la  ville  de  Doullens  et  une  seconde  édition  des  Mon- 
naies des  Evêques  des  fous,  œuvre  de  M,  le  docteur  RigoUot.  Nous 
espérons  que  ces  ouvrages  ne  resteront  pas  inachevés  et  qu'ils  seront 
publiés  un  jour  par  le  fils  de  M.  de  Marsy,  qui  a  hérité  des  goûts  et 
des  aptitudes  de  son  père. 

—  Le  Journal  des  Beaux-Arts  (d'Anvers)  signale  et  flétrit  un  sin- 
gulier procédé  en  usage  à  Audenarde  pour  ouvrir  les  triptyques.  Il  y 
a  dans  cette  ville,  à  Notre-Dame  de  Pomèle,  un  excellent  triptyque 
signé  Joan.  Snellinck  f.  1608.  Ce  peintre,  qui  naquit  à  Malines  en 
1^44  et  mourut  en  1638,  était  un  vigoureux  coloriste  de  la  trempe 
d'Otto  Vœnius,  mais  de  forme  plus  gothique;  son  triptyque  repré- 
sente, au  milieu,  la  Création;  à  gauche,  Adam  et  Eve  dans  le  pa- 
radis ;  à  droite,  Adam  et  Eve  chassés.  C'est  d'une  peinture  solide, 
brillante,  et  traitée  en  grandeur  naturelle.  A  tous  égards  ce  tableau 
mérite  des  soins  particuliers.  Or,  voici  le  soin  qu'on  en  a.  Comme 


CIIROMUL'K.  001 

les  volets  du  triptyciue  sont  toujoui's  fermés,  que  celui-ci  est  placé  à 
environ  trois  mètres  au  dessus  du  sol,  que  les  charnières  des  volets 
du  triptyque  sont  délabrées,  il  arrive  que  ces  volets  ferment  mal  et 
que,  le  poids  les  entraînant,  ils  adhèrent  très-forlcmient  à  la  battée 
intérieure  de  l'encadrement  <lu  triptyque.  Poui'  ouvrii-  ces  volets,  à 
la  demande  des  curieux,  ou  emploie  nn  moyen  orii^inal  que  nous 
recommandons  à  tontes  les  personnes  qui  voudraient  détruire  rapi- 
dement un  tableau.  On  prend  une  perche  dont  on  introduit  un  bout 
entre  les  volets,  puis  onfaituu  violentetrort  ;  alors  ceux-ci  s'ouvrent 
(ce  qui  ne  réussit  pas  toujours).  En  cas  de  insistance,  on  pousse  le 
bâton  plus  avant  et  on  redouble  la  dose  d'efforts.  Les  volets  ouverts, 
on  peut  suivre  sur  le  grand  panneau  du  milieu  les  dégâts  résultant 
de  ce  sauvage  procédé.  En  effet,  la  peinture  est  enlevée,  froissée  et 
écaillée  sur  une  bande  correspondant  à  l'ouverture  des  volets.  Il 
est  probable  que  le  panneau  lui-même  est  fendu.  11  serait  si  simple 
de  placer  là  deux  cordes  qui,  dans  tous  les  cas,  coûteraient  moins 
que  l'instrument  du  supplice  auquel  le  tableau  de  Snellinck  est  pé- 
riodiquement condamné  ! 

—  Quatre  de  nos  coliaboiaieurs  figurent  dans  la  liste  des  lauréats 
de  l'Académie  des  inscriptions  et  des  belles-lettres,  pour  le  concours 
des  antiquités  nationales  :  ce  sont  M'"'=  Félicie  d'Ayzac  (2'^  médaille 
pour  son  Histoire  de  l'Abbaye  de  Saint- Denis),  M.  Deschamps  de  Pas 
(mention  très-honorable  pour  son  Histoire  si gillaire  de  Saint-Omer), 
M.  de  Barthélémy  (mention  honorable  pour  son  Histoire  du  diocèse 
de  Châlons-sur-Marne)  et  M.  Salmon  (mention  pour  son  Histoire  de 
saint  Firmin). 

—  La  comniission  du  Musée  Napqléoii  (d'Amiens)  vient  de  publier 
les  comptes  de  la  loterie  que  le  gouvernement  lui  avait  concédée 
pour  Tachèvement  du  monument  élevé  en  vertu  de  la  loi  du  20  avril 
1854  sur  un  terrain  domanial.  Déjà  une  [)remiôro  loterie  avait  rap- 
porté près  de  51 0,000  fr.;  la  seconde,  qui  n'a  pas  été  moins  heureuse 
et  qui  ne  s'élevait  qu'à  800,000  billets,  a  {uoduit  un  bénéfice  de 
483,543  fr.  72.  Si  on  ajoute  par  la  pensée  à  ces  deux  sommes  les 
intérêts  qu'elles  ont  produits  postérieurement  aux  comptes-rendus, 
on  aura  ainsi  une  appréciation  exacte  des  travaux  considérables 


558  CllUOMQlJE. 

que  le  Musée  Napoléon  devait  entraîner.  La  commission  que  S.  Ex. 
M.  le  Ministre  de  l'inlérieur  a  instituée  aura  bientôt  la  satisfaction 
d'avoir  achevé  un  Musée  qui,  sous  le  rapport  monumental,  n'aura 
point  de  rival  dans  les  autres  villes  de  province. 

—  Notre  collaLorateur  M.  l'abbé  Ijarbier  de  Montault  vient  d'être 
nommé  chevalier  de  l'ordre  du  Saint-Sépulcre.  C'est  une  nouvelle 
et  bien  légitime  récompense  des  services  qu'il  a  rendus  à  l'Archéo- 
logie et  à  l'Art  cbrélieu.  Revenu  de  Rome  depuis  peu  de  iem])s, 
M.  Barbier  de  Montaull  prépaie  divers  travaux  sur  l'Iconographie 
chrétienne  de  l'ilulie  ;  plusieurs  d'entr'eux  sont  destinés  à  notre 
Revue. 

—  Nous  trouvons  dans  le  dernier  volume  des  Bulletins  de  la 
Société  des  sciences,  belles-letti^es  et  arts  du  département  du  Var,  une 
intéressante  Notice  de  M.  V.  Brun,  sur  la  sculpture  navale  et  la 
chronologie  des  maîtres  sculpteurs  du  port  de  Toulon.  C'est  à  l'ori- 
gine même  de  la  navigation  que  remonte  la  sculpture  appliquée 
aux  bâtiments  de  mer.  Un  vaisseau  de  Ptolémée  Philadelphe  était 
décoré  de  nombreuses  statues;  celui  de  Caligula  était  enrichi  de 
pierrreries.  Les  Vénitiens  et  les  Génois  transportaient  sur  leurs 
vaisseaux,  dès  le  XV«  siècle,  le  luxe  de  leurs  palais.  C'est  à  Toulon, 
le  plus  ancien  port  de  Fiance,  que  furent  exécutées  chez  nous  les 
premières  décorations  navales;  elles  durent  à  Puget  un  goût  plus 
pur  et  une  meilleure  distribution.  M.  Brun  apprécie  les  œuvres  des 
autres  sculpteurs  du  port  de  Toulon,  Girardon,  Levray,  Turreau, 
Veyrier,  Rombaud,  Toro,  Gibert,  Lauge,F.  Brun,  etc.  La  peinture  a 
rempli  un  rùle  moins  important  dans  la  décoration  des  vaisseaux 
modernes  ;  elle  n'apparaît  plus  guère  qu'à  la  poupe  et  dans  la 
chambre  de  l'amiral.  Les  Le  Brun,  les  de  la  Roze  et  les  Vanloo 
ont  laissé  à  Toulon  le  souvenir  de  leurs  oeuvres  maritimes.  Ces  ap- 
plications de  l'art  oui  été  délaissées  par  la  marine,  et  il  ne  faut 
guère  espérer  les  voir  revivre.  Les  navires  cuirassés  et  blindés  ne 
songeront  jamais  à  historier  leur  éperon. 

—  La  Société  d'Archéologie  fondée  à  Nantes  depuis  une  douzaine 
d'années  a  otïèrt  son  musée  au  déparlement  de  la  Loirc-lnférieuro. 


ciiiiOMuijt;.  559 

Celle  oUVc  ayant  é\é  acccpléc  par  le  conseil  généi-al,  le  musée  a 
pris  le 'litre  de  Musée  départemental  d'archéologie  ;  il  sera  entretenu 
aux  frais  du  département.  Celle  circonstance  doit  êtie  notée,  at- 
tendu que  les  autres  collections  qui  existent  dans  les  villes  de  pro-» 
vince  sont  ordinairement  des  propriétés  municipales  et  dépar- 
tementales. 

—  Le  Musée  royal  d'antiquités  de  Belgique  vient  d'acquérir  deux 
pierres  tombales  du  XIV"  siècle  qui  se  trouvaient  autrefois  dans  le 
chœur  de  l'église  de  l'abbaye  de  Villers,  non  loin  des  mausolées  de 
Henri  II,  et  de  Jean  III,  ducs  de  Brabant  Ces  pierres,  incrustées  de 
marbre  blanc,  portent  l'une  et  l'autre  l'effigie  d'un  chevalier  bra- 
bançon, étendu  sous  une  chapelle  gotliique,  les  pieds  appuyés  sur 
un  lion.  Peu  de  monuments  donnent  une  idée  plus  exacle  de  l'ar- 
chitecture et  des  costumes  militaires  de  l'époque.  Il  résulte  de  Tin- 
scription  d'une  de  ces  pierres  qu'elle  recouvrait  les  restes  de  sire 
Raes  de  Greis,  chevalier,  seigneur  de  Bierc,  porte-étendard  du  duc 
de  Brabant,  etc.,  mort  en  1318. 

—  Une  découverte  assez  importante  pour  Thistoire  d'Anvers 
vient  d'être  faite  par  M.  Mertens,  bibliothécaire  de  celte  ville.  Sous 
l'emplacement  de  l'ancienne  église  de  Sainte-Walburge,  M.  Mertens 
a  trouvé  la  crypte  dans  laquelle  sainte  Walburge  a  résidé  lors 
de  son  séjour  à  Anvers,  au  VIP  siècle.  L'invasion  des  Normands 
eut  lieu  dans  le  siècle  suivant  ;  et  ces  barbares  détruisirent  de  fond 
en  comble  la  chapelle  dont  ou  voit  encore  quelques  vestiges.  Seule, 
la  crypte  a  échappé  à  leur  fureur.  Elle  est  encore  très-bien  con- 
servée et  n'a  rien  perdu  de  son  cachet  original. 

—  Les  grands  travaux  qu'on  exécute  ti  Rouen  ont  amené  la  dé- 
couverte de  diverses  antiquités  qui  vont  eniichir  le  musée  de  la 
ville.  Une  importante  trouvaille  a  été  faite  dans  l'enceinte  de  l'Hôtel 
de  la  Pomme  de  Pin  :  c'est  un  collier  d'or  du  XVi«  siècle,  ou  plutôt 
un  bijou  que  l'on  portait  au  cou,  comme  les  décorations  du  Saint- 
Esprit  et  de  la  Toison-d'Or.  La  Normandie  en  donne  la  description 
suivante  :  «  C'est  une  cassolette  de  forme  rectangulaire,  présentant 
en  relief  sur  la  face  principale,  la  rencontre  de  Jésus  et  de  Madc- 


oGO  CHliOMOUE. 

leine.  Le  CUuist  est  séparé,  par  un  arbre,  de  la  Pécheresse  qui 
tient  dans  ses  mains  la  cassette  pleine  du  parfum  destiné  par  elle 
à  être  versé  aux  pieds  du  Sauveur.  Au  revers,  une  plaque  d'émail 
*noir,  enjolivée  d'arabesques,  se  s^onlève  pour  former  cachette,  et 
les  côtés  de  la  pelite  scène  sont  limités  par  des  consoles  allongées 
où  viennent  se  joindre  les  deux  extrémités  d'un  même  chaînon.  » 

—  Le  9  septembre,  on  a  inauguré  à  AUonville  (Seine-Inférieure), 
un  monument  coramémoratif  élevé  à  la  mémoire  de  Pierre  Blain 
d'Esnambac.  célèbre  navigateur  normand,  fondateur  de  la  puis- 
sance française  aux  Antilles  et  zélé  protecteur  des  missionnaires 
dans  ces  contrées.  L'inscription  du  monument  a  été  composée  par 
M.  l'abbé  Cochet  et  approuvée  par  la  société  des  Antiquaires  de 
Normandie. 

—  La  Revue  s'est  occupée,  à  diverses  reprises,  des  significations 
symboliques  que  les  auteurs  religieux  du  moyen-âge  ont  données 
aux  pierres  pn-cieuses.  11  n'est  pas  sans  intérêt  de  mettre  en  regard 
de  ces  appréciations  les  qualités  que  l'antiquité  prêtait  k  ces  mêmes 
pierres  précieuses.  D'après  les  préjugés  populaires  des  Anciens 
(et  quelques-uns  ont  survécu  pendant  le  moyen-âge)  le  diamant  se 
ternissait  quand  il  touchait  à  la  main  d'un  traître  ;  l'émeraude  se 
brisait  au  doigt  d'une  femme  adultère;  le  rubis  calmait  la  colère; 
la  topaze  consolait;  l'agate  rendait  joyeux  ;  le  jaspe  guérissait  des 
maladies  de  langueur  ;raméthistepréservaitde  l'ivresse;  l'hyacinthe 
chassait  l'insomnie;  le  saphir  rendait  impossible  l'action  du  venin 
des  reptiles;  la  calcédoine  faisait  réussir  dans  les  entreprises  difficiles; 
la  turquoise  ôtait  aux  chutes  leur  danger  ;  la  cornaline  égayait  ; 
l'opale^  à  l'aide  de  certaines  incantations,  permettait  de  devenir 
invisible;  elles  perles  enfin,  gouttes  d'eau  tombées  du  ciel,  disait-on, 
et  durcies  en  touchant  la  terre,  inspiraient  l'amour.  Cléopâtre, 
d'après  un  savant  anglais,  n'aurait  fait  dissoudre  dans  du  vinaigre 
la  plus  précieuse  de  ses  perles  que  pour  inspirera  Antoine  la  passion 
insensée  qui  lui  coûta  l'empire  du  monde,  la  vie  et  l'honneur. 

J.  GORBLET. 


rf.vtjïï:   dk  i/art  ctirktikn.  i\,,\riiibi.-  law. 


I.A   M  G  RI'    niî 

T;ilil.';ill  lit 


;eph 


Arras.  ////>.  heitsseau-l.eroy 


LES  SANDALES  ET  LES  BAS 


QHATKIKME   ARTirr.E  *. 


CHAPITRE  IV. 

corp  d'œii,  kapidk  stii  les  chaussures  du  moyeîj  âge. 

J'ai,  dans  un  précédent  cliapitre,  indiqué  la  forme  des 
chaussures  usitées  chez  les  peuples  l)arbares,  cantonnés  dans 
l'Europe  orientale,  avant  leur  établissement  définitif  sur  le 
sol  romain.  Certains  d'entre  eux  ont  été  omis,  à  savoir  les 
tribus  germaniques  qui,  devenues  maîtresses  delà  Gaule,  en- 
fantèrent cette  reine  de  la  civilisation,  cette  élégante  arbitre 
du  goût  et  de  la  mode  qu'on  appelle  la  France.  L'omission  a 
été  faite  à  dessein,  d'abord  parce  que  l'immense  majorité  des 
vainqueurs  copia  la  cordonnerie  des  vaincus,  comme  ceux- 
ci,  en  semblable  occurrence,  avaient  copié  l'Asie  et  la  Grèce; 
ensuite,  parce  que  les  Francs,  ayant  fondé  la  plus  dnrable  de 
toutes  les  dominations  nouvelles  qui  se  snbstituèrent  à  l'Em- 
pire d'Occident,  eurent  sur  les  autres  envahisseurs  une  in- 

*  Voir  le  numéro  d'octobie,  p.  531. 

lOiMiv  VI.  Novcmbif  ISfiO.  41. 


562  LES    SANDALES    ET    LES    I!AS. 

fliience  incontestée.  D'aillenrs,  sans  exagération  d'amour- 
propre  national,  la  France  au  Moyen- Age  peut  être  considérée 
comme  un  centre  autour  duquel  rayonnèrent  tous  les  éléments 
(le  la  société  moderne. 

Sidoine  Apollinaire  (V®  siècle)  décrit  ainsi  la  chaussure  des 
compagnons  du  jeune  prince  {rpgius  juvenis)  burgunde, 
Sigismer  :  «  Quorum  pedes  primi,  perone  setoso,  talosadus- 
«  que  vinciebantur.  Genua,  crura,  surœque  sine  tegmine'.» 
Le  défaut  de  monuments  ligures  empêche  de  savoir  si  nos 
ancêtres  conservèrent  longtemps  ces  bottines  velues  qui  ou- 
trepassaient à  peine  la  cheville,  en  laissant  à  nu  le  reste  de 
la  jambe.  Il  est  vraisemblable  que  l'usage  en  demeura  parmi 
les  classes  inférieures;  mais,  lorsqu'en  508,  Clovis  eut  reçu 
de  l'empereur  Anastase  le  titre  et  les  insignes  de  Consul  ^, 
les  grands,  toujours  disposés  à  suivre  l'exemple  du  maître, 
durent  se  laisser  peu  à  peu  entraîner  vers  les  magnificences 
du  costume  romain.  Les  guerriers,  semi-romains,  semi-bar- 
bares, sculptés  en  porphyre  rouge,  sur  la  place  Saint-Marc, 
à  Venise,  portent  des  calceoli  fenestrati  très -découverts, 
attachés  avec  des  courroies  croisées  dans  le  genre  des  an- 
ciennes chaussures  patriciennes.  M.  Pottier  ne  veut  pas  as- 
signer à  ces  bas-reliefs  une  date  postérieure  au  VI®  siècle  ', 
et  ils  appartiennent,  sans  aucun  doute,  à  la  période  comprise 
entre  l'invasion  germanique  et  larenaissance  carolingienne.  Le 
VIIP-IX®  siècle  fournit  les  premiers  renseignements  exacts  que 
nous  possédions  sur  les  calceamenta  franco-gaulois.  Eginhard 
rapporte  que  Charlemagne  «  vestitu  patrio  id  est  Francico 
<i  utebatur  »;  qu'il  couvrait  ses  jambes  de  tibialia  serrés  avec 


'  Lib.  IV,  ep.  20. 

-  Grkgoiue  de  Tours,  Hisl.  Franc,  ii,  38. 

*  Momim.  Franc,  incd.,  pi.  3  et  p.  2, 


Li:S    dANliALES    ET    LES    BAS.  5G3 

des  bandelettes,  et  que  sa  cliaiissure  adhérait  fortement  aux 
pieds.  Les  mosaïques  du  Triclinium  de  Léon  III,  à  Saint- 
Jean  de  l^atrai),  prouvent  la  vérité  de  cette  assertion.  Bien 
que  l'historien  précité  mentionne  plus  bas  la  répugnance 
éprouvée  par  l'empereur  à  l'égard  des  vêtements  étran- 
gers, réi)ugnance  telle,  que  les  pressantes  instances  des 
papes  Adrien  et  Léon  le  décidèrent  seules  à  prendre  à 
Kome  la  longue  tunique,  la  chlaniyde  et  les  «  calcei  Ro- 
«  mano  more  formati,  »  il  n'en  n'est  pas  moins  certain 
qu'une  sorte  de  campa f/ us  était  sa  chaussure  ordinaire.  Or, 
excepté  les  jours  de  fête,  Charlemagne  s'habillant  comme 
la  masse  de  ses  sujets  ',  il  faut  en  conclure  qu'au  IX^  siècle, 
le  modèle  des  chaussures  franques  primitives  était  déjà  ou- 
blié. Les  souliers,  élégamment  ajustés  avec  des  courroies  croi- 
sées sur  les  tibialia,  sont  bien  loin  du  pero  scfosus  et  des 
jambes  nues  dont  parle  Sidoine  Apollinaire^. 

L'usage  du  campagus  persista  sous  les  successeurs  de 
Charlemagne.  Un  poète  contemporain  narrant  les  circon- 
stances qui  accompagnèrent  le  baj^tême  d'Herold,  roi  de  Da- 
nemarck,  cérémonie  faite  devant  Louis-le-Débonnaire  et  sa 

'  .(  ...Et  tibialia  ;  tum  fasciolis  crura  ot  pedes  calceamentis  constringebat... 
Aliis  autem  diebus  habitas  ojus  paruni  a  communi  et  plebeio  abhorrebat.  « 
B.  Car.  31.,  Vita,  23.  —  C.  Raspotm,  de  Basil,  et  Pair.  Later.,  c.  xr,  lit 
tihiaria  ctan  fasciolis. — V.  N  Alkmawni,  de  Later.  pariet,  rest.,  pi.  1,  4,6. 
Konie,  1756,  in-4<'. 

^  Le  Moine  de  Saint-Gall  est  là-dessus  parfaitement  explicite.  «  Erat  an- 
tiquorum ornatus  vel  paratura  Francorum,  calceamenta  forinsecus  aurata, 
corrigiis  tricubitalibus  insignita,  fasciolae  crurales  vermiculatœ,  et  subtus  eas 
tibialia  ac  coxalia  linea,  cjuamvis  e.x  eodem  colore,  tamen  opère  pretiosissinio 
variata.  »  De  Geslis  Caroli  M.,  lib.  i,  cap.  36.  Ce  texte  a,  je  le  pense,  in- 
duit en  erreur  tous  les  peintres  archéologues  qui  n'avaient  pas  eu  recours  aux 
écrits  de  l'évêque  de  Clermont  ;  et  voilà  comment  Herbe,  avec  tant  d'aulres, 
a  pu  confondre  la  chaussure  des  Francs  de  Clovis  avec  celle  des  Francs  de 
Chailrmagne, 


564  LKS   SANDALES    ET   LES    BAS. 

cour  (826),  revêt  le  néophyte  de  clmussures  à  couiToies  do- 
rées et  de  gants  blancs  ' .  Plnsieurs  miuiatiires  représentent 
l'emperenr  Lothaire,  Charles-le-Chaiive,  et  lenrs  officiers 
avec  le  campagus,  soit  fermé,  soit  laissant  les  orteils  à  nn.  On 
le  rencontre  encore  aux  TX°  et  X^  siècles  sur  divers  monu- 
ments ;  au  XP,  sur  les  peintures  de  Saint-Savin  et  sur  la 
tapisserie  de  Baveux  où  il  sillonne  les  jambes  des  princes 
saxons  et  normands;  au  XIP,  sur  quekpies  manuscrits''.  11 
disparait  alors  pour  se  confiner  dans  les  montagnes  de  l'E- 
cosse où  il  est  resté  jusqu'aujourd'hui  la  chaussure  nationale 
des  highlamlers  ^. 

Le  cothurne  lacé  fut  aussi  adopté  par  les  Francs;  la  Bible 
de  Charles-le-Chauve  en  fournit  deux  spécimens  :  l'un  at- 
teint le  genou,  l'autre,  arrêté  à  la'  naissance  du  mollet,  est 
orné  d'un  supplément  de  bandelettes  croisées  qui  rappellent 
le  campagiis  \ 

Bon  nombre  de  peintures,  exécutées  du  IX®  siècle  au 
XIV%  offrent  des  individus  chaussés  d'une  sorte  de  bottine 
ipero)  recouvrant  plus  ou  moins  la  jambe.  Tantôt  retenues  par 
des  jarretières,  tantôt  flottant  sur  les  chevilles,  ces  bottines 


'      Peistiinguntque  pedes  aurea  plectra  suos. 
Aurea  per  dorsum  resplendent  tegmina  latum 
Ornantuique  manus  tegmine  candidulo. 

EiiMOLDUS  NiGEi.LBs,  Carm.  3S2. 

^  Bibl.  jmp.  n"  256,  anc.  f.  1,  ;  Ecang.,  Musée  desSouv.  ;  Bihle  de  Charles- 
le-Chauve  ;  WiLLEMiN,  pi.  6  et  17  ;  Ecang.  desaint  Emmeran  de  Ralisbonne, 
ap.  EcKHAiiT,  Comm.  de  rehits  Franciœ  orient.^  t.  ii,  pi.  à  la  p.  56-4,  IX«  s. 
—  WiLLEMiN,  pi.  26.  Les  Arts  sompt.,  t.  i,pl.-12.  Bibl.  de  Cambrai,  n»  364, 
X«  s.  —  Ibid.,  n'  487,  XII^  s. 

'  Les  chaussures  attachées  à  la  jambe  avec  des  cordons  ci'oisés  (cothurne, 
esclavage),  étaient  encore  portées  par  les  dames  il  y  a  trente  ans.  Ce  retour 
de  mode  datait  de  la  fin  du  XVIIP  siècle. 

'P.  L.\f:uoi\,  nisloirc  de  la  chaussure,  pp.  27  et  28,  fig. 


Li:S    SANItALES   ET    LES    RAS.  Mil) 

en  niiitièrc  souple  oiit  l'aspect  d'un  bas  ou  d'une  chaussette; 
le  Dictionnaire  de  Jean  de  Garlande,  écrit  pendant  la  seconde 
moitié  du  Xl"^  siècle,  nous  en  apprend  le  nom.  »  Tybialia  di- 
«  cuntur  gallice  estivaiis.  —  Crépite  (crépita  ferina  et  mo- 
«  naclialis),  gallice  boles  à  creperon.  »  Et  ailleurs  :  «  Equi- 
"  til)ialia  dicuntur  cslivax,  ab  equus^  «,  um^  quia  adequantur 
"  tibie  ' .  I)  11  ne  peut  régner  d'équivoque  sur  la  signification 
constante  des  mots  estivaux  et  botes  au  Moyen-Age;  les  sta- 
tuts de  l'hôpital  Saint- Julien,  en  Angleterre,  donnés  par  Mi- 
chel, abbé  de  Saint-Alban  {XIV  siècle),  attribuent  aux  lé- 
preux de  larges  estivaux  ou  bottes  :  il  en  est  de  même  pour 
les  prêtres  et  religieux  attachés  à  la  maison  :  mais,  à  l'article 
qui  concerne  ces  derniers,  la  valeur  du  terme  œstivalia  est 
nettement  définie.  «  Calceamenta  pedum  siint  caligœ  et  a3Sti- 
('  valia,  sint  sotulares  erecti,  cum  tribus,  vel  quatuor  nodulis 
«  circa  tibias,  quibus  uti  consueverunt.  Sotulares  vero  bas- 
"  SOS  cum  uno  nodulo  et  laqueatos  omnino  interdicimus  et 
"   damnamus-.  »  Les  peintures  de  Saint-Savin(XP  siècle],  et 

*  Le  texte  porte  «  crépitas  fevrineas.  »  —  «  Vel  diciiur  hiec  crépita  a  crepo, 
quia  crepat,  id  est  sonat  in  incessu.  »  Ap.  H.  Géraud,  Paris  soiis  Philippe- 
le-Bel,  App.,  p.  587  et  591.  —  Quelques  uns  font  dériver  estivaux  (Ital., 
stivale  botte,  stivaletto  bottine)  du  latin  œstivalis,  d'autres  du  roman  esttiyer 
(renfermer)  ;  pourquoi  ce  mot  ne  viendrait-il  pas  aussi  bien  à'equitibialia  ! 

*  Ap.  M.MTUiJîD  Paris,  Àdd.  ad  Fitas  ahh.  S.  Alhani,  p.  162,  164, 
168.  —  «  Eslivalibu.s  etiam  largis  seu  bolis  altis  pro  calccamentis  utantur.  » 
Cap.  yen.  S.  f'ictoris  Massil.,  1312,  ap.  Du  Cange. 

'Que  ferai-je  s'ils  me  toUent  mes  botes 

Qui  sont  si  grands  que  es  pies  me  sabotent, 

A  chacun  pas  cuit  les  perdie  en  ienclostre, 

Grand  peor  ai  que  nés  perdre  en  la  boe.,.. 
dit  un  moine  du  XIIÏ^  siècle.  (Roman  de  Guillaume  au  Court  nez.)  —  C.îisa- 
Riis  d'Heisterbach  [Hist.  meni.,  lib.  vil,  c.  39.)"nomme   indifféremment  les 
souliers  de  moine  hoti  ou  cotJivrni.  Ap.   Méivagk,  Dict.   étym.  de  la   langue 
franc.,  Botte. 


566  LES   SANDALES   ET   LES   BAS. 

les  figures  des  mois,  empruntées  à  un  manuscrit  français  du 
XIIP  siècle,  présentent  une  série  de  paysans  chaussés  dVs- 
iivaux  serrés  autour  de  la  jambe,  et  entièrement  conformes 
aux  prescriptions  que  Ton  vient  de  lire'.  Les  tibialia  du 
IX®  siècle  ne  dépassent  guère  la  naissance  du  mollet,  non 
plus  que  ceux  des  XP  et  XII'  ;  il  s'en  trouve  au  X®  qui 
montent  jusqu'au  genou;  les  XIIP  et  XIV^  en  ont  de  longs 
et  de  courts.  Leurs  couleurs  étaient  le  blanc,  le  noir,  le  vert, 
le  rouge  et  le  jaune  ';  leur  matière  le  cordouan  ou  la  basane  '' . 
Les  estivaux.,  durant  la  période  ci-dessus,  furent  communs  à 
toutes  les  classes  de  la  société;  la  seule  diiFérence  entre  le 
riche  et  le  pauvre  résidait  dans  la  finesse  du  cuir  et  l'élégance 
du  travail.  Ces  bottines  commodes  s'adaptaient  aux  costumes 
propres  à  chaque  circonstance  et  à  chaque  saison  ;  on  en  fai- 
sait de  fourrées,  d'autres  remplaçaient  nos  pantoufles  noc- 
turnes \ 

La  fin  du  XIV*  siècle  vit  naître  une  nouvelle  mode  à^ esti- 
vaux fendus  ou  à  tige  tailladée  [incisi];  on  en  porta  jusqu'au 
XVP  siècle  conjointement  avec  les  estivaux  fermés.  Ce  der- 

'  Peint,  de  Saint-Savin,  pi.  12.  Les  Arts  som.pt.,  t.  i,  pi.  93  et  94. 

*  V.  EcKART,  loc.  cit.;  Moi\tfaccon,  3Ion.  de  la  mon.  franc.,  t.  i,  pi.  27  ; 
Les  Arts  sompt.,  t.  i,  pi.  23,  26,  27,  43,  50,  66,  67,  71,  78,  88,  89,  109  ; 
123  (Italie);  147,  148  (Belgique);  Le  Moyen  Age,  etc.,  Miniat,des  ms.,  pi.  F, 
Dd,  J  ;  Id.,  cost.  des  ducs  de  Bavière  ;  Id.,  Corpor.  des  métiers,  fol.  iv,  v 
(vitrail.) 

*  «  Hic  quoque  (Guarinus  abbas)  sotulaies  corrigiatos,  pro  ocreis  de  cote 
quam  vulgus  bazan  appellat,  commutavit.  n  Matthiec  Pauis,  VitX  abh. 
S.  Albanl.  Garin  vivait  au  XII'  siècle. 

*  Uns  estivaus  forrés  d'ermine 

Chauça  li  rois. 

Roman  de  Percevul. 

«Pour  la  façon  d'avoir  fourré  de  gris  rouge  une  paire  de  bottes  de  cuir  fauve 
à  relever  de  nuit.  »  —  «  Haultes  bottines  à  relever.  »  Comptes  de  ta  maison 
d'Orléans,  XIV«  siècle,  ap.  Hist.  de  ta  chauss.,  p.  33,  60,  61. 


LES    S.\^DALES   ET    LES    bAri.  o07 

nier  nom,  toiitctuis,  ne  semble  plus  leur  avoir  été  attribué  eu 
France  après  le  règne  de  Charles  V;  dès  lors,  bolle^  boUine^ 
restent  seuls  en  usage  dans  la  langue  ' . 

Quoique,  notannnent  à  })iu'tir  du  XIV^  siècle,  on  eût 
chaussé  des  estivaux  à  haute  tige  dont  l'extrémité  supérieui'e 
maintenue  par  une  jarretière,  se  rabattait  on  se  relevait  à 
volonté  de  façon  à  couvrir  les  genoux^,  la  véritable  botte 
équestre,  formée  i)ar  la  réunion  intime  des  tibialia  et  des 
cnimlia  ne  semble  pas  antérieure  au  XV®  siècle.  On  l'appela 
longtemps  huése,  lieuse^  houseau,  traduction  romane  du  latin 
ocreœ^  c rural ia'\- la  terme  botte  ne  fut  exclusivement  appli- 
qué qu'assez  tard  aux  chaussures  employées  pour  monter  à 
cheval.  Le  plus  ancien  modèle  de  bottes  éperonnées,  que  j'aie 
rencontré,  se  trouve  dans  le  manuscrit  de  Renaud  de  Mon- 
tauban  (règne  de  Charles  VII)  ;  ou  en  voit  également  dans  le 
Livre  des  Marques  de  Rouie  (1466j  et  les  Tournois  du  roi  René. 
Ces  bottes  en  cuir  souple  pouvaient  au  besoin  envelopper  la 
cuisse  du  cavalier;  elles  furent  l'origine  des  bottes  molles  à 
entonnoir,  chaussure  favorite  des  raffinés  sous  Louis  XIII. 

'  (I  Q,uicunrjue  incisos  sotulares,  quos  vulgus  estivallos  vocamus  portavurit.» 
Staf.  Ord.  Cartus.,  part.  2,  cap.  1 ,  {^  1-  (1368).  —  Hisf.  de  la  chaiiss.,  p.  61, 
67,  76,  78.  —  Le  Moyen  Age,  etc.,  Vie  privée,  fol.  xl,  v.  —  Les  Arts 
sompt.,  t.  I,  pi.  152,  ^54  ;  t.  ii,  pi  23,  30,  34,  35,  36  ipaysans),  50,  51,  52, 
53  (nobles  ou  officiers),  113,  123,  etc.,  etc.  —  Willemin,  pi.  127,  (1314; 
estivaux  bouclés  ou  lacés  par  devant  du  haut  en  bas). 

''  V.  Hist.  de  la  C/uiuss.,\:,.  48,  57,  58;  62,  63  (Angleterre;  ;  64,  68  ^Italie). 

'  Les  mois  huésc,  lieuse,  house,  houzemi  [osa]  paraissent  aussi  avoir  été  em- 
ployés durant  lout  le  Moyen  Age  pour  désigner  les  estivaux  à  hautes  tiges. 
Après  avoir  assassiné  l'empereur  Alexis,  «Marcuflex  (Murzuphle)  chaussa  les 
hueses  (tzangues)  vermoilles,  par  laie  et  le  conseils  des  autres  Grecs.  »  Vil- 
LEHARUOiN,  Coiiq.  de  Constantinople,  n°  116.  —  Il  a  élé  surabondamment 
démontré  ailleurs  que  les  termes  tatins,  ocrex,  péronés,  odones,  caligx,  txangce 
répondent  à  l'idée  que  nous  nous  faisons  des  estivaux.  »  Monacho  uti  orario  in 
monasterio,   vel   tzangas  habere  non  liceat.  »  Conc.  Aurel.,  1,  20  |511),  etc. 


568  LES   SA  MD  A  LES    ET    LE. s    BAS. 

La  botte  à  tige  raide  (botte  forte  ou  de  postillon),  type  primor- 
dial de  nos  bottes  à  l'éciiyère,  ne  date  que  de  Louis  XIV  ' . 

Les  paysans  et  les  classes  inférieures,  au  IX*  siècle, 
usaient  de  hauts  tibiaJia,  laissant  à  découvert  les  orteils 
maintenus  par  des  courroies  horizontal-es  ;  je  n'en  connais 
pas  d'exemples  après  la  seconde  race". 

Dans  son  Capitulaire  de  817,  Louis-le-Débonnaire  prescrit 
aux  Eeligieux  «  subtalares  per  noctem  in  œstate  diuis,  in 
«  hieme  vero  soccos.  »  Plusieurs  textes  démontrent  que  la 
chaussure  monacale  et  certainement  rustique,  appellée  soccus 
au  IX^  siècle,  était  une  galoche  en  feutre  à  semelle  de  bois, 
peut-être  même  un  sabot  ;  elle  tenait  du  soca<s  romain  en  ce 
syns  qu'elle  n'avait  pas  de  cordons  et  emboitait  complètement 
le  pied  pour  le  préserver  du  froid •'.  Les  subtalares  (sub  talo) 
au  contraire  étaient  en  cuir,  à  large  empeigne,  vraies  sandales 
faciles  à  introduire''.  En   effet,  les  souliers  du  IX®  siècle, 

*  ï.  I,  p.  73,  Bibl.  de  l'Ars.  — Willemîis',  pi.  167.  —  Les  Arts  sompt., 
t.  II,  pi.  7'2.  —  Les  Alleninida  euieut,  vers  la  lin  du  XV"  siècle,  des  bottes 
à  retrcussis  tailladés.  V.  Hist-  de  la  Chauss.,  p.  76.  —  ,V.  Ibid.,  bottes  à 
revers  (1596),  p.  81  ;  bottes  à  entonnoir,  p.  83  et  sqq.;  bottes  fortes,   p.  91. 

*  Bibl.  imp.  6862,  anc.  f.  lat.  ;  Arts  sompt. ,  i,  pi.  25.  Hist.  de  la  Chaus.  p.  29. 
^  Cap.  Monach.,  22.  —  Filtra  ad  soccos  faciendum  xii.  »  Coiut.  Jnsegisi, 

sœc.  IV  Bened.,  pars,  1,  p.  639.  —  «  Soccos  filtrinos  duos.  »  Adalhard, 
Stat.  Corb.,  lib.  i,  c.  3.  —  «  In  monasterio  vero  etiamsi  prolixius  egressus 
est  ad  culturam,  lignea  tantum  sola,  quce  vulgo  soccos  monasteria  vocant 
Gallicana  continuato  potitus  est  usu.  »  Vita  S.  Liipicini  ahh.  Jurensis,  n"  2. 
—  Saiat  Pierre  Damien  [Fita  S.  Rudolphi,  c.  m)  établit  au  XI''  siècle 
une  différence  tranchée  entre  le  calceus  et  le  soccus  ;  «  Quamlibet  gravis 
bruma  ligesceret,  simplicibus  soccis  muniebat  pedes,  cum  tamen  frater  ejus 
solis  calceis  contentus  csset.  » 

'*  »  Subtalares  non  niniis  stricti  sint,  sed  competentur  ampli...  desuper  vero 
alti  sufficienter.  n  Lih.  ord.  S .-Victoris  Paris.,  c.  18,  ap.  Du  Cange.  — 
Il  est  évident  que  les  termes  subtalares,  sotulares.,  appliqués  d'abord  aux. 
chaussures  ouvertes  par  opposition  aux  socci, .  désignèrent  plus  tard  toute 
espèce  de  souliers. 


LES    SAM)ALr.S   ET    LKS    liAS.  i')(i\) 

échancrés  en  pointe  sur  le  cou-de-pied,  ont  des  quartiers  ar- 
]'etés  à  la  cheville.  Au  X^  siècle  et  au  XP,  on  porta  des  sou- 
liers montants,  soit  fermés,  soit  ouverts  et  maintenus  avec 
des  lacets  ou  des  boucles  ' .  Il  y  eut  aussi  des  demi-souliers, 
pantoufles  qui  ne  couvraient  que  l'avant-pied  -.  Jean  de 
Garlande  nomme  les  souliers  sotulares ;  Jean  de  Gênes  fait 
venir  sodilar  de  solea^  je  partage  plus  volontiers  l'opinion 
qui  voit  dans  subtalariH  la  forme  première  du  terme  dont 
nous  avons  obtenu  solers,  puis  enfin  souliers  •\  Aux  XII*^  et 
XIIP  siècles,  les  solers  ou  soiders  (je  néglige  le  reste  des  or- 
thograplies  anciennes  de  ce  mot)  se  montrèrent,  tantôt  très- 
couverts  avec  des  cordons  noués  sur  le  cou-de-pied,  tantôt 
fortement  échancrés  et  maintenus  par  des  brides;  d'.autres 
étaient  munis  d'une  double  languette  comme  les  socci  des 
histrions  étrusques;  chez  d'autres,  l'empeigne  circulaire- 
ment  découpée  laissait  voir  les  chausses  ;  d'autres  enfin,  la- 
téralement fendus,  se  laçaient  comme  nos  brodequins  de 
dames  \  Ces  formes  diverses,  plus  on  moins. altérées  par  le 
caprice  des  cordonniers,  ont  persisté  jusqu'à  nos  jours  ; 
néanmoins,  grâce  à  un  revirement  subit  de  la  mode,  les  chaus- 
sures, dont  la  pointe  s'était  démesurément  allongée  durant 
les  XIV^  et  Xy^  siècles,  passèrent  d'un  extrême  à  l'autre  ; 
elles  se  raccourcirent  tout  à  coup  pour  devenir  rondes  ou 
carrées.  Le  type  nouveau,  aussi  disgracieux  que  l'exagération 
qu'il  remplaçait  (on  en  vit  qui  atteignaient  O^'oS"  de  large), 


*  y^rts  sompt.,  1. 1,  pi.  17,  42  ;  Willemin,  pi.  44  ;  ms.  698  Bibl.  de  Saint- 
Omer.  —  J.  de  Garlande,  loc.  cit.,  p.  587. 

^  (I  Talibus  est,  ut  ita  dicam,  dimidiis   utebalur   subtalaribus   ut  superior 
ars  pedum  videretur  tectà.  »  Vita  S.  Gudulce,  n'  2. 
^  Loc.  cit.,  p,  587.  —  CatJiolicon. 

*  V.  WiLLEMiN,  pi.  88,  92,  94,  101,  etc.  Hist.de  la  Chauss.,  p.  45  e   46 
D'Agiwcodrt,  Peint-,  pi.  66  (Italie).  Sandales  de  Comminges,  fig.  B.,  etc. 


370  LES    SAi\i>ALES    KT    LES    15AS. 

domina  pendant  la  première  moitié  du  XVP  siècle.  11  parait 
originaire  d'Allemagne  ainsi  que  les  souliers  à  crevées  qui 
durèrent  jusqu'à  Henri  lY.  Les  souliers  dits  camus,  qui  don- 
naient à  l'homme  bien  portant  l'apparence  d'un  goutteux,  ne 
survécurent  guère  à  François  II  ;  Charles  IX  revint  aux  chaus- 
sures effilées,  dites  en  bec  de  cane,  dont  Henri  III  écrasa  la 
pointe.  Le  XVIP  siècle  adopta  un  moment  les  carrures  exces- 
sives, mais  en  dissimula  le  ridicule  sous  une  profusion  de 
nœuds  et  de  dentelles' .  On  se  tromperait  toutefois  en  croyant 
que  les  chaussures  monstrueuses  envahirent  complètement  les 
peuples  de  l'Europe  occidentale.  Du  XIV®  siècle  au  XVIP,' 
bon  nombre  de  gens  surent  garder  un  juste  milieu  et  ren- 
fermèrent leurs  pieds  dans  des  étuis  proportionnés  aux 
dimensions  de  ces   membres. 

Il  convient  maintenant  d'appliquer  aux  modes  ci-dessus 
énumérées  les  différents  noms  qu'elles  reçurent  au  Moyen- 
Age.  Jean  de  Garlande  mentionne  les  «  sotulares  ad  laqueos 
«  cum  liripipiis  et  ad  plusculas  {boucle,  bouglettes).  »  Nul 
besoin  d'appuyer  sur  les  souliers  lacés  et  à  boucles,  nous  les 
avons  conservés  ;  autre  chose  est  des  souliers  cum  liripipiis 
ou  liripipiati.  Je  pense  qu'il  faut  entendre  par  ces  expres- 
sions une  chaussure  ornée  de  galons,  cousus  sur  l'empeigne 
et  bordant  aussi  le  tour  du  col.  Les  miniatures  du  IX®  au 
XIIP  siècle  inclus  en  offrent  de  fréquents  exemples  ^ .  Les 

*  V.  Hist.  de  la  chauss.,  p.  68,  69,  72,  73,  77,  78,  80,  81,  85.  —  Ibid. 
77,  81,  85,  87.  —  Glill.  P.auadiw,  31ém.  de  l'Iiisl.  de  Lyon,  lib.  m,  c.  5; 
»  L'on  fit  d'autres  souliers  qu'on  nommait  becs  de  cane^  ayans  un  bec  devant 
de  quatre  à  cinq  doigts  de  longueur.  » 

•i  Loc.  cit.,  p  587.  —  tt  Ne  calceos  vel  sotulares  portent  laquatos.  »  Stat. 
Guidonis  ep.  Traj.,  (1310),  Batavia  sac,  p.  174.  —  "  Sotulares  ad  laqueos  n 
Lib.  nig.  Cap.  Paris.,  (1325).  —  "  Sotulares  laqueati  i.  Stat.  Cist.,  (1439) 
ap.  Mautèwe,  t.  IV,  col.  1600.  —  «  Sotularibus  ad  bouclelas  argenteas.  » 
Conc.  Paris.,  2,  (1346).  —  «  Sotulares  non  habeant  laqueatos  nunquam  liri- 


LES   SANDALES    ET    Li;S    liAS.  571 

souliers  consutilii  devaient  être  piqués,  brodés  ou  soutachés  ; 
les  escolletez  [excolaii^  scotati),  dont  l'empeigne  avait  une 
large  incision  en  forme  de  collier,  remontent  au  XIP-XIIP 
siècle;  d'abord  à  l'usage  des  grands,  ils  passèrent  ensuite 
aux  classes  bourgeoises.  Les  souliers  à  courroies  [corrigiati) 
servaient  pour  l'équitation  ;  enfin  les  monuments  contiennent 
quelques  exemples  de  solulares  rigali  (rayés)  et  .scaca/ï  (échi- 
quetés)  '.  Au  temps  d'Edouard  III  (XIV®  siècle),  on  porta  des 
souliers  en  cuir  repoussé  ;  le  ^lusée  des  Antiquités  de 
Londres  en  possède  un  original  très-remarquable,  quoique 
l'un  des  côtés  de  l'empeigne  soit  à  peu  près  détruit  :  elle  est 
couverte  de  personnages  et  d'animaux  parmi  lesquels  on  re- 
connaît l'histoire  de  la  Licorne,  et  aussi  d'inscriptions  nom- 
breuses, entre  autres,  Ainor  vincit  omnia  avec  la  célèbre 
devise  :  Honny  soit  qui  mal  y  pense.  La  même  collection 
renferme  encore  un  soulier  analogue,  orné  de  guirlandes  et  de 
dessins  fort  élégants,  plus  une  semelle  en  cuir  gaulFré,  où  le 
fer  a  imprimé  de  capricieuses  arabesques.  Ces  derniers  ob- 
jets sont  contemporains  du  premier.  Les  souliers  trenchiés, 
eshichiés,  tailladés  {fenestrati,  incisi)  et  à  crevées  {scissi,  cnm 


piatos.  ))  Charta  Card.  S.  Stephani  leg.  apost.  pro  reform.  Univ.  Paris. 
(1215).  -  V.  Arts  sompt.,  t.  i,  pi.  17,  19,  41,  42,  50,  63,  64,  66,  79,  80, 
95  :  Ms.  698  Bibl.  de  Saint-Oiner  •  etc.,  etc. 

Souliers  a  latz,  aussi  houzeaulx. 

Roman  de  la  Rose. 

•  K  Sotulares  consutitii.  n  Cane.  Lalcr.,  16  (1215)  :  Stat.  BcnedicU,  ep. 
Mass.  (1230):  Conc.  Tarrac.  (1282)  :  Conc.  Saut.,  I,  (1298).  —  »  Consuti 
laqueis.  »  Syn.  Rothom.  (1299).  —  «  Sotulares  excolati...  scotati.  »  Stat. 
ms.  S.  Vict.  Mass  (1531),  ap.  Dr  Catjge  :  Conc.  Tarrac,  (1591),  ap.  Conc. 
Hispan.,  t.  iv,  p.  615.—  «  Sotulares  corrigiati.  »  Stat.  Cltiniac  (1467)  :  Stat. 
Cisterc,  (1437),  ap.  Martelé,  t.  iv,  col.  1590.  —  Jrts  sompt.,  t.  i,  pi.  79, 
80  (ms.  1194,  Bibl.  imp.)-  —  Le  Jlojjcn  Age,  etc.,  Vie  privée  des  châteaux, 
de,  fol.  xij,  r.  (ms.  7266,   Bibl.  imp.),  etc.,  elc. 


572  LES   SANDALES   ET    LES   BAS. 

scissuris)  appartiennent  à  une  très-haute  antiquité,  ainsi  que 
je  l'ai  démontre  ailleurs  ;  le  jMiisée  de  Londres  en  a  trois 
charmants  spécimens  que  l'on  peut  attribuer  au  XIIP-XIV° 
siècle  et  un  quatrième  plus  riche,  incontestablement  du 
XIV°»  Celui-ci  fait  comprendi-e  la  plaisanterie  de  Chaucer 
{The  Milleres  ^a/e),  lorsqu'il  dépeint  un  élégant  clerc  de  pa- 
roisse ayant  les  fenêtres  de  Saint-Paul  découpées  sur  ses 
souliers  : 

Willi  Poules  windowes  corven  ou  bis  sboos. 

Toutes  ces  chaussures,  malheureusement  incomplètes  et 
délabrées,  sont  eu  cuir  artistemeut  travaillé' . 

l^QA  chaussures  à  la  poulaine  [cakei  roslrati,  cum  polams) 
exigent  une  étude  spéciale.  L'usage  des  souliers  à  pointe 
aiguë  et  recourbée,  importé  d'Orient  en  Italie  par  les 
Etrusques,  persévéra  dans  cette  dernière  contrée  jusqu'a- 
près la  chute  de  l'Empire  '.  Mentionnés  par  les  auteurs  by- 
zantins sans  interruption  notable  %  les  rosira  calceorum  ren- 

*  «  Sotulares  feiiestrali.  »  Slat.  Ca]).  gen.  Ord.  Cisierc.  (1529)  ap  Mau- 
TÈKE,  t.  IV,  col.  16-12.  —  H  Sotulares  incisi.  i.  Stat-  S.  Vict.,  (1531)  :  Conc. 
Tolct  ,  (1582).  —  «  Calcei  scissi.  »  Conc.  Reinense,  (1583).  «  Cum  scissuris.  » 
Conc.  Tarrac.  (1591).  —  RoAcii  Smith.,  Catal.  of  the  3Ius.  London  ant. 
pi.  XII,  XIII,  1,  2,  3,  4;  p.  12(5,  n»  628,  127,  n»  629.  —  Stat.  ms.  de  l'Ordre 
de  la  Cour,  d'épines,  c.  10,  ap.  Du  Cakge.  —  Une  ancienne  peinture  du 
XIV«  siècle,  qui  décorait  jadis  les  murs  de  la  chapelle  Saint-Etienne  au  vieux 
palais  de  Westminster,  offrait  plusieurs  spécimens  de  chaussures  fenestrées 
très  élégantes.  Rock,  The  Chitrch,  etc.  t  ii,  p.  240.  fig. 

*  (1  Rostratis  tabulatisque  calceis  ut  legiiia  iucedere.  «  De  Discip.  sc/iol., 
c.  2,  attr.  à  BoECE  (VI^  siècle). 

^  L'empereur  Maurice  (VI"^  siècle)  nomme  cespointes  ptoôwvia  :  «  ']"à  utto- 
S'/l[j.aTa  aÙTÔJv  ToTÔixà  X'^ccgutoc,  Bi/a.  pojÔtoviwv,  àîrXwç  IppatxaÉva  utto  Ouwv 
aciwv,  xai  p.v)  ttÎvô'ov.  »  (Slrutég..,  lib.  xii,  p.  303.)  Léon  lePhilosophe  (X'  s.) 
les  appelle  oçsîai  (Inst.  railit.,  c.  vi,  Ji  26.)  et  Anne  Commème  (XII»  siècle) 
TTêotXwv  Tvpoî^Xao'.Ta.  [Alexicul.,  lib.  iv,  p.  140.) 


LES   SANDALES    ET    LKS    BAS.  o73 

trèrent  par  la  voie  des  Arabes  d'Espagne  dans  rF.iiropc  occi- 
dentale ;  Guibert  de  Nogeut,  irrité  contre  les  toilettes  disso- 
lues des  jeunes  filles  de  son  époque,  le  fait  entendre  assez 
clairement.  Quant  à  la  date  de  ce  retour,  elle  est  fixée  par 
Adalbéron  de  Laon  au  commencement  du  XI^  siècle  ' .  Ordéric 
Vital  attribue  à  Foulques-le-Rechin,  comte  d'Anjou,  la  ré- 
surrection des  chaussures  pointues;  le  passage  est  trop  cu- 
rieux pour  n'être  pas  transcrit  littéralement  ici  :  «  Ipse 
(Fulco)  nimirum,  quia  pedes  habebat  déformes,  instituit  sibi 
fieri  longos  et  in  summitate  acutissimos  subtolares  ;  ita  ut 
operiret  pedes,  et  eorum  celaret  tubera,  quas  vulgo  vocantur 
uniones.  Insolitus  inde  mos  in  occiduum  orbem  processit, 
levibusque  et  novitatum  amatoribus  veliementer  placuit. 
Unde  sutores  in  calceamentis  quasi  caudas  scorpionum,  quas 
Yulgo  pigacias  appellant,  faciunt.  Idque  calceamenti  genus 
pêne  cuncti  divites  et  egeni  nimium  expetunt.  Nam  antea 
omni  tempore  rotundi  subtolares  ad  formam  pedum  ageban- 
tur,  eisque  summi  et  médiocres,  clerici  et  laici  competenter 
utebantur.  At  modo  seculares  perversis  moribus  competens 
scema  superbe  cupiunt  :  et  quod  olim  liouorabiles  viri  tur- 
pissimum  indicaverunt,  et  omnino  quasi  stercus  refutave- 
runt,  hoc  moderni  quasi  mel  dulce  œstimant,  et  veluti  spé- 
ciale decus  ampiectantes  g•estant^  »  Beaucoup  moins  afiir- 


'  «  Vestium  qualitates  in  tantum  sunt  ab  illa  vcteii  fiugalitate  dissimiles, 
ut  dilatatio  inanicarum,  tunicaiTim  angustia,  calceoium  de  Corduba  lostra 
tortitia.  »  De  Vita  sua,  lib.  i,  c.  11  (XI«  siècle). 

Cœpit  summa  pedum  cum  tortis  tendei  e  rostris. 
Carm.  ad  Roherl.um  reg.,  106. 

S.  PiEiiUK  Damiew  (XI«  siècle)  décrit  ainsi  la  chaussure  d'un  Clerc  dé- 
bauché qu'il  avait  connu  dans  sa  jeunesse  :  «  Calceus  postrema  ad  aquilini 
rostri  speciem  non  falleret.  »  [Opusc.  XLll,  c.  7.) 

-  Hist.  eccl.,  lib.  viii  (1089:. 


574-  LES    SAXDAl.ES    ET    LES    BAS. 

matif  que  Guillaume  de  Malmesbuiy,  qui  place  au  XI^  siècle 
l'invention  des  calcei  acummali  ' ,  l'historien  normand  se 
contente  de  les  présenter  comme  une  mode  ancienne,  juste- 
ment méprisée  et  remise  en  vigueur  par  le  caprice  intéressé 
du  prince  angevin.  Les  pointes  en  queue  de  scorpion  ou  pi- 
gaches  continuèrent  pendant  le  XIP  siècle  à  prolonger  les 
chaussures  ;  le  poète  Jean  de  Hauteville  en  affuble  les  pieds 
d'une  compagne  de  Vénus  :  voici  sa  description  qui  ne 
manque  pas  d'intérêt. 

Soleee  substringitur  arcu 
Calceus  obliqiio,  pedis  instar  faclus,  ut  ipsos 
Exprimet  aiticulos,  cujus  deductior  ante 
Pinnula  procedit,  pauloque  reflexior  exit. 
Et  fugit  in  longuni,  tractumqiie  inclinât  acumen  *. 

A.U  XIII  ^  siècle  les  Papes  et  les  Conciles  durent  interdire 
au  clergé  l'usage  des  sotulares  rosfrati^  que  le  XIV"  exagéra 
jusqu'au  plus  complet  ridicule.  «  Davantage  »  dit  Guillaume 
Paradin  «  portoient  les  hommes  des  souliers  ayans  une  longue 
«  pointe  devant,  de  demi  pied  de  longueur  :  les  plus  riches 
«  et  apparens  en  portoient  d'un  pied,  et  les  princes  de  deux 
«  pieds,  qui  estoit  chose  la  plus  absurde  et  ridicule  que  l'on 
«  eut  sceu  voir.  »  Pour  soutenir  des  machines  aussi  extra- 
vagantes on  fut  obligé  de  les  rembourrer  de  foin,  d'employer 
la  baleine  ou  de  les  attacher  aux  chausses  avec  des  chaînettes 


*  «  Tune  iisiis  calceoium  cum  acuininatis  aculeis  inventus.  'i  De  Gesl. 
Angl.,  lib.  iv,  c.  1  (Guillaume  le  Roux). 

"'  Architrenius ,  lib.  ii,  c.  3. 

^  «  Prohibemus  sotulares  lostratos  ne  habeant.  »  Gallon,  Légat  d'Inno- 
cent III  (v.  1209).  —  "  Nec  portent  sotulares  rostratos.  »  Conc.  Tarrac. 
(1282). 


LKS    SAiNDALKS    l'/l'    M-S    liAS.  573 

de  métal;  de  plus  on  lesonia  de  brodtM'ies  et  d'éniiiiix  ' .  Malgré 
les  défenses  renouvelées  par  l'autorité  ecclésiastique  et  les 
sages  ordonnances  de  nos  rois,  les  souliers  à  la  poidaine,  — 
ce  nom  date  du  XIV^  siècle,  —  n'en  persistèrent  pas  moins 
durant  le  cours  du  XV^^.  On  en  voyait  encore  du  temps  de 
Rabelais  ;  le  c.  21  du  Concile  i)rovincial  de  Sens  (1528)  formule 
l'interdiction  suivante  :    «  Ne  clerici  lunatis  seu  cornutis  ac 


'  Mém.  de  l'IIisl.  de  Lyon,  lib.  m,  o.  5.  —  «  Prohibcmus  etiam  ut  clerici 

proesertim   bcneficiati   caligis   cathenatis publiée  utantur.   »    Stat.    Eccl. 

Cadurc,  etc.  (add.  du  XIV"  siècle)  ap.  Martèwe,  t.  iv,  col.  728.—  V.  Arts 
sompt.,  t.  1.  pi.  121,  147,  148,  149:  Le  Moyen  Age,  etc.,  Miniut.,  pi.  7, 
17  his  :  Hisl.  de  la  Chauss.,  p.  47,  48,  49,  50,  53,  55.  —  ..  Pour  faire  et 
forgier  une  paire  de  coûtes  et  poulains  tous  poinçonnez  de  feuillaiges  verrez 
et  esmaillez  de  ses  armes  (du  Dauphin).  "  Comptes  royaux,  1352.  —  »  Pour 
Ixxj  paires  de  chausses  semelées,  biodées,  desquelles  sont  Ixviij  paires  à 
longues  poulaines  de  balaine  pour  le  Roy  N.  S.  »  Ap.  Labordk,  Notice  des 
émaux  du  Louvre,  p.  4G4. 

'  "  Sotulares  habebant,  in  quibus  rostra  longissima  in  parte  anteriori  ad 
modum  unius  cornu  in  longum  :  alii  in  obliquum,  ut  grifFones  habent  rétro  et 
naturaliter  pro  unguibus,  gerunt;  ipsi  communiter  deportabant,  quae  quidem 

rostra  pouleanas  gallice  nominabant,  et  quia   res  erat  valde  turpis ,  ideo 

Dominus  rex  Francise  Carolus  fecit  per  prsecones  Parisiis  proclaniari  publiée, 
ne  aliquis  quicumque  esset  qui  auderet  talia  deportare  :  et  etiam  quod  neque 
artifices  sub  magna'  pmna  de  cœtero  taies  calceos,  sed  et  neque  ocreas  sic 
punctatas,  lacère  prassumerent,  nec  vendere  quicunque  :  nam  simili  modo 
dominus  papa  Urbanus  quintus  in  Romana  Curia  inhibuerat  valde  stricte.  » 
Contin.  de  Naingis,  an.  1365.  —  «  Ne  clerici  utantur  sotularibus  de  polena.  « 
Conc.  Andeg.,  c.  13  (1365).  —  «  NuUus  familisris  episcopi  soiulares  déférât 
cum  polanis.  »  Conc.  Vabr.,  48  (1368).  —  «  Neque  gérant  sotulares  aut 
ocreas  ad  poulentiam.  »  Stat.  Eccl.  Nannel.  (1389),  ap.  Martèke,  t.  iv, 
col.  984.  —  «  Nec  poterit  aliquis  ipsorum —  poulenam  in  sotularibus  dé- 
ferre. 1)  Ordin.  Caroll  V  (1365).  —  »  Idem  quod  nuUus  vir  vel  mulier  audeat 
portare  in  suis  estivalibus,  sotularibus  vel  botinis  punctas  dictas  de  Poiayna.n 
Litt.  Caroll  V,  pro  Montispessulanis  (1367).  Ces  ordonnances  furent  renou- 
velées sous  Charles  VI.  —  Méwagk  pense  que  poulaine  vient  de  Polanus. 
Folonus  (Polonais)  ;  en  eifet,  les  peuples  Slaves  ont  encore  les  chaussures 
pointues  dans  leur  costume  national.  {Dict.  éti/m..  Pon.AiNE.) 


o70  LES    SANDALES    ET   LES    lUS. 

iiimis  fenestratis  calceis  iitautur.  »  Martial  d'Auvergne  (fin 
du  XV  siècle)  disserte  agréablement  sur  les  poulaines  de  son 
époque  :  «  Il  y  ha  six  ou  liuict  varlets  cordoanniers  qui  se 
«  sont  plainctz  en  la  cour  de  ceanz  :  de  ce  quil  faut  niain- 
«  tenant  mettre,  aux  poinctes  des  souUiers  qu'on  faict,  trop 
«  de  bourre.  Disans  quilz  sont  trop  grevés,  et  qu'ilz  ne 
'I  pourroyent  fournir  des  compaignons,  ni  continuer  ceste 
«  charge,  silz  nen  avoient  plus  grand  gaige  quilz  navoyent 
«  accoustumé,  attendu  que  le  cuyr  est  cher  et  que  les  dictes 
"  poullaines  sont  plus  fortes  à  faire  quilz  ne  souloyent.  Si 
tt  ha  la  cour  faict  faire  information —  Et  tout  vu  et  consi- 
«  déré. . .  que  les  dicts  compaignons  feront  les  dictes  pollaines 
«  grosses  et  menues  à  l'appétit  des  compaignons  ' ,  »  La 
mode  des  poulaines  avait  gagné  l'Italie,  l'Allemagne  et 
l'Angleterre  ;  entre  les  spécimens  de  chaussures  conservés 
au  Musée  de  Londres,  ou  distingue  une  pointe  de  soulier 
contemporaine  de  Richard  II.  Elle  est  en  cuir  gauffré,  très- 
aigue,  fortement  recourbée  et  mesure  neuf  pouces  anglais  de 
long  ;  l'intérieur  est  encore  garni  de  la  mousse  qui  le  rem- 
bourrait^. 

Le  catalogue  des  archives  du  baron  de  Joursanvault  men- 
tionne aux  Comptes  du  duc  d'Orléans  des  patins  et  des  pen- 
thofles.  Rabelais  nous  apprend  que  les  semelles  des  pantoufles 

'  Arrelz  d'.lmours,  n°  42,  p.  359,  Lyon,  1546.  —  Une  ordonnance  d'E- 
douard IV  (1462),  défend  à  tout  gentilhomme  anglais  de  porter  des  bottes 
dont  la  poinle  excéderait  deux  pouces.  —  Moïsstuelet  dit  que  les  princes 
portaient  à  leurs  souliers  des  poulaines  d'un  quart  d'aune  de  long  et  même 
plus.  —  V.  Ilist.  delà  Chaus.,  p.  52,  53,  66,  67,  69  ;  Les  Arts  sompt.,  t.  ii, 
pi.  1,  3,  24,  25,  31,  (Allemagne).;  32  (id.)  ;  45,  46,  (Flandre)  ;  58,  (Suisse)  ; 
108,  (Allemagne,  XVI«  siècle).  — V.  encore,  Conc.  Avenion..  (1457)  ;  Co7ic. 
Senon.,  (1460)  ;  Conc.  Liman.,  (1582)  :  ap.  Du  Caisge. 

'  Cat.  of  the  Mus.,  etc.,  p.  128,  n"  632.  V.  encore,  [hid:,  pi.  xiii,  fig.  2 
et  pi.  XIV,  fig    1. 


REVUE  DE  LART   CHRÉTIEN. 


de  j.;nsî   j'] 


1.     Sole  a     crucifère    d'après  un  marûre  31:^1  que  . 

^      '-  arLalina  du  pape  Honoriusl  .d'après la  mosaïque  de  l'i'Ac.ie.  m  vià  nompntana 

i  et4.  Caudales   conservées   dans  l'Eglise    de  r.3inT-.^l3rhn-des-/'\o-nls 


LES    SANDALES   ET    LES    1)AS.  577 

étaient  en  liège  et  il  chausse  ses  religieuses  de  TliéleMiie  de 
«  soliers,  escai'i)ins  et  paiitouphles  de  velours  cramoisy 
«  rouge,  ou  violet,  descbiquetées  à  barbe  d'escrevisse.  » 
Les  escarpins,  du  bas  latin  scapmus  (semelle),  ou  de  l'italien 
scarpa  (soulier),  se  nommaient  également  esca/fins^  csraji- 
g lions.,  cschapins  : 

Tolo  dolente,  hors  de  la  chambre  esi, 
Désafublée,  chauciée  en  eschapins. 

M.  Lacroix  avance  que  l'escarpin  était  dans  l'origine  une 
sorte  de  chaussure  de  cuir;  on  ne  peut  douter  que  ce  ne  fut 
une  chaussure  d'intérieur  :  :• 

Isent  des  lis,  les  eschapins  chaucent. 

Il  ne  faudrait  pas  confondre  les  patins  avec  les  galoches  ; 
dans  un  compte  de  la  duchesse  d'Orléans  figurent  ensemble 
«  une  paire  de  patins  et  les  boucles  de  trois  paires  de  ga- 
loiches.  »  Les  galoches  étaient  un  soulier  à  semelle  de  bois; 
les  patins,  en  bois  et  en  fer,  exhaussés  sur  des  appendices,  sans 
empeigne  et  maintenus  par  une  simple  bride,  garantissaient 
de  la  boue  une  autre  chaussure  plus  délicate  '.  Les  hauts 
talons  doivent  vraisemblablement  leur  origine  aux  patins 
qui,  sous  diverses  formes,  persistent  encore  aujourd'hui  dans 
les  contrées  humides  de  l'Europe. 

L'ampleur  des  robes  permet  rarement  de  reconnaître  la 
coupe  exacte  des  chaussures  de  femme.  Au  IX*^  siècle,  les 

'  Hist.  de  la  chaus.,  p.  64,  66  et  74.  —  Gargantua,  c.  56.  — Willemin, 
pi.  162.  —  Le  Moyen  Age,  etc.,  Miniat.,  ms.  do  Boccace,  Bibl.  de  l'Ar- 
senal. —  «Nec  etiam  in  ecclesia  vel  claustro  porta bunt  (canonici)  patinossive 
soccos  ferratos  strepitum  magnum  facientes.  »  Stat.  ms.  Eccl.  .4quens.  1295. 
—  fl  Pierre  Boivin  acheta  du  bois  convenable  à  faire  patins  et  galoches.  » 
Letl.  de  remis.,  1417,  ap.  Do  Cangk. 

TOME    VI  12 


578  LES    SA.NDALES    ET    LES    BAS. 

dames  aussi  bien  que  les  hommes  portaient  des  calcei  liripi- 
piati ;  une  figure  de  sainte  Radegonde  (XI®  siècle)  a  des  san- 
dales bleues,  ouvertes  jusqu'aux  orteils,  avec  bi'ide  sur  le 
cou-de-pied  ;  au  contraire,  la  chaussure  écarlate  d'une  reine, 
peinte  à  la  même  époque,  est  entièrement  close.  Les  XII% 
XIIP  et  XIV®,  siècles  montrent  une  parfaite  analogie  entre 
les  chaussures  des  deux  sexes;  cette  analogie  s'étendait  alors 
jusqu'aux  estivaux.  Les  distinctions  bien  tranchées  re- 
montent à  peine  au  XV®  siècle  ' . 

Les  artisans  qui  confectionnaient  les  chaussures  neuves  se 
nommaient  au  Moyen-Age  alutarii,  cordubanarii,  cordonarii^ 
ronlocmiers,  cordouaniers  ;  ils  travaillaient  le  cordowan  ou 
cordouan  {cordebisus,  aluta)^  peau  de  chèvre  préparée  à  l'alun. 
Ces  peaux,  que  fournissait  l'Espagne,  principalement  Cor- 
doue,  étaient  de  diverses  couleurs,  mais  le  plus  fréquem- 
ment blanches  on   rouges  ^   Les  cordonniers  parisiens  for- 


'  Arts  sompt.,  t.  i,  pi.  17,  61,  52,  66,  79,  80,  89,  111,  147  {estivaux. 
XIV«  siècle);  t.  ii,  pi.  31,  32,  52,  53,  56,  66,  74,  etc.,  etc  —  Willemin, 
pi.  25,  60,  62,  64,  89,  etc.  —  Peint-  de  S.  Savin. ,  pi.  19.  Etc.,  etc. 

*  «  Alutarii  sunt  qui  faciunt  calciamenta  de  alluta,...  qui  conservant  sibi 
formipedias  {formes),  equitibialia  [estivaux)  et  spatulas  {escîices).  »J.  de  Gar- 
LAWDE,  loc.  cit.,  p.  590,  591.  — V.  Coudebisus,  ap.  Du  Cakce. 

Iste  tuo  dictas  de  nomine  Corduba  pelles, 
Hic  niveas,  aller  protrahit  inde  rubras. 

Théoddlfe,  Carm.,  lib.  i,  p.  138. 
«  Melega  civitas,  ubi  sit  copia  de  cordewan  vermeil.  »  Roger  de  Hoteden, 
In  Ricardo  i,  p.  715. —  Ces  peaux  constituaient  une  marchandise  très-chère: 
«  Quia  ab  urbe  deportari  ad  cœteros  soient  pretiosi  corii  species.  »  Ap.  Do 
Cawge,  loc.  cit  — Les  cordonniers  s'appelaient  aussi  cerdones  et  sueor,  sueur, 
de  sîitor.  —  M.  P.  Lacroix  'loc.  cit.  p.  39j  avance  que  jusqu'à  Philippe-le- 
Bel,  on  ne  se  servit  guère  en  Fr;ince  que  de  cuir  et  de  bois  pour  confection- 
ner les  chaussures,  mais  qu'après  ce  prince  les  riches  étoffes  furent  employées 
pour  les  classes  élevées.  Lorsque  Geoffroy  Plantagenet  reçut  à  Rouen 
l'ordre  de  Chevalerie,  avant  son   mariage   avec   la  fille  du    roi  d'Angleterre 


LES   SANDALES   ET   LES   BAS.  57<) 

niaient  une   corpoi^ition   et   uviiient  leurs  statuts  au  Xlll'" 
siècle  ;  on  y  lit  qu'ils  pouvaient  faire  des  souliers  de  basane 
(matière  de  qualité  inférieure)  en  certaines  conditions,  sans 
toutefois  mélanger  celle-ci  dans  leurs  ouvrages  avec  le  cor- 
douan,  si  ce  n'est  pour  les  contreforts.  Il  leur  était  aussi  in- 
terdit d'employer  le  cordouan  tanné  et  de  coudre  le  vieux 
cuir  avec  le  neuf;   enfui,  ils  fabriquaient  spécialement  les 
solers  (calcei)  et  \e&hueses  (tibialia).  Des  statuts  et  règlements 
furent  peu  à  peu  accordés  par  les  rois  de  France  aux  cordon- 
niers des  autres  villes  et  toutes  ces  corporations  eurent  leur 
bannière  et  leurs  armoiries.  Au  XVIP  siècle,  les  statuts  et 
règlements  de  la  communauté  des  maîtres  cordonniers-sueurs 
de  Pans,  ayant  été  revus  et  augmentés,  furent  confirmés  par 
Louis  XIII  (1014).  En  1645,  Henri-Michel  Buch,  dit  le  bon 
Henri,  institua  la  communauté  des  Frères-Cordonniers  des 
SS.  Crépin  et  Crépinien,  qui  acquit  toute  l'importance  d'un 
Ordre  religieux,  reconnu  et  autorisé.  Son  premier  protecteur 
fut  Gaston  J.  B.  de  Reiity,  issu  d'une  des  plus  nobles  familles 
de  l'Artois  ;  ses  statuts  reçurent  l'approbation  successive  des 
archevêques  de  Paris,  Hardouin  dePéréfixe  (1664)  et  Fran- 
çois deGondi  (1695)  '. 

(1127),  il  portait  incoatestabli;ment  une  chaussure  en  tissu  d'or  :  «  Caligis 
holosericis  calceatur,  pedes  ejus  sotularibus  in  superficie  leunculos  aureos  ha- 
bentibus  muniuntur.  »  {.Teaw  de  Marmodtier.s,  iib.  i.)  Les  souliers  peints 
de  Philippe  et  Jean,  frères  et  fils  de  saint  Louis  (Willkmin,  pi.  92j  sont  de 
même  matière,  et  les  monuments  peuvent  en  fournir  bien  d'autres  exemples 
antérieurs  au  XIV«  siècle. 

'  Le  Livre  des  métiers,  tit.  84,  p.  227  et  suiv.  —  On  fabriquait  aussi  des 
cordouans  en  Provence  et  en  Flandre  ;  ces  derniers  furent  momentanément 
prohibés  parce  qu'ils  «  estoient  partie  courroyez  en  tan.  »  Hist.  de  la  Chauss. 
p.  36.  —  En  1345  on  corroyait  le  cordouan  à  Paris  :  V.  l'art,  xx  de  l'or- 
donnance de  Philippe  de  Valois,  relative  aux  tanneurs,  etc.  —  V.  Hist. 
des  Cordonniers,  à  la  suite  d«  VHist.  de  la  Chauss.;  nomb.  grav.  et  pièces 
justif. 


5H0  LES   SANDALES    ET    LES    UAS. 

On  trouve,  dans  le  Livre  des  Métiers  ,  les  statuts  de  la 
corpoi'iition  des  çavetonniers  owchavetonniers  de  petits  solers. 
Ces  artisans,  qu'il  faut  se  garder  de  confondre  avec  les  save- 
tiers, payaient,  pour  droit  de  métier,  la  même  somme  que  les 
cordonniers  (16  sols  parisis)  dont  ils  pouvaient  exercer  l'é- 
tat (I  se  ilz  avoient  de  quoi.  »  Leur  spécialité  était  de  faire 
<i  de  petits  solers  de  bazane.  »  Comme  les  cordonniers,  ils 
avaient  défense  de  mettre  de  la  basane  à  un  soulier  de  cor- 
douan,  mais  il  leur  était  permis  de  mettre  du  cordouan  à  un 
ouvrage  en  basane.  Les  droits  annuels  qu'ils  payaient  au 
Souverain  étaient  aussi  de  beaucoup  inférieurs  à  la  somme 
imposée  aux  véritables  cordonniers  ' . 

La  corporation  des  savetiers  {pictacmrii ,  corvesarii , 
courvoisiers,  cavaliers,  sueurs  de  viel)  existait  à  Paris  au 
Xlir  siècle;  on  voit  alors,  dans  leur  fort  bref  règlement, 
qu'ils  cousaient  et  raccommodaient  les  chaussures.  Les  statuts 
de  i  659  sont  beaucoup  plus  explicites  et  rappellent  les  or- 
donnances rendues  en  faveur  du  métier  depuis  Charles  VIL 
Les  savetiers  peuvent  faire  des  souliers  neufs  pour  leur  fa- 
mille (1SÎ6);  ils  ont  le  droit  exclusif  de  travailler  le  Adeux 
cuir  (1598  et  1618);  nul  autre  qu'eux  ne  doit  s'intituler 
bobelineur  et  confectionneur  des  souliers  dits  bobelins;  enfin 
l'article  45  oblige  les  maîtres  cordonniers  à  employer  le  cuir 
mis  en  suif  pour  leurs  semelles,  avec  défense  d'user  «de  cuir 
«  maigre  en  doublure  ni  autres  ouvrages  s'ils  n'en  sont  re- 
«  quis  et  avoués  et  non  autrement.  »  Le  cuir  maigre  était 
donc  exclusivement  réservé  aux  savetiers,  dont  les  corpora- 
tions, établies  dans  les  diiférentes  villes  du  royaume,  pos- 
sédaient aussi  bannières  et  armoiries  '. 

•  Tit.  85,  p   231  et  suiv. 

-  »  Pictaciarii  viles  sunt  qui  consuunt  voteres  sotularcs,  rcnovando  pictacia 
(benielle  intérieure)  et  intercutia  (cuir  placé  entre  les  deux  semelles)  et  soleas 


LLS    SANIIAI.ES    KT    LtS    liA.S.  TiSl 


CHAPITRE  V. 

CllAlSSI.UKS    MÏCUGIQIKS    JJAKS    l'aîNTIQUITK    KT    fUKZ    f.KS    IMIK^IIKIIS 
CIIUKTIEIVS. 

Les  prêtres  juifs  aviiieiit  toujours  les  pieds  nus  lorscpi'ils 
paraissaient  dans  le  temple.  Le  ïalmud  se  sert  des  paroles 
que  Dieu  adressa  à  Moïse  sur  le  mont  Horeb,  pour  expliquer 
cette  circonstance  ;  d'autres,  au  contraire,  prétendent  que  la 
Loi  n'interdit  pas  les  souliers,  mais  que,  le  chapitre  28  de 
l'Exode  restant  muet  à  leur  é'i;ard,  les  ministres  de  la  relio;ion 
devaient  s'en  abstenir  pendant  l'exercice  des  fonctions  sa- 
cerdotales ' . 

Le  paganisme  ne  suivit  aucune  règle  fixe  à  l'endroit  des 
chaussures  liturgiques.  Les  pieds  du  pontife  officiant  se 
montraient  nus  ou  couverts,  selon  la  divinité  vénérée  et  le 
lieu  où  était  bâti  son  sanctuaire.  Une  formule  de  Pythagore 
prescrit  de  sacrifier  et  d'adorer  pieds  nus;  Didon  s'approche 
de  l'autel  : 

Unum  exuta  pedem  vinclis  in  veste  recincta. 

Les  Vestales  et  certains  prêtres  d'Hercule  étaient  dé- 
chaussés; lud  ne  pouvait  aborder  le  temple  de  Diane,  en 
Crète,  sans  quitter  ses  souliers;  Prudence  assure  que  les 
sénateurs  en  faisaient  autant  devant  le  char  de  Cybèle  : 


(semelle)  et  impedias   (empeigne) Pictaciavii   dicuntur  savetiers.  »   J.  de 

Garlande,  loc.  cit.,  p.  590.  —  Le  Livre  des  met.,  tit.  86,  p.  23.3.  —  Hist. 
des  Cordon.,  Pièces  justif.  et  Armor.  —  hesmbobelins  étaient  sans  doute  des 
souliers  en  vieux  cuir. 

*  Bradn,  De  Fest.  sac.  Hcehr.,  lib.  i,  p.  46.  «  Quia  sacerdotes  .sempcr 
discalceati  incedunt  super  pavimentum.  »  —  Id.,  ihid.,  p.  154.  —  Gemara 
liabyl.,  c.  IX.  —  Les  Rabbins,  à  la  synagogue,  sont  toujours  chaussés. 


582  LES    SANDALES    ET   LES    BAS. 

Niidare  phintas  ante  cari)entum  scio 
Proceres  togatos,  Matris  Ideœ  sacris. 

Enfin,    les    monuments  présentent   divers  exemples  de 
sacrificateurs  nudipedea  ' . 

La  chaussure  sacerdotale  se  montre  aussi  fréquemment  que 
la  nudité  des  pieds.  Les  prêtres  de  l'Egypte  et  de  la  Phénicie 
portaient  des  calceamenta  en  matières  végétales,  telles  que 
le  papyrus  et  le  lin  ;  il  était  interdit  aux  Flamines  romains 
d'en  avoir  qui  eussent  été  confectionnés  avec  la  peau  d'un 
animal  mort  naturellement  ;  Athénée  mentionne  les  souliers 
laconiens  blancs  d'un  pontife  d'Hercule,  et  Appien  attribue 
le  phœcasùim  aux  prêtres  d'Alexandrie.  Quant  aux  mé- 
dailles et  aux  marbres  antiques,  les  sacrificateurs  chaussés  y 
apparaissent  à  chaque  instant  ^. 

'  Jambliqik,  De  rit.  Pyth.,  Symb.  m.  —  Eneid.,  iv,  518 
Forte  revertebar  festis  Vestalibus,  illac 

Qua  nova  Roniano  nunc  via  juncta  foro  est, 
Hue  pede  mationam  vidi  descendere  nudo. 
Ovr^E,  Fast.,  vi.  395.  —  «  Virgines  simul  ex  sacerdotio  V<'St;e,  nudo  pede 
fugientia  sacra  comitantur.  »  Fi.oros,  r,  13, 

Pes  nudus,  tonsœque  comse,  castumque  cubile. 
SiLius  Italicus,  De  Bello  Pan.,   ni,   28-  —  SoLI^',  c.  17.  —  Péristéph, 
In  Roman  ,  154.  —  Dd  Chodl,  De  la  Relig.  des  anc.  Romains,  p.  152, 164, 
235,  237.  etc. 

-  Hérodote,  ii.  —  HÉRODitw,  v,  13.  —  Apolke,  Meta.,  viii,  ne  dit  pas 
en  quoi  étaient  faits  les  souliers  jaunes  des  prêtres  de  la  déesse  de  Syrie.  — 
«  Sane  flaminicœ  non  licebat,  neque  calceos,  neque  soleas  morticinas  habere. 
Morticinae  autem  dicuntur,  quee  de  pecudibus  sua  sponte  mortuis  fiebant.  » 
Servius,  Li  jEneid.,  iv,  518.  —  «  Et  ne  Philologia  ipsius  Phronesis  careret 
ornatibus,  ejus  pectori,  quo  verius  comeretur  apponit,  calceos  prseterea  ex 
papyro  textili  subligavit  :  ne  quid  ejus  membra  pollueret  morticinium.  » 
Martiaîmcs  Capeli.a,  De  Nupt.  Philol.,  lib.  ii.  —  Deipnos.,  v,  14.  —  De 
Bello  civ.,  V.  —  Do  Choul,  loc.  cit.,  p  77,  217,  278,  279.  —  Feurari,  i, 
10.  —  V    encore  Athicnke,  lib.  vu. 


LES    SANDALES   ET    LES   lîAS.  r)83 

Les  disciples  de  la  Loi  nouvelle,  inclinés  devant  l:i  parole 
de  Dieu  écrite  dans  la  Loi  ancienne,  ne  virent  jamais  (pTun 
symbole  dans  le  cérémonial  liturgique  de  cette  dernière;  s'ils 
lui  empruntèrent  le  nom  de  cpielques  habits  saci'és,  ce  i'ut  à 
la  condition  expresse  d'en  modifier  ostensiblement  la  foi-me. 
Vis-à-vis  (les  Gentils,  dont  ils  repoussaient  à  la  fois  les  doc- 
trines perverses  et  le  culte  extérieur,  les  chrétiens  a})p()r- 
tèrent  encore  ])lus  de  réserve  ;  ils  proscrivirent  avec  énergie 
tout  vêtement  qui  pouvait  rappeler  ceux  des  pontifes 
païens'.  Placé  entre  deux  liturgies  également  antipathi(pies, 
quel  parti  le  christianisme  naissant  prit-il  à  l'égard  de  la 
chaussure?  La  question  a  été  vivement  controversée  ,  des 
autorités  respectables  ont  soutenu  le  pour  et  le  contre;  néan- 
moins, à  l'aide  des  textes  et  des  monuments  figurés,  la  diffi- 
culté n'est  pas  impossible  à  résoudre. 

Saint  Matthieu  et  aussi  saint  Luc  font  dire  à  Jésus-Christ 
confiant  aux  Apôtres  la  mission  d'enseigner  les  peuples  : 
«  Vous  n'aurez  pas  de  chaussures.  »  Saint  Marc,  à  l'inverse, 
met  ces  paroles  dans  la  bouche  du  divin  Maître  :  «  Vous  se- 
rez chaussés  de  sandales.  »  La  contradiction  est  en  apparence 
flagrante;  elle  l'est  moins  après  une  étude  attentive.  En 
effet,  saint  Matthieu  écrit  :  «  Vous  ne  posséderez  {[my^xmr.aOz) 
ni  besace,  ni  deux  tuniques^  ni  chaussures  »  ;  et  saint  Luc, 
dont  le  grec  est  relativement  plus  pur  :  «  Vous  ne  porterez 
ni  bourse,  ni  besace,  ni  chaussures  (p-Vi  oaorà^sTe  oxkldvziov, 
irhxs  r.-npxv  iirize  vnoâriiJ.xTc/.).  Or,  à  mon  sens,  les  termes  zr/i<7-/j(7(3e, 
êaazd'c^ere  s'appliquent  ici,  non  à  un  vêtement  inhérent  à  la 
personne,  mais  à  un  fardeau  dont  elle  serait  chargée.  Cela 
est  si  vrai  que  saint  j\Iatthieu  emploie  le  verbe  Bajc-âÇM  (je 
porte  im  fardeau^  j'emporte),  pour  exprimer  l'acte  d'humilité 

*  V.  Marangowi,  Délie  rose  gentil.,  c  xxxni. 


584  LES   SANDALES   ET    LES   BAS. 

de  saint  Jean-Baptiste  à  l'égard  du  Sauveur  :  «  Cujus  nun  suni 
dignus  calceamenta  portare  {yT.od-hiJ.y.ia  Qy.a-ddy.i).  »  Si  donc 
saint  Matthieu  et  saint  Luc  n'ont  formulé  qu'une  défense, 
relative  aux  chaussures  comprises  dans  un  bagage  quel- 
conque, ils  ne  désavouent  en  rien  Sidiit  Marc  qui  a  pres- 
crit les  sandales  aux  pieds.  D'ailleurs,  les  quatre  Évan- 
gélistes  s'accordant  pour  donner  des  chaussures  à  Jésus- 
Christ,  il  serait  invraisemblable  que  l'PIumble  par  excellence 
eût  interdit  à  ses  disciples  un  objet  dont  il  faisait  lui  môme 
usage  ;  de  plus  saint  Luc,  rédacteur  des  Actes  des  Apôtres, 
met  des  sandales  aux  pieds  de  saint  Pierre,  prisonnier  d'Hé- 
rode.  Supposer,  qu'à  trois  années  de  distance,  le  compagnon 
de  saint  Paul  se  soit  contredit  ainsi,  serait  une  énormité. 
Une  objection  grave  pourrait  sortir  d'un  autre  passage  de 
saint  Luc.  Après  la  Cène,  le  Sauveur  dit  aux  Apôtres  : 
«  Quando  misi  vos  sine  sacculo  et  pera  et  calceamentis.  » 
Mais  comme  il  ajoute  :  «  Numquid  aliquid  defuit  vobis  ?  » 
on  a  le  droit  de  croire  que  la  cliaussure  était  comprise  parmi 
les  choses  nécessaires  qui  ne  manquèrent  jamais  aux  envoyés 
du  Fils  de  Dieu  * . 

Saint  Augustin  penche  vers  la  chaussure  apostolique; 
André  Du  Saussay  a  écrit  longuement  en  sa  faveur.  Saint 
Bonaventure,  répondant  à  un  docteur  incoinui  qui  attribuait 
un  calceamentum  au  Christ  et  aux  Apôtres,  s'appuye  sur 
saint  Jean  Chrysostôme,  et  notamment  sur  saint  Jérôme,  pour 
nier  l'exactitude  du  fait.  Mais,  comme  dans  son  opuscule,  la 
discussion  roule  toute  entière  sur  le  sens  réel  des  termes 
calceus  (chaussure  enveloppant  l'intégrité  du  pied)  et  solecij 

•  Saint  Matthieu,  m,  11  ;  x,  9  et  10.  —  Saint  Marc,  i,  7  ;  vi,  8  et  9. 

—  Saint  Lcc,   iji,  16  ;  x,  4.  —  Saint  Jean,  i,  27.  —  Jet.  jipost.,  xii,  8. 

—  D'après  les  idées  généralement  admises;  saint  Luc  écrivit  son  Evangile 
de  53  à  56  et  rédigea  les  Actes  des  Apôtres  vers  59. 


LES    SANIIALES    ET    LUS    lîAS.  fiS"» 

sandalium  (cluuissuro  laissant  la  partie  siij)ériciire  du  pied 
découverte),  le  docteur  Sérapliique  finit  par  admettre  les 
sandales  apostoliques  dont,  au  reste,  les  anciennes  peintures 
et  sculptures  lui  confirment  am[)lement  l'existence'.  J'ai 
sans  doute  eu  tort,  <et  je  le  confesse  humblement  ici,  d'avoir 
voulu  résoudre  grannnatîcalement  une  question  qui  préoccupa 
tant  d'illustres  écrivains  ;  peut-être  aurais-je  mieux  fait  de 
dire  simplement  que  saint  Matthieu  et  saint  Lucont  rendu  la 
pensée  symbolique  du  Maître,  relative  au  détachement  des 
biens  terrestres,  tandis  que  saint  Marc  a  reproduit  littérale- 
ment la  parole  divine.  Cette  dernière  solution  n'a  pas  échappé 
à  saint  Bonaventure,  car,  après  avoir  cité  les  trois  textes 
évangéliques,  il  ajoute  :  «  Quid  aiitem  Domiai  hœc  verba 
mandata  non  tantum  spiritualiter,  sed  etiam  ad  litteram 
fuerint  observata,  patet  ex  autoiitatibus  prœdictis  ".  » 

Les  chaussures  apostoliques  étant  reconnues  en  principe, 
reste  à  établir  leur  genre.  Interrogeons  sur  ce  point  les  pre- 
miers âges  du  christianisme,  alors  que  chacun  s'efforçait 
d'imiter  les  apôtres  à  l'extérieur  comme  à  l'intérieur. 

Parmi  les  chrétiens  de  la  primitive  Eglise,  les  uns  suivirent 
à  la  lettre  les  évangiles  de  saint  Matthieu  et  de  saint  Luc  ; 
les  autres  s'en  rapportèrent  à  saint  JMarc  et  aux  Actes.  Au 
IP  siècle,  Lucien,  le  Voltaire  de  son  temps,  bafoue  le  chré- 
tien Chleuocharme,  couvert  d'un  manteau  usé,  la  tête  et  les 

'  De  Consensu  Evangelist.  —  Panoplia  episc.^  1.  vu,  c.  2  et  3.  — De  San- 
daliis  aposlol.,  Opusc.  —  Saint-Jérôme,  Episl.  18,  ad  Eusloch.,  «  Et 
Moyses  et  Jésus  in  Nave  midis  in  sanctam  terram  pedibus  jubentur  incedere. 
,  Et  discipuli  sine  calceamentorum  onere,  et  vinculis  pcUium  ad  piBedicatlonem 
novi  evangelii  destinantur.' Et  milites  vestimuntis  Jesu  forte  divisis,  caligas 
non  habebant  quas  toUerent.  Nec  enim  poterat  habere  Dominus  quod  prohi- 
huerat  seivis.  »  lu.,  Epist.  91,  ad  Ageruc.  «  Apostoli  toto  oibe  pcicgrini non 
caligas  habuere  in  pedibus.  » 

-  Opusc.  cit. 


586  LES   SANDALES   ET    LES   BAS. 

pieds  mis  (dvjnôâerotj)',  an  IIP,  Tertullien  se  prononce  contre 
le  calceus  et  recommande  la  luidité  des  pieds.  Clément 
d'Alexandrie,  postérienr  à  Tertullien  de  quelques  années, 
est  encore  plus  explicite.  Après  avoir  concédé  aux  femmes 
les  souliers  blancs,  et  en  voyage,  les  souliers  graissés,  l'au- 
teur du  Pédagogue  pousse  les  homnïes  en  général  à  l'absten- 
tion de  toute  chaussure  (dwiioâ-nGioc),  h  moins  qu'ils  ne  soient 
à  l'armée;  selon  lui,  avoir  les  pieds  nus  {yvij.vola  x^-naBai  lola 
Tiodh)  est  favorable  à  la  santé,  quand  la  nécessité  n'ordonne 
pas  le  contraire;  si  l'on  n'est  pas  en  route  et  qu'il  y  ait  im- 
possibilité d'agir  autrement,  il  recommande  l'usage  de 
chaussures  ouvertes  ou  légères  ifâlocv-aia  'h  (^oLiY^aaioia) ,  du 
genre  de  celles  que  les  Athéniens  nommaient  y.oviT:odaa  (pieds 
poudreux),  riq)pelant  à  ce  propos  les  paroles  de  saint  Jean- 
Baptiste  qui  se  déclare  indigne  de  délier  les  cordons  de  la 
chaussure  du  Messie  '.  Au  IV  siècle,  saint  Jérôme  cite 
Platon  pour  conclure  à  la  nudité  absolue  des  pieds  -,  et  ail- 
leurs, interprétant  mystiquement  le  verset  15  du  chapitre  VI 
de  l'épître  aux  Ephésiens,  il  ajoute  :  «  Si  quis  non  est  Jésus 
nave,  nec  apostolus,  calciet  pedes  suos  in  prœparatione 
Evangelii  pacis.  Si  quis  autem  apostolus  est,  et  inter  duode- 
cim  numerari  potest,  nequaquam  tollatin  via  calceamentum 
suum,  nec  ad  scorpiones  et  colubros  declinandum  calcanenm 
tegat  ^  »  Juvencus  suit  la  leçon  de  saint  Marc  : 

Non  gerainas  vestes  sed  planlis  tegmina  bina. 

'  Philopalria,  21.  —  De  Pallio,  c.  5  :  «  Si  quis  calceatus  inducitur,  mun- 
dissimum  opus  est,  aiit  pedes  nudi  magis,  certe  viriles  magis  quam  in  calceis.» 
—  Pœdag.,  lib.  ii,  c.  11. 

Et  Plato  prœcepit  duas  corporis  summitates  non  esse  velandas  ;  nec 
assuefieri  debeie  mollitieiei  capitis  et  pedum.  Cum  hœc  enim  habueiint  firmi- 
tatem,  ca'tera  robustiora  sunt.  »  Comm.  hiMalth.,  x,  10. 

'    "    Kc(i    u7;ooT,aâ[a.cVûi   toÙ;    7:oSaç  sv    Éxoiixacîa    tou    svay^eXlou    tt);   et- 


LES    SANDALES    ET    LES   BAS.  587 

Stiiiit  Augustin,  qui  lui-in(jin(3  })ortait  une  clnnissure  mo- 
deste, concilie  ainsi  les  textes  évangéliciues  :  <<  Sic  et  cal- 
ceamenta  cum  dicit  Matthœus  in  via  non  portanda,  curani 
proliibet,,  qua  ideo  cogitantur  ne  desint.  Proinde  Marcus 
dicendo  eos  sandaliis  vel  soleis,  aliquid  hoc  calceanientum 
mysticaî  significationis  liabere  adniouet,  ut  pes  neque  tectus 
sit  neque  nudus  ad  terrani,  id  est  nec  occultetur  evange- 
lium,  nec  terrenis  innitatur'.  »  Au  VP  siècle,  saint  Ful- 
gence,  évoque  de  Ruspe,  marchait  souvent  pieds  nus,  mais 
parfois  aussi,  conformément  à  la  pensée  de  S.  Augustin,  il  se 
servait  de  chaussures  ouvertes  ^.  Saint  Bonaventure  cite  les 
exemples  de  deux  prédicateurs  de  la  Foi  dans  les  Gaules  ; 
l'un,  saint  Martial,  voyageait  nu-pieds  à  l'imitation  du  Christ 
et  de  saint  Pierre,  l'autre,  saint  Front,  usait  de  sandales  *. 

Une  simple  lecture  de  ce  qui  précède,  démontre  claire- 
ment que,  sauf  peut-être  le  sentiment  absolu  de  saint  Jérôme, 
aucun  texte  ancien  ne  conteste  formellement  au  Christ,  aux 
Apôtres  et  aux  chrétiens  primordiaux  l'usage  d'une  chaus- 

pv^'vYiç.  Et  calceati  pedes  in  praeparatione  evangelii  pacis.  »  Comment.,  1.  m, 
In  Ephes.  —  Les  artistes  chrétiens  se  sont  appuyés  sur  cette  explication 
mystique  du  verset  de  saint  Paul  pour  représenter  le  Christ  et  les  Apôtres 
sans  aucune  espèce  de  chaussure. 

*  De  Hist.  evang . ,  lib.  ii,  In  3Inf.th.,  x.  etc.,  v.  14.  —  «i  Vestis  ejus  et 
calceamenta  ex  moderato  et  competenti  habitu  erant,  nec  nitida  nimium,  nec 
abjecta  plurimum,  »  Possidius,  S-  Augiist-  Vita.  c.  xxii,  25.  —  De  Conc. 
evangelisL ,  lib.  ii,  c.  xxx,  75. 

^  <i  Ut  nec  ipsa  calceamenta  suscipiens  clericoium,  fréquenter  nudis  pedibus 
ambulabat.  —  Sic  studio  humilitatis  ambitionem  vestium  fugiebat,  ut  nec  ipsa 
calceamenta  suscipiens  clericoruin,  aut  caligis  in  tempore  hyemis,  autcaligulis 
in  tempore  aestatis  simpliciter  uterotur.  »  ^.  Fulg.  T'ita,  c.  18,  n"^  19  et  38. 

^  De  Sandal.  Apost    •  Sanctus   Domini  Martialis  pergens  ad  priedicanduni 

nec  calceam.  nta  propriis  induebat   pedibus nudis   incedens    pedibus, 

imitator  Christi  etB.  Pétri  apostolorum  principis,  consanguinei  sui.  »  «  Bea- 
tus  Fronto  castra  et  urbes,  in  vicina  loca  calceatus  tantum  sandaliis  peia- 
grans    gentium  catcrvis  divini  Verbi  semina  ero'gabat    » 


588  LES   SANDALES    ET    LES    BAS. 

sure  qui,  hiissant  la  partie  supérieure  du  pied  à  découvert, 
en  garantissait  néanmoins  la  plante.  Cette  chaussure,  nette- 
ment énoncée  d'ailleurs,  et  dont  saint  Jean-Baptiste  se  dé- 
clare indigne  de  délier  les  cordons,  était  le  calceamcntuin 
grossier  des  pauvres  et  des  artisans,  la  solea  ou  une  sorte  de 
carbat iiia  en  cuir  travaillé  à  laquelle,  par  analogie,  saint  Marc 
et  saint  Luc  donnent  le  nom  de  (jxvâdhov,  mot  traduit  une 
fois  en  latin  par  sandalium,  et  une  autre  par  l'expression 
caractéristique  caliga  (chaussure  à  courroies  ' .} 

Les  plus  vieux  monuments  chrétiens  offrent  de  fréquentes 
images  du  Christ,  des  Apôtres  et  de  leurs  disciples  chaussés 
de  la  solea.  Je  mentionnerai  comme  exemples,  les  mosaïques 
de  Sainte-Agathe-Majeure, à  E,avenne(400  environ),  de  Saint- 
Cosme  et  Saint-Damien,  à  Rome  (550)  et  de  Saint-Vital, 
aussi  à  Ravennne  (o47  environ)  :  le  Christ,  triomphant  dans 
les  cieux,  y  est  représenté  avec  la  solea  aux  pieds  ^.  La  tra- 
dition des  soleœ  apostoliques  ne  se  perdit  jamais  au  Moyen- 
Age;  six  grandes  figures  d'apôtres,  brodées  sur  le  magnifique 
antipendium  (XIIP  siècle)  que  j'ai  dessiné  dans  la  cathédrale 
d'Anagni,  portent  la  solea.  Les  mêmes  personnages,  compris 
parmi  les  sujets  placés  au-dessous,  ont  indifféremment  les 
pieds  nus  ou  munis  d'une  semelle  à  courroies. 

a  '  'VtcoûcScUsvou!;  cjavoâXio:.  Calceatos  sandaliis.  »  S.  Marc,  vi,  9.  — 
«  ITepiCox^ai  xcù  u7:oûr|(jai  -ot  cavotxXia  cou.  Praecingere  et  calcea  caligas 
tuas.  »  Jet.  Apost.,  XII,  8.  —  >.  Sandalia  autem  sunt  calceamenta  desuper 
corium  non  habentia.  «   Papias,  Vocub.,  (XI«  siècle). 

-  CiAMPiNi,  Vet.  monim.,  l.  i,  pi.  46  ;  t.  Ji,  pi.  16  et  19  ;  iUd..  pi.  28, 
Mos.  de  Saint-Laurent,  à  Rome,  (578).  —  V.  encore  :  Pkubet,  Les  Cata- 
combes, t.  iii,  pi.  46,  (Ille  siècle)  ;  ibid.,  pi.  58  (Vie  siècle)  :  Rostan,  Mon 
icon.  de  l'église  de  Saint-Maximin,  (Var),  in-l'ol.,  Chàlons-sur-Saône,  1862. 
Sarcophages,  fig.  4  à  13  (IV''  siècle)  :  Aringiii,  Roma  subt.  nov.,  t.  i,  p.  277 
à  331,  427,  623  ;  t.  ii,  p.  137,  161,  163,  255,  273,  329,  (IIIo  au  Vg  siècle)  : 
Bdokarotti,  Osserv.  sopra  aie.  framm.  di  vetro,  pi.  \mi,  1  ;  xvi,  2,  xvU,  1, 
(premiers  siècles)  :  Arts  sompt.,  pi.  5,  8  et  9  (Ville  siècle)  :  etc.,  etc. 


LES    SAM>AhES   ET   LES    BAS.  oSO 

Aux  ministres  d'un  culte,  établi  par  le  Christ  et  ses  dis- 
ciples, incomba  nécessairement  pour  chaussure  liturgique, 
celle  que  les  Maîtres  avaient  afFectionnée.  Ia^  diacre  saint  Lau- 
rent, peint  vers  le  IV®  siècle,  au  fond  d'une  chambre  sépul- 
crale du  cimetière  de  Saint-Jules  (Rome),  a  des  solcœ.  Je 
donne  ici  un  spécimen  de  solca  crucifère  {i\  la  pi.  jîg.  \)  qui 
remonte  à  une  très  haute  antiquité  ;  ce  fragment  de  marbre^ 
trouvé  dans  la  Sabine,  faisait  partie,  au  XVIP  siècle,  de  la 
collection  du  cardinal  Brancaccio  ' .  La  véritable  sandale, 
pantoufle  fortement  échancrée,  retenue  sur  le  cou-de-pied 
au  moyen  d'une  bride,  chausse,  au  IV®  siècle,  saint  ]\raximin 
recevant  du  Christ  la  mission  évangélique.  Au  VF  siècle,  la 
sandale,  attachée  avec  des  courroies  multiples,  prend  la  phy- 
sionomie des  carbatinœ  rustiques,  justifiant  ainsi  le  nom  de 
ca??îpa^îM  qu'on  lui  donnait  alors.  L'évêque  Maximianus  et 
son  clergé,  figurés  sur  la  mosaïque  de  Saint-Vital,  à  Ra- 
venne,  portent  la  carbatina  àii  pauvre  qui^  légèrement  modi- 
fiée, resta,  longtemps  encore,  la  chaussure  ordinaire  des 
Papes.  Le  campagus  d'Honorius  I  {v.  la  pi.  fig.  2),  restitué 
par  Rocca  d'après  la  mosaïqne  de  Sainte-Agnès  (VIF  siècle), 
fait  suffisamment  apprécier  la  forme  et  l'usage  de  ce  calcea- 
mentiim.  Divers  monuments,  contemporains  ou  postérieurs, 
offrent  des  images  de  Souverains-Pontifes  chaussés  de  la 
même  façon  ^. 

cri.    DE   LIN  AS. 

\La  suite  au  lyrochain  numéro. 

*  Aringhi,  loc.  cit.,  t.  II,  p.  355.  Cctto  peinture  était  déjà  fort  détériorée 
il  y  a  deux  cents  ans.  —  Magri,  Hierol.,  p.  59,  fig. 

-  RosTAN,  loc.  cit  ,  fig.  7  —  <i  Cum  ergo  incidisset  psachnion  beati  viri 
excubitor,  et  corrigiam  campagiorum  ejus,  statim  tradidit  euni  sacellarius 
pratfecto  urbis.  »  Ilist.  de  exil.  S.  Mart.  PP.  (^50).  jRer.  arch.,  t.  vu, 
pi,  145.  Etc.,  etc. 


GRANDES  DÉCOUVERTES  HISTORIQUES 


RELATIVES 


à  saijit  Jean-Baptiste  et  aux  Evangéllstes. 


Les  merveilleuses  découvertes  que  je  v^ais  signaler,  con- 
cernant saint  Jean-Baptiste  et  les  quatre  Evangélistes, 
doivent  modifier  considérablement  les  idées  qu'on  s'était 
faites  sur  ces  saints  personnages.  C'est  toute  une  révolution 
historique  qui  vient  de  s'accomplir,  sans  trop  se  faire  annon- 
cer, — tout  comme  la  révolution  de  Grèce. 

Depuis  l'origine  du  Christianisme  jusqu'au  29  octobre 
1862,  ou  avait  toujours  cru  que  saint  Jean-Baptiste  et 
saint  Jean  l'Evangéliste  étaient  deux  personnages  bien  dis- 
tincts. Erreur,  profonde  erreur!  Le  Précurseur  etl'Apôti'e  ne 
sont  qu'une  seule  et  même  individualité.  Le  fait  est  consigné 
au  Moniteur  du.  29  octobre,  à  la  page  1515.  Il  est  vrai  que 
ce  n'est  pas  dans  la  partie  officielle,  mais  dans  un  article  de 
Variétés  signé  par  M.  Paul  Dalloz,  écrivain  très-connu  et 
très-apprécié  dans  la  critique  d'art,  mais  qui  n'avait  pas  en- 
core abordé  le  terrain  de  la  haute  érudition. 


GRANDKS    lUiCOliVERTlCS    llISTOllIUUES.  591 

]^a  vérité  reste  toujours  digne  d'amoiir  et  de  respect,,  n'iiii- 
})orte  à  quelle  place  et  sous  quelle  latitude  (slle  se  révèle; 
M.  Dalloz,  par  conséquent,  ([uoique  n'écrivant  (|u'iï  la 
deuxième  page  du  Journal  officiel  de  l'Empire,  n'en  a  pas 
moins  droit  d'exiger  que  nous  lui  prêtions  une  oreille  atten- 
tive. 

11  n'a  pas  fait  un  travail  cv  /nvfcsso  sur  la  matière;  il 
glisse  ses  découvertes  dans  un  article  artistique  sur  les 
Saints-Évangiles^  édités  par  l'Imprimerie  impériale,  pour 
figurer  à  l'Exposition  de  Londres.  L'auteur  semble  même  ne 
pas  s'apercevoir  de  tout  l'imprévu  de  ses  révélations;  car  il 
n'est  pas  plus  impressionné  que  s'il  annonçait  un  fait  tout 
ordinaire.  Ali!  qu'on  a  bien  eu  raison  de  dire  que  les  plus 
grandes  découvertes  sont  faites  par  ceux  qui  ne  les  cherchent 
pas  ! 

Comme  il  s'agit  d'innovations  historiques  qui  doivent  bou- 
leverser toutes  les  idées  reçues,  fsxire  remaniei'  les  bases  de 
renseignement  chrétien  et  infliger  un  erratum  à  tous  les 
catéchismes,  nous  nous  garderons  bien  de  recourir  à  ces 
pâles  analyses  qu'on  peut  toujours  soupçonner  d'infidélité. 
Nous  citerons  tout  entier  un  texte  où  chaque  mot  peut  avoir 
sa  valeur.  Il  n'y  a,  au  reste,  que  vingt-quatre  lignes;  mais 
quelles  lignes  !  Nous  demanderons  seulement  la  permission 
de  respirer  entre  chaque  paragraphe,  pour  méditer  sur  les 
conséquences  historiques,  religieuses,  morales  et  artistiques, 
qui  découlent  de  chaque  découverte. 

I. 

M.  Dalloz,  en  appréciant  le  mérite  des  quatre  grandes 
figures  d'Evangélistes,  dont  M.  Lehman  a  orné  la  nouvelle 
édition  des  Évangiles^  s'exprime  en  ces  termes,  au  sujet  de 
sa  peinture  de  l'évangéliste  saint  Jean  : 


59'2  GRANDES    DÉCOUVERTES    HLSTORIOUES 

«  Quant  à  son  saint  Jean,  sa  figure  nerveuse  et  féminine 
»  rappelle  celle  de  Jésus-Christ.  Le  Précurseur  n'a-t-il  pas 
a  été  pris  pour  le  Messie  lui-même  ?  Nous  avons  aussi  trouvé 
«  quelque  ressemblance  an  saint  Jean  de  M.  Lehman  avec 
"  celui  re[)résenté  par  une  miniature  du  Livre  d'Heures  du 
«  roi  Henri  IV.  On  sent  que  cette  douce  physionomie  peut, 
«  à  l'occasion,  se  contracter  de  colère  et  lancer  aux  Phari- 
«   siens  le  terrible  anathème  :  Race  de  vipères  !  » 

Il  n'y  a  pas  ici  d'obscurités  ni  d'ambages;  c'est  aussi  clair 
que  le  jour.  Jean  l'Evangéliste  a  été  le  Précurseur  de  son 
divin  Maître  ;  c'est  le  Précurseur  Jean-Baptiste  qui  a  écrit 
l'Evangile  et  l'Apocalypse  ;  c'est  Jean  l'Evangéliste  qui  prê- 
chait dans  le  désert  de  Judée  et  qui,  voyant  des  Pharisiens 
impénitents  venir  solliciter  le  baptême  dans  le  Jourdain, 
s'écria  :  «  Race  de  vipères,  qui  vous  a  appris  à  fuir  la  colère 
(S.  dont  vous  êtes  menacés  ?  »  Bref,  ces  deux  saints  n'en  font 
qu'un  seul,  qu'on  devrait  bien  désormais  appeler  :  VApôlre 
saint  Jean-Baptiste  VÊvajigéliste. 

Il  existe  des  critiques  méticuleux  qui  accordent  une  im- 
portance excessive  aux  questions  de  chronologie.  Ceux-là 
pourront  objecter  que  le  saint  Jean  qui  a  baptisé  Notre-Sei- 
gneur,  a  été  décapité  avant  la  passion  du  Fils  de  l'homme, 
et  que  le  saint  Jean  qui  a  écrit  un  évangile^,  a  continué  de 
vivre  longtemps  après  la  résurrection  du  Sauveur,  puisqu'il 
n'est  mort  que  vers  l'an  104  de  l'ère  nouvelle.  Je  conviens 
que  c'est  là  une  objection  qui,  au  premier  abord,  a  quelque 
chose  de  spécieux  :  mais  c'est  ici  le  cas,  plus  que  jamais,  de 
se  rappeler  qu'en  bonne  logique  il  ne  faut  jamais  rejeter  un 
fait  évidemment  prouvé  d'ailleurs,  quand  bien  même  on  ne 
pourrait  pas  en  expliquer  quelques  circonstances  restées 
obscures. 

Je  me  suis  parfois  demandé  comment  il  se  fait  que  l'évan- 


sua    SAINT    JKAN-n.VPTISTK    KT    LKS    ÉV.wr.ÉLISTIi.S.  oO.'J 

géliste  saint  Jean  soit  le  seul  apôtre  dont  on  ne  connaisse 
point  (le  relifpies.  Cela  s'explique  à  merveille,  maintenant 
que  l'on  a  constaté  l'identité  de  rËvangéliste  avec  le  Pré- 
curseur. N'ayant  eu  qu'un  seul  corps  pendant  sa  vie,  il  ne 
pouvait  pas  en  laisser  deux  après  sa  mort.  Les  reliques  de 
saint  Jean-Baptiste  sont  celles  de  saint  Jean  l'Evangéliste. 
Aussi  l'église  d'Amiens  peut,  à  juste  titre,  se  glorifier  d'un 
double  bonheur,  puisqu'elle  possède  le  chef  vénéré  de  celui 
qui  a  baptisé  Notre-Seigueur,  et  qui  a  écrit  l'Apocalypse  dans 
la  solitude  de  Pathraos  ! 

Les  sculpteurs  et  les  peintres,  s'inspirant  de  l'article  du 
Moniteur,  sauront  désormais  qu'ils  peuvent  représenter  de 
trois  manières  différentes  l'apôtre  saint  Jean-Baptiste-l'Évan- 
géliste,  fils  de  Zacliarie  et  frère  de  saint  Jacques-le-Majeur. 
Ils  devront  lui  donner  une  figure  nerveuse,  quand  il  dit  aux 
Pharisiens  :  Race  de  vipères...;  une  figure  féminine,  quand 
il  n'interpelle  pas  de  la  sorte  les  pécheurs  endurcis;  enfin, 
ils  pourront  fondre  ces  deux  caractères  tant  soit  peu  opposés, 
connue  l'a  fait  la  miniature  du  Livre  d'Heures  d'Henri  IV, 
et  donner  au  Précurseur  une  physionomie  à  la  fois  douce  et 
rude,  calme  et  agitée,  indulgente  et  sévère,  nerveuse  et  fé- 
minine, quand  ils  voudront  inontrer  que  saint  Jean  ne  dit 

pas  :  Race  de  vipères mais  qu'il   pourra  bien  le  dire  à 

V  occasion. 

N'oublions  pas  de  remarquer  un  détail  important.  On  sait 
que  les  Juifs  prirent  d'abord  saint  Jean-Baptiste  pour  le 
Messie.  On  a  dit,  pour  expliquer  leur  erreur  passagère,  qu'ils 
avaient  dû  être  profondément  frappés  par  la  vie  mortifiée,  la 
pureté  de  doctrine  et  la  mission  mystérieuse  du  divin  Pré- 
curseur^ et  que,  dans  l'état  des  esprits  d'alors,  il  n'y  avait 
qu'un  pas  à  franchir  entre  l'admiration  et  l'adoration. 
M.  Dalloz  rétablit  la  vérité  sur  ce  point.   Ce  n'est  pas  une 

TOMK    VI.  43. 


594  GRANDES    DÉCOUVERTES    HISTORIQUES 

considération  morale,  mais  une  ressemblance  physique  qui  a 
produit  ce  quiproquo  momentané. 

(Ici,  je  ne  puis  m'empêcher  d'ouvrir  une  parenthèse^  pour 
faire  remarquer  combien  les  artistes  du  Moyen- Age  ont  été 
peu  intelligents.  Ils  auraient  dû  exprimer  cette  ressemblance 
qu'avait  le  Précurseur  avec  celui  qu'on  a  appelé  le  plus  beau 
des  enfants  des  hommes  :  ils  n'y  ont  pas  songé.  Les  clôtures 
de  la  cathédrale  d'Amiens  ont  répété  dix  fois  les  traits  de  la 
victime  d'Hérode  avec  une  âpreté  qui  ne  rappelle  nullement 
la  figure  diiBon-Pasteiir.  Je  ne  voudrais  pas  affirmer  que  la 
physionomie  de  ces  statues  ne  soit  pas  nerveuse  ;  mais  à  coup 
sûr  elle  n'est  pas  féminine). 

L'explication  qu'a  donnée  M.  Dalloz  sur  le  motif  qui  a  induit 
les  Juifs  en  erreur,  pourra  encore  soulever  les  scrupules  des 
gens  qui  sont  entichés  de  chronologie  ;  ils  diront  que  lorsque 
les  Pharisiens  allaient  trouver  saint  Jean  dans  le  désert,  ils 
ne  pouvaient  point  être  séduits  par  la  ressemblance  qu'il  avait 
avec  Jésus,  puisque  les  Juifs  ne  connaissaient  guère  alors  la 
figure  du  véritable  Messie,  qui  vivait  dans  la  plus  profonde 
obscurité,  et  ne  s'était  point  encore  révélé  par  une  vie  pu- 
blique. Je  ne  me  charge  point  assurément  de  répondre  à  toutes 
ces  arguties  de  détail,  mais  je  ne  m'en  incline  pas  moins  de- 
vant l'affirmation  du  Moniteur^  en  me  disant  qu'après  tout  il 
y  a  bien  peu  de  systèmes  historiques  sur  lesquels  ne  planent 
pas  quelques  nuages. 

Des  savants  ont  démontré  que  le  premier  évoque  de  Paris 
et  TAréopagite  n'étaient  qu'un  seul  Denis;  d'autres  ont  af- 
firmé que  le  pape  saint  Clet  n'était  autre  que  saint  Anaclet. 
Il  y  en  a  même  qui  ont  condensé  trois  existences  présumées  en 
une  seule  individualité  réelle,  et  qui  ont  prouvé  que  Marie- 
Magdeleine,  Marie,  sœur  <le  Lazare,  et  Marie,  la  pécheresse 
de  Naïui,  n'étaient  qu'une  seule  et  môme  Marie. 


SUR    SAINT   JEAIN-IiAl'TISTK    ET    LES    ÉVANGÉMSTES.  ^dt) 

]j'écrivain  du  Moniictir,  marchant  .sur  la  trace  de  ces  éiu- 
ditS;,  continue  à  restituer  à  l'unité  les  saints  qu'on  avait  eu 
le  tort  de  dédoubler.  C'est  la  théorie  de  l'unité  qui,  du  do- 
maine de  la  politique,  va  passer  dans  les  régions  de  l'his- 
toire. 11  est  probable  qu'on  ne  s'arrêtera  pas  là.  Pourquoi 
n'appliquerait- on  pas  ce  système  de  réduction  aux  deux  Tar- 
quin,  aux  deux  Scipion^  aux  deux  Catoii,  aux  deux  Pline, 
aux  deux  Sénèque,  et  même  aux  trois  Hérode,  aux  trois 
Ciovis,  aux  trois  Childéric?  Pourquoi  pas  aussi  aux  deux 
saints  Jacques  de  l'Evangile.  N'est-il  pas  possible  que  ce  soit 
un  seul  Apôtre,  qu'on  aurait  appelé  mineur^  dans  sa  jeunesse, 
et  majeur^  quand  il  aura  eu  atteint  sa  majorité? 

Ce  n'est  là,  il  est  vrai,  qu'une  simple  hypothèse  que  nous 
ne  nous  arrêterons  pas  à  développer;  nous  avons  hâte  de 
rentrer  dans  le  domaine  des  faits  bien  constatés,  en  écoutant 
les  nouvelles  révélations  que  M.  Dalloz  va  nous  faire  sur  le 
farouche  saint  Matthieu  et  sur  Y  Apôtre  saint  Marc. 


IL 


«  Cette  tête  rude  et  sereine,  dit  M.  Dalloz,  c'est  bien  là 
«  saint  Matthieu,  tel  que  nous  l'enseigne  l'Histoire,  le  fa- 
«   rouche  publicain  devenu  l'Apôtre  de  la  loi  de  charité.  » 

Les  plus  petits  détails  biographiques  sont  à  recueillir  quand 
il  s'agit  des  hommes  célèbres,  et,  à  plus  forte  raison,  de  ceux 
que  l'Eglise  a  placés  sur  ses  autels.  Il  est  curieux  surtout 
d'avoir  des  renseignements  intimes  sur  leur  caractère.  Nous 
apprenons  ici  que  celui  de  saint  Mathieu  était  farouche.  C'est 
un  détail  intéressant  qu'il  faut  ajouter  au  peu  que  nous  con- 
naissions déjà  de  cet  Apôtre. 

On  sait  que  les  Romains  donnaient  le  nom  de  publicain  au 
fonctioiniaire  chargé  de  recueillir  les  impôts  ;  c'était  une  es- 


.596  GRANDES   DÉCOUVERTES    HISTORIQUES 

pèce  de  percepteur  des  contributions  directes  et  indirectes. 
A  cette  époque  où  le  mécanisme  administratif  n'était  pas 
aussi  avancé  que  de  nos  jours,  un  publicain  avait  besoin  de 
dépenser  autant  d'adresse  que  de  paroles  persuasives,  pour 
déterminer  les  Juifs  à  verser  leur  argent  dans  la  caisse  des 
dominateurs  étrangers.  Matthieu,  dont  le  caractère  farouche 
devait  l'entraîner  à  la  solitude,  a  donc  été  bien  mal  inspiré 
de  choisir  une  pareille  profession,  qui  devait  le  mettre  en 
contact  perpétuel  avec  la  société.  Mais,  hélas  !  on  ne  se  con- 
naît jamais  bien  soi-même,  et  le  publicain  de  Capharnaiim 
ne  se  doutait  sûrement  pas  qu'il  était  né  avec  un  caractère 
farouche. 

En  se  convertissant,  Matthieu  dut  nécessairement  modifier 
son  naturel.  C'est  sans  doute  pour  exprimer  cette  transforma- 
tion que  M.  Lehman  lui  donne  une  tête  rude  et  sereine  :  rude, 
pour  rappeler  que  le  publicain  était  farouche  ;  sereme,  pour 
montrer  que  l'Apôtre  n'est  plus  farouche.  Comme  la  peinture 
est  habile  à  fondre  les  contrastes  et  comme  elle  sait  faire  re- 
vivre le  passé  et  rayonner  l'avenir  à  travers  le  présent  ! 

M.  Dalloz,  par  un  excès  de  modestie,  ne  s'attribue  pas  le 
mérite  d'un  renseignement  qui  lui  est  pourtant  tout  person- 
nel ;  il  le  met  sur  le  compte  de  VHistoire.  Nous  soupçonnons 
que  l'Histoire^,  assez  peu  causeuse  sur  saint  Matthieu,  n'avait 
révélé  à  personne  jusqu'ici  cette  appréciation  de  caractère. 
Puisqu'elle  a  confié  cette  nouvelle  au  rédacteur  du  i¥om7ei/;-, 
il  faut  en  conclure  qu'elle  a  pour  lui  des  faveurs  toutes 
spéciales  et  qu'elle  lui  réserve  des  communications  confi- 
dentielles, refusées  à  tout  autre  qu'à  lui. 

m. 

Ecoutons  maintenant  ce  que  l'Histoire  nous  apprend  de 
saint  Luc,  par  V  entremise  de  son  secrétaire  intime  : 


SUR    SAINT    JEAN-IiAI'TlSTE    1':T    LES    liVANGÉLISTES.  T)!)? 

«  Saint  Luc  tient  le  pinceau  et  peint  la  Vierge  Marie. 
«  M-  Lehman  s'est  souvenu  que  le  prédicateur  des  Gaules 
«  et  de  l'Italie,  ces  deux  patries  de  l'art,  est  réputé  pour 
«   avoir  su  la  peinture.  » 

On  savait  ipie  saint  Luc  avait  été  le  compagnon  de  voyage 
de  saint  Paul;  miiis  on  ignorait  dans  ([uels  lieux,  après  la 
mort  du  grand  Apôtre,  il  avait  prêché  rÉvangile.  11  parait 
que  c'est  dans  les  Gaules,  qui  étaient  alors  une  des  deux  pa- 
tries de  l'art.  Voilà,  certes,  un  fleuron  de  plus  ajouté  à  la 
couronne  de  l'Eglise  gallicane,  grâce  àla  mémoire  de  M.  Dalloz 
qui  a  remonté  plus  haut  que  les  traditions  de  toutes  les  églises 
de  France  ' . 

M.  Dalloz  nous  dit  en  passant  que  les  Gardes  et  l'Italie  sont 
les  deux  patries  de  l'Art.  J'avoue  que  je  croyais  à  l'Art  un 
plus  grand  nombre  de  patries  adoptives.  J'éprouve  d'ailleurs 
un  peu  d'hésitation  sur  la  manière  dont  il  faut  interprêter 
ces  deux  actes  de  naissance.  S'agit-il  du  berceau  de  l'art  dans 
l'antiquité?  Mais,  le  Parthénon  d'Athènes  et  les  statues  de 
Phidias  vont  se  formaliser,  en  s'entendant  préférer  les  dol- 
mens et  les  menhirs  des  forets  celtiques.  S'agit-il  du  Moyen 
Age?  les  cathédrales    de  Cologne,    d'Ulm  et  de  Bamberg, 


'  Saint  Epiphane  a  dit  {adv.  her.  51)  que  saint  Luc  avait  prêché  dans  la 
Dalmatie,  la  Gaule,  l'Italie  et  la  Macédoine.  Il  a  confondu  les  Galates  avec 
les  Gaulois  que  les  Grecs  nommaient  également  yaÀaxal.  La  Galatie,  province 
de  l'Asie -Mineure,  oùsnint  Paulfondaune  église,était  souvent  désignée  sous  le 
nom  de  Gaule  grecque  L'erreur  géographique  de  saint  Epiphane  a  été  repro- 
duite dans  plusieurs  Encyclopédies.  Aussi  nous  ne  ferons  pas  un  grave  re- 
proche à  M.  Dalloz  d'avoir  acceplé  sans  contrôle  l'assertion  de  quelques  Bio- 
graphies universelles. — Saint  Paul,  dans  sa  deuxième  Epître  à  Timothée,  dit 
que  son  disciple  Crescent  a  prêché  in  Gcdatiam.  Saint  Epiphane  a  pensé 
qu'il  s'agissait  là  des  Gaules  el  non  de  la  Galatie.  Ici  la  question  peut  être 
débattue,  car  l'église  de  Vienne,  en  Dauphiné, réclame  saint  Crescent  pour  son 
fondateur. 


598  GRANDES  DÉCOUVERTES    HISTORIQUES 

se  voyant  oubliées,  vont  chercher  noise  aux  basiliques  ita- 
liennes. S'agit-il  de  temps  plus  modernes?  les  ombres  de  Mu- 
rillo,  de  Velasquez,  d'Albert  Durer,  de  Van-Dick,deE,ubens 
et  de  Rembrandt  vont  tressaillir  de  dépit;  et  l'Allemagne,  la 
Hollande,  la  Belgique  et  l'Espagne  seront  peu  flattées  d'ap- 
prendre que  l'art  n'est  qu'un  étranger  qui  s'est  borné  à  faire 
dans  leurs  contrées  quelques  petits  voyages  d'agrément. 


IV. 


Nous  arrivons  à  l'évangéliste  saint  Marc,  que  saint  Jé- 
rôme, mal  informé  sans  doute,  s'est  borné  à  désigner  sous  le 
nom  de  disciple  de  saint  Pierre. 

«  Le  saint  Marc,  dit  M.  Dalloz,  a  bien  l'aspect  sauvage 
de  l'Apôtre  qui  prit  pour  symbole  le  lion,  se  comparant  à  lui: 
Vox  clamautis  in  deserto.  » 

Jusqu'ici  on  n'avait  compté  que  douze  Apôtres.  Voici  le 
collège  apostolique  enrichi  d'un  nouveau  membre  ;  saint 
Marc  est  le  treizième. 

M.  Dalloz  avait  supprimé  l'un  des  deux  saints  Jean  ;  il 
nous  offre  en  échange  un  Apôtre  de  plus  :  nous  n'avons  pas 
à  nous  plaindre. 

Cette  découverte  est  d'une  importance  extrême,  mais  j'au- 
rais presque  autant  aimé  qu'elle  n'eût  pas  été  faite.  Désor- 
mais je  serai  obligé  de  mettre  une  réserve  à  mon  admiration, 
quand  je  considérerai  les  portails  de  nos  cathédrales,  où  les 
Apôtres  sont  invariablement  fixés  au  nombre  de  douze.  Par 
une  fatalité  inouïe,  saint  ^larc  a  toujours  été  oublié.  Ne  pour- 
rait-on pas  réparer  cette  déplorable  omission?  Le  Gouver- 
nement ne  pourrait-il  pas  allouer  les  fonds  nécessaires  pour 
corriger  cette  défectueuse  iconographie,  et  ajouter  une  trei- 
zième niche  à  toutes  nos  galeries  incomjdètes? 


SUR   SAINT   JEAN-BAPTISTE   ET   LES   ÉVANGÉLISTES.  !S9'J 

Je  siivais  bien  ([uc  les  artistes  du  Moyen  Age  avaient 
donné  le  lion  pour  attribut  à  saint  Marc,  parce  que  cet  évan- 
géliste(je  devrais  dire  cet  Apôtre)  ouvre  son  récit  en  parlant 
de  saint  Jean-Ba])tiste,  qu'il  appelle  :  La  voix  de  celui  qui  a 
crié  dans  le  désert,  pour  préparer  les  sentiers  du  Seigneur. 
Mais  j'ignorais  complètement  qu'il  se  fût  appliqué  à  lui-même 
cette  comparaison  prophétique  d'Isaïe,et  surtout  qu'il  eût, 
pour  ainsi  parler,  blasonné  sa  renommée  future,  en  prenant 
pour  symbole  le  roi  des  déserts.  Je  me  demande  quand  et 
comment  il  a  pu  faire  ce  choix  ?  S'est-il  fait  peindre  par  saint 
Luc,  en  lui  recommandant  de  l'accoster  d'un  lion  ?  A-t-il 
voulu  montrer  par  là  qu'il  était  aussi  sauvage  que  les  ani- 
maux des  forets?  Dans  quel  Musée  conserve-t-on  ce  portrait 
authentique?  En  vérité,  la  joie  que  j'éprouve  en  apprenant 
tant  de  choses  nouvelles,  de  la  bouche-  de  M.  Dalloz,  est 
quelque  peu  troublée  par  le  regret  de  ne  pas  avoir  de  plus 
amples  détails. 

Il  en  est  un  pourtant  que  je  suis  bien  satisfait  d'avoir  re- 
cueilli, c'est  que  saint  Marc  avait  un  aspect  sauvage.  Déci- 
dément, les  Evangélistes  avaient  une  mine  peu  agréable  !  En 
laissant  de  côté  saint  Luc,  dont  on  ue  nous  donne  pas  le  si- 
gnalement, je  serais  assez  em.barrassé  pour  accorder  une  pré- 
férence quelconque  à  la  figure  de  l'un  des  trois  autres.  La 
tête  rude  du  farouche  saint  Mathieu  ne  m'est  pas  plus  sympa- 
thique que  V aspect  sauvage  de  saint  Marc,  et  je  ne  saurais 
me  décider  en  faveur  de  saint  Jean,  parce  que  j'aurais  tou- 
jours à  craindre  que  sa  physionomie  ne  se  contractât  de  colère 
pour  lancer  le  terrible  anathhne  :  Race  de  vipères! 

V. 

Les  érudits  peuvent  se  classer  en  deux  catégories  :  ceux 
qui  font  des  notes  et  ceux  qui  n'en  font  pas.  Les  premiers 


600  GRANISHS    DÉCOUVERTES    HISTORIQUES 

abusent  souvent  du  droit  de  renvoyer  leurs  lecteurs  à  des 
ouvrages  qu'il  leur  serait  difficile  de  consulter.  Ces  prudents 
écrivains  n'osent  faire  un  seul  pas  sans  s'étayer  sur  une  foule 
de  citations  grecques,  latines  et  françaises.  S'ils  avancent 
que  Dieu  a  créé  le  ciel  et  la  terre,  ils  indiquent  vite  en  note  : 
Voyez  la  Genèse,  chapitre  i,  verset  I,  —  ou,  ce  qui  est  de 
meilleur  genre  :  Cf.Ge?}es.,  cap.  i,  /.  î,  ap.  Bibl.  vulgat. 
ex  edit.  Sixti  V  et  démentis  V7//,  Ro7nœ,  1592,  inf,  f  3,  r". 
S'ils  se  hasardent  à  dire  que  le  vainqueur  d'Austeriitz  et 
deMarengo  a  été  un  grand  guerrier,  ils  renvoient  le  lecteur 
aux  Mémoires  de  Bourrienne,  de  Montholon,  de  Constant,  de 
Montiguy,  de  Las  Cases,  etc.,  dont  ils  indiquent  l'édition^ 
le  volume,  le  livre,  le  chapitre  et  la  page,  et  même  à  quel- 
ques manuscrits  conservés  à  la  Bibliothèque  impériale  ou  aux 
archives  de  l'Empire.  Il  y  a  d'autres  historiens,  au  contraire, 
qui  n'offrent  au  lecteur  que  la  garantie  de  leur  parole,  as- 
sumant pour  leur  compte  la  responsabilité  de  leurs  assertions. 
Ils  ont  l'air  de  dire  au  lecteur  :  Croyez-moi  ou  ne  me  lisez 
pas.  C'est  ainsi  qu'en  a  agi  M.  Thiers  dans  son  Histoire  du 
Consulat  et  de  l'Empire. 

M .  Dalloz  me  semble  appartenir  à  cette  dernière  école  — 
sous  ce  rapport  seulement,  bien  entendu.  —  Pas  une  note, 
pas  une  seule  désignation  de  sources.  Ceux  qui  n'aiment  pas 
les  notes  se  déclareront  satisfaits.  Mais  comme  il  s'agit  de 
faits  entièrement  nouveaux,  qui  bouleversent  toutes  les 
vieilles  données  historiques,  j'aurais  assez  aimé  à  voir  indi- 
qués les  documents  inédits  qui  ont  dû  servir  de  base  à  ces 
systèmes  novateurs.  M.  Dalloz  ne  l'a  pas  fait  ;  c'est  le  seul 
reproche  que  je  me  crois  en  droit  de  lui  adresser.  Il  a  évi- 
demment en  sa  possession  des  renseignements  manuscrits  des 
premiers  siècles,  qui  sont  restés  inconnus  à  tous  les  histo- 
riens. Pourquoi  ne  pas  les  faire  connaître?  En  les  réservant 


SUR    SAINT    JEAlN-UAlTISTE    liT    LKS    ÉVANGÉLISTES.  601 

pour  lui  seul,  il  s'expose  à  ce  que  ses  doctrines  historiques 
ne  reçoivent  pus  la  sanction  de  la  po[)ularité.  Elles  resteront  le 
privilège  d'un  très-petit  nombre  d'adeptes,  et  il  y  aura  en- 
core dans  l'avenir  une  foule  d'esprits  routiniers  qui  s'oLstine- 
neront  à  croire  qu'il  y  a  eu  deux  saints  Jean,  que  le  Précur- 
seur ne  ressemblait  pas  physiquement  à  son  divin  Maître, 
que  saint  Matthieu  n'était  pas  autrement  farouche,  et  que 
saint  Marc  n'a  jamais  été  Apôtre. 

Pour  moi,  ma  conviction  est  bien  arrêtée;  j'accepte  aveu- 
glément le  cours  d'histoire  sainte  de  M.  Dalloz,  qui,  en  vingt 
lignes,  m'a  appris  plus  de  choses  que  n'auraient  pu  le  faire 
vingt  in-folios  des  siècles  passés.  Aussi  je  renonce  volontiers  à 
la  lecture  de  ces  poudreux  ouvrages  qui  se  traînent  toujours 
dans  l'ornière  des  opinions  reçues,  et,  persuadé  que  la  science 
ecclésiastique  a  besoin  d'être  un  peu  sécularisée,  je  consa- 
crerai désormais  mes  veilles  à  la  lecture  des  Variétés  du 
Moniteur.  J'espère  avoir  toujours  la  bonne  fortune  d'y  ren- 
contrer des  aperçus  historiques  qu'il  me  serait  impossible  de 
trouver  ailleurs. 

J.  CORBLET. 


SAINTE  CÉCILE 
glorifiée    par    les    Arts, 


Le  culte  de  cette  vierge  martyre  remonte  aux  premiers 
siècles  (lu  Christianisme,  comme  le  prouve  l'insertion  immé- 
moriale de  son  nom  vénéré  au  Canon  de  la  blesse,  document 
liturgique  de  la  plus  haute  antiquité  :  il  figure  également 
dans  les  premiers  ^lartyrologes  parvenus  jusqu'à  nous,  entre 
autres  dans  celui  d'Adon,  archevêque  de  Vienne,  au 
IX«  siècle. 

Une  église  fut  érigée  à  Rome  sur  l'emplacement  de  la 
maison  où  elle  avait  souffert  le  martyre,  au  III**  siècle,  sous 
le  règne  de  l'empereur  Alexandre  Sévère.  Cette  basilique, 
rebâtie  depuis  ,  est  devenue  un  des  plus  illustres  sanc- 
tuaires de  la  Ville  éternelle,  et  conserve  les  restes  précieux 
de  sa  patronne  vénérée. 

Le  Sacramentaire  du  pape  saint  Léon-le-Grand  (V®  siècle) 
avait  ordonné,  en  l'honneur  de  Cécile,  une  formule  de 
prière  très-remarquable. 

La  France  ne  fit  pas  attendre  ses  pieux  hommages  ;  car 
notre  Missel  gallican,,  antérieur  à  Charlemagne,  contient^  à 
la  louange  de  cette  même  Sainte,  un  très-bel  office,  publié 
par  Mabillon. 

L'Espagne  ne  demeura  pas  en  arrière,  et  les  livres  de  sa 


SAINTE   ClîClLl!;.  (J03 

liturgie  mozarabe,  écrits  au  VI"  ou  VII®  siècle,  consacrèrent 
non  moins  éloquemment  la  mémoire  île  l'héroïne  chrétienne. 

Le  poète  Fortunat,  évêque  de  Poitiers  (mort  en  599),  la 
nomme  parmi  les  vierges  honorées  de  son  temps^  et  la  pro- 
clame un  des  ornements  de  la  Cour  céleste. 

Ses  actes,  résumés  par  le  Bréviaire  romain  (22  novembre), 
nous  la  montrent  vraiment  prédestinée  au  concert  des  Anges 
dans  le  ciel.  Dès  sa  plus  tendre  enfance,  cette  jeune  Romaine, 
issue  d'une  famille  patricienne,  mais  dédaignant  les  avan- 
tages de  la  naissance,  avait  voué  à  Dieu  son  cœur  et  sa  vir- 
ginité. Ses  parents,  imbus  des  préjugés  du  paganisme,  con- 
trarièrent son  pieux  dessein,  et  lui  firent  épouser  Valérien^ 
noble  Romain,  rempli,  comme  eux,  de  pensées  toutes  mon- 
daines. Le  jour  des  noces,  tandis  que  des  voix  mélodieuses  et 
d'agréables  instruments  chantaient  les  douceurs  de  l'hymen 
et  les  triomphes  de  l'amour  profane,  Cécile,  recueillie  en  soi- 
même,  adressait  à  Dieu  un  hymne  intérieur  de  louange  et  de 
supplication  :  Et  cantantibvs  organù,  illa  in  corde  suo  soli 
Domino  decantahat.  Ces  termes  textuels  d'une  suave  légende 
donnèrent  lieu,  sans  doute,  d'attribuer  à  sainte  Cécile  le  pa- 
tronage de  l'harmonie  et  de  rattacher  à  sa  mémoire  l'inven- 
tion de  l'orgue,  symbole  par  excellence  de  la  musique  reli- 
gieuse. 

Dieu  exauça  les  prières  de  son  humble  servante,  et  en- 
voya un  Ange  pour  préserver  de  toute  atteinte  cette  chaste 
épouse  de  Jésus-Christ,  qui  appartenait  au  ciel  avant  d'être 
fiancée  à  Valérien. 

Ce  jeune  païen,  son  frère  Tiburce,  et  d'autres  infidèles 
en  grand  nombre  durent  leur  conversion  à  ce  mariage, 
miraculeusement  transformé  en  apostolat. 

Les  Pères  de  l'Eglise  ont  à  l'envi  célébré  les  glorieux  mé- 
rites de  la  sainte  martyre.    Son  panégyrique   figure   égale- 


604  SAINTE   CÉCILE 

ment  parmi  les  ouvrages  des  docteurs  du  Moyen-Age,  tels 
que  Guillaume  d'Auvergne,  évoque  de  Paris,  Albert-le- 
Grand,  et  autres  théologiens. 

Les  prédicateurs  français  du  XVIP  siècle  suivirent  ces 
beaux  modèles,  et  traitèrent  le  même  sujet;  nous  pouvons 
nommer,  entre  tous,  le  Père  Sénault.  de  l'Oratoire  :  ce  bril- 
lant panégyriste  de  la  courageuse  vierge  romaine  s'élève  à 
une  grande  hauteur  de  pensées  et  d'images,  quand  il  vient, 
à  parler  de  l'art  distingué  que  cet  auge  terrestre  aimait  à 
cultiver. 

De  nos  jours,  un  pieux  et  savant  écrivain,  dom  Guéranger, 
fondateur  de  la  nouvelle  Congrégation  des  Bénédictins  de 
France,  a  publié  une  remarquable  Vie  de  sainte  Cécile. 
Dans  ce  travail  plein  d'érudition,  il  explique  parfaitement 
comment  la  chrétienté  a  proclamé  sainte  Cécile  la  reine  de 
r  harmonie. 

L'art  que  Cécile  aimait,  et  qu'elle  a  sanctifié  par  ses  vertus 
sublimes,  ne  s'est  point  montré  ingrat  envers  sa  mémoire. 

Au  XVI'  siècle,  dom  Maur  Chiaula,  bénédictin  de  Palerme, 
mit  en  musique  un  drame  sacré,  moitié  latin  et  moitié  ita- 
lien, de  Théophile  Folenge,  religieux  du  même  ordre;  sainte 
Cécile  était  le  sujet  de  cet  oratorio,  qui  fut  exécuté  dans  une 
église  de  Palerme,  à  l'instar  des  mystères  du  Moyen-Age  ' . 

Le  siècle  suivant  goûta  les  belles  hymnes  latines  que  notre 
grand  lyrique  Santeuil^,  l'Horace  chrétien  de  la  France,  avait 
composées  pour  l'office  de  cette  même  vierge -martyre. 

Le  protestantisme  anglais,  bien  qu'hostile  au  culte  des 
saints,  a  respecté  le  nom  de  Cécile  ;  et  la  solennité  du  22  no- 
vembre a  trouvé  grâce  devant  l'hérésie,  du  moins  comme  fête 
civile  et  artistique.  On  la  voit  inscrite  au  calendrier  de  l'église 

'  ZiEGELBAi'Jtu,  niai.  lui.  0.  s.  B.  pars  secunda,  p.  346. 


GLORIFIÉE   PAR    LES    ARTS.  005 

anglicane, (le  munie  que  snr  celui  de  Rome.  Voltaire  va  nons 
expliquer,  à  sa  manière,  cette  bizarrerie  frappante  :  «  Les  rois 
«  d'Angleterre, qui  ont  conservédans  leur  île  Ijeauconpdeleurs 
it  anciens  usages,  perdus  dans  le  continent,  ont  lenr  poète 
«  eu  titre  d'office;  il  est  obligé  de  faire  tous  les  nus,  une  ode 
«  à  la,  louange  de  sainte  Cécile,  qui  jouait  si  merveilleuse- 
«  ment  du  clavecin  ou  du  psaltérion,  qu'im  Ange  descendit 
«   du  ciel  pour  l'écouter  de  plus  près  ' .  » 

Vers  la  fin  du  XVII"  siècle,  le  célèbre  Dryden,  un  de  ces 
poètes  en  titre  iVoffice,  eut  à  payer  le  tribut  annuel,  et  s'en 
acquitta  d'une  façon  remarquable.  Ses  deux  odes  de  circon- 
stance sur  le  pouvoir  de  la  musique  sont  réputées  le  chef- 
d'œuvre  de  la  littérature  anglaise  dans  le  genre  lyrique  ;  un 
beau  désordre  y  règne,-  tout  y  respire  l'enthousiasme  et  le 
feu  sacré.  Elles  ont  été  plusieurs  fois  mises  en  musique,  no- 
tamment en  1755,  par  l'illustre  allemand  Georges-Frédéric 
Haendel,  le  maestro  adoptif  de  nos  voisins  d'Outre-Mauche, 
dont  le  ciel  épais  n'a  produit  jusqu'ici  aucun  compositeur 
passable. 

Après  Dryden  nous  pourrions  citer  Congrève,  Addisson, 
Pope  et  d'autres,  qui  remplirent  avec  honneur  la  même  tâche. 
Ce  thème  poétique  exerça,  pendant  plusieurs  siècles,  le  ta- 
lent des  versificateurs  britanniques;  nulle  part,  peut-être, 
sainte  Cécile  n'a  obtenu  de  plus  magnifiques  éloges  que  sous 
les  brumes  de  la  froide  et  positive  Albion. 

La  peinture  et  la  sculpture  ont  pris  soin,  comme  l'éloquence 
et  la  poésie,  de  célébrer  l'auguste  patronne  de  la  musique. 
Une  indication  sommaire  des  principales  œuvres  inspirées 
par  cette  Heur  de  nos  légendes  chrétiennes  ne  sera  peut-être 
pas  sans  intérêt. 

'  Dict.  j)JnIo.<t.  au  mot  poètes. 


C06  SAINTE   CÉCILE 

Les  Catacombes  d'abord  renferment  deux  images  bien  vé- 
nérables, dans  la  partie  la  mieux  connue  de  ces  vastes  sou- 
terrains, où  le  corps  de  l'illustre  vierge  fut  primitivement 
inhumé.  Ces  peintures,  contemporaines  de  son  martyre,  re- 
montent par  conséquent  au  IIP  siècle  :  l'une  est  un  frag- 
ment de  mosaïque  provenant  du  cimetière  de  Saint-Calixte, 
qui  s'étendait  sous  la  voie  Appienne  :  elle  représente  Cécile 
et  son  fiancé  Yalérien,  vêtus  et  drapés  à  la  Romaine,  la  tête 
rayonnante  du  nimbe  des  bienheureux,  et  tenant  à  la  main  la 
couronne  du  martyre.  L'autre  image  a  été  découverte,  de- 
puis quelques  années  seulement,  sur  un  pan  de  muraille  du 
cimetière  de  Saint-Cyriaque  inexploré  jusqu'alors  :  cette 
figure,  d'un  grand  et  beau  type,  nous  montre  une  femme 
richement  parée,  avec  l'inscription  authentique  :  Sanda 
Cœcilia  ;  ses  attributs  symboliques  sont  les  mêmes  que  dans 
la  précédente.  Ces  deux  peintures  ont  été  reproduites,  avec 
leurs  vraies  couleurs,  dans  le  splendide  ouvrage  de  M.  Louis 
Perret  sur  les  Catacombes  (t.  i,  pi.  75,  et  t.  m,  pi.  39).  On 
voit  par  ce  fac-similé  qu'elles  furent  exécutées  rapidement, 
seule  manière  dont  les  artistes  chrétiens  pussent  travailler 
en  ces  temps  de  persécution,  où  ils  décoraient  à  la  hâte  les 
tombeaux  cachés  des  saints  Martyrs. 

Lorsqu'au  IX^  siècle  (vers  821)  le  pape  Pascal  P''  tira  de 
sa  sépulture  primitive  le  corps  intact  de  Cécile,  pour  le  trans- 
férer dans  la  basilique  érigée  en  son  honneur  sur  le  lieu 
même  de  son  supplice,  il  fit  orner  l'abside  de  mosaïques  par- 
venues jusqu'à  nous.  Le  docte  archéologue  Ciampini  en 
donne  la  description  accompagnée  de  planches  [Vetera  mo- 
nimentay  t.  Il,  p.  116,  col.  2  et  p.  lo8  :  une  de  ces  cu- 
rieuses gravures  (p.  160)  nous  remet  sous  les  yeux  Cécile  et 
Valérien;  l'un  et  l'autre  ont  la  tête  entourée  du  nimbe,  et 
tiennent  en  main  la  couronne  des  élus  ;  la  vierge  romaine  est 


GLORIFIEE    ÏAR   LES   ARTS.  G07 

vetiie   en  mariée  ;  sa  physionomie  respire  une  douce  séré 
ni  té. 

Cette  église,  déjà  fort  ancienne,  acquit  une  nouvelle  splen- 
deur sous  les  auspices  de  Pascal  I^^  Ce  même  i)()ntiie  la  gra- 
tifia d'objets  précieux,  entre  autres  d'un  magnificpu;  orne- 
ment de  couleur  pourpre  et  or,  où  d'habiles  mains  avaient 
retracé  quelques  épisodes  de  la  légende  ' . 

Ce  sanctuaire  privilégié,  restauré  à  différentes  re[)rises, 
s'enrichit  successivement  de  chefs-d'œuvre,  parmi  lesquels 
on  distingue  les  tableaux  où  le  Guide  a  traduit  les  prin- 
cipales circonstances  de  la  vie  et  de  la  passion  de  Cécile  ; 
mais  le  plus  beau  morceau,  est  sans  contredit,  une  statue 
sculptée  par  Etienne  Maderne,  à  la  fin  du  XVP  siècle,  re- 
présentant la  sainte  martyre  couchée  sur  le  côté,  posture 
modeste  qu'elle-même  prit  en  expirant,  et  qu'elle  avait  gar- 
dée dans  le  sépulcre  où  le  pape  Pascal  la  retrouva,  comme 
au  jour  de  sa  mort. 

Vers  1450,  le  pieux  fra  Giovanni  di  Fiesole,  dit  VAngelico, 
plaçait  sainte  Cécile  dans  le  tableau  du  Couronnement  de  la 
Vierge  et  des  Miracles  de  saint  Jérôme,  destiné  au  couvent 
des  Dominicains  de  Fiesole,  où  ce  peintre  était  moine  profès; 
on  l'admire  maintenant  au  Musée  du  Louvre. 

Au  XVIe  siècle,  Jacques  de  Puntormo  peignit  à  fresque 
une  sainte  Cécile,  tenant  des  roses  à  la  main,  au-dessus  de 
la  porte  d'un  bâtiment  de  Fiesole,  le  Poggio^  alors  occupé 
par  une  confrérie  artistique  et  pieuse,  érigée  sous  l'invoca- 
tion de  cette  Sainte . 

Au  commencement  du  môme  siècle,  le  divin  Raphaël  fit 
un  merveilleux  tableau  de  sainte  Cécile  pour  l'église  Saint- 
Jean  du  Mont-de-Bologne.  Dans  cette  ravissante  composition, 

'  Anastask,  de  VU  2)ontif.,  t.  i,  p-  268. 


608  SAINTE   CÉCILE 

lii  mélodieuse  vierge,  aux  pieds  de  laquelle  gisent  épars  les 
emblèmes  de  la  musique  protaue,  abaisse  son  psaltériou  an- 
tique, et,  le  regard  fixé  vers  les  cieux,  écoute  les  harmonies 
plus  parfaites  que  des  Anges  exécutent  au-dessus  de  sa  tête. 
A  ses  côtés  sont  groupés  saint  Paid,  saint  Jean  l'Evangéliste, 
saint  Augustin  et  sainte  Madeleine,  auditeurs  attentifs  et 
recueillis  du  concert  céleste. 

Ce  chef-d'œuvre  incomparable,  que  Vasari  appelle  u?ia 
tavola  divina  e  non  pinta  (un  tableau  divin  plutôt  que  peint 
de  main  d'hommei,  était  sur  bois.  A  la  fin  du  siècle  dernier, 
on  l'apporta  à  Paris,  pour  le  mettre  sur  toile  et  pour  le  res- 
taurer, par  un  procédé  ingénieux  que  les  Italiens  ne  connais- 
saient pas  alors.  Cette  opération  ayant  bien  réussi,  on  l'ex- 
posa en  1802,  au  Louvre,  où  le  public  vint  l'admirer.  Nous 
le  possédions  par  droit  de  conquête  ;  mais  il  fallut,  an  grand 
regret  des  connaisseurs,  le  rendre  aux  Bolonais,  après  les 
événements  de  1815,  qui  nous  ont  obligés  à  restituer  à 
l'Italie  et  à  l'Allemagne  plusieurs  joyaux  du  même  prix. 

Une  autre  église  de  Bologne,  dédiée  sous  le  titre  de  Sainte- 
Cécile,  avait  été  peinte  à  fresque,  aux  XV°  et  XVP  siècles, 
par  Francia  et  ses  élèves;  l'histoire  de  la  patronne  leur  avait 
fourni  le  sujet  de  cette  œuvre  magistrale. 

Le  Dominiquin,  une  des  gloires  de  l'école  bolonaise,  au 
XVir  siècle,  embellit  de  cinq  fresques  la  chapelle  de  Sainte- 
Cécile,  dans  l'église  de  Saint-Louis  des  Français,  à  Eome  : 
ces  pages  où  se  déroule  la  légende,  subsistent,  quoique  alté- 
rées par  différentes  restaurations  ;  une  d'elles  représente  la 
noble  et  charitable  Romaine,  distribuant  ses  biens  aux 
pauvres;  une  autre  retrace  les  douloureuses  circonstances 
de  sa  mort  ;  la  dernière  nous  la  montre,  non  plus  au  milieu 
des  tourments,  mais  déjà  dans  le  ciel,  associée  au  chœur  des 
bienheureux  et  jouant  du  violon,  tandis  que  ses  compagnes 


GLORIFKE   PAU    LES    ARTS.  G09 

émues  eiitoiment  les  louanges  de  Dieu.  Le  mC'me  sanctuaire 
garda  longtemps  une  copie  de  la  sainte  Cécile  de  Raphaël, 
faite  par  Le  Guide. 

Outre  ces  peintures  murales,  Le  l)(jnruiiquiu  consacra 
spécialement  deux  tableaux  sur  toile  à  la  sainte  musicienne. 
Le  premier  montrait  Cécile  assise  devant  un  orgue  dont  ses 
doigts  parcouraient  le  clavier,  tandis  qu'un  chœur  d'Anges 
groupés  au-dessus  d'elle  se  joignait  à  ses  accords.  Dans  le 
second,  la  bienheureuse  joue  de  la  basse  de  viole,  en  chan- 
tant les  paroles  traditionnelles  du  psaume  118  :  Fiat  cor 
memn  immaculatum  ut  non  confiindar  !  Sa  figure  respire  une 
tendre  piété  ;  un  Ange,  messager  du  Très-Haut,  lui  sert  de 
pupitre,  en  lui  tenant  le  livre  noté.  Par  cette  allégorie,  le 
peintre  a  voulu  exprimer  combien  les  vœux  et  les  prières  de 
Cécile  étaient  agréables  au  Seigneur,  et  combien  ses  purs 
accents  délectaient  même  les  Esprits  célestes.  Louis  XIV  fit 
acheter  pour  sa  galerie  ce  dernier  ouvrage,  qui  se  voit  au 
Musée  actuel  du  Louvre. 

Un  contemporain  du  Dominiquin,  et  de  la  même  école. 
Le  Guerchin,  nous  a  laissé  une  autre  sainte  Cécile  touchant 
l'orgue  ou  le  clavecin  :  elle  appartient  également  à  la  collec- 
tion du  Louvre. 

Les  Carraches  reproduisirent  à  fresque  la  légende  en- 
tière, dans  le  cloître  deSaint-Michel-du-Bois,  à  Bologne  ;  l'un 
de  ces  tableaux,  imité  de  Kaphaël,  idéalisait  la  sainte  musi- 
cienne, ravie  en  extase,  à  l'audition  miraculeuse  des  mélo- 
dies ineffables,  et  jetant  à  terre  son  instrument,  par  humilité. 
Il  paraît  que  ces  peintures  précieuses  sont  maintenant  expo- 
sées aux  intempéries  de  l'air  et  dans  un  état  déplorable  '. 

Le  digne  élève  des  Carraches,  Guido  Reni,  a  peint  Cécile 

'  Du  Pays,  Itinéraire  de  l  Italie,  p.  412. 

TOME  VI.  44 


610  SAINTE   CÉCILE 

s'appuyant  sur  lui  clavier  d'orgue,  et  tenant  une  palme, 
double  symbole  de  son  talent  et  de  son  martyre.  Cette  pro- 
duction de  la  première  et  meilleure  manière  du  Guide,  ap- 
partient au  p.'dais  ducal  de  Lucques. 

Cantarini,  disciple  du  Guide,  peignit,  à  l'instar  de  son 
maître,  une  sainte  Cécile  touchant  l'orgue,  et,  à  côté  d'elle,  un 
Ange  attentif  :  le  Musée  royal  de  Munich  garde  ce  tableau 
estimé . 

On  cite  encore  deux  saintes  Cécile  de  Carlo  Dolci,  peintre 
florentin  du  XVIP  siècle,  échues,  l'une  à  la  galerie  du  pa- 
lais de  l'Hermitage  de  Saint-Pétersbourg,  l'autre  au  Musée 
royal  de  Dresde. 

Déjà,  avant  le  Dominiquin,  le  Guerchin  et  le  Guide,  on 
avait  du  Parmesan  une  sainte  Cécile,  jouant  aussi  de  l'orgue, 
suivant  la  tradition  admise.  * 

Rubens  la  peignit  de  môme  dans  un  tableau  indiqué 
comme  appartenant  à  la  galerie  du  château  royal  de  Postdam. 
Il  traita  plusieurs  fois  cette  figure  d'après  d'autres  données; 
par  exemple,  il  en  orna  la  voûte  de  l'église  des  Jésuites 
d'Anvers,  incendiée  en  1718. 

Van-Dick,  imitateur  en  cela  du  Dominiquin,  la  représente 
jouant  du  violoncelle,  et  accompagnée  par  un  chœur  d'Anges 
qui  plane  au-dessus  de  sa  tête. 

Ces  exemples,  et  d'autres  dont  j'omets  la  nomenclature, 
démontrent  que  les  écoles  de  Flandre  et  d'Allemagne  ne  res- 
tèrent pas  en  arrière  de  celles  d'Italie,  pour  varier  un  thème 
plein  de  charme.  Les  gravures  sur  bois  d'Outre-Rhin,  l'a- 
vaient aussi  popularisé,  au  XVP  siècle,  par  des  images  très- 
répandues  alors  ;  entre  ces  produits  naïfs  et  parfois  gracieux 
de  l'ancieime  xilographie  germanique,  je  citerai  la  fameuse 
chronique  de  Nuremberg,  imprimée  dans  cette  ville  en  1493. 
Une  des  deux  mille  estampes,  mêlées  au  texte  latin  de  cet 


GLORIFIÉE    PAR    LES    ARTS.  (ill 

énorme  in-tblio,  curieux  prototype   de  nos  livres  illustrés, 
offre  un  luiste  de  sainte  Cécile  modelé  à  l'antique. 

Notons,  en  passant,  les  stalles  historiées  de  la  cathédrale 
d'Ulm,  (|ui  exhibent,  dans  la  variété  d(^  leurs  sculptures, 
l'iniage  de  la  sainte  martyre. 

L'école  espagnole  du  XVIP  siècle  nous  offre  une  sainte 
Cécile  de  Zurbaran,  Cette  toile  a  fait  momentanément  i)artie 
d'une  collection  que  le  roi  Lous-PhUippe  avait  formée  au 
Louvre,  et  qui  a  été  vendue  en  détail  après  la  catastrophe 
de  1818. 

Nous  arrivons  enfin  à  des  œuvres  françaises. 

Avant  les  grandes  compositions  apparaissent  les  minia- 
tures du  Moyen-Age  ou  de  la  Renaissance.  Le  XV  siècle 
nous  a  légué,  en  ce  genre,  un  véritable  bijou,  à  savoir,  le 
riche  Missel  de  Jean  Ju vénal  des  Ursins,  que  j\[.  Ambroise 
Firmin  Didot,  le  savant  typographe-bibliophile,  vient  d'ac- 
quérir et  de  céder  sans  bénéfice  à  la  ville  de  Paris.  Il  en  a 
retracé  les  beautés  dans  une  bonne  Notice,  où  se  trouve  l'in- 
dication suivante  :  «  On  ne  saurait  rien  voir  de  plus  gra- 
«  cieux  ni  de  plus  touchant  que  la  miniature  qui  nous  repré- 
«  sente  sainte  Cécile  dans  sa  chambre  nuptiale,  disant  à  son 
«  jeune  époux  Valérien  qu'un  Ange  la  protégeait,  et  que 
«  depuis  longtemps  elle  était  fiancée  au  divin  Maître.  Au 
"  moment  où  elle  le  convertit,  un  Ange  descend  sur  eux,  et 
"  les  unit  en  posant  sur  leurs  têtes  les  couronnes  du  mar- 
«   tyre.  » 

Du  XV  siècle  nous  passons  au  XVIP,  et  des  petites  mi- 
niatures à  la  peinture  magistrale.  Le  Musée  de  ]\Iontpellier 
possède  une  belle  sainte  Cécile  attribuée  à  la  jeunesse  du 
Poussin.  Son  ami,  Jacques  Stella,  en  fit  une  autre  pour  les 
Jésuites  du  collège  de  Lyon.  Puis,  le  gracieux  Mignard  vint 
imiter  avec  bonheur  d'illustres  devanciers  ;  cette  composition. 


612  SAINTE    CÉCILE 

primitivement  destinée  au  château  de  Versailles,  a  pris  place 
au  Musée  du  Louatc.  La  Sainte  est  coiffée  d'un  turban  ; 
elle  est  assise,  lève  les  yeux  au  ciel,  et  chante  en  s' accom- 
pagnant de  la  harpe  :  un  Ange  debout  et  appuyé  sur  son 
genou,  tient  un  livre  de  musique  ouvert;  à  gauche,  on  voit 
une  basse  de  viole,  posée  contre  une  table  recouverte  d'un 
tapis;  à  droite,  gisent  épars  plusieurs  autres  instruments. 
Dans  cette  brillante  page,  Mignard  s'est  souvenu  à  la  fois  de 
Raphaël  et  du  Dominicpiin;  mais^  tout  en  leur  empruntant,  il 
a  su  imprimer  son  cachet  individuel  aux  idées  que  l'un  et 
l'autre  lui  avaient  fournies. 

Pour  couronner  cette  glorieuse  série  de  monuments 
iconographiques,  Paul  Delaroche  exposa,  au  salon  de  1837, 
une  nouvelle  sainte  (décile  ,  qui  a  été  bien  gravée  par 
M.  Forster. 

Le  suffrage  public,  ratifiant  les  éloges  unanimes  de  la 
presse,  rangea  cette  délicieuse  composition  parmi  les  meil- 
leures productions  d'un  génie  habituellement  heureux  et 
sympathique.  C'était  son  premier  essai  de  peinture  reli- 
gieuse ;  mais  il  prouva  que  son  talent  flexible  pouvait  s'éle- 
ver tout  d'abord  aux  plus  hautes  conceptions  d'un  genre 
nouveau  cependant  pour  lui.  D'ailleurs,  en  restant  soi-même 
dans  le  libre  usage  des  thèmes  classiques  et  dans  le  rajeunis- 
sement spontané  de  la  figure  traditionnelle,  le  peintre  favori 
du  dix-neuvième  siècle  s'était  approprié  habilement  les  in- 
spirations tombées  dans  le  domaine  commun  de  l'art.  Les 
maîtres  ont  toujours  aimé  ce  suave  et  fécond  sujet  d'étude  ; 
probablement,  P.  Delaroche  ne  sera  pas  le  dernier  de  ceux 
qu'aura  inspirés  cette  personnification  touchante  de  l'hé- 
roïsme chrétien  dans  la  femme  régénérée,  ce  mélange  sur- 
humain de  force  et  de  douleur,  ce  type  accompli  de  l'âme 
pure,  cette  poésie  intime   d'un  cœur  transporté  au-dessus 


GLORIFIÉE    PAR   LES   ARTS".  (il 3 

(les  affections  terrestres  sur  les  ailes  de  lu  loi  et  de  l'amour 
divin. 

La  sculpture  moderne  a  voulu  payer  également  son  tribut 
d'hommage;  M.  Foyatier  exposa,  au  salon  de  1815,  une 
statue  de  sainte  Cécile,  qui,  nous  devons  le  dire,  fut  sévère- 
ment critiquée... 

L'ancienne  peinture  sur  verre  avait  souvent  revêtu  de  ses 
plus  riches  coideurs  les  actes  de  l'illustre  martyre  :  les  fe- 
nêtres historiées  de  nos  vieilles  basiliques  conservent  des 
■fragments  précieux  de  sa  légende,  popidaire  au  Moyen- Age; 
témoin  la  métropole  de  Bourges,  où  les  imagiers  du  treizième 
siècle  l'ont  fidèlement  retracée. 

La  splendide  église  d'Alby  porte  le  titre  de  Sainte- 
Cécile,  dont  le  culte  y  demeure  vivace  et  fervent,  après  tant 
de  siècles  et  de  révolutions.  Outre  les  témoignages  quotidiens 
de  la  confiance  des  populations,  cet  admirable  vaisseau  voit, 
chaque  année,  le  22  novembre,  les  virtuoses  du  Languedoc 
accourir  de  quinze  ou  vingt  lieues  à  la  ronde  pour  fêter  di- 
gnement, sous  ses  voûtes  antiques,  leur  chère  et  vénérée 
patronne. 

Ces  souvenirs,  et  d'autres  que  des  recherches  plus  éten- 
dues nous  révéleraient  sans  doute,  démontrent  bien  l'ancien- 
neté de  la  dévotion  à  sainte  Cécile,  perle  choisie  dans  le 
riche  écrin  des  légendes  romaines.  En  adoptant  le  même 
patronage,  les  nouvelles  sociétés  chorales  de  France  ont 
suivi  une  louable  impulsion  du  passé. 

L'harmonie,  à  laquelle  le  paganisme  avait  donné  pour  pro- 
tecteurs le  dieu  Apolton  et  la  muse  Euterpe,  de  mythologique 
mémoire,  a  retrouvé  dans  Cécile  une  sainte  titulaire.  Mais 
quelle  difîërence  profonde  entre  ces  deux  ordres  d'idées  ! 
D'un  côté,  l'empire  des  passions,  le  culte  des  sens,  le 
charme  frivole  d'une  audition  souvent  dangereuse  ;derautre. 


614-  SAINTE    CÉCILl':    GLORIFIÉE   l'AR   LES   ARTS. 

la  vertu  et  la  pureté  personnifiées.  Les  vibrations  éthérées  de 
la  lyre  chrétienne  ont-elles  jamais  troublé  la  paix  ou  l'inno- 
cence du  cœur?  Tel  est  l'incontestable  avantage  des  chants 
sacrés  sur  les  modulations  profanes  :  cette  supériorité  mo- 
rale du  sentiment  religieux  faisait  dire  à  un  éminent  com- 
positeur, Lully  :  «  Je  donnerais  volontiers  mes  airs  d'o- 
péras les  plus  estimés  pour  la  mélopée  anticpie  et  simple  des 
préfaces  du  Missel  romain.  »  L'Eglise  a  divinisé  en  quelque 
sorte  la  musique  et  les  autres  arts,  en  les  appliquant  aux 
louanges  du  vrai  Dieu;  sainte 'Cécile,  substituée  sur  nos 
autels  aux  déités  mensongères  du  Parnasse,  exprime  admira- 
blement cette  heureuse  transformation.  Puisse-t-elle  donc 
inspirer  et  bénir  ceux  qui  l'invoquent  comme  leur  reine! 
Puissent  leurs  accents  rester  toujours  dignes  d'une  si  haute 
protection  et  d'une  origine  céleste!  Car,  ainsi  que  l'a  dit 
Chateaubriand  :  <<  Le  chant  nous  vient  des  Anges,  et  la 
«  source  des  concerts  est  dans  le  ciel.  Le  Christianisme 
«  a  inventé  l'orgue  et  donné  des  soupirs  à  l'airain  même.  11 
«   a  sauvé  la  musique  en  des  siècles  barbares.  » 


A.    DUPIIE, 
Bibliothécaire  de  la  ville  de  Blois. 


P.  S.  Si  les  limites  restreinles  de  cet  article  nous  l'avaient  permis,  nous 
aurions  pu  parler  de  quelques  autres  tal^leaux  où  figure  la  patronne  de  la 
Musique.  Nous  nous  jjornerons,  en  terminant,  à  mentionner  le  Marti/re  de 
saillie  Cécile,  [lar  Jules  Romain,  dans  les  thermes  du  palais  Valérien,  à 
Rome;  un  tal)le;iu  de  Jean  SchefFer,  au  musée  de  Vienne,  en  Autriche; 
sainte  Cécile  louchant  de  l'oryue,  par  Lucas  de  Leyde  ;  sainte  Cécile  plongée 
dans  une  chaudière  d'huile  bouillante,  par  Circiniaco,  à  Sainl-Etienne-le- 
Rond,  à  Rome;  sainte  Ceri/e,  par  Vanius,  cti'. 


LA    MORT    DE    SAINT    JOSEPH 
Tableau  attribué  à  Raphaël. 


On  s'occupe  beaucoup  (l;i!is  le  monde  artistique  d'un  nui- 
gnifique  tableau  représentant  la  mort  de  saint  Joseph,  qu'on 
attribue  à  Raphaël  (  V.  la  gra  vivre  qui  est  en  tête  de  cette  livraison) . 

Cette  toile  ne  mesure  que  47  centimètres  de  largeur  sur 
45  de  hauteur.  Elle  est  longtemps  restée  ignorée,  parce 
qu'elle  a  été  transmise,  de  génération  en  génération,  dans  une 
même  famille  de  Eome.  M.  l'abbé  Nicolle,  secrétaire  de  Son 
Eminence  le  Cardinal  di  Pietro,  vient  de  mettre  ce  tableau 
en  vente  au  prix  de  huit  millions.  Dans  une  Notice  explica- 
tive qu'il  a  publiée,  il  laisse  déborder  son  enthousiasme  pour 
ce  chef-d'œuvre  qu'il  dit  être  tout  entier  de  la  main  de 
Raphaël,  supérieur  à  la  Transfiguration  et  à  tout  ce  que  le 
génie  humain  a  produit  de  plus  inspiré. 

Saint  Joseph,  couché  sur  son  lit  d'agonie,  va  rendre  son 
âme  à  Dieu.  Ses  yeux  sont  fixés  sur  le  ciel  où  il  va  trouver 
la  récompense  de  ses  vertus.  A  sa  droite,  le  Sauveur  lui 
soulève  la  tête  pour  recueillir  son  dernier  soupir  et  semble 
lui  révéler  les  secrets  de  l'éternité.  De  -l'autre  côté,  on  voit 
Marie  oppressée  d'une  profonde  douleur  que  tempèrent  pour- 
tant la  résignation  et  la  foi. 

Les  critiques  et  les  artistes  qui  partagent  l'opinion  de 
M.  l'abbé  Nicolle,  invoquent  une  tradition  qui  affirme  que 
Raphaël  a  exécuté  cette  œuvre, pendant  sa  dernière  maladie, 
pour  se  préparer  à  la  mort  du  juste.  Ils  y  reconnaissent  son 
dessin  et  sa  couleur. 


616  UN  TABLEAU  ATTRIBUÉ  A  RAPHAËL. 

Le  Journal  des  Beaux-Arts  est  loin  de  souscrire  à  cet  avis  : 
«  Ce  tableau,  nous  dit-il,  de  beaucoup  postérieur  à  l'époque 
de  Raphaël,  procède  de  l'école  française  et  ressemble  à  un 
Lesueur  déteint.  Ni  le  style,  ni  les  caractères,  ni  le  dessin, 
ni  la  couleur  ne  sont  de  Raphaël,  ni  même  ne  rappellent 
de  loin  Raphaël.  » 

Un  de  nos  amis,  dans  les  Annales  de  Saint-Joseph,  apprécie 
ce  tableau  de  la  manière  suivante  :  «  Un  raccourcis  des 
plus  savants  caractérise  le  sujet  principal  dont  la  tête  et  le 
torse  peints  en  pleine  lumière,  sont  vraiment  forts  beaux;  les 
traits  de  la  Vierge  sont  nobles  et  dignes  en  tous  points  d'un 
personnage  aussi  sublime  ;  mais,  en  compensation,  le  Christ 
est  lourd  et  même,  convenons-en,  un  peu  vulgaire.  Il  nous  a 
été  donné,  pendant  nos  voyages,  d'étudier  beaucoup  de  vrais 
Raphaëls  et  aucune  des  trois  manières  du  maître  ne  nous  a 
rien  offert  qui,  de  près  ou  de  loin,  ressemblât  au  tableau  de 
M.  Nicolle.  » 

M.  Ch.  Pelloquet,  dans  un  article  du  Monde  illustré,  trouve 
dans  la  Vierge  un  souvenir  confus  d'André  del  Sarto,  mais 
il  reconnaît  le  style  éclectique  de  l'école  bolonaise  dans  l'en- 
semble de  la  composition. 

Un  artiste  belge,  M.  Picqué,  croit  reconnaître  dans  cette 
toile  une  esquisse  faite  pour  une  fresque  de  Carlo  Maratti 
qui  aurait  été  gravée,  en  contre  partie,  par  Rob.-Van.  Au- 
denaerde. 

Quelle  que  soit  la  divergence  des  opinions  sur  l'auteur  de 
ce  tableau,  ce  n'en  est  pas  moins  une  œuvre  éminemment 
remarquable,  où  respire  une  grande  élévation  de  pensées  et 
un  grand  fini  d'exécution.  11  est  donc  vivement  à  désirerque 
l'administration  du  Louvre  puisse  acquérir  ce  chef-d'œuvre 
et  que,  d'un  autre  côté,  M.  l'abbé  Nicolle  abaisse  ses  préten- 
tions à  un  chiffre  abordable.  j.  o. 


à 


REVUE  DE  L'ART  CHRETIEN 


5,6,  Sandales   attribuées  an  B    Eqinon ,  eveqiae    de  Vérone   +  BC2 

7,8,9,  lO.Sanaales  ecclésiasiiriues  prises  surb'ois  maiiusm^s  d-uX!':  silcle 

11.  Sandale    d  Arno-ult    1"  Arrhevêque    de  Trêves   +  1183. 

12.  Sandale    de  Philippe  de  Dreux    eveque   de  Beauvais  +  1217 .(  d'après  son  lombeau 

13.  Sandale  Je-A/illia-m   deWanefle^e /eveque  deWinclieskr.U^? -i486. 


LES  SANDALES  ET  LES  BAS 


(.INQUIEME    ARTICLE 


CHAPITRE  VI. 


s  A  W  D  A  L  E  s    E  P I  S  C  O  P  A  L  E  S  . 


Forme,  matière  et  couleur.  —  Suivant  toute  probabilité, 
rorigine  d'une  chaussure,  exclusivement  affectée  aux  céré- 
monies du  culte,  remonte  au  pape  saint  Etienne  I  (255-257), 
qui  interdit  au  clergé  l'usage  des  vêtements  sacerdotaux 
hors  de  l'enceinte  sacrée  ' .  La  première  chaussure  épiscopale 
fut  incontestablement  la  solea  [fig.  l),  semelle  attachée  au 
moyen  de  deux  courroies  latérales,  croisées  sur  le  cou-de- 
pied,  lesquelles,  après  avoir  contourné  le  bas  de  la  jambe, 
venaient  se  réunir  à  un  appendice  en  métal  ou  en  cuir  (06- 
strayuluin),  placé  entre  le  gros  orteil  et  le  doigt  voisin.  Le 
pape  Pelage  II  est   ainsi  représenté  sur  le  grand  arc  de 


*  Voir  le  numéro  de  novembre,  p.  561. 

*  «  Hic  constituit  sacerdotes  et  levitas  ut  vestes  sacratas  in  usa  quotidiano 
non  uti,  nisi  in  ecclesia  tantum.  »  Anastase,  5.  Slephamis,  24. 

TOMK  V    Décembre  1862.  45. 


618  LES    SANDALES    ET    LES    BAS. 

Saint-Laurent  extra-miiros  (578),  et  les  restes  d'une  statue 
de  saint  Hippolyte,  évêque  et  martyr  (IIP  siècle),  font  com- 
prendre qu'elle  portait  la  même  chaussure  ' . 

De  la  solea^  qui  laissait  les  orteils  complètement  dénudés, 
à  lucarbatina,  la  transition  ne  fut  pas  difficile.  Cette  dernière, 
agreste  et  populaire,  qui  ne  garantissait  que  la  plante  et  les 
bords  extérieurs  du  pied,  rentrait,  comme  la  solea,  dans 
l'esprit  apostolique.  On  ignore  le  moment  précis  où  les  car- 
hatinx  s'introduisirent  dans  le  costume  épiscopal  ;  mais  le 
nom  de  campagus  qu'elles  reçurent  d'abord,  appartenant  déjà 
à  un  cal cecunent  11771  impérial  de  forme  analogue,  il  serait 
invraisemblable  de  leur  assigner  une  date  antérieure  au 
TV®  siècle,  lorsque,  sortie  des  catacombes,  l'Eglise  prit  place 
aux  côtés  du  souverain  temporel.  D'ailleurs,  le  terme  cam- 
paguSy  spécifiant  un  vêtement  ecclésiastique,  ne  parait  pas 
avant  le  YP  siècle  et,  seulement  au  YIP,  on  le  rencontre  ap- 
pliqué à  la  chaussure  pontificale ,  bien  que  tout  porte  à 
reculer  cette  application  jusqu'à  une  époque  plus  éloi- 
gnée^. 

L'assertion  d'un  écrivain  du  VIP  siècle  et  un  passage 
d'Anastase  tendraient  à  faire  du  campagus  un  objet  exclu- 
sivement réservé  au  Pape.  Les  vers  de  Théodulfe,  cités  au 
chapitre  III,  et  surtout  les  monuments,  dont  je  m'occuperai 
tout  à  l'heure,  prouvant  que  les  Evêques  portaient  le  cam- 
pagus aussi  bien  que  le  Souverain-Pontife,  les  termes  absolus 
de  VHypomnesticon  ne  peuvent  toucher  qu'à  un  minime  dé- 


•  CiAMPiNi,  \Ul.  mon.,  t.  II,  pi.  28.  —  Anastase,  éd.  Migne,  t.  i,  p.  1295. 
Cette  statue,  provenant  des  fouilles  opérées  à  Saint-Laurent  exlra-muros  en 
1551,  a  été  déposée  au  Vatican. 

.    *  S.  Grégoire,  lib.  vin,    ép.   27.  —    De  Exllio  S.  Martini  PP.,  v.  au 
chap.  préc. 


LES   SANDALES    fcT   LES   BAS.  Gtî) 

tail  croriiemeiit  OU  de  couleur'.  Après  le  VHP  siècle,  cain- 
pagusj,  synonyme  de  sandaliumy  dispanùt  du  vocabulaire 
liturgique;  Amalaire  (81:2),  Anastase  (809)  et  Durand,  qui 
l'emploient  comme  une  locution  vieillie,  en  altèrent  l'ortho- 
graphe  véritable,  et,  si  plus  tard,  le  mot  conserve  son  sens 
primitif  dans  quelques  Bulles  émanées  du  Saint-Siège,  l'ex- 
ception confirme  la  règle". 

Sauf  le  calceamentum  de  Maximianus,  à  St-VitaldeRavenne 
(VP siècle),  ca/ceame/z/wm.  très-analogue  à  la  chaussure  actuelle 
du  montagnard  des  Abruzzes,  tous  les  campagi  figurés  sur 
les  mosaïques  se  ressemblent  entre  eux,  qu'ils  appartiennent 
à  des  Papes  on  à  des  Evoques.  Ils  consistent  en  une  semelle 
munie  d'un  quartier,  de  flancs  bas  et  d'une  courte  empeigne, 
soit  taillée  carrément,  soit  découpée  en  cœur  ;  des  courroies 
croisées  ou  une  bride  transversale  les  attachent  au  p  ied 
[fi g.  2).  La  sandale  antique  gardée  à  Saint-Martin  des  Monts 
(Rome),  qu'elle  provienne  ou  non  du  pape  saint  Martin  (649- 
654),  constitue  un  campagus  remontant  à  une  époque  très- 
reculée  {fig.  4j.  Je  pense  avecRocca  que  cette  chaussure  avait 

'  ft  Particula  sancti  orarii,  id  est  fascialis  [S.  Martini  1)  quée  «ibi  ab  eo  di- 
missa,  et  unus  ex  campagis  ejus,  id  est  caligis,  quos  nullus  alius  inter  homines 
portât,  nisi  sanctus  Papa  Roraanus.  »  Uyi)omn.,dc  Anast.  apocris.,  ap.  Coll. 
Anast.  Bibl.,  éd.  Sihmond,  1620,  p.  259.  —  »  Accedens  enim  Maurianus 
subdiaconus,  orarium  de  ejus  collo  abstulit,  et  iinte  pedes  ejus  projecit  et 
compages  ipsius  abscidit.  ■>  Awastase,  Sleph.  m,  272.  (Dégrad.  de  Con- 
stantin.) 

-  «  Congruum  est  ut  nosmetipsos  absolvamus  de  sandaliis,  sive  ut  alio  no- 
mine  campohis,  qui  supersunt  in  pedibus.  »  De  Eccl.  off.,  lib.  ii,  c.  18.  — 
Parmi  les  Ordo  que  Mabillon  ne  considère  pas  comme  postérieurs  au  Villes., 
le  n"  I,  se  tait  quant  aux  chaussures  ;  le  n"  v  dit  «  odhones  et  campagos  •  et 
le  n"  VIII,  (Qûomodo  episcopus  ordinetur)  «  et  induit  euin  dalmatica,  pianota 
et  cmnpobus  »  Mus.  liai.,  t.  ii,  p.  6,  1,  64,88,  —  «  Dalmaticœ,  campagc- 
rura,  etc....  usum  tilîi  concedimus.  »  Privil.  d'Urbain  II  à  Hugues,  abbé  de 
Cluny  (1088),  ap.  Dd  Cange.  —  Durakd  écrit  compagus. 


620  LES   SANDALES    ET   LES   BAS. 

autrefois  des  cordons  et  un  quartier  que  le  temps,  si  ce  n'est 
la  main  des  hommes,  a  fait  disparaître  '. 

Les  Annales  de  l'Eglise  Gallicane  mentionnent  de  bonne 
heure  une  chaussure  épiscopale  appelée  subtalaris.  On  lit  dans 
les  Actes  des  Evoques  du  Mans  que  saint  Innocent  (545), 
saint  Iladoin  (655),  saint  Béraire  (670),  Gauziolène  (770) 
laissèrent  par  testament  et  en  usufruit  fprecariaj  à  divers 
abbés  «  ad  opus  episcopi  cambutta  I  et  subtalares  IL  »  Le 
legs  du  dernier  était  même  fort  riche  :  «  cambuttam  I  opti- 
«  mam  et  subtalares  II  bene  ornatos.  »  Toutefois,  le  premier 
liturgiste,  qui  applique  la  dénomination  sandalitim  à  la  chaus- 
sure ecclésiastique,  est  Bède  (VHP  siècle).  Cet  auteur  entend 
par  sandale  ou  solea,  un  vêtement  laissant  la  partie  supé- 
rieure du  pied  découverte,  et  il  l'attribue  aux  prêtres  en  gé- 
néral". Amalaire  spécifie  la  sandale  épiscopale  et  la  montre 
assez  conforme  aux  campagi  de  notre  planche  ffig.  2  et  A). 
On  y  voit,  en  sus  de  la  semelle,  une  empeigne  et  un  quartier 
non  adhérents  l'un  à  l'autre  ;  une  languette  prolonge  l'em- 
peigne sur  le  cou-de-pied  ;  la  chaussure  entière  est  doublée 
de  peau  blanche,  fortement  cousue  à  la  partie  externe 
autour  de  l'entrée  du  pied  ;  des  courroies  servent  à  l'atta- 
cher ^.  Walafrid  Strabon  (842)  se  borne  à  ranger  au  nombre 


•  Revue  arcJi.,  t  vu,  pi.  145.  —  V.  Cl^mpini,  loc.  cit.,  })1.  29,  Honoiius  I 
et  Symmaque  (S  -Agnès,  626|  ;  pi.  31,  Jean  IV,  Théodore  I,  saint  Venance 
et  saint  Domnio,  évoques  (Oiat.  de  S. -Venance,  641);  pi.  37,  Giégoire  IV  et 
saint  Mai'c  pape  (S. -Marc,  774).  —  Tkes.  pont,  antiq.,  t.  il,  p.  379,  pi. 

-  Mabillow,  Ànalecta,  p.  246,  269,  273,  286.  —  «  Induunt  quoque  sacer- 
dotes  pedes  sandaliis.  »  De  Sept.  ord.  —  Proinde  Marcus  dicendo  calceari  eos 
sandaliis  vel  soleis,  aliquid  hoc  calceamentum  mysticae  significationis  habere 
admonet,  ut  pes  nec  tectus  sit  neque  nudus  ad  terram,  id  est  nec  occultetur 
evangelium,  nec  tenenis  commodis  innitatui'.  »  In  Marcmn,  c.  vi,  lib.  ii  ; 
Op.  \,  p.  58. 

'  «  Lingua  de  albo  corio  quœ  subtus  calcaneum   est....  Lingua   quae  inde 


LES    SANDALES   ET   LES   DAS.  621 

(les  ponli/iralia  les  sainlnles,  que  lllmbaii  Maur  (817),  à 
l'exemple  de  Bcde,  nomme  soleœ  sacerdotis,  eu  rapportaut 
leur  origine  au  texte  de  saint  j\[arc.  La  Messe  de  Ratold 
(986)-  les  mentionne,  tandis  que  le  Sacramentaire  de  saint 
Grégoire,  la  Messe  d'Illyricus  et  le  Pontifical  de  saint  Pru- 
dence (8i0)  sont  muets  à  leur  égard  ' .  Le  fîiux  Alcuni  (après 
1000)  développe  les  idées  de  Klniban  Maur  :  «  Sandaliœ  di- 
cuntur  solea3.  Est  autem  genus  calceamenti  quo  induiintur 
ministri  ecclesiœ,  subterius  quidem  solea  muniens  pedes  a 
terra,  snperius  vero  nil  operimenti  liabens  :  patet,  quo  jussi 
sintApostoli  a  Domino  indui.  »  Ives  de  Chartres  (1097)  et 
Hugues  de  Saint- Victor  (1120),  moins  absolus,  accordent 
une  empeigne  tailladée  à  la  sandale,  dont  Rupert  de  Tuit 
(1111)  fait  un  ornement  réservé  aux  évêques,  «  sandalia  pon- 
tificis*.  »  Honorius  d'Autun  (1150),  au  livre  I,  chapitre  210 
du  Gemma  animœ,  reproduit  sensiblement  le  texte  d'Ama- 
laire  ;  mais,  chapitre  209,  après  avoir  dit  que  sandalium 
dérivait  de  sandyœ  (plante  à  fl-eurs  écarlates)  ou  de  sandaraca 
(rouge  orangé),  couleur  avec  laquelle  on  teignait  cette  chaus- 


surgit  el  est  separata  a  corio  sandalioium Lingua  superior...  At  intiinsecus 

de  albo   corio   circumdala   sunt  sandalia Superior  pars   sandaliorun»   per 

quam  pes  intrat,  multis  filis  consuta  est,  ut  ne  dissolvanlur  duo  coria.... 
Lingua  quse  super  pedem  est....  Corrigias  supererogatas  sandaliis.  »  De 
EccL  off.,  lib.  11,  c.  25. 

'  De  Reb.  eccl.,  c.  24.  —  «  Induunt  quoque  sacerdotes  pedes  sandaliis  sive 
soleis,  quod  genus  calceamenti  evangelica  auctoritate  eis  concessum  est  ut 
Marci  evangelium  testatur.  »  De  Inslit.  clerlc,  lib.  i,  c.22. —  S.  Grkgoike, 
Op.  compL,  t.  III.  —  u  Deinde  ministcr  det  sandalia  (^episcopo).  »  De  Ant. 
eccl.  rit.,  t.  i,  p.  541  et  Ihid..,  Ord.  iv  et  vi. 

-  De  Div.  off.,  c.  Quid  sign.  vest.  —  «  Habent  autem  ad  terram  soleam 
integram,  ne  pes  tangat  ad  terram  :  supra  vero  constat  ex  corio  quibusdam 
locis  pertuso.  »  Sermo  de  sign.  induvi.  saccrrf.,  ap.  Hittoup,  p.  417,  C.  — 
V.  Sandalia...  intégra  sunt  inferius...  et  desuper  sunl  forata.  »  Spec.  eccl., 
c.  6  et  De  Sacram.,  c.  54.  —  De  Div.  off.,  lib.  l,  c.  24. 


622  LES   SANDALES   ET   LES   BAS. 

sure,  raiiteiir  iiientioniie  aussi  la  tradition  apostolique  et 
les  ouvertures  pratiquées  daus  l'empeigne  ' .  Sicard  de  Cré- 
mone (H 95)  ajoute  aux  donuées  précédentes  que  la  sandale 
pouvait  avoir  quatre  languettes,  ou  tout  au  moins  deu:s:,  ser- 
vant de  ligulœ  aux  courroies  d'attache  :  Innocent  III  (1198) 
définit  l'empeigne  «  corium  fenestratum  -.  »  Durand  (1290) 
ne  modifie  en  rien  les  idées  de  ses  devanciers  quant  à  la 
forme  des  sandales.  Saint  Charles  Borromée  rapporte  que 
l'empeigne  était  jadis  fenestrée,  preuve  qu'au  XVP  siècle 
cet  usage  n'existait  plus  depuis  longtemps  ^ 

Jean  Diacre  (870)  qui  décrit  une  figure  de  saint  Grégoire- 
le-Grand,  peinte  au  temps  de  ce  Pape  (590-604)  dans  la  cha- 
pelle de  Saint-André  près  l'église  Saint-Grégoire,  à  Kome, 
en  néglige  la  chaussure  :  Rocca  s'étonne  d'un  tel  silence  et 
le  traite  d'oubli  ''.  L'omission  me  parait  peu  regrettable, 
car,  selon  toute  probabilité,  si  l'écrivain  avait  parlé  des 
chaussures  de  son  personnage,  il  se  serait  borné  à  une  simple 
mention  comme  il  l'a  fait  au  sujet  des  caligœ  de  Gordien,  père 
de  saint  Grégoire  et  nous  n'en  saurions  pas  beaucoup  davan- 
tage. 

Amalaire  enseigne  que  les  sandales  liturgiques  étaient  en 
cuir  noir,  qu'une  bande  étroite,  travail  du  cordonnier,  par- 
tait de  la  languette  supérieure  pour  aboutir  à  la  pointe  du 

'  "  Sandalia  a  sandica  herba  vel  a  sandaraco  dicuntur  quo  dopingi  ferun- 
twr...  Est  aiitein  genus  calceamenti  incisi,  quo  partini  pes  tegitur,  partim 
nudus  cernitur.  » 

*  «  Habens  lingiias  quatuor,  vcl  ad  minus  duas  bgandas,  unam  supra  pedem, 
alteram  a  calcaueo  surgontem.  »  MHrale,  Cod.  Vatic.  4975,  p.  20.  —  Myst. 
fliis.,  bb.  1,  c.  48. 

■^  Rat.  div.  ojf.,  bb.  m,  c.  8.  —  «  Qure  fenestrata  etiam  superne  obm 
fuisse  non  sine  myst(M-ii  ratione.  »  Acta  Eccl.  MedioL,  De  Snpp.  Mis., 
n«  3. 

'*  .?.  Gregorii  Vila,  bb.  iv,  c.  84.  —  TItcs.  ponl    ant.,   t    ii,  p.  374. 


à 


LES    SANIJALKS   ET    LES   13AS.  023 

pied  et,  (jiic  de  ehaque  coté  de  cette  l)ande  s'échappaient  des 
galons  tiaiisversaux,  llonoriiis  d'Autiin  éoit  que  rempeigue 
des  sandales,  faite  avec  la  peau  d'un  animal  niurt,  était  nuire, 
après  avoir  plus  haut  donné  à  entendre  qu'elle  était  rouge 
orangé.  Sicard  de  Crémone  admet  des  sandales  en  cuir,  soit 
noir,  soit  rouge,  doublées  de  peau  blanche,  piquées,  galon- 
nées et  ornées  de  pierreries  '.  Durand  ne  parle  également 
que  du  cuir  comme  matière  des  sandales;  mais  outre  le  rouge 
et  le  noir,  l'évoque  de  Mende  reconnait  qu'elles  étaient  aussi 
parfois  d'autres  couleurs.  Saint  Charles  garde  le  silence  sur 
ces  questions  de  détail.  Bonanni  avoue  que  les  sandales  du 
Souverain  Pontife  et  des  Evoques  sont  depuis  longtemps 
closes  à  l'instar  de  nos  souliers,  qu'elles  ne  sont  plus  en  peau, 
mais  en  soie  teinte  d'une  couleur  correspondante  à  celle  de 
la  fête  du  jour  et  que  la  seule  différence,  établie  entre  les 
chaussures  papales  et  épiscopales,  réside  dans  une  croix  d'or 
brodée  sur  les  premières  ".  Cette  croix,  à  tort  ou  à  raison, 
l'épiscopat français  tout  entier  l'arbore  aujourd'hui.  Le  même 
auteur,  traitant  des  mules  que  porte  le  Saint  Père  en  habit 
ordinaire,  dit  qu'elles  sont  en  étoffe  rouge,  sans  oser  fran- 
chir le  XVP  siècle  pour  trouver  l'origine  de  l'adoption  de 
cette  couleur.  Des  titres  bien  plus  anciens  existent  cepen- 


'  "  Extiinsccus  vero  nigrum  apparct Linea   opère   sutoiis  facta,  pio- 

cedens  alingua  sandalii  usque  ad  finem  ojus...  Linese  procedentos  ex  utiaque 
parte.  «  De  Eccl.  off.,  loc.  cit.  —  «  Fiunt  autcm  sandalia  ex  pellibus  ani- 
malium  mortuorum.  »  Gemma  an.,  lib.  i,  c,  210  et  209.  —  «  Intus  album, 
foris  nigrum  vel  ruljeum,  muUis  filis  et  lineis  contextum,  gemmis  ornatum.  » 
Mitral.e,  loc.  cit. 

'-'  «  (ciuandoque   diversis   coloribus  variatum.    "    Ration.,    loc.    cit.  —  La 
Gerar.  eccl.,  c.  71,  p.  296.—  Du  Saussay  [Van.  episc,  lib.  vui,  c.  10,  m. 
attribue  cette  clôture  de  l'empeigne  aux  caprices  des  cordonniers  plutôt  qu'à 
la  volonté  des  évoques  ;  on  verra  tout,  à  l'heure  que  le  caprice,  si  caprice  il 
y  a,  remonte  assez  loin. 


624  LES   SANDALES   ET    LES   BAS. 

dant  :  Georges  Metochita  rapporte  que  Michel  Cérulaire, 
patriarche  de  Constaiitinople  (XP  siècle),  usurpa  les  chaus- 
sures rouges  {èpv9poocc(^£iç)  qui  appartenaient  uniquement 
au  Souverain  Pontife,  assertion  confirmée  par  Balsamon 
(XIP  siècle).  Margunio  (XYI^  siècle)  y  v.oit  même  le  motif 
qui  sépara  Michel  de  l'église  romaine  * . 

Quoique  l'examen  des  monuments  prouve  mainte  fois  que 
les  prescriptions  liturgiques,  relatives  à  la  confection  des  san- 
dales, n'ont  pas  toujours  été  observées  à  la  rigueur,  il  dé- 
montre aussi,  qu'en  cédant  aux  exigences  du  climat  ou  à  des 
considérations  particulières,  les  Evêques  ont  veillé  à  ce  que 
leur  chaussure  ne  s'écartât  jamais  en  certains  points  de  la 
tradition  apostolique.  Les  sandales  fcampagi)  de  Maxi- 
mianus,  à  Ravenne,  sont  entièrement  noires  et  sans  orne- 
ments ;  celles  d'Honorius  I  et.  de  Symmaque  (Sainte-Agnès) 
sont  noires  avec  une  croix  blanche  :  Jean  IV,  Théodore  I, 
saint  Venance  et  saint  Domnio,  évêques  (Oratoire  de  Saint- 
Venance),  Honorius  I  ou  saint  Grégoire  (Sainte-Martine  du 
Forum,  678),  Jean  VII  (Saint-Pierre  du  Vatican,  706)  por- 
tent des  chaussures  à  croix  noire.  Ces  sandales  sont  blanches 
à  croix  rouge  sur  la  copie  du  portrait  de  Léon  III,  peinte 
dans  un  manuscrit  du  Vatican  d'après  la  mosaïque  disparue 
de  Sainte-Suzanne  (797) .  Il  n'y  a  pas  à  tenir  compte  des  calcei 


'  «  Et  infra  rochettum  utitur  (Papa)  seniper  toga  et  alba,  et  caligis  rubris 
cum  sandaliis  ainea  cruce  ornatis.  »  —  Sacr.  CcBrein.,  lib.  m,  c.  4  ;  1582 
(1573).  —  Orat.  hist-,  i.  —  o  "Ouxs  yàp  tw  xrjç  êaGiXeiaç  Xojpw  xarot  to  tou 
àyiou  Kojvcrtaxivou  vo[j.i^o(^.£vov  ôéaTuicij-a  xaTacTS'^eTat,  ouSs  xoxxoêacpsai  tte- 
8(Xoii;  xotTa  TO  tuttcoÔev  OîaTpii^s-oct.  »  Médit,  de  Pair,  priv.,  p.  451,  De 
Patriarch.  C.  P.  —  «  Atà  to  ty.cîpscOai  àutov  exSaXeiv  Ta  xoxxoêacpîî  TrsûiXa, 
xa\  xojXud[/.£vov  utco  Toîi  ïlaTia  ttjç  PoifATiÇ,  ôiç  àuTOU  ij.dvou  k/m-zoc,  Içoutriav 
lYxaXXo)7rti^£ij9at  toutoiç,  xai  [jtr,  toïc  à'XXot^  xôiv  naxpiap-/(ov  ÉçEÏvai  touto 
TToTsiv.    »    De  Process.  S.  Spir.  Dial. 


LES    SANDALKS   ET    LES    BAS.  625 

crucifères  de  Félix  III  ou  IV  (Saint-Cosme  et  Saint-Dumien), 
la  figure  ayant  été  restaurée  du  temps  de  Grégoire  XIII 
(XVP  siècle),  mais  les  quartiers  des  campagi  de  saint  Domnio 
sont  relevés  par  un  fleuron  et  la  languette  des  sandales  de 
Pasclial  I  (Sainte-Cécile,  820)  offre  une  découpure  semblable, 
dont  le  dessin  reparait  sur  l'empeigne  '.  Le  campagus^  at- 
tribué au  pape  saint  Martin  ffig.  A)  est  en  peau  l)leue,  couvert 
d'applications  soie  et  or,  disposées  de  manière  à  figurer  unX. 
Quelques-uns  y  reconnaissent  une  croix,  pourquoi  ne  pas  y 
voir  l'initiale  de  Xpiarcç,  ou  mieux  une  fantaisie  d'artisan. 
Reginald  de  Durliam  parle  ainsi  des  sandales  que  saint 
Cuthberht  (687)  avait  aux  pieds  lorsqu'on  exhuma  cet 
évêque  en  4104  :  «  In  pedibus  calciamenta  pontificalia  gerit 
quÊe  vulgus  vocare  sandalia  consuevit.  Quse,  ex  regione  su- 
periori  multis  foraminibus  minimis  patere  videntur  quorum 
operamina  artificiosa  ex  industria  taliter  comprobantur  ^.  » 

'  RoccA,  loc.  cit.,  p.  375  et  376.  —  Ciampini,  loc.  cit.,  pi.  42,  16,  31  et 
52.  —  Les  minutieuses  recherches  de  Rocca  (loc.  cit.)  lui  ont  permis  de 
constater  la  présence  fréquente  de  la  croix  sur  les  anciennes  chaussures  pa- 
pales ;  il  en  conclut  que  cet  usage  remonte  fort  loin  et  que  son  oubli  tient  à 
la  négligence  des  mosaïstes.  A  Sainte-Marie  du  Transtévère  (1143),  où  saint 
Pierre,  saint  Calixte,  saint  Jules,  saint  Corneille  et  Innocent  II  sont  repré- 
sentés, l'avant  dernier  seul  porte  des  sandales  crucifères  Les  stalues  d'Ur- 
bain VI  (1389),  Martin  V  (1431;,  Eugène  IV  (1447),  Nicolas  V,  Calixte  III, 
Pie  II,  Paul  II,  Sixte  IV,  Innocent  VIII  (XV»  siècle).  Pie  IIL  Léon  X, 
Paul  III  et  IV,  Pie  V,  Grégoire  XIII  et  Sixte  V  (XVI^  siècle)  ont  des  croix 
sur  leur  chaussure.  Les  effigies  de  Sixte  III  (Saint-Laurent),  Paschal  I 
(Sain  te -Cécile  et  Sainte-Praxède),  Grégoire  IV  (Saint-Marc),  Honorius  III 
et  IV  (Sainte-Bibiane,  1250,  Ara-Caîli,  1287),  Boniface  IX  (Saint-Paul  hors 
des  murs,  1440)  manquent  de  cet  ornement. 

^  De  ^/(hnir.  S.  CiUhberti.  p.  88.  —  Ces  sandales  ne  purent  être  chaussées 
au  saint  qu'en  698,  lorsqu'on  éleva  son  corps.  "  Omnia  autem  vestimenta  et 

calceamenta....  attrita  non  erant et  ficones  novi,  quibus  calceatus  est,  in 

basilica  nostra  inter  reliquias  pro  lestimoniis  usque  hodie  habcntur.  »  Vita 
S.  Cuthherli,  Akonyme,  ap.  Bèdk,  Op.  hisl.  min. 


G26  •  LES    SANDALES    ET    LES   BAS. 

Les  sandales  du  B.  Eginou,  évêque  de  Vérone  (802),  étudiées 
par  Gerbert  dans  l'abbaye  de  Reichnaw  ffig.  5  et  6),  ont 
l'aspect  de  chaussons  sans  semelle  caractérisée  ;  elles  sont 
faites  d'une  seule  pièce  de  cuir  souple,  rouge  vif  ;  leur  quar- 
tier est  relativement  élevé;  une  languette  flingua  siiperiorj^ 
taillée  en  fer-de-lance  et  issaut  d'une  base  rectangulaire, 
avance  sur  le  cou-de-pied;  deux  courroies  fligaturœ),  ména- 
gées dans  les  flancs  à  une  faible  distance  de  la  languette, 
venaient  se  croiser  de  manière  à  passer  à  travers  deux 
oreilles  (ansœ,  ligulssj  correspondantes,  ouvertes  sur  le  bord 
supérieur  du  quartier.  Une  élégante  piqûre  contourne  le 
passage  du  pied  fsuperior  pars  sandaliorum  per  quam  pes  in- 
trat,  multis  filis  consuta  est).  L'empeigne,  suivant  les  for- 
mules liturgiques,  est  ornée  d'un  galon  vertical  d'où  s'é- 
chappent, vers  le  haut,  deux  branches  courbées  en  S,  vers  le 
bas,  deux  prolongements  latéraux  étalés  en  croix  sur  la 
pointe  du  pied  ' ,  On  serait  tenté  de  croire  à  première  vue 
que  cette  disposition  cruciforme,  usitée  jusqu'au  XIV®  siècle 
inclus  ",  avait  pour  but  réel  de  représenter  l'instrument  du 
salut  ;  les  Evoques  modernes  ont  sûrement  pensé  ainsi  en 
brodant  la  croix  sur  leurs  sandales,  à  moins  qu'ils  n'aient 
voulu  s'arroger  une  prérogative  papale.  Mais,  outre  que  les 
liturgistes,  décrivant  l'ornementation  des  chaussures  episco- 
pales,  disent  tous  «  lineae  procedentes  ex  utraque  parte», 
sans  compléter  leur  phrase  par  les  mots  «  in  formam  crucis  » , 
employés  textuellement  ou  sous  entendus  dans  une  interpréta- 
tion symbolique,  les  calceamenla  striés  de  bandelettes  se  ren- 


'  lier  Alcman  ,  p.  i?'),  pi  i\-.  Vêtus  lit.  A/em.,  tom  i,  p  252  et 
pi.   IX. 

*  On  la  rencontio  cncoïc  au  XV*"  siècle  sur  les  tombeaux  de  quelques 
Papes . 


LES    SANDALES    ET    LES    BAS.  C27 

contrent  également  aux  pieds  de  quelques  images  royales.  Or, 
lorsque,  sous  le  règne  de  Constantin,  l'épiscopat  fut  devenu 
une  véritable  magistratui'e,  les  dignitaires  ecclésiastiques  du- 
rent inconstablement  adopter,  au  moins  en  partie,  les  in- 
signes de  leur  rang  civil.  Chez  les  Komains,  nobles  et  plé- 
béiens se  reconnaissant  particulièrement  aux  chaussures,  je 
ne  puis  voir  dans  les  galons  cruciformes  des  anciennes  san- 
dales liturgiques  autre  chose  qu'un  souvenir  des  quatre 
courroies,  marques  distinctives  du  calceus  patricius  '. 

Deux  saints  évêques,  peints  sur  un  manuscrit  du  IX®  s., 
portent  des  chaussures  noires.  Au  X"  siècle,  je  rencontre 
une  figure  de  saint  Germain  ayant  des  sandales  bleues,  ornées 
d'une  iinca  blanche  et  aussi  un  évoque  chaussé  de  calcei 
violets.  Une  miniature  du  même  temps  offre  un  très-curieux 
spécimen  de  sandales  épiscopales  :  l'empeigne,  de  couleur 
pourpre,  semble  entièrement  close  ;  un  filet  de  perles  la  con- 
tourne ;  au-dessus,  un  système  de  courroies  disposées  en  lo- 
sange rappelle  les  reticuli  du  campagus.  Les  sandales  d'un 
saint  Dunstan,  également  du  X®  siècle,  présentent  les  lineœ 
cruciformes  indiquées  par  Amalaire  ^.  Au  XI"  siècle,  quel- 
ques effigies  de  saint  Omer  en  habits  pontificaux  sont  chaus- 
sées de  bottines  noires  et  pointues,  dépassant  la  cheville  ; 
un  galon  d'or  borde  l'entrée  du  pied  et  se  prolonge  jusqu'au 
centre  de  l'empeigne  où  il  détermine  un  Y,  Tantôt  [fîg.  8) 

'  Peut-être  ces  galons  lappelaient-ilslcs  courroies  de  la  solea  primitive  ou 
du  camjMgïis  im\-)éria\.  Un  liturgiste  moderne  de  l'Allemagne  semble  approu- 
ver la  dernière  opinion  :  «  Erat  nutem  campagus  genus  calceamenti,  quod 
regibus  et  imperatoribus  Treb.  PoUio  in  Gallienis  et  Capitolinus  in  Maximo 
juniore  adscribunt.  Ejusmodi  autem  calceos  primum  solos  usurpasse  epi- 
scopos...  verisimile  est  »  Kuazer,  De  Jpost.  necnon  anf.  Eccl .  occid.  lit., 
p.  322,  ÎJ  1S5.  Augsbourg,  1786,  in-S". 

'^  Arts  sompt.,  t.  i,  ])1.  23,  33,  43.  —  Wjij.kmin,  pi.  27  (989).  —  3Is.  du 
British-Mus. ,  ap.  Rock,  loc.  cit 


628  Li:S    SANDALES   ET    LES   BAS. 

un  filet  blanc,  accosté  de  deux  perles,  sort  de  l'angle  formé 
par  cet  Y  et  va  jusqu'à  l'extrémité  du  soulier  ;  sur  d'autres, 
toute  l'ornementation  est  blanche.  Les  sandales  de  saint 
Réol  {fîfj.  9)  sont  fauves,  couvertes  de  perles  et  d'enroule- 
ments blancs;  elles  ont  une  légère  fente  à  la  partie  antérieure 
de  la  tige  :  celles  de  saint  Vindicien  [fig.  10)  sont  noires  et 
décorées  de  la  même  façon.  Les  chaussures  de  saint  Amand 
et  de  saint  Momelin  sont  dorées  et  relevées  de  broderies 
blanches  dans  le  goût  des  précédentes.  L'or,  appliqué  sur  les 
chaussures  épiscopales,  n'étonnera  pas  si  l'on  veut  bien  se 
rappeler  que  depuis  Aurélien  les  calcei  patricii  furent  dorés. 
Deux  figures,  également  copiées  sur  le  manuscrit  de  Valen- 
ciennes  auquel  j'emprunte  mes  quatre  dernières  citations, 
ont  des  bottines  noires  :  saint  Aldebert,  comme  saint  Réol, 
porte  des  lineœ  cruciformes  en  perles  ;  Saint  Jean,  évoque  ou 
abbé,  les  a  en  galon  rouge.  Au  reste,  les  lineœ  opère  sutoris 
factœ  sont  nettement  caractérisées  sur  toutes  les  sandales 
ci -dessus,  mais  la  lingua  j  manque.  Une  uutre  image  de  saint 
Orner  {fig.  7)  est  chaussée  de  carbatinœ  dorées,  analogues  à 
celles  de  Maximinianus,  sauf  les  courroies  que  l'on  ne  peut 
voir  ' . 

•Les  miniatures  du  XII^  siècle  montrent  encore  quelques 
sandales  noires;  un  saint  Grégoire  en  a  de  blanches  à  lineœ 
cruciformes.  L'évêque  Frémaut  (1183)  est  représenté  sur  la 
mosaïque  du  Musée  d'Arras,  chaussé  de  sandales  rouges  à 
lineœ  cruciformes  blanches.  Lors  de  l'exhumation  du  pape 
Adrien  IV,  mort  en  llo9,  on  trouva  ses  pieds  revêtus  «  san- 
daliis  corii  Turcici  (maroquin  rouge)  ad  flores  margaritis  or- 

'  Vita  S.  Audom.,  ms.  698  à  Saint-Omer.  —  Vita  S.  Jmandi,  nis.  460  à 
Valencienncs. —  S.  Audom.  l'ita,  ms.  app.  à  Mgr  de  La  Tour  d'Auvergne, 
archevêque  de  Bourges.  Ce  volume  est  l'ancien  Codex  nrgenteus  de  la  cathé- 
drale de  Saint-Omer.  .. 


LES    SANDALES    ET   LES    BAS.  029 

luitis,  sine  cruce  ' .  »  Par  malheur,  si  les  documents  'jue  je 
viens  d'exposer  renseignent  sur  la  matière  et  rornementatioii 
des  sandales,  ils  en  taisent  à  peu  près  la  forme  rigoureuse 
que  les  vêtements  talaires  ne  permettent  jamais  aux  ])eintres 
d'indiquer  complètement.  Une  découverte  assez  récente  va 
combler  la  lacune.  Les  sandales  funèbres  de  l'archevêque 
Arnould  I  {1185),  extraites  de  sa  tombe  à  la  cathédrale  de 
Trêves  [fig.  11),  sont  en  fine  peau  rouge  doublée  de  blanc  ; 
l'extérieur  est  couvert  d'élégants  rinceaux  brodés  à  l'aiguille; 
le  quartier^  coupé  droit,  est  encadré  par  une  ligne  de  petites 
roses,  comprise  entre  deux  filets,  ligne  qui  en  outre  tend  à 
l'isoler  de  l'empeigne.  Quelques  cabochons  clairsemés  appa- 
raissent çà  et  là  au  milieu  des  enroulements  ;  l'unique  linea 
qui  partage  longitudinalement  l'empeigne  en  comporte  quatre. 
Cette  empeigne  est  profondement  entaillée  de  façon  à  déter- 
miner quatre  ligulœ,  plus  une  lingua  superior^  en  tout  cinq 
appendices  formant  oreilles  pour  passer  les  cordons  (  corium 
fenestratum).  Les  parties  pleines  sont  forées  en  écumoire 
d'une  multitude  de  petits  trous  qui  traversent  aussi  la  dou- 
blure ;  la  semelle,  très  mince,  est  en  cuir  blanc  ^. 

'  V.  la  fig.  de  S.  Germain,  chaussé  de  sandales  noires  à  un  seul  filet  lon- 
gitudinal rouge,  accosté  de  perles  semblables;  ms.  192,  bibl.  imp.,  Jrts 
sompt.,  t  1,  pi.  65.  —  Le  Moyen  Age,  Miniat..  pi.  c.  —  Id.,  ibid.,  pi.  xv, 
fig.  de  S.  Grégoire  en  sandales  noires  unies.  —  Dionigi,  Sacr.  Vat.  bas. 
crypt.  mon.,  p.  124.  —  V.  encore  d'Agiisjcourt,  t.  v,  pi.  69,  Pascal  II 
chaussé  de  hauts  brodequins  galonnés  en  croix  ;  pi.  66,  saint  Apollonius, 
évêque  de  Brescia,  avec  des  sandales  échiquetées. 

'^  V.  Bock,  Geschichte,  elc,  lief.  iv,  p.  14,  pi.  1.  Ces  sandales  offrent 
une  très  grande  analogie  de  coupe  avec  les  chaussures  impériales  du  Xll«  s. 
conservées  à  Vienne  et  dont  il  sera  parlé  dans  le  chapitre  suivant.  On  remar- 
quera en  outre  les  faramina  minima^  signalés  plus  haut  à  l'occasion  des  san- 
dales de  saint  Cuthberht.  Ces  trous  étaient-ils  destinés  à  empêcher  le  pied  de 
s'échauffer  î  Répondaient-ils  à  la  prescription  «  ut  pes  nec  tectus  sit  neque 
nudus  ad  terram  »  ?  Peut-être  remplissaient-ils  ce  double  but. 


03U  LES    SANDALES    ET    LES    BAS. 

Si  l'usage  des  sandales  de  peau  brodée  est  fort  ancien,  le 
premier  exemple  de  chaussures  liturgiques  en  soie  ne  re- 
monte qu'au  XIIP  siècle  ;  c'est  l'Angleterre  qui  le  fournit. 
On  lit  dans  un  inventaire  de  la  cathédrale  de  Salisbury 
(1222)  :  «  Duo  paria  sandaliorum,  unum  de  serico  indico  (soie 
bleue),  qnod  sunt  episcopi  Gosselini,  et  aliud  de  viridi  cendell 
brusdato  (cendal  vert  brodé)  quod  fuit  episcopi  Herberti  ' .  » 
Un  tel  luxe  alla  toujours  en  croissant  durant  la  période  qui 
nous  occupe.  L'effigie  tumulaire  en  émail  de  Philippe  de 
Dx'eux,  évêque  de  Beauvais  (1217),  était  chaussée  de  san- 
dales rouges  richement  brodées  en  or,  avec  une  linea  en 
argent  {flg.  12);  Geoffroy  de  Loudon  légua  à  son  église  du 
Mans  (1255)  «  sandalia  et  sotulares  rubri  serici,  auri  pre- 
ciosorumque  lapidum  varietate  distincta.  »  L'inventaire  de 
Saint-Paul  de  Londres  (1295)  mentionne  «  sandalia  cum  ca- 
ligis  de  rubeo  sameto  diasperato,  breudata  cum  imaginibus 
regum  in  rotellis  simplicibus.  —  Item,  sandalia  Henrici  de 
Wengham  episcopi  cum  flosculis  de  perlis  indici  coloris  et 
leopardis  de  perlis  albis  ^.  »  La  sandale  {fi g.  5),  conservée 
à  Saint-Martin-des-Monts  (Rome),  est  en  soie  bleue  tournant 
au  vert  :  un  entrelacs  courant,  encadré  de  deux  baguettes, 
forme  la  linea  ;  d'autres  entrelacs  quadrilobés  relèvent 
l'empeigne  et  le  quartier  ^  Le  modèle  pantoufle  de  cette 

*  Rock,  Thechurch,  etc.t  ii,  p.  238. 

-  Le  Monit.  des  urch.,  t.  43,  pi.  505,  d'après  Gaigiiières.  —  Mabillon, 
Analec  ,  p.  335.  —  Dugdalk,  Ilist.  of  S.  Paul' s,  p.  315.  On  lit  à  la  même 

page  :  »  Sandalia  de   rubeo   sameto  cum  caligis  bioudatis sotulares    sunt 

breudatse  ad  modum  crucis.   «  Voilà  donc  la  croi.v  installée  sur  les  sandales 
des  évêques  anglais  au  XIII<^  siècle. 

V.  RoccA,  loc.  cit.,  p.  379,  pi.  Cette  sandale  accompagne  une  mitre  pa- 
reille d'étoffe,  couleur  et  Iravail  ;  toutes  deux  sont  attribuées  au  pape  saint 
Silvestre  I.  J'ai  trop  soigneusement  étudié  la  mitre  pour  n'êti-e  pas  convaincu 
qu'elle  da'.c  du  XIIP  siècle,  et  la  sandale  tomberait  de  droil  dans  mon  appré- 


LES    SANDALES    ET    LIOS    lîAS.  031 

clmiissure  l'emporta  définitivement  au  XII 1''  siècle  sur 
les  types  anciens,  et  il  a  persévéré  jusqu'à  nos  jours.  La 
sandale  de  saint  Louis  d'Anjou  montre  une  cou])e  identique  ; 
une  sandale  grise,  galonnée  d'or  et  semée  de  perles,  que  je 
rencontre  dans  le  Psautier  de  saint  Louis,  n'en  difFère  pas 
essentiellement,  quoique  moins  éloignée  des  patrons  du  XP 
siècle.  La  sandale  de  saint  Edme  (fig.  JB),  décrite  au  cha- 
pitre I,  oiFre  un  curieux  exemple  des  sandales  brodequins, 
encore  usitées  deux  cents  ans  plus  tard  en  Angleterre.  Les 
Imeœ  cruciformes  se  voient  sur  quelques  chaussures  épisco- 
pales  duXIIP  siècle,  mais  les  sandales  unies  sont  bien  moins 
rares  ;  les  verrières  de  Bourges  et  de  Tours  fourmillent  d'é- 
veques  en  calcei  monochromes,  blancs,  rouges,  bleus,  violets, 
noirs  et  fréquemment  jaunes  (or)  ' . 

J'ai  à  ma  disposition  peu  de  renseignements  sur  les  chaus- 
sures épiscopales  du  XIV^  siècle,  mais  tout  m'induit  à  penser 
qu'elles  ne  différèrent  pas  de  celles  du  XlIP.  L'effigie  tu- 
mulaire  coloriée  de  l'évêque  Giffard  (1 501)  à  Worcester,  porte 
des  sandales  rouges,  ornées  d'une  croix  en  pierreries.  Les 
sandales  funèbres  de  Boniface  VIII  (1505)  étaient  «  nigri 
coloris,  acuta  et  cuspidata  more  Gothico,  sine  cruce  et  serico 
nigro  ad  flores  parvos  auro  intextos,  longitudinis  palmi  unius 
et  quarti  unius.  »  Le  même  Pape  est  sculpté  sur  sa  tombe, 


dation,  à  supposer  que  l'entrelacs   quadrilobé  ne   parlât  pas    suffisanniient  à 
l'œil  des  archéologues. 

'  Bibl.  de  l'Ars.;  Moyen  Age  etc.,  Miniat.,  pi.  12.  —  Tombe  en  bronze 
d'Evrard  du  Fouilloy  (1223)  à  la  cathédrale  d'Amiens;  Wjli.emin,  pi.  90. — 
Evêque  peint  à  S.  Géréon  de  Cologne  ;  Bock,  loc.  cit.,  pi.  x.  Ces  sandales 
sont  blanches,  galonnées  d'or. —  On  voit  au  croisillon  sud  de  la  cathédrale  de 
Reims  une  statue  d'archevêque  chaussée  de  sandales  à  lineœ  cruciformes,  cou- 
vertes de  joyaux  ;  Gailhab.\ui),  VArch.  du  V'  au  XVII"  siècle,  pi.  14.  — 
Martin  et  Cahieu,  Vitraux  de  Bourges,  pi.  12,  13,  17  et  18.  —  Mauchakd, 
et  BouHAPSÉ,  Verrières  de  Tours. 


632  LES   SANDALES   ET    LES   BAS. 

avec  des  campagi  antiques,  fleuroniiés  au  bout.  Enfin,  les 
chaussures  de  Burgliard,  archevêque  de  Magdebourg  (1525), 
ont  des  galons  cruciformes,  et  celles  d'Urbain  VI  (1389),  une 
linea  resplendissante  de  broderies  et  de  joyaux. 

L'épiscopat  aux  XV^  et  XVP  siècles,  semble  avoir  adopté 
des  sandales  en  tissus  plus  ou  moins  riches  et  s'être  abstenu 
d'y  placer  aucun  signe  caractérisque.  La  bottine  de  William 
Patten  de  Waneflete,  évêque  de  Winchester  (1447-1486), 
conservée  au  collège  de  Sainte-Marie-Magdeleine  à  Oxford, 
est  en  velours  cramoisi,  frisé  d'or,  doublé  de  chevreau  blanc 
très  mince  ;  une  broderie  de  fleurs  en  or  et  de  feuilles  mi- 
parties  jaune  et  vert  décore  l'ensemble  du  vêtement  [fig.  15). 
Toutefois  les  statues  tombales  d'Innocent  VII  (1448"),  Ni- 
colas V  (1455),  Paul  II  (1471)  et  Alexandre  VI  (1505)  ont 
des  lineœ  cruciformes  sur  leurs  sandales  ;  les  lineœ  de  Paul  II 
sont  môme  chargées  en  cœur  d'une  croisette  de  pierreries  ^. 

L'usage  d'assortir  les  sandales  au  reste  des  po?itificalia  me 
semble  dater  du  XIIP  siècle;  l'ornement  complet,  or  à  fleurs- 
de-lys  rouges,  bordé  d'argent,  qui  revêtait  la  figure  pré- 
citée de  Philippe  de  Dreux,  correspond  exactement  avec 
sa  chaussure. 

En  résumant  les  faits  que  je  viens  d'exposer,  on  trouve  : 
1°  qu'au  VHP  siècle  déjà  les  sandales  n'étaient  plus  entière- 

«  Rock,  loc.  oit  ,  p.  242,  —  Diowigi,  loc.  cit.,  p.  129  et  pi.  49.  —  Bock, 
loc.  cit.,  p.  16.  —  Le  tombeau  d'Urbain  VI  est  gravé  ap.  Dionigi,  pi.  56. 

-  Rock,  loc.  cit.,  p,  250,  fig.  —  Diomgi,  loc.  cit. ,  pi.  57,  53,  54,  47.  — 
L'opinion  formulée  ici  relativement  à  l'ornementation  des  chaussures  épisco- 
pales  aux  XV«  et  XVI"^  siècles,  ne  doit  pas  être  acceptée  d'une  manière  trop 
absolue.  J'ai  dii  l'adopter  moi-même,  faute  de  monuments  originaux,  en  face 
de  monuments  sculptés  ou  peints  sur  lesquels  on  ne  distingue  aucune  trace  de 
croix  ou  de  linex.  —  Y .  la  Danse  des  morts  de  Bâle  ;  Arts  sompt. ,  t.  ii,  pi.  58; 
la  châsse  de  sainte  Ursule  à  Bruges  et  un  bon  nombre  de  tableaux  dq 
temps. 


LES   SANDALES   ET   LKS    RAS.  G33 

ment  conformes  iuix  règles  prescrites  par  les  liturgistes , 
2°  que  ces  règles,  observées  en  partie  jusqu'à  la  fin  du 
XII®  siècle,  étaient  totalement  tombées  en  désuétude  au 
XIV®,  ne  laissant  d'autre  trace  que  les  lineœ,  apparentes 
jusqu'au  XVP. 

Maintenant  les  évoques  portent  des  sandales  en  soie  unie, 
satin  ou  gros  de  Naples,  blanc,  rouge^,  vert,  violet,  selon  la 
couleur  affectée  à  l'office  du  jour.  Ces  sandales  en  forme 
d'escarpins,  sont  munies  de  deux  pattes  {Hgulœ),  réunies  sur 
le  cou-de-pied  à  l'aide  de  cordons  ou  de  boucles  ;  une  croi- 
sette  brodée  d'or  en  décore  généralement  l'empeigne. 


CH.    DE    LINAS. 


[La  suite  au  prochain  volume. 


lOME  vr.  46 


HISTOIRE  DE  S.  JACQUES  LE  MAJEUR 
ei  du  Pèlerinage  de  Compostelle- 


SEPTIEME    ARTICLE 


CHAPITRE  VIII. 


BATAILLE     DE     C  L  A  V IJ  O 


Les  successeurs  de  Pelage  avaient  dilaté  pas  à  pas  les  li- 
mites du  royaume  chrétien  en  Espagne.  L'un  d'eux  cepen- 
dant, Finfâme  Mauregat,  un  usurpateur,  humilia  l'Espagne 
devant  le  Croissant.  Afin  de  faire  appuyer  par  les  Maures 
son  pouvoir  illégitime,  il  souscrivit  honteusement  un  impôt 
annuel  de  i 00  jeunes  filles  des  plus  belles,  qui  devaient  être 
choisies  par  moitié  dans  les  rangs  de  la  noblesse  et  parmi  le 
peuple  : 

Vectigal  trucibus  pendere  flebile 

Urgetur  domiuis  imperiosiùs  ; 

Centenasque  lupis  sponte  rapacibus 

Lectas  sistere  virgines  *. 

*  Voir  le  numéro  d'octobre,  p.  538. 

*  Proprium  Sanctorum  Hispanorum ,  23  maii,  hymn  ad  Matutinum.  — 
C'est  près  de  la  Corogne  qu'abordaient  les  galères  sur  lesquelles  on  embar- 
quait les  jeunes  chrétiennes.  Ce  lieu,  que  ne  baigne  plus  l'Océan,  s'appelle 
encore  aujourd'hui  le  lieu  des  galères. 


PÈLERINAGE   DE   COMPOSTELLE.  635 

Ce  traité  ignominieux  pour  l'Espagne,  pour  la  religion  et 
pour  l'humanité,  avait  été  effacé,  il  est  vrai,  par  Alphonse 
le  Chaslc  h  la  bataille  de  Lutos;mais  Abdérame  II  (Al)derra- 
maniis),  second  calife  Onmiiade  de  Cordoiie,  voulut  le  remettre 
en  vigueur;  il  fit  réclamer  au  prince  chrétien  les  enfanta  de 
tribut.  C'était  en  845.  Ramire  P""  (Ranimirus),  successeur 
d'Alphonse  le  Chaste,  occupait  alors  le  trône  de  Léon.  Nature 
fière,  magnanime,  héroïque,  il  repousse  avec  indignation  la 
requête  des  députés  du  calife;  mais  il  sait  à  quoi  l'expose 
son  refus;  il  rassemble  une  armée,  ne  laissant  dans  les  champs 
que  les  bras  impropres  au  dur  métier  des  armes,  et  convoque 
autour  de  sa  personne  les  évoques,  les  abbés  et  les  religieux, 
afin  qu'ils  intercèdent  auprès  du  Dieu  Sabaoth  pour  l'Es- 
pagne opprimée. 

Abdérame,  de  son  côté,  Abdérame  le  Victorieux  n'écoute 
que  les  impétueuses  inspirations  de  son  orgueil  et  de  sa  co- 
lère, et  promet  au  prophète  de  châtier  par  l'extermination  du 
nom  chrétien  un  refus  que  personne  jusqu'alors  n'avait  osé 
risquer.  Il  fait  appel  à  tous  les  enfants  du  Coran,  une  armée 
innombrable  accourt  de  l'Yémen,  de  l'Atlas  et  de  la  Mau- 
ritanie, et  vient  se  réunir  à  celle  de  la  Péninsule. 

Quelques  jours  après,  deux  peuples,  deux  religions  étaient 
en  présence  dans  une  plaine  qui  s'étend  entre  Naxara  (au- 
jourd'hui Najera  dans  le  pays  de  Rioja^  province  de  Logrono) 
et  A/6e//a  (aujourd'hui  Alvelda  dans  le  même  pays).  La  ba~ 
taille  s'engage  avec  acharnement  et  se  prolonge  jusqu'à  la 
nuit  ;  enfin  le  nombre  l'emporte;  Ranire  se  replie  avec  ses 
troupes  fatiguées  et  se  réfugie  sur  une  montagne  voisine  du 
pays  de  Rioja,  nommée  Clarijo,  «  in  proximum  collem,  cui 
«  Clavijio  nomen  est...  Clavigium,  Rivogia  montem  '.  »  La 


Ibid. 


63G  rÈLERINAGE   Dr,   C.OMrOSTELLE. 

honte  (le  lu  défaite,  l'incertitude  de  ses  conséquences,  les 
pertes  qu'on  avait  à  regretter,  firent  verser  des  larmes 
amères,  mais  tournèrent  aussi  tous  les  cœurs  vers  Dieu.  Après 
de  longues  heures  de  prières  et  de  gémissements,  Ramire 
succombe  à  la  fatigue  et  au  sommeil.  Une  vision  bienheureuse 
vient  charmer  son  repos.  Un  guerrier  magnifique  lui  appa- 
raît. «  —  Qui  es-tu,  dit  Kamire?  —  Je  suis,  dit  le  guerrier, 
«  Jacques  l'apôtre,  à  qui  le  Seigneur  a  confié  la  garde  de 
<•  l'Espagne.  Ne  crains  pas,  demain  je  serai  avec  toi,  et  sous 
«  mon  commandement,  tu  remporteras  sur  les  Sarrasins  une 
«  victoire  immortelle.  Beaucoup  des  tiens  tomberont,  ce  se- 
«1  ront  des  martyrs.  Ne  doute  pas  de  "mes  paroles  et  de  mes 
«  promesses;  en  voici  la  garantie  :  toi  et  les  Sarrasins, 
<-  vous  me  verrez  constamment  sur  un  cheval  blanc  ;  ma  main 
«  sera  armée  d'un  grand  étendard  de  la  même  couleur  ' .  »> 
Ramire  s'éveille  avec  un  nouveau  courage  et  s'empresse  de 
faire  part  de  sa  vision  aux  prélats  et  aux  chefs  de  l'armée. 
Les  consciences  se  purifient  par  le  repentir  et  la  confession, 
et  l'on  puise  dans  la  sainte  communion  une  confiance  sans 
bornes  et  une  force  invincible. 

Le  lendemain,  les  soldats  de  l'évangile  s'élancent  du  Cla- 
vijo  comme  des  lions  sur  les  infidèles.  Ils  vont  au  combat 
comme  à  une  fête.  La  montagne  retentit  de  leurs  cris  mille 
fois  répétés,  Santiago!  Santiago!  Selon  sa  promesse,  l'apôtre 
guerrier  leur  apparaît,  monté  sur  un  destrier  d'une  blancheur 
éclatante,  un  étendard  couleur  de  neige  dans  une  main,  un 
glaive  étincelant  dans  l'autre.  Il  marche  à  la  tête  des  Espa- 
gnols, son  regard  lance  la  foudre,  sa  main  terrasse  les  Maures, 
son  cheval  les  foule  aux  pieds.  Soixante-dix  mille  Sarrasins 
tond)ent  sous  les  coups  des  chrétiens;  leur  calife,  échappé  au 

'   I  j   i      'y'  ana  saffrada,  t.  xix,  p.  331,  33"2. 


pKi,iiuiNA(;i!:  Di:  gomiostei.i.f..  (i.'IT 

carnage,  regagne  presque  seul  lu  ville  de  Cordoue  et  va  ca- 
cher sa  honte  au  fond  de  son  palais. 

Cette  bataille  de  Clavijo^  que  certains  auteurs  appellent  à 
tort  bataille  de  Logrono,  du  nom  de  la  ville  près  de  laquelle 
elle  fut  livrée;  que  d'autres  plus  inexcusables  encore,  en 
particulier  L.  A.  Sédillot,  dans  son  Histoire  si  excentrique 
des  Arabes^  ont  négligé  de  mentionner,  eut  pour  résultats 
l'abaissement  des  Maures  jusqu'alors  trop  redoutés,  l'abolition 
du  honteux  tribut  qui  pesait  sur  les  chrétiens,  l'extension 
du  royaume  de  Léon  par  la  soumission  de  Calahorra  et  sur- 
tout un  accroissement  de  confiance  dans  la  protection  de 
saint  Jacques.  C'est  de  ce  jour  mémorable  que  date  le  cri 
de  guerre  de  la  nation  espagnole  :  Santiago!  Santiago!  ou 
bien  :  Santiago!  Cietra  Espana  '/  Ce  cri  belliqueux  troubla 
plus  d'une  fois  le  voluptueux  sommeil  des  califes  et  poursui- 
vit l'islamisme  au  désert,  après  l'avoir  chassé  de  l'Espagne. 
Il  est  gravé  dans  l'histoire,  d'où  il  ne  peut  s'effacer,  et  l'Es- 
pagne, qui  lui  doit  son  salut,  ne  l'oubliera  jamais. 

L'armée  victorieuse  entonna  l'hymne  de  la  délivrance,  et 
des  feux  allumés  sur  les  sommets  des  montagnes  annoncèrent 
à  la  Castille  que  Léon  était  libre  et  vengé.  Un  autel  fut 
dressé  sur  le  champ  de  bataille  de  Clavijo  avec  les  lances, 
les  boucliers  et  les  autres  armes  abandonnées  par  les  infidèles  ; 
noble  trophée  qui  attesta  longtemps  la  gloire  de  ce  grand 
triomphe.  Mais  les  vainqueurs  ne  s'attribuèrent  pas  le  mé- 
rite de  cette  journée;  saint  Jacques  en  fut  proclamé  le  héros 
et  fut  surnommé  dès  lors  Mafamoros^  tue-Mores.  Notre  langue 
s'est*emparée  de  cette  expression  qu'elle  a  dénaturée,  puis- 


'  Saint  Jacques  !  Saint  .Jacques  !....  Sainl  Jacques,  protégez  l'Espagne  qu 
\'u\c  au  combat  1 


638  PÈLEIUNAGE    1)E   COMPOSTELLE. 

qu'elle  ne  lui  fait  signifier  abusivement  qu'un  faux  brave, un 
matamore  ' . 

Ramire  était,  aux  yeux  de  ses  contemporains,  le  Charles- 
Martel  du  IX^  siècle.  Mais  loin  de  se  prévaloir  d'une  vic- 
toire qu'il  devait  à  une  intervention  surnaturelle  beaucoup 
plus  qu'à  ses  armes,  il  prouva  par  ses  actes  qu'il  n'était  point 
ingrat  envers  le  puissant  patron  de  l'Espagne.  Il  conféra  à 
l'église  de  Saint-Jacques-de-Compostelle  plusieurs  privilèges 
et  lui  constitua  certains  droits,  en  particulier  ceux-ci  : 

Pour  chaque  arpent  de  terre  labourable  qui  serait  enlevée 
aux  Sarrasins,  il  était  prescrit  d'oilrir  annuellement  à  l'église 
de  Compostelle,pour  la  nourriture  des  chanoines,  une  mesure 
du  meilleur  froment  et  une  mesure  de  vin.  Il  voulut  aussi 
que  sur  les  dépouilles  des  Sarrasins  dans  les  futures  expédi- 
tions, les  chrétiens  réservassent  pour  le  glorieux  patron  de 
l'Espagne  une  portion  égale  à  la  portion  d'un  soldat.  Ces  do- 
nations, quoique  éventuelles  de  leur  nature,  ne  pouvaient 
manquer  de  devenir  positives  par  l'ardeur  martiale  qui  em- 
brasait le  cœur  des  Espagnols  après  le  triomphe  de  Clavijo. 
Le  roi,  qui  en  comprenait  l'importance,  les  confirma  par  un 
serment  solennel,  qui  devait  lier  aussi  ses  successeurs.  Sa 
femme  Urraca,  son  fils  Ordonius,  son  frère  Garcia  firent  le 
même  serment.  Les  archevêques,  évêques  et  abbés  réunis 
firent  acte  d'acceptation  et  menacèrent  de  malédictions  et 
d'excommunication  quiconque  n'observerait  pas  religieuse- 
ment les  volontés  du  prince. 

Ramire  signa  de  sa  main  ces  privilèges  en  872.  Depuis 
cette  époque  jusqu'à  l'an  1492,  où  se  consomna  l'œuvre 
d'affranchissement  sous  les  murs  de  Grenade,  que  d'arpents 
furent  conquis  sur  les  infidèles,  et  que  de  redevances  durent 
être  envoyées  au  chapitre  de  Corapostelle,  et  par  le  chapitre 

'  Une  ville  du  Texas,  en  Amérique,  s'appelle  Malamoros. 


rÈLEUlNACii;   JiK    COAiroSTELLE.  639 

aux  pauvres  du  Seigneur!  Mais  qui  se  souvient  aujourd'hui 
de  la  pieuse  libéralité  deRamire?  La  révolution  a  soufflé  sur 
les  institutions  les  plus  saintes  par  leur  antiquité  et  leur  na- 
ture; elle  a  promené  en  Espagne  comme  chez  nous  son  niveau 
égalitaire,  et  l'Espagne  n'a  conservé  du  passé  que  sa  foi;  mais 
les  œuvres  dont  la  foi  avait  semé  et  fécondé  le  royaume 
catholique,  ont  disparu  et  n'ont  pas  été  remplacées.  Le  cha- 
pitre chargé  de  la  garde  du  tombeau  de  l'apôtre,  du  patron  de 
l'Espagne,  recevait,  avons-nous  dit,  en  échange  de  ses  prières, 
un  tribut  annuel  prélevé  sur  les  terres  enlevées  aux  Musul- 
mans; Mahomet  était  devenu  tribulaire  de  saint  Jacques. 
Rien  n'a  été  respecté,  ni  la  pensée  sainte  qui  avait  inspiré 
la  fondation,  ni  la  fondation  elle-même;  le  célèbre  chapitre 
de  Compostelle,  qui  comptait  dans  ses  rangs  tant  de  digni- 
taires et  plusieurs  cardinaux,  ce  chapitre  que  la  dévotion  des 
rois  pour  saint  Jacques  avait  enrichi,  au  profit  des  malheu- 
reux, de  tant  de  privilèges;  ce  chapitre  a  été  dépouillé  de 
toutes  ses  prérogatives,  et  assimilé  aux  chapitres  des  autres 
cathédrales.  Quelques  milliers  de  réaux  forment  aujourd'hui 
la  modeste  et  unique  ressource  des  chanoines  de  l'une  des 
basiliques  les  plus  importantes  et  les  plus  renommées  de 
l'univers. 

Avant  et  depuis  l'évangile,  l'histoire  mentionne  diverses 
apparitions  du  genre  de  celle  que  nous  avons  rapportée. 
Quand  Dieu  ne  daigne  pas  défendre  lui-même  sa  cause,  il  la 
confie  à  ses  anges  ou  à  ses  saints,  et  ses  ennemis  sont  con- 
fondus. Un  ange,  aux  armes  d'or^  apparaît  sur  un  coursier 
superbe  à  Héliodore  entré  dans  le  temple  de  Jérusalem  pour 
en  piller  le  trésor;  le  cheval  se  précipite  sur  le  pi'ofanateur 
et  le  foule  aux  pieds,  pendant  que  deux  autres  anges  le  fla- 
gellent chacun  de  son  côté  et  le  frappent  sans  relâche.  — 
Deux  apôtres,  saint  Jean  et  saint  Philippe,  montés  sur  des 


640  rÈLKUINAGE    DE    COMl'OSTELLE. 

chevaux  blancs,  apparaissent  à  Tliéoclose  et  lui  assurent  la 
victoire  contre  le  tyran  Eugène.  —  Vers  l'an  805,  dans  le 
siècle  de  Kaniire,  l'empereur  Nicépliore  T""  attribua  le  recou- 
vrement du  Péloponèse  et  la  déroute  des  Abariens  à  l'appa- 
rition et  au  concours  de  saint  André  pendant  le  combat,  et 
pour  ce  motif  il  érigea  en  métropole  le  siège  épiscopal  de 
Patras,  ville  illustre  parle  niartyre  de  cet  apôtre. — En  1539, 
les  Milanais  ayant  battu  les  Impériaux,  rendirent  grâces  de 
leur  victoire  à  saint  Ambroise,  cpi'ils  prétendirent  avoir 
aperçu  pendant  le  combat,  armé  d'un  fouet  qu'il  levait  sur 
leurs  ennemis.  Delà  l'usage  parmi  les  peintres  de  représenter 
saint  Ambroise  avec  un  fouet  à  la  main.  —  Au  commence 
ment  du  XVF  siècle,  saint  Casimir,  patron  de  la  Pologne, 
apparaît  dans  les  airs  aux  Lithuaniens  effrayés  du  nombre 
bien  supérieur  de  leurs  ennemis  et  leur  fait  remporter  une 
victoire  éclatante  ' . 

Mais  de  toutes  ces  apparitions  historiques  ou  tradition- 
nelles, de  toutes  ces  légendes  nationales,  aucune  n'a  été  aussi 
favorisée  que  celle  qui  lie  le  nom  de  Ramire  P''  à  celui  de 
saint  Jacques;  la  liturgie  espagnole  en  célèbre  le  souvenir,  le 
23  mai,  par  une  fête  particulière  sous  ce  nom  :  Fête  de  V ap- 
parition de  saint  Jacques  apôtre  et  patron  des  Espagnes.  Cette 
légende  a  inspiré  les  chants  sacrés  et  les  vers  de  plusieurs 
poètes  ;  elle  a  eu  l'appui  de  l'art  par  la  peinture  et  la  sculpture, 
de  la  piété  par  l'imagerie  religieuse.  Saint  Jacques  surui^  che- 
val blanC;,  portant  d'une  main  un  étendard  blanc  timbré 
d'une  croix  rouge,  et  de  l'autre  un  glaive  dont  il  frappe  les 
Mores  tremblants  à  ses  pieds,  c'est  un  sujet  que  tout  le 
monde  connaît  et  que  la  majesté  du  lieu  saint  n'a  pas  re- 
poussé. Je  l'ai  contemplé,  sous  forme  de  sculpture,  au-dessus 
du  tombeau  de  l'apôtre  à  Compostelle  et  dans  l'église  Saint- 

'  Sixième  leçon  de  l'office  de  aaint  Casimir  [4  mars)  dans  le  Bréviaire  romain. 


l'ÈLElUNAGL    D";    CO.Ml'OSTELLK.  C41 

Jacques,  à  Bilbao  '.  Comme  peinture,  il  est  un  des  ornements 
de  la  cathédrale  de  Séville.Le  saint  Jacques  Mata-Mores  ([u'on 
admire  dans  cette  église,  est  une  des'  toiles  les  plus  remar- 
quables d'un  peintre  andaloux,  du  licencié  Juan  de  las  Roe- 
las,  que  l'on  connaît,  parmi  les  artistes  espagnols,  sous  le 
nom  de  l'abbé  Roelas  {el  clérigo  Roélas),  mort  en  1625.  La 
France  subordonnant  son  goût  à  la  légende,  n'a  pas  plus  dédai- 
gné le  cheval  de  bataille  de  saint  Jacques  que  la  monture  paci- 
fique de  saint  IMartiii  et  les  humbles  animaux  de  la  grotte  de 
Bethléem.  Un  tableau  de  la  chapelle  Saint- Jacques  dans 
l'église  Saint-Michel,  à  Bordeaux,  représente  le  sujet  dont 
nous  parlons. 

L'immortel  Rubens  a  traité  ce  sujet.  Son  œuvre  pleine  de 
feu,  de  noblesse  et  de  majesté,  a  été  reproduite  en  sculpture 
par  le  ciseau  de  Corn.  Galle.  Citons  encore  le  tableau  de 
Mathieu  Kager,  gravée  par  Wolfang  Kilian. 

Les  médailles  que  j'ai  apportées  de  Compostelle  ne  re- 
présentent l'apôtre  que  dans  cette  attitude  militaire  ^  Au 

'  Une  des  rues  de  Bilbao  porte  le  nom  de  Saint-Jacques,  calle  de  Santiago. 

Bordeaux  a  conservé  à  l'une  de  ses  rues  le  nom  anglais  de  Saint- James , 
qui  date  de  l'an  1152,  époque  où  le  mot  Saint-James  commença  à  être  substi- 
tué à  celui  de  Saint  Jacques.  C'est  le  seul  vestige,  à  Bordeaux,  de  la  domina- 
tion anglaise  dans  l'Aquitaine. 

La  ville  de  la  Réole,  résidence  privilégiée  de  Richard  Cœur-de-Lion,  avait 
autrefois  l'hôpital  el  la  rue  Saint-James.  —  L'église  principale  de  Bergerac 
porte  encore  aujourd'hui  le  nom  de  Saint-Jûmes,  comme  le  palais  royal  de 
Londres. 

Dans  quelques  villes  de  France,  on  trouve  des  rues  désignées  sous  le  nom 
français  de  Saint- Jacques,  par  exemple,  à  Paris,  Amiens,  Abbeville,  Orléans, 
Le  Puy,  etc. 

En  ancien  provençal,  le  nom  de  Jacques  se  traduisait  par  Gaumes.  Telle 
est,  selon  nous,  l'étymologle  d'un  nom  assez  répandu  aujourd'hui  dans  toutes 
les  parties  de  la  France. 

'  Quand  on  représente  simplement  saint  Jacques  avec  une  épée,  cet  attribut 
lappelle  non  une  bataille,  mais  l'instrument  de  supplice  du  Saint. 


G 12 


PELERINAGE   DE   COMPOSTELLE. 

Au  reste,  la  gravure  suivante  fixera  le  lecteur  sur  ce  point 
d'iconographie  très-commun,  mais  trop  peu  compris  jusqu'ici  : 


Bataille  de  Clavijo.en  845- 


Chaque  année,  Ovicdo,  Astorga,  Léon,  Compostelle  célè- 
brent par  de  splendides  processions  le  souvenir  d'une  victoire 
si  importante  au  double  point  de  vue  de  la  religion  et  de  la  po- 
litique. Une  place  d'honneur  dans  ces  cérémonies  est  réservée 
àuncertainnombrede  jeunes  filles;  leur  présence  rappelle 
ù  la  ibis  la  servitude  imposée  jadis  par  les  Mores  et  l'heureuse 


PÈLERINAGE    UE    CUAU'OsTliLLI'..  (W.) 

délivrance  du  pays.  L'exhibition  des  étendards  et  autres 
objets  enlevés  aux  Mores  dans  cette  l)ataille  et  conservés 
jusqu'aujourd'hui,  démontre,  à  dix  siècles  d'intervalle,  la 
sanglante  défaite  par  laquelle  Dieu  et  saint  Jacques  châtièrent 
ces  farouches  ennemis  de  la  chrétienté.  La  famille  des  marquis 
de  Yillalobos,  à  Astorga,  compte  parmi  ses  ascendants  le 
guerrier  qui  enleva  aux  Mores  un  de  ces  curieux  étendards; 
celle  des  Mirandas,  dans  les  Asturies,  orne  son  blason  de 
cinq  demi-corps  de  filles,  en  souvenir  des  cinq  jeunes  filles 
qu'un  de  ses  ancêtres  arracha  des  mains  des  Sarrasins  dans 
la  même  bataille. 

L'histoire,  la  liturgie,  la  poésie,  les  beaux-arts  et  la  tradi- 
tion sont  d'accord  sur  le  prodige  de  l'apparition  de  saint 
Jacques  et  la  victoire  qui  en  fut  la  précieuse  conséquence. 
En  présence  de  tant  de  preuves,  comment  qualifier  le  doute 
émis  sur  l'authenticité  de  ce  prodige  par  Pierre  de  Marca 
dans  son  Histoire  de  Béani  '  ?  Cet  auteur  admet  cependant 
d'autres  apparitions  bien  moins  démontrées  que  celle  de  saint 
Jacques. 

Les  auteurs  espagnols  Luc  de  Tuy,  Gil  Gonzalez,  Zamoray 
Coria,  saint  Thomas  de  Villeneuve,  Garibai,  Fr.  Antonio 
Remesar,  etc.,  rapportent  une  foule  d'apparitions  de  saint 
Jacques,  soit  en  Espagne,  soit  en  Italie,  soit  en  Afrique,  soit 
en  Amérique.  Les  chrétiens  du  Nouveau-Monde  ont  professé 
dès  le  commencement  une  grande  dévotion  pour  le  patron 
de  toutes  les  Espagnes,-  ils  ont  donné  son  nom  à  plusieurs 
villes.  Pour  un  certain  nombre  de  cités,  ils  ont  créé  des  appel- 
lations assez  bizarres  en  rapprochant  le  nom  de  saint  Jacques 
de  sa  qualité  de  cavalier;  car  le  nom  de  Santiago-de-los-Ca- 
balleros  est  commun  à  plusieurs  villes  de  l'Amérique.  C'est 

'  Histoire  de  Béarn,  par  Pieuue  de  Marca.  Paris,  1640,  p.  217. 


■  644  PiaERINAGE    J>E   COMPOSTELLE. 

une  allusion  manifeste  aux  apparitious  de  saint  Jacques, 
surnommé  quelquefois  le  soldat  et  le  cavalier^  à  cause  du 
cheval  blanc  qu'il  montait  dans  diverses  rencontres  des  Es- 
pagnols contre  leurs  ennemis.  Selon  quelques  écrivains,  on 
peut  compter  jusqu'à  5,800  victoires  remportées  par  les  Es- 
pagnols depuis  Pelage  jusqu'à  nos  jours,  grâce  à  la  puissante 
protection  de  saint  Jacques. 

J.-B.    PARDI AC. 


[La  suite  à  un  procliairi  mtnu'ro) 


PRÉCIS 
DE  L'HISTOIRE  DE  L'ART  CHRETIEN 

en  France  &  en  Belgique' 


TliKlZlEME    AU'IICLK 


CHAPITRE  V 


XII     SIECLE. 


Article  ii.  —  Sculpture. 


Le  XIP  siècle  fut  pour  les  beaux-arts  une  époque  de  tran- 
sition et  de  progrès  continus.  Il  fut  témoin  de  la  dernière 
lutte  entre  l'influence  des  souvenirs  romains  et  les  aspirations 
de  l'esprit  créateur  qui  ne  de \^ait  obtenir  qu'au  siècle  suivant 
un  triomphe  définitif.  Tandis  que  l'arcliitecture  rompait  avec 
les  traditions  antiques  et  que  l'ogive  sortait  du  plein-cintre 
comme  une  fleur  de  son  bouton,  les  arts  accessoires  qui  of- 
fraient aux  monuments  religieux  le  tribut  de  leur  hommage 
et  de  leur  décoration,  subissaient  une  révolution  analogue. 

'  Voii'  le  numéro  d'août,  p.  '402, 


646  l'RÉCls    DE    LÎIISTOIRE    DB   l'aRT    CHRÉTIEN. 

Sculpture  sur  pierre.  —  A  partir  du  XIP  siècle,  les  re- 
présentations (les  figures  humaines  tinrent  une  large  place 
dans  l'architecture.  Il  n'en  était  pas  ainsi  dans  l'antiquité. 
La  Grèce  s'était  presque  toujours  bornée  aux  ornements  vé- 
gétaux dans  la  décoration  de  ses  temples.  Le  Parthénon,  le 
temple  d'Egine  et  celui  de  Thésée  sont  à  peu  près  les  seuls 
où  apparaisse  la  figure  humaine.  Chez  les  Romains,  ce  n'est 
que  sur  les  tombeaux  et  les  arcs  de  triomphe  que  la  statuaire 
s'allie  à  l'architecture. 

Les  scènes  historiques  et  symboliques  exilées  des  chapi- 
teaux, dans  beaucoup  de  provinces,  s'étalent  avec  plus  d'am- 
pleur sur  les  larges  surfaces  des  portails.  On  peut  reprocher 
aux  statues  de  cette  époque  l'allongement  démesuré  du  buste. 


i    —  Portail  de  Notre-Dame  de  Poitiers- 


la  roideur  des  membres,  l'ignorance  de  l'anatomie,  la  deshar- 
monie des  proportions,  l'incorrection  de  certains  détails,  mais 
on  doit  apprécier  l'expression  calme  et  recueillie  des  phy- 
sionomies, où  domine  un  profond  sentiment  religieux  ffg.  i 


KN    l'HANCK    ET    LN    liKI.GKjl  T..  (JAl 

et  2).  Les  cheveux  sont  traités  avec   soin  ;    les  yeux   sont 
toujours  saillants  et  fendus  et  les  sourcils  très-iirqués. 


2.  —  Même  église 


Ce  qui  frappe  surtout  l'attention,  c'est  ce  type  conven- 
tionnel de  grandeur  démesurée  qui  imprime  aux  personnages 
un  caractère  surhumain.  Pendant  cette  période  hiératique, 
les  artistes,  comme  autrefois  Eschyle,  quand  on  l'engageait 
à  refaire  l'hymne  d'Apollon,  se  disaient  qu'il  était  des  tradi- 
tions sacrées  dont  on  ne  pouvait  s'écarter  sans  une  dange- 
reuse témérité.  C'est  là,  sans  doute,  un  des  motifs  de  cette 
absence  de  vie  qui  caractérise  ces  statues  au  visage  immo- 
bile, allongées  sous  les  voussures  et  ressemblant  à  des  pha- 
langes de  morts  qui  attendraient  le  réveil  du  j  ugement  der- 
nier. On  ne  peut  point  l'attribuer  uniquement  à  l'impéritie 
des  artistes;  ils  ont  su,  quand  ils  le  voulaient,  en  symboli- 


G-48  inÉGlS    DE    L'ilTSTOIRK    I>E    l'aRT    CHRÉTIEN 

sant  les  vices,  donner  une  ternl)le  énergie  aux  créations  de 
leur  ciseau. 

A  Texceptiuii  du  Christ,  de  la  Yierge,  des  Apôtres  et  des 
Anges,  tous  les  personnages  sont  revêtus  du  costume  de  l'é- 
poque, heureux  anachronisme  qui  nous  fournit  de  précieux 
renseignements  sur  les  variations  de  la  mode  qui  fut  de  tout 
temps,  si  nous  eu  croyons  un  vieil  auteur,  mi-partie  femme 
et  mi-partie  caméléon,  c'est-à-dire  changeance  par  un  bout  et 
transmutation  par  l'autre.  La  tunique  des  hommes  s'allonge  et 
elle  est  recouverte  en  partie  par  un  manteau  à  plis  serrés. 
Les  femmes  sont  vêtues  d'une  simple  robe  étroite  qui  descend 
jusqu'à  la  cheville  ;  leur  tête  est  nue  ou  couverte  d'un  voile 
en  forme  de  guimpe. 

C'est  alors  seulement  qu'on  essaya  de  reproduire  la  res- 
semblance des  physionomies.  Des  portails  offrent  parfois  les 
traits  des  rois,  des  princes,  des  évêques,  des  abbés  qui  fu- 
rent les  fondateurs  ou  les  bienfaiteurs  de  l'église.  Nous  de- 
vons ajouter  toutefois  que  bien  des  méprises  ont  eu  lieu  dans 
ces  sortes  d'appréciations  :  plus  d'une  fois  on  a  baptisé  du 
nom  de  Philippe  I*^'  un  Salomon  siégeant  sur  un  trône  capé- 
tien, et  on  a  cru  trop  vite  reconnaître  les  traits  de  Louis-le- 
Gros  dans  un  David  qui  usurpait  imprudemment  le  manteau 
de  nos  rois  et  le  sceptre  fleurdelysé. 

On  remarque  un  sensible  progrès  dans  l'exécution  des  bas- 
reliefs.  Les  sujets  qu'on  reproduit  le  plus  souvent,  avec  une 
complète  identité  dans  l'exécution  des  principaux  types, 
sont  :  Jésus  bénissant,  entouré  des  symboles  évangélistiques, 
la  Nativité,  le  Massacre  des  Innocents,  la  Résurrection  de 
Lazarre,  l'Annonciation^  le  Pèsement  des  âmes,  le  Jugement 
général,  l'Enfer. 

Nous  avons  dit  que  les  chapiteaux  s'enveloppaient  de  dé- 
corations végétales,  et  surtout  de  plantes  aroïdes  avec  leurs 


EN    FRANCK   ET   KN   nKLGIOlE.  049 

baies  qu'on  a  souvent  confondues  avec  la  pomme  de  pin.  Afais 
dans  certaines  provinces,  et  surtout  dans  le  Midi,  on  continua 
à  sculpter  des  scènes  symboliques  et  des  animaux  fantas- 
tiques. C'est  contre  ces  représentations  que  s'insursieait  sé- 
vèrement saint  Bernard,  en  disant  :  «  A  quoi  servent  dans  les 
cloîtres  ces  monstruosités  ridicules,  ces  admirables  difformi- 
tés ?  Que  font  ici  ces  singes  immondes,  ces  lions  farouches, 
ces  centaures,  ces  moitiés  d'hommes,  ces  tigres  tachetés,  ces 
soldats  combattant,  ces  chasseurs  donnant  du  cor?  Vous 
pouvez  voir  plusieurs  corps  réunis  sur  une  seide  tête  ou  plu- 
sieurs têtes  sur  un  seul  corps  ;   un  quadrupède  à  queue  de 
serpent  à  côté  d'un  serpent  à  tète  de  quadrupède;  un  monstre 
cheval  par  devant  et  chèvre  par  derrière;  un  animal  à  cornes 
traînant  la  croupe  d'un  cheval  ;  enfin  de  toutes  parts  une  va- 
riété de  formes  si  étonnante  qu'il  est  plus  attrayant  de  lire 
les  marbres  que  les  livres.  »  Il  est  heureux  que  les  anathemes 
de  saint  Bernard  soient  restés  sans  effet  ;  si  sa  doctrine 
exclusive  avait  triomphé ,  nous  aurions  été  privés  de  ces 
belles  pages  de  sculpture,  plus  attrayantes  en  effet  que  bien 
des  livres^  où  revivent  les  croyances  et  les  traditions  des 
siècles  écoulés.  A  ce  témoignage  isolé  de  l'abbé  deClairvaux 
qui  semble  ne  voir  dans  ces  compositions  que  les  caprices 
d'une  imagination  en  délire,  on  peut  opposer  les  apprécia- 
tions unanimes  que  nous  ont  données  saint  iMeliton,  saint 
Epiphane,  saint  Ambroise,  saint  Eucher,  saint  Hildefonse, 
saint  Bonaventure  et  bien  d'autres  Pères  de  l'Eglise,  dont 
les  artistes  n'ont  fait  que  traduire  les  allusions  mystiques, 
empruntées  à  la  zoologie  plus  ou  moins  fabuleuse  qui  avait 
cours  à  cette  époque. 

Au  XIF  siècle,* oii  l'amour  des  sciences  naturelles  fut  ac- 
tivé parles  grandes  expéditions  d'outre-mer  et  les  traductions 
des  œuvres  complètes  d'Aristote,  tout  est  symbole  pour  la 

TOME    VI  47 


GoO  TRÉCIS   DE   l'histoire   DE    l'aRT    CHRÉTIEN 

science  comme  pour  l'art.  Ne  connaissant  qu'à  demi  les 
croyances  populaires  de  cette  époque  et  les  traditions  légen- 
daires que  les  prédicateurs  expliquaient  dans  un  but  exclu- 
sivement moralisateur,  nous  ne  comprenons  pas  toujours  ces 
représentations  allégoriques  des  vices  et  des  vertus  ;  mais 
nous  devons  humblement  reconnaître  que  jadis  les  plus  illet- 
trés lisaient  couramment  ces  pages  de  pierre  dont  nous 
sommes  si  fiers  de  pouvoir  parfois  épeler  quelques  lettres. 

A  côté  des  légendes  et  des  symboles^  l'histoire  sacrée  avait 
sa  place,  conmie  on  peut  le  voir  à  Saint-Trophime  d'Arles,  où 
l'attitude  expressive  des  physionomies  s'allie  avec  une  inspi- 
ration vraiment  chrétienne.  La  vie  des  saints  était  quel- 
quefois aussi  mise  à  contribution.  Le  chapiteau  dont  nous 
donnons  ici  le  dessin  [jig .  5)  rappellerait,  suivant  M.  LéoDroyn , 


3.  —  Saint  M;  rtin  de  Soscas  (Gironde). 

la  puissance  miraculeuse  que  saint  Martin  exerçait  sur  les 
animaux. 


EN    FRANCK    F,T    KN    BELGIQUE.  Ori  I 

Sculpture  sur  bois.  —  Les  stalles  primitives  n'étaient  que 
des  espèces  d'enfoncements  plancliéïés  où  les  prêtres  se  te- 
naient debout  au  IX"  siècle  :  la  longueur  des  offices  fit  ad- 
mettre des  potences  (rcclinatoriaj  où  il  était  permis  de  s'ap- 
puyer. Vers  le  XI"  siècle,  on  adapta  aux  stalles  des  banquettes 
mobiles  qu'on  appela  miséricordes  parce  qu'elles  étaient  un 
effet  de  l'indulgente  compassiou  qu'on  avait  eu  pour  la  fa- 
tigue des  ecclésiastiques.  Au  XIP  siècle,  elles  devinrent  d'un 
usage  plus  général  et  furent  disposées  le  long  du  chœur,  au 
lieu  d'être  reléguées,  comme  anciennement,  derrière  l'autel. 
Le  seul  exemple  connu  de  stalles  romanes  se  trouve  dans 
l'église  de  Ratzburg,  en  Allemagne. 

Les  portes  d'églises  ne  sont  pas  encore  sculptées.  Leur  or- 
nementation consiste  en  lignes  symétriques  de  clous  à  grosse 
tête  et  en  pentures  dont  l'extrémité  s'épanouit  en  ara- 
besques. La  porte  Sainte-Anne,  à  Notre-Dame  de  Paris,  pa- 
raît être  de  la  fin  du  XIP  siècle.  C'est  un  des  plus  riches 
exemples  de  cette  splendide  ornementation  en  fer  forgé  dont 
les  rinceaux  s'enroulent  avec  tant  de  souplesse  qu'ils  sem- 
blent vouloir  rivaliser  avec  les  chefs-d'œuvre  de  la  ta- 
pisserie. 

Autels.  —  L'autel  du  Moyen  Age  a  deux  formes  :  c'est 
une  table  ou  un  tombeau  ;  le  premier  est  un  souvenir  de  la 
table  de  la  cène,  où  Jésus-Christ  institua  l'Eucharistie  ;  le 
second  rappelle  les  tombeaux  des  martyrs  sur  lesquels  le  sa- 
cerdoce des  catacombes  offrit  d'abord  le  saint  Sacrifice.  Les 
autels-tables  sont  presque  tous  antérieurs  au  XIII"  siècle. 
A  partir  de  cette  époque,  la  forme  de  sarcophage  a  toujours 
prévalu  dans  l'Eglise  latine.  Les  autels  cubiques  des  Xle  et 
XIP  siècles  ont  des  ouvertures  carrées  sur  la  face  principale 
pour  recevoir  des  reliques.  Ils  sont  parfois  enrichis  de  mo- 
saïques, de  peintures,  de  sculptures,  de  pierres  incrustées  et 


652  ruÉGis  DK  l'histoire  de  l'aut  chrétien 

d'inscriptions.  Un  des  plus  curieux  autels  romans  que  nous 
connaissions  est  celui  de  l'église  Saint-Germer  ffig.  4\  C'est 

une  table  rectangulaire  ,  reposant 
sur  neuf  colonnes  écourtées  dont  les 
piédestaux  sont  à  angles  saillants  ; 
un  boudin  sert  de  base  aux  fûts.  Les 
feuilles  de  chapiteaux  se  lancéolent 
4-  ou  se  roulent  en  volute.  Les  tailloirs, 

ceux  du  moins  qui  n'ont  pas  subi  de  dégradation,  sont  enve- 
loppés d'une  plate-bande  perforée.  A  l'extrémité  du  cordon 
de  chaque  arcade,  se  dessine  une  petite  feuille  ou  un  arc  en 
relief. 

Les  cathédrales  et  les  abbayes  étaient  munies  d'autels 
d'une  riche  exécution  ;  mais  dans  les  églises  paroissiales  ils 
ne  consistaient  souvent  qu'en  un  simple  massif  de  maçon- 
nerie régulière  supportant  une  table  de  pierre. 

Il  y  a  des  autels  du  XIP  s.  à  la  cathédrale  de  Marseille,  à 
Chatillon-sur-Marne,  à  Sainte-Marguerite,  près  de  Dieppe, 
à  Pontorson  (Manche),  etc. 

Fonts  et  Bénitiers. — Les  fonts  baptismaux  du  XII"  siècle 
ont  les  mêmes  formes  qu'au  siècle  précédent.  Ce  sont  des 
cuves  cylindriques  cantonnées  ou  non  de  colonnettes,  des 
cuves  carrées  décorées  d'arcatures  ffig.  5),  des  fonts  pédi- 
cules, c'est-à-dire  des  bassins  supportés  par  un  fût,  et  enfin- 
des  coupes  hémisphériques  soutenues  par  des  cariatides.  Cette 
dernière  forme  ne  se  rencontre  guère  qu'en  Bretagne.  Un 
trou  était  pratiqué  au  fond  de  la  cuve  pour  l'écoulement  de 
l'eau  baptismale. 

La  Picardie  est  riche  en  fonts  romans.  On  en  voit  à  Com- 
piègne,  à  Espaubourg,  à  Saint-Just  (Oise),  à  Montdidier,  à 
Airainc  (Somme),  etc.  Ceux  de  la  cathédrale  d'Amiens,  en 
pierre  de  liais,  ont  la  forme  d'une  table  allongée,  supportée 


EN   FRANCE   ET  ExN   BELGIQUE.  0,^3 

par  cinq  petits  pilastres;  quatre  figures  de  prophètes  sont 
sculptés  aux  angles  ;  les  noms  de  Zacharie  et  de  Joël  sont 
seuls  restés  visibles. 


S-  —  Fonts  dcSiiinle-Marie  de  Chigiiac  (Doidognc) 


Il  y  avait  autrefois,  devant  la  porte  et  à  l'extérieur  des 
églises,  des  fontaines  où  les  fidèles,  dans  une  intention  sym- 
bolique, se  lavaieni  le  visage  et  les  mains. 
Telle  est  l'origine  desbénitiers  du  Moyen- 
Age  qui,  sous  le  rapport  de  la  forme,  ne  dif- 
fèrent de  certainsfonts  baptismaux  que  par 
leur  petite  dimension.  Jusqu'au  XIP  siècle 
ce  furent  de  petites  cuves  supportées  par 
une  colonnette  ou  un  petit  pilier  ffig.  6)  ; 
ils  étaient  ordinairement  placés  en  dehors 
de  l'église,  sous  le  porche.  Plus  tard,  on  leur  substitua  des 
réservoirs  appliqués  contre  un  mur  intérieur  de  l'église  ou 
sur  une  colonne,  et  surmontés  d'un  dais. 


6.  —Bénitier  de  St-Avenltn 
(Haute-Garonne). 


054  PRÉCIS   DE   LUISTOIRE   ]JE   l'aUT   CHRÉTIEN 

Les  bénitiers  portatifs  avaient  en  général  la  forme  d'un 
l)etit  seau  muni  d'une  anse  ;  on 
en  faisait  en  ivoire,  en  cuivre,  en 
argent.  Un  habile  sculpteur  de  Lyon, 
M.  Viollet,  a  exécuté  récemment  un 
bénitier  roman  dont  nous  donnons 
ici  le  dessin  (^^.  7).  Il  s'est  inspiré 
dans  cette  composition  du  bénitier  de 
la  cathédrale  de  Milan  et  de  plusieurs 
vases  analogues  sculptés  ou  dessinés 
dans  divers  monuments  des  XP  et 
Xir siècles.  C'est  un  excellent  modèle 
7.  que  nous  recommandons  aux  églises 

qui  auraient  besoin  d'un  mobilier  roman. 

Sépultures.  —  La  décoration  des  tombeaux  quadrilatères 
des  Xr  et  XIP  siècles  accuse  sou- 
vent l'influence  du  style  byzantin. 
Ils  reposent  sur  de  courtes  colonnes 
cylindriques  ou  sur  un  soubasse- 
ment en  pierre  ffig.  8)  ;  leur  cou- 
vercle plat  ou  de  forme  prisma- 
tique est  plus  souvent  uni  que  cou- 
vert de  sculptures  ;  leur  décoration 
la  plus  habituelle  consiste  en  une 
simple  croix  gravée.  Ils  commen- 
cent à  être  décorés  de  la  statue  couchée  du  défunt. 

C'est  vers  la  fin  du  XIP  siècle  que  s'introduisit  l'usage 
des  dalles  gravées  qui  servaient  tout  à  la  fois  à  paver  les 
églises  et  à  recouvrir  la  dépouille  des  morts.  Elles  repré- 
sentent l'effigie  du  défunt,  des  inscriptions  funéraires,  des 
arabesques,  des  écussons,  des  détails  d'architecture,  etc. 

.1.  CORBLET. 


Tombeau  de  la  reine  Adélaïde. 
(.Saint-Jean-au-Bois). 


CHRONIQUE 


M.  Jules  Solou  vient  de  publier  une  spirituelle  et  courageuse 
brochure  intitulée  :  Du  Vandalisme  àAuch.  L'auteur  nous  permettra 
de  lui  signaler  une  erreur  qui,  si  elle  n'était  pas  rectifiée,  pourrait 
faire  soupçonner  de  vandalisme  le  conservateur  actuel  de  la  Biblio- 
thèque d'Amiens,  dont  le  zèle  bibliographique  est  aussi  apprécié 
que  la  science  archéologique,  par  tous  ceux  qui  le  connaissent. 
M.  J.  Solon  dit  en  parlant  de  la  bibliothèque  de  la  ville  d'Aucb, 
transférée  récemment  dans  l'ancienne  église  des  Carmélites  :  a  II 
est  fort  heureux  que  les  larges  dimensions  de  la  nef  aient  permis 
d'y  placer  les  rayons  de  la  bibliothèque  et  que  le  bibliothécaire 
n'ait  pas  suivi  l'exemple  de  celui  d'Amiens,  qui,  il  y  a  quelques  an- 
nées^ trouvant  que  les  manuscrits  in-folio  que  renfermait  la  biblio- 
thèque ne  pouvaient  pas  entrer  dans  les  rayons,  crut  que  le  meilleur 
parti  était  de  les  réduire,  en  les  rognant,  à  la  hauteur  nécessaire.» 
M.  J.  Solon  a  puisé  ce  renseignement  erroné  de  tout  point  dans 
l'ouvrage  que  M.  le  comte  de  Montalembert  a  publié  en  1839,  sur 
le  Vandalisme  et  le  catholicisme  dans  l'art.  Dans  sa  lettre  à  M.  Victor 
Hugo,  datée  de  1833,  et  insérée  dans  ce  volume,  l'honorable  .pair  de 
France  s'exprime  en  ces  termes:  «  On  a  nommé,  il  y  a  quelques 
années,  à  Amiens,  un  bibliothécaire  dont  toute  la  vie  précédente 
avait  été  complètement  étrangère  à  ce  genre  d'études  et  qui  trou- 
vant que  les  manuscrits  in-folio  que  renfermait  sa  bibliothèque  ne 
pouvaient  pas  entrer  dans  les  rayons  des  casiers,  crut  que  le  meil- 
leur parti  était  de  les  réduire,  en  les  rognant,  à  la  hauteur  néces- 
saire. »  Cette  accusation  ne  pourrait  être  appliquée  qu'à  M.  Dela- 
haye  qui  a  été  chargé  de  la  conservation  de  la  bibliothèque  de 
1826  à  1846;  mais  elle  n'est  point  fondée.  Il  existe  à  la  biblio- 
thèque d'Amiens  un  imprimé  qui  a  été  déplorablement  rogné  par 
un  relieur,  mais  aucun  manuscrit  n'a  subi  les  injures  dont  on  parle. 


056  CHRONIQUE. 

M.  J.  Ganiior,  dans  son  Catalogue  des  manuscrits  publié  en  1843, 
rend  un  hommage  légitime  à  M.  Le  Prince,  ancien  négociant,  qui 
consacra  gratuitement  ses  loisirs  à  la  reliure  de  plus  de  500  vo- 
lumes. «  Nous  ne  savons,  dit-il,  sur  quelle  preuve  on  s'est  fondé, 
mais,  nous,  qui  avons  examiné  tous  ces  volumes  un  par  un,  feuil- 
let par  feuillet,  nous  pouvons  assurer  qu'ils  ont  été  reliés  avec  une 
attention  qui  allait  jusqu'au  scrupule;  que  toutes  les  feuilles  de  vé- 
lin, môme  les  plus  insignifiantes  et  les  plus  inutiles,  ont  été  cou- 
servées  aux  recueils  dont  elles  faisaient  partie.  »  Sans  mettre  en 
doute  la  bonne  foi  de  MM.  de  Montalembert  et  J.  Selon,  nous 
avons  cru  devoir  mentionner  une  erreur,  préjudiciable  à  la  bonne 
renommée  littéraire  de  la  ville  d'Amiens,  erreur  qui  pourrait  s'ac- 
créditer et  prendre  à  la  longue  une  place  incontestée  à  côté  des 
actes  authentiques  qui  sont  enregistrés  dans  le  Martyrologe  de 
l'Art. 

—  La  Direction  des  Musées  impériaux  vient  de  faire  restaurer  les 
quarante  et  quelques  tableaux  qui  décoraient  le  chœur  de  Notre- 
Dame  de  Paris.  Tous  ces  tableaux,  dus  aux  plus  illustres  maîtres  de 
l'école  française  des  XVIIe  et  XVIIl*^  siècles,  seront  placés  dans  la 
galerie  destinée  à  cette  école  et  qui  occupe  le  premier  étage  du 
nouveau  Louvre,  depuis  le  pavillon  MoUien  jusqu'au  pavillon 
Daru. 

— ^M.  Fr.  C.  Louandre, ancien  bibliothécaire-archiviste  d'Abbeville, 
est  décédé  le  21  novembre  à  l'âge  de  76  ans.  Il  s'était  spécialement 
occupé  de  l'histoire  du  Ponthieu,  avec  autant  de  zèle  que  de  suc- 
cès; il  a  publié  entr'autres  ouvrages  :  Biographie  d'Abbeville  et  de 
ses  environs,  IS^O,  in-S".  —  Histoire  d'Abbeville  et  du  comté  de  Pon- 
thieu, 1844,  2"=  édition,  2  vol.  in-8°. —  Notice  historique  sur  VHôtel- 
Dieu  d'Abbeville.  —  Diverses  notices  insérées  dans  les  Bulletins  des 
comités  historiques  et  dans  les  Mémoires  de  la  Société  d'émula- 
tion d'Abbeville.  —  Cet  estimable  savant  a  eu  la  joie  de  voir  son 
fils  suivre,  comme  lui,  la  laborieuse  carrière  de  l'érudition  et  con- 
quérir une  légitime  renommée  que  le  temps  ne  pourra  qu'accroître. 

J.  CORBLET. 


TABLE  DES  ARTICLES 


DANS  LE  TOME  SIXIÈME  DE  LA  REVUE  DE  L'ART  CHRETIEN 


Sarcophages  du  inusée  de  Marseille, 
par  le  R.  P.  Dassy  ...  5,  225,  5u5 

DesLanternes.parM.  Schaepkens.     22 

Les  Catacombes  considérées  comme 
type  des  basiliques  chrétiennes, 
par  M.  l'abbé  Aubeu 24 

Du  Réalisme  et  des  Symboles  dans 
l'art  clirétien.  par  M.  le  comte 
GrimouauddeSt-Laurent.    .33,  G3 

Peintures  de  M.  Flandrin  h  Saint- 
Germain-des-Prés 45 

Sarcophage-autel  de  l'église  Saint- 
Zénon  à  Vérone,  par  M.  .\ntonio 
Bertoldi 57 

Quatre  Sceaux  de  la  province  de 
Limbourg,  par  M.  Schaepkens.      77 

Le  Lion  et  le  Bœuf  sculptés  au  por- 
tail  des   églises,   par  M.  l'abbé 

J.   CORBLET 82 

Le  Temps  deNoël(cantiques-litur- 
gie-coutumes) ,  par  M.  Pardiac.    100 

Lettre  sur  quelques  sculptures  de 
lion,  par  M,  Dusevel  ....    113 

D'un  Argument  des  premiers  siècles 
de  notre  ère  contre  le  dogme  de 
la  résurrection,  par  M.  Le  Blant.    118 


Note  sur  des  Marmiles  en  broiize 
conservées  dans  quel(|ues  collée - 
lions  archéologiques,  par  M.  rabl)é 
Cochet 127 


Symbolisme  du  Cantique  des  canti- 
ques, par  M.  l'abbé  Aurer    .    . 


132 


Une  égUse  cathédrale  du  V-'  siècle  et 
son  baptistère  :  Saint-Élienne  de 
Mêlas  (Ardèche),  par  M.  le  V'«^  de 
Saint-Anuéol 169 

Les  Catacombes  de  Rome  au  point 
de  vue  de  la  controverse    .    .    .    189 

De  l'origine  de  l'ogive,  par  M.  l'abbé 

J.    CORBLET 202 

Histoire  de  saint  Jacques  le  Majeur 
et  du  pèlerinage  de  Composlelle. 
par  M.  l'abbé  Pardiac,    213,  250,  306 
378,  500,  539,  631. 

Anciens  dessins  de  Chandeliers,  par 
M.  Arnaud  Schaepkens.  ...    223 

Nouvelles  parlicularitéssur  la  sculp- 
ture chrétienne  du  moyen-ûge, 
par  M.  l'abbé  Cochet  ....    238 

L'église  de  Nogent-les-Vierges,note 
additionnelle,  par  M.  Élie  Petit.    272 

Monument  funéraire  du  chanoine 
Ruyschen,  à  Saint-Servais  de 
Maëstricht,  par  M.  Schaepkens.    281 


«158 


TABLE   DKS   AUTICLES. 


La  prière  de  Marie  et  le  bon  Pas- 
teur, élude  sur  un  sarcophage 
d'Arles,  par  M.  le  C'=  Grimouard 
DE  Saint- Laurent 283 


Zoologie  mystique 
M^e  F.  d'Ayzac 


l'Agneau ,  par 


300 


Les  Sandales  et  les  Bas,  par  M.  de 
LlNAS     .     .     .  337,  468,  531,  561,  617 

Des  Voûtes  en  bois  et  de  leur  répa- 
ration, par  M. Raym. Bordeaux.    354 

Zoologie  mystique  :  l'Antilope,  par 
M-^o  F.  d'Atzac    ......    871 

Tableau  sculpté  de  l'église  de 
Familleureux  (Hainaut),  par  M. 
Lejeune 393 

L'Architecture  du  XII©  siècle  en 
France  et  en  Belgique,  par  M. 
l'abbé  J.  CORHLET 402 

Recherches  critiques  sur  Jean 
Bellegambe  et  sur  son  œuvre, 
par  MM.  A.  Asselin  et  l'abbé 
C.  Dehaisne 428,454 

Ivoire  sculpté  du  trésor  de  l'église 
de  Tongres,  par  M.  Schaepkens.    449 


Nouvelles  Remarques  sur  la  décou- 
verte du  coiur  do  Charles  V, 
dans  la  cathédrale  de  Rouen ,  par 
M.  l'abbé  Cochet 510 

Tombeau  de  Waleram  III,  duc  de 
Liinitourg,  à  l'éghse  de  Rolduc, 
par  M.  Arnaud  Schaepkens.    .    547 

Grandes  Découvertes  historiques  re- 
latives à  saint  Jean-Baptiste  et 
aux  Évangélistes,  par  M.  J.  Cor- 
blet  590 

Sainte  Cécile  glorifiée  par  les  arts , 
par  M.  DuPRÉ 602 

La  Mort  de  saint  Joseph,  tableau 
attribué  à  Raphaël 615 


La   sculpture   chrétienne  au  Xlla 
siècle,  par  M.  J.  Corblet   .    .    . 


645 


Comptes-rendus  bibhographiques  , 
par  MM.  l'abbé  J.  Corblet,  Charles 
de  Linas  et  l'abbé  Barbier  de 
Montault,   49,    109,    158,    278,   330, 
446,  549 

Chronique,  par  M.  J.  Corblet,  165,  335, 
556  et  655 


TABLE    DES    DESSINS 


Agneau  (!')  —  sur  le  roc,  fond  do  verre 
des  Catacombes,  301  ;  —  recevant  les 
caresses  du  Bon-Pasteur,  301. 

Anneaux  et  boucles  en  bronze  trouvés 
dans  des  sépultures  chrétiennes,  241, 
242,  243. 

Antilope — embarrassée  dans  un  fourré, 
miniature,  373  ;  —  saisie  par  le  ve- 
neur infernal,  376. 


Arcade  —  ternée,    416 
ibid. 


mitrée  , 


Arceaux  intersectés  formant  des  ogives, 
209. 

Autel  —  de  Saint-Germer,  652  ;  —  de 
Saint-Zénon  à  Vérone  (planche) ,  57  ; 
détails  des  bas-reliefs,  60,61. 

Bannière  à  lanterne,  23. 

Baptistère  de  Mêlas  (planche  2),  169. 

Base  romane,  420. 

BÉNITIER  portatif  exécuté  par  M.  Viollet, 
.654. 

Bon-Pasteur  (le)  des  Catacombes,  302. 

^PoucLIER  de  nuit,  23. 

Carbatina  du  pape  Houorius  III  (pl.), 
577. 

Caveau  où  était  renfermé  le  cœur  de 
Charles  V,  à  la  cathédrale  de  Rouen, 
525,  526. 

Cercueil  d'un  religieux,  de  l'abbaye  de 
Sainte-Geneviève  de  Paris,  240. 


Chandelier  —  trouvé  aux  Loges,  prés 
Fécamps,  1.30;— de  répo(iue  romane, 
223  ;  —  de  l'époque  ogivale,  224. 

Chapelets  trouvés  dans  des  sépultures 
chrétiennes,  244,  245^ 

Chapiteaux  —  du  V«  siècle,  180,  — 
romans,  414,  415,  420,  650. 

Chasse  de  saint  Firmin,  à  la  cathédrale 
d'Anùens,  163. 

Cloître  de  Nivelles  (Belgique),  425. 

Colonne  du  XII<=  siècle,  413. 

Coquilles  —et  bourdon  des  pèlerins  de 
Saint-Jacques,  383  ;  —  trouvées  dans 
des  tombeaux,  248,  249,  250. 

Crypte  de  l'église  d'Issoire,  408. 

Cul-de-lampe  roman,  416. 

Dais  et  consoles  du  Xlle  siècle^  418. 

Église  (1'),  statuette  d'un  reliquaire  do 
l'époque  romane,  451. 

Église  —  de  Royat,  407  ;  —  de  Notre- 
Dame  de  Poitiers,  422;  —  de  Saint- 
Quentin,  à  Tournai,  423  ;  —  de  Saint- 
Denis,  portail,  50;  intérieur,  51; 
caveaux  funéraires ,  54  ;  —  de  Saint- 
Étiennede  Mêlas  (planche  1),  169  ;  — 
des  saints  Apôtres,  à  Athènes,  plan, 
333  ;  vue  de  l'intérieur,  334. 

Entraits  et  poinçons  de  voûtes,  361, 
362. 

Fanal  de  Fénioux  (Charente-Inférieure), 

427. 


mo 


TAlîLE   DES   DESSINS. 


Fenêtres  du  Xlle  siècle,  411. 

Fonts  liaptisinaux  tle  CliigiiaCj  6.53. 

Inscriptions  clirétii'unes  du  Parlliéiion , 
331,  332,  333. 

Ivoire  sculpté  de  l'église  de  Tongres 
(planche),  449;  détails  de  cette  sculp- 
ture, 453. 

Jacques  le  Majeur  (saint)  à  la  bataille 
de  Clavijo,  643. 

Lanterne—  romane.  22  ;  —  ogivale,  23. 

Lion  sculpté  au  porche  de  SL-Vulfran 
d'Abbeville  (plancbeK  113. 

Marmite  en  bronze,  trouvée  —  à  Saiiit- 
Pierre-lès-Elbeuf,  127  ;  —  aux  Loges, 
près  Fécamps,  130. 

médaille  de  saint  Benoit,  245. 

MODILLONS  du  XII'î  siècle,  409. 

Monument  funéraire  du  chanoine  Ruys- 
chen,  h  Saint-Servais  de  Maëstricht 
(planche),  281. 

Mort  (la)  de  saint  Joseph,  tableau  attri- 
bué à  Raphaël  (planche),  561. 

Notre-Dame  —  del  Pilar  et  saint  Jac- 
ques le  Majeur,  319;  —de  Miséricorde, 
tableau  sculpté  de  l'église  de  Fauiil- 
leureux  en  Hainaut  (planche),  393. 

Ogive  romane,  405. 

Ornements  du  style  romano-ogival,417 

Parthénon,  façade  occidentale,  331. 

Pierre  tombale  d'un  fondeur  de  mé- 
taux (XlVe  siècle),  131. 


Porte  d'église  au  XIU  siècle,  410. 

Poutre  décorée  et  peinte,  370. 

Rose  de  N.-D.  de  Noyoïi,  412. 

Sandales  —  de  saint  Edme,  de  Com- 
niinges,  de  saint  Pierre  de  Luxem- 
bourg (planche).  337  ;  —  conservées 
dans  l'église  de  Saint-Martin-des-Monts 
(planche),  577. 

Sarcophages  du  Musée  de  Marseille 
(planches),  1,225,505. 

Sceaux— do  Maëstricht,  78,  79,  80;— de 
Bihsen,  81. 

Sculpture  du  portail  de  N.-D.  de  Poi- 
tiers, 646,  647. 

Sépulture  d'Étaples,  lio. 

SoLEA  crucifère,  d'après  un  marbré  an- 
tique (planche),  577. 

Synagogue  (la),  statuette  d'un  reli- 
quaire du  XIP^  siècle,  451. 

Tombeau— arqué,  664  ;  — deWaleram  III, 
à  l'église  de  Rolduc,  547;— de  la  reine 
Adélaïde,  651. 

Tour— de  Sainte-Croix  de  Liège  412;  — 
de  N.-D.  de  Noyon,  iùid. 

Vases  chrétiens  trouvés  à  Bouteilles,  111 

Voussures  du  XIP  siècle,  4io. 

VOUTES  en  bois  du  moyen-âge,  364, 
365,  366,  367,  368,  369. 

Voyage  des  saintes  Marie  Jacobô  et 
Salomé,  sculpture  antérieure  au  IX"  s. 
265. 


Ces  147  dessins  (dont  14  planches  lithographiées  ou  gravées,  tirées  hors 
texte),  ont  été  exécutés  par  MM.  Barthélémy,  R.  Bordeaux,  Agi.  Bouvenne, 
Ern.  Breton,  A.  Deschamps  de  Pas,  Ddthoit,  L.  Dbouyn,  Ebocodut,  Aie. 
Giraud,  Laugier,  Th.  Lejeune,  De  Saint-Andéol,  A.  Schaepkens,  Violet  et 
West-Wood. 


TABLE    ANALYTIQUL: 


DES  MATIERES 


CONTEMJKS   DANS    LE    TOME    SIXIEME    DE    LA    RLVUE    DE    l'aRT   CIIUÉTIE.N  ' 


A 


Abdaye  — tl'Anchin,  132;  —de  Luxoiiil, 
335  ;  —  de  Sailli-Denis,  19  ;  —  (h 
Saint-Viclor,  à  Marseille,  G,  'J  ;  —  de 
Sery,  112. 

Abbayes,  leurs  cuisines,  426. 

Abbeville  ,  sculpture  du  portail  de 
Saint-Vuiïran,  87,113. 

Abdérame  le  Victorieux,  C35. 

Abraham  ligure  sur  un  chapiteau,  181. 

Adam  et  Eve  figurés  sur  un  inonuiiient 
du  IXe  siècle,  67. 

ÂGES  de  la  vie  (les  quatre)  figurés  dans 
une  niinialure,  552. 

Agneau  (1')  —,  ses  significations  mysti- 
ques, 9,  10,  300  ;  —  recevant  les  ca- 
resses du  Bon-Pasteur,  304,  305, 

AiLLY-suR-NoYE,  tombeau  de  Jean  Haut- 
bourdin,  116. 

AiMON,  abbé  de  Saint-Pierre-sur-Dive, 
une  de  ses  lettres,  403. 

Albe  d'Auguste,  ville  détruite,  170. 

Aldegonde  (ste),ses  sandales  conservées 
à  Maubeuge,339. 

Allemagne  (1')  n'est  point  la  patrie  ori- 
ginaire de  l'ogive,  208. 

AMIENS;  bas-reliefs  de  sa catliédrale  re- 
présentant la  légende  de  saint  Jacques 
le  Majeur,  325.  V.  Cathédrale,  Châsse, 
Ganiier,  Muée. 

Anachronisîies  — qui  doivent  être  per- 
mis dans  l'art,  44, 69;— de  costume,  648. 

Anasyris,  472.  476,  477. 

Angelico  (Fra),  6;07. 


Anges,  leur  n'i)réseiitation,  43,  70. 

Angleterre  {!')  n'est  point  la  patrie  de 
l'ogive,  207. 

Anne  (sainte),  461. 

Anneaux  en  broiizo  trouvés  dans  des 
sépultures  chrétiennes,  240. 

Antilope  il'),  ses  significations  mysti- 
ques. 371. 

Apôtres  —  figurés  sur  un  sarcoiihage, 
11,  506  ;  —  leur  ciiaiissure,  583. 

Appareil  —  du  style  latin,  175,  186  , 
—  du  XIL'  siècle,  108. 

Apparitions  de  divers  saints  dans  des 
batailles,  639. 

Aquitaine,  ses  églises  romanes,  407. 

Arares  (les)  ont-ils  inventé  l'ogive?205. 

Arbre  de  Jessé  peint  dans  une  cliapelle 
de  Gaiid,  167. 

Arcades,  leurs  diverses  formes  au  Xlle 
siècle,  115. 

Arceaux  intersectés,209. 

Archers,  leur  corporation,  553. 

Architectes  officiels,  leurs  réparations 
destructives,  549. 

Architecture  —  du  Ve  siècle,  173  ;  — 
du  Xll»  siècle,  ses  principaux  carac- 
tères, 404  ;  ses  principales  œuvres  en 
France  et  en  Belgique,  421;  —  ogivale, 
son  origine,  202.  V.  Art  chrétien.  Ca- 
thédrale, Église,  Voûte,  etc. 

Arles,  étude  sur  un  de  ses  sarcophages, 
283  ;  note  sur  un  autre  tombeau,  12; 
son  portail  de  .Saint-Trophime,  80. 

Arnould,  archevêque  de  Trêves,  ses 
sandales,  629. 


*  Nous  n'avons  pas  inséré  dans  cette  table  les  noms  des  auteurs  d'articles  et  de 
dessins  ;  ils  sont  imprimés  d'une  manière  assez  saillante  dans  les  deux  tables  pré- 
cédentes pour  que  nous  ayons  cru  cette  répétition  inutile    —  j.  coriu.et. 


662 


TABLE   ANALYTIQUE. 


Arras,  indication  de  qaelciuos  anciens 
tableaux  qui  y  sont  conservés, 464, 628 

j^R'f  (1')  __,  son  but,  33  ;  —  ne  doit  pas 
se  borner  à  copier  la  nature,  34,39;  — 
peut  allier  le  réel  au  figuré  dans  une 
même  composition,  44;  —  n'aurait 
que  deux,  patries,  d'après  le  Moniteur ^ 
597. 

Art  chrétien  —  ;  sa  mission,  40;  son 
langage  symbolique,  41  ;  son  l)ut  et 
ses  conditions,  63, 74;  —  des  premiers 
siècles,  5,  18,  26,  225,  505;  — du  Xlle 
siècle,  402,  645.  Voyez  Architecture, 
Catacombes,  Peinture,  Sculpture,  Tom- 
beaux, etc. 

Assyriens,  leurs  chaussures,  471. 

Athènes,  ses  monuments  antiques,  330  ; 
ses  églises,  333. 

AUBER  (M.  l'abbé),  sa  Table  du  Bulletin 
monumental,  111. 

AUDENARDE,  comment  on  y  ouvre  un 
triptyque,  556. 

Augustin  (saint)  —  défend  le  dogme  de 
la  résurrection  des  corps,  120  ;  —  son 
opinion  sur  la  chaussure  des  apôtres, 
587. 

AuTEL-SARcoPHAGE  de  l'égUse  Saint- 
Zénon, à  Vérone,  57, 336. 

Autels  du  Xlle  siècle,  651. 

Auvergne,  caractères  spéciaux  de  ses 
églises  au  Xlle  siècle,  419. 

Ayzac  (Me  F.  d').  —  Compte  rendu  de  son 
Histoire  de  l'abbaye  de  Saint- Denis  en 
France,  49  ;  —  son  opinion  sur  la  si- 
gnirication  mystique  du  lion,  92,  et  du 
bœuf,  96. 

Axe  des  églises  incliné  dès  le  Xe  siècle, 
31. 


Bandelettes,  417. 

Bannière  portée  par  un  enfant  de 
chœur,  23. 

Baptême  de  Notre  Seigneur,  comment 
on  doit  le  représenter,  05,  68,  75. 

Baptistère  —  de  Saint-Jean,  à  Poi- 
tiers, 31  —  de  Mêlas,  183. 

Bar  (Fr.  de),  son  Histoire  de  l'abbaye 
d'Anchin,  432,  455. 


Barbier  de  Montault  (M),  nommé  che- 
valier de  l'ordre  du  Saint-Sépulcre, 
558. 

Barque  figurant  dans  les  armoiries  de 
l'église  de  Lisbonne,  265. 

Basiliques  chrétiennes  (les)  ont  les 
catacombes  pour  type  architectu- 
ral, 24. 

Bas-reliefs  —  de  l'église  deFamilleu- 
reux  (Haiuaul)  396  ;  —  du  XIP  siècle, 
648. 

Bataille  de  Clavijo,  637. 

Bathilke  (sainte),  ses  souliers  conservés 
à  Chelles,  342. 

BATON  de  Foulon,  attribut  de  saint  Jac- 
ques le  Mineur,  261. 

BÉATRix  de  Bourbon,  272. 

Belgique,  caractères  spéciaux  de  ses 
églises  au  XII^  siècle,  418.  V.  Maes- 
tricht. 

Bellegambe  ,  peintre  douaisien ,  re- 
cherches sur  sa  vie  et  son  œuvre, 
428,   454. 

BÉNITIERS  —  romans,  653  ;  —  portatifs, 
654. 

Bernard  (saint),  son  Commentaire  sur 
le  Cantique  des  cantiques,  149  ;  ses 
opinions  artistiques,  649. 

Bestiaires  du  moyen-àge,  92,373. 

BÉTHUNE,  monnaies  et  jetons  qu'on  y 
a  frappés,  278. 

BiLSEN,  sceau  de  cette  ville,  81. 

Blain  d'Esnambac,  monument  élevé  à 
sa  mémoire,  560. 

Bock  (l'abbé  Franz),  traduction  de  son 
ouvrage  intitulé  :  les  Trésors  sacrés  de 
Cologne,  280. 

Bœuf  — ,  ses  significations  mystiques. 
96 ,  98  ;  —  sculpté  au  portail  des 
égUses,  82. 

Bœufs  des  tours  de  la  cathédrale  de 
Laon,  85,  97,  117. 

Boisserée  (M.),  son  opinion  sur  l'origine 
de  l'ogive  203. 

Boitel  (M.  l'abbé),  son  Histoire  de  Mont- 
mirail,  555. 

Bon  Pasteur  (le)  figuré  sur  des  sarco- 
phages, 287,  295,  302,  304. 

Bordeaux  (M.  R.),  compte-rendu  de  son 
Trailéde  la  réparation  des  églises,l48. 


TAULE    ANALYTIOUE. 


663 


Bordeaux,  ilinôrairc  do  Bordoaux  ;\ 
Compostello,  215. 

BossuET,  son  inlerpr6lalioii  ilu  Canlique 
des  cantiques,  M8. 

Boucles  — du  XlVe  siècle,  5G7  ;  -  trou- 
vées dans  des  sépultures  chrélii'nn(>s, 
240. 

Bouclier  muni  d'une  l:uilorne,23. 

BouRDiN  (Miciicl),  œuvres  de  ce  sculp- 
teur, 276. 

BouRPON  de  saint  Jacques,  383,  381. 

Bourges,  détails  d'une  verrière  de  sa 
catliédrale,  138. 

Bourgogne,  caractères  spéciaux  de  ses 
églises  au  Xlle  siècle,  420. 

Bretagne,  caractères  spéciaux  de  ses 
églises  au  Xlle  siècle,  419. 

Breton  (M.  E.),  compte-rendu  de  son 
ouvrage  sur  Athènes,  331. 

Bucn  (Hicliel)  institue  la  confrérie  des 
frères  cordonniers,  579. 

Bûche  de  Noël  (la)  expliquée  par  Mar- 
chetti,  105. 


Calceamenta,  469,  470,  472,  473,  538, 
582,  618,   619,  626. 

Calceoli,  souliers  de  femme,  487. 

Calceus,  chaussure  composée  d'une  se- 
melle, d'une  empeigne  et  d'un  quar- 
tier, 343,  344,  350,  469,  486,  627. 

Calice  —  où  boit  un  lion,  88;  —  du 
XVe  siècle,  553. 

Caliga,  chaussure  militaire  des  Romains, 
484,  622. 

Campnyus,  cliaussure  impériale  ,  532, 
563,  618,  619,  620,  627,  632. 

Canard,  attribut  de  saint  Jacques  le 
Majeur,  381. 

Cantarini,  610. 

Cantique  des  cantiques,  étude  sur  la 
signification  de  ses  allégories,  132. 

Cantiques  de  Noël,  100. 

Caractères  généraux  du  style  ro- 
mano-ogival,  404. 

Carhatiiia,  chaussure  rustique,  480 ,  618. 

Carraches  (les)  609. 

Cartulaire  de  Saint-Maximin.  447. 


Catacombes—,  leurs  peintures,  G8,  2J4, 
301,  301,  600  ;  —  ont  élé  le  type  des 
premières  églises  chrétiennes,  24-, — 
leurs  inscriptions  au  pnint  de  vue 
tliéologi(iue,  188. 

Cathédrale  —d'Amiens,  G52  ;  —  d'An- 
c6ne,87;— d'Arras,  405  ;— deBamberg, 
117;  —de  Dax,  86;  —  deLaon,  85,  97, 
117;  —de  Lisbomic,  265;  —  do  Mêlas, 
sa  description,  169  ;  —  de  Noyon,  406, 
412,  421  ;  —  de  Paris,  651,  656;  —de 
Poitiers,  422  ;  —  de  Rouen,  511;  —  de 
Strasbourg,  168. 

Cathédrales  du  Xlle  siècle,  424. 

Cauderec-lès-  Elbeuf  ,  marmite  en 
bronze  trouvée  dans  son  territoire, 
127  ;— son  ancienne  Confrérie  de  Saint- 
Michel,  539. 

Caumont  (M.  doj,  son  opinion  sur  les 
origines  de  l'architecture  ogivale,  210. 

Caveau  funéraire  de  Charles  V  à  Rouen, 
525. 

Çavetonniers,  différents  des  savetiers, 
580. 

CÉCILE  (sainte),  œuvres  de  poésie,  d'é- 
loquence, de  musique,  de  peinture  et 
de  sculpture  composées  en  son  hon- 
neur, 602. 

Cercueil,  voyez  Sarcophage. 

Cerfs  symboliques,  8,  9,  10. 

Chaldéens,  leurs  chaussures,  472. 

Chandeliers  —  de  l'époque  romane, 
223  ;  —  de  l'époque  ogivale,  224  ;  — 
d'époque  indéterminée,  130. 

Chapelets  trouvés  dans  des  cercueils 
chrétiens  du  moyen-âge,  243. 

Chapelle  castrale  de  Familleureux, 
(Hainault),  395. 

Chapelles  sépulci'ales,  426. 

Chapiteaux  —  du  V^  siècle,  177,  180  ; 
—  romano-ogivals,  114,  648,  650. 

Chapitre  de  Notre-Dame  de  Rouen,  5ic. 

Charlemagne  guidé  en  Espagne  par 
saint  Jacques  le  Majeur.  543. 

Charles  V,  son  cu'ur  découvert  dans 
la  cathédrale  de  Rouen,  511. 

Chasse  représentée  sur  un  monument 
du  IXe  siècle,  60. 

Chasse  de  saint  Firmin,  à  Notre-Dame 
d'Amiens,  162. 


mi 


TABLE   ANALYTIQUE. 


Chaussures  —  des  morts,  254  ;  —  an- 
ciennes, conservées  en  France,  339;— 
des  anciens,  468  ;  —  impériales.  531  ; 
—  du  moyen-âge,  561  ;  —  liturgiques, 
581,  617.  V.  sandales. 

Chèvre  (la),  sa  signiOcalion  mystique, 
305. 

Chiaula  (D.  Maur),  son  Oratorio  de 
sainte  Cécile,  601. 

Chignac,  fonts  romans  de  son  église, 
653. 

Chorea,  106. 

Christianisme  (le)  prêché  au  premier 
siècle  dans  les  Gaules,  161,  263.  308, 
597. 

Chronique  de  Nuremberg,  610. 

CÎTEAUX,  son  écolo  architecturale,  425. 

Clavijo,  sa  célèbro  bataille,  C34. 

Clergé  (le)  n'a  plus  le  domaine  exclusif 
de  l'art  au  Xlle  siècle,  404. 

Cloître  de  Nivelles,  425. 

Clôtures   de  chœur,  leur  origine,  400. 

Cluny,  son  école  architecturale,  425. 

Cochet  (l'abbé),  analyse  de  sa  Sote  sur 
une  sépulture  chrétienne  d'Etoples , 
110. 

Cœur  de  Charles  V  trouvé  à  N.-D.  de 
Rouen,  526  ;  —  son  analyse  chimique, 
527. 

COGUiN  (Ch.).  abbé  d'Anchin,  430. 

Collier  d'or  du  XVI'^  siècle,  559. 

Colonnes  romano-ogivales,  113. 

Comminges,  sandales  conservées  dans 
son  église,  349. 

Communion  des  saints,  dogme  exprimé 
dans  diverses  inscriptions  des  cata- 
combes, 195. 

Compostelle,  histoire  de  son  pèleri- 
nage, 215,  314,  541,  539,  634. 

Conception  immaculée  de  Marie,  ta- 
bleau relatif  à  ce  dogme,  458,  463. 

Concile  in  Trullo,  ses  prescriptions  ico- 
nographiques, 303. 

Confrérie  de  Saint-Michel  à  Caudebec, 
239. 

Congrégation  des  cordonniers,  579. 

Console  du  XlJe  siècle,  418. 

Constitutions  apostoliques,  leur  date  et 
leur  valeur,  29. 


Construction  (ia)  des  églises  au  moyen- 
âge  était  une  œuvre  de  foi,  403. 

Contreforts  du  Xll»  siècle,  408. 

Coq  de  saint  Pierre,  15. 

Coquille,  attribut  de  saint  Jacques  le 
Majeur,  381. 

Coquilles  découvertes  dans  des  cer- 
cueils du  n)oyen-âge,  247. 

Cordonniers,  leur  corporation,  578. 

Corniches  romano-ogivales,  409. 

Corrigiœ,  courroies  de  chaussures,  471, 
480,  481,  489,  490. 

Cothurne,  chaussure  garantissant  le 
pied  et  la  jambe,  495,  564. 

Couleurs  des  sandales  épiscopales, 
623. 

Cousseau  (Mgr;,  son  ophiion  sur  les 
lions  qui  décorent  les  portails  des 
églises,  en  ItaUe,  89. 

Crèches  de   la  fête  de  Noël,  106,  108. 

Crepida,  chaussure  grecque,    472,   481. 

Crescent  (saint),  308,597. 

Crescentien  (saint),  ses  reliques,  57. 

Croix  —  d'Ascension,  301  ;  —  de  saint 
Benoît,  245  ;  —  des  sandales  épisco- 
pales, 623,  626  ;  —  latine  des  siècles 
primitifs,  12, 18  ;  —  trouvées  dans  des 
tombeaux,  553. 

Crosnier  (M.  l'abbé),  son  opinion  sur 
la  signification  des  lions  sculptés,  90. 

Crucifiement  du  Sauveur,  449. 

Crypte  —  de  saint  Denis,  55  ;  —  de 
sainte  AValburge,  à  Anvers,  559. 

Cryptes  du  Xlle  siècle,  408. 

Culte  de  la  sainte  Vierge  et  des  images 
exprimé  dans  les  fresques  des  pre- 
miers siècles,  200, 

Cuthbert  (saint),  ses  sandales, 625. 


I> 


Dais  duXII^  siècle,  418. 

Dalloz  (M.)  ,  ses  bévues  historiques, 
591. 

Dancoisne  (M.),  compte-rendu  de  sa 
Numismatique  béthunoise,  278, 

Daniel  dans  la  fosse  aux  lions,  294. 

Darsy  (M.),  sa.  Notice  historique  sur  l'ab- 
baye de  Scnj,  112. 


TAULE    ANALYTKJIJE. 


G65 


Delvuoche  (Paulj,  t)l2. 

DÉMON  figuré  —  par  le  lioit,  yi  ;  —  par 
un  vciiour,  :i~6. 

Deschami's  de  Pas  (M.),  conipto  rendu 
de  sou  Histoire  sigiUuue  de  la  ville  d<: 
Sainf-Omer,  IIG. 

Desrosiers  (M.), sou  ouvrage  surSaint- 
Désirô,  418. 

Diahathrum,  chaussure  dos  Grecs,  482. 

DOLCi  (Carlo),  610. 

DOMINIQUIN  (le),  608. 

Douai,  ses  aiiciens  peintres,  440. 

Dragon  écrasé  par  un  liou,  90. 

Dryden,  ses  odes  à  sainle  Cécile,  605. 

Durand  (Guillaume),  ses  reuseignemenls 
sur  la  décoration  des  portails,  83,  84. 

DusEVEL  (M.)  publie  une  nouvelle  édi- 
tion de  l'Histoire  du  trésor  do  Saint- 
Pie/  re  de  Corbie,  56. 


K 


Ecriture-Sainte  (1')  est  la  véritable 
source  des  idées  symboliques,  iil. 

Edme  (saint),  ses  sandales,  631. 

Edmond  (saint),  ses  sandales,  361. 

Eginon  (le  B.),  ses  sandales,  626. 

Église  (1')  —  figurée  à  côté  de  Jésus 
crucifié,  450;  —  personnifiée  par  une 
Oranle,  288  ;  —  et  par  la  chaste  Su- 
zanne, 289. 

Église  —  de  Saint- Vulfran  d'Abbeville, 
87, 113  ;  —  d'Alby,613;  —  des  Saints- 
Apôtres,  à  Athènes,  333;  —  de  Com- 
niinges,  349  ;  —  de  Courcy,  86  ;  —  de 
FamiUeureux,  396  ;  —  de  Saint  Mar- 
tial et  de  Saint-Michel,  à  Limoges,  8  >  ; 

—  de  Saint-Servais,  à  Maëstriclit,  282  ; 

—  de  Mêlas,  169  ;  —de  Mortagne-sur- 
Sèvres,  82,  84  ;  —  de  Moreaux,  85  ;  — 
de  Nogent-les-Vierges ,  272  ;  —  de 
Notre-Dame  de  la  Mer,  264 ,  —  de 
Saint-Porchaire,  à  Poitiers,  86  ;  —  de 
Rolduc,  347  ;  —  de  Saint-Martin  des 
Monts,  à  Rome,  630  ;  —  de  Saint- 
Pierre,  à  Roye,  423  ;— de  Royat,  407;— 
de  Saint-Denis,  49  ;  —  de  Saint-Désiré, 
448  ;  —  de  Saint-Leu  d'Esserent,  422  ; 

—  de  Tongres,  449;  —  de  Saint-Quen- 


tin, :ï  Totunai,  4J3  ;  —de  Sainl-Zé- 
non,  à  Vérone,  57,336;— de  Sescas,  G.5o. 
V.  Art  c/uétilu,  CalItédraU',  Portail, 
Voûte,  etc. 

Eglises  —  priniilives,  construites  en 
bois,  204;— circulaires,  4o7;— fortiliées, 
ibid.;  —  du  IV«  siècle,   30,  32  :  —  du 

_  XII..-  siècle,  424. 

Égyptiens,  leurs  chaussures,  474. 

Endromis ,  chaussure  particulière  à 
Diane,  498. 

Enseignes  de  pèlerinages,  279. 

Entraits  —  ou  poutres  apparentes  des 
voûtes,  358;  —  ne  doivent  pas  être 
supprimés,  359  ;  —  ligures  et  décrits, 
361. 

Éperons  trouvés  dans  un  tombeau  chré- 
tien, 110. 

Épitaphe  —  de  Ciiarles  V,  520;  —  de 
Waleram,  548. 

Épitaphes  comminatoires  contre  les  vio- 
lations de  sépulture,  123,  125. 

Escarpins,  chaussure  d'intérieur,  577. 

Espagne  (1')  —  évangélisée  par  saint 
Paul  et  saint  Jacques  le  Majeur,  309, 
314:  —  envahie  par  l'islamisme,  502  ; 
—  remporte  la  victoire  sur  les  Maures, 
634.  V.  Cumposielle,  Galice,  Iria,  Pierre. 

Estivaux,  espèce  de  bottes,  565,  566,  578. 

Étaples,  sépulture  chrétienne  du  moyen- 
âge  qu'on  y  a  découverte,  110. 

Étymologie  —  de  Compostel/e,  541  ;  — 
de  Padron,  387  ;  —  de  Tulle.  112. 

Eucharistie  (1')  représentée  dans  les 
Catacombes  sous  diverses  allégories, 
192,  313. 

Évangéliaire  du  Xe  siècle,  452. 

Évangélistes  sculptés  sur  un  monu- 
ment du  IXs  siècle,  59 . 

Évêques,  leurs  sandales,  617. 

Exemples  de  style  romano-ogival ,  421. 

Exorcistes,  existence  de  leur  ordre 
mentionnée  dans  les  Catacombes,  190. 


Paillon   (l'abbé)  interprète  les  sujets 

de  divers  sarcophages,  11,16,  19. 
Fa.milleureux  (Hainaut).  V.  Église. 

48 


666 


TABLE   ANALYTIQUE. 


Fanaux  de  cimetières,  426. 

Fasciœ,  469,  485. 

Fenêtres  romano-ogivales,  411. 

FÉNioux,  son  fanal  de  cimetière,  426. 

Fergusson  (M.),  son  Histoire  du  tulle, 112. 

Ferjies  des  voûtes  en  bois,  359. 

FÊTE  de  l'Apparition  de  saint  Jacques  le 

Majeur,  640. 
FiER-A-BRAs  de  Vertaing.  épisode  de  sa 

vie,  396. 
FiRMiN  (saint),  sa  vie  et  son  culte,  189. 
Flandrin  (M.),  ses  peintures  h  fresque  à 

Saint-Germain  des  Prés,  44. 
Fonts  baptismaux  du  Xlle  siècle,  652. 
Fortifications  d'églises,  407. 
Foulques   le  Réchin,  comte  d'Anjou, 

ressuscite  la  mode  des  souliers  poin- 
tus, 573. 
Fra  angelico,  sa  fresque  du  baptême  de 

Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  69. 
Francia,  608. 
Francs-maçons  ;    on    leur   a   attribué 

l'invention  du  système  ogival,  208. 
Frauenlob,  ses  poèmes  mystiques,  146. 
Fulmentum,  chaussure  antique,  482. 


G 


Galice  (la),  physionomie  de  cette  con- 
trée, 220  ;  son  culte  envers  saint  Jac- 
ques, 540.  V.  Compostelle,  Espagne. 

Ga/lica,  chaussure  d'origine  gauloise, 
483,  491. 

Garnier  (M.),  bibliothécaire  d'Amiens, 
055. 

Géographie  des  styles  d'architecture  au 
Xlle  siècle,  418. 

GiRARDiN  (M.)  analyse  la  poussière  pro- 
venant du  cœur  de  Charles  V,  528. 

GOTns  (les)  —  ont  eu  une  certaine  com- 
préhension des  conditions  de  l'art, 
205;—  leurs  chaussures,  477. 

GozE  (M.), son  Histoire  des  i-ues  d'Amiens, 
111. 

Grecs,  leurs  chaussures,  478. 

Grésy  (M.),  son  opinion  sur  les  souliers 
de  sainte  Bathilde,  344,  346. 

GuÉRANGER  (dom),  sa  Vie  de  sainte  Cé- 
cile, 604. 


Guerchin  (le),  609. 
Gui-Barôzai,  ses  cantiques,  102. 
Guide  (le),  ses  peintures  de  la  vie  de 
sainte  Cécile,  607,  610. 


H 


HÉRÉTIQUES  des  premiers  siècles  qui  ont 
nié  le  dogme  de  la  résurrection  des 
corps,  121. 

Hermogène,— sa  légende,  323  ;  —  figuré 
sur  divers  monuments,  325. 

Horloge  astronomique,  277. 

Huns,  leurs  chaussures,  477. 


Iconographie  —  des  anges,  70  ;  —  des 
apôtres,  506  ;  —  des  quatre  Ages  de 
la  vie,  552;  —  du  bœuf,  83  ;  —  du 
Cantique  des  cantiques,  138  ;  —  de 
rimmaculée-Conception,  458,  163;  — 
des  Évangélistes,  59  ;  —  de  saint  Jac- 
ques le  Majeur,  325,  381,  640  ;  —  de 
saint  Jacques  le  Mineur,  261  ;  —  du 
Jourdain,  67;  —  de  saint  Jean-Bap- 
tiste, 68;  —  du  lion,  83,  88,  90  ;  — 
de  la  Bienheureuse  Vierge  Marie,  200, 
296,  458  ;  —  de  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ,  59.  63,  2.32,  449,  506  ;  —  des 
Orantes,  287  ;  —  de  saint  Pierre  et  de 
saint  Paul,  291  ;  —  du  Purgatoire,  59, 
60.  V.  Symbolisme. 

Imitation  (1')  de  la  nature,  prise  trop  à 
la  lettre,  n'est  jamais  vraie  dans  l'art, 
37,  39. 

Inscription— d'une  châsse  du  Xlie siècle, 
164  ;— d'un  timbre  monastique,  168  ; — 
delà  croix  de  saint  Benoît,  245;— d'un 
tableau  sculpté  du  XVe  siècle,  399  ;  — 
relative  aux  archers  de  Bruges,  553. 
Voyez  Êpitaphe. 

Inscriptions  —  des  Catacombes  ;  argu- 
ments qu'elles  fournissent  à  la  contro- 
verse Ihéologique.  190  ;  —  chrétiennes 
du  Parthénon,  331  ;  —  relatives  à  la 
résurrection  des  corps,  123  ;  —  de 
l'église  de  Vérone,  58,  61  ;  —  de  celle 
de  Moissac,  554. 


TAULK    ANALYTIQUE. 


(107 


Inventions  ilc  relifiucs  l'èlivs  iiar  l'Ej^liso 

univorsolle,  540 
Irid  Flavia,  villo  espagnole,  31G,  379, 

386,  501. 
IssoiHE,  crypte  de  son  église,  488. 
IvomEsculplé  de  l'églisede  Tongres,449. 


Jacobée,  origine  du  nom  de  cette 
plante,  385. 

jAcyuEs  LE  Majeuh  (S.),  lii.stoire  de  cet 
apôtre,  de  son  culte  et  du  pèlerinage 
de  Conipostelle,  213,  25G,  306,  378, 
500,  539,  634. 

Jacques  le  Mineur  (saint),  257. 

Jean  Baptiste  (saint),  confondu  avec 
saint  Jean  l'Évan  géiiste,  592  ;  —son  ico- 
nographie, 68. 

Jean  (saint)  l'évangtMlste,  imberbe  ou 
barbu,  59. 

Jean  de  Luxembourg,  roi  de  Bohème, 
273. 

Jésus-Christ,  —  comment  il  doit  être 
représenté,  63  —  docteur,  sujet  d'un 
sarcophage,  505  ;  —  enfant,  glorifié, 
sujet  d'un  autre  sarcophage,  232  ;  — 
expirant  sur  la  croix,  58,  449  ;  —  fi- 
guré par  l'agneau,  301  ;  —  et  par  le 
lion,  91,  115;  —représenté  imberbe, 
IH  ;  —  scènes  de  sa  vie  peintes  à 
St.-Germain  des  Prés,  47  ;  —  sculpté 
sur  un  sarcophage,  9. 

Joseph  (saint)  ,  sa  mort  représentée 
dans  un  tableau  attribué  ;\Raphaël,615. 

Josias,  —  son  martyre,  327  ;  —  figuré 
sur  divers  monuments,  328. 

Jourdain  (le),  comment  on  représente 
ce  fleuve,  67. 

Juifs,  leurs  chaussures,  469. 

Justice  rendue  inter  Leones,  86,  90, 


Laon,  bonifs  sculptés  iId  sa  cathédrale, 
85,  97,  117. 

LÉGENDE  —  de  Cliarlemagne  et  de  saint 
Jac(iues  le  M.,  544  ;—  dllerinogénes, 
323,  —  de  Clavijo,  635  :  —  de  Maya, 
379  ;  —  de  N.-D.  de  Miséricordi-, 
•S.,1;  —  de  N.-D.  del  l'ilar,  318. 

Légendes  du  moyen-âge,  97. 

Lehman  (M.),  ses  figures  d'évangélislcs 
dans  une  nouvelle  édition  des  Saints 
Évangiles,   591. 

Lenohmand  (M.),  son  opinion  sur  l'o- 
rigine orientale  de  l'ogive.  206. 

Liège,  tours  de  Sainte-Croix,  412. 

ii>/w/œ  ou  pattes  de  sandales,G22, 626, 633. 

Limbes,  leur  représentation  au  IX^  siècle, 
59,  60. 

Lineœ,  627,  628,  631,  632. 

Lingua  OU  languette  des  sandales,  626. 
628,  629. 

Lion  —  sculpté  au  portail  des  églises, 
82;  —  figuré  dans  des  monuments  de 
l'antiquité  et  du  moyen-âge,  86,  113; 
—  ses  significations  historiques  et 
symboliques,  80,  114,  117  ;  —attribut 
de  saint  Marc,  599. 

Liturgie  —  du  temps  de  Noël,  104;  — 
espagnole,  320  ;  —  glorifiant  sainte  Cé- 
cile, 602  ;  —  relative  aux  sandales 
épiscopales,  624. 

Louandre  (M.),  sa  mort,  656. 

Louis  d'Anjou  (saint),  ses  sandales  con- 
servées ;\  Saint-Maximin,  3:.2. 
Luc  (saint),  —  explication  de  son  at- 
tribut, 97  ;  —  a-t-il  été  peintre?  108. 
283  ;  —  a-t-il  prêché  dans  les  Gaules? 
597. 
LuciLE  (sainte),  ses  reliques,  57. 
Luna,  ornement  des  chaussures  antiques, 

490 
Lune  personnifiée,  4.50.  453. 
LupiciN  (saint),  ses  reliques,  57. 
LuxEUiL,  costume  et  tonsure  des  moines 
de  cette  abbaye,  335. 


Laitre-Sous-Amance    (Meurthe)  ,    son 

portail,  86. 
Lambert  (saint),  figuré  sur  un  sceau,  80. 
Lanternes  romanes  et  ogivales,  22. 


ni 

Madeleine  (.<ainle).  son  apostolat  dans 
les  Gaules,  263. 


668 


TABLE   ANALYTIQUE. 


Ma  DONEsha))iil(}estle  toilettes  iiiondaiiies, 
550. 

Maestuicht,  sceaux  conservés  dans  ses 
archives,  '78  ;  monument  funéraire  de 
Saint-Servals,  282. 

Manuscrits  de  la  bilj).  d'Amiens,  655. 

Maratti  (Carlo),  616. 

Marc  (saint)  pris  pour  un  apùtre,  598  : 
explication  de  son  attribut,  95,  599. 

Marie  —  apparaissant  à  saint  Jacques 
le  Majeur,  318  ;  —  figurée  sur  un 
sceau,  79  ;  —  peinte  à  la  lin  du  pre- 
mier siècle,  200  :  —  portant  l'Enfant- 
Jésus,  284  ;  —  dans  l'attitude  de  la 
prière,  286;  —  liirurée  par  une  Oranto, 
296.  Voyez  Conception. 

Marie  Jacobé  et  Marie  Salomé,  leur 
voyage  en  barque,  sculpté  au  Ville  siè- 
cle, 265. 

Marion  (M.),  son  explication  des  bœufs 
sculptés  de  Laon,  97. 

Marmites  en  bronze  de  quelques  col- 
lections archéologiques,  127. 

Marseille,  sarcophages  de  son  Musée, 
5,  225,  505, 

Marst  (M.  de),  sa  mort,  556. 

Martin  (s.)  représenté  sur  un  chapiteau, 
650. 

Matamoros.  surnom  de  saint  Jacques. 637. 

Mathieu  (saint),  qualifié  de  farouche  par 
un  écrivain  du  Moniteur,  595. 

Maure  (sainte)  et  sainte  Brigide,  274. 

Maya,  sa  légende,  379. 

MÈDES,  leurs  chaussures,  476. 

Mêlas,  ancienne  résidence  épiscopale, 
171;  description  de  sa  cathédrale,  173. 

Menuiserie  du  moyen  âge  et  de  la  re- 
naissance, 364. 

MÈRE  aux  — de  Béthune,  279;— de  Toui, 
335. 

Michel-Ange  cesse  d'être  vrai  à  force 
d'être  exact,  38. 

Michelet  (M.),  sa  nébuleuse  explication 
de  l'ogive,  211. 

Midi  de  la  France,  caractères  spéciaux 
de  ses  églises,  420. 

MiGNARD,  612. 

Millin,  défectuosités  de  ses  planches, 

227,  et  de  ses  interprétations,  234. 
Miniatures,  551,  611. 


Missel  de  Jean  Juvénal  des  Ursins.  611. 

MoDiLLONS  romano-ogivals,  409. 

Moissac,  —  sculptures  de  son  portail, 
86  ;  —  inscriptions  de  son  église,  554. 

Mommolin  (S.),  erreur  rectifiée,  545. 

Monogramme  cruciforme,  508. 

Montalembert  (M.  de),  erreur  qu'il  a 
commise,  665. 

Montani  (Mgr),  %G?' Mémoires  historiques 
sur  la  Vierge  miraculeuse  de  Sainte- 
Marie-Majeure,  169. 

Moîîtdidier  ,  tombeau  de  Raoul  de 
Crespy,  116. 

MONTMORiLLON,sachapelledesmorts,427. 

Monument  funéraire  du  XV!»" siècle,  281. 

MoREAUx  (Vienne),  bas-reliefs  de  son 
église,  85. 

MORELOT  (M.),  sa  'Notice  sur  la  musique 
au  XFe  siècle,  56. 

MORIN,  sa  Méthode  élémentaire  de  l'ac- 
compagnement  du  plnin-chant,  555. 

MORT  (la),  sous  forme  d'un  squelette, 465. 

MoRTAGNE-suR-SÈvRES  (Vendée) ,  bas- 
relief  de  son  église,  82,  84.  98. 

MOYSE,  ses  traits  donnés  à  Saint-Pierre, 
191. 

Musée  —  Napoléon  d'Amiens,  557  ;  — 
d'Arles,  12.  283,295  ;— d'Arras,  628  ;— 
de  Bruxelles.  23,  450  ;— de  Douai,  458, 
464  ;  —  de  Londres,  489  ;  —  de  Mar- 
seille, 5,  225,  505;  —  de  Melun,  168; 
—  de  Nantes,  129,  558  ;  —  de  Saint- 
Jean  de  Latran,  à  Rome,  295  ;  —  de 
Rouen,  128,  559  ;  —  d'York,  131;— du 
Louvre,  656. 

Musique  religieuse,  sa  supériorité,  614. 

Myrrophores  (les  six),  267. 

Mystères  joués  dans  les  églises,  107. 


IW 


Nantes,  V.  Musée. 
Navires  sculptés  et  peints,  558. 
NiCAiSE  (saint),  465. 
NicoLLE  (M.  l'abbé)    met  en  vente  un 
tableau  qu'il  attribue  à  Raphaël,  615. 
Nimbe  donné  à  un  objet  inanimé.  303. 
Nivelles,  son  cloître  monastique,  425. 
Noces  des  orientaux,  142. 


TABLK    AXAL\riQUE. 


UGl) 


NOEL,  ct'lrliralioii    de  cclU'   Irli',  —  au 

moyen-figCj   105,    lOG  ;    —  ;i   Roiiu', 

107. 
NOELS  —  (lu  moyen  â|^o,   100  ;  —  des 

deux  derniers  siècles,  101  ;  —  des  pays 

étrangers,  103. 

NOGENT-LES-VlEUGES,  SOU  église,  272. 

Nord  de  la  France,  caractères  spéciaux, 
de  ses  églLses  au  Xlle  siècle,  418. 

Normandie,  caractères  spéciaux  de  son 
architecture  rontano  -  ogivale  ,  419. 
V.  Rouen,  Sépultures,  VoiUes  en  bois. 

Notre-Dame  —  de  Miséricorde,  sa  lé- 
gende, 397  ;  —  figurée  dans  un  lias- 
relief,  398  ;  —  del  pilar,  319.  Voyez 
Cathédrale,  Marie. 

NoYON,  Voyez  Cathédrale. 


O 


0  de  l'avent,  104. 

Obsèques  des  rois  de  France,  52. 

Obstrigillum,    espèce    de   soulier,   487, 

617. 
Océan  (1')  figuré  sous  les  traits  de  Nep- 
tune, 452. 
Ocrea,  469. 

Odones,  espèce  de  sandale,  534. 
Ogive,  —  étude  sur  son  origine,  202  ; 

—  elle  n'apparaît  point  partout  ù,  la 

même  époque,  405. 
Orante,  ce  qu'exprimait  cette   figure, 

231,  287,  293. 
Ornements  de  la  période  roniano-ogi- 

vale,  417. 
Ours,   figuré   sur   un    monument    du 

IX"  siècle,  60. 


Padron,  étymologie  de  ce  nom  de  ville, 
387. 

Paix  (baiser  de),  327. 

Pantoufles  domestiques,  353. 

Paris,  V.  Cathédrale,  Musée,  Saint-Ger- 
main des  Près. 

Parthénon,  ses  inscriptions  chrétiennes, 
331. 


l'AUTMES,  leurs  chau.ssures.  476. 
Passion  (la)  —  du  Sauveur  a-t-elle  été 
figurée  dans  les   monuments   primi- 
lifs?  17  ;— ligurée  par  le  l)œuf,9G,  98. 
Patriciens,  leurs  chaussures,  488. 
Pattes  des  hases,  113. 
Paul  (saint), son  voyageen  Espagne, 308. 
Paulin  (saint),  son  distique  sur  deux 

croix  émaillées,  13. 
Peignes  de  saint  Jacques,  251,  382. 
Peinture  (la)  religieuse  est-elle  en  dé- 
cadence? 45. 
Peintures  —  de  Jean  Bellegamhe,455. 
— des  Catacombes,  606  -,  —  des  voûtes 
en   bois,    360,   370  ;  —  murales   de 
Saint-Germain-des-Prés,  47.  V.  Cécile. 
PÈLERINAGE  de  CompostcUe,  215,  501, 

—  de  Familleureux,  400. 
PÈLERINES  percées  de  deux  trous  cir- 
culaires, 248,  2.50. 
PÈLERINS,  leurs  noms  au  moyen-âge, 

221  ;  leurs  enseignes,  279. 
PÈRES  de  l'Église,  leur  interprétation  du 

Cantique  des  canti(iues,  134. 
Péronés,  espèce  de  cothurne,  469,  490, 

497,  537. 
Perses,  leurs  chaussures,  475. 
Phéniciens,  leurs  chaussures,  473. 
Philippe  de  Dreux,  évêque  de  Beau- 

vais,  ses  sandales.  630. 
Picardie  (la),  berceau  de  l'ogive,  212  ; 
caractères    de   son   architecture,   au 
Xlle  siècle,  419  ;  —  ses  fonts  romans, 
652. 
Pieds    de   quelques   statues   antiques, 

leur  dimension,  347. 
Pierre  (saint)  —  représenté  sons  les 
traits  de  Moyse,  190  ;  —  a-t-il  prêché 
en  Espagne?  300;— son  coq,  115. 
Pierre   (saint)  et  saint  Paul,  sculptés 
sur  un  sarcophage,  8,  11,  14,  15,  20, 
291. 
Pierre  (saint) ,  archevêque  de  Braga, 

218. 
Pierre  de  Luxembourg  (le  B  ),  ses  san- 
dales conservées  à  Avignon,  353. 
Pierre  tombale  —  d'un   fondeur  de 
métaux,  131  ;  —  du  XIV«  siècle,  .559. 
Pierres  précieuses,  qualités  que  leur 
prêtait  l'antiquité,  .560. 


f)70 


TABLE   ANALYTIQUE. 


Pù^adius  OU  pointes  de  souliers,  574. 

Piques  ensevelies  dans  des  fosses  mor- 
tuaires, 239. 

Plan  —  d'une  cathédrale  au  y^  siècle, 
179;— des  églises  romano-ogivales,405. 

Poésies  —  des  Hébreux.  UO  ;  —  com- 
posées en  l'honneur  de  sainte  Cécile, 
604. 

Poisson  (M.  l'abbé),  sa  lettre  au  direc- 
teur de  la  Revue,  82. 

Poisson  —  de  saint  Pierre,  383  —  de 
saint  Christophe,  iHd. 

Poitiers,  v.  Cathédrale,  Église,  Portail. 

Pontificalia,  632. 

PoncHES  romano-ogivals,  411. 

PouTAiL  —  des  églises  d'Italie,  87  ;  —  de 
N.-D.  deToitiers,646.  647;— deLaitie, 
86.  Y.  Lion. 

Portes  —  romano-ogivales,  409  ;  — 
d'église,  651. 

Poulaine  des  souliers,  572. 

Poussin  (le), 72,  611. 

PouY  (M.).  Compte-rendu  de  ses  Recher- 
ches historiques  sur  l' imprimerie  à 
Amiens,  55. 

PuAUx  (M.),  ses  opinions  protestantes 
réfutées  par  l'archéologie,  199. 

Puntormo  (J.  de),  607. 

Purgatoire,  allusions  à  ce  dogme  dans 
les  inscriptions  des  Catacombes,  193  ;— 
sa  représentation  au  IXe  siècle,  59,  60. 


R 


Ramirb,  vainqueur  des  Maures,  635. 

Raphaël,  —  son  baptême  de  Notre-Sei- 
gneur,  70  ;  —  son  tableau  de  sainte 
Cécile,  607;  —  autre  tableau  qu'on 
vient  de  lui  attribuer,  614. 

RÉALISME  (du)  dans  l'art,  36,  37,  63, 
76. 

RELIQUAIRE  du  musée  de  Bruxelles,450. 

Reliques— conservées  à  Chelles,  345;— 
de  saint  Jacques  le  Majeur,  378,  539  ; 
—  de  l'église  Saint-Zénon,  à  Vérone, 
336  ;  —  de  saint  Vincent,  265  ;  —  des 
saintes  Marie,  266  ;  —  des  Saints  pla- 
cés sous  l'autel,  226;  —  fêle  de  leurin- 
vention,  540. 


Réol  (saint),  ses  sandales,  628. 

Représentation  funéraire,  52. 

Restauration  des  voûtes  en  bois,  358. 

Résurrection  des  corps  ;  ce  dogme 
attaqué  aux  premiers  siècles  de  notre 
ère.  118. 

Résurrection  (la)  du  Sauveur  est  sym- 
bolisée par  le  lion,  96. 

Retable  d'Anchin,  recherches  sur  l'au- 
teur de  cette  œuvre,  428,  457. 

Rhin  (bords  du),  caractères  particuliers 
de  leurs  églises  au  Xlle  siècle,  420. 

RoLDUc,  son  tombeau  de  Waleram,  547. 

Romains,  leurs  chaussures,  478. 

Rome  célèbre  avec  pompe  la  fête  deNoël, 
107.  V.  Catacombes,  Église,  Musée. 

Roses  romano-ogivales.  411. 

RosTAN(M.)  publie  lecartulaire  munici- 
pal de  Saint-Maximin,  447. 

Roue  de  la  vie  humaine,  551. 

Rouen,  on  y  découvre  le  cœur  de  Char- 
les V,  522,  et  diverses  antiquités,  559. 
V.  Cathédrale,  Musée. 

RoYAT,  son  église  fortifiée,  407. 

RoYE,  portail  de  son  église,  423. 

RUBENS,  610,  641. 

Rues  qui  portent  le  nom  de  saint-Jacques, 
641. 

RuiscHEN,  son  monument  funéraire, 
281. 


S 


Sabliers  des  voûtes  en  bois,  355,  369. 

Saint-Aventin,  bénitier  de  son  église, 
6.53. 

Saint-Denis,  voyez  Abbaye. 

Saint-Germain-des-Prés,  ses  pein- 
tures murales  par  M.  Flandrin,  46. 

Saint-Germer,  autel  roman  de  son 
église,  652. 

Saint-Leu,  son  église,  422. 

Saint-Maximin,  ses  sarcophages  chré- 
tiens, 10, 11,  15  ;  —  sandales  du  Xllle 
siècle  conservées  dans  son  église,  352. 

Salmon  (M.  Ch.),  compte-rendu  de  son 
Histoire  de  saint  Firmin,  158. 

SalOiMON,  voyez  Cantique  des  cantiques. 

SALViATijSon  Baptême  de  N.-S.  J.-C.,l%. 


TAltLE  ANALYTKjUE. 


G71 


Sandales  —  de  saint  Ediiiond,  .'i  Sens, 
311  —  flo  sainl  Louis-d'Anjou,  à 
Saint-Maxiniiu,  ;55-2  —  du  15.  l'i(>rrede 
Luxembourg,  conservées  à  Avignon, 
353  ;   —  de    sainte  Aldegoiuh;,    3ay  ; 

—  de  Coinniiuges,  349;  —trouvées 
dans  des  sépultures  bénédictines,  253; 

—  forme,  couleur  et  matière  des  san- 
dales, 4(j«,  5;50.  r)()l,  017.  V.  Chaussure. 

Sandalium,  pantoulle  d'origine  grecque, 
493,  619,  620,  Cr'l. 

Saragosse.   protégée  par  Notre-Dame 

del  pilar,  321. 
Sarcophages  —  d'Arles,    12,  286,  295, 

—  de  Marseille,  5.  225,  505;  —  d'un 
religieux  de  Sainte- Geneviève  de 
Paris;  —  deSaint-Maximin,  10;  —de 
Vérone,  57,  336. 

Savetiers,  leur  corporation,  580. 

Scabillum,  chaussure  antique,  483. 

Sceaux  —  de  la  province  de  Lirabourg, 
77— deSaint-Omer,  446;  —de  cha- 
pitre, 553. 

ScHNAASE  (M.),  son  opinion  sur  le 
bélier  écrasé  par  un  lion,  91. 

Scu/ponea,  chaussure  romaine,  480. 

Sculpture  —  assyrienne,  47i  —  du 
Xlle  siècle,  414.  645  ;  —  du  XVe  siècle, 
399  ;  —  du  XVIe  siècle,  282  ;  —  des 
voûtes  en  bois,  363  ;  —  des  navires, 
558. 

Scythes,  leurs  chaussures,  477. 

SÉPULTURE  chrétienne  du  moyen-âge, 
238,  654.  V.  Sarcophages,  Tombeaux. 

Serpents  symboliques,  21. 

Servais  (saint),  figuré  sur  un  sceau, 
76,  80. 

Soccuti,  531. 

Socciis,  pantouQe  sans  cordons,  492. 

Solea,  semelle  attachée  avec  des  cour- 
roies, 340,  469,  474,  479,  617. 

Soleil  personnifié,  450,  453. 

Sotulares  rostrati  ou  souliers  à  la  pou- 
laine,  574. 

Souliers,  voyez  Chaussures. 

Spencer  (M.),  son  ouvrage  sur  les  ca- 
tacombes romaines,  189. 

Stalles,  651. 

Statues  —  de  Charles  V,  519  —  du 
Xlle  siècle,  646  ;  —  antiques,  3 17. 


Style  romano-tigival,  ses  caractères, 
404,   IIK. 

Subtahiris,  chaussure  épiscopale,  568, 
(i2(). 

SUGEii,  sa  conduite  par  raïqjurl  auv 
(euvres  du  passé,   4o2. 

Suzanne,  iJersonnifianl  l'Église,  289, 

Si/cchas,  (\si)èce  de  crépide,  482. 

Symbolisme  —  de  l'art.  :J3,  649  ,  —  de 
l'art  (iirétiiMi  ,  lu  ,  40,  6;j  ;  —  de 
l'agneau.  IJOO  ;  —de  l'antilope,  371; 
—  du  bœuf.  '.6  ;  —  du  Canliiiue  des 
cantiques,  132  ;  —  du  lion,  88,  93, 
113;  —  du  limaçon,  21  ,  —  du 
serpent,  21  ;  —  du  temple  de  Sa- 
lomon,  25.  V.  Iconographie. 

Synagogue  (la),  représentée  à  coté  du 
Calvaire,  4ri0. 


Tableaux,  — avis  pour  leur  bonne  con- 
servation, 165;  —de  Jean  Bellegandje, 
442  ;  —  représentant  sainte  Cécile, 
607;  —  de  N.-D.  de  Paris,  656.  Voyez 
Peinture,  Raphaël,  Rétable,  etc. 

Tibialia,  espèce  de  bottes,  469,  562, 566. 
568. 

Temple  (le)  de  Salomon  n'offrait  rien 
qui  ne  fût  symbolique,  25. 

Terre  (la)  symbolisée,  452. 

Testament  (l'ancien  et  le  nouveau) 
mis  en  parallèle  dans  les  vitraux,  94. 

Théologie  (la)  peut  trouver  des  argu- 
ments dans  les  inscriptions  des  cata- 
combes, 188. 

Timbre  d'horloge  du  XV«  siècle,  168. 

Tombeau  —  de  saint  Jacques  le  Majeur, 
500,  539  ;  —  de  Charles  V,  517. 

Tombeaux  —  décorés  de  lions,  88,  115  ; 
—  des  églises  de  Montdidier  et  d'Ailly- 
sur-Noye,  116;  —  de  la  cathédrale  de 
Rouen,  515  ;  —  du  XII^  siècle,  654. 

TONGRES,  ivoires  sculptés  conservés  dans 
son  église,  449. 

Tournai,  son  église  de  St-Quentin,  423. 

Tours  romano-ogivales,  412. 

Traditions  légendaires  du  moyen  Age, 
93.  Voyez  Légendes. 


672 


TABLE   ANALYTIQUE. 


Tkansition  du   pleiii-cintrc  ;\  l'ogive, 

404. 
Transsepts  circulaires,  406. 
Tryptique  —  de  la  cathédrale  d'Arras, 

464;  —ouvert  k  l'aide,  d'un  bâton, 

556.  Voyez  Retnô/e. 
Tronc  des  églises,  leur  origine,  lOG. 
Tulle  (le),  origine  de  ce  mot,  112. 
Type  uniforme  de  la  statuaire  romane, 

647. 

TzANGUES,   chaussure   impériale,    535 

478. 


U 


Uiio,  espèce  de  sandale,  534. 


V 


Violateurs  des  tombes  anathématisés, 
112. 

Voie  lactée,  pourquoi  est-elle  appelée 
chemin  de  Saint-Jacques,  554, 

Voltaire,  son  nom  inscrit  à  la  cathé- 
drale de  Strasbourg,  168. 

Voussures  romano-ogivales,  410. 

Voûtes— d'arête  considérées  comme  une 
des  causes  de  l'adoption  de  l'ogive, 
207,  210,  212  ;  —  en  pierre,  leur  forme 
au  Xlle  siècle,  416  ;  —  en  bois,  de 
l'époque  ogivale,  à  Rouen,  Caen,  etc., 
355;  —  de  leur  réparation,  357;  —  en 
Normandie,  361,  362. 

ViOLLET  (M.),  son  bénitier  roman,  654. 


ycv 


Vandalisme  (actes  de),  6,  358,  402,  515, 
55. 

Van-Dick.  610. 

Vases  funéraires,  m,  247. 

Veau,  voyez  Bœuf. 

Vérone,  voyez  Sarcophage. 

Verres  peints  des  catacombes,  291,  297, 
300. 

Verrières  de  Nogent-les-Vierges,  274. 

ViLLARS  DE  HONNECOURT  a  dcssiné  des 
études  de  lion  dans  son  album,  88. 

Vincent  (saint),  son  corps  porté  mira- 
culeusement à  Lisbonne,  265. 


Walburce  (sainte),  découverte  de    sa 

crypte,  559. 
Waleram  III,  son  tombeau,  547. 
Wauters  (M.),  sa  découverte  relative  à, 

l'auteur  du  rétable  d'Anchin,  429. 


Zancha,  chaussure  impériale,  535, 
Zoologie    mystique,    300,    371.    Voyez 

Agneau,  Antilope,  Bœuf,  Lion,  etc. 
ZURBARAN,  611. 


ARRAS.  —  Typographie  Rousseau-Lcioy. 


GETTY  CENTER  LIBRARY 


3  3125  00612  9411 


•v-^' 


IhBHRs 

h't^^ 

Wt                            X-     »•         * 

:\^'  • 


^^.K  4^.' 


■ ,  -  > 

**    'tl               «. 

*»'"i 

>,^- 

\     1   *■            "^^    ' 

/M             ^ 

^         'ri   *" 

fM^^^^à-"^    * 

4ïr4^  ■  - 

•*-,.. 

V.* 


*^    Vt'-iy