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REVUE
CE
L'ART CHRÉTIEN
P.EVUE
DE
L'ART CHRÉTIEÎ
RECUEIL MENSUEL
D'AliCHÉOLOGlE l'.ELlGIEUSE
DIRIGE PAR
•M. LE CHANOINE J. COR BLET
Correspondant de la Société nationale des Antiquaires de France
et du Ministère de F Instruction publique.
DIX -HUITIEME ANNEE
Deuxième séi^ie. — Tome lE.
(XVlX'dela CuUection.)
ARRAS
\. PLANOIW ET C'". IMPRIMEURS
lîuroaiix (le la lii^vue
lU'K DES f)iSZE-MILLl>VlF,RGES
MDCCCl.XXV
PARIS
LIBRAIRIE CATHOLIQUE V PALME
Éditeur dos Uo/ltrudtsles
liUE DE GUENELLE-SAINÏ GLUMAIN, 2Ôt
LES ORIGINES
DE L'ORFÈVRERIE CLOISONNÉE
PRELIMINAIRES
J'appelle orfèvrerie cloi.soiniée un travail particulier de joaillerie
qui consiste à incruster à froid dans des cloisons d'or, ou, par ex-
tension, dans une plaque de métal découpée à jour, soit des pâtes
vitreuses, soit des lames de verre, soit des pierres précieuses tail-
lées en table, soit enfin des cabochons, disposés de manière à for-
mer un ensemble décoratif, une sorte de mosaïque.
Les métaux ne sont pas toujours l'unique excipient de ce genre
de marqueterie; l'ivoire, le bois, la terre émaillée en constituent
quelquefois la cuve ou le réseau -.j'aurai à signaler divers cas
d'une variété d'incrustations dont on ne s'est peut-être pas suffi-
samment occupé jusqu'ici.
Dans un mémoire publié en 1864 ', et qui obtint une mention
honorable au concours des Antiquités nationales de TListitut- de
France, j'avais déjà tenté d'esquisser l'historique de l'orfèvrerie
cloisonnée; mais, un point de départ trop voisin de notre époque,
la pénurie de documents et surtout d'œuvres originales, s'étaient
* Beviie de l'Art chréiicn, t. YIII, p. 11 'i, 195, "^25, 303 •— Orfèvrerie mérovin-
gienne, in 8", 9 planches. Paris, Didron, ISlii.
0 OiliGlNKS OK L'oilFKN'lîElvlIi CLOISO.NNÉE
opposés à ce que je donnasse h mon trav^uil l'entier tlëveloppement
([u'il comportait. Néanmoins, si j'ai commis alors des erreurs de
détail Je ne crois pas, quant aux idées générales, m'être trompé de
beaucoup : la marche progressive d'orient vers l'occident de l'art du
cloisonnage, la nationalité des peuples qui l'implantèrent sur le
sol romain, sont passées maintenant à l'état de faits acquis.
Je reprends aujourd'hui un sujet que je n'ai pas la prétention
d'avoir encore épuisé; j'y rentre armé d'appréciations nouvelles,
fruits d'études consciencieuses dans les musées de la France et de
l'étranger. Ces appréciations, naturellement discutables, ont tou-
jours pour base le rapprochement des textes et des monuments
figurés, les seconds venant en aide à l'intelligence des premiers.
Bon ou mauvais, je me risque à offrir au public érudit le résul-
tat de mes recherches : bon^ je n'aurai qu'à me féliciter d'avoir
abordé une scabreuse entreprise ; mauvais, il se rencontrera tôt
ou tard quelqu'un pour mettre à profit mes erreurs comme j'ai
utilisé celles de mes devanciers.
Avant d'entrer en matière, qu'il me soit permis d'adresser un
témoignage de gratitude aux savants et aux artistes qui m'ont
généreusement aidé de leurs conseils, de leur talent ou de leur
bienveillante intervention. A Pest, MM. Rœmer, Pulszky, P.
Ilunfalvy, Kath et Henszlmann; à Vienne, S. Exe. M. le baron
J. A. de Helfert, président de la Commission des monuments his-
toriques d'Autriche, M. le baron E. de Sacken, conservateur du
Cabinet des Antiques, M. von Bergmann fils, M. F. Lippman, du
Musée d'art et d'industrie, M. Karl Haas, le célèbre gai vanoplaste;
à Prague, MM. A. Ambros, le bibliothécaire A. Vrtatko et le si
regretté professeur J. E. Wocel; à Nuremberg, M. A. Essenwein
directeur du Musée germani([ue; à Munich, défunt M. de Hefner
Alteneck, directeur général des Musées, M. le docteur Kuhn,
M. le professeur A. W. Christ; à Mayence, MM. Lindenschmit et
l'abbé F. Schneider; à Wiesbaden, MM. Schalk et von Cohausen;
à Darmstadt, M. le docteur Ilofman; à Copenhague, M. C. En-
gelhardt, secrétaire de la Société royale des Antiquaires du Nord;
OUK'.INES DE L'OUFÉViîIcniE (■I.()lS(!.\.\i;ii 7
;i Bruxelles, M. Hageiiuiiis, membre de la cliambre des Représen-
tants; à Bucarest, M. A. Odobesco, ancien ministre; à Saint-
Pétersbourg, S. Exe. M. le comte Serge StroganofF, président de
la Commission impériale archéologique et M. P. Lerch, secrétaire;
à Paris, MM. A. de Longpérier etHeuzey, membres de l'Institut,
M. A. Chabouillet, conservateur du Cabinet des médailles, MM.
Cohen et Lavoix, M. C. d'Averdoing, peintre d'histoire, M. Y.
Gay; à Rouen, Pérudit assyriologue, M. J. Jlénant et M. G. de la
Serre; à dullon-sur-Saône, Péminent égyptologueM. F. Chabas ;
à Arras, M. Caron, bibliothécaire de la \dlle, jadis mon maitre, à
présent mon collègue à l'Académie, homme vénérable dont les
profondes connaissances en bibliographie et en littérature clas-
sique sont venues maintes fois à mon aide.
Je veux également signaler à mes lecteurs une licence que j'ai
prise et dont j'accepte l'entière responsabilité. Lorsqu'un objet est
publié avec le compte-rendu d'une trouvaille, on doit le reproduire
dans l'état même où il a été rencontré, mais lorsqu'il s'agit d'é-
tudes généralisées, de l'histoire d'un art industriel, par exemple,
je crois que l'on peut opérer différemment. Aussi, toutes les fois
qu'une restauration m'a semblé praticable, soit par l'agencement
symétrique des pierres demeurées en place, soit par la similitude
incontestable des parties correspondantes, je n'ai pas hésité à la
faire. Les bijoux figurés sur les planches qui accompagnent mon
texte ne sont donc pas toujours représentés sous leur aspect ac-
tuel, je les donne souvent tels qu'ils étaient au sortir des mains
de l'orfèvre : il n'y a pas de meilleur moyen pour rendre intelli-
gibles la richesse et le bon goût d'un décor. Au reste, un aver-
tissement spécial, mis en regard de chaque restitution importante,
mesure le degré de confiance qui pourra lui être accordé.
8 OIMGINKS Di: I, ORFÉVRKRIE CLOISONNÉE
CPIAPITUE I.
LA PLAQUE DK WOLFSHEIM.
Vers la fin de la mission qui m'avait été confiée par S. Exe.
M. le ministre de T Instruction publique, au printemps de l'année
1870, M. le docteur Sclialk, conservateur du musL'e d'antiquités
de Wiesbaden, voulut bien me communiquer un morceau d'orfè-
vrerie trouvé quelques mois auparavant à Wolfslieim, près
Mayence, et récemment acquis par les administrateurs de la col-
lection du duclié de Nassau.
Ce bijou, qui me parut être une pièce battante, se compose
d'une boite rectangulaire en or (0 055"* sur 0"" 045™), haute d'en-
viron 0" 01% formée de minces lames soudées entre elles. La masse,
creuse à l'intérieur, est prolongée par un fleuron trilobé à char-
nière, épais de trois à quatre millimètres. L'ensemble mesure 0™
077™ en largeur; une seconde charnière rampe sur le flanc op-
posé.
La face (PL I, fig. 1, o), découpée à jour, comporte vingt-deux
hyacinthes, grenats ou verres rouges en table; à savoir : douze
disques, six carrés et quatre triangles, géométriquement disposés
sur paillon d'or sans aucun rabattu. Le fleuron, légèrement bombé,
incruste trois grenats cabochons, deux carrés, un cardimorphe.
Au revers (PL I. fig. 1, &), M. Schalk me fit observer une inscrip-
tion tracée à la pointe, où je reconnus immédiatement un spéci-
men de l'écriture cursive des Perses avant l'invasion arabe. A la
vue d'un monument qui confirmait mes précédentes assertions sur
l'origine orientale de l'incrustation appliquée à la joaillerie, je
demandai à rhonoral)le Conservateur la photographie du précieux
objet. 11 s'empressa de m'en adresser un cliché après la guerre, dès
que la correspondance fût redevenue possible entre l'Allemagne
et la Prance. A son envoi, M. Schalk joignit une lettre où il
REVUE DE L'ART CHRETIEN
?].:
C de I.in
BIJOUX SASSANIDES
l.aj.bjace el revers de la plaque de Wolfsheim, état actuel, f de l' original.
2, Même plaque restaurée, -i; de rongmal._3,4,5, Plaques de cemturoTi,
d'après les effigies royales de Tak-i-Bostan.
ORIGriES U1-: LOPa'ÉVRERIK CLOISONNÉE 9
m'annonçait que M. le professeur Gildemeister, de Bonn, à qui un
estampage de l'inscription avait été soumis, y lisait en caractères
pehlevis le nom d'Artaxerxès — A)thashather,^ï^-^^J^J22'^
inujnm^ : forme ancienne, A/7/)aA-5Aa;/t7-a;formemoderne, Ardeshîr.
— L'excellente étude de M. F. Lenormant sur les diverses variétés
de Talphabet pehlevi * me permit de contrôler sans peine l'exac-
titude de la lecture de M. Gildemeister, et j'obtins ainsi l'assurance
d'avoir sous les yeux une pièce d'orfèvrerie incrustée, remontant
au moins à l'époque sassanide si elle n'appartenait pas à une dy-
nastie antérieure.
Cependant, détourné par d'incessantes préoccupations du cours
de mes études habituelles, je ne me pressais pas de mettre en
ordre le butin récolté sur ma route, lorsque M. le colonel du Génie
en retraite, A. von Cohausen, directeur actuel du musée de
Wiesbaden, eut l'extrême obligeance de me faire parvenir un
exemplaire de son mémoire sur les bijoux émaillés de l'époque ro-
maine ; j 'y lus ce qui suit :
« Le musée de Wiesbaden possède un bijou, vraisemblable-
ment un pectorale^ que l'on portait sur la poitrine, suspendu à un
cordon ou à une chaîne. Il est en or fin et lames polies d'hyacinthe
rouge foncé. On l'a trouvé dans les environs de Mayence (à
Wolfsheim, 1870) et une inscription au revers établit son origine
perse. M. le professeur Gildemeister y a lu le nom Artachshater
(Artaxerxès) et reconnu que ce système d'écriture pehlwi est en
usage sur les monuments lapidaires et numismatiques des pre-
miers rois de la dynastie sassanide, de 226 à 300 après J.-C.
L'empereur Alexandre Sévère, né en Syrie, avait commandé en
Perse et fut assassiné près de Mayence, d'où l'hypothèse que cet
ornement royal perse serait devenu la propriété du César romain
qui l'apporta à l'endroit où on Ta rencontré ^. »
Il n'y a guère à reprendre aux conclusions de M. le colonel von
' Eludes paléographiqiiss Sur Valphahet jielilevi, iii-S". Paris, 186').
* liœmischer Sc/niichenschiinicJc, p. 9, in-8'^. Wiesbaden, 1873, chromolitli.
II« série, tome II. 2
10 ORIGINES Df-, l'ORFÉVRKKIE CLOISONNÉE
Cohansen, elles sont basées sur la logique ; mais, en face d'un
monument de si haut intérêt, leur laconisme m'étonna ; elles me
semblèrent exiger un développement plus étendu et je me décidai
alors à publier à mon tour le bijou de Wolfsheim. La richesse du
sujet, qui m'a entraîné beaucoup plus loin que je ne le prévoyais,
fera comprendre la longueur du temps réclamé par l'accomplisse-
ment de cette entreprise ardue.
Trois questions se présentent à élucider :
!• Quels étaient le genre, la forme et l'usage de cet ornement
dont la terre ne nous a rendu qu'une portion?
2" A quels personnages a-t-il dû appartenir?
3o Par quelle voie est-il arrivé sur le sol romain ?
J'essaierai d'y répondre.
Les bas-reliefs de la Perse nous ont conservé un certain nombre
d'effigies sassanides, tant équestres que pédestres; malheureuse-
ment leur attitude et les injures des siècles ne permettent pas
toujours de saisir les détails de costume qu'il m'importerait le plus
de déterminer à cette heure. Toutefois, quatre ligures royales du
monument de Saporll (Schabour Dhoulariaf) à Tâk-i-Bostân, re-
connaissables à la richesse de leurs vêtements et aux bouts du
kosii ' qui flottent autour d'elles, portent un collier, une ceinture
maintenue par des bretelles autour de la poitrine, sous les aisselles
ou un peu plus bas, enfin un ceinturon d'épée descendant des
hanches sur l'hypogastre. Le collier est muni d'un pendant, sans
rapport avec l'objectif de notre étude; un ornement circulaire,
quelquefois double, apparaît au milieu de la ceinture et du cein-
turon. La ceinture ne saurait avoir de pièces battantes; elle est
continue, articulée, et les éléments métalliques qui la forment
se rattachent directement au monile ou pectorale par une agrafe
latérale. Au contraire, les bouts du ceinturon, qui paraît être soit
en cuir piqué soit en étoffe, viennent se croiser derrière sa plaque
' Pièce d'étoffe plissée, analogue .lux ailes des surplis du rit parisien. Elle vol-
tige en double sur le dos et à la ceinture des monarques sassanides. Le liosli
entoure aussi les anneaux de serment.
ORIGINES DE l'oRFÉVEERIE CLOISONNÉE 11
médiane qu'ils dépassent suivant une longueur variable de quinze
à vingt centimètres. (PL I, fig. 3, 4, 5.)
Or, Ton ne possède évidemment que le tiers du bijou de Wolfs-
heim, puisque la charnière, veuve de sa broche, montre trois
gaines quand le côté fleuronné n'en a que deux, ce qui implique la
nécessité d'une plaque centrale et dune seconde pièce battante
pour établir la symétrie. Dès lors, l'agencement des ceinturons de
Tâk-i-Bostun est seul applicable à la restauration de notre bijou
telle que je la comprends : un rectangle gemmé, accosté d'ailerons
symétriques à double battant (PI. I, %. -2). Les extrémités de la
courroie du ceinturon, engagées dans les passants adaptés au re-
vers du rectangle central, étaient maintenues, soit par un nœud '
soit par des arrêts métalliques courbés en crochets. Ainsi recons-
titué, l'objet pouvait-il avoir une destination différente ? L'absence
des moyens d'attache sur le fragment du musée de Wiesbaden
s'oppose à toute autre conjecture.
Les sculptures de Tâk-i-Bostân datent du règne de Varahran IV
[Bahiam Kirmamchah^ 389-399), fils et Troisième successeur de
Sapor II ; il y est représenté à la gauche de son pèi-e, les inscrip-
tions du monument en témoignent -.
Les épées des rois perses qu'il m'a été loisible d'étudier ont une
garde peu saillante; aucune effigie pédestre ne permet de se rendre
un compte exact de leur mode d'atta(,'lie. Ces figures ramènent de-
vant elles l'arme posée en pal et insinuée entre le corps et le
ceinturon de sorte que la poignée se cache en partie sous la plaque
du dernier ^ Heureusement le Sapor I à cheval du bas-relief de
Nâckch-i-Roustam laisse voir un fourreau muni d'un passant
vertical où s'engage la courroie du ceinturon \
* J'ai constaté un remarquable exemple de ce nœud à la ceinture d'une reine
sculptée à Nâckch-i-Roustam, mais on n'y voit pas de joyau. Flandin et Coste
Voyage en Per!,e, pi. 185. Un nœud analogue, avec fermoirs circulaires, est visible
sur une effigie royale de Tâk-i-Bostân. Id., ibid., pi. \\.
* Flandin et Coste, onv. cilé, pi. 13, l i et p. 6.
* Id., ibid., pi. 13. — OrfJirene me'roviiiijieiine, pi. 7.
* Id., ibid., pi. 185.
•12 ORIGINES DR l'ORFÉVRERIE CLOISONNÉE
Un autre bas-relief à Nackch-i-Redjrib, })i"ès Istakhr (ruines de
Persépolis), contemporain des précédents, offre un groupe de sei-
gneurs à pied derrière le cheval du roi. l>a suspension de leurs
épées à garde alésée est identique à celle de l'effigie équestre de
Nâckch-i-Roustam, mais les ceinturons, soit unis, soit perlés,
n'ont point le disque gemmé et ciselé des personnages royaux * .
De ceci je conclus sans trop d'hésitations que la plaque ornée de
pierreries était un privilège, un attribut exclusivement réservé
aux monarques de la dynastie sassanide.
Je crois avoir suffisamment établi que le bijou de Wolfsheim
est le reste d'une plaque de ceinturon provenant des joyaux de la
couronne perse; si l'on admet avec moi cette destination au IV*
siècle, et pour sûr aune époque antérieure, car les costumes orien-
taux ne se modifient à la longue que sous une pression étrangère,
il faut maintenant préciser l'individualité du souverain à qui
l'objet aurait appartenu. Pendant la domination des Arsacides,
les satrapes héréditaires de la Perse faisaient battre monnaie; leurs
drachmes d'argent montrent au droit la tête du roi parthe régnant,
au revers un mobed en adoration devant le pyrée, et la légende du
prince iranien. M. F. Lenormant a publié deux de ces légendes ^
au nom d'Artaxerxès différents qui vivaient en des temps assez
éloignés l'un de l'autre; elles sont en caractères dits proto-pehle-
vis ' et ressemblent si peu à notre inscription que je les cite seu-
lement pour mémoire.
Les Arsacides écartés, je passe aux Sassanides.
Trois monarques de cette dynastie répondent au nom d'Ar-
taxerxès : Artaxerxès I [Ardeshîr Babegan, 2*23-240), Artaxerxès II
(380-384), Artaxerxès III (629) \ Je ne m'occuperai pas du der-
Ud., zôirf., pi. 191, A.
• Loc. cit. , p . 25, n°^ 4 et 5. J
^ M. Lenormant désigne sous ce nom la forme la plus ancienne du pehlevi. *
Loc. cit., p. 26, V.
* A. de Longpérier, Essdl su7- les médailles des rois j^erses de hi dynastie sassa-
nide, in-4*, 1)1., Paris, 1840. — Flandin et Coste, ouv, cité, passirn. t
oriCtInes de l'orfèvrerie cloisonnée 13
nier, beaucoup trop rapproché de nous; d'ailleurs cet enfant de
sept ans régna à peine dix-liuit mois et n'eut jamais rien à démê-
ler avec les populations qui habitaient les bords du Rhin au YIP
siècle : le choix flotte donc entre les deux premiers.
Les inscriptions de Nâckch-i-Roustam et de Châpour, commé-
moratives du triomphe de Sapor î sur le malheureux Valérien
en 260, celles de Nâckch-i-Redjâb, de Tâkt-i-Bostân et d'Istâkr,
qui sont postérieures ', m'ont fourni, quant à la forme des signes,
un spécimen complet des caractères employés sur le bijou de
Wolfsheim; en est-il de môme quant à la valeur ? M. A. de Long-
périer, dans une lettre qu'il a bien voulu m'écrire ', appelle mon
attention sur l'archaïsme du 2 (1, R) deux fois reproduit au nom
à'Arthasfiather, et m'engage en outre à ne pas faire descendre notre
inscription plus bas que le règne de Sapor II (310-380). D'autre
part, les études de M. F. Lenormant nous apprennent que, passé
l'époque de N'arsès {Narsi, 297-303), l'ëpigraphie numismatique
n'attribue plus au signe 2 que la valeur 1 tandis que l'équivalent
du 1 change complètement de type ^ . Alors le trait inférieur du 2
s'arrondit en large boucle, quand la volute supérieure diminue à
proportion. Or, les monnaies d'Artaxerxès II présentent le 2
sous cette nouvelle forme, et si, en remontant jusqu'à Sapor II
et Sapor 1 on trouve 2 avec la double valeur 1 et 1, il ne signifie
que 1 sur les légendes des médailles d'Artaxerxès I, généralement
conçues en caractères analogues aux molèles du bijou de Wolfs-
heim ^ .
Un monument rare et précieux confirme ces données. Le Cabi-
net des Antiques de Paris possède une magnifique intaille en cor-
» Flandin et Goste, onv. cité, pi. G, 46, 181, 18! his, 181 ter, i90, 193 his.
« -15 mai 1873.
* Ouv. cité. p. 7 et 8.
* A. de Longpérier, ouv. cité, p. 44, n° 40, pi. 7, 2; p. 45, n» 41 ; p. 16, n"» 13
et 14, pi. 3, 2 et 3 ; p. 40, n« 34, pi. 6, 3 ; p. 41, n» 3 ; p. 2 à 10, n°^ 1 à 10, pi. 1,
1,2,3.4,5,7; pi. 2, 2, 3,4; etc. etc.
14 ORIGINES DE l'ORFÉVRERIE CLOISONNÉE
naline, représentant le buste d'Artaxerxès I entouré d'une légende
pehlevie où son nom est tracé en lettres aussi voisines des types
de notre inscription, ^ï^/^-J^JQZM , que peuvent le per-
mettre les allures gênées de la glyptique vis à vis l'ampleur du
style lapidaire '. M. Cohen, dont la dextérité et l'obligeance
égalent le profond savoir, a réussi, malgré les obstacles suscités
par la saillie, à obtenir une empreinte en cire de Fintaille, et, la
photographie du bijou placée en regard de cette empreinte, j'ai
pu, la loupe en main, me convaincre de l'étroite affinité de leurs
alphabets.
M. Schalk, interprète de M. Gildemeister, m'a posé une objec-
tion que je ne puis taire, et à laquelle, d'ailleurs il m'est facile de
répondre.
« L'épigraphie sassanide accole toujours au nom du souverain
ses titres et qualités ; sur notre plaque il n'y a qu'un nom isolé,
donc elle n'a dû appartenir qu'à un simple particulier. »
En eflet d'Artaxerxès I à Varahran V {Bahram t/our, 4*20440),
les légendes monétaires qui entourent l'effigie du prince, inter-
calent le nom royal dans les formules : Mazdiem beh malcan
7na/ca ^iVan (l'adorateur d'Ormuzd, l'excellent roi des rois
de Perse) ; Minoulckelri men iezdan (germe céleste des dieux), lez-
danimalcan (divin roi); Malcan (roi) ^. Mais le savant professeur
de Bonn n'a sans doute pas remarqué que, sur les revers des
mêmes pièces, le nom du monarque, en tête de ligne, était suivi
de la seule épithète iczdani (divin) ; Arlhashalher iezdani (le divin
Artaxerxès), Chahpouhri iezdani (le divin Sapor) et ainsi du reste :
qu'en outre, un aiireus de Sapor I — je le cite seul pour ne pas
sortir de mon époque — n'offrait, également au revers, que le nom
isolé Chahpouhri *. Or, la terre n'a rendu que le battant droit de
' A. Chabouillet, Calalogue général des camées, elc. du Cabinet des Médailles,
p. 193, n** 1339. La pierre, haute de 0'" Ood™, large de U'° OJâ"', est taillée en
cabochon.
• A. de Longpérier, ouv. cité, passim.
3 Id., ibid,,i,. 13 et pi. 3, n" 1.
ORIGINES DE l'ORFÉVRERIE CLOISONNÉE !5
notre plaque, heureusement le plus caractéristique; le nom, gravé
parallèlement au sommet du côté étroit qu'il remplit en entier,
doit appeler une suite; donc si Ton parvient jamais à recouvrer
l'aileron gauche, on y lira, j'ose l'affirmer, soit iezcicmi, soit peut-
être malcan. J'irai plus loin, quand même un hasard fortuné nous
restituerait les morceaux perdus vierges de toute inscription,
appuyé sur Vaureus de Sapor I, je maintiendrais encore l'attribu-
tion royale du joyau : pour quels motifs un souverain eilt-il gra-
vé au dos de ses bijoux une marque plus pompeuse qu'à l'avers
de ses monnaies? Cette marque n'était pas accessible aux regards
vulgaires puisqu'en costume d'apparat elle se dissimulait contre
le vêtement; le trésorier de la couronne et le maître de la garde-
robe devraient seuls en avoir connaissance.
Je n'ai rencontré jusqu'à présent aucun type sassanide complet,
antérieur à Sapor I, et toutes les agrafes que j'ai vues sur ceux
qui m'ont été soumis sont discoïdes. La forme oblongue de notre
bijou ne serait-elle pas un indice d'antiquité relative ? Les Grecs
et les Eoraains, dont l'influence sur les figures ailées de la voûte
de Tâk-i-Bostân est si appréciable ', faisaient usage de boucles
carrées % et il serait possible que les Orientaux leur eussent
emprunté cette mode ; mais je crois plutôt l'inverse. Les Bar-
bares, émigrés d'Asie en Europe bien des siècles avant notre ère,
avaient des boucles ornées de plaques rectangulaires ' ; les
' Flandin et Goste, ouv. cité, pi. 7, n" 1.
* Hermann Weiss, Kostumhmde, 1. 1, p. 762, fig. 282, (/; p. 973, fig. 391. Cette
dernière, prise sur une statue de femme du Museo Borbonico, à Naples, accuse
un caractère oriental très-prononcé. — L. Lindenschmit, Die AUerUnuner unserer
lieidnischen Vorzeil, t. I, X, 5, 1 ; le ceinturon, très-riche, est formé d'éléments
métalliques articulés analogues aux ornements royaux de Tâk-i-Bostân ; l'ins-
cription lapidaire me semble du 11^ siècle.
' Lindenschmit, ouv. cité, t. I, iv, 8; vl, 8 ; grande boucle en bronze décorée
de triangles, les uns pleins, les autres ajourés, les premiers ont dû incruster
quelque verroterie; type oriental ; vu, 8; viii, 7. T. II, vi, 1. T. III, m, 6. —
H. Baudot, Mémoire sur les sépulUires des Barbares, etc., pi. 1, 1,2. — J. J. A.
Worsaae, Nordiske Oldsager, p. 102, fig. 429 ; agrafe de ceinture en argent,
IV» ou Ve siècle. Elle se composait de deux rectangles, l'un manque en partie,
10 ORIGINES DE l'ORFÉVRERIE CLOISONNÉE
fouilles en ont exhumé un grand nombre. Or, ces Barbares, et
spécialement les peuples qui envahirent l'Europe par le Pont-
Euxin, durent vivre en contact prolongé avec les habitants du
nord de la Perse ; les récentes découvertes de la Chersonèse
Taurique le prouvent surabondamment '. Il me semble encore
reconnaître un fermoir elliptique, dont le grand axe est hori-
zontal, à la ceinture d'un guerrier achéménide -. Ce dessin est-il
exact? Comment se fier à des monuments rongés par les années
et que le voyageur ne peut aborder de près ? D'ailleurs les mo-
narques sassanides avaient certainement des bijoux de divers
modèles, et il est probable que les artistes chargés de les éterniser
sur le roc ont préféré les saillies du disque gemmé aux plans sans
reliefs de l'orfèvrerie cloisonnée.
Malgré des guerres sans cesse renouvelées, les relations ami-
cales entre les Romains et l'Iran ont été plus fréquentes qu'on ne
le suppose généralement. A l'aube du IIP siècle^ en 204, sous le
régne de Septime Sévère qui venait de remporter en Orient une
série de victoires, la prose énergique de Tertullien nous montre
Parthes et Mèdes traînant dans les immondices de la Ville éter-
nelle leurs tzanrjnes rouges constellées de pierreries '. Mais, ni les
voies commerciales, ni la diplomatie des ambassadeurs accrédités,
ni la sollicitude d'un voyageur ordinaire, n'auraient introduit dans
PEmpire un joyau dérobé aux écrins de la couronne sassanide ;
pour s'en rendre maître, il fallait la guerre, et mieux encore, le
sur lesquels repose un disque ajusté de façon à ménager un intervalle de 0'" 026°»
entre les montants, dont la hauteur est de 0'" 06' tandis que le médadlon mesure
Qm (J4c de diamètre. J'avais pensé à rétablir le bijou de Wolisheira d'après ce mo-
dèle; la disposition des charnières y a mis obstacle.
' Comptes-rendus de la Commission impériale archéologique, passim ; texte in-4°,
atlas in-fol. : Saint-Pétersbourg, annuel.
2 Univers piUoresqve ; L. Dubeux, Perse, pi. 12, bas-relief de Persépolis.
^ « Gemmarum quoque nobilitatem vidimus Ronuo de fastidio Partlioriim et
Medorum et in pei'onibus uniones cmergere de luto cupiunt. Nihil dcnique
tam gemmatum habent, quam quod gemmatum esse non débet. » De llahitu
muliebri, c. 7.
I
ORIGIXES DE L"0ItFÉV];ERIE i LOISONXÉE 17
triomphe : un vaincu ne recueille pas de butin. Cette guerre,
Alexandre Sévère dut la déclarer au restaurateur de l'indépen-
dance perse, Artaxerxèsl (231 ou 232), et, nonobstant la version
d'Hérodien qui proclame l'insuccès des troupes romaines, la lutte
se termina à leur avantage. Quand même nous n'aurions pas le
récit explicite de Lampride qui attribue la victoire au jeune Em-
pereur ',il en resterait un témoignage contemporain et irrécusable
dans la médaille frappée à l'occasion de son triomphe*. Vain-
queur^ il est tout naturel qu'Alexandre se soit approprié les dé-
pouilles opimes du vaincu pour en enrichir le trésor impérial ;
que l'infortuné César les ait eues auprès de lui à l'heure où Maxi-
min le fit traitreusement assassiner dans le bourg de Secila, près
Mayence, on ne s'en étonnera pas davantage. Naturellement pillé
après la perpétration du crime par les sicaires qui l'avaient com-
mis, le trésor devint leur proie ; les joyaux, brisés pendant la lutte
qui dut en accompagner le partage, jonchèrent le sol, et, un frag-
ment, oublié ou perdu par le misérable qui s'en était emparé, aura
été englouti jusqu'au moment où un heureux hasard le fit sortir
de la terre.
L'état actuel de la question ne permet guère d'autre hypothèse,
aussi veux-je remercier M. von Cohausen qui m"en a fourni l'i-
dée. J'ajouterai que de nouvelles fouilles, entreprises à Wolfsheim
sous une direction intelligente, établiraient peut-être l'identité de
ce village avec l'antique Secila.
J'ai réservé, pour l'exposer en dernier lieu, une autre attribu-
tion du bijou de Wolfsheim ; il aurait fait partie, non d'une pla-
que de ceinturon, mais d'un harnachement de cheval. La discus-
sion sera courte, faute d'arguments sérieux. D'abord, les nom-
breuses phalène des représentations de chevaux sassanides sont
toutes circulaires, et leurs détails, nettement rendus par les co-
pies, accusent un travail massif chez les originaux ^ ; ensuite,
* Alexander Sav., c. 55.
' Vaillant, Numismala imper. Rom. prœslanliora, t. II, p. 285.
* Flandin et Goste, ouv. cité, pi. 33, Darabgercl, disques oiiés ; pi. 18'2, têtes
18 ORIGINES DE l'ORFÉVKERIE CLOISONNÉE
quand même on reconnaîtrait des pierreries sur ces ornements
unis ou ciselés^, elles seraient serties au rabattu dans une lame
épaisse de métal et non simplement ajustées sur paillon dans une
boîte fragile. Les ailerons mobiles adaptés aux parures d'animaux,
qui exigent une bien plus grande solidité que les parures humai-
nes, n'auraient pas duré longtemps.
Quelle que soit la valeur de la thèse que je viens de soutenir, un
important jalon n'en reste pas moins posé. Un monument authen-
tique établit d'une manière irréfragable, qu^entre les IIP et
IV* siècles de notre ère, l'orfèvrerie cloisonnée, telle que les Bar-
bares les communi([uèrent aux Occidentaux, était florissante en
Perse. Cette industrie y prit-elle naissance? L'y cultiva-t-on de
longue date ? Quels peuples la révélèrent aux L*aniens ? Les cha-
pitres suivants traiteront ces divers points.
C. DE LiNAS.
(La suite au prochain numéro.)
de lion arrachées; \)\. 185, rosaces peut-être gemmées : têtes et rosaces se voient
à Nâckch-i-Rouàtam. J'ai encore remarqué des masques humains au harnache-
ment du cavalier sassanide, ligure sur un plat du musée de l'Ermitage à une
époque moins reculée. Compte-rendu de lu Commiss. imp. ardiéol. russe, 1867,
pl. 3, fig. 1.
EGLISE DU YŒU NATIONAL AU SACRÉ-CCEUR
La commission nommée par Mgr le Cardinal Archevêque de Paris et
constituée en jury pour apprécier les plans du concours, a terminé son
travail, et comme cette Revue l'a annoncé, le premier prix a été décerné à
M. Abadie, au troisième tour de scrutin, par 12 voix sur 18.
Le jurv n'avait qu'à chercher parmi les cent et quelques projets pré-
sentés, quels seraient les plus méritants et en même temps quels seraient
ceux qui auraient le mieux su interprêter les conditions du programme.
Le rapport de M. Duc nous fait connaître que le travail du jury a été fait
avec soin et impartialité ; il a dû procéder par voie d'élimination pour ne
conserver que dix projets, dont le premier nommé fut celui de M. Abadie.
Tous ces projets ont été exposés, et si le public n'a pas complètement
ratifié le jugement du jury, c'est que le public, peu initié aux secrets du
métier, ne juge, lui, que sur l'aspect des projets et fort peu sur les détails
de construction. Nous avons recueilli ainsi des appréciations et même des
regrets dont nous ne sommes ici que l'écho désintéressé.
Tout d'abord, en examinant ces projets, on se demande à quelle école
appartiennent leurs auteurs, ou si réellement il existe en France une école
d'architecture ? Car les œuvres exposées ne sont que des réminiscences
plus ou moins bien réussies des constructions hybrides du Bas-Empire et
des siècles de décadence.
L'enseignement officiel de l'architecture se borne à la partie matérielle,
fort essentielle sans doute, de l'art de construire, et à une perfection des
procédés graphiques, inconnue même aux grands architectes de la Renais-
sance. Nos constructeurs modernes ont à leur disposition une armée d'ap-
pareilleurs d'une habileté rare; plusieurs de nos meilleurs architectes ont
même passé par cette école pratique de la construction. Tous leurs pro-
duits sont parfaits, quoiqu'un peu cher. Une église coûtant plusieurs mil-
20 ÉGLISE DU VOEU NATIONAL AU SACRÉ-CŒUR
lions, n'est pas chose rare à Paris. Le nouvel Opéra, « la cathédrale du
paganisme, » aura coûté cinquante millions après son achèvement! Mais
de style, point ; de règles fixes et appuyées sur l'esthétique, point ; de
l'inspiration catholique et nationale, point.
*
* *
On a accusé l'archéologie d'être pour quelque chose dans cette confusion
des styles qui tend à faire école et avec laquelle on a la prétention de
a faire du neuf. » '
L'archéologie, si elle a quelques torts, ne les a pas tous; c'est une
science toute moderne qui n'a pas dit son dernier mot; elle s'est bornée
jusqu'à présent à une aride classification, assignant à chaque âge et pres-
que à chaque règne son style d'architecture, au moyen d'un vocabulaire
un peu barbare, mais enfin aussi intelligible que possible. Quant à l'esthé-
tique appliquée aux monuments, quant à leur raison d'être dans la vie
des peuples, elle a tout à faire. Déjà cependant des études sérieuses se
produisent, et la Revue de l'Art chrétien est entrée largement dans cette
voie ; on peut donc espérer, dans un avenir prochain, voir se former un
corps complet de doctrines complémentaires de la classification.
Quoi qu'il en soit, et gi'àce à la classification, le public s'est d'abord en-
goué du style gothique fleuri du XY= siècle. Quelques architectes le ra-
menaient facilement au style plus sévère du règne de saint Louis ; mais
d'autres constructeurs se passionnaient pour le style roman auvergnat, —
très-faussement désigné sous le nom de romano-byzantin, — quelques
artistes, au contraire, penchaient pour les monuments du midi ; d'autres
enfin pour le roman bourguignon, tandis que l'art païen de la renaissance
captivait, de son côté, nombre de bons esprits.
Il résulta de ces tendances diverses une sorte de compromis architec-
tural dont l'église de la Trinité, à Paris, est un spécimen complet, Deux ou
trois autres grandes églises, comme celle de Sainte-Marie de Belleville,
Saint- Ambroise, etc., construites en style cintré h^'bride, viennent à l'ap-
pui de notre observation.
Somme toute, on est déjà loin des églises ogivales de Sainte-Clotilde,
de Montmartre et autres. Ce style, malgré les beaux types conservés à
Paris et dans les diocèses voisins, est décidément condamné et abandonné,
à la province, quand, toutefois, les architectes officiels ne refusent pas de
s'y soumettre, même lorsqu'il s'agit seulement de restaurations ou d'achè-
vement d'édifices.
*
* *
ÉGLISE DU VŒU NATIONAL AU SACRÉ-COEUR 21
On désirait donner à l'église votive du Sacré-Cœur un caractère essen-
tiellement chrétien ; et pour cela ne fallait-il pas chercliei- dans notre archi-
tecture nationale le type qui répondît le mieux aux traditions, aux aspi-
rations chrétiennes de la France catholique et en même temps aux conve-
nances de situation ou de chmat? Le programme du concours laissait
pleine liberté aux concurrents ; l'ampleur de l'emplacement donnait égale-
ment toute latitude. D'où vient donc qu'on a laissé de côté le type de l'ar-
chitecture si religieuse et si française du règne de S, Louis, pour s'inspirer
des églises à coupoles du bas-empire et de la décadence arcliitecturale.
Saint-Marc de Venise, Sainte-Sophie de Constantinople, Saint-Front de
Périgueux, peuvent à bon droit passionner les archéologues, mais ne
sauraient constituer des modèles lorsqu'il s'agit d'élever un monument
religieux à Paris.
Les églises à coupoles du midi de la France, dont deux exemples seule-
ment sont à consulter, à Périgueux et à Angoulème, sont des monuments
qui étonnent bien plus par la masse accumulée de porte-à-faux, de penden-
tifs et de voûtes sphériques, que par la beauté des lignes, l'élancement
des flèches. C'est un style massif et lourd qui semble fait pour servir à une
nécropole funèbre plutôt qu'à une église.
*
Ces réflexions et bien d'autres encore, inutiles à consigner ici parce
qu'elles nous mèneraient trop loin, nous étaient inspirées en revovant,
réunis en un magnifique album par les procédés photographiques, les
projets des dix premi rs concurrents pour l'église du Sacré-Cœur, ainsi
classés :
1° M. Abadie, l""^ prix ; 2» MM. Davioud et Lameire; 3° M. Cazeaux;
4° MM. Douillard frères ; 5° MM. Bernard et Tournadre ; G° M. Coisel ;
7° M. Moyaux; 8° M. Roux; 9» MM. Raulin et Dillon ; 10° M. Pascal.
Cet album est précédé du rapport détaillé sur les opérations du jury; il
est à la disposition des amateurs moyennant le prix de 25 fr. versé à la
caisse des souscriptions.
Nous ne suivrons pas M. le rapporteur dans l'examen détaillé de cha-
que projet. Nous avons donné notre appréciation générale sur le choix
du style adopté généralement par les concurrents ; nous nous bornerons
à quelques observatio: s de détails.
M. Abadie, premier prix, a exposé un projet dont le plan a tout d'abord
séduit la commission, et c'est cette heureuse disposition d'ensemble qui lui
ÉGLISE DU VŒU NATIONAL AU SACRÉ-CŒUR 23
a valu la palme, accompagnée de quelques critiques. Nous nous permet-
trons à notre point de vue quelques observations qui, certainement, n'a-
moindriront en rien le mérite incontestable de Féminent architecte, mais
qui serviront à prouver combien il faut dans les arts et surtout en archi-
tecture, se défier des partis pris.
M. Abadie, séduit par ses études sur les églises en style cintré du midi
et surtout sur les églises à coupoles, est tombé dans l'exagération inévita-
blement attachée aune prédilection exclusive.
Disons d'abord que les neuf autres projets sont tous plus ou moins en-
tachés de ce même parti pris, nullement imposé par le programme et pour
lequel les concurrents semblent s'être donné le mot : Voulez-vous des
coupoles, on en a mis partout : ovoïdes ou en plein-cintre, pyramidales
ou surbaissées.
Ainsi le projet Abadie contient à lui seul vingt-huit à trente coupoles ou
dômes ovoïdes grands ou petits. Les autres projets en sont beaucoup moins
prodigues. M. Moyaux a eu l'idée originale de transformer son dôme prin-
cipal en tiare pontificale ornée de ses trois couronnes.
MM. Raulin et Dillon, n'aiment ni les formes arrondies ni les dûmes à
coupoles; leur projet qui a attiré l'attention de la commission et mérité
ses éloges, est plus particulièrement anguleux. L'élévation vue de face est
d'un bel effet; le dôme principal est remplacé u par une vaste et riche
construction pyramidale, espèce de phare religieux destiné à être aperçu
à une grande distance et qui doit produire un effet puissant et original. »
{Termes du rapport).
*
* *
Autre particularité : presque tous les concurrents se sont entendus pour
adopter des murs à zones alternées brunes et blanches. Ce parti, acceptable
tout au plus pour les soubassements, produit le plus mauvais effet dans
l'ensemble d'un monument de cette dimension. On a déjà l'expérience que
cet expédient, né de la nécessité de voiler la nudité d'une arcliitecture à
grandes surfaces, sans profils, est du plus triste effet : voir la cathédrale
inachevée de Marseille.
Espérons que la commission, qui s'est réservé le droit de faire modifier
le projet primé, — art. 21 du programme, — saura en élaguer tout ce qui
ne serait pas d'un ^oùi irréprochable. Ainsi pour le projet Abadie, dont la
façade a été critiquée dans le rapport du jury, on fera certainement modi-
fier le porche, qui par sa ressemblance avec l'atrium d'une bourse ou
d'une salle de théâtre détruit tout l'effet de la façade.
On modérera aussi l'exubérance des coupoles, et on engagera M. Aba-
24 ÉGLISE DU vœu NATIONAL AU SACRH-CŒUR
die à faire disparaître le campanille élevé sur la chapelle absidale de la
Vierge ; construction qui écrase et domine l'édifice et en détruit l'harmonie.
Les autres concurrents ont bien su loger les cloches sur la façade et échap-
per à cette difficulté du programme, pourquoi M. Abadie en redessinant
sa façade n'en ferait-il pas autant? Sa chapelle de la Vierge y gagnerait
et la caisse de la commission également.
*
* *
En résumé, avec le plan de M. Abadie, le porche de MM. Davioud
et Lameire (2° prix), les détails de M. Cazeaux (3« prix), les idées de
MM. Raulin et Dillon {n°9) et des autres concurrents, on pourra produire,
comme le dit le rapporteur, un monument original, grandiose même, et
remplissant suffisamment les conditions du programme ; mais quant à un
style, il n'y en aura pas, car on ne peut pas plus rebâtir à Montmartre
Saint-Front de Périgueux, Saint-Marc de Venise, qu'une réduction de
Saint-Pierre de Rorne ou une seconde édition du dôme de Sainte-Gene-
viève.
Nous livrons, sans autre commentaire, ces réflexions et ces critiques
aux esprits impartiaux et désintéressés, qui suivent avec intérêt et non
sans une certaine tristesse les phases diverses par où passe à notre épo-
que l'art architectural religieux.
Que d'autres constatent son progrès ; pour nous, pessimistes, nous
constatons sa déchéance au point de vue du spiritualisme, et nous som-
mes forcés de dire que le concours de l'église du Sacré-Cœur n'a fait que
confirmer nos inquiétudes et nos regrets.
Petrus Schmidt.
P. S. — Depuis la rédaction déjà ancienne de cet article, nous avons
appris que la commission a fait supprimer ou modifier le campanille du
projet Abadie dont nous parlons plus haut ; espérons que les autres recti-
fications viendront aussi donner à ce monument un caractère à la fois
grandiose et religieux.
REVUE DE L'ART CHRETIEN
1
^
^?f iilrlIliîTl
1
i i-
Ih. r)es.nvai7 , Arras
es^vaiy
INSCRIPTION MEROVINGIENNE DE VICQ
SUR UNE PIERRE TUMULAIRE
PORTANT LES MOTS
CHRISTVS HIC EST
Je n'ai que trop souvent constaté, en étudiant les premières inscriptions
chrétiennes de notre sol, combien la négligence, le mauvais vouloir même
avaient laissé ou fait disparaître de monuments épigraphiques. A peine
quelques-uns de ceux qu'ont vus ou enregistrés Séguier, au dernier siècle,
Millin, au début de celui-ci, nous ont-ils été conservés. J'ai retrouvé à
Lyon dans les marches d'un escalier de jardin, et racheté pour la sauver,
une épitaphe importante par son texte, par sa date, et que le savant abbé
Lebeuf avait autrefois fait graver et insérer dans les Mémoires de l'Aca-
démie des inscriptions*. Quelques-uns même des marbres que j'ai vus et
copiés dans mes voyages en France, et dont je conserve des estampages,
sont ou paraissent perdus sans retour. Une nombreuse série d'inscriptions
chrétiennes trouvées dans les fouilles du chemin de fer, à Vienne, a été
brisée et enfouie à dessein dans le remblai de la voie. L'œuvre de des-
truction se continue, et le monument dont je vais parler nous en fournit
malheureusement la preuve.
11 y a plusieurs années déjà, M. Gustave Lapérouse, membre correspon-
dant de la Société des Antiquaires de France, a bien voulu me faire sa-
voir qu'une épitaphe antique portant ces seuls mots : Christus hic est,
venait d'être trouvée à six kilomètres de Châtillon-sur-Seine, sur la mon-
tagne de Vix qui domine Pothières, et près du lieu où avait été découverte
autrefois une inscription métrique datée de la fm du cinquième siècle -.
M. Lapérouse, qui s'était borné à me faire connaître la teneur singulière
de la légende, m'en avait fait espérer une copie exacte, que des circons-
tances particulières ne lui ont pas permis de me faire parvenir.
' luscnptions chrétiennes de la Gaule, n» i4 et Préface, p. cxxxi.
Ile série, tome II. 3
26 SUR UNE PIERRE TL'MULAIRK
Pour ne point laisser une lacune dans les matériaux déjà nombreux
d'un supplément à la collection de nos inscriptions chrétiennes, j'ai
demandé à M. Ronot, bibliothécaire de Châtillon-sur-Seine, des rensei-
gnements sur la pierre de Vix et, s'il se pouvait, un estampage. La réponse
de l'obligeant bibliothécaire m'a fait voir une fois de plus combien il
importe de dessiner, dès qu'ils paraissent, les monuments que nous ren-
dent les fouilles ; l'inscription était déjà perdue ; trop grande pour pouvoir
être placée à l'intérieur de la bibliothèque, la pierre avait été déposée
dans une cour et, des maçons l'y avaient prise pour l'employer avec
d'autres débris antiques dans les murs d'une reconstruction. Une copie du
monument, soigneusement relevée par M. Jules Beaudouin, juge de paix
à Châtillon-sur-Seine et membre de la Société géologique de France,
existait toutefois, par bonheur, et M. ilonot voulut bien se charger de
m'en faire obtenir un calque. Je reçus en même temps de M. Beaudouin
quelques indications sur le lieu et les circonstances de la découverte. L'é-
pitaphe avait été déterrée sur la montagne de Vix que les anciens titres
désignent sous le nom de Mont-Lassois dérivé de celui de Lastico, oppi-
dum autrefois construit sur le plateau. Ce fut là qu'à la suite de l'invasion
des Huns, se retira l'évêque S. Loup, de Troyes, pour y rassembler son
troupeau, effrayé d'habiter une ville sans défense ' ; ce fut là que s'éleva
plus tard le château de Roussillon, auquel doit son surnom le comte
Gérard, célèbre dans l'épopée mérovingienne, et qui fonda l'abbaye de
Pothières ' ; une église se trouve en cet endroit au centre d'un cimetière
où l'on rencontre à la fois des instruments de pierre taillée, de bronze,
des sarcophages mérovingiens ', et qui sert encore de lieu de sépulture
aux communes de Vix et d'Entrochy.
Les tombes anciennes qu'on y a retrouvées étaient recouvertes de dalles
taillées en dos d'âne, sauf une seule que fermaient deux pierres plates
dont l'une, offrant des traces d'un emploi antérieur, portait le mono-
gramme du Christ, avec l'inscription reproduite par notre planche.
Cela dit pour mettre sous les yeux du lecteur la série des témoignages
relatifs à un monument aujourd'hui disparu, je m'occuperai des mots qui
y figurent.
Les marbres funéraires ne nous ont, si je ne me trompe, fourni encore
* Bolland., ÎOjul., Acta antiqua S. Lupi, § 5.
- Paulin Paris, les Manuacrits f> ançuis delà bibliothèque du Roi, t. YI, p. 103-
109 ; Gérard de Roussillon, Lyon, Perrin, 1856, Préliminaires historiques; Ins-
criptions chrétiennes de lu Gaule, no 1 .
' Voir, pour ces tombes, une note de M. Ed. Flouest insérée dans le Bull, de
la Soc. des Antiquaires de France, 1870, p, 8i.
SUll LNE PIEURE TUMULAIRE 27
aucune formule que Ton puisse rapprocher de cette brève légende. Si
loin que je puisse chercher, je ne lui trouve d'autres analogues que ces
mots écrits, raconte Diogène Laerce, sur une maison grecque : Hercule
habite ici ; que rien de tnauvais n'y entre! ' et, aux temps chrétiens, cette
autre inscription qui, tracée sur les portes des maisons d'Antioche, suffît,
dit Nicéphore Calliste. pour arrêter les désastres d'un tremblement de
terre : Le Christ est avec nous ; arrêtez ! *
Qu'Hercule, Dieu Alexicacos, comme nous le voyons si souvent nommé',
que le Seigneur aient été invoqués pour sauvegarder l'habitation des
hommes, le fait n'a pas besoin d'être exphqué; mais, si la brève inscrip-
tion de Vix a, comme j'incline à le croire, d'après ce double exemple, été
gravée pour faire connaître que le Christ protège le défunt, deux questions
s'offrent ici tout d'abord : comment le Seigneur peut-il être présent dans
la tombe d'un fidèle ? contre quelles attaques le mort doit-il être gardé
dans son sépulcre ?
Avant l'heure de la résurrection et du jugement suprême, le pécheur,
répétaient les anciens, pouvait souffrir, dans son corps même, de cruels
tourments. Le démon, par la permission de Dieu, ou des anges terribles,
ministres de sa justice*, faisaient expier, dès la mort, les crimes ou les
fautes de la vie. Des faits qui répandaient l'épouvante se racontaient
parmi les chrétiens. Ici, c'était un débauché dont la flamme avait fouillé
la tombe et anéanti les restes ^ ; là, une religieuse indigne arrachée de sa
couche mortuaire et à demi consumée par le feu*^; des morts criaient du
fond de leurs tombeaux que la flamme les dévorait ' ; un autre gémissait
et suppliait le Seigneur de le délivrer du démon*. A Milan, un impie avait
été enterré dans une église; la nuit suivante, on entendit le bruit d'une
1 In Diogen., YI, .-iO ; cf. VI, 39 ; Clem. Alex. Strom. VII, 4; Theodoret. Ser-
mo VI, de Providentia (éd. Paris, t. IV, p. 564).
2 L. XVII, c. 3 (éd. Fronto Duc. t. II, p. 735).
*Lucian. 'AXextouojv, § 2 ; Lactant. Instit. div. V, 3; Caryophillus, De thermis
■ Eercul., p. 31; Orelli, n°« 901, 9il, 1536, -1537; Corpus inscr. grœc, no
5989, etc.
4 Hûbner, Inscr. Hi^p. christ., n° 253 : VT NON PERMITTAS INTROIRE AN-
GELVM PERCVTIENTEM : cf. i Paralip. XXXII, 21 : Et misit Dominas ange-
lum qui percussit omnem viruin robustum, etc. ; Eulog. Memor Sanctor., L. II,
c. 16 : Angelo peroutiente. . .
» Gregor. Magn. Dialog. L. lY, c. 32.
«IJ. IV, 51.
' Gregor. Turon. De Gloria marUjr. c. CVi .
* Gregor. Tuvoi!. Vilœ Patrum, c. XVl.
28 SiLR UNE PIKRRK TUMULAIRE
lutte engagée dans le sanctuaire ; deux esprits à face terrible avaient lié
les pieds du cadavre, l'entraînaient malgré ses clameurs et le jetaient
hors de l'enceinte sacrée'.
Ainsi prend corps et se dramatise, sous la plume de deux saints Pères,
Grégoire de Tours et Grégoire le Grand, une croyance déjà bien ancienne ;
dès avant l'âge oîi nous reportent leurs écrits, les chrétiens redoutaient
pour leurs restes les attaques du démon. « C'est là, dit saint Maxime de
Turin, « une crainte que nos ancêtres nous ont transmise *. » Le temps ne
devait pas la faire disparaître. Au 1X% au X" siècle, cette persuasion de-
meura vivante. On raconte aux fidèles épouvantés la terrible légende du
dragon torturant, dans le sépulcre, un prince impie ^ Longtemps après,
Guillaume Durand, Théodore Balsamon répètent que les démons s'achar-
nent sur nos restes misérables \
Le Seigneur et ses Saints pouvaient seuls assister dans la tombe le chré-
tien que ne couvre plus alors le bouclier de la prière. La croix *, les reli-
ques ^ auprès desquelles, dit saint Jérôme, les esprits de l'abîme rugissent
impuissants, l'eau consacrée par la bénédiction ^ tout ce qui avait, pen-
dant la vie, défendu le fidèle contre l'enfer, devait encore après le trépas
être sa protection et son appui.
Nous avons vu les attaques du démon : un récit de Grégoire de Tours
nous montre son impuissance et sa défaite. C'était, dit l'historien, au temps
de saint Nizier ; une cruelle épidémie avait fondu sur Trêves et le prêtre
de Dieu implorait pour son troupeau décimé la miséricorde céleste. Tout
à coup, au milieu de la nuit, on entendit un bruit terrible, retentissant
comme un tonnerre ; la ville allait, semblait-il, s'écrouler. Le peuple, s'é-
veillant plein d'épouvante, attendait la mort, lorsque, dans ce fracas, une
^ Gregor. Magn. Dialog. L. IV, c. 53.
2 Homil. LXXXI.
3 Baluz., CapituL, T. II, p. 109 et 779; Flodoard, L. II, c. 12.
^ Durandus, Rationale divin, offic, L, Yll, c. 35, § 37, 38, 39; Theodorus
Balsamon, Commentar. in Canon. Jpost. et Concil. In can. LXXXVI, Conc.
Trull.
» Morcelli, Kalend. Constant, 1. 1, p. 231 ; Duchesne, t. II, p. 87 ; Bolland. t. III,
raart. col. 138, § 5 ; Allegr. Opusc, p. 59; De Rossi, Bull. arch. crist. Aprile,
1863 ; l'abbé Cochet, Sépultures, p. 312, etc.
" Theodoret. Philolh., c. XXI ; Sozom. Hist. EccL, IX, 11 ; Duchesne, t. II, p.
87 ; Bosio, Roma Sott., p. 105; Mabillon, Acta SS. ord. Bened., Saec. III, pars
II, p. 165 ; De Rossi, loc. cit., etc.
7 Durandus. loc. cit.; Bosio, Roma Sotteranea^ p. 20 ; Lupi. Disseriazioniy 1. 1,
p. 76, 77.
SUR UNE PIERRE TUMULAIRE 29
voix fut entendue au milieu d'autres : « Compagnons, disait-elle, que fe-
< rons-nous ici? A une porte, veille S. Euchaire ; à l'autre, S. Maximin ;
« et voici que Nizier se tient au milieu de la ville ; il nous faut la laisser
« à leur garde. » A ces paroles, le mal s'arrêta et ne fit plus de victimes
à Trêves ^
Ce secours que la Rome des Gaules reçut ainsi des reliques de ses an-
ciens pasteurs, des prières de celui qui leur avait succédé, les chrétiens
l'espéraient pour leurs tombes de la présence des choses saintes, cherchant
ainsi, comme le disent les inscriptions, une protection pour leur dépouille
mortelle, en môme temps qu'un patronage pour leur âme -.
C'était par la vertu du Christ que s'obtenait ce merveilleux secours ;
aussi, plus d'un parmi nos pères, voulut demander au Seigneur même de
l'assister dans le tombeau. Là, comme ailleurs, devait être tout puissant
celui dont la présence tient les démons enchaînés à la porte des sanc-
tuaires '. Son corps vénéré devait accomplir partout le même miracle ;
et ce corps, n'était-ce pas la sainte Eucharistie? Au miUeu de tant de
textes qui l'affirment, l'une de nos anciennes inscriptions, celle d'Autun,
nous dit que le fidèle, recevant du prêtre, suivant l'usage des premiers
siècles, les espèces eucharistiques, tient en ses mains le divin 'I^Ouç '* ;
puis, par une expression qui rappelle celle de l'épitaphe si laconique dont
je cherche à pénétrer le sens, saint Optât dit qu'en renversant ces autels
que chaque consécration eucharistique fait la demeure du Fils de Dieu, les
donatistes ont frappé le Christ lui-même qui y réside *. L'hostie est donc
le Seigneur en personne, ainsi que l'Eglise Ta enseigné parla parole, par
les écrits des Pères, la liturgie, les monuments. Swjxa XptcToïï, disait, aux
' Gregor. Turon. f'itœ Pairum,c. XVII, § 4.
'-Gazzera, Iscriz. crist. ciel Pîcw., p. 80, MARTYRIBVS DOMINI ANIMAM
CORPVSQVE TVENDO | GRATIA COMMENDANS ÏVMVLO REQVIESCIT IN
ISTO I SILVIVS, etc.; p. 102, GOM. MEN. DANS. SANG. TIS. ANIMAM. COR-
PVSQVE FOVENDV.
* S. Chrysost.Homil. de S. Marlyrib. ^^: 'E^oj ty;? l>cxXr,(7ia<; â'axvjxevô ôiàêoXo;-
sU yàp Trjv îspàv TauTYiv (xavSpav elaeXOeïv où ToXixa.
* Inscriptions cJirét. de la Gaule, n° 4. Voir encore peur l'identiflcation du
Ghrist et des espèces eucharistiques, le fait miraculeux rapporté par S. Cyprien
(De lapsis, c.X)iM).
* S. Optât. De schismate Donutist., lib. VI : « Quid vos olfenderat Ghristus,
cujus illic per certa tnomenta corpus et smiguis habiiabat ? . . . Dum impie per-
sequimini manusnostras illic vbi corpus Chrisii hahitahat feristis et vestras. Hoc
modo Judaîos estis imitati : illi injcccfunt uuuius Glitisto 'm riuce, a vohis percus-
sus est in altari. »
30 SUR UNE PIERRE TUMULAIRE
temps antiques, l'évêque donnant la communion ' ; aux Catacombes, les
fresques des galeries primitives offrent souvent l'image du poisson unie à
celle du pain, du vin eucharistiques % association mystérieuse que saint
Chrysostome explique et affirme par ces mots si fréquents dans ses dis-
cours, lorsqu'il parle de la table sainte et qui une fois encore nous rame*
nent à la formule inscrite sur la pierre de Vix : « Le Christ est là. Le
Christ est présent. Ilapetîri'v ô Xpiorroç. ïlapsaTiv ovT(o; *. » Nos ancêtres l'a-
vaient compris, et, comme tant d'autres choses saintes, des oblata furent
placées sur la poitrine des morts, afin de leur assurer le repos dans la
tombe. Du VPau X^ siècle, le fait est souvent constaté, et un récit de Gré-
goire le Grand atteste à la fois l'existence et la raison d'être de cette pra-
tique. Un jeune moine, coupable de désobéissance, mourut en état de pé-
ché. On l'ensevelit; mais dès le lendemain, la tombe avait rejeté le ca-
davre. Inhumé de nouveau, il fut encore une fois retrouvé hors de sa
sépulture. On accourut auprès de l'abbé, saint Benoît, en le suppliant de
pardonner au coupable. L'homme de Dieu remit alors à ceux qui l'implo-
raient le pain eucharistique. ^ Allez, dit-il, déposez avec respect le corps
« du Seigneur sur la poitrine du mort et replacez le cadavre dans la
« tombe. » On obéit, et dès ce moment la terre conserva les restes du re-
ligieux '*. Le Christ était avec lui dans le sépulcre; il était là, comme le
dit notre inscription, et le défunt était gardé, car suivant l'expression
d'une pensée sur laquelle insiste saint Chrysostome . i Oh est le Christ,
le démon n'ose entrer '°. »
Ainsi me paraissent pouvoir être expliqués les mots inscrits sur la
pierre de Vix. Déposé dans le sépulcre, le pain eucharistique aurait, si je
ne fais fausse route, rempli, en écartant les attaques de l'enfer, le rôle
protecteur dont parle Théodore Balsamon commentant un canon ancien
1 Constit. Apostol.,\, VIII, c. 13.
- De Rossi, Roma Sotterranea crlstiana, t. I, pars VIT! et p. 323 ; t. II, tav.
XV, no 1, p. 340.
^ Homîl. I in prodit. Judœ, § 6 : IlapîffTiv ô Xoicxo;, xai vuv è/.eivoç ô tviv
rpocTTS^av oiaxocir/^Ga;, outoç xat T'^ur/jv oiciKOuu.zl vuv. Homil in Serayliim, § \ :
"Orav oOv -r^ upaipaTiÉi^r, TrponÉvat y-ÉXXrjÇ, vô[j.t(^f exôï nkI tov [iaciXéa twv aTtavTtov
Ttapsîvai* y.at '{y.o TrapïVxtv ovroiç. Voir encore Homil. LXXXII in Mulh. § 4; Uo-
mil. XVII, in Ep. ad Hebr. c. X, § 3.
^ S. Gregor. Magn., Dialog., 1. II, c. 24.
' Exposit. in Psalm. XLI, § 2 : "Otîou oï ô Xptato;, oaîaojv ulv oùosiç sttcIceX-
Oîîv, fxaXXov oï o\joï ~i.'jr-/Jy\r<. -.'jKyyr.ni'.t-r^-t, Voir encore Homil. de SS. mar
tyrib. § i.
SUR UNE PIERRE TUMULAIRE 31
sur la communion donnée aux morts * et qu'attribue de même à la croix
cette inscription de l'Espagne ' :
ERVEIS ALME
FERO SIGNV
FVGIE DEMON
Avec les antiquaires qui l'ont pu voir, j'estime que notre monument est
de l'époque mérovingienne ; mais, chercher à reconnaître la date d'une
inscription dont la formule ne se retrouve nulle part ailleurs serait, à coup
sûr, chose hasardeuse, et je me bornerai à indiquer les éléments d'appré-
ciation qui peuvent nous donner quelque lumière.
S'il s'agissait ici d'un monument étranger à notre sol, la forme des
lettres pourrait laisser penser à une époque antique : la fin du IIP siècle,
par exemple, ou le début du IV^ ; c'est ainsi que le E carré est signalé en
301 sur les marbres ' et Ys en forme de F s'y rencontre dès l'an 295 *.
Mais, en Gaule, la première de ces lettres ne paraît pas avant l'an 506;
l'autre se trouve sur une épitaphe découverte en Bourgogne, comme celle
dont je m'occupe, et qui ne saurait, d'après sa formule, être antérieure
à la fin du V^ siècle '■'.
C'est seulement vers les premières années de cette même période que
commence à paraître, dans la Gaule, le monogramme -f tracé dans notre
légende et qui contient, avec la croix, les deux premières lettres du nom
de XpiCTÔ; ®.
Ces données, le mode d'exécution des caractères gravés sur la pierre
de Vix, les apices du monogramme, me portent à penser que, comme la
pierre déjà trouvée près du même lieu et que j'ai rappelée plus haut, notre
monument appartient à la fin du V siècle.
Edmond Le Blant.
* Commentarius in canones Apostolorum et Conciliorum (apud Beveregium,
Pandectœ canoiium, t. I, p. 253) in Can. 83 Conc. TruU. Tô (xév toi vEipi^s^ôat
To7; ipyitçzZui [jLEtà tsXeuttjV ayiov àptov, xai ouxœç EVTacDtaÇcaOai, vouiJ^o) yivEcOai
eiç àiroTcoirr^v TÔiv oattxovicov, xai Iva oi auxoû £cpooià(^r,Tai Trpo; oùpavov, ô tou pieyaXou
xat aTTOa-oXixou xaxaS^twOï'i; ircxy^HiJ.'XTo:,.
- liùbaer, j/iscr. Hisp. christ, n" 208.
* De Fonscolombe, M'-moirc sur le préambule de Védit de Dioclétien, pi. II.
* Buoiiairuoti, Ve:r(, Prefaz. j). 18. Voir encore Boldetti, Qsscrvazioni, p. 461,
ao 2'J8 ; Carainali, Prodrom. ad ilUtstr. lapidis stratonicoisis (Ï-Ah. I, ad p. 732,
Atti dt'ir Accad. rom. d'à: cJuol.^ t. 11), a" 301, etc.
'° Inscr. chrcli^.nnes de la Gaule, n" 323: cf. L préface, p. xix
" Jrf., préface, p. xiv.
L'EXPOSITION DE LILLE
aixiÊun; article *
XVI.
La collection des manuscrits qui se trouvent à l'Exposition est d'une im-
portance majeure. Elle s'élève à plus de deux cents, et remplit toute
la grande salle des fêtes de l'ancienne Préfecture du Nord. Elle va du VIII*
siècle au XVIII*, c'est-à-dire qu'elle offre des œuvres artistiques de ce
genre pendant une période de onze siècles. Il est juste de dire ici que c'est
à la ville d'Arras que revient pour la plus grande partie le mérite de cette
collection : car c'est elle qui, la première, a consenti à se dessaisir de ses
richesses manuscrites, et les autres villes ont suivi cet exemple. Elle m'a
imposé, il est vrai, une responsabilité personnelle; mais je l'ai acceptée
avec confiance, sachant bien que c'était le moyen d'arriver à obtenir tout
ce que nous avons eu. Les collections particulières nous ont d'ailleurs ai-
dés beaucoup, comme nous Talions voir.
Un seul manuscrit du VIII* siècle s'offre à nos yeux. Ce livre contempo-
rain de Charlemagne est une collection de Conciles et de Lettres des Papes.
Nous en avons un du IX« siècle, un du X% trois du XI*, quatre du XII*,
neuf du XIII*, vingt-deux du XIV*, soixante-et-un du XV% quarante-six du
XVP, dix du XVII" et cinq du XVIII*. Examinons ce qu'il y a de plus re-
marquable, en suivant l'ordre chronologique.
Le manuscrit du VIII* siècle appartient à la bibliothèque d'Arras.
Ce manuscrit, de format in-folio, est intitulé Collectio Concil/orum et
Epistolarum Rom. Pontificum. Il est sur vélin antique et de la fm du
VIII» siècle. Les têtes de livres sont en capitales, les rubriques au rouge
de plomb, en onciales romaines. Ce codex, du temps de Charlemagne, est
très-précieux et très-beau : il est le plus ancien de la bibliothèque.
* Voir le numéro de décembre 1874. H série, t. P"", 18» vol , p. 393.
l'exposition HE LILLE 33
Il jouit depuis longtemps d'une grande réputation et a été cité souvent,
entre autres par Jac. Pamélius, Binius, Baronius, etc. On voit que notre
série s'ouvre sous de bons auspices.
Celui du IX* siècle nous donne un spécimen d'un usage alors fort connu,
mais qui ne devint jamais commun. « Ajoutons, dit à ce sujet Champol-
« lion-Figeac ', pour terminer ce qui concerne le matériel des manuscrits,
« que le choix du parchemin répondait à l'importance ou à la destination
« du Uvre; que les plus beaux, les plus riches, sont composés du parche-
a min le plus blanc et le plus fin ; que le suprême en cette matière était le
« parchemin teint en pourpre ; qu'on écrivait d'ordinaire sur la pourpre
« avec de l'encre d'or ou d'argent ; qu'il nous reste de beaux modèles de
(( ce luxe, fort dispendieux, dans des manuscrits tout liturgiques.... »
Nous avons un de ces modèles sous les yeux.
Ce manuscrit, de format grand in-4% est un évangéliaire. Tous les
feuillets sont teints en pourpre, et le texte des évangiles est tracé en ca«
ractères d'or et d'argent, le tout par respect pour la parole de Dieu. On
y voit en outre des encadrements gouaches, dans le style byzantin, de
grandes capitales romaines en or, des initiales ornées d'arabesques. On
peut remarquer l'alternance, pleine de goût, de l'emploi de l'or et de l'ar-
gent. Aujourd'hui l'argent a noirci et l'or a conservé son brillant, de sorte
que l'harmonie avec le fond rouge est rompue. Mais, dans l'origine, cette
harmonie devait offrir à l'œil une série de pages des plus agréables et
d'une vraie richesse. Ce livre d'évangiles appartient aussi à la bibliothèque
d'Arras.
Le manuscrit du X* siècle, que nous voyons ensuite, appartient à la bi-
bliothèque de Boulogne. C'est encore un témoin de la profonde religion
de nos ancêtres et de leur respect pour la parole de Dieu. En effet, il est
entièrement écrit en lettres d'or, et c'est aussi un livre des évangiles.
Ce précieux manuscrit n'est malheureusement qu'un débris, dont la
beauté fait regretter plus vivement la perte du texte des trois autres évan-
giles, qui évidemment avait été écrit en même temps et dont il ne reste
que les titres. Il n'est pas seulement remarquable par la matière qui a
servi à sa confection, il l'est surtout par la beauté, l'élégance, la netteté
des caractères, et par la sévérité du goût qui a présidé au travail entier.
Voici une Bible manuscrite, écrite en 1083 par Goderau.
Cette Bible a servi à la correction du texte de la Vulgate au Concile de
Trente. C'est le premier volume ; il ne comprend que l'Ancien Testament :
l'autre volume a longtemps appartenu à un brocanteur de Mons, qui l'a
* Le Moyen- Age et la Renaissance^ t. II.
3^ l'exposition de LILLE
vendu à vil prix à un étranger. Chaque tête de livre est ornée d'une mi-
niature qui en résume le sujet; ces miniatures, au nombre de vingt-huit,
sont d'un grand caractère. On peut remarquer surtout les médaillons qui
ont rapport aux six jours de la création et au repos de Dieu, notamment
la main divine entourée des neuf chœurs des anges, le tout formant la
première lettre du texte sacré, et aussi une représentation très-remar-
quable du Tétramorphe, en tête des prophéties d'Ézéchiel. Outre les mi-
niatures, il y a dix lettres d'un beau style. Ce manuscrit appartient au
séminaire de Tournai.
Nos deux autres manuscrits du XP siècle fippartiennent à la bibliothèque
d'Arras.
Le premier est de la njain de plusieurs religieux de Saint- Vaast, qui
ont mis leurs noms en haut des cahiers qui sont leur ouvrage. Voici la
succession de ces noms, qui donnent l'idée du long temps qu'il fallait
parfois employer pour mener à fin un aussi rude labeur. — Albertus scri-
psit. — Albertus finein fecit. — Richuinus scripsit. — Richuinus hic desinit.
— Itesboldus scriptop optimus. — Wûlbertus non plus fecit. — Albertus rein-
cepit. — Albertus hic dimisit. — Albericus scripsit. — Albcricus dimisit. —
Wibertus. — Richuinus secundo scripsit. — Alardus scripsit. — Wilbertus
reincepit. — Wilbertus tertio. — Walta^us scripsit. — Walterus hic dimisit,
— Lambertus incipit.
L'autre est tout entier de la même main : écrit par Albertus : Albertus
scripsit. Ce manuscrit, du commencement du XP siècle, est l'un des plus
importants de la bibliothèque d'Arras. Il est tout consacré à S. Vaast. On
y trouve le sermon d'Haimin au jour de hi fête du saint, des hymnes et
proses en l'honneur du même saint, la lettre d'Alcuin aux rehgieux de
Saint- Vaast avec de» vers pour les saints de leur église, la vie de S. Vaast
par Alcuin, sous forme d'épître à Radon, abbé de Saint- Vaast, l'histoire
des reliques de Saint-Vaast, et même l'histoire émouvante de l'enlèvement
du chef de Saint-Jacques (récit de Guimann, d'une écriture gothique plus
récente). On voit également, dans ce riche codex, des pages de neumes
qui ont été souvent étudiées.
Nous avons pour le XIP sièle le Liber officiorum sancti Vedasti. Il est
tracé au crayon, à deux colonnes, avec de grandes lettres en écriture on-
ciale, au vermillon, à la couleur pourpre et à la cendre verte. Mais ce qui
le distingue, ce sont les très-nombreuses notations musicales qu'il ren-
ferme, et qui ont été souvent étudiées. 11 provient de l'ancienne abbaye
de Saint-Vaast et appartient à la bibliothèque d'Arras.
Nous avons en second lieu, un Manuscrit sur vélin : Vita Sanc'i Ilura-
berti. — Vita Sancti Filigii. — Pièce musicale, avec neumes, en l'honneur
l'exposition de LILLE 35
de Saint-Humbert. — Liber sancti Humberti... Si quis eum abstulerit,
anatheraa sit. Amen. Ce livre provient de l'abbaye de Maroilles et appar-
tient à yi. le curé de Colleret.
Enfin la Bibliothèque de Lille nous a confié les deux suivants :
Psalterium. — 10-4' sur parchemin ; écriture minuscule du XIP siècle,
à lignes longues ; capitales alternativement rouges, vertes et bleues. En
tête, une grande initiale avec enroulements ; une autre initiale, au com-
mencement du dixit dominus.
Liber evangeliorum. — Petit in-folio sur parchemin; écriture minuscule
de la fin du XII*" siècle ; capitales alternativement rouges et bleues. Grandes
mini;itares sur fond bleu, avec ornements en or, représentant les évangé-
iistes. — C'est sur ce livre que les baillis de Cysoing, avant d'entrer en
charge, juraient de garder les privilèges de l'abbaye. — Reliure revêtue
d'une lame de cuivre ciselée, qui offre 40 fleurs de lys. Provenant de l'ab-
baye de Cysoing.
Pour le xiir siècle nous avons 9 manuscrits, parmi lesquels on remarque
surtout ceux qui suivent. De M. l'abbé Carnel, Sequedin près d'Hau-
bourdin : Missale B.omanum, sur vélin. — Ce missel est écrit en bonne go-
thique, facile à lire, mais tracée d'une manière plutôt expédiée que posée.
Il n'y a pas d'ornements en or, mais en revanche les dentelles rouges ou
bleues qui remplissent et entourent les lettres sont d'une grande délica-
tesse et d'un goût antique. Le système général des lettres bleues, rouges,
vertes, agencées d'une certaine manière dans les pages, rappelle les ma-
nuscrits romans, quoique celui-ci soit du XIIP siècle. Une seule miniature
se rencontre dans ce beau missel, la grande scène du Calvaire, au com-
mencement du canon. Jésus est attaché à la croix par trois clous. Ses
pieds reposent sur un large suppedaneum. Le vêtement qui le ceint est
très-ample. Le titre de la croix est sur une large planche ; l'attitude de
S. Jean est antique : il a les pieds nus, comme apôtre, et la sainte Vierge
a les pieds chaussés. Le soleil et la lune sont portés par des anges vêtus,
nimbés, aux grandes ailes. Toute cette page respire le parfum des siècles
de foi. L'office de S. Louis est ajouté à la fin du manuscrit.
De M. Ed. de Goussemaker, Lille :
VApocalipse S . Jean. — La lumière as lais. En tête du volume on trouve;
1" la table des chapitres de l'Apocalypse, ainsi intitulée : Ces sunt les cha^
pitres de l'apocalips ; 2" la table de la lumière dis lais, commençant par ces
mois : En ceste manere comence la pi^ologe de le livre del romanz de la
lumière des lais. Nous avons surtout à remarquer, pour ce qui fait l'objet
de notre étude, une traduction de l'Apocalypse avec commentaires et
soixante-treize miniatures.
36 l'exposition de lille
De la Bibliothèque d'Arras :
Manuscrit sur vélin. — Ce manuscrit, de format petit in-4°, est sur très
beau vélin, tracé au crayon, et du XIIP siècle. Il est orné de fines minia-
tures, de grandes lettres historiées et peintes, d'initiales festonnées au ver-
millon et à l'outremer. Il ofîre en outre une collection précieuse de proses
et séquences avec notation sur 5 lignes, et il a conservé ses signets an-
ciens en petites boules.
Manuscrit sur vélin blanc. — Il est intitulé Necrologium Atrebatense : for-
mat in-4° vélin blanc tracé au crayon, longues lignes ; les initiales au ci-
nabre et à l'outremer. Il y a des additions en cursive du XIV^ siècle, mais
le manuscrit proprement dit est du XIIP.
Manuscrit sur vélin. — Ce manuscrit est un des plus intéressants de la
riche collection de la bibliothèque d'Arras. Il est du XIIP siècle (écrit en
1278) ; il renferme de nombreuses miniatures.
Voici les pièces diverses dont se compose ce curieux volume, sorte de
recueil moral, historique et poétique.
1" Un poème moral : ici endroit commence li livre ki est de philosophie et
ensement de moralité ,•
2" Ici endroit définent li filosofe et li aucleur. Si commence après la nais-
sance Jhesu- Christ et se mort ;
3° Légende de Ste-Suzanne ;
4° La vie de St-Julien, etc., etc, (avec des lacunes) ;
5° Récits de la manière de vivre des animaux ;
6°, 7°, 8" Collection d'Ave Maria paraphrasés, d'un clerc qui disait VAve
Maria, comment on doit se tenir à la messe, etc., etc.
Dans le XIV* siècle nous trouvons des choses du plus haut intérêt.
Voyons d'abord ce manuscrit de l'Apocalypse. Il appartient à la biblio-
thèque du Séminaire de Namur.
Il oiïre, en grandes figures du plus haut^intérêt, un commentaire perpé-
tuel du texte, c'est-à-dire que les miniatures sont aussi nombreuses que
les pages du texte, et on en compte jusqu'à 86. M. J.Helbig a fait connaître
ce curieux manuscrit, dans le troisième volume du recueil que dirige à
Bruges M. Weale, sous le titre de Beffroi.
« La plupart de ces enluminures, dit-il, sont peintes sur fond blanc,
d'une coloration harmonieuse et sévère tout à la fois. Les couleurs bril-
lantes, telles que le rougo vermillon et le bien d'outremer, s'y voient rare-
ment. La plupart des nimbes des figuresprincipalessont dorc'^, avecunorle
noir. Les ailes des anges offrent cette particularité qu'elles se terminent
presque toujours par des pennes noires, distinctes les unes des autres. Les
têtes des petites figures sont d'un fini précieux ; les chairs, les cheveux et
l'exposition de LILLE 37
les barbes sont modelés avec beaucoup de soin, tandis que les drape-
ries sont traitées plus largement et se terminent généralement par un
contour extérieur ferme et ressenti. Dans ces draperies, les tons vert-olive,
violet ou brun-terre de Sienne naturelle dominent; elles sont quelquefois
ornées de filets blancs sur les contours et d'ornements blancs à l'intérieur.
Les élus sont presque toujours vêtus de blanc. Les armes et les armures,
ainsi que d'autres détails métalliques, sont souvent argentées ; les instru-
ments de musique pour la plupart sont dorés.
« Toutes les miniatures sont peintes avec beaucoup de légèreté. Les
draperies, les nuages et les terrains ne sont pas traités d'une manière so-
lide, mais touchés facilement en réservant les lumières; il n'y a que les
filets blancs bordant les draperies qui soient peints avec des couleurs
opaques. »
Ce manuscrit a été étudié avec soin pour des projets de complément
des célèbres tapisseries d'Angers représentant le même sujet, et publiées
par M. Léon de Joannis. Il serait fort désirable que le manuscrit de
Namur fût publié de la même manière, et ce ne serait pas chose bien dif-
ficile. On a, du même XIV^ siècle, au Musée Britannique, un autre manus-
crit de Y Apocalypse, dont M. J. Helbig a parlé dans le tome second du
Recueil de M. Weale, cité plus haut.
Voici une des plus grandes raretés manuscrites qu'il soit possible de
rencontrer. C'est un manuscrit sur papier, de 484 feuillets, tout en vers,
orné de 3ol miniatures !
Ce texte et ces miniatures nous disent et nous montrent l'histoire en-
tière de la Rédemption : Dieu avec ses anges dans le ciel, les préparatifs
de la Rédemption dans les conseils de Dieu, l'envoi de l'ange à Marie,
toutes les scènes de la vie de Jésus-Christ, toutes celles de sa Passion et
de sa Résurrection, et de plus l'histoire de l'Eglise jusqu'à la destruction
de Jérusalem, Titus et Vespasien. Tout est dessiné avec facilité, peint
avec énergie, sur fonds rouges, verts, jaunes, bleus, généralement unis,
sans aucun emploi de l'or. C'est une admirable histoire rimée du Nou-
veau Testament, illustrée complètement et en détail, manuscrit rarissime,
de la fin du XIV* siècle, 1390 environ, à la bibliothèque d'Arras.
Cet autre, qui a conservé sa belle reliure en velours rouge avec fermoirs
aux clous et agrafes d'argent portant le lion et l'écu fleurdelisé d'Artois;
plus, des coins d'argent aux têtes d'anges. C'est le livre même sur lequel
les rois, les comtes d'Artois, les baillis et beaucoup d'autres personnages
devaient autrefois prêter le serment. Aussi renferme-t-il plusieurs évan-
giles, puis une grande miniature représentant Jésus en croix entre la
Sainte Vierge et SaintJJean, puis les formules très-belles des différents ser-
38 l'exposition de lille
ments. Le serment du roi se faisait en dehors de la porte Saint-Michel ; il
en était de même de celui du comte ; celui du bailly se prêtait en la halle
au mayeur et eschevins ; et celui des eschevins en l'église de la Made-
leine, en présence des reliques de Saint Vaast. — Ce beau manuscrit
porte les caractères du XIV* siècle. 11 est aujourd'hui déposé dans le
Musée de la \ille d'Arras.
En voici un d'un genre différent et fort remarquable. Il fait partie, ainsi
que le suivant, de la riche collection de M. Van der Cruisse,de Waziers.
La science des politiques d'Aristote traduites en françois par M'' Nicolas
Overmes, doyen de Téglise de Rouen, chapelain et précepteur de Char-
les V, roi de France. Ce précieux manuscrit, fait pour le roy Charles F,
doit être de 1360 ou environ.
Ce manuscrit est d'une exécution splendide. Les miniatures sont dispo-
sées en compartiments renfermant des scènes nombreuses et animées. Ici
on voit la tyrannie en action, puis l'oligarchie, la démocratie ; dans la
page qui forme contraste, on voit le royaume, l'aristocratie, la tymocra-
tie. D'un côté il n'y a que des supplices, de l'autre des conseils pleins de
calme et de paix. Beaucoup de vignettes sont entourées d'une bordure
tricolore parfaitement accusée : l'écu royal aux trois fleurs de lys d'or sur
champ d'azur se voit aussi fréquemment. Une foule de sujets divers ornent
les pages : riches, pauvres, bonne et mauvaise police, bonne et mauvaise
discipline, gens de toute condition : c'est un traité complet d'un bon
gouvernement.
L'autre est une Bible écrite en caractères très-fins et très-nets sur peau
mince. Il est remarquable comme exécution et conservation.
Cette autre belle Bible manuscrite, du XIV^ siècle, sur peau très-fine et
d'une écriture très-belle, appartient à M. Charvet, Paris,
Voyez encore ces deux beaux livres exposés par M. Ignace de CoHSse-
maker.
Celui-ci, admirable de marges, est orné de 17 miniatures d'une écla-
tante fraîcheur. On peut remarquer surtout les trois belles ima;^ s de
Sainte Barbe, de Sainte Catherine et de Sainte Marguerite, qui décorent
la dernière partie de ce manuscrit, celle qui est en français.
Celui-là, manuscrit allemand du XIV« siècle, est orné de cinq enlumi-
nures d'une fraîcheur et d'une finesse remarquable.
Ce Missel manuscrit provient de l'ancienne cathédrale d'Arras, Il est du
XIV^ siècle et d'une belle écriture, avec des lettrines renfermant des scè-
nes choisies de l'Ancien Testament, figures des réalités du Nouveau. Le
vélin est choisi, tracé à l'encre pourpre, divisé en deux colonnes, orné
avec goût. On voit aux marges des additions qui correspondent aux déve-
L'EXPOSITIOiN de LILLE 39
loppements de la liturgie et indiquent le siècle. Il fait partie de la belle
Bibliothèque d'Arras.
A la même bibliothèque appartient ce magnifique volume sur vélin. C'est
un heptateuque : les cinq livres de Moïse avec Josué et les Juges. Le texte
est encadré d'un commentaire, celui de Nie. de Lyra. Mais il est un autre
commentaire qui explique et fait vivre, à la lettre, le texte sacré : ce sont
ces innombrables miniatures qui peignent, avec une facilité de main tout
à fait rare, les récits bibliques dans tous leurs détails, avec une fidélité et
une grandeur remarquables, parfois avec une naïveté qui étonne. Comme
ces dessins n'ont pu être ornés de miniatures, comme les fonds seuls
sont appliqués en quelques endroits, il est facile de suivre les procédés
employés par les artistes, et d'aller, de l'esquisse au complet achèvement
du travail, par tous les milieux du mordant, des fonds d'or, des couleurs,
des agencements divers qui ne sont aucunement dissimulés.
D'après le catalogue d'Arras et la plupart des connaisseurs, ce manus-
crit, qui vient de l'ancienne abbaye de St-Vaast, est l'œuvre d'un artiste
italien, XIV» siècle. Il a 266 feuillets et une quantité de dessins de toute
grandeur, les uns ornant les marges, les autres prenant le quart, la moitié
de la page, parfois la page entière. Tout y est, faits historiques, monu-
ments, actes prescrits ou défendus par la Loi : la Bible y est écrite pour
les yeux en même temps que pour les oreilles. C'est, du reste, une école
de miniature, puisqu'il offre toutes les phases du travail et en livre tous
les secrets.
Citons encore, pour finir le XIV® siècle :
1° Ces deux manuscrits musicaux :
Fragment d'un antiphonaire in-folio. Ce fragment, orné de belles let-
trines avec sujets, vient d'Allemagne, et date probablement du com-
mencement du XIV^ siècle, à M. Béthune d'Ydewalle, Gand.
Antiphonaire in-foUo, orné de lettrines avec sujets divers, générale-
ment allégoriques ou de pure décoration, sans or. Ecole brabançonne du
XIV* siècle. Beliure moderne, mais d'un goût parfait, à M. Fr. Vande-
poele-Bracq, Gand.
2° « Li traitiés des viertus. — Li livres des tribulations, etc. >
Ecriture minuscule gothique du XIV* siècle, sur deux colonnes, majus-
cules alternativement rouges et bleues avec filigranes ; 180 feuillets. Plu-
sieurs miniatures, dont l'une représente saint Benoît, avec ornements à
longues branches de feuillage et à feuilles de lierre, offrant des sujets de
chasse. — Provenant de Saint-Pierre, de Lille, à la Bibliothèque de Lille,
n«94.
3" Biblia sacra. la-fol. mag. 1 vol. 414 feuillets, vélin, XIV* siècle. Très-
10 l'exposition de IILIE
belle gothique à deux colonnes, initiales alternativement rouges et bleues,
rehaussées d'or et décorées d'arabesques d'un style très-sobre, presque
toutes représentant un sujet évangélique.
Cette Bible, dont l'exécution est d'une grande beauté, est bien com-
plète.
In. Pt'ologus. Frater Ambrosius Michi tua (etc.).
Exp. Gratia domini nostri J.-C. etveritas Dei cum omnibus vobis. Amen.
EXPLICIT LIBER APOCALYPSIS.
A la suite, 33 feuillets renfermant les interprétations des noms hébreux
dans l'ordre alphabétique, attribuées à Bède et à Remy d'Auxerre. (Voyez
V Histoire des auteurs ecclésiastiques, de dom Remy Geillier, t. xvii, p. 13).
A la Bibliothèque de Boulogne-sur-Mer.
4» Les heures en flamand, qui sont écrites dans le plus pur caractère
gothique et ornées, sur les marges, de ces dessins légers à la plume, sont
une des marques des anciens manuscrits. Les grands ornements en cou-
leur sont fort soignés et l'or très-brillant. Les fonds quadrillés or et couleur
sont remarquables, et plusieurs miniatures très-belles. Celle de la vision
de la Ste Vierge à Ste Catherine est digne d'attention. A M. le baron de
Morgan, Amiens.
Avec le XV* siècle se développe le règne des Livres d'heures. En voici
une véritable moisson : 46 sur 61. C'est aussi une galerie charmante de
petits tableaux, où nous voyons souvent les mêmes sujets, ce qui peut
fournir des points d'étude et de comparaison. Ces sujets sont surtout la
représentation des scènes de la vie de Notre-Seigneur : l'Annonciation, la
Naissance, la Présentation, des scènes de la Passion, la Résurrection,
l'Ascension, la Pentecôte, les quatre Evangélistes. On voit aussi, mais plus
rarement, l'arbre de Jessé, la rencontre de S. Joachim et de Ste Anne, la
naissance de la Ste Vierge, sa présentation au Temple. Il y aune véritable
abondance de figures de Saints et de Saintes, et c'est là que l'on peut
prendre des modèles pour nos images de piété. Les sujets de l'ancien
Testament sont plus rares : on trouve cependant assez souvent David
jouant de la harpe. Nous avons ici, dans un manuscrit, toute l'histoire de
Job. Les anges sont nombreux comme toujours : ils ont un caractère noble,
un vêtement magnifique ; ils ne ressemblent, en aucune manière, à ces
génies païens qu'a imaginés la Renaiî.sance. Plusieurs manuscrits noua
donnent des détails d'ameublement et d'usages liturgiques fort curieux à
étudier. C'est, en un mot, une véritable et riche galerie, un petit musée
chrétien.
En donnant à chacun de ces 46 manuscrits une moyenne de 20 sujets,
ee qui est loin d'être exagéré, nous avons, ici seulement, environ un mil-
L EXPOSITION DE LILLE 41
lier de tableaux à voir ! Et beaucoup de ces sujets sont traités d'une ma-
nière fort remarquable.
A ce propos, nous citerons un passage de M. ChampoUion-Figeac sur
les miniatures religieuses des manuscrits. « Il est impossible, dit-iî, de
n'être pas frappé par un fait qui se reproduit habituellement ; c'est que
toutes les miniatures des livres de théologie sont évidemment d'une exé-
cution bien plus belle et plus soignée, d'un dessin bien plus correct, que
les Miniatures des romans de chevalerie, des chroniques, etc.. du même
temps. Doit-on en conclure que l'inspiration religieuse produisait seule
cette supériorité de l'iu-t religieux, et que les idées mystiques étaient assez
élevées chez les artistes pour surexciter leur talent lorsqu'ils avaient à
traiter des sujets pieux ? Faut-il croire plutôt que les monastères avaient
seuls assez d'argent pour payer les travaux des artistes les plus renommés?
Dans les abbayes et les couvents, il y avait des hommes, simplement sou-
mis à la règle de l'ordre, qui n'avaient fait aucun vœu, et qui rache-
taient leurs péchés, non par de longues et dévotes pénitences, mais en
enrichissant de magnifiques peintures les livres destinés à ces commu-
nautés. Ils recevaient, en échange de leur labeur, toutes les choses néces-
saires à la vie : ils pouvaient ainsi employer une partie de leur existence,
s'il le fallait, à l'ornement d'un seul livre. ' »
Notons comme particulièrement à remarquer, au miliieu de ce Musée
chrétien, les deux manuscrits suivants :
1° Un bréviaire appartenant aux Clarisses d'Amiens. Ce magnifique ma-
nuscrit, d'une admirable conservation, œuvre brillante du XV'' siècle est
appelé le Bréviaire des Princesses. C'est, en effet, un bréviaire, et il a été
à l'usage de trois princesses de la Maison royale, qui furent religieuses
dans le couvent des Clarisses, deux du temps de Ste Colette, savoir :
Jeanne et Marie de Bourbon, et la troisième, Catherine de la Marche, peu
de temps après.
Tout rappelle du reste cette origine dans ce beau livre : les armes des
Nemours, des Guyse, les fleurs de lys profilées dans les dessins des marges,
et, pardessus tout, la magnificence de l'exécution, soit dans les grandes
miniatures, soit dans les petites, soit même dans l'écriture soignée et or-
née de toutes ces pages, de la première jusqu'à la dernière. Le calendrier
est à lui seul une petite merveille. Quant aux grandes miniatures, plusieurs
sont des compositions de premier ordre.
2° Un livre d'heures appartenant à M. E. de Coussemnker. Ce remar-
quable manuscrit est d'une conservation parfaite. Il contient le calendrier
* Le Moyen-Age ci la Renaissance, t. II, feuille VI.
lie séiif», tome II A
42 i'expositiu:< de lille
complet avec ses symboles ; il est orné de quarante-cinq miniatures exé-
cutées avec soin et dont plusieurs offrent des variantes intellii^entes aux
types généralement admis. C'est ain'^i que, dans la page qui représente
l'Annonciation, Adam et Eve sont debout dans le cadre : la faute et la ré-
paration. La page de la Visitation est magnifique, il en est de même de
celle où Marie est couronnée par les anges et apparaît avec son titre de
Mère de Jésus, en tête de la belle prière : doulce Dame de miséricorde,
mère de pieté, fontaine de tous biens, qui por fastes Jésus-Christ ix moys en vos
précieulx flancs et l'alaictastes de vos doutées mamelles : Doulce Dame je vos
requier mercy, etc. Les lettres ne sont pas moins belles, et les marges sont
pai'tout ornées de dessins variés, or et couleurs, le tout intact et d'une
conservation rare.
En dehors de cette galerie formée par les livres d'heures, et dont on
trouvera tout le détail au Catalogue, nous avons à examiner plusieurs
œuvres d'un ordre différent, et qui appartiennent encore au XV siècle.
Voici d'abord une histoire de la Toison-d'Or. composée par M'' Guillaume
Fillastre, religieux de l'ordre de Saint-Benoît, évêque de Tournai et abbé
de Saint-Bertin. Ce précieux manuscrit paraît avoir été copié pour
M''" Engelbert, comte de Nassau, etc., dont les armes se trouvent à la bor-
dure du premier feuillet. Sur ce feuillet on voit un chapitre de la Toison-
d'Or : le chancelier Guillaume Fillastre y est à son poste, en mitre et chape
bleue. Ce beau manuscrit est à M. Van der Cruisse de Waziers, Lille.
Voici un autre manuscrit non moins curieux, appartenant au môme
amateur.
25 miniatures et 435 lettres ornées, outre beaucoup d'autres plus petites,
font briller ce manuscrit du plus vif éclat. Le sujet de ces peintures est
d'ailleurs bien émouvant : les souffrances ou Passions des principaux
martyrs et martyres, à la suite de la Passion du Fils de Dieu. Les supplices
sont peints dans toute leur vérité, mais avec une finesse de travail et une
expression de joie surnaturelle qui leur assigne leur vrai caractère. Le
texte et les miniatures font de ce livre un ensemble délicieux. Les armoi-
ries indiquent une famille princière.
Enfin, voici un troisième manuscrit de l'Apocalypse. L'Apocalypse de
S. Jean, expliquée par 6o grandes peintures en grisailles, avec nimbes
d'or et ciels d'azur, telle est l'idée que l'on peut se former de ce livre
vraiment remarquable. Le symbolisme est compris partout d'une manière
frappante; les emblèmes sont vivement saisis, et présentés avec une par-
faite intelligence du sujet. Ce manuscrit appartient également à M. Van
der Cruisse de Waziers. Il faudrait encore citer son manuscrit où se
trouvent ces belles miniatures traitées en camaïeu, représentant des sup-
LEXPOSITIUX DE LILLE 43
plices de damnés, avec des détails d'une hardiesse et d'une vérité saisis-
santes; mais il faut avancer dans cette étude, et le XVI» siècle est là qui
nous appelle et nous convie à examiner ses procédés nouveaux.
Je veux parler de l'invention de l'imprimerie. Elle devança le XVI" siècle,
puisque voilà deux livres qui datent du XV« et qui sont le produit de l'art
nouveau. Nous les joignons à ceux qui vont suivre, afin de ne pas séparer
ce qui est de même nature, quoique de siècles différents.
La grande Bible incunable exposée par les Pères Jésuites de Lille est un
des trois premiers spécimens du nouvel art de l'imprimerie : Hoc presens
Gratiam decretum suis cum rubricis, non aframentali penna cannai'e,sed artc
quadam ingeiiiosa imprimendi, cunctif)Otente adspiranti Deo, Petrus Schoif-
fer de Gernshei/m, suis consignando sentis féliciter consummavit.
L'autre livre, appartenant à M. d'Estreuxde Beaugrenier.Valenciennes,
est un livre d'heures imprimé sur vélin, en 1498.
Dix ans plus tard, nous avons, dans le livre d'heures appartenant aux
Clarisses d'Amiens, un type remarquable du passage entre le manuscrit et
l'imprimé. Tout ce qui est caractères est imprimé en gothique sur vé-
hn ; les ornements des marges sont eux-mêmes imprimés à l'aide de bois
gravés en relief. D'autre part, les fins de lignes et beaucoup d'initiales sont
tracées et peintes à la main. On a en outre réservé un grand nombre de
pages qui sont toutes couvertes de véritables peintures. Citons comme
remarquables : l'Annonciation, la Nativité, la Fuite en Egypte, etc.
Nous trouvons encore le même type dans ce livre, de 1513, partie
imprimé et partie manuscrit, appartenant à M. Jules de Vicq. Le texte est
imprimé sur parchemin ; les miniatures, au nombre de dix-huit grandes,
sont à la main. L'imprimeur est Gillet Hardouyn^ à Paris. 1313. Les mi-
niatures, comme couleur, n'ont plus l'éclat du Moyen-Age, elles sentent
l'imprimé ; toutefois elles ont, comme composition, des choses fort remar-
quables. On peut citer notamment la Mort delà sainte Vierge et l'Imma-
culée-Conception entourée des emblèmes bibliques.
Dans la même genre de travail mixte, nous avons encore, de M. de Beau-
grenier, deux livres très-beaux, l'un sur vélin, l'autre sur papier, avec un
nombre considérable de vignettes, grandes et petites. Nous en avons donné
la nomenclature dans le catalogue de l'Exposition.
Citons aussi le Missale Ambianense exposé par M. Van der Cruisse de
Waziers.
Ce Missel est composé de deux parties distinctes, l'imprimé et le manus-
crit. Tout ce qui est texte est imprimé, en 1306, à Rouen, tant en papier
qu'en bon parchemin. Tout ce qui est 'ornement est fait à la main, à plus
forte raison les grandes miniatures, dont deux surtout sont admirables.
44 L'FAPOSITION de LILLE
Celles-ci sont traitées en grisailles, snr fonds de paysages en vert. Rien n'est
expressif, vivant, comme cette grande page qui représente saiiit François
d'As?ise recevant les stigmates. Les traits de feu, les plaies, les yeux du
Saint, tout cela est animé. A genoux est I^i^ançois de Halvuin, 64*= évêque
d'Amiens... Ce Missel a été fait pour lui. L'autre grande grisaille repré-
sente une sainte Barbe. Le Père éternel avec les anges et les animaux
évangéliques d'une part, d'autre part Jésus en croix, sont les sujets du
revers de ces grisailles : l'ensemble lorme, avec la grande scène du cru-
cifix de l'en-tête du livre, une sorte de triptyque dont les deux grisailles
sont les volets extérieurs. Le canon est très-orné, et en parchemin.
Nous en avons plusieurs autres encore, dont il est parlé dans le Catalo-
gue : impossible de les reprendre tous ici.
Et d'ailleurs le XVP siècle nous a aussi laissé des manuscrits qui ne
sont pas sans mérite. Pour clore dignement la série des incunables, nous
ne pouvons pas, à l'occasion d'une exposition de Lille, ne pas citer lagrande
rareté de la bibliothèque de Ldle : « Die spicghel onser behoudenisse (le
miroir de notre salut). » Traduction hollandaise du Spéculum humanœ sal-
vationis, de Vincent de Beauvais.
Texte imprimé à la presse en caractères gothiques mobiles en métal
fondu, avec figures sur bois imprimées au frotttn. — Cette omvre qui a
été produite dans la période comprise entre 1423 et 1430, est antérieure
de plusieurs années aux premiers essais faits par Guttemberg à Strasbourg :
c'est un livre de la plus haute importance pour l'histoire de la gravure
comme pour l'histoire de l'imprimerie.
Les livres d'heures purement manuscrits, et duXVi'' siècle, sont au nom-
bre de vingt. C'est encore une nouvelle galerie de peintures très-belles que
nous aurions à parcourir. Notons les miniatures et lettrines traitées en
grisailles, dans un manuscrit de M. Jules de Vicq, et à ce propos arrêtons
aussi l'attention du visiteur sur l'admirable manuscrit (plus ancien) de
la bibliothèque de lloubaix, où nous trouvons des miniatures en camaïeu
d'une finesse extrême. Notons aussi le genre italien des heures de la Ste
Vierge, de M. de Beaugrenier, et surtout le fini des miniatures d'un autre
livre d'heures de M. \^an der Cruisse de Waziers. On distingue surtout la
belle image de Marie portant l'Enfant-Jésus sur le bras gauche, et entou-
rée de ses ancêtres rangés en arbre de Jessé, plus le l*ère éteinel au mi-
lieu des anges, Adam, saint Joachim rencontrant sainte Anne, etc. Cette
page est splendide. Les marges ornées avec luxe otl'ient presque partout
des scènes comiques d'animaux, sorte de caricatures dessinées avec en-
train.
En dehors des livres d'heures, le XVI* siècle nous donne d'autres œu-
L'EXPOSITION DE LILLE 45
vres : nu manuscrit oriK:' do blasons; des lettres de S. Grégoire avec lettri-
nes ornées ; un processional avec plain-chant, reliure ancienne à fermoirs ;
d'immenses livres de chœur qui ont servi sur les vastes lutrins d'autrefois
et qui sont ornés avec goût.
En voici un autre qui réclame une mention spéciale : Le Mystère par
personnaiges de la Vie. Passion, Mort, Résurrection et Ascention de Nre Sei-
giv lESVS CHRIST, en vingt-cinq Journées, avec les histoires sur chacune
d'icelles, avec la figure du Téatre lequel Mystère fut jouet triumphamment
en la ville deValenchiennes lo47 par des notables Bourgeois et Marchands di-
celle ville dont les noms avec ceux des joueurs sont escrits en la fin de ce pré-
sent livre.
Toutes les vingt- cinq journées se présentent l'une après l'autre: de
grandes peintures se développant sur le verso et le recto'des feuillets pei-
gnent ce qui futreprésenté, c'est-à-dire tout le Nouveau Testament. Ce livre
est donc à la fois un recueil de drames pieux et un magnifique album. Les
peintures sont de Hubert CaiUeau ; le livre a été écritpar Charles Nérighue.
Il appartient à M"" de Lacoste.
Le XYIl" siècle nous présente d'abord un recueil fort intéressant, aujour-
d'hui propriété de M. Ed. de Coussemaker.
Il est divisé en deux parties tout à fait distinctes : l'une comprend une
centaine de peintures à l'huile ; Tautre, des textes se rapportant à l'histoire
des couvents des FF. Prêcheurs et de Sainte-Catherine de Sienne.
Les peintures peuvent se subdiviser en quatre séries représentant : la
première, les principaux saints de l'ordre (elle est désignée par l'auteur
sous le nom de généalogie spirituelle de Saint-Dominique) ; la seconde, les
allégories qui ont figuré dans la procession du il mai 1G31 ; la troisième,
la généalogie temporelle de Saint-Dominique ; et la quatrième, les prin-
cipaux objets artistiques ou précieux que possédait le couvent de Sainte-
Catherine de Sienne.
Les peintures ont été faites pour conserver le souvenir d'une grande
fête célébrée à Douai en 1631. C'est un souvenir, un album de cette fête,
mais un album en peintures à l'huile, exécuté par les peintres Vaast Bel-
legambe et Bon Lenglet. Le texte est une reproduction de l'histoire des
couvents des I >ominicains et de Sainte-Catherine de Sienne, par le P. Ph.
Petit, qui fit exécuter les peintures de la première partie.
Ce très-important manuscrit est donc à la fois un musée et un cabinet
d'archives. Il inventorie, non seulement une grande solennité religieuse
et artistique (qui n'est pas sans ({uelque rapport avec notre exposition)
mais encore les trésors du couvent. D'autre part, c'est un livre historique,
un recueil de documents authentiques, un véritable dossier de pièces à
•46 l'exposition de lille
consulter. Il serait bien à désirer que l'on eût beaucoup de ces sortes de
recueils illustrés de la grande manière : l'histoire vraie de nos anciennes
maisons religieuses serait alors facile à faire, ou. pour mieux dire, elle
serait faite.
Nous avons ensuite, du môme siècle : un beau livre tout orné de gri-
sailles ; un recueil d'armoiries et d'épitaphes ; des livres liturgiques de
l'ancienne collégiale de Saint-Pierre de Lille ; un très-curieux Bénédic-
tionnal en parchemin de 1679, etc.
C'est ce qu'il faut pour bien continuer l'histoire de cet art merveilleux,
qui va en décroissant, en se transformant, à mesure que la gravure le
combat plus vivement et Huit par le vaincre.
Pourtant il nous reste, môme du XVIII* siècle, plusieurs livres de chant,
imitation louable quant h l'esprit, très-incorrecte quant à la forme, des
œuvres d'autrefois. Il nous reste ensuite quelques dessins, non plus en
miniature, mais à l'encre de Chine.
Enfin voici un livre de prières du prince de Bavière, archevêque de
Cologne, daté de 1729. — Cet ouvrage, que Von croit unique, a été gravé
sur cuivre, et l'auteur a consacré vingt années à son œuvre. Il renferme
des dessins d'une finesse extraordinaire. Toutes les lettres majuscules
sont ornées et diffèrent entre elles, ce qui a fait supposer que c'était un
manuscrit. La reliure est du temps, en velours avec filets et médaillons en
argent repoussé et ciselé. Ces médaillons contiennent, comme la première
miniature, les armes du prince-archevèque. Ce livre a été enlevé lors des
guerres de l'Empire, et vendu, comme manuscrit, à Paris, il y a sept ans.
Il appartient aujourd'hui à M. Larangot-Wavrin. Amiens.
A cette magnifique collection que nous venons de visiter, on a joint un
certain nombre de volumes remarquables par la reliure ancienne et le
bon goût dans lequel ils sont traités. On les examinera assurément avec
un véritable intérêt.
L'abbé E. Van Drival.
(La suite au prochain numéro.)
LA CROIX DE HENRI IV A ROME
I
Notice extraite de divers numéros du Journal de Florence, avec des anno-
tations de M9^- Barbier de MontauU
I
Les travaux de nivellement qui ont été exécutés en 1874 autour de la
basilique de Sainte-Marie-Majeure, dans le nouveau quartier de lEsquilin,
ont quelque intérêt pour la France.
Ils vont entraîner le déplacement du principal monument qui rappelle à
Rome la conversion du roi Henri IV '. Ce monument consiste en une croix
élevée vis-à-vis du portail de Téglise de S. Antoine, qui est voisine de Ste-
Marie-Majeure : on la nomme aussi basilique Licinienne. La croix et son
piédestal sont dans un état déplorable ; ce serait bien le cas de les restau-
rer. Cette bonne œuvre serait digne de M. de Corcelle , ambassadeur de
France près le Saint-Siège.
Lorsqu'on dit déplacement, l'expression n'est pas exacte. Il s'agit d'a-
baisser le sol de quatre à cinq mètres, la croix sera abattue et replacée
sur le nouveau niveau, absolument au môme point, vis-à-vis le portail de
la basilique. Les ingénieurs municipaux, que nous avons interrogés sur
place, nous en ont donné l'assurance, et la croix de Henri IV est en effet
marquée sur leur plan.
La croix consiste en un fuseau ou colonne rhomboïde en granit oriental,
baute de cinq mètres avec un petit chapiteau corinthien. La colonne est
intacte, le chapiteau est écorné. Sur le chapiteau s'élève la croix, com-
posée de deux cylindres en bronze ou en marbre noir (on ne distingue
' La conversion de Henri IV est rappelée à Tîome par quatre autres monuments :
une statue de bronze, à Saint-Jean de Latran ; un bas-reliof au tomiieau de
Léon XI, à Saint-Pierre du Vatican; une inbciiption à la façade du Capitule et
une autre inscription à baint-Basilo.
48 LA CROIX DE HENRI IV A ROME
pas très-bien) ; chacune des l)ranches est terminée par une fleur de lys en
bronze. La croix supporte, d un côté, le Christ, de l'autre, comme ados-
sée, la Vierge couronnée, avec l'enfant Jésus sur le bras gauche et le
sceptre dans la main droite, les pieds sur le croissant. Les deux figures
sont en bronze noirci par le temps.
Le piédestal du monument est dans un état encore plus déplorable et
qui ne fait nul honneur à lu France. Sur le bord qui est vis-à-vis de l'église,
il y a l'écu particulier du roi, surmonté de la couronne royale à moitié
rompue ; dans le champ de l'écu, il y a en haut deux écussons, celui de
Bourbon avec les fleurs de lys d'or et celui de Navarre avec les chaînes,
Dans le bas, un H traversé par une palme et une branche de chêne et
surmonté d'une couronne à pointes. Cet écu est également écorné.
Sur le bord du piédestal tourné au midi, vers Sainte-Croix de Jérusa-
lem, il y a l'écu du Pape Clément VIII, Aldobrandini, qui était florentin,
et portait d'azur à la bande Orélessée d'or, accompagnée de six étoiles de
même. La tiare et les clefs qui couronnaient cet écu ponlifical ont dispai'U.
Sur le bord tourné au nord, vers Sainte-Maric-INiajeure. il y a l'écu du
Pape lienoît XIV, qui a fait restaurer le monument \ 11 portait />a/e f/'o/-
et de gueules de six pièces. La tiare y est encore, mais les clefs ont été
rompues. Au-dessous de cet écu papal on lit cette inscription :
Benedictus XIV Pont. Max.
publicum hoc monumentum
Deiparae virgini sacrum
A Clémente viii Pont. Max. euectum
Temporis ruina colla psum
Restituit anno CuRisTi MDCCXLV.
C'est la seule inscription qui soit sui- le piédestal % elle ne parle pas du
roi Henri IV, ni du motif pour lequel le monument a été élevé.
La croix ne fut élevée qu'assez longtemps après le 17 septembre ioUo.
Le cardinal d'Ossat, qui parle des Te Deum célébrés à St-Louis des Fian-
çais et à la Trinité des Monts, ne nomme pas l'église de St-Antoine, dans
la période où il traite des négociations de l'absolution du roi ■'.
1 Cette croix ne fut pas érigée priniitivenient à la })lace qu'elle occupe mainte-
nant. Ce fut sous Benoit XIV que s'oj)éra sa translation ; elle y perdit le balda-
quin qui l'abritait.
' L'inscriplion ■■; rimitivi' se trouve dans les anciens recueils d'épigrapliie.
' Le tombeau du cardinal d'Ossat existe à Home dans une des cl;a]ielles laté-
rales de réalise national!^ de S lint-Louis des fiançais.
LA CROIX DE HENRI IV A ROME 49
II
On sait par les descriptions de Rome du XVIP siècle que le monument
existait et qu'il avait cette destination de perpétuer le souvenir delà con-
version de Henri W. La croix était alors couverte d'un baldaquin en ma-
çonnerie, supporté par quatre colonnes, et le piédestal portait rinscription
suivante :
D. 0. M.
Clemekte • \11I • Vont • Max
AD • MEMORIAM
ABSOLUTIONIS • HeNRICI • IV
FRANC ■ ET • NAVAR
REGIS • rnRISTIANISSIMI
0 • F • R • D • XY • Kal • OcT • MDXGV.
Il est aisé de deviner que les lettres Q. F. R. D. signifient Qu.e Flit
R0M£ Die 17 octobre 1395.
11 paraît que le roi Louis XIV ne fut pas content de cette inscription'. 11
la fit enlever et elle fut remplacée par une taljle de marbre blanc portant
au milieu une flamme.
Le baldaquin en maçonnerie s'écroula en ll'iA. Benoît XIV lit restau-
rer la croix en supprimant le baldaquin. On aperroit encore sur le sol la
trace des colonnes qui le supportaient. 11 y a maintenant quatre bornes
en travertin qui ont dû être reliées pa»- des chaînes.
Tel qu'il est aujourd'hui, le monument de Henri IV est une ruine. Les
trois blasons de Henri IV, de Clément VllI et de Benoît IV ont besoin
d'être sculptés à neuf ".
On n'ignore pas que l'église de St-Antoine, dans laquelle le Pape Clé-
ment VIII vint chanter le 7e Deum pour la conversion du roi Henri IV,
était, à cette époque, habitée par des religieux français, que l'on nom-
mait les frères Dauphins.
Leur institution se rattache aux Croisades. Les croisés l'apportaient
' Ce fut par ordre éiialoruent de l'oinbrngcux monarque que l'ambassadeur de
France s'opposa à la |)ublication dans le Bullurintn llomaitum de la bidie d'ex-
communication lancée par Sixte Y coritie Henri IV.
- Il vaudrait mieux les romp!ét<M- que de les lofaii-e à neuf : on peut les rcstau-
rei' sans les remplacer.
50 LA CROIX DE HENRI IV A ROME
d'flrient la maladie dite feu saint Antoine ', qui était alors épidémique et
qu'il fallait soigner dans des hôpitaux spéciaux. Un de ces hôpitaux fut
institué à Vienne en Dauphiné, et il était desservi par des chevaliers hospi-
taliers qui furent nommés Dauphins. A cette époque on disait dauphins
au lieu de dire comme aujourd'hui Dauphinois.
Le couvent de St-Antoine de Rome était réservé aux malades du feu de
saint Antoine. Peu à peu cette maladie ayant disparu, l'hôpital n'eut plus
de raison d'être. Les hospitaliers Dauphins furent incorporés, personnes
et biens, daris l'ordre de Malte par un rescrit de Pie VI daté de 1778.
Leurs obligations hospitalières furent déférées à l'hôpital de la Consola-
zione -, où l'on transporte aujourd'hui les blessés, qui ne peuvent être
soignés chez eux.
Les relations qui insistent sur les blessés par les incendies soignés à
l'hôpital de St-Antoine '' par les religieux Dauphins, n'ont point la notion
du feu saint Antoine, contagion contractée en Orient par les croisés au
XP et au XII* siècle et de la nécessité de soigner ceux qui en étaient at-
teints dans des hôpitaux spéciaux, où les religieux faisaient preuve d'un
rare dévouement.
Saint François d'Assise, étant venu à Rome, du temps du Pape Hono-
rius III, vint loger avec ses compagnons à l'hôpital des Dauphins. Il y
passa plusieurs mois.
A la fin du dernier siècle, le dernier archevêque de Vienne, Mgr Char-
les François d'Aviuu-du-Bois de Sanzay, chassé de sa résidence par les
révolutionnaires, dépourvu d'argent et de secours, partit de Vienne à
pied et vint jusqu'à Rome, de couvent en couvent, d'hôpital en hôpital. A
peine ariivé dans la ville éternelle, il alla s'agenouiller dans l'église de
St-Antoine et il exprima ses regrets de n'y plus trouver les religieux Dau-
phins, qui étaient partis, dans l'origine, de Saint-Antoine de Vienne.
Pie VI accueillit le saint archevêque. Il se souvint de lui lorsqu'il entra
sur les terres de son archevêché, en allant de Grenoble à Valence où il
mourut.
Plus tard le diocèse de Vienne fut supprime, et Mgr d'Aviau-du-Bois de
Sanzay fut nommé archevêque de Bordeaux. Il est mort dans ce poste.
* C'est pour cela qu'à Rome on représente S. Antoine avec des flammes dans la
main droite ou sous les pieds.
* Cet hôpital est voisin du Forum.
' Les pompiers ont pris ù Rome pour patron le grand S. Antoine, parce qu'ils
ont pour misïion d'éteindre le feu des incendies, comme celui-ci guérit du feu
corporel.
LA CROIX DE HENRI IV A ROME 51
III
Les premières notices publiées par le Journal de Florence an sujet de la
colonne de Henri IV ont appelé l'attention du gouvernement français. Un
des secrétaires de l'ambassade s'était déjà préoccupé d'ailleurs du sort
qu'allait subir ce monument par suite de rabaissement de l'Esquilin sur
lequel il est placé.
Nous avons donc la conviction que l'honorable INI. de Corcellc prendra
les dispositions nécessaires pour que la colonne soit conservée et son pié-
destal parfaitement restauré.
Mais à notre avis, cela ne suffirait pas à la dignité du nom français et
à la grandeur du fait que rappelle le monument.
11 faut que le monument soit rétabli dans son entier, c'est-à-dire que
l'ancien baldaquin soutenu par quatre colonnes, recouvre la colonne
rhomboïde qui soutient la croix.
11 faut que l'inscription de Clément VIII soit remise à sa place sur le
socle.
Cette inscription oubliée, qu'on ne trouve plus même dans les livres où
il est question du monument ', fut enlevée à la suite du dit'.erend entre
la Cour de Rome et Louis XIV. Le grand roi, dont l'orgueil était incompa-
rable, voulut considérer cette inscription comme offensante au nom de
Henri IV ; il ne permettait pas que son royal [irédécesseur eût été hugue-
not et qu'il eût reçu le pardon de Rome : tant l'absolutisme a de hardiesse
et prétend quelquefois effacer l'histoire.
^ Un des écrivains qui ont le mieux traité la question de cette croix est Mer j^q.
quet, évèquc d'Héséhon, dans un ouvrage sous forme de guide, écrit spécialement
en vue de l'ai-mée française, dès les premiers temps de l'occupation de Rome. —
On remarque beaucoup en ce momeut, dans le Journal de Florence et dans la
Revue du monde cutlwliquc, une série d'articles historiques sur la réconciliation
d'Henri IV.
DEUX GRANDS ARTISTES CHRETIENS
LES FRERES DUTHOIT
I
Les frères Duthoit, Aimé et Louis, sont nés à Amiens, le premier, le 25
novembre 180,". le second, le L5 avril 1807. L'un et l'autre reçurent de
leur père, sculpteur lillois étnbli depuis peu à Amiens, les premières notions
de leur art On peut dire qu'ils commencèrent à sculpter et à dessiner le
jour même où leurs petites mains purent manier un crayon ou soulever
un ciseau.
Tous deux reçurent, pendant quelques années seulement, une instruction
primfiire des plus élémentaires dans une institution dirigée par M. Sujol.
Tout en faisant ces études hâtives, Aimé et Louis Duthoit suivirent le
cours communal de dessin, professé ave(; succès par M. Chantriaux.
A l'âge où les autres enfants ne songent encore qu'à leurs jeux, nos
jeunes artistes travaillaient déjà et aidaient sérieusement leur père. Louis
trouvait, de plus, le temps de tailler à la grosse de petites images de
saints et de saintes, dont le produit lui servit à acheter les premiei's livres
de sa bibliothè,(]ue, les premiers dessins de ses nombreuses collections.
On possède des albums de ces artistes, datés, ceux d'Aimé, de 1817,
ceux de Louis de 18-JO. A 13 ou li ans, les deux frèi'es étudiaient et dis-
cernaient d'iustinrt l;i \aleur hisloriciue et arlistiiiue des œuvres du
Moyen-Age, vingt ans avant (|ue les savants travaux des Moutalembert,
des Mérimée, des Vitet, des du Sommerait!, aient attiré l'attention sur
des monuments mé|)risés et incomj)i'is de|)uis plusieiu's siècles.
* Nous regrettons que l'ubondance des matières ne nous ait point permis de
puljlier dans le der iiîr numéiM les notes et renseignements qu'on a bien vouhi
nous conununifjiier sur les hères Pntlioil, à roccasiou de )a nioit de Louis-.Tean-
Baptiste-Joseph Iiiithoit, statuaire, décédé le '.\\ déceml)re, à l'âge de 67 ans.
DEUX GRANDS ARTISTES CHRÉTIENS 53
Aimé et Louis Duthoit eurent naturellement tous les succès qu'ils pou-
vaient obtenir à l'école communale de dessin .
L'iuiibition d'Aimé Duthoit, s'accordant en cela avec celle de son père,
eût été d'envoyer à Paris le jeune Louis pour qu'il pût perfectionner et
développer ses dispositions naturelles. La mort de M. Duthoit père,
arrivée en 1824, mit à némit ces beaux projets; les deux frères eurent
alors à lutter contre les difficultés de la vie, et, avant de penser à faire de
l'art, ils durent songer ;i gagner de quoi vivre eux-mêmes, et faire vivre
ceux dont ils devenaient les seuls soutiens. Aimé Duthoit avait 20 ans, et
Louis 17, quand ils conclurent fraternellement cette association que la
mort seule a pu dissoudre, pendant quelques années, et que la mort vient
de sceller à nouveau et pour l'éternité.
Les deux frères cherchèrent un instant leur voie. — Aimé avait com-
mencé à faire de la statuaire, mais ayant reconnu les dispositions naturelles
de son frère, il le poussa dans cette voie et se réserva la sculpture orne-
mentale. Cette division du travail était cependant plus apparente que
réelle dans les résultats : la main de Louis maniait l'ébauchoir ou le ciseau;
l'expérience et le goût d'Aimé dirigeaient cette main. De même, l'imagi-
nation vive de Louis suggérait à Aimé les idées mères, les thèmes sur
lesquels son habile crayon brodait mille variations. Les deux frères ne
pouvaient se passer Tun de l'autre ; leurs deux talents se complétaient et
leurs œuvres se perfectionnaient par la critique bienveillante faite et
acceptée de part et d'autre avec la même franchise et la même simplicité.
Aimé et Louis étaient déjà établis depuis plusieurs années, et avaient
exécuté de nombreux travaux quand ils visitèrent Paris pour la première
fois, et que pour la première l'ois aussi ils virent un musée.
Ces deux frères soht Amiénois de naissance et de talent. Ils n'ont, pour
ainsi dire, point eu de maîtres; leurs dispositions naturelles, servies par
une grande force de volonté et un amour passionné du travail, se sont
développées à la vue des magnificences de notre incomparable cathédrale.
C'est là qu'ils sont allés demander aux modestes tailleurs d'images du
XIIP siècle, le secret de la simplicité et de la naïveté grandiose de leurs
figures. C'est là que les maîtres du XYI' siècle leur enseignèrent l'art de
grouper les personnages en d'admirables tableaux pleins de naturel et de
vie. Ce sont les œuvres des Blasset, des Carpentier, des Cressent, des
"Vimeux, tous artistes Amiénois, qu'ds étudièrent, demandant à celui-ci
le mouvement et l'ampleur ; à celui-là, la grâce et l'élégance ; à cet autre,
le sentiment et l'expi-'jssion.
Les frères Duthoit n'ont point fait que des chefs-d'œuvre ; leurs pre-
mières proiluctions se ressentent naturellement de leur jeunesse et de leur
54 DEUX GRANDS ARTISTES CHRÉTIENS
inexpérience ; elles se ressentent aussi du goût du jour qui laissait beau-
coup à désirer, mais leur talent, grâce à une étude constante, se développa
vile, et alla se perfectionnant jusqu'au jour de leur décès.
11 serait assez difficile de cataloguer toutes leurs œuvres, elles sont
innombrables et répandues dans toute la province de Picardie et dans les
provinces limitrophes.
Dans le département de la Somme, il est bien peu de communes qui ne
possèdent quelqu'une de leurs œuvres : toutes les églises, tous les édi-
fices publics, presque toutes les habitations particulières ont conservé un
souvenir du passage de ces artistes. — Mais leurs œuvres capitales peuvent
se voir : à Amiens, à la Cathédrale, dont ils furent les sculpteurs pendant
près de cinquante ans, et où Louis Duthoit a exécuté plus de quarante
statues et un nombre infini de statuettes, de groupes, etc., etc. ; — à
l'éo-lise Saint-Jacques, dont Aimé Duthoit avait composé et exécuté toute
la décoration, avant l'incendie de 1857; — à l'église Saint-Germain (1826
à 18G6); — aux chapelles des couvents du Sacré-Cœur (1868), de la
Sainte Famille et des Ursulines (1867) ; — au couvent de la Visitation, au
musée, à l'Hôtel-de-Ville (1858) ; — dans les hôtels de MM. Du Bos et de
gerny; — dans le cimetière de la Madeleine; — à Abbeville, dans les églises
de Saint-Yulfran (1831-61) et de Saint-Gilles (,1860-69); — au Palais-de-
Justice 0863): — à l'église de Péronne (1865); — dans l'ancienne abba-
tiale (1862; et dans le petit séminaire de Sainl-Riquier (1844-68) ; — à
l'église du Saint- Sépulcre à Montdidier (1852-65); — dans l'église de
Long (1857) et à la chapelle de Rue (1862-1869); — aux châteaux de
Belloy-sur-Somme (1846) et de Regnières-Ecluse (1859) ; — au tombeau
de la famille Maille, à Doullens (1838-42) ; — à Arras, à l'Évêché (1856-
1865); à la cathédrale, au Palais-de-Justice (1855), à la Préfecture, dans
le couvent des Dames du Saint-Sacrement (1845-64): — à Boulogne-sur-
Mer : dans le couvent des Dames de la Visitation (1845) et dans l'église
Notre-Dame (1874) ; — et enfin à Hellebeck (Belgique, 1860).
Louis Duthoit a exécuté environ 1,200 statues ou bas-reliefs. — De
quelque habileté qu'ait été doué un artiste, on comprend ditficilement
une pareille fécondité, et pourtant, comme dessinateur, Louis Duthoit a
produit peut-èu-e plus encore. Profitant de ce que leurs travaux de sculp-
ture les faisaient journellement voyager à travers le département de la
Somme, les deux frères dessinaient, d'après ce qu'ils rencontraient, sites,
paysages, monuments, objets d'art. — C'est à l'aide de ces dessins que
Louis Duthoit a pu former cette monographie du département de la
Somme qui compte 8,000 dessins, tous dessinés d'après nature, recopiés
et classés de sa main.
DEUX GRANDS ARTISTES CHRÉTIENS 55
Cette collection, probablement unique au monde, est un véritable in-
ventaire de tout ce que le département renfermait d'intéressant pour l'his-
toire et pour l'art, depuis 1820 jusqu'à nos jours. C'est une œuvre, à peu
de chose près, complète et à laquelle il mettait la dernière main quand lu
mort l'a surpris.
A côté de ce grand ouvrage in-folio, il laisse :
Un dictionnaire en images de la ville d'Amiens;
Un dictionnaire du département de la Somme. Ce travail est malheureu-
sement inachevé;
Un dictionnaire de l'architecture dans le département de la Somme, à
l'imitation du Dictionnaire de Viollet-le-Duc;
Une collection de 48 monuments existant à Amiens en 1700 ;
150 vues delà cathédrale et de la ville d'Amiens primitivement destinées
à illustrer un Guide do voyageur dans la ville:
Un recueil de 300 statues recueillies dans le département de la Somme ;
L'œuvre du sculpteur Biasset ;
Les œuvres des sculpteurs Morgan, Carpentier et Dupuis ;
Les œuvres d'art de la Confrérie du Puy ;
Son œuvre à lui-même, composée de 5o0 dessins, donnant ses princi-
pales compositions:
Une quantité de dessins originaux sur la cathédrale et sur un grand
nombre de communes ;
Un volume de dessins pris d'après nature en France et en Belgique ;
Enfin d'innombrables croquis et documents puisés à toutes les sources,
et se rapportant à la statuaire, à l'archéologie et à l'hagiographie.
Il a fourni des dessins à un grand nombre de publications et il a litho-
graphie lui-même :
Pour l'explication des médaillons du grand portail de la cathédrale
d'Amiens, par Reymonde, 16 planches ; ,
1837. Pour les Monnaies inconnues des évêques des Innocents, etc., par
MM. J. Rigollot, d'Amiens, 37 planches;
1831-40. Pour les Monuments anciens et modernes de la ville d'Amiens,
61 planches;
Pour les Mémoires de la Société des Antiquaires de Picardie, 16 planches;
1840. Pour {'Histoire des arts du dessin du docteur Rigollot, 58 planches ' ;
* Dans son Histoire de Fart en Picardie, M. Rigollot avait exprimé tout ce
qu'il devait au concours de MM. Duthoit dont le crayon si sûr l'avait habilement
secondé dans la reproduction des œuvres d'art qu'il avait à décrire.
« Cet éloge, dit M. de Chennevières, rendu ici aux frères Duthoit, n'était que
o6 DEUX GRANDS ARTISTES CHRÉTIENS
183i. Pour [Histoire (T Amiens &'M. Diisevel, 1" édition, il planches;
Pour Amiens en 1836, par Ch. Caron, 0 planches ;
1834. Pour la Description historique et pittoresque du département de la
Somme, 22 planches;
Pour les Lettres sur le département de la Somine, par H. Dusevel,
P'' édition, 5 planches;
1848. Pour l'Histoire d'Amiens, Dusevel, 2^ édition, 5 planches ;
Pour {'Arrondissement de Montdidier, 2G planches ;
1849. Pour le Bépat-tement de la Somme, texte de M. Dusevel, 34 pi. ;
1873. Pour V Œuvre de Blasset, 40 planches ;
1873. Pour le Vieil Amiens, 100 planches;
Aimé et Louis Duthoit avaient en outre fourni plus de cent dessins in-
folio (à partir de 1 835) pour le Voyage pittoresque et artistique du baron
Taylor; de nombreuses compositions ou reproductions de monuments pour
le Magasin catholique, V Illustration, le Magasin pittoresque, la France pit-
toresque, le Guide pittoresque du voyageur en France, la Revue de IWrt chré-
tien, le Bulletin des Comités historiques, le Guide du voyageur à A7niens, les
Annales archéologiques de Didron, les Eglises, châteaux et beffrois de Picar-
die, Flandre et Artois, les A)'chives historiques et ecclésiastiques de la Pi-
cardie et de l'Artois par Roger, le Sanctuaire de la Cathédrale d'Amiens
d'Edmond Soyez ; quatre réductions à l'aquarelle de tableaux de la Con-
frérie du Puy ont été reproduits dans les Arts au Moym-Age par A. du
Sommerard.
Louis Duthoit sut trouver le temps de dessiner des cartons de vitraux
et même de peindre quelques tableaux. Les peintures de la voûte de la
chapelle de la Vierge, dans Téglise Saint-Jacques d'Amiens, sont les seules
que nous connaissions, bien que lui-même en ait indiqué plusieurs autres.
Ces peintures, sans aucune prétention, ne sont point dénuées d'un certain
mérite ; elles n'ont été faites par lui qu'avec Tespoir de les voir remplacées
justice de la part de M. RigoUot.Les 97 figures ou compositions, reproduites par
eux, d'une plume extrêmement fine, sur quarante pierres lithographiques, for-
ment un athis expUcutif des plus curieux et qui ajoute singulièrement à l'inté-
rêt du texte. Ce sont de très-émineiits sculpteurs et dessinateuis que MM. Du-
thoit, et je ne sache pas d'artistes, dans aucune de nos provinces, qui aient mieux
mérité la reconnaissance de leurs compatriotes, pour leurs savantes et siires res-
taurations des monuments religieux et civils, pour les ingénieuses inventions dé-
coratives (pi'ils ont multipliées à Amiens à Abbeville, dans toutes les ch:ipol!es
des bourgades et villages de Picardie. Leur jiays, (qu'ils n'en doutent pas, se sou-
viendra d'eux plus tard avec orgueil ; depuis Blasset, je n'en vois point qui aient
rendu plus de services à Amiens. »
DEUX GRANDS ARTISTES CHRÉTIENS 37
par des œuvres de maîtres, dès que les ressources de la fabrique lui per-
mettraient de s'adrci^seï' à des peintres en renom.
Nos deux artistes n'ont jamais env^03-é aux expositions de Paris. Un
buste en bronze de M. le Prince fut cependant exposé en 186..,, nous ne
savons par l'initiative de qui.
Une seule œuvre de Louis Duthoit (la Présentation) fut exposée à Amiens
et valut une médaille d'or à son auteur.
Les deux frères ont, durant leur vie, reçu, des juges les plus éclairés, les
témoignages les plus flatteurs de l'estime qu'inspirait leur caractère, et
de l'admiration qu'excitait leur talent. Le duc de Luynes. MM. Mérimée,
Vitet, Lassus, Viollet-le-Duc, du Sommei'ard, Didron, tous les savants,
tous les artistes à qui -lous devons la renaissance des arts du Moyen-Age
se plurent cà reconnaître la part sérieuse que nos artistes amiénois avaient
prise à ce grand mouvement.
Aimé Duthoit fut l'un des fondateurs de la Société des Antiquaires de
Picardie. Dès iSoO, il avait été nommé correspondant du Ministère de
l'instruction publique pour les travaux historiques. En 1841. le Comité des
travaux historiques, ayant, sous forme de questionnaire, demandé à ses
correspondants des renseignemetits sur les différentes curiosités du dépar-
tement, Louis Duthoit y avait répandu enjoignant en marge de légers cro-
quis complétant l'explication donnée par le texte. Cette méthode nouvelle
fut trouvée ingénieuse, et il fut chargé par le Ministère de reproduire par
la lithographie le travail manuscrit qu'il avait adressé au Comité, et qui de-
vait être donné pour modèle aux correspondants. Kn 1850, la Société
d'émul;ition d'Abbeville nomma Louis Duthoit membre correspondant.
C'est le seul titre dont il eut pi se parer, s'il avait été dans son caractère
de se p;irer de quelque chose. Aimé et Louis D.;thoit s'ignoraient eux-
mêmes, et comptant pour p^'v • ■ j l'il.s savaient, ils ne pensai, nt qu à tout
ce qui leur re^tjiit H iuiiin-'n 1^ ^ 'au-e. A ,ssi la lo ange perso'v 'cille
leur était-idic à l'harge, et ii_Ui .oui.sac i-e rt-Vu.Laii a la pensée q •- le
public dût s'occuper d'eux.
Aucime récompense officielle n'a consacré le talent de ces hommes de
bien: la postérité les jugera et leur accordera la place qu'ils méritent à
côté de s B asset, des Dupuis, dont ils ont été, pour ainsi dire, les élèves
et les continuateurs.
II
Voici le discours qu'a prononcé, le 2 janvier, sur la tombe de M. Louis
Duthoit, le doyen des architectes d'Amiens, M. J. Herbault :
11^ série, tome U, 5
96 DEUX (tRands artistes chrétiens
< Messieurs,
< Si c'est un deuil bien triste pour la famille et les amis qui conduisent
ici celui qui emporte leurs regrets, leur affection et leur estime, c'est le
contraire pour cette tombe aujourd'hui devenue commune à deux frères
longtemps unis par l'uraitié, les goûts, le talent et l'amour du devoir réso-
lument pratiqué ensemble, car c'est pour eux un jour de rapprochement
heureux!... En effet les deux frères Aimé et Louis Duthoit, inséparables
en ce monde, n'ont pu être momentanément détachés l'un de l'autre que
par la mort ! Dieu vient de refaire l'union brisée, union désirée à l'heure
marquée, et cette fois rendue à jamais indissoluble! Aussi, à cette pensée
d'un suprême désir fraternel réalisé, ai-je cru tout dabord devoir m'arrè-
ter comme à l'idée consolante, la mieux f.ùte, si ce n'est pour faire taire
nos regrets, au moins pour en diminuer quelque peu l'amertume !. . .
« Oui, les voilà maintenant pour toujours ensemble, mais, hélas ! perdus
pour nous, ces deux habiles artistes, ces deux hommes estimables, aimants
et aimés, l'honneur des arts en notre cité, eux dont les talents ont aug-
menté le renom d'Amiens pendant près de cinquante années d intelligente
et active collaboration, laissant des œuvres variées, justement vantées, et
en si grand nombre, qu'il faudrait plusieurs livres pour les décrire et les
apprécier comme elles le méritent, œuvres non-seulement sorties de leurs
ciseaux, mais encore du goût le plus délicat et le plus correct de composi-
tion, à quelque style et époque de 1 art qu'elles appartiennent, car ils ex-
cellèrent dans tous les genres, la statuaire comme la haute décoration. De
plus, infatigables, habiles et savants dessinateurs, ils ont l'ait, on peut le dii-e,
avec le crayon et la gravure, toute l'histoire pittoresque et monumentale
de notre vaste et intéressant département, de telle sorte que l'historien,
l'archéologue, le chroniqueur peuvent à l'avenir illustrer avec charme et
exactitude leurs ouvrages des leurs, tant en puisant dans deux récentes
publications : le Vieil Amims et l'Œuvre de Blasset, splendidement et in-
telligemment éditées, que dans les riches et abondants portefeuilles actuel-
lement en dépôt dans des mains filiales, heureusement aussi dignes de les
posséder que capables d'en augmeater encore le nombre avec la môme
habileté.
« J'aurais pu. Messieurs, énumérant les principaux travaux de ces deux
grands artistes en faire sous vos yeux un plus long et plus complet éloge,
mais je ne peux ou^)lier qu un intime commerce d'amitié de quarante an-
nées, m'a appris plus qu à personne, combien leur modestie fuyait, redou-
tait même la louange. Aussi, devant cette tombe, resjjectei ai-je presque
une dernière volonté... A d'autres donc d'écrire en détail et de dire ailleurs
Dia:X (UÎAN'DS AUTJSTKS CHRÉTIENS 59
qu'ici, avec plus d'autorité du reste, que les deux frères Duthoit n'em-
bellirent pas seulement nos édifices publics civils et les riches habitations de
toute notre contrée, et au-delà même, pendant presque un demi-siècle,
mais qu'ils s'appliquèrent tout particulièrement avec un soin pieux à dé-
penser tout ce qu'ils avaient de i,'-énie artistique à orner nos temples de
leurs pins belles conceptions, comme à y remettre en honneur les chefs-
d'œuvre de leurs devanciers, outragés ou par le temps ou par la profana-
tion, et en.cela, s'identifiant tellement avec eux, qu'ils rivalisèrent à ce
point de goût avec ces naïfs et charmants imagiers des plus belles époques
du Moyen- Age et de la Renaissance, qu'on a pu dire en toute vérité qu'eux
aussi avaient le rare sentiment de leur art au plus haut degré, uni au
même sentiment de foi.
« Tout en m'ccoutant, vous remarquez peut-être. Messieurs, que ce n'est
pas de Louis Duthoit seul que je parle quand, en ce jour, l'attention sem-
blerait devoir lui a;ipark'nir tout entière: mais c'est qu'il eût été bien diffi-
cile et même contraii'e à votre pensée comme à la mienne de faire autre-
ment, puisque notre souvenir durable et sympathique trouve l'occasion de
se reprodiiire pour confondr'e dans le même hommage, et celui que nous
avons regretté et honoré le premier et celui que nous pleurons en ce mo-
ment. Fuisse cet hommage indivis aller jusqu'à leurs âmes immortelles.
Jl ne pourrait que les réjouir là. comme sur cette terre, eux toujours
exemp!s d'esprit de rivalité.
« Fi'ères insi'piu^ables dans la gloire comme dans l'amitié, vous ne vous
êtes pas seulement ressemblés par le talent, vous avez vécu pareillement
tous les deux en gens de bien. Modèles de piété filiale, modèles des chefs
de famille, quoique à des titres différents, vous n'avez donné que de bons
exemples. Aussi, entourés des respects, de la reconnaissance et de la tendre
aff'ection de ceux que vous avez aimés et édifiés, votre vie ici-bas a-t-elle
trouvé, avec ces duuces récompenses du foyer, l'estime publique, prélude
du bonheur (jue vous avez mérité au séjour des récompenses éternelles où
nous es|)érons bien mériter aussi de la bonté de Dieu de vous retrouver.
'( Au revoir donc, chers et dignes amis bien regrettés, Aimé et Louis
Duthoit, à toujours unis dans notre pensée, comme vous ne cesserez de
l'être glorieusement dans le souvenir de la postérité. »
III
Nous devons dire que la moit de M. L. Duthoit, écho de toute sa vie, a
été profondement chrétienne. S'il aimait passionnément le Moyen-Age de
son âme d'artlsio, il en partageait la foi simple et naïve par son cœur de
60 DEUX GRANDS ARTISTES CHRÉTIENS
fervent' catholique. Ses croyances ont eu une grande influence sur son
admirable lalcnt. Il n'a point, comme tant d'autres, com|)osé de simples
pastiches plus ou moins réussis; il a créé des œuvres viv;mtes où respire
un vrai sentiment religieux. Il s'est si bien identifié avec les époques dont
il reproduisait le style que les antiquaires de l'avenir pourront se trouver
fort embarrassés pour distinguer dans tel ou tel monument les additions
dues au sculpteur amiénois, et, ce que nous disons ici de Louis Duthoit
s'applique également à son frère dont nous avons eu plusieurs fois occa-
sion, dans cette Revue et ailleurs, de louer l'admirable talent.
Nous nous sommes demandé plus d une fois s'il aurait été avantageux
pour l'art que les frères Duthoit quittassent Amiens pour exercer leur
profession à Paris. Ils y auraient sans doute beaucoup gagné en renom-
mée ; ils auraient pu former de nombreux élèves et auraient peuplé les
églises de Paris de leurs chefs-d'œuvre. Mais d'un autre côté, leur talent
aurait perdu de sa naïveté, de son cachet, de sa physionomie locale, et
peut-être de son sentiment religieux. Les frères Duthoit ont pour ainsi dire
été les élèves de la cathédrale d'Amiens ; ils ont bien fait de vivre et de
mourir auprès de la sublime institutrice qui avait éveillé et guidé leur
génie.
J. CORBLET.
LES TAPISSERIES D'AMIENS
Nous trouvons dans le recueil des règlements des maîtres tapissiers de
Paris, la preuve certaine, officielle, de l'existence, à Amiens, de l'indus-
trie ou plutôt de l'art delà tapisserie de haute lice, à l'époque de la Renais-
sance et dont l'origine remontait sans doute à l'émigration des tapissiers
de haute lice d'Arras expulsés par Louis XI en 1479 :
« Les premières fabriques qui ont paru en France ont pris naissance dans
« les villes de Tours et d'Amiens, mais aujourd'hui, elles ne subsistent
« plus. La fabrique d'Amiens n'étoit point autrement recommandable
« que par les bonnes couleurs qu'elle employait, on n'y travaillait qu'en
« hautelice et fort peu en verdures, si ce n'est quelques tentures qu'on
« y fesait oii etoient semées quantité de fleurs mal dessinées ; Son goiit
« se ressentoit de l'antique et il est fort facile de reconnoître qu'elle
« etoit sa manière de travailler par le grain qui y est inégal et dessé-
« ché. »
Les tapissiers de Paris ne connaissaient pas bien exactement l'histoire
de leur art en France, car ils avaient cité les ateliers de Saumur, d'Aubus-
son, d'Arras, de Paris qui précédèrent les ateliers de Tours et d'Amiens ;
néammoins ce document est précieux pour l'histoire de l'industrie locale,
d'autant plus précieux qu'il donne une indication qui permet de recon-
naître à première vue les tapisseries tissées à Amiens ; la marque des
tapisseries d'Amiens était un double Seutortibé. On sait en effet, que les
tapissiers étaient tenus par les règlements généraux qui régissaient leur
style de faire tisser, dans chaque pièce de tapisserie sortie de leurs métiers,
leurs i.om et prénom ainsi que le nom de la ville où la pièce avait été
fuite. Le df)uble S est le sigle de Samarobrioa.
Dans l'édit d'Henri IV de janvier 1607, portant établissement au profit
de Marc de Gommons et de François de la Planche de manufactures de
basse lice, faç(jn de Flandres, il est dit que les entrepreneurs seront tenus
de dresser et d'entretenir 80 métiers uu moins, dont 60 à Paris et 20 autres
à Amiens ou autre ville que bon leur semblera : mais les entrepreneurs
62 LES TAPISSERIES I)"AM1ENS
ne se fixèrent pas à Amien?, ils fondèrent l'établissement des Gobelins et
après la dissolution de leur société en 1(333, rétablissement de St-Germain-
des-Prés.
Les tapisseries d'Amiens ne devaient pas être si médiocres que l'affir-
ment les gardes jurés de Paris, puisqu'elles étaient admises à décorer les
palais royaux; un des inventaires du mobilier de la couronne mentionne
les tapisseries suivantes en les attribuant à Amiens :
Triomphe des Verfiis, tenture .=oie et or de six pièces, ayant 69 aunes de
cours (longueur) et 11 pieds de haut;
La Terre^ pièce de tapisserie de 10 aunes de cours, sur 10 pieds de
haut ;
Dieu le Père, pièce de tapisserie de 10 aunes de cours, sur 11 pieds de
hnut ;
5. Luc peignant la Vierge^ pièce de 5 aunes, sur 4 pieds de hauteur;
Vadoratiun des Mages, id., id.
L'adoration, pièce de 8 aunes de cours, sur 6 pieds de hauteur ;
La Pèlerin, pièce de 8 aunes de cours, sur 7 pieds de haut.
Mais voici une description détaillée, prise dans un autre inventaire, qui
donnera une idée exacte de la valeur et de la composition des tapisseries
de haute lice d'Amiens :
Une tenture de tapisserie de laine et soie, haute lice, fabrique d'A-
miens, représentant Thistoire de Tobie, en 12 pièces, dessin de quelque
élève (?). dans une bordure de rinceaux par le haut et par le bas, avec de
g.ands écriteaux ou lettres blanches, sur un fond rouge, qui «'Xf)! quent
l'histoire, contenant 5:2 aunes de cours, sur 3 aunes 1/2 de hauteur :
1" Tobie au temple qui demande lignée à Dieu, 2 A. 1[4 de cours ;
2" Naissance du jeune Tobie, 3 3[4 ;
3" Sennachvih. confisque les biens de Tobie. à cause qu'il ensevelit ceux
de sa nation qu'il commandait de tuer ;
4° Tobie ensevelissant les morts, 4 li4 ;
3° Tobie aveuglé d'une fiente d'hirondelle, 3 llil2;
6" Anne, femme de Tobie, nourrit sa famille de son travail, 3 ;
7° L'Ange Raphaël s'offre à Tobie l'ancien, pour être le conducteur de
son fils, 5 \\i ;
8° Mariage de Tobie avec Sara, (illc lie llaguel, son oncle, 5 1|2;
il" Festin de llaguel, pour le mariage de Tobie et Sara. 3 2(3 ;
10» L'Ange Raphaël présente une ce. iule à liai-elius qui la paie, 4 ;
1 1° Fe.<tin l!u retuui' de Tobie en la maison de son père, 4 li2 ;
\1° Mort de Tobi;' l'ancien.
!^a ville d'Aude 'Ui-dc. si célèbre par ses magnifique? verdures, ne dé"
LES TAPISSERIES d'AMIENS 63
daignait pas cependant de copier les cartons d'Amiens à en juger par
lextrait suivant de l'inventaire de 1601, des tapisseries du cardinal Maza-
rin qui, d'après les prix courants de l'époque, payait 50,000 fr. une ta-
pisserie et 2,000 fr. le St-Georges de Raphaël :
Audeiiarde. — Amiens : Tenture de tapisserie, fabrique d'Audenarde,
patron d'Amyem, représentant des paysages avec des oiseaux, animaux
et quelques personnages de chasseurs.
Cette tenture était placée dans une des principales salles du château
que le cardinal possédait à Nevers.
La cathédrale d'Amiens était ornée, suivant les renseignements donnés
par l'abbé Corblet, le savant directeur de la Revue de fArt chrétien, de
noiubreuses tai.isserics parmi lesquelles on remarquait : la naissance de
S. Firmin, le baptême, le sacre, l'entrée à Amiens, la prédication, le bap-
tême de la femme de Faustinien, la capture, la décollation, le convoi,
l'invention du corps, l'entrée des reliques, S. Salve priant Dieu devant
un autel donné en 1640.
A Saint-Maitin, on comptait 26 tapisseries dont les figures de grandeur
naturelle représentaient la vie de J.-G.
A Saint-Germain, les marguilliers avaient donné 12 tapisseries de haute
lice, dont 2 représentaient la Visitation et l'Annonciation, les autres la vie
de S . Germain d'Ecosse.
11 ne faut pas s'étonner de cette profusion de tapisseries dans les églises :
nos pères comprenaient mieux que nous le style décoratif; les verrières,
dont les tapisseries, les sculptures, conviennent seules à la décoration des
églises où les tableaux sont généralement déplacés ; en effet, les tableaux
coupent les grandes lignes, détruisent l'harmonie de l'ensemble et perdent
considérablement de leurs effets par suite des hauteurs oii ils sont placés
et de la filtration de la lumière à travers des verres de couleur.
La sayetterie d'Amiens, dit VEi cyclopédie, a conservé le nom de haute
lice aux étoffes dont la chaîne est purement de soie et la trame de laine,
ou qui sont toutes de soie, comme les serges de Rome, les dauplimes, les
étamines, les fevandines et burats, les avogets de soie.
L'industiii; de la tapisserie de hauie lice d'Amiens ne pouvait lutter
contre les manufactures royales des Gobelins, de Beauvais et de la Savon-
nerie, laigement subventionnées par la Couronne; elle disparut vers les
dernières années du XVIP siècle.
B'" De Boyer de S" Suzanne.
INVENTAIRE
DU COUVENT DES DOMINICAINES D'ARRAS
EN 1324
Le monastère de la ThieuUoye * d'Arras avait été élevé par Mahaut,
comtesse d'Artois, en l'honneur de la Ste Trinité, pour recevoir des reli-
gieuses de l'ordre de Saint-Dominique. En 1323, il était à peu près terminé :
un c.mpte d"Enguerrand de Mastaing, bailli d'Arras (de la S. Marc à la
Toussaint 1323), nous apprend que l'estimation en fut faite alors par des
experts charpentiers et maçons et qu'il avait eu pour architecte Jehan de
Monchi, maître maçon de la comtesse d'Artois. Un demi-siècle après
(1370), ce premier monastère était complètement détruit par les Anglais;
rebâti, il fut rasé en 1414 par Jean-sans-Peur, duc de Bourgogne, qui vou-
lait enlever aux Français Tavantage qu'ils eu eussent ictiré pour se
maintenir au 'faubourg Saint-Sauveur. En 1-477, 1640, nouvelles destruc-
tions : aussi ne reste-t-il aucune trace des constructions du Moyen-Age-
L.es religieuses jouissaient de nombreux privilèges qu'elles devaient à la
générosité de leur fondatrice. Ce n'est point ici le lieu de bs énumérer ; je
mentionne seulement, d'après un inventaire de 1526, l'original étant
perdu. Texeniption pour leurs denrées des droits de péage à Bapaunie, ce
pourquoi « elles seront tenues tlélivrer chascun an à la dite dame (Ma-
haut) au chastel de Bappaimes une ceinture de cuire avec la blouque sim-
ple sans aucun metail et une liourse de (il, et au jour de S. Martin deux
paires de gand de laine. »
La maison était régie par une prieuie élue j our trois ans, et son tem-
porel administré par un procureui". Yolande fut la première prieure. Elle
était venue de Lille avec la colonie empruntée aux Dominicaines de
Lille et de Montargis, et, sous son gouvernement, la communauté nais-
sante ]trit un si rapide esior que dès 1321) la comtesse d'Artois dut assurer
' Co nom était celui d.' la Lorrc sur L-.qiielle il cttiit situé.
INVENTAIRE DU COUVENT, ETC. 05
au couventdes revenus suffisants pour l'entretien de cinquante religieuses.
Ses héritiers, Eudes, duc de Bourgogne et Jehanne de France, reconnurent
que la TiiieuUoye ne possédait que 686 livrées de terre ; ils s'empressè-
rent de les porter à mille tant en nature qu'en argent, selon le désir de
leur pieuse aïeule '.
Le document qui suit est un compte de Jehan de Salins, trésorier de la
comtesse d'Artois, des dépenses faites pour le mobilier de la ThieuUoye
et pour le voyage des religieuses de Lille et de Montargis à Arras. Elles
avaient pris possession de leur nouvelle résidence en l'été 1324, probable-
ment le jour de la Ste Trinité -.
MISES FAITES POUR LA TUILLOYE PAR MAISTRE JEHAN DE SALINS "* .
Premièrement à Michel de Lens, pour 3 calices pesins 5 mars. 2 onces
et 7 esterlins, 24 1. 10 s.
A Laude Belon pour 4 veluiauz royés pour faire 3 chasubles, 1 drap et
1 dossier et le parement des aubes, 70 s. pour pièce, valent, \'t Ib.
A Jehan de Laon, chasublier, pour orfrois pour le- chasubles, pour
toille à fourrer le drap et le dossier, pour la façon dos dites chasubles
et des paremens et pour faire 3 estuis de corponil des dis dras. Il 4 s, 9 d.
* Nos religiosas mulieres, pinori^sani et conventum monasterii sororum inclu-
saruni ordinis fraîruia jiredicaîcrum quod dudiirii fundavinius in villa iiostra at-
trebatensi in loco qui dicitur la Tiouloye, volentes favoie prosequi generoso et
maxime pro eo quod monasteriiun antfidictuia i)roponiiiius, fovente Dei adjutorio
in redditibus ampliare usque ad sumiiiani seu estimationem mille librataniiu terre
ad parienses annid et [îrrpetui redditus ad opus et sustentationem quiuquoginta
sororum ordinis predicti.nuinin'um q'!;i! uni quinquaginta sororum ad divini cuilus
aiigmentum inteiidinus in eodiMii monasterio citius qnani poterimiis divino auxilio
mediante mstruL^-o ac eciam aduTiplere. » (Charte de la comtesse Muhaut, datée
de la veille de la Résurrection 1328. — .-/rch. du Pa>-dc Cala's; fonds de la
Thi.'uloye).
'^ Le mandement suivaut montre qu'à la date du 30 juillet elles étaient établies
à Arras et qu'elles y résidaient depuis peu de temps.
« De par la comtesse d'Artoy.s et de bourgogne.
« Receveur, pour ce que de notre commandement vous avez baiUié quarante li-
ft vres ans dames de la sainte Trinité de l'ordre Snint-Dominique i)Our les choses
« nécessaires pour leur vivre jusqiics à la saint Remy prochaine les quelos nous
« avons fondé de nouvel à Arraz, nous voulons que les dites '>') Ib. vous soient ac-
« ceptées en vos -jremiers comptes par ceste cedule faite à Arraz, le penultime
« jour de julet l'an XXVi. » {Ardi. du Pas-dc Calais, Trésor des Chartes d'Ar-
tois.)
^ Arch. du Pas-de-Calais : Trésor des Chartes d'Artois, comptes.
66 INVENTAIRE DU COUVENT
A Claude Belon pour 3 pièces de dras d'or pour faire chasuble, tunique,
dramatique, drap et dossière, 20 1.
A Jehan de l.uon pour les paremens de chasuble, tunique et drama-
tique, pour tnille a fourrer le drap et le dossier, pour façon, 8 1. 5 s. 6 d.
A li pour une cusiode, 14 s.
A Erembûur de Monstroel pour 90 aunes de toille a faire 9 oubes et 9
touailles d'autel dont il en iot 42 au pris de 2 s. l'aune, et 48 à 2 s.
4 d. l'aune. 9 1. 16 s.
A li pour !a fnçon, 15 s.
A li pour 6 corporaus, 18 s. 9 d.
A Jehan de Laon pour 1 autel portatis, 30 s.
A Guillaume le lambier pour '2 chandeliers de quevre, 23 s.
A Colai t de Fontaines poui' 2 hruneies d'Ani'ens pour faire chapes, 24s.
A Guillaume Lescofc de Gant pour 8 pièces de thiretaine blanches la-
nées pour faire cotes-et capelaires \ 6 1, 16 s. pour pièce, valent, 61 1. 4 s.
A Guill; umede Chieieville de Kahen pour 3 thiretaines escrues, pour
faire seratiaus rle'^oux. 30 1. 10 s.
A Jehan Gouflauun de St-Denis pour6 blans dras de St-Lenis pourfaire
esfraiz et couvertures, 43 1. 15 s.
A Jehan Fantis de Moncornet pour 4 dras camelins a faire couver-
toirs. 29 1.
A Gillebeit {.escot pour 12 fourrures d'agniauz pour les dis couver-
toirs. mi. 18 s.
A Jehan Miche, drapier de St-Marcel, pour 30 aunes de thiretaine de
St -Marcel pour faire estraiz à mètre auz lis, 41. 16 s,
A Erembour de Monstroel pour 52 aunes de canevas pour mettre em-.
près le feurre, 52 s.
A Jehane Boinecave, pour 12 coussins et 12 orilliers de plume et pour
chous auz orilliers, 15 Ib.
A Jehan Poulet, pour 414 aunes de toille pour faire dras de lit, 19 d.
l'aune, valent, 32 1. 16 s. 6 d.
A li pour 24 quevrechies, 48 s.
A Erembour de Monstroel pour une douzaine de grosses nappes de
4 aunes, 8 s. pour nappe, 4 1. 16 s.
A li jioiir 6 najipes délies de 4 aunes. Il s. pour nappe, valent, 66 s.
A li pour 6 i:appes délies de 5 aunes, 13 s, 6 d. pour nappe, 4 1. 1- s.
A li pour 14 touailles de 2 aunes, 13 d. l'aune, valent, 52s.
.\ li pour 12 touailles de 5 aunes, 16 d. pour aune, valent, 4 1.
' On sait que les religieuses dominicaines sont vêtues de blanc.
DES DOMINICAINES D AURAS 67
A Jehan de Proiivins, potier, pour 4 grans knnes, 1:2 quartes et 40 cho-
piues quan cez, 40 iu^■tep, 21 salières, 6 douzaines de gians escuelos, 3 dou-
zaines de pelites, 4 grans plas et 4 mendres d"estain, 2i 1. 14 s. 6 d.
A Jthan le hanepier, de Pontalié pour 40 qualliers. (i l. 10 s.
A Hubert Gubin pour 118 douzaines de veelin, 8 s. pour douzaine,
valent, 47 l. 4 g.
Afièie Guillaume, de Mascon oultre la somme de 120 Ib, qu'il avait eu
devant pour la façon des livres baillé, 80 1.
A Jehan Morel de Dieppe pour amener les choses dessus dites de Paris
à Arraz et pour paiages, 116 s.
It. pour corde à faire la gibe et pour la faire et deffaire a Arras et pour
la charger, 18 s.
It. pour portage des dites choses au lendi et du lendi a Paris, 22 s.
Pour un vallet qui conduit les choses dessus dites a venir a Arraz, 10 s.
It. pour les despenz inaistre Jehan de Salins par 22 jouis qu'il fu a Paris
pour acheter les dites choses, 8 1. 10 s.
A Ysabeau Quarrée pour G coussins de boure, U s, 4 d.
A Perrot Louget pour 2 buiretes d'estain a chanter, 2 s. 8 d.
A Evrart Torfevre pour bornir 2 seaus a eaue benoite. 2 s.
A Vincent le lo::deur pour la tontuie de 2 bvunotes et 11 blons dras
tondus 2 fois, o s. pour dr.ip. It. il dras tondus une fois, 3 s. pour diap,
4 1. 18 s.
A Y.-abiau la couturière pour faire 24 paires de dras de lit, 3 d. pour
Pîiii'c, 6 s.
A pluseurs ouvriers par Guillaume de Neauhem pour la façon de 36
couvertoirs, 18 g _
It. par la main dndit Guillaume pour la façon de 12 chappes, 12 cotes,
12 capclairfis. 38 s.
It. pour (il et pour ribanz, 4 s. 8 d.
A Ilerbelot pour les despens de li, de 3 valiez et de 6 chevas du chariot
par 7 jours en aient des Theruaine a Montargis querre les dames de la
Tuilloie.
It. pour 21 personnes et U chevas des Montargis Arraz par 8 jours,
28 1. 12 d.
It. pour renvoier des Arraz a Montargis le char, 1 char que les dames
avoient amenez du comuiandeuient ma dame, 36 s.
It. aus 2 fieies, a 1 chapelain et 1 vallet que viuJrcnt avec les dames,
baillé pour leur retour, 48 s.
It. pour ramener hi priouresse de Lile pour les despens de 11 personnes
68 INVENTAIRE DU COUVENT
et 8 chevaus a la repaire en alant ia, pour 2 valiez et chevaus a retour et
pour forge en chemin, 21 s.
It. pour 3 piaus de parchemin pour faire les letres de la Tuilloie et pour
4 laiz de soie a les sceller, 3 s. 2 d.
A Vincent le tondeur pour faire taindre enbrunete 18 aunes detiretaine
blanche 14 d. pour aune, 21 s.
Pour les despens de 2 filles reçues a Montargis que furent amenées à la
Tuilloie, 16 1b. 10 s.
Pour la voiture des choses aus dames de Montargis amener a Paris et
pour 1 vallet que les conduit, 51 s. 8 d.
It. pour les mener de Paris Arraz et pour 1 vallet qui les conduit,
6 1. 15 s.
A Laude Bolun pour 2 pièces de samyz ynde et demie pièce de roge
pour la chapelle a parer, .• 20 Ib.
A Estieiine Chevalier pour 2080 que cliestiau que flours de brodure 8 d.
pour pièce, 69 Ib.
Ali pour une touaille d'autel, pour l'orfroy de la chasuble, des chapes,
de tunique et draraatiquo, 60 Ib.
A li pour la portraiture des fleurs et des chestiaux, 4 Ib.
Pour cendal vernii'il pour fourrer la dicte chapelle. 1 1 Ib.
A Jehan de Laon pour la ffcçon de la dicte chapelle, pour toille a fourrer
le drap et le dossier, pour petiz orfroyz et frainges, 6 Ib.
A Pierrot de Besençon pour 2 bacios a laver, 2 buirectes et 1 encensier
d'argent pesant; mars et 3 onces, 4 !b. 5 s. le marc vaillent, 31 Ib. 6 s. 6 d.
A li poui' 12 cuilliers d"ar-;euL pesant 7 onces et 15 dstellins, 70 s.
A li pour 2 angelez que portent le chief S. Loys d'argent dorez pesant
1 marc et 7 onces. Item 2 ymaigesde S. Loys, une de la Trinité et une de
S. Jehan pesant 9 mai-s une once et demie. Item une croiz de fust cou-
verte d'argent dorée dont l'argent poise 4 mars et 5 onces. It. une autre
croiz dun l'argent poise 4 mars, 4 onces et 13 estellins. It. une autre croiz
dun l'argent poise 4 mars et 7 onces. It. 1 mor de chape et les pomiaux
d'argent esmailliez pesant 1 marc et 10 esfellins. I,. pour les esmaus d'ar-
gent que sont sus les cntaublement d« quevre 7 onces. Somme des mars
27 mars 15 estellins, G Ib. 12 s. le marc, de quoy l'on rabatit 18 mars et
19 estellins qu'il avoit ouz de l'argent niadume, cest assavoir pour 1 bacin
d'argent que fut [iris au ti'essort a Pai'is pesant G mars et demi et 19 es-
tellins, et 1 hanap pris ou dit trésor, pesant 11 mars et doniy, vaillent les
18 mars a prix île Gi- s. le marc 58 Ib. ainsi demorcnt, 120 Ib. 16 s. 5 d.
A li pour 3 gi'anz ontauh'ement de quevre pour les croiz ('14 a lionceaus
DES DOMINICAINES D AliRAS 69
pour les ymaiges et 1 petiz quarrez pour les ang-elez de quevre dorez,
pesant 45 mars o onces et demie, don Ion roi, ait 7 onces pour les esmaus,
demoie 'i3 mars et 6 onces 2o s. le marc vaillent, o3 Ib. 15 s.
A li pour le loaige de 2 chevaus qu'il amena Arraz ei les despens de li
et d'un vallet et pouj' le salaire du vallet, 61b. 16 s.
Somme toute mil livres, trois soûls et cinq deniers parisis.
Je joins à ce compte deux quittfinces de date très-voisine qui con-
cernent le mobilier et les ornement^ de la chapelle de la Thieulloye.
K Sachent tuit que je Guillaume de SaUns clerc du trésorier ma dame
d'Artuis oy euz et receuz en nom du dit trésorier de Andrier de Monchy
receveur d'Artois pouro cendcms, 6 bouquerans et 2 onces de rubanz de
soie pour 2 paires de custodes pour la Tuilloie 13 livres et 10 soûls parisis.
Donné souz mon seel le 13^ jour de décembre l'an mil IIP XXllII. »
(Arch. du P.-de-C. Id.)
« Je Estienne Chevalier brodeur fais savoir a touz que mestre Jehan de
Salins tré.-orier ma dame d'Artois a paiez pour une chapelle pour les
dames de la Tuilloie d'Arraz les parties que s'ensuivent : premièrement a
Laudebelun pour 5 dras blancs, 40 ib.; pour 5 dras d'or de Luque 17 1. 4 s,;
pour 3 pièces de cendaus vermeil 10 Ib. 20 d.; a Jehan de Laon pour or-
froyz a chesuble, tunique, dramatique et pour la toaille d"autel, pour
orfroiz par piez pour la chape et pour frainges 4 Ib. 9 s.; pour 7 aunes de
toille vermeille et pour la façon de la chapelle 48 s.; pour 3 estoles, 3 fa-
nons, 3 paremens d'aubes et pour toille cirée 12 s.; a Pierrot de Besençon
pour 1 mor a chape 100 s.; a Herembourde Monthereul pour 3 aubes 78 s.;
a dit Jehan pour 30 aunes de toille vert a fourrer 5 dras et 5 dossi- r 40 s.
pour a paremenz a loailles d'autel 4 Ib. les queles parties sunt en somme
quaitre vinz neuf livres, douze soulz et huit deniers parisis. Donné le 14**
jour de mars l'an mil IIP vint et quaitre. » (14 mars 1325. — Id.)
Enfin, on lit dans les comptes de l'hôtel de la comtesse Mahaut (Tous-
saint 1328).
(( A Jaquemon de Douay orfèvre d'Arraz pour un vaiseau d'argent a
porter le Saint-Sacrement, le quel vaiseau futachaté pour mettre l'espine
de la sainte couronne que madame donna aux dames de la Thieuloye,
pensant 14 unches, venduz en tasche, paiiés par le recheveur. 18 Ib.
« A li, pour faire ou dit vaisseau une couronne d'argent dorrée, garnie
de pierrez et de pelles, et pour redorer l'entablement et l'engelot, pour or,
pour argent et pour la façon paiiet par le receveur, 9 Ib.
JULES-MARIE RICHARD.
TRAVAUX DES SOCIETES SAVANTES
Institut de France. — Dans la séance générale annuelle des cinq Aca-
démies, M. Charles Blanc a lu une étude ayant pour titre des Expressions
de la lumière et dont nous détachons les remarquables passages suivants :
<( L'architecture s'est ouverte la première à la poésie du clair et de
l'obscur. Si nous remontons à la civilisation la plus ancienne du monde,
qui est celle de l'Egypte, les tenip'es, les tombeaux, les figures sculptées
et peintes, les signes écrits dans les murailles, tout nous montre que les
croyances, les idées, les dogmes de ce peuple ;mti(jue roulaient sur la lu-
mière. Elle était pour eux le synonyme de la vie. Leur grand dieu, Am-
mon, celui qui avait créé les dieux inférieurs et tout ce qui existe, n'était
autre que le soleil. Comme lui, l'être humain devait fournir une carrière
d'ascension et de déclin, passer d; ns l'hémisphère inférieur et y dormir
dans les ténèbres, en attendant l'aurore de sa résurrection. Les Pyra-
mides, monuments sans porte, sans fenêtres, sans issue, étaient bâties
pour faire une éternelle nuit autour d'un pharaon mort. Dans Ie^ temples
égyptiens, la lumière s'arrêtait à la porte que les prêtres et le roi avaient
seuls le droit de franchir, et le sanctuaire, inaccessible au peuple, était
impénétrable au jour.
« Le mvstère qu'enfantent les ombres a dû être, dans l'ai^chitecture. un
des éléments de la poésie religieuse, chez tous les peuples ellVayés par les
incertitudes de la vie future.
« C'est pour cela que les églises, romanes ou ogivales, du Moyen-Age,
sont rendues sombres ; les premières, par la rareté et l'étroitesse des ou-
vertuj-es ; les secondes, par l'obscurcissement des vides au moyen de ces
vitraux qui assourdissent la lumière en lui faisant traverser des couleurs
profondes, et dont le grimoire, à la fois étincelant et obscur, envelopne le
temple de mystère et remplit les croyants d'une secrète frayeur, a 11 n'est
« pas d'âme si revesche, dit Montaigne, qui ne se sente touchée de quel-
(( que révérence à considérer la vastité sombre de nos églises, »
« L'antiquité grecque, à en juger par ses temples et ses statues, et
TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES 71
d'après le peu que nous savons de sa peinture, ne paraît point s'être ser-
vie du clair-obscur comme d'un moyen d'expression. Pour les artistes
athéniens, l'ombre n'était que la condition du relief; elle accusait simple-
ment les parties rentrantes de la forme. Leur esprit ouvert, la --érénité de
leur âme, leur l'ami iarité avec les dieux, trop beaux, d'ailleiu's, pour
n'être pas vénérés et adorés, le voisinage enfin de l'Olympe, tout cela les
dispensait d'inspirer le respect par une obscurité solennelle, tout cela ren-
dait inutile l'expression imposante, l'autorité des ombres Elevés sur les
acropoles ou sur les promontoires, les temples grecs étaient baignés de
lumière. La grâce y tempérait la majesté, et l'intérieur du naos étant à
ciel ouvert, la divinité pouvait descendre du haut des nues dans son sanc-
tuaire »
Académie pontificale d'Archéologie. — M. Leone Nardoni ami fer-
vent des études de raniiquit(\ a communicjué à l'Académie d'Archéologie
sacrée de Rome une indication importante qu'il a trouvée, dit M. le comte
de Rossi, dans le mare magnum de renseignements de tous genres accu-
mulés par Cancellieri en son volume intitulé Storia dé' soltnni possessi dei
Rumani Ponte fici ^P. 370, note 4).
« On lit dans le diario de Vaksio qu'en 1702, le 25 mal, un maçon a dé-
couvert dans un jardin proche de la tri juue de Sta-Maria Libératrice une
autre très-ancienne tribune d'une église disparue sous vingt et quelques
palmes de terre, avec des peintures du Sauveur crucifié tt de beaucoup de
Saints, parmi lesquels Paul I", pape. Paul I" porte le nimbe carré, ce
qui témoigne qu'il vivait alors, et l'i iscription Sanctiss. Paulus Bomanus
Papa. Sur les murs latéraux est peinte la Vie de Notre-S'^igneur. Chose
digne de remarque, les peintures s étant détachées en quelques endroits
ont laissé voir d'autres fresques plus aneiennes et de meilleure manière.
On croit que cette église a été ou Sta-Muria de Inferno ou Sta-Maria de
Caneparia. Il y a des citations grecques de l'Ecriture. Le peuple est ac-
couru pour la voir, et, mercredi 2 août, Notre Seigneur le Pape (Clé-
ment XI) ayant su que l'on recouvrait l'église, a ordonné qu'on la déblayât
de nouveau. »
(( Il n'est pas besoin de faire ressortir l'importance de cette communica-
tion, ajoute M. de Rossi. La rareté des peintures du VIII* siècle donne un
prix singulier aux fresques de la date certaine du Pontificat de Paul I^',
que nous indique M. Nardoni en citant Valesio. Rapprochées des peintures
de l'église souterraine de Saint-Clément, ces fresques seront une page
précieuse de l'histoire de l'art chrétien en des siècles dont nous avons si
peu de peintures. Je ne parle pus de l'importance historique de l'édifice
72 TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES
et de =on nom véritable : attendons pour cela que le monument soit rendu
à nos études et à la lumière. J'espère que l'autorité qui protège et élargit
chaque jour davantage le patrimoine des antiquités classiques et sacrées y
poui'Noiera. En attendant, louons M. Nardoni d'avoir appelé notre atten-
tion sur un fait qui, ayant échappé aux recherches des ai-chéologues, a
toute la valeur d'une découverte nouvelle. »
Académie des Beaux-Arts. — L'Académie des Beaux-Arts, dans sa
séance du samedi \'2 décembre, a nommé correspondants :
Dans la section de peinture, MM. ^lagaud et Swarts, en remplacement
de M. Laucrenon. décédé, et Matejko, élu associé étranger ;
Dans la section de sculpture, M. Calmels, en remplacement de M. Le-
moyne, décédé :
Dans la section d'architecture, M. Da Silva, en remplacement de
M. Schlick, décédé;
Dans la section de gravure, MM. Weber et Dauguin,en remplacement
de MM. Keller et Pye, décédés.
Académie des Inscriptions. — Antiquités de la France. — L'Acadé-
mie a décerné la première médciille à M. Allmer, pour son ouvrage les
Inscriptions antiques et du Moyen-Age de Vienne en Daupliiné., reproduites
en fac-similé (Vienne, 1874, '2 vol. in-8 ■) ; la deuxième médaille à M. Henry
Revoil, pour son ouvrage Architecture romane du midi de la France (Pa-
ris, 1873, 3 vol. in-fol.) ; la troisième médaille à M. Célestin Port, pour
son Dictionnaire historique et biographique de Maine-et-Loire (Paris et An-
gers, 1873, 1 vol. in-8"}.
Des mentions honorables ont été accordées : 1" à M. Alfred Franklin,
pour son ouvrage les Anciennes bibliothèques de Paris, éjlises, monastères,
etc. (Paris, 1873, 1 vol. in-i°) ; 2" à M. C. Guigne, pour sa Tt/pographie
historique du département de l'Ain (Trévouy, 1873, 1 vol. in-i°): 3° à M. A.
Castan, pour son ouvrage le 1 héûtre de Vesontio et le square archi'ologique
de Besançon (broch. in-8°) : 4° à M. de Formille. pour son llisoire de
V ancien évêché-comté de Lisieux (Lisieux, 1873, 'l vol. in-S") ; 3° à M.
Boucher de Moiandon, pour ses deux ouvrages iniiiulès : La Salle des
Thèses de l'université d'Orléans (Orléans, 1872, 1 vol. in-8°) ; G" à M.
Ulysse Robert, pour son ouvi-age intitulé : Calixte IL Étude sur les actes
de ce pape (Paris et Lyoa, 1874, 1 vol. in-8°).
Prix de numismatique. — Le prix de numismatique, fondé par M. Allier
de Hauteroche, n'a pas été décerné cette année.
Prix fondé par le baron Gobert» — L'Académie a décerné le premier
TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES 73
prix à M. de Boislisle, pour son ouvrage intitulé : Chambre des Comptes
de Paris Pièces justificatives pour servir à l'histoire des premiers présidents
(Nogent-le-Rotrou, 1873, 1 vol. in-4''), et le second prix à M. Tuety, pour
son ouvrage intitulé : les Ecorcheurs sous Charles VII. Episode de l'histoire
militaire de la France au XV'^ siècle (Montbéiiard, 1874, 2 vol. in-S".
Prix fondé par M. Bordin. — L'Académie avait prorogé à l'année 1874
la question suivante : » Faire connaître les Vies des saints et les collec-
tions de miracles publiées ou inédites qui peuvent fournir des documents
pour l'histoire de la Gaule sous les Mérovingiens. — Déterminer à quelles
dates elles ont été composées. » Le prix n'a pas été décerné.
L'Académie avait en outre proposé pour l'année 1874 le sujet suivant :
— Faire l'histoire des Ismaéliens et des mouvements sectaires qui s'y rat-
tachent dans le sein de l'islamisme. » — Aucun mémoire n'ayant été dé-
posé. l'Académie a remis ce sujet au concours pour l'année 1877.
Société Havraise d'Études diverses. — Nous extrayons de ses publi-
cations les notes suivantes sur quelques points d'Archéologie locale par
M. Ch. Rœssier :
« A Montivilliers on a fait une acquisition précieuse pour le petit musée
local. Un des timbres de l'abbaye avait passé entre les mains d'un indus-
triel qui tirait parti de la petite cloche pour son établissement. Il y a quel-
que temps, celle-ci vint à se fêler et l'antiquaire dévoué, qui conserve les
curiosités de sa ville natale s'empressa de la demander pour ses collec-
tions, où elle figure avec honneur. C'est, en effet, une des cloches les
plus anciennes authentiquement datées. Il n'est pas rare de voir attribuer
à des époques très-éloignées certaines cloches d'église; mais, en réalité, la
plus ancienne connue dans notre province est celle de Fontenailles qu'on
voit au musée de Bayeux. Elle porte la date de 1202. Sur le timbre de
Montivilliers on lit en relief l'indication de Tannée 1388, figurée de cette
manière :
m : c c c ; i 1 1 1 : X x : et ; t) t i t :
— « Un autre objet très-curieux a été rencontré aux environs de Lille-
bonne par M. Brianchon, C'est le setier en bronze de la vicomte de Lille-
bonne ; on y voit les armes de Harcourt : deux faces d'or sur champ de
gueules. Par une singulière coïncidence, les mêmes armoiries se sont
retrouvées sur une clef de voûte du donjon de Lillebonne, perdue depuis le
t. mps de l'abbé Rêver et aujourd'hui replacée à l'entrée de la vieille tour.
— « M. Brianchon a aussi étudié le tumulus do ïrouville-en-Caux sous
lequel, au-dessous d'un certain nombre de gros silex, il a retrouvé une
Ils séiie, tome IL 6
74 TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES
couche ferrugineuse mêlée de quelques parcelles de charbon de bois, dans
laquelle M. Marchand, de Fécamp, a reconnu des traces métalliques qui
semblent indiquer qu'un grand feu avait été fait pour consumer divers
débris et des objets (peut-être des armes) en fer. Par dessus l'amas de
cendres, on avait élevé le monticule qui vient d'être détruit. Cette consta-
tation est très-curieuse, mais aussi peu faite pour élucider la question des
buttes factices qui, au contraire, semble de plus en plus difficile à résoudre ;
ne perdons pas pour cela courage, et rappelons-nous que les constata-
tions répétées sont la meilleure méthode pour arriver, tôt ou tard, à
connaître ce qui nous semble aujourd'hui si difficile.
— « Nous avons rencontré auprès de Saint-Romain une chapelle du
XIP siècle qui avait échappé à nos premières investigations, et que
M. Brianchon nous avait signalée depuis. Aussi, pour compléter notre
travail monumental de 1866, devons-nous la mentionner. Elle est compo-
sée de deux parties, la première romane avec un commencement de tran-
sition et la seconde de la fin du XV* siècle. Une porte à arc surbaissé
laisse voir deux écussons avec les armes des Tancarville, un écu en abîme
sur champ [de gueules) chargé de sept molettes^ et celles des Harcourt, deux
faces [d'or) sur champ {de gueules) .
€ L'année dernière, nous avons encore vu les molettes et l'écu en
abîme des Tancarville sur un carreau émaillé du Musée de la Société des
Antiquaires à Caen. Le savant et obligeant archiviste du Calvados a bien
voulu à ce sujet nous communiquer une note que nous avons reproduite
dans la Revue de Normandie.
— « Nous avons vu chez M. Delarue, agent-voyer du canton de Lille-
bonne, un tableau sur bois représentant un beau visage de femme, entouré
d'une grande collerette. Les couleurs un peu ternies sont cependant bien
conservées et l'expression de la physionomie, aussi bien que les circons-
tances de la découverte de cette peinture, prêtent à l'imagination. On l'a
rencontrée dans une ferme de Gravenchon, sans autre indication que ces
mots à la plume : la dame du château. De quel château s'agit-il? — Est-ce
de celui de Gravenchon ou de celui d'Etelan ? Comment et pourquoi ce
joli portrait a-t-il été conservé dans une rustique habitation des environs?
Voilà ce que quelques crudits se proposent d'approfondir très-minuiieu-
sèment . »
Société pour l'étude des langues romanes, de Montpellier. — Cette
Société a résolu qu'un concours philologique et littéraire à la fois, aurait
lieu à Montpellier en 1875. Dans la séance qu'elle tiendra le lundi de Pâ-
TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES 75
ques, 29 mars, des prix seront décernés : Au meilleur travail philologique
(géographie dialectale, grammaire, phonétique, préparation d'un texte
inédit ou peu connu, étude d'un dialecte particulier, etc.) sur la langue
d'oc ancienne ou moderne, le catalan compris ; à la meilleure pièce de
poésie en langue d'oc ; au meilleur écrit en prose (histoire générale ou
particulière, étude de mœurs, roman, nouvelle, etc.) en langue d'oc. Tous
les idiomes du midi de la France, le roussillonnais, le catalan, le valencien
et les dialectes baléares, sont admis à concourir pour la deuxième et la
troisième fondation.
Société d'émulation de Cambrai. — Le Bulletin scientifique du dépar-
tement du Nord résume les travaux contenus dans le tome XXXII des
Mémoù^es de cette Société. M. Durieux y a publié une étude sur les Artistes
cambrésiens et l'école de dessin de Cambrai, d'après les documents conser-
vés dans les archives municipales et dans la bibliothèque communale de
cette ville : cette observation explique tout à la fois les côtés défeptueux
et le mérite particulier de son ouvrage. N'ayant pas consulté les archives
des anciens établissements religieux de Cambrai, conservées dans le dépôt
départemental du Nord, M. Durieux est incomplet. En exposant les quel-
ques idées générales placées en tête de sa notice, il a négligé de parler de
l'immense développement que le haut clergé, les abbés, les chanoines, les
prêtres des paroisses ont donné à l'art durant tout le Moyen-Age ; un
chercheur, aussi heureux que savant, M. J. Houdoy, donnera bientôt une
idée de l'histoire ds l'art dans la cathédrale de Cambrai et fera comprendre
toute l'étendue du mouvement artistique dont cette église importante était
le centre durant le Moyen- Age.
Quand ce livre aura paru, quand on aura, en outre, recueilli dans les
testaments des nobles, des chanoines et des bourgeois de Cambrai toutes
les mentions relatives aux objets d'art qui étaient conservés dans l'intérieur
des habitations, on pourra alors se faire une idée du développement que le
goût pour les arts avait pris dans la seconde moitié du Moyen-Age, et com-
prendre plus facilement que chacune de nos grandes cités du Nord avait,
sinon son école, au moins ses artistes, ses hommes ds talent, qui suffi-
saient à la doter d'œuvres souvent remarquables par leur originalité et par
le soin consciencieux avec lequel elles étaient exécutées. M. Durieux a
attiré l'attention sur le développement que donnaient aux arts le goût pour
les fêtes et l'usage des prix aux corporations ; il aurait dû surtout faire
ressortir l'influence exercée par le clergé, par la splendeur du culte dans
les églises, par les objets d"art, peintures, vases sacrés, tapisseries, dont
la piété de nos pères ornait les autels, et par la somptuosité et le goût
76 TRWAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES
dont ils faisaient preuve dans la décoration de leurs châteaux, de leurs de-
meures.
Après avoir émis ces idées générales sur l'art au sujet des premières
pages du travail de M. Durieux, nous allons le suivre pas à pas dans l'étude
qu'il a consacrée aux artistes de Cambrai.
Il a suivi l'ordre chronologique, sans distinguer entre les miniaturistes, les
peintres, les orfèvres, citant leurs noms, leurs travaux à mesure que l'or-
dre des temps les amène sous sa plume. Cette liste s'ouvre par un nom
important dans l'histoire de l'art, c'est celui de Madaluefe, illustre peintre
de l'église de Cambrai qui, en 835, fut appelé à l'abbaye de Fontenelle,
près Rouen, pour couvrir de décorations variées les lambris et les poutres
des nouvelles constructions de cette abbaye. Il fallait que ce peintre jouît
d'une grande renommée pour qu'il fût, au IX^ siècle, au moment où toute
la contrée était troublée par les guerres civiles, appelé de Cambrai à
Rouen, afin d'y exécuter des travaux artistiques.
Ce glorieux souvenir est malheureusement isolé. On ne peut le ratta-
cher à l'histoire de l'art dans la ville de Cambrai, M. Durieux a recherché
avec raison la mention d'autres noms dans la riche collection de manus-
crits que possède cette ville. Ayant déjà publié une remarquable étude sur
les travaux d'orfèvrerie pour dom Jacques Coëne, abbé de Marchiennes,
Henriet Ponthus et Henri de Vermay, le fils et le petit-fils et l'arrière pe-
tit-fils du célèbre Jean de Vermay, dont M. Houdoy a reconstitué l'his-
toire artistique, nous regrettons de ne pas voir figurer dans la longue et
intéressante suite de noms, qu'offrent les pages consacrées au XVP siècle,
celui de Jean Bellegaude, le célèbre artiste Douaisien, qui, vers 1526, a
peint le retable qui protégeait l'image de Notre Dame-de-Grâce.
A la fin du XVP siècle, se montrent des artistes auxquels ce mot peut
s'appliquer dans le sens que nous lui donnons aujourd'hui. M. Durieux
étudie leurs œuvres d'une manière plus complète ; son crayon et son ta-
lent d'artiste viennent en aide aux qualités qui le distinguent comme éru-
dit et écrivain. Nous regrettons de ne pouvoir que signaler le nom du
célèbre sculpteur cambrésien, Pierre de Francqueville, élève, aide et émule
du grand sculpteur douaisien, Jean de Bologne, de Louis de Gaulery, mi-
niaturiste, mort en 1598, de Gaspard Marsy, sculpteur cambrésien établi
à Florence, auteur d'un saint Sébastien en marbre, aujourd'hui conservé
au musée, et de ses fils Gaspard et Baltasar ; d'autres sculpteurs du nom
de Boileau, d'autres peintres du nom de Caudron, et des fabricants de ta-
pisseries du nom de Baert.
La fin du XVIIP siècle et lo rommencement du XIX° présentent les
noms connus de Charles-Benoit Martho, artiste de talent, fondateur de
TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTE? 77
l'école de dessin de Cambrai, et ceux des trois Saint-Aubert, qui ont laissé
beaucoup d'oeuvres de mérite; ils sont remplacés à Cambrai par MM.
Grohain, Joseph Berger et Abel Berger, directeurs de l'école de dessin et
artistes de talent, par Félix-Henri Auvray, enlevé prématurément, par
Emile Lengrand, peintre qui n'était pas sans valeur, et par Jacques-
Edouard Quecq, artiste d'un talent classique, à qui l'on doit un grand
nombre de toiles remarquables au nombre desquelles on distingue les trois
tableaux représentant saint Charles Borromée, qui décorent la chapelle du
grand séminaire de Cambrai, et surtout les quatorze miniatures les plus
importantes ; il se contente de signaler celles qui offrent des noms d'artistes,
les moines Fulbert et Régnier. Il se transporte ensuite pour un instant
dans le Cambrésis, où il trouve à Honnecourt le grand souvenir de l'ar-
chitecte qui avail construit le chœur de Notre-Dame de Cambrai, et à
Coudry la châsse si curieuse de sainte Maxellende. Il revient à Cambrai
pour compulser les comptes de la ville dont la série, commençant en 136o,
lui a fourni la partie vraiment originale de son travail. La ville emploie
pour son hôtel-de-ville, ses portes, ses bannières et pour les objets d'orfè-
vrerie donnés en présent, des artistes dont les noms étaient pour la plu-
part inconnus. C'est au XIV" siècle, Louis Legrand, Pierre de Lihons (et
non de Lyon), l'orfèvre Harel, Leverrier, Pierre Gouniau; au XV% les
peintres Yiuchant, Jean Noël, Jean De Roynier, Rémy qui dore une
Notre Dame-de-Gràce au dessus de l'entrée de la halle au lin, Crunier,
Mathieu Lebrun, Gilles Colh-man et un maître Gabriel Clowet, auteur d'un
tableau de la Sainte-Trinité, qui lui est payé 100 livres; au même siècle,
les orfèvres Robert Bataille, JeanMaisnet, Jean et Guillaume Lemay, les
sculpteurs Jean Le Cariier, Jean Samin et Pierre Le Mahieu, plusieurs or-
fèvres, verriers et autres artistes. Nous attirerons tout spécialement l'at-
tention sur l'œuN re importante que Roger de la Pasture(VanderWe3'den)
fit pour l'abbaye de Saint-Aubert; mais nous ne pouvons partager l'opi-
nion d'après laquelle cette œuvre serait le tableau du musée actuel de
Cambrai, catalogué sous le numéro 61.
Au nombre des artistes du XVP siècle, nous nous contenterons de si-
gnaler les deux frères Van Pullaere, sculpteurs, qui exécutèrent les deux
statues, célèbres dans le Cambrésis, de Martin et Martine; ces statues fu-
rent, ainsi que l'horloge, couvertes de peintures décoratives, par un artiste
du nom de Constantin. A ces noms nous ajouterons ceux de Dominique
Ruben, qui fit les poi'traits de plusieurs archevêques de Cambrai, de Bon
Boudevillc. auteur d'importantes stations du chemin de croix de la [jaroisse
d'Iwuy .
Ce résumé analytiijue pourra donner tout à la, foi> une idée de l'histoire
78 TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES
de l'art dans la ville de Cambrai et une esquisse de l'important travail que
M. Durieux a mené à bonne fin. Cette étude est complétée par des pièces
justificatives qui donnent les règlements des divers corps de métiers et les
statuts de l'école de dessin. C'est une histoire complète de l'art à Cambrai,
d'après les documents qui se trouvent aux archives municipales.
Société de Saint-Jean. — La Société de Saint-Jean pour l'encourage-
ment de l'art chrétien informe MM. les artistes et les éditeurs d'estampes,
images, statues, etc., qu'elle va dresser un catalogue des œuvres qui lui
paraîtront mériter d'être recommandées au point de vue de l'art chrétien.
Ce catalogue sera publié.
Trois conditions sont requises pour l'admission des ouvrages d'art sur
le catalogue de la Société de Saint- Jean :
1° Le caractère religieux, c'est-à-dire l'orthodoxie du sujet et l'élévation
de la pensée concourant à inspirer la foi et la piété ;
2° Le mérite artistique, au point de vue de la composition et du dessin ;
3° Une exécution satisfaisante, soit par la gravure, soit pai* la photo-
graphie, soit par le modelage, soit par la chromolithographie, ou tout
autre mode."!
Ces trois conditions devront se trouver réunies pour l'admission d'une
œuvre sur le catalogue.
Toutes les communications doivent être adressées au Président de la
Société de Saint-Jean, rue de l'Université, 47, à Paris.
Société archéologique d'Ulra. — Cette Société, de création récente,
publie une belle monographie de la cathédrale d'Ulm. Le texte est dû à
M. de Egle. les dessins à MM. Bewus et C. Riss.
Société paléographique de Londres. — Cette Société, qui ne compte
que deux années d'existence, vient de publier sa troisième livraison de
fac-similé. On y remarque une page du manuscrit des Evangiles, (;onnu
sous le nom d'Augustian Gospel ('VIP siècle), conservé à la bibliothèque
du collège de Corpus Çhristi et orné de dessins originaux. j. c.
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
(ARCHÉOLOGIE ET BEAUX-ARTS)
ARMELLINI (M.). Scoperta d'un Graf-
fito storico nel cemeteiio di Pretes-
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BARTHÉLÉMY (Ed. de). Variétés histo-
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Le Clere, Reichel et C*. 1 fr.
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la première fois, d'après le manuscrit
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FRAGMENTARY Illustrations ofthe His-
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FRIEDLAENDER (L.). Studii intorno
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due primi secoli dell'èra volgare : tra-
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REVUE ARCHÉOLOGIQUE— Novembre.
Vte Jacques de Rougé : Textes géo-
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— A Sanson : Le cheval de Solutré.
— L. Pigorini : Objets préhistoriques
des Liguriens Véléiates. — Fr. Le-
normant : Sabazius.— Ed. Le Blant :
Tables égyptiennes à inscriptions
grecques (suite).— E. Burnouf : Ins-
criptions ti\)uvées à l'acropole d'A-
thènes— G. Conestabile : De l'inhu-
mation et de l'incinération chez les
Etrusques (fin). — Bulletin del'Aca-
démi'° des inscriptions. — Nouvelles
et corres()ondance. — Bibliographie.
— 5 planches
SAINT-AGRICOL D'AVIGNON. - Son
église, son chapitre et son état actuel,
par un paroissien, ln-12, 108 p. Avi-
gnon, Chailiot.
SALTINI (G. E ). I Disegni di Raffaello
da Urbino che si conservano nelle
gallerie florentine : discorso. In-8,
44 p. Urbino, tip. S. Rocchetti.
SARAZIN ^F.). Traité des monnaies
d'or au Japon. Traduit pour la pre-
mière fois du japonais. In -8, Ki p.
et 13 pi Paris, V^ noucbard-Huzard.
SCHNRIDER (Friedr ). Die Graberfunde
im Ostchore d. Dômes zu Mainz. Gr.
in 8, 69 p. et 19 lith. Mainz, v. Za-
bern.
SCCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DE TOU-
RAINE. — Ménwires, t. XXIII. !'='•
et "2" fascicules. Tours, 1873, in 8°
avec planches —Histoire de l'abbaye
de Noyers, par M. l'abbé C. Clieva-
lier. — .Monuments funéraires de Des-
cartes, par M. Boulay de la Meurthe.
— Statuts synodaux du diocèse de
Tours en iC96, par M. Fougeron. —
Le couvent de Saint-Fi'ançoisde Paule
au Plessis-lès-Tours, par MM. Cheva-
lier et Quincarlet. — Compte de Roné
Cymier, commis au paiement des
édifices et bastiments des hermites,
au Plessis. — !\!nrtyrologe-obitunire
de Saint-Julien de Tours, par .M .
l'abbé Uuincarlet.
SOUVENIRS ARCHÉOLOGIQUES des
Casiilles et du midi français. Quel-
ques jours de voyage en Espagne.
18Ô9. In 8, '(46 p. Tulle, imp. Bos-
soutrot. .T. c.
CHRONIQUE
Rome. — On a transporté au musée Pio-Ostien?e, au Palais Apos-
tolique du Lfitran, une fresque provenant d'Ostie, qui représente cinq
hommes à table : clncun des convives est d'^signé par son nom latin,
écrit en lettres noires à côté de la tête. Ce qu'il y a de curieux, c'est que
deux de ces personnages boivent dans des verres allongés, en tout sem-
blables à nos verres à vin de Champagne. Cette fresque prend place natu-
rellement à côté des trois autres si remarquables, toutes provenant d'Os-
tie, qui ornent le musée, lesquelles représentent un oiseau bec(juetant un
fruit, Orphée et Eurydice, et renlôveuient de Proscipine par Piuton.
— La grande mosaïque qui décore l'arc triomphal de l'éghîe ab'^atiale
de Grottaferrata est ui des monuments les j.lus remarquables du IX* siè-
cle et l'oeuvre incontestable d'un artiste byzantin ; elle représente le ciel
étoile d'où partent douze rayons qui vont reposer sur la tête des douze
apôtres assis ; au centre se trouve un siégn plus élevé que les leurs, mais
inoccupé. Le plafond de l'église coupe le tableau en deux, et, ce qu'il y
a de curieux, c'est que ce tableau se continue au-dessus du plafond, non
plus en mosaïque, mais en peinture. Le sujet est ainsi complété : Tout en
haut, le Père éternel et au-dessous de lui le Fils, qui tient dans ses mains
la Colombe divine, du bec de laquelle partent les rayons de lumière qui
traversent le globe étoile et vont illuminer les apôtres.
Les moines Basiliens de Grottaferrata ont fait dessiner le tout par un
peintre et l'ont remis aux religieux Barnabites pour être publié dans les
Tables chronologiques et archéologiques de Mozzini.
Des fouilles ont été entreprises sur la Via Appia à Rome à l'endroit ap-
pelé Sancta Maria la Nuova, où fut trouvée une statue drapée qui { ré-
sente une belle particularité. En enlevant la terre qui obstruait un tom-
beau, curieux aus-i par sa distribution intérieure, on à fait la découverte
d'une mosaïque décorée d'une représentation extrêmement rare parmi les
monuments de l'antiquité figurée. Un squelette est à demi-couché sur un
lit de repos et au-dessous est inscrite, en grandes lettres grecques, très-
82 CHRONIQUE
belles de forme, le mot du fronton du temple de Delphes que Socrate en
rapportait comme le meilleur enseignement qu'il eût puisé auprès de l'o-
racle : rNii0I CWïON.
La pioche des fouilleurs a encore tiré de terre, non loin de là, d'énor-
mes restes de frise d'une belle époque, du temps des Antonins au plus
tard, qui semblent avoir appartenu à un grand monument, et aussi de
très-nombreux fragments, briques inscrites, petites têtes, torses drupes,
morceaux curieux d'ornementation arrachés à de grands sarcophages,
tous d'un bon style. On peut dire de ces fouilles : nulla dies sine linea,
chaque jour a offert ca trouvaille.
M. le comte Michel Tieskiewicz, qui fait ces recherches à ses frais n'est
pas un de ers amateurs avides cachant ce qu'ils trouvent, dissimulant
quand ils le peuvent à la vigilance des lois locales les débris éhappés au
temps, titres de noblesse et mémoires de famille de l'espèce humaine.
Déjà il a donné sa curieuse mosaïque pour celui des musées de Rome oij
il plaira de la placer. Il ne s'efforce pas, comme but suprême de ses soins,
d'amasser des « bibelots » ; les grands fragments orneront la Via Appia.
Le comte Michel Tieskiewicz fit autrefois en Egypte des fouilles et des
achats considérables ; tous les objets précieux qu'il avait rassemblés à
cette époque sont au Louvre maintenant. C'est unbon exemple qu'unpareil
emploi d'une richesse, qu'on dit peu commune aux œuvres de charité et
aux plus nobles curiosités de l'esprit.
(Correspondance de Rome)
Valeur du titre de a conîessor ». — A propos de l'épitaphe d'Euticius ',
trouvée à Tarquinia, M. de Rossi dans le dernier numéro de son Bulletin
d'archéologie chrétienne (édition française) détermine ainsi le véritable
sens du titre de confesseur :
K La connaissance que nous avons de la valeur du titre de confessor
appliqué aux morts nous dit ce qu'il vaut dans l'épigraphe de Tarquinia,
comme marque d'honneur et presque de culte en faveur d'Euticius ; ello
nous explique pourquoi ce vocable se lit dans les éloges honoraires plutôt
que dans les inscriptions contemporaines de Facte de sépulture. L'usage
public et ecclésiastique de ce titre, en tant qu'il est attribué au défunt,
devait être à peu près soumis aux mêmes règles que l'attribution du titre
' Cette ôpita]jlie est ainsi conçue : Euticiu^ (Eutichins'; ronfessor depositus VIII
Kalendas seiit('nil)ris in itace Clnisti. L'épigraphe se tormiiie \n\v le monogramme
du Christ, de hi forme dite dccusnata, que Constantin adopla \)0\\v son laburum
triomphal
CHRONIQUE 83
plus noble encore de martyr. L'épitaphe grecque primitive de Fabien
pape et martyr, découverte de nos jours au cimetière de Calliste, a jeté
une nouvelle et abondante lumière sur ce point de discipline. Le titre de
MARTYR n'y fut pas inscrit dès le principe, bien que le martyre de
S. Fabien eût été environné d'un si grand éclat, que le clergé de Rome
crut devoir l'annoncer par une lettre encyclique aux autres Églises. Ce
vocable fut ajouté plus tard : le premier texte portait seulement <I>ABIANOG
9ÏII(7xo7roç. En commentant dans ma Rome souterraine, t. 11, p. 60, 61,
cet insigne monument, j'ai observé que c'était à Tévêque qu'il appartenait
d'insérer, aux diptyques sacrés, dans la classe des martyrs, les noms de
ceux qui avaient donné leur vie pour la foi ; je me suis appliqué à prouver
également que, de droit commun, il n'était pas régulier d'inscrire sans
l'assentiment préalable de Tautorité épiscopale, le mot MARTYR, même
sur la tombe des plus notoires et des plus illustres victimes de la persécu-
tion. Les martyrs ainsi reconnus canoniquement, étaient dits vindicat/, et
cette vindicatio qui ordinairement ne pouvait pas avoir lieu dans l'acte
même de la sépulture, nous explique la rareté du moi marfi/r dans les épi-
taphes primitives des loculide nos cimetières. J'attribue ù la même raison
la rareté du vocable conf essor ; et j'estime qu'il existait une loi ou au moins
une coutume interdisant aux premiers chrétiens de l'inscrire de leur
propre autorité sur les tombes au moment de la déposition. Et en effet,
il y avait plus de précautions à prendre pour le jugement de la corona
des confessores, que pour celle des martyrs, dont la mort généreuse pour
la foi était le plus souvent d'une éclatante notoriété.
« Pour donner une idée exacte de l'usage du vocable confessor et de
son sens précis dans les inscriptions, je devrais défmir ici la différence
qui existe entre les deux titres de confessor et de martyr. L'un est en
substance la traduction de l'autre ; mais comme dans la langue ecclésias-
tique latine le vocable grec fut adopté pour désigner le degré le plus
élevé de la confession du nom et de la foi du cbrélien, il a été beaucoup
disputé sur la différence précise qui existe entre les deux titres et sur les
conditions qui doivent déterminer l'attribution de l'un et de l'autre. Je
ne veux point aujourd'hui m'engager dans une discussion si compliquée;
je me borne à dire que la différence qui distingue les confesseurs des
martyrs n'est pas exclusivement propre au langage ecclésiastique latin,
mais que le grec eut aussi dans les mots oaoÀoypTr^; et jjLaptu; ou p.apTup
l'équivalent de ces deux vocables, désignant, dans toute la primitive
Eglise et dans ses coutumes universelles, deux classes différentes de
la foi. Qu'il me suffise de citer à ce sujet les belles paroles des martys de
Lyon, qui, plusieurs fois tourmentés, exposés aux bêtes féroces et atten-
84 CHRONIQUE
dant la mort de jour en jour, répondaient à ceux qui les appelaient
martyrs : « Ceux-là sont martyrs qui, mourant dans la confession de la
foi, ont été accueillis par le Christ, qui a mis le sceau à leur martyre ;
pour nous, nous sommes d'humbles et pauvres confesseurs. » Ce solennel
témoignage vient confirmerce qui ressort de tant d'autres données, canons
et textes anciens, c'est-à-dire que le titre de confessor était moins élevé
que celui de martijr. Confessons titulus, dit Fiorentini dans ses prolégo-
mènes classiques à l'ancien martyrologe occidental, pênes antiquos patres
spectabilis minus erat qiiam mm^tyris. Cependant nous voyons plus d'une
fois dans les écrits des anciens le nom de mattyres donné à ceux qui, dans
la rigueur du terme, auraient dû être classés parmi les simples confessores.
C'était là, s'il est permis de nous exprimer ainsi, comme une surabon-
dance d'honneur ; mais nous ne saurions admettre que, vice v^rsa, un
vrai martyr ait été diminué par ses contemporains et que, au lieu du titre
qui lui appartient, ils lui aient fi,ssi^né celui de confessor. Je parle ici des
monuments oia ce titre est caractéristique et employé d'une manière
absolue ; car personne ne se scandalisait de voir, dans le contexte d'une
pièce de poésie ou d'un écrit en pr.ise, les martyrs appelés confesseurs.
C'est ainsi que Damase, éimmérant, dans son inscription métrique gravée
sur marbre dans la crypte papale, les i;roupes des martyis, dit aussi:
HIC CONFESSORES SANCTl (JYOS GlîiEGIA MISIT ; et il semble que
ces saints aient été les mêmes dont il dit dans un autre éloge métrique :
OIJM SACRIi.EGAM QVAM MISIT GRAECIA TVIIBAM-MARTIIIII ME-
RITIS NVNC DEGORATA NITET. Mais s'il n'était pas contraire aux con-
venances, dans des vers et pour les exigences du mètre, d'appeler con-
fessores sanctos un groupe de mai'tyi's, la même licence ne pouvait être
de mise dans la formule spéciale et commune d'une épitaphe laconique.
Il s'ensuit que le titre de confessor donné à Euticius sur la pierre de Tar-
quinia ne peut être raisonnablement pris comme équivalent de martyr :
il désigne un témoin de la foi du Christ qui ne mourut pas de mort
violente, ni même pr(jbablement dans la prison, ni dans les minières, ni
dans l'exil, mais survécut aux tourments et à la condamnation qu'il avait
encourue par l'invincible constance de sa confession. C'est pourquoi, S.
Cyprien, à Carthage, statua que ceux qui mouriaient dans les prisons,
après avoir confessé la foi, seraient mis au nombre des martyi's ; et à
Rome, Damase écrivit an bas d',' l'éloge du pape Eusèbe, mort exilé en
Sicile, EVGEBIO EPISCOPO ET MARTYRI. Mais, sur ce point, la pratique
ne fut pas toujours ni j)art()ut la même ; et l'Euticius de la pierre de Tar-
quinia pourrait être mort dans les angoisses tic la jjrison et cependant
avoir été appelé seulement confessor. Toutefois, cette hypothèse me paraît
inconciliable avec la chronologie de l'inscription. »
(.HRONIQUE r85
Smyrne. — Un compatriote de nos amis, M. l'abbé Elluin, prêtre de la
Mission et prolesseur au collège de Smyrne, y a fondé une bibliothèque
publique, dont les livres sont prêtés à domicile. Les ressources de l'éta-
blissement étant fort limitées, c'est la générosité des catholiijues qui en-
tretient cett'-! bonne œuvre. Jadis, nous avons fait dans le Dimanche appel
à ceux qui seraient disposés à donner quelques livres de leur bibliothèque
à cet établissement et nous savons que de nombreux envois ont été faits.
Nous adressons aujourd'hui cette même recommandation aux lecteurs de
la Revue. S'ils ont dans leur bibliothèque quelques bons livres, brochés ou
reliés, anciens ou modernes, qui leur soient inutiles, qu'ils veulent bien
les faire parvenir franco à Paris, à l'adresse suivante : M. Bore, supérieur
de la congrégation de la Mission, pour faire passer à M. Elluin, rue de
Sèvres, 95, Paris.
M. Elluin, l'organisateur de l'excellente œuvre que nous recommandons,
est un philologue distingué. Il a publié un certain nombre d'ouvrages en
grec moderne, entre autres : un dictionnaire français-grec, une grammaire
de la langue grecque moderne, un eucologe, un catéchisme et une excel-
lente vie des Saints dont nous venons de recevoir le piemier volume et
011 nous avons vu avec plaisir quelques emprunts faits à notre Hagiogi^a-
phie du diocèse d'Amiens.
Leipzig. — Le musée de Leipzig a reçu dernièrement un don des plus
précieux qu'il lui a été fait par le docteur Conrad Fiedler. Il s'agit d'une
peinture italienne à fresque. Elle représente l'archange saint Michel, re-
vêtu d'une riche ^aanure, la main gauche appuyi''e sur la hanche, la droite
tenant le glaive, le dragon sous ses pieds; au fond, un paysage et une vue
de la mer. Ce morceau se trouvait primitivement dans la chapelle de la
famille Gualtieri dans le dôme d'Orvieto; lors d'une transformation de la
chapelle, il fut transporté dans le palais des Gualtieri où Pierre Cornélius
le découvrit en 1012. Quelques parties de la peinture ont été restaurées
par ce célèbre artiste. Cette composition est visiblement originaire de
rOrabrie et sort probablement de l'école de Pérugin ; Crowe et (>avalca-
selle l'attribuent à Eusebe d- San Giorgio, Mûndler la croyait de Siguo-
relli. Nous pensons que ce précieux morceau est le premier de son genre
exposé dans une galerie puljlique allemande.
Musique religieuse. — M. Charles Vervoitte, inspecteur général de la
musique religieuse, termine en ce moment dans le Midi une longue tour-
née d'inspection que nous ne pouvons passer sous silence. L'ancien maî-
tre de chapelle de Saint-Roch emploie toute son influence à seconder les
intentions de l'autorité ecclésiastique pour aider au développement des
86 CHRONIQUE
Maîtrises. Ces modestes institutions, vraies pépinières de prêtres, d'ar-
tistes et de savants, appelés spécialement à dunner un vif éclat à uos fêtes
religieuses, ne sont-elles pas, en effet, dignes des plus unanimes sympa-
thies ? A l'inspection des Maîtrises est aussi réunie celle des Ecoles nor-
males d'instituteurs, d'où sortiront des sujets capables d'enseigner à leur
tour la musique religieuse et d'en propager le goût dans les campagnes.
Depuis son départ de Paris, au mois de juillet dernier, M. l'inspecteur
général a successivement visité les divers établissements des diocèses de
Sens, Dijon, Lyon où grandit de jour en jour la belle Maîtrise de la Pri-
matiale, Belley, Annecy, Ghambcry, Albi, Montauban, Agen, Auch, Tar-
bes, Bordeaux, Angoulême, La Rochelle, Poitiers, Tours, Blois et Orléans.
Dans les hautes fonctions dont il est officiellement chargé, M. Vervoitte
rend tous les jours et rendra encore de plus grands services à la cause de
la musique religieuse. Les conseils de son profond savoir et de sa longue
expérience auront nécessairement pour résultat de dégager cette partie
importante du culte catholique des abus dont la routine et l'usage l'ont
malheureusement obscurcie.
Fouilles à Vervins. — M. Papillon nous écrit : u Nous venons de faire,
M. Rogine et moi, des fouilles sur le territoire de l'ancien Vervins {Verbi-
num de l'Itinéraire d'Antonin), et nous avons mis à découvert les restes
d'un théâtre romain.
Nous avons les fondations d'un mur demi-circulaire de soixante mètres
de diamètre et une petite partie de muraille avec contreforts intérieurs de
deux mètres de haut. Nous avons aussi \e pulpitum, la scène et le postsce-
nium. Nous cherchons les gradins.
Mais ce qui est non moins intéressant que le théâtre, peut-être, ce
senties fondations d'un grand carré, avec pavillons tout petits aux angles.
Est-ce le portique entourant l'a^mim d'une grande maison, ou un prétoire,
selon M. de Caumont ? Nous ne pouvons le dire, car il faudrait déblayer
le sol, et nous sommes obligés de compter avec nos ressources.
Je ne parle pas des tuiles, carreaux, fragments de vases, monnaies gau-
loises et romaines que nous rencontrons, et je cite pour mémoire un ci-
metière mérovingien dont nous dérangeons quelquefois la population. »
Inscription chrétienne de Valcabrère. — Ce célèbre document épi-
graphique a été souvent publié, mais avec des fautes. M. J. de Laurière
en a relevé un estampage et adressé le texte suivant au Bulletin monu-
mental :
CHRONIQUE 87
VAL SEVERA EGIT ANNOS XXX RECESSIT III,
NON IVL. RVFINO ET EVSEBIO CONSS
PAC PATROCLVS PRAESBITER SIBI IN PAGE XP.
C'est-à-dire : Valeria Severa egit annos triginta, recessit tertio nonas
Jullas, Rufino et Eusebio consulibus. Pacatus Patroclus prœsbiter, sibi,
in pace Christi,
Cette précieuse inscription, se rapportant à l'an 347, est aujourd'hui
mise à l'abri de toute dégradation dans l'église carlovingienne de Valca-
brère dont elle atteste l'antique origine.
Lyon. — La Semaine catholique publie les lignes suivantes, au sujet des
travaux de la nouvelle église de Fourvière :
« Quiconque a pu suivre les travaux du futur sanctuaire de Marie, ne
peut que rendre justice à ceux qui les ont dirigés et exécutés en si peu de
temps et d'une manière si habile. A part ceux de l'abside, voici que les
murs, fondés à 20 mètres et 2o en certains endroits, sont terminés jusqu'à
la hauteur du sol de l'église supérieure, et prêts à recevoir la voûte. Déjà
on a pu admirer les colonnes en marbre qui doivent la porter.
« Ainsi terminée, cette crypte aura 65 mètres de longueur, 19 de largeur
et près de 10 en hauteur. Ce sera une véritable et magnifique église, par
ses proportions, par la pureté des lignes et surtout par la richesse des
matériaux. Et, ce qu'il y a de plus admirable, c'est que tout ce travail s'est
fait dans les circonstances les plus difficiles, au milieu de nos désastres,
avec les seules ressources de la piété des fidèles, et de la manière la plus
libre et la plus spontanée . »
Tarascon. — Dans un pèlerinage qu'il fît au tombeau de Ste Marthe,
en 1648, Mgr Dominique de Marines, archevêque d'Avignon, ordonna de
recouvrir en marbre tout le pavé de l'église, et fît exécuter à Gênes un
magnifique sarcophage. La sainte y est représentée dans le repos de la
tombe, les mains croisées sur sa poitrine.
La figure de sainte Marthe est remarquable par la noblesse et la beauté
de l'expression : c'est une image parfaite de la paix in;dtérable des saints
dans la gloire, idée principale, que l'artiste a très-bien rendue et qui est
exprimée par ces mots, unique épitaphe de la sainte :
Sollicita non turhatur.
C'est-à-dire : a Celle qui autrefois était tout empressée, et se troublait
à l'égard de beaucoup de choses, est maintenant exempte de trouble
dans le séjour de la paix. »
88 i:HROi\IQUE
Tout le monde connaît l'histoire de Ste Marthe, triomphant du dragon,
et délivrant la contrée de l'horrible tarasque qui ravageait le pays ; l'on
sait aussi que c'est à cet événement que la ville doit sa célébrité et son nom.
En 1468, la ville de Tarascon fit placer le chef de Ste Marthe dans une
châsse d'argent doré. Louis XI remplaça cette châsse par une autre en
or massif. Ce reliquaire était si riche, qu'un auteur du dernier siècle, qui
avait pu la voir et l'apprécier, disait que rien de pareil ne se rencontrait
dans le royaume. En 1791, cette merveille fut vendue à des marchands
génois.
Aujourd'hui, grâce à la libéralité d'un pieux pèlerin, qui a voulu que
son nom restât ignoré, la châsse donnée par Louis XI, reproduite fidèle-
ment en bronze doré, d'après les anciens dessins conservés dans les Ar-
chives de l'église, renferme les précieux restes du chef de la sainte, qui
ont échappé à la profanation, en 1791 .
Par un bonheur inespéré, la Providence préserva le tombeau de Ste
Marthe de toute profanation. Ce tombeau est placé à droite, dans l'éghse
basse, auprès d'un puits appelé Puits de Ste Marthe, pour l'eau duquel les
Provençaux ont une dévotion particulière, et qui les préserve des accès
de fièvre.
Portugal. — Nous lisons dans le Boletim architectonico e de archeologia
de Lisbonne : « Notre digne associé correspondant, M. Arthur de Maisy,
vient d'être décoré, par le Roi, de l'Ordre de Notre-Dame de la Concep-
tion, en raison de ses publications historiques et des importants services
qu'il a rendus à la science archéologique. »
Nécrologie. — La Société Archéologique de Lorraine vient de faire une
perte bien regrettable en la personne de M. Louis Benoît, conservateur
de la bibliothèque de Nancy.
Au milieu des devoirs que lui imposaient ses fonctions, son occupation
favorite était l'étude des antiquités nationales. Il s'y livrait avec une
passion toute filiale, si l'on peut s'exprimer ainsi, et il en a consigné le
résultat dans d'intéressantes monographies, dont il a enrichi diverses
publications. Composées presque toujours à l'aide de documents inédits,
ces œuvres, nonobstant les légers défauts qu'on peut leur reprocher, ont
ua caractère d'originalité qui leur donne une valeur incontestable.
Dessinateur habile en même temps qu'écrivain, M. Benoît a illustré la
plupart de ses productions de planches qui y ajoutent un grand intérêt.
J, G.
REVUE DE L'ART CHRETIEN
iet 2 -Débris aimeseille trouvée a Miannay (somme) dans une sépulture méroviugieime.
5_Sarcophage d'Ai'Ics. 4- Agrafe de ceiBluron(MuséedeS^Gemain).
NOTE
SUR
QUELQUES REPRÉSENTATIONS ANTIQUES
DE
DANIEL DANS LA FOSSE AUX LIONS
M. Van Robais m'a fait l'honneur de m'adresser, en le recommandant
à mon attention, un mémoire extrait du Bulletin de la Société des Anti-
quaires de Picardie et intitulé Notice sur une petite seille en bois recouverte
de cuivre repoussé^ trouvée dans le cimetière dit mérovingien de Miannay
(arrondissement d" Abbeville) .
Plusieurs fois, ainsi que le rappelle ce petit ménvoire, des débris de
seaux de bois ou de cuivre ont été rencontrés dans les sépultures méro-
vingiennes ; mais celui de Miannay se distingue, entre tous les autres, par
des reliefs, malheureusement très-légers et très-effacés.
On y voit, au centre, le Christ nimbé, assis sur une cathedra ornée et
foulant aux pieds le serpent vaincu, représentation qu'on retrouvera sur
un sarcophage de Ravenne * et qui rappelle la médaille de Constantin
où figure le serpent renversé sous le labarum portant le monogramme -.
A la gauche du Sauveur, se trouvent Adam et Eve à laquelle le dragon,
enroulé autour d'un arbre, présente le fruit défendu. En regard est figuré
Daniel, debout, les bras en croix, dans Tattitude de la prière, entre un
lion et un homme qui ne peut qu'être qu'Habacuc. Un second fragment
de la seille offre encore la représentation de ce dernier personnage ^.
' Cianipini. Vetera monimenia, t. I, tav. III.
- Eekhel, Doclrina nummorum veierum, t. VIII, p. 88, et Garrucci, Vetri or-
nali di figure in oro, p. 9o ; cf. AUegranza, De monogrammale Chnsli, p. 57.
■^ Voir la planche, n°^ [ et 2.
II* eéne, tome II. 7
90 RKPRÉSEM'ATIONS ANTIOUKS
De brèves inscriptions occupent le champ demeuré libre autour des
figures d'Habacuc et de Daniel. C'est sur le déchiffrement de ces légendes
qu'a bien voulu me consulter M. Van Robais, en m'adressant son intéres-
sante notice, et c'est seulement de la partie où elles se trouvent que je
m'occuperai dans les pages qui vont suivre.
Si je me suis tout d'abord rencontré a\ec lui dans l'interprétation du
sujet représenté, il m'a fallu faire quelques réserves pour le détail de cette
figuration et le déchiffrement des légendes. Au-dessus d'Habacuc, j'ai
signalé la présence de TAnge qui, le prenant par les cheveux, selon le
commandement du Seigneur, le fit descendre près de Daniel pour lui appor-
ter sa nourriture \ Le fragment secondaire présente nettement cette par-
ticularité et l'on reconnaît sur le premier, auprès d'Habacuc, les pieds de
l'envoyé céleste et, plus haut, l'ovale de sa tête.
Mon impression première avait été que. suivant une coutume bien con-
nue, les noms des personnages représentés devaient se trouver près d'eux.
La syllabe DAN, commencement évide it du nom de Daniel, reconnue par
M. Van Robais sur le petit débris, m'affermissait dans cette pensée. Aussi
n'ai-je point hésite à prier mon savant correspondant de vouloir bien
vérifier si le nom de DANIEL ne figurerait pas dans la deuxième ligne du
grand fragment où il avait lu d'abord LAMEL ; quant aux lettres FRGN
qu'il voyait à la suite, j'inclinais à y reconnaître la trace du mot PROFr^a
inscrit après le nom de Daniel, comme sur une belle agrafe de ceinturon,
venue de la collection de madame Febvre dans le musée deSaint-Germain-
en-Laye ^.
La troisième ligne me semblait devoir contenir le nom d'ABAGV, dont
je retrouvais les deux dernières syllabes dans les lettres RAG V de la copie .
Les caractères NGI reconnus sur le petit débris, aux deux côtés de la tête
de l'Ange, me paraissaient accuser la présence du mot aNGI/ws ou
ûNGE/ws.
M. Van Robais voulut bien me faire savoir qu'un nouvel examen du
cuivre original confirmait mes suppositions, et avec une libéralité dont je
ne puis que le remercier vivement, il m'envoya et mit pour quelques
jours à ma disposition sa précieuse seille. C'est d'après le monument
même qu'a été exécuté sous mes yeux le dessin des figures et sujets
qu'elle représente.
Le grand fragment nous montre Daniel vêtu et mitre, debout, dans
l'attitude de la prière, entre un lion et Habacuc chaigé de deux objets
' Danil. XIV. 35.
^ Voir la planche, figure nf» 'i.
DE DANIEL DANS LA FOSSE AUX LIONS
91
que j'examinerai plus loin. Au-dessus de ce dernier personnage, on
reconnaît la trace de la tôle de l'Ange et, plus bas, ses pieds nettement
visibles.
A la première ligne,' je lis angreLVS EMIS[s^<s ?] ; à la deuxième, DANIEL
PROFITA ; à la troisième et la quatrième, HaBACV FERT E[scam] ; puis,
au-dessous de la figure d'Habacuc, nous trouvons D....L....NL LEO-
NVM que l'on pourrait interpréter Daniel ÎN Lacu LEONVM, par compa-
raison avec l'inscription DANIEL DE LACO LEONIS d'une coupe de verre
trouvée à Podgoritza, près de Scutari d'Albanie, et dont mon savant
confrère M. Albert Dûment a bien voulu me communiquer le dessin.
Sur le petit fragment, je reconnais, auprès de l'Ange, le mot àNGÏlus,
puis au-dessous DAN/e/. En démontant la petite bande rivée à la droite
de ces lettres, on en trouverait certainement le complément, ainsi que celles
qui doivent suivre l'M, le T et le D par lesquelles débutaient les trois
autres lignes.
Cela dit sur les inscriptions de la seille de M. Van Robais, il me reste
quelques mots à ajouter sur la partie figurée de ce petit monument.
Si souvent que les artistes chrétiens des premiers Ages l'aient repro.duit,
le sujet qui le décore n'a cependant pas toujours été exactement reconnu.
Sur un sarcophage d'Arles, Millin prend l'Ange pour « Darius le Mède,
(( qui vient voir si Daniel n'a pas été dévoré et qui s'étonne de le trouver
« vivant » ^ Sur une lampe que j'ai acquise à la vente des objets d'art
de M. Raoul Rochotte et qui représente Daniel debout entre les lions et,
^ Voyage dans les départements du midi de la France, t. III, p. 531.
92
REPRESENTATIONS ANTIQUES
au-dessus de lui, l'Ange et Habacuc portant un pain, on a vu : « le Christ
c( assis de face entre deux petites figures d'ange qui volent de chaque côté
<( avec une couronne à la main » '. Un autre objet de même nature est
décrit ainsi par M. Dumège : « Une lampe décorée de la figure do Daniel,
« dans l'attitude de la prière ; à ses pieds sont des lions destinés, à ce que
« l'en croyait, à le dévorer, mais s'abaissant devant lui et deux Anges
(( qui le rassurent et le consolent » '. — Parmi les personnages signalés
sur ces lampes comme représentant des Anges, deux, je n'ai pas besoin
de le dire, ne sont autres qu'Habacuc, figuré dans les airs à côté de l'Ange
envoyé de Dieu .
Peu de sujets, je le répète, ont été plus fréquemment reproduits que
ce trait de l'histoire de Daniel où les anciens voyaient, parmi tant d'autres
symboles, celui de la constance dans la persécution, de la foi en la résur-
rection future. De même que l'âge des combats de l'Eglise, celui de la
paix devait le retenir. Fresques, bas-reliefs^, sceaux de bronze *, ivoires^,
gemmes gravées *, agrafes de ceinturon, verres à fond d'or \ statues
* Inscriptions chrétiennes de la Gaule, 1. 1, p. 493, et t. II, p. 502. Cette lampe
est maintenant au musée de Lansanne.
- Mémoires de VAcad. des sciences et belles lettres de Toulouse, 1859, p. 213.
' Bosio, Roma Solterranea, etc.
* Fabretti, Inycviptioncs, c. VIII. n° 'iS.
'" Odorici, Mornimcnii crisliaui di Ih'rscia. tav. Y, n** 12.
^ Perret, Catacombes, t. IV, iil. XVI, n"» \-2.
' Garrucci. '['etri or>tuli di fi/jure i)i oro, tav. I. n° 6.
DE DANIEL DAXS LA FOSSE AUX LIONS 93
même ' montrèrent sous tous les aspects cctt'i scène demeurée de nos
jours parmi les types traditionnels dans la décoration des églises de la
Grèce -.
A l'est de notre pays, comme en Suisse, et par une intention dont la
cause ne m'apparaît pas nettement, elle s'est singulièrement multipliée.
Alors que sont toml.és dans l'oubli la plupart des sujets familiers aux
artistes du lY^ et du Y" siècle, elle survit et je la retrouve à chaque
instant représentée sur les agrafes mérovingiennes. A côté de celle
qu'avait recueillie madame Febvre, je puis citer, parmi tant d'autres,
trois pièces de même nature trouvées à Saint-Maur, près de Lons-le-Sau-
nier, à Lavigny ^ et dans le canton de Vaud, pièces dont la troisième
nouvellement publiée et encore peu connue sera mise utilement sous les
yeux du lecteur *.
* Euseb., Vitu Constantini, III, 49.
^ Didron, Manuel d'icenographie chrétienne^ p. 120.
' Voir mes Inscriptions chrétiennes de la Gaule, t. I, p. 493 et 494, planches
nos 251 et 252.
* Celte agrafe provient du grand cimetière burgonde de Daillens découvert en
i8i9 par M. Gex. Elle a été publiée en 1872 par M. de Bonstetten dans Vlndica-
teur d'antiquités suisses (p. 386). Les mots Duo leones pedes ejus lingebant
transcrits ici avec une orthographe barbare rappellent ces anciens passages sur
sainte Thècle, épargnée par les bètes féroces : « Lecena vero mittens linguam
lingebat pedes Theclae » (Grabe, Spicilegiutn Sanvtorum Patrum I . II et III
sœculiy t. I, p. 108]. « Cernero erat lingentem pedes bestiam » (S. Ambres. De
Virginitate. II); voir encore Botland. 9 jan. Acta S. Juliani et Basilissic, § 60;
« Pedes illis lingebant ,>. On sait que comme Daniel, sainte Thècle était, pour les
chrétiens, le type du fidèle assisté miraculeusement dans le danger. La multipli-
cation singulière du premier de ces sujets sur les agrafes de bronze dans l'est de
94 REPRÉSENTATIONS ANTIQUES
Au milieu des nombreuses figurations de la même scène, la petite seille
de Miannay me paraît se distinguer par un trait particulier. Je ne par-
lerai pas ici de l'étrange coiffure donnée par l'artiste à Daniel, ordinai-
rement représenté tête nue ^ ; le personnage d'Habacuc appellera seul mon
attention.
J'ai dit que le sujet qui nous occupe avait, au point de vue symbolique,
deux significations principales : la constance dans la persécution, la foi
dans la résurrection promise. Parmi d'autres sens que cette image pré-
sentait de plus pour nos pères, il en est un encore qu'il faut noter. Les
vivres apportés par Habacuc à l'illustre prophète étaient, à leurs yeu.x, une
figure de l'Eucharistie. J'en connaissais déjà deux preuves : la première,
dans les sculptures d'un sarcophage d'Arles, très-inexactement figuré par
Millin ^ et où l'on voit l'Ange et Habacuc apportant à Daniel des pains et
un poisson à tête de dauphin ^ Une autre tombe trouvée à Brescia et
publiée dans le beau recueil de M. Odorici ^ représente Habacuc ofl'rant
à Daniel un pain et un poisson dans une corbeille.
"^^âîV
la Gaule a peut-être pour cause l'idée de préservation que les anciens attachaient
au type de Daniel.
' Voir pourtant un marbre d'Afrique (Delainare, Note sur un bas-relief trouvé
à D\jemUa, Bévue archéologique ISi'J), et un sarcophage de Uavenne iSpreti,
De uînplitudirte m bis Ruvennœ, t. I, lab. Vlll, n" 3 , où Daniel est liguié avec
le bonnet phrygien.
2 Voyage dans les départements du midi de la France, pl. LXYII, n" 1. C'est
le sarcophage n** 39 de la chapelle IV, au musée d'Arles.
' Voir planche, figure n^ 3.
* Monumenti cristiani di Brescia, tav. XII, n*^ 3.
DE UAMEL DANS LA FOSSE AUX LIOXS 93
Ce double symbole bien avéré du mystère de l'Eucbaristie me paraît se
retrouver encore sur la seille de Miannay . En même temps qu'il porte de
la main droite une sorte de panier à anse qu'on reconnaît également sur
l'agrafe de madame Febvre, Habacuc tient suspendu, dans sa main gauche,
un objet renflé au milieu et de forme allongée et ondulée. Les données de
la scène ne permettent pas de voir ici autre chose qu'une matière comes-
tible, et la comparaison des sarcophages d'Arles et de Brescia me fait
incliner à y reconnaître un poisson.
Si l'on en juge ainsi que moi. la seille de M. Van Robais serait le troi-
sième monument de l'art chrétien venant révéler dans une figuration de
Daniel exposé aux lions, une signification symbolique dont je n'ai trouvé,
jusqu'à cette heure, aucune mention dans les écrits des Pères.
Edmond Le Blant.
LES ORIGINES
DE L'ORFÈVRERIE CLOISONNÉE
DEUXIEME AUTICLE
CHAPITRE II.
l'orfèvrerie cloisonnée chez les peuples orientaux dans
l'antiquité.
I. — L'Egypte.
De toutes les civilisations connues, celle de TEgjpte est incon-
testablement la plus vieille. Aussi haut quv^' Ton puisse remonter
dans la nuit des temps, quarante ou cinquante siècles avant notre
ère, selon les listes de Manéthon ou les données chronologiques
de la Bible ', on trouve dès le règne de Menés, fondateur de T An-
cien Empire, les Egyptiens en possession complète de la généralité
des arts et en particulier de Tindustrie des métaux ■. Du métal-
* Voir le numéro précédent, p. 5.
* Manéthon fait remonter la première dynastie à 5004; M. Mariette admet cette
date que MM. Lepsius et Brugsch rapprochent, l'un à 38'J2, l'autre à iiôô.
V. F. Chabas, IC Indes sur l' antiquité hislcrique d'après les sources égyptiennes,
2° éd., 1873, p. 14. — V^irt de vérifier les dates jjlace la ciéation du monde en
4963, Usserius et la chronologie vulgaire, en 4004 avant .T. C. Du reste « il n'est
pas démontré par la révélation divine que la création du mande ne remonte pas
au-delà de sept mille ans. » Éludes relig., Instor. el littéraires, par le R. P. Tou-
lemont, p. 618.
' Gbabas, ouv. cité, c. 2, 3 et passim.
ORIGINES DE l"0RFÉVRER1E CLOISONNÉE 97
lurgiste à l'orfèvre, de l'orfèvre au joaillier, peu d'échelons res-
tent à franchir, il est donc probable que le rameau chamite de
Mitsraïm, si intelligent de ces choses de la forme et du luxe qu'en-
courage toujours le polythéisme, ne fut pas long à inventer l'or-
fèvrerie cloisonnée. Nous ne connaissons, il est vrai, aucun joyau
antérieur à la 18" dynastie 'XYIir ou XVir siècles avant
J.-C); mais il faudrait tenir compte des cinq cents années de
trouble et de pillage qu'eut à subir l'Egypte sous la domination
des Hyksôs ou rois pasteurs, énorme point d'arrêt jeté à travers
la marche progressive de ce pays, quand même les fouilles n'au-
raient pas exhumé du sol des monuments apparentés de fort près
à l'art industriel dont je veux écrire l'histoire, monuments qui
en reculent la pratique à une antiquité prodigieuse. Il est très-
certain que sous la IV" dynastie, environ quarante siècles avant
J.-C, les ouvriers égyptiens avaient déjà perfectionné l'incrusta-
tion des métaux et des substances dures à un remarquable degré.
L'excipient de ce genre d'ouvrages était, suivant les^circonstan-
ces, l'or, le bronze, la pierre, la terre émaillée et même le bois ;
la matière incrustée variait entre le lapis, la malachite, le cristal
de roche, la cornaline, la serpentine , l'agate, le leldspatli et au-
tres pierres dures, le gypse ou albâtre, rarement la turfjuoise, les
pâtes vitreuses, les mastics, l'ivoire, la corne et les métaux })ré-
cieux.
L'or, nouh , provenait des miues exploitées par les anciens
Egyptiens dans le voisinage de Radesieh ; des pays de Coush,
l'Ethiopie et de Poiin, l'Arabie. Nous savons que sous la XII''
dynastie (MoyenEmpire, 30 siècles avant J.-C), le roi ( )sortasen I
envoya en Ethiopie un officier nommé Ameni (|ui en revint
chargé d'or ' ; « cependant, dit M. F. Chabas, si de tout temps les
régions du haut Nil ont passé pour être riches en minerai d'or,
les recherches modernes n'ont pas répondu à l'opinion qu'on s'en
était faite. L'or était probablement beaucoup plus abondant dans
' Chabas, ouv. nté, p. 18, 19, 41, 132.
^^ ORIGINES DE l'oRFEVRERIK CLOISONNÉE
rantiqiiitë. Le cliiftre de ce métal apporté du pays des Nègres au
temple d'Ammon par Ramsès III (XX' dynastie, lin du XIV siè-
cle avant J.-C.) est d'une exagération démesurée. Les annales de
Tliotlimès III donnent des renseignements plus sérieux : on n'y
trouve pas de quantité supérieure à 300 kilogrammes d'or, comme
tribut d'Ouaoua ; en comptant la même quantité pour Coush, on
aurait 600 kilogrammes comme maximum de la récolte annuelle
de l'or sous la XVIIP dynastie dans les régions du haut Nil )^ *.
L'Arabie fPoun, To-Neter) était dès l'Ancien Empire en relations
avec l'Egypte qui, alors, parait en avoir tiré seulement des aro-
mates. Les premiers documents détaillés que nous possédions sur
des rapports plus étendus entre les deux pays datent seulement
du XVIP siècle avant notre ère. La reine Num-Ammon Hashe-
psou (Hatasou; Ra-ma-ka, sœur de Thothmès II et régente pen-
dant la minorité de Tliotlimès III, dirigea vers l'Arabie une expé-
dition pacifique dont les bas-reliefs d'El-Assassif figurent les
principaux épisodes ; l'or est mentionné parmi les produits du
voyage \
Le commerce du lapis-lazuli, khesbet, khesteb, était centralisé
entre l'Euphrate et le Tigre dans une ville portant le nom d'Assour ;
les textes citent une grosse pierre de lapis, du poids d'environ deux
kilogrammes, livrée en tribut à Tliotlimès III par le chef d'As-
sour : les Egyptiens en tiraient aussi de Babylone. La Phénicie
leur fournissait également le lapis en briques, mais elle l'obte-
nait de l'Asie centrale par voie de négoce ; en outre, un monument
de Thèbes représente le pharaon Amentouonkh recevant du lapis
oifert par des tributaires éthiopiens ^
Dans une dissertation nourrie de faits, M. Chabas tend à prou-
ver que le mot égyptien mafek désignait plusieurs minéraux bril-
lants; en particulier, la malachite ou cuivre carbonate vert.
Personne plus que le savant de Chfilon-sur-Saône n'était apte à
» Ouv. cité, p. 137, 138.
^ Chabas, ouv. cité, p. 143, 149, 150 et sq.
^ Chabas, ouv. cité, p. 23, 33, 120, 124, 139.
ORIGINES DE l'ORFÉVREPJE CLOISONNÉE 99
élucider cette question et je crois qu'il y a pleinement réussi. Le
mafeh était exploite au Sinaï dès l'Ancien Empire ; les établisse-
ments de Wp.dy-Magliara fonctionnaient sous le règne de Snefrou
(III-^ dynastie,^ 45 siècles avant J.-C.) et ceux de Sarbout-el-
Khadem n'ont guère une antiquité moindre. Aux temps des
Eamessides et aux basses époques, on importa le mafeh d'un pays
nommé Rashata qui produisait aussi l'or, l'argent et le lapis; il
en venait encore de la Syrie, et le? Phéniciens le livraient sous
forme de briques oblongues semblables à des lingots de mét-al fondu
ou a de petits blocs de roches taillées ; on en voit la preuve sur la
décoration du tombeau de Rekhmara, à Thèbes. Plus fré-iuemment
ce minéral est mis en sacs ou en tas arrondis ' .
Le tahen se présente assez fréquemment dans les textes avec
ridée de transparence, d'éclat et d'irradiation pour que l'on y
reconnaisse le quartz hyalin (cristal de roche) ouïe verre incolore.
La mention de sa provenance est rare, c'était donc une substance
que rindustrie égyptienne savait imiter, néanmoins on trouve
signalé le tahen deBakh, c'est-à-dire du Levant ou du Sinaï \ On
travaillait déjà sous l'Ancien Empire le tahen qui se rattache môme
aux traditions mythologiques; quatre briques de tahen, gardées à
Héliopolis, avaient servi dans les circonstances qui accompagnè-
rent l'émasculation de Set (Typhon) : on mentionnait ces briques
dans les adjurations magiques contre les maléfices de l'implacable
ennemi d'Osiris. Conjointement avec l'or, l'argent, le hhesbet et le
mafeh, le tahen figurait à titre d'objet sacré dans les cérémonies
religieuses ou funéraires ^
Les Egyptiens tiraient du pays de Coush une sorte de pierre
précieuse nommée hertès ; il en existait deux variétés principales,
la bhinche et la rouge. J'ai cru, et je n'ai pas encore la certitude
du contraire, que hertès est l'équivalent d'agate ou de cornaline,
peut-être de jaspe blanc et de jaspe sanguin ; M. F. Chabas, dont
1 Ohv. ciu', p. 21, 22, 28, 29, 31, 36, 39, 120.
- Chabas, ouv. cité, p. 33, 34.
' Chabas, ouv. cité, p. 31, 33, 34.
dOO ORIGINES DE l'ORFÉVRERIE CLOISONNÉE
j'ai mis à ce sujet le savoir à contribution^ persiste dans son
doute '. Les bijoux égyptiens incrustent cependant assez de cor-
naline pour qu'elle soit désignée dans la langue indigène.
On a longtemps contesté l'emploi de la tunpioise par les joail-
liers de l'Egypte ; les découvertes de M. Mariette ont établi la
présence de ce minéral sur des armes et des bijoux de la XVIIP
dynastie. Comme le mafek, on extrayait la turquoise des mines de
cuivre du Sinaï, notamment à Sarbout-el-Khadem ; elle y est d'un
bleu très-pâle et se décolore promptement, d'où^ sans doute^ l'usage
peu fréquent qu'on en a fait ^.
Quant aux autres substances minérales énumérées ci-dessus et
que l'état actuel de la science interdit de spécifier avec plus de
détails, elles provenaient vraisemblablement de l'Arabie. Sur
l'inscription de Medinet-Habou, le dieu Ammon-Ra apostrophe
ainsi Ramsès III : ^ Je tais arriver à toi les nations qui ne con-
naissaient pas l'Egypte, avec leurs valise,- remplies d'or, d'argent,
de lapis vrai et de toutes sortes de pierreries ; le choix de ce que
produit le To-Neter est devant ta belle face. » Au Sinaï, les val-
lées voisines du désert abondent en pierres dures, jaspe, agate,
quartz, serpentine et roches de toute espèce ^.
Les monuments é])igraphiques et les papyrus accolent souvent
aux mots lihosbef, niufek, tahen, l'épithète ma, vrai : khesteb-
en-ma, véritable lapis; mafeli-en-ma, véritable malachite; tahen-
en-ma, véritable cristal. Il y en avait donc de faux, et les Egyp-
tiens fabriquaient assurément des imitations de ces matières. Les
textes parlent de sistres en tahen sans le qualificatif 772a : or les
Musées renferment des modèles de sistres ou des sistres votifs en
1 Ouv. cité, p. 1:12, 142. — « En matière de spécialisation des noms des métaux
et des minéraux, nous n'avons guère de moyens de certitude. Les Égyptiens,
sans doute médiocres minéralogistes, classaient ces substances d'après des appa-
rences et leur classement ne peut avoir de base scientifique. Le 'lerlès peut être
la cornaline; mais qui prouve le fait? » I^cllrc du 5 janvier 1875.
- Chabas, ouv. clfé, p. 21, 29, 30, 31.
^ Chabas, ouv. cHé, [>. 115, 152, 29.
ORIGINES DE l'ohFÉVREPJE CLOISONNÉE 101
porcelaine de couleur bleue et verte » . Il n'est d'ailleurs pas de
collection, soit publique, soit particulière, qui n'étale une certaine
quantité de statuettes, de scarabées et d'ornements égyptiens en
terre émaillée ou en pâte de verre. Les ouvriers de Mitsraïm
étaient arrivés pratiquement à la cliimie des oxydes métalliques ;
ils obtenaient des couleurs solides à l'aide du fer, du cuivre, du
cobalt, du manganèse, du plomb et de l'étain. Dans une salle du
palais de Khorsabad, M. V. Place a rencontré deux blocs de cou-
leurs, l'un rouge, l'autre bleu; le rouge était de l'oxyde de fer,
le bleu du lapis-lazuli pulvérisé ^. Ce dernier était sans doute
préparé de la même façon que les briques de khesbet importées
d'Assyrie en Egypte par le commerce phénicien ; on le destinait
aux peintres, aux potiers et à l'industrie des fausses gemmes.
Les Egyptiens tiraient leur ivoire de l'Ethiopie et de l'Arabie;
ils pouvaient également s'en procurer en Assyrie car, au XVP
siècle avant J.-C, Thothmès III, dans sa trente-troisième cam-
pagne, entra à Ninive, qui n'avait pas acquis alors l'importance
qu'elle eût depuis, et se donna aux environs de cette ville le plai-
sir d'une grande chasse à l'éléphant. Un tel fait prouve qu'aux
époques historiques l'éléphant d'Asie vivait à une latitude beau-
coup plus septentrionale que de nos jours ^ .
Sous la dénomination générale abou étaient compris les ou-
vriers en métaux, ivoire, pierre et bois ; ce terme sY^tendait aux
graveurs, sculpteurs, artistes en marqueterie et en incrustations,
émailleurs, voire même aux peintres. Les aboiis avaient un chef
pris dans la caste sacerdotale ; un certain Ptahmès, Sam (prêtre
chargé du rôle majeur dans la cérémonie des funérailles), est qua-
lifié de sam oer kherp abou (le grand sam, le chef des artistes) sur
rinscription d'un couteau de stéatite conservé au Musée Britanni-
que " . Le travail d'incrustation ne se bornait pas aux seuls bijoux,
* Cliabas, ouv. cité, p. 21, 23, 32.
- Chabas, ouv. cité, p. 62, 372. — Ninive el l'Assyrie, t. II, 1. II, c. 3, p. 251, 252.
•' Ghabas, ouv. cité, p. 132, li'2, 124.
* Chabas, ouv. cité, p. 378, 379. Ce couteau, qui porte le n° 5472, ne peut re-
102 orktIxes de l'orfèvrerie cloisonnée
armes ou ustensiles ; on l'appliquait aussi aux barques et véhi-
cules terrestres. Un magnifique bas-relief peint du Eamesseum de
Thèbes, reproduit en chromolitliograpliie par M. Prisse d'Avenues,
montre Ramsès II (Sésostris), combattant les Khetas (Syriens),
près des bords de TOronte * . Le pharaon apparaît debout sur un
char dont la conque est orlée de khesbet, Tiiafeket cornaline in-
crustés dans des alvéoles rectangulaires en or. Un carrossier anglais
s'extasierait devant la grâce et la légèreté des roues de ce tilbury
non suspendu, trente-trois fois séculaire.
Les descriptions d'objets incrustés trouvent également place
dans les textes. Le papyrus mythologique n° '2 de la collection de
Boulaq dit au sujet d'une ligure de Phra, représenté assis sous
l'aspect d'un vieillard : « Ses os sont d'argent, ses chairs d'or, sa
chevelure de hhesteb, ses yeux de deux cristaux ; un beau disque
de mafek est par derrière. » On lit encore sur le papyrus magique
Harris, contemporain des Raniessides, à propos de l'effigie d'Am-
mon-Ra, adoré par les Cynocéphales : « Ses os sont d'argent, ses
chairs d'or, le dessus de la tète en lapis vrai » '.
Je crois m'être suffisamment arrêté aux principales données his-
toriques que nous possédons sur l'orfèvrerie cloisonnée en Egypte.
Je vais donc aborder l'étude de ses monuments, épaves d'une ci-
vilisation qui, en fait de luxe et de beaux-arts, aurait bien peu à
nous envier; supposé qu'elle ne rendit pas de nombreux points
à l'orgueil moderne, relativement au goût, à la conception et à
l'exécution. Pour suivre la généalogie d'un objet antique, la
forme n'est pas toujours un guide infaillible, on a souvent besoin
de recourir à la technique, aide obligée de toute sérieuse exper-
tise ; or, cette technique, variable dans chaque pays sous des ana-
monter au-delà du VI« siècle avant notie ère. — Le grand Sam était chef du sa-
cerdoce de Ptah ; des princes de souche royale furent revêtus de cette (dignité,
témoin Kha-em-uas, fils de Ramsès II. P. Picrret, Calai, de la salle hisi de la
yal. t'gt/fit.. au Louvre, p. 31 et 201.'.
* Chabas, oiiv. cilé.^. l'iS. — L'art, égyptien, Sculpture.
- Chabas, ouv. rite, p. 2i, 23; l'apynts magique //</»•;/}., pi. IV, 9. -- Mariette,
Papyrus du musée de Boulaq, pi. 2.
ORIGINES nE T. ORFÉVUERIE CLOISONNÉE 103
logies extérieures parfois trompeuses, les œuvres originales peu-
vent seules nous la rendre intelligible.
« Je ne connais — m'écrit M. F. Chabiis — aucun bijou cloi-
sonné autlientiquement antérieur à ceux de la reine Aali-hotep ;
mais cette tombe remonte au début du Nouvel Empire. Les Pas-
teurs venaient d'être expulsés, et ce n'est pas pendant leur domi-
nation que les arts et le luxe ont pu se développer en Egypte. La
XVII' dynastie a repris les choses au point où les avaient laissées
la XI% la Xir et la XIIP ; le cercueil d' Aah-hotep est tout-à-fait
semblable à celui des Entef de la XI^ Je crois donc pour ma part
que le travail des incrustations était pratiqué par les Egyptiens
au moins sous cette dernière dynastie. Les combinaisons du métal
avec les gemmes et l'ivoire leur étaient connues dès la IIP et la
IV ; c'est ce que prouvent les belles statues de bois trouvées par
M. Mariette » '. Ces indications claires et précises d'un homme
dont la compétence est notoire en matière d'égyptologie, ne lais-
sant place à aucun commentaire, il ne me reste plus qu'à dresser
le catalogue descriptif et chronologique des principaux monu-
ments qui se rattachent à mon sujet.
Chacun a vu à l'Exposition universelle de 1867, section égyp-
tienne, l'admirable statue en bois d'un prêtre contemporain de la
IV^ dynastie (environ 3426 ans avant notre ère) ; ses yeux, qui
exerçaient sur le public une étrange fascination, sont rapportés et
fabriqués par le procédé suivant. Un filet de bronze tient lieu de
paupière ; un morceau de quartz blanc opaque forme la scléroti-
que ; dans l'iris, en cristal de roche, est fixé un clou de métal
brillant qui donne le point lumineux. Cette figure, trouvée à Mem-
phis (nécropole de Saqqarah), offre, quant aux accessoires, la
preuve d'un art déjà très-avancé ; l'incrustation de la pierre dans
le bronze et de la gemme dans la pierre est traitée avec une rare
perfection : on n'a pas mieux réussi plus tard -.
^ Lelhe du 26 décembre 1874.
- C. de Linas, L Histoire du travail à l'Exposition universelle, in-8'', 1868, p. 240 •
lirvue de i.-tit c/néHen, t. X, p. 595. Mariette, Catal. du musée de /lou/aq, p. -185,
n'' 492 ; Descript. du parc égyptien, in-12, 1867, p. 40, n° 3,
104 ORIGINES DE l'ORFÉVRERIE CLOISONNÉE
Les organes visuels de la statue du scribe Skem-Ka (V' ou
VP dynastie), qui provient des envois de M. Mariette pendant ses
fouilles au Sérapeum, sont exécutés de la môme manière. « Dans
un morceau de quartz blanc opaque est incrustée une prunelle de
cristal de roclie bien transparent, au centre duquel est placé un
petit bouton métallique. Tout Fœil est enchâssé dans une feuille
de bronze qui remplace la paupière et les cils » ' .
La collection égyptienne du Petit-Belvédère, à Vienne (Autri-
che), renferme plusieurs yeux votifs en bronze incrustant des mi-
néraux ^ ; ils sont, moins Texcipient, semblables à un autre ex-voto
que possède le musée de Rouen. Une cuvette de porcelaine bleue ',
gondolée en paupières, encastre une sclérotique en porcelaine
blanche munie d'un iris noirâtre, d'aspect corné, que je crois être
de la serpentine ; le tout maintenu par un mastic.
Les bijoux de la reine Aah-hotep ornaient la momie de cette
princesse, découverte il y a peu d'années dans la partie de Thèbes
nommée Drah-abou'1-neggah. Aah-hotep, épouse de Kamès der-
nier roi de la XVIP dynastie, fut mère d'Ahmès (l'Amosis des
listes de Manéthon) qui inaugure la XVIIP; les objets dont il
s'agit sont en conséquence contemporains de l'expulsion des Pas-
teurs (1703 avant J.-C), et vraisemblablement du patriarche
Joseph, qui, si l'on en croit certains indices, était ministre vers la
même époque, non du souverain légitime régnant à Thèbes, mais
du dominateur asiatique, imposé par la conquête et résidant à
Tanis. Nous avons donc en notre pouvoir les œuvres d'une indus-
trie nationale arrivée à un degré de perfection qui étonne, surtout
* Mariette, Choix de monumenls du Sémpeuvi. etc., p. 12, pi. 10 E. de Rougé,
Notice sommaire des vwnum. égypt. du Louvre, 2e éd., 1873. p. 79.
- Cutalpcjne des sculptures, etc. du Petit-Belvédère, collection égj'ptienne, 2^
chambre, armoire 4. tablette 4, p. 29.
^ Je me sers toujours à regret du mot porcelaine pour désigner la terre émail-
lée, mais ce terme est passé à l'état de cliché. Pourtant la porcelaine est une pâte
infusible à base d'alumine avec légère addition de sili. e, tandis que les terres
cuites égyjitiennes, également infusibles, contiennent 92 pour 100 de cette der-
nière substance. V. Jacquemart, Les Merveilles de la céramique, partie I, Orient,
p. 12.
REVUE DE L'ART CHRETIEN
PI. 11.
Bijoux éêypheRs.-l Epervier du Musée du L ouvre .t de Tonêmal;
Jiements dm collier, 3, Boucle d'oreille • D'après M.Pnsse d'Avenues,
4' , 5 , Ba^ue hmdo-ae , face et revers .
ORIGINES DE l'ORFÉVRERIE CLOISONNÉE 105
si l'on tient compte du moment critique où elles furent exé-
cutées.
Comme la précédente statue en bois de la lY^ dynastie, l'en-
semble des bijoux que je vais décrire appartient au musée de Bou-
laq et a figuré à notre Exposition universelle ; on peut les classer
en trois groupes distincts : l'incrustation proprement ditC;, le cloi-
sonnage, la réserve ' .
/" groupe, — 1" Hache dont le manclie est en bois de cèdre
revêtu d'or; des hiéroglyphes découpés à jour y donnent pour la
première fois au complet le protocole royal d'Ahmès ; du lapis, de
la cornaline, des turquoises et du feldspath en table y sont incrus-
tés. La lame, en bronze orné d'une épaisse feuille d'or, présente,
d'un côté, des bouquets de lotus dessinés en pierres dures sur
champ métallique; de l'autre, Ahmès, les jambes écartées, le bras
levé pour frapper un barbare qu'il a saisi par les cheveux ; au-
dessous, un griffon à tête d'aigle, image de Month le dieu des
combats. Cette scène, qui rentre dans la catégorie dite de réserve,
est exécutée en or sur pâte vitreuse bleu-sombre, si compacte
qu'elle ressemble à de la pierre. 2° Poignard d'or à poignée déco-
rée d'un semis de triangles en lapis, cornaline et feldspath disposés
en damier. Sur une face de la lame, l'inscription. Le dieu bien-
faisant, seigneur des deux pays, Ean-eh-pehti, vivifîcateur
comme le soleil à toujours, précède le symbole asiatique du lion
terrassant un taureau suivi de quatre sauterelles; sur l'avers,
près de la garde, on lit : Le fils du soleil et de son flanc, Ahmès-
7iakht, vivifîcateur comme le soleil à toujours.
ir groupe. — i° Armilla d'humérus formée de deux parties
que réunit une charnière. La partie extérieure offre un vautour
aux ailes déployées ; le plumage est figuré à l'aide de lapis, de
cornaline et d'une imitation de feldspath vert, incrustés dans un
* On donne ce nom à un travail d'émaillerie champlevée qui consiste à épar-
gner les figures sur le métal en émaillant seulement les fonds. Les bijoux égyp-
tiens que je range dans la catégorie de la réserve, n'en ont que l'apparence, le
métal étant incrusté dans le champ vitreux.
Ile série, torae II. 8
106 ORIGINES DK l'ORFÉVRERIE CLOISONNÉE
mince cloisonnage d'or, l-a partie postérieure, plus étroite, con-
siste en deux bandeaux parallèles ornés de turquoises. 2° Pecto-
rale, plaque d'or rectangulaire, épaisse de 0"" 04'= environ, ouvrée
à jour et représentant un naos ou petite chapelle. Au centre est
Alimès debout sur une barque, accosté des dieux Ammon et Phré
qui versent sur sa tête l'eau purifiante ; deux éperviers, symboles
du soleil vivifiant, planent au-dessus des personnages. L'orne-
mentation est déterminée par de fines cloisons d'or (0™ 002'" de
profondeur) sertissant des turquoises, du lapis et une pâte imitant
le feldspath vert; des cornalines sculptées avec un art merveilleux
rendent les carnations. Des anneaux fixés au sommet accrochaient
ce chef-d'œuvre d'élégance et d'exécution à une chaîne que l'on
passait au cou ; le bas-relief du Ramesseum deThèbes, mentionné
plus haut, montre la manière de porter le pectoral, oitdja. 3» Col-
lier de rosaces d'or cloisonnant des pierres dures.
II [^ groupe. — 1° Bracelet d'or massif à double charnière,
figures en métal gravé et ciselé, incrustées dans un champ de
lapis faux. On y voit Ahmès agenouillé entre le dieu Seb et les
génies de la terre dans Tune des postures de l'adoration. Ce bijou,
admirable de style et d'exécution, pèse 96 grammes. 2" Scarabée
suspendu aune cliaîne : il est en or massif; les pattes, d'un tra-
vail si fin qu'on les croirait moulées sur nature^ sont soudées au
corps ; des filets métalliques incrustés rayent le corselet et les
élytres en pâte de verre bleu tendre ' .
M. le vicomte E. de Rougé attribue encore à la XVIIF dynastie
une paire de bracelets carcans en or, cloisonnant des pâtes de
verre taillées à l'avance comme des pierres dures ; le dessin con-
* C. de Linas, ow. cilé, p. 243 à ?'((3, et riev^te de l'Jrt chrétien, loc. cit. —
Mariette, Calai, du musée de Boulaq, passim. et Desc. du parc égyptien, p. 52,
nos 5 et 6 ; p. 53, ni> 7 ; p. 54, «os 14 et l'î ; p 51, nos ) et 4. — « Le vautour est
le symbole de la maternité ; il sert à écrire le mot vière et le nom de la déesse
thébaine Maut. La déesse Souhan (??) qui symbolise la région du Sud est repré-
sentée sous la forme d'un vautour. Cet oiseau sur une corbeille désigne la souve-
raineté sur la Haute-Egypte. » P. Pierret, Calai, de la salle ftisi. de la galerie
écjypl, fin Louvre, p. 208.
ORIGINES DE l'orFÉVRERIE CLOISONNÉE 107
siste en nn lioa et un griffon entre des bouquets de lotus. Ces
ornements sont quelque peu détériores et leur travail manque de
finesse ; ils appartiennent à notre musée du Louvre ' . J y joindrai,
dans la même collection, deux bagues en or non cataloguées : l'une
incruste des cornalines en table; l'autre est formée de deux fleurs
de lotus manitenant un triple chaton ovale, le tout en imitation
de lapis et de turquoises.
M. Prisse d'Avenues groupe aussi aux environs de la XVIIP
dynastie les objets suivants qu'il a publiés dans son splendide
ouvrage sur l'Egypte. 1° Carcan d'or découpé à jour : deux 2:rif-
fons accroupis, vert clair et rouge, sont affrontés devant une fiaur
conventionnelle, bleu lapis, rouge, vert et blanc; les mêmes cou-
leurs, plus le noir, apparaissent dans les rectangles des bandeaux
d'encadrement. 2° Pendant de collier en or : tête d'Hathor au-
dessus du signe de l'or (Hathor-Noub) ; la déesse a des oreilles de
vacbe, elle est coiffée d'énormes tresses d'oii s'échappent deux
urœus (coluber naia, hajé ou a/ije, vraisemblablement l'aspic des
anciens). Incrustations bleu lapis, rouge et vert pâle. 3° Boucle
d'oreille dont la pendeloque en or est une fleur de lotus rou^-e
bleu foncé, vert clair et blanc. (PI. II, fig. 3). 4° Collier d'or formé
d'yeux symboliques, appelés ouza, et de croix ansées, reliés par
de petits ovc>ïdes en cornaline ; l'œil est blanc, brun, rouo-e vert
clair et bleu lapis, la croix n'offre que la dernière nuance. Ce
genre de collier, assez commun en toutes matières, svmbolise les
yeux d'Horus ; le gauche est le soleil ; le droit, la lune (PL II
fig. 2). 5° Pendant de collier : petit naos d'or accosté de deux
uraeus ; Pédicule encadre un taureau Apis en métal, portant un
cercle plein entre les cornes et surmonté de l'œil symbolique avec
le disque ailé ; l'ensemble, incrusté en réserve dans un champ bleu
clair, repose sur le signe des panégyries, une rosace au milieu
d'un segment de cercle. G'^et 7° Deux bagues en or à triple chaton;
l'une d'elles ornée de trois petits scarabées aux couleurs du pavil-
1 Ouv. Cité, p. 9-2 ; Salle civile, vitrine Q, n'' 1962.
108 oriPtInes ni: r.'(ii;rÉVREiuE cloisonnée
Ion égyptien, vert pâle, bleu lapis et rouge, semble être un talis-
man décrit sous le nom de bague d'Hermès dans un papyrus
magique '.
Les anneaux à triple chaton se rencontrent aussi chez les Asia-
tiques au r*" siècle de notre ère. Dans un de ses dialogues, Lucien
fait intervenir un militaire nommé Parméno, lequel ornait son
petit doigt d'un grand anneau polygonal au chaton de trois cou-
leurs où le rouge dominait ; il l'avait rapporté de la guerre contre
Tiridate ^ J'ai vu au musée de Copenhague un énorme anneau
d'or à triple chaton dont la forme est identique à celle des bagues
égyptiennes ; seulement, les cabochons du premier sont inégaux
et disposés verticalement, tandis qu'ils sont de môme taille et
horizontaux sur les dernières. A mon avis le bijou danois est de
fabrication orientale ^'
Trois siècles séparent les commencements des XVIIP et XIX*
dynasties ; le 15 mai 1852, M. Mariette eut la bonne fortune de
trouver dans les petits souterrains du Sérapeum de Meraphis des
sarcophages inviolés, cénotaphes ou monuments commémoratifs
des Apis, datés du règne de IJanisès IL L'une de ces tombes conte-
nait une momie de forme humaine chargée de splendides bijoux
1 L'Art égypHen, art industriel, choix de bijoux, lig. 14, 16, 17, 25, 28, 29 et 30.
« Les griffons, dit M. Prisse d'Avennes, semblent avoir été introduits par Séti I
(XIX«^ dynastie), à en juger par les vases offerts api es ses conquêtes en Asie. —
Tous ces bijoux ont été trouvés, du moins achetés à Thèbes, et appartiennent à
diverses époques ; ils sont si communs dans les nécropoles que leurs formes ont
été fréquemment reproduites à partir de la XYIIl"^ dynastie jusque sous les Ptolé-
mées et les Césars, où la terre émaillée imite à satiété les petits objets essentiels
à la vie égyptienne. J'ai donné ces bijoux au docteur Abbott et je crois qu'ils ont
été vendus à New-Yorck où se voit aujourd'hui sa collection. » Lettre du 19 jan-
vier 1875. - « rANi';GVi.iE.=ï. Fêtes dites yojnihurcs par le décret de Canope. Il y
avait, d'après l'inscription de Rosette, trois soites de panégyries une panégy-
rie était célébrée au trentième anniversaire de l'avènement du souverain. C'étaient
des jubilés et non des cycles comme on Fa cru. » Pierret, ouv. cité, p. 195.
' Dial. inerelr. 9 : •KoXuyojvov, xai 'Ir^^oç evîêiêArjo twv Tpr/po'jp.ojv, spuOpoc 'fe 7]v
' Worsaae, NordisJie Olilsai/er, p. 88, fig. 381 , 1" âge du fer. La légende porte :
anneau d'or incrusté de morceaux lie verre.
ORIGINES DE l'orfèvrerie CLOISONNÉE 109
provenantdu prince Kha-em-iias, fils du célèbre pharaon ; ils font
aujourd'hui partie des collections du Louvre et méritent tous une
étude spéciale. 1°. Sorte de boucle en or avec incrustations de pâ-
te vitreuse rouge et verte fn" 553). 2° Plaque de basalte vert en
forme de naos, revêtue d'une lame d'or. Au centre un gros scara-
bée en ronde-bosse accompagné des figures d'Isis et de Nepthys
adorant debout le symbolique insecte. Les vêtements des déesses
sont ciselés dans le métal ; les carnations et les détails de l'édifice,
rendus par des incrustations coloriées. Au-dessous de la frise est
gravée la légende de « l'Osiris, sage du palais^ le toparque Psar,
véridique. » (IL 0"' ]i)% 1. 0" 105"'; n° 524). 3". Epervier
criocéphale (à tête de bélier), les ailes ouvertes, tenant dans
ses serres le sceau, emblème de reproduction et d'éternité. La tête
et le cou, chefs-d'œuvre de ciselure, ont une saillie considérable
et sont entourés d'un riche collier formant nimbe ; le plumage
des ailes, du corps et de la queue est exprimé par des alvéoles
très-délicats incrustant du lapis, de la cornaline, une pâte vitreuse
blanc et bleu pâle, enfin du mastic rouge (PI. II, fig. 1). Ce bijou
(h. G"» 07', 1. 0"" 135""; n" 535), que l'on confondrait à première
vue avec Fémail le plus fin, a pu servir de j^Gctovcile ; toutefois le
casque du Sésostris déjà cité est orné par derrière d'un oiseau
analogue. 4°. Epervier ordinaire, même attitude, même travail
et mêmes matières que le précédent (h. O"^ 065°", 1. 0'" l'2' ;
n" 534). Les Egyptiens affectionnaient beaucoup les représen-
tations d'oiseaux aux ailes étendues, symboles du soleil et de
la maternité. M. Prisse d'Avenues a publié quelques vautours
peints dans la même attitude que les éperviers du Louvre. Le plu-
mage est rouge, noir, blanc, jaune, brun, bleu-clair et vert pâle ;
des filets blancs ou noirs expriment le cloisonnage. 5° Grand
pectoral d'or ajouré, figurant un uno.'^ ; motif principal, un vau-
tour essorant associé à un uraius. Ces animaux sont dominés par
un epervier criocéphale aux ailes étalées supportant le cartouche,
prénom de Ramsès II, lia ousor-rtta (soleil riche de justice), dont
les hiéroglyphes, en mastic verdâtre, remplissent les découpures
110 ORIGINES DE l'ORFÉVRERIE CLOISONNÉE
du métal ; deux dad (sorte de colonnette basse à quatre tailloirs
superposés) apparaissent aux angles inférieurs du monument. Le
mm'ë
haut des ailes est massif et ciselé, ainsi que les parties renflées de
l'uraeus qui accusent un rendu analogue à celui de la pendeloque
d'Hatlior. Le reste^, architecture et dad. compris, est esquissé par
des cloisons d'épaisseurs variables, soudées à la plaque de fond et
sertissant des cornalines, du stéaschiste noirâtre, une pâte blanche,
des imitations de turquoises et de malachite, du mastic. La
queue du reptile est formée de quadrilatères, alternativement
blanc et vert pâle, juxtaposés sans cloisonnage. La composition
est admirable, mais, en regard de Tépervier n" 3, l'exécution laisse
à désirer (h. 0" L> ; 1. 0'" 14^ n° 5-21) L
L'orfèvrerie cloisonnée sous la XX' dynastie (980 à 810 avant
J.-C), est représentée au Louvr? par un monument de médiocre
impjrtance à, mon point de vue, bien qu'il soit d'ailleurs très-re-
marquable. Un joli vroupe de trois statuettes en or (h. O-^^ lO'";
1. 0'" 65" ; n" 24) montre Isis et Horus étendant la main sur Osiris
en signe de protection ; le socle était incrusté de pâtes de verre.
Osiris es. accroupi sur un dé en lapis-lazuli au nom assyrien,
OnsL-ScLV-kln, du roi Osorkon II des listes de Manéthon '\
Pendant le règne des Lagides (3'23 à 30 avant J.-C), l'orfèvre-
rie cloisonnée atteignit en Egypte un degré de perfection qu'aucun
peuple n'a jamais surpassé. Le Musée royal d'antiquités de Mu-
nich possède quatre bracelets d'or, trouvés en 1834 par le docteur
Ferlini dans l'une des grandes pyramides de Méroe (Xubie) et
' Mariette, Choix de mouum. du Sérapeinn, texte et pi., passim. — Pierret, ouv.
cité, p. 124, 125, 127, 121). — E. de Rougé, ouv. cité, p. 73, 7'i. — Prisse d'A-
vennes, ouv. cilé, pi. cit., n'* G et passim. — Chabas, Notes manuacrUes.
* Pierret, ouv. cilc, p. 15.
ORIGINES UE l'oRFÉVRERIC CLOISONNÉE 111
portant, disent MM. Christ et Lauth, le cachet incontestable
(offenbarste Geprœgo} de Tinfluence de Fart grec ' . Les deux plus
beaux, formant la paire, sont à double brisure ; l'ornementation
se compose de sept bandeaux parallèles encadrés d'une bordure
métallique perlée et tressée. Les bandeaux supérieurs et inférieurs
incrustent alternativement des disques et des losanges; le bandeau
central comporte des imbrications et de six à huit petits bustes
coitFés, soit du j^schent ', soit du symbole d'Iiathor. Une ligure de
déesse à quatre ailes, les pieds sur une lleur de lotus, rehausse le
devant de ces bijoux ; M. Labarte croit j reconnaîtreMai/i l'épouse
divine d'Ammon, et l'attribution ne manque pas de vraisem-
blance \ (Diam. ()•" 078™, h. 0"' 016'"). Le troisième bracelet
(diam. 0'" 075'", h. 0" 034'") offre comme les précédents un décor
de bandeaux parallèles, échiquiers, losanges, rosaces et torsades;
le quatrième (diam. 0-" 07 6°", h. 0"' 04') est tout différent. Sa
bordure tressée encadre une balustrade de canopes ou de momies
debout, sommés d'un disque; au-dessous, des losanges, un large
bandeau d'imbrications et de canopes, encore des losanges, enfin
1 W Christ et J. Lautli, Fiihrer durch dns K. Ànliquarium in Munc/ien, p. 34 et
35 ; 2e salle, vitrine octogone, 6° compartiment, — Prisse d'Avennes, ouv. cité,
pi. citée, lig. 31, 32, 33. — J. Labarte, liech. sur la peint, en éminl, p. 70, 71 ; pi. A,
fig. 2, 3, 4.— M. A. W. Franks trouve encore Tépoque des Lagides trop reculée :
« En continuant la démolition de la pyramide, on trouva des bronzes d'orioine
romaine postérieurs à l'ère chrétienne, de telle sorte que les bracelets de Munich
sont tout au plus contemporains des émaux de la Gaule ou du texte de Philostrate
qui en parle. Quoiqu'égyptiens de forme et de style, ces bijoux ont pu appartenir
à l'une des reines de l'Ethiopie dont l'apôtre saint Philippe baptisa l'eunuque. »
Cité par A. Darcel, Notice des émaux et de l'orfèvrerie ; Moyen-.4ge et Renaissance :
Introd..ction, p. viii.
- Le psciicnt, dont lu nom réel est skiieni, insigne de la domination sur la Haute
et la Basse-Egypte, était une coiffure formée par la réunion de la tiare blanche
et de la couronne rouge. Pierret, ouv. cité, p. 180 et l'J7.
^ « L'épouse divine d'.^mmon, nommée à Thèbes simplement .Mattl ou mère
est onliiiairement coiffée du /..sr//<'/(/; elle est vêtue d'une longue robe juste et
tient en main le signe de la vie. » E. de Rougé, ouv. cité, p. i2-2. Or le pschent et
la croix aasée (en allemand Xilsc/tlUs.sel, clef du Nil), très-apparents sur le des-
sin de M. Prisse d'Avennes, sont méconnaissables sur celui de M. Labarte.
112 ORIGINES DE l'oRFÉVRERIE CLOISONNÉE
des amandes. Les incrustations m'ont semblé en mastic dnrci,
rouge, bleu lapis, bleu tuiqiioise et blanc ; leur travail est si déli-
cat que M. Labarte les confond avec l'émail. Je ne viens pas dis-
cuter ici la question de l'émaillerie sur métaux en Egypte, un
seul monument bien authentique prouve qu'elle y a été pratiquée,
et ce monument suffit * ; l'incrustation à froid m'occupe seule pour
le moment. Mon savant confrère a constaté, la loupe en main, la
présence de l'émail à chaud sur les bijoux de Munich; mais, moi
aussi, j'ai vu, j'ai touché, et je reste dans l'incertitude. Une au-
torité, que personne ne contestera en matière de technique indus-
trielle, u"est pas aussi affirmative que M. ]>abarte; M. A. Darcel
écrivait en 1867 : — je souligne les mots importants — « Nous
avons examiné avec soin ces bracelets, et nous avons reconnu que
la matière qui remplit les alvéoles en or composant leur dessin y
a été déposée humide puis simplement desséchée ou fondue; car
sa surface n'afHeure point le niveau des cloisons et se creuse en
méniscpie concave. De plus, cette matière ^'effrite aujourd'hui et
tombe en poussière sur la tablette où ces bijoux sont disposés. Il
y a présomption pour nous qu'ils sont en émail cloisonné ^ ».
Or, le mastic est toujours appliqué humide; il é})rouve un retrait
par la dessiccation; il s'effrite et tombe en poussière, ce qui n'est
guère le cas des émaux antiques : ils craquent, se délitent, mais
ne s'effritent pas. La matière rouge qui remplit les contours du
pectoral de Ramsès II, au 1 ouvre, où Ton n'a jamais reconnu
d'émail, devient pulvérulente, absolument comme Tincrustation
de même couleur aujourd'hui presque entièrement détruite sur les
bracelets de Munich. Le petit épervier à tète humaine, unique
spécimen incontestable de l'émaillerie égyptienne, s'elfrite-t-il
* Petit épervier à tête humaine. V. de Laborde, Noticp des émmix du Louvre^
p. 17 ; E. de Rougé, ouv. cilé, p. 91, 92 ; J. Labarte, lierh. suj- lu peint, en émail,
p. 69, 70, pi. A, fig. 1. — Les bijoux d'or, trouvés à Méroë et vendus au musée de
Berlin par le docteur Ferlini, sont émaillés suivant M. Kugler (Kunstb/atl. n" du
22 janvier 1853) ; mais nue même provenance doit, il me semble, ini()liquer une
analogie technique avec les bracelets de Munich, et le l'roblème n'est pas résolu.
* Ouv. cité, Introd., p. viii.
ORIGINES DE l'orfèvrerie CLOISONNÉE H3
ainsi? Présomption n'éqiiiv;iutpas à affirmation, et je partage l'avis
de M. Darcel, m'en tenant au pyrrhonisnie expectant jusqu'à
l'arrêt motivé d'unémailleur de profession, 11 n'est d'ailleurs aucun
besoin des découvertes du docteur Ferlini pour constater l'appli-
cation du cloisonnage à froid sous les Ptolémées. Le pendant de
collier à l'effigie d'Hathor, décrit plus haut, a tous les caractères
de l'art gréco-égyptien; je m'étais abstenu de signaler le fait
pour éviter une redite.
Les Egyptiens incrustaient le bois avec non moins de goût que
le métal ; notre musée du Louvre renferme divers exemples
de leur habileté en ce genre d'ouvrages. Une tête attribuée à la
XIX'' dynastie montre sur sa coifture des incrustations du plus
beau bleu. Une autre tôte, royale ou divine, a les sourcils et le
tour des yeux rapportés en pâte de verre bleu ; le blanc de l'œil
est en ivoire, la prunelle en minéral noirâtre '. L'n fragment de
meuble en bois doré, que j'avais pris pour un pectoral, représente
un naos encadrant la fieur de lotus; l'ornementation est rendue
par des incrustations d'albâtre et de pâtes vitreuses polychromes'.
La dynastie des Saïtes (XXVF; 665-527 avant J.-C.) nous a
aussi laissé un remarquable spécimen de bois incrusté ; j'en em-
prunte la description à M. Pierret, « Panneau en forme d'édifice.
Au centre, un bas-relief représente un roi en adoration devant
Harmachis, Ce dieu hiéracocéphale est assis sur un trône ; il tient
les sceptre Ucis * de la main gauche et le signe de la vie de la main
droite. Sa tête est surmontée du disque et de deux grandes plu-
mes, coifiure ordinaire d'Ammon. Le roi est élevé sur un support
en forme de pylône oii Ton distingue les restes d'une légende hié-
roglyphique. Il est assis sur le talon gauche et présente à Horus
une statuette de la déesse Ma (la Vérité; Ma-KJierou, vérité de
parole), coifiee d'une plume d'autruche; il est casqué, et son front
' Pierret, ouv. cilc, p. 50, iioâ 233, 234.
- E. de Rougé,'oui;. cité, p. 87.
' « Uez. Talisman en forme de colonnette s'épanouissant eu fleur de lotus. »
Pierret, ouv. cité, p. 207.
114 oriPtIxes de l'orfèvrerie rr.orsoNNÉE
est orne de Furœus. Au-dessus de sa tôte est le disque flanqué de
deux urœus; en face du roi est le cartouche prénom d'Amasis
(Ahmès-se-neit), Ra-noum-ah ; en face d'Horus la légende :
« le dieu grand, Har (em) Khou. » Au-dessus de cette scène,
comme plafond, le signe du ciel dans lequel brille une rangée
d'étoiles. Au-dessous, une ligne formant plancher, composée de
deux groupes alternatifs de trois cannelures horizontales et verti-
cales ; plus bas encore quatre ornements en forme de porte : le
tout encadri' de carreaux alternant avec des groupes de triples
cannelures. Au-dessus du cadre, le disque ailé accosté des deux
uraîus. Toute la composition est dorée ; le trône d'Horus et le socle
du roi sont en relief et incrustés de pâtes de verre de différentes
couleurs, ainsi que la légende et le cartouche; les vides des acces-
soiresétaient également remplis des mêmes substances dont il reste
quelques fragments. Ce panneau semble provenir d'un coffre. H.
0"^ 3 r, 1.0-^27^; M» 663 ' ».
Les musées deLeyde, Turin, Berlin, Copenhague, Saint-Péters-
bourg et le British-Mu>ieum ajouteraient sans doute un nombreux
contingent d'articles à cette nomenclature déjà longue, mais les
deux dernières collections me sont inconnues, et, quand j'ai visité
les premières, j'y recherchais tout autre chose que des monuments
égyptiens. Je crois néanmoins avoir rassemblé une somme de
preuves suffisantes pour établir la haute antiipiité et l'application
continue de l'orfèvrerie cloisonnée sur la terre de Mitsraïm.
II. — Le peujjte Juif.
Tandis que le polythéisme, adorateur de la forme, encourageait
le développement des arts plastiques, le vieux monothéisme, au
contraire, en arrêtait l'essor par la rigueur de ses doctrines.
Jacob et sa famille avaient bien emporté en Egypte les traditions
d'Abraham, mais le culte patriarcal y perdit beaucoup de sa pu-
reté primitive; le sang de Laban coulait dans les veines des Is-
1 Ouv. ctté, p. 163, 154. 172, 189.
ORIGINES DE l'ORFÉVRERIE CLOISONNÉE 115
raëlites qui;, toujours et partout, se montrèrent fortement enclins
à ridolâtrie. l>a vie entière de Moïse, de Josué, des premiers
Juges, les dernières heures de Samuel résument une lutte achar-
née contre les envahissements du polythéisme , gangrène inces-
sante du Peuple de Dieu. Aux quatre points cardinaux, des reli-
gions immondes battaient en brèche les dogmes salutaires gardés
par un petit nombre de fidèles, qu'une loi impitoyable et des exé*
cutions sanglantes parvinrent seules, jusqu'à raffermissement de
David, à préserver de la contagion, l.e honteux déclin de Salo-
mon, le schisme des dix tribus ruinèrent l'œuvre religieuse de
David; Jehovah fit place aux dieux étrangers sur les nouveaux
autels de Béthel, et ruiiité du culte fut ébranlée dans Juda par
rérection des sanctuaires des haut-lieux. Jérusalem elle-même,
la Cité sainte, vit plus d'une foisBaal, Astoreth et Moloch trôner
en face de son temple où cependant venaient toujours sacrifier
les vrais croyants d'Israël. Les efforts clair-semés de monarques
dociles à la voix des prophètes, organes vivaces du mosaïsme,
réussirent souvent à rétablir l'orthodoxie, mais les réformes opé-
rées par ces princes généreux disparaissaient à leur mort quand
elles duraient jusque là. La chute de Samarie et la captivité de
Babylone ramenèrent enfin les Juifs dans la voie qu'ils suivent
encore aujourd'hui.
Sous Tempire d'une législation qui proscrivait à si juste titre
les représentations d'êtres animés \ le souffle créateur d'un art na-
tional ne put guère inspirer les Israélites. Nous voyons David et
Salomon au comble de la puissance, obligés, pour bâtir et décorer
leurs monuments, d'avoir recours aux Phéniciens. En ce qui con-
cerne l'orfèvrerie, les Livres Saints mentionnent fréquemment
bijoux, meubles, figures en métal fondu ou ciselé; le Temple et le
' Exode, XX, 4. — Non faciès tibi sculptile, neqne oiniioin similitudinem quae
est in cœlo desuper, et quic in terra deorsum, nec eoruni quK sunL in aquis sub
ttrra. Vulgi-ie. — « lu ne feras point d'image sculptée, toute image soit de ce
qui est en haut au ciel, soit de ce qui est ici-bas sur la terre, et de ce qui est dans
les eaux sous la ten^e. » S. Galien, La Bible, trad. nouv., 1854.
416 ORIGINES DE l'ORFÉVRERIE CLOISONNÉE
trésor royal regorgeaient d'objets en or, en argent et de pierreries;
mais, derrière ces manifestations du luxe on reconnait presque
toujours une inHuence étrangère : Si le travail de Torfévre est
nettement défini par TExode, la profession elle-même n'obtient
un nom spécial en hébreu — T[Ti2 tzoraph, de n^lï conflavit —
qu'à partir d'Isaïe ' (827-635 avant J.-C). Joaillier, gemmarius,
n'a pas d'équivalent dans les textes sacrés ".
Un seul ouvrage de joaillerie se trouve décrit dans la Bible, et,
comme il appartient à l'orfèvrerie cloisonnée, nous nous y arrê-
terons longuement : aucun détail ici ne })eut être superllu.
Lorsque Moïse descendu du Siuaï s'occupa'd'organiser le culte
extérieur et visible de Jehovah, il fit appel à la générosité du
peuple qui lui fournit en abondance les matières précieuses néces-
saires à la construction et au mobilier du Tabernacle, ainsi qu'aux
ornements sacerdotaux ^ : parmi ces derniers compte le pectoral
— "jïïjn, liashen, rationale, vicpin-.-hSio'j^loyEiov — fabriqué, comme
le reste, sous l'inspiration divine ainsi qu'il suit :
Tu feras le pectoral du jug-ement, ouvrage de broderie, tu le feras
comme l'ouvrage de l'éphod; tu le l'eras d'or, de laine bleue, d'écarlate,
de cramoisi et de fin lin retors.
* XL, l'.J. — Numquid sculptile conflavit faber? Aut aurifex auro figuravit illud,
et laminis argenteis argeiitarius ? f'ulga/e. — « l.'iirtiste fond l'idole, l'orfèvre la
couvre d'or et y attaclie des chaînes d'argent. » S. Cahen, had. cil. — XLVI, 6.
— Qui cunfertis auruui de saccnlo et aigentum statera ponderatis : conducentes
auriticem ut faciat deum. f'nfy. — « Ils gagnent un orfèvre pour qu'il en fasse un
dieu. » S. Cahen, trud. ni. — La Sdi/c.^se, XV, 9, mentionne aussi l'orfèvre • Sed
concertalur aurificibus et argentariis. Mais, l'attribution de ce livre à Salonion
étant plus que douteuse, j'ai préfère m'en tenir à utie date certaine.
2 On lit dans Jèrcmie : XXIV, l. IS^O^nTlSI UJinn-PST — Et fabrum et in-
clusorem. fulyate. — Kat toÙç -î/vÎTa;, /.ai toO; oacy.coTot;. .Se/y/. — « Les char-
pentiers et les serruriers. » Cahen. — XXIX, 2 — ^SkOlûm L'inrO— Et faber et
inclusor. i^u'y. — Koù o£(i(ji.(otoj xai ts/vitou. Sopt. — « Charpentiers et serru-
riers. » Cahen. — En traduisant inc/usor par joaillier {Orfèvrerie viérov., p. 64),
j'ai commis une grave erreur pour n'avoir pas consulté le texte original et m'en
être aveuglement rapporté à la glose de saint Jérôme : Artifices inclusoreaque
auri atque ypianuirnin quœ apud birbaras naliones pretiosissimae sunt.
^ Exode, XXXV, -27, 29 : XXXVl, l.
ORIGINES DE l'oRFÉVRERIE CLOISONNÉE il"
Il sera carré et double, il aura une palme de longueur et une palme de
largeur.
Tu feras son enchatonnement de pierreries, à quatre rangs de pierres.
Au premier rang un odem, un piteda et un bareketh.
Au second rang un nophech^ un saphir et un iahlom.
Au troisième rang un leshèm, un shebô et un ahalama.
Au quatrième rang un tai^sliish, un shoham et un ioshphé. Elles seront
enchâssées dans de l'or dans leurs enchatonnements *.
Les pierres seront selon les noms des enfants d'Israël, douze, d'après
le nombre de leurs noms, gravées comme un cachet, chaque tribu selon
son nom ; ainsi elles seront pour les douze tribus.
Tu feras au pectoral des chaînettes ayant des nœuds aux bouts en façon
de cordonnet d'or pur.
Tu feras sur le pectoral deux anneaux d'or, et tu mettras les deux an-
neaux aux deux extrémités du pectoral.
Tu mettras les deux chaîn.;ttes d'or en cordonnet dans les deux anneaux,
à l'extrémité du pectoral.
Et tu mettras les deux bouts des deux chaînettes en cordonnet aux deux
chatons que tu mettras sur les épaulettes de l'éphod, sur le côté du de-
vant.
Tu feras encore deux anneaux d'or que tu mettras aux deux autres ex-
trémités du pectoral sur le bord de l'éphod en dedans.
Et tu feras encore deux anneaux d'or que tu placeras aux deux épau-
lettes de l'éphod par le bas, sur le devant, à l'endroit de la jointure, au-
dessus de la ceinture brodée de l'éphod.
Ils joindront le pect irai par les anneaux aux anneaux de l'éphod avec
un cordon de laine bleue, afin qu'il demeure sur la ceinture brodée de
l'éphod, et que le pectoral ne remue pas de dessus l'éphod ^.
' Vulgafe : Inclusi erunt auro per ordines suos. Septante : IJEptxsxaXujjLijiÉvà
■/puffîw, c:uvoeo£ij(.£va £v -/puctw. — XXXIX, 13; Vulg. : Circumdati etinclusi auro.
S&pt : n£pix£XuxX(ojji£vo( ypuCTtto xoù cuv^cSsfxs'va ypuaîw. — Torto cocco opus ar-
tificis gemmis prctio?is figiiratis in I (jntnid auri et opère lapidarii sculptis, in
memoriam secundum nuine»'uia tiibuum Israël. EcclésKislique, 45, 13.
2 Exode, XXVIII, 15 à 28. V. encore M., XXY, XXIX, XXXV, XXXIX ; Lévî-
lique,^\\\, 8. Cahen, trad. cit. — Au chap. XXXIX, 9 de l'Exode, M. Cahen tra-
duit indllféremment bl23 par doublé et par double. — Le tissage de l'or ne laisse
aucune incertitude. « On étendit des lames d'or qu'on coupa par filets, pour les
travailler dans la laine bleue, l'écarlate, le cramoisi et dans le lia lin. > Exode^
XXXIX, 3. Cahen, trad, citée. — Opus textile. Ecclésiastique , 45, 12.
118 ORIGINES DE l'orFÉVRERIE CLOISONNÉE
L'examen des peclomlia, d'Aah-liotep et de Ramsès II rend ce
texte fort clair. Une plaque d'or carrée, à jour, mesurant 0"' 2*25°
de côté, cloisonnait douze pierres précieuses oblongues (h. 0°
056"", 1. 0"' 073"), intaillées au nom de chaque tribu d'Israël.
Le treillage, appliqué sur un tissu en lil d-^ lin tramé d'or et de
laine, bleu, écarlate et cramoisi, d'où le qualificatif doitôie bD3,
était maintenu contre l'épbod : en haut, par deux de ces fines
chaînettes torsades dont les bijoux égyptiens nous offrent de si
remarquables spécimens; à la ceinture, par un cordon de laine
bleue. Le but de la doublure était de protéger Téphod contre les
frottements du métal ; peut-être avait-elle encore un autre motit :
le tissu polychrome appliqué derrière le rational devait commu-
niquer aux gemmes translucides un chatoiement particulier, ana-
logue à l'efi'et du paillon d'or usité de l'époque sassauide aux
temps postérieurs.
L'éphod était une tunique de dessus, assez longue pour né-
cessiter une ceinture et vraisemblablement sans manches, tissue
en or et laines de couleur ' dont la disposition ou le dessin ne sont
indiqués nulle part. Un bas-relief peint du Eamesseum de Thèbes
représente Sésostris vêtu d'une cotte d'armes rayée, bleu et or, le
pectoral suspendu au cou par une chaînette, un urœus cloisonné
saillant du frontal d'or de son casque. Cotte d'armes à manches
courtes, pectoral et frontal me semblent offrir une singulière ana-
logie avec l'éphod, le rational et le diadème d'or — an: y'ï —
qui ceignait la coiffure du grand-prêtre juif : Moïse aurait- il em-
prunté au vestiaire des pharaons l'idée première de son costume
liturgique, exemple suivi par le christianisme qui décora ses pon-
tifes des insignes impériaux ? De nombreuses raisons appuieraient
cette hypothèse '^ .
1 (I Ils feront l'éphod d'or, de laine bleue, d'écarlate, de cramoisi et de fin lin
retors, etc. » Exode, XXVIII, 6 ; passira. Cahen, trad. cit.
^ Prisse d'Avennes, ouv. cité, sculpture. Les Khétas (Syriens) vaincus par Sé-
sostris portei.t comme le pharaon une cotte d'armes à raies horizontales, mais les
couleurs en sont rouge, bleu et vert pâle ; le rouge domine. — Exode, XXVIII,
36 : « Tu feras un diadème d'or pur 37 : Tu le mettras sur un fil de laine
ORIGINES DE l'orfèvrerie CLOISONNÉE H9
On a beaucoup écrit sur les pierres précieuses du rational; au-
cune d'elles n'est dëiermiiiée avec une entière certitude. tTïî
odem, signifie rouge en arabe; c'est la transcription littérale de
riiébreu que les Septiinte traduisent par (xâpâioy. Est-ce le sardonyx,
l'hyacinthe rouge, la cornaline ou le grenat? Je ne m'arrête pas
au rubis. — nms, ijifeda ; -o-Kd^tov des Septante : Job mentionne la
topaze d'Ethiopie '.— np3, bareketh; Septante, ay.dpocyâoc^ , dme-
raude, attribution généralement admise par les savants. — ^53,
nophech : les Septante disent âv9px^, escarboucle. J'y reconnaî-
trais volontiers le mafek (malachite) des Égyptiens. — i^SO,
saphir; Septante aaTrœcïûsç . Existe-t-il des saphirs de 0,07' sur
0" 05% ou faudrait-il admettre parmi les gemmes du rational une
inégalité peu compatible avec la théocratie républicaine de
Moïse^? Le saphir corindon ne se trouvant pas ailleurs que dans
l'Inde et la Sibérie, l'idée d\in cuivre carbonate bleu me semble-
rait plus logique. — Q!5n\ iahlom, ïxaTiti des Septante; Braun et
les rabbins de l'école espagnole en font un diamant : ne serait-ce
pas plutôt le cristal hyalin, maJm des Syriens et des Arabes,
fa/ien des Égyptiens.— û2?3, leshèm: Septante, ytyuptov, opale? —
13», shebô : les Septante traduisent axâiy)?, agate; turquoise selon
la plupart des commentateurs. Une certaine analogie de pronon-
ciation m'indiquerait le khesbet, lapis lazuli, si employé en
Egypte. — n^bns, alialama; Septante, dij.é9v(Jzoç, améthyste. Un
texte hébreu cité par M. Cahen dit : « Nephtali a pour gemme
l'a'halama; la couleur de son étendard ressemble a du vin clair
azurée qui sera sur le turban ; le diadème sera sur le côté de devant du turban. »
Cahen, trad. cit.
^ Non adfequabitur ei topazius de ^Ethiopia. XXVIII, 19.
2 Je parle du saphir bleu, car les Anciens classaient les pierres d'après leurs
propriétés extérieures et non d'après leur composition chimique. Le saphir blanc,
à l'effigie de Chosroés, que possède le Cabinet des médailles, à Paris, a 0'" 075'"
de diamètre. Au reste le saphir de Pline est tout simplement du l.ipis-lazuli.
In lis (sapphiris) enim aurum punctis coUuret. ( lerulcte sa|iphiii, rarumque ut
cum puipura. Optimcu apud Medos : nusquam tamen perlucidœ, JJist. nat.,
xxxvii, ay, 1.
120 ORIGINES DE l'ORPÉVRERIE CLOISONNÉE
dontla rouffeiir n'est pas forte. » Pline parle d'un minéral nommé
alabfivdicus, d'Alabanda, ville de la Carie intérieure; c'était une
escarboucle, carchedonlus, d'un noir tirant sur le pourpre, fu-
sible et employée à la ftibrication du verre ' . L'homophonie comme
rhomochromie de la gemme biblique et de la pierre mentionnée
par le naturaliste romain sont très-sensibles. — tï'^win, tarshish;
Septante, xpvachOoç, chrysolithe, gemme translucide, aux reflets
dorés que produisaient l'Arabie et l'Ethiopie. Mais, au temps de
Moïse, le nom égyptien Toui^shn désignait les Etrusques ^, c'est-à-
dire l'Italie, contrée qui passa longtemps pour être la patrie de
l'ambre jaune, résine minérale de couleur dorée, susceptible de
recevoir un beau poli et d'avoir son emploi dans les ouvrages de
glyptique. Nul interprète des saintes Ecritures n'a jamais pensé
au succin, connu cependant en Egypte où, splon Nicias, on le re-
cueillait sur les bords de la mer ^. — tsnîD, skohavi; Z-hpv)lo5 des
Septante; béryl, aigue-marine. Les anciens tiraient le béryl de
l'Inde. — m2u:'^, ioshphé ; Septante, ovu; : je préfère jaspe à cause
de l'homophonie. Si l'onyx se rencontre en Afrique, le jaspe n'est
pas rare en Ethiopie et en Arabie ; nous possédons des ouvrages
égyptiens en jaspe \
D'après les ordres formels de Jehovah, Moïse préposa deux
Israélites, Betsalel, fils d'Ouri, de la tribu de Juda, et Oholiab,
fils d'A'hisamach, de la tribu de Dan, à la direction des travaux
du tabernacle et des accessoires du culte. Betsalel, très-habile
artiste, exécuta lui-même la menuiserie et l'orfèvrerie des objets
consacrés à Dieu; Oholiab s'occupait de la broderie et des tissus.
Les ouvriers subalternes étaient tous de la race d'Abraham ^ ; le
' E diverse niger est alabandicus terrse suas nomine, quanqiiam et I\Iileti nas-
cens, ad purpuram tamen magis aspectu déclinante. Idem liquidatur igni, ac fun-
ditur ad usum vitri. His/. mit., XXXVI, 13, 2. Alabandicos (carchodonius) caste-
ris nigriores esse scabrosque. Ibid , XXXVII, 25, 4.
2 Chabas, ouv cit., p. 189 et sq.
' Pline, op. cit., XXXVII, 11,2, 13, 6, — L'assertion de Nicias, cité par Pline,
prouve que le succin arrivait en Egypte par les voies du commerce maritime.
* Voy. Cahen, ouv. cit., notes des v. 17 a 20 du c. 38 de YExode.
* Exode, XXXV, 30 à 34 ; XXXVII, XXXVIII; XXXVI, 2.
ORiGixics Di; i.'orfkvrkuil; cloisonnée 121
législateur n'eut pas souifi-rt d'assistance étrangère. Un séjour
prolongé en Egypte avait initié les descendants de Jacob à la pra-
tique des arts industriels, et, quand il s'agit de fabriquer le veau
d'or, Aaron put s'en charger. Malhe creusement la nécessité, qui
ferma l'entrée de la Terre Promise à la génération sortie d'Egypte,
interrompit des traditions renouées seulement au retour de la
captivité de Babylone; une seconde fois, alors, les Juifs rappor-
tèrent de la servitude l'esthétique qui leur manquait.
En quittant la terre de Mitsraïm, les Israélites avaient fait de
larges emprunts à ses trésors, ce qui explique l'immense quantité
d'or, d'argent et d'objets précieux possédés dans le désert '. De
telles ressources, jointes au pillage organisé à l'encontre des
Chananéens, suffirent aux besoins de la nation jusqu'à l'avéne-
ment de Salomon, qui profita des loisirs de la paix pour s'asso-
cier au tyrien Pliram et obtenir par voie commerciale les richesses
du pays d'Ophir. En outre, le Livre des Rois évalue à 120 talents
d'or (7,200,000 francs) la somme qu'oflfrit la reine de Saba au
plus sage des hommes '.
Dans sa nomenclature des objets composant la toilette d'une
femme juive, Isaïe désigne un seul bijou orné de pierreries,
gemmas in fronte pendentes, le reste appartient à l'orfèvrerie
pure. Les artistes en métaux précieux devinrent nombreux à Jé-
rusalem lorsqu'on rebâtit ses murailles après la délivrance. Néhé-
mie cite les constructions élevées par Eziel et Melchias, tous
deux fils d'orfèvres, et par la corporation entre le grenier angu-
laire, la porte du Troupeau, la porte Judiciaire et le bazar des
* £xo(/e, XII, 35 : a. Les enfants d'Israël... avaient demandé aux Égyptiens des
vases d'argent, des vases d'or et des vêtements. 36 ainsi ils dé^jouillèrent
l'Egypte. » Cahen, trad. cit.
2 III, X, 10, 11. Paralip. II, IX, 9, 10. — Ophir était la contrée d'Ablùra, voi-
sine du Guzarate, dans l'Inde. Lassen, Indische Allerf/iumshinde, t. II, p. 584-
5'J2 Salomon retirait annuellement du commerce étranger 666 talents d'or; le
talent d'argent liébraïque valant 6,0' 0 fr., et celui d'or étant compté au décuple,
nous attendrons le chiffre, peut-être e.\agéré, de près de 40 millions de francs.
Encore ne faut-il pas comprendre dans cette somme les impôts et les tributs de
toute espèce. V. Rey., loc. cit., 14 et 15.
Ile série, tome II 9
122 ORIGINES DE LORFÉYRERIE CLOISONNÉE
fripiers '. Depuis ce moment, si le mobilier liturgique conserva
les formes traditionnelles réglées par Moïse et Salomon, la joaillerie
ordinaire, chez les Juifs, dut procéder de Fart assyro-chaldëen
et de l'art acliéménide comme elle avait auparavant demandé ses
inspirations en Egypte ou en Syrie ^.
C. DE LiNAS.
(A suivre.)
' Isaïe, III, 18 à 21. — Esdras, II, ITI, 8. Post eum sedificavit Melchias filius
aurificis usque ad domum Nathin?eorum et scruta vendentiiun contra portam
judiciahm, et usque ad cœnaculum anguli. Et inter cœnaculum anguli in porta
gregis gedificaverunt aurifices et negotiatores. Id. ibid., 30, 31.
- V. au Louvre les sarcophages de Jérusalem rapportés par M. de SauLy ; à
côté de variantes des rosaces et des bandeaux de feuilles empruntés à l'orne-
mentation assyro-chaldéenne, on voit des enroulements inspirés par l'art grec.
A. de Longpérier, Musée Napoléon III, in-4'>, pi. 30, fig. 1 et 2.
LE SARCOPHAGE DE SAINTE-QUITTERIE
PRELIMINAIRES
Aire-sur-l'Adour, dans le dé[3artement des Landes, est dominé par un
plateau élevé qui court du sud à l'ouest. Par une pente rapide, on monte
de la petite et gracieuse cité épiscopale à un bourg attenant, appelé le
Mars-d'Aire. A vrai dire, bourg et cité, c'est tout un; et j'oserais affirmer
que la cité est née du bourg plutôt que de consentir à voir dans celui-ci un
épanouissement de celle-là. L'église paroissiale du Mars-d'Aire peut in-
contestablement être mise au nombre de nos plus antiques édifices. La
façade est de style ogival, mais le monument lui-même appartient au ro-
man ; il est du XP siècle, du XIP au plus tard. Les trois absides du fond
sont contemporaines, comme on le voit aux marques des pierres presque
toutes semblables entre elles. Les colonnettes géminées de l'abside à gau-
che et leurs chapiteaux nous offrent dans toute sa perfection le style ro-
man secondaire.
Il y a dans cette église une crypte, dite de Sainte-Quitterie; on y des-
cend par les deux absides latérales. La cryp^:e n'a pas été creusée dans le
sol; le teri'âin qui arrive jusqu'à une petite fenêtre carrée du souterrain,
est une terre transportée ; un simple coup d'œil le démontre. Un cimetière
occupait tout l'espace compris entre la punie extérieure des absides et
quelques arches qu'on voit un peu plus loin. L'église romane et ce que
l'on appelle aujourd'hui la crypte semblent accuser un édifice plus ancien
dont il ne reste aucun vestige.
Un lut de colonnette de pieri'e rougeàtre du meilleur galbe est cmplo3'é
dans la grainle porte de la façade ogivale ; il est renversé de manière à ce
<lue son diamètre va diminuant, de haut en bas. Ce fût ne saurait appar-
124 SARCOPHAGE D1-; SAINTE-QUITTERIH
tenir au style roman secondaire; il remonte à une époque de beaucoup
antérieure et a dû entrer dans quelque antique édifice aujourd'hui ignoré.
Dans la crypte se trouve un baptistère carré de la plus haute antiquité,
placé dans la partie du milieu : on y descend par trois degrés. La terre
transportée a élevé le sol des deux parties correspondantes aux absides
latérales au-dessus de celles du milieu. Les Bollandistes parlent de ce bap-
tistère, au 22 mai, à propos de la vierge-martyre, sainte Quitterie. On re-
marque encore au gradin inférieur un large trou cari'é, fait au ciseau, par
lequel l'eau s'écoulait vers la pente de la colline sur laquelle repose le sou-
terrain. Saint Grégoire de Tours mentionne plusieurs fois ces sortes de
baptistères, devenus, dans le cours des âges, fontaines miraculeuses *,
comme on a qualifié le nôtre. C'est pourquoi je serais très-porté à croire
que là ou fut bâtie l'église romane se trouvait déjà un édifice contemporain
du baptistère, placé d'ailleurs un peu à côté du milieu exact de la crypte.
Au reste, je ferai observer, en passant, que d'après une certaine opinion,
le même Grégoire de Tours mentionnerait quelques tombeaux célèbres
aux environs de l'antique Atu?\ aujourd'hui d'Aire-sur-l'Adour "^
S'il m'avait été possible de placer sous les yeux du lecteur un plan to-
pographique, j'aurais pu m'étendre davantage sur ce sujet. J'en viens
donc immédiatement à noire sarcophage, après avoir fait remarquer qu'il
n'est pas le seul enfoui dans le souterrain : il y en a là plusieurs, en mar-
bre de Saint-Béat ou en pierre. La caisse est carrée, le couvercle prisma-
tique ; dépourvus d'ornements, sans inscription, ils sont répandus çà et là,
quelques-uns enfoncés jusqu'à la hauteur du couvercle.
Le sarcophage, objet de notre dissertation, se trouvait au fond d'une
petite arcature, creusé dans le mur opposé à l'abside du souterrain. Il gi-
sait enfoui dans la terre par sa partie postérieure à une profondeur de plu-
sieurs centimètres, et, malheui'eusement, deux grandes ouvertures dans le
mur donnaient, aux jours de pluie, un libre passage à un double courant
d'eau : le monument plongeait dans la boue. Ainsi, aux mutilations an-
ciennes venaient s'ajouter les ravages de l'humidité. De fait, le couvercle
conserve encore en assez bon état ses sculptures, tandis que celles de l'auge
sont rongées en bien des endroits et perforées de petits trous.
Je commençai donc par faire boucher les malheureuses ouvertures pour
arrêter l'invasion des eaux : puis, à l'aide d'un plan incliné et à force de
leviers alternativement mis enjeu des deux côtés, je fis descendre le cou-
' De Gloria Mart., lib. l. c. XXIV. Vo^ez Fontes dans la Table gén. de la
atholocj., de Migne, t. LXXL
* De ijloria Co)ifcss., c. LU.
SARCOPHAGE DE SAfNTE-QUITTERIE 1:25
vercle, énorme pièce de marbre massif, du poids de trente quintaux. L'o-
pération réussit heureusement. Quand l'auge fut détachée de son couver-
cle, je trouvai que les deux parties dont elle se composait, — car elle était
coupée en deux depuis longtemps, — se balançaient sur une grosse pierre
placée en dessous. Le partage est transversal. En exanainanl avec atten-
tion les quatre parois, épaisses de quatorze centimètres, je vis quels prodi-
gieux efforts on avait fait pour rompre le marbre, efforts doublement mal-
heureux puisqu'ils avaient abouti à mutiler les pieds des sculptures du
milieu. L'intérieur ne contenait autre chose que de la terre, des pierres et
de gros blocs de chaux à une profondeur de dix centimètres.
Les deux pièces de marbre furent placées sur un socle de pierre de
Geaune, village voisin d'Aire, dont la couleur se rapproche beaucoup de
celle de notre pays, et finalement, je parvins à retirer le monument du
fond de la niche, de manière à pouvoir contempler sans trop de peine les
deux sculptures latérales, tout à fait invisibles auparavant.
J'aurais voulu extraire le sarcophage du lieu où il se trouve, lieu qui
certainement ne lui était pas destiné : ses deux côtés ornés de sculptures
l'excluaient évidemment de cet arceau resserré, et ses grandes dimensions
lui assignaient un plus large espace. Je ne pus en obtenir la permission.
Afin de faciliter l'étude des sculptures je fis prendre les moules des deux
côtés, qu'on aurait pu encaisser dans les parois latérales, si, par des répa-
rations indispensables, on avait enlevé à la crypte sa fatale humidité.
C'est tout ce qu'il m'a été donné de pouvoir faire, et cela était de toute
nécessité. Puissent de plus heureux que moi relever un si précieux monu-
ment et le remettre par une intelligente restauration dans sa première
splendeur !
Le sarcophage, comme tous les monuments de ce genre, se compose de
deux parties : d'un couvercle et d'une auge ou caisse. En voici les dimen-
sions :
Couvercle: Long., 2"! "2; haut, de face, 0'"3Û ; derrière, 0'"10; larg.,
0"7G.
Auge : Long., 2"8 ; haut, de face, 0^60 ; derrière, 0'"54; larg. 0°'72.
Comme on le voit, le couvercle est en plan incliné : sa hauteur va dimi-
nuant de trente centimètres jusqu'à dix. C'est aussi la forme d'un sarco-
phage païen qui se trouve dans une petite et très-ancienne église de Saint-
Clément, près de Mirande (Gers). Les dimensions géométriques de l'auge
ne sont pas exactement observées, les deux côtés latéraux n'ont pas la
même larg 'ur. Elle a été creusée à grands coups de ciseaux dans un
énorme bloc un peu irrégulier : le marbre est tiré des carrières de Saint-
Béat (Haute-Garonne).
126 SARCOPHAGE DE SAINTE-QUlTTEUrE
PREMIERE PARTIE
LES SCULPTURES DU COUVERCLli
Les sculptures du couvercle retracent quatre faits célèbres de l'Histoire
sainte : trois appartiennent à l'Ancien Testament, un au Nouveau,
L'artiste, avant en vue le sens figuré des sujets à représenter, les unit
harmonieusement ; il en compose ua tout complet, disposant les parties
dans une union et une dépendance mutuelle. C'est pourquoi," comme le
devoir de l'archéologue est de mettre sous les yeux du lecteur l'idée réa-
lisée par l'i'rtistcil nous a paru que la meilleure méthode à observer dans
notre travail serait d'étudier d'abord chaque sujet en particulier, et puis,
l'envisageant comme partie d'un tout, d'examiner quelle unité en résulte,
Nous saisii'ons ainsi pleinement la pensée de l'artiste.
I. Le SACRIFICE d'Abraham (fig. I). — La première représentation qui
s'offre sur le couvercle à l'œil du spectateur, en allant de gauche à droite,
est le sacrifice d'Abraham. La composition est médiocre. Le patriarche
lève la main droite et tient une courte épée à deux tranchants, semblable
à celle dont se servaient les soldats romains. Il est dans l'attitude de la
surprise et regarde le bélier placé près de lui. Les proportioas du bélier,
relativement aux personnages et à la montagne au pied de laquelle il
est placé, démontrent clairement l'ignorance des anciens en fait de pers-
pective : erreur commune à d'autres œuvres d'une main d'ailleurs habile.
Abraham est entre deux oliviers d'un feuillage épais, garnis de leurs fruits;
Isaac est à genoux au pied d'un autel, les mains liées derrière le dos;
la main de son père le retire un peu en arrière. Les deux personnages ont
la tunique relevée à la ceinture, selon l'usage des anciens occupés à un
travail manuel ou en voyage, comme en témoigne saint Luc dans un
passage (ch. xn), fréquemmeat cité par les archéologues. L'évangéliste,
en cet endroit, s'adressant aux serviteurs vigilants, leur dit <ju'il faut at-
tendre leur maître, la lampe allumée entre les mains et la tunique relevée
autour des reins : lumbi vestri prxcincti. Le maître, alors satisfait de la vi-
gilance de ses serviteurs, relèvera, lui aussi, sa tunique, prœcinget se, et il
les servira à table.
Je n'entasserai pas ici d'innombrables textes des Pères de l'Eglise pour
démontrer que le célèbre sacrifice d'Abraham a toujours été considéré
SARCOPHAGE DE SAINTE-QUITTERIE 127
comme figure du sacrifice de Jésus-Clirist. Qu'on relise ces textes, qu'on
consulte les œuvres des archéologues, on verra comment plusieurs Saints
Pères ont établi un parfait parallèle entre les deux sacrifices. Arrêtons-
nous plutôt à remarquer de quelle manière notre artiste a conçu et exé-
cuté son sujet.
La montagne au pied de laquelle on voit l'énorme bélier se retrouve
également en d'autres cadres religieux, mais la brebis ou le bélier, sym-
bole du sacrifice, sont placés au sommet. Ici le bélier est au bas de la
montagne. D'après le texte bibliqne, le sacrifice devait être offert sur la
montagne : super unum monlium queni moi^stravero tihi. Sous ce rapport,
les saints Pères trouvent un point de comparaison entre le sacrifice
d'Abraham et celui de Jésus-Christ : Montis verticem utriusque sacrificii
opcratione esse designatum, disait saint Ephrem cité par Arringhi. Si le
sculpteur de notre sarcophage a procédé autrement, c'est qu'il avait en
vue de marquer la surprise du patriarche à l'apparition du bélier qu'il
n'attendait |)as. Cette surprise laisse en suspens le sacrifice d'Isaac et mar-
que le sacrifice du bélier qui va le remplacer. Ainsi, indépendamment de
l'espace dont l'artiste pouvait disposer, le bélier est placé au pied de la
montagne sur laquelle il sera ensuite immolé.
Je ferai remarquer en outre que, dans notre sujet, la matière du sacri-
fice est double, la brebis et Isaac : mais l'une est offerte, l'autre est réser-
vée pour la nombreuse postérité promise à Abraham comme récompense
de son obéissance. La brebis, dans les monuments sacrés, est le symbole
de l'humanité dont le Verbe de Dieu s'est revêtu et pour laquelle l'Homme-
Dieu s'est offert en sacrifice : Deus (ilium suum mittens in simililudinem car-
nis peccati, et de peccato damnauit peccatuni in carne, comme a dit saint
Paul (Rom., viii). C',,st pourquoi j'estime que nous avons ici deux idées
dominantes très-distinctes : la première, celle du sacrifice; la seconde, ses
effets, c'est-à-dire les peuples donnés à Jésus-Christ par Dieu le Père en
récompense de son oblation généreuse. Je laisse les témoignages écrits,
j'aime mieux en appeler aux monuments figurés. Un sarcophage nous
montre Abraham, le bras arrêté, au moment où il va frapper, par lu main
qui apparaît selon l'usage-, au-dessus de sa tète : il n'y a pas de brebis,
c'est signe que l'artiste n'a pas voulu précisément indiquer le sacrifice.
D'un côté, isaac se tient à genoux auprès de l'autel allumé ; de l'autre est
l'Aveugle-né guéri par le Sauveur. L'un et l'autre sont tellement placés
qu'il est impossible de ne pas saisir la corrélation que l'artiste a voulu éta-
blir encore les deux sujets.
Sedulius expose admirablement le sens mystique de la guérison de
l'Aveugle-né. D'après le poète, l'infirme rendu à la santé, c'est l'homme
128 SARCOPHAGE DE SALNTIC-QUITTERIE
régénéré dans les eaux du baptême, devenu disciple du Christ. Le Créa-
teur n'a pu consentil- à laisser plus longtemps son ouvrage détérioré, c'est
pourquoi :
.... natale lutum per claustra genarum
Illiniens^ hominem veteri de semine supplet.
L'Aveugle cependant ne pourra recouvrer la vue s'il ne va, obéissant à
la voix du Seigneur, se laver à la fontaine de Silor :
Et consanguinei fotus mcdicamine limi
Pura ooulos fovisset aqua
Après la narration du fait évangélique, Sedulius s'adresse aux fidèles et
leur explique le sens mystique du miracle :
L'ognoscite cuncti
Mystica quid doceant animas miracula nostros.
Cœca sumus proies miserœ de fœJibx:s Evœ.
Portantes longo natas errore tenehras,
Sed dignante Deo mortalem sumere formam
Tcgminus humani, lacta est ex Virgine nobis,
Terra salubris quœ fontibus abluta saciis,
Clara renascentis reserut spiramina lucis.
Le Paralytique. — nous le dirons tout à l'heure, — révèle les mêmes
mystères : notre sarcophage, comme d'autres, l'unit au sacrifice d'Abra-
ham. Ainsi, par ce monument et par ceux que nous pourrions citer en
grand nombre, on voit que l'artiste chrétien n'oubliait jamais le lien pro-
phétique entre les promesses disines faites à Jésus-Chi-ist. Mais, quand
même nous ne considérerions que le tableau du sacrifice d'Abraham, Fidée,
quoique plus voilée à Toeil du spectateur, me parait néanmoins évidente
dans la pensée de l'artiste.
Examinons maintenant les deux oliviers, ( hargés de fruits, placés à
droite et à gauche. D'après nos saints livres, l'olivier symbolise une pos-
térité nombreuse : Filit lui sicut novellœ olioarum. Néanmoins, soit ici,
soit dans les autres monuments où l'arbre est sculpté (sans que d'ailleurs
nous puissions clairement discerner par les tables de Bosio s'il s'agit pré-
cisément d'un olivier), j'ai peine à croire que telle soit la signification du
symbolisme De fait, les monuments l'expriment d'ordinaire tout autre-
ment. On ne peut pas prendre ces arbres comme indices d'un lieu cham-
pêtre, théâtre de l'événement; ce serait méconnaîire la manière des an-
ciens artistes chrétiens, surtout dans le sujet qui nous occupe. Cela posé,
SARCOPHACtE DE SAI.VTE-QUITTERIE 129
je regarde l'olivier de nos monuments comme symbole de la paix, de la
paix conquise par la victoire. Notre sarcophage nous en donnera la dé-
monstraiion quand nous aurons à parler de Daniel. Là aussi, l'artiste a
représenté deux vigoureux oliviers semblables tout à fait à ceux du pre-
mier groupe Je ne saurais m'éioigner de cette explication, elle s'offre
comme d'elle-même à quiconque réfléchit : l'artiste chrétien, quand il re-
présente la mort des fidèles, place constamment sous nos veux l'image de
la paix, fruit de la victoire et du sacrifice. Le Rédempteur a remporté la
victoire en souffrant comme victime sur la croix et il est entré triomphant
dans la gloire, après avoir donné sa vie pour le rachat du genre humain;
c'est la doctrine de saint Paul si bien exposée dans ses épîtres.
Mais nous n'avons pas encore expliqué les particularités qu'on remar-
que dans la manière de composer le tableau d'Isaac, manière au reste,
sauf de rares exceptions, toujours la même Parmi les verres peints, édités
par le P. Garrucci, il y en a un qui représente le sacrifice d'Abraham.
Isaac est nu, il pose un genou en terre près du tronc d'un arbre, il a les
mains liées par derrière, ses yeux sont couverts d'un bandeau : ailleurs,
on le voit dans la même attitude auprès d'un autel d'où s'élève une grande
flamme Or, il est bien certain que telle n'est pas la description biblique :
nous savons au contraire que c'était la manière, cliez les Romains, des
exécutions capitales. Il suft'it pour s'en assurer de jeter un coup-d'œil sur
les actes des martyrs. On y voit l'usage de bander les yeux aux condam-
nés, de les frapper après les avoir dépouillés et quand ils avaient ployé le
genou. Quiconque est versé dans la lecture de ces monuments du marty-
rologe chrétien pourra aisément reconnaître tous les points de ressem-
blance : il lui sera aisé de voir que nos artistes chrétiens ont emprunté
leur modèle à la manière de pri.eéder des bourreaux de l'empire. Quel au-
tre guide pouv.aent-i!s avoir d'ailleurs quand ils cherchèrent à mettre
sous les yeux l'image vivante du sacrifice?
IL Le Paralytique {gr. II). — La sculpture de cette scène est, comme
la précédente, assez médiocre. On voit le Paralytique en train de mar-
cher : il porte son grabat sur les épaules, la tête enfoncée dans une des
mailles qui composent le filet du petit lit; de ses deux mains il soutient
tout le poids. Il est à remarquer que notre artiste a placé l'autel d'Isaac
sous le lit du Paralytique, lequel, en s'acheminant, va ver^j une montagne
pareille à celle du premier groupe. On ne peut, je crois, attiûbuer cet
agencement au défaut d'espace : en serrant un peu plus vers l'angle les
personnages du premier groupe, l'artiste obtenait aisément assez de place.
S'il n'avait été réellement guidé par l'intention d'un sens caché et mysté-
rieux, il aurait supprimé de préférence l'autel lui-même, comme plusieurs
130 SARCOPHAGE DE SAIXTE-QUITTEUIE
l'ont fui;, au Jieu de nous montrer le grabat, d'un côte appuyé à une par-
tie de l'autel, de l'autre à la montagne.
Les quatre cvangélistes nous racontent la guérison miraculeuse du Pa-
ralytique : les trois premiers le font dans les mêmes termes à peu de chose
près. Saint Jean décrit une guérison opérée par le Sauveur sous les por-
tiques de la piscine probatique de Jérusalem : le malade y gisait depuis
trente ans. Quelle était son infirmité ? Saint Jean ne le dit pas, mais les
saints Pères sont unanimes à désigner la paralysie. La question soulevée
par saint Chrysostome, question qu'il ramène en plus d'un endroit avec
une certaine insistance, pour établir la différence entre le paralytique des
synoptiques et celui de saint Jean, nous montre assez toute l'importance
que les anciens chrétiens attachaient à un sujet d'ailleurs si fréquemment
traité dans les œuvres d'art. 11 va plus, par la discussion du saint docteur,
on voit assez clairement que si, dans le cours des siècles, on n'avait pas
oublié totalement le sens primitif de certains sujets, du moins ce sens
était bien moins compris. Je n'hésite pas à affirmer que les premiers chré-
tiens avaient en vue dans leurs compositions le miracle raconté par saint
Jean, et cela pour des raisons particulières sur lesquelles il importe de
nous arrêter un instant.
Si l'on considère de quelle manière est ordinairement représenté le Pa-
ralytique, il devient assez difficile de décider si c'est celui de Capharnaùm
ou celui de la piscine de Jérusalem. Et néanmoins, quoi qu'en disent cer-
tains commentateurs, l'un est bien distinct de l'autre, non-seulemeut d'a-
près saint Chrysostome, mais de l'avis assez unanime des interprètes. Or,
les monuments ne tranchent pas la question ; ils mettent tous également
sous nos yeux un personnage portant son grabat, circonstance uniforme
dans les récits des quatre évangélistes. Il y a toutefois des exceptions :
un sarcophage reproduit les portiques de la piscine, un autre place à côté
du malade un personnage que les archéologues prennent pour un docteur
de la loi reprochant au Paralytique l'inobservance du repos judaïque le
jojr du sabbat, particularité notée seulement par saint Jean. De fait, les
saints Pères parlent de préférence du paralytique de la piscine, et toujours
par allusion au baptême. Ainsi, saint Chrysostome aime à voir dans la
piscine probatique une figure du baptême ; le miracle de la guérison si-
gnale les effets de l'eau salutaire. Ailleurs, il revient sur le même sujet, et
pour lui la rémission des péchés accordée au Paralytique marque les ef-
fets du sacrement régénérateur. « Pourquoi, demande jaint Cyrille de Jé-
rusalem, attendre encore la guérison des eaux de la pi.-cine, lorsque tu as
à tes côtés Jésus, source d'eau vive ? »
Il me parait donc certain que, lorsque les artistes chrétiens introduisi-
SARCOPHACtE DK SAIXTE-nriTTEIlUC 131
rent dans les monuments sacrés cette représentation, ils ont eu en vue le
récit évangélique de saint Jean, et cela, parce que lien n'exprimait plus
éloquemment les effets du baptême dans l'âme humaine que la guérison
des maladies corporelles obtenue par les eaux de la piscine probatique.
Puisque j'ai mentionne l'homélie de saint Cyrille sur le Paralytique, je
ferai remarquer qu'elle est pleine de mystères : on voit que le saint évê-
que s'adresse à un auditoire familiarioé avec les sens les plus cachés du
symbolisme chrétien. Quand il rappelle le commandement fait par Jésus-
Christ au Paralytique d'emporter son grabat sur ses épaules, il ajoute
aussitôt une explication mystique du lit de Salom^on. Selon lui, ce lit si-
gnifie la croix dont le Sauveur a voulu chai'ger ses épaules pour la ré-
demption de nos péchés. Il s'étend longuement sur ia [lastion du Sauveur
et il nous dit que le lit du Paralytique est la croix que le divin Maître nous
a| prend à porter à son exemple. L'annotateur de l'homélie nous donne ce
passage comme indice d'une imagination hardie et jeune. Mais il aurait dû
remarquer que, en cet endroit comme en beaucoup d'autres passages des
anciens Pères, on ne doit pas chercher Tunité et la connexion dans le sens
littéral mais dans le sens mvsti(|ue, absolument comme font aujourd'hui
les archéologues dans l'interprétation des œuvres d'art. Evidemment, si
nous considérons seulement dans cette homélie le sens littéral, en voyant
saint Cyrille unir ensemble le lit du I aralytique et le lit de Salomon, le
miracle du malade emportant sur ses épaules son grabat au commande-
ment du Sauveur et la croix portée par le Sauveur lui-même, nous aurons
là les écarts d'une imagination non- seulement hardie, mais, qu'on nous
permette de le dire, désordonnée.
Cette digression m'a paru nécessaire pour l'explication de notre sarco-
phage. En effet, à ne consulter que l'histoire, que signifie de la part de
notre artiste le mélange, en apparence si disparate, de l'autel, de la mon-
tagne et du Paralytique? Mais faites attention au sens mystique ou figuré,
et aussitôt vous verrez pourquoi l'autel est ainsi placé, pourquoi il y a là
une montagne vers laquelle s'achemine notre Paralytique. Le lit sur les
épaules du malade guéri, saint Cyrille vient do nous en fournir une expli-
cation complète : il nous donne le sens primitif, il nous dit le symbolisme
chrétien si communément connu et si familier au temps des persécutions,
mais évidemment tombé en une sorte d'oubli dés le IV" siècle. Quant à
notre artiste il a eu la parfaite intelligence de son sujet.
III. Le jeune Tobie [gr. V). — La sculpture de cette scène est bonne :
mais le visage de Tobie est rongé par l'humidité. Le jeune homme est nu,
les reins sont entourés d'un linge dont les extrémités pendent par devant :
la main droite plonge dans lu gueule du poisson. Un arbre surgit entre
132 SARCOPHAGE DE SAINTE -QUITTERIE
ses pieds et s'élève jusqu'à la partie supérieure où il étale deux branches
entaillées : il est entièrement semblable à celui qui pousse entre les pieds
d'Adam, comme nous le" verrons bientôt. Je ferai seulement observer que,
vu le petit espace dont pouvait disposer notre artiste, il a fait effort pour
y placer l'arbre. Quant au poisson, il affecte la forme convenue dans la
représentation du mystérieux tchllius ; il est entre deux morceaux de mar-
bre dont le mouvement indique sans doute celui des flots du Tigre où le
jeune Tobie est entré pour sai?ir le poisson.
Cette scène est rarement représentée. Je la trouve quatre fois reproduite
sur les verres peints, et toujours de la même manière, excepté la petite
tunique relevée sur la ceinture, absente dans notre sarcophage, et qu'on
ne voit pas non plus sui' une fresque reproduite par M. Perret, décrite
aussi par l'abbé Martigny : « Dans une fresque découverte en 18-49, au
cimetière des saints Thrason et Saturnin, il est vu (Tobie) présentant le
poisson à l'ange vêtu d'une hngue tunique ; ici Tobie e»t nu, sauf une cein-
ture sur les //anches, n A ce propos, je ferai remarquer qu'on doit bien se
garder de confondre le pêcheur évangélique avec le jeune Tobie : Il ne
faudrait pas voir celui-ci, par exemple, dans le jeune homme entièrement
nu qu'une peinture de Botiari nous représente portant uu poisson sus-
pendu à sa main droite, et de la gauche poriant un roseau ou longue per-
che. De fait, nous ne lisons pas que Tobie ait pris le poisson à la ligne,
et, d'autre part, on sait combien sont fréquentes, dans les monuments sa-
crés, les scènes de la pêehe, prise au sens symbolique. Un petit verre
peint nous montre Jésus-Ciu'ist portant le petit poisson en usage suspendu
à l'hameçon. Qui voudiniit y reconnaître une composition empruntée aux
représentations de Tobie, au lieu d'y voir le pêcheur évangélique auquel
seul l'artiste veut évidemment faire allusion?
L'Ecriture sainte nous dit que le jeune Tobie se servit des entrailles du
poisson pour délivrer Sara du démon Asmodée, et pour rendre la vue à
son père : les saints Pères ont reconnu là un symbolisme de la vertu de
Jésus-Christ, Yiclitlius salutaire. Ainsi procède l'artiste, il ne met jamais
entre les mains du jeune Tolàe le poisson monstrueux qui s'élance du
Tigre pour le dé\orer, mais toujours ['iclitiius ordinaire.
Il est indubitable que ce sujet a été introduit dans l'iconographie chré-
tienne longtemps tiprès les représentations de I'/cA/Awa', qui durent, si je
ne me trompe, rappeler à la mémoire des fitlèles et des artistes l'histoire
du jeune ToDie. Nous pouvons, je crois, le déduire de ce passage d'un
écrivain ecclésiastique anonyme, fré(]uemment cité par les archéologues,
Piscem magnum, dit-il, qui satiavit ex se ipso in liltore discipulos, et toii se
obtulit mundo icht/ius^ cujus ex interioribus remediis quotidie illuminaniur
SARCOPHAGE DE SALXTE-QUITTEftlK 133
et pascimur. Comme on le voit, deux laits sont signalés ; celui du rivage
de Tibériade dont saint Jean nous ftiit le récit, et celui de Tobie ex inferio-
ribus remediis. Nous sommes Ulummés par le poisson dans le baptême,
nourris dans l'eucharistie : deux sacrements simultanément conférés au
catéchumène régénéré, dans les premiers temps de l'Eglise. Ce double
sens de Xiclvhus est très-clairement exprimé encore dans la célèbre des-
cription chrétienne d'Autun. Et telle est la description du poisson dans les
mains de To)ie, ainsi que l'explique si bien l'écrivain anonyme cité plus haut.
Je ne saurais assez marquer mon étonnement en voyant combien rare-
ment la peint jre murale a traité ce sujet, tnndisque rien n'est plus fré-
quent sur les verres peints. Le poisson, la pêche, le pêcheur évangélique,
et toutes les images de ce genre étaient pourtant conformes au goût de
nos anciens artistes chrétiens. En voyant quel parti le nôtre en a tiré et
comment en efi'et l'histoire de Tobie se prêtait admirablement à l'interpré-
tation mystique de Vic/ithus, on se demande pourquoi les anciens peintres
n'ont pas plus fréquemment employé un symbolisme si bien adapté, à une
époque surtout (^ui aimait davantage les symboles plus cachés. L'absence
d'autres sujets nous étonnerait moins. D'autre part, les verres peints ap-
partiennent généralement à l'époque intermédiaii-e entre les fresques et les
sarcophages, comme l'a démontré le P. Garrucci. Or, tels sujets, très-
fréquents sur les peintures murales, sont fort rares ou disparaissent même
tout à fait sur les verres; tandis que le jeune Tobie. repi'oduit une seule
fois dans les peintures des cimetières romains, se trouve quatre fois sur
les verres. Et l'on ne peut pas invoquer ici l'inspiration de la loi d'unité
qui aurait poussé Tartiste àreproduire une représentation convenue, comme
système d'enseignement, dans les œuvres symboliques de l'art chrétien.
De fait, je retrouve jusqu'à trois fois la scène de Tobie pour sujet unique
de verres peints. On ne saurait expliqi;er ceci, je pense, par la perte des
monuments à laquelle il faudrait attribuer une abondance plus ou moins
gi-ande detels ou tels sujets On sait assez combien est numériquement
restreint le champ du symbolisn^e sacré, d'où, dans les groupes connus,
l'incessante répétition des symboles établis. Je ferai remarquer entin que
la représentation de ïicht/ius mystique, si ordinaire aux premiers siècles,
devient de plus en plus rare depuis la paix de Constantin. J'excepte néan-
moins le symbolisme eucharistique de la multiplication des pains et des
poissons, symbolisme plus clair que les autres, fréquemment représenté à
l'époque des persécutions. Si donc l'histoire du jeune Tobie avait été en-
visagée comme un synV o!e plus transparent, on la reti'ouverait incontes-
tablement répétée plus souvent sur les sarcophages : or elle n'y paraît
qu'une seule fois.
134 SARCOPHAGE DE SAINTE-UUITTERIE
Telles SOUL les observations s^ug•g•érées par les monuments figurés :
voyons maintenent si les monuments écrits ne nous donneraient pas l'ex-
plication du phénomène. Le livre de Tooie est en dehors du canon des
Hébreux, il fait partie de celui des chrétiens, mais il n'y entra pas dès les
premiers temps. Saint Cyprien, il est vrai, et d'autres anciens écrivains de
l'Eglise le citent, comme on peut lire dans Buonarotti. mais on ne voit pas
que l'Eglise l'aie généralement admis, dès le principe, parmi les livres
inspirés. On le lisait dans l'assemblée des fidèles à l'égal des autres écri-
tures de la loi ancienne ; nous en avons pour garants saint Ambroise et
saint Jérôme. Néanmoins ce dernier en parle en des termes qui ne per-
mettent pas de dire, comme le font certains auteurs, que si saint Jérôme
le déclare en dehors du canon hébraïque, il ne l'exclut pas de celui de
l'Eglise catholique. Les paroles du saint docteur n'admettent pas une pa-
reille distinction, il dit formellement : Tobias et Pastoi^ non sunt in canone.
Evidemment il ne peut être question ici du canon juif, où le Passeur n'avait
rien à faire. En outre, au chapitre huitième de son commentaire sur Da-
niel, saint Jérôme, après avoir parlé du nom de l'ange Raphaël, ajoute :
si cui tamen placet Tobiae Ubrum recipeve ; Whevté impossible si ce livre
avait déjà été mis au nombre des écritures canoniques.
Néanmoins, non-seulement l'Eglise lisait et citait le li\Te de Tobie dès
les premiers temps, mais, en 397, le troisième concile de Carthage le
comptait au nombre des saintes Ecritures dans son quarante-septième ca-
non, comme avait fait précédemment, en 393, le concile d'Hippono dans
son trente-huitième canon. Saint Hilaire de Poitiers, au commencement
de la seconde moitié du YP siècle, disait, dans son Prologue aux Psaumes.
n. 15 : Quelques-uns ajoutent aux vingt-deux livres canoniques de la loi an-
cienne les histoires de Tobie et de Judith. On le voit, longtemps avant les
décrets des conciles ci-dessus nommés, plusieurs églises rangeaient le livre
de Tobie au nombre des livres canoniques. Or, je suis très-porté à croire
que l'Eglise romaine avait antérieurement inséré dans le catalogue des
livres sacrés celui de Tobie : la lettre de saint Innocent l" à saint Exupère,
dans laquelle ce livre est mentionné avec les autres, est pour moi un té-
moignage de ce qui avait été fait longtemps auparavant. Les monuments
cités par nous appartiennent à la fin du IIP siècle et aux premières années
du IV' : on ne peut les placer ni avant ni après. Or, quiconque est tant
soit peu au courant des sentiments des premiers fidèles de Rome avouera
aisément que jamais les artistes chrétiens n'auraient voulu mêler aux re-
présentations symboliques, tirées des livres divinement inspirés, d'autres
symboles, empruntés à un livre que l'uutorité compétente n'avait pas en-
core admis comme canonique. De ce que nous avons dit jusqu'à présent,
SARCOPHAGE DE SAINTE-QUITTEKIE 13o
il suit avec évidence qu'on doit rapporter au moins à la lin du IIP siècle
l'insertion du livre de Tobie par l'Eglise romaine dans le canon des saintes
Ecritures ; il s'ensuit également que ce sujet a dû entrer dans l'Iconogra-
phie chrétienne à la même époque. Il commença à disparaître vers la pre-
mière moiiié du I\^* siècle, par la même raison qui supprimait la repré-
sentation de Vichthus; ces symbolismes étaient devenus inutiles, et le
commun des fi Jèles comm -nçait d'ailleurs à en perdre le sens.
IV. JoNAs [gr. IF). — Le monstre marin de notre marbre est d'une rare
élégance et d'un goût tout à fait antique : la volute de la longue queue
produit un bel efïet de lumière ; l'artiste, avec une merveilleuse intelli-
gence fait apparaître l'épine intérieure comme le demande le mouvement
des diverses parties du monstre. Jonas est représenté au moment où il
sort de la gueule de la baleine ; il étend anxieusement les mains devant
lui pour se cramponner à la terre ferme, ou plutôt au pied d'une petite
colline. La baleine porte sur la tête deux petites oreilles, selon la manière
de la peindre : elle a le cou étroit, le ventre large, sa longue queue est re-
troussée.
La sculpture ne demande pas une longue description, quelques remar-
ques suffiront. La figure du monstre marin, d'après le P. Garrucci, n'est
certainement pas une fidèle représentation de baleine ou de cétacée quel-
conque. Les peintres laissent aux interprètes de l'Ecriture sainte le soin
de déterminer la nature précise du monstre ; ils s'appliquent uniquement
à reproduire les formes fantastiques du kètos, adoptées par les artistes, soit
qu'ils aient à peindre la fable d'Andromède, le cheval de Neptune ou de la
déesse Amphitrite conduite par les Tritons et les Nymphes. « La raison
de ce choix, remarque le savant auteur, semble se rattacher à une allu-
sion symbolique : le monstre doit représenter la mort qui engloutit. » Si
les saints Pères, tels que saint Jérôme et Théophylacte, ont rappelé, dans
leur polémique avec les païens, la narration fabuleuse à l'occasion de
l'événement du prophète Jonas, on ne peut attribuer le même motif aux
artistes chrétiens quand ils ont reproduit le kètos et le cheval de Neptune.
Leur unique intention était de rappeler à la mémoire la résurrection de
Jésus-Christ triomphant de la mort. Les monuments funèbres des païens
sont fréquemment ornés de monstres marins ; quand nos artistes les re-
produisent à leur tour, il est clair qu'ils veulent signiher la mort et le tom-
beau. C'était au reste la pensée des païens eux-mêmes, comme on le voit
par le Dialogue de Lucien : les Néréides envoient le kètos contre Andro-
mède pour la dévorer.
Autre observation qui nous permettra, en outre, de supprimer tant de
textes connus où les saints Pères exposent le sens mystique de Jonas
136 .s.\RCÛPHaGK de SAINTK-yUlTTtKIK
vomi par la bnloi'K;. Eu gciiéfal. le prophète n'est pas représenté, comme
cela devait cepenrJant se f^àre assez naturellement, jeté sur la plage, mais
il est lancé vers le sommet de la montagne, étendant fortement les bras
en avant pour la saisir. Les exemples de cette manière sont si nombreux
qu'on nous permettra de ne pas les citer : sur notre sarcophage, il est re-
jeté tout simplement au pied de la montagne. Quand nous voyons dans les
monuments une particularité repi'oduite fréquemment, malgré son oppo-
sition au sens historique, il faut nécessairement y reconnaître l'intention
d'un svmbolisme convenu. Or. sur ces monuments, la montagne porte à
son sommet Jésus-Christ ressuscité, envoyant ses apôtres à la prédication
de l'Évangile. La résurrection est marquée par les palmes et par le phé-
nix, et le Rédempteur est placé sur la montagne pour signifier son exal-
tation et son triomphe.
Le lecteur, en voyant l'ordre que nous avons suivi dans l'exposé des
sujets du couvercle, entrevoit déjà sans doute ce qui nous reste à dire.
V. De la composition artistique et du style vakié des sculptures. —
Les artistes se plaisent fréquemment à disposer les sujets partiels deux à
deux ou plusieurs ensemble, ils ne les placent pas l'un à la suite de l'autre:
c'est ce que l'on peut remarquer, par exemple, dans le contour d'une pe-
tite voûte d'un cuhicule au centre duquel est le bon Pasteur. Le graveur
d'une antique et précieuse lame de métal, éditée par Buonarotti, a suivi
ce même système : il a renfermé en autant de compartiments chaque
double sujet d'histoire sacrée. Mais il nous importe surtout de remarquer
cette même manii^Tc de procéder sur les couvercles des sarcophages, tel
que celui de la lxxxy" planehe de Bottari, dans sa Rome souterraine. A
droite du cartouche, porté par deux génies, est gravée la naissance du
Sauveur; à l'angle qui fait suiieest le tableau ordinaire de l'Epiphanie. A
gauche, on voit Jonas jeté par-dessus le navire dans la gueule du monstre
marin, et, dans l'angle, le prophète, endormi à l'ombre du feuillage de la
cucurbita., les pieds encore plongés dans la gueule du monstre. La simple
énumération des sujets démontre que les groupes d'une partie du cou-
vercle peuvent et doivent être considérés comme indépendants ; mais il y
a une autre raison encore, c'est que l'artiste a disposé les deux groupes
de façon qu'ils aillent en sens contraire vers les angles du cartouche.
Le sculpteur de notre sarcophage dispose les quatre sujets, précédem-
ment exposés, de manière à les faire marcher des angles vers le cartouche,
mais il ne les dirige pas dans le même sens, d'oîi il suit qu'il ne les fait pas
dépendre l'un de l'autre. Au reste, l'étroit espace du couvercle et le car-
touche du milieu ont naturellement engagé l'artiste à adopter cette forme.
Si l'on fait ensuite attention au symbolisme de nos sculptures, on verra
SARCOPHAGE DE SAINTE-QUITTERIE 437
évidemment qu'elles ne visent pas à une unité parfaite et qu'on ne doit
nullement songer ù rattacher le sens de l'une à celui de l'autre. Cela posé,
je dis que le sculpteur nous montre, d'un côté, le sacrifice de la croix
figuré par le sacrifice d'Abraham, et puis ses effets, c'est-à-dire la déli-
vrance du genre humain de l'esclavage du péché, symbolisée par le Para-
lytique ; de l'autre est le poisson ichthus entre les mains du jeune Tobie ;
sa mort nous fournit le prix du rachat, comme l'explique saint Augustin,
et, selon l'anonyme cité plus haut, il devient notre lumière dans le bap-
tême et notre nourriture dans l'Eucharistie. La résurrection après la mort
est exprimée par Jonas.
Je passe maintenant à la seconde question proposée. Nous avons
remarqué, en expliquant chaque groupe, leur mérite artistique, et de nos
observations, il résulte que notre artiste a médiocrement réussi pour les
deux premières sculptures, et fort bien pour les deux autres. Or, les quatre
tableaux sont sculptées dans le même bloc de marbre, et ils sont assez
conservés pour qu'on ne puisse s'y tromper. On ne saurait attribuer cette
différence au plus grand soin que l'artiste apportait dans une partie de son
travail de préférence à l'autre ; il faut plutôt reconnaître sa dextérité dans
l'une, son ignorance dans l'autre. Je n'ai jamais rencontré dans les
œuvres païennes un tel contraste. L'auge de notre sarcophage nous
montre le même fait, mais il n'est pas accentué comme sur le couvercle.
Quelques observations à ce propos.
Les artistes chrétiens étaient en général des païens convertis : ils appli-
quaient donc de leur mieux aux monuments sacrés les formes artistiques
du paganisme, autant que le permettait la nature des sujets nouveaux à
traiter. C'était malheureusement à une époque de décadence. De là, pour
des artistes ayant à s'occuper de compositions nouvelles, une incapacité
inévitable. De là, aussi, la tolérance de plusieurs ornements, reçus dans
l'art païen, appUqués à des ouvrages chrétiens, par exemple les génies qui
soutiennent le cartouche des sarcophages, les deux têtes aux angles du
couvercle. Cet usage est tellement fréquent dans la peinture qu'il devient
inutile d'en apporter des exemples. Quelquefois même on trouvera un
tableau entièrement païen adapté aux faits du christianismee, sauf une
modification légère et purement accessoire. Les emprunts faits au paga-
nisme ne sont pourtant pas aussi nombreux que certains archéologues
aiment à le dire, et ils ne furent pas non plu'? sans raison. Quiconque juge
de la sorte les œuvres de l'art chrétien n'en aura jamais une exacte intel-
ligence.
Quant à nos quatre tableaux, rien d'étonnant si quelques-uns pèchent
dans l'exéculion, lorsque les autres, au contraire, sont parfaitement
II- série, tomo II. 10
438 SARCOPHAGE DE SAIXTE-QUITTERIE
réussis. Notre artiste a dû infailliblement faiblir, à une époque de déca-
dence, quand il a fallu traiter un sujet nouveau : mais d'heureuses rémi-
niscences, empruntées à une source différente de nos monaments sacrés,
lui sont venues en aide. L'identité des tableaux chrétiens, lorsque le
symbolisme ne la justifie pas, accuse une véritable incapacité. Dans celui
du sacrifice d'Abraham, à part même les erreurs de perspective, il y a
une grande incorrection de style ; au contraire, le style est fort remar-
quable dans celui de Jonas, où le monstre marin est admirablement exé-
cuté. Comme la représentation en ett fréquente dans les monuments
païens, il est à croire que notre artiste s'est inspiré d'un bon modèle :
dans la composition exclusivement chrétienne, il a été livré à sa seule ins-
piration. Le jeune Tobie est infiniment supérieur au Paralytique chargé de
son grabat ; c'est que l'antiquité, exercée à traiter le nu, a dû retarder en
ce point la décadence ; le Paralytique, au contraire, élait un sujet nou-
veau, sans imitation possible .
SECONDE PARTIE
LES SCULPTURES DE L AUGE
I. Adam élevé a l'état de grâce [gr. I). — La scène est ici d'un
incomparable intérêt, soit parce qu'elle est unique parmi tous les monu-
ments connus jusqu'à présent, soit parce qu'elle est elle-même du plus
haut prix.
Un personnage, jeune encore, vêtu de la double tunique, le manteau
drapé à la manière des ascètes, tient un volumen de la main gauche et
pose la droite sur la tête d'un tout jeune homme nu. Celui-ci. dans l'atti-
tude de la reconnaissance, étend une main vers son bienfaiteur contre sa
poitrine. L'action et la pose respectueuse marquent la grandeur de celui
qui donne, l'infériorité de celui qui reçoit. Au milieu, entre les deux per-
sonnages, s'élève un chêne vigoureux ; à la cime est une colombe, les
ailes étendues, comme prête à s'envoler et à venir se poser sur la tête du
jeune adolescent.
Je crois que le sujet traité ici n'est pas la création d'Adam, qu'elle y
est seulement supposée ; mais qu'il s'agit de l'élévation à l'état surnaturel,
SARCOPHAGE DE SAINTE-QUITTERIE 139
à la grâce sanctifiante. Une simple étude de la manière dont notre artiste
a disposé son tableau suffira à la démonstration de ma thèse.
Assurément, la composition n'est pas empruntée au récit de la Genèse.
Excepté l'arbre, signe caractéristique du lieu de la scène, je ne vois ici
rien qu'on puisse rattacher à la narration biblique. Mais le tableau est la
copie assez fidèle d'un autre où sont retracées les cérémonies du baptême.
M. l'abbé Martigny, parmi un grand nombre de monuments de ce genre,
reproduit une peinture du cimetière de Calliste où l'on voit le prêtre impo-
sant les mains sur la tête d'un jeune enfant nu. Si cette peinture et bien
d'autres mettent sous noti-e regard un tout jeune enfant, ce n'est pas sans
une raison cachée. On sait en effet que, à l'époque des persécutions, épo-
que du monument romain, les néophytes étaient généralement d'un âge
déjà mûr : d'où il suit que l'usage constant des artistes chrétiens de re-
présenter, sous la figure d'un enfant de l'âge le plus tendre, le nouveau
régénéré dans les eaux baptismales, marque essentiellement la vie nou-
velle ou renaissance par la grâce du baptême. Sur d'autres monuments,
outre le prêtre qui impose les mains, on voit une colombe, les ailes dé-
ployées, descendre sur le jeune enfant placé dans une vasque ; ainsi, sur
une cuillère éditée par le père Mozzoni, et sur une pierre reproduite par
Muratori. Si donc le groupe de notre sarcophage nous ofl're une scène
unique encore sur les monuments de ce genre connus jusqu'à présent, il
reproduit cependant, on le voit, un tableau connu dans l'iconographie an-
cienne. Il est bien évident que l'artiste, s'il avait voulu réellement mettre
sous les yeux la création de l'homme, n'aurait jamais choisi ce mode de
représentation. Incontestablement, l'imposition des mains et le vol de la
colombe vers le jeune adolescent ont une corrélation manifeste et iden-
tique; ils ne sauraient marquer à la fois et la création et la sanctification.
Saint Augustin énonçait en ces termes l'élévation d'Adam à l'état de
grâce : Accipiat Spiritum Sanctum, quo fiât in animo ejus delectatio dile-
ctioque summi illius atque mcommutabilis boni, quod Deus est. Les saints
Pères sont unanimes à établir une parité entre le nouveau baptisé et Adam
avant la chute. (Vid. S. Zeno, tract, xix.)
Cette comparaison du néophyte avec Adam fut tellement chère aux
écrivains ecclésiastiques qu'ils n'en ont laissé échapper aucun détail. Saint
Cyrille de Jérusalem remarque jusqu'à cette nudité du catéchumène que
l'on baptise, semblable à celle d'Adam avant la chute.
Les saints Pères commentaient la doctrine de l'Apôtre des nations. Par
conséquent, notre artiste a reproduit avec raison dans son admirable ta-
bleau les compositions du baptême : il avait dans l'enseignement de l'Eglise
un guide et un modèle à suivre.
140 SARCOPHAUi: DE SAINTE-QUITTERIE
Deux personnes de l'auguste Trinité apparaissent seules dans notre ta-
bleau, et une seule sous la forme humaine. La colombe représente le
Saint-Esprit, le personnage qui impose une main sur la tète d'Adam et de
l'autre tient un volumen^ c'est le Verbe. Le volumen marque la doctrine
ou la loi, lorsque le Sauveur est représenté opérant un miracle ou en-
voyant saint Pierre et les apôtres prêcher l'Evangile. Ici, l'artiste a voulu
préciser davantage la signification des tableaux : le livre en effet peut très
bien exprimer l'idée de la sagesse, du Verbe, de la parole du Père, de la
seconde personne de la sainte Trinité. Il faut, en outre, ne pas oublier que
les anciens, toutes les fois qu'ils ont voulu peindre le Messie, l'ont repré-
senté jeune, avec une chevelure abondante, frisée et retombant sur les
épaules : les sarcophages de la Gaule ne lui donnent pourtant pas les
cheveux aussi longs que le font les Romains. Notre marbre reproduit
tout à fait cette manière de représenter le Verbe, ce qui, du reste, con-
corde parfaitement avec l'enseignement des anciens Pères, unanimes à
rapporter à la seconde personne les antiques théophanies.
Puisque le sujet du tableau est la sanctification d'Adam, on voit dès
lors pourquoi Dieu le Père, créateur de tout ce qui est, n'a pas dû appa-
raître : en outre, le Père est toujours comme invisible et opérant par les
deux autres personnes. C'est pourquoi les anciens avaient coutume de le
représenter sous le symbole d'une main qui sort de la nue, pour témoigner
qu'il est visible seulement par ses œuvres. Néanmoins il a été figuré quel-
quefois sur d'anciens sarcophages, témoin celui qu'on voit aujourd'hui au
musée de Latran, extrait des fouilles de Saint-Paul-hors-les-Murs, et du-
quel il convient de dire un mot.
La scène est, en partie, empruntée à la Genèse : Adam est couché à
terre, Eve est debout à ses côtés ; un personnage lui impose les mains en
portant ses regards vers un autre personnage assis sur un trône, lequel
étend les deux doigts de la main droite; un troisième, avec barbe, comme
les deux précédents, mais le front chauve, est placé derrière le trône et
regarde. C'est Dieu le Père : l'artiste a voulu le désigner par le front
chauve ; c'est la première fois qu'on trouve la sainte Trinité représentée d'une
manière aussi manifeste dans les monuments sacrés. Si nous considérons
Dieu le Père relativement à nos premiers parents, nous verrons que l'ar-
tiste l'a placé là comme simple accessoire ; c'est pourquoi il le met derrière
le trône et comme en dehors delà scène principale. De fait^ les deux autres
personnes agissent seules, le Père, au contraire, a déjà accompli le grand
œuvre de la création, présupposée par l'artiste. Le personnage assis sur
le trône est le Verbe. Nous renvoyons à Buonarotti le lecteur curieux de
détails archéologiques sur les sièges ou trônes antiques : ils sont dans la
SARCOPHAGK DE SAINTE-QUITTERIE 141
forme de celui qu'on voit ici, ornés de draperies précieuses. Je me borne à
faire remarquer leur double signification : la première est l'autorité magis-
trale de l'enseignement. La chaire ou trône est la place du maître qui en-
seigne la loi et explique la doctrine. L'artiste ne veut pas marquer autre
chose quand il place sur un trône l'évêque, l'apôtre ou Jé?us-Christ lui-
même. Saint Augustin a dit en ce sens : Sedens autem Dominus docet, quod
pertinet ad magisterii dignitatem. La seconde signification est celle de ma-
jesté et d'autorité, elle est propre au supérieur. Cependant le trône peut
désigner les deux choses à la ibis, ou bien l'une ou l'autre séparément.
C'est le cas du monument romain, qui marque spécialement l'empire et
l'autorité, ou le commandement. Les deux doigts élevés de la main droite
du Verbe peuvent sans doute être pris comme signe de la parole, et, à ce
titre, les archéologues aiment à reproduire un passage d'Apulée. Mais,
sans m'arrêter aux paroles de cet auteur, je conviens en effet que, sur les
verres peints, ce geste indique certainement la conversation ou discussion
avec d'autres. Or, le Verbe n'est pas ici représenté dans l'acte créateur ;
car alors comment expliquer son attitude sur le trône, signe d'une cer-
taine supériorité relativement au personnage placé en face, surtout quand
on remarque l'Esprit-Saint tourné vers le Verbe, comme pour l'observer
et l'écouter, de telle sorte que son imposition des mains sur la tête d'Eve
est essentiellement dépendante de ce qu'opère le Verbe divin? Admettez
au contraire que l'action est commune aux deux personnes, à l'une comme
envoyant (mittens)^ à l'autre comme envoyée fmissusj, toute difficulté s'é-
vanouit. Nous aurions ainsi l'expression de la même idée que celle du
sarcophage gaulois : le Verbe invitant l'Esprit-Saint à perfectionner par
la collation de ses dons l'œuvre déjà créée. Sur notre monument, l'impo-
sition des mains est attribuée à la seconde personne, représentée seule
sous la forme humaine, tandis que i'Esprit-Saint y est figuré sous le sym-
bole de la colombe. Sur le monument romain, au contraire, comme l'Es-
prit-Saint apparaît sous forme humaine, l'artiste n'a pas pu le représenter
mieux qu'en lui donnant le geste qui, dans la cérémonie du baptême, mar-
que la collation du Saint-Esprit.
L'artiste chrétien, quand il a retracé une scène de l'Ancien Testament,
l'a toujours expliquée pai' le Nouveau. Or, le passage de saint Zenon
auquel nous avons renvoyé |)lus haut, est accompagné de cette observa-
tion du docte annotateur : In baptismale^ Spiritus Sancti gratia obsignati
sumus, qua imaginem Filii, qui vera imago est Dei Patris, exprimimus, et il
cite pour une plus ample confirmation de cette doctrine les passages des
saints Pères si doctement exprimés par l'éminent théologien Petau. On
voit dès lors ('omment l'état de nos premiers parents avant la chute et
142 SARCOPHAGE DE SAINTE-QUITTEUIE
celui des régénérés dans les eaux baptismales se rapportent l'un à l'autre.
Mettons de côté, par conséquent, l'idée de la création : elle ne saurait
nous expliquer le monument : il n'était pas d'ailleurs dans les habitudes
de nos anciens artistes chrétiens de s'arrêter aux faits de l'ordre purement,
naturel. Adam endormi et Eve enrichie des dons de la grâce sont une al-
lusion manifeste à la doctrine de l'Apôtre, doctrine reproduite ensuite si
habituellement par les saints Pères. Ergo^ disait saint Augustin, et ipse
(Christus) sopoj^atus est donnitione passionis ut ei conjiix Ecclesia forma-
retur. . . Formata est ei conjux Ecclesia de latere ejus. id est, de fide pas-
sionis et baptismi.
Je ne pense pas qu'il faille rattacher le groupe du sarcophage gaulois
à une intention apologétique ou polémique : je le crois tout simplement
doctrinal. Quand on observe qu'il est seul dans son genre, on serait porté
à croire le contraire : on n'affirme que les vérités contestées. Mais les er-
reurs contre les dogmes de la foi ici exposés commencèrent à se répandre
avec l'hérésie de Pelage dans les premières années du Y*' siècle seulement,
et notre monument est d'une époque antérieure. La nouveauté de notre
groupe pourrait bien néanmoins permettre de supposer quelque commen-
cement aux fausses doctrines qui, dès le lY^ siècle, donnèrent un point
d'appui au système hérétique établi ensuite par Pelage. L'hérésiarque en-
seignait comme fondement de sa doctrine f|ue l'état de nos premiers pa-
rents avant la chute était d'un ordre purement naturel, sans élévation à un
état de grâce supérieur et surnaturel, et que leur descendance naissait
aujourd'hui en une condition tout à fait semblable à celle d'Adam et d'Eve
au jour de la création, c'est-à-dire sans vice ni vertu, sans grâce ni péché.
Les enfants, par conséquent, ne sont pas baptisés pour être lavés de la
souillure originelle qu'ils n'ont pas contractée.
Mais si notre sculpteur n'a pas eu en vue la réfutation d'une erreur, on
ne peut dire la même chose du sarcophage romain. Les hérésies contre la
Trinité agitèrent, on le sait, le lY'^ siècle : il suffit de rappeler les ariens,
les appollinaristes, les priscillianistes et autres hérétiques de ce temps. Si
déjà, avant cette époque, Sabellius a nié la trinité des personnes en Dieu,
confondant l'idée de personne avec l'idée de nature et n'admettant qu'une
pure dénomination dans les trois noms divins, il est pourtant vi'ai (]ue, en
Occident, l'erreur antitrinitairc fut propagée au EY*^ siècle seulement. Le
sculpteur romain avait certainement en vue l'hérésie contemporaine ; car,
s'il donne à chaque personne de l'auguste Trinité une attitude diverse, à
toutes néanmoins il donne la forme humaine et la barbe; tandis qu'il pa-
raissait plus convenable de représenter le Saint-Esprit sous le symbole de
la colombe et de laisser dans l'ombre Dieu le Père, comme l'a fait l'artiste
SARCOPHAGE DE SAFNTE-QUITTERIE 143
du sarcophage gaulois. Il semble donc évident qu'il y a eu intention for-
melle de constater l'égalité des trois personnes. De fait, outre la difficulté
d'exécution en pareille matière, on sait assez quel danger offrait aux intel-
ligences communes, habituées aux grossières erreurs du paganisme, une
représentation plastique du mystère chrétien. C'est pourquoi les premiers
artistes ne traitaient pointée sujet dans les monuments peints ou sculptés,
et celui-ci aurait incontestablement agi de même, s'il n'avait réellement
pas eu l'intention de protester contre l'hérésie régnante.
II. Adam et Eve violent le précepte divl\ (^r. II). — Vient ensuite
un tableau fréquemment rcj^roduit par la peinture et par la sculpture en
bas reliefs.
Adam et Eve nus sont placés aux deux côtés d'un figuier, l'un et l'autre
étendent la main pour saisir le fruit défendu ; de la main gauche, ils cou-
vrent d'une feuille leur nudité. On voit au tronc de l'arbre le serpent qui
s'en va, après avoir trompé nos premiers parents. Eve est entièrement
mutilée ; on voit par ce qui en reste qu'elle avait les cheveux ramenés en
arrière et liés en nœud, à peu près comme sur un médaillon de métal
jaune la tète de Faustine sous forme de Proserpine. Adam, lui aussi, con-
trairement au récit de la Genèse, porte la main sur le fruit défendu, ce
que du reste on remarque en plusieurs autres monuments. L'artiste tenait
à marquer ainsi la désobéissance de l'un et de l'autre au commandement
divin. Comme la présence du serpent indique la tentation, ainsi la feuille
de figuier dont se couvrent les prévaricateurs marque les effets du péché.
Mais, sur notre marbre, y a-t-il seulement une indication du dépouille-
ment de la grâce, triste effet du péché? n'y a-t-il pas encore l'indice de la
menace de mort, intimée au prévaricateur? De fait, on voit surgir d'entre
les pieds d'Adam un vigoureux tronc d'arbre montant derrière ses épaules
et se divisant en deux branches tailladées. Les entailles sont là, j'ima-
gine, dans Kl pensée de l'artiste, pour marquer que l'arbre est desséché
et mort. Parmi tous les monuments que je connais sur ce sujet, aucun
n'exprime l'idée de mort, soit de cette façon, soit de toute autre, excepté
sur un sarcophage édité par Bottari. Si le tronc nous est ainsi présenté,
sans feuilhige, on ne saurait le reprocher à Timpéritie du sculpteur : ha-
bile à sculpter des personnages, comment aurai-t-il été en défaut pour des
feuilles d'arbre? Je crois donc plutôt qu'il faut demander au sens mysti-
(]ue rintei'prctation de cette rare particularité. L'artiste n'aurait-il pas
voulu nous montrer la mort dans ce bois desséché, auparavant arbre de
vie, resplendissant d'un riche et abondant feuillage? En effet, nos pre-
miers parents semblent regarder avec stupeur l'horrible changement.
Quand, sur ces sortes de monuments, nous avons l'arbre verdoyant et
144 SARCOPHAGK DE SAI.NTE-QUITTL,RIE
couvert de fruits, ce qui est l'ordinaire, nous pouvons y voir la tentation :
Vidit igitur mulier quod bonum esset Ikjnum ad vescendum et puldirum ocu-
lis aspectuque delectabile. Notre artiste parait avoir eu en vue les deux
choses ; l'état différent des deux arbres de notre groupe nous permet de
le supposer. Si, plus ordinairement, le figuier est l'arbre représenté, c'est
sans doute parce que, d'après la Vulgate, Adam et Eve se couvrirent de
ses feuilles, consuerunt folia ficus.
III. Le Pasteur, deux femmes et une enfaxt (çjr. III). -- Suit un
groupe composé du bon Pasteur placé entre deux femmes et une jeune
enfant. Le Pasteur est vêtu d'une tunique retroussée {succinctaj ; sa
chaussure est ornée d'un nœud de petites cordes, sans doute pour res-
serrer, mais plus probablement par manière de simple ornement ; il a les
épaules chargées d'un bélier qui tourne la tête comme pour regarder le
Pasteur; ses cheveux sont ras, et sa joue droite, moins effacée par le
frottement, montre qu'il portait la barbe. C'est une des plus belles sculp-
tures de notre sarcophage : le type antique du Pasteur était un des mieux
conservés chez les artistes chrétiens ; c'est un de ceux où excelle da^■an-
tage leur ciseau : ce qui confirme de plus en plus nos observations sur la
différence artistique du groupe du couvercle.
A droite du Pasteur est une femme assise, ainsi que le démontrent le
genou gauche porté en avant et toute son attitude. Elle est vêtue de l'étole
(stola), longue tunique propre aux femmes, ornée de manches : elle a la
tête et les épaules couvertes d'un voile retombant sur les bi-as. de manière
à laisser les mains libres pour embrasser la jeune enfant K Celle-ci est
debout, également vêtue de l'étole sur laquelle est une large bande d'é-
tofl'e serrée aux lianes par une ceinture. Un mot sur un vêtement. (]u'il
importe d'expliquer pour avoir l'intelligence du groupe. Dans une peinture
à l'huile éditée par Bottari, on voit des religieux couverts de la même
forme d'habillement ; Jésus-Christ, la vanl les pieds de saint Pierre, est
représenté dans le même costume sur un antique sarcophage -. Evagrius,
dans la Vie de saint Antoine, appelle ce vêtement ependutès, que quel-
1 Voir l'image de la Sainte Vierge dans Bottari {Ro7n. sott. pi. Lxxxu), où l'on
voit cette manière de porter le voile ou ijallhim.
2 ih., tav.xxiv. — La Civ Ità cattolica, 2 mars '1872, nous fait connaître dans
un de ses articles, une ancienne peinture du cimetière de Naples où l'on retrouve
la même forme de vêtements : « Sur la môme paroi, est représenté un évêque en
dalmatiquo et étole, il tient de la main gauche nn livre fermé. A sa droite est
une oranie. la tête couverte d'un voile : l'un et 1 autre sont nimbés. On remarque
particulièrenient la large bande qui descend du cou un peu au-dessous de la cein-
ture, semblable à ce pardessus (jue nous appelons j)c/<te/( et; chez les moines. »
SARCOPHAGE DE SAINTE-QUITTERIE 145
ques-uns traduisent par scapulaire. Saint Athanase désigne du même nom
l'habit des vierges consacrées à Dieu, o ependutès sou mêlas. L'épendyfe
est donc le scapulatre ou patience dont se revêtaient les personnes consa-
crées à Dieu. Schlewsner se trompe évidemment quand il entend par épen-
dyte la tunique supérieure, et Suidas, qu'il cite pour appuyer sa définition,
est justement réfuté pur Diicange. La chevelure de la jeune enfant est dis-
posée à ondes, pour me servir ici de l'expression de Buonarotti, qui com-
pare cette manière ondée de chevelure, qu'on voit apparaître quelquefois
sur les verres peints, à celle de Maramée et d'Octacilia, de Julia Paula et
de Tranquillina, comme à celle de Salonina, femme de Gallien, et de Seve-
rina, femme d'Aurélien, sur les médailles antiques. Je retrouve cette
même manière sur une peinture, exactement reproduite par Boldetti, em-
pruntée au fameux Codex Vaticnnus d'un Virgile : c'e^t la représentation
d'un banquet païen. On ne retrouve guère que sur les verres peints ce
mode d'ajuster la chevelure ; pour les œuvres sculptées, notre sarcophage
est le seul monument chrétien qui le reproduise. Au reste, la manière en
était, commune aux épouses et aux vierges.
A gauche du bon Pasteur est une autre femme debout, vêtue de l'étole,
et, par dessus, d'un voile ou palUuin qui lui couvre la tête et lui enveloppe
la taille. Cette femme est plus petite que l'autre; sa physionomie, autant
que le laisse deviner après beaucoup d'etl'orts l'effacement du relief, est
également différente.
Quelle est la signification de ce groupe mystérieux et si peu en usage?
La manière de représenter le bon Pasteui-, la plus ancienne et la plus or-
dinaire dans les monuments sacrés, est de nous le montrer portant sur ses
épaules une brebis ou un bélier. Aussi le voit-on fréquemment au milieu
de la voûte des cubicules. environné de personnages ou sujets empruntés
aux Ecritures saintes. C'est ce que l'on peut aussi observer sur une pré-
cieuse plaque de métal, éditée par Buonarotti, que j'estime de la plus
haute antiquité. Parmi les personnages gravés tout autour, on voit d'une
part Moïse frappuntle rocher, de l'autre un néo|)hyte, et nullement Sam-
son emportant les portes de Gaza, comme l'imaginait Buonarotti, et cela
d'après la planche qu'il nous donne.
Le Pasteur est encore plus ordmairement représenté avec un troupeau
à ses pieds : quelquefois les brebis sont couchées à terre, d'autres fois elles
paissent près de lui dans un pré ou dans un champ plantureux. Les brebis
désignent incontestablement les fidèles du Christ ; le bercail de l'Eglise
est représenté au contre de la \oùto d'un cubicule a\ec le Pasteur.
La parabole (lu Pasteur ramenant au bercail la Ijrei/is égarée rappelle à
la pensée la rédemption du genre humain par le Verlie incarné. Dans les
146 SARCOPHAGE DE SAINTE-QUITTERIE
monuments sacrés, le sacrifice est représenté par une brebis ou un bélier
sur la montagne ; il faut reconnaître, je crois, le môme symbolisme dans
le Pasteur chargeant sur ses épaules la brebis ou un bélier. Je n'oserais
pourtant pas l'affirmer pour tous les cas, mais, en me restreignant au
groupe actuel, je dis que les personnages qui entourent ici le Pasteur
permettent de prendre le bélier qu'il porte non comme un symbole de
l'humanité errante et perdue, sauvée ensuite par le sacrifice du Pasteur
des âmes, mais comme symbole du sacrifice du Pasteur lui-même donnant
sa vie pour ses brebis. Je pourrais apporter, à l'appui de mon opinion,
bon nombre de textes des saints Pères qu'on peut lire, du reste, dans le
P. Garrucc'i; j'aime mieux me borner à un magnifique passage de saint
Paulin, oublié par les auteurs à moi connus. Le saint paraît avoir sous
les yeux quelque monument quand il fait sa poétique description, qui sert
d'ailleurs à éclaircir plusieurs particularités remarquables de certains mos
numents. Il parle en ces termes : Vellera sua ((Ivis-Christus), id est, carni-
exuvias abslrahi sibi passus. Ipse enim pro nobis et animam et carnem suam
posait et recepit^ qui sacerdos et hostia, et agnus et pastor est, qui pro ovibus
suis pastor, et pro pastor ibus suis agnus occisus est. . . Qui semetipsum pro
omnium réconciliât ione Patri libans, victima sacerdotii sut et sacerdos suse
victimœ fuit. Les saints Pères ne sont pas seuls à enseigner que Jésus-
Christ est en môme temps victime et prêtre, les monuments chrétiens pro-
clament la même doctrine, par exemple lorsque, au lieu d'Abraham sacri-
ficateur, ils nous oiïrent Jésus-Christ lui-même, victime et pasteur tout à
la fois, comme le redit dans ses vers le poète chrétien.
Victima quœ dabitur, cum victima pastor hahetur.
La barbe du Pasteur, comme la portaient les esclaves auxquels seuls
était aussi réservé le supplice de la croix, est-elle signe d'esclavage : For-
mam servi accipiens ? On pourrait le soupçonner, en remarquant combien
il est rare de voir le Pasteur ainsi représenté dans l'iconographie chré-
tienne. S'il en était autrement, nous ne verrions là, comme en tout le reste,
que la reproduction d'un type convenu. De même, je ne saurais voir dans
les cheveux ras un pur caprice de notre artiste : ce groupe et le dernier
du sarcophage ouest Jésus-Christ, sont seuls à le représenter sous cette
forme : or, saint Paulin et bien d'autres alTirment que, dans l'Eglise chré-
tienne, les cheveux ras dénotent la servitude et la soumission. Sans insister
davantage, je me borne à redire avec un ancien et perspicace archéolo-
gue : a En pareille matière, nous devons observer attentivement toute
chose, mais il faut suspendre son jugement jusqu'à ce que de nouveaux
exemples nous déterminent. ;>
SARCOPHACtE de SAINTE-nUITTERlE 1^~
Ces observations, j'aime à le redire, ne prétendent pas établir que le
Pasteur, chargé de la brebis, ne signifie pas généralemeiit le rappel au
bercail de l'humanité égarée, signification essentiellement unie à l'idée de
rédemption et de sacrifice : mais cette dernière pensée pourrait bien être
quelquefois seule exprimée, comme il résultera de ce qui reste à dire sur
notre sarcophage.
Les brebis autour du Pasteur symbolisent l'Eglise du Christ, avons-
nous dit : notre marbre reproduit le même symbole, mais peut-être le
fait-il avec plus de clarté, du moins pour les premiers fidèles, en le repro-
duisant autrement. Je dis donc que la femme et la jeune enfant, ici repré-
sentées, signifient l'Église mère des fidèles. En examinant attentivement
ces deux sculptures, j'ai reconnu que notre artiste s'est étudié à repro-
duire en quelque manière, du mieux qu'il a pu, la Vierge qu'on voit sur
les tableaux représentant l'Epiphanie : elle y est voilée et assise, absolu-
ment comme sur notre sarcophage. Assurément notre artiste n'a pas
voulu reproduire des ormites, lesquelles indiquent ordinairement sur les
pierres sépulcrales une personne déterminée. Je ne vois donc pas à quel
autre sujet rapporter sa pensée, s'il n'a pas eu en vue celui de l'Epiphanie.
L'idée dominante est celle de maternité. L'attitude e la femme assise ne
se rapporte pas au Pasteur, mais à. la jeune enfant qu'elle ramène vers
son sein. Celle-ci est le symbole de l'àme fidèle, ainsi représentée d'ordi-
naire, comme on peut le voir, par exemple, sur une précieuse médaille,
éditée dans les œuvres posthumes du P. Lupi. Deux choses sont éviden-
tes : la première, c'est que les orantes sculptées sur les pierres sépul-
crales marquent, par leurs bras étendus, la prière qu'elles font entendre
dans le Ciel pour l'Eglise militante; c'est pourquoi sur notre marbre, la
jeune enfant n'est pas dans l'attitude d'oran/fe, car elle représente l'Eghse
militante. La seconde, c'est que les âmes, pour l'un comme pour l'autre
sexe, sont représentées sous la forme d'un jeune enfant. Il suffit d'invo-
quer l'autorité de l'épitaphe de Cœsidius, éditée par M. de Rossidans son
Bulletin d' Archéologie chrétienne. Une jeune enfimt orantc entre deux oli-
viers symbolise l'âme de Cœsidius. Je m'abstiens autant que possible de
surcharger mon travail de textes des saints Pères et me borne à déduire
mes conclusions de l'étude du monument lui-même que j'explique et de sa
confrontation avec d'autres ; néanmoins je ne puis m'empêcher d'alli^gucr
un témoignage de l'enseignement général. Voici en quels termes s'ex-
prime saint Paulin ; on dirait qu'il veut nous expUquer le geste de la femme
embrassant la jeune enfant :
Lœto. novos geminis ut muter Ecclesia partus
Excipiat sinibus, quos aquâ prolulcrit.
148 SARCOPHAGE DE SAINTE-QUITTERIE
Notre artiste a marqué la naissance spirituelle ou régénération chré-
tienne en habillant la jeune enfant comme étaient vêtues les vierges con-
sacrées à Dieu : Quse etiam ipsa (Maria), dit saint Augustin, figuram in se
sanctx Ecclesiœ demomtravit ; ut^ quomodo filium (Christum) pariens,
Vtrgn permansit ; ita et hsec (Ecclesia) omni tempot'e membra ejus pariât^ et
virginitatem non andtlal.
La femme à gauche du Pasteur est debout : l'artiste ne l'a pas repré-
sentée différente de l'autre par l'attitude seulement, mais par tous les dé-
tails. L'air du visage, autant qu'on peut en juger, est lui-même tout au-
tre : la grandeur, qu'on peut mesurer pur la différente proportion des
mains, n'est pas égale non plus : d'ailleurs la femme de gauche, quoique
debout, n'arrive pas de la tête juscju'au listel. En un mot, toute la manière
de l'artiste indique qu'il a voulu établir une différence marquée entre les
deux sculptures.
Quelle peut être la signification de cette seconde femme? Si nous n'a-
bandonnons pas l'idée principale du groupe, c'est-à-dire Tallusionà l'Eglise
du Christ, bon Pasteur, nous pouvons sans grande difficulté résoudre le
problème.
Quand les femmes, placées à côté du l'asteur, désignent la personne
défunte, elles sont constamment représentées sous la forme à'orantes. Ici,
il n'y a pas d'om??ie /c'est l'image de l'Eglise militante. Car impossible
de sortir de ces deux hypothèses, dont la première manifestement est
exclue.
Si notre sculpture désigne l'E^^lise, sa signification est évidente : elle
représente Vépouse du Christ. Une simple observation le démontrera. Déjà,
nous l'avons dit, cette seconde femme est en parallèle avec la première
dont nous avons exprès donné d'abord l'explication. Cela posé, si la pre-
mière est une représentation de la Mère des fidèles, la seconde exprimera
l'idée de Vépouse du 'Verbe fait homme, qui figure au milieu sous le voile
du symbole. Sur tous les monuments, soit païens, soit chrétiens, l'épouse
est toujours placée debout, afin de marquer une certaine égalité avec le
mari dont elle est la compagne et non l'esclave. Il faut remarquer toute-
fois que l'épouse est toujours à droite. Ce n'est pas la marque d'une pré-
séance, mais d'une certaine infériorité, comme le démontre assez bien
Buonarotti; car, chez les Romains, la femme était en pouvoir du mari,
ou, comme ils s'exprimaient, sous la main. Une preuve encore, c'est que
e mari est toujours placé en avant de la femme, comme le fait observer
le savant archéologue, ou, plus exactement encore, un pas en avant, se-
lon l'observation du P. Garrucci. Si nous avons ici l'épouse, placée à gau-
che du Pasteur, il ne s'ensuit rien contre notre explication, applicable seu-
SARCOPHAGE DE SAINTE-QUITTERIE 149
lement quand il y a une seule personne. En outre, le mouvement des per-
sonnages de l'auge, qui va d'un angle à l'autre, donne à l'épouse du Christ
la place qui lui convient.
Il faut lire dans saint Paulin l'exposé de nos idées, ou de celles de notre
artiste : il mérite d'être lu en entier ; on y trouvera une admirable inter-
prétation de notre groupe. Après avoir dit que l'Eglise a été unie au
Christ, qu'elle est tout à la fois l'épouse et la sœur de son divin maître, il
ajoute :
Sponsa quasi conjux : soror est quia subdita non est.
Inde manet mater œterni semine Verbi
Concipiens populos, et pariter pariens .
La manière dont on voit les épouses vêtues est diverse : mais plusieurs
apparaissent dans la forme employée par notre sculpteur. Si elle manque
de ces atours mondains dont on ornait, même sur les monuments chré-
tiens, la représentation de la femme, cette austérité convenait à l'épouse
immaculée du Christ, dont le plus bel ornement vient de la grâce qu'elle a
reçue avec tant d'abondance de son divin époux. Tel est aussi l'ornement
convenable aux jeunes chrétiennes, comme le dit saint Paulin, dans le
poëme précité :
.■Jurea vestis huic gratta pura Dei est.
Cette simplicité du costume ne sera jamais une objection sérieuse con-
tre notre explication, surtout dans un monument de cette antiquité.
Que le lecteur choisisse m.aintenant : ou il adoptera, s'il la juge satis-
laisante, notre explication des sculptures autour du Pasteur; ou bien, il
croira que le béher est ici non pas un symbole du sacrifice, mais un em-
blème de l'humanité égarée et perdue. Quant à moi, je ne saurais me dé-
partir de la première opinion, la seule qui me paraisse en harmonie avec
tout l'ensemble du tableau.
IV. Daniel (g7\ IV). — Vient ensuite Daniel, les bras étendus en forme
d'omnte, au milieu de deux vigoureux oliviers chargés de fruits. La tète
est d'une assez belle exécution. Il a les pieds chaussés. Des deux lions,
placés à ses côtés selon l'usage et couchés à terre, celui qui élevait la tête
pour le regarder est en partie mutilé. Le prophète est vêtu d'une double
tunique : la supérieure, plus courte que l'inférieure est faite d'une grande
pièce de drap pliée en deux : au milieu du pli est une grande ouverture
ronde pour' laisser passer la tête, les extrémités latérales laissant un
libre passage aux mains. La gi'ande pièce de drap pliée en deux forme
un carré parfait. En observant attentivement la première et la dernière
150 SARCOPHAGE DE SAINTE -QUITTERIE
sculpture des deux angles, où nous voyons la tunique supérieure sous le
pallium, je fi;^ coavaincu qu'elle ne différait en rien de celle de Daniel,
comme on peut le déduire des manches libres du pallium. Qu'on me per-
mette, avant d'expliquer notre cadre, une courte observation.
II est rare de trouver les deux tuniques sur les monuments chrétiens.
Elles étaient en usage, non-seulement chez les Romains, mais aussi chez
les Hébreux. C'était le costume des personnages opulents ou élevés en
dignité. De fait, saint Marc raconte que Caïphe, entendant le prétendu
blasphème de Jésus-Christ, déchira ses vêtements, c'est-à-dire les deux
tuniques, comme le dit le texte grec. Le Rédempteur lui-même, parlant à
ses Apôtres, quand il les formait à la vie apostolique, leur recommanda,
entre choses, d'aller les pieds chaussés de sandales et de ne se revêtir que
d'une seule tunique. Paroles peu comprises de certains commentateurs,
d'après lesquels Jésus-Christ aurait défendu à ses disciples d'avoir une se-
conde tunique de rechange dans les voyages, ce qui est faux. Le Sauveur
interdit uniquement le luxe de la double tunique, dont la supérieure était
d'ordinaire d'une étoffe plus délicate. Notre artiste semble s'être attaché à
le démontrer, car, en marquant plusieurs plis sur la tunique supérieure de
Daniel, quoiqu'il lui ait donné tout son développement, il a voulu évidem-
ment indiquer une étoffe d'une grande finesse.
La recommandation faite par Notre-Seigneur à ses disciples de se con-
tenter d'une seule tunique nous explique, je crois, la rareté sur les anti-
ques monuments chrétiens de cette manière de se vêtir. Notre artiste s'est
donné plus de liberté.
La tunique de Daniel est sans manches, quoiqu'elle couvre entièrement
les bras jusqu'aux mains ; elle ne pouvait non plus être serrée d'une cein-
ture quand elle était étendue dans toute sa largeur, à moins qu'on ne vou-
lût pas la ramener jusqu'aux épaules. Elle est eu outre plus courte que
l'intérieure, eUe ne dépasse point les genoux; l'autre, au contraire, des-
cend à mi-jambe.
Le prophète Daniel est d'ordinaire représenté nu, soit dans les peintu-
res, soit dans les sculptures, à de rares exceptions près, par exemple sur
un sarcophage de Ravenne, reproduit par Ciampini, et sur un fragment
de verre antique où les deux tuniques sont pareilles à celles de notre mar-
bre, comme le démontre ce qui reste encore. Le P. Garrucci en apporte
d'autres exemples d'après l'excellent ouvrage de M. Le Blant sur les Ins-
criptions chrétiennes des Gaules. Dans les peintui'es des cimetières romains,
le prophète est quelquefois couvert à peine d'un lambeau d'étoffe, cela
même est très-rare. Sur un médaillon édité par Bottari, on le voit au fond
d'un demi-cercle, entre deux lions, les bras étendus et à genoux. Il est re-
SARCOPHAGE DE SAINTE-QUITTERIE 151
vêtu d'une tunique retroussée en deux endroits, comme est représentée
Diane chasseresse. Ses épaules sont recouvertes d'une étoffe, peut-être
du manteau (penulaj relevé, comme semble l'indic^uer le sarcophage de
Ciampini, cité tout à l'heure, si néanmoins la planche est fidèle. Le plus
ancien monument qui nous offre Daniel vêtu, est le verre antique men-
tionné plus haut. Or, entre le vêtement dessiné sur ce verre et celui de
notre marbre, la différence est à peu près nulle. Je dirai tout à l'heure
pourquoi les artistes ne le représentent pas nu.
La composition de Daniel est empruntée aux scènes de l'amphithéâtre,
comme je crois pouvoir le déduire d'un passage de saint Augustin, où le
saint docteur établit un parallèle entre les chasseurs de bêtes fauves dans
les amphithéâtres et Daniel au milieu des hons. La foi du prophète lui
donne une tout autre manière de combattre et de vaincre. Ce passage,
admirablement beau et approprié à notre sujet, est trop long pour être cité
intégralement ; mais je ne puis omettre la conclusion, magnifique invita-
tion au peuple chrétien de délaisser les spectacles profanes et de venir de
préférence à l'église chrétienne contempler ce nouveau et admirable com-
bat, preuve qu'il y a là une allusion aux peintures sacrées : Ista spiritualia
mimera (nempe spectacula) concup/sci'te, ad hœc intuenda et cum omni secu-
l'itate spectanda alacriter ad Ecclesiam conveni'te, etc. Un cachet, un sceau,
édité pat- Fabretti, attribué par cet auteur aux Basilidiens, mais que je re-
garde plutôt comme chrétien, nous montre le prophète entre les deux lions,
avec la légende à la fin de laquelle on lit très-distinctement ces mots : Sta
nœci miles, allusion au combat contre la mort dans l'amphithéâtre, où les
soldats du Christ triomphaient.
L'usage constant chez les artistes de placer Daniel entre les deux lions,
ni plus, ni moins, que l'espace soit large ou rétréci, doit être rapporté, si
je ne me trompe, aux habitudes de lamphithéàtre. Je citerai en preuve
quelques vers de Dracontius, communément allégués par les archéolo-
gues.
Sœva Danielem rabies, atque ora leonum.
Non teligere pium, ciii destinât insuper escam .
Magna Deipietas (.?) jejuno utroque leone (.?)
Quis petit et vixitvenator inermisarenam?
AmiJhi'healrales qui non timuere furores,
Cum, crépitante sono, etc. . .
Je crois qu'il faut mettre un point après Magna Deipietas du troisième
vers, et non après/e/wnc atroque /eone, comme portent toutes les éditions *,
* Cette supposition fut suggéré à Arevalo, savant commentateur du poëme de
13:2 sarcoph-UtE de sainte-quitterie
Eu chaugeaûL la ponctuation, nous obtenons une expression bien plus
claire a.; la pensée du poète; elle reviendrait à dire : « Quel chasseur dé-
sarmé, ayant à combattre dans Tarène deux lions affamés, en sortit jamais
sans blessure?» Ainsi, l'impossibilité de se soustraire au danger ne tient
pas seulement à l'absence de toute arme offensive, inermis, mais principa-
lement au double ennemi, jejuno utroque leone.
Au reste, Dracontius lui-même, quelques vers plus bas, mentionne la
coutume de lancer dans Tamphithéàtre deux lions contre le jouteur
armé :
Quando duos pariter suscepit arena leones.
Prœsidio si partas fugœ.., e/r..., etc.
Hinc armata ynanus ferro, hivc dentibus ora.
Et tamen axvilio supra caput imminet alter.
Ce dernier passage est le plus beau commentaire de notre marbre.
Que le lecteur veuille bien le remarquer : quelle que soit d'ailleurs la ma-
nière de lire les vers précédents, nous avons ici la pensée de notre sculp-
teur. Il a saisi dans les jeux cruels de l'amphithéâtre la circonstance la plus
critique :
Quaudo duo, pariter suscepit arena leones.
Or, en cette rencontre, le combattant était armé : plus que cela, un aide
était prêt à le secourir*. Daniel, au contraire, est sans armes, et il est seul.
De lu sorte, le païen converti avait sous les yeux une éloquente leçon, un
enseignement facile à saisir.
Dracontius, mais il n'en tint pas compte, l'estimant peu probable. Or, le poëte
fait manifestement allusion au supplice auquel Daniel fut condamné la seconde
fois, puisqu'il parle du repas d'Habacuc cuidesiinat insufcr escam, mais à ce se-
cond supplice, les lions étaient au nombre de sept. C'est pourquoi ceux qui ac-
ceptent la leçon reçue, qui met un point après utroque leone, disent que le poëte
ne parle pas des sept lions à jeun, parce qu'il avait sous les yeux les monuments
chréiiens où Daniel est toujours représenté entre deux lions seulement. I.e poëte
chrétien écrivit ses vers en 425, quand il était dans les prisons de la Bétique ;
nous ne pouvons imaginer que le récit biblique lui fût moins connu oue lis mo-
numents chrétiens. Or, il cherche à éveiller l'admiration de ses lecteurs en com-
parant le combat du saint prophète avec ceux de l'amphithéâtre, admii-ation que
devrait, je pense, augmenter le spectacle de Daniel resté sain et sauf en face de
sept lions affamés plutôt que de deux seulement.
SARCOPHAGE DE SAINTE-QUITTERIE 153
Après nous avoir parlé de l'athlète païen armé et soutenu d'un aide,
Dracontius revient à Daniel et il demande :
Omis rogo tam sœvas rabies compescere vindex
Armadis prœsumpsit homo ' ?
Le poète attribue la victoire de Daniel à la foi qui l'animait. C'est aussi
l'enseignement des saints Pères, par exemple de saint Cyrille de Jérusa-
lem. C'est pourquoi nous maintenons que la représentation du prophète
dans les monuments chrétiens a son origine dans les combats des martyrs
du Christ, morts pour la foi.
Reste à se demander pourquoi notre artiste a représenté Daniel vêtu,
contrairement à l'usage généralement reçu. Etudions notre monument, et
nous aurons aisément la réponse. Les deux lions sont couchés, deux vi-
goureux oliviers sont placés aux côtés de Daniel. Que signihe cette com-
position? Je crois être dans le vrai en affirmant que l'artiste n'a pas voulu
retracer le combat mais la victoire. Les lions sont là pour marquer qu'il
y a eu lutte, le sculpteur a soin de les représenter couchés, ils ont rempli
leur rôle. En effet, pour exprimer l'éternelle paix, récompense de cette vie
mortelle, les artistes chrétiens nous représentent sur les pierres sépulcra-
les Yof'ante entre deux ohviers. Un petit verre antique nous offre Daniel
lui-même, nu il est vrai, mais sans le cortège des lions ; il est entre deux
arbres dans l'attitude de la prière. Au reste, quand le prophète est nu,
c'est d'ordinaire pour signifier la lutte : vêtu, il est vainqueur; c'est du
moins une démonstration de plus de l'intention de l'artiste. La vision de
sainte l^erpétue confirme nettement notre explication. Elle se voit au mo-
ment d'entrer dans l'amphithéâtre, elle devra cotnbattre l'Egyptien, elle
dit : Et expoliata sum, et facta sum masculus. De même que les âmes des
défunts, à quelque sexe qu'elles appartiennent, sont toujours représentées
sous la forme d'une jeune enfant; ainsi, de quelque sexe qu'il soit, le fi-
dèle du Christ luttant dans l'arène est figuré par l'image de Daniel.
' Arevalo remplace compescere vindex de deux manières. Il faut lire, dit-il, ou
bien compescier unus, ou bien compescere septem. J'opinerais pour la dernière
leçon, d'autant plus que, immédiatement après, le prophète est comparé à Her-
cule qui terrassa un seul lion. 11 n'est pas ainsi de Daniel :
Sed hic plena fides liominis pietate Tonantis
Exegit virtutis opus miracula summa.
Dans ce cas, si nous lisons compescere septem, il faudra rapporter jejunoidro-
^ue /cône au vers suivant : Quis petit et vixit.. . etc. On ne peut évidemment
supposer que le poëte présente Daniel en butte, tantôt à deux, tantôt à sept
lions.
Il» série, tome II. !•■
154 SARCOPHAGE DE SAINTE-QUITTERIE
V. La Résurrection de Lazarre [gr. V). — Le dernier groupe nous
offre Lazarre ressuscité. Jésus-Christ a les cheveux ras comme le bon
Pasteur, les deux seules sculptures où notre artiste observe cette parti-
cularité ; quant à la barbe, impossible, à cause des mutilations du visage,
de décider s'il en était orné comme le Pasteur. On voit par dessus les deux
tuniques de la sculpture précédente le pallium porté à la manière des phi-
losophes et des ascètes. Une extrémité couvrait l'épaule gauche. Le reste
rejeté en arrière, venait passer sous le bras droit et allait par l'extrémité
opposée rejoindre l'épaule gauche. Ainsi le bras droit et toute cette partie de
la poitrine étaient libres : le gauche, entièrement couvert, devait soulever
le manteau pour agir. Tel est sur notre marbre le costume du Sauveur.
Quant à la chaussure, telle qu'elle apparaît ici, on pourra hre les observa-
tions de Buonarotti.
Quand Jésus-Christ est représenté tenant d'une main le bâton, signe de
son absolu domaine sur la nature ', et de l'autre un livre, représentation
assez ordinaire, il est dans l'acte d'accomplir le miracle.
La résurrection de Lazarre est le symbole de la résurrection des corps
au dernier jour, ainsi que le déclarent les saints Pères : Ut futur xresur-
rectionis, spécimen prxstaret. C'est le cas de rappeler les vers composés par
le pape saint Damase pour la future inscription de la tombe. Rien ne sau-
rait mieux appuyer notre interprétation.
Solvere qui potiiit Laz-aro sua vincula nwrtis
Post tenebras, fratrem post tertia lumina solis
Ad superos iterum Marthœ donare sorori
Post cineres Damasum faciet quia surgere credo.
On s'attachait d'autant plus à affirmer et proclamer la résurrection de
la chair que les gentils s'obstinaient davantage à la nier : In nulla re,
tara vehementer^ tam pertinaciter, tam obnixe et contentiose contradicitur fi-
dei christianx, sicut de cmmis resurrectione. Plusieurs philosophes païens
avaient admis l'immortalité de l'âme, mais, ajoute saint Augustin, quand
nous en venons à enseigner la résurrection des corps, nous rencontrons
une répulsion entêtée. Sur notre marbre, le tableau de Lazarre a un sens
purement docrinal, l'artiste veut simplement exposer aux regards du fidèle
^ « 11 est remarquable que, sur d'autres monuments d'une époque postérieure,
on trouve la croix au lieu du bâton ou verge, comme si l'artiste avait voulu si-
gnifier que dans la loi de grâce, la nature a été assujettie par la puissance de ce
signe auguste. » (Passeri, Sacra eburnea. tav. xxiv, t. III, des Diptyques de
Gori.)
SARCOPHAGE DE SAINTE-QUITTERIE 153
un dogme de la foi : c'est pourquoi il a niis aux mains du Rédempteur la
baguette; il lui fait indiquer seulement d'un geste le corps du défant.
Le visage de la momie ressemble à celui d'un malade en convalescence;
le linceul ne le recouvre pas, comme il le faudrait cependant d'après le
récit évangélique, mais la tête seule en est enveloppée, particularité peu
observée par les artistes. Le reste du corps est entouré de bandelettes quj
serrent le linceul. L'usage d'envelopper de la sorte les cadavres, comme
on enveloppe le petit enfant, fut commun chez les Egyptiens, les Juifs et
les premiers chrétiens, qui adoptèrent leur manière d'ensevelir les morts.
Les archéologues ont longuement exposé tout cela. Une étude attentive
de divers monuments m'a amené à en remarquer quelques-uns où La-
zarre est représenté debout sur le seuil du monument : il est enveloppé de
bandelettes, mais on aperçoit comme deux ailerons qui s'en détachent :
on dirait une chrysalide. Si toutes les momies n'offrent pas cette particu-
larité, néanmoins la manière dont les bandelettes l'enveloppent lui donnent
cette ressemblance. Or, si l'usage d'ensevelir les morts de la sorte est fort
ancien, il ne l'est pas moins de représenter l'âme ou h psyché par les ailes
du papillon.
Les chrétiens voulurent donc, en reproduisant la scène de Lazarre, si-
gnifier que le corps brisera au dernier jour les liens qui l'enveloppent :
cette idée de résurrection est manifeste quand l'artiste ajoute les deux ai-
lerons à la momie. Les saints Pères, au reste, ont aimé à reproduire
l'image de la chrysalide en exposant le dogme de la résurrection de la
chair : on peut lire, à cette occasion, un long et magnifique passage du
grand saint Basile.
Notre sarcophage ne laisse voir que le frontispice de l'édicule de La-
zarre : l'artiste a eu soin cependant de placer à l'angle trois tuiles super-
posées pour marquer le toit et la suite de l'édifice. D'ordinaire, les monu-
ments placent le frontispice au-dessus d'un long escalier, ce qui suppose
l'édicule construit sur un soubassement. Le frontispice se compose seule-
ment de deux colonnettes supportant un tout petit fronton, selon la ma-
nière des anciens artistes qui se bornaient à représenter la partie princi-
pale et plus apparente de tout l'édifice, comme l'ont déjà remarqué plu-
sieurs archéologues pour les monuments profanes.
Ma conviction est que notre artiste ne s'est nullement proposé de repré-
senter le monument dont parle l'Evangile, mais une de ces constructions
élevées à la gloire des saints martyrs et dont leurs actes font si fréquem-
ment mention. Je citerai pour mémoire celui de saint Boniface. Nous li-
sons dans les actes du saint martyr qu'Aglaé éleva en son honneur un
monument digne do l'athlète du Christ : eukterion oïkodomèsasa oïkon.
156 SARCOPHAGE DE SAINTE-QUITTERIE
Ces paroles mentionnent évidemment un édifice élevé au dessus de
terre : oïkodomesasa oïkon ne peut signifier un monument souterrain, d'au-
tant plus que, d'après les Actes^ le corps du saint martyr fut déposé en un
endroit distant de cinq stades de Rome en attendant que le monument fût
construit ; l'édifice devait d'ailleurs servir d'oratoire euktérion. On voit un
édifice de ce genre sur un sarcophage où le Pasteur chasse les brebis hors
du bercail; les archéologues sont unanimes à reconnaître une petite
église ou oratoire dans cet édifice. En plusieurs endroits des Actes publiés
par Ruinart, nous voyons que les païens remplirent souvent de bois et
brûlèrent les monuments élevés en l'honneur des martyrs, les oratoires
où accouraient les fidèles pour prier. Tout cela indique incontestablement
une construction au-dessus du sol. Nous sommes donc autorisés à penser
que les artistes, en traitant le sujet de Lazare, ont voulu reproduire ces
sortes de monuments ou édicules, assez semblables à ceux des pa'i'ens.
Pour en revenir à notre marbre, représentons-nous le monument de
Lazare tout à fait semblable à ceux dont nous venons de parler, et lais-
sons de côté la tourelle massive, construite, comme le monument, en
pierres de grand appareil. Je dis massive^ car non- seulement elle ne laisse
entrevoir aucune ouverture dont on puisse même soupçonner les traces;
mais elle a, en outre, sa partie supérieure conique, qu'on ne saurait assi-
miler à une toiture, construite également en énormes pierres carrées. La
tourelle n'est donc pas un monument et elle est d'ailleurs détachée de
l'édicule. De là, pour moi, j'en conviens, une certaine hésitation à m' ex-
pliquer, à première vue la signification d'une telle particularité, surtout à
défaut d'autres monuments dont la comparaison me semble nécessaire en
pareille rencontre. Il faut donc m'en tenir aux inspirations du bon sens
naturel, sauf à étayer mon opinion de quelque autorité plausible. Je suis
porté à regarder la tourelle comme un symbole de l'Eglise triomphante.
Dans le Pasteur d'Hermas nous voyons longuement racontée la vision
qu'il eut d'une tour construite en pierres carrées : les pierres figuraient les
âmes des élus, leur assemblage formait la tour, et celle-ci était l'Eglise
triomphante '. Au reste, je serais infini si je voulais énumérer les nom-
breux témoignages des saints Pères qui aimaient à présenter sous le sym-
* On lit dans la Civilta catlolica, 2 mars 1872, un intéressant article sur le
cimetière chrétien de Naples. Il y est fait mention de la Tour peinte dans le cu-
hlcuJum (le S. Agrippinus, peinture d'une haute antiquité. J'y note ces paroles :
« On voit une tour représentée, trois vierges sont occupées à la bâtir. Sujet
emprunté u la fameuse vision d'Hermas que nous lisons dans le livre intitulé :
Le Pasleur.
SARCOPHAGE DE SAINTE-QUITTERIE l,j7
bole d'une tour la Jérusalem céleste, patrie des bienheureux. Je crois mon
explication plausible, d'autant plus que ce symbole est uni à la résurrec-
tion de Lazare : or, la résurrection des justes est l'entrée dans le séjour
de la béatitude. L'artiste avait largement développé l'image de rÉ^lise
militante; ne devait-il pas symboliser aussi, au moins par quelques traits,
l'Eglise triomphante? Au reste, notre monument est tout empreint de ce
haut symbolisme qu'on trouve aux premiers siècles de l'Eglise.
P. MINASI.
L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE
DE PISE
A-vant le XV'^ siècle
Si M. Rohault de Fleury a conquis une des places les plus honorables
dans le monde savant par ses études iconographiques sur les instruments
de la Passion et sur l'Evangile \ son fils, M. Georges Rohaut de Fleury
est en chemin de se faire un nom également recommandable parmi les
artistes et les archéologues. Son grand ouvrage sur la Toscane au Moyen-
Age forme deux volumes in-folio, comprenant 140 planches gravées, ac-
compagnées d'un texte explicatif où se trouvent intercalées d'excellentes
gravures. Un autre in-folio de 64 planches, accompagné d'un volume de
texte in-S°, est consacré aux admirables monuments de Pise ; il traite
successivement de Tarchitecture pisane à sa naissance, à son apogée et à
son déclin, de la sculpture et enfin de la peinture. Ces splendides publica-
tions, d'un prix nécessairement élevé, ne sont guère accessibles à la masse
du public lettré. Aussi M. G. Rohault de Fleury vient-il de résumer et de
compléter ses études sur la Toscane, en les restreignant à l'architecture
civile et militaire, et cela en deux volumes in-S", illustrés de nombreuses
vignettes '. On annonce bien deux volumes d'atlas pour compléter ces
études, mais nous supposons que le texte, d'un prix abordable, pouna
toujours être vendu isolément.
L'auteur a résumé douze années d'études sous la forme d'une corres-
pondance fictive échangée, vers l'an 1400, entre Raymond du Temple,
le fameux architecte du Louvre, et son fils Charles, que Charles V avait
tenu sur les fonts de baptême. On voit que c'est ici l'application à un sujet
spécial et restreint, de l'attachante forme littéraire adoptée par Barthé-
lémy, dans son Voyage du jeune Anachaisis ; par F. tic Lanticr. dans son
^ M. Rohault de Fleury prépare en ce moment une iconograplùc de la Sainte
Vierge.
^ Lettres sur la Toscane en l iOU. Architecture civile et mihtaire, Paris, veuve
Morel, 2 vol. in 8".
i/aRCHITECTURE civile et militaire de PISE 159
Voyage d'Antenor en Grèce; par Mar-
changy, dans son Tristan le Voya-
geur, etc.
En 14Û0, l'art toscan était arrivé à
son apogée : c'est alors que floris-
saient Talenti, Benci di Cione, Paolo
Ucello, Lorenzetti^ Spinello, Brunel-
leschi, Giîiberti, Donatello, etc. :
c'était une époque originale de tran-
sition entre la raideur gothique et la
grâce naissante du XV* siècle. Ce
voyage artistique, placé à cette inté-
ressante époque, et dont les récits
familiers favorisent la curieuse abon-
dance des détails, commence à Pise
et se continue par Lucques, la vallée
de Nievole, Florence, le val d'Arno
inférieur, le val d'Arno supérieur,
Arezzo , le Chiane . Sienne et les
Maremraes.
Si le temps et l'espace nous l'a-
vaient permis, nous aurions voulu
résumer ces deux volumes, où l'ob-
servation personnelle est si sagace,
où la science des livres est si com-
plète, comme en témoignent l'abon-
dance et la variété des notes. Mais la
nécessité de nous borner nous cir-
conscrira dans la ville de Pise. Nous
la choisissons de préférence parce
que, bien souvent, elle est sacrifiée
par les touristes. On a hâte d'arriver
à Florence, on consacre quelques
heures rapides aux quatre monu-
ments de la grande pla;^e, et on né-
glige une foule d'édifices, d'antiquités
"et de ruines qui mériteraient pourtant
de fixer l'attention.
Pise, comme la plupart des villes de Toscane, était célèbre par le nom-
bre de ses tours, les unes en briques, les autres en petites pierres mal
Tour surélevée ou Ijrique
160
l'architecture civile et militaire de PISE
équarries, quelques-unes présentant de leur base à leur sommet un pare-
ment continu de pierres de la Verruca. Ces tours, élevées par des particu-
Tour lies Uii|iczzlii!;lii-
l'architecture civile et militaire de PISE 161
liers, fournissaient des armes aux guerres civiles : aussi y avait-il tout un
code spécial érigé contre elles, contre leur trop de surélévation et les engins
dont on les meublait. La loi dut souvent intervenir au sujet des ponts qui,
en unissant plusieurs tours, privaient les voisins de lumière et de sécu-
rité. Les prisons gardaient leurs captifs dans des tours : celle qui portait
le nom délia famé fut construite par Ruggieri, pour y renfermer Ugolin
et ses enfants. Immortalisée par les vers du Dante, elle n'est plus connue
aujourd'hui que par un ancien dessin.
a Avant que la rage des Raspanti et des Bergolini, écrit Charles du
Temple, n'ait étouffé l'art des Pisans en même temps que leur patrio-
tisme, on voyait ici une école de briqueteurs bien supérieure à celle qui
de nos jours fait la gloire de Bologne. La finesse des joints, la dureté du
mortier, la taille des parements extérieurs, la sévérité et le bon goût des
ornements, toutes ces qualités sont rappelées par les monuments que nous
a laissés cette industrie oubliée. La tour du palais Upezzinghi me paraît
le meilleur modèle qui nous en soit resté ; sur un ferme soubassement de
pierre se dresse l'architecture de terre cuite avec ses formes sobres, ses
colliers de lozanges, sa fenêtre jumelée que sépare en deux une colonne
et un ingénieux chapiteau formé de briques moulées ; tout cela est simple,
mais relevé par le charme singuliei'que le Goin de l'appareil prête toujours
à un édifice, d
Les ruines de la Porta Aurea nous donnent un spécimen architectural de
CIV!BVSE(SRÏCîlSbE[A\^f^EAFOR'Fy0C\
INqVASlCDiCrATNOBILITATISHONOK'S
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HALV!\ BE DEC IPfRIIGEH E RALE PVTETIS
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ANNiSMilLE DECEŒNyCVqMS/PACTY
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P! SAN-PO PVLVVI CTOR^^ft RAVI \IRAS
î>lS^EAClTaRAG^IN6EMI NATAEID
Dl L 1 G ITEl VSTi T( AS -IVD I [ ATlSPftt
Iusi;npliou commémorative do k Port.i Aurea.
162
L ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE DE PISE
Vue Ji.' I.i Porta Auroa restaui-ro.
la décadence romaine : on y remarque la perfection des joints, l'extrados
des voussoirs et une certaine irréi^'ularité dans l'appareil. Après cette
porte, qui servait d'arc triomphal aux Pisans au retour de leurs victoires
maritimes, les murailles se prolongeaient parallèlement à VA7'no et sui-
vaient son cours sur une longueur d'environ 80 bras. On prétend que jus-
qu'au XIP siècle, elle fut environnée de deux enceintes différentes, et
qu'elle formait trois quartiers : la vieille ville, le bourg et le forisporte. De
plus vastes murailles d'enceinte furent construites plus tard pour protéger
le Dôme, érigé en ! 118, et le Baptistère, construit en 1 155. Non contente de
cette armure de pierres, Pise a cherché, par des fortilicatioiis extérieures,
à repousser l'approche de l'ennemi par des châteaux d'avant-garde. Elle
en possédait 55 i, alors qu'elle était au faite de ses grandeurs et qu'elle
étendait sa domination depuis l'ile de Corvo jusqu'à Civitta-Vecchia, et
qu'elle possédait la Sardaigne, la Corse, l'ile d'Elbe, Pianora, Capraia,
Gorgone, Giglio et Montccristo. Les fortifications suburbaines étaient de
l'architecture civile et militaire de PISE 163
deux sortes : les castelli, construits par les anciens seigneurs ou par la
République sur des montagnes, et les terre murate, placées ordinairement
dans les plaines et qu'on peut comparer aux colonies dont les Romains
garnissaient les frontières barbares.
L'Arsenal, reconstruit à la fin du XIIP siècle, se trouvait en communi-
cation avec la mer et était défendu par une citadelle. C'est au premier
étage, dans deux salles voûtées, qu'étaient contenues les amas d'armes et
les macliines de guerre. Les cales de Pise, plus nombreuses que vastes,
ne pouvaient recevoir que des galères de petite dimension; les plus grands
navires restaient dans la baie.
La place délie Fabriche maggiori offrait un majestueux assemblage de
monuments : le Pallazzo vecchio^ dont le soubassement en pierres se com-
posait de plusieurs arcades ogivales avec voûte d'arête formant portique ;
le palais des Anziani. dont le campanile était presque aussi célèbre que
le Dôme et la Tour penchée; le Palazzo pretorio^ témoin des crimes d'U-
golin ; le Palazzo délia Giustizia, dont la majestueuse sévérité était bien
en harmonie avec sa destination.
Lès vieux palais, en forme de tours, caractérisent l'ancienne époque ;
Maison du Boriio .\iiovo.
Eatréo d'une maison sous les arcades du Borgo
164
L ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE DE PISE
plus tard on recourut à l'usage plus commode des portiques ; en général,
les arcades du rez-de-chaussée étaient surmontées de deux étages avec lo-
gettes ogivales; un escalier droit partait du portique et conduisait aux
étages supérieurs. i Lorsque les constructeurs, écrit Charles du Temple,
trouvent trop dispendieux l'emploi du marbre, ils ont recours à une mé-
thode qui leur permet une décoration plus riche, mais plus grossière ; ils
emploient la terre cuite et moulent leurs ornements. Le Lung'Arno nous
offre encore un exemple remarquable de ce genre de façade sur un palais
situé entre le Ponte-Vecchio et le Ponte-Nuovo, Si cette surcharge d'orne-
ments, cet amas de feuilles, de figurines, d'oves, de raies de cœur, en-
traînent une confusion regrettable, il n'est pas moins juste d'avouer que
cette richesse orientale, ce goût insatiable de décorations, ne manquent
pas de charme. »
Le marché aux grains était flanqué de deux tours, destinées à le mettre
à l'abri des émeutes; il était placé sous la protection de la Vierge par la
présence d'un sanctuaire dédié à Sainte-Marie de la Neige.
Les portes devaient avoir une importance toute particulière dans une
ville traversée par un fleuve aussi torrentueux que VArno. C'est près du
Ponte-Nuovo^ commencé en 1182, que fut érigée la charmante église de
de Santa Maria délia s/n'na. On sait qu'un marchand pisan ayant rapporté
un fragment de la couronne d'épines de Notre-Seigneur, lui construisit ce
délicieux reliquaire que Jean de Pise devait agrandir plus tard et enrichir
de magnifiques ciselures de marbre.
C'est au Ponte al mare (\we l'Arno offrait le plus d'eau au mouillage
Ponte al Mare.
des navires. Ses parapets étaient munis de créneaux pour que les archers
pussent s'y poster au besoin.
l'architecture civile et militaire de PISE i65
M. G. Rohault de Fleury nous donne de curieux renseignements sur
les murs de quais qui reliaient les ponts et endiguaient l'Arno. « Ces
quais, nous dit-il, n'ont pas été construits d'un seul jet et leur érection
s'est continuée lentement à travers les siècles et au milieu des exigences
les plus diverses. Aussi n'offraient-ils pas une courbe continue, mais une
multitude de saillies, de retraites, d'encorbellements dont on ne peut plus
expliquer aujourd'hui les motifs, et dont on se console par leurs effets
pittoresques. Dans l'origine, ils furent formés par les propriétaires des
maisons riveraines, sans souci des dimensions adoptées pour les voisins,
et dans le seul but d'élargir les abords de leur demeure. On comprend
déjà quelle cause d'irrégularité ce dût être, et cependant ce ne fut pas la
seule. Il arriva souvent, quand l'activité de Pise multiplia le mouvement
dans les voies publiques, que la largeur primitive parut trop exiguë; on y
remédia en scellant dans les murs des corbeaux de pierres et en recourant
au mode de l'encorbellement qui, sans gêner le cours du fleuve, fait ga-
gner un terrain précieux de deux ou trois bras. D'autres fois on construi-
sait dans le même but, comme en face de San-Sepolcro, une série d'ar-
concelles ; d'autres fois encore, lorsque la ligne irréguliére du quai ne
correspondait pas au palais qu'on élevait derrière, afin de rendre le pas-
sage parallèle à la façade, on élevait de petits arceaux qui rachetaient la
différence. »
Les habitants de Pise empiétaient non-seulement sur le fîeuve, mais
ils étaient fort enclins à joindre à leurs maisons des constructions parasites
qui gênaient la libre circulation des rues. De là vient cette formule du ser-
ment que prêtaient les consuls en 1286 : « Nous promettons de signaler
sur les deux rives de YAtno et dans les endroits adjacents les construc-
tions illégales dans les limites de trois perches, à partir des murs pour les
maisons qui n'ont pas de colonnes, et des colonnes pour les maisons avec
portiques, c'est-à-dire les loges, retraites, toits, baraques, comptoirs, obs-
tacles quelconques qui s'y rencontrent; nous rapporterons les métiers et
trafics auxquels on s'y livre. Nous noterons dans les limites des trois per-
ches, les tentes, toits, escaliers, gargouilles, perches faisant obstacle à la
circulation, qu'on y a amassés ; nous chercherons les auteurs de ces em-
barras et les troubles qui peuvent en résulter pour la cité. » La charge
d'édile n'était pas alors une sinécure, et l'on voit par la subtilité des rè-
glements municipaux combien on cherchait de détours pour en éluder les
prévisions.
Les édiles de Pise s'appliquèrent surtout à prémunir de tout obstacle
les descentes au fleuve, si utiles pour le commerce : ses nombreux esca-
liers en pierre étaient ordinairement construits aux frais de ceux qui de-
vaient le plus en profiter.
466
l'architecture civile EJ' militaire de PISE
Escalier du Lung'Arno.
M, G. Rohault de Fleury donne des renseignements sûrs et précis sur
l'architecture navale des Pisans, sur leurs établissements de bains, sur le
dallage des rues, sur les hôpitaux, etc.; au lieu de le suivre dans ces mul-
tiples détails, nous préférons donner la date des anciens monuments civils
et militaires de Pise.
Murailles urbaines, 800, 1153.
Citadelle, 140G.
Place des Anziani, 1338,
Palais des Anziani, 1286.
Palais du Podestat, XIIP siècle.
Nouv. palais du Podestat, XIV*
Horloge publique, XIV'' siècle.
Ponte Vecchio, 104G, 1383.
Ponte Nuovo, 1182, 1332.
Ponte délia Spina, 1262.
Ponte al Mare, XIIP siècle.
Marché aux grains, 1346.
Marché de Cavali, 1346.
Marché actuel, 1153.
Fonte San Stephano, 1154.
Fonte de Borghono, 1298.
Hôpital de la Miséricorde, 1053.
— de' Trovatelli, 1218.
— Santa Chiara, 1257.
— de' Pelle.uriiii, 1330.
Les hautes considérations générales que fait l'auteur sur la Toscane,
s'appliquant nécessairement à la ville de Pise, nous allons terminer cet
article par le résumé général de ces deux volumes.
Deux grands partis, pour des causes diverses et compliquées, ont ab-
sorbé toutes les factions politiques. Deux camps derrière lesquels se re-
tranchent toutes les convictions, toutes les haines, toutes les vengeances :
les Guelfes et les Gibelins, le Pape et l'Empereur, la liberté ou le despo-
tisme, les communes ou les seigneurs. L'architecture suivit la politique
dans ce double courant. Lors de la formation des communes, les Grands
habitaient encore la can)pagne, et se retranchaient dans les donjons
inexpugnables pour échapper aux pillages si fréquents à cette terrible épo-
que, ou pour dominer les républiques naissantes exclusivement composées
L ARCHITECTLHL CIVILE ET MILITAIRE DE PISE 167
de paysans et d'artisans. Tandis que les villes satisfaisaient au besoin du
commerce, de l'industrie et de l'agriculture, en s'établissant au fond des
vallées, les nobles choisissaient les cimes les plus élevées, les roches les
plus inaccessibles pour y asseoir leurs demeures. Ces châteaux, vrais nids
d'aigles, dont les ruines dentellent encore de leurs pierres grossières les
sommets des Apennins, forment la première phase de l'architecture gi-
beline.
Les gens de la plaine, pour défendre leurs nouvelles franchises et leurs
travaux contre les entreprises des seigneurs montagnards, se créèrent un
gouvernement et des consuls, dont ils furent aussi fiers que les contem-
porains de l'antique Brutus : ils s'enveloppèrent de murailles urbaines,
fortifièrent leurs portes, battirent même des citadelles. Ce fut l'origine de
l'architecture guelfe.
Ces deux éléments devaient bientôt se rapprocher et ces deux architec-
tures se toucher sans se mêler.
La guerre entre les donjons ruraux et les cités devint incessante; les
consuls, que la veille avait vus simples artisans, furent transformés en gé-
néraux par leur patriotisme ; ils poussèrent la lutte avec tant d'énergie
qu'au bout d'un siècle les châteaux étaient presque tous conquis, soumis
souvent même rasés.
A cette époque, les communes reçurent les nobles dans leurs murs et
leur permirent d'y construire des palais. Ces palais, au lieu de simples
habitations, prirent bientôt le caractère de véritables forteresses, avec
créneaux, mâchicoulis, plates-formes, tours gigantesques et réduits mili-
taires ; ils furent munis de prisons et d'oubliettes ; leurs balcons, sous
prétexte d'agrément, constituaient des machines de guerre en perma-
nence. L'architecture gibeline, prenant le droit de cité parmi les républi-
ques duXIP siècle, entrait ici dans sa seconde phase.
Dès lors, les villes ne connurent plus un instant de repos ; elles virent
leurs enceintes transformées en un champ de bataille d'autant plus affreux
qu'il était clos et étroit, leur gouvernement méprisé et leurs lois foulées
aux pieds par ces hôtes orgueilleux. Les consuls créés pour porter la
guerre hors des murs, sentaient la faiblesse de leur pouvoir et la lenteur
de leur action pour étouffer un ennemi intérieur : ils durent céder la place
à un nouveau magistrat, qu'on appela le Podestat, afin de résumer sa mis-
sion dans un titre qui signifie la puissance personnifiée. Le Podestat saisit
l'autorité absolue. Séquestré du monde comme un religieux, privé des
joies de la famille, du commerce de ses amis, choisi dans une commune
étrangère, il domina toutes les fiiiblesses pour les protéger, il devint le pa-
tron des pc'ti^s, dos désarmés, des opprimés : sa verge de commandement
168 l'architecture civile et militaire de PISE
fat l'égide des pauvres, le sceptre terrible devant lequel tremblèrent les
riches et les puissants. On logea d'abord ce dictateur populaire dans des
demeures privées et on loua une tour dont on fit son beffroi. Bientôt ces
résidences temporaires, soumises aux changements de baux, aux caprices
des particuliers, peu commodes, indignes de toute façon d'une si haute
destination, furent remplacés parles palais publics. L'architecture guelfe,
inaugurée pour les remparts, reçut ainsi, de la satisfaction de ces nou-
veaux besoins, le second degré de développement et atteignit l'apogée de
sa prospérité.
On vit alors, au centre de ces cités pittoresques, s'élever des palais
grandioses dont le front crénelé dépasse tous les alentours ; au milieu des
forêts de tours seigneuriales, surgir des tours plus hautes, plus fortes,
plus fières, symbole de la force légale et de la justice. Cette architecture
triomphante, dont les monuments sont ceux de la victoire définitive des
Guelfes, appartient presque exclusivement à la seconde moitié du XIII*
siècle.
L'architecture féodale et gibeline, à partir de ce moment, fut irrévoca-
blement condamnée. Dans les villes ou le gibellinisme conservait quelques
racines et dans lesquelles on permettait encore de restaurer les tours dé-
mantelées, les nobles relevèrent les étages supérieurs en briques grossiè-
res, ou réparèrent en nouvelle maçonnerie les brèches des révolutions ou
les ruines du temps : ainsi on s'étonne, notamment à Pise, d'apercevoir
des fragments d'arcades de la plus belle construction oubliés dans une
muraille mal briquetée. L'âge féodal s'écroule alors de toutes parts comme
ces édifices ; toute la vie, toute la gloire, tous les efforts de l'art se ren-
contrèrent au palais communal. Chaque triomphe guelfe est marqué par
la fondation ou l'embellissement d'un hôtel de la ville. Désormais les for-
teresses intérieures, quand elles ne sont po;nt abattues, sont aussi sou-
mises que les vieux châteaux des montagnes ; l'architecture domestique
n'est pas anéantie, mais' seulement transformée par cette révolution ; elle
devient plus élégante, plus civilisée, et dépouille les formes trop rudes des
anciens temps.
Le triomphe des Guelfes et la division des territoires politiques sont le
double secret de la merveilleuse prospérité des arts, et le jour où, cédant
à la fatale décadence des choses terrestres, ces ressorts se détendent, nous
voyons les arts s'incliner sur cette pente rapide, Les symptômes qui aimon-
çaient un tel déclin se multiplient. La démocratie, n'ayant plus d'ennemis
intérieurs, devient conquérante ; elle foule aux pieds l'indépendance des
républiques, cette gloire du parti guelfe, et absorbe l'autonomie des fai-
bles ; les petits centres cèdent chaque jour à cette force attractive, et ten-
l'aUCHIÏECTURK civile et militaire de PISE 169
dent peu à peu vers un centre unique où l'art finira par s'ensevelir. Les
c mmunep perdent tonte activité, la sève se retire peu à peu des bran-
ches, elle n'alimente plus 'jue Florence qui absorbe alors tous les génies
et tous les clvfs-d'œuv iv,.
M. Rohauli de Fle:,ry, guidé par ces grandes lignes historiques qu'il
trace avec un jugement si sur, divise l'architecture toscane en six étapes
correspondantes aux six époques de l'histoire.
Première époque. — Architpcture gibeline extérieure : Châteaux.
Deuxième époque. — Origine de l'architecture guelfe : Murailles ur-
baines.
Troisième époque. — Architecture gibeline extérieure : Tours seigneu-
riales.
Quatrième époque. — Triomphe et apogée de l'architecture guelfe :
Palais publics, tours communales.
Cinquième époque. — Déclin et transformation de l'architecture gibe-
line : Surélévation des tours en briques, loges, palais ornés.
Sixième époque. — Concentration et décadence de l'architecture guelfe,
sous l'action ambitieuse des grandes communes et le despotisme des sei-
gneurs souverains : Citadelle, palais seigneuriaux.
M. G. Rohault nous paraît avoir complètement épuisé son sujet, ea
traitant, de main de maître, de cet art toscan si admirable par l'harmonie
de son ordonnance, l'ampleur de ses masses, par son heureux mélange de
majesté et d'élégance; étrusque par le souvenir, quelquefois byzantin ou
arabe par l'imitation, et s'épanouissant enfin sous la puissante énergie du
souffle chrétien. Pourquoi M. G. Rohault de Fleury ne choisirait-il pas
Rome pour sujet de recherches analogues? On a largement étudié les ruines
romaines de la Ville éternelle, ses antiquités chrétiennes, ses monuments
religieux, ses chefs-d'œuvre de la Renaissance; mais on n'a point approfondi
l'histoire de son architecture civile et militaire du moyen-âge. Nul n'}^ se-
rait plus préparé et plus expert que le savant auteur des Lettres sur la
Toscane, car il apporterait dans ces nouvelles études la môme sagacité
historique, le même esprit d'observation, la même science professionnelle,
le même style, tantôt familier et dégagé, tantôt élevé et éloquent, et, di-
sons-le aussi, ce profond sens chrétien qui est chez lui un noble héritage
de famille.
L'abbé J. CORBLET.
Ile série, tome IL 12
LES SILEX DE WAGNONLIEU
Près Arras
L'exploration des terrains compris entre la GitéetlaScarpe, notamment
aux alentours du village de Wagnonlieu^ a fourni à M. le capitaine du
Génie, Gustave Dutilleux, attaché à la Place d'Arras, le sujet de recherches
fort intéressau/tes. Une feuille locale en a bien touche quelque chose il y a
six mois, mais son laconisme, joint à de nouveaux renseignements qui me
sont arrivés depuis, m'engage à soumettre aux lecteurs de la Revue un
résumé des investigations de l'honorable officier.
Dans une terre, vierge de tout dépôt de cailloux et oii l'argile se ren-
contre jusqu'à cinq ou six mètres de profondeur, M. Dutilleux a trouvé,
jonchant la surface du sol, une multitude de silex bruts ou taillés si gros-
sièrement qu'on s'en aperçoit à peine; leur nombre est assez grand pour
qu'ils servent, depuis longues année:? sans doute, à l'entretien des voies
de communication. Ces silex, soit pointus, soit tranchants, semblent avoir
été choisis à dessein ; car tous, sans exception, montrent au sommet une
encoche naturelle plus ou moins creuse; en outre, l'une des faces est gé-
néralement plane. Or, si l'on applique la paume de la main contre le côté
dressé, en insinuant l'index dans l'eucoche et en serrant les doigts, on est
en possession de l'arme terrible dite coup de poing. Aiguë ou tranchante,
cette arme, maniée par un bras vigoureux, devait occasionner des bles-
sures dangereuses; elle a pu toutefois convenir à l'usage de femmes etd'en-
ants, car certaines, à l'emploi, sont entièrement recouvertes par la main
d'un homme de taille ordinaire.
D'autres silex, du mêino genre et de la même provenance, se rencon-
trent en nombre relativement moins considérable ; ils ont la forme d'un
cœur ou d'une î-irosso flèchc'trianguhiirc à uileiun;-, sans trace de pédon-
cule.
Peul-on leeulerde [uiieils on;,!;ins - à supposer que ce soient réelle-
LES SILEX DE WAGNONLIEU 171
ment des engins — jusqu'aux époques dites préhistoriques? Non, certes,
puisqu'ils affleurent le sol au lieu d'être enfouis, et qu'on a ramassé parmi
eux les objets les plus disparates : des fragments de silex taillés ou polis;
la queue d'un tenon en bronze antique (?) ; les débris d'une jugulaire d'in-
fanterie, modèle usité du premier empire à 1840; une enseigne de pèle-
rinage en cuivre jaune de fabrique moderne, dont la face offre l'image
d'un diacre martyr à l'exergue . . .LEONAR. . ., l'avers une croix ancrée
où l'on distingue encore G. S. ND. MB. (le reste est fruste), cantonnée des
lettres C. S. P. B., Crux sancti patris Benedicti.
Doit-on admettre qu'un pur hasard ait éparpillé nos silex sur un terrain
d'où la pierre est totalement absente? Pas davantage; aucun éboulement
naturel ne s'est produit dans cette plaine unie, trop élevée d'ailleurs pour
que les eaux y aient amené du gravier.
Qui donc alla extraire des carrières environnantes ces silex choisis ?
Qui donc les sema aussi nombreux que les étoiles dans un espace res-
treint? L'homme évidemment, poussé par un besoin d'attaque ou de dé-
fense.
Sur un emplacement qui semble avoir appartenu à l'enceinte du pri-
mitif Arras, les Gaulois, nos ancêtres, ont-ils résisté à César; les Gallo-
Romains du IV'- siècle ont-ils combattu l'invasion germanique ; les Jacques
du Moyen-Age ont-ils lutté contre leurs seigneurs avec une arme d'occa-
sion? L'avenir nous l'apprendra peut-être.
En attendant, les découvertes de M. Dutilleux ont un résultat immédiat
qu'il importe de signaler; ellespourraient fournir de nouveaux arguments
à la thèse soutenue par M. F. Ghabas avec la rigueur d'une démonstration
géométrique. Dans son remarquable ouvrage — Études sui' l'antiquité his-
torique d'après les sources égyptiennes et les monuments réputés préhisto-
riques — l'éminent égyptologue de Chalon-sur-Saône prouve que TEgypte
et les contrées adjacentes, en possession de l'industrie des métaux à l'aube
d'une civilisation voisine du Déluge, ont toujours employé les r utils en
pierre parallèlement aux objets de métal, et que diverses peuplades de la
Péninsule arabique suivent encore aujourd'hui les mômes errements.
Conséquence logique et forcée : les trouvailles de Vàge de la pierre n'ont
pas l'antiquité qu'on leur attribue ; elles ne remonteraient vraisembla-
blement pas plus haut que les temps historiques.
Les opinions émises par M. Ghabas, dont personne n'oserait contester
la science et le talent, gênent singulièrement certains apôtres de la doc-
trine matérialiste; ne sachant que répondre à des raisons qui leur tom-
baient dru comme grêle, voici ce qu'ils ont imaginé pour se tirer d'atTuire :
un écrivain, un savant^ a eu Taplomb d'imprimer les lignes suivantes ;
*'72 LES SILEX DE WAGNONLIEU
« M. Chabas, de Ghâlon-sur-Saône (on aurait pu ajouter, Correspondant
de l'Institut), se prononce encore plus nettement que M. Lepsius. Pour
lui, il n'y a ni âge de bronze, ni âge de pierre, ni temps préhistoriques,
pas plus en Europe qu'en Egypte. M. Chabas est un savant du plus grand
mérite, et il se devait à lui-même de soutenir une thèse contraire à la
nôtre avec scrupule et gravité. Il a dû comprendre sa faute, CAR IL A
RETIRÉ SON LIVRE DU COMMERCE AVEC LE PLUS GRAND SOIN.
Nos lecteurs ne pourraient pas se le procurer.... Quant à notre REVUE,
M. Chabas ayant supprimé son livre, ELLE N'AJOUTE RIEN A CETTE
CONDAMNATION PRONONCÉE PAR L'AUTEUR LUI-MÊME. » Maté-
riaux pour servir à V histoire primitive et naturelle de l'homme, t. V, liv. 1.
p. 25. Toulouse, 1874. — VÉgyptologie, !■■« année, n° 9, p. 70. Chalon-
sur-Saône, septembre 1874.)
La manœuvre est commode et ne s'était pas renouvelée depuis les temps
011 l'on faisait brûler un livre par la main du bourreau. Il appartient aux
libres-penseurs de la remettre en pratique. Malheureusement pour les
rédacteurs de la Revue toulousaine, le public lettré n'a pas été de leur
avis; à une première édition de l'ouvrage de M. Chabas, enlevée en six
semaines, une seconde a immédiatement succédé qui, à son tour, en
appelle une troisième.
On ne nomme pas le coupable de la charmante espièglerie que je signale
à mes lecteurs ; c'est fâcheux -. le soupçon pourrait atteindre un innocent
qui n'a jamais trempé sa plume dans pareille encre. C. L.
L'EXPOSITION DE LILLE
SEPTIEMK ARTICLE
XVII.
Déjà, dans plusieurs de nos visites précédentes, nous avons étudié bon
nombre de peintures. Peut-être ferons-nous bien maintenant de reprendre
cette étude et de voir, dans chacune des salles, ce qu'il y a de plus
remarquable sous ce rapport.
Dès la seconde salle nous trouvons ample matière à notre examen.
Voici, en effet, un tableau bien authentique de Van Dyck. Il appartient
aux hospices de Lille. M. Aimé Hcuzé de l'Aulnoit, dans un travail spé-
cial (in-4° de 8 pages, 1873), en a raconté la curieuse histoire et donné
la description. Le grand peintre paraît avoir produit cette œuvre avant
son voyage d'Italie, vers 16:^1. Ce tcibleau est une Adoration des Bergers.
Tout à côté vous voyez un S . Bruno remarquable par sa grande expres-
sion de piété ; il fait aussitôt penser à Lesueur. Puis ce sont deux sujets
mystiques : l'Épouse du cantique des cantiques^ le Couronnement de la
Ste Vierge, peintures SL"r bois, XVP siècle, appartenant à TEglise de
Rœulx. Ce n'est plus l'école du Moyen-Age, ce n'est pas encore la Renais-
sance .
Si nous passons dans la quatrième salle, la salle des émaux peints et
de la tapisserie de Judith, nous y remarquerons d'abord ce Christ en
croix, qui est de Van Ost, et qui appartient à l'Eglise Saint-Jacques de
Douai. Nous y verrons encore cette peinture très-fine de l'école flamande,
peinture représentant une Nativité, et exposée par M. Ozenfant. Là aussi
sont deux beaux portraits d'Evôques de Boulogne et de Saint-Omer, et
un grand tableau de l'Immaculée-IJonception avec tous les emblèmes
bibliques, comme on aimait à le faire au XVI* siècle.
Dans la salle suivante est une Sainte Famille de Jean Bellin, à M. Paix,
* Voir le ii" précédent page 32.
174 l'exposition de lillb
de Douai ; puis une Prise d'habit de S te Aldegonde, par Crayer, qui s'est
peint lui-même dans la foule qui assiste à la cérémonie. Ce tableau
appartient à M. Queulain, d'iwuy. Voici encore plusieurs petites pein-
tures très-remarquables, dans ces vitrines qui renferment tant de choses,
et qu'il faut examiner, sonder, à loisir.
En effet, c'est encore dans une vitrine que nous trouverons, à la salle
suivante, toute une collection de miniatures sur vélin, les Pères du désert,
à M, Henri Scrive ; toute une autre collection de divers sujets, gouaches
dans des cadres italiens, à M. Jules Brame.
Nous pouvons ensuite gravir l'escalier et nous y arrêter avant de péné-
trer dans les salles du premier étage. Nous trouvons en effet, aux murs du
palier, une galerie de grandes toiles, parmi lesquelles tout d'abord nous
pourrons distinguer : le Christ après la flagellation, appartenant à l'église
d'Avesnes, et les quatre docteurs de V Eglise appartenant à la paroisse de
la Madeleine, de Lille.
Déjà, dans une visite antérieure, nous avons examiné la galerie de feu
M. Louis Lenglart, exposée dans la première salle de l'étage. Entrons donc
maintenant dans ce charmant réduit, oii sont tant de merveilles envoyées
par M. Gauchez, de Paris.
Voici un magnifique spécimen d'une école ancienne antérieure à Ra-
phaël et offrant déjà des caractères qu'on lui attribue souvent d'une ma-
nière exclusive. C'est à étudier avec soin, pour le dessin de la figure de la
Vierge, pour le genre du travail pointillé, pour celui des nimbes et des
bordures, pour cet admirable fond sans perspective, formé par un rosier,
dont le coloris s'harmonise admirablement avec celui du vêtement de la
Vierge. Ce tableau de Spinello Arettino, la Vierge au rosier, provient de
la cathédrale de Sienne, et a été publié j-écemment dans la Gazette des
Beaux-Arts, très-belle gravure de M. Flameng.
Voici la Vierge à l'églantine : ce tableau de Domenico Ghirlandajo (I4i9-
1498), provient de la salle des Directeurs à la monnaie de Florence. Il a
été également [lublié et gravé dans la Gazette des Beaux-Arts. La gravure
est de M. A. Didier. C'est encore une admirable peinture, d'un genre un
peu plus moderne, et qui marque une nouvelle étape dans ce voyage
incessant de la peinture. Le mysticisme a disparu ; cette Vierge est un
portrait.
Voici VAnge gardien., par Juan Fernandez Navarrete, dit El Mudo, pro-
venant de la collection .Aguado; Y Assomption par Narcisse Diaz de la
Penna ; une Vanitas, par E. Kollier; une autre Vanilas, par Jan Davidsz,
de lieem ; Vemharffuenient dans l'arche et le sacrifice au sortir de l'arche,
par Murillo,
l'exposition de LILLE 175
C'est dans la seconde des salles qui prennent leur jour sur le jardin que
nous passerons maintenant, pour y considérer d'abord une peinture sur
fond d'or, de l'école flamande, seconde moitié du XV* siècle. Elle appar-
tient à M. Arnould-Detournay, et représente la Mise au Tombeau. Nous
trouvons ensuite un Christ après la flagellation et une Madeleine de Van
Dyck, à M. Sculfort, de Maubeuge, ainsi qu'un aéée^/e Tongerloo^ attribué
à Rubens et appartenant aussi à M. Sculfort ; un S. Philippe de Néri à M.
Ponche, d'Amiens ; une Adoration des Bergers^ à M. Ignace de Coussema-
ker, deBailleul; un Christ mort ^ sur les genoux de sa inère, attribué au
Caravage, à M. Roger, d'Amiens ; et plusieurs autres.
Déjà nous avons examiné attentivement les tableaux tout-à-fait hors
ligne de la salle suivante : la Conversation, la Pietà, la Messe de S. Gré-
goire, etc., toutes œuvres sur lesquelles nous n'avons pas à revenir au-
jourd'hui, si ce n'est pour les regarder encore en passant et leur dire,
bien à regret, adieu. Là encore se trouvent le S. Pierre., de Gérard Dow,
à M. Wavrin, de Douai, et la Mise au tombeau., à M. Denis du Péage, de
Lille.
Dans la salle suivante, nous pouvons encore distinguer plusieurs bonnes
peintures : une Descente de croix., école de Rubens, à l'éplise de Bouvignies ;
Les saints invoqués contre la peste, école vénitienne, peut-être de Pierre
de Cortone, à M. Ch. BonneL de Cambrai ; un autre tableau attribué à
Franck, appartenant à M. de la Chaussée, Lille ; une Descente de croix, par
Van Mol, à M. Mai'échal ; deux tableaux de Solimène, aux Dominicains
de Paris.
Traversons la salle des Ivoires et arrôtons-nous dans la suivante ; nous
serons en présence des beaux tableaux de M. Maréchal père : «S. Charles
Bo7'romée communiant Ls pestiférés; 6\ François en oraison, école hollan-
daise, François Miéris ; la Sainte Famille, école vénitienne ; une autre
Sainte Famille, signée Janneck F. C. Nous avons ens'iite à examiner
l'Annonciatian, par Philippe de Champagne, à M. Bonnel de Cambrai ; le
beau Portrait de Fénelon, de Vivien, et le -S. Pien^e d'Alcantara, de Zur-
baran, à M. Queulain, d'Iwuy. Là encore nous trouvons un tableau at-
tribué à Carrache ou à son école, La Ste Vierge allaitant l'enfant Jésus,
tableau appartenant à M. Boca, de Valenciennes ; le beau portrait d'un
abbé de l'ordre de Prémontré, par Eustache Restout, à M l'abbé Baron, de
Paris ; une Vanité peinte par Bailly, maître dont on ne connaît que deux
tableaux : celui-ci a été reproduit par Ch. Blanc dans l'histoire des Pein-
tres ; il appartient à M. Tgn. de Goussemaker.
Nous voici maintenant dans une salle toute décorée, ou peu s'en faut, par
176 l'exposition de lille
les tableaux de feu M. Charles-Marie Lenglart, de Lille. Tous sont remar-
quables : signalons surtout cette collection rare d'œuvres représentant ce
beau sujet si souvent choisi par les p:rands artistes : la Sainte Famille, on
bien la Sainte Vierge avec l'Enfant -Jésus.
La Sainte Vierge et r Enfant- Jésus. — Jésus-Enfant dort sur le sein de sa
mère. Attribué au Corrége. Peinture sur bois.
Sainte Famille. — Elle se compose de Jésus-Enfant, Marie, Joseph et
S. Jean-Baptiste. La scène est dans l'intérieur d'un ancien palais ; S.
Joseph monte des marches, au second plan. Tableau sur bois. Même
attribution.
Sainte Famille. — Elle se compose dé la Ste Vierge, de l'Enfant-Jésus
et de S. Jean-Baptiste enfant. Une draperie verte forme le fond de ce ta-
bleau sur toile, qui est attribué à Raphaël.
Marie et V Enfant-Jésus. — Dessin sur parchemin. — Colorié au pointillé,
forme octogonale. Môme attribution.
La Sainte Vierge et l'Enfant-Jésus. — Jésus est sur les genoux de sa
mère : il regarde en dehors du tableau. Attribué à Van Dyck.
La Sainte Vierge et l'Enfant-Jésus. — Marie tient Jésus sur ses genoux.
Il paraît éprouver une grande joie. Peinture sur cuivre attribuée à Jean
Rottenhamer.
La Sainte Famille.— Jésus, Marie, Joseph sont visités par Anne, Jean-
Baptiste et Joachim. Grande variété d'attitude et de sentiments. Tableau
sur bois de Guérard Wigmana.
La Sainte Vierge et l'Enfant-Jésus. — La Mère tient son divin Fils sur
ses genoux : tous deux regardent avec bienveillance le spectateur. Pein-
ture sur bois attribuée à Otto Venius et à Rubens, qui y auraient travaillé
tous deux.
Signalons ensuite ces autres sujets :
Sainte Marie-Madeleine. — Tableau sur bois. La Sainte est en prière,
grotte, vase de parfums, attributs ordinaires. Ecole inconnue.
Tête de saint Jean- Baptiste. — Elle est posée sur une table. Auréole. Il est
nuit; la lumière vient d'une lampe supposée hors du tableau. Toile attri-
buée à Guido Reni.
L'apparition aux saintes Femmes. — Une inscription tracée derrière, sur
la toile, donne ce tableau comme un original de Rubens.
La Samaritaine. — Jé.sus, la Samaritaine, les Apôtres, paysage. Com-
position admirable et ensemble très-animé. Toile attribuée à Nicolas
Poussin.
Dans la même salle, nous remarquons une très-belle Déposition de la
l'exPUSITION de LILLE 177
croix, d'un maître de Técole flamande primitive, appartenant ù M. De-
swarte-Peuvion, Lille. C'est dans cette chapelle en bois sculpte, architec-
ture XVII' siècle, que se trouve ce précieux tableau.
Entrons de nouveau dans la chapelle^ oh nous reviendrons encore bien-
tôt pour d'autres objets d'art, et notons plusieurs peintures dont nous ne
nous sommes pas encore occupés, bien que nous en ayons déjà vu beau-
coup.
Ce grand tableau, où l'on voit les comtesses de Flandre Jeanne et Mar-
guerite, avec des religieuses à genoux, appartient aux hospices de Lille.
Dame Marguerite sœure et unique héritière
De ladicte dame Jeanne confirma et augmenta
Grandement ladicte fondation ;
Et y adjousta aussy
Unne chapelle à riionneur de made S Elisabeth
Patronesse des hospitalières ; et trespassa l'an 1279
Laissant ses enfans héritières de Flandre et Hainau
Bienfaiteurs et protecteurs dudz hospi Recq in Pace
Dame Jeanne comtesse de Flandre et de Haineau
Fille de Baudoin empereur de Constantinople
Espouse de Thomas de Savoye et aupai'avant de
Ferdinand fils du Roy de 1 ortugalle ; fonda cest
Hospital de nostre Dame dict comtesse de l'ordre
De S.Augustin à Lille en l'an : 1236 et mourut
Sans enfans en l'an 1244 : Requiescat in pace
Faict en l'an 1 632 .
Voici une Adoration des Mages, triptyque du XVIe siècle, appartenant à
M. Delaherche. A lui encore appartient le Christ descendu de la Croix,
peint par Quentin Warin, de Beauvais, qui fut le maître de Poussin; et
cet autre diptyque du XVI* siècle, école française.
Voici un autre triptyque appartenant à M. Caulliez-Bigo, de Tour-
coing. Il représente le mariage mystique de Ste Catherine; il est de l'école
flamande, deuxième moitié du XV* siècle. Cet autre, Jésus couronné
d'épines, commencement du XVIP, appartient à M. Lhomme, de Liessies.
Cette adoi-ation des Mages, sur cuivre, à M. Guilmain, est attribuée à
Franck-Floris ; cette autre, même sujet, à M. Benvignat, est une peinture
de l'école allemande, très-riche de coloris et du XVIe sièc'e.
Enfin, dans les deux dernières salles nous trouvons des tableaux remar-
quables exposés par M. Lhomrae, de Liesses, par M. Van der Cruisse de
Waziers, par les Frères des écoles chrétiennes, de Douai ; par M. Dela-
herche, de Beauvais; M. Cachet, de Lille; M. Tesse. de Douai.
Iï« série, tome II. 13
178 l'exposition de lille
Chemin faisant, nous avons pu noter encore quelques œuvres qu'il est
bon de mentionner. C'est ainsi que nous avons remarque Lien des tableaux
exposés par M. Van der Cruisse de Waziers, notamment son .S. François,
du Guide ,• par M. Ozenfant, entre autres son ])eau triptyque reproduisant
riconographie grecque dans tout son éclat, et son curieux Jérôme Bosch ;
par M. Ed. de Coussemaker; par M. Gastelein-Maquet, de Menin, As-
somption signée Ary Scheffer. M. Desmottes et la famille Lambry-Scrive,
de Lille, nous ont aussi donné des choses remarquables dont nous n'a-
vons pas encore fait mention. M. Béthune, de Gand, nous a également
donné d'autres œuvres que celles dont nous avons parlé, par exemple
son charmant petit tableau si mystique , si original , exposé dans la Cha-
pelle; M. Losserand, de Douai, a exposé une curieuse vie de S. Druon, en
13 compartiments ; M. Wavrin, aussi de Douai, a donné plusieurs bons
sujets ; M, Guilmain-Brack s'est distingué par ses tableaux comme par
ses autres œuvres d'art. N'oublions pas les artistes du pays, notamment
le Doncre exposé par M. Asselin ; le Toursel, par M. Lecesne. Jetons en-
core un coup d'œil sur cette intéressante peinture sur agate, à M. Vin-
chon, d'Arras, sur ces peintures russes ou autres à fond d'or, exposées
par M. le général de Bellecourt et par MM. Arnould-Detournay et Curblet.
Plusieurs peintures sur soie, évidemment reproduites d'après un type pri-
mitif (Notre-Dame de LoretteJ, sont aussi fort curieuses à comparer; de
même que plusieurs Sainte Rose de Lima, aussi faites d'après un pre-
mier modèle , exemples frappants du caractère , en quelque sorte officiel
et de convention, que tendent facilement à prendre les sujets populaires
et souvent traités.
Chemin faisant aussi, nous avons remarqué, avec l'attention qu'ils mé-
ritent, les beaux dessins de monuments ou étofï'es, par MM. Aug. Des-
champs de Pas, de Linas, Helbig : le catalogue les a fait connaître avec
plus de détails.
L'abbé E, Van Drival.
(La suite au prochain numéro.)
BIBLIOGRAPHIE
GUIDE DE L'ART CHRÉTIEN, par M. le comte Grimouard de Saint-Laurent.
Le premier volume contient une bonne introduction historique et onze
études d'esthétique proprement dite. Cette science, qui a pour objet de
rechercher et de déterminer les caractères du Beau dans les productions
de la nature et de l'Art, compte en France peu d'adeptes. 11 faudrait du
temps pour démontrer que c'est un tort, et il est à craindre qu'on n'y
réussisse guère pour le moment. D'un autre côté, il faut reconnaître que,
s'il est nécessaire à chacun de se mouvoir dans le sens d'une bonne esthé-
tique, il n'est pas absolument indi>pensablepour chacun d'arriver à pouvoir
expliquer philosophiquement h soi-même et à son prochain, pourquoi et
comment il goûte ou produit le beau. Le principal est de le goûter ou de
le produire. Quiconque y arrive fait dëî l'esthétique sans le savoir, comme
M. Jourdain sa prose.
Voilà pour aujourd'hui, mais ne croyons pas en être quitte pour tou-
jours à si bon maiché. L'étude philosophique du Beau a été très-cultivée
dans plusieurs pays de l'Europe, et en France, par des hommes connus :
Jouffroy, Victor Cousin, M. (Charles Levesque. Il y a là, dans la direction
de nos études, tout un travail d'esprit auquel nous ne devons pas rester
étrangers jusqu'à la fm.
Mais l'esthétique n'est pas la partie capitale du livre dont nous voulons
rendre comple en ce moment. Le travail de M. Grimoûard comprend
VIconologie, qui est une science interprétative et Y Iconographie qui est
surtout une science descriptive, (i .^u point de vue où nous nous sommes
« placés, dit M. Grimoûard, elles sont hées si intimement l'une à l'autre
« que nous ne saurions les séparer, puisqu'il s'agit pour nous tout à la
« fois de connaître les images chrétiennes, de les comprendre et de les
« apprécier pour savoir quand et comment il faut les imiter... Nous consi-
4 dorons les images et toutes les représentations de l'art comme constituant
« une sorte de langage, et l'iconographie, comme étant la science de ce
« langage. » Tel est ce vaste champ d'études dont nous ne pouvons don-
180 niBLIOCTRAÎ'HIK
ner mieux l'idée que par la reproduction du titre des sujets traités, sous
le nom à.' Iconographie générale. Les volumes II et III contiennent les études
suivantes :
Du Nimbe. — Des autres signes symboliques d'un caractère général ;
— Des positions symboliques. — De Dieu. — De la Trinité et de la dis-
tinction des personnes divines. — Type du Christ, d'après les traditions ;
— Type du Christ dans l'Art ; — Vêtements, attributs et emblèmes du
Christ ; — de l'Enfant-Jésus ; — le doux Jésus; — do la Croix ; — Jésus
souffrant ; — Jésus triomphant. — Du type de figure de Marie; — des
vêtements et des attributs de Marie ; — de la Vierge Mère ; — manières
diverses de représenter la Sainte Vierge; — compositions d'ensemble
consacrées à Marie ; — des saints Parents et du saint f]poux de Marie. —
Des Anges en général et de leur hiérarchie; — histoire et fonctions des
Anges; — Des Anges personnellement connus. — Des démons et des
puissances du mal. — De l'âme humaine et des choses qui s'y rapportent.
— De /'Eglise. — Des Vertus. — Des choses morales et sociales. — Des choses
physiques.
Sous le nom d'Iconographie des mystères., le IV^ volume comprend des
Etudes sur : la création ; — la chute et la promesse ; — les figures, la
préparation et l'attente. — Préludes du divin avènement; — Nativité de
Notre-Seigneur; — Mystères de la Sainte-Enfance; — Vie publique de
Notre-Seigneur ; — Prédications de Notre-Seigneur. — Préludes de la
Passion; — la Passion; — de la Résurrection; — de l'Ascension; —
Descente du Saint-Esprit ; — de l'Assomption; — de l'Apocalypse; — des
fins dernières.
Tel est l'ensonible traité par M. Grimoiiard. et qui sera complété
prochainement par un V volume comprenant la caractéristique des
Saints. L'auteur connaît bien les œuvres des peintres, des sculpteurs, des
miniaturistes. 11 est au courant des travaux de ses devanciers. Son livre,
écrit avec conscience et amour, pourra être discuté dans quelques appré-
ciations; mais il apportera certainement aux artistes eL aux archéologues
des renseignements indispensables en même temps qu'une doctrine tou-
jours sûre. Sans vouloir marchander à l'artiste la liberté à laquelle il a
droit, on ne pourra nier le profit que l'artiste retirera à voir comment,
depuis dix-huit siècles, le sujet qu'il traite, a été conçu et rendu par tant
d'hommes éminents. 11 sera aidé par de très-nombreux croquis, qui
seraient tout-à-fait insuffisants pour apprécier la valeur esthétique, mais
qui donnent ce que l'Iconographie demande, c'est-à-dire la composition
du sujet avec l'attitude et les attributs des personnages. A. d'Avril.
CHRONIQUE
Espagne. — Le tableau de saint Antoine, volé dans la cathédrale de
Séville, a été retrouvé. Il avait été offert en vente àun marchand de New-
York par deux Espagnols ; il a été considérablement endommagé.
Angleterre. — The Academy annonce que MM. Edmonston et Douglas
vont publier prochainement, en Angleterre, un fac-similé de la rarissime
collection de 40 planches, gravées par Nicolas Nogenbert, et représentant
la procession du pape Clément Vil, après le couronnement de l'empereur
Charles-Quint, à Bologne, le 1^4 février 1530. Ils y ont joint une introduc-
tion par sir W. Stirling-Maxwell, et de nombreux portraits et dessins de
l'époque.
Nivelles. — Par délibération du Conseil communal de Nivelles (Bel-
gique), en date du 28 octobre, il a été décidé qu'une statue serait élevée,
sur une des places publiques de Nivelles, à la mémoire d'un des enfants
de cette ville, le plus universellement connu : Jean Tinctoris, qui fut au
XV siècle un des premiers maîtres, et qui est resté un des plus grands
théoriciens de l'art musical. Tinctoris a écrit le premier dictionnaire de
musique intitulé : Terminorum rnusices Diffinitorium, qui parut en 1474.
Il naquit en 1435, et mourut vers lo20. Le projet du monument est con-
fié au sculpteur Samain. Ce sera la quatrième statue érigée en Belgique
en riionneur des musiciens : Grétry, Roland de Lassus et Servais en ont
chacun une. {Revue et Gazette musicale).
Jaffa. — Dans le cours de ses recherches en Palestine, M. Clermont-
Ganneau a trouvé à Jaffa un monument intéressant. C'est une dalle de
marbre blanc sur laquelle est gravé au trait un personnage ecclésiastique
posé de face, à la barbe courte, coifîé de la mitre et tenant à gauche la
crosse épiscopale.
182 CHRONIQUE
Il ne reste de cette dalle, qui devait représeaterl'évêque en pied, qu'un
morceau comprenant la moitié gauche de la figure du personnage jusqu'à
la naissance des épaules. Tout autour courait une inscription latine en
lettres médiœvales, formant encadrement. Il n'en reste plus que quelques
mots :... ducentesimo quinquagesimo octavo in festo sanctorum... En resti-
tuant au début le millesimo. qui est certain, on a la date de 1258. C'est le
seul renseignement positif qui, avec la qualité du défunt, ressorte de cette
dalle mutilée.
En présence de ces indications, troi.^ hypothèses ont paru possibles à
M. Glermont-Ganneau : 1° cette dalle a pu êLre, coraine tant d'autres ma-
tériaux de construction, transportée à Jaffa d'une autre ville voisine, siège
d'un évêché, par exemple d'Acre; 2" elle peut recouvrir les restes du titu-
laire d'un autre évêché mort à JaîTa pendant l'occupation franque ; 3° elle
peut appartenir à unévêque de Jaffa même. Mais niVOriens christianus de
Le Quien, ni les Familles d' Outremer de Du Gange ne donnent le nom d'un
évêque, archevêque, abbé ou prieur latin mort on 1238. Reste la troi-
sième conjecture, celle d'un évêque de Jaffa. Elle soulève une question
historique non encore résolue et dont M. Ganneau expose en détail tous
les éléments : Existait-il un évêché à Jaffa pendant les croisades?
Jacques de Vitry, évoque d'Acre, en 1216, dit expressément dans son
Histoire de Jérusalem que la ville de Jaffa n'a pas d'évêque, mais relève
immédiatement des chanoines du Saint-Sépulcre. D'un autre côté, VEs-
toire des Brades Empereur., cité par Le Quien, nomme plusieurs évêques
de Jaffa, de l2o3 à 1374, parmi lesquels Guy de Nimars, mort en 1253
(date qui, par une .dtération de copie, pourrait provenir de 1258 —
MCCLVIII et MGCLIil). Mais certains manuscrits, au lieu de évêque de
Jaffa donnent la leçon ; évêque de Paphe (Paphos en Chypre).
Cependant, en face do ces arguments négatifs, il convient de placer une
lettre du pape Alexandre lil, adressée à Pierre, prieur du Saint-Sépulcre,
d'où il résulte que le roi Amaury avait restitué à l'église de Jaffa son an-
tique dignité de cathédrale, et que le pape, malgré la protestation du
prieur, crut de son devoir de maintenir cette restitution. L'existence de
l'évêchc latin de Jaffa reste néanmoins douteuse. Quoi qu'il en soit, la
date de 1258 nous reporte à six années seulement après l'arrivée de Louis
IX à Jaffa, sous le bailliage de Jean d'IIélin, comte de Jaffa, six ans avant
la prise délinitive de cette ville par le sultan Béi])ars. ■ :
AL de Longpérier a présenté sur le mé.uoire de M. Clerraont-Gannéau
diverses observations qui montrent que l'auteur de la découverte s'est
laissé entraver dans sa recherche par une donnée inexacte. En efï'et, lors-
qu'il avance que la position de la crosse tournée à senestre indique que
CHRONIQUE 183
nous avons aiîaire à un évoque el non ù un abbé crosse et mitre, il fait
allusion à un système qui, dans cette forme absolue, est trop moderne. Il
existe sans doute un très-grand nombre de monuments qui représentent
des abbés tenant leur crosse de la main droite sans qu'on puisse observer
de règle relativement au sens dans lequel est tournée la volute.
En général, l'évèque doit tenir sa crosse de la main gauche afin de con-
server la droite libre pour la bénédiction. Mais on trouve parfois sur des
sceaux la figure d'un évêque tenant sa crosse de la main droite, et d'autre
part, il existe un certain nombre de monuments représentant des abbés
tenant une crosse de la main gauche. Au temps oii a été gravée la pierre
recueillie par M. Ganneau, un abbé pouvait être figuré tenant sa crosse à
gauche.
Ce n'est donc pas seulement dans les listes épiscopales qu'il convient de
chercher le nom du dignitaire ecclésiastique, mort en 1258, dont le mo-
nument vient d'être découvert. Ce n'est pas non plus seulement aux listes
orientales qu'il faut recourir : un évêque ou un abbé mitre, accompagnant
une, armée de croisés, ou venu en pèlerinage, peut a^ v.a- terminé ses jours
en Palestine, sans avoir occupé un siège appartenant à cette contrée. Le
champ des recherches est donc plus vaste que M. Gonneau ne l'a supposé.
D'autres hypothèses d'identification peuvent être proposées. Par con-
séquent, la découverte de M. Ganneau, quelque intérêt qu'elle puisse avoir
pour l'histoire des Croisades, au point de vue des personnages qu'elle
concerne, n'est pas un témoignage absolu sur l'existence d'un évêché à
Jaffa au milieu du XIIP siècle. {Univers.)
Toulouse. — Nous lisons dans la Semaine catholique :
« Le Comité de la st.. Lue de sainte Germaine a traité définitivement
avec MM. Falguière et Pujol pour l'érection du monument. Déjà, quel-
ques ouvriers ont fait les sondages nécessaires (sur la place Saiat-Georgesy
et ces premiers travaux, qui peuvent quelquefois entraîner des modifica-
tions dans les plans adoptés ou dans les dépenses prévues, donnent la cer-
titude que l'on pourra exécuter ce monument dans des conditions qui ne
changeront rien au projet primitif.
. « Notre cité s'enrichira donc d'une œuvre remarquable due à des artistes
qui ont tenu avant tout à donner à leur ville natale une preuve d'attache-
ment, on pourrait ajouter de reconnaissance et de désintéressement. Pour
rendre ce monument plus cher à leurs concitoyens, ils ont appelé à leur
aide des ouvriers ayant l.^ même origine qu'eux et animés des mêmes sen-
timents.
184 CHRONIQUE
((Tout fait espérer que leur travail répondra à ce que l'on doit attendre
des hommes distingués qui en ont dressé le plan.
« Ainsi sera perpétué un événement qui comptera parmi les souvenirs
les plus glorieux de Toulouse ; ainsi s'élèvera sur une de nos places pu-
bliques l'hommage solennel et permanent de la cité tout entière à une
pauvre bergère que l'Eglise a inscrite dans ses diptyques sacrés. »
ivecroLiOGIe:
Dom Guéranger. — L'illustre abbé de Solesmes est mort en son mo-
nastère, le 30 janvier. C'est une perte immense pour la Congrégation qu'il
a fondée, pour l'érudition dont il était une des gloires, pour TEglise qu'il
a si noblement défendue. Toujours sur la brèche, il avait le courage
d'abandonner des études commencées, pour porter ses forces là oii de nou-
veaux périls se déclaraient. Après avoir fait triompher la liturgie romaine
dans toute la France, il a éloquemment revendiqué bs droits du surnaturel
dans l'histoire, et, dans ses derniers temps, il a été l'un des champions les
plus valeureux de l'infaillibilité pontificale. Dom Guéranger avait un
profond sentiment de l'art et une connaissance approfondie des monu-
ments chrétiens. Il a donné des preuves de sa science archéologique dans
sa Notice sur l'abbaye de Solesmes, dans son Histoire de Ste Cécile, dans les
remarques des Institutions liturgiques^ consacrées aux miniatures reli-
gieuses du Moyen-Age, et dans divers articles insérés dans notre Revue.
Ceux qui, comme nous, ont connu intimement l'auteur du Naturalisme
dans l'histoire et de la Monarchie pontificale, n'ont pas seulement à
regretter un des chefs les plus éminents du parti catholique, mais un
homme excellent, dévoué, simple, affable, qui joignait la plus spirituelle
bonhomie à une vaste érudition, un jugement suret fin à des convictions
profondes, une piété tendre et solide à une grande largeur de vues. Dom
Guéranger ne laisse pas seulement après lui des œuvres littéraires; il se
survit encore dans les trois monastères qu'il a fondés. — Solesmes,
Ligugé, Marseille — et dans cette noble Congrégation des Bénédictins de
France qui, marchant sur ses traces, propagent ses doctrines et riva-
lisent avec lui pour la science, la vertu et le dévouement à l'Église.
J. G.
REVUE DE L'ART CHRÉTIEN
PI. in.
ASSYRIE
1 2. Figures eutnques émaillees J.horsatad. 5,^A6,Z Bijo^ W^^^^^^^^^
id D'aVres M V PIace._ Bracelet d'AssuTkmpal. D'après m has-relief duLouvre.
LES OKIGINES
DE L'ORFÈVRERIE CLOISONNÉE
TROISlEMIi: AKTICLE "^
III. — Les Assyro-chaldéens.
Les contrées environnées par l'Euplirate et le Tigre furent ha-
bitées de très-bonne heure. Nous y trouvons d'abord au sud la
race chamite, dont Nerarod, fils de Koush, vigoureux chasseur
devant l'Eternel selon les termes de la Bible, est l'expression
caractéristique. Nenirod régna sur Babel (Bab-ilu, Babjlone),
Erech (Orchoë, Wnrka), Akad et Calné, au pays de Shinar (Sen-
naar, Naharaïn des anciens Sémites, Mésopotamie des Grecs).
Parallèlement aux Koushites existait entre les rives des deux
fleuves un autre élément considérable de population issu du ra-
meau touranien ; Soumirs et Accads sont les noms que les ins-
criptions attribuent aux Koushites et aux Touraniens de la Mé-
sopotamie, sans que l'état actuel de la science permette d'en faire
une application rigoureuse. Un troisième, l'élément sémite re-
présenté par Assur (Ashour), remonta le Tigre (Diglat) et bâtit
Ninive (Ninua), Kalah (Calach, Nimroud), enfin Resen {Séla-
miyeh), alors la plus grande ville du nouvel état, dont cependant
El-Assur (EUassar, Kha.la.h-Shergha.t) dut être la première ca-
pitale '.
* Voir le niiinôrn i.r('""t!(leiu, p '.iil.
^ Genèse, X, 'J, lu, 11, \'. I'\ Leuonuunl, Mytmiel d'histoire ancienne de l'Orient,
IT« série, tomi- II. 14
18G onicix;:? nr. [/orjKViunin-: (\'.oisox.\Éi:
Malgré la divci'sitc Je races, Assyriens et Babyloniens, usant
d'un système graplii([ue eonniiun, récriture cunéifornie ana-
rienne, finirent par avoir un idiome commun ; ils adoraient à
peu près les mômes dieux^ et leur esthéticpie ne différait guère. Ne
m'occupant ici que d'un arl^ industriel, j'ai cru pouvoir com-
prendre sous une dénomination unique, les Assyro-clialdéens,
deux empires rivaux, tantôt unis, tantôt séparés, mais dont l'un
clierclia toujours à soumettre l'autre.
Placée dans une situation géographique aussi avantageuse que
celle de l'Egypte^ la Mésopotamie fit naturellement concurrence
à cette dernière pour la domination de l'Asie occidentale. Chaque
fois qu'un pharaon énergique gouverna la terre de Mitsraïm, il
voulut asservir la Mésopotamie ; réciproquement aussi, dès qu'un
pouvoir fort surgissait à Ninive ou à Babylone, il tentait de
conquérir l'Egypte. Une loi inévitable, dit M. F. Lenormant ,
semblait interdire la coexistence des deux rivales '.
Si la civilisation de Babylone n'obtient pas la priorité sur celle
de Memphis, leur contemporanéité du moins ne peut être mise en
doute. Malheureusement, tandis que l'Egypte conservait à travers
les siècles, dans ses tombes inviolées, un dépôt de bijoux de toute
espèce, les fouilles de Ninive et de Babylone n'ont encore exhumé
que des joyaux insignifiants. Bien mieux, les historiens comme
les inscriptions jusqu'ici découvertes restent muets quant aux
ouvrages d'orfèvrerie des Assyro-chaldéens primitifs, et il faut
descendre à une époque relativement moderne (le XIIP siècle
avant J.-C. pour Ninive, le VHP pour Babylone) avant de ren-
contrer des textes ou des monuments figurés qui puissent nous
initier au travail des métaux précieux associés aux gemmes dans
les pays situés entre l'Euphrate et le Tigre.
G" éd., t. II, 1. 'i, I". 1. J. Menant, Annales des rois d' /ssi/rie, in-8°, Paris, 1874;
Bdhijlune et la Chaldve, in-8^, Paris, 1875. Je prendrai souvent pour guide ces
deux derniers ouvrages où se trouve un exposé complet de l'état actuel de l'assy-
rioiogie.
^ Lor. cit.
ORIGIiNES DE l'ûRFÉVRERIE CLOISONNÉE 187
Antérieure àXinive, Babvloneliii survécut néanmoins pendant
de longues années. Quoi qu'il en soit^ la cité du Tigre aura ici le
pas sur la reine de TEuphrate : devant l'objectif que je pour-
suis, ses textes remontent plus haut et ses monuments figurés,
beaucoup plus nombreux, offrent des types favorables à mes
recherclies.
Une tablette de Sennacliérib nous apprend que le roi Tuklat-
Samdan (1270 avant J.-C.) possédait un sceau gravé en pierre
za mat qui fut enlevé par les Chaldéens et transporté à Babylone.
TQklat-Samdan, roi des nations, fils de Salman-Asar, roi du pays
d'Assur.a conquis le pays de Kar-Dunias. Si quelqu'un détruit mon écri-
ture et mon sceau, Assur et Bin feront disparaître son nom de ces con-
trées Ceci était écrit sur le sceau en pierre za mat. Ce sceau fut enlevé
du pays d'Assur et d\\kkad pendant une guerre; moi Sin-akb-irib, roi du
pays d'Assur, après 600 ans, j'ai conquis Bab-ilu et j'ai enlevé ce sceau
du trésor de Bab-ilu.
On le voit, lu formule d'anathème tracée sur nos manuscrits du
Moyen- Age date de loin.
Franchissons uiaintenant un siècle et demi pour atteindre
Tuklat-pal-Asar (vers 1130 avant J.-C). Les prismes trouvés
par M. Layard dans les fondations du palais de ce roi, à EUassar,
mentionnent de l'or, de l'argent, des trésors sans nombre, enlevés
aux habitants de Khummuk (Comagène), de Khatti (Syrie) et à
d'autres peuples voisins. Tuklat-pal-Asar fit tailler à Soubeneh-
Sou, en Arménie, un bas-relief où apparaît son image à côté d'une
inscription coramémorative. Cette sculpture, la plus ancienne
que l'art assyrien nous ait transmise jusqu'à présent, fut décou-
verte par M. Jones Taylor et un estampage en a été envoyé au
Musée Britannique ' .
Une autre inscription, qui, d'après Sir H. Rawlinson, concer-
nerait Tuklat-pal-Asar, indique des relations amicales avec
l'Egypte.
' ,T. Mt''ii:mt. /nnales des rois <i' liftjrie. p. 28. 33, o()à4l, 49.
188 ORIGINES DL' L'ORFÉVilERIi: CLOISONNÉE
Le roi du pays de Miisri (.Mitsraini) lui a envoyé coiniue présent un
crocodile (namsukh) et des uiinni de la Graiide-iVIer; il distribua aux hom-
mes de son pays les ummi ainsi que les oiseaux du ciel dont le nom est
célèbre '.
La statue d'Assur-nasir-habal (88"2 avant J.-C), seule image
en ronde-bosse des monarques assyriens qui nous soit parvenue,
a été exhumée par M. Layard dans les restes d'un des palais situés
à Fangle N.-O. de l'enceinte royale de Nimroud. Le personnage,
debout, tient de la main droite un crochet à long manche (fau-
cille?) dont la volu e est gemmée; sa main gauche serre une
courte épée. Il est tête nue, sans autres bijoux qu'un bracelet
à médaillon; une inscription sur la poitrine simule un pectoral.
statue du roi Assnr-nasir-habal (Britisli'Mmeum).
' 1(1., ^hi,i., j). 50, r>l
ÛRfCtlNES DE l'orfèvrerie CLOISONNÉE 189
Différents textes du même prince consignent également les
métaux précieux et les joyaux^ fruits de ses expéditions victo-
rieuses ; mais les lignes qui suivent pourraient bien avoir trait à
l'incrustation : il s'agit d'un temple élevé au dieu Adar, à Ka-
lah.
J'ai fait l'image du dieu Adar, sans égal devant lui, j'ai consacré,
dans la piété de mon ca^ur, le taureau sacré de sa grande divinité sur des
tables en marbre des montagnes et en or pur \
Cette courte indication me rappelle l'Apis d'or incrusté sur
champ bleu dont j"ai parlé à l'article Egypte ; seulement le tau-
reau assyrien devait avoir des proportions moins exiguës.
Le nom de Salman-Asar, fils et successeur d'Assur-nasir-habal
(857 av. J.-C), n'est pas inscrit dans la Bible, quoique des rela-
tions étroites lussent alors étal)lies entre les Juifs et l'Assyrie.
Comme son père, Salman-Asar mena une existence toute guerrière
qui lui valut d'immenses trésors. L'un des cinq, bas-reliefs de l'o-
bélisque en basalte noir trouvé à Ximroud représente le monarque
vainqueur recevant les hommages de Jéhu, roi d'Israël, pros-
terné à ses pieds. On lit au l^as :
Tributs impusés à Yaua (Jéhu), fils de Khumri (Omri) ; de l'argent,
de l'or, des patéres en or, des zakat eu or, des coupes en or, des armes
qui sont la main des rois.
Jéliu dov.iiU Sulnniu-A^iiv {lirilish-Musi'iini).
« Grande inscription du pavé dun jjalais de Nimroud et stèle Cdininémorative;
Id., ibid.. p. 60, '->, 73, 76 à 79, 8": à 84, 86 à 90, 93.
190 ORIGINES DE l'ORFÉVIîERIE CLOISONNÉE
Le disque ailé qui plane au-dessus de la scène offre une grande
analogie technique avec les éperviers et les vautours égyptiens.
Il n'y aurait pas à s'en étonner, car la contribution exigée du pays
de Musri est enregistrée immédiatement après le tribut israëlite.
Je ne dois pas oublier un minéral précieux, le zamat, demandé
à la Syrie avec l'or, l'argent, le fer et le cuivre ' .
Salmau-Asar figure encore sur une stèle ; il a des bracelets et
un collier à pendants.
_jJAnM\N
Salman-Asar (British-Miiscain).
Les annales des rois qui viennent après Salman-Asar ne con-
tiennent aucun détail ])lus explicite relativement à l'orfèvrerie
' ()bélis(|ue,stMi; du linlis/i-lilusnnn, lauroaiix du palais; Id.. il)id., p. '.)('), 101
à ID'.I, -11-2, ll'i. — (( au pavs de Patid, :î talents d'or, KH) talents d'argent, oOO
talcals de ler 20 talents de znniu/, 1/2 talent d'or, \/l ta'ent de zuniat or,
argent, cuivre, fer, 20 talents de zama/. » P. 108 et luU.
ORIGINES DE l'oRFÉVREKIE CLOISONNÉE 191
Cependant une inscription du palais d'un second Tuklat-pal-Asar
(le Tiglat-Pileser 10ïib3 nbin de la Bible, 744 avant J.-C.) men-
tionne pour la première fois le khesbet^ non comme matière
incrustable^ mais comme couleur de peintre : « J'ai trituré comme
du kliesbet le pays de Bit-Silani. » Il y est aussi question de pier-
reries ' . La dynastie sargonide va enfin nous fournir des rensei-
gnements précis.
Lorsque Sargon [Sar-kin TilO, 721 avant J.-C.) parvint
au trône, il résidait à Calach, et la Ninive des premiers âges
tombait en ruines. A 16 kilomètres au nord de Mossoul, sur
l'emplacement actuel du village de Khorsabad, Sargon fit cons-
truire une nouvelle capitale, Dur-Sar-ltin, et un palais dont le
décor (it les insL'ri})tious appartiennent exclusivement à son règne.
A un Français, M. Butta, revient l'honneur d'avoir découvert
ces ruines -.
i-a longue inscription des Annales s'en tient d'abord à des ter-
mes généraux quant aux matières précieuses enlevées aux vain-
cus ■'' ; à l'article des palais, elle devient catégorique.
J'iii bâti dans la ville des palais. — J"ai disposé les (lacune) sur des
tables en or, en argent, en cuivre, en pierres vi/fpi, en pierres paru, en
pierres (lacune); j'ai sculpté 8 lions doubles entre les portes pesant 6 (la-
cune), des rosaces, à la gloire de la Grande Déesse (lacune); ]W placé 64
A7<A;<r de matériaux provenant du n.ont Amanus au milieu des Nirgali,
j'ai consolidé les portes avec des timmi (pieires angulaires), j'ai fait au
dehors des animaux des champs, des animaux ailés, je les ai sculptés
dans la pierre des montai?nes. — J"ai constiuit les portes avec de grandes
pierres de marbre. ■" J'ai sculpté leurs surfaces pour l'admiration des
hommes.— J'ai présenté à Aesur, aitisi qu'aux déesses qui habitent le pays
d'Assur, des œuvres ciselées en ari;ent pur, ôq^ bijoux de poids en grand
nomhre. — (le palais renferme de l'or, de l'arcent, des vases en or et
en argent, des pierres précieuses, des pierres travaillées des
perles (?j *
^ Id., /7)(/ , j). 139. « Pierres s:li, lùerres produits Je la mci' », p. li'i.
- Iiî.. n,/</., [). 152 et sq.
3 Id., U/nl., p. 163, 160, 168 à 171, 176, 17:.
' kl.. ,7;,,/.. |,. 178, IT'.K
192 OHKilNES DE l'oRFÉVRERIK CLOISONNÉE
L'inscription des Fastes complète la précédente.
Je me suis rendu à Bab-ilu aux sanctuaires do Bel et j'ai par-
couru le palais des redevances. J'y ai entassé lo4 talents, 26 raines, 10
drachmes d'or himirsu ». 1804 talents, 20 mines d'argent, de l'ivoire, des
couleurs variées des pierres ka, du cuivre, des pierres pi, muhhu-di-
gili, du. pi laminé, du siru... -
J'ai bâti dans la ville des palais. — J'ai disposé leur dunnu sur des
plaques en or, en argent, en pierre tik^i^ en pierres lisses, ornées de cou-
leurs faites avec de l'étain, du fer, de l'antimoine, des khibisti {\i\w,?,hei,
lapis-lazuli) mélangés. J'ai écrit dessus la gloire des dieux j'ai entouré
avec des briques émaillées les poutres de pin et de lentisque j'ai dis-
posé entre les portes 8 lions doubles et des (briques) émaillées j'ai
sculpté avec art des pierres de la montagne. — J'ai présenté à Assur des
vases en verre, des objets eu argent ciselé, en ivoire, des bijoux pesants.
— J'ai ordonné de déposer (dans mon palais) de l'or, de l'argent, des
vases en or et en argent, des pierres précieuses, des couleurs, du fer, des
produits considérables des mines des perles •'.
Les autres inscriptions ne nous en apprennent pas davantage,
mais celles, à qui j'ai intentionnellement emprunté de longs pas-
sages établissent trois faits importants : T une distinction tran-
chée entre les diverses pierres destinées à la joaillerie, à la sculp-
* Serait-ce Vavnun obrpzum^ oêpui^ov ?
- Id., ibiil., p. 189.
^ Id., ibid., p. 190, 191. Voici la transcription d'un passage caractéristique telle
que me l'a envoyée M. Menant :
Kirbussu ahni va eli vmsdrrii hmasi, htspi, siipri, abni mitpie^
In ea aîdificavi et super tabulas auri, argenti, cupri, lapidis niitpie»
abni pnruluv, eri nnna, })iirxi!ii a au kfiibisli
lapidis parutur, coloribus stanneis, ferreis stibinis et lai)idis lazuli
is da-nu-sun addi va li-ta-sun ii kin-va. Gusuri erini
t$ eorum stravi et lila eorum collocavi. Trabes cedrinas
rabi eli sun u satrizn zuhdi siirvan, vinsnkkanl
magnas super eis disposai columnas ex ciipressu, et lentisco
7nisir urvdn naviri u rnkkis, vn iintllu
corona rosis aheneis spleiidentibus ciiixi, l't syinelrice
uiiih fiini.
coiupaiavi iiiterstilia ('(nuiii.
ORIGINES DE l'ORFÉVRERIE CLOISONNÉE 193
ture ou à rarchitecture ; 2° Temploi des briques émaillées ; 3° un
dunnu disposé sur des plaques d'or, d'argent, de pierres polies,
rehaussées de couleurs métalliques et de lapis, où Ton avait écrit
la gloire des dieux.
Que pouvait être le dunnu ?
Dans les fondations du palais de Khorsabad, M. V. Place a
rencontré des tablettes votives en métal et en pierre couvertes
d'inscriptions tracées à la pointe ; sur une tablette d'or, on lit :
J'ai écrit la gloire de mon nom sur des tables en or, en argent, en
bronze, en plomb, en ctain, en marbre et en albâtre et je les ai déposées
dans les fondations du palais. *
Il y a ici beaucoup à réfléchir ; l'identité presque absolue des
matières spécifiées avec les objets découverts en nature et la
plupart des substances colorantes que mentionne l'inscription des
Fastes porterait à soupçonner dans cette dernière une erreur de
traduction. Je pense qu'il n'en est rien ; roinission, sur la ta-
blette d'or, du khesbet, mot trop caractéristique pour qu'on s'y
trompe, l'absence de toute couleur artificielle sur les monuments
originaux, empêchent de confondre les tables votives de Sargon
avec le dunnu de ses palais. D'ailleurs, un usage fréquent chez
les monarques assyriens était d'accompagner les effigies royales
ou divines de légendes à formules laudatives glorifiant le prince
et le dieu ; au contraire le prince seul est rappelé lorsqu'il s'agit
de textes commémoratifs cachés à dessein dans les fondations d'un
édifice. Pour preuve de ce que j'avance, voici une inscription de
Sennachérib qui reproduit en d'autres termes l'idée de Sargon :
J'ai écrit des inscriptions avec la mention de mon nom et je les ai
déposées en plusieurs exemplaires dans les soubassements. -
' J. Menant, ouv. cité, p. l'.J8. V. Place, IVinive et I Assijrie, pi. 77, in-fol.,
Paris, I8tj7. Ces plaques sont en or, en argent, en cuivre et en plomb.
• J. Menant, ouv. cité, Assur-nasir-habal. « En ce temps là, j'ai fait faire
l'image de ma figure, j'y ait écrit le récit de mes exploits. » P. 71. « J'ai fait faire
194 ORIGINES DE l'orFÉVRERIE CLOISONNÉE
A mon avis le dunnu semblerait être un sujet à léo:endes, in-
crusté, peint, émaillé (?) sur plaques de métal ou de pierre polie.
L'examen des l)riques vernissées de Khorsabad et d'un pectoral
sculpté, dont je m'occuperai plus loin, donnera peut-être quelque
valeur à mon hypothèse ; nous retrouverons aussi dans l'Inde
antique des ouvrages analogues.
Fils et successeur de Sargon, Sennachérib (Sin-ahhi-erib, 704
avant J.-C), le terrible ennemi du peuple Juif, abandonna la
ville paternelle pour l'ancienne capitale de l'Assyrie à laquelle il
rendit sa première splendeur. Ninive restaurée lui dut deux ma-
gnifique palais, situés, Tun à Textrémité méridionale, l'autre à
1 kilomètre environ deKoyoundjik ; MM. Layard, Place et Ivas-
sam en ont déblayé une p;irrie. Les inscriptions de Sennachérib
fournissent peu de renseignements au sujet de l'orfèvrerie : — il
dessina des rosaces éblouissantes et les disposa avec art ; — il orna
les poutres de rosaces et les distiibua symétriquement dans les
interstices. — On n'en trouve i)as davantage. LTn bas-relief du
palais de Koyuundjik montre Sennachérib à Lachis [iS'^'zb ville
de Judée entre Jérusalem et la mer). Le roi, assis sur son trône et
entouré de captifs prosternés, a pour coifiure une i-iche tiare co-
nique.
l'image de ma royauté, j'y ai inscrit ma gloire et le récit de mes exploits, je l'ai
fait placer dans l'intérieur de mon palais, j'ai fait des tables pour raconter mes
exploits, je les ai fait graver et je les ai placées dans mon palais à l'intérieur de
la grande porte. » P. 73. « J'ai fait faire une image de ma figure en marbre, j'y
ai inscrit le ré(;it de mes exploits. » P. 7'i. Salraan-Asar. « J'ai fait fiùre l'image de
ma royauté, j'y ai fait graver la gloire d'Assur mon maitre, le récit de mes exploits
et tout ce que j'avais fait dans le pays. » P. 'J'J. « J'ai fait faire l'image de ma
royauté, j'ai écrit dessus la gloire d'Assur, le grand seigneur, mon seigneur. »
P. 1 1 0 et i 11 . Sar-kin . « J'ai fait faire une image de ma royauté, j'y ai fait inscrire
la <;loire d'Assur et je l'ai élevée au milieude la ville d'Izirti. » P. IG'i. Sin-akhi-
erib. « J'ai fait faire l'image des grands dieux, mes seigneurs, j'ai fait graver
l'image de mu royauté j'ai fait sculpter au-dessus l'image de la déesse qui
habile au milieu de Niiuia. » P. 237. Assur-aklii-i<lin « J"ai n-stauré les images
(des dieux du pays d'Aribi) j'y ai fait écrire la louange d'Assui' et la gloire de
mon nom. » P. 2i3. — P. "229.
ORIGINES DE L ORFÈVRERIE CLOISONNÉE
195
Sennachérib à Lachis.
On lit au-dessus
Sin-akhi-irib, roi des légions, roi du pays d'Assur, assis sur le trône
de la justice, reçoit les triljuts des captifs de la ville de Lakisu '.
Les annales des derniers Sargonides, Assarhaddon (Assur-aklii-
idin, 680 av. J.-C), Assur-bani-pal (669 av. J.-C.)^ Assur-
edil-ili, sous le règne duquel s'évanouit comme un rêve le for-
midable empire d'Assyrie^ n'oftrent aucun nouAeau détail inté-
ressant nos recherches .
' J. Menant, ouv. cité, p. 211 et sq., 224, 231, 233. — P. 214. — Tune misit
Ezechias rex Juda nuncios ad regem Assyriorum in Lachis. rlicens : peccavi, re-
cède a me : et ouine quod iinposucris mihi, feram. Indixit ituqiie rex Assyriorum
Ezecliic. régi Jiid;c trecenta talenta argenti et triginta taleiita auri. Deditque
Ezechias omne argentiim quod repeitnm fuerat in domo Domini et in thesauris
régis. IV Urg.^ WIJI, l'i,i5.
196 ORIGINES DE I/ORFEVRERIE CLOISONNÉE
L'usage des métaux précieux en Clialdée remonte à la plus
haute antiqnité. L'or et l'argent sont mentionnés dans le célèbre
récit du Déluge conservé au Musée Britannique et traduit par M.
G. Smith '. Plusieurs inscriptions babyloniennes (15 à *20 siècles
avant notre ère) rappellent des œuvres de ciselure " ; toutefois,
de Mérodach-Baladan {Marduk-bcil-idin. pi^î^-^ni^n'S, 721
avant J.-C), ce vigoureux champion de l'indépendance chal-
déenne contre les dominateurs assyriens, datent les premières in-
dications précises sur l'orfèvrerie à Babylone. Les textes de Sar-
gon et de Sennachérib enregistrent : « le passu?" en argent, le
trône en argent, le parasol en argent, le nirmaktu en argent, les
insignes royaux d'un prix considérable; — le sceptre d'or, le
jmmr en or, le parasol en or, les iidani en or et en argent; — les
pierreries; — les vases d'or et d'argent; — les chars d'argent, les
poignards dont les poignées et les fourreaux sont en or ; — les
bracelets splendides en or, les anneaux en or ; » provenant de
Mérodach-Baladan ou de son armée vaincue ^
Assur-bani-pal a laissé un document fort curieux relativement
à l'orfèvrerie cloisonnée chez les Assyro-chaldéens; muettes sur
cette industrie à Ninive, les archives du lils d'Assarliaddon sont
assez explicites quant à Babylone. Ici je cède la parole à M. F.
Lenormant; je ne saurais dire aussi bien.
« Pour ce qui est du culte ehaldéo-assyrien, nous savons posi-
tivement par quelques textes que les statues de pierre ou de mé-
tal, placées dans les sanctuaires des temples et représentant les
grands dieux, ('talent couvertes de vêtements et d'ornements d'or
ou d'argent enrichis de pierres précieuses, offrandes de la piété
des rois, que leur poids rendait nécessairement lixes, et que, par-
dessus, on pla(;ait des vêtements d'étoffe et des bijonx mobiles qui
se mettaient ou s'ôtaient dans diverses cérémonies. Le document
' J. Menant, li^bfjJoue cf. la Chaldée, p. T), in-S», Paris, 1875.
' Statues recoLi vertes d'or ; id., ibnl., \). ! 15.
' Id., ihid. p. 151. ir)(i, 159, 1G5, IGG. t<i«. d>s rois d\iss;/'ic, p. 173, 17-^, 175,
215, 223, 226, 233.
ORIGINES DE l'ORFÉVRERIE CLOISONNÉE 197
capital à ce sujet, principalement en ce qui se ra})[)Oi"te aux dra-
peries de métaux précieux i)osées à demeure, est une tablette,
malheureusement mutilée, d'Assur-bani-pal, dont M. Fox Talbot
a le premier signalé le sujet. Le roi y énumère les offrandes ma-
gnifiques qu'il fit dans plusieurs des temples de Babylone en sa
qualité de roi de cette ville, sans doute à Fépoque où, pour bien
établir ses droits de suzeraineté, il y fit acte de souverain direct,
après avoir dompté la grande révolte de son frère Samul-Mukin
[Saluinrnu-khi] . La partie la mieux conservée, la seule qu'on
puisse lire avec suite, parle des vêtements d'or qu'il fit exécuter
pour les statues de Bel-Marduk et de Zarpanit dans la pyramide
de la cité royale de Babylone [Bit-Saggatu], afin de remplacer des
ornements antérieurement brûlés sans doute dans le sac et l'in-
cendie de la grande cité clialdéenne par Sin-akhi-irib Le
début en est malheureusement très-mutilé, et le sens ne peut en
être suivi dans son entier sans interruption.
Je dis. Le dieu Mardak du Bit-Saggatu de Babylone (dieu), très-
grand.... leurs.... élevés de Babylone... brûla sou Marduk de Babylone...
sa face il a fait... Marduk... J'ai donné 4 talents (d'or) pour le vêtement
de Marduk et de Zarpanit, je les ai revêtus du vêtement grand, du vête-
ment d'or, Marduk et Zarpanit, je les ai revêtus. Du marbre de l'orient,
de la pierre Aa..., de la pierre œil de zatu, de la pierre zata sutru, de la
pierre oreille de zatu^ de la pierre zatu nichai, de la pierre appelée yeux
de Meluchka, de l'albâtre, de la pierre zallakru, dix pierres précieuses
dont la renommée est grande, je les ai données pour lu statue de Marduk
et de Zarpanit. J'ai orné les vêtements d'étoffes de leurs grandes divinités.
Les tiares aux cornes élevées, les tiares de domination, insignes de la
divinité pour compléter leur costume.
« La liste des pierres énumérées comme ayant servi à orner
les statues de Marduk et de Zarpanit ne comprend que neuf noms,
bien que la phrase suivante parle de dix espèces, il y en a sans
doute un d'omis par le scribe. Les deux pierres dont les noms,
certainement idéographiques, s'écrivent, l'un par les caractères
2a-?)ia^, l'autre par ceux qui signifient lumière grande, ^owIIq
marbre et l'albritre,... Le reste rentre dans la catégorie desjaspes;
498 ORIGINES DE l'ORFÉVRERïE CLOISONNÉE
ce ne sont donc pas des gemmes proprement dites. Il est probable
quVdîc::' 'taient destinées à faire des plaquettes découpées qui,
serties dans For, comme des pierres analogues ou des pâtes de
verre opaque les imitant sur un certain nombre de bijoux asiati-
ques et égyptiens que conservent nos musées, décoraient les vête-
ments des images divines en y simulant des dessins ou des brode-
ries. Ces vêtements étaient appliqués sur des statues de grande
dimension à en juger parle poids considérable de 4 talents d'or
(12-2 kil. 600 gr., s'il s'agit de talents faibles, 245 kil. 200 gr.,
s'il s'agit de talents de la série forte) qu'on y avait employés ' . »
L'énumération des offrandes royales se poursuivait sur les au-
tres colonnes ; malheureusement il en reste très-peu de mots qui
seront utilisés ailleurs.
A l'heure où j'ai formé mon opinion sur le dunnu ', j'ignorais
que M. F. Lenormant eût déjà traité un point analogue. Je suis
heureux de voir une haute capacité scientifique partager, sans
entente préalable, un avis timidement risqué à l'état d'hypothèse
mais que l'analyse comparée des monuments changera, je l'espère,
en réalité palpable.
Examinons maintenant les textes des souverains chaldéens qui
régnèrent en Mésopotamie après la chute de Ninive.
ce L'Euphvate (Purat), dit M. Menant, a un développement im-
mense. Au-dessus de Babylone, il touche à la Syrie, il pénètre dans
l'Asie-Mineure par l'une de ses branches, il exploite l'Arménie par
les autres et reçoit les produits des contrées montueuses qui bor-
' Essai de commenlaire des fragmenls cos7no(/oniques de Bérose, p. 4'i3 à 455.
J'ai naturellement supprimé dans cette citation tout ce qui appartenait à la philo-
logie pure.
2 « Dinnu est constamment employé dans les contrats privés avec le sens de
deile ; la din pourrait donc signifier; sans le devoir ; sansrj être obligé ; librement;
ce serait une expression analogiu^au vofum solvit. Ivhens merito des inscriptions la-
tines. » F. Lenormant, ouv. cité, p. 455. Si dimm et dunnu sont le même mot —
les assyriologues ne tombint pas toujours d'accord sur la valeur des voyelles et
même des consonnes — il représenterait alors une olliande rendue obligatoire
par un engagement solennel, un ex-voto.
ORIPtINES de l'orfèvrerie CLOISONNÉb: J99
dent le Font-Eiixin. Au-dessous de Babylone, il communique
avec rOcéun par un cours tranquille accessible à la navigation
du Golfe Persique^ le centre le plus actif du commerce de cette
grande phase de la civilisation. Aussi, lorsque le moment fut ve-
nu où l'empire assjro-chaldéen dut atteindre son plus grand dé-
veloppement, ce ne fut point Ninive qui devint la reine du
monde, mais Babylone qui, vaincue et saccagée, resta cependant
la capitale du grand empire de Chaldée. Babylone devint pour
ainsi dire à cette époque une ville nouvelle. A part quelques
traces des restaurations d'Assarhaddon, on ne rencontre rien qui
rappelle la ville antique, et Nabuchodonosor parait en être le vé-
ritable fondateur '. »
Au nord de la cité royale, entre TEuplirate et la route de
Bagdad à Hillali, apparaît une ruine gigantesque qui porte au-
jourd'hui le nom de Babil. Ses décombres interrogés ont mis en
lumière des briques estampées au nom de Nabuchodonosor; aucun
document antérieur à ce prince ne s'est révélé. Beaucoup d'hypo-
thèses émises sur Babil n'ont pas suffisamment éclairci son ori-
gine, mais sa destination est parfaitement connue : Babil est dé-
signé dans les textes antiques par le nom de Blt-Saggatu.
Le Bit-Saggatu, nous l'avons vu tout à l'heure, était un tem-
ple consacré au dieu Marduk et qui renfermait outre la coupole
des Oracles, séjour de l'idole, un sanctuaire particulier consacré
il son épouse, Mylitta-Zarpanit, la Délephat des Grecs. Les ins-
criptions des rois d'Assyrie parlent souvent de ce temple qui avait
une grande célébrité, et dans lequel, après Assur-bani-pal, Na-
buchodonosor va nous introduire de nouveau.
Nabu-kudur-usur, l^msiSS (604 avant J.-C), fils de Nabopo-
lassar (Nabu-pal-ussur) fondateur du dernier royaume de Chal-
dée, est un per:onnage trop connu pour réclamer ici le moindre
* Babylone et la ChaUée, p. 170.
200 oriitIxes dk l'orfkvrerik cloisonner
renseignement biugraphi({ue. Une longue inscription, gravée sur
le bloc de bas:ilte noir qui est passé au Brltish-MiLseum avec les
collections de la Compagnie des Indes, rappelle ainsi les trésors
conquis et les offrandes faites aux dieux par le destructeur de Jé-
rusalem.
J'ai amassé dans Bab-ilu de l'argent, de ror, des métaux précieux,
de l'émail (e-ra-a), * des pierres des montagnes, des pierres de la mer, un
trésor considérable et digne d'envie.
J'ai restauré dans le Bit-Saggatu, le grand temple de la souveraineté,
le sanctuaire des oracles où repose Marduk, le Maître des Dieux. J'ai
élevé sa coupole comme une fleur, je l'ai revêtue d'or travaillé, pour qu'elle
resplendisse comme le jour et j'ai couvert le haut du temple avec des
pierres, du cuivre et du plomb.
L'autel des Destinées se trouvait à la Haute-Colline, où se pronon-
çaient les oracles, en dehors de la ville, je Fai transporté dans les, Zakmu
Ku... Cet aulel, l'autel de la souveraineté du Maître des Dieux, du sublime
Marduk, avait été construit en or et en argent resplendissant par un roi
antérieur, je l'ai fait recouvrir d'or pur d'un poids considérable. J'ai fait
ciseler les vases sacrés en or du Bit-Saggatu, j'ai fait incruster du verre ^
et des pierres précieuses dans le sanctuaire de Marduk et je l'ai fait bril-
ler comme les étoiles du ciel.
J'ai recouvert avec de l'or brillant les énormes poutres de cyprès qui
forment la charpente du sanctuaire des Oracles, les poutres inférieures
* M. Menant justifie ainsi sa traduction: « On peut rapprocher e-ra-a du chal-
déen S1Ï? qui signifie littéralement recouvrir d'une matière gluante. Les bncpies
vernissées ou émaillées, qu'on trouve dans les ruines, sont enduites d'une couche
épaisse de 0" 002'" de matière appliquée à froid à l'aide d'un pinceau et ensuite
soumise à la cuisson. La signification est, comme vous le voyez, un peu forcée,
elle résulte du sens général et paraît commandée par la présence de briques de
cette nature dans les ruines et l'absence de tout autre terme pour les désigner en
assyrien. » Le/ ire du 1 1 lévrier 1875.
' « Le terme assyrien que j'ai traduit par verre est écrit za-ri-ri, mais il n'y a
rien de moins certain. La présence du verre dans les ruines, combinée avec le
sens de la phrase, conduit seule à cette tiaduction. Le mot suivant est aban
(pierre), qui doit s'entendre des pierres précieuses comme dans d'autres passages
analogues. Tout cela hrill<' connue des étoiles. M. Norris traduit zariri aban par
statues de pierre, mais je ne m'explique pas — ni moi non plus — que les statues
de pierre puissent briller comme des éloiles. v J. Menant, Lettre citée.
ORIGINES DE L ORFÈVRERIE CLOISONNÉE 201
ont été incrustées avec de l'or, de l'argent, des pierres précieuses et des
métaux.
Barsippa est la ville où l'on adore le Iloi des Dieux, je l'ai ornée, j'y
ai fait construire le Bit-Zida, sa demeure éternelle. J'en ai achevé la ma-
gniticence avecî de l'or, de l'argent, des métaux, des pierres, des briques
vernissées... J'ai recouvert avec de l'or la charpente du sanctuaire où
repose le dieu Nabu... J'ai incrusté avec de l'ivoire la colonnade de la
porte du sanctuaire du repos, le seuil, les linteaux... J'ai splendidement
orné l'entrée du sanctuaire du repos et le pourtour du temple avec des
briques de différentes couleurs.
J'ai fait resplendir comme un rayon de soleil le Bit-Saggatu et le Bit-
Zida. J'ai fait resplendir comme la lumière du jour les merveilles du
Grand-Dieu.
J'ai orné les portes (de mon palais) avec des briques vernissées, des
inscriptions et des peintures. J'y ai entassé de l'or, de l'argent, des
métaux, des pierres de toute espèce et de toute valeur, j'y ai réuni un
ensemble d'objets de prix, des trésors immenses.
J'ai élevé des colonnes de lentisque, de cèdre et de cyprès, j'ai ajouté
des usa, des peaux de veau marin, du l'hù, de l'argent, de l'or et des gar-
nitures en fer, des frises et des bas-reliefs {sic) exécutés en briques ver-
nissées au-dessous des portes, j'en ai entouré le faîte avec des kilil en
cuivre *.
Un cylindre en terre cuite, trouvé à Babylone et aujourdlmi
propriété de Sir Thomas Phillips, confirme le texte précédent.
Le lieu du repos, la demeure de sa puissance (de Marduk), je l'ai faite
en forme de pyramide, en or brillant ; j'ai revêtu d'or la porte kilisat.
J'ai construit, en l'émaillant et en lui donnant la forme de coupole, le
temple da Zarpanit, ma souveraine.
J'ai fondé, j'ai achevé le Bit-Zida, la maison éternelle dans Barsippa.
J'ai revêtu d'or les colonnes du sanctuaire du dieu Nabu, j'ai recouvert
le lieu sacré en or, en argent, en autres métaux {sic), en briques ver-
nissées... c'est là que trônent Nabu et Nana... Au premier jour de la fête
delà Main-suprême, j'ai fait établir devant eux les 16 images sculptées
resplendissantes, les délices des dieux de Barsippa, le isih, le poisson,
l'oiseau, le usummu. le trilMit. le trésor étranger, le 'lasap, le sirur. le
' nahylone et la Cluildcc, p. 202, 203, 206,207.
II>i série, tmiie II. 15
202 i)iii('.iM;s n:. i. out i;\'i:i;!;i!: i i.(.)i>onnk!:
kurunu, le sikar satur, le aon supièmo, le cl/s/'p, le khiniil, le sizib^ le >/u'ul,
le smnan '.
On lit encore sur un antre cylindre an Musée Britannique :
J'ai restauré le Bit-Saggatu, je l'ai embelli avec du marbre, de l'ar-
gent, de l'or, des métaux, des pierres précieuses, des briques vernis-
sées.
Sur rinscription de Borsippa^ même collection :
Le Bit-Saggatu est le temple du Ciel et de la Terre, la demeure du
Maître des Dieux, de Marduk. J"ai fait recouvrir en or pur le sanctuaire
où repose sa souveraineté.
Le Bit-Zida est la maison éternelle ; je l'ai rebâtie depuis ses fonde-
ments; j'en ai aciievé la magnificence avec de l'argent, de l'or, des mé-
taux, des pierres précieuses, des briques vernissées ^.
Apres le sac de Jérusalem par Xabuchodonosor, Jérémie resté
à Maspliat écrivit aux captifs de Babylone une lettre pour les'pré-
munir contre le culte des idoles clialdéennes. Barucli nous a con-
servé cette lettre dont quelques passages ont ici leur place mar-
quée. Quand il a spécifié les dieux de métal^ de pierre et de bois,
le prophète continue :
Leur langue est l'œuvre d'un artisan ; ceux même qui sont couverts
d'or et d'argent n'ont que l'apparence de la vie et ne peuvent parler.
Comme les bijoux d'une fiancée ils sont fabriqués avec l'or reçu en don.
Ces dieux ont bien des couronnes d'or sur la tète, mais les prêtres leur
enlèvent l'or et l'argent pour se l'approprier On couvre ces dieux
d'habits de pourpre, mais il faut leur épousseter le visage '^.
L'usage des ornements mobiles en métal ou eu étoffe avec les-
' yfci</., p. 2oy, 210.
'^ifcid., p. 212, 216.
3 VI, 7, 8, 9, 12. Nam lingua ipsorura polita a fabro, ipsa etiam inaurata et
inargentata, falsa sunt, et non possunt loqui. Et sicut virgini amanti ornamenta :
ita accepto auro fabricati sunt. Coronas certe aureas habent super capita sua dii
illorum : unde subtraliunt sacerdotes ab eis aurum et argentum, et erogant illud
in semetipsos, — opertis autem illis veste purpurea, extergunt facieiu ipsorum
propter pulverein domus.
OKIfilNES DL l'ORFÉVUERIE CLOISONNÉE 203
quels on habillait les divinités assyro-clialdéennes est matérielle-
ment démontré par les monuments figurés. Bérose, cité par Hé-
sychius, nomme une prétresse, Saracliéro, chargée de parer la
déesse Héra : or un grand nombre de cylindres représentent di-
vers épisodes de cette cérémonie. M. A. de Longpérier en a décrit
plusieurs qui appartiennent à notre musée du Louvre. Un texte
mythologique, publié par M. J. Menant, énumère les différents
objets dont se composait la toilette de la déesse Istar : grande
couronne, boucles d'oreilles, collier et diadème en pierres précieu-
ses, ceinture, anneaux d'or pour les pieds et les mains, enfin le
vêtement intime dont le nom répugne aux Anglais et que nous
sommes obligés de traduire par le mot vulgaire, chemise ' .
Les successeurs de Nabuchodonosor jusqu'à la prise de Baby-
lone par Cyrus, Évil-Mérodach (561 av. J.-C), Nirgal-sar-usur
(559 av. J.-C), Bel-labar-iskun, iNabu-naid ou Nabonid (555 av.
J.-C), entin Bel-sar-usur, vraisemblablement le Balthasar de
Daniel (537 av. J.-C), ne nous ont transmis aucun renseigne-
ment nouveau sur l'orfèvrerie.
J'ai accumulé à dessein des citations qui ne sortent pas des gé-
néralités, ne renferment rien de descriptif et tombent dans de
perpétuelles redites. Malgré ces inconvénients, leur utilité s'ex-
plique ; aucune étude spéciale sur l'orfèvrerie assyro-chaldéenne
n'a encore été publiée que je sache, et la condensation de textes
éparpillés çà et là m'a semblé indispensable pour démontrer à
l'aide des monuments figurés l'exactitude de traductions parfois
incertaines.
« A Ninive, selon M. V. Place, tout est autochthone, tout est
pris dans le territoire et façonné par des artistes indigènes. Au-
cun doute n'est possible à cet égard, puisque, sauf l'Egypte, dont
le style n'a nul rapport avec le style ninivite, la civilisation as-
syrienne précède toutes les autres. » Il y a dans cette assertion
> Calai, (les (inliq. assiiriennes du musée du Louvre, n"* 447, 448, etc. — Bahy-
lotie et In Chaldée, p. -236,237.
quelque chose de trop absolu : quand uue rivalité politique met
deux peuples en contact, ils se font toujours des emprunts réci-
proques dont la plus grosse part s'applique naturellement au
vainqueur. Les Égyptiens introduisirent dans leur panthéon la
déesse Hathor qu'ils avaient trouvée en Asie et les Assyriens,
passés au rôle d'envahisseurs, s'inspirèrent à coup sûr des édifices
de Thèbes ou de Mempliis pour orner leurs palais d'une série de
bas-reliefs coloriés représentant la gloire des dieux et les actions
des rois. M. Place, il est vrai, avait dit auparavant : « L'archi-
tecture assyrienne exclut l'emploi des colonnes ; il faut pourtant
en admettre dans le temple du palais de Sargon, c'est un élément
étranger rapporté de ses conquêtes en Egypte : il y avait bien
emprunté la première idée de l'édifice et la corniche du soubasse-
ment ' » .
Nous allons voir que Sargon emprunta aussi à l'Egypte la
technique de l'orlévrerie cloisonnée.
M. Botta découvrit dans les ruines de Khorsabad divers frag-
ments de briques émaillées; après lui^ MM. Place et Layard exhu-
mèrent du môme lieu des systèmes complets de cette matière déco-
rative dont Babylone fournit aussi son contingent. L'émail nini-
vite est d'assez médiocre qualité, il ne vaut pas celui de Babylone,
glaçure composée de silicate alcalin d'alumine sans traces de
plomb ni d'étain •'. Parmi les constructions attribuées à une fabu-
leuse Sémiramis, Ctésias, médecin d'Artaxerxès Mnémon cite un
palais dont les murailles offraient des personnages, des animaux
' Nlnive et l Assyrie, t. II. 1. 2, p. 190; ibid., I. 1. c. 1, p. 38, 39. — A. de
Longpérier, Musée NapoUon III, in i°, texte de la pi. IV.
- a L'émail babylonien, saillant, très-adhérent à la brique, brille d'un vif édat ;
il est dur loainie la porcelaine. Celui de Ninive est tendre, se détache facilement
et semble une glaçure peu cuite. Les ligures, cernées d'un creux sensible, font
croire qu'avant la couleur le contour était tracé au style sur l'argile molle. »
Place, oiiv. cité, t. II, 1. 2, p. 253. Jacquemart, Les Merveilles de la céramique,
part. I, Orient, p. 170. On voit des échantillons de ces briques au.t musées du
Louvre et de Sèvres.
OKIOINKS DK l'uRFÉVKEHIK CLOISONNÉE 205
et des sujets de chasse, rendus en couleurs sur briques crues ' ;
l'écrivain grec sous-entend une cuisson postérieure. Il n'est donc
pas étonnant de rencontrer dans les textes cunéiformes la mention
des briques vernissées.
Les échantillons de M. Place consistent en arcs de porte de
ville, ornés de divinités tétraptères et diptères alternant avec
des rosaces ou des roues (Tl. III, fig. 1 et 2), et en un soubasse-
ment de porte de palais où un lion, un taureau, un gypaète (ra-
pace tenant le milieu entre l'aigle et le vautour), un figuier, une
charrue placés à la file, sont précédés et suivis par un personnage
royal. Toutes ces figures, exécutées en jaune d'or vif — carna-
tions jaune rosé, barbe et cheveux noirs, menus détails blanc et
vert clair • — sur fond bleu lapis, offrent une particularité re-
marquable : les franges, les broderies et les plis des vêtements, les
plumes des ailes, le pelage des animaux, sont exprimés par des
plaques découpées en bleu sur le jaune; un gros trait noir les
encadre et simule, surtout dans les plumes, un véritable cloison-
nage. La rédu',;tiou à petite échelle d originaux qui mesurent
jusqu'à G"" 90'" donne pour résultat un effet identique à celui des
bijoux cloisonnés égyptiens. Lïmitation estencore plus frappante
quand on examine les fragments recueillis par MM. Botta et
Layard : leur cham[) est vert ou l)leu ; l'ornement — plantes sa-
crées, îisters, antilopes, ailes, coiffures, franges, bijoux — qui
s'y détache soit en blanc ou en jaune, soit en gris bleuâtre, est
toujours rechampi cruii mince filet de lune des deux premières
couleurs. - Les sculpteurs assyriens savaient rendre au naturel
^ Ra6' 6v sv waat; lit xal; Trîa'vOoiç &t£-£Tu7rwT0 Ov)p(a TravToSaTrà x^ twv y_p(0[xâ-
t:ov cpiXoTsyvta Tr,v àÀr,0£iav aTToaujLOUusva. — 'EvyJCTav 2'ev toî; Tropyoïi; xai te'./eci
Çwa TravToûKTrà cDiXoxÉyfvo); xot; tî ypojaaat x'/i xoî; xwv xuttojv àTTOjAi[xr,[Aact xotXcC-
Xcua(7[ji£va • xb o'ô'Xov £TT£Ttoîr,xo )tuv/,Y'°'' -avxoi'wv Ôr,pta)v OTiâp/ov TrX^pî;, «ov r^cav
xà iJ.i-[i(}-r\ 7rX£tov v) -Krf/îoy Xcxxapwv • x7X£ax£ÛaGxo o'iv aùxoT; xai y, — £ixtpau.i;
à'j'ïnr.ov iiapoa/.'.v à/.ovTi^oucra. xoti TrA-/;a''ov ajxrj^ ô àv/|p Nt'vo; Trai'cov £X yj-^^o;, Xîovxa
XÔY/r,. f)^' lehiis ,Is.si/noiUiu, 1, iU, éd. Didot, p. '2.3.
- V. Place, uuv. cilc,\À li à 17, JT k ol. l?ott;i, Monvnioil de Xinive. \>\. lôje
206 ORIfilNES DE l'orfèvrerie CLOISONNÉE
avec une perfection rare les plumes^ les franges et les accessoires
en général; l'intention des céramistes est donc manifeste^ ils ont
copié des modèles en orfèvrerie cloisonnée : s'ils eussent voulu
autre cliose^ ils auraient agi à l'instar de leurs confrères babylo-
niens qui peignaient la réalité et non les formes conventionnelles.
Ces derniers toutefois faisaient aussi du cloisonné à l'occasion :
une rosace blanche sur champ bleu lapis, au Louvre^ est cerclée
de noir ' .
De la comparaison des textes avec les monuments, j'ose con-
clure : 1" que Fintérieur des temples assyro-chaldéens était orné
de tables en métal ou autres minérauX;, comportant des figures
incrustées ; 2" que ces mêmes images se reproduisaient à l'exté-
rieur sur des briques émaillées, llbnnt. Les portes des villes et des
palais avaient un décor pareil attendu qu'on les regardait comme
des sanctuaires ; chacune des huit grandes portes de Dur-Sarkin
était consacrée à une divinité spéciale ■.
Les couleurs d'émail^ assez précieuses pour qu'on les renfermât
dans les magasins royaux, ainsi qu'il a été dit ailleurs, correspon-
daient aux tons des matières incrustées ou de leur excipient : le
jaune, à l'or, hiiras ; le blanc, à l'argent, kn.'^j^i, à Talbâtre, au
jas])e ; le gris bleuâtre, au quartz hyalin, au verre incolore, zari-
ri: le bleu, au lapis, hhlbisti ; le carné, h la cornaline; le vert,
à la malachite ; le noir, quand il ne mar([uait pas les divisions, au
stéaschiste, au bronze, peut-être au fer, ]W7'2;i/.. La spécialité des
gemmes aban (pierre) zatu, aban ha, nban ini Meluchha, n'est
15G, in-fol., 1849. V. encore Jacquemart, ouv. cité; Lnyard, The MomimcTits of
Nineveh, pi., passim, in-fol., Londres. 18'l'K
' Musée Napoléon III. pi. iV : 3, franges rendues par des traits noirs ondes sur
fond jaune d'or ; 5, détails d'une aile, champ blanc, imbrications noires nuées de
jaune pâle ; ^, rosace ; 1 et 2, fragments d'inscription, caractères na et ku blancs
sur bleu ; G, tronc de palmier, réticulé noir sur jaune d'or.
- Ces portes étaient dédiées : orient, à Samns et à tiin ; midi, à Bel et à My-
litta : occident, à Anu et à istar ; nord, à Nisruk Salman et à .Mylitta. Jnn. des
rois d' issi/rir, \^ 203, 20'(, Les porles ornées (|ti(». M Place drconviit à Khorsahnd
avaient dune pour patrons Bin, Anu et Nisiok,
oHir.ixiis DE l'oufevrerie cloisonnée 207
pas encore déterminée; elles devaient également s'imiter en
émail '.
Maintenant, que le mot (hinnu désigne on non les plaques his-
toriées en incrustation qui décoraient les temples et les palais
assyro-clialdéens^ ceci est une question philologique dont je n'ai
j)oint à m'occuper; il me suffit d'avoir établi un fait qui, pour
n'être pas mathématiquement prouvé, n'en reste pas moins très-
vraisemblable.
La sculpture assyrienne nous a conservé un grand nombre de
modèles de bijoux, ])racelets de poignet et d'humérus, boucles
d'oreilles, diadèmes, tiares, colliers; les originaux, presque tou-
jours veufs de leur armature métallique, sont excessivement
rares.
JuQS armillce d'humérus rentrent dans l'orfèvrerie ordinaire;
quand elles ne sont pas unies, elles prennent la forme d'un lien
de joncs maintenu par des arrêts verticaux équidistants. Les bra-
celets sont j)lus variés ; des têtes de lions ou de panthères, des ro-
saces, s'y montrent ajustées sur des anneauxet des carcans, lisses,
striés, cannelés*. Ces rosaces sont fré(|uemment doubles; une
seconde Heur plus petite y tient lieu d^iimbo central. Quanta la
matière dont elles étaient faites, le travail du sculpteur serait im-
puissant à nous l'apprendre si nous n'avions pas d'autres rensei-
gnements à portée. Dans les fondations d'une entrée de ville, à
Khorsabad, M. Place a trouvé quelques bijoux, la plupart en
cornaline et en agate rouge "'. Parmi eux, deux rosettes taillées
' Voy. Menant, Exposil des éléinenls de ijrantviaire 'issi/rienne, p. ST'J, 373, in-8f ,
Paris, 1868. F. Lenormant, (;«-. r/VJ, loc cit. — Les tributs imposés à l'Eg^'pte et
à l'Arabie par les monarques assyriens no mentionnent aucun produit où l'on
puisse reconnaître la malacliite. Ce minéial était viaisemblablement tiré du pays
de Uitini, sur les IVontières de la Médie, qui possédait des mines do cuivre. .Jnn.
des rois d' Assyrie, p. 'Z\\.
- Botta, (nir. iiié; pi. IC, 13, li, 50, 161, etc.
■^ Place, oHv <ilé ; pi 7-3, colliers el bracelets formés de cônes tronqués, de
cylindres, d'ovoïdi\s et do b.iiillets; pi. 7t', i;emmcs sculptées. Les matières de
tous ces bijou.v >uiit. rairatt^, la cornaline, i'aniétlivste, le (piaitz hyalin, la calcc-
208 ORIGINES DE l'oRFÉVHERIE CLOISONNÉE
en caiîK^e (PI. III;, fig. 4 et 5), dont le diamètre répond exacte-
ment aux proportions de Vumbo des l)racelets sculptés, offrentun
contour égrisé à la meule qui accuse une sertissure absente; leur
destination est donc h peu près certaine. Autour du centre mono-
lithe rayonnaient des pétales évidemment isolés, vu leurs dimen-
sions, et qui ne pouvaient former un ensemble qu'au moyen d'une
monture cloisonnée. Ce rapprochement m'a guidé dans la restitu-
tion du bracelet d'Assurbanipal d'après un bas-relief du Louvre
(PL m, fig. 8).
Je ne me bornerai pas à une seule preuve^ et, laissant à l'écart
le collier précité d'Aah-hotep — rosaces d'or cloisonnant des
pierres dures — dont l'intervention ne serait peut-être pas ici
hors de propos, je vais interroger les sculptures enluminées de
Khorsabad. J'y rencontre trois diadèmes rehaussés de rosaces :
le premier semble un bandeau continu de métaL le second est une
échai'pe tordue dont les bouts sont nou(^s derrière la tête ; le troi-
sième, qui se compose d'éléments oblongs, arrondis aux extrémi-
tés, mérite un examen attentif car j'ai été fort lent à établir une
opinion trop hardie pour n'avoir pas besoin d'être solidement
appuyée.
Ces éléments, bleu lapis orh' d'un doul)le lilet rouge assez épais,
sont très-réguliers et vont en décroissant; les extrêmes aboutis-
sent à un gros gland rouge ; sur le tout brochent cinq rosaces de
la môme couleur dont le diamètre (grandeur naturelle) varie de
0°" 09'= à 0"" 076"' et O^OG^"". Les rosaces sont à coup sûr en pierre-
ries, leurs pétales afHeurent au cercle de monture et l'or eut ap-
pelé du jaune, l'argent, du blanc, ainsi qu'on le remarque ailleurs;
mais le bandeau est-il en étoife, en (îordons tressés ou en plaques
métalliques articulées sertissant des gemmes? Je penche vers la
doine, le lapis lazuli etc. ; t. I,liv. l, p. 18'J, 41) 1 , 192 ; t. II, c. i. p. 259 2ô0. —
M. Place croit que cos bijoux ont été jetés à dessein là oîi il les a trouvés;
j'ajouterai que le but de semblables nnVaiuli's était r(^lifiieux et commun à diverses
populations asiatiques. Voy. Ofoso, Hisl. 1. V, c. 10 ; (',. de Lirias, Les ('nsfine."
de Fahiisc, etc., j). 4.") à M).
ORIGINES DE L OUFÉVIlliRIK CLOISONNEE i2U9
dernière hypothèse. Tissu ou cordons auraient été rendus par des
zones de couleurs alternantes et non par des filets cernant un
massif homogène ; ils se seraient réunis en nœud bichrome, tandis
que le gland représente Tattache d'un bourrelet, garniture inté-
rieure du diadème. Je crois donC;, sauf meilleur avis, que le pein-
tre a simplementjugé inutile d'enluminer ici les cloisons exprimées
par un trait en creux \
Les types des boucles d'oreilles sont : la colonnette rectiligne.
renHée ou cruciforme; la navicelle; une fleur de lotus très-épa-
nouie. Le plus fréquemment un panier conique termine le bijou ;
nous retrouvons les variantes de ce panier sur deux antiques pen-
deloques en or du Danemark. La sculpture n'a reproduit que des
boucles d'oreilles où le métal est seul employé ; mais la coquille
de cornaline à long pédoncule, figurée planche III, n° 6, provient
de quelque joyau de môme espèce dont les briques vernissées nous
offrent en outre un modèle cloisonné : la matière incrustée est
blanche cerclée de jaune ^.
Les colliers consistent en chapelets de sphères, d'ovoïdes, de
gemmes taillées en polyèdres arrondis (PI. III, fig. 3). L'ornement
de cou d'une effigie royale suspend pêle-mêle des disques étoiles,
croissants, fourches, racloirs qui font penser à certains colliers
votifs trouvés dans les sépultures antiques. Les disques pourraient
faire soupçonner la présence du cloisonnage, mais j'en constate
positivement le travail sur le collier chevronné d'une divinité as-
syrienne '.
Un terme de l'inscription d'Assurbanipal rehitive au Bit-Sa-
gatu, inscription dont les fragments principaux ont déjà été sou-
' Botta, ouv. cité, pi. 21, 43, 75, 163 et 155, fig. î.
■•' Botta, ouv. cilé, pi. 21, 43, etc., 161 ; 155, fig. 2. Place, ouv. cité, pi. 53, 76-
Weiss, fKOstuvikunde, t. 1, p. 208, fig. 123. Worsaae, Nordake Oldsayn-, p. 87,
fig. 377 et 378, 1er âge du fer.
3 Rotta, oxiv. cilé. pi. 75. Place, ouv. cité, pi. 75, fig. 1 1 . Weit^s, ouv. cité, t. I,
p. 202, fig. 119. Layard, Nineveh and ils remains, fig. 78, in-8% Londres, 1849.
Musée ydpoféun III, |il. 7, Nisruk.
i2lO OIMGINKS DE l'0RFÉVI;l:iuïï Cl.OlSONNÉI:;
mis au lecteur, suggère à M. F. Lenormant les remarques suivan-
tes : " Susilti, nous y reconnaissons le clialdaïque bwlD (chaîne),
le syriaque .'^islo (bandelettes) : ce sont des bandelettes faisant
partie du vêtement des statues divines, ou plutôt des bandes su-
perposées de figures et d'ornements selon Tliabitude de l'art asia-
tique, ce qui semblerait appeler le verbe iipa,chlv qui se rend bien
mieux pour le latin finxl que par aucun mot français ' . »
L'admirable effigie d'Assarliaddon (?) trouvée à Nimroud et
publiée par M. Layard avec les nombreux détails qu'exigeait une
pareille œuvre, autorise le trop l)rof commentaire de M, Lenor-
mant. Le roi est assis sur un trône entouré de ses eunuques et de
divinités ailées ; les limbes, ou plutôt les orfrois des vêtements
sont ornés de broderies aux sujets les plus riches et les plus variés :
des figures humaines, des animaux réels ou fantastiques, des
plantes sacrées, y sont disposés avec un goût infini, le pectoral
surtout, disque cantonn'' de quatre pommes de pin simuhmt des
agrafes, est un chef-d'œuvre d'élégance. Au centre, deux per-
sonnages aptères, coiffés de la tiare royale et affrontés devant une
plante sacrée, étendent la main vers le disque ailé qui domine la
scène; personnages et plante reposent sur un pavement imbriqué.
La bordure com})orte six })almettes chevronnées d'oii s'échappent
des fruits, alternant avec un pareil nombre de pommes de pin;
le cercle extérieur est également chevronné -.
Ici, l'orfèvre apparaît cbii rement derrière la brodeuse ; un
sentiment instinctif montre que le sculpteur a rendu la netteté
du burin et de l'incrustation plutôt que la mollesse de l'aiguille.
' Essai de rommeutaire etc., loc. cit.
' Layard, The vioiunnenis of Nineveh, pi. 5 à 8. Le pectoral assyrien varie de
formes : il est tantôt circulaire, tantôt rectangulaire, sur les elfigies d'Assurbani-
pal ; dans le second cas, le double galon qui borde cet ornement contourne à
l'instar d'une chaîne le col de la tunique, preuve de son origine égyptienne. Le
pectoral égyptien était un talisman, l'assyrien devait avoir le même l)ut : il re-
présente toujours deux personnages affrontés devant une j)lante sacrée, seule-
ment, quand il est rectangulaire, deux grandes rosaces llamiuent le motif prin-
cipal. V. Place, ouv. ci lé, pi. ."jO à 53.
ORIGINES DE l'oRFÉVRERIK CLOISONNÉE 211
J'ai tenté une restitution du pectoral d'Assarhaddon en orfèvrerie
cloisonnée, et les changements que j'y ai introduits, changements
empruntés d'ailleurs à des œuvres analogues, sont tellement in-
signifiants qu'il me semble inutile de les signaler.
Textes et monuments concourent donc à prouver, tant en As-
syrie qu'en Chaldée, l'existence de bijoux, de vêtements, de
tableaux en orfèvrerie cloisonnée. Hérodote mentionne quelques-
unes des richesses du Bit-Saggatu : une statue de Bel, une table,
un marchepied, un siège, un autel; le tout d'or et pesant 800
talents ' . Diodore renchérit encore sur son devancier. Trois statues
d'or repoussé ; Jupiter mesurant 40 pieds, du poids de 1000 ta-
lents babyloniens ; Cybèle, d'un poids égal, assise sur un trône,
ayant à ses genoux deux lions et deux énormes serpents d'argent,
chacun de 30 talents ; Junon, 800 talents, la droite armée d'un
serpent tenu par le cou, la gauche, d'un sceptre en orfèvrerie
cloisonnée. Une table d'or, de môme travail que les statues,
longue de 40 pieds, large de 15, pesant 500 talents, avec deux
vases de 30 ; deux brûle-parfums d'or, 300 talents chaque. Trois
grands cratères d'or, celui de Jupiter, 1200 talents, les autres,
chacun 600 ^ 11 n'y a pas à discuter un si énorme total, 12,000
kilogrammes d'or représentant plus de 38 millions de francs, en
face des contributions imposées aux peuples soumis par les rois
assyro-chaldéens et des sacs plus récents de Tyr et de Jérusalem :
les écrivains grecs sont restés peut-être encore au-dessous de la
vérité \
* "EvOa ayaXixa [J-lyoL tou Aïoi; i'vt /.aTr,[ji£vov yp-jffîov, xai o't xpairsî^a (xeyaXT)
7rapax££Tai •/pudEY), xai xb êaôpov o\ xai ô ôpovoi; •/pucsô; Icci • xat wç EXsyov ol
XaXoatoi, TaXâvTti)v oy-Taxofjtojv yputriou TrsTrotYjTat rauxa. Lib. I. c. 183.
'" Tpi'a xatsaxEuacEv àyàXfxaTa ypuTa (7cpup-/-XaTa, Aiô; "Hpac, 'Péaç •
GTaÔaov Qtl/c. (Jovis effigies) yiXi'ojv TaXâvT(ov BaêuXtovîojv ■ tÔ os Trj; 'Pio:q èm
St'^pou xa9-/]ij(.£vov yçtUGOu xôv ïffov aTaOfJiov ei/z tw 7Tpo£ipr,|ji.£vco • siti Ô£ twv yovâxwv
aÙTYJs £ic7r/"jX£iCQ(v X£OVT£Ç ouo, 7.7.1 T-Xr,ff(ov o'^Eiç U7r£p[x£y£fj£i(; apyupoî, TpiaxovTa
xaXa'vTtov é'xacxo.; £/wv xo Socpo?. To oï -zr^q "Hpa:... ayaXaa, cxxOuov ï/ow x-ïXotvTCOv
oxxaxocitov, xai xv) ij.h Oîçià /£ipt xax£ty_£ xrjç XEcpaXr'ç o'^iv, xr, cl apicxEpa cxy,7rxpov
XiOo/.dXXriXov. Etc. etc. L. I, c. 9.
^ Suitout si roii n'a pas oublié riminonsc ([uantitô de inét uix jtrécienx intro-
212 ORIGINES DE l'ORFEVUERIE CLOlSONNÉli
Un synchronisme fournira le nom du peuple, qui communiqua
aux Assyro-chaldéens la technique de l'incrustation, et la date où
cet art industriel fut pratiqué en Mésopotamie. A l'époque où les
Sargonides associent sur leurs monuments et leurs effigies le lotus
et le sphinx égyptiens aux anciens types nationaux de la rosace,
urud, et du chevron, on voit apparaître les premiers indices
révélateurs de l'orfèvrerie cloisonnée à Ninive ; il y a donc une
forte présomption, sinon une certitude absolue, en faveur de
l'importation égyptienne *.
C. DE LlXAS.
fA suivre.)
duite à Jérusalem par Salomon. Ezéchias olfrit d'un seul coup à Sennachérib
30 talents d'or, 800 d'argent, des pierreries, des perles, etc., etc. {Ann. des rois
d' Jssyrie, p. 219) et ce n'était qu'une faible partie des trésors accumulés dans le
temple. La comaiei'çante Phénieie devait être bien plus riche encore que la Judée.
^ Botta, ouv. ci/é, pi. 43 et lOô. Place, onv. cité, pi. 49, fig. 1, seuil d'un palais
de Koyoundjick, musée du Louvre. — M. Menant {Expouî des él'm. de gr/nn. as-
syr.^ p. 33) interprète l'idéogramme nmd par rosace, mais lui donne aussi le sens
de cuivre, peut-être parce que certaines briques étaient colorées avec un oxyde
de ce métal. Li^lre du 11 février 1875. — Annales, etc., p. 240; Layard, The mo-
num. of Ninevch, pi. G et 8.
LES ANCIENS MONUMENTS CHRÉTIENS
DE RODEZ
PHKMiiin AUTiCLr:
a Les Arvernes et les Rutènes, disait César, en sa célèbre conférence
« avec Arioviste, ont succombé sous les armes de Quintus Fabius Maxi-
ce mus; le peuple romain leur a pardonné; il n'a point réduit leur terri-
« toireen province, il ne leur a point imposé de tributs '.» C'est ainsi que,
l'an 121 avant Jésus-Christ, apparaît pour la première fois dans l'histoire
la nation dont Rodez, « la ville des Rutènes » , est la capitale. César adjoin-
dra son territoire à la Province romaine, ou Provence, dont la tête est
Narbonne. Sous l'Empire, Rome y déploiera, comme partout où elle com-
mande, sa civilisation, c'est-à-dire sa magnificence orgueilleuse au service
de la cruauté et de la mollesse. Rodez a son amphithéâtre, qui présente
aujourd'hui, à côté de la ville, l'aspect d'un grand cratère éteint. Il a ses
combats de gladiateurs, dont l'un des masques en cuivre repoussé, offrant
aux côtés Minerve et Hercule, et par devant la tète de Méduse, vient
d'être retrouvé. Il a ses villas splendides, dont deux, celle d'Argentelle, à
treize kilomètres de Rodez, et celle de Mas-Marcou {Mansus-Marci), habi-
tation de Marcus, à six kilomètres, rendues au jour en 1861 et 1870, révè-
lent un luxe et une élégance d'existence dont, à bien des égards, les beaux
hôtels du Paris moderne n'approchent pas. Marcus avait ses thermes,
miniature des thermes des Césars à Rome. Un aqueduc lui amenait les
belles eaux de la source de Fontrosière. Sa vaste résidence était pavée de
fines mosaïques. Elle avait sa bibliothèque el ses collections. A cette habi-
tation répondaient les domaines. La chasse, la pêche, tous les plaisirs
champêtres y avaient leur théâtre parmi les riches revenus des troupeaux
et de l'agriculture. Telles étaient ces grandes existences romaines, instal-
lées après la conquête dans la capitale des Rutènes et dans la campagne,
' De bello Gallico, I. I, § XLv.
-)14 LES ANCIENS MONUMENTS CHRÉTIENS DE RODEZ
dont les inclnilles et les monuments divers nous révèlent l'existence du
I" siècle à la fin du IV' *.
Tout est païen de ce qui nous en a été révélé jusqu'ici, une médaille à
part. Ce n'est pas que le christianisme, dès son apparition, n'ait émis, là
comme partout, et en particulier dans nos Gaules, ses rayons. La tradi-
tion de Rodez, digne de tout respect, est que l'apôtre de l'Aquitaine, saint
Martial, disciple de saint Pierre, lui a prêché FEvangile. Il serait incroya-
ble, vraiment, qu'au milieu de tels progrès de la civilisation païenne, la
civilisation chrétienne n'ait fait ou tenté aucun pas et ne soit maintes fois
revenue à la charge. Ce qui est bien probable, c'est que le succès n'a pas
répondu aux efforts. Jusqu'à saint Martin, les Gaules apparaissent comme
païennes en somme, surtout les campagnes. Rodez ne nous offre que sta-
tuettes de dieux et de déesses ; les poupées en plâtre de Vénus pullulent :
la corruption règne avec l'idolâtrie. A Milhau, nous trouvons une fabrique
de poterie, dont les produits vont du IP siècle jusque par delà le V* ; il y
H une dizaine de lampes et divers monuments du IV" siècle : rien n'est
chrétien. Une poterie du IV" siècle, de la collection de M. l'abbé Cérès,
m'a fait lire : Veni ad me arnica. C'est la coupe d'un disciple d'Horace. Le
génie chrétien ne l'a point transfigurée en ce sceau ravissant inspiré à
Rome par le Cantique des Cantiques, où, autour de la colombe, symbole
de l'âme toute pure et toute aimante, on lit l'appel du céleste Epoux :
Veni si amas^. Pas un souvenir chez les Rutènes de ces martyrs qu'on
trouve presque partout ailleurs ; pas un nom d'évêque. La médaille, qui
est la seule trace certaine rencontrée jusqu'ici de christianisme dans les
quatre premiers siècles, n'oblige pas même à croire à l'existence du chris-
tianisme dans le pays, car c'est une monnaie impériale courante. Nulle
part, ce semble, aut mt que dans les montagnes du Rouergue, la dési-
gnation de pagani, « gens de la campagne, » n'équivaut au triste sens de
tt païens. »
Mais à partir du milieu du V'' siècle, comme tout change ! Quelle conso-
lante physionomie nous présentent ces montagnes ! Je viens d'en contem-
1er les anciens monuments chrétiens, dont je ne soupçonnais guère l'exis-
tence, et je n'ai pu me défendre, à leur vue, d'un certain ravissement.
Rome même peut les envier à Rodez.
* Voir les Noies archéologiques de M. l'abbé Cérès. — I. Compte-rendu sur les
fouilles pratiquées à la villa de Mas-Marcou. — II. Rapport sur les fouilles ar-
chéologiques faites à Cadayrac, à Souyri et au couvent de lu Providence, 18(35. —
Extrait des Mémoires de la Société des lettres, sciences et arts de l'Aveiiron, t. X.
» Boldetti, tav. CXLVIII ; Garucci, IJagioglypta, p. 230.
LES ANCIENS MONUMENTS CURÉTIENS 1»E RODEZ 215
Je vais essayer de les décrire. Ils ne sont que cinq à ma connaissance,
tous^du VP siècle ou des environs. Il faut y joindre la médaille que j'ai
dite, et qui est du milieu du IV'^ siècle. Etudions par ordi'e ces six pages
de l'histoire primitive d'une de nos plus relig'ieuseset meilleures provinces,
si heureusement attardée dans le christianisme, comme elle le fut autre-
fois, hélas ! dans le paganisme.
LA MEDAILLE DE MAGNENCE
La médaille est un petit bronze du tyran Magnence, qui revêtit la pour-
pre à Autun, en 3i9. et se donna la mort à Lyon, en 353. Cette pièce a été
trouvée parmi d'autres de toutes les époques, dans la villa de Marcus, où
tout semble païen, d'ailleurs. Ce signe, sinon ce titre, le plus ancien jus-
qu'ici du christianisme à Rodez, est au musée de la ville. Il est remar-
quable.
La médaille offre d'un côté le buste de Magnence. Au revers, c'est le
monogramme Constantinien du Christ, avec l'alpha et l'oméga, acclama-
tion de sa divinité, et ces trois lettres MAV, seuls restes de la légende.
Je crois pouvoir restituer : (MAXI) MA V(ICTORIA), d'après une mé-
daille d'or toute semblable de Constantin portant: VICTORIA MAXIMA K
C'est la désignation de la « très-grande victoire » remportée par Constan-
tin sur Maxence, avec l'étendard montré dans le ciel, qui offre au-dessus
de la croix le monogramme couronné du Christ. Le tyran Magnence a
fait graver ce signe au revers de son image, comme pour s'assurer à son
tour la victoire. Que ce labarum, sorti du sol de Rodez en 1870, soit d'un
heureux augure pour la France !
II
L ANNEAU TROUVE A LUNEL
Je rapprocherai de ce précieux petit bronze de la villa de Marcus une
petite bague de cuivre trouvée par M. l'abbé Cérès dans une tombe galio-
' J. llemelariu^. Impcratorum romunorum numismata aurea. Antverpiae,
1627, iii-4", {jkuiche 6"2.
216 Lt;> ANCIENS MONUMENTS CHRÉTIENS DE RÛDEZ
romaine, ;i T.'incl, canton de Conques, à 30 kilomètres environ de Rodez.
On a cru cette bagne du IV" ou du V« siècle, sur cet indice trop faible peut-
être que des poteries de ce temps, trouvées dans le pays, présentent éga-
lement des lettres initiales séparées par un signe. Le signe, ici, est la croix
équilatérale ; les lettres sont les quatre initiales du signe de la croix : Jésus
Nazarenus Rex Judxorum. Le pourtour extérieur de la bague olîre, gra-
vés, les traits suivants :
+1 +N+R+I
On n'a pas signalé encore, que je sache, de monument pareil, du moins
à la date présumée. C'est peut-être le plus ancien exemple de cette forme
du titre de la croix : INRI, si commune au Moyen- Age, et qui figure de
nos jours sur tous les crucifix. C'est la formule pleine dont le mono-
gramme constantinien est l'abrégé. Ce monogramme offrant les deux pre-
mières lettres de Christ^ et placé sur la croix au sein d'une splendide cou-
ronne, c'est bien le Jésus Nazaréen, Roi des Juifs, inscrit et maintenu par
Pilate au sommet de la croix et condensé par les chrétiens d'abord, tout
l'indique, puis par le ciel même dans un sigle de gloire.
La bague et la monnaie de Rodez se répondent et sont en quelque sorte,
en double, son labarum chrétien apparaissant à la suite de celui de Cons-
tantin, au sein de ses montagnes, refuge trop tenace alors du polythéisme
romain, ennemi du Christ et de sa croix.
III
LE SARCOPHAGE DIT DE SAINT AMANS
L'empire romain tombe au commencement du V'' siècle, et de proche
en proche, durant ce siècle, il va s'etîaçaut dans les Gaules. La domination
des Francs l'y remplace à la fin. Dans ce cataclysme, le christianisme est
le refuge des populations. Elles embrassent la croix à titre de planche de
salut. Les églises sont leurs lieux d'asile ; leurs défenseurs, leurs guides,
leurs nourrie iers, leurs pères sont les évêques. Au lieu de ces prêteurs
venus jadis de la capitale dans les provinces pour peser sur elles du poids
de leur dégoût insolent, de leiu' rapacité, de leur corruption raffinée, de
leur liypocrisie rompue à l'edronterie, armée de sauterelles, aux cheveux
de femmes et aux dents de lions, comme ils semblent apparaître dans
l'Apocalypse ', voici des envoyés de Dieu, des apôtres de la vérité et de
* Apoc. IX 7 S
LKS ANCIF.NS MMM M!::;r-> ClIKK'] IICNS llK uoi)i;z 217
la lumière, des incariiatious de la vertu et de l'amour, des auteurs de tout
bien, les anges des Eglises, image de ceux du ciel. Qu'on en juge par celui
([ue Rodez vénère comme son premier évèque, et qui florissait un peu
avant Clovis et sous ce prince encore :
« Le Bienheureux Amantius, enfant de la ville des Rutènes, son pasteur
<( pendant qu'il vivait, est maintenant, par sa précieuse mort, son patron.
« A la première fleur de son âge. brisant les liens du siècle, il embrassa
« la milice du Christ par le vœu de persévérance, il foula aux pieds par la
« vertu de patience les vices dont la fragilité humaine est assaillie, il re-
» poussa au loin les vains soucis, il retint les mouvements de l'audace
a par les freins de la fermeté, et il subjugua les tumultes des pensées con-
« tradictoires par l'empire de l'esprit. Plein de ferveur dans son heureux
« propos et d'éclat par la splendeur de ses services féconds, il mérita le
« sommet du sacerdoce et le siège de la chaire sublime. Là il montra une
u âme égale au faite de son honneur : rien en lui de douteux, rien de
« double, rien de variable. Il avait une parfaite humilité, une prompte
« miséricorde, une libéralité inépuisable, une sainte simplicité. Il fut
« louable en ses veilles, courageux en ses jeûnes, plein de mansuétude
« en ses délassements, observé dans ses colloques, retenu dans ses con-
« flits, doux au milieu des injures, patient dans les tribulations modéré
(( dans la prospérité, constant parmi les événements tristes, sévère pour
« les flatteries de la fortune, doux vis-à-vis de ses adversités. Sa liberté
« était empreinte de pudeur et sa gaîté de gravité ^ »
Ce saint évèque, au nom empreint d'amour et de charité, dont le saint
évèque de Poitiers, Fortunat, ou tel écrivain des premiers temps de la
monarchie française a fait ce portrait et a retracé ensuite la vie fut
inhumé dans le cimetière chrétien de la ville. C'était en ce champ tout
plein de sarcophages mérovingiens en partie enfouis encore, dont l'église
de Saint-Amans, occupe aujourd'hui le centre. Il reposait dans un édicule
rectangulaire, ayant le nom et la forme d'une basilique, comme tant de
monuments funéraires de ce temps : Nam pinus in basilica sancti viri ex-
tensa sepulcrum ^ ; et son tombeau, comme une lampe resplendissante,
éclairait de la splendeur de sa clarté tous les visiteurs qui faisaient station
auprès ou dedans : Sepulcrum velut praefulgens lampas splendore proprix
daritatis mentes exspectantiuin illustrabat '. Ce tombeau était un cercueil
' Yila xancti Aoianfii Bufhenensis episcnpi. Patrol. latin. T. LXXXVlir,
col. 513.
- Patrol., c.»\. •),':!.
■' Ibid.
Ile série, tiinc U. [{j
218 l-ES ANCIENS MONUMENTS CHRETIENS DE KODEZ
de grès ou de marbio, déposé dans la terre avec une éminence ou une
inscription qui en indiquait la place. Il est appelé, en effet, tumulus, en
raêrae temps que sepulcrum; et on le voit entouré de matériaux divers qui
lui sont superposés : Ai'tifex eligitur qui tmnulo circurnj ecta demat, qui
statim sacrx venerationis locum ingressus, audaci motu de sepulcro opposita
expultt\Cest dans ces conditions que Dieu glorifiait, le saint évêque
Amantius. Mais il avait décidé qu'on dirait de lui d'une autre manière :
« Son sépulcre sera glorieux -. d
Le second successeur d'Amantius sur le catalogue des évoques de Ro-
dez, l'Africain Quintianus, « doué de sainteté, brillant de la dot des vertus,
(< fervent du doux feu de la charité, distingué par la fleur de la chasteté, »
d'après S. Grégoire de Tours ', ht l'élévation et une certaine translation
du corps. « Ayant agrandi la basilique du bienheureux évêque Amantius,
H il transporta le saint corps en avant ^ » C'était sous Clovis. Rodez,
avec l'Aquitaine, venait de passer de la domination des Visigoths ariens à
celle des Francs catholiques. Quintianus signe comme évoque de Rodez
au Concile d'Agde en 506, et figure à celui d'Orléans en 511. S. Fortunat
ou tel de ses contemporains nous a décrit avec les plus beaux détails la cé-
rémonie de cette translation, pour laquelle on avait choisi le « jour qui,
« par un supplice triomphal, a envoyé vainqueurs aux cieux les premiers
« docteurs de la ville de Romo, Pierre et Paul, les deux très-grandes lu-
« mières du monde ''. » On était accouru de toutes parts, les pontifes, les
peuples : le saint abbé Marturius était venu de Narbonne. A peine le tom-
beau, c'est-à-dire le sacré tertre, est-il ébranlé, tumulus commovetur,
qu'une suavité ineffable s'en échappe et remplit d'une volupté béati-
fique tout le peuple, non-seulement dans l'église, mais dans son atrium
et ses portiques. Le tombeau soulevé écrase la main de l'abbé Marturius.
Il prie le samt, et le tombeau s'élève spontanément et dégage la main
saine et .«auve qui s'empresse de le porter. Les miracles abondent : les
malades sont guéris ; d'audacieux impies sont frappés, et, criant merci,
sont déli\ rés. Et c'est ainsi que « S. Quintianus, évêque, choisit devant les
(( sacro-saints autels un lieu pour recevoir le tombeau de S. Amantius et
(( Vy plaça dans un monument admirable et d'un art précieux : Ante sacro-
' Ibid.
- Is. XI, 10.
' Vitœ Patrum, cap. iv.
* Ibid.
» Col, Wl'i.
i.ES ANCIKNS MMM \iKNT,- lUHLTIENS HK IIODEZ 219
(c sancla altaria capaceni tiuuuU lucutu eleyit^ ubi tpsum miro opère et lauda-
« bi'li arte collocavit. ' . »
La piété de Quintianus était vive, elle n'était pas assez éclairée. Après
les miracles qui furent sa récompense, elle eut sa correction. S. Amantius
lui apparut en songe et lui dit : « Attendu que, par une entreprise témé-
« raire, on t';i vu sortir de leur lieu mes membres qui reposaient en paix,
« voici que je t'éloig-nerai de cette ville et que je t'exilerai dans une autre
« région : mais tu ne seras pas privé de l'honneur dont tu jouis ^. » Me-
nacé de mort par les Goths. comme ami des Francs, il dut fuir en effet
chez les Arvernes, dont il devint évêque par l'influence deThéodoric. C'é-
tait un saint homme.
Ou ne signale pas de traces du sarcophage de S. Amans jusqu'au milieu
du XVIIP siècle. Au Moyen- Age, les reliques du saint avaient été pro-
bablement transférées dans une riche châsse que les consuls de la ville
avaient seuls le droit de porter dans les processions. C'est dans un mo-
nument de ce genre qu'on les ti'ouve en 1706. Le Propre des Saints adop-
té cette année, qui résume la vie de S. Amans écrite au VI- siècle, dit
que ses « reliques sont conservées dans une chapelle décemment prépa-
« rée et ornée d'un mausolée très-splendide : Reliquix... in sacello decen-
(( ter prxparato splendidissimoque mamoleo ornato reservantiir *. » Le sar-
cophage, d'où les reliques avaient été tirées était resté, précieuse relique
lui-même, enfoui dans l'église, peut-être à l'époque de sa reconstruction
aux X" et XL' siècles. Lors de la nouvelle reconstruction en 1754, un sar-
cophage fut mis au jour, qu'on ne douta pas être celui de S. Amans. « Ce
(' sarcophage, dit M. l'abbé Alibert, fut trouvé en creusant les fondements
(( deTéglise actuelle de Saint- Amans et aurait, d'après une tradition cons-
(( tante, servi de sépulture au premier évêque connu de Rodez \ » Tran-
sporté, à la suite de la Révolution, dans Téglise paroissiale de la Made-
leine, il est venu, à la démolition de cet édifice, dans la cour de l'ancien
évêché transformé en préfecture. On se rappelle l'avoir vu là, servant de
'Gol. 52 3.
- S. Gregor. Tur. Vita- Patrum, cap. iv.
■* Proprium sanctoruui snnctœ et insigiiis Eccleaiœ cathedralis IJeatœ Mariœ
et Diœccsis Uullioiensis. Ruthenis, 1715. ln-12. Il y a en tête un mandement de
Mgr de Lusignen, de I7!*lj. La ïéie de S. Amans se célèbre le 'i novembre; celle
de sa translation, le 4 juillet.
* Vi-^ilc du Congrè-i archéologique de trancc à la calhrdridr de llodez. Rap-
2)0} i lu au Cùiujrès arcJtéologiquc de France dans la béame du 5 juin 1863.
In-80 de 28 pages, p. 9.
:J20 LES A>ciE5;s mo:.'UM!:.nts CHiiKTiENs m-: hhul/.
bassin à une fonlaine, d'abreuvoir aux animaux. Un trou percé dans le
bas de la cuve montre en eiYct qu'il retenait ou laissait écouler l'eau à vo-
lonté. L'évêché rendu à sa destination, il a été traiisporté par Mgr Giraud
dans une chapelle de la cathédrale, (]ui sert de dépôt. C'est là qu'il est en
compagnie d'une ravissante statue de Vierge du Moyen-Age. Il git à terre,
exposé aux passants et à tous les accidents. Q)uelques objets de latnpisterie
de l'église y remplacent le corps de S. Amans. Il porte son nom d'ailleurs :
on l'appelle le sarcophage de S. Amans; et, d'après ce certificat tradition-
nel et les raisons que nous venons de voir, il n'y a guère lieu de suspecter
son identité.
C'est un monument manifeste du V"" ou du YP siècle. « M. de Caumont
n'a pas hésité à le classer au premier rang des richesses archéologiques
que renferme la cathédrale '. » La cuve, qui est privée de son couvercle,
est un monolithe de marbre des Pyrénées. M. Duminges, à qui l'on doit
sur les Pyrénées de si belles études, y a bien reconnu leur marbre à peti-
tes facettes, différent du marbre d'Italie. Un sarcophage de ce marbre
pyrénéen, dont on signale la ressemblance avec celui de Rodez, se voit au
musée lapidaire de Toulouse, sous le cloître des Augustins. Ces sarcopha-
ges forment une classe différente de ceux en marbre d'Italie de la partie
méridionale du midi des Gaules. « Il y a chez nous, dit M. Martigny, d'a-
(i près M. Le Blant, deux familles irès-tranchées de sarcophages ; ceux du
(( sud-est, qui ont pour type les marbres d'Arles, et sont d'un style relati-
(( vement meilleur, quoique en général moins élégant et moins correct que
« celui des tombeaux romains ; et ceux du sud-ouest, ceux de Toulouse,
« beaucoup plus lourds et plus barbares -. » Le sarcophage de Rodez
est de cette classe. Sans être barbare, il n'est point élégant. Il a le ca-
chet du pays : le dessin et le ciseau sentent la montagne ; mais, grâce à
Dieu, il en est ainsi de la foi et de l'intelligence sur ce monument. C'est
une des inspirations chrétiennes les plus originales et les plus mâles. Je
n'en ai pas rencontré à Rome ou chez nous qui m'ait fait plus d'impression
et de plaisir. Le sarcophage de Ste Madeleine à part, le sarcophage de S.
Amans a peu de rivaux en France, s'il en a.
Le lecteur va en juger.
La cuve du sarcophage est sculptée sur trois faces. La face postérieure
n'a pas même été polie. C'est l'indice que le sarcophage était adossé à une
muraille, celle, je présume, où devait s'appuyer la table d'autel sous laquelle
il reposait, ainsi que Prudence nous montre les tombes des martyrs, types
' M. Alibert, Ibid.
- Dictionnaire des Antiquités chrétiennes, p. o9'(.
l.KS ANCIENS MONUMENTS
CHRÉTIENS DE RODEZ 221
plus tard de celles des saints
non nicirtyrs, appelés du nom
voisin de celui des martyrs
mêmes, confesseurs.
La face antérieure offre neuf
niches entre dix colonnes enga-
gées. Des roses entretr.êlées à
des fragments de festons, pa-
reils à Vs de notre alphabet,
remplissent les intervalles des
colonnes et du sommet des ni-
ches. Elles ne sont pas sans
symbolisme et font songer au
printemps de la résurrection.
Dans la niche du milieu, plus
vaste que les huit autres et dont
le fronton est triangulaire, ap-
paraît le Christ ressuscité. De-
bout, imberbe, les cheveux
courts, sa figure respire l'éter-
nelle jeunesse. Il est revêtu de
la tunique et du manteau, ces
vêtements de sa vie d'épreuve,
i)ui furent transfigui'és avec lui
au ïhabor et participèrent à la
transfiguration de sa résurrec-
tion même et aux manifesta-
tions (le son état glorieux. Il
bénit de la main droite, comme
il bénissait en montant au ciel '
Son geste est celui de la béné-
diction latine, trois doigts, le
pouce, l'index et le médius
étant développés, les deux au-
tres repliés. Ce geste était le
salut de l'orateur chez les an-
ciens, et parfois sur les monu-
ments chrétiens il n'a pas d'au-
' Luc, x.Kiv, .00, 51.
222 LES ANCIENS MONUMENTS CllltKTlKNS WK lUiDKZ
tre signification. C'est ainsi que le Christ dit au paralytuiue de se lever et
de s'en retourner avec son grabat dans sa maison '. Alors le bras est d'or-
dinaire abaissé et l'avant-bras à peu près horizontal. Mais pres(]ue tou-
jours ce geste emporte l'idée manifeste de bénédiction chez le Christ :
ainsi, quand il opère des miracles, quand il fait son entrée triomphale à
Jérusalem, quand, au milieu de ses Apôtres, il quitte la terre ou apparaît
ayant l'image du ciel sous les pieds. Le bras tout entier s'élève alors le
plus souvent ; il s'élève invariablement dans cette dernière scène évangé-
lique.
Il en est ainsi sur notre sarcophage, dont le rapport avec cette scène
même, tant répétée sur les sarcophages, est trop visible pour que le sens
de la bénédiction soit douteux. Le Christ tient donc la m;iin droite élevée,
et en même temps il appuie la main gauche sur un rouleau posé droit et
serré au milieu par sa ligature. C'est l'Evangile, sans aucun doute. VA
voici, — ce que je n'ai vu que sur le sarcophage de Rodez, — que ce rou-
leau est porté par un autre plus volumineux, droit aussi et pareillement
lié. C'est assez visiblement l'Ancien-Testament, piédestal du nouveau, pro-
phétie que le Christ est venu accomplir, loi des Patriarches ou de Moïse
qu'il a conduite à sa perfection. Yoilà tout le dépôt des Saintes-Ecritures
qu'il laisse à la terre en la quittant, et dont il confie la garde à ses Apô-
tres et à leurs disciples, a 0 Timothéc, garde le dépôt, » dira S. Paul,
transmettant la consigne du Christ -. Enfin, ce sont les deux legs du Christ,
allant intercéder pour nous dans le ciel après lavoir fait sur la terre, sa
parole et sa bénédiction.
Les apôtres sont autour du Christ pour recueillir son héritage. Huit oc-
cupent le devant du sarcophage. Chacun est dans sa niche d'honneur,
moins vaste que celle du Christ, mais montrant bien qjc s'il est le roi de
l'Eglise, les apôtres en sont ies princes. Les roses et les festons escortent
les frontons de leurs niches, tour à tour circulaires et triangulaires. Des
colonnes séparent et flanquent ces niches consacrées aux colon/tes de l'E-
glise. Quatre personnages, deux sur chacun des côtés du sarcophage,
nous font reconnaître tout de suite le nombre complet et sacré des douze
apôtres. Le sarcophage de Rodez, avec tant d'autres de Rome, des Gau-
les et de toutes les provin(;es chrétiennes, nous offre, autour du délunt, le
Christ, au milieu du Collège Apostolique, jugeant le monde après avoir
donné leur vie poui' le sauver, et admettant à leur béatitude les grandes
âmes attachées à leurs trac.'s. N'est -'•;■ pas à ses aptjtres (jue le Christ a
' Aringlii, t. I, p. (j-21.
- l. Tua. VI, 20.
LES ANCIENS MONUMENTS CERÉTIENS DE RODEZ 223
dit : « En vérité, je vous le dis, vous qui m'avez suivi, lorsqu'à la régéné-
« ration des choses, le Fils de l'homme siégera sur son siège de mcijesté,
« vous aussi vous serez assis sur douze sièges jugeant les douzes tribus
(( d'Israël '. » Et n'est-ce pus pour cela que Constantin, songeant à sa sé-
pulture, érigeait à Constantinople sa grande basilique des Douze-Apôtres,
et y plaçait douze sarcophages d'honneur en leur nom, mettant au milieu
le sien de porphyre, que nous avons encore, orné du seul monogramme
du Christ dans une couronne aux lemnisqucs flottants -, et se couvrant.
au sein de la mort, du puissant patronage des Apôtres du Christ, joint à
celui du Christ lui-même -^ ? Ft sa fille, Ste Constance, ne repose-t-elle pas
également à Rome auprès de Ste Agnès en ce célèbre mausolée rond
qu'elle s'est fait, entouré à l'intérieur de douze niches visiblement occu-
pées autrefois par les slatues des douze Apôtres? C'est sous leur tutelle
et celle du Christ, c'est au milieu, en (juelque sorte, de leur société et de
leur gloire, que la piété du saint évè'iue Quintien et des Rutènes plaçait
les reliques de S. Amans.
Saint Pierre est à gauche du Chi'ist. C'est sa place invariable sur les
sarcophages, les mosciïques, les peintures, les médailles de dévotion de ce
temps : et ici on peut encore le reconnaître à certains traits de son type
traditionnel et à son front garni de cheveux crépus. Sur les sarcophages
romains du IV'" siècle, sur ceux de Ravenne ou ceux des Gaules plus ou
moins contemporains du nôtre, le Christ apparaît, donnant de la main
gauche à saint Pierre, nouveau Moïse et son vicaire, le rouleau de la Loi
évangélique, sur lequel on lit parfois : Dominus dat legem, et donnant de
la droite la mission à saint Paul ou à tous les Apôtres en général. Ici le
Christ appuie la miiin gauche sur sa Loi, portée par la Loi de Moïse, et
cette Loi est entre saint Pierre et lui. Le sens est-il douteux ? Et n'est-ce
pas à saint Pierre que re\ient d'une manière spéciale et incomparable,
avec la garde du sacré dépôt, l'autorité législative soit doctrinale, soit
disciplinaire dans le royaume de Dieu, dont le Christ est venu du Ciel
fonder l'établissement? Un autre trait caractérise le prince des Apôtres
entre tous ses collègues. Sur le sarcophage de Rodez, saint Pierre fait le
geste de la bénédiction comme le Christ.en élevant la main droite. Placé à la
gauche du Christ, comme son ministre et devant le rouleau de la Nouvelle
Loi reposant ^ur celui de l'Ancienne, que le Christ touche de la main
comme pour lui en passer la garde, l'identité du geste de la main droite
de Pierre avec celui de la main droite du Christ saisit les yeux. Pierre
' Matt. XIX, 28.
- M. de Rossi, BulJelino, 186'j, p. 11. ■
■' Euseb., De Vita Conslanlini, '^ l.\.
224 LFS ANCIENS MONlMIiNTS CllRÉTIKNS DE UODEZ
apparaît comme un autre Christ. Il semble en outre que c'est pour accu-
ser la fermeté et la perpétuité de sa fonction pontificale suprême, dont la
bénédiction, empruntée du Christ, est le cachet, que la main gauche de
Pierre, dirigée horizontalement, soutient la main verticale qui bénit. Cette
main souveraine, et par qui seront bénies toutes les nations, n'aura pas
de défaillance. On se rappelle ce tableau de Moïse : «Et Melchisédech,
« roi de Salem, fit sortir le pain et le vin: et lui était prêtre de la part du
« Dieu Très-Haut ; et il dit à Abram : Béni soit Abram de la part du Dieu
« Très-Haut, maître du ciel et de la tei-rc ' ; » et cette parole, rapportée
par David et par saint Paul, du Très-Haut lui-même, parlant au Christ et
allant jusqu'à son Vicaire : « Tu es prêtre pour l'éternité, selon Tordre de
(( Melchisédech -. «
Je n'ignore pas que sur un sarcophage romain, Pierre *, au moment où
il est arrêté par les Juifs, fait le geste qui paraît celui de la b<'nédiction,
et qui est simplement celui de l'allocution. Deux Apôtres sont ainsi auprès
du Christ sur un sarcophage des Gaules, où il ne faut voir rien de plus
que leur adhésion au Christ lui-même '*. Mais leur main n'est pas levée, et
ce n'est plus la circonstance solennelle où nous sommes avec ses rappro-
chements qui s'imposent. Ici le Christ bénit, il ne parle pas seulement, et
Pierre adhérant au Christ, fait précisément ce qu'il fait. Il y a entre le
Christ et Pierre une identité de geste qui accuse leur liaison intime et in-
comparable, celle du Maître et du Vicaire, du Chef et du ministre plénipo-
tentiaire. Si le Christ est Seigneur, Pierre est Seigneur ; si le Christ est
Docteur, Pierre est Docteur : ils sont à côté lun de l'autre, unis pu' les
titres de la Nouvelle-Alliance et de l'Ancienne, et présentés ensemble au
Collège Apostolique et aux douze tribus du nouvel Israël, c'est-à-dire à tous
les fidèles. Sublime page de théologie, unique en sa force et en sa grâce,
sculptée à Rodez, aux jours du berceau de la France ! Les marbres en font
foi : sitôt chrétiennes, les Gaules ont proclamé autant et plus que Rome
même l'autorité divine de Pierre, c'est-à-dire cette primauté et cette infail-
libilité du Pontife romain que le Concile du Vatican vient de définir. Clovis,
baptisé et sacré, s'est empressé d'envoyer au pape saint Hormisdas une
couronne d'or pareille à la sienne, mais plus haute en splendeur, appelée
Règne. Mais c'est au sein des monts des Rutènes, un des derniers boule-
vards de l'arianisme terrassé par Clovis, qu'apparaît le monument con-
temporain du fondateur de la monarchie fi'ançaise, qui est le plus hardi
' Gen., XIV. IS. l'J.
^ Va. CIX, 'n llebr., mi. 17.
' Aringhi, t. T, \k (ilT).
* Millni, Voyuyc dan^ le MiO\. \>\, h\). ii" o.
LES ANCIENS MONUMENTS CHRÉTIENS DE RODEZ :225
de tous les monuments et l'un des plus beaux à proclamer l'attachement
de la Fille aînée de l'Église à la foi et à l'autorité de sa Mère.
Saint Paul est à droite du Christ. Il est reconnaissable à son front
chauve. L'église de Rodez, comme tant d'autres des Gaules, suit ici les
traditions artistiques romaines. Paul est le grand Apôtre ainsi que Pierre
est le premier Apôtre. Pierre et Paul sont les apôtres de Rome : ils sont
aussi les nôtres, soit par leurs envoyés, soit par eux-mêmes. Le rouleau
de l'Évangile est dans la main gauche de saint Paul; il montre le Christ
de la droite. L'Evangile ne lui a-t-il pas été confié par le Christ lui-même
assis dans les cieux, si bien qu'il écrit aux Romains : « Selon mon Evan-
gile *, » et aux Ephésiens : « A moi, le plus petit des saints, a été donnée
« cette grâce de révéler, au milieu des nations, l'Evangile (c'est-à-dire
« la Bonne nouvelle) des incompréhensibles richesses du Christ ^? » Le
Christ, tourné vers Paul, sur notre sarcophage, le bénit en l'envoyant
prêcher; et Pierre, derrière le Christ, répétant son geste, semble répéter
son acte. Car si Paul a reçu immédiatement sa mission du Christ, il l'a
fait reconnaître par Pierre ; Pierre l'a authentiquée et mise en règle ; et
quand la carrière des deux Princes des Apôtres touchera à sa fin, et que
la prison Mamertime les réunira pour le martyre, Pierre écrira dans son
Testament adressé à ses chères Eglises de l'Asie-Mineure, foyer alors des
lumières dans l'Eglise : « Comme notre très-cher frère Paul lui-même vous
(( l'a écrit selon la sagesse qui lui a été donnée ; » il rangera les Epîtres de
saint Paul parmi « les autres Ecritures; » et il décrétera cette grande ad-
dition au Canon des Saints-I^ivres du Nouveau-Testament et de l'Ancien.
Pierre et Paul sont revêtus de la tunique et du manteau, ainsi que le
Christ. Il en est ainsi de tous les Apôtres. Six autres sont sur la façade
principale du sarcophage, trois à la suite de Pierre, trois à la suite de
Paul. De ces trois là, le premier joint les mains et regarde vers le Christ;
le second tient le rouleau des Evangiles des deux mains et regarde vers
l'Apôtre qui suit ; le troisième a le rouleau dans la main gauche et semble
converser avec le second. Le premier de ces trois-c i porte le rouleau des
deux mains et tourne la tête vers le suivant; le scond montre le Christ
de la main droite, et, relevant son manteau de la main gauche, lève le
pied et commence à gravir une éminence ; le troisième, tenant le rouleau,
montre le Christ. Cet avant-dernier mérite attention. Aucun sarcophage,
à mon souvenir, ne présente ainsi un apôtre. 11 y a dans cette attitude
un souvenir du Moïse des Catacombes;, reproduit à la mosaïque du VI"
' Uoin., \vi, 2.").
"' Ephes., III, 8.
-^6 LES ANCIî^NS MONUMENTS CHRÉTIENS DE RODEZ
Siècle de Saint-Vital de Ravenne, du Moïse, dis-je, qui détache sa chaus-
sure pour moutei' au Iniisson ardent sur l'Oreb. Mais c'est assez visible-
ment la traduction de ce passage de saint Paul, écrivant aux Hébreux et
opposant le Sinai redoutable de Moïse, interdit à l'ancien peuple, à la
Jérusalem céleste du Christ, dont l'accès est ouvert par lui à tous les
croyants : « Vous vous êtes approchés de la montagne de Sion, de la cité
« du Dieu vivant, de la Jérusalem céleste, d'une multitude de beaucoup
(( de milliers d'anges, de l'Eglise des premiers-nés qui sont inscrits dans
(( le ciel, de Dieu, le juge de tous, des esprits des justes parfaits, du Mé-
« diateur de la Nouvelle-Alliance. Jésus, et de l'aspersion d'un sang qui
« parle mieux qu'Abel '. » L'Apôtre qui suit de près saint Paul, et au-
quel le relie son propre interlocuteur, monte à la suite de Paul vers cette
montagne des cieux où Jésus s'élève, ou plutôt trône debout en bénis-
sant, c'est-à-dire en otîVant son sang glorieux et sou^erain, par qui tout
est régénéré; et, en montant, il dirige la main vers ce Jésus, pôle et
aimant des âmes, qui les attend pour les consommer dans la gloire.
Telle est la face antérieure du sarcophage de Rodez. Les faces latérales
ne sont pas moins admirables et originales. Leurs deux sujets ne se re-
trouvent pas ailleurs, je crois.
Le premiei-, à (Iroite du spectateur, c'est-à-dire du côté du Christ où est
Pierre, olî're un édicule entre deux personnages, L'édicule a pour fonde-
H
Côté droit du saicopliago de S. Aman?
ment quntre assises de pierre. Deux colonnes portent le fronton triangu-
laire marqué au centre du monogramme cruciforme. L'intervalle des co-
lonnes est rempli par doux battants de porte ayant chacune deux compar-
timents tiuadrangulaii'es ()ui remplissent la hauteur. (v)uel est cet édifice?
Hebr., xn, 22-25.
Li;s ANCIENS MONUMENTS Cil RKTIICNS liE RODE/. "ZZt
La pensée peut venir que c'est une armoire pour mettre les Saints Li-
vres, telle que celles des Juifs aux premiers siècles de l'ère chrétienne,
qu'on retrouve aujourd'hui dans les synagogues. On en voit trois exemples
sur les fonds de coupe illustrés par Buonarotti \ L'un offre précisément
les deux colonnes et l'aspect général de notre édicule. De même que deux
lions gardent l'une de ces trois armoires, que deux colombes se posent
près dune autre, notre édicule est entre deux personnages. L'un joint les
mains dans l'admiration ; l'autre avance et élève la main droite, supportée
par la main gauche en signe d'adhésion. Ce serait deux des douze apôtres
s'attachant au Christ, représenté par le trésor de ses saints Evangiles.
Mais en y regardant bien, il faut renoncera cette interprétation. L'édicule
repose sur une masse plus large que lui et assurément architecturale.
Ce n"est pas le lait d'un meuble. Dès lors cet édicule ne peut être qu'un
tombeau. C'est ainsi, en efi'et, que plusieurs fois, sur les sarcophages ro-
mains, est représenté le tombeau de Lazare -. Le monogramme du Christ
nous indique que c'est le tombeau du Christ lui-même.
Les portes en sont fernjées. Le Christ est sorti de la prison de pierre
toute close de son tombeau, comme il est sorti du sein virginal de sa mère,
comme il entrera, a les portes closes », dans le Cénacle, le soir de sa résur-
rection. La croix monogrammatique signe le front du tombeau. C'est la
croix, indi(^uant bien que c'est ici le tombeau du Crucifié; mais c'est la
croix, offrant, combinées ensemble, les deux premières lettres du nom grec
du Christ, c'est-à-dire de l'Oint par excellence du Très-Haut, du Roi des
Juifs, qui est le Roi des rois, l'attente des nations, le désiré des collines
éternelles. La croix monogrammatique est la forme donnée en Egypte au
monogramme du Christ vu par Constantin dans le ciel au sein d'une cou-
ronne placée au-dessus de limage de la croix, labarum avec letjuel il lui
a été ordonné de vaincre des troupes six fois plus nombreuses que les
siennes et de conquérir Rome pour la régénérer. Les Egyptiens ont rap-
proché le monogramme du Christ de leur signe de vie. Une légère va-
riante dans la boucle de ce signe qui surmonte la croix a fom'ni le nou-
veau monogramme, si précieux de forme, si sublime de sens^. Il apparaît
de toutes parts dès le quatrième siècle, en concurrence avec le premier.
Mais nulle part il ne me semble figurer aussi heureusement que sur ce
front du tombeau du Christ, sa croix, son nom et la vie.
' Osservuzioiii sopra alcuni fiauiinenti di vasi antichi di vriro ornali di figure,
Irovati nr cim/'fcri di Roma. Firenze, in-4'^, 1716. tav. 11, 111.
- Annghi, T. 1, p. 223, 427, 575.
^ Voir M. de Hossi, BuHetinu^ 1863; i'. 64.
i28 Li:s ANCIENS monuments curétiens de rodez
Deux pcrsonnaiies sont aux côtés du tombeau. Ce sont deux apôtres.
Les mains jointes de celui de gauche qui admire, la main droite élevée et
soutenue par la main gauche de celui de droite qui témoigne l'adhésion,
sont deux gestes que nous avons déjà rencontrés dans l'apôtre qui suit
saint Pierre et dans saint Pierre lui-même, au-devant du sarcophage. Ici le
geste d'adliésion n"a rien de celui de la bénédiction; et c'est une preuve
de plus que ce dernier est bien affecté en propre à Pierre comme au
Christ, et (émoigne de sa qualité incommunicable du Vicaire du Fils
d'Abraham, à cause duquel Dieu lui a dit : « En toi seront bénies toutes
les familles de la terre '. » Ces deux apôtres rappellent les deux anges que
les saintes femmes virent debout auprès du tombeau -; ils rappellent ces
paroles du Christ parlant aux apôtres de sa Passion et de saRésurrection :
(( Vous êtes les témoins de ces choses % » rapprochées de ces autres
dites déjà : « C'est par la bouche de deux ou trois témoins que toute
« chose devient constante ^; » ils rappellent les apôtres envoyés prêcher
« deux H deux » i)ar le Christ ^ ; ils rappellent enhn ces mêmes apôtres
qu'on voit deux à deux dans les niches des sarcophages, rendant témoi-
gnage à la résurrection du Sauveur ^
Coté gauche du sarcoiihagc de S. Amans
La face opposée du sarcophage nous offre les deux derniers des douze
apôtres. Ils sont à côté du Christ, qui, en personne ou par sa croix et son
* Gon., XII, 3.
- Luc, xxiv, 3.
' Luc, XXIV, i8.
* Matt., XVIII, ICi
" Marc, VI, 7 ; Luc, 10, I.
' Martigny, p. 45.
LES ANCIEiNS MONUMENTS CHRÉTIENS DE lt(.»lJEy„ ^29
nom inscrits sur son tombeau, préside sur les trois faces. Ici le Christ,
toujours jeune, imberbe, à l'état de résurrection ou de transfiguration,
annonçant la résurrection même, siège dans un trône. A sa droite un apô-
tre est assis sur un tertre, tenant le rouleau de l'Evangile de la main
droite et appuyant la main gauche sur son genou. A sa gauche, un autre
apôtre, assis sur un tertre pareillement, appuie la main gauche à terre et
tient le rouleau droit de l'Evangile sur son genou aussi. Les deux tertres
nous indiquent bien clairement que nous assistons à ce sermon sur la
montagne, dont saint Mathieu a dit, en parlant du Christ : « Lorsqu'il se
a fut assis, quand il eut pris place en siégeant, cum sedisset, ses disciples
« s'approchèrent de lui '. » Le Christ parle à l'apôtre qui est à sa droite,
en montrant de cette même droite celui qui est à sa gauche. N'est-il pas
clair que c'est ici la proclamation des huit béatitudes, qui sont précisé-
ment l'apanage des apôtres et des disciples groupés autour d'eux et de
lui? «Et ouvrant sa bouche, il les instruisait, disant : « Bienheureux les
(( petits de souffle (c'est-à-dire ceux qui vivent humblement ici-bas), car
« c'est à eux qu'est le royaume des cieux - ! » Les apôtres sont les té-
moins ou martyrs de la résurrection du Christ sur un côté du sarcophage;
ils sont ses co-participants sur l'autre côté. Là, ils annoncent l'ascension du
Christ du sein du tombeau dans les cieux ; ici, le Christ déclare que le
royaume des cieux leur appartient. Les cieux sont à ces déshérités, à ces
rebutés, à ces exténués de la terre, qui, comme le Christ, n'y doivent pas
trouver où reposer la tète, sinon dans le tombeau II faudra sa croix,
qu'ils porteront à sa suite, et sur laquelle ils rendront leur pauvre souffle
pour leur assurer ce lieu de paix. Ce n'est que de la suprême défaite que
datera pour eux, comme pour lui, la suprême victoire : Beati pauperes spi-
ritu qiconiam ïpsoj'um est regnum cœlorum!
Qui n'admirerait à présent l'unité des trois compositions de ce sarco-
phage et la magnifique théologie de l'artiste rutène ou plutôt de son ins-
pirateur, le saint évêque Quintianus? A droite du spectateur, la Résur-
rection du Chri 't proclamée à son tombeau par deux apôtres au nom de
tous; en face, son Ascension, au milieu de huit apôtres les représentant
tous, dont Pierre qui succède au Christ; à gauche, la Résurrection et
l'Ascension, assurées à leur tour, avec le Royaume des cieux, aux apôtres,
dont deux représentent encore le sacré collège. Quelle merveilleuse et
complète épopée, et qu'elle dit bien les trois cantiques de la vie autour de
ce qui paraît le trône de la mort !
» Matt., V. 1.
''Malt., V. S.
230 l.liS ANCIENS MONLMLNTS CHRÉTIENS DE RODEZ
El en même temps, se peut-il une plus délicate et plus grandiose orai-
son funèbre de l'apôtre de Rodez, Araantius, en qui semble avoir passé
l'esprit des douze apôtres, qui semble redire par leurs bouches et leurs
gestes son symbole de foi, respirer par toute leur personne sa bonne odeur
du Christ, et dont le Christ lui-même, assis sur la montagne de la Terre
Promise, image de celle du ciel, prononce en quelque sorte la sentence de
béatitude ?
Il se pourrait bien que le tombeau du Christ, aux formes assez particu-
lières, représentât le premier tombeau de saint Amans, la petite basilique
où son successeur Quintien le trouva. On en aurait ainsi perpétué l'image,
en remplaçant cette basilique par une plus étendue. Le fait ne serait pas
sans analogue. Bien des monuments idéaux des sarcophages sont des mo-
numents réels, et c'est ici, au moins, un type de l'architecture dans les
Gaules sous Clovis.
Le sarcophage avait son couvercle. C'était un demi-cylindre ou un dou-
ble plan incliné en forme de toit. Avait-il des images chrétiennes ou de
simples ornements? Existe-t-il encore? Il est impossible de répondre à
ces questions. Il se peut, toutefois, qu'un précieux fragment de marbre
blanc qui est au musée de Rodez, offrant un grand monogramme du
Christ au sein d'une décoration de lierre, dont l'inaltérable verdure sym-
bolise l'immortalité, soit une moitié d'un des deux plans du couvercle. Ce
fragment, ou je me trompe, appartient à un sarcophage. II est d'un beau
travail et un peu rude, comme celui du sarcophage dit de saint Amans.
Ces monuments ont dû être rares à Rodez. On n'en montre que deux jus-
qu'ici, et assurément, s'il appartient à l'un des deux, c'est à celui dont
nous parlons. Il ne peut appartenir à l'autre, qui ofifre précisément le mo-
nogramme sur la face antérieure. Ce monogramme constantinien rappe-
lant l'apparition céleste, ces festons de lierre déposés comme des immor-
telles sur la tombe, complètent bien la théologie et la poésie ravissante de
notre sarcophage. Nous aurions ainsi tout ce qui peut nous manquer de
sa précieuse sculpture * ; car il n'est pas probable que la face postérieure
du couvercle ait été ornée de symboles, n'étant pas faite pour être vue, et
la face suivante du sarcophage, destinée à être cachée, étant restée toute
brute. Nous pouvons ainsi rétablir avec quelque vraisemblance, au moins,
tout l'ensemble de ce sarcophage de saint Amans, la pièce capitale des
monuments chrétiens de Rodez, et l'un des monuments les plus distingués
des Gaules et peut-être du monde entier.
' Si le fronton des côtés a eu quohiuo symbole chrétien, il a pu avoir la croix
équilatérale, comme il se \oit sur deux sarcophages de Ravenne de ce temps.
Giampini, Vetera monimenta, t. II, tavol. III.
LES anciens; MoNtMEiNTS t:HhEj■|L_^^ [,E HOI.EZ
23i
IV
UN SECOND SARCOPHAGK
Rodez possè(](î un second sarcophage
chrétien. Il est dans un entrepôt de la cour
de l'évêché. Grâce aux déblaiements labo-
rieux de MM. de Bonald et André Privât,
j'ai pu l'approcher. Il est en marbre blanc!
Une seule des faces est sculptée. Le mono-
gramme du Christ, avec l'A et Vil dans les
branches du X, entouré d'une couronne de
laurier aux lemnisques. c'est-à-dire aux ban-
delettes et ligatures de pourpre, qui flottent,
occupe tout le milieu. Trois colonnes enga-
gées s'élèvent de chaque côté, portant une
frise où, entre des demi-circonférences et
dedans, sont des plantes que je n'ai pu défî-
mr. Entre les colonnes s'élève un arbuste
qui ressemble à un figuier. N'est-ce pas le
figuier que le Christ a pris, avec ses bour-
geons tendres, comme signe du réveil de la
nature à l'approche du temps chaud ' ! C'est
ici un bel emblème, répété quatre fois, selon
les plages du ciel, de la vivification du
champ des morts par le soleil du Christ,
marqué, à défaut de celui de la nature, au
coin de l'éternité. Simple et superbe sujet,
qu'aucun sarcophage, si je ne me trompe,
ne nous a présenté encore !
On dit que ce sarcophage est celui de
saint Marnas, diacre de saint Amans. II
parait à peu près contemporain du pre-
mier. Ce sont deux contemporains des pre-
' Matt., XXIV, 32.
232 LES AMCIENS MONUMENTS (=:HHÉT1ï;NS UE RODEZ
raiers jour- de la monarchie française et du triomphe de la foi catholique
à Rodez. Il suffit de les signaler pour qu'ils reçoivent désormais le respect
auquel ils ont droit et dont ils ont joui pendant bien des siècles.
L'abbé V. Davin.
[La fin au prochain numéro.)
QUELQUES REMARQUES
A PROPOS n UNE NOUVELLE EDITION
DE L'IMITATION DE JESUS-CHRIST
Cette simple acte ne saurait avoir la prétention d'un travail approfondi
sur la matière. Elle suffira toutefois, espérons-nous, à démontrer aux
lecteurs de la Revue de l'Art Chrétien que les assertions émises dans la
livraison de décembre, par M. Elie Petit, ne sont pas à l'abri de toute
contestation sérieuse.
L'honorable écrivain, pour attribuer à Gerson la paternité de l'/wzVafebn
de Jésus-Christ, nous renvoie aux diverses dissertations de M. Vert dans
lesquelles il serait « démontré d'une manière magistrale » que Gerson est
le véritable auteur de V Imitation.
Nous ferons observer tout d'abord que la troisième et dernière étude de
M. Vert porte la date de I80I. Postérieurement à cette époque a paru
V Essai bïblioijraphique su>' le livre de Imitatione Christi, par le R. P. Au-
gustin de Bâcher, de la Compagnie de Jésus. On y lit la phrase suivante :
«Après un examen mûr et impartial, je considère Thomas a Kempis
comme l'auteur de V Imitation. »
Nous sommes tout aussi surpris de voir que M. Petit ne fasse pas men-
tion de deux articles étendus, publiés dans la Revue des questions histori-
ques, tomes Xni et XV, et dus à la plume exercée de M. Arthur Loth.
M. Loth écarte sans peine Gersen ; il discute longuement les titres de
Gerson et finit par conclure négativement. L'écrivain de la Revue des
questions historiques n'admet pas davantage que Tiiomas a Kempis soit
l'auteur de V Imitation. Il s'appuie, pour soutenir sa thèse, sur un manus-
crit, conservé à Paris, et auquel M. Delaborde a cru devoir assigner la
date de 1400. Si cette date est sérieuse, il devient évident que le chanoine
de Zwûlle ne peut être l'auteur de limitation. Nous noterons en passant
que le manuscrit n'est pas daté ; par suite, cette attribution de UOG ne
sort pas des probabilités.
ÎT'' SOI if . tnmn W , 17
2;U rl:maroues sur l'imitation de ji.srs-ciiRibT
Mais quelle est donc alors la sohiliun pi'oposée par M. Arthur Loth ?
D'après lui, Mgr Malou a parfaitement démontré que les idiotismes
flamands, qu'on rencontre si nombreux dans le texte latin de Vlmitatinn^
ne permettent absolument pas d'en considérer Gerson comme l'auteur.
M. Arthui- Loth admet également nos arguments aichéologiques. L'au-
teur de V Imitation dit au IV® livre ([ue le prêtre célébrant la sainte Messe
a la croix sur le devant et le denière de sa chasuble. Or, cet usage, ob-
servé dans la Belgique et les pays rhénans, avait disparu, dès le temps
de Gerson, des églises de France, 11 est assez connu qu'au XV'' siècle, la
croix ne se rencontre guère en France que sur le derrière de la chasuble;
alors déjà, le devant de la chasuble ne portait plus que la longue bande
que nous lui voyons aujourd'hui.
D'autres arguments internes, comme on dit, — tels, les mots devofi, mo-
derna devotio, l'éloge des Chartieux et des Cisterciens, — déterminent
M. Loth à opiner en faveur d'un chanoine, jusqu'à présent inconnu, de la
congrégation de Windesheim.
Certes, nous sommes loin d'accepter toutes les conclusions de l'écrivain
de la Revue des questions historiques ; son travail c-t toutefois trop sérieux
pour passer inaperçu. Ce n'est donc que justice de le signaler à ceux que
la chose intéresse.
Pour nous, Thomas a Kempis, chanoine régulier de Saint-Augustin, est
le véritable auteur de V Imitation de Jésus-Christ.
Nous n'entendons pas refaire en deux pages les travaux d'Amort et de
Mgr Malou, évùque de Bruges. Aux quinze témoins, tous contemporains,
dont on peut lire les dépositions dans les Recherches déjà citées, nous pou-
vons en ajouter un seizième.
La Commission royale d'histoire de Belgique a entrepris, il y aura bien-
tôt un demi-siècle, la publication de Chroniques inédites. Cette collection
compte présentement quarante-six superbes volumes in-quarto. L'un des
derniers volumes parus contient les textes latins de chroniques relatives
à l'histoire de la Belgique sous la domination des ducs de Bourgogne.
L'un de ces chroniqueurs, dont le manuscrit vient d'être livré à l'im-
pression, s'appelle Adrien de But. Il fréquenta dans sa jeunesse l'univer-
sité de Paris et mourut, moine cistercien, à* l'abbaye des Dunes, en
1488. Il jouit, de son vivant, de la considération universelle.
Ce savant homme écrit, à la pagf^ .547 de sa Chronique, publiée par
INI. le liaron Kervyn de Lettenliove, président de la Commission royale
d'histoire, ancien ministre de l'intérieui', éditeur des OEuvies de Chastel-
lain et de Froissart :
« Hoc annofratcr Thomas de Kem]iis. démonte Sanctœ-Agnetis, pro-
itF.MAi',nn:S SUT! L IMITATION DE JKSUS-CUP.IST 23o
fcrfsur ordiiiis icgularium canûuicoium, muUos, scriptis suis divulgatis,
aedificat; hic vilain sanctœ Lidwigis descripsit et quoddara volumen
metrice super illud : Qui sequitur me. »
On connaissait cette chronique bourguignonne, mais personne ne
s'était avisé de la lire entièrement. Voilà ce qui explique comment le
texte transcrit plus haut n'a pas été invoqué jusqu'à cette heure par les
défenseurs de Thomas a Kempis.
Il y a plus. Ce texte d'Adrien de But n'est pas une simple exhumation
d'un document sorti de la poussière de nos archives; il contient une ré-
vélation.
Que signifie ce mot metrice? Metrice, c'est-à-dire, métriquement. Y
a-t-il donc, non pas des vers, mais un langage mesuré dans V Imitation?
Oui, il y a dans ce livre admirable un langage cadencé, un certain
rythme se produisant à l'aide d'assonances, ou de rimes parfois. C'est
même en s'inspii-ant de cette idée que M. Charles Hirsche vient de publier
à Berlin, 1874. une édition nouvelle, dans toute la force du mot, de Y Imi-
tation : TJiomœ h'empensis de hnitatione Christi libri quatuor. Tcxtum ex
autograp/io Tliomse nunc primum accuratissime reddidit^ distinxit, novo
modo disposuit, capitulorum argumenta, locos parallelos adiecit Carolus
Hirsche.
Le codice ayant servi de base à la nouvelle édition, est celui de liil,
conservé présentement à la bibliothèque royale de Bruxelles.
Notre petite note n'a d'autre but que de tenir en éveil l'attention des
lecteurs éclairés de la Revue de r Art (Chrétien. Tout en rendant hommage
aux connaissances de M. Vert et de M. Elie Petit, nous croyons qu'il ne
faut pas affirmer, d'une façon aussi positive que le veulent ces érudits,
les droits de Gerson à V Imitation. Thomas a Kempis restera toujours un
concurrent redoutable pour tous ses rivaux, et, n'en déplaise à personne,
il est fort loin de su voir dépossôdi; de la gloire d'avoir écrit le plus beau
livre qui soit sorti de la main des hommes.
Ad. Delvigne,
Cutl' (le X.-D. iki Sabloii (ni'uxpllcs).
LE NOUVEAU CHŒUR
DE LA
BASILIQUE-CATHÉDRALE DE MONTPELLIER
Le dimanche 18 janvier a eu lieu l'inuLiguration de la nouvelle partie
de la basilique-cathédrale Saint-Pierre, de Montpellier.
M. le Préfet a remis à Mgr de i^abrières le nouvel édifice en lui adres-
sant le discours suivant dans lequel l'élévation de l'idée le dispute aux
charmes de la forme :
« Monseigneur,
a Les bénédictions de l'Eglise vont sanctifier cette cathédrale. Avant
que soient donnés à vos diocésains la consolation d'y prier et le bonheur
de vous y entendre, Votre Grandeur me permettra de lui dire combien je
m'estime honoré de lui en ouvrir les portes.
« Représentant d'un gouvernement qui se fait un devoir de rendre hom-
mage à la religion et d'en protéger l'influence comme élément essentiel à
la vitalité du pays et remède suprême à nos malheurs, je salue en vous,
Mon?eigneur, le chef bien-aimé de ce beau diocèse, le dépositaire de ses
intérêts les plus sacrés, et. au nom de l'Etat, je vous remets ce sanctuaire.
« Après vingt années durant lesquelles les largesses du gouvernement,
du département et de la ville de Montpellier répondirent au zèle de nos
évêques, il vous était réservé de couronner l'œuvre si opportunément en-
treprise par l'un de vos plus éminents prédécesseurs. Nul mieux que vous,
Monseigneur, r:e pouvait prendre possession de la cathédrale rajeunie ;
on aime à voir s'harmoniser toutes choses dans les perspectives de la
Providence et de l'avenir, comme dans celles de l'art.
(( Prenez ici votre place. Monseigneur, à la tète de ce chapitre et de ce
clergé dont les mérites honorent le pays ; présidez devant cet autel aux
solennités du culte ainsi que vous présidez à tout ce qui nous élève vers
LE NOUVEAU CHŒUR, ETC. 237
Dieu, et. qu'à votre appel voi diocésains s'unissent dans Ja concorde,
comme vous les ferez s'unir par la prière sous ces voûtes sanctitiées.
(( Ainsi se réalisera l'idée symbolique de l'unité, si parfaitement em-
preinte aux divers aspects de ce monument, qui ajoute un nouvel éclat à
la renommée de notre habile et savant architecte.
« Telle est la signification de la fête qui réunit aujourd'hui ces vénérés
prélats, auxquels je suis heureux d'offrir, au nom de notre département
et de notre ville, nos remercîments et nos respects. Leur présence atteste
la fraternité de l'épiscopat français, source si féconde du bien ; elle est
pour vous un témoignage, Monseigneur. Elle est enfin comme l'épanouis-
sement des gloires religieuses de l'Hérault, si dignement représentées ici,
sous la présidence de l'éminent archevêque métropolitain.
« Entrez donc dans la cathédrale. Monseigneur, et que ses portes s'ou-
vrent devant vous, comme s'ouvrent les âmes au contact de vos vertus
et sous la douce puissance de votre parole. »
Mgr l'évêque de Montpellier a répondu, avec sa chaleur de parole ac--
coutumée, à M. le préfet de l'Hérault.
Nous regrettons de ne pouvoir placer cette improvisation sous les yeux
de nos lecteurs.
Après le discours de sa Grandeur, le cortège épiscopal s'est avancé jus-
qu'à la partie neuve des transsepts, où M. Révoil, l'architecte diocésain,
accompagné de M. Airibat, inspecteur des travaux, a présenté au prélat
tout le personnel des entrepreneurs, et a prononcé l'allocution que nous
sommes heureux de pouvoir reproduire :
« Monseigneur,
« 11 y a vingt ans, à cette place, l'un de vos vénérables prédécesseurs,
Mgr Thibaud, arrêtait avec moi les plans de cette seconde église que
vous allez unir à l'ancienne nef d'Urbain V.
« Aujourd'hui notre œuvre commune est achevée, et je suis demeuré
seul témoin de ce grand jour qui eût été assurément le plus beau de la vie
de celui qui repose dans cette modeste tombe, vers laquelle mes regards
se dirigent tout d'aboi'd.
« Aussi mes premières paroles, empreintes d'une reconnaissance respec-
tueuse, s'adressent-elles à ce prélat regretté, pour lui demander de bénir
du haut du ciel celui à qui Dieu a permis de vivre assez pour continuer
son œuvre de prédilection.
(( A la douleur de cette absence. Monseigneur, s'ajoute aussi pour mes
collaborateurs et pour niui le regret profond de ne pas voir aujourd'hui à
238 LE NOUVEAU CHOEUR
notre tôte notre inspecteur général Léon Vaudoyer, l'architecte illustre de
cette splendide cathédrale de Marseille, qui s'intéressa si vivement à nos
projets, qui me prodigua dès leur origine ses savants conseils et m'honora
plus tard de sa précieuse amitié.
« D'autres tombes, hélas ! se sont ouvertes autour de nous.
« Pascal, cet ouvrier habile, loyal et honnête qui commença ce vaste
chantier, nous fut subitement enlevé : son digne neveu, Tun de ses suc-
cesseurs, succombait quelques années plus tard à une maladie aggravée
par les dures fatigues de cette entreprise.
« Pour eux et pour vous aussi, modestes soldats de notre laborieuse
phalangi', morts sur le champ de bataille du travail, nous implorons les
prières des vénérables prélats qui vont bénir ces pierres amoncelées si
péniblement par vos mains.
« Vous voyez réunis autour de votre architecte, Monseigneur, tous ceux
que Dieu a daigné épargner dans cotte longue campagne et qui ont pu
l'aider ù mener à bonne fin la construction de ce monument,
« Qu'il lui soit donc permis, devant cette auguste assemblée, d'exprimer
d'abord toute sa reconnaissance à son fidèle et habile inspecteur M. Arri-
bat, pour son concours aussi intelligent que dé\'0ué : il s'est acquis dans
ces fonctions des titres sérieux à l'estime de ses concitoyens et à la bien-
veillance de l'administration supéx^ieure.
« M. Marvit, le seul survivant de cette association si cruellement frap-
pée, a des droits incontestables à toute notre gratitude. Son zèle, son
savoir comme constructeur et son activité ne nous op.t pas fait défaut un
seul jour.
« Mous ne devons point oublier non plus MM. Maurin, Gaud. Brun,
Lallemand, Mora et Martin, qui ont dignement accompli la tache qui leur
avait été confiée.
« Uemercions également MM. Baussan et Brémond, artistes aussi mo-
destes que distingués, dont le ciseau a décoré Tintérieur et rextérieur de
cette cathédrale des plus riches sculptures.
(( Honneur encore à MM. Didn^i et Nicod, dont les remarquables ver-
rières aux couleurs aussi harmonieuses qu'éclatantes sont le plus bel orne-
ment de cet édifice et attestent le talent si justement renommé.
« Monseigneur,
(( La Providence vous destinait le trône épiscopal de cette cathédrale,
que dans sa bonté infinie N.-T.-S. Père le P.ipe Pie LX a décoré du titre in-
signe de basilique. Souvenez-vous quchjuefois dans vos prières qu'elle est
l'œuvre d'une main amie, unie h la vôtre dans un jour d'immense dou-
IIE LA HASlLiOUE-CATlli;DUALE l)K MOXTri:LI,li:!î 239
leur; mais que vos premières supplications soient pour ceux (jui ne sont
plus, et dont la mémoire ne saurait être oubliée dans cette solennité reli-
gieuse.
« Daignez aussi bénir, Messeigneurs, tous ceux qui ont participé à cette
construction et qui vous reçoivent avec moi à l'entrée de cet immense
sanctuaire. Priez alin qu'ils puissent, pendant de longues années encore,
augmenter le nombre des temples élevés à la gloire de notre Dieu. »
C'est à peine si M. Révoila pu prononcer ces dernières paroles qui fai-
saient allusion à un malheur de famille tout récent. Mgr de Montpellier a
répondu à M. Révoil dans les termes les plus sympathiques pour lui et
pour ses coilaboiaceurs, et Ta embrassé avec effusion.
Le cortège religieux est alors entré dans le nouveau chœur, oij a com-
mencé la cérémonie de la bénédiction.
Mgr Dubreuil, archevêque d'Avignon, qui présidait à cette imposante
et pieuse solennité, après avoir récité les prières consacrées à cet effet
par l'Eglise et donné la bénédiction, est monté en chaire et a, pendant
près d'une heure, tenu l'auditoire sous le charme de son éloquente parole.
Mgr d'Avignon était assisté de NN. SS. les évoques de Nîmes, de Car-
cassonne, de Grenoble, de Saint-Michel-du-Désert, de Montpellier et de
l'ancien évêque de Constantine.
Disons tout d'abord quelle impression nous avons ressentie en franchis-
sant avec la foule le seuil do cette antique basilique, pour l'agrandisse-
ment de laquelle le talent de Tarchitecte a su faire revivre le style gran-
diose qu'avait rêvé, pour la maison de Dieu, Urbain V, lorsqu'il ordon-
nait de poser ia première pierre de l'église du monastère dédié à saint
GeiMiiain.
A peine entrons-nous dans l'euceintc que nos regards sont fj'appés par
la beauté du plan, l'harmonie des proportions, la rectitude et l'élance-
ment des i;randes lignes architecturales; et si l'espace limité a forcé de
donner moins de largeur à la nouvelle partie de l'édifice, nous sommes
heureux de reconnaître que M. Révoil a fort heureusement tourné la dif-
ficulté en resseriant les grands arcs de voûte si habilement juxtaposés.
11 y a vingt ans, alors que le regretté prélat, Mgr Thibaud, présidait à
la cérémonie de la pose de la première pierre de la partie complètement
achevée aujourd'hui, la caihédrale de Montpellier ne mesurait que 40 mè-
tres de lofigucur; 'iUe en compte actuellement 95 dans œuvi'e et [12 hors
œuvre. La partie ajoutée fait donc o5 mètres de long et :28 mètres de
large. Quant à la hauteur dos transsepts et du cbrruir, elle atteint :2G mètres
sous clefs de voûtes, pareillement à la hauteur des voûtes de rancienne
240 LE NUUYEAr CIKT.rR
nef. On peut juger, d'après ses proportions, de Teflet grandiose que pro-
duit ce monument.
A la nef d'Urbain V, flanquée de ses chapelles, ont été ajoutés des trans-
septs, puis un chœur de trois travées terminé par une abside à sept pans,
comme celles de Saint-Fulcrand de Lodôve, de Saint-Nazaire de Béziers et
de l'église de Capestang. A droite et h gauche de ce chœur, on remarque
deux bas-côtés de division pareille : le bas-côté gauche donne accès par
trois portes communiquant dans le prolongement du cloître des Bénédic-
tins (aujourd'hui la Faculté de médecine); cette galerie précède deux vas-
tes sacristies, celle du chapitre et celle du service paroissial.
Conçues dans le style du milieu du Xlll*^ siècle, ces nouvelles construc-
tions sont ornées des plus riches détails de sculpture.
A l'extrémité du transsept droit s'ouvre la grande porte qui donne accès
sur la rue Saint-Pierre. Cette porte, qui n'est pas complètement terminée,
est ornée de trois bas-reliefs confiés au ciseau de notre habile statuaire,
M. Baussan : ils représentent la naissance et V ensevelissement de Jésus-
Christ ; et sur ces deux bas-reliefs, dans la partie supérieure, on remarque
le couronnement de la Vierge^ qui tient la main droite de l'Enfant-Dieu
pour lui apprendre à bénir.
M. Baussan a également payé sa largo part dans l'ornementation de ce
monument. 11 partage le mérite de ces travaux décoratifs avec un artiste
aussi modeste que distingué, M. Bremond, sculptenr ornemaniste qui a
déjà produit, sous la haute et savante direction de M. llévoil, des œuvres
nombreuses et très-importantes qui sont empreintes toutes du caractère
et du style le plus correct des époques l'omanes et du Moyen- Age.
La ferrure des portes et les grilles en fer forgé dont il est facile d'ap-
précier le travail si riche et si délicat, sortent des ateliers de M. Louis
Gaud de notre ville et de son habile collaborateur M. Blaquière. Ces
travaux de serrurerie, dont l'architecte a étudié les moindres détails, sont
merveilleusement exécutés et peuvent passer pour un modèle de ce genre.
La clôture-appui de la communion qui précède le sanctuaire est éga-
lement ornée de rinceaux en fer forgé. Les grandes pentures des portes
sont aussi un chef-d'œuvre dans l'art de forger.
Les portes en chêne, fort bien assemblées, sont, comme la charpente,
l'œuvre d'un habile menuisier de Montpellier, M. Maurin, à qui est réservé
pour plus tard le soin de faire le mobilier de ce vaste sanctuaire.
Les mosaïques des sacristies et du chanir ont été exécutées par M. Mora,
de Nîmes, qui a déjà orné do ses riches jiavements le clioMir de la cathé-
drale d'Aix, le sanctuaire de Notrc-Damc-de-la-Gardc Vt de nombreux
édifices civils et rcliuicux dans nos contrées méridionales.
DE LA BASILIQUE-CATHÉDRALE DE MONTPELLIER 241
Pour achever d'initier nos lecteurs aux embellissements faits à la cathé-
drale, n'oublions pas d'attirer leur attention sur les vitraux qui ornent
les ouvei tares de la basilique.
La cathédrale de Montpellier, sous le rapport des verrières, n'a rien à
envier à nos plus belles cathédrales de France ; les magnifiques vitraux
à personnages des trois fenêtres du chœur et les merveilleuses arabes-
ques qui garnissent toutes les grandes ouvertures du côté gauche, sont
l'œuvre de M. Edouard Didron, dont la réputation est aujourd'hui euro-
péenne et dont les travaux remarquables brillent de tout leur éclat dans
nos édifices religieux du Midi et dans les métropoles de l'étranger.
La cathédrale d'Aix et l'église d'Aimargues par exemple, œuvres de
M. Révoil si justement appréciées par tous les savants touristes, sont dé-
corées des vitraux de M. Didron.
La partie droite du chœur et les deux rosaces ont été exécutées par
M. Paul Nicod, de Paris. Cet artiste habile et consciencieux ne s'est pas
moins bien acquitté de la tâche que lui avait confiée l'architecte. Comme
composition et comme coloris, ses deux grandes roses placées au-dessus
des portes des transsepts produisent un grand effet. Les figures sont
traitées avec une exquise pureté de style, et l'ornementation qui com-
plète ces deux belles pages est parfaitement conçue.
M. Martin, d'Avignon, a très-bien saisi le lot plus modeste qui lui a été
confié ; les grisailles placées dans la sacristie sont d'un effet très-harmo-
nieux.
On ne saurait trop louer la précision et la correction d'un travail aussi
remarquable.
En un mot, nous sommes heureux de pouvoir constater que cette
grande œuvre s'est exécutée sans tassement, sans l'ombre d'une fissure,
et que ces voûtes de dimensions gigantesques sont appareillées avec un
art merveilleux. Nous ne saurions terminer cette courte appréciation de
si grands travaux sans faire une mention spéciale des réels services
rendus par M. Arribat, inspecteur diocésain, qui a constamment rempli
la tâche importante qui lui incombait avec une grande intelligence et a
secondé son architecte en chef, M. Révoil, avec un zèle infatigable, digne
des plus grands éloges.
L. G.
TRAVAUX DES SOCIETES SAVANTES
Société des anciens textes français. — M. Léon Gautier, dans le
Monde, annonce la nouvelle suivante :
« L'antre jour, chez M. Didot, se réunissaient une foule d'érudits, et
cétaiont tous ceux qui se sont jusqu'ici occupés le plus efficacement de la
pu])lication des textes romans du Nord nu du Midi. M. Natalis de Wailly
présidait. Près de lui se pressaient MM. Gaston Paris, Paul Meyer, Léopold
Delisle, Thi'.rot, James de Rothschild (un banquier qui a Thonneur de
s'intéresser à ces très-nobles études), Michelant. Bordier, Pannier, Dar-
mestetter, Francis Wey, Joseph de Laborde, Siméon Luce, Anatole de
Montaigion, et l'auteur de ces lig-nes. Sur le champ on a proposé de créer
une « Sociélé pour la publication des anciens textes français et proven-
çaux », et il convient ici de rappeler que l'initiative de cette proposition
appartient toute à M. Gaston Paris. Après une longue et intéressante dis-
cussion, le Uîun de « Société des anciens textes français et provençaux »
a été définitivement adopté. On avait quelque temps hésité devant d'autres
noms plus pittoresques : « Société Sainte-Palaye, Société Du Cange, So-
ciété Raynouard, etc., etc, » Quoi qu'il en soit, la nouvelle institution est
fondée; elle vit. Tous les ans, quatre, cinq ou six volumes de textes seront
publiés : la plupart seront inédits, mais on ne s'est pas enlevé le droit
d'éditer à nouveau d'anciens textes qui auraient été mal publiés une pre-
mière ou même une seconde fois. Et déjà l'on nous annonce la publica-
tion très-prochaine de Roncevaux, d'Aiol et lUiniôel, et d'un volume de
Ml/ stères. »
Société des Antiquaires de France. — Dans sa séance du 2 décem-
bre, la Société des Antiquaires de Fi'ance a ainsi constitué son bureau
pour l'année 1875 : MM. G. ^Vcscher, président; A. de Montaiglon, pre-
mier vice-président ; A. Dertrand, deuxième vice-président ; G. Duplessis,
secrétaire ; S. Dumay, secrétaire-adjoint; P. Nicard, trésorier; E. Aubert,
bibliothécaire-archiviste.
TliAVAUX DES SOCIETES SAVANTES 243
Société Havraise d'études diverses. — Voici une intéressante notice
de M. A. Devaux, sur une statue trouvée au Mesnil-sous-Lillebonne :
« Les dernières fouilles faites au Mesnil-sous-Lillebonne, dans la pro-
priété de M. Montier-Huet, sous la dévouée et intelligente direction de M.
Delarue, agent-voyer de Lillebonne, et en présence de M. Brianchon, sa-
vant archéologue, ont mis au jour un véritable trésor d'antiquités.
Ces fouilles n'ont pas été faites sur une étendue de plus de 18 mètres
de superficie, et cependant le chiffre des objets trouvés est des plus res-
pectables.
Au milieu d'une couche épaisse de terre noire, toute jonchée de poteries
brisées, d'écaillés d'huîtres, de tuilos faîtières, de pavés blancs striés, on
a trouvé, gisant pele-raùle, un dolium, cinq ou six cruches roses, une oUa
en terre grise, un joli vase de Samos, reliefs extrêmement légers — ici
un fragment de pierre tectiforme, qui semble avoir servi de tympan à un
petit monument funèbre — là un squelette, accompagné de clous, dont
le crâne reposait la face tournée contre la terre.
Plus loin, une petite urne en plomb, tout unie, renfermant, avec des
^sements brûlés, un vase en verre broyé et un moyen-bronze de l'empe-
reur Commode. Deux autres monnaies d'argent, à très-petit titic, sont
frappées à l'effigie de ïrajan et de Gordien.
Mais l'objet réellement précieux, que nous avions mission d'étudier et
de décrire, c'est une statue.
Cette statue est haute de 1'" 2^. Elle est en pierre blanche du pays.
Cette pierre est très-friable et ne résisterait pas longtemps à l'action de
l'air, surtout dans un pays aussi humide qu'est la vallée de Lillebonne ;
elle ne nous a été conservée que grâce à un mètre et plus de terie qui la
recouvrait.
Malheureusement, cette statue est très-mutilée : la tête est séparée du
corps. L'avant-bras droit est détruit, et les pieds n'existent plus.
Mais, telle (ju'elle est, nous la considérons comme une trouvaille d'un prix
inestimable.
Nous avions hésité à admettre que la tète appartînt au corps que nous
avions sous les yeux, à cause d'un fini de travail qui n'existe pas pour les
vêtements; mais en étudiant avec une grande attention la seule main qui
reste, nous n'avons pas tardé à recoimaîtrc que le même artiste est l'au-
teur de ces deux parties. Et puis on remarque, à la partie inférieure de la
tête, la ti-ace. bien évidente, d'une tige de fer ou de buis, qui devait ser-
vir à réunir deux fragments, ainsi que cela a encore lieu aujourd'iiui pour
nos statues faites avec des matériaux peu résistants.
Le vêtement demande la plus scrupuleuse attention. 11 se compose de
244 TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES
deux robes : la pi'cmièi-e, sorte de tunique, que l'artiste s'est efforcé de
faire comprendre comme étant d'une étoffe très-fine, est à plis très-serrés
et descend très-bas.
Cette tunique est revêtue d'une sorte de pallinm très-ample et formant
des plis profonds, tout en dessinant bien exactement les lorraes du corps.
Les manches de ce pallium sont très-larges. En outre, une écharpe fait le
tour des épaules. Cette écharpe ne serait-elle point la pénule dont on
commença à faite usage vers Tan OU de notre ère ? Sous Auguste on ne
s'en servait point encore. Tacite en fait mention. Elle était courte, étroite,
fermée de tout'^ part et surmontée d'un capuchon. Malheureusement notre
statue étant entièrement fruste vers les épaules, il est impossible de pou-
voir y trouver la moindre trace de capuchon. On plaçait cette pénule
par-dessus le pallium ou la tunique, et elle servait à garantir la tête con-
tre le soleil ou la pluie. Elle n'était employée que pendant les voyages.
Nous remarquons encore, sur le bras gauche, une autre partie de vête-
ment qui ne peut être que le m'inipule ; il portait à cette époque différents
noms : maiiulurrt .^ maputa^ sudarium., et encore phanon. C'était primitive-
ment un linge, mouchoir ou serviette dont les anciens se servaient po«r
s'essuyer les mains. On en usait dans la liturgie comme dans la vie com-
mune, par un motif de propreté. Celui qu'offre notre statue est ornée
d'une frange.
La tête est mutilée ; le nez, la bouche et le menton ont disparu. Les
yeux, creusés pour recevoir des émaux — cela est évident — sont bien
conservés ; Toreille est attachée avec art, le front est pur, les cheveux sont
relevés d'après l'usage des anciens Grecs.
La main qui soutient un vase est très délicatement sculptée. Le vase,
qu'est-il ? contient-il des offrandes? renferme-t-il des cendres? Et cet ob-
jet qui le surmonte, et tout d'abord nous fait penser à un serpent, est-il
réellement ce qu'il paraît être? Il est bien à craindre que nous ne le sa-
chions jamais.
Après avoir décrit cette statue aussi fidèlement qu'il nous a été possi-
ble, il nous reste à nous acquitter du plus difficile de notre tâche. Que
représente cette statue? à quelle époque peut-on la faire remonter?
11 est presfiue impossible de répondre à cette première question. Si
cette effigie est antique, elle ne peut être qu'un emblème. Est-ce une
femme poi-Lant des offrandes à Esculape ? cette pensée est suggérée tout
d'abord par cette forme de serpent. Est-ce une femme en deuil apportant
à la dernière demeure les cendres d'un être aimé? je ne le crois pas; car
si c'était une femme en deuil, elle aurait la tête recouverte de son man-
teau, selon l'usage antique. Est-ce une vestale? non, car ce costume n'est
TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES ii45
pas celui de cette congrégation de vierges. Je ne vois rien dans lantiquitc
romaine qui rappelle cette disposition de vêtements.
Si j'osais émettre mon opinion, je dirais que cette statue, bien réelle-
ment statue de femme, pourrait bien représenter une Madeleine portant
ce vase « rempli d'un parfum de grand prix » qu'elle répandit sur les
pieds du Divin Maître pendant qu'il dînait chez Simon le pharisien. Ou
bien encore ce pourrait être une des saintes femmes venues « de grand
matin avec des parfums pour embaumer le corps du Sauveur, le premier
jour de la semaine. »
Si la tête n'est pas une tête de femme, rien n'empêcherait de croire
que nous avons sous les yeux une figure de saint Jean l'Evangéliste.
Nous n'hésitons pas à admettre que cette œuvre date du cinquième ou
du sixième siècle de l'ère chrétienne, peut-être du temps des premiers
rois Mérovingiens. La tête, quoique assez finement sculptée, laisse cepen-
dant à désirer : les cheveux relevés sur le front, d'après la mode grecque,
ne sont pas traités avec assez de soin, et marquent déjà une époque de
transformation. Les yeux, dont on ne voit que les ctivités, étaient destinés
à recevoir des émaux, décoration tout à fait byzantine, que l'on prodigua
pendant les dix premiers siècles.
Le vêtement est un vêtement tout-à-fait religieux, ou au moins était
adopté par les ascètes et les philosophes. Le pallium, très-ample chez les
anciens, et pouvant servir de manteau, prend ici la forme d'une robe ou
dalmatique. La couleur en était foncée, le plus souvent noire. Ceux qui
portaient ce vêtement marchaient tête et pieds nus ; ils y ajoutaient seu-
ment une tunique, que les Cyniques seuls n'avaient point admise. Saint
Jérôme, écrivant à Marcella, lui dit que la couleur foncée de la sienne le
faisait prendre pour un philosophe.
Pendant longtemps, ce costume fut commun aux deux sexes ; plus
tard, il devint exclusivement celui des personnes consacrées à Dieu.
La manière dont les plis de la tunique sont disposés trahit encore l'é-
poque mérovingienne.
Mais comment cette œuvre d'art s'est-elle trouvée avec tant d'autres
objets de temps plus anciens? C'est ce que nous ne pouvons dire pour le
moment. Attendons que de nouvelles fouilles soient faites, et alors, peut-
être, nous connaîtrons l'histoiro de ce qui nous paraît en ce moment si
mystérieux. ->
Société d'archéologie lorraine. — Nous trouvons dans son dernier
Bulletin de curieux détails sur le cérémonial des grands couverts à la cour
des ducs de Lorraine. En voici quelques extraits :
i46 TRAVAUX DES SOCIETES SAVANTES
Dans le palais de Charles III, le grand maître de Thôtel de Son Altesse
avait sous s^s ordres une armée de serviteurs, et il faut connaître la liste
de la maison ducale pour comprendre par combien d'intermédiaires les
mets devaient passer avant d'être déposés devant le prince.
Trois maîtres-queux et quatre aides fonctionnent à la cuisine, puis
viennent quatre officiers de paneterie, trois officiers de garde-manger, cinq
officiers d'échansonnerie, trois officiers de fruiterie, deux pâtissiers et
herbiers, sept officiers de salle et sert-d'eau ; enfin une engraisseuse des
volailles de la ménagerie de Saulrupt et un « préposé ayant charge sur les
truites, faisans, vacherie et autres choses semblables dépendant de la mé-
nagerie de S. A. »
Le service des grands couverts était confié, outre l'argentier, ses deux
clercs d'office et les officiers de vaisselle, à trente gentilshommes servants,
à quatre maîtres-d'hôtel servants par quartiers et quatre gentilshommes
suivants.
Le reste de la maison était organisé à l'avenant. Le grand chambellan
et le grand écuyer étaient les chefs de tout un état-major d'huissiers, va-
lets de chambre, apothicaires, écuyers, laquais et palefreniers. Au total,
630 ufficiers ou domestiques composent le personnel attaché au service
du duc et des princes du sang en l'année -1007.
Quand le prince voyageait, il était accompagné par ses principaux ser-
viteurs ; puis, dans les villes visitées, apparaissait un nouvel officiernommé
le maître-nappier. Ses fonctions, dévolues ordinairement au prévôt de la
localité, consistaient à fournir toutes les nappes nécessaires pour le ser-
vice de la table ducale ; le même officier devait en outre « les huer et en-
tretenir à ses frais. »
Quels avantages, quels honneurs étaient attachés à l'office du maître-
nappier? Les comptes des receveurs du domaine ne donnent aucun détail
sur ce point et se bornent aux indications sommaires que nous venons de
mentionner.
Divers écrits du temps ont retracé les lois de l'étiquette minutieuse-
ment observées dans les réceptions officielles de la cour. Un chambel-
lan de Gharles-le-Téméraire, Olivier de la Marche, qui, à la bataille de
Nancy, fut avec Beaudouin, frère naturel du duc, fait prisonnier près du
village de Laxou, a laissé des mémoires fort curieux auxquels nous em-
pruntons la relation des usages suivants :
Le maître-queux se rendait dans la salle du repas, suivi du saucier, au-
quel il faisait couvrir la table d'une double nappe nommée doublier. Le
saucier allait ensuite chercher la vaisselle confiée à sa garde; il la plaçait
par pih;s, sur le dressoir. Pendant ce temps, un valet-servant allait, à la
TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTKS 2A~
paneterie, recevoir, du garde-linge, les couteaux avec trois serviettes, et
du sommelier, le pain de bouche avec trente-deux tranchoirs ou grosses
tartines de pain bis sur lesquelles se mangeaient certains mets, en guise
d'assiettes. L'huissier de salle prenait à la paneterie une verge blanche de
quatre pieds de longueur, symbole de sa fonction, puis il allait quérir
les différents officiers au service. Le sommelier déployait une serviette,
la baisait et la donnait au panetier, qui la déposait sur son épaule gauche
en enfonçant les deux bouts dans sa ceinture, l'un par devant, l'autre par
derrière ; il lui présentait de même la salière du duc couverte. Alors tous
quatre s'avançaient vers la salle dans l'ordre suivant : l'huissier, le pane-
tier, le valet-servant et le sommelier ; le panetier portait la salière, le
valet-servant, le pain, les serviettes et les couteaux dans leur gaine, et le
sommelier, la /^V d'argent. Ce vase, ainsi que Tindique son nom représen-
tait un navire : il contenait une nef moins grande, une petite salière, des
tranchoirs d'argent et une licorne destinée à faire l'essai des viandes, du
pain et des autres aliments présentés au duc.
La /«corne était considérée comme l'emblème de la pureté; tout frag-
ment de corne en provenant, mis au contact de substances toxides, devait
immédiatement annihiler le puison ; de là l'usage superstitieux pendant
les XV" et XVP siècles de toucher tous les mets et boissons avec la hcorne
déposée dans la nef.
On procédait d'ailleurs aux essais de la manière suivante : a Le som-
melier doit mettre de l'eau fresche sur la licorne et en la petite nef et doit
bailler ^e^say au valet-servant, vuydant de la petite nef en une tasse, et
la doibt porter en sa place, et faire son essay devant le prince, vuydant
l'eau de la nef en sa main. »
Enfin le duc arrivait avec sa cour, et alors commençait un autre céré-
monial, qui ne s'adressait qu'à lui seul.
Avant de s'asseoir à table, il se lavait les mains ; le panetier présentait
alors une serviette au premier raaître-d'hôtel, celui-ci la donnait au cham-
bellan, et ce dernier au prince, à moins que le chambellan ne voulût
céder cet honneur à quelque grand seigneur présent. Lojsque le duc avait
lavé, il remettait la serviette au maître-d'hôtel, qui la rendait au panetier.
Celui-ci la pliait et la jetait sur son épaule ; puis il se rendait avec le pa-
netier à la cuisine. Le maître-queux ordonnait alors à ses subalternes
d'apporter les mets apprêtés. Il les présentait au maître-d'hôtel, qui en
faisait l'essai, les couvrait et les livrait ainsi couverts au panetier. Celui-
ci faisait signe aux gcritilhommes servants de les porter dans la salle. La
marche était précédée par l'huissier de salle et fermée par l'écuyer de
cuisine, dont rofficc principal était de suivre tous les plats qui sortaient
248 TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES
de la cuisine. J.e uiOme Léréinonial avait lieu pour porter les sauces, avec
cette difTi^rence pourtant que celles-ci n'étaient point présentées, comme
les autres plats, au maître-d'hôtel, mais au panetier, qui en faisait l'essai ;
le maître-d'hôtel seul les posait sur la table.
Tous ces essais, faits à la cuisine, n'empêchaient pas d'en faire de nou-
veaux à la table. Lorsque les plats étaient posés et le duc assis, le valet
servant faisait l'essai des pains-tranchoirs ; le panetier celui des viandes,
etl'échanson, un genou en terre, celui de l'eau pour la bouche. Alors l'é-
cuyer-tranchant, vis-à-vis du duc et de l'autre côté de la table, enlevait
une des deux serviettes qui couvraient le pain débouche; il la baisait, et
après l'avoir passée autour de son cou, de façon que les deux bouts pen-
dissent sur la poitrine, il s'enveloppait avec l'un de ces bouts la main gau-
che, qu'il appuyait sur le pain, et de l'autre main, coupant le pain en deux
parts, il en faisait faire l'essai au valet-servant, puis il baisait le manche
du couteau destiné au duc et le lui mettait sous la main. Après ces forma-
lités, il servait ; mais il ne découvrait les plats qu'à mesure que le duc
voulait en manger, et de chaque plat il faisait l'épreuve. Pour découper
les viandes, il prenait un tranchoir d'argent, sur lequel il mettait cinq
tranchoirs de pain, afin de soutenir l'effort du couteau, et avec le même
couteau il présentait au duc le morceau coupé.
Le duc ne devait demander à boire que par signes. Alors l'échanson
prenait le gobelet avec sa soucoupe, et l'élevant au-dessus de sa tête afin
que son haleine ne pût pas l'atteindre, il allait, précédé de l'huissier, le
faire remplir au buffet. Le sommelier, avant d'y mettre l'eau et le vin,
l'arrosait d'abord en dedans et en dehors pour le rafraîchir. Quand le go-
belet était plein, l'échanson le faisait déborder dans la soucoupe, puis il
donnait au sommelier la moitié du liquide débordé pour en faire l'essai.
Revenu près du duc. lui-même à son tour faisait l'essai de ce qui restait
dans la soucoupe ; il présentait ensuite le gobelet au prince et lui tenait
la même soucoupe sous le menton pendant qu'il buvait. Au dessert, le
panetier allait au buffet chercher l'oublieux, qui venait poser ses oublies
devant le duc et qui en faisait aussi l'essai. L'échanson allait, de son côté,
prendre des mains du sommelier les vins apprêtés ou épicés et Thypocras.
Enfin, avant de sortir, le duc se lavait les mains une seconde fois ; l'échan-
son lui présentait le bassin et l'eau, et le panetier la serviette.
Après avoir été employés comme assiettes pour le service des viandes
distribuées aux convives, les pains -tranchoirs étaient jetés dans des vases
dits couloueres (vases à couler, à passer, passoires) ; il était d'usage aussi
d'y joindre quelques pièces de bouilli et de rôti, qui étaient distribuées
aux pauvres par les valets d'aumône. Ajoutons enfin que chaque convive
i'KA.VAl"X UKS .SOCIKl'KS SAVANTES 249
était pourvu d'une serviette, d'un couteau et d'un gobelet, parfois aussi
d'une cuillère ou paelle et de quartes d'argent (vases contenant deux
pintes de vin).
Dans les beaux temps de la chevalerie, on imagina de placer les invités
par couple, ordinairement homme et femme ; chaque couple n'avait alors
qu'une seule coupe et une seule assiette ou tranchoir ; ce qui s'appelait
manger à la mesme escuelle.
Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de
Belgique. — La classe des beaux-arts vient d'arrêter le programme des
concours pour 1875. — Sujets littéraires. — Première question : « Faire
l'histoire de la sculpture en Belgique aux dix-septième et dix-huitième
siècles; » — Deuxième question : « Faire l'histoire et la bibliographie de
la typographie musicale dans les Pays-Bas, et spécialement dans les pro-
vinces qui composent aujourd'hui la Belgique; » — Troisième question :
« Faire l'histoire do l'école de gravure sous Ruliens, donner un aperçu
historique sur les éditeurs des produits de cette école et sur l'exploitation
commerciale contemporaine qui fut faite de ces gravures dans tous les
pays. » — La valeur des médailles d'or, présentées comme prix pour
chacune de ces questions, est de 7nille francs pour la première, de huit
cents francs pour la deuxième, et de six cents francs pour la troisième. —
Les mémoires envoyés en réponse à ces questions devront être adressés,
francs de port, avant le J" juin 1875, à M. J. Liagre, secrétaire perpétuel
de l'Académie, au Musée,
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. — L'Académie a ainsi
constitué son bureau pour l'année 1875 : M. Alfred Maury, président; et
M. N. de Wailly, vice-président.
Académie des Beaux-Arts. — L'Académie des Beaux-Arts, dans sa
séance du samedi 9 janvier, a nommé M. Abadie, membre titulaire, en
remplacement de M. Gilbert, architecte, décédé.
Société pour l'Histoire de Paris. - La Société pour IHistoire de
Paris et de 1 île de France a distribué le troisième fascicule de son Bulle-
tin, et va distribuer le premier volume de ses Mémoires. Elle offre à ses
nombreux souscripteurs la reproduction, fort réussie, d'un plan de Paris
au XY* siècle. j. c.
TK' sélio tome II. 18
iUBLIOGRAPHlI-:
SCfUTTI SOPRA LE ARTl E LE LETTERE , raccohi per cura di
Benvenuto Gasparoni. lioma.
11 se publie à Rome une foule rl'œuvres d'un mérite et d'un intérêt véri-
tables et poLirtantpeu connues. Ailleurs elles feraient fortune. Parmi ces
œuvres nous voulons citer les Scritti sopra le arti e le lettere, raccolti per
cura (Il Benvenuto Gasparoni. Des recherches scientifiques, des documents
inédits, des lettres inédites, des nouvelles et des variétés sur l'art, sur les
coutumes, sur le^ embellissements de fJome, telles sont, en partie, les
matières que fournit M. Benvenuto Gasparoni. L'originalité, l'élégance et
parfois le tour satirique et tout romain du style ajoutent à la valeur de
ce recueil mensuel qui en est déjà au troisième volume. On s'abonne chez
l'éditeur au prix de 12 fr.
Pour donner une idée de la valeur de l'œuvre de M. Benvenuto Gaspa-
roni nous énumèrerons les articles de la dernière livraison.
On y trouve d'abord des recherches sur des maisons possédées à Rome
par Raphaël d'Urbin. Raphaël, écrivant en juillet 1S14 à son oncle Simone
di Battista di Ciarla, disait avec une certaine complaisance : « A cette
« heure je me trouve avoir à Rome pour trois mille ducats d'or de biens ».
Ce bien consistait, paraît-il, en une maison située sur les ruines des Thermes
de Titus et en un palais (comme l'appelle Vasari) situé au Borgo. Après
avoir présenté l'intéressante topographie des alentours du Vatican au
commencement du XVP siècle, l'auteur en arrive à prouver que le palais
de Raphaël, fort maltraité récemment par de nouveaux propriétaires, est
dans la via di Borgo Sant'Angelo. n"' 129-134, et que la porte du peintre est
celle placée sous le n° 134. Quant à la maison des Thermes, il y a lieu de
croire qu'elle a disparu.
Puis vient un document inédit montrant que, le 21 janvier 1498, Ni-
chola di Bernardo Machiavelli a acheté de messer Thebaldesco de The-
baldischi.laiViuc romain, du quarlier de Parione,au prix de « cent soixante-
HlBl.IUGHAPifli. 2ol
■ a cinq daculs do; en ur de la Chambre », Inmoilié de l'office de solliciteur
apostolique, messer Tlicl^aldcsco s'engageunt à donner à Macliiavclîi ( a à
ses héritiers, à partir des calendes de janvier et mois par mois, la moitié
des émo'.uments ou revenus du susdit office ; document précieux et se
rapportant à un trait sur lejuel se taisent tous les historiens du célèbre
secrétaire florentin.
Sous le titre de Bizarreries et fantaisies d'artistes, suivent de cours récits
sur Salvator Rosa, génie fécond, original, homme très-plein de lui-même
et médiocrement pourvu de vertus privées. Une inscription gravée sur
son tombeau, à Santa-Maria degli Angeli, à Home, l'exalte plus qu'il ne
convient : Pictorum sui temporis nulli secundum. poetarum omnium princi-
pibus parent !
Nous trouvons, enfin, dans le recueil de M. Gasparoni quelques nou-
velles dont nous faisons notre profit, entre autres celles-ci : La villa Albani
si riche en marbres, en statues, vases, bas-reliefs, bustes, colonnes anti-
ques, etc., décorée avec tant de magnificence vers le milieu du X VHP siècle
par l'architecte Marchionui, sous la direction de Winckelman, et devenue
la propriété de seigneurs étrangers, a été rachetée par S. Exe. le prince
Alexandre Torlonia, ce qui assure non seulement la conservation de cette
importante villa, mais encore son embellissement.
Le comte (^-dderari, de Milan, est propriétaire du palais appelé des
Gicciaporci, dans la rue des Banchi, un des plus beaux édifices particuliers
de Rome, construit sur les dessins de Jules Romain et demeuré jusqu'à ce
jour inachevé. Or, il y a lieu de louer le nouveau propriétaire, qui a chargé
l'architecte Sarti de continuer l'œuvre de Jules. Rome possédera ainsi un
chef-d'œuvre de plus.
Une restauration très-importante est aussi entreprise par le gouverne-
ment, celle du palais célèbre de la Gancelleria. M. le comte Vespignani,
architecte, a été chargé de rendre à ce vaste monument son antique
beauté en le débarrassant des loges, des grilles, des fenêtres, des jalousies
qu'ont accumulées les siècles et qui nuisent grandement à cette heure à
l'harmonie architecturale du chef-d'œuvre.
Comte DE Maguelonne.
TROIS REINES CHEZ LES CARMÉLITES D'AMIENS. Lecture faite à la séance
publique de la Société des Antiquaires de Picardie, par Charles Salmon,
membre titulaire résidant. — Brocli. in-S", à Amiens, chez Prévost-Allô.
Dans la séance publique de la Société des Antiquaires de Picardie,
tenue a i'Llùtel-de- Ville, le 20 juillet 1873, M. GhaH»s Salmon a fait de
252 Bihi.i(>i;i: v?im:
cette visite royale aux tilles de iiiiiiitc 'ilierfse, le sujet dune lecture écou-
tée avec intérêt par un sympathique auditoire. Inséré dans le Bulletin de
la Société et augmenté de certains développements que ne comportait pas
le temps assez restreint dont pouvait disposer le lecteui-, ce travail de
notre honorable collègue n'a pas été moins favorablement accueilli par
tous les membres de la Société. C'est pourquoi l'auteur s'est décidé à en
faire un tirage à part sous le titre inscrit au commencement de cet
article.
Nous croyons donc ne pas déplaire à tous ceux (]ui s'intéressent aux
choses du passé en leur signalant cette notice que M.Salmon termine par
la publication de quatre pièces inédites conservées dans les archives du
Carmel d'Amiens : deux lettres du cardinal de BéruUe. une du chancelier
de France, Michel de Marillac et l'acte d'élection, en qualité de prieure,
de la mère Madeleine de Saint-Jean-Baptiste, appelée dans le monde
Madeleine de Berny et fille de noble homme Antoine de Berny, maïeur
d'Amiens en 1593, lequel eut, en cette qualité, l'honneur de recevoir
Henri IV, le 18 août 1594, lorsque le Ijéai-nais ilt sa première entrée dans
notre ville qui venait de se ranger sous son drapeau.
L'histoire religieuse de la Picardie doit beaucoup à notre savant col-
lègue : si ce travail, sorti récemment de sa plume féconde, n'est pas
remarquable par son étendue, il n"en offre pas moins un réel intérêt et
sera consulté avec fruit; les personnes qui en ont déjà entendu la lecture
voudront toutes le relire : celles qui n'ont pas eu ce plaisir seront heureuses
de trouver ainsi le moyen de se dédommager.
Edmond Soyez.
HISTOIRE DE L'ABBAYE ROYALE DE SAINT-LUGIEN, par MM. l'abbé
Deladueue et Matiion. Beauvais, 1874, gr. in-S".
\\ ne reste plus qu'une tour de la riche abbaye de Saint-Lucien, dont
l'ancien emplacement est occupé en partie aujourd'hui par un petit sémi-
naire qui a fourni au diocèse de Beauvais bon nombre d'ecclésiastiques
fort distingués, tels que MM. Magne, Marielle, Lemaire, Laffineur, pour
ne citer ici que Cfux qui sont morts. Deux membres zélés de la Société
académique de l'Oise, branche détachée de la Société des Antiquaires de
Picardie, ont entrepris de faire revivre les annales de cette illustre abbaye.
Leur remarquable monographie est partagée en quatre parties : 1° origines
de l'abbaye de Saint-Lucien 2" ; annales du monastère sous l'administration
de ses abbés ; 3" constitutions, rites et coutumes de l'abbaye ; \° topographie
et revenu temporel.
iiii!iJ!i(;i:Ap;iiK 253
t^armi les al-)bé,s les plus distingaés par la vertu, par la naissance ou
par les talents, on remarque : Pierre I" qui revendiqua énergiquement
les droits de son monastère ; Serlon qui fut employé dans de difficiles
missions par le Pape Eugène Ilï ; Jean de Thury. qui fit confectionner de
magnifiques châsses et renouvela somptueusement le mobilier de son
église; Odon I", frère du cardinal Cholet dont la bienfaisance égalait la
fortune colossale ; Aiuiery Fulcan, dont le chagrin abrégea les jours,
témoin qu'il fut des horreurs de la Jacquerie ; Raoul de Roye qui, après
avoir réparé les désastres causés à son monastère par les troupes anglaises,
devint abbé de Corbie ; Charles I" de Bourbon qui fut trop impliqué dans
les affaires polifiques pour avoir le temps de s'occuper de celles du mo-
nastère ; Alexandre de Bourbon, fils légitimé d'Henri IV et de Gabrielle
d'Estrées : le cardinal de Richelieu qui sut faire largement payer les ser-
vices intéressés qu'il rendait; le cardinal Mazarin qui était en même temps
abbé coramendataive de dix-neuf autres abbayes ; Bossuet qui, contraire-
ment;! la fausse réputation qu'il a laissée, se montra administrateur habile,
comme en témoignent les manusciils de M. Le Scellier.
L'éghse de Saint-Lucien était un bel édifice des XIL' et XIV' siècles, re-
marquable surtout par plusieurs de ses tombeaux. Le mausolée du premier
évêque de Beauvais, érigé derrière l'autel, était un véritable chef-d'œuvre
de sculpture gothique ; le tombeau du cardinal Cholet, érigé à la lin du
XlIP siècle, était un somptueux hommage de reconnaissance envers cet
illustre bienfaiteur de l'abbaye. Le cho:!ur, la nef, les bas-côtés étaient
remplis de pierres tombales recouvrant des sépultures d'abbés, de moines
et de divers personnages de distinction. D'après un mémoire manuscrit
du X Ville siècle, on conservait six statues de l'église primitive, échappées
aux dévastations des Normands et j-eprésentant : Childebert P' et sa femme
Ultrogotte. Clotaire 1" et sa feniuie Aringonde, Chilpéric P' et .-^a femme
Frédegonde. Les stalles de Saint-Lucien, exécutées de 1492 à lo04, oiila
tentation de S. Antoine présage les fantaisies de Callot, sont aujourd'hui
conservées dans l'ancienne église aljbaliale de Saint-Denis.
L'abbaye pouvait dépenser largement pour les o'uvres d'art, destinées
à embellir le sanctuaii-e, car ses revenus étaient considérables ; ils s'éle-
vaient à 37,743 livres en 1000 : à 40,383 livres en 1700; à 53.230 livres
en 1791. Outre les grosses et menues dhncs que percevait l'abbaye, elle
avait le dioit de mouture qui obligeait les baniers à aller moudre leurs
grains à divers moulins du monastère ; di'oit de pressoirage qui obligeait
les tenaniMers à fouler leur vin au pressoir de l'abbaye ; droit de forage
sur le vin vendu par les Icnanciei's ; droit île (o)i//cu sur les marchandises
vendues sur les marcliés ; di'oif de /hiimage ubiigeani le^ Icnanciersà aller
^5-4 niBLlUG){Al*lllK
cuire leur pain au tour banal de Taljbaye ; droit de poids et 6a/ances, obli-
geant les tenanciers à peser aux balances de l'abbaye toute chose vendue
pesant plus de 7 livres et demie ; droit de corvée ou droit de requérir des
hommes et des chevaux de ses tenanciers pour labourer ses terres, faire
ses charrois et rentrer ses récoltes, etc.
Les religieux ne profitaient point de ces revenus féodaux pour augmenter
leur bien-être personnel. Fidèles au renoncement monastique, ils occu-
paient chacun une cellule ayant pour tout ameublement un siège de bois,
un prie-Dieu, une petite table, un chandelier de fer, un lit garni d'une
paillasse, d'un matelas léger et de deux couvertures.
L'ouvrage dont nous rendons compte est illustré d'excellentes lithogra-
phies représentant un plan de rabhaye dessiné en 1673 pur ordre de
Bossuet ; une vue datant de 1788 ; une vue des ruines de Tabbaye après
la révolution ; la tour qui subsiste encore aujourd'hui, imposante malgré
son isolement; le tombeau du cardinal Cholct ; ceux du chevalier Flori-
mond de Villers et de Jean de Villers ; une vue de la porte principale du
monastère ; enfin un fac-simile d'une lettre do Bossuet, datée de Versailles,
le 2± mai lG8(i.
MM. Deladreue et Matthon ont réussi à faire tout à la fois une univre
très-sérieuse d'érudition et un livre intéressant ; ils ont évité le grand
écueil des monographies qui se perdent si souvent dans des détails fasti-
dieux. En 29:2 pages bien écrites, bien nourries, où n'apparaissent nulle
parties disparates de la collaboration, ils ont fait revivre dans tout leur
éclat les annales de la célèbre abbaye beauvaisienne.
L'abbé J. CORBLET.
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
(ARCHEOLOGIE ET BEAUX-ARTS)
AYMARD (A.), archiv. Antiquités pré-
historiques, gauloises et gallo-ro-
maines du Cheylonnet. In 8, 98 p. et
3 pi. LePuy, irap. Marchesson. (Extr.
des .Innales de la Soc. ucudéin. du
Pu,j.)
BARBET DE JOUY (Il ). Musée national
du Louvre. Description des sculptures
des temps raodei'nes. In-12, 2()i p.
Paris, 1874, imp de Mourgues. 7.Ï c.
BARBIclR DE MONTAULT (Mgr). Les
Heures de Kéné d'.\iijou 3 révéché
d'Angers. In 8, 1 l p. Marseille, imp.
( aver.
BEAUTIFUL PICTURES, l.y British Ar-
tists : A. Gathering ot'Favourites fi orn
ourPictureGallerie>,iiKludiiigE.xa ta-
pies by Arniytage, Faed, Goodall,
Hemsley, Horsley, .Vl.aks, Nicholls,
Noël Paton, i'ickersgill, G. Smitli,
Marcus Stoiie, Solouiou, Straight,
E. M. Ward, and VVanen. Engraved
in the highest style of Art. Witii No-
tices of tlie Artists, and uf tlieii' Pic-
lures , by Sydney Araiytage . Gi-.
in-4. Londun, Cliatto et Windus .
26 fr. 25
BRADCOURT (l'abbé). Notice sur l'église
et le village de Douchy. St-Quen-
tin. Jules Mureau, in-8. de 64 pag.
BRASH (Richard R.) The Ecclesiastical
Architecture of Ireland, to the close
ofthe Twelftli Century, accompanied
hy interesting Ilistorical and Anli-
quarian Notices of numerous Ancient
Remains of that Period. In-4, avec
54 pi. Dublin, Kelly, London, Sim-
pkin. 26 fr. 25.
GHASSAING- Notes sur l'orfèvrerie du
Puy au moyen-âge et à la renais-
sance, et Prix-fait passé, en M58,
entre Jean de Bourbon, évéque du
Puy, et deux orfèvres du Puy, pour
la façon d'une statue de saint Pierre
en argent doré ; par Augustin Clias-
saing, juge au tribunal civil et «eci'é-
taire de la Société académique du
Puy. In-8, 20 p. Le Puy, Marcjies-
sou. (Ext. du 31"= vol. des .Jnnales
de II Société ac aie inique du l-'uy.)
GHOSSAT (E. de). Classification des ca-
ractères cunéiformes babyloniens et
ninivites, In-i, xii-261 p. Paris, imp.
lith. Barousse.
GHURGH DEGORATION : A Practical
iMariu;;l of Appropriate Ornamenta-
tion. Edited by a Practical Illumina-
tor. With 16 full-page Coloured Il-
lustrations. In4, 86 p. London, War-
iie. \ fr. 50.
GLEliiENT Ch.). Léopold Robert, d'a-
p>ès sa correspondance médite, ln-8,
496 p. Paris, Didier.
GOET (K.). Tilloloy, ses seigneurs, son
ciiâteau, son église, etc. !n-8, 59 p.
Saint-Quentin, Lib. du Vermondois.
(Extr. du Vertnandois.)
GOURAJOD (L.) et Gevmulleu (11. de.)
2?>6 INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
Les Estampes attribuées à Bramante
aux points de vue iconographique et
architectonique. In-8, 24 p. Paris,
Rapiliy. (Ext. de la Gazette des
Beaux-Arts, avec addition de notes
et d'une eau-torte.)
DAVIS (Rev. E. .T.). Autolica; or, The
Journal of a Visit to some of ihe An-
cient Ruined Cities of Caria, Phrygia,
Lvcia, and Pisidia. In-8, 362 p. Lon-
don. Grant. 26 fr. 25..
DELISLE. Le Cabinet des manuscrits
de la Bibliothèque nationale, étude
sur la formation de ce dépôt, com-
prenant les éléments d'une histoire
de la calligraphie, de la miniature,
de la reliure et du commerce des
livres à Paris avant Tinvention de
l'nriprimerie, par Léopold Delisle,
membre de l'Institut, conservateur du
département des manuscrits de la
Bibliothèque nationale. T. IL In-4. x
551 p. Paris, imp. nationale. Les to-
mes L^etll, SOfr.
DEMMIN :'A). Encyclopédie historique,
archéologique, biographique, chro-
nologique et monogrammatique des
beaux-arts plastiques. Architecture
et mosaïque, céramique, sculpture,
peinture et gravure. T. III. L'art de
la gravure, son histoire et sa techno-
logie. Caractères typographiques.
Médailles et monnaies. Estampes.
Cartes géographiques. Dorure et re-
liure. Table générale alphabétique.
Avec 400 grav. ln-8, 2'i;37-:866 p.
Paris, Furne, Jouvet etC'^.
DESJARDINS (G.). Recherches sur les
drapeaux français. Oriflamme, ban-
nièie de France, marques nationales,
couleurs du roi, drapeaux de l'armée,
pavillons de la marine Gr. in-8, vi-
171 }!. et 42 pi. Paris, V* Mord.
DEZOBRY (Ch.). Rome au siècle d'Au-
gu€te, ou Voyage d'un Gaulois à
Rome à l'époque du règne d'Auguste
et pendant une partie du règne de
Tibère, accompagné d'une descrip-
tion de Rome sous Auguste et sous
Tibère. 4^ édit. revue, augmentée et
ornée de divers plans et vues de
Rome antique. 4 vol. in-8. xvii-2117
p. Paris, imp. Delai;rave.
DIE OTTOMANISCHE BAUKUNAT. Durch
kaiserl. Ira de genehmigtes Werk. —
L'architecture ottomane. (Text in
lieutscher, franzos. u. arab. Sprache.
Franzosischer Text v. Marie de Lau-
nay. Zeichnungen v. Montani ElVendi.
Hoghos Effendi, Chachian u. Maillard.
Technische Documente v. Montani
Eiléndi. Matérielle Ausfiihrg. v. Se-
bah.) Gr. in-fol., xii 112 p. et 101
lilh., dont 14 col. Constantinopole,
I8(i3 ; Beilin, Friedlaender. 250 fr.
DUTILLEUX (A.). Topographie ecclé-
siastique du département de Seine-
et-Oise, accompagnée d'une carte du
diocèse de Versailles indiquant les
divisions ecclésiastiques ancùennes.
in-8. 09 p. Versailles, Cerf.
ECKENBRECHER (Dr Gust. v.). Die
Lage d. ilonierischen Troja. Mit 2
(iith.) Karten u. e. I andschaftl. An-
sicht (Steintaf.) Gr. in-8, vi Go p.
Dusseldorff. 187.-), Bndd.'us. 2 IV. 50.
EICHTHAL (G. d') et PERROT (G.I. Le
Site de Troie selon M. Lechevalier ou
selon .M. Scliliemann. Excursion à
Troie et aux sources de Menderé. in-
8, 79 p. Paris, Durand et Pedone-
Lauriel ; Maisonneuve. (Ext. de l'./n-
nuaire de V .Issociutionpour Vencou-
raqi'inent des études grecques en
France, année i874.)
GILLES (,!.). Encore les Fosses marien-
nes. Réponses aux Nouvelles recher-
ches sur le tracé des fosses mariennes
et sur l'emplacement du camp de
Marins de M. A. Aurès In-8, l 'i p.
Paris, Thorin.
GEORGES (l'abbé Et.). Les Premiers
.\|M')tres des Gaules, ou Histoire de
l'introduction du (hristianisme dans
notre pays. Gr. in-8, 392 p. et 4 gr.
Tours, Manie,
GRIMOUARD DE SAINT-LAURENT (le
comte) Guide de l'art chrétien. Etu-
des d'esthétique et d'iconugiaphie.
T. N et dernier. In 8, 572 p. et 27
pi. Poitiers, Oudin ; Paris, Didron.
GUILLOTIN DE CORSON (l'abbé). Sta-
tistique historique et monumentale
du canton de Guicben (arrondisse-
ment de Redon, Ille-et-\'ilaine). In-
8, 77 p. Rennes, imp. Catel.
HARE (Aug J. Cl. Days near Rome.
2 vol. in-8. G80 p., fig. London, Dal-
dy et Ifebister. 30 fr.
HAÛTCŒUR. Histoire de l'abbaye de
Fiines, par l'abbé Hautcœur, cha-
noine honoraire de Cambrai. In-8,
XI 5-23 p. et 20 pi. Lille, Quarré ,
Douai, Lafoscade; Paris, Dumoulin.
HEMANS (Chas. I), Historié and .Mo-
numental Rome ; A. Handbook for
the Students ot' Classical and Chris-
tian Antiquities in the Italiau Capi-
tal. Gr. in-8. London, AYilliaras et
Norgate 12 fr. 50.
INDES (le Frère). Les Monuments pré-
historiques des environs de Dreux .
Deuxième lettre à M. d'Avimare de
Feuquières. In-12, p. 2.5-46 Cliartres,
imp Durand. (Extr. du Coiorier
d'Eure-et- Loire.)
KAEMPF (Prof Dr. S J.). Thonizische
Epigraphik. Die Grabschrift Eschmu-
nazar's, Konigs Der Sidonier. TJrtext
u. Uebersetzg, nebst sprachl. u.
sachl. Erklarg. Mit. e (lith.) Beilage,
das Epitaph in der phoniz. Original-
schrift enth. Gr. in-8, viii-8o p.
Prag. ^87i. Dominicus. 3 fr. 50
KOTHEN. Quelques mots sur l'obituaire
du XII* au XIII* siècle conservé
dans l'église du monastère de Saint-
Victor à Marseille jusqu'en I79':3.
Texte annoté et dessin inédit litho-
graphie par Kuthon, de la Société de
statistique de ^h^rseille. In-8, [o p.
Marseille, Cayer.
LACROIX (1'.) (Bibliophile Jacob), xyiii^
siècle. Institutions, usages et costu-
INDIiX B1ULI0GR.\PHI(JUK 257
mes. France, d 700-1789. Ouvrage
illustré de 21 chromolith. et de 250
grav. sur bois d'après Watteau, Van-
ioo, Rigaud, Boucher, Lancret, J.
Vernet, Chardin, Jeanrot, Bouchar-
don, Saint-Aubin, Eisen, Gravelot,
etc. In-4. viii-520 p. Paris, Firmin
Didot, 30 fr., en grand papier, fig.
s\u- Chine, 60 fr.
LARTET (L ) et Chapelain-Duparc.
Une Sépulture des anciens troglody-
tes des Pyrénées, superposée à un
foyer contenant des débris humains
associés à des dents sculptées de lion
et d'ours, ln-8, 67 p et fig. Paris,
G. Masson.
LEBRETON (A.). Une Visite au Mont-
Saint-Michel. Notes historiques et ar-
chéologiques sur Avranches, Poutor-
son et l'abbaye du Mont-Saint-Mi-
chel. ln-12, 104 p. Paris, Aubry.
LE CŒUR (Ch. Cl, archit. Promenades
aichéologiques aux environs de Pau
et dans !a vallée d'Ossau. In-8, 67
p Pau, Ribaut.
LEROY (N.). Les Peintres de l'école
hollandaise au musée de Lille, ln-4
à 2 col., 20 p. Lille, imp. Degans.
MARCHANT. Ampoules de pèlerinages
en plomb trouvées en Bourgogne et
décrites par le docteur Louis Mar-
chant, secrétaire-adjoint de la Com-
mission des antiquités de la Côte-
d'Or. In-4, ^2 p. et pi. Dijon, Ma-
nière-LoqulTi. (Tiré à 150 ex.).
MARESCHAL (A. A.j. Les Faïences an-
ciennes et modernes, leurs marques
et décors. 2° édition, revue, corr. et
aug. d'un grand nombre de marques
et décors nouveaux, dessinés et chro-
molithographies d'après les i)ièces
originales. Faïences françaises. Gr.
in-8, xv-'J5 p. Paris, Simon.
MATHIEU L'Auvergne anté-histoi ique ;
par P. P. Mathieu, de l'Académie de
( letniont-Ferrand. ln-8, 95 p. et 2
pi. Clermont-Ferrand,Thibaud. (Ext,
desMém. de IWc.de Cdcrm.-Ferr.).
238
INDEX IJIULIOGILAS'IIIQLIE
MENARD (Kcué). Histoire des beaux-
arts. Art rnodorne , architecture ,
sculpture, jieinture, art domestique.
In-16, 400 p. Paris, lib. de VEcho de
la Sorbonu'^. 2 t'r.
MENARD. Enlretieas sur la peinture ;
par René Ménard, rédacteur en chef
de la Giizelte des beaux-arts . Avec
50 eaux-fortes. Gr. in-i, 243 p. l'a-
lie, Heymann.
PALUSTRE. Etudes sur l'église de St-
Syniphorien de Tours, par M. Léon
Palustre, inspecteur de la Société
française d'archéologie. In-8, 31 p.
et jil. Tours, imp. Bouserez.
PAPILLON. Un instrument de potier
romain. Vervins, 1S74. ln-4.
PERROT. L'enlèvement d'Orythie par
Borée, œnochoé du musée du Louvre,
par Georges Perrot, directeur d'étu-
des adjoint ii l'école des hautes étu-
des. In-4 28 p, et l pi. Paris, imp.
Chamerot. (Extr. des Mcnumvnta
grec.-) de T Js.-ociitlion pour Vencoii-
rufipmenl des études grecques.)
POULBRIiliRE (l'abbé J. B.):, prof. No-
tice historique et archéologique sur
Gastelnau de Bretenoux (Lof), in-'è,
58 p. Tu le, Crauflbn. 1 fr.
POUY (F.). Reclierches sur les alma-
nachs et calendriers artistiques, à es-
tampes, à vigneites. à caricatures,
etc., principalement du WV au XiX«
siècle avec notes bibliographiques
sur les almanachs divers, notamment
à l'époque de la Révolution. !n-8,
4 17 p. Amiens, imp. Glorieux.
PUAUX (Fr.). Michel-.\nge. In -8, 32 p.
Paris, iaip. i\ieyrueis (Extr. de la
Revue chrclienne , numéros des .j
oct., .') nov. et 5 déc. 1874 )
QUICHERAT M.), directeur de l'École
des Chai'tes. Histoire du costume en
France depuis les temps les plus re-
culés jusqu'à la fin du X\'IIP siècle.
Ouvrage contenant 481 grav. dessi-
nées d'après les documents authen-
tiques, par Chevignard, Pauquet et
P. Sellier. Gr. in-8, I1I-684 p. Paris
Hachette. 20 fr.
RIS-PAQUOT, artiste peintre. Diction-
tionnaire des marques et monogram-
,mes des faïences, poteries, grès, terre
de pijte, terre cuite, porcelaine, etc.,
anciennes et modernes, reproduites
avec leurs couleurs naturelles ; 3,000
marques. 2'-' édit. ln-8, xxii-256 p.
Paris, Simon. 10 fr.
RIVIÈRE (E ), Découverte d'un second
squelette humain de l'époque paléo-
lithique dans les cavernes des Baous-
sé-Roussé, en Italie, dites grottes de
Menton. In 8, 33p. avec plan, Nice,
imp. Caisson et Mignon. (Ext. du T.
lî des Jnnales de la Société des let-
tres, sciences et arts du département
des V Ipes- Maritimes.]
ROVANI iG.). LeTre Arti. T. Il (fin).
In-8, 238 p. Milano, 187 i. Trêves.
Les 2 vol. 7 fr.
TERNIMCK (A.'. Promenades archéo-
logiques et historiques sur les chaus-
sées romaines des environs d'Arras
(route de Thérouanne). li;-8, 200 p.
et l grav. Arras, Bradier.
VEUILLOÏ(L.) Jésus-Christ. Avec une
élude sur l'art chrétien, par E. Car-
tier. Ouvrage illustré de 16 chromo-
lith. et de 200 grav. exécutées par
Huyot père et fils, d'après les monu-
ments de l'art depuis les ( atacombes
jusqu'à nos jours ln-4, viii-572 p.
Pans, Firmin Didot. 25 fr, ; relié,
dos chagrin, tranches dorées, 33 fr.
j. c.
CHRONIQUE
Flèches en silex à tranchant transversal. — M. J. de Baye, le savunt
explorateur des grottes de liaye, a public, dans la Revue archiologique^
une curieuse étude sur ce genre de flèches.
« Ce n'est pas seulement contre l'espèce humaine, nous dit-il, que la
flèche à tranchant transversal était employée. ' i l'homme de l'âge de
pierre avait des ennemis à combattre parmi ses semblables, il éprouvait
également la nécessité de se défendre contre les animaux et souvent aussi
de les attaquer pour les faire servir à son alimentation ou à d'autres besoins
presque aussi impérieux. La preuve se trouve dans la rencontre d'une
flèche trouvée dans un squelette de blaireau. L'animal blessé avait été
mourir dans une grotte commencée, mais abandonnée probablement parce
que la craie n'était pas solide. Une couche d'environ cinquante centimè-
tres de craie recouvrait l'animal ; cette craie pure, sans mélange, s"était
détachée de la partie supérieure. Elle n'avait en outre subi aucun rema-
niement depuis l'époque oii l'animal s'était introduit, car les ossements
conservaient leurs rapports anatomiques.
« Les observati(jns qui viennent d'être mentionnées m'ont engagé à
tixer mon attention sur un autre point qui offje un véritable intérêt. J'ai
formé une série graduée de nos flèches, depuis le type le plus infime jus-
qu'au modèle le plus considérable par son poids et sa longueur. Et je suis
ainsi parvenu à former une collection de \ingt et une flèches, dont la plus
petite pèse quatre décigrammes er mesure un centimètre quatre milli-
mètres. La plus longue pèse quatre grammes trois décigrammes et
mesure quatre centimètres six millimètres. Entre ces poids et ces lon-
gueurs, nous avons des progressions n-gulières. Cependant les plus pesan-
tes n'atteignent pas toutes la longueur extrême que nous avons signalée ;
mais elles n'en rentrent pas moins dans l'ensemble d'une balistique rai-
sonnée qui savait tenir compte du poids des projectiles. Tout le monde
sait, en etfet, que sous l'impulsion d'une force égale, la vitesse du projec-
260 CHRONIQUE
tile est proportionnée à son poids, et qu'une légère différence dans la lon-
gueur ne saurait modifier la trajectoire, puisque les diverses particules
matérielles du pi'ojectile sont le point d'application do la pesanteur et que
le poids n"est rieii autre choFc que la résultante de toutes les forces appli-
quées à chacun de ces éléments. La forme plus ou moins longue de ces
flèches de même poids ne saurait donc empêcher de les rattacher à un
ensemble régulier et calculé. L'usage spécial auquel elles pourraient être
destinées suffirait pour expliquer les dimensions exceptionnelles. Les
arcliers préhistoriqries, dont plusieurs savants ont préconisé la force et la
dextérité, avaient donc pourvu leur petit arsenal d'une série de flèches
proportionnées à la trajectoire qu'ils se proposaient de décrire.
« En comparant le nombre de ces flèches à tranchant transversal avec
le nomb''e si restreint de? autres flèches en amande, à ailes et à soie, qui
sont le plus souvent de véritables objets d'art par la fines-e de leur travail,
nous nous rallions à l'opinion de ceux qui considèrent la flèche à ailes très-
ouvragées comme un objet de luxe et non comme l'arme ordinaire. Nous
serions peu ébi-anlés si on nous objectait la rareté de nos pointes. En réa-
lilé, elles ne sont pas rares. Mais souvent la forme de ces silex est si mo-
deste, (jii'ilsont échappé à l'attention. Ils sont en outre si peu connus en-
core qu'il ne nous serait pas difficile de citer des hommes qui s'occupent
spécialement de silex, et qui refusaient naguère d'admettre ceux dont
nous parlons comme offrant le résultat d'un travail intentionnel, s
Imagerie religieuse. — M. Léon Gautier, dans le Monde, critique d'une
manière très-spirituelle la fadeur et la mièvrerie de notre imagerie reli-
gieuse :
(( Voici d'aboi'd une échelle, et elle nous représente le chemin de l'dme
vers Dieu. C'est fort bien, quoique médiocrement idéal; mais enfin, qui
grimpe a cette échelle? Vous ne le devineriez pas. C'est une colombe. Oui ;
la pauvrette se hisse péniblement sur les bâtons de cette échelle, comme
une poule qui regagne son perchoir : elle oublie sans doute qu'elle a des
ailes. Mais nous allons retrouver ailleurs cette colombe : car notre image-
rie en est pleine, et c'est un véritable colombier. - - J'aperçois là-bas un
autre animal : c'est une biche avec son faon, et, d'un onl stupéhé, je lis
cette légende : « La fécomtité des mamelles de la biche est l'image de l'a-
])ondance et des douceurs de la grâce. » Pourquoi a-t-on choisi la biche,
et pounjuoi le lait de biche? ÉtrauLie ! — Mais que voilà donc un singulier
étageniL-nt ! Sur un cœur couronné de roses, on a posé un chandelier (un
chandelier sur un cumr 1). Etce candélabre à vingt-neuf sous est surmonté
d'un cierge allumé autour duquel se pressent les anges. C'est « le bon
CHRONIQUE 2Q\
exemple. » — Ou'.iperçois-je ?Une guitare ! Et au pied de la croix encore 1
Cherchons la raison de ce mystérieux assemblage : le texte nous la four-
nit : « Je me délasserai àTtibri de la croix. » D'oii il sait qu'on peut jouer
de la guitare sur le Golgolha. Touchant emblème ! Et que dites-vous de
cet autre, oii l'on voit le Sauveur Jésus, le Verbe, et, comme le dit
Bossuet, la Raison et le Discours intérieur de Dieu, occupé... à écraser je
ne sais quelles petites betes sur les feuilles d'un rosier : « Le divin Jardi-
nier détruit les chenilles qui cherchent à ravager son jardin. » Encore un
coup, mon ami, je n'imagine rien : je transcris. Ah ! je voudrais bien, moi,
écheniller cette imagerie-là.
€ Cette main qui sort d'un nuage, je la reconnais : c'est celle de mon
grand Dieu, c'est celle de ce Créateur et de ce Père de tous les êtres, qui
est en même temps leur consolateur, leur soutien et leur vie. J'admets ce
symbole : il est vieux et vraiment chrétien. Mais cette main divine que le
Moyen-Age s'était bien gardé de char:er d'un fardeau quelconque; mais
cette main qui représente l'éternelle Justice et l'éternelle Bonté, savez-
vous ce qu'on lui fait tenir? un horrible, un stupide petit arrosoir, d'où
elle fait tomber une maigre rigole d'eau sur le calice d'un lis. L'arrosoir
est, plus loin, remplacé par une sorte de pot que Dieu verse sur les âmes,
et la légende m'annonce candidement que c'est la « rosée divine. » Une
rosée sortant d'un pot ! Voilà ce qu'ils ont trouvé, alors que le bon Dieu
fait tous les matins descendre de son admirable ciel ces milliards de per-
les humides qui étincellent au matin sur le beau manteau de notre terre.
L'eau, d'ailleurs, ne réussit guères à nos imagiers, et j'en vois un qui me
peint misérablement un filet s'élevant au-dessus d'un bassin. « Le jet
d'eau, dit-il, est l'image de l'âme s'élevant vers Dieu par la méditation.» Il
faudrait aussi m'expliquer comment « un fleuve détourné de son cours »
peut bien être une image « du bon emploi et de l'abus des grâces. » C'est
obscur : mais encore cela n'offre-t-il pas une image désagréable et vul-
gaire comme la maxime suivante : « Soin de la lampe ; image de l'entre-
tien de la grâce en nos cœurs. » On voit d'ici la suivante qui prend ses
gros ciseaux huileux et coupe la mèche, dont elle jette les fragments
noircis... n'importe où. Le soin de la lampe !
« Ce que ces imagiers usent de ficelles et de rubans est véritablement
prodigi 'ux. Ici, c'est une ficelle qui réunit tous les cœurs des fidèles à
ceux de la Vierge sainte. Là c'est Marie, c'est cette immaculée, c'est cette
corédemptrice du genre humain, c'est notre mère incomparable, qui, du
haut du ciel, mène en laisse, par une ficelle interminable, certaine petite
colombe dont le cou est orné du scapulaire. Et cela veut dire que Marie
est la n directrice de l'âme obéissante.» La ficelle est remplacée ailleurs
262 rHKOMQUt:
par de jolis pt'ùls rubans roses ou bleu-tendre, qui sont vraiment d'un
effet tlûlicieux. Voici une jeune personne qui marche assez vivement en
ayant son cœur uni par un ruban de ce genre au cœur de la Mère de Dieu :
et elle n'en paraît aucunement incommodée. Je pense néanmoins que sa
situation est moins pénible que celle de cette autre là-bas, laquelle est oc-
cupée à graver (pour de bon) son propre cœurà l'image de celui de Marie.
Une autre met son cœur sur un chevalet et le peint d'après le même mo-
dèle. Hàtons-nous de sortir de cet atelier, et allons respirer le grand air par-
mi ces arbres. Hélas ! nous y retrouvons, sous les traits efféminés d'un
petit enlant de huit ans, « le divin Jardinier donnant au jeune arbuste
un tuteur pour le soutenir, » ou « greffant sur le sauvageon le germe de
bons fruits. » C'est approuvable ; mais que dire de ce ciboire qu'on a
fourré énergiquement dans Tintérieur de ce lis, avec cette légende expli-
cative : «Je cherche un cœur pur. » Ces messieurs vous traitent, en vé-
rité, la très-sainte Eucharistie avec une désinvolture qui tourne à l'incon-
venance. 11 est défendu aux mains laïques de toucher aux vases sacrés,
et c'est justice ; mais la même défense devrait s'appliquer aux imagiers.
Ils sont priés de ne pas toucher si irrévérencieusement à ce qui fait l'objet
de notre foi, de notre espérance et de notre amour. »
Lourdes. — Autour de la Grotte de Lourdes, une véritable armée
d'ouvriers est constamment sur la brèche pour transformer ces rochers,
ces heux jadis déserts, en une véritable oasis. A droite de la basilique, sur
le flanc de la montagne du Calvaire, on jette les fondements de l'immense
résidence des missionnaires qui comptera cent dix mètres de façade ;
plus loin, se dresse déjà le palais épiscopal, avec son jardin dessiné par
un maître. Vis-à-vis, sur la rive du Gave, faisant face à la Grotte, les
couvents s'élèvent comme par enchantement. Notre-Dame de Lourdes
vient d'attirer deux autres phalanges de vierges sur cette terre bénie; les
Réparatrices de Toulouse, les Clarisses do Lyon ont déjà choisi leur place
pour monter avec les Bénédictines, les Carmélites, les sœurs lileues, les
sœurs de Nevers, les Petites-Sœurs des pauvres, une garde d'honneur
autour de l'Immaculée.
Bientôt, un boulevard direct de la gare à la Grotte, longeant le fort,
passant le Gave sur un superbe viaduc, sera mis à exécution, aux frais
mêmes de l'Etat,
A rintétieur di; la basilique, le pèlerin arrête son regard ravi devant
la rangée de vitraux qui orne maintenant la chapelle. En entrant, la ligne
gauche représente les figures de l'Ancien-Testaracnt, qui ont trait à la
Vierge Immaculée; Adam et Eve entendant cette promesse : « Une femme
t'écrasera la tête; » quelques-uns des grands prophètes annonçant la
Vierge sans tache ; Isaïe, lorsqu'il dit : « La Vierge concevra et enfantera
un fils qui sera appelé Emmanuel. » Un sujet de toute beauté est le double
vitrail à droite, représentant le vœu de Louis XIII consacrant le royaume
des lis à l'Immaculée-Conception.
Encore le cercueil d'Attila! - Personne n'ignore que, lorsqu'Attila
mourut en Pannonic, son corps, enseveli dans trois cercueils concentri-
ques de fer, d'argent et d'or, fut inhumé avec les dépouilles opimes des
nations vaincues, et, qu'afm de mieux garder le secret de la tombe royale,
on égorgea immédiatement les esclaves qui avaient creusé la fosse.
Si Jornandès a dit la vérité, et Ton n'a aucun m' tif pour l'accuser de
mensonge, la découverte de la sépulture du Fléau de Dieu serait d'une
haute importance pour l'archéologie en même temps que très-lucrative
pour les inventeurs; aussi, les trafiquants de nouvelles viennent-ils pério-
diquement leurrer à ce sujet la curiosité publique d'un espoir toujours
déçu.
L'an dernier, certains journaux annoncèrent que dt-s pécheurs avaient
dragué dans la l'heiss un cercueil de bronze contenant les restes du roi
des Huns,
Je flairai tout de suite un canard derrière ce poisson miraculeux, mais,
voulant en avoir le cœur net une fois pour toutes, j'écrivis à S. Exe. M. le
baron de Helfert, Président de la Commission I. R. des monuments his-
toriques d'Autriche. La plus aimable Excellence que je connaisse de-
manda à son tour des renseignements à M . le D'^ F. Rieiner, et voici la
réponse littérale du savant Conservateur du ?»Iusée National de Pest.
« A l'égard du cercueil en bronze du roi Attila, je puis seulement vous
dire, qu'en août 1874, époque où je voyageais à l'étranger, les journaux
répandirent le bruit qu'à Tlsza-Roff", des pêcheurs avaient heurté sous
l'eau un objet qui lésonna sourdement comme un cercueil — naturellement
celui d'Attila. — Par malheur, on n'a pu jusqu'aujourd'hui dégager encore
une aussi remarquable antiquité, la rivière n'étant pas assez basse en au-
tomne.
« Il y a douze ou quinze ans, une fable analogue circula aux alentours
de Szegedin ; des pêcheurs y avaient découvert le sarcophage royal, qui,
en fin de compte, se trouva être tout simplement un coffre vulgaire. »
En voilà pour quelque temps, nous l'espérons, mais, lorsqu'on exhu-
mera tôt ou tard le véritable Attila, personne n'y voudra plus croire.
G. L.
0(54 CHRONIQUE
Nécrologie. -Ni. Mabille. — La science hisLoiique ;i fait une perte
regrettable en la personne de M. Emile Mabille, archiviste paléographe,
employé aux manuscrits de la Bibliothèque nationale, membre de la So-
ciété des antiquaires de France. Les travaux de INL Mabille, insérés dans
des recueils spéciaux ou des éditions savantes ont jeté de vives lueurs sur
les origines de la féodalité politique et sur la géographie historique du
Moyen-Ao"e. (Revm des questions historiques.)
— Nous lisons dans le Polybiblion :
u M. Jean-Achille Deville. antiquaire français, était né à Paris, en 1789.
Après quelques essais poétiques, dont plusieurs sont restés inédits, il se
tourna vers la science archéologique, tout en rempHssant des fonctions
administratives : il a été receveur général du département de l'Orne.
Envoyé à Rouen par ses fonctions, il devint successivement directeur du
musée des antiquités de cette ville, membre de la Société des Antiquaires
de rOuest, et correspondant de l'Institut pour la section des inscriptions
et belles-lettres. M. Achille Deville a publié entre autres ouvrages : Essai
historique et descriptif de l'abbaye de Saint-Georges de Boscherville (Rouen,
1827, in-4°) ; — Histoire du Château-Gaillard ; — Tombeaux de la cathé-
drale de Rouen : — Histoire du château d'Arqués ; — Revue des architectes
de la cathédrale de Rouen ; — Comptes des dépenses de la construction du
château de Gaillon ; — Considérations sur l'Alesia des commentaires de César;
— Histoire de la verrerie dans l'antiquité et un grand nombre de Notes,
Dissertations, Mémoires sur des points curieux de biographie ou d'histoire,
notamment sur Corneille et sur le cœur de S. Louis. »
Rectification. — M. Elie Petit nous prie de rectifier une date qu'il a
donnée dans son article intitulé : Examen d'un texte de l'Imitation de
Jésus-Christ, qui a paru dans notre livraison de décembre 1874. M. E.
Petit a dit que Gerson avait eu 49 ans accomplis en 1413 ; il aurait fallu
dire en 1412. Cette date doit être substituée à la précédente partout où
elle se trouve. « Cette légère erreur, nous écrit M. Elie Petit, ne change
rien au fond des choses ; elle tend plutôt à confirmer la thèse que j'ai
soutenue. » j. c.
UN CHEF-D'ŒUVRE TYPOGRAPHIQUE
(JÉSUS-CHRIST, par Louis Veuillot, avec une Étude sur l'Art chrétien par
E. Cartier. 2e édition. Paris, Firmin Didot, 1875. In-4° de 572 pages.)
M. Firmin Didot ne se contente point d'être le premier imprimeur de
France et de faire sortir de ses presses renommées des ouvrages dont la
correction peut défier toute critique. Depuis quelques années, avec l'ha-
bile concours de M. Dumoulin, il a édité à grands frais des ouvrages ad-
mirablement illustrés par la gravure et la chromolithographie, et, grâce
à un nombreux tirage, il les a livrés au public à des prix relativement
fort peu élevés. Le Jésus- Christ de M. Louis Veuillot met le sceau à la
réputation de la maison Didot.
Parlons d'abord du texte, nous nous occuperons ensuite des illustra-
tions.
I
M. Louis Veuillot a divisé son œuvre en trois parties : 1" Jésus-Chnst
attendu^ c'est-à-dire annoncé par les prophètes et les événements ; 2° Jé-
sus-Christ vivant, c'est-à-dire l'histoire des trente-trois années de sa vie
mortelle ; 3" Jésus-Christ continué dans le monde, c'est-à-dire l'affranchis-
sement et l'agrandissement de l'humanité parles nations chrétiennes sous
l'influence de l'Église.
La première partie contient trois chapitres : Dieu et l'homme^ — Avant
le Christ, — Les Prophéties.
L'abbé Rorhbacher a été le premier, croyons-nous, qui ait commencé
une Histoire de l'Église par le récit de la création du monde, et ce n'est
pas le moindre mérite de son œuvre : car, dans le plan divin, tout ce qui
a précédé le Messie a été la préparation de son avènement, les figures et
Ile série, tome II. 19
266
Ui\ CHEF-l) ŒLVUE TYPOGHA l'UlgUE
Pi'édiction des trois anp;cs à Abraliam.
(Fresque de Raphaël aux Loyes du Vatican.)
les prophéties, les traditions et les oracles, les aspirations et les faits, les
rites et les cérémonies, les abaissements et les triomphes, la formation,
l'accroissement et la décadence des empires. Aussi M. Veuillot a-t-il tenu
à peindre en quelques traits vigoureux l'histoire des temps anciens, por-
tique mystérieux du temple incomparable qu'allait ériger la main du
Très-Haut.
La seconde partie comprend neuf chapitres qui se succèdent dans l'ordre
clironologique : Le prologue de l'Evangile^ — l'année douce, — la lutte, —
l'éducation des Apôtres^ — entretiens et paraboles, — les résurrections, —
l'Eucharistie, — la Passion do Notre-Seigneur, — Jésus-Christ ressuscité.
L'auteur, laissant de côté l'érudition des gloses, les subtilités des exé-
gètes, les discussions des théologiens et même les arguments des apolo-
gistes, se borne h raconter les faits, en se faisant le fidèle écho des Évan-
gélistes et quelquefois des Pères. Ces' récits, tant de fois entendus,
prennent une lumière plus vive, une couleur plus chaude, un attrait
l'N CllEF-o'cErVRE TYPOGRAPHIQUE 267
presque nouveau, sous la plume d'un écrivain qui manie si habilement la
langue française.
C'est dans la troisième partie que la personnalité de l'auteur pouvait et
devait se mettre plus en évidence. Jusqu'ici il avait surtout écouté et
répété ; maintenant, dans la dernière trilogie de son œuvre, il va nous
montrer la transformation de l'humanité sous l'action d'une nouvelle
doctrine et, pour cela, il devra scruter Thistoire, interroger les courants
d'idées, expliquer la science, approfondir les sources du droit. C'est un
tableau grandiose oîi se succèdent à nos yeux les luttes et les triomphes,
les hérésies et les conciles, les persécutions de la foi et cette longue suite
de saints d'oîi se détachent les puissantes figures de S. Martin, de Char-
lemegne, de Grégoire VII et de S. Louis. Nous voyons l'Eglise, fidèle à la
mission qu'elle reçut au Calvaire, convertir les peuples, adoucir les
mœurs, élever les âmes, protéger tous les droits, combattre toutes les
oppressions et proclamer partout et toujours la suprématie du devoir, en
face des Césars romains, comme en face des erreurs démagogiques de nos
jours.
Cette troisième partie forme deux chapitres, l'un de M. L. Veuillot,
intitulé : Jésus-Christ dans l'histoire, dans la littérature, dans la science,
l'autre, dû à M. Cartier, intitulé : Jésus-Christ dans l'art. Le savant
archéologue démontre que l'art de l'homme n'est rien moins qu'une déri-
vation de la puissance créatrice et le trait caractéristique de notre ressem-
blance avec Dieu ; l'Art chrétien doit donc mettre en relief ce qu'il y a de
divin dans la nature humaine et se proposer ces deux nobles buts : glori-
fier Dieu et enseigner le prochain. Telle est la base de l'esthétique que
développe M. Cartier et d'après laquelle il juge les principales manifesta-
tions de l'Art chrétien dans l'architecture, dans la sculpture et dans la
peinture. Quelques-unes de ses appréciations seront certainement con-
testées, même de la part de ceux qui admettent ses principes : ainsi nous
le trouvons d'une sévérité excessive envers les compositions religieuses
de Raphaël ; mais nous sommes bien près 'de nous ranger à son avis
quand il juge ainsi Michel-Ange :
« Michel-Ange ne ressemble en rien à Raphaël , c'est une figure unique
dans rhistoire de l'art. Ce génie solitaire et sauvage était, comme le prou-
vent sa vie et ses vers, un chrétien convaincu ; et pourtant, il n'y a pas
de rapports véritables entre ses croyances et ses œuvres. Il comprenait et
admirait l'école du Giotto et d'Orcagna, et nul artiste ne lui fut plus
étranger. Son talent se forma dans le jardin des Médicis, oîi il étudia les
statues antiques, mais il se passionna surtout pour l'anatomie. Le beau
lui apparut dans le corps humain et son idéal fut le gigantesque. Il ne
268 UN chef-d'œuvre typographique
traita que des sujets religieux, mais il y revêtit de muscles ses pensées
sans se douter de l'inconvenance de ses nudités.
« L'influence de Michel-Ange sur l'art a été désastreuse, et ce n'est pas
à l'art chrétien seulement qu'il a nui, c'est à l'art de la Renaissance. Il en
a été le corrupteur par ses excentricités inimitables, en peinture, en sculp-
ture, comme en architecture. Sa chapelle Sixtine est un prodige d'audace
et de dessin. La voûte surtout est d'un effet écrasant: les Titans ont réussi
à escalader le ciel; ces prophètes, ces sibylles, ces figures nues, à tous les
âges et dans toutes les attitudes, renversent, malgré leur mérite, toutes
les lois du goût. Tout est sacrifié à ces emportements du génie : les dimen-
sions de l'édifice, les lignes de la perspective, et ces belles fresques des
peintres de Florence et de Pérouse, derniers chefs-d'œuvre de l'école
chrétienne en Italie. L'exagération de Michel-Ange est la même en sculp-
ture. Quelles beautés n'a-t-on pas trouvées dans son Moïse, où il s'est re-
présenté plus lui-même que le chef du peuple de Dieu ! Quelles louanges
n'a-t-on pas données à ses statues de tombeaux, destinées à des églises et
qui auraient déparé des sépultures païennes ! Il fut aussi, en architecture,
une cause de décadence par la recherche du colossal, par ses arcs sur-
baissés et ses détails trop saillants. Il a passionné les artistes de tous les
pays, et il a perdu tous ceux qui ont voulu l'imiter. »
II.
M. L. Veuillot a été bien inspiré de s'associer la science de M. Cartier,
la perfection typographique de la maison Didot, l'excellent goût de M.
Dumoulin et, ce qui vaut mieux encore, toutes les gloires de l'art chrétien,
Robert de Luzarches et Raphaël, Frà Angelico et Flandrin, Orcagna et
Albert Durer. L'illustration du texte ne comprend pas moins de 180 gra-
vures sur bois et 16 chromohthographies; elle embrasse toutes les bran-
ches de l'art : peinture, sculpture, architecture, mosaïques, orfèvrerie,
toreutique, gravure, numismatique, broderie, etc., etc. Les planches sont
groupées par ordre de sujets et non par ordre de temps. Ces sujets sont
empruntés à tous les siècles et à tous les pays ; remarquons toutefois que
le XVIII" siècle est le seul qui n'ait fourni aucune traduction plastique de
l'idée chrétienne et que si l'Italie tient la place d'honneur qu'elle mérite
à tant de titres, l'Espagne nous paraît avoir été un peu négligée.
Les antiquités chrétiennes des premiers siècles sont représentées par
des fresques des catacombes, entre autres p;ir la multiplication des pains,
symbole de l'Eucharistie, et par quelques sculptures de sarcophages
chrétiens. N'aurait-il pas été possible, eût-on dû faire une part moins large
UN CUEF-D ŒUVRE TYPOGRAPUIQUE
269
La Multiplication des pains.
(Fresque du cimoliére de l'Aidéatine).
aux tableaux modernos», de multiplier les curieux spécimens de l'Art chré-
tien primitif, dont le symbolisme théologique est si intéressant à étudier
et 011 nous trouvons tant de thèmes sublimes que le Moyen-Age n'a pas
toujours su conserver et développer?
Les gravures qui se rapportent aux monuments du VP au XIP siècle
sont peu nombreuses; les archéologues, sans nul doute, en auraient désiré
davantage. Mais nous ne devons pas oublier que ce livre s'adresse à toutes
les classes de lecteurs, et que s'il est déjà difficile de faire accepter à
l'homme du monde, imbu de certains préjugés artistiques, beaucoup de
représentations du Moyen-Age, il eût encore été plus malaisé de lui faire
goûter ces incorrectes miniatures des manuscrits carlovingiens et ces
chapiteaux historiés des époques romanes, où il faut faire abstraction des
imperfections de la forme pour rechercher les ingénieuses arcanes du
symbolisme et la poursuite mystique de l'idéal chrétien.
Sans vouloir ici tout mentionner, nous dirons que le XIP siècle nous
offre la gravure de deux magnifiques églises, Notre-Dame de Poitiers et
Saint-Gilles (Gard) ; que le XIIP siècle nous fuit admirer le Campo-Santo
de Pise, les cathédrales d'Amiens et de Paris, les sculptures de ces deux
"210 UN chef-d'oeutre typographique
basiliques, celles de Pisc, de Reims, de Strasbourg, de Saint-Denis, etc.,
et le curieux couvercle en bronze des fonts baptismaux de Hildesheim.
k
f
Les Œuvi'es de niisériporde.
Couvercle en bronze de la cuve baiilismale de Hildesheim (Xlll's.)
Le XIV^ siècle continue l'exhibition des bas-reliefs et des miniatures ;
mais voici qu'il ouvre la série des merveilles de la peinture, voici que
nous apparaissent Duccio, Gaddi, Memmi, Orcagna et Giotto, qui vont être
surpassés, au siècle suivant, par Frà Bartholomeo, Jean van Eick, Ghir-
landaio, Pérugin et surtout par FràAngelico, représenté ici par cinq com-
positions. La Renaissance nous offre des spécimens des œuvres de Raphaël,
Michel-Ange, Titien, Véronèse, André del Sarto, etc.; le XVIP siècle, de
Rubans, Rembrandt, Le Poussin, Le Guide, Le Sueur, Ph. de Ghampa-
UN CIIEF-n'OEUYRE TYrOGRAPHKjUE 271
gne et Lionello Spada, qui s'appropria si bien la manière du Dominiquin
et qui, à cause de son nom, se permettait la fantaisie de signer avec son
épée.
Le Retour do l'Enfant prodiiiue.
Tableau de L. Spada (Musée du Louvre.)
\
Le XIX* siècle qu'on a accusé, non sans raison, d'avoir oublié les gran-
des traditions de l'art religieux, est pourtant largement représenté dans
le livre de M. Veuillot, où figurent des compositions de L.David, Prudhon,
Gleyre, Balze, Ary SchefTer, Overbeck, Flandrin. Lameire, Savinien Pe-
tit, Orsel, Claudius Lavergne, Schnorr, etc.
Ce ne sont pas seuleujent les églises et les couvents, les musées et les
bibliothèques publiques qui ont fourni les sujets des illustrations ; à côté
2~r2 UN CUEF-d'œL'VRK TYPOGRArUIQUE
de chefs-d'œuvre, connus de tous ceux qui ont étudié l'iiistoire de l'Art,
on rencontre un certain nombre de monuments inédits qui seront d'un
haut intérêt pour les amateurs ; nous devons surtout noter les minia-
tures de manuscrits et les gravures de Marc-Antoine, Albert Durer et
Martin Schoen, appartenant;! la riche collection de M. Ambroise Firmin
Didot, ainsi qu'unevaste planche représentant letriomphede Jésus-Christ
dans l'humanité ; cette reproduction d'une œuvre aujourd'hui perdue, at-
tribuée au Titien, est comme le résumé artistique de l'œuvre de M. Veuil-
lot.
Nous ne saurions oublier non plus quelques vues de la Judée (Bétha-
nie, Josaphat, la plaine de Siloë, etc.) exécutées d'après la photographie,
et plusieurs inscriptions dues aux récentes découvertes de M. Clermont-
Ganneau.
Les 180 gravures sur bois de MM. Hugot père et fils approchent de la
perfection du burin. Quant aux 16 chromolithographies de MM. Werner,
Thurwanger, Compère, Guesnu, Kellerhoven et Pralon, elles dépassent
en précision, en netteté, en vigueur, en éclat, tout ce qui a été de mieux
réussi jusqu'à ce jour par ce précieux art de reproduction qui nous sem-
ble avoir atteint ici les dernières limites de la perfection.
Nous ne saurions donner, par une sèche description, une idée de la
splendeur de ces chromolithographies ; d'un autre côté, notre format
nous interdit de reproduire les grandes gravures ; nous avons voulu du
moins donner quelques spécimens des petites et, grâce à l'obligeance de
M. Dumoulin sous la direction duquel a été exécutée la partie artistique
de l'œ-uvre, nous pouvons offrir à nos lecteurs cinq planches fort remar-
quables dont nous allons indiquer les sujets :
1° Fresque de Raphaël, aux Loges du Vatican. Tt^ois anges, figure de la
Trinité, visitent Abraham; ils lui annoncent que Sara, sa femme, aura un
fils et que de sa race sortira le Messie. C'est une des plus belles des cin-
quante-deux peintures qui décorent la galerie du deuxième étage du Va-
tican.
2° La seconde multiplication des pains, fresque du cimetière de l'Ardéa-
tine. Les sept corbeilles restées pleines, après que les cinq mille hommes
eurent été rassasiés, figurent la multiplication du pain eucharis-
tique.
3° Le couvercle de la cuve baptismale de Hildeskeim : c'est un magnifi-
que travail en bronze du XIIP siècle, représentant les œuvres de miséri-
corde. Le sujet principal nous montre la Miséricorde distribuant du pain
et du vin à de pauvres affamés.
4° Le retour de l'enfant prodigue, tableau de Lionello Spada, au musée
UN (:iiF.;--!rt)KrvuE xvrOGiiAi'iiio! k 2T:i
du Loiivi'e. Le vieillard consûlc reçoit afîecLuLUsement le pauvre enlatit
déguenillé et le couvre de son manteau.
Rftsurrçcton do li Fiile lii* Jyïre.
(D'ai.iè* le tuMe^ui rl^ rlfiiilir.in. t.)
o. La Résurrection de ta fille de Jaire, de l^embrnndt. Noti-e-Scipneur
prend la main gauche de la morte. On voit près du lit le père habillé en
bourgmestre hollandais, la mère qui pleure, un niéilecin en robe offi-
cielle qui contemple cette scène où le clair-obscur joue son rôle accou-
tumé. Le sujet est assurément bien rendu, mais sans élévation relipieuse,
et nous ne voyons là, ni dans les autres œuvres de Rembrandt, rien qui
puisse justifier l'enthousiasme de INL Charles Blanc pour le caractère
éminemment religieux du célèbre peintre hollandais.
La première édition de Jésus-Christ a été enlevée en quelques semaines ;
la seconde, nous dit-on, est en train de s'épuiser rapidement. C'est là
une heureu?e compensation 'de tant de succès scandaleux de productions
frivoles ou malsaines. 11 est vrai que le public sérieux et chrétien trouve
réunies dans cette œuvre trois puissantes attractions : la grandeur du
sujet, le mérite littéraire du texte et la splendeur de lillustration.
L'abl é J. Coki;lf.t.
lie «élit loin, 11 -20
LE B. CHARLES LE BLOIS
DUC DE BRETAGNE
Trotecteur des d'Jrts au quatoj-^ième siècle '
Le XIV siècle n"<i jamais été compté au nombre des siècles glorieux de
l'humanité. On aurait tort peut-être d'en conclure qu'il ait été beaucoup
plus stérile en grands capitaines et en grandes vertus que certains autres,
qui jouissent d'une juste renommée; mais la société y fut alors en proie
d'une manière inouïe jusque-là, en Fiance surtout, à la guerre et à tant
d'autres fléaux dévastateurs que les sciences, les lettres et les arts ne
purent y être cultivés avec succès. Aussi cette péi'iode historique ne nous
a-t-elle légué qu'un bien petit nombre de monuments littéraires et artis-
tiques. De là la défaveur dont elle est demeurée l'objet au regard de l'opi-
nion publique.
L'Église cependant, la royauté et aussi la féodalité en plus d'un endroit
ne manquèrent pas, dans ces jours d'obscurcissement, de prendre en main,
avec zèle, les intérêts de la science et de la civilisation, et réussirent
souvent à arrêter les progrès de la décadence morale et intellectuelle, qui
menaçait de tout envahir.
Au premier rang des pi-inces qui se distinguèrent chez nous par la
haute protection dont ils entourèrent les lettres et les arts, l'Archéologie
et l'Histoire se plaisent à citer avec complaisance Charles V, roi de
' Cft travail est un cliaiiitio détaché de VUistoh-c du saint Prince dont il va être
question dans ces pages. Composé presc(ue uniquement sur des docinnents origi-
naux, pour la plupart inédits, l'onviagc en question, qui sera bientôt livré au
public, si les circonstances deviennent plus favorables, est appelé, tlans la pensée
de l'auteur, à jeter un grand jour sur les Annales générales de la France et de
l'Angleterre au XIV^ siècle.
LE B. CHARLUS DE BLOIS 275
France, et Gaston Pho'.bus, comte de Foix, et c'est justice assurément.
Mais il est un autre personnage aussi digne de mémoire, si nous ne nous
trompons, et qu'on a néanmoins laissé jusqu'ici dans l'oubli, peut-être
parce que son front se trouve orné de l'auréole de la sainteté. Nous vou-
lons parler duB. Charles de Blois, duc de Bretagne.
Ce prince, qui s'était élevé à un degré de culture intellectuelle fort rare
à son époque, déploya en outre un zèle et une générosité an-dessus de
tout éloge pour faire exécuter en beaucoup de lieux de magnifiques œu-
vres de sculpture, de peinture, d'architecture, etc. Son règne ducal (1341-
1362), bien que troublé par une guerre intestine, fut une époque des plus
fécondes pour l'art chrétien dans la péninsule armoricaine. C'est grâce
aux nombreux travaux qui furent réalisés sous sa direction et le plus
souvent à ses frais, qu'on a pu dire récemment, dans un ouvrage qui fait
autorité: « Le XIV" siècle est le siècle le plus brillant de l'art en Bretagne,
« comme il est sans contredit le siècle oii cette péninsule eut la plus
(i grande importance politique n '.
L'étude du procès de canonisation, dont Charles de Blois a été honoré
après sa mort, et celle des inventaires originaux, placés à la suite de ce
document comme pièces de conviction, nous révèle au sujet de ces travaux
et de ces œuvres d'art exécutés par les ordres de l'époux de Jeanne de
Penthièvre, tout un ensemble de faits et de témoignages du plus haut in-
térêt et du plus grand poids. Il importe d'autant plus de mettre les uns et
les autres en lumière, que de la sorte, en vengeant une noble mémoire de
l'oubli qui pèse injustement sur elle, on pourra encore contribuer à jeter
un certain jour sur l'état général des arts et de l'industrie au milieu du
XIV^ siècle. Tel est le double but que nous voudrions atteindre dans ce
présent travail. Sans avoir la prétention de déterminer dans le détail le
nom et le nombre des églises cathédrales, monastiques ou paroissiales
que notre pieux duc construisit à neuf, répara ou enrichit de mille ma-
nières, sans essayer non plus de dresser le catalogue complet des peintu-
res, des sculptures et des autres œuvres d'art qu'il fit exécuter, nous
espérons cependant en dire assez pour établir que ce prince étendit sa
sollicitude à la plus grande partie de la Bretagne et laissa partout des
gages non équivoques de la pureté de son goût comme artiste, et de sa
munificence comme prince chrétien.
Nous commencerons par quelques détails biographiques sur celui dont
nous voulons faire ressortir la protection accordée aux arts.
' Hist. litt. de la Fraiicc, t. XXIV, p. 014.
27G I.l:: H. CHAIÎLES DE HLOIS
1" Le B. Charles de Hlois naijuiteii 1319 au château de Blois. Il eutpour
père Guy !I de Chatillon, comte de Blois, et pour mère Marguerite de
Valois, sœur de Philippe VI, roi de France. Notre futui- duc do Bretagne
fut élevé avec soin diins le-^ [dus profonds sentiments de la piété et de la
crainte de Dieu. Docile à de tels enseignements, il y répondit dès le ber-
ceau par un si grand zèle pour la prière et les œuvres de charité, par de
si houleuses dispositions pour la vertu, qu'à l'àg^' de seize ans il billlait
déjà de l'éclat des miracles.
L'éducation littéraire du jeune prince ne fut pas au-dessous de son édu-
cation religieuse.
Ch;'.rles de Hlois, confié à des gouverneurs et à des maîtres aussi ins-
truits que pleins de sollicitude, se livra à l'étude avec une ai'deur, une
continuité et une patience qu'aucune difficulté ne pouvait rebuter. Il y
acquit des connaissances variées et étendues et mérita de passer en son
temps pour un prodige de scitmce ^ La littérature sacrée en particulier
faisait ses délices ; son âme naturellement poéti(|ue recherchait partout et
jusques dans ses prières habituelles les formes gracieuses du rythme, de
la mesure et de la cadence '.
Les premières années de Charles de Blois s'écoulèrent de la sorte, à la
fois douces et paisibles, toujours sérieusement occupées tantôt à des ob-
jets d'étude, tantôt à des œuvres de piété et de charité. U atteignit ainsi
sa dix-huitième année ; et c'est alors que son oncle le roi de France lui fit
contracter mariage avec Jeanne de Bretagne, déjà comtesse de Penthiè-
vres, de Goello et d'Avaugour et, de plus, héritière présomptive du duché
de Bretagne (juin lo37j. Cette union amena une transformation totale
dans l'existence du jeune puîné de Guy de Chatillon. On sait, en effet,
que quatre années après que le mariage en question eut été conclu,
Jeun ili duc de Bretagne étant venu à mourir (30 avril 1341), l'époux de
Jeanne de Penthiôvre se vit disputer les armes à la main, par un compé-
titeur puissant, la possession du riche héritage, qui vaquait, par cette mort,
en sa faveur. De là l'héroïque et sanglante guerre de la succession, {i3M-
13Gi). Ce n'est pas ici'le lieu d'en retracer les péripéties, les alternatives
diverses de succès et de revers, et le douloureux dénouement final. Di-
sons seulement pour l'intelligence de ce qui va suivre, qu'on peut y dis-
' Act. citnoiti^at. Caioli Blcs , t. II, fol. 49_et^50, mss. lat. de la IJibl. natio-
nale, n° .5381 A, 2 in i'olio.
^ « Crédit (testis) per juiauieiituui quod scieiilia luit mugis diviuitus inspirata
Carulo quani ab honiinibus aciiuisita. n Ibid., t. I, fol. ')() «t 100.
•* Ibid., t. I, fol. 158.
LK U. CHARLEi^ DE BLOIS 277
tinguer trois phases principales : la phase du tiiomphe (13-41-1347), celle
où Charles de Blois vit habituellement la victoire s'attacher à son dra-
peau; en second lieu, la phase de la captivité, pendant laquelle l'époux de
Jeanne de Penthièvre fut condamné à languir dans une dure prison
(1347 1331); enfin la phase lugubre qui eut pour terme la défaite d'Auray
et la mort de notre vertueux prince (1363-1364). Or, entre ces deux der-
nières phases, du mois de juillet 1337 au mois de juin 1363, il y eut un
intervalle notable de répit et de paix, (Juelque chose d'analogue s'était vu
également en 1343 et 1344, et peut-être à d'autres époques moins connues
delà vie de notre saint prince. Ce furent ces intervalles de paix, plus ou
moins prolongés, que Charles de Blois s'empressa de metti'C à profit pour
cicatriser les plaies causées par la guerre. C'est alors qu'il s'appliqua à
multiplier les œuvres d'art en Bretagne, à doter tout le pays des monu-
ments de sa pieuse munificence et de son inépuisable charité. Le moment
est venu pour nous d'entrer à cet égard dans quelques développements.
Montrons d'abord comment sa sollicitude s'étendit au moins à toute la
partie de la Bretagne qui reconnaissait ses lois.
II. — En tête des villes de l'Armorique, qui ont eu une large part aux
libéralités religieuses et artistiques de l'époux de Jeanne de Penthièvre, il
faut placer sans contredit Guingamp, alors capitale du comté même de
Penthièvre.
Cette ville, aujourd'hui réduite à une seule paroisse par le malheur des
temps, en comptait alors au moins trois : la Trinité, Saint-Sauveur et
Saint-Michel. De plus elle offrait dans son enceinte ou dans sa banlieue
une grande abbaye de chanoines, celle de Sainte-Croix, deux couvents
importants, l'un de Frères-Mineurs, l'autre de Frères-Prêcheurs, une cha-
pelle de pèlerinage des plus fréquentées, Notre-Dame de Bon-Secours, et
quelques-autres oratoires publics. Or, ces églises, ces chapelles, ces maisons
religieuses reçurent toutes de notre pieux duc de nombreux et riches
présents ; ses largesses toutefois se répandirent avec une abondance par-
ticulière sur la dévote chapelle de Notre-Dame, sur le couvent des Domi-
nicains, et plus encore sur celui des enfants de Saint-François, où il avait
choisi dès 134Ç sa propre sépulture et celle de sa femme ^
Rennes, la capitale du duché armoricain, ne fut guère traité avec moins
de libérante que Guingamp. Ainsi les églises abbatiales de Saint-Melaine
et de Saint-Georges reçurent l'une et l'autre de notre prince une relique
de S. Yves avec le reliquaire, qui devait la contenir ^. De plus, vers cette
' Act. caH..t. I, fui. 125, 138, 160, etc.; t. II, fol. 387-393.
^ Ibid., fol. 154.
278 LK B. CHARLES DE BLOIS
époque (l3o8), on commença dans cette ville, sans nul doute sous les
auspices et avec le concours du même duc, à récdifier l'église paroissiale
de Toussaint, à construire à neuf les dévotes chapelles de Sainte- Anne et
du glorieux prêtre de Tréguier, dont le nom vient d'être prononcé *. Ce
fut cependant la cathédrale, Saint-Pierre de Rennes, I'Eglise majeure de
tout le duché, qui fut favorisée par le successeur de Jean III des olî'randes
les plus magnifiques.
On travaillait depuis un siècle et demi (1187) à la reconstruction de ce
sanctuaire, quand l'époux de Jeanne de Penthièvre gravit les degrés du
trône ducal; malgré cela, l'œuvre était encore loin d'être arrivée à son
terme, les troubles politiques et les guerres n'ayant cessé de mettre obs-
tacle à sa poursuite. Notre duc s'empressa de faire reprendre les travaux
dès que cela lui fut possible, c'est-à-dire aussitôt après la trêve du mois
de juillet 1357 '^, et cette fois ils furent poussés avec tant d'activité, qu'au
bout de deux années le monument était achevé, et qu'on pouvait songer à
en célébrer solennellement la dédicace.
Cette imposante cérémonie eut lieu, en effet, le dimanche 3 no-
vembre 1339. Elle revêtit un tel éclat que les chroniques contemporaines
en ont inscrit le souvenir dans leurs fastes ordinairement fermés pour de
pareils détails ^; la fonction sainte fut accomplie par Pierre de Guemené,
qui venait d'échanger le siège de Saint-Pol de Léon pour la chaire de
S. Amand et de S. Melaine. On ignore si notre B. prince eut la consolation
d'assister à une solennité que les rois et les empereurs chrétiens ont sou-
vent honorée de leur présence, mais il est toujours certain qu'on l'a vu, en
d'autres occasions analogues, se faire un devoir de présider en personne à
des cérémonies religieuses, témoin la pose de la première pierre des deux
hôpitaux de Saint-Martin de Guingamp et de Toussaint de Nantes *, et
celle de la chapelle de Saint-Yves de Guingamp. Charles de Blois avait à
ses côtés dans cette dernière circonstance l'évêque de Saint-Malo et l'abbé
de Boquien ^
L'époux de Jeanne de Penthièvre, non content d'ailleurs d'avoir ainsi
contribué dans une large mesure à la reconstruction de la cathédrale de
^ Cf. M. de la Bigne-Villeneuvc, Mémoire sur les anciens monuments religieux
et civils de Rennes. [Bulletin de l'Association bretonne, ann. 1851, t. II, p. 128,
130, 131.)
- Mélanges dliisloire et iVard.éol, bret., t. II, p. 38.
•■' Chron. Britannic. (Preuv. de Bret., t. I, c. 11 î.)
^ Act. can., t. I, fol. 28(i, -289.
\Ibid, lo\. 138.
Lli H. CHAHLES 1)K Ul.OlS 2~\i
Rennes se plut encore à enrichir cette même église de mugniliqnes vitraux
coloriés et à personnages ^; ainsi qu'à la pourvoir d'ornements siierés et de
tapisseries d'Arras du plus grand prix -. Enfin il y fonda et pourvut d'une
riche dotation la double chapelle de Saint-Yves, et des saints rois Judicaël
et Salomon ^
Charles de Blois n'eut garde d'oublier non plus dans ses libéralités la
ville de Nantes, la première de tout le duché par le chiffre de sa popula-
tion, et par l'étendue de ses relations commerciales. Il commença par y
coopérer efficacement à la reconstruction des églises de Saint-Laurent et
du Carmel *. Plus tard il fit bâtir à ses frais, sur les ponts de cette ville, la
chapelle de Sainte-Magdeleine ^ Il ajouta en outre six nouvelles prébendes
à celles que possédait déjà l'église des saints Donatien et Rogatien ®. Enfin
il fit orner de ravissantes peintures tout le pourtour du chœur des Domini-
cains de la même ville '.
A Lamballe, l'époux de Jeanne de Penthièvre, pour première preuve
de sa générosité, s'engagea à solder à la fabrique du vénéré sanctuaire
de N.-D. une rente annuelle de 25 liv. en compensation des dommages
qu'il avait soufferts pendant la guerre. 11 en vint en outre, vers 1360 en-
viron, après la cessation des hostilités, à donner des oriires pour la re-
construction du chœur même de cette église. Une souscription fut ouverte
à l'effet d'en couvrir les frais, et le religieux duc s'inscrivit en tête de la
liste pour une somme annuelle de 90 florins ^
Les Augustins de la même ville eurent également part aux pieuses libé-
ralités de Charles de Blois® mais cependant dans une moindre mesui-e que
les Franciscains et les Dominicains de Dinan. Ces deux derniers couvents
reçurent de lui des dons de tout genre en ornements sacrés, en reliques
et reliquaires, etc. Leurs églises furent de plus enrichies par lui des
plus belles œuvres d'art i". Enfin, notre duc songeait encore à doter
cette même ville de Dinan d'un monastère de religieuses Clarisses, lors-
' Ac{. can., t. ï. fol. .M, 4 -.'G, etc.
2 Ibid.
^ Ibid., fol. 129, 139, !9;s.
* Ibid., fol. 51.
•' Ibid , fol. 33 'i.
^ Ibid., fol. 139.
' Ibid., fol. 126.
*• Act. can., t. II, fol. -i03 et Wi.
" Ibid., fol. 40i.
'» Ibid., t. I, fol. 98, 139, 198, etc.
280 I.K U. CHAIM.I.S DK ULOIS
que la mort vint inopinément trancher le conrs de ses jours précieux '.
Morlaix,Tréquier, quelques autres villes encore et beaucoup de [aroisses
de cairjpac,ne ou de lieux de prière attirèrent également en Mon des cir-
constances ratfoiition de Charles de Blois et devinrent de sa part l'oljjet
de nouvelles libéralités du môme genre ^, mais nous n'essaierons pas d'en
présenter ici une plus longue énumération. Un trait d'ailleurs résume tout
à cet égard, et en dit plus que beaucoup de paroles. L'époux de Jeanne de
Penthièvi'i-, digne émule de S. Louis et des princes les plus pieux des âges
de foi, ne passait jamais en voyage devant une église sans descendre de
cheval et s'arrêter au seuil de la maison de Dieu, non seulement pour y
prier, mais aussi pour se rendre compte par ses pi'opres ytuix de l'état
matériel de l'édifice sacié, et de sim ornementation extérieuie et inté-
rieure. Le lieu saint portait-il les traces de l'abandon et d'une négligence
coupables? y trouvait-on des images ou des tableaux de mauvais goût,
peu propres à exciter la dévotion et la piété? Le vertueux duc se montrait
vivement affligé de ce désordre, et ne manquait pas alors de faire com-
paraître devant lui le prêtre qui était [iiéposô à la garde de cette demeure
terrestre de la majesté divine. T/était pour l'avertir chaleureusement d'ê-
tre plus attentif à l'avenir à remplir le devoir de sa charge pastorale.
Mais cela fait, l'humble et charitable Censeur s'empressait d'adoucir l'a-
mertume de sa correction en ouvrant sa piopre cassette, en donnant lar-
gement de quoi solder les premiers frais de réparation, et de quoi renou-
veler les pieuses images qui ornaient le lieu saint ^.
11 faut ajouter, pour être complet, que le peuple fidèle était si habitué
à entendre enumérer pendant les offices divins la série des présents de
tout genre ofierts quasi-hebdomadairement par le saint duc à leurs églises,
qu'on nous a conservé la formule, dont on se servait en cette circonstance.
Elle ne diffère pas sensiblement de celle qui est encore pi'ésentemcnt en
usage dans plu-ieurs diocèses de Bretagne.
Le prêtre disait donc du haut de l'ambon en faisant l'ostension des
objets eux-mêmes : (( Vous n'oublierez pas, mes frères, dans vos prières,
' .-/cf. can., fol. 84.
» Ihid., fol. 51, 71, 97.
^ « Multoties (luin R(iuitahat pttraiisih.it, prop(i (>cclo.sias, dc>,{-('ii!lebat de equo,
ut accedebat ad ipsas, ut in eisdeni oi ationes et suffiagia sua diiebat, ul si repe-
riret quod aliqiia illanun essent disco()perta\ vel qnod esset aliqiia indecoiitia
vel irdionestas in iinaginibus vel alias, i|i.-(> htatiiu recloies scu iiiiiiiKtios ecclcbia-
rnm ad se vocari faciebat, etc. ut ipso de suo pecuiiias pro eccleoiis coope-
riundis et dictis imagiiiibus reficiendis tribui faciebat socratius quam poterut. »
^ct. Cil)}., i. I, fol. 271, etc.
LE D. CHARLES DE BLOIS 281
« Monseigneur Charles, duc do Bretagne. Sa pieuse libéralité vient de
(( nous faire de nouvelles ofl'randes en joyaux, vêtements sacrés, reli-
« quaires ^ »
Charles de Blois n'était pas seulement duc de Bretagne, il était aussi
vicomte de Limoges, mais nous manquons de renseignements sur les
libéralités particulières dont les églises du Limousin durent être l'objet
de sa part. Tout ce que nous savons à ce sujet, c'est que quelques mois
avant la bataille d'Auray, oii il devait perdre la vie, il envoya une riche
aumône pour contribuer à la reconstruction de l'antique église de Saint-
Michel des Lions de Limoges \ Comment douter cependant que le souve-
nir de beaucoup d'autres donations du même genre ne se soit malheureu-
sement perdu, et n'ait pu arriver jusqu'à nous?
Ilf. Après ce court aperçu d'ensemble sur les immenses libéralités de
Charles de Blois, et sur les nombreux travaux d'art qu'il fit exécuter, nous
allons essayer de descendre un peu dans le détail et de faire ressortir
brièvement le mérite au moins relatif des (euvres d'architecture, de sculp-
ture, de peinture et d'orfèvrerie qui furent réalisées sous son règne et
souvent sous sa direction personnelle.
Et, d'abord, quant aux travaux d'architecture, ils sont nombreux
comme on vient de le voir par l'énumération des églises ou chapelles que
ce religieux prince a rebâties, réparées ou construites à neuf, mais il
serait difficile d'en apprécier la beauté et la valeur artistique à cinq siècles
de distance, le temps et les lévolutions n'ayant presque rien respecté de
ce que le successeur de S. Judicaël avait élevé avec tant de zèle et de
sollicitude.
Le chœur de Notre-Dame de Lamballeest peut-être la seule pièce encore
debout actuellement. Or il ne manque pas de mérite en son genre. La
cathédrale de Rennes, celle de 1359, exciterait cependant bien plus vive-
ment notre admiration si elle avait pu résister aux injures des temps. Ses
vastes dimensions (114 mètres de long sur 22 de large), ses fenêtres nom-
breuses ornées de riches verrières, ses chapelles artistement décorées,
et l'harmonieux ensemble de ses parties en faisaient à tous égards un
véritable monument, et la rendaient digne de servir de principal ornement
ù la capitale d'une province aussi catholique que la Bretagne '\
* « Quando Carolus aliqua jocalia, parata vel vestiinenta dederat, dominica se-
quenti ostendebantur populo, et dicobatur : Orale pro Domino Carolo, duce
Biitannifc, qui ha'c et alla dédit. » Acl. coji., t. I, fol. 350.
- .M. Marvaud, Ilist. de la vicomte et des vicomtes de Limoges, t L p. 389.
^ V. le relevé des richesses artistiques de Saint-Pierre de Rennes avant 1756
(Arch. dcpurtem.); — Cf. AL de lu Bigne-Villeneuve, Mémoire, déjà cité, p. H 04.
II« série, tome II. *1
282 LF. R. CHAUr.KS DE I3L0IS
Les œuvres dcscul;ituie religieuse ordonni^es parCliarles deBlùis nous
sont encore moins connues que les travaux d'arcliitecture qui furent réali-
sés sous sa direction.
On ne nous a conservé que le souvenir de celles dont il enrichit la ville
deGuingamp. Le pieux Duc y lit sculpter en bois avec une grande perfec-
tion dix-huit statues d'anges. Les six premières furent destinées à servir
de couronnement aux piliers qui entouraient le chœur de la chapelle de
Notre-Dame de Bon-Secours \
Les douze autres représentaient des Chérubins aux ailes étendues, et
vinrent orner scmblublement le pourtour du chœur des églises conven-
tuelles de Saint-Dominique et de Saint-François -.
Nous avons plus de détails sur les œuvres de peinture que la Bretagne
dut à la piété de son prince. Ainsi il fit décorer le chevet de la cathédrale
de Rennes de magnifiques vitraux coloriés età personnages dontil surveilla
lui-même l'exécution, afin que tout y fut marqué au coin du bon goût et
pleinement digne d'un lieu aussi vénérable ^. Ceux qui nous ont fait con-
naître les vitraux en question, comme témoins oculaires, dans renquôLe
de canonisation, n'ont pas d'ailleurs assez de paroles pour dire quelle en
était la richesse, la beauté et l'éclat *.
Non content d'avoii' fait lambrisser et paver en partie en mosaïque
l'église conventuelle des Frères-Mineurs de Guingamp, Charles de Blois
l'enrichit encore semblablement d'un grand vitrail, et l'orna de peintures
murales dans tout son ensemble '".
Il en agit avec la même munificence à l'égard deS Frères-Mineurs de
Dinan, des Dominicains de Guingamp et de Nantes. « J'ai vu les peintures
« de l'église de Saint-Dominique de Guingamp, » nous dit de nouveau
un témoin oculaire, le P. Derien, de l'Ordre des Frères-Mineurs, « les
« couleurs en sont vives et éclatantes. On y admire principalement, les
(i images des Saints Rois de Bretagne, qui ont été honorés d'un culte pu-
« biic. Elles décorent tout le pourtour du grand autel. L'humble prince
' Act. can., t. I, fol. 9ô.
« Ibid., fol. 97, et t. II, fol. 397.
^ « lu capite Ecclesitc Redoncnsis vitrcari facit de magnis et pulclierrirais vitreis,
et pulcliris et decenti^us coloribus cum decentibus imaginibus ibidem depictis. »
Ibid., 1. 1, fol. 51, 126, etc.
'* Ibid.
'■' « Ecclesiarn Miuornm Guengiimpensium facit lambruscari et pavimentum ab
ingressu chori usque ad majus altare de lapidibus quadratis et diversorum colo-
rum. . . In cadem vitream magnam fecit fieri et totam depingi suis suniptibus. »
Ibid.y fol. 197, etc.
LE B. CHARLES DE BLOIS 283
« s'est fait représenter au bas du tableau à genoux et dans Tattitude de
« la prière, mais cependant orné des marques distinctives de sa dignité
« ducale \ »
A Nantes et à Dinan, les peintures qui s'exécutèrent sous la direction
personnelle de notre religieux Duc, étaient également des peintures histo-
riques et nationales particulières à la Bretagne -.
L'époux de Jeanne de Penthièvre ne se borna même pas à cela. Nous
le voyons encore commander plusieurs autres travaux analogues, faire
dresser, par exemple, chez les Frères-Mineurs de Dinan un Arbre de la
vie de S. François ^ réunir dans un même tableau, chez les Dominicains
de Guingamp, les Saints et les Bienheureux de leur Ordre *.
Or ce soin de grouper dans une seule et même peinture tantôt les
gloires nationales du peuple Breton, tantôt les gloires domestiques d'une
famille religieuse, nous apparaît comme un des gages les moins équi-
voques dujiaut degré de culture intellectuelle auquel s'était élevé Charles
de Blois.
Ce genre de peinture historique fut d'ailleurs celui dans lequel excel-
lèrent vers ce même temps deux des plus grands artistes Italiens du XIV
siècle, Simon Memmi et Taddeo Gaddi '.
Poursuivons notre sujet.
Outre ces peintures de grande dimension dont nous avons présenté un
relevé assurément fort incomplet, Charles de Blois en fit exécuter beau-
coup d'autres sur une moindre échelle.
C'étaient tantôt de simples cadres dans lesquels on enchâssait avec art
de saintes images d'un travail achevé '^i d'autres fois de petits tableaux
peints à grands frais, avec une rare perfection, et d'après les principes
' « Depingi facit Carolus Ecclesiam Prœdicatorura pulcherrlmis et nobilibus
coloribus in parietibus circum majus altare, et sunt ibidem depictfc imagines
sanctorum de Britannia, qui fueruut de génère regum, et imaginem Caroli cum
armis Britannice flexis genibus coram imaginibus supra dictis. Act. can.^ 1. 1, f. 96.
^ Ibid., fol. 98, 126, etc.
* « In conventu minorum Dinanni fieri fecerat unam arborem vitce S. Fran-
tisci. » Ibîd., t. II, fol. 120.
*" « In Ecclesia fieri fecerat imagines sanctorum de ordine Praîdicatorura. »
Ibid., t. I, fol. 9a.
^ Ce renseignement nous a été fourni bienveillarament par le savant M. Cou-
rajod (du musée du Louvre) que nous avions consulté sur l'origine des peintures
historiques de ce genre.
^ « Erant quscdam tabuke pulcherrimte depictic imaginibus pretiosis. » Act.
ccm., t. I, fol. 98.
284 I.E n. CilARLKS DE BLOIS
de l'école lombarde, etc. '. Nous manquons de renseignements plus dé-
taillés sur ce sujet, mais si on se rappelle ce qui vient d'être dit du zèle
avec lequel notre religieux prince s'appliquait à renouveler les images
des saints partout oii elles étaient dégradées et peu propres à exciter la
dévotion, on en conclura sans peine combien durent être nombreuses
les richesses artistiques de ce genre, dont sa munificence enrichit U Bre-
tagne.
La sollicitude de Charles de Blois ne se borna mémo pas aux peintures
purement religieuses et destinées aux églises. On le vit aussi s'employer
avec zèle à orner et à décorer de vingt manières les déambulatoires,
l'infirmerie et la salle dite d'Avaugoii/' du couvent des Franciscains de Di-
nan, pour ne mentionner que les peintures profanes dues à l'époux de
Jeanne de Penthièvre, qui nous soient nommément coimues '.
Mais c'est assez parler des travaux relatifs aux arts du dessin, que
Charles de Blois fit exécuter pendant le cours de son règne ducal avec
tant de générosité et avec un bon goût si parfait.
I V°. Dans un ordre de choses un peu différent, mais non moins digne
d'attention, ce prince s'appliqua avec la même libéralité à pourvoir dans
une large mesure au vestiaire et à l'ameublement des églises, des cha-
pelles de pèlerinage et des maisons religieuses de son duché. Si nous vou-
lions en faire l'énumeration, il faudrait désigner ici la cathédrale de Hen-
nés, Notre-Dame de Lamballe et de Guingamp, en un mot, répéter tous
les noms, qui se sont déjà présentés sous notre plume. Contentons-nous
de dire d'une manière générale, que notre duc voulait avec raison que les
lieux de prière, surtout les plus fréquentés, ne manquassent en ce genre de
rien de ce qui était nécessaire pour rehausser l'éclat et la pompe du culte,
pour donner aux hommes du peuple une plus haute idée de la Majesté
divine. C'est dans ce but qu'il multiplia ses dons et ses offrandes en orne-
ments sacerdotaux et en vêtements de chœur, y compris les moindres
comme surplis et aumusses, en reliquaires, en encensoirs, en livres litur-
giques, en tapis et parements d'autel. Aucun détail du service divin ne
paraît avoir échappé à son active prévoyance. Les dépositions des témoins
de V Enquête d'Angers (celle de canonisation) et les inventaires annexés au
' « Tabulai alise depictsc ad moduin Lombardi;e rnultum sumptuose et délicate. »
Ibid.,ïo\. 136. — On ignore quelle peut être cette école lombarde ou toscane
dont il est ici question, vu que la première école connue^sous ce nom ne remonte
qu'au XV? siècle (M. Courajod, déjà cité).
- « Apud minores Dinanni fecit fieri pulclierrima deambulatoria. . . et ea fecit
depingi et aulam infirraariœ et aulam dictam de Valegoria. » Act, can-, t, I, f. 90.
LE B. CHARLES DE BLOIS 285
procès-verbal de cette enquête nous offrent à cet égard les renseignements
les plus authentiques et les plus circonstanciés. 11 suffirait d'établir un
parallèle entre les données qui nous sont fournies par cette double source
d'information, et celles qui résultent des documents du même genre et de
la même époque récemment mis au jour \ pour constater qu'à cette date
l'Armorique n'avait rien à envier aux autres provinces du royaume en fait
d'ornements sacrés et d'autres objets du culte, riches et précieux. Mais il
ne sera pas inutile d'entrer ici même dans quelques détails, ne serait-ce
que pour aider tant soit peu à faire connaître quel était en Bretagne, au
milieu du XiA'''^ siècle, l'état de l'orfèvrerie et de l'industrie des tissus.
Et d'abord quant à ces derniers, la liste de ceux qui sont mentionnés
est assez nombreuse. Ainsi il est question tour à tour de Camoquas blanc
travaillé avec art, ^ de velours bleu, rouge ou noir, ^ de cendal, de satin
rouge, de soies de diverses couleurs. *
Ailleurs on parle avec éloge d'un grand d7'op de hure aux armes de
Penthièvre et d'Avaugour, qui servait à couvrir les tombeaux des ancê-
tres de Madame de Bretagne ^
Les couvertures [Alnatx vel corlina) ou parements d'autel [paramanta]
pouvaient être indifféremment de cendal, de satin rouge, de velours ou de
soie de couleurs diverses *^ ; mais il va sans dire que pour le linge d'autel
on ne pouvait employer qu'un lin fin et délicat '.
La toile de Reiras servait pour les surplis et peut-être en d'autres cir-
constances analogues *.
Les aumusses des chanjoines se distinguaient quelquefois à Icui' couleur
grise et vairée '.
Quant aux chapes, le pieux duc faisait en sorte qu'elles fussent partout
en nombre suffisant pour toutes les solennités de l'année ecclésiastique et,
selon les circonstances, de laine, de soie ou de velours et le plus souvent
' V. en particulier Bévue des Sociélcs scœinttcs, 5' série, t. III, p. 441 et suiv.
- « Casula cuni stola et nianipulo de Camoquas albo varie et artificiose ope-
rato. » ^ct. can., t. I, fol. 138.
Ubid., t. II, fol. 391.
* Ibid., t. I, fol. '.)S\ etc.: t. H, fol. 390-397.
' « Pannum de huro ad arma PenthevritL' et de Valegoria ad rcpoiienduru
super tumulos antecessorum Dominai duciss.e. » liid., t. I, fol. 1-2G.
« Ibid., t. I. fol. 90, 1-:G ; t. II, fol. 387-393.
' Ibid., passim.
^ « Superpellicea teko Remensis. » Ibid., fol. 137.
^ « Almutias chori de griseo et vario. » Ibid.
286 LE B. CHARLES DE BLOIS
ornementées ' . La cathédrale de Rennes dut en particulier à la munificence
de son prince des chapes de velours rouge sur lesquelles étaient brodés des
oiseaux d'argent". En d'autres occasions, les armes de Bretagne figuraient
;i la place d'honneur sur ce vêtement d'apparat ^
Il paraît qu'à cette date les aubes pouvaient non seulement être ornées
de dentelle, mais aussi recevoir des bordures de velours noir *.
En outre le satin rouge était employé concurremment avec la soie sim-
ple, argentée ou dorée, avec le velours rouge ou noir pour la confection
des chasubles, étoles et autres vêtements des ministres sacrés ^
On désignait alors sous le nom de cuapelle complète {capella intégra)
l'ensemble des draperies de l'autel, des aubes, des chapes et des autres
vêtements nécessaires au prêtre et à ses ministres pour la célébration
solennelle des saints mystères.
Charles de Blois fit don de plusieurs chapelles de ce genre à l'église
cathédrale de Rennes, à N.-D. de Guingamp, aux Dominicains de Nantes
et de Dinan •^, etc., mais on sait assez que ce mot {capella intégra) a perdu
aujourd'hui chez nous sa première acception.
Pour en finir avec ce qui regarde les tissus et les draperies, dont il est
question dans l'enquête de canonisation de notre duc de Bretagne, nous
n'avons plus que quelques mots à ajouter sur les fabriques qui jouissaient
alors d'une particulière estime.
Celles d'Angleterre tenaient, paraît-il, le premier rang. Charles de Blois
les mit plus d'une fois à contribution. C'est auprès d'elles en particulier
qu'il se procura en 13o6, lors de son retour de prison, douze grands tapis
dont il fit ensuite présent à diverses églises '' . Les fabriques de Bruges et
d'Arras venaient au second rang, et notre prince eut également plus
d'une commande à leur faire *. Celles de Paris étaient aussi entourées
d'une haute considération, principalement en ce qui concernait la confec-
' « Gappas abbas, rubras et nigras ad tenendum chorum. » Acl. can., 1. 1,
fel. 136, etc.; t. II, fol. 387 393.
- « Gappas de Belvello rubro cum avibus argenteis factas opère gallice de bro-
derie. » Ibid., t. I, fol. 125.
■' « Pluvialia de Belvello albo cvnn armis BritannicO. » Ibid.
« Albto de serico paratre, item de velveto nigro. »
'^ Ibid., t. I, f. 138, etc.
* « Carolus dédit unam Capellam integram, videlicet : Paramenta pro magno
altari inferiiis et superius indumenta pro sacerdote, diacono et subdiacono, 4 cap-
pas et très albas de serico paratas. « Act. can,, t. I, fol. 138, etc.; t. II, fol. 390.
■ Ibid., t. I, fol. 3^2.
» Ibid., t. I, fol. 90, 12."), 138, etc.
LE B. CHARLES DE BLOIS 287
tion des vêtements sacrés ♦. Enfin la toile de Reims [tela Rhemcnsis) ne
laissait pas non plus que d'être employée en Bretagne, ainsi qu'il a déjà
été dit, ce qui prouve qu'on lui avait reconnu certaines qualités supé-
rieures.
V. Venons maintenant aux croix, reliquaires, encensoirs, et autres ob-
jets d'orfèvrerie dont Charles de Blois se plut également à faire présent
aux églises et aux maisons religieuses de son duché.
Et d'abord l'orfèvrerie, considérée comme art, avait déjà atteint en Bre-
tagne une haute perfection à l'époque où nous sommes parvenus. Elle sa-
vait réaliser de véritables chefs-d'œuvre, autant qu'on en peut juger par
les dépositions des témoins de l'enquête d'Angers. Non contents, en efTet,
d'employer l'or et l'argent comme matière, les maîtres les plus renommés
en cette profession excellaient encore à y enchâsser habilement les perles
et les pierres précieuses pour augmenter de la sorte la valeur des objets,
qui sortaient de leurs mains, et leur donner un éclat incomparable. Ainsi
notre religieux Duc offrait un jour en don à l'église des Frères Mineurs de
Guingamp une grande croix d'argent massif. Or, il avait eu soin d'y faire
sculpter sur métal les saintes images de N. S. crucifié, ^de Marie au pied
de la Croix, et du B. Jean l'èvangéliste. 11 Tavait en outre enrichie de do-
rures, de perles et de pierres précieuses. Le poids total de ce magnifique
objet d'orfèvrerie s'élevait à onze marcs, et la main-d'œuvre toute seule,
n'avait pas coûté moins de cent florins d'or, somme considérable pour
cette époque -.
Les autres croix, dont notre B. duc gratifia un grand nombre d'églises
n'étaient pas toujours assurément du poids et de la valeur de celle-ci,
mais cependant elles équivalaient ordinairement à trois ou même huit
marcs d'argent. De plus, celles qui étaient destinées à être portées en
procession, offraient généralement comme la précédente, avec la repré-
sentation de N. S. attaché pour nous au gibet infamant, celles de la Mère
des Douleurs et du Disciple bien aimé, ce qui en augmentait notablement
le prix'. Sur l'une d'elles on voyait même en outre éclater une étoile
d'argent, peut être en souvenir de Toidre de chevalerie appel'' ordre de
* « Carolus facit fieri sacra vestimenta Parisiis pro Britannia. » /ïcL can., 1. 1,
fol. 339.
* « Carolus dédit unam niagnaia crucem argenteam cum iniaginibus B. Marise
et B. Joannis Evangelistœ deaurataiii et omatam margaritis et lapidibus pretiosis,
pensantera undecini marcas, ciijiis factura valet secunduin œstimationem opera-
riorum 100 llor. auri. » Ihid., t. II, fol. 390.
3 Ibid.., 1. 1, fol. 95, 1-25, lo8, etc.
288 LE B. CHARLES DE BLOIS
l'étoile, qui fut institué en 1352, et dont Charles de Blois a pu faire par-
tie, quoique les monuments contemporains aient gardé le silence sur cette
particularité '.
Parmi les autres objets d'orfèvrerie, qui servent au culte, les candéla-
bres, les encensoirs, les bénitiers ne sont pas ceux dont il est moins sou-
vent parlé dans les documents auxquels nous empruntons nos renseigne-
ments.
Les candélabres ainsi otferts libéralement par notre prince étaient assez
souvent d'argent massif rehaussé de dorures, et leur poids pouvait s'éle-
ver jusqu'à huit marcs '.
Quant aux encensoirs, qui sont destinés à faire monter vers le ciel la
fumée odoriférante et symbolique des parfums de la terre, le pieux Duc
exigeait aussi ordinairement qu'ils fussent dor ou au moins de pur et bon
argent ^. Il en agissait de même à l'égard des bénitiers, dont la destina-
tion est de renfermer l'eau merveilleuse que la prière de l'Eglise a sancti-
fiée et rendue toute puissante contre les ennemis du salut. On a vu dans
une circonstance le poids total de deux bénitiers et d'up encensoir d'ar-
gent doré atteindre le chiffre de 24 marcs ''.
11 est aussi question d'un autre vase d'argent dans lequel on portait le
Saint-Sacrement le jour de la procession de la Fête-Dieu '". Etait-ce quel-
que chose d'analogue à nos ostensoirs actuels? Nous n'oserions ni l'affir-
mer ni le niei-, mais cependant la chose nous paraît assez peu probable.
Nos monstrances sont d'origine moins ancienne.
Les livres liturgiques, Épistolaire, Évangéliaire et autres, dont le pieux
Charles de Blois aimait également à se faire le distributeur généreux,
étaient soigneusement garnis de fermoirs d'argent'', sans doute afin de
mettre à l'abri de la poussière ou du simple contact de l'air leurs élégantes
miniatures, leurs riches enluminures et les pierres précieuses qui les re-
' « Dédit B. Man;e de Guengamps vuiam magnam cruceni argenteam cum
imaginibus crucifixi, B. M. Virginis, B. Joannis Evangelistœ, et cum iina Stella
deargentea omnibus deauratis. » Ect. can., t. II, f. 391.
- « Duo candelabra argentea pensantia octo marcas ; id. argenti deaurata. »
Ibid., t. II, loi. 390, etc.; t. II, f. 1J8, 118, 136, etc.
^ 0 Unum thuribulum aureum. » Ibid., t. I, fol. 95, 137.
"^ « Duo exorcisla argentea et unum thuribulum argenti deauratum pensantia
24 marcas boni et puri argenti. » Ibid., t. II, fol. 391).
' « Qmddam vas argenteum in qiio defertur corpus Dominis in die consecra-
tionis ojusdem. » Ibid., t. I, fol. S'il.
' a Unum Epistolarium et unum Evangeliarium cum scrraturis argenteis. »
Jbid., t. II, fol. 39U, etc.
LE B. CHARLES DE BLOIS 289
couvraient •. C'est cette circonstance des fermoirs qui les fait relever de
l'art de l'orfèvrerie et nous a autorisé de la sorte à les mentionner à cette
place.
Mais entre toutes les parties du mobilier sacré nulle ne paraît avoir at-
tiré l'attention du religieux Charles de Blois à l'égal des vases ou instru-
ments destinés à procurer d'une manière immédiate l'honneur des saints
et des amis de Dieu déjà en possession de la gloire du ciel.
Nous avons nommé les reliquaires.
La tradition chrétienne s'est plu à donner avec beaucoup de raison le
nom de TRÉSOR par excellence - à l'ensemble des ossements sacrés que
possède une église cathédrale ou collégiale, un monastère, etc. On sait,
en outre, que l'histoire ecclésiastique dans les âges de foi est toute rem-
plie du récit des faits consolants et touchants oii, à l'occasion de la trans-
lation de quelque corps saint, pontifes et empereurs, princes et magis-
trats, clergé et peuple, s'empressent à l'envi d'honorer cette cérémonie
de leur présence et d'entourer ces précieux restes des hommages de leur
vénération.
Au temps de Charles de Blois, la ferveur primitive sur ce point avait déjà
diminué en beaucoup de lieux, mais notre pieux Duc ne négligea rien
personnellement pour en raviver la flamme dans toute l'étendue de son
duché. On désignerait par leur nom vingt ou trente églises au moins aux-
quelles il fit présent de reliquaires de grand prix, mais combien d'autres
dont les noms ne sont pas arrivés jusqu'à nous?
Le vertueux prince joignait en outre souvent à ce don celui des saintes
reliques elles-mêmes. Ainsi fit-il en particulier pour les sanctuaires de
N.-D. de Guingamp et de N.-D. de Lamballe, qu'il voulut enrichir de frag-
ments de la vraie Croix *. Il n'en agit pas autrement non plus à l'égard de
la cathédrale de Rennes, des abbayes de S. JMelaine et de S. Georges de
la même ville, de S. Méen, etc., etc., du mont Saint Michel, lorsqu'il vou-
lut inaugurer solennellement en tous ces lieux le culte du B.Yves de Tré-
guier, l'un de ses saints de prédilection *.
Quant à la forme et aux dimensions des reliquaires distribués libérale-
ment par Charles de Blois, elles pouvaient varier selon les lieux et les cir-
constances. On en a vu qui, destinés à contenir en môme temps plusieurs
^ « Libri pulrherrimi et nobilitcr pannis sériels cum lapidibus pretiosis coo-
perti. B Ed. cun., t. I, fol. 98.
- Thcsaurua, seu thésaurus sanctarum reliqaiaruni.
^ Ect. can., t. I, loi. 2 il ; t. II, f. 40i.
^ Ibid.,t I, fol. 15i, 171, etc.
290 LE B. CHARLES DE BL0I5
reliques, présentaient une grande surface plane et ressemblaient assez à
un échiquier ',
Ailleurs ils sont désignés sous le nom de cassée (châsses) ou encore
vasa argentea^ ce qui prouve qu'ils étaient faits de matière précieuse ^.
Celui qui fut donné par notre B. Duc au monastère du mont Saint-Michel,
en Normandie, « était d'argent et^'soutenu entre les mains d'une image
(statue) de S. Yves, également d'argent '\ »
Ce qui indique une forme particulière, mais du plus grand intérêt.
VI. — Nous en avons fini avec ce que nous avions à dire du B. Charles
de Blois, considéré comme protecteur des arts au XIV siècle et peut-être
comme leur restaurateur en Bretagne. On a vu que sa sollicitude s'éten-
dait à la fois sur la vicomte de Limoges et sur le duché armoricain, que sa
munificence vraiment royale ne recula jamais devant aucune dépense de
nature soit à promouvoir une œuvre d'art, soit à la mener heureusement
à terme après qu'elle avait été commencée. On a vu également que Tar-
chitecture, la sculpture et la peinture, pour ne rien dire de l'orfèvrerie
et de l'industrie des tissus, durent réaliser des progrès considérables sous
l'impulsion et la direction personnelle de ce noble prince.
C'est ce qui résulte assez manifestement des renseignements que nous
venons de rassembler, et qui tous ont été puisés aux sources les plus au-
thentiques. On en conclut en effet, qu'à cette date, beaucoup de villes de
seconde ou troisième importance, comme Guingamp, Dinan, Lamballe,
etc., possédaient dans leur enceinte des ouvriers fort habiles qui culti-
vaient avec ardeur et succès les diverses branches de l'art. A Dinan en
particulier, le seul couvent des Frères-Mineurs, comptait au nombre de
ses membres un architecte de talent, le frère Godes et un peintre de pre-
mier mérite, le frère Guillaume Le Breton '*.
Telles sont dans leur ensemble, les données intéressantes qui nous sont
fournies par l'enquête de canonisation du B. Charles de Blois, sur Tétat
des arts religieux en Armorique, au milieu du XI V^ siècle, et sur la part
que prit à leur développement l'époux do Jeanne de Penthièvre. Ce pré-
cieux document ne présenterait pas moins d'intérêt au point de vue pure-
' « NonnuUas reliquias sanctorum positas in tabulis ligneis ad modum scacarii. »
Act. cun., t. Il, fol. 397.
- Ibid., t. 1, fol. 171.
•' Dom Huj-nes, Hist. «?''■ du mont Sainl-Michel (m'» d'Avranches, n" 209, fol.
80); renseignement communiqué par M. Duprateau, bibliothécaire de la ville.
^ Act. can., t. I, fol. 165.
LE B. CHARLES DE BLOIS 291
ment hagiographique et historique et mériterait, au même titre que plus
d'un autre déjà imprimé, de figurer dans la collection des monuments iné-
dits de l'histoire de France; mais ce n'est pas ici le lieu de faire valoir
cette thèse. Concluons plutôt ce travail, en répétant ce que nous disions au
début avec moins d'autorité, puisque nous n'avions pas encore donné nos
preuves : l'histoire et l'archéologie n'ont pas été jusqu'ici suffisamment
justes envers la mémoire de Charles de Blois. Le nom de notre duc de
Bretagne a droit d'être inscrit à côté de celui de notre roi Charles V au
nombre des ptinces les plus lettrés du XIV siècle, au nombre des protec-
teurs les plus généreux des arts et de la religion.
D. François Plaine,
Bénédictin de Ligugé.
LES ANCIENS MONUMENTS CHRETIENS
DE RODEZ
DEHNIER article'
L AUTEL DE DEUSDEDIT
Je passe à un monument de la fin du siècle de Clovis, dont les monu-
ments précédents ont marqué le commencement. C'est un magnifique au-
tel, rappelant celui de Saint-Victor de Marseille et celui de Yaison, l'autel
de la cathédrale de Rodez sous les premiers Mérovingiens.
La table est un monolithe de marbre de S'^SS de long, de l'"46de large,
ayant une cymaise do 27 cent.) qui va s'inclinant par quatre degrés, jus-
qu'au bassin, dont la surface est plane, de telle sorte que cette table d'au-
tel est un vaste plateau ceint d'une large bordure en amphithéâtre. La
bordure est richement ouvragée et forme comme une vraie parure au pla-
teau. C'est là que le diacre déposait le pain et le vin offerts par les fidèles
et que le Pontife les consacrait. C'était l'immense vase des dons célestes.
Cet autel, où reposait l'Agneau de Dieu immole et où était placée la coupe
de son sang, rappelait l'autel antique où étaient déposés les membres de
la victime et où coulait son sang, presque toujours, hélas ! en l'honneur
des démons. M. l'abbé Cérès a trouvé dans les environs de Rodez de ces
autels païens gallo-romains. L'un, d'un mètre carré, avec un encadrement
de la hauteur de trois doigts et un fond à surface plane, pouvait être du
second siècle. Il portait cette inscription : PEREGRINYS FECIT. L'au-
tel chrétien de Rodez pojtc sur un filet du bas de la bordure cette inscrip-
* Voir le n" précédent, page 213.
LES ANCIENS MONUMENTS CBRÉTIENS DE RODEZ 293
tion gravée, dont les quatre parties sont tournées vers l'inténeur de l'autel,
en commençant par le milieu de la longueur :
il
DEVSDEDIT— EPS INDIGNVS — FIERI lUSSIT-HANC ARAM
« Deusdedit, évèque indigne, a fait faire cet autel. »
294 LES ANCIENS MONUMENTS CHRÉTIENS DE RODEZ
C'est bien l'autel de l'église cathédrale de Rodez, offert par son évêquc
Deusdedit, qu'on trouve siégeant avant 599 et dont la date de la mort est
ignorée.
La iSotice archéologique sur l'église cathédrale de Rodez, |)ar M. l'abbé
Magne, donne sur cette cathédrale les renseignements suivants *. D'après
la tradition, saint Martial aurait consacré, au lieu qu'elle occupe, une
chapelle en l'honneur de la Sainte Vierge. Au milieu du V* siècle, le
diacre de saint Amans, premier évêque, saint Marnas, alla chercher des
architectes italiens pour construire la première cathédrale. Saint Sidoine
Apollinaire fut invité à la consacrer et la plaça sous le vocable de
saint Pierre et de saint Paul, dont il est naturel dès lors de trouver les
images au premier rang, à côté du Christ, sur le sarcophage dit de saint
Amans. Saint Sidoine promet, dans une de ses lettres, d'aller consacrer
le baptistère. Ce baptistère serait-il identique au fond avec ce monument
profané aujourd'hui qu'on montre, portant le nom de baptistère, à quel-
ques pas de la cathédrale? Vers 516, saint Damas, évéque, qui jouit de la
faveur de Théodeberl, entreprit une nouvelle basilique et la dédia à Notre-
Dame. « Homme éminent en tout genre de sainteté, dit saint Grégoire de
a Tours, d'une grande abstinence dans les aliments et les concupiscences
« de la chair, très aumônier, humain pour tous, stable comme il faut dans
« l'oraison et dans les veilles, il construisit l'église ; mais la démolissant
« souvent pour l'améliorer, il la laissa inachevée -. » C'est l'évêque Deus-
dedit qui paraît l'avoir achevée vers la fin du siècle. Il lui fît don du maî-
tre-autel, cet insigne monument venu jusqu'à nous, après avoir été baigné
des onctions de ses mains. Saint évêque, grand évéque, évêque « donné
de Dieu, » de la race de ceux qui ont fait la France comme les abeilles
font leur ruche, dont on sent l'âme sublime palpiter dans ce marbre
d' «autel», sous cette humble signature : Deusdedit episcopus indignus!
L'authenticité de la signature est hors de conteste. « La formule de
« l'inscription, dit M. E. Le Blant, est en rapport avec ce temps. En Gaule,
« l'épithète indignus, ajoutée au nom, ne se montre qu'à compter de l'an
a 527. (Conventus episcoporum apad Cenomanos, Cotic, Gall., tora. I,
« pag. 929). » Mais la gravure actuelle pourrait être plus récente, si l'on
en croit certaines règles acceptées par l'archéologie, auxquelles cette gra-
vure ferait échec. « L'estampage que j'ai sous les yeux, dit encore M. E.
a Le Blant, me persuade que, comme tant d'autres inscriptions, celle de
« Rodez a été restituée. Je crois en trouver la preuve dans la forme du
' Rodez, 18i2, in-12, 131 pages.
* JFfis^ Franc, 1. Y, xv/i.
LES ANCIENS MONUMENTS CHRÉTIENS DE RODEZ 295
(( G, et surtout dans celle du signe d'cabréviation £2, qui ne m'est connu
qu'à une très-basse époque '. » On en signale une autre jûreuve. « D'après
« le nom de l'évêque qui le fil ériger, écrivait M. Alibert en 18G3, cet autel
« remonterait au VP siècle ; mais il a sans doute subi des retouches, car
« plusieurs des membres de la Société française d'archéologie, qui ont
« visité la cathédrale, ont cru reconnaître dans les ornements qui l'entou-
« rent, une date moins ancienne — La cymaise a été sans doute prati-
c< quée pour prévenir tout accident dans le cas où le calice serait renversé.
« C'est un caractère que M. de Caumont a constaté dans toutes les tables
H d'autel antérieures au XI'^ siècle '". » « L'évêque Dieu-Donné, dit M. de
« Caumont lui-même, vivait au VP siècle; mais on croit que cette table
« d'autel a été refaite. C'est toujours un monument du plus haut intérêt
« que les explorateurs ont été plus portés à attribuer au IX'= siècle qu'au
« \P ■'. » En toute hypothèse, nous avons bien ici la table d'autel de Deus-
dedit et la formule votive de sa dédicace.
Quatre colonnettes de marbre supportaient sans aucun doute cette table
eucharistique. J'ai cru les reconnaître, et M. l'abbé Cérès aussi, dans les
quatre colonnettes de marbre blanc qui sont au musée de la ville '■*. Leurs
chapiteaux, de l'imagination la plus libre et la plus riche, et du ciseau le
plus fin, m'ont rappelé aussitôt ceux des basiliques de Ravenne du VP
siècle, et les nôtres de ce temps, de la basilique de Saint- Vincent, à Paris,
et de celle de Montmartre. En 1823, ces quatre ravissantes colonnettes
étaient encore en place à la cathédrale, portant la table du maître-autel
offerte par le B.François d'Estaing, qui siégea de 1500 a 1530. Ce seraient
donc bien celles de l'autel de Dtusdedit. M. de Caumont se prononce sans
hésitation sur leur identité. « On volt, dit-il, au musée de Rodez, quatre
« colonnes en marbre très-élégantes, qui portaient cette table d'autel
• avant qu'elle eût été déplacée ^ »
Espérons que l'évoque et le chapitre de Rodez pourront replacer au
foyer de leur cathédrale cet unique et merveilleux autel, qui, presque té-
moin des origines de la France, a vu passer, sur le trône de Clovis, Dago-
bert, Charlemagne et saint Louis, et n'a été ébranlé de son lieu que cinq
* Inscriptions chrétiennes de la Oaule, n'^ 574.
- Ibid.,p. 11.
^Abécédaire d'archéologie. Architecture religieuse. Caen, 186i, In-8», p. 98.
* « Les colonnes de marbre qu'on voit au musée supportaient probablem nt
cette table, et furent employées plus tard a soutenir l'autel de la nouvelle église,
où elles sont restées jusqu'en 1823 », dit M. Alibort, p. 11.
^ Ibid.
296 LES ANCIENS MONUMENTS CHRÉTIENS DE RODEZ
ans après la mort de ce dernier, à la veille de ces ébranlements de la
France qui, du XIV^ siècle au nôtre, n'ont cessé de g-randir pour aboutir
aux écroulements que nous voyons et verrons.
Une inscription latine, qu'on lisait autrefois dans la cathédrale, portait
en effet :
« L'an du Seigneur MCCLXXV, le 13 des calendes de mars, s'écroula
a le chevet de cette église. La même année, le 9 janvier, avait été enlevé
u l'autel de la bienheureuse Vierge. . . Il y avait sept cents ans et plus,
« cette année là, que ledit autel avait été construit par un évêque de
« bonne mémoire nommé Deusdedit, comme il conste manifestement des
« gestes et écrits anciens trouvés dans le sacrarium. Autour de la table
(( de cet autel sont gravées ces lettres : Deusdedit, episcopus ïndi'gnus,
(i ferifecit * hanc arani. »
« Anno Domini MCCLXXV, 13 kalendas mardi, corruil caput hujus ec-
« clesise. Eodem anno d Januaris, fuerat remotum altui-e B. Virginis...
« Faerant autem anno septengenti et amplius ex qiio prxdictum altare con-
« structum fuerat per honx luemorix episcopum cui nomen erat Deusdedit^
« sicut ex gestis et scriptis antiquis in sacrario repertis constat evidenter.
« In circuitu etiam mensœ ej'usdem altaris, script 8e sunt taies lit ter œ : Deus-
« dédit, episcopus indignus. fecit fieri hanc aram ". »
L'autel de Deusdedit ne fut pas replacé dans le nouveau chœur de la
cathédrale, qui devint, à la fin du XIIP siècle, le principe de la cathédrale
actuelle. Le tombeau de Gilbert de Cantobre, qui siégea de 1338 à 1349,
ayant été placé dans une chapelle du pourtour du chœur, cet autel fut
appliqué au-dessus contre le mur, comme une sorte de retable. On y pei-
gnit la Vierge portant le divin Enfant, entre deux anges tenant un lys,
avec cette inscription également peinte au-dessous du nom de Deusdedit:
Capellani de Cantobrio hanc aram depingendam curarunt. La bordure de
l'autel semblait faite pour appeler ce tableau et lui servir de cadre. C'est
* FecH, erreur, pour /hssiÏ.
^ Magne, p. 20. — On lisait encore dans la cathédrale cette inscription rappor-
tée par l'abbé Magne, p. 2i :
« Scienduni est quod anno i2'^5, et die tcitia décima kalendas martii, circa
« horam noctis terliam, caput hujus Ruthenensis ecclesiœ subito et unico im-
« pehi, cum loto ultissimo campatiili, divma sic disponcnte vàscricordia, me-
« riîis, ut pie o'editur, Sanctorum quorum reticpiice in eudein icclesia rcquies-
« cunt, ut tam periculosa ruina in tali hora fuerit, quia nemo esset ibidem qui
* jjossct opprimi, sive lœdi. »
LES ANCIENS MONUMENTS CHRÉTIENS DE RODEZ 2d7
ainsi qu'on trouve cet autel dans la chapelle dite aujourd'hui du Sacré-
Cœur.
Il était assurément surmonté, au VP siècle, d'un ciborium porté par
quatre colonnes de marbre. En voyant, tout près de la cathédrale, dans
la maison de M. le chanoine Sabattier, deux colonnes antiques et assez
frustes, de marbre de couleur, et la moitié d'une troisième, ornant la des-
cente de la cave et la montée d'escalier, je me suis demandé si ce ne se-
rait pas les colonnes du ciborium de l'autel de Deusdedit. Leur diamètre
moyen y convient assez. En restaurant l'autel, il ne faudrait pas oublier
son ciborium de marbre. Ceux du XP siècle, celui de Saint-Laurent-hors-
les-Murs ou celui de Sainte-Marie-in-Cosmedin pourraient servir de mo-
dèle. Leur cachet antique, inclinant à l'art ogival, s'harmoniserait assez
bien avec le chœur, du commencement du XIY^ siècle.
C'est tout ce que j'ai à dire de l'autel de Deusdedit. Les quatre colon-
nettes qui l'ont supporté nous rappellent toutefois celui du B. François
d'Estaing- qu'elles ont reçu au seizième siècle. C'est une table de pierre
commune, mais très-fine, portant son inscription monumentale, qui gît
presque entière en divers fragments dans un des débarras de la cour de
l'évêché. Le respect dû à son onction, au Christ qu'elle a représenté et
porté, à l'église de Rodez, dont elle a été plus de deux siècles la pierre
angulaire, réclame pour ses débris une place honorable dans la cathé-
drale.
Il me reste à dire un mot d'un dernier monument.
VI
UN MÉDAILLON DE MARBRE REPRÉSENTANT LE CHRIST
Parmi les fragments d'antiquités non encore placés ni étudiés du mu-
sée de Rodez, nous avons remarqué un médaillon de marbre blanc, de
soixante centimètres environ de hauteur, offrant, avec la plus délicate
sculpture, l'image du Christ. Il siège dans un trône en forme de pliant,
pareil au siège dit de Dagobert. La tète est nimbée ; il a les cheveux
courts, la barbe pointue. Il porte la tunique, le manteau et la ceinture. Il
tient le livre des Evangiles de la main gauche et bénit de la droite, mais
à la manière grecque, joignant le pouce à l'un des doigts et élevant les
trois autres. Chez les Grecs, toutefois, c'est au doigt annulaire que se
joint le pouce ; ici c'est au médius, et l'on remarque une petite boule à
leur jonction. Est-ce l'union des deux natures en Jésus-Christ, l'Incarna-
IP série, tome II. 22
298 LES ANCIENS MONUMENTS CHRÉTIENS DE RODEZ
tion, que l'on a voulu proclamer avec la Trinité, deux doi^mes qui, symbo-
lisés par les flambeaux, remplissent les bénédictions dans la liturgie grec-
que? Je n'oserais rien affirmer à cet égard. L'alplia et l'oméga sont gravés
aux côtés du Christ et proclament sa divinité. Un escabeau est sous ses
pieds, image de la terre pour lui qui siège aux cieux, image particulière
de ses ennemis, que son Père amène, vaincus, les uns après les autres,
devant lui, en attendant (|u'il descende lui-même pour exterminer d'un
souffle de sa bouche le dernier de tous, l'Antéchrist. On n'a rien pu me
dire de la provenance de ce marbre. Ce pourrait bien être un fragment de
la basilique de Deusdedit. Sa belle sculpture rappelle celle des colon-
nettes de l'autel. Il a pu orner le tympan d'une porte ; et peut-être des
médaillons représentant les quatre animaux symboliques lui fai.-aient-ils
cortège. C'est assurément un bien précieux monument du christianisme et
de l'art à Rodez.
Heureuse capitale des Rutènes ! Je ne la quitterai pas sans avoir signalé
un de ses titres modernes de gloire, où j'ai senti tout l'esprit aocien. Le
1" janvier, fête principale de la Compagnie de Jésus, car Jésus a reçu son
nom en ce jour, M. de Bonald me faisait visiter le collège des Jésuites,
dont l'église fut consacrée en 15G0, vingt ans après l'établissement de la
Compagnie, quatre ans après la mort de saint Ignace. Rodez s'était em-
pressé d'appeler des soldats de cette jeune et puissante milice apostoli-
que pour les opposer au calvinisme se déchaînant sur la France. Ils con-
tribuèrent à faire de Rodez un des boulevards du catholicisme. Leurs ar-
mes étaient la piété et la science. Sur les trois côtés d'un quadrilatère,
dont le quatrième est l'église pleine encore de monuments religieux qui
intéressent l'histoire, nous lisions avec émotion les titres des classes, gra-
vés il y a plus de trois siècles, au temps des grandes études : III" GRAM-
MATICiE, II- GRAMMATIC/E, I- GRAMMATICE, HUMANITAS,
RHETORICA, PHILOSOPHIA (il n'y a plus ici que la place de l'inscrip-
tion), PHYSICA, THEOLOGIA, THEOLOGIA, PR/EFECTUS SCHO-
LARUM. Trois années de grammaire suffisaient alors : il y avait deux
années de belles-lettres, deux années de philosophie spéculative ou natu-
relle, deux de théologie. C'est ainsi que Corneille et Molière, élèves des
Jésuites, toujours attaches à leurs maîtres, auront leur génie solidement
et richement cultivé; et si Voltaire abuse des dons de ses maîtres, ce n'est
pas qu'ils les lui aient ménagés non plus que leur tendresse.
Entre HUMANITAS et RHETORICA, on lit : SODALITIA BEAT^E
VIRGINÏS. Là est l'escalier allant à la salle de la Congrégation qui
avait Marie pour Reine, salle vulgaire à présent. Le collège de la Compa-
gnie de Jésus, dont le temps n'a point encore anéanti l'inscription exté-
LES ANCIENS MONUMENTS CHRÉTIENS DE RODEZ 299
rieure et les armes, est devenu le lycée. Mais la mémoire reste des jours
d'autrefois et l'influence. Ainsi en est-il dans les cités catholiques d'Alle-
magne, Munich ou Prague, dont Rodez m'a rappelé les grandioses et
salutaires collèges. Les Amantius, les Quintianus, les Deusdedit, ces
merveilleux évêques, fondateurs de la nation chrétienne des Rutènes et
d'une part si noble de la France, semblaient revenus alors. Qu'ils reviennent
aujourd'hui! Que cette brave et religieuse contrée, la plus généreuse et la
plus agréable des nôtres aux chaînes nouvelles et si douloureuses de
Pierre, une des plus fécondes pour tous les genres d'apostolat, retrouve
toutes ses gloires et les multiplie! Et que d'autres, moins fortunées, se
rappellent son passé, voient son présent, écoutent l'émulation, non la ja-
lousie, et s'en trouvent bien !
L'abbé V. Davin,
Chanoine de Versailles.
i.ES ORIGINES
DE L'ORFÈVRERIE CLOISONNÉE
QUATRIEMK AKTlCI.E
lY. — La. vision (VÉzéclLiel .
<* Le miracle, rintervention surnaturelle, spéciale et directe
de la puissance divine dans un événement, n'impliquent pas
d'une façon nécessaire la dérogation aux lois de la nature. L'ac-
tion miraculeuse de la Providence se manifeste aussi par la pro-
duction d'un fait naturel dans une circonstance donnée^, condui-
sant à un résultat déterminé. Dieu n'a pas toujours besoin de
suspendre pour l'accomplissement de ses desseins les lois qu'il a
données au monde pliysi(jue ; il sait se servir aussi dans un but
direct de l'effet de ces lois. Aussi l'historien chrétien peut-il cher-
cher dans certains cas à expliquer le comment d'un fait excep-
tionnel voulu par la Providence, sans nier en même temps son
essence surnaturelle et miraculeuse. Mais, je le répète, si j'ai cru
pouvoir agir ainsi par rapport à quelques-uns des faits de la
Bible, ce n'est aucunement avec l'intention de me jeter dans
la voie dangereuse du naturalisme et de m'écartcr des enseigne-
ments de l'Église dans la question des miracles '. »
Les sages paroles d'un écrivain émincnnnent religieux me
semblent un ju-éambule obligé à la dissertation qu'on va lire.
Voir le numéro précédent, p. 485.
F. Lenormant, Manuel, etc., t. I, Préface, p. xxxiii.
ÛllIGINES DE l'orfèvrerie CLOISONNÉE 'Ml
Elles rendent exactement ma pensée et protestent à Tavance contre
des critiques auxquelles il me serait pénible d'être en butte.
Ces réserves faites^ j'entre en matière.
Un fait ëpisodique, qui pourrait bien se rattacher intimement
àl'art assyro-clialdéen, me semble avoir ici sa place marquée :
j'entends désigner la célèbre vision^ début de la prophétie d'Ezé-
chiel. Cette vision^ un des termes surtout qu'elle emploie^, ont
exercé l'érudition séculaire des commentateurs. 11 y a peu d'an-
nées, un savant archéologue, M. J. Labarte, a risqué du mot liti-
gieux une interprétation hardie, admise avec enthousiasme par
les uns, dédaigneusement repoussée par les autres ' . Je m'étais,
dès l'apparition du livre de M. Labarte, rangé au nombre des pre-
miers, et, si depuis, mes convictions à cet égard ont été légère-
ment ébranlées, la polémique, engagée autour des Recherches
sur la iieinture en émail, n'influa en rien sur un changement où
le doute jouait un beaucoup plus grand rôle que la négation ab-
solue. Aujourd'hui, certaines découvertes, inconnues ou négligées
en 1856 et 1857, me paraissent éclairer la question d'une lumière
nouvelle et gagner à peu près la cause de M. Labarte. Je dis à
peu près, car nos points de départ, à mon docte confrère et à moi,
sont diamétralement opposés quant à l'invention de l'orfèvrerie
incrustée; il donne la priorité à l'émaillerie à chaud, tandis que
je crois plus logique d'aller du simple au complexe.
Examinons d'abord le Texte sacré.
Ce fut dans la trentième année, le cinq du quatrième mois, qu'étant au
miheu des captifs, près du fleuve Chel)ar, les cieux s'ouvrirent et je vis
des visions divines.
Le cinq du mois — c'était là cinquième année de la captivité du roi loa-
chim —
La parole de lehovah fut adressée a le'hezkel (Ezéchiel) fils de Bouzi,
le cohène, dans le pays des Ghasdim (Chaldéens), près du fleuve Chebar,
et là fut sur lui la main de lehovah.
' Recherches sur la peinlure en émail, p. 77 et sq., in-i", Paris, 1856. F. de
Lasteyrie, L'Elcc/runi des .-ïncicus vlail-il de rémail ! in-S", Paris, 1837.
302 ORIGINES DE L ORFÈVRERIE CLOISONNEE
Et je vis, et voici un ouragan venant du nord, un grand nuage, un feu
flamboyant avec un cercle rayonnant autour, et du milieu comme l'aspect
du b'CUJn Imsinnal, du milieu du feu.
Du milieu je vis une image de quatre W^H liahtk (animaux) et voici
leurs figures : ils avaient la forme d'un homme.
Chacun avait quatre visages, et chacun d'eux avait quatre ailes.
Leurs pieds étaient des pieds droits; la plante de leurs pieds était comme
la plante du pied d'un veau, et étincelants comme bbp T\'CTt2 de V airain poli.
Il y avait des mains d'hommes sous leurs ailes, sur leurs quatre côtés ;
leurs faces et leurs ailes étaient à leurs quatre côtés.
Attachées l'une à l'autre leurs ailes ne se détournaient pas pendant leur
marche, ils marchaient chacun du côté de sa face.
La forme de leur visage ressemblait à un visage d'homme et à une fi-
gure de lion à la droite des quatre, mais, à la gauche des quatre, une figure
de bœuf, et c'était une figure d'aigle pour les quatre.
Ainsi leurs visages et leurs ailes étaient séparés en haut, toujours deux
par deux, et deux couvraient leurs corps.
Ils marchaient chacun devant soi ; làoùle vent les poussait, ils allaient;
ils ne se détournaient pas dans leur marche.
La forme des 'lia'ioth^ leurs figures étaient comme t'î^^^bniiD des char-
bons de feu^ brûlant comme les torches ; la flamme s'agitait entre les
'haïol/i ; le feu avait de l'éclat, et du feu sortait un éclair.
Les 'haïoth couraient et revenaient comme l'éclair.
Je vis les 'haïoth et voici qu'une "îSlïS roue était sur la terre près des
'haïoth, dans la direction de leurs quatre visages.
L'aspect des roues et leur construction était comme l'aspect du CJ'^w'Itl
tarshish : toutes les quatre avaient une seule forme, leur aspect et leur
construction était comme serait "JS^Ï^n Tiri!3 "îSIï^m une roue dans l'in-
térieur d'une roue.
En marchant, ils se dirigeaient vers quatre côtés, ne se détournant pas
dans leur marche.
Et leurs m55i1 dos étaient d'une hauteur effroyable ; leurs dos étaient
pleins Û''3'^ï? à'yeux autour, tous les quatre.
Quand les liaïoth marchaient, les roues se mouvaient près d'eux, et
quand les 'haïolh s'élevaient de la terre, les roues s'élevaient.
Où le vent allait ils allaient, car là allait le vent; et les roues s'élevaient
dans la même direction, car le vent du îl^n liaïa (la vie) était dans les roues.'
Quand ils marchaient, les roues marchaient aussi, ot quand ils s'élevaient
de la terre, les roues s'élevaient dans la môme direction ; car le vent du
^haïa était dans les roues.
OUIGIXES DE l'orfèvrerie CLOISONNÉE 303
Au-dessus des tôtes des 'liaïoth était la forme d'un y*^p1 firmament étendu
au-dessus de leurs tètes comme l'éclai Ju ^llîtl n"ipn terrible glaçon.
Et au-dessus du tirmament, leurs ailes étaient droites, l'une vers l'au-
tre ; chacun en avait deux qui couvraient leurs corps.
J'entendis le bruissement de leurs ailes comme le mugissement des
grandes eaux, comme la voix du Tout-Puissant ; quand ils marchaient
c'était le bruit d'un tumulte, comme le bruit d'un camp ; en s'arrêtant
ils laissaient tomber leurs ailes.
Il y eut une voix au-dessus du firmament qui était au-dessus de leurs
têtes ; en s'arrêtant ils laissaient tomber leurs ailes.
Et au-dessus du firmament qui était sur leur tête il y avait l'apparence
d'une TSD p^ pierre de saphir., de la forme d'un trône, et sur la forme
du trône, comme l'apparence d'un homme, au-dessus, en haut.
Et je vis comme l'aspect d'un liashmal, comme l'apparence du feu, dans
son intérieur, autour, au-dessus de ses reins, en haut, et de ses reins en
bas je vis comme une apparence de feu et un rayon autour.
Comme la vue de l'arc qui est dans le nuage en un jour pluvieux, ainsi
était la vue de la clarté autour, c'était la vue de l'image de la gloire de
lehovah. Le voyant je tombai sur ma face et j'entendis la voix de quel-
qu'un qui parlait ^
J'ai rej)roduit le chapitre tout entier sans en omettre une syl-
labe ; il serait peut-être difficile d'y retrancher quelque chose.
Beaucoup de mots ont une valeur significative très-importante et
leur contexte ne saurait être tronqué sans inconvénients. Chacun
de ces mots soulignés porte en lui son argument, aussi vais-je les
commenter à tour de rôle. 11 est bien entendu que je m'abstiens ici
de toute interprétation mystique pour ne m'attacher qu'à la lettre.
b^srn, plus loin n^TSîL'n, n'apparait que trois fois dans la Bible;
Ézéchiel est le seul à l'employer ■. La Version des Septante tra-
duit liashmal par rXey.zpov, ordinairement alliage d'or et d'ar-
gent ou ambre jaune; S. Jérôme et la Vulgate i^nr elertrun}, au-
quel on donne le même sens^ Buxtorf rend rwirb^î!?, ï^î'ïït'n par
* Ézéchiel, c. I, Calien, Irail. cil.
2 C. I, 4, 27 ; c. VIII, 2.
' Kat Iv Tw jj-Écw auTou wç opatriç -/iÀc'xTpou sv tjiéco) xoïï Ttupo;, xat çe'yyo? ^^ auTw.
Et vidi, et ecce spiritus auferens veniebat ab aquilone, et nubes magna in eo, et
304 ORIGINES DE l'oRFÉVRERIE CLOISONNÉE
ignis sclntillans, et ailleurs b^*rn^ dont il ne suspecte pas l'ori-
gine Israélite^ par prima, : toutefois le docte allemand avoue que
cette expression a soulevé de nombreuses controverses entre les
liébraïsants \ Castell pense que 'liashmal pourrait bien désigner
un ange, quoiqu'il traduise aussi ce terme par pn/7ia et elec-
trurn'^. M. S. Calien adopte, préférablement à toute autre, Topi-
nion de Gésénius qui croit btttlJP» composé de btt tZJHD = b5p nïJns,
de l'airain poli ^ Samuel Bochart déploie les ressources d'une im-
mense érudition pour démontrer que le Imshmal était un métal
d'alliage, mais il se débat vainement contre l'inconnu. Néan-
moins la dissertation de l'illustre philologue offre un renseigne-
ment précieux : la version syriaque de la Bible rend toujours
liashmal par maha, et la version arabe, faite sur le texte des
Septante, une fois (1, 4) par alharaba, ambre jaune, deux fois (I,
27, yill, 2) par maha. Or, le maha, d'après un ancien écrivain
arabe que cite Ebn-Beïtliar est une sorte de verre minéral ou
pierre translucide de provenance orientale \ Enfin, selon M. J.
splendor in r,ircuitu ejus et ignis fulgurans : et in medio ejus quasi visia clerlri in
raedio ignis et splendor iti eo. Sept., éd. Didot, 1831). Et vidi et ecce ventus tur-
binis veniebat ab aquilone ; et nubes niugna, et ignis involvens, et splendor in
circuitu ejus : et de medio ejus quasi species eleclri, id est de medio ignis.
rulg., I, i,
* Lexicon c/iald., lahnud. et rabhinicum, in-fol., Bâlc, 1639. Lexicon Jiebr. et
chald., in-8», Bâle, 1735. Manuale hehr. et cJiahl, in-12, Bâle, 1658.
^ At Hcbr. veteres fere omnes et recentiorum nonnulli nomen angeli interpre-
tantur. Lexicon hepla(jlullo)i, hehr., chald.., etc., etc., t. I, R. Ûm. — Quelques-
uns font dériver 'hashiual du cbaldccn ïîpb'Œ, or; d'autres y voient une lumière,
un ratjoii ; le tbalmud dit : tïï^'îSTÛ, un être de feu qui parle, qui loue le créatenr.
^ Trnd. cit., t. XI, p. 2, note.
* Maha est vitri species, nisi quod in fodinis l'epcritiu- in Magnesia collcctuni.
Sed et in mare viridi (id est Perslco) invenitur, et in Said (id [est Thebaide)
/Egypti Porro vtaha lapis est albus, in quo génère excellit is, cui alius color
prœter albvuu non admiscetur. Alla etiam species levioris tinctura^ et bonitatis,
et majoris duritiei, quatn quisquis intuotur, putat esse salis genus. Ex ea in fer-
rum durissimum iinpacta excitatur raultus ignis. Prima autem species est alhe-
lur, quam si radiis solis opponas, ita ut sol radiis a lapide emissis objiciatur, ne
sol quidem eain luce superabit. Quin et pannus niger ibidem huic lapidi imposi-
ORIGINES DE l'ORFÉVRERIE CLOISONNÉE 305
Labarte, 'hashmal équivaudrait à métal émaillé i. On le voit,
hormis Castell et un certain nombre d'autorités qu'il invoque, la
majorité des interprètes fait du liaslimal, qui sert de fond au
tableau peint par le prophète, une substance minérale ou métal-
lique à l'éclat igné.
Les quatre luuof}i (animaux), autrement dit k' létrnmorpho,
avaient la forme humaine; leur quadruple visage associait les
types de l'homme, du lion, du bœuf et de l'aigle; leurs pieds per-
pendiculaires et non horizontaux, brilhiient comme de Y airain
poli, métal nettement distingué ici du liashmal ; sous leurs
quatre ailes, dirigées, deux en haut, deux en bas [deux couvra.ient
leur corps), apparaissaient des mains nécessairement attachées à
des bras; les ailes étaient parallèles aux visages, érnu-elanls,
aussi bien que les corps, comme des charbons de feu ; les dos
p3i saillie, j)arties saillanles) étaient constellés d'yeux ou d'es-
paces colorés - ; enfin au chapitre X, le prophète assimile les
haïoth aux Chérubins (D113 CJiroub), et, au chapitre XLI, il
constate l'identité presque complète des Chérul)ins du temple de
Jérusalem avec les 7<.'ii"o//( du Chaboras ^ Or, Ciiroub chez les
Hébreux semble comporter l'acception de gardien des choses
sacrées. Dieu « plaça, vers l'orient du jardin d'Eden, les C/i7'ou-
bim et la lame flamboyante du glaive qui tourne pour garder le
chemin de l'arbre dévie. »Moïse fit mettre sur le couvercle de l'Ar-
che d'Alliance deux Chérubins prosternés qui l'ombrageaient de
tus concipiet igneni, ita ut exardescat, quoniodo ignem fervidissimuin accendere
nemini non est libeiuni. llieroxoicon. t. II, 1. 6, c. IG, col 873; in-fol., Leyde,
1712. — Il serait difficile de mi'.coanaitre ici le signalement du ^cristal de roche
blanc ou enfumé, lahen des Égyptiens.
• Ouv. cilé, loc. cit.
' 1*^? sœpius Oculns ■ metapliorice Funs; Sxiperficies, Color : quasi aspectum
aut rei speciem externam dicas. Buxtorf, Lexic. helr. et chalâ.
^ Passim, surtout au v. 20 : « C'est la 'haia que j'ai vue sous le Dieu d'Israël,
près du fleuve Chcbar, et je sus que c'était des Chroubim. » — XLI, 18 : « Et
chaque Chroub avait deux visages. 19 ; Un visage d'homme et une face de
lion. » Cahen, trad. cil.
306 ORIGINES DE l'orfèvrerie CLOISONNÉE
leurs ailes, et orner des mômes figures les tapisseries du taberna-
cle *. A ces preuves j'ajouterai le témoignage direct d'Ezéchiel :
« Et la gloire du Dieu d'Israël s'élevait du dessus le Chroub, sur
lequel elle était vers le seuil de la maison. — La gloire de leho-
vah s'éleva de dessus le Chroub vers le seuil de la maison ^ » .
Dans la direction de cliaque visage des Im'ioth, qui inarchaient
droit devant eux, était une roue ayant l'aspect du tarshish,
substance qu'une donnée géographique m'a fait, § III du présent
chapitre, assimiler au succin, et dont la couleur était indubita-
blement jaune. La forme de ces roues comportait un second disque
encastré dans leur mojeu ; elles suivaient le mouvement des
'hmoth.
Au sommet du tableau, un firmament de cristal éblouissant'
encadrait un trône de saphir (lapis-lazuli ou cuivre carbonate
bleu) sur lequel siégeait un personnage resplendissant comme le
'hashmal.
De la vision extatique, passons maintenant à la réalité, c'est-
à-dire aux monuments assyro-chaldéens, La sculpture offre des
représentations humaines, aptères, diptères et tétraptères ; des
animaux ailés ; des monstres hybrides, têtes de lion ou de per-
cnoptère (vautour blanc et noir à crête de plumes) sur un corps
' Genèse, III, 24. Exode, XXV, 18 à 22 ; XXVI, 31 ; XXXVI, 8, 35 ; XXXVII,
7 à 9.
- IX, 3 ; X, i. Ciilien, Irad. cil, — M. le chanoine Van Drivai émet sur les ché-
rubins une opinion tant soit peu différente : « Clienibha signifie à la lettre : celui
qui est près-, proche, assistant, adslans. propinquus. Il désigne donc, dans le cas
présent, des êtres qui sont comme les habitués de la demeure de Dieu, ceux qui
vivent auprès de lui, autour de lui, au degré supérieur de l'échelle de la créa-
tion. C'est bien l'idée qu'exprime saint Denys (l'Aréopagite) dans le passage sui-
vant : — Le nom des Chérubins montre qu'ils sont aj)pelés à connaître et à admi-
rer Dieu, à contempler la lumière dans son éclat originel, et la beauté incréée
dans ses plus splendides rayonnements ; que, participant à la Sagesse, ils se fa-
çoiment à sa ressemblance, et répandent sans envie sur les essences inférieures
le flot des dons merveilleux qu'ils ont reçus. — » Iconographie des anges, p. 15,
in-8°, Arras, 1866; Revue de V.-irt chrétien, t. X, p. 291.
nip Gelu, Crystallum. Sept., opaai; xpuaTaXXou.
ORIGINES DE l'ORFÉVRERIE CLOISONNÉE 307
d'homme, têtes d'homme sur un corps de lion ou de taureau, tous
munis d'ailes, soit doubles soit quadruples'. Les briques émail-
lées^ donnent lieu à des rapprochements encore plus étroits : on y
voit, sur champ bleu lapis, le lion, le bœuf, l'aigle associés à
riiomme ; des personnages tétraptères, inardmnt droit devant
eux; des roues, dont le moyeu jaune nrabré encadre un disque,
dans la direction des visages. Les détails, très-compliqués, sont
rendus par une multitude d'ijeux (espaces ménagés sur le fond),
et il n'est pas inutile de rappeler que deux pierres précieuses au
moins portaient le nom d'onl en langue assyrienne ". (FI. III,
fig. 1 et 2.)
La majorité de ces figures, divines ou symboliques, sculptées
ou émaillées, résidait à Tentrée extérieure des palais et des tem-
ples ; les textes disent formellement qu'elles y jouaient le rôle de
protecteiu' et de gardien .
Inscriptions de Sargon :
Que le taureau sculpté, le taureau protecteur, le génie qui veille, soit
toujours présent devant sa face, qu'il veille jour et nuit sur ces œuvres
jusqu'à ce que ses pieds se meuvent de ces portes.
Que devant ta face suprême, le tauieau sculpté, le taureau protecteur
et le dieu qui procure le bonheur et la joie, restent dans cette maison
jusqu'à ce que les pieds de ces taureaux quittent le seuil des palais.
Inscriptions d'Assarhaddon :
J'ai disposé des lions et des taureaux en pierre opposés face à face. L'un
veille sur la victoire, l'autre sur le roi qui les a élevés.
* Botta, OUI. cité, pi., passim. Musée Xapoléon llï, pi. VII. Layard, The vw-
nv.m. of Nineveh, pi. YIII. H. L. Feer, Les liuinex de Niuive, p. 95, in-8", l'aiis,
186i. Les fouilles récei.tes de M. Georges Smith dans le palais sud-est d'Assar-
haddon, à Niinroud (Kalach), ont mis en lumière six figures d'argile au corps
humain léontocéphale, tétraptèie, ayant dans la main gauche la corbeille sj'rabo-
lique. Daily Telet/raph ; cilé par le Messitger des sciences kis/oiiques, Gand, 1874,
liv. i, p. 501.
- Œil de zatu, œil de Meluc/iJca ; F. Lenormant, ouv. cit., loc. cit.
308 ORIGINES DE l'oRFÉVRERIE CLOISONNÉE
Que dans ce palais le taureau suprême, le lion suprême, les gardiens de
ma royauté qui protègent mon honneur, brillent d'un éclat éternel Jusqu'à
ce que leurs pieds se séparent de ces poj'tiques*.
Les attributions des monstres assyriens étaient donc identiques
à celles du Chroiib israëlite. On ne connaît pas exactement le type
mosaïque du dernier, mais l'ërudit Rosenmiiller croit que le lé-
gislateur hébreu aurait emprunté la tigure de son Chroub au
symbolisme égyptien. L'idée, cela n'est pas impossible ; mais la
forme dut être quelque peu moditiée en face des tendances idolâ-
triques du Peuple de Dieu ^ .
Avant de conclure, un mot sur la personnalité d'Ezéchiel.
Comme chez les prophètes en général, le voyant, chez Ezécliiel,
était doublé d'un habile politique. A l'exemple de Jérémie, il
avait soutenu l'opportunité de l'alliance chaldéenne contre les
partisans du roi d'Egypte, ce qui ne l'avait pas empêché de sui-
vre Jéclionias en exil. Interné sur les bo.ds duCbebar (Chaboras),
rivière qui coule au centre de la Haute-Mésopotamie et se jette
dans l'Eupbrate, rive gauche, il paraît néanmoins y avoir joui
d'une certaine liberté, car lui-même nous apprend qu'il alla vi-
siter ses compatriotes à Tel- Abib. Ses écrits, où la violence de
l'image et l'âpre crudité de l'expression atteignent à chaque ins-
tant le sublime, embrassent trois ordres de faits : surnaturels,
moraux et politiques. Quel que soit le sujet abordé par le prophète,
l'inspiration divine y apparaît toujours, mais elle se mêle fré-
quemment à des souvenirs intimes ou à l'annonce d'événements
que la sagacité humaine pouvait prévoir sans le concours d'en
haut. Vi:^-à -vis le flot mon tant des invasions clialdéennes, Ezéchiel,
signalant d'avance l'incendie de Jérusalem, la destruction de Tyr,
* Menant, Ânn. des rois d'Jssijrle, p. 17*J, iUl, 246, 247.
^ Catien, trad. cit., t. I, p. 17, note. Rosenraùller, llandbuck der hihlischen
Aller llluvïskunde : Scholia in velus Texlam, Spi^ncer, f)e Legibus Ilœhr. rilual. —
M. A. de Longpérier, Musée Napoléon III, texte de la pi. VII, signale l'analogie
des tétraptères assyriens avec les Chéroubs de Jérusalem .
ORIGINES DE l'oRFÉVRERIE CLOISONNÉE 309
r asservissement de la Syrie et des peuples méditerranéens, la
conquête deTÉgypte ', ne me semble pas beaucoup plus extralu-
cide que M. Thiers prédisant en 1870 les revers prochains de nos
armées : j'avais, hélas ! de fort bonnes raisons pour être alors du
même avis. La ruine de Ninive offerte comme exemple à l'Egyp-
te, la transparente allégorie d'Ohola et Oholiba fSamarie et Jé-
rusalem), ressortissent au domaine historique -. L'idolâtrie invé-
térée des Juifs, la reconstruction du teini)le, le retour à la consti-
tution mosaïque, sont des réminiscences du passé applicables à
l'avenir ^ Membre de la caste sacerdotale, Ezéchiel était familier
avec chaque détail, chaque meuble de l'édifice deSalomon; il avait
TU de ses propres yeux l'habitation de Jéhovah souillée par des
idoles gravées sur le mur ^ : n'aurait-il pas visité aussi pendant
son exil les sanctuaires et les palais assyro-chaldéens? Les versets
14 et 15 du chapitre XXII confirmeraient cette hypothèse :
Elle ajouta h ses dérèglements, et quand elle vit des hommes peints
sur le mur^ des images des Chashdim (Clialdéens) peintes en rouge.
Revêtus de baudriers sur leurs reins, avec des coiffjres teintes flottan-
tes sur leurs têtes, ayant tous Taspect de chefs, l'air des fils de Babel, des
Chashdim, leur pays natal ^
L'allusion du prophète aux figures enluminées, qui décoraient
à l'intérieur comme à l'extérieur les monuments ninivites et ba-
1 Ezéchiel, III, 15; X ; XVII ; XXI ; XXV : XXVI à XXVIII ; XXIX.
-Id., XXIII; XXXI.
3 Id , VI ; VIII ; XVI ; XX ; XL à XLVIII.
* Id., VIII, 10.
■" Cahen, trad. cit. "lîïîïS C^p^H littéialeraent, exprimées en ronge ; mais 'ISJD
.signifiant à la fois bleu, iudiruv), iiulims co/or, et rouge, viinntm, les monuments
me portent à croire qu'il aurait fallu traduire : iuingex de ChuslaUin enluminées.
Le texte d'Ézéihiel ne mo semble contenir aucune allusion à l'usage israëlite de
peindre les maisons, signalé par un autre prophète. « Qui dit, je me ferai bâtir
une maison vaste et des salles spacieuses ; qui !>'v fait percer des fenêtres, poser
des lambris de cèdre, et la badigeonne en rouge lîïDD niwîîl. •> Jérémie, XXII,
14; Cahen, trad. citée.
310 ORIGINES DE L 'orfèvrerie CLOISONNÉE
byloniens, est ici évidente ; s'il ne les avait pas personnellement
contemplées^ il en avait certainement entendu la description mi-
nutieuse faite par un témoin oculaire. Gravés dans l'esprit de
l'exilé, ces t3q3es étranges s'animèrent au souffle de l'inspiration
divine, et, comme il fallait donner un nom à l'ensemble éclatant
formé par les incrustations sur métal ou par les briques vernis-
sées, ensemble dont il compare successivement les détails au feu,
au métal bruni, aux charbons enflammés, à la glace ou au cristal
de roche, Ezéchiel demanda peut-être ce nom au seul ornement
mosaïque dont l'aspect rappelât les décors assyro-chaldéens.
N'existerait-il pas quelque analogie entre Itn et bl2L'n? Cette
analogie, nécessairement fort problématique, ne touche en rien au
nœud de la question et j'y attache une importance secondaire.
J'ai uniquement voulu démontrer qu'en traduisant liashinal par
émail M. Labarte s'était approché bien près du sens véritable :
le liashmal n'est pas l'émaillerie sur métaux, dont la pratique
en Mésopotamie n'a laissé aucune trace ancienne, mais bien Tor-
févrerie cloisonnée ou l'émaillerie céramique. L'écart est faible,
on le voit, et, s'il y a réellement ici une découverte, j'en dois
restituer l'honneur à la perspicacité de mon devancier.
Au reste, l'idée d'une corrélation entre les types bibliques et as-
syro-chaldéens n'est pas nouvelle ; elle a été depuis longtemps
appliquée par des hommes qui ne s'en doutaient guère, mais que
l'inexorable logique du fait entraîna fatalement. Les commenta-
teurs d'Ezéchiel s'accordent pour reconnaître dans le tétramorphe
les symboles des quatre historiographes de N.-S. Jésus-Christ;
or, les artistes du Moyen-Age, chargés de traduire en figures pal-
pables les textes mystiques des écrivains sacrés, ont quelquefois
représenté les Evangélistes sous une forme humaine à tête d'ani-
mal. L'enlumineur du Sacravientaire de Gellone (manuscrit du
VHP siècle, Bibl. Kichelieu), en donnant à S. Jean des ailes et
une tête d'aigle, a, sauf l'incorrection du dessin, reproduit à peu
près l'image du dieu assyrien Nisrok , que certes il n'avait
ORIGINES DE l'oRFÉVRERIE CLOISONNÉE 311
jamais vue ' . Le même type apparaît encore sur une miniature
du XIP siècle, miniature tirée cVun Commentaire sur l'Apoca-
lypse, dont la reproduction chromolithographique m'est récem-
ment tombée entre les mains, et quelques recherches en multi-
plieraient les exemples.
Le lecteur pressent déjà les motifs qui engagèrent les Septante
à traduire 2Taî!?n par -/îXex.tpov; ces motifs seront développés au cha-
pitre suivant.
C. DE LiNAS.
(A suivre. J
^ Le Moyen- Jge et la Renaissance, Manuscrits, pi. III. — Gellone ou Saint-
Guillaume-du Désert, monastère bénédictin de l'ancien diocèse de Lodève.
GASTEL-GANDOLFO
Castel-Gandolfo ('Arx Gandulphi ou Caslrum Gandulphi)^ résidence assez
ordinaire des Papes depuis environ deux siècles pendant la saison de la
villégiature, s'élève à 13 milles de Rome, sur la crête des Collines Albaines,
dans un site enchanteur. Le regard embrasse, du palais des Papes, la
campagne romaine sillonnée d'acqueducs en ruines; il découvre Rome
enveloppée d'une légère brume que dcmine la boule dorée de Saint-Pierre,
s'étend d'un côté jusqu'à la mer et de l'autre jusqu'aux Apennins, et se
repose autour de la colline sur Marino, Albano. le lac. et un amphithéâtre
de verdure, semé de blanches villas.
Du palais de Castel-Gandolfo ont été datés une foule de Bulles et de
Brefs (datum ex Aixe Gandulphi) . Commencé par Urbain VIII, achevé par
Alexandre VII et embelUpar Clément XI, Benoît XIV, Clément XIV, Pie VI
et Pie VII, il fut déclaré palais impérial sous l'occupation française, et
Napoléon I" décréta sa transformation en une somptueuse résidence ;
mais ce projet, comme tant d'autres, n'eut pas de suite. Après la restau-
ration du gouvernement pontifical. Pie VII passa plusieurs étés à Castel-
Gandolfo ; Grégoire XVI en fit son séjour de prédilection pour la
villégiature ; Pie IX y a résidé souvent et vient d'en faire restaurer l'in-
térieur.
Le lac s'étend sur une longueur de cinq milles ; il a pour lui le cratère
d'un volcan, éteint à une époque impossi..le à préciser. Les eaux occupent
le fond d'une coupe de verdure : dans la journée, leur azur est aussi lim-
pide que celui du plus beau ciel; à la tombée de la nuit, elles prennent peu
à peu la couleur glauque de leurs bords et on croit voir une vallée entre
Castel-Gandolfo et Albano.
L'imagination des anciens peupla ce site pittoresque de nymphes et de
faunes : Le Lacm Albanensis eut ses légendes avant d'avoir des souvenirs
CASTEL-ÛANDOLFO 313
historiques. Dans le principe, les eaux devaient être fort basses : Denys
d'Halicarnasse raconte qu'une élévation subite de leur niveau engloutit
Silvius, roi des Albains, et son palais, en punition de l'impiété de ce per-
sonnage. Ainsi s'expliquerait l'apparition de ruines informes au fond du
lac. Plus tard, à l'époque du siège de Veïes, on signala un débordement
extraordinaire au cœur de l'été et à la suite d'une longue sécheresse ;
l'oracle de Delphes, interrogé par les consuls, répondit que les Romains
ne prendraient Veïes qu'après avoir déchargé le trop-plein du lac dans la
campagne romaine. Cela se passait il y a environ vingt-trois siècles. En
moins d'une année, un canal d'un mille et demi de longueur fut creusé à
travers les flancs de la montagne, déversa un énorme volume d'eau entre
Pratica, Ostie et Rome, et Veïes fut prise. Cette œuvre gigantesque, accom-
plie en si peu de temps sans aucune des ressources de la science moderne,
est encore intacte. On prétend que la nature a pratiqué elle-même trois
autres émissaires qui mettraient le lac en communication avec celui de
Nemi, avec l'Acqua Trabra et avec la vallée de Marino.
Domitien, devenu possesseur de la villa de Publius Clodius, sur l'em-
placement de Castel-Gandolfo, l'agrandit et en fit un Heu de délices d'oii
le regard embrassait un horizon immense ; Martial s'adresse en ces termes
à l'empereur :
seu collibus uteris Albae
Caesar, et hinc Triviam prospicis^ inde Thetyn.
(Epig. 1, lib. V).
Si l'on ajoute foi à un diplôme de Lothaire, en date de 846, les empe-
reurs avaient une villa à Castel-Gandolfo, où ilsserendaient fréquemment
pendant leur séjour à Rome .
Les auteurs qui ont éciit sur le moyen-âge font dériver le nom de Cas-
tel-Gandolfo de Gandolfo ou Gandulfi, d'origine génoise, sénateur de
Rome en 1123 et alors possesseur d'une partie de l'emplacement de la
villa de Domitien. Le territoire passa aux Savelli vers la fin du XIIP siècle
et, après diverses vicissitudes, fut déclaré propriété du Saint-Siège par
Clément VIII, le i27 mai 1G04. Urbain VIII, dont la famille possé'dait à
Castel-Gandolfo une splendide villa, aimait ce séjour de préférence h. tous
ceux qu'avaient fréquentés ses prédécesseurs : il y construisit le palais
actuel sur les dessins de Charles :Maderne, de Barthélémy Breccioli et de
Dominique Castelli, en confia la décoration aux meilleurs artistes de l'épo-
que, entoura l'édifice et le jardin d'une enceinte indestructible et ouviit la
galerie plantée d'arbres séculaires qui aboutit à Albano. A cette occasion,
Ile série, tome IL 93
314 CASTEL-GANDOLFO
une médaille fut frappée in suburbano recessu et on grava l'inscription sui-
vante sur la façade du palais :
Vrbanvs . VIII
rONTIFEX . MAXIMVS
SEMITIS . COMPLANATIS
COETERISQ\E . AD . VSVM . VILLAE
COMPARATIS
SVBVRBANAS . AEDES
COMMODITATI . PONTIFICVM
EXTRVMT
ANNO . DOMINI . MDCXXIX
PONTIFICATVS . VU
L. Chaillot.
DECOUVERTE
D'UN TRAITÉ DE SYMBOLISME
DU XIII^ SIÈCLE
A la Bibliothèque de la ville de Poitiers
Je m'occupais, en 1857, à rechercher si les manuscrits de la bibliothèque
publique de Poitiers pourraient me fournir quelques documents pour une
étude sur les Travaux mensuels nu moyen-âge, que j'ai publics dans le
Bulletin monumentaL lorsque j'eus le bonheur de mettre la main sur une
Légende dorée du XIV' siècle, dont les feuillets de garde appartenaient
au XIIP.
Après avoir pris connaissance de ces pages détachées, je reconnus bien
vite d'importants fragments d'un Traité de symbolisme chrétien. Inutile
d'ajouter qu'immédiatement je me fis un devoir de le copier.
J'attribue une grande valeur à ce traité, quelque incomplet qu'il soit,
parce qu'il résume clairement sur les points qu'il touche l'enseignement
traditionnel de l'Eglise. Je n'y vois rien qui n'ait déjà été dit par les saints
Pères ou les auteurs ecclésiastiques. Aussi une partie de mon travail sera
maintenant de remonter aux sources où a puisé l'auteur anonyme ; mais
où il est entièrement nouveau, c'est dans la forme catéchistique par
demandes et par réponses, et dans la réduction des textes à l'état de for-
mules versifiées.
J'irai plus loin, et je demanderai aux sculpteurs et aux peintres, aux
imagiers, en un mot, si, pendant toute la durée du Moyen-Age, ils ont
tenu compte de ces observations qui relèvent l'art et le rendent chrétien
et j'espère pouvoir montrer que la théorie a trouvé son application fré-
quente aux hautes époques. — Du reste, l'iconographie du Moyen-Age ne
se comprendra jamais parfaitement qu'à l'aide de textes contemporains
des œuvres.
316 DÉCOUVERTE D'uN TRAITÉ DE SYMBOLISME
Voici un échantillon de ma découverte :
Sculptez sur des fonts baptismaux la sortie du peuple hébreu de l'Egypte,
et vous pourrez élucider ainsi votre bas-relief :
« Pharaon, qui se noie dans la mer Bouge, représente le démon victime
du baptême. L'Egypte tigure l'univers. Nous sommes les Israélites ; ils
n'arrivent à Jérusalem qu'après une marche pénible à travers le désert et
de sanglants combats : nous aussi nous ne parvenons à la Jérusalem
céleste qu'après avoir combattu et fatigué en traversant le désert de ce
monde .
» Quid significat exitus Israël de Egypto?
Israélite nos. Pharao Sathan, orbis Egiptus.
Baptismus mare rubrum. Rex submergitur iindis
Et regnum Sathane périt in baptismate. Tendit
Iherusalem populus. Sed per déserta vagatur.
Nos per desertum mundi vivendo vagantes
Tendimus ad patriam celestem. Plurima restant.
His carnalia prelia, spiritualia nobis. »
X. Barbier de Montault.
TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES
Congrès des Sociétés savantes. — Les délégués des Sociétés savantes
se sont réunis à la Sorbonne les 31 naars, 1" et 2 avril ; voici qu'elle était
la composition des bureaux :
l" Section d'histoire et de philologie : Président, M. Léopold Delisle ;
vice-président, M. Lascoux ; assesseurs, MM. les présidents de la Société
des archives historiques du Poitou, à Poitiers; de la Société archéologi-
que de l'Orléanais, à Orléans; secrétaire, M. Hippeau.
2° Section d'archéologie : Président, M. le marquis de La Grange; vice-
président, M. Léon Renier ; assesseur, MM. les présidents de la Société
archéologique du département de Gonstatitine; de l'Académie des scien-
ces, belles-lettres et arts de Clermont-Ferrand ; de la commission dépar-
tementale de la Côte d'Or, à Dijon ; secrétaire, M. Chabouillet.
3° Section des sciences : Président, M. Le Verrier; vice-président,
M. Milne-Edwards ; secrétaire, M. Emile Blanchard.
L'espace nous manquant pour rendre compte des nombreux et intéres-
rants travaux lus dans ces trois sections, nous devrons nous borner à si-
gnaler quelques-uns des travaux les plus importants et rentrant plus
spécialement dans le cadre de nos études accoutumées.
M. Vimont, de l'Académie de Clermont-Ferrand, a lu une Notice sur
les fouilles archéologiques exécutées sur le sommet du Puy-de-Dôme^ sous le
patronage de cette compagnie, eu 1873 et en 187 i. On ne peut ici qu'in-
diquer les résultats de cette mémorable entreprise, qui a été facilitée par
la construction d"un observatoire sur le culmen du Puy-de-Dôme, à 1,463
mètres au-dessus du niveau de la mer. On a trouvé les substructions d'un
temple de proportions peu ordinaires et qui devait être orné avec la plus
grande richesse ; ce temple, dont les ruines découvertes, à Theure qu'il
est, couvrent 80 mètres de terrain, était, suivant l'opinion des membres
de l'Académie de Clcrmont, consacré à Mercure, et, suivant M. Léon Re-
nier, qui a ajouté des observations à la notice de M. Vimont, ce temple
aurait été élevé non pas seulement par les Arvernes, mais par toute la
Gaule, dont Mercure était, comme on sait, la principale divinité. M. Vi-
mont avait apporté à la séance des fragments de marbres précieux de
318 TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES
toutes les espèces, des moulures en marljrc de Paros, on bronze, qui ont
vivement intéressé l'auditoire .
Mais ce qui a surtout attiré l'attention, c'est le fac-similé d'une inscrip-
tion sur bronze à Mercure Bicmias, Mercurio Dumiaft, qui nous apprend le
nom antique de la montagne que nous appelons Puy-de-Dôme. Bumium,
dont est formé Diam'as, a fait en français Dôme.
M. Godard-Faultrier, de la Société d'agriculture, sciences et arts d'An-
gers, a donné lecture d'un troisième mémoire sur les fouilles des Chatelliers
de Frémur. C est la description d'un établissement de bains de l'époque
romaine, avec plans, coupes et élévations, vues d'ensemble, etc., habile-
ment exécutés par le docteur Godard, (ils de l'auteur. Les thermes des
Chatelliers paraissent avoir été installés suivant les préceptes des médecins
anciens dont nous avons les écrits. On y a trouvé beaucoup d'objets fort
curieux, également dessinés par M. Godard.
M. Morel, de la Société d'agriculture, sciences vi arts de la Marne, a lu
la Description d'une sépulture de l'âge de hronze et a montré une belle épée
de bronze trouvée à Courtavant(Aube), entre les jambes du squelette d'un
guerrier, aux pieds duquel on a trouvé, comme il arrive d'ordinaire, des
vases de terre cuite noire. L'épée apportée par M. Morel est un des plus
beaux spécimens que l'on connaisse. Son heureux possesseur pense qu'il
faut y voir le type de l'épée de bronze, au moment oii le fer allait arriver.
M. Voulot a fait savoir qu'on avait trouvé récemnient en Alsace une épée
aussi belle que celle de Courtavant ; il pense, comme M. Morel, que ces
armes sont les derniers types du bronze.
M. l'abbé Desnoyers, de la Société archéologique de l'Orléanais, l'cpré-
senté par M. Boucher de Molandon, président de cette Compagnie, est
l'auteur d'une Notice sur divers objets trouvés dans la Loire ^ à Orléans,
en 1872, 1873 et 1874.
M. l'abbé Desaoyers, qui pense, avec la plupart des érudits de notre
temps, qu'Orléans est le Genahum de César, croit avoir apporté de nou-
veaux arguments à la démonstration de cette (juestion d'identification
géographique.
M. Ouénault, vice-président de la Société académique du Cotentin, à
Goutances (Manche), a lu un Mémoire sur l'aqueduc de cette ville. (In a
souvent dit, et M. Quénault lui-niemo a ci'u longtemps que cet aqueduc,
s'il n'était pas entièrement antique, Tétait au moins en pai'tie. Une étude
nouvelle de ce monument et la découverte de documents concluants ont
démontré à M. Quénault que la construction de cet aquuduc ne remontait
pas plus haut que l'année 1232, qu'il n'a rien d'antique, et même que
jamais, dans l'antiquité, il n'y eut d'aqueduc à l'endjoit où l'on voit celui
du Moyen-Age.
TRAVAUX DES .SOCIÉTÉS SAVANTES 319
M. Le Brun-Dalbane, membre de la Société académique d'agriculture,
sciences et belles-lettres de l'Aube, à Troyes, a lu une Elude sur Catherine
Duchemin^ peintre de fleurs, femme de François Girardori., le célèbre sculp-
teur. Cette biographie, dont l'occasion a été l'entrée au musée de la ville
de Troyes d'un joli portrait, peint sur peau de vélin, de Catherine Du-
chemin, a vivement intéressé l'auditoire.
L'auteur a fait observer que l'assemblée siégeait bien près d'un des
chefs-d'œuvre de Girardon, le tombeau du cardinal de Richelieu, que l'on
admire dans l'église de la Sorbonne. M. Le Brun-Dalbane a mis la minia-
ture originale sous les yeux de l'assemblée et a terminé en nous apprenant
que les restes du tombeau de Catherine Duchemin, dû à Girardon lui-
même, et que l'on voyait jadis à Paris, dans l'église Saint-Landry, sauvés
au moment de la Révolution par Alexandre Lenoir, sont aujourd'hui dans
l'église Sainte-Marguerite-Saint-Antoine.
On a récemment trouvé en Champagne deux cestes de travail très-fin,
étrusque peut-être ; celte circonstance a donné l'éveil, et l'on a recherché
si c'était seulement une importation fortuite, ou sil fallait reconnaître une
influence étrusque en Champagne et même dans la Gaule. M. Joseph de
Baye, membre de lAcadémie de Reims, a lu un Mémoire dans lequel il se
prononce pour l'affirmative ; mais M. J. Ouicherata fait quelques réserves
et a montré qu'il fallait se garder de conclure de certains rapprochements
de détail à des faits généraux.
M. Borrel, de l'Académie de la Val-d'Isère, à Moutiers (Savoie), donne
lecture d'une Etude sur les monuments de l'antiquité dans la Tarentaise.
Commençant par les monuments dits de l'âge de pierre, M. Borrel ne
s'arrête qu'au V® siècle de notre ère, où il rencontre un monument des
plus remarquables, dont il a fait une savante monographie. Après avoir
décrit le cromlech du petit Saint-Bernard, situé à plus de 2,500 mètres
d'altitude, des pierres levées, une pieire qui vire, des gals-gals, des tu-
mulus de l'âge de bronze, etc., M. Borrel arrive à l'église de Saint-Mar-
tin d'Aimé, en Savoie, fondée en 427, par saint Jacques l'Assyrien, l'a-
pôtre de la Tarentaise. C'est un monument des plus vénérables, qui pa-
raît avoir été construit sur les fondations d'un temple païen. Un grand
nombre de planches, exécutées avec le plus grand soin, donnent une idée
complète de cet important édifice, qui avait attiré l'attention d'un arche-
vêque de la Tarentaise dès la fin du XVIP siècle. Les planches mises sous
les yeux de l'assgmblée représentent non-seulement l'ensemble, les coupes
et élévations de l'église, mais des détails et les curieuses peintures de la
fin du XI l'' siècle ([ui décorent l'église de Saint-Martin d'Aimé, et qui, ca-
chées depuis des siècles sous une épaisse couche de badigeon, ont été dé-
couvertes dans ces dernières années par M. Borrel lui-même.
320 TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES
Les sociétés qui ont obtenu des prix sont:
Bordeaux^ Société des archives historiques de la Gironde.
Poitiers, Société des archives historiques du Poitou.
Orléans, Société archéologique de l'Orléanais.
Constantine, Société archéologique du département.
Clermont, Académie des sciences, belles-lettres et arts.
Dijon, Commission départementale des antiquités de la Côte-d'Or.
M. Jourdain, secrétaire général du ministère de l'instruction publique,
a proclamé les noms des personnes qui, en récompense de leurs travaux,
ont obtenu les titres d'officier de l'instruction publique et d'officier d'a-
cadémie.
Académie des inscriptions. — Dans la séance du 12 février dernier
de l'Académie des Jnscriptions et belles-lettres, M. Edmond Le Blant a lu
une note intitulée : les Larmes de la prière. Voici l'analyse que nous en
donne le Journal officiel :
L'un des beaux sarcophages chrétiens d'Arles présente un groupe
inexpliqué. Aux pieds de Jésus assis et tenant le volumen sacré, deux per-
sonnages se prosterne nt(yacen^ in ora^/one), comme disentles anciens textes.
Au-dessus de ces fidèles absorbés dans Thumilité de la suppUcation, et de
chaque côté du Christ, deux autres personnages inclinés devant lui cou-
vrent des deux mains leurs yeux d'un linge flottant. Eux aussi prient, et,
selon toute apparence, des pleurs accompagnent leur prière. M. Le Blant
voit dans cette représentation un trait important des pieuses pratiques
des anciens chrétiens. C'est le seul exemple de ce fait qui nous soit offert
par les monuments.
Rien, en effet, n'est plus fréquent dans les textes que la mention de
larmes versées en invoquant le Seigneur. Les juifs de la primitive alliance
en avaient dès longtemps donné l'exemple. I^es chrétiens regardaient
l'effusion des larmes comme un indice de l'assistance divine dans l'orai-
son. « Mon cœur ne saurait s'attendrir, disait un ascète de la Syrie, si je
ne pleure devant mon Dieu. » Saint Grégoire-le-Grand interprète la de-
mande d'une terre arrosée que Axa adresse à Josué, son père, par la
grâce des larmes que doivent implorer les fidèles. Dans la pensée des
saints docteurs, cette marque d'émotion communiquait à la prière une
grande efficacité : une légende du VU" siècla nous montre un brigand
sauvé de la damnation par les larmes qu'il a répandues durant les quelques
heures qui séparent son repentir de la mort.
Ces larmes dévotes se sont séchées parmi nous, dit M. Le Blant. Notre
société européenne est trop vieillie pour connaître; la pieuse émotion qui
a agité nos ancêtres et qui agite encore (comme le témoignent les récits
TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES 321
des missionnaires) des races moins éloignées que la nôtre de leur période
d'enfance.
Société des Antiquaires de France. — M. V. Guérin lui a fait la com-
munication suivante sur les ruines du mont Garizin :
« Sur le point culminant de cette montagne s'étend une grande enceinte
encore en partie debout. Elle forme un quadrilatère flanqué aux quatre
angles de petites tours carrées. Les faces sud et nord ont un développe-
ment de 79 mètres et les faces est et ouest de 64 mètres. Sur le milieu de
la face sud on remarque une tour semblable à celle des angles. A cette
dernière tour répond dans la face opposée une grande porte. Les murs
ont partout une épaisseur de l'"35 et sont revêtus de gros blocs, la plu-
part taillés en bossage et reposant sans ciment les uns sur les autres. Au
milieu de la plate-forme que délimitait cette enceinte, s'élevait un édifice
octogone, dont les arasements seuls sont visibles; il avait été bâti en
pierres de taille très-régulières et complètement aplanies, à en juger par
quelques assises encore en place. Une coupole le recouvrait sans doute
et, abstraction faite de l'abside qui s'arrondit en saillie vers l'est et de
plusieurs chapelles latérales débordant également en dehors du monu-
ment, il devait offrir une grande ressemblance avec la mosquée d'Omar.
Son développement intérieur, sans y comprendre ses annexes, est de 23
mètres, et chaque côté du polygone en mesure 9.
(( L'opinion la plus probable est que les ruines de cet édifice sont celles
de Sainte-Marie, fondée par Zenon et que Justinien, au dire de Procope,
avait environnée d'une enceinte fortifiée pour la mettre à l'abri des dé-
prédations des Samaritains qu'en avaient expulsés les chiétiens. En effet,
l'orientation de ce monument semble prouver qu'on foule là les débris
d'une ancienne église chrétienne. M. de Saulcy, au contraii'c, croit y re-
connaître les vestiges de l'ancien temple samaritain fondé par Sanaballète,
sous le règne d'Alexandrc-le-Grand, et dédié plus tard, sous Antiochus
Épiphane, à Jupiter HcUénien.
((Pour accorder ces deux opinions, en apparence con(radictoires,M. Gué-
rin pense avec ce savant que l'enceinte en gros blocs à bossage dont il
vient de pailer est bien le téménos du temple samaritain bâti par Sana-
bathlète, téménos qui fut ensuite restauré par Justinien, à qui Procope en
attribue la fondation. Par conséquent, l'édifice octogone en question oc-
cupe lui-même l'emplacement de l'ancien sanctuaire des Samaritains,
mais les vestiges que Ton voit là ne sont pas évidemment ceux de ce
sanctuaire, car on sait d'abord qu'il fut rasé par Jean ITyrcan. On possède
en outre de magnifiques médailles impériales d'Antonin-le-Pieux, frap-
322 TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES
pées à Napolis, et qui représentent le mont Garizira avec un temple, celui
qui avait été bâti par Adrien en l'honneur de Jupiter très-haut. Or ce
temple qui avait dû succéder à celui de Jupiter Hellénien, identique lui-
même avec celui des Samaritains et rasé par Jean Hyrcan, est figuré sur
ces médailles avec une forme rectangulaire et un double portique, sur-
montés l'un et l'autre d'un fronton triangulaire. Il est à présumer, en ou-
tre, que Sanabathlète qui avait voulu fonder sur le Carizim un temple
rival de celui de Jérusalem, avait dû imiter la forme de celui-ci, c'est-à-
dire celle d'un rectangle et non d'un octogone.
« Près de cette enceinte on remarque des blocs énormes et non taillés,
connus sous le nom de Tenacher Balathah (les douze pierres plates). Avant
les fouilles entrepiises en cet endroit, en 1866, par le lieutenant anglais
Anderson, on était tenté de les prendre pour des rochers naturels, avec
lesquels ils se confondent facilement; mais depuis ces fouilles, il n'est
plus permis de douter qu'ils n'aient été apportés et placés là par la main
de Thomme ; car une tranchée ouverte à Tentour par cet officier prouve
qu'ils reposent sur trois assises superposées d'autres blocs moins considé-
rables, formant ainsi une plate-forme artificielle longue de 25 pas sur 7
de large. Les Samaritains prétendent que les Tenacher Balathah, repré-
sentant par leur nombre les douze tribus, sont les pierres non taillées
que, conformément à leur Pentateu(juc, Josué, d'après l'ordre du Sei-
gneur, aurait placées sur le mont Garizim, afin d'en former un autel des-
tiné aux holocaustes. Mais les passages de la Uiblc relatifs à ce sujet por-
tent dans tous les manuscrits hébraïques, au lieu du mot Garizim, le mot
Ebal. C'est donc sur cette dernière montagne qu'il faut chercher l'autel
construit par Josué. Les douze blocs désignés sous le nom de Tenacher
Balathah n'ont, par conséquent, été établis sur le Garizim qu'à une époque
bien postérieure à Josué, sans doute par les Samaritains eux-mêmes, dé-
sireux de conserver en quelque sorte par un monument le texte erroné de
leur Pentateuque. »
Société de Saint-Jean. — Le R. P. Vasseur, Missionnaire de Chine,
a fait connaître à la iiOcidiëV Œuore chinoise indigène de Saint-Luc^ pour
aider à la propagation de la foi.
Il y a en Asie environ 400 mille chrétiens qui ont une langue écrite
commune, la langue chinoise. Pour ce grand nombre de fidèles, 400
Missionnaires seulement et 150 Prêtres indigènes sont insuffisants ; il faut
faire appel à l'art, qui a une grande puissance dans tous ces pays. Dans
ce but a été fondée l'OEuvre de Saint-Luc pour la dilfusion des images
chrétiennes, l^es nvivens d'action sont nombreux à cause du bon marché
TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES 323
de l'éxecution et du talent des ouvriers chinois pour le dessin. Les arti-
sans-peintres se contentent facilement de 6 ou 7 sous par jour pour vivre,
et une gravure sur bois de 2 mètres de haut sur 60 centimètres de large,
ne coûte que 20 fr. à exécuter.
Les livres illustrés reviennent à 5 ou 6 sous l'exemplaire.
La Confrérie, après avoir examiné les planches gravées et coloriées qui
sont mises sous ses yeux, déclare que cette œuvre est de celles qu'elle aime
et encourage, parce qu'elle est conforme aux principes de l'iconographie
chrétienne.
La portée de l'œuvre est immense puisqu'elle embrasse dans son plan :
1" l'instruction populaire par les images ; 2° la décoration des éghses ;
3" la controverse avec les lettrés païens; 4° l'archéologie et l'histoire de
l'art.
Société artésienne des Amis des Arts. — Corot était président hono-
raire de cette Société : aussi le président, M. de Galamelz, a t-il prononcé
son éloge, où nous trouvons le passage suivant :
« La contemplation des chefs-d'œuvre de la création élevait sa pensée
jusqu'au Créateur ; — pour les traduire si bien, il fallait les comprendre ;
— il ne pouvait les comprendre sans croire en Dieu. La veille de ses funé-
railles cette indication eût suffi ; aujourd'hui c'est un devoir d'y insister.
« Corot fut chrétien ; il vécut simplement en travailleur et en chré-
tien. Né du peuple, du vrai peuple, du peuple laborieux et honnête, il
avait la foi de ce peuple, et ne répondait que par des haussements d'é-
paules aux la/.zis impies que l'on se permettait parfois autour de lui, —
faisant, je l'ai dit déjà, autant de bien qu'il pouvait.
(i Tel fut Corot, — le proclamer, c'est glorifier celui que nous pleu-
rons ; et il n'est peut-ôtie pas hors de propos d'opposer la foi ferme et
humble de cet homme de génie à la passion irréligieuse et anti-sociale
qui, par des i Manifestations insolentes, sans respect pour la cendre des
morts et pour Dieu lui-même, montre dans quel désordre moral vivent
et à quel degré de dépravation sont arrivés certains esprits.
Académie d'Amiens [Mémoires, 3'^ série, tome L) — On lit dans le
Bulletin scientifique du département du Nord :
« Ce volume contient un certain nombre d'articles dor.t nous parlerons
brièvement parce que ce sont plutôt des dissertations instructives et
agréables que des travaux contribuant aux progrès de la science.
« 11 faut cependant faire exception pour la très-courte notice de M.
l'abbé Corblet, intitulée Le Lieu de naissance de saint Thomas JJecket, Il y
o2i TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES
avait une grande incertitude sur la patrie du saint prélat : M. de Car-
devaque l'avait réclamé pour Bapaume, M. l'abbé Robitaille pour la
Normandie, M. Graves pour Marseille, etc. M. l'abbé Gorblet, établit par
la comparaison des plus anciens biographes et par le témoignage même
de Thomas Bccket, qu'il est né à Londres, d'un père normand.
« M. Ch. Dubois, avocat à Amiens, a fait une étude très-intéressante
sur la constitution de Tile de Jersey. Jersey n'est pas une conquête de
l'Angleterre, c'est une ancienne province normande, restée fidèle à ses
ducs devenus rois d'Angleterre. Elle est de fait complètement indépen-
dante. Les droits de la reine se réduisent à tenir garnison, au comman-
dement des milices qui ne peuvent servir hors de l'ile et à la nomination
de quelques fonctionnaires. Le Conseil privé de la reine a droit de veto sur
les lois votées par les Etats de Jersey ; mais, malgré le veto^ les lois sont
valables pour trois ans et au bout de trois ans elles peuvent encore être
renouvelées. Jersey est donc un Etat indépendant sous le protectorat de
l'Angleterre. Elle nous offre le singulier spectacle d'une communauté de
60,000 âmes sans pouvoir exécutif.
« 11 y. a une assemblée des États comprenant les douze ministres angli-
cans, les douze jurés-justiciers, les douze connétables (maires) et, depuis
1856, quatorze députés élus ; elle est présidée par un officier de la reine,
le bailli, qui dirige les travaux sans y participer. Les États font les lois et
ils chargent une Commission spéciale de faire exécuter telle ou telle de
leur décision. La police, la voirie, les écoles sont confiées aux adminis-
trations municipales. Toutes les fonctions sont gratuites, pas de dette,
pas d'armée, pas de fonctions rétribuées, partant pas d'impôts. Un léger
droit d'entrée sur les boissons et un impôt direct sur les revenus supé-
rieurs à 700 francs suffisent à payer l'entretien des ports et des chemins.
« A côté de ces institutions qui nous semblent un rêve dont nous en-
vions la réalité pour nos petits-enfants, il reste des usages féodaux qui
nous ramènent à cinq siècles en arrière, le droit d'aînesse, la corvée, le
droit d'épave, le droit de mariage de dix-neuf pences si le tenancier mi-
neur a pris femme hors de la seigneurie, le droit pour le seigneur de
jouir pendant une année de la succession du tenancier quand elle est dé-
férée à la ligne collatérale.
« Deux fois par an la Heine ou son représentant tient une cour féodale.
Là sont cités les Seigneurs des 130 fiefs de l'île (bons bourgeois enrichis
dans les pêcheries de Terre-Neuve ou l'engrais des bestiaux), qui, appelés
par ordre hiérarchique, viennent faire l'aveu et rendre l'hommage. Le
Procureur général lit une sorti; d'homélie sur la célébration du dimanche.
TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES 325
Après quoi on lève l'audience et on va sur le quai, au Royal-Yacht-Club-
Hûtel, faire un excellent dîner aux frais de la couronne. »
Commission départementale des antiquités de la Seine-Infé-
rieure. — Rouen. — Peinture inurale à Saint-Ouen. — M. l'abbé Cochet
note que tout récemment, dans l'église Saint-Ouen, en faisant un autel
nouveau pour la chapelle Saint-Joseph, on a découvert une peinture à
fresque, représentant la. Mater dolorosa. Dans un angle du sujet, est figuré
un prêtre célébrant la messe. Peut-être est-ce uni? représentation de la
messe de saint Grégoire, usage très-commun au XVI" siècle. L'autel nou-
veau laissera un vide de 'M) centimètres, qui permettra de respecter cette
peinture.
Forêt- Verte. - Instrument de fer. — M. de Girancourt expose un
instrument de fer, trouvé dans la Forêt- Verte, à la base d'un amas
énorme de cailloux, qui avait déjà attiré l'attention de M. de la
Serre.
Cet instrument, un peu recourbé, naturellement ou par accident, ne
coupait que d'un seul côté, et s'emmanchait au moyen d'une douille.
M. l'abbé Cochet le considère comme une variété de fauchard, qu'il re-
porte à l'époque romaine, et que M. Hardy rajeunirait volontiers de plu-
sieurs siècles.
Longueville. — Sceau matrice. — M. le vice-président fait passer sous
les yeux de la commission un fort beau sceau matrice du XV'^ siècle,
trouvé à Longueville par M™^ Fenestre et ofï'ert par cette dame au Musée
des antiquités. La légende du sceau, écrite en gothique minuscule, est
ainsi conçue :
S. D. Roherti Couppe Quesne vicarii de Longuavllla.
Armes parlantes : une coupe et un Ckesne.
Sans chercher à pénétrer le sens exact du mot vicarius, qui prête à une
large interprétation, nous rappellerons que Nicolas Couppequêne, bache-
lier en théologie, fut, en 1431, l'un des juges de la Pucelle : Nicholaus
Coupequesne, avait été présenté ad ecclesiam de Yvetot par le roi d'Angle-
terre, en 1418.
Il existait encore en 1822, remarque M. le Filleul des Guerrots, au rap-
port de M. Dergny {les Cluches du pays de Bray, t. II, p, 8i), une famille
de Couppequesne de Fressenneville, en Picardie, qui portait de gueules à 3
glands d'or, 2 et 1, avec deux lions pour supports, et, pour limier, un gui
de chêne fruité d'or.
323 TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES
Le Fay, près Ycetot. — Cheminée du XVP siècle. — M. le docteur Gue-
roult communique les renseignements suivants sur deux cheminées du XVI*
siècle :
« Au hameau de Fay, distant d'un kilomètre et demi d'Yvetot, subsis-
tent, dans la maison occupée par le sieur l'Estrelin, cultivateur, deux
jolies cheminées en pierre, du XVP siècle, admirablement conservées.
« Elles sont adossées et sont de dimension à peu près semblables.
« La première cheminée, ouverte au N.-E., porte l'inscription sui-
vante :
Lan de grâce mil V'^'^ Z III le XV*^ jo de janvier furet ces chemines : les fit
faire robert henri. prs. dieu pr les trespassez.
« La légende énoncée est entrecoupée par trois médaillons humains,
ronds, en relief, dont deux me paraissent représenter les bustes affrontés
de Louis XII et de François I" : Celui-ci porte chaperon, fraise, mous-
tache et barbiche ; celui-là lauré, barbe rase, regarde à dextre.
« Entre ces personnages, deux anges debout, les ailes éployées, sou-
tiennent un blason échancré, figurant les armoiries de la ville d'Yvetot ;
les émaux font ici défaut, je les restitue ainsi : de Gueules aux trois gerbes
d'or, 1 et {. Je ne saurais interpréter le troisième médaillon, situé sur le
retour d'équerre au Sud ; l'effigie barbue est dirigée à dextre.
« La colonne droite de la cheminée montre un angelet maintenant l'é-
cusson au monogramme de la Mère du Sauveur ; sur la colonne gauche,
un autre angelet tient pareillement celui de Jésus-Christ.
« Sur l'autre cheminée on lit :
pensez, a. la. mort, mourir, co. vient : peu. et. souvent, a. men.
« Du côté Sud, un buste à tête virile, imberbe et ceinte d'un bandeau,
fixe à senestre ; un second buste, placé à l'encoignure, affecte une dispo-
sition similaire.
« Identiques à ceux de la cheminée précédente, ils me sont inconnus.
« Tous les médaillons énuraerés de profil se distinguent par la proémi-
nence du nez.
« La colonne Sud correspondante, servant de jambage, fournit une
chimère enroulée d'un serpent ; sur la colonne Nord on remarque une
gargouille. »
Déville. — Battant du bourdon de Georges-dWmboise. — Ce battant,
compris récemment dans la vente de son propriétaire, M. Le Chien, a été
acheté par la commune de Déville, M. Billiard, conservateur-adjoint du
Musée, s'étaitrendu à cette vente, avec la mission secrète d'acquérir pour
TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES 3:27
le dépôt départemental cette pièce historique. Outrepassant même ses
instructions, il l'a poussée jusqu'à oOO fr. Mais avec une obstination des
plus patriotiques, et qui lui fait honneur, M. le maire de Dévillo l'a em-
porté sur l'agent du Musée. Ce battant va être acquis par la municipalité
dévilloise. à l'aide d'une souscription.
Société des bibliophiles français. — Dans sa séance du 9 février, la
Société des bibliophiles français a ainsi constitué son bureau : Président
d'honneur, M. le duc d'Aumale ; Président, M. le baron Pichon ; secré-
taire, M. de Fresnc ; trésorier, M. le comte de Béhague. Le Comité est
composé de MM. Paulin Paris, Prince Galitzin, comte Clément de Ris,
Schefer, Firmin Didot, de Noirmont, de Lignerolles, M. de la Bérau-
dière a été nommé à la place laissée vacante par la mort de M. de Beau-
chesne.
Société Archéologique du Midi de la France. — Nous lisons dans
son dernier Bulletin :
(c iM. A. DE Crozant-Bridier rend compte d'une visite qu'il vient de
faire à Soueich (canton d'Aspet), pour vérifier une découverte archéolo-
gique : Un chêne déraciné par le propriétaire avait, au milieu de ses ra-
cines, plusieurs objets qui passent sous les yeux de la Société ; ce
sont d'abord deux têtes d'hommes et une tête de femme en marbre
blanc. La poitrine est à peine indiquée; de sorte que le cou se ter-
mine au-dessous eu forme de cône destiné à se placer, en s'y incrus-
tant, sur un buste en matière moins riche , en calcaire plus tendre,
d'un travail plus facile et moins soigné. Les trois têtes sont brutes ou
plutôt à peine dégrossies par derrière ; elles devaient s'appliquer contre
un mur, soit droites, soit couchées.
« L'exécution démontre que ce travail est dû à des artistes de la déca-
dence qui avaient conservé quelques traditions dune meilleure époque,
et il serait difficile de dire s'ils avaient encore le sentiment de l'art ou
s'ils n'arrivaient à donner à leurs œuvres un reflet du grand style qu'au
moyen de quelques procédés ingénieux et purement matériels dont ils
avaient hérité.
t Les yeux, le nez, les narines, la bouche, les oreilles, sont grossière-
ment ciselés, et pourtant, envisagés sous certains aspects, d'assez loin pour
que les menus détails soient confondus dans l'ensemble, on s'étonne de
voir des physionomies si diverses et si expressives.
« Ce sont, on peut le croire, des portraits. Ceux des hommes, dans la
force de Vùige, ont un air de famille évident; leur crâne est court, le front
328 TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVAltTES
bas, recouvert d'ailleurs à moitié par les cheveux régulièrement répartis
par petites mèches, en couronne ; le nez assez fin, la bouche petite, les
lèvres minces, le menton peu proéminent, la figure pleine et ronde, le
cou dégagé : tout, en un mot, indique le type encore prédominant dans
la contrée. Une de ces figures, la moins jeune, par sa bouche quelque
peu saillante et certain pli dans le menton, a un air hautain qui frappe
d'abord.
« La tète de femme est d'un type un peu différent; la race n'est plus
pure, et du sang romain devait couler dans ses veines ; c'est la matrone,
nous la reconnaissons. Son front est ceint d'une double bandelette étroite
formant une ample torsade gracieuse et simple, et l'on ne peut dire si cette
bandelette retenait, soit une étoffe couvrant les cheveux, soit simplement
ceux-ci partant du haut de la joue en boucles plates et cachant le sommet
de l'oreille avant de flotter sur le cou ; des pendants massifs et coniques
sonttrullés sous le lobe de l'oreille. Les plis de la joue, au-dessus des na-
rines et certains autres détails, sont indiqués avec soin ; le nez petit, mais
droit, est caractéristique ; mais le cou est d'une longueur tout à fait by-
zantine. Lorsque l'on pose à plat cette tête, comme si elle faisait partie
d'un corps étendu sur un tombeau, on est frappé du calme et de la séré-
nité de cette figure, dont les yeux sont grands ouverts, mais ne semblent
ni voir ni regarder ; l'expression du dernier sommeil est empreinte sur
toute la physionomie.
(( Le buste qui a passé sous nos yeux n'a pas même les traditions du
grand art que les têtes nous offraient. C'est une œuvre de décadence
pure, d'un travail déplorable et d'un style tout à fait byzantin. Si l'on y
applique la tête de femme, on croit déjà voir une de ces figures bien con-
nues, mal drapées, longues et difformes, de la plus basse antiquité. La
partie inférieure manque presque à partir de la ceinture. Une épaisse
draperie, aux plis lourds et disgracieux, couvre et cache toutes les formes :
le bras droit, nu et dégagé à partir du coude, est ployé sur la poitrine;
la main presque ouverte et portant près du cou, sur le pli extérieur de la
draperie croisée , soit sans intention, soit autrement, les attaches, le po-
telé délicat de la main et de l'avant-bras, sont positivement féminins. A
la hauteur de la ceinture et de côté, paraît la main gauche, les doigts à
peine repliés et retenant une baguette, vindicla. Au petit doigt est un
annulus assez large ; — répétons en terminant que le travail est extrême-
ment grossier.
« M. l'E Clausade serait disposé à penser que ces objets proviennent
d'un caveau sépulcral élevé, par les deux affranchis, dont nous aurions
le portrait sculpté, à une dame gallo-romaine (la tête de femme) qui les
TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES 329
aurait affranchis : la baguette, à la main de celle-ci, serait un indice pré-
cieux en faveur de cette hypothèse.
« M. Barry fait remarquer que, dans les grands centres, les têtes dé-
coupées et destinées à être enchâssées dans un buste de matière moins
riche d'ordinaire, appartiennent exclusivement aux figures impériales; à
chaque avènement on changeait la tête représentant l'empereur. Mais
dans les Pyrénées cette explication n'est plus possible ; et, en étudiant
quelques collections locales particulières, M. Barry a pu voir un certain
nombre de têtes découpées qui ne sont que le portrait des morts. A Saint-
Bertrand-de-Comminges, on possède ainsi les têtes du mari et de la
femme avec l'inscription. Dans la plupart des cas, une raison d'économie
a guidé les auteurs de ces petits monuments ; la proximité du marbre a,
dans les Pyrénées, invité les Gallo-Romains à faire en cette matière les
figures de leurs aïeux ou bienfaiteurs ; à Narbonne où le marbre d'Italie
est très-rare et oii celui de Saint-Béat n'arrivait pas, il n'y avait pas de
motif pour séparer la tête du buste, et tiute la statue est en pierre de
Narbonne. Oa s:.it que le droit de conserve:^ toutes les représentations
des aïeux était une prérogative de rarist.)craLie, puis de la bourgeoisie,
enfin les parvenus libres et riches ne manquèrent pas de se l'approprier
et d'en user largement. »
Société des Sciences de Lille. — Cette académie s'occupe plus parti-
culièrement de sciences et de littérature ; toutefois, les deux volumes
qu'elle vient de publier contiennent quelques remarquables travaux d'ar-
chéologie et d'histoire. Nous signalerons, entre autres, un mémoire de
M. Houdoy sur l'instruction gratuite et obligatoire depuis le XVP siècle ;
un supplément à la numismatique lilloise par M. Van Rende ; une étude
sur les châtelains de Lille, par M. Leuridan ; et de curieuses recherches
de M. l'abbé Dehaisnes sur les archives départementales du nord pendant
la Révolution .
J. C.
II* série, tome II. 24
BIBLIOGRAPHIE
HISTOIRE DES ABBAYES DE DOMMARTIN & DE SAINT-ANDRÉ-AU-BOIS,
par le baron Albéric de Galonné. — Arras, 1874, Sueur-Charruey, éditeur,
in-8". (8 fr.)
Ces deux abbayes de l'Ordre de Prémontré, situées sur les confins de
la Picardie et de l'Artois, appartenaient au diocèse d'Amiens; moins cé-
lèbres que les abbayes de Corbie, de Saint-Riquier, de Saint-Valery,
leurs annales n'en offrent pas moins des détails fort intéressants pour
Thistoire locale et parfois môme des tableaux émouvants, quand il s'agit
des guerres désastreuses pendant lesquelles Anglais et Espagnols, Bour-
guignons et Anglais, métamorphosaient en ruines ces florissants monas-
tères, enrichis par la générosité de tant de générations.
M. le baron Albéric de Galonné suit Tordre chronologique et raconte
l'histoire de chaque abbé en puisant presque tous ses renseignements à
des sources inédites conservées aux archives de la Somme, à celles du
Pas-de-Calais et du Nord, dans les bibliothèques d'Amiens, d'Abbeville,
de Boulogne-sur-Mer et dans diverses collections particulières.
Outre les annales des deux abbayes, l'auteur nous fournit d'intéressants
renseignements snr la règle des moines de Dommartin, sur les châtelains
et seigneurs de Bcaurains-sur-Canche, fondateurs des abbayes de Dom-
martin et de Saint-André-au-Bois. Les pièces justificatives sont suivies
d'une très-bonne table alphabétique des principaux noms propres (pour-
quoi ne les avoir pas mis tous?). Les sept lithographies qui accompagnent
le volume représentent : 1" l'entrée de l'abbaye de Dommartin ; 2" une
pierre turaulaire trouvée à Saint-Josse-au-Bois, conservée dans l'église de
Tortefontaine ; 3° les sceaux et contre-sceaux de Guillaume de Cromont,
abbé de Dommartin ; 4° le tombeau de Henri Kuret, seigneur de Douriez,
dans l'église do Dommartin ; o" un plan de ce qui reste de l'abbaye de
BIBLIOGRAPHIE 331
Dommartin ; G'' un plan des ruines de l'abbaye de Saint-André-au-Bois,
7" et enfin les ruines et le plan de la Tour-des-Liannes à Beaurainville.
Dans un feuilleton du 19 février dernier, M. Léon Gautier reproche à la
jeune noblesse française de ne pas déployer autant de courage dans le
cabinet de travail que sur le champ de bataille. Il l'engage à sortir d'un
désœuvrement qui l'énervé :
« Ce n'est jias, dit-il, étudier l'histoire que de se jeter dans les peti-
tesses de la généalogie et du blason : il faut, pour le moins, se proposer
l'histoire de sa province ou de sa ville. Ayez de ces hardiesses. Au heu
de faire des théories ou des lois sur la décentralisation, faites de vos
châteaux autant de centres d'activité intellectuelle, autant de foyers de
lumière et de vie. Qu'on dise à dix lieues à la ronde : « Avez-vous vu la
bibliothèque du comte de B...? Connaissez-vous les collections du vicomte
de D...? Avt'z-vous Iule dernier Mémoire du marquis de L...? » Cela ne
vous empêchera pas de mourir très-glorieusement à la prochaine guerre;
mais, en attendant, vous aurez utilement vécu. Et c'est bien quelque
chose. )>
M. le baron Albéric de Galonné nous semble parfaitement réaliser le
type que rêve M. Léon Gautier. Il a consacré sa jeunesse aux études les
plus sérieuses et en recueille déjà des fruits qui feraient envie à la matu-
rité de l'âge.
Sa monographie, avant d'être imprimée, avait été couronnée, à la suite
d'un concours historique, par la Société des Antiquaires de Picardie, et
nous sommes certain que le jugement du public lettré confirmera la déci-
sion de cette docte compagnie.
J. CORBLET.
LES CATACOMBES DE ROME, notes pour servir de complément aux Cours
(ï Archéologie chrélienne, avec dessins, par H. DE l'Épinois. — Toulouse,
Hebrail, 1875, in48. (2 fr. 50.)
M. H. de Lépinois, ancien élève de l'école des Chartes, connu par d'ex-
cellents travaux historiques, a voulu populariser la science archéologique
des catacombes, en fournissant au clergé, aux professeurs, aux hommes
du monde des notions sûres et rapides sur les découvertes récentes de la
science. Pour cela, il a lu, la plume à la main, les ouvrages de Bosio,
Bottari, Buonaraolti, Marangoni, Marchi, Garucci, de Rossi, Martigny, Le
Blant, eLc. Nous voudrions pouvoir ajouter qu'il a consulté aussi les di-
vers travaux relatifs aux catacombes, pubUés par la Bévue de l'Art chrétien.
332 BIBLIOGRAPHIE
Tout en regrettant cette omission, nous devons dire que son manuel est
nourri de faits, d'une trame bien tissue, agréablement écrit, largement
pourvu d'indications bibliographiques et qu'il atteindra parfaitement le
noble but qu'il s'est proposé.
Bien qu'enrichi d'un certain nombre de bonnes planches, ce volume de
236 pages ne coûte que 2 fr. oO. Ce bas prix contribuera à faire répandre
cet excellent écrit et à familiariser le public avec une science qui prête un
si utile concours aux grandes vérités de la religion.
J. C.
RAPPORTS AU MINISTRE sur la collection des documents inédits de l'Histoire
de France et sur les actes du Comité des Travaux historiques, — Paris, in- i",
1874.
Ces intéressants rapports sont dus à M. le baron de Watteville, chef de
la division des sciences et des lettres au ministère de l'instruction publi-
que ; à MM. Léopold Delisle, Léon Renier et Blanchard, membres de
l'institut.
Depuis 1834 jusqu'à nos jours le ministère a édité 104 ouvrages de do-
cuments inédits formant 5 volumes in-folio et 176 in-4"; de plus 77 in-8'
de publications annexes : le Bulletin ou la Revue des sociétés savantes et
les Mémoires lus à la Sorbonne. Les publications archéologiques sont au
nombre de 18 : Eléments de paléographie par M. N. Wailly ; — Diplômes
militaires; — 4 Instructions du Comité; — 6 Répertoires archéologiques; —
Statistique monumentale de Paris ; — Monographie de la cathédrale de Char-
tres ; — Peintures à fresques de Saint- Savin; — Comptes des dépenses de la
construction du château de G ai lion ; — Inscriptions de la France.
Les rapports qui vi. nnent d'être publiés donnent une haute idée de
l'impulsion que le Ministère a imprimée aux études historiques et archéo-
logiques.
J. C.
NOTICE SUR L'ÉGLISE ET LE VILLAGE DE DOUCHY, par M. l'abbé Bran-
couRT, curé de Plugnières et Douchy. — Saint-Quentin, 1874, in-8° de 63 p.
Douchy est un petit village du Vermandois qui compte à peine 400 ha-
bitants ; mais il a eu jadis ses seigneurs, dont M. Brancourt a donné la
liste; le principal but de sa brochure a été de décrire la nouvell*
BIBLIOGRAPHIE 333
église terminée et bénite en 1866. On a choisi le style romano-byzantin et
Tarchitecte M. Pierre Benard a pu arriver à la sobriété sans être mesquin,
à l'unité sans être monotone. Quatre pliotugraphics nous font connaître
l'architecture et les peinture:-; décoratives du monument, qui, toutes deux,
sont fort remarquables. Nous nous bornerons à mentionner la belle com-
position du Christ miséricordieux recevant ceux qui souffrent pour lui en
ce monde ; on voit près de son trône de clémence un pieux lévite portant
l'évangile, un nègre, une veuve en prière, un groupe d'orphelins, un vieux
moissonneur, un roi prosterné, un chartreux méditant, une Madeleine
repentante, un missionnaire qu'accompagne un jeune chinois, et enfin
une sœur de charité près d'un soldat blessé.
J.G.
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
(ARCHÉOLOGIE ET BEAUX- A RTS)
ASSELINE. Les Antiquitez et Chroni-
ques (le la ville de Dieppe ; par David
Asseline, prestre. Publiées pour la
première fois, avec une introduction
et des notes historiques, par MM. Mi-
chel Hardy, Guérillon et l'abbé Sau-
vage. 2 vol. in-8, xxxii-82.") p. Dieppe,
Maris; Leblanc; Rouen, Métérie ;
Paris, Maisonneuve. (Tiré à 289 ex.:
220 sur pap. vergé ord.; 60 sur pap.
vergé fin ; 4 sur pap. fort de Hollande;
.5 sur pap. de Chine. — Bibliothèque
dieppoise.)
BARBET DE JUILLÉ. Compte-rendu
général sur les fouilles de la grotte
de Loubeau , près Melle (Deux-Sè-
vres), par l'Association inelloise. sous
la direction de M. Barbet de Juillé,
juge à Niort. In 8°, 44 p. Niort, Clou-
zot. (Ext. des M cm. de la Soc . de sta-
tistique, etc., du dêp. des Deux-Sè-
vres )
BEAUFORT (Emily A.). Egyptiani Se-
jiulchres an Syrian Shrines, inilu-
dinga Visitto Palmyra. New éd. Li-8,
r)50 p. London. Macmillan. '.) fr. 25.
RIEGEL (Herm.). Grundriss der bildcn-
denKùnste, im Sinne e allgerneinen
Kunstlehre u. als Hûlfsbuch beim
Studium derKunstgeschichte darges-
tellt. 3., neu bearb. Ausg. m. 3'i
(eingedr.) Holzschn. Gr. in-8, xix.-
'i28 p. Hannover, Ilumpler.
BLANC. L'Art dans la parure et dans
le vêtement, par M. Charles Blanc,
membre de l'Intitut, ancien directeur
des beaux-arts. In-8 carré, 375 p. et
vignettes. Paris, Loones. 20 fr.
BONNAFOUX. — Fontaines celtiques
consacrées par la religion chrétienne,
sources merveilleuses, coutumes su-
perstitieuses et légendes diverses, re-
cueillies pour la plupart, dans le dé-
partement de la Creuse, par M. J.-F.
Bonnafoux, conservateur de la biblio-
thèque de Guéret. In-4o, 43 p. Gué-
ret, imp. Dugenest. (Pour faire suite
atix Légendes et croyances supersti-
tieuses du département de la Creuse,
du même auteur.)
BRAMANTINO (Bartoloraeo Suardi). Le
Rovine di Roma al principio del sec.
XVI : studi, da un manoscritto dell'
Ambrosiana di 80 tavole fotocronioli-
tografate da Angelo délia Croce con
prefazione e note di Giuseppe Mon-
geri. In-4. Milaiio, Hœpli. 70 fr.
BRASH I Richard Rolt). The Ecclesias-
tical Architecture of Ireland, to the
close of the Twelfth Century, accom-
panied by interesting Ilistorical and
Antiquarian Notices of numerous An-
cient Romains of that Period With
5'i Plates. In-4. 174 p Dublin, Kelly;
London, Simpkin. 2tj i"r 25.
GALONNE lie b°" Albéric de). Histoire
dos abbayes de Dommartin et de St-
Audré-au-Hois. Arras, 1875, in-8.
CATALOGO GENERALE dei Rami incisi
al burino ed all'acquaforte, posseduti
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
335
dalla R. Galcografia di Roraa. In-4,
viii-8-2 p Rome, 1874, Regia tip.
CHARLES (L. et R.). Sépultures méro-
vingiennes de Conneré fS.irthe),
Tours, Bousercz, 1875 iri-8.
COET. — Souvenirs du musée Hourde-
quin : l'jge de pieire. Montdidier,
in-8.
DESJARDINS (T.). architecte. L'Art des
Etrusques et leur nationalité, in-8,
56 p. Lyon, imp. Pernn et Marinet.
DUPONT-AUBERVILLE. - Art indus-
triel. L'Ornement des tissus, recueil
historique et pratique. Avec des no-
tée explicatives et une introduction
générale. De.«siiis par M. Kreutzber-
ger, lithographies par M. Régamey.
100 pi. en couleurs, or et argent,
contenant les plus beaux motifs, d'a-
près les pièces originales de l'art an-
cien, du moyen âge, de larenaissan-
ce et des XVile et X\ III<^ siècles. l>e
liv. in-4«, 18 p. et 10 pi. Paris, Ba-
chelin-Deflorenne, Rucher et Cie.
L'ouvrage complet, 130 fr. L'ouvrage
sera divisé en 10 livraisons contenant
chacune 10 pi. et un texte explicatif.
EVEN. — Abécédaire de numismatique
romaine, notes indispensables aux
jeunes amateurs, par Even (Charles),
membre correspondant de la Société
française de numismatique. In- 18, 59
p. et 12 pi. Saint-Hrieuc, Fr. Guyon.
EPINOIS (H. de 1'). Les catacombes de
Rome, notes pour servir tle complé-
ment aux cours d'archéologie chré-
tienne, avec, dessins. In- 18, 335 p.
Paris, lib. de la Société bibliographi-
que. 2 fr. 50
FARCY (L de) Notices archéologiques
sur les tentures et les tapisseries de
la catliédrale d'Angers. Angers, in-8.
— Clochci's, sonner. e, horloge et porche
de la cathédrale d'Angers. Anger.s,
in-8.
— Notices arcliéol. sur les orgues de
. la cathédrale ti'Angers. Angers, in-8
JONVEAUX(E.) Histoire de trois potiers
célèbres : Bernard Palissy, Josiah
Wedgwood, Frédéric Bottger. In-18j.
282 p Paris, Hachette. 1 fr. 25.
MAROTTA D'!^QUIN3. - Oraaggio sto-
rii;o a S. Toinaso d'Aquino liel setto
ci^meiiai'o délia sua morte, il 7 marzo
1874. Nap jli, in 8.
MARSY (A. de). Le Jubilé de 1775 à
Compiègne. Gompiègne. In 18.
MICHEL. Des Arts du dessin dans leurs
rapports avec l'industrie ; par Em.
i\lichel, membre de l'Académie de
Stanislas et de l'Académie de .Metz.
In 8, 56 p. Nancy, imp. Berger -Le-
vrault. (Extr. des Mém. de V Acad.
de Stanislas.)
PILLOY (J.l. L'atelier quaternaire de
Cologne, commune d'Hargicourt (Ais-
ne). St-Quentin. In-8.
PILLOY (J ). Note sur la découverte
d'une sépulture à incinération anté-
historique, à Ribemont. Saint-Quen-
tin, in-8.
ROVANI (Gius.l. Le Tre Arti.T. Il (fin).
ln-8, 238. .Milano. 1874, Trêves. Les
2 vol., 7fr.
SMITH (George). Assyrian Discoveries :
An Account of Explorations and Dis-
coveries on the Site of Nineveh du-
ring 1873 and 1874. With Illustra-
tions. In-8, 465 p. London, Low. 22
fr. 50. -
STŒBER (Aug.). Curiosités de voyages
en Alsace, tirées d'auteurs français,
allemands, suisses et anglais, depuis
le XVP jusqu'au XIX» siècle et anno-
tées. Gr. in-8, XlI-377 p. Colmar,
Battli.5fr.
STORNAIUOLO (Sac. Gosimo) . Ricerche
sulla storiaed imonumentideiss Eu-
tichete ed Acuzio, martiri Puteolani.
In-S, 112 p Napoli, 1874, tip. délia
Libertà Gattolica.
TAGLIALATELA (G.). Di una imagine
di S. Protasio nella catacomba sevo-
riana e del culto de' SS. Protasio
e Gervasio in Napoli. Napoli^ in-8.
J. c.
CHRONIQUE
Rome. — On nous écrivait de Rome à la date du 6 mars :
(c La croix d'Henri IV n'a été renversée hier, que pour être remplacée,
assure-t-on, au môme endroit, mais à un niveau plus bas, vis-ù-vis l'é-
glise de Saint-Antoine, abbé, à l'Esquilin, en vue de la façade de Sainte-
Marie-Majeure. Ainsi renversée, quoique avec les précautions voulues, ce
n'était plus qu'un débris. Comme la nuit arrivait, on a mis deux gardes
près de la croix pour empêcher qu'on ne lui portât outrage on dommage.
Mais malgré leur vigilance, une des trois tleurs de lys a disparu. Ces fleurs
de lys de bronze terminaient les trois branches supérieures de la croix ;
elles sont grandes comme les deux mains et massives.
« Le garde qui a laissé commettre le larcin était désespéré ; mainte-
nant il y a quatre gardes, mais la fleur de lys ne sera pas retrouvée ; la
police en a pris note.
« 11 ne sera guère possible, ce nous semble, de relever la croix telle
qu'elle est; c'est moins qu'une ruine, c'est un débris. Cependant la Vierge
et le Christ en bronze sur la croix de marbre gris sont très-bien faits, les
trois têtes ont de l'expression. Ces sculptures ressemblent aux ouvrages
de Jean Bologne, qui était à peu près contemporain ; elles sont un peu
enflées, comme il le faut pour être vues de loin. »
Passage de la Mer Rouge. - Nous lisons dans VEijijijtologie^ journal
mensuel publié à Chalon-sur-Saône par le savant M. Chabas :
ft M. Brugsch a répété à Londres la conférence qu'il avait donnée cette
année au Caire sur la sortie dca Héhreux d'Egypte. Aux nombreuses ten-
tatives faites pour la détermination de l'itinéraire suivi par Moïse ,
M. Brugsch en ajoute une nouvelle dont le caractère capital est que la
mer qui engloutit l'armée égyjitienne ne serait pas la Mer Rouge, mais la
Méditerranée. L'idée est originale, mais elle relève plutôt de la critique
biblique que de la science égyptologique. Les exégètes auront à voir
CHRONIQUE 337
de quelle manière on peut reconnaître la Méditerranée dans le lam soup/i
du texte hébreu , lorsque l'Écriture, entre autres indications qu'on ne
peut négliger, nous explique que le vaisseau que Salomon envoyait à
Ophir chercher de l'or était stationné à Atsion Gaher, qui est près d'Elath,
sur les bords de la mer de Soceph^ au pays d'Edom. »
Peintures murales à Gand. — On a découvert tout dernièrement des
peintures murales, dans la grande salle ogivale de l'ancien château de
Gérard-le-Diable, à Gand. Ce vieux manoir qui, avec les constructions
qu'on y a annexées depuis deux siècles, a servi d'hospice aux orphelins,
va bientôt recevoir le dépôt des archives de l'Etat. C'est en grattant les
murs pour se Hvrer à quelques travaux d'appropriation, que les ouvriers
ont mis à découvert cinq panneaux peints; quatre se trouvent sur le mur
qui fait face aux croisées, le cinquième est dans le fond de la salle. Deux
seulement sont assez bien conservés. Ils représentent l'un un apôtre dans
un cadre carré long, la tête entourée du nimbe d'or, et debout sur une
espèce de socle ; autour de la tête serpente une banderole, oii se trouvait
jadis une inscription, devenue aujourd'hui presque illisible. Dans le se-
cond on voit une sainte, la tête également entourée du nimbe d'or, et
d'une banderole semblable à celle qui se trouve autour de la tête de l'a-
pôtre, et tenant dans sa main droite une croix pédiculée.
Entre les ogives des croisées on aperçoit encore des restes de peintures
décoratives fort endommagées.
Le nouveau Béguinage de Gand. — Le 20 octobre a eu lieu l'inaugu-
ration du nouveau Béguinage de Sainte-Elisal)eth ù Mont-Saint-Amand-
lez-Gand. Cette construction, qui est littéralement la reproduction d'une
petite ville du moyen-âge, sortie de terre au bout d'un an de travaux,
avec ses toits aigus, ses façades variées, ses couvents à pignons, occupe
une étendue de huit hectares ; elle renferme trois places, huit rues, qua-
torze couvents ou communautés, chacun pour trente ou trente-cinq bé-
guines, et comprend environ quatre-vingts maisons, chacune, de même
que les couvents, sous le patronage d'un saint. A l'église de^Sainte-Eli-
sabeth est annexé un oratoire en l'honneur de saint Antoine de Padoue.
destiné à remplacer celui que les béguines ont dû abandonner dans leur
ancienne résidence. Le nouveau béguinage a été édifié grâce à la munifi-
cence de S. A. S. le duc d'Arenberg, qui a fourni la plus grande partie
des fonds considérables nécessaires pour une aussi vaste entreprise.
{Messager des sciences historiques.)
338 CHRONIQUE
L'iconographie russe. — Le R. P. Martinov, dans une lecture faite à
la Société de Saint-Jean, explique parfaitement l'immobilité de l'art reli-
gieux en Italie : « Ce qui frappe le plus clans l'iconographie russe, nous
dit-il, ce qui en absorbe, pour ainsi dire, les autres propriétés, c'est son
caractère éminemment chrétien. A quelque époque de ton histoire que
vous la preniez, vous la trouverez toujours fortement marquée du cachet
religieux, au préjudice môme de l'esthétique. Les anciens Russes ne com-
prenaient pas qu"on pût faire de l'art pour l'art ; de même qu'ils ne sa-
vaient pas cultiver les lettres ou les sciences dans le but unique de satisfaire
l'esprit et le goût ; d'abord parce qu'ils venaient de sortir de la barbarie
en se soumettant au joug de la rehgion chrétienne ; ensuite les condi-
tions sociales ne leur permettaient point de faire autrement, occupés
qu'ils étaient à former le nouvel Empire, privés d'ailleurs des moyens né-
cessaires au développement de l'art iconographique. Aussi est-il resté
durant des siècles ce qu'il avait été à son origine, et tel qu'on l'avait ap-
porté de Byzance, son berceau primitif. De là le surnom de Byzantin qui
lui a été donné et qu'il conserve encore, bien qu'il soit plus exact peut-
être de l'appeler néo-byzantin ou gréco-russe.
« En nommant Byzance, j'ai évoqué le souvenir de la religion à la-
quelle l'iconographie russe est unie par des liens étroits, indissolubles.
C'est que les saintes images avaient été apportées à Kiev le même jour que
la Croix et l'Évangile. La peinture favorisait la piété naissante des fidèles;
elle leur enseignait, sous des formes sensibles, les grandes vérités du
christianisme, les mystères, les rites, les traditions religieuses; elle sui-
vait partout les messagers de la bonne nouvelle et s'empressait d'orner
les nouveaux temples élevés à la gloire du vrai Dieu. Le peuple ne lisait
que ce livre.
« Or, l'art byzantin était alors, c'est-à-dire vers le XP siècle, éminem-
ment religieux, catholique même. Ce dernier trait a son importance. En
l'appelant catholique, je ne prétends point donner à l'art un caractère
confessionnel; je veux dire seulement que les origines de l'Eglise russe
ayant été catholiques, l'iconographie primitive doit en avoir conservé des
traces, d'autant plus que le schisme de Photius ne fut renouvelé en Grèce
que soixante-dix ans après la conversion du prince Vladimir (î)88) et ne
pénétra en Russie que bien plus tard. Rien n'est plus commun, cepen-
dant, que l'oubli de ce fait historique ; la plupart des écrivains ne se dou-
tent pas que la Russie de Vbidimir est entrée dans la grande famille chré-
tienne à l'époque oij l'Occident et l'Orient formaient une seule Eglise et
vivaient dans l'union de la foi et dans la paix fraternelle. Aussi ne sau-
rait-ils expliquer pourquoi les meilleurs monuments de l'art chrétien en
CHRONIQUE 339
Russie appartiennent à l'époque primitive, qui va du X" au Xll'' siècle.
Ces restes vénérables sont peu nombreux, il est vrai, mais ils existent :
témoins les mosaïques de Sainte-Sophie de Kiev, les fresques de l'église
Novgorod et quelques autres monuments échappés à Tinjure des temps.
« Un autre fait qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est que la naissance de
la Russie à la vie chrétienne coïncide avec la décadence de l'art byzan-
tin, consommée au XIIP siècle ; que la conquête de Constantinople par
les Latins fut suivie de Tinvasion des Mongols en Russie et de la ruine
presque totale de Kiev.Ces données de l'histoire nous expliquent pourquoi
l'art chrétien y est demeuré stationnaire. Il gagnait en étendue, mais non
en hauteur. Tel on l'a connu à Kiev et à Novgorod au XP siècle, tel il re-
paraît au XIIP à Vladimir, capitale provisoire des Grands Ducs, et deux
siècles plus tard, à Moscou. Uuniformité devint un de ses traits distinc-
tifs, dont il ne se dépouillera jamais entièrement.
« Après la ruine de Kiev. Novgorod- la-Grande recueillit l'héritage artis-
tique de la métropole du Midi ; et bien que, grâce à sa position géographi-
que et aux fréquentes relations avec les pays d'Occident, elle en ait subi,
dans les arts comme dans les idées, une certaine influence, toutefois, cette
influence n'a été ni assez constante, ni assez efficace pour changer le ca-
ractère primitif hérité de Byzance.
a On le voit, les conditions historiques delà Russie furent grandement
défavorables au progrès de l'art religieux. Kiev. Vladimir, Soudai, toutes
ces villes n'ont joui que d'une importance passagère; le temps leur a
manqué pour féconder les faibles germes de l'esthétique chrétienne, pa-
ralysée d'ailleurs par l'action fatale du schisme. Les républiques libres de
Novgorod et de Pscov.'se trouvaient, il est vrai, dans de meilleures condi-
tions sociales ; mais, dès le XVP siècle, c'est-à-dire au moment même où
elles auraient pu donner à l'art une impulsion nouvelle, elles perdirent
leur indépendance. De la sorte, lorsque, à la même époque, Moscou de-
vint le centre politique de toutes les principautés russes, elle se vit obli-
gée de reprendre les traditions de l'art iconographique, tel qu'il avait
existé à Kiev et à Novgorod au XP siècle et d'en reproduire les traits ca-
ractéristiques, les défauts aussi bien que les bonnes qualités.
« Ce qu'on demandait aux productions artistiques, c'était avant tout la
fidélité à la tradition, symbole de l'autorité. On estimait non pas le talent
ou rinspiration, mais Texactitude avec laquelle étaient reproduites les
formes tradiLionnelles. Le beau idéal n'était que là. Le formalisme en fut
la suite inévitable ; reflet de la religion dominante du pays, il frappe les
regards de l'observateur le moins attentif. Etant l'apanage presque
exclusif des gens de l'Eglise, l'art iconographique avait par là même
340 CHRONIQUE
quelque chose do hiératique ; et c'est un trait distinctif à ajouter à ceux
que nous avons déjà signalés. Lors même que du cloître il passa dans le
monde, qu'il commença a être exercé par des laïques et des gens du
peuple, il n'en subit aucune atteinte dans sa direction et ne fit aucun
progrès réel. Loin de là, quand le nombre de nouveaux iconographiîs se
fut accru au point de former une sorte de corporation, qu'on fut obligé
de doter d'une organisation et de soumettre à un règlement, chose étrange !
c'est parmi eux que le formalisme trouva ses meilleurs adeptes.
« Il existe, à ce sujet, un document extrêmement curieux et d'une
incontestable authenticité. C'est le statut conciliaire de lool, appelé vul-
gairement Stoglar parce qu'il se compose de cent chapitres. Le concile a
été présidé par le tsar Jean IV en personne, et par le métropolitain de
Moscou, Macaire, un des Russes les plus instruits peut-être de son temps
et celui à qui nous devons le Grand Ménologe, sorte d'encyclopédie ecclé-
siaslique qu'il avait collectionnée pendant vingt ans. Or, le chapitre
XLIII du statut traite exclusivement des iconographes. Le concile leur
enjoint avant tout de mener une vie chrétienne, irréprochable ; il leur
ordonne ensuite d'apporter le plus grand soin à peindre selon l'image et
la ressemblance des anciens modèles laissés par les peintres grecs, leurs
maîtres. C'était en d'autres termes les rendre esclaves de la tradition,
prescrire la routine, qui est la peste de l'art, et cela au moment où les
Raphaël, les Léonard de Vinci, les Michel-Ange, dotaient l'Occident de
leurs immortels chefs-d'œuvre et inauguraient dans l'art une ère nou-
velle ! Mais aux yeux des auteurs du Stoglar, la spontanéité de l'artiste,
c'était un attentat à l'autorité de la tradition, presque une révolte contre
l'orthodoxie du dogme. Grâce à cette sanction donnée par la plus haute
autorité ecclésiastique du pays, le formalisme fut, pour ainsi dire, fixé
dans l'immobilité et devint officiel. Le Schisme esthétique fut con-
sommé, w
Musée Carnavalet. — Nouveaux objets offerts à ce Musée. — Le musée
Carnavalet s'est enrichi récemment de huit magnifiques panneaux de ser-
rurerie qui ornaient le portail de Notre-Dame, avant sa restauration par
l'architecte Soufflot.
Ces morceaux artistiques, d'une grande valeur, avaient été vendus au
poids et servaient, depuis longtemps déjà, de grillage au balcon d'une
vieille maison do la rue de la Clef.
L'entrepreneur charge de démolir cet immeuble a ûiit cadeau desdits
panneaux au Musée municipal.
M°* la comtesse de Mesoy a offert aussi au musée Carnavalet deux ob-
CHRONIQUE 341
jets fort appréciés : la montre de iM""^ de Sévigné et un collier d'ambre
ayant appartenu à M"'' Elisabeth. [L Investigateur.)
Statue de M. de Caumont. — M. Jouin écrit au Journal des Beaux-
Arts :
« Au défenseur de nos poèmes de pierre, il fallait autre chose qu'un
livre. L'art monumental, la sculpture du Moyen-Age lui était redevable
de la conservation d'un trop grand nombre de chefs-d'œuvre pour que la
pierre et le marbre ne fussent pas appelés en témoignage sur le tombeau
de leur protecteur. Ses amis, ses compatriotes, ses disciples l'ont compris
et la statue de M. de Caumont va rappeler, sur la place de l'Hôtel-de-
Ville de Bayeux, que l'homme dont elle sera l'image est resté pendant sa
vie le fidèle admirateur de nos richesses provinciales. Paris n'avait aucun
droit sur cette grande figure. M. de Caumont est demeuré l'homme de la
décentralisation intellectuelle, l'homme du mouvement provincial. Il re-
doutait l'atonie et l'ignorance qui sont le fruit trop ordinaire d'une exi-
stence sans activité. C'est ce qui l'a conduit à se faire un propagateur de
science, d'idéal, d'enthousiasme à travers nos départements. Toutefois,
un homme de cette énergie honore la France tout entière et si Paris n'a
pas le droit de revendiquer la statue de l'illustre archéologue, nous espé-
rons rencontrer son buste dans quelque salle de l'Institut ou de l'École des
Beaux-Arts. La France, d'ailleurs, a compris ce qu'elle devait à M. de
Caumont et une souscription nationale va permettre de lui élever le monu-
ment que Bayeux lui prépare. La Commission chargée d'apporter ses
soins à l'érection de la statue a pour président d'honneur M. le marquis
de Chennevières, directeur des Beaux-Arts, compatriote et ami de M. de
Caumont. Un pareil patronage nous laisse l'assurance que son monument
sera l'objet de la sympathie la plus éclairée. Le Ministre des Beaux-Arts
a promis de faire dun de tous les marbres nécessaiies. Les membres de la
Commission ont clé choisis au sein des Sociétés savantes fondées par
M. de Caumont. Enfin, le statuaire admis à modeler les traits de l'archéo-
logue normand est né comme lui en Normandie et n'a cessé de lui être
uni par les liens d'une franche amitié. C'est M. Le Harivel-Durocher. Cet
artiste est depuis longtemps connu du public et justement apprécié par
l'élévation de sa pensée non moins que par son talent à sculpter la pierre.
Pour ne citer que ses œuvres principales, nous rappellerons qu'il est l'au-
teur du Monument de Visconti au Père-Lachaise, du Monument de Mezeray
à Argentan, des Litanies de la Sainte- Vierge, suite de quatre-vingts figures
sculptées qui décorent la chapelle du Séminaire de Séez (Orne), d'une
342 CHRONIQUE
Vierge placée dans la chapelle du maréchal de Mac-Mahon, à la Prési-
dence, et aussi d'un excellent buste de M. de Caumont. »
Découvertes romaines à Incheville près Eu. — Sous ce titre, nous
recevons l'article suivant de M. l'abbé Cochet :
On n'a peut-être pas oublié, qu'en 1857, le briquetier Hénocque, d'In-
cheville près Eu, trouva, au pied du camp de Mû)'tagne, toute une série
de vases romains, provenant d'une sépulture des IP et IIP siècles. Ces
vases en métal, en terre et en verre, furent décrits dans le volume des
Sépultures Gauloises, Romaines, etc., qui parut alors. Plus tard, la collec-
tion fut achetée par le musée d'Amiens, oii elle est aujourd'hui.
Tout récemment, au mois de mars dernier, M. Lelong, négociant à
Rouen, rue Saint-Sever, et propriétaire d'une terre à ce même Incheville,
vient de faire une nouvelle découverte d'objets romains.
11 est venu me les soumettre, et après les avoir examinés rapidement,
voici les conclusions que j'en ai tirées :
D'abord, il a été rencontré deux grands bronzes du Haut-Empire, qui
ne datent pas par eux-mêmes, mais qui empêchent de s'égarer. Ces deux
grands bronzes, où l'on reconnaît difficilement Adrien et Faustine la
Jeune, ont singulièrement frayé. On les reconnaît à peine et il faut être
versé dans la numismatique, pour leur donner une attribution.
Il m'a été remis, avec les monnaies, un vase aux offrandes en terre
noire, dont le col, assez allongé, mesure environ 10 centimètres. Ce vase,
qui était vide, accompagnait, selon nous, quelque sculpture. Ce n'était
pas une urne, mais un vase aux offrandes, et il a dû contenir du lait, du
vin, de la purée de pois, ou quelque autre matière comestible.
L'autre objet qui m'a été remis est une espèce de coquetier, dont les
ouvriers ont brisé la partie supérieure.
(]e sont deux coupes soudées ensemble par un emmanchement qui est
plein d'élégance. Celle que nous supposons être la partie inférieure est
entière et festonnée. Le métal paraît difficile à définir. Je crois que c'est
du bronze, mais bien des parties laissent paraître un blanc mat, de sorte
que je ne serais pas surpris que ce métal ait été étamé ou argenté. Dans
tous les cas, il est merveilleux que le temps ait respecté le travail de la
surface.
Nous possédons au Musée de llouea six ou sept coquetiers de ce genre,
mais nous n'en connaissons pas parfaitement la destination. Nous les con-
servons comme des échantillons d'antiquités que l'on découvre chaque
jour, et dont nous attendons l'explication d'une cii'constance heureuse.
Le dernier objet que M. Lelong m'ait remis et qui provient d'inche*
CHRONIQUE 343
ville, est une plaque de métal de forme ronde, ayant 4 centimètres de
diamètre et moins de 1 millimètre d'épaisseur. Cettre plaque de métal,
que je crois en bronze, est complètement lisse d'un côté, et ne présente
aucune attache. Je <;rois pourtant que c'est un ornement de femme encore
plus que de guerrier. Je crois que cette plaquette a été mutilée par les
ouvriers qui en auront brisé la monture, afin de connaître la nature du
métal qu'ils supposaient toujours être de l'or.
Je dois donc juger de cette pièce sans la garniture, et malgré cela je
suis porté à en faire une fibule. Dans tous les cas, la plaque est couverte
d'émaux et imite assez bien une cocarde. Les couleurs qui dominent sont
rondes au centre et rayonnent à la circonférence. On y distingue surtout
le rouge et le vert : il y a aussi des taches jaunes qui alternent. J'ai re-
marqué quatre segments qui imitent la mosaïque et qui partagent la
décoration. En somme, on est étonné que l'objet ait séjourné si longtemps
en terre et ait conservé une si grande vivacité de couleurs. Je ne saurais
définir d'une manière absolue l'usage de ce bijou, mais je suis très-porté
à penser que cette plaque décorait une fibule, que l'ignorance ou la gros-
sièreté auront complètement défigurée. L'abbé Cochet.
Une chaire du XP siècle. -^M. G. Tholin a adressé au Comité des
travaux historiques une notice sur l'église romane de Sainte-Rufine de
Gaujac, à Frégimont (Lot-et-Garonne). Dans cette notice qu'a publiée la
Revue des sociétés savantes, nous trouvons les curieux détails suivants :
(( Dans la construction, dans le style, tout est rudimentaire,tout accuse
l'enfance de l'art roman. La petite éghse Sainte-Rufine doit avoir été
construite tout au plus au commencement du Xl^ siècle. Elle pourrait
même remonter au X".
(( 11 était important de préciser cette date pour avoir en même temps
celle de quelques accessoires intéressants.
« Je citerai d'abord une chaire à prêcher, ou peut-être un ambon, placé
dans le chœur à droite, appuyé sur un dosseret de l'arc triomphal, qu'il
dépasse néanmoins de façon à ce que le prédicateur pût se tourner vers
les fidèles assemblés dans la nef.
« Cette chaire en pierre, d'une forme à peu près carrée, n'a pour appui
ou pour bordure supérieure qu'un bandeau chanfreiné. Elle repose sur un
socle également quadrangulaire à peine moins large qu'elle. Au point de
continuité de ces deux pièces, l'angle saillant a été rabattu par une échine.
On monte à cette chaire par un escaUer de quatre marches que borde
une balustrade massive en pierre.
«Ce petit monument, malgré sa grossière simplicité, peut paraître
344 CHRONIQUE
curieux aux archéologues. On ne cite guère en France de chaires remon-
tant à l'époque romane *.
« Celle-ci a bien la même date que l'église, car elle fait corps avec elle
et ne porte pas de moulure d'un autre genre que celles qui sont appliquées
aux pilastres, Il y a d'autres preuves de sa contemporaneité. Une chaire
construite pendant les derniers siècles du Moyen-Age ou à l'époque mo-
derne aurait été établie dans la nef, et non dans le chœur. Celle-ci est à
la place traditionnelle des ambons et des analogium, avec lesquels il ne
faut pas, je crois, la confondre.
« De plus, il existe dans le mur, derrière la chaire, une grande niche
rectangulaire ou sorte de placard en plein cintre. Une rainure et des trous
de gonds indiquent que cette niche était garnie de panneaux et fermée.
C'est là sans doute que l'on déposait les livres saints à l'usage et sous la
main du lecteur ou du prédicateur. Ce placard, ouvert sans raccord dans
les assises, date de la construction primitive. C'était un accessoire de la
chaire.
« Quant à l'appareil de la chaire elle-même, l'étude en est difficile, car
tout est recouvert d'un épais badigeon. La paitie antérieure paraît être
d'un seul bloc. Le support carré doit être également composé d'une pierre
unique. »
Nécrologie. — Nous apprenons la mort de M. Eugène de Stadler, an-
cien inspecteur des Archives de France, auteur d'un important ouvrage
sur les Etats- Généraux. M. de Stadler a pris une part considérable au
classement des archives départementales. j. c.
1 De l'absence de chaires anciennes dans les églises romanes, on a conclu peut-
être trop vite qu'il n'en existait pas à cette époque, ou que ce n'étaient que de
simples estrai] es mobiles en bois. Deux causes peuvent expliquer la destruction
des chaires en pierre des XI^ et XIIo siècles : leur extrême simplicité, qui n'en fai-
sait pas des monuments dignes d'être conservés ; leur position relative. Lorsqu'on
préféra se placer pour la prédication au milieu de l'assemblée des fidèles, les am-
bons et les chaires établis dans les chœurs devinrent des accessoires inutiles et
encombrants qu'on fit disparaître. N'a-t-on pas également douté de l'usage des
abat-voix durant le Moyen- Age'? J'ai récemment étudié les peintures de l'église
de Cazeaux(prèsLuchon, Haute-Garonne), ç[ui m'ont paru dater du XIIl» siècle.
Saint Jean-Baptiste y est représenté préchant dans une chaire munie d'un abat-
voix dentelé, et qui ressemble beaucoup à ces sortes de dais qui abritent les
personnages sculptés sur les portails ou peints sur les vitraux des cathédrales.
Rsvue de l'An chréuei;. EXPOSITION D'OBJETS D'ART RELIGIEUX DE LILLE. l'i.
CROIX DE CLAIRMARAIS
AirpailoïKiTil :i la Conlrcrii; ilr \olro- L)aiiu' des Jlnacli-s, à Saiiil-Uiucr.
L'EXPOSITION DE LILLE
HUITIÈME ET DERNIER ARTICLE
XVIIl
Nous allons maintenant reprendre l'examen des œuvres d'orfèvrerie,
que nous avons négligées depuis longtemps.
Tout d'abord voici le reliquaire de la Sainte Epine, appartenant aux
Religieuses Augustines d'Arras.
Ce charmant objet n'a guère que vingt centimètres de hauteur, et l'ar-
tiste a trouvé le moyen de réaliser, en un si petit espace, une véritable
merveille d'orfèvrerie.
Le reliquaire renfermait une sainte épine, un fragment de clou et un
fragment de la lance; l'épine seule s'y voit aujourd'hui. Sur la tranche
du pied on lit : — de Spinea corona domini : de lancea domini : de clavo do-
mini. Ce reliquaire se compose de trois parties : le pied ou support, la
capsa ou le reliquaire proprement dit, le couvercle. Le support consiste
en un pied rond, établi sur trois griffes d'animal, tout travaillé au re-
poussé, et offrant un composé de feuilles et de fruits en grappes, plein de
goût et d'harmonie. Cette œuvre toute végétale s'élève en lignes gra-
cieuses jusqu'à un nœud sous lequel se replient les extrémités des feuil-
les. Ce nœud est à six médaillons niellés. Au-dessus de ce nœud la vé"-é-
tation recommence et s'épanouit en une large corbeille, à la manière du
chapiteau corinthien, mais sans pierre plate au-dessus. Au-dessus et au-
dessous des extrémités des feuilles recourbées avec élégance, s'élancent
alternativeme.t des grappes et des fruits, en guise de volutes ; il résulte
de cet assemblage un chcipiteau d'une forme très-remarquable.
La capsa consiste en un vase de cristal de roche, d'une forme assez
compliquée. Qu'on se figure quatre petites barques relevées l'une contre
' Voir le iiumôro de t'évrier, p. 173.
!!• série, tome II ■">j
340 l'iai'usitkj.n jh: ullï.
l'autre et soudées pai" la quille ; au milieu est percé un tube pour recevoir
l'épine, et le haut de ce tulju s'évase en coupe assez large, au-dessus des
petites nacelles. Le tout est entremêlé de pierreries, de petites feuilles, et
orné d'une couronne.
Le couvercle offre exactement le travail du pied : grappes, feuilles,
nœud à six médaillons niellés, et les feuilles se courbent et se replient
gracieusement au-dessus et au-dessous de ce nœud, dont elles accompa-
gnent tous les mouvements.
Ce Reliquaire de la sainte Epine est un objet des plus remarquables.
Il vient de l'abbaye d'Oisy, ainsi que la belle croix sur laquelle j'ai publié
toute une longue étude, en 185G, dans la Revue de V Art chrétien. C'est de
la même famille d'artistes du plus pur XUI" siècle : c'est du goût le plus
exquis.
Voici un autre objet, d'une foi-me difïérente, mais nous offrant aussi une
insigne relique, celle de la vraie Croix. La forme est naturellement celle
de la croix, car d'ordinaire on donne aux reliquaires la figure des reli-
ques elles-mêmes. Cette t;roix-reliquaire appartient aujourd'hui à la ca-
thédrale de Namnr, mais primitivement elle fit partie du trésor sacré de
l'abbaye de Saint-Gérard de Brogne. Nous lisons en effet, dans l'Histoire
générale de la Province de Naniur, par GaUiot, tome 4, l'énuméralion
des reliques de ce trésor. « Les plus considérables reliques de Tabbaye de
Saint-Gérard, y est-il dit, sont le corps de ce Saint tout entier, une grande
partie de celui de saint Eugène, archevêque de Tolède, celui de saint
Léger, évêque d'Autun et martyr, deux corps des saints Innocents, et une
parcelle de la croix du Sauveur^ qui fut léguée à ce monastère par un
gentilhomme nommé Manassé, qui l'avait apportée d'Orient. » Guillaume
de Tyr a raconté l'histoire, pleine de péripéties, de ce grand personnage,
qui, après avoir été dans la plus p-rande faveur à la cour de Constantino-
ple, fut renversé et dut se retirer de l'Orient, n'emportant, pour ainsi dire,
de ses richesses immenses, que le morceau de la sainte Croix qu'il avait
reçu en présent de la princesse d'Autriche, sœur de la reine Mélisende, et
dont il enrichit à son retour l'église de Brogne . Les annales de cette mai-
son le disent fils d'une sœur de Godefroi de Bouillon : elles lui donnent
pour épouse en secondes noces Adèle de Chimay et fixent sa mort en
]17(i. La Croix-roliquaire que nous avons sous les yeux, n'est donc pas le
reliquaire primitif; elle est en effet de 1^)05. C'est un magnifique objet.
On y voit <J"(m cùlv les quatre évangélistes, en émail translucide, entourés
de feuillages ciselés: au revers sont les quatre docteurs de l'Eglise. Cet
ofjjet appartient à la cathéihale cie \anii;r, mais c'est de Namur même
qu^-in nous écrit qu'il appartint (labnid à l'abbayn de Saint-Gérard.
1. R\rosiTro:( \>f. Lu.r.i: 347
Les croix et crucifix smuL en grand nuinbre h r^xposition. Nous allons
en compléter la nomenclature, en les donnant par ordre chronologicjue.
Quelques principes généraux seront utiles, pour aider à préciser cet
ordre lui même, M. Tabbé Martigny les résume, dans son beau diction-
naire des Antiquités chrétiennes. Nous ne les donnerons pas tous, car
nous ne faisons pas ici un cours d'archéologie, et d'ailleurs nous avons
publié autrefois, dans la Revue de l'Art chrétien^ toute une longue étude
sur ce même sujet. Notons seulement quelques points utiles.
« Représentait-on le Christ en croix vivant ou mort? — Vivant jusqu'au
onzième siècle, mort depuis cette époque. (V. B.orgia, De Cruce velit.,
p. 191). C'est ce qui résulte de l'ensemble des monuments écrits ou figu-
rés, réunis par les ^-avants spéciaux. Le premier exemple de Christ repré-
senté mort est fourni par un manuscrit in-4" de la bibliothèque Lauren-
tienne de Florence, datant à peu près de Tan 1059. Auparavant, l'Homme-
Dieu, sur la croix, ne paraissait point souffrir : sa tête était droite; ses
yeux ouverts otTraient en quelque sorte un emblème de son immor-
talité. »
Dans cette période ancienne des crucifix, la tète du Sauveur était cou-
ronnée, non pas d'une couronne d'épines, mais d'une couronne royale
comme signe de domination et de règne dans son Eglise et à jamais. Les
clous sont au nombre de quatre ; les bras sont étendus horizontalement
ou à peu près; les pieds reposent sur un escabeau. On voit aussi, au-
dessus de la tête de Jésus, tout au bout de la croix, une main sortant des
nuages et bénissant. La draperie va de la ceinture aux genoux, du moins
assez ordinairement. De bonne heure on voit aux extrémités les emblèmes
des Evangiles. Dans les bonnes époques, ces emblèmes ont tous des ailes.
J"ai exposé trois crucifix émaillés, dont deux sont du XP siècle au plus
lard. Dans le premier, le crucifix a laissé seulement des traces ou des con-
tours de sa présence, mais l'émail est assez bien conservé. Il est dans les
tons anciens, sévères, harmonieux, avec les emblèmes aussi anciens, de
la main qui sort des nuages pour représenter Dieu le Père, de l'inscription
grecque du titre de la croix, etc. Cette croix a <''té fixée par des clous à un
autre objet, peut-être à un évangéliaire.
Les deux autres ont ainsi été décrits par M. Weale, dans le catalogue de
Mahnes :
1" Croix d'autel, mobile^ en cuivre rouye doré et émaillé. H. 0.^38. L. de
la traverse : 0.142
L'image de Notre-Seigneui'. qui est sans nimbe et couronné comme un
roi, est attachée par quatre clous à la croix. Les yeux sont en verre bleu
lonce ; les bras sonl étendus hori/ontalenicnt, uu!' l'ingise draperie nen-
348 l'exposition ue hlle
diiiit dune ceintuif vuile le corps jusqu'aux genoux. Lacroix et la drape-
rie sont incrustées d'émail champlevé ; les couleurs employées sont le
bleu dont il y a trois nuances, le vert et le jaune. — Fin du XI" siècle. —
Provient des environs de Saint-Omer.
2° Croix d'autel, mobile^ en cuivre rouge doré et. émaillé. L'image de
Notre-Seigneur, sans nimbe, couronné comme un roi. a les bras étendus
presque horizontalement; les pieds sont attachés séparément au suppe-
daneum. Une longue draperie, pendant d'une ceinture, descend jusqu'aux
genoux. Aux extrémités de la croix se trouvent les emblèmes évangélisti-
ques; celui de saint Jean est perdu. La draperie, le suppedaneum et le
fond sur lequel se détachent les animaux évangélistiques sont en émail;
les couleurs employées sont le bleu, dont il y a trois nuances, le rouge,
le vert et le jaune. — XIP siècle.
Voici deux autres croix émaillées, XIP siècle, appartenant au Musée
d'Arras et à M. le général Yéron de Bellecourt. Dans cette dernière, le
Christ se détache en demi-relief sur un fond émaillé bleu. Les inscrip-
tions : IHS et XPS, sont les mêmes sur les deux croix. Ces crucifix russes
émaillés sont une suite de la même tradition, quoique d'une époque mo-
derne, c'est à ce titre seulement, et comme sujet d'étude comparative,
que nous les avons exposés. Notons encore cette croix de procession,
X" siècle, appartenant au Musée d'Arras : le Christ a été rapporté
Le chef-d'œuvre du XIl" siècle et la perle de l'Exposition, c'est cette
magnilique d^oix de Clairmarais, qui trône au milieu de la chapelle et
dont nous donnons une photogravure de grande dimension, comme il
convient à propos d'un objet hors ligne comme l'est celui-là.
Cette admirable croix-reliquaire a été faite pour l'honneur et la véné-
ration du grand morceau de la vraie Croix qu'il contient, et qui est un
des plus considérables de la chrétienté. Elle est en même temps un acte
de religion et une œuvre d'art de premier ordre. Déjà elle a été décrite
avec le plus grand soin par M. Deschamps de Pas. dans les Annales ar-
chéologiques, t. XIV*. Nous n'avons donc pas à reproduire ici un travail qui
a rendu cette Croix célèbre entre toutes.
Contentons-nous de signaler ces filigranes et ces ciselures mêlés aux
pierres, ouvrage merveilleux de l'orfèvrerie du XIP siècle, et surtout ces
nielles de l'autre côté de la croix, travail qu'on ne peut assez louer.
La croix de Glairmarais appartient aujourd'hui à la Confrérie de N.-D.
des Miracles, de Saint-Onier ; elle lui a été donnée en toute propriété et à
toujours, par son propriétaire antérieur, M. Lefebvrc-Hcrmant, de Sainl-
OiiKU'. L'acte de donation, tlu -JO avril iHil, mentionne, en l'appuyant sur
des extraits de manuscrits de la bibliothèque de Clairmarais « que cette
Revue de l'An chréiien. EXPOSITION D'OBJETS D'ART RELIGIEUX DE LILLE. Pl. xvi!.
DIPTYQUE EN IVOIRE
Aiii'aitciia:jl à lu CallioJrulu de ïuui-ii.ii.
I. lAl'KSiLlltV r.l-, LILLK 349
croix avait été donnée, vers 1150, par Thierry d'Alsace^ comte de Flandre
et Sybille d'Anjou, son épouse, h leur retour de la Terre-Sainte, à l'abbaye
de N.-D. de Glairmarais, fondée par eux en 1140.
Cette autre croix, décorée sur t-es deux laces d'une série de douze mé-
daillons circulaires et de huit carrés, a le plus grand rapport de travail
avec le pied de croix de saint Bertin, C'est le même système de tons, le
même genre de travail, et les inscriptions nombreuses qu'elle porte ont
de l'analogie avec les inscriptions du pied de croix sus-mentionné. Placée
sur ce pied elle s'harmonise fort bien avec lui. Peut-on en conclure que
cet objet, qui vient de l'abbaye de Liessies, est bien la croix cherchée du
pied de Saint-Bertin? Cela ne nous paraît pas prouvé... On a fait à cette
époque, comme toujours, beaucoup de choses semblables ou sur un mo-
dèle ressemblant; l'époque est la même, mais l'identité ne semble pas
devoir être la conclusion de ce rapprochemeat.
Vuici toute une série de croix processionnelles, appartenant à diverses
églises et à plusieurs personnes. Elles vont du XlIP siècle au XVP, mais
le XV<^ siècle est celui qui a fourni le plus grand nombre de spécimens.
Elles sont toutes décrites dans le Catalogue. Plusieurs ont été déjà pu-
bliées, notamment la croix de Bousbecque. En somme, la collection des
croix est remarquable : elle offre tous les types, depuis les plus anciens
et elle brille par quelques pièces hors ligne, telles que la croix de Clair-
marais et la croix du Paraclet. Il ne manque que la croix d'Oisy pour
donner une idée de toutes les richesses artistiques que possède le nord de
la France, de ce chef seulement.
Les reliquaires-ostensoirs sont aussi en nombre considérable à l'Expo-
sition et déjà nous en avons exaiiiné beaucoup. Citons ces reliquaires-
ostensoirs de Nédonchcl et ceux de Wallers-en-Fagne, de Crespin, de
Beauchamp, de Valenciennes. Celui de (Crespin est un magnifique objet
dans le même genre de travail que la croix de Glairmarais : filigranes et
nielles. C'est d'une admirable délicatesse. Nous avons, dans un autre
genre, ceux de M. Ach. Gentil, de l'église de Marpent, des Dames de
Flines, de La Bassée, et surtout le reliquaire de la sainte Epine, en cr
avec émail, XVIP siècle, appartenant à l'église Saint-Michel de Gand.
Voici encore un autre reliquaire de Crespin, tout en cristal ci métal,
d'une élégance parfaite et d'une grande originalité; en voici un autre en
ébène et argent. Tous les genres sont représentés à l'Exposition de Lille,
en fait de reliquaires-monstraiices, comme tous les âges en fait de croix.
Nous avons encore à citei- qurl<]ues chasses, en dehors de celles qui
déjà ont ét('' nR'ntiomun.'s, Gelh; de Honsbecqu;- a été décrite par M. de
Coussemakei'. Cellu de M. ((zenlaiit est foi'L remar(iual)lr.
350 T.'i;\!'-'-iTT(iN n;: i.ti.t.k
Cette châsse est en turmc *li-' puUt édilicf avec pignons aux extrémités
et au milieu des longs cotés. Elle a conservé sa cW^te à jour avec ses
boules. Sur une âme en chêne sont fixées des plaques de cuivre doré, ci-
selé, orné d'émaux dans le mode de travail dit champlevé. Des pierres,
serties également en cuivre doré, complètent rornementation. Les tons
des émaux sont le blanc, le rouge, le bleu, le vert d'eau : trois côtés de la
châsse ont ces émaux sur champ uni ; TaLitie côté porte des figures en
relief également recouvertes d'émaux champlevés. Sur une grande face
on voit : Jésus debout et les quatre évangélistes avec leurs nimbes, leurs
livres et leurs grandes aîles ; ils sont en outre élevés au-dessus des
nuages. Sur l'autre grande face on voit, mais en relief, une grande figure
et quatre plus petites, également émaillées, largement drapées, les yeux
en émail. Trois de ces figures portent des livres, ce sont celles du bas.
Les deux autres figures placées sur le toit de l'édicule, et aussi en relief,
poitent sur leur poitrine l'indication de ce qu'elles représentent, c'est-à-
dire le Soleil et la Lune.
Sur les petites faces on remarque deux saints debout. Ils tiennent tous
deux un livre d'une main, et dans l'autre main le premier a un glaive, le
second deux clefs : ce sont saint Pierre et saint Paul. Saint Pierre est sur
la porte d'entrée.
Comme dessin, plusieurs détails sont très-incorrects; comme ensemble,
c'est d'un effet riche, harmonieux, plein de vraie grandeur. On lit en let-
tres métalliques réservées sur le fond émaillé l'inscription suivante : in
his sigm's imiteris. Cette belle châsse est du XIP siècle.
Elle provient de l'ancienne collection Germeau. Voir le catalogue de
l'Exposition rétrospective de l86o, n° 608.
La châsse du XIV^ siècle de l'église Saint-Pierie de Douai est aussi fort
belle; celle de Gueschart (Somme), toute en fouilles d'argent repoussé,
avec scènes historiques et inscriptions, travail du XIIl^ siècle, est encore
à remarquer avec soin. Puis nous trouvons deux châsses émaillées, à
M. Catteau, et surtout la châsse émaillée de M. Monvoisin, d'Arras.
Ce bel objet est tout couvert de figurines réservées en cuivre doré,
ciselé, les têtes en relief. Le fond général de l'émail champlevé est bleu,
avej rinceaux dorés C'est une des belles pièces du XIIP siècle et de l'Ex-
position.
Les calices et les ciboires ne forment pas la partie la plus remarquable
de nos séi-ies d'objets destinés au culte ; ils sont ordinaires, et d'une épo-
que où l'on avait perdu les grandes traditions de l'art. En revanche, nous
avons une pyxidc qui est un chef-d'œuvi'f .
Cette pyxide a été publiée, avec une giavure grandeur d'exécution,
LEXi'usrnoN dk lille 351
dans 1l' XYl'' \o\. des Annales archéolo(jiqufs,Ac Didron, par M. Descliamps
de Pas. Sur un pied à base circulaire supportant une tige à nœud (le tout
avec ornementation gravée en réserve comme s'il y avait eu à émailler),
repose un cylindre en partie à jour, surmonté d'une petite lanterne égale-
ment à jour. Le grand cylindre a deux galeries en colonnettes romaines,
séparées par un anneau de filigranes et pierreries ; la lanterne consiste
en une seule galerie de colonnettes romanes. Le toit qui relie la pyxide à
sa lanterne est tout couvert de filigranes et pierreries; il en est de même
du petit toit de la lanterne, divisé d'ailleurs en six compartiments. —
Cette pyxide délicieuse est du XIP siècle ; elle appartient à la cathédrale
de Saint-Omer.
Nous avons aussi plusieurs pyxides émaillées, en dehors de celles dont
nous avons parlé dès le commencement de ce travail. Elles sont du XIIP
siècle et appartiennent à l'église de Pissy (Somme), à M""^ Deneux
(Amiens), et à M. Van der Cruisse de Waziers.
Nous avons un certain nombre d'objets divers servant au culte et qui
offrent un vif intérêt : navettes, cuillers à encens, masses de bedeau et de
confrérie, burettes, aiguières, bénitiers, reliures de missel, instruments de
paix, plaques émaillées, dont plusieurs sont très-remarquables et sont dé-
crites au Catalogue.
Arrêtons-nous enfin devant cet habitacle du tableau de Notre-Dame de
Grâce, de Cambrai, œuvre importante, remarquable par la richesse des
émaux et le lini du travail. C'est à la fois un ex-voto qui témoigne de la
piété des habitants de Cambrai, et une œuvre d'art qui atteste leur bon
goût.
Voici une sainte chandelle qui mérite aussi l'attention du visiteur.
C'est la custode en argent, du cierge qui appartenait à la confrérie des
Damoiseaux de Tournai. Cet objet est divisé en cinq parties, par des cer-
cles ouvragés, et orné de 58 écussons émaillés, dont quelques-uns man-
quent. Le tout se termine par une tourelle dont le dessus, fixé à
charnière, semble avoir servi d'éteignoir. Les trois sections inférieures
et la tourelle sont du XIV^ siècle : le reste fut probablement ajouté
au XVI^
Enfin, nous omettons malgré nous bien des objets mentionnés au Cata-
logue, car nous n'avons pas à refaire ici ce travail; mais comment ne pas
signaler, en finissant cette visite, deux objets dont nous n'avons point
parlé jusqu"ici. parce qu'ils n'appartiennent pas à la classe de ceux dont
nous venons de nous occupe)'?
Le premier est ce grand nutcl portatif appartenant à la cathédrale do
Namur.
352 I/RM'OSITKIN liE LILLE
U ost en foinu' do cotl'tet, porté sur pieds de lion, et tout entouré de
scènes sculptées en ivoire, tirées do l'histoire du Nouveau-Testament. Le
style des figures, les bordures, les rinceaux gravés sur l'encadrement eu
métal de la pierre sacrée, semblent indiquer le XIP siècle. Il y a 18 scènes
diflerentes et une richesse extrême de personnages.
L'autre est un feuillet de diptyque appartenant à M. Mallet, d'Amiens,
Il porte trois scènes : le massacre d'is Innocents ; le baptême de Notre-
Seigneur; les noces de Cana. La décoration de la bordure, en oves et flè-
ches, indique un souvenir romain : d'autre part, le nimbe existe derrièio
la tête du Sauveur. Dans la scène du baptême, Jésus est plus petit que
saint Jean, mais il est nimbé. Est-ce une allusion à cette parole du Pré-
curseur : oportet illum crescere^ me aufem minui? Ce n'est pas clair, et
cette scène offre plusieurs difficultés dont nous parlerons ailleurs. Il est
difficile d'asàigner une époque à cette pièce très-importante, où l'on sent,
pour ainsi dire, palpiter l'art des catacombes et l'expression naïve et forte
du pre.mier âge du Christianisme.
Le dernier objet désigné ici et rentrant dans )a catégorie que nous
étudions, sera le triptyque de l'église de Sainghin-en-Mélantois (Nord).
Un saint évêque est debout sous une arcade trilobée. Tout autour, ainsi
que dans le fond des volets du triptique.on voit des quatrefeuilles renfer-
mant des reliques, dont la nomenclature est sur le bord des quatrefeuilles.
Le tout est en argent doré. Les bords de la grande arcade comme ceux
des volets sont eu nielle très-fine. C'est un délicieux objet du XUV siècle,
dn goût le plus pur.
XIX
Si nous voulons, dans une dernière visite, nous rendre compte d'une
foule d'objets que nous n'avons pas encore examinés, nous verrons qu'il
y en a de très-curieux et qui mériteraient un examen attentif.
Ce ne sont pas sans doute des o'uvros d'art bien remarquables, ces
H3 plaques de métal peintes et dorées des deux côtés, avec des croix, des
chiffres, des anges, des indications de fonctions ; mais ce sont des insi-
gnes de procession qui datent de deux siècles et qui ont du caractère. Et
puis cela peut servir à donner l'idée de choses analogues, à modifier selon
les besoins. Voici des lanternes en cuivre repoussé et ciselé, des halle-
bardes de l'époque Loujs XIV, (\e^ lustres, des chandeliers : voici, en
grand nombre. i\o<. hassins d'oIVrande en cuivre l'epoussé, objets pour
lesquels on ne ^^anraitèfrc trop sévère, tant on en fabrique aujourd'hui de
faux. Ces médaillons en Ter. représentan! des apôtres, appartiennent à
Revue de l'Ail chiéiieii. EXPOSITION D'OBJETS D'ART RELIGIEUX DE LILLE. Pl. xvm.
TROIS RELIQUAIRES
AjipaiieiM'.it à M. Desmollts, Lill
AppaileiKiiil j li'glise de Saingliin-otviMolanloi-(Xoril).
L"r:\f'(lSlTIOX DF. LILLE 3o3
M. Planquart : j'ai exposé une grande plaque de plomb, au repoussé, re-
présentant une adoration des Bergers et provenant de l'ancienne cathé-
drale d'Arras, des Anges adorateurs, aussi au repoussé, en cuivre doré,
XIV siècle, une plaque XIII^ siècle, etc. Vous voyez maintenant une pince
à encens, musée d'Arras; un seau à eau bénite, de M. Sauvage-Gentil;
des instruments de paix, des encensoirs, des ciboires en cuivre repoussé,
des chandeliers, d'^s croix, des sonnettes d'autel, des statuettes, des cuil-
lers à encens, toute une série d'objets en cuivre, où il y a des formes à
étudier, des symboles à reproduire, des types à imiter.
La céramique nous a fourni quelques bonnes pièces, que Ton trouvera
décjites au catalogue. Notons en particulier ces carreaux anciens prove-
nant de la cathédrale de Térouanne, cette mosaïque de l'abbaye de Saint-
Eloi, toutes ces belles et bonnes pièces qui font partie de la collection de
M. Achille Gentil, de celles de M"^^ Gentil-Renard, de M. Jules de Vicq,
de M. A. Scrive, de M. Em. Cussac, de M. Iloudoy, de M. Reynart, de
M. Descamps, de M. Catteau, de M. César Fontaine, de M. Bonnier, de
M. Casati, de M. Duroux, de M. Evaldre, de M. A. Rocques, de M. Van
Hende, de M. J. Brame, de M. Planquart, de M. A. Houzé de TAulnoit,
de M. Fleury Filbien. On voit que la ville de Lille a fourni son contingent
sérieux à la huitième section comme aux autres. Citons en passant la terre
cuite exposée par M. Houzé de l'Aulnoit.
La déposilion de croix. — IL 30. L. 60. — Terre cuite. — Nicodème et
Joseph d'Arimathie déposent sur le sol le corps du Christ, descendu de
la croix; tous deux sont inclinés, et l'un d'eux, vu de dos, est agenouillé
au premier plan. Le fond de la composition est occupé par le groupe de
Marie évanouie et de saint Jean qui la soutient ; vers la droite, sainte
Madeleine et les deux Marie sont disposés dans des attitudes qui expri-
ment la douleur, la peine et l'abattement.
Cette description est extraite du Catalogue du musée du Louvre et s'ap-
plique à un bas-relief de Jean Goujon en pierre de Trossy.
H. 79. L. 19.
La composition exposée à Lille se distingue de celle du Louvre, par
des changements tels, qu'ils révèlent dans cette œuvre la première pensée
de l'artiste; ainsi : le personnage qui soulève le Christ a la tète inclinée,
tandis que dans le bas-relief sculpté, la tête est redressée, position plus en
harmonie avec l'efl'ort nécessaire pour remplir ce pieux devoir ; les bras
de la Vierge sont complètement nus, ce qui est contraire à toutes les tra-
ditions, alors qu'au Louvre le vêtement s'attache aux poignets. D'autres
menus détails démontrent que cette terre cuite ne peut être une copie.
Le bas-jeli<^f du musée a été composé par Jean Goujon pour le jubé de
334 l'exposition hf. iille
Saint-Germain-l'Auxerrois, construit par Pierre Lcscot. Ce jubé fut dé-
moli, en 1744, par Baccaraf, et les sculptures mises de côté, jusqu'au mo-
ment où Lenoir les retrouva pendant la Révolution toutes couvertes de
couleuîs ; après les avoir nettoyées, il les plaça dans son musée des monu-
ments publics, d'oii elles passèrent au musée du Louvre.
De Beau vais, d'Amiens, d^ Douai, de Saint-Omer, d'iwuy, nous avons
aussi des pièces remarquables, décrites au cfitalogue, sous les noms de
MM. Mathon, Laran.qot-'Wavrin, de Landreville, Warin, Hasard, de Ternas,
Queulain, d'Argœuves, M""** Deneux. Quelques vitraux ont été envoyés
par MM. Notterraan , Bonnier, Bernard, Moignet, l'abbé Dehaisnes ,
M-»" Buvette et M""^ veuve Gonnet.
La neuvième section mériterait une étude approfondie; mais il est diffi-
cile de s'y livrer dans une simple visite à l'Exposition, et il faudrait un
travail spécial pour Lien faire ressortir les mérites de collections comme
celles qui sont ici sous nos yeux.
M, Preux, de Douai, nous donne des sceaux d'églises, d'abbayes, de
couvents, à l'aide desquels on peut suivre pas à pas l'histoire de bien des
villes et localités du nord de la France. Une première série de soixante-
huit numéros nous donne une liste de villes et villages qui parcourt toutes
les lettres de l'alphabet et tout le territoire qui va d'Abbeville et de Pé-
ronne jusqu'aux Ardennes. Quinze autres numéros nous donnent des sceaux
d'ecclésiastiques ; vingt autres sont indéterminés, mais très-intéressants
à étudier. Une dernière série nous offre des emblèmes religieux et des lé-
gendes : ils vont, comme les précédents, du XIIi° au XVll' siècle. Enfin,
M. Preux expose aussi des fers de reliure qui rappellent des noms histo-
riques et des souvenirs locaux. L'ensemble de ces rares et précieux objets,
extraits d'une collection magnifique, est d'une grande importance au
point de vue de l'histoire comme pour l'étude de l'art religieux dans nos
contrées.
M. Yan Hende, de Lille, a exposé un ceitain nombre de souvenirs lillois
parfaitement choisis. C'est une médaille de l'archevêque de Cologne, sacré
à Lille par Fénelon ; ce sont des médailles religieuses, des jetons, des
méreaux capitulaires et autres, un plommet de la fête des Innocents.
Voici une collection de médailles religieuses exposée par le collège
N.-D. de Tournai ; une suite de 'lOO médailles, insignes de corporations et
pèlerinages, méreaux, elc., exposée par M. Ratel-Hécarl, de Valenciennes.
Du même exposant nous avons encore 26 planches de cuivre ayant servi
à imprimer d'anciennes gravures et images de piété, des sceaux et d'au-
tres objets du plus grand intérêt.
M. l'abbé Rigaux nous offre 125 médailles religieuses parmi lesquelles
Revue ce 1 Art chréiie:;. EXPOSITION D'OBJETS D'ART RELIGIEUX DE LILLE. Pl. mx.
FEUILLET DE DIPTYQUE EN IVOIRE
AiiparU'u.int :i \I, Malle', Aniiciis
PAREMENT D'AUTEL
A ppnrlaaaiil aux Dames Ursuliiics d"Amii'ii>
T. FXPOSITION [iF: T.TIJ.E ;]5,'^;
on remarque des raretés tout-à-t'dit exceptionnelles et des types particu-
lièrement utiles à étudier pour l'histoire du pays.
M. Daucoisne, l'infiitipable numismate d'IIénin-Lictard, ne pouvait pas
manquer à ce rendez-vous si honorable pour les archéologues et les amis
des arts. Aussi a-t-il exposé toute une précieuse collection sur laquelle,
esjiérons-le, une notice spéciale sera publiée plus tard. Cette collection
s'ouvre par une Tessère du IV siècle. Elle se continue par des séries de
médailles religieuses qui font l'histoire des sanctuaires principaux de la
Belgique, puis de Douai, de Carvin, de Seclin, etc. D'autres pièces, des
coins, des moules, viennent varier ce bel ensemble et donner un spécimen
des magnifiques collections de M. Dancoisne.
Nous avons aussi des pièces lilloih s très-curieuses de M. Achille Gentil
de M. Vernier de Roubaix, et d'autres pièces de M. le chanoine Denis de
Meaux. Enfin, M. Béthune-d'Ydewalle, de Gand, nous a donné plusieurs
bulles de pape, d'Adrien IV à Clément XIII, et une empreinte de l'ancien
sceau de la ville de Gand.
Déjà, dans le cours de ces longues promenades à travers l'Exposition
de Lille, nous avons rencontré une foule d'objets, de divers genres de
travail, ayant servi dans la vie privée. Achevons Texamen de ceux de ces
objets qui n'ont point été remarqués jusqu'ici, et nous aurons alors achevé
notre travail et terminé nos visites.
Tout de suite s'offre à nos yeux la collection de M. Maillard, de Valen-
ciennes.
Cette collection n'a pas moins de 56 numéros, et elle est composée des
objets les plus variés. On y rencontre en effet des croix, des émaux, des
scapulaires, des bénitiers, des médaillons, le tout allant de la Renaissance
au XVIIl* siècle, et quelques pièces sont phjs anciennes.
Yoici des Thèses de l'ancienne Université de Douai, impressions sur
soie avec belles gravures. Voici une horloge décorée de peintures, genre
vernis-Martin, à M""* Hollebecque, une autre à M. Auguste Leclercq, des
meubles ornés d'emblèmes religieux, des croix de pèlerinage, une cein-
ture garnie de plaques d'ivoire, venant d'une abbesse d'Etrun, et appar-
tenant à M"^ la comtesse d'Hérlcourt. Voici des coffres et bahuts en bois
sculpté, à M. Ozenfant, à M. Alb. Sciive, et un beau Scribane orné de
13 peintures, appartenant à M""^ Maîfait, de L'Ile. Jetons un coup-d'œil sur
ce travail en nacre et en bois représentant l'i^glise du Saint-Sépulcre, sur
ces beaux chapeîets fi'igranes. sur ces petites croix, suj' ces bénitiers, sur
ces râpes à tabac avec sujets religieux.
Nous avons encore une collecLion de bagues avec sujets religieux, des
cadres émaillés. de? montres, des médaillons, des bassins d'aiguières, des
356 i.'tixi'nsriuiN oi; i.illi.
boîtes rri nnore, des lianaps, une admirable suite de dessins d'anciennes
étoffes, dus il M. Jules Helbig, de Liège, enfin une magnifique scribane
en ébène, avec peinture de Franck, représentant toute l'histoire de Su-
zanne, appartenant à M. de Cardevacque, d'Arras.
On le voit, par cette nomenclature sommaire, la dixième catégorie est
très-riche à l'Exposition, et ce n'est pas en vain que l'on a fait appel aux
possesseurs de ces curieux objets, qui montrent bien jusqu'à quel point
la vie ordinaire a toujours été imprégnée de l'esprit chrétien.
XX
11 nous serait difficile de passer en revue l'ensemble des choses multi-
ples que nous avons étudiées dans ces longues visites et de faire un ré-
sumé de ces études. Toutefois nous pouvons, d'un coup-d'œil rétros-
pectif, voir ce qui était le plus remarquable dans ce qui fut l'Exposition
de Lille en 1874.
Cette Exposition est la première de ce genre qui se soit faite en France.
Elle a été la suite et comme le développement de l'Exposition de Malines,
qui l'a précédée de dix ans. Trois fois plus riche, quant au nombre d'ob-
jets, elle a offert, quant à l'importance, un ensemble qui valait la belle
exhibition de 1864.
Si Malines brillait par ses œuvres incomparables d'orfèvrerie, de di-
nanderie, de sculpture ancienne sur ivoire et sur bois, Lille se distinguait
par ses manuscrits, ses tapisseries, ses émaux, et par beaucoup d'œuvres
d'orfèvrerie d'une importance capitale, et quelques-unes tout-à-fait de
premier ordre. Mais ne poussons pas plus loin ce parallèle : il ne s'agit
pas ici d'émulation, encore moins de rivalité, puisque, grâces à Dieu, nous
nous sommes prêté, Belges et Français, un loyal concours. 11 s'iigit bien
plutôt, et uniquement, de constater quel fut le bon poût de nos pères, et
combien est grand encore le nombre de leurs œuvres que nous possé-
dons.
Lille seule a fourni à l'Exposition 1212 objets, près de la moitié. Les
départements de la Somme et du Pas-de-Calais ont apporté à peu près le
même contingent, 253 et 220, mais il est juste de dire qu'ils ont envoyé
beaucoup d'œuvres d'un mérite supérieur. Nous avons été aidés adrairu-
blemeni par les amateurs bien connus de Beauvais : puis, en dehors de
notre région, c'est à Angers que nous avons trouvé la plus grande sym-
pathie. Le trésor de Conques nous a été ouvert : De Paiis et d'ailleurs
nous sont venues d'elles-mêmes des œuvres auxquelles nous n'avions
point fait appel. La Belgique n'a pas voulu laisser oublier son exposition
Fcvue ce i An cbriie:;. EXPOSITION D'OBJETS D'ART RELIGIEUX DE LILLE. Pl. xx.
CHAPELLE TRIPTYQUE
Apjurlnn.ir.l à M. X'.y;. Or.cnr;)!:!. F.illc
r/ EX POSITION DE LILLE 357
de 1864 et la part qu'y avait prise le nord de la France; aussi nous a-t-
elle donné un certain nombre de ses plus riches joyaux. Gand et Tournai,
Liège et Namur se sont surtout souvenus de leurs frères de France et ont
voulu témoigner hautement de leur sympathie pour une entreprise dont
le but élevé a été compris.
Ce but a-t-il été atteint? Nous le pensons. Nous croyons que cette dou-
ble exposition de Malines et de Lille, à dix ans d'intervalle, a réveillé le
bon goût, a inspiré des idées élevées, a montré de bons modèles que l'on
imitera, a donné de l'art religieux une idée plus complète et plus pure, a
fait en un mot beaucoup de bien. C'est là un enseignement d'un ordre
supérieur qu'il sera utile de renouveler de temps en temps et les moyens
ne manqueront pas. On n'a vu à Lille qu'une faible partie des richesses
artistiques du pays. En ce qui concerne le Pas-de-Calais, par exemple, ce
n'était pas le quart des richesses réelles et connues : un inventaire artis-
tique que nous préparons le prouvera. Dans d'autres contrées, des expo-
sitions spéciales comme celles de Lille et de Malines seraient également
réalisables et fort utiles. Ici l'orfèvrerie brillerait, là ce seraient les tapis-
series, ailleurs les émaux, etc. De l'ensemble de ces diverses branches de
l'art rehgieux résulterait un travail d'études, soit spéciales, soit géné-
rales, et l'esthétique y gagnerait ainsi que l'exécution pratique des œuvres
d'art.
Ayons donc confiance dans la renaissance de plus en plus sérieuse de
l'art religieux et donnons-nous, sinon à bref délai, au moins pour une
époque qui ne soit pas trop éloignée, un rendez-vous à une nouvelle Expo-
sition d'objets d'art religieux qui fasse, avec ses sœurs aînées de Malines
et de Lille, une trilogie à l'honneur de la foi vive et du sens artistique qui
ont toujours marqué les œuvies de nos aïeux.
L'abbé E. Van Drival.
LES ORIGINES
DE L'ORFÈVRERIE CLOISONNÉE
CINQUIEME AItTICLR
V. — La Phénicie et la Syrie.
La Syrie est une contrée de l'Asie comprise entre la chaîne du
Taurus, TEuphrate, la Palestine et la Méditerranée. Voisine de
l'Egypte au sud, à l'est des Assyro-Chaldéens, elle confinait ainsi
aux deux grandes monarchies qu'une rivalité séculaire fit lutter
si longtemps pour la domination du monde antique. Placée, on
peut le dire, entre lenclume et le marteau, la Syrie, tantôt indé-
pendante, tantôt soumise au victorieux du jour, finit, après de
nombreuses intermittences, par être absorbée dans l'empire assy-
ro-chaldéen.
Deux races distinctes peuplaient la Syrie au moment où les Hé-
breux entrèrent dans la Terre-Promise : à l'ouest, sur le littoral,
une nation chananéenne, les Phéniciens, au midi de laquelle s'é-
tablirent plus tard les Philistins; au nord, les Araméens, qui, assu-
jettis par David, émancipés sous le règne de Salomon, consti-
tuèrent, depuis ce dernier jusqu'à la conquête de Tuklat-pal-Asar
(Tiglat-Pileser des Livres Saints), le puissant royaume de Da-
mas '.
Au sein d'une agglomération formée d'éléments hétérogènes et
■ Voir le niiiiiéro iirôcécient. p. 300.
' F. Lenormant, Mannol d'/iisf. avr.. de VOrient, t. I. liv. Il, passiin.
' tHKjrNfiS DE L OKFÉVREKJK CLOISONNÉE 339
souvent divisée par des intérêts locaux, le plus grand rôle histo-
rique appartient sans conteste aux Phéniciens : leur influence sur
le monde entier fut immense, elle ne dut pas être moindre à leurs
portes; aussi demanderons-nous d'abord à ce peuple les rensei-
gnements en fort petit nombre qu'il est possible d'obtenir sur
l'orfèvrerie cloisonnée en Syrie.
Commerçants avant tout, les Phéniciens ont-ils eu un art na-
tional? J'inclinerai vers la négative. Le génie créateur s'allie
mal aux spéculations mercantiles, et le négociant occupé à cal-
culer ses pertes ou ses bénélices n'a guère de loisirs pour s'adonner
aux choses de l'intelligence. Mais, entre les arts et le commerce,
il y a l'industrie, et l'industrie enfante d'habiles praticiens. Or,
la Phénicie fut un centre de production en môme temps qu'un en-
trepôt de marchandises : ses orfèvres manquèrent sans doute de
l'initiative, privilège céleste qui n'est pas un lot banal ; à coup
sûr ils imitèrent, en y introduisant quelque chose du leur, les
chefs-d'œuvre de l'Egypte et des autres pays avec lesquels ils
eurent des relations d'intérêt. 11 fallait bien se conformer au
goût du chaland \
Plusieurs monuments, colligés par MM. Renan, de Saulcy et
Guillaume Rey durant leurs voyages en Phénicie, monuments ex-
posés dans nos galeries du Louvre, appuient ces données philoso-
phiques. Un sarcophage offre à la fois les caractères de l'art égyp-
tien sous la XIXe dynastie (146*2-1288 av. J.-C) et de l'art as-
syrien au X^ siècle avant notre ère; le tombeau d'Eshmunazar,
roi de Sidon, accuse nettement le style égyptien. Le torse d'un
' « L'art phénicien n'a jamais rien créé d'original. Plus commerçants que pen-
seurs, plus vulgarisateurs que créateurs, plus habiles ouvriers qu'artistes vérita-
bles, les Phéniciens se sont bornés à l'imitation servile des monuments de leurs
voisins ou de leurs maigres, soit qu'ils se contentassent d'appliquer à leurs pro-
pres croyances les tonnes et les symboles étrangers, soit qu'aux époques de tran-
sition ils aient fondu dans un ensemble hybride les emprunts faits à des écoles
'Wiginalt's et naliouales. -^ C'« de Vogué, Sièle de Yehaivmelek, roi de Gebal, p.
16. in-4". Paris. 1870.
36U OKli.lNKS D1-: l.'OKKKVHKUIK CLOlSuN.NKK
colos-^'^ vnv'di, trouvé à Sarfend (Sarepta), est vétii de la sc/ienti
(sorte de pagne bridé sur les hanches au moyen d'une ceinture)
rehaussée d'un pendant terminé par deux iirœus; or^ ce même
pendant, analogue au kilt écossais, je le rencontre en orfèvrerie
cloisonnée sur la figure d'un Ramsès que j'ai sous les yeux. Le
sphinx ailé coiffé du pschent, associé à la palmette assyrienne,
deux griffons asiatiques affrontés devant la plante sacrée, le disque
symbolique, apparaissent sur des bas-reliefs et le fût d'une co-
lonne. Des bronzes rappellent le décor des vêtements de l'effigie
royale exhumée par M. Layard dans les ruines du palais de Nim-
roud ; enfin, deux coupes d'argent doré , achetées au bazar de
Larnaca (Citium, île de Chypre) sont couvertes d'ornements égyp*
tiens et assyriens ' .
Une stèle fort curieuse, qui fait partie de la collection de M.
L. de Clercq, député à l'Assemblée Nationale, présente un spéci-
men complet de l'art hybride des Phéniciens. On y voit Yehaw-
melek, roi de Gebal (Byblos, Djebeïl), revêtu du costume aché-
ménide, sauf les fanons assyriens de la tiare, rendant hommage à
sa divinité locale, la déesse Baalath-Gebal, dont la pose, l'habil-
lement et les attributs sont identiques à ceux de l'Isis-Hathor
égyptienne. Le disque ailé, llanqué des deux uraBus couronne le
tableau ; ce disque et les reptiles étaient en métal inscrusté dans
* A. de Longpérier, Musée Napoléon HT, pi. 17. — M. le duc de Luynes croit
qu'Eshmunazar vivait au temps oîi Apriès fut attaqué par Nabucliodonosor (574-
572) ; M. Schlottmann, que ce roi sidoiiien commandait les forces navales qui,
en 387 et 385, détruisirent la flotte lacédémonienne et vainquirent Evagoras à
Citium : pi. 16 et texte. — Jl faut comparer cette figure royale à une sardoine du
musée de Florence, intaille, à l'effigie d'un Abibaal, que M. le duc de Luynes at-
tribue au père d'Hiram ; elle serait alors du XP siècle avant J.-C. (Numismatique
des sutrapies. 1819, pi. 13, n° l ; p. 69) : pi. 18, fig 1 et texte. — Les b.is-reliefs
proviennent de llouad (Aradus) ; les griffons ont la même attitude que les célèbres
lions de la porte de .\'ycènes. La colonne a été trouvée à Tyr ; le galbe de son
chapiteau se rapproche du style égyptien : pi. 18, fig. 2, 3, 4. — PI. 21 -, renvoi
aux Monumenls of Nineveh, pi. G, 8, 9, 43 à 49. — PI. 10, assyiùen ; pi. H, égyp-
tien, ou plutôt un mélange des deux styles. — Prisse d'Avennes, UArt égyptien, pi.
UIUf.iNKS l)i: LOJiFÉVUElilE CI.OISON'NÉK 361
la pierre. Les caractères paléographiqiies de l'inscription gravée
au-dessous de la scène^ les procédés égyptiens encore en pleine
vigueur, le costume franchement perse du personnage royal, as-
signent pour date à la stèle, et pur conséquent à l'existence de
Yehawmelek la })remière moitié du V siècle avant notre ère '.
Certains dél)ris d'architecture, de provenance cypriote, et
dont le symbole du croissant renversé avec un disque entre les
cornes établit suffisamment l'origine phénicienne, sont marqués
au signe particulier du cloisonnage. Ils consistent en chapiteaux
de pilastres où la volute ionique se marie au chevron et à l'enrou-
lement assyriens : chaque détail de ce bizarre assemblage est cer-
clé d'un filet saillant, analogue aux bordures qui orient le dessin
des briques émaillées à Ninive et à Babylone '.
Un motif familier au décor phénicien, le système d'imbrica-
tions qu'en héraldique on nomme j)^pelonné, me semble aussi em-
prunté au cloisonnage égyptien. Le musée du Louvre possède un
sceptre en bois doré sur pâte, dont la hampe est ornée de zones où
le métal 1)runi alterne avec des imbrications coloriées. Les al-
véoles, profondément fouillés dans la matière excipiente_, incrus-
tent de la coriuiline, du la[»is et de la malachite. Il règne entre ce
sceptre, le pavement du pectoral d'Assarhaddon et deux frag-
ments de sculpture phénicienne, au Louvre, une affinité très-
ap[)réciable •'.
Le riclie cabinet de M. L. de C'iercq, dont laccès m'a été ou-
vert avec une courtoisie toute spéciale, regorge de bijoux syro-
' M. de Vogué, otiv. c'dé, p. 3, 4, 12, 14 et pi.
2 Musée l'ic, pi. 33, fig. 4 et 5 ; provenance, Golgos et Trapeza, près Famagouste.
Un chapiteau de colonne (Xlle siècle), débris probable de l'ancienne cathédrale
d'Arras, oll're à peu près le même type que la lig. 5. — Les anses du grand vase
d'Amatlionte, où la palmette assyrienne tourne complètement au grec, sont aussi
cernées d'un lilet. Chacune de ces anses (môme pi., lig. 2) est orientée et encadre
un tauieau. M. de Longpérier trouve que le vase a des rapports avec la Mer
d'airain du temple de Salomon ; l'attitude et la disposition du taureau m'ont fait
penser à l'Apis incrusté de la coUeciion Abbott, cité plus haut.
* Galerie égypt.. Salle civile, n* VI. Musée, elc, pi. 189, iig. 3 et 4.
Ile série, tome II. 26
3G-2 ORiniNES DE l"ui;févri:i:iI'; ( i.oisox.nék
phéniciens en or^ lubriques sous liiiliueiice grecque. On y distin-
gue entre autres des boucles d'oreilles à longues chaînettes qui,
après avoir entouré le pavillon, j)ermettent à la pendeloque de
descendre sur les épaules ; Tanneau, :iplati en croissant, rappelle
les formes assyriennes : ce croissant est encore porté aujourd'hui
en Algérie et par les paysannes slaves de Dignano (Istrie) ' . Des
grenats, des saphirs et des agates rehaussent l'ensemble. Un fort
beau collier aux éléments métalliques découpés, sertissant des
pierres dures isolées ou géminées, des cœurs en grenat syrien,
ont également captivé mon attention. Les})iècesde style asiatique
pur sont relativement clairsemées dans la collection de Clercq ;
mais, rares partout, le musée de l'Ermitage, à Saint-Pétersbourg,
est vraisemblablement le seul en Europe qui en possède d'ana-
logues. Citons d'abord un collier de perles d'or filigranées ayant
pour pendant la grenade caractéristique : des hbules singulières,
gros boudin courbé en arc terminé par des têtes d'antilope et de
lion aux yeux de grenat : une bague massive, large anneau
biseauté dont les deux faces incrustent des émeraudes, des saphirs
et des grenats; un rat gemmé, ciselé en ronde bosse et tenant une
perle entre ses pattes antérieures, rampe sur la tranche. Plus
archaïques encore peut-être sont : des bagues au triple ou quin-
tuple chaton versicolore, compris entre de maigres lotus très-épa-
nouis; enfin une petite palmette délicatement ouvrée à jour pour
cloisonner une ornementation polychrome entièrement perdue.
La boucle d'oreille égyptienne, pi. II, fig. 3, pourra en donner
une faible idée *.
Quelques objets, conservés dans la Salle des bijoux antiques,
au Louvre, me semblent d'origine syro-phénicienne : parmi eux
le collier n° '2'2\. Il est formé de disques en grenat alternant avec
^ V. Le Tour du. vwnde, liv. 744, p. 236, 1875. Dignano occupe le centre de la
pointe sud de l'Istrie. Au ci'oissant, dont les dimensions sont énormes, on accro-
che encore cinq pendeloques pyriformes.
- Cet ornement dont je n'ai pu déterminer l'usage, semble un compromis entre
le lotus et la palmette assyrienne. V, Musée, eîc., pi. 18, fig. 3 et -i.
OUKUXKS UE l'orfèvre llIE CLOISONNÉE 363
des perles d'or; entre les cornes du croissant renversé qui lui sert
de pendant, une poire de grenat surmontée d'une rosette d'or.
Ces joyaux n'olfrant aucun rapport direct avec l'orfèvrerie cloi-
sonnée, je ne m'y arrêterai pas davantage. Le collier du colosse
de Sarepta, un double rang de poires et de perles avec le crois-
sant caractéristique, sort également de mon cadre. Néanmoins
ce dernier type, resté de mode, tant en Orient qu'en Occident,
jusqu'au IV siècle après J.-C, va me fournir l'occasion d'une
remarque. On classe généralement dans la catégorie des colliers
certains l)ijoux trop longs pour servir de bracelets, trop courts
pour cerner le col; (juelle était leur destination? Une admi-
rable tète de Vénus Cijpria, en terre cuite, trouvée aux environs
de Larnaca par M. le baron L. de Maricourt et faisant partie
de sa collection à Vendôme, résout la difficulté. La déesse a pour
coiffure un voile relevé surmonté de la cidaris ' ; leur ligne de
jonction est cachée sous un bandeau de disques annelés et de poires,
allant d'une tempe à l'autre. Sur la plupart des nombreux exem-
plaires connus de cette même Vénus, le bandeau se confond dans
la cidaris, mais il en est ici très-distinct : il a été rajouté aupas-
tillage et ses points d'arrêt sont parfaitement visibles. On peut
donc conclure de mon observation que parmi les bijoux antiques
regardés comme des colliers par les arcliéologues, quelques-uns,
sinon beaucoup, étaient ù l'usage de frontale, âazv^.
Nous avons vu, au XVIP siècle avant notre ère, pendant la
minorité de Thothmès III, les Phéniciens faire le commerce de For
avec l'Egypte : des peintures de la même époque représentent
les offrandes ou les tributs apportés au pharaon par ce peuple et
ses alliés. On y reconnaît des objets en métal précieux et des vases
de toutes formes incrustant des matières coloriées. Evidemment
l'industrie du cloisonnage n'en était point alors à ses débuts sur
les côtes syriennes de la Méditerranée. Bien que la majeure par-
tie des vases incrustés ait l'or pour excipient, d'autres semblent
' Haute rouroniu' ( vlindrique, ornée ici de palmcttes et de sphinx ailés.
304 ORIGINES UE l/ORFLVUEKiK CLOISONNÉE
rentrer dans la céramique pure ; certains lotus du Louvre avec
leurs calices de pâte blanche, leuis j)étales l)leus et rouges^, pa-
raissent de fabrication analogue ' .
Un curieux spécimen d'incrustations, appartenant aussi au mu-
sée du Louvre où il a été envoyé dËgypte, pourrait étre^ je crois,
attribué à Findustrie phénicienne malgré son lieu de découverte.
C'est la terminaison d'une ceinture en argile rouge très-cuite. La
frange du gland est émaillée en bleu vif; la tête, dorée, oifre un
triple rang d'alvéoles rectangulaires incrustant des imitations de
malachite, cornaline et lapis ; un filet de verre bleu, comprisentre
deux filets dorés, sépare la tête de la frange '\
Aux temps homériques, nous retrouvons les Phéniciens colpor-
tant chez les insulaires de la Méditerranée des bijoux sur lesquels
j'aurai à m'arrôter plus loin, car j y soupçonnerais un travail
d'incrustation ^. Ezéchiel, dans sa prophétie de la ruine de Tyr
et de Sidon, morceau d'une incomparable beauté, décrit ainsi
les royales magnificences de la Phénicie.
Tu as été dans l'Eden, jardin de Dieu ; tu étais couvert de toutes sortes
de pierres précieuses : odem. piteda. mlilom, tarshish, s/io/iam, ioshphé, sa-
phh\ nop/iec/i, barekeih et l'or.
Toi Chroub protecteur, que j'ai placé sur la montagne sainte de Dieu,
tu as été là, tu as marché au milieu des w'iî"^53^ (pierres de feu)"*.
Il me semble difficile de ne pas admettre que le prophète ait
voulu désigner ici des joyaux et des })laques de métal incrustés,
analogues aux ornements des temples et des palais assyro-chal-
déens ; un court passage d'Hérodote pourrait bien s'interpréter
dans le même sens.
* Manuel d'hisl. onc. de l'Orienl, t. I, liv. III, § 2. Chabas, Les éludes préhis-
toriques et la libre jyensée, p. 4, in-S», Paris, 1875. Plisse d'Avennes, L'art égyp-
tien, pi. Galerie égypt., Salle civile. Ces lotus doivent i:rovenir d'un pavement.
^ Galerie égypt., Salle civile, n" 2998. V. nôtre pi. 111, iig. 1, robe du génie
tétraptère.
* Odyssée, XV, -il 5 et 460.
* XXVIII, 13, 14 ; Cahen, trad. cit.
ORIGINES DE [/(IRIÉVRERIE CLOfSONNÉE 363
Lhistorien raconte qu'il lui a eti' iiioiitrédaus le temple d'Her-
cule, à Tyr, deux stèles, l'une d'or affiné, l'autre de pierre d'éme-
râude qui In-illait avec intensité pendant la nuit '. Les traducteurs
ayant rendu le grec ar-/]/-/) par colunina, au lieu de cippus ou
stela, ont altéré la pensée d'Hérodote ; il n'a pas entendu les co-
lonnes destinées à soutenir l'édifice, mais bien ces piliers bas, par-
fois ronds en Occident, souvent plans et rectangulaires en Orient,
chargés d'inscriptions commémoratives, défigures et d'ornements,
que l'Assyrie, l'Elgypte et la Fhénicie nous ont légués en grand
nombre -. La stèle d'or nous intéresse peu, en revanche la stèle
d'émeraude à l'éclat nocturne mérite une explication. Si petit
que fût le monument, on n'admettra pas qu'il ait été tout d'une
pièce ; dans ce cas Hérodote eut consigné le fait, et il s'en est
abstenu; d'ailleurs la malachite, le jaspe et autres minéraux
opaques de couleur verte auraient pu seuls fournir un mono-
lithe capa])le d'attirer les regards du voyageur : or l'élément de la
stèle était translucide'. Elle consistait donc en gemmes ou imi-
tations de gemmes, réunies par une armature métallique assez
tenue pour qu'un rapide coup-d'œil ne permit pas de la discerner
au premier abord. Je crois qu'Hérodote vit une mosaïque de
pierreries où dominait le vert, couleur favorite des Orientaux;
genre de décor que les textes assyro-chaldëens nous ont révélé,
([u'Ezéchiel désigne par les pierres de feu au milieu desquelles
' Ka''. îv 'aiiTw icav cTr/Aai cûo. r, ix=v ■/ù\jqoZ a-i-i6ou, r, os CfJiapaY^ou ÀîOou ÀatA-
TTovTo: T'a; vû/.TOt; r/iviOo;. II. 'li.
- Pline adopte le mot stehi pour désigner les pierres inscrites de l'Arabie :
Insulce sine nominibus multte : célèbres vero. Isura, Rhinnea, et proxima in qua
scriptce sunt steUe lapidese litteris incognitis. Uis(. nnl., VI, 32.
■' -Ms'- Pallegoix, vicaire apostolique de Siarn, a vu à Bangkok deux statues de
Bouddha, l'une en or massif de 1>" 'i'I de haut, l'autre faite d'une seule émeraude
d'environ 0'" ÔO". évaluée par les Anglais à i)lus d'un million. Dexcripf. du royaume
(le S/,/)», t. I, p. B'(, in-12, Paris, iSô'i. Hérodote eut jeté des cris d'enthousiasme
devant une semblable pierre, mais n'y auroit-il pas un rapprochement possible
entre les idoles siamoises et les stèles lyriennes.
366 oriir.iMcs de L'oiM'ÉviiEuiK cluisonnéI':
marcliait le roi de Tyr, et que nous niions rencontrer chez les
Arabes sons nne forme circulaire.
Virgile, le plus grand archéologue de Rome et peut-être de
l'Antiquité, connaissait très-bien les merveilles de l'orfèvrerie ty-
rienne; Didon étale une argenterie sur laquelle est gravée l'his-
toire de ses ancêtres :
Jngens arcjenium mensis^ cxlalaque in auro
For lia fada patrum^ séries lorigissima reriim,
Per tôt duel a viros antiqua ab origine gentis.
Plus loin, la reine de Carthage fait apporter la lourde patère
d'or incrustée de pierreries qui avait servi à la dynastie de
Baal :
Hic regina gravem genimis auroque poposcit,
Implevitque mero pateram^ quarn IJelus et omnes
A Belo soliti '.
La Syrie araméenne apportait aux Phéniciens des minéraux
précieux qu'ils lui l'evendaient sans doute tout montés.
Aram trafiquait avec toi à cause de la multitude de tes u'uvres ; il four-
nissait tes marchés en nopheck, en pourpre, eu iu-oderie, en byssus, en
tTCïSn (corail rouge (?). en ^313 chadchod (grenat).
Damas faisciit le commerce avec tes producti(ms, avec la nuiltitudiî de
tes richesses; en vin de 'llelbon (Alep) et eu laine éclatante -.
Ces textes me paraissent établir ([ue les Svriens de Tintérieur
échangeaient leurs vins et leurs produits l)ruts contre les produits
1 .Eneid., I, V. G40 à (i'l3 ; 7'28 à 7:!0.
- Ézéchiel, XXVII, 1G cL 18. '< PlI^S^l ne se trouve encore une fois que dans
Job, XXVIII, 18; on (n-oit que c'est du corail rouge ; chaldéen ]'^3Ï2 'î'^;2S^'l des
pierres précieuses. TD^-I cluidchod ; chaldéen 'J'^ÏM'^I autre os|i('(;c de pierres
précieuses; on croit que c'est lejasiie ; voyez Isaïe, LIV, \-l. » Cahcn, irad. cit.,
t. XI, p. %, note. — IJuxtorf traduit 13TD par « pijropus, lapis pretiosus, quasi
scintillans dictus, de T73 smili/ln. » Le pi/rajuis est l'escarboucle ou grenat. Une
espèce de grenat porte dans le coiiuuerce le nom de syrien et les Anciens exploi-
taient cette gemme en Carie. V. Pline, Ilisl. na'., XXXVII, 25.
ouigim;s ni': i/oRFÉViiKiiiE cloisonnée 367
ouvrés du littoral. La riiéiiicio demanda ses premières inspira-
tions à Tart égyptien^ les orfèvres aramcens firent vraisemblable-
ment aussi des emprunts à Testliétique assyrienne. Un peuple
sémitique^ fixé à l'est du Jourdain, sur les confins du désert de
Syrie, les Ammonites, avait des ornements dans ce dernier goût.
Lorsque David se fut emparé de Ral)l)ath-Ammon, on plaça sur sa
tête la couronne du roi vaincu, couronne d'or pesant un talent et
rehaussée de pierreries. Le Livre des Rois, qui mentionne le fait,
n'entre dans aucun autre détail, mais laisse deviner la lourde
coiliure des monarques ninivites ' .
yi. — L'Arable.
« Intermédiaire entre IWlrique et le reste de l'Asie, la péninsule
arabique borde, au sud-est, une partie de TOcéan Indien, et du
côté opposé elle toucherait à la Mé<literranée sans l'interposition
de la Syrie ; au nord-est ses limites variables suivent le plus sou-
vent rEiq)hrate. Le golfe qui, à l'est la sépare delà Perse, prend
le nom de ce dernier pays; mais l'Arabie donne elle-même son
nom au golfe occidental. Golfe Arabique ou ^ler Rouge, au delà
duquel nous trouvons l'Egypte et l'Ethiopie.
(' Cette position fait de l'Aral)ie en quelque sorte le centre de
l'Ancien Continent, le centre autour duquel se sont établies les
civilisations primitives. Aussi, dés les âges les plus antiques de
riiumanité, a-t-elle offert une route et un entrepôt au commerce
qui lie les peuples. Ses habitants, demeurés toujours dans la demi-
* Et tulit diadema régis eorum de capite ejus, pondo auri talentuni, liabens
gemmas pretiosissirnas, et iiniiositum est super caput David. II, iîf(/., XII, 30.
ïulit aiitem David ceronain Melchom de capite ejus, et iiiveiiit in ea auii pondo
talentuni et pretiosissiinas gemmas, fecitcpio sibi inde diadema. I, l'aralip., XX
2. — liotta, Place, La3';;rd, lor. cil., pi. passini. — Une sculpture moabite de
style égyi)to-thalilécn rappelle l'ajustement des Sardiniens au temiis de Ramsès III.
Musée NapuliJon III, pi. .j8 ; Ghabas, our. cil., p. ^UT et si^.
368 ORirwNEs df. i.'onFKViiEiuK ([.oisonxef,
barbarie de Tétat nomade, ont lait, au travers de leurs déserts,
l'office de voituriers pour les relations entre les nations civilisées
de l'Egypte, du bassin de TEuplirate et de Tlnde '. »
Avant de former un corps de nation, rt'uni par la similitude
des mœurs et du langage, les habitants de l'Arabie .se divisaient
en tribus hétérogènes dont il n'est pas inutile d'offrir un court
aperçu. A l'ouest, le long des cotes de la Mer liouge et dans le
voisinage de l'Egypte, les puissants A?H;}//ca, (Amalécites), métis
des races de Sem et de Cham ; au sud et à Test, les Koushites qui
occupaient le Yémen, le Hadliramaut, TOman etleBahrein (Saba
et Dedan) ; au nord et au centre, les Araméens et les Ismaélites,
fidèles à la vie nomade si chère à la descendance de Sem. Plus
tard, les Djorhom,issus de Jectan, fils d'Heber, arrière petit-fils
d'Arphaxad, se superposèrent aux Koushites du sud et s'étendi-
rent à peu près sur tous les points habitables du sol de la Pénin-
sule. Aux .lectanides appartenait en propre Tidiome dans le([uel
est écrit le Coran. Les Caydar (Kednr/, tribu ismaélite de la por-
tion méridionale du Yemâma, lisière du désert, fournissaient les
caravanes qui, aux temps antiques, a})portaient dans la direction
de la Syrie les marchandises du sud ; il en est fréquemment ques-
tion dans la Bible : Saba et Dedan adonnés au commerce et à l'in-
dustrie, jetteront, le premier surtout, quelque lumière sur Torfé-
vrerie des anciens Arabes ~. »
Nous avons déjà vu, à Tarticle lùjijptr, (jue Poun et To-neler
désignaient les contrées de l'Arabie qui longeaient la côte orien-
tale de la Mer Rouge, vraisemblablement l'empire Sabéen. Ces
régions produisaient des métaux }u-éci('iix, des gemmes, des bois
odoriférants, des parfums ; leurs ra])])(>rts commerciaux avec l'E-
gypte remontent très-haut dans l'histoire. Vue inscription du rè-
gne de Sonkh-Kara (XI" dynastie. .3()()() av. J.-C.i mentionne
' F. Lenormant. Manuel, etc., t. 111. p. •231 et '^S:.
« Id.. ib:d., p. 237 à 2ô:j. Genèse, X, Ti à 20; XXV. 13. 1, l'.m,!.. I, 27. Ps.
119, 3. Iriuie, XXI, 16, 17; XL'I, II; LX, 7. ]cvénnc. 11. 10; I.\. 26 ; XLIX,
28. Etc., etc.
ORIGINES DE l/OflFÉVRERIE CLOISONNÉE 369
l'envoi de vaisseaux à Poim pour recueillir Vana, parfum végétal
en grande estime à la cour des pharaons ; alors^ parait-il, on
n'exportait pas autre chose de l'Arabie. » Mais, dit M. Chabas,
il ne faut rien conclure du silence des monuments en ce qui touche
lindustrie de l'Arabie dans le troisième îuillenaire avant notre
ère. Des rapports fort étroits entre la mythologie arabe et le pan-
théon égyptien montrent sufîisamment qu'au moins une'partie du
pays, probablement la partie maritime, était alors parvenue à
un certain degré de culture. Il est permis d'espérer que des tex-
tes positifs nous éclaireront plus tard sur ce point '. »
L'expédition ordonnée par la reine Hashepsou eut des résultats
plus variés; la légende d'un bas relief d'El-Assassif est ainsi
conçue :
' Chargement de navires en très-grand nombre avec les merveilles du
pays de Poun et toute espèce d'excellents bois de To-Neter, des monceaux
de karni d'ana, des sycomores qui produisent Vmm vert, de l'ébène. de
l'ivoire, de l'or, de l'agate du pays d'Amon, des blocs de bois de fas/ieps,
du parfum a/mn, de l'encens, du mestem (kohol), des singes ani. des sin-
ges kafu^ des tasem (chiens lévriers), des peaux de panthères du midi, des
ouvriers et leurs enfants. Jamais aucun des rois qui ont existé depuis le
commencement du monde n'avait apporté de choses semblables ■.
Une autre sculpture du même monument représente la lémme
du chef de Poun descendue de son Ane pour saluer l'envoyé égyp-
tien. La princesse, grasse à effrayer, porte des bracelets, des
anneaux aux jaml)es, un élégant collier à médaillons ; sa cheve-
Inre, retenue par un bandeau, tombe, nouée en catogan, sur ses
épaules '\ Il y avait donc en Arabie, au XYIP siècle avant J.-C,
des ouvriers et parmi eux des orfèvres. En elfet, aux temps de la
XVIIP dynastie, l'or constituait avec Viinn le produit le plus im-
portant de la péninsule arabique. Sur les bas-reliefs d'El-Assas-
' Eludes sur ianliq. elc, p. l'io, lii, 150, 151.
* Id. 'hid., 1». |.")-2et 153. Les singes sont le Ct/nocephahis Ilnwuliyas et le Tyno-
crp/inlus licibuinns.
* Id. ibid., p. 154, fig.
370 ORIGINES DIÎ l'oRFÉVREHIE CLOISONNEE
sif^ les clieiks de Poun agenouillés devant Hashepsoii ont derrière
eux une grande corbeille remplie à'ana et d'anneaux d'or. Ce
métal arrivait, soit sous la lorme d'anneaux isolés ou réunis, soit
en poudre dans des sacs. Parmi les objets ouvrés figurent des
colliers s' attachant à Taide de cordons; de lourds dextralia ou
peri^celides lisses et continus; des chaînettes: nul indice d'in-
crustation '. Les Egyptiens professaient un souverain mépris à
l'égard des indigènes de Poun, jusqu'à leur dénier la qualité
d'hommes-. Toutefois, si Fancienne race arabe était encore, il y
a 37 siècles, étrangère aux habitudes du luxe, son incontestable
intelligence dut bien vite saisir les raffinements de la civilisation
égyptienne, et, quand les ouvriers expatriés par les envoyés
«rHashepsou retournèrent dans leur pays, ils y importèrent vrai-
semblablement les procédés techniques auxquels ils s'étaient ini-
tiés durant leur séjour sur la terre de Mitsraïm. Les présents of-
ferts à Salomon par la reine de Saba (XP siècle av. J.-C.) consis-
taient en aromates, en or et en pierreries ; le texte sacré ne dit
pas si ces dernières étaient brutes ou serties dans le métal, mais il
est permis d'y voir des ouvrages de joaillerie '\ Les industries opu-
lentes, du reste, ne franchirent jamais Penceinte des villes où la
fertilité du sol et Pappât du lucre commercial avaient aggloméré
les populations; lesnomades restèrent à'Pétat sauvage qu'ils n'ont
pas modifié depuis.
Les Assyriens furent aussi en relations avec les Arabes que
Sargon rendit ses triluitaires :
J'ai imposé des tributs à Sarasie, reine du pays d'Aribi, à It-IIimar, du
pays de Saba, de l'or, des parfums, des chevaux, des chameaux *.
Assarhaddon continua les errements de son aïeul, suivis d'ail-
* Weiss, Kosliimhiinde et"., t. I, fig. 102, d ai; p. 155.
^ Chabas, ortv rilé., p. 161, 162, lig., 163.
' Et ingressa Jcnisalem multo cum comitaiu et divitiis, camelis portantibus
aromata et uurum infinitum nirnis et gemnjas pretiosas. Ill, lier/., X, 2.
* Menant, .annales etc., p. 182.
ORITiIXES DE l'orfèvrerie CLOISONNÉE 371
leurs par Sennacliérib, ainsi que le démontrent deux prismes
gravés en 672 avant J.-C.
La ville d'AucIumu, la capitale du pays d'Aribi qui avait été prise par
Sin-akhi-erib, roi du pays d'Assur, le père qui m'a engendré, s'était ré-
voltée; je Tai assiégée, je l'ai prise et j'ai transporté ses habitants au pays
d'Assur. — Un envoyé de la reine du pays d'Aribi vint à Ninua avec des
présents nombreux, il s'inclina devant moi, il me supplia de lui rendre
ses dieux. J'ai accueilli sa demande, j'ai restauré les images de ses dieux
qui s'étaient détériorées. — J'ai nommé au trône du pays d'Aribi, Ta-
buya, une femme de mon palais. — Les jours de Khaza-ilu avaient at-
teint leur terme, j'ai mis lalu, son fils, sur le trône et j'ai augmenté le
tribut qu'il payait à mon père de 10 mines d'or, 1,000 pierres précieuses.
— Le pays de Bazi est situé très-loin aux confins de la terre, au-delà du
désert. A loO kasbu gaçjai', au pays de Bazi, on trouve des mines et des
pierres kasalin. — A 20 karab on trouve le pays de Khazu et des monta-
gnes de marbre. — J'ai tué huit rois dans cette contrée, j'ai transporté
au pays d'Assur leurs dieux, leurs dépouilles et leurs habitants.
Le second prisme donne la liste de ces huit chefs et des villes
qu'ils gouvernaient ' .
La nécessité politique et les traditions de famille conduisirent
également Assurbanipal en Arabie. Le roi Shamaïti, d'accord
avec les Elamites et les Chaldéens, s'était révolté et ne voulait
plus payer le tribut ; il fut vaincu et emmené à Ninive ^
Les Phéniciens n'eurent garde de négliger l'Arabie, route obli-
gatoire du commerce de Tlnde; l'établissement maritime d'Asion-
gabcr, fondé conjointement avec Salomon à rextrémité septen-
trionale du golfe Elanitique, dans la Nabatène, dut persister jus-
qu';i ce que Nabuchodonosor eût ruiné Tyr et châtié vigoureuse-
ment les Nabatéens, alliés naturels de l'Egypte et de la Phéiii-
cie. Le plan de Nabuchodonosor était de changer la direction du
commerce de l'extrême Orient qu'il voulait transporter à Baby-
lone ^ : or, à Asiongaber venaient aboutir les voies fréquentées
1 Id., ibid., i>. 2i3.
* Id.,i6j(/.,p. 270à274.
' Classem quoque fecit rex Salomon in Asiongaber quac est juxta Ailath in littore
372 ORIÙIXKS DE l/0kFÉVrxi:R!E CLOISONNÉE
par les caravanes, à l'intérieur et sur le littoral du pays. Ezécliiel
n'oublie pas ces détails dans son admirable élégie.
Les fils de Dedan étaient tes courtiers, avec de nombreuses îles tu as
commercé ; ils faisaient ta fourniture en ivoire et en ébène.
Yedan et lavan Maouzel pourvoyaient tes marchés en acier; la casse et
le gingembre entraient dans tes échanges.
Dedan a trafique avec toi en couvertures de luxe pour s'asseoir.
I/Arabie et tous les princes de Kedar ont fait le commerce avec toi.
Les comnierrants de Sheba et de Raimah étaient tes courtiers dans les
principaux de tous les aromates ; en toutes sortes de pierres précieuses
et en or; ils ont pourvu tes marchés.
Haran, Ghanah, Aiden, les négociants de Sheba, d'Ashour et de Chil-
mad faisaient ton commerce.
Ils étaient tes fourniscurs en étoffes parfaites, en talars d'hyacinthe, en
broderies qu'ils portaient à tes foires, en coffres remplis de beaux vête-
ments, attachés par des cordes, et en bois de cèdre \
Des rapports aussi intimes avec l'Egypte, les Assjro-Chaldéens
et la Phénicie communiquèrent aux Arabes citadins, ainsi que je
l'ai déjà dit, les arts et l'industrie de ces trois peuples ; l'orfèvre-
rie cloisonnée fut au nombre des industries importées, et elle me
semble devoir être mise au compte égyptien. Un fragment d'A-
gatharchides (géographe grec qui vivait en 110 av. ,].-C.), inséré
dans la bibliothèque de Fhotius, nous apprend que les Sabéens et
les Gherréens appliquaient sur les plafonds et les portes de leurs
demeures des patères incrustées de pierreries, <fidloct h6oy.oAlr,zoi,
dont l'excipient n'est pas indiqué ^ Heureusement Diodore de
Sicile comble cette regrettable lacune ; après avoir énuméré les
pièces d'orfèvrerie que les Sabéens étalaient dans leurs somp-
Maris rubrl in terra Idumeae. Misitque Hiram in classe illa servos suns viros nau-
ticos et gnaros maris, cum servis Salomonis. III, Rey., IX, 26, 27. — F. Lenor-
manf Manvd, etc., t; III, p. 381, 382.
' Cahen, tmd. cl., XXVII, 15, 19 à 24.
- Ktovoc; T£ ~o/Xouç aCixoîç cpTiGi xaTsaxEuairOoc. s-i/puaou; te xcii àpyopouç, Trpo;
ài xai Tot; ôpo'^ot; /.-A Oûpot; cptoiXai; ÀiOoxoÀXviTOtç sçstX^cpTai Tcuxvaî; coaauxo; xù -cà
aïTOTTÛXia ÔÉav ='/eiv eCnrpîTrri. 102, Geograpki Graci minores, éd. Didot.
ORIGINES Di; L"or:FÉVi;ERIE CLOISONNÉE 373
tueuses habitations^ il dit : « Des colonnes^ les unes ont des fûts
plaqués d'or, les autres, des chapiteaux argentés. Les plafonds et
les portes montrent de nombreuses patères d'or incrustant des
pierres précieuses ; si les Sabéens consacrent des sommes énormes
à la bâtisse de leurs maisons, ils les ornent à l'intérieur d'argent,
d'or, d'ivoire, de gemmes admirables et de tout ce que les hommes
estiment le plus ' . » Il serait difficile de ne pas assimiler les orne-
ments circulaires incrustés de Tarchitecture sabéenne aux rosaces
ninivites et môme à la stèle en émeraude que vit Hérodote dans le
temple de Melkhart, à Tyr. L'objet qui me semble rendre le mieux
la technique et le décor monochrome du meable phénicien est un
magnifique fusil arabe du siècle dernier, pris dans la Kasbah
d'Alger, en 1830, et appartenant aujourd'hui à la remarquable
collection de M. le Général de Division Yéron de Bellecourt. La
crosse et le fût sont recouverts d'une mosaïque en plaques de co-
rail découpées, figurant des lotus épanouis, serties dans un réseau
de métal gravé, partie argent, partie cuivre doré. Quant aux dis-
ques d'or incrustés de gemmes, les Arabes en fabriquaient encore,
sauf à leur attribuer une autre destination, deux siècles au moins
après le triomphe de l'Islamisme ; cela parallèlement à Témaille-
rie à chaud : le musée du Louvre en possède un rarissime spéci-
men. Il n'y a pas à s'y tromper, le génie oriental varie les combi-
naisons à l'infini sans modifier essentiellement l'unité du type, et
sa technique reste immuable. Que l'on examine attentivement les
œuvres de l'art et de l'industrie arabes, du XL siècle à nos jours;
elles se ressemblent toutes, et cependant aucune n'est identique
à l'autre. Mais, tissus, mosa'iques, faïences, peintures de manus-
crits, cuirs gauflrés, ont un caractère spécial qu'il est impos-
* Kiovojv TE àoptov TrepîcTuXa, ta (jlÈv liii/pucra, xà S'olpyiipoeiSeT; èm tcov y.iovo-
xpav(ov TUTTOuç £/_ovTa. Tàî ô'opoïàs xat ôupa; -/ouffaïi; cptoIXai; Ài9oxoXÀr^Toiî xai
TTuxvaï; oi£tXr,tpûTEÇ, aizac-^./ xr^v twv oîxiwv xaxà (/.spoç oixooojxîav 7:£7roîy,vTai ôau-
[xasT^ Tai; TroXuTeÂsi'at; • Ta fxÈv yàp il apYupou xal '^puaou xà oil èXs'oavTOt; xai
TÔi^ Sta7rp£1T£CTCtT0)V Xt'GwV, £Tl SE TCOV àXXlOV TWV TlfXUOTâ'fCOV Tîap 'àvQpcoTTOi;
xaTEaxêudxaaiv. III, 47.
374 ORIGINES OE l'orfèvrerie CLOISONNÉE
siblo (le méconnaître, l'aspect de rincrustation. Les anciennes
étoffes eu particulier, et j'en ai copié un assez grand nombre pour
constater le fait, sont établies sur des cartons inspirés du cloison-
nage égyptien et assyro-chaldéen '.
C. DE LiNAS.
(A suivre.)
^ V, Prisse d'Avennes, L'art arabe, arabesques, pi., passim ; notamment les
étoffes de Toulouse, Nancy, Utrecht et Nivelles, Xle siècle au XIV*^. Ces planches
sont le spécimen d'un ouvrage sur les tissus et les broderies que je me disposais
à mettre au jour lorsque la concurrence d'une 'publication analogue effraya
mon éditeur, et le projet en est resté là. Il y avait cependant place au soleil
pour deux recueils tendant vers un même but — la vulgarisation des plus beaux
types de la textrine — mais coUigés dans un ordre d'idées très-différent.
ESSAI
SUR L'ÉGLISE SAINTE-FOY
DE CONCHES (EURE)
I.
Voisine d'une de ces vieilles tours féodales, chastement vêtues de lierre,
comme le marteau des démolisseurs en a malheureusement tant mutilé
et renversé dans notre belle France, l'église Sainte-Foy de Couches est
fièrement assise au bord d'une colline à pic et domine une riante vallée.
A la première vue, elle jeta dans mon imagination une de ces impressions
que laisse le spectacle des grandes choses et des belles œuvres, impres-
sions qui ne s'effacent jamais. L'artiste recueille ces impressions, qui ne
se prodiguent pas ; il les conserve pour les communiquer aux âmes qu"il
sait éprises du même amour pour ce qui est beau et grand. J'ai ressenti
ce choc indélébile en présence de cette vieille église; et lorsque j'y péné-
trai, une émotion me saisit, qu'il me serait impossible d'analyser : elle est
restée en moi, mélange d'étonnement et d'admiration : je venais d'aper-
cevoir un de ces monuments que l'on savait construire dans les siècles de
foi, quand régnait encore, quoique dans sa dernière incarnation, cette
architecture sublime ensevelie depuis sous la froide Renaissance. Ce n'é-
tait ni la cathédrale de Paris, grave et mystérieuse comme une vieille
chronique; ni la Sainte-Chapelle, châsse de pierre, translucide, aérienne,
qui d'un seul jet s'élance vers le ciel et semble fixée dans l'espace par
quelque miracle; ni Saint-Germain-des-Prés, naïf comme la foi qui l'a
inspiré; ni le portail do Reims, ni le chœur de Beauvais, ni la flèche de
Chartres, ni aucun de ces admirables ouvrages anonymes que le Moyen-
Age nous a laissés en grand nombre. C'est un de ces joyaux qui suffisent
à la parure d'une province, et dont on se sent le besoin de parler après
376 l'église sainte-foy de conçues
l'avoif v'i : on pense avoir fait une découverte qu'on ne se croit pas le
droit de caclier; et, quand même les hommes spéciaux auraient savam-
ment parlé, on veut encore dire le mot du rêveur qui n'a point compulsé
les vieux parchemins, mais n'a interrogé que la mémoire de deux ou
trois indigènes, et n'a demandé à un rapide et désordonné pèlerinage que
des émotions d'artiste.
C'est pourquoi j'ai écrit ce qui suit :
IL
Vers le commencement du XIP siècle, Conches, qui s'appelait alors
Douville, appartenait à la famille de Tosny, descendants d'un certain
Malahuec, compagnon d'armes de ce UoUon qui traitait avec tant de dé-
sinvolture le roi de France. Roger I" de Tosny était allé seconder
Sanche d'Aragon dans sa lutte contre les Maures, et avait fait le pèleri-
nage de Saiut-Jacques-de-Compostelle. A son retour, il visita, en Aqui-
taine, le tombeau de la vierge Ste Foy, martyrisée à Conches {apud
Couchas Rutenoriun). W rapporta des reliques de la Sainte martyre, bâtit
une église sous son patronage, et fonda l'abbaye de Conches, dont on
voit encore les ruines. C'est alors que l'on vit apparaître pour la pre-
mière fois le nom de Conches, dont on s'est évertué à chercher bien loin
l'étymologie. N'est-il pas vraisemblable que Roger ait donné à la cité nais-
sante le nom de la ville où fut martyrisée la Sainte qu'il lui donnait pour
patronne?
Cette première église consistait en un seul vaisseau, tout d'une venue.
Aussi Roger 111 de Tosny y lit-il ajouter un chœur, une tour et un clocher.
Puis, s'il faut en croire de vieilles chroniques, vers le milieu du XIIP siè-
cle, sous l'inspiration de la comtesse Amicie de Courtenay, épouse de
Robert II d'Artois, seigneur de Conches. la tour et le clocher auraient
subi une complète transformation. Quoi qu'il en soit, l'église fut détruite,
et remplacée aussitôt par celle que nous admirons aujourd'hui. Une tra-
dition rapporte que cette destruction eut lieu sous Robert III d'Artois. Mais
cette tradition est inacceptable, car le caractère de l'architecture et des
décorations de la nouvelle église est celui du commencement du XVP siè-
cle, et Robert III était mort en 1342. La destruction de l'église ne saurait
être reportée tout au plus qu'à la fin de la guerre de Cent ans. Peut-être
est-ce la raison de cette tradition.
Néanmoins, les chroniques locales nous apprennent que l'église actuelle
n'était pas encore achevée à l'époque de la Ligue, dont elle eut beaucoup
à souR'rir, la ville ayant été prise et saccagée par les Ligueurs, en 1590.
REVUE DE L'ART CHRETIEN.
l'cU/cf du. Âau/où-
fine Sf E'/ic/i/it:
PLAN
VITRAUX.
ABCDEFG lie cù.- Sai/Uc Foi/ a
SCCVUV c/f /il \>ic de J. C.
H De'ùuà.
I s'- 'e,i/i £a^/t.tU
J Iklrutf .
K La l'iujuie. .
L Le prtiisoù:
M La. l'eue .
N L'Eux/iarùli'e .
0 S' Michel.
F Déùutt
9 S'^Bomiun
R PrésenlcUii'/i t/elS.J-C.
S Triomphe de Marit
T / Annvnciiiiu'iL .
U OffuedeUi.r.S^''Via-ifc.
Y La lyatuufede NS.J-C.
X iV-D de Bm .Sccciu-S .
Escjjii'er
rEa/fse S^!^ Fou de fo/n'/u\s'
Lilk.. Dtio.i'cuy ■DidUUiiX'lirras
l'église SAINTE-FOY DE CONCHES 377
Parmi les hommes qui contribuèrent le plus à la construction du nouvel
édifice, on cite Nicolas Levavasseur, abbé de l'abbaye de Gonches, en i 509,
m.
L'église Sainte-Foy de Conches date donc du XVP siècle '. Elle appar-
tient à ce style flamboyant après lequel s'éteint l'art ogival, expression
d'un style qui sera toujours, quoi qu'on fasse, le style religieux par excel-
lence. L'architecture ogivale n'avait plus alors les grandes lignes et la
naïve simplicité du XIIP siècle ; la grave et majestueuse ogive s'était peu
à peu transformée en quelque chose de gai et de souriant ; les lignes in-
flexibles s'étaient arrondies; la belle monotonie des surfaces avait disparu
sous une végétation luxuriante ; les angles s'étaient émoussés; l'ogive, en
un mot, avait fait d'avance les concessions qu'allait lui demander la Re-
naissance, avec ses nllures italiennes, ses colonnes en tire-bouchon, ses
frontons brisés, ses médaillons de marbres multicolores, ses anges bouf-
fis, et ses images dorées. Tel était l'état de Tart au moment oii naissait
notre église.
Sainte-Foy de Gonches est une église de moyenne grandeur. Sa forme
rappelle celle des anciennes basiliques romaines : elle a trois nefs, et une
abside, qui continue la nef centrale.
Le premier regard jeté sur la façade accuse un accommodement entre
l'art naissant et Fart déchu. Un corps principal, servant de pignon à la
nef centrale, est flanqué de deux tours un peu plus larges que les nefs de
côté, aux dépens de la nef centrale. La façade est percée d'ouvertures
ogivales se mariant plus ou moins avantageusement avec des baies qui
offrent tous les caractères de la Renaissance. La tour de gauche, ou sep-
tentrionale, appelée tour du Saint-Esprit, est restée inachevée. Elle ap-
partient à la Renaissance. Ses deux angles saillants, à l'extérieur et sur le
côté de l'église, sont flanqués d'énormes pilastres à chapiteaux compo-
sites. Elle otï're un portail rectangulaire couronné par un petit fronton,
que surmonte une fenêtre à plein-cintre divisée par des meneaux en fer.
Une fenêtre semblable existe sur le côté nord. Gette tour fut construite
en 1620.
* L'église de Gonches, très-intéressante par son architecture élégante et par
ses vitraux, est du XVI" siècle. Quelques parties ne doivent être que de la seconde
moitié de ce sièchî. (Note de M. de Caumont sur le style architectonique de quel-
ques monuments des villes de Gonches et de Verneuil. — Bulletin monumental,
tom. I, 1833, pag. 274.)
Iï« séiit, tome II. 27
378 L ÉGLISE SAINTE-FOY DE CONCHES
La tour méridionale, qui supporte le clocher, et qui est flanquée d'une
élégante tourelle renfermant l'e.scalier, date du commencement du XVI*
siècle. Percée d'une porte à plei"-cintre surmontée d'une fenêtre à me-
neaux flamboyants, elle offre ensuite deux étages; le premier est occupé
par une magnifique horloge, et le second, par trois belles cloches, mal-
heureusement fêlées. Puis vient la plate-forme, entourée d'une balustrade
à découpures flamboyantes. C'est sur cette plate-forme que repose, flan-
quée de quatre clochetons, la flèche peut-être la plus ouvrée, la plus me-
nuisée, la plus déchiquetée qui ait jamais laissé voir le ciel à travers son
cône de dentelle. Elle a elle-même trois étages accessibles. Ce n'est pas
sans une émotion mêlée de ci'ainte que je contemplais, le 7 septembre der-
nier, du plus élevé de ces trois étages, la jolie petite ville de Couches,
qui s'étalait à mes pieds, et, à l'autre extrémité de l'église, la vallée du
Ronîoir, ceinte d'une couronne de forêts. 11 faisait un vent très-violent, et
malgré moi, je ne me sentais pas très-rassuré dans ce clocher aux formes
si légères, qui se balançait au souffle du vent, au-dessus de ma tête.
Cette flèche a subi bien des vicissitudes. Elle fut réparée en 1710, lors
de la pose de l'horloge. Mais, en 1760, un certain architecte, s'imaginant
que le couronnement était trop lourd, le fit supprimer. Cependant, ce qui
restait de l'œuvre des premiers artistes menaçait ruine, et son inclinaison
sur la rue qui longe le portail inspirait de sérieuses inquiétudes \ lors-
qu'en 1842 on se décida à l'aliattre, et à rebâtir une nouvelle flèche sur le
modèle de la première. Les travaux de la charpente étaient terminés, les
plombiers avaient commencé les leuis, d'immenses échafaudages s'éle-
vaient jusqu'au sommet, quand, par une nuit de printemps, un ouragan
renversa tout. Des maisons voisines furent écrasées par le choc, et le pied
de la flèche tomba sur le mur des bas-côtés, où les vitraux furent brisés.
La croix de la flèche était allée tomber dans la vallée *.
Après cette catastrophe, des soldats appelés d'Evreux furent chargés
de déblayer les décombres. Le clocher fut transporté pièce par pièce sur
» M. de Caumont disait en 1837 : La tour de Conches menace ruine et perd
chaque jour quelques-unes des lames de plomb qui la recouvrent. Une restaura-
tion serait urgente, elle demanderait une dépense de iO,000 fr., mais elle est
digne d'attirer l'attention du Gouvernement et des nutorités locales. [Bull, mo-
ntim., tora. III. 1867, pag. 81.) — Voir aussi RapjiorI sur les recherches archéo-
logiques clans le département de l'Eure, par M Chevreaux. [Bull, monum.,
tom. VI, 1840, pag. 475.)
* Voy. séance du 22 mars 18i2. Note communiquée par M. Chevreaux. [Bull.
monum., Um. VIII, 1842, p. Oy.)
LKGLISE SAINTE-FOY DE CONCHES 379
les promenades publiques. On le reconstruisit ensuite, mais avec de grandes
précautions, de manière à empêcher un nouveau malheur. On avait soin
d'enlever les échafaudages à me.sure que les travaux de plomberie avan-
çaient. Et aujourd'hui on peut admirer cette belle et élégante flèche, haute
de oo mètres, qui s'élance si coquette dans les airs. Construite d'après le
plan primitif, on sent là le dernier souffle de cette architecture ogivale
qui ne voulut s'éteindre qu'après avoir épuisé tous les éléments d'une or-
nementation presque sans bornes.
L'architecture extérieure de l'église est assez sévère. Huit contreforts
à dessins caractéristiques du XVl' siècle, dont les six premiers sont tron-
qués et attendent leur achèvement, indiquent au dehors autant de ran-
gées intérieures de piliers. Le mur des bas-côtés est percé de larges fe-
nêtres occupant tout l'espace compris entre les contreforts à clochetons
feuillages qui supportent les arcs-boulants de la claire-voie. Ces arcs-
boutants, surmontés, dans toute leur longueur, d'une arête dentelée en
pierre, d'un bel eft'et, s'appuient sur les contreforts de la nef. Ceux-ci
sont carrés, et terminés par d'élégants clochetons ornés de feuillages
frisés et de figures grotesques : ils font le tour du chevet, et sont séparés
entre eux, à la iuiuteur de l'égoùt du toit, par une balustrade flam-
boyante. Le pourtour du chœur, qui comprend le chevet et les deux der-
nières travées de la nef, est seul complètement achevé. 11 a été réparé il
y a une quinzaine d'années (1860-1862) aux frais du gouvernement. Sur
l'arête du toit court une crête à dessins flamboyants, et, au point d'inter-
sections des pans coupés de la toiture du chevet, s'élève une croix à bran-
ches fleurdelisées, placée depuis peu d'années.
L'église, avons-nous dit, domine la vallée du Uouloir ; son chevet est
la continuation de la colline à pic sur laquelle elle est élevée. Aussi n'est-
ce pas sans surprise que l'on aperçoit un instant, du chemin de fer, qui
passe au pied de la colline, cette église aux formes si aériennes surmon-
tée de sa flèche qui dessine sur le ciel sa délicate dentelle. On sent que
c'est l'œuvre de ces générations animées par une foi ardente, qui com-
prenaient que le temple de Dieu doit être, dans tout son ensemble comme
dans chacune de ses parties, l'expression de la prière que lui adressent
ceux qui se prosternent au pied des autels.
IV.
Quand on pénètre dans l'église de Conches, on sent la vérité de cette
parole de Montaigne : « 11 n'est àmct si revesche qui ne se sente touchée
de quelque révérence^à considérer la vastité de nos églises et leur diver-
380 l'église sainte-foy de conches
site d'ornements. Ceulx mesme qui y entrent avec mespris sentent quel-
que frisson dans le cucur. » Malheureusement, àConchcs, la nef n'est pas
achevée ; mais le chœur et les bas-côtés attirent Tattention par leur ar-
chitecture, non moins que par la Ijeauté de leurs admirables vitraux, qui
sont le plus précieux joyau de l'église de Gonches. C'est grâce à eux que
je me suis senti pris d'un bel enthousiasme pour ce monument : aussi
n'auront-ils pas la moindre part dans ce travail, dont le chapitre suivant
sera consacré à leur description.
Des huit travées de la nef, les deux dernières, jointes au chevet, qui est
à sept pans, forment le chœur. Les six autres sont inachevées : elles sont
sévères d'ornements, et même deux d'entre elles, à colonnes octogones,
en sont complètement dépourvues. Les autres colonnes sont semblables
les unes aux autres, à moulures rondes et assez rares ; point de chapi-
teaux, dont tiennent lieu tout au plus quelques moulures insignifiantes.
Sur l'arête de l'ogive des arcades, l'œuvre s'arrête inachevée, le triforium
et la claire-voie sont remplacés par une construction en charpente qui
supporte, à la hauteur de la voûte en pierre du chœur, une voûte en bois
recouverte d'un affreux badigeon. Il serait bien à désirer que le gouver-
nement, qui a déjà fait réparer le chœur, fit disparaître cette construc-
tion si disgracieuse, derrière laquelle sont cachées des fenêtres dont la
réparation achèverait de faire de l'église de Couches un véritable bijou.
Les collatéraux ont leur base sur les deux tours, dont la largeur est
plus grande que la leur : aussi empiètent-elles un peu sur la nef princi-
pale. Les collatéraux se terminent, à la hauteur de la septième travée,
par un mur droit auquel est adossé un autel. Leurs voûtes sont en pierre,
avec arceaux multiples et nervures prismatiques. Leur aspect est uni-
forme : malheureusement les aimoiries qui ornaient les clefs de voûtes
ont été détruites par le marteau des niveleurs de distinctions et de privi-
lèges. Les arcades des voûtes, dans les deux travées qui avoisinent le
chœur, reposent sur des pilastres à moulures prismatiques, adossés au
mur. Les autres vont se confondre avec la muraille elle-même sur laquelle
elles s'appuient.
Quant au chœur, il se compose des deux dernières travées de la nef et
du chevet heptagone. Chaque pilier est formé d'un faisceau de moulures
prismatiques élancées qui vont s'épanouir en nervures à la voûte. Au-
dessus des arcades des deux travées, commencent immédiatement les
fenêtres, qui occupent toute la largeur des entrecolonnements et sont
divisées par des meneaux en lobes flamboyants.
Les sept faces du chevet sont percées chacune d'une fenêtre, séparée
de sa voisine par un faisceau de moulures prismatiques d'un seul jet. Ces
L ÉGLISE SAINTE-FOY DE CONCHES 381
fenêtres, très-élancées, n'ont pas moins do 10'" 30 d'élévation. Un meneau
vertical les divise en deux compartiments, et se subdivise, à la hauteur
de la naissance de l'ogive, pour former des lobes flamboyants. De plus,
une traverse trilobée divise horizontalement les fenêtres vers le milieu
de leur hauteur.
La voûte du sanctuaire et celle de la partie achevée de la nef, qui forme
le chœur, sont en pierre, avec des arceaux multipliés et des nervures
prismatiques. D'autres arceaux, ornés de culs-de-lampe armoriés, sont
dans les intcados des voûtes : tout l'ensemble porte le cachet du XVI*
siècle. Ce ne sont pas encore les culs-dc-lampe en pendentifs de la Renais-
sance, mais c'est déjà un acheminement vers ces tours de force d'une
hardiesse vraiment inquiétante, dont on peut voir de beaux spécimens
au-dessus du chœur, à Saint-Eustache, au-dessus du transsept de Saint-
Etienne du Mont, et dans la chapelle de la Sainte-Vierge, à Saint-Gervais.
On a rapporté à l'un des piliers de gauche, dans la grande nef, une
chaire en bois qui jure avec son entourage comme un anachronisme.
Qu'on se figure un cube, une boîte posée sur un piquet que l'œil s'attend
à chaque instant à voir ployer sous le poids du prédicateur. Et, pour
compléter la ressemblance, cette boîte est surmontée, en guise d'abat-
voix, d'un affreux couvercle, orné, sur sa face inférieure, d'une vilaine
colombe. On ne peut rien imaginer de plus simple, mais aussi, on ne peut
rien concevoir de plus laid.
A cette œuvre de menuiserie fait dignement pendant le buffet d'orgues.
Ce meuble affiche, d'une façon bien malheureuse, des prétentions au
gothique ; mais il a l'air honteux de lui-même et semble chercher à tenir
le moins de place possible. C'est, avec la voûte en bois que j'ai fait
remarquer plus haut, et l'autel en marbre multicolore qui s'étale sans
pudeur au milieu du sanctuaire, ce qui dépare cette charmante église ;
ce sont autant de taches à effacer de ce livre où l'art ogival mourant a
écrit une si belle page.
La sacristie de l'église de Conches est remarquable à plus d'un titre.
C'était autrefois une chapelle dédiée à la Sainte-Trinité, et sa construction
remonte jusqu'au règne de Henri 11. Elle est éclairée par quatre fenêtres
en plein-cintre, dans le style de la Renaissance. Les arceaux qui sou-
tiennent la voûte s'appuient tous contre la seconde pile du sanctuaire,
et. à l'autre extrémité, contre les jambages des fenêtres. La porte sculptée
délicatement et sa poignée en fer ciselé attirent l'attention du visiteur.
On admire encore, dans la sacristie, une piscine en marbre blanc d'un
travail exquis, découverte l'écemment derrière les boiseries vermoulues,
et un panneau en bois sculpté, représentant la Sainte-Trinité.
382 l'église sainte-foy de concres
La sacristie des chantres, de construction moderne, ne ferait pas
honneur au maçon le moins habile : il serait à désirer qu'elle fût détruite.
Mais j'ai hâte d'arriver à la description îles vitraux. M. Charles Lenor-
mant ne craint pas de dire que Conches est « le pays qui renferme à lui
« seul plus de belles verrières (jue toutes les autres contrées réunies » ';
et Pierre Le Vieil dans son Traité - qui fait paitie de la collei.tion des
descriptions d'arts et métiers, publiées par TAcadémie des sciences,
s'étend avec éloge sur le mérite des venières de Conches, et notamment
sur la recherche et la finesse des détails qu'on y remarque \
Il y a, dans notre église, deux séries de vitraux. Les premiers sont
ceux du chœur, qui remplissent les sept fenêtres du chevet ; les autres
ornent les fenêtres des bas-côtés.
On a ignoré pendant longtemps le nom de l'artiste à (jui l'on doit les
verrières du chœur, qui renferment une même suite de sujets. Enfin, il
y a quel(]ues années seulement, on a découvert, sur l'une d'entre elles,
cette inscription :
^IbfgifDtrfi 1)09 rtiiuo I?omtiii n
ce qui veut dire qu'un artiste de nom d'Aldegrevers, est l'auteur, sinon
des vitraux, au moins des cartons, et qu'il avait fait ce travail en 152.) ''.
Mais écoutons M. Charles Lcnormant :
« 11 nous semble impossible de ne pas reconnaître ici Albert ou plutôt
« Henri Aldegrevers. peintre allemand, né à Soî'sI, en Westphalie, et
« qui vint de bonne heure à Nuremberg, pour y suivre les leçons d'Albert
Durer.
(( Aldegrevers est considéré comme le premier de ceux qu'on appelait
« les petits maîtres, à cause de leur goût poui' traiter les sujets de petite
« dimension.
' Rapport sur les vitraux de l'rglife de Conches.
* L'art de le peinture sur verre et de La vitrerie, par feu M. Le Vieil. 177i
(p. 58).
' En Normandie, dit M. do Gauiviont. j'aurais à signaler les vitres fort remar-
quables de l'église de Conches, au nombre de 23, représentant plusieurs allégo-
ries mystiques en l'honneur de la Vierge, la vie de Jésus-Christ, celle de la pa-
tronne, sainte Foy, et quelques autres sujets indiqués par M. Langlois. (Cours
d'antiquités monumentales, vi" partie, p. 033.)
♦ Voir M. Ch. Lenormant, ouv. cité.
l'église sainte-foy de conçues 383
<* Le plus intéressant de ses tableaux à comparer avec nos vitraux
« serait le Christ en croix de la galerie de Munich, ouvrage dans lequel
« M. de Nagler, auteur d'un dictionnaire et artiste très-estimé, remarque
« une tendance à se rapprocher des maîtres italiens.
î Les vitraux de Conches sont d'un goût allemand, mais cependant
« moins prononcé que la plupart des planches d'Aldegrevers; et d'ail-
« leurs, on est loin d'avoir eu jusqu'ici, de cet artiste, un ensemble de
« composition aussi riche, et aussi intéressant. Quand il l'exécuta, il était
« dans sa première jeunesse, car nous savons, grâce à l'inscription qu
« accompagne son portrait gravé par lui-même, qu'il était né en 1502. La
« plus ancienne de ses estampes datées est de lo22, et l'on a vu que les
(' peintures de Cunches étaient de 1520. Aussi tout en admirant la préco-
* cité de l'artiste, s'étonne-t-on moins de le voir, dans ses premiers tra-
« vaux, tout à fait dégagé de l'influence d'Albert Durer. «
Nous avons dit que chacune des fenêtres du chevet est divisée en deux
parties par une traverse horizontale trilobée. Chacune de ces deux parties
contient trois compartiments superposés, dans chacun desquels est un
sujet : ce qui fait six sujets par fenêtre. Les trois tableaux de la partie su-
périeure représentent des scènes de la vie du Sauveur; des trois tableaux
de la partie inférieure, deux représentent des épisodes de la vie et de la
mort de Sainte Foy ; et le troisième est consacré aux donateurs et à leurs
saints patrons.
Je pourrais commencer la description par le haut de la première fenê-
tre qui se trouve à gauche du spectateur regardant l'autel, pour finir par
le bas de la dernière fenêtre de droite. Mais cette méthode qui serait
bonne dans un ouvrage didactique, dans une monographie complète, au-
rait l'inconvénient, dans ces notes, de mettre de la confusion dans l'es-
prit du lecteur en mêlant ensemble les sujets des trois séries de tableaux.
Aussi me contenterai -je de donner l'énumération des scènes de chacune
des séries : je tei'minerai par la désignation des figures des donateurs, et
des SS. Patrons qui occupent le compartiment inférieur de chaque fenê-
tre, à l'exception de la première oij ce compartiment est consacré à la vie
de Sainte Foy.
Les tableaux relatifs à la vie de Notre-Seigneur, représentent : Sainte
Marie-Madeleine demandant à Jésus la résurrection de Lazare ; l'entrée
du Sauveur à Jérusalem; 1 institution du divin sacrement de l'Eucharis-
tie; — Jésus recevant du jardin des Oliviers la coupe que lui apporte un
ange ; la trahison de Judas ; Jésus devant Caïpbe ; — Pilate montrant le
Christ au peuple en disant : Ecce Iwmo ; la flagellation; Notre-Seigneur
traité en roi de théâtre ; - Jésus mourant sur la croix, au-dessus de la-
384 l'église sainte-foy de conçues
quelle l'artiste, par un heureux rapprochement, a place le nid d'un péli-
can qui déchire son côté, pour nourrir ses petits de son sang; Jésus chargé
de sa croix, gravissant le chemin du Calvaire; Pilate se lavant les mains;
— la Résurrection; la visite aux âmes justes dans les Limbes; la descente
de Croix; — l'apparition de Notre-Seigneur à la Très-Sainte Vierge, puis
à Marie-Madeleine ; la pêche miraculeuse ; — le Saint-Esprit descendant
sur les Apôtres au jour de la Pentecôte; l'Ascension de Jésus-Christ, et
enfin Saint Thomas touchant les plaies de son divin maître. — J'ai suivi
pour chaque fenêtre l'ordre descendant, quoique l'ordre contraire soit
souvent, comme il est facile de le voir, l'ordre chronologique.
Le premier tableau de la seconde série représente la naissance de sainte
Foy. Puis la jeune Vierge, à l'école, est debout devant le magister, tandis
que d'autres enfants écoutent et dicutent. Le troisième tableau nous mon-
tre Sainte Foy prêchant devant un nombreux auditoire. A la fenêtre sui-
vante, nous la voyons subissant l'interrogatoire de Dacien, et, dans le
môme tableau, sa mère l'encourage en lui montrant le ciel. Plus bas, sainte
Foy refuse de sacrifier aux faux dieux, ut au second plan elle est attachée
à une colonne, et frappée de verges. Aux pieds de Dacien, un ange
soutient un écu sur lequel sont les armes de Conches : d'or à la
bande d'azur, chargée de trois coquilles d'argent. Ensuite sainte Foy
est tenaillée; puis elle se tient debout, les mains jointes, au milieu d'un
temple qui s'écroule et écrase dans sa chute les soldats auxquels la fureur
de Dacien avait résolu de prostituer son honneur. Le tyran, furieux de
n'avoir pu la vaincre, lui fait endurci' ensuite le supplice du gril, et une
colombe apporte à sainte Foy la glorieuse couronne du martyre; mais la
jeune vierge a encore résisté à ce supplice, et son bourreau la fa't plonger
dans une chaudière d'huile bouillante ; un ange descend du ciel pour la
consoler et l'encourager. Au preraier tableau de la cinquième fenêtre,
Saint Caprais, suspendu à une potence, les mains jointes, semble implorer
la justice divine, tandis que sainte Foy refuse de nouveau de sacrifier aux
idoles.
Enfin au milieu d'une place magnifique, où la foule semble attirée par
un grand spectacle, sainte Foy, à genoux, attend son dernier supphce ;
le bourreau lève déjà le glaive pour lui donner le coup qui va la mettre
en possession de la gloire éternelle. Puis c'e.^t la mère de notre sainte,
contemplant les restes inanimés de sa fille ; et au-dessous, des femmes
ensevelissent ces précieuses dépouilles : une foule d'infirmes semblent ve-
nir implorer la protection de la vierge martyre : ce tableau a pour fond
un charmant paysage. Dans la septième fenêtre, des pèlerins de ;toute
condition s'agenouillent autour de la châsse de la Sainte. Enfin l'heureuse
l'église saihte-foy de conches 385
mère de Sainte Foy rend le dernier soupir auprès du somptueux catafal-
que, contenant les restes glorieux de celle qui, du haut du ciel, l'appelle
à partager sa gloire.
Les compartiments consacrés à la représentation des donateurs et de
leurs SS. Patrons nous montrent d'abord deux donateurs et, avec eux,
trois saints que l'on pense être Saint Nicolas, Saint Roch et Saint Benoît :
puis de nouveau Saint Benoît, avec Saint Louis, roi de France; c'est
sur le manteau du saint roi, que se trouve l'inscription à laquelle on doit
de connaître le nom de l'auteur de ces vitraux : Aldegrevers hos anno Do-
mini XX. A la quatrième fenêtre, Messire Jean Vavasseur, abbé régulier
de l'abbaye de Saint Pierre et Saint Paul de Conches, donateur, suivant
•les chroniques, de tout ce magnifique ensemble de verrières : et avec lui
Saint Jean, son patron : Saint Pierre et Saint Paul, patrons de l'abbaye ;
à la fenêtre suivante, Saint Georges terrassant le démon, et la Sainte
Vierge avec cette invocation : Monstra te esse matrem : au bas du comparti-
ment sont des armoiries ; Saint Jean, écrivant son Evangile, et Saint
Jean-Baptiste prêchant occupent le tableau de la fenêtre suivante. Enfin
le compartiment de la septième fenêtre, fort maladroitement mutilé pour
l'établissement d'un vasistas, nous offre encore un groupe d'anges,
et un fragment d'inscription malheureusement trop incomplet pour four-
nir quelque indication.
Les vitraux des bas-côtés n'attirent pas moins l'attention que ceux du
chœur : « 11 semble, dit M. Lenormant, que les plus habiles verriers de
« la Normandie, en décorant à l'envi les chapelles latérales de l'église
« de Conches, aient voulu rivaliser avec le jeune maître allemand qui leur
« avait en quelque sorte ouvert les voies de la grande peinture histo-
« rique. »
La chute de la flèche a détruit la première verrière du collatéral de
droite, et elle n'a pu être réparée '. La seconde offre trois scènes de la
vie de S. Jean-Baptiste. C'est d'abord le S. Précurseur prêchant dans le
désert le baptême de la pénitence a un auditoire de soldats et de publi-
cains, à qui S. Jean désigne le Christ placé au milieu d'eux en leur disant
ces paroles écrites sur un phylactère dans la partie supérieure du tableau :
* Sur une verrière détruite avant la Révolution, dit M. Chevreaux, on voyait
une légende assez singulière. Saint Ijornard se rendait au lieu de sa mission : le
diable, pour lui jouer niche, vola l'essieu de sa voiture. Ma's le grand Saint, ne
s'embarrassant pas pour si pçu, saisit le diable qui le regardait d'un air gogue-
nard, le tortilla, puis le passant dans les roues, le força lui-même à servir d'es--
sieu. ^Rapport de M. Chevreaux. Bull, monum . , tom . VI, 1840. p. 475.)
386 l'f.GOSE SAfNTE-FOT DE CONÇUES
« Ecce Agnus Dei\ ecce qui tollit peccata mundi. Hic est de quo dixi : Posé
« me venitvir qui ante me factus est quia prior me erat^ et ego vidi, et testi-
« monium perhilnii quia hic est Filius Dei. » En bas l'épuuse du donateur
est agonouillée, les mains jointes, devant un prie-Dieu, sur lequel un livre
est ouvert.
Puis Jean, sur la rive du Jourdain, laisse couler de sa main Teau du
baptême sur la tête de Jésus, plongé dans le fleuve. Deux phylactères
portent, l'un les paroles de Jean, s'excusant de baptiser son Sauveur ', et
l'autre la réponse de Jésus : « Sine modo : sic enim decet nos implere om-
u nem justitiam -. » Du milieu des rayons qui descendent du ciel, se déta-
chent les paroles de Dieu le Père : « Hic est Films meus dilecdis, in quo
<( mihi complacui. » EnOn dans le troisième compartiment, S. Jean inter-
rogé : « Quid ergo faciemus? » répond au peuple en lui prêchant l'aumône,
et aux publicains en leur prescrivant l'accomplissement de la loi.
Ce vitrail, longtemps incomplet, a pu être restauré, grâce aux fragments
qui en ont été rcdouvés dans une église de l'arrondissement de Pont-Au-
demer. Deux panneaux ont été ainsi rétablis : ils représentent le donateur
et la donatrice avec leurs enfants.
L'ans les lobes supérieurs de la fenêtre, Dieu le Père entre deux anges
en adoration, bénit de la main droite et tient le globe de la terre de l'autre
main ; et S. Martin partage son manteau avec un pauvre.
La quatiième n'offre qu'une seule scène : la chute de la manne dans le
désert. Au premier plan Moïse, tenant sous son bras les tables de la loi,
et acciimpagné do deux auties personnages, indique au peuple, de sa
baguette, le ciel obscurci par la manne oui tombe en abondance. Der-
rière lui sont plu-ieurs tentes, dont une, la sienne sans doute, est surmontée
des tables du la loi, et une autre d'un croissant l'enversé et d'une étoile.
Au deuxième plan, on voit le tabernacle au-dessus duquel se trouve la
coloime de nuée. De tous côtés les Israélites courent, portant des vases
dans lesquels ils recueilletit la manne. A gauche du tableau, le donateur
en surplis se tient les mains jointes devant un livre ouvert sur une table.
Dans les lobes est représentée la chute des cailler ^, qui précéda celle
de la manne.
Le sujet de la cinquième verrière est expliqué par l'inscription f[ui la sur-
monte : Torcular nalcavi solus et de genfilms non est vir mecum '*. La scène
' Matth , IIL \'a.
« Matth., III, ■!.■..
» Exode, XVI, 13.
Msaï., LXIII, 3.
l'égltse sainte-foy de conches 387
se passe au milieu d'une vaste plaine dont l'horizon est borné par des col-
lines, aux pieds desquelles on voit une'foule de monuments antiques ; sur
la gauche, les ruines d'un amphithéâtre ; au centre celles d'un temple
païen. En avant, au milieu, le Christ est debout sur le pressoir ; ses
pieds pressent le raisin ; de la main droite il indique sa poitrine ; de la
gauche, il montre le vin qui coule sous ses pieds. A gauche, le donateur,
entouré des membres de sa famille, va puiser avec un vase fort riche le
vin coulant du pressoir; à droite est agenouillée son épouse, avec d'autres
personnes de sa famille. Au second plan, un char portant une futaille, et
attelé d'un bœuf et d'un lion, est conduit par un ange; un aigle a les
serres appuyées sur la futaille. Au bas du tableau, se trouvent les armoi-
ries du donateur avec sa belle devise : non qvam magnys satis. — non
QVAM SATIS PARVM. — Cette devise se trouve aussi sur une plaque de cuivre
incrustée dans le mur, au-dessous de la fenêtre, et portant une inscription
qui nous apprend que le donateur est. « Noble homme et Sage maître
Jehan Letellier, Seigneur des Bricux, conseiller du lioy en son grand
conseil, granti rapporteur ès-chancelleries de France, maître des requêtes
ordinaires de la reine; natif de la ville de Conches. »
A la si.xième fenèti-e, Notre-Seigneur Jésus-Christ à table au milieu de
ses disciples dans un temple vert et fort riche, leur dévoile la trahison de
Judas, que les autres Apôtres regardent avec étonnement, tandis qu'il
cherche à cacher la bourse qui contient le prix de sa félonie. Par une
singulière bizarrerie le donateur s'est fait représenter mort au-dessous du
tableau. Puis au-dessous encore, il est dégagé de son suaire ; son épouse,
vêtue de l'habit de religieuse, prie à genoux à ses pieds : près de lui est
son épitaphe qui résume en même temps la donation du vitrail. Elle nous
apprend que c'est un sieur Martel, sur qui un registre de l'abbaye nous
dit : « En 1630, Pierre Martel de Houen qui fut le dernier gouverneur du
château de Conches, eut s^in de réparer le pont qui y conduisait ; il y
avait une chambre oîi il logeait, quelquefois ; il mourut en 11372, et est
inhumé devant l'autel de St-.Michel. » Ses armes qui se trouvent dans le
vitrail sont parlantes : de gueules à trois marteaux d'or.
A la fenêtre suivante, le Christ, assis sous l'arcade centi'ale d'une sorte
d'arc-de-triomphe, bénit de la main droite un calice que sa main gauche
tient appuyé sur ses genoux. A ses côtés sont deux anges en adoration,
tandis qu'au-dessus de lui deux autres anges soutiennent un phylactère
portant ces mots : Ecce panis Angelorum, factus abus lu'atorum. A droite
et h gauche, les quatre évangélistes sont placés deux a deux, l'un au-
dessus de l'autre dans des sortes de niches ; à gauche c'est S. Marc, avec
S. Louis, le donateur, et un autre personnage, et au-dessus S. Jean, k
388 l'église sainte-fot de conçues
droite, S. Luc est placé <au-dessus de S. Matthieu, accompagné de la
Ste patronne de la dDnatricc portant la palme du martyre; au-dessous, la
donatrice elle-même avec sa fille.
Les lobes représentent erjcore les Israélites ramassant les cailles et la
manne dans le désert et, de plus, David demandant des vivres et des ar
mes au Grand-Prètre Achimelech, qui lui offre du pain et une épée.
La dernière fenêtre au fond du collatéral, au-dessus de l'autel dédié à
S. Michel, offre quatre sujets différents : Ce sont, adroite, le crucifiement
de S. Pierre : A gauche, S. Antoine dans le désert, et, au milieu S.Michel.
Le quatrième sujet qui se voit dans les lobes est le martyr de S. Sébas-
tien. Ce saint était particulièrement honoié à (.lonches et sa statue avait
été placée au-dessus d'une des portes de la ville, à la suite d'une peste dont
elle avait été délivrée par son intercession.
Si nous passons au collatéral de gauche, nous trouvons, comme de
l'autre côté, une fenêtre dont la verrière a été détruite : puis le vitrail
connu sous le nom de Vitrail de saint Romain, bien que ce saint ne soit
pas le sujet principal du tableau. La Sainte Vierge est au milieu tenant
l'enfant Jésus dans ses bras. A gauche, S. Adrien, en costume de Sei-
gneur de l'époque, a une épée dans la main droite, et dans l'autre, une
hache et une enclume, instruments de son supplice. A droite, S. Romain,
archevêque de Rouen, revêtu du costume épiscopal, porte une croix à la
main droite, et tient en laisse, de la gauche, un monstre, qui, de son
temps désolait le pays, et que l'on connaissait sous le nom de Gargouille.
Au bas du tableau, le donateur et son épouse sont en prières, à genoux
l'un vis-à-vis l'autre. Si l'on en juge par le lambrequin et le tenant de
ses armoiries, ce donateur devait être un haut et puissant seigneur : on
n'a pas sur lui d'autres détails : Tous les personnages de ce vitrail occu-
pent trois niches dont la décoration est très-riche, et qui correspondent
aux trois divisions de la fenêtre. Les lobes sont occupés par Ste Marie-
Madeleine, et des anges adorateurs.
Le sujet de la troisième fenêtre est la Présentation de Notre-Seigneur
au temple. Les artistes croient reconnaître, dans ce vitrail, le faire de
Jean Cousin. La scène se passe dans un temple vaste et somptueux. A
travers les colonnes on aperçoit un gracieux paysage sur lequel se déta-
chent des ruines antiques. Marie, debout, contemple son divin Enfant,
qu'elle vient de déposer entre les mains du Grand-l'iêtre. Un jeune homme
porte un(! torche, et une jeune fcnane offre deux tourterelles. Un person-
nage qui semble être un doclcur, montre n tleux autres les prophéties
concernant la veime du Messie. Dans le lobe du milieu, Marie enfant gra-
vit les degrés du temple, au haut desquels le Grand-Prêtre lui tend les
l'église saixte-foy de conçues 389
bras : Son père et sa mère disparaissent derrière deux colonnes. A gauche,
onvoitrépisode de la femme adultère, etàdroite, des marchands d'oiseaux.
Le tableau suivant représente le triomphe de la Ste Vierge. Du Palais
Virginal, placé à gauche, sort un immense cortège qui passe au premier
plan, puis se contourne pour entrer dans le Temple de l'Hoaneur, que l'on
voit au second plan, à dtoite. Une foule de personnes, marchant en tête
du cortège, entrent dans ce temple. Elles sont suivies par d'autres person-
nages, représentant les arts libéraux, reconnaissables par les attributs qui
les distinguent, et les bannières qui portent leurs noms, puis les Vertus
cardinales et les Vertus théologales, précédant immédiatement le char sur
lequel est assise Marie, qui tient une palme, tandis qu'un ange dépose sur
sa tête une couronne dont sept étoiles forment les fleurons. Sous les roues
du char se débat un monstre hideux, image de tous les vices. Derrière,
marchent enchaînées plusieurs femmes dont l'une tient par la main l'a-
mour, dont le flambeau est tombé à ses pieds. Au premier plan, à droite,
Jessé à l'entrée de son palais, placé en face du Palais Virginal, montre
Marie triomphante aux rois ses descendants. L'inscription suivante accom-
pagne ce tableau :
La noble Vierge va triomphant en bonheur.
Du palais virginal jusqu'au temple d'honneur.
Jessé en son palais à la vue espaadue.
Pour voir les douze rois dont elle est descendue.
Et leur dit : Nobles rois, voici de vous l'Ancelle.
Qui tous vous annoblit, et non par vous icèle.
Le Temple de l'Honneur porte la date de 1353. Les versets 1, 3, 4, 15
du XII' chapitre de l'Apocalypse forment le sujet des lobes. La femme
vient d'enfanter un enfant que Dieu et les anges enlèvent à la fureur du
dragon qui vomit de l'eau et de la fumée.
A la cinquième fenêtre on voit l'Annonciation. Le vitrail primitif a été
détruit dans l'incendie des ateliers de MM. Maréchal de Metz. Celui que
l'on voit aujourd'hui est d'exécution récente. Mais l'artiste y a suivi scru-
puleusement jusque dans ses moindres détails le dessin ancien. Marie en
prières, devant un prie-Dieu magnifique, tourne d'une main les feuillets
de son livre, et fait de l'autre un geste d'étonnement, à la vue de l'Ar-
change Gabriel qui tient un sceptre et montre le ciel. Au milieu du ta-
bleau, dans un vase fui t riche est un lys. Dans le haut, Dieu le Père est
entouré de nuages d'or d'où partent des rayons qui descendentsur Marie.
Dans ces rayons on voit une hostie sur laquelle sont représentés la co-
lombe et l'Enfant Jésus portant sa croix. La scène se passe dans un splen-
390 L ÉGLISE SAINTE-FOY DE CONCHES
diC.c n.tlais, ouvert sur un riant paysage que rehaussent des ruines gran-
dioses. Dans les lobes S. Jean prêche dans le désert, puis la fille d'Héro-
diade danse devant Hérode et devant sa mère, et reçoit ensuite dans un
plat la tête du saint précurseur.
Le vitrail suivant, un des mieux conservés de la collection « repré-
(c sente .sur un fond d'azur, la figure colossale de la Ste Vierge. Toutes
« les épithètes allégoriques par lesquelles cette sainte Mère de Dieu est
< désignée dans la Sainte-Ecriture y sont peintes avec beaucoup de soin.
« Telle est une ville avec cette inscription : « Civitas Dei ; un puits avec
i( celle-ci : Puteus aquarum viventium. » etc. Enfin on y distingue trois fi-
(( gures d'anges qui déploient en trois endroits différents un rouleau sur
« lequel on lit cette légende singulière : « Seule sans si dans sa concep-
« tien '. » Dans les lobes, on voit des anges, les uns en adoration, les
autres faisant résonner des instruments de musique.
L'avant-dernier tableau, qui représente la Nativité de Notre-Seigneur,
a pour scène les ruines d'un temple antique servant d'étable. L'Enfant-
Jésus couché dans un berceau de paille est entouré par Marie, Joseph, et
des anges dans l'attitude de l'adoration. Un vieillard aveugle entre, con-
duit par un jeune homme, et un berger fait signe à ses compagnons. A
droite et à gauche sont agenouillés le donateur et la donatrice accompa-
gnés, le premier de S. Roch, et l'autre de S. Nicolas. Derrière la dona-
trice, « on admire par-dessus tout, dit Le Vieil, un lointain, où un groupe
« de bergers dansants forment par leurs attitudes naïves un point de vue
« des plus gracieux. » Derrière le donateur on voit deux personnages
dont l'un porte une brebis sur ses épaules. Est-ce une allusion à la para-
bole du Bon Pasteur, comme l'a cru M. Lenormant? Ou bien le peintre
n'aurait-il pas voulu représenter un berger, qui, touché du dénijment de
la Sainte Famille, lui apporterait en présent une de ses brebis? Dans les
lobes, S. Jean-Baptiste montre du doigt un agneau se dressant pour brou-
ter les feuilles d'un arbre. On y voit aussi l'Annonciation de la Ste Vierge.
Enfin le dernier vitrail est consacré à Notre-Dame-de-Bon-Secours. La
Sainte Vierge est assise sous une niche construite dans le style de la Re-
naissance. Son visage, dont le type se retrouve dans l'Ecole italienne, est
admirable d'expression. Un ange tient au-dessus d'elle une couronne
llenrdelisée. A ses pieds, des représentants de la hiérarchie ecclésiastique,
papes, cardinaux, archevêques, évêques, implorent Marie. Un côté du
tableau a pour horizon des chaumières en ruines, et l'on voit s'avancer
des peisonnages en haillons, aux traits altérés par la souffrance : parmi
* Le Vieil, ouv. cit.
LTGLI5E SAINTE-FOY DE CÛNCHËS 391
eux il y a des aveugles, des boiteux, des malheureux de toute espèce. Un
ange tient au-dessus d'eux cette prière : « Juva p7xsiVanime^. » Au-des-
sous, des femmes de lout âge et de toutes conditions adressent leurs
prières à la Mère des miséricordes. Elles ont pour pendant, de l'autre
côté, des hommes dans la même attitude suppliante. Au-dessus d'eux, des
cavaliers armés poursuivant des fuyards, offrent une scène de guerre ou de
brigandage. Un ange porte ces mots : Sancla Maria, succurre miseris.
Les lobes offrent deux autres tableaux de malheurs : un naufrage et un
incendie. Les malheureux incendiés fuient de tous côtés : l'exprossion de
leursfigures et de leurs gestes annonce le désespoir : l'un d'eux se retourne
pour jeter un dernier regard sur sa maison devenue la proie des flammes.
VI.
La magnifique collection des vitraux de Couches se pi'ésente naturelle-
ment avec une division fondée sur le genre différent des écoles auxquelles
ont appartenu les artistes. Les verrières du cho-ur sont de l'école alle-
mande. Celles des bas-côtés sont l'œuvre d'artistes Normands. Auxquelles
donner la préférence? Les opinions sont partagées, et ces sentiments di-
vers se partagent également les hommes recommandables parleur science
archéologique et leur bon goût.
L'ensemble que présente la série des tableaux dus au pinceau d'Alde-
grevers se recommande par ses nombreuses qualités : fécondité d'inven-
tion avec laquelle sont traités les personnages, ton varié des couleurs,
délicatesse des détails, expression admirable des figures, fidélité aux
principes de l'art, ce sont là, il me semble, autant de motifs réels de pré-
férer l'œuvre de l'élève d'Albert Durer, quoique sa magnificence soit un
peu éclipsée, pour les yeux inexpérimentés, par son état actuel de déla-
brement. Traiter un personnage de vingt manières différentes, employer
des redites obligées de couleurs, captivant l'œil sans le fiitiguer, c'est là
certainement un caractère de supériorité appartenant au peintre alle-
mand. Et puis chaque tableau de la légende de Sainte Foy est accompa-
gné de quatre vers dans le style naïf du temps, ce qui en fait un manu-
scrit historié d'une valeur inappréciable.
Les auteurs des verrières des nefs latérales ont évidemment travaillé à
rivaliser avec le maître allemand ; et s'ils n'ont pu le surpasser, il faut
avouer qu'ils l'ont sui\i de bien près. L'étendue des fenêtres sur lesquelles
ils avaient à produire leurs tableaux a merveilleusement favorisé leur
génie : ils ont pu produire leurs sujets dans tout leur développement : la
finesse et la perfection des lignes, le ton harmonisé des couleurs, et par-
392 L'iXiLISE SAINTE-FOY DE CONCHES
ticulii'^rpment le rapport remarquable entre le sujet principal et les sujets
accessoires qui en sont le symbole, font do cet ensemble une galerie d'art
admirable, un merveilleux traité ouvert à l'œil du fidèle qui ne peut pui-
ser ailleurs la science de la Religion.
Mais ce qu'on ne saurait rendre, c'est le sentiment de profonde véné-
ration que l'on éprouve en présence d'une telle œuvre, pour les hommes
qui l'ont conçue et exécutée. C'est immense comme un dénombrement de
la Bible ou d'Homère, et pourtant le nom d'aucun de ces rapsodes n'est
parvenu jusqu'à nous. Ces humbles ouvriers, qui ont presque égalé leurs
devanciers, nous ont laissé des chefs-d'œuvre, sans se douter qu'ils aient
fait autre chose que de gagner leur pain quotidien.
L'exécution s'eflace;devant le choix des sujets. La Cène, le Pressoir, le
Triomphe et l'Otfice de la Sainte Vierge, et l'admirable tableau de Notre-
Dame de Bon-Secours offraient des difficultés d'exécution heureusement
surmontées. Dans le Triomphe de la Sainte Vierge, l'artiste a su, tout en
réunissant un grand nombre de personnages, éviter la confusion. Que
dire du tableau de Noire-Dame de Bon-Secours, paraphrase de l'invoca-
tion : Sancta Maria^ succurre miserïs, et de l'allégorie du Pressoir? La
conception est admirable et l'exécution ne lui est guère inférieure. Enfin
le coloris et la disposition des personnages ne peuvent être plus heureux
que dans la Cène, la Manne, la Nativité de Jésus-Christ.
En un mot, je crois avec M. Ch. Lenormant, qu'on trouverait difficile-
ment une réunion d'œuvres aussi admirables. C'est la Renaissance éta-
lant sur le verre tout ce que la peinture a de plus beau et ce dont elle se
glorifie à plus juste titre.
Lors de la construction de la chapelle de Dreux, la famille d'Orléans,
désirant ne rien épargner, pour faire de ce monument un bijou, eut l'idée
d'acheter les vitraux de Couches pour en orner le tombeau qu'elle se pré-
parait. Malgié la somme considérable qu'elle offrit, et qui eût pu séduire,
car elle aurait suffi pour l'achèvement de l'église de Conciles, le digne
curé de Sainte-Foy ferma l'oreille aux séductions. Les instances réitérées
le trouvèrent aussi insensible : il résista jusqu'au bout, préférant voir son
éghse inachevée que privée de .son plus précieux ornement. Aussi le pro-
jet fût-il abandonné et notre siècle eut l'occasion d'illustrer la chapelle de
Dreux d'un chef-d'œuvre de son genre. Le digne pasteur à qui on doit la
conservation de ces inimitables vitraux est mort, mais son souvenir vit
encore, et vivra toujours dans la petite ville de Conches dont il prit si
bien les intérêts.
L'abbé A. Bouillet.
LES TABLEAUX
DE
L'ÉGLISE SAINT-LOUIS. DE VERSAILLES
Au moment où, avec une louable sollicitude, l'Administration des
Beaux-Arts s'occupe de provoquer et de faire des inventaires détaillés des
œuvres de peinture et de sculpture dont les musées et surtout les églises
de province possèdent des spécimens encore nombreux, souvent remar-
quables, échappés aux vicissitudes du temps et des révolutions, il'nous a
semblé intéressant de publier, en les revoyant, des notes prises par nous,
dès 1852, sur les tableaux des peintres français, du XVII'' et du XVIIP
siècle que renferme l'église Saint-Louis de Versailles.
EniSo2, c'est-à-dire il y a plus de vingt ans, on recherchait, en France,
avec une ardeur active toutes les œuvres, même les plus médiocres ouïes
plus contestées des peintres célèbres de l'Italie, de l'Espagne et de l'Alle-
magne, et l'on croyait faire preuve de goût et de connaissance artistique
en méprisant les toiles des anciens maîtres de l'école française, si riche,
si variée et si estimée cependant par toute l'Europe; les choses — Dieu
merci! — ont bien changé depuis.
C'est surtout dans les églises que se sont conservées avec plus ou moins
de bonheur les œuvres des Lebrun, des Losueur, des Jouvenet, des
Restout et de tant d'autres. Les édifices religieux sont — en certaines
villes, — de véritables musées oii les richesses artistiques des couvents
supprimés en 1790, sont venues s'abriter en assez grand nombre.
L'église cathédrale de Versailles, édifice du siècle dernier, la paroisse
Saint-Louis, est riche en tableaux de peintres français des deux derniers
siècles; il suffit de citer les noms de Jouvenet et de Restout, de Leinoyna
et de Boucher, pi.ur attirer sur les toiles, dont elle est ornée, l'attention
et le curieux intérêt des hommes de goût.
Il<-' série, tome IL 28
39-4 TABLEAIX DK I. r.Cl.lSl-; SAlNT-LOlls
I.
JÉSUS RESSUSCITANT LE FILS DE LA VEUVE DR KAÏM.
Tableau île Jean Jonvenet.
Nous trouvons le sujet de cette grande et belle toile au chapitre VII de
l'Evangile selon saint Luc.
€ Jésus allait en une ville appelée Naïm; et ses disciples l'accompa-
« gnaient avec une grande foule de peuple.
« Et lorsqu'il était près de la porte de la ville, il arriva qu'on portait
« en terre un mort, qui était le fils unique de sa mère, et cette femme
« était veuve; et il y avait une grande quantité de personnes de la ville
« avec elle.
f Le Seigneur l'ayant vue, fut touché de compassion envers elle, et il
« lui dit : — Ne pleurez point.
« Et s'approchant il toucha le brancard. Ceux qui le portaient s'arrê-
« tèrent. Alors il dit : -- Jeune homme, levez-vous, je vous le commande,
« En même temps le mort se leva sur son séant et commença à mar-
€ cher : et Jésus le rendit à sa mère.
« Tous ceux qui étaient présents furent saisis de frayeur, et ils glori-
« fiaient Dieu, en disant : — Un grand prophète a paru au milieu de
« nous, et Dieu a visité son peuple. »
Voyons maintenant comment Jouvenet a traité ce que j'appellerais la
mise en scène de ce simple et touchant récit.
Le fond du tableau est fermé par la porte du bourg ou de la petite ville
de Naïm; à droite du spectateur se prolongent des bâtiments flanqués de
tours crénelées, d'un effet pittoresque. Quatre marches à descendre con-
duisent au cimetière; sur le haut des degrés, le Christ debout, montrant
du doigt le ciel et d'une main touchant le brancard, arrête le convoi fu-
nèbre et prononce en même temps ces consolantes paroles : — « Ne pleu-
rez point. B
Le Fils de Dieu est vêtu d'une longue robe rouge et drapé dans un
manteau d'étoffe bleue; sa tête, belle et simple, vue de profil, a le type
nazaréen; de longs cheveux et une barbe d'un blond doré l'encadrent
avec douceur et force à la fois. Au bas des degrés, la mère suppliante
et pleine d'espoir, est debout et lève ses yeux et ses bras vers le Sauveur.
Son costume est riche, et son voile blanc se confond presque avec la cou-
leur mate de son visage fatigué par les larmes.
Sa prière, aussitôt entendue, est exaucée; déjà le mort a rejeté la par-
1J£ VERSAILLES 395
tie du suaire qui lui couvrait la poitrine; sa tête allanguie se tourne vers
le Christ, et ses deux bras s'élèvent pour remercier Celui qui le rend à la
vie.
Les porteurs se sont arrêtés; ceux de devant, drapés dans une étoffe
de couleur sombre, rappellent par l'expression de leurs traits quelques-
uns des Récollets, pour l'église desquels Jouvenet peignit ce tableau.
Un d'eux détourne la tête du côté de Jésus, avec une surprise mêlée
d'un peu d'effroi; l'autre écarte de la main une jeune enfant de douze à
treize ans qui peint son étonnemeut et son admiration par un geste ex-
pressif. Vu du dos, ce personnage est bien posé et respire la vie qu'on y
devine, sans le voir.
Au premier plan, un fossoyeur s'appuie sur sa pelle et regarde ce qui
se passe avec un air d'impassibilité qui semble exprimer que le spectacle
de la mort est peu fait pour l'étonner. Un de ses compagnons, vieillard
nerveux et fortement bâti, le corps à demi nu, est descendu dans une
fosse qu'il achève de creuser et au bord de laquelle on voit un crâne et
des ossements. Un pic et une draperie rouge complètent les accessoires.
Derrière Jésus viennent ses disciples, calmes et attentifs; près d'eux,
les Pharisiens regardent avec ce parti pris qui faisait dire à un sophiste
du siècle passé : « Je verrais ressusciter un mort, que je ne croirais pas
pour cela. »
Au fond, le peuple accourt ; à une galerie un peu plus éloignée, d'au-
tres spectateurs se pressent avec curiosité, et, sur le côté droit, des hommes
de tout âge expriment de diverses manières les sentiments qu'excite en
eux la vue de ce prodige.
Cette toile que nous avons analysée aussi exactement que possible, est
peut-être une des plus belles que Jouvenet ait peintes.
Comme Lesueur, il ne vit jamais l'Italie et ne dut son talent et ses succès
qu'à son génie naturel fécondé par l'étude et l'observation constante de
la nature ainsi que par la méditation assidue des sujets qu'il se proposait
de traiter.
Son dessin est correct et savant ; une pratique profonde se remarque
dans tout ce qu'il a fait, avec une grande intelligence de la couleur locale,
un beau choix d'attitudes, des draperies bien jetées et du meilleur goût.
Sans avoir parfaitement possédé la couleur, Jouvenet a donné beaucoup
d'effet à ses tableaux, par l'intelligence du clair obscur qu'il a su y répan-
dre avec une rare habileté.
Ce qu'il y a surtout de remarquable dans sa Résurrection du fils de la
veure de Nn'im, ce sont les trois ligures principales : Jésus, la mère et le
fils.
3U(i TABLKAIX ])E LELiLlSi: SAINT-LOUIS
Le seul reproche que Ton puisse faire ù la figure de la mère^ c'est d'a-
voir un profil un peu anguleux ; mais qu'elle expression de douleur et
d'espérance ses traits reflètent î Les bras, couverts d'une gaze mal ren-
due, semblent trop gros.
Le torse du jfils est d'un beau modelé et s'éclaire heureusement.de la
lumière Iqui entoure la tête du Christ \
Peu de peintres ont autant produit et aussi bien que Jouvenet. Fils
d'un artiste et neveu d'un homme de talent, il naquit à Rouen le 21
août 1647. A vingt-neuf ans, il fit un chet-d'œuvre, la cjuérison du para-
lytique, que l'on voyait naguère à Notre-Dame de Paris et qui est aujour-
d'hui au musée du Louvre avec d'autres tableaux provenant de la même
cathédrale. Le célèbre Lebrun l'admira et le protégea chaudement ; le
sujet que Jouvenet choisit pour son entrée à l'Académie royale de peinture
rappela avec bonheur la manière du Poussin, dont son a'ïeul avait été le
premier maître.
En 1713, étant tombé paralytique du côté droit, il se crut hors d'état
de manier désormais ses chers pinceaux. Un jour qu'il regardait peindre
son neveu Restout, l'un de ses meilleurs élèves, il voulut lui faire corriger
quelque endroit de son tableau, et ne pouvant s'exphquer il prit le pinceau
de la main paralysée pour retoucher une tête, qu'il gâta. Sa vivacité ne
put supporter ce triste effet de sa maladie ; il essaya de réparer de la
main gauche l'accident causé par la droite, et à son grand étonnement
comme à son grand bonheur cette main exécuta fidèlement sa pensée.
Il peignit avec succès, de la main gauche, quelques tableaux, entre
autres le Magnificat qu'on admirait naguère dans le chœur de Notre-Dame
de Paris (aujourd'hui au Louvre), et s'y représenta, avec cette inscription
au bas de son portrait : J. Jouvenet, dextrâ paralyticus, sinistrâ fecit, 1716.
(Jean Jouvenet, devenu paralytique de la main droite, a peint de la main
gauche cette toile.)
Jouvenet mourut peu après, le 5 avril 1717, laissant deux élèves,
François Jouvenet et Restout, ses neveux.
L'église Saint-Louis de Versailles possède, dans son cadre primitif
(dans la croisée, à droite), un grand tableau de Restout, représentant la
Nativité de Jésus-Christ, dont nous allons parler.
Il est curieux et intéressant d'avoir sous les yeux Tœuvre du maître et
celle de l'élève.
* Ce tableau, après avoir longtemps orné la croisée (à gauche) de l'église Saint-
Louis, se voit aujourd'hui au fond de la grande sacristie ; de la porte, l'effet de la
perspective générale est vraiment saisissant.
VKtiSAILLES 397
il.
LA NATIVITÉ DE JÉSUS-CHRIST.
Tableau de Jean Restout.
Cette toile est assez sombre, sauf au milieu, d'oi^i se dégage une vive
lumière qui, partie de la tète de l'enfant Jésus éclaire le centre de la com-
position ; c'est ce qu'en terme d'atelier on appelle un effet de lanterne
magique, que Restout emprunta à Carie Maratte et dont Boucher, en
même circonstance, fit usage avec plusd'cclatencoreet — pour ainsi dire,
— de sonorité dans le coloris de son œuvre traitée à la flamande, comme
celle de Restout dont il s'agit ici.
Le Sauveur est couché dans la crèche ; d'un côté, S. Joseph, à genoux,
l'adore ; de l'autre, la Vierge, assise, découvre l'enfant Dieu aux regards
des bergers empressés.
A droite, sur le premier plan, on voit un groupe de jeunes filles, toutes
trois diversement impressionnées : l'une tient un panier plein d'œufs,
qu'elle apporte à Jésus; sa compagne, éblouie par la splendeur céleste,
détourne un peu la tête, tandis que la dernière enfant marque son admi-
ration par un geste naïf.
Derrière les jeunes filles, un berger fait résonner sa cornemuse et
s'arrête pour juger de l'effet produit par sa mélodie rustique. Dans une
partie plus retirée, un autre berger se prosterne profondément et semble
absorbé par un sentiment d'ineffable admiration. Un troisième berger est
debout, près de son confrère, le musicien.
A gauche, dans un coin, un berger vu de trois quarts, debout, tient
d'une main sa houlette, et, de l'autre, peint sa surprise et son étonne-
raent.
Au-dessus de la crèche se groupenttrois têtes d'anges, ailées. Plus haut
encore, un ange aux ailes déployées fend la nue et développe au dessus
de son front une bandelette qui porto en écrit le premier mot du cantique
qui retentit à la naissance du Fils de Dieu : Gloria !
Par terre, sur le devant du tableau, un panier et une huulefte. Cette
toile est signée Restout et porte la date de î761.
Jean Restout, neveu et élève de Jean Jouvenet, naquit à lîoueij en
1692 d'un père et d'une mère qui cultivaient avec succès l'art de la pein-
ture.
Restout u quel(|ues-unes des qualités de son maître, surtout l'ampleur
du style, mais il outre ses défauts par hop de négligence dans le dessin
398 TARLE.MX ni: léglise saint-louis
et la couleur, comme on peut s'en convaincre en étudiant le tableau que
nous venons d'analyser et qui a été réparé il y a quelqutîs années avec
beaucoup d'intelligence.
Ce qu'il y a de vraiment remarquable dans la Nativité de Jésus-Christ
de Restout, c'est le divin Enfant et la Vierge qui est fort gracieuse, bien
que son visage soit un peu fade.
La grâce des jeunes filles pèche par l'exagération du sentiment rus-
tique; il y a pourtant de la naïveté dans ces regards d'enfants qui, sous
l'empire d'une vive émotion, cherchent à prouver, selon leur âge, à Celui
qui vient de naître leur reconnaissance et leur amour.
La naïveté est surtout la grande qualité de llestout; il n'a qu'un tort,
c'est de l'outrer parfois.
Étudiée au point de vue historique et critique, la scène de la Nativité^
si souvent reproduite par les peintres de tous les pays, peut fournir quel-
ques détails intéressants.
Restout, en laissant dans une profonde obscurité toute la partie de son
tableau, que, sans cette habile précaution, il eut dû remplir d'architecture
pour se conformer à la tradition artistique, a su tourner avantageusement
une difficulté assez grande qui n'est pas encore résolue, à l'heure qu'il est.
€ Dans le doute, abstiens-toi, » a dit la sagesse des nations : Restout a
suivi ce conseil et s'en est bien trouvé.
Nicolas Denisot, peintre et poète français, qui vivait dans le XVP siècle,
nous a laissé dans ses Cantiques spiritia-is, une description assez singulière
du lieu où le tils de Dieu vint au monde et reçut les adorations des bergers
d'abord, puis des rois mages. Comme cette description — de haute fan-
taisie — a beaucoup de ressemblance avec ce que grand nombre de
peintres ont supposé sur cet article, il n'est pas inutile d'en citer les prin-
cipaux traits :
Quatre fourches eu carré.
L'une sur l'autre penchantes,
Sous un plancher bigarré,
De tous côtés chancelantes,
Étaient les quatre piliers
De ce tant heureux repaire.
Où les anges à milliers
Ont vu la Yierge être mère .
Sur ces fourches tout en long
Quatre perches à l'antique
Desceignaient le double front
D'un double et double purti((ue.
m: vF.usMf.i.Rs 399
Tout lo plancher de roseaux
Et de paille ramassée,
De torchies et de tuileaux,
D'herbe sèche entrelacée,
Était tout entièrement
Lambrissé en telle sorte
Qu'on eut dit facilement
Le tout n'être qu'une porte.
Les poutres et soliveaux
Étaient petites perchettes,
Plus pour nicher les oiseaux
Que pour servir de logettes.
L'entour était façonné
D'une claie mi-rompue,
Où le vent avait donné
Tant qu'il l'avait corrompue.
Sur le dessus mi-passait
L'herbe penchant de froidure
Qui ses cheveux hérissait
Teints encore de verdure.
Quatre gaules en travers.
Déjà sèches de vieillesse,
Ouvertes de mille vers.
Bout sur bout faisaient l'adresse.
V'oilà le beau corps d'hôtel
Et la maison somptueuse
Oîi le grand Dieu immortel
Est né de la Vierge heureuse, etc.
Ce beau corps d'Iiûtel ou plutôt cette misérable cabane a tant plu aux
peintres, que presque tous se sont empressés d'en faire usage.
Quelques artistes, voulant sans cloute donnei' plus de noblesse à leur
composition, laissèrent de côté la cabane décrite par le bon Denisot, ou
plutôtils la transformèrent en un temple ou palais dont les débris annoncent
la magnificence et la grandeur. Des colonnes renversées, des voûtes
chancelantes à demi-rompues, de l'herbe et de la mousse qui poussent à
travers les frises et les corniches sont tous objets favorables au pinceau;
ils n'ont pas oublié d'en faire usage.
D'autres, persuadés rue le contraste serait plus frappant s'ils unissaient
et les ruines dont nous venons de parler et la cabane de Denisot, prirent,
en conséquence, moitié de l'un moitié de l'autre; et de ces deux moitiés
iOO TABLi:.\tx i)i: l"f.i;lisI': sAiNT-Lons
ils compusèrent uii bâtiment d'une con<ti'uction nouvelle, dans lequel ils
firent naître le Messie.
Mais est-il bien vrai que Jésus soit né dans l'un des trois endroits ima-
ginés par les peintres ?
Ici les dénégations se pressent en foule : une seule est concluante, et
nous nous y tenons.
Depuis'S. Jérôme, qui passa la plus grande partie de sa vie à Bethléem
jusqu'à Chateaubriand qui visita le lieu de la naissance du Christ, en pèle-
rin, en poète et en historien, les plus graves auteurs ont toujours cru et
écrit que Jésus était né dans une grotte et non dans une cabane, encore
moins dans un palais tombant en ruines. Cette grotte existe encore; elle
a, dans tous les temps, attiré la piété des fidèles.
Chateaubriand la décrit en ces termes : « Cette sainte grotte est irré-
gulière, parce qu'elle occupe l'emplacement irréguher de l'étable et de la
crèche. Elle a trente sept pieds et demi de long, onze pieds trois pouces
de large et neuf pieds de haut. Elle est taillée dans le roc... Tout au fond
de la i^rûtte, du côté de l'Orient, est la place où la Vierge enfanta le
Rédempteur des hommes. Cette place est marquée par un marbre blanc
incrusté de jaspe et entouré d'un cercle d'argent radié en forme de soleil.
On lit ces mots à l'entour :
Hic de Virgine Maria Jésus Clirklus ?iatA(s est '. « Ici est né de la Vierge
Marie Jésus-Christ. »
Ces détails sont confor-njes avec ce qu'on tiouve dans les relations pré-
cédentes de la Terre-Sainte, par rapport à la grotte de Bethléem.
Ilestout, en masquant de nuages le fond de son tableau, a donc évité
l'erreur de ses devanciers.
Au lieu de donner à Marie un ca'-actère humble et respectueux, il a —
conformément à ce que disent Isa'ïo et S. Thomas, - exprimé sur son
visage la joie, l'admiration, le contentement.
11 a eu aussi le bon esprit dr ne pas représenter le bœuf et l'àne, que
l'on fait toujours intervenir dans les tableaux de la Nativité, moins en
vertu d'une tradition historique que comme la représentation de la pro-
phétie d'Habacuc et d'Isa'ïe. Le Seigneur a paru au milieu de deux ani-
maux, dit le premier. Le bœuf a reconnu son maître et l'écurie de celui qui
le nourrit, dit le second.
Dom Calmet assure que les saints Pères, du suffrage desquels on
voudrait se prévaloir pour faire adorer l'enfant Jésus par le bœuf et
' Ititicrairc de Paris à Jér}isule>v , fdil. df^ |S1 1 . i. H, [.. 10.^ et 15b.
DE VKliSAlLLES 'lOl
l'âne, doivent sentendre en un sens allégorique des Juifs convertis et des
Gentils qui ont reconnu le Christ.
La réserve de Restout sur les points que nous venons de signaler est
déjà très-louable de la part de cet artiste et suffit seule h racheter bien des
défauts.
Quoi qu'il en soit, il serait à désirer que nos peintres modernes missent
autant de sentiment de la religion et des convenances dans des compo-
sitions faites pour les églises que Restout en a toujours montré dans ses
tableaux religieux.
111.
SAINT LOUIS HONORANT LA CROIX ET LA COURONNE d'ÉPINES.
Tableau de François I.emoyne.
S. Louis est à genoux sur les marches d'un autel et paraît plongé dans
une extase profonde causée par la vue de la vive lumière qui émane de la
croix et de la couronne d'épines de Jésus-Christ, qu'il vient de déposer
dans la sainte chapelle de Paris.
S. Louis est en grand costume royal, comme on représente Louis XIV
ou Louis XV, l'épée au côté, le manteau de velours bleu fieurdelysé sur
les épaules, en culotte de satin blanc et en bas de la même couleur. 11
s'agenouille sur un coussin pareillement semé de fleurs de lys.
Au-dessus de sa tète, des anges, dans diverses attitudes, sont agenouillés
et expriment le triple sentiment de l'adoration, de la surprise et de l'ad-
miration en présence de la couronne d'épines dont un Dieu fait homme
a voulu ceindre son front et de la croix où il expira si douloureusement.
Des nuages garnissent le fond de cette toile et laissent seulement voir
les bases des colonnes de style grec qui supportent la vjûte de la chapelle.
Sur une des marches de Tautel, on lit le nom de F. Lemoyne et, à côté,
la date de 1727,
Ce tableau fut peint exprès pour l'autel qu'il décore et fut donné par
Louis XV à l'église Saint-Louis de Versailles.
Pendant la Révolution, on imagina de badigeonner le manteau et le
coussin fleurdelysés, pour sauver cette toile du vandalisme.
On remarque dans cette peinture qui — hâtons-nous de le dire, — n'est
pas une des meilleures de Lemoyne, toutes les qualités et aussi tous les
défauts de ce maître. Le coloris est frais et suave, mais l'agencement n'est
pas heureux, les attaches manquent de finesse, surtout dans un des anges
qui est agenouillé; les formes sont maniérées. Mais, encore une fois.
402 TABLEAUX DE i/eGLISE SAINT-LOUIS
ce n'est pas d'après eette toile, fort estimable en somme, qu'il faut juger
Lemoyne.
Pour apprécier le génie de ce maître, allez au château de Versailles,
entrez dans le salon d'Hercule, levez les yeux et admirez la composition,
l'ordre, la couleur brillante de ce plafond mythologique, — la composi-
tion pittoresque la plus vaste peut-être que l'Europe possède. Cette page
de peinture a soixante-quatre pieds de longueur sur cinquante-quatre de
largeur ; on y compte cent quarante-deux figures. Lemoyne y travailla
quatre ans.
Né à Paris en J688, de parents fort pauvres, cet artiste se forma presque
seul en étudiant le Guide, Carie Naratte et Pierre de Cortone. Ses pro-
grès furent rapides ; en 1718, il vit s'ouvrir devant lui les portes de l'Aca-
démie royale de peinture.
Arrivé au premier rang, tout semblait lui sourire dans l'avenir et devoir
assurer son bonheur matériel et sa fortune ; mais des chagrins de famille,
la perte cruelle d'une épouse adorée, la jalousie de ses confrères et surtout
une humeur noire dont rien ne pouvait le distraire amenèrent cet artiste
à une fin prématurée et terrible.
Dans les six derniers mois de sa vie, il fut attaqué d'une fièvre chaude
qui lui laissait peu de bons intervalles ; tout lui était suspect ; il croyait
sans cesse être poursuivi par la justice. Entendant un jour frapper à sa
porte un ami qui était convenu avec lui de le venir prendre pour le mener
passer quelques jours à la campagne, il crut qu'on venait l'arrêter. Rem-
pli de cette pensée, son humeur noire se changea tout à coup en frénésie :
il prit son épée et s'en perça.
II avait quarante-neuf ans (1737).
L'examen du tableau de S. Louis, au point de vue purement historique
et du costume, atteste chez Lemoyne comme chez tous les anciens pein-
tres une complète ignorance ou plutôt un grand dédain de la fidélité
dans le costume et dans la reproduction de l'architecture du Moyen-Age.
Jusqu'à ce jour, on n'avait pas eu de véritable portrait de S. Louis, et
les artistes modernes se bornaient à copier servilement une statue prove-
nant de l'abbaye de St-Denys, qu'à la suite du déménagement du musée
des Petils-Augustins, on baptisa du nom de St-Louis, tandis qu'il est par-
faitement prouvé aujourd'hui que c'est l'effigie de Charles V, dit le Sage.
« "Voici plus do vingt ans, — écrivait M. de Giiilhermy, en 1848 *, —
(|ue la tête de celle statue sert de type à tous les artistes qui ont à peindre
ou à sculpter un S. Louis pour quelque monument public. Nous ne con«
' Monagrnphie de Saint-Denis, p. 160-16'2. <
DE VERSAILLES '*t)3
naissons aucun portrait de St-Louis qui réunisse des conditions suffisan-
tes d'authenticité... Il est assurément très-regrettable qu'on ne possède
d'un aussi graud roi aucun monument original et considérable ; mais ce
n'était pas un motif de commettre un faux en matière d'iconographie pour
combler cette fâcheuse lacune. »
Si nous consultons les chroniqueurs contemporains, Guillaume deNan-
gis, Geoffroy de Beaulieu et Joinville, ils nous apprendront que St-Louis
était le plus bel homme de son temps.
Ensuite, St-Louis, que l'on représente toujours avec des cheveux noirs
et une carnation très-brune, était blond ; ce que Lemoyne n'a pas obser-
vé, en donnant à ce prince des cheveux très-châtains et d'une coupe qui
n'est pas celle du XIII' siècle.
La chevelure du pieux monarque rappelle celle de Louis XIII dans ses
dernières années, sur le tableau de Lemoyne. Sous St-Louis, on portait
les cheveux taillés en rond et un peu roulés en dessous, comme on peut
s'en convaincre en regardant les monuments peints ou sculptés de ce
temps-là.
Un mot du costume. D'abord on ne s'habillait pas ainsi, et de plus,
St-Louis, pour sa part, avait une très-grande simplicité dans ses manières
et dans ses habits. En aucun temps d'ailleurs on ne s'est approché de l'au-
tel avec une épée au côté, et pour vénérer les reliques de la Passion
St-Louis n'eût pas déployé le faste royal quelui suppose très-gratuite-
ment Lemoyne.
Lorsqu'après la prise de Jérusalem les croisés victorieux proclamèrent
Godefroy de Bouillon empereur dans l'église du saint Sépulcre et qu'ils
voulurent poser sur sa tête la couronne impériale, ce grand homme, qui
était un fervent chrétien, se refusa à ces honneurs en disant : a A Dieu
ne plaise que je ceigne mon front d'un diadème d'or en cet endroit oîi le
Sauveur des hommes a voulu être couronné d'épines ! d
Mais revenons à St-Louis, et laissons parler son naïf historien, le bon
Joinville. On va voir ce que ce monarque pensait du luxe que les princes
croient devoir afficher et quels étaient à cet égard ses principes et sa ma-
nière d'agir.
« Il disait que on se devait porter, vêtir et orner chacun selon son état
et condition et de moyenne manière, afin que les preudes gens {les sagef)
et anciens de ce monde ne puissent dire ni reprocher à autrui : « Tel en
fait trop, » et aussi que les jeunes gens ne disent : t Tel en fait peu et ne
fait point d'honneur à son état. »
Et ailleurs :
« Plusieurs foi« ai vu que au dit temps d'été le bon roi venait au jardin
iO^l TABLEAI'X Dl-: I/kGLISE SAINT-LOUIS
de Paris, une cotte de camelot vêtue, un surcotde tiretaine sans manches
et un mantel pardessus de sandal * noir. »
Enfin, nous terminons ces citations par cette dernière, qui nous semble
importante : « Da l'état du roi et comme il se maintint dorénavant qu'il
fut venu d'outre-mer vous dirai. C'est à savoir queoncques puis en ses
habits ne voulut porter ni menu vair ni gris ^ ni écarlate ni étriers ni
éperons dorés. Ses robes étaient de camelin ou de pers ', et étaient les
fourrures de ses manteaux et de ses robes de peaux de garnutes * et de
jambes de lièvres *. »
Il y a loin de cette simplicité du bon roi au velours, au satin et aux
broderies d'or dont Lemoyne et d'autres artistes ont paré et parent encore
St-Louis...
Lemoyne laissa deux élèves illustres : Natoire, pour le portrait, et
Boucher, pour les bergeries et les mythologies,
IV.
LA PRÉDICATION DE SAINT-JEAN-BAPTISTE DANS LE DÉSERT
Tableau de Boucher.
Dans la chapelle, au-dessus de celle qui porte le titre de St-Louis, on
voit une toile de Boucher, représentant La pi'édication de Saint-Jean- Bap-
tiste dans le désert.
Ce tableau est d'autant plus intéressant à étudier, que Boucher n'est
guère connu comme peintre de sujets religieux ; il a fait plus de bergères
et de nymphes que de saints et de saintes.
N'y eût-il que l'étrangeté et la nouveauté de cet aspect du talent gra-
cieux de Boucher à constater, que ce serait déjà une véritable bonne for-
tune pour les amateurs et pour le critique d'art.
C'est au chapitre III (versets 1, ±, 3, 10 à li et 18), de St-Luc, que
Boucher a emprunté le sujet de la toile dont il s'agit ici :
« L'an quinzième de l'empire de Tibère César... le Seigneur fit enten-
« dre su parole à Jean, fils de Zacharie, dans le désert.
' Gros taffetas.
^ Fourrures de prix.
' Étoffe commune, bleu tirant sur le noir.
* Lapins blancs.
■'' Édit. de Petitdt : Collection de Mémoires relatifs à l'Histoire de France^
p. 160, Ig.iet 387.
DE VERSAILLES 405
« Et il vint dans tout le pays qui est aux environs du Jourdain, prê-
« chant le baptême de pénitence pour la rémission des péchés...
« Et le peuple lui demandant : — Que devons-nous faire?
« Il leur répondit : — Que celui qui a deux vêtements en donne à celai
« qui n'en a point, et que celui qui a de quoi manger en fasse de même.
« Il y eut aussi des Publicains qui vinrent à lui pour être baptisés, et
« qui lui dirent: — Maître, que faut-il que nous fassions?
« II leur dit : — N'exigez rien au-delà de ce qui vous est ordonné.
(( Les soldats aussi lui demandaient : — Et nous, que devons-nous
a faire ? — Il leur répondit : — N'usez point de violence ni de fraude
u envers personne, et contentez-vous de votre paie...
« Il disait encore beaucoup d'autres choses au peuple dans les exhor-
« tations qu'il leur faisait. »
Voici comment Boucher a tenté la traduction des passages de l'Evan-
gile que nous venons de citer.
S. Jean est debout sur un tertre de gazon; il s'appuie, d'une main, sur
une longue croix de bois ornée d'une banderolle blanche et, de l'autre,
montre le ciel aux personnes qui l'entourent.
Un peu sur le premier plan, un homme assis lève ses yeux au ciel et
semble dans l'admiration des beaux préceptes de charité que S. Jean
donne à la foule. Derrièi^e ce personnage, un homme vêtu de long, coiff'é
d'une sorte de voile rouge, s'avance vers le saint avec amour et componc-
tion; d'une main il appuie ses pas appesantis sur un bâton, de l'autre il
tient un volumineux paquet de papyrus.
L'attitude de ce personnage et l'expression de sa figure nous feraient
penser que c'est un pubiicain qui adresse à S. Jean cette question rap-
portée plus haut : « Maître, que faut-il que nous fassions, nous les collec-
teurs de l'impôt? »
L'Evangile qui, en fait de conversion d'homme d'argent, ne cite que
celle du banquier S. Mathieu, ne nous dit pas comment les pubhcains ac-
cueillaient le conseil ou plutôt le précepte du précurseur du Christ : —
« N'exigez rien au-delà de ce qui vous a été ordonné. »
L'homme public qu'a représenté Boucher parait vraiment disposé à sui-
vre les avis de S. Jean.
Cette figure et celle de l'homme assis au premier 'plan sont d'un bon
dessin et d'un effet pittoresque.
Mais ce^qui commande' surtout notre admiration, ce qui révèle dès l'aLord
la touche de Boucher, ce sont les suaves figures de femmes et les têtes
d'anges qu'il a introduites dans cette composition.
Au premier plan, ù droite, une femme vêtue d'une robe blanche est
iOti 1 ABl.EAUX UK L tX+LlSE SALNT-LOLIS
assise et u'cA vue que de trois quarts; elle impose silence à un enfant
place vis-à-vis d'elle sur les genoux de sa mère et dont les jeux paraissent
la distraire. Ces deux femmes sont ce que l'on peut imaginer de plus char-
mant comme dessin et comme couleur, ce ne sont pas des Juives sans
doute, mais bien de très-jolies Françaises du temps de Louis XV. Leurs
chevelures cendrées sont d'un effet velouté des plus heureux.
La femme du premier plan soutient d'une main son enfant qui s'endort
tout debout et, de l'autre, impose naïvement silence au petit espiègle qui
lui fait face. Un second enfant s'est assoupi sur le sein de l'autre femme,
dont le visage exprime une attention profonde mêlée d'un peu de surprise.
Le fond du tableau est un ciel pur, un de ces ciels comme les aimait
Boucher, plutôt vert que bleu; de légers nuages encadrent le tableau et à
leurs franges apparaissent des têtes d'anges ailées. Derrière S. Jean, nous
recommandons vivement aux amateurs de style précieux, de coloris bien
frais, deux têtes d'anges enfants, de la plus exquise mignardise.
Il faudrait avoir la plume de Narivaux pour analyser une toile de Bou-
cher; peu de talents, dans des genres divers, ont eu, ce nous semble,
autant de rapports que celui de l'auteur de Marianne et celui de la Prédi-
cation de S. Jean .
Pourquoi ne pouvons-nous pas louer aussi bien le personnage principal
du tableau de Boucher — S. Jean-Baptiste. Dans cette figure, l'élève
semble avoir outré les défauts du maître; on reproche à Leraoyne l'igno-
rance ou la négligence des plus simples notions d'anatomie appliquée à
la peinture; que dire alors de cette figure si mal campée, dont les genoux
sont si exagérés, les jambes presque torses et les attaches du cou si ma-
ladroites? Et puis, est-ce bien là la sévère image de celui qui prêchait la
pénitence et était la voix qui crie dans le désert.
Le vêtement traditionnel de poil de chameau qui couvre S. Jean l'era-
maillotte plutôt qu'il ne l'habille : la poitrine, les jambes et les bras sont
trop ù nu. Si Boucher avait eu la conscience de sa faiblesse dans le style
académiqui', il eût vêtu le précurseur de la longue robe talairc que lui
donnent les imagiers du moyen-âge; non-seulement il eût été alors dans
le vrai, mais il eût habilement tourné une difficulté qui, après tout, n'était
pas si insurmontable.
L'agneau qui est à côté de S. Jean figure le Christ dont le précurseur
dit, en le voyant s'avancer au baptême qu'il devait recevoir de ses mains:
— « Voici l'agneau do Dieu, voici celui qui efface les péchés du monde, »
paroles dont le début se lit sur la banderolle de la longue croix de S.
Jean : Ecce aynus Dei.
En fuit d'accessoires, on remarque sur le devant de cette toile, adroite,
m-: VEKSAILI.K- 407
une draperie négligemment jetée et un bourdon de pèlerin avec sa gourde;
à gauche, un chien dont on n'aperçoit que la tête et qui est bien dessiné
et d'un bon effet.
Si sévère qu'ait été notre appréciation du tableau de Boucher que pos-
sède la cathédrale de Versailles, on a pu voir que nous rendions large-
ment justice à l'expression générale de cette page de peinture. Il serait
même à désirer que nos peintres de sujets religieux fussent aussi scrupu-
leux que Boucher dans le choix des attitudes et l'expression qu'ils don-
nent à leurs personnages. Sans doute, il n'y a pas, dans la peinture de
Boucher dont nous venons de parler, cette gravité que nous avons tous
admirée dans Jouvenet et cette naïveté pieuse qui était le grand talent de
Restent; mais la. Prédication de S. Jean n'en reste pas moins, aux yeux
des amateurs et du public chrétien, une page religieuse dont le mérite
est d'autant plus réel que — comme nous l'avons déjà dit, — Boucher a
peint plus de bergères et de nymphes que de saints et de saintes.
Ce tableau nous remet en mémoire certaine toile représentant le même
sujet, dont l'église Saint-Roch, à Paris, est - comment dirons-nous bien?
— ornée? non, affligée.
M. de Montalembert a parfaitement stigmatisé d'un seul mot celui qui
a pu peindre une pareille niaiserie : « Cet homme qui prêche d'un air
goguenard à un auditoire de gamins de Paris, c'est le précurseur martyr
annonçant la venue du Sauveur ' . »
L'aspect pittoresque du cadre, dans lequel Boucher a mis sa composi-
tion, est non-seulement vraisemblable, mais se conciUe encore parfaite-
ment avec le récit des voyageurs sur le désert, oij l'on prétend que S.
Jean passa la plus gra;;Je partie de sa vie et qui porte encore son nom.
« 11 ne faut pas, dit le père Naud -, — en entendant ce mot de désert,
s'imaginer des terres stériles et abandonnées ou quelque forêt inhabitée
et inaccessible. Ce lieu est un des plus agréables qui se voient dans la
Judée... Il n'est guère plus désert que les ermitages de nos solitaires d'Eu-
rope, qui sont seulement un peu écartés du chemin, en quelque endroit
de difficile accès et peu fréquenté... »
En face du tableau de Boucher, au-dessus du confessionnal, se dressait
une toile (aujourd'hui dans la sacristie), qu'on attribue au Dominiquin et
qui, en effet, en reproduit bien le style et la couleur : S. Jean-Baptiste est
debout, drapé dans son vêtement de poil, il lève un doigt au ciel et de
» Du Vandalisme et du Catholicisme dans l'Art (fragments).
* Voilage nouveau dfl la Terre-Sainte, in-l"2, Paris, 1679.
408 TAHLEAUX DE l'É<.ïLISR SAINT-LUIIS
l'autre iiiaiu [i"nt aon étendard. A ses pieds est un agneau; dans le loin-
tain, uu paysage et le Jourdain vaguement indiqués.
Il y aurait un parallèle curieux — si les parallèles n'étaient pas souve-
rainement absurdes — à établir entre la manière dont le Dominiquin et
Boucher ont traité le même sujet. Mais ce n'est pas ici le lieu, et nous
nous sommes interdit de parler des peintres étrangers pour ne nous oc-
cuper tout spécialement que des œuvres des artistes français dont les
églises de Versailles sont ornées.
V.
LA PRÉSENTATION DE LA VIERGE AU TEMPLE.
Tableau de CoUin tle Vermont.
La scène — si je puis me servir de ce terme emprunté à Tart drama-
tique — la scène se passe dans l'intérieur du temple de Jérusalem, au
pied d'un autel dont deux colonnes torses dorées, à gauche, indiquent le
baldaquin : on arrive par cinq degrés à cette partie du temple.
Sur la marche la plus haute s'agenouille une jeune enfant de cinq à
sept ans, vêtue d'une robe blanche par dessus laquelle est jeté un manteau
d'un bleu tendre ; ses petites maintes sont jointes ; elle est nu-tête et dé-
tourne un peu la figure, de manière à ce qu'on devine plutôt qu'on ne le
voit un profil candide. Cette entant, c'est la Vierge Marie.
Derrière elle, sainte Anne, sa mère, femme d'un âge mur, belle encore,
la présente en l'entourant de ses bras, tandis que ses yeux levés au ciel
avec une expression touchante, expriment l'importance qu'elle attache à
l'offrande qu'elle fait de sa fille unique au Seigneur. Un peu plus loin, on
aperçoit le père de Marie, Joachim, beau et doux vieillard encore vigou-
reux. D'une main, il tient un bâton de voyage, de l'autre il ramène un
pan de son manteau.
Au fond et non loin de ce groupe, deux femmes échangent un regard
de surprise et d'admiration.
A gauche, le Grand-Prêtre, revêtu de ses plus riches ornements, la tête
coiffée de la mitre blanche et le front ceint de la lame d'or sur laquelle
était écrit le nom de Dieu, s'avance, assisté de deux lévites et suivi de
deux porte-flambeaux, au devant de la Vierge. La tête placide du vieillard
se penche vers Marie, et ses bras étendus l'invitent à entrer dans la re-
traite du temple. Les vêtements de dessous du souverain Pontife sont re-
couverts d'une grande chape dont deux acolytes soulèvent les pans de
DE VERSAILLES 409
devant ; ce qui laisse apercevoir une doublure de drap d'or qui est d'un
effet très-riche.
Toujours à gauche, mais tout à fait au premier plan, une jeune fille et
une femme ; la première est debout et tourne le dos au spectateur ; elle
est vêtue d'une longue robe rouge et fait un geste d'étonnement en regar-
dant la j(iune Vierge qui s'oftre au Seigneur dans un âge si, tendre; la se-
conde est assise sur la dernière marche de Tescalier et tient d'une main
une cage où l'on aperçoit des colombes, offrande du pauvre, tandis que
de l'autre n.aiii elle montre à sa compagne le spectacle admirable qui
s'oflie à leurs regards. Aux pieds de cette femme on voit une corbeille
contenant des fruits.
Le fond de cette toile nous présente une arcade ouverte surmontée d'une
fenêtre, à travers lesquelles on aperçoit un ciel bleu semé de quelques
nuages. Dans le haut du tableau, deux petits anges descendent vers la
Vierge ; l'un deux tient une couronne suspendue au-dessus de la tête de
Marie, tandis que l'autre s'apprête à semer des lys, emblème de la pureté
de celle qui s'offre à Dieu dans son temple.
Cette toile est signée CoUin de Verra ont, et porte la date de 1755.
Ce peintre distingué naquit à Versailles, en 1693. Filleul du célèbre
Hyacinthe Rigaud, et son meilleur élève, Collin visita l'Italie et Rome oi^i
la vue et l'étude des grands maîtres développèrent et perfectionnèrent son
génie pour la peinture.
Il mourut à Versailles, le 16 février 1761.
Les principales qualités de cet artiste, trop peu connu, sont un bon
goût de dessin, de l'élégance et de la pureté dans le style. On cite comme
ses deux plus belles productions, dans des genres différents, le tableau de
la Présentation, que nous venons d'analyser, et la maladie d'Antiochus,
qu'il exposa au concours de 1727.
Il a laissé une suite considérable d'esquisses terminées, dont il avait pris
les sujets dans l'histoire de Cyrus.
L'effet général du tableau de la Présentation est beau et noble. Les atti-
tudes des personnages sont simples, naturelles et vraies. L'architecture
est bien traitée et d'un style grandiose ; les colonnes torses placées ù
gauche sont seulement d'une teinte et^d'un effet équivoques.
La Vierge, saint Anne, saint Joachim et le Grand-Prêtre sont des figures
pleines de correction et de vie ; les divers sentiments qui devaient les
animer en ce moment solennel sont bien exprimés.
Si maintenant nous entrons dans les détails, rien de plus charmant et
de plus pur que la Viei'ge agenouillée ; ses mains enfantines sont d"un mo-
delé exquis ; la robe blanche et le manteau bleu sont d'un coloris suave.
Ile série, tome II. 29
41U TAiiLb;Ai\ \>\: Li.Gi.isi: SAi\r-i.uL"is
Hicri de vigoureux et do chauilciiu'iit dessiné comme le bras nu de la
femme assise au premier plan.
Enfin la tête du Grand-Prctre est pleine de sérénité ; sa barbe, presque
•blanche, est bien plantée et donne à sa physionomie un calme majestueux.
Le costume est exact.
Les acolytes, surtout les porte-flambeaux sont d'une couleur singulière
— un peu feuille morte. Le ciel du fond aurait pu être plus bleu : nous le
trouvons trop chargé de nuages gris, d"un effet lourd et disgracieux ; il y
a loin de là à l'inaltérable azur de l'Orient.
Dans la chapelle du bas côté, à droite, où est actuellement ce tableau,
parfaitement restauré, le jour est loin de lui être favorable ; il n'y a pas
d'ailleurs assez de distance pour se reculer et pour pouvoir apprécier dans
sa véritable perspective cette toile qui mérite à bien des titres l'attention
de l'amateur.
"^ Avant les changements faits à la chapelle de la Vierge qui est derrière
le maître-autel, ce tableau occupait Farcade du fond, aujourdhui remplie
d'une gloire écrasante de dorure et d'une statue de Marie, — le tout d'un
effet presque nul, à cause de l'obscurité causée par les vitraux de deux
grandes fenêtres voisines.
CoUin de Vermont avait peint la Présentation pour cet autel, auquel elle
servait de rétable. L'architecture figurée reproduisait le style même de la
chapelle et vue d'une certaine distance, cette composition était d'un effet
grandiose et pittoresque, comme se le rappellent fort bien tous ceux qui
l'ont vue à sa place primitive, où elle prolongeait la perspective de l'é-
difice.
Nous avons analysé le tableau de l'artiste versaillais; nous en avons
énuméré les qualités, plus nombreuses que les défauts. Il nous reste, selon
l'habitude que nous avons prise dès la première de ces esquisses critiques.
à dire un mot de la Présentation, au point de vue historique.
Collin de Vermont, ainsi que Restout, qui a traité le même sujet, a
manqué à l'histoire et à la tradition, en donnant une grande pompe à la
Présentation de la Vierge au temple.
Il parait que Collin de Vermont, ainsi que ses devanciers, a envisagé
l'offrande de Marie comme une cérémonie religieuse, une espèce de sacri-
fice. Les flambeaux, l'autel (indiqué par les colonnes torsets) manifestent
assez son idée à cet égard. Nous ignorons où les peintres ont trouvé cette
prétendue cérémonie rehgieuse qui leur a fait admettre dans leurs com-
positions des épisodes et des accessoires qui appartiennent plus spéciale-
ment à la Purification.
La cérémonie de la Présentation de la Vierge, telle que la plupart des
DE VERSAILLES -411
artistes l'ont comprise, devrait plutôt s'intituler le vœu qnela. préstutation
de Marie. Dans ce cas, il faudrait peindre la Mère de Dieu âgée de douze
ans au moins, et encore on ne devrait pas admettre pour cela la pompe
dont CoUin de Vermont, Hestout et autres artistes ont entouré une céré-
monie qui avait toujours lieu fort simplement.
VI.
SAINT-PIERRE DÉLIVRÉ DE SA PRISON PAR UN ANGE.
Tableau de Jeau-Bapliste Deshays.
L'artiste a pris le sujet de son tableau dans le chapitre XII des Actes
des Apôtres.
« En ce temps-là le roi llérode employa sa puissance pour maltraiter
€ quelques-uns de l'Église
« En voyant que cela plaisait aux Juifs, il fit encore prendre Pierre.
« L'ayant donc fait arrêter, il le mit en prison et le donna à garder à
« quatre bandes de quatre soldats chacune, dans le dessein de le faire
a mourir devant tout le peuple
« Pendant que Pierre était ainsi gardé dans la prison, T Église faisait
« sans cesse des prières à Dieu pour lui.
« Mais la nuit même de devant le jour qu'Hérode avait destiné à son
« supplice, comme Pierre dormait entre deux soldats, lié de deux
« chaînes
(1 L'ange du Seigneur parut tout d'un coup et remplit le lieu de lumière,
« et poussant Pierre par le côté, il l'éveilla et lui dit : — Levez-vous
« promptement. » Au même moment leschaînes tombèrent de ses mains.
« Et l'ange lui dit : — Mettez votre ceinture et chaussez vos sandales. »
a II le fit. Et l'ange ajouta : — Prenez votre vêtement et suivez-moi.
« Il sortit donc, et il le suivait ne sachant pas que ce qui se faisait par
« l'ange fût véritable, mais s'imaginant que ce qu'il voyait n'était qu'un
« songe. »
Deshays, avec autant de génie que d'habileté, a reproduit les princi-
paux traits de ce récit de la manière suivante :
La scène se passe dans un cachot bâti en fortes pierres, dont les murs
sont percés de deux fenêtres garnies de sohdes barreaux de fer.
Dans le haut de la composition, un ange, les ailes déployées et vêtu
d'une longue robe flottante, montre d'une main le ciel d'oii il apporte à
S. Pierre la nouvelle de sa délivrance et, de l'autre, qu'il étend vers le
prince des apôtres, l'invite à se lever et à le suivre.
412 TABLEAUX DE l'ÉGLISE SAINT-LOUIS
S. Pierre est a demi couché sur le pavô du cacliot, ; so^ bras, libres de
leurs chaînes se lèvent au ciel et expriment à la fois l'admiration et la
surprise. Sa tète, pleine de noblesse, est encadrée dans une barbe
blanche d'un effet argenté, que concourt à augmenter le rayon lumineux
qui inonde la prison. Ses yeux cherchent à fixer l'ange, et sa bouche
entr'ouverte semble prête à parler.
Rien de si largement drapé, posé et surtout peint que cette belle figure
de S. Pierre.
L'ange est une suave composition, peut être trop féminine dans le mo-
delé des bras et des mains qui sont parfaites de dessin, d'attache et de
coloris. Le pied laisse un peu à désirer, sous le rapport du dessin et de la
touche. Au-dessous de ce personnage on admire deux têtes d'anges
ailées, d'un effet aussi charmant qu'inattendu ; l'une exprime Taffection,
l'autre une curiosité enfantine.
Le nuage qui porte les anges est léger, et la lumière est vive et pure.
Au fond du tableau, dans le bas, à gauche, on aperçoit deux soldats
endormis ; leurs casques et leurs bras nus sont très-heureusement éclairés
par le reflet d'une lampe qu'on n'aperçoit pas, mais qu'on devine.
Ces deux figures du second et du troisième plan sont vigoureusement
esquissées ; les bras d'un des soldats sont seulement tant soit peu exa-
gérés.
Enfin, les ^^accessoires tels que la paille qui sert de lit à S. Pierre, les
blocs de pierre qui jonchent le sol et les chaînes rompues sont d'un effet
vrai et complètent heureusement l'ensemble de cette remarquable com-
position.
A gauche, sur une sorte de borne, on lit le nom du peintre Deshays et
une date, qui est 1761 .
Jean-Baptiste Deshays naquit à Rouen en 1729. Son père fut son pre-
mier maître et lui apprit les principes de l'art de peindre. Collin de Ver-
mont, puis Restout, complétèrent son instruction artistique, et en 1751 le
premier prix de peinture vint récompenser les efforts de Deshays et l'en-
courager à poursuivre une carrière où il promettait tant, dès l'âge de vingt-
deux ans. A la suite de ce premier triomphe, notre jeune artiste entra
chez le célèbre Vanloo, où il resta trois ans, H alla ensuite à Rome : ce
voyage développa rapidement son génie. A son retour en France, il
épousa la fille aînée de Boucher, et en 1758 il fut reçu membre de
l'Académie royale de peinture. Son tableau de réception représentait
Venus versant sur le corps d'Hector une essence divine pour le garantir de
la cor7'uption. Cet ouvrage marqua dès lors la place de son auteur parmi
les meilleurs peinircs qu'eût prnduits la France.
DE VCnSAILLES 413
On clevaiL attendre de nombieux ouvrages d'un artiste qui promettait
et tenait déjà tant, lorsqu'une chute funeste l'enleva, à l'âge de trente-
quatre ans.
Ses chefs-d'œuvre sont : le tableau dont nous venons de parler, l'É-
tude^ Jupiter et Antiope, le comte de Comminges, le martyre de S. André
et surtout les derniers moments de S. Benoît.
De?hays réunissait la vigueur de l'expression à l'enthousiasme du génie :
il mourut à Paris, le 10 février 1765.
Cochin. fils du célèbre graveur de ce nom et artiste distingué lui-même,
publia, en 17(33. en un volume in- 12, des Lettres sur la vie de Deshays,
auxquelles nous avons emprunté les quelques détails biographiques qu'on
vient de lire.
Vil.
SAINT PIERRE MARCHANT SUR LES EAUX.
Tableau de Boucher.
Dans la même chapelle, en regard Tune de lautrc, l'œuvre du beau-père
faisant f:ice à celle du gendre, mais non cependant à mérite égal.
Voici en quels termes l'Evangile selon S. Jean (chap. XXI, vers. -4-7)
indique le sujet de cette toile : «. Le matin étant venu, Jésus parut sur le
<( rivage, sans que ses disciples connussent que c'était Jésus.
« Jésus leur dit donc : — « Enfants n'avoz-vous rien à manger? » Ils lui
« répondii'ent : — « Non. »
« il leur dit : — « Jetez le filet au côté droit de la barque, et vous en
« trouverez. » Ils le jetèrent aussitôt; et ils ne pouvaient plus le tirer, tant
S( il était chargé de poissons.
« .\lors, le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : — C'est le Sei-
(( gneur. » Et Simon-Pierre ayant ou'ï que c'était le Seigneur, mit son ha-
a bit, cai' il était nu, et il se jeta dans la mer.
(i Les autr(!s disciples vinrent dans la barque, n'étant pas loin de la
(( terre, et ils y tirèrent le filet plein de poissons. »
Boucher a saisi le moment oii S. Pierre, emporté par son empresse-
ment à rejoindre le Sauveur, s'élance sur la mer, sans se douter du mira-
cle dont il est lui-même l'objet. Jésus vient au devant de son apôtre et lui
tend avec affection la main droite; Pierre esta demi agenouillé et exprime
son admii'ation et son amour pour le divin Maître.
•Au second plan, sur la gauche du spectateur, dans une barque, les apô-
tres dont un contemple avec extase Jésus, sur lequel se concentre toute
MA TABLEAUX DE LÉGT.ISE SATNT-LOUIS
l'attention ; car, les apùtrcs, non plus que S. Pierre lui-môme ne semblent
voir le miracle qui se produit pour le disciple ainsi que pour le maître.
La figure de Jésus est belle et rayonne de sa propre lumière, sans rien
emprunter h l'auréole traditionnelle ; seulement, des têtes d'anges ailées
qui émergent des nuages montrent que la cour céleste assiste à cette nou-
velle manifestation du Christ ressuscité et désormais impassible. C'est une
idée heureuse et conforme à la vérité.
S. Pierre est habillé comme le même apôtre dans le tableau de
Deshays, qui fait face à celui-ci : ce parallèle a de l'intérêt; il est seule-
ment à regretter que la toile de Boucher soit placée un peu haut, qu'elle
soit dévernie et surtout que l'obscurité occosionnéo par un assez médiocre
vitrail empêche d'en bien saisir rensemble.
La mer agitée, le ciel orageux, tout est d'une bonne couleur, étant
admis la tonalité chère à Boucher, qui n'invente pas ses teintes mais les
emprunte presque toujours à une saison féconde en transformations ma-
giques et fugitives de l'atmosphère, — à l'autoirino.
En somme, ce tableau de Boucher nous sond)lf bien supérieur à sa
Prédication de S. Jean- Baptiste dam^ le dÀ^crt.
Vlll.
LA COMPASSION DE LA VIERGE.
Tableau de l'icne'
Tel est le titre, selon nous, fort bien trouvé, que le [)nblic donne à ce
tableau qui — dans la croisée, à gauche - h\\l pendant à celui de la Na-
tivité ; tous deux sont de même dimension, plus hauts que larges.
Sous un ciel sombre, qui tend cependant à s'éclaircir, se détache suo
un lerra'n raontneux la croix d'oii le coi'ps du (MirisL vient d'être détaché
et descendu par les mains pieuses des amis du (ils de Uieu. La croix est
formée de deux pièces de bois non é(|uarries, ce qui paraît plus conforme à
la vraisemblance ; un voile pend à l'un des bras et iuk; ('•cbelle y est en-
core appliquée.
Hiiit personnages, dont trois principaux — Marie, .Jésus et Madeleine
— sont les acteurs du diame douloureux dont nous sommes les specta-
teurs.
Marie qui s'est laissée aller à terre est soutenue piir une femme qui est
probablement Marthe même; la Vierge mère se pâme sui- le corps inani-
mé de son (ils, tandis que Madeleine, agenouilb'e, soutient le bras gauche
de Marie qui fléchit vers elle et dont la tête s'appuie presque sur sa poi-
trine, comme ringuôro celle de Jean snr le cœur do Jésus : il y a là, on le
sent, une touchante association d'idées. Madeleine n'est-ellc pas, ne de-
vait-elle pas être celle des saintes femmes que Marie devait affectionner le
plus ?. . .
L'expression de douleur de la mère du Sauveur se fond en une sorte
d'évanouissement qui résume la tristesse profonde et poussée jusqu'à ses
dernières limites ; au jardin des Olives, le chagrin anticipé des apôtres
avait fermé leurs yeux, aussi puissant que le sommeil.
Le corps du Christ est d'un heureux modelé ; la tête dont l'expression
a le calme souverain respire plutôt le repos que le trépas.
xMadeleine est une nMuarqualjle figure pleine d'expression ; le costume
se compose de ton^; harmonieux — jaune, rouge et bleu.
Un jeune homme (est-ce S. Jean ?) s'appuie d'une maiu à l'échelle
dressée contre la croix, et de l'autre exprime un sentiment de compassion
profondément émue.
^ Sur la droite, un vieillard, Joseph d'Arimathie, debout, tient un suaire
tout prêt pour l'ensevelissement de son divin Maître ; cette figure laisse à
désirer comme dessin et cnmino expression : elle est vulgaire et presque
froide, tant ou y voit peu le sentiment ([ui doit l'animer.
A gauche, deux figures assez insignifiantes se perdent dans le coin delà
toile.
Enlin, au premier plan, vers la droite, un grand bassin de cuivre
rouge dont l'eau a servi à laver le corps du Christ est auprès de la cou-
ronne d"épines peut-être trop abandonnée et déjà oubliée, au moins pour
l'heure présente.
On le voit, ce n'est pas une descente de croix que l'artiste a voulu pein-
dre, mais la compassion qu'inspii-e Marie aux témoins de son immense
douleur; il a ainsi traduit fidèlement une des strophes du Sfaùat, qui
provoque la pitié de^^ chi-ètions à l'égard de la mère du Sauveur.
Quis csl ho)nn qui uo» ficret,
(Jirtslimatrem si videret,
In lanto suppUcio ?
Et ailleurs :
0 qiiam tr^slis et afilidu
Fuit illu hcnediclu
Mater Unigeniti!
Voilà le vi'ai sentiment qui a inspir('' ce s'ijeL dont la donnée est em-
pruntée à l'auivro suljlimr (ruii Ihéologien ]iiiète, (|ue D'église a mis sur
ses autels.
416 TABLKAUX T)E LÉGLISE SAINT-LOUIS
Pierre — l'auteur de ce tableau — né (;n 1713, mort en 178Î) à l'àj^e de
soixaute-seize ans eut une brillante carrière d'artiste. Elève de Natoire, son
talent se développa de bonne heure en Italie auprès de De Troy. Ses étu-
des à Rome préparèrent, avant celles de Vieu, la restauration de la pein-
ture en Fraace. S. Sulpice et S. Germain-des-Prés. à Paris, ainsi que
S. Louis et Notre-Dame à Versailles, possèdent les meilleurs tableaux de
Pierre dont l'œuvre la plus remarquable, la plus capitale est — sans con-
tredit, — la coupole de la chapelle de la Vierge, à S. Rcch, qu'il termina
en 1756; la disposition générale et la manière de peindre large et facile
de cet artiste se disputent la prééminence dans les divers ouvrages dus à
son talent fécond.
IX.
LE SOMMEIL DE SAINT JOSEPH.
Tableau de Jeaurat
« Après le départ des Mages, un ange du Seigneur apparut à .loseph
« pendant qu'il dormait et lui dit : - Levez-vous, prenez l'enfant et la
0 mère, fuyez en Egypte et ne partez point jusqu'à cr que je vous le dise :
« car. Hérode cherchera l'enfant pour le faire mourir. »
Ces mots de l'Evangile selon S. Mathieu, chapitre n, verset 13, ont
fourni à Jeaurat le sujet d'un tableau qui n'est pas sans mérite et dont le
sentiment est celui même de la placidité qu'indique et qu'impose ce titre,
le Sommi'il de S. Joseph.
Au premier plan, comme une des deux figures principales de cette
toile, S. Joseph assis, vêtu d'une longue robe et d'un manteau qu'il a re-
jeté sur ses genoux^ les pieds chaussés de sandales — S. Joseph appuie sa
tête sur son bras gauche, tandis que le droit repose sur un de ses genoux ;
la tète un peu penchée, le patriarche de la nouvelle loi semble plutôt mé-
diter que dormir : un tel {'o^\^v devait sans cesse vcilhv sur le précieux
dépôt qui lui avait été confié par Dieu même. Fidelis servus et priidens.
L'expression de cette tête à cheveux prc'sque blancs, bien qu'encore dans
la force de l'âge, est douce et sereine, vraie sui'tout ; c'est bien là le juste.
Aux pieds de Joseph, quelques outils groupés, un maillet, un compas,
etc., indiquent sa profession d'ouvriei* charpentier.
Au-dessus de S. Joseph, un ange porté sur un nuage étend ses grandes
ailes blanches; ses bras indi(|U('nt, en même temps que ses lèvres, la di-
rection que doit prendre la Sainte-Famille; la pose est pleine de grâce, les
bras sont bien modelés, la draperie qui voltige donne de la légèreté à
cette figure qui rappelle un peu les anges de Restout,
DE VERSAILLES 417
Au fond, tout au fond du tableau, à gauche, la Vierge mère assise con-
temple afTectueusement le divin enfant dont elle soutient, d'une main, l'o-
reiller sur lequel repose sa tête, tandis que, de l'autre, elle écarte un peu
la couverture pour mieux voir Jésus et aussi permettre au souffle du bœuf
de réchauffer ces membres délicats ; car, l'endroit où se passe cette scène
est une ruine de vieil édifice que recouvre assez incomplètement une toi-
ture à l'effet pittoresque mais d'un confortable par trop sommaire, tel que
l'école flamande s'imaginait et représentait non-seulement l'étable de Be-
thléem, mais encore la maison de Nazareth.
Aux pieds de Marie, un escabeau poitant une corbeille à ouvrage indi-
que les occupations habituelles de la reine des saints.
Les deux figures de la Vierge et de l'Enfant Jésus n'ont sans doute pas
été mises sans raison par le peintre tout au fond du tableau ; elles complè-
tent le sujet de sa composition qui est, avant tout et d'abord, le sommeil
ou le songe de S. Joseph.
Cette toile a été, il y a quelques années, l'objet d'une restauration intel-
ligente, ce dont elle avait grand besoin, et qui a été confiée à l'habile res-
taurateur des toiles de Restout, de Pierre et de Collin de Vermont dont
nous avons ci-dessus donné la description.
Né à Paris, en 1699, Etienne Jeaurat — l'auteur du Sommeil de S. Jo-
seph, — est un peintre rem;uqual)le du siècle dernier; ses œuvres sont
devenues assez rares. En 1724, il fit avec son maître Nicolas Veughels,
nommé directeur de l'école de peinture à Rome, le voyage d'Italie, objet
des désirs de tous les élèves de l'Acndémie et il en revint avec une cer-
taine réputation. Il débuta par de grandes compositions religieuses, histo-
riques ou mythologiques, mais son goût et celui de son époque le porta de
préférence aux tableautins, aux iufét^iews, aux scènes de la vie bour-
geoise et des md'uis populaires, halles, marchés, etc.; comme celui de
Chardin, son pinceau sut toujours rester chaste.
Ce fut en 17(31 que le Sommeil de S. Joseph parut au salon ; cette toile
y fut remarquée ; elle est aujoui-d'hui (avec l'Adoration du Sacré-Ccein\
dont nous parlerons tout à l'heure), du nombre des rares compositions re-
ligieuses de Jeaurat que l'on possède, encore, et c'est l'église Saint-Louis
de Versailles qui, après les avoir reçues de Louis XV, les a conservées à
travers les révolutions.
Cet artiste mourut à Versailles même en 1789, âgé de quatre-vingt-onze
ans et fut enterré dans le cimetière de la paroisse Saint-Louis sur laquelle
il passa une grande partie de sa vie.
On peut lire avec fruit sur ce peintre trop peu connu une intéressante
418 . TABLEAUX DE l'ÉGLISE SAINT-LOUIS
brochure de M. Sylvain Puychevrier, publiée en 1862 (45 pages in-S),
dans l'Annuaire de l'Yonne pour 1863.
X.
l'adoration du sacré cœur de Jésus.
Tableau de Jeaurat.
Nous ignorons en quelle année Jeaurat peignit ce tableau, jugé bien su-
périeur à celui du Sommeil de S. Joseph, du môme artiste; il y a dans la
toile dont nous allons donner la description une idée mystique, chose
assez rare au siècle dernier plus enclin à la mythologie qu'au surnatura-
lisme.
Au sommet de cette compositi(m et sous le triangle oii rayonne en ca-
ractères hébraïques le nom ineffable de Dieu, un cœur enflammé, celtii
de Jésus, rayonne et illumine tout le tableau. Huit petits anges, quatre de
chaque côté, portent comme autant de trophées de la Passion, la colonne,
la lance, l'éponge, les verges, le marteau, les tenailles, les clous, la croix
et l'échelle; la couronne d'épines est élevée entre les mains d'un des petits
anges, ainsi que les clous.
Plus bas, sur le livre des sept sceaux apparaît couché et dans l'attitude
de victime l'Agneau rédempteur; sur la face de l'autel qui le supporte, on
lit ces simples et éloquentes paroles : Sic nos dilexit (C'est ainsi qu'il nous
a aimés.)
Au pied de cet autel, deux anges, sous les traits de deux jeunes gens,
sont à genoux; celui de gauche, les mains croisées sur la poitrine regarde
et admire l'Agneau, tandis que celui de droite, la tête inclinée, les mains
jointes et un peu élevées, prie et se recueille en méditant sur cet immense
mystère d'amour.
C'est là une belle composition, il y a du mouvement et du recueillement
en môme temps; comme idée religieuse, cette toile nous l'appelle un grand
et magnifique tableau de Lafosse, qui naguère ornait l'église de Boulogne,
près Paris, et qui était un don de la munificence de Louis XV à ce remar-
quable sanctuaire, — une sorte de sainte chapelle dont le clocher en
flèche se voit de loin dans la campagne.
En 1801, V Adoration du Sacré-Cœur b. été restaurée, ainsi que le Sommeil
de S. Joseph, par un artiste d(- Veisailles, nommé Bellangeon.
DE VERSAILLES 419
XL
PRÉDICATION DE SAINT VINCENT DE PAUL.
Tableau de Noël Halle.
C'est dans l'église Saint-Étienne-du-Mont, à Paris, que le peintre a placé
la scène de son tableau; la perspective du bas-côté droit et d'une partie
du jubé forme le fond de cette composition peuplée d'un grand nombre de
figures .
En chaire, sur la droite du spectateur, le saint en grand surplis à larges
manches et à col rabattu, fait d'une main un geste expressif en sa simph-
cité, qui appelle et fixe l'attention de son auditoire où toutes les classes de
la société — surtout la noblesse. — sont représentées. Le bonnet carré que
le saint tient de l'autre main indique qu'il va terminer son discours et
qu'il en est à la péroraison, fort éloquente à en juger par les impressions
qui se traduisent sur les figures des auditeurs ; l'objet bien connu de ce
sermon était le salut des pauvres enfants trouvés dont Vincent plaida si
éloquemment la cause, en une circonstance à jamais solennelle.
La tête du saint, alors dans toute la force de l'âge, est d'un beau carac-
tère et bien modelée.
Parmi les personnages qui se pressent au pied et autour de la chaire,
on remarque surtout, à droite, deux hommes debout, puis un troisième
assis sur une chaise, style Louis XIIL vu de trois quarts. A gauche, au
deuxième plan, le jeune gentilhomme qui, assis, écoute le prédicateur, en
élevant vers lui ses regards, est dans une attitude vraie.
En avant, du môme côté, une femme assise par terre, vue du dos, sert
de repoussoir au tableau: près d'elle une tète d'enfant éveillée et ingénue
en son expression d'espièglerie. Sous la chaire, on aperçoit deux Sœurs
de la Charité, l'une profondément recueillie, l'autre élevant ses yeux vers
le prédicateur. Il y a beaucoup de mouvement et de vie dans ce tableau,
où le costume est assez bien observé, vu l'époque où l'artiste vivait et qui
ne se piquait pas précisément d'une grande exactitude en cette matière.
L'auteur de ce tableau. Noël Halle, issu d'une famille de peintres non
sans talent, naquit à Paris en 1711. Élève de son père, il obtint de bonne
heure les premiers prix de l'Académie, puis fut envoyé ù llome. En 1771,
il fut nommé surintendant des manufactures de tapisseries de la couronne.
Envoyé à Home en qualité de directeur de l'École de Fiance, il remplit
avec intelligence cet important emploi. Il entendait bien l'architecture et
la perspective, comme on peut le voir en étudiant le tableau ci-dessus dé-
420 TABLEAUX DE l'ÉGLISE SAINT-LOUIS
crit; mais, pour la composition et le coloris il laisse à désirer. Ses tableaux
les plus appréciés sont Achille dans l'île de Sct/j^os, Eglé et Silène, Hippo-
mène et Atalante, la Prédication de S. Vincent de Paul, etc.
Noël Halle mourut en 1781.
XII.
LE BAPTÊME DE JÉSUS-CURIST.
Tableau d'Araédée Vanloo.
S. Jean-Baptiste, debout, à moitié couvert d'une peau de chameau,
qui lui laisse les bras et les jambes nus, s'appuie d'une main sur la hampe
d'une longue croix formée d'un roseau et, de l'autre main, verse avec une
coquille de l'eau du Jourdain sur le front de Jésus agenouillé à ses pieds.
Le Messie, les cheveux partagés sur le front et pendants, ramène sur sa
poitrine les plis d'une longue draperie blanche dont l'extrémité trempe
dans le fleuve.
Au ciel, le Saint-Esprit sous la forme d'une colombe; quelques têtes
d'anges dont les regards sont fixés sur cette scène. Un peu au-dessus du
Christ et derrière lui, deux anges aux grandes ailes et aux robes flottantes
contemplent avec admiration et amour l'humilité du Fils de Dieu.
Derrière S. Jean un vieillard debout, les mains jointes, se recueille pro-
fondément tandis qu'un jeune homme achève de se dépouiller de ses vê-
tements, adossé H une touffe de grands palmiers.
Un paysage semé de roches au travers desquelles serpente le Jourdain
forme le fond de cette scène, oii les figures les plus remarquables et les
mieux dessinées sont celles du vieillard et des deux anges.
Charles-Amédée-Philippe Vanloo, l'auteur de cette toile, né à Turin eu
1718, passa d'abord son enfance en Italie, puis il vint à Paris où il exposa
souvent au salon du Louvre; il y envoyait d'ordinaire des tableaux my-
thologi([ues et quelquefois des sujets assez singulièrement choisis, comme
nn Oiseau dans la machine pneumatique (1771) et Une jeune fille électrisée
(1777). Talent fade et incertain, Amédée est resté le moindre des Vanloo ;
bien qu'actif producteur, ses ouvrages sont devenus rares.
Il mourut vers 1791.
XIII.
APPARITION DE JKSUS-CIIUIST A SAINT PIKRRE.
Tabloaii de Sourlcy.
Cette toile, peinte en 1664 parSourlcy, élève de Mignard — le seul, dit-
DE VERSAILLES 421
on, qu'ait eu cet artiste célèbre, — fut placée dans l'église cathédrale de
Parisetyrestajusqu'en 1808, époque où, en échange du Vœu de Louis XIII ^
de Carie Vanloo, enlevé à l'église Notre-Dame des Victoires pour être
donné à Saint-Louis de Versailles qui dutle rendre à Paris, Saint-Louisjreçut
en compensation l'Apparition de Jésus- Christ à S. Pierre. Devenu le pen-
dant de la Résurrection du fils de la veuve de Naïm (de Jouvenet), ce ta-
bleau orna quelque temps Saint-Luuis puis fut relégué dans les niugasins
du château de Vex"sailles, d'où enfin on l'a tiré, puis restauré après l'avoir
ceintré, de carré qu'il était, et aujourd'hui on le voit au dessus de la
porte droite d'entrée, par le grand portail de la cathédrale. Là, quoiqu'il
soit placé assez haut, on y peut admii'or les qualités de dessin et de coloris
qui l'ont fait attribuer à Pierre Mignard lui-même, tant son élève a repro-
duit habilement et heureusement le style du maître, avec ses qualit(^s et
ses défauts.
Le fond de ce tableau est un paysage pris dans la campagne romaine ;
des collines, des sentiers sinueux, quelques arbres; la perspective ne
manque pas de profondeur, quoiqu'un peu vague.
En avant de cette composition, deux personnages captiventl'attention, ce
sont : le Christ et S. Pierre.
Le Christ, sa croix ^ur l'épaule gauche, regarde S. Pierre avec une
majesté sereine et, de la main droite, avec l'index, lui indique Rome où il
va pour s'y faire crucifier une seconde fois, ainsi que le rapporte une
antique tradition dont S. Ambroise, au quatrième siècle, s'est fait l'écho
et qui a laissé à l'église érigée sur l'emplacement même de ce fait le titre
de Domine </uo vadis? « Seigneur, où allez-vous? » question adressée par
S. Pierre au divin Maître, en le voyant ainsi chargé de sa croix se montrer
à lui.
S. Pierre, qui sortait de Rome pour se dérober à la persécution, sur les
instances des fidèles, regarde Jésus; à demi agenouillé, il exprime sur son
visage et par ses mains étendues le sentiment de surprise que lui causent
la vue et la réponse du divin Maître ; il se relève presque immédiatement
pour obéir à l'ordre de Jésus. Cette figure est bien posée et parle vraiment :
celle de Jésus, debout, presque nu, avec ses pieds qui portent les traces
des clous, est très-belle , la tête est d'un grand caractère, le torse modelé
avec force, seuls les pectoraux sont peut-être trop saillants. Derrière les
épaules du Christ flotte une draperie bleuâtre, comme les affectionnait
Mignard.
11 est à regretter qnc ce tableau ait été ceintré ; on ne sait plus bien si
c'est une colonne qui se voit, élevée sur plusieurs marches, derrière
422 TABLEALX DF L'hGLISE SAINT-LOUIS
S. Pierre; les quelques arbres qui en sont proches laissent à désirer
comme dessin et comme coloris.
En somme, on sent (jue dans cette composition le peintre s'est préoc-
cupé avant tout des deux figures de Jésus et de Pierre— de celle de Jésus
principalement, qui est fort belle.
XIV, XV et XVI.
Sacristie.
Dans la grande sacristie de la même église, où l'on admire la Résurrec-
tion du fils de la veuve de Nahn (de Jouvenet), se voient trois toiles assez
remarquables; ce sont un ^. Augustin {de Monei), un «S. Jérôme (de
De.shays) et un -i'. Christophe (de Vien).
Placés à la droite et à la gauche du grand tableau de Jouvenet, les
deux toiles de Monet et de Deshays soutiennent vaillamment la compa-
raison avec un des chefs-d'œuvre de l'école française du dix-septième
siècle.
S. Augustin, revêtu de sa chape épiscopale d'un style moderne, sa
crosse à ses pieds, tête nue et assis, trace sur un livre ouvert que porte
un ange debout devant lui ses immortelles Con/esswns. La têtedel'évêque
d'Hippone est d'un beau caractère et l'artiste dont nous ne connaissons
guère que le nom (Monet), a bien saisi l'instant de l'extase. L'ange laisse
à désirer comme forme et comme couleur.
Quant au S. Jérôme, c'est bien le faire de Deshays, dont nous avons
déjà signalé le S. Pierre en prison. Le solitaire, à demi nu, se renverse
en arrière aux accents de la trompette embouchée par un ange dont la
pose est pleine de Sveltesse et de ce que les Italiens appellent furia.
Il y a un contraste très-harmonieux (si l'on peut ainsi s'exprimer),
entre le calme qui règne dans le S. Augustin et l'âpreté qui caractérise
le S. Jérôme; on sent que ces deux tableaux ont été faits pour former
pendants.
Les cadres dorés, en bois finement sculpté, sont du temps même (du
dix-huitième siècle.)
Le S. Christophe (de Vien) est la mise en action de la légende popu-
laire ; le géant vient de traverser le fleuve, portant sur son épaule Jésus
enfant, et au moment oh. son pied se pose sur le rivage, le bâton qui lui
servait d'appui se couvre de fleurs.
On sait que Vien, né à Montpellier en 1716 et mort, dans un âge très-
avançé, en 1809, fut un des plus grands peintres du siècle dernier.
DE VEIISAILLES • 423
A Paris, on admire — dans l'église Saint-lloch. — sa grande toile,
S. Denys jjrèclamt dans les Gaules.
Telles sont les richesses artistiques que possède encore, à l'heure qu'il
est, Téglise cathédrale de Versailles; des noms tels que ceux de Jouvenet,
de Restout, de Boucher, de Pierre, de Deshays, de Jeaurat et de Vien
(pour ne citer que les principaux), disentassez le mérite des œuvres qui
leur sont dues.
Ch. Barthélémy.
LES ARCHITECTES
DE LA CATHÉDRALE DE TOLÈDE
(1227-1800)
Quoique une réelle incertitude règne sur la date exacte de la fondation
de la cathédrale de Tolède \ cette église primatiale de toutes les Espagnes*,
de nombreux documents, colligés par Bermudez ^ et provenant des pré-
cieuses archives du Chapitre de cette cathédrale '*, nous ont conservé Ijs
^ Les Annales de Tolède (L. 111) fixent l'année 1264, tandis que salazar de
MENDOZA, dans l'introduction de la Chronique du cardinal D. Pedro Gonzalez de
Mendoza, dit que la premièie pierre tut posée le li août de Tannée 1227, veille
de l'Assomption. Ber^iudkz, de son côté, dit {Nolicias de los arquitectos y ar-
quiiecliira de E^spanà, etc., t. I, p. 47, in-S", Madrid, 1829, inip. real) que le
roi D. Fernando et l'archevêque D. Rodiigo posèrent les premières pierres en
l'année 1 226 et cite à l'appui de cette assertion ce passage suivant de l'histoire de
l'archevêque D. Rodrigo, écrite par lui-même (L. IX, c. 13) :.. « Et tune jece-
runt primayn lupidcm Rex et archiepiscopus Rodericusin fundamento ecdesiœ
Toleta)tœ, quœ in forma mezquitœ à iempore arabum adhuc stabat : ciijus fa-
brica opère mirabili de die in diem non sine grandi admiratione hominum
exaltatur. »
... « Et alors le roi et l'archevêque Roderic ont posé la première pierre des fon-
dations de l'Eglise de Tolède, laquelle restait encore à l'état de mosquée depuis
le temps des Arabes, et la construction de cette œuvre admirable s'élève de jour
en jour non sans exciter la grande admiration des hommes. »
* La cathédrale de Tolède est la métropole de toute l'Espagne et l'archevêque
est le primat du royaume (A. Geumond de Lavigne, Itinéraire de VEspagnc,
p. 296, in-12, Paris, 1866.)
* Voir note 1 .
* Behmude/., ouvrage cité, p. 'i8, n. 1 et p. 253 : Catalogo de los Arquitectos
maestros mayores de la cutedral de Toledo, desde elano de 1415 hasla fines del
siglo xvTii.
LES ARCHITECTES DE LA CATHÉDRALE DE TOLÈDE 425
noms de presque tous les appareilleurs, maîtres-ès-œuvres ou architectes ^
de cet édifice vénéré, depuis Pedro Ferez qui en traça les plans au trei-
zième siècle, jusqu'à D. Ignacio Haan qui y fut chargé de travaux d'achè-
vement vers la fin du dix-huitième.
Nous ne faisons au reste que traduire la liste donnée par le biographe
espagnol % mais en l'annotant avec des renseignements empruntés le plus
souvent à son rarissime ouvrage ^ ; car il nous a paru intéressant de
grouper autour des noms de ces vieux maîtres de l'architecture espagnole
quelques indications sur lanature du concours qu'ils ont apporté àl'œuvre
commune.
Pedro Perez, qualifié sur son épitaphe de magister Ecclesix scte Marie
Toletani \ mourut en 1290, après avoir dirigé les travaux pendant soixante-
quatre ans, ce qu'admet assez volontiers la tradition espagnole ^. C'est
donc à cet ancien maître qu'est dû le plan de ce vaste édifice qui, suivant
Lucio Manineo Siculo [De rébus Hispaniœ meînorabilibus), compte dans
son ensemble sept cent cinquante fenêtres.
La cathédrale de Tolède, toute construite de pierre blanche, a cinq
nefs, entourées de chapelles, et quatre-vingt-quatre piliers ; sa lonp-ueur
' Aparejador, maestro mayor, arquitecto, sont les titres donnés par Bermu-
dez à ces directeurs des travaux de la cathédrale.
2 Catalogo, p. 253.
3 Cet ouvrage, dédié à S. M. le Roi Ferdinand VII et imprimé par son ordre à
l'Imprimerie Royale de Madrid, a fait autrefois partie des livres appartenant à la
Real Academia de las très nobles arles de Sun Fernando et est devenu aujour-
d'hui presque introuvable dans les bibliothèques publiques de France et d'Espagne.
— C'est même à la bienveillance de notre excellent confrère et très-honoré
collègue, D. EuGENio de la Camara, secrétaii e-général de l'Académie de San
Fernando, que nous devons l'exemplaire que nous possédons et qui nous fut
adressé en 1869 par ordre de l'Académie.
* Cette épitaphe porte les mots : qui presens templum construxit et hic quie-
scit.
^ Voir note 1, p. 281. — Les divers récits, relatifs à la fondation et aux premiers
travaux de la cathédrale de Tolède, admettent tous que Pedro Perez en a dirigé les
travaux pendant soixante-quatre ans, et Bermudez dit à ce sujet (p, 47 et 48) :
« Mais il n'y a rien d'impossible à ce qu'un liomme vive près de cent années, et
que, dès l'âge de vingt-six ou de vingt-huit ans, il puisse être bon architecte. » —
Au reste, d'après l'épitaphe citée plus haut, Pedro Perez ne serait mort que le 10
novembre 1328, ce qui fixerait avec les Annales de Tolède {\oïr note citée) la fon-
dation de la cathédrale à l'année 12(34.
Ile série, tome II. 30
426 LES AIVCHITECTES
est de quatre cent quatre pieds ; sa largeur de deux cent deux, et la hauteur
de la nef principale de cent soixante ' .
Après Pedro Ferez, mais seulement plus d'un siècle plus tard, viennent
dans l'ordre suivant :
1. Alyar Gomez, cité comme appareilleur des carrières de Olihuelas *.
11 dirigea en 1418 les travaux de la façade principale ^, et, en 1425, ceux
de la tour située à la droite de cette façade "^ et renfermant la grosse
cloche \
2. Anequin de Egas de Bruxelles *;, grand-maître de l'œuvre de la
sainte église de Tolède \ C'est cet artiste qui, aidé d'un appareilleur,
Juan Fernandez de Liena (lui aussi un artiste de renom), fît construire,
en 1459, la façade de los Leones * qui est celle du transsept méridional de
cette vaste église.
^ Le pied espagnol étant de 0,27 à 0,28 c, les dimensions de la cathédrale de
Tolède sont environ les suivantes :
Longueur ' 113 mètres.
Largeur 57 id.
Hauteur de la nef principale 45 id.
2 Bermudez, 1. 1, p. 94.
2 Cette façade occidentale, de style ogival et richtmient décorée de statues,
comprend les trois portes dites de VInfierno (de l'Enfer), del Perdon (du Pardon)
et del Juicio (du Jugement).
* Cette tour est divisée dans sa hauteur en trois parties : la première, de forme
carrée, la seconde octogonale, et la dernière formant flèche et terminée par une
croix de fer. Les murs de cette tour ont plus de cinq mètres d'épaisseur à la base,
et sa hauteur totale atteint quatre-vingt-dix mètres.
^ Cette cloche, située à la partie supérieure du premier corps de la tour, pèse,
dit-on, dix-sept mille huit cents kilogrammes et les Espagnols assurent qu'on
l'entend parfois jusqu'à Madrid, c'est-à-dire à une distance de plus de vingt lieues.
'^ Le même que les Flamands appellent Jean van der Eycken. {R'ivue Univer-
selle des Arts, 1855, in-8, Paris, Bruxelles ; 1. 1, p. 18 : Les arts en Belgique sous
Charles-Quint (Architecture.)
' Bermudez, 1. 1, p. 419.
^ « La porte dite des Lions, qui donne son nom à cette façade, est une des
œuvres les plus remarquables de l'architecture ogivale. Elle se compose de nom-
breux arcs ornés à profusion de statuettes placées dans de petites niches avec dais
et du travail le plus élégant. Cette porte doit elle-même son nom à un motif d'or-
nementation assez employé dans les édifices du Moyen -Age. Elle est précédée
d'un parvis fermé par une grille en fer disposée entre six colonnes que surmontent
des lions seivant de supports à des écussons armoriés.» — Feu A. du Bois et Ch.
Lucas, Biographie universelle des architectes célèbres, t. I, p. 219.
DE LA CATHÉDRALE DE TOLÈDE 427
3. Mabtin Sanchez Bonifacio, que les archives du Chapitre qualifient
de grand architecte et citent depuis 1481 '. 11 exécuta, en 1483, la façade
de la chapelle dite du Sagrario -, et était en 1484, grand-maître de
l'œuvre de la sainte église de Tolède.
4. Juan Guas, en 1494 ^. Cet artiste est surtout connu comme l'auteur
de l'église du fameux couvent de San Juan de los Reyes à Tolède, un des
monuments les plus remarquables de l'architecture espagnole de la fin du
quinzième siècle *.
5. Henrique Egas, fils de Anequin Egas, plus connu sous le nom de
maître Henri. Il succéda, dit Bermudez ^, en 1494, à son père, comme
grand-maître de la sainte église de Tolède et conserva ses fonctions
jusqu'à sa mort arrivée en 1534. Pendant ces quarante années il cons-
truisit beaucoup d'édifices à Tolède et en dehors de cette ville, car tous
les Chapitres d'Espagne tinrent à honneur de le consulter ; mais, dans la
cathédrale de Tolède, on ne connaît pas d'autre trace du passage d'Hen-
rique Egas que des travaux de construction de la chapelle mozarabe ^.
6. Alonzo Coyarrubias, élève et gendre de Henrique Egas "^^ nommé le
' Bermudez, t. I, p. 126 et 253.
2 Cette chapelle, à laquelle on accède par la sacristie, est une des plus riches
et, divisée en plusieurs parties, en renferme une qui doit à sa forme octogonale
le nom d'Oc/muo. Ce dernier sanctuaire est un véritable trésor (sagrario a même
cette signification) dans lequel on visite les œuvres d'art et les reliques les plus
précieuses.
2 On se rend difficilement compte des travaux dirigés par Juan Guas au nom
duquel n'est attachée aucune partie importante de la construction ou de la déco-
ration de la cathédrale 11 faut même ajouter que le titre de grand-maitre de l'œu-
vre de la cathédrale ayant été porté successivement par Anequin de Egas et par
Henrique Egas, son fils, ce n'est que la mention faite dans le Catalogue (vQir
note 4, p. 281) qui nous fait conserver ici le nom de Juan Guas.
* Edifice fondé en 1477 par les rois catholiques Ferdinand et Isabelle qui avaient
pi'imitivement décidé d'en faire le lieu de leur sépulture. De nombreux motifs dft
sculpture, parmi lesquels les chiffres et les écussons des souverains fondateurs,
décorent à profusion cet édifice qui a beaucoup souffert pendant les guerres du
commencement de ce siècle.
^ Bermudez, t. I, p. 133.
6 Cette chapelle, construite sur un plan carré de quatorze mètres de côté, fut
érigée pour perpétuer, au milieu des cérémonies modernes du rite grégorien,
l'ancien rite chrétien primitif qui. par une capitulation spéciale, et lors de l'inva.
sion des Arabes, avait continué de s'exercer dans six des églises de Tolède. — G. DE
La VIGNE, Ilùtéraire cité, p. 298.
' Alonso, né à Govarrubias, dans l'archevêché de Burgos, avait étudié l'archi-
428 .LES ARCHITECTES
15 octobre 1334 grand-maître de l'œuvre, fonctions qu'il abandonna de
son plein gré et comblé d'honneurs, lui et les siens, par le roi Philippe II
et le Chapitre de Tolède en lo65 '. On doit à Alonso Covarrubias les
dessins de la chapelle dite de los Reyes nuevos, qu'exécuta sous sa direc-
tion Alvaro Montegro -.
7. Fernand Gonzalez, nommé le 1" octobre 1566 et qui mourut le 31
août 1576 3.
8. Nicolas de Vergara, dit le jeune *, nommé une première fois le l*""
septembre 1376, et une seconde fois le 9 juin 1587. Nicolas de Vergara
resta grand-maître de l'œuvre jusqu'à sa mort arrivée le 11 décembre
1606, et fit reconstruire la chapelle de Notre-Dame du Sagrario ^.
9. Diego de Alcantera qui, par suite du désistement de Nicolas de Ver-
gara, exerça ces mêmes fonctions du 25 février 1582 jusqu'à sa mort
arrivée le 11 avril 1387 ^
10. Juan Bautista Monegro, nommé grand-maître depuis le 29 dé-
cembre 1606, jusqu'à sa mort arrivée le 8 février 1621. L'archevêque
D. Bernard de Sandoval y Rojas chargea cet artiste, à la fois sculpteur et
architecte de continuer la chapelle du Sagrario et VOchavo ''.
tecture à l'école de Simon de Cologne, et, venu à Tolède avec son frère MâRCOS
(lequel devint maître de la chasublerie de la cathédrale), Alonso y épousa Maria
GuTiERREZ DE Egâs, fille de Heniique.
* Bermudez publie (t. I, p. 182 et suiv) une longue biographie de Al mso Co-
varrubias, et (même vol , p. 305), d'intéressants documents relatant des cédules
royale? de l'empereur Charles-Quint et du roi Philippe II relatives à cet artiste
dont un fils, D. Diego de Covarrubias y Leiva fut évêque de Ségovie, et nous a
conservé, dans ses Mémoires, la date de la mort de son père arrivée le 11 mars
1570.
^ Bermudez, t. I, p. 225. — Juan-Bautista Monegro, que nous citerons plus
loin comme grand-maître de l'anivre de la cathédrale de Tolède, était fils de cet
Alvaro Monegro.
^ Catalogo, p. 253.
* Il était fils de NicoLAS DE Vergara, sculpteur et architecte, qui dessina et fit
construire le portail principal de V Église de San Juan de Los Reyes à Tolède, en
1565 (voir plus haut Juan Guas, p. 284).
^ Le roi Philippe II voulut, à cette époque, voir les dessins de cette chapelle sur
lesquels, dit Bermudez (t. 111, p. 118), il indiqua quelques légères corrections;
plutôt en signe d'approbation. (Voir plus haut Martin Sancuez Bonifacio, p. 284.)
« Diego de Alcantara, à la fois architecte et sculpteur, était, depuis 1573, em-
ployé en cette dernière qualité par le Chapitre de Tolède. (Bermudez, t. III, p. 48.)
■^ Idem, t. III, p. 108. (Voiries notes précédentes.)
DE LA CATHEDRALE DE TOLÈDE 429
H. ToRiBio Gonzalez, grand-maître de l'œuvre par intérim, depuis
1622 jusqu'à son désistement en 1625, et auquel on doit toutes les sculp-
tures sur liois de noyer de la chapelle du Sagrario '.
12. Jorge Manuel Theotocopuli, depuis le 10 mars 1623 jusqu'à sa
mort arrivée le 29 mars 1631. Cet architecte, fils de l'architecte Domingo
Theotocopuli, grec d'origine, traça et exécuta la coupole et la lanterne de
la chapelle mozarabe de la cathédrale - et donna des dessins pour
YOchavo '.
13. LORENZO Fernandez de Salazar, qui succéda, le 16 août 1631, à
Jorge Manuel Theotocopuli comme grand-maître de l'œuvre de la cathé-
drale, et qui, jusqu'à sa mort, arrivée le 4 juillet 1643, continua les travaux
de VOchavo sur les avis donnés par Pedro de la Torre et le frère Fran-
cisco Bautista *.
14. Felipe Lazaro de Goyti, nommé le 13 août 1643 à la suite d'un
concours ^ et qui mourut le 17 août 1653 \ Cet artiste eut enfin la satis-
faction de terminer peu avant sa mort, le 24 avril 1653, la décoration de
VOchavo '' .
15. GoSME DE Penalacia qui, nommé le 14 février 1656, mourut le 4
août 1657 ^
IG. JosEF EE Ortega, nommé le 24 août 1657 sur sa grande réputation,
mais que des misons de santé firent se désister le 18 juin 1671 et qui
mourut le 3 janvier 1673 ^.
17. Bartolomé Zombigo ou Sombigo de Salcedo qui, nommé architecte
»Bermudez, t. III, p. 79.
2 Ce travail, déclaré inexécutable suivant le tracé indiqué par Jorge Manuel,
fut achevé par cet artiste en 1631. (Idem, t. III, p. 185.)
•^ Mais, sur l'avis des architectes Juan Bautista Crescenci et Juan Gomez de
MouA, le cardinal Zapata préféra revenir aux dessins primitifs donnés par Nicolas
DE Vergara et Juan Bautista Moxegro. (Voir page précédente.)
• Bermudez, t. IV, p. 7.
" Les concurrents étaient, avec Goyti, Alonso Gang, Juan de la Pena, Juan
DE Gandia et Juan de la Pedrosa.
^ Bermudez, t. IV, p. 43.
'' Les marbres les plus riches furent employés à profusion dans cette chapelle
ainsi que dans les deux avoisinantes.
^ Bermudez, t. IV, p. 52.
' A Josef de Ortega, ainsi qu'à ses prédécesseurs qui durent abandonner l'em-
ploi actif do grand-maitre de l'œuvre de la cathédrale de Tolède, le Chapitre con-
serva dans leur retraite la tot.dité de leur traitement (Bermudez, t. IV, p. 42).
430 LF.S ARCHITECTES
et grand-maître de l'œuvre le 18 juin 1(571, mourut le 14 août 1682 après
avoir prodigué de nouveaux marbres dans la chapelle de l'Ochavo *.
18. JosEF DoNOSO, né à Consuegra, à la fois peintre et architecte, et
élève de son père, lui-même peintre de talent. Donoso, qui avait complété
son éducation à Rome et dont les œuvres d'architecture sont nombreuses '*,
fut nommé grand-maître de l'œuvre de la cathédrale de Tolède le 13
août 1085 et mourut le 14 septembre 1690.
19. D. Theodgho Ardemans, né d'un père d'origine allemande, fut lui
aussi peintre et architecte. Ardemans a de plus laissé plusieurs traités
estimés; mais, nommé grand-maître de l'œuvre de la cathédrale le 12
mars 1691, il fut forcé, par des raisons de santé, de résigner cet emploi
de 27 octobre 1721. Ardemans mourut en 1726 '.
20 Naroiso Tome, qui se qualifiait de peintre, sculpteur et architecte,
et qu'il faut compter parmi les élèves du fameux Ghurriguera. Nommé
le 27 octobre 1721, c'est à lui qu'est dû le transparent '*, « cet entassement
inoui de marbres, de bronzes, de volutes, de consoles, de balustres, de
chapitaux bizarres, de nuages et de rayons solaires, ainsi nommé parce
que, dans le projet primitif, cette construction, érigée en arrière du reta-
ble de la capella mayor^ devait être entièrement à jour pour laisser voir
l'intérieur du sanctuaire ^ »
21. Le célèbre D. Ventura Rodriguez, qui fut directeur de l'Académie
des Reaux-Arts de San Fernando, et que ses contemporains surnommèrent
le Restaurateur de V Architectur.e en Espagne. Appelé par le Chapitre de
Tolède le 17 novembre 1772, cet architecte termina la façade principale
de la cathédrale dans le goût de son époque, c'est-;\-dire dans le sentiment
classique de l'architecture romaine antique la plus riche. D. Ventura
Rodriguez fit en outre ériger dans le même style, en 1777, les deux reta-
* Bermudez, t. IV, p. 62.
■^ Donoso, dit de plus Palomino (voir Bermudez, t. IV, p. 79 et 80) laissa de
nombreux écrits d'une grande valeur sur les sciences exactes et sur leur applica-
tion à l'architecture.
^Bermudez, t. IV, p. IIU et suiv. — Consulter aussi Biof/r. univ. des urcli.
célèbres, 1. 1, p. 262 et suiv.
* Bermudez, t. IV, p. lOi et n. 1, p. 106.
^G. de LA.VIGNE, Itinéraire cité, p. 21)8. — Un révérend prédicateur, aussi bon
poète que Tome était bon architecte, composa et fit imprimer, dit Bermudez, une
pièce de vers de huit syllabes en éloge de ce transparent qu'il qualifiait de
Huitième merveille du monde.
DE LA CATHÉDRALE DE TOLÈDE 431
bles de la chapelle de los Reye^ Nuevos ', et, comblé d'honneurs par ses
contemporains, mourut à Madrid le 26 août 1785 *.
22. D. EuGENioLoPEzDuRANGO, qui était appareilleur depuis le lo août
1773, fut nommé grand-maître de l'œuvre le 28 janvier 1786, prit sa
retraite le 9 septembre 1793 et mourut le 5 septembre 1794 ^
23 D. Ignacio Haan, membre de l'Académie de San Fernando et
nommé grand-maître de l'œuvre le 21 septembre 179-4 \
Avec cet artiste finit la liste donnée par Bermudez et s'arrête forcément
notre travail. Nous savons cependant que, vers 1800, fut reconstruite
l'une des portes de la façade méridionale de la cathédrale et dans un style
tout différent que Tadmirable Po7'te des Lions, sa voisine '^ ; mais nous ne
connaissons pas le nom de l'architecte auquel il faut attribuer ce travail.
Cependant nous serions injuste, si nous n'inscrivions pas à la suite du
Catalogue des Maîtres auxquels la cathédrale de Tolède doit les splendeurs
de son architecture, toute une famiUe d'artistes, celle des Arfe compre-
nant Henrique, Antonio, son fils, et Juan, son petit-fils. Ces trois artistes,
« célèbres architectes et sculpteurs en or et en argent du XVP siècle,
étaient, dit Bermudez % d'origine allemande, et on peut présumer que
le roi Philippe I", le Beau, avait fait venir le premier, Henrique de Arfe,
de ses provinces flamandes.
« Tous trois exécutèrent, pour un grand nombre d'églises d'Espagne
(et notamment pour la cathédrale de Tolède) ces merveilleuses custodes
ou tabernacles d'argent, recouverts de dorure, ornés d'innombrables
statues, parfois éblouissants de pierres précieuses, et qui prouvent, par
l'agencement de leurs parties, le charme de leur décoration et le fini de
leur exécution, outre de grandes aptitudes de composition architecturale,
l'habileté de main d'un sculpteur consommé et une parfaite connaissance
des données spéciales de l'orfèvrerie.
« Conservée dans un petit cabinet attenant à la sacristie de la cathé-
drale, la custode de la cathédrale de Tolède est une remarquable œuvre
d'orfèvrerie d'une hauteur totale de plus de quatre mètres. Elle est en
argent doré, d'un poids considérable (plus de deux cents kilogrammes) et
* Chapelle fondée par le roi Henri II et qui renferme les tombeaux de plusieurs
souverains espagnols.
2 Bermudez, t. IV, p. 237 et suiv.
' Catalogua p. 254.
* Idem, idem.
* G. de Lavigne. Itinéraire cite, p. 297.
* Voir 1. 111, p 97, tout un long chapitre consacré à cette famille des Arfe.
432 LES ARCHITECTES DE LA CATHÉDRALE DE TOLÈDE
enrichie de nombreux diamants et d'émaux des plus précieux. Elle se
compose de trois corps ou étages en retraite qui lui donnent ainsi une
forme pyramidale et, commencée par Ilenrique de Arfe, elle ne fut ter-
minée que par son petit-fils Juan. Toutes les parties de cet immense
assemblage de plaques de métal sont reliées ensemble par quatre-vingt
mille viroles, et il y a tout un livre de prescriptions à suivre pour les
démonter et les remonter lors des sorties annuelles des processions de la
Fête-Dieu ^
Tels sont les renseignements que nous avons pu réunir sur les archi-
tectes de la cathédrale de Tolède ; cependant nous espérons, aussitôt la
fin des troubles politiques qui désolent actuellement l'Espagne*, joindre de
nouveaux documents à ceux que nous avons traduits ou relatés ci-dessus
et parvenir à compléter jusqu'à nos jours la liste des Maîtres-h-œuvres
auxquels l'Espagne doit la construction et l'entretien de l'admirable
Cathédrale de Tolède.
Gn ARLES Lucas, Architecte,
Membre correspondant de l'Académie de San-Fernando.
* Biogr. -miv. des Archit. célèbres, t. 1, p. 265 et 266.
'^ Ces lignes étaient écrites avant la restauration du roi Alphonse XII, aussi
pourrions-nous déjà y ajouter plusieurs documents intéressants; mais il nous
semble préférable d'attendre encore quelque peu et d'offrir à nos lecteurs un tra-
vail plus complet, travail dont, grâce à la bienveillance de notre trcs-bonoré
confrère, D. Eugenio de la Camara, nous attendons les principaux éléments de
sa précieuse collaboration. — Ch. L.
VOCABULAIRE
DES SYMBOLES ET DES ATTRIBUTS
employés dans l' Iconographie chrétienne
QUATORZIÈME ARTICLE *
P.
Païens. — Des personnages païens figurent dans l'iconographie chré-
tienne du Moyen-Age. Tantôt c'est une faveur qui leur est accordée: il
en est ainsi de Sénèque, que S. Jérôme range au nombre des auteurs
chrétiens; de Platon, qui a entrevu le mystère de la Trinité; de Vir-
gile, considéré comme à demi prophète; de Pythagore, de Solon, etc.
Tantôt c'est pour exprimer un vice ou une infériorité : t'est ainsi
(ju'Aristote est mis sous les pieds de S. Augustin; Néron, sous ceux de
la Justice ; Porphyre ou Maximin II, sous ceux de Ste Catheiine d'Ale-
xandrie; Sardanapale, sous ceux de la Prudence; Tarquin, sous ceux
de la Tempérance.
Pain. — A. de Melchisédech, des prophètes Abdias, Elie et Habacue;
de la Sibylle phrygieime; de S. Antoine, S. Arnoul de Soissons, S. Be-
noît, Ste Catherine de Sienne, S. Honoré, S. Jean l'Aumônier, Ste Ger-
trude^ S. Josse, S. Landry, Ste Marie l'Egyptienne, S. Nicolas de Tolen-
tino, S. Marcoul, S. Onuphrc, S. Paul ermite, S. Paul de Verdun, etc.
Palette et pinceaux. — A. de la Peinture.
Pallium. — S. de la perfection du Sauveur, des vertus pontificales.
Palme. — Symbole de victoire et surtout de martyre; mais il est avéré
maintenant que, dans les séi)ultures chrétiennes des catacombes, ce
n'est point un signe assuré de martyre, à moins qu'elle ne soit jointe
à d'autres indices plus positifs. La Congrégation des iiululgences et des
* Voir le numéro d'Octobre-Novembre 1874, p. 353.
434 VOCABULAIRE
reliques, dans une réponse du 10 avril 1668, avait considéré la palme
comme un signe très-certain de martyre ; mais cette opinion est aban-
donnée depuis longtemps. Benoît XIV ne fait pas difficullé de déclarer
que « dans les fouilles des cimetières, la seule base sur laquelle on se
fonde, c'est non pas la palme, mais le vase teint de sang. »
La palme est l'attribut des martyrs, qui la tiennent à la main. L'ico-
nographie moderne, par un oubli de sa pieuse signification, place par-
fois la i)alme à terre, aux pieds des saints.
Palmier. — S. de la Sagesse éternelle, de la Ste Vierge, de l'Eglise,
du martyre, de la vertu, de la justice. — A. de S. Paul ermite, de
S. Pai)liuuce, de S. Onupbre. — Le palmier, dans les catacombes, est
l'arbre de vie : c'est aussi le signe de la résurrection, parce que, selon
une légende antique, il renaissait de ses cendres après avoir été brûlé.
— Aux funérailles de Marie, S. Jean porte une branche de palmier.
Palmipèdes [oiseaux). — Emblème du Baptême, dans l'art chrétien
primitif, parce que ces oiseaux vivent souvent dans l'eau.
Panetière. — A. de Jésus pèlerin, de S. Jacques le Majeur, de S. Roch.
Panier. — A. de Sle DoroUiée, S.Félix de Gantalice, Ste Françoise
Romaine, S. Nicolas de Tolentino, S. Philippe, Ste Pontienne, S. Ro-
main de Subiaco.
Panthère. — S. de Jésus-Christ, de l'aspiration vers le ciel, de la vo-
lu[)té. — D'après certains Bestiaires, la panthère, animal doux et pai-
sible (!), fait penser à la mansuétude du Sauveur.
Paon. — Dans l'art chrétien primitif, c'est le symbole de la résur-
rection, parce (ju'il se revêt de nouvelles plumes au printemps; de
rimmortalité, à cause de l'incorruptibilité (jue les anciens attribuaient
à sa chair. L'iconographie moderne en a faille symbole de l'orgueil, de
la vanité. C'est l'attribut du printemps, du mois de mai, de Ste Barbe,
du B. Gunlher, de S. Liboire.
Papes. — Revêtus d'une chape, ils portent la triple couronne (tiare),
la croix à triple croisillon et parfois les clés de S. Pierre.
Papillon. — S. de la résurrection, de la légèreté. — A. de l'incons-
tance.
Paradis. — L'art chrétien jirimitif le représente par des roses, des
fleurs, des tours, une cité. — V. Jérusalem.
Parallélisme. — Dins les tapisseries, les vitraux, les miniatures, on
voit souvent le^ scènes du Nouveau Testament avoir pour pendants des
scènes figuratives de l'ancienne Loi. Voici quelques exemides de ce
parallélisme com[),iratif :
Annonciation. — Chute d'Eve.
DES SYMBOLES 4.35
Circoncision de Jésus. — Circoncision d'Isaac.
Adoration des Mages. — La reine de Saba visite Salomon.
Massacre des innocents. — Moïse sauvé des eaux.
Crucifiement. — Le serpent d'airain.
Sépulture du Sauveur. — Jonas dans le ventre de la baleine, ou le
puits où fut jeté le patriarche Joseph.
Piésurrection de Jésus-Christ. — Jonas sort du ventre de la baleine,
ou exaltation de Jose[ih en Egypte.
L'ascension. — Enlèvement d'Enoch ou d'Elie, ou bien encore l'é-
chelle de Jacob.
Pentecôte. — Moïse recevant la Loi, ou la confusion des langues à
Babel.
La communion. — La manne.
Pai^esse. — Figurée par un vilain, chevauchant sur un âne et portant
uu hibou.
Passereau. — S. de la solitude pénitente.
Patience. — Figurée par une fenuue à cheval sur un bœuf.
Patriarches. — Us sont représentés avec un attribut particulier qui
fait allusion à quelque circonstance de leur vie ; Benjamin, avec un
loup; Juda et Ruben, avec un lion; Issachar, avec un âne; Nephtali,
avec un cerf; Joseph, avec un livre; Lévi, avec un encensoir; Aser
porte une branche chargée de fruits; Cad est vêtu en guerrier; Dan
déchire la gueule d'un lion ; Zabulon est monté sur un navire.
Patrons. — Il est ])arfois utile, ].our comprendre certaines scènes des
bas-reliefs et des vitraux peints, de connaître quels sont les Saints que
les corporations du Moyen-Age ont choisis pour i)atrons. Nous allons
donner la liste des [)rincipaux. Il y aura parfois plusieurs patrons pour
une profession, parce que les patronages d'un même état varient sui-
vant les pays.
Académiciens, s. Louis. Architectes, s. Thomas., ste Barbe.
Agriculteurs, s. Éloi^ s. Gens. Argentiers, s. Pierre ès-Liens.
Aiguilletiers, s. Sébastien. Armuriers, ste Barbe, s. Guillaume.
Amidoimiers, s. Charles Borromée. Arquebusiers, ste Barbe, s. Éloi.
Apothicaires, s. Corne et s. Damien, Artificiers, ste Barbe.
s. Nicolas. Artilleurs, ste Barbe.
Apprêteurs, s. Jean Porte-Latine, Aubergistes, s. J. -Baptiste.
s. Maurice. Aveugles (Quinze-Vingts), s. Louis.
Arbalétriers, s. Christophe. Avocats, s. l^ves.
Archers, s. Georges, s. Sébastien. Avoués, 5. Yves.
436
Balanciers, s. Michel.
Barbiers, 5. Louis.
Bateliers, s. Nicolas.
Bedeaux, s. Constance, s. Guy.
Bergers, s. Benezet, s. Druon, s. Leu,
s. Wendelin, s. Mam?nès,
Bergères, ste Solange, ste Geneviève.
Bijoutiers, s. Éloi, s. Louis.
Bimbelotiers, s. Claude.
Blanchisseurs, s. Maurice.
Blattiers, L.a Toussaint.
Boisseliers, ste Anne.
Bonnetiers, s. Michel, s. Fiacre,
s. Jacques, s. Louis, Nativité.
Bottiers, s. Crépin.
Boucliers, s. Antoine, s. Barthélémy,
s. Hubert, s. Nicolas, Annoncia-
tion, Fête-Dieu.
Boutions, s. Mathurin.
Boulangers, s. Honoré, s. Aubert,
s. Luclard, s. Michel.
Bourreaux, s. Adrien.
Bourreliers, s. Éloi, s. J.-Baptiste,
l'Assomption.
Boursiers, s. Brieuc.
Boutonniers, s. Louis.
Brasseurs, s. Arnoul, s. Médard,
s. Nicolas.
Briquetiers, s. Vincent Ferricr.
Brodeurs, ste Claire, s. Clair, s. Luc,
s. Louis.
Brodeuses, ste Claire, s. Luc^ N.-D.
des Neiges.
Brosseurs, s. Dorothée.
Bûcherons, s. Joseph.
Cabaretiers, s. J.-Baptiste, s. Lau
rent, s. Théodote, s. Zachée.
Cardeurs, 5. Bluise, ste Marie
Madeleine.
VOCABULAIRE
Carilloîuieurs, ste Barbe.
Carriers, s. Biaise.
Carrossiers, ste Catherine, s. Éloi.
Garliers, l'Epiphanie.
Cartonniers, s. Jean P.-L.
Cavaliers, ste Marthe, s. Georges.
Ceinturonniers, s. J.-Baptiste.
Couturières, Nativité, Transfigura-
tion, ste Anne.
Chaînetiers, s. Alexis.
Chandeliers, Purification.
Cliantres, s. Grégoire-le-Grand.
Cha|)eliers, s. Jacques-le-Maj.,s. Mi-
chel.
Charcutiers, s. Antoine, Fête-Dieu.
Chargeurs, s. Christophe.
Charpentiers, ste Barbe, s. Joseph,
s. Mathias.
Charrons, ste Anne, ste Catherine,
s. Joseph.
Chasseurs, s. Hubert, s. Eustache.
Chaudronniers, s. Éloi, s. Pierre-
ès-Liens.
Cliaussetiers, ste Anne, s. Biaise.
Chirurgiens, ss. Corne et Damien,
s. Boch.
Ciriers, s. Nicolas, ste Geneviève,
Purification.
Clergé, s. Charles Borromée, s. Jean
Népomucène.
Cloutiers, s. Cloud, s. Pierre.
Coiffeurs, s. Louis.
Collèges, s. Charlemagne, s. Louis
de Gonzague.
Compagnons du devoir, s. Jacques.
Comédiens, s. Genest.
Comédiennes, ste Pélagie.
Confiseurs, s. Mathias, Purification.
Cordon niei's, s. Crépin.
Corroyeurs, s. Simon, s. Jacques.
Cordiers, s. Paul.
Couteliers, s. J.-Baptiste, s. Flot.
Couvreurs, ste Barbe, s. Vincent-
Ferriei\ V Ascension, Exalt. de la
Croix.
Cultivateurs, s. Roch., s. Eloi.^ s.
G €718.
Cuisiuiers, s. Just, s. Laurent, Na-
tivité.
Débardeurs, s. Nicolas.
Dégraisseurs, Transfiguration.
Dentellières, N.-D. des Neiges.
Diacres, s. Etienne.
Dinaudiers, s. Fiacre, s. Maur.
Distillateurs, s. Louis, Nativité, Pen-
tecôte.
Docteurs en droit canon, s. Rai-
mond de Pennafort.
Domestiques, ste Zite, s. Onésyme.
Doreurs, ste Claire, s. Michel, s.
Pierre-hs-L.
Drapiers, s. Biaise, s. Séverin, Na-
tivité.
Droguistes, s. Nicolas.
Ebénistes, ste Anne.
Ecoliers, s. Nicolas, s. Grégoii^e-le-
G., s. Louis de Gonzague.
Écrivains, s. Cassien.
Emailleurs, s. Clair.
Enfants de chœur, ss. Innocents.
Entrepreneurs de bâtiments, les 4
couronnés.
Eperonniers, s. Éloi, s. Gilles.
Epiciers, s. Jacques-le-Maj., s. Louis,
s. Michel, s. Nicolas, Purification.
Epingliers, s. Apollinaire, Nativité.
Escrimeurs, s. Michel.
Etameurs, Visitation.
DES SYMBOLES -437
Etudiants, s. Jérôme, ste Catherine
d'Alexandyne.
Etuvistes, s. Michel.
Faïenciers, s. Antoine de Padoue.
Fariniers, s. Honoré.
Femmes mariées, ste Barbe.
Ferblantiers, s. Eloi, s. Pierres-ès-
Liens.
Ferronniers, s. Pierre-ès-Liens.
Fiancés, s. Valentin.
Filassiers, Baptême de Notre-Sei-
gneur.
Fileurs, s. Séverin, s. Louis.
Filles repenties, ste Madeleine.
Financiers, s. Mathieu.
Fleuristes, s. Fiacre.
Fondeurs, s. Eloi, s. Hubert, s.
Pierre-ès-Liens .
Forestiers, s. Hubert.
Forgerons, s. Eloi, s. Calmer, s.
Léonard.
Fossoyeurs, s. Antoine, ste Barbe.
Fondeurs, s. Michel.
Foulons, s. Christophe.
Fourbisseurs, s. Eloi, s. Jean-Bap-
tiste.
Frères pontifes, s. Benezet.
Fripiers, s. Maurice, s. Jean-Baptiste,
Trinité, Exaltât, de la Croix,
Fromagiers, s. Michel.
Fruitiers, s. Christophe.
Gaîniers, ste Madeleine.
Gantiers, 5. Crépin, ste Madeleine.
Gaufriers, s. Michel.
Garçons, s. Nicolas.
Garçons d'écurie, s. Etienne.
Geôliers, s. Adrien.
Grainetiers, s. Antoine.
438 VOCABULAIRE
Gratteurs, s. Maurice.
Graveia::, f. Jcati P. L.
Guerriers, c*. Georges, s. Ignace de
Loyola, s. Martin, s. Maurice.
Hommes mariés, s. Joseph.
Horlogers, s. F loi.
Hôleliiers, s. Julien- l'Hospitalier,
s. Martin, ste Marthe^ s. Tliéo-
dote.
Honpiers, s. Biaise.
Huiliers, s. Jean P. L.
Huissiers, s. Yves.
Imprimeurs, 5. Jean P. L.
Incendiés, s. Donat.
lii>tituteurs, 5. Charlemagne.
Iiistilulrices, ste Ursule.
Jardiniers, s. Adélard, ste Agnès,
ste Dorothée, s. Fiacre, s. Roch.
Jeunes filles, ste Catherine.
Joailliers, s. F loi, s. Louis.
Jongleurs, s. Julien-V Hospitalier .
Jurisconsultes, s. Yves.
Laboureurs, s. Floi., s. Isidore, s.
Jean-Bapt., s. Lambert, s. Léonce,
ste Lucie.
Lanlerniers, s. Clair, s. Marc, s.
Maur.
Lapidaires, s. Louis.
Lavandiers, s. Blanchard.
Lavandières, ste Marthe.
• Lessiveuses, ste Maure.
Libraires, s. Jean P. L., s. Jean de
Dieu.
Limonadiers, Nativité, Pentecôte.
Lingcres, ste Anne, ste ]é)'onique.
Lutliiers, ste Cécile.
Maçons, ste Barbe, s. Thomas, les 4
Couronnés, l'Ascension.
Magistrats, 5. Yves.
Maîtres d'armes, s. Michel.
Maîtres d'école, s. Cassien.
Maquignons, s. Louis.
Maraîcbers, s. Fiacre.
Marcliands, s. Louis.
Marchands de fer, s. Sébastien.
Maréchaux, s. Eloi, s. Jean-Bap-
tiste.
Mariniers, s. Nicolas.
Matelassiers, s. Biaise.
Médecins, s. Luc
Mégissiers, s. Jean-Baptiste, ste
Madeleine.
Mendiants, s.' Alexis, s. Lazare.
Ménétriers, s. Genesl, s. Julien
VHospitalier.
Menuisiers, ste Anyie.
Merciers, s. Louis, s. Michel, Puri-
fication.
Mesureurs de grains, s. Michel, s.
Nicolas.
Meuniers, s. Arnoul, s. Fugene, s.
Honoré, s. Martin, s. Nicolas, s.
Orner, s. Vast.
Mineurs, ste Barbe.
Miroitiers, s. Clair.
Mounayeurs, s. Floi.
Moissonneurs, s. Pierre.
Musiciens, ste Cécile, s. Julien.
Nattiers, Noël.
Navigateurs, s. Ehne.
Négociants, s. Frumence, s. Louis.
Notaires, ste Catherine, s. Jean P.
L., s. Marc, s. Yves.
Nourrices, ste Concorde, ste Lau-
rence.
DES SYMBOLES
439
Orfèvres, s. Eloi, s. Luc.
Orphelins, s. Yves.
Palefreniers, s. Marcel.
Papetiers, s. Jean P . L.^ s. Louis,
s. Pierre.
Paralytiques, s. Servule.
Parclieminiers, s. Jean P. L.
Parfumeurs, ste Madeleine.
Parquetiers, ste Anne.
Passementiers, s. Luc.
Pâtissiers, s. Honoré, s. Louis, s.
Michel.
Paveurs, s. Rock.
Pêcheurs, s. André, s. Nicolas.
Peigneurs de laine, s. Louis.
Peigniers, ste Anne, s. Hildevert.
Peintres, ste Catherine, s. Luc, s.
Michel.
Peintres-verriers, s. Luc, s. Jac-
ques-le- Majeur.
Pèlerins, s, Alexis, s. Nicolas.
Percepteurs, s. Mathieu.
Perruquiers, s. Louis.
Pharmaciens, s. Côme et s. Da-
mien.
Philosophes, ste Catlterine.
Plafonneurs, s. Michel.
Planchéieurs, s. Pierre.
Plâtriers, s. Biaise, les 4 Couronnés.
Plombiers, s. Pieri^e-ès-L., s. Vin-
cent-Ferrier, la Trinité.
Poissonniers, s. Andi-é, s. Pierre.
Portefaix , s. Christophe , s. Léo-
nard.
Porteurs d'eau, s. Léonard.
Potiers, s. Bon, s. Pierre.
Potiers d'étain,s. Fiacre, s. Mathu-
rin .
Potiers de terre. Nativité.
Prisonniers;, s. Léonard.
Procureurs, s. Yves.
Quincailliers, s. Louis.
Piaccommodeuses , ste Catherine
d'Alexandrie.
Racqiietiers, ste Barbe.
Relieurs, s. Barthélémy, s. Jean P.
L.
Restaurateurs, s. J. Baptiste.
Rôtisseurs, s. Laurent, l'Assomp-
tion.
Rubaniers, Purification, Nativité.
Sabotiers, s. Béné.
Sacristains, s. Constance, s. Guy.
Sages-fenunes, s. Côme et s. Da-
mien, s. Raymond-Nonnat.
Salpêtriers, ste Barbe.
Saltinibanijues, s. Genest.
Sapeurs-Pom[)iers, s. Laurent, s.
Nicolas, (à Amiens, s. Firmin).
Savetiers, s. Crépin, s. Pierre, ste
Catherine.
Scieurs de long, s. Cyr, la Visita-
tion.
Sculpteurs, ste Anne, les 4 Cou-
ronnés.
Selliers, s. J. Baptiste, s. Flot.
Sergents à cheval, s. Martin.
Serrurriers, s. Eloi, s. Gautier, s.
Léonard, s. Pierre-ès-L.
Servantes, ste Marthe, ste Zite.
Sonneurs, s. Antoine.
Suisses, s. Constance.
Tableltiers, s. Hildevert.
Taillandiers, s. Mathias, s. Pierre-
ès-L.
440
VOCABULAIRE DES SYMBOLES
Tailleurs d'habits, s. Hoînobun, s.
Bonïface, s. J. Baptiste^ Trinité.
Tailleurs de pierres, s. Biaise, les
A Couronnés, s. Thomas, l'Assomp-
tion.
Tanneurs, s. Barthélémy, s. Simon
et s. Jucle.
Tapissiers, s. Jacques, l'Immaculée-
Conception.
Teinturiers, ste Lydie, s. Mauince.
Théologiens, s, Augustin, ste Eu-
phémie, s. Jean l'Evangéliste.
Tisserands, s. Bonaventure, ste
Anastasie, s. Crépin.
Tisseurs de laine, s. Bernardin.
Tisseurs de soie, s. Séverin.
Tôliers, s. Pierre-ès-L.
Tondeurs, s. Maurice.
Tondeurs de draps, s. Antoine., s.
François d'Assises, s. Nicolas, As-
somption, Visitation.
Tonneliers, ste Anne, s. Jean Porte-
L., ste Madeleine, s. Nicolas,
l'Immaculée - Conception .
(A suivre.)
Tourneurs, ste Anne, s. Bernard de
Tiron, s. Claude.
Traiteurs, s. Laurent, Nativité.
Tripiers, Fête-Dieu.
Tuiliers, s. Fiacre.
Typographes, s. Jean l'Evangéliste.
Vanniers, s. Antoine, s. Marc, s.
Paul, ermite.
Vergettiers, ste Barbe.
Verriers, s. Clair.
Vétérinaires, s. Eloi.
Veuves, ste Monique.
Vidangeurs, s. Clair, s. Jules.
Vignerons, s. Jean l'Ev., s. Mar-
tin, s. Werner, s. Vincent.
Vinaigriers, s. Vincent, Purifica-
tion, Nativité.
Vins (marcliands de), 5. Martin.
Vitriers, s. Marc, s. Michel, la Tri-
nité.
Voyageurs, s. JulienA' Hospitalier ,
s. Nicolas.
J. CORBLET.
DES FORMES HIERATIQUES
ET DE LEUR INFLUENCE SUR LE PROGRÈS DES ARTS
Quelque extraordinaire que puisse paraître la durée des dogmes égyp-
tiens, le fait du culte du dieu Apis s'explique naturellement et philoso-
phiquement. L'histoire même des civilisations et des déchéances intellec-
tuelles et morales des peuples corrobore cette explication.
Le culte d'O.^^iris était ce qui restait de la notion du Dieu d'Abraham et
de Jacob. Rebelle h ses origines, le peuple égyptien avait préféré le gou-
vernement humain et terrestre à celui de la loi divine et traditionnelle ;
l'idée divine s'atrophia et se transforma de plus en plus jusqu'à ce qu'elle
fût descendue au niveau de ses instincts matériels. Quoi de plus naturel
alors que, sous le nom d'Osiris, le principe divin ait été enfermé systé-
matiquement et scellé dans la forme d'un taureau, de ces nombreux Apis
qui unissaient au prestige d'une légende dont l'origine est, comme tou-
jours, vénérable et sacrée, les symboles de puissance, de force, d'utilité,
de fécondité, de richesse agricole, de principe nourricier et matériel par
excellence ?
N'est-ce pas là l'histoire de l'idolâtrie chez tous les peuples?
Mais ces grands écarts de la voie de la vérité religieuse démontrent,
par des indices certains, la communauté d'origine, et attestent la force
des traditions et l'impérissable empreinte qu'elles laissent dans tous les
rameaux de la famille humaine.
Qu'ils le veuillent ou non, les hommes d'étude apportent leurs preuves
et paient leur dîme à cette vérité incontestable.
Ainsi, ce n'était pas assez des légendes grecques, dont Eschyle nous a
livré dans son Prométhée les prophétiques symboles; ce n'était pas assez
de? prédictions latines que Virgile a résumées dans les vers si souvent
cités par los apologistes, il fallait que les fouilles exécutées dans le désert
lie série, tome IL 31
442 DES FORMES HIÉRATIQUES
par notre intrépide compatriote M. Mariette et la découverte du Sera-
peiim vinssent confirmer les croyances fermes et lucides des chrétiens
par la superstitieuse théologie égyptienne.
L'exposé simple et sans commentaires du résumé doctrinal de cette
théologie, d'après les monuments mis on lumière par M. Mariette, qui
sont au nombre de plusieurs milliers, suffira pour démontrer sa concor-
dance avec les prophéties relatives à l'avènement du Messie, avec les
faits évangéliques et l'enseignement immédiatement transmis par la Pa-
trologie chrétienne.
Osiris, Apis et Phtah sont trois manifestations diverses ne formant
qu'un seul Dieu.
Apis est Osiris fait chair.
Hérodote dit qu'Apis ou Epaphos est enfanté par une génisse qui ne
doit porter aucun autre fruit. D'autres auteurs affirment qu'un éclair
parti du ciel tombe sur cette génisse qui alors donne naissance à Apis.
Pomponius Mêla dit qu'Apis est conçu par le feu céleste. D'autres attri-
buent cette influence à la lune, et Plutarque rapporte cette croyance.
Les monuments hiéroglyphiques donnent pour auteur de l'incarnation
d'Apis l'une des trois divinités égyptiennes, Phtah, le souffle ou l'esprit
de Dieu (riveuixa).
Ainsi, une génisse qui est aussi déesse et dont le culte est affirmé par
les monuments, a donné naissance au dieu Apis sans cesser d'être vierge.
Elle a conçu sous l'influence du dieu Phtah, et son fils est l'incarnation
d'Osiris. C'est donc un dieu, fils de dieu, personnifiant l'amour des hom-
mes, le principe vivifiant et bienfaisant qui est descendu sur la terre pour
vivre au milieu des hommes jusqu'à sa mort violente, dont le moment est
fixé par la loi divine d'Osiris. Mais il ressuscite et, sous le nom de Sérapis,
il va rejoindre Osiris qui est le juge suprême des mortels et qui les associe
à sa vie éternellement heureuse, lorsqu'ils ont été suffisamment justifiés.
Ces faits établis par les inscriptions et les monuments ont été portés à
la connaissance du pubhc par de savants explorateurs et des archéolo-
gues qui n'ont eu en vue que les intérêts de la science. Ces faits me sem-
blent avoir une importance considérable.
Dans l'histoire de l'art égygtien,les croyances jouent un rôle si prépon-
dérant que toute pensée de l'artiste, toute marque de son imagination,
toute conception individuelle, tout arrangement môme disparaissent ;
tous les faits constituant la base de la religion, et par conséquent de l'édi-
fice social, théocratique et militaire, devaient être exprimés et reproduits
sans modification d'aucune sorte, sans qu'une interprétation un peu élas-
tique fût admise et tentât d'infiiinor la réalité des dogmes.
ET DE LEUR INFLUENCE SUR LE PROGRÈS DES ARTS 443
11 paraît, d'après les affirmations des égyptologues, qu'un art plus libre
aurait existé pendant la première période de l'histoire égyptienne, par
conséquent au temps des premiers Pharaons, et que les monuments ap-
partenant à cette époque offrent un modèle et un sentiment de la nature
qui les distinguent de ceux des dynasties suivantes. Plusieurs spécimens
de ces objets primitifs sont exposés dans le musée de Boulaq.
Ce fait étrange ne peut guère s'expliquer que par la différence qui a
existé entre le système politique et patriarcal en vigueur dans le principe,
et l'absolutisme théocratique qui l'a remplacé. Sous ce dernier régime,
l'artiste n'était en quelque sorte qu'un écrivain, puisque les objets qu'il
sculptait ou représentait d'une autre manière étaient les mots de la lan-
gue sacrée. 11 lui était interdit de s'écarter des types conventionnels sous
peine d'être accusé de porter atteinte au dogme religieux.
Quand on s'imagine dans quelles immenses proportions l'art égyptien
était appelé à interpréter la pensée nationale et les croyances de tout un
peuple, on est amené à comprendre de quelle influence est armé pour le
bien comme pour le mal un art compris de cette façon, avec cette volonté
ferme, persévérante, immuable, dominatrice et maîtresse suprême des
âmes, des consciences et de l'imagination même.
Retenons ce fait, que des peuples anciens ont non-seulement considéré
les formes hiératiques dans l'art comme utiles et nécessaires à la conser-
vation de leurs croyances, mais que la durée de l'existence de ces peuples
sous la forme qu'ils se sont volontairement attribuée a été en raison di-
recte de la vigueur avec laquelle ces moyens artistiques d'action ont été
maintenus dans leur intégrité et leur austérité.
Sous le rapport de la durée, quel peuple peut être comparé au peuple
égyptien ? Lequel peut revendiquer dans l'histoire cette existence de trois
mille ans, depuis Hycsos jusqu'aux Antonins, pendant lesquels les institu-
tions religieuses se sont maintenues malgré les révolutions, les conquêtes,
les invasions et surtout les influences étrangères que la navigation et le
commerce si florissant chez les Egyptiens pouvaient exercer sur leur civi-
lisation intérieure ? Les Grecs n'ont à opposer que quatre siècles d'auto-
nomie réelle. Les Romains ont eu une existence politique progressive
pendant un millier d'années, et combien de fois cette existence s'est-elle
modifiée depuis leurs premiers rois jusqu'aux derniers empereurs? A peine
pourrait-on fixer une période de trois siècles pendant lesquels cette vie de
peuple a offert un ensemble complet, depuis les Scipions jusqu'aux règnes
de Septime Sévère et de Caracalla.
Aussi la mobilité des idées a-t-elle été cause de la variété des objets
proposés à l'imagination des artistes. Malgré la perfection plastique,, la
444 DES FORMES lilERATHJLES
grâce, l'esprit qu'on admire dans les diverses œuvres de l'art grec, mal-
gré la conception fortement idéalisée des œuvres de l'architecture romai-
ne, le cai-actère qui est le critérium, la première règle de tout jugement
en matière d'art, est d'un ordre inférieur à celui de l'art égyptien plus
élevé, plus profond et qui a exercé une influence plus directe et plus sou-
veraine sur de longues générations.
Mais, dira-t-on, cet idéal hiératique, cet asservissement des artistes à
des formes de convention, à des principes établis exclusivement en vue
de la conservation d'une société, immobilisent l'esprit humain, circons-
crivent le dom^iine de la pensée, coupent les ailes à l'imagination et abou-
tissent en fin de compte à entasser des œuvres mortes, des cadavres de
toutes dimensions, depuis les statuettes et les stèles jusqu'aux colossales
figures des sphinx et des empereurs dans des nécropoles qui elles-mêmes
sont recouvertes par les sables du désert, au fur et à mesure qu'on en a
extrait quelques objets qui n'ont plus pour nous qu'un intérêt de curio-
sité, étrangers qu'ils sont à nos idées, à nos mœurs, à notre goût.
Voyez, ajoutera-t-on encore, quel a été le sort de cet art exclusivement
soumis aux inflexibles exigences de la théologie, aux formes mythiques
imposées au talent du dessinateur, du peintre et du statuaire. Dans l'Assy-
rie, les types étaient dift'érents de ceux de Thèbes et de Memphis ; mais
leur sort a été le même. Dans Tlnde, le même principe a été maintenu
pendant de longs siècles, et il n'a donné naissance qu'à de monstrueuses
productions aussi empreintes de laideur que de fanatisme.
Loin de voir dans cette objection un obstacle à la doctrine que je désire
établir en matière d'esthétique, je l'approuve, je la trouve fondée et je
m'en empare pour ma démonstration.
Qu'il y ait des formes hiératiques, qu'elles soient indispensables pour
la conservation des dogmes et des mœurs, ce sont là des faits facilement
démontrables ; s'ensuit-il de là que l'art doive être immobilisé et privé de
liberté? Nullement. La liberté ne peut qu'être une conséquence de la vé-
rité, et on rencontrera, sur ce terrain des beaux-arts, cette triple entité
admise par les meilleurs philosophes : le bien, le beau et le vrai. Les
formes hiératiques au service des erreurs des religions anciennes ont
abouti à une reproduction des mêmes types, dépourvue de liberté, et ont
fini par la stérilité et l'anéantissement,
11 est naturel que, sans liberté et sans vérité, elles se soient amoindries
avec les erreurs mêmes dont elles étaient l'expression.
Les arts anciens ne sont pas les seuls qui aient eu cette destinée. L'art
grec byzantin s'est aussi immobilisé, momifié, faute de liberté, tandis que
l'art latin n'est jamais resté stationuaiie. Il n'existe aucune conception
ET DE LElii INFr.UENOE Sl'R i E l'ROGRÈS DES ARTS 445
humaine qui ait mieux que l'art latin réalisé le problème de la variété
jointe à l'unité.
L'art latin a conservé pendant de longs siècles des formes hiératiques,
des symboles, une iconographie fermement observée dans ses lignes prin-
cipales et essentielles. Cependant les artistes ont su déployer toutes les
richesses de leur imagination, et ils ont assurément fait preuve d'une im-
mense fécondité. Pourquoi le problème a-t-il été résolu ? Parce que l'ar^t
latin était en possession de la vérité. Or il n'y a que la vérité qui puisse
permettre une certaine liberté et s'en accommoder. Sa force suffit pour
contrebalancer les écarts et les licences de cette liberté.
L'étude des origines des beaux-arts est le moyen le plus sûr de décou-
vrir les sources d'où découle la meilleure esthétique et, par conséquent,
d'en établir les règles.
Félix Clément,
L'ÉCOLE LAÏQUE DU XIP SIÈCLE
Monsieur le Rédacteur,
Voici à ce sujet quelques réflexions que vous apprécierez, et auxciuelles
vous donnerez l'hospitalité de votre excellente Revue, si vous le jugez à
propos.
Monsieur Caro, dans son discours de réception à l'Académie française^
expose, en lui donnant tous ses suffrages, une singulière théorie de
M. V'itet. son prédécesseur au fauteuil de l'Institut : « Dans Thistoire de
« l'ogive, dans la simple apparition de l'arc brisé, il se plaît à voir tout un
« mouvement d'idées : c'est l'esprit du XIP siècle, esprit novateur,
(( hasardeux, systématique. Le plein-cintre est le symbole attardé de
(( l'ancien état social, le type de l'art hiératique, vivant de traditions et de
« règles. L'ogive marque une évolution en voie de s'accomplir. Elle
« est le signe architectural d'une société nouvelle, tourmentée d'une
« fiè\ re d'alî'ranchissement. C'est la pensée laïque qui se réveille. « La foi
« ne perd rien de son ardeur, mais elle se sécularise pour ainsi dire. » L'art
« fait de même. Les architectes n'appartiennent plus ni à l'Eglise ni à
« aucun ordre ; ils sont tous des bourgeois, vivant de leur travail et
« gagnant leur salaire. A peine reste-t-il dans le fond des cloîtres
« quelques vieux moines essayant encore de manier l'équerre et le compas-
« Mais l'ogive n'est pas à eux ; ils n'en comprennent pas la langue,
(( ils en redoutent môme les hardiesses. Ces formes insolites, ces défis
« superbes aux lois de la pesanteur, ces aspirations et ces élans de la
« pensée en dehors de toute tradition les troublent vaguement. Ces poèmes
« de pierre les inquiètent par leur fantaisie. Ils y voient quelque chose
« comme un paradoxe contre les règles do leur art, peut-être même une
« tentative audacieuse contre la nature. »
Voilà, en stylo académicpie, la manifestation d'une découverte que
M. Vltet a fuit(; dans son imagination, que M. Caro célèbre avec emphase,
et qui parait être le point de départ de M. Viollet-le-Duc dans son étude
l'école laïque du XII* SIÈCLE 447
sur la renaissance du XIP siècle : à savoir que l'art chrétien n'est devenu
l'art ogival qu'en se sécularisant ; en d'autres termes, que c'est à l'école
laïque que nous devons les chefs-d'œuvre de l'art gothique. C'est bien là
la pensée de M. Vitet, et en lisant le second volume des « Entretiens sur
l'architecture » de M. Viollet-le-Duc, il est impossible de lui en prêter
un autre.
Or, distinguons ici : Depuis qu'on parle tant d'instruction laïque^, gra-
tuite et obligatoire, on s'est habitué à donner à l'épithète laïque une
signification très-large et un rôle d'opposition que ne 'lui donne point le
dictionnaire. Laïque veut dire tout simplement, s'il s'agit d'une école, que
le maître au lieu d'être pris dans les rangs du clergé, n'en fait point partie.
Là se borne le sens dn mot laïque ; n'allons point l'étendre ou plutôt le
transformer en en faisant le synonyme d'ennemi, d'anticlérical pour me
servir d'une expression aussi barbare que moderne . Le laïque ne doit pas
plus être l'ennemi du clerc que le clerc du laïque : ils sont île la même
famille chrétienne, égaux par la naissance et les promesses futures. L'au-
torité spirituelle établit seule une diflFérence pour le bien et le progrès de
la société.
Ceci posé, entend-on par école laïque de l'art ogival une école qui
se fonde à côté de l'école monastique pour multiplier les bienfaits de la
civilisation chrétienne, pour chercher dans une noble et pacifique émula-
tion à développer les germes féconds de l'art chrétien? Très-bien : nous
adoptons l'expression /a/^-ue, et nous accordons très-volontiers à M. Viollet-
le-Duc ainsi qu'à M. Vitet que cette école laïque est pleine de vie. ardente,
aventureuse. Mais prétendre que les Logeurs du bon Dieu des XIP et
XlIP siècles ne se soient débarrassés des langes de l'art by/.antin que
contre le gré des moines qui auraient voulu les retenir comme des prison-
niers à la chaîne, prétendre que les hardiesses, les aspirations et les élans de
la pensée, des ymaigiers et des maîtres de l'œuvre aient troublé le clergé,
c'est une erreur manifeste, j'allais dire, un mensonge historique. Comment!
l'Église sera donc destinée jus(]u'à la fin \\ se voir toujours refuser l'hon-
neur de ses bienfaits et de ses plus magnifiques conquêtes ! Tant (jue l'art
ogival fut regardé comme un art barbare, et il n'y a pas encore longtemps,
tant que nos cathédrales furent considérées comme le produit d'une imagi-
nation désordonnée, sans principes, ni règles, les ennemis de l'Eglise ne
manquèrent pas de lui retourner toute la responsabilité de cette barbarie :
c'était l'école cléricale, et l'école cléricale seule qui étail capable de ces
monstruosités : « haro sur le baudet! » Et maintenant que les esprits trop
longtemps dévoyés par la renaissance laïque du XVP siècle, sont revenus
à des notions plus saines sur l'art et comprennent toute la sagesse,
448 l'école laïque du xii* sipîicle
la science, la vraie beauté de nos chefs-d'œuvre, arrière l'Église ! ce n'est
plus elle, ce n'est plus son école, c'est une autre école qu'on appelle laïque^
en donnant à ce mot le sens le plus défavorable à l'Église. En vérité, s'il
n'y a point dans cette conduite de l'ingratitude, il y a du moins beaucoup
de précipitation et très-peu d'impartialité.
Les écoles monastiques ont été jusqu'au XII* siècle, les seuls foyers de
lumière intellectuelle et artistique, les seules Académies des Beaux- AjHs. Il
ne pouvait en être autrement. Les peuples barbares qui ont formé la nation
française, sans cesse occupés de guerres et d'expéditions lointaines,
n'étaient pas encore aptes à recevoir l'éducation artistique providentielle-
ment conservée dans les monastères. Jusque-là donc on ne trouve point
d'artistes laïques, par la même raison qu'on ne trouve point d'orateurs ou
de poètes laïques. Mais peu à peu l'instruction sort des monastères,
se répand dans le peuple; le goût des arts habilement cultivé par les moi-
nes, germe, fleurit sur un sol chrétien et s'épanouit dans les chefs-
d'œuvre qui nous étonnent encore. Ces poèmes de pierre^ loin d'inquiéter
rÉglise par leur fantaisie, la comblent de joie et d'honneur; elle en est
fîère, comme le maître est fier de l'œuvre d'un apprenti. Les. mains sont
laï(|ues, mais la tête est toujours cléricale, ou plutôt, car ce mot a été doté
d'une mauvaise signification, la tête est chrétienne, catholique; et nos
cathédrales ne sont que l'expression de l'union intime de la grande famille
chrétienne. Monsieur VioUet-le-Duc semblait pourtant l'avoir bien com-
pris, en choisissant comme frontispice à son grand Dictionnaire une petite
vignette représentant un architecte en costume monacal, un constructeur
en habit laïque, travaillant tous deux sous la protection de Tépée d'un che-
vaher. C'est là toute l'histoire de nos chefs-d'œuvre gothiques, et il
me semble injuste de voir dans l'enthousiasme du XIIP siècle, la manifes-
tation d'un antagonisme religieux et artistique.
On cite ordinairement,pour appuyer cette thèse nouvelle de Trco/e/fl/V/Me,
une lettre de S. Bernard prescrivant à ses moines de conserver la simplicité
dans leurs édifices et de ne point admettre chez eux le luxe architectural
des nouvelles constructions. Outre que ce sentiment de S. Bernard est
personnel, et par conséquent peut n'être qu'une exception, je crois que le
reproche qu'on lui fait depuis si longtemps, n'est pas aussi mérité qu'il le
paraît. M. Viollet-le-Duc lui-même dont le goût est pur et les études très-
étendues en architecture, admettrait-il pour une ccrîise monastique le même
style que pour une cathédrale? Non assurément. Il comprend comme
S. Bernard que l'église d'un monastère, d'une colonie agricole surtout,
doit être d'un style sévère, dépourvu de tout ornement superflu, propre à
énerver des imaginations que les rudes travaux des champs doivent ordi-
l'école LAÏOIE Dr XIl" SIÈCLE 449
naireraent occuper. A ces moines robustes et travailleurs, il faut un style
sobre comme leur vie, simple comme leur bure, mais pourtant, qu'on
veuille bien se le persuader, cette simplicité n'exclut pas la beauté, et
même une certaine magnificence. Aussi n'est-ce pas sans étonnement que
je trouve dans un rapport de M . Viollet-le-Duc sur la magnifique église
de Pontigny (Yonne), colonie essentiellement agricole, cette étrange opi-
nion : « L'ennui vous saisit dans cette grande, froide et irréprochable
« église. C'est là l'œuvre de gens parfaits, mais totalement dépourvu de
« goût. » Oui, ces gens étaient parfaits, ou tout au moins tendaient à la
perfection ; et à ce désir de la perfection ils joignaient un sentiment vrai
de l'art qui leur faisait préférer une noble simplicité à une orgueilleuse et
funeste richesse. Il n'en saurait être de même des monastères scientifi-
ques, si je puis dire, et des cathédrales, de Cluny et d'Amiens, par exem-
ple. Cluny est une école d'artistes, de savants de premier ordre. Ils doivent
loger Dieu dans un monument qui soit tout à la fois l'hommage de leur
talent et le foyer où ils échauffent leur imagination. Amiens ou toute autre
cité est une association, ime famille de savants et d'ignorants, de riches et
de pauvres. Elle aura sa cathédrale, splendide ex-voto de son opulence,
en même temps que livre toujours ouvert pour les petits et les simples.
Qu'on ne cherche donc point à scinder le mouvement extraordinaire qui
se manifeste au XII" siècle pour faire à l'Église le reproche tout gratuit
de vouloir arrêter ou tout au moins de ne point suivre le mouvement de
l'art chrétien. Si l'Église, au contraire, ne l'avait patronné ce mouvement,
si elle ne l'avait dirigé, iljse serait laïcisé presqu'aussitôt, c'est-à-dire, qu'il
n'aurait point attendu ce que l'on appelle à tort la Renaissance pour tom-
ber dans le faux et le barbare. « Les moines, dit M. E. Cartier, dans sa
« belle Étude sur Vart chrétien, les moines ont été les protecteurs de l'art
« au moyen-âge, parce que l'intelligence et le travail les avaient rendus
(( riches et puissants : ils furent la cause principale de cette véritable
(( Renaissance des XP et XII" siècles. L'élan qu'ils avaient donné, s'aug-
(( menta par l'organisation des communes et le développement du pouvoir
« royal sous Philippe Auguste et S. Louis. Il y eut alors une noble ému-
« lation entre les villes pour élever de magnifiques cathédrales, mais il n'y
« eut pas d'antagonisme entre l'architecture laïque et l'architecture mo-
« nastique. L'abbé de Saint-Germain-des-Prés confiait à Pierre de
« Montereau la construction de sa chapelle de la Vierge. Les disciples de
« S. François mettaient au concours l'église d'Assises et donnaient la
(( préférence à Jacques Lallemand. Arnolfo di Lapo, le grand architecte
(( de Florence, avait pour élèves les dominicains Fra Sisto et Fra l'ustoro
« qui bâtirent Santa Maria Novella tant admirée par Michel-Ange. Il y
4^0 l'école laïque du xii'^ siècle
€ avait union, fraternité entre les laïques et les moines. L'architecture
« pouvait être monastique par le caractère que lui imprimaient l'esprit et
« les convenances particulières de la règle, mais elle ne différait en rien
a comme style de l'architecture des cathédrales. L'art était alors tout reli-
« gieux . Il cessa de l'être au XVP siècle : il devint laïqne, et ce fut la
« cause de sa décadence. »
Peu importe, nous permettrons-nous d'ajouter, que le burin ou le com-
pas soit entre les mains d'un laïque ou d'un moine ; pourvu que la main
qui les dirige obéisse au mouvement d'un cœur chrétien, cela suffit, car
l'Eglise n'est pas égoïste. Elle ne veut pas, elle ne peut pas, depuis la
grande parole : (( Euntes docete omnes gentes, » garder pour elle exclusive-
ment le trésor du beau dont seule elle a le secret. Elle le dispense partout
où elle peut pénétrer, et sa mission comme sa gloire est de le communiquer
à tous les peuples. Lorsqu'elle aborde sur une plage lointaine, elle porte à
la main la Croix et le compas. Elle ne dédaigne point de se servir du com-
pas, tant qu'elle n'a pas trouvé d'intelligence capable de le diriger. Mais
quand elle a formé quelque intelligence, éveillé dans l'âme de quelque ar-
tiste le sentiment du beau, elle le lui abandonne volontiers, se réservant
seulement la Croix pour la placer elle-même comme un sceau divin sur
l'œuvre de ses enfants. Loin d'être ^afouse ou. inguiète, elle applaudit aux
efforts de Michel-Ange et de Bramante, et c'est son œuvre propre qu'elle
glorifie en arborant en triomphe sa Croix sur le dôme de Saint-Pierre de
Rome.
Veuillez agréer. Monsieur le Rédacteur, l'expression de mon profond
respect,
J. GiRAUD,
Cwé de Dannemoine,
près Tonnerre (Yonne).
DEUX MUSICIENS OUBLIÉS
Le savant M. Fétis, directeur du Conservatoire de Bruxelles, a publié,
sous forme de Dictionnaire et par ordre alphabétique, la biographie de
tous ceux — artistes, écrivains ou compositeurs — qui, dans tous les pays
et dans tous les temps, se sont livrés à la culture de la musique. Ce ré-
pertoire est à la fois des plus vastes et des plus intéressants. Une nou-
velle édition en a été donnée récemment au public par le libraire Didot, à
Paris. Je crois faire œuvre utile en signalant à l'éditeur deux lacunes, de
peu d'importance sans doute, mais qu'il sera facile, le cas échéant, de
combler comme il convient, pour ne pas laisser feuilleter inutilement par
les gens studieux une série de volumes déjà très-considérable et un en-
semble de documents qui, je m'empresse de le reconnaître, n'existe nulle
part aussi complet . En produisant à la lumière deux épitaphes restées
dans l'ombre, j'ai aussi en vue de fournir à l'excellent directeur de la Re~
vue de musique fondée à Toulouse deux pièces, connues à Rome des épigra-
phistes, mais certainement ignorées en France. La presse archéologique,
en admettant dans ses colonnes de semblables renseignements, rend un
service réel aux revues musicales, qui, sans elles, en attendraient peut-
être longtemps la communication de leurs lecteurs ou collaborateurs. Nous
sommes tous solidaires de la même cause, qui est de vulgariser les con-
naissances acquises par l'étude.
M. Forcella a bien mérité de la science par sa publication, vraiment ca-
pitale, des inscriptions des églises et autres monuments de Rome. JNous
reviendrons plus à loisir et en détail sur les cinq volumes déjà imprimés.
Aujourd'hui je ne veux que lui faire un emprunt, qui montrera quel parti
on peut tirer, pour l'histoire des arts de la ville éternelle, d'une collection
qui s'étend du XI* siècle au XIX* inclusivement.
432 DEUX MUSICIENS OUBLIÉS
I.
J'avais remarqué et même copié autrefois pour une histoire des a7'tistes
italiens l'épitaphe suivante, qui date du XVIP siècle, époque de la belle
musique de chambre dans le pays classique de l'harmonie. Je la revois
avec plaisir dans l'ouvrage romain :
[Écusson armorié de la défunte).
I CHR R
OLYMPIAE OEVLAE
CVI MORS CVM FLORE
VENVSTATIS AETATISQ.
ARTEM CANENDI SVPRA
AETATEM SVSTVLIT
MOESTISSIMI MATER ET
FRATRES PP.
yiX. ANN. XXVIl MEN. IX
DIES XIV OBIIT XIV IVLII
MDCXXII.
[Autre écusson armorié.)
La dalle tumulaire est encastrée dans le pavé de la grande nef de
l'église cardinalice et conventuelle de Saint-Martin-des-Monts. C'est donc
une place d'honneur qu'on a choisie pour le jeune artiste. Rome aime les
arts avec passion et elle s'est toujours montrée pleine d'égards pour ceux
qui ont consacré leur vie et leur talent à la culture du beau, sous quelque
forme qu'il se produise.
Etait-elle noble, cette cantatrice distinguée? Rien ne l'indique d'une ma-
nière précise, car, de nos jours encore en Italie, pas plus qu'en France
avant la révolution, les armoiries ne sont un signe certain de noblesse.
Tout noble a un écusson chargé d'attributs ou d'emblèmes conventionnels,
mais les bourgeois aussi se sont créé un blason fantaisiste. C'est admis, et
franchement, cela ne tire pas à conséquence.
M. Forcella est très-sobre de notes ; on se prend à le regretter en le li-
sant. Il n'eut pas été inutile de donner la traduction de la première ligne
dont les initiales sont un problême tout au moins fort diffi'ile à résoudre
même pour des archéologues exercés. Je suis si peu sûr de l'interpréta-
tation qui m'est venue à l'esprit que je n'ose l'écrire, quoique je puisse
m'appu^'er de ce correctif d'Horace .- Faciant meliora patentes. Je lirais
toutefois : Jesu Christo Redemptori.
DEUX MUSICIENS OUBLIÉS 4o3
Olympe OEoli vécut 27 ans, 9 mois et 14 jours. Elle décéda le 14 juillet
1622.
Olympe peut paraître un nom païen et, à cette époque, on ne se privait
pas d'en donner. Cependant je dois dire, à la décharge des parents de la
défunte, (\\x Olympia n'est pas inconnu à l'antiquité chrétienne, comme
l'histoire de Sainte Balbine en fournit un exemple mémorable.
Le nom de famille latinisé a été mis au féminin et la voyelle o s'est
changée en son équivalent euphonique u. Autres remarques épigraphi-
ques : les points-milieux, si communs à Rome, n'indiquent ici que des
mots tronqués ou des fins de phrase ; puis les lettres des diphthongues sont
tantôt jointes, tantôt séparées. Faut-il y voir une faute du graveur? c'est
possible et de tels cas ne sont pas rares. Faut-il, au contraire, rejeter l'er-
reur sur le copiste ou même le typographe? Je l'admettrais encore, car
malheureusement le recueil de Forcella n'est pas exempt de ces petites im-
perfections de détail qui prouveraient ou trop de précipitation dans la ré-
daction ou une correction trop peu sévère à l'imprimerie. Je dis cela pour
l'amélioration des textes qui restent à publier.
La dalle fut posée (posuere) par les soins de la mère et des frères sur la
dépouille mortelle, objet de leur grande tristesse. Trois traits vifs repro-
chent à la mort le coup fatal qu'elle a porté à la famille : Olympe était
jeune, dans la fleur de la beauté et son talent de cantatrice surpassait de
beaucoup son âge. Une pensée chrétienne n'eût pas gâté l'expression trop
humaine des regrets.
II.
La seconde inscription dont j'ai à parler n'existe plus. Forcella l'a ex-
traite d'un manuscrit du Vatican qui la cite comme étant autrefois dans la
diaconie de Saint-Nicolas in carcere. De quand date la disparition de cette
dalle du XVIP siècle, qui ne devait pas, vu son peu d'ancienneté, être as-
sez effacée pour devenir illisible, même à la suite du frottement des pieds
des fidèles sur le marbre du pavé ? Serait-ce trop hardi d'en accuser la
restauration récente de l'église, qui a un peu sacrifié son passé pour avoir
du neuf et d j plus beau ? Je constate, dans ces derniers temps, de sem-
blables disparitions, fort regrettables à plus d'un point de vue, dans le re-
nouvellement des pavages de St-Eustache, St-Louis-des-Français,le Pan-
théon et la Minerve.
François de Rossi était natif de Palestrina. Il mourut le 8 janvier 1672,
âge de 5l) ans, dont iM passés à Saint-Nicolas dans les fonctions de cha-
noine, puis de doyen. Ses sœurs constatèrent sur la tombe qu'il était
454 DEUX MUSICIENS OUBLIÉS
« cher à plusieurs cardinaux ». Ces simples mots signifieraient-ils un com-
positeur >!e musique religieuse plutôt qu'un dilettante? J'aime à le croire.
L'épigraphe débute par un écusson qui, en Italie, ne dénote pas plus la
noblesse que le de mis en avant du nom de famille, latinisé suivant l'usage.
Vient ensuite la formule habituelle : Deo opti'mo maximo. Beaucoup de
mots sont abrégés, et deux fois seulement la lettre M est remplacée par
un trait horizontal.
Le chanoine est qualifié, comme tel, de ti^ès-révérend. Admodum reve-
rendus est, en effet, son titre officiel. Révérend ?,Qâi\t de tout ecclésiastique
en place, curé ou autre, ainsi que le pratiquent les anglais. Révérendissime
appartient en propre à la prélatureet à l'épiscopat; sous Urbain VIII, les
cardinaux l'ont quitté pour E minent iss ime .
Enfin D réduit à l'initiale de Dominiis, répond au Don qu'ont conservé
les Romains et qu'ils mettent toujours avant le nom de baptême dans le
langage ordinaire. Le chanoine De Rossi devait donc être appelé de son
temps Don Frayicesco.
Voici son épitaphe latine, telle que l'a copiée Galletti, au siècle dernier,
probablement un peu rapidement, car il y a des fautes évidentes de lec-
ture :
D. 0. M.
ADM. RDO D. FRANCO DE RVBEIS
PRAENESTINO
HVIVS ECCE CANON ICO DECANO
QUI MVSICES ARTE POLLENS ET
MVLTIS EEMIS S. R. E. CARDBVS CARUS
POST VEHICVLVm
ETATIS SUAE ANNORVm L.
ET. XXXI IN HAC ECCA CANTVS
AD PERENNES CONCENTVS
EST ASSOCIATVS
VI. IDVS lANVARII MDCLXXII
SORORES MESTISS. POSVERE
Le chanoine avait chanté au chœur les louanges de Dieu, de plus il ai-
mait la musique. Au ciel il aura été « associé aux concerts éternels. » On
ne pouvait terminer plus gracieusement l'éloge funèbre d'un musicien.
X. Barbier de Montault.
L'EGLISE
DU COUVENT DES DOMINICAINS
DE SAINT-MAXIMIN
Commencée dès les dernières années du XIP siècle en même temps
que les bâtiments claustraux, cette église a été continuée pendant le
cours des deux siècles suivants et terminée seulement dans les premières
années du XVI^. Bien qu'on trouve dans ce monument des traces appa-
rentes de ces différentes époques de l'art, il offre néanmoins une grande
homogénéité de style, bien rare pour le long espace de temps qu'on a
mis à le construire et qui est due certainement à la persistance des tradi-
tions monastiques.
Le portail de sa nef principale n'a jamais été exécuté ; les façades des
bas-côtés seules existent, et leur décoration excessivement simple pour
l'époque offre les caractères de la fin du XV® ou du commencement du
XVI" siècle ; leur genre d'ornementation peut donner une idée de celle
destinée au grand po. tail. Ces portes latérales se trouvent placées au
fond d'une suite d'arcs décroissants en ogive, composés de moulures pris-
matiques et surmontés d'ornements de style flamboyant. Chacun de ces
portails est percé d'une large fenêtre ogivale diviséepar un double meneau
et renfermant de nombreux quatre-feuilles dans ses découpures ; il est
encadré par deux robustes contreforts qui supportent à leur sommet une
voûte en forme de porche, disposition singulière et tout-à-fait inusitée.
A l'angle méridional de la façade, on trouve les bases bien apparentes
de la tour du clocher qui n'a pas été édifiée et qui devait compléter
l'aspect monumental de l'église.
Sur chacune des faces latérales de cet édifice, dix contreforts portent
les arcs qui buttent les voûtes et sont surmontés de couronnements où
s'étalent d'anciens fleurons aux élégantes découpures. Deux tourelles
servant d'escalier flanquent l'abside qui s'élève dans de majestueuses pro-
portions.
436 l'lglise des dominicains
Un hp.iu dallage dont quelques parties subsistent encore, recouvrait
autrefois les voûtes des trois nefs, ainsi que celles des chapelles, et Técou-
lement des eaux pluviales s'opérait de la manière la plus naturelle et la
plus logique. Une gouttière en pierre, en forme de corniche, supportée
par des corbeaux nettement profilés, régnait au pourtour de la grande
nef, recevant les eaux qui étaient conduites par des tuyaux de descente
aussi en pierre, jusqu'aux canaux pratiqués sur les arcs-boutants et de là
à travers les contreforts, dans leurs gueulards, taillés en forme de monstres,
pour les rejeter. Ces animaux fantastiques, aujourd'hui ruinés, renfer-
maient probablement une expression symbolique dont le sens est perdu
pour nous.
La couverture des bas -côtés avait de même sa gouttière en pierre
établie à son pourtour et son rang inférieur de gargouilles.
Les eaux ainsi dégorgées par ce double rang de monstres de pierre
tombaient à l'extrémité des toitures des chapelles, chargées de les débiter
au dehors.
Mais ce régime si simple d'ordonnance a fait place au plus déplorable
système; car au-dessus du grand comble, la charpente qui soutient les
couvertures en tuiles se trouve supportée par des piliers établis sur les
reins même des voûtes, et au-dessus des bas-côtés cette toiture est portée
par des arcs grossiers dont le développement a nécessité l'exhaussement
des faces extérieures par un petit mur en maçonnerie d'un effet détestable,
de sorte que tous les anciens canaux d'écoulement sont condamnés à
l'inutilité, et la pente des toitures des nefs latérales et des chapelles, néces-
sitée par cette odieuse combinaison, a envahi la base des fenêtres des
diverses nefs et a ainsi dénaturé les dispositions primitives, si habilement
conçues, de cet édifice.
L'intérieur de cette église est d'un effet incomparable.
Son plan se compose de trois nefs, accompagnées de chapelles ; elle
n'est point coupée par un transsept ; ses collatéraux ne se prolongent pas
autour du chœur, ils s'arrêtent à la naissance de l'abside principale et se
terminent en contre-absides.
Voici ses dimensions dans œuvre :
Longueur de la grande nef 72 mètres 60 c.
Longueur des collatéraux 64 20
Hauteur de la grande nef sous voûte. . . 28 70
Hauteur des collatéraux 17 60
Hauteur des chapelles 10 25
Largeur des trois nefs et des chapelles . . 37 20
UE SAINT-MAXIMIN 457
Seize piliers détachés et quatre engagés soutiennent les retombées des
arcades ogivales qui établissent les communications entre les diverses
nefs. Ces piliers sont détachés en faisceau de sveltes colonnettes d'où par-
tent les nervures formant les arêtes des voûtes ogivales. Trois de ces co-
lonnettes groupées soutiennent les arcs de la grande nef, trois aussi sont
disposées de la même manière dans les bas-côtés et une dans chaque
entre -colonnement porte l'archivolte des arcades ; cette archivolte ornée
de moulures est partout rectangulaire, sauf aux arcades adhérentes à
l'abside, où son principal tore est curviligne, muni d'une arête figurant un
petit filet ; elle est soutenue par un faisceau de trois colonnettes au lieu
d'une seule, élégante disposition delà fin du XIIP siècle, dans cette partie
primitive du monument.
Les chapitaux d'une nudité caractéristique, sans ornements ni feuillage,
ont généralement leurs tailloirs à pans coupés, excepté aux dernières ar-
cades où ils sont circulaires. Ces piliers sont ainsi d'une très-grande sim-
plicité, La hauteur de leurs bases est très-variable, les unes ont plus d'un
mètre, tandis que d'autres ont à peine 50 centimètres ; il n'y a pas même
de similitude à cet égard dans les piliers parallèlement correspondants .
Malgré l'unité d'architecture qui règne dans l'ensemble de ce monument,
on remarque en lui des différences de détail très-sensibles, quand on en
analyse les proportions. Ces différences sont plus nombreuses encore dans
les travées postérieures à la reprise de l'édifice au XV^ siècle, car cette
reprise est très-apparente à l'extérieur comme à l'intérieur et ces dissem-
blances multiples ne nuisent pourtant point à son tour si harmonieux.
La grande nef se compose de neuf travées, les collatéraux de huit, à
chacune desquelles correspond une chapelle dont la construction est
entrée dans le plan primitif de l'édifice. Moins élevées que les nefs latérales,
ces chapelles en complètent l'ensemble architectural. Une fenêtre aujour-
d'hui bouchée perçait leur mur du fond, contre lequel se trouvent mainte-
nant adossés les autels, autrefois tous orientés comme l'église. Cette
fenêtre divisée par un meneau, renfermait des ornements dans le style du
XIV^ siècle qui subsistent encore, tels que ceux que l'on voit dans les
ouvertures des nefs, c'est à-dire un quatre-feuille inscrit dans un cercle,
s'étalant au-dessus des arcatures trilobées que porte le meneau vertical ;
dans les contre-absides s'épanouissent de plus deux trèfles aux feuilles
arrondies, au-dessous de ces quatre-feuilles, ainsi que dans les baies su-
péx'ieures de l'abside principale où ces trèfles sont surmontés de roses à
cinq lobes d'une noble ampleur, tandis que dans les baies inférieures de
cette abside, ce sont des trèfles lancéolés qui les décorent ; on trouve aussi
dans certaines ouvertures des bas-côtés et des chapelles des traces d'or-
Ile série, tome II. 3
4o8 L'ÉGL1>^F. DKs liu.MlMCAINS
nementation flamboyantes comme dans celle de la grande nef où ce style
du XY"' siècle domine souverainement.
Ces diverses découpures ont été refaites ou restaurées en grande partie,
mais toutes ces baies sont aujourd'hui garnies de vitraux incolores qui
donnent trop de jour à l'église. Q)uelques fragments des anciennes verrières
subsistent seulement dans les bas côtés.
On se fera facilement une idée du merveilleux effet que devait produire
ce triple rang de fenêtres, quand chacune d'elles conservait ses premières
dimensions. C'était un édifice ouvert de toute part à la lumière, ainsi que
le démontrent la multiplicité et le prolongement de ses baies ; cette dispo-
sition dans le sens primitif était réellement admirable. Mais ce qu'il y a
surtout d'incomparable, c'est l'abside à sept pans, dont cinq sont percés
d'un double rang d'ouvertures superposées, d'une très grande hauteur,
séparées seulement entre elles par un meneau horizontal et dont la partie
inférieure se trouve aujourd'hui envahie par des'marbreries de l'époque de
Louis XIV, qui en diminuent singulièrement l'effet.
Cette abside a ses diverses faces polygonales séparées par une svelte
colonnette, sur laquelle repose la nervure formant l'arête des sept quar-
tiers qui composent sa voûte ; deux autres colonnettes infiniment plus lé-
gères, montent aussi du sol pour porter les arcs formerets de ces divers
segments et encadrer ainsi les doubles fenêtres superposées de cette par-
tie si remarquable du monument.
Quelques-unes des clefs de voûte auxquelles viennent se rattacher les
nervures croisées sont ornées des blasons des comtes de Provence et des
rois de France.
Les voûtes des chapelles sont soutenues aussi par des nervures,
reposant sur des consoles, au lieu de colonnettes, et les clefs qui réunissent'
ces nervures sont pour la plupart décorées d'ornements peints, générale-
ment mutilés. Ces chapelles, ainsi que les arcades qui leur donnent accès,
varient de grandeur, selon la largeur de la travée correspondante de la nef.
L'intérieur du vaisseau a eu l'insigne bonheur de ne point être badi-
geonné ; mais il est à regretter que le pavé de l'église, autrefois couvert
de grandes dalles et de pierres tombales, n'ait plus la gravité qui lui con-
venait si bien.
Le fond de la nef est occupé par des additions du XVII" siècle, qui,
quoique en désaccord complet avec le style du monument, font cependant
entre elles un magnifique ensemble ; on dirait une église de Louis XIV
dans une éghse gothique.
Cette ornementation consiste dans les marbreries de l'abside et les boi-
series du chœur.
I>E SAINT-MAMMIX 459
Ce chœur porte la date de 1C92; ses stalles au nombre de 94 sont
d'une grande beauté d'ensemble et d'une merveilleuse richesse de détails :
elles se développent sur deux étages en retraite contre une sorte de
chancel et sont sculptées de médaillons où figurent les plus glorieux faits
de l'histoire de l'ordre de saint Dominique, dus au ciseau du frère Vincent
Funel.
Un autre grand et bel ouvrage de sculpture sur bois, c'est la chaire por-
tant la date de 1756; le frère Louis Gudet en est l'auteur.
L'orgue fixe aussi l'attention dans la grande nef; il a été terminé peu
d'années avant la rév^olution, par le frère Isnard, dominicain du couvent
de Tarascon '.
Dans les nefs latérales et les chapelles, se trouvent divers autels re-
marquables, entre autres celui connu sous le nom de Corpus Domi)ii., pré-
cieux monument du XV!'" siècle, dont les peintures sur bois renferment
dans une série de médaillons bien conservés, l'histoire de la Passion. Ces
peintures ont été données par le malheureux surintendant des finances de
François I", Jacques de Beaune, seigneur de Semblançay, ainsi que l'in-
dique une inscription en caractères gothiques, peinte sur le devant de cet
autel.
Cette église possède aussi une crypte qui en a été le véritable fondement,
c'est là qu'on conserve le tombeau célèbre de sainte Madeleine et le reli-
quaire contenant son chef vénéré. De la crypte ancienne il ne subsiste que
quelques pierres noircies par le temps, tandis que la chapelle souterraine
actuelle a été refaite dans les derniers siècles avec assez peu de goût. Mais
sous le rapport religieux, cette crypte a une importance 'capitale et sous
le rapport de l'histoire de l'art, elle contient des monuments de la plus
grande valeur, entre autres divers sarcophages des premiers siècles où
s'étalent des sujets chrétiens ou bibUques du plus haut intérêt «.
Sans entrer à l'égard de cette église dans de plus longs détails qui nous
forceraient à répéter ce que nous avons dit dans notre Notice spéciale sur
ce monument, qu'il nous soit permis toutefois de reproduire les lignes par
lesquelles nous avons essayé d'esquisser le caractère de cet édifice où do-
minent les éléments architectoniques des XII1« et XIV» siècles.
« Cette église ne jouit pas de la célébrité qu'elle mérite ; elle n'a point,
il est vrai, les dimensions des grandes cathédrales du nord, mais l'éton-
nante justesse de ses combinaisons architecturales accroît singulièrement
l'effet de sa perspective et la fait paraître plus vaste qu'elle n'est en réalité.
1 Le traité et le devis des travaux, à ce sujet, sont conservés dans les archives.
» Voir notre Notice sur l'église de Saint-Maximin.
460 LÏXiLfSK DRS DOMINrCAlNS
C'est un vaisseau d'une merveilleuse beauté d'ensemble, d'une incompa-
rable pureté de lignes, d'une élégance et dune légèreté de formes vrai-
ment admirables. Le prodigieux élancement de ses piliers, l'imposante
noblesse de ses voûtes et surtout la suprême harmonie de ses proportions,
lui impriment un cachet de poétique grandeur que peut-être nul autre mo-
nument ne possède à un degré si élevé. Moins considérable en étendue
que les églises de premier ordre en France, moins complète qu'elles par
le plan, moins riche par les détails et par l'ornementation, elle est supé-
rieure au plus grand nombre de ces cathédrales comme valeur esthétique.
Aucune autre église ne renferme, en effet, une plus haute expression des
splendeurs de l'art et de la pensée chrétienne, aussi nulle ne saurait exal-
ter plus vivement l'âme et lui procurer de plus profondes et de plus reli-
gieuses émotions D'un goût sévère et pur, comme en général
toutes les fondations de l'ordre des Dominicains, cette église est d'une^ex-
trême sobriété d'ornementation, due probablement à l'inspiration monas-
tique qui a présidé à sa construction ; et néanmoins inimitablement belle,
elle revêt ainsi un caractère de sublime simplicité ^ »
En ett'et si l'institut dominicain, d'après le P. Lacordaire *, s'allie bien
au génie français, l'architecture de cet ordre religieux nous semble
éminemment propre, de son côté, à caractériser notre art national durant
la période gothique, et l'église de Saint-Maximin est véritablement le pro-
duit le plus noble et la formule la plus explicite de cette ai'chitecture
dominicaine en même temps que le type par excellence de l'art ogival dans
le Midi.
La majestueuse basilique domine ainsi les diverses constructions qui
rayonnent autour d'elle, le cloître, les lieux réguliers, l'hospice, le collège,
l'inlinnerie et toutes les dépendances, tandis qu'au dehors de l'enceinte
monastique, s'étend le grand enclos avec son allée parallèle à l'aile sep-
tentrionale des bâtiments claustraux.
Tel était ce vaste et beau couvent dans sa distribution matérielle à la
fois simple et noble, admirablement appropriée aux exigences de la vie
régulière et de la règle dominicaine.
Plus d'une fois avant son rétablissement, nous avons éprouvé un charme
mdicible à évoquer les souvenirs de son passé. Aux heures du soir, sur-
tout, quand les derniers rayons du jour expiraient au faîte de l'édifice, en
parcourant les abords de cette demeure abandonnée, notre imagination se
plaisait à la repeupler de ses anciens hôtes et à les faire vivre de nouveau
' Notice sur Véglise de Saint-Maximin, p. 66, 67, etc.
^ Voir Mémoire jiour Je rrtahlisse^wnt des Fr Prêcheurs, ch. V.
DE SAINT-MAXIMIN 461
par la pensée dans leurs longs corridors déserts, dans leurs cellules vides,
sous les arceaux effondrés de leur cloître solitaire
Aujourd'hui ce rêve de nos jeunes années a trouvé sa réalisation : tous
ces fantômes ont secoué la poussière de leur tombeau et à l'heure qu'il
est, ils habitent, pleins de vie, cet asile relevé de ses ruines. Aussi, du sein
de ses vieux murs s'élève encore la prière dans ses plus magnifiques élans,
et de ses chaires d'enseignement théologique, la science coule à pleins
flots. A l'auréole resplendissante de son passé, le couvciit de Saint-Maxi-
min ajoutera le lustre de ses destinées nouvelles, car désormais le glo-
rieux nom du père Lacordaire, en demeurant irrévocablement lié à son
histoire, sera son immortel protecteur dans l'avenir : et si les exemp-
tions et les privilèges de ce couvent sont aujourd'hui détruits, si ses pos-
sessions territoriales sont à jamais perdues, si sa puissance et ses droits
n'existent plus, il est pourtant une richesse qui ne lui fera pas défaut, c'est
celle qui est due aux mérites de la vie régulière, à l'élévation des vertus
ascétiques, au prestige de l'éloquence, à l'ardeur du dévouement évangé-
lique, à l'éclat souverain de la science et de la sainteté i
Louis ROSTAN.
RAPPORT
DU R. P. GERMER-DURA-ND
SDR
L'IMAGERIE RELIGIEUSE
LU A l'assemblée générale DES COMITÉS CATHOLIQUES
(Extrait de la séance du i" avril iSlôl
Monseigneur,
Messieurs,
La question de l'imagerie religieuse vous a déjà préoccupés l'année
dernière, et si nous abordons encore ce sujet, ce n'est point pour l'exposer
à nouveau. Je viens seulement vous dire ce qui a été fait pour répondre
aux vœux que vous avez émis, à la suite de l'intéressant et judicieux rap-
port de M. l'abbé Charles.
Après cela, si vous le permettez, nous dirons un mot de limageric
populaire d'Epinal.
Le premier vœu de l'assemblée de 1874 était conçu en ces termes :
« Que des concours soient ouverts par les différentes Sociétés d'art
chrétien sur les sujets d'imagerie religieuse, et que des primes soient
accordées aux travaux les plus remarquables. »
Si ce vœu n'a pas été mis à exécution, ce n"est point le désir qui a man-
qué. Les Sociétés d'art chrétien, encore peu nombreuses et à peine assises,
n'ont pas les revenus nécessaires pour ouvrir chaque année tous les con-
cours qu'elles voudraient proposer à l'émulation des artistes. Le droit de
posséder, refusé jusqu'à présent par la loi aux corporations religieuses,
pourra seul assurer les fondations nécessaires à l'ouverture de concours
annuels.
Mais si ce premier vœu est resté, cette année, à l'état de desideratum,
le second n'a pas eu le même sort. Il était ainsi formulé :
€ Qu'une approbation publi(]ue soit donnée par ces Sociétés à toute
RAïu'ORT sn; l'imagerie religieuse 463
image religieuse qui serait présentée à son examen, et qui serait trouvée
conforme aux règles de l'art et de la tradition chrétienne. Cette appro-
bation pourrait être mentionnée, soit dans un catalogue spécial, soit sur
l'image elle-même, avec une empreinte ou un sceau de la Société, n
Le Congrès des Œuvres ouvrières, tenu à Lyon, au mois d'août der-
nier, est venu appuyer et préciser encore cette motion en émettant le
vœu :
« Que la Société de Saint- Jean, pour l'encouragement de l'art chrétien,
soit instamment priée de publier un catalogue des images conformes à la
fois à la saine doctrine et aux règles de l'art religieux. »
Devant une sommation aussi pressante, la Société de Saint-Jean aurait
eu mauvaise grâce à ne pas se rendre. Elle s'est mise à l'œuvre. Les jour-
naux cathohques ont mis sous les yeux de leurs abonnés, — vous en êtes
tous, Messieurs, et vous avez dû lire — la note suivante :
IMAGERIE RELIGIEUSE.
« La Société de Saint-Jean, pour l'encouragement de l'Art chrétien,
informe MM. les artistes et les éditeurs d'estampes, images, statues, etc.,
qu'elle va dresser un catalogue des œuvres qui lui paraîtront mériter
d'être recommandées au point de vue de l'art chrétien. Ce catalogue sera
publié.
« Trois conditions sont requises pour l'admission des ouvrages d'art
sur le catalogue de la Société de Saint-Jean :
« 1° Le caractère religieux, c'est-à-dire l'orthodoxie du sujet et l'élé-
vation de la pensée, concourant à inspirer la foi et la piété ;
« 2° Le mérite artistii}ue, au point de vue de la composition et du
dessin ;
« 3° Une exécution satisfaisante, soit par la gravure, soit par la pho-
tographie, soit par le modelage, soit par la chromo-lithographie, ou tout
autre mode.
« Ces trois conditions devront se trouver réunies pour l'admission d'une
œuvre sur le catalogue. »
Cet appel a été diversement apprécié par les éditeurs. Plusieurs, beau-
coup même, à en juger par leur abstention à y i-épondre, v ont vu une
menace plus qu'un encouragement. J'ose dire qu'ils ont un pou raison ;
c'était le cri de la conscience. D'autres, au contraire, (jui ont le sincère
désir de bien faire, se sont empressés de soumettre leui-s collections à
l'examen de la Société de Saint- Jean.
Afin que l'admission sur le catalogue acquit une valeur incontestable.
la Société a pris la résolution d'être sévère.
464 RAPPORT SUR l'imagerie RELIGIEUSE
Les trois conditions exigées, c'est-à-dire le caractère religieux^ le mérite
artistique et la bonne exécution, doivent être constatés en séance, et l'ap-
probation, pour être valide, nécessite la présence de neuf membres au
moins. De plus, pour rendre les décisions indépendantes de toute influence,
les confrères s'interdisent de recommander aucun artiste ou marchand.
Telles sont les bases d'opération pour la rédaction du catalogue. Il est
sur le métier et le premier fascicule sera publié prochainement.
Pour donner à cette œuvre une utilité pratique, et pour faciliter la dif-
fusion des images recommandées par elle, la Société de Saint-Jean a fait
appel au concours éclairé de la Société bibliographique. Un album con-
tenant un spécimen des images inscrites au catalogue sera déposé à la
librairie de la Société bibliographique, qui veut bien accepter d'être l'in-
termédiaire entre les acheteurs et les différents éditeurs d'estampes.
De cette façon, personne ne sera embarrassé pour se procurer les
images recommandées par la Société de l'art chrétien.
Vous le voyez, Messieurs, le deuxième vœu de votre dernière assem-
blée, relatif à l'imagerie, est en pleine voie d'exécution : bonheur que plus
d'un de ses frères pourrait lui envier.
II.
Le catalogue, dont je viens de vous entretenir, sera nécessairement
limité par la sévérité même du règlement qui préside à sa rédaction. Ce
sera un catalogue de petits chefs-d'œuvre, si l'on veut, fort utile, sans
doute, mais insuffisant au point de vue de la propagande populaire.
Le Congrès de Lyon et la dernière assemblée des Comités catholiques
du Nord et du Pas-de Calais ont appelé l'atiention sur une imagerie bien
autrement répandue que les emblèmes et les images à surprises qui abon-
dent chez nos éditeurs de Paris, sur l'imagerie populaire d'Epinal.
On pourra objecter peut-être que cette question soit du domaine de
l'art, et que votre commission d'Art chrétien n'est pas appelée à l'aborder.
Tel n'a pas été son avis; elle a pense, au contraire, qu'elle ne devait se
désintéresser d'aucune des manifestations de l'art religieux, si faible et si
rudimentaire qu'elle fût.
Les images d'Épinal pénètrent partout, et, indépendamment du bon
marché, qui fait une partie de leur succès, leurs grandes dimensions et
l'éclat, souvent peu artistique, il est vrai, de leur coloris, leur assure une
popularité (|u"aucun autre genre d'images ne saurait atteindre.
Or, ces images sont trop souvent employées à la diffusion de tout autre
chose que des pensées religieuses et morales. Les succès scandaleux du
RAPPORT SUR l'imagerie RELIGIEUSE 465
théâtre de bas étage trouvent dans l'imagerie d'Épinal un moyen facile de
proj3agande, et ne s'en servent que trop. Les planches éditées pendant
ces dernières années en font foi. D'autre part, les Contes de Perrault
prennent la place des légendes des Saints ; on veut chasser Dieu de l'ima-
gerie comme He l'école.
Les sujets de sainteté figurent encore sur les catalogues des éditeurs,
mais on a grand'peine à les trouver dans les dépôts pour la vente au dé-
tail; nous en avons fait l'expérience à Paris. Il faut ajouter que la plupart
de ces images religieuses sont d'une simplicité d'exécution qui dénotent
l'ancienneté des iJanches, et le peu de souci des éditeurs de développer
cette branche importante de leur industrie.
Cependant l'examen de ces épaves de l'imagerie que le peuple chrétien
appréciait jadis, à cause du fond plutôt que de la forme, nous a conduits
à faire sur la question générale de l'imagerie une observation utile à
noter.
Quand les imagiers d'Epinal ont voulu faire des images pieuses, ils ont
choisi les sujets que leur indiquait la tradition. Ils ont peint d'abord Jésus-
Christ et l'Evangile ; en second lieu, la très-sainte Vierge et les diverses
madones vénérées dans les pèlerinages; en troisième lieu, les Saints, dont
la série comprenait en particulier : les Apôtres, les patrons des corps
d'état, les patrons des pays, des provinces, des villes, etc.
Or, si revenant d'Épmal à Paris, nous jetons les yeux sur les devan-
tures des marchands d'images de piété, qu'y voyons-nous? Les sujets que
nous venons d'indiquer, les Saints surtout, ont été laissés de côté, et ont
été remplacés, pour la grande majorité des estampes, par des emblèmes
empruntés à un mysticisme de convention, souvent fade, qui peut pro-
duire, sans doute, une bonne impression sur les cœurs, mais qui n'est
jamais un enseignement positif et solide, comme le serait le portrait d'un
saint avec ses attributs traditionnels, et accompagné d'une notice ou d'un
cantique sur ses miracles et ses vertus.
Là est la source du mal : on veut remplacer la sainteté par une piété
mal comprise. Le jansénisme, qui a exercé en France une si longue et si
fâcheuse influence, a tué le culte des Saints et a voulu y suppléer par le
mysticisme. Or, le mysticisme est bon, à condition qu'on l'apprendra de
la bouche des Saints qui l'ont pratiqué et en ont été les modèles, et non pas
de la fantaisie du premier imagier venu. (Très-bien !)
Pour que l'imagerie religieuse soit saine, il faut qu'elle rentre dans sa
voie véritable, qui est d'honorer les Saints. Les artistes n'auront qu'à lire
leurs vies pour y trouver de fécondes inspirations, et le développement
du culte des Saints sera plus utile au bien des âmes que le mysticisme de
466 RAPPORT SUR i;iMAGERIE RELIGIEUSE
convention, qui affadit les cœurs et excite, souvent avec raison, les mo-
queries des libres-penseurs. fTrès-bien ! très-bien!)
Revenons à la pratique, après ce court exposé de théorie, et constatons
que les images religieuses d'Epinal, dans la simplicité de leur dessin et le
ton criard de leur coloris, étaient plus près de la vérité que l'imagerie
parisienne, dont nous déplorons à bon droit les abus. (Applaudissement
général.)
On a cité à la Commission un éditeur d'Epinal, qui a publié récemment
quelques sujets tirés des compositions des grands maîtres, et un caté-
chisme où la doctrine chrétienne est très-habilement résumée en un vaste
tableau. Cet éditeur se montre disposé à marcher dans cette voie, et offre
de faire traiter par ses dessinateurs les sujets qui lui seraient indiqués avec
une certaine précision.
Il y a là, Messieurs, une œuvre à faire au point de vue du bien des
âmes. Dans les missions à la campagne, que le Jubilé va multiplier cette
année, les prédicateurs ont souvent recours à l'imagerie d'Epinal, pour
laisser dans chaque famille un souvenir de ces grandes journées qui im-
pressionnent si vivement les âmes dans beaucoup d'écoles, pour ne pas
dire dans toutes, un des moyens ordinaires d'émulation est la distribution
des feuilles d'images.
L'invention de l'école sans Dieu a amené la publication d'images abso-
lument insignifiantes, intitulées : « Jones rorgueilleux^ — Robert le petit
fugitif., — Ce que coûte un mensonge., » etc.. où l'on s'applique à faire aux
écoliers la morale sans Dieu ; nous devons réagir contre cette invasion
d'athéisme pratique.
L'histoire des saints enfants — il y en a de canonisés — fournirait aux
écoliers des leçons bien autrement utiles que l'histoire de Gribouille ou de
Jean-Paul Chopart ; et il y a un sérieux intérêt pour le bien à perfection-
ner et améliorer un genre d'images qui exerce une véritable influence sur
l'éducation du peuple. (Oui ! oui ! — Très-bien ! très-bien!)
La commission de l'Art chrétien propose donc à votre approbation le
vœu suivant :
Que les Sociétés d'art chrétien et les œuvres de propagande encouragent
les éditeurs d'images populaires, et spécialement ceux d'Epinal, à publier
des images religieuses, et en favorisent la diffusion dans les écoles, dans
les ateliers et dans les campagnes. (Vive approbation.)
TRAVAUX DES SOCIETES SAVANTES
Les sociétés savantes de Province, — M. Ferdinad Delannoy publie
dans Y Echo universel une Chronique des Sociétés départementales, où nous
trouvons d'intéressants détails statistiques.
Il existe aujourd'hui en France et dans les colonies deux cent trente-
cinq sociétés, dites sociétés savantes. Quelques-unes ont des titres de
noblesse qui les rapprochent de nos compagnies les plus illustres. L'Aca-
démie des Jeux-Floraux de Toulouse remonte au quatorzième siècle.
Fondée en 1323, elle fut restaurée par Clémence Isaure vers la fin du
quinzième siècle, autorisée par lettres patentes de Louis XIV en 1694,
et reconnue établissement d'utilité publique en 1773. L'Académie des
sciences, arts et belles -lettres de Caen date de 1652; l'Académie des
sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux date de 1662. Citons encore
parmi celles qui furent fondées au dix-septième giècle : l'Académie de
Nîmes (1682), et, parmi celles que le siècle suivant vit naître, les Aca-
démies de Lyon (1700), de Montpellier (1706), de Dijon (1723), de Mar-
seille (1726), de Toulouse (17 i6), de Besançon (17o2) , de Stanislas à
Nancy (1751), d'Amiens (1750), de Rouen (1744), de Limoges (1759).
Si ces différentes Académies ne peuvent revendiquer pour l'éclat de leur
nom et Timporfance de leurs travaux les titres glorieux de Tlnstitut de
France, on voit néanmoins qu'elles ne sont nullement dépourvues de ce
qui assure des droits à l'estime, à la reconnaissance et au respect, c'est-
à-dire l'ancienneté, les services rendus, les bonnes traditions locales
maintenues et améliorées.
11 y a un paradoxe qui consiste à soutenir que les intérêts matériels et
les intérêts intellectuels se gênent, que les uns ne prospèrent qu'au détri-
ment des autres. A ce compte, les pays les plus pauvres devraient être les
plus instruits, les plus moraux. C'est le contraire qui est la vérité. Les
faits les plus incontestables le prouvent. En voici qui appartiennent à
■468 TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES
l'ordre de choses qui nous occupe. C'est dans le Centre, c'est dans le Midi,
dans l'Ouest breton et vendéen que le sol est le plus ingrat, que l'industrie
est le moins développée, que la somine de bien-être est le moins consi-
dérable, c'est là aussi que nous rencontrons les départements que l'igno-
rance souille le plus profondément de sa tache noire. Savez-vous quels
sont les départements dépourvus des sociétés savantes? — Ce sont les
Hautes-Alpes, les Basses-Alpes, la Corse, les Landes, le Lot, la Corrèze, le
Cantal, l'Ariége, l'Indre, l'Orne, les Ardennes. La coïncidence géogra-
phique devient frappante, si l'on pousse un peu plus loin l'examen, car on
s'aperçoit que les quarante-six départements qui ne possèdent qu'une ou
deux sociétés appartiennent tous aux nuances sombres sur la carte de
l'instructicn primaire.
Voici maintenant la contre-épreuve : la Normandie (au sein de laquelle
l'Orne fait tache et exception) compte en quatre départements vingt-cinq
sociétés. La plus riche, la plus laborieuse de nos provinces, celle où le
bien-être est le plus goûté et le plus répandu, est aussi celle qui accorde
le plus aux intérêts moraux dont les sociétés sont les organes. Nous ne
soutenons pas que ces intérêts se confondent avec ceux que représente la
diffusion de l'instruction primaire ; nous savons qu'ils se rattachent plus
étroitement aux aspirations et aux besoins des classes moyennes, aux
productions agricoles ou industrielles de la contrée ; mais nous croyons,
en fin de compte, qu'il n'y a pas incompatibilité, mais bien solidarité,
entre tous les véritables intérêts, de quelque ordre qu'ils soient.
Sur les deux cent trente-cinq sociétés de France, soixante-six ont été
reconnues établissements d'utilité publique : preuve des services rendus
ou témoignage de la confiance qu'elles sont appelées à en rendre. Il y a
longtemps, du reste, que l'administration a compris tout le parti à tirer
des sociétés. !)e tous les ministres qui, depuis quarante années, se sont
succédé au département de l'instruction publique, il n'en est pas un qui
n'ait tenu à honneur de leur donner des marques de sollicitude. Grâce à
cette continuité de vues et d'efforts, l'œuvre commencée par M. Guizot,
qui rattacha les sociétés au Comité des travaux historiques, n'a pas été
entravée par les agitations politiques.
Les publications des Académies départementales constituent une im-
mense bibliothèque, d'une variété et d'une richesse extrêmes, remplie de
documents précieux pour l'histoire de France, pour les arts, l'agriculture
ou le commerce. On compte 160 volumes publiés par cinq sociétés du
Rhône, 31 volumes par l'Académie de Clermont-Ferrand, 43 volumes par
celle d'Arras, 33 volumes par celle de Lille, 58 volumes par celle de Sta-
nislas à Nancy, 74 volumes par celle de Châlons, 43 volumes par la
TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES 469
Société d'agriculture, sciences, belles-lettres, d'Orléans, 50 volumes par
celle de Tours, 61 volumes par l'Académie de Bordeaux : plus de loO vo-
lumes par les Académies de Toulouse, sans compter les publications des
jeux Floraux, etc. etc.
Académie nationale de Reims. — M. E. Barthélémy en rendant
compte au Comité des travaux historiques des tomes xlvii et xlviii de
cette académie, apprécie en ces termes un important traval de M. l'abbé
Cerf:
« M. l'abbé Cerf, un des plus laborieux membres de l'Académie, a con-
sacré une bonne étude à l'évangéliaire slave, dit texte du Sacre, qui est
conservé à la bibliothèque de Reims. Ce manuscrit, dont la réputation est
européenne, et qui a été reproduit en fac-similé depuis le commencement
de notre siècle, a appartenu jusqu'à la Révolution au chapitre de la cathé-
drale. C'est un in-4" en parchemin, de 47 feuillets écrits des deux côtés;
il est relié en tablettes de bois de chêne recouvertes de maroquin rose
foncé. L'inventaire du trésor de la catliédrale, dressé en 1663, nous ap-
prend que ce manuscrit fut donné par le cardinal de Lorraine, la veille
de Pâques 1574; couvert d'argent doré avec des pierreries, des reliques,
et aux coins les figures d'argent émaillées de l'aigle, de l'homme, du
bœuf et du lion. « Ledit livre provient du trésor de Constantinople, et on
le tient venir de saint Hiérôme et pèse 6 marcs, 6 onces. » Ses riches or-
nements disparurent en 1793. Les seize premiers feuillets, écrits d'une
écriture étrangère, sur deux colonnes distancées l'une de l'autre. Les têtes
de majuscules et de chapitres sont soignées, mais sans élégance, présen-
tant les caractères de l'art byzantin. Lès capitales sont épaisses et assez
grossièrement tracées à l'encre rouge; tout le reste de l'ouvrage est à
l'encre noire. Les autres feuillets, à deux colonnes aussi, ne sont pas réglés;
le parchemin en est plus beau ; les lettres sont deux fois plus grandes et
absolument différentes; les initiales sont ornées de fleurons, de feuillages,
de figures humaines quelquefois rehaussées d'or, mais encore sans élé-
gance.
« M. l'abbé Cerf se pose quatre questions que nous allons indiquer avec
leurs solutions.
« A quelle nation appartiennent les deux écritures de Tévangéliaire?
M. l'abbé Cerf constate que l'origine slave est devenue inattaquable, et
l'une des premières preuves qu'on en eut fut que le czar Pierre le Grand,
lors de sa visite à Rome, se fit présenter le manuscrit et le put lire cou-
ramment.
470 TRAVA' \ DES Si.l('lÉ'l'i:S SAVANTES
« Quel est ridiôme employé dans ce livre, et en quels caractères est-il
écrit? L;i ^ romière partie, écrite en caractères dits hyrilica, du nom de
saint Cyrille, inventeur de l'alphabet slavon dans le dialecte de l'Eglise
slavonne, date du XP siècle ; la seconde est écrite en caractères boivkwica,
c'est-à-dire avec les caractères glagolitiques de la Bohême, elle date de
la fin du XIV" siècle.
« Origine de l'évangéiiaire ? Nous ne rappellerons pas tout ce qui a
été imaginé à ce sujet. Nous savons que ce manuscrit appartenait, en
1395, à l'abbaye de Prague, en Bohême, dont un moine, comme il a pris
soin de le dire lui-même, a écrit la seconde partie. La première est
tracée, paraît-il au moins très-vraisemblablement, de la main de saint
Procope. Le manuscrit, après les vicissitudes éprouvées par l'abbaye de
cet éminent personnage, entra dans la bibliothèque du roi de Bohême ;
Charles VI probablement l'offrit aux moines qu'il établit sur l'emplace-
ment même où avait existé le monastère de Saint-Procope, en 1347. Il est
probable ensuite que Ferdinand P', roi des Romains, offrit ce précieux
manuscrit en don au cardinal de Lorraine, quand celui-ci vint à Inspruck,
en 1569, pour conférer, dit l'historien rémois Cocquault, « des contro-
verses de mariage. »
(( Quant à Tusage de cet évangéliaire, M. l'abbé Cerf n'admet pas, en
dépit de la tradition, qu'il ait servi au serment de nos rois lors de leur
sacre. Le savant rémois Pluche dit nettement que de son temps on se
servait du livre d'évangiles en caractères d'usage. M. Cerf conclut que, si
cela avait lieu au XVIIP siècle, quand Pluche écrivait, ni Louis XV ni
Louis XVI ne durent se servir de ce manuscrit ; mais il explique la tra-
dition par ce fait très-naturel, que, Henri III ayant été sacré à Reims en
arrivant de Pologne, il est très-vraisemblable qu'on ait cru devoir lui faire
prêter son serment sur cet évangile, écrit dans la langue des peuples qui
venaient eux-mêmes de Félire roi ; le livre devait être doublement agréa-
ble au jeune prince, à cause du souvenir et à cause du cardinal de Lor-
raine, si dévoué au nouveau souverain qui épousait précisément une
princesse lorraine au lendemain de son couronnement.
« Telle est l'explication proposée par M. l'abbé Cerf, qui ne se dissi-
mule pas qu'elle ne peut être présentée que comme une simple conjecture.
Nous cioyons, on effet, que rien ne l'appuie très-sérieusement, et, même
au cas où Henri III aurait prêté son serment royal sur ce texte, il est
peut-être plus vraisemblable de présumer que cet évangéliaire aurait été
tout simplement choisi comme plus particulièrement mystérieux, p
(Revue des Sociétés savantes.)
TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTKS 471
Société archéologique du Midi de la France. — Nous lisons dans son
dernier Bulletin :
M. Barry communique à la Société le texte d'une nouvelle inscription
inédite, récemment découverte par M. Lozès, dans son domaine d'En-
Barsous, à une certaine distance de l'ancienne civitas des Convenx (Saint-
Bertrand-de-Comminges aujourd'hui).
RVFINO 5 SILEX
CONIS 5 FIL
RVRINVS ï F ï EX B TES
TAMENTO
Rufino^ Silexconis fil (io), Rurinus f (ilius), ex testamento.
Quoique le correspondant de M. Barry (M. Achille d'Asque, de Tihiran),
ne lui ait fourni aucun renseignement sur la date réelle de la découverte
et sur le lieu où elle a été faite, il y a plus d'une raison de croire que ce
nouveau marbre provient aussi d'une petite vallée qui s'ouvre de l'est à
l'ouest, dans le sens de l'axe des Pyrénées, à deux kilomètres de la ville,
et qui est connue dans le pays sous le nom populaire de Combe de Cata-
lans. C'était dans le fond de cette vallée, longtemps déserte et inculte, que
passait, à l'époque rom:dne, la voie bien connue qui menait de Toulouse
à Dax en longeant le pied de la chaîne, à partir de l'oppidum des Convenx.
Dès l'année 1863, deux inscriptions tumulaires, l'une complète, l'autre
mutilée, avaient été découvertes à Tentrée de cette combe, à droite de la
route actuelle qui coupe ici transversalement la vallée et le domaine en se
dirigeant du côté de Montiéjeau. Elles appartenaient, suivant toute appa-
rence, à quelqu'un des édicules funèbres fmonumenta, sepulcreta) qui bor-
daient la route au-dessus comme au-dessous de la ville, et M. Barry, en
commentant ces deux textes dans un mémoire lu aux conférences de la
Sorbonne (186oj, en concluait que cette voie funèbre, dont on venait de
retrouver quelques jalons assez loin de la ville antique, se prolongeait
avec la route qu'elle suivait dans le thalweg de la Combe oii l'on avait
toute chance de retrouver quelques nouveaux débris des sepula^eta qui la
bordaient, si les travaux de défrichement étaient repris et poussés dans
cette partie du domaine avec l'attention intelligente que M. Lozès y avait
apportée jusqu'alors.
Ces conjectures ont été . 'ritiées il y a trois ou quatre ans par la décou-
verte de nombreuses substructions alignées dans le fond de la combe, et
par celle de qualie inscriptions tumulaires dont les dalles de marbre blanc
(Saint-Béat), détucliées depuis très-longtemps et réunies on ne sait par
/t7"2 TRAVAUX DE? SOCIÉTÉS SAVANTES
qui ui dans quel Lut, out été retrouvées les unes au-dessus des autres sur
le veri=nnt nord de la vallée, à gauche cette fois et à quelque distance de
la route actuelle.
Pour s'assurer la primeur de ces documents inédits qu'il essaiera d'in-
terpréter et de commenter plus tard, M. Barry s'est décidé à publier dès
aujourd'hui le texte des quatre inscriptions dont il vient de parler, en les
accompagnant d'une traduction littérale.
D M
SECVNDO MVNDI AF
INGENVA*CALVlNIïïF
VXOR
D (is) M [animus) : Secundo, Mundi f [l'iioj, Ingenua, Calvini filia^ uxor.
F V S © 5 E STE N ©
NISîFsSEYERAE
SILYANI ï F ï VXoR s FVSCI
NVS 5 F s EXT 2 F ï C
Fusco, Estenconis f (ilio) ; Severae, Silvani f (iliae), uxor [ij, Fuscinus)^
f [ilîus), ex t {estamentoj f fierij c {uravù).
VsSENIVSïïORGOF
SIBI ET
©FAVSTAEïHAIABlïF
VXORI
ALBINAE 5 F 5 ALBINO z F
V fi'vus ou iiiiyit) Senius, Orcoï (ou OrcoH [i) (filiusj, sibi et (■) (©ocvo'vti, de-
functae) Foustae, Haiabi (on Hatahi) f (iliae), uxori, AlOinae, f {iliae),
Albino, f (ilio).
0 AÏATccON'S IRIGCOnIs E.
VRBANVS ATtACCoN.sF
S E N N ACIVS ATTACCoN.s
[URESFAciENDs CvRavt
©avovTi = de l'une toj Attacconi, Siricconis f {ilio)^ Urbanus, Attaconis)
f {iltus'i, Sennagius Attaconis, hères, faciend (um) curavit.
L'intérêt de ces monuments, qui ne sont, comme on le voit, que de
simples épitaphes, détachées des tombeaux auxquels elles appartenaient,
TRAVAUX DKS SOCIÉTÉS SAVANTES 473
consiste en grande partie dans les noms indigènes qui se trouvent ici
mêlés à des noms d'apparence romaine et dont quelques-uns comme ceux
de Senius (gallicè Seigne ou Segne)^ Haiabus ou Hatabus, Orcoiis ou Or-
choiïs (gallicè Orcoé) paraissent ici pour la première fois. On peut en dire
autant des trois noms Estenso, Attacco, Sù-icco, dont les finales seraient
tout aussi bien celtiques que romaines, puisque l'on trouve dans l'idiome
aquitain du pied des Pyrénées, un assez grand nombre de noms d'homme
ou de femme {Nescato, Vando-esso, etc.) terminés en o et peut-être en 07i
comme le nom bien connu de Narbon que les latins traduisaient par Narbo,
contrairement à l'orthographe des Grecs qui l'écrivent constamment
Napêwv. Celui de Silex nous était connu (comme celui de Setmagius)^ par
d'autres marbres inscrits découverts aussi dans la région centrale des Py-
rénées ; mais nous le retrouvons ici affublé d'une finale {Silexco ou Sîlexcon
qui devait modifier, on ne sait dans quel sens, ce radical incompris lui-
même.
Quant à l'âge de ces monuments, M. Barry est tenté de croire, en dépit
de différences assez tranchées parfois de travail et de gravure, qu'ils
appartiennent tous au second, et peut-être même au troisième siècle de
notre ère, comme le milliaire daté des deux Philippes, dont les caractères
lourds, allongés et indécis, rappellent, à plus d'un égard, ceux du titulus
d'Attacco. Celui de Secundus, le plus correct et le plus soigné de tous,
avec celui de Rufinus^ Silexconis filius, ne remonterait pas lui-même au-
delà de cette époque, où la tête de la voie funèbre atteignait déjà, en aval
de la ville, l'entrée de la combe des Catalans, qu'elle aurait à son tour
traversée et peuplée en moins d'un siècle, si ces inductions ne sont point
trop précises.
Société d'archéologie Lorraine. — M. Arthur Benoît pubhe les notes
suivantes sur l'Iconographie lorraine, sur saint Goëric, évêque de Metz,
et les chanoinesses d'Epinal :
« D'après le P. Benoît Picart^ « le chapitre ou abbaye des Dames
d'Epinal « reconnaissait pour patron et fondateur saint Gouery, Gœury,
Gœry, Goëric, riche seigneur d'Aquitaine, successeur de saint Arnould
sur le siège épiscopal de Metz, qu'il occupa dix-huit ans (629-647). Son
corps fut déposé dans l'abbaye Saint-Symphorien hors Metz, et, vers 970,
un de ses successeurs, Thierry I", qui passe également pour un des fon-
dateurs du monastère d'Epinal, y fit transporter ses restes, en laissant
toutefois son chef à Saint-Symphorien.
* Pouillr du diocèse de Toul, t. II, p. 127.
Ile série, tome II. 33
474 TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES
« A Epinal, le grand autel du cha'ur '. où les religieuses faisaient l'of-
fice, fut placé sous l'invocation du saint prélat messin. Après l'élection de
chaque abbesse, les religieuses venaient recevoir en grande cérémonie
leur nouvelle supérieure à l'entrée du chœur, et la conduisaient faire sa
prière à l'autel Saint-Goëric, puis l'ubbesse prenait possession de sa stalle.
« Le plus ancien dessin réprésentant saint Goëric se trouve dans un
magnifique manuscrit intitulé : Evangelium secundum Marcum, écrit dans
le cours du Xi" siècle sur velin pourpre in folio. Cet Evangéliaire était
jadis la propriété des chanoinesses de l'insigne « chapitre saint Gœury
d'Epinal ». Feu M. le comte de Ludre a eu la générosité, il y a près de
trente ans, d'en faire don à la bibliothèque de cette ville, où il se trouve
actuellement.
« En tête du volume, recouvert en vermeil, on trouve deux miniatures
remontant au XV siècle : l'une représente saint Marc, l'autre saint Goë-
ric, a un des patrons d'Epinal ». Voici la description qu'en donne
M. Michelant. chargé par M. le Ministre de l'Instruction publique de
dresser le catalogue des manuscrits de cette bibliothèque : a 11 est nimbé
d'or, recevant la mitre d'un ange et entouré de ses deux filles, sainte Vic-
torine et sainte Précie ^ ; un personnage vêtu de bleu avec aumusse l'im-
plore également. On lit au-dessous : S. GOERICVS REX en or sur fond
bleu et une invocation en cursive gothique.
» Au bas, à droite, un petit écusson écartelé de France et de Castille (?) ;
à gauche celui du chapitre, de sable à la croix d'argent accostée en chef
du soleil et de la lune. »
« Ces armoiries diffèrent trop de celles données par l'Armoriai de 1696,
dont une copie manuscrite existe à la bibliothèque de la ville de Metz,
pour que je ne cite pas ces dernières : « d'azur à une figure de saint
Goëry représenté de front jusqu'aux cuisses et mouvant de la pointe de
l'écu, la tête entourée d'un cercle de lumières, le corps armé, tenant de
la main droite un livre posé sur son estomac, et de la gauche une dra-
perie qui le couvre jusqu'à la ceinture, le tout d'or et la cuirasse chargée
en haut de trois croisettes d'argent ; l'écu bordé de gueules avec ces
mots S. GODVARTVS SANTI GOERIGl D. G. (sic) écrits en lettres capi-
tales d'argent ».
« Suivant Dom Calmet % les chanoinesses d'Epinal furent les premières j
' Le curé faisait l'office à l'autel de saint Maurice, patron de la paroisse.
- Quelques hagiographes ne parlent pas des deux filles de saint Goëric. Dom
Calmet prétend que le monastère d'Epinal fut fondé pour leur servir de refuge.
' Hist. de Lorraine, [fo édit., t. I, col. xcvi. — Une notice sur M"» de Lenon
TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES 47o
en Lorraine qui eurent le droit de porter une décoration chapitrale. L'ab-
besse Charlotte de Lenoncourt (1643-1698) fit approuver par la cour de
Rome rétablissement d'une espèce d'ordre de chevalerie qu'elle crut
devoir créer pour son noble monastère. On ignore complètement ce que
pouvait être cet ordre de chevalerie. Dans tous les cas, lïnsigne qui le
distinguait serait peut-être la croix chapitrale dont le musée d'Épinal
conserve un exemplaire, celui de la baronne Louise-Benoît de Bœcklin de
Mœrbourg, dame originaire d'Alsace (1788), et dont la description se
trouve dans le remarquable Mémoire sur les décorations des chapitres de
Lorraine *, par feu M. Aug. Digot. Le savant historien déclare cette déco-
ration faite sans goût et d'une médiocre exécution artistique ; elle con-
siste en une croix étoilée à huit pointes en or, dont le médaillon central
offre en droit la sainte Vierge en pied tenant d'une main le divin enfant,
et de l'autre un sceptre, et au revers saint Goëric, également en pied,
avec ses habits pontificaux et la mitre, tenant, contrairement à l'usage,
la crosse de la main droite. »
« Ce qui pourrait faire supposer que cette décoration peut remonter à
l'époque de l'abbesse de Lenoncourt, c'est que Piganiol de la Force en
parle longuement dès 17o-4 dans sa Description de la France "\
a Les chanoinesses d'Épinal sont habillées au chœur, dit-il, d'un très-
grand manteau noir qui a une queue très-longue et est bordée d'une four-
rure blanche. Elles ont sur la tète une bande de toile large de deux pouces
sur laquelle il y a un petit ruban noir. Elles attachent cette bande de toile
sur le haut de leur bonnet, l'appellent un mari'^, ne le quittent peint, le
portent à la ville, ainsi qu'au chœur ». •
court a paru dans les Mémoires de la Société d'émulation des Vosges, 1858,
p. 337. — Sabovrin de Nanton, Notice sur les chanoinesses d'Épinal, 1858, p. 7.
' Mémoires de la Société d'archéologie, 1864, p. 30 ; il suppose la décoration
octroyée de 1774 à 1780.
* T. XIII, p. 504.
^ Les chanoinesses d'Epinal appelaient familièrement le mari un ruban noir
qui était un des attributs distinctifs des chapitres de dames en Lorraine. Le dé-
coiffement ou l'enlèvement du mari était la peine la plus sévère que l'on pût in-
fliger à une chanDinesse. C'était une espèce de mort civile, la radiation du cha-
pitre. D'après les statuts de Remiremont, la chanoinesse était alors considérée
comme morte, et sa nièce de prébende lui succédait. C'est ce qui arriva en 1711
à une chanoinesse fugitive, originaire des bords du lac de Constance, et que la
sollicitude de la cour de France sauva de la peine capitale que voulait lui infliger
le Conseil souverain d'Alsace. (V. E. de Nevremand, Petite Gazette d'Alsace,
t. II, p. 1.)
476 TRAVAUX liIvS SOCIKTÉS S\V\XTËS
Lorsqu'elles vont au clneur. elles portent une coiffe noire qu'elles
nouent sous le menton. Elles portent sur leur habit, de droite à gauche,
un ruban aussi large que celui des chevaliers du Saint-Esprit, dans le-
quel on passe une croix d'or, faite comme celle des chevaliers de Malte,
de Tautre côté de laquelle est la figure de saint Gouery, duc d'Aquitaine,
leur patron, et de l'autre l'image de la Vierge. L'anneau de cette croix
est passe dans le cordon bleu, et elles l'arrêtent de manière qu'elle leur
reste à peu près à l'endroit du cœur. Quand elles vont dans la ville ou
qu'elles restent chez elles, elles ne portent point ce grand cordon, qui
leur est incommode, elles attachent seulement cette croix à un petit ru-
ban bleu sur leur habit. Elles portent au chœur, sur le bras gauche, une
aumusse très-ample, qui va jusqu'au bas de la robe. Elles ont sur leur ha-
billement ordinaire un scapulaire de toile empesé, sur lequel il y a une
gaze noire ; le scapulaire est large d'environ quatre pouces ; il se trouve
au-dessous de leur menton et opère l'effet d'une guimpe. Les coiffes noi-
res que portent les chanoinesses d'Epinal sont beaucoup plus grandes que
celles que portent les autres chanoinesses. Elles ne les hent point sous le
menton et laissent pendre deux bouts par derrière. »
Saint Goëric n'est pas oublié dans la splendide galerie des évêques de
la cathédrale de Metz, œuvre du peintre-verrier Valentin Bouch, qui tra-
vaillait vers 1526. Voici comme M. E. Bégin décrit le saint évêque * :
(( \° Figure vue de profil, nimbée d'or, mitre d'argent avec incrustation
d'or et de pierreries, crosse d'or avec écharpe blanche, chape verte ga-
lonnée d'or, robe ou soutane blanche, mains gantées en couleur violette
et tenant une couronne d'or ; au bas: S. GOERIGVS. »
Enfin, le graveur Hans Burgmayer, dans la suite des Saints de la famille
de l'empereur Maximilien /", gravure sur bois in-folio, faite vers l'an
1516, a représenté saint Goëric ou Gury « debout, regardant un ange qui
lui présente un voile sur lequel sont représentés deux yeux; » allusion au
miracle du recouvrement de la vue que le fondateur d'Epinal obtint par
les prières de saint Arnould. Dict. d'Iconographie^ par A. Guenebault,
col. 254, coll. Migne, 1851.)
Un souvenir de la charité de saint Goëric, dont la fête se célèbre le 19
septembre, existait encore à Epinal avant la Révolution. L'abbesse avait
le patronat d'uu petit hôpital, dit de saint Gœury, où l'on recevait les ma-
lades et les pauvres pèlerins,
' Hist. de la cathédrale de Metz, t. L p. i^'i.
TRAVAUX DES SOCIETES SAVANTES 477
Société archéologique du Limousin. ~ On nous écrit de Limoges :
La Société archéologique et historique du Limousin s'est réunie à la
fin du mois de février, pour procéder au renouvellement de son bureau.
Elle a nommé comme président, en remplacement de M. Dubébat. au-
jourd'hui conseiller à la Cour de Toulouse, M. l'abbé Arbellot, curé-archi-
prêtre de Rochechouard. Ce choix, qui était prévu, est de nature à satis-
faire tout le monde. M, l'abbé Arbellot est un des hommes qui ont fait
faire le plus de progrès à la science archéologique dans le Limousin, et
connaissant le mieux cette province : continuateur de l'œuvra de l'abbé
Texier, avec le même dévouement et la même ardeur patiente, il n'est
guère de souvenirs qu'il n'ait interrogés, de documents et d'archives qu'il
n'ait déchiffrés et fouillés, de monuments et vestiges qu'il n'ait étudiés et
approfondis, pour faire revivre le passé de notre pays dans des notices ou
des monographies pleines d'érudition et d'intérêt.
L'histoire du passé ! Voilà une étude dont on ne se soucie guère en gé-
néral! Comment d'ailleurs pourrait-on y songer, quand le temps manque
pour connaître le présent? Aussi bien n'est-il pas rare de trouver des gens
qui, tout entiers à ce présent, s'étonnent de voir quelques hommes passer
leur existence à lire des inscriptions ou des parchemins, à disserter sur
des questions mortes ou sur des dates et des origines incertaines.
Ils sont bien près, ces gens-là, de traiter d'inutiles et d'oisives, toutes
ces investigations ; pour peu, ils les trouveraient ridicules.
Pour nous, en admettant môme que les archéologues aient leurs petites
exagérations — comme tous les savants, — et qu'ils soient passibles d'er-
reurs — errare humanum est, — notre sentiment est qu'ils rendent des
services signalés à l'histoire et à la sociéfé.
Ce sont eux qui reconstruisent, pierre par pierre, en quelque sorte, l'é-
difice des siècles écoulés, de ces siècles qu'on avait cru un moment si
bien éteints et si bien oubliés, que pour beaucoup l'humanité semblait ne
dater que d'hier ; ce sont eux qui nous révèlent les hommes et les choses
d'autrefois avec leur véritable aspect, dissipant les préjugés, faisant jus-
tice des calomnies, et nous inspirant parfois une sincère admiration pour
les mœurs, les institutions, les sages libertés, les vertus et les grandeurs
d'un autre âge, qui est trop critiqué parce qu'il est trop méconnu.
Tel est le rôle des sociétés archéologiques et celui de la société du Li-
mousin, en particulier.
S'il fallait, au surplus, défendre cette dernière, à laquelle personne n'a
le mauvais goût de faire un procès, on remarquerait que dans notre ville
oii la vie littéraire n'est pas très-active et qui ne possède poinl de facultés
officielles ni d'académie libre, une société de ce genre est le rendez-vous
478 TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES
naturel de tous ceux qui aiment les spéculations désintéressées de l'esprit;
et ce serait une erreur de croire que dans un tel milieu tout s'y réduise à
des discussions arides et sèches sur des points spéciaux d'archéologie, et
que la forme n'y soit point en grand honneur.
Les vives et attrayantes biographies de M. Dubébat, vrais morceaux
littéraires, ne datent que d'hier et trouvent leur place à côté des savantes
notices de M. Lecler, des piquants entretiens de M. Arbellotet des études
historiques de M. Louis Guibert, où les qualités de style ne le cèdent ja-
mais à celles du fond.
La Société historique et archéologique du Limousin a d'autres mérites
encore à nos yeux. Si les musées de la ville ne lui doivent pas, à propre-
ment parler, leurs fondations, c'est par elle du moins qu'ils se sont agran-
dis et développés ; c'est elle qui, lentement et laborieusement, avec une
véritable générosité, a formé quelques-unes de ces collections sur les-
quelles elle ne revendique qu'un droit de contrôle.
Le médailler, aujourd'hui très-complet, lui doit la plupart de ses ri-
chesses. Elle eut enfin Thonneur de présider à la naissance du musée cé-
rami([ue et de seconder de tout son pouvoir les hommes intelligents et
zélés, tous lui appartenant du reste comme ses membres, qui ont su faire
en quelques années de ce musée trop longtemps négligé, l'importante et
très-belle collection que l'on connaît.
Académie d'archéologie de Belgique. — Le classement qui s'exécute
aux archives du royaume de? papiers de l'ancien Conseil souverain de
Brabant, vient de faire faire une découverte qui intéressi; l'histoire de
l'art et de l'archéologie : on a trouvé, mêlés à des pièces de procédure,
deux dessins à l'encre de Chine, représentant des verrières de la chapelle
du Saint-Sacrement dans l'église de Sainte-Gudule, à Bruxelles ; le pre-
mier mesurant en hauteur 1"", 03, en largeur 29 centimètres; le second
. 91 et 31 1[2 centimètres.
Ces dessins sont du XVII® siècle, comme le démontrent les filigranes
dont le papier est marqué, les caractères des inscriptions et mieux encore
la manière du dessinateur.
Le plus grand se rapporte à la première vei'rière de ladite chapelle.
Cette verrière, présent du roi de Portugal Jean III et de sa femme Cathe-
rine d'Autriche, sœur de Charles-Ouint, fut exécutée en 1542 par Jean
Haeck, d'après les dessins de Michel van Coxyen [Histoire de Bruxelles^
par Henné et Wauters, tome III, p. :203). Un portail du style de la Re-
naissance y est figuré. Cette grande construction, dont les détails sont
extrêmement riches, est divisée en deux parties. Dans le compartiment
TRAVAUX DES SOCIÉTÉS SAVANTES 479
supérieur se trouvent quatre figures : 1° Jonathas remettant à Jean de
Louvain 60 moutons d'or, prix du sacrilège commis par ce personnage.
2° Jonathas emportant le calice avec les hosties, tandis que Jean de Lou-
vain s'éloigne à droite. Au compartiment inférieur sont à genoux devant
un prie-Dieu, et à droite, Jean III, roi de Portugal, accompagné de saint
Jean-Baptiste, et sa femme Catherine d'Autriche, accompagnée de sainte
Catherine. Le roi et la reine sont en grand costume.
Le second dessin représente la verrière donnée par Charles V en la
même année. Comme le précédent, il figure un grand portique du style
de la Renaissance, divisé en deux compartiments superposés. Le plus élevé
est couronné d'un entablement, sur la corniche duquel sont assis deux
hommes au naturel, l'un à gauche, l'autre à droite.
Au compartiment supérieur sont représentés six Juifs, dont quatre poi-
gnardant les hosties répandues sur une table, pendant que deux de leurs
coreligionnaires tombent renversés à terre. Au bas sont placés, sous un
dais et à genoux devant un prie-Dieu, Charles V et sa femme Isabelle de
Portugal, se regardant de face. L'empereur est accompagné de son saint
patron Charlemagne ; derrière la princesse se trouve sainte Elisabeth.
Les deux dessins étaient dans un assez mauvais état; ils ont été restaurés
avec soin et encadrés. Ils sont placés aux archives du royaume, dans le
corridor qui conduit à la salle du public.
Société des Antiquaires de Picardie. — Dans :;a séance du 16 février,
cette Société avait voté la proposition suivante :
(( La Société des Antiquaires de Picardie, émue de la décision prise
par le Conseil municipal, le 8 de ce mois, laquelle a pour objet de faire
disparaître certains emblèmes et inscriptions qui décorent le musée qu'elle
a édifié ; et considérant que le respect de l'histoire et de l'art ne permettent
pas que les monuments publics soient retouchés et altérés dans leur orne-
mentation et leurs caractères primitifs à chaque changement de régime
politique ; exprime le vœu que le Conseil municipal, mieux éclairé, rap-
porte cette décision. Copie de la présente délibération sera envoyée au
Conseil municipal. »
Malgré ce vœu et les protestations du bon sens public, le Conseil muni-
cipal d'Amiens a accompli les actes de vandalisme qu'il projetait.
J. C.
BIBLIOGRAPHIE
LES ÉTUDES PRÉHISTORIQUES ET LA LIBRE PENSÉE DEVANT LA
SCIENCE ; Rcponae à M. G. de MortiJlet, par F, Chabas, Correspondant de
l'Institut : in-8°, 55 p., Paris et Chalon-sur-Saône, 1875.
Nous avons appris à nos lecteurs, sous forme épisodique (n" de février
1875, p. 170), comment une Bévue publiée h Toulouse avait, de sa pro-
pre autorité, supprimé un livre de M. Chabas, et, tout en signalant ce
fait qui nous avait paru plus qu'étrange, nous nous sommes abstenu de
mettre en scène aucune personnalité.
Aujourd'hui, les masques sont tombés ; la Bévue d'anthropologie daigne
enfin rendre un état ci\ï\ aux Études sur l'antiqu/'té historique : on con-
naît les noms des belligérants, et la lutte se trouve engagée entre
MM. Chabas, le R. P. de Valroger, B. Pozzi, dans un camp; M. G. de
Mortillet dans l'autre.
La critique de M. de Mortillet est vive, acerbe même, disent ses adver-
saires ; la riposte n'a pas été longue à venir. Si nous ignorons l'attitude
prise par M. Pozzi, le R. P. de Valroger a adressé à la Bévue des ques-
tions historiques (n" d'avril 1875, p. 574) une lettre où l'inébranlable fer-
meté des principes s'allie à la modération du style : quant à M. Chabas,
il a répondu par une brochure que nous tenons à mettre en lumière.
Un savant, très-jeune sans doute et passablement hautain, nous a si-
gnifié — par voie indirecte, il est vrai — que nous n'entendions rien au
débat. Soit, nous acceptons de bonne grâce le brevet d'incompétence que
nous octroie si dédaigneusement une autorité adolescente, et nous voulons
rester, s'il est possible, à l'écart du terrain scientifique. Mais M. Chabas
croit qu'Adam est If père de l'humanité, et non le premier des Juifs ; que
l'apparition de Ihomme sur la terre ne remonte pas aussi haut qu'il con-
vient à l'école matérialiste de l'affirmer ; que les étages géologiques du
BIBLIOGRAPHIE 481
globe, non plus que les lois de la paléontologie, ne sont pas encore déter-
minés par un arrêt sans appel. Or, ces idées sont aussi les nôtres et nous
regardons comme un devoir de propager les écrits où on les expose.
Ajoutons qu'un profond savoir vient en aide à l'esprit éminemment reli-
gieux de M. Chabas qui, au service de son immense érudition, met en
outre un remarquable talent de polémiste. Les coups qu'on lui porte,
il sait les rendre avec usure, et les traits acérés qu'il décoche au besoin
font une agréable diversion aux arguments sérieux de sa thèse. c. L.
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
(ARCHÉOLOGIE ET BEAUX-ARTS)
AMADOR DE LOS RIOS (Rodr.). Inscri-
pciones arabes de Sevilla. Precedidas
de una carta prologo del llmo. Sr. D.
José Amador de los R.ios. In-4°, 270
p. et 9 grav. Madrid, Murillo. G fr.
ARCHITECTURE de la Renaissance. Le
Château de Blois, ensembles et dé-
tailsj sculpture ornementale, décora-
tions peintes, cheminées, tentures,
plafonds, carrelages (extérieur et in-
térieur). Texte historique et descrip-
tif, l et 2. In-folio, 8 pi. Paris, Ducher.
— L'ouvrage formera un vol. publié
en trois fascicules, comprenant 60 pi.
dont 12 en chromolithogr. (comptant
pour 24) et 25 photographies impri-
mées par un nouveau procédé qui les
rend inaltérables. L'ouvrage complet,
180 fr.
BILLING (Archibald) The Science of
Geins, Jewels, Coins, and Medals,
Ancient and Modem. New éd., revi-
sed and corrected. Gr. in-8°, 230 p.
Lundon, Daldy et Isbister. 26 fr. 25.
BULLETTINO di Archeologia cristiana.
(T. VI, n° l.) — Scoperte nel ciiuitero
di Domitilla. — Sul sepolcro di S. Pe-
tronilla. — II sepolcro di Veneranda.
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nebst erlaut. Texte. [Aus : « Bilder-
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peinture et de sculpture, ou Recueil
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bas-reliefs des collections publiques
et particulières de l'Europe, dessiné
et gravé à l'eau-forte par Réveil, avec
des notices descriptives, critiques et
historiques. Texte. Vol. I à VIII etX.
Gr. in-l8, 720 p. Paris, V» A. Morel.
^20fr.
MOREL (J.-P.) et GANTIER (Ant.). Voie
romaine ah Aquis Tarbellicis et
routes qui venaient s'y souder. In-4»,
05 p. Saint-Gaudens, Abadie. (Extr.
du Journal de Saint-Gaudens. J
MOWAT (R ). Notice de quelques ine-
'm
INDE.X mrJLIOriRAPHIQUE
criptions grecques observées dans
diverses collections. In -8°, 38 p. et
pi. Paris, Franck. 2 fr. (Ext du t. IX
des Mém. de la Soc. archéol. d'Ille-
et-Vilciine.J
MULLER (l'abbé Eug.). Antiphonaire
du Mont-Renaud. In-8», 61 p. et 2 pi.
Noyon, imp. Andrieux. (Ext. du Bul-
letin du Comité archéol. de Noyon.)
MYERS (P.-V.-N.). Remains of Lost
Empires : Sketches of the Ruins of
Palmyra, Nineveh, Babylon and Per-
sepolis. With some Notes on India
and the Cashmerian Himalayas. In-
8», 522 p. etfig. London, Low. 20 tV.
OVERBECK (.T.). Pompeji in seinen Ge-
bauden, Alterthùmern u. Kunstwer-
ken f. Kunstu. Alterthumsfreunde
dargestellt. 3., abermals durchgearb.
u. verm. Aufl. Mit 26 grosseren, zum
Theil farb. Ansichten (in Holzschn.
u. Lith.) u. 315 Holzschn. im Texte
sowie e. grossen (lith.) Plane. In-8°,
xvi-580 p. Leipzig, Engelmann. 25 fr.
PETROZ (P.)- L'Art et la Critique en
France. In- 18 jésus, vi-345 p. Paris,
Germer Baillière. 3 fr. 50.
REVUE ARCHÉOLOGIQUE. — Avril. -
Vivien de Saint-Martin : L'Ilion d'Ho-
mère, rUium des Romains (fin). —
G. Schlumberger : Numismatique des
croisades. — E. Le Hlant : Tablai
égyptiennes à inscriptions grecques
(suite). — A. Bertrand : Le Casque
de Berru. — E. Miller : Poëmes vul-
gaires de Théodore Prodrome (fin).
— Bulletin de l'Académie des ins-
criptions. — Nouvelles et correspon-
dance. — Bibliographie. — 2 pi.
SCHNEIDER (Oberrichter Dr A ». Beit-
rage zur Kenntniss der romischen
Personennamen. Gr. in-S", xiii-85 p.
Zurich, Orell, Fûssli et Co. 3 fr.
SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU MIDI
DE LA FRANCE. — Mémoires, t. X,
4» livr. — Robert le Fort, sa famille
et son origine, par M. Louis Rioult
de Neuville. — Le château d'Oiron
(Deux-Sèvres), par M. l'abbé M.-B.
Carrière. — Notice historique sur le
lieu de Galan, par M. E. Pessemesse.
— Une table d'autel de l'église Saint-
Sernin, par M. Gaussé. — Petites
villes fortifiées du Moyen-Age dans le
Toulousain, par M. A. du Bourg, etc.
j. c.
CHRONIQUE
Nécrologie. — Nous avons le regret de consigner ici la mort de deux
de nos amis et collaborateurs, M. l'abbé Cochet et M. Ernest Breton.
L'abbé J.-B. Désiré Cochet, chevalier de la légion d'honneur, officier
d'académie, correspondant de l'Institut, membre du Comité des travaux
historiques, directeur du musée des antiquités de la Seine-Inférieure, ins-
pecteur des monuments historiques et des monuments religieux du dio-
cèse de Rouen, membre d'un grand nombre de Sociétés savantes fran-
çaises et étrangères, est décédé à Rouen, le l^' juin, dans sa soixante-
quatorzième année. On peut dire qu'il a été le fondateur de l'archéologie
sépulcrale ; ses recherches et ses découvertes ont été consignées dans de
nombreux ouvrages et principalement dans les trois qui portent pour
titres : Le tombeau de Chilpéric. — La Normandie souterraine. — Sépul-
tures gauloises, romaines, francques et normandes. L'abbé Cochet, membre
très-acLif de la Commission départementale des antiquités, a publié un
nombre considérable d'écrits sur l'histoire, les monuments et les antiqui-
tés de la Seine-Inférieure. Notre savant et regretté confrère passait rare-
ment une année sans nous adresser quelque intéressante communication.
M. Ernest Breton, membre de la Société des antiquaires de France,
chevalier delà légion d'honneur et de plusieurs ordres étrangers, est mort
à Paris le 29 mai dans sa soixante-troisième année. Parmi ses plus im-
portants ouvrages, nous citerons : Introduction à l'histoire de France, 1838,
in-folio. — Monuments de tous les peuples, ouvrage traduit en plusieurs
langues. — Pompeia. — Athènes. M. Ernest Breton a pris une part fort
active aux Irsixaux deVListitut historique {Auiourd'hm Société des sciences
historiques), dont il a été plusieurs fois le président. Nous avons publié de
lui dans cette Revue, plusieurs monographies d'importants monuments de
France, d'Italie, d'Allemagne et d'Espagne. M. Ernest Breton dessinait
très habilement sur bois et pouvait illustrer ses propres ouvrages; c'est à
son amitié que nous devons le plus grand nombre des gravures de notre
Manuel d'archéologie.
Payons aussi un tivjut de regrets à la mémoire de M. Ch. Rohault de
Fleury. Nous croyons savoir que cet éminent archéologue laisse à peu
près achevée une Iconographie de la sainte Vierge.
486 CHRONIQUE
Rome. - Depuis plus d'une année des ouvriers plombiers renouvellent
la couverture de plomb du Dôme de St-Pierre. Le Dôme proprement dit
esta peu piL.' recouvert : on en est arrivé à la pyramide qui surmonte
la lanterne et supporte la boule. Cette pyramide est maintenant toute
blanche.
Les restaurations sont étendues aussi aux grandes statues de pierre qui
couronnent la façade. Le temps les avait noircies, on les gratte un peu
pour leur rendre la couleur naturelle de la pierre.
Pompéï. — On a découveit récemment à Pompéï un tableau que l'on
estime le plus remarquable/le ceux qu'on en a extraits jusqu'ici; il repré-
sente Laocoon d'après la description de Virgile. Le taureau du sacrifice y
est. Le bon état dans lequel les couleurs se sont conservées fait espérer
que ce tableau pourra être transporté au Musée de Naples.
Venise. — C'est un fait connu que les six grands tableaux à l'huile de
Rubens, avec épisode des derniers jours de Decius Mus, de la Galerie
princiôre de Lichtenstein, à Vienne, était destinés a servir de modèles pour
des Gobelins. Le paysagiste allemand, Charles Reichardt, qui réside à
Venise, vient de découvrir dans cette ville ces Gobelins et les a acquis
pour le prince Solms, un neveu de la princesse Lichtenstein.
[Journal des beaux-arts.)
Statue de saint Jean découverte à Pise. — On a retrouvé dernière-
ment une superbe statue en marbre représentant un saint Jean à l'âge
d'environ quatorze ans, que les connaisseurs prétendent être une œuvre
de Michel-Ange. Cette statue se trouve actuellement à Pise. On l'avait
prise d'abord pour une composition de Donatello.
Cette statue est l'objet de grands débats dans le monde artistique de
Rome. Elle aun mètre 35 centimètres de hauteur ; le Saint porte sur la
jambe gauche ; la main du même côté presse un rayon de miel et la droite
tient une corne qu'il porte à ses lèvres ; une peau d'agneau placée en
bandoulière, de gauche à droite, lui couvre une partie du dos. Le proprié-
taire de cette statue en marbre est M. Rossel-Mimi-Gualandi. de Pise,
qui a invité tous les artistes de Rome à donner leur avis sur l'attribution
qu'il croit pouvoir en faire à Michel-Ange. L'œuvre est de tout point re-
marquable et peut fort bien être d'un si grand maître; toutefois on n'y
sent pas la vigueur que l'artiste florentin donnait ordinairement à ses con-
ceptions; il faudrait attribuer cette particularité à l'âge qu'avait Michel-
Ange lorsqu'il fit ce saint Jean. Suivant Vasari, — car Vasari en parle en
CHRONIQUE 487
termes exprès, — il n'avait guère alors que vingt et un ans. Voici ce qu on
lit, à ce sujet, dans cet auteur :
a Mais Michel-Ange, reconnaissant qu'il perdait son temps (à Bologne,
où il avait été très-amicalement reçu par Francesco Aldovrandi), s'en re-
tourna volontiers à Florence; il fit, pour Lorenzo di Pies Francesco, de
Medici, un petit saint Jean en marbre; puis s'attaquant à un autre bloc,
se mit à sculpter un Cupidon endormi, etc. »
On voit que ce saint Jean a son acte de naissance; c'est une véritable
découverte, car il était jusqu'à présent à peu près ignoré, et Tattribution
à Donatello ne faisait que fourvoyer dans leurs appréciations les rares
connaisseurs qui l'avaient pu voir.
(Extrait de la correspondance italienne du Moniteu?' Universel.)
Encouragement à la peinture chrétienne. {Concours avec prix pour
1875). — 1. Un concours avec prix est ouvert pour un tableau à l'huile
sur toile, de 45 centimètres de largeur, sur GO de haut, représentant St-
Joseph (demi-figure) avec TEnfant Jésus.
2. Les tableaux des concurrents doivent être rendus, au plus tard, le 10
novembre prochain, francs de port, à l'adresse suivante : A M. le prési-
dent de la Société d'encouragement de peinture chrétienne, Grande rue, 209,
à Bologne.
3. Tout tableau devra porter, au revers, une devise en caractères bien
lisibles, et être accompagné des noms, prénoms et domicile du peintre
concurrent, écrits lisiblement dans une lettre fermée et cachetée, portant
à l'extérieure la même devise que celle inscrite derrière le tableau.
Les lettres ne seront ouvertes qu'après la décision qui décernera le prix.
4. Un jury d'artistes distingués convoqués à cet effet prononcera avec
rapport écrit, sur celui des tableaux qui méritera le prix.
5. Le prix consiste en une médaille d'or, grand module, mille francs
en or et 12 copies oléographiques du tableau primé, à remettre dès que
la reproduction en sera faite.
6. Le tableau primé reste la propriété de la Société d'encouragement
pour la peinture chrétienne.
7. Les concurrents pourront ajouter à leur lertre, une note indiquant le
prix qu'ils demanderaient de leur tableau dans le cas prévu par l'article
suivant.
8. Tous les tableaux autres que celui primé, seront exposés puMique-
ment, pour en faciliter la \ ente au profit des peintres s'ils le désirent.
9. Après cette exposition, les tableaux non vendus seront renvoyés à
leurs auteurs, à l'adresse indiquée dans leur lettre.
48H CHRONIQUE
10. ToutconcuireiiL peut envoyer plusieurs tableaux sur le même sujet,
mais chacun de ces tableaux devra porter une devise particulière et être
accumpayaé de la lettre correspondante, cachetée conformément à l'ar-
ticle 3.
Le musée national polonais en Suisse. — La direction du Musée na-
tional polonais, au château de Rapperswyl, en Suisse, vient de publier
son ciyiquième compte-rendu annuel, qui témoigne de son rapide dévelop-
pement. Il est devenu l'un des plus riches en documents et souvenirs
historiques, et il doit ce progrès extraordinaire aux dons nombreux qui
ne cessent d'affluer de divers pays et aux acquisitions de riches collec-
tions historiques. On y trouve cent vingt grands volumes contenant un
très-grand nombre d'actes et de documents. Parmi les manuscrits se dis-
tingue celui de M. Pietrazewski, orientaliste au service de la Prusse, con-
sacré aux relations de la Turquie avec la Pologne et la Russie, d'après
les chr(>nographes turcs. Les correspondances des rois de Pologne et de
ses personnages illustres sont des plus intéressantes.
La bibliothèque du Musée contient presque toutes les œuvres des chro-
niqueurs et des historiens de la Pologne, le texte de ses lois et constitu-
tions ; le journal officiel de ses Diètes, depuis 1764; tous les journaux
polonais depuis 1786 ; une masse de feuilles étrangères oii se trouvent
des matériaux historiques importants. Elle possède des éditions bien
rares, et ses doubles sont tellement nombreux, que l'on pourrait composer
avec eux une nouvelle bibhothèque.
Dans la section artistique on voit des milliers de gravures, principale-
ment polonaises, la galerie des portraits d'illustrations nationales, celle
des costumes du pays, les albums consacrés aux vues de la Pologne. En
général, les produits artistiques exposés au Musée sont une preuve maté-
rielle des grands progrès que font les Polonais sous le rapport de l'art.
Les collections numismatiques sont riches ; il y a un grand nombre de
doubles et de pièces très-rares. Dans la section archéologique se trouvent
des objets fort intéressants provenant des fouilles faites en Pologne. Les
collections des drapeaux polonais et des coins méritent d'être examinées.
La fondation du Musée national polonais a été accueillie favorablement
par l'opinion publique, et elle est encouragée par les dons des Gouverne-
ments, des Sociétés savantes et des particuhers. Des milliers de visiteurs
attestent par leur présence la popularité de cette institution, qui a été
très-bien définie par un écrivain suédois, M. Bergstrand, auteur d'une
description de ce Musée : « C'est La première fois, dit-il, que la Pologne
s'est placée sur un terrain où elle ne peut être vaincue, » {Monde.)
CHRONIQUE 489
Une ville inconnue. — M. Conder a découvert à Khirbet Deir Sercer
une ville ontière complètement inconnue jusqu'ici, quoiqu'elle ne soit
qu'à deux lieues et demie de Séhastieh, l'ancienne Samarie. Elle est située
au sommet d'une colline, et présente un champ couvert de débris de ma-
çonnerie parmi lesquels plusieurs blocs ont plus de dix pieds de longueur.
On y voit les fondations de deux vastes bâtiments dont l'un, avec ses
murailles de huit pieds d'épaisseur et son pavement en mosaïque, est
évidemment un édifice public. Les arcades rondes, les moulures semi-
classiques, les pierres bien taillées, tout indique que ces ruines appar-
tiennent à une cité qui fut considérable. M. Conder regarde comme pro-
bable que c'est l'ancienne Sozuza. et qu'elle date du premier ou du second
siècle, peut-être même de l'époque hérodienne.
(Quaterly Statement.)
Psautier de Louis-le-Pieux. — Une merveille de calligraphie du
moyen-âge vient, nous dit the Academy, d'être envoyée à Paris par un
libraire anglais, qui l'a achetée 36,000 francs. C'est un psautier provenant
du monastère de Saint-Hubert, dans les Ardennes, et connu sous le nom
de Psautier de Louis-le-Pieux, quoique M. Paulin Paris, qui l'a examiné,
incline à penser qu'il ne remonte pas plus haut que Lothaire, son fils. Il
est écrit en onciales. La reliure présente, d'un côté, un ivoire admirable-
ment ciselé, de l'autre, une plaque de cuivre repoussé représentant le sou-
verain auquel le manuscrit a appartenu. Ce psautier avait été décrit par
Mabillon, au dix-septième siècle; mais, depuis la fin du dix-huitième siè-
cle, on le croyait perdu.
D'un prétendu auteur de 1' u Imitation de Jésus-Christ. » — //
Propugnatore et plusieurs autres revues italiennes nous parlent d'une
Imitation de Jésus-Christ en langue du treizième siècle, publiée par
M. Giuseppe Turrini (Bologne, typ. royale 1874, in-8" de xiv-408 pages).
D'après le nouvel éditeur, l'auteur de cet admirable livre serait Giovanni
Gersenio de Vercelli, moine bénédictin, qui vivait dans les premières
années du treizième siècle. [Polybiblion.)
Une cloche fondue en 1793. — Dans le Bulletin de la Société archéolo-
gique de Soissons, M. de Laprairie signale la cloche du village d'Hirson,
dont voici l'inscription :
L'an 1793, ^2^ de la République française, j'ay été bénite par le citoyen
Jean-François Godard.^ curé depuis 1781 et officier municipal, et nommé
Csesar par les citoyens Csesar-Mezand, maire d'Hirson, et Marie-Louise-
11"= séné, tome II, 34
490 CHRONIQUE
Victoire Bouillard^ épouse de Louise Godefrof/, procureur de la commune.
Moi/ et mes deux sœurs nous arons été fondues aux frais de la commune
d'Hirson.
Ainsi, comme le fait remarijiier M. de Laprairie, au moment où toutes
les communes ont perdu ou vont perdre leurs cloches, la commune d'Hir-
son en fait faire trois; et à quelle date? à la tin de 1793. Celle des trois
qui existe encore est nommée César, et le prêtre qui la bénit est tout à la
fois curé et officier municipal I
Un sceau du XIIP siècle. — M. l'abbé Lavant décrit ainsi dans le
Messager des Sciences hisloriqucs le sceau du béguinage de Saint-Aubert
de Gand :
La matrice en cuivre du sceau primitif est un chef-d'œuvre de la gravure
flamande au XIIP siècle. Nous en avons trouvé une empreinte dans la
belle collection sigillaire de M. Ch. Onghena. Nous y voyons entre deux
écus triangulaires, probablement aux armes de Flandre et de Gand, saint
Aubert en costume pontiiical, debout sur un escabeau couvert d'orne-
ments. Le saint évêque,la main droite ouverte et levée, tient de la gauche
la crosse à vélum ondoyant et à volute tournée vers l'intérieur. Les deux
écus au lion semblent faire allusion à la fondation de l'hospice par nos
bourgeois, sous le patronage des souverains. Au-dessus de l'écusson de
droite brille une étoile à six raies, symbole sigillaire très-commun au
Moyen- Age.
La légende, précédée d'une croix grecque et comprise entre deux gre-
netis, porte en beaux caractères : ^. hospiialis,Sci. Auberti. in Portacker.
Le module est de 0°^ 052 sur 0'" 0,37.
Nous avons été assez heureux pour découvrir le contre-scel du même
hospice. Il est appendu à un acte du l*"' octobre 1334, par lequel le prêtre
Martin de Hosdine, proviseur de rétabliss?ment, du consentement de l'abbé
de Saint-Bavon, règle avec le chapelain un difïérend au sujet des rentes
de la chapellenie.
La forme de ce sceau est orbiculaire, au diamètre de 0" 018. Dans le
champ est figuré un buste d'évêque, la tête nue, entre deux branches po-
sées en pal. L'inscription porte entre deux filets : CoUra sigill' de Portacr.
Abandonné par les prébendières et aliéné par la commission des Hos-
pices, le Béguinage de Poortakker est occupé depuis le 24 mai 1864 par
les dames de l'Adoration perpétuelle.
Un portrait de Jeanne d'Arc. — Il s'est, depuis quelque temps, pro-
duit à Paris un grantl émoi dans le monde qui s'occupe d'histoire et d'ar-
CHRONIQUE 491
chéologie,et celte émotion est jaarfaitement justifiée, comme on va le voir,
II y a une trentaine d'années, M. Auvray, expert et marchand de tableaux
bien connu, dont le magasin est sous le péristyle du Palais-Royal, acheta
à Orléans, d'une personne qui vit encore, un petit tableau fort sale, fort
noir, qu'il paya un très-bas prix et oublia dans son grenier, au milieu de
débris de toutes sortes. Il y a quelques mois, un ami de M. Auvray était
en quête de vieilles peintures pour compléter un ameublement ancien,
M. Auvray se rappela tout à coup le tableau acheté jadis, et le retrouva
— il est sur bois — en deux morceaux. Il se mit à le nettoyer, et vit ap-
paraître successivement, d'abord dans la partie supérieure de la peinture,
et ensuite au bas, le nom de Jeanne d'Arc. Bientôt ce fut la bonne Lor-
raine elle-même qui se dégagea de la croûte noirâtre. Elle est debout, à la
gauche d'une Vierge qui occupe le milieu du tableau, et qui, à sa droite, a
saint Michel. Jeanne d'Arc est vêtue d'un hoqueton rouge, sur la ceinture
dorée duquel on peut lire encore son nom. Sa main gauche s'appuie sur
un bouclier portant les armoiries que lui donna Charles VII; sa main
droite tient la bannière bien connue. Elle porte un heaume, derrière lequel
parait s'arrondir une auréole, mais ce pourrait bien être un lambrequin ou
volet. La figure de la Pucelle est restée assez obscure; cependant on dis-
tingue parfaitement bien un nez droit et bien formé et une bouche indi-
quant la fermeté; l'œil gauche semble loucher. Ce tableau si curieux a
été examiné par les hommes les plus compétents; Une reste aucun doute,
ni sur l'époque de cette peinture, ni sur le personnage qu'elle représente,
et l'intérêt que cause ce tableau est d'autant plus grand qu'avant cette
trouvaille on ne possédait aucun portrait de la Pucelle offrant des carac-
tères d'authenticité. Un des érudits, consultés à propos de cette décou-
verte, pense que cette œuvre pourrait être celle d'un peintre écossais,
Power, qui peignit l'étendard de la Pucelle, laquelle l'avait pris en amitié
et fit marier ses filles. Cette peinture semble être un ex-voto destiné à
rappeler la délivrance d'Orléans. Peut-être y aurait-il sur sa date une in-
duction à tirer des armoiries qu'on y voit; elles furent accordées à Jeanne
le 2 juin 1429. Le tableau ne peut donc être antérieur à cette époque.
{Revue bibliographique universelle.)
Épi de faîtage, en plomb, du XV'^ siècle. — Le plomb a joué un rôle
important dans l'ornementation extérieure des édifices du Moyen-Age,
mais il reste très-peu des élégantes productions des plombiers; la plupart
(crêtes, épis, girouettes) sont malheureusement retournés au creuset.
M. Benvignat, membre de la commission du Musée archéologique de
Lille, a récemment offert à ce Musée, au nom de feu M. Louis Devémy,
492 (JHllONIUl'K
un rare et curieux spécimen de 'ctte industrie ; c'est un v\n de laitage du
XV^ siècle, provenant d'une ancienne maison de Douai. La base de cet
épi a la forme d'une pyramide, dont les arêtes sont ornées de petites
feuilles en plomb coulé qu'on y a soudées: au lieu de se terminer en pointe,
la pyramide présente à son sommet une sphère aplatie supportant un bou-
quet de quatre feuilles frisées et déchiquetées d'où s'échappe une tige en
spirale qui termine l'épi. M. Benvignat possède un pendant de cet épi, en
tout semblable au précédent; dire qu'il a été décrit et dessiné, en 1856,
dans le journal anglais The Builder, et qu'il a figuré à la dernière Exposi-
tion universelle (section de Thistoire du travail), c'est donner la preuve de
l'intérêt qui s'attache au curieux morceau dont s'est enrichi le Musée ar-
chéologique de Lille.
(Bulletin scientifique du département du IS'ord.J
Amiens. — Les travaux qu'on exécute pour la continuation du palais
de Justice ont mis à nu une curieuse substructionqueM. Darsy a reconnu
être une prison du XIIL siècle, toute en pierres de tailles, dont la voûte
a été elTondrée. Les murailles sont couvertes d'inscriptions faites par les
prisonniers, inscriptions qu'il sera peut-être possible de déchiflFrer lorsque
les pierres seront séchées et complètement débarrassées des matériaux de
remplissage.
CasseL — En ôtant une couche épaisse de crasse qui recouvrait un
tableau de Gassel, on vient de découvrir un vrai chef-d'œuvre, un Rubens
représentant une apparition de la Ste Vierge à S. François d'Assise.
La mosaïque de Saint-Paul de Rome. - La mosaïque de la façade de
Saint-Paul, dégagée de l'échafaudage, des toiles et nattes en paille qui la
masquaient, luit maintenant au soleil couchant d'un éclat incomparable.
Les personnages se détachant sur le fond d'or paraissent vivre dans la
gloire du paradis.
La superficie de la peinture n'est pas moindre de 365,56 mètres de
hauteur.
Après l'incendie de 1823, et la reconstruction du corps de la basilique,
le pape Grégoire XVI chargea le peintre Filippo Agricola de composer
des cartons en vue de la mosaïque qui devait orner la façade. Cet artiste
mourut sans avoir terminé ses dessins. Le tiavail resta en suspens jusqu'au
règne de Pie IX. Ce grand Pontife confia au peintre Consoni, directeur
de la fabrique des mosaïques du Vatican, le soin de composer des cartons
et d'exécuter l'ouvrage en mosaïque.
CHRONIQUE i93
La décoration se divise en trois parties : le tympan ou fronton, la frise
qui le supporte et le tableau inférieur descendant jusqu'au portique, dont
les colonnes seront plus tard dressées ; elles sont toutes prêtes sous les
hangars, dans la cour qui sétend devant la basilique. Dans le fronton
triangulaire, M. Consoni a représenté le Sauveursur le trône dans l'attitude
de bénir. Sur la base du trône, de chaque côté, sont assis S. Pierre et
S. Paul.
Dans la frise, on voit au milieu l'Agneau divin sur la montagne mystique
de laquelle coulent les quatre fleuves des livres saints.
Des brebis blauclies semblables à celles des anciennes mosaïques bysan-
tines, représentent les apôtres à droite et à gauche ; elles se détachent
sur les murs de d^-ix villes symbolisant Jérusalem et Bethléem.
La pai'tie inféi icure est divisée en quatre espaces par les deux fenêtres
qui éclairent la nef principale de la basilique : quatre figures debout, se
détachant sur fond d'or, complètent la décoration, ce sont les grands
prophètes : Isaïe, Jérémie, Ezéchiel et Daniel. Chaque prophète porte
dans la main le volume de se? prophéties.
Le mérite principal de ces peintures est une parfaite harmonie, de sorte
qu'aucfune partie, malgré les divisions imposées par l'architecture, n'est
séparée du tout. Les figures sont conçues dans le goût des types raphaël-
lesques. sans paraître trop imitées cependant; leurs proportions colossa-
les sont très-justes et la ligne extérieure, que l'on nomme sagoma, est
aussi pure que celles des statues des meilleurs maîtres ; car c'est la diffi-
culté pour les mosaïques colossales comme pour les statues. Elles doivent
faire l'eiïet de statues peintes, ditnt la distance égalise les proportions et
harmonise les formes et les couleurs. Ce but a été atteint par Consoni
dans la mosaïque de Saint-Paul. 11 a eu en vue les oiuvres des maîtres
qui ont précédé le XVl^ siècle, et a pris pour guides Giotto et Raphaël.
M. Consoni a été aidé dans ce grand travail, qui immortalisera son
nom, par MM. Fabrizio d'Ambrosio et Constanzo Maldura, l'un et l'autre
artistes de la fabrique pontificale. Le trav;;il a duré près de vingt ans. on
ne dit point encore ce qu'il a coûté. Mais on doit convenir que cette im-
mense décoration extérieure est conforme à Tintérieur incomparable de
la basilique de Saint-Paul, cette enceinte aux cent colonnes de marbre
blanc, dont l'impression j'cligieuse,, recueillie, silencieuse, dans cette
campagne aride et solitaire est peut-être plus puissante sur l'àme que
celle de Saint-Pierre.
Il faut rendre au gouvernement la justice de n'avoir point entravé
celte œuvre. On dit, au monastère même de Saint-Paul, que M. le com-
mandeur Gadda, préfet de Rome, malgré son libéralisme, se rendait per-
494 CHRONIQUE
sonnellement à la basilique toutes les semaines et suivait avec intérêt l'a-
vancement du travail.
Il est vrai que tout l'univers civilisé s'intéressait à cette grande œuvre
et que les catholiques, les hommes de goût, toutes les personnes qui pren-
nent à cœur la grandeur de R.ome n'auraient pas vu sans un profond
regret l'interruption des travaux de la basilique de Saint-Paul, inaugurés
par la Papauté.
La façade de la basilique est tournée vers le couchant : c'est dans les
heures de l'après-midi qu'il faut l'admirer. On se retire de cette visite
avec un éblouisseraent, on a dans l'imagination comme une céleste vi-
sion.
Louis XIV, roi d'Amérique. — M. Camille Picqué. conservateur-ad-
joint de la bibliothèque royale de Bruxelles, dit le Messager des Sciences
historiques, vient de découvrir une médaille frappée en riionneur du duc
de Levis, vice-roi cV Amérique. L'exergue porte : Franc, christ, de Levi.
D. Dampville. p. Franc, pro rex americ.e. Puisque le duc de Lévis était
vice-roi d'Amérique, Louis XIY en était donc roi. Yoilà une nouvelle qui
surprendra singulièrement les citoyens des Etats-Unis.
Nous apprenons que S. S. Pie IX vient de récompenser les éminents
travaux de notre savant collaborateur Mgr Barbier de Montault, en l'éle-
vant à la dignité de prélat domestique, c'est-à-dire au plus haut degré de
la prélature.
J. C.
TABLE DES ARTICLES
CONTENUS
dans le tome dix-neia vienne de la Revue de l'Art clirétien
Avril (A. d'). Biblioiïraphie, 179.
Barbier de Montault. La croix de
Henri IV à Rome, 47.
— Découverte d'un traité de sym-
bolisme du XIII" .siècle à la bi-
bliothèque de Poitiers, 315.
— Deux musiciens oubliés, 430.
Barthélémy (Ch.). Les tableaux
de l'église Saint-Louis de Ver-
sailles, 393.
BouiLLET (A.). Essai sur Téglise de
Sainte-Foy de Conches, 37o.
BoYER DE Sainte-Suzanne (de). Les
tapisseries d'Amiens, 6L
Chaillot. Castel-Gandoll'o. 312.
Clément (Félix). Des formes hiéra-
tiques et de leur influence sur
le progrès des arts, 441.
CoRBLET (J.). Deux grands artistes
chrétiens; les frères Duthoit, o2.
— Travaux des Sociétés savantes,
70, 242, 317, 467.
— Index bibliographique, 79, 2oo,
334, 482.
— Chronique, 81, 181, 239, 336,
485.
— L'architecture civile et mili-
taire de Pise avant le XV° siè-
cle, loO.
— Bibliographie, 252.
— Un chef-d'œuvre typographi-
que, 265.
— Vocabulaire des symboles et des
attributs employés dans l'ico-
nographie chrétienne, 433.
— Table des articles du tome XIX,
495.
— Table des dessins, 197.
— Table analytique des matiè-
res. 498.
Davin . Les anciens monuments
chrétiens de Rodez, 213, 292.
DelvktNE. Quelques remarques à
propos d'une nouvelle édition
de Vlmitatiun de Jésus -Christ,
233.
GERMUit-iiunAND (le p.). [{apport
sur rimagerie religieuse. 462.
496
TABLE DES ARTICLES
GiRAUD (J.). L'école laïque au
XIP siècle, 446.
L. G. Le nouveau chœur de la ca-
thédrale de Montpellier, 236.
Le Blant (Edm.). Sur une pierre
tumulaire portant les mots
Christus hic est, 25.
— Note sur quelques représenta-
tions antiques de Daniel dans la
Fosse aux lions, 89.
LiNAS (Ch. de), les origines de
l'orfèvrerie cloisonnée, o, 96,
185, 300, 358.
— Les silex de Wagnonlieu, 170.
— Bibliographie, 480.
Lucas (Ch.). Les architectes de la
cathédrale de Tolède, 425.
Maguelonne (Comte de). Biblio-
graphie, 251.
Minasi (le P.). Le sarcophage de
Sainte-Quitterie, 123.
Plaine (Dom F.). Le B. Charles de
Blois, duc de Bretagne, protec-
teur des arts au XIV* siècle,
274.
Richard (J.-M.). Inventaire du
couvent des Dominicaines d'Ar-
ras en 1324, 64.
l'iOSTAN. L'église du couvent des
Dominicains de Saint-Maximin,
455.
ScHMiDT (Potrus). Eglise du Vœu
national au Sacré-Cœur, 19.
Soyez (Edm.). Bibliographie, 251.
Van-Drival. L'exposition de Lille,
32. 173. 345.
TABLE DES DESSINS
1. Agrafes de ceinturon, 89, 93.
2. Autel de Deusdedit, 293.
3. Bague hindoue, 101.
4. Bijoux assyriens en pierres
dures, 185.
5. — égyptiens. 104.
6. — sassanides, 8.
7. Bracelet d'Assirbanipal, 185.
8. Chapelle triptyque, 356.
9. Croix de Clairmarais, 345.
10. Coupe de verre trouvée à Pod-
goritza, 91.
11. Cuve baptismale de Hildes-
heim, 270.
12. Diptyque en ivoire, 349.
13. — (feuillet) 353.
14. Eglise du Sacré-Cœur, pro-
jet de M. Abadie, 22.
15. — Sainte-Fov de Couches,
377.
16. Figures assyriennes en bri-
ques émaillées, 185.
17. Fresque de Raphaël, 366.
18. Inscription de la Porta Au-
rea, 161.
19. — mérovingienne de Vicq ,
24.
20. Jéhu devant Salraan-Asar,
189.
21. Lampe représentant Daniel
dans la Fosse aux lions, 92.
22. Maison de Borgo Nuovo à
Pise, 163.
23.
24.
25.
26.
27.
28.
29.
30.
31.
32.
33.
34.
35.
36.
37.
38.
39.
40.
41.
42,
43!
U.
Multiplication des pains,
peinture des Catacombes,
266.
Parement d'autel, 353.
Ponte al Mare, à Pise. 166.
Porta Aurea de Pise, 162.
Reliquaires, 352.
Résurrection de la fille de
Jaïre . tableau de Rem-
brandt. 273.
Retour de l'Enfant prodigue,
tableau de L. Spada. 271.
Salman-Asar, 190.
Sarcopiiage d'Arles, 89.
— de S. Amans, face anté-
rieure, 221.
— côté droit, 226.
— côté gauche, 228.
— de S. Mamas. 231.
— de Ste-Quitterie, 137.
Seille mérovingienne trouvée
à Miannay, 89.
Sennacuérih à Lachis, 195.
Statue du roi Assur-Nasir-
Ilabal, 188.
Tapisserie appartenant à M.
Dclaherche, 177.
Tombe trouvée à Brescia. 94.
Tour h Pise, 159.
— des Upezzinghi. 160.
Triptyque de Sainghin en
Melantois. 352.
TABLE ANALYTIQUE
DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LE TOME DIX-NEUVIÈME DE LA REVUE DE l'aRT CHRÉTIEN *
Abadie (M.), 19, 24, 249.
Abbaye de S.- Lucien, 252-254.
Abraham, 266.
Académie — d'Amiens. 325 ; — d'ar-
chéologie de Belgique, 478 ; —
de Reims. 469 ; - des beaux-
arts, 72, 249; — des inscrip-
tions, 72. 2W. 320; - pontifi-
cale d'archéologie, 71 ; — royale
de Belgique, 249.
Académies départementales, 468.
Adam élevé à l'état de erâce, 138-
143.
Adam et Eve violant le précepte
divin, 143-144.
Agrafe mérovingienne, 93.
Aire-suii-l'Adour, 123.
Aldegrevers, peintre allemand,
382.
Alexandre Sévère, 17.
Amans (S.), 216, 217.
Ameublement des églises, 284.
Amiens, 52, 54, 60, '1-92 — voir
Carmélites, Tapissenes, etc.
Angleterre, 181.
Anneau chrétien de Lunel, 215.
Annonciation (1'), 389.
Antipiionaires manuscrits, 39.
Antiquités de la Tarentaise, 319;
— {iréhistoriques, 170.
Aqueduc de Goutances, 318.
Arabie. 367-374.
Archéologie, 20, 477.
Architectes de la Cathédrale de
Tolède, 424-432.
Architecture, 19, 2i; — du XVI^
siècle, 379 ; — civile de Pise,
138-169.
Arianisme, 224.
Arras, 345. — Voir Bibliothèqui ^
Inventaire, Musée^ etc.
Art byzantin, 338; — chinois,
322 ; — chrétien, 267 ; — égyp-
tien, 108, 442-444 ; — gr<^c,
1 11 ; — judaïque ; 114-122 ; —
phénicien, 358; — toscan, 158.
Artaxercès l^\ 12, 13, 14.
Artaxercès h, 12, 13.
Artistes de Cambrai, 76, 77.
Assur-Nazir-Habal, 188.
Assyro-Chaldéens, 310, 372, 185-
212.
Attila, son cercueil, 263.
Attributs employés dans l'ico-
nographie chrétienne, 433-440.
Aubes, 280.
Augustin (S.), 422.
Autel de Deusdedù. 292-297.
Autels portatifs, 352.
B
Babylone, l<S7.
Babyloniens, 186.
' Nous n'avons jins inséré dans (•.i>t,te ta1)lc les noms des auteurs d'articles;
ils sont imprimés d'une manièie assez saillante dans la première table pour
que nous ayons c]u cette répétition inutile, J. corblet.
TABLE ANALYTIQUE
499
Bains romains, 318.
Baptême, 128, 133, 139, 142,
352, 420.
Baptistères, 124.
Barry (M.). 471.
Bas-reliefs, 10, 333.
Baye (M. de), 239.
Béguicnage de Gand, 337.
Benoit (M. Louis), 88.
Bernard (S.), 448.
Bible manuscrite, 38, 39.
Bibliographie. 179-180, 230, 234,
330-333, 480-481.
Bibliothèque — d'Arras, 32, 34,
36, 37, 39;— de Boulogne, 33.
40 ; — de Lille, 33 ; — de Poi-
tiers, 313.
Bijoux, 333 ; — assyro-chaldcens,
183-212; — égyptiens, 96-114 ;
juifs, 114-122 ; — sassanides,
8; — syro-phéniciens, 361, 362.
Blanc (M. Charles), 70.
Bon-Pasteur (le), 144-149.
Botta (M.), 191, 204, 203.
Boucher, peintre. 404-408, 413-
414.
Boucles d'oreilles, 209.
Bourdon de Georges d'Amboise,
326.
Bracelets égyptiens, 106, 111.
Brancourt (M. l'abbé], 332.
Bretagne, 276-291 .
Breton (M. Ernest), 483.
Bréviaires manuscrits, 41.
Brianchon (M.), 73,74.
Bruxelles, 478. — Voir Académie.
Bustes gallo-romain, 327-329.
Cabinet des Antiques, 13.
Carrières (Mgr de), 236,237,239.
Calonne (le baron A. de), 330.
Cambrai, 73,76.
Carmélites d'Amiens, 231.
Caro (M.), 446.
Cartier (M. Etienne), :?67. 268,
449.
Castel-Gandolfo, 312-314.
Catacombes de Home, 331.
Caumont (M. de). 220, 293, 341,
378.
Céramique, 333.
Cérémonial culinaire, 246-249.
Cérès (M. l'abbé), 292,293.
Cerf (M. l'abbé), 469.
Chabas (M.), p. 7, 98, 103, 171,
172, 349, 481.
Chaire du XP siècle, 343.
Chaldée (la), 211.
Chanoinesses d'Epina), 473.
Chapes, 283.
Charles de Blois (le B.), 274-291.
Chasses, 290, 330.
Cheminée du XVP siècle, 326.
Chérubins, 303.
Chorsabad, 194, 204.
Christus hic est, 23, 31.
Chronique, 81-84, 181-184. 239-
264, 336-344.
Clairmarais (abbaye de), 348.
Clermont-Ganneau (M.), 181, 182,
183.
Cloche fondue en 1793, 489.
Cloches, 73.
Cochet [M. l'abbé), 483.
Colliers assyriens, 209.
Collin de Yermont (M.), 408-411.
Comité des Tiavaux historiques.
332.
Commission départementale des
antiquités de la Seine -Infé-
rieure, 325.
Compassion de la Vierge. 414-416.
Conçues, Église Ste-Foy, 375-392.
Concours artistiques, 463, 487.
Confessor, valeur de ce titre^ 82.
Congrès des Sociétés savantes,
317-320.
Corblet (M. l'abbé), 323, 324-.
Corot, peintre, 323.
Corporations, 433-440.
Coupole, 23.
Couvent des Dominicains de St-
Maximin, 433 461.
Croix d'autel. 287, 3i7, 348. 349.
Croix de Henri IV à Rome. 47, 31.
336.
Croix processionnelles, 349.
Croix-reliquaires, 346.
Crucifix, 347.
Cryptes, 123.
Custodes, 331.
."SOO
TABLE ANALYTIQUE
I>
Dalles funéraires, 181.
Daniel dans la fosse aux lions, 89-
9o. 149-153.
Darcel (M.), 112, 113.
Découvertes romaines, près d'Eu.
342.
Deladp.eue (M.), 252.
Démon, 27,
DEsnAYS(J.-B.), 411-413.
DEUsnE;DiT. évoque de Rodez. 292-
297.
Deville (M. Achille), 264.
Diadèmes assyriens, 208.
DîDOT (M. Finnin), 265.
DiDRON (M. Ed.). 238. 241.
DiNAN (Brotairne), 279,
Diptyques, 352.
Dominicains d'Arras, 64.
DOMMARTFN (abbaye de\ 330-331.
Douai, 350,
Doucey (Aisne), 332.
Dubois (M. Ch.), 324.
DuRiEux (M.), 75, 76,
DuTuoiT (les frères), 52-60.
FcoLE laïque T) du XIÎ^ siècle,
446-450.
Ecriture cunéiforme. 186.
Eglise (1"), 148.
Eglises à coupole, 21.
Egypte. 96-114,
FIgyptiens, 442.
Emau.k, 112, 304,305,310: —ba-
byloniens, 201. 206; — peints,
173 ; — phéniciens, 361.
Enfant [V) prodii^ue, 271,
Epée des rois Perses, 11.
Epuod, 118.
Epinal, ses iraa,L;iers, 464-466.
Epinois (M, 11, de), 331.
Epis de faitiij^e, 491.
Epitapues, 82. 4.52. 454.
Espagne, 181,
Eu^ (Seine-inférieure), 342,
Eucharistie, 29. 30, 94, 95.
EvANGÉLiAiRE (hi sacrc. 469.
EVANGÉLIAIRKS. .''>.'{, 35.
Exposition de Lille, 32-46, 173-
178. 345-357.
EzÉCHiEL. sa vision, 300-311.
FÉTis (M.), 451.
Flèches en silex, 259.
Fonts baptismaux de Hildesheim,
270, 272.
Forcella (M.). 451, 452, 453.
Formes hiératiques de l'art, 441-
445.
Fouilles, 81, 86.
FouRViÈREs (Eglise de), 87.
FoYfSle), 384.
Fregimont (Lot-et-Garonne), 343-
344.
Fresques. 71, 85, 269.
G
Gand. 337, 490.
Garizim, ses l'uines, 321-322.
Gasparûni [M.). 250.
Gautier (M Léon). 242, 260.
Germaine (Ste). 183.
Gersen, 33;{.
Gerson, 233. 264,
Goeric (S,), 473,
Gravures, 269, 272.
Grimouari) de St-Laurent (M. le
comte), 180.
Guelfes et Gibelins. 168,
Gueranger (Doni), 184,
GuÉRiN (M. V.), 321-322.
GuiBERT (Mgr), 19.
Guingamp (Côtes du Nord), 277,
282.
H
Halle (Noël), 419-420.
Henri IV, 47,
Voir Croix.
57.
Hekbault (M.
Hekcule, 27.
Hiéroglypues. 442.
Hirson (Aisne), 489.
ICHTuus, 132. 133.
Iconographie chrétienne , 132
TABLH ANAr.Vi'IuLE
501
433; — lûiTcUiie, i73. 476; —
russe, 338.
Imagerie religieuse, 260-2G2, 462-
466.
Imitation de Jésus - Christ , 233-
235, 264, 489.
Incunables. 43.
Index biljlinuraphique, 79-80,
255-258, 334-335, 4S2-484.
Inscriptions, 25, 27, 31, 49. 86,
161. 188, 189, 191. 192. 193,
195, 197, 2D0, 202, ,296, 307,
314, 471-473. — V. Épitaphes.
Institut de France, 70.
Inventaire du Couvent des Do-
minicaines d'Arras. 64, 69.
Israélites, 121 .
Ivoire, 101.
Jaffa, 181.
Jean-Baptiste (S.), 404 408, 486.
Jeanne d'Arc, 490-491.
Jeaurat (Etienne), 416 il8.
JÉflu, roi d'Israël, 189.
Jérémie (le prophète), 202.
JÉRÔME (S.), 422.
Jersey (île de), 324.
Jésuites (collèges des\ 298.
JÉsus-CuRiST, 224, 225, 226, 227,
228, 229, 265-273, 297, 298,
386,387, 390, 394, 413, 421.—
Voir Nativité, Sac^ ^-Cœur, etc.
JONAS, 135, 136.
Joseph (S.), 416-418.
JouvENET, 395, 396.
Judée, 114-122.
Labarte (M -J.), 301, 305, 310.
Lamballb, 279, 281.
Lapérouse (xM. Gustave), 25.
LARMiSS (les) de la Prière, 320.
Layard (M.), 187, 188, 210.
Lazare (résurrection dei, 154-
157.
Le Blant (M. EdmouJ . 220, 294,
320.
Lemoyne iFranyois), 401-404.
Lenormant (M. Ch.', 390, 392.
Lenormant (M. F.), 12, 196, 198,
210.
Lille, 3o{i.~Yo\r Exposition, etc.
LiLLEBONNE, 73.
Livres d heures. 40, 44.
LONGi'ÉRiER (M. de), 182, 203.
Lorraine, 246-249.
LOTH (M. Arthur), 233, 234.
Louis (S.), 401-404.
Lourdes, 262.
LuNEL (Aveyron), 215.
m
Mabille (M. Emile). 264.
Magne (M. l'abbé), 294.
Maisons du Moyen-Age, 163.
Malines, 356.
Manuscrits à miniatures, 32-46.
Marie (la Sainte Vierge) , 176,
388, 389. — A'oir Compassion,
Présentation, etc.
Marsy (M. Arthur de\ 88.
Martinov (le P.), 338.
Mathon (M.), 252.
Médailles, 215, 354, 355.
Médaillon de marbre, 297.
Menant (M.), 198, 200.
Mer rouge, 336, 368.
Mésopota.mie, 186, 198, 212.
MiANNAY (Somme), 89.
Michel-Ange, 267, 486.
Miniatures. — Voir Manuscrits.
Missels, 35, 38.
Moines, 449.
Moïse, 116, 120, 122.
Monet, peintre, 422.
Monogramme du Christ, 227.
MoKTiviLLiERS (Seine-Inférieure),
73.
Montpellier, nouveau chœur de
sa cathédrale, 236-241.
Mosaïques, 81, 240, 365.
Moyen-Age, 448.
Multiplication despains, 269, 272.
Musée — Carnavalet, 340; —d'Ar-
ias, 348; — do' Leipzig, 83;
— de Munich, MO; — de
Vienne. 104; — de Wiesbaden,
9; — du Louvre, 361. 362, 373;
— national polonais, en Suisse,
488.
502
TABLE ANALYTIQUE
Musiciens oubliés (deuxj 431-454.
Mus.(.)'E religieuse, 8u.
IV
Nabuchodonosor, 371.
Nackch-i-Red-Jab, 12, 18.
Nantes, 279, 282, 283.
Nativité de Jésus-Christ, 397-
401.
Nécrologie, 88, 184, 264, 344,
485.
Nemrod, 185.
Ninive, 181, 186, 187, 194, 212.
Numismatique, 213. — Voir Mé-
dailles.
o
OEoLi (Olympe), 433.
Œuvres de miséricorde, 270.
Orfèvrerie — cloisonnée, 5-18, 96-
122, 183-212, 300-311. 338-374;
— religieuse, 287, 345-352.
OsiRis, 441.
Ostensoirs, 288, 349.
Païens, 433.
Pain, 433.
Pallium, 433.
Palme, 433.
Palmier, 434.
Palmipèdes, 434.
Panetière, 434.
Panier, 434.
Panthère, 434.
Paon, 434.
Papes, 434.
Papillon, 434.
Paradis, 434.
Parallélisme, 434.
Paralytique lie), 128-131.
Parchemin, 33.
Parements d'autel, 285.
Paresse, 433.
Passereau, 435.
Patience, 433.
Patriarches, 435.
Patrons de corporations, 433-
440.
Paul (S.), 225.
Pectoral assyrien, 210.
Pectoralia, 118.
Peinture, 173-178, 282, 283,
284.
Peintures — chrétiennes, 487 ;
— murales, 337. — yo'ivÉmauXj
Tableaux, Vitraux, etc.
Penthièvre (Jeanne de), 276,
277, 279.
Persépolis, 12.
Petit (M. Elle), 233-235, 264.
Phénicie, 359-367.
Phéniciens, 371,
Pierre (S.), 223, 224, 223,411-
414, 420-422.
Pierre, peintre, 414-416.
Pierre tumulaire du V® siècle, 25,
31.
Pierres précieuses — d'Egypte, 98,
99,100; — des Juifs, 119.
PiSE, 486. — Voir Architecture.
Place (M. V.),193, 194, 203,204,
205.
Plaque de Wolfsheim, 8-18.
Pologne, 488.
PoMPÉi, 486.
Ponts du Moyen-Age, 164, 163,
166.
Porcelaine, 104.
Portes de ville, 164.
Pothières, 23.
Présentation de la Sainte Vierge
au Temple, 408-411.
Prison du XIIP siècle, 492.
Prisse d'Avesnes (M.), 107, 109.
Prophètes, 308.
Psautiers, 33, 489.
Puy-de-Dôme, 317.
Pyxides, 330.
QuiNTiANUS (S.), évêque de Rodez,
218, 219.
Raphaël, 266, 272.
Rational, 119.
Reliquaires, 289, 343, 346.
Rembrandt, 273.
TABLE ANALYTIQUE
o03
Rennes fllle-et-Vil.), ^277, 279, 282.
Restout, 397.
RÉSURRECTION — de Jésus-Christ,
229; - de la fille de Jaïre, 273.
RÉvoiL (M.), 237, 239, 240, 241.
Rodez, ses anciens monuments,
214-232, 292-299.
Rcesseller (M. Ch.), 73.
RoHAULT de Fleury (M. Cil.), 483.
Rohault de Fleury (M. G.), 138-
169.
Rome, 81, 336, 486. ~ Voir Cata-
combes, Croix.
Rossi (François de), 433, 434.
Rossi (M. J.-B. de), 71, 82.
RuBENs. 486.
Russie, 338.
RuTENNEs (les), 213.
Sacré-Cœur (Adoration du), 418.
Sacré-Cœur (Eglise du), 19-24.
Sacrifice d'Abraham, 126.
Sacristie, 381.
Saint-André-au-Bois (Abbaye de),
330-331.
Saint-Maximin (Var), — voir Cou-
vent.
Saint-Omer, 348.
Salman-Asar, 189, 190.
Salmon (M. Charles), 231.
Salomon, 370.
Sapor I, 11, 13.
SaporII, 10, 11, 17.
Sarcophages — d'Arles, 320; — de
Rodez, 216-232; — de Sainte-
Quitterie, 123-137; - de Ste-
Marthe, 87; — phéniciens, 339.
Sargon, roi d'Assyrie, 191, 193.
Sassanides, 12.
Sceau — du XlIP siècle, 490 ; —
du XV^ siècle, 323.
Sceaux, 334.
ScAHLK (M. le docteur), 8, 14.
Sculptures chétiennes, 34, 136-
138.
Seîlle mérovingienne, 89.
Sennachérib, 187, l'>3, 194, 193,
371.
Sépultures de l'âge de bronze,
318.
Setier en bronze, 73.
Silex de Wagnonlieu, 170-172.
Smyrne, 83.
Société — archéologique de Sois
sons, 489 ; — du Limousin. 477
— du Midi de la France, 327
471-473; — d'Ulm, 78; — arté
sienne des Amis des Arts, 323
— d'archéologie Lorraine, 243
473; — d'Emulation de C'imbrai
73; — de Saint-Jean, 78, 322
463;— des anciens textes fran
çais, 242; —des Antiquaires de
France, 242, 321 ; — des Anti-
quaires de Picardie, 37, 89,
479;— des Bibliophiles français,
327; — des Sciences de Lille,
329; — Hâvraise d'études di-
verses, 73, 243; — paléogra-
phique de Londres, 78; —pour
l'étude des langues romanes, 74 ;
— pour l'histoire de Paris, 249.
Sociétés savantes de Province,
467-469. — Voir Travaux des
Sociétés savantes.
SouEiCH (canton d'Aspet), 327.
Sourley, 420.
Spada (L.), 271.
Statue — découverte au Mesnil-
sous-Lillebonne , 243-243 , —
égyptienne, 103.
Statues, 183, 188.
Stèles phéniciens, 360.
Style flamboyant, 377.
Symboles de l'iconographie chré-
tienne, 433-440.
Symbolisme, 313-316.
Syrie, 338-367.
Tableaux, 173-178; — de Saint-
Louis de Versailles, 393-423.
Tapisseries d'Amiens, 61, 63.
TÉTRAMORPOE, 303.
Théâtre romain, 86.
Thèses d'Université, 333.
Thomas a Kempis, 233, 234, 235.
ToBiE, 131-133.
Tolède, sa cathédrale, 424-432.
Toulouse, 183.
Tour surélevée en briques, 169.
004
TABLE ANALYTiglE
Travaux des Sociétés savantes,
71-T"^'.. 242-249, 318-329, 467-
479.
Trêves, 28.
Trinité, 142.
TuMULUS de Trouville-en-Caux,
73.
Tyr, 36o.
Valcabrère, 86.
Vanloo (Amédée), 420.
Van RoBAis (M.), 89,90, 95.
Versailles. — Voir Tableaux.
Vert (M.), 233,233.
Vervoitte (M. Ch.), 83.
Vêtements sacerdotaux, 286.
Veuillot (M. Louis), 263-273.
Veuve de Naïm, 394-396.
Ville inconnue (une), 489.
Vincent de Paul (S.), 419-420.
ViOLLET-LE-Duc (M.), 446, 447, 448,
4i9.
Virg LE, 366.
ViTET (M. L.), 446, 447.
Vitraux peints, 382, 478.
Von Cohausen (M.), 9, 17.
Wagnonlieu (Pas-de-Calais), 170.
WoLFsiiEiM (duché de Nassau), 8,
17.
Arias, typographie Planque et Cie.
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