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Full text of "Revue de l'art chrétien"

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REVUE 


CE 


L'ART  CHRÉTIEN 


P.EVUE 


DE 


L'ART  CHRÉTIEÎ 


RECUEIL   MENSUEL 


D'AliCHÉOLOGlE  l'.ELlGIEUSE 


DIRIGE    PAR 


•M.  LE  CHANOINE  J.  COR  BLET 

Correspondant  de  la  Société  nationale  des  Antiquaires  de  France 
et  du  Ministère  de  F  Instruction  publique. 


DIX -HUITIEME  ANNEE 

Deuxième   séi^ie.  —    Tome  lE. 

(XVlX'dela  CuUection.) 


ARRAS 

\.  PLANOIW  ET  C'".  IMPRIMEURS 
lîuroaiix  (le  la  lii^vue 
lU'K  DES  f)iSZE-MILLl>VlF,RGES 

MDCCCl.XXV 


PARIS 
LIBRAIRIE  CATHOLIQUE  V    PALME 

Éditeur  dos  Uo/ltrudtsles 
liUE  DE  GUENELLE-SAINÏ  GLUMAIN,  2Ôt 


LES  ORIGINES 

DE  L'ORFÈVRERIE  CLOISONNÉE 


PRELIMINAIRES 

J'appelle  orfèvrerie  cloi.soiniée  un  travail  particulier  de  joaillerie 
qui  consiste  à  incruster  à  froid  dans  des  cloisons  d'or,  ou,  par  ex- 
tension, dans  une  plaque  de  métal  découpée  à  jour,  soit  des  pâtes 
vitreuses,  soit  des  lames  de  verre,  soit  des  pierres  précieuses  tail- 
lées en  table,  soit  enfin  des  cabochons,  disposés  de  manière  à  for- 
mer un  ensemble  décoratif,  une  sorte  de  mosaïque. 

Les  métaux  ne  sont  pas  toujours  l'unique  excipient  de  ce  genre 
de  marqueterie;  l'ivoire,  le  bois,  la  terre  émaillée  en  constituent 
quelquefois  la  cuve  ou  le  réseau  -.j'aurai  à  signaler  divers  cas 
d'une  variété  d'incrustations  dont  on  ne  s'est  peut-être  pas  suffi- 
samment occupé  jusqu'ici. 

Dans  un  mémoire  publié  en  1864  ',  et  qui  obtint  une  mention 
honorable  au  concours  des  Antiquités  nationales  de  TListitut-  de 
France,  j'avais  déjà  tenté  d'esquisser  l'historique  de  l'orfèvrerie 
cloisonnée;  mais,  un  point  de  départ  trop  voisin  de  notre  époque, 
la  pénurie  de  documents  et  surtout  d'œuvres  originales,  s'étaient 


*  Beviie  de  l'Art  chréiicn,  t.  YIII,  p.  11  'i,   195,  "^25,  303    •—   Orfèvrerie  mérovin- 
gienne, in  8",  9  planches.  Paris,  Didron,  ISlii. 


0  OiliGlNKS    OK    L'oilFKN'lîElvlIi    CLOISO.NNÉE 

opposés  à  ce  que  je  donnasse  h  mon  trav^uil  l'entier  tlëveloppement 
([u'il  comportait.  Néanmoins,  si  j'ai  commis  alors  des  erreurs  de 
détail  Je  ne  crois  pas,  quant  aux  idées  générales,  m'être  trompé  de 
beaucoup  :  la  marche  progressive  d'orient  vers  l'occident  de  l'art  du 
cloisonnage,  la  nationalité  des  peuples  qui  l'implantèrent  sur  le 
sol  romain,  sont  passées  maintenant  à  l'état  de  faits  acquis. 

Je  reprends  aujourd'hui  un  sujet  que  je  n'ai  pas  la  prétention 
d'avoir  encore  épuisé;  j'y  rentre  armé  d'appréciations  nouvelles, 
fruits  d'études  consciencieuses  dans  les  musées  de  la  France  et  de 
l'étranger.  Ces  appréciations,  naturellement  discutables,  ont  tou- 
jours pour  base  le  rapprochement  des  textes  et  des  monuments 
figurés,  les  seconds  venant  en  aide  à  l'intelligence  des  premiers. 

Bon  ou  mauvais,  je  me  risque  à  offrir  au  public  érudit  le  résul- 
tat de  mes  recherches  :  bon^  je  n'aurai  qu'à  me  féliciter  d'avoir 
abordé  une  scabreuse  entreprise  ;  mauvais,  il  se  rencontrera  tôt 
ou  tard  quelqu'un  pour  mettre  à  profit  mes  erreurs  comme  j'ai 
utilisé  celles  de  mes  devanciers. 

Avant  d'entrer  en  matière,  qu'il  me  soit  permis  d'adresser  un 
témoignage  de  gratitude  aux  savants  et  aux  artistes  qui  m'ont 
généreusement  aidé  de  leurs  conseils,  de  leur  talent  ou  de  leur 
bienveillante  intervention.  A  Pest,  MM.  Rœmer,  Pulszky,  P. 
Ilunfalvy,  Kath  et  Henszlmann;  à  Vienne,  S.  Exe.  M.  le  baron 
J.  A.  de  Helfert,  président  de  la  Commission  des  monuments  his- 
toriques d'Autriche,  M.  le  baron  E.  de  Sacken,  conservateur  du 
Cabinet  des  Antiques,  M.  von  Bergmann  fils,  M.  F.  Lippman,  du 
Musée  d'art  et  d'industrie,  M.  Karl  Haas,  le  célèbre  gai  vanoplaste; 
à  Prague,  MM.  A.  Ambros,  le  bibliothécaire  A.  Vrtatko  et  le  si 
regretté  professeur  J.  E.  Wocel;  à  Nuremberg,  M.  A.  Essenwein 
directeur  du  Musée  germani([ue;  à  Munich,  défunt  M.  de  Hefner 
Alteneck,  directeur  général  des  Musées,  M.  le  docteur  Kuhn, 
M.  le  professeur  A.  W.  Christ;  à  Mayence,  MM.  Lindenschmit  et 
l'abbé  F.  Schneider;  à  Wiesbaden,  MM.  Schalk  et  von  Cohausen; 
à  Darmstadt,  M.  le  docteur  Ilofman;  à  Copenhague,  M.  C.  En- 
gelhardt,  secrétaire  de  la  Société  royale  des  Antiquaires  du  Nord; 


OUK'.INES    DE    L'OUFÉViîIcniE    (■I.()lS(!.\.\i;ii  7 

;i  Bruxelles,  M.  Hageiiuiiis,  membre  de  la  cliambre  des  Représen- 
tants; à  Bucarest,  M.  A.  Odobesco,  ancien  ministre;  à  Saint- 
Pétersbourg,  S.  Exe.  M.  le  comte  Serge  StroganofF,  président  de 
la  Commission  impériale  archéologique  et  M.  P.  Lerch,  secrétaire; 
à  Paris,  MM.  A.  de  Longpérier  etHeuzey,  membres  de  l'Institut, 
M.  A.  Chabouillet,  conservateur  du  Cabinet  des  médailles,  MM. 
Cohen  et  Lavoix,  M.  C.  d'Averdoing,  peintre  d'histoire,  M.  Y. 
Gay;  à  Rouen,  Pérudit  assyriologue,  M.  J.  Jlénant  et  M.  G.  de  la 
Serre;  à  dullon-sur-Saône,  Péminent  égyptologueM.  F.  Chabas  ; 
à  Arras,  M.  Caron,  bibliothécaire  de  la  \dlle,  jadis  mon  maitre,  à 
présent  mon  collègue  à  l'Académie,  homme  vénérable  dont  les 
profondes  connaissances  en  bibliographie  et  en  littérature  clas- 
sique sont  venues  maintes  fois  à  mon  aide. 

Je  veux  également  signaler  à  mes  lecteurs  une  licence  que  j'ai 
prise  et  dont  j'accepte  l'entière  responsabilité.  Lorsqu'un  objet  est 
publié  avec  le  compte-rendu  d'une  trouvaille,  on  doit  le  reproduire 
dans  l'état  même  où  il  a  été  rencontré,  mais  lorsqu'il  s'agit  d'é- 
tudes généralisées,  de  l'histoire  d'un  art  industriel,  par  exemple, 
je  crois  que  l'on  peut  opérer  différemment.  Aussi,  toutes  les  fois 
qu'une  restauration  m'a  semblé  praticable,  soit  par  l'agencement 
symétrique  des  pierres  demeurées  en  place,  soit  par  la  similitude 
incontestable  des  parties  correspondantes,  je  n'ai  pas  hésité  à  la 
faire.  Les  bijoux  figurés  sur  les  planches  qui  accompagnent  mon 
texte  ne  sont  donc  pas  toujours  représentés  sous  leur  aspect  ac- 
tuel, je  les  donne  souvent  tels  qu'ils  étaient  au  sortir  des  mains 
de  l'orfèvre  :  il  n'y  a  pas  de  meilleur  moyen  pour  rendre  intelli- 
gibles la  richesse  et  le  bon  goût  d'un  décor.  Au  reste,  un  aver- 
tissement spécial,  mis  en  regard  de  chaque  restitution  importante, 
mesure  le  degré  de  confiance  qui  pourra  lui  être  accordé. 


8  OIMGINKS    Di:    I,  ORFÉVRKRIE    CLOISONNÉE 

CPIAPITUE  I. 

LA    PLAQUE    DK    WOLFSHEIM. 

Vers  la  fin  de  la  mission  qui  m'avait  été  confiée  par  S.  Exe. 
M.  le  ministre  de  T Instruction  publique,  au  printemps  de  l'année 
1870,  M.  le  docteur  Sclialk,  conservateur  du  musL'e  d'antiquités 
de  Wiesbaden,  voulut  bien  me  communiquer  un  morceau  d'orfè- 
vrerie trouvé  quelques  mois  auparavant  à  Wolfslieim,  près 
Mayence,  et  récemment  acquis  par  les  administrateurs  de  la  col- 
lection du  duclié  de  Nassau. 

Ce  bijou,  qui  me  parut  être  une  pièce  battante,  se  compose 
d'une  boite  rectangulaire  en  or  (0  055"*  sur  0""  045™),  haute  d'en- 
viron 0"  01%  formée  de  minces  lames  soudées  entre  elles.  La  masse, 
creuse  à  l'intérieur,  est  prolongée  par  un  fleuron  trilobé  à  char- 
nière, épais  de  trois  à  quatre  millimètres.  L'ensemble  mesure  0™ 
077™  en  largeur;  une  seconde  charnière  rampe  sur  le  flanc  op- 
posé. 

La  face  (PL  I,  fig.  1,  o),  découpée  à  jour,  comporte  vingt-deux 
hyacinthes,  grenats  ou  verres  rouges  en  table;  à  savoir  :  douze 
disques,  six  carrés  et  quatre  triangles,  géométriquement  disposés 
sur  paillon  d'or  sans  aucun  rabattu.  Le  fleuron,  légèrement  bombé, 
incruste  trois  grenats  cabochons,  deux  carrés,  un  cardimorphe. 
Au  revers  (PL  I.  fig.  1,  &),  M.  Schalk  me  fit  observer  une  inscrip- 
tion tracée  à  la  pointe,  où  je  reconnus  immédiatement  un  spéci- 
men de  l'écriture  cursive  des  Perses  avant  l'invasion  arabe.  A  la 
vue  d'un  monument  qui  confirmait  mes  précédentes  assertions  sur 
l'origine  orientale  de  l'incrustation  appliquée  à  la  joaillerie,  je 
demandai  à  rhonoral)le  Conservateur  la  photographie  du  précieux 
objet.  11  s'empressa  de  m'en  adresser  un  cliché  après  la  guerre,  dès 
que  la  correspondance  fût  redevenue  possible  entre  l'Allemagne 
et  la  Prance.  A  son  envoi,  M.   Schalk  joignit  une  lettre  où  il 


REVUE  DE  L'ART  CHRETIEN 


?].: 


C  de  I.in 


BIJOUX   SASSANIDES 


l.aj.bjace  el  revers  de  la  plaque  de  Wolfsheim,  état  actuel,  f  de  l' original. 
2,  Même  plaque  restaurée, -i; de  rongmal._3,4,5,  Plaques  de    cemturoTi, 
d'après  les   effigies  royales  de  Tak-i-Bostan. 


ORIGriES    U1-:    LOPa'ÉVRERIK    CLOISONNÉE  9 

m'annonçait  que  M.  le  professeur  Gildemeister,  de  Bonn,  à  qui  un 
estampage  de  l'inscription  avait  été  soumis,  y  lisait  en  caractères 

pehlevis  le  nom  d'Artaxerxès  —  A)thashather,^ï^-^^J^J22'^ 
inujnm^  :  forme  ancienne,  A/7/)aA-5Aa;/t7-a;formemoderne,  Ardeshîr. 
— L'excellente  étude  de  M.  F.  Lenormant  sur  les  diverses  variétés 
de  Talphabet  pehlevi  *  me  permit  de  contrôler  sans  peine  l'exac- 
titude de  la  lecture  de  M.  Gildemeister,  et  j'obtins  ainsi  l'assurance 
d'avoir  sous  les  yeux  une  pièce  d'orfèvrerie  incrustée,  remontant 
au  moins  à  l'époque  sassanide  si  elle  n'appartenait  pas  à  une  dy- 
nastie antérieure. 

Cependant,  détourné  par  d'incessantes  préoccupations  du  cours 
de  mes  études  habituelles,  je  ne  me  pressais  pas  de  mettre  en 
ordre  le  butin  récolté  sur  ma  route,  lorsque  M.  le  colonel  du  Génie 
en  retraite,  A.  von  Cohausen,  directeur  actuel  du  musée  de 
Wiesbaden,  eut  l'extrême  obligeance  de  me  faire  parvenir  un 
exemplaire  de  son  mémoire  sur  les  bijoux  émaillés  de  l'époque  ro- 
maine ;  j 'y  lus  ce  qui  suit  : 

«  Le  musée  de  Wiesbaden  possède  un  bijou,  vraisemblable- 
ment un  pectorale^  que  l'on  portait  sur  la  poitrine,  suspendu  à  un 
cordon  ou  à  une  chaîne.  Il  est  en  or  fin  et  lames  polies  d'hyacinthe 
rouge  foncé.  On  l'a  trouvé  dans  les  environs  de  Mayence  (à 
Wolfsheim,  1870)  et  une  inscription  au  revers  établit  son  origine 
perse.  M.  le  professeur  Gildemeister  y  a  lu  le  nom  Artachshater 
(Artaxerxès)  et  reconnu  que  ce  système  d'écriture  pehlwi  est  en 
usage  sur  les  monuments  lapidaires  et  numismatiques  des  pre- 
miers rois  de  la  dynastie  sassanide,  de  226  à  300  après  J.-C. 
L'empereur  Alexandre  Sévère,  né  en  Syrie,  avait  commandé  en 
Perse  et  fut  assassiné  près  de  Mayence,  d'où  l'hypothèse  que  cet 
ornement  royal  perse  serait  devenu  la  propriété  du  César  romain 
qui  l'apporta  à  l'endroit  où  on  Ta  rencontré  ^.  » 

Il  n'y  a  guère  à  reprendre  aux  conclusions  de  M.  le  colonel  von 

'  Eludes  paléographiqiiss  Sur  Valphahet  jielilevi,  iii-S".  Paris,  186'). 

*  liœmischer  Sc/niichenschiinicJc,  p.  9,  in-8'^.  Wiesbaden,  1873,  chromolitli. 

II«  série,  tome  II.  2 


10  ORIGINES   Df-,    l'ORFÉVRKKIE   CLOISONNÉE 

Cohansen,  elles  sont  basées  sur  la  logique  ;  mais,  en  face  d'un 
monument  de  si  haut  intérêt,  leur  laconisme  m'étonna  ;  elles  me 
semblèrent  exiger  un  développement  plus  étendu  et  je  me  décidai 
alors  à  publier  à  mon  tour  le  bijou  de  Wolfsheim.  La  richesse  du 
sujet,  qui  m'a  entraîné  beaucoup  plus  loin  que  je  ne  le  prévoyais, 
fera  comprendre  la  longueur  du  temps  réclamé  par  l'accomplisse- 
ment de  cette  entreprise  ardue. 

Trois  questions  se  présentent  à  élucider  : 

!•  Quels  étaient  le  genre,  la  forme  et  l'usage  de  cet  ornement 
dont  la  terre  ne  nous  a  rendu  qu'une  portion? 

2"  A  quels  personnages  a-t-il  dû  appartenir? 

3o  Par  quelle  voie  est-il  arrivé  sur  le  sol  romain  ? 

J'essaierai  d'y  répondre. 

Les  bas-reliefs  de  la  Perse  nous  ont  conservé  un  certain  nombre 
d'effigies  sassanides,  tant  équestres  que  pédestres;  malheureuse- 
ment leur  attitude  et  les  injures  des  siècles  ne  permettent  pas 
toujours  de  saisir  les  détails  de  costume  qu'il  m'importerait  le  plus 
de  déterminer  à  cette  heure.  Toutefois,  quatre  ligures  royales  du 
monument  de  Saporll  (Schabour  Dhoulariaf)  à  Tâk-i-Bostân,  re- 
connaissables  à  la  richesse  de  leurs  vêtements  et  aux  bouts  du 
kosii  '  qui  flottent  autour  d'elles,  portent  un  collier,  une  ceinture 
maintenue  par  des  bretelles  autour  de  la  poitrine,  sous  les  aisselles 
ou  un  peu  plus  bas,  enfin  un  ceinturon  d'épée  descendant  des 
hanches  sur  l'hypogastre.  Le  collier  est  muni  d'un  pendant,  sans 
rapport  avec  l'objectif  de  notre  étude;  un  ornement  circulaire, 
quelquefois  double,  apparaît  au  milieu  de  la  ceinture  et  du  cein- 
turon. La  ceinture  ne  saurait  avoir  de  pièces  battantes;  elle  est 
continue,  articulée,  et  les  éléments  métalliques  qui  la  forment 
se  rattachent  directement  au  monile  ou  pectorale  par  une  agrafe 
latérale.  Au  contraire,  les  bouts  du  ceinturon,  qui  paraît  être  soit 
en  cuir  piqué  soit  en  étoffe,  viennent  se  croiser  derrière  sa  plaque 

'  Pièce  d'étoffe  plissée,  analogue  .lux  ailes  des  surplis  du  rit  parisien.  Elle  vol- 
tige en  double  sur  le  dos  et  à  la  ceinture  des  monarques  sassanides.  Le  liosli 
entoure  aussi  les  anneaux  de  serment. 


ORIGINES    DE    l'oRFÉVEERIE    CLOISONNÉE  11 

médiane  qu'ils  dépassent  suivant  une  longueur  variable  de  quinze 
à  vingt  centimètres.  (PL  I,  fig.  3,  4,  5.) 

Or,  Ton  ne  possède  évidemment  que  le  tiers  du  bijou  de  Wolfs- 
heim,  puisque  la  charnière,  veuve  de  sa  broche,  montre  trois 
gaines  quand  le  côté  fleuronné  n'en  a  que  deux,  ce  qui  implique  la 
nécessité  d'une  plaque  centrale  et  dune  seconde  pièce  battante 
pour  établir  la  symétrie.  Dès  lors,  l'agencement  des  ceinturons  de 
Tâk-i-Bostun  est  seul  applicable  à  la  restauration  de  notre  bijou 
telle  que  je  la  comprends  :  un  rectangle  gemmé,  accosté  d'ailerons 
symétriques  à  double  battant  (PI.  I,  %.  -2).  Les  extrémités  de  la 
courroie  du  ceinturon,  engagées  dans  les  passants  adaptés  au  re- 
vers du  rectangle  central,  étaient  maintenues,  soit  par  un  nœud  ' 
soit  par  des  arrêts  métalliques  courbés  en  crochets.  Ainsi  recons- 
titué, l'objet  pouvait-il  avoir  une  destination  différente  ?  L'absence 
des  moyens  d'attache  sur  le  fragment  du  musée  de  Wiesbaden 
s'oppose  à  toute  autre  conjecture. 

Les  sculptures  de  Tâk-i-Bostân  datent  du  règne  de  Varahran  IV 
[Bahiam  Kirmamchah^  389-399),  fils  et  Troisième  successeur  de 
Sapor  II  ;  il  y  est  représenté  à  la  gauche  de  son  pèi-e,  les  inscrip- 
tions du  monument  en  témoignent  -. 

Les  épées  des  rois  perses  qu'il  m'a  été  loisible  d'étudier  ont  une 
garde  peu  saillante;  aucune  effigie  pédestre  ne  permet  de  se  rendre 
un  compte  exact  de  leur  mode  d'atta(,'lie.  Ces  figures  ramènent  de- 
vant elles  l'arme  posée  en  pal  et  insinuée  entre  le  corps  et  le 
ceinturon  de  sorte  que  la  poignée  se  cache  en  partie  sous  la  plaque 
du  dernier  ^  Heureusement  le  Sapor  I  à  cheval  du  bas-relief  de 
Nâckch-i-Roustam  laisse  voir  un  fourreau  muni  d'un  passant 
vertical  où  s'engage  la  courroie  du  ceinturon  \ 

*  J'ai  constaté  un  remarquable  exemple  de  ce  nœud  à  la  ceinture  d'une  reine 
sculptée  à  Nâckch-i-Roustam,  mais  on  n'y  voit  pas  de  joyau.  Flandin  et  Coste 
Voyage  en  Per!,e,  pi.  185.  Un  nœud  analogue,  avec  fermoirs  circulaires,  est  visible 
sur  une  effigie  royale  de  Tâk-i-Bostân.  Id.,  ibid.,  pi.  \\. 

*  Flandin  et  Coste,  onv.  cilé,  pi.  13,  l  i  et  p.  6. 

*  Id.,  ibid.,  pi.  13.  —  OrfJirene  me'roviiiijieiine,  pi.  7. 

*  Id.,  ibid.,  pi.   185. 


•12  ORIGINES    DR    l'ORFÉVRERIE    CLOISONNÉE 

Un  autre  bas-relief  à  Nackch-i-Redjrib,  })i"ès  Istakhr  (ruines  de 
Persépolis),  contemporain  des  précédents,  offre  un  groupe  de  sei- 
gneurs à  pied  derrière  le  cheval  du  roi.  l>a  suspension  de  leurs 
épées  à  garde  alésée  est  identique  à  celle  de  l'effigie  équestre  de 
Nâckch-i-Roustam,  mais  les  ceinturons,  soit  unis,  soit  perlés, 
n'ont  point  le  disque  gemmé  et  ciselé  des  personnages  royaux  * . 
De  ceci  je  conclus  sans  trop  d'hésitations  que  la  plaque  ornée  de 
pierreries  était  un  privilège,  un  attribut  exclusivement  réservé 
aux  monarques  de  la  dynastie  sassanide. 

Je  crois  avoir  suffisamment  établi  que  le  bijou  de  Wolfsheim 
est  le  reste  d'une  plaque  de  ceinturon  provenant  des  joyaux  de  la 
couronne  perse;  si  l'on  admet  avec  moi  cette  destination  au  IV* 
siècle,  et  pour  sûr  aune  époque  antérieure,  car  les  costumes  orien- 
taux ne  se  modifient  à  la  longue  que  sous  une  pression  étrangère, 
il  faut  maintenant  préciser  l'individualité  du  souverain  à  qui 
l'objet  aurait  appartenu.  Pendant  la  domination  des  Arsacides, 
les  satrapes  héréditaires  de  la  Perse  faisaient  battre  monnaie;  leurs 
drachmes  d'argent  montrent  au  droit  la  tête  du  roi  parthe  régnant, 
au  revers  un  mobed  en  adoration  devant  le  pyrée,  et  la  légende  du 
prince  iranien.  M.  F.  Lenormant  a  publié  deux  de  ces  légendes  ^ 
au  nom  d'Artaxerxès  différents  qui  vivaient  en  des  temps  assez 
éloignés  l'un  de  l'autre;  elles  sont  en  caractères  dits  proto-pehle- 
vis  '  et  ressemblent  si  peu  à  notre  inscription  que  je  les  cite  seu- 
lement pour  mémoire. 

Les  Arsacides  écartés,  je  passe  aux  Sassanides. 

Trois  monarques  de  cette  dynastie  répondent  au  nom  d'Ar- 
taxerxès :  Artaxerxès  I  [Ardeshîr  Babegan,  2*23-240),  Artaxerxès  II 
(380-384),  Artaxerxès  III  (629)  \  Je  ne  m'occuperai  pas  du  der- 


Ud.,  zôirf.,  pi.  191,  A. 

•  Loc.  cit. ,  p .  25,  n°^  4  et  5.  J 
^  M.  Lenormant  désigne  sous  ce  nom  la  forme  la  plus  ancienne  du  pehlevi.           * 

Loc.  cit.,  p.  26,  V. 

*  A.  de  Longpérier,  Essdl  su7-  les  médailles  des  rois  j^erses  de  hi  dynastie  sassa- 
nide, in-4*,  1)1.,  Paris,  1840.  —  Flandin  et  Coste,  ouv,  cité,  passirn.  t 


oriCtInes  de  l'orfèvrerie  cloisonnée  13 

nier,  beaucoup  trop  rapproché  de  nous;  d'ailleurs  cet  enfant  de 
sept  ans  régna  à  peine  dix-liuit  mois  et  n'eut  jamais  rien  à  démê- 
ler avec  les  populations  qui  habitaient  les  bords  du  Rhin  au  YIP 
siècle  :  le  choix  flotte  donc  entre  les  deux  premiers. 

Les  inscriptions  de  Nâckch-i-Roustam  et  de  Châpour,  commé- 
moratives  du  triomphe  de  Sapor  î  sur  le  malheureux  Valérien 
en  260,  celles  de  Nâckch-i-Redjâb,  de  Tâkt-i-Bostân  et  d'Istâkr, 
qui  sont  postérieures  ',  m'ont  fourni,  quant  à  la  forme  des  signes, 
un  spécimen  complet  des  caractères  employés  sur  le  bijou  de 
Wolfsheim;  en  est-il  de  môme  quant  à  la  valeur  ?  M.  A.  de  Long- 
périer,  dans  une  lettre  qu'il  a  bien  voulu  m'écrire  ',  appelle  mon 

attention  sur  l'archaïsme  du  2  (1,  R)  deux  fois  reproduit  au  nom 
à'Arthasfiather,  et  m'engage  en  outre  à  ne  pas  faire  descendre  notre 
inscription  plus  bas  que  le  règne  de  Sapor  II  (310-380).  D'autre 
part,  les  études  de  M.  F.  Lenormant  nous  apprennent  que,  passé 
l'époque  de  N'arsès  {Narsi,  297-303),  l'ëpigraphie  numismatique 

n'attribue  plus  au  signe  2  que  la  valeur  1  tandis  que  l'équivalent 

du  1  change  complètement  de  type  ^ .  Alors  le  trait  inférieur  du  2 
s'arrondit  en  large  boucle,  quand  la  volute  supérieure  diminue  à 

proportion.   Or,  les  monnaies  d'Artaxerxès  II  présentent  le  2 

sous  cette  nouvelle  forme,  et  si,  en  remontant  jusqu'à  Sapor  II 

et  Sapor  1  on  trouve  2  avec  la  double  valeur  1  et  1,  il  ne  signifie 
que  1  sur  les  légendes  des  médailles  d'Artaxerxès  I,  généralement 
conçues  en  caractères  analogues  aux  molèles  du  bijou  de  Wolfs- 
heim ^ . 

Un  monument  rare  et  précieux  confirme  ces  données.  Le  Cabi- 
net des  Antiques  de  Paris  possède  une  magnifique  intaille  en  cor- 

»  Flandin  et  Goste,  onv.  cité,  pi.  G,  46,   181,  18!  his,  181  ter,  i90,  193  his. 
«  -15  mai  1873. 

*  Ouv.  cité.  p.  7  et  8. 

*  A.  de  Longpérier,  ouv.  cité,  p.  44,  n°  40,  pi.  7,  2;  p.  45,  n»  41  ;  p.  16,  n"»  13 
et  14,  pi.  3,  2  et  3  ;  p.  40,  n«  34,  pi.  6,  3  ;  p.  41,  n»  3  ;  p.  2  à  10,  n°^  1  à  10,  pi.  1, 
1,2,3.4,5,7;  pi.  2,  2,  3,4;  etc.  etc. 


14  ORIGINES   DE   l'ORFÉVRERIE    CLOISONNÉE 

naline,  représentant  le  buste  d'Artaxerxès  I  entouré  d'une  légende 
pehlevie  où  son  nom  est  tracé  en  lettres  aussi  voisines  des  types 

de  notre  inscription,  ^ï^/^-J^JQZM  ,  que  peuvent  le  per- 
mettre les  allures  gênées  de  la  glyptique  vis  à  vis  l'ampleur  du 
style  lapidaire  '.  M.  Cohen,  dont  la  dextérité  et  l'obligeance 
égalent  le  profond  savoir,  a  réussi,  malgré  les  obstacles  suscités 
par  la  saillie,  à  obtenir  une  empreinte  en  cire  de  Fintaille,  et,  la 
photographie  du  bijou  placée  en  regard  de  cette  empreinte,  j'ai 
pu,  la  loupe  en  main,  me  convaincre  de  l'étroite  affinité  de  leurs 
alphabets. 

M.  Schalk,  interprète  de  M.  Gildemeister,  m'a  posé  une  objec- 
tion que  je  ne  puis  taire,  et  à  laquelle,  d'ailleurs  il  m'est  facile  de 
répondre. 

«  L'épigraphie  sassanide  accole  toujours  au  nom  du  souverain 
ses  titres  et  qualités  ;  sur  notre  plaque  il  n'y  a  qu'un  nom  isolé, 
donc  elle  n'a  dû  appartenir  qu'à  un  simple  particulier.  » 

En  eflet  d'Artaxerxès  I  à  Varahran  V  {Bahram  t/our,  4*20440), 
les  légendes  monétaires  qui  entourent  l'effigie  du  prince,  inter- 
calent le  nom  royal  dans  les  formules  :  Mazdiem  beh malcan 

7na/ca  ^iVan  (l'adorateur  d'Ormuzd,  l'excellent roi  des  rois 

de  Perse)  ;  Minoulckelri  men  iezdan  (germe  céleste  des  dieux),  lez- 
danimalcan  (divin  roi);  Malcan  (roi)  ^.  Mais  le  savant  professeur 
de  Bonn  n'a  sans  doute  pas  remarqué  que,  sur  les  revers  des 
mêmes  pièces,  le  nom  du  monarque,  en  tête  de  ligne,  était  suivi 
de  la  seule  épithète  iczdani  (divin)  ;  Arlhashalher  iezdani  (le  divin 
Artaxerxès),  Chahpouhri  iezdani  (le  divin  Sapor)  et  ainsi  du  reste  : 
qu'en  outre,  un  aiireus  de  Sapor  I  — je  le  cite  seul  pour  ne  pas 
sortir  de  mon  époque  —  n'offrait,  également  au  revers,  que  le  nom 
isolé  Chahpouhri  *.  Or,  la  terre  n'a  rendu  que  le  battant  droit  de 

'  A.  Chabouillet,  Calalogue  général  des  camées,  elc.  du  Cabinet  des  Médailles, 
p.  193,  n**  1339.  La  pierre,  haute  de  0'"  Ood™,  large  de  U'°  OJâ"',  est  taillée  en 
cabochon. 

•  A.  de  Longpérier,  ouv.  cité,  passim. 

3  Id.,  ibid,,i,.  13  et  pi.  3,  n"  1. 


ORIGINES   DE   l'ORFÉVRERIE    CLOISONNÉE  !5 

notre  plaque,  heureusement  le  plus  caractéristique;  le  nom,  gravé 
parallèlement  au  sommet  du  côté  étroit  qu'il  remplit  en  entier, 
doit  appeler  une  suite;  donc  si  Ton  parvient  jamais  à  recouvrer 
l'aileron  gauche,  on  y  lira,  j'ose  l'affirmer,  soit  iezcicmi,  soit  peut- 
être  malcan.  J'irai  plus  loin,  quand  même  un  hasard  fortuné  nous 
restituerait  les  morceaux  perdus  vierges  de  toute  inscription, 
appuyé  sur  Vaureus  de  Sapor  I,  je  maintiendrais  encore  l'attribu- 
tion royale  du  joyau  :  pour  quels  motifs  un  souverain  eilt-il  gra- 
vé au  dos  de  ses  bijoux  une  marque  plus  pompeuse  qu'à  l'avers 
de  ses  monnaies?  Cette  marque  n'était  pas  accessible  aux  regards 
vulgaires  puisqu'en  costume  d'apparat  elle  se  dissimulait  contre 
le  vêtement;  le  trésorier  de  la  couronne  et  le  maître  de  la  garde- 
robe  devraient  seuls  en  avoir  connaissance. 

Je  n'ai  rencontré  jusqu'à  présent  aucun  type  sassanide  complet, 
antérieur  à  Sapor  I,  et  toutes  les  agrafes  que  j'ai  vues  sur  ceux 
qui  m'ont  été  soumis  sont  discoïdes.  La  forme  oblongue  de  notre 
bijou  ne  serait-elle  pas  un  indice  d'antiquité  relative  ?  Les  Grecs 
et  les  Eoraains,  dont  l'influence  sur  les  figures  ailées  de  la  voûte 
de  Tâk-i-Bostân  est  si  appréciable  ',  faisaient  usage  de  boucles 
carrées  %  et  il  serait  possible  que  les  Orientaux  leur  eussent 
emprunté  cette  mode  ;  mais  je  crois  plutôt  l'inverse.  Les  Bar- 
bares, émigrés  d'Asie  en  Europe  bien  des  siècles  avant  notre  ère, 
avaient  des   boucles   ornées   de   plaques   rectangulaires  '  ;   les 

'  Flandin  et  Goste,  ouv.  cité,  pi.  7,  n"  1. 

*  Hermann  Weiss,  Kostumhmde,  1. 1,  p.  762,  fig.  282,  (/;  p.  973,  fig.  391.  Cette 
dernière,  prise  sur  une  statue  de  femme  du  Museo  Borbonico,  à  Naples,  accuse 
un  caractère  oriental  très-prononcé.  —  L.  Lindenschmit,  Die  AUerUnuner  unserer 
lieidnischen  Vorzeil,  t.  I,  X,  5,  1  ;  le  ceinturon,  très-riche,  est  formé  d'éléments 
métalliques  articulés  analogues  aux  ornements  royaux  de  Tâk-i-Bostân  ;  l'ins- 
cription lapidaire  me  semble  du  11^  siècle. 

'  Lindenschmit,  ouv.  cité,  t.  I,  iv,  8;  vl,  8  ;  grande  boucle  en  bronze  décorée 
de  triangles,  les  uns  pleins,  les  autres  ajourés,  les  premiers  ont  dû  incruster 
quelque  verroterie;  type  oriental  ;  vu,  8;  viii,  7.  T.  II,  vi,  1.  T.  III,  m,  6.  — 
H.  Baudot,  Mémoire  sur  les  sépulUires  des  Barbares,  etc.,  pi.  1,  1,2.  —  J.  J.  A. 
Worsaae,  Nordiske  Oldsager,  p.  102,  fig.  429  ;  agrafe  de  ceinture  en  argent, 
IV»  ou  Ve  siècle.  Elle  se  composait  de  deux  rectangles,  l'un  manque  en  partie, 


10  ORIGINES    DE    l'ORFÉVRERIE    CLOISONNÉE 

fouilles  en  ont  exhumé  un  grand  nombre.  Or,  ces  Barbares,  et 
spécialement  les  peuples  qui  envahirent  l'Europe  par  le  Pont- 
Euxin,  durent  vivre  en  contact  prolongé  avec  les  habitants  du 
nord  de  la  Perse  ;  les  récentes  découvertes  de  la  Chersonèse 
Taurique  le  prouvent  surabondamment  '.  Il  me  semble  encore 
reconnaître  un  fermoir  elliptique,  dont  le  grand  axe  est  hori- 
zontal, à  la  ceinture  d'un  guerrier  achéménide  -.  Ce  dessin  est-il 
exact?  Comment  se  fier  à  des  monuments  rongés  par  les  années 
et  que  le  voyageur  ne  peut  aborder  de  près  ?  D'ailleurs  les  mo- 
narques sassanides  avaient  certainement  des  bijoux  de  divers 
modèles,  et  il  est  probable  que  les  artistes  chargés  de  les  éterniser 
sur  le  roc  ont  préféré  les  saillies  du  disque  gemmé  aux  plans  sans 
reliefs  de  l'orfèvrerie  cloisonnée. 

Malgré  des  guerres  sans  cesse  renouvelées,  les  relations  ami- 
cales entre  les  Romains  et  l'Iran  ont  été  plus  fréquentes  qu'on  ne 
le  suppose  généralement.  A  l'aube  du  IIP  siècle^  en  204,  sous  le 
régne  de  Septime  Sévère  qui  venait  de  remporter  en  Orient  une 
série  de  victoires,  la  prose  énergique  de  Tertullien  nous  montre 
Parthes  et  Mèdes  traînant  dans  les  immondices  de  la  Ville  éter- 
nelle leurs  tzanrjnes  rouges  constellées  de  pierreries  '.  Mais,  ni  les 
voies  commerciales,  ni  la  diplomatie  des  ambassadeurs  accrédités, 
ni  la  sollicitude  d'un  voyageur  ordinaire,  n'auraient  introduit  dans 
PEmpire  un  joyau  dérobé  aux  écrins  de  la  couronne  sassanide  ; 
pour  s'en  rendre  maître,  il  fallait  la  guerre,  et  mieux  encore,  le 


sur  lesquels  repose  un  disque  ajusté  de  façon  à  ménager  un  intervalle  de  0'"  026°» 
entre  les  montants,  dont  la  hauteur  est  de  0'"  06'  tandis  que  le  médadlon  mesure 
Qm  (J4c  de  diamètre.  J'avais  pensé  à  rétablir  le  bijou  de  Wolisheira  d'après  ce  mo- 
dèle; la  disposition  des  charnières  y  a  mis  obstacle. 

'  Comptes-rendus  de  la  Commission  impériale  archéologique,  passim  ;  texte  in-4°, 
atlas  in-fol.  :  Saint-Pétersbourg,  annuel. 

2  Univers  piUoresqve  ;  L.  Dubeux,  Perse,  pi.  12,  bas-relief  de  Persépolis. 

^  «  Gemmarum  quoque   nobilitatem  vidimus  Ronuo  de  fastidio  Partlioriim  et 

Medorum et  in  pei'onibus  uniones  cmergere  de  luto  cupiunt.   Nihil  dcnique 

tam  gemmatum  habent,  quam  quod  gemmatum  esse  non  débet.  »  De  llahitu 
muliebri,  c.  7. 


I 


ORIGIXES    DE    L"0ItFÉV];ERIE    i  LOISONXÉE  17 

triomphe  :  un  vaincu  ne  recueille  pas  de  butin.  Cette  guerre, 
Alexandre  Sévère  dut  la  déclarer  au  restaurateur  de  l'indépen- 
dance perse,  Artaxerxèsl  (231  ou  232),  et,  nonobstant  la  version 
d'Hérodien  qui  proclame  l'insuccès  des  troupes  romaines,  la  lutte 
se  termina  à  leur  avantage.  Quand  même  nous  n'aurions  pas  le 
récit  explicite  de  Lampride  qui  attribue  la  victoire  au  jeune  Em- 
pereur ',il  en  resterait  un  témoignage  contemporain  et  irrécusable 
dans  la  médaille  frappée  à  l'occasion  de  son  triomphe*.  Vain- 
queur^ il  est  tout  naturel  qu'Alexandre  se  soit  approprié  les  dé- 
pouilles opimes  du  vaincu  pour  en  enrichir  le  trésor  impérial  ; 
que  l'infortuné  César  les  ait  eues  auprès  de  lui  à  l'heure  où  Maxi- 
min  le  fit  traitreusement  assassiner  dans  le  bourg  de  Secila,  près 
Mayence,  on  ne  s'en  étonnera  pas  davantage.  Naturellement  pillé 
après  la  perpétration  du  crime  par  les  sicaires  qui  l'avaient  com- 
mis, le  trésor  devint  leur  proie  ;  les  joyaux,  brisés  pendant  la  lutte 
qui  dut  en  accompagner  le  partage,  jonchèrent  le  sol,  et,  un  frag- 
ment, oublié  ou  perdu  par  le  misérable  qui  s'en  était  emparé,  aura 
été  englouti  jusqu'au  moment  où  un  heureux  hasard  le  fit  sortir 
de  la  terre. 

L'état  actuel  de  la  question  ne  permet  guère  d'autre  hypothèse, 
aussi  veux-je  remercier  M.  von  Cohausen  qui  m"en  a  fourni  l'i- 
dée. J'ajouterai  que  de  nouvelles  fouilles,  entreprises  à  Wolfsheim 
sous  une  direction  intelligente,  établiraient  peut-être  l'identité  de 
ce  village  avec  l'antique  Secila. 

J'ai  réservé,  pour  l'exposer  en  dernier  lieu,  une  autre  attribu- 
tion du  bijou  de  Wolfsheim  ;  il  aurait  fait  partie,  non  d'une  pla- 
que de  ceinturon,  mais  d'un  harnachement  de  cheval.  La  discus- 
sion sera  courte,  faute  d'arguments  sérieux.  D'abord,  les  nom- 
breuses phalène  des  représentations  de  chevaux  sassanides  sont 
toutes  circulaires,  et  leurs  détails,  nettement  rendus  par  les  co- 
pies, accusent  un  travail  massif  chez  les  originaux  ^  ;  ensuite, 

*  Alexander  Sav.,  c.  55. 

'  Vaillant,  Numismala  imper.  Rom.  prœslanliora,  t.  II,  p.  285. 

*  Flandin  et  Goste,  ouv.  cité,  pi.  33,  Darabgercl,  disques  oiiés  ;  pi.  18'2,  têtes 


18  ORIGINES    DE    l'ORFÉVKERIE    CLOISONNÉE 

quand  même  on  reconnaîtrait  des  pierreries  sur  ces  ornements 
unis  ou  ciselés^,  elles  seraient  serties  au  rabattu  dans  une  lame 
épaisse  de  métal  et  non  simplement  ajustées  sur  paillon  dans  une 
boîte  fragile.  Les  ailerons  mobiles  adaptés  aux  parures  d'animaux, 
qui  exigent  une  bien  plus  grande  solidité  que  les  parures  humai- 
nes, n'auraient  pas  duré  longtemps. 

Quelle  que  soit  la  valeur  de  la  thèse  que  je  viens  de  soutenir,  un 
important  jalon  n'en  reste  pas  moins  posé.  Un  monument  authen- 
tique établit  d'une  manière  irréfragable,  qu^entre  les  IIP  et 
IV*  siècles  de  notre  ère,  l'orfèvrerie  cloisonnée,  telle  que  les  Bar- 
bares les  communi([uèrent  aux  Occidentaux,  était  florissante  en 
Perse.  Cette  industrie  y  prit-elle  naissance?  L'y  cultiva-t-on  de 
longue  date  ?  Quels  peuples  la  révélèrent  aux  L*aniens  ?  Les  cha- 
pitres suivants  traiteront  ces  divers  points. 

C.  DE  LiNAS. 

(La  suite  au  prochain  numéro.) 

de  lion  arrachées;  \)\.  185,  rosaces  peut-être  gemmées  :  têtes  et  rosaces  se  voient 
à  Nâckch-i-Rouàtam.  J'ai  encore  remarqué  des  masques  humains  au  harnache- 
ment du  cavalier  sassanide,  ligure  sur  un  plat  du  musée  de  l'Ermitage  à  une 
époque  moins  reculée.  Compte-rendu  de  lu  Commiss.  imp.  ardiéol.  russe,  1867, 
pl.  3,  fig.  1. 


EGLISE  DU  YŒU  NATIONAL  AU  SACRÉ-CCEUR 


La  commission  nommée  par  Mgr  le  Cardinal  Archevêque  de  Paris  et 
constituée  en  jury  pour  apprécier  les  plans  du  concours,  a  terminé  son 
travail,  et  comme  cette  Revue  l'a  annoncé,  le  premier  prix  a  été  décerné  à 
M.  Abadie,  au  troisième  tour  de  scrutin,  par  12  voix  sur  18. 

Le  jurv  n'avait  qu'à  chercher  parmi  les  cent  et  quelques  projets  pré- 
sentés, quels  seraient  les  plus  méritants  et  en  même  temps  quels  seraient 
ceux  qui  auraient  le  mieux  su  interprêter  les  conditions  du  programme. 
Le  rapport  de  M.  Duc  nous  fait  connaître  que  le  travail  du  jury  a  été  fait 
avec  soin  et  impartialité  ;  il  a  dû  procéder  par  voie  d'élimination  pour  ne 
conserver  que  dix  projets,  dont  le  premier  nommé  fut  celui  de  M.  Abadie. 


Tous  ces  projets  ont  été  exposés,  et  si  le  public  n'a  pas  complètement 
ratifié  le  jugement  du  jury,  c'est  que  le  public,  peu  initié  aux  secrets  du 
métier,  ne  juge,  lui,  que  sur  l'aspect  des  projets  et  fort  peu  sur  les  détails 
de  construction.  Nous  avons  recueilli  ainsi  des  appréciations  et  même  des 
regrets  dont  nous  ne  sommes  ici  que  l'écho  désintéressé. 

Tout  d'abord,  en  examinant  ces  projets,  on  se  demande  à  quelle  école 
appartiennent  leurs  auteurs,  ou  si  réellement  il  existe  en  France  une  école 
d'architecture  ?  Car  les  œuvres  exposées  ne  sont  que  des  réminiscences 
plus  ou  moins  bien  réussies  des  constructions  hybrides  du  Bas-Empire  et 
des  siècles  de  décadence. 

L'enseignement  officiel  de  l'architecture  se  borne  à  la  partie  matérielle, 
fort  essentielle  sans  doute,  de  l'art  de  construire,  et  à  une  perfection  des 
procédés  graphiques,  inconnue  même  aux  grands  architectes  de  la  Renais- 
sance. Nos  constructeurs  modernes  ont  à  leur  disposition  une  armée  d'ap- 
pareilleurs d'une  habileté  rare;  plusieurs  de  nos  meilleurs  architectes  ont 
même  passé  par  cette  école  pratique  de  la  construction.  Tous  leurs  pro- 
duits sont  parfaits,  quoiqu'un  peu  cher.  Une  église  coûtant  plusieurs  mil- 


20  ÉGLISE   DU    VOEU   NATIONAL   AU    SACRÉ-CŒUR 

lions,  n'est  pas  chose  rare  à  Paris.  Le  nouvel  Opéra,  «  la  cathédrale  du 
paganisme,  »  aura  coûté  cinquante  millions  après  son  achèvement!  Mais 
de  style,  point  ;  de  règles  fixes  et  appuyées  sur  l'esthétique,  point  ;  de 
l'inspiration  catholique  et  nationale,  point. 


* 

*  * 


On  a  accusé  l'archéologie  d'être  pour  quelque  chose  dans  cette  confusion 
des  styles  qui  tend  à  faire  école  et  avec  laquelle  on  a  la  prétention  de 
a  faire  du  neuf.  »  ' 

L'archéologie,  si  elle  a  quelques  torts,  ne  les  a  pas  tous;  c'est  une 
science  toute  moderne  qui  n'a  pas  dit  son  dernier  mot;  elle  s'est  bornée 
jusqu'à  présent  à  une  aride  classification,  assignant  à  chaque  âge  et  pres- 
que à  chaque  règne  son  style  d'architecture,  au  moyen  d'un  vocabulaire 
un  peu  barbare,  mais  enfin  aussi  intelligible  que  possible.  Quant  à  l'esthé- 
tique appliquée  aux  monuments,  quant  à  leur  raison  d'être  dans  la  vie 
des  peuples,  elle  a  tout  à  faire.  Déjà  cependant  des  études  sérieuses  se 
produisent,  et  la  Revue  de  l'Art  chrétien  est  entrée  largement  dans  cette 
voie  ;  on  peut  donc  espérer,  dans  un  avenir  prochain,  voir  se  former  un 
corps  complet  de  doctrines  complémentaires  de  la  classification. 

Quoi  qu'il  en  soit,  et  gi'àce  à  la  classification,  le  public  s'est  d'abord  en- 
goué du  style  gothique  fleuri  du  XY=  siècle.  Quelques  architectes  le  ra- 
menaient facilement  au  style  plus  sévère  du  règne  de  saint  Louis  ;  mais 
d'autres  constructeurs  se  passionnaient  pour  le  style  roman  auvergnat, — 
très-faussement  désigné  sous  le  nom  de  romano-byzantin,  —  quelques 
artistes,  au  contraire,  penchaient  pour  les  monuments  du  midi  ;  d'autres 
enfin  pour  le  roman  bourguignon,  tandis  que  l'art  païen  de  la  renaissance 
captivait,  de  son  côté,  nombre  de  bons  esprits. 

Il  résulta  de  ces  tendances  diverses  une  sorte  de  compromis  architec- 
tural dont  l'église  de  la  Trinité,  à  Paris,  est  un  spécimen  complet,  Deux  ou 
trois  autres  grandes  églises,  comme  celle  de  Sainte-Marie  de  Belleville, 
Saint- Ambroise,  etc.,  construites  en  style  cintré  h^'bride,  viennent  à  l'ap- 
pui de  notre  observation. 

Somme  toute,  on  est  déjà  loin  des  églises  ogivales  de  Sainte-Clotilde, 
de  Montmartre  et  autres.  Ce  style,  malgré  les  beaux  types  conservés  à 
Paris  et  dans  les  diocèses  voisins,  est  décidément  condamné  et  abandonné, 
à  la  province,  quand,  toutefois,  les  architectes  officiels  ne  refusent  pas  de 
s'y  soumettre,  même  lorsqu'il  s'agit  seulement  de  restaurations  ou  d'achè- 
vement d'édifices. 


* 
*  * 


ÉGLISE    DU    VŒU    NATIONAL   AU    SACRÉ-COEUR  21 

On  désirait  donner  à  l'église  votive  du  Sacré-Cœur  un  caractère  essen- 
tiellement chrétien  ;  et  pour  cela  ne  fallait-il  pas  chercliei-  dans  notre  archi- 
tecture nationale  le  type  qui  répondît  le  mieux  aux  traditions,  aux  aspi- 
rations chrétiennes  de  la  France  catholique  et  en  même  temps  aux  conve- 
nances de  situation  ou  de  chmat?  Le  programme  du  concours  laissait 
pleine  liberté  aux  concurrents  ;  l'ampleur  de  l'emplacement  donnait  égale- 
ment toute  latitude.  D'où  vient  donc  qu'on  a  laissé  de  côté  le  type  de  l'ar- 
chitecture si  religieuse  et  si  française  du  règne  de  S,  Louis,  pour  s'inspirer 
des  églises  à  coupoles  du  bas-empire  et  de  la  décadence  arcliitecturale. 
Saint-Marc  de  Venise,  Sainte-Sophie  de  Constantinople,  Saint-Front  de 
Périgueux,  peuvent  à  bon  droit  passionner  les  archéologues,  mais  ne 
sauraient  constituer  des  modèles  lorsqu'il  s'agit  d'élever  un  monument 
religieux  à  Paris. 

Les  églises  à  coupoles  du  midi  de  la  France,  dont  deux  exemples  seule- 
ment sont  à  consulter,  à  Périgueux  et  à  Angoulème,  sont  des  monuments 
qui  étonnent  bien  plus  par  la  masse  accumulée  de  porte-à-faux,  de  penden- 
tifs et  de  voûtes  sphériques,  que  par  la  beauté  des  lignes,  l'élancement 
des  flèches.  C'est  un  style  massif  et  lourd  qui  semble  fait  pour  servir  à  une 
nécropole  funèbre  plutôt  qu'à  une  église. 

* 

Ces  réflexions  et  bien  d'autres  encore,  inutiles  à  consigner  ici  parce 
qu'elles  nous  mèneraient  trop  loin,  nous  étaient  inspirées  en  revovant, 
réunis  en  un  magnifique  album  par  les  procédés  photographiques,  les 
projets  des  dix  premi  rs  concurrents  pour  l'église  du  Sacré-Cœur,  ainsi 
classés  : 

1°  M.  Abadie,  l""^  prix  ;  2»  MM.  Davioud  et  Lameire;  3°  M.  Cazeaux; 
4°  MM.  Douillard  frères  ;  5°  MM.  Bernard  et  Tournadre  ;  G°  M.  Coisel  ; 
7°  M.  Moyaux;  8°  M.  Roux;  9»  MM.  Raulin  et  Dillon  ;  10°  M.  Pascal. 

Cet  album  est  précédé  du  rapport  détaillé  sur  les  opérations  du  jury;  il 
est  à  la  disposition  des  amateurs  moyennant  le  prix  de  25  fr.  versé  à  la 
caisse  des  souscriptions. 

Nous  ne  suivrons  pas  M.  le  rapporteur  dans  l'examen  détaillé  de  cha- 
que projet.  Nous  avons  donné  notre  appréciation  générale  sur  le  choix 
du  style  adopté  généralement  par  les  concurrents  ;  nous  nous  bornerons 
à  quelques  observatio:  s  de  détails. 


M.  Abadie,  premier  prix,  a  exposé  un  projet  dont  le  plan  a  tout  d'abord 
séduit  la  commission,  et  c'est  cette  heureuse  disposition  d'ensemble  qui  lui 


ÉGLISE    DU    VŒU    NATIONAL   AU    SACRÉ-CŒUR  23 

a  valu  la  palme,  accompagnée  de  quelques  critiques.  Nous  nous  permet- 
trons à  notre  point  de  vue  quelques  observations  qui,  certainement,  n'a- 
moindriront en  rien  le  mérite  incontestable  de  Féminent  architecte,  mais 
qui  serviront  à  prouver  combien  il  faut  dans  les  arts  et  surtout  en  archi- 
tecture, se  défier  des  partis  pris. 

M.  Abadie,  séduit  par  ses  études  sur  les  églises  en  style  cintré  du  midi 
et  surtout  sur  les  églises  à  coupoles,  est  tombé  dans  l'exagération  inévita- 
blement attachée  aune  prédilection  exclusive. 

Disons  d'abord  que  les  neuf  autres  projets  sont  tous  plus  ou  moins  en- 
tachés de  ce  même  parti  pris,  nullement  imposé  par  le  programme  et  pour 
lequel  les  concurrents  semblent  s'être  donné  le  mot  :  Voulez-vous  des 
coupoles,  on  en  a  mis  partout  :  ovoïdes  ou  en  plein-cintre,  pyramidales 
ou  surbaissées. 

Ainsi  le  projet  Abadie  contient  à  lui  seul  vingt-huit  à  trente  coupoles  ou 
dômes  ovoïdes  grands  ou  petits.  Les  autres  projets  en  sont  beaucoup  moins 
prodigues.  M.  Moyaux  a  eu  l'idée  originale  de  transformer  son  dôme  prin- 
cipal en  tiare  pontificale  ornée  de  ses  trois  couronnes. 

MM.  Raulin  et  Dillon,  n'aiment  ni  les  formes  arrondies  ni  les  dûmes  à 
coupoles;  leur  projet  qui  a  attiré  l'attention  de  la  commission  et  mérité 
ses  éloges,  est  plus  particulièrement  anguleux.  L'élévation  vue  de  face  est 
d'un  bel  effet;  le  dôme  principal  est  remplacé  u  par  une  vaste  et  riche 
construction  pyramidale,  espèce  de  phare  religieux  destiné  à  être  aperçu 
à  une  grande  distance  et  qui  doit  produire  un  effet  puissant  et  original.  » 
{Termes  du  rapport). 


* 

*  * 


Autre  particularité  :  presque  tous  les  concurrents  se  sont  entendus  pour 
adopter  des  murs  à  zones  alternées  brunes  et  blanches.  Ce  parti,  acceptable 
tout  au  plus  pour  les  soubassements,  produit  le  plus  mauvais  effet  dans 
l'ensemble  d'un  monument  de  cette  dimension.  On  a  déjà  l'expérience  que 
cet  expédient,  né  de  la  nécessité  de  voiler  la  nudité  d'une  arcliitecture  à 
grandes  surfaces,  sans  profils,  est  du  plus  triste  effet  :  voir  la  cathédrale 
inachevée  de  Marseille. 

Espérons  que  la  commission,  qui  s'est  réservé  le  droit  de  faire  modifier 
le  projet  primé,  —  art.  21  du  programme,  —  saura  en  élaguer  tout  ce  qui 
ne  serait  pas  d'un  ^oùi  irréprochable.  Ainsi  pour  le  projet  Abadie,  dont  la 
façade  a  été  critiquée  dans  le  rapport  du  jury,  on  fera  certainement  modi- 
fier le  porche,  qui  par  sa  ressemblance  avec  l'atrium  d'une  bourse  ou 
d'une  salle  de  théâtre  détruit  tout  l'effet  de  la  façade. 

On  modérera  aussi  l'exubérance  des  coupoles,  et  on  engagera  M.  Aba- 


24  ÉGLISE    DU    vœu    NATIONAL    AU    SACRH-CŒUR 

die  à  faire  disparaître  le  campanille  élevé  sur  la  chapelle  absidale  de  la 
Vierge  ;  construction  qui  écrase  et  domine  l'édifice  et  en  détruit  l'harmonie. 
Les  autres  concurrents  ont  bien  su  loger  les  cloches  sur  la  façade  et  échap- 
per à  cette  difficulté  du  programme,  pourquoi  M.  Abadie  en  redessinant 
sa  façade  n'en  ferait-il  pas  autant?  Sa  chapelle  de  la  Vierge  y  gagnerait 
et  la  caisse  de  la  commission  également. 


* 
*  * 


En  résumé,  avec  le  plan  de  M.  Abadie,  le  porche  de  MM.  Davioud 
et  Lameire  (2°  prix),  les  détails  de  M.  Cazeaux  (3«  prix),  les  idées  de 
MM.  Raulin  et  Dillon  {n°9)  et  des  autres  concurrents,  on  pourra  produire, 
comme  le  dit  le  rapporteur,  un  monument  original,  grandiose  même,  et 
remplissant  suffisamment  les  conditions  du  programme  ;  mais  quant  à  un 
style,  il  n'y  en  aura  pas,  car  on  ne  peut  pas  plus  rebâtir  à  Montmartre 
Saint-Front  de  Périgueux,  Saint-Marc  de  Venise,  qu'une  réduction  de 
Saint-Pierre  de  Rorne  ou  une  seconde  édition  du  dôme  de  Sainte-Gene- 
viève. 

Nous  livrons,  sans  autre  commentaire,  ces  réflexions  et  ces  critiques 
aux  esprits  impartiaux  et  désintéressés,  qui  suivent  avec  intérêt  et  non 
sans  une  certaine  tristesse  les  phases  diverses  par  où  passe  à  notre  épo- 
que l'art  architectural  religieux. 

Que  d'autres  constatent  son  progrès  ;  pour  nous,  pessimistes,  nous 
constatons  sa  déchéance  au  point  de  vue  du  spiritualisme,  et  nous  som- 
mes forcés  de  dire  que  le  concours  de  l'église  du  Sacré-Cœur  n'a  fait  que 

confirmer  nos  inquiétudes  et  nos  regrets. 

Petrus  Schmidt. 

P.  S.  —  Depuis  la  rédaction  déjà  ancienne  de  cet  article,  nous  avons 
appris  que  la  commission  a  fait  supprimer  ou  modifier  le  campanille  du 
projet  Abadie  dont  nous  parlons  plus  haut  ;  espérons  que  les  autres  recti- 
fications viendront  aussi  donner  à  ce  monument  un  caractère  à  la  fois 
grandiose  et  religieux. 


REVUE  DE    L'ART   CHRETIEN 


1 


^ 


^?f  iilrlIliîTl 


1 


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Ih.  r)es.nvai7 ,  Arras 


es^vaiy 


INSCRIPTION  MEROVINGIENNE  DE  VICQ 


SUR  UNE  PIERRE  TUMULAIRE 

PORTANT  LES  MOTS 

CHRISTVS  HIC   EST 


Je  n'ai  que  trop  souvent  constaté,  en  étudiant  les  premières  inscriptions 
chrétiennes  de  notre  sol,  combien  la  négligence,  le  mauvais  vouloir  même 
avaient  laissé  ou  fait  disparaître  de  monuments  épigraphiques.  A  peine 
quelques-uns  de  ceux  qu'ont  vus  ou  enregistrés  Séguier,  au  dernier  siècle, 
Millin,  au  début  de  celui-ci,  nous  ont-ils  été  conservés.  J'ai  retrouvé  à 
Lyon  dans  les  marches  d'un  escalier  de  jardin,  et  racheté  pour  la  sauver, 
une  épitaphe  importante  par  son  texte,  par  sa  date,  et  que  le  savant  abbé 
Lebeuf  avait  autrefois  fait  graver  et  insérer  dans  les  Mémoires  de  l'Aca- 
démie des  inscriptions*.  Quelques-uns  même  des  marbres  que  j'ai  vus  et 
copiés  dans  mes  voyages  en  France,  et  dont  je  conserve  des  estampages, 
sont  ou  paraissent  perdus  sans  retour.  Une  nombreuse  série  d'inscriptions 
chrétiennes  trouvées  dans  les  fouilles  du  chemin  de  fer,  à  Vienne,  a  été 
brisée  et  enfouie  à  dessein  dans  le  remblai  de  la  voie.  L'œuvre  de  des- 
truction se  continue,  et  le  monument  dont  je  vais  parler  nous  en  fournit 
malheureusement  la  preuve. 

11  y  a  plusieurs  années  déjà,  M.  Gustave  Lapérouse,  membre  correspon- 
dant de  la  Société  des  Antiquaires  de  France,  a  bien  voulu  me  faire  sa- 
voir qu'une  épitaphe  antique  portant  ces  seuls  mots  :  Christus  hic  est, 
venait  d'être  trouvée  à  six  kilomètres  de  Châtillon-sur-Seine,  sur  la  mon- 
tagne de  Vix  qui  domine  Pothières,  et  près  du  lieu  où  avait  été  découverte 
autrefois  une  inscription  métrique  datée  de  la  fm  du  cinquième  siècle  -. 
M.  Lapérouse,  qui  s'était  borné  à  me  faire  connaître  la  teneur  singulière 
de  la  légende,  m'en  avait  fait  espérer  une  copie  exacte,  que  des  circons- 
tances particulières  ne  lui  ont  pas  permis  de  me  faire  parvenir. 

'  luscnptions  chrétiennes  de  la  Gaule,  n»  i4  et  Préface,  p.  cxxxi. 

Ile  série,  tome  II.  3 


26  SUR    UNE    PIERRE    TL'MULAIRK 

Pour  ne  point  laisser  une  lacune  dans  les  matériaux  déjà  nombreux 
d'un  supplément  à  la  collection  de  nos  inscriptions  chrétiennes,  j'ai 
demandé  à  M.  Ronot,  bibliothécaire  de  Châtillon-sur-Seine,  des  rensei- 
gnements sur  la  pierre  de  Vix  et,  s'il  se  pouvait,  un  estampage.  La  réponse 
de  l'obligeant  bibliothécaire  m'a  fait  voir  une  fois  de  plus  combien  il 
importe  de  dessiner,  dès  qu'ils  paraissent,  les  monuments  que  nous  ren- 
dent les  fouilles  ;  l'inscription  était  déjà  perdue  ;  trop  grande  pour  pouvoir 
être  placée  à  l'intérieur  de  la  bibliothèque,  la  pierre  avait  été  déposée 
dans  une  cour  et,  des  maçons  l'y  avaient  prise  pour  l'employer  avec 
d'autres  débris  antiques  dans  les  murs  d'une  reconstruction.  Une  copie  du 
monument,  soigneusement  relevée  par  M.  Jules  Beaudouin,  juge  de  paix 
à  Châtillon-sur-Seine  et  membre  de  la  Société  géologique  de  France, 
existait  toutefois,  par  bonheur,  et  M.  ilonot  voulut  bien  se  charger  de 
m'en  faire  obtenir  un  calque.  Je  reçus  en  même  temps  de  M.  Beaudouin 
quelques  indications  sur  le  lieu  et  les  circonstances  de  la  découverte.  L'é- 
pitaphe  avait  été  déterrée  sur  la  montagne  de  Vix  que  les  anciens  titres 
désignent  sous  le  nom  de  Mont-Lassois  dérivé  de  celui  de  Lastico,  oppi- 
dum autrefois  construit  sur  le  plateau.  Ce  fut  là  qu'à  la  suite  de  l'invasion 
des  Huns,  se  retira  l'évêque  S.  Loup,  de  Troyes,  pour  y  rassembler  son 
troupeau,  effrayé  d'habiter  une  ville  sans  défense  '  ;  ce  fut  là  que  s'éleva 
plus  tard  le  château  de  Roussillon,  auquel  doit  son  surnom  le  comte 
Gérard,  célèbre  dans  l'épopée  mérovingienne,  et  qui  fonda  l'abbaye  de 
Pothières  '  ;  une  église  se  trouve  en  cet  endroit  au  centre  d'un  cimetière 
où  l'on  rencontre  à  la  fois  des  instruments  de  pierre  taillée,  de  bronze, 
des  sarcophages  mérovingiens  ',  et  qui  sert  encore  de  lieu  de  sépulture 
aux  communes  de  Vix  et  d'Entrochy. 

Les  tombes  anciennes  qu'on  y  a  retrouvées  étaient  recouvertes  de  dalles 
taillées  en  dos  d'âne,  sauf  une  seule  que  fermaient  deux  pierres  plates 
dont  l'une,  offrant  des  traces  d'un  emploi  antérieur,  portait  le  mono- 
gramme du  Christ,  avec  l'inscription  reproduite  par  notre  planche. 

Cela  dit  pour  mettre  sous  les  yeux  du  lecteur  la  série  des  témoignages 
relatifs  à  un  monument  aujourd'hui  disparu,  je  m'occuperai  des  mots  qui 
y  figurent. 

Les  marbres  funéraires  ne  nous  ont,  si  je  ne  me  trompe,  fourni  encore 

*  Bolland.,  ÎOjul.,  Acta  antiqua  S.  Lupi,  §  5. 

-  Paulin  Paris,  les  Manuacrits  f>  ançuis  delà  bibliothèque  du  Roi,  t.  YI,  p.  103- 
109  ;  Gérard  de  Roussillon,  Lyon,  Perrin,  1856,  Préliminaires  historiques;  Ins- 
criptions chrétiennes  de  lu  Gaule,  no  1 . 

'  Voir,  pour  ces  tombes,  une  note  de  M.  Ed.  Flouest  insérée  dans  le  Bull,  de 
la  Soc.  des  Antiquaires  de  France,  1870,  p,  8i. 


SUll    LNE    PIEURE    TUMULAIRE  27 

aucune  formule  que  Ton  puisse  rapprocher  de  cette  brève  légende.  Si 
loin  que  je  puisse  chercher,  je  ne  lui  trouve  d'autres  analogues  que  ces 
mots  écrits,  raconte  Diogène  Laerce,  sur  une  maison  grecque  :  Hercule 
habite  ici  ;  que  rien  de  tnauvais  n'y  entre!  '  et,  aux  temps  chrétiens,  cette 
autre  inscription  qui,  tracée  sur  les  portes  des  maisons  d'Antioche,  suffît, 
dit  Nicéphore  Calliste.  pour  arrêter  les  désastres  d'un  tremblement  de 
terre  :  Le  Christ  est  avec  nous  ;  arrêtez  !  * 

Qu'Hercule,  Dieu  Alexicacos,  comme  nous  le  voyons  si  souvent  nommé', 
que  le  Seigneur  aient  été  invoqués  pour  sauvegarder  l'habitation  des 
hommes,  le  fait  n'a  pas  besoin  d'être  exphqué;  mais,  si  la  brève  inscrip- 
tion de  Vix  a,  comme  j'incline  à  le  croire,  d'après  ce  double  exemple,  été 
gravée  pour  faire  connaître  que  le  Christ  protège  le  défunt,  deux  questions 
s'offrent  ici  tout  d'abord  :  comment  le  Seigneur  peut-il  être  présent  dans 
la  tombe  d'un  fidèle  ?  contre  quelles  attaques  le  mort  doit-il  être  gardé 
dans  son  sépulcre  ? 

Avant  l'heure  de  la  résurrection  et  du  jugement  suprême,  le  pécheur, 
répétaient  les  anciens,  pouvait  souffrir,  dans  son  corps  même,  de  cruels 
tourments.  Le  démon,  par  la  permission  de  Dieu,  ou  des  anges  terribles, 
ministres  de  sa  justice*,  faisaient  expier,  dès  la  mort,  les  crimes  ou  les 
fautes  de  la  vie.  Des  faits  qui  répandaient  l'épouvante  se  racontaient 
parmi  les  chrétiens.  Ici,  c'était  un  débauché  dont  la  flamme  avait  fouillé 
la  tombe  et  anéanti  les  restes  ^  ;  là,  une  religieuse  indigne  arrachée  de  sa 
couche  mortuaire  et  à  demi  consumée  par  le  feu*^;  des  morts  criaient  du 
fond  de  leurs  tombeaux  que  la  flamme  les  dévorait  '  ;  un  autre  gémissait 
et  suppliait  le  Seigneur  de  le  délivrer  du  démon*.  A  Milan,  un  impie  avait 
été  enterré  dans  une  église;  la  nuit  suivante,  on  entendit  le  bruit  d'une 

1  In  Diogen.,  YI,  .-iO  ;  cf.  VI,  39  ;  Clem.  Alex.  Strom.  VII,  4;  Theodoret.  Ser- 
mo  VI,  de  Providentia  (éd.  Paris,  t.  IV,  p.  564). 

2  L.  XVII,  c.  3  (éd.  Fronto  Duc.  t.  II,  p.  735). 

*Lucian.  'AXextouojv,  §  2  ;  Lactant.  Instit.  div.  V,  3;  Caryophillus,  De  thermis 
■  Eercul.,  p.  31;  Orelli,  n°«  901,  9il,  1536,  -1537;  Corpus  inscr.  grœc,  no 
5989,  etc. 

4  Hûbner,  Inscr.  Hi^p.  christ.,  n°  253  :  VT  NON  PERMITTAS  INTROIRE  AN- 
GELVM  PERCVTIENTEM  :  cf.  i  Paralip.  XXXII,  21  :  Et  misit  Dominas  ange- 
lum  qui  percussit  omnem  viruin  robustum,  etc.  ;  Eulog.  Memor  Sanctor.,  L.  II, 
c.  16  :  Angelo  peroutiente. . . 

»  Gregor.  Magn.  Dialog.  L.  lY,  c.  32. 

«IJ.  IV,  51. 

'  Gregor.  Turon.  De  Gloria  marUjr.  c.  CVi . 

*  Gregor.  Tuvoi!.  Vilœ  Patrum,  c.  XVl. 


28  SiLR    UNE    PIKRRK    TUMULAIRE 

lutte  engagée  dans  le  sanctuaire  ;  deux  esprits  à  face  terrible  avaient  lié 
les  pieds  du  cadavre,  l'entraînaient  malgré  ses  clameurs  et  le  jetaient 
hors  de  l'enceinte  sacrée'. 

Ainsi  prend  corps  et  se  dramatise,  sous  la  plume  de  deux  saints  Pères, 
Grégoire  de  Tours  et  Grégoire  le  Grand,  une  croyance  déjà  bien  ancienne  ; 
dès  avant  l'âge  oîi  nous  reportent  leurs  écrits,  les  chrétiens  redoutaient 
pour  leurs  restes  les  attaques  du  démon.  «  C'est  là,  dit  saint  Maxime  de 
Turin,  «  une  crainte  que  nos  ancêtres  nous  ont  transmise  *.  »  Le  temps  ne 
devait  pas  la  faire  disparaître.  Au  1X%  au  X"  siècle,  cette  persuasion  de- 
meura vivante.  On  raconte  aux  fidèles  épouvantés  la  terrible  légende  du 
dragon  torturant,  dans  le  sépulcre,  un  prince  impie  ^  Longtemps  après, 
Guillaume  Durand,  Théodore  Balsamon  répètent  que  les  démons  s'achar- 
nent sur  nos  restes  misérables  \ 

Le  Seigneur  et  ses  Saints  pouvaient  seuls  assister  dans  la  tombe  le  chré- 
tien que  ne  couvre  plus  alors  le  bouclier  de  la  prière.  La  croix  *,  les  reli- 
ques ^  auprès  desquelles,  dit  saint  Jérôme,  les  esprits  de  l'abîme  rugissent 
impuissants,  l'eau  consacrée  par  la  bénédiction  ^  tout  ce  qui  avait,  pen- 
dant la  vie,  défendu  le  fidèle  contre  l'enfer,  devait  encore  après  le  trépas 
être  sa  protection  et  son  appui. 

Nous  avons  vu  les  attaques  du  démon  :  un  récit  de  Grégoire  de  Tours 
nous  montre  son  impuissance  et  sa  défaite.  C'était,  dit  l'historien,  au  temps 
de  saint  Nizier  ;  une  cruelle  épidémie  avait  fondu  sur  Trêves  et  le  prêtre 
de  Dieu  implorait  pour  son  troupeau  décimé  la  miséricorde  céleste.  Tout 
à  coup,  au  milieu  de  la  nuit,  on  entendit  un  bruit  terrible,  retentissant 
comme  un  tonnerre  ;  la  ville  allait,  semblait-il,  s'écrouler.  Le  peuple,  s'é- 
veillant  plein  d'épouvante,  attendait  la  mort,  lorsque,  dans  ce  fracas,  une 

^  Gregor.  Magn.  Dialog.  L.  IV,  c.  53. 

2  Homil.  LXXXI. 

3  Baluz.,  CapituL,  T.  II,  p.  109  et  779;  Flodoard,  L.  II,  c.  12. 

^  Durandus,  Rationale  divin,  offic,  L,  Yll,  c.  35,  §  37,  38,  39;  Theodorus 
Balsamon,  Commentar.  in  Canon.  Jpost.  et  Concil.  In  can.  LXXXVI,  Conc. 
Trull. 

»  Morcelli,  Kalend.  Constant,  1. 1,  p.  231  ;  Duchesne,  t.  II,  p.  87  ;  Bolland.  t.  III, 
raart.  col.  138,  §  5  ;  Allegr.  Opusc,  p.  59;  De  Rossi,  Bull.  arch.  crist.  Aprile, 
1863  ;  l'abbé  Cochet,  Sépultures,  p.  312,  etc. 

"  Theodoret.  Philolh.,  c.  XXI  ;  Sozom.  Hist.  EccL,  IX,  11  ;  Duchesne,  t.  II,  p. 
87  ;  Bosio,  Roma  Sott.,  p.  105;  Mabillon,  Acta  SS.  ord.  Bened.,  Saec.  III,  pars 
II,  p.  165  ;  De  Rossi,  loc.  cit.,  etc. 

7  Durandus.  loc.  cit.;  Bosio,  Roma  Sotteranea^  p.  20  ;  Lupi.  Disseriazioniy  1. 1, 
p.  76,  77. 


SUR    UNE   PIERRE   TUMULAIRE  29 

voix  fut  entendue  au  milieu  d'autres  :  «  Compagnons,  disait-elle,  que  fe- 
<  rons-nous  ici?  A  une  porte,  veille  S.  Euchaire  ;  à  l'autre,  S.  Maximin  ; 
«  et  voici  que  Nizier  se  tient  au  milieu  de  la  ville  ;  il  nous  faut  la  laisser 
«  à  leur  garde.  »  A  ces  paroles,  le  mal  s'arrêta  et  ne  fit  plus  de  victimes 
à  Trêves  ^ 

Ce  secours  que  la  Rome  des  Gaules  reçut  ainsi  des  reliques  de  ses  an- 
ciens pasteurs,  des  prières  de  celui  qui  leur  avait  succédé,  les  chrétiens 
l'espéraient  pour  leurs  tombes  de  la  présence  des  choses  saintes,  cherchant 
ainsi,  comme  le  disent  les  inscriptions,  une  protection  pour  leur  dépouille 
mortelle,  en  môme  temps  qu'un  patronage  pour  leur  âme  -. 

C'était  par  la  vertu  du  Christ  que  s'obtenait  ce  merveilleux  secours  ; 
aussi,  plus  d'un  parmi  nos  pères,  voulut  demander  au  Seigneur  même  de 
l'assister  dans  le  tombeau.  Là,  comme  ailleurs,  devait  être  tout  puissant 
celui  dont  la  présence  tient  les  démons  enchaînés  à  la  porte  des  sanc- 
tuaires '.  Son  corps  vénéré  devait  accomplir  partout  le  même  miracle  ; 
et  ce  corps,  n'était-ce  pas  la  sainte  Eucharistie?  Au  miUeu  de  tant  de 
textes  qui  l'affirment,  l'une  de  nos  anciennes  inscriptions,  celle  d'Autun, 
nous  dit  que  le  fidèle,  recevant  du  prêtre,  suivant  l'usage  des  premiers 
siècles,  les  espèces  eucharistiques,  tient  en  ses  mains  le  divin  'I^Ouç  '*  ; 
puis,  par  une  expression  qui  rappelle  celle  de  l'épitaphe  si  laconique  dont 
je  cherche  à  pénétrer  le  sens,  saint  Optât  dit  qu'en  renversant  ces  autels 
que  chaque  consécration  eucharistique  fait  la  demeure  du  Fils  de  Dieu,  les 
donatistes  ont  frappé  le  Christ  lui-même  qui  y  réside  *.  L'hostie  est  donc 
le  Seigneur  en  personne,  ainsi  que  l'Eglise  Ta  enseigné  parla  parole,  par 
les  écrits  des  Pères,  la  liturgie,  les  monuments.  Swjxa  XptcToïï,  disait,  aux 

'  Gregor.  Turon.  f'itœ  Pairum,c.  XVII,  §  4. 

'-Gazzera,  Iscriz.  crist.  ciel  Pîcw.,  p.  80,  MARTYRIBVS  DOMINI  ANIMAM 
CORPVSQVE  TVENDO  |  GRATIA  COMMENDANS  ÏVMVLO  REQVIESCIT  IN 
ISTO  I  SILVIVS,  etc.;  p.  102,  GOM.  MEN.  DANS.  SANG.  TIS.  ANIMAM.  COR- 
PVSQVE FOVENDV. 

*  S.  Chrysost.Homil.  de  S.  Marlyrib.  ^^:  'E^oj  ty;?  l>cxXr,(7ia<;  â'axvjxevô  ôiàêoXo;- 
sU  yàp  Trjv  îspàv  TauTYiv  (xavSpav  elaeXOeïv  où  ToXixa. 

*  Inscriptions  cJirét.  de  la  Gaule,  n°  4.  Voir  encore  peur  l'identiflcation  du 
Ghrist  et  des  espèces  eucharistiques,  le  fait  miraculeux  rapporté  par  S.  Cyprien 
(De  lapsis,  c.X)iM). 

*  S.  Optât.  De  schismate  Donutist.,  lib.  VI  :  «  Quid  vos  olfenderat  Ghristus, 
cujus  illic  per  certa  tnomenta  corpus  et  smiguis  habiiabat  ? .  .  .  Dum  impie  per- 
sequimini  manusnostras  illic  vbi  corpus  Chrisii  hahitahat  feristis  et  vestras.  Hoc 
modo  Judaîos  estis  imitati  :  illi  injcccfunt  uuuius  Glitisto  'm  riuce,  a  vohis  percus- 
sus  est  in  altari.   » 


30  SUR    UNE    PIERRE    TUMULAIRE 

temps  antiques,  l'évêque  donnant  la  communion  '  ;  aux  Catacombes,  les 
fresques  des  galeries  primitives  offrent  souvent  l'image  du  poisson  unie  à 
celle  du  pain,  du  vin  eucharistiques  %  association  mystérieuse  que  saint 
Chrysostome  explique  et  affirme  par  ces  mots  si  fréquents  dans  ses  dis- 
cours, lorsqu'il  parle  de  la  table  sainte  et  qui  une  fois  encore  nous  rame* 
nent  à  la  formule  inscrite  sur  la  pierre  de  Vix  :  «  Le  Christ  est  là.  Le 
Christ  est  présent.  Ilapetîri'v  ô  Xpiorroç.  ïlapsaTiv  ovT(o;  *.  »  Nos  ancêtres  l'a- 
vaient compris,  et,  comme  tant  d'autres  choses  saintes,  des  oblata  furent 
placées  sur  la  poitrine  des  morts,  afin  de  leur  assurer  le  repos  dans  la 
tombe.  Du  VPau  X^  siècle,  le  fait  est  souvent  constaté,  et  un  récit  de  Gré- 
goire le  Grand  atteste  à  la  fois  l'existence  et  la  raison  d'être  de  cette  pra- 
tique. Un  jeune  moine,  coupable  de  désobéissance,  mourut  en  état  de  pé- 
ché. On  l'ensevelit;  mais  dès  le  lendemain,  la  tombe  avait  rejeté  le  ca- 
davre. Inhumé  de  nouveau,  il  fut  encore  une  fois  retrouvé  hors  de  sa 
sépulture.  On  accourut  auprès  de  l'abbé,  saint  Benoît,  en  le  suppliant  de 
pardonner  au  coupable.  L'homme  de  Dieu  remit  alors  à  ceux  qui  l'implo- 
raient le  pain  eucharistique.  ^  Allez,  dit-il,  déposez  avec  respect  le  corps 
«  du  Seigneur  sur  la  poitrine  du  mort  et  replacez  le  cadavre  dans  la 
«  tombe.  »  On  obéit,  et  dès  ce  moment  la  terre  conserva  les  restes  du  re- 
ligieux '*.  Le  Christ  était  avec  lui  dans  le  sépulcre;  il  était  là,  comme  le 
dit  notre  inscription,  et  le  défunt  était  gardé,  car  suivant  l'expression 
d'une  pensée  sur  laquelle  insiste  saint  Chrysostome  .  i  Oh  est  le  Christ, 
le  démon  n'ose  entrer  '°.  » 

Ainsi  me  paraissent  pouvoir  être  expliqués  les  mots  inscrits  sur  la 
pierre  de  Vix.  Déposé  dans  le  sépulcre,  le  pain  eucharistique  aurait,  si  je 
ne  fais  fausse  route,  rempli,  en  écartant  les  attaques  de  l'enfer,  le  rôle 
protecteur  dont  parle  Théodore  Balsamon  commentant  un  canon  ancien 

1  Constit.  Apostol.,\,  VIII,  c.  13. 

-  De  Rossi,  Roma  Sotterranea  crlstiana,  t.  I,  pars  VIT!  et  p.  323  ;  t.  II,  tav. 
XV,  no  1,  p.  340. 

^  Homîl.  I  in  prodit.  Judœ,  §  6  :  IlapîffTiv  ô  Xoicxo;,  xai  vuv  è/.eivoç  ô  tviv 
rpocTTS^av  oiaxocir/^Ga;,  outoç  xat  T'^ur/jv  oiciKOuu.zl  vuv.  Homil  in  Serayliim,  §  \  : 
"Orav  oOv  -r^  upaipaTiÉi^r,  TrponÉvat  y-ÉXXrjÇ,  vô[j.t(^f  exôï  nkI  tov  [iaciXéa  twv  aTtavTtov 
Ttapsîvai*  y.at  '{y.o  TrapïVxtv  ovroiç.  Voir  encore  Homil.  LXXXII  in  Mulh.  §  4;  Uo- 
mil.  XVII,  in  Ep.  ad  Hebr.  c.  X,  §  3. 

^  S.  Gregor.  Magn.,  Dialog.,  1.  II,  c.  24. 

'  Exposit.  in  Psalm.  XLI,  §  2  :  "Otîou  oï  ô  Xptato;,  oaîaojv  ulv  oùosiç  sttcIceX- 
Oîîv,  fxaXXov  oï  o\joï  ~i.'jr-/Jy\r<.  -.'jKyyr.ni'.t-r^-t,  Voir  encore  Homil.  de  SS.  mar 
tyrib.  §  i. 


SUR    UNE   PIERRE   TUMULAIRE  31 

sur  la  communion  donnée  aux  morts  *  et  qu'attribue  de  même  à  la  croix 
cette  inscription  de  l'Espagne  '  : 

ERVEIS  ALME 

FERO  SIGNV 

FVGIE  DEMON 

Avec  les  antiquaires  qui  l'ont  pu  voir,  j'estime  que  notre  monument  est 
de  l'époque  mérovingienne  ;  mais,  chercher  à  reconnaître  la  date  d'une 
inscription  dont  la  formule  ne  se  retrouve  nulle  part  ailleurs  serait,  à  coup 
sûr,  chose  hasardeuse,  et  je  me  bornerai  à  indiquer  les  éléments  d'appré- 
ciation qui  peuvent  nous  donner  quelque  lumière. 

S'il  s'agissait  ici  d'un  monument  étranger  à  notre  sol,  la  forme  des 
lettres  pourrait  laisser  penser  à  une  époque  antique  :  la  fin  du  IIP  siècle, 
par  exemple,  ou  le  début  du  IV^  ;  c'est  ainsi  que  le  E  carré  est  signalé  en 
301  sur  les  marbres  '  et  Ys  en  forme  de  F  s'y  rencontre  dès  l'an  295  *. 
Mais,  en  Gaule,  la  première  de  ces  lettres  ne  paraît  pas  avant  l'an  506; 
l'autre  se  trouve  sur  une  épitaphe  découverte  en  Bourgogne,  comme  celle 
dont  je  m'occupe,  et  qui  ne  saurait,  d'après  sa  formule,  être  antérieure 
à  la  fin  du  V^  siècle  '■'. 

C'est  seulement  vers  les  premières  années  de  cette  même  période  que 
commence  à  paraître,  dans  la  Gaule,  le  monogramme  -f  tracé  dans  notre 
légende  et  qui  contient,  avec  la  croix,  les  deux  premières  lettres  du  nom 
de  XpiCTÔ;  ®. 

Ces  données,  le  mode  d'exécution  des  caractères  gravés  sur  la  pierre 
de  Vix,  les  apices  du  monogramme,  me  portent  à  penser  que,  comme  la 
pierre  déjà  trouvée  près  du  même  lieu  et  que  j'ai  rappelée  plus  haut,  notre 
monument  appartient  à  la  fin  du  V  siècle. 

Edmond  Le  Blant. 

*  Commentarius  in  canones  Apostolorum  et  Conciliorum  (apud  Beveregium, 
Pandectœ  canoiium,  t.  I,  p.  253)  in  Can.  83  Conc.  TruU.  Tô  (xév  toi  vEipi^s^ôat 
To7;  ipyitçzZui  [jLEtà  tsXeuttjV  ayiov  àptov,  xai  ouxœç  EVTacDtaÇcaOai,  vouiJ^o)  yivEcOai 
eiç  àiroTcoirr^v  TÔiv  oattxovicov,  xai  Iva  oi  auxoû  £cpooià(^r,Tai  Trpo;  oùpavov,  ô  tou  pieyaXou 
xat  aTTOa-oXixou  xaxaS^twOï'i;  ircxy^HiJ.'XTo:,. 

-  liùbaer,  j/iscr.  Hisp.  christ,  n"  208. 

*  De  Fonscolombe,  M'-moirc  sur  le  préambule  de  Védit  de  Dioclétien,  pi.  II. 

*  Buoiiairuoti,  Ve:r(,  Prefaz.  j).  18.  Voir  encore  Boldetti,  Qsscrvazioni,  p.  461, 
ao  2'J8  ;  Carainali,  Prodrom.  ad  ilUtstr.  lapidis  stratonicoisis  (Ï-Ah.  I,  ad  p.  732, 
Atti  dt'ir  Accad.  rom.  d'à:  cJuol.^  t.  11),  a"  301,  etc. 

'°  Inscr.  chrcli^.nnes  de  la  Gaule,  n"  323:  cf.  L  préface,  p.  xix 
"  Jrf.,  préface,  p.  xiv. 


L'EXPOSITION  DE  LILLE 


aixiÊun;  article  * 


XVI. 

La  collection  des  manuscrits  qui  se  trouvent  à  l'Exposition  est  d'une  im- 
portance majeure.  Elle  s'élève  à  plus  de  deux  cents,  et  remplit  toute 
la  grande  salle  des  fêtes  de  l'ancienne  Préfecture  du  Nord.  Elle  va  du  VIII* 
siècle  au  XVIII*,  c'est-à-dire  qu'elle  offre  des  œuvres  artistiques  de  ce 
genre  pendant  une  période  de  onze  siècles.  Il  est  juste  de  dire  ici  que  c'est 
à  la  ville  d'Arras  que  revient  pour  la  plus  grande  partie  le  mérite  de  cette 
collection  :  car  c'est  elle  qui,  la  première,  a  consenti  à  se  dessaisir  de  ses 
richesses  manuscrites,  et  les  autres  villes  ont  suivi  cet  exemple.  Elle  m'a 
imposé,  il  est  vrai,  une  responsabilité  personnelle;  mais  je  l'ai  acceptée 
avec  confiance,  sachant  bien  que  c'était  le  moyen  d'arriver  à  obtenir  tout 
ce  que  nous  avons  eu.  Les  collections  particulières  nous  ont  d'ailleurs  ai- 
dés beaucoup,  comme  nous  Talions  voir. 

Un  seul  manuscrit  du  VIII*  siècle  s'offre  à  nos  yeux.  Ce  livre  contempo- 
rain de  Charlemagne  est  une  collection  de  Conciles  et  de  Lettres  des  Papes. 
Nous  en  avons  un  du  IX«  siècle,  un  du  X%  trois  du  XI*,  quatre  du  XII*, 
neuf  du  XIII*,  vingt-deux  du  XIV*,  soixante-et-un  du  XV%  quarante-six  du 
XVP,  dix  du  XVII"  et  cinq  du  XVIII*.  Examinons  ce  qu'il  y  a  de  plus  re- 
marquable, en  suivant  l'ordre  chronologique. 

Le  manuscrit  du  VIII*  siècle  appartient  à  la  bibliothèque  d'Arras. 

Ce  manuscrit,  de  format  in-folio,  est  intitulé  Collectio  Concil/orum  et 
Epistolarum  Rom.  Pontificum.  Il  est  sur  vélin  antique  et  de  la  fm  du 
VIII»  siècle.  Les  têtes  de  livres  sont  en  capitales,  les  rubriques  au  rouge 
de  plomb,  en  onciales  romaines.  Ce  codex,  du  temps  de  Charlemagne,  est 
très-précieux  et  très-beau  :  il  est  le  plus  ancien  de  la  bibliothèque. 

*  Voir  le  numéro  de  décembre  1874.  H   série,  t.  P"",  18»  vol ,  p.  393. 


l'exposition    HE    LILLE  33 

Il  jouit  depuis  longtemps  d'une  grande  réputation  et  a  été  cité  souvent, 
entre  autres  par  Jac.  Pamélius,  Binius,  Baronius,  etc.  On  voit  que  notre 
série  s'ouvre  sous  de  bons  auspices. 

Celui  du  IX*  siècle  nous  donne  un  spécimen  d'un  usage  alors  fort  connu, 
mais  qui  ne  devint  jamais  commun.  «  Ajoutons,  dit  à  ce  sujet  Champol- 
«  lion-Figeac  ',  pour  terminer  ce  qui  concerne  le  matériel  des  manuscrits, 
«  que  le  choix  du  parchemin  répondait  à  l'importance  ou  à  la  destination 
«  du  Uvre;  que  les  plus  beaux,  les  plus  riches,  sont  composés  du  parche- 
a  min  le  plus  blanc  et  le  plus  fin  ;  que  le  suprême  en  cette  matière  était  le 
«  parchemin  teint  en  pourpre  ;  qu'on  écrivait  d'ordinaire  sur  la  pourpre 
«  avec  de  l'encre  d'or  ou  d'argent  ;  qu'il  nous  reste  de  beaux  modèles  de 
((  ce  luxe,  fort  dispendieux,  dans  des  manuscrits  tout  liturgiques....  » 
Nous  avons  un  de  ces  modèles  sous  les  yeux. 

Ce  manuscrit,  de  format  grand  in-4%  est  un  évangéliaire.  Tous  les 
feuillets  sont  teints  en  pourpre,  et  le  texte  des  évangiles  est  tracé  en  ca« 
ractères  d'or  et  d'argent,  le  tout  par  respect  pour  la  parole  de  Dieu.  On 
y  voit  en  outre  des  encadrements  gouaches,  dans  le  style  byzantin,  de 
grandes  capitales  romaines  en  or,  des  initiales  ornées  d'arabesques.  On 
peut  remarquer  l'alternance,  pleine  de  goût,  de  l'emploi  de  l'or  et  de  l'ar- 
gent. Aujourd'hui  l'argent  a  noirci  et  l'or  a  conservé  son  brillant,  de  sorte 
que  l'harmonie  avec  le  fond  rouge  est  rompue.  Mais,  dans  l'origine,  cette 
harmonie  devait  offrir  à  l'œil  une  série  de  pages  des  plus  agréables  et 
d'une  vraie  richesse.  Ce  livre  d'évangiles  appartient  aussi  à  la  bibliothèque 
d'Arras. 

Le  manuscrit  du  X*  siècle,  que  nous  voyons  ensuite,  appartient  à  la  bi- 
bliothèque de  Boulogne.  C'est  encore  un  témoin  de  la  profonde  religion 
de  nos  ancêtres  et  de  leur  respect  pour  la  parole  de  Dieu.  En  effet,  il  est 
entièrement  écrit  en  lettres  d'or,  et  c'est  aussi  un  livre  des  évangiles. 

Ce  précieux  manuscrit  n'est  malheureusement  qu'un  débris,  dont  la 
beauté  fait  regretter  plus  vivement  la  perte  du  texte  des  trois  autres  évan- 
giles, qui  évidemment  avait  été  écrit  en  même  temps  et  dont  il  ne  reste 
que  les  titres.  Il  n'est  pas  seulement  remarquable  par  la  matière  qui  a 
servi  à  sa  confection,  il  l'est  surtout  par  la  beauté,  l'élégance,  la  netteté 
des  caractères,  et  par  la  sévérité  du  goût  qui  a  présidé  au  travail  entier. 

Voici  une  Bible  manuscrite,  écrite  en  1083  par  Goderau. 

Cette  Bible  a  servi  à  la  correction  du  texte  de  la  Vulgate  au  Concile  de 
Trente.  C'est  le  premier  volume  ;  il  ne  comprend  que  l'Ancien  Testament  : 
l'autre  volume  a  longtemps  appartenu  à  un  brocanteur  de  Mons,  qui  l'a 

*  Le  Moyen- Age  et  la  Renaissance^  t.  II. 


3^  l'exposition    de    LILLE 

vendu  à  vil  prix  à  un  étranger.  Chaque  tête  de  livre  est  ornée  d'une  mi- 
niature qui  en  résume  le  sujet;  ces  miniatures,  au  nombre  de  vingt-huit, 
sont  d'un  grand  caractère.  On  peut  remarquer  surtout  les  médaillons  qui 
ont  rapport  aux  six  jours  de  la  création  et  au  repos  de  Dieu,  notamment 
la  main  divine  entourée  des  neuf  chœurs  des  anges,  le  tout  formant  la 
première  lettre  du  texte  sacré,  et  aussi  une  représentation  très-remar- 
quable du  Tétramorphe,  en  tête  des  prophéties  d'Ézéchiel.  Outre  les  mi- 
niatures, il  y  a  dix  lettres  d'un  beau  style.  Ce  manuscrit  appartient  au 
séminaire  de  Tournai. 

Nos  deux  autres  manuscrits  du  XP  siècle  fippartiennent  à  la  bibliothèque 
d'Arras. 

Le  premier  est  de  la  njain  de  plusieurs  religieux  de  Saint- Vaast,  qui 
ont  mis  leurs  noms  en  haut  des  cahiers  qui  sont  leur  ouvrage.  Voici  la 
succession  de  ces  noms,  qui  donnent  l'idée  du  long  temps  qu'il  fallait 
parfois  employer  pour  mener  à  fin  un  aussi  rude  labeur. —  Albertus  scri- 
psit. —  Albertus  finein  fecit.  —  Richuinus  scripsit.  —  Richuinus  hic  desinit. 

—  Itesboldus  scriptop  optimus. —  Wûlbertus  non  plus  fecit. —  Albertus  rein- 
cepit.  — Albertus  hic  dimisit.  —  Albericus  scripsit.  —  Albcricus  dimisit.  — 
Wibertus.  —  Richuinus  secundo  scripsit.  —  Alardus  scripsit.  —  Wilbertus 
reincepit. —  Wilbertus  tertio. —  Walta^us  scripsit. —  Walterus  hic  dimisit, 

—  Lambertus  incipit. 

L'autre  est  tout  entier  de  la  même  main  :  écrit  par  Albertus  :  Albertus 
scripsit.  Ce  manuscrit,  du  commencement  du  XP  siècle,  est  l'un  des  plus 
importants  de  la  bibliothèque  d'Arras.  Il  est  tout  consacré  à  S.  Vaast.  On 
y  trouve  le  sermon  d'Haimin  au  jour  de  hi  fête  du  saint,  des  hymnes  et 
proses  en  l'honneur  du  même  saint,  la  lettre  d'Alcuin  aux  rehgieux  de 
Saint- Vaast  avec  de»  vers  pour  les  saints  de  leur  église,  la  vie  de  S.  Vaast 
par  Alcuin,  sous  forme  d'épître  à  Radon,  abbé  de  Saint- Vaast,  l'histoire 
des  reliques  de  Saint-Vaast,  et  même  l'histoire  émouvante  de  l'enlèvement 
du  chef  de  Saint-Jacques  (récit  de  Guimann,  d'une  écriture  gothique  plus 
récente).  On  voit  également,  dans  ce  riche  codex,  des  pages  de  neumes 
qui  ont  été  souvent  étudiées. 

Nous  avons  pour  le  XIP  sièle  le  Liber  officiorum  sancti  Vedasti.  Il  est 
tracé  au  crayon,  à  deux  colonnes,  avec  de  grandes  lettres  en  écriture  on- 
ciale,  au  vermillon,  à  la  couleur  pourpre  et  à  la  cendre  verte.  Mais  ce  qui 
le  distingue,  ce  sont  les  très-nombreuses  notations  musicales  qu'il  ren- 
ferme, et  qui  ont  été  souvent  étudiées.  11  provient  de  l'ancienne  abbaye 
de  Saint-Vaast  et  appartient  à  la  bibliothèque  d'Arras. 

Nous  avons  en  second  lieu,  un  Manuscrit  sur  vélin  :  Vita  Sanc'i  Ilura- 
berti.  —  Vita  Sancti  Filigii.  —  Pièce  musicale,  avec  neumes,  en  l'honneur 


l'exposition   de    LILLE  35 

de  Saint-Humbert. — Liber  sancti  Humberti...  Si  quis  eum  abstulerit, 
anatheraa  sit.  Amen.  Ce  livre  provient  de  l'abbaye  de  Maroilles  et  appar- 
tient à  yi.  le  curé  de  Colleret. 

Enfin  la  Bibliothèque  de  Lille  nous  a  confié  les  deux  suivants  : 

Psalterium.  —  10-4'  sur  parchemin  ;  écriture  minuscule  du  XIP  siècle, 
à  lignes  longues  ;  capitales  alternativement  rouges,  vertes  et  bleues.  En 
tête,  une  grande  initiale  avec  enroulements  ;  une  autre  initiale,  au  com- 
mencement du  dixit  dominus. 

Liber  evangeliorum.  —  Petit  in-folio  sur  parchemin;  écriture  minuscule 
de  la  fin  du  XII*"  siècle  ;  capitales  alternativement  rouges  et  bleues.  Grandes 
mini;itares  sur  fond  bleu,  avec  ornements  en  or,  représentant  les  évangé- 
iistes.  —  C'est  sur  ce  livre  que  les  baillis  de  Cysoing,  avant  d'entrer  en 
charge,  juraient  de  garder  les  privilèges  de  l'abbaye.  —  Reliure  revêtue 
d'une  lame  de  cuivre  ciselée,  qui  offre  40  fleurs  de  lys.  Provenant  de  l'ab- 
baye de  Cysoing. 

Pour  le  xiir  siècle  nous  avons  9  manuscrits,  parmi  lesquels  on  remarque 
surtout  ceux  qui  suivent.  De  M.  l'abbé  Carnel,  Sequedin  près  d'Hau- 
bourdin  :  Missale  B.omanum,  sur  vélin.  —  Ce  missel  est  écrit  en  bonne  go- 
thique, facile  à  lire,  mais  tracée  d'une  manière  plutôt  expédiée  que  posée. 
Il  n'y  a  pas  d'ornements  en  or,  mais  en  revanche  les  dentelles  rouges  ou 
bleues  qui  remplissent  et  entourent  les  lettres  sont  d'une  grande  délica- 
tesse et  d'un  goût  antique.  Le  système  général  des  lettres  bleues,  rouges, 
vertes,  agencées  d'une  certaine  manière  dans  les  pages,  rappelle  les  ma- 
nuscrits romans,  quoique  celui-ci  soit  du  XIIP  siècle.  Une  seule  miniature 
se  rencontre  dans  ce  beau  missel,  la  grande  scène  du  Calvaire,  au  com- 
mencement du  canon.  Jésus  est  attaché  à  la  croix  par  trois  clous.  Ses 
pieds  reposent  sur  un  large  suppedaneum.  Le  vêtement  qui  le  ceint  est 
très-ample.  Le  titre  de  la  croix  est  sur  une  large  planche  ;  l'attitude  de 
S.  Jean  est  antique  :  il  a  les  pieds  nus,  comme  apôtre,  et  la  sainte  Vierge 
a  les  pieds  chaussés.  Le  soleil  et  la  lune  sont  portés  par  des  anges  vêtus, 
nimbés,  aux  grandes  ailes.  Toute  cette  page  respire  le  parfum  des  siècles 
de  foi.  L'office  de  S.  Louis  est  ajouté  à  la  fin  du  manuscrit. 

De  M.  Ed.  de  Goussemaker,  Lille  : 

VApocalipse  S .  Jean.  —  La  lumière  as  lais.  En  tête  du  volume  on  trouve; 
1"  la  table  des  chapitres  de  l'Apocalypse,  ainsi  intitulée  :  Ces  sunt  les  cha^ 
pitres  de  l'apocalips  ;  2"  la  table  de  la  lumière  dis  lais,  commençant  par  ces 
mois  :  En  ceste  manere  comence  la  pi^ologe  de  le  livre  del  romanz  de  la 
lumière  des  lais.  Nous  avons  surtout  à  remarquer,  pour  ce  qui  fait  l'objet 
de  notre  étude,  une  traduction  de  l'Apocalypse  avec  commentaires  et 
soixante-treize  miniatures. 


36  l'exposition  de  lille 

De  la  Bibliothèque  d'Arras  : 

Manuscrit  sur  vélin.  —  Ce  manuscrit,  de  format  petit  in-4°,  est  sur  très 
beau  vélin,  tracé  au  crayon,  et  du  XIIP  siècle.  Il  est  orné  de  fines  minia- 
tures, de  grandes  lettres  historiées  et  peintes,  d'initiales  festonnées  au  ver- 
millon et  à  l'outremer.  Il  ofîre  en  outre  une  collection  précieuse  de  proses 
et  séquences  avec  notation  sur  5  lignes,  et  il  a  conservé  ses  signets  an- 
ciens en  petites  boules. 

Manuscrit  sur  vélin  blanc.  —  Il  est  intitulé  Necrologium  Atrebatense  :  for- 
mat in-4°  vélin  blanc  tracé  au  crayon,  longues  lignes  ;  les  initiales  au  ci- 
nabre et  à  l'outremer.  Il  y  a  des  additions  en  cursive  du  XIV^  siècle,  mais 
le  manuscrit  proprement  dit  est  du  XIIP. 

Manuscrit  sur  vélin.  —  Ce  manuscrit  est  un  des  plus  intéressants  de  la 
riche  collection  de  la  bibliothèque  d'Arras.  Il  est  du  XIIP  siècle  (écrit  en 
1278)  ;  il  renferme  de  nombreuses  miniatures. 

Voici  les  pièces  diverses  dont  se  compose  ce  curieux  volume,  sorte  de 
recueil  moral,  historique  et  poétique. 

1"  Un  poème  moral  :  ici  endroit  commence  li  livre  ki  est  de  philosophie  et 
ensement  de  moralité  ,• 

2"  Ici  endroit  définent  li  filosofe  et  li  aucleur.  Si  commence  après  la  nais- 
sance Jhesu- Christ  et  se  mort  ; 

3°  Légende  de  Ste-Suzanne  ; 

4°  La  vie  de  St-Julien,  etc.,  etc,  (avec  des  lacunes)  ; 

5°  Récits  de  la  manière  de  vivre  des  animaux  ; 

6°,  7°,  8"  Collection  d'Ave  Maria  paraphrasés,  d'un  clerc  qui  disait  VAve 
Maria,  comment  on  doit  se  tenir  à  la  messe,  etc.,  etc. 

Dans  le  XIV*  siècle  nous  trouvons  des  choses  du  plus  haut  intérêt. 

Voyons  d'abord  ce  manuscrit  de  l'Apocalypse.  Il  appartient  à  la  biblio- 
thèque du  Séminaire  de  Namur. 

Il  oiïre,  en  grandes  figures  du  plus  haut^intérêt,  un  commentaire  perpé- 
tuel du  texte,  c'est-à-dire  que  les  miniatures  sont  aussi  nombreuses  que 
les  pages  du  texte,  et  on  en  compte  jusqu'à  86.  M.  J.Helbig  a  fait  connaître 
ce  curieux  manuscrit,  dans  le  troisième  volume  du  recueil  que  dirige  à 
Bruges  M.  Weale,  sous  le  titre  de  Beffroi. 

«  La  plupart  de  ces  enluminures,  dit-il,  sont  peintes  sur  fond  blanc, 
d'une  coloration  harmonieuse  et  sévère  tout  à  la  fois.  Les  couleurs  bril- 
lantes, telles  que  le  rougo  vermillon  et  le  bien  d'outremer,  s'y  voient  rare- 
ment. La  plupart  des  nimbes  des  figuresprincipalessont  dorc'^,  avecunorle 
noir.  Les  ailes  des  anges  offrent  cette  particularité  qu'elles  se  terminent 
presque  toujours  par  des  pennes  noires,  distinctes  les  unes  des  autres.  Les 
têtes  des  petites  figures  sont  d'un  fini  précieux  ;  les  chairs,  les  cheveux  et 


l'exposition   de   LILLE  37 

les  barbes  sont  modelés  avec  beaucoup  de  soin,  tandis  que  les  drape- 
ries sont  traitées  plus  largement  et  se  terminent  généralement  par  un 
contour  extérieur  ferme  et  ressenti.  Dans  ces  draperies,  les  tons  vert-olive, 
violet  ou  brun-terre  de  Sienne  naturelle  dominent;  elles  sont  quelquefois 
ornées  de  filets  blancs  sur  les  contours  et  d'ornements  blancs  à  l'intérieur. 
Les  élus  sont  presque  toujours  vêtus  de  blanc.  Les  armes  et  les  armures, 
ainsi  que  d'autres  détails  métalliques,  sont  souvent  argentées  ;  les  instru- 
ments de  musique  pour  la  plupart  sont  dorés. 

«  Toutes  les  miniatures  sont  peintes  avec  beaucoup  de  légèreté.  Les 
draperies,  les  nuages  et  les  terrains  ne  sont  pas  traités  d'une  manière  so- 
lide, mais  touchés  facilement  en  réservant  les  lumières;  il  n'y  a  que  les 
filets  blancs  bordant  les  draperies  qui  soient  peints  avec  des  couleurs 
opaques.  » 

Ce  manuscrit  a  été  étudié  avec  soin  pour  des  projets  de  complément 
des  célèbres  tapisseries  d'Angers  représentant  le  même  sujet,  et  publiées 
par  M.  Léon  de  Joannis.  Il  serait  fort  désirable  que  le  manuscrit  de 
Namur  fût  publié  de  la  même  manière,  et  ce  ne  serait  pas  chose  bien  dif- 
ficile. On  a,  du  même  XIV^  siècle,  au  Musée  Britannique,  un  autre  manus- 
crit de  Y  Apocalypse,  dont  M.  J.  Helbig  a  parlé  dans  le  tome  second  du 
Recueil  de  M.  Weale,  cité  plus  haut. 

Voici  une  des  plus  grandes  raretés  manuscrites  qu'il  soit  possible  de 
rencontrer.  C'est  un  manuscrit  sur  papier,  de  484  feuillets,  tout  en  vers, 
orné  de  3ol  miniatures  ! 

Ce  texte  et  ces  miniatures  nous  disent  et  nous  montrent  l'histoire  en- 
tière de  la  Rédemption  :  Dieu  avec  ses  anges  dans  le  ciel,  les  préparatifs 
de  la  Rédemption  dans  les  conseils  de  Dieu,  l'envoi  de  l'ange  à  Marie, 
toutes  les  scènes  de  la  vie  de  Jésus-Christ,  toutes  celles  de  sa  Passion  et 
de  sa  Résurrection,  et  de  plus  l'histoire  de  l'Eglise  jusqu'à  la  destruction 
de  Jérusalem,  Titus  et  Vespasien.  Tout  est  dessiné  avec  facilité,  peint 
avec  énergie,  sur  fonds  rouges,  verts,  jaunes,  bleus,  généralement  unis, 
sans  aucun  emploi  de  l'or.  C'est  une  admirable  histoire  rimée  du  Nou- 
veau Testament,  illustrée  complètement  et  en  détail,  manuscrit  rarissime, 
de  la  fin  du  XIV*  siècle,  1390  environ,  à  la  bibliothèque  d'Arras. 

Cet  autre,  qui  a  conservé  sa  belle  reliure  en  velours  rouge  avec  fermoirs 
aux  clous  et  agrafes  d'argent  portant  le  lion  et  l'écu  fleurdelisé  d'Artois; 
plus,  des  coins  d'argent  aux  têtes  d'anges.  C'est  le  livre  même  sur  lequel 
les  rois,  les  comtes  d'Artois,  les  baillis  et  beaucoup  d'autres  personnages 
devaient  autrefois  prêter  le  serment.  Aussi  renferme-t-il  plusieurs  évan- 
giles, puis  une  grande  miniature  représentant  Jésus  en  croix  entre  la 
Sainte  Vierge  et  SaintJJean,  puis  les  formules  très-belles  des  différents  ser- 


38  l'exposition  de  lille 

ments.  Le  serment  du  roi  se  faisait  en  dehors  de  la  porte  Saint-Michel  ;  il 
en  était  de  même  de  celui  du  comte  ;  celui  du  bailly  se  prêtait  en  la  halle 
au  mayeur  et  eschevins  ;  et  celui  des  eschevins  en  l'église  de  la  Made- 
leine, en  présence  des  reliques  de  Saint  Vaast.  —  Ce  beau  manuscrit 
porte  les  caractères  du  XIV*  siècle.  11  est  aujourd'hui  déposé  dans  le 
Musée  de  la  \ille  d'Arras. 

En  voici  un  d'un  genre  différent  et  fort  remarquable.  Il  fait  partie,  ainsi 
que  le  suivant,  de  la  riche  collection  de  M.  Van  der  Cruisse,de  Waziers. 

La  science  des  politiques  d'Aristote  traduites  en  françois  par  M''  Nicolas 
Overmes,  doyen  de  Téglise  de  Rouen,  chapelain  et  précepteur  de  Char- 
les V,  roi  de  France.  Ce  précieux  manuscrit,  fait  pour  le  roy  Charles  F, 
doit  être  de  1360  ou  environ. 

Ce  manuscrit  est  d'une  exécution  splendide.  Les  miniatures  sont  dispo- 
sées en  compartiments  renfermant  des  scènes  nombreuses  et  animées.  Ici 
on  voit  la  tyrannie  en  action,  puis  l'oligarchie,  la  démocratie  ;  dans  la 
page  qui  forme  contraste,  on  voit  le  royaume,  l'aristocratie,  la  tymocra- 
tie.  D'un  côté  il  n'y  a  que  des  supplices,  de  l'autre  des  conseils  pleins  de 
calme  et  de  paix.  Beaucoup  de  vignettes  sont  entourées  d'une  bordure 
tricolore  parfaitement  accusée  :  l'écu  royal  aux  trois  fleurs  de  lys  d'or  sur 
champ  d'azur  se  voit  aussi  fréquemment.  Une  foule  de  sujets  divers  ornent 
les  pages  :  riches,  pauvres,  bonne  et  mauvaise  police,  bonne  et  mauvaise 
discipline,  gens  de  toute  condition  :  c'est  un  traité  complet  d'un  bon 
gouvernement. 

L'autre  est  une  Bible  écrite  en  caractères  très-fins  et  très-nets  sur  peau 
mince.  Il  est  remarquable  comme  exécution  et  conservation. 

Cette  autre  belle  Bible  manuscrite,  du  XIV^  siècle,  sur  peau  très-fine  et 
d'une  écriture  très-belle,  appartient  à  M.  Charvet,  Paris, 

Voyez  encore  ces  deux  beaux  livres  exposés  par  M.  Ignace  de  CoHSse- 
maker. 

Celui-ci,  admirable  de  marges,  est  orné  de  17  miniatures  d'une  écla- 
tante fraîcheur.  On  peut  remarquer  surtout  les  trois  belles  ima;^  s  de 
Sainte  Barbe,  de  Sainte  Catherine  et  de  Sainte  Marguerite,  qui  décorent 
la  dernière  partie  de  ce  manuscrit,  celle  qui  est  en  français. 

Celui-là,  manuscrit  allemand  du  XIV«  siècle,  est  orné  de  cinq  enlumi- 
nures d'une  fraîcheur  et  d'une  finesse  remarquable. 

Ce  Missel  manuscrit  provient  de  l'ancienne  cathédrale  d'Arras,  Il  est  du 
XIV^  siècle  et  d'une  belle  écriture,  avec  des  lettrines  renfermant  des  scè- 
nes choisies  de  l'Ancien  Testament,  figures  des  réalités  du  Nouveau.  Le 
vélin  est  choisi,  tracé  à  l'encre  pourpre,  divisé  en  deux  colonnes,  orné 
avec  goût.  On  voit  aux  marges  des  additions  qui  correspondent  aux  déve- 


L'EXPOSITIOiN    de    LILLE  39 

loppements  de  la  liturgie  et  indiquent  le  siècle.  Il  fait  partie  de  la  belle 
Bibliothèque  d'Arras. 

A  la  même  bibliothèque  appartient  ce  magnifique  volume  sur  vélin.  C'est 
un  heptateuque  :  les  cinq  livres  de  Moïse  avec  Josué  et  les  Juges.  Le  texte 
est  encadré  d'un  commentaire,  celui  de  Nie.  de  Lyra.  Mais  il  est  un  autre 
commentaire  qui  explique  et  fait  vivre,  à  la  lettre,  le  texte  sacré  :  ce  sont 
ces  innombrables  miniatures  qui  peignent,  avec  une  facilité  de  main  tout 
à  fait  rare,  les  récits  bibliques  dans  tous  leurs  détails,  avec  une  fidélité  et 
une  grandeur  remarquables,  parfois  avec  une  naïveté  qui  étonne.  Comme 
ces  dessins  n'ont  pu  être  ornés  de  miniatures,  comme  les  fonds  seuls 
sont  appliqués  en  quelques  endroits,  il  est  facile  de  suivre  les  procédés 
employés  par  les  artistes,  et  d'aller,  de  l'esquisse  au  complet  achèvement 
du  travail,  par  tous  les  milieux  du  mordant,  des  fonds  d'or,  des  couleurs, 
des  agencements  divers  qui  ne  sont  aucunement  dissimulés. 

D'après  le  catalogue  d'Arras  et  la  plupart  des  connaisseurs,  ce  manus- 
crit, qui  vient  de  l'ancienne  abbaye  de  St-Vaast,  est  l'œuvre  d'un  artiste 
italien,  XIV»  siècle.  Il  a  266  feuillets  et  une  quantité  de  dessins  de  toute 
grandeur,  les  uns  ornant  les  marges,  les  autres  prenant  le  quart,  la  moitié 
de  la  page,  parfois  la  page  entière.  Tout  y  est,  faits  historiques,  monu- 
ments, actes  prescrits  ou  défendus  par  la  Loi  :  la  Bible  y  est  écrite  pour 
les  yeux  en  même  temps  que  pour  les  oreilles.  C'est,  du  reste,  une  école 
de  miniature,  puisqu'il  offre  toutes  les  phases  du  travail  et  en  livre  tous 
les  secrets. 

Citons  encore,  pour  finir  le  XIV®  siècle  : 

1°  Ces  deux  manuscrits  musicaux  : 

Fragment  d'un  antiphonaire  in-folio.  Ce  fragment,  orné  de  belles  let- 
trines avec  sujets,  vient  d'Allemagne,  et  date  probablement  du  com- 
mencement du  XIV^  siècle,  à  M.  Béthune  d'Ydewalle,  Gand. 

Antiphonaire  in-foUo,  orné  de  lettrines  avec  sujets  divers,  générale- 
ment allégoriques  ou  de  pure  décoration,  sans  or.  Ecole  brabançonne  du 
XIV*  siècle.  Beliure  moderne,  mais  d'un  goût  parfait,  à  M.  Fr.  Vande- 
poele-Bracq,  Gand. 

2°  «  Li  traitiés  des  viertus.  —  Li  livres  des  tribulations,  etc.  > 

Ecriture  minuscule  gothique  du  XIV*  siècle,  sur  deux  colonnes,  majus- 
cules alternativement  rouges  et  bleues  avec  filigranes  ;  180  feuillets.  Plu- 
sieurs miniatures,  dont  l'une  représente  saint  Benoît,  avec  ornements  à 
longues  branches  de  feuillage  et  à  feuilles  de  lierre,  offrant  des  sujets  de 
chasse.  —  Provenant  de  Saint-Pierre,  de  Lille,  à  la  Bibliothèque  de  Lille, 
n«94. 

3"  Biblia  sacra.  la-fol.  mag.  1  vol.  414  feuillets,  vélin,  XIV*  siècle.  Très- 


10  l'exposition    de    IILIE 

belle  gothique  à  deux  colonnes,  initiales  alternativement  rouges  et  bleues, 
rehaussées  d'or  et  décorées  d'arabesques  d'un  style  très-sobre,  presque 
toutes  représentant  un  sujet  évangélique. 

Cette  Bible,  dont  l'exécution  est  d'une  grande  beauté,  est  bien  com- 
plète. 

In.  Pt'ologus.  Frater  Ambrosius  Michi  tua  (etc.). 

Exp.  Gratia  domini  nostri  J.-C.  etveritas  Dei  cum  omnibus  vobis.  Amen. 

EXPLICIT  LIBER  APOCALYPSIS. 

A  la  suite,  33  feuillets  renfermant  les  interprétations  des  noms  hébreux 
dans  l'ordre  alphabétique,  attribuées  à  Bède  et  à  Remy  d'Auxerre.  (Voyez 
V Histoire  des  auteurs  ecclésiastiques,  de  dom  Remy  Geillier,  t.  xvii,  p.  13). 
A  la  Bibliothèque  de  Boulogne-sur-Mer. 

4»  Les  heures  en  flamand,  qui  sont  écrites  dans  le  plus  pur  caractère 
gothique  et  ornées,  sur  les  marges,  de  ces  dessins  légers  à  la  plume,  sont 
une  des  marques  des  anciens  manuscrits.  Les  grands  ornements  en  cou- 
leur sont  fort  soignés  et  l'or  très-brillant.  Les  fonds  quadrillés  or  et  couleur 
sont  remarquables,  et  plusieurs  miniatures  très-belles.  Celle  de  la  vision 
de  la  Ste  Vierge  à  Ste  Catherine  est  digne  d'attention.  A  M.  le  baron  de 
Morgan,  Amiens. 

Avec  le  XV*  siècle  se  développe  le  règne  des  Livres  d'heures.  En  voici 
une  véritable  moisson  :  46  sur  61.  C'est  aussi  une  galerie  charmante  de 
petits  tableaux,  où  nous  voyons  souvent  les  mêmes  sujets,  ce  qui  peut 
fournir  des  points  d'étude  et  de  comparaison.  Ces  sujets  sont  surtout  la 
représentation  des  scènes  de  la  vie  de  Notre-Seigneur  :  l'Annonciation,  la 
Naissance,  la  Présentation,  des  scènes  de  la  Passion,  la  Résurrection, 
l'Ascension,  la  Pentecôte,  les  quatre  Evangélistes.  On  voit  aussi,  mais  plus 
rarement,  l'arbre  de  Jessé,  la  rencontre  de  S.  Joachim  et  de  Ste  Anne,  la 
naissance  de  la  Ste  Vierge,  sa  présentation  au  Temple.  Il  y  aune  véritable 
abondance  de  figures  de  Saints  et  de  Saintes,  et  c'est  là  que  l'on  peut 
prendre  des  modèles  pour  nos  images  de  piété.  Les  sujets  de  l'ancien 
Testament  sont  plus  rares  :  on  trouve  cependant  assez  souvent  David 
jouant  de  la  harpe.  Nous  avons  ici,  dans  un  manuscrit,  toute  l'histoire  de 
Job.  Les  anges  sont  nombreux  comme  toujours  :  ils  ont  un  caractère  noble, 
un  vêtement  magnifique  ;  ils  ne  ressemblent,  en  aucune  manière,  à  ces 
génies  païens  qu'a  imaginés  la  Renaiî.sance.  Plusieurs  manuscrits  noua 
donnent  des  détails  d'ameublement  et  d'usages  liturgiques  fort  curieux  à 
étudier.  C'est,  en  un  mot,  une  véritable  et  riche  galerie,  un  petit  musée 
chrétien. 

En  donnant  à  chacun  de  ces  46  manuscrits  une  moyenne  de  20  sujets, 
ee  qui  est  loin  d'être  exagéré,  nous  avons,  ici  seulement,  environ  un  mil- 


L  EXPOSITION    DE    LILLE  41 

lier  de  tableaux  à  voir  !  Et  beaucoup  de  ces  sujets  sont  traités  d'une  ma- 
nière fort  remarquable. 

A  ce  propos,  nous  citerons  un  passage  de  M.  ChampoUion-Figeac  sur 
les  miniatures  religieuses  des  manuscrits.  «  Il  est  impossible,  dit-iî,  de 
n'être  pas  frappé  par  un  fait  qui  se  reproduit  habituellement  ;  c'est  que 
toutes  les  miniatures  des  livres  de  théologie  sont  évidemment  d'une  exé- 
cution bien  plus  belle  et  plus  soignée,  d'un  dessin  bien  plus  correct,  que 
les  Miniatures  des  romans  de  chevalerie,  des  chroniques,  etc..  du  même 
temps.  Doit-on  en  conclure  que  l'inspiration  religieuse  produisait  seule 
cette  supériorité  de  l'iu-t  religieux,  et  que  les  idées  mystiques  étaient  assez 
élevées  chez  les  artistes  pour  surexciter  leur  talent  lorsqu'ils  avaient  à 
traiter  des  sujets  pieux  ?  Faut-il  croire  plutôt  que  les  monastères  avaient 
seuls  assez  d'argent  pour  payer  les  travaux  des  artistes  les  plus  renommés? 
Dans  les  abbayes  et  les  couvents,  il  y  avait  des  hommes,  simplement  sou- 
mis à  la  règle  de  l'ordre,  qui  n'avaient  fait  aucun  vœu,  et  qui  rache- 
taient leurs  péchés,  non  par  de  longues  et  dévotes  pénitences,  mais  en 
enrichissant  de  magnifiques  peintures  les  livres  destinés  à  ces  commu- 
nautés. Ils  recevaient,  en  échange  de  leur  labeur,  toutes  les  choses  néces- 
saires à  la  vie  :  ils  pouvaient  ainsi  employer  une  partie  de  leur  existence, 
s'il  le  fallait,  à  l'ornement  d'un  seul  livre.  '  » 

Notons  comme  particulièrement  à  remarquer,  au  miliieu  de  ce  Musée 
chrétien,  les  deux  manuscrits  suivants  : 

1°  Un  bréviaire  appartenant  aux  Clarisses  d'Amiens.  Ce  magnifique  ma- 
nuscrit, d'une  admirable  conservation,  œuvre  brillante  du  XV''  siècle  est 
appelé  le  Bréviaire  des  Princesses.  C'est,  en  effet,  un  bréviaire,  et  il  a  été 
à  l'usage  de  trois  princesses  de  la  Maison  royale,  qui  furent  religieuses 
dans  le  couvent  des  Clarisses,  deux  du  temps  de  Ste  Colette,  savoir  : 
Jeanne  et  Marie  de  Bourbon,  et  la  troisième,  Catherine  de  la  Marche,  peu 
de  temps  après. 

Tout  rappelle  du  reste  cette  origine  dans  ce  beau  livre  :  les  armes  des 
Nemours,  des  Guyse,  les  fleurs  de  lys  profilées  dans  les  dessins  des  marges, 
et,  pardessus  tout,  la  magnificence  de  l'exécution,  soit  dans  les  grandes 
miniatures,  soit  dans  les  petites,  soit  même  dans  l'écriture  soignée  et  or- 
née de  toutes  ces  pages,  de  la  première  jusqu'à  la  dernière.  Le  calendrier 
est  à  lui  seul  une  petite  merveille.  Quant  aux  grandes  miniatures,  plusieurs 
sont  des  compositions  de  premier  ordre. 

2°  Un  livre  d'heures  appartenant  à  M.  E.  de  Coussemnker.  Ce  remar- 
quable manuscrit  est  d'une  conservation  parfaite.  Il  contient  le  calendrier 

*  Le  Moyen-Age  ci  la  Renaissance,  t.  II,  feuille  VI. 
lie  séiif»,  tome  II  A 


42  i'expositiu:<  de  lille 

complet  avec  ses  symboles  ;  il  est  orné  de  quarante-cinq  miniatures  exé- 
cutées avec  soin  et  dont  plusieurs  offrent  des  variantes  intellii^entes  aux 
types  généralement  admis.  C'est  ain'^i  que,  dans  la  page  qui  représente 
l'Annonciation,  Adam  et  Eve  sont  debout  dans  le  cadre  :  la  faute  et  la  ré- 
paration. La  page  de  la  Visitation  est  magnifique,  il  en  est  de  même  de 
celle  où  Marie  est  couronnée  par  les  anges  et  apparaît  avec  son  titre  de 
Mère  de  Jésus,  en  tête  de  la  belle  prière  :  doulce  Dame  de  miséricorde, 
mère  de  pieté,  fontaine  de  tous  biens,  qui por fastes  Jésus-Christ  ix  moys  en  vos 
précieulx  flancs  et  l'alaictastes  de  vos  doutées  mamelles  :  Doulce  Dame  je  vos 
requier  mercy,  etc.  Les  lettres  ne  sont  pas  moins  belles,  et  les  marges  sont 
pai'tout  ornées  de  dessins  variés,  or  et  couleurs,  le  tout  intact  et  d'une 
conservation  rare. 

En  dehors  de  cette  galerie  formée  par  les  livres  d'heures,  et  dont  on 
trouvera  tout  le  détail  au  Catalogue,  nous  avons  à  examiner  plusieurs 
œuvres  d'un  ordre  différent,  et  qui  appartiennent  encore  au  XV  siècle. 

Voici  d'abord  une  histoire  de  la  Toison-d'Or.  composée  par  M'' Guillaume 
Fillastre,  religieux  de  l'ordre  de  Saint-Benoît,  évêque  de  Tournai  et  abbé 
de  Saint-Bertin.  Ce  précieux  manuscrit  paraît  avoir  été  copié  pour 
M''"  Engelbert,  comte  de  Nassau,  etc.,  dont  les  armes  se  trouvent  à  la  bor- 
dure du  premier  feuillet.  Sur  ce  feuillet  on  voit  un  chapitre  de  la  Toison- 
d'Or  :  le  chancelier  Guillaume  Fillastre  y  est  à  son  poste,  en  mitre  et  chape 
bleue.  Ce  beau  manuscrit  est  à  M.  Van  der  Cruisse  de  Waziers,  Lille. 

Voici  un  autre  manuscrit  non  moins  curieux,  appartenant  au  môme 
amateur. 

25  miniatures  et  435  lettres  ornées,  outre  beaucoup  d'autres  plus  petites, 
font  briller  ce  manuscrit  du  plus  vif  éclat.  Le  sujet  de  ces  peintures  est 
d'ailleurs  bien  émouvant  :  les  souffrances  ou  Passions  des  principaux 
martyrs  et  martyres,  à  la  suite  de  la  Passion  du  Fils  de  Dieu.  Les  supplices 
sont  peints  dans  toute  leur  vérité,  mais  avec  une  finesse  de  travail  et  une 
expression  de  joie  surnaturelle  qui  leur  assigne  leur  vrai  caractère.  Le 
texte  et  les  miniatures  font  de  ce  livre  un  ensemble  délicieux.  Les  armoi- 
ries indiquent  une  famille  princière. 

Enfin,  voici  un  troisième  manuscrit  de  l'Apocalypse.  L'Apocalypse  de 
S.  Jean,  expliquée  par  6o  grandes  peintures  en  grisailles,  avec  nimbes 
d'or  et  ciels  d'azur,  telle  est  l'idée  que  l'on  peut  se  former  de  ce  livre 
vraiment  remarquable.  Le  symbolisme  est  compris  partout  d'une  manière 
frappante;  les  emblèmes  sont  vivement  saisis,  et  présentés  avec  une  par- 
faite intelligence  du  sujet.  Ce  manuscrit  appartient  également  à  M.  Van 
der  Cruisse  de  Waziers.  Il  faudrait  encore  citer  son  manuscrit  où  se 
trouvent  ces  belles  miniatures  traitées  en  camaïeu,  représentant  des  sup- 


LEXPOSITIUX    DE    LILLE  43 

plices  de  damnés,  avec  des  détails  d'une  hardiesse  et  d'une  vérité  saisis- 
santes; mais  il  faut  avancer  dans  cette  étude,  et  le  XVI»  siècle  est  là  qui 
nous  appelle  et  nous  convie  à  examiner  ses  procédés  nouveaux. 

Je  veux  parler  de  l'invention  de  l'imprimerie.  Elle  devança  le  XVI"  siècle, 
puisque  voilà  deux  livres  qui  datent  du  XV«  et  qui  sont  le  produit  de  l'art 
nouveau.  Nous  les  joignons  à  ceux  qui  vont  suivre,  afin  de  ne  pas  séparer 
ce  qui  est  de  même  nature,  quoique  de  siècles  différents. 

La  grande  Bible  incunable  exposée  par  les  Pères  Jésuites  de  Lille  est  un 
des  trois  premiers  spécimens  du  nouvel  art  de  l'imprimerie  :  Hoc  presens 
Gratiam  decretum  suis  cum  rubricis,  non  aframentali  penna  cannai'e,sed  artc 
quadam  ingeiiiosa  imprimendi,  cunctif)Otente  adspiranti  Deo,  Petrus  Schoif- 
fer  de  Gernshei/m,  suis  consignando  sentis  féliciter  consummavit. 

L'autre  livre,  appartenant  à  M.  d'Estreuxde  Beaugrenier.Valenciennes, 
est  un  livre  d'heures  imprimé  sur  vélin,  en  1498. 

Dix  ans  plus  tard,  nous  avons,  dans  le  livre  d'heures  appartenant  aux 
Clarisses  d'Amiens,  un  type  remarquable  du  passage  entre  le  manuscrit  et 
l'imprimé.  Tout  ce  qui  est  caractères  est  imprimé  en  gothique  sur  vé- 
hn  ;  les  ornements  des  marges  sont  eux-mêmes  imprimés  à  l'aide  de  bois 
gravés  en  relief.  D'autre  part,  les  fins  de  lignes  et  beaucoup  d'initiales  sont 
tracées  et  peintes  à  la  main.  On  a  en  outre  réservé  un  grand  nombre  de 
pages  qui  sont  toutes  couvertes  de  véritables  peintures.  Citons  comme 
remarquables  :  l'Annonciation,  la  Nativité,  la  Fuite  en  Egypte,  etc. 

Nous  trouvons  encore  le  même  type  dans  ce  livre,  de  1513,  partie 
imprimé  et  partie  manuscrit,  appartenant  à  M.  Jules  de  Vicq.  Le  texte  est 
imprimé  sur  parchemin  ;  les  miniatures,  au  nombre  de  dix-huit  grandes, 
sont  à  la  main.  L'imprimeur  est  Gillet  Hardouyn^  à  Paris.  1313.  Les  mi- 
niatures, comme  couleur,  n'ont  plus  l'éclat  du  Moyen-Age,  elles  sentent 
l'imprimé  ;  toutefois  elles  ont,  comme  composition,  des  choses  fort  remar- 
quables. On  peut  citer  notamment  la  Mort  delà  sainte  Vierge  et  l'Imma- 
culée-Conception  entourée  des  emblèmes  bibliques. 

Dans  la  même  genre  de  travail  mixte,  nous  avons  encore,  de  M.  de  Beau- 
grenier,  deux  livres  très-beaux,  l'un  sur  vélin,  l'autre  sur  papier,  avec  un 
nombre  considérable  de  vignettes,  grandes  et  petites.  Nous  en  avons  donné 
la  nomenclature  dans  le  catalogue  de  l'Exposition. 

Citons  aussi  le  Missale  Ambianense  exposé  par  M.  Van  der  Cruisse  de 
Waziers. 

Ce  Missel  est  composé  de  deux  parties  distinctes,  l'imprimé  et  le  manus- 
crit. Tout  ce  qui  est  texte  est  imprimé,  en  1306,  à  Rouen,  tant  en  papier 
qu'en  bon  parchemin.  Tout  ce  qui  est  'ornement  est  fait  à  la  main,  à  plus 
forte  raison  les  grandes  miniatures,  dont  deux  surtout  sont  admirables. 


44  L'FAPOSITION    de    LILLE 

Celles-ci  sont  traitées  en  grisailles,  snr  fonds  de  paysages  en  vert.  Rien  n'est 
expressif,  vivant,  comme  cette  grande  page  qui  représente  saiiit  François 
d'As?ise  recevant  les  stigmates.  Les  traits  de  feu,  les  plaies,  les  yeux  du 
Saint,  tout  cela  est  animé.  A  genoux  est  I^i^ançois  de  Halvuin,  64*=  évêque 
d'Amiens...  Ce  Missel  a  été  fait  pour  lui.  L'autre  grande  grisaille  repré- 
sente une  sainte  Barbe.  Le  Père  éternel  avec  les  anges  et  les  animaux 
évangéliques  d'une  part,  d'autre  part  Jésus  en  croix,  sont  les  sujets  du 
revers  de  ces  grisailles  :  l'ensemble  lorme,  avec  la  grande  scène  du  cru- 
cifix de  l'en-tête  du  livre,  une  sorte  de  triptyque  dont  les  deux  grisailles 
sont  les  volets  extérieurs.  Le  canon  est  très-orné,  et  en  parchemin. 

Nous  en  avons  plusieurs  autres  encore,  dont  il  est  parlé  dans  le  Catalo- 
gue :  impossible  de  les  reprendre  tous  ici. 

Et  d'ailleurs  le  XVP  siècle  nous  a  aussi  laissé  des  manuscrits  qui  ne 
sont  pas  sans  mérite.  Pour  clore  dignement  la  série  des  incunables,  nous 
ne  pouvons  pas,  à  l'occasion  d'une  exposition  de  Lille,  ne  pas  citer  lagrande 
rareté  de  la  bibliothèque  de  Ldle  :  «  Die  spicghel  onser  behoudenisse  (le 
miroir  de  notre  salut).  »  Traduction  hollandaise  du  Spéculum  humanœ  sal- 
vationis,  de  Vincent  de  Beauvais. 

Texte  imprimé  à  la  presse  en  caractères  gothiques  mobiles  en  métal 
fondu,  avec  figures  sur  bois  imprimées  au  frotttn.  —  Cette  omvre  qui  a 
été  produite  dans  la  période  comprise  entre  1423  et  1430,  est  antérieure 
de  plusieurs  années  aux  premiers  essais  faits  par  Guttemberg  à  Strasbourg  : 
c'est  un  livre  de  la  plus  haute  importance  pour  l'histoire  de  la  gravure 
comme  pour  l'histoire  de  l'imprimerie. 

Les  livres  d'heures  purement  manuscrits,  et  duXVi''  siècle,  sont  au  nom- 
bre de  vingt.  C'est  encore  une  nouvelle  galerie  de  peintures  très-belles  que 
nous  aurions  à  parcourir.  Notons  les  miniatures  et  lettrines  traitées  en 
grisailles,  dans  un  manuscrit  de  M.  Jules  de  Vicq,  et  à  ce  propos  arrêtons 
aussi  l'attention  du  visiteur  sur  l'admirable  manuscrit  (plus  ancien)  de 
la  bibliothèque  de  lloubaix,  où  nous  trouvons  des  miniatures  en  camaïeu 
d'une  finesse  extrême.  Notons  aussi  le  genre  italien  des  heures  de  la  Ste 
Vierge,  de  M.  de  Beaugrenier,  et  surtout  le  fini  des  miniatures  d'un  autre 
livre  d'heures  de  M.  \^an  der  Cruisse  de  Waziers.  On  distingue  surtout  la 
belle  image  de  Marie  portant  l'Enfant-Jésus  sur  le  bras  gauche,  et  entou- 
rée de  ses  ancêtres  rangés  en  arbre  de  Jessé,  plus  le  l*ère  éteinel  au  mi- 
lieu des  anges,  Adam,  saint  Joachim  rencontrant  sainte  Anne,  etc.  Cette 
page  est  splendide.  Les  marges  ornées  avec  luxe  otl'ient  presque  partout 
des  scènes  comiques  d'animaux,  sorte  de  caricatures  dessinées  avec  en- 
train. 

En  dehors  des  livres  d'heures,  le  XVI*  siècle  nous  donne  d'autres  œu- 


L'EXPOSITION    DE    LILLE  45 

vres  :  nu  manuscrit  oriK:'  do  blasons;  des  lettres  de  S.  Grégoire  avec  lettri- 
nes ornées  ;  un  processional  avec  plain-chant,  reliure  ancienne  à  fermoirs  ; 
d'immenses  livres  de  chœur  qui  ont  servi  sur  les  vastes  lutrins  d'autrefois 
et  qui  sont  ornés  avec  goût. 

En  voici  un  autre  qui  réclame  une  mention  spéciale  :  Le  Mystère  par 
personnaiges  de  la  Vie.  Passion,  Mort,  Résurrection  et  Ascention  de  Nre  Sei- 
giv  lESVS  CHRIST,  en  vingt-cinq  Journées,  avec  les  histoires  sur  chacune 
d'icelles,  avec  la  figure  du  Téatre  lequel  Mystère  fut  jouet  triumphamment 
en  la  ville  deValenchiennes  lo47  par  des  notables  Bourgeois  et  Marchands  di- 
celle  ville  dont  les  noms  avec  ceux  des  joueurs  sont  escrits  en  la  fin  de  ce  pré- 
sent livre. 

Toutes  les  vingt- cinq  journées  se  présentent  l'une  après  l'autre:  de 
grandes  peintures  se  développant  sur  le  verso  et  le  recto'des  feuillets  pei- 
gnent ce  qui  futreprésenté,  c'est-à-dire  tout  le  Nouveau  Testament.  Ce  livre 
est  donc  à  la  fois  un  recueil  de  drames  pieux  et  un  magnifique  album.  Les 
peintures  sont  de  Hubert  CaiUeau  ;  le  livre  a  été  écritpar  Charles  Nérighue. 
Il  appartient  à  M""  de  Lacoste. 

Le  XYIl"  siècle  nous  présente  d'abord  un  recueil  fort  intéressant,  aujour- 
d'hui propriété  de  M.  Ed.  de  Coussemaker. 

Il  est  divisé  en  deux  parties  tout  à  fait  distinctes  :  l'une  comprend  une 
centaine  de  peintures  à  l'huile  ;  Tautre,  des  textes  se  rapportant  à  l'histoire 
des  couvents  des  FF.  Prêcheurs  et  de  Sainte-Catherine  de  Sienne. 

Les  peintures  peuvent  se  subdiviser  en  quatre  séries  représentant  :  la 
première,  les  principaux  saints  de  l'ordre  (elle  est  désignée  par  l'auteur 
sous  le  nom  de  généalogie  spirituelle  de  Saint-Dominique)  ;  la  seconde,  les 
allégories  qui  ont  figuré  dans  la  procession  du  il  mai  1G31  ;  la  troisième, 
la  généalogie  temporelle  de  Saint-Dominique  ;  et  la  quatrième,  les  prin- 
cipaux objets  artistiques  ou  précieux  que  possédait  le  couvent  de  Sainte- 
Catherine  de  Sienne. 

Les  peintures  ont  été  faites  pour  conserver  le  souvenir  d'une  grande 
fête  célébrée  à  Douai  en  1631.  C'est  un  souvenir,  un  album  de  cette  fête, 
mais  un  album  en  peintures  à  l'huile,  exécuté  par  les  peintres  Vaast  Bel- 
legambe  et  Bon  Lenglet.  Le  texte  est  une  reproduction  de  l'histoire  des 
couvents  des  I  >ominicains  et  de  Sainte-Catherine  de  Sienne,  par  le  P.  Ph. 
Petit,  qui  fit  exécuter  les  peintures  de  la  première  partie. 

Ce  très-important  manuscrit  est  donc  à  la  fois  un  musée  et  un  cabinet 
d'archives.  Il  inventorie,  non  seulement  une  grande  solennité  religieuse 
et  artistique  (qui  n'est  pas  sans  ({uelque  rapport  avec  notre  exposition) 
mais  encore  les  trésors  du  couvent.  D'autre  part,  c'est  un  livre  historique, 
un  recueil  de  documents  authentiques,  un  véritable  dossier  de  pièces  à 


•46  l'exposition  de  lille 

consulter.  Il  serait  bien  à  désirer  que  l'on  eût  beaucoup  de  ces  sortes  de 
recueils  illustrés  de  la  grande  manière  :  l'histoire  vraie  de  nos  anciennes 
maisons  religieuses  serait  alors  facile  à  faire,  ou.  pour  mieux  dire,  elle 
serait  faite. 

Nous  avons  ensuite,  du  môme  siècle  :  un  beau  livre  tout  orné  de  gri- 
sailles ;  un  recueil  d'armoiries  et  d'épitaphes  ;  des  livres  liturgiques  de 
l'ancienne  collégiale  de  Saint-Pierre  de  Lille  ;  un  très-curieux  Bénédic- 
tionnal  en  parchemin  de  1679,  etc. 

C'est  ce  qu'il  faut  pour  bien  continuer  l'histoire  de  cet  art  merveilleux, 
qui  va  en  décroissant,  en  se  transformant,  à  mesure  que  la  gravure  le 
combat  plus  vivement  et  Huit  par  le  vaincre. 

Pourtant  il  nous  reste,  môme  du  XVIII*  siècle,  plusieurs  livres  de  chant, 
imitation  louable  quant  h  l'esprit,  très-incorrecte  quant  à  la  forme,  des 
œuvres  d'autrefois.  Il  nous  reste  ensuite  quelques  dessins,  non  plus  en 
miniature,  mais  à  l'encre  de  Chine. 

Enfin  voici  un  livre  de  prières  du  prince  de  Bavière,  archevêque  de 
Cologne,  daté  de  1729.  —  Cet  ouvrage,  que  Von  croit  unique,  a  été  gravé 
sur  cuivre,  et  l'auteur  a  consacré  vingt  années  à  son  œuvre.  Il  renferme 
des  dessins  d'une  finesse  extraordinaire.  Toutes  les  lettres  majuscules 
sont  ornées  et  diffèrent  entre  elles,  ce  qui  a  fait  supposer  que  c'était  un 
manuscrit.  La  reliure  est  du  temps,  en  velours  avec  filets  et  médaillons  en 
argent  repoussé  et  ciselé.  Ces  médaillons  contiennent,  comme  la  première 
miniature,  les  armes  du  prince-archevèque.  Ce  livre  a  été  enlevé  lors  des 
guerres  de  l'Empire,  et  vendu,  comme  manuscrit,  à  Paris,  il  y  a  sept  ans. 
Il  appartient  aujourd'hui  à  M.  Larangot-Wavrin.  Amiens. 

A  cette  magnifique  collection  que  nous  venons  de  visiter,  on  a  joint  un 
certain  nombre  de  volumes  remarquables  par  la  reliure  ancienne  et  le 
bon  goût  dans  lequel  ils  sont  traités.  On  les  examinera  assurément  avec 
un  véritable  intérêt. 

L'abbé  E.  Van  Drival. 
(La  suite  au  prochain  numéro.) 


LA  CROIX  DE  HENRI  IV  A  ROME 


I 


Notice  extraite  de  divers  numéros  du  Journal  de  Florence,  avec  des  anno- 
tations de  M9^-  Barbier  de  MontauU 


I 

Les  travaux  de  nivellement  qui  ont  été  exécutés  en  1874  autour  de  la 
basilique  de  Sainte-Marie-Majeure,  dans  le  nouveau  quartier  de  lEsquilin, 
ont  quelque  intérêt  pour  la  France. 

Ils  vont  entraîner  le  déplacement  du  principal  monument  qui  rappelle  à 
Rome  la  conversion  du  roi  Henri  IV  '.  Ce  monument  consiste  en  une  croix 
élevée  vis-à-vis  du  portail  de  Téglise  de  S.  Antoine,  qui  est  voisine  de  Ste- 
Marie-Majeure  :  on  la  nomme  aussi  basilique  Licinienne.  La  croix  et  son 
piédestal  sont  dans  un  état  déplorable  ;  ce  serait  bien  le  cas  de  les  restau- 
rer. Cette  bonne  œuvre  serait  digne  de  M.  de  Corcelle  ,  ambassadeur  de 
France  près  le  Saint-Siège. 

Lorsqu'on  dit  déplacement,  l'expression  n'est  pas  exacte.  Il  s'agit  d'a- 
baisser le  sol  de  quatre  à  cinq  mètres,  la  croix  sera  abattue  et  replacée 
sur  le  nouveau  niveau,  absolument  au  môme  point,  vis-à-vis  le  portail  de 
la  basilique.  Les  ingénieurs  municipaux,  que  nous  avons  interrogés  sur 
place,  nous  en  ont  donné  l'assurance,  et  la  croix  de  Henri  IV  est  en  effet 
marquée  sur  leur  plan. 

La  croix  consiste  en  un  fuseau  ou  colonne  rhomboïde  en  granit  oriental, 
baute  de  cinq  mètres  avec  un  petit  chapiteau  corinthien.  La  colonne  est 
intacte,  le  chapiteau  est  écorné.  Sur  le  chapiteau  s'élève  la  croix,  com- 
posée de  deux  cylindres  en  bronze  ou  en  marbre  noir  (on  ne  distingue 

'  La  conversion  de  Henri  IV  est  rappelée  à  Tîome  par  quatre  autres  monuments  : 
une  statue  de  bronze,  à  Saint-Jean  de  Latran  ;  un  bas-reliof  au  tomiieau  de 
Léon  XI,  à  Saint-Pierre  du  Vatican;  une  inbciiption  à  la  façade  du  Capitule  et 
une  autre  inscription  à  baint-Basilo. 


48  LA    CROIX    DE    HENRI    IV    A    ROME 

pas  très-bien)  ;  chacune  des  l)ranches  est  terminée  par  une  fleur  de  lys  en 
bronze.  La  croix  supporte,  d  un  côté,  le  Christ,  de  l'autre,  comme  ados- 
sée, la  Vierge  couronnée,  avec  l'enfant  Jésus  sur  le  bras  gauche  et  le 
sceptre  dans  la  main  droite,  les  pieds  sur  le  croissant.  Les  deux  figures 
sont  en  bronze  noirci  par  le  temps. 

Le  piédestal  du  monument  est  dans  un  état  encore  plus  déplorable  et 
qui  ne  fait  nul  honneur  à  lu  France.  Sur  le  bord  qui  est  vis-à-vis  de  l'église, 
il  y  a  l'écu  particulier  du  roi,  surmonté  de  la  couronne  royale  à  moitié 
rompue  ;  dans  le  champ  de  l'écu,  il  y  a  en  haut  deux  écussons,  celui  de 
Bourbon  avec  les  fleurs  de  lys  d'or  et  celui  de  Navarre  avec  les  chaînes, 

Dans  le  bas,  un  H  traversé  par  une  palme  et  une  branche  de  chêne  et 
surmonté  d'une  couronne  à  pointes.  Cet  écu  est  également  écorné. 

Sur  le  bord  du  piédestal  tourné  au  midi,  vers  Sainte-Croix  de  Jérusa- 
lem, il  y  a  l'écu  du  Pape  Clément  VIII,  Aldobrandini,  qui  était  florentin, 
et  portait  d'azur  à  la  bande  Orélessée  d'or,  accompagnée  de  six  étoiles  de 
même.  La  tiare  et  les  clefs  qui  couronnaient  cet  écu  ponlifical  ont  dispai'U. 

Sur  le  bord  tourné  au  nord,  vers  Sainte-Maric-INiajeure.  il  y  a  l'écu  du 
Pape  lienoît  XIV,  qui  a  fait  restaurer  le  monument  \  11  portait />a/e  f/'o/- 
et  de  gueules  de  six  pièces.  La  tiare  y  est  encore,  mais  les  clefs  ont  été 
rompues.  Au-dessous  de  cet  écu  papal  on  lit  cette  inscription  : 

Benedictus  XIV  Pont.  Max. 

publicum  hoc  monumentum 

Deiparae  virgini  sacrum 

A  Clémente  viii  Pont.  Max.  euectum 

Temporis  ruina  colla psum 
Restituit  anno  CuRisTi  MDCCXLV. 

C'est  la  seule  inscription  qui  soit  sui-  le  piédestal  %  elle  ne  parle  pas  du 
roi  Henri  IV,  ni  du  motif  pour  lequel  le  monument  a  été  élevé. 

La  croix  ne  fut  élevée  qu'assez  longtemps  après  le  17  septembre  ioUo. 
Le  cardinal  d'Ossat,  qui  parle  des  Te  Deum  célébrés  à  St-Louis  des  Fian- 
çais et  à  la  Trinité  des  Monts,  ne  nomme  pas  l'église  de  St-Antoine,  dans 
la  période  où  il  traite  des  négociations  de  l'absolution  du  roi  ■'. 

1  Cette  croix  ne  fut  pas  érigée  priniitivenient  à  la  })lace  qu'elle  occupe  mainte- 
nant. Ce  fut  sous  Benoit  XIV  que  s'oj)éra  sa  translation  ;  elle  y  perdit  le  balda- 
quin qui  l'abritait. 

'  L'inscriplion  ■■;  rimitivi'  se  trouve  dans  les  anciens  recueils  d'épigrapliie. 

'  Le  tombeau  du  cardinal  d'Ossat  existe  à  Home  dans  une  des  cl;a]ielles  laté- 
rales de  réalise  national!^  de  S  lint-Louis  des  fiançais. 


LA    CROIX    DE    HENRI    IV    A    ROME  49 


II 


On  sait  par  les  descriptions  de  Rome  du  XVIP  siècle  que  le  monument 
existait  et  qu'il  avait  cette  destination  de  perpétuer  le  souvenir  delà  con- 
version de  Henri  W.  La  croix  était  alors  couverte  d'un  baldaquin  en  ma- 
çonnerie, supporté  par  quatre  colonnes,  et  le  piédestal  portait  rinscription 
suivante  : 

D.  0.  M. 
Clemekte  •  \11I  •  Vont  •  Max 

AD    •   MEMORIAM 

ABSOLUTIONIS    •    HeNRICI    •    IV 

FRANC    ■    ET  •   NAVAR 

REGIS    •    rnRISTIANISSIMI 

0  •  F  •  R  •  D  •  XY  •  Kal  •  OcT  •  MDXGV. 

Il  est  aisé  de  deviner  que  les  lettres  Q.  F.  R.  D.  signifient  Qu.e  Flit 
R0M£  Die  17  octobre  1395. 

11  paraît  que  le  roi  Louis  XIV  ne  fut  pas  content  de  cette  inscription'.  11 
la  fit  enlever  et  elle  fut  remplacée  par  une  taljle  de  marbre  blanc  portant 
au  milieu  une  flamme. 

Le  baldaquin  en  maçonnerie  s'écroula  en  ll'iA.  Benoît  XIV  lit  restau- 
rer la  croix  en  supprimant  le  baldaquin.  On  aperroit  encore  sur  le  sol  la 
trace  des  colonnes  qui  le  supportaient.  11  y  a  maintenant  quatre  bornes 
en  travertin  qui  ont  dû  être  reliées  pa»-  des  chaînes. 

Tel  qu'il  est  aujourd'hui,  le  monument  de  Henri  IV  est  une  ruine.  Les 
trois  blasons  de  Henri  IV,  de  Clément  VllI  et  de  Benoît  IV  ont  besoin 
d'être  sculptés  à  neuf  ". 

On  n'ignore  pas  que  l'église  de  St-Antoine,  dans  laquelle  le  Pape  Clé- 
ment VIII  vint  chanter  le  7e  Deum  pour  la  conversion  du  roi  Henri  IV, 
était,  à  cette  époque,  habitée  par  des  religieux  français,  que  l'on  nom- 
mait les  frères  Dauphins. 

Leur  institution  se   rattache  aux  Croisades.    Les  croisés   l'apportaient 

'  Ce  fut  par  ordre  éiialoruent  de  l'oinbrngcux  monarque  que  l'ambassadeur  de 
France  s'opposa  à  la  |)ublication  dans  le  Bullurintn  llomaitum  de  la  bidie  d'ex- 
communication lancée  par  Sixte  Y  coritie  Henri  IV. 

-  Il  vaudrait  mieux  les  romp!ét<M-  que  de  les  lofaii-e  à  neuf  :  on  peut  les  rcstau- 
rei'  sans  les  remplacer. 


50  LA    CROIX    DE    HENRI    IV    A    ROME 

d'flrient  la  maladie  dite  feu  saint  Antoine  ',  qui  était  alors  épidémique  et 
qu'il  fallait  soigner  dans  des  hôpitaux  spéciaux.  Un  de  ces  hôpitaux  fut 
institué  à  Vienne  en  Dauphiné,  et  il  était  desservi  par  des  chevaliers  hospi- 
taliers qui  furent  nommés  Dauphins.  A  cette  époque  on  disait  dauphins 
au  lieu  de  dire  comme  aujourd'hui  Dauphinois. 

Le  couvent  de  St-Antoine  de  Rome  était  réservé  aux  malades  du  feu  de 
saint  Antoine.  Peu  à  peu  cette  maladie  ayant  disparu,  l'hôpital  n'eut  plus 
de  raison  d'être.  Les  hospitaliers  Dauphins  furent  incorporés,  personnes 
et  biens,  daris  l'ordre  de  Malte  par  un  rescrit  de  Pie  VI  daté  de  1778. 

Leurs  obligations  hospitalières  furent  déférées  à  l'hôpital  de  la  Consola- 
zione  -,  où  l'on  transporte  aujourd'hui  les  blessés,  qui  ne  peuvent  être 
soignés  chez  eux. 

Les  relations  qui  insistent  sur  les  blessés  par  les  incendies  soignés  à 
l'hôpital  de  St-Antoine  ''  par  les  religieux  Dauphins,  n'ont  point  la  notion 
du  feu  saint  Antoine,  contagion  contractée  en  Orient  par  les  croisés  au 
XP  et  au  XII*  siècle  et  de  la  nécessité  de  soigner  ceux  qui  en  étaient  at- 
teints dans  des  hôpitaux  spéciaux,  où  les  religieux  faisaient  preuve  d'un 
rare  dévouement. 

Saint  François  d'Assise,  étant  venu  à  Rome,  du  temps  du  Pape  Hono- 
rius  III,  vint  loger  avec  ses  compagnons  à  l'hôpital  des  Dauphins.  Il  y 
passa  plusieurs  mois. 

A  la  fin  du  dernier  siècle,  le  dernier  archevêque  de  Vienne,  Mgr  Char- 
les François  d'Aviuu-du-Bois  de  Sanzay,  chassé  de  sa  résidence  par  les 
révolutionnaires,  dépourvu  d'argent  et  de  secours,  partit  de  Vienne  à 
pied  et  vint  jusqu'à  Rome,  de  couvent  en  couvent,  d'hôpital  en  hôpital.  A 
peine  ariivé  dans  la  ville  éternelle,  il  alla  s'agenouiller  dans  l'église  de 
St-Antoine  et  il  exprima  ses  regrets  de  n'y  plus  trouver  les  religieux  Dau- 
phins, qui  étaient  partis,  dans  l'origine,  de  Saint-Antoine  de  Vienne. 

Pie  VI  accueillit  le  saint  archevêque.  Il  se  souvint  de  lui  lorsqu'il  entra 
sur  les  terres  de  son  archevêché,  en  allant  de  Grenoble  à  Valence  où  il 
mourut. 

Plus  tard  le  diocèse  de  Vienne  fut  supprime,  et  Mgr  d'Aviau-du-Bois  de 
Sanzay  fut  nommé  archevêque  de  Bordeaux.  Il  est  mort  dans  ce  poste. 

*  C'est  pour  cela  qu'à  Rome  on  représente  S.  Antoine  avec  des  flammes  dans  la 
main  droite  ou  sous  les  pieds. 

*  Cet  hôpital  est  voisin  du  Forum. 

'  Les  pompiers  ont  pris  ù  Rome  pour  patron  le  grand  S.  Antoine,  parce  qu'ils 
ont  pour  misïion  d'éteindre  le  feu  des  incendies,  comme  celui-ci  guérit  du  feu 
corporel. 


LA    CROIX    DE    HENRI    IV    A    ROME  51 

III 

Les  premières  notices  publiées  par  le  Journal  de  Florence  an  sujet  de  la 
colonne  de  Henri  IV  ont  appelé  l'attention  du  gouvernement  français.  Un 
des  secrétaires  de  l'ambassade  s'était  déjà  préoccupé  d'ailleurs  du  sort 
qu'allait  subir  ce  monument  par  suite  de  rabaissement  de  l'Esquilin  sur 
lequel  il  est  placé. 

Nous  avons  donc  la  conviction  que  l'honorable  INI.  de  Corcellc  prendra 
les  dispositions  nécessaires  pour  que  la  colonne  soit  conservée  et  son  pié- 
destal parfaitement  restauré. 

Mais  à  notre  avis,  cela  ne  suffirait  pas  à  la  dignité  du  nom  français  et 
à  la  grandeur  du  fait  que  rappelle  le  monument. 

11  faut  que  le  monument  soit  rétabli  dans  son  entier,  c'est-à-dire  que 
l'ancien  baldaquin  soutenu  par  quatre  colonnes,  recouvre  la  colonne 
rhomboïde  qui  soutient  la  croix. 

11  faut  que  l'inscription  de  Clément  VIII  soit  remise  à  sa  place  sur  le 
socle. 

Cette  inscription  oubliée,  qu'on  ne  trouve  plus  même  dans  les  livres  où 
il  est  question  du  monument  ',  fut  enlevée  à  la  suite  du  dit'.erend  entre 
la  Cour  de  Rome  et  Louis  XIV.  Le  grand  roi,  dont  l'orgueil  était  incompa- 
rable, voulut  considérer  cette  inscription  comme  offensante  au  nom  de 
Henri  IV  ;  il  ne  permettait  pas  que  son  royal  [irédécesseur  eût  été  hugue- 
not et  qu'il  eût  reçu  le  pardon  de  Rome  :  tant  l'absolutisme  a  de  hardiesse 
et  prétend  quelquefois  effacer  l'histoire. 

^  Un  des  écrivains  qui  ont  le  mieux  traité  la  question  de  cette  croix  est  Mer  j^q. 
quet,  évèquc  d'Héséhon,  dans  un  ouvrage  sous  forme  de  guide,  écrit  spécialement 
en  vue  de  l'ai-mée  française,  dès  les  premiers  temps  de  l'occupation  de  Rome.  — 
On  remarque  beaucoup  en  ce  momeut,  dans  le  Journal  de  Florence  et  dans  la 
Revue  du  monde  cutlwliquc,  une  série  d'articles  historiques  sur  la  réconciliation 
d'Henri  IV. 


DEUX  GRANDS  ARTISTES  CHRETIENS 


LES  FRERES  DUTHOIT 


I 


Les  frères  Duthoit,  Aimé  et  Louis,  sont  nés  à  Amiens,  le  premier,  le  25 
novembre  180,".  le  second,  le  L5  avril  1807.  L'un  et  l'autre  reçurent  de 
leur  père,  sculpteur  lillois  étnbli  depuis  peu  à  Amiens,  les  premières  notions 
de  leur  art  On  peut  dire  qu'ils  commencèrent  à  sculpter  et  à  dessiner  le 
jour  même  où  leurs  petites  mains  purent  manier  un  crayon  ou  soulever 
un  ciseau. 

Tous  deux  reçurent,  pendant  quelques  années  seulement,  une  instruction 
primfiire  des  plus  élémentaires  dans  une  institution  dirigée  par  M.  Sujol. 
Tout  en  faisant  ces  études  hâtives,  Aimé  et  Louis  Duthoit  suivirent  le 
cours  communal  de  dessin,  professé  ave(;  succès  par  M.  Chantriaux. 

A  l'âge  où  les  autres  enfants  ne  songent  encore  qu'à  leurs  jeux,  nos 
jeunes  artistes  travaillaient  déjà  et  aidaient  sérieusement  leur  père.  Louis 
trouvait,  de  plus,  le  temps  de  tailler  à  la  grosse  de  petites  images  de 
saints  et  de  saintes,  dont  le  produit  lui  servit  à  acheter  les  premiei's  livres 
de  sa  bibliothè,(]ue,  les  premiers  dessins  de  ses  nombreuses  collections. 
On  possède  des  albums  de  ces  artistes,  datés,  ceux  d'Aimé,  de  1817, 
ceux  de  Louis  de  18-JO.  A  13  ou  li  ans,  les  deux  frèi'es  étudiaient  et  dis- 
cernaient d'iustinrt  l;i  \aleur  hisloriciue  et  arlistiiiue  des  œuvres  du 
Moyen-Age,  vingt  ans  avant  (|ue  les  savants  travaux  des  Moutalembert, 
des  Mérimée,  des  Vitet,  des  du  Sommerait!,  aient  attiré  l'attention  sur 
des  monuments  mé|)risés  et  incomj)i'is  de|)uis  plusieiu's  siècles. 

*  Nous  regrettons  que  l'ubondance  des  matières  ne  nous  ait  point  permis  de 
puljlier  dans  le  der  iiîr  numéiM  les  notes  et  renseignements  qu'on  a  bien  vouhi 
nous  conununifjiier  sur  les  hères  Pntlioil,  à  roccasiou  de  )a  nioit  de  Louis-.Tean- 
Baptiste-Joseph  Iiiithoit,  statuaire,  décédé  le  '.\\  déceml)re,  à  l'âge  de  67  ans. 


DEUX    GRANDS    ARTISTES    CHRÉTIENS  53 

Aimé  et  Louis  Duthoit  eurent  naturellement  tous  les  succès  qu'ils  pou- 
vaient obtenir  à  l'école  communale  de  dessin . 

L'iuiibition  d'Aimé  Duthoit,  s'accordant  en  cela  avec  celle  de  son  père, 
eût  été  d'envoyer  à  Paris  le  jeune  Louis  pour  qu'il  pût  perfectionner  et 
développer  ses  dispositions  naturelles.  La  mort  de  M.  Duthoit  père, 
arrivée  en  1824,  mit  à  némit  ces  beaux  projets;  les  deux  frères  eurent 
alors  à  lutter  contre  les  difficultés  de  la  vie,  et,  avant  de  penser  à  faire  de 
l'art,  ils  durent  songer  ;i  gagner  de  quoi  vivre  eux-mêmes,  et  faire  vivre 
ceux  dont  ils  devenaient  les  seuls  soutiens.  Aimé  Duthoit  avait  20  ans,  et 
Louis  17,  quand  ils  conclurent  fraternellement  cette  association  que  la 
mort  seule  a  pu  dissoudre,  pendant  quelques  années,  et  que  la  mort  vient 
de  sceller  à  nouveau  et  pour  l'éternité. 

Les  deux  frères  cherchèrent  un  instant  leur  voie.  —  Aimé  avait  com- 
mencé à  faire  de  la  statuaire,  mais  ayant  reconnu  les  dispositions  naturelles 
de  son  frère,  il  le  poussa  dans  cette  voie  et  se  réserva  la  sculpture  orne- 
mentale. Cette  division  du  travail  était  cependant  plus  apparente  que 
réelle  dans  les  résultats  :  la  main  de  Louis  maniait  l'ébauchoir  ou  le  ciseau; 
l'expérience  et  le  goût  d'Aimé  dirigeaient  cette  main.  De  même,  l'imagi- 
nation vive  de  Louis  suggérait  à  Aimé  les  idées  mères,  les  thèmes  sur 
lesquels  son  habile  crayon  brodait  mille  variations.  Les  deux  frères  ne 
pouvaient  se  passer  Tun  de  l'autre  ;  leurs  deux  talents  se  complétaient  et 
leurs  œuvres  se  perfectionnaient  par  la  critique  bienveillante  faite  et 
acceptée  de  part  et  d'autre  avec  la  même  franchise  et  la  même  simplicité. 

Aimé  et  Louis  étaient  déjà  établis  depuis  plusieurs  années,  et  avaient 
exécuté  de  nombreux  travaux  quand  ils  visitèrent  Paris  pour  la  première 
fois,  et  que  pour  la  première  l'ois  aussi  ils  virent  un  musée. 

Ces  deux  frères  soht  Amiénois  de  naissance  et  de  talent.  Ils  n'ont,  pour 
ainsi  dire,  point  eu  de  maîtres;  leurs  dispositions  naturelles,  servies  par 
une  grande  force  de  volonté  et  un  amour  passionné  du  travail,  se  sont 
développées  à  la  vue  des  magnificences  de  notre  incomparable  cathédrale. 
C'est  là  qu'ils  sont  allés  demander  aux  modestes  tailleurs  d'images  du 
XIIP  siècle,  le  secret  de  la  simplicité  et  de  la  naïveté  grandiose  de  leurs 
figures.  C'est  là  que  les  maîtres  du  XYI'  siècle  leur  enseignèrent  l'art  de 
grouper  les  personnages  en  d'admirables  tableaux  pleins  de  naturel  et  de 
vie.  Ce  sont  les  œuvres  des  Blasset,  des  Carpentier,  des  Cressent,  des 
"Vimeux,  tous  artistes  Amiénois,  qu'ds  étudièrent,  demandant  à  celui-ci 
le  mouvement  et  l'ampleur  ;  à  celui-là,  la  grâce  et  l'élégance  ;  à  cet  autre, 
le  sentiment  et  l'expi-'jssion. 

Les  frères  Duthoit  n'ont  point  fait  que  des  chefs-d'œuvre  ;  leurs  pre- 
mières proiluctions  se  ressentent  naturellement  de  leur  jeunesse  et  de  leur 


54  DEUX  GRANDS  ARTISTES  CHRÉTIENS 

inexpérience  ;  elles  se  ressentent  aussi  du  goût  du  jour  qui  laissait  beau- 
coup à  désirer,  mais  leur  talent,  grâce  à  une  étude  constante,  se  développa 
vile,  et  alla  se  perfectionnant  jusqu'au  jour  de  leur  décès. 

11  serait  assez  difficile  de  cataloguer  toutes  leurs  œuvres,  elles  sont 
innombrables  et  répandues  dans  toute  la  province  de  Picardie  et  dans  les 
provinces  limitrophes. 

Dans  le  département  de  la  Somme,  il  est  bien  peu  de  communes  qui  ne 
possèdent  quelqu'une  de  leurs  œuvres  :  toutes  les  églises,  tous  les  édi- 
fices publics,  presque  toutes  les  habitations  particulières  ont  conservé  un 
souvenir  du  passage  de  ces  artistes.  —  Mais  leurs  œuvres  capitales  peuvent 
se  voir  :  à  Amiens,  à  la  Cathédrale,  dont  ils  furent  les  sculpteurs  pendant 
près  de  cinquante  ans,  et  où  Louis  Duthoit  a  exécuté  plus  de  quarante 
statues  et  un  nombre  infini  de  statuettes,  de  groupes,  etc.,  etc.  ;  —  à 
l'éo-lise  Saint-Jacques,  dont  Aimé  Duthoit  avait  composé  et  exécuté  toute 
la  décoration,  avant  l'incendie  de  1857;  —  à  l'église  Saint-Germain  (1826 
à  18G6);  —  aux  chapelles  des  couvents  du  Sacré-Cœur  (1868),  de  la 
Sainte  Famille  et  des  Ursulines  (1867)  ;  —  au  couvent  de  la  Visitation,  au 
musée,  à  l'Hôtel-de-Ville  (1858)  ;  —  dans  les  hôtels  de  MM.  Du  Bos  et  de 
gerny; — dans  le  cimetière  de  la  Madeleine; — à  Abbeville,  dans  les  églises 
de  Saint-Yulfran  (1831-61)  et  de  Saint-Gilles  (,1860-69);  —  au  Palais-de- 
Justice  0863):  —  à  l'église  de  Péronne  (1865);  —  dans  l'ancienne  abba- 
tiale (1862;  et  dans  le  petit  séminaire  de  Sainl-Riquier  (1844-68)  ;  —  à 
l'église  du  Saint- Sépulcre  à  Montdidier  (1852-65);  —  dans  l'église  de 
Long  (1857)  et  à  la  chapelle  de  Rue  (1862-1869);  —  aux  châteaux  de 
Belloy-sur-Somme  (1846)  et  de  Regnières-Ecluse  (1859)  ;  —  au  tombeau 
de  la  famille  Maille,  à  Doullens  (1838-42)  ;  —  à  Arras,  à  l'Évêché  (1856- 
1865);  à  la  cathédrale,  au  Palais-de-Justice  (1855),  à  la  Préfecture,  dans 
le  couvent  des  Dames  du  Saint-Sacrement  (1845-64):  —  à  Boulogne-sur- 
Mer  :  dans  le  couvent  des  Dames  de  la  Visitation  (1845)  et  dans  l'église 
Notre-Dame  (1874)  ;  —  et  enfin  à  Hellebeck  (Belgique,  1860). 

Louis  Duthoit  a  exécuté  environ  1,200  statues  ou  bas-reliefs.  —  De 
quelque  habileté  qu'ait  été  doué  un  artiste,  on  comprend  ditficilement 
une  pareille  fécondité,  et  pourtant,  comme  dessinateur,  Louis  Duthoit  a 
produit  peut-èu-e  plus  encore.  Profitant  de  ce  que  leurs  travaux  de  sculp- 
ture les  faisaient  journellement  voyager  à  travers  le  département  de  la 
Somme,  les  deux  frères  dessinaient,  d'après  ce  qu'ils  rencontraient,  sites, 
paysages,  monuments,  objets  d'art.  —  C'est  à  l'aide  de  ces  dessins  que 
Louis  Duthoit  a  pu  former  cette  monographie  du  département  de  la 
Somme  qui  compte  8,000  dessins,  tous  dessinés  d'après  nature,  recopiés 
et  classés  de  sa  main. 


DEUX    GRANDS    ARTISTES    CHRÉTIENS  55 

Cette  collection,  probablement  unique  au  monde,  est  un  véritable  in- 
ventaire de  tout  ce  que  le  département  renfermait  d'intéressant  pour  l'his- 
toire et  pour  l'art,  depuis  1820  jusqu'à  nos  jours.  C'est  une  œuvre,  à  peu 
de  chose  près,  complète  et  à  laquelle  il  mettait  la  dernière  main  quand  lu 
mort  l'a  surpris. 

A  côté  de  ce  grand  ouvrage  in-folio,  il  laisse  : 

Un  dictionnaire  en  images  de  la  ville  d'Amiens; 

Un  dictionnaire  du  département  de  la  Somme.  Ce  travail  est  malheureu- 
sement inachevé; 

Un  dictionnaire  de  l'architecture  dans  le  département  de  la  Somme,  à 
l'imitation  du  Dictionnaire  de  Viollet-le-Duc; 

Une  collection  de  48  monuments  existant  à  Amiens  en  1700  ; 

150  vues  delà  cathédrale  et  de  la  ville  d'Amiens  primitivement  destinées 
à  illustrer  un  Guide  do  voyageur  dans  la  ville: 

Un  recueil  de  300  statues  recueillies  dans  le  département  de  la  Somme  ; 

L'œuvre  du  sculpteur  Biasset  ; 

Les  œuvres  des  sculpteurs  Morgan,  Carpentier  et  Dupuis  ; 

Les  œuvres  d'art  de  la  Confrérie  du  Puy  ; 

Son  œuvre  à  lui-même,  composée  de  5o0  dessins,  donnant  ses  princi- 
pales compositions: 

Une  quantité  de  dessins  originaux  sur  la  cathédrale  et  sur  un  grand 
nombre  de  communes  ; 

Un  volume  de  dessins  pris  d'après  nature  en  France  et  en  Belgique  ; 

Enfin  d'innombrables  croquis  et  documents  puisés  à  toutes  les  sources, 
et  se  rapportant  à  la  statuaire,  à  l'archéologie  et  à  l'hagiographie. 

Il  a  fourni  des  dessins  à  un  grand  nombre  de  publications  et  il  a  litho- 
graphie lui-même  : 

Pour  l'explication  des  médaillons  du  grand  portail  de  la  cathédrale 
d'Amiens,  par  Reymonde,  16  planches  ;  , 

1837.  Pour  les  Monnaies  inconnues  des  évêques  des  Innocents,  etc.,  par 
MM.  J.  Rigollot,  d'Amiens,  37  planches; 

1831-40.  Pour  les  Monuments  anciens  et  modernes  de  la  ville  d'Amiens, 
61  planches; 

Pour  les  Mémoires  de  la  Société  des  Antiquaires  de  Picardie,  16  planches; 

1840.  Pour  {'Histoire  des  arts  du  dessin  du  docteur  Rigollot,  58  planches  '  ; 

*  Dans  son  Histoire  de  Fart  en  Picardie,  M.  Rigollot  avait  exprimé  tout  ce 
qu'il  devait  au  concours  de  MM.  Duthoit  dont  le  crayon  si  sûr  l'avait  habilement 
secondé  dans  la  reproduction  des  œuvres  d'art  qu'il  avait  à  décrire. 

«  Cet  éloge,  dit  M.  de  Chennevières,  rendu  ici  aux  frères  Duthoit,  n'était  que 


o6  DEUX    GRANDS    ARTISTES    CHRÉTIENS 

183i.  Pour  [Histoire  (T Amiens  &'M.  Diisevel,  1"  édition,  il  planches; 

Pour  Amiens  en  1836,  par  Ch.  Caron,  0  planches  ; 

1834.  Pour  la  Description  historique  et  pittoresque  du  département  de  la 
Somme,  22  planches; 

Pour  les  Lettres  sur  le  département  de  la  Somine,  par  H.  Dusevel, 
P''  édition,  5  planches; 

1848.  Pour  l'Histoire  d'Amiens,  Dusevel,  2^  édition,  5  planches  ; 
Pour  {'Arrondissement  de  Montdidier,  2G  planches  ; 

1849.  Pour  le  Bépat-tement  de  la  Somme,  texte  de  M.  Dusevel,  34  pi.  ; 
1873.  Pour  V Œuvre  de  Blasset,  40  planches  ; 

1873.  Pour  le  Vieil  Amiens,  100  planches; 

Aimé  et  Louis  Duthoit  avaient  en  outre  fourni  plus  de  cent  dessins  in- 
folio (à  partir  de  1 835)  pour  le  Voyage  pittoresque  et  artistique  du  baron 
Taylor;  de  nombreuses  compositions  ou  reproductions  de  monuments  pour 
le  Magasin  catholique,  V Illustration,  le  Magasin  pittoresque,  la  France  pit- 
toresque, le  Guide  pittoresque  du  voyageur  en  France,  la  Revue  de  IWrt  chré- 
tien, le  Bulletin  des  Comités  historiques,  le  Guide  du  voyageur  à  A7niens,  les 
Annales  archéologiques  de  Didron,  les  Eglises,  châteaux  et  beffrois  de  Picar- 
die, Flandre  et  Artois,  les  A)'chives  historiques  et  ecclésiastiques  de  la  Pi- 
cardie et  de  l'Artois  par  Roger,  le  Sanctuaire  de  la  Cathédrale  d'Amiens 
d'Edmond  Soyez  ;  quatre  réductions  à  l'aquarelle  de  tableaux  de  la  Con- 
frérie du  Puy  ont  été  reproduits  dans  les  Arts  au  Moym-Age  par  A.  du 
Sommerard. 

Louis  Duthoit  sut  trouver  le  temps  de  dessiner  des  cartons  de  vitraux 
et  même  de  peindre  quelques  tableaux.  Les  peintures  de  la  voûte  de  la 
chapelle  de  la  Vierge,  dans  Téglise  Saint-Jacques  d'Amiens,  sont  les  seules 
que  nous  connaissions,  bien  que  lui-même  en  ait  indiqué  plusieurs  autres. 
Ces  peintures,  sans  aucune  prétention,  ne  sont  point  dénuées  d'un  certain 
mérite  ;  elles  n'ont  été  faites  par  lui  qu'avec  Tespoir  de  les  voir  remplacées 

justice  de  la  part  de  M.  RigoUot.Les  97  figures  ou  compositions,  reproduites  par 
eux,  d'une  plume  extrêmement  fine,  sur  quarante  pierres  lithographiques,  for- 
ment un  athis  expUcutif  des  plus  curieux  et  qui  ajoute  singulièrement  à  l'inté- 
rêt du  texte.  Ce  sont  de  très-émineiits  sculpteurs  et  dessinateuis  que  MM.  Du- 
thoit, et  je  ne  sache  pas  d'artistes,  dans  aucune  de  nos  provinces,  qui  aient  mieux 
mérité  la  reconnaissance  de  leurs  compatriotes,  pour  leurs  savantes  et  siires  res- 
taurations des  monuments  religieux  et  civils,  pour  les  ingénieuses  inventions  dé- 
coratives (pi'ils  ont  multipliées  à  Amiens  à  Abbeville,  dans  toutes  les  ch:ipol!es 
des  bourgades  et  villages  de  Picardie.  Leur  jiays,  (qu'ils  n'en  doutent  pas,  se  sou- 
viendra d'eux  plus  tard  avec  orgueil  ;  depuis  Blasset,  je  n'en  vois  point  qui  aient 
rendu  plus  de  services  à  Amiens.  » 


DEUX  GRANDS  ARTISTES  CHRÉTIENS  37 

par  des  œuvres  de  maîtres,  dès  que  les  ressources  de  la  fabrique  lui  per- 
mettraient de  s'adrci^seï'  à  des  peintres  en  renom. 

Nos  deux  artistes  n'ont  jamais  env^03-é  aux  expositions  de  Paris.  Un 
buste  en  bronze  de  M.  le  Prince  fut  cependant  exposé  en  186..,,  nous  ne 
savons  par  l'initiative  de  qui. 

Une  seule  œuvre  de  Louis  Duthoit  (la  Présentation)  fut  exposée  à  Amiens 
et  valut  une  médaille  d'or  à  son  auteur. 

Les  deux  frères  ont,  durant  leur  vie,  reçu,  des  juges  les  plus  éclairés,  les 
témoignages  les  plus  flatteurs  de  l'estime  qu'inspirait  leur  caractère,  et 
de  l'admiration  qu'excitait  leur  talent.  Le  duc  de  Luynes.  MM.  Mérimée, 
Vitet,  Lassus,  Viollet-le-Duc,  du  Sommei'ard,  Didron,  tous  les  savants, 
tous  les  artistes  à  qui  -lous  devons  la  renaissance  des  arts  du  Moyen-Age 
se  plurent  cà  reconnaître  la  part  sérieuse  que  nos  artistes  amiénois  avaient 
prise  à  ce  grand  mouvement. 

Aimé  Duthoit  fut  l'un  des  fondateurs  de  la  Société  des  Antiquaires  de 
Picardie.  Dès  iSoO,  il  avait  été  nommé  correspondant  du  Ministère  de 
l'instruction  publique  pour  les  travaux  historiques.  En  1841.  le  Comité  des 
travaux  historiques,  ayant,  sous  forme  de  questionnaire,  demandé  à  ses 
correspondants  des  renseignemetits  sur  les  différentes  curiosités  du  dépar- 
tement, Louis  Duthoit  y  avait  répandu  enjoignant  en  marge  de  légers  cro- 
quis complétant  l'explication  donnée  par  le  texte.  Cette  méthode  nouvelle 
fut  trouvée  ingénieuse,  et  il  fut  chargé  par  le  Ministère  de  reproduire  par 
la  lithographie  le  travail  manuscrit  qu'il  avait  adressé  au  Comité,  et  qui  de- 
vait être  donné  pour  modèle  aux  correspondants.  Kn  1850,  la  Société 
d'émul;ition  d'Abbeville  nomma  Louis  Duthoit  membre  correspondant. 
C'est  le  seul  titre  dont  il  eut  pi  se  parer,  s'il  avait  été  dans  son  caractère 
de  se  p;irer  de  quelque  chose.  Aimé  et  Louis  D.;thoit  s'ignoraient  eux- 
mêmes,  et  comptant  pour  p^'v  •  ■  j  l'il.s  savaient,  ils  ne  pensai,  nt  qu  à  tout 
ce  qui  leur  re^tjiit  H  iuiiin-'n  1^  ^  'au-e.  A  ,ssi  la  lo  ange  perso'v 'cille 
leur  était-idic  à  l'harge,  et  ii_Ui  .oui.sac  i-e  rt-Vu.Laii  a  la  pensée  q  •-  le 
public  dût  s'occuper  d'eux. 

Aucime  récompense  officielle  n'a  consacré  le  talent  de  ces  hommes  de 
bien:  la  postérité  les  jugera  et  leur  accordera  la  place  qu'ils  méritent  à 
côté  de  s  B  asset,  des  Dupuis,  dont  ils  ont  été,  pour  ainsi  dire,  les  élèves 
et  les  continuateurs. 

II 

Voici  le  discours  qu'a  prononcé,  le  2  janvier,  sur  la  tombe  de  M.  Louis 
Duthoit,  le  doyen  des  architectes  d'Amiens,  M.  J.  Herbault  : 

11^  série,  tome  U,  5 


96  DEUX  (tRands  artistes  chrétiens 

<  Messieurs, 

<  Si  c'est  un  deuil  bien  triste  pour  la  famille  et  les  amis  qui  conduisent 
ici  celui  qui  emporte  leurs  regrets,  leur  affection  et  leur  estime,  c'est  le 
contraire  pour  cette  tombe  aujourd'hui  devenue  commune  à  deux  frères 
longtemps  unis  par  l'uraitié,  les  goûts,  le  talent  et  l'amour  du  devoir  réso- 
lument pratiqué  ensemble,  car  c'est  pour  eux  un  jour  de  rapprochement 
heureux!...  En  effet  les  deux  frères  Aimé  et  Louis  Duthoit,  inséparables 
en  ce  monde,  n'ont  pu  être  momentanément  détachés  l'un  de  l'autre  que 
par  la  mort  !  Dieu  vient  de  refaire  l'union  brisée,  union  désirée  à  l'heure 
marquée,  et  cette  fois  rendue  à  jamais  indissoluble!  Aussi,  à  cette  pensée 
d'un  suprême  désir  fraternel  réalisé,  ai-je  cru  tout  dabord  devoir  m'arrè- 
ter  comme  à  l'idée  consolante,  la  mieux  f.ùte,  si  ce  n'est  pour  faire  taire 
nos  regrets,  au  moins  pour  en  diminuer  quelque  peu  l'amertume  !. . . 

«  Oui,  les  voilà  maintenant  pour  toujours  ensemble,  mais,  hélas  !  perdus 
pour  nous,  ces  deux  habiles  artistes,  ces  deux  hommes  estimables,  aimants 
et  aimés,  l'honneur  des  arts  en  notre  cité,  eux  dont  les  talents  ont  aug- 
menté le  renom  d'Amiens  pendant  près  de  cinquante  années  d  intelligente 
et  active  collaboration,  laissant  des  œuvres  variées,  justement  vantées,  et 
en  si  grand  nombre,  qu'il  faudrait  plusieurs  livres  pour  les  décrire  et  les 
apprécier  comme  elles  le  méritent,  œuvres  non-seulement  sorties  de  leurs 
ciseaux,  mais  encore  du  goût  le  plus  délicat  et  le  plus  correct  de  composi- 
tion, à  quelque  style  et  époque  de  1  art  qu'elles  appartiennent,  car  ils  ex- 
cellèrent dans  tous  les  genres,  la  statuaire  comme  la  haute  décoration.  De 
plus,  infatigables,  habiles  et  savants  dessinateurs,  ils  ont  l'ait,  on  peut  le  dii-e, 
avec  le  crayon  et  la  gravure,  toute  l'histoire  pittoresque  et  monumentale 
de  notre  vaste  et  intéressant  département,  de  telle  sorte  que  l'historien, 
l'archéologue,  le  chroniqueur  peuvent  à  l'avenir  illustrer  avec  charme  et 
exactitude  leurs  ouvrages  des  leurs,  tant  en  puisant  dans  deux  récentes 
publications  :  le  Vieil  Amims  et  l'Œuvre  de  Blasset,  splendidement  et  in- 
telligemment éditées,  que  dans  les  riches  et  abondants  portefeuilles  actuel- 
lement en  dépôt  dans  des  mains  filiales,  heureusement  aussi  dignes  de  les 
posséder  que  capables  d'en  augmeater  encore  le  nombre  avec  la  môme 
habileté. 

«  J'aurais  pu.  Messieurs,  énumérant  les  principaux  travaux  de  ces  deux 
grands  artistes  en  faire  sous  vos  yeux  un  plus  long  et  plus  complet  éloge, 
mais  je  ne  peux  ou^)lier  qu  un  intime  commerce  d'amitié  de  quarante  an- 
nées, m'a  appris  plus  qu  à  personne,  combien  leur  modestie  fuyait,  redou- 
tait même  la  louange.  Aussi,  devant  cette  tombe,  resjjectei ai-je  presque 
une  dernière  volonté...  A  d'autres  donc  d'écrire  en  détail  et  de  dire  ailleurs 


Dia:X    (UÎAN'DS    AUTJSTKS    CHRÉTIENS  59 

qu'ici,  avec  plus  d'autorité  du  reste,  que  les  deux  frères  Duthoit  n'em- 
bellirent pas  seulement  nos  édifices  publics  civils  et  les  riches  habitations  de 
toute  notre  contrée,  et  au-delà  même,  pendant  presque  un  demi-siècle, 
mais  qu'ils  s'appliquèrent  tout  particulièrement  avec  un  soin  pieux  à  dé- 
penser tout  ce  qu'ils  avaient  de  i,'-énie  artistique  à  orner  nos  temples  de 
leurs  pins  belles  conceptions,  comme  à  y  remettre  en  honneur  les  chefs- 
d'œuvre  de  leurs  devanciers,  outragés  ou  par  le  temps  ou  par  la  profana- 
tion, et  en.cela,  s'identifiant  tellement  avec  eux,  qu'ils  rivalisèrent  à  ce 
point  de  goût  avec  ces  naïfs  et  charmants  imagiers  des  plus  belles  époques 
du  Moyen- Age  et  de  la  Renaissance,  qu'on  a  pu  dire  en  toute  vérité  qu'eux 
aussi  avaient  le  rare  sentiment  de  leur  art  au  plus  haut  degré,  uni  au 
même  sentiment  de  foi. 

«  Tout  en  m'ccoutant,  vous  remarquez  peut-être.  Messieurs,  que  ce  n'est 
pas  de  Louis  Duthoit  seul  que  je  parle  quand,  en  ce  jour,  l'attention  sem- 
blerait devoir  lui  a;ipark'nir  tout  entière:  mais  c'est  qu'il  eût  été  bien  diffi- 
cile et  même  contraii'e  à  votre  pensée  comme  à  la  mienne  de  faire  autre- 
ment, puisque  notre  souvenir  durable  et  sympathique  trouve  l'occasion  de 
se  reprodiiire  pour  confondr'e  dans  le  même  hommage,  et  celui  que  nous 
avons  regretté  et  honoré  le  premier  et  celui  que  nous  pleurons  en  ce  mo- 
ment. Fuisse  cet  hommage  indivis  aller  jusqu'à  leurs  âmes  immortelles. 
Jl  ne  pourrait  que  les  réjouir  là.  comme  sur  cette  terre,  eux  toujours 
exemp!s  d'esprit  de  rivalité. 

«  Fi'ères  insi'piu^ables  dans  la  gloire  comme  dans  l'amitié,  vous  ne  vous 
êtes  pas  seulement  ressemblés  par  le  talent,  vous  avez  vécu  pareillement 
tous  les  deux  en  gens  de  bien.  Modèles  de  piété  filiale,  modèles  des  chefs 
de  famille,  quoique  à  des  titres  différents,  vous  n'avez  donné  que  de  bons 
exemples.  Aussi,  entourés  des  respects,  de  la  reconnaissance  et  de  la  tendre 
aff'ection  de  ceux  que  vous  avez  aimés  et  édifiés,  votre  vie  ici-bas  a-t-elle 
trouvé,  avec  ces  duuces  récompenses  du  foyer,  l'estime  publique,  prélude 
du  bonheur  (jue  vous  avez  mérité  au  séjour  des  récompenses  éternelles  où 
nous  es|)érons  bien  mériter  aussi  de  la  bonté  de  Dieu  de  vous  retrouver. 

'(  Au  revoir  donc,  chers  et  dignes  amis  bien  regrettés,  Aimé  et  Louis 
Duthoit,  à  toujours  unis  dans  notre  pensée,  comme  vous  ne  cesserez  de 
l'être  glorieusement  dans  le  souvenir  de  la  postérité.  » 

III 

Nous  devons  dire  que  la  moit  de  M.  L.  Duthoit,  écho  de  toute  sa  vie,  a 
été  profondement  chrétienne.  S'il  aimait  passionnément  le  Moyen-Age  de 
son  âme  d'artlsio,  il  en  partageait  la  foi  simple  et  naïve  par  son  cœur  de 


60  DEUX    GRANDS    ARTISTES    CHRÉTIENS 

fervent'  catholique.  Ses  croyances  ont  eu  une  grande  influence  sur  son 
admirable  lalcnt.  Il  n'a  point,  comme  tant  d'autres,  com|)osé  de  simples 
pastiches  plus  ou  moins  réussis;  il  a  créé  des  œuvres  viv;mtes  où  respire 
un  vrai  sentiment  religieux.  Il  s'est  si  bien  identifié  avec  les  époques  dont 
il  reproduisait  le  style  que  les  antiquaires  de  l'avenir  pourront  se  trouver 
fort  embarrassés  pour  distinguer  dans  tel  ou  tel  monument  les  additions 
dues  au  sculpteur  amiénois,  et,  ce  que  nous  disons  ici  de  Louis  Duthoit 
s'applique  également  à  son  frère  dont  nous  avons  eu  plusieurs  fois  occa- 
sion, dans  cette  Revue  et  ailleurs,  de  louer  l'admirable  talent. 

Nous  nous  sommes  demandé  plus  d  une  fois  s'il  aurait  été  avantageux 
pour  l'art  que  les  frères  Duthoit  quittassent  Amiens  pour  exercer  leur 
profession  à  Paris.  Ils  y  auraient  sans  doute  beaucoup  gagné  en  renom- 
mée ;  ils  auraient  pu  former  de  nombreux  élèves  et  auraient  peuplé  les 
églises  de  Paris  de  leurs  chefs-d'œuvre.  Mais  d'un  autre  côté,  leur  talent 
aurait  perdu  de  sa  naïveté,  de  son  cachet,  de  sa  physionomie  locale,  et 
peut-être  de  son  sentiment  religieux.  Les  frères  Duthoit  ont  pour  ainsi  dire 
été  les  élèves  de  la  cathédrale  d'Amiens  ;  ils  ont  bien  fait  de  vivre  et  de 
mourir  auprès  de  la  sublime  institutrice  qui  avait  éveillé  et  guidé  leur 
génie. 

J.  CORBLET. 


LES  TAPISSERIES  D'AMIENS 


Nous  trouvons  dans  le  recueil  des  règlements  des  maîtres  tapissiers  de 
Paris,  la  preuve  certaine,  officielle,  de  l'existence,  à  Amiens,  de  l'indus- 
trie ou  plutôt  de  l'art  delà  tapisserie  de  haute  lice,  à  l'époque  de  la  Renais- 
sance et  dont  l'origine  remontait  sans  doute  à  l'émigration  des  tapissiers 
de  haute  lice  d'Arras  expulsés  par  Louis  XI  en  1479  : 

«  Les  premières  fabriques  qui  ont  paru  en  France  ont  pris  naissance  dans 
«  les  villes  de  Tours  et  d'Amiens,  mais  aujourd'hui,  elles  ne  subsistent 
«  plus.  La  fabrique  d'Amiens  n'étoit  point  autrement  recommandable 
«  que  par  les  bonnes  couleurs  qu'elle  employait,  on  n'y  travaillait  qu'en 
«  hautelice  et  fort  peu  en  verdures,  si  ce  n'est  quelques  tentures  qu'on 
«  y  fesait  oii  etoient  semées  quantité  de  fleurs  mal  dessinées  ;  Son  goiit 
«  se  ressentoit  de  l'antique  et  il  est  fort  facile  de  reconnoître  qu'elle 
«  etoit  sa  manière  de  travailler  par  le  grain  qui  y  est  inégal  et  dessé- 
«  ché.  » 

Les  tapissiers  de  Paris  ne  connaissaient  pas  bien  exactement  l'histoire 
de  leur  art  en  France,  car  ils  avaient  cité  les  ateliers  de  Saumur,  d'Aubus- 
son,  d'Arras,  de  Paris  qui  précédèrent  les  ateliers  de  Tours  et  d'Amiens  ; 
néammoins  ce  document  est  précieux  pour  l'histoire  de  l'industrie  locale, 
d'autant  plus  précieux  qu'il  donne  une  indication  qui  permet  de  recon- 
naître à  première  vue  les  tapisseries  tissées  à  Amiens  ;  la  marque  des 
tapisseries  d'Amiens  était  un  double  Seutortibé.  On  sait  en  effet,  que  les 
tapissiers  étaient  tenus  par  les  règlements  généraux  qui  régissaient  leur 
style  de  faire  tisser,  dans  chaque  pièce  de  tapisserie  sortie  de  leurs  métiers, 
leurs  i.om  et  prénom  ainsi  que  le  nom  de  la  ville  où  la  pièce  avait  été 
fuite.  Le  df)uble  S  est  le  sigle  de  Samarobrioa. 

Dans  l'édit  d'Henri  IV  de  janvier  1607,  portant  établissement  au  profit 
de  Marc  de  Gommons  et  de  François  de  la  Planche  de  manufactures  de 
basse  lice,  faç(jn  de  Flandres,  il  est  dit  que  les  entrepreneurs  seront  tenus 
de  dresser  et  d'entretenir  80  métiers  uu  moins,  dont  60  à  Paris  et  20  autres 
à  Amiens  ou  autre  ville  que  bon  leur  semblera  :  mais  les  entrepreneurs 


62  LES    TAPISSERIES    I)"AM1ENS 

ne  se  fixèrent  pas  à  Amien?,  ils  fondèrent  l'établissement  des  Gobelins  et 
après  la  dissolution  de  leur  société  en  1(333,  rétablissement  de  St-Germain- 
des-Prés. 

Les  tapisseries  d'Amiens  ne  devaient  pas  être  si  médiocres  que  l'affir- 
ment les  gardes  jurés  de  Paris,  puisqu'elles  étaient  admises  à  décorer  les 
palais  royaux;  un  des  inventaires  du  mobilier  de  la  couronne  mentionne 
les  tapisseries  suivantes  en  les  attribuant  à  Amiens  : 

Triomphe  des  Verfiis,  tenture  .=oie  et  or  de  six  pièces,  ayant  69  aunes  de 
cours  (longueur)  et  11  pieds  de  haut; 

La  Terre^  pièce  de  tapisserie  de  10  aunes  de  cours,  sur  10  pieds  de 
haut  ; 

Dieu  le  Père,  pièce  de  tapisserie  de  10  aunes  de  cours,  sur  11  pieds  de 
hnut  ; 

5.  Luc  peignant  la  Vierge^  pièce  de  5  aunes,  sur  4  pieds  de  hauteur; 

Vadoratiun  des  Mages,  id.,  id. 

L'adoration,  pièce  de  8  aunes  de  cours,  sur  6  pieds  de  hauteur  ; 

La  Pèlerin,  pièce  de  8  aunes  de  cours,  sur  7  pieds  de  haut. 

Mais  voici  une  description  détaillée,  prise  dans  un  autre  inventaire,  qui 
donnera  une  idée  exacte  de  la  valeur  et  de  la  composition  des  tapisseries 
de  haute  lice  d'Amiens  : 

Une  tenture  de  tapisserie  de  laine  et  soie,  haute  lice,  fabrique  d'A- 
miens, représentant  Thistoire  de  Tobie,  en  12  pièces,  dessin  de  quelque 
élève  (?).  dans  une  bordure  de  rinceaux  par  le  haut  et  par  le  bas,  avec  de 
g.ands  écriteaux  ou  lettres  blanches,  sur  un  fond  rouge,  qui  «'Xf)!  quent 
l'histoire,  contenant  5:2  aunes  de  cours,  sur  3  aunes  1/2  de  hauteur  : 

1"  Tobie  au  temple  qui  demande  lignée  à  Dieu,  2  A.  1[4  de  cours  ; 

2"  Naissance  du  jeune  Tobie,  3  3[4  ; 

3"  Sennachvih.  confisque  les  biens  de  Tobie.  à  cause  qu'il  ensevelit  ceux 
de  sa  nation  qu'il  commandait  de  tuer  ; 

4°  Tobie  ensevelissant  les  morts,  4  li4  ; 

3°  Tobie  aveuglé  d'une  fiente  d'hirondelle,  3  llil2; 

6"  Anne,  femme  de  Tobie,  nourrit  sa  famille  de  son  travail,  3  ; 

7°  L'Ange  Raphaël  s'offre  à  Tobie  l'ancien,  pour  être  le  conducteur  de 
son  fils,  5  \\i  ; 

8°  Mariage  de  Tobie  avec  Sara,  (illc  lie  llaguel,  son  oncle,  5  1|2; 

il"  Festin  de  llaguel,  pour  le  mariage  de  Tobie  et  Sara.  3  2(3  ; 

10»  L'Ange  Raphaël  présente  une  ce. iule  à  liai-elius  qui  la  paie,  4  ; 

1 1°  Fe.<tin  l!u  retuui'  de  Tobie  en  la  maison  de  son  père,  4  li2  ; 

\1°  Mort  de  Tobi;'  l'ancien. 

!^a   ville  d'Aude  'Ui-dc.  si  célèbre  par  ses  magnifique?  verdures,  ne  dé" 


LES   TAPISSERIES    d'AMIENS  63 

daignait  pas  cependant  de  copier  les  cartons  d'Amiens  à  en  juger  par 
lextrait  suivant  de  l'inventaire  de  1601,  des  tapisseries  du  cardinal  Maza- 
rin  qui,  d'après  les  prix  courants  de  l'époque,  payait  50,000  fr.  une  ta- 
pisserie et  2,000  fr.  le  St-Georges  de  Raphaël  : 

Audeiiarde.  —  Amiens  :  Tenture  de  tapisserie,  fabrique  d'Audenarde, 
patron  d'Amyem,  représentant  des  paysages  avec  des  oiseaux,  animaux 
et  quelques  personnages  de  chasseurs. 

Cette  tenture  était  placée  dans  une  des  principales  salles  du  château 
que  le  cardinal  possédait  à  Nevers. 

La  cathédrale  d'Amiens  était  ornée,  suivant  les  renseignements  donnés 
par  l'abbé  Corblet,  le  savant  directeur  de  la  Revue  de  fArt  chrétien,  de 
noiubreuses  tai.isserics  parmi  lesquelles  on  remarquait  :  la  naissance  de 
S.  Firmin,  le  baptême,  le  sacre,  l'entrée  à  Amiens,  la  prédication,  le  bap- 
tême de  la  femme  de  Faustinien,  la  capture,  la  décollation,  le  convoi, 
l'invention  du  corps,  l'entrée  des  reliques,  S.  Salve  priant  Dieu  devant 
un  autel  donné  en  1640. 

A  Saint-Maitin,  on  comptait  26  tapisseries  dont  les  figures  de  grandeur 
naturelle  représentaient  la  vie  de  J.-G. 

A  Saint-Germain,  les  marguilliers  avaient  donné  12  tapisseries  de  haute 
lice,  dont  2  représentaient  la  Visitation  et  l'Annonciation,  les  autres  la  vie 
de  S .  Germain  d'Ecosse. 

11  ne  faut  pas  s'étonner  de  cette  profusion  de  tapisseries  dans  les  églises  : 
nos  pères  comprenaient  mieux  que  nous  le  style  décoratif;  les  verrières, 
dont  les  tapisseries,  les  sculptures,  conviennent  seules  à  la  décoration  des 
églises  où  les  tableaux  sont  généralement  déplacés  ;  en  effet,  les  tableaux 
coupent  les  grandes  lignes,  détruisent  l'harmonie  de  l'ensemble  et  perdent 
considérablement  de  leurs  effets  par  suite  des  hauteurs  oii  ils  sont  placés 
et  de  la  filtration  de  la  lumière  à  travers  des  verres  de  couleur. 

La  sayetterie  d'Amiens,  dit  VEi  cyclopédie,  a  conservé  le  nom  de  haute 
lice  aux  étoffes  dont  la  chaîne  est  purement  de  soie  et  la  trame  de  laine, 
ou  qui  sont  toutes  de  soie,  comme  les  serges  de  Rome,  les  dauplimes,  les 
étamines,  les  fevandines  et  burats,  les  avogets  de  soie. 

L'industiii;  de  la  tapisserie  de  hauie  lice  d'Amiens  ne  pouvait  lutter 
contre  les  manufactures  royales  des  Gobelins,  de  Beauvais  et  de  la  Savon- 
nerie, laigement  subventionnées  par  la  Couronne;  elle  disparut  vers  les 

dernières  années  du  XVIP  siècle. 

B'"  De  Boyer  de  S"  Suzanne. 


INVENTAIRE 

DU  COUVENT  DES  DOMINICAINES  D'ARRAS 
EN  1324 


Le  monastère  de  la  ThieuUoye  *  d'Arras  avait  été  élevé  par  Mahaut, 
comtesse  d'Artois,  en  l'honneur  de  la  Ste  Trinité,  pour  recevoir  des  reli- 
gieuses de  l'ordre  de  Saint-Dominique.  En  1323,  il  était  à  peu  près  terminé  : 
un  c.mpte  d"Enguerrand  de  Mastaing,  bailli  d'Arras  (de  la  S.  Marc  à  la 
Toussaint  1323),  nous  apprend  que  l'estimation  en  fut  faite  alors  par  des 
experts  charpentiers  et  maçons  et  qu'il  avait  eu  pour  architecte  Jehan  de 
Monchi,  maître  maçon  de  la  comtesse  d'Artois.  Un  demi-siècle  après 
(1370),  ce  premier  monastère  était  complètement  détruit  par  les  Anglais; 
rebâti,  il  fut  rasé  en  1414  par  Jean-sans-Peur,  duc  de  Bourgogne,  qui  vou- 
lait enlever  aux  Français  Tavantage  qu'ils  eu  eussent  ictiré  pour  se 
maintenir  au  'faubourg  Saint-Sauveur.  En  1-477,  1640,  nouvelles  destruc- 
tions :  aussi  ne  reste-t-il  aucune  trace  des  constructions  du  Moyen-Age- 

L.es  religieuses  jouissaient  de  nombreux  privilèges  qu'elles  devaient  à  la 
générosité  de  leur  fondatrice.  Ce  n'est  point  ici  le  lieu  de  bs  énumérer  ;  je 
mentionne  seulement,  d'après  un  inventaire  de  1526,  l'original  étant 
perdu.  Texeniption  pour  leurs  denrées  des  droits  de  péage  à  Bapaunie,  ce 
pourquoi  «  elles  seront  tenues  tlélivrer  chascun  an  à  la  dite  dame  (Ma- 
haut) au  chastel  de  Bappaimes  une  ceinture  de  cuire  avec  la  blouque  sim- 
ple sans  aucun  metail  et  une  liourse  de  (il,  et  au  jour  de  S.  Martin  deux 
paires  de  gand  de  laine.  » 

La  maison  était  régie  par  une  prieuie  élue  j  our  trois  ans,  et  son  tem- 
porel administré  par  un  procureui".  Yolande  fut  la  première  prieure.  Elle 
était  venue  de  Lille  avec  la  colonie  empruntée  aux  Dominicaines  de 
Lille  et  de  Montargis,  et,  sous  son  gouvernement,  la  communauté  nais- 
sante ]trit  un  si  rapide  esior  que  dès  1321)  la  comtesse  d'Artois  dut  assurer 

'  Co  nom  était  celui  d.'  la  Lorrc  sur  L-.qiielle  il  cttiit  situé. 


INVENTAIRE    DU    COUVENT,     ETC.  05 

au  couventdes  revenus  suffisants  pour  l'entretien  de  cinquante  religieuses. 
Ses  héritiers,  Eudes,  duc  de  Bourgogne  et  Jehanne  de  France,  reconnurent 
que  la  TiiieuUoye  ne  possédait  que  686  livrées  de  terre  ;  ils  s'empressè- 
rent de  les  porter  à  mille  tant  en  nature  qu'en  argent,  selon  le  désir  de 
leur  pieuse  aïeule  '. 

Le  document  qui  suit  est  un  compte  de  Jehan  de  Salins,  trésorier  de  la 
comtesse  d'Artois,  des  dépenses  faites  pour  le  mobilier  de  la  ThieuUoye 
et  pour  le  voyage  des  religieuses  de  Lille  et  de  Montargis  à  Arras.  Elles 
avaient  pris  possession  de  leur  nouvelle  résidence  en  l'été  1324,  probable- 
ment le  jour  de  la  Ste  Trinité  -. 

MISES  FAITES  POUR  LA  TUILLOYE  PAR  MAISTRE  JEHAN  DE  SALINS  "* . 

Premièrement  à  Michel  de  Lens,  pour  3  calices  pesins  5  mars.  2  onces 
et  7  esterlins,  24  1.  10  s. 

A  Laude  Belon  pour  4  veluiauz  royés  pour  faire  3  chasubles,  1  drap  et 
1  dossier  et  le  parement  des  aubes,  70  s.  pour  pièce,  valent,  \'t  Ib. 

A  Jehan  de  Laon,  chasublier,  pour  orfrois  pour  le-  chasubles,  pour 
toille  à  fourrer  le  drap  et  le  dossier,  pour  la  façon  dos  dites  chasubles 
et  des  paremens  et  pour  faire  3  estuis  de  corponil  des  dis  dras.   Il  4  s,  9  d. 

*  Nos  religiosas  mulieres,  pinori^sani  et  conventum  monasterii  sororum  inclu- 
saruni  ordinis  fraîruia  jiredicaîcrum  quod  dudiirii  fundavinius  in  villa  iiostra  at- 
trebatensi  in  loco  qui  dicitur  la  Tiouloye,  volentes  favoie  prosequi  generoso  et 
maxime  pro  eo  quod  monasteriiun  antfidictuia  i)roponiiiius,  fovente  Dei  adjutorio 
in  redditibus  ampliare  usque  ad  sumiiiani  seu  estimationem  mille  librataniiu  terre 
ad  parienses  annid  et  [îrrpetui  redditus  ad  opus  et  sustentationem  quiuquoginta 
sororum  ordinis  predicti.nuinin'um  q'!;i!  uni  quinquaginta  sororum  ad  divini  cuilus 
aiigmentum  inteiidinus  in  eodiMii  monasterio  citius  qnani  poterimiis  divino  auxilio 
mediante  mstruL^-o  ac  eciam  aduTiplere.  »  (Charte  de  la  comtesse  Muhaut,  datée 
de  la  veille  de  la  Résurrection  1328.  —  .-/rch.  du  Pa>-dc  Cala's;  fonds  de  la 
Thi.'uloye). 

'^  Le  mandement  suivaut  montre  qu'à  la  date  du  30  juillet  elles  étaient  établies 
à  Arras  et  qu'elles  y  résidaient  depuis  peu  de  temps. 

«  De  par  la  comtesse  d'Artoy.s  et  de  bourgogne. 

«  Receveur,  pour  ce  que  de  notre  commandement  vous  avez  baiUié  quarante  li- 
ft vres  ans  dames  de  la  sainte  Trinité  de  l'ordre  Snint-Dominique  i)Our  les  choses 
«  nécessaires  pour  leur  vivre  jusqiics  à  la  saint  Remy  prochaine  les  quelos  nous 
«  avons  fondé  de  nouvel  à  Arraz,  nous  voulons  que  les  dites  '>')  Ib.  vous  soient  ac- 
«  ceptées  en  vos  -jremiers  comptes  par  ceste  cedule  faite  à  Arraz,  le  penultime 
«  jour  de  julet  l'an  XXVi.  »  {Ardi.  du  Pas-dc  Calais,  Trésor  des  Chartes  d'Ar- 
tois.) 

^  Arch.  du  Pas-de-Calais  :  Trésor  des  Chartes  d'Artois,  comptes. 


66  INVENTAIRE    DU    COUVENT 

A  Claude  Belon  pour  3  pièces  de  dras  d'or  pour  faire  chasuble,  tunique, 
dramatique,  drap  et  dossière,  20  1. 

A  Jehan  de  l.uon  pour  les  paremens  de  chasuble,  tunique  et  drama- 
tique, pour  tnille  a  fourrer  le  drap  et  le  dossier,  pour  façon,  8  1.  5  s.  6  d. 

A  li  pour  une  cusiode,  14  s. 

A  Erembûur  de  Monstroel  pour  90  aunes  de  toille  a  faire  9  oubes  et  9 
touailles  d'autel  dont  il  en  iot  42  au  pris  de  2  s.  l'aune,  et  48  à  2  s. 
4  d.  l'aune.  9  1.  16  s. 

A  li  pour  !a  fnçon,  15  s. 

A  li  pour  6  corporaus,  18  s.  9  d. 

A  Jehan  de  Laon  pour  1  autel  portatis,  30  s. 

A  Guillaume  le  lambier  pour '2  chandeliers  de  quevre,  23  s. 

A  Colai  t  de  Fontaines  poui'  2  hruneies  d'Ani'ens  pour  faire  chapes,  24s. 

A  Guillaume  Lescofc  de  Gant  pour  8  pièces  de  thiretaine  blanches  la- 
nées  pour  faire  cotes-et  capelaires  \  6  1,  16  s.  pour  pièce,  valent,  61 1.  4  s. 

A  Guill;  umede  Chieieville  de  Kahen  pour  3  thiretaines  escrues,  pour 
faire  seratiaus  rle'^oux.  30  1.  10  s. 

A  Jehan  Gouflauun  de  St-Denis  pour6  blans  dras  de  St-Lenis  pourfaire 
esfraiz  et  couvertures,  43  1.  15  s. 

A  Jehan  Fantis  de  Moncornet  pour  4  dras  camelins  a  faire  couver- 
toirs.  29 1. 

A  Gillebeit  {.escot  pour  12  fourrures  d'agniauz  pour  les  dis  couver- 
toirs.  mi.  18  s. 

A  Jehan  Miche,  drapier  de  St-Marcel,  pour  30  aunes  de  thiretaine  de 
St -Marcel  pour  faire  estraiz  à  mètre  auz  lis,  41.  16  s, 

A  Erembour  de  Monstroel  pour  52  aunes  de  canevas  pour  mettre  em-. 
près  le  feurre,  52  s. 

A  Jehane  Boinecave,  pour  12  coussins  et  12  orilliers  de  plume  et  pour 
chous  auz  orilliers,  15  Ib. 

A  Jehan  Poulet,  pour  414  aunes  de  toille  pour  faire  dras  de  lit,  19  d. 
l'aune,  valent,  32  1.  16  s.  6  d. 

A  li  pour  24  quevrechies,  48  s. 

A  Erembour  de  Monstroel  pour  une  douzaine  de  grosses  nappes  de 
4  aunes,  8  s.  pour  nappe,  4  1.  16  s. 

A  li  jioiir  6  najipes  délies  de  4  aunes.  Il  s.  pour  nappe,  valent,       66  s. 

A  li  pour  6  i:appes  délies  de  5  aunes,  13  s,  6  d.  pour  nappe,      4  1.  1-  s. 

A  li  pour  14  touailles  de  2  aunes,  13  d.  l'aune,  valent,  52s. 

.\  li  pour  12  touailles  de  5  aunes,  16  d.  pour  aune,  valent,  4  1. 

'  On  sait  que  les  religieuses  dominicaines  sont  vêtues  de  blanc. 


DES    DOMINICAINES   D  AURAS  67 

A  Jehan  de  Proiivins,  potier,  pour  4  grans  knnes,  1:2  quartes  et  40  cho- 
piues  quan  cez,  40  iu^■tep,  21  salières,  6  douzaines  de  gians  escuelos,  3  dou- 
zaines de  pelites,  4  grans  plas  et  4  mendres  d"estain,  2i  1.  14  s.  6  d. 

A  Jthan  le  hanepier,  de  Pontalié  pour  40  qualliers.  (i  l.  10  s. 

A  Hubert  Gubin  pour  118  douzaines  de  veelin,  8  s.  pour  douzaine, 
valent,  47  l.  4  g. 

Afièie  Guillaume,  de  Mascon  oultre  la  somme  de  120  Ib,  qu'il  avait  eu 
devant  pour  la  façon  des  livres  baillé,  80  1. 

A  Jehan  Morel  de  Dieppe  pour  amener  les  choses  dessus  dites  de  Paris 
à  Arraz  et  pour  paiages,  116  s. 

It.  pour  corde  à  faire  la  gibe  et  pour  la  faire  et  deffaire  a  Arras  et  pour 
la  charger,  18  s. 

It.  pour  portage  des  dites  choses  au  lendi  et  du  lendi  a  Paris,         22  s. 

Pour  un  vallet  qui  conduit  les  choses  dessus  dites  a  venir  a  Arraz,  10  s. 

It.  pour  les  despenz  inaistre  Jehan  de  Salins  par  22  jouis  qu'il  fu  a  Paris 
pour  acheter  les  dites  choses,  8  1.  10  s. 

A  Ysabeau  Quarrée  pour  G  coussins  de  boure,  U  s,  4  d. 

A  Perrot  Louget  pour  2  buiretes  d'estain  a  chanter,  2  s.  8  d. 

A  Evrart  Torfevre  pour  bornir  2  seaus  a  eaue  benoite.  2  s. 

A  Vincent  le  lo::deur  pour  la  tontuie  de  2  bvunotes  et  11  blons  dras 
tondus  2  fois,  o  s.  pour  dr.ip.  It.  il  dras  tondus  une  fois,  3  s.  pour  diap, 

4  1.  18  s. 

A  Y.-abiau  la  couturière  pour  faire  24  paires  de  dras  de  lit,  3  d.  pour 
Pîiii'c,  6  s. 

A  pluseurs  ouvriers  par  Guillaume  de  Neauhem  pour  la  façon  de  36 
couvertoirs,  18  g  _ 

It.  par  la  main  dndit  Guillaume  pour  la  façon  de  12  chappes,  12  cotes, 
12  capclairfis.  38  s. 

It.  pour  (il  et  pour  ribanz,  4  s.  8  d. 

A  Ilerbelot  pour  les  despens  de  li,  de  3  valiez  et  de  6  chevas  du  chariot 
par  7  jours  en  aient  des  Theruaine  a  Montargis  querre  les  dames  de  la 
Tuilloie. 

It.  pour  21   personnes  et    U    chevas  des  Montargis  Arraz  par  8  jours, 

28  1.  12  d. 

It.  pour  renvoier  des  Arraz  a  Montargis  le  char,  1  char  que  les  dames 
avoient  amenez  du  comuiandeuient  ma  dame,  36  s. 

It.  aus  2  fieies,  a  1  chapelain  et  1  vallet  que  viuJrcnt  avec  les  dames, 
baillé  pour  leur  retour,  48  s. 

It.  pour  ramener  hi  priouresse  de  Lile  pour  les  despens  de  11  personnes 


68  INVENTAIRE    DU    COUVENT 

et  8  chevaus  a  la  repaire  en  alant  ia,  pour  2  valiez  et  chevaus  a  retour  et 
pour  forge  en  chemin,  21  s. 

It.  pour  3  piaus  de  parchemin  pour  faire  les  letres  de  la  Tuilloie  et  pour 
4  laiz  de  soie  a  les  sceller,  3  s.  2  d. 

A  Vincent  le  tondeur  pour  faire  taindre  enbrunete  18  aunes  detiretaine 
blanche  14  d.  pour  aune,  21  s. 

Pour  les  despens  de  2  filles  reçues  a  Montargis  que  furent  amenées  à  la 
Tuilloie,  16  1b.  10  s. 

Pour  la  voiture  des  choses  aus  dames  de  Montargis  amener  a  Paris  et 
pour  1  vallet  que  les  conduit,  51  s.  8  d. 

It.  pour  les  mener  de  Paris  Arraz  et  pour    1   vallet  qui  les  conduit, 

6  1.  15  s. 

A  Laude  Bolun  pour  2  pièces  de  samyz  ynde  et  demie  pièce  de  roge 
pour  la  chapelle  a  parer,  .•  20  Ib. 

A  Estieiine  Chevalier  pour  2080  que  cliestiau  que  flours  de  brodure  8  d. 
pour  pièce,  69  Ib. 

Ali  pour  une  touaille  d'autel,  pour  l'orfroy  de  la  chasuble,  des  chapes, 
de  tunique  et  draraatiquo,  60  Ib. 

A  li  pour  la  portraiture  des  fleurs  et  des  chestiaux,  4  Ib. 

Pour  cendal  vernii'il  pour  fourrer  la  dicte  chapelle.  1 1  Ib. 

A  Jehan  de  Laon  pour  la  ffcçon  de  la  dicte  chapelle,  pour  toille  a  fourrer 
le  drap  et  le  dossier,  pour  petiz  orfroyz  et  frainges,  6  Ib. 

A  Pierrot  de  Besençon  pour  2  bacios  a  laver,  2  buirectes  et  1  encensier 
d'argent  pesant;  mars  et  3  onces,  4  !b.  5 s.  le  marc  vaillent,  31  Ib.  6  s.  6  d. 

A  li  poui'  12  cuilliers  d"ar-;euL  pesant  7  onces  et  15  dstellins,  70  s. 

A  li  pour  2  angelez  que  portent  le  chief  S.  Loys  d'argent  dorez  pesant 
1  marc  et  7  onces.  Item  2  ymaigesde  S.  Loys,  une  de  la  Trinité  et  une  de 
S.  Jehan  pesant  9  mai-s  une  once  et  demie.  Item  une  croiz  de  fust  cou- 
verte d'argent  dorée  dont  l'argent  poise  4  mars  et  5  onces.  It.  une  autre 
croiz  dun  l'argent  poise  4  mars,  4  onces  et  13  estellins.  It.  une  autre  croiz 
dun  l'argent  poise  4  mars  et  7  onces.  It.  1  mor  de  chape  et  les  pomiaux 
d'argent  esmailliez  pesant  1  marc  et  10  esfellins.  I,.  pour  les  esmaus  d'ar- 
gent que  sont  sus  les  cntaublement  d«  quevre  7  onces.  Somme  des  mars 
27  mars  15  estellins,  G  Ib.  12  s.  le  marc,  de  quoy  l'on  rabatit  18  mars  et 
19  estellins  qu'il  avoit  ouz  de  l'argent  niadume,  cest  assavoir  pour  1  bacin 
d'argent  que  fut  [iris  au  ti'essort  a  Pai'is  pesant  G  mars  et  demi  et  19  es- 
tellins, et  1  hanap  pris  ou  dit  trésor,  pesant  11  mars  et  doniy,  vaillent  les 
18  mars  a  prix  île  Gi-  s.  le  marc  58  Ib.  ainsi  demorcnt,     120  Ib.  16  s.  5  d. 

A  li  pour  3  gi'anz  ontauh'ement  de  quevre  pour  les  croiz  ('14  a  lionceaus 


DES    DOMINICAINES    D  AliRAS  69 

pour  les  ymaiges  et  1  petiz  quarrez  pour  les  ang-elez  de  quevre  dorez, 
pesant  45  mars  o  onces  et  demie,  don  Ion  roi, ait  7  onces  pour  les  esmaus, 
demoie  'i3  mars  et  6  onces  2o  s.  le  marc  vaillent,  o3  Ib.  15  s. 

A  li  pour  le  loaige  de  2  chevaus  qu'il  amena  Arraz  ei  les  despens  de  li 
et  d'un  vallet  et  pouj'  le  salaire  du  vallet,  61b.  16  s. 

Somme  toute  mil  livres,  trois  soûls  et  cinq  deniers  parisis. 

Je  joins  à  ce  compte  deux  quittfinces  de  date  très-voisine  qui  con- 
cernent le  mobilier  et  les  ornement^  de  la  chapelle  de  la  Thieulloye. 

K  Sachent  tuit  que  je  Guillaume  de  SaUns  clerc  du  trésorier  ma  dame 
d'Artuis  oy  euz  et  receuz  en  nom  du  dit  trésorier  de  Andrier  de  Monchy 
receveur  d'Artois  pouro  cendcms,  6  bouquerans  et  2  onces  de  rubanz  de 
soie  pour  2  paires  de  custodes  pour  la  Tuilloie  13  livres  et  10  soûls  parisis. 
Donné  souz  mon  seel  le  13^  jour  de  décembre  l'an  mil  IIP  XXllII.  » 
(Arch.  du  P.-de-C.  Id.) 

«  Je  Estienne  Chevalier  brodeur  fais  savoir  a  touz  que  mestre  Jehan  de 
Salins  tré.-orier  ma  dame  d'Artois  a  paiez  pour  une  chapelle  pour  les 
dames  de  la  Tuilloie  d'Arraz  les  parties  que  s'ensuivent  :  premièrement  a 
Laudebelun  pour  5  dras  blancs,  40  ib.;  pour  5  dras  d'or  de  Luque  17  1.  4  s,; 
pour  3  pièces  de  cendaus  vermeil  10  Ib.  20  d.;  a  Jehan  de  Laon  pour  or- 
froyz  a  chesuble,  tunique,  dramatique  et  pour  la  toaille  d"autel,  pour 
orfroiz  par  piez  pour  la  chape  et  pour  frainges  4  Ib.  9  s.;  pour  7  aunes  de 
toille  vermeille  et  pour  la  façon  de  la  chapelle  48  s.;  pour  3  estoles,  3  fa- 
nons, 3  paremens  d'aubes  et  pour  toille  cirée  12  s.;  a  Pierrot  de  Besençon 
pour  1  mor  a  chape  100  s.;  a  Herembourde  Monthereul  pour  3  aubes  78  s.; 
a  dit  Jehan  pour  30  aunes  de  toille  vert  a  fourrer  5  dras  et  5  dossi-  r  40  s. 
pour  a  paremenz  a  loailles  d'autel  4  Ib.  les  queles  parties  sunt  en  somme 
quaitre  vinz  neuf  livres,  douze  soulz  et  huit  deniers  parisis.  Donné  le  14** 
jour  de  mars  l'an  mil  IIP  vint  et  quaitre.  »  (14  mars  1325.  —  Id.) 

Enfin,  on  lit  dans  les  comptes  de  l'hôtel  de  la  comtesse  Mahaut  (Tous- 
saint 1328). 

((  A  Jaquemon  de  Douay  orfèvre  d'Arraz  pour  un  vaiseau  d'argent  a 
porter  le  Saint-Sacrement,  le  quel  vaiseau  futachaté  pour  mettre  l'espine 
de  la  sainte  couronne  que  madame  donna  aux  dames  de  la  Thieuloye, 
pensant  14  unches,  venduz  en  tasche,  paiiés  par  le  recheveur.         18  Ib. 

«  A  li,  pour  faire  ou  dit  vaisseau  une  couronne  d'argent  dorrée,  garnie 
de  pierrez  et  de  pelles,  et  pour  redorer  l'entablement  et  l'engelot,  pour  or, 
pour  argent  et  pour  la  façon  paiiet  par  le  receveur,  9  Ib. 

JULES-MARIE  RICHARD. 


TRAVAUX  DES  SOCIETES  SAVANTES 


Institut  de  France.  —  Dans  la  séance  générale  annuelle  des  cinq  Aca- 
démies, M.  Charles  Blanc  a  lu  une  étude  ayant  pour  titre  des  Expressions 
de  la  lumière  et  dont  nous  détachons  les  remarquables  passages  suivants  : 

<(  L'architecture  s'est  ouverte  la  première  à  la  poésie  du  clair  et  de 
l'obscur.  Si  nous  remontons  à  la  civilisation  la  plus  ancienne  du  monde, 
qui  est  celle  de  l'Egypte,  les  tenip'es,  les  tombeaux,  les  figures  sculptées 
et  peintes,  les  signes  écrits  dans  les  murailles,  tout  nous  montre  que  les 
croyances,  les  idées,  les  dogmes  de  ce  peuple  ;mti(jue  roulaient  sur  la  lu- 
mière. Elle  était  pour  eux  le  synonyme  de  la  vie.  Leur  grand  dieu,  Am- 
mon,  celui  qui  avait  créé  les  dieux  inférieurs  et  tout  ce  qui  existe,  n'était 
autre  que  le  soleil.  Comme  lui,  l'être  humain  devait  fournir  une  carrière 
d'ascension  et  de  déclin,  passer  d;  ns  l'hémisphère  inférieur  et  y  dormir 
dans  les  ténèbres,  en  attendant  l'aurore  de  sa  résurrection.  Les  Pyra- 
mides, monuments  sans  porte,  sans  fenêtres,  sans  issue,  étaient  bâties 
pour  faire  une  éternelle  nuit  autour  d'un  pharaon  mort.  Dans  Ie^  temples 
égyptiens,  la  lumière  s'arrêtait  à  la  porte  que  les  prêtres  et  le  roi  avaient 
seuls  le  droit  de  franchir,  et  le  sanctuaire,  inaccessible  au  peuple,  était 
impénétrable  au  jour. 

«  Le  mvstère  qu'enfantent  les  ombres  a  dû  être,  dans  l'ai^chitecture.  un 
des  éléments  de  la  poésie  religieuse,  chez  tous  les  peuples  ellVayés  par  les 
incertitudes  de  la  vie  future. 

«  C'est  pour  cela  que  les  églises,  romanes  ou  ogivales,  du  Moyen-Age, 
sont  rendues  sombres  ;  les  premières,  par  la  rareté  et  l'étroitesse  des  ou- 
vertuj-es  ;  les  secondes,  par  l'obscurcissement  des  vides  au  moyen  de  ces 
vitraux  qui  assourdissent  la  lumière  en  lui  faisant  traverser  des  couleurs 
profondes,  et  dont  le  grimoire,  à  la  fois  étincelant  et  obscur,  envelopne  le 
temple  de  mystère  et  remplit  les  croyants  d'une  secrète  frayeur,  a  11  n'est 
«  pas  d'âme  si  revesche,  dit  Montaigne,  qui  ne  se  sente  touchée  de  quel- 
((  que  révérence  à  considérer  la  vastité  sombre  de  nos  églises,  » 

«  L'antiquité  grecque,  à  en  juger  par  ses  temples  et  ses  statues,  et 


TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES  71 

d'après  le  peu  que  nous  savons  de  sa  peinture,  ne  paraît  point  s'être  ser- 
vie du  clair-obscur  comme  d'un  moyen  d'expression.  Pour  les  artistes 
athéniens,  l'ombre  n'était  que  la  condition  du  relief;  elle  accusait  simple- 
ment les  parties  rentrantes  de  la  forme.  Leur  esprit  ouvert,  la  --érénité  de 
leur  âme,  leur  l'ami  iarité  avec  les  dieux,  trop  beaux,  d'ailleiu's,  pour 
n'être  pas  vénérés  et  adorés,  le  voisinage  enfin  de  l'Olympe,  tout  cela  les 
dispensait  d'inspirer  le  respect  par  une  obscurité  solennelle,  tout  cela  ren- 
dait inutile  l'expression  imposante,  l'autorité  des  ombres  Elevés  sur  les 
acropoles  ou  sur  les  promontoires,  les  temples  grecs  étaient  baignés  de 
lumière.  La  grâce  y  tempérait  la  majesté,  et  l'intérieur  du  naos  étant  à 
ciel  ouvert,  la  divinité  pouvait  descendre  du  haut  des  nues  dans  son  sanc- 
tuaire  » 

Académie  pontificale  d'Archéologie.  —  M.  Leone  Nardoni  ami  fer- 
vent des  études  de  raniiquit(\  a  communicjué  à  l'Académie  d'Archéologie 
sacrée  de  Rome  une  indication  importante  qu'il  a  trouvée,  dit  M.  le  comte 
de  Rossi,  dans  le  mare  magnum  de  renseignements  de  tous  genres  accu- 
mulés par  Cancellieri  en  son  volume  intitulé  Storia  dé'  soltnni possessi  dei 
Rumani  Ponte fici  ^P.  370,  note  4). 

«  On  lit  dans  le  diario  de  Vaksio  qu'en  1702,  le  25  mal,  un  maçon  a  dé- 
couvert dans  un  jardin  proche  de  la  tri juue  de  Sta-Maria  Libératrice  une 
autre  très-ancienne  tribune  d'une  église  disparue  sous  vingt  et  quelques 
palmes  de  terre,  avec  des  peintures  du  Sauveur  crucifié  tt  de  beaucoup  de 
Saints,  parmi  lesquels  Paul  I",  pape.  Paul  I"  porte  le  nimbe  carré,  ce 
qui  témoigne  qu'il  vivait  alors,  et  l'i  iscription  Sanctiss.  Paulus  Bomanus 
Papa.  Sur  les  murs  latéraux  est  peinte  la  Vie  de  Notre-S'^igneur.  Chose 
digne  de  remarque,  les  peintures  s  étant  détachées  en  quelques  endroits 
ont  laissé  voir  d'autres  fresques  plus  aneiennes  et  de  meilleure  manière. 
On  croit  que  cette  église  a  été  ou  Sta-Muria  de  Inferno  ou  Sta-Maria  de 
Caneparia.  Il  y  a  des  citations  grecques  de  l'Ecriture.  Le  peuple  est  ac- 
couru pour  la  voir,  et,  mercredi  2  août,  Notre  Seigneur  le  Pape  (Clé- 
ment XI)  ayant  su  que  l'on  recouvrait  l'église,  a  ordonné  qu'on  la  déblayât 
de  nouveau.  » 

((  Il  n'est  pas  besoin  de  faire  ressortir  l'importance  de  cette  communica- 
tion, ajoute  M.  de  Rossi.  La  rareté  des  peintures  du  VIII*  siècle  donne  un 
prix  singulier  aux  fresques  de  la  date  certaine  du  Pontificat  de  Paul  I^', 
que  nous  indique  M.  Nardoni  en  citant  Valesio.  Rapprochées  des  peintures 
de  l'église  souterraine  de  Saint-Clément,  ces  fresques  seront  une  page 
précieuse  de  l'histoire  de  l'art  chrétien  en  des  siècles  dont  nous  avons  si 
peu  de  peintures.  Je  ne  parle  pus  de  l'importance  historique  de  l'édifice 


72  TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES 

et  de  =on  nom  véritable  :  attendons  pour  cela  que  le  monument  soit  rendu 
à  nos  études  et  à  la  lumière.  J'espère  que  l'autorité  qui  protège  et  élargit 
chaque  jour  davantage  le  patrimoine  des  antiquités  classiques  et  sacrées  y 
poui'Noiera.  En  attendant,  louons  M.  Nardoni  d'avoir  appelé  notre  atten- 
tion sur  un  fait  qui,  ayant  échappé  aux  recherches  des  ai-chéologues,  a 
toute  la  valeur  d'une  découverte  nouvelle.  » 

Académie  des   Beaux-Arts.  —  L'Académie  des  Beaux-Arts,  dans  sa 

séance  du  samedi  \'2  décembre,  a  nommé  correspondants  : 

Dans  la  section  de  peinture,  MM.  ^lagaud  et  Swarts,  en  remplacement 
de  M.  Laucrenon.  décédé,  et  Matejko,  élu  associé  étranger  ; 

Dans  la  section  de  sculpture,  M.  Calmels,  en  remplacement  de  M.  Le- 
moyne,  décédé  : 

Dans  la  section  d'architecture,  M.  Da  Silva,  en  remplacement  de 
M.  Schlick,  décédé; 

Dans  la  section  de  gravure,  MM.  Weber  et  Dauguin,en  remplacement 
de  MM.  Keller  et  Pye,  décédés. 

Académie  des  Inscriptions.  —  Antiquités  de  la  France.  —  L'Acadé- 
mie a  décerné  la  première  médciille  à  M.  Allmer,  pour  son  ouvrage  les 
Inscriptions  antiques  et  du  Moyen-Age  de  Vienne  en  Daupliiné.,  reproduites 
en  fac-similé  (Vienne,  1874,  '2  vol.  in-8  ■)  ;  la  deuxième  médaille  à  M.  Henry 
Revoil,  pour  son  ouvrage  Architecture  romane  du  midi  de  la  France  (Pa- 
ris, 1873,  3  vol.  in-fol.)  ;  la  troisième  médaille  à  M.  Célestin  Port,  pour 
son  Dictionnaire  historique  et  biographique  de  Maine-et-Loire  (Paris  et  An- 
gers, 1873,  1  vol.  in-8"}. 

Des  mentions  honorables  ont  été  accordées  :  1"  à  M.  Alfred  Franklin, 
pour  son  ouvrage  les  Anciennes  bibliothèques  de  Paris,  éjlises,  monastères, 
etc.  (Paris,  1873,  1  vol.  in-i°)  ;  2"  à  M.  C.  Guigne,  pour  sa  Tt/pographie 
historique  du  département  de  l'Ain  (Trévouy,  1873,  1  vol.  in-i°):  3°  à  M.  A. 
Castan,  pour  son  ouvrage  le  1  héûtre  de  Vesontio  et  le  square  archi'ologique 
de  Besançon  (broch.  in-8°)  :  4°  à  M.  de  Formille.  pour  son  llisoire  de 
V ancien  évêché-comté  de  Lisieux  (Lisieux,  1873,  'l  vol.  in-S")  ;  3°  à  M. 
Boucher  de  Moiandon,  pour  ses  deux  ouvrages  iniiiulès  :  La  Salle  des 
Thèses  de  l'université  d'Orléans  (Orléans,  1872,  1  vol.  in-8°)  ;  G"  à  M. 
Ulysse  Robert,  pour  son  ouvi-age  intitulé  :  Calixte  IL  Étude  sur  les  actes 
de  ce  pape  (Paris  et  Lyoa,  1874,  1  vol.  in-8°). 

Prix  de  numismatique.  —  Le  prix  de  numismatique,  fondé  par  M.  Allier 
de  Hauteroche,  n'a  pas  été  décerné  cette  année. 

Prix  fondé  par  le  baron  Gobert»  —  L'Académie  a  décerné  le  premier 


TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES  73 

prix  à  M.  de  Boislisle,  pour  son  ouvrage  intitulé  :  Chambre  des  Comptes 
de  Paris  Pièces  justificatives  pour  servir  à  l'histoire  des  premiers  présidents 
(Nogent-le-Rotrou,  1873,  1  vol.  in-4''),  et  le  second  prix  à  M.  Tuety,  pour 
son  ouvrage  intitulé  :  les  Ecorcheurs  sous  Charles  VII.  Episode  de  l'histoire 
militaire  de  la  France  au  XV'^  siècle  (Montbéiiard,  1874,  2  vol.  in-S". 

Prix  fondé  par  M.  Bordin.  —  L'Académie  avait  prorogé  à  l'année  1874 
la  question  suivante  :  »  Faire  connaître  les  Vies  des  saints  et  les  collec- 
tions de  miracles  publiées  ou  inédites  qui  peuvent  fournir  des  documents 
pour  l'histoire  de  la  Gaule  sous  les  Mérovingiens. — Déterminer  à  quelles 
dates  elles  ont  été  composées.  »  Le  prix  n'a  pas  été  décerné. 

L'Académie  avait  en  outre  proposé  pour  l'année  1874  le  sujet  suivant  : 
—  Faire  l'histoire  des  Ismaéliens  et  des  mouvements  sectaires  qui  s'y  rat- 
tachent dans  le  sein  de  l'islamisme.  »  —  Aucun  mémoire  n'ayant  été  dé- 
posé. l'Académie  a  remis  ce  sujet  au  concours  pour  l'année  1877. 

Société  Havraise  d'Études  diverses.  —  Nous  extrayons  de  ses  publi- 
cations les  notes  suivantes  sur  quelques  points  d'Archéologie  locale  par 
M.  Ch.  Rœssier  : 

«  A  Montivilliers  on  a  fait  une  acquisition  précieuse  pour  le  petit  musée 
local.  Un  des  timbres  de  l'abbaye  avait  passé  entre  les  mains  d'un  indus- 
triel qui  tirait  parti  de  la  petite  cloche  pour  son  établissement.  Il  y  a  quel- 
que temps,  celle-ci  vint  à  se  fêler  et  l'antiquaire  dévoué,  qui  conserve  les 
curiosités  de  sa  ville  natale  s'empressa  de  la  demander  pour  ses  collec- 
tions, où  elle  figure  avec  honneur.  C'est,  en  effet,  une  des  cloches  les 
plus  anciennes  authentiquement  datées.  Il  n'est  pas  rare  de  voir  attribuer 
à  des  époques  très-éloignées  certaines  cloches  d'église;  mais,  en  réalité,  la 
plus  ancienne  connue  dans  notre  province  est  celle  de  Fontenailles  qu'on 
voit  au  musée  de  Bayeux.  Elle  porte  la  date  de  1202.  Sur  le  timbre  de 
Montivilliers  on  lit  en  relief  l'indication  de  Tannée   1388,  figurée  de  cette 

manière  : 

m  :  c  c  c  ;   i  1 1 1  :  X  x  :  et  ;  t)  t  i  t  : 

—  «  Un  autre  objet  très-curieux  a  été  rencontré  aux  environs  de  Lille- 
bonne  par  M.  Brianchon,  C'est  le  setier  en  bronze  de  la  vicomte  de  Lille- 
bonne  ;  on  y  voit  les  armes  de  Harcourt  :  deux  faces  d'or  sur  champ  de 
gueules.  Par  une  singulière  coïncidence,  les  mêmes  armoiries  se  sont 
retrouvées  sur  une  clef  de  voûte  du  donjon  de  Lillebonne,  perdue  depuis  le 
t.  mps  de  l'abbé  Rêver  et  aujourd'hui  replacée  à  l'entrée  de  la  vieille  tour. 

—  «  M.  Brianchon  a  aussi  étudié  le  tumulus  do  ïrouville-en-Caux  sous 
lequel,  au-dessous  d'un  certain  nombre  de  gros  silex,  il  a  retrouvé  une 

Ils  séiie,  tome  IL  6 


74  TRAVAUX   DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES 

couche  ferrugineuse  mêlée  de  quelques  parcelles  de  charbon  de  bois,  dans 
laquelle  M.  Marchand,  de  Fécamp,  a  reconnu  des  traces  métalliques  qui 
semblent  indiquer  qu'un  grand  feu  avait  été  fait  pour  consumer  divers 
débris  et  des  objets  (peut-être  des  armes)  en  fer.  Par  dessus  l'amas  de 
cendres,  on  avait  élevé  le  monticule  qui  vient  d'être  détruit.  Cette  consta- 
tation est  très-curieuse,  mais  aussi  peu  faite  pour  élucider  la  question  des 
buttes  factices  qui,  au  contraire,  semble  de  plus  en  plus  difficile  à  résoudre  ; 
ne  perdons  pas  pour  cela  courage,  et  rappelons-nous  que  les  constata- 
tions répétées  sont  la  meilleure  méthode  pour  arriver,  tôt  ou  tard,  à 
connaître  ce  qui  nous  semble  aujourd'hui  si  difficile. 

—  «  Nous  avons  rencontré  auprès  de  Saint-Romain  une  chapelle  du 
XIP  siècle  qui  avait  échappé  à  nos  premières  investigations,  et  que 
M.  Brianchon  nous  avait  signalée  depuis.  Aussi,  pour  compléter  notre 
travail  monumental  de  1866,  devons-nous  la  mentionner.  Elle  est  compo- 
sée de  deux  parties,  la  première  romane  avec  un  commencement  de  tran- 
sition et  la  seconde  de  la  fin  du  XV*  siècle.  Une  porte  à  arc  surbaissé 
laisse  voir  deux  écussons  avec  les  armes  des  Tancarville,  un  écu  en  abîme 
sur  champ  [de  gueules)  chargé  de  sept  molettes^  et  celles  des  Harcourt,  deux 
faces  [d'or)  sur  champ  {de  gueules) . 

€  L'année  dernière,  nous  avons  encore  vu  les  molettes  et  l'écu  en 
abîme  des  Tancarville  sur  un  carreau  émaillé  du  Musée  de  la  Société  des 
Antiquaires  à  Caen.  Le  savant  et  obligeant  archiviste  du  Calvados  a  bien 
voulu  à  ce  sujet  nous  communiquer  une  note  que  nous  avons  reproduite 
dans  la  Revue  de  Normandie. 

—  «  Nous  avons  vu  chez  M.  Delarue,  agent-voyer  du  canton  de  Lille- 
bonne,  un  tableau  sur  bois  représentant  un  beau  visage  de  femme,  entouré 
d'une  grande  collerette.  Les  couleurs  un  peu  ternies  sont  cependant  bien 
conservées  et  l'expression  de  la  physionomie,  aussi  bien  que  les  circons- 
tances de  la  découverte  de  cette  peinture,  prêtent  à  l'imagination.  On  l'a 
rencontrée  dans  une  ferme  de  Gravenchon,  sans  autre  indication  que  ces 
mots  à  la  plume  :  la  dame  du  château.  De  quel  château  s'agit-il?  —  Est-ce 
de  celui  de  Gravenchon  ou  de  celui  d'Etelan  ?  Comment  et  pourquoi  ce 
joli  portrait  a-t-il  été  conservé  dans  une  rustique  habitation  des  environs? 
Voilà  ce  que  quelques  crudits  se  proposent  d'approfondir  très-minuiieu- 
sèment .   » 

Société  pour  l'étude  des  langues  romanes,  de  Montpellier.  —  Cette 
Société  a  résolu  qu'un  concours  philologique  et  littéraire  à  la  fois,  aurait 
lieu  à  Montpellier  en  1875.  Dans  la  séance  qu'elle  tiendra  le  lundi  de  Pâ- 


TRAVAUX   DES   SOCIÉTÉS   SAVANTES  75 

ques,  29  mars,  des  prix  seront  décernés  :  Au  meilleur  travail  philologique 
(géographie  dialectale,  grammaire,  phonétique,  préparation  d'un  texte 
inédit  ou  peu  connu,  étude  d'un  dialecte  particulier,  etc.)  sur  la  langue 
d'oc  ancienne  ou  moderne,  le  catalan  compris  ;  à  la  meilleure  pièce  de 
poésie  en  langue  d'oc  ;  au  meilleur  écrit  en  prose  (histoire  générale  ou 
particulière,  étude  de  mœurs,  roman,  nouvelle,  etc.)  en  langue  d'oc.  Tous 
les  idiomes  du  midi  de  la  France,  le  roussillonnais,  le  catalan,  le  valencien 
et  les  dialectes  baléares,  sont  admis  à  concourir  pour  la  deuxième  et  la 
troisième  fondation. 

Société  d'émulation  de  Cambrai.  —  Le  Bulletin  scientifique  du  dépar- 
tement du  Nord  résume  les  travaux  contenus  dans  le  tome  XXXII  des 
Mémoù^es  de  cette  Société.  M.  Durieux  y  a  publié  une  étude  sur  les  Artistes 
cambrésiens  et  l'école  de  dessin  de  Cambrai,  d'après  les  documents  conser- 
vés dans  les  archives  municipales  et  dans  la  bibliothèque  communale  de 
cette  ville  :  cette  observation  explique  tout  à  la  fois  les  côtés  défeptueux 
et  le  mérite  particulier  de  son  ouvrage.  N'ayant  pas  consulté  les  archives 
des  anciens  établissements  religieux  de  Cambrai,  conservées  dans  le  dépôt 
départemental  du  Nord,  M.  Durieux  est  incomplet.  En  exposant  les  quel- 
ques idées  générales  placées  en  tête  de  sa  notice,  il  a  négligé  de  parler  de 
l'immense  développement  que  le  haut  clergé,  les  abbés,  les  chanoines,  les 
prêtres  des  paroisses  ont  donné  à  l'art  durant  tout  le  Moyen-Age  ;  un 
chercheur,  aussi  heureux  que  savant,  M.  J.  Houdoy,  donnera  bientôt  une 
idée  de  l'histoire  ds  l'art  dans  la  cathédrale  de  Cambrai  et  fera  comprendre 
toute  l'étendue  du  mouvement  artistique  dont  cette  église  importante  était 
le  centre  durant  le  Moyen- Age. 

Quand  ce  livre  aura  paru,  quand  on  aura,  en  outre,  recueilli  dans  les 
testaments  des  nobles,  des  chanoines  et  des  bourgeois  de  Cambrai  toutes 
les  mentions  relatives  aux  objets  d'art  qui  étaient  conservés  dans  l'intérieur 
des  habitations,  on  pourra  alors  se  faire  une  idée  du  développement  que  le 
goût  pour  les  arts  avait  pris  dans  la  seconde  moitié  du  Moyen-Age,  et  com- 
prendre plus  facilement  que  chacune  de  nos  grandes  cités  du  Nord  avait, 
sinon  son  école,  au  moins  ses  artistes,  ses  hommes  ds  talent,  qui  suffi- 
saient à  la  doter  d'œuvres  souvent  remarquables  par  leur  originalité  et  par 
le  soin  consciencieux  avec  lequel  elles  étaient  exécutées.  M.  Durieux  a 
attiré  l'attention  sur  le  développement  que  donnaient  aux  arts  le  goût  pour 
les  fêtes  et  l'usage  des  prix  aux  corporations  ;  il  aurait  dû  surtout  faire 
ressortir  l'influence  exercée  par  le  clergé,  par  la  splendeur  du  culte  dans 
les  églises,  par  les  objets  d"art,  peintures,  vases  sacrés,  tapisseries,  dont 
la  piété  de  nos  pères  ornait  les  autels,  et  par  la  somptuosité  et  le  goût 


76  TRWAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES 

dont  ils  faisaient  preuve  dans  la  décoration  de  leurs  châteaux,  de  leurs  de- 
meures. 

Après  avoir  émis  ces  idées  générales  sur  l'art  au  sujet  des  premières 
pages  du  travail  de  M.  Durieux,  nous  allons  le  suivre  pas  à  pas  dans  l'étude 
qu'il  a  consacrée  aux  artistes  de  Cambrai. 

Il  a  suivi  l'ordre  chronologique,  sans  distinguer  entre  les  miniaturistes,  les 
peintres,  les  orfèvres,  citant  leurs  noms,  leurs  travaux  à  mesure  que  l'or- 
dre des  temps  les  amène  sous  sa  plume.  Cette  liste  s'ouvre  par  un  nom 
important  dans  l'histoire  de  l'art,  c'est  celui  de  Madaluefe,  illustre  peintre 
de  l'église  de  Cambrai  qui,  en  835,  fut  appelé  à  l'abbaye  de  Fontenelle, 
près  Rouen,  pour  couvrir  de  décorations  variées  les  lambris  et  les  poutres 
des  nouvelles  constructions  de  cette  abbaye.  Il  fallait  que  ce  peintre  jouît 
d'une  grande  renommée  pour  qu'il  fût,  au  IX^  siècle,  au  moment  où  toute 
la  contrée  était  troublée  par  les  guerres  civiles,  appelé  de  Cambrai  à 
Rouen,  afin  d'y  exécuter  des  travaux  artistiques. 

Ce  glorieux  souvenir  est  malheureusement  isolé.  On  ne  peut  le  ratta- 
cher à  l'histoire  de  l'art  dans  la  ville  de  Cambrai,  M.  Durieux  a  recherché 
avec  raison  la  mention  d'autres  noms  dans  la  riche  collection  de  manus- 
crits que  possède  cette  ville.  Ayant  déjà  publié  une  remarquable  étude  sur 
les  travaux  d'orfèvrerie  pour  dom  Jacques  Coëne,  abbé  de  Marchiennes, 
Henriet  Ponthus  et  Henri  de  Vermay,  le  fils  et  le  petit-fils  et  l'arrière  pe- 
tit-fils du  célèbre  Jean  de  Vermay,  dont  M.  Houdoy  a  reconstitué  l'his- 
toire artistique,  nous  regrettons  de  ne  pas  voir  figurer  dans  la  longue  et 
intéressante  suite  de  noms,  qu'offrent  les  pages  consacrées  au  XVP  siècle, 
celui  de  Jean  Bellegaude,  le  célèbre  artiste  Douaisien,  qui,  vers  1526,  a 
peint  le  retable  qui  protégeait  l'image  de  Notre  Dame-de-Grâce. 

A  la  fin  du  XVP  siècle,  se  montrent  des  artistes  auxquels  ce  mot  peut 
s'appliquer  dans  le  sens  que  nous  lui  donnons  aujourd'hui.  M.  Durieux 
étudie  leurs  œuvres  d'une  manière  plus  complète  ;  son  crayon  et  son  ta- 
lent d'artiste  viennent  en  aide  aux  qualités  qui  le  distinguent  comme  éru- 
dit  et  écrivain.  Nous  regrettons  de  ne  pouvoir  que  signaler  le  nom  du 
célèbre  sculpteur  cambrésien,  Pierre  de  Francqueville,  élève,  aide  et  émule 
du  grand  sculpteur  douaisien,  Jean  de  Bologne,  de  Louis  de  Gaulery,  mi- 
niaturiste, mort  en  1598,  de  Gaspard  Marsy,  sculpteur  cambrésien  établi 
à  Florence,  auteur  d'un  saint  Sébastien  en  marbre,  aujourd'hui  conservé 
au  musée,  et  de  ses  fils  Gaspard  et  Baltasar  ;  d'autres  sculpteurs  du  nom 
de  Boileau,  d'autres  peintres  du  nom  de  Caudron,  et  des  fabricants  de  ta- 
pisseries du  nom  de  Baert. 

La  fin  du  XVIIP  siècle  et  lo  rommencement  du  XIX°  présentent  les 
noms  connus  de  Charles-Benoit  Martho,  artiste  de  talent,  fondateur  de 


TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTE?  77 

l'école  de  dessin  de  Cambrai,  et  ceux  des  trois  Saint-Aubert,  qui  ont  laissé 
beaucoup  d'oeuvres  de  mérite;  ils  sont  remplacés  à  Cambrai  par  MM. 
Grohain,  Joseph  Berger  et  Abel  Berger,  directeurs  de  l'école  de  dessin  et 
artistes  de  talent,  par  Félix-Henri  Auvray,  enlevé  prématurément,  par 
Emile  Lengrand,  peintre  qui  n'était  pas  sans  valeur,  et  par  Jacques- 
Edouard  Quecq,  artiste  d'un  talent  classique,  à  qui  l'on  doit  un  grand 
nombre  de  toiles  remarquables  au  nombre  desquelles  on  distingue  les  trois 
tableaux  représentant  saint  Charles  Borromée,  qui  décorent  la  chapelle  du 
grand  séminaire  de  Cambrai,  et  surtout  les  quatorze  miniatures  les  plus 
importantes  ;  il  se  contente  de  signaler  celles  qui  offrent  des  noms  d'artistes, 
les  moines  Fulbert  et  Régnier.  Il  se  transporte  ensuite  pour  un  instant 
dans  le  Cambrésis,  où  il  trouve  à  Honnecourt  le  grand  souvenir  de  l'ar- 
chitecte qui  avail  construit  le  chœur  de  Notre-Dame  de  Cambrai,  et  à 
Coudry  la  châsse  si  curieuse  de  sainte  Maxellende.  Il  revient  à  Cambrai 
pour  compulser  les  comptes  de  la  ville  dont  la  série,  commençant  en  136o, 
lui  a  fourni  la  partie  vraiment  originale  de  son  travail.  La  ville  emploie 
pour  son  hôtel-de-ville,  ses  portes,  ses  bannières  et  pour  les  objets  d'orfè- 
vrerie donnés  en  présent,  des  artistes  dont  les  noms  étaient  pour  la  plu- 
part inconnus.  C'est  au  XIV"  siècle,  Louis  Legrand,  Pierre  de  Lihons  (et 
non  de  Lyon),  l'orfèvre  Harel,  Leverrier,  Pierre  Gouniau;  au  XV%  les 
peintres  Yiuchant,  Jean  Noël,  Jean  De  Roynier,  Rémy  qui  dore  une 
Notre  Dame-de-Gràce  au  dessus  de  l'entrée  de  la  halle  au  lin,  Crunier, 
Mathieu  Lebrun,  Gilles  Colh-man  et  un  maître  Gabriel  Clowet,  auteur  d'un 
tableau  de  la  Sainte-Trinité,  qui  lui  est  payé  100  livres;  au  même  siècle, 
les  orfèvres  Robert  Bataille,  JeanMaisnet,  Jean  et  Guillaume  Lemay,  les 
sculpteurs  Jean  Le  Cariier,  Jean  Samin  et  Pierre  Le  Mahieu,  plusieurs  or- 
fèvres, verriers  et  autres  artistes.  Nous  attirerons  tout  spécialement  l'at- 
tention sur  l'œuN  re  importante  que  Roger  de  la  Pasture(VanderWe3'den) 
fit  pour  l'abbaye  de  Saint-Aubert;  mais  nous  ne  pouvons  partager  l'opi- 
nion d'après  laquelle  cette  œuvre  serait  le  tableau  du  musée  actuel  de 
Cambrai,  catalogué  sous  le  numéro  61. 

Au  nombre  des  artistes  du  XVP  siècle,  nous  nous  contenterons  de  si- 
gnaler les  deux  frères  Van  Pullaere,  sculpteurs,  qui  exécutèrent  les  deux 
statues,  célèbres  dans  le  Cambrésis,  de  Martin  et  Martine;  ces  statues  fu- 
rent, ainsi  que  l'horloge,  couvertes  de  peintures  décoratives,  par  un  artiste 
du  nom  de  Constantin.  A  ces  noms  nous  ajouterons  ceux  de  Dominique 
Ruben,  qui  fit  les  poi'traits  de  plusieurs  archevêques  de  Cambrai,  de  Bon 
Boudevillc.  auteur  d'importantes  stations  du  chemin  de  croix  de  la  [jaroisse 
d'Iwuy . 

Ce  résumé  analytiijue  pourra  donner  tout  à  la,  foi>  une  idée  de  l'histoire 


78  TRAVAUX   DES   SOCIÉTÉS   SAVANTES 

de  l'art  dans  la  ville  de  Cambrai  et  une  esquisse  de  l'important  travail  que 
M.  Durieux  a  mené  à  bonne  fin.  Cette  étude  est  complétée  par  des  pièces 
justificatives  qui  donnent  les  règlements  des  divers  corps  de  métiers  et  les 
statuts  de  l'école  de  dessin.  C'est  une  histoire  complète  de  l'art  à  Cambrai, 
d'après  les  documents  qui  se  trouvent  aux  archives  municipales. 

Société  de  Saint-Jean.  —  La  Société  de  Saint-Jean  pour  l'encourage- 
ment de  l'art  chrétien  informe  MM.  les  artistes  et  les  éditeurs  d'estampes, 
images,  statues,  etc.,  qu'elle  va  dresser  un  catalogue  des  œuvres  qui  lui 
paraîtront  mériter  d'être  recommandées  au  point  de  vue  de  l'art  chrétien. 
Ce  catalogue  sera  publié. 

Trois  conditions  sont  requises  pour  l'admission  des  ouvrages  d'art  sur 
le  catalogue  de  la  Société  de  Saint- Jean  : 

1°  Le  caractère  religieux,  c'est-à-dire  l'orthodoxie  du  sujet  et  l'élévation 
de  la  pensée  concourant  à  inspirer  la  foi  et  la  piété  ; 

2°  Le  mérite  artistique,  au  point  de  vue  de  la  composition  et  du  dessin  ; 

3°  Une  exécution  satisfaisante,  soit  par  la  gravure,  soit  pai*  la  photo- 
graphie, soit  par  le  modelage,  soit  par  la  chromolithographie,  ou  tout 
autre  mode."! 

Ces  trois  conditions  devront  se  trouver  réunies  pour  l'admission  d'une 
œuvre  sur  le  catalogue. 

Toutes  les  communications  doivent  être  adressées  au  Président  de  la 
Société  de  Saint-Jean,  rue  de  l'Université,  47,  à  Paris. 

Société  archéologique  d'Ulra.  —  Cette  Société,  de  création  récente, 
publie  une  belle  monographie  de  la  cathédrale  d'Ulm.  Le  texte  est  dû  à 
M.  de  Egle.  les  dessins  à  MM.  Bewus  et  C.  Riss. 

Société  paléographique  de  Londres.  —  Cette  Société,  qui  ne  compte 
que  deux  années  d'existence,  vient  de  publier  sa  troisième  livraison  de 
fac-similé.  On  y  remarque  une  page  du  manuscrit  des  Evangiles,  (;onnu 
sous  le  nom  d'Augustian  Gospel  ('VIP  siècle),  conservé  à  la  bibliothèque 
du  collège  de  Corpus  Çhristi  et  orné  de  dessins  originaux.  j.  c. 


INDEX  BIBLIOGRAPHIQUE 


(ARCHÉOLOGIE    ET    BEAUX-ARTS) 


ARMELLINI  (M.).  Scoperta  d'un  Graf- 
fito  storico  nel  cemeteiio  di  Pretes- 
tato  suUa  Via  Appia.  Memoria.  In- 
16,  44  p.  et  pi.  Roraa,  tip.  Guerra 
et  Mini . 

BARBIER  DE  MONTAULT  (Mgr).  Lettre 
à  M.  le  Directeur  du  Bulletin  catho- 
lique sur  la  mitre  romaine.  Paris,  J. 
Ledère,  grand  in-8°. 

BARTHÉLÉMY  (Ed.  de).  Variétés  histo- 
riques et  archéologiques  sur  le  Cha- 
lonnois  et  le  Rémois,  d'après  des  do- 
cuments inédits.  3*  série.  In-8,  91  p. 
Paris,  Aubry. 

BAYE  (Joseph  de).  Pointes  de  flèches  en 
silex  à  tranchant  transversal.  (Extrait 
de  la  Revue  urchéoloy.  Paris.  in-S".) 

BULLETIN  MONUMENTAL.  -  T.  II,  n» 
7.  Barbier  de  Montault  •  Mesures  et 
Boisseaux.  — A  Saint-Paul  :  L'Eglise 
du  vœu  national.  —  Le  Nail  :  Eglise 
abbatiale  de  Fontgombaud.— Huart  : 
Inscriptions  inédites  du  musée  d'Ar- 
les.— Mélanges. — Chronique. 

DES  ESSARTS  (Alf.).Dix  Peintres  célè- 
bres (Ue  sériel.  In-12,  212  p.  Paris, 
Le  Clere,  Reichel  et  G^. 

DES  ESSARTS  r  Alf.).  Neuf  Peintres  cé- 
lèbres(2'=  séàe).  In-12,  212  p.  Paris, 
Le  Clere,  Reichel  et  C*.  1  fr. 

DESOR  (E)  et  FAVRE  (L.)  Le  Bel  Age 
du  bronze  lacustre  en  Suisse.  Orné 
de  7  pi.  et  de  50  gravures  sur  bois. 
Grand  in-foi.  Neuchâtel,  J.  Sandoz. 
25  ù-. 

FELIBISN  (A  ).  Mémoires  ()our  servir 
.1  l'hibtoire  des  maisons  royalles  et 
bastiments  de  France.  Publiés  pour 


la  première  fois,  d'après  le  manuscrit 
de  la  Bibliothèque  nationale.  In-8, 
XV- lui  p.  Paris,  Baur. 

FRAGMENTARY  Illustrations  ofthe  His- 
tory  ofthe  Book  of  Common  Prayer, 
Irora  Manuscript  Sources  (Bishop 
Sandersonand  Iiishop  Wren).  Edited 
by  "William  Jacobson  Bishop  ofChes- 
ter.  In-8,  122  p.  Ghester,  Philipson 
et  Golder  ;  London,  Marray. 

FRIEDLAENDER  (L.).  Studii  intorno 
agli  usi  ed  ai  costumi  dei  Romani  nei 
due  primi  secoli  dell'èra  volgare  :  tra- 
duzione  dal  tedesco  di  Augusto  di 
Cossilla.3  vol.  in-l6,  392,  426  et  360 
p.  Milano,  F.  Manîni. 

GALLUPPI(B.  G.|.  Nobiliario  délia  cit 
à  di  Messina.  In-8,  46  p.  Milano,  tip. 
Wdraant. 

HAVARD  iH.).La  Hollande  pittoresque. 
Voyage  aux  villes  mortes  de  Zuider- 
zée.  Illustré  de  gravures  d'après  les 
dessins  de  M.  Van  Heemskerck  van 
Breet  et  de  l'auteur.  In-8  j.,  409  p. 
Paris,  Pion. 

KRASZEWSKI  (J.  L).  Congrès  interna- 
tional d'anthropologie  et  d'archéolo- 
gie préhistoriques.  Session  de  1874  à 
Sto.  kholin.  Notes  de  voyage.  In-8, 
92  p   Paris,  lib.  du  Luxembourg. 

LE  HERICHER(Ed.).  Itinéraire  descrip- 
tif et  historique  du  voyageur  dans  le 
Mont-St-Michel.  7"  édition,  entière- 
ment refondue  et  augmentée  de  l'his- 
toire de  rétat  actuel  du  .Mont-Saint- 
Michel  et  d'un  guide  spécial  dans  le 
Mout-Saint-Michel.  In-I'i,  1  i2  pag. 
Avranches,  Lebel. 


80 


INDEX   BIBLIOGRAPHIQUE 


MAGITOT  (E.).  Lettres  de  Suède  écrites 
à  l'occasion  du  congrès  d'anthropolo- 
gie et  d'archéologie  préhistoriques 
(session  de  Stockholm,  iioùt  187 i). 
In-8,  37  p.  Paris,  lib.  des  Bibliophi- 
les. (Extrait  du  journal  Le  XI\* 
Siècle.) 

NEVIN  (John  A.).  A  Manual  of  Biblical 
Antiquities.  In-12,  342  p.  Edinburgh, 
Johnston  ;  London,  Hamilton. 

PORTAGNIER  (l'abbé  Th.).  Etude  his- 
torique sur  le  Rethélois  etl'archidio- 
cèse  de  Reims.  Le  Chatelet-sur~Re- 
tourne  ,  Bergnicourt  ,  Alaincourt  , 
Mondrégicourt  et  Epinois,  depuis  les 
temps  les  plus  reculés  jusqu'à  nos 
jours.  In-8,  -iTl  p.  et  3  plans. Reims, 
imp.  Prouillet. 

REVUE  ARCHÉOLOGIQUE— Novembre. 
Vte  Jacques  de  Rougé  :  Textes  géo- 
graphiques (hi  temple  d'Edfou  (fin). 
— A  Sanson  :  Le  cheval  de  Solutré. 
— L.  Pigorini  :  Objets  préhistoriques 
des  Liguriens  Véléiates.  —  Fr.  Le- 
normant  :  Sabazius.— Ed.  Le  Blant  : 
Tables  égyptiennes  à  inscriptions 
grecques  (suite).—  E.  Burnouf  :  Ins- 
criptions ti\)uvées  à  l'acropole  d'A- 
thènes—  G.  Conestabile  :  De  l'inhu- 
mation et  de  l'incinération  chez  les 
Etrusques  (fin).  —  Bulletin  del'Aca- 
démi'°  des  inscriptions.  —  Nouvelles 
et  corres()ondance.  —  Bibliographie. 
—  5  planches 

SAINT-AGRICOL  D'AVIGNON.  -  Son 
église,  son  chapitre  et  son  état  actuel, 


par  un  paroissien,  ln-12,  108  p.  Avi- 
gnon, Chailiot. 

SALTINI  (G.  E  ).  I  Disegni  di  Raffaello 
da  Urbino  che  si  conservano  nelle 
gallerie  florentine  :  discorso.  In-8, 
44  p.  Urbino,  tip.  S.  Rocchetti. 

SARAZIN  ^F.).  Traité  des  monnaies 
d'or  au  Japon.  Traduit  pour  la  pre- 
mière fois  du  japonais.  In -8,  Ki  p. 
et  13  pi  Paris,  V^  noucbard-Huzard. 

SCHNRIDER  (Friedr  ).  Die  Graberfunde 
im  Ostchore  d.  Dômes  zu  Mainz.  Gr. 
in  8,  69  p.  et  19  lith.  Mainz,  v.  Za- 
bern. 

SCCIÉTÉ  ARCHÉOLOGIQUE  DE  TOU- 
RAINE.  —  Ménwires,  t.  XXIII.  !'='• 
et  "2"  fascicules.  Tours,  1873,  in  8° 
avec  planches  —Histoire  de  l'abbaye 
de  Noyers,  par  M.  l'abbé  C.  Clieva- 
lier. — .Monuments  funéraires  de  Des- 
cartes, par  M.  Boulay  de  la  Meurthe. 
—  Statuts  synodaux  du  diocèse  de 
Tours  en  iC96,  par  M.  Fougeron.  — 
Le  couvent  de  Saint-Fi'ançoisde  Paule 
au  Plessis-lès-Tours,  par  MM.  Cheva- 
lier et  Quincarlet. — Compte  de  Roné 
Cymier,  commis  au  paiement  des 
édifices  et  bastiments  des  hermites, 
au  Plessis.  —  !\!nrtyrologe-obitunire 
de  Saint-Julien  de  Tours,  par  .M . 
l'abbé  Uuincarlet. 

SOUVENIRS  ARCHÉOLOGIQUES  des 
Casiilles  et  du  midi  français.  Quel- 
ques jours  de  voyage  en  Espagne. 
18Ô9.  In  8,  '(46  p.  Tulle,  imp.  Bos- 
soutrot.  .T.  c. 


CHRONIQUE 


Rome.  —  On  a  transporté  au  musée  Pio-Ostien?e,  au  Palais  Apos- 
tolique du  Lfitran,  une  fresque  provenant  d'Ostie,  qui  représente  cinq 
hommes  à  table  :  clncun  des  convives  est  d'^signé  par  son  nom  latin, 
écrit  en  lettres  noires  à  côté  de  la  tête.  Ce  qu'il  y  a  de  curieux,  c'est  que 
deux  de  ces  personnages  boivent  dans  des  verres  allongés,  en  tout  sem- 
blables à  nos  verres  à  vin  de  Champagne.  Cette  fresque  prend  place  natu- 
rellement à  côté  des  trois  autres  si  remarquables,  toutes  provenant  d'Os- 
tie, qui  ornent  le  musée,  lesquelles  représentent  un  oiseau  bec(juetant  un 
fruit,  Orphée  et  Eurydice,  et  renlôveuient  de  Proscipine  par  Piuton. 

—  La  grande  mosaïque  qui  décore  l'arc  triomphal  de  l'éghîe  ab'^atiale 
de  Grottaferrata  est  ui  des  monuments  les  j.lus  remarquables  du  IX*  siè- 
cle et  l'oeuvre  incontestable  d'un  artiste  byzantin  ;  elle  représente  le  ciel 
étoile  d'où  partent  douze  rayons  qui  vont  reposer  sur  la  tête  des  douze 
apôtres  assis  ;  au  centre  se  trouve  un  siégn  plus  élevé  que  les  leurs,  mais 
inoccupé.  Le  plafond  de  l'église  coupe  le  tableau  en  deux,  et,  ce  qu'il  y 
a  de  curieux,  c'est  que  ce  tableau  se  continue  au-dessus  du  plafond,  non 
plus  en  mosaïque,  mais  en  peinture.  Le  sujet  est  ainsi  complété  :  Tout  en 
haut,  le  Père  éternel  et  au-dessous  de  lui  le  Fils,  qui  tient  dans  ses  mains 
la  Colombe  divine,  du  bec  de  laquelle  partent  les  rayons  de  lumière  qui 
traversent  le  globe  étoile  et  vont  illuminer  les  apôtres. 

Les  moines  Basiliens  de  Grottaferrata  ont  fait  dessiner  le  tout  par  un 
peintre  et  l'ont  remis  aux  religieux  Barnabites  pour  être  publié  dans  les 
Tables  chronologiques  et  archéologiques  de  Mozzini. 

Des  fouilles  ont  été  entreprises  sur  la  Via  Appia  à  Rome  à  l'endroit  ap- 
pelé Sancta  Maria  la  Nuova,  où  fut  trouvée  une  statue  drapée  qui  { ré- 
sente une  belle  particularité.  En  enlevant  la  terre  qui  obstruait  un  tom- 
beau, curieux  aus-i  par  sa  distribution  intérieure,  on  à  fait  la  découverte 
d'une  mosaïque  décorée  d'une  représentation  extrêmement  rare  parmi  les 
monuments  de  l'antiquité  figurée.  Un  squelette  est  à  demi-couché  sur  un 
lit  de  repos  et  au-dessous  est  inscrite,  en  grandes  lettres  grecques,  très- 


82  CHRONIQUE 

belles  de  forme,  le  mot  du  fronton  du  temple  de  Delphes  que  Socrate  en 
rapportait  comme  le  meilleur  enseignement  qu'il  eût  puisé  auprès  de  l'o- 
racle :  rNii0I  CWïON. 

La  pioche  des  fouilleurs  a  encore  tiré  de  terre,  non  loin  de  là,  d'énor- 
mes restes  de  frise  d'une  belle  époque,  du  temps  des  Antonins  au  plus 
tard,  qui  semblent  avoir  appartenu  à  un  grand  monument,  et  aussi  de 
très-nombreux  fragments,  briques  inscrites,  petites  têtes,  torses  drupes, 
morceaux  curieux  d'ornementation  arrachés  à  de  grands  sarcophages, 
tous  d'un  bon  style.  On  peut  dire  de  ces  fouilles  :  nulla  dies  sine  linea, 
chaque  jour  a  offert  ca  trouvaille. 

M.  le  comte  Michel  Tieskiewicz,  qui  fait  ces  recherches  à  ses  frais  n'est 
pas  un  de  ers  amateurs  avides  cachant  ce  qu'ils  trouvent,  dissimulant 
quand  ils  le  peuvent  à  la  vigilance  des  lois  locales  les  débris  éhappés  au 
temps,  titres  de  noblesse  et  mémoires  de  famille  de  l'espèce  humaine. 
Déjà  il  a  donné  sa  curieuse  mosaïque  pour  celui  des  musées  de  Rome  oij 
il  plaira  de  la  placer.  Il  ne  s'efforce  pas,  comme  but  suprême  de  ses  soins, 
d'amasser  des  «  bibelots  »  ;  les  grands  fragments  orneront  la    Via  Appia. 

Le  comte  Michel  Tieskiewicz  fit  autrefois  en  Egypte  des  fouilles  et  des 
achats  considérables  ;  tous  les  objets  précieux  qu'il  avait  rassemblés  à 
cette  époque  sont  au  Louvre  maintenant.  C'est  unbon  exemple  qu'unpareil 
emploi  d'une  richesse,  qu'on  dit  peu  commune  aux  œuvres  de  charité  et 
aux  plus  nobles  curiosités  de  l'esprit. 

(Correspondance  de  Rome) 

Valeur  du  titre  de  a  conîessor  ». — A  propos  de  l'épitaphe  d'Euticius  ', 
trouvée  à  Tarquinia,  M.  de  Rossi  dans  le  dernier  numéro  de  son  Bulletin 
d'archéologie  chrétienne  (édition  française)  détermine  ainsi  le  véritable 
sens  du  titre  de  confesseur  : 

K  La  connaissance  que  nous  avons  de  la  valeur  du  titre  de  confessor 
appliqué  aux  morts  nous  dit  ce  qu'il  vaut  dans  l'épigraphe  de  Tarquinia, 
comme  marque  d'honneur  et  presque  de  culte  en  faveur  d'Euticius  ;  ello 
nous  explique  pourquoi  ce  vocable  se  lit  dans  les  éloges  honoraires  plutôt 
que  dans  les  inscriptions  contemporaines  de  Facte  de  sépulture.  L'usage 
public  et  ecclésiastique  de  ce  titre,  en  tant  qu'il  est  attribué  au  défunt, 
devait  être  à  peu  près  soumis  aux  mêmes  règles  que  l'attribution  du  titre 

'  Cette  ôpita]jlie  est  ainsi  conçue  :  Euticiu^  (Eutichins';  ronfessor  depositus  VIII 
Kalendas  seiit('nil)ris  in  itace  Clnisti.  L'épigraphe  se  tormiiie  \n\v  le  monogramme 
du  Christ,  de  hi  forme  dite  dccusnata,  que  Constantin  adopla  \)0\\v  son  laburum 
triomphal 


CHRONIQUE  83 

plus  noble  encore  de  martyr.  L'épitaphe  grecque  primitive  de  Fabien 
pape  et  martyr,  découverte  de  nos  jours  au  cimetière  de  Calliste,  a  jeté 
une  nouvelle  et  abondante  lumière  sur  ce  point  de  discipline.  Le  titre  de 
MARTYR  n'y  fut  pas  inscrit  dès  le  principe,  bien  que  le  martyre  de 
S.  Fabien  eût  été  environné  d'un  si  grand  éclat,  que  le  clergé  de  Rome 
crut  devoir  l'annoncer  par  une  lettre  encyclique  aux  autres  Églises.  Ce 
vocable  fut  ajouté  plus  tard  :  le  premier  texte  portait  seulement  <I>ABIANOG 
9ÏII(7xo7roç.  En  commentant  dans  ma  Rome  souterraine,  t.  11,  p.  60,  61, 
cet  insigne  monument,  j'ai  observé  que  c'était  à  Tévêque  qu'il  appartenait 
d'insérer,  aux  diptyques  sacrés,  dans  la  classe  des  martyrs,  les  noms  de 
ceux  qui  avaient  donné  leur  vie  pour  la  foi  ;  je  me  suis  appliqué  à  prouver 
également  que,  de  droit  commun,  il  n'était  pas  régulier  d'inscrire  sans 
l'assentiment  préalable  de  Tautorité  épiscopale,  le  mot  MARTYR,  même 
sur  la  tombe  des  plus  notoires  et  des  plus  illustres  victimes  de  la  persécu- 
tion. Les  martyrs  ainsi  reconnus  canoniquement,  étaient  dits  vindicat/,  et 
cette  vindicatio  qui  ordinairement  ne  pouvait  pas  avoir  lieu  dans  l'acte 
même  de  la  sépulture,  nous  explique  la  rareté  du  moi  marfi/r  dans  les  épi- 
taphes  primitives  des  loculide  nos  cimetières.  J'attribue  ù  la  même  raison 
la  rareté  du  vocable  conf essor  ;  et  j'estime  qu'il  existait  une  loi  ou  au  moins 
une  coutume  interdisant  aux  premiers  chrétiens  de  l'inscrire  de  leur 
propre  autorité  sur  les  tombes  au  moment  de  la  déposition.  Et  en  effet, 
il  y  avait  plus  de  précautions  à  prendre  pour  le  jugement  de  la  corona 
des  confessores,  que  pour  celle  des  martyrs,  dont  la  mort  généreuse  pour 
la  foi  était  le  plus  souvent  d'une  éclatante  notoriété. 

«  Pour  donner  une  idée  exacte  de  l'usage  du  vocable  confessor  et  de 
son  sens  précis  dans  les  inscriptions,  je  devrais  défmir  ici  la  différence 
qui  existe  entre  les  deux  titres  de  confessor  et  de  martyr.  L'un  est  en 
substance  la  traduction  de  l'autre  ;  mais  comme  dans  la  langue  ecclésias- 
tique latine  le  vocable  grec  fut  adopté  pour  désigner  le  degré  le  plus 
élevé  de  la  confession  du  nom  et  de  la  foi  du  cbrélien,  il  a  été  beaucoup 
disputé  sur  la  différence  précise  qui  existe  entre  les  deux  titres  et  sur  les 
conditions  qui  doivent  déterminer  l'attribution  de  l'un  et  de  l'autre.  Je 
ne  veux  point  aujourd'hui  m'engager  dans  une  discussion  si  compliquée; 
je  me  borne  à  dire  que  la  différence  qui  distingue  les  confesseurs  des 
martyrs  n'est  pas  exclusivement  propre  au  langage  ecclésiastique  latin, 
mais  que  le  grec  eut  aussi  dans  les  mots  oaoÀoypTr^;  et  jjLaptu;  ou  p.apTup 
l'équivalent  de  ces  deux  vocables,  désignant,  dans  toute  la  primitive 
Eglise  et  dans  ses  coutumes  universelles,  deux  classes  différentes  de 
la  foi.  Qu'il  me  suffise  de  citer  à  ce  sujet  les  belles  paroles  des  martys  de 
Lyon,  qui,  plusieurs  fois  tourmentés,  exposés  aux  bêtes  féroces  et  atten- 


84  CHRONIQUE 

dant  la  mort  de  jour  en  jour,  répondaient  à  ceux  qui  les  appelaient 
martyrs  :  «  Ceux-là  sont  martyrs  qui,  mourant  dans  la  confession  de  la 
foi,  ont  été  accueillis  par  le  Christ,  qui  a  mis  le  sceau  à  leur  martyre  ; 
pour  nous,  nous  sommes  d'humbles  et  pauvres  confesseurs.  »  Ce  solennel 
témoignage  vient  confirmerce  qui  ressort  de  tant  d'autres  données,  canons 
et  textes  anciens,  c'est-à-dire  que  le  titre  de  confessor  était  moins  élevé 
que  celui  de  martijr.  Confessons  titulus,  dit  Fiorentini  dans  ses  prolégo- 
mènes classiques  à  l'ancien  martyrologe  occidental,  pênes  antiquos  patres 
spectabilis  minus  erat  qiiam  mm^tyris.  Cependant  nous  voyons  plus  d'une 
fois  dans  les  écrits  des  anciens  le  nom  de  mattyres  donné  à  ceux  qui,  dans 
la  rigueur  du  terme,  auraient  dû  être  classés  parmi  les  simples  confessores. 
C'était  là,  s'il  est  permis  de  nous  exprimer  ainsi,  comme  une  surabon- 
dance d'honneur  ;  mais  nous  ne  saurions  admettre  que,  vice  v^rsa,  un 
vrai  martyr  ait  été  diminué  par  ses  contemporains  et  que,  au  lieu  du  titre 
qui  lui  appartient,  ils  lui  aient  fi,ssi^né  celui  de  confessor.  Je  parle  ici  des 
monuments  oia  ce  titre  est  caractéristique  et  employé  d'une  manière 
absolue  ;  car  personne  ne  se  scandalisait  de  voir,  dans  le  contexte  d'une 
pièce  de  poésie  ou  d'un  écrit  en  pr.ise,  les  martyrs  appelés  confesseurs. 
C'est  ainsi  que  Damase,  éimmérant,  dans  son  inscription  métrique  gravée 
sur  marbre  dans  la  crypte  papale,  les  i;roupes  des  martyis,  dit  aussi: 
HIC  CONFESSORES  SANCTl  (JYOS  GlîiEGIA  MISIT  ;  et  il  semble  que 
ces  saints  aient  été  les  mêmes  dont  il  dit  dans  un  autre  éloge  métrique  : 
OIJM  SACRIi.EGAM  QVAM  MISIT  GRAECIA  TVIIBAM-MARTIIIII  ME- 
RITIS  NVNC  DEGORATA  NITET.  Mais  s'il  n'était  pas  contraire  aux  con- 
venances, dans  des  vers  et  pour  les  exigences  du  mètre,  d'appeler  con- 
fessores sanctos  un  groupe  de  mai'tyi's,  la  même  licence  ne  pouvait  être 
de  mise  dans  la  formule  spéciale  et  commune  d'une  épitaphe  laconique. 
Il  s'ensuit  que  le  titre  de  confessor  donné  à  Euticius  sur  la  pierre  de  Tar- 
quinia  ne  peut  être  raisonnablement  pris  comme  équivalent  de  martyr  : 
il  désigne  un  témoin  de  la  foi  du  Christ  qui  ne  mourut  pas  de  mort 
violente,  ni  même  pr(jbablement  dans  la  prison,  ni  dans  les  minières,  ni 
dans  l'exil,  mais  survécut  aux  tourments  et  à  la  condamnation  qu'il  avait 
encourue  par  l'invincible  constance  de  sa  confession.  C'est  pourquoi,  S. 
Cyprien,  à  Carthage,  statua  que  ceux  qui  mouriaient  dans  les  prisons, 
après  avoir  confessé  la  foi,  seraient  mis  au  nombre  des  martyi's  ;  et  à 
Rome,  Damase  écrivit  an  bas  d','  l'éloge  du  pape  Eusèbe,  mort  exilé  en 
Sicile,  EVGEBIO  EPISCOPO  ET  MARTYRI.  Mais,  sur  ce  point,  la  pratique 
ne  fut  pas  toujours  ni  j)art()ut  la  même  ;  et  l'Euticius  de  la  pierre  de  Tar- 
quinia  pourrait  être  mort  dans  les  angoisses  tic  la  jjrison  et  cependant 
avoir  été  appelé  seulement  confessor.  Toutefois,  cette  hypothèse  me  paraît 
inconciliable  avec  la  chronologie  de  l'inscription.  » 


(.HRONIQUE  r85 

Smyrne. —  Un  compatriote  de  nos  amis,  M.  l'abbé  Elluin,  prêtre  de  la 
Mission  et  prolesseur  au  collège  de  Smyrne,  y  a  fondé  une  bibliothèque 
publique,  dont  les  livres  sont  prêtés  à  domicile.  Les  ressources  de  l'éta- 
blissement étant  fort  limitées,  c'est  la  générosité  des  catholiijues  qui  en- 
tretient cett'-!  bonne  œuvre.  Jadis,  nous  avons  fait  dans  le  Dimanche  appel 
à  ceux  qui  seraient  disposés  à  donner  quelques  livres  de  leur  bibliothèque 
à  cet  établissement  et  nous  savons  que  de  nombreux  envois  ont  été  faits. 
Nous  adressons  aujourd'hui  cette  même  recommandation  aux  lecteurs  de 
la  Revue.  S'ils  ont  dans  leur  bibliothèque  quelques  bons  livres,  brochés  ou 
reliés,  anciens  ou  modernes,  qui  leur  soient  inutiles,  qu'ils  veulent  bien 
les  faire  parvenir  franco  à  Paris,  à  l'adresse  suivante  :  M.  Bore,  supérieur 
de  la  congrégation  de  la  Mission,  pour  faire  passer  à  M.  Elluin,  rue  de 
Sèvres,  95,  Paris. 

M.  Elluin,  l'organisateur  de  l'excellente  œuvre  que  nous  recommandons, 
est  un  philologue  distingué.  Il  a  publié  un  certain  nombre  d'ouvrages  en 
grec  moderne,  entre  autres  :  un  dictionnaire  français-grec,  une  grammaire 
de  la  langue  grecque  moderne,  un  eucologe,  un  catéchisme  et  une  excel- 
lente vie  des  Saints  dont  nous  venons  de  recevoir  le  piemier  volume  et 
011  nous  avons  vu  avec  plaisir  quelques  emprunts  faits  à  notre  Hagiogi^a- 
phie  du  diocèse  d'Amiens. 

Leipzig.  —  Le  musée  de  Leipzig  a  reçu  dernièrement  un  don  des  plus 
précieux  qu'il  lui  a  été  fait  par  le  docteur  Conrad  Fiedler.  Il  s'agit  d'une 
peinture  italienne  à  fresque.  Elle  représente  l'archange  saint  Michel,  re- 
vêtu d'une  riche  ^aanure,  la  main  gauche  appuyi''e  sur  la  hanche,  la  droite 
tenant  le  glaive,  le  dragon  sous  ses  pieds;  au  fond,  un  paysage  et  une  vue 
de  la  mer.  Ce  morceau  se  trouvait  primitivement  dans  la  chapelle  de  la 
famille  Gualtieri  dans  le  dôme  d'Orvieto;  lors  d'une  transformation  de  la 
chapelle,  il  fut  transporté  dans  le  palais  des  Gualtieri  où  Pierre  Cornélius 
le  découvrit  en  1012.  Quelques  parties  de  la  peinture  ont  été  restaurées 
par  ce  célèbre  artiste.  Cette  composition  est  visiblement  originaire  de 
rOrabrie  et  sort  probablement  de  l'école  de  Pérugin  ;  Crowe  et  (>avalca- 
selle  l'attribuent  à  Eusebe  d-  San  Giorgio,  Mûndler  la  croyait  de  Siguo- 
relli.  Nous  pensons  que  ce  précieux  morceau  est  le  premier  de  son  genre 
exposé  dans  une  galerie  puljlique  allemande. 

Musique  religieuse.  —  M.  Charles  Vervoitte,  inspecteur  général  de  la 
musique  religieuse,  termine  en  ce  moment  dans  le  Midi  une  longue  tour- 
née d'inspection  que  nous  ne  pouvons  passer  sous  silence.  L'ancien  maî- 
tre de  chapelle  de  Saint-Roch  emploie  toute  son  influence  à  seconder  les 
intentions  de  l'autorité  ecclésiastique  pour  aider  au  développement  des 


86  CHRONIQUE 

Maîtrises.  Ces  modestes  institutions,  vraies  pépinières  de  prêtres,  d'ar- 
tistes et  de  savants,  appelés  spécialement  à  dunner  un  vif  éclat  à  uos  fêtes 
religieuses,  ne  sont-elles  pas,  en  effet,  dignes  des  plus  unanimes  sympa- 
thies ?  A  l'inspection  des  Maîtrises  est  aussi  réunie  celle  des  Ecoles  nor- 
males d'instituteurs,  d'où  sortiront  des  sujets  capables  d'enseigner  à  leur 
tour  la  musique  religieuse  et  d'en  propager  le  goût  dans  les  campagnes. 

Depuis  son  départ  de  Paris,  au  mois  de  juillet  dernier,  M.  l'inspecteur 
général  a  successivement  visité  les  divers  établissements  des  diocèses  de 
Sens,  Dijon,  Lyon  où  grandit  de  jour  en  jour  la  belle  Maîtrise  de  la  Pri- 
matiale,  Belley,  Annecy,  Ghambcry,  Albi,  Montauban,  Agen,  Auch,  Tar- 
bes,  Bordeaux,  Angoulême,  La  Rochelle,  Poitiers,  Tours,  Blois  et  Orléans. 
Dans  les  hautes  fonctions  dont  il  est  officiellement  chargé,  M.  Vervoitte 
rend  tous  les  jours  et  rendra  encore  de  plus  grands  services  à  la  cause  de 
la  musique  religieuse.  Les  conseils  de  son  profond  savoir  et  de  sa  longue 
expérience  auront  nécessairement  pour  résultat  de  dégager  cette  partie 
importante  du  culte  catholique  des  abus  dont  la  routine  et  l'usage  l'ont 
malheureusement  obscurcie. 

Fouilles  à  Vervins. —  M.  Papillon  nous  écrit  :  u  Nous  venons  de  faire, 
M.  Rogine  et  moi,  des  fouilles  sur  le  territoire  de  l'ancien  Vervins  {Verbi- 
num  de  l'Itinéraire  d'Antonin),  et  nous  avons  mis  à  découvert  les  restes 
d'un  théâtre  romain. 

Nous  avons  les  fondations  d'un  mur  demi-circulaire  de  soixante  mètres 
de  diamètre  et  une  petite  partie  de  muraille  avec  contreforts  intérieurs  de 
deux  mètres  de  haut.  Nous  avons  aussi  \e  pulpitum,  la  scène  et  le  postsce- 
nium.  Nous  cherchons  les  gradins. 

Mais  ce  qui  est  non  moins  intéressant  que  le  théâtre,  peut-être,  ce 
senties  fondations  d'un  grand  carré,  avec  pavillons  tout  petits  aux  angles. 
Est-ce  le  portique  entourant l'a^mim  d'une  grande  maison,  ou  un  prétoire, 
selon  M.  de  Caumont  ?  Nous  ne  pouvons  le  dire,  car  il  faudrait  déblayer 
le  sol,  et  nous  sommes  obligés  de  compter  avec  nos  ressources. 

Je  ne  parle  pas  des  tuiles,  carreaux,  fragments  de  vases,  monnaies  gau- 
loises et  romaines  que  nous  rencontrons,  et  je  cite  pour  mémoire  un  ci- 
metière mérovingien  dont  nous  dérangeons  quelquefois  la  population.  » 

Inscription  chrétienne  de  Valcabrère.  —  Ce  célèbre  document  épi- 
graphique  a  été  souvent  publié,  mais  avec  des  fautes.  M.  J.  de  Laurière 
en  a  relevé  un  estampage  et  adressé  le  texte  suivant  au  Bulletin  monu- 
mental : 


CHRONIQUE  87 

VAL  SEVERA  EGIT  ANNOS  XXX  RECESSIT  III, 

NON  IVL.  RVFINO  ET  EVSEBIO  CONSS 

PAC   PATROCLVS  PRAESBITER  SIBI  IN  PAGE  XP. 

C'est-à-dire  :  Valeria  Severa  egit  annos  triginta,  recessit  tertio  nonas 
Jullas,  Rufino  et  Eusebio  consulibus.  Pacatus  Patroclus  prœsbiter,  sibi, 
in  pace  Christi, 

Cette  précieuse  inscription,  se  rapportant  à  l'an  347,  est  aujourd'hui 
mise  à  l'abri  de  toute  dégradation  dans  l'église  carlovingienne  de  Valca- 
brère  dont  elle  atteste  l'antique  origine. 

Lyon.  — La  Semaine  catholique  publie  les  lignes  suivantes,  au  sujet  des 
travaux  de  la  nouvelle  église  de  Fourvière  : 

«  Quiconque  a  pu  suivre  les  travaux  du  futur  sanctuaire  de  Marie,  ne 
peut  que  rendre  justice  à  ceux  qui  les  ont  dirigés  et  exécutés  en  si  peu  de 
temps  et  d'une  manière  si  habile.  A  part  ceux  de  l'abside,  voici  que  les 
murs,  fondés  à  20  mètres  et  2o  en  certains  endroits,  sont  terminés  jusqu'à 
la  hauteur  du  sol  de  l'église  supérieure,  et  prêts  à  recevoir  la  voûte.  Déjà 
on  a  pu  admirer  les  colonnes  en  marbre  qui  doivent  la  porter. 

«  Ainsi  terminée,  cette  crypte  aura  65  mètres  de  longueur,  19  de  largeur 
et  près  de  10  en  hauteur.  Ce  sera  une  véritable  et  magnifique  église,  par 
ses  proportions,  par  la  pureté  des  lignes  et  surtout  par  la  richesse  des 
matériaux.  Et,  ce  qu'il  y  a  de  plus  admirable,  c'est  que  tout  ce  travail  s'est 
fait  dans  les  circonstances  les  plus  difficiles,  au  milieu  de  nos  désastres, 
avec  les  seules  ressources  de  la  piété  des  fidèles,  et  de  la  manière  la  plus 
libre  et  la  plus  spontanée .  » 

Tarascon.  —  Dans  un  pèlerinage  qu'il  fît  au  tombeau  de  Ste  Marthe, 
en  1648,  Mgr  Dominique  de  Marines,  archevêque  d'Avignon,  ordonna  de 
recouvrir  en  marbre  tout  le  pavé  de  l'église,  et  fît  exécuter  à  Gênes  un 
magnifique  sarcophage.  La  sainte  y  est  représentée  dans  le  repos  de  la 
tombe,  les  mains  croisées  sur  sa  poitrine. 

La  figure  de  sainte  Marthe  est  remarquable  par  la  noblesse  et  la  beauté 
de  l'expression  :  c'est  une  image  parfaite  de  la  paix  in;dtérable  des  saints 
dans  la  gloire,  idée  principale,  que  l'artiste  a  très-bien  rendue  et  qui  est 
exprimée  par  ces  mots,  unique  épitaphe  de  la  sainte  : 

Sollicita  non  turhatur. 

C'est-à-dire  :  a  Celle  qui  autrefois  était  tout  empressée,  et  se  troublait 
à  l'égard  de  beaucoup  de  choses,  est  maintenant  exempte  de  trouble 
dans  le  séjour  de  la  paix.  » 


88  i:HROi\IQUE 

Tout  le  monde  connaît  l'histoire  de  Ste  Marthe,  triomphant  du  dragon, 
et  délivrant  la  contrée  de  l'horrible  tarasque  qui  ravageait  le  pays  ;  l'on 
sait  aussi  que  c'est  à  cet  événement  que  la  ville  doit  sa  célébrité  et  son  nom. 

En  1468,  la  ville  de  Tarascon  fit  placer  le  chef  de  Ste  Marthe  dans  une 
châsse  d'argent  doré.  Louis  XI  remplaça  cette  châsse  par  une  autre  en 
or  massif.  Ce  reliquaire  était  si  riche,  qu'un  auteur  du  dernier  siècle,  qui 
avait  pu  la  voir  et  l'apprécier,  disait  que  rien  de  pareil  ne  se  rencontrait 
dans  le  royaume.  En  1791,  cette  merveille  fut  vendue  à  des  marchands 
génois. 

Aujourd'hui,  grâce  à  la  libéralité  d'un  pieux  pèlerin,  qui  a  voulu  que 
son  nom  restât  ignoré,  la  châsse  donnée  par  Louis  XI,  reproduite  fidèle- 
ment en  bronze  doré,  d'après  les  anciens  dessins  conservés  dans  les  Ar- 
chives de  l'église,  renferme  les  précieux  restes  du  chef  de  la  sainte,  qui 
ont  échappé  à  la  profanation,  en  1791 . 

Par  un  bonheur  inespéré,  la  Providence  préserva  le  tombeau  de  Ste 
Marthe  de  toute  profanation.  Ce  tombeau  est  placé  à  droite,  dans  l'éghse 
basse,  auprès  d'un  puits  appelé  Puits  de  Ste  Marthe,  pour  l'eau  duquel  les 
Provençaux  ont  une  dévotion  particulière,  et  qui  les  préserve  des  accès 
de  fièvre. 

Portugal.  —  Nous  lisons  dans  le  Boletim  architectonico  e  de  archeologia 
de  Lisbonne  :  «  Notre  digne  associé  correspondant,  M.  Arthur  de  Maisy, 
vient  d'être  décoré,  par  le  Roi,  de  l'Ordre  de  Notre-Dame  de  la  Concep- 
tion, en  raison  de  ses  publications  historiques  et  des  importants  services 
qu'il  a  rendus  à  la  science  archéologique.  » 

Nécrologie.  —  La  Société  Archéologique  de  Lorraine  vient  de  faire  une 
perte  bien  regrettable  en  la  personne  de  M.  Louis  Benoît,  conservateur 
de  la  bibliothèque  de  Nancy. 

Au  milieu  des  devoirs  que  lui  imposaient  ses  fonctions,  son  occupation 
favorite  était  l'étude  des  antiquités  nationales.  Il  s'y  livrait  avec  une 
passion  toute  filiale,  si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi,  et  il  en  a  consigné  le 
résultat  dans  d'intéressantes  monographies,  dont  il  a  enrichi  diverses 
publications.  Composées  presque  toujours  à  l'aide  de  documents  inédits, 
ces  œuvres,  nonobstant  les  légers  défauts  qu'on  peut  leur  reprocher,  ont 
ua  caractère  d'originalité  qui  leur  donne  une  valeur  incontestable. 

Dessinateur  habile  en  même  temps  qu'écrivain,  M.  Benoît  a  illustré  la 
plupart  de  ses  productions  de  planches  qui  y  ajoutent  un  grand  intérêt. 

J,  G. 


REVUE  DE  L'ART  CHRETIEN 


iet  2 -Débris  aimeseille  trouvée  a  Miannay  (somme)  dans  une  sépulture  méroviugieime. 
5_Sarcophage  d'Ai'Ics.  4- Agrafe  de  ceiBluron(MuséedeS^Gemain). 


NOTE 

SUR 

QUELQUES  REPRÉSENTATIONS  ANTIQUES 

DE 

DANIEL  DANS  LA  FOSSE  AUX  LIONS 


M.  Van  Robais  m'a  fait  l'honneur  de  m'adresser,  en  le  recommandant 
à  mon  attention,  un  mémoire  extrait  du  Bulletin  de  la  Société  des  Anti- 
quaires de  Picardie  et  intitulé  Notice  sur  une  petite  seille  en  bois  recouverte 
de  cuivre  repoussé^  trouvée  dans  le  cimetière  dit  mérovingien  de  Miannay 
(arrondissement  d" Abbeville) . 

Plusieurs  fois,  ainsi  que  le  rappelle  ce  petit  ménvoire,  des  débris  de 
seaux  de  bois  ou  de  cuivre  ont  été  rencontrés  dans  les  sépultures  méro- 
vingiennes ;  mais  celui  de  Miannay  se  distingue,  entre  tous  les  autres,  par 
des  reliefs,  malheureusement  très-légers  et  très-effacés. 

On  y  voit,  au  centre,  le  Christ  nimbé,  assis  sur  une  cathedra  ornée  et 
foulant  aux  pieds  le  serpent  vaincu,  représentation  qu'on  retrouvera  sur 
un  sarcophage  de  Ravenne  *  et  qui  rappelle  la  médaille  de  Constantin 
où  figure  le  serpent  renversé  sous  le  labarum  portant  le  monogramme  -. 
A  la  gauche  du  Sauveur,  se  trouvent  Adam  et  Eve  à  laquelle  le  dragon, 
enroulé  autour  d'un  arbre,  présente  le  fruit  défendu.  En  regard  est  figuré 
Daniel,  debout,  les  bras  en  croix,  dans  Tattitude  de  la  prière,  entre  un 
lion  et  un  homme  qui  ne  peut  qu'être  qu'Habacuc.  Un  second  fragment 
de  la  seille  offre  encore  la  représentation  de  ce  dernier  personnage  ^. 

'  Cianipini.  Vetera  monimenia,  t.  I,  tav.  III. 

-  Eekhel,  Doclrina  nummorum  veierum,  t.  VIII,  p.  88,  et  Garrucci,  Vetri  or- 
nali  di  figure  in  oro,  p.  9o ;  cf.  AUegranza,  De  monogrammale  Chnsli,  p.  57. 
■^  Voir  la  planche,  n°^  [  et  2. 
II*  eéne,  tome  II.  7 


90  RKPRÉSEM'ATIONS    ANTIOUKS 

De  brèves  inscriptions  occupent  le  champ  demeuré  libre  autour  des 
figures  d'Habacuc  et  de  Daniel.  C'est  sur  le  déchiffrement  de  ces  légendes 
qu'a  bien  voulu  me  consulter  M.  Van  Robais,  en  m'adressant  son  intéres- 
sante notice,  et  c'est  seulement  de  la  partie  où  elles  se  trouvent  que  je 
m'occuperai  dans  les  pages  qui  vont  suivre. 

Si  je  me  suis  tout  d'abord  rencontré  a\ec  lui  dans  l'interprétation  du 
sujet  représenté,  il  m'a  fallu  faire  quelques  réserves  pour  le  détail  de  cette 
figuration  et  le  déchiffrement  des  légendes.  Au-dessus  d'Habacuc,  j'ai 
signalé  la  présence  de  TAnge  qui,  le  prenant  par  les  cheveux,  selon  le 
commandement  du  Seigneur,  le  fit  descendre  près  de  Daniel  pour  lui  appor- 
ter sa  nourriture  \  Le  fragment  secondaire  présente  nettement  cette  par- 
ticularité et  l'on  reconnaît  sur  le  premier,  auprès  d'Habacuc,  les  pieds  de 
l'envoyé  céleste  et,  plus  haut,  l'ovale  de  sa  tête. 

Mon  impression  première  avait  été  que.  suivant  une  coutume  bien  con- 
nue, les  noms  des  personnages  représentés  devaient  se  trouver  près  d'eux. 
La  syllabe  DAN,  commencement  évide  it  du  nom  de  Daniel,  reconnue  par 
M.  Van  Robais  sur  le  petit  débris,  m'affermissait  dans  cette  pensée.  Aussi 
n'ai-je  point  hésite  à  prier  mon  savant  correspondant  de  vouloir  bien 
vérifier  si  le  nom  de  DANIEL  ne  figurerait  pas  dans  la  deuxième  ligne  du 
grand  fragment  où  il  avait  lu  d'abord  LAMEL  ;  quant  aux  lettres  FRGN 
qu'il  voyait  à  la  suite,  j'inclinais  à  y  reconnaître  la  trace  du  mot  PROFr^a 
inscrit  après  le  nom  de  Daniel,  comme  sur  une  belle  agrafe  de  ceinturon, 
venue  de  la  collection  de  madame  Febvre  dans  le  musée  deSaint-Germain- 
en-Laye  ^. 

La  troisième  ligne  me  semblait  devoir  contenir  le  nom  d'ABAGV,  dont 
je  retrouvais  les  deux  dernières  syllabes  dans  les  lettres  RAG  V  de  la  copie . 
Les  caractères  NGI  reconnus  sur  le  petit  débris,  aux  deux  côtés  de  la  tête 
de  l'Ange,  me  paraissaient  accuser  la  présence  du  mot  aNGI/ws  ou 
ûNGE/ws. 

M.  Van  Robais  voulut  bien  me  faire  savoir  qu'un  nouvel  examen  du 
cuivre  original  confirmait  mes  suppositions,  et  avec  une  libéralité  dont  je 
ne  puis  que  le  remercier  vivement,  il  m'envoya  et  mit  pour  quelques 
jours  à  ma  disposition  sa  précieuse  seille.  C'est  d'après  le  monument 
même  qu'a  été  exécuté  sous  mes  yeux  le  dessin  des  figures  et  sujets 
qu'elle  représente. 

Le  grand  fragment  nous  montre  Daniel  vêtu  et  mitre,  debout,  dans 
l'attitude  de  la  prière,  entre  un  lion  et  Habacuc  chaigé  de  deux  objets 

'  Danil.  XIV.  35. 

^  Voir  la  planche,  figure  nf»  'i. 


DE    DANIEL    DANS    LA    FOSSE    AUX    LIONS 


91 


que  j'examinerai  plus  loin.  Au-dessus  de  ce  dernier  personnage,  on 
reconnaît  la  trace  de  la  tôle  de  l'Ange  et,  plus  bas,  ses  pieds  nettement 
visibles. 

A  la  première  ligne,'  je  lis  angreLVS  EMIS[s^<s  ?]  ;  à  la  deuxième,  DANIEL 
PROFITA  ;  à  la  troisième  et  la  quatrième,  HaBACV  FERT  E[scam]  ;  puis, 

au-dessous  de  la  figure  d'Habacuc,  nous  trouvons  D....L....NL LEO- 

NVM  que  l'on  pourrait  interpréter  Daniel  ÎN  Lacu  LEONVM,  par  compa- 
raison avec  l'inscription  DANIEL  DE  LACO  LEONIS  d'une  coupe  de  verre 
trouvée  à  Podgoritza,  près  de  Scutari  d'Albanie,  et  dont  mon  savant 
confrère  M.  Albert  Dûment  a  bien  voulu  me  communiquer  le  dessin. 


Sur  le  petit  fragment,  je  reconnais,  auprès  de  l'Ange,  le  mot  àNGÏlus, 
puis  au-dessous  DAN/e/.  En  démontant  la  petite  bande  rivée  à  la  droite 
de  ces  lettres,  on  en  trouverait  certainement  le  complément,  ainsi  que  celles 
qui  doivent  suivre  l'M,  le  T  et  le  D  par  lesquelles  débutaient  les  trois 
autres  lignes. 

Cela  dit  sur  les  inscriptions  de  la  seille  de  M.  Van  Robais,  il  me  reste 
quelques  mots  à  ajouter  sur  la  partie  figurée  de  ce  petit  monument. 

Si  souvent  que  les  artistes  chrétiens  des  premiers  Ages  l'aient  repro.duit, 
le  sujet  qui  le  décore  n'a  cependant  pas  toujours  été  exactement  reconnu. 
Sur  un  sarcophage  d'Arles,  Millin  prend  l'Ange  pour  «  Darius  le  Mède, 
((  qui  vient  voir  si  Daniel  n'a  pas  été  dévoré  et  qui  s'étonne  de  le  trouver 
«  vivant  »  ^  Sur  une  lampe  que  j'ai  acquise  à  la  vente  des  objets  d'art 
de  M.  Raoul  Rochotte  et  qui  représente  Daniel  debout  entre  les  lions  et, 


^  Voyage  dans  les  départements  du  midi  de  la  France,  t.  III,  p.  531. 


92 


REPRESENTATIONS    ANTIQUES 


au-dessus  de  lui,  l'Ange  et  Habacuc  portant  un  pain,  on  a  vu  :  «  le  Christ 
c(  assis  de  face  entre  deux  petites  figures  d'ange  qui  volent  de  chaque  côté 
<(  avec  une  couronne  à  la  main  »  '.  Un  autre  objet  de  même  nature  est 
décrit  ainsi  par  M.  Dumège  :  «  Une  lampe  décorée  de  la  figure  do  Daniel, 
«  dans  l'attitude  de  la  prière  ;  à  ses  pieds  sont  des  lions  destinés,  à  ce  que 
«  l'en  croyait,  à  le  dévorer,  mais  s'abaissant  devant  lui  et  deux  Anges 
((  qui  le  rassurent  et  le  consolent  »  '.  —  Parmi  les  personnages  signalés 
sur  ces  lampes  comme  représentant  des  Anges,  deux,  je  n'ai  pas  besoin 
de  le  dire,  ne  sont  autres  qu'Habacuc,  figuré  dans  les  airs  à  côté  de  l'Ange 
envoyé  de  Dieu . 

Peu  de  sujets,  je  le  répète,  ont  été  plus  fréquemment  reproduits  que 
ce  trait  de  l'histoire  de  Daniel  où  les  anciens  voyaient,  parmi  tant  d'autres 
symboles,  celui  de  la  constance  dans  la  persécution,  de  la  foi  en  la  résur- 
rection future.  De  même  que  l'âge  des  combats  de  l'Eglise,  celui  de  la 
paix  devait  le  retenir.  Fresques,  bas-reliefs^,  sceaux  de  bronze  *,  ivoires^, 
gemmes  gravées  *,  agrafes  de  ceinturon,  verres  à  fond  d'or  \  statues 


*  Inscriptions  chrétiennes  de  la  Gaule,  1. 1,  p.  493,  et  t.  II,  p.  502.  Cette  lampe 
est  maintenant  au  musée  de  Lansanne. 

-  Mémoires  de  VAcad.  des  sciences  et  belles  lettres  de  Toulouse,  1859,  p.  213. 
'  Bosio,  Roma  Solterranea,  etc. 

*  Fabretti,  Inycviptioncs,  c.  VIII.  n°  'iS. 

'"  Odorici,  Mornimcnii  crisliaui  di  Ih'rscia.  tav.  Y,  n**  12. 

^  Perret,  Catacombes,  t.  IV,  iil.  XVI,  n"»  \-2. 

'  Garrucci.  '['etri  or>tuli  di  fi/jure  i)i  oro,  tav.  I.  n°  6. 


DE    DANIEL    DAXS    LA    FOSSE    AUX    LIONS  93 

même  '  montrèrent  sous  tous  les  aspects  cctt'i  scène  demeurée  de  nos 
jours  parmi  les  types  traditionnels  dans  la  décoration  des  églises  de  la 
Grèce  -. 

A  l'est  de  notre  pays,  comme  en  Suisse,  et  par  une  intention  dont  la 
cause  ne  m'apparaît  pas  nettement,  elle  s'est  singulièrement  multipliée. 
Alors  que  sont  toml.és  dans  l'oubli  la  plupart  des  sujets  familiers  aux 
artistes  du  lY^  et  du  Y"  siècle,  elle  survit  et  je  la  retrouve  à  chaque 
instant  représentée  sur  les  agrafes  mérovingiennes.  A  côté  de  celle 
qu'avait  recueillie  madame  Febvre,  je  puis  citer,  parmi  tant  d'autres, 
trois  pièces  de  même  nature  trouvées  à  Saint-Maur,  près  de  Lons-le-Sau- 
nier,  à  Lavigny  ^  et  dans  le  canton  de  Vaud,  pièces  dont  la  troisième 
nouvellement  publiée  et  encore  peu  connue  sera  mise  utilement  sous  les 
yeux  du  lecteur  *. 


*  Euseb.,  Vitu  Constantini,  III,  49. 

^  Didron,  Manuel  d'icenographie  chrétienne^  p.  120. 

'  Voir  mes  Inscriptions  chrétiennes  de  la  Gaule,  t.  I,  p.  493  et  494,  planches 
nos  251  et  252. 

*  Celte  agrafe  provient  du  grand  cimetière  burgonde  de  Daillens  découvert  en 
i8i9  par  M.  Gex.  Elle  a  été  publiée  en  1872  par  M.  de  Bonstetten  dans  Vlndica- 
teur  d'antiquités  suisses  (p.  386).  Les  mots  Duo  leones  pedes  ejus  lingebant 
transcrits  ici  avec  une  orthographe  barbare  rappellent  ces  anciens  passages  sur 
sainte  Thècle,  épargnée  par  les  bètes  féroces  :  «  Lecena  vero  mittens  linguam 
lingebat  pedes  Theclae  »  (Grabe,  Spicilegiutn  Sanvtorum  Patrum  I .  II  et  III 
sœculiy  t.  I,  p.  108].  «  Cernero  erat  lingentem  pedes  bestiam  »  (S.  Ambres.  De 
Virginitate.  II);  voir  encore  Botland.  9  jan.  Acta  S.  Juliani  et  Basilissic,  §  60; 
«  Pedes  illis  lingebant  ,>.  On  sait  que  comme  Daniel,  sainte  Thècle  était,  pour  les 
chrétiens,  le  type  du  fidèle  assisté  miraculeusement  dans  le  danger.  La  multipli- 
cation singulière  du  premier  de  ces  sujets  sur  les  agrafes  de  bronze  dans  l'est  de 


94  REPRÉSENTATIONS    ANTIQUES 

Au  milieu  des  nombreuses  figurations  de  la  même  scène,  la  petite  seille 
de  Miannay  me  paraît  se  distinguer  par  un  trait  particulier.  Je  ne  par- 
lerai pas  ici  de  l'étrange  coiffure  donnée  par  l'artiste  à  Daniel,  ordinai- 
rement représenté  tête  nue  ^  ;  le  personnage  d'Habacuc  appellera  seul  mon 
attention. 

J'ai  dit  que  le  sujet  qui  nous  occupe  avait,  au  point  de  vue  symbolique, 
deux  significations  principales  :  la  constance  dans  la  persécution,  la  foi 
dans  la  résurrection  promise.  Parmi  d'autres  sens  que  cette  image  pré- 
sentait de  plus  pour  nos  pères,  il  en  est  un  encore  qu'il  faut  noter.  Les 
vivres  apportés  par  Habacuc  à  l'illustre  prophète  étaient,  à  leurs  yeu.x,  une 
figure  de  l'Eucharistie.  J'en  connaissais  déjà  deux  preuves  :  la  première, 
dans  les  sculptures  d'un  sarcophage  d'Arles,  très-inexactement  figuré  par 
Millin  ^  et  où  l'on  voit  l'Ange  et  Habacuc  apportant  à  Daniel  des  pains  et 
un  poisson  à  tête  de  dauphin  ^  Une  autre  tombe  trouvée  à  Brescia  et 
publiée  dans  le  beau  recueil  de  M.  Odorici  ^  représente  Habacuc  ofl'rant 
à  Daniel  un  pain  et  un  poisson  dans  une  corbeille. 


"^^âîV 


la  Gaule  a  peut-être  pour  cause  l'idée  de  préservation  que  les  anciens  attachaient 
au  type  de  Daniel. 

'  Voir  pourtant  un  marbre  d'Afrique  (Delainare,  Note  sur  un  bas-relief  trouvé 
à  D\jemUa,  Bévue  archéologique  ISi'J),  et  un  sarcophage  de  Uavenne  iSpreti, 
De  uînplitudirte  m  bis  Ruvennœ,  t.  I,  lab.  Vlll,  n"  3  ,  où  Daniel  est  liguié  avec 
le  bonnet  phrygien. 

2  Voyage  dans  les  départements  du  midi  de  la  France,  pl.  LXYII,  n"  1.  C'est 
le  sarcophage  n**  39  de  la  chapelle  IV,  au  musée  d'Arles. 

'  Voir  planche,  figure  n^  3. 

*  Monumenti  cristiani  di  Brescia,  tav.  XII,  n*^  3. 


DE    UAMEL    DANS    LA    FOSSE    AUX    LIOXS  93 

Ce  double  symbole  bien  avéré  du  mystère  de  l'Eucbaristie  me  paraît  se 
retrouver  encore  sur  la  seille  de  Miannay .  En  même  temps  qu'il  porte  de 
la  main  droite  une  sorte  de  panier  à  anse  qu'on  reconnaît  également  sur 
l'agrafe  de  madame  Febvre,  Habacuc  tient  suspendu,  dans  sa  main  gauche, 
un  objet  renflé  au  milieu  et  de  forme  allongée  et  ondulée.  Les  données  de 
la  scène  ne  permettent  pas  de  voir  ici  autre  chose  qu'une  matière  comes- 
tible, et  la  comparaison  des  sarcophages  d'Arles  et  de  Brescia  me  fait 
incliner  à  y  reconnaître  un  poisson. 

Si  l'on  en  juge  ainsi  que  moi.  la  seille  de  M.  Van  Robais  serait  le  troi- 
sième monument  de  l'art  chrétien  venant  révéler  dans  une  figuration  de 
Daniel  exposé  aux  lions,  une  signification  symbolique  dont  je  n'ai  trouvé, 
jusqu'à  cette  heure,  aucune  mention  dans  les  écrits  des  Pères. 

Edmond  Le  Blant. 


LES  ORIGINES 

DE  L'ORFÈVRERIE  CLOISONNÉE 


DEUXIEME   AUTICLE 


CHAPITRE  II. 

l'orfèvrerie  cloisonnée   chez  les   peuples  orientaux  dans 

l'antiquité. 

I.  —  L'Egypte. 

De  toutes  les  civilisations  connues,  celle  de  TEgjpte  est  incon- 
testablement la  plus  vieille.  Aussi  haut  quv^'  Ton  puisse  remonter 
dans  la  nuit  des  temps,  quarante  ou  cinquante  siècles  avant  notre 
ère,  selon  les  listes  de  Manéthon  ou  les  données  chronologiques 
de  la  Bible  ',  on  trouve  dès  le  règne  de  Menés,  fondateur  de  T An- 
cien Empire,  les  Egyptiens  en  possession  complète  de  la  généralité 
des  arts  et  en  particulier  de  Tindustrie  des  métaux  ■.  Du  métal- 

*  Voir  le  numéro  précédent,  p.  5. 

*  Manéthon  fait  remonter  la  première  dynastie  à  5004;  M.  Mariette  admet  cette 
date  que  MM.  Lepsius  et  Brugsch  rapprochent,  l'un  à  38'J2,  l'autre  à  iiôô. 
V.  F.  Chabas,  IC Indes  sur  l' antiquité  hislcrique  d'après  les  sources  égyptiennes, 
2°  éd.,  1873,  p.  14.  —  V^irt  de  vérifier  les  dates  jjlace  la  ciéation  du  monde  en 
4963,  Usserius  et  la  chronologie  vulgaire,  en  4004  avant  .T.  C.  Du  reste  «  il  n'est 
pas  démontré  par  la  révélation  divine  que  la  création  du  mande  ne  remonte  pas 
au-delà  de  sept  mille  ans.  »  Éludes  relig.,  Instor.  el  littéraires,  par  le  R.  P.  Tou- 
lemont,  p.  618. 

'  Gbabas,  ouv.  cité,  c.  2,  3  et  passim. 


ORIGINES    DE    l"0RFÉVRER1E    CLOISONNÉE  97 

lurgiste  à  l'orfèvre,  de  l'orfèvre  au  joaillier,  peu  d'échelons  res- 
tent à  franchir,  il  est  donc  probable  que  le  rameau  chamite  de 
Mitsraïm,  si  intelligent  de  ces  choses  de  la  forme  et  du  luxe  qu'en- 
courage toujours  le  polythéisme,  ne  fut  pas  long  à  inventer  l'or- 
fèvrerie cloisonnée.  Nous  ne  connaissons,  il  est  vrai,  aucun  joyau 
antérieur  à  la  18"  dynastie  'XYIir  ou  XVir  siècles  avant 
J.-C);  mais  il  faudrait  tenir  compte  des  cinq  cents  années  de 
trouble  et  de  pillage  qu'eut  à  subir  l'Egypte  sous  la  domination 
des  Hyksôs  ou  rois  pasteurs,  énorme  point  d'arrêt  jeté  à  travers 
la  marche  progressive  de  ce  pays,  quand  même  les  fouilles  n'au- 
raient pas  exhumé  du  sol  des  monuments  apparentés  de  fort  près 
à  l'art  industriel  dont  je  veux  écrire  l'histoire,  monuments  qui 
en  reculent  la  pratique  à  une  antiquité  prodigieuse.  Il  est  très- 
certain  que  sous  la  IV"  dynastie,  environ  quarante  siècles  avant 
J.-C,  les  ouvriers  égyptiens  avaient  déjà  perfectionné  l'incrusta- 
tion des  métaux  et  des  substances  dures  à  un  remarquable  degré. 

L'excipient  de  ce  genre  d'ouvrages  était,  suivant  les^circonstan- 
ces,  l'or,  le  bronze,  la  pierre,  la  terre  émaillée  et  même  le  bois  ; 
la  matière  incrustée  variait  entre  le  lapis,  la  malachite,  le  cristal 
de  roche,  la  cornaline,  la  serpentine  ,  l'agate,  le  leldspatli  et  au- 
tres pierres  dures,  le  gypse  ou  albâtre,  rarement  la  turfjuoise,  les 
pâtes  vitreuses,  les  mastics,  l'ivoire,  la  corne  et  les  métaux  })ré- 
cieux. 

L'or,  nouh ,  provenait  des  miues  exploitées  par  les  anciens 
Egyptiens  dans  le  voisinage  de  Radesieh  ;  des  pays  de  Coush, 
l'Ethiopie  et  de  Poiin,  l'Arabie.  Nous  savons  que  sous  la  XII'' 
dynastie  (MoyenEmpire,  30  siècles  avant  J.-C),  le  roi  ( )sortasen  I 
envoya  en  Ethiopie  un  officier  nommé  Ameni  (|ui  en  revint 
chargé  d'or  '  ;  «  cependant,  dit  M.  F.  Chabas,  si  de  tout  temps  les 
régions  du  haut  Nil  ont  passé  pour  être  riches  en  minerai  d'or, 
les  recherches  modernes  n'ont  pas  répondu  à  l'opinion  qu'on  s'en 
était  faite.  L'or  était  probablement  beaucoup  plus  abondant  dans 

'  Chabas,  ouv.  nté,  p.  18,  19,  41,  132. 


^^  ORIGINES    DE    l'oRFEVRERIK   CLOISONNÉE 

rantiqiiitë.  Le  cliiftre  de  ce  métal  apporté  du  pays  des  Nègres  au 
temple  d'Ammon  par  Ramsès  III  (XX'  dynastie,  lin  du  XIV  siè- 
cle avant  J.-C.)  est  d'une  exagération  démesurée.  Les  annales  de 
Tliotlimès  III  donnent  des  renseignements  plus  sérieux  :  on  n'y 
trouve  pas  de  quantité  supérieure  à  300  kilogrammes  d'or,  comme 
tribut  d'Ouaoua  ;  en  comptant  la  même  quantité  pour  Coush,  on 
aurait  600  kilogrammes  comme  maximum  de  la  récolte  annuelle 
de  l'or  sous  la  XVIIP  dynastie  dans  les  régions  du  haut  Nil  )^  *. 
L'Arabie  fPoun,  To-Neter)  était  dès  l'Ancien  Empire  en  relations 
avec  l'Egypte  qui,  alors,  parait  en  avoir  tiré  seulement  des  aro- 
mates. Les  premiers  documents  détaillés  que  nous  possédions  sur 
des  rapports  plus  étendus  entre  les  deux  pays  datent  seulement 
du  XVIP  siècle  avant  notre  ère.  La  reine  Num-Ammon  Hashe- 
psou  (Hatasou;  Ra-ma-ka,  sœur  de  Thothmès  II  et  régente  pen- 
dant la  minorité  de  Tliotlimès  III,  dirigea  vers  l'Arabie  une  expé- 
dition pacifique  dont  les  bas-reliefs  d'El-Assassif  figurent  les 
principaux  épisodes  ;  l'or  est  mentionné  parmi  les  produits  du 
voyage  \ 

Le  commerce  du  lapis-lazuli,  khesbet,  khesteb,  était  centralisé 
entre  l'Euphrate  et  le  Tigre  dans  une  ville  portant  le  nom  d'Assour  ; 
les  textes  citent  une  grosse  pierre  de  lapis,  du  poids  d'environ  deux 
kilogrammes,  livrée  en  tribut  à  Tliotlimès  III  par  le  chef  d'As- 
sour :  les  Egyptiens  en  tiraient  aussi  de  Babylone.  La  Phénicie 
leur  fournissait  également  le  lapis  en  briques,  mais  elle  l'obte- 
nait de  l'Asie  centrale  par  voie  de  négoce  ;  en  outre,  un  monument 
de  Thèbes  représente  le  pharaon  Amentouonkh  recevant  du  lapis 
oifert  par  des  tributaires  éthiopiens  ^ 

Dans  une  dissertation  nourrie  de  faits,  M.  Chabas  tend  à  prou- 
ver que  le  mot  égyptien  mafek  désignait  plusieurs  minéraux  bril- 
lants; en  particulier,  la  malachite  ou  cuivre  carbonate  vert. 
Personne  plus  que  le  savant  de  Chfilon-sur-Saône  n'était  apte  à 

»  Ouv.  cité,  p.  137,  138. 

^  Chabas,  ouv.  cité,  p.  143,  149,  150  et  sq. 

^  Chabas,  ouv.  cité,  p.  23,  33,  120,  124,  139. 


ORIGINES    DE    l'ORFÉVREPJE    CLOISONNÉE  99 

élucider  cette  question  et  je  crois  qu'il  y  a  pleinement  réussi.  Le 
mafeh  était  exploite  au  Sinaï  dès  l'Ancien  Empire  ;  les  établisse- 
ments de  Wp.dy-Magliara  fonctionnaient  sous  le  règne  de  Snefrou 
(III-^  dynastie,^  45  siècles  avant  J.-C.)  et  ceux  de  Sarbout-el- 
Khadem  n'ont  guère  une  antiquité  moindre.  Aux  temps  des 
Eamessides  et  aux  basses  époques,  on  importa  le  mafeh  d'un  pays 
nommé  Rashata  qui  produisait  aussi  l'or,  l'argent  et  le  lapis;  il 
en  venait  encore  de  la  Syrie,  et  le?  Phéniciens  le  livraient  sous 
forme  de  briques  oblongues  semblables  à  des  lingots  de  mét-al  fondu 
ou  a  de  petits  blocs  de  roches  taillées  ;  on  en  voit  la  preuve  sur  la 
décoration  du  tombeau  de  Rekhmara,  à  Thèbes.  Plus  fré-iuemment 
ce  minéral  est  mis  en  sacs  ou  en  tas  arrondis  ' . 

Le  tahen  se  présente  assez  fréquemment  dans  les  textes  avec 
ridée  de  transparence,  d'éclat  et  d'irradiation  pour  que  l'on  y 
reconnaisse  le  quartz  hyalin  (cristal  de  roche)  ouïe  verre  incolore. 
La  mention  de  sa  provenance  est  rare,  c'était  donc  une  substance 
que  rindustrie  égyptienne  savait  imiter,  néanmoins  on  trouve 
signalé  le  tahen  deBakh,  c'est-à-dire  du  Levant  ou  du  Sinaï  \  On 
travaillait  déjà  sous  l'Ancien  Empire  le  tahen  qui  se  rattache  môme 
aux  traditions  mythologiques;  quatre  briques  de  tahen,  gardées  à 
Héliopolis,  avaient  servi  dans  les  circonstances  qui  accompagnè- 
rent l'émasculation  de  Set  (Typhon)  :  on  mentionnait  ces  briques 
dans  les  adjurations  magiques  contre  les  maléfices  de  l'implacable 
ennemi  d'Osiris.  Conjointement  avec  l'or,  l'argent,  le  hhesbet  et  le 
mafeh,  le  tahen  figurait  à  titre  d'objet  sacré  dans  les  cérémonies 
religieuses  ou  funéraires  ^ 

Les  Egyptiens  tiraient  du  pays  de  Coush  une  sorte  de  pierre 
précieuse  nommée  hertès  ;  il  en  existait  deux  variétés  principales, 
la  bhinche  et  la  rouge.  J'ai  cru,  et  je  n'ai  pas  encore  la  certitude 
du  contraire,  que  hertès  est  l'équivalent  d'agate  ou  de  cornaline, 
peut-être  de  jaspe  blanc  et  de  jaspe  sanguin  ;  M.  F.  Chabas,  dont 

1  Ohv.  ciu',  p.  21,  22,  28,  29,  31,  36,  39,  120. 
-  Chabas,  ouv.  cité,  p.  33,  34. 
'  Chabas,  ouv.  cité,  p.  31,  33,  34. 


dOO  ORIGINES   DE    l'ORFÉVRERIE    CLOISONNÉE 

j'ai  mis  à  ce  sujet  le  savoir  à  contribution^  persiste  dans  son 
doute  '.  Les  bijoux  égyptiens  incrustent  cependant  assez  de  cor- 
naline pour  qu'elle  soit  désignée  dans  la  langue  indigène. 

On  a  longtemps  contesté  l'emploi  de  la  tunpioise  par  les  joail- 
liers de  l'Egypte  ;  les  découvertes  de  M.  Mariette  ont  établi  la 
présence  de  ce  minéral  sur  des  armes  et  des  bijoux  de  la  XVIIP 
dynastie.  Comme  le  mafek,  on  extrayait  la  turquoise  des  mines  de 
cuivre  du  Sinaï,  notamment  à  Sarbout-el-Khadem  ;  elle  y  est  d'un 
bleu  très-pâle  et  se  décolore  promptement,  d'où^  sans  doute^  l'usage 
peu  fréquent  qu'on  en  a  fait  ^. 

Quant  aux  autres  substances  minérales  énumérées  ci-dessus  et 
que  l'état  actuel  de  la  science  interdit  de  spécifier  avec  plus  de 
détails,  elles  provenaient  vraisemblablement  de  l'Arabie.  Sur 
l'inscription  de  Medinet-Habou,  le  dieu  Ammon-Ra  apostrophe 
ainsi  Ramsès  III  :  ^  Je  tais  arriver  à  toi  les  nations  qui  ne  con- 
naissaient pas  l'Egypte,  avec  leurs  valise,-  remplies  d'or,  d'argent, 
de  lapis  vrai  et  de  toutes  sortes  de  pierreries  ;  le  choix  de  ce  que 
produit  le  To-Neter  est  devant  ta  belle  face.  »  Au  Sinaï,  les  val- 
lées voisines  du  désert  abondent  en  pierres  dures,  jaspe,  agate, 
quartz,  serpentine  et  roches  de  toute  espèce  ^. 

Les  monuments  é])igraphiques  et  les  papyrus  accolent  souvent 
aux  mots  lihosbef,  niufek,  tahen,  l'épithète  ma,  vrai  :  khesteb- 
en-ma,  véritable  lapis;  mafeli-en-ma,  véritable  malachite;  tahen- 
en-ma,  véritable  cristal.  Il  y  en  avait  donc  de  faux,  et  les  Egyp- 
tiens fabriquaient  assurément  des  imitations  de  ces  matières.  Les 
textes  parlent  de  sistres  en  tahen  sans  le  qualificatif  772a  :  or  les 
Musées  renferment  des  modèles  de  sistres  ou  des  sistres  votifs  en 


1  Ouv.  cité,  p.  1:12,  142.  —  «  En  matière  de  spécialisation  des  noms  des  métaux 
et  des  minéraux,  nous  n'avons  guère  de  moyens  de  certitude.  Les  Égyptiens, 
sans  doute  médiocres  minéralogistes,  classaient  ces  substances  d'après  des  appa- 
rences et  leur  classement  ne  peut  avoir  de  base  scientifique.  Le  'lerlès  peut  être 
la  cornaline;  mais  qui  prouve  le  fait?  »  I^cllrc  du  5  janvier  1875. 

-  Chabas,  ouv.  clfé,  p.  21,  29,  30,  31. 

^  Chabas,  ouv.  cHé,  [>.  115,  152,  29. 


ORIGINES    DE    l'ohFÉVREPJE    CLOISONNÉE  101 

porcelaine  de  couleur  bleue  et  verte  » .  Il  n'est  d'ailleurs  pas  de 
collection,  soit  publique,  soit  particulière,  qui  n'étale  une  certaine 
quantité  de  statuettes,  de  scarabées  et  d'ornements  égyptiens  en 
terre  émaillée  ou  en  pâte  de  verre.  Les  ouvriers  de  Mitsraïm 
étaient  arrivés  pratiquement  à  la  cliimie  des  oxydes  métalliques  ; 
ils  obtenaient  des  couleurs  solides  à  l'aide  du  fer,  du  cuivre,  du 
cobalt,  du  manganèse,  du  plomb  et  de  l'étain.  Dans  une  salle  du 
palais  de  Khorsabad,  M.  V.  Place  a  rencontré  deux  blocs  de  cou- 
leurs, l'un  rouge,  l'autre  bleu;  le  rouge  était  de  l'oxyde  de  fer, 
le  bleu  du  lapis-lazuli  pulvérisé  ^.  Ce  dernier  était  sans  doute 
préparé  de  la  même  façon  que  les  briques  de  khesbet  importées 
d'Assyrie  en  Egypte  par  le  commerce  phénicien  ;  on  le  destinait 
aux  peintres,  aux  potiers  et  à  l'industrie  des  fausses  gemmes. 

Les  Egyptiens  tiraient  leur  ivoire  de  l'Ethiopie  et  de  l'Arabie; 
ils  pouvaient  également  s'en  procurer  en  Assyrie  car,  au  XVP 
siècle  avant  J.-C,  Thothmès  III,  dans  sa  trente-troisième  cam- 
pagne, entra  à  Ninive,  qui  n'avait  pas  acquis  alors  l'importance 
qu'elle  eût  depuis,  et  se  donna  aux  environs  de  cette  ville  le  plai- 
sir d'une  grande  chasse  à  l'éléphant.  Un  tel  fait  prouve  qu'aux 
époques  historiques  l'éléphant  d'Asie  vivait  à  une  latitude  beau- 
coup plus  septentrionale  que  de  nos  jours  ^ . 

Sous  la  dénomination  générale  abou  étaient  compris  les  ou- 
vriers en  métaux,  ivoire,  pierre  et  bois  ;  ce  terme  sY^tendait  aux 
graveurs,  sculpteurs,  artistes  en  marqueterie  et  en  incrustations, 
émailleurs,  voire  même  aux  peintres.  Les  aboiis  avaient  un  chef 
pris  dans  la  caste  sacerdotale  ;  un  certain  Ptahmès,  Sam  (prêtre 
chargé  du  rôle  majeur  dans  la  cérémonie  des  funérailles),  est  qua- 
lifié de  sam  oer  kherp  abou  (le  grand  sam,  le  chef  des  artistes)  sur 
rinscription  d'un  couteau  de  stéatite  conservé  au  Musée  Britanni- 
que " .  Le  travail  d'incrustation  ne  se  bornait  pas  aux  seuls  bijoux, 

*  Cliabas,  ouv.  cité,  p.  21,  23,  32. 

-  Chabas,  ouv.  cité,  p.  62,  372.  —  Ninive  el  l'Assyrie,  t.  II,  1.  II,  c.  3,  p.  251,  252. 
•'  Ghabas,  ouv.  cité,  p.  132,  li'2,  124. 

*  Chabas,  ouv.  cité,  p.  378,  379.  Ce  couteau,  qui  porte  le  n°  5472,  ne  peut  re- 


102  orktIxes  de  l'orfèvrerie  cloisonnée 

armes  ou  ustensiles  ;  on  l'appliquait  aussi  aux  barques  et  véhi- 
cules terrestres.  Un  magnifique  bas-relief  peint  du  Eamesseum  de 
Thèbes,  reproduit  en  chromolitliograpliie  par  M.  Prisse  d'Avenues, 
montre  Ramsès  II  (Sésostris),  combattant  les  Khetas  (Syriens), 
près  des  bords  de  TOronte  * .  Le  pharaon  apparaît  debout  sur  un 
char  dont  la  conque  est  orlée  de  khesbet,  Tiiafeket  cornaline  in- 
crustés dans  des  alvéoles  rectangulaires  en  or. Un  carrossier  anglais 
s'extasierait  devant  la  grâce  et  la  légèreté  des  roues  de  ce  tilbury 
non  suspendu,  trente-trois  fois  séculaire. 

Les  descriptions  d'objets  incrustés  trouvent  également  place 
dans  les  textes.  Le  papyrus  mythologique  n°  '2  de  la  collection  de 
Boulaq  dit  au  sujet  d'une  ligure  de  Phra,  représenté  assis  sous 
l'aspect  d'un  vieillard  :  «  Ses  os  sont  d'argent,  ses  chairs  d'or,  sa 
chevelure  de  hhesteb,  ses  yeux  de  deux  cristaux  ;  un  beau  disque 
de  mafek  est  par  derrière.  »  On  lit  encore  sur  le  papyrus  magique 
Harris,  contemporain  des  Raniessides,  à  propos  de  l'effigie  d'Am- 
mon-Ra,  adoré  par  les  Cynocéphales  :  «  Ses  os  sont  d'argent,  ses 
chairs  d'or,  le  dessus  de  la  tète  en  lapis  vrai  »  '. 

Je  crois  m'être  suffisamment  arrêté  aux  principales  données  his- 
toriques que  nous  possédons  sur  l'orfèvrerie  cloisonnée  en  Egypte. 
Je  vais  donc  aborder  l'étude  de  ses  monuments,  épaves  d'une  ci- 
vilisation qui,  en  fait  de  luxe  et  de  beaux-arts,  aurait  bien  peu  à 
nous  envier;  supposé  qu'elle  ne  rendit  pas  de  nombreux  points 
à  l'orgueil  moderne,  relativement  au  goût,  à  la  conception  et  à 
l'exécution.  Pour  suivre  la  généalogie  d'un  objet  antique,  la 
forme  n'est  pas  toujours  un  guide  infaillible,  on  a  souvent  besoin 
de  recourir  à  la  technique,  aide  obligée  de  toute  sérieuse  exper- 
tise ;  or,  cette  technique,  variable  dans  chaque  pays  sous  des  ana- 

monter  au-delà  du  VI«  siècle  avant  notie  ère.  —  Le  grand  Sam  était  chef  du  sa- 
cerdoce de  Ptah  ;  des  princes  de  souche  royale  furent  revêtus  de  cette  (dignité, 
témoin  Kha-em-uas,  fils  de  Ramsès  II.  P.  Picrret,  Calai,  de  la  salle  hisi  de  la 
yal.  t'gt/fit..  au  Louvre,  p.  31  et  201.'. 

*  Chabas,  oiiv.  cilé.^.  l'iS.  —  L'art,  égyptien,  Sculpture. 

-  Chabas,  ouv.  rite,  p.  2i,  23;  l'apynts  magique  //</»•;/}.,  pi.  IV,  9.  --  Mariette, 
Papyrus  du  musée  de  Boulaq,  pi.  2. 


ORIGINES    nE    T.  ORFÉVUERIE    CLOISONNÉE  103 

logies  extérieures  parfois  trompeuses,  les  œuvres  originales  peu- 
vent seules  nous  la  rendre  intelligible. 

«  Je  ne  connais  —  m'écrit  M.  F.  Chabiis  —  aucun  bijou  cloi- 
sonné autlientiquement  antérieur  à  ceux  de  la  reine  Aali-hotep  ; 
mais  cette  tombe  remonte  au  début  du  Nouvel  Empire.  Les  Pas- 
teurs venaient  d'être  expulsés,  et  ce  n'est  pas  pendant  leur  domi- 
nation que  les  arts  et  le  luxe  ont  pu  se  développer  en  Egypte.  La 
XVII'  dynastie  a  repris  les  choses  au  point  où  les  avaient  laissées 
la  XI%  la  Xir  et  la  XIIP  ;  le  cercueil  d' Aah-hotep  est  tout-à-fait 
semblable  à  celui  des  Entef  de  la  XI^  Je  crois  donc  pour  ma  part 
que  le  travail  des  incrustations  était  pratiqué  par  les  Egyptiens 
au  moins  sous  cette  dernière  dynastie.  Les  combinaisons  du  métal 
avec  les  gemmes  et  l'ivoire  leur  étaient  connues  dès  la  IIP  et  la 
IV  ;  c'est  ce  que  prouvent  les  belles  statues  de  bois  trouvées  par 
M.  Mariette  »  '.  Ces  indications  claires  et  précises  d'un  homme 
dont  la  compétence  est  notoire  en  matière  d'égyptologie,  ne  lais- 
sant place  à  aucun  commentaire,  il  ne  me  reste  plus  qu'à  dresser 
le  catalogue  descriptif  et  chronologique  des  principaux  monu- 
ments qui  se  rattachent  à  mon  sujet. 

Chacun  a  vu  à  l'Exposition  universelle  de  1867,  section  égyp- 
tienne, l'admirable  statue  en  bois  d'un  prêtre  contemporain  de  la 
IV^  dynastie  (environ  3426  ans  avant  notre  ère)  ;  ses  yeux,  qui 
exerçaient  sur  le  public  une  étrange  fascination,  sont  rapportés  et 
fabriqués  par  le  procédé  suivant.  Un  filet  de  bronze  tient  lieu  de 
paupière  ;  un  morceau  de  quartz  blanc  opaque  forme  la  scléroti- 
que ;  dans  l'iris,  en  cristal  de  roche,  est  fixé  un  clou  de  métal 
brillant  qui  donne  le  point  lumineux.  Cette  figure,  trouvée  à  Mem- 
phis  (nécropole  de  Saqqarah),  offre,  quant  aux  accessoires,  la 
preuve  d'un  art  déjà  très-avancé  ;  l'incrustation  de  la  pierre  dans 
le  bronze  et  de  la  gemme  dans  la  pierre  est  traitée  avec  une  rare 
perfection  :  on  n'a  pas  mieux  réussi  plus  tard  -. 

^  Lelhe  du  26  décembre  1874. 

-  C.  de  Linas,  L Histoire  du  travail  à  l'Exposition  universelle,  in-8'',  1868,  p.  240  • 
lirvue  de  i.-tit  c/néHen,  t.  X,  p.  595.  Mariette,  Catal.  du  musée  de  /lou/aq,  p.  -185, 
n''  492  ;  Descript.  du  parc  égyptien,  in-12,  1867,  p.  40,  n°  3, 


104  ORIGINES    DE    l'ORFÉVRERIE    CLOISONNÉE 

Les  organes  visuels  de  la  statue  du  scribe  Skem-Ka  (V'  ou 
VP  dynastie),  qui  provient  des  envois  de  M.  Mariette  pendant  ses 
fouilles  au  Sérapeum,  sont  exécutés  de  la  môme  manière.  «  Dans 
un  morceau  de  quartz  blanc  opaque  est  incrustée  une  prunelle  de 
cristal  de  roclie  bien  transparent,  au  centre  duquel  est  placé  un 
petit  bouton  métallique.  Tout  Fœil  est  enchâssé  dans  une  feuille 
de  bronze  qui  remplace  la  paupière  et  les  cils  »  ' . 

La  collection  égyptienne  du  Petit-Belvédère,  à  Vienne  (Autri- 
che), renferme  plusieurs  yeux  votifs  en  bronze  incrustant  des  mi- 
néraux ^  ;  ils  sont,  moins  Texcipient,  semblables  à  un  autre  ex-voto 
que  possède  le  musée  de  Rouen.  Une  cuvette  de  porcelaine  bleue  ', 
gondolée  en  paupières,  encastre  une  sclérotique  en  porcelaine 
blanche  munie  d'un  iris  noirâtre,  d'aspect  corné,  que  je  crois  être 
de  la  serpentine  ;  le  tout  maintenu  par  un  mastic. 

Les  bijoux  de  la  reine  Aah-hotep  ornaient  la  momie  de  cette 
princesse,  découverte  il  y  a  peu  d'années  dans  la  partie  de  Thèbes 
nommée  Drah-abou'1-neggah.  Aah-hotep,  épouse  de  Kamès  der- 
nier roi  de  la  XVIP  dynastie,  fut  mère  d'Ahmès  (l'Amosis  des 
listes  de  Manéthon)  qui  inaugure  la  XVIIP;  les  objets  dont  il 
s'agit  sont  en  conséquence  contemporains  de  l'expulsion  des  Pas- 
teurs (1703  avant  J.-C),  et  vraisemblablement  du  patriarche 
Joseph,  qui,  si  l'on  en  croit  certains  indices,  était  ministre  vers  la 
même  époque,  non  du  souverain  légitime  régnant  à  Thèbes,  mais 
du  dominateur  asiatique,  imposé  par  la  conquête  et  résidant  à 
Tanis.  Nous  avons  donc  en  notre  pouvoir  les  œuvres  d'une  indus- 
trie nationale  arrivée  à  un  degré  de  perfection  qui  étonne,  surtout 

*  Mariette,  Choix  de  monumenls  du  Sémpeuvi.  etc.,  p.  12,  pi.  10  E.  de  Rougé, 
Notice  sommaire  des  vwnum.  égypt.  du  Louvre,  2e  éd.,  1873.  p.  79. 

-  Cutalpcjne  des  sculptures,  etc.  du  Petit-Belvédère,  collection  égj'ptienne,  2^ 
chambre,  armoire  4.  tablette  4,  p.  29. 

^  Je  me  sers  toujours  à  regret  du  mot  porcelaine  pour  désigner  la  terre  émail- 
lée,  mais  ce  terme  est  passé  à  l'état  de  cliché.  Pourtant  la  porcelaine  est  une  pâte 
infusible  à  base  d'alumine  avec  légère  addition  de  sili.  e,  tandis  que  les  terres 
cuites  égyjitiennes,  également  infusibles,  contiennent  92  pour  100  de  cette  der- 
nière substance.  V.  Jacquemart,  Les  Merveilles  de  la  céramique,  partie  I,  Orient, 
p.  12. 


REVUE  DE  L'ART  CHRETIEN 


PI. 11. 


Bijoux  éêypheRs.-l  Epervier  du  Musée  du  L ouvre  .t  de  Tonêmal; 
Jiements  dm  collier,  3,  Boucle  d'oreille  •  D'après M.Pnsse  d'Avenues, 
4' ,  5 ,  Ba^ue  hmdo-ae ,  face  et  revers . 


ORIGINES    DE    l'ORFÉVRERIE   CLOISONNÉE  105 

si  l'on  tient  compte  du   moment  critique  où   elles  furent  exé- 
cutées. 

Comme  la  précédente  statue  en  bois  de  la  lY^  dynastie,  l'en- 
semble des  bijoux  que  je  vais  décrire  appartient  au  musée  de  Bou- 
laq  et  a  figuré  à  notre  Exposition  universelle  ;  on  peut  les  classer 
en  trois  groupes  distincts  :  l'incrustation  proprement  ditC;,  le  cloi- 
sonnage, la  réserve  ' . 

/"  groupe,  —  1"  Hache  dont  le  manclie  est  en  bois  de  cèdre 
revêtu  d'or;  des  hiéroglyphes  découpés  à  jour  y  donnent  pour  la 
première  fois  au  complet  le  protocole  royal  d'Ahmès  ;  du  lapis,  de 
la  cornaline,  des  turquoises  et  du  feldspath  en  table  y  sont  incrus- 
tés. La  lame,  en  bronze  orné  d'une  épaisse  feuille  d'or,  présente, 
d'un  côté,  des  bouquets  de  lotus  dessinés  en  pierres  dures  sur 
champ  métallique;  de  l'autre,  Ahmès,  les  jambes  écartées,  le  bras 
levé  pour  frapper  un  barbare  qu'il  a  saisi  par  les  cheveux  ;  au- 
dessous,  un  griffon  à  tête  d'aigle,  image  de  Month  le  dieu  des 
combats.  Cette  scène,  qui  rentre  dans  la  catégorie  dite  de  réserve, 
est  exécutée  en  or  sur  pâte  vitreuse  bleu-sombre,  si  compacte 
qu'elle  ressemble  à  de  la  pierre.  2°  Poignard  d'or  à  poignée  déco- 
rée d'un  semis  de  triangles  en  lapis,  cornaline  et  feldspath  disposés 
en  damier.  Sur  une  face  de  la  lame,  l'inscription.  Le  dieu  bien- 
faisant,  seigneur  des  deux  pays,  Ean-eh-pehti,  vivifîcateur 
comme  le  soleil  à  toujours,  précède  le  symbole  asiatique  du  lion 
terrassant  un  taureau  suivi  de  quatre  sauterelles;  sur  l'avers, 
près  de  la  garde,  on  lit  :  Le  fils  du  soleil  et  de  son  flanc,  Ahmès- 
7iakht,  vivifîcateur  comme  le  soleil  à  toujours. 

ir  groupe.  —  i°  Armilla  d'humérus  formée  de  deux  parties 
que  réunit  une  charnière.  La  partie  extérieure  offre  un  vautour 
aux  ailes  déployées  ;  le  plumage  est  figuré  à  l'aide  de  lapis,  de 
cornaline  et  d'une  imitation  de  feldspath  vert,  incrustés  dans  un 

*  On  donne  ce  nom  à  un  travail  d'émaillerie  champlevée  qui  consiste  à  épar- 
gner les  figures  sur  le  métal  en  émaillant  seulement  les  fonds.  Les  bijoux  égyp- 
tiens que  je  range  dans  la  catégorie  de  la  réserve,  n'en  ont  que  l'apparence,  le 
métal  étant  incrusté  dans  le  champ  vitreux. 

Ile  série,  torae  II.  8 


106  ORIGINES    DK    l'ORFÉVRERIE    CLOISONNÉE 

mince  cloisonnage  d'or,  l-a  partie  postérieure,  plus  étroite,  con- 
siste en  deux  bandeaux  parallèles  ornés  de  turquoises.  2°  Pecto- 
rale, plaque  d'or  rectangulaire,  épaisse  de  0""  04'=  environ,  ouvrée 
à  jour  et  représentant  un  naos  ou  petite  chapelle.  Au  centre  est 
Alimès  debout  sur  une  barque,  accosté  des  dieux  Ammon  et  Phré 
qui  versent  sur  sa  tête  l'eau  purifiante  ;  deux  éperviers,  symboles 
du  soleil  vivifiant,  planent  au-dessus  des  personnages.  L'orne- 
mentation est  déterminée  par  de  fines  cloisons  d'or  (0™  002'"  de 
profondeur)  sertissant  des  turquoises,  du  lapis  et  une  pâte  imitant 
le  feldspath  vert;  des  cornalines  sculptées  avec  un  art  merveilleux 
rendent  les  carnations.  Des  anneaux  fixés  au  sommet  accrochaient 
ce  chef-d'œuvre  d'élégance  et  d'exécution  à  une  chaîne  que  l'on 
passait  au  cou  ;  le  bas-relief  du  Ramesseum  deThèbes,  mentionné 
plus  haut,  montre  la  manière  de  porter  le  pectoral,  oitdja.  3»  Col- 
lier de  rosaces  d'or  cloisonnant  des  pierres  dures. 

II [^  groupe.  —  1°  Bracelet  d'or  massif  à  double  charnière, 
figures  en  métal  gravé  et  ciselé,  incrustées  dans  un  champ  de 
lapis  faux.  On  y  voit  Ahmès  agenouillé  entre  le  dieu  Seb  et  les 
génies  de  la  terre  dans  Tune  des  postures  de  l'adoration.  Ce  bijou, 
admirable  de  style  et  d'exécution,  pèse  96  grammes.  2"  Scarabée 
suspendu  aune  cliaîne  :  il  est  en  or  massif;  les  pattes,  d'un  tra- 
vail si  fin  qu'on  les  croirait  moulées  sur  nature^  sont  soudées  au 
corps  ;  des  filets  métalliques  incrustés  rayent  le  corselet  et  les 
élytres  en  pâte  de  verre  bleu  tendre  ' . 

M.  le  vicomte  E.  de  Rougé  attribue  encore  à  la XVIIF dynastie 
une  paire  de  bracelets  carcans  en  or,  cloisonnant  des  pâtes  de 
verre  taillées  à  l'avance  comme  des  pierres  dures  ;  le  dessin  con- 

*  C.  de  Linas,  ow.  cilé,  p.  243  à  ?'((3,  et  riev^te  de  l'Jrt  chrétien,  loc.  cit.  — 
Mariette,  Calai,  du  musée  de  Boulaq,  passim.  et  Desc.  du  parc  égyptien,  p.  52, 
nos  5  et  6  ;  p.  53,  ni>  7  ;  p.  54,  «os  14  et  l'î  ;  p  51,  nos  )  et  4.  —  «  Le  vautour  est 
le  symbole  de  la  maternité  ;  il  sert  à  écrire  le  mot  vière  et  le  nom  de  la  déesse 
thébaine  Maut.  La  déesse  Souhan  (??)  qui  symbolise  la  région  du  Sud  est  repré- 
sentée sous  la  forme  d'un  vautour.  Cet  oiseau  sur  une  corbeille  désigne  la  souve- 
raineté sur  la  Haute-Egypte.  »  P.  Pierret,  Calai,  de  la  salle  ftisi.  de  la  galerie 
écjypl,  fin  Louvre,  p.  208. 


ORIGINES   DE    l'orFÉVRERIE   CLOISONNÉE  107 

siste  en  nn  lioa  et  un  griffon  entre  des  bouquets  de  lotus.  Ces 
ornements  sont  quelque  peu  détériores  et  leur  travail  manque  de 
finesse  ;  ils  appartiennent  à  notre  musée  du  Louvre  ' .  J  y  joindrai, 
dans  la  même  collection,  deux  bagues  en  or  non  cataloguées  :  l'une 
incruste  des  cornalines  en  table;  l'autre  est  formée  de  deux  fleurs 
de  lotus  manitenant  un  triple  chaton  ovale,  le  tout  en  imitation 
de  lapis  et  de  turquoises. 

M.  Prisse  d'Avenues  groupe  aussi  aux  environs  de  la  XVIIP 
dynastie  les  objets  suivants  qu'il  a  publiés  dans  son  splendide 
ouvrage  sur  l'Egypte.  1°  Carcan  d'or  découpé  à  jour  :  deux  2:rif- 
fons  accroupis,  vert  clair  et  rouge,  sont  affrontés  devant  une  fiaur 
conventionnelle,  bleu  lapis,  rouge,  vert  et  blanc;  les  mêmes  cou- 
leurs, plus  le  noir,  apparaissent  dans  les  rectangles  des  bandeaux 
d'encadrement.  2°  Pendant  de  collier  en  or  :  tête  d'Hathor  au- 
dessus  du  signe  de  l'or  (Hathor-Noub)  ;  la  déesse  a  des  oreilles  de 
vacbe,  elle  est  coiffée  d'énormes  tresses  d'oii  s'échappent  deux 
urœus  (coluber  naia,  hajé  ou  a/ije,  vraisemblablement  l'aspic  des 
anciens).  Incrustations  bleu  lapis,  rouge  et  vert  pâle.  3°  Boucle 
d'oreille  dont  la  pendeloque  en  or  est  une  fleur  de  lotus  rou^-e 
bleu  foncé,  vert  clair  et  blanc.  (PI.  II,  fig.  3).  4°  Collier  d'or  formé 
d'yeux  symboliques,  appelés  ouza,  et  de  croix  ansées,  reliés  par 
de  petits  ovc>ïdes  en  cornaline  ;  l'œil  est  blanc,  brun,  rouo-e  vert 
clair  et  bleu  lapis,  la  croix  n'offre  que  la  dernière  nuance.  Ce 
genre  de  collier,  assez  commun  en  toutes  matières,  svmbolise  les 
yeux  d'Horus  ;  le  gauche  est  le  soleil  ;  le  droit,  la  lune  (PL  II 
fig.  2).  5°  Pendant  de  collier  :  petit  naos  d'or  accosté  de  deux 
uraeus  ;  Pédicule  encadre  un  taureau  Apis  en  métal,  portant  un 
cercle  plein  entre  les  cornes  et  surmonté  de  l'œil  symbolique  avec 
le  disque  ailé  ;  l'ensemble,  incrusté  en  réserve  dans  un  champ  bleu 
clair,  repose  sur  le  signe  des  panégyries,  une  rosace  au  milieu 
d'un  segment  de  cercle.  G'^et  7°  Deux  bagues  en  or  à  triple  chaton; 
l'une  d'elles  ornée  de  trois  petits  scarabées  aux  couleurs  du  pavil- 

1  Ouv.  Cité,  p.  9-2  ;  Salle  civile,  vitrine  Q,  n''  1962. 


108  oriPtInes  ni:  r.'(ii;rÉVREiuE  cloisonnée 

Ion  égyptien,  vert  pâle,  bleu  lapis  et  rouge,  semble  être  un  talis- 
man décrit  sous  le  nom  de  bague  d'Hermès  dans  un  papyrus 
magique  '. 

Les  anneaux  à  triple  chaton  se  rencontrent  aussi  chez  les  Asia- 
tiques au  r*"  siècle  de  notre  ère.  Dans  un  de  ses  dialogues,  Lucien 
fait  intervenir  un  militaire  nommé  Parméno,  lequel  ornait  son 
petit  doigt  d'un  grand  anneau  polygonal  au  chaton  de  trois  cou- 
leurs où  le  rouge  dominait  ;  il  l'avait  rapporté  de  la  guerre  contre 
Tiridate  ^  J'ai  vu  au  musée  de  Copenhague  un  énorme  anneau 
d'or  à  triple  chaton  dont  la  forme  est  identique  à  celle  des  bagues 
égyptiennes  ;  seulement,  les  cabochons  du  premier  sont  inégaux 
et  disposés  verticalement,  tandis  qu'ils  sont  de  môme  taille  et 
horizontaux  sur  les  dernières.  A  mon  avis  le  bijou  danois  est  de 
fabrication  orientale  ^' 

Trois  siècles  séparent  les  commencements  des  XVIIP  et  XIX* 
dynasties  ;  le  15  mai  1852,  M.  Mariette  eut  la  bonne  fortune  de 
trouver  dans  les  petits  souterrains  du  Sérapeum  de  Meraphis  des 
sarcophages  inviolés,  cénotaphes  ou  monuments  commémoratifs 
des  Apis,  datés  du  règne  de  IJanisès  IL  L'une  de  ces  tombes  conte- 
nait une  momie  de  forme  humaine  chargée  de  splendides  bijoux 

1  L'Art  égypHen,  art  industriel,  choix  de  bijoux,  lig.  14,  16,  17,  25,  28,  29  et  30. 
«  Les  griffons,  dit  M.  Prisse  d'Avennes,  semblent  avoir  été  introduits  par  Séti  I 
(XIX«^  dynastie),  à  en  juger  par  les  vases  offerts  api  es  ses  conquêtes  en  Asie.  — 
Tous  ces  bijoux  ont  été  trouvés,  du  moins  achetés  à  Thèbes,  et  appartiennent  à 
diverses  époques  ;  ils  sont  si  communs  dans  les  nécropoles  que  leurs  formes  ont 
été  fréquemment  reproduites  à  partir  de  la  XYIIl"^  dynastie  jusque  sous  les  Ptolé- 
mées  et  les  Césars,  où  la  terre  émaillée  imite  à  satiété  les  petits  objets  essentiels 
à  la  vie  égyptienne.  J'ai  donné  ces  bijoux  au  docteur  Abbott  et  je  crois  qu'ils  ont 
été  vendus  à  New-Yorck  où  se  voit  aujourd'hui  sa  collection.  »  Lettre  du  19  jan- 
vier 1875.  -    «  rANi';GVi.iE.=ï.  Fêtes  dites  yojnihurcs  par  le  décret  de  Canope.  Il  y 

avait,  d'après  l'inscription  de  Rosette,  trois  soites  de  panégyries une  panégy- 

rie  était  célébrée  au  trentième  anniversaire  de  l'avènement  du  souverain.  C'étaient 
des  jubilés  et  non  des  cycles  comme  on  Fa  cru.  »  Pierret,  ouv.  cité,  p.  195. 

'  Dial.  inerelr.  9  :  •KoXuyojvov,  xai  'Ir^^oç  evîêiêArjo  twv  Tpr/po'jp.ojv,  spuOpoc  'fe  7]v 

'  Worsaae,  NordisJie  Olilsai/er,  p.  88,  fig.  381 , 1"  âge  du  fer.  La  légende  porte  : 
anneau  d'or  incrusté  de  morceaux  lie  verre. 


ORIGINES    DE    l'orfèvrerie    CLOISONNÉE  109 

provenantdu  prince  Kha-em-iias,  fils  du  célèbre  pharaon  ;  ils  font 
aujourd'hui  partie  des  collections  du  Louvre  et  méritent  tous  une 
étude  spéciale.  1°.  Sorte  de  boucle  en  or  avec  incrustations  de  pâ- 
te vitreuse  rouge  et  verte  fn"  553).  2°  Plaque  de  basalte  vert  en 
forme  de  naos,  revêtue  d'une  lame  d'or.  Au  centre  un  gros  scara- 
bée en  ronde-bosse  accompagné  des  figures  d'Isis  et  de  Nepthys 
adorant  debout  le  symbolique  insecte.  Les  vêtements  des  déesses 
sont  ciselés  dans  le  métal  ;  les  carnations  et  les  détails  de  l'édifice, 
rendus  par  des  incrustations  coloriées.  Au-dessous  de  la  frise  est 
gravée  la  légende  de  «  l'Osiris,  sage  du  palais^  le  toparque  Psar, 
véridique.  »  (IL  0"'  ]i)%  1.  0"  105"';  n°  524).  3".  Epervier 
criocéphale  (à  tête  de  bélier),  les  ailes  ouvertes,  tenant  dans 
ses  serres  le  sceau,  emblème  de  reproduction  et  d'éternité.  La  tête 
et  le  cou,  chefs-d'œuvre  de  ciselure,  ont  une  saillie  considérable 
et  sont  entourés  d'un  riche  collier  formant  nimbe  ;  le  plumage 
des  ailes,  du  corps  et  de  la  queue  est  exprimé  par  des  alvéoles 
très-délicats  incrustant  du  lapis,  de  la  cornaline,  une  pâte  vitreuse 
blanc  et  bleu  pâle,  enfin  du  mastic  rouge  (PI.  II,  fig.  1).  Ce  bijou 
(h.  G"»  07',  1.  0""  135"";  n"  535),  que  l'on  confondrait  à  première 
vue  avec  Fémail  le  plus  fin,  a  pu  servir  de  j^Gctovcile  ;  toutefois  le 
casque  du  Sésostris  déjà  cité  est  orné  par  derrière  d'un  oiseau 
analogue.  4°.  Epervier  ordinaire,  même  attitude,  même  travail 
et  mêmes  matières  que  le  précédent  (h.  O"^  065°",  1.  0'"  l'2'  ; 
n"  534).  Les  Egyptiens  affectionnaient  beaucoup  les  représen- 
tations d'oiseaux  aux  ailes  étendues,  symboles  du  soleil  et  de 
la  maternité.  M.  Prisse  d'Avenues  a  publié  quelques  vautours 
peints  dans  la  même  attitude  que  les  éperviers  du  Louvre.  Le  plu- 
mage est  rouge,  noir,  blanc,  jaune,  brun,  bleu-clair  et  vert  pâle  ; 
des  filets  blancs  ou  noirs  expriment  le  cloisonnage.  5°  Grand 
pectoral  d'or  ajouré,  figurant  un  uno.'^  ;  motif  principal,  un  vau- 
tour essorant  associé  à  un  uraius.  Ces  animaux  sont  dominés  par 
un  epervier  criocéphale  aux  ailes  étalées  supportant  le  cartouche, 
prénom  de  Ramsès  II,  lia  ousor-rtta  (soleil  riche  de  justice),  dont 
les  hiéroglyphes,  en  mastic  verdâtre,  remplissent  les  découpures 


110  ORIGINES  DE   l'ORFÉVRERIE    CLOISONNÉE 

du  métal  ;  deux  dad  (sorte  de  colonnette  basse  à  quatre  tailloirs 
superposés)  apparaissent  aux  angles  inférieurs  du  monument.  Le 


mm'ë 


haut  des  ailes  est  massif  et  ciselé,  ainsi  que  les  parties  renflées  de 
l'uraeus  qui  accusent  un  rendu  analogue  à  celui  de  la  pendeloque 
d'Hatlior.  Le  reste^,  architecture  et  dad.  compris,  est  esquissé  par 
des  cloisons  d'épaisseurs  variables,  soudées  à  la  plaque  de  fond  et 
sertissant  des  cornalines,  du  stéaschiste  noirâtre,  une  pâte  blanche, 
des  imitations  de  turquoises  et  de  malachite,  du  mastic.  La 
queue  du  reptile  est  formée  de  quadrilatères,  alternativement 
blanc  et  vert  pâle,  juxtaposés  sans  cloisonnage.  La  composition 
est  admirable,  mais,  en  regard  de  Tépervier  n"  3,  l'exécution  laisse 
à  désirer  (h.  0"  L>  ;  1.  0'"  14^  n°  5-21)  L 

L'orfèvrerie  cloisonnée  sous  la  XX'  dynastie  (980  à  810  avant 
J.-C),  est  représentée  au  Louvr?  par  un  monument  de  médiocre 
impjrtance  à,  mon  point  de  vue,  bien  qu'il  soit  d'ailleurs  très-re- 
marquable. Un  joli  vroupe  de  trois  statuettes  en  or  (h.  O-^^  lO'"; 
1.  0'"  65"  ;  n"  24)  montre  Isis  et  Horus  étendant  la  main  sur  Osiris 
en  signe  de  protection  ;  le  socle  était  incrusté  de  pâtes  de  verre. 
Osiris  es.  accroupi  sur  un  dé  en  lapis-lazuli  au  nom  assyrien, 
OnsL-ScLV-kln,  du  roi  Osorkon  II  des  listes  de  Manéthon  '\ 

Pendant  le  règne  des  Lagides  (3'23  à  30  avant  J.-C),  l'orfèvre- 
rie cloisonnée  atteignit  en  Egypte  un  degré  de  perfection  qu'aucun 
peuple  n'a  jamais  surpassé.  Le  Musée  royal  d'antiquités  de  Mu- 
nich possède  quatre  bracelets  d'or,  trouvés  en  1834  par  le  docteur 
Ferlini  dans  l'une  des  grandes  pyramides  de  Méroe  (Xubie)  et 

'  Mariette,  Choix  de  mouum.  du  Sérapeinn,  texte  et  pi.,  passim.  —  Pierret,  ouv. 
cité,  p.  124,  125,  127,  121).  —  E.  de  Rougé,  ouv.  cité,  p.  73,  7'i.  —  Prisse  d'A- 
vennes,  ouv.  cilé,  pi.  cit.,  n'*  G  et  passim.  —  Chabas,  Notes  manuacrUes. 

*  Pierret,  ouv.  cilc,  p.  15. 


ORIGINES    UE    l'oRFÉVRERIC    CLOISONNÉE  111 

portant,  disent  MM.  Christ  et  Lauth,  le  cachet  incontestable 
(offenbarste  Geprœgo}  de  Tinfluence  de  Fart  grec  ' .  Les  deux  plus 
beaux,  formant  la  paire,  sont  à  double  brisure  ;  l'ornementation 
se  compose  de  sept  bandeaux  parallèles  encadrés  d'une  bordure 
métallique  perlée  et  tressée.  Les  bandeaux  supérieurs  et  inférieurs 
incrustent  alternativement  des  disques  et  des  losanges;  le  bandeau 
central  comporte  des  imbrications  et  de  six  à  huit  petits  bustes 
coitFés,  soit  du  j^schent  ',  soit  du  symbole  d'Iiathor.  Une  ligure  de 
déesse  à  quatre  ailes,  les  pieds  sur  une  lleur  de  lotus,  rehausse  le 
devant  de  ces  bijoux  ;  M.  Labarte  croit  j  reconnaîtreMai/i  l'épouse 
divine  d'Ammon,  et  l'attribution  ne  manque  pas  de  vraisem- 
blance \  (Diam.  ()•"  078™,  h.  0"'  016'").  Le  troisième  bracelet 
(diam.  0'"  075'",  h.  0"  034'")  offre  comme  les  précédents  un  décor 
de  bandeaux  parallèles,  échiquiers,  losanges,  rosaces  et  torsades; 
le  quatrième  (diam.  0-"  07 6°",  h.  0"'  04')  est  tout  différent.  Sa 
bordure  tressée  encadre  une  balustrade  de  canopes  ou  de  momies 
debout,  sommés  d'un  disque;  au-dessous,  des  losanges,  un  large 
bandeau  d'imbrications  et  de  canopes,  encore  des  losanges,  enfin 

1  W  Christ  et  J.  Lautli,  Fiihrer  durch  dns  K.  Ànliquarium  in  Munc/ien,  p.  34  et 
35  ;  2e  salle,  vitrine  octogone,  6°  compartiment,  —  Prisse  d'Avennes,  ouv.  cité, 
pi.  citée,  lig.  31,  32,  33. — J.  Labarte,  liech.  sur  la  peint,  en  éminl,  p.  70,  71  ;  pi.  A, 
fig.  2,  3,  4.—  M.  A.  W.  Franks  trouve  encore  Tépoque  des  Lagides  trop  reculée  : 
«  En  continuant  la  démolition  de  la  pyramide,  on  trouva  des  bronzes  d'orioine 
romaine  postérieurs  à  l'ère  chrétienne,  de  telle  sorte  que  les  bracelets  de  Munich 
sont  tout  au  plus  contemporains  des  émaux  de  la  Gaule  ou  du  texte  de  Philostrate 
qui  en  parle.  Quoiqu'égyptiens  de  forme  et  de  style,  ces  bijoux  ont  pu  appartenir 
à  l'une  des  reines  de  l'Ethiopie  dont  l'apôtre  saint  Philippe  baptisa  l'eunuque.  » 
Cité  par  A.  Darcel,  Notice  des  émaux  et  de  l'orfèvrerie  ;  Moyen-.4ge  et  Renaissance  : 
Introd..ction,  p.  viii. 

-  Le  psciicnt,  dont  lu  nom  réel  est  skiieni,  insigne  de  la  domination  sur  la  Haute 
et  la  Basse-Egypte,  était  une  coiffure  formée  par  la  réunion  de  la  tiare  blanche 
et  de  la  couronne  rouge.  Pierret,  ouv.  cité,  p.  180  et  l'J7. 

^  «  L'épouse  divine  d'.^mmon,  nommée  à  Thèbes  simplement  .Mattl  ou  mère 
est  onliiiairement  coiffée  du /..sr//<'/(/;  elle  est  vêtue  d'une  longue  robe  juste  et 
tient  en  main  le  signe  de  la  vie.  »  E.  de  Rougé,  ouv.  cité,  p.  i2-2.  Or  le  pschent  et 
la  croix  aasée  (en  allemand  Xilsc/tlUs.sel,  clef  du  Nil),  très-apparents  sur  le  des- 
sin de  M.  Prisse  d'Avennes,  sont  méconnaissables  sur  celui  de  M.  Labarte. 


112  ORIGINES    DE    l'oRFÉVRERIE    CLOISONNÉE 

des  amandes.  Les  incrustations  m'ont  semblé  en  mastic  dnrci, 
rouge,  bleu  lapis, bleu  tuiqiioise  et  blanc  ;  leur  travail  est  si  déli- 
cat que  M.  Labarte  les  confond  avec  l'émail.  Je  ne  viens  pas  dis- 
cuter ici  la  question  de  l'émaillerie  sur  métaux  en  Egypte,  un 
seul  monument  bien  authentique  prouve  qu'elle  y  a  été  pratiquée, 
et  ce  monument  suffit  *  ;  l'incrustation  à  froid  m'occupe  seule  pour 
le  moment.  Mon  savant  confrère  a  constaté,  la  loupe  en  main,  la 
présence  de  l'émail  à  chaud  sur  les  bijoux  de  Munich;  mais,  moi 
aussi,  j'ai  vu,  j'ai  touché,  et  je  reste  dans  l'incertitude.  Une  au- 
torité, que  personne  ne  contestera  en  matière  de  technique  indus- 
trielle, u"est  pas  aussi  affirmative  que  M.  ]>abarte;  M.  A.  Darcel 
écrivait  en  1867  :  —  je  souligne  les  mots  importants  —  «  Nous 
avons  examiné  avec  soin  ces  bracelets,  et  nous  avons  reconnu  que 
la  matière  qui  remplit  les  alvéoles  en  or  composant  leur  dessin  y 
a  été  déposée  humide  puis  simplement  desséchée  ou  fondue;  car 
sa  surface  n'afHeure  point  le  niveau  des  cloisons  et  se  creuse  en 
méniscpie  concave.  De  plus,  cette  matière  ^'effrite  aujourd'hui  et 
tombe  en  poussière  sur  la  tablette  où  ces  bijoux  sont  disposés.  Il 
y  a  présomption  pour  nous  qu'ils  sont  en  émail  cloisonné  ^  ». 
Or,  le  mastic  est  toujours  appliqué  humide;  il  é})rouve  un  retrait 
par  la  dessiccation;  il  s'effrite  et  tombe  en  poussière,  ce  qui  n'est 
guère  le  cas  des  émaux  antiques  :  ils  craquent,  se  délitent,  mais 
ne  s'effritent  pas.  La  matière  rouge  qui  remplit  les  contours  du 
pectoral  de  Ramsès  II,  au  1  ouvre,  où  Ton  n'a  jamais  reconnu 
d'émail,  devient  pulvérulente,  absolument  comme  Tincrustation 
de  même  couleur  aujourd'hui  presque  entièrement  détruite  sur  les 
bracelets  de  Munich.  Le  petit  épervier  à  tète  humaine,  unique 
spécimen  incontestable  de  l'émaillerie  égyptienne,   s'elfrite-t-il 

*  Petit  épervier  à  tête  humaine.  V.  de  Laborde,  Noticp  des  émmix  du  Louvre^ 
p.  17  ;  E.  de  Rougé,  ouv.  cilé,  p.  91,  92  ;  J.  Labarte,  lierh.  suj-  lu  peint,  en  émail, 
p.  69,  70,  pi.  A,  fig.  1.  —  Les  bijoux  d'or,  trouvés  à  Méroë  et  vendus  au  musée  de 
Berlin  par  le  docteur  Ferlini,  sont  émaillés  suivant  M.  Kugler  (Kunstb/atl.  n"  du 
22  janvier  1853)  ;  mais  nue  même  provenance  doit,  il  me  semble,  ini()liquer  une 
analogie  technique  avec  les  bracelets  de  Munich,  et  le  l'roblème  n'est  pas  résolu. 

*  Ouv.  cité,  Introd.,  p.  viii. 


ORIGINES    DE    l'orfèvrerie    CLOISONNÉE  H3 

ainsi?  Présomption  n'éqiiiv;iutpas  à  affirmation,  et  je  partage  l'avis 
de  M.  Darcel,  m'en  tenant  au  pyrrhonisnie  expectant  jusqu'à 
l'arrêt  motivé  d'unémailleur  de  profession,  11  n'est  d'ailleurs  aucun 
besoin  des  découvertes  du  docteur  Ferlini  pour  constater  l'appli- 
cation du  cloisonnage  à  froid  sous  les  Ptolémées.  Le  pendant  de 
collier  à  l'effigie  d'Hathor,  décrit  plus  haut,  a  tous  les  caractères 
de  l'art  gréco-égyptien;  je  m'étais  abstenu  de  signaler  le  fait 
pour  éviter  une  redite. 

Les  Egyptiens  incrustaient  le  bois  avec  non  moins  de  goût  que 
le  métal  ;  notre  musée  du  Louvre  renferme  divers  exemples 
de  leur  habileté  en  ce  genre  d'ouvrages.  Une  tête  attribuée  à  la 
XIX''  dynastie  montre  sur  sa  coifture  des  incrustations  du  plus 
beau  bleu.  Une  autre  tôte,  royale  ou  divine,  a  les  sourcils  et  le 
tour  des  yeux  rapportés  en  pâte  de  verre  bleu  ;  le  blanc  de  l'œil 
est  en  ivoire,  la  prunelle  en  minéral  noirâtre  '.  L'n  fragment  de 
meuble  en  bois  doré,  que  j'avais  pris  pour  un  pectoral,  représente 
un  naos  encadrant  la  fieur  de  lotus;  l'ornementation  est  rendue 
par  des  incrustations  d'albâtre  et  de  pâtes  vitreuses  polychromes'. 
La  dynastie  des  Saïtes  (XXVF;  665-527  avant  J.-C.)  nous  a 
aussi  laissé  un  remarquable  spécimen  de  bois  incrusté  ;  j'en  em- 
prunte la  description  à  M.  Pierret,  «  Panneau  en  forme  d'édifice. 
Au  centre,  un  bas-relief  représente  un  roi  en  adoration  devant 
Harmachis,  Ce  dieu  hiéracocéphale  est  assis  sur  un  trône  ;  il  tient 
les  sceptre  Ucis  *  de  la  main  gauche  et  le  signe  de  la  vie  de  la  main 
droite.  Sa  tête  est  surmontée  du  disque  et  de  deux  grandes  plu- 
mes, coifiure  ordinaire  d'Ammon.  Le  roi  est  élevé  sur  un  support 
en  forme  de  pylône  oii  Ton  distingue  les  restes  d'une  légende  hié- 
roglyphique. Il  est  assis  sur  le  talon  gauche  et  présente  à  Horus 
une  statuette  de  la  déesse  Ma  (la  Vérité;  Ma-KJierou,  vérité  de 
parole),  coifiee  d'une  plume  d'autruche;  il  est  casqué,  et  son  front 

'  Pierret,  ouv.  cilc,  p.  50,  iioâ  233,  234. 
-  E.  de  Rougé,'oui;.  cité,  p.  87. 

'  «  Uez.  Talisman  en  forme  de  colonnette  s'épanouissant  eu  fleur  de  lotus.  » 
Pierret,  ouv.  cité,  p.  207. 


114  oriPtIxes  de  l'orfèvrerie  rr.orsoNNÉE 

est  orne  de  Furœus.  Au-dessus  de  sa  tôte  est  le  disque  flanqué  de 
deux  urœus;  en  face  du  roi  est  le  cartouche  prénom  d'Amasis 
(Ahmès-se-neit),   Ra-noum-ah  ;   en   face   d'Horus  la  légende  : 

« le  dieu  grand,  Har  (em)  Khou.  »  Au-dessus  de  cette  scène, 

comme  plafond,  le  signe  du  ciel  dans  lequel  brille  une  rangée 
d'étoiles.  Au-dessous,  une  ligne  formant  plancher,  composée  de 
deux  groupes  alternatifs  de  trois  cannelures  horizontales  et  verti- 
cales ;  plus  bas  encore  quatre  ornements  en  forme  de  porte  :  le 
tout  encadri'  de  carreaux  alternant  avec  des  groupes  de  triples 
cannelures.  Au-dessus  du  cadre,  le  disque  ailé  accosté  des  deux 
uraîus.  Toute  la  composition  est  dorée  ;  le  trône  d'Horus  et  le  socle 
du  roi  sont  en  relief  et  incrustés  de  pâtes  de  verre  de  différentes 
couleurs,  ainsi  que  la  légende  et  le  cartouche;  les  vides  des  acces- 
soiresétaient  également  remplis  des  mêmes  substances  dont  il  reste 
quelques  fragments.  Ce  panneau  semble  provenir  d'un  coffre.  H. 
0"^  3 r,  1.0-^27^;  M»  663  '  ». 

Les  musées  deLeyde,  Turin,  Berlin,  Copenhague,  Saint-Péters- 
bourg et  le  British-Mu>ieum  ajouteraient  sans  doute  un  nombreux 
contingent  d'articles  à  cette  nomenclature  déjà  longue,  mais  les 
deux  dernières  collections  me  sont  inconnues,  et,  quand  j'ai  visité 
les  premières,  j'y  recherchais  tout  autre  chose  que  des  monuments 
égyptiens.  Je  crois  néanmoins  avoir  rassemblé  une  somme  de 
preuves  suffisantes  pour  établir  la  haute  antiipiité  et  l'application 
continue  de  l'orfèvrerie  cloisonnée  sur  la  terre  de  Mitsraïm. 

II.  —  Le  peujjte  Juif. 

Tandis  que  le  polythéisme,  adorateur  de  la  forme,  encourageait 
le  développement  des  arts  plastiques,  le  vieux  monothéisme,  au 
contraire,  en  arrêtait  l'essor  par  la  rigueur  de  ses  doctrines. 
Jacob  et  sa  famille  avaient  bien  emporté  en  Egypte  les  traditions 
d'Abraham,  mais  le  culte  patriarcal  y  perdit  beaucoup  de  sa  pu- 
reté primitive;  le  sang  de  Laban  coulait  dans  les  veines  des  Is- 

1  Ouv.  ctté,  p.  163,  154. 172,  189. 


ORIGINES    DE    l'ORFÉVRERIE    CLOISONNÉE  115 

raëlites  qui;,  toujours  et  partout,  se  montrèrent  fortement  enclins 
à  ridolâtrie.  l>a  vie  entière  de  Moïse,  de  Josué,  des  premiers 
Juges,  les  dernières  heures  de  Samuel  résument  une  lutte  achar- 
née contre  les  envahissements  du  polythéisme ,  gangrène  inces- 
sante du  Peuple  de  Dieu.  Aux  quatre  points  cardinaux,  des  reli- 
gions immondes  battaient  en  brèche  les  dogmes  salutaires  gardés 
par  un  petit  nombre  de  fidèles,  qu'une  loi  impitoyable  et  des  exé* 
cutions  sanglantes  parvinrent  seules,  jusqu'à  raffermissement  de 
David,  à  préserver  de  la  contagion,  l.e  honteux  déclin  de  Salo- 
mon,  le  schisme  des  dix  tribus  ruinèrent  l'œuvre  religieuse  de 
David;  Jehovah  fit  place  aux  dieux  étrangers  sur  les  nouveaux 
autels  de  Béthel,  et  ruiiité  du  culte  fut  ébranlée  dans  Juda  par 
rérection  des  sanctuaires  des  haut-lieux.  Jérusalem  elle-même, 
la  Cité  sainte,  vit  plus  d'une  foisBaal,  Astoreth  et  Moloch  trôner 
en  face  de  son  temple  où  cependant  venaient  toujours  sacrifier 
les  vrais  croyants  d'Israël.  Les  efforts  clair-semés  de  monarques 
dociles  à  la  voix  des  prophètes,  organes  vivaces  du  mosaïsme, 
réussirent  souvent  à  rétablir  l'orthodoxie,  mais  les  réformes  opé- 
rées par  ces  princes  généreux  disparaissaient  à  leur  mort  quand 
elles  duraient  jusque  là.  La  chute  de  Samarie  et  la  captivité  de 
Babylone  ramenèrent  enfin  les  Juifs  dans  la  voie  qu'ils  suivent 
encore  aujourd'hui. 

Sous  Tempire  d'une  législation  qui  proscrivait  à  si  juste  titre 
les  représentations  d'êtres  animés  \  le  souffle  créateur  d'un  art  na- 
tional ne  put  guère  inspirer  les  Israélites.  Nous  voyons  David  et 
Salomon  au  comble  de  la  puissance,  obligés,  pour  bâtir  et  décorer 
leurs  monuments,  d'avoir  recours  aux  Phéniciens.  En  ce  qui  con- 
cerne l'orfèvrerie,  les  Livres  Saints  mentionnent  fréquemment 
bijoux,  meubles,  figures  en  métal  fondu  ou  ciselé;  le  Temple  et  le 

'  Exode,  XX,  4.  —  Non  faciès  tibi  sculptile,  neqne  oiniioin  similitudinem  quae 
est  in  cœlo  desuper,  et  quic  in  terra  deorsum,  nec  eoruni  quK  sunL  in  aquis  sub 
ttrra.  Vulgi-ie.  —  «  lu  ne  feras  point  d'image  sculptée,  toute  image  soit  de  ce 
qui  est  en  haut  au  ciel,  soit  de  ce  qui  est  ici-bas  sur  la  terre,  et  de  ce  qui  est  dans 
les  eaux  sous  la  ten^e.  »  S.  Galien,  La  Bible,  trad.  nouv.,  1854. 


416  ORIGINES   DE   l'ORFÉVRERIE    CLOISONNÉE 

trésor  royal  regorgeaient  d'objets  en  or,  en  argent  et  de  pierreries; 
mais,  derrière  ces  manifestations  du  luxe  on  reconnait  presque 
toujours  une  inHuence  étrangère  :  Si  le  travail  de  Torfévre  est 
nettement  défini  par  TExode,  la  profession  elle-même  n'obtient 
un  nom  spécial  en  hébreu  —  T[Ti2  tzoraph,  de  n^lï  conflavit  — 
qu'à  partir  d'Isaïe  '  (827-635  avant  J.-C).  Joaillier,  gemmarius, 
n'a  pas  d'équivalent  dans  les  textes  sacrés  ". 

Un  seul  ouvrage  de  joaillerie  se  trouve  décrit  dans  la  Bible,  et, 
comme  il  appartient  à  l'orfèvrerie  cloisonnée,  nous  nous  y  arrê- 
terons longuement  :  aucun  détail  ici  ne  })eut  être  superllu. 

Lorsque  Moïse  descendu  du  Siuaï  s'occupa'd'organiser  le  culte 
extérieur  et  visible  de  Jehovah,  il  fit  appel  à  la  générosité  du 
peuple  qui  lui  fournit  en  abondance  les  matières  précieuses  néces- 
saires à  la  construction  et  au  mobilier  du  Tabernacle,  ainsi  qu'aux 
ornements  sacerdotaux  ^  :  parmi  ces  derniers  compte  le  pectoral 

—  "jïïjn,  liashen,  rationale,  vicpin-.-hSio'j^loyEiov  — fabriqué,  comme 
le  reste,  sous  l'inspiration  divine  ainsi  qu'il  suit  : 

Tu  feras  le  pectoral  du  jug-ement,  ouvrage  de  broderie,  tu  le  feras 
comme  l'ouvrage  de  l'éphod;  tu  le  l'eras  d'or,  de  laine  bleue,  d'écarlate, 
de  cramoisi  et  de  fin  lin  retors. 

*  XL,  l'.J.  —  Numquid  sculptile  conflavit  faber?  Aut  aurifex  auro  figuravit  illud, 
et  laminis  argenteis  argeiitarius  ?  f'ulga/e.  —  «  l.'iirtiste  fond  l'idole,  l'orfèvre  la 
couvre  d'or  et  y  attaclie  des  chaînes  d'argent.  »  S.  Cahen,  had.  cil.  —  XLVI,  6. 

—  Qui  cunfertis  auruui  de  saccnlo  et  aigentum  statera  ponderatis  :  conducentes 
auriticem  ut  faciat  deum.  f'nfy. —  «  Ils  gagnent  un  orfèvre  pour  qu'il  en  fasse  un 
dieu.  »  S.  Cahen,  trud.  ni.  —  La  Sdi/c.^se,  XV,  9,  mentionne  aussi  l'orfèvre  •  Sed 
concertalur  aurificibus  et  argentariis.  Mais,  l'attribution  de  ce  livre  à  Salonion 
étant  plus  que  douteuse,  j'ai  préfère  m'en  tenir  à  utie  date  certaine. 

2  On  lit  dans  Jèrcmie  :  XXIV,  l.  IS^O^nTlSI  UJinn-PST  —  Et  fabrum  et  in- 
clusorem.  fulyate. —  Kat  toÙç  -î/vÎTa;,  /.ai  toO;  oacy.coTot;.  .Se/y/.  —  «  Les  char- 
pentiers et  les  serruriers.  »  Cahen.  —  XXIX,  2  —  ^SkOlûm  L'inrO—  Et  faber  et 
inclusor.  i^u'y.  —  Koù  o£(i(ji.(otoj  xai  ts/vitou.  Sopt.  —  «  Charpentiers  et  serru- 
riers. »  Cahen.  —  En  traduisant  inc/usor  par  joaillier  {Orfèvrerie  viérov.,  p.  64), 
j'ai  commis  une  grave  erreur  pour  n'avoir  pas  consulté  le  texte  original  et  m'en 
être  aveuglement  rapporté  à  la  glose  de  saint  Jérôme  :  Artifices  inclusoreaque 
auri  atque  ypianuirnin  quœ  apud  birbaras  naliones  pretiosissimae  sunt. 

^  Exode,  XXXV,  -27,  29  :  XXXVl,  l. 


ORIGINES    DE    l'oRFÉVRERIE    CLOISONNÉE  il" 

Il  sera  carré  et  double,  il  aura  une  palme  de  longueur  et  une  palme  de 
largeur. 

Tu  feras  son  enchatonnement  de  pierreries,  à  quatre  rangs  de  pierres. 
Au  premier  rang  un  odem,  un  piteda  et  un  bareketh. 

Au  second  rang  un   nophech^  un  saphir  et  un  iahlom. 

Au  troisième  rang  un  leshèm,  un  shebô  et  un  ahalama. 

Au  quatrième  rang  un  tai^sliish,  un  shoham  et  un  ioshphé.  Elles  seront 
enchâssées  dans  de  l'or  dans  leurs  enchatonnements  *. 

Les  pierres  seront  selon  les  noms  des  enfants  d'Israël,  douze,  d'après 
le  nombre  de  leurs  noms,  gravées  comme  un  cachet,  chaque  tribu  selon 
son  nom  ;  ainsi  elles  seront  pour  les  douze  tribus. 

Tu  feras  au  pectoral  des  chaînettes  ayant  des  nœuds  aux  bouts  en  façon 
de  cordonnet  d'or  pur. 

Tu  feras  sur  le  pectoral  deux  anneaux  d'or,  et  tu  mettras  les  deux  an- 
neaux aux  deux  extrémités  du  pectoral. 

Tu  mettras  les  deux  chaîn.;ttes  d'or  en  cordonnet  dans  les  deux  anneaux, 
à  l'extrémité  du  pectoral. 

Et  tu  mettras  les  deux  bouts  des  deux  chaînettes  en  cordonnet  aux  deux 
chatons  que  tu  mettras  sur  les  épaulettes  de  l'éphod,  sur  le  côté  du  de- 
vant. 

Tu  feras  encore  deux  anneaux  d'or  que  tu  mettras  aux  deux  autres  ex- 
trémités du  pectoral  sur  le  bord  de  l'éphod  en  dedans. 

Et  tu  feras  encore  deux  anneaux  d'or  que  tu  placeras  aux  deux  épau- 
lettes de  l'éphod  par  le  bas,  sur  le  devant,  à  l'endroit  de  la  jointure,  au- 
dessus  de  la  ceinture  brodée  de  l'éphod. 

Ils  joindront  le  pect  irai  par  les  anneaux  aux  anneaux  de  l'éphod  avec 
un  cordon  de  laine  bleue,  afin  qu'il  demeure  sur  la  ceinture  brodée  de 
l'éphod,  et  que  le  pectoral  ne  remue  pas  de  dessus  l'éphod  ^. 


'  Vulgafe  :  Inclusi  erunt  auro  per  ordines  suos.  Septante  :  IJEptxsxaXujjLijiÉvà 
■/puffîw,  c:uvoeo£ij(.£va  £v  -/puctw.  —  XXXIX,  13;  Vulg.  :  Circumdati  etinclusi auro. 
S&pt  :  n£pix£XuxX(ojji£vo(  ypuCTtto  xoù  cuv^cSsfxs'va  ypuaîw.  —  Torto  cocco  opus  ar- 
tificis  gemmis  prctio?is  figiiratis  in  I  (jntnid  auri  et  opère  lapidarii  sculptis,  in 
memoriam  secundum  nuine»'uia  tiibuum  Israël.  EcclésKislique,  45,  13. 

2  Exode,  XXVIII,  15  à  28.  V.  encore  M.,  XXY,  XXIX,  XXXV,  XXXIX  ;  Lévî- 
lique,^\\\,  8.  Cahen,  trad.  cit.  —  Au  chap.  XXXIX,  9  de  l'Exode,  M.  Cahen  tra- 
duit indllféremment  bl23  par  doublé  et  par  double.  —  Le  tissage  de  l'or  ne  laisse 
aucune  incertitude.  «  On  étendit  des  lames  d'or  qu'on  coupa  par  filets,  pour  les 
travailler  dans  la  laine  bleue,  l'écarlate,  le  cramoisi  et  dans  le  lia  lin.  >  Exode^ 
XXXIX,  3.  Cahen,  trad,  citée.  —  Opus  textile.  Ecclésiastique ,  45,  12. 


118  ORIGINES   DE    l'orFÉVRERIE   CLOISONNÉE 

L'examen  des  peclomlia,  d'Aah-liotep  et  de  Ramsès  II  rend  ce 
texte  fort  clair.  Une  plaque  d'or  carrée,  à  jour,  mesurant  0"'  2*25° 
de  côté,  cloisonnait  douze  pierres  précieuses  oblongues  (h.  0° 
056"",  1.  0"'  073"),  intaillées  au  nom  de  chaque  tribu  d'Israël. 
Le  treillage,  appliqué  sur  un  tissu  en  lil  d-^  lin  tramé  d'or  et  de 
laine,  bleu,  écarlate  et  cramoisi,  d'où  le  qualificatif  doitôie  bD3, 
était  maintenu  contre  l'épbod  :  en  haut,  par  deux  de  ces  fines 
chaînettes  torsades  dont  les  bijoux  égyptiens  nous  offrent  de  si 
remarquables  spécimens;  à  la  ceinture,  par  un  cordon  de  laine 
bleue.  Le  but  de  la  doublure  était  de  protéger  Téphod  contre  les 
frottements  du  métal  ;  peut-être  avait-elle  encore  un  autre  motit  : 
le  tissu  polychrome  appliqué  derrière  le  rational  devait  commu- 
niquer aux  gemmes  translucides  un  chatoiement  particulier,  ana- 
logue à  l'efi'et  du  paillon  d'or  usité  de  l'époque  sassauide  aux 
temps  postérieurs. 

L'éphod  était  une  tunique  de  dessus,  assez  longue  pour  né- 
cessiter une  ceinture  et  vraisemblablement  sans  manches,  tissue 
en  or  et  laines  de  couleur  '  dont  la  disposition  ou  le  dessin  ne  sont 
indiqués  nulle  part.  Un  bas-relief  peint  du  Eamesseum  de  Thèbes 
représente  Sésostris  vêtu  d'une  cotte  d'armes  rayée,  bleu  et  or,  le 
pectoral  suspendu  au  cou  par  une  chaînette,  un  urœus  cloisonné 
saillant  du  frontal  d'or  de  son  casque.  Cotte  d'armes  à  manches 
courtes,  pectoral  et  frontal  me  semblent  offrir  une  singulière  ana- 
logie avec  l'éphod,  le  rational  et  le  diadème  d'or  —  an:  y'ï  — 
qui  ceignait  la  coiffure  du  grand-prêtre  juif  :  Moïse  aurait- il  em- 
prunté au  vestiaire  des  pharaons  l'idée  première  de  son  costume 
liturgique,  exemple  suivi  par  le  christianisme  qui  décora  ses  pon- 
tifes des  insignes  impériaux  ?  De  nombreuses  raisons  appuieraient 
cette  hypothèse  '^ . 

1  (I  Ils  feront  l'éphod  d'or,  de  laine  bleue,  d'écarlate,  de  cramoisi  et  de  fin  lin 
retors,  etc.  »  Exode,  XXVIII,  6  ;  passira.  Cahen,  trad.  cit. 

^  Prisse  d'Avennes,  ouv.  cité,  sculpture.  Les  Khétas  (Syriens)  vaincus  par  Sé- 
sostris portei.t  comme  le  pharaon  une  cotte  d'armes  à  raies  horizontales,  mais  les 
couleurs  en  sont  rouge,  bleu  et  vert  pâle  ;  le  rouge  domine.  —  Exode,  XXVIII, 
36  :  «  Tu  feras  un  diadème  d'or  pur 37  :  Tu  le  mettras  sur  un  fil  de  laine 


ORIGINES   DE    l'orfèvrerie   CLOISONNÉE  H9 

On  a  beaucoup  écrit  sur  les  pierres  précieuses  du  rational;  au- 
cune d'elles  n'est  dëiermiiiée  avec  une  entière  certitude. tTïî 

odem,  signifie  rouge  en  arabe;  c'est  la  transcription  littérale  de 
riiébreu  que  les  Septiinte  traduisent  par  (xâpâioy.  Est-ce  le  sardonyx, 
l'hyacinthe  rouge,  la  cornaline  ou  le  grenat?  Je  ne  m'arrête  pas 
au  rubis.  —  nms,  ijifeda  ;  -o-Kd^tov  des  Septante  :  Job  mentionne  la 
topaze  d'Ethiopie  '.—  np3,  bareketh;  Septante,  ay.dpocyâoc^ ,  dme- 
raude,  attribution  généralement  admise  par  les  savants.  —  ^53, 
nophech  :  les  Septante  disent  âv9px^,  escarboucle.  J'y  reconnaî- 
trais volontiers  le   mafek   (malachite)   des  Égyptiens.  —  i^SO, 
saphir;  Septante  aaTrœcïûsç .  Existe-t-il  des  saphirs  de  0,07' sur 
0"  05%  ou  faudrait-il  admettre  parmi  les  gemmes  du  rational  une 
inégalité   peu  compatible    avec   la    théocratie   républicaine    de 
Moïse^?  Le  saphir  corindon  ne  se  trouvant  pas  ailleurs  que  dans 
l'Inde  et  la  Sibérie,  l'idée  d\in  cuivre  carbonate  bleu  me  semble- 
rait plus  logique.  —  Q!5n\  iahlom,  ïxaTiti  des  Septante;  Braun  et 
les  rabbins  de  l'école  espagnole  en  font  un  diamant  :  ne  serait-ce 
pas  plutôt  le  cristal   hyalin,  maJm  des  Syriens   et  des  Arabes, 
fa/ien  des  Égyptiens.— û2?3,  leshèm:  Septante,  ytyuptov,  opale? — 
13»,  shebô  :  les  Septante  traduisent  axâiy)?,  agate;  turquoise  selon 
la  plupart  des  commentateurs.  Une  certaine  analogie  de  pronon- 
ciation m'indiquerait   le    khesbet,    lapis  lazuli,   si  employé  en 
Egypte.  —  n^bns,  alialama;  Septante,  dij.é9v(Jzoç,  améthyste.  Un 
texte  hébreu  cité  par  M.  Cahen  dit  :  «  Nephtali  a  pour  gemme 
l'a'halama;  la  couleur  de  son  étendard  ressemble  a  du  vin  clair 


azurée  qui  sera  sur  le  turban  ;  le  diadème  sera  sur  le  côté  de  devant  du  turban.  » 
Cahen,  trad.  cit. 

^  Non  adfequabitur  ei  topazius  de  ^Ethiopia.  XXVIII,  19. 

2  Je  parle  du  saphir  bleu,  car  les  Anciens  classaient  les  pierres  d'après  leurs 
propriétés  extérieures  et  non  d'après  leur  composition  chimique.  Le  saphir  blanc, 
à  l'effigie  de  Chosroés,  que  possède  le  Cabinet  des  médailles,  à  Paris,  a  0'"  075'" 
de  diamètre.  Au  reste  le  saphir  de  Pline  est  tout  simplement  du  l.ipis-lazuli. 
In  lis  (sapphiris)  enim  aurum  punctis  coUuret.  (  lerulcte  sa|iphiii,  rarumque  ut 
cum  puipura.   Optimcu  apud  Medos   :   nusquam  tamen  perlucidœ,  JJist.  nat., 

xxxvii,  ay,  1. 


120  ORIGINES   DE   l'ORPÉVRERIE    CLOISONNÉE 

dontla  rouffeiir  n'est  pas  forte.  »  Pline  parle  d'un  minéral  nommé 
alabfivdicus,  d'Alabanda,  ville  de  la  Carie  intérieure;  c'était  une 
escarboucle,  carchedonlus,  d'un  noir  tirant  sur  le  pourpre,  fu- 
sible et  employée  à  la  ftibrication  du  verre  ' .  L'homophonie  comme 
rhomochromie  de  la  gemme  biblique  et  de  la  pierre  mentionnée 
par  le  naturaliste  romain  sont  très-sensibles.  —  tï'^win,  tarshish; 
Septante,  xpvachOoç,  chrysolithe,  gemme  translucide,  aux  reflets 
dorés  que  produisaient  l'Arabie  et  l'Ethiopie.  Mais,  au  temps  de 
Moïse,  le  nom  égyptien  Toui^shn  désignait  les  Etrusques  ^,  c'est-à- 
dire  l'Italie,  contrée  qui  passa  longtemps  pour  être  la  patrie  de 
l'ambre  jaune,  résine  minérale  de  couleur  dorée,  susceptible  de 
recevoir  un  beau  poli  et  d'avoir  son  emploi  dans  les  ouvrages  de 
glyptique.  Nul  interprète  des  saintes  Ecritures  n'a  jamais  pensé 
au  succin,  connu  cependant  en  Egypte  où,  splon  Nicias,  on  le  re- 
cueillait sur  les  bords  de  la  mer  ^.  —  tsnîD,  skohavi;  Z-hpv)lo5  des 
Septante;  béryl,  aigue-marine.  Les  anciens  tiraient  le  béryl  de 
l'Inde.  —  m2u:'^,  ioshphé  ;  Septante,  ovu;  :  je  préfère  jaspe  à  cause 
de  l'homophonie.  Si  l'onyx  se  rencontre  en  Afrique,  le  jaspe  n'est 
pas  rare  en  Ethiopie  et  en  Arabie  ;  nous  possédons  des  ouvrages 
égyptiens  en  jaspe  \ 

D'après  les  ordres  formels  de  Jehovah,  Moïse  préposa  deux 
Israélites,  Betsalel,  fils  d'Ouri,  de  la  tribu  de  Juda,  et  Oholiab, 
fils  d'A'hisamach,  de  la  tribu  de  Dan,  à  la  direction  des  travaux 
du  tabernacle  et  des  accessoires  du  culte.  Betsalel,  très-habile 
artiste,  exécuta  lui-même  la  menuiserie  et  l'orfèvrerie  des  objets 
consacrés  à  Dieu;  Oholiab  s'occupait  de  la  broderie  et  des  tissus. 
Les  ouvriers  subalternes  étaient  tous  de  la  race  d'Abraham  ^  ;  le 

'  E  diverse  niger  est  alabandicus  terrse  suas  nomine,  quanqiiam  et  I\Iileti  nas- 
cens,  ad  purpuram  tamen  magis  aspectu  déclinante.  Idem  liquidatur  igni,  ac  fun- 
ditur  ad  usum  vitri.  His/.  mit.,  XXXVI,  13,  2.  Alabandicos  (carchodonius)  caste- 
ris  nigriores  esse  scabrosque.  Ibid  ,  XXXVII,  25,  4. 

2  Chabas,  ouv    cit.,  p.  189  et  sq. 

'  Pline,  op.  cit.,  XXXVII,  11,2,  13,  6,  —  L'assertion  de  Nicias,  cité  par  Pline, 
prouve  que  le  succin  arrivait  en  Egypte  par  les  voies  du  commerce  maritime. 

*  Voy.  Cahen,  ouv.  cit.,  notes  des  v.  17  a  20  du  c.  38  de  YExode. 

*  Exode,  XXXV,  30  à  34  ;  XXXVII,  XXXVIII;  XXXVI,  2. 


ORiGixics  Di;  i.'orfkvrkuil;  cloisonnée  121 

législateur  n'eut  pas  souifi-rt  d'assistance  étrangère.  Un  séjour 
prolongé  en  Egypte  avait  initié  les  descendants  de  Jacob  à  la  pra- 
tique des  arts  industriels,  et,  quand  il  s'agit  de  fabriquer  le  veau 
d'or,  Aaron  put  s'en  charger.  Malhe  creusement  la  nécessité,  qui 
ferma  l'entrée  de  la  Terre  Promise  à  la  génération  sortie  d'Egypte, 
interrompit  des  traditions  renouées  seulement  au  retour  de  la 
captivité  de  Babylone;  une  seconde  fois,  alors,  les  Juifs  rappor- 
tèrent de  la  servitude  l'esthétique  qui  leur  manquait. 

En  quittant  la  terre  de  Mitsraïm,  les  Israélites  avaient  fait  de 
larges  emprunts  à  ses  trésors,  ce  qui  explique  l'immense  quantité 
d'or,  d'argent  et  d'objets  précieux  possédés  dans  le  désert  '.  De 
telles  ressources,  jointes  au  pillage  organisé  à  l'encontre  des 
Chananéens,  suffirent  aux  besoins  de  la  nation  jusqu'à  l'avéne- 
ment  de  Salomon,  qui  profita  des  loisirs  de  la  paix  pour  s'asso- 
cier au  tyrien  Pliram  et  obtenir  par  voie  commerciale  les  richesses 
du  pays  d'Ophir.  En  outre,  le  Livre  des  Rois  évalue  à  120  talents 
d'or  (7,200,000  francs)  la  somme  qu'oflfrit  la  reine  de  Saba  au 
plus  sage  des  hommes  '. 

Dans  sa  nomenclature  des  objets  composant  la  toilette  d'une 
femme  juive,  Isaïe  désigne  un  seul  bijou  orné  de  pierreries, 
gemmas  in  fronte  pendentes,  le  reste  appartient  à  l'orfèvrerie 
pure.  Les  artistes  en  métaux  précieux  devinrent  nombreux  à  Jé- 
rusalem lorsqu'on  rebâtit  ses  murailles  après  la  délivrance.  Néhé- 
mie  cite  les  constructions  élevées  par  Eziel  et  Melchias,  tous 
deux  fils  d'orfèvres,  et  par  la  corporation  entre  le  grenier  angu- 
laire, la  porte  du  Troupeau,  la  porte  Judiciaire  et  le  bazar  des 

*  £xo(/e,  XII,  35  :  a.  Les  enfants  d'Israël...  avaient  demandé  aux  Égyptiens  des 

vases  d'argent,  des  vases  d'or  et  des  vêtements.  36 ainsi  ils  dé^jouillèrent 

l'Egypte.  »  Cahen,  trad.  cit. 

2  III,  X,  10,  11.  Paralip.  II,  IX,  9,  10.  —  Ophir  était  la  contrée  d'Ablùra,  voi- 
sine du  Guzarate,  dans  l'Inde.  Lassen,  Indische  Allerf/iumshinde,  t.  II,  p.  584- 
5'J2  Salomon  retirait  annuellement  du  commerce  étranger  666  talents  d'or;  le 
talent  d'argent  liébraïque  valant  6,0'  0  fr.,  et  celui  d'or  étant  compté  au  décuple, 
nous  attendrons  le  chiffre,  peut-être  e.\agéré,  de  près  de  40  millions  de  francs. 
Encore  ne  faut-il  pas  comprendre  dans  cette  somme  les  impôts  et  les  tributs  de 
toute  espèce.  V.  Rey.,  loc.  cit.,  14  et  15. 

Ile  série,  tome  II  9 


122  ORIGINES    DE    LORFÉYRERIE    CLOISONNÉE 

fripiers  '.  Depuis  ce  moment,  si  le  mobilier  liturgique  conserva 
les  formes  traditionnelles  réglées  par  Moïse  et  Salomon,  la  joaillerie 
ordinaire,  chez  les  Juifs,  dut  procéder  de  Fart  assyro-chaldëen 
et  de  l'art  acliéménide  comme  elle  avait  auparavant  demandé  ses 
inspirations  en  Egypte  ou  en  Syrie  ^. 

C.  DE  LiNAS. 
(A  suivre.) 

'  Isaïe,  III,  18  à  21.  —  Esdras,  II,  ITI,  8.  Post  eum  sedificavit  Melchias  filius 
aurificis  usque  ad  domum  Nathin?eorum  et  scruta  vendentiiun  contra  portam 
judiciahm,  et  usque  ad  cœnaculum  anguli.  Et  inter  cœnaculum  anguli  in  porta 
gregis  gedificaverunt  aurifices  et  negotiatores.  Id.  ibid.,  30,  31. 

-  V.  au  Louvre  les  sarcophages  de  Jérusalem  rapportés  par  M.  de  SauLy  ;  à 
côté  de  variantes  des  rosaces  et  des  bandeaux  de  feuilles  empruntés  à  l'orne- 
mentation assyro-chaldéenne,  on  voit  des  enroulements  inspirés  par  l'art  grec. 
A.  de  Longpérier,  Musée  Napoléon  III,  in-4'>,  pi.  30,  fig.  1  et  2. 


LE  SARCOPHAGE  DE  SAINTE-QUITTERIE 


PRELIMINAIRES 


Aire-sur-l'Adour,  dans  le  dé[3artement  des  Landes,  est  dominé  par  un 
plateau  élevé  qui  court  du  sud  à  l'ouest.  Par  une  pente  rapide,  on  monte 
de  la  petite  et  gracieuse  cité  épiscopale  à  un  bourg  attenant,  appelé  le 
Mars-d'Aire.  A  vrai  dire,  bourg  et  cité,  c'est  tout  un;  et  j'oserais  affirmer 
que  la  cité  est  née  du  bourg  plutôt  que  de  consentir  à  voir  dans  celui-ci  un 
épanouissement  de  celle-là.  L'église  paroissiale  du  Mars-d'Aire  peut  in- 
contestablement être  mise  au  nombre  de  nos  plus  antiques  édifices.  La 
façade  est  de  style  ogival,  mais  le  monument  lui-même  appartient  au  ro- 
man ;  il  est  du  XP  siècle,  du  XIP  au  plus  tard.  Les  trois  absides  du  fond 
sont  contemporaines,  comme  on  le  voit  aux  marques  des  pierres  presque 
toutes  semblables  entre  elles.  Les  colonnettes  géminées  de  l'abside  à  gau- 
che et  leurs  chapiteaux  nous  offrent  dans  toute  sa  perfection  le  style  ro- 
man secondaire. 

Il  y  a  dans  cette  église  une  crypte,  dite  de  Sainte-Quitterie;  on  y  des- 
cend par  les  deux  absides  latérales.  La  cryp^:e  n'a  pas  été  creusée  dans  le 
sol;  le  teri'âin  qui  arrive  jusqu'à  une  petite  fenêtre  carrée  du  souterrain, 
est  une  terre  transportée  ;  un  simple  coup  d'œil  le  démontre.  Un  cimetière 
occupait  tout  l'espace  compris  entre  la  punie  extérieure  des  absides  et 
quelques  arches  qu'on  voit  un  peu  plus  loin.  L'église  romane  et  ce  que 
l'on  appelle  aujourd'hui  la  crypte  semblent  accuser  un  édifice  plus  ancien 
dont  il  ne  reste  aucun  vestige. 

Un  lut  de  colonnette  de  pieri'e  rougeàtre  du  meilleur  galbe  est  cmplo3'é 
dans  la  grainle  porte  de  la  façade  ogivale  ;  il  est  renversé  de  manière  à  ce 
<lue  son  diamètre  va  diminuant,  de  haut  en  bas.  Ce  fût  ne  saurait  appar- 


124  SARCOPHAGE    D1-;    SAINTE-QUITTERIH 

tenir  au  style  roman  secondaire;  il  remonte  à  une  époque  de  beaucoup 
antérieure  et  a  dû  entrer  dans  quelque  antique  édifice  aujourd'hui  ignoré. 
Dans  la  crypte  se  trouve  un  baptistère  carré  de  la  plus  haute  antiquité, 
placé  dans  la  partie  du  milieu  :  on  y  descend  par  trois  degrés.  La  terre 
transportée  a  élevé  le  sol  des  deux  parties  correspondantes  aux  absides 
latérales  au-dessus  de  celles  du  milieu.  Les  Bollandistes  parlent  de  ce  bap- 
tistère, au  22  mai,  à  propos  de  la  vierge-martyre,  sainte  Quitterie.  On  re- 
marque encore  au  gradin  inférieur  un  large  trou  cari'é,  fait  au  ciseau,  par 
lequel  l'eau  s'écoulait  vers  la  pente  de  la  colline  sur  laquelle  repose  le  sou- 
terrain. Saint  Grégoire  de  Tours  mentionne  plusieurs  fois  ces  sortes  de 
baptistères,  devenus,  dans  le  cours  des  âges,  fontaines  miraculeuses  *, 
comme  on  a  qualifié  le  nôtre.  C'est  pourquoi  je  serais  très-porté  à  croire 
que  là  ou  fut  bâtie  l'église  romane  se  trouvait  déjà  un  édifice  contemporain 
du  baptistère,  placé  d'ailleurs  un  peu  à  côté  du  milieu  exact  de  la  crypte. 
Au  reste,  je  ferai  observer,  en  passant,  que  d'après  une  certaine  opinion, 
le  même  Grégoire  de  Tours  mentionnerait  quelques  tombeaux  célèbres 
aux  environs  de  l'antique  Atu?\  aujourd'hui  d'Aire-sur-l'Adour  "^ 

S'il  m'avait  été  possible  de  placer  sous  les  yeux  du  lecteur  un  plan  to- 
pographique, j'aurais  pu  m'étendre  davantage  sur  ce  sujet.  J'en  viens 
donc  immédiatement  à  noire  sarcophage,  après  avoir  fait  remarquer  qu'il 
n'est  pas  le  seul  enfoui  dans  le  souterrain  :  il  y  en  a  là  plusieurs,  en  mar- 
bre de  Saint-Béat  ou  en  pierre.  La  caisse  est  carrée,  le  couvercle  prisma- 
tique ;  dépourvus  d'ornements,  sans  inscription,  ils  sont  répandus  çà  et  là, 
quelques-uns  enfoncés  jusqu'à  la  hauteur  du  couvercle. 

Le  sarcophage,  objet  de  notre  dissertation,  se  trouvait  au  fond  d'une 
petite  arcature,  creusé  dans  le  mur  opposé  à  l'abside  du  souterrain.  Il  gi- 
sait enfoui  dans  la  terre  par  sa  partie  postérieure  à  une  profondeur  de  plu- 
sieurs centimètres,  et,  malheui'eusement,  deux  grandes  ouvertures  dans  le 
mur  donnaient,  aux  jours  de  pluie,  un  libre  passage  à  un  double  courant 
d'eau  :  le  monument  plongeait  dans  la  boue.  Ainsi,  aux  mutilations  an- 
ciennes venaient  s'ajouter  les  ravages  de  l'humidité.  De  fait,  le  couvercle 
conserve  encore  en  assez  bon  état  ses  sculptures,  tandis  que  celles  de  l'auge 
sont  rongées  en  bien  des  endroits  et  perforées  de  petits  trous. 

Je  commençai  donc  par  faire  boucher  les  malheureuses  ouvertures  pour 
arrêter  l'invasion  des  eaux  :  puis,  à  l'aide  d'un  plan  incliné  et  à  force  de 
leviers  alternativement  mis  enjeu  des  deux  côtés,  je  fis  descendre  le  cou- 


'  De  Gloria  Mart.,  lib.  l.  c.  XXIV.  Vo^ez  Fontes  dans  la   Table   gén.  de  la 
atholocj.,  de  Migne,  t.  LXXL 
*  De  ijloria  Co)ifcss.,  c.  LU. 


SARCOPHAGE    DE    SAfNTE-QUITTERIE  1:25 

vercle,  énorme  pièce  de  marbre  massif,  du  poids  de  trente  quintaux.  L'o- 
pération réussit  heureusement.  Quand  l'auge  fut  détachée  de  son  couver- 
cle, je  trouvai  que  les  deux  parties  dont  elle  se  composait,  —  car  elle  était 
coupée  en  deux  depuis  longtemps,  —  se  balançaient  sur  une  grosse  pierre 
placée  en  dessous.  Le  partage  est  transversal.  En  exanainanl  avec  atten- 
tion les  quatre  parois,  épaisses  de  quatorze  centimètres,  je  vis  quels  prodi- 
gieux efforts  on  avait  fait  pour  rompre  le  marbre,  efforts  doublement  mal- 
heureux puisqu'ils  avaient  abouti  à  mutiler  les  pieds  des  sculptures  du 
milieu.  L'intérieur  ne  contenait  autre  chose  que  de  la  terre,  des  pierres  et 
de  gros  blocs  de  chaux  à  une  profondeur  de  dix  centimètres. 

Les  deux  pièces  de  marbre  furent  placées  sur  un  socle  de  pierre  de 
Geaune,  village  voisin  d'Aire,  dont  la  couleur  se  rapproche  beaucoup  de 
celle  de  notre  pays,  et  finalement,  je  parvins  à  retirer  le  monument  du 
fond  de  la  niche,  de  manière  à  pouvoir  contempler  sans  trop  de  peine  les 
deux  sculptures  latérales,  tout  à  fait  invisibles  auparavant. 

J'aurais  voulu  extraire  le  sarcophage  du  lieu  où  il  se  trouve,  lieu  qui 
certainement  ne  lui  était  pas  destiné  :  ses  deux  côtés  ornés  de  sculptures 
l'excluaient  évidemment  de  cet  arceau  resserré,  et  ses  grandes  dimensions 
lui  assignaient  un  plus  large  espace.  Je  ne  pus  en  obtenir  la  permission. 
Afin  de  faciliter  l'étude  des  sculptures  je  fis  prendre  les  moules  des  deux 
côtés,  qu'on  aurait  pu  encaisser  dans  les  parois  latérales,  si,  par  des  répa- 
rations indispensables,  on  avait  enlevé  à  la  crypte  sa  fatale  humidité. 

C'est  tout  ce  qu'il  m'a  été  donné  de  pouvoir  faire,  et  cela  était  de  toute 
nécessité.  Puissent  de  plus  heureux  que  moi  relever  un  si  précieux  monu- 
ment et  le  remettre  par  une  intelligente  restauration  dans  sa  première 
splendeur  ! 

Le  sarcophage,  comme  tous  les  monuments  de  ce  genre,  se  compose  de 
deux  parties  :  d'un  couvercle  et  d'une  auge  ou  caisse.  En  voici  les  dimen- 
sions : 

Couvercle:  Long.,  2"!  "2;  haut,  de  face,  0'"3Û  ;  derrière,  0'"10;  larg., 
0"7G. 

Auge  :  Long.,  2"8  ;  haut,  de  face,  0^60  ;  derrière,  0'"54;  larg.  0°'72. 

Comme  on  le  voit,  le  couvercle  est  en  plan  incliné  :  sa  hauteur  va  dimi- 
nuant de  trente  centimètres  jusqu'à  dix.  C'est  aussi  la  forme  d'un  sarco- 
phage païen  qui  se  trouve  dans  une  petite  et  très-ancienne  église  de  Saint- 
Clément,  près  de  Mirande  (Gers).  Les  dimensions  géométriques  de  l'auge 
ne  sont  pas  exactement  observées,  les  deux  côtés  latéraux  n'ont  pas  la 
même  larg 'ur.  Elle  a  été  creusée  à  grands  coups  de  ciseaux  dans  un 
énorme  bloc  un  peu  irrégulier  :  le  marbre  est  tiré  des  carrières  de  Saint- 
Béat  (Haute-Garonne). 


126  SARCOPHAGE    DE    SAINTE-QUlTTEUrE 


PREMIERE    PARTIE 


LES     SCULPTURES    DU    COUVERCLli 


Les  sculptures  du  couvercle  retracent  quatre  faits  célèbres  de  l'Histoire 
sainte  :  trois  appartiennent  à  l'Ancien  Testament,  un  au  Nouveau, 

L'artiste,  avant  en  vue  le  sens  figuré  des  sujets  à  représenter,  les  unit 
harmonieusement  ;  il  en  compose  ua  tout  complet,  disposant  les  parties 
dans  une  union  et  une  dépendance  mutuelle.  C'est  pourquoi,"  comme  le 
devoir  de  l'archéologue  est  de  mettre  sous  les  yeux  du  lecteur  l'idée  réa- 
lisée par  l'i'rtistcil  nous  a  paru  que  la  meilleure  méthode  à  observer  dans 
notre  travail  serait  d'étudier  d'abord  chaque  sujet  en  particulier,  et  puis, 
l'envisageant  comme  partie  d'un  tout,  d'examiner  quelle  unité  en  résulte, 
Nous  saisii'ons  ainsi  pleinement  la  pensée  de  l'artiste. 

I.  Le  SACRIFICE  d'Abraham  (fig.  I).  —  La  première  représentation  qui 
s'offre  sur  le  couvercle  à  l'œil  du  spectateur,  en  allant  de  gauche  à  droite, 
est  le  sacrifice  d'Abraham.  La  composition  est  médiocre.  Le  patriarche 
lève  la  main  droite  et  tient  une  courte  épée  à  deux  tranchants,  semblable 
à  celle  dont  se  servaient  les  soldats  romains.  Il  est  dans  l'attitude  de  la 
surprise  et  regarde  le  bélier  placé  près  de  lui.  Les  proportioas  du  bélier, 
relativement  aux  personnages  et  à  la  montagne  au  pied  de  laquelle  il 
est  placé,  démontrent  clairement  l'ignorance  des  anciens  en  fait  de  pers- 
pective :  erreur  commune  à  d'autres  œuvres  d'une  main  d'ailleurs  habile. 
Abraham  est  entre  deux  oliviers  d'un  feuillage  épais,  garnis  de  leurs  fruits; 
Isaac  est  à  genoux  au  pied  d'un  autel,  les  mains  liées  derrière  le  dos; 
la  main  de  son  père  le  retire  un  peu  en  arrière.  Les  deux  personnages  ont 
la  tunique  relevée  à  la  ceinture,  selon  l'usage  des  anciens  occupés  à  un 
travail  manuel  ou  en  voyage,  comme  en  témoigne  saint  Luc  dans  un 
passage  (ch.  xn),  fréquemmeat  cité  par  les  archéologues.  L'évangéliste, 
en  cet  endroit,  s'adressant  aux  serviteurs  vigilants,  leur  dit  <ju'il  faut  at- 
tendre leur  maître,  la  lampe  allumée  entre  les  mains  et  la  tunique  relevée 
autour  des  reins  :  lumbi  vestri prxcincti.  Le  maître,  alors  satisfait  de  la  vi- 
gilance de  ses  serviteurs,  relèvera,  lui  aussi,  sa  tunique,  prœcinget  se,  et  il 
les  servira  à  table. 

Je  n'entasserai  pas  ici  d'innombrables  textes  des  Pères  de  l'Eglise  pour 
démontrer  que  le  célèbre  sacrifice  d'Abraham  a  toujours  été  considéré 


SARCOPHAGE    DE    SAINTE-QUITTERIE  127 

comme  figure  du  sacrifice  de  Jésus-Clirist.  Qu'on  relise  ces  textes,  qu'on 
consulte  les  œuvres  des  archéologues,  on  verra  comment  plusieurs  Saints 
Pères  ont  établi  un  parfait  parallèle  entre  les  deux  sacrifices.  Arrêtons- 
nous  plutôt  à  remarquer  de  quelle  manière  notre  artiste  a  conçu  et  exé- 
cuté son  sujet. 

La  montagne  au  pied  de  laquelle  on  voit  l'énorme  bélier  se  retrouve 
également  en  d'autres  cadres  religieux,  mais  la  brebis  ou  le  bélier,  sym- 
bole du  sacrifice,  sont  placés  au  sommet.  Ici  le  bélier  est  au  bas  de  la 
montagne.  D'après  le  texte  bibliqne,  le  sacrifice  devait  être  offert  sur  la 
montagne  :  super  unum  monlium  queni  moi^stravero  tihi.  Sous  ce  rapport, 
les  saints  Pères  trouvent  un  point  de  comparaison  entre  le  sacrifice 
d'Abraham  et  celui  de  Jésus-Christ  :  Montis  verticem  utriusque  sacrificii 
opcratione  esse  designatum,  disait  saint  Ephrem  cité  par  Arringhi.  Si  le 
sculpteur  de  notre  sarcophage  a  procédé  autrement,  c'est  qu'il  avait  en 
vue  de  marquer  la  surprise  du  patriarche  à  l'apparition  du  bélier  qu'il 
n'attendait  |)as.  Cette  surprise  laisse  en  suspens  le  sacrifice  d'Isaac  et  mar- 
que le  sacrifice  du  bélier  qui  va  le  remplacer.  Ainsi,  indépendamment  de 
l'espace  dont  l'artiste  pouvait  disposer,  le  bélier  est  placé  au  pied  de  la 
montagne  sur  laquelle  il  sera  ensuite  immolé. 

Je  ferai  remarquer  en  outre  que,  dans  notre  sujet,  la  matière  du  sacri- 
fice est  double,  la  brebis  et  Isaac  :  mais  l'une  est  offerte,  l'autre  est  réser- 
vée pour  la  nombreuse  postérité  promise  à  Abraham  comme  récompense 
de  son  obéissance.  La  brebis,  dans  les  monuments  sacrés,  est  le  symbole 
de  l'humanité  dont  le  Verbe  de  Dieu  s'est  revêtu  et  pour  laquelle  l'Homme- 
Dieu  s'est  offert  en  sacrifice  :  Deus  (ilium  suum  mittens  in  simililudinem  car- 
nis  peccati,  et  de  peccato  damnauit  peccatuni  in  carne,  comme  a  dit  saint 
Paul  (Rom.,  viii).  C',,st  pourquoi  j'estime  que  nous  avons  ici  deux  idées 
dominantes  très-distinctes  :  la  première,  celle  du  sacrifice;  la  seconde,  ses 
effets,  c'est-à-dire  les  peuples  donnés  à  Jésus-Christ  par  Dieu  le  Père  en 
récompense  de  son  oblation  généreuse.  Je  laisse  les  témoignages  écrits, 
j'aime  mieux  en  appeler  aux  monuments  figurés.  Un  sarcophage  nous 
montre  Abraham,  le  bras  arrêté,  au  moment  où  il  va  frapper,  par  lu  main 
qui  apparaît  selon  l'usage-,  au-dessus  de  sa  tète  :  il  n'y  a  pas  de  brebis, 
c'est  signe  que  l'artiste  n'a  pas  voulu  précisément  indiquer  le  sacrifice. 
D'un  côté,  isaac  se  tient  à  genoux  auprès  de  l'autel  allumé  ;  de  l'autre  est 
l'Aveugle-né  guéri  par  le  Sauveur.  L'un  et  l'autre  sont  tellement  placés 
qu'il  est  impossible  de  ne  pas  saisir  la  corrélation  que  l'artiste  a  voulu  éta- 
blir encore  les  deux  sujets. 

Sedulius  expose  admirablement  le  sens  mystique  de   la  guérison   de 
l'Aveugle-né.  D'après  le  poète,  l'infirme  rendu  à  la  santé,  c'est  l'homme 


128  SARCOPHAGE    DE    SALNTIC-QUITTERIE 

régénéré  dans  les  eaux  du  baptême,  devenu  disciple  du  Christ.  Le  Créa- 
teur n'a  pu  consentil-  à  laisser  plus  longtemps  son  ouvrage  détérioré,  c'est 
pourquoi  : 

....  natale  lutum  per  claustra  genarum 
Illiniens^  hominem  veteri  de  semine  supplet. 

L'Aveugle  cependant  ne  pourra  recouvrer  la  vue  s'il  ne  va,  obéissant  à 
la  voix  du  Seigneur,  se  laver  à  la  fontaine  de  Silor  : 

Et  consanguinei  fotus  mcdicamine  limi 
Pura  ooulos  fovisset  aqua 

Après  la  narration  du  fait  évangélique,  Sedulius  s'adresse  aux  fidèles  et 
leur  explique  le  sens  mystique  du  miracle  : 

L'ognoscite  cuncti 

Mystica  quid  doceant  animas  miracula  nostros. 
Cœca  sumus  proies  miserœ  de  fœJibx:s  Evœ. 
Portantes  longo  natas  errore  tenehras, 
Sed  dignante  Deo  mortalem  sumere  formam 
Tcgminus  humani,  lacta  est  ex  Virgine  nobis, 
Terra  salubris  quœ  fontibus  abluta  saciis, 
Clara  renascentis  reserut  spiramina  lucis. 

Le  Paralytique.  —  nous  le  dirons  tout  à  l'heure,  —  révèle  les  mêmes 
mystères  :  notre  sarcophage,  comme  d'autres,  l'unit  au  sacrifice  d'Abra- 
ham. Ainsi,  par  ce  monument  et  par  ceux  que  nous  pourrions  citer  en 
grand  nombre,  on  voit  que  l'artiste  chrétien  n'oubliait  jamais  le  lien  pro- 
phétique entre  les  promesses  disines  faites  à  Jésus-Chi-ist.  Mais,  quand 
même  nous  ne  considérerions  que  le  tableau  du  sacrifice  d'Abraham,  Fidée, 
quoique  plus  voilée  à  Toeil  du  spectateur,  me  parait  néanmoins  évidente 
dans  la  pensée  de  l'artiste. 

Examinons  maintenant  les  deux  oliviers,  (  hargés  de  fruits,  placés  à 
droite  et  à  gauche.  D'après  nos  saints  livres,  l'olivier  symbolise  une  pos- 
térité nombreuse  :  Filit  lui  sicut  novellœ  olioarum.  Néanmoins,  soit  ici, 
soit  dans  les  autres  monuments  où  l'arbre  est  sculpté  (sans  que  d'ailleurs 
nous  puissions  clairement  discerner  par  les  tables  de  Bosio  s'il  s'agit  pré- 
cisément d'un  olivier),  j'ai  peine  à  croire  que  telle  soit  la  signification  du 
symbolisme  De  fait,  les  monuments  l'expriment  d'ordinaire  tout  autre- 
ment. On  ne  peut  pas  prendre  ces  arbres  comme  indices  d'un  lieu  cham- 
pêtre, théâtre  de  l'événement;  ce  serait  méconnaîire  la  manière  des  an- 
ciens artistes  chrétiens,  surtout  dans  le  sujet  qui  nous  occupe.  Cela  posé, 


SARCOPHACtE    DE    SAI.VTE-QUITTERIE  129 

je  regarde  l'olivier  de  nos  monuments  comme  symbole  de  la  paix,  de  la 
paix  conquise  par  la  victoire.  Notre  sarcophage  nous  en  donnera  la  dé- 
monstraiion  quand  nous  aurons  à  parler  de  Daniel.  Là  aussi,  l'artiste  a 
représenté  deux  vigoureux  oliviers  semblables  tout  à  fait  à  ceux  du  pre- 
mier groupe  Je  ne  saurais  m'éioigner  de  cette  explication,  elle  s'offre 
comme  d'elle-même  à  quiconque  réfléchit  :  l'artiste  chrétien,  quand  il  re- 
présente la  mort  des  fidèles,  place  constamment  sous  nos  veux  l'image  de 
la  paix,  fruit  de  la  victoire  et  du  sacrifice.  Le  Rédempteur  a  remporté  la 
victoire  en  souffrant  comme  victime  sur  la  croix  et  il  est  entré  triomphant 
dans  la  gloire,  après  avoir  donné  sa  vie  pour  le  rachat  du  genre  humain; 
c'est  la  doctrine  de  saint  Paul  si  bien  exposée  dans  ses  épîtres. 

Mais  nous  n'avons  pas  encore  expliqué  les  particularités  qu'on  remar- 
que dans  la  manière  de  composer  le  tableau  d'Isaac,  manière  au  reste, 
sauf  de  rares  exceptions,  toujours  la  même  Parmi  les  verres  peints,  édités 
par  le  P.  Garrucci,  il  y  en  a  un  qui  représente  le  sacrifice  d'Abraham. 
Isaac  est  nu,  il  pose  un  genou  en  terre  près  du  tronc  d'un  arbre,  il  a  les 
mains  liées  par  derrière,  ses  yeux  sont  couverts  d'un  bandeau  :  ailleurs, 
on  le  voit  dans  la  même  attitude  auprès  d'un  autel  d'où  s'élève  une  grande 
flamme  Or,  il  est  bien  certain  que  telle  n'est  pas  la  description  biblique  : 
nous  savons  au  contraire  que  c'était  la  manière,  cliez  les  Romains,  des 
exécutions  capitales.  Il  suft'it  pour  s'en  assurer  de  jeter  un  coup-d'œil  sur 
les  actes  des  martyrs.  On  y  voit  l'usage  de  bander  les  yeux  aux  condam- 
nés, de  les  frapper  après  les  avoir  dépouillés  et  quand  ils  avaient  ployé  le 
genou.  Quiconque  est  versé  dans  la  lecture  de  ces  monuments  du  marty- 
rologe chrétien  pourra  aisément  reconnaître  tous  les  points  de  ressem- 
blance :  il  lui  sera  aisé  de  voir  que  nos  artistes  chrétiens  ont  emprunté 
leur  modèle  à  la  manière  de  pri.eéder  des  bourreaux  de  l'empire.  Quel  au- 
tre guide  pouv.aent-i!s  avoir  d'ailleurs  quand  ils  cherchèrent  à  mettre 
sous  les  yeux  l'image  vivante  du  sacrifice? 

IL  Le  Paralytique  {gr.  II).  —  La  sculpture  de  cette  scène  est,  comme 
la  précédente,  assez  médiocre.  On  voit  le  Paralytique  en  train  de  mar- 
cher :  il  porte  son  grabat  sur  les  épaules,  la  tête  enfoncée  dans  une  des 
mailles  qui  composent  le  filet  du  petit  lit;  de  ses  deux  mains  il  soutient 
tout  le  poids.  Il  est  à  remarquer  que  notre  artiste  a  placé  l'autel  d'Isaac 
sous  le  lit  du  Paralytique,  lequel,  en  s'acheminant,  va  ver^j  une  montagne 
pareille  à  celle  du  premier  groupe.  On  ne  peut,  je  crois,  attiûbuer  cet 
agencement  au  défaut  d'espace  :  en  serrant  un  peu  plus  vers  l'angle  les 
personnages  du  premier  groupe,  l'artiste  obtenait  aisément  assez  de  place. 
S'il  n'avait  été  réellement  guidé  par  l'intention  d'un  sens  caché  et  mysté- 
rieux, il  aurait  supprimé  de  préférence  l'autel  lui-même,  comme  plusieurs 


130  SARCOPHAGE    DE    SAIXTE-QUITTEUIE 

l'ont  fui;,  au  Jieu  de  nous  montrer  le  grabat,  d'un  côte  appuyé  à  une  par- 
tie de  l'autel,  de  l'autre  à  la  montagne. 

Les  quatre  cvangélistes  nous  racontent  la  guérison  miraculeuse  du  Pa- 
ralytique :  les  trois  premiers  le  font  dans  les  mêmes  termes  à  peu  de  chose 
près.  Saint  Jean  décrit  une  guérison  opérée  par  le  Sauveur  sous  les  por- 
tiques de  la  piscine  probatique  de  Jérusalem  :  le  malade  y  gisait  depuis 
trente  ans.  Quelle  était  son  infirmité  ?  Saint  Jean  ne  le  dit  pas,  mais  les 
saints  Pères  sont  unanimes  à  désigner  la  paralysie.  La  question  soulevée 
par  saint  Chrysostome,  question  qu'il  ramène  en  plus  d'un  endroit  avec 
une  certaine  insistance,  pour  établir  la  différence  entre  le  paralytique  des 
synoptiques  et  celui  de  saint  Jean,  nous  montre  assez  toute  l'importance 
que  les  anciens  chrétiens  attachaient  à  un  sujet  d'ailleurs  si  fréquemment 
traité  dans  les  œuvres  d'art.  11  va  plus,  par  la  discussion  du  saint  docteur, 
on  voit  assez  clairement  que  si,  dans  le  cours  des  siècles,  on  n'avait  pas 
oublié  totalement  le  sens  primitif  de  certains  sujets,  du  moins  ce  sens 
était  bien  moins  compris.  Je  n'hésite  pas  à  affirmer  que  les  premiers  chré- 
tiens avaient  en  vue  dans  leurs  compositions  le  miracle  raconté  par  saint 
Jean,  et  cela  pour  des  raisons  particulières  sur  lesquelles  il  importe  de 
nous  arrêter  un  instant. 

Si  l'on  considère  de  quelle  manière  est  ordinairement  représenté  le  Pa- 
ralytique, il  devient  assez  difficile  de  décider  si  c'est  celui  de  Capharnaùm 
ou  celui  de  la  piscine  de  Jérusalem.  Et  néanmoins,  quoi  qu'en  disent  cer- 
tains commentateurs,  l'un  est  bien  distinct  de  l'autre,  non-seulemeut  d'a- 
près saint  Chrysostome,  mais  de  l'avis  assez  unanime  des  interprètes.  Or, 
les  monuments  ne  tranchent  pas  la  question  ;  ils  mettent  tous  également 
sous  nos  yeux  un  personnage  portant  son  grabat,  circonstance  uniforme 
dans  les  récits  des  quatre  évangélistes.  Il  y  a  toutefois  des  exceptions  : 
un  sarcophage  reproduit  les  portiques  de  la  piscine,  un  autre  place  à  côté 
du  malade  un  personnage  que  les  archéologues  prennent  pour  un  docteur 
de  la  loi  reprochant  au  Paralytique  l'inobservance  du  repos  judaïque  le 
jojr  du  sabbat,  particularité  notée  seulement  par  saint  Jean.  De  fait,  les 
saints  Pères  parlent  de  préférence  du  paralytique  de  la  piscine,  et  toujours 
par  allusion  au  baptême.  Ainsi,  saint  Chrysostome  aime  à  voir  dans  la 
piscine  probatique  une  figure  du  baptême  ;  le  miracle  de  la  guérison  si- 
gnale les  effets  de  l'eau  salutaire.  Ailleurs,  il  revient  sur  le  même  sujet,  et 
pour  lui  la  rémission  des  péchés  accordée  au  Paralytique  marque  les  ef- 
fets du  sacrement  régénérateur.  «  Pourquoi,  demande  jaint  Cyrille  de  Jé- 
rusalem, attendre  encore  la  guérison  des  eaux  de  la  pi.-cine,  lorsque  tu  as 
à  tes  côtés  Jésus,  source  d'eau  vive  ?  » 

Il  me  parait  donc  certain  que,  lorsque  les  artistes  chrétiens  introduisi- 


SARCOPHACtE    DK    SAIXTE-nriTTEIlUC  131 

rent  dans  les  monuments  sacrés  cette  représentation,  ils  ont  eu  en  vue  le 
récit  évangélique  de  saint  Jean,  et  cela,  parce  que  lien  n'exprimait  plus 
éloquemment  les  effets  du  baptême  dans  l'âme  humaine  que  la  guérison 
des  maladies  corporelles  obtenue  par  les  eaux  de  la  piscine  probatique. 

Puisque  j'ai  mentionne  l'homélie  de  saint  Cyrille  sur  le  Paralytique,  je 
ferai  remarquer  qu'elle  est  pleine  de  mystères  :  on  voit  que  le  saint  évê- 
que  s'adresse  à  un  auditoire  familiarioé  avec  les  sens  les  plus  cachés  du 
symbolisme  chrétien.  Quand  il  rappelle  le  commandement  fait  par  Jésus- 
Christ  au  Paralytique  d'emporter  son  grabat  sur  ses  épaules,  il  ajoute 
aussitôt  une  explication  mystique  du  lit  de  Salom^on.  Selon  lui,  ce  lit  si- 
gnifie la  croix  dont  le  Sauveur  a  voulu  chai'ger  ses  épaules  pour  la  ré- 
demption de  nos  péchés.  Il  s'étend  longuement  sur  ia  [lastion  du  Sauveur 
et  il  nous  dit  que  le  lit  du  Paralytique  est  la  croix  que  le  divin  Maître  nous 
a|  prend  à  porter  à  son  exemple.  L'annotateur  de  l'homélie  nous  donne  ce 
passage  comme  indice  d'une  imagination  hardie  et  jeune.  Mais  il  aurait  dû 
remarquer  que,  en  cet  endroit  comme  en  beaucoup  d'autres  passages  des 
anciens  Pères,  on  ne  doit  pas  chercher  Tunité  et  la  connexion  dans  le  sens 
littéral  mais  dans  le  sens  mvsti(|ue,  absolument  comme  font  aujourd'hui 
les  archéologues  dans  l'interprétation  des  œuvres  d'art.  Evidemment,  si 
nous  considérons  seulement  dans  cette  homélie  le  sens  littéral,  en  voyant 
saint  Cyrille  unir  ensemble  le  lit  du  I  aralytique  et  le  lit  de  Salomon,  le 
miracle  du  malade  emportant  sur  ses  épaules  son  grabat  au  commande- 
ment du  Sauveur  et  la  croix  portée  par  le  Sauveur  lui-même,  nous  aurons 
là  les  écarts  d'une  imagination  non- seulement  hardie,  mais,  qu'on  nous 
permette  de  le  dire,  désordonnée. 

Cette  digression  m'a  paru  nécessaire  pour  l'explication  de  notre  sarco- 
phage. En  effet,  à  ne  consulter  que  l'histoire,  que  signifie  de  la  part  de 
notre  artiste  le  mélange,  en  apparence  si  disparate,  de  l'autel,  de  la  mon- 
tagne et  du  Paralytique?  Mais  faites  attention  au  sens  mystique  ou  figuré, 
et  aussitôt  vous  verrez  pourquoi  l'autel  est  ainsi  placé,  pourquoi  il  y  a  là 
une  montagne  vers  laquelle  s'achemine  notre  Paralytique.  Le  lit  sur  les 
épaules  du  malade  guéri,  saint  Cyrille  vient  do  nous  en  fournir  une  expli- 
cation complète  :  il  nous  donne  le  sens  primitif,  il  nous  dit  le  symbolisme 
chrétien  si  communément  connu  et  si  familier  au  temps  des  persécutions, 
mais  évidemment  tombé  en  une  sorte  d'oubli  dés  le  IV"  siècle.  Quant  à 
notre  artiste  il  a  eu  la  parfaite  intelligence  de  son  sujet. 

III.  Le  jeune  Tobie  [gr.  V).  —  La  sculpture  de  cette  scène  est  bonne  : 
mais  le  visage  de  Tobie  est  rongé  par  l'humidité.  Le  jeune  homme  est  nu, 
les  reins  sont  entourés  d'un  linge  dont  les  extrémités  pendent  par  devant  : 
la  main  droite  plonge  dans  lu  gueule  du   poisson.  Un  arbre  surgit  entre 


132  SARCOPHAGE    DE    SAINTE -QUITTERIE 

ses  pieds  et  s'élève  jusqu'à  la  partie  supérieure  où  il  étale  deux  branches 
entaillées  :  il  est  entièrement  semblable  à  celui  qui  pousse  entre  les  pieds 
d'Adam,  comme  nous  le"  verrons  bientôt.  Je  ferai  seulement  observer  que, 
vu  le  petit  espace  dont  pouvait  disposer  notre  artiste,  il  a  fait  effort  pour 
y  placer  l'arbre.  Quant  au  poisson,  il  affecte  la  forme  convenue  dans  la 
représentation  du  mystérieux  tchllius  ;  il  est  entre  deux  morceaux  de  mar- 
bre dont  le  mouvement  indique  sans  doute  celui  des  flots  du  Tigre  où  le 
jeune  Tobie  est  entré  pour  sai?ir  le  poisson. 

Cette  scène  est  rarement  représentée.  Je  la  trouve  quatre  fois  reproduite 
sur  les  verres  peints,  et  toujours  de  la  même  manière,  excepté  la  petite 
tunique  relevée  sur  la  ceinture,  absente  dans  notre  sarcophage,  et  qu'on 
ne  voit  pas  non  plus  sui'  une  fresque  reproduite  par  M.  Perret,  décrite 
aussi  par  l'abbé  Martigny  :  «  Dans  une  fresque  découverte  en  18-49,  au 
cimetière  des  saints  Thrason  et  Saturnin,  il  est  vu  (Tobie)  présentant  le 
poisson  à  l'ange  vêtu  d'une  hngue  tunique  ;  ici  Tobie  e»t  nu,  sauf  une  cein- 
ture  sur  les  //anches,  n  A  ce  propos,  je  ferai  remarquer  qu'on  doit  bien  se 
garder  de  confondre  le  pêcheur  évangélique  avec  le  jeune  Tobie  :  Il  ne 
faudrait  pas  voir  celui-ci,  par  exemple,  dans  le  jeune  homme  entièrement 
nu  qu'une  peinture  de  Botiari  nous  représente  portant  uu  poisson  sus- 
pendu à  sa  main  droite,  et  de  la  gauche  poriant  un  roseau  ou  longue  per- 
che. De  fait,  nous  ne  lisons  pas  que  Tobie  ait  pris  le  poisson  à  la  ligne, 
et,  d'autre  part,  on  sait  combien  sont  fréquentes,  dans  les  monuments  sa- 
crés, les  scènes  de  la  pêehe,  prise  au  sens  symbolique.  Un  petit  verre 
peint  nous  montre  Jésus-Ciu'ist  portant  le  petit  poisson  en  usage  suspendu 
à  l'hameçon.  Qui  voudiniit  y  reconnaître  une  composition  empruntée  aux 
représentations  de  Tobie,  au  lieu  d'y  voir  le  pêcheur  évangélique  auquel 
seul  l'artiste  veut  évidemment  faire  allusion? 

L'Ecriture  sainte  nous  dit  que  le  jeune  Tobie  se  servit  des  entrailles  du 
poisson  pour  délivrer  Sara  du  démon  Asmodée,  et  pour  rendre  la  vue  à 
son  père  :  les  saints  Pères  ont  reconnu  là  un  symbolisme  de  la  vertu  de 
Jésus-Christ,  Yiclitlius  salutaire.  Ainsi  procède  l'artiste,  il  ne  met  jamais 
entre  les  mains  du  jeune  Tolàe  le  poisson  monstrueux  qui  s'élance  du 
Tigre  pour  le  dé\orer,  mais  toujours  ['iclitiius  ordinaire. 

Il  est  indubitable  que  ce  sujet  a  été  introduit  dans  l'iconographie  chré- 
tienne longtemps  tiprès  les  représentations  de  I'/cA/Awa',  qui  durent,  si  je 
ne  me  trompe,  rappeler  à  la  mémoire  des  fitlèles  et  des  artistes  l'histoire 
du  jeune  ToDie.  Nous  pouvons,  je  crois,  le  déduire  de  ce  passage  d'un 
écrivain  ecclésiastique  anonyme,  fré(]uemment  cité  par  les  archéologues, 
Piscem  magnum,  dit-il,  qui  satiavit  ex  se  ipso  in  liltore  discipulos,  et  toii se 
obtulit  mundo  icht/ius^  cujus  ex  interioribus  remediis  quotidie  illuminaniur 


SARCOPHAGE    DE    SALXTE-QUITTEftlK  133 

et  pascimur.  Comme  on  le  voit,  deux  laits  sont  signalés  ;  celui  du  rivage 
de  Tibériade  dont  saint  Jean  nous  ftiit  le  récit,  et  celui  de  Tobie  ex  inferio- 
ribus  remediis.  Nous  sommes  Ulummés  par  le  poisson  dans  le  baptême, 
nourris  dans  l'eucharistie  :  deux  sacrements  simultanément  conférés  au 
catéchumène  régénéré,  dans  les  premiers  temps  de  l'Eglise.  Ce  double 
sens  de  Xiclvhus  est  très-clairement  exprimé  encore  dans  la  célèbre  des- 
cription chrétienne  d'Autun.  Et  telle  est  la  description  du  poisson  dans  les 
mains  de  To)ie, ainsi  que  l'explique  si  bien  l'écrivain  anonyme  cité  plus  haut. 
Je  ne  saurais  assez  marquer  mon  étonnement  en  voyant  combien  rare- 
ment la  peint jre  murale  a  traité  ce  sujet,  tnndisque  rien  n'est  plus  fré- 
quent sur  les  verres  peints.  Le  poisson,  la  pêche,  le  pêcheur  évangélique, 
et  toutes  les  images  de  ce  genre  étaient  pourtant  conformes  au  goût  de 
nos  anciens  artistes  chrétiens.  En  voyant  quel  parti  le  nôtre  en  a  tiré  et 
comment  en  efi'et  l'histoire  de  Tobie  se  prêtait  admirablement  à  l'interpré- 
tation mystique  de  Vic/ithus,  on  se  demande  pourquoi  les  anciens  peintres 
n'ont  pas  plus  fréquemment  employé  un  symbolisme  si  bien  adapté,  à  une 
époque  surtout  (^ui  aimait  davantage  les  symboles  plus  cachés.  L'absence 
d'autres  sujets  nous  étonnerait  moins.  D'autre  part,  les  verres  peints  ap- 
partiennent généralement  à  l'époque  intermédiaii-e  entre  les  fresques  et  les 
sarcophages,  comme  l'a  démontré  le  P.  Garrucci.  Or,  tels  sujets,  très- 
fréquents  sur  les  peintures  murales,  sont  fort  rares  ou  disparaissent  même 
tout  à  fait  sur  les  verres;  tandis  que  le  jeune  Tobie.  repi'oduit  une  seule 
fois  dans  les  peintures  des  cimetières  romains,  se  trouve  quatre  fois  sur 
les  verres.  Et  l'on  ne  peut  pas  invoquer  ici  l'inspiration  de  la  loi  d'unité 
qui  aurait  poussé  Tartiste  àreproduire  une  représentation  convenue,  comme 
système  d'enseignement,  dans  les  œuvres  symboliques  de  l'art  chrétien. 
De  fait,  je  retrouve  jusqu'à  trois  fois  la  scène  de  Tobie  pour  sujet  unique 
de  verres  peints.  On  ne  saurait  expliqi;er  ceci,  je  pense,  par  la  perte  des 
monuments  à  laquelle  il  faudrait  attribuer  une  abondance  plus  ou  moins 
gi-ande  detels  ou  tels  sujets  On  sait  assez  combien  est  numériquement 
restreint  le  champ  du  symbolisn^e  sacré,  d'où,  dans  les  groupes  connus, 
l'incessante  répétition  des  symboles  établis.  Je  ferai  remarquer  entin  que 
la  représentation  de  ïicht/ius  mystique,  si  ordinaire  aux  premiers  siècles, 
devient  de  plus  en  plus  rare  depuis  la  paix  de  Constantin.  J'excepte  néan- 
moins le  symbolisme  eucharistique  de  la  multiplication  des  pains  et  des 
poissons,  symbolisme  plus  clair  que  les  autres,  fréquemment  représenté  à 
l'époque  des  persécutions.  Si  donc  l'histoire  du  jeune  Tobie  avait  été  en- 
visagée comme  un  synV  o!e  plus  transparent,  on  la  reti'ouverait  incontes- 
tablement répétée  plus  souvent  sur  les  sarcophages  :  or  elle  n'y  paraît 
qu'une  seule  fois. 


134  SARCOPHAGE    DE    SAINTE-UUITTERIE 

Telles  SOUL  les  observations  s^ug•g•érées  par  les  monuments  figurés  : 
voyons  maintenent  si  les  monuments  écrits  ne  nous  donneraient  pas  l'ex- 
plication du  phénomène.  Le  livre  de  Tooie  est  en  dehors  du  canon  des 
Hébreux,  il  fait  partie  de  celui  des  chrétiens,  mais  il  n'y  entra  pas  dès  les 
premiers  temps.  Saint  Cyprien,  il  est  vrai,  et  d'autres  anciens  écrivains  de 
l'Eglise  le  citent,  comme  on  peut  lire  dans  Buonarotti.  mais  on  ne  voit  pas 
que  l'Eglise  l'aie  généralement  admis,  dès  le  principe,  parmi  les  livres 
inspirés.  On  le  lisait  dans  l'assemblée  des  fidèles  à  l'égal  des  autres  écri- 
tures de  la  loi  ancienne  ;  nous  en  avons  pour  garants  saint  Ambroise  et 
saint  Jérôme.  Néanmoins  ce  dernier  en  parle  en  des  termes  qui  ne  per- 
mettent pas  de  dire,  comme  le  font  certains  auteurs,  que  si  saint  Jérôme 
le  déclare  en  dehors  du  canon  hébraïque,  il  ne  l'exclut  pas  de  celui  de 
l'Eglise  catholique.  Les  paroles  du  saint  docteur  n'admettent  pas  une  pa- 
reille distinction,  il  dit  formellement  :  Tobias  et  Pastoi^  non  sunt  in  canone. 
Evidemment  il  ne  peut  être  question  ici  du  canon  juif,  où  le  Passeur  n'avait 
rien  à  faire.  En  outre,  au  chapitre  huitième  de  son  commentaire  sur  Da- 
niel, saint  Jérôme,  après  avoir  parlé  du  nom  de  l'ange  Raphaël,  ajoute  : 
si  cui  tamen  placet  Tobiae  Ubrum  recipeve  ;  Whevté  impossible  si  ce  livre 
avait  déjà  été  mis  au  nombre  des  écritures  canoniques. 

Néanmoins,  non-seulement  l'Eglise  lisait  et  citait  le  li\Te  de  Tobie  dès 
les  premiers  temps,  mais,  en  397,  le  troisième  concile  de  Carthage  le 
comptait  au  nombre  des  saintes  Ecritures  dans  son  quarante-septième  ca- 
non, comme  avait  fait  précédemment,  en  393,  le  concile  d'Hippono  dans 
son  trente-huitième  canon.  Saint  Hilaire  de  Poitiers,  au  commencement 
de  la  seconde  moitié  du  YP  siècle,  disait,  dans  son  Prologue  aux  Psaumes. 
n.  15  :  Quelques-uns  ajoutent  aux  vingt-deux  livres  canoniques  de  la  loi  an- 
cienne  les  histoires  de  Tobie  et  de  Judith.  On  le  voit,  longtemps  avant  les 
décrets  des  conciles  ci-dessus  nommés,  plusieurs  églises  rangeaient  le  livre 
de  Tobie  au  nombre  des  livres  canoniques. Or,  je  suis  très-porté  à  croire 
que  l'Eglise  romaine  avait  antérieurement  inséré  dans  le  catalogue  des 
livres  sacrés  celui  de  Tobie  :  la  lettre  de  saint  Innocent  l"  à  saint  Exupère, 
dans  laquelle  ce  livre  est  mentionné  avec  les  autres,  est  pour  moi  un  té- 
moignage de  ce  qui  avait  été  fait  longtemps  auparavant.  Les  monuments 
cités  par  nous  appartiennent  à  la  fin  du  IIP  siècle  et  aux  premières  années 
du  IV'  :  on  ne  peut  les  placer  ni  avant  ni  après.  Or,  quiconque  est  tant 
soit  peu  au  courant  des  sentiments  des  premiers  fidèles  de  Rome  avouera 
aisément  que  jamais  les  artistes  chrétiens  n'auraient  voulu  mêler  aux  re- 
présentations symboliques,  tirées  des  livres  divinement  inspirés,  d'autres 
symboles,  empruntés  à  un  livre  que  l'uutorité  compétente  n'avait  pas  en- 
core admis  comme  canonique.  De  ce  que  nous  avons  dit  jusqu'à  présent, 


SARCOPHAGE    DE    SAINTE-QUITTEKIE  13o 

il  suit  avec  évidence  qu'on  doit  rapporter  au  moins  à  la  lin  du  IIP  siècle 
l'insertion  du  livre  de  Tobie  par  l'Eglise  romaine  dans  le  canon  des  saintes 
Ecritures  ;  il  s'ensuit  également  que  ce  sujet  a  dû  entrer  dans  l'Iconogra- 
phie chrétienne  à  la  même  époque.  Il  commença  à  disparaître  vers  la  pre- 
mière moiiié  du  I\^*  siècle,  par  la  même  raison  qui  supprimait  la  repré- 
sentation de  Vichthus;  ces  symbolismes  étaient  devenus  inutiles,  et  le 
commun  des  fi  Jèles  comm  -nçait  d'ailleurs  à  en  perdre  le  sens. 

IV.  JoNAs  [gr.  IF).  — Le  monstre  marin  de  notre  marbre  est  d'une  rare 
élégance  et  d'un  goût  tout  à  fait  antique  :  la  volute  de  la  longue  queue 
produit  un  bel  efïet  de  lumière  ;  l'artiste,  avec  une  merveilleuse  intelli- 
gence fait  apparaître  l'épine  intérieure  comme  le  demande  le  mouvement 
des  diverses  parties  du  monstre.  Jonas  est  représenté  au  moment  où  il 
sort  de  la  gueule  de  la  baleine  ;  il  étend  anxieusement  les  mains  devant 
lui  pour  se  cramponner  à  la  terre  ferme,  ou  plutôt  au  pied  d'une  petite 
colline.  La  baleine  porte  sur  la  tête  deux  petites  oreilles,  selon  la  manière 
de  la  peindre  :  elle  a  le  cou  étroit,  le  ventre  large,  sa  longue  queue  est  re- 
troussée. 

La  sculpture  ne  demande  pas  une  longue  description,  quelques  remar- 
ques suffiront.  La  figure  du  monstre  marin,  d'après  le  P.  Garrucci,  n'est 
certainement  pas  une  fidèle  représentation  de  baleine  ou  de  cétacée  quel- 
conque. Les  peintres  laissent  aux  interprètes  de  l'Ecriture  sainte  le  soin 
de  déterminer  la  nature  précise  du  monstre  ;  ils  s'appliquent  uniquement 
à  reproduire  les  formes  fantastiques  du  kètos,  adoptées  par  les  artistes,  soit 
qu'ils  aient  à  peindre  la  fable  d'Andromède,  le  cheval  de  Neptune  ou  de  la 
déesse  Amphitrite  conduite  par  les  Tritons  et  les  Nymphes.  «  La  raison 
de  ce  choix,  remarque  le  savant  auteur,  semble  se  rattacher  à  une  allu- 
sion symbolique  :  le  monstre  doit  représenter  la  mort  qui  engloutit.  »  Si 
les  saints  Pères,  tels  que  saint  Jérôme  et  Théophylacte,  ont  rappelé,  dans 
leur  polémique  avec  les  païens,  la  narration  fabuleuse  à  l'occasion  de 
l'événement  du  prophète  Jonas,  on  ne  peut  attribuer  le  même  motif  aux 
artistes  chrétiens  quand  ils  ont  reproduit  le  kètos  et  le  cheval  de  Neptune. 
Leur  unique  intention  était  de  rappeler  à  la  mémoire  la  résurrection  de 
Jésus-Christ  triomphant  de  la  mort.  Les  monuments  funèbres  des  païens 
sont  fréquemment  ornés  de  monstres  marins  ;  quand  nos  artistes  les  re- 
produisent à  leur  tour,  il  est  clair  qu'ils  veulent  signiher  la  mort  et  le  tom- 
beau. C'était  au  reste  la  pensée  des  païens  eux-mêmes,  comme  on  le  voit 
par  le  Dialogue  de  Lucien  :  les  Néréides  envoient  le  kètos  contre  Andro- 
mède pour  la  dévorer. 

Autre  observation  qui  nous  permettra,  en  outre,  de  supprimer  tant  de 
textes  connus  où  les  saints  Pères  exposent  le  sens  mystique  de  Jonas 


136  .s.\RCÛPHaGK    de    SAINTK-yUlTTtKIK 

vomi  par  la  bnloi'K;.  Eu  gciiéfal.  le  prophète  n'est  pas  représenté,  comme 
cela  devait  cepenrJant  se  f^àre  assez  naturellement,  jeté  sur  la  plage,  mais 
il  est  lancé  vers  le  sommet  de  la  montagne,  étendant  fortement  les  bras 
en  avant  pour  la  saisir.  Les  exemples  de  cette  manière  sont  si  nombreux 
qu'on  nous  permettra  de  ne  pas  les  citer  :  sur  notre  sarcophage,  il  est  re- 
jeté tout  simplement  au  pied  de  la  montagne.  Quand  nous  voyons  dans  les 
monuments  une  particularité  repi'oduite  fréquemment,  malgré  son  oppo- 
sition au  sens  historique,  il  faut  nécessairement  y  reconnaître  l'intention 
d'un  svmbolisme  convenu.  Or.  sur  ces  monuments,  la  montagne  porte  à 
son  sommet  Jésus-Christ  ressuscité,  envoyant  ses  apôtres  à  la  prédication 
de  l'Évangile.  La  résurrection  est  marquée  par  les  palmes  et  par  le  phé- 
nix, et  le  Rédempteur  est  placé  sur  la  montagne  pour  signifier  son  exal- 
tation et  son  triomphe. 

Le  lecteur,  en  voyant  l'ordre  que  nous  avons  suivi  dans  l'exposé  des 
sujets  du  couvercle,  entrevoit  déjà  sans  doute  ce  qui  nous  reste  à  dire. 

V.  De  la  composition  artistique  et  du  style  vakié  des  sculptures.  — 
Les  artistes  se  plaisent  fréquemment  à  disposer  les  sujets  partiels  deux  à 
deux  ou  plusieurs  ensemble,  ils  ne  les  placent  pas  l'un  à  la  suite  de  l'autre: 
c'est  ce  que  l'on  peut  remarquer,  par  exemple,  dans  le  contour  d'une  pe- 
tite voûte  d'un  cuhicule  au  centre  duquel  est  le  bon  Pasteur.  Le  graveur 
d'une  antique  et  précieuse  lame  de  métal,  éditée  par  Buonarotti,  a  suivi 
ce  même  système  :  il  a  renfermé  en  autant  de  compartiments  chaque 
double  sujet  d'histoire  sacrée.  Mais  il  nous  importe  surtout  de  remarquer 
cette  même  manii^Tc  de  procéder  sur  les  couvercles  des  sarcophages,  tel 
que  celui  de  la  lxxxy"  planehe  de  Bottari,  dans  sa  Rome  souterraine.  A 
droite  du  cartouche,  porté  par  deux  génies,  est  gravée  la  naissance  du 
Sauveur;  à  l'angle  qui  fait  suiieest  le  tableau  ordinaire  de  l'Epiphanie.  A 
gauche,  on  voit  Jonas  jeté  par-dessus  le  navire  dans  la  gueule  du  monstre 
marin,  et,  dans  l'angle,  le  prophète,  endormi  à  l'ombre  du  feuillage  de  la 
cucurbita.,  les  pieds  encore  plongés  dans  la  gueule  du  monstre.  La  simple 
énumération  des  sujets  démontre  que  les  groupes  d'une  partie  du  cou- 
vercle peuvent  et  doivent  être  considérés  comme  indépendants  ;  mais  il  y 
a  une  autre  raison  encore,  c'est  que  l'artiste  a  disposé  les  deux  groupes 
de  façon  qu'ils  aillent  en  sens  contraire  vers  les  angles  du  cartouche. 

Le  sculpteur  de  notre  sarcophage  dispose  les  quatre  sujets,  précédem- 
ment exposés,  de  manière  à  les  faire  marcher  des  angles  vers  le  cartouche, 
mais  il  ne  les  dirige  pas  dans  le  même  sens,  d'oîi  il  suit  qu'il  ne  les  fait  pas 
dépendre  l'un  de  l'autre.  Au  reste,  l'étroit  espace  du  couvercle  et  le  car- 
touche du  milieu  ont  naturellement  engagé  l'artiste  à  adopter  cette  forme. 
Si  l'on  fait  ensuite  attention  au  symbolisme  de  nos  sculptures,  on  verra 


SARCOPHAGE    DE    SAINTE-QUITTERIE  437 

évidemment  qu'elles  ne  visent  pas  à  une  unité  parfaite  et  qu'on  ne  doit 
nullement  songer  ù  rattacher  le  sens  de  l'une  à  celui  de  l'autre.  Cela  posé, 
je  dis  que  le  sculpteur  nous  montre,  d'un  côté,  le  sacrifice  de  la  croix 
figuré  par  le  sacrifice  d'Abraham,  et  puis  ses  effets,  c'est-à-dire  la  déli- 
vrance du  genre  humain  de  l'esclavage  du  péché,  symbolisée  par  le  Para- 
lytique ;  de  l'autre  est  le  poisson  ichthus  entre  les  mains  du  jeune  Tobie  ; 
sa  mort  nous  fournit  le  prix  du  rachat,  comme  l'explique  saint  Augustin, 
et,  selon  l'anonyme  cité  plus  haut,  il  devient  notre  lumière  dans  le  bap- 
tême et  notre  nourriture  dans  l'Eucharistie.  La  résurrection  après  la  mort 
est  exprimée  par  Jonas. 

Je  passe  maintenant  à  la  seconde  question  proposée.  Nous  avons 
remarqué,  en  expliquant  chaque  groupe,  leur  mérite  artistique,  et  de  nos 
observations,  il  résulte  que  notre  artiste  a  médiocrement  réussi  pour  les 
deux  premières  sculptures,  et  fort  bien  pour  les  deux  autres.  Or,  les  quatre 
tableaux  sont  sculptées  dans  le  même  bloc  de  marbre,  et  ils  sont  assez 
conservés  pour  qu'on  ne  puisse  s'y  tromper.  On  ne  saurait  attribuer  cette 
différence  au  plus  grand  soin  que  l'artiste  apportait  dans  une  partie  de  son 
travail  de  préférence  à  l'autre  ;  il  faut  plutôt  reconnaître  sa  dextérité  dans 
l'une,  son  ignorance  dans  l'autre.  Je  n'ai  jamais  rencontré  dans  les 
œuvres  païennes  un  tel  contraste.  L'auge  de  notre  sarcophage  nous 
montre  le  même  fait,  mais  il  n'est  pas  accentué  comme  sur  le  couvercle. 
Quelques  observations  à  ce  propos. 

Les  artistes  chrétiens  étaient  en  général  des  païens  convertis  :  ils  appli- 
quaient donc  de  leur  mieux  aux  monuments  sacrés  les  formes  artistiques 
du  paganisme,  autant  que  le  permettait  la  nature  des  sujets  nouveaux  à 
traiter.  C'était  malheureusement  à  une  époque  de  décadence.  De  là,  pour 
des  artistes  ayant  à  s'occuper  de  compositions  nouvelles,  une  incapacité 
inévitable.  De  là,  aussi,  la  tolérance  de  plusieurs  ornements,  reçus  dans 
l'art  païen,  appUqués  à  des  ouvrages  chrétiens,  par  exemple  les  génies  qui 
soutiennent  le  cartouche  des  sarcophages,  les  deux  têtes  aux  angles  du 
couvercle.  Cet  usage  est  tellement  fréquent  dans  la  peinture  qu'il  devient 
inutile  d'en  apporter  des  exemples.  Quelquefois  même  on  trouvera  un 
tableau  entièrement  païen  adapté  aux  faits  du  christianismee,  sauf  une 
modification  légère  et  purement  accessoire.  Les  emprunts  faits  au  paga- 
nisme ne  sont  pourtant  pas  aussi  nombreux  que  certains  archéologues 
aiment  à  le  dire,  et  ils  ne  furent  pas  non  plu'?  sans  raison.  Quiconque  juge 
de  la  sorte  les  œuvres  de  l'art  chrétien  n'en  aura  jamais  une  exacte  intel- 
ligence. 

Quant  à  nos  quatre  tableaux,  rien  d'étonnant  si  quelques-uns  pèchent 
dans   l'exéculion,    lorsque   les   autres,   au  contraire,  sont  parfaitement 

II-  série,  tomo  II.  10 


438  SARCOPHAGE    DE    SAIXTE-QUITTERIE 

réussis.  Notre  artiste  a  dû  infailliblement  faiblir,  à  une  époque  de  déca- 
dence, quand  il  a  fallu  traiter  un  sujet  nouveau  :  mais  d'heureuses  rémi- 
niscences, empruntées  à  une  source  différente  de  nos  monaments  sacrés, 
lui  sont  venues  en  aide.  L'identité  des  tableaux  chrétiens,  lorsque  le 
symbolisme  ne  la  justifie  pas,  accuse  une  véritable  incapacité.  Dans  celui 
du  sacrifice  d'Abraham,  à  part  même  les  erreurs  de  perspective,  il  y  a 
une  grande  incorrection  de  style  ;  au  contraire,  le  style  est  fort  remar- 
quable dans  celui  de  Jonas,  où  le  monstre  marin  est  admirablement  exé- 
cuté. Comme  la  représentation  en  ett  fréquente  dans  les  monuments 
païens,  il  est  à  croire  que  notre  artiste  s'est  inspiré  d'un  bon  modèle  : 
dans  la  composition  exclusivement  chrétienne,  il  a  été  livré  à  sa  seule  ins- 
piration. Le  jeune  Tobie  est  infiniment  supérieur  au  Paralytique  chargé  de 
son  grabat  ;  c'est  que  l'antiquité,  exercée  à  traiter  le  nu,  a  dû  retarder  en 
ce  point  la  décadence  ;  le  Paralytique,  au  contraire,  élait  un  sujet  nou- 
veau, sans  imitation  possible . 


SECONDE  PARTIE 


LES    SCULPTURES    DE     L  AUGE 


I.  Adam  élevé  a  l'état  de  grâce  [gr.  I).  —  La  scène  est  ici  d'un 
incomparable  intérêt,  soit  parce  qu'elle  est  unique  parmi  tous  les  monu- 
ments connus  jusqu'à  présent,  soit  parce  qu'elle  est  elle-même  du  plus 
haut  prix. 

Un  personnage,  jeune  encore,  vêtu  de  la  double  tunique,  le  manteau 
drapé  à  la  manière  des  ascètes,  tient  un  volumen  de  la  main  gauche  et 
pose  la  droite  sur  la  tête  d'un  tout  jeune  homme  nu.  Celui-ci.  dans  l'atti- 
tude de  la  reconnaissance,  étend  une  main  vers  son  bienfaiteur  contre  sa 
poitrine.  L'action  et  la  pose  respectueuse  marquent  la  grandeur  de  celui 
qui  donne,  l'infériorité  de  celui  qui  reçoit.  Au  milieu,  entre  les  deux  per- 
sonnages, s'élève  un  chêne  vigoureux  ;  à  la  cime  est  une  colombe,  les 
ailes  étendues,  comme  prête  à  s'envoler  et  à  venir  se  poser  sur  la  tête  du 
jeune  adolescent. 

Je  crois  que  le  sujet  traité  ici  n'est  pas  la  création  d'Adam,  qu'elle  y 
est  seulement  supposée  ;  mais  qu'il  s'agit  de  l'élévation  à  l'état  surnaturel, 


SARCOPHAGE    DE    SAINTE-QUITTERIE  139 

à  la  grâce  sanctifiante.  Une  simple  étude  de  la  manière  dont  notre  artiste 
a  disposé  son  tableau  suffira  à  la  démonstration  de  ma  thèse. 

Assurément,  la  composition  n'est  pas  empruntée  au  récit  de  la  Genèse. 
Excepté  l'arbre,  signe  caractéristique  du  lieu  de  la  scène,  je  ne  vois  ici 
rien  qu'on  puisse  rattacher  à  la  narration  biblique.  Mais  le  tableau  est  la 
copie  assez  fidèle  d'un  autre  où  sont  retracées  les  cérémonies  du  baptême. 
M.  l'abbé  Martigny,  parmi  un  grand  nombre  de  monuments  de  ce  genre, 
reproduit  une  peinture  du  cimetière  de  Calliste  où  l'on  voit  le  prêtre  impo- 
sant les  mains  sur  la  tête  d'un  jeune  enfant  nu.  Si  cette  peinture  et  bien 
d'autres  mettent  sous  noti-e  regard  un  tout  jeune  enfant,  ce  n'est  pas  sans 
une  raison  cachée.  On  sait  en  effet  que,  à  l'époque  des  persécutions,  épo- 
que du  monument  romain,  les  néophytes  étaient  généralement  d'un  âge 
déjà  mûr  :  d'où  il  suit  que  l'usage  constant  des  artistes  chrétiens  de  re- 
présenter, sous  la  figure  d'un  enfant  de  l'âge  le  plus  tendre,  le  nouveau 
régénéré  dans  les  eaux  baptismales,  marque  essentiellement  la  vie  nou- 
velle ou  renaissance  par  la  grâce  du  baptême.  Sur  d'autres  monuments, 
outre  le  prêtre  qui  impose  les  mains,  on  voit  une  colombe,  les  ailes  dé- 
ployées, descendre  sur  le  jeune  enfant  placé  dans  une  vasque  ;  ainsi,  sur 
une  cuillère  éditée  par  le  père  Mozzoni,  et  sur  une  pierre  reproduite  par 
Muratori.  Si  donc  le  groupe  de  notre  sarcophage  nous  ofl're  une  scène 
unique  encore  sur  les  monuments  de  ce  genre  connus  jusqu'à  présent,  il 
reproduit  cependant,  on  le  voit,  un  tableau  connu  dans  l'iconographie  an- 
cienne. Il  est  bien  évident  que  l'artiste,  s'il  avait  voulu  réellement  mettre 
sous  les  yeux  la  création  de  l'homme,  n'aurait  jamais  choisi  ce  mode  de 
représentation.  Incontestablement,  l'imposition  des  mains  et  le  vol  de  la 
colombe  vers  le  jeune  adolescent  ont  une  corrélation  manifeste  et  iden- 
tique;  ils  ne  sauraient  marquer  à  la  fois  et  la  création  et  la  sanctification. 

Saint  Augustin  énonçait  en  ces  termes  l'élévation  d'Adam  à  l'état  de 
grâce  :  Accipiat  Spiritum  Sanctum,  quo  fiât  in  animo  ejus  delectatio  dile- 
ctioque  summi  illius  atque  mcommutabilis  boni,  quod  Deus  est.  Les  saints 
Pères  sont  unanimes  à  établir  une  parité  entre  le  nouveau  baptisé  et  Adam 
avant  la  chute.  (Vid.  S.  Zeno,  tract,  xix.) 

Cette  comparaison  du  néophyte  avec  Adam  fut  tellement  chère  aux 
écrivains  ecclésiastiques  qu'ils  n'en  ont  laissé  échapper  aucun  détail.  Saint 
Cyrille  de  Jérusalem  remarque  jusqu'à  cette  nudité  du  catéchumène  que 
l'on  baptise,  semblable  à  celle  d'Adam  avant  la  chute. 

Les  saints  Pères  commentaient  la  doctrine  de  l'Apôtre  des  nations.  Par 
conséquent,  notre  artiste  a  reproduit  avec  raison  dans  son  admirable  ta- 
bleau les  compositions  du  baptême  :  il  avait  dans  l'enseignement  de  l'Eglise 
un  guide  et  un  modèle  à  suivre. 


140  SARCOPHAUi:    DE    SAINTE-QUITTERIE 

Deux  personnes  de  l'auguste  Trinité  apparaissent  seules  dans  notre  ta- 
bleau, et  une  seule  sous  la  forme  humaine.  La  colombe  représente  le 
Saint-Esprit,  le  personnage  qui  impose  une  main  sur  la  tète  d'Adam  et  de 
l'autre  tient  un  volumen^  c'est  le  Verbe.  Le  volumen  marque  la  doctrine 
ou  la  loi,  lorsque  le  Sauveur  est  représenté  opérant  un  miracle  ou  en- 
voyant saint  Pierre  et  les  apôtres  prêcher  l'Evangile.  Ici,  l'artiste  a  voulu 
préciser  davantage  la  signification  des  tableaux  :  le  livre  en  effet  peut  très 
bien  exprimer  l'idée  de  la  sagesse,  du  Verbe,  de  la  parole  du  Père,  de  la 
seconde  personne  de  la  sainte  Trinité.  Il  faut,  en  outre,  ne  pas  oublier  que 
les  anciens,  toutes  les  fois  qu'ils  ont  voulu  peindre  le  Messie,  l'ont  repré- 
senté jeune,  avec  une  chevelure  abondante,  frisée  et  retombant  sur  les 
épaules  :  les  sarcophages  de  la  Gaule  ne  lui  donnent  pourtant  pas  les 
cheveux  aussi  longs  que  le  font  les  Romains.  Notre  marbre  reproduit 
tout  à  fait  cette  manière  de  représenter  le  Verbe,  ce  qui,  du  reste,  con- 
corde parfaitement  avec  l'enseignement  des  anciens  Pères,  unanimes  à 
rapporter  à  la  seconde  personne  les  antiques  théophanies. 

Puisque  le  sujet  du  tableau  est  la  sanctification  d'Adam,  on  voit  dès 
lors  pourquoi  Dieu  le  Père,  créateur  de  tout  ce  qui  est,  n'a  pas  dû  appa- 
raître :  en  outre,  le  Père  est  toujours  comme  invisible  et  opérant  par  les 
deux  autres  personnes.  C'est  pourquoi  les  anciens  avaient  coutume  de  le 
représenter  sous  le  symbole  d'une  main  qui  sort  de  la  nue,  pour  témoigner 
qu'il  est  visible  seulement  par  ses  œuvres.  Néanmoins  il  a  été  figuré  quel- 
quefois sur  d'anciens  sarcophages,  témoin  celui  qu'on  voit  aujourd'hui  au 
musée  de  Latran,  extrait  des  fouilles  de  Saint-Paul-hors-les-Murs,  et  du- 
quel il  convient  de  dire  un  mot. 

La  scène  est,  en  partie,  empruntée  à  la  Genèse  :  Adam  est  couché  à 
terre,  Eve  est  debout  à  ses  côtés  ;  un  personnage  lui  impose  les  mains  en 
portant  ses  regards  vers  un  autre  personnage  assis  sur  un  trône,  lequel 
étend  les  deux  doigts  de  la  main  droite;  un  troisième,  avec  barbe,  comme 
les  deux  précédents,  mais  le  front  chauve,  est  placé  derrière  le  trône  et 
regarde.  C'est  Dieu  le  Père  :  l'artiste  a  voulu  le  désigner  par  le  front 
chauve  ;  c'est  la  première  fois  qu'on  trouve  la  sainte  Trinité  représentée  d'une 
manière  aussi  manifeste  dans  les  monuments  sacrés.  Si  nous  considérons 
Dieu  le  Père  relativement  à  nos  premiers  parents,  nous  verrons  que  l'ar- 
tiste l'a  placé  là  comme  simple  accessoire  ;  c'est  pourquoi  il  le  met  derrière 
le  trône  et  comme  en  dehors  delà  scène  principale.  De  fait^  les  deux  autres 
personnes  agissent  seules,  le  Père,  au  contraire,  a  déjà  accompli  le  grand 
œuvre  de  la  création,  présupposée  par  l'artiste.  Le  personnage  assis  sur 
le  trône  est  le  Verbe.  Nous  renvoyons  à  Buonarotti  le  lecteur  curieux  de 
détails  archéologiques  sur  les  sièges  ou  trônes  antiques  :  ils  sont  dans  la 


SARCOPHAGK    DE    SAINTE-QUITTERIE  141 

forme  de  celui  qu'on  voit  ici,  ornés  de  draperies  précieuses.  Je  me  borne  à 
faire  remarquer  leur  double  signification  :  la  première  est  l'autorité  magis- 
trale de  l'enseignement.  La  chaire  ou  trône  est  la  place  du  maître  qui  en- 
seigne la  loi  et  explique  la  doctrine.  L'artiste  ne  veut  pas  marquer  autre 
chose  quand  il  place  sur  un  trône  l'évêque,  l'apôtre  ou  Jé?us-Christ  lui- 
même.  Saint  Augustin  a  dit  en  ce  sens  :  Sedens  autem  Dominus  docet,  quod 
pertinet  ad  magisterii  dignitatem.  La  seconde  signification  est  celle  de  ma- 
jesté et  d'autorité,  elle  est  propre  au  supérieur.  Cependant  le  trône  peut 
désigner  les  deux  choses  à  la  ibis,  ou  bien  l'une  ou  l'autre  séparément. 
C'est  le  cas  du  monument  romain,  qui  marque  spécialement  l'empire  et 
l'autorité,  ou  le  commandement.  Les  deux  doigts  élevés  de  la  main  droite 
du  Verbe  peuvent  sans  doute  être  pris  comme  signe  de  la  parole,  et,  à  ce 
titre,  les  archéologues  aiment  à  reproduire  un  passage  d'Apulée.  Mais, 
sans  m'arrêter  aux  paroles  de  cet  auteur,  je  conviens  en  effet  que,  sur  les 
verres  peints,  ce  geste  indique  certainement  la  conversation  ou  discussion 
avec  d'autres.  Or,  le  Verbe  n'est  pas  ici  représenté  dans  l'acte  créateur  ; 
car  alors  comment  expliquer  son  attitude  sur  le  trône,  signe  d'une  cer- 
taine supériorité  relativement  au  personnage  placé  en  face,  surtout  quand 
on  remarque  l'Esprit-Saint  tourné  vers  le  Verbe,  comme  pour  l'observer 
et  l'écouter,  de  telle  sorte  que  son  imposition  des  mains  sur  la  tête  d'Eve 
est  essentiellement  dépendante  de  ce  qu'opère  le  Verbe  divin?  Admettez 
au  contraire  que  l'action  est  commune  aux  deux  personnes,  à  l'une  comme 
envoyant  (mittens)^  à  l'autre  comme  envoyée  fmissusj,  toute  difficulté  s'é- 
vanouit. Nous  aurions  ainsi  l'expression  de  la  même  idée  que  celle  du 
sarcophage  gaulois  :  le  Verbe  invitant  l'Esprit-Saint  à  perfectionner  par 
la  collation  de  ses  dons  l'œuvre  déjà  créée.  Sur  notre  monument,  l'impo- 
sition des  mains  est  attribuée  à  la  seconde  personne,  représentée  seule 
sous  la  forme  humaine,  tandis  que  i'Esprit-Saint  y  est  figuré  sous  le  sym- 
bole de  la  colombe.  Sur  le  monument  romain,  au  contraire,  comme  l'Es- 
prit-Saint apparaît  sous  forme  humaine,  l'artiste  n'a  pas  pu  le  représenter 
mieux  qu'en  lui  donnant  le  geste  qui,  dans  la  cérémonie  du  baptême,  mar- 
que la  collation  du  Saint-Esprit. 

L'artiste  chrétien,  quand  il  a  retracé  une  scène  de  l'Ancien  Testament, 
l'a  toujours  expliquée  pai'  le  Nouveau.  Or,  le  passage  de  saint  Zenon 
auquel  nous  avons  renvoyé  |)lus  haut,  est  accompagné  de  cette  observa- 
tion du  docte  annotateur  :  In  baptismale^  Spiritus  Sancti  gratia  obsignati 
sumus,  qua  imaginem  Filii,  qui  vera  imago  est  Dei  Patris,  exprimimus,  et  il 
cite  pour  une  plus  ample  confirmation  de  cette  doctrine  les  passages  des 
saints  Pères  si  doctement  exprimés  par  l'éminent  théologien  Petau.  On 
voit  dès  lors  ('omment  l'état  de  nos  premiers  parents  avant  la  chute  et 


142  SARCOPHAGE    DE    SAINTE-QUITTEUIE 

celui  des  régénérés  dans  les  eaux  baptismales  se  rapportent  l'un  à  l'autre. 
Mettons  de  côté,  par  conséquent,  l'idée  de  la  création  :  elle  ne  saurait 
nous  expliquer  le  monument  :  il  n'était  pas  d'ailleurs  dans  les  habitudes 
de  nos  anciens  artistes  chrétiens  de  s'arrêter  aux  faits  de  l'ordre  purement, 
naturel.  Adam  endormi  et  Eve  enrichie  des  dons  de  la  grâce  sont  une  al- 
lusion manifeste  à  la  doctrine  de  l'Apôtre,  doctrine  reproduite  ensuite  si 
habituellement  par  les  saints  Pères.  Ergo^  disait  saint  Augustin,  et  ipse 
(Christus)  sopoj^atus  est  donnitione  passionis  ut  ei  conjiix  Ecclesia  forma- 
retur.  . .  Formata  est  ei  conjux  Ecclesia  de  latere  ejus.  id  est,  de  fide  pas- 
sionis et  baptismi. 

Je  ne  pense  pas  qu'il  faille  rattacher  le  groupe  du  sarcophage  gaulois 
à  une  intention  apologétique  ou  polémique  :  je  le  crois  tout  simplement 
doctrinal.  Quand  on  observe  qu'il  est  seul  dans  son  genre,  on  serait  porté 
à  croire  le  contraire  :  on  n'affirme  que  les  vérités  contestées.  Mais  les  er- 
reurs contre  les  dogmes  de  la  foi  ici  exposés  commencèrent  à  se  répandre 
avec  l'hérésie  de  Pelage  dans  les  premières  années  du  Y*'  siècle  seulement, 
et  notre  monument  est  d'une  époque  antérieure.  La  nouveauté  de  notre 
groupe  pourrait  bien  néanmoins  permettre  de  supposer  quelque  commen- 
cement aux  fausses  doctrines  qui,  dès  le  lY^  siècle,  donnèrent  un  point 
d'appui  au  système  hérétique  établi  ensuite  par  Pelage.  L'hérésiarque  en- 
seignait comme  fondement  de  sa  doctrine  f|ue  l'état  de  nos  premiers  pa- 
rents avant  la  chute  était  d'un  ordre  purement  naturel,  sans  élévation  à  un 
état  de  grâce  supérieur  et  surnaturel,  et  que  leur  descendance  naissait 
aujourd'hui  en  une  condition  tout  à  fait  semblable  à  celle  d'Adam  et  d'Eve 
au  jour  de  la  création,  c'est-à-dire  sans  vice  ni  vertu,  sans  grâce  ni  péché. 
Les  enfants,  par  conséquent,  ne  sont  pas  baptisés  pour  être  lavés  de  la 
souillure  originelle  qu'ils  n'ont  pas  contractée. 

Mais  si  notre  sculpteur  n'a  pas  eu  en  vue  la  réfutation  d'une  erreur,  on 
ne  peut  dire  la  même  chose  du  sarcophage  romain.  Les  hérésies  contre  la 
Trinité  agitèrent,  on  le  sait,  le  lY'^  siècle  :  il  suffit  de  rappeler  les  ariens, 
les  appollinaristes,  les  priscillianistes  et  autres  hérétiques  de  ce  temps.  Si 
déjà,  avant  cette  époque,  Sabellius  a  nié  la  trinité  des  personnes  en  Dieu, 
confondant  l'idée  de  personne  avec  l'idée  de  nature  et  n'admettant  qu'une 
pure  dénomination  dans  les  trois  noms  divins,  il  est  pourtant  vi'ai  (]ue,  en 
Occident,  l'erreur  antitrinitairc  fut  propagée  au  EY*^  siècle  seulement.  Le 
sculpteur  romain  avait  certainement  en  vue  l'hérésie  contemporaine  ;  car, 
s'il  donne  à  chaque  personne  de  l'auguste  Trinité  une  attitude  diverse,  à 
toutes  néanmoins  il  donne  la  forme  humaine  et  la  barbe;  tandis  qu'il  pa- 
raissait plus  convenable  de  représenter  le  Saint-Esprit  sous  le  symbole  de 
la  colombe  et  de  laisser  dans  l'ombre  Dieu  le  Père,  comme  l'a  fait  l'artiste 


SARCOPHAGE    DE    SAFNTE-QUITTERIE  143 

du  sarcophage  gaulois.  Il  semble  donc  évident  qu'il  y  a  eu  intention  for- 
melle de  constater  l'égalité  des  trois  personnes.  De  fait,  outre  la  difficulté 
d'exécution  en  pareille  matière,  on  sait  assez  quel  danger  offrait  aux  intel- 
ligences communes,  habituées  aux  grossières  erreurs  du  paganisme,  une 
représentation  plastique  du  mystère  chrétien.  C'est  pourquoi  les  premiers 
artistes  ne  traitaient  pointée  sujet  dans  les  monuments  peints  ou  sculptés, 
et  celui-ci  aurait  incontestablement  agi  de  même,  s'il  n'avait  réellement 
pas  eu  l'intention  de  protester  contre  l'hérésie  régnante. 

II.  Adam  et  Eve  violent  le  précepte  divl\  (^r.  II).  —  Vient  ensuite 
un  tableau  fréquemment  rcj^roduit  par  la  peinture  et  par  la  sculpture  en 
bas  reliefs. 

Adam  et  Eve  nus  sont  placés  aux  deux  côtés  d'un  figuier,  l'un  et  l'autre 
étendent  la  main  pour  saisir  le  fruit  défendu  ;  de  la  main  gauche,  ils  cou- 
vrent d'une  feuille  leur  nudité.  On  voit  au  tronc  de  l'arbre  le  serpent  qui 
s'en  va,  après  avoir  trompé  nos  premiers  parents.  Eve  est  entièrement 
mutilée  ;  on  voit  par  ce  qui  en  reste  qu'elle  avait  les  cheveux  ramenés  en 
arrière  et  liés  en  nœud,  à  peu  près   comme  sur  un   médaillon  de  métal 
jaune  la  tète  de  Faustine  sous  forme  de  Proserpine.  Adam,  lui  aussi,  con- 
trairement au  récit  de  la  Genèse,  porte  la  main  sur  le  fruit  défendu,  ce 
que  du  reste  on  remarque  en  plusieurs  autres  monuments.  L'artiste  tenait 
à  marquer  ainsi  la  désobéissance  de  l'un  et  de  l'autre  au  commandement 
divin.  Comme  la  présence  du  serpent  indique  la  tentation,  ainsi  la  feuille 
de  figuier  dont  se  couvrent  les  prévaricateurs  marque  les  effets  du  péché. 
Mais,  sur  notre  marbre,  y  a-t-il  seulement  une  indication  du  dépouille- 
ment de  la  grâce,  triste  effet  du  péché?  n'y  a-t-il  pas  encore  l'indice  de  la 
menace  de  mort,  intimée  au  prévaricateur?  De  fait,  on  voit  surgir  d'entre 
les  pieds  d'Adam  un  vigoureux  tronc  d'arbre  montant  derrière  ses  épaules 
et  se  divisant  en   deux   branches  tailladées.  Les  entailles  sont  là,  j'ima- 
gine, dans   Kl  pensée  de  l'artiste,  pour  marquer  que  l'arbre  est  desséché 
et  mort.  Parmi  tous  les  monuments  que  je  connais  sur  ce  sujet,  aucun 
n'exprime  l'idée  de  mort,  soit  de  cette  façon,  soit  de  toute  autre,  excepté 
sur  un  sarcophage  édité  par  Bottari.  Si  le  tronc  nous  est  ainsi  présenté, 
sans  feuilhige,  on  ne  saurait  le  reprocher  à  Timpéritie  du  sculpteur  :  ha- 
bile à  sculpter  des  personnages,  comment  aurai-t-il  été  en  défaut  pour  des 
feuilles  d'arbre?  Je  crois  donc  plutôt  qu'il  faut  demander  au  sens  mysti- 
(]ue  rintei'prctation  de  cette  rare    particularité.  L'artiste  n'aurait-il  pas 
voulu  nous  montrer  la  mort  dans  ce  bois  desséché,  auparavant  arbre  de 
vie,  resplendissant  d'un  riche   et  abondant  feuillage?  En  effet,  nos  pre- 
miers parents  semblent  regarder  avec  stupeur  l'horrible  changement. 
Quand,  sur  ces  sortes  de  monuments,  nous  avons  l'arbre  verdoyant  et 


144  SARCOPHAGK    DE    SAI.NTE-QUITTL,RIE 

couvert  de  fruits,  ce  qui  est  l'ordinaire,  nous  pouvons  y  voir  la  tentation  : 
Vidit  igitur  mulier  quod  bonum  esset  Ikjnum  ad  vescendum  et  puldirum  ocu- 
lis  aspectuque  delectabile.  Notre  artiste  parait  avoir  eu  en  vue  les  deux 
choses  ;  l'état  différent  des  deux  arbres  de  notre  groupe  nous  permet  de 
le  supposer.  Si,  plus  ordinairement,  le  figuier  est  l'arbre  représenté,  c'est 
sans  doute  parce  que,  d'après  la  Vulgate,  Adam  et  Eve  se  couvrirent  de 
ses  feuilles,  consuerunt  folia  ficus. 

III.  Le  Pasteur,  deux  femmes  et  une  enfaxt  (çjr.  III).  --  Suit  un 
groupe  composé  du  bon  Pasteur  placé  entre  deux  femmes  et  une  jeune 
enfant.  Le  Pasteur  est  vêtu  d'une  tunique  retroussée  {succinctaj  ;  sa 
chaussure  est  ornée  d'un  nœud  de  petites  cordes,  sans  doute  pour  res- 
serrer, mais  plus  probablement  par  manière  de  simple  ornement  ;  il  a  les 
épaules  chargées  d'un  bélier  qui  tourne  la  tête  comme  pour  regarder  le 
Pasteur;  ses  cheveux  sont  ras,  et  sa  joue  droite,  moins  effacée  par  le 
frottement,  montre  qu'il  portait  la  barbe.  C'est  une  des  plus  belles  sculp- 
tures de  notre  sarcophage  :  le  type  antique  du  Pasteur  était  un  des  mieux 
conservés  chez  les  artistes  chrétiens  ;  c'est  un  de  ceux  où  excelle  da^■an- 
tage  leur  ciseau  :  ce  qui  confirme  de  plus  en  plus  nos  observations  sur  la 
différence  artistique  du  groupe  du  couvercle. 

A  droite  du  Pasteur  est  une  femme  assise,  ainsi  que  le  démontrent  le 
genou  gauche  porté  en  avant  et  toute  son  attitude.  Elle  est  vêtue  de  l'étole 
(stola),  longue  tunique  propre  aux  femmes,  ornée  de  manches  :  elle  a  la 
tête  et  les  épaules  couvertes  d'un  voile  retombant  sur  les  bi-as.  de  manière 
à  laisser  les  mains  libres  pour  embrasser  la  jeune  enfant  K  Celle-ci  est 
debout,  également  vêtue  de  l'étole  sur  laquelle  est  une  large  bande  d'é- 
tofl'e  serrée  aux  lianes  par  une  ceinture.  Un  mot  sur  un  vêtement.  (]u'il 
importe  d'expliquer  pour  avoir  l'intelligence  du  groupe.  Dans  une  peinture 
à  l'huile  éditée  par  Bottari,  on  voit  des  religieux  couverts  de  la  même 
forme  d'habillement  ;  Jésus-Christ,  la vanl   les    pieds  de  saint  Pierre,  est 
représenté  dans  le  même  costume  sur  un  antique  sarcophage  -.  Evagrius, 
dans    la  Vie  de  saint  Antoine,  appelle  ce  vêtement  ependutès,  que  quel- 

1  Voir  l'image  de  la  Sainte  Vierge  dans  Bottari  {Ro7n.  sott.  pi.  Lxxxu),  où  l'on 
voit  cette  manière  de  porter  le  voile  ou  ijallhim. 

2  ih.,  tav.xxiv.  —  La  Civ  Ità  cattolica,  2  mars '1872,  nous  fait  connaître  dans 
un  de  ses  articles,  une  ancienne  peinture  du  cimetière  de  Naples  où  l'on  retrouve 
la  même  forme  de  vêtements  :  «  Sur  la  môme  paroi,  est  représenté  un  évêque  en 
dalmatiquo  et  étole,  il  tient  de  la  main  gauche  nn  livre  fermé.  A  sa  droite  est 
une  oranie.  la  tête  couverte  d'un  voile  :  l'un  et  1  autre  sont  nimbés.  On  remarque 
particulièrenient  la  large  bande  qui  descend  du  cou  un  peu  au-dessous  de  la  cein- 
ture, semblable  à  ce  pardessus  (jue  nous  appelons  j)c/<te/( et;  chez  les  moines.  » 


SARCOPHAGE    DE    SAINTE-QUITTERIE  145 

ques-uns  traduisent  par  scapulaire.  Saint  Athanase  désigne  du  même  nom 
l'habit  des  vierges  consacrées  à  Dieu,  o  ependutès  sou  mêlas.  L'épendyfe 
est  donc  le  scapulatre  ou  patience  dont  se  revêtaient  les  personnes  consa- 
crées à  Dieu.  Schlewsner  se  trompe  évidemment  quand  il  entend  par  épen- 
dyte  la  tunique  supérieure, et  Suidas,  qu'il  cite  pour  appuyer  sa  définition, 
est  justement  réfuté  pur  Diicange.  La  chevelure  de  la  jeune  enfant  est  dis- 
posée à  ondes,  pour  me  servir  ici  de  l'expression  de  Buonarotti,  qui  com- 
pare cette  manière  ondée  de  chevelure,  qu'on  voit  apparaître  quelquefois 
sur  les  verres  peints,  à  celle  de  Maramée  et  d'Octacilia,  de  Julia  Paula  et 
de  Tranquillina,  comme  à  celle  de  Salonina,  femme  de  Gallien,  et  de  Seve- 
rina,  femme  d'Aurélien,  sur  les  médailles  antiques.  Je  retrouve  cette 
même  manière  sur  une  peinture,  exactement  reproduite  par  Boldetti,  em- 
pruntée au  fameux  Codex  Vaticnnus  d'un  Virgile  :  c'e^t  la  représentation 
d'un  banquet  païen.  On  ne  retrouve  guère  que  sur  les  verres  peints  ce 
mode  d'ajuster  la  chevelure  ;  pour  les  œuvres  sculptées,  notre  sarcophage 
est  le  seul  monument  chrétien  qui  le  reproduise.  Au  reste,  la  manière  en 
était,  commune  aux  épouses  et  aux  vierges. 

A  gauche  du  bon  Pasteur  est  une  autre  femme  debout,  vêtue  de  l'étole, 
et,  par  dessus,  d'un  voile  ou  palUuin  qui  lui  couvre  la  tête  et  lui  enveloppe 
la  taille.  Cette  femme  est  plus  petite  que  l'autre;  sa  physionomie,  autant 
que  le  laisse  deviner  après  beaucoup  d'etl'orts  l'effacement  du  relief,  est 
également  différente. 

Quelle  est  la  signification  de  ce  groupe  mystérieux  et  si  peu  en  usage? 
La  manière  de  représenter  le  bon  Pasteui-,  la  plus  ancienne  et  la  plus  or- 
dinaire dans  les  monuments  sacrés,  est  de  nous  le  montrer  portant  sur  ses 
épaules  une  brebis  ou  un  bélier.  Aussi  le  voit-on  fréquemment  au  milieu 
de  la  voûte  des  cubicules.  environné  de  personnages  ou  sujets  empruntés 
aux  Ecritures  saintes.  C'est  ce  que  l'on  peut  aussi  observer  sur  une  pré- 
cieuse plaque  de  métal,  éditée  par  Buonarotti,  que  j'estime  de  la  plus 
haute  antiquité.  Parmi  les  personnages  gravés  tout  autour,  on  voit  d'une 
part  Moïse  frappuntle  rocher,  de  l'autre  un  néo|)hyte,  et  nullement  Sam- 
son  emportant  les  portes  de  Gaza,  comme  l'imaginait  Buonarotti,  et  cela 
d'après  la  planche  qu'il  nous  donne. 

Le  Pasteur  est  encore  plus  ordmairement  représenté  avec  un  troupeau 
à  ses  pieds  :  quelquefois  les  brebis  sont  couchées  à  terre,  d'autres  fois  elles 
paissent  près  de  lui  dans  un  pré  ou  dans  un  champ  plantureux.  Les  brebis 
désignent  incontestablement  les  fidèles  du  Christ  ;  le  bercail  de  l'Eglise 
est  représenté  au  contre  de  la  \oùto  d'un  cubicule  a\ec  le  Pasteur. 

La  parabole  (lu  Pasteur  ramenant  au  bercail  la  Ijrei/is  égarée  rappelle  à 
la  pensée  la  rédemption  du  genre  humain  par  le  Verlie  incarné.  Dans  les 


146  SARCOPHAGE    DE    SAINTE-QUITTERIE 

monuments  sacrés,  le  sacrifice  est  représenté  par  une  brebis  ou  un  bélier 
sur  la  montagne  ;  il  faut  reconnaître,  je  crois,  le  môme  symbolisme  dans 
le  Pasteur  chargeant  sur  ses  épaules  la  brebis  ou  un  bélier.  Je  n'oserais 
pourtant  pas  l'affirmer  pour  tous  les  cas,  mais,  en  me  restreignant  au 
groupe  actuel,  je  dis  que  les  personnages  qui  entourent  ici  le  Pasteur 
permettent  de  prendre  le  bélier  qu'il  porte  non  comme  un  symbole  de 
l'humanité  errante  et  perdue,  sauvée  ensuite  par  le  sacrifice  du  Pasteur 
des  âmes,  mais  comme  symbole  du  sacrifice  du  Pasteur  lui-même  donnant 
sa  vie  pour  ses  brebis.  Je  pourrais  apporter,  à  l'appui  de  mon  opinion, 
bon  nombre  de  textes  des  saints  Pères  qu'on  peut  lire,  du  reste,  dans  le 
P.  Garrucc'i;  j'aime  mieux  me  borner  à  un  magnifique  passage  de  saint 
Paulin,  oublié  par  les  auteurs  à  moi  connus.  Le  saint  paraît  avoir  sous 
les  yeux  quelque  monument  quand  il  fait  sa  poétique  description,  qui  sert 
d'ailleurs  à  éclaircir  plusieurs  particularités  remarquables  de  certains  mos 
numents.  Il  parle  en  ces  termes  :  Vellera  sua  ((Ivis-Christus),  id  est,  carni- 
exuvias  abslrahi  sibi passus.  Ipse  enim  pro  nobis  et  animam  et  carnem  suam 
posait  et  recepit^  qui  sacerdos  et  hostia,  et  agnus  et  pastor  est,  qui pro  ovibus 
suis  pastor,  et  pro  pastor ibus  suis  agnus  occisus  est. . .  Qui  semetipsum  pro 
omnium  réconciliât ione  Patri  libans,  victima  sacerdotii  sut  et  sacerdos  suse 
victimœ  fuit.  Les  saints  Pères  ne  sont  pas  seuls  à  enseigner  que  Jésus- 
Christ  est  en  môme  temps  victime  et  prêtre,  les  monuments  chrétiens  pro- 
clament la  même  doctrine,  par  exemple  lorsque,  au  lieu  d'Abraham  sacri- 
ficateur, ils  nous  oiïrent  Jésus-Christ  lui-même,  victime  et  pasteur  tout  à 
la  fois,  comme  le  redit  dans  ses  vers  le  poète  chrétien. 

Victima  quœ  dabitur,  cum  victima  pastor  hahetur. 

La  barbe  du  Pasteur,  comme  la  portaient  les  esclaves  auxquels  seuls 
était  aussi  réservé  le  supplice  de  la  croix,  est-elle  signe  d'esclavage  :  For- 
mam  servi  accipiens  ?  On  pourrait  le  soupçonner,  en  remarquant  combien 
il  est  rare  de  voir  le  Pasteur  ainsi  représenté  dans  l'iconographie  chré- 
tienne. S'il  en  était  autrement,  nous  ne  verrions  là,  comme  en  tout  le  reste, 
que  la  reproduction  d'un  type  convenu.  De  même,  je  ne  saurais  voir  dans 
les  cheveux  ras  un  pur  caprice  de  notre  artiste  :  ce  groupe  et  le  dernier 
du  sarcophage  ouest  Jésus-Christ,  sont  seuls  à  le  représenter  sous  cette 
forme  :  or,  saint  Paulin  et  bien  d'autres  alTirment  que,  dans  l'Eglise  chré- 
tienne, les  cheveux  ras  dénotent  la  servitude  et  la  soumission.  Sans  insister 
davantage,  je  me  borne  à  redire  avec  un  ancien  et  perspicace  archéolo- 
gue :  a  En  pareille  matière,  nous  devons  observer  attentivement  toute 
chose,  mais  il  faut  suspendre  son  jugement  jusqu'à  ce  que  de  nouveaux 
exemples  nous  déterminent.  ;> 


SARCOPHACtE    de    SAINTE-nUITTERlE  1^~ 

Ces  observations,  j'aime  à  le  redire,  ne  prétendent  pas  établir  que  le 
Pasteur,  chargé  de  la  brebis,  ne  signifie  pas  généralemeiit  le  rappel  au 
bercail  de  l'humanité  égarée,  signification  essentiellement  unie  à  l'idée  de 
rédemption  et  de  sacrifice  :  mais  cette  dernière  pensée  pourrait  bien  être 
quelquefois  seule  exprimée,  comme  il  résultera  de  ce  qui  reste  à  dire  sur 
notre  sarcophage. 

Les  brebis  autour  du  Pasteur  symbolisent  l'Eglise  du  Christ,  avons- 
nous  dit  :  notre  marbre  reproduit  le  même  symbole,  mais  peut-être  le 
fait-il  avec  plus  de  clarté,  du  moins  pour  les  premiers  fidèles,  en  le  repro- 
duisant autrement.  Je  dis  donc  que  la  femme  et  la  jeune  enfant,  ici  repré- 
sentées, signifient  l'Église  mère  des  fidèles.  En  examinant  attentivement 
ces  deux  sculptures,  j'ai  reconnu  que  notre  artiste  s'est  étudié  à  repro- 
duire en  quelque  manière,  du  mieux  qu'il  a  pu,  la  Vierge  qu'on  voit  sur 
les  tableaux  représentant  l'Epiphanie  :  elle  y  est  voilée  et  assise,  absolu- 
ment comme  sur  notre  sarcophage.  Assurément  notre  artiste  n'a  pas 
voulu  reproduire  des  ormites,  lesquelles  indiquent  ordinairement  sur  les 
pierres  sépulcrales  une  personne  déterminée.  Je  ne  vois  donc  pas  à  quel 
autre  sujet  rapporter  sa  pensée,  s'il  n'a  pas  eu  en  vue  celui  de  l'Epiphanie. 
L'idée  dominante  est  celle  de  maternité.  L'attitude  e  la  femme  assise  ne 
se  rapporte  pas  au  Pasteur,  mais  à.  la  jeune  enfant  qu'elle  ramène  vers 
son  sein.  Celle-ci  est  le  symbole  de  l'àme  fidèle,  ainsi  représentée  d'ordi- 
naire, comme  on  peut  le  voir,  par  exemple,  sur  une  précieuse  médaille, 
éditée  dans  les  œuvres  posthumes  du  P.  Lupi.  Deux  choses  sont  éviden- 
tes :  la  première,  c'est  que  les  orantes  sculptées  sur  les  pierres  sépul- 
crales marquent,  par  leurs  bras  étendus,  la  prière  qu'elles  font  entendre 
dans  le  Ciel  pour  l'Eglise  militante;  c'est  pourquoi  sur  notre  marbre,  la 
jeune  enfant  n'est  pas  dans  l'attitude  d'oran/fe,  car  elle  représente  l'Eghse 
militante.  La  seconde,  c'est  que  les  âmes,  pour  l'un  comme  pour  l'autre 
sexe,  sont  représentées  sous  la  forme  d'un  jeune  enfant.  Il  suffit  d'invo- 
quer l'autorité  de  l'épitaphe  de  Cœsidius,  éditée  par  M.  de  Rossidans  son 
Bulletin  d' Archéologie  chrétienne.  Une  jeune  enfimt  orantc  entre  deux  oli- 
viers symbolise  l'âme  de  Cœsidius.  Je  m'abstiens  autant  que  possible  de 
surcharger  mon  travail  de  textes  des  saints  Pères  et  me  borne  à  déduire 
mes  conclusions  de  l'étude  du  monument  lui-même  que  j'explique  et  de  sa 
confrontation  avec  d'autres  ;  néanmoins  je  ne  puis  m'empêcher  d'alli^gucr 
un  témoignage  de  l'enseignement  général.  Voici  en  quels  termes  s'ex- 
prime saint  Paulin  ;  on  dirait  qu'il  veut  nous  expUquer  le  geste  de  la  femme 
embrassant  la  jeune  enfant  : 

Lœto.  novos  geminis  ut  muter  Ecclesia  partus 
Excipiat  sinibus,  quos  aquâ  prolulcrit. 


148  SARCOPHAGE    DE    SAINTE-QUITTERIE 

Notre  artiste  a  marqué  la  naissance  spirituelle  ou  régénération  chré- 
tienne en  habillant  la  jeune  enfant  comme  étaient  vêtues  les  vierges  con- 
sacrées à  Dieu  :  Quse  etiam  ipsa  (Maria),  dit  saint  Augustin,  figuram  in  se 
sanctx  Ecclesiœ  demomtravit ;  ut^  quomodo  filium  (Christum)  pariens, 
Vtrgn  permansit  ;  ita  et  hsec  (Ecclesia)  omni  tempot'e  membra  ejus  pariât^  et 
virginitatem  non  andtlal. 

La  femme  à  gauche  du  Pasteur  est  debout  :  l'artiste  ne  l'a  pas  repré- 
sentée différente  de  l'autre  par  l'attitude  seulement,  mais  par  tous  les  dé- 
tails. L'air  du  visage,  autant  qu'on  peut  en  juger,  est  lui-même  tout  au- 
tre :  la  grandeur,  qu'on  peut  mesurer  pur  la  différente  proportion  des 
mains,  n'est  pas  égale  non  plus  :  d'ailleurs  la  femme  de  gauche,  quoique 
debout,  n'arrive  pas  de  la  tête  juscju'au  listel.  En  un  mot,  toute  la  manière 
de  l'artiste  indique  qu'il  a  voulu  établir  une  différence  marquée  entre  les 
deux  sculptures. 

Quelle  peut  être  la  signification  de  cette  seconde  femme?  Si  nous  n'a- 
bandonnons pas  l'idée  principale  du  groupe,  c'est-à-dire  Tallusionà  l'Eglise 
du  Christ,  bon  Pasteur,  nous  pouvons  sans  grande  difficulté  résoudre  le 
problème. 

Quand  les  femmes,  placées  à  côté  du  l'asteur,  désignent  la  personne 
défunte,  elles  sont  constamment  représentées  sous  la  forme  à'orantes.  Ici, 
il  n'y  a  pas  d'om??ie /c'est  l'image  de  l'Eglise  militante.  Car  impossible 
de  sortir  de  ces  deux  hypothèses,  dont  la  première  manifestement  est 
exclue. 

Si  notre  sculpture  désigne  l'E^^lise,  sa  signification  est  évidente  :  elle 
représente  Vépouse  du  Christ.  Une  simple  observation  le  démontrera.  Déjà, 
nous  l'avons  dit,  cette  seconde  femme  est  en  parallèle  avec  la  première 
dont  nous  avons  exprès  donné  d'abord  l'explication.  Cela  posé,  si  la  pre- 
mière est  une  représentation  de  la  Mère  des  fidèles,  la  seconde  exprimera 
l'idée  de  Vépouse  du  'Verbe  fait  homme,  qui  figure  au  milieu  sous  le  voile 
du  symbole.  Sur  tous  les  monuments,  soit  païens,  soit  chrétiens,  l'épouse 
est  toujours  placée  debout,  afin  de  marquer  une  certaine  égalité  avec  le 
mari  dont  elle  est  la  compagne  et  non  l'esclave.  Il  faut  remarquer  toute- 
fois que  l'épouse  est  toujours  à  droite.  Ce  n'est  pas  la  marque  d'une  pré- 
séance, mais  d'une  certaine  infériorité,  comme  le  démontre  assez  bien 
Buonarotti;  car,  chez  les  Romains,  la  femme  était  en  pouvoir  du  mari, 
ou,  comme  ils  s'exprimaient,  sous  la  main.  Une  preuve  encore,  c'est  que 
e  mari  est  toujours  placé  en  avant  de  la  femme,  comme  le  fait  observer 
le  savant  archéologue,  ou,  plus  exactement  encore,  un  pas  en  avant,  se- 
lon l'observation  du  P.  Garrucci.  Si  nous  avons  ici  l'épouse,  placée  à  gau- 
che du  Pasteur,  il  ne  s'ensuit  rien  contre  notre  explication,  applicable  seu- 


SARCOPHAGE    DE    SAINTE-QUITTERIE  149 

lement  quand  il  y  a  une  seule  personne.  En  outre,  le  mouvement  des  per- 
sonnages de  l'auge,  qui  va  d'un  angle  à  l'autre,  donne  à  l'épouse  du  Christ 
la  place  qui  lui  convient. 

Il  faut  lire  dans  saint  Paulin  l'exposé  de  nos  idées,  ou  de  celles  de  notre 
artiste  :  il  mérite  d'être  lu  en  entier  ;  on  y  trouvera  une  admirable  inter- 
prétation de  notre  groupe.  Après  avoir  dit  que  l'Eglise  a  été  unie  au 
Christ,  qu'elle  est  tout  à  la  fois  l'épouse  et  la  sœur  de  son  divin  maître,  il 
ajoute  : 

Sponsa  quasi  conjux  :  soror  est  quia  subdita  non  est. 


Inde  manet  mater  œterni  semine  Verbi 
Concipiens  populos,  et  pariter  pariens . 

La  manière  dont  on  voit  les  épouses  vêtues  est  diverse  :  mais  plusieurs 
apparaissent  dans  la  forme  employée  par  notre  sculpteur.  Si  elle  manque 
de  ces  atours  mondains  dont  on  ornait,  même  sur  les  monuments  chré- 
tiens, la  représentation  de  la  femme,  cette  austérité  convenait  à  l'épouse 
immaculée  du  Christ,  dont  le  plus  bel  ornement  vient  de  la  grâce  qu'elle  a 
reçue  avec  tant  d'abondance  de  son  divin  époux.  Tel  est  aussi  l'ornement 
convenable  aux  jeunes  chrétiennes,  comme  le  dit  saint  Paulin,  dans  le 
poëme  précité  : 

.■Jurea  vestis  huic  gratta  pura  Dei  est. 

Cette  simplicité  du  costume  ne  sera  jamais  une  objection  sérieuse  con- 
tre notre  explication,  surtout  dans  un  monument  de  cette  antiquité. 

Que  le  lecteur  choisisse  m.aintenant  :  ou  il  adoptera,  s'il  la  juge  satis- 
laisante,  notre  explication  des  sculptures  autour  du  Pasteur;  ou  bien,  il 
croira  que  le  béher  est  ici  non  pas  un  symbole  du  sacrifice,  mais  un  em- 
blème de  l'humanité  égarée  et  perdue.  Quant  à  moi,  je  ne  saurais  me  dé- 
partir de  la  première  opinion,  la  seule  qui  me  paraisse  en  harmonie  avec 
tout  l'ensemble  du  tableau. 

IV.  Daniel  (g7\  IV).  —  Vient  ensuite  Daniel,  les  bras  étendus  en  forme 
d'omnte,  au  milieu  de  deux  vigoureux  oliviers  chargés  de  fruits.  La  tète 
est  d'une  assez  belle  exécution.  Il  a  les  pieds  chaussés.  Des  deux  lions, 
placés  à  ses  côtés  selon  l'usage  et  couchés  à  terre,  celui  qui  élevait  la  tête 
pour  le  regarder  est  en  partie  mutilé.  Le  prophète  est  vêtu  d'une  double 
tunique  :  la  supérieure,  plus  courte  que  l'inférieure  est  faite  d'une  grande 
pièce  de  drap  pliée  en  deux  :  au  milieu  du  pli  est  une  grande  ouverture 
ronde  pour'  laisser  passer  la  tête,  les  extrémités  latérales  laissant  un 
libre  passage  aux  mains.  La  gi'ande  pièce  de  drap  pliée  en  deux  forme 
un  carré  parfait.  En  observant  attentivement  la  première  et  la  dernière 


150  SARCOPHAGE   DE    SAINTE -QUITTERIE 

sculpture  des  deux  angles,  où  nous  voyons  la  tunique  supérieure  sous  le 
pallium,  je  fi;^  coavaincu  qu'elle  ne  différait  en  rien  de  celle  de  Daniel, 
comme  on  peut  le  déduire  des  manches  libres  du  pallium.  Qu'on  me  per- 
mette, avant  d'expliquer  notre  cadre,  une  courte  observation. 

II  est  rare  de  trouver  les  deux  tuniques  sur  les  monuments  chrétiens. 
Elles  étaient  en  usage,  non-seulement  chez  les  Romains,  mais  aussi  chez 
les  Hébreux.  C'était  le  costume  des  personnages  opulents  ou  élevés  en 
dignité.  De  fait,  saint  Marc  raconte  que  Caïphe,  entendant  le  prétendu 
blasphème  de  Jésus-Christ,  déchira  ses  vêtements,  c'est-à-dire  les  deux 
tuniques,  comme  le  dit  le  texte  grec.  Le  Rédempteur  lui-même,  parlant  à 
ses  Apôtres,  quand  il  les  formait  à  la  vie  apostolique,  leur  recommanda, 
entre  choses,  d'aller  les  pieds  chaussés  de  sandales  et  de  ne  se  revêtir  que 
d'une  seule  tunique.  Paroles  peu  comprises  de  certains  commentateurs, 
d'après  lesquels  Jésus-Christ  aurait  défendu  à  ses  disciples  d'avoir  une  se- 
conde tunique  de  rechange  dans  les  voyages,  ce  qui  est  faux.  Le  Sauveur 
interdit  uniquement  le  luxe  de  la  double  tunique,  dont  la  supérieure  était 
d'ordinaire  d'une  étoffe  plus  délicate.  Notre  artiste  semble  s'être  attaché  à 
le  démontrer,  car,  en  marquant  plusieurs  plis  sur  la  tunique  supérieure  de 
Daniel,  quoiqu'il  lui  ait  donné  tout  son  développement,  il  a  voulu  évidem- 
ment indiquer  une  étoffe  d'une  grande  finesse. 

La  recommandation  faite  par  Notre-Seigneur  à  ses  disciples  de  se  con- 
tenter d'une  seule  tunique  nous  explique,  je  crois,  la  rareté  sur  les  anti- 
ques monuments  chrétiens  de  cette  manière  de  se  vêtir.  Notre  artiste  s'est 
donné  plus  de  liberté. 

La  tunique  de  Daniel  est  sans  manches,  quoiqu'elle  couvre  entièrement 
les  bras  jusqu'aux  mains  ;  elle  ne  pouvait  non  plus  être  serrée  d'une  cein- 
ture quand  elle  était  étendue  dans  toute  sa  largeur,  à  moins  qu'on  ne  vou- 
lût pas  la  ramener  jusqu'aux  épaules.  Elle  est  eu  outre  plus  courte  que 
l'intérieure,  eUe  ne  dépasse  point  les  genoux;  l'autre,  au  contraire,  des- 
cend à  mi-jambe. 

Le  prophète  Daniel  est  d'ordinaire  représenté  nu,  soit  dans  les  peintu- 
res, soit  dans  les  sculptures,  à  de  rares  exceptions  près,  par  exemple  sur 
un  sarcophage  de  Ravenne,  reproduit  par  Ciampini,  et  sur  un  fragment 
de  verre  antique  où  les  deux  tuniques  sont  pareilles  à  celles  de  notre  mar- 
bre, comme  le  démontre  ce  qui  reste  encore.  Le  P.  Garrucci  en  apporte 
d'autres  exemples  d'après  l'excellent  ouvrage  de  M.  Le  Blant  sur  les  Ins- 
criptions chrétiennes  des  Gaules.  Dans  les  peintui'es  des  cimetières  romains, 
le  prophète  est  quelquefois  couvert  à  peine  d'un  lambeau  d'étoffe,  cela 
même  est  très-rare.  Sur  un  médaillon  édité  par  Bottari,  on  le  voit  au  fond 
d'un  demi-cercle,  entre  deux  lions,  les  bras  étendus  et  à  genoux.  Il  est  re- 


SARCOPHAGE    DE    SAINTE-QUITTERIE  151 

vêtu  d'une  tunique  retroussée  en  deux  endroits,  comme  est  représentée 
Diane  chasseresse.  Ses  épaules  sont  recouvertes  d'une  étoffe,  peut-être 
du  manteau  (penulaj  relevé,  comme  semble  l'indic^uer  le  sarcophage  de 
Ciampini,  cité  tout  à  l'heure,  si  néanmoins  la  planche  est  fidèle.  Le  plus 
ancien  monument  qui  nous  offre  Daniel  vêtu,  est  le  verre  antique  men- 
tionné plus  haut.  Or,  entre  le  vêtement  dessiné  sur  ce  verre  et  celui  de 
notre  marbre,  la  différence  est  à  peu  près  nulle.  Je  dirai  tout  à  l'heure 
pourquoi  les  artistes  ne  le  représentent  pas  nu. 

La  composition  de  Daniel  est  empruntée  aux  scènes  de  l'amphithéâtre, 
comme  je  crois  pouvoir  le  déduire  d'un  passage  de  saint  Augustin,  où  le 
saint  docteur  établit  un  parallèle  entre  les  chasseurs  de  bêtes  fauves  dans 
les  amphithéâtres  et  Daniel  au  milieu  des  hons.  La  foi  du  prophète  lui 
donne  une  tout  autre  manière  de  combattre  et  de  vaincre.  Ce  passage, 
admirablement  beau  et  approprié  à  notre  sujet,  est  trop  long  pour  être  cité 
intégralement  ;  mais  je  ne  puis  omettre  la  conclusion,  magnifique  invita- 
tion au  peuple  chrétien  de  délaisser  les  spectacles  profanes  et  de  venir  de 
préférence  à  l'église  chrétienne  contempler  ce  nouveau  et  admirable  com- 
bat, preuve  qu'il  y  a  là  une  allusion  aux  peintures  sacrées  :  Ista  spiritualia 
mimera  (nempe  spectacula)  concup/sci'te,  ad  hœc  intuenda  et  cum  omni  secu- 
l'itate  spectanda  alacriter  ad  Ecclesiam  conveni'te,  etc.  Un  cachet,  un  sceau, 
édité  pat-  Fabretti,  attribué  par  cet  auteur  aux  Basilidiens,  mais  que  je  re- 
garde plutôt  comme  chrétien,  nous  montre  le  prophète  entre  les  deux  lions, 
avec  la  légende  à  la  fin  de  laquelle  on  lit  très-distinctement  ces  mots  :  Sta 
nœci  miles,  allusion  au  combat  contre  la  mort  dans  l'amphithéâtre,  où  les 
soldats  du  Christ  triomphaient. 

L'usage  constant  chez  les  artistes  de  placer  Daniel  entre  les  deux  lions, 
ni  plus,  ni  moins,  que  l'espace  soit  large  ou  rétréci,  doit  être  rapporté,  si 
je  ne  me  trompe,  aux  habitudes  de  lamphithéàtre.  Je  citerai  en  preuve 
quelques  vers  de  Dracontius,  communément  allégués  par  les  archéolo- 
gues. 

Sœva  Danielem  rabies,  atque  ora  leonum. 

Non  teligere  pium,  ciii  destinât  insuper  escam . 

Magna  Deipietas  (.?)  jejuno  utroque  leone  (.?) 

Quis  petit  et  vixitvenator  inermisarenam? 

AmiJhi'healrales  qui  non  timuere  furores, 

Cum,  crépitante  sono,  etc. . . 

Je  crois  qu'il  faut  mettre  un  point  après  Magna  Deipietas  du  troisième 
vers,  et  non  après/e/wnc  atroque  /eone,  comme  portent  toutes  les  éditions  *, 

*  Cette  supposition  fut  suggéré  à  Arevalo,  savant  commentateur  du  poëme  de 


13:2  sarcoph-UtE  de  sainte-quitterie 

Eu  chaugeaûL  la  ponctuation,  nous  obtenons  une  expression  bien  plus 
claire  a.;  la  pensée  du  poète;  elle  reviendrait  à  dire  :  «  Quel  chasseur  dé- 
sarmé, ayant  à  combattre  dans  Tarène  deux  lions  affamés,  en  sortit  jamais 
sans  blessure?»  Ainsi,  l'impossibilité  de  se  soustraire  au  danger  ne  tient 
pas  seulement  à  l'absence  de  toute  arme  offensive,  inermis,  mais  principa- 
lement au  double  ennemi,  jejuno  utroque  leone. 

Au  reste,  Dracontius  lui-même,  quelques  vers  plus  bas,  mentionne  la 
coutume  de  lancer  dans  Tamphithéàtre  deux  lions  contre  le  jouteur 
armé  : 

Quando  duos  pariter  suscepit  arena  leones. 
Prœsidio  si  partas  fugœ..,  e/r...,  etc. 
Hinc  armata  ynanus  ferro,  hivc  dentibus  ora. 
Et  tamen  axvilio  supra  caput  imminet  alter. 

Ce  dernier  passage  est  le  plus  beau  commentaire  de  notre  marbre. 
Que  le  lecteur  veuille  bien  le  remarquer  :  quelle  que  soit  d'ailleurs  la  ma- 
nière de  lire  les  vers  précédents,  nous  avons  ici  la  pensée  de  notre  sculp- 
teur. Il  a  saisi  dans  les  jeux  cruels  de  l'amphithéâtre  la  circonstance  la  plus 
critique  : 

Quaudo  duo,  pariter  suscepit  arena  leones. 

Or,  en  cette  rencontre,  le  combattant  était  armé  :  plus  que  cela,  un  aide 
était  prêt  à  le  secourir*.  Daniel,  au  contraire,  est  sans  armes,  et  il  est  seul. 
De  lu  sorte,  le  païen  converti  avait  sous  les  yeux  une  éloquente  leçon,  un 
enseignement  facile  à  saisir. 


Dracontius,  mais  il  n'en  tint  pas  compte,  l'estimant  peu  probable.  Or,  le  poëte 
fait  manifestement  allusion  au  supplice  auquel  Daniel  fut  condamné  la  seconde 
fois,  puisqu'il  parle  du  repas  d'Habacuc  cuidesiinat  insufcr  escam, mais  à  ce  se- 
cond supplice,  les  lions  étaient  au  nombre  de  sept.  C'est  pourquoi  ceux  qui  ac- 
ceptent la  leçon  reçue,  qui  met  un  point  après  utroque  leone,  disent  que  le  poëte 
ne  parle  pas  des  sept  lions  à  jeun,  parce  qu'il  avait  sous  les  yeux  les  monuments 
chréiiens  où  Daniel  est  toujours  représenté  entre  deux  lions  seulement.  I.e  poëte 
chrétien  écrivit  ses  vers  en  425,  quand  il  était  dans  les  prisons  de  la  Bétique  ; 
nous  ne  pouvons  imaginer  que  le  récit  biblique  lui  fût  moins  connu  oue  lis  mo- 
numents chrétiens.  Or,  il  cherche  à  éveiller  l'admiration  de  ses  lecteurs  en  com- 
parant le  combat  du  saint  prophète  avec  ceux  de  l'amphithéâtre,  admii-ation  que 
devrait,  je  pense,  augmenter  le  spectacle  de  Daniel  resté  sain  et  sauf  en  face  de 
sept  lions  affamés  plutôt  que  de  deux  seulement. 


SARCOPHAGE    DE    SAINTE-QUITTERIE  153 

Après  nous  avoir  parlé  de  l'athlète  païen  armé  et  soutenu  d'un  aide, 
Dracontius  revient  à  Daniel  et  il  demande  : 

Omis  rogo  tam  sœvas  rabies  compescere  vindex 
Armadis  prœsumpsit  homo  '  ? 

Le  poète  attribue  la  victoire  de  Daniel  à  la  foi  qui  l'animait.  C'est  aussi 
l'enseignement  des  saints  Pères,  par  exemple  de  saint  Cyrille  de  Jérusa- 
lem. C'est  pourquoi  nous  maintenons  que  la  représentation  du  prophète 
dans  les  monuments  chrétiens  a  son  origine  dans  les  combats  des  martyrs 
du  Christ,  morts  pour  la  foi. 

Reste  à  se  demander  pourquoi  notre  artiste  a  représenté  Daniel  vêtu, 
contrairement  à  l'usage  généralement  reçu.  Etudions  notre  monument,  et 
nous  aurons  aisément  la  réponse.  Les  deux  lions  sont  couchés,  deux  vi- 
goureux oliviers  sont  placés  aux  côtés  de  Daniel.  Que  signihe  cette  com- 
position? Je  crois  être  dans  le  vrai  en  affirmant  que  l'artiste  n'a  pas  voulu 
retracer  le  combat  mais  la  victoire.  Les  lions  sont  là  pour  marquer  qu'il 
y  a  eu  lutte,  le  sculpteur  a  soin  de  les  représenter  couchés,  ils  ont  rempli 
leur  rôle.  En  effet,  pour  exprimer  l'éternelle  paix,  récompense  de  cette  vie 
mortelle,  les  artistes  chrétiens  nous  représentent  sur  les  pierres  sépulcra- 
les Yof'ante  entre  deux  ohviers.  Un  petit  verre  antique  nous  offre  Daniel 
lui-même,  nu  il  est  vrai,  mais  sans  le  cortège  des  lions  ;  il  est  entre  deux 
arbres  dans  l'attitude  de  la  prière.  Au  reste,  quand  le  prophète  est  nu, 
c'est  d'ordinaire  pour  signifier  la  lutte  :  vêtu,  il  est  vainqueur;  c'est  du 
moins  une  démonstration  de  plus  de  l'intention  de  l'artiste.  La  vision  de 
sainte  l^erpétue  confirme  nettement  notre  explication.  Elle  se  voit  au  mo- 
ment d'entrer  dans  l'amphithéâtre,  elle  devra  cotnbattre  l'Egyptien,  elle 
dit  :  Et  expoliata  sum,  et  facta  sum  masculus.  De  même  que  les  âmes  des 
défunts,  à  quelque  sexe  qu'elles  appartiennent,  sont  toujours  représentées 
sous  la  forme  d'une  jeune  enfant;  ainsi,  de  quelque  sexe  qu'il  soit,  le  fi- 
dèle du  Christ  luttant  dans  l'arène  est  figuré  par  l'image  de  Daniel. 

'  Arevalo  remplace  compescere  vindex  de  deux  manières.  Il  faut  lire,  dit-il,  ou 
bien  compescier  unus,  ou  bien  compescere  septem.  J'opinerais  pour  la  dernière 
leçon,  d'autant  plus  que,  immédiatement  après,  le  prophète  est  comparé  à  Her- 
cule qui  terrassa  un  seul  lion.  11  n'est  pas  ainsi  de  Daniel  : 

Sed  hic  plena  fides  liominis  pietate  Tonantis 
Exegit  virtutis  opus  miracula  summa. 

Dans  ce  cas,  si  nous  lisons  compescere  septem,  il  faudra  rapporter  jejunoidro- 
^ue /cône  au  vers  suivant  :  Quis  petit  et  vixit.. .  etc.  On  ne  peut  évidemment 
supposer  que  le  poëte  présente  Daniel  en  butte,  tantôt  à  deux,  tantôt  à  sept 
lions. 

Il»  série,  tome  II.  !•■ 


154  SARCOPHAGE    DE    SAINTE-QUITTERIE 

V.  La  Résurrection  de  Lazarre  [gr.  V).  —  Le  dernier  groupe  nous 
offre  Lazarre  ressuscité.  Jésus-Christ  a  les  cheveux  ras  comme  le  bon 
Pasteur,  les  deux  seules  sculptures  où  notre  artiste  observe  cette  parti- 
cularité ;  quant  à  la  barbe,  impossible,  à  cause  des  mutilations  du  visage, 
de  décider  s'il  en  était  orné  comme  le  Pasteur.  On  voit  par  dessus  les  deux 
tuniques  de  la  sculpture  précédente  le  pallium  porté  à  la  manière  des  phi- 
losophes et  des  ascètes.  Une  extrémité  couvrait  l'épaule  gauche.  Le  reste 
rejeté  en  arrière,  venait  passer  sous  le  bras  droit  et  allait  par  l'extrémité 
opposée  rejoindre  l'épaule  gauche.  Ainsi  le  bras  droit  et  toute  cette  partie  de 
la  poitrine  étaient  libres  :  le  gauche,  entièrement  couvert,  devait  soulever 
le  manteau  pour  agir.  Tel  est  sur  notre  marbre  le  costume  du  Sauveur. 
Quant  à  la  chaussure,  telle  qu'elle  apparaît  ici,  on  pourra  hre  les  observa- 
tions de  Buonarotti. 

Quand  Jésus-Christ  est  représenté  tenant  d'une  main  le  bâton,  signe  de 
son  absolu  domaine  sur  la  nature  ',  et  de  l'autre  un  livre,  représentation 
assez  ordinaire,  il  est  dans  l'acte  d'accomplir  le  miracle. 

La  résurrection  de  Lazarre  est  le  symbole  de  la  résurrection  des  corps 
au  dernier  jour,  ainsi  que  le  déclarent  les  saints  Pères  :  Ut  futur xresur- 
rectionis,  spécimen  prxstaret.  C'est  le  cas  de  rappeler  les  vers  composés  par 
le  pape  saint  Damase  pour  la  future  inscription  de  la  tombe.  Rien  ne  sau- 
rait mieux  appuyer  notre  interprétation. 

Solvere  qui  potiiit  Laz-aro  sua  vincula  nwrtis 
Post  tenebras,  fratrem  post  tertia  lumina  solis 
Ad  superos  iterum  Marthœ  donare  sorori 
Post  cineres  Damasum  faciet  quia  surgere  credo. 

On  s'attachait  d'autant  plus  à  affirmer  et  proclamer  la  résurrection  de 
la  chair  que  les  gentils  s'obstinaient  davantage  à  la  nier  :  In  nulla  re, 
tara  vehementer^  tam  pertinaciter,  tam  obnixe  et  contentiose  contradicitur  fi- 
dei  christianx,  sicut  de  cmmis  resurrectione.  Plusieurs  philosophes  païens 
avaient  admis  l'immortalité  de  l'âme,  mais,  ajoute  saint  Augustin,  quand 
nous  en  venons  à  enseigner  la  résurrection  des  corps,  nous  rencontrons 
une  répulsion  entêtée.  Sur  notre  marbre,  le  tableau  de  Lazarre  a  un  sens 
purement  docrinal,  l'artiste  veut  simplement  exposer  aux  regards  du  fidèle 

^  «  11  est  remarquable  que,  sur  d'autres  monuments  d'une  époque  postérieure, 
on  trouve  la  croix  au  lieu  du  bâton  ou  verge,  comme  si  l'artiste  avait  voulu  si- 
gnifier que  dans  la  loi  de  grâce,  la  nature  a  été  assujettie  par  la  puissance  de  ce 
signe  auguste.  »  (Passeri,  Sacra  eburnea.  tav.  xxiv,  t.  III,  des  Diptyques  de 
Gori.) 


SARCOPHAGE    DE     SAINTE-QUITTERIE  153 

un  dogme  de  la  foi  :  c'est  pourquoi  il  a  niis  aux  mains  du  Rédempteur  la 
baguette;  il  lui  fait  indiquer  seulement  d'un  geste  le  corps  du  défant. 

Le  visage  de  la  momie  ressemble  à  celui  d'un  malade  en  convalescence; 
le  linceul  ne  le  recouvre  pas,  comme  il  le  faudrait  cependant  d'après  le 
récit  évangélique,  mais  la  tête  seule  en  est  enveloppée,  particularité  peu 
observée  par  les  artistes.  Le  reste  du  corps  est  entouré  de  bandelettes  quj 
serrent  le  linceul.  L'usage  d'envelopper  de  la  sorte  les  cadavres,  comme 
on  enveloppe  le  petit  enfant,  fut  commun  chez  les  Egyptiens,  les  Juifs  et 
les  premiers  chrétiens,  qui  adoptèrent  leur  manière  d'ensevelir  les  morts. 
Les  archéologues  ont  longuement  exposé  tout  cela.  Une  étude  attentive 
de  divers  monuments  m'a  amené  à  en  remarquer  quelques-uns  où  La- 
zarre  est  représenté  debout  sur  le  seuil  du  monument  :  il  est  enveloppé  de 
bandelettes,  mais  on  aperçoit  comme  deux  ailerons  qui  s'en  détachent  : 
on  dirait  une  chrysalide.  Si  toutes  les  momies  n'offrent  pas  cette  particu- 
larité, néanmoins  la  manière  dont  les  bandelettes  l'enveloppent  lui  donnent 
cette  ressemblance.  Or,  si  l'usage  d'ensevelir  les  morts  de  la  sorte  est  fort 
ancien,  il  ne  l'est  pas  moins  de  représenter  l'âme  ou  h  psyché  par  les  ailes 
du  papillon. 

Les  chrétiens  voulurent  donc,  en  reproduisant  la  scène  de  Lazarre,  si- 
gnifier que  le  corps  brisera  au  dernier  jour  les  liens  qui  l'enveloppent  : 
cette  idée  de  résurrection  est  manifeste  quand  l'artiste  ajoute  les  deux  ai- 
lerons à  la  momie.  Les  saints  Pères,  au  reste,  ont  aimé  à  reproduire 
l'image  de  la  chrysalide  en  exposant  le  dogme  de  la  résurrection  de  la 
chair  :  on  peut  lire,  à  cette  occasion,  un  long  et  magnifique  passage  du 
grand  saint  Basile. 

Notre  sarcophage  ne  laisse  voir  que  le  frontispice  de  l'édicule  de  La- 
zarre :  l'artiste  a  eu  soin  cependant  de  placer  à  l'angle  trois  tuiles  super- 
posées pour  marquer  le  toit  et  la  suite  de  l'édifice.  D'ordinaire,  les  monu- 
ments placent  le  frontispice  au-dessus  d'un  long  escalier,  ce  qui  suppose 
l'édicule  construit  sur  un  soubassement.  Le  frontispice  se  compose  seule- 
ment de  deux  colonnettes  supportant  un  tout  petit  fronton,  selon  la  ma- 
nière des  anciens  artistes  qui  se  bornaient  à  représenter  la  partie  princi- 
pale et  plus  apparente  de  tout  l'édifice,  comme  l'ont  déjà  remarqué  plu- 
sieurs archéologues  pour  les  monuments  profanes. 

Ma  conviction  est  que  notre  artiste  ne  s'est  nullement  proposé  de  repré- 
senter le  monument  dont  parle  l'Evangile,  mais  une  de  ces  constructions 
élevées  à  la  gloire  des  saints  martyrs  et  dont  leurs  actes  font  si  fréquem- 
ment mention.  Je  citerai  pour  mémoire  celui  de  saint  Boniface.  Nous  li- 
sons dans  les  actes  du  saint  martyr  qu'Aglaé  éleva  en  son  honneur  un 
monument  digne  do  l'athlète  du  Christ  :  eukterion  oïkodomèsasa  oïkon. 


156  SARCOPHAGE    DE    SAINTE-QUITTERIE 

Ces  paroles  mentionnent  évidemment  un  édifice  élevé  au  dessus  de 
terre  :  oïkodomesasa  oïkon  ne  peut  signifier  un  monument  souterrain,  d'au- 
tant plus  que,  d'après  les  Actes^  le  corps  du  saint  martyr  fut  déposé  en  un 
endroit  distant  de  cinq  stades  de  Rome  en  attendant  que  le  monument  fût 
construit  ;  l'édifice  devait  d'ailleurs  servir  d'oratoire  euktérion.  On  voit  un 
édifice  de  ce  genre  sur  un  sarcophage  où  le  Pasteur  chasse  les  brebis  hors 
du  bercail;  les  archéologues  sont  unanimes  à  reconnaître  une  petite 
église  ou  oratoire  dans  cet  édifice.  En  plusieurs  endroits  des  Actes  publiés 
par  Ruinart,  nous  voyons  que  les  païens  remplirent  souvent  de  bois  et 
brûlèrent  les  monuments  élevés  en  l'honneur  des  martyrs,  les  oratoires 
où  accouraient  les  fidèles  pour  prier.  Tout  cela  indique  incontestablement 
une  construction  au-dessus  du  sol.  Nous  sommes  donc  autorisés  à  penser 
que  les  artistes,  en  traitant  le  sujet  de  Lazare,  ont  voulu  reproduire  ces 
sortes  de  monuments  ou  édicules,  assez  semblables  à  ceux  des  pa'i'ens. 

Pour  en  revenir  à  notre  marbre,  représentons-nous  le  monument  de 
Lazare  tout  à  fait  semblable  à  ceux  dont  nous  venons  de  parler,  et  lais- 
sons de  côté  la  tourelle  massive,  construite,  comme  le  monument,  en 
pierres  de  grand  appareil.  Je  dis  massive^  car  non- seulement  elle  ne  laisse 
entrevoir  aucune  ouverture  dont  on  puisse  même  soupçonner  les  traces; 
mais  elle  a,  en  outre,  sa  partie  supérieure  conique,  qu'on  ne  saurait  assi- 
miler à  une  toiture,  construite  également  en  énormes  pierres  carrées.  La 
tourelle  n'est  donc  pas  un  monument  et  elle  est  d'ailleurs  détachée  de 
l'édicule.  De  là,  pour  moi,  j'en  conviens,  une  certaine  hésitation  à  m' ex- 
pliquer, à  première  vue  la  signification  d'une  telle  particularité,  surtout  à 
défaut  d'autres  monuments  dont  la  comparaison  me  semble  nécessaire  en 
pareille  rencontre.  Il  faut  donc  m'en  tenir  aux  inspirations  du  bon  sens 
naturel,  sauf  à  étayer  mon  opinion  de  quelque  autorité  plausible.  Je  suis 
porté  à  regarder  la  tourelle  comme  un  symbole  de  l'Eglise  triomphante. 
Dans  le  Pasteur  d'Hermas  nous  voyons  longuement  racontée  la  vision 
qu'il  eut  d'une  tour  construite  en  pierres  carrées  :  les  pierres  figuraient  les 
âmes  des  élus,  leur  assemblage  formait  la  tour,  et  celle-ci  était  l'Eglise 
triomphante  '.  Au  reste,  je  serais  infini  si  je  voulais  énumérer  les  nom- 
breux témoignages  des  saints  Pères  qui  aimaient  à  présenter  sous  le  sym- 


*  On  lit  dans  la  Civilta  catlolica,  2  mars  1872,  un  intéressant  article  sur  le 
cimetière  chrétien  de  Naples.  Il  y  est  fait  mention  de  la  Tour  peinte  dans  le  cu- 
hlcuJum  (le  S.  Agrippinus,  peinture  d'une  haute  antiquité.  J'y  note  ces  paroles  : 
«  On  voit  une  tour  représentée,  trois  vierges  sont  occupées  à  la  bâtir.  Sujet 
emprunté  u  la  fameuse  vision  d'Hermas  que  nous  lisons  dans  le  livre  intitulé  : 
Le  Pasleur. 


SARCOPHAGE    DE    SAINTE-QUITTERIE  l,j7 

bole  d'une  tour  la  Jérusalem  céleste,  patrie  des  bienheureux.  Je  crois  mon 
explication  plausible,  d'autant  plus  que  ce  symbole  est  uni  à  la  résurrec- 
tion de  Lazare  :  or,  la  résurrection  des  justes  est  l'entrée  dans  le  séjour 
de  la  béatitude.  L'artiste  avait  largement  développé  l'image  de  rÉ^lise 
militante;  ne  devait-il  pas  symboliser  aussi,  au  moins  par  quelques  traits, 
l'Eglise  triomphante?  Au  reste,  notre  monument  est  tout  empreint  de  ce 
haut  symbolisme  qu'on  trouve  aux  premiers  siècles  de  l'Eglise. 

P.  MINASI. 


L'ARCHITECTURE  CIVILE  ET  MILITAIRE 
DE  PISE 

A-vant    le    XV'^    siècle 


Si  M.  Rohault  de  Fleury  a  conquis  une  des  places  les  plus  honorables 
dans  le  monde  savant  par  ses  études  iconographiques  sur  les  instruments 
de  la  Passion  et  sur  l'Evangile  \  son  fils,  M.  Georges  Rohaut  de  Fleury 
est  en  chemin  de  se  faire  un  nom  également  recommandable  parmi  les 
artistes  et  les  archéologues.  Son  grand  ouvrage  sur  la  Toscane  au  Moyen- 
Age  forme  deux  volumes  in-folio,  comprenant  140  planches  gravées,  ac- 
compagnées d'un  texte  explicatif  où  se  trouvent  intercalées  d'excellentes 
gravures.  Un  autre  in-folio  de  64  planches,  accompagné  d'un  volume  de 
texte  in-S°,  est  consacré  aux  admirables  monuments  de  Pise  ;  il  traite 
successivement  de  Tarchitecture  pisane  à  sa  naissance,  à  son  apogée  et  à 
son  déclin,  de  la  sculpture  et  enfin  de  la  peinture.  Ces  splendides  publica- 
tions, d'un  prix  nécessairement  élevé,  ne  sont  guère  accessibles  à  la  masse 
du  public  lettré.  Aussi  M.  G.  Rohault  de  Fleury  vient-il  de  résumer  et  de 
compléter  ses  études  sur  la  Toscane,  en  les  restreignant  à  l'architecture 
civile  et  militaire,  et  cela  en  deux  volumes  in-S",  illustrés  de  nombreuses 
vignettes  '.  On  annonce  bien  deux  volumes  d'atlas  pour  compléter  ces 
études,  mais  nous  supposons  que  le  texte,  d'un  prix  abordable,  pouna 
toujours  être  vendu  isolément. 

L'auteur  a  résumé  douze  années  d'études  sous  la  forme  d'une  corres- 
pondance fictive  échangée,  vers  l'an  1400,  entre  Raymond  du  Temple, 
le  fameux  architecte  du  Louvre,  et  son  fils  Charles,  que  Charles  V  avait 
tenu  sur  les  fonts  de  baptême.  On  voit  que  c'est  ici  l'application  à  un  sujet 
spécial  et  restreint,  de  l'attachante  forme  littéraire  adoptée  par  Barthé- 
lémy, dans  son  Voyage  du  jeune  Anachaisis ;  par  F.  tic  Lanticr.  dans  son 

^  M.  Rohault  de  Fleury  prépare  en  ce  moment  une  iconograplùc  de  la  Sainte 
Vierge. 

^  Lettres  sur  la  Toscane  en  l  iOU.  Architecture  civile  et  mihtaire,  Paris,  veuve 
Morel,  2  vol.  in  8". 


i/aRCHITECTURE    civile   et   militaire   de   PISE  159 

Voyage  d'Antenor  en  Grèce;  par  Mar- 
changy,  dans  son  Tristan  le  Voya- 
geur, etc. 

En  14Û0,  l'art  toscan  était  arrivé  à 
son  apogée  :  c'est  alors  que  floris- 
saient  Talenti,  Benci  di  Cione,  Paolo 
Ucello,  Lorenzetti^  Spinello,  Brunel- 
leschi,  Giîiberti,  Donatello,  etc.  : 
c'était  une  époque  originale  de  tran- 
sition entre  la  raideur  gothique  et  la 
grâce  naissante  du  XV*  siècle.  Ce 
voyage  artistique,  placé  à  cette  inté- 
ressante époque,  et  dont  les  récits 
familiers  favorisent  la  curieuse  abon- 
dance des  détails,  commence  à  Pise 
et  se  continue  par  Lucques,  la  vallée 
de  Nievole,  Florence,  le  val  d'Arno 
inférieur,  le  val  d'Arno  supérieur, 
Arezzo ,  le  Chiane .  Sienne  et  les 
Maremraes. 

Si  le  temps  et  l'espace  nous  l'a- 
vaient permis,  nous  aurions  voulu 
résumer  ces  deux  volumes,  où  l'ob- 
servation personnelle  est  si  sagace, 
où  la  science  des  livres  est  si  com- 
plète, comme  en  témoignent  l'abon- 
dance et  la  variété  des  notes.  Mais  la 
nécessité  de  nous  borner  nous  cir- 
conscrira dans  la  ville  de  Pise.  Nous 
la  choisissons  de  préférence  parce 
que,  bien  souvent,  elle  est  sacrifiée 
par  les  touristes.  On  a  hâte  d'arriver 
à  Florence,  on  consacre  quelques 
heures  rapides  aux  quatre  monu- 
ments de  la  grande  pla;^e,  et  on  né- 
glige une  foule  d'édifices,  d'antiquités 
"et  de  ruines  qui  mériteraient  pourtant 
de  fixer  l'attention. 
Pise,  comme  la  plupart  des  villes  de  Toscane,  était  célèbre  par  le  nom- 
bre de  ses  tours,  les  unes  en  briques,  les  autres  en  petites  pierres  mal 


Tour  surélevée  ou  Ijrique 


160 


l'architecture    civile   et    militaire   de   PISE 


équarries,  quelques-unes  présentant  de  leur  base  à  leur  sommet  un  pare- 
ment continu  de  pierres  de  la  Verruca.  Ces  tours,  élevées  par  des  particu- 


Tour  lies  Uii|iczzlii!;lii- 


l'architecture    civile    et   militaire    de    PISE  161 

liers, fournissaient  des  armes  aux  guerres  civiles  :  aussi  y  avait-il  tout  un 
code  spécial  érigé  contre  elles,  contre  leur  trop  de  surélévation  et  les  engins 
dont  on  les  meublait.  La  loi  dut  souvent  intervenir  au  sujet  des  ponts  qui, 
en  unissant  plusieurs  tours,  privaient  les  voisins  de  lumière  et  de  sécu- 
rité. Les  prisons  gardaient  leurs  captifs  dans  des  tours  :  celle  qui  portait 
le  nom  délia  famé  fut  construite  par  Ruggieri,  pour  y  renfermer  Ugolin 
et  ses  enfants.  Immortalisée  par  les  vers  du  Dante,  elle  n'est  plus  connue 
aujourd'hui  que  par  un  ancien  dessin. 

a  Avant  que  la  rage  des  Raspanti  et  des  Bergolini,  écrit  Charles  du 
Temple,  n'ait  étouffé  l'art  des  Pisans  en  même  temps  que  leur  patrio- 
tisme, on  voyait  ici  une  école  de  briqueteurs  bien  supérieure  à  celle  qui 
de  nos  jours  fait  la  gloire  de  Bologne.  La  finesse  des  joints,  la  dureté  du 
mortier,  la  taille  des  parements  extérieurs,  la  sévérité  et  le  bon  goût  des 
ornements,  toutes  ces  qualités  sont  rappelées  par  les  monuments  que  nous 
a  laissés  cette  industrie  oubliée.  La  tour  du  palais  Upezzinghi  me  paraît 
le  meilleur  modèle  qui  nous  en  soit  resté  ;  sur  un  ferme  soubassement  de 
pierre  se  dresse  l'architecture  de  terre  cuite  avec  ses  formes  sobres,  ses 
colliers  de  lozanges,  sa  fenêtre  jumelée  que  sépare  en  deux  une  colonne 
et  un  ingénieux  chapiteau  formé  de  briques  moulées  ;  tout  cela  est  simple, 
mais  relevé  par  le  charme  singuliei'que  le  Goin  de  l'appareil  prête  toujours 
à  un  édifice,  d 

Les  ruines  de  la  Porta  Aurea  nous  donnent  un  spécimen  architectural  de 


CIV!BVSE(SRÏCîlSbE[A\^f^EAFOR'Fy0C\ 
INqVASlCDiCrATNOBILITATISHONOK'S 

0^^^  twTîaa  «^^  ^^  ^^ 

HALV!\  BE  DEC  IPfRIIGEH  E  RALE  PVTETIS 
WFERAPRAVOBVCOLLÂFERIRESOŒ 
IIAIôWSBALEERABIESERATT'BAMVLTV 
ANNiSMilLE  DECEŒNyCVqMS/PACTY 


XWQCOCEPIT  VIR60  MAR  lADM 
P!  SAN-PO  PVLVVI  CTOR^^ft  RAVI  \IRAS 
î>lS^EAClTaRAG^IN6EMI  NATAEID 
Dl  L 1 G  ITEl  VSTi  T(  AS  -IVD I  [  ATlSPftt 


Iusi;npliou  commémorative  do  k  Port.i  Aurea. 


162 


L  ARCHITECTURE    CIVILE    ET   MILITAIRE   DE   PISE 


Vue  Ji.'  I.i  Porta  Auroa  restaui-ro. 


la  décadence  romaine  :  on  y  remarque  la  perfection  des  joints,  l'extrados 
des  voussoirs  et  une  certaine  irréi^'ularité  dans  l'appareil.  Après  cette 
porte,  qui  servait  d'arc  triomphal  aux  Pisans  au  retour  de  leurs  victoires 
maritimes,  les  murailles  se  prolongeaient  parallèlement  à  VA7'no  et  sui- 
vaient son  cours  sur  une  longueur  d'environ  80  bras.  On  prétend  que  jus- 
qu'au XIP  siècle,  elle  fut  environnée  de  deux  enceintes  différentes,  et 
qu'elle  formait  trois  quartiers  :  la  vieille  ville,  le  bourg  et  le  forisporte.  De 
plus  vastes  murailles  d'enceinte  furent  construites  plus  tard  pour  protéger 
le  Dôme,  érigé  en  !  118,  et  le  Baptistère,  construit  en  1 155.  Non  contente  de 
cette  armure  de  pierres,  Pise  a  cherché,  par  des  fortilicatioiis  extérieures, 
à  repousser  l'approche  de  l'ennemi  par  des  châteaux  d'avant-garde.  Elle 
en  possédait  55 i,  alors  qu'elle  était  au  faite  de  ses  grandeurs  et  qu'elle 
étendait  sa  domination  depuis  l'ile  de  Corvo  jusqu'à  Civitta-Vecchia,  et 
qu'elle  possédait  la  Sardaigne,  la  Corse,  l'ile  d'Elbe,  Pianora,  Capraia, 
Gorgone,  Giglio  et  Montccristo.  Les  fortifications  suburbaines  étaient  de 


l'architecture   civile    et    militaire    de    PISE  163 

deux  sortes  :  les  castelli,  construits  par  les  anciens  seigneurs  ou  par  la 
République  sur  des  montagnes,  et  les  terre  murate,  placées  ordinairement 
dans  les  plaines  et  qu'on  peut  comparer  aux  colonies  dont  les  Romains 
garnissaient  les  frontières  barbares. 

L'Arsenal,  reconstruit  à  la  fin  du  XIIP  siècle,  se  trouvait  en  communi- 
cation avec  la  mer  et  était  défendu  par  une  citadelle.  C'est  au  premier 
étage,  dans  deux  salles  voûtées,  qu'étaient  contenues  les  amas  d'armes  et 
les  macliines  de  guerre.  Les  cales  de  Pise,  plus  nombreuses  que  vastes, 
ne  pouvaient  recevoir  que  des  galères  de  petite  dimension;  les  plus  grands 
navires  restaient  dans  la  baie. 

La  place  délie  Fabriche  maggiori  offrait  un  majestueux  assemblage  de 
monuments  :  le  Pallazzo  vecchio^  dont  le  soubassement  en  pierres  se  com- 
posait de  plusieurs  arcades  ogivales  avec  voûte  d'arête  formant  portique  ; 
le  palais  des  Anziani.  dont  le  campanile  était  presque  aussi  célèbre  que 
le  Dôme  et  la  Tour  penchée;  le  Palazzo  pretorio^  témoin  des  crimes  d'U- 
golin  ;  le  Palazzo  délia  Giustizia,  dont  la  majestueuse  sévérité  était  bien 
en  harmonie  avec  sa  destination. 

Lès  vieux  palais,  en   forme   de  tours,  caractérisent  l'ancienne  époque  ; 


Maison  du  Boriio  .\iiovo. 


Eatréo  d'une  maison  sous  les  arcades  du  Borgo 


164 


L  ARCHITECTURE    CIVILE   ET    MILITAIRE   DE   PISE 


plus  tard  on  recourut  à  l'usage  plus  commode  des  portiques  ;  en  général, 
les  arcades  du  rez-de-chaussée  étaient  surmontées  de  deux  étages  avec  lo- 
gettes  ogivales;  un  escalier  droit  partait  du  portique  et  conduisait  aux 
étages  supérieurs.  i  Lorsque  les  constructeurs,  écrit  Charles  du  Temple, 
trouvent  trop  dispendieux  l'emploi  du  marbre,  ils  ont  recours  à  une  mé- 
thode qui  leur  permet  une  décoration  plus  riche,  mais  plus  grossière  ;  ils 
emploient  la  terre  cuite  et  moulent  leurs  ornements.  Le  Lung'Arno  nous 
offre  encore  un  exemple  remarquable  de  ce  genre  de  façade  sur  un  palais 
situé  entre  le  Ponte-Vecchio  et  le  Ponte-Nuovo,  Si  cette  surcharge  d'orne- 
ments, cet  amas  de  feuilles,  de  figurines,  d'oves,  de  raies  de  cœur,  en- 
traînent une  confusion  regrettable,  il  n'est  pas  moins  juste  d'avouer  que 
cette  richesse  orientale,  ce  goût  insatiable  de  décorations,  ne  manquent 
pas  de  charme.  » 

Le  marché  aux  grains  était  flanqué  de  deux  tours,  destinées  à  le  mettre 
à  l'abri  des  émeutes;  il  était  placé  sous  la  protection  de  la  Vierge  par  la 
présence  d'un  sanctuaire  dédié  à  Sainte-Marie  de  la  Neige. 

Les  portes  devaient  avoir  une  importance  toute  particulière  dans  une 
ville  traversée  par  un  fleuve  aussi  torrentueux  que  VArno.  C'est  près  du 
Ponte-Nuovo^  commencé  en  1182,  que  fut  érigée  la  charmante  église  de 
de  Santa  Maria  délia  s/n'na.  On  sait  qu'un  marchand  pisan  ayant  rapporté 
un  fragment  de  la  couronne  d'épines  de  Notre-Seigneur,  lui  construisit  ce 
délicieux  reliquaire  que  Jean  de  Pise  devait  agrandir  plus  tard  et  enrichir 
de  magnifiques  ciselures  de  marbre. 

C'est  au  Ponte  al  mare  (\we  l'Arno  offrait  le    plus  d'eau   au  mouillage 


Ponte  al  Mare. 


des  navires.  Ses  parapets  étaient  munis  de  créneaux  pour  que  les  archers 
pussent  s'y  poster  au  besoin. 


l'architecture    civile    et    militaire    de    PISE  i65 

M.  G.  Rohault  de  Fleury  nous  donne  de  curieux  renseignements  sur 
les  murs  de  quais  qui  reliaient  les  ponts  et  endiguaient  l'Arno.  «  Ces 
quais,  nous  dit-il,  n'ont  pas  été  construits  d'un  seul  jet  et  leur  érection 
s'est  continuée  lentement  à  travers  les  siècles  et  au  milieu  des  exigences 
les  plus  diverses.  Aussi  n'offraient-ils  pas  une  courbe  continue,  mais  une 
multitude  de  saillies,  de  retraites,  d'encorbellements  dont  on  ne  peut  plus 
expliquer  aujourd'hui  les  motifs,  et  dont  on  se  console  par  leurs  effets 
pittoresques.  Dans  l'origine,  ils  furent  formés  par  les  propriétaires  des 
maisons  riveraines,  sans  souci  des  dimensions  adoptées  pour  les  voisins, 
et  dans  le  seul  but  d'élargir  les  abords  de  leur  demeure.  On  comprend 
déjà  quelle  cause  d'irrégularité  ce  dût  être,  et  cependant  ce  ne  fut  pas  la 
seule.  Il  arriva  souvent,  quand  l'activité  de  Pise  multiplia  le  mouvement 
dans  les  voies  publiques,  que  la  largeur  primitive  parut  trop  exiguë;  on  y 
remédia  en  scellant  dans  les  murs  des  corbeaux  de  pierres  et  en  recourant 
au  mode  de  l'encorbellement  qui,  sans  gêner  le  cours  du  fleuve,  fait  ga- 
gner un  terrain  précieux  de  deux  ou  trois  bras.  D'autres  fois  on  construi- 
sait dans  le  même  but,  comme  en  face  de  San-Sepolcro,  une  série  d'ar- 
concelles  ;  d'autres  fois  encore,  lorsque  la  ligne  irréguliére  du  quai  ne 
correspondait  pas  au  palais  qu'on  élevait  derrière,  afin  de  rendre  le  pas- 
sage parallèle  à  la  façade,  on  élevait  de  petits  arceaux  qui  rachetaient  la 
différence.  » 

Les  habitants  de  Pise  empiétaient  non-seulement  sur  le  fîeuve,  mais 
ils  étaient  fort  enclins  à  joindre  à  leurs  maisons  des  constructions  parasites 
qui  gênaient  la  libre  circulation  des  rues.  De  là  vient  cette  formule  du  ser- 
ment que  prêtaient  les  consuls  en  1286  :  «  Nous  promettons  de  signaler 
sur  les  deux  rives  de  YAtno  et  dans  les  endroits  adjacents  les  construc- 
tions illégales  dans  les  limites  de  trois  perches,  à  partir  des  murs  pour  les 
maisons  qui  n'ont  pas  de  colonnes,  et  des  colonnes  pour  les  maisons  avec 
portiques,  c'est-à-dire  les  loges,  retraites,  toits,  baraques,  comptoirs,  obs- 
tacles quelconques  qui  s'y  rencontrent;  nous  rapporterons  les  métiers  et 
trafics  auxquels  on  s'y  livre.  Nous  noterons  dans  les  limites  des  trois  per- 
ches, les  tentes,  toits,  escaliers,  gargouilles,  perches  faisant  obstacle  à  la 
circulation,  qu'on  y  a  amassés  ;  nous  chercherons  les  auteurs  de  ces  em- 
barras et  les  troubles  qui  peuvent  en  résulter  pour  la  cité.  »  La  charge 
d'édile  n'était  pas  alors  une  sinécure,  et  l'on  voit  par  la  subtilité  des  rè- 
glements municipaux  combien  on  cherchait  de  détours  pour  en  éluder  les 
prévisions. 

Les  édiles  de  Pise  s'appliquèrent  surtout  à  prémunir  de  tout  obstacle 
les  descentes  au  fleuve,  si  utiles  pour  le  commerce  :  ses  nombreux  esca- 
liers en  pierre  étaient  ordinairement  construits  aux  frais  de  ceux  qui  de- 
vaient le  plus  en  profiter. 


466 


l'architecture    civile    EJ'    militaire    de    PISE 


Escalier  du  Lung'Arno. 

M,  G.  Rohault  de  Fleury  donne  des  renseignements  sûrs  et  précis  sur 
l'architecture  navale  des  Pisans,  sur  leurs  établissements  de  bains,  sur  le 
dallage  des  rues,  sur  les  hôpitaux,  etc.;  au  lieu  de  le  suivre  dans  ces  mul- 
tiples détails,  nous  préférons  donner  la  date  des  anciens  monuments  civils 
et  militaires  de  Pise. 


Murailles  urbaines,  800,  1153. 
Citadelle,  140G. 
Place  des  Anziani,  1338, 
Palais  des  Anziani,  1286. 
Palais  du  Podestat,  XIIP  siècle. 
Nouv.  palais  du  Podestat,  XIV* 
Horloge  publique,  XIV''  siècle. 
Ponte  Vecchio,  104G,  1383. 
Ponte  Nuovo,  1182,  1332. 
Ponte  délia  Spina,  1262. 


Ponte  al  Mare,  XIIP  siècle. 
Marché  aux  grains,  1346. 
Marché  de  Cavali,  1346. 
Marché  actuel,  1153. 
Fonte  San  Stephano,  1154. 
Fonte  de  Borghono,  1298. 
Hôpital  de  la  Miséricorde,  1053. 

—  de' Trovatelli,  1218. 

—  Santa  Chiara,  1257. 

—  de'  Pelle.uriiii,  1330. 


Les  hautes  considérations  générales  que  fait  l'auteur  sur  la  Toscane, 
s'appliquant  nécessairement  à  la  ville  de  Pise,  nous  allons  terminer  cet 
article  par  le  résumé  général  de  ces  deux  volumes. 

Deux  grands  partis,  pour  des  causes  diverses  et  compliquées,  ont  ab- 
sorbé toutes  les  factions  politiques.  Deux  camps  derrière  lesquels  se  re- 
tranchent toutes  les  convictions,  toutes  les  haines,  toutes  les  vengeances  : 
les  Guelfes  et  les  Gibelins,  le  Pape  et  l'Empereur,  la  liberté  ou  le  despo- 
tisme, les  communes  ou  les  seigneurs.  L'architecture  suivit  la  politique 
dans  ce  double  courant.  Lors  de  la  formation  des  communes,  les  Grands 
habitaient  encore  la  can)pagne,  et  se  retranchaient  dans  les  donjons 
inexpugnables  pour  échapper  aux  pillages  si  fréquents  à  cette  terrible  épo- 
que, ou  pour  dominer  les  républiques  naissantes  exclusivement  composées 


L  ARCHITECTLHL    CIVILE   ET    MILITAIRE    DE    PISE  167 

de  paysans  et  d'artisans.  Tandis  que  les  villes  satisfaisaient  au  besoin  du 
commerce,  de  l'industrie  et  de  l'agriculture,  en  s'établissant  au  fond  des 
vallées,  les  nobles  choisissaient  les  cimes  les  plus  élevées,  les  roches  les 
plus  inaccessibles  pour  y  asseoir  leurs  demeures.  Ces  châteaux,  vrais  nids 
d'aigles,  dont  les  ruines  dentellent  encore  de  leurs  pierres  grossières  les 
sommets  des  Apennins,  forment  la  première  phase  de  l'architecture  gi- 
beline. 

Les  gens  de  la  plaine,  pour  défendre  leurs  nouvelles  franchises  et  leurs 
travaux  contre  les  entreprises  des  seigneurs  montagnards,  se  créèrent  un 
gouvernement  et  des  consuls,  dont  ils  furent  aussi  fiers  que  les  contem- 
porains de  l'antique  Brutus  :  ils  s'enveloppèrent  de  murailles  urbaines, 
fortifièrent  leurs  portes,  battirent  même  des  citadelles.  Ce  fut  l'origine  de 
l'architecture  guelfe. 

Ces  deux  éléments  devaient  bientôt  se  rapprocher  et  ces  deux  architec- 
tures se  toucher  sans  se  mêler. 

La  guerre  entre  les  donjons  ruraux  et  les  cités  devint  incessante;  les 
consuls,  que  la  veille  avait  vus  simples  artisans,  furent  transformés  en  gé- 
néraux par  leur  patriotisme  ;  ils  poussèrent  la  lutte  avec  tant  d'énergie 
qu'au  bout  d'un  siècle  les  châteaux  étaient  presque  tous  conquis,  soumis 
souvent  même  rasés. 

A  cette  époque,  les  communes  reçurent  les  nobles  dans  leurs  murs  et 
leur  permirent  d'y  construire  des  palais.  Ces  palais,  au  lieu  de  simples 
habitations,  prirent  bientôt  le  caractère  de  véritables  forteresses,  avec 
créneaux,  mâchicoulis,  plates-formes,  tours  gigantesques  et  réduits  mili- 
taires ;  ils  furent  munis  de  prisons  et  d'oubliettes  ;  leurs  balcons,  sous 
prétexte  d'agrément,  constituaient  des  machines  de  guerre  en  perma- 
nence. L'architecture  gibeline,  prenant  le  droit  de  cité  parmi  les  républi- 
ques duXIP  siècle,  entrait  ici  dans  sa  seconde  phase. 

Dès  lors,  les  villes  ne  connurent  plus  un  instant  de  repos  ;  elles  virent 
leurs  enceintes  transformées  en  un  champ  de  bataille  d'autant  plus  affreux 
qu'il  était  clos  et  étroit,  leur  gouvernement  méprisé  et  leurs  lois  foulées 
aux  pieds  par  ces  hôtes  orgueilleux.  Les  consuls  créés  pour  porter  la 
guerre  hors  des  murs,  sentaient  la  faiblesse  de  leur  pouvoir  et  la  lenteur 
de  leur  action  pour  étouffer  un  ennemi  intérieur  :  ils  durent  céder  la  place 
à  un  nouveau  magistrat,  qu'on  appela  le  Podestat,  afin  de  résumer  sa  mis- 
sion dans  un  titre  qui  signifie  la  puissance  personnifiée.  Le  Podestat  saisit 
l'autorité  absolue.  Séquestré  du  monde  comme  un  religieux,  privé  des 
joies  de  la  famille,  du  commerce  de  ses  amis,  choisi  dans  une  commune 
étrangère,  il  domina  toutes  les  fiiiblesses  pour  les  protéger,  il  devint  le  pa- 
tron des  pc'ti^s,  dos  désarmés,  des  opprimés  :  sa  verge  de  commandement 


168  l'architecture    civile    et    militaire    de    PISE 

fat  l'égide  des  pauvres,  le  sceptre  terrible  devant  lequel  tremblèrent  les 
riches  et  les  puissants.  On  logea  d'abord  ce  dictateur  populaire  dans  des 
demeures  privées  et  on  loua  une  tour  dont  on  fit  son  beffroi.  Bientôt  ces 
résidences  temporaires,  soumises  aux  changements  de  baux,  aux  caprices 
des  particuliers,  peu  commodes,  indignes  de  toute  façon  d'une  si  haute 
destination,  furent  remplacés  parles  palais  publics.  L'architecture  guelfe, 
inaugurée  pour  les  remparts,  reçut  ainsi,  de  la  satisfaction  de  ces  nou- 
veaux besoins,  le  second  degré  de  développement  et  atteignit  l'apogée  de 
sa  prospérité. 

On  vit  alors,  au  centre  de  ces  cités  pittoresques,  s'élever  des  palais 
grandioses  dont  le  front  crénelé  dépasse  tous  les  alentours  ;  au  milieu  des 
forêts  de  tours  seigneuriales,  surgir  des  tours  plus  hautes,  plus  fortes, 
plus  fières,  symbole  de  la  force  légale  et  de  la  justice.  Cette  architecture 
triomphante,  dont  les  monuments  sont  ceux  de  la  victoire  définitive  des 
Guelfes,  appartient  presque  exclusivement  à  la  seconde  moitié  du  XIII* 
siècle. 

L'architecture  féodale  et  gibeline,  à  partir  de  ce  moment,  fut  irrévoca- 
blement condamnée.  Dans  les  villes  ou  le  gibellinisme  conservait  quelques 
racines  et  dans  lesquelles  on  permettait  encore  de  restaurer  les  tours  dé- 
mantelées, les  nobles  relevèrent  les  étages  supérieurs  en  briques  grossiè- 
res, ou  réparèrent  en  nouvelle  maçonnerie  les  brèches  des  révolutions  ou 
les  ruines  du  temps  :  ainsi  on  s'étonne,  notamment  à  Pise,  d'apercevoir 
des  fragments  d'arcades  de  la  plus  belle  construction  oubliés  dans  une 
muraille  mal  briquetée.  L'âge  féodal  s'écroule  alors  de  toutes  parts  comme 
ces  édifices  ;  toute  la  vie,  toute  la  gloire,  tous  les  efforts  de  l'art  se  ren- 
contrèrent au  palais  communal.  Chaque  triomphe  guelfe  est  marqué  par 
la  fondation  ou  l'embellissement  d'un  hôtel  de  la  ville.  Désormais  les  for- 
teresses intérieures,  quand  elles  ne  sont  po;nt  abattues,  sont  aussi  sou- 
mises que  les  vieux  châteaux  des  montagnes  ;  l'architecture  domestique 
n'est  pas  anéantie,  mais'  seulement  transformée  par  cette  révolution  ;  elle 
devient  plus  élégante,  plus  civilisée,  et  dépouille  les  formes  trop  rudes  des 
anciens  temps. 

Le  triomphe  des  Guelfes  et  la  division  des  territoires  politiques  sont  le 
double  secret  de  la  merveilleuse  prospérité  des  arts,  et  le  jour  où,  cédant 
à  la  fatale  décadence  des  choses  terrestres,  ces  ressorts  se  détendent,  nous 
voyons  les  arts  s'incliner  sur  cette  pente  rapide,  Les  symptômes  qui  aimon- 
çaient  un  tel  déclin  se  multiplient.  La  démocratie,  n'ayant  plus  d'ennemis 
intérieurs,  devient  conquérante  ;  elle  foule  aux  pieds  l'indépendance  des 
républiques,  cette  gloire  du  parti  guelfe,  et  absorbe  l'autonomie  des  fai- 
bles ;  les  petits  centres  cèdent  chaque  jour  à  cette  force  attractive,  et  ten- 


l'aUCHIÏECTURK   civile   et    militaire   de  PISE  169 

dent  peu  à  peu  vers  un  centre  unique  où  l'art  finira  par  s'ensevelir.  Les 
c  mmunep  perdent  tonte  activité,  la  sève  se  retire  peu  à  peu  des  bran- 
ches, elle  n'alimente  plus  'jue  Florence  qui  absorbe  alors  tous  les  génies 
et  tous  les  clvfs-d'œuv  iv,. 

M.  Rohauli  de  Fle:,ry,  guidé  par  ces  grandes  lignes  historiques  qu'il 
trace  avec  un  jugement  si  sur,  divise  l'architecture  toscane  en  six  étapes 
correspondantes  aux  six  époques  de  l'histoire. 

Première  époque.  —  Architpcture  gibeline  extérieure  :  Châteaux. 

Deuxième  époque.  —  Origine  de  l'architecture  guelfe  :  Murailles  ur- 
baines. 

Troisième  époque.  —  Architecture  gibeline  extérieure  :  Tours  seigneu- 
riales. 

Quatrième  époque.  —  Triomphe  et  apogée  de  l'architecture  guelfe  : 
Palais  publics,  tours  communales. 

Cinquième  époque.  —  Déclin  et  transformation  de  l'architecture  gibe- 
line :  Surélévation  des  tours  en  briques,  loges,  palais  ornés. 

Sixième  époque.  —  Concentration  et  décadence  de  l'architecture  guelfe, 
sous  l'action  ambitieuse  des  grandes  communes  et  le  despotisme  des  sei- 
gneurs souverains  :  Citadelle,  palais  seigneuriaux. 

M.  G.  Rohault  nous  paraît  avoir  complètement  épuisé  son  sujet,  ea 
traitant,  de  main  de  maître,  de  cet  art  toscan  si  admirable  par  l'harmonie 
de  son  ordonnance,  l'ampleur  de  ses  masses,  par  son  heureux  mélange  de 
majesté  et  d'élégance;  étrusque  par  le  souvenir,  quelquefois  byzantin  ou 
arabe  par  l'imitation,  et  s'épanouissant  enfin  sous  la  puissante  énergie  du 
souffle  chrétien.  Pourquoi  M.  G.  Rohault  de  Fleury  ne  choisirait-il  pas 
Rome  pour  sujet  de  recherches  analogues?  On  a  largement  étudié  les  ruines 
romaines  de  la  Ville  éternelle,  ses  antiquités  chrétiennes,  ses  monuments 
religieux,  ses  chefs-d'œuvre  de  la  Renaissance;  mais  on  n'a  point  approfondi 
l'histoire  de  son  architecture  civile  et  militaire  du  moyen-âge.  Nul  n'}^  se- 
rait plus  préparé  et  plus  expert  que  le  savant  auteur  des  Lettres  sur  la 
Toscane,  car  il  apporterait  dans  ces  nouvelles  études  la  môme  sagacité 
historique,  le  même  esprit  d'observation,  la  même  science  professionnelle, 
le  même  style,  tantôt  familier  et  dégagé,  tantôt  élevé  et  éloquent,  et,  di- 
sons-le aussi,  ce  profond  sens  chrétien  qui  est  chez  lui  un  noble  héritage 

de  famille. 

L'abbé  J.  CORBLET. 


Ile  série,  tome  IL  12 


LES  SILEX  DE  WAGNONLIEU 


Près  Arras 


L'exploration  des  terrains  compris  entre  la  GitéetlaScarpe,  notamment 
aux  alentours  du  village  de  Wagnonlieu^  a  fourni  à  M.  le  capitaine  du 
Génie,  Gustave  Dutilleux,  attaché  à  la  Place  d'Arras,  le  sujet  de  recherches 
fort  intéressau/tes.  Une  feuille  locale  en  a  bien  touche  quelque  chose  il  y  a 
six  mois,  mais  son  laconisme,  joint  à  de  nouveaux  renseignements  qui  me 
sont  arrivés  depuis,  m'engage  à  soumettre  aux  lecteurs  de  la  Revue  un 
résumé  des  investigations  de  l'honorable  officier. 

Dans  une  terre,  vierge  de  tout  dépôt  de  cailloux  et  oii  l'argile  se  ren- 
contre jusqu'à  cinq  ou  six  mètres  de  profondeur,  M.  Dutilleux  a  trouvé, 
jonchant  la  surface  du  sol,  une  multitude  de  silex  bruts  ou  taillés  si  gros- 
sièrement qu'on  s'en  aperçoit  à  peine;  leur  nombre  est  assez  grand  pour 
qu'ils  servent,  depuis  longues  année:?  sans  doute,  à  l'entretien  des  voies 
de  communication.  Ces  silex,  soit  pointus,  soit  tranchants,  semblent  avoir 
été  choisis  à  dessein  ;  car  tous,  sans  exception,  montrent  au  sommet  une 
encoche  naturelle  plus  ou  moins  creuse;  en  outre,  l'une  des  faces  est  gé- 
néralement plane.  Or,  si  l'on  applique  la  paume  de  la  main  contre  le  côté 
dressé,  en  insinuant  l'index  dans  l'eucoche  et  en  serrant  les  doigts,  on  est 
en  possession  de  l'arme  terrible  dite  coup  de  poing.  Aiguë  ou  tranchante, 
cette  arme,  maniée  par  un  bras  vigoureux,  devait  occasionner  des  bles- 
sures dangereuses;  elle  a  pu  toutefois  convenir  à  l'usage  de  femmes  etd'en- 
ants,  car  certaines,  à  l'emploi,  sont  entièrement  recouvertes  par  la  main 
d'un  homme  de  taille  ordinaire. 

D'autres  silex,  du  mêino  genre  et  de  la  même  provenance,  se  rencon- 
trent en  nombre  relativement  moins  considérable  ;  ils  ont  la  forme  d'un 
cœur  ou  d'une  î-irosso  flèchc'trianguhiirc  à  uileiun;-,  sans  trace  de  pédon- 
cule. 

Peul-on  leeulerde  [uiieils  on;,!;ins     -  à  supposer  que  ce  soient  réelle- 


LES   SILEX   DE   WAGNONLIEU  171 

ment  des  engins  —  jusqu'aux  époques  dites  préhistoriques?  Non,  certes, 
puisqu'ils  affleurent  le  sol  au  lieu  d'être  enfouis,  et  qu'on  a  ramassé  parmi 
eux  les  objets  les  plus  disparates  :  des  fragments  de  silex  taillés  ou  polis; 
la  queue  d'un  tenon  en  bronze  antique  (?)  ;  les  débris  d'une  jugulaire  d'in- 
fanterie, modèle  usité  du  premier  empire  à  1840;  une  enseigne  de  pèle- 
rinage en  cuivre  jaune  de  fabrique  moderne,  dont  la  face  offre  l'image 
d'un  diacre  martyr  à  l'exergue  .  .  .LEONAR. . .,  l'avers  une  croix  ancrée 
où  l'on  distingue  encore  G.  S.  ND.  MB.  (le  reste  est  fruste),  cantonnée  des 
lettres  C.  S.  P.  B.,  Crux  sancti patris  Benedicti. 

Doit-on  admettre  qu'un  pur  hasard  ait  éparpillé  nos  silex  sur  un  terrain 
d'où  la  pierre  est  totalement  absente?  Pas  davantage;  aucun  éboulement 
naturel  ne  s'est  produit  dans  cette  plaine  unie,  trop  élevée  d'ailleurs  pour 
que  les  eaux  y  aient  amené  du  gravier. 

Qui  donc  alla  extraire  des  carrières  environnantes  ces  silex  choisis  ? 
Qui  donc  les  sema  aussi  nombreux  que  les  étoiles  dans  un  espace  res- 
treint? L'homme  évidemment,  poussé  par  un  besoin  d'attaque  ou  de  dé- 
fense. 

Sur  un  emplacement  qui  semble  avoir  appartenu  à  l'enceinte  du  pri- 
mitif Arras,  les  Gaulois,  nos  ancêtres,  ont-ils  résisté  à  César;  les  Gallo- 
Romains  du  IV'- siècle  ont-ils  combattu  l'invasion  germanique  ;  les  Jacques 
du  Moyen-Age  ont-ils  lutté  contre  leurs  seigneurs  avec  une  arme  d'occa- 
sion? L'avenir  nous  l'apprendra  peut-être. 

En  attendant,  les  découvertes  de  M.  Dutilleux  ont  un  résultat  immédiat 
qu'il  importe  de  signaler;  ellespourraient  fournir  de  nouveaux  arguments 
à  la  thèse  soutenue  par  M.  F.  Ghabas  avec  la  rigueur  d'une  démonstration 
géométrique.  Dans  son  remarquable  ouvrage — Études  sui'  l'antiquité  his- 
torique d'après  les  sources  égyptiennes  et  les  monuments  réputés  préhisto- 
riques —  l'éminent  égyptologue  de  Chalon-sur-Saône  prouve  que  TEgypte 
et  les  contrées  adjacentes,  en  possession  de  l'industrie  des  métaux  à  l'aube 
d'une  civilisation  voisine  du  Déluge,  ont  toujours  employé  les  r utils  en 
pierre  parallèlement  aux  objets  de  métal,  et  que  diverses  peuplades  de  la 
Péninsule  arabique  suivent  encore  aujourd'hui  les  mômes  errements. 
Conséquence  logique  et  forcée  :  les  trouvailles  de  Vàge  de  la  pierre  n'ont 
pas  l'antiquité  qu'on  leur  attribue  ;  elles  ne  remonteraient  vraisembla- 
blement pas  plus  haut  que  les  temps  historiques. 

Les  opinions  émises  par  M.  Ghabas,  dont  personne  n'oserait  contester 
la  science  et  le  talent,  gênent  singulièrement  certains  apôtres  de  la  doc- 
trine matérialiste;  ne  sachant  que  répondre  à  des  raisons  qui  leur  tom- 
baient dru  comme  grêle,  voici  ce  qu'ils  ont  imaginé  pour  se  tirer  d'atTuire  : 
un  écrivain,  un  savant^  a  eu  Taplomb  d'imprimer  les  lignes  suivantes  ; 


*'72  LES    SILEX   DE  WAGNONLIEU 

«  M.  Chabas,  de  Ghâlon-sur-Saône  (on  aurait  pu  ajouter,  Correspondant 
de  l'Institut),  se  prononce  encore  plus  nettement  que  M.  Lepsius.  Pour 
lui,  il  n'y  a  ni  âge  de  bronze,  ni  âge  de  pierre,  ni  temps  préhistoriques, 
pas  plus  en  Europe  qu'en  Egypte.  M.  Chabas  est  un  savant  du  plus  grand 
mérite,  et  il  se  devait  à  lui-même  de  soutenir  une  thèse  contraire  à  la 
nôtre  avec  scrupule  et  gravité.  Il  a  dû  comprendre  sa  faute,  CAR  IL  A 
RETIRÉ  SON  LIVRE  DU  COMMERCE  AVEC  LE  PLUS  GRAND  SOIN. 
Nos  lecteurs  ne  pourraient  pas  se  le  procurer....  Quant  à  notre  REVUE, 
M.  Chabas  ayant  supprimé  son  livre,  ELLE  N'AJOUTE  RIEN  A  CETTE 
CONDAMNATION  PRONONCÉE  PAR  L'AUTEUR  LUI-MÊME.  »  Maté- 
riaux pour  servir  à  V histoire  primitive  et  naturelle  de  l'homme,  t.  V,  liv.  1. 
p.  25.  Toulouse,  1874.  —  VÉgyptologie,  !■■«  année,  n°  9,  p.  70.  Chalon- 
sur-Saône,  septembre  1874.) 

La  manœuvre  est  commode  et  ne  s'était  pas  renouvelée  depuis  les  temps 
011  l'on  faisait  brûler  un  livre  par  la  main  du  bourreau.  Il  appartient  aux 
libres-penseurs  de  la  remettre  en  pratique.  Malheureusement  pour  les 
rédacteurs  de  la  Revue  toulousaine,  le  public  lettré  n'a  pas  été  de  leur 
avis;  à  une  première  édition  de  l'ouvrage  de  M.  Chabas,  enlevée  en  six 
semaines,  une  seconde  a  immédiatement  succédé  qui,  à  son  tour,  en 
appelle  une  troisième. 

On  ne  nomme  pas  le  coupable  de  la  charmante  espièglerie  que  je  signale 
à  mes  lecteurs  ;  c'est  fâcheux  -.  le  soupçon  pourrait  atteindre  un  innocent 
qui  n'a  jamais  trempé  sa  plume  dans  pareille  encre.  C.  L. 


L'EXPOSITION  DE  LILLE 


SEPTIEMK    ARTICLE 


XVII. 

Déjà,  dans  plusieurs  de  nos  visites  précédentes,  nous  avons  étudié  bon 
nombre  de  peintures.  Peut-être  ferons-nous  bien  maintenant  de  reprendre 
cette  étude  et  de  voir,  dans  chacune  des  salles,  ce  qu'il  y  a  de  plus 
remarquable  sous  ce  rapport. 

Dès  la  seconde  salle  nous  trouvons  ample  matière  à  notre  examen. 

Voici,  en  effet,  un  tableau  bien  authentique  de  Van  Dyck.  Il  appartient 
aux  hospices  de  Lille.  M.  Aimé  Hcuzé  de  l'Aulnoit,  dans  un  travail  spé- 
cial (in-4°  de  8  pages,  1873),  en  a  raconté  la  curieuse  histoire  et  donné 
la  description.  Le  grand  peintre  paraît  avoir  produit  cette  œuvre  avant 
son  voyage  d'Italie,  vers  16:^1.  Ce  tcibleau  est  une  Adoration  des  Bergers. 
Tout  à  côté  vous  voyez  un  S .  Bruno  remarquable  par  sa  grande  expres- 
sion de  piété  ;  il  fait  aussitôt  penser  à  Lesueur.  Puis  ce  sont  deux  sujets 
mystiques  :  l'Épouse  du  cantique  des  cantiques^  le  Couronnement  de  la 
Ste  Vierge,  peintures  SL"r  bois,  XVP  siècle,  appartenant  à  TEglise  de 
Rœulx.  Ce  n'est  plus  l'école  du  Moyen-Age,  ce  n'est  pas  encore  la  Renais- 
sance . 

Si  nous  passons  dans  la  quatrième  salle,  la  salle  des  émaux  peints  et 
de  la  tapisserie  de  Judith,  nous  y  remarquerons  d'abord  ce  Christ  en 
croix,  qui  est  de  Van  Ost,  et  qui  appartient  à  l'Eglise  Saint-Jacques  de 
Douai.  Nous  y  verrons  encore  cette  peinture  très-fine  de  l'école  flamande, 
peinture  représentant  une  Nativité,  et  exposée  par  M.  Ozenfant.  Là  aussi 
sont  deux  beaux  portraits  d'Evôques  de  Boulogne  et  de  Saint-Omer,  et 
un  grand  tableau  de  l'Immaculée-IJonception  avec  tous  les  emblèmes 
bibliques,  comme  on  aimait  à  le  faire  au  XVI*  siècle. 

Dans  la  salle  suivante  est  une  Sainte  Famille  de  Jean  Bellin,  à  M.  Paix, 

*  Voir  le  ii"  précédent   page  32. 


174  l'exposition  de  lillb 

de  Douai  ;  puis  une  Prise  d'habit  de  S  te  Aldegonde,  par  Crayer,  qui  s'est 
peint  lui-même  dans  la  foule  qui  assiste  à  la  cérémonie.  Ce  tableau 
appartient  à  M.  Queulain,  d'iwuy.  Voici  encore  plusieurs  petites  pein- 
tures très-remarquables,  dans  ces  vitrines  qui  renferment  tant  de  choses, 
et  qu'il  faut  examiner,  sonder,  à  loisir. 

En  effet,  c'est  encore  dans  une  vitrine  que  nous  trouverons,  à  la  salle 
suivante,  toute  une  collection  de  miniatures  sur  vélin,  les  Pères  du  désert, 
à  M,  Henri  Scrive  ;  toute  une  autre  collection  de  divers  sujets,  gouaches 
dans  des  cadres  italiens,  à  M.  Jules  Brame. 

Nous  pouvons  ensuite  gravir  l'escalier  et  nous  y  arrêter  avant  de  péné- 
trer dans  les  salles  du  premier  étage.  Nous  trouvons  en  effet,  aux  murs  du 
palier,  une  galerie  de  grandes  toiles,  parmi  lesquelles  tout  d'abord  nous 
pourrons  distinguer  :  le  Christ  après  la  flagellation,  appartenant  à  l'église 
d'Avesnes,  et  les  quatre  docteurs  de  V Eglise  appartenant  à  la  paroisse  de 
la  Madeleine,  de  Lille. 

Déjà,  dans  une  visite  antérieure,  nous  avons  examiné  la  galerie  de  feu 
M.  Louis  Lenglart,  exposée  dans  la  première  salle  de  l'étage.  Entrons  donc 
maintenant  dans  ce  charmant  réduit,  oii  sont  tant  de  merveilles  envoyées 
par  M.  Gauchez,  de  Paris. 

Voici  un  magnifique  spécimen  d'une  école  ancienne  antérieure  à  Ra- 
phaël et  offrant  déjà  des  caractères  qu'on  lui  attribue  souvent  d'une  ma- 
nière exclusive.  C'est  à  étudier  avec  soin,  pour  le  dessin  de  la  figure  de  la 
Vierge,  pour  le  genre  du  travail  pointillé,  pour  celui  des  nimbes  et  des 
bordures,  pour  cet  admirable  fond  sans  perspective,  formé  par  un  rosier, 
dont  le  coloris  s'harmonise  admirablement  avec  celui  du  vêtement  de  la 
Vierge.  Ce  tableau  de  Spinello  Arettino,  la  Vierge  au  rosier,  provient  de 
la  cathédrale  de  Sienne,  et  a  été  publié  j-écemment  dans  la  Gazette  des 
Beaux-Arts,  très-belle  gravure  de  M.  Flameng. 

Voici  la  Vierge  à  l'églantine  :  ce  tableau  de  Domenico  Ghirlandajo  (I4i9- 
1498),  provient  de  la  salle  des  Directeurs  à  la  monnaie  de  Florence.  Il  a 
été  également  [lublié  et  gravé  dans  la  Gazette  des  Beaux-Arts.  La  gravure 
est  de  M.  A.  Didier.  C'est  encore  une  admirable  peinture,  d'un  genre  un 
peu  plus  moderne,  et  qui  marque  une  nouvelle  étape  dans  ce  voyage 
incessant  de  la  peinture.  Le  mysticisme  a  disparu  ;  cette  Vierge  est  un 
portrait. 

Voici  VAnge  gardien.,  par  Juan  Fernandez  Navarrete,  dit  El  Mudo,  pro- 
venant de  la  collection  .Aguado;  Y  Assomption  par  Narcisse  Diaz  de  la 
Penna  ;  une  Vanitas,  par  E.  Kollier;  une  autre  Vanilas,  par  Jan  Davidsz, 
de  lieem  ;  Vemharffuenient  dans  l'arche  et  le  sacrifice  au  sortir  de  l'arche, 
par  Murillo, 


l'exposition    de    LILLE  175 

C'est  dans  la  seconde  des  salles  qui  prennent  leur  jour  sur  le  jardin  que 
nous  passerons  maintenant,  pour  y  considérer  d'abord  une  peinture  sur 
fond  d'or,  de  l'école  flamande,  seconde  moitié  du  XV*  siècle.  Elle  appar- 
tient à  M.  Arnould-Detournay,  et  représente  la  Mise  au  Tombeau.  Nous 
trouvons  ensuite  un  Christ  après  la  flagellation  et  une  Madeleine  de  Van 
Dyck,  à  M.  Sculfort,  de  Maubeuge,  ainsi  qu'un  aéée^/e  Tongerloo^  attribué 
à  Rubens  et  appartenant  aussi  à  M.  Sculfort  ;  un  S.  Philippe  de  Néri  à  M. 
Ponche,  d'Amiens  ;  une  Adoration  des  Bergers^  à  M.  Ignace  de  Coussema- 
ker,  deBailleul;  un  Christ  mort ^  sur  les  genoux  de  sa  inère,  attribué  au 
Caravage,  à  M.  Roger,  d'Amiens  ;  et  plusieurs  autres. 

Déjà  nous  avons  examiné  attentivement  les  tableaux  tout-à-fait  hors 
ligne  de  la  salle  suivante  :  la  Conversation,  la  Pietà,  la  Messe  de  S.  Gré- 
goire, etc.,  toutes  œuvres  sur  lesquelles  nous  n'avons  pas  à  revenir  au- 
jourd'hui, si  ce  n'est  pour  les  regarder  encore  en  passant  et  leur  dire, 
bien  à  regret,  adieu.  Là  encore  se  trouvent  le  S.  Pierre.,  de  Gérard  Dow, 
à  M.  Wavrin,  de  Douai,  et  la  Mise  au  tombeau.,  à  M.  Denis  du  Péage,  de 
Lille. 

Dans  la  salle  suivante,  nous  pouvons  encore  distinguer  plusieurs  bonnes 
peintures  :  une  Descente  de  croix.,  école  de  Rubens,  à  l'éplise  de  Bouvignies  ; 
Les  saints  invoqués  contre  la  peste,  école  vénitienne,  peut-être  de  Pierre 
de  Cortone,  à  M.  Ch.  BonneL  de  Cambrai  ;  un  autre  tableau  attribué  à 
Franck,  appartenant  à  M.  de  la  Chaussée,  Lille  ;  une  Descente  de  croix,  par 
Van  Mol,  à  M.  Mai'échal  ;  deux  tableaux  de  Solimène,  aux  Dominicains 
de  Paris. 

Traversons  la  salle  des  Ivoires  et  arrôtons-nous  dans  la  suivante  ;  nous 
serons  en  présence  des  beaux  tableaux  de  M.  Maréchal  père  :  «S.  Charles 
Bo7'romée  communiant  Ls  pestiférés;  6\  François  en  oraison,  école  hollan- 
daise, François  Miéris  ;  la  Sainte  Famille,  école  vénitienne  ;  une  autre 
Sainte  Famille,  signée  Janneck  F.  C.  Nous  avons  ens'iite  à  examiner 
l'Annonciatian,  par  Philippe  de  Champagne,  à  M.  Bonnel  de  Cambrai  ;  le 
beau  Portrait  de  Fénelon,  de  Vivien,  et  le  -S.  Pien^e  d'Alcantara,  de  Zur- 
baran,  à  M.  Queulain,  d'Iwuy.  Là  encore  nous  trouvons  un  tableau  at- 
tribué à  Carrache  ou  à  son  école,  La  Ste  Vierge  allaitant  l'enfant  Jésus, 
tableau  appartenant  à  M.  Boca,  de  Valenciennes  ;  le  beau  portrait  d'un 
abbé  de  l'ordre  de  Prémontré,  par  Eustache  Restout,  à  M  l'abbé  Baron, de 
Paris  ;  une  Vanité  peinte  par  Bailly,  maître  dont  on  ne  connaît  que  deux 
tableaux  :  celui-ci  a  été  reproduit  par  Ch.  Blanc  dans  l'histoire  des  Pein- 
tres ;  il  appartient  à  M.  Tgn.  de  Goussemaker. 

Nous  voici  maintenant  dans  une  salle  toute  décorée,  ou  peu  s'en  faut,  par 


176  l'exposition  de  lille 

les  tableaux  de  feu  M.  Charles-Marie  Lenglart,  de  Lille.  Tous  sont  remar- 
quables :  signalons  surtout  cette  collection  rare  d'œuvres  représentant  ce 
beau  sujet  si  souvent  choisi  par  les  p:rands  artistes  :  la  Sainte  Famille, on 
bien  la  Sainte  Vierge  avec  l'Enfant -Jésus. 

La  Sainte  Vierge  et  r Enfant- Jésus. —  Jésus-Enfant  dort  sur  le  sein  de  sa 
mère.  Attribué  au  Corrége.  Peinture  sur  bois. 

Sainte  Famille.  —  Elle  se  compose  de  Jésus-Enfant,  Marie,  Joseph  et 
S.  Jean-Baptiste.  La  scène  est  dans  l'intérieur  d'un  ancien  palais  ;  S. 
Joseph  monte  des  marches,  au  second  plan.  Tableau  sur  bois.  Même 
attribution. 

Sainte  Famille.  —  Elle  se  compose  dé  la  Ste  Vierge,  de  l'Enfant-Jésus 
et  de  S.  Jean-Baptiste  enfant.  Une  draperie  verte  forme  le  fond  de  ce  ta- 
bleau sur  toile,  qui  est  attribué  à  Raphaël. 

Marie  et  V Enfant-Jésus. —  Dessin  sur  parchemin. —  Colorié  au  pointillé, 
forme  octogonale.  Môme  attribution. 

La  Sainte  Vierge  et  l'Enfant-Jésus. —  Jésus  est  sur  les  genoux  de  sa 
mère  :  il  regarde  en  dehors  du  tableau.  Attribué  à  Van  Dyck. 

La  Sainte  Vierge  et  l'Enfant-Jésus. —  Marie  tient  Jésus  sur  ses  genoux. 
Il  paraît  éprouver  une  grande  joie.  Peinture  sur  cuivre  attribuée  à  Jean 
Rottenhamer. 

La  Sainte  Famille.—  Jésus,  Marie,  Joseph  sont  visités  par  Anne,  Jean- 
Baptiste  et  Joachim.  Grande  variété  d'attitude  et  de  sentiments.  Tableau 
sur  bois  de  Guérard  Wigmana. 

La  Sainte  Vierge  et  l'Enfant-Jésus.  —  La  Mère  tient  son  divin  Fils  sur 
ses  genoux  :  tous  deux  regardent  avec  bienveillance  le  spectateur.  Pein- 
ture sur  bois  attribuée  à  Otto  Venius  et  à  Rubens,  qui  y  auraient  travaillé 
tous  deux. 

Signalons  ensuite  ces  autres  sujets  : 

Sainte  Marie-Madeleine.  —  Tableau  sur  bois.  La  Sainte  est  en  prière, 
grotte,  vase  de  parfums,  attributs  ordinaires.  Ecole  inconnue. 

Tête  de  saint  Jean- Baptiste.  —  Elle  est  posée  sur  une  table.  Auréole.  Il  est 
nuit;  la  lumière  vient  d'une  lampe  supposée  hors  du  tableau.  Toile  attri- 
buée à  Guido  Reni. 

L'apparition  aux  saintes  Femmes.  —  Une  inscription  tracée  derrière,  sur 
la  toile,  donne  ce  tableau  comme  un  original  de  Rubens. 

La  Samaritaine.  —  Jé.sus,  la  Samaritaine,  les  Apôtres,  paysage.  Com- 
position admirable  et  ensemble  très-animé.  Toile  attribuée  à  Nicolas 
Poussin. 

Dans  la  même  salle,  nous  remarquons  une  très-belle  Déposition  de  la 


l'exPUSITION    de    LILLE  177 

croix,  d'un  maître  de  Técole  flamande  primitive,  appartenant  ù  M.  De- 
swarte-Peuvion,  Lille.  C'est  dans  cette  chapelle  en  bois  sculpte,  architec- 
ture XVII'  siècle,  que  se  trouve  ce  précieux  tableau. 

Entrons  de  nouveau  dans  la  chapelle^  oh  nous  reviendrons  encore  bien- 
tôt pour  d'autres  objets  d'art,  et  notons  plusieurs  peintures  dont  nous  ne 
nous  sommes  pas  encore  occupés,  bien  que  nous  en  ayons  déjà  vu  beau- 
coup. 

Ce  grand  tableau,  où  l'on  voit  les  comtesses  de  Flandre  Jeanne  et  Mar- 
guerite, avec  des  religieuses  à  genoux,  appartient  aux  hospices  de  Lille. 

Dame  Marguerite  sœure  et  unique  héritière 
De  ladicte  dame  Jeanne  confirma  et  augmenta 
Grandement  ladicte  fondation  ; 
Et  y  adjousta  aussy 

Unne  chapelle  à  riionneur  de  made  S  Elisabeth 
Patronesse  des  hospitalières  ;  et  trespassa  l'an  1279 
Laissant  ses  enfans  héritières  de  Flandre  et  Hainau 
Bienfaiteurs  et  protecteurs  dudz  hospi  Recq  in  Pace 

Dame  Jeanne  comtesse  de  Flandre  et  de  Haineau 
Fille  de  Baudoin  empereur  de  Constantinople 
Espouse  de  Thomas  de  Savoye  et  aupai'avant  de 
Ferdinand  fils  du  Roy  de  1  ortugalle  ;  fonda  cest 
Hospital  de  nostre  Dame  dict  comtesse  de  l'ordre 
De  S.Augustin  à  Lille  en  l'an  :  1236  et  mourut 
Sans  enfans  en  l'an  1244  :  Requiescat  in  pace 
Faict  en  l'an  1 632 . 

Voici  une  Adoration  des  Mages,  triptyque  du  XVIe  siècle,  appartenant  à 
M.  Delaherche.  A  lui  encore  appartient  le  Christ  descendu  de  la  Croix, 
peint  par  Quentin  Warin,  de  Beauvais,  qui  fut  le  maître  de  Poussin;  et 
cet  autre  diptyque  du  XVI*  siècle,  école  française. 

Voici  un  autre  triptyque  appartenant  à  M.  Caulliez-Bigo,  de  Tour- 
coing. Il  représente  le  mariage  mystique  de  Ste  Catherine;  il  est  de  l'école 
flamande,  deuxième  moitié  du  XV*  siècle.  Cet  autre,  Jésus  couronné 
d'épines,  commencement  du  XVIP,  appartient  à  M.  Lhomme,  de  Liessies. 
Cette  adoi-ation  des  Mages,  sur  cuivre,  à  M.  Guilmain,  est  attribuée  à 
Franck-Floris  ;  cette  autre,  même  sujet,  à  M.  Benvignat,  est  une  peinture 
de  l'école  allemande,  très-riche  de  coloris  et  du  XVIe  sièc'e. 

Enfin,  dans  les  deux  dernières  salles  nous  trouvons  des  tableaux  remar- 
quables exposés  par  M.  Lhomrae,  de  Liesses,  par  M.  Van  der  Cruisse  de 
Waziers,  par  les  Frères  des  écoles  chrétiennes,  de  Douai  ;  par  M.  Dela- 
herche, de  Beauvais;  M.  Cachet,  de  Lille;  M.  Tesse.  de  Douai. 

Iï«  série,  tome  II.  13 


178  l'exposition  de  lille 

Chemin  faisant,  nous  avons  pu  noter  encore  quelques  œuvres  qu'il  est 
bon  de  mentionner.  C'est  ainsi  que  nous  avons  remarque  Lien  des  tableaux 
exposés  par  M.  Van  der  Cruisse  de  Waziers,  notamment  son  .S.  François, 
du  Guide  ,•  par  M.  Ozenfant,  entre  autres  son  ])eau  triptyque  reproduisant 
riconographie  grecque  dans  tout  son  éclat,  et  son  curieux  Jérôme  Bosch  ; 
par  M.  Ed.  de  Coussemaker;  par  M.  Gastelein-Maquet,  de  Menin,  As- 
somption  signée  Ary  Scheffer.  M.  Desmottes  et  la  famille  Lambry-Scrive, 
de  Lille,  nous  ont  aussi  donné  des  choses  remarquables  dont  nous  n'a- 
vons pas  encore  fait  mention.  M.  Béthune,  de  Gand,  nous  a  également 
donné  d'autres  œuvres  que  celles  dont  nous  avons  parlé,  par  exemple 
son  charmant  petit  tableau  si  mystique  ,  si  original ,  exposé  dans  la  Cha- 
pelle; M.  Losserand,  de  Douai,  a  exposé  une  curieuse  vie  de  S.  Druon,  en 
13  compartiments  ;  M.  Wavrin,  aussi  de  Douai,  a  donné  plusieurs  bons 
sujets  ;  M,  Guilmain-Brack  s'est  distingué  par  ses  tableaux  comme  par 
ses  autres  œuvres  d'art.  N'oublions  pas  les  artistes  du  pays,  notamment 
le  Doncre  exposé  par  M.  Asselin  ;  le  Toursel,  par  M.  Lecesne.  Jetons  en- 
core un  coup  d'œil  sur  cette  intéressante  peinture  sur  agate,  à  M.  Vin- 
chon,  d'Arras,  sur  ces  peintures  russes  ou  autres  à  fond  d'or,  exposées 
par  M.  le  général  de  Bellecourt  et  par  MM.  Arnould-Detournay  et  Curblet. 
Plusieurs  peintures  sur  soie,  évidemment  reproduites  d'après  un  type  pri- 
mitif (Notre-Dame  de  LoretteJ,  sont  aussi  fort  curieuses  à  comparer;  de 
même  que  plusieurs  Sainte  Rose  de  Lima,  aussi  faites  d'après  un  pre- 
mier modèle ,  exemples  frappants  du  caractère  ,  en  quelque  sorte  officiel 
et  de  convention,  que  tendent  facilement  à  prendre  les  sujets  populaires 
et  souvent  traités. 

Chemin  faisant  aussi,  nous  avons  remarqué,  avec  l'attention  qu'ils  mé- 
ritent, les  beaux  dessins  de  monuments  ou  étofï'es,  par  MM.  Aug.  Des- 
champs de  Pas,  de  Linas,  Helbig  :  le  catalogue  les  a  fait  connaître  avec 
plus  de  détails. 

L'abbé  E,  Van  Drival. 

(La  suite  au  prochain  numéro.) 


BIBLIOGRAPHIE 


GUIDE  DE  L'ART  CHRÉTIEN,  par  M.  le  comte  Grimouard  de  Saint-Laurent. 

Le  premier  volume  contient  une  bonne  introduction  historique  et  onze 
études  d'esthétique  proprement  dite.  Cette  science,  qui  a  pour  objet  de 
rechercher  et  de  déterminer  les  caractères  du  Beau  dans  les  productions 
de  la  nature  et  de  l'Art,  compte  en  France  peu  d'adeptes.  11  faudrait  du 
temps  pour  démontrer  que  c'est  un  tort,  et  il  est  à  craindre  qu'on  n'y 
réussisse  guère  pour  le  moment.  D'un  autre  côté,  il  faut  reconnaître  que, 
s'il  est  nécessaire  à  chacun  de  se  mouvoir  dans  le  sens  d'une  bonne  esthé- 
tique, il  n'est  pas  absolument  indi>pensablepour  chacun  d'arriver  à  pouvoir 
expliquer  philosophiquement  h  soi-même  et  à  son  prochain,  pourquoi  et 
comment  il  goûte  ou  produit  le  beau.  Le  principal  est  de  le  goûter  ou  de 
le  produire.  Quiconque  y  arrive  fait  dëî l'esthétique  sans  le  savoir,  comme 
M.  Jourdain  sa  prose. 

Voilà  pour  aujourd'hui,  mais  ne  croyons  pas  en  être  quitte  pour  tou- 
jours à  si  bon  maiché.  L'étude  philosophique  du  Beau  a  été  très-cultivée 
dans  plusieurs  pays  de  l'Europe,  et  en  France,  par  des  hommes  connus  : 
Jouffroy,  Victor  Cousin,  M.  (Charles  Levesque.  Il  y  a  là,  dans  la  direction 
de  nos  études,  tout  un  travail  d'esprit  auquel  nous  ne  devons  pas  rester 
étrangers  jusqu'à  la  fm. 

Mais  l'esthétique  n'est  pas  la  partie  capitale  du  livre  dont  nous  voulons 
rendre  comple  en  ce  moment.  Le  travail  de  M.  Grimoûard  comprend 
VIconologie,  qui  est  une  science  interprétative  et  Y  Iconographie  qui  est 
surtout  une  science  descriptive,  (i  .^u  point  de  vue  où  nous  nous  sommes 
«  placés,  dit  M.  Grimoûard,  elles  sont  hées  si  intimement  l'une  à  l'autre 
«  que  nous  ne  saurions  les  séparer,  puisqu'il  s'agit  pour  nous  tout  à  la 
«  fois  de  connaître  les  images  chrétiennes,  de  les  comprendre  et  de  les 
«  apprécier  pour  savoir  quand  et  comment  il  faut  les  imiter...  Nous  consi- 
4  dorons  les  images  et  toutes  les  représentations  de  l'art  comme  constituant 
«  une  sorte  de  langage,  et  l'iconographie,  comme  étant  la  science  de  ce 
«  langage.  »  Tel  est  ce  vaste  champ  d'études  dont  nous  ne  pouvons  don- 


180  niBLIOCTRAÎ'HIK 

ner  mieux  l'idée  que  par  la  reproduction  du  titre  des  sujets  traités,  sous 
le  nom  à.' Iconographie  générale.  Les  volumes  II  et  III  contiennent  les  études 
suivantes  : 

Du  Nimbe.  —  Des  autres  signes  symboliques  d'un  caractère  général  ; 

—  Des  positions  symboliques.  —  De  Dieu.  —  De  la  Trinité  et  de  la  dis- 
tinction des  personnes  divines.  —  Type  du  Christ,  d'après  les  traditions  ; 

—  Type  du  Christ  dans  l'Art  ;  —  Vêtements,  attributs  et  emblèmes  du 
Christ  ;  —  de  l'Enfant-Jésus  ;  —  le  doux  Jésus;  —  do  la  Croix  ;  —  Jésus 
souffrant  ;  —  Jésus  triomphant.  —  Du  type  de  figure  de  Marie;  —  des 
vêtements  et  des  attributs  de  Marie  ;  —  de  la  Vierge  Mère  ;  —  manières 
diverses  de  représenter  la  Sainte  Vierge;  —  compositions  d'ensemble 
consacrées  à  Marie  ;  —  des  saints  Parents  et  du  saint  f]poux  de  Marie.  — 
Des  Anges  en  général  et  de  leur  hiérarchie;  —  histoire  et  fonctions  des 
Anges; —  Des  Anges  personnellement  connus.  —  Des  démons  et  des 
puissances  du  mal.  —  De  l'âme  humaine  et  des  choses  qui  s'y  rapportent. 

—  De  /'Eglise.  —  Des  Vertus.  —  Des  choses  morales  et  sociales. —  Des  choses 
physiques. 

Sous  le  nom  d'Iconographie  des  mystères.,  le  IV^  volume  comprend  des 
Etudes  sur  :  la  création  ;  —  la  chute  et  la  promesse  ;  —  les  figures,  la 
préparation  et  l'attente.  —  Préludes  du  divin  avènement;  —  Nativité  de 
Notre-Seigneur;  —  Mystères  de  la  Sainte-Enfance;  —  Vie  publique  de 
Notre-Seigneur  ;  —  Prédications  de  Notre-Seigneur.  —  Préludes  de  la 
Passion;  —  la  Passion;  —  de  la  Résurrection;  —  de  l'Ascension;  — 
Descente  du  Saint-Esprit  ;  —  de  l'Assomption;  —  de  l'Apocalypse;  —  des 
fins  dernières. 

Tel  est  l'ensonible  traité  par  M.  Grimoiiard.  et  qui  sera  complété 
prochainement  par  un  V  volume  comprenant  la  caractéristique  des 
Saints.  L'auteur  connaît  bien  les  œuvres  des  peintres,  des  sculpteurs,  des 
miniaturistes.  11  est  au  courant  des  travaux  de  ses  devanciers.  Son  livre, 
écrit  avec  conscience  et  amour,  pourra  être  discuté  dans  quelques  appré- 
ciations; mais  il  apportera  certainement  aux  artistes  eL  aux  archéologues 
des  renseignements  indispensables  en  même  temps  qu'une  doctrine  tou- 
jours sûre.  Sans  vouloir  marchander  à  l'artiste  la  liberté  à  laquelle  il  a 
droit,  on  ne  pourra  nier  le  profit  que  l'artiste  retirera  à  voir  comment, 
depuis  dix-huit  siècles,  le  sujet  qu'il  traite,  a  été  conçu  et  rendu  par  tant 
d'hommes  éminents.  11  sera  aidé  par  de  très-nombreux  croquis,  qui 
seraient  tout-à-fait  insuffisants  pour  apprécier  la  valeur  esthétique,  mais 
qui  donnent  ce  que  l'Iconographie  demande,  c'est-à-dire  la  composition 
du  sujet  avec  l'attitude  et  les  attributs  des  personnages.       A.  d'Avril. 


CHRONIQUE 


Espagne.  —  Le  tableau  de  saint  Antoine,  volé  dans  la  cathédrale  de 
Séville,  a  été  retrouvé.  Il  avait  été  offert  en  vente  àun  marchand  de  New- 
York  par  deux  Espagnols  ;  il  a  été  considérablement  endommagé. 

Angleterre.  —  The  Academy  annonce  que  MM.  Edmonston  et  Douglas 
vont  publier  prochainement,  en  Angleterre,  un  fac-similé  de  la  rarissime 
collection  de  40  planches,  gravées  par  Nicolas  Nogenbert,  et  représentant 
la  procession  du  pape  Clément  Vil,  après  le  couronnement  de  l'empereur 
Charles-Quint,  à  Bologne,  le  1^4  février  1530.  Ils  y  ont  joint  une  introduc- 
tion par  sir  W.  Stirling-Maxwell,  et  de  nombreux  portraits  et  dessins  de 
l'époque. 

Nivelles.  —  Par  délibération  du  Conseil  communal  de  Nivelles  (Bel- 
gique), en  date  du  28  octobre,  il  a  été  décidé  qu'une  statue  serait  élevée, 
sur  une  des  places  publiques  de  Nivelles,  à  la  mémoire  d'un  des  enfants 
de  cette  ville,  le  plus  universellement  connu  :  Jean  Tinctoris,  qui  fut  au 
XV  siècle  un  des  premiers  maîtres,  et  qui  est  resté  un  des  plus  grands 
théoriciens  de  l'art  musical.  Tinctoris  a  écrit  le  premier  dictionnaire  de 
musique  intitulé  :  Terminorum  rnusices  Diffinitorium,  qui  parut  en  1474. 
Il  naquit  en  1435,  et  mourut  vers  lo20.  Le  projet  du  monument  est  con- 
fié au  sculpteur  Samain.  Ce  sera  la  quatrième  statue  érigée  en  Belgique 
en  riionneur  des  musiciens  :  Grétry,  Roland  de  Lassus  et  Servais  en  ont 
chacun  une.  {Revue  et  Gazette  musicale). 

Jaffa.  —  Dans  le  cours  de  ses  recherches  en  Palestine,  M.  Clermont- 
Ganneau  a  trouvé  à  Jaffa  un  monument  intéressant.  C'est  une  dalle  de 
marbre  blanc  sur  laquelle  est  gravé  au  trait  un  personnage  ecclésiastique 
posé  de  face,  à  la  barbe  courte,  coifîé  de  la  mitre  et  tenant  à  gauche  la 
crosse  épiscopale. 


182  CHRONIQUE 

Il  ne  reste  de  cette  dalle,  qui  devait  représeaterl'évêque  en  pied,  qu'un 
morceau  comprenant  la  moitié  gauche  de  la  figure  du  personnage  jusqu'à 
la  naissance  des  épaules.  Tout  autour  courait  une  inscription  latine  en 
lettres  médiœvales,  formant  encadrement.  Il  n'en  reste  plus  que  quelques 
mots  :...  ducentesimo  quinquagesimo  octavo  in  festo  sanctorum...  En  resti- 
tuant au  début  le  millesimo.  qui  est  certain,  on  a  la  date  de  1258.  C'est  le 
seul  renseignement  positif  qui,  avec  la  qualité  du  défunt,  ressorte  de  cette 
dalle  mutilée. 

En  présence  de  ces  indications,  troi.^  hypothèses  ont  paru  possibles  à 
M.  Glermont-Ganneau  :  1°  cette  dalle  a  pu  êLre,  coraine  tant  d'autres  ma- 
tériaux de  construction,  transportée  à  Jaffa  d'une  autre  ville  voisine,  siège 
d'un  évêché,  par  exemple  d'Acre;  2"  elle  peut  recouvrir  les  restes  du  titu- 
laire d'un  autre  évêché  mort  à  JaîTa  pendant  l'occupation  franque  ;  3°  elle 
peut  appartenir  à  unévêque  de  Jaffa  même.  Mais  niVOriens  christianus  de 
Le  Quien,  ni  les  Familles  d' Outremer  de  Du  Gange  ne  donnent  le  nom  d'un 
évêque,  archevêque,  abbé  ou  prieur  latin  mort  on  1238.  Reste  la  troi- 
sième conjecture,  celle  d'un  évêque  de  Jaffa.  Elle  soulève  une  question 
historique  non  encore  résolue  et  dont  M.  Ganneau  expose  en  détail  tous 
les  éléments  :  Existait-il  un  évêché  à  Jaffa  pendant  les  croisades? 

Jacques  de  Vitry,  évoque  d'Acre,  en  1216,  dit  expressément  dans  son 
Histoire  de  Jérusalem  que  la  ville  de  Jaffa  n'a  pas  d'évêque,  mais  relève 
immédiatement  des  chanoines  du  Saint-Sépulcre.  D'un  autre  côté,  VEs- 
toire  des  Brades  Empereur.,  cité  par  Le  Quien,  nomme  plusieurs  évêques 
de  Jaffa,  de  l2o3  à  1374,  parmi  lesquels  Guy  de  Nimars,  mort  en  1253 
(date  qui,  par  une  .dtération  de  copie,  pourrait  provenir  de  1258  — 
MCCLVIII  et  MGCLIil).  Mais  certains  manuscrits,  au  lieu  de  évêque  de 
Jaffa  donnent  la  leçon  ;  évêque  de  Paphe  (Paphos  en  Chypre). 

Cependant,  en  face  do  ces  arguments  négatifs,  il  convient  de  placer  une 
lettre  du  pape  Alexandre  lil,  adressée  à  Pierre,  prieur  du  Saint-Sépulcre, 
d'où  il  résulte  que  le  roi  Amaury  avait  restitué  à  l'église  de  Jaffa  son  an- 
tique dignité  de  cathédrale,  et  que  le  pape,  malgré  la  protestation  du 
prieur,  crut  de  son  devoir  de  maintenir  cette  restitution.  L'existence  de 
l'évêchc  latin  de  Jaffa  reste  néanmoins  douteuse.  Quoi  qu'il  en  soit,  la 
date  de  1258  nous  reporte  à  six  années  seulement  après  l'arrivée  de  Louis 
IX  à  Jaffa,  sous  le  bailliage  de  Jean  d'IIélin,  comte  de  Jaffa,  six  ans  avant 
la  prise  délinitive  de  cette  ville  par  le  sultan  Béi])ars.  ■  : 

AL  de  Longpérier  a  présenté  sur  le  mé.uoire  de  M.  Clerraont-Gannéau 
diverses  observations  qui  montrent  que  l'auteur  de  la  découverte  s'est 
laissé  entraver  dans  sa  recherche  par  une  donnée  inexacte.  En  efï'et,  lors- 
qu'il avance  que  la  position  de  la  crosse  tournée  à  senestre  indique  que 


CHRONIQUE  183 

nous  avons  aiîaire  à  un  évoque  el  non  ù  un  abbé  crosse  et  mitre,  il  fait 
allusion  à  un  système  qui,  dans  cette  forme  absolue,  est  trop  moderne.  Il 
existe  sans  doute  un  très-grand  nombre  de  monuments  qui  représentent 
des  abbés  tenant  leur  crosse  de  la  main  droite  sans  qu'on  puisse  observer 
de  règle  relativement  au  sens  dans  lequel  est  tournée  la  volute. 

En  général,  l'évèque  doit  tenir  sa  crosse  de  la  main  gauche  afin  de  con- 
server la  droite  libre  pour  la  bénédiction.  Mais  on  trouve  parfois  sur  des 
sceaux  la  figure  d'un  évêque  tenant  sa  crosse  de  la  main  droite,  et  d'autre 
part,  il  existe  un  certain  nombre  de  monuments  représentant  des  abbés 
tenant  une  crosse  de  la  main  gauche.  Au  temps  oii  a  été  gravée  la  pierre 
recueillie  par  M.  Ganneau,  un  abbé  pouvait  être  figuré  tenant  sa  crosse  à 
gauche. 

Ce  n'est  donc  pas  seulement  dans  les  listes  épiscopales  qu'il  convient  de 
chercher  le  nom  du  dignitaire  ecclésiastique,  mort  en  1258,  dont  le  mo- 
nument vient  d'être  découvert.  Ce  n'est  pas  non  plus  seulement  aux  listes 
orientales  qu'il  faut  recourir  :  un  évêque  ou  un  abbé  mitre,  accompagnant 
une,  armée  de  croisés,  ou  venu  en  pèlerinage,  peut  a^  v.a-  terminé  ses  jours 
en  Palestine,  sans  avoir  occupé  un  siège  appartenant  à  cette  contrée.  Le 
champ  des  recherches  est  donc  plus  vaste  que  M.  Gonneau  ne  l'a  supposé. 

D'autres  hypothèses  d'identification  peuvent  être  proposées.  Par  con- 
séquent, la  découverte  de  M.  Ganneau,  quelque  intérêt  qu'elle  puisse  avoir 
pour  l'histoire  des  Croisades,  au  point  de  vue  des  personnages  qu'elle 
concerne,  n'est  pas  un  témoignage  absolu  sur  l'existence  d'un  évêché  à 
Jaffa  au  milieu  du  XIIP  siècle.  {Univers.) 

Toulouse.  —  Nous  lisons  dans  la  Semaine  catholique  : 
«  Le  Comité  de  la  st.. Lue  de  sainte  Germaine  a  traité  définitivement 
avec  MM.  Falguière  et  Pujol  pour  l'érection  du  monument.  Déjà,  quel- 
ques ouvriers  ont  fait  les  sondages  nécessaires  (sur  la  place  Saiat-Georgesy 
et  ces  premiers  travaux,  qui  peuvent  quelquefois  entraîner  des  modifica- 
tions dans  les  plans  adoptés  ou  dans  les  dépenses  prévues,  donnent  la  cer- 
titude que  l'on  pourra  exécuter  ce  monument  dans  des  conditions  qui  ne 
changeront  rien  au  projet  primitif. 

.  «  Notre  cité  s'enrichira  donc  d'une  œuvre  remarquable  due  à  des  artistes 
qui  ont  tenu  avant  tout  à  donner  à  leur  ville  natale  une  preuve  d'attache- 
ment, on  pourrait  ajouter  de  reconnaissance  et  de  désintéressement.  Pour 
rendre  ce  monument  plus  cher  à  leurs  concitoyens,  ils  ont  appelé  à  leur 
aide  des  ouvriers  ayant  l.^  même  origine  qu'eux  et  animés  des  mêmes  sen- 
timents. 


184  CHRONIQUE 

((Tout  fait  espérer  que  leur  travail  répondra  à  ce  que  l'on  doit  attendre 
des  hommes  distingués  qui  en  ont  dressé  le  plan. 

«  Ainsi  sera  perpétué  un  événement  qui  comptera  parmi  les  souvenirs 
les  plus  glorieux  de  Toulouse  ;  ainsi  s'élèvera  sur  une  de  nos  places  pu- 
bliques l'hommage  solennel  et  permanent  de  la  cité  tout  entière  à  une 
pauvre  bergère  que  l'Eglise  a  inscrite  dans  ses  diptyques  sacrés.  » 


ivecroLiOGIe: 

Dom  Guéranger.  —  L'illustre  abbé  de  Solesmes  est  mort  en  son  mo- 
nastère, le  30  janvier.  C'est  une  perte  immense  pour  la  Congrégation  qu'il 
a  fondée,  pour  l'érudition  dont  il  était  une  des  gloires,  pour  TEglise  qu'il 
a  si  noblement  défendue.  Toujours  sur  la  brèche,  il  avait  le  courage 
d'abandonner  des  études  commencées,  pour  porter  ses  forces  là  oii  de  nou- 
veaux périls  se  déclaraient.  Après  avoir  fait  triompher  la  liturgie  romaine 
dans  toute  la  France,  il  a  éloquemment  revendiqué  bs  droits  du  surnaturel 
dans  l'histoire,  et,  dans  ses  derniers  temps,  il  a  été  l'un  des  champions  les 
plus  valeureux  de  l'infaillibilité  pontificale.  Dom  Guéranger  avait  un 
profond  sentiment  de  l'art  et  une  connaissance  approfondie  des  monu- 
ments chrétiens.  Il  a  donné  des  preuves  de  sa  science  archéologique  dans 
sa  Notice  sur  l'abbaye  de  Solesmes,  dans  son  Histoire  de  Ste  Cécile,  dans  les 
remarques  des  Institutions  liturgiques^  consacrées  aux  miniatures  reli- 
gieuses du  Moyen-Age,  et  dans  divers  articles  insérés  dans  notre  Revue. 
Ceux  qui,  comme  nous,  ont  connu  intimement  l'auteur  du  Naturalisme 
dans  l'histoire  et  de  la  Monarchie  pontificale,  n'ont  pas  seulement  à 
regretter  un  des  chefs  les  plus  éminents  du  parti  catholique,  mais  un 
homme  excellent,  dévoué,  simple,  affable,  qui  joignait  la  plus  spirituelle 
bonhomie  à  une  vaste  érudition,  un  jugement  suret  fin  à  des  convictions 
profondes,  une  piété  tendre  et  solide  à  une  grande  largeur  de  vues.  Dom 
Guéranger  ne  laisse  pas  seulement  après  lui  des  œuvres  littéraires;  il  se 
survit  encore  dans  les  trois  monastères  qu'il  a  fondés.  —  Solesmes, 
Ligugé,  Marseille  —  et  dans  cette  noble  Congrégation  des  Bénédictins  de 
France  qui,  marchant  sur  ses  traces,  propagent  ses  doctrines  et  riva- 
lisent avec  lui  pour  la  science,  la  vertu  et  le  dévouement  à  l'Église. 

J.  G. 


REVUE  DE  L'ART  CHRÉTIEN 


PI.  in. 


ASSYRIE 

1  2.  Figures  eutnques  émaillees  J.horsatad.  5,^A6,Z  Bijo^  W^^^^^^^^^ 
id    D'aVres  M  V  PIace._  Bracelet  d'AssuTkmpal.  D'après  m  has-relief  duLouvre. 


LES  OKIGINES 

DE  L'ORFÈVRERIE  CLOISONNÉE 


TROISlEMIi:    AKTICLE    "^ 


III.  —  Les  Assyro-chaldéens. 

Les  contrées  environnées  par  l'Euplirate  et  le  Tigre  furent  ha- 
bitées de  très-bonne  heure.  Nous  y  trouvons  d'abord  au  sud  la 
race  chamite,  dont  Nerarod,  fils  de  Koush,  vigoureux  chasseur 
devant  l'Eternel  selon  les  termes  de  la  Bible,  est  l'expression 
caractéristique.  Nenirod  régna  sur  Babel  (Bab-ilu,  Babjlone), 
Erech  (Orchoë,  Wnrka),  Akad  et  Calné,  au  pays  de  Shinar  (Sen- 
naar,  Naharaïn  des  anciens  Sémites,  Mésopotamie  des  Grecs). 
Parallèlement  aux  Koushites  existait  entre  les  rives  des  deux 
fleuves  un  autre  élément  considérable  de  population  issu  du  ra- 
meau touranien  ;  Soumirs  et  Accads  sont  les  noms  que  les  ins- 
criptions attribuent  aux  Koushites  et  aux  Touraniens  de  la  Mé- 
sopotamie, sans  que  l'état  actuel  de  la  science  permette  d'en  faire 
une  application  rigoureuse.  Un  troisième,  l'élément  sémite  re- 
présenté par  Assur  (Ashour),  remonta  le  Tigre  (Diglat)  et  bâtit 
Ninive  (Ninua),  Kalah  (Calach,  Nimroud),  enfin  Resen  {Séla- 
miyeh),  alors  la  plus  grande  ville  du  nouvel  état,  dont  cependant 
El-Assur  (EUassar,  Kha.la.h-Shergha.t)  dut  être  la  première  ca- 
pitale '. 


*  Voir  le  niiinôrn  i.r('""t!(leiu,  p    '.iil. 

^  Genèse,  X,  'J,  lu,  11,   \'.  I'\  Leuonuunl,  Mytmiel  d'histoire  ancienne  de  l'Orient, 

IT«  série,  tomi-  II.  14 


18G  onicix;:?  nr.  [/orjKViunin-:  (\'.oisox.\Éi: 

Malgré  la  divci'sitc  Je  races,  Assyriens  et  Babyloniens,  usant 
d'un  système  graplii([ue  eonniiun,  récriture  cunéifornie  ana- 
rienne,  finirent  par  avoir  un  idiome  commun  ;  ils  adoraient  à 
peu  près  les  mômes  dieux^  et  leur  esthéticpie  ne  différait  guère.  Ne 
m'occupant  ici  que  d'un  arl^  industriel,  j'ai  cru  pouvoir  com- 
prendre sous  une  dénomination  unique,  les  Assyro-clialdéens, 
deux  empires  rivaux,  tantôt  unis,  tantôt  séparés,  mais  dont  l'un 
clierclia  toujours  à  soumettre  l'autre. 

Placée  dans  une  situation  géographique  aussi  avantageuse  que 
celle  de  l'Egypte^  la  Mésopotamie  fit  naturellement  concurrence 
à  cette  dernière  pour  la  domination  de  l'Asie  occidentale.  Chaque 
fois  qu'un  pharaon  énergique  gouverna  la  terre  de  Mitsraïm,  il 
voulut  asservir  la  Mésopotamie  ;  réciproquement  aussi,  dès  qu'un 
pouvoir  fort  surgissait  à  Ninive  ou  à  Babylone,  il  tentait  de 
conquérir  l'Egypte.  Une  loi  inévitable,  dit  M.  F.  Lenormant , 
semblait  interdire  la  coexistence  des  deux  rivales  '. 

Si  la  civilisation  de  Babylone  n'obtient  pas  la  priorité  sur  celle 
de  Memphis,  leur  contemporanéité  du  moins  ne  peut  être  mise  en 
doute.  Malheureusement,  tandis  que  l'Egypte  conservait  à  travers 
les  siècles,  dans  ses  tombes  inviolées,  un  dépôt  de  bijoux  de  toute 
espèce,  les  fouilles  de  Ninive  et  de  Babylone  n'ont  encore  exhumé 
que  des  joyaux  insignifiants.  Bien  mieux,  les  historiens  comme 
les  inscriptions  jusqu'ici  découvertes  restent  muets  quant  aux 
ouvrages  d'orfèvrerie  des  Assyro-chaldéens  primitifs,  et  il  faut 
descendre  à  une  époque  relativement  moderne  (le  XIIP  siècle 
avant  J.-C.  pour  Ninive,  le  VHP  pour  Babylone)  avant  de  ren- 
contrer des  textes  ou  des  monuments  figurés  qui  puissent  nous 
initier  au  travail  des  métaux  précieux  associés  aux  gemmes  dans 
les  pays  situés  entre  l'Euphrate  et  le  Tigre. 

G"  éd.,  t.  II,  1.  'i,  I".  1.  J.  Menant,  Annales  des  rois  d'  /ssi/rie,  in-8°,  Paris,  1874; 
Bdhijlune  et  la  Chaldve,  in-8^,  Paris,  1875.  Je  prendrai  souvent  pour  guide  ces 
deux  derniers  ouvrages  où  se  trouve  un  exposé  complet  de  l'état  actuel  de  l'assy- 
rioiogie. 
^  Lor.  cit. 


ORIGIiNES    DE    l'ûRFÉVRERIE    CLOISONNÉE  187 

Antérieure  àXinive,  Babvloneliii  survécut  néanmoins  pendant 
de  longues  années.  Quoi  qu'il  en  soit^  la  cité  du  Tigre  aura  ici  le 
pas  sur  la  reine  de  TEuphrate  :  devant  l'objectif  que  je  pour- 
suis, ses  textes  remontent  plus  haut  et  ses  monuments  figurés, 
beaucoup  plus  nombreux,  offrent  des  types  favorables  à  mes 
recherclies. 

Une  tablette  de  Sennacliérib  nous  apprend  que  le  roi  Tuklat- 
Samdan  (1270  avant  J.-C.)  possédait  un  sceau  gravé  en  pierre 
za  mat  qui  fut  enlevé  par  les  Chaldéens  et  transporté  à  Babylone. 

TQklat-Samdan,  roi  des  nations,  fils  de  Salman-Asar,  roi  du  pays 
d'Assur.a  conquis  le  pays  de  Kar-Dunias.  Si  quelqu'un  détruit  mon  écri- 
ture et  mon  sceau,  Assur  et  Bin  feront  disparaître  son  nom  de  ces  con- 
trées  Ceci  était  écrit  sur  le  sceau  en  pierre  za  mat.  Ce  sceau  fut  enlevé 

du  pays  d'Assur  et  d\\kkad  pendant  une  guerre;  moi  Sin-akb-irib,  roi  du 
pays  d'Assur,  après  600  ans,  j'ai  conquis  Bab-ilu  et  j'ai  enlevé  ce  sceau 
du  trésor  de  Bab-ilu. 

On  le  voit,  lu  formule  d'anathème  tracée  sur  nos  manuscrits  du 
Moyen- Age  date  de  loin. 

Franchissons  uiaintenant  un  siècle  et  demi  pour  atteindre 
Tuklat-pal-Asar  (vers  1130  avant  J.-C).  Les  prismes  trouvés 
par  M.  Layard  dans  les  fondations  du  palais  de  ce  roi,  à  EUassar, 
mentionnent  de  l'or,  de  l'argent,  des  trésors  sans  nombre,  enlevés 
aux  habitants  de  Khummuk  (Comagène),  de  Khatti  (Syrie)  et  à 
d'autres  peuples  voisins.  Tuklat-pal-Asar  fit  tailler  à  Soubeneh- 
Sou,  en  Arménie,  un  bas-relief  où  apparaît  son  image  à  côté  d'une 
inscription  coramémorative.  Cette  sculpture,  la  plus  ancienne 
que  l'art  assyrien  nous  ait  transmise  jusqu'à  présent,  fut  décou- 
verte par  M.  Jones  Taylor  et  un  estampage  en  a  été  envoyé  au 
Musée  Britannique  ' . 

Une  autre  inscription,  qui,  d'après  Sir  H.  Rawlinson,  concer- 
nerait Tuklat-pal-Asar,  indique  des  relations  amicales  avec 
l'Egypte. 

'  ,T.  Mt''ii:mt.     /nnales  des  rois  <i'  liftjrie.  p.  28.  33,  o()à4l,  49. 


188  ORIGINES    DL'    L'ORFÉVilERIi:    CLOISONNÉE 

Le  roi  du  pays  de  Miisri  (.Mitsraini)  lui  a  envoyé  coiniue  présent  un 
crocodile  (namsukh)  et  des  uiinni  de  la  Graiide-iVIer;  il  distribua  aux  hom- 
mes de  son  pays  les  ummi  ainsi  que  les  oiseaux  du  ciel  dont  le  nom  est 
célèbre  '. 

La  statue  d'Assur-nasir-habal  (88"2  avant  J.-C),  seule  image 
en  ronde-bosse  des  monarques  assyriens  qui  nous  soit  parvenue, 
a  été  exhumée  par  M.  Layard  dans  les  restes  d'un  des  palais  situés 
à  Fangle  N.-O.  de  l'enceinte  royale  de  Nimroud.  Le  personnage, 
debout,  tient  de  la  main  droite  un  crochet  à  long  manche  (fau- 
cille?) dont  la  volu  e  est  gemmée;  sa  main  gauche  serre  une 
courte  épée.  Il  est  tête  nue,  sans  autres  bijoux  qu'un  bracelet 
à  médaillon;  une  inscription  sur  la  poitrine  simule  un  pectoral. 


statue  du  roi  Assnr-nasir-habal  (Britisli'Mmeum). 


'  1(1.,  ^hi,i.,  j).  50,  r>l 


ÛRfCtlNES    DE    l'orfèvrerie    CLOISONNÉE  189 

Différents  textes  du  même  prince  consignent  également  les 
métaux  précieux  et  les  joyaux^  fruits  de  ses  expéditions  victo- 
rieuses ;  mais  les  lignes  qui  suivent  pourraient  bien  avoir  trait  à 
l'incrustation  :  il  s'agit  d'un  temple  élevé  au  dieu  Adar,  à  Ka- 
lah. 

J'ai  fait  l'image  du  dieu  Adar,  sans  égal  devant  lui,  j'ai  consacré, 
dans  la  piété  de  mon  ca^ur,  le  taureau  sacré  de  sa  grande  divinité  sur  des 
tables  en  marbre  des  montagnes  et  en  or  pur  \ 

Cette  courte  indication  me  rappelle  l'Apis  d'or  incrusté  sur 
champ  bleu  dont  j"ai  parlé  à  l'article  Egypte  ;  seulement  le  tau- 
reau assyrien  devait  avoir  des  proportions  moins  exiguës. 

Le  nom  de  Salman-Asar,  fils  et  successeur  d'Assur-nasir-habal 
(857  av.  J.-C),  n'est  pas  inscrit  dans  la  Bible,  quoique  des  rela- 
tions étroites  lussent  alors  étal)lies  entre  les  Juifs  et  l'Assyrie. 
Comme  son  père,  Salman-Asar  mena  une  existence  toute  guerrière 
qui  lui  valut  d'immenses  trésors.  L'un  des  cinq,  bas-reliefs  de  l'o- 
bélisque en  basalte  noir  trouvé  à  Ximroud  représente  le  monarque 
vainqueur  recevant  les  hommages  de  Jéhu,  roi  d'Israël,  pros- 
terné à  ses  pieds.  On  lit  au  l^as  : 

Tributs  impusés  à  Yaua  (Jéhu),  fils  de  Khumri  (Omri)  ;  de  l'argent, 
de  l'or,  des  patéres  en  or,  des  zakat  eu  or,  des  coupes  en  or,  des  armes 
qui  sont  la  main  des  rois. 


Jéliu  dov.iiU  Sulnniu-A^iiv  {lirilish-Musi'iini). 

«  Grande  inscription  du  pavé  dun  jjalais  de  Nimroud  et  stèle  Cdininémorative; 
Id.,  ibid..  p.  60,  '->,  73,  76  à  79,  8":  à  84,  86  à  90,  93. 


190  ORIGINES    DE    l'ORFÉVIîERIE    CLOISONNÉE 

Le  disque  ailé  qui  plane  au-dessus  de  la  scène  offre  une  grande 
analogie  technique  avec  les  éperviers  et  les  vautours  égyptiens. 
Il  n'y  aurait  pas  à  s'en  étonner,  car  la  contribution  exigée  du  pays 
de  Musri  est  enregistrée  immédiatement  après  le  tribut  israëlite. 

Je  ne  dois  pas  oublier  un  minéral  précieux,  le  zamat,  demandé 
à  la  Syrie  avec  l'or,  l'argent,  le  fer  et  le  cuivre  ' . 

Salmau-Asar  figure  encore  sur  une  stèle  ;  il  a  des  bracelets  et 
un  collier  à  pendants. 


_jJAnM\N 


Salman-Asar  (British-Miiscain). 


Les  annales  des  rois  qui  viennent  après  Salman-Asar  ne  con- 
tiennent aucun  détail  ])lus  explicite  relativement  à  l'orfèvrerie 


'  ()bélis(|ue,stMi;  du  linlis/i-lilusnnn,  lauroaiix  du  palais;  Id..  il)id.,  p.  '.)('),  101 
à  ID'.I,  -11-2,  ll'i.  —  ((  au  pavs  de  Patid,  :î  talents  d'or,   KH)  talents  d'argent,  oOO 

talcals  de  ler 20  talents  de  znniu/,  1/2  talent  d'or,  \/l  ta'ent  de  zuniat or, 

argent,  cuivre,  fer,  20  talents  de  zama/.  »  P.  108  et  luU. 


ORIGINES    DE    l'oRFÉVREKIE    CLOISONNÉE  191 

Cependant  une  inscription  du  palais  d'un  second Tuklat-pal-Asar 
(le  Tiglat-Pileser  10ïib3  nbin  de  la  Bible,  744  avant  J.-C.)  men- 
tionne pour  la  première  fois  le  khesbet^  non  comme  matière 
incrustable^  mais  comme  couleur  de  peintre  :  «  J'ai  trituré  comme 
du  kliesbet  le  pays  de  Bit-Silani.  »  Il  y  est  aussi  question  de  pier- 
reries ' .  La  dynastie  sargonide  va  enfin  nous  fournir  des  rensei- 
gnements précis. 

Lorsque  Sargon  [Sar-kin  TilO,  721  avant  J.-C.)  parvint 
au  trône,  il  résidait  à  Calach,  et  la  Ninive  des  premiers  âges 
tombait  en  ruines.  A  16  kilomètres  au  nord  de  Mossoul,  sur 
l'emplacement  actuel  du  village  de  Khorsabad,  Sargon  fit  cons- 
truire une  nouvelle  capitale,  Dur-Sar-ltin,  et  un  palais  dont  le 
décor  (it  les  insL'ri})tious  appartiennent  exclusivement  à  son  règne. 
A  un  Français,  M.  Butta,  revient  l'honneur  d'avoir  découvert 
ces  ruines  -. 

i-a  longue  inscription  des  Annales  s'en  tient  d'abord  à  des  ter- 
mes généraux  quant  aux  matières  précieuses  enlevées  aux  vain- 
cus ■'' ;  à  l'article  des  palais,  elle  devient  catégorique. 

J'iii  bâti  dans  la  ville  des  palais.  —  J"ai  disposé  les  (lacune)  sur  des 
tables  en  or,  en  argent,  en  cuivre,  en  pierres  vi/fpi,  en  pierres  paru,  en 
pierres  (lacune);  j'ai  sculpté  8  lions  doubles  entre  les  portes  pesant  6  (la- 
cune), des  rosaces,  à  la  gloire  de  la  Grande  Déesse  (lacune);  ]W  placé  64 
A7<A;<r  de  matériaux  provenant  du  n.ont  Amanus  au  milieu  des  Nirgali, 
j'ai  consolidé  les  portes  avec  des  timmi  (pieires  angulaires),  j'ai  fait  au 
dehors  des  animaux  des  champs,  des  animaux  ailés,  je  les  ai  sculptés 
dans  la  pierre  des  montai?nes.  —  J"ai  constiuit  les  portes  avec  de  grandes 
pierres  de  marbre.  ■"  J'ai  sculpté  leurs  surfaces  pour  l'admiration  des 
hommes.—  J'ai  présenté  à  Aesur,  aitisi  qu'aux  déesses  qui  habitent  le  pays 
d'Assur,  des  œuvres  ciselées  en  ari;ent  pur,  ôq^  bijoux  de  poids  en  grand 
nomhre.  —  (le  palais  renferme    de   l'or,  de  l'arcent,  des  vases  en  or  et 

en  argent,  des  pierres  précieuses,    des   pierres  travaillées des 

perles  (?j  * 

^  Id.,  /7)(/  ,  j).  139.  «  Pierres  s:li,  lùerres  produits  Je  la  mci'  »,  p.  li'i. 

-  Iiî..  n,/</.,  [).   152  et  sq. 

3  Id.,  U/nl.,  p.  163,  160,  168  à  171,  176,  17:. 

'  kl..  ,7;,,/..  |,.   178,  IT'.K 


192  OHKilNES   DE    l'oRFÉVRERIK    CLOISONNÉE 

L'inscription  des  Fastes  complète  la  précédente. 

Je  me  suis  rendu  à  Bab-ilu  aux  sanctuaires  do  Bel et  j'ai  par- 
couru le  palais  des  redevances.  J'y  ai  entassé  lo4  talents,  26  raines,  10 
drachmes  d'or  himirsu  ».  1804  talents,  20  mines  d'argent,  de  l'ivoire,  des 

couleurs  variées des  pierres  ka,  du  cuivre,  des  pierres  pi,  muhhu-di- 

gili,  du.  pi  laminé,  du  siru...  - 

J'ai  bâti  dans  la  ville  des  palais.  —  J'ai  disposé  leur  dunnu  sur  des 
plaques  en  or,  en  argent,  en  pierre  tik^i^  en  pierres  lisses,  ornées  de  cou- 
leurs faites  avec  de  l'étain,  du  fer,   de  l'antimoine,  des  khibisti  {\i\w,?,hei, 

lapis-lazuli)  mélangés.  J'ai  écrit  dessus  la  gloire  des  dieux j'ai  entouré 

avec  des  briques  émaillées  les  poutres  de  pin  et  de  lentisque j'ai  dis- 
posé entre  les  portes  8  lions  doubles et  des  (briques)  émaillées j'ai 

sculpté  avec  art  des  pierres  de  la  montagne.  —  J'ai  présenté  à  Assur  des 
vases  en  verre,  des  objets  eu  argent  ciselé,  en  ivoire,  des  bijoux  pesants. 
—  J'ai  ordonné  de  déposer  (dans  mon  palais)  de  l'or,  de  l'argent,  des 
vases  en  or  et  en  argent,  des  pierres  précieuses,  des  couleurs,  du  fer,  des 
produits  considérables  des  mines des  perles  •'. 

Les  autres  inscriptions  ne  nous  en  apprennent  pas  davantage, 
mais  celles,  à  qui  j'ai  intentionnellement  emprunté  de  longs  pas- 
sages établissent  trois  faits  importants  :  T  une  distinction  tran- 
chée entre  les  diverses  pierres  destinées  à  la  joaillerie,  à  la  sculp- 


*  Serait-ce  Vavnun  obrpzum^  oêpui^ov  ? 
-  Id.,  ibiil.,  p.  189. 

^  Id.,  ibid.,  p.  190,  191.  Voici  la  transcription  d'un  passage  caractéristique  telle 
que  me  l'a  envoyée  M.  Menant  : 

Kirbussu  ahni  va     eli  vmsdrrii   hmasi,    htspi,       siipri,    abni  mitpie^ 

In  ea        aîdificavi  et  super    tabulas     auri,       argenti,  cupri,  lapidis      niitpie» 

abni      pnruluv,    eri  nnna,         })iirxi!ii   a au  kfiibisli 

lapidis  parutur,  coloribus   stanneis,  ferreis     stibinis  et  lai)idis  lazuli 

is  da-nu-sun   addi      va  li-ta-sun      ii  kin-va.  Gusuri  erini 

t$  eorum         stravi    et  lila  eorum  collocavi.  Trabes  cedrinas 

rabi         eli  sun  u  satrizn    zuhdi  siirvan,  vinsnkkanl 

magnas  super  eis      disposai  columnas    ex  ciipressu,  et  lentisco 

7nisir      urvdn  naviri  u  rnkkis,  vn  iintllu 

corona   rosis  aheneis  spleiidentibus      ciiixi,     l't  syinelrice 

uiiih  fiini. 

coiupaiavi   iiiterstilia  ('(nuiii. 


ORIGINES    DE   l'ORFÉVRERIE    CLOISONNÉE  193 

ture  ou  à  rarchitecture  ;  2°  Temploi  des  briques  émaillées  ;  3°  un 
dunnu  disposé  sur  des  plaques  d'or,  d'argent,  de  pierres  polies, 
rehaussées  de  couleurs  métalliques  et  de  lapis,  où  Ton  avait  écrit 
la  gloire  des  dieux. 

Que  pouvait  être  le  dunnu  ? 

Dans  les  fondations  du  palais  de  Khorsabad,  M.  V.  Place  a 
rencontré  des  tablettes  votives  en  métal  et  en  pierre  couvertes 
d'inscriptions  tracées  à  la  pointe  ;  sur  une  tablette  d'or,  on  lit  : 

J'ai  écrit  la  gloire  de  mon  nom  sur  des  tables  en  or,  en  argent,  en 
bronze,  en  plomb,  en  ctain,  en  marbre  et  en  albâtre  et  je  les  ai  déposées 
dans  les  fondations  du  palais.  * 

Il  y  a  ici  beaucoup  à  réfléchir  ;  l'identité  presque  absolue  des 
matières  spécifiées  avec  les  objets  découverts  en  nature  et  la 
plupart  des  substances  colorantes  que  mentionne  l'inscription  des 
Fastes  porterait  à  soupçonner  dans  cette  dernière  une  erreur  de 
traduction.  Je  pense  qu'il  n'en  est  rien  ;  roinission,  sur  la  ta- 
blette d'or,  du  khesbet,  mot  trop  caractéristique  pour  qu'on  s'y 
trompe,  l'absence  de  toute  couleur  artificielle  sur  les  monuments 
originaux,  empêchent  de  confondre  les  tables  votives  de  Sargon 
avec  le  dunnu  de  ses  palais.  D'ailleurs,  un  usage  fréquent  chez 
les  monarques  assyriens  était  d'accompagner  les  effigies  royales 
ou  divines  de  légendes  à  formules  laudatives  glorifiant  le  prince 
et  le  dieu  ;  au  contraire  le  prince  seul  est  rappelé  lorsqu'il  s'agit 
de  textes  commémoratifs  cachés  à  dessein  dans  les  fondations  d'un 
édifice.  Pour  preuve  de  ce  que  j'avance,  voici  une  inscription  de 
Sennachérib  qui  reproduit  en  d'autres  termes  l'idée  de  Sargon  : 

J'ai  écrit  des  inscriptions  avec  la  mention  de  mon  nom  et  je  les  ai 
déposées  en  plusieurs  exemplaires  dans  les  soubassements.  - 


'  J.  Menant,  ouv.  cité,  p.  l'.J8.  V.  Place,  IVinive  et  I  Assijrie,  pi.  77,  in-fol., 
Paris,  I8tj7.  Ces  plaques  sont  en  or,  en  argent,  en  cuivre  et  en  plomb. 

•  J.  Menant,  ouv.  cité,  Assur-nasir-habal.  «  En  ce  temps  là,  j'ai  fait  faire 
l'image  de  ma  figure,  j'y  ait  écrit  le  récit  de  mes  exploits.  »  P.  71.  «  J'ai  fait  faire 


194  ORIGINES   DE   l'orFÉVRERIE    CLOISONNÉE 

A  mon  avis  le  dunnu  semblerait  être  un  sujet  à  léo:endes,  in- 
crusté, peint,  émaillé  (?)  sur  plaques  de  métal  ou  de  pierre  polie. 
L'examen  des  l)riques  vernissées  de  Khorsabad  et  d'un  pectoral 
sculpté,  dont  je  m'occuperai  plus  loin,  donnera  peut-être  quelque 
valeur  à  mon  hypothèse  ;  nous  retrouverons  aussi  dans  l'Inde 
antique  des  ouvrages  analogues. 

Fils  et  successeur  de  Sargon,  Sennachérib  (Sin-ahhi-erib,  704 
avant  J.-C),  le  terrible  ennemi  du  peuple  Juif,  abandonna  la 
ville  paternelle  pour  l'ancienne  capitale  de  l'Assyrie  à  laquelle  il 
rendit  sa  première  splendeur.  Ninive  restaurée  lui  dut  deux  ma- 
gnifique palais,  situés,  Tun  à  Textrémité  méridionale,  l'autre  à 
1  kilomètre  environ  deKoyoundjik  ;  MM.  Layard,  Place  et  Ivas- 
sam  en  ont  déblayé  une  p;irrie.  Les  inscriptions  de  Sennachérib 
fournissent  peu  de  renseignements  au  sujet  de  l'orfèvrerie  :  —  il 
dessina  des  rosaces  éblouissantes  et  les  disposa  avec  art  ;  —  il  orna 
les  poutres  de  rosaces  et  les  distiibua  symétriquement  dans  les 
interstices.  — On  n'en  trouve  i)as  davantage.  LTn  bas-relief  du 
palais  de  Koyuundjik  montre  Sennachérib  à  Lachis  [iS'^'zb  ville 
de  Judée  entre  Jérusalem  et  la  mer).  Le  roi,  assis  sur  son  trône  et 
entouré  de  captifs  prosternés,  a  pour  coifiure  une  i-iche  tiare  co- 
nique. 

l'image  de  ma  royauté,  j'y  ai  inscrit  ma  gloire  et  le  récit  de  mes  exploits,  je  l'ai 
fait  placer  dans  l'intérieur  de  mon  palais,  j'ai  fait  des  tables  pour  raconter  mes 
exploits,  je  les  ai  fait  graver  et  je  les  ai  placées  dans  mon  palais  à  l'intérieur  de 
la  grande  porte.  »  P.  73.  «  J'ai  fait  faire  une  image  de  ma  figure  en  marbre,  j'y 
ai  inscrit  le  ré(;it  de  mes  exploits.  »  P.  7'i.  Salraan-Asar.  «  J'ai  fait  fiùre  l'image  de 
ma  royauté,  j'y  ai  fait  graver  la  gloire  d'Assur  mon  maitre,  le  récit  de  mes  exploits 
et  tout  ce  que  j'avais  fait  dans  le  pays.  »  P.  'J'J.  «  J'ai  fait  faire  l'image  de  ma 
royauté,  j'ai  écrit  dessus  la  gloire  d'Assur,  le  grand  seigneur,  mon  seigneur.  » 
P.  1 1 0  et  i  11 .  Sar-kin .  «  J'ai  fait  faire  une  image  de  ma  royauté,  j'y  ai  fait  inscrire 
la  <;loire  d'Assur  et  je  l'ai  élevée  au  milieude  la  ville  d'Izirti.  »  P.  IG'i.  Sin-akhi- 
erib.  «  J'ai  fait  faire    l'image  des   grands    dieux,  mes    seigneurs,  j'ai   fait  graver 

l'image  de  mu  royauté j'ai    fait  sculpter  au-dessus  l'image  de   la  déesse  qui 

habile  au  milieu  de  Niiuia.  »  P.  237.  Assur-aklii-i<lin  «  J"ai  n-stauré  les  images 
(des  dieux  du  pays  d'Aribi)  j'y  ai  fait  écrire  la  louange  d'Assui'  et  la  gloire  de 
mon  nom.  »  P.  2i3.  —  P.  "229. 


ORIGINES   DE    L  ORFÈVRERIE    CLOISONNÉE 


195 


Sennachérib  à  Lachis. 


On  lit  au-dessus 


Sin-akhi-irib,  roi  des  légions,  roi  du  pays  d'Assur,  assis  sur  le  trône 
de  la  justice,  reçoit  les  triljuts  des  captifs  de  la  ville  de  Lakisu  '. 

Les  annales  des  derniers  Sargonides,  Assarhaddon  (Assur-aklii- 
idin,  680  av.  J.-C),  Assur-bani-pal  (669  av.  J.-C.)^  Assur- 
edil-ili,  sous  le  règne  duquel  s'évanouit  comme  un  rêve  le  for- 
midable empire  d'Assyrie^  n'oftrent  aucun  nouAeau  détail  inté- 
ressant nos  recherches . 


'  J.  Menant,  ouv.  cité,  p.  211  et  sq.,  224,  231,  233.  —  P.  214.  —  Tune  misit 
Ezechias  rex  Juda  nuncios  ad  regem  Assyriorum  in  Lachis.  rlicens  :  peccavi,  re- 
cède a  me  :  et  ouine  quod  iinposucris  mihi,  feram.  Indixit  ituqiie  rex  Assyriorum 
Ezecliic.  régi  Jiid;c  trecenta  talenta  argenti  et  triginta  taleiita  auri.  Deditque 
Ezechias  omne  argentiim  quod  repeitnm  fuerat  in  domo  Domini  et  in  thesauris 
régis.  IV  Urg.^  WIJI,  l'i,i5. 


196  ORIGINES   DE    I/ORFEVRERIE    CLOISONNÉE 

L'usage  des  métaux  précieux  en  Clialdée  remonte  à  la  plus 
haute  antiqnité.  L'or  et  l'argent  sont  mentionnés  dans  le  célèbre 
récit  du  Déluge  conservé  au  Musée  Britannique  et  traduit  par  M. 
G.  Smith  '.  Plusieurs  inscriptions  babyloniennes  (15  à  *20  siècles 
avant  notre  ère)  rappellent  des  œuvres  de  ciselure  "  ;  toutefois, 
de  Mérodach-Baladan  {Marduk-bcil-idin.  pi^î^-^ni^n'S,  721 
avant  J.-C),  ce  vigoureux  champion  de  l'indépendance  chal- 
déenne  contre  les  dominateurs  assyriens,  datent  les  premières  in- 
dications précises  sur  l'orfèvrerie  à  Babylone.  Les  textes  de  Sar- 
gon  et  de  Sennachérib  enregistrent  :  «  le  passu?"  en  argent,  le 
trône  en  argent,  le  parasol  en  argent,  le  nirmaktu  en  argent,  les 
insignes  royaux  d'un  prix  considérable;  —  le  sceptre  d'or,  le 
jmmr  en  or,  le  parasol  en  or,  les  iidani  en  or  et  en  argent;  — les 
pierreries;  —  les  vases  d'or  et  d'argent;  —  les  chars  d'argent,  les 
poignards  dont  les  poignées  et  les  fourreaux  sont  en  or  ;  —  les 
bracelets  splendides  en  or,  les  anneaux  en  or  ;  »  provenant  de 
Mérodach-Baladan  ou  de  son  armée  vaincue  ^ 

Assur-bani-pal  a  laissé  un  document  fort  curieux  relativement 
à  l'orfèvrerie  cloisonnée  chez  les  Assyro-chaldéens;  muettes  sur 
cette  industrie  à  Ninive,  les  archives  du  lils  d'Assarliaddon  sont 
assez  explicites  quant  à  Babylone.  Ici  je  cède  la  parole  à  M.  F. 
Lenormant;  je  ne  saurais  dire  aussi  bien. 

«  Pour  ce  qui  est  du  culte  ehaldéo-assyrien,  nous  savons  posi- 
tivement par  quelques  textes  que  les  statues  de  pierre  ou  de  mé- 
tal, placées  dans  les  sanctuaires  des  temples  et  représentant  les 
grands  dieux,  ('talent  couvertes  de  vêtements  et  d'ornements  d'or 
ou  d'argent  enrichis  de  pierres  précieuses,  offrandes  de  la  piété 
des  rois,  que  leur  poids  rendait  nécessairement  lixes,  et  que,  par- 
dessus, on  pla(;ait  des  vêtements  d'étoffe  et  des  bijonx  mobiles  qui 
se  mettaient  ou  s'ôtaient  dans  diverses  cérémonies.  Le  document 

'  J.  Menant,  li^bfjJoue  cf.  la  Chaldée,  p.  T),  in-S»,  Paris,  1875. 
'  Statues  recoLi vertes  d'or  ;  id.,  ibnl.,  \).  !  15. 

'  Id.,  ihid.  p.  151.  ir)(i,  159,  1G5,  IGG.  t<i«.  d>s  rois  d\iss;/'ic,  p.  173,  17-^,  175, 
215,  223,  226,  233. 


ORIGINES    DE    l'ORFÉVRERIE    CLOISONNÉE  197 

capital  à  ce  sujet,  principalement  en  ce  qui  se  ra})[)Oi"te  aux  dra- 
peries de  métaux  précieux  i)osées  à  demeure,  est  une  tablette, 
malheureusement  mutilée,  d'Assur-bani-pal,  dont  M.  Fox  Talbot 
a  le  premier  signalé  le  sujet.  Le  roi  y  énumère  les  offrandes  ma- 
gnifiques qu'il  fit  dans  plusieurs  des  temples  de  Babylone  en  sa 
qualité  de  roi  de  cette  ville,  sans  doute  à  Fépoque  où,  pour  bien 
établir  ses  droits  de  suzeraineté,  il  y  fit  acte  de  souverain  direct, 
après  avoir  dompté  la  grande  révolte  de  son  frère  Samul-Mukin 
[Saluinrnu-khi] .  La  partie  la  mieux  conservée,  la  seule  qu'on 
puisse  lire  avec  suite,  parle  des  vêtements  d'or  qu'il  fit  exécuter 
pour  les  statues  de  Bel-Marduk  et  de  Zarpanit  dans  la  pyramide 
de  la  cité  royale  de  Babylone  [Bit-Saggatu],  afin  de  remplacer  des 
ornements  antérieurement  brûlés  sans  doute  dans  le  sac  et  l'in- 
cendie de  la  grande  cité  clialdéenne   par   Sin-akhi-irib Le 

début  en  est  malheureusement  très-mutilé,  et  le  sens  ne  peut  en 
être  suivi  dans  son  entier  sans  interruption. 

Je  dis.  Le  dieu  Mardak  du  Bit-Saggatu  de  Babylone  (dieu),  très- 
grand....  leurs....  élevés  de  Babylone...  brûla  sou  Marduk  de  Babylone... 
sa  face  il  a  fait...  Marduk...  J'ai  donné  4  talents  (d'or)  pour  le  vêtement 
de  Marduk  et  de  Zarpanit,  je  les  ai  revêtus  du  vêtement  grand,  du  vête- 
ment d'or,  Marduk  et  Zarpanit,  je  les  ai  revêtus.  Du  marbre  de  l'orient, 
de  la  pierre  Aa...,  de  la  pierre  œil  de  zatu,  de  la  pierre  zata  sutru,  de  la 
pierre  oreille  de  zatu^  de  la  pierre  zatu  nichai,  de  la  pierre  appelée  yeux 
de  Meluchka,  de  l'albâtre,  de  la  pierre  zallakru,  dix  pierres  précieuses 
dont  la  renommée  est  grande,  je  les  ai  données  pour  lu  statue  de  Marduk 
et  de  Zarpanit.  J'ai  orné  les  vêtements  d'étoffes  de  leurs  grandes  divinités. 
Les  tiares  aux  cornes  élevées,  les  tiares  de  domination,  insignes  de  la 
divinité  pour  compléter  leur  costume. 

«  La  liste  des  pierres  énumérées  comme  ayant  servi  à  orner 
les  statues  de  Marduk  et  de  Zarpanit  ne  comprend  que  neuf  noms, 
bien  que  la  phrase  suivante  parle  de  dix  espèces,  il  y  en  a  sans 
doute  un  d'omis  par  le  scribe.  Les  deux  pierres  dont  les  noms, 
certainement  idéographiques,  s'écrivent,  l'un  par  les  caractères 
2a-?)ia^,  l'autre  par  ceux  qui  signifient  lumière  grande,  ^owIIq 
marbre  et  l'albritre,...  Le  reste  rentre  dans  la  catégorie  desjaspes; 


498  ORIGINES   DE    l'ORFÉVRERïE   CLOISONNÉE 

ce  ne  sont  donc  pas  des  gemmes  proprement  dites.  Il  est  probable 
quVdîc::'  'taient  destinées  à  faire  des  plaquettes  découpées  qui, 
serties  dans  For,  comme  des  pierres  analogues  ou  des  pâtes  de 
verre  opaque  les  imitant  sur  un  certain  nombre  de  bijoux  asiati- 
ques et  égyptiens  que  conservent  nos  musées,  décoraient  les  vête- 
ments des  images  divines  en  y  simulant  des  dessins  ou  des  brode- 
ries. Ces  vêtements  étaient  appliqués  sur  des  statues  de  grande 
dimension  à  en  juger  parle  poids  considérable  de  4  talents  d'or 
(12-2  kil.  600  gr.,  s'il  s'agit  de  talents  faibles,  245  kil.  200  gr., 
s'il  s'agit  de  talents  de  la  série  forte)  qu'on  y  avait  employés  ' .  » 

L'énumération  des  offrandes  royales  se  poursuivait  sur  les  au- 
tres colonnes  ;  malheureusement  il  en  reste  très-peu  de  mots  qui 
seront  utilisés  ailleurs. 

A  l'heure  où  j'ai  formé  mon  opinion  sur  le  dunnu  ',  j'ignorais 
que  M.  F.  Lenormant  eût  déjà  traité  un  point  analogue.  Je  suis 
heureux  de  voir  une  haute  capacité  scientifique  partager,  sans 
entente  préalable,  un  avis  timidement  risqué  à  l'état  d'hypothèse 
mais  que  l'analyse  comparée  des  monuments  changera,  je  l'espère, 
en  réalité  palpable. 

Examinons  maintenant  les  textes  des  souverains  chaldéens  qui 
régnèrent  en  Mésopotamie  après  la  chute  de  Ninive. 

ce  L'Euphvate  (Purat),  dit  M.  Menant,  a  un  développement  im- 
mense. Au-dessus  de  Babylone,  il  touche  à  la  Syrie,  il  pénètre  dans 
l'Asie-Mineure  par  l'une  de  ses  branches,  il  exploite  l'Arménie  par 
les  autres  et  reçoit  les  produits  des  contrées  montueuses  qui  bor- 

'  Essai  de  commenlaire  des  fragmenls  cos7no(/oniques  de  Bérose,  p.  4'i3  à  455. 
J'ai  naturellement  supprimé  dans  cette  citation  tout  ce  qui  appartenait  à  la  philo- 
logie pure. 

2  «  Dinnu  est  constamment  employé  dans  les  contrats  privés  avec  le  sens  de 
deile  ;  la  din  pourrait  donc  signifier;  sans  le  devoir  ;  sansrj  être  obligé  ;  librement; 
ce  serait  une  expression  analogiu^au  vofum  solvit.  Ivhens  merito  des  inscriptions  la- 
tines. »  F.  Lenormant,  ouv.  cité,  p.  455.  Si  dimm  et  dunnu  sont  le  même  mot  — 
les  assyriologues  ne  tombint  pas  toujours  d'accord  sur  la  valeur  des  voyelles  et 
même  des  consonnes  —  il  représenterait  alors  une  olliande  rendue  obligatoire 
par  un  engagement  solennel,  un  ex-voto. 


ORIPtINES   de   l'orfèvrerie    CLOISONNÉb:  J99 

dent  le  Font-Eiixin.  Au-dessous  de  Babylone,  il  communique 
avec  rOcéun  par  un  cours  tranquille  accessible  à  la  navigation 
du  Golfe  Persique^  le  centre  le  plus  actif  du  commerce  de  cette 
grande  phase  de  la  civilisation.  Aussi,  lorsque  le  moment  fut  ve- 
nu où  l'empire  assjro-chaldéen  dut  atteindre  son  plus  grand  dé- 
veloppement, ce  ne  fut  point  Ninive  qui  devint  la  reine  du 
monde,  mais  Babylone  qui,  vaincue  et  saccagée,  resta  cependant 
la  capitale  du  grand  empire  de  Chaldée.  Babylone  devint  pour 
ainsi  dire  à  cette  époque  une  ville  nouvelle.  A  part  quelques 
traces  des  restaurations  d'Assarhaddon,  on  ne  rencontre  rien  qui 
rappelle  la  ville  antique,  et  Nabuchodonosor  parait  en  être  le  vé- 
ritable fondateur  '.  » 

Au  nord  de  la  cité  royale,  entre  TEuplirate  et  la  route  de 
Bagdad  à  Hillali,  apparaît  une  ruine  gigantesque  qui  porte  au- 
jourd'hui le  nom  de  Babil.  Ses  décombres  interrogés  ont  mis  en 
lumière  des  briques  estampées  au  nom  de  Nabuchodonosor;  aucun 
document  antérieur  à  ce  prince  ne  s'est  révélé.  Beaucoup  d'hypo- 
thèses émises  sur  Babil  n'ont  pas  suffisamment  éclairci  son  ori- 
gine, mais  sa  destination  est  parfaitement  connue  :  Babil  est  dé- 
signé dans  les  textes  antiques  par  le  nom  de  Blt-Saggatu. 

Le  Bit-Saggatu,  nous  l'avons  vu  tout  à  l'heure,  était  un  tem- 
ple consacré  au  dieu  Marduk  et  qui  renfermait  outre  la  coupole 
des  Oracles,  séjour  de  l'idole,  un  sanctuaire  particulier  consacré 
il  son  épouse,  Mylitta-Zarpanit,  la  Délephat  des  Grecs.  Les  ins- 
criptions des  rois  d'Assyrie  parlent  souvent  de  ce  temple  qui  avait 
une  grande  célébrité,  et  dans  lequel,  après  Assur-bani-pal,  Na- 
buchodonosor va  nous  introduire  de  nouveau. 

Nabu-kudur-usur,  l^msiSS  (604  avant  J.-C),  fils  de  Nabopo- 
lassar  (Nabu-pal-ussur)  fondateur  du  dernier  royaume  de  Chal- 
dée, est  un  per:onnage  trop  connu  pour  réclamer  ici  le  moindre 

*  Babylone  et  la  ChaUée,  p.  170. 


200  oriitIxes  dk  l'orfkvrerik  cloisonner 

renseignement  biugraphi({ue.  Une  longue  inscription,  gravée  sur 
le  bloc  de  bas:ilte  noir  qui  est  passé  au  Brltish-MiLseum  avec  les 
collections  de  la  Compagnie  des  Indes,  rappelle  ainsi  les  trésors 
conquis  et  les  offrandes  faites  aux  dieux  par  le  destructeur  de  Jé- 
rusalem. 

J'ai  amassé  dans  Bab-ilu  de  l'argent,  de  ror,  des  métaux  précieux, 
de  l'émail  (e-ra-a),  *  des  pierres  des  montagnes,  des  pierres  de  la  mer,  un 
trésor  considérable  et  digne  d'envie. 

J'ai  restauré  dans  le  Bit-Saggatu,  le  grand  temple  de  la  souveraineté, 
le  sanctuaire  des  oracles  où  repose  Marduk,  le  Maître  des  Dieux.  J'ai 
élevé  sa  coupole  comme  une  fleur,  je  l'ai  revêtue  d'or  travaillé,  pour  qu'elle 
resplendisse  comme  le  jour  et  j'ai  couvert  le  haut  du  temple  avec  des 
pierres,  du  cuivre  et  du  plomb. 

L'autel  des  Destinées  se  trouvait  à  la  Haute-Colline,  où  se  pronon- 
çaient les  oracles,  en  dehors  de  la  ville,  je  Fai  transporté  dans  les,  Zakmu 
Ku...  Cet  aulel,  l'autel  de  la  souveraineté  du  Maître  des  Dieux,  du  sublime 
Marduk,  avait  été  construit  en  or  et  en  argent  resplendissant  par  un  roi 
antérieur,  je  l'ai  fait  recouvrir  d'or  pur  d'un  poids  considérable.  J'ai  fait 
ciseler  les  vases  sacrés  en  or  du  Bit-Saggatu,  j'ai  fait  incruster  du  verre  ^ 
et  des  pierres  précieuses  dans  le  sanctuaire  de  Marduk  et  je  l'ai  fait  bril- 
ler comme  les  étoiles  du  ciel. 

J'ai  recouvert  avec  de  l'or  brillant  les  énormes  poutres  de  cyprès  qui 
forment  la  charpente  du  sanctuaire  des  Oracles,  les  poutres  inférieures 

*  M.  Menant  justifie  ainsi  sa  traduction:  «  On  peut  rapprocher  e-ra-a  du  chal- 
déen  S1Ï?  qui  signifie  littéralement  recouvrir  d'une  matière  gluante.  Les  bncpies 
vernissées  ou  émaillées,  qu'on  trouve  dans  les  ruines,  sont  enduites  d'une  couche 
épaisse  de  0"  002'"  de  matière  appliquée  à  froid  à  l'aide  d'un  pinceau  et  ensuite 
soumise  à  la  cuisson.  La  signification  est,  comme  vous  le  voyez,  un  peu  forcée, 
elle  résulte  du  sens  général  et  paraît  commandée  par  la  présence  de  briques  de 
cette  nature  dans  les  ruines  et  l'absence  de  tout  autre  terme  pour  les  désigner  en 
assyrien.  »  Le/ ire  du  1 1  lévrier  1875. 

'  «  Le  terme  assyrien  que  j'ai  traduit  par  verre  est  écrit  za-ri-ri,  mais  il  n'y  a 
rien  de  moins  certain.  La  présence  du  verre  dans  les  ruines,  combinée  avec  le 
sens  de  la  phrase,  conduit  seule  à  cette  tiaduction.  Le  mot  suivant  est  aban 
(pierre),  qui  doit  s'entendre  des  pierres  précieuses  comme  dans  d'autres  passages 
analogues.  Tout  cela  hrill<'  connue  des  étoiles.  M.  Norris  traduit  zariri  aban  par 
statues  de  pierre,  mais  je  ne  m'explique  pas  —  ni  moi  non  plus  —  que  les  statues 
de  pierre  puissent  briller  comme  des  éloiles.  v  J.  Menant,  Lettre  citée. 


ORIGINES    DE    L  ORFÈVRERIE    CLOISONNÉE  201 

ont  été  incrustées  avec  de  l'or,  de  l'argent,  des  pierres  précieuses  et  des 
métaux. 

Barsippa  est  la  ville  où  l'on  adore  le  Iloi  des  Dieux,  je  l'ai  ornée,  j'y 
ai  fait  construire  le  Bit-Zida,  sa  demeure  éternelle.  J'en  ai  achevé  la  ma- 
gniticence  avecî  de  l'or,  de  l'argent,  des  métaux,  des  pierres,  des  briques 
vernissées...  J'ai  recouvert  avec  de  l'or  la  charpente  du  sanctuaire  où 
repose  le  dieu  Nabu...  J'ai  incrusté  avec  de  l'ivoire  la  colonnade  de  la 
porte  du  sanctuaire  du  repos,  le  seuil,  les  linteaux...  J'ai  splendidement 
orné  l'entrée  du  sanctuaire  du  repos  et  le  pourtour  du  temple  avec  des 
briques  de  différentes  couleurs. 

J'ai  fait  resplendir  comme  un  rayon  de  soleil  le  Bit-Saggatu  et  le  Bit- 
Zida.  J'ai  fait  resplendir  comme  la  lumière  du  jour  les  merveilles  du 
Grand-Dieu. 

J'ai  orné  les  portes  (de  mon  palais)  avec  des  briques  vernissées,  des 
inscriptions  et  des  peintures.  J'y  ai  entassé  de  l'or,  de  l'argent,  des 
métaux,  des  pierres  de  toute  espèce  et  de  toute  valeur,  j'y  ai  réuni  un 
ensemble  d'objets  de  prix,  des  trésors  immenses. 

J'ai  élevé  des  colonnes  de  lentisque,  de  cèdre  et  de  cyprès,  j'ai  ajouté 
des  usa,  des  peaux  de  veau  marin,  du  l'hù,  de  l'argent,  de  l'or  et  des  gar- 
nitures en  fer,  des  frises  et  des  bas-reliefs  {sic)  exécutés  en  briques  ver- 
nissées au-dessous  des  portes,  j'en  ai  entouré  le  faîte  avec  des  kilil  en 
cuivre  *. 

Un  cylindre  en  terre  cuite,  trouvé  à  Babylone  et  aujourdlmi 
propriété  de  Sir  Thomas  Phillips,  confirme  le  texte  précédent. 

Le  lieu  du  repos,  la  demeure  de  sa  puissance  (de  Marduk),  je  l'ai  faite 
en  forme  de  pyramide,  en  or  brillant  ;  j'ai  revêtu  d'or  la  porte  kilisat. 
J'ai  construit,  en  l'émaillant  et  en  lui  donnant  la  forme  de  coupole,  le 
temple  da  Zarpanit,  ma  souveraine. 

J'ai  fondé,  j'ai  achevé  le  Bit-Zida,  la  maison  éternelle  dans  Barsippa. 
J'ai  revêtu  d'or  les  colonnes  du  sanctuaire  du  dieu  Nabu,  j'ai  recouvert 
le  lieu  sacré  en  or,  en  argent,  en  autres  métaux  {sic),  en  briques  ver- 
nissées... c'est  là  que  trônent  Nabu  et  Nana...  Au  premier  jour  de  la  fête 
delà  Main-suprême,  j'ai  fait  établir  devant  eux  les  16  images  sculptées 
resplendissantes,  les  délices  des  dieux  de  Barsippa,  le  isih,  le  poisson, 
l'oiseau,  le  usummu.  le   trilMit.  le  trésor  étranger,   le  'lasap,  le  sirur.  le 

'  nahylone  et  la  Cluildcc,  p.  202,  203,  206,207. 

II>i  série,  tmiie  II.  15 


202  i)iii('.iM;s  n:.  i.  out  i;\'i:i;!;i!:  i  i.(.)i>onnk!: 

kurunu,  le  sikar  satur,  le  aon  supièmo,  le  cl/s/'p,  le  khiniil,  le  sizib^  le  >/u'ul, 
le  smnan  '. 

On  lit  encore  sur  un  antre  cylindre  an  Musée  Britannique  : 

J'ai  restauré  le  Bit-Saggatu,  je  l'ai  embelli  avec  du  marbre,  de  l'ar- 
gent, de  l'or,  des  métaux,  des  pierres  précieuses,  des  briques  vernis- 
sées. 

Sur  rinscription  de  Borsippa^  même  collection  : 

Le  Bit-Saggatu  est  le  temple  du  Ciel  et  de  la  Terre,  la  demeure  du 
Maître  des  Dieux,  de  Marduk.  J"ai  fait  recouvrir  en  or  pur  le  sanctuaire 
où  repose  sa  souveraineté. 

Le  Bit-Zida  est  la  maison  éternelle  ;  je  l'ai  rebâtie  depuis  ses  fonde- 
ments; j'en  ai  aciievé  la  magnificence  avec  de  l'argent,  de  l'or,  des  mé- 
taux, des  pierres  précieuses,  des  briques  vernissées  ^. 

Apres  le  sac  de  Jérusalem  par  Xabuchodonosor,  Jérémie  resté 
à  Maspliat  écrivit  aux  captifs  de  Babylone  une  lettre  pour  les'pré- 
munir  contre  le  culte  des  idoles  clialdéennes.  Barucli  nous  a  con- 
servé cette  lettre  dont  quelques  passages  ont  ici  leur  place  mar- 
quée. Quand  il  a  spécifié  les  dieux  de  métal^  de  pierre  et  de  bois, 
le  prophète  continue  : 

Leur  langue  est  l'œuvre  d'un  artisan  ;  ceux  même  qui  sont  couverts 
d'or  et  d'argent  n'ont  que  l'apparence  de  la  vie  et  ne  peuvent  parler. 
Comme  les  bijoux  d'une  fiancée  ils  sont  fabriqués  avec  l'or  reçu  en  don. 
Ces  dieux  ont  bien  des  couronnes  d'or  sur  la  tète,  mais  les  prêtres  leur 

enlèvent  l'or  et  l'argent  pour  se  l'approprier On  couvre   ces  dieux 

d'habits  de  pourpre,  mais  il  faut  leur  épousseter  le  visage  '^. 

L'usage  des  ornements  mobiles  en  métal  ou  eu  étoffe  avec  les- 


'  yfci</.,  p.  2oy,  210. 

'^ifcid.,  p.  212,  216. 

3  VI,  7,  8,  9,  12.  Nam  lingua  ipsorura  polita  a  fabro,  ipsa  etiam  inaurata  et 
inargentata,  falsa  sunt,  et  non  possunt  loqui.  Et  sicut  virgini  amanti  ornamenta  : 
ita  accepto  auro  fabricati  sunt.  Coronas  certe  aureas  habent  super  capita  sua  dii 
illorum  :  unde  subtraliunt  sacerdotes  ab  eis  aurum  et  argentum,  et  erogant  illud 
in  semetipsos,  —  opertis  autem  illis  veste  purpurea,  extergunt  facieiu  ipsorum 
propter  pulverein  domus. 


OKIfilNES    DL    l'ORFÉVUERIE    CLOISONNÉE  203 

quels  on  habillait  les  divinités  assyro-clialdéennes  est  matérielle- 
ment démontré  par  les  monuments  figurés.  Bérose,  cité  par  Hé- 
sychius,  nomme  une  prétresse,  Saracliéro,  chargée  de  parer  la 
déesse  Héra  :  or  un  grand  nombre  de  cylindres  représentent  di- 
vers épisodes  de  cette  cérémonie.  M.  A.  de  Longpérier  en  a  décrit 
plusieurs  qui  appartiennent  à  notre  musée  du  Louvre.  Un  texte 
mythologique,  publié  par  M.  J.  Menant,  énumère  les  différents 
objets  dont  se  composait  la  toilette  de  la  déesse  Istar  :  grande 
couronne,  boucles  d'oreilles,  collier  et  diadème  en  pierres  précieu- 
ses, ceinture,  anneaux  d'or  pour  les  pieds  et  les  mains,  enfin  le 
vêtement  intime  dont  le  nom  répugne  aux  Anglais  et  que  nous 
sommes  obligés  de  traduire  par  le  mot  vulgaire,  chemise  ' . 

Les  successeurs  de  Nabuchodonosor  jusqu'à  la  prise  de  Baby- 
lone  par  Cyrus,  Évil-Mérodach  (561  av.  J.-C),  Nirgal-sar-usur 
(559  av.  J.-C),  Bel-labar-iskun,  iNabu-naid  ou  Nabonid  (555  av. 
J.-C),  entin  Bel-sar-usur,  vraisemblablement  le  Balthasar  de 
Daniel  (537  av.  J.-C),  ne  nous  ont  transmis  aucun  renseigne- 
ment nouveau  sur  l'orfèvrerie. 

J'ai  accumulé  à  dessein  des  citations  qui  ne  sortent  pas  des  gé- 
néralités, ne  renferment  rien  de  descriptif  et  tombent  dans  de 
perpétuelles  redites.  Malgré  ces  inconvénients,  leur  utilité  s'ex- 
plique ;  aucune  étude  spéciale  sur  l'orfèvrerie  assyro-chaldéenne 
n'a  encore  été  publiée  que  je  sache,  et  la  condensation  de  textes 
éparpillés  çà  et  là  m'a  semblé  indispensable  pour  démontrer  à 
l'aide  des  monuments  figurés  l'exactitude  de  traductions  parfois 
incertaines. 

«  A  Ninive,  selon  M.  V.  Place,  tout  est  autochthone,  tout  est 
pris  dans  le  territoire  et  façonné  par  des  artistes  indigènes.  Au- 
cun doute  n'est  possible  à  cet  égard,  puisque,  sauf  l'Egypte,  dont 
le  style  n'a  nul  rapport  avec  le  style  ninivite,  la  civilisation  as- 
syrienne précède  toutes  les  autres.  »  Il  y  a  dans  cette  assertion 


>  Calai,  (les  (inliq.  assiiriennes  du  musée  du  Louvre,  n"*  447,  448,  etc.   —  Bahy- 
lotie  et  In  Chaldée,  p.  -236,237. 


quelque  chose  de  trop  absolu  :  quand  uue  rivalité  politique  met 
deux  peuples  en  contact,  ils  se  font  toujours  des  emprunts  réci- 
proques dont  la  plus  grosse  part  s'applique  naturellement  au 
vainqueur.  Les  Égyptiens  introduisirent  dans  leur  panthéon  la 
déesse  Hathor  qu'ils  avaient  trouvée  en  Asie  et  les  Assyriens, 
passés  au  rôle  d'envahisseurs,  s'inspirèrent  à  coup  sûr  des  édifices 
de  Thèbes  ou  de  Mempliis  pour  orner  leurs  palais  d'une  série  de 
bas-reliefs  coloriés  représentant  la  gloire  des  dieux  et  les  actions 
des  rois.  M.  Place,  il  est  vrai,  avait  dit  auparavant  :  «  L'archi- 
tecture assyrienne  exclut  l'emploi  des  colonnes  ;  il  faut  pourtant 
en  admettre  dans  le  temple  du  palais  de  Sargon,  c'est  un  élément 
étranger  rapporté  de  ses  conquêtes  en  Egypte  :  il  y  avait  bien 
emprunté  la  première  idée  de  l'édifice  et  la  corniche  du  soubasse- 
ment '  » . 

Nous  allons  voir  que  Sargon  emprunta  aussi  à  l'Egypte  la 
technique  de  l'orlévrerie  cloisonnée. 

M.  Botta  découvrit  dans  les  ruines  de  Khorsabad  divers  frag- 
ments de  briques  émaillées;  après  lui^  MM.  Place  et  Layard  exhu- 
mèrent du  môme  lieu  des  systèmes  complets  de  cette  matière  déco- 
rative dont  Babylone  fournit  aussi  son  contingent.  L'émail  nini- 
vite  est  d'assez  médiocre  qualité,  il  ne  vaut  pas  celui  de  Babylone, 
glaçure  composée  de  silicate  alcalin  d'alumine  sans  traces  de 
plomb  ni  d'étain  •'.  Parmi  les  constructions  attribuées  à  une  fabu- 
leuse Sémiramis,  Ctésias,  médecin  d'Artaxerxès  Mnémon  cite  un 
palais  dont  les  murailles  offraient  des  personnages,  des  animaux 


'  Nlnive  et  l Assyrie,  t.  II.  1.  2,  p.  190;  ibid.,  I.  1.  c.  1,  p.  38,  39.  —  A.  de 
Longpérier,  Musée  NapoUon  III,  in  i°,  texte  de  la  pi.  IV. 

-  a  L'émail  babylonien,  saillant,  très-adhérent  à  la  brique,  brille  d'un  vif  édat  ; 
il  est  dur  loainie  la  porcelaine.  Celui  de  Ninive  est  tendre,  se  détache  facilement 
et  semble  une  glaçure  peu  cuite.  Les  ligures,  cernées  d'un  creux  sensible,  font 
croire  qu'avant  la  couleur  le  contour  était  tracé  au  style  sur  l'argile  molle.  » 
Place,  oiiv.  cité,  t.  II,  1.  2,  p.  253.  Jacquemart,  Les  Merveilles  de  la  céramique, 
part.  I,  Orient,  p.  170.  On  voit  des  échantillons  de  ces  briques  au.t  musées  du 
Louvre  et  de  Sèvres. 


OKIOINKS    DK    l'uRFÉVKEHIK    CLOISONNÉE  205 

et  des  sujets  de  chasse,  rendus  en  couleurs  sur  briques  crues  '  ; 
l'écrivain  grec  sous-entend  une  cuisson  postérieure.  Il  n'est  donc 
pas  étonnant  de  rencontrer  dans  les  textes  cunéiformes  la  mention 
des  briques  vernissées. 

Les  échantillons  de  M.  Place  consistent  en  arcs  de  porte  de 
ville,  ornés  de  divinités  tétraptères  et  diptères  alternant  avec 
des  rosaces  ou  des  roues  (Tl.  III,  fig.  1  et  2),  et  en  un  soubasse- 
ment de  porte  de  palais  où  un  lion,  un  taureau,  un  gypaète  (ra- 
pace  tenant  le  milieu  entre  l'aigle  et  le  vautour),  un  figuier,  une 
charrue  placés  à  la  file,  sont  précédés  et  suivis  par  un  personnage 
royal.  Toutes  ces  figures,  exécutées  en  jaune  d'or  vif —  carna- 
tions jaune  rosé,  barbe  et  cheveux  noirs,  menus  détails  blanc  et 
vert  clair  • —  sur  fond  bleu  lapis,  offrent  une  particularité  re- 
marquable :  les  franges,  les  broderies  et  les  plis  des  vêtements,  les 
plumes  des  ailes,  le  pelage  des  animaux,  sont  exprimés  par  des 
plaques  découpées  en  bleu  sur  le  jaune;  un  gros  trait  noir  les 
encadre  et  simule,  surtout  dans  les  plumes,  un  véritable  cloison- 
nage. La  rédu',;tiou  à  petite  échelle  d  originaux  qui  mesurent 
jusqu'à  G""  90'"  donne  pour  résultat  un  effet  identique  à  celui  des 
bijoux  cloisonnés  égyptiens.  Lïmitation  estencore  plus  frappante 
quand  on  examine  les  fragments  recueillis  par  MM.  Botta  et 
Layard  :  leur  cham[)  est  vert  ou  l)leu  ;  l'ornement  —  plantes  sa- 
crées, îisters,  antilopes,  ailes,  coiffures,  franges,  bijoux  —  qui 
s'y  détache  soit  en  blanc  ou  en  jaune,  soit  en  gris  bleuâtre,  est 
toujours  rechampi  cruii  mince  filet  de  lune  des  deux  premières 
couleurs.  -   Les   sculpteurs  assyriens  savaient  rendre  au  naturel 


^  Ra6'  6v  sv  waat;  lit  xal;  Trîa'vOoiç  &t£-£Tu7rwT0  Ov)p(a  TravToSaTrà  x^  twv  y_p(0[xâ- 
t:ov  cpiXoTsyvta  Tr,v  àÀr,0£iav  aTToaujLOUusva.  —  'EvyJCTav  2'ev  toî;  Tropyoïi;  xai  te'./eci 
Çwa  TravToûKTrà  cDiXoxÉyfvo);  xot;  tî  ypojaaat  x'/i  xoî;  xwv  xuttojv  àTTOjAi[xr,[Aact  xotXcC- 
Xcua(7[ji£va  •  xb  o'ô'Xov  £TT£Ttoîr,xo  )tuv/,Y'°''  -avxoi'wv  Ôr,pta)v  OTiâp/ov  TrX^pî;,  «ov  r^cav 
xà  iJ.i-[i(}-r\  7rX£tov  v)  -Krf/îoy  Xcxxapwv  •  x7X£ax£ÛaGxo  o'iv  aùxoT;  xai  y,  — £ixtpau.i; 
à'j'ïnr.ov  iiapoa/.'.v  à/.ovTi^oucra.  xoti  TrA-/;a''ov  ajxrj^  ô  àv/|p  Nt'vo;  Trai'cov  £X  yj-^^o;,  Xîovxa 
XÔY/r,.  f)^'  lehiis  ,Is.si/noiUiu,  1,  iU,  éd.  Didot,  p.  '2.3. 

-  V.  Place,  uuv.  cilc,\À  li  à  17,  JT  k  ol.  l?ott;i,  Monvnioil  de  Xinive.  \>\.  lôje 


206  ORIfilNES    DE    l'orfèvrerie    CLOISONNÉE 

avec  une  perfection  rare  les  plumes^  les  franges  et  les  accessoires 
en  général;  l'intention  des  céramistes  est  donc  manifeste^  ils  ont 
copié  des  modèles  en  orfèvrerie  cloisonnée  :  s'ils  eussent  voulu 
autre  cliose^  ils  auraient  agi  à  l'instar  de  leurs  confrères  babylo- 
niens qui  peignaient  la  réalité  et  non  les  formes  conventionnelles. 
Ces  derniers  toutefois  faisaient  aussi  du  cloisonné  à  l'occasion  : 
une  rosace  blanche  sur  champ  bleu  lapis,  au  Louvre^  est  cerclée 
de  noir  ' . 

De  la  comparaison  des  textes  avec  les  monuments,  j'ose  con- 
clure :  1"  que  Fintérieur  des  temples  assyro-chaldéens  était  orné 
de  tables  en  métal  ou  autres  minérauX;,  comportant  des  figures 
incrustées  ;  2"  que  ces  mêmes  images  se  reproduisaient  à  l'exté- 
rieur sur  des  briques  émaillées,  llbnnt.  Les  portes  des  villes  et  des 
palais  avaient  un  décor  pareil  attendu  qu'on  les  regardait  comme 
des  sanctuaires  ;  chacune  des  huit  grandes  portes  de  Dur-Sarkin 
était  consacrée  à  une  divinité  spéciale  ■. 

Les  couleurs  d'émail^  assez  précieuses  pour  qu'on  les  renfermât 
dans  les  magasins  royaux,  ainsi  qu'il  a  été  dit  ailleurs,  correspon- 
daient aux  tons  des  matières  incrustées  ou  de  leur  excipient  :  le 
jaune,  à  l'or,  hiiras  ;  le  blanc,  à  l'argent,  kn.'^j^i,  à  Talbâtre,  au 
jas])e  ;  le  gris  bleuâtre,  au  quartz  hyalin,  au  verre  incolore,  zari- 
ri:  le  bleu,  au  lapis,  hhlbisti  ;  le  carné,  h  la  cornaline;  le  vert, 
à  la  malachite  ;  le  noir,  quand  il  ne  mar([uait  pas  les  divisions,  au 
stéaschiste,  au  bronze,  peut-être  au  fer,  ]W7'2;i/..  La  spécialité  des 
gemmes  aban  (pierre)  zatu,  aban  ha,  nban  ini  Meluchha,  n'est 

15G,  in-fol.,  1849.  V.  encore  Jacquemart,   ouv.  cité;  Lnyard,   The  MomimcTits  of 
Nineveh,  pi.,  passim,  in-fol.,  Londres.  18'l'K 

'  Musée  Napoléon  III.  pi.  iV  :  3,  franges  rendues  par  des  traits  noirs  ondes  sur 
fond  jaune  d'or  ;  5,  détails  d'une  aile,  champ  blanc,  imbrications  noires  nuées  de 
jaune  pâle  ;  ^,  rosace  ;  1  et  2,  fragments  d'inscription,  caractères  na  et  ku  blancs 
sur  bleu  ;  G,  tronc  de  palmier,  réticulé  noir  sur  jaune  d'or. 

-  Ces  portes  étaient  dédiées  :  orient,  à  Samns  et  à  tiin  ;  midi,  à  Bel  et  à  My- 
litta  :  occident,  à  Anu  et  à  istar  ;  nord,  à  Nisruk  Salman  et  à  .Mylitta.  Jnn.  des 
rois  d'  issi/rir,  \^  203,  20'(,  Les  porles  ornées  (|ti(».  M  Place  drconviit  à  Khorsahnd 
avaient  dune  pour  patrons  Bin,  Anu  et  Nisiok, 


oHir.ixiis  DE  l'oufevrerie  cloisonnée  207 

pas  encore  déterminée;  elles  devaient  également  s'imiter  en 
émail  '. 

Maintenant,  que  le  mot  (hinnu  désigne  on  non  les  plaques  his- 
toriées en  incrustation  qui  décoraient  les  temples  et  les  palais 
assyro-clialdéens^  ceci  est  une  question  philologique  dont  je  n'ai 
j)oint  à  m'occuper;  il  me  suffit  d'avoir  établi  un  fait  qui,  pour 
n'être  pas  mathématiquement  prouvé,  n'en  reste  pas  moins  très- 
vraisemblable. 

La  sculpture  assyrienne  nous  a  conservé  un  grand  nombre  de 
modèles  de  bijoux,  ])racelets  de  poignet  et  d'humérus,  boucles 
d'oreilles,  diadèmes,  tiares,  colliers;  les  originaux,  presque  tou- 
jours veufs  de  leur  armature  métallique,  sont  excessivement 
rares. 

JuQS  armillce  d'humérus  rentrent  dans  l'orfèvrerie  ordinaire; 
quand  elles  ne  sont  pas  unies,  elles  prennent  la  forme  d'un  lien 
de  joncs  maintenu  par  des  arrêts  verticaux  équidistants.  Les  bra- 
celets sont  j)lus  variés  ;  des  têtes  de  lions  ou  de  panthères,  des  ro- 
saces, s'y  montrent  ajustées  sur  des  anneauxet  des  carcans,  lisses, 
striés,  cannelés*.  Ces  rosaces  sont  fré(|uemment  doubles;  une 
seconde  Heur  plus  petite  y  tient  lieu  d^iimbo  central.  Quanta  la 
matière  dont  elles  étaient  faites,  le  travail  du  sculpteur  serait  im- 
puissant à  nous  l'apprendre  si  nous  n'avions  pas  d'autres  rensei- 
gnements à  portée.  Dans  les  fondations  d'une  entrée  de  ville,  à 
Khorsabad,  M.  Place  a  trouvé  quelques  bijoux,  la  plupart  en 
cornaline  et  en  agate  rouge  "'.  Parmi  eux,  deux  rosettes  taillées 

'  Voy.  Menant,  Exposil  des  éléinenls  de  ijrantviaire  'issi/rienne,  p.  ST'J,  373,  in-8f , 
Paris,  1868.  F.  Lenormant,  (;«-.  r/VJ,  loc  cit. —  Les  tributs  imposés  à  l'Eg^'pte  et 
à  l'Arabie  par  les  monarques  assyriens  no  mentionnent  aucun  produit  où  l'on 
puisse  reconnaître  la  malacliite.  Ce  minéial  était  viaisemblablement  tiré  du  pays 
de  Uitini,  sur  les  IVontières  de  la  Médie,  qui  possédait  des  mines  do  cuivre.  .Jnn. 
des  rois  d' Assyrie,  p.  'Z\\. 

-  Botta,  (nir.  iiié;  pi.  IC,  13,  li,  50,  161,  etc. 

■^  Place,  oHv  <ilé  ;  pi  7-3,  colliers  el  bracelets  formés  de  cônes  tronqués,  de 
cylindres,  d'ovoïdi\s  et  do  b.iiillets;  pi.  7t',  i;emmcs  sculptées.  Les  matières  de 
tous  ces  bijou.v  >uiit.  rairatt^,  la   cornaline,  i'aniétlivste,  le   (piaitz  hyalin,  la  calcc- 


208  ORIGINES    DE    l'oRFÉVHERIE   CLOISONNÉE 

en  caiîK^e  (PI.  III;,  fig.  4  et  5),  dont  le  diamètre  répond  exacte- 
ment aux  proportions  de  Vumbo  des  l)racelets  sculptés,  offrentun 
contour  égrisé  à  la  meule  qui  accuse  une  sertissure  absente;  leur 
destination  est  donc  h  peu  près  certaine.  Autour  du  centre  mono- 
lithe rayonnaient  des  pétales  évidemment  isolés,  vu  leurs  dimen- 
sions, et  qui  ne  pouvaient  former  un  ensemble  qu'au  moyen  d'une 
monture  cloisonnée.  Ce  rapprochement  m'a  guidé  dans  la  restitu- 
tion du  bracelet  d'Assurbanipal  d'après  un  bas-relief  du  Louvre 

(PL  m,  fig.  8). 

Je  ne  me  bornerai  pas  à  une  seule  preuve^  et,  laissant  à  l'écart 
le  collier  précité  d'Aah-hotep  —  rosaces  d'or  cloisonnant  des 
pierres  dures  —  dont  l'intervention  ne  serait  peut-être  pas  ici 
hors  de  propos,  je  vais  interroger  les  sculptures  enluminées  de 
Khorsabad.  J'y  rencontre  trois  diadèmes  rehaussés  de  rosaces  : 
le  premier  semble  un  bandeau  continu  de  métaL  le  second  est  une 
échai'pe  tordue  dont  les  bouts  sont  nou(^s  derrière  la  tête  ;  le  troi- 
sième, qui  se  compose  d'éléments  oblongs,  arrondis  aux  extrémi- 
tés, mérite  un  examen  attentif  car  j'ai  été  fort  lent  à  établir  une 
opinion  trop  hardie  pour  n'avoir  pas  besoin  d'être  solidement 
appuyée. 

Ces  éléments,  bleu  lapis  orh'  d'un  doul)le  lilet  rouge  assez  épais, 
sont  très-réguliers  et  vont  en  décroissant;  les  extrêmes  aboutis- 
sent à  un  gros  gland  rouge  ;  sur  le  tout  brochent  cinq  rosaces  de 
la  môme  couleur  dont  le  diamètre  (grandeur  naturelle)  varie  de 
0°"  09'=  à  0""  076"'  et  O^OG^"".  Les  rosaces  sont  à  coup  sûr  en  pierre- 
ries, leurs  pétales  afHeurent  au  cercle  de  monture  et  l'or  eut  ap- 
pelé du  jaune,  l'argent,  du  blanc,  ainsi  qu'on  le  remarque  ailleurs; 
mais  le  bandeau  est-il  en  étoife,  en  (îordons  tressés  ou  en  plaques 
métalliques  articulées  sertissant  des  gemmes?  Je  penche  vers  la 

doine,  le  lapis  lazuli  etc.  ;  t.  I,liv.  l,  p.  18'J,  41)  1 ,  192  ;  t.  II,  c.  i.  p.  259  2ô0.  — 
M.  Place  croit  que  cos  bijoux  ont  été  jetés  à  dessein  là  oîi  il  les  a  trouvés; 
j'ajouterai  que  le  but  de  semblables  nnVaiuli's  était  r(^lifiieux  et  commun  à  diverses 
populations  asiatiques.  Voy.  Ofoso,  Hisl.  1.  V,  c.  10  ;  (',.  de  Lirias,  Les  ('nsfine." 
de  Fahiisc,  etc.,  j).  4.")  à  M). 


ORIGINES    DE    L  OUFÉVIlliRIK    CLOISONNEE  i2U9 

dernière  hypothèse.  Tissu  ou  cordons  auraient  été  rendus  par  des 
zones  de  couleurs  alternantes  et  non  par  des  filets  cernant  un 
massif  homogène  ;  ils  se  seraient  réunis  en  nœud  bichrome,  tandis 
que  le  gland  représente  Tattache  d'un  bourrelet,  garniture  inté- 
rieure du  diadème.  Je  crois  donC;,  sauf  meilleur  avis,  que  le  pein- 
tre a  simplementjugé  inutile  d'enluminer  ici  les  cloisons  exprimées 
par  un  trait  en  creux  \ 

Les  types  des  boucles  d'oreilles  sont  :  la  colonnette  rectiligne. 
renHée  ou  cruciforme;  la  navicelle;  une  fleur  de  lotus  très-épa- 
nouie.  Le  plus  fréquemment  un  panier  conique  termine  le  bijou  ; 
nous  retrouvons  les  variantes  de  ce  panier  sur  deux  antiques  pen- 
deloques en  or  du  Danemark.  La  sculpture  n'a  reproduit  que  des 
boucles  d'oreilles  où  le  métal  est  seul  employé  ;  mais  la  coquille 
de  cornaline  à  long  pédoncule,  figurée  planche  III,  n°  6,  provient 
de  quelque  joyau  de  môme  espèce  dont  les  briques  vernissées  nous 
offrent  en  outre  un  modèle  cloisonné  :  la  matière  incrustée  est 
blanche  cerclée  de  jaune  ^. 

Les  colliers  consistent  en  chapelets  de  sphères,  d'ovoïdes,  de 
gemmes  taillées  en  polyèdres  arrondis  (PI.  III,  fig.  3).  L'ornement 
de  cou  d'une  effigie  royale  suspend  pêle-mêle  des  disques  étoiles, 
croissants,  fourches,  racloirs  qui  font  penser  à  certains  colliers 
votifs  trouvés  dans  les  sépultures  antiques.  Les  disques  pourraient 
faire  soupçonner  la  présence  du  cloisonnage,  mais  j'en  constate 
positivement  le  travail  sur  le  collier  chevronné  d'une  divinité  as- 
syrienne '. 

Un  terme  de  l'inscription  d'Assurbanipal  rehitive  au  Bit-Sa- 
gatu,  inscription  dont  les  fragments  principaux  ont  déjà  été  sou- 


'  Botta,  ouv.  cité,  pi.  21,  43,  75,  163  et  155,  fig.  î. 

■•'  Botta,  ouv.  cilé,  pi.  21,  43,  etc.,  161  ;  155,  fig.  2.  Place,  ouv.  cité,  pi.  53,  76- 
Weiss,  fKOstuvikunde,  t.  1,  p.  208,  fig.  123.  Worsaae,  Nordake  Oldsayn-,  p.  87, 
fig.  377  et  378,  1er  âge  du  fer. 

3  Rotta,  oxiv.  cilé.  pi.  75.  Place,  ouv.  cité,  pi.  75,  fig.  1 1 .  Weit^s,  ouv.  cité,  t.  I, 
p.  202,  fig.  119.  Layard,  Nineveh  and  ils  remains,  fig.  78,  in-8%  Londres,  1849. 
Musée  ydpoféun  III,  |il.  7,  Nisruk. 


i2lO  OIMGINKS    DE    l'0RFÉVI;l:iuïï    Cl.OlSONNÉI:; 

mis  au  lecteur,  suggère  à  M.  F.  Lenormant  les  remarques  suivan- 
tes :  "  Susilti,  nous  y  reconnaissons  le  clialdaïque  bwlD  (chaîne), 
le  syriaque  .'^islo  (bandelettes)  :  ce  sont  des  bandelettes  faisant 
partie  du  vêtement  des  statues  divines,  ou  plutôt  des  bandes  su- 
perposées de  figures  et  d'ornements  selon  Tliabitude  de  l'art  asia- 
tique, ce  qui  semblerait  appeler  le  verbe  iipa,chlv  qui  se  rend  bien 
mieux  pour  le  latin  finxl  que  par  aucun  mot  français  ' .  » 

L'admirable  effigie  d'Assarliaddon  (?)  trouvée  à  Nimroud  et 
publiée  par  M.  Layard  avec  les  nombreux  détails  qu'exigeait  une 
pareille  œuvre,  autorise  le  trop  l)rof  commentaire  de  M,  Lenor- 
mant. Le  roi  est  assis  sur  un  trône  entouré  de  ses  eunuques  et  de 
divinités  ailées  ;  les  limbes,  ou  plutôt  les  orfrois  des  vêtements 
sont  ornés  de  broderies  aux  sujets  les  plus  riches  et  les  plus  variés  : 
des  figures  humaines,  des  animaux  réels  ou  fantastiques,  des 
plantes  sacrées,  y  sont  disposés  avec  un  goût  infini,  le  pectoral 
surtout,  disque  cantonn''  de  quatre  pommes  de  pin  simuhmt  des 
agrafes,  est  un  chef-d'œuvre  d'élégance.  Au  centre,  deux  per- 
sonnages aptères,  coiffés  de  la  tiare  royale  et  affrontés  devant  une 
plante  sacrée,  étendent  la  main  vers  le  disque  ailé  qui  domine  la 
scène;  personnages  et  plante  reposent  sur  un  pavement  imbriqué. 
La  bordure  com})orte  six  })almettes  chevronnées  d'oii  s'échappent 
des  fruits,  alternant  avec  un  pareil  nombre  de  pommes  de  pin; 
le  cercle  extérieur  est  également  chevronné  -. 

Ici,  l'orfèvre  apparaît  cbii  rement  derrière  la  brodeuse  ;  un 
sentiment  instinctif  montre  que  le  sculpteur  a  rendu  la  netteté 
du  burin  et  de  l'incrustation  plutôt  que  la  mollesse  de  l'aiguille. 

'  Essai  de  rommeutaire  etc.,  loc.  cit. 

'  Layard,  The  vioiunnenis  of  Nineveh,  pi.  5  à  8.  Le  pectoral  assyrien  varie  de 
formes  :  il  est  tantôt  circulaire,  tantôt  rectangulaire,  sur  les  elfigies  d'Assurbani- 
pal  ;  dans  le  second  cas,  le  double  galon  qui  borde  cet  ornement  contourne  à 
l'instar  d'une  chaîne  le  col  de  la  tunique,  preuve  de  son  origine  égyptienne.  Le 
pectoral  égyptien  était  un  talisman,  l'assyrien  devait  avoir  le  même  l)ut  :  il  re- 
présente toujours  deux  personnages  affrontés  devant  une  j)lante  sacrée,  seule- 
ment, quand  il  est  rectangulaire,  deux  grandes  rosaces  llamiuent  le  motif  prin- 
cipal. V.  Place,  ouv.  ci  lé,  pi.  ."jO  à  53. 


ORIGINES    DE    l'oRFÉVRERIK    CLOISONNÉE  211 

J'ai  tenté  une  restitution  du  pectoral  d'Assarhaddon  en  orfèvrerie 
cloisonnée,  et  les  changements  que  j'y  ai  introduits,  changements 
empruntés  d'ailleurs  à  des  œuvres  analogues,  sont  tellement  in- 
signifiants qu'il  me  semble  inutile  de  les  signaler. 

Textes  et  monuments  concourent  donc  à  prouver,  tant  en  As- 
syrie qu'en  Chaldée,  l'existence  de  bijoux,  de  vêtements,  de 
tableaux  en  orfèvrerie  cloisonnée.  Hérodote  mentionne  quelques- 
unes  des  richesses  du  Bit-Saggatu  :  une  statue  de  Bel,  une  table, 
un  marchepied,  un  siège,  un  autel;  le  tout  d'or  et  pesant  800 
talents  ' .  Diodore  renchérit  encore  sur  son  devancier.  Trois  statues 
d'or  repoussé  ;  Jupiter  mesurant  40  pieds,  du  poids  de  1000  ta- 
lents babyloniens  ;  Cybèle,  d'un  poids  égal,  assise  sur  un  trône, 
ayant  à  ses  genoux  deux  lions  et  deux  énormes  serpents  d'argent, 
chacun  de  30  talents  ;  Junon,  800  talents,  la  droite  armée  d'un 
serpent  tenu  par  le  cou,  la  gauche,  d'un  sceptre  en  orfèvrerie 
cloisonnée.  Une  table  d'or,  de  môme  travail  que  les  statues, 
longue  de  40  pieds,  large  de  15,  pesant  500  talents,  avec  deux 
vases  de  30  ;  deux  brûle-parfums  d'or,  300  talents  chaque.  Trois 
grands  cratères  d'or,  celui  de  Jupiter,  1200  talents,  les  autres, 
chacun  600  ^  11  n'y  a  pas  à  discuter  un  si  énorme  total,  12,000 
kilogrammes  d'or  représentant  plus  de  38  millions  de  francs,  en 
face  des  contributions  imposées  aux  peuples  soumis  par  les  rois 
assyro-chaldéens  et  des  sacs  plus  récents  de  Tyr  et  de  Jérusalem  : 
les  écrivains  grecs  sont  restés  peut-être  encore  au-dessous  de  la 
vérité  \ 

*  "EvOa  ayaXixa  [J-lyoL  tou  Aïoi;  i'vt  /.aTr,[ji£vov  yp-jffîov,  xai  o't  xpairsî^a  (xeyaXT) 
7rapax££Tai  •/pudEY),  xai  xb  êaôpov  o\  xai  ô  ôpovoi;  •/pucsô;  Icci  •  xat  wç  EXsyov  ol 
XaXoatoi,  TaXâvTti)v  oy-Taxofjtojv  yputriou  TrsTrotYjTat  rauxa.  Lib.  I.  c.  183. 

'"  Tpi'a  xatsaxEuacEv  àyàXfxaTa  ypuTa  (7cpup-/-XaTa,  Aiô;  "Hpac,  'Péaç  • 

GTaÔaov  Qtl/c.  (Jovis  effigies)  yiXi'ojv  TaXâvT(ov  BaêuXtovîojv  ■  tÔ  os  Trj;  'Pio:q  èm 
St'^pou  xa9-/]ij(.£vov  yçtUGOu  xôv  ïffov  aTaOfJiov  ei/z  tw  7Tpo£ipr,|ji.£vco  •  siti  Ô£  twv  yovâxwv 
aÙTYJs  £ic7r/"jX£iCQ(v  X£OVT£Ç  ouo,  7.7.1  T-Xr,ff(ov  o'^Eiç  U7r£p[x£y£fj£i(;  apyupoî,  TpiaxovTa 
xaXa'vTtov  é'xacxo.;  £/wv  xo  Socpo?.  To  oï  -zr^q  "Hpa:...  ayaXaa,  cxxOuov  ï/ow  x-ïXotvTCOv 
oxxaxocitov,  xai  xv)  ij.h  Oîçià  /£ipt  xax£ty_£  xrjç  XEcpaXr'ç  o'^iv,  xr,  cl  apicxEpa  cxy,7rxpov 
XiOo/.dXXriXov.  Etc.  etc.  L.  I,  c.  9. 

^  Suitout  si  roii  n'a  pas  oublié  riminonsc  ([uantitô  de  inét  uix  jtrécienx  intro- 


212  ORIGINES    DE    l'ORFEVUERIE    CLOlSONNÉli 

Un  synchronisme  fournira  le  nom  du  peuple,  qui  communiqua 
aux  Assyro-chaldéens  la  technique  de  l'incrustation,  et  la  date  où 
cet  art  industriel  fut  pratiqué  en  Mésopotamie.  A  l'époque  où  les 
Sargonides  associent  sur  leurs  monuments  et  leurs  effigies  le  lotus 
et  le  sphinx  égyptiens  aux  anciens  types  nationaux  de  la  rosace, 
urud,  et  du  chevron,  on  voit  apparaître  les  premiers  indices 
révélateurs  de  l'orfèvrerie  cloisonnée  à  Ninive  ;  il  y  a  donc  une 
forte  présomption,  sinon  une  certitude  absolue,  en  faveur  de 
l'importation  égyptienne  *. 

C.  DE  LlXAS. 
fA  suivre.) 


duite  à  Jérusalem  par  Salomon.  Ezéchias  olfrit  d'un  seul  coup  à  Sennachérib 
30  talents  d'or,  800  d'argent,  des  pierreries,  des  perles,  etc.,  etc.  {Ann.  des  rois 
d' Jssyrie,  p.  219)  et  ce  n'était  qu'une  faible  partie  des  trésors  accumulés  dans  le 
temple.  La  comaiei'çante  Phénieie  devait  être  bien  plus  riche  encore  que  la  Judée. 
^  Botta,  ouv.  ci/é,  pi.  43  et  lOô.  Place,  onv.  cité,  pi.  49,  fig.  1,  seuil  d'un  palais 
de  Koyoundjick,  musée  du  Louvre.  —  M.  Menant  {Expouî  des  él'm.  de  gr/nn.  as- 
syr.^  p.  33)  interprète  l'idéogramme  nmd  par  rosace,  mais  lui  donne  aussi  le  sens 
de  cuivre,  peut-être  parce  que  certaines  briques  étaient  colorées  avec  un  oxyde 
de  ce  métal.  Li^lre  du  11  février  1875.  —  Annales,  etc.,  p.  240;  Layard,  The  mo- 
num.  of  Ninevch,  pi.  G  et  8. 


LES  ANCIENS  MONUMENTS  CHRÉTIENS 

DE  RODEZ 


PHKMiiin  AUTiCLr: 


a  Les  Arvernes  et  les  Rutènes,  disait  César,  en  sa  célèbre  conférence 
«  avec  Arioviste,  ont  succombé  sous  les  armes  de  Quintus  Fabius  Maxi- 
ce  mus;  le  peuple  romain  leur  a  pardonné;  il  n'a  point  réduit  leur  terri- 
«  toireen  province,  il  ne  leur  a  point  imposé  de  tributs  '.»  C'est  ainsi  que, 
l'an  121  avant  Jésus-Christ,  apparaît  pour  la  première  fois  dans  l'histoire 
la  nation  dont  Rodez,  «  la  ville  des  Rutènes  » ,  est  la  capitale.  César  adjoin- 
dra son  territoire  à  la  Province  romaine,  ou  Provence,  dont  la  tête  est 
Narbonne.  Sous  l'Empire,  Rome  y  déploiera,  comme  partout  où  elle  com- 
mande, sa  civilisation,  c'est-à-dire  sa  magnificence  orgueilleuse  au  service 
de  la  cruauté  et  de  la  mollesse.  Rodez  a  son  amphithéâtre,  qui  présente 
aujourd'hui,  à  côté  de  la  ville,  l'aspect  d'un  grand  cratère  éteint.  Il  a  ses 
combats  de  gladiateurs,  dont  l'un  des  masques  en  cuivre  repoussé,  offrant 
aux  côtés  Minerve  et  Hercule,  et  par  devant  la  tète  de  Méduse,  vient 
d'être  retrouvé.  Il  a  ses  villas  splendides,  dont  deux,  celle  d'Argentelle,  à 
treize  kilomètres  de  Rodez,  et  celle  de  Mas-Marcou  {Mansus-Marci),  habi- 
tation de  Marcus,  à  six  kilomètres,  rendues  au  jour  en  1861  et  1870,  révè- 
lent un  luxe  et  une  élégance  d'existence  dont,  à  bien  des  égards,  les  beaux 
hôtels  du  Paris  moderne  n'approchent  pas.  Marcus  avait  ses  thermes, 
miniature  des  thermes  des  Césars  à  Rome.  Un  aqueduc  lui  amenait  les 
belles  eaux  de  la  source  de  Fontrosière.  Sa  vaste  résidence  était  pavée  de 
fines  mosaïques.  Elle  avait  sa  bibliothèque  el  ses  collections.  A  cette  habi- 
tation répondaient  les  domaines.  La  chasse,  la  pêche,  tous  les  plaisirs 
champêtres  y  avaient  leur  théâtre  parmi  les  riches  revenus  des  troupeaux 
et  de  l'agriculture.  Telles  étaient  ces  grandes  existences  romaines,  instal- 
lées après  la  conquête  dans  la  capitale  des  Rutènes  et  dans  la  campagne, 

'  De  bello  Gallico,  I.  I,  §  XLv. 


-)14  LES    ANCIENS    MONUMENTS    CHRÉTIENS    DE    RODEZ 

dont  les  inclnilles  et  les  monuments  divers  nous  révèlent  l'existence  du 
I"  siècle  à  la  fin  du  IV'  *. 

Tout  est  païen  de  ce  qui  nous  en  a  été  révélé  jusqu'ici,  une  médaille  à 
part.  Ce  n'est  pas  que  le  christianisme,  dès  son  apparition,  n'ait  émis,  là 
comme  partout,  et  en  particulier  dans  nos  Gaules,  ses  rayons.  La  tradi- 
tion de  Rodez,  digne  de  tout  respect,  est  que  l'apôtre  de  l'Aquitaine,  saint 
Martial,  disciple  de  saint  Pierre,  lui  a  prêché  FEvangile.  Il  serait  incroya- 
ble, vraiment,  qu'au  milieu  de  tels  progrès  de  la  civilisation  païenne,  la 
civilisation  chrétienne  n'ait  fait  ou  tenté  aucun  pas  et  ne  soit  maintes  fois 
revenue  à  la  charge.  Ce  qui  est  bien  probable,  c'est  que  le  succès  n'a  pas 
répondu  aux  efforts.  Jusqu'à  saint  Martin,  les  Gaules  apparaissent  comme 
païennes  en  somme,  surtout  les  campagnes.  Rodez  ne  nous  offre  que  sta- 
tuettes de  dieux  et  de  déesses  ;  les  poupées  en  plâtre  de  Vénus  pullulent  : 
la  corruption  règne  avec  l'idolâtrie.  A  Milhau,  nous  trouvons  une  fabrique 
de  poterie,  dont  les  produits  vont  du  IP  siècle  jusque  par  delà  le  V*  ;  il  y 
H  une  dizaine  de  lampes  et  divers  monuments  du  IV"  siècle  :  rien  n'est 
chrétien.  Une  poterie  du  IV"  siècle,  de  la  collection  de  M.  l'abbé  Cérès, 
m'a  fait  lire  :  Veni  ad  me  arnica.  C'est  la  coupe  d'un  disciple  d'Horace.  Le 
génie  chrétien  ne  l'a  point  transfigurée  en  ce  sceau  ravissant  inspiré  à 
Rome  par  le  Cantique  des  Cantiques,  où,  autour  de  la  colombe,  symbole 
de  l'âme  toute  pure  et  toute  aimante,  on  lit  l'appel  du  céleste  Epoux  : 
Veni  si  amas^.  Pas  un  souvenir  chez  les  Rutènes  de  ces  martyrs  qu'on 
trouve  presque  partout  ailleurs  ;  pas  un  nom  d'évêque.  La  médaille,  qui 
est  la  seule  trace  certaine  rencontrée  jusqu'ici  de  christianisme  dans  les 
quatre  premiers  siècles,  n'oblige  pas  même  à  croire  à  l'existence  du  chris- 
tianisme dans  le  pays,  car  c'est  une  monnaie  impériale  courante.  Nulle 
part,  ce  semble,  aut  mt  que  dans  les  montagnes  du  Rouergue,  la  dési- 
gnation de  pagani,  «  gens  de  la  campagne,  »  n'équivaut  au  triste  sens  de 
tt  païens.  » 

Mais  à  partir  du  milieu  du  V''  siècle,  comme  tout  change  !  Quelle  conso- 
lante physionomie  nous  présentent  ces  montagnes  !  Je  viens  d'en  contem- 
1er  les  anciens  monuments  chrétiens,  dont  je  ne  soupçonnais  guère  l'exis- 
tence, et  je  n'ai  pu  me  défendre,  à  leur  vue,  d'un  certain  ravissement. 
Rome  même  peut  les  envier  à  Rodez. 

*  Voir  les  Noies  archéologiques  de  M.  l'abbé  Cérès.  —  I.  Compte-rendu  sur  les 
fouilles  pratiquées  à  la  villa  de  Mas-Marcou.  —  II.  Rapport  sur  les  fouilles  ar- 
chéologiques faites  à  Cadayrac,  à  Souyri  et  au  couvent  de  lu  Providence,  18(35.  — 
Extrait  des  Mémoires  de  la  Société  des  lettres,  sciences  et  arts  de  l'Aveiiron,  t.  X. 

»  Boldetti,  tav.  CXLVIII  ;  Garucci,  IJagioglypta,  p.  230. 


LES   ANCIENS    MONUMENTS    CURÉTIENS    1»E    RODEZ  215 

Je  vais  essayer  de  les  décrire.  Ils  ne  sont  que  cinq  à  ma  connaissance, 
tous^du  VP  siècle  ou  des  environs.  Il  faut  y  joindre  la  médaille  que  j'ai 
dite,  et  qui  est  du  milieu  du  IV'^  siècle.  Etudions  par  ordi'e  ces  six  pages 
de  l'histoire  primitive  d'une  de  nos  plus  relig'ieuseset  meilleures  provinces, 
si  heureusement  attardée  dans  le  christianisme,  comme  elle  le  fut  autre- 
fois, hélas  !  dans  le  paganisme. 


LA   MEDAILLE    DE   MAGNENCE 

La  médaille  est  un  petit  bronze  du  tyran  Magnence,  qui  revêtit  la  pour- 
pre à  Autun,  en  3i9.  et  se  donna  la  mort  à  Lyon, en  353.  Cette  pièce  a  été 
trouvée  parmi  d'autres  de  toutes  les  époques,  dans  la  villa  de  Marcus,  où 
tout  semble  païen,  d'ailleurs.  Ce  signe,  sinon  ce  titre,  le  plus  ancien  jus- 
qu'ici du  christianisme  à  Rodez,  est  au  musée  de  la  ville.  Il  est  remar- 
quable. 

La  médaille  offre  d'un  côté  le  buste  de  Magnence.  Au  revers,  c'est  le 
monogramme  Constantinien  du  Christ,  avec  l'alpha  et  l'oméga,  acclama- 
tion de  sa  divinité,  et  ces  trois  lettres  MAV,  seuls  restes  de  la  légende. 
Je  crois  pouvoir  restituer  :  (MAXI)  MA  V(ICTORIA),  d'après  une  mé- 
daille d'or  toute  semblable  de  Constantin  portant:  VICTORIA  MAXIMA  K 
C'est  la  désignation  de  la  «  très-grande  victoire  »  remportée  par  Constan- 
tin sur  Maxence,  avec  l'étendard  montré  dans  le  ciel,  qui  offre  au-dessus 
de  la  croix  le  monogramme  couronné  du  Christ.  Le  tyran  Magnence  a 
fait  graver  ce  signe  au  revers  de  son  image,  comme  pour  s'assurer  à  son 
tour  la  victoire.  Que  ce  labarum,  sorti  du  sol  de  Rodez  en  1870,  soit  d'un 
heureux  augure  pour  la  France  ! 


II 


L  ANNEAU    TROUVE    A    LUNEL 

Je  rapprocherai  de  ce  précieux  petit  bronze  de  la  villa  de  Marcus  une 
petite  bague  de  cuivre  trouvée  par  M.  l'abbé  Cérès  dans  une  tombe galio- 

'  J.  llemelariu^.    Impcratorum   romunorum   numismata   aurea.  Antverpiae, 
1627,  iii-4",  {jkuiche  6"2. 


216  Lt;>    ANCIENS    MONUMENTS    CHRÉTIENS    DE    RÛDEZ 

romaine,  ;i  T.'incl,  canton  de  Conques,  à  30  kilomètres  environ  de  Rodez. 
On  a  cru  cette  bagne  du  IV"  ou  du  V«  siècle, sur  cet  indice  trop  faible  peut- 
être  que  des  poteries  de  ce  temps,  trouvées  dans  le  pays,  présentent  éga- 
lement des  lettres  initiales  séparées  par  un  signe.  Le  signe,  ici,  est  la  croix 
équilatérale  ;  les  lettres  sont  les  quatre  initiales  du  signe  de  la  croix  :  Jésus 
Nazarenus  Rex  Judxorum.  Le  pourtour  extérieur  de  la  bague  olîre,  gra- 
vés, les  traits  suivants  : 

+1 +N+R+I 

On  n'a  pas  signalé  encore,  que  je  sache,  de  monument  pareil,  du  moins 
à  la  date  présumée.  C'est  peut-être  le  plus  ancien  exemple  de  cette  forme 
du  titre  de  la  croix  :  INRI,  si  commune  au  Moyen- Age,  et  qui  figure  de 
nos  jours  sur  tous  les  crucifix.  C'est  la  formule  pleine  dont  le  mono- 
gramme constantinien  est  l'abrégé.  Ce  monogramme  offrant  les  deux  pre- 
mières lettres  de  Christ^  et  placé  sur  la  croix  au  sein  d'une  splendide  cou- 
ronne, c'est  bien  le  Jésus  Nazaréen,  Roi  des  Juifs,  inscrit  et  maintenu  par 
Pilate  au  sommet  de  la  croix  et  condensé  par  les  chrétiens  d'abord,  tout 
l'indique,  puis  par  le  ciel  même  dans  un  sigle  de  gloire. 

La  bague  et  la  monnaie  de  Rodez  se  répondent  et  sont  en  quelque  sorte, 
en  double,  son  labarum  chrétien  apparaissant  à  la  suite  de  celui  de  Cons- 
tantin, au  sein  de  ses  montagnes,  refuge  trop  tenace  alors  du  polythéisme 
romain,  ennemi  du  Christ  et  de  sa  croix. 


III 


LE    SARCOPHAGE    DIT    DE    SAINT   AMANS 

L'empire  romain  tombe  au  commencement  du  V''  siècle,  et  de  proche 
en  proche,  durant  ce  siècle,  il  va  s'etîaçaut  dans  les  Gaules.  La  domination 
des  Francs  l'y  remplace  à  la  fin.  Dans  ce  cataclysme,  le  christianisme  est 
le  refuge  des  populations.  Elles  embrassent  la  croix  à  titre  de  planche  de 
salut.  Les  églises  sont  leurs  lieux  d'asile  ;  leurs  défenseurs,  leurs  guides, 
leurs  nourrie  iers,  leurs  pères  sont  les  évêques.  Au  lieu  de  ces  prêteurs 
venus  jadis  de  la  capitale  dans  les  provinces  pour  peser  sur  elles  du  poids 
de  leur  dégoût  insolent,  de  leiu'  rapacité,  de  leur  corruption  raffinée,  de 
leur  liypocrisie  rompue  à  l'edronterie,  armée  de  sauterelles,  aux  cheveux 
de  femmes  et  aux  dents  de  lions,  comme  ils  semblent  apparaître  dans 
l'Apocalypse  ',  voici  des  envoyés  de  Dieu,  des  apôtres  de  la  vérité  et  de 

*  Apoc.  IX  7  S 


LKS    ANCIF.NS    MMM  M!::;r->    ClIKK']  IICNS    llK    uoi)i;z  217 

la  lumière,  des  incariiatious  de  la  vertu  et  de  l'amour,  des  auteurs  de  tout 
bien,  les  anges  des  Eglises,  image  de  ceux  du  ciel.  Qu'on  en  juge  par  celui 
([ue  Rodez  vénère  comme  son  premier  évèque,  et  qui  florissait  un  peu 
avant  Clovis  et  sous  ce  prince  encore  : 

«  Le  Bienheureux  Amantius,  enfant  de  la  ville  des  Rutènes,  son  pasteur 
<(  pendant  qu'il  vivait,  est  maintenant,  par  sa  précieuse  mort,  son  patron. 
«  A  la  première  fleur  de  son  âge.  brisant  les  liens  du  siècle,  il  embrassa 
«  la  milice  du  Christ  par  le  vœu  de  persévérance,  il  foula  aux  pieds  par  la 
«  vertu  de  patience  les  vices  dont  la  fragilité  humaine  est  assaillie,  il  re- 
»  poussa  au  loin  les  vains  soucis,  il  retint  les  mouvements  de  l'audace 
a  par  les  freins  de  la  fermeté,  et  il  subjugua  les  tumultes  des  pensées  con- 
«  tradictoires  par  l'empire  de  l'esprit.  Plein  de  ferveur  dans  son  heureux 
«  propos  et  d'éclat  par  la  splendeur  de  ses  services  féconds,  il  mérita  le 
«  sommet  du  sacerdoce  et  le  siège  de  la  chaire  sublime.  Là  il  montra  une 
u  âme  égale  au  faite  de  son  honneur  :  rien  en  lui  de  douteux,  rien  de 
«  double,  rien  de  variable.  Il  avait  une  parfaite  humilité,  une  prompte 
«  miséricorde,  une  libéralité  inépuisable,  une  sainte  simplicité.  Il  fut 
«  louable  en  ses  veilles,  courageux  en  ses  jeûnes,  plein  de  mansuétude 
«  en  ses  délassements,  observé  dans  ses  colloques,  retenu  dans  ses  con- 
«  flits,  doux  au  milieu  des  injures,  patient  dans  les  tribulations  modéré 
((  dans  la  prospérité,  constant  parmi  les  événements  tristes,  sévère  pour 
«  les  flatteries  de  la  fortune,  doux  vis-à-vis  de  ses  adversités.  Sa  liberté 
«  était  empreinte  de  pudeur  et  sa  gaîté  de  gravité  ^  » 

Ce  saint  évèque,  au  nom  empreint  d'amour  et  de  charité,  dont  le  saint 
évèque  de  Poitiers,  Fortunat,  ou  tel  écrivain  des  premiers  temps  de  la 
monarchie  française  a  fait  ce  portrait  et  a  retracé  ensuite  la  vie  fut 
inhumé  dans  le  cimetière  chrétien  de  la  ville.  C'était  en  ce  champ  tout 
plein  de  sarcophages  mérovingiens  en  partie  enfouis  encore,  dont  l'église 
de  Saint-Amans,  occupe  aujourd'hui  le  centre.  Il  reposait  dans  un  édicule 
rectangulaire,  ayant  le  nom  et  la  forme  d'une  basilique,  comme  tant  de 
monuments  funéraires  de  ce  temps  :  Nam  pinus  in  basilica  sancti  viri  ex- 
tensa  sepulcrum  ^  ;  et  son  tombeau,  comme  une  lampe  resplendissante, 
éclairait  de  la  splendeur  de  sa  clarté  tous  les  visiteurs  qui  faisaient  station 
auprès  ou  dedans  :  Sepulcrum  velut  praefulgens  lampas  splendore  proprix 
daritatis  mentes  exspectantiuin  illustrabat  '.  Ce  tombeau  était  un  cercueil 

'  Yila  xancti  Aoianfii  Bufhenensis  episcnpi.  Patrol.  latin.  T.  LXXXVlir, 
col.  513. 

-  Patrol.,  c.»\.  •),':!. 
■'  Ibid. 

Ile  série,  tiinc  U.  [{j 


218  l-ES    ANCIENS    MONUMENTS    CHRETIENS    DE    KODEZ 

de  grès  ou  de  marbio,  déposé  dans  la  terre  avec  une  éminence  ou  une 
inscription  qui  en  indiquait  la  place.  Il  est  appelé,  en  effet,  tumulus,  en 
raêrae  temps  que  sepulcrum;  et  on  le  voit  entouré  de  matériaux  divers  qui 
lui  sont  superposés  :  Ai'tifex  eligitur  qui  tmnulo  circurnj ecta  demat,  qui 
statim  sacrx  venerationis  locum  ingressus,  audaci  motu  de  sepulcro  opposita 
expultt\Cest  dans  ces  conditions  que  Dieu  glorifiait,  le  saint  évêque 
Amantius.  Mais  il  avait  décidé  qu'on  dirait  de  lui  d'une  autre  manière  : 
«  Son  sépulcre  sera  glorieux  -.  d 

Le  second  successeur  d'Amantius  sur  le  catalogue  des  évoques  de  Ro- 
dez, l'Africain  Quintianus,  «  doué  de  sainteté,  brillant  de  la  dot  des  vertus, 
(<  fervent  du  doux  feu  de  la  charité,  distingué  par  la  fleur  de  la  chasteté,  » 
d'après  S.  Grégoire  de  Tours  ',  ht  l'élévation  et  une  certaine  translation 
du  corps.  «  Ayant  agrandi  la  basilique  du  bienheureux  évêque  Amantius, 
H  il  transporta  le  saint  corps  en  avant  ^  »  C'était  sous  Clovis.  Rodez, 
avec  l'Aquitaine,  venait  de  passer  de  la  domination  des  Visigoths  ariens  à 
celle  des  Francs  catholiques.  Quintianus  signe  comme  évoque  de  Rodez 
au  Concile  d'Agde  en  506,  et  figure  à  celui  d'Orléans  en  511.  S.  Fortunat 
ou  tel  de  ses  contemporains  nous  a  décrit  avec  les  plus  beaux  détails  la  cé- 
rémonie de  cette  translation,  pour  laquelle  on  avait  choisi  le  «  jour  qui, 
«  par  un  supplice  triomphal,  a  envoyé  vainqueurs  aux  cieux  les  premiers 
«  docteurs  de  la  ville  de  Romo,  Pierre  et  Paul,  les  deux  très-grandes  lu- 
«  mières  du  monde  ''.  »  On  était  accouru  de  toutes  parts,  les  pontifes,  les 
peuples  :  le  saint  abbé  Marturius  était  venu  de  Narbonne.  A  peine  le  tom- 
beau, c'est-à-dire  le  sacré  tertre,  est-il  ébranlé,  tumulus  commovetur, 
qu'une  suavité  ineffable  s'en  échappe  et  remplit  d'une  volupté  béati- 
fique  tout  le  peuple,  non-seulement  dans  l'église,  mais  dans  son  atrium 
et  ses  portiques.  Le  tombeau  soulevé  écrase  la  main  de  l'abbé  Marturius. 
Il  prie  le  samt,  et  le  tombeau  s'élève  spontanément  et  dégage  la  main 
saine  et  .«auve  qui  s'empresse  de  le  porter.  Les  miracles  abondent  :  les 
malades  sont  guéris  ;  d'audacieux  impies  sont  frappés,  et,  criant  merci, 
sont  déli\  rés.  Et  c'est  ainsi  que  «  S.  Quintianus,  évêque,  choisit  devant  les 
((  sacro-saints  autels  un  lieu  pour  recevoir  le  tombeau  de  S.  Amantius  et 
((  Vy  plaça  dans  un  monument  admirable  et  d'un  art  précieux  :  Ante  sacro- 


'  Ibid. 

-  Is.  XI,  10. 

'  Vitœ  Patrum,  cap.  iv. 

*  Ibid. 

»  Col,  Wl'i. 


i.ES    ANCIKNS    MMM   \iKNT,-    lUHLTIENS    HK    IIODEZ  219 

(c  sancla  altaria  capaceni  tiuuuU  lucutu  eleyit^  ubi  tpsum  miro  opère  et  lauda- 
«  bi'li  arte  collocavit.  ' .  » 

La  piété  de  Quintianus  était  vive,  elle  n'était  pas  assez  éclairée.  Après 
les  miracles  qui  furent  sa  récompense,  elle  eut  sa  correction.  S.  Amantius 
lui  apparut  en  songe  et  lui  dit  :  «  Attendu  que,  par  une  entreprise  témé- 
«  raire,  on  t';i  vu  sortir  de  leur  lieu  mes  membres  qui  reposaient  en  paix, 
«  voici  que  je  t'éloig-nerai  de  cette  ville  et  que  je  t'exilerai  dans  une  autre 
«  région  :  mais  tu  ne  seras  pas  privé  de  l'honneur  dont  tu  jouis  ^.  »  Me- 
nacé de  mort  par  les  Goths.  comme  ami  des  Francs,  il  dut  fuir  en  effet 
chez  les  Arvernes,  dont  il  devint  évêque  par  l'influence  deThéodoric.  C'é- 
tait un  saint  homme. 

Ou  ne  signale  pas  de  traces  du  sarcophage  de  S.  Amans  jusqu'au  milieu 
du  XVIIP  siècle.  Au  Moyen- Age,  les  reliques  du  saint  avaient  été  pro- 
bablement transférées  dans  une  riche  châsse  que  les  consuls  de  la  ville 
avaient  seuls  le  droit  de  porter  dans  les  processions.  C'est  dans  un  mo- 
nument de  ce  genre  qu'on  les  ti'ouve  en  1706.  Le  Propre  des  Saints  adop- 
té cette  année,  qui  résume  la  vie  de  S.  Amans  écrite  au  VI-  siècle,  dit 
que  ses  «  reliques  sont  conservées  dans  une  chapelle  décemment  prépa- 
«  rée  et  ornée  d'un  mausolée  très-splendide  :  Reliquix...  in  sacello  decen- 
((  ter  prxparato  splendidissimoque  mamoleo  ornato  reservantiir  *.  »  Le  sar- 
cophage, d'où  les  reliques  avaient  été  tirées  était  resté,  précieuse  relique 
lui-même,  enfoui  dans  l'église,  peut-être  à  l'époque  de  sa  reconstruction 
aux  X"  et  XL'  siècles.  Lors  de  la  nouvelle  reconstruction  en  1754,  un  sar- 
cophage fut  mis  au  jour,  qu'on  ne  douta  pas  être  celui  de  S.  Amans.  «  Ce 
('  sarcophage,  dit  M.  l'abbé  Alibert,  fut  trouvé  en  creusant  les  fondements 
((  deTéglise  actuelle  de  Saint- Amans  et  aurait,  d'après  une  tradition  cons- 
((  tante,  servi  de  sépulture  au  premier  évêque  connu  de  Rodez  \  »  Tran- 
sporté, à  la  suite  de  la  Révolution,  dans  Téglise  paroissiale  de  la  Made- 
leine, il  est  venu,  à  la  démolition  de  cet  édifice,  dans  la  cour  de  l'ancien 
évêché  transformé  en  préfecture.  On  se  rappelle  l'avoir  vu  là,  servant  de 


'Gol.  52  3. 

-  S.  Gregor.  Tur.  Vita-  Patrum,  cap.  iv. 

■*  Proprium  sanctoruui  snnctœ  et  insigiiis  Eccleaiœ  cathedralis  IJeatœ  Mariœ 
et  Diœccsis  Uullioiensis.  Ruthenis,  1715.  ln-12.  Il  y  a  en  tête  un  mandement  de 
Mgr  de  Lusignen,  de  I7!*lj.  La  ïéie  de  S.  Amans  se  célèbre  le  'i  novembre;  celle 
de  sa  translation,  le  4  juillet. 

*  Vi-^ilc  du  Congrè-i  archéologique  de  trancc  à  la  calhrdridr  de  llodez.  Rap- 
2)0}  i  lu  au  Cùiujrès  arcJtéologiquc  de  France  dans  la  béame  du  5  juin  1863. 
In-80  de  28  pages,  p.  9. 


:J20  LES  A>ciE5;s  mo:.'UM!:.nts  CHiiKTiENs  m-:   hhul/. 

bassin  à  une  fonlaine,  d'abreuvoir  aux  animaux.  Un  trou  percé  dans  le 
bas  de  la  cuve  montre  en  eiYct  qu'il  retenait  ou  laissait  écouler  l'eau  à  vo- 
lonté. L'évêché  rendu  à  sa  destination,  il  a  été  traiisporté  par  Mgr  Giraud 
dans  une  chapelle  de  la  cathédrale,  (]ui  sert  de  dépôt.  C'est  là  qu'il  est  en 
compagnie  d'une  ravissante  statue  de  Vierge  du  Moyen-Age.  Il  git  à  terre, 
exposé  aux  passants  et  à  tous  les  accidents.  Q)uelques  objets  de  latnpisterie 
de  l'église  y  remplacent  le  corps  de  S.  Amans.  Il  porte  son  nom  d'ailleurs  : 
on  l'appelle  le  sarcophage  de  S.  Amans;  et,  d'après  ce  certificat  tradition- 
nel et  les  raisons  que  nous  venons  de  voir,  il  n'y  a  guère  lieu  de  suspecter 
son  identité. 

C'est  un  monument  manifeste  du  V""  ou  du  YP  siècle.  «  M.  de  Caumont 
n'a  pas  hésité  à  le  classer  au  premier  rang  des  richesses  archéologiques 
que  renferme  la  cathédrale  '.  »  La  cuve,  qui  est  privée  de  son  couvercle, 
est  un  monolithe  de  marbre  des  Pyrénées.  M.  Duminges,  à  qui  l'on  doit 
sur  les  Pyrénées  de  si  belles  études,  y  a  bien  reconnu  leur  marbre  à  peti- 
tes facettes,  différent  du  marbre  d'Italie.  Un  sarcophage  de  ce  marbre 
pyrénéen,  dont  on  signale  la  ressemblance  avec  celui  de  Rodez,  se  voit  au 
musée  lapidaire  de  Toulouse,  sous  le  cloître  des  Augustins.  Ces  sarcopha- 
ges forment  une  classe  différente  de  ceux  en  marbre  d'Italie  de  la  partie 
méridionale  du  midi  des  Gaules.  «  Il  y  a  chez  nous,  dit  M.  Martigny,  d'a- 
(i  près  M.  Le  Blant,  deux  familles  irès-tranchées  de  sarcophages  ;  ceux  du 
((  sud-est,  qui  ont  pour  type  les  marbres  d'Arles,  et  sont  d'un  style  relati- 
((  vement  meilleur,  quoique  en  général  moins  élégant  et  moins  correct  que 
«  celui  des  tombeaux  romains  ;  et  ceux  du  sud-ouest,  ceux  de  Toulouse, 
«  beaucoup  plus  lourds  et  plus  barbares  -.  »  Le  sarcophage  de  Rodez 
est  de  cette  classe.  Sans  être  barbare,  il  n'est  point  élégant.  Il  a  le  ca- 
chet du  pays  :  le  dessin  et  le  ciseau  sentent  la  montagne  ;  mais,  grâce  à 
Dieu,  il  en  est  ainsi  de  la  foi  et  de  l'intelligence  sur  ce  monument.  C'est 
une  des  inspirations  chrétiennes  les  plus  originales  et  les  plus  mâles.  Je 
n'en  ai  pas  rencontré  à  Rome  ou  chez  nous  qui  m'ait  fait  plus  d'impression 
et  de  plaisir.  Le  sarcophage  de  Ste  Madeleine  à  part,  le  sarcophage  de  S. 
Amans  a  peu  de  rivaux  en  France,  s'il  en  a. 

Le  lecteur  va  en  juger. 

La  cuve  du  sarcophage  est  sculptée  sur  trois  faces.  La  face  postérieure 
n'a  pas  même  été  polie.  C'est  l'indice  que  le  sarcophage  était  adossé  à  une 
muraille,  celle,  je  présume,  où  devait  s'appuyer  la  table  d'autel  sous  laquelle 
il  reposait,  ainsi  que  Prudence  nous  montre  les  tombes  des  martyrs,  types 

'  M.  Alibert,  Ibid. 

-  Dictionnaire  des  Antiquités  chrétiennes,  p.  o9'(. 


l.KS    ANCIENS    MONUMENTS 


CHRÉTIENS    DE   RODEZ  221 

plus  tard  de  celles  des  saints 
non  nicirtyrs,  appelés  du  nom 
voisin  de  celui  des  martyrs 
mêmes,  confesseurs. 

La  face  antérieure  offre  neuf 
niches  entre  dix  colonnes  enga- 
gées. Des  roses  entretr.êlées  à 
des  fragments  de  festons,  pa- 
reils à  Vs  de  notre  alphabet, 
remplissent  les  intervalles  des 
colonnes  et  du  sommet  des  ni- 
ches. Elles  ne  sont  pas  sans 
symbolisme  et  font  songer  au 
printemps  de  la  résurrection. 
Dans  la  niche  du  milieu,  plus 
vaste  que  les  huit  autres  et  dont 
le  fronton  est  triangulaire,  ap- 
paraît le  Christ  ressuscité.  De- 
bout, imberbe,  les  cheveux 
courts,  sa  figure  respire  l'éter- 
nelle jeunesse.  Il  est  revêtu  de 
la  tunique  et  du  manteau,  ces 
vêtements  de  sa  vie  d'épreuve, 
i)ui  furent  transfigui'és  avec  lui 
au  ïhabor  et  participèrent  à  la 
transfiguration  de  sa  résurrec- 
tion même  et  aux  manifesta- 
tions (le  son  état  glorieux.  Il 
bénit  de  la  main  droite,  comme 
il  bénissait  en  montant  au  ciel  ' 
Son  geste  est  celui  de  la  béné- 
diction latine,  trois  doigts,  le 
pouce,  l'index  et  le  médius 
étant  développés,  les  deux  au- 
tres repliés.  Ce  geste  était  le 
salut  de  l'orateur  chez  les  an- 
ciens, et  parfois  sur  les  monu- 
ments chrétiens  il  n'a  pas  d'au- 

'  Luc,  x.Kiv,  .00,  51. 


222  LES   ANCIENS    MONUMENTS    CllltKTlKNS    WK    lUiDKZ 

tre  signification.  C'est  ainsi  que  le  Christ  dit  au  paralytuiue  de  se  lever  et 
de  s'en  retourner  avec  son  grabat  dans  sa  maison  '.  Alors  le  bras  est  d'or- 
dinaire abaissé  et  l'avant-bras  à  peu  près  horizontal.  Mais  pres(]ue  tou- 
jours ce  geste  emporte  l'idée  manifeste  de  bénédiction  chez  le  Christ  : 
ainsi,  quand  il  opère  des  miracles,  quand  il  fait  son  entrée  triomphale  à 
Jérusalem,  quand,  au  milieu  de  ses  Apôtres,  il  quitte  la  terre  ou  apparaît 
ayant  l'image  du  ciel  sous  les  pieds.  Le  bras  tout  entier  s'élève  alors  le 
plus  souvent  ;  il  s'élève  invariablement  dans  cette  dernière  scène  évangé- 
lique. 

Il  en  est  ainsi  sur  notre  sarcophage,  dont  le  rapport  avec  cette  scène 
même,  tant  répétée  sur  les  sarcophages,  est  trop  visible  pour  que  le  sens 
de  la  bénédiction  soit  douteux.  Le  Christ  tient  donc  la  m;iin  droite  élevée, 
et  en  même  temps  il  appuie  la  main  gauche  sur  un  rouleau  posé  droit  et 
serré  au  milieu  par  sa  ligature.  C'est  l'Evangile,  sans  aucun  doute.  VA 
voici,  —  ce  que  je  n'ai  vu  que  sur  le  sarcophage  de  Rodez,  —  que  ce  rou- 
leau est  porté  par  un  autre  plus  volumineux,  droit  aussi  et  pareillement 
lié.  C'est  assez  visiblement  l'Ancien-Testament,  piédestal  du  nouveau,  pro- 
phétie que  le  Christ  est  venu  accomplir,  loi  des  Patriarches  ou  de  Moïse 
qu'il  a  conduite  à  sa  perfection.  Yoilà  tout  le  dépôt  des  Saintes-Ecritures 
qu'il  laisse  à  la  terre  en  la  quittant,  et  dont  il  confie  la  garde  à  ses  Apô- 
tres et  à  leurs  disciples,  a  0  Timothéc,  garde  le  dépôt,  »  dira  S.  Paul, 
transmettant  la  consigne  du  Christ  -.  Enfin,  ce  sont  les  deux  legs  du  Christ, 
allant  intercéder  pour  nous  dans  le  ciel  après  lavoir  fait  sur  la  terre,  sa 
parole  et  sa  bénédiction. 

Les  apôtres  sont  autour  du  Christ  pour  recueillir  son  héritage.  Huit  oc- 
cupent le  devant  du  sarcophage.  Chacun  est  dans  sa  niche  d'honneur, 
moins  vaste  que  celle  du  Christ,  mais  montrant  bien  qjc  s'il  est  le  roi  de 
l'Eglise,  les  apôtres  en  sont  ies  princes.  Les  roses  et  les  festons  escortent 
les  frontons  de  leurs  niches,  tour  à  tour  circulaires  et  triangulaires.  Des 
colonnes  séparent  et  flanquent  ces  niches  consacrées  aux  colon/tes  de  l'E- 
glise. Quatre  personnages,  deux  sur  chacun  des  côtés  du  sarcophage, 
nous  font  reconnaître  tout  de  suite  le  nombre  complet  et  sacré  des  douze 
apôtres.  Le  sarcophage  de  Rodez,  avec  tant  d'autres  de  Rome,  des  Gau- 
les et  de  toutes  les  provin(;es  chrétiennes,  nous  offre,  autour  du  délunt,  le 
Christ,  au  milieu  du  Collège  Apostolique,  jugeant  le  monde  après  avoir 
donné  leur  vie  poui'  le  sauver,  et  admettant  à  leur  béatitude  les  grandes 
âmes  attachées  à  leurs  trac.'s.  N'est -'•;■  pas  à  ses  aptjtres  (jue  le  Christ  a 

'  Aringlii,  t.  I,  p.  (j-21. 
-  l.  Tua.  VI,  20. 


LES   ANCIENS    MONUMENTS    CERÉTIENS   DE    RODEZ  223 

dit  :  «  En  vérité,  je  vous  le  dis,  vous  qui  m'avez  suivi,  lorsqu'à  la  régéné- 
«  ration  des  choses,  le  Fils  de  l'homme  siégera  sur  son  siège  de  mcijesté, 
«  vous  aussi  vous  serez  assis  sur  douze  sièges  jugeant  les  douzes  tribus 
((  d'Israël  '.  »  Et  n'est-ce  pus  pour  cela  que  Constantin,  songeant  à  sa  sé- 
pulture, érigeait  à  Constantinople  sa  grande  basilique  des  Douze-Apôtres, 
et  y  plaçait  douze  sarcophages  d'honneur  en  leur  nom,  mettant  au  milieu 
le  sien  de  porphyre,  que  nous  avons  encore,  orné  du  seul  monogramme 
du  Christ  dans  une  couronne  aux  lemnisqucs  flottants  -,  et  se  couvrant. 
au  sein  de  la  mort,  du  puissant  patronage  des  Apôtres  du  Christ,  joint  à 
celui  du  Christ  lui-même  -^  ?  Ft  sa  fille,  Ste  Constance,  ne  repose-t-elle  pas 
également  à  Rome  auprès  de  Ste  Agnès  en  ce  célèbre  mausolée  rond 
qu'elle  s'est  fait,  entouré  à  l'intérieur  de  douze  niches  visiblement  occu- 
pées autrefois  par  les  slatues  des  douze  Apôtres?  C'est  sous  leur  tutelle 
et  celle  du  Christ,  c'est  au  milieu,  en  (juelque  sorte,  de  leur  société  et  de 
leur  gloire,  que  la  piété  du  saint  évè'iue  Quintien  et  des  Rutènes  plaçait 
les  reliques  de  S.  Amans. 

Saint  Pierre  est  à  gauche  du  Chi'ist.  C'est  sa  place  invariable  sur  les 
sarcophages,  les  mosciïques,  les  peintures,  les  médailles  de  dévotion  de  ce 
temps  :  et  ici  on  peut  encore  le  reconnaître  à  certains  traits  de  son  type 
traditionnel  et  à  son  front  garni  de  cheveux  crépus.  Sur  les  sarcophages 
romains  du  IV'"  siècle,  sur  ceux  de  Ravenne  ou  ceux  des  Gaules  plus  ou 
moins  contemporains  du  nôtre,  le  Christ  apparaît,  donnant  de  la  main 
gauche  à  saint  Pierre,  nouveau  Moïse  et  son  vicaire,  le  rouleau  de  la  Loi 
évangélique,  sur  lequel  on  lit  parfois  :  Dominus  dat  legem,  et  donnant  de 
la  droite  la  mission  à  saint  Paul  ou  à  tous  les  Apôtres  en  général.  Ici  le 
Christ  appuie  la  miiin  gauche  sur  sa  Loi,  portée  par  la  Loi  de  Moïse,  et 
cette  Loi  est  entre  saint  Pierre  et  lui.  Le  sens  est-il  douteux  ?  Et  n'est-ce 
pas  à  saint  Pierre  que  re\ient  d'une  manière  spéciale  et  incomparable, 
avec  la  garde  du  sacré  dépôt,  l'autorité  législative  soit  doctrinale,  soit 
disciplinaire  dans  le  royaume  de  Dieu,  dont  le  Christ  est  venu  du  Ciel 
fonder  l'établissement?  Un  autre  trait  caractérise  le  prince  des  Apôtres 
entre  tous  ses  collègues.  Sur  le  sarcophage  de  Rodez,  saint  Pierre  fait  le 
geste  de  la  bénédiction  comme  le  Christ.en  élevant  la  main  droite.  Placé  à  la 
gauche  du  Christ,  comme  son  ministre  et  devant  le  rouleau  de  la  Nouvelle 
Loi  reposant  ^ur  celui  de  l'Ancienne,  que  le  Christ  touche  de  la  main 
comme  pour  lui  en  passer  la  garde,  l'identité  du  geste  de  la  main  droite 
de  Pierre  avec  celui  de  la  main   droite   du  Christ  saisit  les  yeux.  Pierre 

'  Matt.  XIX,  28. 

-  M.  de  Rossi,  BulJelino,  186'j,  p.  11.       ■ 

■'  Euseb.,  De  Vita  Conslanlini,  '^  l.\. 


224  LFS    ANCIENS    MONlMIiNTS    CllRÉTIKNS    DE    UODEZ 

apparaît  comme  un  autre  Christ.  Il  semble  en  outre  que  c'est  pour  accu- 
ser la  fermeté  et  la  perpétuité  de  sa  fonction  pontificale  suprême,  dont  la 
bénédiction,  empruntée  du  Christ,  est  le  cachet,  que  la  main  gauche  de 
Pierre,  dirigée  horizontalement,  soutient  la  main  verticale  qui  bénit.  Cette 
main  souveraine,  et  par  qui  seront  bénies  toutes  les  nations,  n'aura  pas 
de  défaillance.  On  se  rappelle  ce  tableau  de  Moïse  :  «Et  Melchisédech, 
«  roi  de  Salem,  fit  sortir  le  pain  et  le  vin:  et  lui  était  prêtre  de  la  part  du 
«  Dieu  Très-Haut  ;  et  il  dit  à  Abram  :  Béni  soit  Abram  de  la  part  du  Dieu 
«  Très-Haut,  maître  du  ciel  et  de  la  tei-rc  '  ;  »  et  cette  parole,  rapportée 
par  David  et  par  saint  Paul,  du  Très-Haut  lui-même,  parlant  au  Christ  et 
allant  jusqu'à  son  Vicaire  :  «  Tu  es  prêtre  pour  l'éternité,  selon  Tordre  de 
((  Melchisédech  -.  « 

Je  n'ignore  pas  que  sur  un  sarcophage  romain,  Pierre  *,  au  moment  où 
il  est  arrêté  par  les  Juifs,  fait  le  geste  qui  paraît  celui  de  la  b<'nédiction, 
et  qui  est  simplement  celui  de  l'allocution.  Deux  Apôtres  sont  ainsi  auprès 
du  Christ  sur  un  sarcophage  des  Gaules,  où  il  ne  faut  voir  rien  de  plus 
que  leur  adhésion  au  Christ  lui-même  '*.  Mais  leur  main  n'est  pas  levée,  et 
ce  n'est  plus  la  circonstance  solennelle  où  nous  sommes  avec  ses  rappro- 
chements qui  s'imposent.  Ici  le  Christ  bénit,  il  ne  parle  pas  seulement,  et 
Pierre  adhérant  au  Christ,  fait  précisément  ce  qu'il  fait.  Il  y  a  entre  le 
Christ  et  Pierre  une  identité  de  geste  qui  accuse  leur  liaison  intime  et  in- 
comparable, celle  du  Maître  et  du  Vicaire,  du  Chef  et  du  ministre  plénipo- 
tentiaire. Si  le  Christ  est  Seigneur,  Pierre  est  Seigneur  ;  si  le  Christ  est 
Docteur,  Pierre  est  Docteur  :  ils  sont  à  côté  lun  de  l'autre,  unis  pu'  les 
titres  de  la  Nouvelle-Alliance  et  de  l'Ancienne,  et  présentés  ensemble  au 
Collège  Apostolique  et  aux  douze  tribus  du  nouvel  Israël,  c'est-à-dire  à  tous 
les  fidèles.  Sublime  page  de  théologie,  unique  en  sa  force  et  en  sa  grâce, 
sculptée  à  Rodez,  aux  jours  du  berceau  de  la  France  !  Les  marbres  en  font 
foi  :  sitôt  chrétiennes,  les  Gaules  ont  proclamé  autant  et  plus  que  Rome 
même  l'autorité  divine  de  Pierre,  c'est-à-dire  cette  primauté  et  cette  infail- 
libilité du  Pontife  romain  que  le  Concile  du  Vatican  vient  de  définir.  Clovis, 
baptisé  et  sacré,  s'est  empressé  d'envoyer  au  pape  saint  Hormisdas  une 
couronne  d'or  pareille  à  la  sienne,  mais  plus  haute  en  splendeur,  appelée 
Règne.  Mais  c'est  au  sein  des  monts  des  Rutènes,  un  des  derniers  boule- 
vards de  l'arianisme  terrassé  par  Clovis,  qu'apparaît  le  monument  con- 
temporain du  fondateur  de  la  monarchie  fi'ançaise,  qui  est  le  plus  hardi 

'  Gen.,  XIV.  IS.   l'J. 

^  Va.  CIX,  'n  llebr.,  mi.  17. 

'  Aringhi,  t.  T,  \k  (ilT). 

*  Millni,  Voyuyc  dan^  le  MiO\.  \>\,  h\).  ii"  o. 


LES   ANCIENS    MONUMENTS    CHRÉTIENS   DE    RODEZ  :225 

de  tous  les  monuments  et  l'un  des  plus  beaux  à  proclamer  l'attachement 
de  la  Fille  aînée  de  l'Église  à  la  foi  et  à  l'autorité  de  sa  Mère. 

Saint  Paul  est  à  droite  du  Christ.  Il  est  reconnaissable  à  son  front 
chauve.  L'église  de  Rodez,  comme  tant  d'autres  des  Gaules,  suit  ici  les 
traditions  artistiques  romaines.  Paul  est  le  grand  Apôtre  ainsi  que  Pierre 
est  le  premier  Apôtre.  Pierre  et  Paul  sont  les  apôtres  de  Rome  :  ils  sont 
aussi  les  nôtres,  soit  par  leurs  envoyés,  soit  par  eux-mêmes.  Le  rouleau 
de  l'Évangile  est  dans  la  main  gauche  de  saint  Paul;  il  montre  le  Christ 
de  la  droite.  L'Evangile  ne  lui  a-t-il  pas  été  confié  par  le  Christ  lui-même 
assis  dans  les  cieux,  si  bien  qu'il  écrit  aux  Romains  :  «  Selon  mon  Evan- 
gile *,  »  et  aux  Ephésiens  :  «  A  moi,  le  plus  petit  des  saints,  a  été  donnée 
«  cette  grâce  de  révéler,  au  milieu  des  nations,  l'Evangile  (c'est-à-dire 
«  la  Bonne  nouvelle)  des  incompréhensibles  richesses  du  Christ  ^?  »  Le 
Christ,  tourné  vers  Paul,  sur  notre  sarcophage,  le  bénit  en  l'envoyant 
prêcher;  et  Pierre,  derrière  le  Christ,  répétant  son  geste,  semble  répéter 
son  acte.  Car  si  Paul  a  reçu  immédiatement  sa  mission  du  Christ,  il  l'a 
fait  reconnaître  par  Pierre  ;  Pierre  l'a  authentiquée  et  mise  en  règle  ;  et 
quand  la  carrière  des  deux  Princes  des  Apôtres  touchera  à  sa  fin,  et  que 
la  prison  Mamertime  les  réunira  pour  le  martyre,  Pierre  écrira  dans  son 
Testament  adressé  à  ses  chères  Eglises  de  l'Asie-Mineure,  foyer  alors  des 
lumières  dans  l'Eglise  :  «  Comme  notre  très-cher  frère  Paul  lui-même  vous 
((  l'a  écrit  selon  la  sagesse  qui  lui  a  été  donnée  ;  »  il  rangera  les  Epîtres  de 
saint  Paul  parmi  «  les  autres  Ecritures;  »  et  il  décrétera  cette  grande  ad- 
dition au  Canon  des  Saints-I^ivres  du  Nouveau-Testament  et  de  l'Ancien. 

Pierre  et  Paul  sont  revêtus  de  la  tunique  et  du  manteau,  ainsi  que  le 
Christ.  Il  en  est  ainsi  de  tous  les  Apôtres.  Six  autres  sont  sur  la  façade 
principale  du  sarcophage,  trois  à  la  suite  de  Pierre,  trois  à  la  suite  de 
Paul.  De  ces  trois  là,  le  premier  joint  les  mains  et  regarde  vers  le  Christ; 
le  second  tient  le  rouleau  des  Evangiles  des  deux  mains  et  regarde  vers 
l'Apôtre  qui  suit  ;  le  troisième  a  le  rouleau  dans  la  main  gauche  et  semble 
converser  avec  le  second.  Le  premier  de  ces  trois-c  i  porte  le  rouleau  des 
deux  mains  et  tourne  la  tête  vers  le  suivant;  le  scond  montre  le  Christ 
de  la  main  droite,  et,  relevant  son  manteau  de  la  main  gauche,  lève  le 
pied  et  commence  à  gravir  une  éminence  ;  le  troisième,  tenant  le  rouleau, 
montre  le  Christ.  Cet  avant-dernier  mérite  attention.  Aucun  sarcophage, 
à  mon  souvenir,  ne  présente  ainsi  un  apôtre.  11  y  a  dans  cette  attitude 
un  souvenir  du  Moïse  des  Catacombes;,  reproduit  à  la  mosaïque  du  VI" 

'  Uoin.,  \vi,  2."). 
"'  Ephes.,  III,  8. 


-^6  LES    ANCIî^NS    MONUMENTS    CHRÉTIENS   DE    RODEZ 

Siècle  de  Saint-Vital  de  Ravenne,  du  Moïse,  dis-je,  qui  détache  sa  chaus- 
sure pour  moutei'  au  Iniisson  ardent  sur  l'Oreb.  Mais  c'est  assez  visible- 
ment la  traduction  de  ce  passage  de  saint  Paul,  écrivant  aux  Hébreux  et 
opposant  le  Sinai  redoutable  de  Moïse,  interdit  à  l'ancien  peuple,  à  la 
Jérusalem  céleste  du  Christ,  dont  l'accès  est  ouvert  par  lui  à  tous  les 
croyants  :  «  Vous  vous  êtes  approchés  de  la  montagne  de  Sion,  de  la  cité 
«  du  Dieu  vivant,  de  la  Jérusalem  céleste,  d'une  multitude  de  beaucoup 
((  de  milliers  d'anges,  de  l'Eglise  des  premiers-nés  qui  sont  inscrits  dans 
((  le  ciel,  de  Dieu,  le  juge  de  tous,  des  esprits  des  justes  parfaits,  du  Mé- 
«  diateur  de  la  Nouvelle-Alliance.  Jésus,  et  de  l'aspersion  d'un  sang  qui 
«  parle  mieux  qu'Abel  '.  »  L'Apôtre  qui  suit  de  près  saint  Paul,  et  au- 
quel le  relie  son  propre  interlocuteur,  monte  à  la  suite  de  Paul  vers  cette 
montagne  des  cieux  où  Jésus  s'élève,  ou  plutôt  trône  debout  en  bénis- 
sant, c'est-à-dire  en  otîVant  son  sang  glorieux  et  sou^erain,  par  qui  tout 
est  régénéré;  et,  en  montant,  il  dirige  la  main  vers  ce  Jésus,  pôle  et 
aimant  des  âmes,  qui  les  attend  pour  les  consommer  dans  la  gloire. 

Telle  est  la  face  antérieure  du  sarcophage  de  Rodez.  Les  faces  latérales 
ne  sont  pas  moins  admirables  et  originales.  Leurs  deux  sujets  ne  se  re- 
trouvent pas  ailleurs,  je  crois. 

Le  premiei-,  à  (Iroite  du  spectateur,  c'est-à-dire  du  côté  du  Christ  où  est 
Pierre,  olî're  un  édicule  entre  deux  personnages,  L'édicule  a  pour  fonde- 


H 


Côté  droit  du  saicopliago  de  S.  Aman? 


ment  quntre  assises  de  pierre.  Deux  colonnes  portent  le  fronton  triangu- 
laire marqué  au  centre  du  monogramme  cruciforme.  L'intervalle  des  co- 
lonnes est  rempli  par  doux  battants  de  porte  ayant  chacune  deux  compar- 
timents tiuadrangulaii'es  ()ui  remplissent  la  hauteur.  (v)uel  est  cet  édifice? 


Hebr.,  xn,  22-25. 


Li;s    ANCIENS    MONUMENTS    Cil  RKTIICNS    liE    RODE/.  "ZZt 

La  pensée  peut  venir  que  c'est  une  armoire  pour  mettre  les  Saints  Li- 
vres, telle  que  celles  des  Juifs  aux  premiers  siècles  de  l'ère  chrétienne, 
qu'on  retrouve  aujourd'hui  dans  les  synagogues.  On  en  voit  trois  exemples 
sur  les  fonds  de  coupe  illustrés  par  Buonarotti  \  L'un  offre  précisément 
les  deux  colonnes  et  l'aspect  général  de  notre  édicule.  De  même  que  deux 
lions  gardent  l'une  de  ces  trois  armoires,  que  deux  colombes  se  posent 
près  dune  autre,  notre  édicule  est  entre  deux  personnages.  L'un  joint  les 
mains  dans  l'admiration  ;  l'autre  avance  et  élève  la  main  droite,  supportée 
par  la  main  gauche  en  signe  d'adhésion.  Ce  serait  deux  des  douze  apôtres 
s'attachant  au  Christ,  représenté  par  le  trésor  de  ses  saints  Evangiles. 
Mais  en  y  regardant  bien,  il  faut  renoncera  cette  interprétation.  L'édicule 
repose  sur  une  masse  plus  large  que  lui  et  assurément  architecturale. 
Ce  n"est  pas  le  lait  d'un  meuble.  Dès  lors  cet  édicule  ne  peut  être  qu'un 
tombeau.  C'est  ainsi,  en  efi'et,  que  plusieurs  fois,  sur  les  sarcophages  ro- 
mains, est  représenté  le  tombeau  de  Lazare  -.  Le  monogramme  du  Christ 
nous  indique  que  c'est  le  tombeau  du  Christ  lui-même. 

Les  portes  en  sont  fernjées.  Le  Christ  est  sorti  de  la  prison  de  pierre 
toute  close  de  son  tombeau,  comme  il  est  sorti  du  sein  virginal  de  sa  mère, 
comme  il  entrera,  a  les  portes  closes  »,  dans  le  Cénacle,  le  soir  de  sa  résur- 
rection. La  croix  monogrammatique  signe  le  front  du  tombeau.  C'est  la 
croix,  indi(^uant  bien  que  c'est  ici  le  tombeau  du  Crucifié;  mais  c'est  la 
croix,  offrant,  combinées  ensemble,  les  deux  premières  lettres  du  nom  grec 
du  Christ,  c'est-à-dire  de  l'Oint  par  excellence  du  Très-Haut,  du  Roi  des 
Juifs,  qui  est  le  Roi  des  rois,  l'attente  des  nations,  le  désiré  des  collines 
éternelles.  La  croix  monogrammatique  est  la  forme  donnée  en  Egypte  au 
monogramme  du  Christ  vu  par  Constantin  dans  le  ciel  au  sein  d'une  cou- 
ronne placée  au-dessus  de  limage  de  la  croix,  labarum  avec  letjuel  il  lui 
a  été  ordonné  de  vaincre  des  troupes  six  fois  plus  nombreuses  que  les 
siennes  et  de  conquérir  Rome  pour  la  régénérer.  Les  Egyptiens  ont  rap- 
proché le  monogramme  du  Christ  de  leur  signe  de  vie.  Une  légère  va- 
riante dans  la  boucle  de  ce  signe  qui  surmonte  la  croix  a  fom'ni  le  nou- 
veau monogramme,  si  précieux  de  forme,  si  sublime  de  sens^.  Il  apparaît 
de  toutes  parts  dès  le  quatrième  siècle,  en  concurrence  avec  le  premier. 
Mais  nulle  part  il  ne  me  semble  figurer  aussi  heureusement  que  sur  ce 
front  du  tombeau  du  Christ,  sa  croix,  son  nom  et  la  vie. 

'  Osservuzioiii  sopra  alcuni  fiauiinenti  di  vasi  antichi  di  vriro  ornali  di  figure, 
Irovati  nr  cim/'fcri  di  Roma.  Firenze,  in-4'^,  1716.  tav.  11,  111. 
-  Annghi,  T.  1,  p.  223,  427,  575. 
^  Voir  M.  de  Hossi,  BuHetinu^  1863;  i'.  64. 


i28  Li:s  ANCIENS  monuments  curétiens  de  rodez 

Deux  pcrsonnaiies  sont  aux  côtés  du  tombeau.  Ce  sont  deux  apôtres. 
Les  mains  jointes  de  celui  de  gauche  qui  admire,  la  main  droite  élevée  et 
soutenue  par  la  main  gauche  de  celui  de  droite  qui  témoigne  l'adhésion, 
sont  deux  gestes  que  nous  avons  déjà  rencontrés  dans  l'apôtre  qui  suit 
saint  Pierre  et  dans  saint  Pierre  lui-même,  au-devant  du  sarcophage.  Ici  le 
geste  d'adliésion  n"a  rien  de  celui  de  la  bénédiction;  et  c'est  une  preuve 
de  plus  que  ce  dernier  est  bien  affecté  en  propre  à  Pierre  comme  au 
Christ,  et  (émoigne  de  sa  qualité  incommunicable  du  Vicaire  du  Fils 
d'Abraham,  à  cause  duquel  Dieu  lui  a  dit  :  «  En  toi  seront  bénies  toutes 
les  familles  de  la  terre  '.  »  Ces  deux  apôtres  rappellent  les  deux  anges  que 
les  saintes  femmes  virent  debout  auprès  du  tombeau -;  ils  rappellent  ces 
paroles  du  Christ  parlant  aux  apôtres  de  sa  Passion  et  de  saRésurrection  : 
((  Vous  êtes  les  témoins  de  ces  choses  %  »  rapprochées  de  ces  autres 
dites  déjà  :  «  C'est  par  la  bouche  de  deux  ou  trois  témoins  que  toute 
«  chose  devient  constante  ^;  »  ils  rappellent  les  apôtres  envoyés  prêcher 
«  deux  H  deux  »  i)ar  le  Christ  ^  ;  ils  rappellent  enhn  ces  mêmes  apôtres 
qu'on  voit  deux  à  deux  dans  les  niches  des  sarcophages,  rendant  témoi- 
gnage à  la  résurrection  du  Sauveur  ^ 


Coté  gauche  du  sarcoiihagc  de  S.  Amans 


La  face  opposée  du  sarcophage  nous  offre  les  deux  derniers  des  douze 
apôtres.  Ils  sont  à  côté  du  Christ,  qui,  en  personne  ou  par  sa  croix  et  son 


*  Gon.,  XII,  3. 

-  Luc,  xxiv,  3. 
'  Luc,  XXIV,  i8. 

*  Matt.,  XVIII,  ICi 

"  Marc,  VI,  7  ;  Luc,  10,  I. 
'  Martigny,  p.  45. 


LES    ANCIEiNS    MONUMENTS    CHRÉTIENS    DE    lt(.»lJEy„  ^29 

nom  inscrits  sur  son  tombeau,  préside  sur  les  trois  faces.  Ici  le  Christ, 
toujours  jeune,  imberbe,  à  l'état  de  résurrection  ou  de  transfiguration, 
annonçant  la  résurrection  même,  siège  dans  un  trône.  A  sa  droite  un  apô- 
tre est  assis  sur  un  tertre,  tenant  le  rouleau  de  l'Evangile  de  la  main 
droite  et  appuyant  la  main  gauche  sur  son  genou.  A  sa  gauche,  un  autre 
apôtre,  assis  sur  un  tertre  pareillement,  appuie  la  main  gauche  à  terre  et 
tient  le  rouleau  droit  de  l'Evangile  sur  son  genou  aussi.  Les  deux  tertres 
nous  indiquent  bien  clairement  que  nous  assistons  à  ce  sermon  sur  la 
montagne,  dont  saint  Mathieu  a  dit,  en  parlant  du  Christ  :  «  Lorsqu'il  se 
a  fut  assis,  quand  il  eut  pris  place  en  siégeant,  cum  sedisset,  ses  disciples 
«  s'approchèrent  de  lui  '.  »  Le  Christ  parle  à  l'apôtre  qui  est  à  sa  droite, 
en  montrant  de  cette  même  droite  celui  qui  est  à  sa  gauche.  N'est-il  pas 
clair  que  c'est  ici  la  proclamation  des  huit  béatitudes,  qui  sont  précisé- 
ment l'apanage  des  apôtres  et  des  disciples  groupés  autour  d'eux  et  de 
lui?  «Et  ouvrant  sa  bouche,  il  les  instruisait,  disant  :  «  Bienheureux  les 
((  petits  de  souffle  (c'est-à-dire  ceux  qui  vivent  humblement  ici-bas),  car 
«  c'est  à  eux  qu'est  le  royaume  des  cieux  -  !  »  Les  apôtres  sont  les  té- 
moins ou  martyrs  de  la  résurrection  du  Christ  sur  un  côté  du  sarcophage; 
ils  sont  ses  co-participants  sur  l'autre  côté.  Là,  ils  annoncent  l'ascension  du 
Christ  du  sein  du  tombeau  dans  les  cieux  ;  ici,  le  Christ  déclare  que  le 
royaume  des  cieux  leur  appartient.  Les  cieux  sont  à  ces  déshérités,  à  ces 
rebutés,  à  ces  exténués  de  la  terre,  qui,  comme  le  Christ,  n'y  doivent  pas 
trouver  où  reposer  la  tète,  sinon  dans  le  tombeau  II  faudra  sa  croix, 
qu'ils  porteront  à  sa  suite,  et  sur  laquelle  ils  rendront  leur  pauvre  souffle 
pour  leur  assurer  ce  lieu  de  paix.  Ce  n'est  que  de  la  suprême  défaite  que 
datera  pour  eux,  comme  pour  lui,  la  suprême  victoire  :  Beati pauperes  spi- 
ritu  qiconiam  ïpsoj'um  est  regnum  cœlorum! 

Qui  n'admirerait  à  présent  l'unité  des  trois  compositions  de  ce  sarco- 
phage et  la  magnifique  théologie  de  l'artiste  rutène  ou  plutôt  de  son  ins- 
pirateur, le  saint  évêque  Quintianus?  A  droite  du  spectateur,  la  Résur- 
rection du  Chri  't  proclamée  à  son  tombeau  par  deux  apôtres  au  nom  de 
tous;  en  face,  son  Ascension,  au  milieu  de  huit  apôtres  les  représentant 
tous,  dont  Pierre  qui  succède  au  Christ;  à  gauche,  la  Résurrection  et 
l'Ascension,  assurées  à  leur  tour,  avec  le  Royaume  des  cieux,  aux  apôtres, 
dont  deux  représentent  encore  le  sacré  collège.  Quelle  merveilleuse  et 
complète  épopée,  et  qu'elle  dit  bien  les  trois  cantiques  de  la  vie  autour  de 
ce  qui  paraît  le  trône  de  la  mort  ! 

»  Matt.,  V.  1. 
''Malt.,  V.  S. 


230  l.liS   ANCIENS    MONLMLNTS    CHRÉTIENS    DE    RODEZ 

El  en  même  temps,  se  peut-il  une  plus  délicate  et  plus  grandiose  orai- 
son funèbre  de  l'apôtre  de  Rodez,  Araantius,  en  qui  semble  avoir  passé 
l'esprit  des  douze  apôtres,  qui  semble  redire  par  leurs  bouches  et  leurs 
gestes  son  symbole  de  foi,  respirer  par  toute  leur  personne  sa  bonne  odeur 
du  Christ,  et  dont  le  Christ  lui-même,  assis  sur  la  montagne  de  la  Terre 
Promise,  image  de  celle  du  ciel,  prononce  en  quelque  sorte  la  sentence  de 
béatitude  ? 

Il  se  pourrait  bien  que  le  tombeau  du  Christ,  aux  formes  assez  particu- 
lières, représentât  le  premier  tombeau  de  saint  Amans,  la  petite  basilique 
où  son  successeur  Quintien  le  trouva.  On  en  aurait  ainsi  perpétué  l'image, 
en  remplaçant  cette  basilique  par  une  plus  étendue.  Le  fait  ne  serait  pas 
sans  analogue.  Bien  des  monuments  idéaux  des  sarcophages  sont  des  mo- 
numents réels,  et  c'est  ici,  au  moins,  un  type  de  l'architecture  dans  les 
Gaules  sous  Clovis. 

Le  sarcophage  avait  son  couvercle.  C'était  un  demi-cylindre  ou  un  dou- 
ble plan  incliné  en  forme  de  toit.  Avait-il  des  images  chrétiennes  ou  de 
simples  ornements?  Existe-t-il  encore?  Il  est  impossible  de  répondre  à 
ces  questions.  Il  se  peut,  toutefois,  qu'un  précieux  fragment  de  marbre 
blanc  qui  est  au  musée  de  Rodez,  offrant  un  grand  monogramme  du 
Christ  au  sein  d'une  décoration  de  lierre,  dont  l'inaltérable  verdure  sym- 
bolise l'immortalité,  soit  une  moitié  d'un  des  deux  plans  du  couvercle.  Ce 
fragment,  ou  je  me  trompe,  appartient  à  un  sarcophage.  II  est  d'un  beau 
travail  et  un  peu  rude,  comme  celui  du  sarcophage  dit  de  saint  Amans. 
Ces  monuments  ont  dû  être  rares  à  Rodez.  On  n'en  montre  que  deux  jus- 
qu'ici, et  assurément,  s'il  appartient  à  l'un  des  deux,  c'est  à  celui  dont 
nous  parlons.  Il  ne  peut  appartenir  à  l'autre,  qui  ofifre  précisément  le  mo- 
nogramme sur  la  face  antérieure.  Ce  monogramme  constantinien  rappe- 
lant l'apparition  céleste,  ces  festons  de  lierre  déposés  comme  des  immor- 
telles sur  la  tombe,  complètent  bien  la  théologie  et  la  poésie  ravissante  de 
notre  sarcophage.  Nous  aurions  ainsi  tout  ce  qui  peut  nous  manquer  de 
sa  précieuse  sculpture  *  ;  car  il  n'est  pas  probable  que  la  face  postérieure 
du  couvercle  ait  été  ornée  de  symboles,  n'étant  pas  faite  pour  être  vue,  et 
la  face  suivante  du  sarcophage,  destinée  à  être  cachée,  étant  restée  toute 
brute.  Nous  pouvons  ainsi  rétablir  avec  quelque  vraisemblance, au  moins, 
tout  l'ensemble  de  ce  sarcophage  de  saint  Amans,  la  pièce  capitale  des 
monuments  chrétiens  de  Rodez,  et  l'un  des  monuments  les  plus  distingués 
des  Gaules  et  peut-être  du  monde  entier. 

'  Si  le  fronton  des  côtés  a  eu  quohiuo  symbole  chrétien,  il  a  pu  avoir  la  croix 
équilatérale,  comme  il  se  \oit  sur  deux  sarcophages  de  Ravenne  de  ce  temps. 
Giampini,  Vetera  monimenta,  t.  II,  tavol.  III. 


LES    anciens;   MoNtMEiNTS    t:HhEj■|L_^^    [,E    HOI.EZ 


23i 


IV 


UN   SECOND   SARCOPHAGK 


Rodez  possè(](î  un  second  sarcophage 
chrétien.  Il  est  dans  un  entrepôt  de  la  cour 
de  l'évêché.  Grâce  aux  déblaiements  labo- 
rieux de  MM.  de  Bonald  et  André  Privât, 
j'ai  pu  l'approcher.  Il  est  en  marbre  blanc! 
Une  seule  des  faces  est  sculptée.  Le  mono- 
gramme du  Christ,  avec  l'A  et  Vil  dans  les 
branches  du  X,  entouré  d'une  couronne  de 
laurier  aux  lemnisques.  c'est-à-dire  aux  ban- 
delettes et  ligatures  de  pourpre,  qui  flottent, 
occupe  tout  le  milieu.  Trois  colonnes  enga- 
gées s'élèvent  de  chaque  côté,  portant  une 
frise  où,  entre  des  demi-circonférences  et 
dedans,  sont  des  plantes  que  je  n'ai  pu  défî- 
mr.  Entre  les  colonnes  s'élève  un  arbuste 
qui  ressemble  à  un  figuier.  N'est-ce  pas  le 
figuier  que  le  Christ  a  pris,  avec  ses  bour- 
geons tendres,  comme  signe  du  réveil  de  la 
nature  à  l'approche  du  temps  chaud  '  !  C'est 
ici  un  bel  emblème,  répété  quatre  fois,  selon 
les  plages  du  ciel,  de  la  vivification  du 
champ  des  morts  par  le  soleil  du  Christ, 
marqué,  à  défaut  de  celui  de  la  nature,  au 
coin  de  l'éternité.  Simple  et  superbe  sujet, 
qu'aucun  sarcophage,  si  je  ne  me  trompe, 
ne  nous  a  présenté  encore  ! 

On  dit  que  ce  sarcophage  est  celui  de 
saint  Marnas,  diacre  de  saint  Amans.  II 
parait  à  peu  près  contemporain  du  pre- 
mier. Ce  sont  deux  contemporains  des  pre- 

'  Matt.,  XXIV,  32. 


232  LES    AMCIENS    MONUMENTS    (=:HHÉT1ï;NS    UE    RODEZ 

raiers  jour-  de  la  monarchie  française  et  du  triomphe  de  la  foi  catholique 
à  Rodez.  Il  suffit  de  les  signaler  pour  qu'ils  reçoivent  désormais  le  respect 
auquel  ils  ont  droit  et  dont  ils  ont  joui  pendant  bien  des  siècles. 

L'abbé  V.  Davin. 
[La  fin  au  prochain  numéro.) 


QUELQUES    REMARQUES 


A  PROPOS  n  UNE  NOUVELLE  EDITION 


DE  L'IMITATION   DE  JESUS-CHRIST 


Cette  simple  acte  ne  saurait  avoir  la  prétention  d'un  travail  approfondi 
sur  la  matière.  Elle  suffira  toutefois,  espérons-nous,  à  démontrer  aux 
lecteurs  de  la  Revue  de  l'Art  Chrétien  que  les  assertions  émises  dans  la 
livraison  de  décembre,  par  M.  Elie  Petit,  ne  sont  pas  à  l'abri  de  toute 
contestation  sérieuse. 

L'honorable  écrivain,  pour  attribuer  à  Gerson  la  paternité  de  l'/wzVafebn 
de  Jésus-Christ,  nous  renvoie  aux  diverses  dissertations  de  M.  Vert  dans 
lesquelles  il  serait  «  démontré  d'une  manière  magistrale  »  que  Gerson  est 
le  véritable  auteur  de  V Imitation. 

Nous  ferons  observer  tout  d'abord  que  la  troisième  et  dernière  étude  de 
M.  Vert  porte  la  date  de  I80I.  Postérieurement  à  cette  époque  a  paru 
V Essai  bïblioijraphique  su>'  le  livre  de  Imitatione  Christi,  par  le  R.  P.  Au- 
gustin de  Bâcher,  de  la  Compagnie  de  Jésus.  On  y  lit  la  phrase  suivante  : 
«Après  un  examen  mûr  et  impartial,  je  considère  Thomas  a  Kempis 
comme  l'auteur  de  V Imitation.  » 

Nous  sommes  tout  aussi  surpris  de  voir  que  M.  Petit  ne  fasse  pas  men- 
tion de  deux  articles  étendus,  publiés  dans  la  Revue  des  questions  histori- 
ques, tomes  Xni  et  XV,  et  dus  à  la  plume  exercée  de  M.  Arthur  Loth. 

M.  Loth  écarte  sans  peine  Gersen  ;  il  discute  longuement  les  titres  de 
Gerson  et  finit  par  conclure  négativement.  L'écrivain  de  la  Revue  des 
questions  historiques  n'admet  pas  davantage  que  Tiiomas  a  Kempis  soit 
l'auteur  de  V Imitation.  Il  s'appuie,  pour  soutenir  sa  thèse,  sur  un  manus- 
crit, conservé  à  Paris,  et  auquel  M.  Delaborde  a  cru  devoir  assigner  la 
date  de  1400.  Si  cette  date  est  sérieuse,  il  devient  évident  que  le  chanoine 
de  Zwûlle  ne  peut  être  l'auteur  de  limitation.  Nous  noterons  en  passant 
que  le  manuscrit  n'est  pas  daté  ;  par  suite,  cette  attribution  de  UOG  ne 
sort  pas  des  probabilités. 

ÎT''  SOI  if  .  tnmn  W ,  17 


2;U  rl:maroues  sur  l'imitation  de  ji.srs-ciiRibT 

Mais  quelle  est  donc  alors  la  sohiliun  pi'oposée  par  M.  Arthur  Loth  ? 

D'après  lui,  Mgr  Malou  a  parfaitement  démontré  que  les  idiotismes 
flamands,  qu'on  rencontre  si  nombreux  dans  le  texte  latin  de  Vlmitatinn^ 
ne  permettent  absolument  pas  d'en   considérer  Gerson    comme  l'auteur. 

M.  Arthui-  Loth  admet  également  nos  arguments  aichéologiques.  L'au- 
teur de  V Imitation  dit  au  IV®  livre  ([ue  le  prêtre  célébrant  la  sainte  Messe 
a  la  croix  sur  le  devant  et  le  denière  de  sa  chasuble.  Or,  cet  usage,  ob- 
servé dans  la  Belgique  et  les  pays  rhénans,  avait  disparu,  dès  le  temps 
de  Gerson,  des  églises  de  France,  11  est  assez  connu  qu'au  XV''  siècle,  la 
croix  ne  se  rencontre  guère  en  France  que  sur  le  derrière  de  la  chasuble; 
alors  déjà,  le  devant  de  la  chasuble  ne  portait  plus  que  la  longue  bande 
que  nous  lui  voyons  aujourd'hui. 

D'autres  arguments  internes,  comme  on  dit,  — tels,  les  mots  devofi,  mo- 
derna  devotio,  l'éloge  des  Chartieux  et  des  Cisterciens,  —  déterminent 
M.  Loth  à  opiner  en  faveur  d'un  chanoine,  jusqu'à  présent  inconnu,  de  la 
congrégation  de  Windesheim. 

Certes,  nous  sommes  loin  d'accepter  toutes  les  conclusions  de  l'écrivain 
de  la  Revue  des  questions  historiques  ;  son  travail  c-t  toutefois  trop  sérieux 
pour  passer  inaperçu.  Ce  n'est  donc  que  justice  de  le  signaler  à  ceux  que 
la  chose  intéresse. 

Pour  nous,  Thomas  a  Kempis,  chanoine  régulier  de  Saint-Augustin,  est 
le  véritable  auteur  de  V Imitation  de  Jésus-Christ. 

Nous  n'entendons  pas  refaire  en  deux  pages  les  travaux  d'Amort  et  de 
Mgr  Malou,  évùque  de  Bruges.  Aux  quinze  témoins,  tous  contemporains, 
dont  on  peut  lire  les  dépositions  dans  les  Recherches  déjà  citées,  nous  pou- 
vons en  ajouter  un  seizième. 

La  Commission  royale  d'histoire  de  Belgique  a  entrepris,  il  y  aura  bien- 
tôt un  demi-siècle,  la  publication  de  Chroniques  inédites.  Cette  collection 
compte  présentement  quarante-six  superbes  volumes  in-quarto.  L'un  des 
derniers  volumes  parus  contient  les  textes  latins  de  chroniques  relatives 
à  l'histoire  de  la  Belgique  sous  la  domination  des  ducs  de  Bourgogne. 

L'un  de  ces  chroniqueurs,  dont  le  manuscrit  vient  d'être  livré  à  l'im- 
pression, s'appelle  Adrien  de  But.  Il  fréquenta  dans  sa  jeunesse  l'univer- 
sité de  Paris  et  mourut,  moine  cistercien,  à* l'abbaye  des  Dunes,  en 
1488.  Il  jouit,  de  son  vivant,  de  la  considération  universelle. 

Ce  savant  homme  écrit,  à  la  pagf^  .547  de  sa  Chronique,  publiée  par 
INI.  le  liaron  Kervyn  de  Lettenliove,  président  de  la  Commission  royale 
d'histoire,  ancien  ministre  de  l'intérieui',  éditeur  des  OEuvies  de  Chastel- 
lain  et  de  Froissart  : 

«  Hoc  annofratcr  Thomas  de  Kem]iis.  démonte  Sanctœ-Agnetis,  pro- 


itF.MAi',nn:S  SUT!   L  IMITATION  DE  JKSUS-CUP.IST  23o 

fcrfsur  ordiiiis  icgularium  canûuicoium,  muUos,  scriptis  suis  divulgatis, 
aedificat;  hic  vilain  sanctœ  Lidwigis  descripsit  et  quoddara  volumen 
metrice  super  illud  :  Qui  sequitur  me.  » 

On  connaissait  cette  chronique  bourguignonne,  mais  personne  ne 
s'était  avisé  de  la  lire  entièrement.  Voilà  ce  qui  explique  comment  le 
texte  transcrit  plus  haut  n'a  pas  été  invoqué  jusqu'à  cette  heure  par  les 
défenseurs  de  Thomas  a  Kempis. 

Il  y  a  plus.  Ce  texte  d'Adrien  de  But  n'est  pas  une  simple  exhumation 
d'un  document  sorti  de  la  poussière  de  nos  archives;  il  contient  une  ré- 
vélation. 

Que  signifie  ce  mot  metrice?  Metrice,  c'est-à-dire,  métriquement.  Y 
a-t-il  donc,  non  pas  des  vers,  mais  un  langage  mesuré   dans   V Imitation? 

Oui,  il  y  a  dans  ce  livre  admirable  un  langage  cadencé,  un  certain 
rythme  se  produisant  à  l'aide  d'assonances,  ou  de  rimes  parfois.  C'est 
même  en  s'inspii-ant  de  cette  idée  que  M.  Charles  Hirsche  vient  de  publier 
à  Berlin,  1874.  une  édition  nouvelle,  dans  toute  la  force  du  mot,  de  Y  Imi- 
tation :  TJiomœ  h'empensis  de  hnitatione  Christi  libri  quatuor.  Tcxtum  ex 
autograp/io  Tliomse  nunc  primum  accuratissime  reddidit^  distinxit,  novo 
modo  disposuit,  capitulorum  argumenta,  locos  parallelos  adiecit  Carolus 
Hirsche. 

Le  codice  ayant  servi  de  base  à  la  nouvelle  édition,  est  celui  de  liil, 
conservé  présentement  à  la  bibliothèque  royale  de  Bruxelles. 

Notre  petite  note  n'a  d'autre  but  que  de  tenir  en  éveil  l'attention  des 
lecteurs  éclairés  de  la  Revue  de  r  Art  (Chrétien.  Tout  en  rendant  hommage 
aux  connaissances  de  M.  Vert  et  de  M.  Elie  Petit,  nous  croyons  qu'il  ne 
faut  pas  affirmer,  d'une  façon  aussi  positive  que  le  veulent  ces  érudits, 
les  droits  de  Gerson  à  V Imitation.  Thomas  a  Kempis  restera  toujours  un 
concurrent  redoutable  pour  tous  ses  rivaux,  et,  n'en  déplaise  à  personne, 
il  est  fort  loin  de  su  voir  dépossôdi;  de  la  gloire  d'avoir  écrit  le  plus  beau 
livre  qui  soit  sorti  de  la  main  des  hommes. 

Ad.  Delvigne, 

Cutl'  (le  X.-D.  iki  Sabloii  (ni'uxpllcs). 


LE  NOUVEAU  CHŒUR 

DE    LA 
BASILIQUE-CATHÉDRALE    DE     MONTPELLIER 


Le  dimanche  18  janvier  a  eu  lieu  l'inuLiguration  de  la  nouvelle  partie 
de  la  basilique-cathédrale  Saint-Pierre,  de  Montpellier. 

M.  le  Préfet  a  remis  à  Mgr  de  i^abrières  le  nouvel  édifice  en  lui  adres- 
sant le  discours  suivant  dans  lequel  l'élévation  de  l'idée  le  dispute  aux 
charmes  de  la  forme  : 

«  Monseigneur, 

a  Les  bénédictions  de  l'Eglise  vont  sanctifier  cette  cathédrale.  Avant 
que  soient  donnés  à  vos  diocésains  la  consolation  d'y  prier  et  le  bonheur 
de  vous  y  entendre,  Votre  Grandeur  me  permettra  de  lui  dire  combien  je 
m'estime  honoré  de  lui  en  ouvrir  les  portes. 

«  Représentant  d'un  gouvernement  qui  se  fait  un  devoir  de  rendre  hom- 
mage à  la  religion  et  d'en  protéger  l'influence  comme  élément  essentiel  à 
la  vitalité  du  pays  et  remède  suprême  à  nos  malheurs,  je  salue  en  vous, 
Mon?eigneur,  le  chef  bien-aimé  de  ce  beau  diocèse,  le  dépositaire  de  ses 
intérêts  les  plus  sacrés,  et.  au  nom  de  l'Etat,  je  vous  remets  ce  sanctuaire. 

«  Après  vingt  années  durant  lesquelles  les  largesses  du  gouvernement, 
du  département  et  de  la  ville  de  Montpellier  répondirent  au  zèle  de  nos 
évêques,  il  vous  était  réservé  de  couronner  l'œuvre  si  opportunément  en- 
treprise par  l'un  de  vos  plus  éminents  prédécesseurs.  Nul  mieux  que  vous, 
Monseigneur,  r:e  pouvait  prendre  possession  de  la  cathédrale  rajeunie  ; 
on  aime  à  voir  s'harmoniser  toutes  choses  dans  les  perspectives  de  la 
Providence  et  de  l'avenir,  comme  dans  celles  de  l'art. 

((  Prenez  ici  votre  place.  Monseigneur,  à  la  tète  de  ce  chapitre  et  de  ce 
clergé  dont  les  mérites  honorent  le  pays  ;  présidez  devant  cet  autel  aux 
solennités  du  culte  ainsi  que  vous  présidez  à  tout  ce  qui   nous  élève  vers 


LE  NOUVEAU  CHŒUR,   ETC.  237 

Dieu,  et.  qu'à  votre  appel  voi  diocésains  s'unissent  dans  Ja  concorde, 
comme  vous  les  ferez  s'unir  par  la  prière  sous  ces  voûtes  sanctitiées. 

((  Ainsi  se  réalisera  l'idée  symbolique  de  l'unité,  si  parfaitement  em- 
preinte aux  divers  aspects  de  ce  monument,  qui  ajoute  un  nouvel  éclat  à 
la  renommée  de  notre  habile  et  savant  architecte. 

«  Telle  est  la  signification  de  la  fête  qui  réunit  aujourd'hui  ces  vénérés 
prélats,  auxquels  je  suis  heureux  d'offrir,  au  nom  de  notre  département 
et  de  notre  ville,  nos  remercîments  et  nos  respects.  Leur  présence  atteste 
la  fraternité  de  l'épiscopat  français,  source  si  féconde  du  bien  ;  elle  est 
pour  vous  un  témoignage,  Monseigneur.  Elle  est  enfin  comme  l'épanouis- 
sement des  gloires  religieuses  de  l'Hérault,  si  dignement  représentées  ici, 
sous  la  présidence  de  l'éminent  archevêque  métropolitain. 

«  Entrez  donc  dans  la  cathédrale.  Monseigneur,  et  que  ses  portes  s'ou- 
vrent devant  vous,  comme  s'ouvrent  les  âmes  au  contact  de  vos  vertus 
et  sous  la  douce  puissance  de  votre  parole.  » 

Mgr  l'évêque  de  Montpellier  a  répondu,  avec  sa  chaleur  de  parole  ac-- 
coutumée,  à  M.  le  préfet  de  l'Hérault. 

Nous  regrettons  de  ne  pouvoir  placer  cette  improvisation  sous  les  yeux 
de  nos  lecteurs. 

Après  le  discours  de  sa  Grandeur,  le  cortège  épiscopal  s'est  avancé  jus- 
qu'à la  partie  neuve  des  transsepts,  où  M.  Révoil,  l'architecte  diocésain, 
accompagné  de  M.  Airibat,  inspecteur  des  travaux,  a  présenté  au  prélat 
tout  le  personnel  des  entrepreneurs,  et  a  prononcé  l'allocution  que  nous 
sommes  heureux  de  pouvoir  reproduire  : 

«  Monseigneur, 

«  11  y  a  vingt  ans,  à  cette  place,  l'un  de  vos  vénérables  prédécesseurs, 
Mgr  Thibaud,  arrêtait  avec  moi  les  plans  de  cette  seconde  église  que 
vous  allez  unir  à  l'ancienne  nef  d'Urbain  V. 

«  Aujourd'hui  notre  œuvre  commune  est  achevée,  et  je  suis  demeuré 
seul  témoin  de  ce  grand  jour  qui  eût  été  assurément  le  plus  beau  de  la  vie 
de  celui  qui  repose  dans  cette  modeste  tombe,  vers  laquelle  mes  regards 
se  dirigent  tout  d'aboi'd. 

«  Aussi  mes  premières  paroles,  empreintes  d'une  reconnaissance  respec- 
tueuse, s'adressent-elles  à  ce  prélat  regretté,  pour  lui  demander  de  bénir 
du  haut  du  ciel  celui  à  qui  Dieu  a  permis  de  vivre  assez  pour  continuer 
son  œuvre  de  prédilection. 

((  A  la  douleur  de  cette  absence.  Monseigneur,  s'ajoute  aussi  pour  mes 
collaborateurs  et  pour  niui  le  regret  profond  de  ne  pas  voir  aujourd'hui  à 


238  LE  NOUVEAU  CHOEUR 

notre  tôte  notre  inspecteur  général  Léon  Vaudoyer,  l'architecte  illustre  de 
cette  splendide  cathédrale  de  Marseille,  qui  s'intéressa  si  vivement  à  nos 
projets,  qui  me  prodigua  dès  leur  origine  ses  savants  conseils  et  m'honora 
plus  tard  de  sa  précieuse  amitié. 

«  D'autres  tombes,  hélas  !  se  sont  ouvertes  autour  de  nous. 

«  Pascal,  cet  ouvrier  habile,  loyal  et  honnête  qui  commença  ce  vaste 
chantier,  nous  fut  subitement  enlevé  :  son  digne  neveu,  Tun  de  ses  suc- 
cesseurs, succombait  quelques  années  plus  tard  à  une  maladie  aggravée 
par  les  dures  fatigues  de  cette  entreprise. 

«  Pour  eux  et  pour  vous  aussi,  modestes  soldats  de  notre  laborieuse 
phalangi',  morts  sur  le  champ  de  bataille  du  travail,  nous  implorons  les 
prières  des  vénérables  prélats  qui  vont  bénir  ces  pierres  amoncelées  si 
péniblement  par  vos  mains. 

«  Vous  voyez  réunis  autour  de  votre  architecte,  Monseigneur,  tous  ceux 
que  Dieu  a  daigné  épargner  dans  cotte  longue  campagne  et  qui  ont  pu 
l'aider  ù  mener  à  bonne  fin  la  construction  de  ce  monument, 

«  Qu'il  lui  soit  donc  permis,  devant  cette  auguste  assemblée,  d'exprimer 
d'abord  toute  sa  reconnaissance  à  son  fidèle  et  habile  inspecteur  M.  Arri- 
bat,  pour  son  concours  aussi  intelligent  que  dé\'0ué  :  il  s'est  acquis  dans 
ces  fonctions  des  titres  sérieux  à  l'estime  de  ses  concitoyens  et  à  la  bien- 
veillance de  l'administration  supéx^ieure. 

«  M.  Marvit,  le  seul  survivant  de  cette  association  si  cruellement  frap- 
pée, a  des  droits  incontestables  à  toute  notre  gratitude.  Son  zèle,  son 
savoir  comme  constructeur  et  son  activité  ne  nous  op.t  pas  fait  défaut  un 
seul  jour. 

«  Mous  ne  devons  point  oublier  non  plus  MM.  Maurin,  Gaud.  Brun, 
Lallemand,  Mora  et  Martin,  qui  ont  dignement  accompli  la  tache  qui  leur 
avait  été  confiée. 

«  Uemercions  également  MM.  Baussan  et  Brémond,  artistes  aussi  mo- 
destes que  distingués,  dont  le  ciseau  a  décoré  Tintérieur  et  rextérieur  de 
cette  cathédrale  des  plus  riches  sculptures. 

((  Honneur  encore  à  MM.  Didn^i  et  Nicod,  dont  les  remarquables  ver- 
rières aux  couleurs  aussi  harmonieuses  qu'éclatantes  sont  le  plus  bel  orne- 
ment de  cet  édifice  et  attestent  le  talent  si  justement  renommé. 

«  Monseigneur, 
((  La  Providence  vous  destinait  le  trône  épiscopal  de  cette  cathédrale, 
que  dans  sa  bonté  infinie  N.-T.-S.  Père  le  P.ipe  Pie  LX  a  décoré  du  titre  in- 
signe de  basilique.  Souvenez-vous  quchjuefois  dans  vos  prières  qu'elle  est 
l'œuvre  d'une  main  amie,  unie  h   la  vôtre  dans  un  jour  d'immense  dou- 


IIE  LA   HASlLiOUE-CATlli;DUALE   l)K  MOXTri:LI,li:!î  239 

leur;  mais  que  vos  premières  supplications  soient  pour  ceux  (jui  ne  sont 
plus,  et  dont  la  mémoire  ne  saurait  être  oubliée  dans  cette  solennité  reli- 
gieuse. 

«  Daignez  aussi  bénir,  Messeigneurs,  tous  ceux  qui  ont  participé  à  cette 
construction  et  qui  vous  reçoivent  avec  moi  à  l'entrée  de  cet  immense 
sanctuaire.  Priez  alin  qu'ils  puissent,  pendant  de  longues  années  encore, 
augmenter  le  nombre  des  temples  élevés  à  la  gloire  de  notre  Dieu.  » 

C'est  à  peine  si  M.  Révoila  pu  prononcer  ces  dernières  paroles  qui  fai- 
saient allusion  à  un  malheur  de  famille  tout  récent.  Mgr  de  Montpellier  a 
répondu  à  M.  Révoil  dans  les  termes  les  plus  sympathiques  pour  lui  et 
pour  ses  coilaboiaceurs,  et  Ta  embrassé  avec  effusion. 

Le  cortège  religieux  est  alors  entré  dans  le  nouveau  chœur,  oij  a  com- 
mencé la  cérémonie  de  la  bénédiction. 

Mgr  Dubreuil,  archevêque  d'Avignon,  qui  présidait  à  cette  imposante 
et  pieuse  solennité,  après  avoir  récité  les  prières  consacrées  à  cet  effet 
par  l'Eglise  et  donné  la  bénédiction,  est  monté  en  chaire  et  a,  pendant 
près  d'une  heure,  tenu  l'auditoire  sous  le  charme  de  son  éloquente  parole. 

Mgr  d'Avignon  était  assisté  de  NN.  SS.  les  évoques  de  Nîmes,  de  Car- 
cassonne,  de  Grenoble,  de  Saint-Michel-du-Désert,  de  Montpellier  et  de 
l'ancien  évêque  de  Constantine. 

Disons  tout  d'abord  quelle  impression  nous  avons  ressentie  en  franchis- 
sant avec  la  foule  le  seuil  do  cette  antique  basilique,  pour  l'agrandisse- 
ment de  laquelle  le  talent  de  Tarchitecte  a  su  faire  revivre  le  style  gran- 
diose qu'avait  rêvé,  pour  la  maison  de  Dieu,  Urbain  V,  lorsqu'il  ordon- 
nait de  poser  ia  première  pierre  de  l'église  du  monastère  dédié  à  saint 
GeiMiiain. 

A  peine  entrons-nous  dans  l'euceintc  que  nos  regards  sont  fj'appés  par 
la  beauté  du  plan,  l'harmonie  des  proportions,  la  rectitude  et  l'élance- 
ment des  i;randes  lignes  architecturales;  et  si  l'espace  limité  a  forcé  de 
donner  moins  de  largeur  à  la  nouvelle  partie  de  l'édifice,  nous  sommes 
heureux  de  reconnaître  que  M.  Révoil  a  fort  heureusement  tourné  la  dif- 
ficulté en  resseriant  les  grands  arcs  de  voûte  si  habilement  juxtaposés. 

11  y  a  vingt  ans,  alors  que  le  regretté  prélat,  Mgr  Thibaud,  présidait  à 
la  cérémonie  de  la  pose  de  la  première  pierre  de  la  partie  complètement 
achevée  aujourd'hui,  la  caihédrale  de  Montpellier  ne  mesurait  que  40  mè- 
tres de  lofigucur;  'iUe  en  compte  actuellement  95  dans  œuvi'e  et  [12  hors 
œuvre.  La  partie  ajoutée  fait  donc  o5  mètres  de  long  et  :28  mètres  de 
large.  Quant  à  la  hauteur  dos  transsepts  et  du  cbrruir,  elle  atteint  :2G  mètres 
sous  clefs  de  voûtes,  pareillement  à  la   hauteur  des  voûtes  de  rancienne 


240  LE  NUUYEAr  CIKT.rR 

nef.  On  peut  juger,  d'après  ses  proportions,  de  Teflet  grandiose  que  pro- 
duit ce  monument. 

A  la  nef  d'Urbain  V,  flanquée  de  ses  chapelles,  ont  été  ajoutés  des  trans- 
septs,  puis  un  chœur  de  trois  travées  terminé  par  une  abside  à  sept  pans, 
comme  celles  de  Saint-Fulcrand  de  Lodôve,  de  Saint-Nazaire  de  Béziers  et 
de  l'église  de  Capestang.  A  droite  et  h  gauche  de  ce  chœur,  on  remarque 
deux  bas-côtés  de  division  pareille  :  le  bas-côté  gauche  donne  accès  par 
trois  portes  communiquant  dans  le  prolongement  du  cloître  des  Bénédic- 
tins (aujourd'hui  la  Faculté  de  médecine);  cette  galerie  précède  deux  vas- 
tes sacristies,  celle  du  chapitre  et  celle  du  service  paroissial. 

Conçues  dans  le  style  du  milieu  du  Xlll*^  siècle,  ces  nouvelles  construc- 
tions sont  ornées  des  plus  riches  détails  de  sculpture. 

A  l'extrémité  du  transsept  droit  s'ouvre  la  grande  porte  qui  donne  accès 
sur  la  rue  Saint-Pierre.  Cette  porte,  qui  n'est  pas  complètement  terminée, 
est  ornée  de  trois  bas-reliefs  confiés  au  ciseau  de  notre  habile  statuaire, 
M.  Baussan  :  ils  représentent  la  naissance  et  V ensevelissement  de  Jésus- 
Christ  ;  et  sur  ces  deux  bas-reliefs,  dans  la  partie  supérieure,  on  remarque 
le  couronnement  de  la  Vierge^  qui  tient  la  main  droite  de  l'Enfant-Dieu 
pour  lui  apprendre  à  bénir. 

M.  Baussan  a  également  payé  sa  largo  part  dans  l'ornementation  de  ce 
monument.  11  partage  le  mérite  de  ces  travaux  décoratifs  avec  un  artiste 
aussi  modeste  que  distingué,  M.  Bremond,  sculptenr  ornemaniste  qui  a 
déjà  produit,  sous  la  haute  et  savante  direction  de  M.  llévoil,  des  œuvres 
nombreuses  et  très-importantes  qui  sont  empreintes  toutes  du  caractère 
et  du  style  le  plus  correct  des  époques  l'omanes  et  du  Moyen- Age. 

La  ferrure  des  portes  et  les  grilles  en  fer  forgé  dont  il  est  facile  d'ap- 
précier le  travail  si  riche  et  si  délicat,  sortent  des  ateliers  de  M.  Louis 
Gaud  de  notre  ville  et  de  son  habile  collaborateur  M.  Blaquière.  Ces 
travaux  de  serrurerie,  dont  l'architecte  a  étudié  les  moindres  détails,  sont 
merveilleusement  exécutés  et  peuvent  passer  pour  un  modèle  de  ce  genre. 

La  clôture-appui  de  la  communion  qui  précède  le  sanctuaire  est  éga- 
lement ornée  de  rinceaux  en  fer  forgé.  Les  grandes  pentures  des  portes 
sont  aussi  un  chef-d'œuvre  dans  l'art  de  forger. 

Les  portes  en  chêne,  fort  bien  assemblées,  sont,  comme  la  charpente, 
l'œuvre  d'un  habile  menuisier  de  Montpellier,  M.  Maurin,  à  qui  est  réservé 
pour  plus  tard  le  soin  de  faire  le  mobilier  de  ce  vaste  sanctuaire. 

Les  mosaïques  des  sacristies  et  du  chanir  ont  été  exécutées  par  M.  Mora, 
de  Nîmes,  qui  a  déjà  orné  do  ses  riches  jiavements  le  clioMir  de  la  cathé- 
drale d'Aix,  le  sanctuaire  de  Notrc-Damc-de-la-Gardc  Vt  de  nombreux 
édifices  civils  et  rcliuicux  dans  nos  contrées  méridionales. 


DE  LA  BASILIQUE-CATHÉDRALE  DE  MONTPELLIER  241 

Pour  achever  d'initier  nos  lecteurs  aux  embellissements  faits  à  la  cathé- 
drale, n'oublions  pas  d'attirer  leur  attention  sur  les  vitraux  qui  ornent 
les  ouvei  tares  de  la  basilique. 

La  cathédrale  de  Montpellier,  sous  le  rapport  des  verrières,  n'a  rien  à 
envier  à  nos  plus  belles  cathédrales  de  France  ;  les  magnifiques  vitraux 
à  personnages  des  trois  fenêtres  du  chœur  et  les  merveilleuses  arabes- 
ques qui  garnissent  toutes  les  grandes  ouvertures  du  côté  gauche,  sont 
l'œuvre  de  M.  Edouard  Didron,  dont  la  réputation  est  aujourd'hui  euro- 
péenne et  dont  les  travaux  remarquables  brillent  de  tout  leur  éclat  dans 
nos  édifices  religieux  du  Midi  et  dans  les  métropoles  de  l'étranger. 

La  cathédrale  d'Aix  et  l'église  d'Aimargues  par  exemple,  œuvres  de 
M.  Révoil  si  justement  appréciées  par  tous  les  savants  touristes,  sont  dé- 
corées des  vitraux  de  M.  Didron. 

La  partie  droite  du  chœur  et  les  deux  rosaces  ont  été  exécutées  par 
M.  Paul  Nicod,  de  Paris.  Cet  artiste  habile  et  consciencieux  ne  s'est  pas 
moins  bien  acquitté  de  la  tâche  que  lui  avait  confiée  l'architecte.  Comme 
composition  et  comme  coloris,  ses  deux  grandes  roses  placées  au-dessus 
des  portes  des  transsepts  produisent  un  grand  effet.  Les  figures  sont 
traitées  avec  une  exquise  pureté  de  style,  et  l'ornementation  qui  com- 
plète ces  deux  belles  pages  est  parfaitement  conçue. 

M.  Martin,  d'Avignon,  a  très-bien  saisi  le  lot  plus  modeste  qui  lui  a  été 
confié  ;  les  grisailles  placées  dans  la  sacristie  sont  d'un  effet  très-harmo- 
nieux. 

On  ne  saurait  trop  louer  la  précision  et  la  correction  d'un  travail  aussi 
remarquable. 

En  un  mot,  nous  sommes  heureux  de  pouvoir  constater  que  cette 
grande  œuvre  s'est  exécutée  sans  tassement,  sans  l'ombre  d'une  fissure, 
et  que  ces  voûtes  de  dimensions  gigantesques  sont  appareillées  avec  un 
art  merveilleux.  Nous  ne  saurions  terminer  cette  courte  appréciation  de 
si  grands  travaux  sans  faire  une  mention  spéciale  des  réels  services 
rendus  par  M.  Arribat,  inspecteur  diocésain,  qui  a  constamment  rempli 
la  tâche  importante  qui  lui  incombait  avec  une  grande  intelligence  et  a 
secondé  son  architecte  en  chef,  M.  Révoil,  avec  un  zèle  infatigable,  digne 
des  plus  grands  éloges. 

L.  G. 


TRAVAUX  DES  SOCIETES  SAVANTES 


Société  des  anciens  textes  français.  —  M.  Léon  Gautier,  dans  le 
Monde,  annonce  la  nouvelle  suivante  : 

«  L'antre  jour,  chez  M.  Didot,  se  réunissaient  une  foule  d'érudits,  et 
cétaiont  tous  ceux  qui  se  sont  jusqu'ici  occupés  le  plus  efficacement  de  la 
pu])lication  des  textes  romans  du  Nord  nu  du  Midi.  M.  Natalis  de  Wailly 
présidait.  Près  de  lui  se  pressaient  MM.  Gaston  Paris,  Paul  Meyer,  Léopold 
Delisle,  Thi'.rot,  James  de  Rothschild  (un  banquier  qui  a  Thonneur  de 
s'intéresser  à  ces  très-nobles  études),  Michelant.  Bordier,  Pannier,  Dar- 
mestetter,  Francis  Wey,  Joseph  de  Laborde,  Siméon  Luce,  Anatole  de 
Montaigion,  et  l'auteur  de  ces  lig-nes.  Sur  le  champ  on  a  proposé  de  créer 
une  «  Sociélé  pour  la  publication  des  anciens  textes  français  et  proven- 
çaux »,  et  il  convient  ici  de  rappeler  que  l'initiative  de  cette  proposition 
appartient  toute  à  M.  Gaston  Paris.  Après  une  longue  et  intéressante  dis- 
cussion, le  Uîun  de  «  Société  des  anciens  textes  français  et  provençaux  » 
a  été  définitivement  adopté.  On  avait  quelque  temps  hésité  devant  d'autres 
noms  plus  pittoresques  :  «  Société  Sainte-Palaye,  Société  Du  Cange,  So- 
ciété Raynouard,  etc.,  etc,  »  Quoi  qu'il  en  soit,  la  nouvelle  institution  est 
fondée;  elle  vit.  Tous  les  ans,  quatre,  cinq  ou  six  volumes  de  textes  seront 
publiés  :  la  plupart  seront  inédits,  mais  on  ne  s'est  pas  enlevé  le  droit 
d'éditer  à  nouveau  d'anciens  textes  qui  auraient  été  mal  publiés  une  pre- 
mière ou  même  une  seconde  fois.  Et  déjà  l'on  nous  annonce  la  publica- 
tion très-prochaine  de  Roncevaux,  d'Aiol  et  lUiniôel,  et  d'un  volume  de 
Ml/ stères.  » 

Société  des  Antiquaires  de  France.  —  Dans  sa  séance  du  2  décem- 
bre, la  Société  des  Antiquaires  de  Fi'ance  a  ainsi  constitué  son  bureau 
pour  l'année  1875  :  MM.  G.  ^Vcscher,  président;  A.  de  Montaiglon,  pre- 
mier vice-président  ;  A.  Dertrand,  deuxième  vice-président  ;  G.  Duplessis, 
secrétaire  ;  S.  Dumay,  secrétaire-adjoint;  P.  Nicard,  trésorier;  E.  Aubert, 
bibliothécaire-archiviste. 


TliAVAUX    DES    SOCIETES    SAVANTES  243 

Société  Havraise  d'études  diverses.  —  Voici  une  intéressante  notice 
de  M.  A.  Devaux,  sur  une  statue  trouvée  au  Mesnil-sous-Lillebonne  : 

«  Les  dernières  fouilles  faites  au  Mesnil-sous-Lillebonne,  dans  la  pro- 
priété de  M.  Montier-Huet,  sous  la  dévouée  et  intelligente  direction  de  M. 
Delarue,  agent-voyer  de  Lillebonne,  et  en  présence  de  M.  Brianchon,  sa- 
vant archéologue,  ont  mis  au  jour  un  véritable  trésor  d'antiquités. 

Ces  fouilles  n'ont  pas  été  faites  sur  une  étendue  de  plus  de  18  mètres 
de  superficie,  et  cependant  le  chiffre  des  objets  trouvés  est  des  plus  res- 
pectables. 

Au  milieu  d'une  couche  épaisse  de  terre  noire,  toute  jonchée  de  poteries 
brisées,  d'écaillés  d'huîtres,  de  tuilos  faîtières,  de  pavés  blancs  striés,  on 
a  trouvé,  gisant  pele-raùle,  un  dolium,  cinq  ou  six  cruches  roses,  une  oUa 
en  terre  grise,  un  joli  vase  de  Samos,  reliefs  extrêmement  légers  —  ici 
un  fragment  de  pierre  tectiforme,  qui  semble  avoir  servi  de  tympan  à  un 
petit  monument  funèbre  —  là  un  squelette,  accompagné  de  clous,  dont 
le  crâne  reposait  la  face  tournée  contre  la  terre. 

Plus  loin,  une  petite  urne  en  plomb,  tout  unie,  renfermant,  avec  des 
^sements  brûlés,  un  vase  en  verre  broyé  et  un  moyen-bronze  de  l'empe- 
reur Commode.  Deux  autres  monnaies  d'argent,  à  très-petit  titic,  sont 
frappées  à  l'effigie  de  ïrajan  et  de  Gordien. 

Mais  l'objet  réellement  précieux,  que  nous  avions  mission  d'étudier  et 
de  décrire,  c'est  une  statue. 

Cette  statue  est  haute  de  1'"  2^.  Elle  est  en  pierre  blanche  du  pays. 
Cette  pierre  est  très-friable  et  ne  résisterait  pas  longtemps  à  l'action  de 
l'air,  surtout  dans  un  pays  aussi  humide  qu'est  la  vallée  de  Lillebonne  ; 
elle  ne  nous  a  été  conservée  que  grâce  à  un  mètre  et  plus  de  terie  qui  la 
recouvrait. 

Malheureusement,  cette  statue  est  très-mutilée  :  la  tête  est  séparée  du 
corps.  L'avant-bras  droit  est  détruit,  et  les  pieds  n'existent  plus. 
Mais,  telle  (ju'elle  est,  nous  la  considérons  comme  une  trouvaille  d'un  prix 
inestimable. 

Nous  avions  hésité  à  admettre  que  la  tète  appartînt  au  corps  que  nous 
avions  sous  les  yeux,  à  cause  d'un  fini  de  travail  qui  n'existe  pas  pour  les 
vêtements;  mais  en  étudiant  avec  une  grande  attention  la  seule  main  qui 
reste,  nous  n'avons  pas  tardé  à  recoimaîtrc  que  le  même  artiste  est  l'au- 
teur de  ces  deux  parties.  Et  puis  on  remarque,  à  la  partie  inférieure  de  la 
tête,  la  ti-ace.  bien  évidente,  d'une  tige  de  fer  ou  de  buis,  qui  devait  ser- 
vir à  réunir  deux  fragments,  ainsi  que  cela  a  encore  lieu  aujourd'iiui  pour 
nos  statues  faites  avec  des  matériaux  peu  résistants. 

Le  vêtement  demande  la  plus  scrupuleuse  attention.  11  se  compose  de 


244  TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES 

deux  robes  :  la  pi'cmièi-e,  sorte  de  tunique,  que  l'artiste  s'est  efforcé  de 
faire  comprendre  comme  étant  d'une  étoffe  très-fine,  est  à  plis  très-serrés 
et  descend  très-bas. 

Cette  tunique  est  revêtue  d'une  sorte  de  pallinm  très-ample  et  formant 
des  plis  profonds,  tout  en  dessinant  bien  exactement  les  lorraes  du  corps. 
Les  manches  de  ce  pallium  sont  très-larges.  En  outre,  une  écharpe  fait  le 
tour  des  épaules.  Cette  écharpe  ne  serait-elle  point  la  pénule  dont  on 
commença  à  faite  usage  vers  Tan  OU  de  notre  ère  ?  Sous  Auguste  on  ne 
s'en  servait  point  encore.  Tacite  en  fait  mention.  Elle  était  courte,  étroite, 
fermée  de  tout'^  part  et  surmontée  d'un  capuchon.  Malheureusement  notre 
statue  étant  entièrement  fruste  vers  les  épaules,  il  est  impossible  de  pou- 
voir y  trouver  la  moindre  trace  de  capuchon.  On  plaçait  cette  pénule 
par-dessus  le  pallium  ou  la  tunique,  et  elle  servait  à  garantir  la  tête  con- 
tre le  soleil  ou  la  pluie.  Elle  n'était  employée  que  pendant  les  voyages. 

Nous  remarquons  encore,  sur  le  bras  gauche,  une  autre  partie  de  vête- 
ment qui  ne  peut  être  que  le  m'inipule  ;  il  portait  à  cette  époque  différents 
noms  :  maiiulurrt .^  maputa^  sudarium.,  et  encore  phanon.  C'était  primitive- 
ment un  linge,  mouchoir  ou  serviette  dont  les  anciens  se  servaient  po«r 
s'essuyer  les  mains.  On  en  usait  dans  la  liturgie  comme  dans  la  vie  com- 
mune, par  un  motif  de  propreté.  Celui  qu'offre  notre  statue  est  ornée 
d'une  frange. 

La  tête  est  mutilée  ;  le  nez,  la  bouche  et  le  menton  ont  disparu.  Les 
yeux,  creusés  pour  recevoir  des  émaux  —  cela  est  évident  —  sont  bien 
conservés  ;  Toreille  est  attachée  avec  art,  le  front  est  pur,  les  cheveux  sont 
relevés  d'après  l'usage  des  anciens  Grecs. 

La  main  qui  soutient  un  vase  est  très  délicatement  sculptée.  Le  vase, 
qu'est-il  ?  contient-il  des  offrandes?  renferme-t-il  des  cendres?  Et  cet  ob- 
jet qui  le  surmonte,  et  tout  d'abord  nous  fait  penser  à  un  serpent,  est-il 
réellement  ce  qu'il  paraît  être?  Il  est  bien  à  craindre  que  nous  ne  le  sa- 
chions jamais. 

Après  avoir  décrit  cette  statue  aussi  fidèlement  qu'il  nous  a  été  possi- 
ble, il  nous  reste  à  nous  acquitter  du  plus  difficile  de  notre  tâche.  Que 
représente  cette  statue?  à  quelle  époque  peut-on  la  faire  remonter? 

11  est  presfiue  impossible  de  répondre  à  cette  première  question.  Si 
cette  effigie  est  antique,  elle  ne  peut  être  qu'un  emblème.  Est-ce  une 
femme  poi-Lant  des  offrandes  à  Esculape  ?  cette  pensée  est  suggérée  tout 
d'abord  par  cette  forme  de  serpent.  Est-ce  une  femme  en  deuil  apportant 
à  la  dernière  demeure  les  cendres  d'un  être  aimé?  je  ne  le  crois  pas;  car 
si  c'était  une  femme  en  deuil,  elle  aurait  la  tête  recouverte  de  son  man- 
teau, selon  l'usage  antique.  Est-ce  une  vestale?  non,  car  ce  costume  n'est 


TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES  ii45 

pas  celui  de  cette  congrégation  de  vierges.  Je  ne  vois  rien  dans  lantiquitc 
romaine  qui  rappelle  cette  disposition  de  vêtements. 

Si  j'osais  émettre  mon  opinion,  je  dirais  que  cette  statue,  bien  réelle- 
ment statue  de  femme,  pourrait  bien  représenter  une  Madeleine  portant 
ce  vase  «  rempli  d'un  parfum  de  grand  prix  »  qu'elle  répandit  sur  les 
pieds  du  Divin  Maître  pendant  qu'il  dînait  chez  Simon  le  pharisien.  Ou 
bien  encore  ce  pourrait  être  une  des  saintes  femmes  venues  «  de  grand 
matin  avec  des  parfums  pour  embaumer  le  corps  du  Sauveur,  le  premier 
jour  de  la  semaine.  » 

Si  la  tête  n'est  pas  une  tête  de  femme,  rien  n'empêcherait  de  croire 
que  nous  avons  sous  les  yeux  une  figure  de  saint  Jean  l'Evangéliste. 

Nous  n'hésitons  pas  à  admettre  que  cette  œuvre  date  du  cinquième  ou 
du  sixième  siècle  de  l'ère  chrétienne,  peut-être  du  temps  des  premiers 
rois  Mérovingiens.  La  tête,  quoique  assez  finement  sculptée,  laisse  cepen- 
dant à  désirer  :  les  cheveux  relevés  sur  le  front,  d'après  la  mode  grecque, 
ne  sont  pas  traités  avec  assez  de  soin,  et  marquent  déjà  une  époque  de 
transformation.  Les  yeux,  dont  on  ne  voit  que  les  ctivités,  étaient  destinés 
à  recevoir  des  émaux,  décoration  tout  à  fait  byzantine,  que  l'on  prodigua 
pendant  les  dix  premiers  siècles. 

Le  vêtement  est  un  vêtement  tout-à-fait  religieux,  ou  au  moins  était 
adopté  par  les  ascètes  et  les  philosophes.  Le  pallium,  très-ample  chez  les 
anciens,  et  pouvant  servir  de  manteau,  prend  ici  la  forme  d'une  robe  ou 
dalmatique.  La  couleur  en  était  foncée,  le  plus  souvent  noire.  Ceux  qui 
portaient  ce  vêtement  marchaient  tête  et  pieds  nus  ;  ils  y  ajoutaient  seu- 

ment  une  tunique,  que  les  Cyniques  seuls  n'avaient  point  admise.  Saint 
Jérôme,  écrivant  à  Marcella,  lui  dit  que  la  couleur  foncée  de  la  sienne  le 
faisait  prendre  pour  un  philosophe. 

Pendant  longtemps,  ce  costume  fut  commun  aux  deux  sexes  ;  plus 
tard,  il  devint  exclusivement  celui  des  personnes  consacrées  à  Dieu. 

La  manière  dont  les  plis  de  la  tunique  sont  disposés  trahit  encore  l'é- 
poque mérovingienne. 

Mais  comment  cette  œuvre  d'art  s'est-elle  trouvée  avec  tant  d'autres 
objets  de  temps  plus  anciens?  C'est  ce  que  nous  ne  pouvons  dire  pour  le 
moment.  Attendons  que  de  nouvelles  fouilles  soient  faites,  et  alors,  peut- 
être,  nous  connaîtrons  l'histoiro  de  ce  qui  nous  paraît  en  ce  moment  si 
mystérieux.  -> 

Société  d'archéologie  lorraine.  —  Nous  trouvons  dans  son  dernier 
Bulletin  de  curieux  détails  sur  le  cérémonial  des  grands  couverts  à  la  cour 
des  ducs  de  Lorraine.  En  voici  quelques  extraits  : 


i46  TRAVAUX    DES    SOCIETES    SAVANTES 

Dans  le  palais  de  Charles  III,  le  grand  maître  de  Thôtel  de  Son  Altesse 
avait  sous  s^s  ordres  une  armée  de  serviteurs,  et  il  faut  connaître  la  liste 
de  la  maison  ducale  pour  comprendre  par  combien  d'intermédiaires  les 
mets  devaient  passer  avant  d'être  déposés  devant  le  prince. 

Trois  maîtres-queux  et  quatre  aides  fonctionnent  à  la  cuisine,  puis 
viennent  quatre  officiers  de  paneterie,  trois  officiers  de  garde-manger,  cinq 
officiers  d'échansonnerie,  trois  officiers  de  fruiterie,  deux  pâtissiers  et 
herbiers,  sept  officiers  de  salle  et  sert-d'eau  ;  enfin  une  engraisseuse  des 
volailles  de  la  ménagerie  de  Saulrupt  et  un  «  préposé  ayant  charge  sur  les 
truites,  faisans,  vacherie  et  autres  choses  semblables  dépendant  de  la  mé- 
nagerie de  S.  A.  » 

Le  service  des  grands  couverts  était  confié,  outre  l'argentier,  ses  deux 
clercs  d'office  et  les  officiers  de  vaisselle,  à  trente  gentilshommes  servants, 
à  quatre  maîtres-d'hôtel  servants  par  quartiers  et  quatre  gentilshommes 
suivants. 

Le  reste  de  la  maison  était  organisé  à  l'avenant.  Le  grand  chambellan 
et  le  grand  écuyer  étaient  les  chefs  de  tout  un  état-major  d'huissiers,  va- 
lets de  chambre,  apothicaires,  écuyers,  laquais  et  palefreniers.  Au  total, 
630  ufficiers  ou  domestiques  composent  le  personnel  attaché  au  service 
du  duc  et  des  princes  du  sang  en  l'année  -1007. 

Quand  le  prince  voyageait,  il  était  accompagné  par  ses  principaux  ser- 
viteurs ;  puis,  dans  les  villes  visitées,  apparaissait  un  nouvel  officiernommé 
le  maître-nappier.  Ses  fonctions,  dévolues  ordinairement  au  prévôt  de  la 
localité,  consistaient  à  fournir  toutes  les  nappes  nécessaires  pour  le  ser- 
vice de  la  table  ducale  ;  le  même  officier  devait  en  outre  «  les  huer  et  en- 
tretenir à  ses  frais.  » 

Quels  avantages,  quels  honneurs  étaient  attachés  à  l'office  du  maître- 
nappier?  Les  comptes  des  receveurs  du  domaine  ne  donnent  aucun  détail 
sur  ce  point  et  se  bornent  aux  indications  sommaires  que  nous  venons  de 
mentionner. 

Divers  écrits  du  temps  ont  retracé  les  lois  de  l'étiquette  minutieuse- 
ment observées  dans  les  réceptions  officielles  de  la  cour.  Un  chambel- 
lan de  Gharles-le-Téméraire,  Olivier  de  la  Marche,  qui,  à  la  bataille  de 
Nancy,  fut  avec  Beaudouin,  frère  naturel  du  duc,  fait  prisonnier  près  du 
village  de  Laxou,  a  laissé  des  mémoires  fort  curieux  auxquels  nous  em- 
pruntons la  relation  des  usages  suivants  : 

Le  maître-queux  se  rendait  dans  la  salle  du  repas,  suivi  du  saucier,  au- 
quel il  faisait  couvrir  la  table  d'une  double  nappe  nommée  doublier.  Le 
saucier  allait  ensuite  chercher  la  vaisselle  confiée  à  sa  garde;  il  la  plaçait 
par  pih;s,  sur  le  dressoir.  Pendant  ce  temps,  un  valet-servant  allait,  à  la 


TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTKS  2A~ 

paneterie,  recevoir,  du  garde-linge,  les  couteaux  avec  trois  serviettes,  et 
du  sommelier,  le  pain  de  bouche  avec  trente-deux  tranchoirs  ou  grosses 
tartines  de  pain  bis  sur  lesquelles  se  mangeaient  certains  mets,  en  guise 
d'assiettes.  L'huissier  de  salle  prenait  à  la  paneterie  une  verge  blanche  de 
quatre  pieds  de  longueur,  symbole  de  sa  fonction,  puis  il  allait  quérir 
les  différents  officiers  au  service.  Le  sommelier  déployait  une  serviette, 
la  baisait  et  la  donnait  au  panetier,  qui  la  déposait  sur  son  épaule  gauche 
en  enfonçant  les  deux  bouts  dans  sa  ceinture,  l'un  par  devant,  l'autre  par 
derrière  ;  il  lui  présentait  de  même  la  salière  du  duc  couverte.  Alors  tous 
quatre  s'avançaient  vers  la  salle  dans  l'ordre  suivant  :  l'huissier,  le  pane- 
tier, le  valet-servant  et  le  sommelier  ;  le  panetier  portait  la  salière,  le 
valet-servant,  le  pain,  les  serviettes  et  les  couteaux  dans  leur  gaine,  et  le 
sommelier,  la  /^V  d'argent.  Ce  vase,  ainsi  que  Tindique  son  nom  représen- 
tait un  navire  :  il  contenait  une  nef  moins  grande,  une  petite  salière,  des 
tranchoirs  d'argent  et  une  licorne  destinée  à  faire  l'essai  des  viandes,  du 
pain  et  des  autres  aliments  présentés  au  duc. 

La /«corne  était  considérée  comme  l'emblème  de  la  pureté;  tout  frag- 
ment de  corne  en  provenant,  mis  au  contact  de  substances  toxides,  devait 
immédiatement  annihiler  le  puison  ;  de  là  l'usage  superstitieux  pendant 
les  XV"  et  XVP  siècles  de  toucher  tous  les  mets  et  boissons  avec  la  hcorne 
déposée  dans  la  nef. 

On  procédait  d'ailleurs  aux  essais  de  la  manière  suivante  :  a  Le  som- 
melier doit  mettre  de  l'eau  fresche  sur  la  licorne  et  en  la  petite  nef  et  doit 
bailler  ^e^say  au  valet-servant,  vuydant  de  la  petite  nef  en  une  tasse,  et 
la  doibt  porter  en  sa  place,  et  faire  son  essay  devant  le  prince,  vuydant 
l'eau  de  la  nef  en  sa  main.  » 

Enfin  le  duc  arrivait  avec  sa  cour,  et  alors  commençait  un  autre  céré- 
monial, qui  ne  s'adressait  qu'à  lui  seul. 

Avant  de  s'asseoir  à  table,  il  se  lavait  les  mains  ;  le  panetier  présentait 
alors  une  serviette  au  premier  raaître-d'hôtel,  celui-ci  la  donnait  au  cham- 
bellan, et  ce  dernier  au  prince,  à  moins  que  le  chambellan  ne  voulût 
céder  cet  honneur  à  quelque  grand  seigneur  présent.  Lojsque  le  duc  avait 
lavé,  il  remettait  la  serviette  au  maître-d'hôtel,  qui  la  rendait  au  panetier. 
Celui-ci  la  pliait  et  la  jetait  sur  son  épaule  ;  puis  il  se  rendait  avec  le  pa- 
netier à  la  cuisine.  Le  maître-queux  ordonnait  alors  à  ses  subalternes 
d'apporter  les  mets  apprêtés.  Il  les  présentait  au  maître-d'hôtel,  qui  en 
faisait  l'essai,  les  couvrait  et  les  livrait  ainsi  couverts  au  panetier.  Celui- 
ci  faisait  signe  aux  gcritilhommes  servants  de  les  porter  dans  la  salle.  La 
marche  était  précédée  par  l'huissier  de  salle  et  fermée  par  l'écuyer  de 
cuisine,  dont  rofficc  principal  était  de  suivre  tous  les  plats  qui  sortaient 


248  TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES 

de  la  cuisine.  J.e  uiOme  Léréinonial  avait  lieu  pour  porter  les  sauces,  avec 
cette  difTi^rence  pourtant  que  celles-ci  n'étaient  point  présentées,  comme 
les  autres  plats,  au  maître-d'hôtel,  mais  au  panetier,  qui  en  faisait  l'essai  ; 
le  maître-d'hôtel  seul  les  posait  sur  la  table. 

Tous  ces  essais,  faits  à  la  cuisine,  n'empêchaient  pas  d'en  faire  de  nou- 
veaux à  la  table.  Lorsque  les  plats  étaient  posés  et  le  duc  assis,  le  valet 
servant  faisait  l'essai  des  pains-tranchoirs  ;  le  panetier  celui  des  viandes, 
etl'échanson,  un  genou  en  terre,  celui  de  l'eau  pour  la  bouche.  Alors  l'é- 
cuyer-tranchant,  vis-à-vis  du  duc  et  de  l'autre  côté  de  la  table,  enlevait 
une  des  deux  serviettes  qui  couvraient  le  pain  débouche;  il  la  baisait,  et 
après  l'avoir  passée  autour  de  son  cou,  de  façon  que  les  deux  bouts  pen- 
dissent sur  la  poitrine,  il  s'enveloppait  avec  l'un  de  ces  bouts  la  main  gau- 
che, qu'il  appuyait  sur  le  pain,  et  de  l'autre  main,  coupant  le  pain  en  deux 
parts,  il  en  faisait  faire  l'essai  au  valet-servant,  puis  il  baisait  le  manche 
du  couteau  destiné  au  duc  et  le  lui  mettait  sous  la  main.  Après  ces  forma- 
lités, il  servait  ;  mais  il  ne  découvrait  les  plats  qu'à  mesure  que  le  duc 
voulait  en  manger,  et  de  chaque  plat  il  faisait  l'épreuve.  Pour  découper 
les  viandes,  il  prenait  un  tranchoir  d'argent,  sur  lequel  il  mettait  cinq 
tranchoirs  de  pain,  afin  de  soutenir  l'effort  du  couteau,  et  avec  le  même 
couteau  il  présentait  au  duc  le  morceau  coupé. 

Le  duc  ne  devait  demander  à  boire  que  par  signes.  Alors  l'échanson 
prenait  le  gobelet  avec  sa  soucoupe,  et  l'élevant  au-dessus  de  sa  tête  afin 
que  son  haleine  ne  pût  pas  l'atteindre,  il  allait,  précédé  de  l'huissier,  le 
faire  remplir  au  buffet.  Le  sommelier,  avant  d'y  mettre  l'eau  et  le  vin, 
l'arrosait  d'abord  en  dedans  et  en  dehors  pour  le  rafraîchir.  Quand  le  go- 
belet était  plein,  l'échanson  le  faisait  déborder  dans  la  soucoupe,  puis  il 
donnait  au  sommelier  la  moitié  du  liquide  débordé  pour  en  faire  l'essai. 
Revenu  près  du  duc.  lui-même  à  son  tour  faisait  l'essai  de  ce  qui  restait 
dans  la  soucoupe  ;  il  présentait  ensuite  le  gobelet  au  prince  et  lui  tenait 
la  même  soucoupe  sous  le  menton  pendant  qu'il  buvait.  Au  dessert,  le 
panetier  allait  au  buffet  chercher  l'oublieux,  qui  venait  poser  ses  oublies 
devant  le  duc  et  qui  en  faisait  aussi  l'essai.  L'échanson  allait,  de  son  côté, 
prendre  des  mains  du  sommelier  les  vins  apprêtés  ou  épicés  et  Thypocras. 
Enfin,  avant  de  sortir,  le  duc  se  lavait  les  mains  une  seconde  fois  ;  l'échan- 
son lui  présentait  le  bassin  et  l'eau,  et  le  panetier  la  serviette. 

Après  avoir  été  employés  comme  assiettes  pour  le  service  des  viandes 
distribuées  aux  convives,  les  pains -tranchoirs  étaient  jetés  dans  des  vases 
dits  couloueres  (vases  à  couler,  à  passer,  passoires)  ;  il  était  d'usage  aussi 
d'y  joindre  quelques  pièces  de  bouilli  et  de  rôti,  qui  étaient  distribuées 
aux  pauvres  par  les  valets  d'aumône.  Ajoutons  enfin  que  chaque  convive 


i'KA.VAl"X    UKS    .SOCIKl'KS    SAVANTES  249 

était  pourvu  d'une  serviette,  d'un  couteau  et  d'un  gobelet,  parfois  aussi 
d'une  cuillère  ou  paelle  et  de  quartes  d'argent  (vases  contenant  deux 
pintes  de  vin). 

Dans  les  beaux  temps  de  la  chevalerie,  on  imagina  de  placer  les  invités 
par  couple,  ordinairement  homme  et  femme  ;  chaque  couple  n'avait  alors 
qu'une  seule  coupe  et  une  seule  assiette  ou  tranchoir  ;  ce  qui  s'appelait 
manger  à  la  mesme  escuelle. 

Académie  royale  des  sciences,  des  lettres  et  des  beaux-arts  de 
Belgique.  —  La  classe  des  beaux-arts  vient  d'arrêter  le  programme  des 
concours  pour  1875.  —  Sujets  littéraires.  —  Première  question  :  «  Faire 
l'histoire  de  la  sculpture  en  Belgique  aux  dix-septième  et  dix-huitième 
siècles;  »  —  Deuxième  question  :  «  Faire  l'histoire  et  la  bibliographie  de 
la  typographie  musicale  dans  les  Pays-Bas,  et  spécialement  dans  les  pro- 
vinces qui  composent  aujourd'hui  la  Belgique;  »  —  Troisième  question  : 
«  Faire  l'histoire  do  l'école  de  gravure  sous  Ruliens,  donner  un  aperçu 
historique  sur  les  éditeurs  des  produits  de  cette  école  et  sur  l'exploitation 
commerciale  contemporaine  qui  fut  faite  de  ces  gravures  dans  tous  les 
pays.  »  —  La  valeur  des  médailles  d'or,  présentées  comme  prix  pour 
chacune  de  ces  questions,  est  de  7nille  francs  pour  la  première,  de  huit 
cents  francs  pour  la  deuxième,  et  de  six  cents  francs  pour  la  troisième.  — 
Les  mémoires  envoyés  en  réponse  à  ces  questions  devront  être  adressés, 
francs  de  port,  avant  le  J"  juin  1875,  à  M.  J.  Liagre,  secrétaire  perpétuel 
de  l'Académie,  au  Musée, 

Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  —  L'Académie  a  ainsi 
constitué  son  bureau  pour  l'année  1875  :  M.  Alfred  Maury,  président;  et 
M.  N.  de  Wailly,  vice-président. 

Académie  des  Beaux-Arts.  —  L'Académie  des  Beaux-Arts,  dans  sa 
séance  du  samedi  9  janvier,  a  nommé  M.  Abadie,  membre  titulaire,  en 
remplacement  de  M.  Gilbert,  architecte,  décédé. 

Société  pour  l'Histoire  de  Paris.  -  La  Société  pour  IHistoire  de 
Paris  et  de  1  île  de  France  a  distribué  le  troisième  fascicule  de  son  Bulle- 
tin, et  va  distribuer  le  premier  volume  de  ses  Mémoires.  Elle  offre  à  ses 
nombreux  souscripteurs  la  reproduction,  fort  réussie,  d'un  plan  de  Paris 
au  XY*  siècle.  j.  c. 


TK'  sélio    tome  II.  18 


iUBLIOGRAPHlI-: 


SCfUTTI  SOPRA  LE  ARTl  E  LE  LETTERE ,  raccohi  per  cura  di 
Benvenuto  Gasparoni.  lioma. 

11  se  publie  à  Rome  une  foule  rl'œuvres  d'un  mérite  et  d'un  intérêt  véri- 
tables et  poLirtantpeu  connues.  Ailleurs  elles  feraient  fortune.  Parmi  ces 
œuvres  nous  voulons  citer  les  Scritti  sopra  le  arti  e  le  lettere,  raccolti  per 
cura  (Il  Benvenuto  Gasparoni.  Des  recherches  scientifiques,  des  documents 
inédits,  des  lettres  inédites,  des  nouvelles  et  des  variétés  sur  l'art,  sur  les 
coutumes,  sur  le^  embellissements  de  fJome,  telles  sont,  en  partie,  les 
matières  que  fournit  M.  Benvenuto  Gasparoni.  L'originalité,  l'élégance  et 
parfois  le  tour  satirique  et  tout  romain  du  style  ajoutent  à  la  valeur  de 
ce  recueil  mensuel  qui  en  est  déjà  au  troisième  volume.  On  s'abonne  chez 
l'éditeur  au  prix  de  12  fr. 

Pour  donner  une  idée  de  la  valeur  de  l'œuvre  de  M.  Benvenuto  Gaspa- 
roni nous  énumèrerons  les  articles  de  la  dernière  livraison. 

On  y  trouve  d'abord  des  recherches  sur  des  maisons  possédées  à  Rome 
par  Raphaël  d'Urbin.  Raphaël,  écrivant  en  juillet  1S14  à  son  oncle  Simone 
di  Battista  di  Ciarla,  disait  avec  une  certaine  complaisance  :  «  A  cette 
«  heure  je  me  trouve  avoir  à  Rome  pour  trois  mille  ducats  d'or  de  biens  ». 
Ce  bien  consistait,  paraît-il,  en  une  maison  située  sur  les  ruines  des  Thermes 
de  Titus  et  en  un  palais  (comme  l'appelle  Vasari)  situé  au  Borgo.  Après 
avoir  présenté  l'intéressante  topographie  des  alentours  du  Vatican  au 
commencement  du  XVP  siècle,  l'auteur  en  arrive  à  prouver  que  le  palais 
de  Raphaël,  fort  maltraité  récemment  par  de  nouveaux  propriétaires,  est 
dans  la  via  di  Borgo  Sant'Angelo.  n"'  129-134,  et  que  la  porte  du  peintre  est 
celle  placée  sous  le  n°  134.  Quant  à  la  maison  des  Thermes,  il  y  a  lieu  de 
croire  qu'elle  a  disparu. 

Puis  vient  un  document  inédit  montrant  que,  le  21  janvier  1498,  Ni- 
chola  di  Bernardo  Machiavelli  a  acheté  de  messer  Thebaldesco  de  The- 
baldischi.laiViuc  romain,  du  quarlier  de  Parione,au  prix  de  «  cent  soixante- 


HlBl.IUGHAPifli.  2ol 

■  a  cinq  daculs  do;  en  ur  de  la  Chambre  »,  Inmoilié  de  l'office  de  solliciteur 
apostolique,  messer  Tlicl^aldcsco  s'engageunt  à  donner  à  Macliiavclîi  (  a  à 
ses  héritiers,  à  partir  des  calendes  de  janvier  et  mois  par  mois,  la  moitié 
des  émo'.uments  ou  revenus  du  susdit  office  ;  document  précieux  et  se 
rapportant  à  un  trait  sur  lejuel  se  taisent  tous  les  historiens  du  célèbre 
secrétaire  florentin. 

Sous  le  titre  de  Bizarreries  et  fantaisies  d'artistes,  suivent  de  cours  récits 
sur  Salvator  Rosa,  génie  fécond,  original,  homme  très-plein  de  lui-même 
et  médiocrement  pourvu  de  vertus  privées.  Une  inscription  gravée  sur 
son  tombeau,  à  Santa-Maria  degli  Angeli,  à  Home,  l'exalte  plus  qu'il  ne 
convient  :  Pictorum  sui  temporis  nulli  secundum.  poetarum  omnium  princi- 
pibus  parent  ! 

Nous  trouvons,  enfin,  dans  le  recueil  de  M.  Gasparoni  quelques  nou- 
velles dont  nous  faisons  notre  profit,  entre  autres  celles-ci  :  La  villa  Albani 
si  riche  en  marbres,  en  statues,  vases,  bas-reliefs,  bustes,  colonnes  anti- 
ques, etc.,  décorée  avec  tant  de  magnificence  vers  le  milieu  du  X  VHP  siècle 
par  l'architecte  Marchionui,  sous  la  direction  de  Winckelman,  et  devenue 
la  propriété  de  seigneurs  étrangers,  a  été  rachetée  par  S.  Exe.  le  prince 
Alexandre  Torlonia,  ce  qui  assure  non  seulement  la  conservation  de  cette 
importante  villa,  mais  encore  son  embellissement. 

Le  comte  (^-dderari,  de  Milan,  est  propriétaire  du  palais  appelé  des 
Gicciaporci,  dans  la  rue  des  Banchi,  un  des  plus  beaux  édifices  particuliers 
de  Rome,  construit  sur  les  dessins  de  Jules  Romain  et  demeuré  jusqu'à  ce 
jour  inachevé.  Or,  il  y  a  lieu  de  louer  le  nouveau  propriétaire,  qui  a  chargé 
l'architecte  Sarti  de  continuer  l'œuvre  de  Jules.  Rome  possédera  ainsi  un 
chef-d'œuvre  de  plus. 

Une  restauration  très-importante  est  aussi  entreprise  par  le  gouverne- 
ment, celle  du  palais  célèbre  de  la  Gancelleria.  M.  le  comte  Vespignani, 
architecte,  a  été  chargé  de  rendre  à  ce  vaste  monument  son  antique 
beauté  en  le  débarrassant  des  loges,  des  grilles,  des  fenêtres,  des  jalousies 
qu'ont  accumulées  les  siècles  et  qui  nuisent  grandement  à  cette  heure  à 
l'harmonie  architecturale  du  chef-d'œuvre. 

Comte  DE  Maguelonne. 


TROIS  REINES  CHEZ  LES  CARMÉLITES  D'AMIENS.  Lecture  faite  à  la  séance 
publique  de  la  Société  des  Antiquaires  de  Picardie,  par  Charles  Salmon, 
membre  titulaire  résidant.  —  Brocli.  in-S",  à  Amiens,  chez  Prévost-Allô. 

Dans  la  séance  publique  de  la  Société  des   Antiquaires    de   Picardie, 
tenue  a  i'Llùtel-de- Ville,  le  20  juillet  1873,  M.  GhaH»s  Salmon  a  fait  de 


252  Bihi.i(>i;i:  v?im: 

cette  visite  royale  aux  tilles  de  iiiiiiitc  'ilierfse,  le  sujet  dune  lecture  écou- 
tée avec  intérêt  par  un  sympathique  auditoire.  Inséré  dans  le  Bulletin  de 
la  Société  et  augmenté  de  certains  développements  que  ne  comportait  pas 
le  temps  assez  restreint  dont  pouvait  disposer  le  lecteui-,  ce  travail  de 
notre  honorable  collègue  n'a  pas  été  moins  favorablement  accueilli  par 
tous  les  membres  de  la  Société.  C'est  pourquoi  l'auteur  s'est  décidé  à  en 
faire  un  tirage  à  part  sous  le  titre  inscrit  au  commencement  de  cet 
article. 

Nous  croyons  donc  ne  pas  déplaire  à  tous  ceux  (]ui  s'intéressent  aux 
choses  du  passé  en  leur  signalant  cette  notice  que  M.Salmon  termine  par 
la  publication  de  quatre  pièces  inédites  conservées  dans  les  archives  du 
Carmel  d'Amiens  :  deux  lettres  du  cardinal  de  BéruUe.  une  du  chancelier 
de  France,  Michel  de  Marillac  et  l'acte  d'élection,  en  qualité  de  prieure, 
de  la  mère  Madeleine  de  Saint-Jean-Baptiste,  appelée  dans  le  monde 
Madeleine  de  Berny  et  fille  de  noble  homme  Antoine  de  Berny,  maïeur 
d'Amiens  en  1593,  lequel  eut,  en  cette  qualité,  l'honneur  de  recevoir 
Henri  IV,  le  18  août  1594,  lorsque  le  Ijéai-nais  ilt  sa  première  entrée  dans 
notre  ville  qui  venait  de  se  ranger  sous  son  drapeau. 

L'histoire  religieuse  de  la  Picardie  doit  beaucoup  à  notre  savant  col- 
lègue :  si  ce  travail,  sorti  récemment  de  sa  plume  féconde,  n'est  pas 
remarquable  par  son  étendue,  il  n"en  offre  pas  moins  un  réel  intérêt  et 
sera  consulté  avec  fruit;  les  personnes  qui  en  ont  déjà  entendu  la  lecture 
voudront  toutes  le  relire  :  celles  qui  n'ont  pas  eu  ce  plaisir  seront  heureuses 

de  trouver  ainsi  le  moyen  de  se  dédommager. 

Edmond  Soyez. 


HISTOIRE  DE  L'ABBAYE  ROYALE  DE  SAINT-LUGIEN,   par  MM.  l'abbé 
Deladueue  et  Matiion.  Beauvais,  1874,  gr.  in-S". 

\\  ne  reste  plus  qu'une  tour  de  la  riche  abbaye  de  Saint-Lucien,  dont 
l'ancien  emplacement  est  occupé  en  partie  aujourd'hui  par  un  petit  sémi- 
naire qui  a  fourni  au  diocèse  de  Beauvais  bon  nombre  d'ecclésiastiques 
fort  distingués,  tels  que  MM.  Magne,  Marielle,  Lemaire,  Laffineur,  pour 
ne  citer  ici  que  Cfux  qui  sont  morts.  Deux  membres  zélés  de  la  Société 
académique  de  l'Oise,  branche  détachée  de  la  Société  des  Antiquaires  de 
Picardie,  ont  entrepris  de  faire  revivre  les  annales  de  cette  illustre  abbaye. 
Leur  remarquable  monographie  est  partagée  en  quatre  parties  :  1°  origines 
de  l'abbaye  de  Saint-Lucien  2"  ;  annales  du  monastère  sous  l'administration 
de  ses  abbés  ;  3"  constitutions, rites  et  coutumes  de  l'abbaye  ;  \°  topographie 
et  revenu  temporel. 


iiii!iJ!i(;i:Ap;iiK  253 

t^armi  les  al-)bé,s  les  plus  distingaés  par  la  vertu,  par  la  naissance  ou 
par  les  talents,  on  remarque  :  Pierre  I"  qui  revendiqua  énergiquement 
les  droits  de  son  monastère  ;  Serlon  qui  fut  employé  dans  de  difficiles 
missions  par  le  Pape  Eugène  Ilï  ;  Jean  de  Thury.  qui  fit  confectionner  de 
magnifiques  châsses  et  renouvela  somptueusement  le  mobilier  de  son 
église;  Odon  I",  frère  du  cardinal  Cholet  dont  la  bienfaisance  égalait  la 
fortune  colossale  ;  Aiuiery  Fulcan,  dont  le  chagrin  abrégea  les  jours, 
témoin  qu'il  fut  des  horreurs  de  la  Jacquerie  ;  Raoul  de  Roye  qui,  après 
avoir  réparé  les  désastres  causés  à  son  monastère  par  les  troupes  anglaises, 
devint  abbé  de  Corbie  ;  Charles  I"  de  Bourbon  qui  fut  trop  impliqué  dans 
les  affaires  polifiques  pour  avoir  le  temps  de  s'occuper  de  celles  du  mo- 
nastère ;  Alexandre  de  Bourbon,  fils  légitimé  d'Henri  IV  et  de  Gabrielle 
d'Estrées  :  le  cardinal  de  Richelieu  qui  sut  faire  largement  payer  les  ser- 
vices intéressés  qu'il  rendait;  le  cardinal  Mazarin  qui  était  en  même  temps 
abbé  coramendataive  de  dix-neuf  autres  abbayes  ;  Bossuet  qui,  contraire- 
ment;! la  fausse  réputation  qu'il  a  laissée,  se  montra  administrateur  habile, 
comme  en  témoignent  les  manusciils  de  M.  Le  Scellier. 

L'éghse  de  Saint-Lucien  était  un  bel  édifice  des  XIL'  et  XIV' siècles,  re- 
marquable surtout  par  plusieurs  de  ses  tombeaux.  Le  mausolée  du  premier 
évêque  de  Beauvais,  érigé  derrière  l'autel,  était  un  véritable  chef-d'œuvre 
de  sculpture  gothique  ;  le  tombeau  du  cardinal  Cholet,  érigé  à  la  lin  du 
XlIP  siècle,  était  un  somptueux  hommage  de  reconnaissance  envers  cet 
illustre  bienfaiteur  de  l'abbaye.  Le  cho:!ur,  la  nef,  les  bas-côtés  étaient 
remplis  de  pierres  tombales  recouvrant  des  sépultures  d'abbés,  de  moines 
et  de  divers  personnages  de  distinction.  D'après  un  mémoire  manuscrit 
du  X  Ville  siècle,  on  conservait  six  statues  de  l'église  primitive,  échappées 
aux  dévastations  des  Normands  et  j-eprésentant  :  Childebert  P'  et  sa  femme 
Ultrogotte.  Clotaire  1"  et  sa  feniuie  Aringonde,  Chilpéric  P'  et  .-^a  femme 
Frédegonde.  Les  stalles  de  Saint-Lucien,  exécutées  de  1492  à  lo04,  oiila 
tentation  de  S.  Antoine  présage  les  fantaisies  de  Callot,  sont  aujourd'hui 
conservées  dans  l'ancienne  église  aljbaliale  de  Saint-Denis. 

L'abbaye  pouvait  dépenser  largement  pour  les  o'uvres  d'art,  destinées 
à  embellir  le  sanctuaii-e,  car  ses  revenus  étaient  considérables  ;  ils  s'éle- 
vaient à  37,743  livres  en  1000  :  à  40,383  livres  en  1700;  à  53.230  livres 
en  1791.  Outre  les  grosses  et  menues  dhncs  que  percevait  l'abbaye,  elle 
avait  le  dioit  de  mouture  qui  obligeait  les  baniers  à  aller  moudre  leurs 
grains  à  divers  moulins  du  monastère  ;  di'oit  de  pressoirage  qui  obligeait 
les  tenaniMers  à  fouler  leur  vin  au  pressoir  de  l'abbaye  ;  droit  de  forage 
sur  le  vin  vendu  par  les  Icnanciei's  ;  droit  île  (o)i//cu  sur  les  marchandises 
vendues  sur  les  marcliés  ;  di'oif  de  /hiimage  ubiigeani  le^  Icnanciersà  aller 


^5-4  niBLlUG){Al*lllK 

cuire  leur  pain  au  tour  banal  de  Taljbaye  ;  droit  de  poids  et  6a/ances,  obli- 
geant les  tenanciers  à  peser  aux  balances  de  l'abbaye  toute  chose  vendue 
pesant  plus  de  7  livres  et  demie  ;  droit  de  corvée  ou  droit  de  requérir  des 
hommes  et  des  chevaux  de  ses  tenanciers  pour  labourer  ses  terres,  faire 
ses  charrois  et  rentrer  ses  récoltes,  etc. 

Les  religieux  ne  profitaient  point  de  ces  revenus  féodaux  pour  augmenter 
leur  bien-être  personnel.  Fidèles  au  renoncement  monastique,  ils  occu- 
paient chacun  une  cellule  ayant  pour  tout  ameublement  un  siège  de  bois, 
un  prie-Dieu,  une  petite  table,  un  chandelier  de  fer,  un  lit  garni  d'une 
paillasse,  d'un  matelas  léger  et  de  deux  couvertures. 

L'ouvrage  dont  nous  rendons  compte  est  illustré  d'excellentes  lithogra- 
phies représentant  un  plan  de  rabhaye  dessiné  en  1673  pur  ordre  de 
Bossuet  ;  une  vue  datant  de  1788  ;  une  vue  des  ruines  de  Tabbaye  après 
la  révolution  ;  la  tour  qui  subsiste  encore  aujourd'hui,  imposante  malgré 
son  isolement;  le  tombeau  du  cardinal  Cholct  ;  ceux  du  chevalier  Flori- 
mond  de  Villers  et  de  Jean  de  Villers  ;  une  vue  de  la  porte  principale  du 
monastère  ;  enfin  un  fac-simile  d'une  lettre  do  Bossuet,  datée  de  Versailles, 
le  2±  mai  lG8(i. 

MM.  Deladreue  et  Matthon  ont  réussi  à  faire  tout  à  la  fois  une  univre 
très-sérieuse  d'érudition  et  un  livre  intéressant  ;  ils  ont  évité  le  grand 
écueil  des  monographies  qui  se  perdent  si  souvent  dans  des  détails  fasti- 
dieux. En  29:2  pages  bien  écrites,  bien  nourries,  où  n'apparaissent  nulle 
parties  disparates  de  la  collaboration,  ils  ont  fait  revivre  dans  tout  leur 
éclat  les  annales  de  la  célèbre  abbaye  beauvaisienne. 

L'abbé  J.  CORBLET. 


INDEX  BIBLIOGRAPHIQUE 


(ARCHEOLOGIE     ET    BEAUX-ARTS) 


AYMARD  (A.),  archiv.  Antiquités  pré- 
historiques, gauloises  et  gallo-ro- 
maines du  Cheylonnet.  In  8,  98  p.  et 
3  pi.  LePuy,  irap.  Marchesson.  (Extr. 
des  .Innales  de  la  Soc.  ucudéin.  du 
Pu,j.) 

BARBET  DE  JOUY  (Il  ).  Musée  national 
du  Louvre.  Description  des  sculptures 
des  temps  raodei'nes.  In-12,  2()i  p. 
Paris,  1874,  imp   de  Mourgues.  7.Ï  c. 

BARBIclR  DE  MONTAULT  (Mgr).  Les 
Heures  de  Kéné  d'.\iijou  3  révéché 
d'Angers.  In  8,  1  l  p.  Marseille,  imp. 
(  aver. 

BEAUTIFUL  PICTURES,  l.y  British  Ar- 
tists  :  A.  Gathering  ot'Favourites  fi  orn 
ourPictureGallerie>,iiKludiiigE.xa  ta- 
pies by  Arniytage,  Faed,  Goodall, 
Hemsley,  Horsley,  .Vl.aks,  Nicholls, 
Noël  Paton,  i'ickersgill,  G.  Smitli, 
Marcus  Stoiie,  Solouiou,  Straight, 
E.  M.  Ward,  and  VVanen.  Engraved 
in  the  highest  style  of  Art.  Witii  No- 
tices of  tlie  Artists,  and  uf  tlieii'  Pic- 
lures ,  by  Sydney  Araiytage  .  Gi-. 
in-4.  Londun,  Cliatto  et  Windus . 
26  fr.  25 

BRADCOURT  (l'abbé).  Notice  sur  l'église 
et  le  village  de  Douchy.  St-Quen- 
tin.  Jules  Mureau,  in-8.  de  64  pag. 

BRASH  (Richard  R.)  The  Ecclesiastical 
Architecture  of  Ireland,  to  the  close 
ofthe  Twelftli  Century,  accompanied 
hy   interesting  Ilistorical  and    Anli- 


quarian  Notices  of  numerous  Ancient 
Remains  of  that  Period.  In-4,  avec 
54  pi.  Dublin,  Kelly,  London,  Sim- 
pkin.  26  fr.  25. 

GHASSAING-  Notes  sur  l'orfèvrerie  du 
Puy  au  moyen-âge  et  à  la  renais- 
sance, et  Prix-fait  passé,  en  M58, 
entre  Jean  de  Bourbon,  évéque  du 
Puy,  et  deux  orfèvres  du  Puy,  pour 
la  façon  d'une  statue  de  saint  Pierre 
en  argent  doré  ;  par  Augustin  Clias- 
saing,  juge  au  tribunal  civil  et  «eci'é- 
taire  de  la  Société  académique  du 
Puy.  In-8,  20  p.  Le  Puy,  Marcjies- 
sou.  (Ext.  du  31"=  vol.  des  .Jnnales 
de  II  Société  ac  aie  inique  du   l-'uy.) 

GHOSSAT  (E.  de).  Classification  des  ca- 
ractères cunéiformes  babyloniens  et 
ninivites,  In-i,  xii-261  p. Paris,  imp. 
lith.  Barousse. 

GHURGH  DEGORATION  :  A  Practical 
iMariu;;l  of  Appropriate  Ornamenta- 
tion.  Edited  by  a  Practical  Illumina- 
tor.  With  16  full-page  Coloured  Il- 
lustrations. In4,  86  p.  London,  War- 
iie.  \  fr.  50. 

GLEliiENT  Ch.).  Léopold  Robert,  d'a- 
p>ès  sa  correspondance  médite,  ln-8, 
496  p.   Paris,  Didier. 

GOET  (K.).  Tilloloy,  ses  seigneurs,  son 
ciiâteau,  son  église,  etc.  !n-8,  59  p. 
Saint-Quentin,  Lib.  du  Vermondois. 
(Extr.  du  Vertnandois.) 

GOURAJOD  (L.)  et  Gevmulleu  (11.  de.) 


2?>6  INDEX    BIBLIOGRAPHIQUE 

Les  Estampes  attribuées  à  Bramante 

aux  points  de  vue  iconographique  et 

architectonique.    In-8,  24  p.    Paris, 

Rapiliy.    (Ext.   de    la    Gazette    des 

Beaux-Arts,  avec  addition  de  notes 

et  d'une  eau-torte.) 
DAVIS  (Rev.   E.  .T.).  Autolica;  or,  The 

Journal  of  a  Visit  to  some  of  ihe  An- 

cient  Ruined  Cities  of  Caria,  Phrygia, 

Lvcia,  and  Pisidia.  In-8,  362  p.  Lon- 

don.  Grant.  26  fr.  25.. 
DELISLE.  Le  Cabinet  des  manuscrits 

de  la  Bibliothèque  nationale,   étude 

sur  la  formation   de   ce  dépôt,  com- 
prenant les  éléments  d'une  histoire 

de  la  calligraphie,  de  la  miniature, 

de  la  reliure   et  du  commerce   des 

livres    à  Paris  avant   Tinvention  de 

l'nriprimerie,    par    Léopold    Delisle, 

membre  de  l'Institut,  conservateur  du 

département   des   manuscrits   de  la 

Bibliothèque  nationale.  T.  IL  In-4.  x 

551  p.  Paris,  imp.  nationale.  Les  to- 
mes L^etll,  SOfr. 
DEMMIN  :'A).  Encyclopédie   historique, 

archéologique,    biographique,  chro- 
nologique et  monogrammatique  des 
beaux-arts    plastiques.    Architecture 
et   mosaïque,  céramique,  sculpture, 
peinture  et  gravure.  T.  III.  L'art  de 
la  gravure,  son  histoire  et  sa  techno- 
logie.   Caractères    typographiques. 
Médailles   et   monnaies.    Estampes. 
Cartes  géographiques.  Dorure  et  re- 
liure. Table  générale  alphabétique. 
Avec  400  grav.  ln-8,  2'i;37-:866  p. 
Paris,  Furne,  Jouvet  etC'^. 
DESJARDINS  (G.).  Recherches  sur  les 
drapeaux  français.  Oriflamme,  ban- 
nièie  de  France,  marques  nationales, 
couleurs  du  roi,  drapeaux  de  l'armée, 
pavillons  de  la  marine    Gr.  in-8,  vi- 
171    }!.   et  42  pi.    Paris,   V*  Mord. 
DEZOBRY  (Ch.).  Rome  au  siècle  d'Au- 
gu€te,    ou    Voyage    d'un    Gaulois   à 
Rome  à  l'époque  du  règne  d'Auguste 
et  pendant  une  partie   du  règne   de 
Tibère,   accompagné  d'une   descrip- 


tion de  Rome  sous  Auguste  et  sous 
Tibère.  4^  édit.   revue,  augmentée  et 
ornée   de    divers   plans   et  vues   de 
Rome  antique.  4  vol.  in-8.  xvii-2117 
p.  Paris,  imp.  Delai;rave. 
DIE  OTTOMANISCHE  BAUKUNAT.  Durch 
kaiserl.  Ira  de  genehmigtes  Werk.  — 
L'architecture    ottomane.    (Text    in 
lieutscher,  franzos.  u.  arab.  Sprache. 
Franzosischer  Text  v.  Marie  de  Lau- 
nay.  Zeichnungen  v.  Montani  ElVendi. 
Hoghos  Effendi,  Chachian  u.  Maillard. 
Technische    Documente   v.    Montani 
Eiléndi.  Matérielle  Ausfiihrg.  v.  Se- 
bah.)  Gr.   in-fol.,  xii   112   p.  et    101 
lilh.,   dont  14  col.   Constantinopole, 
I8(i3  ;  Beilin,  Friedlaender.  250  fr. 
DUTILLEUX  (A.).   Topographie    ecclé- 
siastique du  département  de  Seine- 
et-Oise,  accompagnée  d'une  carte  du 
diocèse   de   Versailles  indiquant  les 
divisions  ecclésiastiques   ancùennes. 
in-8.  09  p.  Versailles,  Cerf. 
ECKENBRECHER  (Dr   Gust.    v.).   Die 
Lage   d.    ilonierischen  Troja.   Mit  2 
(iith.)  Karten  u.  e.  I  andschaftl.  An- 
sicht   (Steintaf.)  Gr.    in-8,  vi  Go   p. 
Dusseldorff.  187.-),  Bndd.'us.  2  IV.  50. 
EICHTHAL  (G.  d')  et  PERROT  (G.I.  Le 
Site  de  Troie  selon  M.  Lechevalier  ou 
selon    .M.   Scliliemann.    Excursion   à 
Troie  et  aux  sources  de  Menderé.  in- 
8,   79  p.  Paris,  Durand   et   Pedone- 
Lauriel  ;  Maisonneuve.  (Ext.  de  l'./n- 
nuaire  de  V .Issociutionpour  Vencou- 
raqi'inent    des    études    grecques   en 
France,  année  i874.) 
GILLES  (,!.).  Encore  les  Fosses  marien- 
nes.  Réponses  aux  Nouvelles  recher- 
ches sur  le  tracé  des  fosses  mariennes 
et  sur   l'emplacement    du  camp  de 
Marins  de  M.  A.  Aurès  In-8,  l 'i  p. 
Paris,  Thorin. 
GEORGES    (l'abbé   Et.).  Les   Premiers 
.\|M')tres  des  Gaules,  ou   Histoire  de 
l'introduction  du  (hristianisme  dans 
notre  pays.  Gr.  in-8,  392  p.  et  4  gr. 
Tours,  Manie, 


GRIMOUARD  DE  SAINT-LAURENT  (le 
comte)  Guide  de  l'art  chrétien.  Etu- 
des d'esthétique  et  d'iconugiaphie. 
T.  N  et  dernier.  In  8,  572  p.  et  27 
pi.  Poitiers,  Oudin  ;  Paris,  Didron. 

GUILLOTIN  DE  CORSON  (l'abbé).  Sta- 
tistique historique  et  monumentale 
du  canton  de  Guicben  (arrondisse- 
ment de  Redon,  Ille-et-\'ilaine).  In- 
8,  77  p.  Rennes,  imp.  Catel. 

HARE  (Aug  J.  Cl.  Days  near  Rome. 
2  vol.  in-8.  G80  p.,  fig.  London,  Dal- 
dy  et  Ifebister.  30  fr. 

HAÛTCŒUR.  Histoire  de  l'abbaye  de 
Fiines,  par  l'abbé  Hautcœur,  cha- 
noine honoraire  de  Cambrai.  In-8, 
XI  5-23  p.  et  20  pi.  Lille,  Quarré  , 
Douai,  Lafoscade;  Paris,   Dumoulin. 

HEMANS  (Chas.  I),  Historié  and  .Mo- 
numental Rome  ;  A.  Handbook  for 
the  Students  ot'  Classical  and  Chris- 
tian Antiquities  in  the  Italiau  Capi- 
tal. Gr.  in-8.  London,  AYilliaras  et 
Norgate    12  fr.  50. 

INDES  (le  Frère).  Les  Monuments  pré- 
historiques des  environs  de  Dreux  . 
Deuxième  lettre  à  M.  d'Avimare  de 
Feuquières.  In-12,  p.  2.5-46  Cliartres, 
imp  Durand.  (Extr.  du  Coiorier 
d'Eure-et- Loire.) 

KAEMPF  (Prof  Dr.  S  J.).  Thonizische 
Epigraphik.  Die  Grabschrift  Eschmu- 
nazar's,  Konigs  Der  Sidonier.  TJrtext 
u.  Uebersetzg,  nebst  sprachl.  u. 
sachl.  Erklarg.  Mit.  e  (lith.)  Beilage, 
das  Epitaph  in  der  phoniz.  Original- 
schrift  enth.  Gr.  in-8,  viii-8o  p. 
Prag.  ^87i.  Dominicus.  3  fr.  50 

KOTHEN.  Quelques  mots  sur  l'obituaire 
du  XII*  au  XIII*  siècle  conservé 
dans  l'église  du  monastère  de  Saint- 
Victor  à  Marseille  jusqu'en  I79':3. 
Texte  annoté  et  dessin  inédit  litho- 
graphie par  Kuthon,  de  la  Société  de 
statistique  de  ^h^rseille.  In-8,  [o  p. 
Marseille,  Cayer. 

LACROIX  (1'.)  (Bibliophile  Jacob),  xyiii^ 
siècle.  Institutions,  usages  et  costu- 


INDIiX    B1ULI0GR.\PHI(JUK  257 

mes.  France,  d 700-1789.  Ouvrage 
illustré  de  21  chromolith.  et  de  250 
grav.  sur  bois  d'après  Watteau,  Van- 
ioo,  Rigaud,  Boucher,  Lancret,  J. 
Vernet,  Chardin,  Jeanrot,  Bouchar- 
don,  Saint-Aubin,  Eisen,  Gravelot, 
etc.  In-4.  viii-520  p.  Paris,  Firmin 
Didot,  30  fr.,  en  grand  papier,  fig. 
s\u-  Chine,  60  fr. 

LARTET  (L  )  et  Chapelain-Duparc. 
Une  Sépulture  des  anciens  troglody- 
tes des  Pyrénées,  superposée  à  un 
foyer  contenant  des  débris  humains 
associés  à  des  dents  sculptées  de  lion 
et  d'ours,  ln-8,  67  p  et  fig.  Paris, 
G.  Masson. 

LEBRETON  (A.).  Une  Visite  au  Mont- 
Saint-Michel.  Notes  historiques  et  ar- 
chéologiques sur  Avranches,  Poutor- 
son  et  l'abbaye  du  Mont-Saint-Mi- 
chel. ln-12,  104  p.  Paris,  Aubry. 

LE  CŒUR  (Ch.  Cl,  archit.  Promenades 
aichéologiques  aux  environs  de  Pau 
et  dans  !a  vallée  d'Ossau.  In-8,  67 
p    Pau,  Ribaut. 

LEROY  (N.).  Les  Peintres  de  l'école 
hollandaise  au  musée  de  Lille,  ln-4 
à  2  col.,  20  p.  Lille,  imp.  Degans. 

MARCHANT.  Ampoules  de  pèlerinages 
en  plomb  trouvées  en  Bourgogne  et 
décrites  par  le  docteur  Louis  Mar- 
chant, secrétaire-adjoint  de  la  Com- 
mission des  antiquités  de  la  Côte- 
d'Or.  In-4,  ^2  p.  et  pi.  Dijon,  Ma- 
nière-LoqulTi.   (Tiré  à  150  ex.). 

MARESCHAL  (A.  A.j.  Les  Faïences  an- 
ciennes et  modernes,  leurs  marques 
et  décors.  2°  édition,  revue,  corr.  et 
aug.  d'un  grand  nombre  de  marques 
et  décors  nouveaux,  dessinés  et  chro- 
molithographies d'après  les  i)ièces 
originales.  Faïences  françaises.  Gr. 
in-8,  xv-'J5  p.  Paris,  Simon. 

MATHIEU  L'Auvergne  anté-histoi  ique  ; 
par  P.  P.  Mathieu,  de  l'Académie  de 
(  letniont-Ferrand.  ln-8,  95  p.  et  2 
pi.  Clermont-Ferrand,Thibaud.  (Ext, 
desMém.  de  IWc.de  Cdcrm.-Ferr.). 


238 


INDEX    IJIULIOGILAS'IIIQLIE 


MENARD  (Kcué).  Histoire  des  beaux- 
arts.  Art  rnodorne ,  architecture , 
sculpture,  jieinture,  art  domestique. 
In-16,  400  p.  Paris,  lib.  de  VEcho  de 
la  Sorbonu'^.  2  t'r. 

MENARD.  Enlretieas  sur  la  peinture  ; 
par  René  Ménard,  rédacteur  en  chef 
de  la  Giizelte  des  beaux-arts .  Avec 
50  eaux-fortes.  Gr.  in-i,  243  p.  l'a- 
lie,  Heymann. 

PALUSTRE.  Etudes  sur  l'église  de  St- 
Syniphorien  de  Tours,  par  M.  Léon 
Palustre,  inspecteur  de  la  Société 
française  d'archéologie.  In-8,  31  p. 
et  jil.  Tours,  imp.  Bouserez. 

PAPILLON.  Un  instrument  de  potier 
romain.  Vervins,  1S74.  ln-4. 

PERROT.  L'enlèvement  d'Orythie  par 
Borée,  œnochoé  du  musée  du  Louvre, 
par  Georges  Perrot,  directeur  d'étu- 
des adjoint  ii  l'école  des  hautes  étu- 
des. In-4  28  p,  et  l  pi.  Paris,  imp. 
Chamerot.  (Extr.  des  Mcnumvnta 
grec.-)  de  T  Js.-ociitlion  pour  Vencoii- 
rufipmenl  des  études  grecques.) 

POULBRIiliRE  (l'abbé  J.  B.):,  prof.  No- 
tice historique  et  archéologique  sur 
Gastelnau  de  Bretenoux  (Lof),  in-'è, 
58  p.  Tu  le,  Crauflbn.  1  fr. 

POUY  (F.).  Reclierches  sur  les  alma- 
nachs  et  calendriers  artistiques,  à  es- 
tampes, à  vigneites.  à  caricatures, 
etc.,  principalement  du  WV  au  XiX« 
siècle  avec  notes  bibliographiques 
sur  les  almanachs  divers,  notamment 
à  l'époque  de  la  Révolution.  !n-8, 
4  17  p.  Amiens,  imp.  Glorieux. 

PUAUX  (Fr.).  Michel-.\nge.  In -8,  32  p. 
Paris,  iaip.  i\ieyrueis  (Extr.  de  la 
Revue  chrclienne  ,  numéros  des  .j 
oct.,  .')  nov.  et  5  déc.  1874  ) 

QUICHERAT  M.),  directeur    de    l'École 


des  Chai'tes.  Histoire  du  costume  en 
France  depuis  les  temps  les  plus  re- 
culés jusqu'à  la  fin  du  X\'IIP  siècle. 
Ouvrage  contenant  481  grav.  dessi- 
nées d'après  les  documents  authen- 
tiques, par  Chevignard,  Pauquet  et 
P.  Sellier.  Gr.  in-8,  I1I-684  p.  Paris 
Hachette.  20  fr. 

RIS-PAQUOT,  artiste  peintre.  Diction- 
tionnaire  des  marques  et  monogram- 
,mes  des  faïences,  poteries,  grès,  terre 
de  pijte,  terre  cuite,  porcelaine,  etc., 
anciennes  et  modernes,  reproduites 
avec  leurs  couleurs  naturelles  ;  3,000 
marques.  2'-'  édit.  ln-8,  xxii-256  p. 
Paris,  Simon.   10  fr. 

RIVIÈRE  (E  ),  Découverte  d'un  second 
squelette  humain  de  l'époque  paléo- 
lithique dans  les  cavernes  des  Baous- 
sé-Roussé,  en  Italie,  dites  grottes  de 
Menton.  In  8,  33p.  avec  plan,  Nice, 
imp.  Caisson  et  Mignon.  (Ext.  du  T. 
lî  des  Jnnales  de  la  Société  des  let- 
tres, sciences  et  arts  du  département 
des   V Ipes- Maritimes.] 

ROVANI  iG.).  LeTre  Arti.  T.  Il  (fin). 
In-8,  238  p.  Milano,  187 i.  Trêves. 
Les  2  vol.  7  fr. 

TERNIMCK  (A.'.  Promenades  archéo- 
logiques et  historiques  sur  les  chaus- 
sées romaines  des  environs  d'Arras 
(route  de  Thérouanne).  li;-8,  200  p. 
et  l  grav.  Arras,  Bradier. 

VEUILLOÏ(L.)  Jésus-Christ.  Avec  une 
élude  sur  l'art  chrétien,  par  E.  Car- 
tier. Ouvrage  illustré  de  16  chromo- 
lith.  et  de  200  grav.  exécutées  par 
Huyot  père  et  fils,  d'après  les  monu- 
ments de  l'art  depuis  les  (  atacombes 
jusqu'à  nos  jours  ln-4,  viii-572  p. 
Pans,  Firmin  Didot.  25  fr,  ;  relié, 
dos  chagrin,  tranches  dorées,  33  fr. 

j.  c. 


CHRONIQUE 


Flèches  en  silex  à  tranchant  transversal.  —  M.  J.  de  Baye,  le  savunt 
explorateur  des  grottes  de  liaye,  a  public,  dans  la  Revue  archiologique^ 
une  curieuse  étude  sur  ce  genre  de  flèches. 

«  Ce  n'est  pas  seulement  contre  l'espèce  humaine,  nous  dit-il,  que  la 
flèche  à  tranchant  transversal  était  employée.  '  i  l'homme  de  l'âge  de 
pierre  avait  des  ennemis  à  combattre  parmi  ses  semblables,  il  éprouvait 
également  la  nécessité  de  se  défendre  contre  les  animaux  et  souvent  aussi 
de  les  attaquer  pour  les  faire  servir  à  son  alimentation  ou  à  d'autres  besoins 
presque  aussi  impérieux.  La  preuve  se  trouve  dans  la  rencontre  d'une 
flèche  trouvée  dans  un  squelette  de  blaireau.  L'animal  blessé  avait  été 
mourir  dans  une  grotte  commencée,  mais  abandonnée  probablement  parce 
que  la  craie  n'était  pas  solide.  Une  couche  d'environ  cinquante  centimè- 
tres de  craie  recouvrait  l'animal  ;  cette  craie  pure,  sans  mélange,  s"était 
détachée  de  la  partie  supérieure.  Elle  n'avait  en  outre  subi  aucun  rema- 
niement depuis  l'époque  oii  l'animal  s'était  introduit,  car  les  ossements 
conservaient  leurs  rapports  anatomiques. 

«  Les  observati(jns  qui  viennent  d'être  mentionnées  m'ont  engagé  à 
tixer  mon  attention  sur  un  autre  point  qui  offje  un  véritable  intérêt.  J'ai 
formé  une  série  graduée  de  nos  flèches,  depuis  le  type  le  plus  infime  jus- 
qu'au modèle  le  plus  considérable  par  son  poids  et  sa  longueur.  Et  je  suis 
ainsi  parvenu  à  former  une  collection  de  \ingt  et  une  flèches,  dont  la  plus 
petite  pèse  quatre  décigrammes  er  mesure  un  centimètre  quatre  milli- 
mètres. La  plus  longue  pèse  quatre  grammes  trois  décigrammes  et 
mesure  quatre  centimètres  six  millimètres.  Entre  ces  poids  et  ces  lon- 
gueurs, nous  avons  des  progressions  n-gulières.  Cependant  les  plus  pesan- 
tes n'atteignent  pas  toutes  la  longueur  extrême  que  nous  avons  signalée  ; 
mais  elles  n'en  rentrent  pas  moins  dans  l'ensemble  d'une  balistique  rai- 
sonnée  qui  savait  tenir  compte  du  poids  des  projectiles.  Tout  le  monde 
sait,  en  etfet,  que  sous  l'impulsion  d'une  force  égale,  la  vitesse  du  projec- 


260  CHRONIQUE 

tile  est  proportionnée  à  son  poids,  et  qu'une  légère  différence  dans  la  lon- 
gueur ne  saurait  modifier  la  trajectoire,  puisque  les  diverses  particules 
matérielles  du  pi'ojectile  sont  le  point  d'application  do  la  pesanteur  et  que 
le  poids  n"est  rieii  autre  choFc  que  la  résultante  de  toutes  les  forces  appli- 
quées à  chacun  de  ces  éléments.  La  forme  plus  ou  moins  longue  de  ces 
flèches  de  même  poids  ne  saurait  donc  empêcher  de  les  rattacher  à  un 
ensemble  régulier  et  calculé.  L'usage  spécial  auquel  elles  pourraient  être 
destinées  suffirait  pour  expliquer  les  dimensions  exceptionnelles.  Les 
arcliers  préhistoriqries,  dont  plusieurs  savants  ont  préconisé  la  force  et  la 
dextérité,  avaient  donc  pourvu  leur  petit  arsenal  d'une  série  de  flèches 
proportionnées  à  la  trajectoire  qu'ils  se  proposaient  de  décrire. 

«  En  comparant  le  nombre  de  ces  flèches  à  tranchant  transversal  avec 
le  nomb''e  si  restreint  de?  autres  flèches  en  amande,  à  ailes  et  à  soie,  qui 
sont  le  plus  souvent  de  véritables  objets  d'art  par  la  fines-e  de  leur  travail, 
nous  nous  rallions  à  l'opinion  de  ceux  qui  considèrent  la  flèche  à  ailes  très- 
ouvragées  comme  un  objet  de  luxe  et  non  comme  l'arme  ordinaire.  Nous 
serions  peu  ébi-anlés  si  on  nous  objectait  la  rareté  de  nos  pointes.  En  réa- 
lilé,  elles  ne  sont  pas  rares.  Mais  souvent  la  forme  de  ces  silex  est  si  mo- 
deste, (jii'ilsont  échappé  à  l'attention.  Ils  sont  en  outre  si  peu  connus  en- 
core qu'il  ne  nous  serait  pas  difficile  de  citer  des  hommes  qui  s'occupent 
spécialement  de  silex,  et  qui  refusaient  naguère  d'admettre  ceux  dont 
nous  parlons  comme  offrant  le  résultat  d'un  travail  intentionnel,  s 

Imagerie  religieuse.  — M.  Léon  Gautier,  dans  le  Monde,  critique  d'une 
manière  très-spirituelle  la  fadeur  et  la  mièvrerie  de  notre  imagerie  reli- 
gieuse : 

((  Voici  d'aboi'd  une  échelle,  et  elle  nous  représente  le  chemin  de  l'dme 
vers  Dieu.  C'est  fort  bien,  quoique  médiocrement  idéal;  mais  enfin,  qui 
grimpe  a  cette  échelle?  Vous  ne  le  devineriez  pas.  C'est  une  colombe. Oui  ; 
la  pauvrette  se  hisse  péniblement  sur  les  bâtons  de  cette  échelle,  comme 
une  poule  qui  regagne  son  perchoir  :  elle  oublie  sans  doute  qu'elle  a  des 
ailes.  Mais  nous  allons  retrouver  ailleurs  cette  colombe  :  car  notre  image- 
rie en  est  pleine,  et  c'est  un  véritable  colombier.  -  -  J'aperçois  là-bas  un 
autre  animal  :  c'est  une  biche  avec  son  faon,  et,  d'un  onl  stupéhé,  je  lis 
cette  légende  :  «  La  fécomtité  des  mamelles  de  la  biche  est  l'image  de  l'a- 
])ondance  et  des  douceurs  de  la  grâce.  »  Pourquoi  a-t-on  choisi  la  biche, 
et  pounjuoi  le  lait  de  biche?  ÉtrauLie  !  —  Mais  que  voilà  donc  un  singulier 
étageniL-nt  !  Sur  un  cœur  couronné  de  roses,  on  a  posé  un  chandelier  (un 
chandelier  sur  un  cumr  1).  Etce  candélabre  à  vingt-neuf  sous  est  surmonté 
d'un  cierge  allumé  autour  duquel  se  pressent  les  anges.  C'est  «  le  bon 


CHRONIQUE  2Q\ 

exemple.  » — Ou'.iperçois-je  ?Une  guitare  !  Et  au  pied  de  la  croix  encore  1 
Cherchons  la  raison  de  ce  mystérieux  assemblage  :  le  texte  nous  la  four- 
nit :  «  Je  me  délasserai  àTtibri  de  la  croix.  »  D'oii  il  sait  qu'on  peut  jouer 
de  la  guitare  sur  le  Golgolha.  Touchant  emblème  !  Et  que  dites-vous  de 
cet  autre,  oii  l'on  voit  le  Sauveur  Jésus,  le  Verbe,  et,  comme  le  dit 
Bossuet,  la  Raison  et  le  Discours  intérieur  de  Dieu,  occupé...  à  écraser  je 
ne  sais  quelles  petites  betes  sur  les  feuilles  d'un  rosier  :  «  Le  divin  Jardi- 
nier détruit  les  chenilles  qui  cherchent  à  ravager  son  jardin.  »  Encore  un 
coup,  mon  ami,  je  n'imagine  rien  :  je  transcris.  Ah  !  je  voudrais  bien,  moi, 
écheniller  cette  imagerie-là. 

€  Cette  main  qui  sort  d'un  nuage,  je  la  reconnais  :  c'est  celle  de  mon 
grand  Dieu,  c'est  celle  de  ce  Créateur  et  de  ce  Père  de  tous  les  êtres,  qui 
est  en  même  temps  leur  consolateur,  leur  soutien  et  leur  vie.  J'admets  ce 
symbole  :  il  est  vieux  et  vraiment  chrétien.  Mais  cette  main  divine  que  le 
Moyen-Age  s'était  bien  gardé  de  char:er  d'un  fardeau  quelconque;  mais 
cette  main  qui  représente  l'éternelle  Justice  et  l'éternelle  Bonté,  savez- 
vous  ce  qu'on  lui  fait  tenir?  un  horrible,  un  stupide  petit  arrosoir,  d'où 
elle  fait  tomber  une  maigre  rigole  d'eau  sur  le  calice  d'un  lis.  L'arrosoir 
est,  plus  loin,  remplacé  par  une  sorte  de  pot  que  Dieu  verse  sur  les  âmes, 
et  la  légende  m'annonce  candidement  que  c'est  la  «  rosée  divine.  »  Une 
rosée  sortant  d'un  pot  !  Voilà  ce  qu'ils  ont  trouvé,  alors  que  le  bon  Dieu 
fait  tous  les  matins  descendre  de  son  admirable  ciel  ces  milliards  de  per- 
les humides  qui  étincellent  au  matin  sur  le  beau  manteau  de  notre  terre. 
L'eau,  d'ailleurs,  ne  réussit  guères  à  nos  imagiers,  et  j'en  vois  un  qui  me 
peint  misérablement  un  filet  s'élevant  au-dessus  d'un  bassin.  «  Le  jet 
d'eau,  dit-il,  est  l'image  de  l'âme  s'élevant  vers  Dieu  par  la  méditation.»  Il 
faudrait  aussi  m'expliquer  comment  «  un  fleuve  détourné  de  son  cours  » 
peut  bien  être  une  image  «  du  bon  emploi  et  de  l'abus  des  grâces.  »  C'est 
obscur  :  mais  encore  cela  n'offre-t-il  pas  une  image  désagréable  et  vul- 
gaire comme  la  maxime  suivante  :  «  Soin  de  la  lampe  ;  image  de  l'entre- 
tien de  la  grâce  en  nos  cœurs.  »  On  voit  d'ici  la  suivante  qui  prend  ses 
gros  ciseaux  huileux  et  coupe  la  mèche,  dont  elle  jette  les  fragments 
noircis...  n'importe  où.  Le  soin  de  la  lampe  ! 

«  Ce  que  ces  imagiers  usent  de  ficelles  et  de  rubans  est  véritablement 
prodigi 'ux.  Ici,  c'est  une  ficelle  qui  réunit  tous  les  cœurs  des  fidèles  à 
ceux  de  la  Vierge  sainte.  Là  c'est  Marie,  c'est  cette  immaculée,  c'est  cette 
corédemptrice  du  genre  humain,  c'est  notre  mère  incomparable,  qui,  du 
haut  du  ciel,  mène  en  laisse,  par  une  ficelle  interminable,  certaine  petite 
colombe  dont  le  cou  est  orné  du  scapulaire.  Et  cela  veut  dire  que  Marie 
est  la  n  directrice  de  l'âme  obéissante.»  La  ficelle  est  remplacée  ailleurs 


262  rHKOMQUt: 

par  de  jolis  pt'ùls  rubans  roses  ou  bleu-tendre,  qui  sont  vraiment  d'un 
effet  tlûlicieux.  Voici  une  jeune  personne  qui  marche  assez  vivement  en 
ayant  son  cœur  uni  par  un  ruban  de  ce  genre  au  cœur  de  la  Mère  de  Dieu  : 
et  elle  n'en  paraît  aucunement  incommodée.  Je  pense  néanmoins  que  sa 
situation  est  moins  pénible  que  celle  de  cette  autre  là-bas,  laquelle  est  oc- 
cupée à  graver  (pour  de  bon)  son  propre  cœurà  l'image  de  celui  de  Marie. 
Une  autre  met  son  cœur  sur  un  chevalet  et  le  peint  d'après  le  même  mo- 
dèle. Hàtons-nous  de  sortir  de  cet  atelier,  et  allons  respirer  le  grand  air  par- 
mi ces  arbres.  Hélas  !  nous  y  retrouvons,  sous  les  traits  efféminés  d'un 
petit  enlant  de  huit  ans,  «  le  divin  Jardinier  donnant  au  jeune  arbuste 
un  tuteur  pour  le  soutenir,  »  ou  «  greffant  sur  le  sauvageon  le  germe  de 
bons  fruits.  »  C'est  approuvable  ;  mais  que  dire  de  ce  ciboire  qu'on  a 
fourré  énergiquement  dans  Tintérieur  de  ce  lis,  avec  cette  légende  expli- 
cative :  «Je  cherche  un  cœur  pur.  »  Ces  messieurs  vous  traitent,  en  vé- 
rité, la  très-sainte  Eucharistie  avec  une  désinvolture  qui  tourne  à  l'incon- 
venance. 11  est  défendu  aux  mains  laïques  de  toucher  aux  vases  sacrés, 
et  c'est  justice  ;  mais  la  même  défense  devrait  s'appliquer  aux  imagiers. 
Ils  sont  priés  de  ne  pas  toucher  si  irrévérencieusement  à  ce  qui  fait  l'objet 
de  notre  foi,  de  notre  espérance  et  de  notre  amour.  » 

Lourdes.  —  Autour  de  la  Grotte  de  Lourdes,  une  véritable  armée 
d'ouvriers  est  constamment  sur  la  brèche  pour  transformer  ces  rochers, 
ces  heux  jadis  déserts,  en  une  véritable  oasis.  A  droite  de  la  basilique,  sur 
le  flanc  de  la  montagne  du  Calvaire,  on  jette  les  fondements  de  l'immense 
résidence  des  missionnaires  qui  comptera  cent  dix  mètres  de  façade  ; 
plus  loin,  se  dresse  déjà  le  palais  épiscopal,  avec  son  jardin  dessiné  par 
un  maître.  Vis-à-vis,  sur  la  rive  du  Gave,  faisant  face  à  la  Grotte,  les 
couvents  s'élèvent  comme  par  enchantement.  Notre-Dame  de  Lourdes 
vient  d'attirer  deux  autres  phalanges  de  vierges  sur  cette  terre  bénie;  les 
Réparatrices  de  Toulouse,  les  Clarisses  do  Lyon  ont  déjà  choisi  leur  place 
pour  monter  avec  les  Bénédictines,  les  Carmélites,  les  sœurs  lileues,  les 
sœurs  de  Nevers,  les  Petites-Sœurs  des  pauvres,  une  garde  d'honneur 
autour  de  l'Immaculée. 

Bientôt,  un  boulevard  direct  de  la  gare  à  la  Grotte,  longeant  le  fort, 
passant  le  Gave  sur  un  superbe  viaduc,  sera  mis  à  exécution,  aux  frais 
mêmes  de  l'Etat, 

A  rintétieur  di;  la  basilique,  le  pèlerin  arrête  son  regard  ravi  devant 
la  rangée  de  vitraux  qui  orne  maintenant  la  chapelle.  En  entrant,  la  ligne 
gauche  représente  les  figures  de  l'Ancien-Testaracnt,  qui  ont  trait  à  la 
Vierge  Immaculée;  Adam  et  Eve  entendant  cette  promesse  :  «  Une  femme 


t'écrasera  la  tête;  »  quelques-uns  des  grands  prophètes  annonçant  la 
Vierge  sans  tache  ;  Isaïe,  lorsqu'il  dit  :  «  La  Vierge  concevra  et  enfantera 
un  fils  qui  sera  appelé  Emmanuel.  »  Un  sujet  de  toute  beauté  est  le  double 
vitrail  à  droite,  représentant  le  vœu  de  Louis  XIII  consacrant  le  royaume 
des  lis  à  l'Immaculée-Conception. 

Encore  le  cercueil  d'Attila!  -  Personne  n'ignore  que,  lorsqu'Attila 
mourut  en  Pannonic,  son  corps,  enseveli  dans  trois  cercueils  concentri- 
ques de  fer,  d'argent  et  d'or,  fut  inhumé  avec  les  dépouilles  opimes  des 
nations  vaincues,  et,  qu'afm  de  mieux  garder  le  secret  de  la  tombe  royale, 
on  égorgea  immédiatement  les  esclaves  qui  avaient  creusé  la  fosse. 

Si  Jornandès  a  dit  la  vérité,  et  Ton  n'a  aucun  m' tif  pour  l'accuser  de 
mensonge,  la  découverte  de  la  sépulture  du  Fléau  de  Dieu  serait  d'une 
haute  importance  pour  l'archéologie  en  même  temps  que  très-lucrative 
pour  les  inventeurs;  aussi,  les  trafiquants  de  nouvelles  viennent-ils  pério- 
diquement leurrer  à  ce  sujet  la  curiosité  publique  d'un  espoir  toujours 
déçu. 

L'an  dernier,  certains  journaux  annoncèrent  que  dt-s  pécheurs  avaient 
dragué  dans  la  l'heiss  un  cercueil  de  bronze  contenant  les  restes  du  roi 
des  Huns, 

Je  flairai  tout  de  suite  un  canard  derrière  ce  poisson  miraculeux,  mais, 
voulant  en  avoir  le  cœur  net  une  fois  pour  toutes,  j'écrivis  à  S.  Exe.  M.  le 
baron  de  Helfert,  Président  de  la  Commission  I.  R.  des  monuments  his- 
toriques d'Autriche.  La  plus  aimable  Excellence  que  je  connaisse  de- 
manda à  son  tour  des  renseignements  à  M .  le  D'^  F.  Rieiner,  et  voici  la 
réponse  littérale  du  savant  Conservateur  du  ?»Iusée  National  de  Pest. 

«  A  l'égard  du  cercueil  en  bronze  du  roi  Attila,  je  puis  seulement  vous 
dire,  qu'en  août  1874,  époque  où  je  voyageais  à  l'étranger,  les  journaux 
répandirent  le  bruit  qu'à  Tlsza-Roff",  des  pêcheurs  avaient  heurté  sous 
l'eau  un  objet  qui  lésonna  sourdement  comme  un  cercueil  —  naturellement 
celui  d'Attila.  —  Par  malheur,  on  n'a  pu  jusqu'aujourd'hui  dégager  encore 
une  aussi  remarquable  antiquité,  la  rivière  n'étant  pas  assez  basse  en  au- 
tomne. 

«  Il  y  a  douze  ou  quinze  ans,  une  fable  analogue  circula  aux  alentours 
de  Szegedin  ;  des  pêcheurs  y  avaient  découvert  le  sarcophage  royal,  qui, 
en  fin  de  compte,  se  trouva  être  tout  simplement  un  coffre  vulgaire.  » 

En  voilà  pour  quelque  temps,  nous  l'espérons,  mais,  lorsqu'on  exhu- 
mera tôt  ou  tard  le  véritable  Attila,  personne  n'y  voudra  plus  croire. 

G.  L. 


0(54  CHRONIQUE 

Nécrologie.  -Ni.  Mabille.  — La  science  hisLoiique  ;i  fait  une  perte 
regrettable  en  la  personne  de  M.  Emile  Mabille,  archiviste  paléographe, 
employé  aux  manuscrits  de  la  Bibliothèque  nationale,  membre  de  la  So- 
ciété des  antiquaires  de  France.  Les  travaux  de  INL  Mabille,  insérés  dans 
des  recueils  spéciaux  ou  des  éditions  savantes  ont  jeté  de  vives  lueurs  sur 
les  origines  de  la  féodalité  politique  et  sur  la  géographie  historique  du 
Moyen-Ao"e.  (Revm  des  questions  historiques.) 

—  Nous  lisons  dans  le  Polybiblion  : 

u  M.  Jean-Achille  Deville.  antiquaire  français,  était  né  à  Paris,  en  1789. 
Après  quelques  essais  poétiques,  dont  plusieurs  sont  restés  inédits,  il  se 
tourna  vers  la  science  archéologique,  tout  en  rempHssant  des  fonctions 
administratives  :  il  a  été  receveur  général  du  département  de  l'Orne. 
Envoyé  à  Rouen  par  ses  fonctions,  il  devint  successivement  directeur  du 
musée  des  antiquités  de  cette  ville,  membre  de  la  Société  des  Antiquaires 
de  rOuest,  et  correspondant  de  l'Institut  pour  la  section  des  inscriptions 
et  belles-lettres.  M.  Achille  Deville  a  publié  entre  autres  ouvrages  :  Essai 
historique  et  descriptif  de  l'abbaye  de  Saint-Georges  de  Boscherville  (Rouen, 
1827,  in-4°)  ;  —  Histoire  du  Château-Gaillard  ;  —  Tombeaux  de  la  cathé- 
drale de  Rouen  :  —  Histoire  du  château  d'Arqués  ;  —  Revue  des  architectes 
de  la  cathédrale  de  Rouen  ;  —  Comptes  des  dépenses  de  la  construction  du 
château  de  Gaillon  ; — Considérations  sur  l'Alesia  des  commentaires  de  César; 
—  Histoire  de  la  verrerie  dans  l'antiquité  et  un  grand  nombre  de  Notes, 
Dissertations,  Mémoires  sur  des  points  curieux  de  biographie  ou  d'histoire, 
notamment  sur  Corneille  et  sur  le  cœur  de  S.  Louis.  » 

Rectification.  —  M.  Elie  Petit  nous  prie  de  rectifier  une  date  qu'il  a 
donnée  dans  son  article  intitulé  :  Examen  d'un  texte  de  l'Imitation  de 
Jésus-Christ,  qui  a  paru  dans  notre  livraison  de  décembre  1874.  M.  E. 
Petit  a  dit  que  Gerson  avait  eu  49  ans  accomplis  en  1413  ;  il  aurait  fallu 
dire  en  1412.  Cette  date  doit  être  substituée  à  la  précédente  partout  où 
elle  se  trouve.  «  Cette  légère  erreur,  nous  écrit  M.  Elie  Petit,  ne  change 
rien  au  fond  des  choses  ;  elle  tend  plutôt  à  confirmer  la  thèse  que  j'ai 
soutenue.  »  j.  c. 


UN  CHEF-D'ŒUVRE  TYPOGRAPHIQUE 


(JÉSUS-CHRIST,  par  Louis  Veuillot,  avec  une  Étude  sur  l'Art  chrétien  par 
E.  Cartier.  2e  édition.  Paris,  Firmin  Didot,  1875.  In-4°  de  572  pages.) 


M.  Firmin  Didot  ne  se  contente  point  d'être  le  premier  imprimeur  de 
France  et  de  faire  sortir  de  ses  presses  renommées  des  ouvrages  dont  la 
correction  peut  défier  toute  critique.  Depuis  quelques  années,  avec  l'ha- 
bile concours  de  M.  Dumoulin,  il  a  édité  à  grands  frais  des  ouvrages  ad- 
mirablement illustrés  par  la  gravure  et  la  chromolithographie,  et,  grâce 
à  un  nombreux  tirage,  il  les  a  livrés  au  public  à  des  prix  relativement 
fort  peu  élevés.  Le  Jésus- Christ  de  M.  Louis  Veuillot  met  le  sceau  à  la 
réputation  de  la  maison  Didot. 

Parlons  d'abord  du  texte,  nous  nous  occuperons  ensuite  des  illustra- 
tions. 

I 

M.  Louis  Veuillot  a  divisé  son  œuvre  en  trois  parties  :  1"  Jésus-Chnst 
attendu^  c'est-à-dire  annoncé  par  les  prophètes  et  les  événements  ;  2°  Jé- 
sus-Christ vivant,  c'est-à-dire  l'histoire  des  trente-trois  années  de  sa  vie 
mortelle  ;  3"  Jésus-Christ  continué  dans  le  monde,  c'est-à-dire  l'affranchis- 
sement et  l'agrandissement  de  l'humanité  parles  nations  chrétiennes  sous 
l'influence  de  l'Église. 

La  première  partie  contient  trois  chapitres  :  Dieu  et  l'homme^  —  Avant 
le  Christ,  —  Les  Prophéties. 

L'abbé  Rorhbacher  a  été  le  premier,  croyons-nous,  qui  ait  commencé 
une  Histoire  de  l'Église  par  le  récit  de  la  création  du  monde,  et  ce  n'est 
pas  le  moindre  mérite  de  son  œuvre  :  car,  dans  le  plan  divin,  tout  ce  qui 
a  précédé  le  Messie  a  été  la  préparation  de  son  avènement,  les  figures  et 

Ile  série,  tome  II.  19 


266 


Ui\    CHEF-l)  ŒLVUE    TYPOGHA  l'UlgUE 


Pi'édiction  des  trois  anp;cs  à  Abraliam. 
(Fresque  de  Raphaël  aux  Loyes  du  Vatican.) 


les  prophéties,  les  traditions  et  les  oracles,  les  aspirations  et  les  faits,  les 
rites  et  les  cérémonies,  les  abaissements  et  les  triomphes,  la  formation, 
l'accroissement  et  la  décadence  des  empires.  Aussi  M.  Veuillot  a-t-il  tenu 
à  peindre  en  quelques  traits  vigoureux  l'histoire  des  temps  anciens,  por- 
tique mystérieux  du  temple  incomparable  qu'allait  ériger  la  main  du 
Très-Haut. 

La  seconde  partie  comprend  neuf  chapitres  qui  se  succèdent  dans  l'ordre 
clironologique  :  Le  prologue  de  l'Evangile^  —  l'année  douce,  —  la  lutte,  — 
l'éducation  des  Apôtres^  —  entretiens  et  paraboles,  —  les  résurrections,  — 
l'Eucharistie,  —  la  Passion  do  Notre-Seigneur,  —  Jésus-Christ  ressuscité. 

L'auteur,  laissant  de  côté  l'érudition  des  gloses,  les  subtilités  des  exé- 
gètes,  les  discussions  des  théologiens  et  même  les  arguments  des  apolo- 
gistes, se  borne  h  raconter  les  faits,  en  se  faisant  le  fidèle  écho  des  Évan- 
gélistes  et  quelquefois  des  Pères.  Ces'  récits,  tant  de  fois  entendus, 
prennent  une  lumière   plus   vive,  une  couleur  plus  chaude,  un  attrait 


l'N    CllEF-o'cErVRE   TYPOGRAPHIQUE  267 

presque  nouveau,  sous  la  plume  d'un  écrivain  qui  manie  si  habilement  la 
langue  française. 

C'est  dans  la  troisième  partie  que  la  personnalité  de  l'auteur  pouvait  et 
devait  se  mettre  plus  en  évidence.  Jusqu'ici  il  avait  surtout  écouté  et 
répété  ;  maintenant,  dans  la  dernière  trilogie  de  son  œuvre,  il  va  nous 
montrer  la  transformation  de  l'humanité  sous  l'action  d'une  nouvelle 
doctrine  et,  pour  cela,  il  devra  scruter  Thistoire,  interroger  les  courants 
d'idées,  expliquer  la  science,  approfondir  les  sources  du  droit.  C'est  un 
tableau  grandiose  oîi  se  succèdent  à  nos  yeux  les  luttes  et  les  triomphes, 
les  hérésies  et  les  conciles,  les  persécutions  de  la  foi  et  cette  longue  suite 
de  saints  d'oîi  se  détachent  les  puissantes  figures  de  S.  Martin,  de  Char- 
lemegne,  de  Grégoire  VII  et  de  S.  Louis.  Nous  voyons  l'Eglise,  fidèle  à  la 
mission  qu'elle  reçut  au  Calvaire,  convertir  les  peuples,  adoucir  les 
mœurs,  élever  les  âmes,  protéger  tous  les  droits,  combattre  toutes  les 
oppressions  et  proclamer  partout  et  toujours  la  suprématie  du  devoir,  en 
face  des  Césars  romains,  comme  en  face  des  erreurs  démagogiques  de  nos 
jours. 

Cette  troisième  partie  forme  deux  chapitres,  l'un  de  M.  L.  Veuillot, 
intitulé  :  Jésus-Christ  dans  l'histoire,  dans  la  littérature,  dans  la  science, 
l'autre,  dû  à  M.  Cartier,  intitulé  :  Jésus-Christ  dans  l'art.  Le  savant 
archéologue  démontre  que  l'art  de  l'homme  n'est  rien  moins  qu'une  déri- 
vation de  la  puissance  créatrice  et  le  trait  caractéristique  de  notre  ressem- 
blance avec  Dieu  ;  l'Art  chrétien  doit  donc  mettre  en  relief  ce  qu'il  y  a  de 
divin  dans  la  nature  humaine  et  se  proposer  ces  deux  nobles  buts  :  glori- 
fier Dieu  et  enseigner  le  prochain.  Telle  est  la  base  de  l'esthétique  que 
développe  M.  Cartier  et  d'après  laquelle  il  juge  les  principales  manifesta- 
tions de  l'Art  chrétien  dans  l'architecture,  dans  la  sculpture  et  dans  la 
peinture.  Quelques-unes  de  ses  appréciations  seront  certainement  con- 
testées, même  de  la  part  de  ceux  qui  admettent  ses  principes  :  ainsi  nous 
le  trouvons  d'une  sévérité  excessive  envers  les  compositions  religieuses 
de  Raphaël  ;  mais  nous  sommes  bien  près  'de  nous  ranger  à  son  avis 
quand  il  juge  ainsi  Michel-Ange  : 

«  Michel-Ange  ne  ressemble  en  rien  à  Raphaël ,  c'est  une  figure  unique 
dans  rhistoire  de  l'art.  Ce  génie  solitaire  et  sauvage  était,  comme  le  prou- 
vent sa  vie  et  ses  vers,  un  chrétien  convaincu  ;  et  pourtant,  il  n'y  a  pas 
de  rapports  véritables  entre  ses  croyances  et  ses  œuvres.  Il  comprenait  et 
admirait  l'école  du  Giotto  et  d'Orcagna,  et  nul  artiste  ne  lui  fut  plus 
étranger.  Son  talent  se  forma  dans  le  jardin  des  Médicis,  oîi  il  étudia  les 
statues  antiques,  mais  il  se  passionna  surtout  pour  l'anatomie.  Le  beau 
lui  apparut  dans  le  corps  humain  et  son  idéal  fut  le  gigantesque.  Il  ne 


268  UN  chef-d'œuvre  typographique 

traita  que  des  sujets  religieux,  mais  il  y  revêtit  de  muscles  ses  pensées 

sans  se  douter  de  l'inconvenance  de  ses  nudités. 

«  L'influence  de  Michel-Ange  sur  l'art  a  été  désastreuse,  et  ce  n'est  pas 
à  l'art  chrétien  seulement  qu'il  a  nui,  c'est  à  l'art  de  la  Renaissance.  Il  en 
a  été  le  corrupteur  par  ses  excentricités  inimitables,  en  peinture,  en  sculp- 
ture, comme  en  architecture.  Sa  chapelle  Sixtine  est  un  prodige  d'audace 
et  de  dessin.  La  voûte  surtout  est  d'un  effet  écrasant:  les  Titans  ont  réussi 
à  escalader  le  ciel;  ces  prophètes,  ces  sibylles,  ces  figures  nues,  à  tous  les 
âges  et  dans  toutes  les  attitudes,  renversent,  malgré  leur  mérite,  toutes 
les  lois  du  goût.  Tout  est  sacrifié  à  ces  emportements  du  génie  :  les  dimen- 
sions de  l'édifice,  les  lignes  de  la  perspective,  et  ces  belles  fresques  des 
peintres  de  Florence  et  de  Pérouse,  derniers  chefs-d'œuvre  de  l'école 
chrétienne  en  Italie.  L'exagération  de  Michel-Ange  est  la  même  en  sculp- 
ture. Quelles  beautés  n'a-t-on  pas  trouvées  dans  son  Moïse,  où  il  s'est  re- 
présenté plus  lui-même  que  le  chef  du  peuple  de  Dieu  !  Quelles  louanges 
n'a-t-on  pas  données  à  ses  statues  de  tombeaux,  destinées  à  des  églises  et 
qui  auraient  déparé  des  sépultures  païennes  !  Il  fut  aussi,  en  architecture, 
une  cause  de  décadence  par  la  recherche  du  colossal,  par  ses  arcs  sur- 
baissés et  ses  détails  trop  saillants.  Il  a  passionné  les  artistes  de  tous  les 
pays,  et  il  a  perdu  tous  ceux  qui  ont  voulu  l'imiter.  » 

II. 

M.  L.  Veuillot  a  été  bien  inspiré  de  s'associer  la  science  de  M.  Cartier, 
la  perfection  typographique  de  la  maison  Didot,  l'excellent  goût  de  M. 
Dumoulin  et,  ce  qui  vaut  mieux  encore,  toutes  les  gloires  de  l'art  chrétien, 
Robert  de  Luzarches  et  Raphaël,  Frà  Angelico  et  Flandrin,  Orcagna  et 
Albert  Durer.  L'illustration  du  texte  ne  comprend  pas  moins  de  180  gra- 
vures sur  bois  et  16  chromohthographies;  elle  embrasse  toutes  les  bran- 
ches de  l'art  :  peinture,  sculpture,  architecture,  mosaïques,  orfèvrerie, 
toreutique,  gravure,  numismatique,  broderie,  etc.,  etc.  Les  planches  sont 
groupées  par  ordre  de  sujets  et  non  par  ordre  de  temps.  Ces  sujets  sont 
empruntés  à  tous  les  siècles  et  à  tous  les  pays  ;  remarquons  toutefois  que 
le  XVIII"  siècle  est  le  seul  qui  n'ait  fourni  aucune  traduction  plastique  de 
l'idée  chrétienne  et  que  si  l'Italie  tient  la  place  d'honneur  qu'elle  mérite 
à  tant  de  titres,  l'Espagne  nous  paraît  avoir  été  un  peu  négligée. 

Les  antiquités  chrétiennes  des  premiers  siècles  sont  représentées  par 
des  fresques  des  catacombes,  entre  autres  p;ir  la  multiplication  des  pains, 
symbole  de  l'Eucharistie,  et  par  quelques  sculptures  de  sarcophages 
chrétiens.  N'aurait-il  pas  été  possible,  eût-on  dû  faire  une  part  moins  large 


UN    CUEF-D  ŒUVRE   TYPOGRAPUIQUE 


269 


La  Multiplication  des  pains. 
(Fresque  du  cimoliére  de  l'Aidéatine). 


aux  tableaux  modernos»,  de  multiplier  les  curieux  spécimens  de  l'Art  chré- 
tien primitif,  dont  le  symbolisme  théologique  est  si  intéressant  à  étudier 
et  011  nous  trouvons  tant  de  thèmes  sublimes  que  le  Moyen-Age  n'a  pas 
toujours  su  conserver  et  développer? 

Les  gravures  qui  se  rapportent  aux  monuments  du  VP  au  XIP  siècle 
sont  peu  nombreuses;  les  archéologues,  sans  nul  doute,  en  auraient  désiré 
davantage.  Mais  nous  ne  devons  pas  oublier  que  ce  livre  s'adresse  à  toutes 
les  classes  de  lecteurs,  et  que  s'il  est  déjà  difficile  de  faire  accepter  à 
l'homme  du  monde,  imbu  de  certains  préjugés  artistiques,  beaucoup  de 
représentations  du  Moyen-Age,  il  eût  encore  été  plus  malaisé  de  lui  faire 
goûter  ces  incorrectes  miniatures  des  manuscrits  carlovingiens  et  ces 
chapiteaux  historiés  des  époques  romanes,  où  il  faut  faire  abstraction  des 
imperfections  de  la  forme  pour  rechercher  les  ingénieuses  arcanes  du 
symbolisme  et  la  poursuite  mystique  de  l'idéal  chrétien. 

Sans  vouloir  ici  tout  mentionner,  nous  dirons  que  le  XIP  siècle  nous 
offre  la  gravure  de  deux  magnifiques  églises,  Notre-Dame  de  Poitiers  et 
Saint-Gilles  (Gard)  ;  que  le  XIIP  siècle  nous  fuit  admirer  le  Campo-Santo 
de  Pise,  les  cathédrales  d'Amiens  et  de  Paris,  les  sculptures  de  ces  deux 


"210  UN  chef-d'oeutre  typographique 

basiliques,  celles  de  Pisc,  de  Reims,  de  Strasbourg,  de  Saint-Denis,  etc., 
et  le  curieux  couvercle  en  bronze  des  fonts  baptismaux  de  Hildesheim. 


k 


f 


Les  Œuvi'es  de  niisériporde. 
Couvercle  en  bronze  de  la  cuve  baiilismale  de  Hildesheim  (Xlll's.) 


Le  XIV^  siècle  continue  l'exhibition  des  bas-reliefs  et  des  miniatures  ; 
mais  voici  qu'il  ouvre  la  série  des  merveilles  de  la  peinture,  voici  que 
nous  apparaissent  Duccio,  Gaddi,  Memmi,  Orcagna  et  Giotto,  qui  vont  être 
surpassés,  au  siècle  suivant,  par  Frà  Bartholomeo,  Jean  van  Eick,  Ghir- 
landaio,  Pérugin  et  surtout  par  FràAngelico,  représenté  ici  par  cinq  com- 
positions. La  Renaissance  nous  offre  des  spécimens  des  œuvres  de  Raphaël, 
Michel-Ange,  Titien,  Véronèse,  André  del  Sarto,  etc.;  le  XVIP  siècle,  de 
Rubans,  Rembrandt,  Le  Poussin,  Le  Guide,  Le  Sueur,  Ph.   de  Ghampa- 


UN    CIIEF-n'OEUYRE    TYrOGRAPHKjUE  271 

gne  et  Lionello  Spada,  qui  s'appropria  si  bien  la  manière  du  Dominiquin 
et  qui,  à  cause  de  son  nom,  se  permettait  la  fantaisie  de  signer  avec  son 
épée. 


Le  Retour  do  l'Enfant  prodiiiue. 
Tableau  de  L.  Spada  (Musée  du  Louvre.) 

\ 

Le  XIX*  siècle  qu'on  a  accusé,  non  sans  raison,  d'avoir  oublié  les  gran- 
des traditions  de  l'art  religieux,  est  pourtant  largement  représenté  dans 
le  livre  de  M.  Veuillot,  où  figurent  des  compositions  de  L.David,  Prudhon, 
Gleyre,  Balze,  Ary  SchefTer,  Overbeck,  Flandrin.  Lameire,  Savinien  Pe- 
tit, Orsel,  Claudius  Lavergne,  Schnorr,  etc. 

Ce  ne  sont  pas  seuleujent  les  églises  et  les  couvents,  les  musées  et  les 
bibliothèques  publiques  qui  ont  fourni  les  sujets  des  illustrations  ;  à  côté 


2~r2  UN    CUEF-d'œL'VRK    TYPOGRArUIQUE 

de  chefs-d'œuvre,  connus  de  tous  ceux  qui  ont  étudié  l'iiistoire  de  l'Art, 
on  rencontre  un  certain  nombre  de  monuments  inédits  qui  seront  d'un 
haut  intérêt  pour  les  amateurs  ;  nous  devons  surtout  noter  les  minia- 
tures de  manuscrits  et  les  gravures  de  Marc-Antoine,  Albert  Durer  et 
Martin  Schoen,  appartenant;!  la  riche  collection  de  M.  Ambroise  Firmin 
Didot,  ainsi  qu'unevaste  planche  représentant  letriomphede  Jésus-Christ 
dans  l'humanité  ;  cette  reproduction  d'une  œuvre  aujourd'hui  perdue,  at- 
tribuée au  Titien,  est  comme  le  résumé  artistique  de  l'œuvre  de  M.  Veuil- 
lot. 

Nous  ne  saurions  oublier  non  plus  quelques  vues  de  la  Judée  (Bétha- 
nie,  Josaphat,  la  plaine  de  Siloë,  etc.)  exécutées  d'après  la  photographie, 
et  plusieurs  inscriptions  dues  aux  récentes  découvertes  de  M.  Clermont- 
Ganneau. 

Les  180  gravures  sur  bois  de  MM.  Hugot  père  et  fils  approchent  de  la 
perfection  du  burin.  Quant  aux  16  chromolithographies  de  MM.  Werner, 
Thurwanger,  Compère,  Guesnu,  Kellerhoven  et  Pralon,  elles  dépassent 
en  précision,  en  netteté,  en  vigueur,  en  éclat,  tout  ce  qui  a  été  de  mieux 
réussi  jusqu'à  ce  jour  par  ce  précieux  art  de  reproduction  qui  nous  sem- 
ble avoir  atteint  ici  les  dernières  limites  de  la  perfection. 

Nous  ne  saurions  donner,  par  une  sèche  description,  une  idée  de  la 
splendeur  de  ces  chromolithographies  ;  d'un  autre  côté,  notre  format 
nous  interdit  de  reproduire  les  grandes  gravures  ;  nous  avons  voulu  du 
moins  donner  quelques  spécimens  des  petites  et,  grâce  à  l'obligeance  de 
M.  Dumoulin  sous  la  direction  duquel  a  été  exécutée  la  partie  artistique 
de  l'œ-uvre,  nous  pouvons  offrir  à  nos  lecteurs  cinq  planches  fort  remar- 
quables dont  nous  allons  indiquer  les  sujets  : 

1°  Fresque  de  Raphaël,  aux  Loges  du  Vatican.  Tt^ois  anges,  figure  de  la 
Trinité,  visitent  Abraham;  ils  lui  annoncent  que  Sara,  sa  femme,  aura  un 
fils  et  que  de  sa  race  sortira  le  Messie.  C'est  une  des  plus  belles  des  cin- 
quante-deux peintures  qui  décorent  la  galerie  du  deuxième  étage  du  Va- 
tican. 

2°  La  seconde  multiplication  des  pains,  fresque  du  cimetière  de  l'Ardéa- 
tine.  Les  sept  corbeilles  restées  pleines,  après  que  les  cinq  mille  hommes 
eurent  été  rassasiés,  figurent  la  multiplication  du  pain  eucharis- 
tique. 

3°  Le  couvercle  de  la  cuve  baptismale  de  Hildeskeim  :  c'est  un  magnifi- 
que travail  en  bronze  du  XIIP  siècle,  représentant  les  œuvres  de  miséri- 
corde. Le  sujet  principal  nous  montre  la  Miséricorde  distribuant  du  pain 
et  du  vin  à  de  pauvres  affamés. 
4°  Le  retour  de  l'enfant  prodigue,  tableau  de  Lionello  Spada,  au  musée 


UN  (:iiF.;--!rt)KrvuE  xvrOGiiAi'iiio!  k  2T:i 

du  Loiivi'e.  Le  vieillard  consûlc  reçoit  afîecLuLUsement  le  pauvre  enlatit 
déguenillé  et  le  couvre  de  son  manteau. 


Rftsurrçcton  do  li  Fiile  lii*  Jyïre. 
(D'ai.iè*  le  tuMe^ui  rl^  rlfiiilir.in.  t.) 


o.  La  Résurrection  de  ta  fille  de  Jaire,  de  l^embrnndt.  Noti-e-Scipneur 
prend  la  main  gauche  de  la  morte.  On  voit  près  du  lit  le  père  habillé  en 
bourgmestre  hollandais,  la  mère  qui  pleure,  un  niéilecin  en  robe  offi- 
cielle qui  contemple  cette  scène  où  le  clair-obscur  joue  son  rôle  accou- 
tumé. Le  sujet  est  assurément  bien  rendu,  mais  sans  élévation  relipieuse, 
et  nous  ne  voyons  là,  ni  dans  les  autres  œuvres  de  Rembrandt,  rien  qui 
puisse  justifier  l'enthousiasme  de  INL  Charles  Blanc  pour  le  caractère 
éminemment  religieux  du  célèbre  peintre  hollandais. 

La  première  édition  de  Jésus-Christ  a  été  enlevée  en  quelques  semaines  ; 
la  seconde,  nous  dit-on,  est  en  train  de  s'épuiser  rapidement.  C'est  là 
une  heureu?e  compensation 'de  tant  de  succès  scandaleux  de  productions 
frivoles  ou  malsaines.  11  est  vrai  que  le  public  sérieux  et  chrétien  trouve 
réunies  dans  cette  œuvre  trois  puissantes  attractions  :  la  grandeur  du 
sujet,  le  mérite  littéraire  du  texte  et  la  splendeur  de  lillustration. 

L'abl  é  J.  Coki;lf.t. 

lie  «élit      loin,    11  -20 


LE  B.  CHARLES  LE  BLOIS 

DUC   DE    BRETAGNE 

Trotecteur  des  d'Jrts  au  quatoj-^ième  siècle  ' 


Le  XIV  siècle  n"<i  jamais  été  compté  au  nombre  des  siècles  glorieux  de 
l'humanité.  On  aurait  tort  peut-être  d'en  conclure  qu'il  ait  été  beaucoup 
plus  stérile  en  grands  capitaines  et  en  grandes  vertus  que  certains  autres, 
qui  jouissent  d'une  juste  renommée;  mais  la  société  y  fut  alors  en  proie 
d'une  manière  inouïe  jusque-là,  en  Fiance  surtout,  à  la  guerre  et  à  tant 
d'autres  fléaux  dévastateurs  que  les  sciences,  les  lettres  et  les  arts  ne 
purent  y  être  cultivés  avec  succès.  Aussi  cette  péi'iode  historique  ne  nous 
a-t-elle  légué  qu'un  bien  petit  nombre  de  monuments  littéraires  et  artis- 
tiques. De  là  la  défaveur  dont  elle  est  demeurée  l'objet  au  regard  de  l'opi- 
nion publique. 

L'Église  cependant,  la  royauté  et  aussi  la  féodalité  en  plus  d'un  endroit 
ne  manquèrent  pas,  dans  ces  jours  d'obscurcissement,  de  prendre  en  main, 
avec  zèle,  les  intérêts  de  la  science  et  de  la  civilisation,  et  réussirent 
souvent  à  arrêter  les  progrès  de  la  décadence  morale  et  intellectuelle,  qui 
menaçait  de  tout  envahir. 

Au  premier  rang  des  pi-inces  qui  se  distinguèrent  chez  nous  par  la 
haute  protection  dont  ils  entourèrent  les  lettres  et  les  arts,  l'Archéologie 
et  l'Histoire  se  plaisent  à  citer  avec  complaisance   Charles  V,  roi   de 

'  Cft  travail  est  un  cliaiiitio  détaché  de  VUistoh-c  du  saint  Prince  dont  il  va  être 
question  dans  ces  pages.  Composé  presc(ue  uniquement  sur  des  docinnents  origi- 
naux, pour  la  plupart  inédits,  l'onviagc  en  question,  qui  sera  bientôt  livré  au 
public,  si  les  circonstances  deviennent  plus  favorables,  est  appelé,  tlans  la  pensée 
de  l'auteur,  à  jeter  un  grand  jour  sur  les  Annales  générales  de  la  France  et  de 
l'Angleterre  au  XIV^  siècle. 


LE    B.   CHARLUS    DE    BLOIS  275 

France,  et  Gaston  Pho'.bus,  comte  de  Foix,  et  c'est  justice  assurément. 
Mais  il  est  un  autre  personnage  aussi  digne  de  mémoire,  si  nous  ne  nous 
trompons,  et  qu'on  a  néanmoins  laissé  jusqu'ici  dans  l'oubli,  peut-être 
parce  que  son  front  se  trouve  orné  de  l'auréole  de  la  sainteté.  Nous  vou- 
lons parler  duB.  Charles  de  Blois,  duc  de  Bretagne. 

Ce  prince,  qui  s'était  élevé  à  un  degré  de  culture  intellectuelle  fort  rare 
à  son  époque,  déploya  en  outre  un  zèle  et  une  générosité  an-dessus  de 
tout  éloge  pour  faire  exécuter  en  beaucoup  de  lieux  de  magnifiques  œu- 
vres de  sculpture,  de  peinture,  d'architecture,  etc.  Son  règne  ducal  (1341- 
1362),  bien  que  troublé  par  une  guerre  intestine,  fut  une  époque  des  plus 
fécondes  pour  l'art  chrétien  dans  la  péninsule  armoricaine.  C'est  grâce 
aux  nombreux  travaux  qui  furent  réalisés  sous  sa  direction  et  le  plus 
souvent  à  ses  frais,  qu'on  a  pu  dire  récemment,  dans  un  ouvrage  qui  fait 
autorité:  «  Le  XIV" siècle  est  le  siècle  le  plus  brillant  de  l'art  en  Bretagne, 
«  comme  il  est  sans  contredit  le  siècle  oii  cette  péninsule  eut  la  plus 
(i  grande  importance  politique  n  '. 

L'étude  du  procès  de  canonisation,  dont  Charles  de  Blois  a  été  honoré 
après  sa  mort,  et  celle  des  inventaires  originaux,  placés  à  la  suite  de  ce 
document  comme  pièces  de  conviction,  nous  révèle  au  sujet  de  ces  travaux 
et  de  ces  œuvres  d'art  exécutés  par  les  ordres  de  l'époux  de  Jeanne  de 
Penthièvre,  tout  un  ensemble  de  faits  et  de  témoignages  du  plus  haut  in- 
térêt et  du  plus  grand  poids.  Il  importe  d'autant  plus  de  mettre  les  uns  et 
les  autres  en  lumière,  que  de  la  sorte,  en  vengeant  une  noble  mémoire  de 
l'oubli  qui  pèse  injustement  sur  elle,  on  pourra  encore  contribuer  à  jeter 
un  certain  jour  sur  l'état  général  des  arts  et  de  l'industrie  au  milieu  du 
XIV^  siècle.  Tel  est  le  double  but  que  nous  voudrions  atteindre  dans  ce 
présent  travail.  Sans  avoir  la  prétention  de  déterminer  dans  le  détail  le 
nom  et  le  nombre  des  églises  cathédrales,  monastiques  ou  paroissiales 
que  notre  pieux  duc  construisit  à  neuf,  répara  ou  enrichit  de  mille  ma- 
nières, sans  essayer  non  plus  de  dresser  le  catalogue  complet  des  peintu- 
res, des  sculptures  et  des  autres  œuvres  d'art  qu'il  fit  exécuter,  nous 
espérons  cependant  en  dire  assez  pour  établir  que  ce  prince  étendit  sa 
sollicitude  à  la  plus  grande  partie  de  la  Bretagne  et  laissa  partout  des 
gages  non  équivoques  de  la  pureté  de  son  goût  comme  artiste,  et  de  sa 
munificence  comme  prince  chrétien. 

Nous  commencerons  par  quelques  détails  biographiques  sur  celui  dont 
nous  voulons  faire  ressortir  la  protection  accordée  aux  arts. 

'  Hist.  litt.  de  la  Fraiicc,  t.  XXIV,  p.  014. 


27G  I.l::    H.    CHAIÎLES    DE    HLOIS 

1"  Le  B.  Charles  de  Hlois  naijuiteii  1319  au  château  de  Blois.  Il  eutpour 
père  Guy  !I  de  Chatillon,  comte  de  Blois,  et  pour  mère  Marguerite  de 
Valois,  sœur  de  Philippe  VI,  roi  de  France.  Notre  futui-  duc  do  Bretagne 
fut  élevé  avec  soin  diins  le-^  [dus  profonds  sentiments  de  la  piété  et  de  la 
crainte  de  Dieu.  Docile  à  de  tels  enseignements,  il  y  répondit  dès  le  ber- 
ceau par  un  si  grand  zèle  pour  la  prière  et  les  œuvres  de  charité,  par  de 
si  houleuses  dispositions  pour  la  vertu,  qu'à  l'àg^'  de  seize  ans  il  billlait 
déjà  de  l'éclat  des  miracles. 

L'éducation  littéraire  du  jeune  prince  ne  fut  pas  au-dessous  de  son  édu- 
cation religieuse. 

Ch;'.rles  de  Hlois,  confié  à  des  gouverneurs  et  à  des  maîtres  aussi  ins- 
truits que  pleins  de  sollicitude,  se  livra  à  l'étude  avec  une  ai'deur,  une 
continuité  et  une  patience  qu'aucune  difficulté  ne  pouvait  rebuter.  Il  y 
acquit  des  connaissances  variées  et  étendues  et  mérita  de  passer  en  son 
temps  pour  un  prodige  de  scitmce  ^  La  littérature  sacrée  en  particulier 
faisait  ses  délices  ;  son  âme  naturellement  poéti(|ue  recherchait  partout  et 
jusques  dans  ses  prières  habituelles  les  formes  gracieuses  du  rythme,  de 
la  mesure  et  de  la  cadence  '. 

Les  premières  années  de  Charles  de  Blois  s'écoulèrent  de  la  sorte,  à  la 
fois  douces  et  paisibles,  toujours  sérieusement  occupées  tantôt  à  des  ob- 
jets d'étude,  tantôt  à  des  œuvres  de  piété  et  de  charité.  U  atteignit  ainsi 
sa  dix-huitième  année  ;  et  c'est  alors  que  son  oncle  le  roi  de  France  lui  fit 
contracter  mariage  avec  Jeanne  de  Bretagne,  déjà  comtesse  de  Penthiè- 
vres,  de  Goello  et  d'Avaugour  et,  de  plus,  héritière  présomptive  du  duché 
de  Bretagne  (juin  lo37j.  Cette  union  amena  une  transformation  totale 
dans  l'existence  du  jeune  puîné  de  Guy  de  Chatillon.  On  sait,  en  effet, 
que  quatre  années  après  que  le  mariage  en  question  eut  été  conclu, 
Jeun  ili  duc  de  Bretagne  étant  venu  à  mourir  (30  avril  1341),  l'époux  de 
Jeanne  de  Penthiôvre  se  vit  disputer  les  armes  à  la  main,  par  un  compé- 
titeur puissant,  la  possession  du  riche  héritage,  qui  vaquait,  par  cette  mort, 
en  sa  faveur.  De  là  l'héroïque  et  sanglante  guerre  de  la  succession,  {i3M- 
13Gi).  Ce  n'est  pas  ici'le  lieu  d'en  retracer  les  péripéties,  les  alternatives 
diverses  de  succès  et  de  revers,  et  le  douloureux  dénouement  final.  Di- 
sons seulement  pour  l'intelligence  de  ce  qui  va  suivre,  qu'on  peut  y  dis- 

'  Act.  citnoiti^at.  Caioli  Blcs  ,  t.  II,  fol.  49_et^50,  mss.  lat.  de  la  IJibl.  natio- 
nale, n°  .5381  A,  2  in  i'olio. 

^  «  Crédit  (testis)  per  juiauieiituui  quod  scieiilia  luit  mugis  diviuitus  inspirata 
Carulo  quani  ab  honiinibus  aciiuisita.  n  Ibid.,  t.  I,  fol.  ')()  «t  100. 

•*  Ibid.,  t.  I,  fol.  158. 


LK    U.   CHARLEi^    DE    BLOIS  277 

tinguer  trois  phases  principales  :  la  phase  du  tiiomphe  (13-41-1347),  celle 
où  Charles  de  Blois  vit  habituellement  la  victoire  s'attacher  à  son  dra- 
peau; en  second  lieu,  la  phase  de  la  captivité,  pendant  laquelle  l'époux  de 
Jeanne  de  Penthièvre  fut  condamné  à  languir  dans  une  dure  prison 
(1347  1331);  enfin  la  phase  lugubre  qui  eut  pour  terme  la  défaite  d'Auray 
et  la  mort  de  notre  vertueux  prince  (1363-1364).  Or,  entre  ces  deux  der- 
nières phases,  du  mois  de  juillet  1337  au  mois  de  juin  1363,  il  y  eut  un 
intervalle  notable  de  répit  et  de  paix,  (Juelque  chose  d'analogue  s'était  vu 
également  en  1343  et  1344,  et  peut-être  à  d'autres  époques  moins  connues 
delà  vie  de  notre  saint  prince.  Ce  furent  ces  intervalles  de  paix,  plus  ou 
moins  prolongés,  que  Charles  de  Blois  s'empressa  de  metti'C  à  profit  pour 
cicatriser  les  plaies  causées  par  la  guerre.  C'est  alors  qu'il  s'appliqua  à 
multiplier  les  œuvres  d'art  en  Bretagne,  à  doter  tout  le  pays  des  monu- 
ments de  sa  pieuse  munificence  et  de  son  inépuisable  charité.  Le  moment 
est  venu  pour  nous  d'entrer  à  cet  égard  dans  quelques  développements. 
Montrons  d'abord  comment  sa  sollicitude  s'étendit  au  moins  à  toute  la 
partie  de  la  Bretagne  qui  reconnaissait  ses  lois. 

II.  —  En  tête  des  villes  de  l'Armorique,  qui  ont  eu  une  large  part  aux 
libéralités  religieuses  et  artistiques  de  l'époux  de  Jeanne  de  Penthièvre,  il 
faut  placer  sans  contredit  Guingamp,  alors  capitale  du  comté  même  de 
Penthièvre. 

Cette  ville,  aujourd'hui  réduite  à  une  seule  paroisse  par  le  malheur  des 
temps,  en  comptait  alors  au  moins  trois  :  la  Trinité,  Saint-Sauveur  et 
Saint-Michel.  De  plus  elle  offrait  dans  son  enceinte  ou  dans  sa  banlieue 
une  grande  abbaye  de  chanoines,  celle  de  Sainte-Croix,  deux  couvents 
importants,  l'un  de  Frères-Mineurs,  l'autre  de  Frères-Prêcheurs,  une  cha- 
pelle de  pèlerinage  des  plus  fréquentées,  Notre-Dame  de  Bon-Secours,  et 
quelques-autres  oratoires  publics.  Or,  ces  églises,  ces  chapelles,  ces  maisons 
religieuses  reçurent  toutes  de  notre  pieux  duc  de  nombreux  et  riches 
présents  ;  ses  largesses  toutefois  se  répandirent  avec  une  abondance  par- 
ticulière sur  la  dévote  chapelle  de  Notre-Dame,  sur  le  couvent  des  Domi- 
nicains, et  plus  encore  sur  celui  des  enfants  de  Saint-François,  où  il  avait 
choisi  dès  134Ç  sa  propre  sépulture  et  celle  de  sa  femme  ^ 

Rennes,  la  capitale  du  duché  armoricain,  ne  fut  guère  traité  avec  moins 
de  libérante  que  Guingamp.  Ainsi  les  églises  abbatiales  de  Saint-Melaine 
et  de  Saint-Georges  reçurent  l'une  et  l'autre  de  notre  prince  une  relique 
de  S.  Yves  avec  le  reliquaire,  qui  devait  la  contenir  ^.  De  plus,  vers  cette 

'  Act.  caH..t.  I,  fui.  125,  138,  160,  etc.;  t.  II,  fol.  387-393. 
^  Ibid.,  fol.  154. 


278  LK    B.    CHARLES    DE    BLOIS 

époque  (l3o8),  on  commença  dans  cette  ville,  sans  nul  doute  sous  les 
auspices  et  avec  le  concours  du  même  duc,  à  récdifier  l'église  paroissiale 
de  Toussaint,  à  construire  à  neuf  les  dévotes  chapelles  de  Sainte- Anne  et 
du  glorieux  prêtre  de  Tréguier,  dont  le  nom  vient  d'être  prononcé  *.  Ce 
fut  cependant  la  cathédrale,  Saint-Pierre  de  Rennes,  I'Eglise  majeure  de 
tout  le  duché,  qui  fut  favorisée  par  le  successeur  de  Jean  III  des  olî'randes 
les  plus  magnifiques. 

On  travaillait  depuis  un  siècle  et  demi  (1187)  à  la  reconstruction  de  ce 
sanctuaire,  quand  l'époux  de  Jeanne  de  Penthièvre  gravit  les  degrés  du 
trône  ducal;  malgré  cela,  l'œuvre  était  encore  loin  d'être  arrivée  à  son 
terme,  les  troubles  politiques  et  les  guerres  n'ayant  cessé  de  mettre  obs- 
tacle à  sa  poursuite.  Notre  duc  s'empressa  de  faire  reprendre  les  travaux 
dès  que  cela  lui  fut  possible,  c'est-à-dire  aussitôt  après  la  trêve  du  mois 
de  juillet  1357  '^,  et  cette  fois  ils  furent  poussés  avec  tant  d'activité,  qu'au 
bout  de  deux  années  le  monument  était  achevé,  et  qu'on  pouvait  songer  à 
en  célébrer  solennellement  la  dédicace. 

Cette  imposante  cérémonie  eut  lieu,  en  effet,  le  dimanche  3  no- 
vembre 1339.  Elle  revêtit  un  tel  éclat  que  les  chroniques  contemporaines 
en  ont  inscrit  le  souvenir  dans  leurs  fastes  ordinairement  fermés  pour  de 
pareils  détails  ^;  la  fonction  sainte  fut  accomplie  par  Pierre  de  Guemené, 
qui  venait  d'échanger  le  siège  de  Saint-Pol  de  Léon  pour  la  chaire  de 
S.  Amand  et  de  S.  Melaine.  On  ignore  si  notre  B.  prince  eut  la  consolation 
d'assister  à  une  solennité  que  les  rois  et  les  empereurs  chrétiens  ont  sou- 
vent honorée  de  leur  présence,  mais  il  est  toujours  certain  qu'on  l'a  vu,  en 
d'autres  occasions  analogues,  se  faire  un  devoir  de  présider  en  personne  à 
des  cérémonies  religieuses,  témoin  la  pose  de  la  première  pierre  des  deux 
hôpitaux  de  Saint-Martin  de  Guingamp  et  de  Toussaint  de  Nantes  *,  et 
celle  de  la  chapelle  de  Saint-Yves  de  Guingamp.  Charles  de  Blois  avait  à 
ses  côtés  dans  cette  dernière  circonstance  l'évêque  de  Saint-Malo  et  l'abbé 
de  Boquien  ^ 

L'époux  de  Jeanne  de  Penthièvre,  non  content  d'ailleurs  d'avoir  ainsi 
contribué  dans  une  large  mesure  à  la  reconstruction  de  la  cathédrale  de 

^  Cf.  M.  de  la  Bigne-Villeneuvc,  Mémoire  sur  les  anciens  monuments  religieux 
et  civils  de  Rennes.  [Bulletin  de  l'Association  bretonne,  ann.  1851,  t.  II,  p.  128, 
130,  131.) 

-  Mélanges  dliisloire  et  iVard.éol,  bret.,  t.  II,  p.  38. 

•■'  Chron.  Britannic.  (Preuv.  de  Bret.,  t.  I,  c.  11  î.) 

^  Act.  can.,  t.  I,  fol.  28(i,  -289. 

\Ibid,  lo\.  138. 


Lli    H.   CHAHLES    1)K    Ul.OlS  2~\i 

Rennes  se  plut  encore  à  enrichir  cette  même  église  de  mugniliqnes  vitraux 
coloriés  et  à  personnages  ^;  ainsi  qu'à  la  pourvoir  d'ornements  siierés  et  de 
tapisseries  d'Arras  du  plus  grand  prix  -.  Enfin  il  y  fonda  et  pourvut  d'une 
riche  dotation  la  double  chapelle  de  Saint-Yves,  et  des  saints  rois  Judicaël 
et  Salomon  ^ 

Charles  de  Blois  n'eut  garde  d'oublier  non  plus  dans  ses  libéralités  la 
ville  de  Nantes,  la  première  de  tout  le  duché  par  le  chiffre  de  sa  popula- 
tion, et  par  l'étendue  de  ses  relations  commerciales.  Il  commença  par  y 
coopérer  efficacement  à  la  reconstruction  des  églises  de  Saint-Laurent  et 
du  Carmel  *.  Plus  tard  il  fit  bâtir  à  ses  frais,  sur  les  ponts  de  cette  ville,  la 
chapelle  de  Sainte-Magdeleine  ^  Il  ajouta  en  outre  six  nouvelles  prébendes 
à  celles  que  possédait  déjà  l'église  des  saints  Donatien  et  Rogatien  ®.  Enfin 
il  fit  orner  de  ravissantes  peintures  tout  le  pourtour  du  chœur  des  Domini- 
cains de  la  même  ville  '. 

A  Lamballe,  l'époux  de  Jeanne  de  Penthièvre,  pour  première  preuve 
de  sa  générosité,  s'engagea  à  solder  à  la  fabrique  du  vénéré  sanctuaire 
de  N.-D.  une  rente  annuelle  de  25  liv.  en  compensation  des  dommages 
qu'il  avait  soufferts  pendant  la  guerre.  11  en  vint  en  outre,  vers  1360  en- 
viron, après  la  cessation  des  hostilités,  à  donner  des  oriires  pour  la  re- 
construction du  chœur  même  de  cette  église.  Une  souscription  fut  ouverte 
à  l'effet  d'en  couvrir  les  frais,  et  le  religieux  duc  s'inscrivit  en  tête  de  la 
liste  pour  une  somme  annuelle  de  90  florins  ^ 

Les  Augustins  de  la  même  ville  eurent  également  part  aux  pieuses  libé- 
ralités de  Charles  de  Blois®  mais  cependant  dans  une  moindre  mesui-e  que 
les  Franciscains  et  les  Dominicains  de  Dinan.  Ces  deux  derniers  couvents 
reçurent  de  lui  des  dons  de  tout  genre  en  ornements  sacrés,  en  reliques 
et  reliquaires,  etc.  Leurs  églises  furent  de  plus  enrichies  par  lui  des 
plus  belles  œuvres  d'art  i".  Enfin,  notre  duc  songeait  encore  à  doter 
cette  même  ville  de  Dinan  d'un  monastère  de  religieuses  Clarisses,  lors- 


'  Ac{.  can.,  t.  ï.  fol.  .M,  4 -.'G,  etc. 
2  Ibid. 

^  Ibid.,  fol.  129,  139,  !9;s. 
*  Ibid.,  fol.  51. 
•'  Ibid  ,  fol.  33 'i. 
^  Ibid.,  fol.  139. 
'  Ibid.,  fol.  126. 

*•  Act.  can.,  t.  II,  fol.  -i03  et  Wi. 
"  Ibid.,  fol.  40i. 
'»  Ibid.,  t.  I,  fol.  98,  139,  198,  etc. 


280  I.K    U.   CHAIM.I.S    DK    ULOIS 

que  la  mort  vint  inopinément  trancher  le  conrs  de  ses  jours  précieux  '. 

Morlaix,Tréquier,  quelques  autres  villes  encore  et  beaucoup  de  [aroisses 
de  cairjpac,ne  ou  de  lieux  de  prière  attirèrent  également  en  Mon  des  cir- 
constances ratfoiition  de  Charles  de  Blois  et  devinrent  de  sa  part  l'oljjet 
de  nouvelles  libéralités  du  môme  genre  ^,  mais  nous  n'essaierons  pas  d'en 
présenter  ici  une  plus  longue  énumération.  Un  trait  d'ailleurs  résume  tout 
à  cet  égard,  et  en  dit  plus  que  beaucoup  de  paroles.  L'époux  de  Jeanne  de 
Penthièvi'i-,  digne  émule  de  S.  Louis  et  des  princes  les  plus  pieux  des  âges 
de  foi,  ne  passait  jamais  en  voyage  devant  une  église  sans  descendre  de 
cheval  et  s'arrêter  au  seuil  de  la  maison  de  Dieu,  non  seulement  pour  y 
prier,  mais  aussi  pour  se  rendre  compte  par  ses  pi'opres  ytuix  de  l'état 
matériel  de  l'édifice  sacié,  et  de  sim  ornementation  extérieuie  et  inté- 
rieure. Le  lieu  saint  portait-il  les  traces  de  l'abandon  et  d'une  négligence 
coupables?  y  trouvait-on  des  images  ou  des  tableaux  de  mauvais  goût, 
peu  propres  à  exciter  la  dévotion  et  la  piété?  Le  vertueux  duc  se  montrait 
vivement  affligé  de  ce  désordre,  et  ne  manquait  pas  alors  de  faire  com- 
paraître devant  lui  le  prêtre  qui  était  [iiéposô  à  la  garde  de  cette  demeure 
terrestre  de  la  majesté  divine.  T/était  pour  l'avertir  chaleureusement  d'ê- 
tre plus  attentif  à  l'avenir  à  remplir  le  devoir  de  sa  charge  pastorale. 
Mais  cela  fait,  l'humble  et  charitable  Censeur  s'empressait  d'adoucir  l'a- 
mertume de  sa  correction  en  ouvrant  sa  piopre  cassette,  en  donnant  lar- 
gement de  quoi  solder  les  premiers  frais  de  réparation,  et  de  quoi  renou- 
veler les  pieuses  images  qui  ornaient  le  lieu  saint  ^. 

11  faut  ajouter,  pour  être  complet,  que  le  peuple  fidèle  était  si  habitué 
à  entendre  enumérer  pendant  les  offices  divins  la  série  des  présents  de 
tout  genre  ofierts  quasi-hebdomadairement  par  le  saint  duc  à  leurs  églises, 
qu'on  nous  a  conservé  la  formule,  dont  on  se  servait  en  cette  circonstance. 
Elle  ne  diffère  pas  sensiblement  de  celle  qui  est  encore  pi'ésentemcnt  en 
usage  dans  plu-ieurs  diocèses  de  Bretagne. 

Le  prêtre  disait  donc  du  haut  de  l'ambon  en  faisant  l'ostension  des 
objets  eux-mêmes  :  ((  Vous  n'oublierez  pas,  mes  frères,  dans  vos  prières, 

'  .-/cf.  can.,  fol.  84. 

»  Ihid.,  fol.  51,  71,  97. 

^  «  Multoties  (luin  R(iuitahat  pttraiisih.it,  prop(i  (>cclo.sias,  dc>,{-('ii!lebat  de  equo, 
ut  accedebat  ad  ipsas,  ut  in  eisdeni  oi  ationes  et  suffiagia  sua  diiebat,  ul  si  repe- 
riret  quod  aliqiia  illanun  essent  disco()perta\  vel  qnod  esset  aliqiia  indecoiitia 
vel  irdionestas  in  iinaginibus  vel  alias,  i|i.-(>  htatiiu  recloies  scu  iiiiiiiKtios  ecclcbia- 

rnm  ad  se  vocari  faciebat,  etc. ut  ipso  de  suo  pecuiiias  pro  eccleoiis  coope- 

riundis  et  dictis  imagiiiibus  reficiendis  tribui  faciebat  socratius  quam  poterut.  » 
^ct.  Cil)}.,  i.  I,  fol.  271,  etc. 


LE    D.  CHARLES    DE    BLOIS  281 

«  Monseigneur  Charles,  duc  do  Bretagne.  Sa  pieuse  libéralité  vient  de 
((  nous  faire  de  nouvelles  ofl'randes  en  joyaux,  vêtements  sacrés,  reli- 
«  quaires  ^  » 

Charles  de  Blois  n'était  pas  seulement  duc  de  Bretagne,  il  était  aussi 
vicomte  de  Limoges,  mais  nous  manquons  de  renseignements  sur  les 
libéralités  particulières  dont  les  églises  du  Limousin  durent  être  l'objet 
de  sa  part.  Tout  ce  que  nous  savons  à  ce  sujet,  c'est  que  quelques  mois 
avant  la  bataille  d'Auray,  oii  il  devait  perdre  la  vie,  il  envoya  une  riche 
aumône  pour  contribuer  à  la  reconstruction  de  l'antique  église  de  Saint- 
Michel  des  Lions  de  Limoges  \  Comment  douter  cependant  que  le  souve- 
nir de  beaucoup  d'autres  donations  du  même  genre  ne  se  soit  malheureu- 
sement perdu,  et  n'ait  pu  arriver  jusqu'à  nous? 

Ilf.  Après  ce  court  aperçu  d'ensemble  sur  les  immenses  libéralités  de 
Charles  de  Blois,  et  sur  les  nombreux  travaux  d'art  qu'il  fit  exécuter,  nous 
allons  essayer  de  descendre  un  peu  dans  le  détail  et  de  faire  ressortir 
brièvement  le  mérite  au  moins  relatif  des  (euvres  d'architecture,  de  sculp- 
ture, de  peinture  et  d'orfèvrerie  qui  furent  réalisées  sous  son  règne  et 
souvent  sous  sa  direction  personnelle. 

Et,  d'abord,  quant  aux  travaux  d'architecture,  ils  sont  nombreux 
comme  on  vient  de  le  voir  par  l'énumération  des  églises  ou  chapelles  que 
ce  religieux  prince  a  rebâties,  réparées  ou  construites  à  neuf,  mais  il 
serait  difficile  d'en  apprécier  la  beauté  et  la  valeur  artistique  à  cinq  siècles 
de  distance,  le  temps  et  les  lévolutions  n'ayant  presque  rien  respecté  de 
ce  que  le  successeur  de  S.  Judicaël  avait  élevé  avec  tant  de  zèle  et  de 
sollicitude. 

Le  chœur  de  Notre-Dame  de  Lamballeest  peut-être  la  seule  pièce  encore 
debout  actuellement.  Or  il  ne  manque  pas  de  mérite  en  son  genre.  La 
cathédrale  de  Rennes,  celle  de  1359,  exciterait  cependant  bien  plus  vive- 
ment notre  admiration  si  elle  avait  pu  résister  aux  injures  des  temps.  Ses 
vastes  dimensions  (114  mètres  de  long  sur  22  de  large),  ses  fenêtres  nom- 
breuses ornées  de  riches  verrières,  ses  chapelles  artistement  décorées, 
et  l'harmonieux  ensemble  de  ses  parties  en  faisaient  à  tous  égards  un 
véritable  monument,  et  la  rendaient  digne  de  servir  de  principal  ornement 
ù  la  capitale  d'une  province  aussi  catholique  que  la  Bretagne  '\ 

*  «  Quando  Carolus  aliqua  jocalia,  parata  vel  vestiinenta  dederat,  dominica  se- 
quenti  ostendebantur  populo,  et  dicobatur  :  Orale  pro  Domino  Carolo,  duce 
Biitannifc,  qui  ha'c  et  alla  dédit.  »  Acl.  coji.,  t.  I,  fol.  350. 

-  .M.  Marvaud,  Ilist.  de  la  vicomte  et  des  vicomtes  de  Limoges,  t   L  p.  389. 

^  V.  le  relevé  des  richesses  artistiques  de  Saint-Pierre  de  Rennes  avant  1756 
(Arch.  dcpurtem.);  —  Cf.  AL  de  lu  Bigne-Villeneuve,  Mémoire,  déjà  cité,  p.  H 04. 

II«  série,  tome  II.  *1 


282  LF.    R.   CHAUr.KS    DE    I3L0IS 

Les  œuvres  dcscul;ituie  religieuse  ordonni^es  parCliarles  deBlùis  nous 
sont  encore  moins  connues  que  les  travaux  d'arcliitecture  qui  furent  réali- 
sés sous  sa  direction. 

On  ne  nous  a  conservé  que  le  souvenir  de  celles  dont  il  enrichit  la  ville 
deGuingamp.  Le  pieux  Duc  y  lit  sculpter  en  bois  avec  une  grande  perfec- 
tion dix-huit  statues  d'anges.  Les  six  premières  furent  destinées  à  servir 
de  couronnement  aux  piliers  qui  entouraient  le  chœur  de  la  chapelle  de 
Notre-Dame  de  Bon-Secours  \ 

Les  douze  autres  représentaient  des  Chérubins  aux  ailes  étendues,  et 
vinrent  orner  scmblublement  le  pourtour  du  chœur  des  églises  conven- 
tuelles de  Saint-Dominique  et  de  Saint-François  -. 

Nous  avons  plus  de  détails  sur  les  œuvres  de  peinture  que  la  Bretagne 
dut  à  la  piété  de  son  prince.  Ainsi  il  fit  décorer  le  chevet  de  la  cathédrale 
de  Rennes  de  magnifiques  vitraux  coloriés  età  personnages  dontil  surveilla 
lui-même  l'exécution,  afin  que  tout  y  fut  marqué  au  coin  du  bon  goût  et 
pleinement  digne  d'un  lieu  aussi  vénérable  ^.  Ceux  qui  nous  ont  fait  con- 
naître les  vitraux  en  question,  comme  témoins  oculaires,  dans  renquôLe 
de  canonisation,  n'ont  pas  d'ailleurs  assez  de  paroles  pour  dire  quelle  en 
était  la  richesse,  la  beauté  et  l'éclat  *. 

Non  content  d'avoii'  fait  lambrisser  et  paver  en  partie  en  mosaïque 
l'église  conventuelle  des  Frères-Mineurs  de  Guingamp,  Charles  de  Blois 
l'enrichit  encore  semblablement  d'un  grand  vitrail,  et  l'orna  de  peintures 
murales  dans  tout  son  ensemble  '". 

Il  en  agit  avec  la  même  munificence  à  l'égard  deS  Frères-Mineurs  de 
Dinan,  des  Dominicains  de  Guingamp  et  de  Nantes.  «  J'ai  vu  les  peintures 
«  de  l'église  de  Saint-Dominique  de  Guingamp,  »  nous  dit  de  nouveau 
un  témoin  oculaire,  le  P.  Derien,  de  l'Ordre  des  Frères-Mineurs,  «  les 
«  couleurs  en  sont  vives  et  éclatantes.  On  y  admire  principalement,  les 
(i  images  des  Saints  Rois  de  Bretagne,  qui  ont  été  honorés  d'un  culte  pu- 
«  biic.  Elles  décorent  tout  le  pourtour  du  grand  autel.  L'humble  prince 

'  Act.  can.,  t.  I,  fol.  9ô. 

«  Ibid.,  fol.  97,  et  t.  II,  fol.  397. 

^  «  lu  capite  Ecclesitc  Redoncnsis  vitrcari  facit  de  magnis  et  pulclierrirais  vitreis, 
et  pulcliris  et  decenti^us  coloribus  cum  decentibus  imaginibus  ibidem  depictis.  » 
Ibid.,  1. 1,  fol.  51,  126,  etc. 

'*  Ibid. 

'■'  «  Ecclesiarn  Miuornm  Guengiimpensium  facit  lambruscari  et  pavimentum  ab 
ingressu  chori  usque  ad  majus  altare  de  lapidibus  quadratis  et  diversorum  colo- 
rum. . .  In  cadem  vitream  magnam  fecit  fieri  et  totam  depingi  suis  suniptibus.  » 
Ibid.y  fol.  197,  etc. 


LE    B.  CHARLES    DE    BLOIS  283 

«  s'est  fait  représenter  au  bas  du  tableau  à  genoux  et  dans  Tattitude  de 
«  la  prière,  mais  cependant  orné  des  marques  distinctives  de  sa  dignité 
«  ducale  \  » 

A  Nantes  et  à  Dinan,  les  peintures  qui  s'exécutèrent  sous  la  direction 
personnelle  de  notre  religieux  Duc,  étaient  également  des  peintures  histo- 
riques et  nationales  particulières  à  la  Bretagne  -. 

L'époux  de  Jeanne  de  Penthièvre  ne  se  borna  même  pas  à  cela.  Nous 
le  voyons  encore  commander  plusieurs  autres  travaux  analogues,  faire 
dresser,  par  exemple,  chez  les  Frères-Mineurs  de  Dinan  un  Arbre  de  la 
vie  de  S.  François  ^  réunir  dans  un  même  tableau,  chez  les  Dominicains 
de  Guingamp,  les  Saints  et  les  Bienheureux  de  leur  Ordre  *. 

Or  ce  soin  de  grouper  dans  une  seule  et  même  peinture  tantôt  les 
gloires  nationales  du  peuple  Breton,  tantôt  les  gloires  domestiques  d'une 
famille  religieuse,  nous  apparaît  comme  un  des  gages  les  moins  équi- 
voques dujiaut  degré  de  culture  intellectuelle  auquel  s'était  élevé  Charles 
de  Blois. 

Ce  genre  de  peinture  historique  fut  d'ailleurs  celui  dans  lequel  excel- 
lèrent vers  ce  même  temps  deux  des  plus  grands  artistes  Italiens  du  XIV 
siècle,  Simon  Memmi  et  Taddeo  Gaddi  '. 

Poursuivons  notre  sujet. 

Outre  ces  peintures  de  grande  dimension  dont  nous  avons  présenté  un 
relevé  assurément  fort  incomplet,  Charles  de  Blois  en  fit  exécuter  beau- 
coup d'autres  sur  une  moindre  échelle. 

C'étaient  tantôt  de  simples  cadres  dans  lesquels  on  enchâssait  avec  art 
de  saintes  images  d'un  travail  achevé  '^i  d'autres  fois  de  petits  tableaux 
peints  à  grands  frais,  avec  une  rare  perfection,  et  d'après  les  principes 

'  «  Depingi  facit  Carolus  Ecclesiam  Prœdicatorura  pulcherrlmis  et  nobilibus 
coloribus  in  parietibus  circum  majus  altare,  et  sunt  ibidem  depictfc  imagines 
sanctorum  de  Britannia,  qui  fueruut  de  génère  regum,  et  imaginem  Caroli  cum 
armis  Britannice  flexis  genibus  coram  imaginibus  supra  dictis.  Act.  can.^  1. 1,  f.  96. 

^  Ibid.,  fol.  98,  126,  etc. 

*  «  In  conventu  minorum  Dinanni  fieri  fecerat  unam  arborem  vitce  S.  Fran- 
tisci.  »  Ibîd.,  t.  II,  fol.  120. 

*"  «  In  Ecclesia  fieri  fecerat  imagines  sanctorum  de  ordine  Praîdicatorura.  » 
Ibid.,  t.  I,  fol.  9a. 

^  Ce  renseignement  nous  a  été  fourni  bienveillarament  par  le  savant  M.  Cou- 
rajod  (du  musée  du  Louvre)  que  nous  avions  consulté  sur  l'origine  des  peintures 
historiques  de  ce  genre. 

^  «  Erant  quscdam  tabuke  pulcherrimte  depictic  imaginibus  pretiosis.  »  Act. 
ccm.,  t.  I,  fol.  98. 


284  I.E    n.   CilARLKS    DE    BLOIS 

de  l'école  lombarde,  etc.  '.  Nous  manquons  de  renseignements  plus  dé- 
taillés sur  ce  sujet,  mais  si  on  se  rappelle  ce  qui  vient  d'être  dit  du  zèle 
avec  lequel  notre  religieux  prince  s'appliquait  à  renouveler  les  images 
des  saints  partout  oii  elles  étaient  dégradées  et  peu  propres  à  exciter  la 
dévotion,  on  en  conclura  sans  peine  combien  durent  être  nombreuses 
les  richesses  artistiques  de  ce  genre,  dont  sa  munificence  enrichit  U  Bre- 
tagne. 

La  sollicitude  de  Charles  de  Blois  ne  se  borna  mémo  pas  aux  peintures 
purement  religieuses  et  destinées  aux  églises.  On  le  vit  aussi  s'employer 
avec  zèle  à  orner  et  à  décorer  de  vingt  manières  les  déambulatoires, 
l'infirmerie  et  la  salle  dite  d'Avaugoii/'  du  couvent  des  Franciscains  de  Di- 
nan,  pour  ne  mentionner  que  les  peintures  profanes  dues  à  l'époux  de 
Jeanne  de  Penthièvre,  qui  nous  soient  nommément  coimues  '. 

Mais  c'est  assez  parler  des  travaux  relatifs  aux  arts  du  dessin,  que 
Charles  de  Blois  fit  exécuter  pendant  le  cours  de  son  règne  ducal  avec 
tant  de  générosité  et  avec  un  bon  goût  si  parfait. 

I  V°.  Dans  un  ordre  de  choses  un  peu  différent,  mais  non  moins  digne 
d'attention,  ce  prince  s'appliqua  avec  la  même  libéralité  à  pourvoir  dans 
une  large  mesure  au  vestiaire  et  à  l'ameublement  des  églises,  des  cha- 
pelles de  pèlerinage  et  des  maisons  religieuses  de  son  duché.  Si  nous  vou- 
lions en  faire  l'énumeration,  il  faudrait  désigner  ici  la  cathédrale  de  Hen- 
nés, Notre-Dame  de  Lamballe  et  de  Guingamp,  en  un  mot,  répéter  tous 
les  noms,  qui  se  sont  déjà  présentés  sous  notre  plume.  Contentons-nous 
de  dire  d'une  manière  générale,  que  notre  duc  voulait  avec  raison  que  les 
lieux  de  prière,  surtout  les  plus  fréquentés,  ne  manquassent  en  ce  genre  de 
rien  de  ce  qui  était  nécessaire  pour  rehausser  l'éclat  et  la  pompe  du  culte, 
pour  donner  aux  hommes  du  peuple  une  plus  haute  idée  de  la  Majesté 
divine.  C'est  dans  ce  but  qu'il  multiplia  ses  dons  et  ses  offrandes  en  orne- 
ments sacerdotaux  et  en  vêtements  de  chœur,  y  compris  les  moindres 
comme  surplis  et  aumusses,  en  reliquaires,  en  encensoirs,  en  livres  litur- 
giques, en  tapis  et  parements  d'autel.  Aucun  détail  du  service  divin  ne 
paraît  avoir  échappé  à  son  active  prévoyance.  Les  dépositions  des  témoins 
de  V Enquête  d'Angers  (celle  de  canonisation)  et  les  inventaires  annexés  au 

'  «  Tabulai  alise  depictsc  ad  moduin  Lombardi;e  rnultum  sumptuose  et  délicate.  » 
Ibid.,ïo\.  136.  —  On  ignore  quelle  peut  être  cette  école  lombarde  ou  toscane 
dont  il  est  ici  question,  vu  que  la  première  école  connue^sous  ce  nom  ne  remonte 
qu'au  XV?  siècle  (M.  Courajod,  déjà  cité). 

-  «  Apud  minores  Dinanni  fecit  fieri  pulclierrima  deambulatoria. . .  et  ea  fecit 
depingi  et  aulam  infirraariœ  et  aulam  dictam  de  Valegoria.  »  Act,  can-,  t,  I,  f.  90. 


LE    B.  CHARLES    DE    BLOIS  285 

procès-verbal  de  cette  enquête  nous  offrent  à  cet  égard  les  renseignements 
les  plus  authentiques  et  les  plus  circonstanciés.  11  suffirait  d'établir  un 
parallèle  entre  les  données  qui  nous  sont  fournies  par  cette  double  source 
d'information,  et  celles  qui  résultent  des  documents  du  même  genre  et  de 
la  même  époque  récemment  mis  au  jour  \  pour  constater  qu'à  cette  date 
l'Armorique  n'avait  rien  à  envier  aux  autres  provinces  du  royaume  en  fait 
d'ornements  sacrés  et  d'autres  objets  du  culte,  riches  et  précieux.  Mais  il 
ne  sera  pas  inutile  d'entrer  ici  même  dans  quelques  détails,  ne  serait-ce 
que  pour  aider  tant  soit  peu  à  faire  connaître  quel  était  en  Bretagne,  au 
milieu  du  XiA'''^  siècle,  l'état  de  l'orfèvrerie  et  de  l'industrie  des  tissus. 

Et  d'abord  quant  à  ces  derniers,  la  liste  de  ceux  qui  sont  mentionnés 
est  assez  nombreuse.  Ainsi  il  est  question  tour  à  tour  de  Camoquas  blanc 
travaillé  avec  art,  ^  de  velours  bleu,  rouge  ou  noir,  ^  de  cendal,  de  satin 
rouge,  de  soies  de  diverses  couleurs.  * 

Ailleurs  on  parle  avec  éloge  d'un  grand  d7'op  de  hure  aux  armes  de 
Penthièvre  et  d'Avaugour,  qui  servait  à  couvrir  les  tombeaux  des  ancê- 
tres de  Madame  de  Bretagne  ^ 

Les  couvertures  [Alnatx  vel  corlina)  ou  parements  d'autel  [paramanta] 
pouvaient  être  indifféremment  de  cendal,  de  satin  rouge,  de  velours  ou  de 
soie  de  couleurs  diverses  *^  ;  mais  il  va  sans  dire  que  pour  le  linge  d'autel 
on  ne  pouvait  employer  qu'un  lin  fin  et  délicat  '. 

La  toile  de  Reiras  servait  pour  les  surplis  et  peut-être  en  d'autres  cir- 
constances analogues  *. 

Les  aumusses  des  chanjoines  se  distinguaient  quelquefois  à  Icui'  couleur 
grise  et  vairée  '. 

Quant  aux  chapes,  le  pieux  duc  faisait  en  sorte  qu'elles  fussent  partout 
en  nombre  suffisant  pour  toutes  les  solennités  de  l'année  ecclésiastique  et, 
selon  les  circonstances,  de  laine,  de  soie  ou  de  velours  et  le  plus  souvent 


'  V.  en  particulier  Bévue  des  Sociélcs  scœinttcs,  5'  série,  t.  III,  p.  441  et  suiv. 

-  «  Casula  cuni  stola  et  nianipulo  de  Camoquas  albo  varie  et  artificiose  ope- 
rato.  »  ^ct.  can.,  t.  I,  fol.  138. 

Ubid.,  t.  II,  fol.  391. 

*  Ibid.,  t.  I,  fol.  '.)S\  etc.:  t.  H,  fol.  390-397. 

'  «  Pannum  de  huro  ad  arma  PenthevritL'  et  de  Valegoria  ad  rcpoiienduru 
super  tumulos  antecessorum  Dominai  duciss.e.  »  liid.,  t.  I,  fol.  1-2G. 

«  Ibid.,  t.  I.  fol.  90,  1-:G  ;  t.  II,  fol.  387-393. 

'  Ibid.,  passim. 

^  «  Superpellicea  teko  Remensis.  »  Ibid.,  fol.   137. 

^  «  Almutias  chori  de  griseo  et  vario.  »  Ibid. 


286  LE  B.  CHARLES   DE  BLOIS 

ornementées  ' .  La  cathédrale  de  Rennes  dut  en  particulier  à  la  munificence 
de  son  prince  des  chapes  de  velours  rouge  sur  lesquelles  étaient  brodés  des 
oiseaux  d'argent".  En  d'autres  occasions,  les  armes  de  Bretagne  figuraient 
;i  la  place  d'honneur  sur  ce  vêtement  d'apparat  ^ 

Il  paraît  qu'à  cette  date  les  aubes  pouvaient  non  seulement  être  ornées 
de  dentelle,  mais  aussi  recevoir  des  bordures  de  velours  noir  *. 

En  outre  le  satin  rouge  était  employé  concurremment  avec  la  soie  sim- 
ple, argentée  ou  dorée,  avec  le  velours  rouge  ou  noir  pour  la  confection 
des  chasubles,  étoles  et  autres  vêtements  des  ministres  sacrés  ^ 

On  désignait  alors  sous  le  nom  de  cuapelle  complète  {capella  intégra) 
l'ensemble  des  draperies  de  l'autel,  des  aubes,  des  chapes  et  des  autres 
vêtements  nécessaires  au  prêtre  et  à  ses  ministres  pour  la  célébration 
solennelle  des  saints  mystères. 

Charles  de  Blois  fit  don  de  plusieurs  chapelles  de  ce  genre  à  l'église 
cathédrale  de  Rennes,  à  N.-D.  de  Guingamp,  aux  Dominicains  de  Nantes 
et  de  Dinan  •^,  etc.,  mais  on  sait  assez  que  ce  mot  {capella  intégra)  a  perdu 
aujourd'hui  chez  nous  sa  première  acception. 

Pour  en  finir  avec  ce  qui  regarde  les  tissus  et  les  draperies,  dont  il  est 
question  dans  l'enquête  de  canonisation  de  notre  duc  de  Bretagne,  nous 
n'avons  plus  que  quelques  mots  à  ajouter  sur  les  fabriques  qui  jouissaient 
alors  d'une  particulière  estime. 

Celles  d'Angleterre  tenaient,  paraît-il,  le  premier  rang.  Charles  de  Blois 
les  mit  plus  d'une  fois  à  contribution.  C'est  auprès  d'elles  en  particulier 
qu'il  se  procura  en  13o6,  lors  de  son  retour  de  prison,  douze  grands  tapis 
dont  il  fit  ensuite  présent  à  diverses  églises  '' .  Les  fabriques  de  Bruges  et 
d'Arras  venaient  au  second  rang,  et  notre  prince  eut  également  plus 
d'une  commande  à  leur  faire  *.  Celles  de  Paris  étaient  aussi  entourées 
d'une  haute  considération,  principalement  en  ce  qui  concernait  la  confec- 

'  «  Gappas  abbas,  rubras  et  nigras  ad  tenendum  chorum.  »  Acl.  can.,  1. 1, 
fel.  136,  etc.;  t.  II,  fol.  387  393. 

-  «  Gappas  de  Belvello  rubro  cum  avibus  argenteis  factas  opère  gallice  de  bro- 
derie. »  Ibid.,  t.  I,  fol.  125. 

■'  «  Pluvialia  de  Belvello  albo  cvnn  armis  BritannicO.  »  Ibid. 
«  Albto  de  serico  paratre,  item  de  velveto  nigro.  » 

'^  Ibid.,  t.  I,  f.  138,  etc. 

*  «  Carolus  dédit  unam  Capellam  integram,  videlicet  :  Paramenta  pro  magno 
altari  inferiiis  et  superius  indumenta  pro  sacerdote,  diacono  et  subdiacono,  4  cap- 
pas  et  très  albas  de  serico  paratas.  «  Act.  can,,  t.  I,  fol.  138,  etc.;  t.  II,  fol.  390. 

■  Ibid.,  t.  I,  fol.  3^2. 

»  Ibid.,  t.  I,  fol.  90, 12."),  138,  etc. 


LE    B.  CHARLES    DE    BLOIS  287 

tion  des  vêtements  sacrés  ♦.  Enfin  la  toile  de  Reims  [tela  Rhemcnsis)  ne 
laissait  pas  non  plus  que  d'être  employée  en  Bretagne,  ainsi  qu'il  a  déjà 
été  dit,  ce  qui  prouve  qu'on  lui  avait  reconnu  certaines  qualités  supé- 
rieures. 

V.  Venons  maintenant  aux  croix,  reliquaires,  encensoirs,  et  autres  ob- 
jets d'orfèvrerie  dont  Charles  de  Blois  se  plut  également  à  faire  présent 
aux  églises  et  aux  maisons  religieuses  de  son  duché. 

Et  d'abord  l'orfèvrerie,  considérée  comme  art,  avait  déjà  atteint  en  Bre- 
tagne une  haute  perfection  à  l'époque  où  nous  sommes  parvenus.  Elle  sa- 
vait réaliser  de  véritables  chefs-d'œuvre,  autant  qu'on  en  peut  juger  par 
les  dépositions  des  témoins  de  l'enquête  d'Angers.  Non  contents,  en  efTet, 
d'employer  l'or  et  l'argent  comme  matière,  les  maîtres  les  plus  renommés 
en  cette  profession  excellaient  encore  à  y  enchâsser  habilement  les  perles 
et  les  pierres  précieuses  pour  augmenter  de  la  sorte  la  valeur  des  objets, 
qui  sortaient  de  leurs  mains,  et  leur  donner  un  éclat  incomparable.  Ainsi 
notre  religieux  Duc  offrait  un  jour  en  don  à  l'église  des  Frères  Mineurs  de 
Guingamp  une  grande  croix  d'argent  massif.  Or,  il  avait  eu  soin  d'y  faire 
sculpter  sur  métal  les  saintes  images  de  N.  S.  crucifié, ^de  Marie  au  pied 
de  la  Croix,  et  du  B.  Jean  l'èvangéliste.  11  Tavait  en  outre  enrichie  de  do- 
rures, de  perles  et  de  pierres  précieuses.  Le  poids  total  de  ce  magnifique 
objet  d'orfèvrerie  s'élevait  à  onze  marcs,  et  la  main-d'œuvre  toute  seule, 
n'avait  pas  coûté  moins  de  cent  florins  d'or,  somme  considérable  pour 
cette  époque  -. 

Les  autres  croix,  dont  notre  B.  duc  gratifia  un  grand  nombre  d'églises 
n'étaient  pas  toujours  assurément  du  poids  et  de  la  valeur  de  celle-ci, 
mais  cependant  elles  équivalaient  ordinairement  à  trois  ou  même  huit 
marcs  d'argent.  De  plus,  celles  qui  étaient  destinées  à  être  portées  en 
procession,  offraient  généralement  comme  la  précédente,  avec  la  repré- 
sentation de  N.  S.  attaché  pour  nous  au  gibet  infamant,  celles  de  la  Mère 
des  Douleurs  et  du  Disciple  bien  aimé,  ce  qui  en  augmentait  notablement 
le  prix'.  Sur  l'une  d'elles  on  voyait  même  en  outre  éclater  une  étoile 
d'argent,  peut  être  en  souvenir  de  Toidre  de  chevalerie  appel''    ordre  de 


*  «  Carolus  facit  fieri  sacra  vestimenta  Parisiis  pro  Britannia.  »  /ïcL  can.,  1. 1, 
fol.  339. 

*  «  Carolus  dédit  unam  niagnaia  crucem  argenteam  cum  iniaginibus  B.  Marise 
et  B.  Joannis  Evangelistœ  deaurataiii  et  omatam  margaritis  et  lapidibus  pretiosis, 
pensantera  undecini  marcas,  ciijiis  factura  valet  secunduin  œstimationem  opera- 
riorum  100  llor.  auri.  »  Ihid.,  t.  II,  fol.  390. 

3  Ibid..,  1. 1,  fol.  95,  1-25,  lo8,  etc. 


288  LE   B.  CHARLES   DE   BLOIS 

l'étoile,  qui  fut  institué  en  1352,  et  dont  Charles  de  Blois  a  pu  faire  par- 
tie, quoique  les  monuments  contemporains  aient  gardé  le  silence  sur  cette 
particularité  '. 

Parmi  les  autres  objets  d'orfèvrerie,  qui  servent  au  culte,  les  candéla- 
bres, les  encensoirs,  les  bénitiers  ne  sont  pas  ceux  dont  il  est  moins  sou- 
vent parlé  dans  les  documents  auxquels  nous  empruntons  nos  renseigne- 
ments. 

Les  candélabres  ainsi  otferts  libéralement  par  notre  prince  étaient  assez 
souvent  d'argent  massif  rehaussé  de  dorures,  et  leur  poids  pouvait  s'éle- 
ver jusqu'à  huit  marcs  '. 

Quant  aux  encensoirs,  qui  sont  destinés  à  faire  monter  vers  le  ciel  la 
fumée  odoriférante  et  symbolique  des  parfums  de  la  terre,  le  pieux  Duc 
exigeait  aussi  ordinairement  qu'ils  fussent  dor  ou  au  moins  de  pur  et  bon 
argent  ^.  Il  en  agissait  de  même  à  l'égard  des  bénitiers,  dont  la  destina- 
tion est  de  renfermer  l'eau  merveilleuse  que  la  prière  de  l'Eglise  a  sancti- 
fiée et  rendue  toute  puissante  contre  les  ennemis  du  salut.  On  a  vu  dans 
une  circonstance  le  poids  total  de  deux  bénitiers  et  d'up  encensoir  d'ar- 
gent doré  atteindre  le  chiffre  de  24  marcs  ''. 

11  est  aussi  question  d'un  autre  vase  d'argent  dans  lequel  on  portait  le 
Saint-Sacrement  le  jour  de  la  procession  de  la  Fête-Dieu  '".  Etait-ce  quel- 
que chose  d'analogue  à  nos  ostensoirs  actuels?  Nous  n'oserions  ni  l'affir- 
mer ni  le  niei-,  mais  cependant  la  chose  nous  paraît  assez  peu  probable. 
Nos  monstrances  sont  d'origine  moins  ancienne. 

Les  livres  liturgiques,  Épistolaire,  Évangéliaire  et  autres,  dont  le  pieux 
Charles  de  Blois  aimait  également  à  se  faire  le  distributeur  généreux, 
étaient  soigneusement  garnis  de  fermoirs  d'argent'',  sans  doute  afin  de 
mettre  à  l'abri  de  la  poussière  ou  du  simple  contact  de  l'air  leurs  élégantes 
miniatures,  leurs  riches  enluminures  et  les  pierres  précieuses  qui  les  re- 

'  «  Dédit  B.  Man;e  de  Guengamps  vuiam  magnam  cruceni  argenteam  cum 
imaginibus  crucifixi,  B.  M.  Virginis,  B.  Joannis  Evangelistœ,  et  cum  iina  Stella 
deargentea  omnibus  deauratis.  »  Ect.  can.,  t.  II,  f.  391. 

-  «  Duo  candelabra  argentea  pensantia  octo  marcas  ;  id.  argenti  deaurata.  » 
Ibid.,  t.  II,  loi.  390,  etc.;  t.  II,  f.  1J8,  118,  136,  etc. 

^  0  Unum  thuribulum  aureum.  »  Ibid.,  t.  I,  fol.  95,  137. 

"^  «  Duo  exorcisla  argentea  et  unum  thuribulum  argenti  deauratum  pensantia 
24  marcas  boni  et  puri  argenti.  »  Ibid.,  t.  II,  fol.  391). 

'  «  Qmddam  vas  argenteum  in  qiio  defertur  corpus  Dominis  in  die  consecra- 
tionis  ojusdem.  »  Ibid.,  t.  I,  fol.  S'il. 

'  a  Unum  Epistolarium  et  unum  Evangeliarium  cum  scrraturis  argenteis.  » 
Jbid.,  t.  II,  fol.  39U,  etc. 


LE   B.  CHARLES    DE    BLOIS  289 

couvraient  •.  C'est  cette  circonstance  des  fermoirs  qui  les  fait  relever  de 
l'art  de  l'orfèvrerie  et  nous  a  autorisé  de  la  sorte  à  les  mentionner  à  cette 
place. 

Mais  entre  toutes  les  parties  du  mobilier  sacré  nulle  ne  paraît  avoir  at- 
tiré l'attention  du  religieux  Charles  de  Blois  à  l'égal  des  vases  ou  instru- 
ments destinés  à  procurer  d'une  manière  immédiate  l'honneur  des  saints 
et  des  amis  de  Dieu  déjà  en  possession  de  la  gloire  du  ciel. 

Nous  avons  nommé  les  reliquaires. 

La  tradition  chrétienne  s'est  plu  à  donner  avec  beaucoup  de  raison  le 
nom  de  TRÉSOR  par  excellence  -  à  l'ensemble  des  ossements  sacrés  que 
possède  une  église  cathédrale  ou  collégiale,  un  monastère,  etc.  On  sait, 
en  outre,  que  l'histoire  ecclésiastique  dans  les  âges  de  foi  est  toute  rem- 
plie du  récit  des  faits  consolants  et  touchants  oii,  à  l'occasion  de  la  trans- 
lation de  quelque  corps  saint,  pontifes  et  empereurs,  princes  et  magis- 
trats, clergé  et  peuple,  s'empressent  à  l'envi  d'honorer  cette  cérémonie 
de  leur  présence  et  d'entourer  ces  précieux  restes  des  hommages  de  leur 
vénération. 

Au  temps  de  Charles  de  Blois,  la  ferveur  primitive  sur  ce  point  avait  déjà 
diminué  en  beaucoup  de  lieux,  mais  notre  pieux  Duc  ne  négligea  rien 
personnellement  pour  en  raviver  la  flamme  dans  toute  l'étendue  de  son 
duché.  On  désignerait  par  leur  nom  vingt  ou  trente  églises  au  moins  aux- 
quelles il  fit  présent  de  reliquaires  de  grand  prix,  mais  combien  d'autres 
dont  les  noms  ne  sont  pas  arrivés  jusqu'à  nous? 

Le  vertueux  prince  joignait  en  outre  souvent  à  ce  don  celui  des  saintes 
reliques  elles-mêmes.  Ainsi  fit-il  en  particulier  pour  les  sanctuaires  de 
N.-D.  de  Guingamp  et  de  N.-D.  de  Lamballe,  qu'il  voulut  enrichir  de  frag- 
ments de  la  vraie  Croix  *.  Il  n'en  agit  pas  autrement  non  plus  à  l'égard  de 
la  cathédrale  de  Rennes,  des  abbayes  de  S.  JMelaine  et  de  S.  Georges  de 
la  même  ville,  de  S.  Méen,  etc.,  etc.,  du  mont  Saint  Michel,  lorsqu'il  vou- 
lut inaugurer  solennellement  en  tous  ces  lieux  le  culte  du  B.Yves  de  Tré- 
guier,  l'un  de  ses  saints  de  prédilection  *. 

Quant  à  la  forme  et  aux  dimensions  des  reliquaires  distribués  libérale- 
ment par  Charles  de  Blois,  elles  pouvaient  varier  selon  les  lieux  et  les  cir- 
constances. On  en  a  vu  qui,  destinés  à  contenir  en  môme  temps  plusieurs 

^  «  Libri  pulrherrimi  et  nobilitcr  pannis  sériels  cum  lapidibus  pretiosis  coo- 
perti.  B  Ed.  cun.,  t.  I,  fol.  98. 

-  Thcsaurua,  seu  thésaurus  sanctarum  reliqaiaruni. 
^  Ect.  can.,  t.  I,  loi.  2 il  ;  t.  II,  f.  40i. 
^  Ibid.,t  I,  fol.  15i,  171,  etc. 


290  LE    B.  CHARLES    DE    BL0I5 

reliques,  présentaient  une  grande  surface  plane  et  ressemblaient  assez  à 
un  échiquier  ', 

Ailleurs  ils  sont  désignés  sous  le  nom  de  cassée  (châsses)  ou  encore 
vasa  argentea^  ce  qui  prouve  qu'ils  étaient  faits  de  matière  précieuse  ^. 
Celui  qui  fut  donné  par  notre  B.  Duc  au  monastère  du  mont  Saint-Michel, 
en  Normandie,  «  était  d'argent  et^'soutenu  entre  les  mains  d'une  image 
(statue)  de  S.  Yves,  également  d'argent  '\  » 

Ce  qui  indique  une  forme  particulière,  mais  du  plus  grand  intérêt. 

VI.  —  Nous  en  avons  fini  avec  ce  que  nous  avions  à  dire  du  B.  Charles 
de  Blois,  considéré  comme  protecteur  des  arts  au  XIV  siècle  et  peut-être 
comme  leur  restaurateur  en  Bretagne.  On  a  vu  que  sa  sollicitude  s'éten- 
dait à  la  fois  sur  la  vicomte  de  Limoges  et  sur  le  duché  armoricain,  que  sa 
munificence  vraiment  royale  ne  recula  jamais  devant  aucune  dépense  de 
nature  soit  à  promouvoir  une  œuvre  d'art,  soit  à  la  mener  heureusement 
à  terme  après  qu'elle  avait  été  commencée.  On  a  vu  également  que  Tar- 
chitecture,  la  sculpture  et  la  peinture,  pour  ne  rien  dire  de  l'orfèvrerie 
et  de  l'industrie  des  tissus,  durent  réaliser  des  progrès  considérables  sous 
l'impulsion  et  la  direction  personnelle  de  ce  noble  prince. 

C'est  ce  qui  résulte  assez  manifestement  des  renseignements  que  nous 
venons  de  rassembler,  et  qui  tous  ont  été  puisés  aux  sources  les  plus  au- 
thentiques. On  en  conclut  en  effet,  qu'à  cette  date,  beaucoup  de  villes  de 
seconde  ou  troisième  importance,  comme  Guingamp,  Dinan,  Lamballe, 
etc.,  possédaient  dans  leur  enceinte  des  ouvriers  fort  habiles  qui  culti- 
vaient avec  ardeur  et  succès  les  diverses  branches  de  l'art.  A  Dinan  en 
particulier,  le  seul  couvent  des  Frères-Mineurs,  comptait  au  nombre  de 
ses  membres  un  architecte  de  talent,  le  frère  Godes  et  un  peintre  de  pre- 
mier mérite,  le  frère  Guillaume  Le  Breton  '*. 

Telles  sont  dans  leur  ensemble,  les  données  intéressantes  qui  nous  sont 
fournies  par  l'enquête  de  canonisation  du  B.  Charles  de  Blois,  sur  Tétat 
des  arts  religieux  en  Armorique,  au  milieu  du  XI V^  siècle,  et  sur  la  part 
que  prit  à  leur  développement  l'époux  do  Jeanne  de  Penthièvre.  Ce  pré- 
cieux document  ne  présenterait  pas  moins  d'intérêt  au  point  de  vue  pure- 

'  «  NonnuUas  reliquias  sanctorum  positas  in  tabulis  ligneis  ad  modum  scacarii.  » 
Act.  cun.,  t.  Il,  fol.  397. 

-  Ibid.,  t.  1,  fol.  171. 

•'  Dom  Huj-nes,  Hist.  «?''■  du  mont  Sainl-Michel  (m'»  d'Avranches,  n"  209,  fol. 
80);  renseignement  communiqué  par  M.  Duprateau,  bibliothécaire  de  la  ville. 

^  Act.  can.,  t.  I,  fol.  165. 


LE   B.  CHARLES   DE   BLOIS  291 

ment  hagiographique  et  historique  et  mériterait,  au  même  titre  que  plus 
d'un  autre  déjà  imprimé,  de  figurer  dans  la  collection  des  monuments  iné- 
dits de  l'histoire  de  France;  mais  ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  faire  valoir 
cette  thèse.  Concluons  plutôt  ce  travail,  en  répétant  ce  que  nous  disions  au 
début  avec  moins  d'autorité,  puisque  nous  n'avions  pas  encore  donné  nos 
preuves  :  l'histoire  et  l'archéologie  n'ont  pas  été  jusqu'ici  suffisamment 
justes  envers  la  mémoire  de  Charles  de  Blois.  Le  nom  de  notre  duc  de 
Bretagne  a  droit  d'être  inscrit  à  côté  de  celui  de  notre  roi  Charles  V  au 
nombre  des  ptinces  les  plus  lettrés  du  XIV  siècle,  au  nombre  des  protec- 
teurs les  plus  généreux  des  arts  et  de  la  religion. 

D.  François  Plaine, 

Bénédictin  de  Ligugé. 


LES  ANCIENS  MONUMENTS  CHRETIENS 

DE  RODEZ 


DEHNIER   article' 


L  AUTEL   DE   DEUSDEDIT 

Je  passe  à  un  monument  de  la  fin  du  siècle  de  Clovis,  dont  les  monu- 
ments précédents  ont  marqué  le  commencement.  C'est  un  magnifique  au- 
tel, rappelant  celui  de  Saint-Victor  de  Marseille  et  celui  de  Yaison,  l'autel 
de  la  cathédrale  de  Rodez  sous  les  premiers  Mérovingiens. 

La  table  est  un  monolithe  de  marbre  de  S'^SS  de  long,  de  l'"46de  large, 
ayant  une  cymaise  do  27  cent.)  qui  va  s'inclinant  par  quatre  degrés,  jus- 
qu'au bassin,  dont  la  surface  est  plane,  de  telle  sorte  que  cette  table  d'au- 
tel est  un  vaste  plateau  ceint  d'une  large  bordure  en  amphithéâtre.  La 
bordure  est  richement  ouvragée  et  forme  comme  une  vraie  parure  au  pla- 
teau. C'est  là  que  le  diacre  déposait  le  pain  et  le  vin  offerts  par  les  fidèles 
et  que  le  Pontife  les  consacrait.  C'était  l'immense  vase  des  dons  célestes. 
Cet  autel,  où  reposait  l'Agneau  de  Dieu  immole  et  où  était  placée  la  coupe 
de  son  sang,  rappelait  l'autel  antique  où  étaient  déposés  les  membres  de 
la  victime  et  où  coulait  son  sang,  presque  toujours,  hélas  !  en  l'honneur 
des  démons.  M.  l'abbé  Cérès  a  trouvé  dans  les  environs  de  Rodez  de  ces 
autels  païens  gallo-romains.  L'un,  d'un  mètre  carré,  avec  un  encadrement 
de  la  hauteur  de  trois  doigts  et  un  fond  à  surface  plane,  pouvait  être  du 
second  siècle.  Il  portait  cette  inscription  :  PEREGRINYS  FECIT.  L'au- 
tel chrétien  de  Rodez  pojtc  sur  un  filet  du  bas  de  la  bordure  cette  inscrip- 

*  Voir  le  n"  précédent,  page  213. 


LES   ANCIENS    MONUMENTS    CBRÉTIENS   DE    RODEZ  293 

tion  gravée,  dont  les  quatre  parties  sont  tournées  vers  l'inténeur  de  l'autel, 
en  commençant  par  le  milieu  de  la  longueur  : 

il 

DEVSDEDIT— EPS  INDIGNVS  — FIERI  lUSSIT-HANC  ARAM 

«  Deusdedit,  évèque  indigne,  a  fait  faire  cet  autel.  » 


294  LES   ANCIENS    MONUMENTS    CHRÉTIENS   DE    RODEZ 

C'est  bien  l'autel  de  l'église  cathédrale  de  Rodez,  offert  par  son  évêquc 
Deusdedit,  qu'on  trouve  siégeant  avant  599  et  dont  la  date  de  la  mort  est 
ignorée. 

La  iSotice  archéologique  sur  l'église  cathédrale  de  Rodez,  |)ar  M.  l'abbé 
Magne,  donne  sur  cette  cathédrale  les  renseignements  suivants  *.  D'après 
la  tradition,  saint  Martial  aurait  consacré,  au  lieu  qu'elle  occupe,  une 
chapelle  en  l'honneur  de  la  Sainte  Vierge.  Au  milieu  du  V*  siècle,  le 
diacre  de  saint  Amans,  premier  évêque,  saint  Marnas,  alla  chercher  des 
architectes  italiens  pour  construire  la  première  cathédrale.  Saint  Sidoine 
Apollinaire  fut  invité  à  la  consacrer  et  la  plaça  sous  le  vocable  de 
saint  Pierre  et  de  saint  Paul,  dont  il  est  naturel  dès  lors  de  trouver  les 
images  au  premier  rang,  à  côté  du  Christ,  sur  le  sarcophage  dit  de  saint 
Amans.  Saint  Sidoine  promet,  dans  une  de  ses  lettres,  d'aller  consacrer 
le  baptistère.  Ce  baptistère  serait-il  identique  au  fond  avec  ce  monument 
profané  aujourd'hui  qu'on  montre,  portant  le  nom  de  baptistère,  à  quel- 
ques pas  de  la  cathédrale?  Vers  516,  saint  Damas,  évéque,  qui  jouit  de  la 
faveur  de  Théodeberl,  entreprit  une  nouvelle  basilique  et  la  dédia  à  Notre- 
Dame.  «  Homme  éminent  en  tout  genre  de  sainteté,  dit  saint  Grégoire  de 
a  Tours,  d'une  grande  abstinence  dans  les  aliments  et  les  concupiscences 
«  de  la  chair,  très  aumônier,  humain  pour  tous,  stable  comme  il  faut  dans 
«  l'oraison  et  dans  les  veilles,  il  construisit  l'église  ;  mais  la  démolissant 
«  souvent  pour  l'améliorer,  il  la  laissa  inachevée  -.  »  C'est  l'évêque  Deus- 
dedit qui  paraît  l'avoir  achevée  vers  la  fin  du  siècle.  Il  lui  fît  don  du  maî- 
tre-autel, cet  insigne  monument  venu  jusqu'à  nous,  après  avoir  été  baigné 
des  onctions  de  ses  mains.  Saint  évêque,  grand  évéque,  évêque  «  donné 
de  Dieu,  »  de  la  race  de  ceux  qui  ont  fait  la  France  comme  les  abeilles 
font  leur  ruche,  dont  on  sent  l'âme  sublime  palpiter  dans  ce  marbre 
d'  «autel»,  sous  cette  humble  signature  :  Deusdedit  episcopus  indignus! 
L'authenticité  de  la  signature  est  hors  de  conteste.  «  La  formule  de 
«  l'inscription,  dit  M.  E.  Le  Blant,  est  en  rapport  avec  ce  temps.  En  Gaule, 
«  l'épithète  indignus,  ajoutée  au  nom,  ne  se  montre  qu'à  compter  de  l'an 
a  527.  (Conventus  episcoporum  apad  Cenomanos,  Cotic,  Gall.,  tora.  I, 
«  pag.  929).  »  Mais  la  gravure  actuelle  pourrait  être  plus  récente,  si  l'on 
en  croit  certaines  règles  acceptées  par  l'archéologie,  auxquelles  cette  gra- 
vure  ferait  échec.  «  L'estampage  que  j'ai  sous  les  yeux,  dit  encore  M.  E. 
a  Le  Blant,  me  persuade  que,  comme  tant  d'autres  inscriptions,  celle  de 
«  Rodez  a  été  restituée.  Je  crois  en  trouver  la  preuve  dans  la  forme  du 

'  Rodez,  18i2,  in-12,  131  pages. 
*  JFfis^  Franc,  1.  Y,  xv/i. 


LES   ANCIENS   MONUMENTS    CHRÉTIENS   DE    RODEZ  295 

((  G,  et  surtout  dans  celle  du  signe  d'cabréviation  £2,  qui  ne  m'est  connu 
qu'à  une  très-basse  époque  '.  »  On  en  signale  une  autre  jûreuve.  «  D'après 
«  le  nom  de  l'évêque  qui  le  fil  ériger,  écrivait  M.  Alibert  en  18G3,  cet  autel 
«  remonterait  au  VP  siècle  ;  mais  il  a  sans  doute  subi  des  retouches,  car 
«  plusieurs  des  membres  de  la  Société  française  d'archéologie,  qui  ont 
«  visité  la  cathédrale,  ont  cru  reconnaître  dans  les  ornements  qui  l'entou- 
«  rent,  une  date  moins  ancienne —  La  cymaise  a  été  sans  doute  prati- 
c<  quée  pour  prévenir  tout  accident  dans  le  cas  où  le  calice  serait  renversé. 
«  C'est  un  caractère  que  M.  de  Caumont  a  constaté  dans  toutes  les  tables 
H  d'autel  antérieures  au  XI'^  siècle  '".  »  «  L'évêque  Dieu-Donné,  dit  M.  de 
«  Caumont  lui-même,  vivait  au  VP  siècle;  mais  on  croit  que  cette  table 
«  d'autel  a  été  refaite.  C'est  toujours  un  monument  du  plus  haut  intérêt 
«  que  les  explorateurs  ont  été  plus  portés  à  attribuer  au  IX'=  siècle  qu'au 
«  \P  ■'.  »  En  toute  hypothèse,  nous  avons  bien  ici  la  table  d'autel  de  Deus- 
dedit  et  la  formule  votive  de  sa  dédicace. 

Quatre  colonnettes  de  marbre  supportaient  sans  aucun  doute  cette  table 
eucharistique.  J'ai  cru  les  reconnaître,  et  M.  l'abbé  Cérès  aussi,  dans  les 
quatre  colonnettes  de  marbre  blanc  qui  sont  au  musée  de  la  ville  '■*.  Leurs 
chapiteaux,  de  l'imagination  la  plus  libre  et  la  plus  riche,  et  du  ciseau  le 
plus  fin,  m'ont  rappelé  aussitôt  ceux  des  basiliques  de  Ravenne  du  VP 
siècle,  et  les  nôtres  de  ce  temps,  de  la  basilique  de  Saint- Vincent,  à  Paris, 
et  de  celle  de  Montmartre.  En  1823,  ces  quatre  ravissantes  colonnettes 
étaient  encore  en  place  à  la  cathédrale,  portant  la  table  du  maître-autel 
offerte  par  le  B.François  d'Estaing,  qui  siégea  de  1500  a  1530.  Ce  seraient 
donc  bien  celles  de  l'autel  de  Dtusdedit.  M.  de  Caumont  se  prononce  sans 
hésitation  sur  leur  identité.  «  On  volt,  dit-il,  au  musée  de  Rodez,  quatre 
«  colonnes  en  marbre  très-élégantes,  qui  portaient  cette  table  d'autel 
•  avant  qu'elle  eût  été  déplacée  ^  » 

Espérons  que  l'évoque  et  le  chapitre  de  Rodez  pourront  replacer  au 
foyer  de  leur  cathédrale  cet  unique  et  merveilleux  autel,  qui,  presque  té- 
moin des  origines  de  la  France,  a  vu  passer,  sur  le  trône  de  Clovis,  Dago- 
bert,  Charlemagne  et  saint  Louis,  et  n'a  été  ébranlé  de  son  lieu  que  cinq 

*  Inscriptions  chrétiennes  de  la  Oaule,  n'^  574. 
-  Ibid.,p.  11. 

^Abécédaire  d'archéologie.  Architecture  religieuse.  Caen,  186i,  In-8»,  p.  98. 

*  «  Les  colonnes  de  marbre  qu'on  voit  au  musée  supportaient  probablem  nt 
cette  table,  et  furent  employées  plus  tard  a  soutenir  l'autel  de  la  nouvelle  église, 
où  elles  sont  restées  jusqu'en  1823  »,  dit  M.  Alibort,  p.  11. 

^  Ibid. 


296  LES   ANCIENS    MONUMENTS    CHRÉTIENS   DE    RODEZ 

ans  après  la  mort  de  ce  dernier,  à  la  veille  de  ces  ébranlements  de  la 
France  qui,  du  XIV^  siècle  au  nôtre,  n'ont  cessé  de  g-randir  pour  aboutir 
aux  écroulements  que  nous  voyons  et  verrons. 

Une  inscription  latine,  qu'on  lisait  autrefois  dans  la  cathédrale,  portait 
en  effet  : 

«  L'an  du  Seigneur  MCCLXXV,  le  13  des  calendes  de  mars,  s'écroula 
a  le  chevet  de  cette  église.  La  même  année,  le  9  janvier,  avait  été  enlevé 
u  l'autel  de  la  bienheureuse  Vierge.  .  .  Il  y  avait  sept  cents  ans  et  plus, 
«  cette  année  là,  que  ledit  autel  avait  été  construit  par  un  évêque  de 
«  bonne  mémoire  nommé  Deusdedit,  comme  il  conste  manifestement  des 
«  gestes  et  écrits  anciens  trouvés  dans  le  sacrarium.  Autour  de  la  table 
((  de  cet  autel  sont  gravées  ces  lettres  :  Deusdedit,  episcopus  ïndi'gnus, 
(i  ferifecit  *  hanc  arani.  » 

«  Anno  Domini  MCCLXXV,  13  kalendas  mardi,  corruil  caput  hujus  ec- 
«  clesise.  Eodem  anno  d  Januaris,  fuerat  remotum  altui-e  B.  Virginis... 
«  Faerant  autem  anno  septengenti  et  amplius  ex  qiio  prxdictum  altare  con- 
«  structum  fuerat  per  honx  luemorix  episcopum  cui  nomen  erat  Deusdedit^ 
«  sicut  ex  gestis  et  scriptis  antiquis  in  sacrario  repertis  constat  evidenter. 
«  In  circuitu  etiam  mensœ  ej'usdem  altaris,  script  8e  sunt  taies  lit  ter  œ  :  Deus- 
«  dédit,  episcopus  indignus.  fecit  fieri  hanc  aram  ".  » 

L'autel  de  Deusdedit  ne  fut  pas  replacé  dans  le  nouveau  chœur  de  la 
cathédrale,  qui  devint,  à  la  fin  du  XIIP  siècle,  le  principe  de  la  cathédrale 
actuelle.  Le  tombeau  de  Gilbert  de  Cantobre,  qui  siégea  de  1338  à  1349, 
ayant  été  placé  dans  une  chapelle  du  pourtour  du  chœur,  cet  autel  fut 
appliqué  au-dessus  contre  le  mur,  comme  une  sorte  de  retable.  On  y  pei- 
gnit la  Vierge  portant  le  divin  Enfant,  entre  deux  anges  tenant  un  lys, 
avec  cette  inscription  également  peinte  au-dessous  du  nom  de  Deusdedit: 
Capellani  de  Cantobrio  hanc  aram  depingendam  curarunt.  La  bordure  de 
l'autel  semblait  faite  pour  appeler  ce  tableau  et  lui  servir  de  cadre.  C'est 


*  FecH,  erreur,  pour /hssiÏ. 

^  Magne,  p.  20.  —  On  lisait  encore  dans  la  cathédrale  cette  inscription  rappor- 
tée par  l'abbé  Magne,  p.  2i  : 

«  Scienduni  est  quod  anno  i2'^5,  et  die  tcitia  décima  kalendas  martii,  circa 
«  horam  noctis  terliam,  caput  hujus  Ruthenensis  ecclesiœ  subito  et  unico  im- 
«  pehi,  cum  loto  ultissimo  campatiili,  divma  sic  disponcnte  vàscricordia,  me- 
«  riîis,  ut  pie  o'editur,  Sanctorum  quorum  reticpiice  in  eudein  icclesia  rcquies- 
«  cunt,  ut  tam  periculosa  ruina  in  tali  hora  fuerit,  quia  nemo  esset  ibidem  qui 
*  jjossct  opprimi,  sive  lœdi.  » 


LES    ANCIENS   MONUMENTS    CHRÉTIENS    DE    RODEZ  2d7 

ainsi  qu'on  trouve  cet  autel  dans  la  chapelle  dite  aujourd'hui  du  Sacré- 
Cœur. 

Il  était  assurément  surmonté,  au  VP  siècle,  d'un  ciborium  porté  par 
quatre  colonnes  de  marbre.  En  voyant,  tout  près  de  la  cathédrale,  dans 
la  maison  de  M.  le  chanoine  Sabattier,  deux  colonnes  antiques  et  assez 
frustes,  de  marbre  de  couleur,  et  la  moitié  d'une  troisième,  ornant  la  des- 
cente de  la  cave  et  la  montée  d'escalier,  je  me  suis  demandé  si  ce  ne  se- 
rait pas  les  colonnes  du  ciborium  de  l'autel  de  Deusdedit.  Leur  diamètre 
moyen  y  convient  assez.  En  restaurant  l'autel,  il  ne  faudrait  pas  oublier 
son  ciborium  de  marbre.  Ceux  du  XP  siècle,  celui  de  Saint-Laurent-hors- 
les-Murs  ou  celui  de  Sainte-Marie-in-Cosmedin  pourraient  servir  de  mo- 
dèle. Leur  cachet  antique,  inclinant  à  l'art  ogival,  s'harmoniserait  assez 
bien  avec  le  chœur,  du  commencement  du  XIY^  siècle. 

C'est  tout  ce  que  j'ai  à  dire  de  l'autel  de  Deusdedit.  Les  quatre  colon- 
nettes  qui  l'ont  supporté  nous  rappellent  toutefois  celui  du  B.  François 
d'Estaing-  qu'elles  ont  reçu  au  seizième  siècle.  C'est  une  table  de  pierre 
commune,  mais  très-fine,  portant  son  inscription  monumentale,  qui  gît 
presque  entière  en  divers  fragments  dans  un  des  débarras  de  la  cour  de 
l'évêché.  Le  respect  dû  à  son  onction,  au  Christ  qu'elle  a  représenté  et 
porté,  à  l'église  de  Rodez,  dont  elle  a  été  plus  de  deux  siècles  la  pierre 
angulaire,  réclame  pour  ses  débris  une  place  honorable  dans  la  cathé- 
drale. 

Il  me  reste  à  dire  un  mot  d'un  dernier  monument. 


VI 

UN    MÉDAILLON    DE    MARBRE    REPRÉSENTANT   LE    CHRIST 

Parmi  les  fragments  d'antiquités  non  encore  placés  ni  étudiés  du  mu- 
sée de  Rodez,  nous  avons  remarqué  un  médaillon  de  marbre  blanc,  de 
soixante  centimètres  environ  de  hauteur,  offrant,  avec  la  plus  délicate 
sculpture,  l'image  du  Christ.  Il  siège  dans  un  trône  en  forme  de  pliant, 
pareil  au  siège  dit  de  Dagobert.  La  tète  est  nimbée  ;  il  a  les  cheveux 
courts,  la  barbe  pointue.  Il  porte  la  tunique,  le  manteau  et  la  ceinture.  Il 
tient  le  livre  des  Evangiles  de  la  main  gauche  et  bénit  de  la  droite,  mais 
à  la  manière  grecque,  joignant  le  pouce  à  l'un  des  doigts  et  élevant  les 
trois  autres.  Chez  les  Grecs,  toutefois,  c'est  au  doigt  annulaire  que  se 
joint  le  pouce  ;  ici  c'est  au  médius,  et  l'on  remarque  une  petite  boule  à 
leur  jonction.  Est-ce  l'union  des  deux  natures  en  Jésus-Christ,  l'Incarna- 
IP  série,  tome  II.  22 


298  LES   ANCIENS    MONUMENTS   CHRÉTIENS   DE   RODEZ 

tion,  que  l'on  a  voulu  proclamer  avec  la  Trinité,  deux  doi^mes  qui,  symbo- 
lisés par  les  flambeaux,  remplissent  les  bénédictions  dans  la  liturgie  grec- 
que? Je  n'oserais  rien  affirmer  à  cet  égard.  L'alplia  et  l'oméga  sont  gravés 
aux  côtés  du  Christ  et  proclament  sa  divinité.  Un  escabeau  est  sous  ses 
pieds,  image  de  la  terre  pour  lui  qui  siège  aux  cieux,  image  particulière 
de  ses  ennemis,  que  son  Père  amène,  vaincus,  les  uns  après  les  autres, 
devant  lui,  en  attendant  (|u'il  descende  lui-même  pour  exterminer  d'un 
souffle  de  sa  bouche  le  dernier  de  tous,  l'Antéchrist.  On  n'a  rien  pu  me 
dire  de  la  provenance  de  ce  marbre.  Ce  pourrait  bien  être  un  fragment  de 
la  basilique  de  Deusdedit.  Sa  belle  sculpture  rappelle  celle  des  colon- 
nettes  de  l'autel.  Il  a  pu  orner  le  tympan  d'une  porte  ;  et  peut-être  des 
médaillons  représentant  les  quatre  animaux  symboliques  lui  fai.-aient-ils 
cortège.  C'est  assurément  un  bien  précieux  monument  du  christianisme  et 
de  l'art  à  Rodez. 

Heureuse  capitale  des  Rutènes  !  Je  ne  la  quitterai  pas  sans  avoir  signalé 
un  de  ses  titres  modernes  de  gloire,  où  j'ai  senti  tout  l'esprit  aocien.  Le 
1"  janvier,  fête  principale  de  la  Compagnie  de  Jésus,  car  Jésus  a  reçu  son 
nom  en  ce  jour,  M.  de  Bonald  me  faisait  visiter  le  collège  des  Jésuites, 
dont  l'église  fut  consacrée  en  15G0,  vingt  ans  après  l'établissement  de  la 
Compagnie,  quatre  ans  après  la  mort  de  saint  Ignace.  Rodez  s'était  em- 
pressé d'appeler  des  soldats  de  cette  jeune  et  puissante  milice  apostoli- 
que pour  les  opposer  au  calvinisme  se  déchaînant  sur  la  France.  Ils  con- 
tribuèrent à  faire  de  Rodez  un  des  boulevards  du  catholicisme.  Leurs  ar- 
mes étaient  la  piété  et  la  science.  Sur  les  trois  côtés  d'un  quadrilatère, 
dont  le  quatrième  est  l'église  pleine  encore  de  monuments  religieux  qui 
intéressent  l'histoire,  nous  lisions  avec  émotion  les  titres  des  classes,  gra- 
vés il  y  a  plus  de  trois  siècles,  au  temps  des  grandes  études  :  III"  GRAM- 
MATICiE,  II-  GRAMMATIC/E,  I-  GRAMMATICE,  HUMANITAS, 
RHETORICA,  PHILOSOPHIA  (il  n'y  a  plus  ici  que  la  place  de  l'inscrip- 
tion),  PHYSICA,  THEOLOGIA,  THEOLOGIA,  PR/EFECTUS  SCHO- 
LARUM.  Trois  années  de  grammaire  suffisaient  alors  :  il  y  avait  deux 
années  de  belles-lettres,  deux  années  de  philosophie  spéculative  ou  natu- 
relle, deux  de  théologie.  C'est  ainsi  que  Corneille  et  Molière,  élèves  des 
Jésuites,  toujours  attaches  à  leurs  maîtres,  auront  leur  génie  solidement 
et  richement  cultivé;  et  si  Voltaire  abuse  des  dons  de  ses  maîtres,  ce  n'est 
pas  qu'ils  les  lui  aient  ménagés  non  plus  que  leur  tendresse. 

Entre  HUMANITAS  et  RHETORICA,  on  lit  :  SODALITIA  BEAT^E 
VIRGINÏS.  Là  est  l'escalier  allant  à  la  salle  de  la  Congrégation  qui 
avait  Marie  pour  Reine,  salle  vulgaire  à  présent.  Le  collège  de  la  Compa- 
gnie de  Jésus,  dont  le  temps  n'a  point  encore  anéanti  l'inscription  exté- 


LES   ANCIENS   MONUMENTS    CHRÉTIENS   DE    RODEZ  299 

rieure  et  les  armes,  est  devenu  le  lycée.  Mais  la  mémoire  reste  des  jours 
d'autrefois  et  l'influence.  Ainsi  en  est-il  dans  les  cités  catholiques  d'Alle- 
magne, Munich  ou  Prague,  dont  Rodez  m'a  rappelé  les  grandioses  et 
salutaires  collèges.  Les  Amantius,  les  Quintianus,  les  Deusdedit,  ces 
merveilleux  évêques,  fondateurs  de  la  nation  chrétienne  des  Rutènes  et 
d'une  part  si  noble  de  la  France,  semblaient  revenus  alors.  Qu'ils  reviennent 
aujourd'hui!  Que  cette  brave  et  religieuse  contrée,  la  plus  généreuse  et  la 
plus  agréable  des  nôtres  aux  chaînes  nouvelles  et  si  douloureuses  de 
Pierre,  une  des  plus  fécondes  pour  tous  les  genres  d'apostolat,  retrouve 
toutes  ses  gloires  et  les  multiplie!  Et  que  d'autres,  moins  fortunées,  se 
rappellent  son  passé,  voient  son  présent,  écoutent  l'émulation,  non  la  ja- 
lousie, et  s'en  trouvent  bien  ! 

L'abbé  V.  Davin, 

Chanoine  de  Versailles. 


i.ES  ORIGINES 

DE  L'ORFÈVRERIE  CLOISONNÉE 


QUATRIEMK    AKTlCI.E 


lY.  —  La.  vision  (VÉzéclLiel . 


<*  Le  miracle,  rintervention  surnaturelle,  spéciale  et  directe 
de  la  puissance  divine  dans  un  événement,  n'impliquent  pas 
d'une  façon  nécessaire  la  dérogation  aux  lois  de  la  nature.  L'ac- 
tion miraculeuse  de  la  Providence  se  manifeste  aussi  par  la  pro- 
duction d'un  fait  naturel  dans  une  circonstance  donnée^,  condui- 
sant à  un  résultat  déterminé.  Dieu  n'a  pas  toujours  besoin  de 
suspendre  pour  l'accomplissement  de  ses  desseins  les  lois  qu'il  a 
données  au  monde  pliysi(jue  ;  il  sait  se  servir  aussi  dans  un  but 
direct  de  l'effet  de  ces  lois.  Aussi  l'historien  chrétien  peut-il  cher- 
cher dans  certains  cas  à  expliquer  le  comment  d'un  fait  excep- 
tionnel voulu  par  la  Providence,  sans  nier  en  même  temps  son 
essence  surnaturelle  et  miraculeuse.  Mais,  je  le  répète,  si  j'ai  cru 
pouvoir  agir  ainsi  par  rapport  à  quelques-uns  des  faits  de  la 
Bible,  ce  n'est  aucunement  avec  l'intention  de  me  jeter  dans 
la  voie  dangereuse  du  naturalisme  et  de  m'écartcr  des  enseigne- 
ments de  l'Église  dans  la  question  des  miracles  '.  » 

Les  sages  paroles  d'un  écrivain  émincnnnent  religieux  me 
semblent  un  ju-éambule  obligé  à  la  dissertation  qu'on  va  lire. 


Voir  le  numéro  précédent,  p.  485. 

F.  Lenormant,  Manuel,  etc.,  t.  I,  Préface,  p.  xxxiii. 


ÛllIGINES   DE    l'orfèvrerie    CLOISONNÉE  'Ml 

Elles  rendent  exactement  ma  pensée  et  protestent  à  Tavance  contre 
des  critiques  auxquelles  il  me  serait  pénible  d'être  en  butte. 

Ces  réserves  faites^  j'entre  en  matière. 

Un  fait  ëpisodique,  qui  pourrait  bien  se  rattacher  intimement 
àl'art  assyro-clialdéen,  me  semble  avoir  ici  sa  place  marquée  : 
j'entends  désigner  la  célèbre  vision^  début  de  la  prophétie  d'Ezé- 
chiel.  Cette  vision^  un  des  termes  surtout  qu'elle  emploie^,  ont 
exercé  l'érudition  séculaire  des  commentateurs.  11  y  a  peu  d'an- 
nées, un  savant  archéologue,  M.  J.  Labarte,  a  risqué  du  mot  liti- 
gieux une  interprétation  hardie,  admise  avec  enthousiasme  par 
les  uns,  dédaigneusement  repoussée  par  les  autres  ' .  Je  m'étais, 
dès  l'apparition  du  livre  de  M.  Labarte,  rangé  au  nombre  des  pre- 
miers, et,  si  depuis,  mes  convictions  à  cet  égard  ont  été  légère- 
ment ébranlées,  la  polémique,  engagée  autour  des  Recherches 
sur  la  iieinture  en  émail,  n'influa  en  rien  sur  un  changement  où 
le  doute  jouait  un  beaucoup  plus  grand  rôle  que  la  négation  ab- 
solue. Aujourd'hui,  certaines  découvertes,  inconnues  ou  négligées 
en  1856  et  1857,  me  paraissent  éclairer  la  question  d'une  lumière 
nouvelle  et  gagner  à  peu  près  la  cause  de  M.  Labarte.  Je  dis  à 
peu  près,  car  nos  points  de  départ,  à  mon  docte  confrère  et  à  moi, 
sont  diamétralement  opposés  quant  à  l'invention  de  l'orfèvrerie 
incrustée;  il  donne  la  priorité  à  l'émaillerie  à  chaud,  tandis  que 
je  crois  plus  logique  d'aller  du  simple  au  complexe. 

Examinons  d'abord  le  Texte  sacré. 

Ce  fut  dans  la  trentième  année,  le  cinq  du  quatrième  mois,  qu'étant  au 
miheu  des  captifs,  près  du  fleuve  Chel)ar,  les  cieux  s'ouvrirent  et  je  vis 
des  visions  divines. 

Le  cinq  du  mois  —  c'était  là  cinquième  année  de  la  captivité  du  roi  loa- 
chim  — 

La  parole  de  lehovah  fut  adressée  a  le'hezkel  (Ezéchiel)  fils  de  Bouzi, 
le  cohène,  dans  le  pays  des  Ghasdim  (Chaldéens),  près  du  fleuve  Chebar, 
et  là  fut  sur  lui  la  main  de  lehovah. 

'  Recherches  sur  la  peinlure  en  émail,  p.  77  et  sq.,  in-i",  Paris,  1856.  F.  de 
Lasteyrie,  L'Elcc/runi  des  .-ïncicus  vlail-il  de  rémail  !  in-S",  Paris,  1837. 


302  ORIGINES   DE   L  ORFÈVRERIE   CLOISONNEE 

Et  je  vis,  et  voici  un  ouragan  venant  du  nord,  un  grand  nuage,  un  feu 
flamboyant  avec  un  cercle  rayonnant  autour,  et  du  milieu  comme  l'aspect 
du  b'CUJn  Imsinnal,  du  milieu  du  feu. 

Du  milieu  je  vis  une  image  de  quatre  W^H  liahtk  (animaux)  et  voici 
leurs  figures  :  ils  avaient  la  forme  d'un  homme. 

Chacun  avait  quatre  visages,  et  chacun  d'eux  avait  quatre  ailes. 

Leurs  pieds  étaient  des  pieds  droits;  la  plante  de  leurs  pieds  était  comme 
la  plante  du  pied  d'un  veau,  et  étincelants  comme  bbp  T\'CTt2  de  V airain  poli. 

Il  y  avait  des  mains  d'hommes  sous  leurs  ailes,  sur  leurs  quatre  côtés  ; 
leurs  faces  et  leurs  ailes  étaient  à  leurs  quatre  côtés. 

Attachées  l'une  à  l'autre  leurs  ailes  ne  se  détournaient  pas  pendant  leur 
marche,  ils  marchaient  chacun  du  côté  de  sa  face. 

La  forme  de  leur  visage  ressemblait  à  un  visage  d'homme  et  à  une  fi- 
gure de  lion  à  la  droite  des  quatre,  mais,  à  la  gauche  des  quatre,  une  figure 
de  bœuf,  et  c'était  une  figure  d'aigle  pour  les  quatre. 

Ainsi  leurs  visages  et  leurs  ailes  étaient  séparés  en  haut,  toujours  deux 
par  deux,  et  deux  couvraient  leurs  corps. 

Ils  marchaient  chacun  devant  soi  ;  làoùle  vent  les  poussait,  ils  allaient; 
ils  ne  se  détournaient  pas  dans  leur  marche. 

La  forme  des  'lia'ioth^  leurs  figures  étaient  comme  t'î^^^bniiD  des  char- 
bons de  feu^  brûlant  comme  les  torches  ;  la  flamme  s'agitait  entre  les 
'haïol/i  ;  le  feu  avait  de  l'éclat,  et  du  feu  sortait  un  éclair. 

Les  'haïoth  couraient  et  revenaient  comme  l'éclair. 

Je  vis  les  'haïoth  et  voici  qu'une  "îSlïS  roue  était  sur  la  terre  près  des 
'haïoth,  dans  la  direction  de  leurs  quatre  visages. 

L'aspect  des  roues  et  leur  construction  était  comme  l'aspect  du  CJ'^w'Itl 
tarshish  :  toutes  les  quatre  avaient  une  seule  forme,  leur  aspect  et  leur 
construction  était  comme  serait  "JS^Ï^n  Tiri!3  "îSIï^m  une  roue  dans  l'in- 
térieur d'une  roue. 

En  marchant,  ils  se  dirigeaient  vers  quatre  côtés,  ne  se  détournant  pas 
dans  leur  marche. 

Et  leurs  m55i1  dos  étaient  d'une  hauteur  effroyable  ;  leurs  dos  étaient 
pleins  Û''3'^ï?  à'yeux  autour,  tous  les  quatre. 

Quand  les  liaïoth  marchaient,  les  roues  se  mouvaient  près  d'eux,  et 
quand  les  'haïolh  s'élevaient  de  la  terre,  les  roues  s'élevaient. 

Où  le  vent  allait  ils  allaient,  car  là  allait  le  vent;  et  les  roues  s'élevaient 

dans  la  même  direction,  car  le  vent  du  îl^n  liaïa  (la  vie)  était  dans  les  roues.' 

Quand  ils  marchaient,  les  roues  marchaient  aussi,  ot  quand  ils  s'élevaient 

de  la  terre,  les  roues  s'élevaient  dans  la  môme  direction  ;  car  le  vent  du 

^haïa  était  dans  les  roues. 


OUIGIXES   DE   l'orfèvrerie    CLOISONNÉE  303 

Au-dessus  des  tôtes  des  'liaïoth  était  la  forme  d'un  y*^p1  firmament  étendu 
au-dessus  de  leurs  tètes  comme  l'éclai  Ju  ^llîtl  n"ipn  terrible  glaçon. 

Et  au-dessus  du  tirmament,  leurs  ailes  étaient  droites,  l'une  vers  l'au- 
tre ;  chacun  en  avait  deux  qui  couvraient  leurs  corps. 

J'entendis  le  bruissement  de  leurs  ailes  comme  le  mugissement  des 
grandes  eaux,  comme  la  voix  du  Tout-Puissant  ;  quand  ils  marchaient 
c'était  le  bruit  d'un  tumulte,  comme  le  bruit  d'un  camp  ;  en  s'arrêtant 
ils  laissaient  tomber  leurs  ailes. 

Il  y  eut  une  voix  au-dessus  du  firmament  qui  était  au-dessus  de  leurs 
têtes  ;  en  s'arrêtant  ils  laissaient  tomber  leurs  ailes. 

Et  au-dessus  du  firmament  qui  était  sur  leur  tête  il  y  avait  l'apparence 
d'une  TSD  p^  pierre  de  saphir.,  de  la  forme  d'un  trône,  et  sur  la  forme 
du  trône,  comme  l'apparence  d'un  homme,  au-dessus,  en  haut. 

Et  je  vis  comme  l'aspect  d'un  liashmal,  comme  l'apparence  du  feu,  dans 
son  intérieur,  autour,  au-dessus  de  ses  reins,  en  haut,  et  de  ses  reins  en 
bas  je  vis  comme  une  apparence  de  feu  et  un  rayon  autour. 

Comme  la  vue  de  l'arc  qui  est  dans  le  nuage  en  un  jour  pluvieux,  ainsi 
était  la  vue  de  la  clarté  autour,  c'était  la  vue  de  l'image  de  la  gloire  de 
lehovah.  Le  voyant  je  tombai  sur  ma  face  et  j'entendis  la  voix  de  quel- 
qu'un qui  parlait  ^ 

J'ai  rej)roduit  le  chapitre  tout  entier  sans  en  omettre  une  syl- 
labe ;  il  serait  peut-être  difficile  d'y  retrancher  quelque  chose. 
Beaucoup  de  mots  ont  une  valeur  significative  très-importante  et 
leur  contexte  ne  saurait  être  tronqué  sans  inconvénients.  Chacun 
de  ces  mots  soulignés  porte  en  lui  son  argument,  aussi  vais-je  les 
commenter  à  tour  de  rôle.  11  est  bien  entendu  que  je  m'abstiens  ici 
de  toute  interprétation  mystique  pour  ne  m'attacher  qu'à  la  lettre. 
b^srn,  plus  loin  n^TSîL'n,  n'apparait  que  trois  fois  dans  la  Bible; 
Ézéchiel  est  le  seul  à  l'employer  ■.  La  Version  des  Septante  tra- 
duit liashmal  par  rXey.zpov,  ordinairement  alliage  d'or  et  d'ar- 
gent ou  ambre  jaune;  S.  Jérôme  et  la  Vulgate  i^nr  elertrun},  au- 
quel on  donne  le  même  sens^  Buxtorf  rend  rwirb^î!?,  ï^î'ïït'n  par 

*  Ézéchiel,  c.  I,  Calien,  Irail.  cil. 
2  C.  I,  4,  27  ;  c.  VIII,  2. 

'  Kat  Iv  Tw  jj-Écw  auTou  wç  opatriç  -/iÀc'xTpou  sv  tjiéco)  xoïï  Ttupo;,  xat  çe'yyo?  ^^  auTw. 
Et  vidi,  et  ecce  spiritus  auferens  veniebat  ab  aquilone,  et  nubes  magna  in  eo,  et 


304  ORIGINES   DE   l'oRFÉVRERIE   CLOISONNÉE 

ignis  sclntillans,  et  ailleurs  b^*rn^  dont  il  ne  suspecte  pas  l'ori- 
gine Israélite^  par  prima,  :  toutefois  le  docte  allemand  avoue  que 
cette  expression  a  soulevé  de  nombreuses  controverses  entre  les 
liébraïsants  \  Castell  pense  que  'liashmal  pourrait  bien  désigner 
un  ange,  quoiqu'il  traduise  aussi  ce  terme  par  pn/7ia  et  elec- 
trurn'^.  M.  S.  Calien  adopte,  préférablement  à  toute  autre,  Topi- 
nion  de  Gésénius  qui  croit  btttlJP»  composé  de  btt  tZJHD  =  b5p  nïJns, 
de  l'airain  poli  ^  Samuel  Bochart  déploie  les  ressources  d'une  im- 
mense érudition  pour  démontrer  que  le  Imshmal  était  un  métal 
d'alliage,  mais  il  se  débat  vainement  contre  l'inconnu.  Néan- 
moins la  dissertation  de  l'illustre  philologue  offre  un  renseigne- 
ment précieux  :  la  version  syriaque  de  la  Bible  rend  toujours 
liashmal  par  maha,  et  la  version  arabe,  faite  sur  le  texte  des 
Septante,  une  fois  (1,  4)  par  alharaba,  ambre  jaune,  deux  fois  (I, 
27,  yill,  2)  par  maha.  Or,  le  maha,  d'après  un  ancien  écrivain 
arabe  que  cite  Ebn-Beïtliar  est  une  sorte  de  verre  minéral  ou 
pierre  translucide  de  provenance  orientale  \  Enfin,  selon  M.  J. 


splendor  in  r,ircuitu  ejus  et  ignis  fulgurans  :  et  in  medio  ejus  quasi  visia  clerlri  in 
raedio  ignis  et  splendor  iti  eo.  Sept.,  éd.  Didot,  1831).  Et  vidi  et  ecce  ventus  tur- 
binis  veniebat  ab  aquilone  ;  et  nubes  niugna,  et  ignis  involvens,  et  splendor  in 
circuitu  ejus  :  et  de  medio  ejus  quasi  species  eleclri,  id  est  de  medio  ignis. 
rulg.,  I,  i, 

*  Lexicon  c/iald.,  lahnud.  et  rabhinicum,  in-fol.,  Bâlc,  1639.  Lexicon  Jiebr.  et 
chald.,  in-8»,  Bâle,  1735.  Manuale  hehr.  et  cJiahl,  in-12,  Bâle,  1658. 

^  At  Hcbr.  veteres  fere  omnes  et  recentiorum  nonnulli  nomen  angeli  interpre- 
tantur.  Lexicon  hepla(jlullo)i,  hehr.,  chald..,  etc.,  etc.,  t.  I,  R.  Ûm.  —  Quelques- 
uns  font  dériver  'hashiual  du  cbaldccn  ïîpb'Œ,  or;  d'autres  y  voient  une  lumière, 
un  ratjoii  ;  le  tbalmud  dit  :  tïï^'îSTÛ,  un  être  de  feu  qui  parle,  qui  loue  le  créatenr. 

^  Trnd.  cit.,  t.  XI,  p.  2,  note. 

*  Maha  est  vitri  species,  nisi  quod  in  fodinis  l'epcritiu-  in  Magnesia  collcctuni. 
Sed  et  in  mare  viridi  (id  est  Perslco)  invenitur,  et  in  Said  (id  [est  Thebaide) 
/Egypti  Porro  vtaha  lapis  est  albus,  in  quo  génère  excellit  is,  cui  alius  color 
prœter  albvuu  non  admiscetur.  Alla  etiam  species  levioris  tinctura^  et  bonitatis, 
et  majoris  duritiei,  quatn  quisquis  intuotur,  putat  esse  salis  genus.  Ex  ea  in  fer- 
rum  durissimum  iinpacta  excitatur  raultus  ignis.  Prima  autem  species  est  alhe- 
lur,  quam  si  radiis  solis  opponas,  ita  ut  sol  radiis  a  lapide  emissis  objiciatur,  ne 
sol  quidem  eain  luce  superabit.  Quin  et  pannus  niger  ibidem  huic  lapidi  imposi- 


ORIGINES   DE    l'ORFÉVRERIE   CLOISONNÉE  305 

Labarte,  'hashmal  équivaudrait  à  métal  émaillé  i.  On  le  voit, 
hormis  Castell  et  un  certain  nombre  d'autorités  qu'il  invoque,  la 
majorité  des  interprètes  fait  du  liaslimal,  qui  sert  de  fond  au 
tableau  peint  par  le  prophète,  une  substance  minérale  ou  métal- 
lique à  l'éclat  igné. 

Les  quatre  luuof}i  (animaux),  autrement  dit  k'  létrnmorpho, 
avaient  la  forme  humaine;  leur  quadruple  visage  associait  les 
types  de  l'homme,  du  lion,  du  bœuf  et  de  l'aigle;  leurs  pieds  per- 
pendiculaires et  non  horizontaux,  brilhiient  comme  de  Y  airain 
poli,  métal  nettement  distingué  ici  du  liashmal ;  sous  leurs 
quatre  ailes,  dirigées,  deux  en  haut,  deux  en  bas  [deux  couvra.ient 
leur  corps),  apparaissaient  des  mains  nécessairement  attachées  à 
des  bras;  les  ailes  étaient  parallèles  aux  visages,  érnu-elanls, 
aussi  bien  que  les  corps,  comme  des  charbons  de  feu  ;  les  dos 
p3i  saillie,  j)arties  saillanles)  étaient  constellés  d'yeux  ou  d'es- 
paces colorés  -  ;  enfin  au  chapitre  X,  le  prophète  assimile  les 
haïoth  aux  Chérubins  (D113  CJiroub),  et,  au  chapitre  XLI,  il 
constate  l'identité  presque  complète  des  Chérul)ins  du  temple  de 
Jérusalem  avec  les  7<.'ii"o//(  du  Chaboras  ^  Or,  Ciiroub  chez  les 
Hébreux  semble  comporter  l'acception  de  gardien  des  choses 
sacrées.  Dieu  «  plaça,  vers  l'orient  du  jardin  d'Eden,  les  C/i7'ou- 
bim  et  la  lame  flamboyante  du  glaive  qui  tourne  pour  garder  le 
chemin  de  l'arbre  dévie.  »Moïse  fit  mettre  sur  le  couvercle  de  l'Ar- 
che d'Alliance  deux  Chérubins  prosternés  qui  l'ombrageaient  de 


tus  concipiet  igneni,  ita  ut  exardescat,  quoniodo  ignem  fervidissimuin  accendere 
nemini  non  est  libeiuni.  llieroxoicon.  t.  II,  1.  6,  c.  IG,  col  873;  in-fol.,  Leyde, 
1712.  —  Il  serait  difficile  de  mi'.coanaitre  ici  le  signalement  du  ^cristal  de  roche 
blanc  ou  enfumé,  lahen  des  Égyptiens. 

•  Ouv.  cilé,  loc.  cit. 

'  1*^?  sœpius  Oculns  ■  metapliorice  Funs;  Sxiperficies,  Color  :  quasi  aspectum 
aut  rei  speciem  externam  dicas.  Buxtorf,  Lexic.  helr.  et  chalâ. 

^  Passim,  surtout  au  v.  20  :  «  C'est  la  'haia  que  j'ai  vue  sous  le  Dieu  d'Israël, 
près  du  fleuve  Chcbar,  et  je  sus  que  c'était  des  Chroubim.  »  —  XLI,  18  :  «  Et 

chaque  Chroub  avait  deux  visages.  19  ;  Un  visage  d'homme et  une  face  de 

lion.  »  Cahen,  trad.  cil. 


306  ORIGINES   DE  l'orfèvrerie  CLOISONNÉE 

leurs  ailes,  et  orner  des  mômes  figures  les  tapisseries  du  taberna- 
cle *.  A  ces  preuves  j'ajouterai  le  témoignage  direct  d'Ezéchiel  : 
«  Et  la  gloire  du  Dieu  d'Israël  s'élevait  du  dessus  le  Chroub,  sur 
lequel  elle  était  vers  le  seuil  de  la  maison.  —  La  gloire  de  leho- 
vah  s'éleva  de  dessus  le  Chroub  vers  le  seuil  de  la  maison  ^  » . 

Dans  la  direction  de  cliaque  visage  des  Im'ioth,  qui  inarchaient 
droit  devant  eux,  était  une  roue  ayant  l'aspect  du  tarshish, 
substance  qu'une  donnée  géographique  m'a  fait,  §  III  du  présent 
chapitre,  assimiler  au  succin,  et  dont  la  couleur  était  indubita- 
blement jaune.  La  forme  de  ces  roues  comportait  un  second  disque 
encastré  dans  leur  mojeu  ;  elles  suivaient  le  mouvement  des 
'hmoth. 

Au  sommet  du  tableau,  un  firmament  de  cristal  éblouissant' 
encadrait  un  trône  de  saphir  (lapis-lazuli  ou  cuivre  carbonate 
bleu)  sur  lequel  siégeait  un  personnage  resplendissant  comme  le 
'hashmal. 

De  la  vision  extatique,  passons  maintenant  à  la  réalité,  c'est- 
à-dire  aux  monuments  assyro-chaldéens,  La  sculpture  offre  des 
représentations  humaines,  aptères,  diptères  et  tétraptères  ;  des 
animaux  ailés  ;  des  monstres  hybrides,  têtes  de  lion  ou  de  per- 
cnoptère  (vautour  blanc  et  noir  à  crête  de  plumes)  sur  un  corps 

'  Genèse,  III,  24.  Exode,  XXV,  18  à  22  ;   XXVI,  31  ;  XXXVI,  8,  35  ;  XXXVII, 
7  à  9. 

-  IX,  3  ;  X,  i.  Ciilien,  Irad.  cil,  —  M.  le  chanoine  Van  Drivai  émet  sur  les  ché- 
rubins une  opinion  tant  soit  peu  différente  :  «  Clienibha  signifie  à  la  lettre  :  celui 
qui  est  près-,  proche,  assistant,  adslans.  propinquus.  Il  désigne  donc,  dans  le  cas 
présent,  des  êtres  qui  sont  comme  les  habitués  de  la  demeure  de  Dieu,  ceux  qui 
vivent  auprès  de  lui,  autour  de  lui,  au  degré  supérieur  de  l'échelle  de  la  créa- 
tion. C'est  bien  l'idée  qu'exprime  saint  Denys  (l'Aréopagite)  dans  le  passage  sui- 
vant :  —  Le  nom  des  Chérubins  montre  qu'ils  sont  aj)pelés  à  connaître  et  à  admi- 
rer Dieu,  à  contempler  la  lumière  dans  son  éclat  originel,  et  la  beauté  incréée 
dans  ses  plus  splendides  rayonnements  ;  que,  participant  à  la  Sagesse,  ils  se  fa- 
çoiment  à  sa  ressemblance,  et  répandent  sans  envie  sur  les  essences  inférieures 
le  flot  des  dons  merveilleux  qu'ils  ont  reçus.  —  »  Iconographie  des  anges,  p.  15, 
in-8°,  Arras,  1866;  Revue  de  V.-irt  chrétien,  t.  X,  p.  291. 
nip  Gelu,  Crystallum.  Sept.,  opaai;  xpuaTaXXou. 


ORIGINES   DE   l'ORFÉVRERIE   CLOISONNÉE  307 

d'homme,  têtes  d'homme  sur  un  corps  de  lion  ou  de  taureau,  tous 
munis  d'ailes,  soit  doubles  soit  quadruples'.  Les  briques  émail- 
lées^  donnent  lieu  à  des  rapprochements  encore  plus  étroits  :  on  y 
voit,  sur  champ  bleu  lapis,  le  lion,  le  bœuf,  l'aigle  associés  à 
riiomme  ;  des  personnages  tétraptères,  inardmnt  droit  devant 
eux;  des  roues,  dont  le  moyeu  jaune  nrabré  encadre  un  disque, 
dans  la  direction  des  visages.  Les  détails,  très-compliqués,  sont 
rendus  par  une  multitude  d'ijeux  (espaces  ménagés  sur  le  fond), 
et  il  n'est  pas  inutile  de  rappeler  que  deux  pierres  précieuses  au 
moins  portaient  le  nom  d'onl  en  langue  assyrienne  ".  (FI.  III, 
fig.  1  et  2.) 

La  majorité  de  ces  figures,  divines  ou  symboliques,  sculptées 
ou  émaillées,  résidait  à  Tentrée  extérieure  des  palais  et  des  tem- 
ples ;  les  textes  disent  formellement  qu'elles  y  jouaient  le  rôle  de 
protecteiu'  et  de  gardien . 

Inscriptions  de  Sargon  : 

Que  le  taureau  sculpté,  le  taureau  protecteur,  le  génie  qui  veille,  soit 
toujours  présent  devant  sa  face,  qu'il  veille  jour  et  nuit  sur  ces  œuvres 
jusqu'à  ce  que  ses  pieds  se  meuvent  de  ces  portes. 

Que  devant  ta  face  suprême,  le  tauieau  sculpté,  le  taureau  protecteur 
et  le  dieu  qui  procure  le  bonheur  et  la  joie,  restent  dans  cette  maison 
jusqu'à  ce  que  les  pieds  de  ces  taureaux  quittent  le  seuil  des  palais. 

Inscriptions  d'Assarhaddon  : 

J'ai  disposé  des  lions  et  des  taureaux  en  pierre  opposés  face  à  face.  L'un 
veille  sur  la  victoire,  l'autre  sur  le  roi  qui  les  a  élevés. 


*  Botta,  OUI.  cité,  pi.,  passim.  Musée  Xapoléon  llï,  pi.  VII.  Layard,  The  vw- 
nv.m.  of  Nineveh,  pi.  YIII.  H.  L.  Feer,  Les  liuinex  de  Niuive,  p.  95,  in-8",  l'aiis, 
186i.  Les  fouilles  récei.tes  de  M.  Georges  Smith  dans  le  palais  sud-est  d'Assar- 
haddon, à  Niinroud  (Kalach),  ont  mis  en  lumière  six  figures  d'argile  au  corps 
humain  léontocéphale,  tétraptèie,  ayant  dans  la  main  gauche  la  corbeille  sj'rabo- 
lique.  Daily  Telet/raph  ;  cilé  par  le  Messitger  des  sciences  kis/oiiques,  Gand,  1874, 
liv.  i,  p.  501. 

-  Œil  de  zatu,  œil  de  Meluc/iJca  ;  F.  Lenormant,  ouv.  cit.,  loc.  cit. 


308  ORIGINES   DE   l'oRFÉVRERIE    CLOISONNÉE 

Que  dans  ce  palais  le  taureau  suprême,  le  lion  suprême,  les  gardiens  de 
ma  royauté  qui  protègent  mon  honneur,  brillent  d'un  éclat  éternel  Jusqu'à 
ce  que  leurs  pieds  se  séparent  de  ces  poj'tiques*. 

Les  attributions  des  monstres  assyriens  étaient  donc  identiques 
à  celles  du  Chroiib  israëlite.  On  ne  connaît  pas  exactement  le  type 
mosaïque  du  dernier,  mais  l'ërudit  Rosenmiiller  croit  que  le  lé- 
gislateur hébreu  aurait  emprunté  la  tigure  de  son  Chroub  au 
symbolisme  égyptien.  L'idée,  cela  n'est  pas  impossible  ;  mais  la 
forme  dut  être  quelque  peu  moditiée  en  face  des  tendances  idolâ- 
triques  du  Peuple  de  Dieu  ^ . 

Avant  de  conclure,  un  mot  sur  la  personnalité  d'Ezéchiel. 

Comme  chez  les  prophètes  en  général,  le  voyant,  chez  Ezécliiel, 
était  doublé  d'un  habile  politique.  A  l'exemple  de  Jérémie,  il 
avait  soutenu  l'opportunité  de  l'alliance  chaldéenne  contre  les 
partisans  du  roi  d'Egypte,  ce  qui  ne  l'avait  pas  empêché  de  sui- 
vre Jéclionias  en  exil.  Interné  sur  les  bo.ds  duCbebar  (Chaboras), 
rivière  qui  coule  au  centre  de  la  Haute-Mésopotamie  et  se  jette 
dans  l'Eupbrate,  rive  gauche,  il  paraît  néanmoins  y  avoir  joui 
d'une  certaine  liberté,  car  lui-même  nous  apprend  qu'il  alla  vi- 
siter ses  compatriotes  à  Tel- Abib.  Ses  écrits,  où  la  violence  de 
l'image  et  l'âpre  crudité  de  l'expression  atteignent  à  chaque  ins- 
tant le  sublime,  embrassent  trois  ordres  de  faits  :  surnaturels, 
moraux  et  politiques. Quel  que  soit  le  sujet  abordé  par  le  prophète, 
l'inspiration  divine  y  apparaît  toujours,  mais  elle  se  mêle  fré- 
quemment à  des  souvenirs  intimes  ou  à  l'annonce  d'événements 
que  la  sagacité  humaine  pouvait  prévoir  sans  le  concours  d'en 
haut.  Vi:^-à -vis  le  flot  mon  tant  des  invasions  clialdéennes,  Ezéchiel, 
signalant  d'avance  l'incendie  de  Jérusalem,  la  destruction  de  Tyr, 


*  Menant,  Ânn.  des  rois  d'Jssijrle,  p.  17*J,  iUl,  246,  247. 

^  Catien,  trad.  cit.,  t.  I,  p.  17,  note.  Rosenraùller,  llandbuck  der  hihlischen 
Aller llluvïskunde  :  Scholia  in  velus  Texlam,  Spi^ncer,  f)e  Legibus  Ilœhr.  rilual.  — 
M.  A.  de  Longpérier,  Musée  Napoléon  III,  texte  de  la  pi.  VII,  signale  l'analogie 
des  tétraptères  assyriens  avec  les  Chéroubs  de  Jérusalem . 


ORIGINES    DE    l'oRFÉVRERIE    CLOISONNÉE  309 

r asservissement  de  la  Syrie  et  des  peuples  méditerranéens,    la 
conquête  deTÉgypte  ',  ne  me  semble  pas  beaucoup  plus  extralu- 
cide que  M.  Thiers  prédisant  en  1870  les  revers  prochains  de  nos 
armées  :  j'avais,  hélas  !  de  fort  bonnes  raisons  pour  être  alors  du 
même  avis.  La  ruine  de  Ninive  offerte  comme  exemple  à  l'Egyp- 
te, la  transparente  allégorie  d'Ohola  et  Oholiba  fSamarie  et  Jé- 
rusalem), ressortissent  au  domaine  historique  -.  L'idolâtrie  invé- 
térée des  Juifs,  la  reconstruction  du  teini)le,  le  retour  à  la  consti- 
tution mosaïque,  sont  des  réminiscences  du  passé  applicables  à 
l'avenir  ^  Membre  de  la  caste  sacerdotale,  Ezéchiel  était  familier 
avec  chaque  détail,  chaque  meuble  de  l'édifice  deSalomon;  il  avait 
TU  de  ses  propres  yeux  l'habitation  de  Jéhovah  souillée  par  des 
idoles  gravées  sur  le  mur  ^  :  n'aurait-il  pas  visité  aussi  pendant 
son  exil  les  sanctuaires  et  les  palais  assyro-chaldéens?  Les  versets 
14  et  15  du  chapitre  XXII  confirmeraient  cette  hypothèse  : 

Elle  ajouta  h  ses  dérèglements,  et  quand  elle  vit  des  hommes  peints 
sur  le  mur^  des  images  des  Chashdim  (Clialdéens)  peintes  en  rouge. 

Revêtus  de  baudriers  sur  leurs  reins,  avec  des  coiffjres  teintes  flottan- 
tes sur  leurs  têtes,  ayant  tous  Taspect  de  chefs,  l'air  des  fils  de  Babel,  des 
Chashdim,  leur  pays  natal  ^ 

L'allusion  du  prophète  aux  figures  enluminées,  qui  décoraient 
à  l'intérieur  comme  à  l'extérieur  les  monuments  ninivites  et  ba- 


1  Ezéchiel,  III,  15;  X  ;  XVII  ;  XXI  ;  XXV  :  XXVI  à  XXVIII  ;  XXIX. 

-Id.,  XXIII;  XXXI. 

3  Id  ,  VI  ;  VIII  ;  XVI  ;  XX  ;  XL  à  XLVIII. 

*  Id.,  VIII,  10. 

■"  Cahen,  trad.  cit.  "lîïîïS  C^p^H  littéialeraent,  exprimées  en  ronge  ;  mais  'ISJD 
.signifiant  à  la  fois  bleu,  iudiruv),  iiulims  co/or,  et  rouge,  viinntm,  les  monuments 
me  portent  à  croire  qu'il  aurait  fallu  traduire  :  iuingex  de  ChuslaUin  enluminées. 
Le  texte  d'Ézéihiel  ne  mo  semble  contenir  aucune  allusion  à  l'usage  israëlite  de 
peindre  les  maisons,  signalé  par  un  autre  prophète.  «  Qui  dit,  je  me  ferai  bâtir 
une  maison  vaste  et  des  salles  spacieuses  ;  qui  !>'v  fait  percer  des  fenêtres,  poser 
des  lambris  de  cèdre,  et  la  badigeonne  en  rouge  lîïDD  niwîîl.  •>  Jérémie,  XXII, 
14;  Cahen,  trad.  citée. 


310  ORIGINES    DE    L 'orfèvrerie    CLOISONNÉE 

byloniens,  est  ici  évidente  ;  s'il  ne  les  avait  pas  personnellement 
contemplées^  il  en  avait  certainement  entendu  la  description  mi- 
nutieuse faite  par  un  témoin  oculaire.  Gravés  dans  l'esprit  de 
l'exilé,  ces  t3q3es  étranges  s'animèrent  au  souffle  de  l'inspiration 
divine,  et,  comme  il  fallait  donner  un  nom  à  l'ensemble  éclatant 
formé  par  les  incrustations  sur  métal  ou  par  les  briques  vernis- 
sées, ensemble  dont  il  compare  successivement  les  détails  au  feu, 
au  métal  bruni,  aux  charbons  enflammés,  à  la  glace  ou  au  cristal 
de  roche,  Ezéchiel  demanda  peut-être  ce  nom  au  seul  ornement 
mosaïque  dont  l'aspect  rappelât  les  décors  assyro-chaldéens. 
N'existerait-il  pas  quelque  analogie  entre  Itn  et  bl2L'n?  Cette 
analogie,  nécessairement  fort  problématique,  ne  touche  en  rien  au 
nœud  de  la  question  et  j'y  attache  une  importance  secondaire. 
J'ai  uniquement  voulu  démontrer  qu'en  traduisant  liashinal  par 
émail  M.  Labarte  s'était  approché  bien  près  du  sens  véritable  : 
le  liashmal  n'est  pas  l'émaillerie  sur  métaux,  dont  la  pratique 
en  Mésopotamie  n'a  laissé  aucune  trace  ancienne,  mais  bien  Tor- 
févrerie  cloisonnée  ou  l'émaillerie  céramique.  L'écart  est  faible, 
on  le  voit,  et,  s'il  y  a  réellement  ici  une  découverte,  j'en  dois 
restituer  l'honneur  à  la  perspicacité  de  mon  devancier. 

Au  reste,  l'idée  d'une  corrélation  entre  les  types  bibliques  et  as- 
syro-chaldéens n'est  pas  nouvelle  ;  elle  a  été  depuis  longtemps 
appliquée  par  des  hommes  qui  ne  s'en  doutaient  guère,  mais  que 
l'inexorable  logique  du  fait  entraîna  fatalement.  Les  commenta- 
teurs d'Ezéchiel  s'accordent  pour  reconnaître  dans  le  tétramorphe 
les  symboles  des  quatre  historiographes  de  N.-S.  Jésus-Christ; 
or,  les  artistes  du  Moyen-Age,  chargés  de  traduire  en  figures  pal- 
pables les  textes  mystiques  des  écrivains  sacrés,  ont  quelquefois 
représenté  les  Evangélistes  sous  une  forme  humaine  à  tête  d'ani- 
mal. L'enlumineur  du  Sacravientaire  de  Gellone  (manuscrit  du 
VHP  siècle,  Bibl.  Kichelieu),  en  donnant  à  S.  Jean  des  ailes  et 
une  tête  d'aigle,  a,  sauf  l'incorrection  du  dessin,  reproduit  à  peu 
près    l'image   du   dieu  assyrien  Nisrok ,  que  certes  il  n'avait 


ORIGINES   DE    l'oRFÉVRERIE    CLOISONNÉE  311 

jamais  vue  ' .  Le  même  type  apparaît  encore  sur  une  miniature 
du  XIP  siècle,  miniature  tirée  cVun  Commentaire  sur  l'Apoca- 
lypse, dont  la  reproduction  chromolithographique  m'est  récem- 
ment tombée  entre  les  mains,  et  quelques  recherches  en  multi- 
plieraient les  exemples. 

Le  lecteur  pressent  déjà  les  motifs  qui  engagèrent  les  Septante 
à  traduire  2Taî!?n  par -/îXex.tpov;  ces  motifs  seront  développés  au  cha- 
pitre suivant. 

C.   DE  LiNAS. 

(A  suivre. J 

^  Le  Moyen- Jge  et  la  Renaissance,  Manuscrits,  pi.  III.  —  Gellone  ou  Saint- 
Guillaume-du  Désert,  monastère  bénédictin  de  l'ancien  diocèse  de  Lodève. 


GASTEL-GANDOLFO 


Castel-Gandolfo  ('Arx  Gandulphi  ou  Caslrum  Gandulphi)^  résidence  assez 
ordinaire  des  Papes  depuis  environ  deux  siècles  pendant  la  saison  de  la 
villégiature,  s'élève  à  13  milles  de  Rome,  sur  la  crête  des  Collines  Albaines, 
dans  un  site  enchanteur.  Le  regard  embrasse,  du  palais  des  Papes,  la 
campagne  romaine  sillonnée  d'acqueducs  en  ruines;  il  découvre  Rome 
enveloppée  d'une  légère  brume  que  dcmine  la  boule  dorée  de  Saint-Pierre, 
s'étend  d'un  côté  jusqu'à  la  mer  et  de  l'autre  jusqu'aux  Apennins,  et  se 
repose  autour  de  la  colline  sur  Marino,  Albano.  le  lac.  et  un  amphithéâtre 
de  verdure,  semé  de  blanches  villas. 

Du  palais  de  Castel-Gandolfo  ont  été  datés  une  foule  de  Bulles  et  de 
Brefs  (datum  ex  Aixe  Gandulphi) .  Commencé  par  Urbain  VIII,  achevé  par 
Alexandre  VII  et  embelUpar  Clément  XI,  Benoît  XIV,  Clément  XIV,  Pie  VI 
et  Pie  VII,  il  fut  déclaré  palais  impérial  sous  l'occupation  française,  et 
Napoléon  I"  décréta  sa  transformation  en  une  somptueuse  résidence  ; 
mais  ce  projet,  comme  tant  d'autres,  n'eut  pas  de  suite.  Après  la  restau- 
ration du  gouvernement  pontifical.  Pie  VII  passa  plusieurs  étés  à  Castel- 
Gandolfo  ;  Grégoire  XVI  en  fit  son  séjour  de  prédilection  pour  la 
villégiature  ;  Pie  IX  y  a  résidé  souvent  et  vient  d'en  faire  restaurer  l'in- 
térieur. 

Le  lac  s'étend  sur  une  longueur  de  cinq  milles  ;  il  a  pour  lui  le  cratère 
d'un  volcan,  éteint  à  une  époque  impossi..le  à  préciser.  Les  eaux  occupent 
le  fond  d'une  coupe  de  verdure  :  dans  la  journée,  leur  azur  est  aussi  lim- 
pide que  celui  du  plus  beau  ciel;  à  la  tombée  de  la  nuit,  elles  prennent  peu 
à  peu  la  couleur  glauque  de  leurs  bords  et  on  croit  voir  une  vallée  entre 
Castel-Gandolfo  et  Albano. 

L'imagination  des  anciens  peupla  ce  site  pittoresque  de  nymphes  et  de 
faunes  :  Le  Lacm  Albanensis  eut  ses  légendes  avant  d'avoir  des  souvenirs 


CASTEL-ÛANDOLFO  313 

historiques.  Dans  le  principe,  les  eaux  devaient  être  fort  basses  :  Denys 
d'Halicarnasse  raconte  qu'une  élévation  subite  de  leur  niveau  engloutit 
Silvius,  roi  des  Albains,  et  son  palais,  en  punition  de  l'impiété  de  ce  per- 
sonnage. Ainsi  s'expliquerait  l'apparition  de  ruines  informes  au  fond  du 
lac.  Plus  tard,  à  l'époque  du  siège  de  Veïes,  on  signala  un  débordement 
extraordinaire  au  cœur  de  l'été  et  à  la  suite  d'une  longue  sécheresse  ; 
l'oracle  de  Delphes,  interrogé  par  les  consuls,  répondit  que  les  Romains 
ne  prendraient  Veïes  qu'après  avoir  déchargé  le  trop-plein  du  lac  dans  la 
campagne  romaine.  Cela  se  passait  il  y  a  environ  vingt-trois  siècles.  En 
moins  d'une  année,  un  canal  d'un  mille  et  demi  de  longueur  fut  creusé  à 
travers  les  flancs  de  la  montagne,  déversa  un  énorme  volume  d'eau  entre 
Pratica,  Ostie  et  Rome,  et  Veïes  fut  prise.  Cette  œuvre  gigantesque,  accom- 
plie en  si  peu  de  temps  sans  aucune  des  ressources  de  la  science  moderne, 
est  encore  intacte.  On  prétend  que  la  nature  a  pratiqué  elle-même  trois 
autres  émissaires  qui  mettraient  le  lac  en  communication  avec  celui  de 
Nemi,  avec  l'Acqua  Trabra  et  avec  la  vallée  de  Marino. 

Domitien,  devenu  possesseur  de  la  villa  de  Publius  Clodius,  sur  l'em- 
placement de  Castel-Gandolfo,  l'agrandit  et  en  fit  un  Heu  de  délices  d'oii 
le  regard  embrassait  un  horizon  immense  ;  Martial  s'adresse  en  ces  termes 
à  l'empereur  : 


seu  collibus  uteris  Albae 

Caesar,  et  hinc  Triviam  prospicis^  inde  Thetyn. 

(Epig.  1,  lib.  V). 

Si  l'on  ajoute  foi  à  un  diplôme  de  Lothaire,  en  date  de  846,  les  empe- 
reurs avaient  une  villa  à  Castel-Gandolfo,  où  ilsserendaient  fréquemment 
pendant  leur  séjour  à  Rome . 

Les  auteurs  qui  ont  éciit  sur  le  moyen-âge  font  dériver  le  nom  de  Cas- 
tel-Gandolfo de  Gandolfo  ou  Gandulfi,  d'origine  génoise,  sénateur  de 
Rome  en  1123  et  alors  possesseur  d'une  partie  de  l'emplacement  de  la 
villa  de  Domitien.  Le  territoire  passa  aux  Savelli  vers  la  fin  du  XIIP  siècle 
et,  après  diverses  vicissitudes,  fut  déclaré  propriété  du  Saint-Siège  par 
Clément  VIII,  le  i27  mai  1G04.  Urbain  VIII,  dont  la  famille  possé'dait  à 
Castel-Gandolfo  une  splendide  villa,  aimait  ce  séjour  de  préférence  h.  tous 
ceux  qu'avaient  fréquentés  ses  prédécesseurs  :  il  y  construisit  le  palais 
actuel  sur  les  dessins  de  Charles  :Maderne,  de  Barthélémy  Breccioli  et  de 
Dominique  Castelli,  en  confia  la  décoration  aux  meilleurs  artistes  de  l'épo- 
que, entoura  l'édifice  et  le  jardin  d'une  enceinte  indestructible  et  ouviit  la 
galerie  plantée  d'arbres  séculaires  qui  aboutit  à  Albano.  A  cette  occasion, 
Ile  série,  tome  IL  93 


314  CASTEL-GANDOLFO 

une  médaille  fut  frappée  in  suburbano  recessu  et  on  grava  l'inscription  sui- 
vante sur  la  façade  du  palais  : 

Vrbanvs   .  VIII 

rONTIFEX    .    MAXIMVS 

SEMITIS     .     COMPLANATIS 

COETERISQ\E    .    AD    .    VSVM    .    VILLAE 

COMPARATIS 

SVBVRBANAS    .    AEDES 

COMMODITATI    .    PONTIFICVM 

EXTRVMT 

ANNO     .     DOMINI      .      MDCXXIX 

PONTIFICATVS    .    VU 

L.  Chaillot. 


DECOUVERTE 

D'UN    TRAITÉ    DE    SYMBOLISME 

DU  XIII^  SIÈCLE 

A  la  Bibliothèque  de  la  ville  de  Poitiers 


Je  m'occupais,  en  1857,  à  rechercher  si  les  manuscrits  de  la  bibliothèque 
publique  de  Poitiers  pourraient  me  fournir  quelques  documents  pour  une 
étude  sur  les  Travaux  mensuels  nu  moyen-âge,  que  j'ai  publics  dans  le 
Bulletin  monumentaL  lorsque  j'eus  le  bonheur  de  mettre  la  main  sur  une 
Légende  dorée  du  XIV'  siècle,  dont  les  feuillets  de  garde  appartenaient 
au  XIIP. 

Après  avoir  pris  connaissance  de  ces  pages  détachées,  je  reconnus  bien 
vite  d'importants  fragments  d'un  Traité  de  symbolisme  chrétien.  Inutile 
d'ajouter  qu'immédiatement  je  me  fis  un  devoir  de  le  copier. 

J'attribue  une  grande  valeur  à  ce  traité,  quelque  incomplet  qu'il  soit, 
parce  qu'il  résume  clairement  sur  les  points  qu'il  touche  l'enseignement 
traditionnel  de  l'Eglise.  Je  n'y  vois  rien  qui  n'ait  déjà  été  dit  par  les  saints 
Pères  ou  les  auteurs  ecclésiastiques.  Aussi  une  partie  de  mon  travail  sera 
maintenant  de  remonter  aux  sources  où  a  puisé  l'auteur  anonyme  ;  mais 
où  il  est  entièrement  nouveau,  c'est  dans  la  forme  catéchistique  par 
demandes  et  par  réponses,  et  dans  la  réduction  des  textes  à  l'état  de  for- 
mules versifiées. 

J'irai  plus  loin,  et  je  demanderai  aux  sculpteurs  et  aux  peintres,  aux 
imagiers,  en  un  mot,  si,  pendant  toute  la  durée  du  Moyen-Age,  ils  ont 
tenu  compte  de  ces  observations  qui  relèvent  l'art  et  le  rendent  chrétien 
et  j'espère  pouvoir  montrer  que  la  théorie  a  trouvé  son  application  fré- 
quente aux  hautes  époques.  —  Du  reste,  l'iconographie  du  Moyen-Age  ne 
se  comprendra  jamais  parfaitement  qu'à  l'aide  de  textes  contemporains 
des  œuvres. 


316  DÉCOUVERTE    D'uN    TRAITÉ    DE    SYMBOLISME 

Voici  un  échantillon  de  ma  découverte  : 

Sculptez  sur  des  fonts  baptismaux  la  sortie  du  peuple  hébreu  de  l'Egypte, 
et  vous  pourrez  élucider  ainsi  votre  bas-relief  : 

«  Pharaon,  qui  se  noie  dans  la  mer  Bouge,  représente  le  démon  victime 
du  baptême.  L'Egypte  tigure  l'univers.  Nous  sommes  les  Israélites  ;  ils 
n'arrivent  à  Jérusalem  qu'après  une  marche  pénible  à  travers  le  désert  et 
de  sanglants  combats  :  nous  aussi  nous  ne  parvenons  à  la  Jérusalem 
céleste  qu'après  avoir  combattu  et  fatigué  en  traversant  le  désert  de  ce 
monde . 

»  Quid  significat  exitus  Israël  de  Egypto? 
Israélite  nos.  Pharao  Sathan,  orbis  Egiptus. 
Baptismus  mare  rubrum.  Rex  submergitur  iindis 
Et  regnum  Sathane  périt  in  baptismate.  Tendit 
Iherusalem  populus.  Sed  per  déserta  vagatur. 
Nos  per  desertum  mundi  vivendo  vagantes 
Tendimus  ad  patriam  celestem.  Plurima  restant. 
His  carnalia  prelia,  spiritualia  nobis.  » 

X.  Barbier  de  Montault. 


TRAVAUX  DES  SOCIÉTÉS  SAVANTES 


Congrès  des  Sociétés  savantes.  —  Les  délégués  des  Sociétés  savantes 
se  sont  réunis  à  la  Sorbonne  les  31  naars,  1"  et  2  avril  ;  voici  qu'elle  était 
la  composition  des  bureaux  : 

l"  Section  d'histoire  et  de  philologie  :  Président,  M.  Léopold  Delisle  ; 
vice-président,  M.  Lascoux  ;  assesseurs,  MM.  les  présidents  de  la  Société 
des  archives  historiques  du  Poitou,  à  Poitiers;  de  la  Société  archéologi- 
que de  l'Orléanais,  à  Orléans;  secrétaire,  M.  Hippeau. 

2°  Section  d'archéologie  :  Président,  M.  le  marquis  de  La  Grange;  vice- 
président,  M.  Léon  Renier  ;  assesseur,  MM.  les  présidents  de  la  Société 
archéologique  du  département  de  Gonstatitine;  de  l'Académie  des  scien- 
ces, belles-lettres  et  arts  de  Clermont-Ferrand  ;  de  la  commission  dépar- 
tementale de  la  Côte  d'Or,  à  Dijon  ;  secrétaire,  M.  Chabouillet. 

3°  Section  des  sciences  :  Président,  M.  Le  Verrier;  vice-président, 
M.  Milne-Edwards  ;  secrétaire,  M.  Emile  Blanchard. 

L'espace  nous  manquant  pour  rendre  compte  des  nombreux  et  intéres- 
rants  travaux  lus  dans  ces  trois  sections,  nous  devrons  nous  borner  à  si- 
gnaler quelques-uns  des  travaux  les  plus  importants  et  rentrant  plus 
spécialement  dans  le  cadre  de  nos  études  accoutumées. 

M.  Vimont,  de  l'Académie  de  Clermont-Ferrand,  a  lu  une  Notice  sur 
les  fouilles  archéologiques  exécutées  sur  le  sommet  du  Puy-de-Dôme^  sous  le 
patronage  de  cette  compagnie,  eu  1873  et  en  187  i.  On  ne  peut  ici  qu'in- 
diquer les  résultats  de  cette  mémorable  entreprise,  qui  a  été  facilitée  par 
la  construction  d"un  observatoire  sur  le  culmen  du  Puy-de-Dôme,  à  1,463 
mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  On  a  trouvé  les  substructions  d'un 
temple  de  proportions  peu  ordinaires  et  qui  devait  être  orné  avec  la  plus 
grande  richesse  ;  ce  temple,  dont  les  ruines  découvertes,  à  Theure  qu'il 
est,  couvrent  80  mètres  de  terrain,  était,  suivant  l'opinion  des  membres 
de  l'Académie  de  Clcrmont,  consacré  à  Mercure,  et,  suivant  M.  Léon  Re- 
nier, qui  a  ajouté  des  observations  à  la  notice  de  M.  Vimont,  ce  temple 
aurait  été  élevé  non  pas  seulement  par  les  Arvernes,  mais  par  toute  la 
Gaule,  dont  Mercure  était,  comme  on  sait,  la  principale  divinité.  M.  Vi- 
mont avait  apporté  à  la  séance  des  fragments  de  marbres  précieux  de 


318  TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS   SAVANTES 

toutes  les  espèces,  des  moulures  en  marljrc  de  Paros,  on  bronze,  qui  ont 
vivement  intéressé  l'auditoire . 

Mais  ce  qui  a  surtout  attiré  l'attention,  c'est  le  fac-similé  d'une  inscrip- 
tion sur  bronze  à  Mercure  Bicmias,  Mercurio  Dumiaft,  qui  nous  apprend  le 
nom  antique  de  la  montagne  que  nous  appelons  Puy-de-Dôme.  Bumium, 
dont  est  formé  Diam'as,  a  fait  en  français  Dôme. 

M.  Godard-Faultrier,  de  la  Société  d'agriculture,  sciences  et  arts  d'An- 
gers, a  donné  lecture  d'un  troisième  mémoire  sur  les  fouilles  des  Chatelliers 
de  Frémur.  C  est  la  description  d'un  établissement  de  bains  de  l'époque 
romaine,  avec  plans,  coupes  et  élévations,  vues  d'ensemble,  etc.,  habile- 
ment exécutés  par  le  docteur  Godard,  (ils  de  l'auteur.  Les  thermes  des 
Chatelliers  paraissent  avoir  été  installés  suivant  les  préceptes  des  médecins 
anciens  dont  nous  avons  les  écrits.  On  y  a  trouvé  beaucoup  d'objets  fort 
curieux,  également  dessinés  par  M.  Godard. 

M.  Morel,  de  la  Société  d'agriculture,  sciences  vi  arts  de  la  Marne,  a  lu 
la  Description  d'une  sépulture  de  l'âge  de  hronze  et  a  montré  une  belle  épée 
de  bronze  trouvée  à  Courtavant(Aube),  entre  les  jambes  du  squelette  d'un 
guerrier,  aux  pieds  duquel  on  a  trouvé,  comme  il  arrive  d'ordinaire,  des 
vases  de  terre  cuite  noire.  L'épée  apportée  par  M.  Morel  est  un  des  plus 
beaux  spécimens  que  l'on  connaisse.  Son  heureux  possesseur  pense  qu'il 
faut  y  voir  le  type  de  l'épée  de  bronze,  au  moment  oii  le  fer  allait  arriver. 
M.  Voulot  a  fait  savoir  qu'on  avait  trouvé  récemnient  en  Alsace  une  épée 
aussi  belle  que  celle  de  Courtavant  ;  il  pense,  comme  M.  Morel,  que  ces 
armes  sont  les  derniers  types  du  bronze. 

M.  l'abbé  Desnoyers,  de  la  Société  archéologique  de  l'Orléanais,  l'cpré- 
senté  par  M.  Boucher  de  Molandon,  président  de  cette  Compagnie,  est 
l'auteur  d'une  Notice  sur  divers  objets  trouvés  dans  la  Loire ^  à  Orléans, 
en  1872, 1873  et  1874. 

M.  l'abbé  Desaoyers,  qui  pense,  avec  la  plupart  des  érudits  de  notre 
temps,  qu'Orléans  est  le  Genahum  de  César,  croit  avoir  apporté  de  nou- 
veaux arguments  à  la  démonstration  de  cette  (juestion  d'identification 
géographique. 

M.  Ouénault,  vice-président  de  la  Société  académique  du  Cotentin,  à 
Goutances  (Manche),  a  lu  un  Mémoire  sur  l'aqueduc  de  cette  ville.  (In  a 
souvent  dit,  et  M.  Quénault  lui-niemo  a  ci'u  longtemps  que  cet  aqueduc, 
s'il  n'était  pas  entièrement  antique,  Tétait  au  moins  en  pai'tie.  Une  étude 
nouvelle  de  ce  monument  et  la  découverte  de  documents  concluants  ont 
démontré  à  M.  Quénault  que  la  construction  de  cet  aquuduc  ne  remontait 
pas  plus  haut  que  l'année  1232,  qu'il  n'a  rien  d'antique,  et  même  que 
jamais,  dans  l'antiquité,  il  n'y  eut  d'aqueduc  à  l'endjoit  où  l'on  voit  celui 
du  Moyen-Age. 


TRAVAUX    DES    .SOCIÉTÉS  SAVANTES  319 

M.  Le  Brun-Dalbane,  membre  de  la  Société  académique  d'agriculture, 
sciences  et  belles-lettres  de  l'Aube,  à  Troyes,  a  lu  une  Elude  sur  Catherine 
Duchemin^  peintre  de  fleurs,  femme  de  François  Girardori.,  le  célèbre  sculp- 
teur. Cette  biographie,  dont  l'occasion  a  été  l'entrée  au  musée  de  la  ville 
de  Troyes  d'un  joli  portrait,  peint  sur  peau  de  vélin,  de  Catherine  Du- 
chemin,  a  vivement  intéressé  l'auditoire. 

L'auteur  a  fait  observer  que  l'assemblée  siégeait  bien  près  d'un  des 
chefs-d'œuvre  de  Girardon,  le  tombeau  du  cardinal  de  Richelieu,  que  l'on 
admire  dans  l'église  de  la  Sorbonne.  M.  Le  Brun-Dalbane  a  mis  la  minia- 
ture originale  sous  les  yeux  de  l'assemblée  et  a  terminé  en  nous  apprenant 
que  les  restes  du  tombeau  de  Catherine  Duchemin,  dû  à  Girardon  lui- 
même,  et  que  l'on  voyait  jadis  à  Paris,  dans  l'église  Saint-Landry,  sauvés 
au  moment  de  la  Révolution  par  Alexandre  Lenoir,  sont  aujourd'hui  dans 
l'église  Sainte-Marguerite-Saint-Antoine. 

On  a  récemment  trouvé  en  Champagne  deux  cestes  de  travail  très-fin, 
étrusque  peut-être  ;  celte  circonstance  a  donné  l'éveil,  et  l'on  a  recherché 
si  c'était  seulement  une  importation  fortuite,  ou  sil  fallait  reconnaître  une 
influence  étrusque  en  Champagne  et  même  dans  la  Gaule.  M.  Joseph  de 
Baye,  membre  de  lAcadémie  de  Reims,  a  lu  un  Mémoire  dans  lequel  il  se 
prononce  pour  l'affirmative  ;  mais  M.  J.  Ouicherata  fait  quelques  réserves 
et  a  montré  qu'il  fallait  se  garder  de  conclure  de  certains  rapprochements 
de  détail  à  des  faits  généraux. 

M.  Borrel,  de  l'Académie  de  la  Val-d'Isère,  à  Moutiers  (Savoie),  donne 
lecture  d'une  Etude  sur  les  monuments  de  l'antiquité  dans  la  Tarentaise. 
Commençant  par  les  monuments  dits  de  l'âge  de  pierre,  M.  Borrel  ne 
s'arrête  qu'au  V®  siècle  de  notre  ère,  où  il  rencontre  un  monument  des 
plus  remarquables,  dont  il  a  fait  une  savante  monographie.  Après  avoir 
décrit  le  cromlech  du  petit  Saint-Bernard,  situé  à  plus  de  2,500  mètres 
d'altitude,  des  pierres  levées,  une  pieire  qui  vire,  des  gals-gals,  des  tu- 
mulus  de  l'âge  de  bronze,  etc.,  M.  Borrel  arrive  à  l'église  de  Saint-Mar- 
tin d'Aimé,  en  Savoie,  fondée  en  427,  par  saint  Jacques  l'Assyrien,  l'a- 
pôtre de  la  Tarentaise.  C'est  un  monument  des  plus  vénérables,  qui  pa- 
raît avoir  été  construit  sur  les  fondations  d'un  temple  païen.  Un  grand 
nombre  de  planches,  exécutées  avec  le  plus  grand  soin,  donnent  une  idée 
complète  de  cet  important  édifice,  qui  avait  attiré  l'attention  d'un  arche- 
vêque de  la  Tarentaise  dès  la  fin  du  XVIP  siècle.  Les  planches  mises  sous 
les  yeux  de  l'assgmblée  représentent  non-seulement  l'ensemble,  les  coupes 
et  élévations  de  l'église,  mais  des  détails  et  les  curieuses  peintures  de  la 
fin  du  XI l''  siècle  ([ui  décorent  l'église  de  Saint-Martin  d'Aimé,  et  qui,  ca- 
chées depuis  des  siècles  sous  une  épaisse  couche  de  badigeon,  ont  été  dé- 
couvertes dans  ces  dernières  années  par  M.  Borrel  lui-même. 


320  TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES 

Les  sociétés  qui  ont  obtenu  des  prix  sont: 

Bordeaux^  Société  des  archives  historiques  de  la  Gironde. 

Poitiers,  Société  des  archives  historiques  du  Poitou. 

Orléans,  Société  archéologique  de  l'Orléanais. 

Constantine,  Société  archéologique  du  département. 

Clermont,  Académie  des  sciences,  belles-lettres  et  arts. 

Dijon,  Commission  départementale  des  antiquités  de  la  Côte-d'Or. 

M.  Jourdain,  secrétaire  général  du  ministère  de  l'instruction  publique, 
a  proclamé  les  noms  des  personnes  qui,  en  récompense  de  leurs  travaux, 
ont  obtenu  les  titres  d'officier  de  l'instruction  publique  et  d'officier  d'a- 
cadémie. 

Académie  des  inscriptions.  —  Dans  la  séance  du  12  février  dernier 
de  l'Académie  des  Jnscriptions  et  belles-lettres,  M.  Edmond  Le  Blant  a  lu 
une  note  intitulée  :  les  Larmes  de  la  prière.  Voici  l'analyse  que  nous  en 
donne  le  Journal  officiel  : 

L'un  des  beaux  sarcophages  chrétiens  d'Arles  présente  un  groupe 
inexpliqué.  Aux  pieds  de  Jésus  assis  et  tenant  le  volumen  sacré,  deux  per- 
sonnages se  prosterne  nt(yacen^  in  ora^/one),  comme  disentles  anciens  textes. 
Au-dessus  de  ces  fidèles  absorbés  dans  Thumilité  de  la  suppUcation,  et  de 
chaque  côté  du  Christ,  deux  autres  personnages  inclinés  devant  lui  cou- 
vrent des  deux  mains  leurs  yeux  d'un  linge  flottant.  Eux  aussi  prient,  et, 
selon  toute  apparence,  des  pleurs  accompagnent  leur  prière.  M.  Le  Blant 
voit  dans  cette  représentation  un  trait  important  des  pieuses  pratiques 
des  anciens  chrétiens.  C'est  le  seul  exemple  de  ce  fait  qui  nous  soit  offert 
par  les  monuments. 

Rien,  en  effet,  n'est  plus  fréquent  dans  les  textes  que  la  mention  de 
larmes  versées  en  invoquant  le  Seigneur.  Les  juifs  de  la  primitive  alliance 
en  avaient  dès  longtemps  donné  l'exemple.  I^es  chrétiens  regardaient 
l'effusion  des  larmes  comme  un  indice  de  l'assistance  divine  dans  l'orai- 
son. «  Mon  cœur  ne  saurait  s'attendrir,  disait  un  ascète  de  la  Syrie,  si  je 
ne  pleure  devant  mon  Dieu.  »  Saint  Grégoire-le-Grand  interprète  la  de- 
mande d'une  terre  arrosée  que  Axa  adresse  à  Josué,  son  père,  par  la 
grâce  des  larmes  que  doivent  implorer  les  fidèles.  Dans  la  pensée  des 
saints  docteurs,  cette  marque  d'émotion  communiquait  à  la  prière  une 
grande  efficacité  :  une  légende  du  VU"  siècla  nous  montre  un  brigand 
sauvé  de  la  damnation  par  les  larmes  qu'il  a  répandues  durant  les  quelques 
heures  qui  séparent  son  repentir  de  la  mort. 

Ces  larmes  dévotes  se  sont  séchées  parmi  nous,  dit  M.  Le  Blant.  Notre 
société  européenne  est  trop  vieillie  pour  connaître;  la  pieuse  émotion  qui 
a  agité  nos  ancêtres  et  qui  agite  encore  (comme  le  témoignent  les  récits 


TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES  321 

des  missionnaires)  des  races  moins  éloignées  que  la  nôtre  de  leur  période 
d'enfance. 

Société  des  Antiquaires  de  France.  —  M.  V.  Guérin  lui  a  fait  la  com- 
munication suivante  sur  les  ruines  du  mont  Garizin  : 

«  Sur  le  point  culminant  de  cette  montagne  s'étend  une  grande  enceinte 
encore  en  partie  debout.  Elle  forme  un  quadrilatère  flanqué  aux  quatre 
angles  de  petites  tours  carrées.  Les  faces  sud  et  nord  ont  un  développe- 
ment de  79  mètres  et  les  faces  est  et  ouest  de  64  mètres.  Sur  le  milieu  de 
la  face  sud  on  remarque  une  tour  semblable  à  celle  des  angles.  A  cette 
dernière  tour  répond  dans  la  face  opposée  une  grande  porte.  Les  murs 
ont  partout  une  épaisseur  de  l'"35  et  sont  revêtus  de  gros  blocs,  la  plu- 
part taillés  en  bossage  et  reposant  sans  ciment  les  uns  sur  les  autres.  Au 
milieu  de  la  plate-forme  que  délimitait  cette  enceinte,  s'élevait  un  édifice 
octogone,  dont  les  arasements  seuls  sont  visibles;  il  avait  été  bâti  en 
pierres  de  taille  très-régulières  et  complètement  aplanies,  à  en  juger  par 
quelques  assises  encore  en  place.  Une  coupole  le  recouvrait  sans  doute 
et,  abstraction  faite  de  l'abside  qui  s'arrondit  en  saillie  vers  l'est  et  de 
plusieurs  chapelles  latérales  débordant  également  en  dehors  du  monu- 
ment, il  devait  offrir  une  grande  ressemblance  avec  la  mosquée  d'Omar. 
Son  développement  intérieur,  sans  y  comprendre  ses  annexes,  est  de  23 
mètres,  et  chaque  côté  du  polygone  en  mesure  9. 

((  L'opinion  la  plus  probable  est  que  les  ruines  de  cet  édifice  sont  celles 
de  Sainte-Marie,  fondée  par  Zenon  et  que  Justinien,  au  dire  de  Procope, 
avait  environnée  d'une  enceinte  fortifiée  pour  la  mettre  à  l'abri  des  dé- 
prédations des  Samaritains  qu'en  avaient  expulsés  les  chiétiens.  En  effet, 
l'orientation  de  ce  monument  semble  prouver  qu'on  foule  là  les  débris 
d'une  ancienne  église  chrétienne.  M.  de  Saulcy,  au  contraii'c,  croit  y  re- 
connaître les  vestiges  de  l'ancien  temple  samaritain  fondé  par  Sanaballète, 
sous  le  règne  d'Alexandrc-le-Grand,  et  dédié  plus  tard,  sous  Antiochus 
Épiphane,  à  Jupiter  HcUénien. 

((Pour  accorder  ces  deux  opinions,  en  apparence  con(radictoires,M.  Gué- 
rin pense  avec  ce  savant  que  l'enceinte  en  gros  blocs  à  bossage  dont  il 
vient  de  pailer  est  bien  le  téménos  du  temple  samaritain  bâti  par  Sana- 
bathlète,  téménos  qui  fut  ensuite  restauré  par  Justinien,  à  qui  Procope  en 
attribue  la  fondation.  Par  conséquent,  l'édifice  octogone  en  question  oc- 
cupe lui-même  l'emplacement  de  l'ancien  sanctuaire  des  Samaritains, 
mais  les  vestiges  que  Ton  voit  là  ne  sont  pas  évidemment  ceux  de  ce 
sanctuaire,  car  on  sait  d'abord  qu'il  fut  rasé  par  Jean  ITyrcan.  On  possède 
en  outre  de  magnifiques  médailles  impériales  d'Antonin-le-Pieux,  frap- 


322  TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES 

pées  à  Napolis,  et  qui  représentent  le  mont  Garizira  avec  un  temple,  celui 
qui  avait  été  bâti  par  Adrien  en  l'honneur  de  Jupiter  très-haut.  Or  ce 
temple  qui  avait  dû  succéder  à  celui  de  Jupiter  Hellénien,  identique  lui- 
même  avec  celui  des  Samaritains  et  rasé  par  Jean  Hyrcan,  est  figuré  sur 
ces  médailles  avec  une  forme  rectangulaire  et  un  double  portique,  sur- 
montés l'un  et  l'autre  d'un  fronton  triangulaire.  Il  est  à  présumer,  en  ou- 
tre, que  Sanabathlète  qui  avait  voulu  fonder  sur  le  Carizim  un  temple 
rival  de  celui  de  Jérusalem,  avait  dû  imiter  la  forme  de  celui-ci,  c'est-à- 
dire  celle  d'un  rectangle  et  non  d'un  octogone. 

«  Près  de  cette  enceinte  on  remarque  des  blocs  énormes  et  non  taillés, 
connus  sous  le  nom  de  Tenacher  Balathah  (les  douze  pierres  plates).  Avant 
les  fouilles  entrepiises  en  cet  endroit,  en  1866,  par  le  lieutenant  anglais 
Anderson,  on  était  tenté  de  les  prendre  pour  des  rochers  naturels,  avec 
lesquels  ils  se  confondent  facilement;  mais  depuis  ces  fouilles,  il  n'est 
plus  permis  de  douter  qu'ils  n'aient  été  apportés  et  placés  là  par  la  main 
de  Thomme  ;  car  une  tranchée  ouverte  à  Tentour  par  cet  officier  prouve 
qu'ils  reposent  sur  trois  assises  superposées  d'autres  blocs  moins  considé- 
rables, formant  ainsi  une  plate-forme  artificielle  longue  de  25  pas  sur  7 
de  large.  Les  Samaritains  prétendent  que  les  Tenacher  Balathah,  repré- 
sentant par  leur  nombre  les  douze  tribus,  sont  les  pierres  non  taillées 
que,  conformément  à  leur  Pentateu(juc,  Josué,  d'après  l'ordre  du  Sei- 
gneur, aurait  placées  sur  le  mont  Garizim,  afin  d'en  former  un  autel  des- 
tiné aux  holocaustes.  Mais  les  passages  de  la  Uiblc  relatifs  à  ce  sujet  por- 
tent dans  tous  les  manuscrits  hébraïques,  au  lieu  du  mot  Garizim,  le  mot 
Ebal.  C'est  donc  sur  cette  dernière  montagne  qu'il  faut  chercher  l'autel 
construit  par  Josué.  Les  douze  blocs  désignés  sous  le  nom  de  Tenacher 
Balathah  n'ont,  par  conséquent,  été  établis  sur  le  Garizim  qu'à  une  époque 
bien  postérieure  à  Josué,  sans  doute  par  les  Samaritains  eux-mêmes,  dé- 
sireux de  conserver  en  quelque  sorte  par  un  monument  le  texte  erroné  de 
leur  Pentateuque.  » 

Société  de  Saint-Jean.  —  Le  R.  P.  Vasseur,  Missionnaire  de  Chine, 
a  fait  connaître  à  la  iiOcidiëV Œuore  chinoise  indigène  de  Saint-Luc^  pour 
aider  à  la  propagation  de  la  foi. 

Il  y  a  en  Asie  environ  400  mille  chrétiens  qui  ont  une  langue  écrite 
commune,  la  langue  chinoise.  Pour  ce  grand  nombre  de  fidèles,  400 
Missionnaires  seulement  et  150  Prêtres  indigènes  sont  insuffisants  ;  il  faut 
faire  appel  à  l'art,  qui  a  une  grande  puissance  dans  tous  ces  pays.  Dans 
ce  but  a  été  fondée  l'OEuvre  de  Saint-Luc  pour  la  dilfusion  des  images 
chrétiennes,  l^es  nvivens  d'action  sont  nombreux  à  cause  du  bon  marché 


TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES  323 

de  l'éxecution  et  du  talent  des  ouvriers  chinois  pour  le  dessin.  Les  arti- 
sans-peintres se  contentent  facilement  de  6  ou  7  sous  par  jour  pour  vivre, 
et  une  gravure  sur  bois  de  2  mètres  de  haut  sur  60  centimètres  de  large, 
ne  coûte  que  20  fr.  à  exécuter. 

Les  livres  illustrés  reviennent  à  5  ou  6  sous  l'exemplaire. 

La  Confrérie,  après  avoir  examiné  les  planches  gravées  et  coloriées  qui 
sont  mises  sous  ses  yeux,  déclare  que  cette  œuvre  est  de  celles  qu'elle  aime 
et  encourage,  parce  qu'elle  est  conforme  aux  principes  de  l'iconographie 
chrétienne. 

La  portée  de  l'œuvre  est  immense  puisqu'elle  embrasse  dans  son  plan  : 
1"  l'instruction  populaire  par  les  images  ;  2°  la  décoration  des  éghses  ; 
3" la  controverse  avec  les  lettrés  païens;  4°  l'archéologie  et  l'histoire  de 
l'art. 

Société  artésienne  des  Amis  des  Arts.  —  Corot  était  président  hono- 
raire de  cette  Société  :  aussi  le  président,  M.  de  Galamelz,  a  t-il  prononcé 
son  éloge,  où  nous  trouvons  le  passage  suivant  : 

«  La  contemplation  des  chefs-d'œuvre  de  la  création  élevait  sa  pensée 
jusqu'au  Créateur  ;  —  pour  les  traduire  si  bien,  il  fallait  les  comprendre  ; 
—  il  ne  pouvait  les  comprendre  sans  croire  en  Dieu.  La  veille  de  ses  funé- 
railles cette  indication  eût  suffi  ;  aujourd'hui  c'est  un  devoir  d'y  insister. 
«  Corot  fut  chrétien  ;  il  vécut  simplement  en  travailleur  et  en  chré- 
tien. Né  du  peuple,  du  vrai  peuple,  du  peuple  laborieux  et  honnête,  il 
avait  la  foi  de  ce  peuple,  et  ne  répondait  que  par  des  haussements  d'é- 
paules aux  la/.zis  impies  que  l'on  se  permettait  parfois  autour  de  lui,  — 
faisant,  je  l'ai  dit  déjà,  autant  de  bien  qu'il  pouvait. 

(i  Tel  fut  Corot,  —  le  proclamer,  c'est  glorifier  celui  que  nous  pleu- 
rons ;  et  il  n'est  peut-ôtie  pas  hors  de  propos  d'opposer  la  foi  ferme  et 
humble  de  cet  homme  de  génie  à  la  passion  irréligieuse  et  anti-sociale 
qui,  par  des  i  Manifestations  insolentes,  sans  respect  pour  la  cendre  des 
morts  et  pour  Dieu  lui-même,  montre  dans  quel  désordre  moral  vivent 
et  à  quel  degré  de  dépravation  sont  arrivés  certains  esprits. 

Académie  d'Amiens  [Mémoires,  3'^  série,  tome  L)  —  On  lit  dans  le 
Bulletin  scientifique  du  département  du  Nord  : 

«  Ce  volume  contient  un  certain  nombre  d'articles  dor.t  nous  parlerons 
brièvement  parce  que  ce  sont  plutôt  des  dissertations  instructives  et 
agréables  que  des  travaux  contribuant  aux  progrès  de  la  science. 

«  11  faut  cependant  faire  exception  pour  la  très-courte  notice  de  M. 
l'abbé  Corblet,  intitulée  Le  Lieu  de  naissance  de  saint  Thomas  JJecket,  Il  y 


o2i  TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES 

avait  une  grande  incertitude  sur  la  patrie  du  saint  prélat  :  M.  de  Car- 
devaque  l'avait  réclamé  pour  Bapaume,  M.  l'abbé  Robitaille  pour  la 
Normandie,  M.  Graves  pour  Marseille,  etc.  M.  l'abbé  Gorblet,  établit  par 
la  comparaison  des  plus  anciens  biographes  et  par  le  témoignage  même 
de  Thomas  Bccket,  qu'il  est  né  à  Londres,  d'un  père  normand. 

«  M.  Ch.  Dubois,  avocat  à  Amiens,  a  fait  une  étude  très-intéressante 
sur  la  constitution  de  Tile  de  Jersey.  Jersey  n'est  pas  une  conquête  de 
l'Angleterre,  c'est  une  ancienne  province  normande,  restée  fidèle  à  ses 
ducs  devenus  rois  d'Angleterre.  Elle  est  de  fait  complètement  indépen- 
dante. Les  droits  de  la  reine  se  réduisent  à  tenir  garnison,  au  comman- 
dement des  milices  qui  ne  peuvent  servir  hors  de  l'ile  et  à  la  nomination 
de  quelques  fonctionnaires.  Le  Conseil  privé  de  la  reine  a  droit  de  veto  sur 
les  lois  votées  par  les  Etats  de  Jersey  ;  mais,  malgré  le  veto^  les  lois  sont 
valables  pour  trois  ans  et  au  bout  de  trois  ans  elles  peuvent  encore  être 
renouvelées.  Jersey  est  donc  un  Etat  indépendant  sous  le  protectorat  de 
l'Angleterre.  Elle  nous  offre  le  singulier  spectacle  d'une  communauté  de 
60,000  âmes  sans  pouvoir  exécutif. 

«  11  y.  a  une  assemblée  des  États  comprenant  les  douze  ministres  angli- 
cans, les  douze  jurés-justiciers,  les  douze  connétables  (maires)  et,  depuis 
1856,  quatorze  députés  élus  ;  elle  est  présidée  par  un  officier  de  la  reine, 
le  bailli,  qui  dirige  les  travaux  sans  y  participer.  Les  États  font  les  lois  et 
ils  chargent  une  Commission  spéciale  de  faire  exécuter  telle  ou  telle  de 
leur  décision.  La  police,  la  voirie,  les  écoles  sont  confiées  aux  adminis- 
trations municipales.  Toutes  les  fonctions  sont  gratuites,  pas  de  dette, 
pas  d'armée,  pas  de  fonctions  rétribuées,  partant  pas  d'impôts.  Un  léger 
droit  d'entrée  sur  les  boissons  et  un  impôt  direct  sur  les  revenus  supé- 
rieurs à  700  francs  suffisent  à  payer  l'entretien  des  ports  et  des  chemins. 

«  A  côté  de  ces  institutions  qui  nous  semblent  un  rêve  dont  nous  en- 
vions la  réalité  pour  nos  petits-enfants,  il  reste  des  usages  féodaux  qui 
nous  ramènent  à  cinq  siècles  en  arrière,  le  droit  d'aînesse,  la  corvée,  le 
droit  d'épave,  le  droit  de  mariage  de  dix-neuf  pences  si  le  tenancier  mi- 
neur a  pris  femme  hors  de  la  seigneurie,  le  droit  pour  le  seigneur  de 
jouir  pendant  une  année  de  la  succession  du  tenancier  quand  elle  est  dé- 
férée à  la  ligne  collatérale. 

«  Deux  fois  par  an  la  Heine  ou  son  représentant  tient  une  cour  féodale. 
Là  sont  cités  les  Seigneurs  des  130  fiefs  de  l'île  (bons  bourgeois  enrichis 
dans  les  pêcheries  de  Terre-Neuve  ou  l'engrais  des  bestiaux),  qui,  appelés 
par  ordre  hiérarchique,  viennent  faire  l'aveu  et  rendre  l'hommage.  Le 
Procureur  général  lit  une  sorti;  d'homélie  sur  la  célébration  du  dimanche. 


TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES  325 

Après  quoi  on  lève  l'audience  et  on  va  sur  le  quai,  au  Royal-Yacht-Club- 
Hûtel,  faire  un  excellent  dîner  aux  frais  de  la  couronne.  » 

Commission  départementale  des  antiquités  de  la  Seine-Infé- 
rieure. —  Rouen.  —  Peinture  inurale  à  Saint-Ouen.  —  M.  l'abbé  Cochet 
note  que  tout  récemment,  dans  l'église  Saint-Ouen,  en  faisant  un  autel 
nouveau  pour  la  chapelle  Saint-Joseph,  on  a  découvert  une  peinture  à 
fresque,  représentant  la.  Mater  dolorosa.  Dans  un  angle  du  sujet,  est  figuré 
un  prêtre  célébrant  la  messe.  Peut-être  est-ce  uni?  représentation  de  la 
messe  de  saint  Grégoire,  usage  très-commun  au  XVI"  siècle.  L'autel  nou- 
veau laissera  un  vide  de  'M)  centimètres,  qui  permettra  de  respecter  cette 
peinture. 

Forêt- Verte.  -  Instrument  de  fer.  —  M.  de  Girancourt  expose  un 
instrument  de  fer,  trouvé  dans  la  Forêt- Verte,  à  la  base  d'un  amas 
énorme  de  cailloux,  qui  avait  déjà  attiré  l'attention  de  M.  de  la 
Serre. 

Cet  instrument,  un  peu  recourbé,  naturellement  ou  par  accident,  ne 
coupait  que  d'un  seul  côté,  et  s'emmanchait  au  moyen  d'une  douille. 
M.  l'abbé  Cochet  le  considère  comme  une  variété  de  fauchard,  qu'il  re- 
porte à  l'époque  romaine,  et  que  M.  Hardy  rajeunirait  volontiers  de  plu- 
sieurs siècles. 

Longueville.  —  Sceau  matrice.  —  M.  le  vice-président  fait  passer  sous 
les  yeux  de  la  commission  un  fort  beau  sceau  matrice  du  XV'^  siècle, 
trouvé  à  Longueville  par  M™^  Fenestre  et  ofï'ert  par  cette  dame  au  Musée 
des  antiquités.  La  légende  du  sceau,  écrite  en  gothique  minuscule,  est 
ainsi  conçue  : 

S.  D.  Roherti  Couppe  Quesne  vicarii  de  Longuavllla. 

Armes  parlantes  :  une  coupe  et  un  Ckesne. 

Sans  chercher  à  pénétrer  le  sens  exact  du  mot  vicarius,  qui  prête  à  une 
large  interprétation,  nous  rappellerons  que  Nicolas  Couppequêne,  bache- 
lier en  théologie,  fut,  en  1431,  l'un  des  juges  de  la  Pucelle  :  Nicholaus 
Coupequesne,  avait  été  présenté  ad  ecclesiam  de  Yvetot  par  le  roi  d'Angle- 
terre, en  1418. 

Il  existait  encore  en  1822,  remarque  M.  le  Filleul  des  Guerrots,  au  rap- 
port de  M.  Dergny  {les  Cluches  du  pays  de  Bray,  t.  II,  p,  8i),  une  famille 
de  Couppequesne  de  Fressenneville,  en  Picardie,  qui  portait  de  gueules  à  3 
glands  d'or,  2  et  1,  avec  deux  lions  pour  supports,  et,  pour  limier,  un  gui 
de  chêne  fruité  d'or. 


323  TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES 

Le  Fay,  près  Ycetot.  —  Cheminée  du  XVP  siècle.  —  M.  le  docteur  Gue- 
roult  communique  les  renseignements  suivants  sur  deux  cheminées  du  XVI* 
siècle  : 

«  Au  hameau  de  Fay,  distant  d'un  kilomètre  et  demi  d'Yvetot,  subsis- 
tent, dans  la  maison  occupée  par  le  sieur  l'Estrelin,  cultivateur,  deux 
jolies  cheminées  en  pierre,  du  XVP  siècle,  admirablement  conservées. 

«  Elles  sont  adossées  et  sont  de  dimension  à  peu  près  semblables. 

«  La  première  cheminée,  ouverte  au  N.-E.,  porte  l'inscription  sui- 
vante : 

Lan  de  grâce  mil   V'^'^  Z  III  le  XV*^  jo  de  janvier  furet  ces  chemines  :  les  fit 
faire  robert  henri.  prs.  dieu  pr  les  trespassez. 

«  La  légende  énoncée  est  entrecoupée  par  trois  médaillons  humains, 
ronds,  en  relief,  dont  deux  me  paraissent  représenter  les  bustes  affrontés 
de  Louis  XII  et  de  François  I"  :  Celui-ci  porte  chaperon,  fraise,  mous- 
tache et  barbiche  ;  celui-là  lauré,  barbe  rase,  regarde  à  dextre. 

«  Entre  ces  personnages,  deux  anges  debout,  les  ailes  éployées,  sou- 
tiennent un  blason  échancré,  figurant  les  armoiries  de  la  ville  d'Yvetot  ; 
les  émaux  font  ici  défaut,  je  les  restitue  ainsi  :  de  Gueules  aux  trois  gerbes 
d'or,  1  et  {.  Je  ne  saurais  interpréter  le  troisième  médaillon,  situé  sur  le 
retour  d'équerre  au  Sud  ;  l'effigie  barbue  est  dirigée  à  dextre. 

«  La  colonne  droite  de  la  cheminée  montre  un  angelet  maintenant  l'é- 
cusson  au  monogramme  de  la  Mère  du  Sauveur  ;  sur  la  colonne  gauche, 
un  autre  angelet  tient  pareillement  celui  de  Jésus-Christ. 

«  Sur  l'autre  cheminée  on  lit  : 

pensez,  a.  la.  mort,  mourir,  co.  vient  :  peu.  et.  souvent,  a.  men. 

«  Du  côté  Sud,  un  buste  à  tête  virile,  imberbe  et  ceinte  d'un  bandeau, 
fixe  à  senestre  ;  un  second  buste,  placé  à  l'encoignure,  affecte  une  dispo- 
sition similaire. 

«  Identiques  à  ceux  de  la  cheminée  précédente,  ils  me  sont  inconnus. 

«  Tous  les  médaillons  énuraerés  de  profil  se  distinguent  par  la  proémi- 
nence du  nez. 

«  La  colonne  Sud  correspondante,  servant  de  jambage,  fournit  une 
chimère  enroulée  d'un  serpent  ;  sur  la  colonne  Nord  on  remarque  une 
gargouille.  » 

Déville.  —  Battant  du  bourdon  de  Georges-dWmboise.  —  Ce  battant, 
compris  récemment  dans  la  vente  de  son  propriétaire,  M.  Le  Chien,  a  été 
acheté  par  la  commune  de  Déville,  M.  Billiard,  conservateur-adjoint  du 
Musée,  s'étaitrendu  à  cette  vente,  avec  la  mission  secrète  d'acquérir  pour 


TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES  3:27 

le  dépôt  départemental  cette  pièce  historique.  Outrepassant  même  ses 
instructions,  il  l'a  poussée  jusqu'à  oOO  fr.  Mais  avec  une  obstination  des 
plus  patriotiques,  et  qui  lui  fait  honneur,  M.  le  maire  de  Dévillo  l'a  em- 
porté sur  l'agent  du  Musée.  Ce  battant  va  être  acquis  par  la  municipalité 
dévilloise.  à  l'aide  d'une  souscription. 

Société  des  bibliophiles  français.  —  Dans  sa  séance  du  9  février,  la 
Société  des  bibliophiles  français  a  ainsi  constitué  son  bureau  :  Président 
d'honneur,  M.  le  duc  d'Aumale  ;  Président,  M.  le  baron  Pichon  ;  secré- 
taire, M.  de  Fresnc  ;  trésorier,  M.  le  comte  de  Béhague.  Le  Comité  est 
composé  de  MM.  Paulin  Paris,  Prince  Galitzin,  comte  Clément  de  Ris, 
Schefer,  Firmin  Didot,  de  Noirmont,  de  Lignerolles,  M.  de  la  Bérau- 
dière  a  été  nommé  à  la  place  laissée  vacante  par  la  mort  de  M.  de  Beau- 
chesne. 

Société  Archéologique  du  Midi  de  la  France.  —  Nous  lisons  dans 
son  dernier  Bulletin  : 

(c  iM.  A.  DE  Crozant-Bridier  rend  compte  d'une  visite  qu'il  vient  de 
faire  à  Soueich  (canton  d'Aspet),  pour  vérifier  une  découverte  archéolo- 
gique :  Un  chêne  déraciné  par  le  propriétaire  avait,  au  milieu  de  ses  ra- 
cines, plusieurs  objets  qui  passent  sous  les  yeux  de  la  Société  ;  ce 
sont  d'abord  deux  têtes  d'hommes  et  une  tête  de  femme  en  marbre 
blanc.  La  poitrine  est  à  peine  indiquée;  de  sorte  que  le  cou  se  ter- 
mine au-dessous  eu  forme  de  cône  destiné  à  se  placer,  en  s'y  incrus- 
tant, sur  un  buste  en  matière  moins  riche ,  en  calcaire  plus  tendre, 
d'un  travail  plus  facile  et  moins  soigné.  Les  trois  têtes  sont  brutes  ou 
plutôt  à  peine  dégrossies  par  derrière  ;  elles  devaient  s'appliquer  contre 
un  mur,  soit  droites,  soit  couchées. 

«  L'exécution  démontre  que  ce  travail  est  dû  à  des  artistes  de  la  déca- 
dence qui  avaient  conservé  quelques  traditions  dune  meilleure  époque, 
et  il  serait  difficile  de  dire  s'ils  avaient  encore  le  sentiment  de  l'art  ou 
s'ils  n'arrivaient  à  donner  à  leurs  œuvres  un  reflet  du  grand  style  qu'au 
moyen  de  quelques  procédés  ingénieux  et  purement  matériels  dont  ils 
avaient  hérité. 

t  Les  yeux,  le  nez,  les  narines,  la  bouche,  les  oreilles,  sont  grossière- 
ment ciselés,  et  pourtant,  envisagés  sous  certains  aspects,  d'assez  loin  pour 
que  les  menus  détails  soient  confondus  dans  l'ensemble,  on  s'étonne  de 
voir  des  physionomies  si  diverses  et  si  expressives. 

«  Ce  sont,  on  peut  le  croire,  des  portraits.  Ceux  des  hommes,  dans  la 
force  de  Vùige,  ont  un  air  de  famille  évident;  leur  crâne  est  court,  le  front 


328  TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVAltTES 

bas,  recouvert  d'ailleurs  à  moitié  par  les  cheveux  régulièrement  répartis 
par  petites  mèches,  en  couronne  ;  le  nez  assez  fin,  la  bouche  petite,  les 
lèvres  minces,  le  menton  peu  proéminent,  la  figure  pleine  et  ronde,  le 
cou  dégagé  :  tout,  en  un  mot,  indique  le  type  encore  prédominant  dans 
la  contrée.  Une  de  ces  figures,  la  moins  jeune,  par  sa  bouche  quelque 
peu  saillante  et  certain  pli  dans  le  menton,  a  un  air  hautain  qui  frappe 

d'abord. 

«  La  tète  de  femme  est  d'un  type  un  peu  différent;  la  race  n'est  plus 
pure,  et  du  sang  romain  devait  couler  dans  ses  veines  ;  c'est  la  matrone, 
nous  la  reconnaissons.  Son  front  est  ceint  d'une  double  bandelette  étroite 
formant  une  ample  torsade  gracieuse  et  simple,  et  l'on  ne  peut  dire  si  cette 
bandelette  retenait,  soit  une  étoffe  couvrant  les  cheveux,  soit  simplement 
ceux-ci  partant  du  haut  de  la  joue  en  boucles  plates  et  cachant  le  sommet 
de  l'oreille  avant  de  flotter  sur  le  cou  ;  des  pendants  massifs  et  coniques 
sonttrullés  sous  le  lobe  de  l'oreille.  Les  plis  de  la  joue,  au-dessus  des  na- 
rines et  certains  autres  détails,  sont  indiqués  avec  soin  ;  le  nez  petit,  mais 
droit,  est  caractéristique  ;  mais  le  cou  est  d'une  longueur  tout  à  fait  by- 
zantine. Lorsque  l'on  pose  à  plat  cette  tête,  comme  si  elle  faisait  partie 
d'un  corps  étendu  sur  un  tombeau,  on  est  frappé  du  calme  et  de  la  séré- 
nité de  cette  figure,  dont  les  yeux  sont  grands  ouverts,  mais  ne  semblent 
ni  voir  ni  regarder  ;  l'expression  du  dernier  sommeil  est  empreinte  sur 
toute  la  physionomie. 

((  Le  buste  qui  a  passé  sous  nos  yeux  n'a  pas  même  les  traditions  du 
grand  art  que  les  têtes  nous  offraient.  C'est  une  œuvre  de  décadence 
pure,  d'un  travail  déplorable  et  d'un  style  tout  à  fait  byzantin.  Si  l'on  y 
applique  la  tête  de  femme,  on  croit  déjà  voir  une  de  ces  figures  bien  con- 
nues, mal  drapées,  longues  et  difformes,  de  la  plus  basse  antiquité.  La 
partie  inférieure  manque  presque  à  partir  de  la  ceinture.  Une  épaisse 
draperie,  aux  plis  lourds  et  disgracieux,  couvre  et  cache  toutes  les  formes  : 
le  bras  droit,  nu  et  dégagé  à  partir  du  coude,  est  ployé  sur  la  poitrine; 
la  main  presque  ouverte  et  portant  près  du  cou,  sur  le  pli  extérieur  de  la 
draperie  croisée  ,  soit  sans  intention,  soit  autrement,  les  attaches,  le  po- 
telé délicat  de  la  main  et  de  l'avant-bras,  sont  positivement  féminins.  A 
la  hauteur  de  la  ceinture  et  de  côté,  paraît  la  main  gauche,  les  doigts  à 
peine  repliés  et  retenant  une  baguette,  vindicla.  Au  petit  doigt  est  un 
annulus  assez  large  ;  —  répétons  en  terminant  que  le  travail  est  extrême- 
ment grossier. 

«  M.  l'E  Clausade  serait  disposé  à  penser  que  ces  objets  proviennent 
d'un  caveau  sépulcral  élevé,  par  les  deux  affranchis,  dont  nous  aurions 
le  portrait  sculpté,  à  une  dame  gallo-romaine  (la  tête  de  femme)  qui  les 


TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES  329 

aurait  affranchis  :  la  baguette,  à  la  main  de  celle-ci,  serait  un  indice  pré- 
cieux en  faveur  de  cette  hypothèse. 

«  M.  Barry  fait  remarquer  que,  dans  les  grands  centres,  les  têtes  dé- 
coupées et  destinées  à  être  enchâssées  dans  un  buste  de  matière  moins 
riche  d'ordinaire,  appartiennent  exclusivement  aux  figures  impériales;  à 
chaque  avènement  on  changeait  la  tête  représentant  l'empereur.  Mais 
dans  les  Pyrénées  cette  explication  n'est  plus  possible  ;  et,  en  étudiant 
quelques  collections  locales  particulières,  M.  Barry  a  pu  voir  un  certain 
nombre  de  têtes  découpées  qui  ne  sont  que  le  portrait  des  morts.  A  Saint- 
Bertrand-de-Comminges,  on  possède  ainsi  les  têtes  du  mari  et  de  la 
femme  avec  l'inscription.  Dans  la  plupart  des  cas,  une  raison  d'économie 
a  guidé  les  auteurs  de  ces  petits  monuments  ;  la  proximité  du  marbre  a, 
dans  les  Pyrénées,  invité  les  Gallo-Romains  à  faire  en  cette  matière  les 
figures  de  leurs  aïeux  ou  bienfaiteurs  ;  à  Narbonne  où  le  marbre  d'Italie 
est  très-rare  et  oii  celui  de  Saint-Béat  n'arrivait  pas,  il  n'y  avait  pas  de 
motif  pour  séparer  la  tête  du  buste,  et  tiute  la  statue  est  en  pierre  de 
Narbonne.  Oa  s:.it  que  le  droit  de  conserve:^  toutes  les  représentations 
des  aïeux  était  une  prérogative  de  rarist.)craLie,  puis  de  la  bourgeoisie, 
enfin  les  parvenus  libres  et  riches  ne  manquèrent  pas  de  se  l'approprier 
et  d'en  user  largement.  » 

Société  des  Sciences  de  Lille.  —  Cette  académie  s'occupe  plus  parti- 
culièrement de  sciences  et  de  littérature  ;  toutefois,  les  deux  volumes 
qu'elle  vient  de  publier  contiennent  quelques  remarquables  travaux  d'ar- 
chéologie et  d'histoire.  Nous  signalerons,  entre  autres,  un  mémoire  de 
M.  Houdoy  sur  l'instruction  gratuite  et  obligatoire  depuis  le  XVP  siècle  ; 
un  supplément  à  la  numismatique  lilloise  par  M.  Van  Rende  ;  une  étude 
sur  les  châtelains  de  Lille,  par  M.  Leuridan  ;  et  de  curieuses  recherches 
de  M.  l'abbé  Dehaisnes  sur  les  archives  départementales  du  nord  pendant 
la  Révolution . 

J.  C. 


II*  série,  tome  II.  24 


BIBLIOGRAPHIE 


HISTOIRE  DES  ABBAYES  DE  DOMMARTIN  &  DE  SAINT-ANDRÉ-AU-BOIS, 
par  le  baron  Albéric  de  Galonné.  —  Arras,  1874,  Sueur-Charruey,  éditeur, 
in-8".  (8  fr.) 

Ces  deux  abbayes  de  l'Ordre  de  Prémontré,  situées  sur  les  confins  de 
la  Picardie  et  de  l'Artois,  appartenaient  au  diocèse  d'Amiens;  moins  cé- 
lèbres que  les  abbayes  de  Corbie,  de  Saint-Riquier,  de  Saint-Valery, 
leurs  annales  n'en  offrent  pas  moins  des  détails  fort  intéressants  pour 
Thistoire  locale  et  parfois  môme  des  tableaux  émouvants,  quand  il  s'agit 
des  guerres  désastreuses  pendant  lesquelles  Anglais  et  Espagnols,  Bour- 
guignons et  Anglais,  métamorphosaient  en  ruines  ces  florissants  monas- 
tères, enrichis  par  la  générosité  de  tant  de  générations. 

M.  le  baron  Albéric  de  Galonné  suit  Tordre  chronologique  et  raconte 
l'histoire  de  chaque  abbé  en  puisant  presque  tous  ses  renseignements  à 
des  sources  inédites  conservées  aux  archives  de  la  Somme,  à  celles  du 
Pas-de-Calais  et  du  Nord,  dans  les  bibliothèques  d'Amiens,  d'Abbeville, 
de  Boulogne-sur-Mer  et  dans  diverses  collections  particulières. 

Outre  les  annales  des  deux  abbayes,  l'auteur  nous  fournit  d'intéressants 
renseignements  snr  la  règle  des  moines  de  Dommartin,  sur  les  châtelains 
et  seigneurs  de  Bcaurains-sur-Canche,  fondateurs  des  abbayes  de  Dom- 
martin et  de  Saint-André-au-Bois.  Les  pièces  justificatives  sont  suivies 
d'une  très-bonne  table  alphabétique  des  principaux  noms  propres  (pour- 
quoi ne  les  avoir  pas  mis  tous?).  Les  sept  lithographies  qui  accompagnent 
le  volume  représentent  :  1"  l'entrée  de  l'abbaye  de  Dommartin  ;  2"  une 
pierre  turaulaire  trouvée  à  Saint-Josse-au-Bois,  conservée  dans  l'église  de 
Tortefontaine  ;  3°  les  sceaux  et  contre-sceaux  de  Guillaume  de  Cromont, 
abbé  de  Dommartin  ;  4°  le  tombeau  de  Henri  Kuret,  seigneur  de  Douriez, 
dans  l'église  do  Dommartin  ;  o"  un  plan  de  ce  qui  reste  de  l'abbaye  de 


BIBLIOGRAPHIE  331 

Dommartin  ;  G''  un  plan  des  ruines  de  l'abbaye  de  Saint-André-au-Bois, 
7"  et  enfin  les  ruines  et  le  plan  de  la  Tour-des-Liannes  à  Beaurainville. 

Dans  un  feuilleton  du  19  février  dernier,  M.  Léon  Gautier  reproche  à  la 
jeune  noblesse  française  de  ne  pas  déployer  autant  de  courage  dans  le 
cabinet  de  travail  que  sur  le  champ  de  bataille.  Il  l'engage  à  sortir  d'un 
désœuvrement  qui  l'énervé  : 

«  Ce  n'est  jias,  dit-il,  étudier  l'histoire  que  de  se  jeter  dans  les  peti- 
tesses de  la  généalogie  et  du  blason  :  il  faut,  pour  le  moins,  se  proposer 
l'histoire  de  sa  province  ou  de  sa  ville.  Ayez  de  ces  hardiesses.  Au  heu 
de  faire  des  théories  ou  des  lois  sur  la  décentralisation,  faites  de  vos 
châteaux  autant  de  centres  d'activité  intellectuelle,  autant  de  foyers  de 
lumière  et  de  vie.  Qu'on  dise  à  dix  lieues  à  la  ronde  :  «  Avez-vous  vu  la 
bibliothèque  du  comte  de  B...?  Connaissez-vous  les  collections  du  vicomte 
de  D...?  Avt'z-vous  Iule  dernier  Mémoire  du  marquis  de  L...?  »  Cela  ne 
vous  empêchera  pas  de  mourir  très-glorieusement  à  la  prochaine  guerre; 
mais,  en  attendant,  vous  aurez  utilement  vécu.  Et  c'est  bien  quelque 
chose.  )> 

M.  le  baron  Albéric  de  Galonné  nous  semble  parfaitement  réaliser  le 
type  que  rêve  M.  Léon  Gautier.  Il  a  consacré  sa  jeunesse  aux  études  les 
plus  sérieuses  et  en  recueille  déjà  des  fruits  qui  feraient  envie  à  la  matu- 
rité de  l'âge. 

Sa  monographie,  avant  d'être  imprimée,  avait  été  couronnée,  à  la  suite 
d'un  concours  historique,  par  la  Société  des  Antiquaires  de  Picardie,  et 
nous  sommes  certain  que  le  jugement  du  public  lettré  confirmera  la  déci- 
sion de  cette  docte  compagnie. 

J.  CORBLET. 


LES  CATACOMBES  DE  ROME,  notes  pour  servir  de  complément  aux  Cours 
(ï Archéologie  chrélienne,  avec  dessins,  par  H.  DE  l'Épinois.  —  Toulouse, 
Hebrail,  1875,  in48.  (2  fr.  50.) 

M.  H.  de  Lépinois,  ancien  élève  de  l'école  des  Chartes,  connu  par  d'ex- 
cellents travaux  historiques,  a  voulu  populariser  la  science  archéologique 
des  catacombes,  en  fournissant  au  clergé,  aux  professeurs,  aux  hommes 
du  monde  des  notions  sûres  et  rapides  sur  les  découvertes  récentes  de  la 
science.  Pour  cela,  il  a  lu,  la  plume  à  la  main,  les  ouvrages  de  Bosio, 
Bottari,  Buonaraolti,  Marangoni,  Marchi,  Garucci,  de  Rossi,  Martigny,  Le 
Blant,  eLc.  Nous  voudrions  pouvoir  ajouter  qu'il  a  consulté  aussi  les  di- 
vers travaux  relatifs  aux  catacombes,  pubUés  par  la  Bévue  de  l'Art  chrétien. 


332  BIBLIOGRAPHIE 

Tout  en  regrettant  cette  omission,  nous  devons  dire  que  son  manuel  est 
nourri  de  faits,  d'une  trame  bien  tissue,  agréablement  écrit,  largement 
pourvu  d'indications  bibliographiques  et  qu'il  atteindra  parfaitement  le 
noble  but  qu'il  s'est  proposé. 

Bien  qu'enrichi  d'un  certain  nombre  de  bonnes  planches,  ce  volume  de 

236  pages  ne  coûte  que  2  fr.  oO.  Ce  bas  prix  contribuera  à  faire  répandre 

cet  excellent  écrit  et  à  familiariser  le  public  avec  une  science  qui  prête  un 

si  utile  concours  aux  grandes  vérités  de  la  religion. 

J.  C. 


RAPPORTS  AU  MINISTRE  sur  la  collection  des  documents  inédits  de  l'Histoire 
de  France  et  sur  les  actes  du  Comité  des  Travaux  historiques,  —  Paris,  in-  i", 
1874. 

Ces  intéressants  rapports  sont  dus  à  M.  le  baron  de  Watteville,  chef  de 
la  division  des  sciences  et  des  lettres  au  ministère  de  l'instruction  publi- 
que ;  à  MM.  Léopold  Delisle,  Léon  Renier  et  Blanchard,  membres  de 
l'institut. 

Depuis  1834  jusqu'à  nos  jours  le  ministère  a  édité  104  ouvrages  de  do- 
cuments inédits  formant  5  volumes  in-folio  et  176  in-4";  de  plus  77  in-8' 
de  publications  annexes  :  le  Bulletin  ou  la  Revue  des  sociétés  savantes  et 
les  Mémoires  lus  à  la  Sorbonne.  Les  publications  archéologiques  sont  au 
nombre  de  18  :  Eléments  de  paléographie  par  M.  N.  Wailly  ;  —  Diplômes 
militaires; —  4  Instructions  du  Comité;  —  6  Répertoires  archéologiques;  — 
Statistique  monumentale  de  Paris  ; —  Monographie  de  la  cathédrale  de  Char- 
tres ; —  Peintures  à  fresques  de  Saint- Savin;  —  Comptes  des  dépenses  de  la 
construction  du  château  de  G  ai  lion  ;  —  Inscriptions  de  la  France. 

Les  rapports  qui  vi.  nnent  d'être  publiés  donnent  une  haute  idée  de 
l'impulsion  que  le  Ministère  a  imprimée  aux  études  historiques  et  archéo- 
logiques. 

J.  C. 


NOTICE  SUR  L'ÉGLISE  ET  LE  VILLAGE  DE  DOUCHY,  par  M.  l'abbé  Bran- 
couRT,  curé  de  Plugnières  et  Douchy.  —  Saint-Quentin,  1874,  in-8°  de  63  p. 

Douchy  est  un  petit  village  du  Vermandois  qui  compte  à  peine  400  ha- 
bitants ;  mais  il  a  eu  jadis  ses  seigneurs,  dont  M.  Brancourt  a  donné  la 
liste;  le  principal   but   de   sa   brochure  a  été  de   décrire   la  nouvell* 


BIBLIOGRAPHIE  333 

église  terminée  et  bénite  en  1866.  On  a  choisi  le  style  romano-byzantin  et 
Tarchitecte  M.  Pierre  Benard  a  pu  arriver  à  la  sobriété  sans  être  mesquin, 
à  l'unité  sans  être  monotone.  Quatre  pliotugraphics  nous  font  connaître 
l'architecture  et  les  peinture:-;  décoratives  du  monument,  qui,  toutes  deux, 
sont  fort  remarquables.  Nous  nous  bornerons  à  mentionner  la  belle  com- 
position du  Christ  miséricordieux  recevant  ceux  qui  souffrent  pour  lui  en 
ce  monde  ;  on  voit  près  de  son  trône  de  clémence  un  pieux  lévite  portant 
l'évangile,  un  nègre,  une  veuve  en  prière, un  groupe  d'orphelins,  un  vieux 
moissonneur,  un  roi  prosterné,  un  chartreux  méditant,  une  Madeleine 
repentante,  un  missionnaire  qu'accompagne  un  jeune  chinois,  et  enfin 

une  sœur  de  charité  près  d'un  soldat  blessé. 

J.G. 


INDEX  BIBLIOGRAPHIQUE 


(ARCHÉOLOGIE    ET    BEAUX- A  RTS) 


ASSELINE.  Les  Antiquitez  et  Chroni- 
ques (le  la  ville  de  Dieppe  ;  par  David 
Asseline,  prestre.  Publiées  pour  la 
première  fois,  avec  une  introduction 
et  des  notes  historiques,  par  MM.  Mi- 
chel Hardy,  Guérillon  et  l'abbé  Sau- 
vage. 2  vol.  in-8,  xxxii-82.")  p.  Dieppe, 
Maris;  Leblanc;  Rouen,  Métérie  ; 
Paris,  Maisonneuve.  (Tiré  à  289  ex.: 
220  sur  pap.  vergé  ord.;  60  sur  pap. 
vergé  fin  ;  4  sur  pap.  fort  de  Hollande; 
.5  sur  pap.  de  Chine.  —  Bibliothèque 
dieppoise.) 

BARBET  DE  JUILLÉ.  Compte-rendu 
général  sur  les  fouilles  de  la  grotte 
de  Loubeau  ,  près  Melle  (Deux-Sè- 
vres), par  l'Association  inelloise.  sous 
la  direction  de  M.  Barbet  de  Juillé, 
juge  à  Niort.  In  8°,  44  p.  Niort,  Clou- 
zot.  (Ext.  des  M  cm.  de  la  Soc .  de  sta- 
tistique, etc.,  du  dêp.  des  Deux-Sè- 
vres ) 

BEAUFORT  (Emily  A.).  Egyptiani  Se- 
jiulchres  an  Syrian  Shrines,  inilu- 
dinga  Visitto  Palmyra.  New  éd.  Li-8, 
r)50  p.  London.  Macmillan.  '.)  fr.  25. 

RIEGEL  (Herm.).  Grundriss  der  bildcn- 
denKùnste,  im  Sinne  e  allgerneinen 
Kunstlehre  u.  als  Hûlfsbuch  beim 
Studium  derKunstgeschichte  darges- 
tellt.  3.,  neu  bearb.  Ausg.  m.  3'i 
(eingedr.)  Holzschn.  Gr.  in-8,  xix.- 
'i28  p.  Hannover,  Ilumpler. 

BLANC.  L'Art  dans  la  parure  et  dans 
le  vêtement,  par  M.  Charles  Blanc, 


membre  de  l'Intitut,  ancien  directeur 
des  beaux-arts.  In-8  carré,  375  p.  et 
vignettes.  Paris,  Loones.  20  fr. 

BONNAFOUX.  —  Fontaines  celtiques 
consacrées  par  la  religion  chrétienne, 
sources  merveilleuses,  coutumes  su- 
perstitieuses et  légendes  diverses,  re- 
cueillies pour  la  plupart,  dans  le  dé- 
partement de  la  Creuse,  par  M.  J.-F. 
Bonnafoux,  conservateur  de  la  biblio- 
thèque de  Guéret.  In-4o,  43  p.  Gué- 
ret,  imp.  Dugenest.  (Pour  faire  suite 
atix  Légendes  et  croyances  supersti- 
tieuses du  département  de  la  Creuse, 
du  même  auteur.) 

BRAMANTINO  (Bartoloraeo  Suardi).  Le 
Rovine  di  Roma  al  principio  del  sec. 
XVI  :  studi,  da  un  manoscritto  dell' 
Ambrosiana  di  80  tavole  fotocronioli- 
tografate  da  Angelo  délia  Croce  con 
prefazione  e  note  di  Giuseppe  Mon- 
geri.  In-4.  Milaiio,  Hœpli.  70  fr. 

BRASH  I Richard  Rolt).  The  Ecclesias- 
tical  Architecture  of  Ireland,  to  the 
close  of  the  Twelfth  Century,  accom- 
panied  by  interesting  Ilistorical  and 
Antiquarian  Notices  of  numerous  An- 
cient  Romains  of  that  Period  With 
5'i  Plates.  In-4. 174  p  Dublin,  Kelly; 
London,  Simpkin.  2tj  i"r  25. 

GALONNE  lie  b°"  Albéric  de).  Histoire 
dos  abbayes  de  Dommartin  et  de  St- 
Audré-au-Hois.  Arras,  1875,  in-8. 

CATALOGO  GENERALE  dei  Rami  incisi 
al  burino  ed  all'acquaforte,  posseduti 


INDEX    BIBLIOGRAPHIQUE 


335 


dalla  R.  Galcografia  di  Roraa.  In-4, 
viii-8-2  p   Rome,  1874,  Regia  tip. 
CHARLES  (L.  et  R.).  Sépultures  méro- 
vingiennes    de     Conneré    fS.irthe), 
Tours,  Bousercz,  1875    iri-8. 
COET.  —  Souvenirs  du  musée   Hourde- 
quin  :   l'jge  de  pieire.    Montdidier, 
in-8. 
DESJARDINS  (T.).  architecte.  L'Art  des 
Etrusques  et  leur    nationalité,  in-8, 
56  p.  Lyon,  imp.  Pernn  et  Marinet. 
DUPONT-AUBERVILLE.  -  Art    indus- 
triel. L'Ornement  des  tissus,  recueil 
historique  et  pratique.  Avec  des  no- 
tée explicatives   et  une  introduction 
générale.  De.«siiis  par  M.  Kreutzber- 
ger,  lithographies  par  M.   Régamey. 
100  pi.    en   couleurs,    or  et    argent, 
contenant  les  plus  beaux  motifs,  d'a- 
près les  pièces  originales  de  l'art  an- 
cien, du  moyen  âge,  de  larenaissan- 
ce  et  des  XVile  et  X\  III<^  siècles.  l>e 
liv.  in-4«,  18  p.  et  10  pi.   Paris,  Ba- 
chelin-Deflorenne,    Rucher   et    Cie. 
L'ouvrage  complet,  130  fr.  L'ouvrage 
sera  divisé  en  10  livraisons  contenant 
chacune  10  pi.  et  un  texte  explicatif. 
EVEN.  —  Abécédaire  de  numismatique 
romaine,   notes  indispensables    aux 
jeunes  amateurs,  par  Even  (Charles), 
membre  correspondant  de  la  Société 
française  de  numismatique.  In- 18, 59 
p.  et  12  pi.  Saint-Hrieuc,  Fr.  Guyon. 
EPINOIS  (H.  de  1').  Les  catacombes  de 
Rome,  notes  pour  servir  tle  complé- 
ment aux  cours  d'archéologie  chré- 
tienne, avec,  dessins.  In- 18,  335   p. 
Paris,  lib.  de  la  Société  bibliographi- 
que. 2  fr.  50 
FARCY  (L    de)   Notices  archéologiques 
sur  les  tentures  et  les  tapisseries  de 
la  catliédrale  d'Angers.  Angers,  in-8. 
— Clochci's,  sonner. e,  horloge  et  porche 
de  la  cathédrale    d'Angers.   Anger.s, 
in-8. 
—  Notices  arcliéol.  sur  les    orgues  de 
.  la  cathédrale  ti'Angers.  Angers,  in-8 
JONVEAUX(E.)  Histoire  de  trois  potiers 


célèbres  :  Bernard  Palissy,  Josiah 
Wedgwood,  Frédéric  Bottger.  In-18j. 
282  p  Paris,  Hachette.  1  fr.  25. 
MAROTTA  D'!^QUIN3.  -  Oraaggio  sto- 
rii;o  a  S.  Toinaso  d'Aquino  liel  setto 
ci^meiiai'o délia  sua  morte,  il  7  marzo 
1874.  Nap  jli,  in  8. 
MARSY  (A.  de).  Le  Jubilé  de    1775  à 

Compiègne.  Gompiègne.  In  18. 
MICHEL.  Des  Arts  du  dessin  dans  leurs 
rapports    avec  l'industrie  ;    par  Em. 
i\lichel,   membre    de   l'Académie  de 
Stanislas  et  de  l'Académie  de  .Metz. 
In  8,  56  p.  Nancy,  imp.  Berger -Le- 
vrault.  (Extr.   des  Mém.  de  V Acad. 
de  Stanislas.) 
PILLOY  (J.l.   L'atelier  quaternaire  de 
Cologne,  commune  d'Hargicourt  (Ais- 
ne). St-Quentin.  In-8. 
PILLOY  (J  ).  Note  sur  la    découverte 
d'une  sépulture  à  incinération  anté- 
historique,  à  Ribemont.  Saint-Quen- 
tin, in-8. 
ROVANI  (Gius.l.  Le  Tre  Arti.T.  Il  (fin). 
ln-8,  238.  .Milano.  1874,  Trêves.  Les 
2  vol.,  7fr. 
SMITH  (George).  Assyrian  Discoveries  : 
An  Account  of  Explorations  and  Dis- 
coveries on  the  Site  of  Nineveh  du- 
ring  1873  and  1874.  With  Illustra- 
tions. In-8,  465  p.  London,  Low.  22 
fr.  50.    - 
STŒBER  (Aug.).  Curiosités  de  voyages 
en  Alsace,  tirées  d'auteurs  français, 
allemands,  suisses  et  anglais,  depuis 
le  XVP  jusqu'au XIX»  siècle  et  anno- 
tées. Gr.    in-8,  XlI-377  p.   Colmar, 
Battli.5fr. 
STORNAIUOLO  (Sac.  Gosimo) .  Ricerche 
sulla  storiaed  imonumentideiss  Eu- 
tichete  ed  Acuzio,  martiri  Puteolani. 
In-S,  112  p   Napoli,  1874,  tip.   délia 
Libertà  Gattolica. 
TAGLIALATELA  (G.).  Di  una  imagine 
di  S.  Protasio  nella  catacomba  sevo- 
riana  e  del    culto  de'  SS.   Protasio 
e  Gervasio  in  Napoli.  Napoli^  in-8. 
J.  c. 


CHRONIQUE 


Rome.  —  On  nous  écrivait  de  Rome  à  la  date  du  6  mars  : 

(c  La  croix  d'Henri  IV  n'a  été  renversée  hier,  que  pour  être  remplacée, 
assure-t-on,  au  môme  endroit,  mais  à  un  niveau  plus  bas,  vis-ù-vis  l'é- 
glise de  Saint-Antoine,  abbé,  à  l'Esquilin,  en  vue  de  la  façade  de  Sainte- 
Marie-Majeure.  Ainsi  renversée,  quoique  avec  les  précautions  voulues,  ce 
n'était  plus  qu'un  débris.  Comme  la  nuit  arrivait,  on  a  mis  deux  gardes 
près  de  la  croix  pour  empêcher  qu'on  ne  lui  portât  outrage  on  dommage. 
Mais  malgré  leur  vigilance,  une  des  trois  tleurs  de  lys  a  disparu.  Ces  fleurs 
de  lys  de  bronze  terminaient  les  trois  branches  supérieures  de  la  croix  ; 
elles  sont  grandes  comme  les  deux  mains  et  massives. 

«  Le  garde  qui  a  laissé  commettre  le  larcin  était  désespéré  ;  mainte- 
nant il  y  a  quatre  gardes,  mais  la  fleur  de  lys  ne  sera  pas  retrouvée  ;  la 
police  en  a  pris  note. 

«  11  ne  sera  guère  possible,  ce  nous  semble,  de  relever  la  croix  telle 
qu'elle  est;  c'est  moins  qu'une  ruine,  c'est  un  débris.  Cependant  la  Vierge 
et  le  Christ  en  bronze  sur  la  croix  de  marbre  gris  sont  très-bien  faits,  les 
trois  têtes  ont  de  l'expression.  Ces  sculptures  ressemblent  aux  ouvrages 
de  Jean  Bologne,  qui  était  à  peu  près  contemporain  ;  elles  sont  un  peu 
enflées,  comme  il  le  faut  pour  être  vues  de  loin.  » 

Passage  de  la  Mer  Rouge.  -  Nous  lisons  dans  VEijijijtologie^  journal 
mensuel  publié  à  Chalon-sur-Saône  par  le  savant  M.  Chabas  : 

ft  M.  Brugsch  a  répété  à  Londres  la  conférence  qu'il  avait  donnée  cette 
année  au  Caire  sur  la  sortie  dca  Héhreux  d'Egypte.  Aux  nombreuses  ten- 
tatives faites  pour  la  détermination  de  l'itinéraire  suivi  par  Moïse , 
M.  Brugsch  en  ajoute  une  nouvelle  dont  le  caractère  capital  est  que  la 
mer  qui  engloutit  l'armée  égyjitienne  ne  serait  pas  la  Mer  Rouge,  mais  la 
Méditerranée.  L'idée  est  originale,  mais  elle  relève  plutôt  de  la  critique 
biblique  que  de  la  science  égyptologique.   Les  exégètes  auront  à  voir 


CHRONIQUE  337 

de  quelle  manière  on  peut  reconnaître  la  Méditerranée  dans  le  lam  soup/i 
du  texte  hébreu ,  lorsque  l'Écriture,  entre  autres  indications  qu'on  ne 
peut  négliger,  nous  explique  que  le  vaisseau  que  Salomon  envoyait  à 
Ophir  chercher  de  l'or  était  stationné  à  Atsion  Gaher,  qui  est  près  d'Elath, 
sur  les  bords  de  la  mer  de  Soceph^  au  pays  d'Edom.   » 

Peintures  murales  à  Gand.  —  On  a  découvert  tout  dernièrement  des 
peintures  murales,  dans  la  grande  salle  ogivale  de  l'ancien  château  de 
Gérard-le-Diable,  à  Gand.  Ce  vieux  manoir  qui,  avec  les  constructions 
qu'on  y  a  annexées  depuis  deux  siècles,  a  servi  d'hospice  aux  orphelins, 
va  bientôt  recevoir  le  dépôt  des  archives  de  l'Etat.  C'est  en  grattant  les 
murs  pour  se  Hvrer  à  quelques  travaux  d'appropriation,  que  les  ouvriers 
ont  mis  à  découvert  cinq  panneaux  peints;  quatre  se  trouvent  sur  le  mur 
qui  fait  face  aux  croisées,  le  cinquième  est  dans  le  fond  de  la  salle.  Deux 
seulement  sont  assez  bien  conservés.  Ils  représentent  l'un  un  apôtre  dans 
un  cadre  carré  long,  la  tête  entourée  du  nimbe  d'or,  et  debout  sur  une 
espèce  de  socle  ;  autour  de  la  tête  serpente  une  banderole,  oii  se  trouvait 
jadis  une  inscription,  devenue  aujourd'hui  presque  illisible.  Dans  le  se- 
cond on  voit  une  sainte,  la  tête  également  entourée  du  nimbe  d'or,  et 
d'une  banderole  semblable  à  celle  qui  se  trouve  autour  de  la  tête  de  l'a- 
pôtre, et  tenant  dans  sa  main  droite  une  croix  pédiculée. 

Entre  les  ogives  des  croisées  on  aperçoit  encore  des  restes  de  peintures 
décoratives  fort  endommagées. 

Le  nouveau  Béguinage  de  Gand.  —  Le  20  octobre  a  eu  lieu  l'inaugu- 
ration du  nouveau  Béguinage  de  Sainte-Elisal)eth  ù  Mont-Saint-Amand- 
lez-Gand.  Cette  construction,  qui  est  littéralement  la  reproduction  d'une 
petite  ville  du  moyen-âge,  sortie  de  terre  au  bout  d'un  an  de  travaux, 
avec  ses  toits  aigus,  ses  façades  variées,  ses  couvents  à  pignons,  occupe 
une  étendue  de  huit  hectares  ;  elle  renferme  trois  places,  huit  rues,  qua- 
torze couvents  ou  communautés,  chacun  pour  trente  ou  trente-cinq  bé- 
guines, et  comprend  environ  quatre-vingts  maisons,  chacune,  de  même 
que  les  couvents,  sous  le  patronage  d'un  saint.  A  l'église  de^Sainte-Eli- 
sabeth  est  annexé  un  oratoire  en  l'honneur  de  saint  Antoine  de  Padoue. 
destiné  à  remplacer  celui  que  les  béguines  ont  dû  abandonner  dans  leur 
ancienne  résidence.  Le  nouveau  béguinage  a  été  édifié  grâce  à  la  munifi- 
cence de  S.  A.  S.  le  duc  d'Arenberg,  qui  a  fourni  la  plus  grande  partie 
des  fonds  considérables  nécessaires  pour  une  aussi  vaste  entreprise. 

{Messager  des  sciences  historiques.) 


338  CHRONIQUE 

L'iconographie  russe.  —  Le  R.  P.  Martinov,  dans  une  lecture  faite  à 
la  Société  de  Saint-Jean,  explique  parfaitement  l'immobilité  de  l'art  reli- 
gieux en  Italie  :  «  Ce  qui  frappe  le  plus  clans  l'iconographie  russe,  nous 
dit-il,  ce  qui  en  absorbe,  pour  ainsi  dire,  les  autres  propriétés,  c'est  son 
caractère  éminemment  chrétien.  A  quelque  époque  de  ton  histoire  que 
vous  la  preniez,  vous  la  trouverez  toujours  fortement  marquée  du  cachet 
religieux,  au  préjudice  môme  de  l'esthétique.  Les  anciens  Russes  ne  com- 
prenaient pas  qu"on  pût  faire  de  l'art  pour  l'art  ;  de  même  qu'ils  ne  sa- 
vaient pas  cultiver  les  lettres  ou  les  sciences  dans  le  but  unique  de  satisfaire 
l'esprit  et  le  goût  ;  d'abord  parce  qu'ils  venaient  de  sortir  de  la  barbarie 
en  se  soumettant  au  joug  de  la  rehgion  chrétienne  ;  ensuite  les  condi- 
tions sociales  ne  leur  permettaient  point  de  faire  autrement,  occupés 
qu'ils  étaient  à  former  le  nouvel  Empire,  privés  d'ailleurs  des  moyens  né- 
cessaires au  développement  de  l'art  iconographique.  Aussi  est-il  resté 
durant  des  siècles  ce  qu'il  avait  été  à  son  origine,  et  tel  qu'on  l'avait  ap- 
porté de  Byzance,  son  berceau  primitif.  De  là  le  surnom  de  Byzantin  qui 
lui  a  été  donné  et  qu'il  conserve  encore,  bien  qu'il  soit  plus  exact  peut- 
être  de  l'appeler  néo-byzantin  ou  gréco-russe. 

«  En  nommant  Byzance,  j'ai  évoqué  le  souvenir  de  la  religion  à  la- 
quelle l'iconographie  russe  est  unie  par  des  liens  étroits,  indissolubles. 
C'est  que  les  saintes  images  avaient  été  apportées  à  Kiev  le  même  jour  que 
la  Croix  et  l'Évangile.  La  peinture  favorisait  la  piété  naissante  des  fidèles; 
elle  leur  enseignait,  sous  des  formes  sensibles,  les  grandes  vérités  du 
christianisme,  les  mystères,  les  rites,  les  traditions  religieuses;  elle  sui- 
vait partout  les  messagers  de  la  bonne  nouvelle  et  s'empressait  d'orner 
les  nouveaux  temples  élevés  à  la  gloire  du  vrai  Dieu.  Le  peuple  ne  lisait 
que  ce  livre. 

«  Or,  l'art  byzantin  était  alors,  c'est-à-dire  vers  le  XP  siècle,  éminem- 
ment religieux,  catholique  même.  Ce  dernier  trait  a  son  importance.  En 
l'appelant  catholique,  je  ne  prétends  point  donner  à  l'art  un  caractère 
confessionnel;  je  veux  dire  seulement  que  les  origines  de  l'Eglise  russe 
ayant  été  catholiques,  l'iconographie  primitive  doit  en  avoir  conservé  des 
traces,  d'autant  plus  que  le  schisme  de  Photius  ne  fut  renouvelé  en  Grèce 
que  soixante-dix  ans  après  la  conversion  du  prince  Vladimir  (î)88)  et  ne 
pénétra  en  Russie  que  bien  plus  tard.  Rien  n'est  plus  commun,  cepen- 
dant, que  l'oubli  de  ce  fait  historique  ;  la  plupart  des  écrivains  ne  se  dou- 
tent pas  que  la  Russie  de  Vbidimir  est  entrée  dans  la  grande  famille  chré- 
tienne à  l'époque  oij  l'Occident  et  l'Orient  formaient  une  seule  Eglise  et 
vivaient  dans  l'union  de  la  foi  et  dans  la  paix  fraternelle.  Aussi  ne  sau- 
rait-ils  expliquer  pourquoi  les  meilleurs  monuments  de  l'art  chrétien  en 


CHRONIQUE  339 

Russie  appartiennent  à  l'époque  primitive,  qui  va  du  X"  au  Xll''  siècle. 
Ces  restes  vénérables  sont  peu  nombreux,  il  est  vrai,  mais  ils  existent  : 
témoins  les  mosaïques  de  Sainte-Sophie  de  Kiev,  les  fresques  de  l'église 
Novgorod  et  quelques  autres  monuments  échappés  à  Tinjure  des  temps. 

«  Un  autre  fait  qu'il  ne  faut  pas  perdre  de  vue,  c'est  que  la  naissance  de 
la  Russie  à  la  vie  chrétienne  coïncide  avec  la  décadence  de  l'art  byzan- 
tin, consommée  au  XIIP  siècle  ;  que  la  conquête  de  Constantinople  par 
les  Latins  fut  suivie  de  Tinvasion  des  Mongols  en  Russie  et  de  la  ruine 
presque  totale  de  Kiev.Ces  données  de  l'histoire  nous  expliquent  pourquoi 
l'art  chrétien  y  est  demeuré  stationnaire.  Il  gagnait  en  étendue,  mais  non 
en  hauteur.  Tel  on  l'a  connu  à  Kiev  et  à  Novgorod  au  XP  siècle,  tel  il  re- 
paraît au  XIIP  à  Vladimir,  capitale  provisoire  des  Grands  Ducs,  et  deux 
siècles  plus  tard,  à  Moscou.  Uuniformité  devint  un  de  ses  traits  distinc- 
tifs,  dont  il  ne  se  dépouillera  jamais  entièrement. 

«  Après  la  ruine  de  Kiev.  Novgorod- la-Grande  recueillit  l'héritage  artis- 
tique de  la  métropole  du  Midi  ;  et  bien  que,  grâce  à  sa  position  géographi- 
que et  aux  fréquentes  relations  avec  les  pays  d'Occident,  elle  en  ait  subi, 
dans  les  arts  comme  dans  les  idées,  une  certaine  influence,  toutefois,  cette 
influence  n'a  été  ni  assez  constante,  ni  assez  efficace  pour  changer  le  ca- 
ractère primitif  hérité  de  Byzance. 

a  On  le  voit,  les  conditions  historiques  delà  Russie  furent  grandement 
défavorables  au  progrès  de  l'art  religieux.  Kiev.  Vladimir,  Soudai,  toutes 
ces  villes  n'ont  joui  que  d'une  importance  passagère;  le  temps  leur  a 
manqué  pour  féconder  les  faibles  germes  de  l'esthétique  chrétienne,  pa- 
ralysée d'ailleurs  par  l'action  fatale  du  schisme.  Les  républiques  libres  de 
Novgorod  et  de  Pscov.'se  trouvaient,  il  est  vrai,  dans  de  meilleures  condi- 
tions sociales  ;  mais,  dès  le  XVP  siècle,  c'est-à-dire  au  moment  même  où 
elles  auraient  pu  donner  à  l'art  une  impulsion  nouvelle,  elles  perdirent 
leur  indépendance.  De  la  sorte,  lorsque,  à  la  même  époque,  Moscou  de- 
vint le  centre  politique  de  toutes  les  principautés  russes,  elle  se  vit  obli- 
gée de  reprendre  les  traditions  de  l'art  iconographique,  tel  qu'il  avait 
existé  à  Kiev  et  à  Novgorod  au  XP  siècle  et  d'en  reproduire  les  traits  ca- 
ractéristiques, les  défauts  aussi  bien  que  les  bonnes  qualités. 

«  Ce  qu'on  demandait  aux  productions  artistiques,  c'était  avant  tout  la 
fidélité  à  la  tradition,  symbole  de  l'autorité.  On  estimait  non  pas  le  talent 
ou  rinspiration,  mais  Texactitude  avec  laquelle  étaient  reproduites  les 
formes  tradiLionnelles.  Le  beau  idéal  n'était  que  là.  Le  formalisme  en  fut 
la  suite  inévitable  ;  reflet  de  la  religion  dominante  du  pays,  il  frappe  les 
regards  de  l'observateur  le  moins  attentif.  Etant  l'apanage  presque 
exclusif  des  gens   de  l'Eglise,  l'art  iconographique  avait   par  là  même 


340  CHRONIQUE 

quelque  chose  do  hiératique  ;  et  c'est  un  trait  distinctif  à  ajouter  à  ceux 
que  nous  avons  déjà  signalés.  Lors  même  que  du  cloître  il  passa  dans  le 
monde,  qu'il  commença  a  être  exercé  par  des  laïques  et  des  gens  du 
peuple,  il  n'en  subit  aucune  atteinte  dans  sa  direction  et  ne  fit  aucun 
progrès  réel.  Loin  de  là,  quand  le  nombre  de  nouveaux  iconographiîs  se 
fut  accru  au  point  de  former  une  sorte  de  corporation,  qu'on  fut  obligé 
de  doter  d'une  organisation  et  de  soumettre  à  un  règlement,  chose  étrange  ! 
c'est  parmi  eux  que  le  formalisme  trouva  ses  meilleurs  adeptes. 

«  Il  existe,  à  ce  sujet,  un  document  extrêmement  curieux  et  d'une 
incontestable  authenticité.  C'est  le  statut  conciliaire  de  lool,  appelé  vul- 
gairement Stoglar  parce  qu'il  se  compose  de  cent  chapitres.  Le  concile  a 
été  présidé  par  le  tsar  Jean  IV  en  personne,  et  par  le  métropolitain  de 
Moscou,  Macaire,  un  des  Russes  les  plus  instruits  peut-être  de  son  temps 
et  celui  à  qui  nous  devons  le  Grand  Ménologe,  sorte  d'encyclopédie  ecclé- 
siaslique  qu'il  avait  collectionnée  pendant  vingt  ans.  Or,  le  chapitre 
XLIII  du  statut  traite  exclusivement  des  iconographes.  Le  concile  leur 
enjoint  avant  tout  de  mener  une  vie  chrétienne,  irréprochable  ;  il  leur 
ordonne  ensuite  d'apporter  le  plus  grand  soin  à  peindre  selon  l'image  et 
la  ressemblance  des  anciens  modèles  laissés  par  les  peintres  grecs,  leurs 
maîtres.  C'était  en  d'autres  termes  les  rendre  esclaves  de  la  tradition, 
prescrire  la  routine,  qui  est  la  peste  de  l'art,  et  cela  au  moment  où  les 
Raphaël,  les  Léonard  de  Vinci,  les  Michel-Ange,  dotaient  l'Occident  de 
leurs  immortels  chefs-d'œuvre  et  inauguraient  dans  l'art  une  ère  nou- 
velle !  Mais  aux  yeux  des  auteurs  du  Stoglar,  la  spontanéité  de  l'artiste, 
c'était  un  attentat  à  l'autorité  de  la  tradition,  presque  une  révolte  contre 
l'orthodoxie  du  dogme.  Grâce  à  cette  sanction  donnée  par  la  plus  haute 
autorité  ecclésiastique  du  pays,  le  formalisme  fut,  pour  ainsi  dire,  fixé 
dans  l'immobilité  et  devint  officiel.  Le  Schisme  esthétique  fut  con- 
sommé, w 

Musée  Carnavalet.  —  Nouveaux  objets  offerts  à  ce  Musée.  —  Le  musée 
Carnavalet  s'est  enrichi  récemment  de  huit  magnifiques  panneaux  de  ser- 
rurerie qui  ornaient  le  portail  de  Notre-Dame,  avant  sa  restauration  par 
l'architecte  Soufflot. 

Ces  morceaux  artistiques,  d'une  grande  valeur,  avaient  été  vendus  au 
poids  et  servaient,  depuis  longtemps  déjà,  de  grillage  au  balcon  d'une 
vieille  maison  do  la  rue  de  la  Clef. 

L'entrepreneur  charge  de  démolir  cet  immeuble  a  ûiit  cadeau  desdits 
panneaux  au  Musée  municipal. 

M°*  la  comtesse  de  Mesoy  a  offert  aussi  au  musée  Carnavalet  deux  ob- 


CHRONIQUE  341 

jets  fort  appréciés  :  la  montre  de  iM""^  de  Sévigné  et  un  collier  d'ambre 
ayant  appartenu  à  M"''  Elisabeth.  [L Investigateur.) 

Statue  de  M.  de  Caumont.  —  M.  Jouin  écrit  au  Journal  des  Beaux- 
Arts  : 

«  Au  défenseur  de  nos  poèmes  de  pierre,  il  fallait  autre  chose  qu'un 
livre.  L'art  monumental,  la  sculpture  du  Moyen-Age  lui  était  redevable 
de  la  conservation  d'un  trop  grand  nombre  de  chefs-d'œuvre  pour  que  la 
pierre  et  le  marbre  ne  fussent  pas  appelés  en  témoignage  sur  le  tombeau 
de  leur  protecteur.  Ses  amis,  ses  compatriotes,  ses  disciples  l'ont  compris 
et  la  statue  de  M.  de  Caumont  va  rappeler,  sur  la  place  de  l'Hôtel-de- 
Ville  de  Bayeux,  que  l'homme  dont  elle  sera  l'image  est  resté  pendant  sa 
vie  le  fidèle  admirateur  de  nos  richesses  provinciales.  Paris  n'avait  aucun 
droit  sur  cette  grande  figure.  M.  de  Caumont  est  demeuré  l'homme  de  la 
décentralisation  intellectuelle,  l'homme  du  mouvement  provincial.  Il  re- 
doutait l'atonie  et  l'ignorance  qui  sont  le  fruit  trop  ordinaire  d'une  exi- 
stence sans  activité.  C'est  ce  qui  l'a  conduit  à  se  faire  un  propagateur  de 
science,  d'idéal,  d'enthousiasme  à  travers  nos  départements.  Toutefois, 
un  homme  de  cette  énergie  honore  la  France  tout  entière  et  si  Paris  n'a 
pas  le  droit  de  revendiquer  la  statue  de  l'illustre  archéologue,  nous  espé- 
rons rencontrer  son  buste  dans  quelque  salle  de  l'Institut  ou  de  l'École  des 
Beaux-Arts.  La  France,  d'ailleurs,  a  compris  ce  qu'elle  devait  à  M.  de 
Caumont  et  une  souscription  nationale  va  permettre  de  lui  élever  le  monu- 
ment que  Bayeux  lui  prépare.  La  Commission  chargée  d'apporter  ses 
soins  à  l'érection  de  la  statue  a  pour  président  d'honneur  M.  le  marquis 
de  Chennevières,  directeur  des  Beaux-Arts,  compatriote  et  ami  de  M.  de 
Caumont.  Un  pareil  patronage  nous  laisse  l'assurance  que  son  monument 
sera  l'objet  de  la  sympathie  la  plus  éclairée.  Le  Ministre  des  Beaux-Arts 
a  promis  de  faire  dun  de  tous  les  marbres  nécessaiies.  Les  membres  de  la 
Commission  ont  clé  choisis  au  sein  des  Sociétés  savantes  fondées  par 
M.  de  Caumont.  Enfin,  le  statuaire  admis  à  modeler  les  traits  de  l'archéo- 
logue normand  est  né  comme  lui  en  Normandie  et  n'a  cessé  de  lui  être 
uni  par  les  liens  d'une  franche  amitié.  C'est  M.  Le  Harivel-Durocher.  Cet 
artiste  est  depuis  longtemps  connu  du  public  et  justement  apprécié  par 
l'élévation  de  sa  pensée  non  moins  que  par  son  talent  à  sculpter  la  pierre. 
Pour  ne  citer  que  ses  œuvres  principales,  nous  rappellerons  qu'il  est  l'au- 
teur du  Monument  de  Visconti  au  Père-Lachaise,  du  Monument  de  Mezeray 
à  Argentan,  des  Litanies  de  la  Sainte- Vierge,  suite  de  quatre-vingts  figures 
sculptées  qui  décorent  la  chapelle  du  Séminaire  de  Séez  (Orne),  d'une 


342  CHRONIQUE 

Vierge  placée  dans  la  chapelle  du  maréchal  de  Mac-Mahon,  à  la  Prési- 
dence, et  aussi  d'un  excellent  buste  de  M.  de  Caumont.  » 

Découvertes  romaines  à  Incheville  près  Eu.  —  Sous  ce  titre,  nous 
recevons  l'article  suivant  de  M.  l'abbé  Cochet  : 

On  n'a  peut-être  pas  oublié,  qu'en  1857,  le  briquetier  Hénocque,  d'In- 
cheville  près  Eu,  trouva,  au  pied  du  camp  de  Mû)'tagne,  toute  une  série 
de  vases  romains,  provenant  d'une  sépulture  des  IP  et  IIP  siècles.  Ces 
vases  en  métal,  en  terre  et  en  verre,  furent  décrits  dans  le  volume  des 
Sépultures  Gauloises,  Romaines,  etc.,  qui  parut  alors.  Plus  tard,  la  collec- 
tion fut  achetée  par  le  musée  d'Amiens,  oii  elle  est  aujourd'hui. 

Tout  récemment,  au  mois  de  mars  dernier,  M.  Lelong,  négociant  à 
Rouen,  rue  Saint-Sever,  et  propriétaire  d'une  terre  à  ce  même  Incheville, 
vient  de  faire  une  nouvelle  découverte  d'objets  romains. 

11  est  venu  me  les  soumettre,  et  après  les  avoir  examinés  rapidement, 
voici  les  conclusions  que  j'en  ai  tirées  : 

D'abord,  il  a  été  rencontré  deux  grands  bronzes  du  Haut-Empire,  qui 
ne  datent  pas  par  eux-mêmes,  mais  qui  empêchent  de  s'égarer.  Ces  deux 
grands  bronzes,  où  l'on  reconnaît  difficilement  Adrien  et  Faustine  la 
Jeune,  ont  singulièrement  frayé.  On  les  reconnaît  à  peine  et  il  faut  être 
versé  dans  la  numismatique,  pour  leur  donner  une  attribution. 

Il  m'a  été  remis,  avec  les  monnaies,  un  vase  aux  offrandes  en  terre 
noire,  dont  le  col,  assez  allongé,  mesure  environ  10  centimètres.  Ce  vase, 
qui  était  vide,  accompagnait,  selon  nous,  quelque  sculpture.  Ce  n'était 
pas  une  urne,  mais  un  vase  aux  offrandes,  et  il  a  dû  contenir  du  lait,  du 
vin,  de  la  purée  de  pois,  ou  quelque  autre  matière  comestible. 

L'autre  objet  qui  m'a  été  remis  est  une  espèce  de  coquetier,  dont  les 
ouvriers  ont  brisé  la  partie  supérieure. 

(]e  sont  deux  coupes  soudées  ensemble  par  un  emmanchement  qui  est 
plein  d'élégance.  Celle  que  nous  supposons  être  la  partie  inférieure  est 
entière  et  festonnée.  Le  métal  paraît  difficile  à  définir.  Je  crois  que  c'est 
du  bronze,  mais  bien  des  parties  laissent  paraître  un  blanc  mat,  de  sorte 
que  je  ne  serais  pas  surpris  que  ce  métal  ait  été  étamé  ou  argenté.  Dans 
tous  les  cas,  il  est  merveilleux  que  le  temps  ait  respecté  le  travail  de  la 
surface. 

Nous  possédons  au  Musée  de  llouea  six  ou  sept  coquetiers  de  ce  genre, 
mais  nous  n'en  connaissons  pas  parfaitement  la  destination.  Nous  les  con- 
servons comme  des  échantillons  d'antiquités  que  l'on  découvre  chaque 
jour,  et  dont  nous  attendons  l'explication  d'une  cii'constance  heureuse. 

Le  dernier  objet  que  M.  Lelong  m'ait  remis  et  qui  provient  d'inche* 


CHRONIQUE  343 

ville,  est  une  plaque  de  métal  de  forme  ronde,  ayant  4  centimètres  de 
diamètre  et  moins  de  1  millimètre  d'épaisseur.  Cettre  plaque  de  métal, 
que  je  crois  en  bronze,  est  complètement  lisse  d'un  côté,  et  ne  présente 
aucune  attache.  Je  <;rois  pourtant  que  c'est  un  ornement  de  femme  encore 
plus  que  de  guerrier.  Je  crois  que  cette  plaquette  a  été  mutilée  par  les 
ouvriers  qui  en  auront  brisé  la  monture,  afin  de  connaître  la  nature  du 
métal  qu'ils  supposaient  toujours  être  de  l'or. 

Je  dois  donc  juger  de  cette  pièce  sans  la  garniture,  et  malgré  cela  je 
suis  porté  à  en  faire  une  fibule.  Dans  tous  les  cas,  la  plaque  est  couverte 
d'émaux  et  imite  assez  bien  une  cocarde.  Les  couleurs  qui  dominent  sont 
rondes  au  centre  et  rayonnent  à  la  circonférence.  On  y  distingue  surtout 
le  rouge  et  le  vert  :  il  y  a  aussi  des  taches  jaunes  qui  alternent.  J'ai  re- 
marqué quatre  segments  qui  imitent  la  mosaïque  et  qui  partagent  la 
décoration.  En  somme,  on  est  étonné  que  l'objet  ait  séjourné  si  longtemps 
en  terre  et  ait  conservé  une  si  grande  vivacité  de  couleurs.  Je  ne  saurais 
définir  d'une  manière  absolue  l'usage  de  ce  bijou,  mais  je  suis  très-porté 
à  penser  que  cette  plaque  décorait  une  fibule,  que  l'ignorance  ou  la  gros- 
sièreté auront  complètement  défigurée.  L'abbé  Cochet. 

Une  chaire  du  XP  siècle.  -^M.  G.  Tholin  a  adressé  au  Comité  des 
travaux  historiques  une  notice  sur  l'église  romane  de  Sainte-Rufine  de 
Gaujac,  à  Frégimont  (Lot-et-Garonne).  Dans  cette  notice  qu'a  publiée  la 
Revue  des  sociétés  savantes,  nous  trouvons  les  curieux  détails  suivants  : 

((  Dans  la  construction,  dans  le  style,  tout  est  rudimentaire,tout  accuse 
l'enfance  de  l'art  roman.  La  petite  éghse  Sainte-Rufine  doit  avoir  été 
construite  tout  au  plus  au  commencement  du  Xl^  siècle.  Elle  pourrait 
même  remonter  au  X". 

((  11  était  important  de  préciser  cette  date  pour  avoir  en  même  temps 
celle  de  quelques  accessoires  intéressants. 

«  Je  citerai  d'abord  une  chaire  à  prêcher,  ou  peut-être  un  ambon,  placé 
dans  le  chœur  à  droite,  appuyé  sur  un  dosseret  de  l'arc  triomphal,  qu'il 
dépasse  néanmoins  de  façon  à  ce  que  le  prédicateur  pût  se  tourner  vers 
les  fidèles  assemblés  dans  la  nef. 

«  Cette  chaire  en  pierre,  d'une  forme  à  peu  près  carrée,  n'a  pour  appui 
ou  pour  bordure  supérieure  qu'un  bandeau  chanfreiné.  Elle  repose  sur  un 
socle  également  quadrangulaire  à  peine  moins  large  qu'elle.  Au  point  de 
continuité  de  ces  deux  pièces,  l'angle  saillant  a  été  rabattu  par  une  échine. 
On  monte  à  cette  chaire  par  un  escaUer  de  quatre  marches  que  borde 
une  balustrade  massive  en  pierre. 

«Ce  petit  monument,  malgré  sa  grossière  simplicité,  peut  paraître 


344  CHRONIQUE 

curieux  aux  archéologues.  On  ne  cite  guère  en  France  de  chaires  remon- 
tant à  l'époque  romane  *. 

«  Celle-ci  a  bien  la  même  date  que  l'église,  car  elle  fait  corps  avec  elle 
et  ne  porte  pas  de  moulure  d'un  autre  genre  que  celles  qui  sont  appliquées 
aux  pilastres,  Il  y  a  d'autres  preuves  de  sa  contemporaneité.  Une  chaire 
construite  pendant  les  derniers  siècles  du  Moyen-Age  ou  à  l'époque  mo- 
derne aurait  été  établie  dans  la  nef,  et  non  dans  le  chœur.  Celle-ci  est  à 
la  place  traditionnelle  des  ambons  et  des  analogium,  avec  lesquels  il  ne 
faut  pas,  je  crois,  la  confondre. 

«  De  plus,  il  existe  dans  le  mur,  derrière  la  chaire,  une  grande  niche 
rectangulaire  ou  sorte  de  placard  en  plein  cintre.  Une  rainure  et  des  trous 
de  gonds  indiquent  que  cette  niche  était  garnie  de  panneaux  et  fermée. 
C'est  là  sans  doute  que  l'on  déposait  les  livres  saints  à  l'usage  et  sous  la 
main  du  lecteur  ou  du  prédicateur.  Ce  placard,  ouvert  sans  raccord  dans 
les  assises,  date  de  la  construction  primitive.  C'était  un  accessoire  de  la 
chaire. 

«  Quant  à  l'appareil  de  la  chaire  elle-même,  l'étude  en  est  difficile,  car 
tout  est  recouvert  d'un  épais  badigeon.  La  paitie  antérieure  paraît  être 
d'un  seul  bloc.  Le  support  carré  doit  être  également  composé  d'une  pierre 
unique.  » 

Nécrologie.  —  Nous  apprenons  la  mort  de  M.  Eugène  de  Stadler,  an- 
cien inspecteur  des  Archives  de  France,  auteur  d'un  important  ouvrage 
sur  les  Etats- Généraux.  M.  de  Stadler  a  pris  une  part  considérable  au 
classement  des  archives  départementales.  j.  c. 

1  De  l'absence  de  chaires  anciennes  dans  les  églises  romanes,  on  a  conclu  peut- 
être  trop  vite  qu'il  n'en  existait  pas  à  cette  époque,  ou  que  ce  n'étaient  que  de 
simples  estrai] es  mobiles  en  bois.  Deux  causes  peuvent  expliquer  la  destruction 
des  chaires  en  pierre  des  XI^  et  XIIo  siècles  :  leur  extrême  simplicité,  qui  n'en  fai- 
sait pas  des  monuments  dignes  d'être  conservés  ;  leur  position  relative.  Lorsqu'on 
préféra  se  placer  pour  la  prédication  au  milieu  de  l'assemblée  des  fidèles,  les  am- 
bons et  les  chaires  établis  dans  les  chœurs  devinrent  des  accessoires  inutiles  et 
encombrants  qu'on  fit  disparaître.  N'a-t-on  pas  également  douté  de  l'usage  des 
abat-voix  durant  le  Moyen- Age'?  J'ai  récemment  étudié  les  peintures  de  l'église 
de  Cazeaux(prèsLuchon,  Haute-Garonne),  ç[ui  m'ont  paru  dater  du  XIIl»  siècle. 
Saint  Jean-Baptiste  y  est  représenté  préchant  dans  une  chaire  munie  d'un  abat- 
voix  dentelé,  et  qui  ressemble  beaucoup  à  ces  sortes  de  dais  qui  abritent  les 
personnages  sculptés  sur  les  portails  ou  peints  sur  les  vitraux  des  cathédrales. 


Rsvue  de  l'An  chréuei;.        EXPOSITION  D'OBJETS  D'ART  RELIGIEUX  DE  LILLE.        l'i. 


CROIX  DE  CLAIRMARAIS 

AirpailoïKiTil  :i  la  Conlrcrii;  ilr  \olro- L)aiiu'  des  Jlnacli-s,  à  Saiiil-Uiucr. 


L'EXPOSITION  DE  LILLE 


HUITIÈME  ET   DERNIER   ARTICLE 


XVIIl 


Nous  allons  maintenant  reprendre  l'examen  des  œuvres  d'orfèvrerie, 
que  nous  avons  négligées  depuis  longtemps. 

Tout  d'abord  voici  le  reliquaire  de  la  Sainte  Epine,  appartenant  aux 
Religieuses  Augustines  d'Arras. 

Ce  charmant  objet  n'a  guère  que  vingt  centimètres  de  hauteur,  et  l'ar- 
tiste a  trouvé  le  moyen  de  réaliser,  en  un  si  petit  espace,  une  véritable 
merveille  d'orfèvrerie. 

Le  reliquaire  renfermait  une  sainte  épine,  un  fragment  de  clou  et  un 
fragment  de  la  lance;  l'épine  seule  s'y  voit  aujourd'hui.  Sur  la  tranche 
du  pied  on  lit  :  — de  Spinea  corona  domini  :  de  lancea  domini  :  de  clavo  do- 
mini.  Ce  reliquaire  se  compose  de  trois  parties  :  le  pied  ou  support,  la 
capsa  ou  le  reliquaire  proprement  dit,  le  couvercle.  Le  support  consiste 
en  un  pied  rond,  établi  sur  trois  griffes  d'animal,  tout  travaillé  au  re- 
poussé, et  offrant  un  composé  de  feuilles  et  de  fruits  en  grappes,  plein  de 
goût  et  d'harmonie.  Cette  œuvre  toute  végétale  s'élève  en  lignes  gra- 
cieuses jusqu'à  un  nœud  sous  lequel  se  replient  les  extrémités  des  feuil- 
les. Ce  nœud  est  à  six  médaillons  niellés.  Au-dessus  de  ce  nœud  la  vé"-é- 
tation  recommence  et  s'épanouit  en  une  large  corbeille,  à  la  manière  du 
chapiteau  corinthien,  mais  sans  pierre  plate  au-dessus.  Au-dessus  et  au- 
dessous  des  extrémités  des  feuilles  recourbées  avec  élégance,  s'élancent 
alternativeme.t  des  grappes  et  des  fruits,  en  guise  de  volutes  ;  il  résulte 
de  cet  assemblage  un  chcipiteau  d'une  forme  très-remarquable. 

La  capsa  consiste  en  un  vase  de  cristal  de  roche,  d'une  forme  assez 
compliquée.  Qu'on  se  figure  quatre  petites  barques  relevées  l'une  contre 

'  Voir  le  iiumôro  de  t'évrier,  p.   173. 

!!•  série,   tome  II  ■">j 


340  l'iai'usitkj.n  jh:  ullï. 

l'autre  et  soudées  pai"  la  quille  ;  au  milieu  est  percé  un  tube  pour  recevoir 
l'épine,  et  le  haut  de  ce  tulju  s'évase  en  coupe  assez  large,  au-dessus  des 
petites  nacelles.  Le  tout  est  entremêlé  de  pierreries,  de  petites  feuilles,  et 
orné  d'une  couronne. 

Le  couvercle  offre  exactement  le  travail  du  pied  :  grappes,  feuilles, 
nœud  à  six  médaillons  niellés,  et  les  feuilles  se  courbent  et  se  replient 
gracieusement  au-dessus  et  au-dessous  de  ce  nœud,  dont  elles  accompa- 
gnent tous  les  mouvements. 

Ce  Reliquaire  de  la  sainte  Epine  est  un  objet  des  plus  remarquables. 
Il  vient  de  l'abbaye  d'Oisy,  ainsi  que  la  belle  croix  sur  laquelle  j'ai  publié 
toute  une  longue  étude,  en  185G,  dans  la  Revue  de  V Art  chrétien.  C'est  de 
la  même  famille  d'artistes  du  plus  pur  XUI"  siècle  :  c'est  du  goût  le  plus 
exquis. 

Voici  un  autre  objet,  d'une  foi-me  difïérente,  mais  nous  offrant  aussi  une 
insigne  relique,  celle  de  la  vraie  Croix.  La  forme  est  naturellement  celle 
de  la  croix,  car  d'ordinaire  on  donne  aux  reliquaires  la  figure  des  reli- 
ques elles-mêmes.  Cette  t;roix-reliquaire  appartient  aujourd'hui  à  la  ca- 
thédrale de  Namnr,  mais  primitivement  elle  fit  partie  du  trésor  sacré  de 
l'abbaye  de  Saint-Gérard  de  Brogne.  Nous  lisons  en  effet,  dans  l'Histoire 
générale  de  la  Province  de  Naniur,  par  GaUiot,  tome  4,  l'énuméralion 
des  reliques  de  ce  trésor.  «  Les  plus  considérables  reliques  de  Tabbaye  de 
Saint-Gérard,  y  est-il  dit,  sont  le  corps  de  ce  Saint  tout  entier,  une  grande 
partie  de  celui  de  saint  Eugène,  archevêque  de  Tolède,  celui  de  saint 
Léger,  évêque  d'Autun  et  martyr,  deux  corps  des  saints  Innocents,  et  une 
parcelle  de  la  croix  du  Sauveur^  qui  fut  léguée  à  ce  monastère  par  un 
gentilhomme  nommé  Manassé,  qui  l'avait  apportée  d'Orient.  »  Guillaume 
de  Tyr  a  raconté  l'histoire,  pleine  de  péripéties,  de  ce  grand  personnage, 
qui,  après  avoir  été  dans  la  plus  p-rande  faveur  à  la  cour  de  Constantino- 
ple,  fut  renversé  et  dut  se  retirer  de  l'Orient,  n'emportant,  pour  ainsi  dire, 
de  ses  richesses  immenses,  que  le  morceau  de  la  sainte  Croix  qu'il  avait 
reçu  en  présent  de  la  princesse  d'Autriche,  sœur  de  la  reine  Mélisende,  et 
dont  il  enrichit  à  son  retour  l'église  de  Brogne .  Les  annales  de  cette  mai- 
son le  disent  fils  d'une  sœur  de  Godefroi  de  Bouillon  :  elles  lui  donnent 
pour  épouse  en  secondes  noces  Adèle  de  Chimay  et  fixent  sa  mort  en 
]17(i.  La  Croix-roliquaire  que  nous  avons  sous  les  yeux,  n'est  donc  pas  le 
reliquaire  primitif;  elle  est  en  effet  de  1^)05.  C'est  un  magnifique  objet. 
On  y  voit  <J"(m  cùlv  les  quatre  évangélistes,  en  émail  translucide,  entourés 
de  feuillages  ciselés:  au  revers  sont  les  quatre  docteurs  de  l'Eglise.  Cet 
ofjjet  appartient  à  la  cathéihale  cie  \anii;r,  mais  c'est  de  Namur  même 
qu^-in  nous  écrit  qu'il  appartint  (labnid  à  l'abbayn  de  Saint-Gérard. 


1.  R\rosiTro:(   \>f.  Lu.r.i:  347 

Les  croix  et  crucifix  smuL  en  grand  nuinbre  h  r^xposition.  Nous  allons 
en  compléter  la  nomenclature,  en  les  donnant  par  ordre  chronologicjue. 
Quelques  principes  généraux  seront  utiles,  pour  aider  à  préciser  cet 
ordre  lui  même,  M.  Tabbé  Martigny  les  résume,  dans  son  beau  diction- 
naire des  Antiquités  chrétiennes.  Nous  ne  les  donnerons  pas  tous,  car 
nous  ne  faisons  pas  ici  un  cours  d'archéologie,  et  d'ailleurs  nous  avons 
publié  autrefois,  dans  la  Revue  de  l'Art  chrétien^  toute  une  longue  étude 
sur  ce  même  sujet.  Notons  seulement  quelques  points  utiles. 

«  Représentait-on  le  Christ  en  croix  vivant  ou  mort?  —  Vivant  jusqu'au 
onzième  siècle,  mort  depuis  cette  époque.  (V.  B.orgia,  De  Cruce  velit., 
p.  191).  C'est  ce  qui  résulte  de  l'ensemble  des  monuments  écrits  ou  figu- 
rés, réunis  par  les  ^-avants  spéciaux.  Le  premier  exemple  de  Christ  repré- 
senté mort  est  fourni  par  un  manuscrit  in-4"  de  la  bibliothèque  Lauren- 
tienne  de  Florence,  datant  à  peu  près  de  Tan  1059.  Auparavant,  l'Homme- 
Dieu,  sur  la  croix,  ne  paraissait  point  souffrir  :  sa  tête  était  droite;  ses 
yeux  ouverts  otTraient  en  quelque  sorte  un  emblème  de  son  immor- 
talité. » 

Dans  cette  période  ancienne  des  crucifix,  la  tète  du  Sauveur  était  cou- 
ronnée, non  pas  d'une  couronne  d'épines,  mais  d'une  couronne  royale 
comme  signe  de  domination  et  de  règne  dans  son  Eglise  et  à  jamais.  Les 
clous  sont  au  nombre  de  quatre  ;  les  bras  sont  étendus  horizontalement 
ou  à  peu  près;  les  pieds  reposent  sur  un  escabeau.  On  voit  aussi,  au- 
dessus  de  la  tête  de  Jésus,  tout  au  bout  de  la  croix,  une  main  sortant  des 
nuages  et  bénissant.  La  draperie  va  de  la  ceinture  aux  genoux,  du  moins 
assez  ordinairement.  De  bonne  heure  on  voit  aux  extrémités  les  emblèmes 
des  Evangiles.  Dans  les  bonnes  époques,  ces  emblèmes  ont  tous  des  ailes. 
J"ai  exposé  trois  crucifix  émaillés,  dont  deux  sont  du  XP  siècle  au  plus 
lard.  Dans  le  premier,  le  crucifix  a  laissé  seulement  des  traces  ou  des  con- 
tours de  sa  présence,  mais  l'émail  est  assez  bien  conservé.  Il  est  dans  les 
tons  anciens,  sévères,  harmonieux,  avec  les  emblèmes  aussi  anciens,  de 
la  main  qui  sort  des  nuages  pour  représenter  Dieu  le  Père,  de  l'inscription 
grecque  du  titre  de  la  croix,  etc.  Cette  croix  a  <''té  fixée  par  des  clous  à  un 
autre  objet,  peut-être  à  un  évangéliaire. 

Les  deux  autres  ont  ainsi  été  décrits  par  M.  Weale,  dans  le  catalogue  de 
Mahnes  : 

1"  Croix  d'autel,  mobile^  en  cuivre  rouye  doré  et  émaillé.  H.  0.^38.  L.  de 
la  traverse  :  0.142 

L'image  de  Notre-Seigneui'.  qui  est  sans  nimbe  et  couronné  comme  un 
roi,  est  attachée  par  quatre  clous  à  la  croix.  Les  yeux  sont  en  verre  bleu 
lonce  ;   les  bras  sonl  étendus  hori/ontalenicnt,  uu!'  l'ingise  draperie   nen- 


348  l'exposition  ue  hlle 

diiiit  dune  ceintuif  vuile  le  corps  jusqu'aux  genoux.  Lacroix  et  la  drape- 
rie sont  incrustées  d'émail  champlevé  ;  les  couleurs  employées  sont  le 
bleu  dont  il  y  a  trois  nuances,  le  vert  et  le  jaune.  —  Fin  du  XI"  siècle.  — 
Provient  des  environs  de  Saint-Omer. 

2°  Croix  d'autel,  mobile^  en  cuivre  rouge  doré  et.  émaillé.  L'image  de 
Notre-Seigneur,  sans  nimbe,  couronné  comme  un  roi.  a  les  bras  étendus 
presque  horizontalement;  les  pieds  sont  attachés  séparément  au  suppe- 
daneum.  Une  longue  draperie,  pendant  d'une  ceinture,  descend  jusqu'aux 
genoux.  Aux  extrémités  de  la  croix  se  trouvent  les  emblèmes  évangélisti- 
ques;  celui  de  saint  Jean  est  perdu.  La  draperie,  le  suppedaneum  et  le 
fond  sur  lequel  se  détachent  les  animaux  évangélistiques  sont  en  émail; 
les  couleurs  employées  sont  le  bleu,  dont  il  y  a  trois  nuances,  le  rouge, 
le  vert  et  le  jaune.  —  XIP  siècle. 

Voici  deux  autres  croix  émaillées,  XIP  siècle,  appartenant  au  Musée 
d'Arras  et  à  M.  le  général  Yéron  de  Bellecourt.  Dans  cette  dernière,  le 
Christ  se  détache  en  demi-relief  sur  un  fond  émaillé  bleu.  Les  inscrip- 
tions :  IHS  et  XPS,  sont  les  mêmes  sur  les  deux  croix.  Ces  crucifix  russes 
émaillés  sont  une  suite  de  la  même  tradition,  quoique  d'une  époque  mo- 
derne, c'est  à  ce  titre  seulement,  et  comme  sujet  d'étude  comparative, 
que  nous  les  avons  exposés.  Notons  encore  cette  croix  de  procession, 
X"  siècle,  appartenant  au  Musée  d'Arras  :  le  Christ  a  été  rapporté 

Le  chef-d'œuvre  du  XIl"  siècle  et  la  perle  de  l'Exposition,  c'est  cette 
magnilique  d^oix  de  Clairmarais,  qui  trône  au  milieu  de  la  chapelle  et 
dont  nous  donnons  une  photogravure  de  grande  dimension,  comme  il 
convient  à  propos  d'un  objet  hors  ligne  comme  l'est  celui-là. 

Cette  admirable  croix-reliquaire  a  été  faite  pour  l'honneur  et  la  véné- 
ration du  grand  morceau  de  la  vraie  Croix  qu'il  contient,  et  qui  est  un 
des  plus  considérables  de  la  chrétienté.  Elle  est  en  même  temps  un  acte 
de  religion  et  une  œuvre  d'art  de  premier  ordre.  Déjà  elle  a  été  décrite 
avec  le  plus  grand  soin  par  M.  Deschamps  de  Pas.  dans  les  Annales  ar- 
chéologiques, t.  XIV*.  Nous  n'avons  donc  pas  à  reproduire  ici  un  travail  qui 
a  rendu  cette  Croix  célèbre  entre  toutes. 

Contentons-nous  de  signaler  ces  filigranes  et  ces  ciselures  mêlés  aux 
pierres,  ouvrage  merveilleux  de  l'orfèvrerie  du  XIP  siècle,  et  surtout  ces 
nielles  de  l'autre  côté  de  la  croix,  travail  qu'on  ne  peut  assez  louer. 

La  croix  de  Glairmarais  appartient  aujourd'hui  à  la  Confrérie  de  N.-D. 
des  Miracles,  de  Saint-Onier  ;  elle  lui  a  été  donnée  en  toute  propriété  et  à 
toujours,  par  son  propriétaire  antérieur,  M.  Lefebvrc-Hcrmant,  de  Sainl- 
OiiKU'.  L'acte  de  donation,  tlu  -JO  avril  iHil,  mentionne,  en  l'appuyant  sur 
des  extraits  de  manuscrits  de  la  bibliothèque  de  Clairmarais  «  que  cette 


Revue  de  l'An  chréiien.        EXPOSITION  D'OBJETS  D'ART  RELIGIEUX  DE  LILLE.      Pl.  xvi!. 


DIPTYQUE  EN  IVOIRE 

Aiii'aitciia:jl  à  lu  CallioJrulu  de  ïuui-ii.ii. 


I.  lAl'KSiLlltV    r.l-,    LILLK  349 

croix  avait  été  donnée,  vers  1150,  par  Thierry  d'Alsace^  comte  de  Flandre 
et  Sybille  d'Anjou,  son  épouse,  h  leur  retour  de  la  Terre-Sainte,  à  l'abbaye 
de  N.-D.  de  Glairmarais,  fondée  par  eux  en  1140. 

Cette  autre  croix,  décorée  sur  t-es  deux  laces  d'une  série  de  douze  mé- 
daillons circulaires  et  de  huit  carrés,  a  le  plus  grand  rapport  de  travail 
avec  le  pied  de  croix  de  saint  Bertin,  C'est  le  même  système  de  tons,  le 
même  genre  de  travail,  et  les  inscriptions  nombreuses  qu'elle  porte  ont 
de  l'analogie  avec  les  inscriptions  du  pied  de  croix  sus-mentionné.  Placée 
sur  ce  pied  elle  s'harmonise  fort  bien  avec  lui.  Peut-on  en  conclure  que 
cet  objet,  qui  vient  de  l'abbaye  de  Liessies,  est  bien  la  croix  cherchée  du 
pied  de  Saint-Bertin?  Cela  ne  nous  paraît  pas  prouvé...  On  a  fait  à  cette 
époque,  comme  toujours,  beaucoup  de  choses  semblables  ou  sur  un  mo- 
dèle ressemblant;  l'époque  est  la  même,  mais  l'identité  ne  semble  pas 
devoir  être  la  conclusion  de  ce  rapprochemeat. 

Vuici  toute  une  série  de  croix  processionnelles,  appartenant  à  diverses 
églises  et  à  plusieurs  personnes.  Elles  vont  du  XlIP  siècle  au  XVP,  mais 
le  XV<^  siècle  est  celui  qui  a  fourni  le  plus  grand  nombre  de  spécimens. 
Elles  sont  toutes  décrites  dans  le  Catalogue.  Plusieurs  ont  été  déjà  pu- 
bliées, notamment  la  croix  de  Bousbecque.  En  somme,  la  collection  des 
croix  est  remarquable  :  elle  offre  tous  les  types,  depuis  les  plus  anciens 
et  elle  brille  par  quelques  pièces  hors  ligne,  telles  que  la  croix  de  Clair- 
marais  et  la  croix  du  Paraclet.  Il  ne  manque  que  la  croix  d'Oisy  pour 
donner  une  idée  de  toutes  les  richesses  artistiques  que  possède  le  nord  de 
la  France,  de  ce  chef  seulement. 

Les  reliquaires-ostensoirs  sont  aussi  en  nombre  considérable  à  l'Expo- 
sition et  déjà  nous  en  avons  exaiiiné  beaucoup.  Citons  ces  reliquaires- 
ostensoirs  de  Nédonchcl  et  ceux  de  Wallers-en-Fagne,  de  Crespin,  de 
Beauchamp,  de  Valenciennes.  Celui  de  (Crespin  est  un  magnifique  objet 
dans  le  même  genre  de  travail  que  la  croix  de  Glairmarais  :  filigranes  et 
nielles.  C'est  d'une  admirable  délicatesse.  Nous  avons,  dans  un  autre 
genre,  ceux  de  M.  Ach.  Gentil,  de  l'église  de  Marpent,  des  Dames  de 
Flines,  de  La  Bassée,  et  surtout  le  reliquaire  de  la  sainte  Epine,  en  cr 
avec  émail,  XVIP  siècle,  appartenant  à  l'église  Saint-Michel  de  Gand. 
Voici  encore  un  autre  reliquaire  de  Crespin,  tout  en  cristal  ci  métal, 
d'une  élégance  parfaite  et  d'une  grande  originalité;  en  voici  un  autre  en 
ébène  et  argent.  Tous  les  genres  sont  représentés  à  l'Exposition  de  Lille, 
en  fait  de  reliquaires-monstraiices,  comme  tous  les  âges  en  fait  de  croix. 

Nous  avons  encore  à  citei-  qurl<]ues  chasses,  en  dehors  de  celles  qui 
déjà  ont  ét(''  nR'ntiomun.'s,  Gelh;  de  Honsbecqu;-  a  été  décrite  par  M.  de 
Coussemakei'.  Cellu  de  M.  ((zenlaiit  est  foi'L  remar(iual)lr. 


350  T.'i;\!'-'-iTT(iN  n;:  i.ti.t.k 

Cette  châsse  est  en  turmc  *li-'  puUt  édilicf  avec  pignons  aux  extrémités 
et  au  milieu  des  longs  cotés.  Elle  a  conservé  sa  cW^te  à  jour  avec  ses 
boules.  Sur  une  âme  en  chêne  sont  fixées  des  plaques  de  cuivre  doré,  ci- 
selé, orné  d'émaux  dans  le  mode  de  travail  dit  champlevé.  Des  pierres, 
serties  également  en  cuivre  doré,  complètent  rornementation.  Les  tons 
des  émaux  sont  le  blanc,  le  rouge,  le  bleu,  le  vert  d'eau  :  trois  côtés  de  la 
châsse  ont  ces  émaux  sur  champ  uni  ;  TaLitie  côté  porte  des  figures  en 
relief  également  recouvertes  d'émaux  champlevés.  Sur  une  grande  face 
on  voit  :  Jésus  debout  et  les  quatre  évangélistes  avec  leurs  nimbes,  leurs 
livres  et  leurs  grandes  aîles  ;  ils  sont  en  outre  élevés  au-dessus  des 
nuages.  Sur  l'autre  grande  face  on  voit,  mais  en  relief,  une  grande  figure 
et  quatre  plus  petites,  également  émaillées,  largement  drapées,  les  yeux 
en  émail.  Trois  de  ces  figures  portent  des  livres,  ce  sont  celles  du  bas. 
Les  deux  autres  figures  placées  sur  le  toit  de  l'édicule,  et  aussi  en  relief, 
poitent  sur  leur  poitrine  l'indication  de  ce  qu'elles  représentent,  c'est-à- 
dire  le  Soleil  et  la  Lune. 

Sur  les  petites  faces  on  remarque  deux  saints  debout.  Ils  tiennent  tous 
deux  un  livre  d'une  main,  et  dans  l'autre  main  le  premier  a  un  glaive,  le 
second  deux  clefs  :  ce  sont  saint  Pierre  et  saint  Paul.  Saint  Pierre  est  sur 
la  porte  d'entrée. 

Comme  dessin,  plusieurs  détails  sont  très-incorrects;  comme  ensemble, 
c'est  d'un  effet  riche,  harmonieux,  plein  de  vraie  grandeur.  On  lit  en  let- 
tres métalliques  réservées  sur  le  fond  émaillé  l'inscription  suivante  :  in 
his  sigm's  imiteris.  Cette  belle  châsse  est  du  XIP  siècle. 

Elle  provient  de  l'ancienne  collection  Germeau.  Voir  le  catalogue  de 
l'Exposition  rétrospective  de  l86o,  n°  608. 

La  châsse  du  XIV^  siècle  de  l'église  Saint-Pierie  de  Douai  est  aussi  fort 
belle;  celle  de  Gueschart  (Somme),  toute  en  fouilles  d'argent  repoussé, 
avec  scènes  historiques  et  inscriptions,  travail  du  XIIl^  siècle,  est  encore 
à  remarquer  avec  soin.  Puis  nous  trouvons  deux  châsses  émaillées,  à 
M.  Catteau,  et  surtout  la  châsse  émaillée  de  M.  Monvoisin,  d'Arras. 

Ce  bel  objet  est  tout  couvert  de  figurines  réservées  en  cuivre  doré, 
ciselé,  les  têtes  en  relief.  Le  fond  général  de  l'émail  champlevé  est  bleu, 
avej  rinceaux  dorés  C'est  une  des  belles  pièces  du  XIIP  siècle  et  de  l'Ex- 
position. 

Les  calices  et  les  ciboires  ne  forment  pas  la  partie  la  plus  remarquable 
de  nos  séi-ies  d'objets  destinés  au  culte  ;  ils  sont  ordinaires,  et  d'une  épo- 
que où  l'on  avait  perdu  les  grandes  traditions  de  l'art.  En  revanche,  nous 
avons  une  pyxidc  qui  est  un  chef-d'œuvi'f . 

Cette  pyxide  a  été  publiée,  avec  une  giavure  grandeur  d'exécution, 


LEXi'usrnoN  dk  lille  351 

dans  1l'  XYl''  \o\.  des  Annales  archéolo(jiqufs,Ac  Didron,  par  M.  Descliamps 
de  Pas.  Sur  un  pied  à  base  circulaire  supportant  une  tige  à  nœud  (le  tout 
avec  ornementation  gravée  en  réserve  comme  s'il  y  avait  eu  à  émailler), 
repose  un  cylindre  en  partie  à  jour,  surmonté  d'une  petite  lanterne  égale- 
ment à  jour.  Le  grand  cylindre  a  deux  galeries  en  colonnettes  romaines, 
séparées  par  un  anneau  de  filigranes  et  pierreries  ;  la  lanterne  consiste 
en  une  seule  galerie  de  colonnettes  romanes.  Le  toit  qui  relie  la  pyxide  à 
sa  lanterne  est  tout  couvert  de  filigranes  et  pierreries;  il  en  est  de  même 
du  petit  toit  de  la  lanterne,  divisé  d'ailleurs  en  six  compartiments.  — 
Cette  pyxide  délicieuse  est  du  XIP  siècle  ;  elle  appartient  à  la  cathédrale 
de  Saint-Omer. 

Nous  avons  aussi  plusieurs  pyxides  émaillées,  en  dehors  de  celles  dont 
nous  avons  parlé  dès  le  commencement  de  ce  travail.  Elles  sont  du  XIIP 
siècle  et  appartiennent  à  l'église  de  Pissy  (Somme),  à  M""^  Deneux 
(Amiens),  et  à  M.  Van  der  Cruisse  de  Waziers. 

Nous  avons  un  certain  nombre  d'objets  divers  servant  au  culte  et  qui 
offrent  un  vif  intérêt  :  navettes,  cuillers  à  encens,  masses  de  bedeau  et  de 
confrérie,  burettes,  aiguières,  bénitiers,  reliures  de  missel,  instruments  de 
paix,  plaques  émaillées,  dont  plusieurs  sont  très-remarquables  et  sont  dé- 
crites au  Catalogue. 

Arrêtons-nous  enfin  devant  cet  habitacle  du  tableau  de  Notre-Dame  de 
Grâce,  de  Cambrai,  œuvre  importante,  remarquable  par  la  richesse  des 
émaux  et  le  lini  du  travail.  C'est  à  la  fois  un  ex-voto  qui  témoigne  de  la 
piété  des  habitants  de  Cambrai,  et  une  œuvre  d'art  qui  atteste  leur  bon 
goût. 

Voici  une  sainte  chandelle  qui  mérite  aussi  l'attention  du  visiteur. 

C'est  la  custode  en  argent,  du  cierge  qui  appartenait  à  la  confrérie  des 
Damoiseaux  de  Tournai.  Cet  objet  est  divisé  en  cinq  parties,  par  des  cer- 
cles ouvragés,  et  orné  de  58  écussons  émaillés,  dont  quelques-uns  man- 
quent. Le  tout  se  termine  par  une  tourelle  dont  le  dessus,  fixé  à 
charnière,  semble  avoir  servi  d'éteignoir.  Les  trois  sections  inférieures 
et  la  tourelle  sont  du  XIV^  siècle  :  le  reste  fut  probablement  ajouté 
au  XVI^ 

Enfin,  nous  omettons  malgré  nous  bien  des  objets  mentionnés  au  Cata- 
logue, car  nous  n'avons  pas  à  refaire  ici  ce  travail;  mais  comment  ne  pas 
signaler,  en  finissant  cette  visite,  deux  objets  dont  nous  n'avons  point 
parlé  jusqu"ici.  parce  qu'ils  n'appartiennent  pas  à  la  classe  de  ceux  dont 
nous  venons  de  nous  occupe)'? 

Le  premier  est  ce  grand  nutcl  portatif  appartenant  à  la  cathédrale  do 
Namur. 


352  I/RM'OSITKIN    liE    LILLE 

U  ost  en  foinu'  do  cotl'tet,  porté  sur  pieds  de  lion,  et  tout  entouré  de 
scènes  sculptées  en  ivoire,  tirées  do  l'histoire  du  Nouveau-Testament.  Le 
style  des  figures,  les  bordures,  les  rinceaux  gravés  sur  l'encadrement  eu 
métal  de  la  pierre  sacrée,  semblent  indiquer  le  XIP  siècle.  Il  y  a  18  scènes 
diflerentes  et  une  richesse  extrême  de  personnages. 

L'autre  est  un  feuillet  de  diptyque  appartenant  à  M.  Mallet,  d'Amiens, 

Il  porte  trois  scènes  :  le  massacre  d'is  Innocents  ;  le  baptême  de  Notre- 
Seigneur;  les  noces  de  Cana.  La  décoration  de  la  bordure,  en  oves  et  flè- 
ches, indique  un  souvenir  romain  :  d'autre  part,  le  nimbe  existe  derrièio 
la  tête  du  Sauveur.  Dans  la  scène  du  baptême,  Jésus  est  plus  petit  que 
saint  Jean,  mais  il  est  nimbé.  Est-ce  une  allusion  à  cette  parole  du  Pré- 
curseur :  oportet  illum  crescere^  me  aufem  minui?  Ce  n'est  pas  clair,  et 
cette  scène  offre  plusieurs  difficultés  dont  nous  parlerons  ailleurs.  Il  est 
difficile  d'asàigner  une  époque  à  cette  pièce  très-importante,  où  l'on  sent, 
pour  ainsi  dire,  palpiter  l'art  des  catacombes  et  l'expression  naïve  et  forte 
du  pre.mier  âge  du  Christianisme. 

Le  dernier  objet  désigné  ici  et  rentrant  dans  )a  catégorie  que  nous 
étudions,  sera  le  triptyque  de  l'église  de  Sainghin-en-Mélantois  (Nord). 

Un  saint  évêque  est  debout  sous  une  arcade  trilobée.  Tout  autour,  ainsi 
que  dans  le  fond  des  volets  du  triptique.on  voit  des  quatrefeuilles  renfer- 
mant des  reliques,  dont  la  nomenclature  est  sur  le  bord  des  quatrefeuilles. 
Le  tout  est  en  argent  doré.  Les  bords  de  la  grande  arcade  comme  ceux 
des  volets  sont  eu  nielle  très-fine.  C'est  un  délicieux  objet  du  XUV  siècle, 
dn  goût  le  plus  pur. 

XIX 

Si  nous  voulons,  dans  une  dernière  visite,  nous  rendre  compte  d'une 
foule  d'objets  que  nous  n'avons  pas  encore  examinés,  nous  verrons  qu'il 
y  en  a  de  très-curieux  et  qui  mériteraient  un  examen  attentif. 

Ce  ne  sont  pas  sans  doute  des  o'uvros  d'art  bien  remarquables,  ces 
H3  plaques  de  métal  peintes  et  dorées  des  deux  côtés,  avec  des  croix,  des 
chiffres,  des  anges,  des  indications  de  fonctions  ;  mais  ce  sont  des  insi- 
gnes de  procession  qui  datent  de  deux  siècles  et  qui  ont  du  caractère.  Et 
puis  cela  peut  servir  à  donner  l'idée  de  choses  analogues,  à  modifier  selon 
les  besoins.  Voici  des  lanternes  en  cuivre  repoussé  et  ciselé,  des  halle- 
bardes de  l'époque  Loujs  XIV,  (\e^  lustres,  des  chandeliers  :  voici,  en 
grand  nombre.  i\o<.  hassins  d'oIVrande  en  cuivre  l'epoussé,  objets  pour 
lesquels  on  ne  ^^anraitèfrc  trop  sévère, tant  on  en  fabrique  aujourd'hui  de 
faux.  Ces  médaillons   en    Ter.  représentan!    des  apôtres,  appartiennent  à 


Revue  de  l'Ail  chiéiieii.        EXPOSITION  D'OBJETS  D'ART  RELIGIEUX  DE  LILLE.      Pl.  xvm. 


TROIS  RELIQUAIRES 

AjipaiieiM'.it  à  M.  Desmollts,  Lill 


AppaileiKiiil  j  li'glise  de  Saingliin-otviMolanloi-(Xoril). 


L"r:\f'(lSlTIOX    DF.    LILLE  3o3 

M.  Planquart  :  j'ai  exposé  une  grande  plaque  de  plomb,  au  repoussé,  re- 
présentant une  adoration  des  Bergers  et  provenant  de  l'ancienne  cathé- 
drale d'Arras,  des  Anges  adorateurs,  aussi  au  repoussé,  en  cuivre  doré, 
XIV  siècle,  une  plaque  XIII^  siècle,  etc.  Vous  voyez  maintenant  une  pince 
à  encens,  musée  d'Arras;  un  seau  à  eau  bénite,  de  M.  Sauvage-Gentil; 
des  instruments  de  paix,  des  encensoirs,  des  ciboires  en  cuivre  repoussé, 
des  chandeliers,  d'^s  croix,  des  sonnettes  d'autel,  des  statuettes,  des  cuil- 
lers à  encens,  toute  une  série  d'objets  en  cuivre,  où  il  y  a  des  formes  à 
étudier,  des  symboles  à  reproduire,  des  types  à  imiter. 

La  céramique  nous  a  fourni  quelques  bonnes  pièces,  que  Ton  trouvera 
décjites  au  catalogue.  Notons  en  particulier  ces  carreaux  anciens  prove- 
nant de  la  cathédrale  de  Térouanne,  cette  mosaïque  de  l'abbaye  de  Saint- 
Eloi,  toutes  ces  belles  et  bonnes  pièces  qui  font  partie  de  la  collection  de 
M.  Achille  Gentil,  de  celles  de  M"^^  Gentil-Renard,  de  M.  Jules  de  Vicq, 
de  M.  A.  Scrive,  de  M.  Em.  Cussac,  de  M.  Iloudoy,  de  M.  Reynart,  de 
M.  Descamps,  de  M.  Catteau,  de  M.  César  Fontaine,  de  M.  Bonnier,  de 
M.  Casati,  de  M.  Duroux,  de  M.  Evaldre,  de  M.  A.  Rocques,  de  M.  Van 
Hende,  de  M.  J.  Brame,  de  M.  Planquart,  de  M.  A.  Houzé  de  TAulnoit, 
de  M.  Fleury  Filbien.  On  voit  que  la  ville  de  Lille  a  fourni  son  contingent 
sérieux  à  la  huitième  section  comme  aux  autres.  Citons  en  passant  la  terre 
cuite  exposée  par  M.  Houzé  de  l'Aulnoit. 

La  déposilion  de  croix.  —  IL  30.  L.  60.  — Terre  cuite.  —  Nicodème  et 
Joseph  d'Arimathie  déposent  sur  le  sol  le  corps  du  Christ,  descendu  de 
la  croix;  tous  deux  sont  inclinés,  et  l'un  d'eux,  vu  de  dos,  est  agenouillé 
au  premier  plan.  Le  fond  de  la  composition  est  occupé  par  le  groupe  de 
Marie  évanouie  et  de  saint  Jean  qui  la  soutient  ;  vers  la  droite,  sainte 
Madeleine  et  les  deux  Marie  sont  disposés  dans  des  attitudes  qui  expri- 
ment la  douleur,  la  peine  et  l'abattement. 

Cette  description  est  extraite  du  Catalogue  du  musée  du  Louvre  et  s'ap- 
plique à  un  bas-relief  de  Jean  Goujon  en  pierre  de  Trossy. 

H.  79.  L.  19. 

La  composition  exposée  à  Lille  se  distingue  de  celle  du  Louvre,  par 
des  changements  tels,  qu'ils  révèlent  dans  cette  œuvre  la  première  pensée 
de  l'artiste;  ainsi  :  le  personnage  qui  soulève  le  Christ  a  la  tète  inclinée, 
tandis  que  dans  le  bas-relief  sculpté,  la  tête  est  redressée,  position  plus  en 
harmonie  avec  l'efl'ort  nécessaire  pour  remplir  ce  pieux  devoir  ;  les  bras 
de  la  Vierge  sont  complètement  nus,  ce  qui  est  contraire  à  toutes  les  tra- 
ditions, alors  qu'au  Louvre  le  vêtement  s'attache  aux  poignets.  D'autres 
menus  détails  démontrent  que  cette  terre  cuite  ne  peut  être  une  copie. 

Le  bas-jeli<^f  du  musée  a  été  composé  par  Jean  Goujon  pour  le  jubé  de 


334  l'exposition  hf.  iille 

Saint-Germain-l'Auxerrois,  construit  par  Pierre  Lcscot.  Ce  jubé  fut  dé- 
moli, en  1744,  par  Baccaraf,  et  les  sculptures  mises  de  côté,  jusqu'au  mo- 
ment où  Lenoir  les  retrouva  pendant  la  Révolution  toutes  couvertes  de 
couleuîs  ;  après  les  avoir  nettoyées,  il  les  plaça  dans  son  musée  des  monu- 
ments publics,  d'oii  elles  passèrent  au  musée  du  Louvre. 

De  Beau  vais,  d'Amiens,  d^  Douai,  de  Saint-Omer,  d'iwuy,  nous  avons 
aussi  des  pièces  remarquables,  décrites  au  cfitalogue,  sous  les  noms  de 
MM.  Mathon,  Laran.qot-'Wavrin,  de  Landreville,  Warin,  Hasard,  de  Ternas, 
Queulain,  d'Argœuves,  M""**  Deneux.  Quelques  vitraux  ont  été  envoyés 
par  MM.  Notterraan ,  Bonnier,  Bernard,  Moignet,  l'abbé  Dehaisnes , 
M-»"  Buvette  et  M""^  veuve  Gonnet. 

La  neuvième  section  mériterait  une  étude  approfondie;  mais  il  est  diffi- 
cile de  s'y  livrer  dans  une  simple  visite  à  l'Exposition,  et  il  faudrait  un 
travail  spécial  pour  Lien  faire  ressortir  les  mérites  de  collections  comme 
celles  qui  sont  ici  sous  nos  yeux. 

M,  Preux,  de  Douai,  nous  donne  des  sceaux  d'églises,  d'abbayes,  de 
couvents,  à  l'aide  desquels  on  peut  suivre  pas  à  pas  l'histoire  de  bien  des 
villes  et  localités  du  nord  de  la  France.  Une  première  série  de  soixante- 
huit  numéros  nous  donne  une  liste  de  villes  et  villages  qui  parcourt  toutes 
les  lettres  de  l'alphabet  et  tout  le  territoire  qui  va  d'Abbeville  et  de  Pé- 
ronne  jusqu'aux  Ardennes.  Quinze  autres  numéros  nous  donnent  des  sceaux 
d'ecclésiastiques  ;  vingt  autres  sont  indéterminés,  mais  très-intéressants 
à  étudier.  Une  dernière  série  nous  offre  des  emblèmes  religieux  et  des  lé- 
gendes :  ils  vont,  comme  les  précédents,  du  XIIi°  au  XVll'  siècle.  Enfin, 
M.  Preux  expose  aussi  des  fers  de  reliure  qui  rappellent  des  noms  histo- 
riques et  des  souvenirs  locaux.  L'ensemble  de  ces  rares  et  précieux  objets, 
extraits  d'une  collection  magnifique,  est  d'une  grande  importance  au 
point  de  vue  de  l'histoire  comme  pour  l'étude  de  l'art  religieux  dans  nos 
contrées. 

M.  Yan  Hende,  de  Lille,  a  exposé  un  ceitain  nombre  de  souvenirs  lillois 
parfaitement  choisis.  C'est  une  médaille  de  l'archevêque  de  Cologne,  sacré 
à  Lille  par  Fénelon  ;  ce  sont  des  médailles  religieuses,  des  jetons,  des 
méreaux  capitulaires  et  autres,  un  plommet  de  la  fête  des  Innocents. 

Voici  une  collection  de  médailles  religieuses  exposée  par  le  collège 
N.-D.  de  Tournai  ;  une  suite  de  'lOO  médailles,  insignes  de  corporations  et 
pèlerinages,  méreaux,  elc.,  exposée  par  M.  Ratel-Hécarl,  de  Valenciennes. 
Du  même  exposant  nous  avons  encore  26  planches  de  cuivre  ayant  servi 
à  imprimer  d'anciennes  gravures  et  images  de  piété,  des  sceaux  et  d'au- 
tres objets  du  plus  grand  intérêt. 

M.  l'abbé  Rigaux  nous  offre  125  médailles  religieuses  parmi  lesquelles 


Revue  ce  1  Art  chréiie:;.        EXPOSITION  D'OBJETS  D'ART  RELIGIEUX  DE  LILLE.      Pl.  mx. 


FEUILLET  DE  DIPTYQUE  EN  IVOIRE 

AiiparU'u.int  :i  \I,  Malle',  Aniiciis 


PAREMENT  D'AUTEL 

A  ppnrlaaaiil  aux  Dames  Ursuliiics  d"Amii'ii> 


T.  FXPOSITION   [iF:   T.TIJ.E  ;]5,'^; 

on  remarque  des  raretés  tout-à-t'dit  exceptionnelles  et  des  types  particu- 
lièrement utiles  à  étudier  pour  l'histoire  du  pays. 

M.  Daucoisne,  l'infiitipable  numismate  d'IIénin-Lictard,  ne  pouvait  pas 
manquer  à  ce  rendez-vous  si  honorable  pour  les  archéologues  et  les  amis 
des  arts.  Aussi  a-t-il  exposé  toute  une  précieuse  collection  sur  laquelle, 
esjiérons-le,  une  notice  spéciale  sera  publiée  plus  tard.  Cette  collection 
s'ouvre  par  une  Tessère  du  IV  siècle.  Elle  se  continue  par  des  séries  de 
médailles  religieuses  qui  font  l'histoire  des  sanctuaires  principaux  de  la 
Belgique,  puis  de  Douai,  de  Carvin,  de  Seclin,  etc.  D'autres  pièces,  des 
coins,  des  moules,  viennent  varier  ce  bel  ensemble  et  donner  un  spécimen 
des  magnifiques  collections  de  M.  Dancoisne. 

Nous  avons  aussi  des  pièces  lilloih  s  très-curieuses  de  M.  Achille  Gentil 
de  M.  Vernier  de  Roubaix,  et  d'autres  pièces  de  M.  le  chanoine  Denis  de 
Meaux.  Enfin,  M.  Béthune-d'Ydewalle,  de  Gand,  nous  a  donné  plusieurs 
bulles  de  pape,  d'Adrien  IV  à  Clément  XIII,  et  une  empreinte  de  l'ancien 
sceau  de  la  ville  de  Gand. 

Déjà,  dans  le  cours  de  ces  longues  promenades  à  travers  l'Exposition 
de  Lille,  nous  avons  rencontré  une  foule  d'objets,  de  divers  genres  de 
travail,  ayant  servi  dans  la  vie  privée.  Achevons  Texamen  de  ceux  de  ces 
objets  qui  n'ont  point  été  remarqués  jusqu'ici,  et  nous  aurons  alors  achevé 
notre  travail  et  terminé  nos  visites. 

Tout  de  suite  s'offre  à  nos  yeux  la  collection  de  M.  Maillard,  de  Valen- 
ciennes. 

Cette  collection  n'a  pas  moins  de  56  numéros,  et  elle  est  composée  des 
objets  les  plus  variés.  On  y  rencontre  en  effet  des  croix,  des  émaux,  des 
scapulaires,  des  bénitiers,  des  médaillons,  le  tout  allant  de  la  Renaissance 
au  XVIIl*  siècle,  et  quelques  pièces  sont  phjs  anciennes. 

Yoici  des  Thèses  de  l'ancienne  Université  de  Douai,  impressions  sur 
soie  avec  belles  gravures.  Voici  une  horloge  décorée  de  peintures,  genre 
vernis-Martin,  à  M""*  Hollebecque,  une  autre  à  M.  Auguste  Leclercq,  des 
meubles  ornés  d'emblèmes  religieux,  des  croix  de  pèlerinage,  une  cein- 
ture garnie  de  plaques  d'ivoire,  venant  d'une  abbesse  d'Etrun,  et  appar- 
tenant à  M"^  la  comtesse  d'Hérlcourt.  Voici  des  coffres  et  bahuts  en  bois 
sculpté,  à  M.  Ozenfant,  à  M.  Alb.  Sciive,  et  un  beau  Scribane  orné  de 
13  peintures,  appartenant  à  M""^  Maîfait,  de  L'Ile.  Jetons  un  coup-d'œil  sur 
ce  travail  en  nacre  et  en  bois  représentant  l'i^glise  du  Saint-Sépulcre,  sur 
ces  beaux  chapeîets  fi'igranes.  sur  ces  petites  croix,  suj'  ces  bénitiers,  sur 
ces  râpes  à  tabac  avec  sujets  religieux. 

Nous  avons  encore  une  collecLion  de  bagues  avec  sujets  religieux,  des 
cadres  émaillés.  de?  montres,  des  médaillons,  des  bassins  d'aiguières,  des 


356  i.'tixi'nsriuiN    oi;   i.illi. 

boîtes  rri  nnore,  des  lianaps,  une  admirable  suite  de  dessins  d'anciennes 
étoffes,  dus  il  M.  Jules  Helbig,  de  Liège,  enfin  une  magnifique  scribane 
en  ébène,  avec  peinture  de  Franck,  représentant  toute  l'histoire  de  Su- 
zanne, appartenant  à  M.  de  Cardevacque,  d'Arras. 

On  le  voit,  par  cette  nomenclature  sommaire,  la  dixième  catégorie  est 
très-riche  à  l'Exposition,  et  ce  n'est  pas  en  vain  que  l'on  a  fait  appel  aux 
possesseurs  de  ces  curieux  objets,  qui  montrent  bien  jusqu'à  quel  point 
la  vie  ordinaire  a  toujours  été  imprégnée  de  l'esprit  chrétien. 

XX 

11  nous  serait  difficile  de  passer  en  revue  l'ensemble  des  choses  multi- 
ples que  nous  avons  étudiées  dans  ces  longues  visites  et  de  faire  un  ré- 
sumé de  ces  études.  Toutefois  nous  pouvons,  d'un  coup-d'œil  rétros- 
pectif, voir  ce  qui  était  le  plus  remarquable  dans  ce  qui  fut  l'Exposition 
de  Lille  en  1874. 

Cette  Exposition  est  la  première  de  ce  genre  qui  se  soit  faite  en  France. 
Elle  a  été  la  suite  et  comme  le  développement  de  l'Exposition  de  Malines, 
qui  l'a  précédée  de  dix  ans.  Trois  fois  plus  riche,  quant  au  nombre  d'ob- 
jets, elle  a  offert,  quant  à  l'importance,  un  ensemble  qui  valait  la  belle 
exhibition  de  1864. 

Si  Malines  brillait  par  ses  œuvres  incomparables  d'orfèvrerie,  de  di- 
nanderie,  de  sculpture  ancienne  sur  ivoire  et  sur  bois,  Lille  se  distinguait 
par  ses  manuscrits,  ses  tapisseries,  ses  émaux,  et  par  beaucoup  d'œuvres 
d'orfèvrerie  d'une  importance  capitale,  et  quelques-unes  tout-à-fait  de 
premier  ordre.  Mais  ne  poussons  pas  plus  loin  ce  parallèle  :  il  ne  s'agit 
pas  ici  d'émulation,  encore  moins  de  rivalité,  puisque,  grâces  à  Dieu,  nous 
nous  sommes  prêté,  Belges  et  Français,  un  loyal  concours.  11  s'iigit  bien 
plutôt,  et  uniquement,  de  constater  quel  fut  le  bon  poût  de  nos  pères,  et 
combien  est  grand  encore  le  nombre  de  leurs  œuvres  que  nous  possé- 
dons. 

Lille  seule  a  fourni  à  l'Exposition  1212  objets,  près  de  la  moitié.  Les 
départements  de  la  Somme  et  du  Pas-de-Calais  ont  apporté  à  peu  près  le 
même  contingent,  253  et  220,  mais  il  est  juste  de  dire  qu'ils  ont  envoyé 
beaucoup  d'œuvres  d'un  mérite  supérieur.  Nous  avons  été  aidés  adrairu- 
blemeni  par  les  amateurs  bien  connus  de  Beauvais  :  puis,  en  dehors  de 
notre  région,  c'est  à  Angers  que  nous  avons  trouvé  la  plus  grande  sym- 
pathie. Le  trésor  de  Conques  nous  a  été  ouvert  :  De  Paiis  et  d'ailleurs 
nous  sont  venues  d'elles-mêmes  des  œuvres  auxquelles  nous  n'avions 
point  fait  appel.  La  Belgique  n'a  pas  voulu  laisser  oublier  son  exposition 


Fcvue  ce  i  An  cbriie:;.        EXPOSITION  D'OBJETS  D'ART  RELIGIEUX  DE  LILLE.       Pl.  xx. 


CHAPELLE  TRIPTYQUE 

Apjurlnn.ir.l  à  M.  X'.y;.  Or.cnr;)!:!.  F.illc 


r/ EX  POSITION    DE    LILLE  357 

de  1864  et  la  part  qu'y  avait  prise  le  nord  de  la  France;  aussi  nous  a-t- 
elle  donné  un  certain  nombre  de  ses  plus  riches  joyaux.  Gand  et  Tournai, 
Liège  et  Namur  se  sont  surtout  souvenus  de  leurs  frères  de  France  et  ont 
voulu  témoigner  hautement  de  leur  sympathie  pour  une  entreprise  dont 
le  but  élevé  a  été  compris. 

Ce  but  a-t-il  été  atteint?  Nous  le  pensons.  Nous  croyons  que  cette  dou- 
ble exposition  de  Malines  et  de  Lille,  à  dix  ans  d'intervalle,  a  réveillé  le 
bon  goût,  a  inspiré  des  idées  élevées,  a  montré  de  bons  modèles  que  l'on 
imitera,  a  donné  de  l'art  religieux  une  idée  plus  complète  et  plus  pure,  a 
fait  en  un  mot  beaucoup  de  bien.  C'est  là  un  enseignement  d'un  ordre 
supérieur  qu'il  sera  utile  de  renouveler  de  temps  en  temps  et  les  moyens 
ne  manqueront  pas.  On  n'a  vu  à  Lille  qu'une  faible  partie  des  richesses 
artistiques  du  pays.  En  ce  qui  concerne  le  Pas-de-Calais,  par  exemple,  ce 
n'était  pas  le  quart  des  richesses  réelles  et  connues  :  un  inventaire  artis- 
tique que  nous  préparons  le  prouvera.  Dans  d'autres  contrées,  des  expo- 
sitions spéciales  comme  celles  de  Lille  et  de  Malines  seraient  également 
réalisables  et  fort  utiles.  Ici  l'orfèvrerie  brillerait,  là  ce  seraient  les  tapis- 
series, ailleurs  les  émaux,  etc.  De  l'ensemble  de  ces  diverses  branches  de 
l'art  rehgieux  résulterait  un  travail  d'études,  soit  spéciales,  soit  géné- 
rales, et  l'esthétique  y  gagnerait  ainsi  que  l'exécution  pratique  des  œuvres 
d'art. 

Ayons  donc  confiance  dans  la  renaissance  de  plus  en  plus  sérieuse  de 
l'art  religieux  et  donnons-nous,  sinon  à  bref  délai,  au  moins  pour  une 
époque  qui  ne  soit  pas  trop  éloignée,  un  rendez-vous  à  une  nouvelle  Expo- 
sition d'objets  d'art  religieux  qui  fasse,  avec  ses  sœurs  aînées  de  Malines 
et  de  Lille,  une  trilogie  à  l'honneur  de  la  foi  vive  et  du  sens  artistique  qui 
ont  toujours  marqué  les  œuvies  de  nos  aïeux. 

L'abbé  E.  Van  Drival. 


LES  ORIGINES 
DE  L'ORFÈVRERIE  CLOISONNÉE 


CINQUIEME    AItTICLR 


V.  —  La  Phénicie  et  la  Syrie. 

La  Syrie  est  une  contrée  de  l'Asie  comprise  entre  la  chaîne  du 
Taurus,  TEuphrate,  la  Palestine  et  la  Méditerranée.  Voisine  de 
l'Egypte  au  sud,  à  l'est  des  Assyro-Chaldéens,  elle  confinait  ainsi 
aux  deux  grandes  monarchies  qu'une  rivalité  séculaire  fit  lutter 
si  longtemps  pour  la  domination  du  monde  antique.  Placée,  on 
peut  le  dire,  entre  lenclume  et  le  marteau,  la  Syrie,  tantôt  indé- 
pendante, tantôt  soumise  au  victorieux  du  jour,  finit,  après  de 
nombreuses  intermittences,  par  être  absorbée  dans  l'empire  assy- 
ro-chaldéen. 

Deux  races  distinctes  peuplaient  la  Syrie  au  moment  où  les  Hé- 
breux entrèrent  dans  la  Terre-Promise  :  à  l'ouest,  sur  le  littoral, 
une  nation  chananéenne,  les  Phéniciens,  au  midi  de  laquelle  s'é- 
tablirent plus  tard  les  Philistins;  au  nord,  les  Araméens,  qui,  assu- 
jettis par  David,  émancipés  sous  le  règne  de  Salomon,  consti- 
tuèrent, depuis  ce  dernier  jusqu'à  la  conquête  de  Tuklat-pal-Asar 
(Tiglat-Pileser  des  Livres  Saints),  le  puissant  royaume  de  Da- 
mas '. 

Au  sein  d'une  agglomération  formée  d'éléments  hétérogènes  et 


■  Voir  le  niiiiiéro  iirôcécient.  p.  300. 

'  F.  Lenormant,  Mannol  d'/iisf.  avr..  de  VOrient,  t.  I.  liv.  Il,  passiin. 


'  tHKjrNfiS    DE    L  OKFÉVREKJK    CLOISONNÉE  339 

souvent  divisée  par  des  intérêts  locaux,  le  plus  grand  rôle  histo- 
rique appartient  sans  conteste  aux  Phéniciens  :  leur  influence  sur 
le  monde  entier  fut  immense,  elle  ne  dut  pas  être  moindre  à  leurs 
portes;  aussi  demanderons-nous  d'abord  à  ce  peuple  les  rensei- 
gnements en  fort  petit  nombre  qu'il  est  possible  d'obtenir  sur 
l'orfèvrerie  cloisonnée  en  Syrie. 

Commerçants  avant  tout,  les  Phéniciens  ont-ils  eu  un  art  na- 
tional? J'inclinerai  vers  la  négative.  Le  génie  créateur  s'allie 
mal  aux  spéculations  mercantiles,  et  le  négociant  occupé  à  cal- 
culer ses  pertes  ou  ses  bénélices  n'a  guère  de  loisirs  pour  s'adonner 
aux  choses  de  l'intelligence.  Mais,  entre  les  arts  et  le  commerce, 
il  y  a  l'industrie,  et  l'industrie  enfante  d'habiles  praticiens.  Or, 
la  Phénicie  fut  un  centre  de  production  en  môme  temps  qu'un  en- 
trepôt de  marchandises  :  ses  orfèvres  manquèrent  sans  doute  de 
l'initiative,  privilège  céleste  qui  n'est  pas  un  lot  banal  ;  à  coup 
sûr  ils  imitèrent,  en  y  introduisant  quelque  chose  du  leur,  les 
chefs-d'œuvre  de  l'Egypte  et  des  autres  pays  avec  lesquels  ils 
eurent  des  relations  d'intérêt.  11  fallait  bien  se  conformer  au 
goût  du  chaland  \ 

Plusieurs  monuments,  colligés  par  MM.  Renan,  de  Saulcy  et 
Guillaume  Rey  durant  leurs  voyages  en  Phénicie,  monuments  ex- 
posés dans  nos  galeries  du  Louvre,  appuient  ces  données  philoso- 
phiques. Un  sarcophage  offre  à  la  fois  les  caractères  de  l'art  égyp- 
tien sous  la  XIXe  dynastie  (146*2-1288  av.  J.-C)  et  de  l'art  as- 
syrien au  X^  siècle  avant  notre  ère;  le  tombeau  d'Eshmunazar, 
roi  de  Sidon,  accuse  nettement  le  style  égyptien.  Le  torse  d'un 


'  «  L'art  phénicien  n'a  jamais  rien  créé  d'original.  Plus  commerçants  que  pen- 
seurs, plus  vulgarisateurs  que  créateurs,  plus  habiles  ouvriers  qu'artistes  vérita- 
bles, les  Phéniciens  se  sont  bornés  à  l'imitation  servile  des  monuments  de  leurs 
voisins  ou  de  leurs  maigres,  soit  qu'ils  se  contentassent  d'appliquer  à  leurs  pro- 
pres croyances  les  tonnes  et  les  symboles  étrangers,  soit  qu'aux  époques  de  tran- 
sition ils  aient  fondu  dans  un  ensemble  hybride  les  emprunts  faits  à  des  écoles 
'Wiginalt's  et  naliouales.  -^  C'«  de  Vogué,  Sièle  de  Yehaivmelek,  roi  de  Gebal,  p. 
16.  in-4".  Paris.  1870. 


36U  OKli.lNKS    D1-:    l.'OKKKVHKUIK    CLOlSuN.NKK 

colos-^'^  vnv'di,  trouvé  à  Sarfend  (Sarepta),  est  vétii  de  la  sc/ienti 
(sorte  de  pagne  bridé  sur  les  hanches  au  moyen  d'une  ceinture) 
rehaussée  d'un  pendant  terminé  par  deux  iirœus;  or^  ce  même 
pendant,  analogue  au  kilt  écossais,  je  le  rencontre  en  orfèvrerie 
cloisonnée  sur  la  figure  d'un  Ramsès  que  j'ai  sous  les  yeux.  Le 
sphinx  ailé  coiffé  du  pschent,  associé  à  la  palmette  assyrienne, 
deux  griffons  asiatiques  affrontés  devant  la  plante  sacrée,  le  disque 
symbolique,  apparaissent  sur  des  bas-reliefs  et  le  fût  d'une  co- 
lonne. Des  bronzes  rappellent  le  décor  des  vêtements  de  l'effigie 
royale  exhumée  par  M.  Layard  dans  les  ruines  du  palais  de  Nim- 
roud  ;  enfin,  deux  coupes  d'argent  doré ,  achetées  au  bazar  de 
Larnaca  (Citium,  île  de  Chypre)  sont  couvertes  d'ornements  égyp* 
tiens  et  assyriens  ' . 

Une  stèle  fort  curieuse,  qui  fait  partie  de  la  collection  de  M. 
L.  de  Clercq,  député  à  l'Assemblée  Nationale,  présente  un  spéci- 
men complet  de  l'art  hybride  des  Phéniciens.  On  y  voit  Yehaw- 
melek,  roi  de  Gebal  (Byblos,  Djebeïl),  revêtu  du  costume  aché- 
ménide,  sauf  les  fanons  assyriens  de  la  tiare,  rendant  hommage  à 
sa  divinité  locale,  la  déesse  Baalath-Gebal,  dont  la  pose,  l'habil- 
lement et  les  attributs  sont  identiques  à  ceux  de  l'Isis-Hathor 
égyptienne.  Le  disque  ailé,  llanqué  des  deux  uraBus  couronne  le 
tableau  ;  ce  disque  et  les  reptiles  étaient  en  métal  inscrusté  dans 


*  A.  de  Longpérier,  Musée  Napoléon  HT,  pi.  17.  —  M.  le  duc  de  Luynes  croit 
qu'Eshmunazar  vivait  au  temps  oîi  Apriès  fut  attaqué  par  Nabucliodonosor  (574- 
572)  ;  M.  Schlottmann,  que  ce  roi  sidoiiien  commandait  les  forces  navales  qui, 
en  387  et  385,  détruisirent  la  flotte  lacédémonienne  et  vainquirent  Evagoras  à 
Citium  :  pi.  16  et  texte.  —  Jl  faut  comparer  cette  figure  royale  à  une  sardoine  du 
musée  de  Florence,  intaille,  à  l'effigie  d'un  Abibaal,  que  M.  le  duc  de  Luynes  at- 
tribue au  père  d'Hiram  ;  elle  serait  alors  du  XP  siècle  avant  J.-C.  (Numismatique 
des  sutrapies.  1819,  pi.  13,  n°  l  ;  p.  69)  :  pi.  18,  fig  1  et  texte.  —  Les  b.is-reliefs 
proviennent  de  llouad  (Aradus)  ;  les  griffons  ont  la  même  attitude  que  les  célèbres 
lions  de  la  porte  de  .\'ycènes.  La  colonne  a  été  trouvée  à  Tyr  ;  le  galbe  de  son 
chapiteau  se  rapproche  du  style  égyptien  :  pi.  18,  fig.  2,  3,  4.  —  PI.  21  -,  renvoi 
aux  Monumenls  of  Nineveh,  pi.  G,  8,  9,  43  à  49.  —  PI.  10,  assyiùen  ;  pi.  H,  égyp- 
tien, ou  plutôt  un  mélange  des  deux  styles.  —  Prisse  d'Avennes,  UArt  égyptien,  pi. 


UIUf.iNKS    l)i:    LOJiFÉVUElilE    CI.OISON'NÉK  361 

la  pierre.  Les  caractères  paléographiqiies  de  l'inscription  gravée 
au-dessous  de  la  scène^  les  procédés  égyptiens  encore  en  pleine 
vigueur,  le  costume  franchement  perse  du  personnage  royal,  as- 
signent pour  date  à  la  stèle,  et  pur  conséquent  à  l'existence  de 
Yehawmelek  la  })remière  moitié  du  V  siècle  avant  notre  ère  '. 

Certains  dél)ris  d'architecture,  de  provenance  cypriote,  et 
dont  le  symbole  du  croissant  renversé  avec  un  disque  entre  les 
cornes  établit  suffisamment  l'origine  phénicienne,  sont  marqués 
au  signe  particulier  du  cloisonnage.  Ils  consistent  en  chapiteaux 
de  pilastres  où  la  volute  ionique  se  marie  au  chevron  et  à  l'enrou- 
lement assyriens  :  chaque  détail  de  ce  bizarre  assemblage  est  cer- 
clé d'un  filet  saillant,  analogue  aux  bordures  qui  orient  le  dessin 
des  briques  émaillées  à  Ninive  et  à  Babylone  '. 

Un  motif  familier  au  décor  phénicien,  le  système  d'imbrica- 
tions qu'en  héraldique  on  nomme  j)^pelonné,  me  semble  aussi  em- 
prunté au  cloisonnage  égyptien.  Le  musée  du  Louvre  possède  un 
sceptre  en  bois  doré  sur  pâte,  dont  la  hampe  est  ornée  de  zones  où 
le  métal  1)runi  alterne  avec  des  imbrications  coloriées.  Les  al- 
véoles, profondément  fouillés  dans  la  matière  excipiente_,  incrus- 
tent de  la  coriuiline,  du  la[»is  et  de  la  malachite.  Il  règne  entre  ce 
sceptre,  le  pavement  du  pectoral  d'Assarhaddon  et  deux  frag- 
ments de  sculpture  phénicienne,  au  Louvre,  une  affinité  très- 
ap[)réciable  •'. 

Le  riclie  cabinet  de  M.  L.  de  C'iercq,  dont  laccès  m'a  été  ou- 
vert avec  une  courtoisie  toute  spéciale,  regorge  de  bijoux  syro- 

'  M.  de  Vogué,  otiv.  c'dé,  p.  3,  4,  12,  14  et  pi. 

2  Musée  l'ic,  pi.  33,  fig.  4  et  5  ;  provenance,  Golgos  et  Trapeza,  près  Famagouste. 
Un  chapiteau  de  colonne  (Xlle  siècle),  débris  probable  de  l'ancienne  cathédrale 
d'Arras,  oll're  à  peu  près  le  même  type  que  la  lig.  5.  —  Les  anses  du  grand  vase 
d'Amatlionte,  où  la  palmette  assyrienne  tourne  complètement  au  grec,  sont  aussi 
cernées  d'un  lilet.  Chacune  de  ces  anses  (môme  pi.,  lig.  2)  est  orientée  et  encadre 
un  tauieau.  M.  de  Longpérier  trouve  que  le  vase  a  des  rapports  avec  la  Mer 
d'airain  du  temple  de  Salomon  ;  l'attitude  et  la  disposition  du  taureau  m'ont  fait 
penser  à  l'Apis  incrusté  de  la  coUeciion  Abbott,  cité  plus  haut. 

*  Galerie  égypt..  Salle  civile,  n*  VI.  Musée,  elc,  pi.  189,  iig.  3  et  4. 

Ile  série,  tome  II.  26 


3G-2  ORiniNES  DE  l"ui;févri:i:iI';  (  i.oisox.nék 

phéniciens  en  or^  lubriques  sous  liiiliueiice  grecque.  On  y  distin- 
gue entre  autres  des  boucles  d'oreilles  à  longues  chaînettes  qui, 
après  avoir  entouré  le  pavillon,  j)ermettent  à  la  pendeloque  de 
descendre  sur  les  épaules  ;  Tanneau,  :iplati  en  croissant,  rappelle 
les  formes  assyriennes  :  ce  croissant  est  encore  porté  aujourd'hui 
en  Algérie  et  par  les  paysannes  slaves  de  Dignano  (Istrie)  ' .  Des 
grenats,  des  saphirs  et  des  agates  rehaussent  l'ensemble.  Un  fort 
beau  collier  aux  éléments  métalliques  découpés,  sertissant  des 
pierres  dures  isolées  ou  géminées,  des  cœurs  en  grenat  syrien, 
ont  également  captivé  mon  attention.  Les})iècesde  style  asiatique 
pur  sont  relativement  clairsemées  dans  la  collection  de  Clercq  ; 
mais,  rares  partout,  le  musée  de  l'Ermitage,  à  Saint-Pétersbourg, 
est  vraisemblablement  le  seul  en  Europe  qui  en  possède  d'ana- 
logues. Citons  d'abord  un  collier  de  perles  d'or  filigranées  ayant 
pour  pendant  la  grenade  caractéristique  :  des  hbules  singulières, 
gros  boudin  courbé  en  arc  terminé  par  des  têtes  d'antilope  et  de 
lion  aux  yeux  de  grenat  :  une  bague  massive,  large  anneau 
biseauté  dont  les  deux  faces  incrustent  des  émeraudes,  des  saphirs 
et  des  grenats;  un  rat  gemmé,  ciselé  en  ronde  bosse  et  tenant  une 
perle  entre  ses  pattes  antérieures,  rampe  sur  la  tranche.  Plus 
archaïques  encore  peut-être  sont  :  des  bagues  au  triple  ou  quin- 
tuple chaton  versicolore,  compris  entre  de  maigres  lotus  très-épa- 
nouis;  enfin  une  petite  palmette  délicatement  ouvrée  à  jour  pour 
cloisonner  une  ornementation  polychrome  entièrement  perdue. 
La  boucle  d'oreille  égyptienne,  pi.  II,  fig.  3,  pourra  en  donner 
une  faible  idée  *. 

Quelques  objets,  conservés  dans  la  Salle  des  bijoux  antiques, 
au  Louvre,  me  semblent  d'origine  syro-phénicienne  :  parmi  eux 
le  collier  n°  '2'2\.  Il  est  formé  de  disques  en  grenat  alternant  avec 

^  V.  Le  Tour  du.  vwnde,  liv.  744,  p.  236,  1875.  Dignano  occupe  le  centre  de  la 
pointe  sud  de  l'Istrie.  Au  ci'oissant,  dont  les  dimensions  sont  énormes,  on  accro- 
che encore  cinq  pendeloques  pyriformes. 

-  Cet  ornement  dont  je  n'ai  pu  déterminer  l'usage,  semble  un  compromis  entre 
le  lotus  et  la  palmette  assyrienne.  V,  Musée,  eîc.,  pi.  18,  fig.  3  et  -i. 


OUKUXKS    UE    l'orfèvre  llIE    CLOISONNÉE  363 

des  perles  d'or;  entre  les  cornes  du  croissant  renversé  qui  lui  sert 
de  pendant,  une  poire  de  grenat  surmontée  d'une  rosette  d'or. 
Ces  joyaux  n'olfrant  aucun  rapport  direct  avec  l'orfèvrerie  cloi- 
sonnée, je  ne  m'y  arrêterai  pas  davantage.  Le  collier  du  colosse 
de  Sarepta,  un  double  rang  de  poires  et  de  perles  avec  le  crois- 
sant caractéristique,  sort  également  de  mon  cadre.  Néanmoins 
ce  dernier  type,  resté  de  mode,  tant  en  Orient  qu'en  Occident, 
jusqu'au  IV  siècle  après  J.-C,  va  me  fournir  l'occasion  d'une 
remarque.  On  classe  généralement  dans  la  catégorie  des  colliers 
certains  l)ijoux  trop  longs  pour  servir  de  bracelets,  trop  courts 
pour  cerner  le  col;  (juelle  était  leur  destination?  Une  admi- 
rable tète  de  Vénus  Cijpria,  en  terre  cuite,  trouvée  aux  environs 
de  Larnaca  par  M.  le  baron  L.  de  Maricourt  et  faisant  partie 
de  sa  collection  à  Vendôme,  résout  la  difficulté.  La  déesse  a  pour 
coiffure  un  voile  relevé  surmonté  de  la  cidaris  '  ;  leur  ligne  de 
jonction  est  cachée  sous  un  bandeau  de  disques  annelés  et  de  poires, 
allant  d'une  tempe  à  l'autre.  Sur  la  plupart  des  nombreux  exem- 
plaires connus  de  cette  même  Vénus,  le  bandeau  se  confond  dans 
la  cidaris,  mais  il  en  est  ici  très-distinct  :  il  a  été  rajouté  aupas- 
tillage  et  ses  points  d'arrêt  sont  parfaitement  visibles.  On  peut 
donc  conclure  de  mon  observation  que  parmi  les  bijoux  antiques 
regardés  comme  des  colliers  par  les  arcliéologues,  quelques-uns, 
sinon  beaucoup,  étaient  ù  l'usage  de  frontale,  âazv^. 

Nous  avons  vu,  au  XVIP  siècle  avant  notre  ère,  pendant  la 
minorité  de  Thothmès  III,  les  Phéniciens  faire  le  commerce  de  For 
avec  l'Egypte  :  des  peintures  de  la  même  époque  représentent 
les  offrandes  ou  les  tributs  apportés  au  pharaon  par  ce  peuple  et 
ses  alliés.  On  y  reconnaît  des  objets  en  métal  précieux  et  des  vases 
de  toutes  formes  incrustant  des  matières  coloriées.  Evidemment 
l'industrie  du  cloisonnage  n'en  était  point  alors  à  ses  débuts  sur 
les  côtes  syriennes  de  la  Méditerranée.  Bien  que  la  majeure  par- 
tie des  vases  incrustés  ait  l'or  pour  excipient,  d'autres  semblent 

'  Haute  rouroniu'  (  vlindrique,  ornée  ici  de  palmcttes  et  de  sphinx  ailés. 


304  ORIGINES    UE    l/ORFLVUEKiK    CLOISONNÉE 

rentrer  dans  la  céramique  pure  ;  certains  lotus  du  Louvre  avec 
leurs  calices  de  pâte  blanche,  leuis  j)étales  l)leus  et  rouges^,  pa- 
raissent de  fabrication  analogue  ' . 

Un  curieux  spécimen  d'incrustations,  appartenant  aussi  au  mu- 
sée du  Louvre  où  il  a  été  envoyé  dËgypte,  pourrait  étre^  je  crois, 
attribué  à  Findustrie  phénicienne  malgré  son  lieu  de  découverte. 
C'est  la  terminaison  d'une  ceinture  en  argile  rouge  très-cuite.  La 
frange  du  gland  est  émaillée  en  bleu  vif;  la  tête,  dorée,  oifre  un 
triple  rang  d'alvéoles  rectangulaires  incrustant  des  imitations  de 
malachite,  cornaline  et  lapis  ;  un  filet  de  verre  bleu,  comprisentre 
deux  filets  dorés,  sépare  la  tête  de  la  frange  '\ 

Aux  temps  homériques,  nous  retrouvons  les  Phéniciens  colpor- 
tant chez  les  insulaires  de  la  Méditerranée  des  bijoux  sur  lesquels 
j'aurai  à  m'arrôter  plus  loin,  car  j  y  soupçonnerais  un  travail 
d'incrustation  ^.  Ezéchiel,  dans  sa  prophétie  de  la  ruine  de  Tyr 
et  de  Sidon,  morceau  d'une  incomparable  beauté,  décrit  ainsi 
les  royales  magnificences  de  la  Phénicie. 

Tu  as  été  dans  l'Eden,  jardin  de  Dieu  ;  tu  étais  couvert  de  toutes  sortes 
de  pierres  précieuses  :  odem.  piteda.  mlilom,  tarshish,  s/io/iam,  ioshphé,  sa- 
phh\  nop/iec/i,  barekeih  et  l'or. 

Toi  Chroub  protecteur,  que  j'ai  placé  sur  la  montagne  sainte  de  Dieu, 
tu  as  été  là,  tu  as  marché  au  milieu  des  w'iî"^53^  (pierres  de  feu)"*. 

Il  me  semble  difficile  de  ne  pas  admettre  que  le  prophète  ait 
voulu  désigner  ici  des  joyaux  et  des  })laques  de  métal  incrustés, 
analogues  aux  ornements  des  temples  et  des  palais  assyro-chal- 
déens  ;  un  court  passage  d'Hérodote  pourrait  bien  s'interpréter 
dans  le  même  sens. 

*  Manuel  d'hisl.  onc.  de  l'Orienl,  t.  I,  liv.  III,  §  2.  Chabas,  Les  éludes  préhis- 
toriques et  la  libre  jyensée,  p.  4,  in-S»,  Paris,  1875.  Plisse  d'Avennes,  L'art  égyp- 
tien, pi.  Galerie  égypt.,  Salle  civile.  Ces  lotus  doivent  i:rovenir  d'un  pavement. 

^  Galerie  égypt.,  Salle  civile,  n"  2998.  V.  nôtre  pi.  111,  iig.  1,  robe  du  génie 
tétraptère. 

*  Odyssée,  XV,  -il 5  et  460. 

*  XXVIII,  13,  14  ;  Cahen,  trad.  cit. 


ORIGINES    DE    [/(IRIÉVRERIE    CLOfSONNÉE  363 

Lhistorien  raconte  qu'il  lui  a  eti'  iiioiitrédaus  le  temple  d'Her- 
cule, à  Tyr,  deux  stèles,  l'une  d'or  affiné,  l'autre  de  pierre  d'éme- 
râude  qui  In-illait  avec  intensité  pendant  la  nuit  '.  Les  traducteurs 
ayant  rendu  le  grec  ar-/]/-/)  par  colunina,  au  lieu  de  cippus  ou 
stela,  ont  altéré  la  pensée  d'Hérodote  ;  il  n'a  pas  entendu  les  co- 
lonnes destinées  à  soutenir  l'édifice,  mais  bien  ces  piliers  bas,  par- 
fois ronds  en  Occident,  souvent  plans  et  rectangulaires  en  Orient, 
chargés  d'inscriptions  commémoratives,  défigures  et  d'ornements, 
que  l'Assyrie,  l'Elgypte  et  la  Fhénicie  nous  ont  légués  en  grand 
nombre  -.  La  stèle  d'or  nous  intéresse  peu,  en  revanche  la  stèle 
d'émeraude  à  l'éclat  nocturne  mérite  une  explication.  Si  petit 
que  fût  le  monument,  on  n'admettra  pas  qu'il  ait  été  tout  d'une 
pièce  ;  dans  ce  cas  Hérodote  eut  consigné  le  fait,  et  il  s'en  est 
abstenu;  d'ailleurs  la  malachite,  le  jaspe  et  autres  minéraux 
opaques  de  couleur  verte  auraient  pu  seuls  fournir  un  mono- 
lithe capa])le  d'attirer  les  regards  du  voyageur  :  or  l'élément  de  la 
stèle  était  translucide'.  Elle  consistait  donc  en  gemmes  ou  imi- 
tations de  gemmes,  réunies  par  une  armature  métallique  assez 
tenue  pour  qu'un  rapide  coup-d'œil  ne  permit  pas  de  la  discerner 
au  premier  abord.  Je  crois  qu'Hérodote  vit  une  mosaïque  de 
pierreries  où  dominait  le  vert,  couleur  favorite  des  Orientaux; 
genre  de  décor  que  les  textes  assyro-chaldëens  nous  ont  révélé, 
([u'Ezéchiel  désigne  par  les  pierres  de  feu  au  milieu  desquelles 


'  Ka''.  îv  'aiiTw  icav  cTr/Aai  cûo.  r,  ix=v  ■/ù\jqoZ  a-i-i6ou,  r,  os  CfJiapaY^ou  ÀîOou  ÀatA- 
TTovTo:  T'a;  vû/.TOt;  r/iviOo;.   II.   'li. 

-  Pline  adopte  le  mot  stehi  pour  désigner  les  pierres  inscrites  de  l'Arabie  : 
Insulce  sine  nominibus  multte  :  célèbres  vero.  Isura,  Rhinnea,  et  proxima  in  qua 
scriptce  sunt  steUe  lapidese  litteris  incognitis.  Uis(.  nnl.,  VI,  32. 

■'  -Ms'-  Pallegoix,  vicaire  apostolique  de  Siarn,  a  vu  à  Bangkok  deux  statues  de 
Bouddha,  l'une  en  or  massif  de  1>"  'i'I  de  haut,  l'autre  faite  d'une  seule  émeraude 
d'environ  0'"  ÔO".  évaluée  par  les  Anglais  à  i)lus  d'un  million.  Dexcripf.  du  royaume 
(le  S/,/)»,  t.  I,  p.  B'(,  in-12,  Paris,  iSô'i.  Hérodote  eut  jeté  des  cris  d'enthousiasme 
devant  une  semblable  pierre,  mais  n'y  auroit-il  pas  un  rapprochement  possible 
entre  les  idoles  siamoises  et  les  stèles  lyriennes. 


366  oriir.iMcs  de  L'oiM'ÉviiEuiK  cluisonnéI': 

marcliait  le  roi  de  Tyr,  et  que  nous  niions  rencontrer  chez  les 
Arabes  sons  nne  forme  circulaire. 

Virgile,  le  plus  grand  archéologue  de  Rome  et  peut-être  de 
l'Antiquité,  connaissait  très-bien  les  merveilles  de  l'orfèvrerie  ty- 
rienne;  Didon  étale  une  argenterie  sur  laquelle  est  gravée  l'his- 
toire de  ses  ancêtres  : 

Jngens  arcjenium  mensis^  cxlalaque  in  auro 
For  lia  fada  patrum^  séries  lorigissima  reriim, 
Per  tôt  duel  a  viros  antiqua  ab  origine  gentis. 

Plus  loin,  la  reine  de  Carthage  fait  apporter  la  lourde  patère 
d'or  incrustée  de  pierreries  qui  avait  servi  à  la  dynastie  de 
Baal  : 

Hic  regina  gravem  genimis  auroque  poposcit, 
Implevitque  mero  pateram^  quarn  IJelus  et  omnes 
A  Belo  soliti  '. 

La  Syrie  araméenne  apportait  aux  Phéniciens  des  minéraux 
précieux  qu'ils  lui  l'evendaient  sans  doute  tout  montés. 

Aram  trafiquait  avec  toi  à  cause  de  la  multitude  de  tes  u'uvres  ;  il  four- 
nissait tes  marchés  en  nopheck,  en  pourpre,  eu  iu-oderie,  en  byssus,  en 
tTCïSn  (corail  rouge  (?).  en  ^313  chadchod  (grenat). 

Damas  faisciit  le  commerce  avec  tes  producti(ms,  avec  la  nuiltitudiî  de 
tes  richesses;  en  vin  de  'llelbon  (Alep)  et  eu  laine  éclatante  -. 

Ces  textes  me  paraissent  établir  ([ue  les  Svriens  de  Tintérieur 
échangeaient  leurs  vins  et  leurs  produits  l)ruts  contre  les  produits 

1  .Eneid.,  I,  V.  G40  à  (i'l3  ;  7'28  à  7:!0. 

-  Ézéchiel,  XXVII,  1G  cL  18.  '<  PlI^S^l  ne  se  trouve  encore  une  fois  que  dans 
Job,  XXVIII,  18;  on  (n-oit  que  c'est  du  corail  rouge  ;  chaldéen  ]'^3Ï2  'î'^;2S^'l  des 
pierres  précieuses.  TD^-I  cluidchod  ;  chaldéen  'J'^ÏM'^I  autre  os|i('(;c  de  pierres 
précieuses;  on  croit  que  c'est  lejasiie  ;  voyez  Isaïe,  LIV,  \-l.  »  Cahcn,  irad.  cit., 
t.  XI,  p.  %,  note.  —  IJuxtorf  traduit  13TD  par  «  pijropus,  lapis  pretiosus,  quasi 
scintillans  dictus,  de  T73  smili/ln.  »  Le  pi/rajuis  est  l'escarboucle  ou  grenat.  Une 
espèce  de  grenat  porte  dans  le  coiiuuerce  le  nom  de  syrien  et  les  Anciens  exploi- 
taient cette  gemme  en  Carie.  V.  Pline,  Ilisl.  na'.,  XXXVII,  25. 


ouigim;s  ni':  i/oRFÉViiKiiiE  cloisonnée  367 

ouvrés  du  littoral.  La  riiéiiicio  demanda  ses  premières  inspira- 
tions à  Tart  égyptien^  les  orfèvres  aramcens  firent  vraisemblable- 
ment aussi  des  emprunts  à  Testliétique  assyrienne.  Un  peuple 
sémitique^  fixé  à  l'est  du  Jourdain,  sur  les  confins  du  désert  de 
Syrie,  les  Ammonites,  avait  des  ornements  dans  ce  dernier  goût. 
Lorsque  David  se  fut  emparé  de  Ral)l)ath-Ammon,  on  plaça  sur  sa 
tête  la  couronne  du  roi  vaincu,  couronne  d'or  pesant  un  talent  et 
rehaussée  de  pierreries.  Le  Livre  des  Rois,  qui  mentionne  le  fait, 
n'entre  dans  aucun  autre  détail,  mais  laisse  deviner  la  lourde 
coiliure  des  monarques  ninivites  ' . 

yi.  —  L'Arable. 

«  Intermédiaire  entre  IWlrique  et  le  reste  de  l'Asie,  la  péninsule 
arabique  borde,  au  sud-est,  une  partie  de  TOcéan  Indien,  et  du 
côté  opposé  elle  toucherait  à  la  Mé<literranée  sans  l'interposition 
de  la  Syrie  ;  au  nord-est  ses  limites  variables  suivent  le  plus  sou- 
vent rEiq)hrate.  Le  golfe  qui,  à  l'est  la  sépare  delà  Perse,  prend 
le  nom  de  ce  dernier  pays;  mais  l'Arabie  donne  elle-même  son 
nom  au  golfe  occidental.  Golfe  Arabique  ou  ^ler  Rouge,  au  delà 
duquel  nous  trouvons  l'Egypte  et  l'Ethiopie. 

('  Cette  position  fait  de  l'Aral)ie  en  quelque  sorte  le  centre  de 
l'Ancien  Continent,  le  centre  autour  duquel  se  sont  établies  les 
civilisations  primitives.  Aussi,  dés  les  âges  les  plus  antiques  de 
riiumanité,  a-t-elle  offert  une  route  et  un  entrepôt  au  commerce 
qui  lie  les  peuples.  Ses  habitants,  demeurés  toujours  dans  la  demi- 


*  Et  tulit  diadema  régis  eorum  de  capite  ejus,  pondo  auri  talentuni,  liabens 
gemmas  pretiosissirnas,  et  iiniiositum  est  super  caput  David.  II,  iîf(/.,  XII,  30. 
ïulit  aiitem  David  ceronain  Melchom  de  capite  ejus,  et  iiiveiiit  in  ea  auii  pondo 
talentuni  et  pretiosissiinas  gemmas,  fecitcpio  sibi  inde  diadema.  I,  l'aralip.,  XX 
2.  —  liotta,  Place,  La3';;rd,  lor.  cil.,  pi.  passini.  —  Une  sculpture  moabite  de 
style  égyi)to-thalilécn  rappelle  l'ajustement  des  Sardiniens  au  temiis  de  Ramsès  III. 
Musée  NapuliJon  III,  pi.  .j8  ;  Ghabas,  our.  cil.,  p.  ^UT  et  si^. 


368  ORirwNEs  df.  i.'onFKViiEiuK  ([.oisonxef, 

barbarie  de  Tétat  nomade,  ont  lait,  au  travers  de  leurs  déserts, 
l'office  de  voituriers  pour  les  relations  entre  les  nations  civilisées 
de  l'Egypte,  du  bassin  de  TEuplirate  et  de  Tlnde  '.  » 

Avant  de  former  un  corps  de  nation,  rt'uni  par  la  similitude 
des  mœurs  et  du  langage,  les  habitants  de  l'Arabie  .se  divisaient 
en  tribus  hétérogènes  dont  il  n'est  pas  inutile  d'offrir  un  court 
aperçu.  A  l'ouest,  le  long  des  cotes  de  la  Mer  liouge  et  dans  le 
voisinage  de  l'Egypte,  les  puissants  A?H;}//ca,  (Amalécites),  métis 
des  races  de  Sem  et  de  Cham  ;  au  sud  et  à  Test,  les  Koushites  qui 
occupaient  le  Yémen,  le  Hadliramaut,  TOman  etleBahrein  (Saba 
et  Dedan)  ;  au  nord  et  au  centre,  les  Araméens  et  les  Ismaélites, 
fidèles  à  la  vie  nomade  si  chère  à  la  descendance  de  Sem.  Plus 
tard,  les  Djorhom,issus  de  Jectan,  fils  d'Heber,  arrière  petit-fils 
d'Arphaxad,  se  superposèrent  aux  Koushites  du  sud  et  s'étendi- 
rent à  peu  près  sur  tous  les  points  habitables  du  sol  de  la  Pénin- 
sule. Aux  .lectanides  appartenait  en  propre  Tidiome  dans  le([uel 
est  écrit  le  Coran.  Les  Caydar  (Kednr/,  tribu  ismaélite  de  la  por- 
tion méridionale  du  Yemâma,  lisière  du  désert,  fournissaient  les 
caravanes  qui,  aux  temps  antiques,  a})portaient  dans  la  direction 
de  la  Syrie  les  marchandises  du  sud  ;  il  en  est  fréquemment  ques- 
tion dans  la  Bible  :  Saba  et  Dedan  adonnés  au  commerce  et  à  l'in- 
dustrie, jetteront,  le  premier  surtout,  quelque  lumière  sur  Torfé- 
vrerie  des  anciens  Arabes  ~.  » 

Nous  avons  déjà  vu,  à  Tarticle  lùjijptr,  (jue  Poun  et  To-neler 
désignaient  les  contrées  de  l'Arabie  qui  longeaient  la  côte  orien- 
tale de  la  Mer  Rouge,  vraisemblablement  l'empire  Sabéen.  Ces 
régions  produisaient  des  métaux  }u-éci('iix,  des  gemmes,  des  bois 
odoriférants,  des  parfums  ;  leurs  ra])])(>rts  commerciaux  avec  l'E- 
gypte remontent  très-haut  dans  l'histoire.  Vue  inscription  du  rè- 
gne de  Sonkh-Kara  (XI"  dynastie.   .3()()()  av.  J.-C.i  mentionne 

'  F.  Lenormant.  Manuel,  etc.,  t.  111.  p.  •231  et  '^S:. 

«  Id..  ib:d.,  p.  237  à  2ô:j.  Genèse,  X,  Ti  à  20;  XXV.  13.  1,  l'.m,!..  I,  27.  Ps. 
119,  3.  Iriuie,  XXI,  16,  17;  XL'I,  II;  LX,  7.  ]cvénnc.  11.  10;  I.\.  26  ;  XLIX, 
28.  Etc.,  etc. 


ORIGINES   DE    l/OflFÉVRERIE    CLOISONNÉE  369 

l'envoi  de  vaisseaux  à  Poim  pour  recueillir  Vana,  parfum  végétal 
en  grande  estime  à  la  cour  des  pharaons  ;  alors^  parait-il,  on 
n'exportait  pas  autre  chose  de  l'Arabie.  »  Mais,  dit  M.  Chabas, 
il  ne  faut  rien  conclure  du  silence  des  monuments  en  ce  qui  touche 
lindustrie  de  l'Arabie  dans  le  troisième  îuillenaire  avant  notre 
ère.  Des  rapports  fort  étroits  entre  la  mythologie  arabe  et  le  pan- 
théon égyptien  montrent  sufîisamment  qu'au  moins  une'partie  du 
pays,  probablement  la  partie  maritime,  était  alors  parvenue  à 
un  certain  degré  de  culture.  Il  est  permis  d'espérer  que  des  tex- 
tes positifs  nous  éclaireront  plus  tard  sur  ce  point  '.  » 

L'expédition  ordonnée  par  la  reine  Hashepsou  eut  des  résultats 
plus  variés;  la  légende  d'un  bas  relief  d'El-Assassif  est  ainsi 
conçue  : 

'  Chargement  de  navires  en  très-grand  nombre  avec  les  merveilles  du 
pays  de  Poun  et  toute  espèce  d'excellents  bois  de  To-Neter,  des  monceaux 
de  karni  d'ana,  des  sycomores  qui  produisent  Vmm  vert,  de  l'ébène.  de 
l'ivoire,  de  l'or,  de  l'agate  du  pays  d'Amon,  des  blocs  de  bois  de  fas/ieps, 
du  parfum  a/mn,  de  l'encens,  du  mestem  (kohol),  des  singes  ani.  des  sin- 
ges kafu^  des  tasem  (chiens  lévriers),  des  peaux  de  panthères  du  midi,  des 
ouvriers  et  leurs  enfants.  Jamais  aucun  des  rois  qui  ont  existé  depuis  le 
commencement  du  monde  n'avait  apporté  de  choses  semblables  ■. 

Une  autre  sculpture  du  même  monument  représente  la  lémme 
du  chef  de  Poun  descendue  de  son  Ane  pour  saluer  l'envoyé  égyp- 
tien. La  princesse,  grasse  à  effrayer,  porte  des  bracelets,  des 
anneaux  aux  jaml)es,  un  élégant  collier  à  médaillons  ;  sa  cheve- 
Inre,  retenue  par  un  bandeau,  tombe,  nouée  en  catogan,  sur  ses 
épaules  '\  Il  y  avait  donc  en  Arabie,  au  XYIP  siècle  avant  J.-C, 
des  ouvriers  et  parmi  eux  des  orfèvres.  En  elfet,  aux  temps  de  la 
XVIIP  dynastie,  l'or  constituait  avec  Viinn  le  produit  le  plus  im- 
portant de  la  péninsule  arabique.  Sur  les  bas-reliefs  d'El-Assas- 

'   Eludes  sur  ianliq.  elc,  p.    l'io,   lii,  150,  151. 

*  Id.  'hid.,  1».  |.")-2et  153.  Les  singes  sont  le  Ct/nocephahis  Ilnwuliyas  et  le  Tyno- 

crp/inlus  licibuinns. 

*  Id.  ibid.,  p.  154,  fig. 


370  ORIGINES    DIÎ    l'oRFÉVREHIE    CLOISONNEE 

sif^  les  clieiks  de  Poun  agenouillés  devant  Hashepsoii  ont  derrière 
eux  une  grande  corbeille  remplie  à'ana  et  d'anneaux  d'or.  Ce 
métal  arrivait,  soit  sous  la  lorme  d'anneaux  isolés  ou  réunis,  soit 
en  poudre  dans  des  sacs.  Parmi  les  objets  ouvrés  figurent  des 
colliers  s' attachant  à  Taide  de  cordons;  de  lourds  dextralia  ou 
peri^celides  lisses  et  continus;  des  chaînettes:  nul  indice  d'in- 
crustation '.  Les  Egyptiens  professaient  un  souverain  mépris  à 
l'égard  des  indigènes  de  Poun,  jusqu'à  leur  dénier  la  qualité 
d'hommes-.  Toutefois,  si  Fancienne  race  arabe  était  encore,  il  y 
a  37  siècles,  étrangère  aux  habitudes  du  luxe,  son  incontestable 
intelligence  dut  bien  vite  saisir  les  raffinements  de  la  civilisation 
égyptienne,  et,  quand  les  ouvriers  expatriés  par  les  envoyés 
«rHashepsou  retournèrent  dans  leur  pays,  ils  y  importèrent  vrai- 
semblablement les  procédés  techniques  auxquels  ils  s'étaient  ini- 
tiés durant  leur  séjour  sur  la  terre  de  Mitsraïm.  Les  présents  of- 
ferts à  Salomon  par  la  reine  de  Saba  (XP  siècle  av.  J.-C.)  consis- 
taient en  aromates,  en  or  et  en  pierreries  ;  le  texte  sacré  ne  dit 
pas  si  ces  dernières  étaient  brutes  ou  serties  dans  le  métal,  mais  il 
est  permis  d'y  voir  des  ouvrages  de  joaillerie  '\  Les  industries  opu- 
lentes, du  reste,  ne  franchirent  jamais  Penceinte  des  villes  où  la 
fertilité  du  sol  et  Pappât  du  lucre  commercial  avaient  aggloméré 
les  populations;  lesnomades  restèrent  à'Pétat  sauvage  qu'ils  n'ont 
pas  modifié  depuis. 

Les  Assyriens  furent  aussi  en  relations  avec  les  Arabes  que 
Sargon  rendit  ses  triluitaires  : 

J'ai  imposé  des  tributs  à  Sarasie,  reine  du  pays  d'Aribi,  à  It-IIimar,  du 
pays  de  Saba,  de  l'or,  des  parfums,  des  chevaux,  des  chameaux  *. 

Assarhaddon  continua  les  errements  de  son  aïeul,  suivis  d'ail- 

*  Weiss,  Kosliimhiinde  et".,  t.  I,  fig.  102,  d  ai;  p.  155. 
^  Chabas,  ortv   rilé.,  p.  161,  162,  lig.,  163. 

'  Et  ingressa  Jcnisalem  multo   cum  comitaiu    et  divitiis,  camelis  portantibus 
aromata  et  uurum  infinitum  nirnis  et  gemnjas  pretiosas.  Ill,  lier/.,  X,  2. 

*  Menant,  .annales  etc.,  p.  182. 


ORITiIXES    DE    l'orfèvrerie    CLOISONNÉE  371 

leurs  par  Sennacliérib,  ainsi  que  le  démontrent  deux  prismes 
gravés  en  672  avant  J.-C. 

La  ville  d'AucIumu,  la  capitale  du  pays  d'Aribi  qui  avait  été  prise  par 
Sin-akhi-erib,  roi  du  pays  d'Assur,  le  père  qui  m'a  engendré,  s'était  ré- 
voltée; je  Tai  assiégée,  je  l'ai  prise  et  j'ai  transporté  ses  habitants  au  pays 
d'Assur.  —  Un  envoyé  de  la  reine  du  pays  d'Aribi  vint  à  Ninua  avec  des 
présents  nombreux,  il  s'inclina  devant  moi,  il  me  supplia  de  lui  rendre 
ses  dieux.  J'ai  accueilli  sa  demande,  j'ai  restauré  les  images  de  ses  dieux 
qui  s'étaient  détériorées.  —  J'ai  nommé  au  trône  du  pays  d'Aribi,  Ta- 
buya,  une  femme  de  mon  palais.  —  Les  jours  de  Khaza-ilu  avaient  at- 
teint leur  terme,  j'ai  mis  lalu,  son  fils,  sur  le  trône  et  j'ai  augmenté  le 
tribut  qu'il  payait  à  mon  père  de  10  mines  d'or,  1,000  pierres  précieuses. 
—  Le  pays  de  Bazi  est  situé  très-loin  aux  confins  de  la  terre,  au-delà  du 
désert.  A  loO  kasbu  gaçjai',  au  pays  de  Bazi,  on  trouve  des  mines  et  des 
pierres  kasalin.  —  A  20  karab  on  trouve  le  pays  de  Khazu  et  des  monta- 
gnes de  marbre.  —  J'ai  tué  huit  rois  dans  cette  contrée,  j'ai  transporté 
au  pays  d'Assur  leurs  dieux,  leurs  dépouilles  et  leurs  habitants. 

Le  second  prisme  donne  la  liste  de  ces  huit  chefs  et  des  villes 
qu'ils  gouvernaient  ' . 

La  nécessité  politique  et  les  traditions  de  famille  conduisirent 
également  Assurbanipal  en  Arabie.  Le  roi  Shamaïti,  d'accord 
avec  les  Elamites  et  les  Chaldéens,  s'était  révolté  et  ne  voulait 
plus  payer  le  tribut  ;  il  fut  vaincu  et  emmené  à  Ninive  ^ 

Les  Phéniciens  n'eurent  garde  de  négliger  l'Arabie,  route  obli- 
gatoire du  commerce  de  Tlnde;  l'établissement  maritime  d'Asion- 
gabcr,  fondé  conjointement  avec  Salomon  à  rextrémité  septen- 
trionale du  golfe  Elanitique,  dans  la  Nabatène,  dut  persister  jus- 
qu';i  ce  que  Nabuchodonosor  eût  ruiné  Tyr  et  châtié  vigoureuse- 
ment les  Nabatéens,  alliés  naturels  de  l'Egypte  et  de  la  Phéiii- 
cie.  Le  plan  de  Nabuchodonosor  était  de  changer  la  direction  du 
commerce  de  l'extrême  Orient  qu'il  voulait  transporter  à  Baby- 
lone  ^  :  or,  à  Asiongaber  venaient  aboutir  les  voies  fréquentées 

1  Id.,  ibid.,  i>.  2i3. 

*  Id.,i6j(/.,p.  270à274. 

'  Classem  quoque  fecit  rex  Salomon  in  Asiongaber  quac  est  juxta  Ailath  in  littore 


372  ORIÙIXKS    DE    l/0kFÉVrxi:R!E    CLOISONNÉE 

par  les  caravanes,  à  l'intérieur  et  sur  le  littoral  du  pays.  Ezécliiel 
n'oublie  pas  ces  détails  dans  son  admirable  élégie. 

Les  fils  de  Dedan  étaient  tes  courtiers,  avec  de  nombreuses  îles  tu  as 
commercé  ;  ils  faisaient  ta  fourniture  en  ivoire  et  en  ébène. 

Yedan  et  lavan  Maouzel  pourvoyaient  tes  marchés  en  acier;  la  casse  et 
le  gingembre  entraient  dans  tes  échanges. 

Dedan  a  trafique  avec  toi  en  couvertures  de  luxe  pour  s'asseoir. 

I/Arabie  et  tous  les  princes  de  Kedar  ont  fait  le  commerce  avec  toi. 

Les  comnierrants  de  Sheba  et  de  Raimah  étaient  tes  courtiers  dans  les 
principaux  de  tous  les  aromates  ;  en  toutes  sortes  de  pierres  précieuses 
et  en  or;  ils  ont  pourvu  tes  marchés. 

Haran,  Ghanah,  Aiden,  les  négociants  de  Sheba,  d'Ashour  et  de  Chil- 
mad  faisaient  ton  commerce. 

Ils  étaient  tes  fourniscurs  en  étoffes  parfaites,  en  talars  d'hyacinthe,  en 
broderies  qu'ils  portaient  à  tes  foires,  en  coffres  remplis  de  beaux  vête- 
ments, attachés  par  des  cordes,  et  en  bois  de  cèdre  \ 

Des  rapports  aussi  intimes  avec  l'Egypte,  les  Assjro-Chaldéens 
et  la  Phénicie  communiquèrent  aux  Arabes  citadins,  ainsi  que  je 
l'ai  déjà  dit,  les  arts  et  l'industrie  de  ces  trois  peuples  ;  l'orfèvre- 
rie cloisonnée  fut  au  nombre  des  industries  importées,  et  elle  me 
semble  devoir  être  mise  au  compte  égyptien.  Un  fragment  d'A- 
gatharchides  (géographe  grec  qui  vivait  en  110  av.  ,].-C.),  inséré 
dans  la  bibliothèque  de  Fhotius,  nous  apprend  que  les  Sabéens  et 
les  Gherréens  appliquaient  sur  les  plafonds  et  les  portes  de  leurs 
demeures  des  patères  incrustées  de  pierreries,  <fidloct  h6oy.oAlr,zoi, 
dont  l'excipient  n'est  pas  indiqué  ^  Heureusement  Diodore  de 
Sicile  comble  cette  regrettable  lacune  ;  après  avoir  énuméré  les 
pièces  d'orfèvrerie  que  les  Sabéens  étalaient   dans  leurs  somp- 


Maris  rubrl  in  terra  Idumeae.  Misitque  Hiram  in  classe  illa  servos  suns  viros  nau- 
ticos  et  gnaros  maris,  cum  servis  Salomonis.  III,  Rey.,  IX,  26,  27.  —  F.  Lenor- 
manf     Manvd,  etc.,  t;  III,  p.  381,  382. 
'  Cahen,  tmd.  cl.,  XXVII,  15,  19  à  24. 

-  Ktovoc;  T£  ~o/Xouç  aCixoîç  cpTiGi  xaTsaxEuairOoc.  s-i/puaou;  te  xcii  àpyopouç,  Trpo; 
ài  xai  Tot;  ôpo'^ot;  /.-A  Oûpot;  cptoiXai;  ÀiOoxoÀXviTOtç  sçstX^cpTai  Tcuxvaî;  coaauxo;  xù  -cà 
aïTOTTÛXia  ÔÉav  ='/eiv  eCnrpîTrri.  102,  Geograpki  Graci  minores,  éd.  Didot. 


ORIGINES    Di;    L"or:FÉVi;ERIE    CLOISONNÉE  373 

tueuses  habitations^  il  dit  :  «  Des  colonnes^  les  unes  ont  des  fûts 
plaqués  d'or,  les  autres,  des  chapiteaux  argentés.  Les  plafonds  et 
les  portes  montrent  de  nombreuses  patères  d'or  incrustant  des 
pierres  précieuses  ;  si  les  Sabéens  consacrent  des  sommes  énormes 
à  la  bâtisse  de  leurs  maisons,  ils  les  ornent  à  l'intérieur  d'argent, 
d'or,  d'ivoire,  de  gemmes  admirables  et  de  tout  ce  que  les  hommes 
estiment  le  plus  ' .  »  Il  serait  difficile  de  ne  pas  assimiler  les  orne- 
ments circulaires  incrustés  de  Tarchitecture  sabéenne  aux  rosaces 
ninivites  et  môme  à  la  stèle  en  émeraude  que  vit  Hérodote  dans  le 
temple  de  Melkhart,  à  Tyr.  L'objet  qui  me  semble  rendre  le  mieux 
la  technique  et  le  décor  monochrome  du  meable  phénicien  est  un 
magnifique  fusil  arabe  du  siècle  dernier,  pris  dans  la  Kasbah 
d'Alger,  en  1830,  et  appartenant  aujourd'hui  à  la  remarquable 
collection  de  M.  le  Général  de  Division  Yéron  de  Bellecourt.  La 
crosse  et  le  fût  sont  recouverts  d'une  mosaïque  en  plaques  de  co- 
rail découpées,  figurant  des  lotus  épanouis,  serties  dans  un  réseau 
de  métal  gravé,  partie  argent,  partie  cuivre  doré.  Quant  aux  dis- 
ques d'or  incrustés  de  gemmes,  les  Arabes  en  fabriquaient  encore, 
sauf  à  leur  attribuer  une  autre  destination,  deux  siècles  au  moins 
après  le  triomphe  de  l'Islamisme  ;  cela  parallèlement  à  Témaille- 
rie  à  chaud  :  le  musée  du  Louvre  en  possède  un  rarissime  spéci- 
men. Il  n'y  a  pas  à  s'y  tromper,  le  génie  oriental  varie  les  combi- 
naisons à  l'infini  sans  modifier  essentiellement  l'unité  du  type,  et 
sa  technique  reste  immuable.  Que  l'on  examine  attentivement  les 
œuvres  de  l'art  et  de  l'industrie  arabes,  du  XL  siècle  à  nos  jours; 
elles  se  ressemblent  toutes,  et  cependant  aucune  n'est  identique 
à  l'autre.  Mais,  tissus,  mosa'iques,  faïences,  peintures  de  manus- 
crits, cuirs  gauflrés,   ont  un  caractère  spécial  qu'il  est  impos- 

*  Kiovojv  TE  àoptov  TrepîcTuXa,  ta  (jlÈv  liii/pucra,  xà  S'olpyiipoeiSeT;  èm  tcov  y.iovo- 
xpav(ov  TUTTOuç  £/_ovTa.  Tàî  ô'opoïàs  xat  ôupa;  -/ouffaïi;  cptoIXai;  Ài9oxoXÀr^Toiî  xai 
TTuxvaï;  oi£tXr,tpûTEÇ,  aizac-^./  xr^v  twv  oîxiwv  xaxà  (/.spoç  oixooojxîav  7:£7roîy,vTai  ôau- 
[xasT^  Tai;  TroXuTeÂsi'at;  •  Ta  fxÈv  yàp  il  apYupou  xal  '^puaou  xà  oil  èXs'oavTOt;  xai 

TÔi^     Sta7rp£1T£CTCtT0)V    Xt'GwV,     £Tl     SE    TCOV    àXXlOV     TWV     TlfXUOTâ'fCOV     Tîap    'àvQpcoTTOi; 

xaTEaxêudxaaiv.  III,  47. 


374  ORIGINES    OE    l'orfèvrerie    CLOISONNÉE 

siblo  (le  méconnaître,  l'aspect  de  rincrustation.  Les  anciennes 
étoffes  eu  particulier,  et  j'en  ai  copié  un  assez  grand  nombre  pour 
constater  le  fait,  sont  établies  sur  des  cartons  inspirés  du  cloison- 
nage égyptien  et  assyro-chaldéen  '. 

C.  DE  LiNAS. 

(A  suivre.) 


^  V,  Prisse  d'Avennes,  L'art  arabe,  arabesques,  pi.,  passim  ;  notamment  les 
étoffes  de  Toulouse,  Nancy,  Utrecht  et  Nivelles,  Xle  siècle  au  XIV*^.  Ces  planches 
sont  le  spécimen  d'un  ouvrage  sur  les  tissus  et  les  broderies  que  je  me  disposais 
à  mettre  au  jour  lorsque  la  concurrence  d'une  'publication  analogue  effraya 
mon  éditeur,  et  le  projet  en  est  resté  là.  Il  y  avait  cependant  place  au  soleil 
pour  deux  recueils  tendant  vers  un  même  but  —  la  vulgarisation  des  plus  beaux 
types  de  la  textrine  —  mais  coUigés  dans  un  ordre  d'idées  très-différent. 


ESSAI 

SUR    L'ÉGLISE    SAINTE-FOY 

DE  CONCHES  (EURE) 


I. 

Voisine  d'une  de  ces  vieilles  tours  féodales,  chastement  vêtues  de  lierre, 
comme  le  marteau   des  démolisseurs  en  a  malheureusement  tant  mutilé 
et  renversé  dans  notre  belle  France,  l'église  Sainte-Foy  de  Couches  est 
fièrement  assise  au  bord  d'une  colline  à  pic  et  domine  une  riante  vallée. 
A  la  première  vue,  elle  jeta  dans  mon  imagination  une  de  ces  impressions 
que  laisse  le  spectacle  des  grandes  choses  et  des  belles   œuvres,  impres- 
sions qui  ne  s'effacent  jamais.  L'artiste  recueille  ces  impressions,  qui  ne 
se  prodiguent  pas  ;  il  les  conserve  pour  les  communiquer  aux  âmes  qu"il 
sait  éprises  du  même  amour  pour  ce  qui  est  beau  et  grand.  J'ai  ressenti 
ce  choc  indélébile  en  présence  de  cette  vieille  église;  et  lorsque  j'y  péné- 
trai, une  émotion  me  saisit,  qu'il  me  serait  impossible  d'analyser  :  elle  est 
restée  en  moi,  mélange  d'étonnement  et  d'admiration  :  je  venais  d'aper- 
cevoir un  de  ces  monuments  que  l'on  savait  construire  dans  les  siècles  de 
foi,  quand  régnait  encore,   quoique  dans  sa  dernière  incarnation,  cette 
architecture  sublime  ensevelie  depuis  sous  la  froide  Renaissance.  Ce  n'é- 
tait ni  la  cathédrale  de  Paris,  grave  et  mystérieuse  comme  une  vieille 
chronique;  ni  la  Sainte-Chapelle,  châsse  de  pierre,  translucide,  aérienne, 
qui  d'un  seul  jet  s'élance  vers  le  ciel  et  semble  fixée  dans  l'espace  par 
quelque  miracle;  ni  Saint-Germain-des-Prés,   naïf  comme  la  foi  qui  l'a 
inspiré;  ni  le  portail  do  Reims,  ni  le  chœur  de  Beauvais,  ni  la  flèche  de 
Chartres,  ni  aucun  de  ces  admirables  ouvrages  anonymes  que  le  Moyen- 
Age  nous  a  laissés  en  grand  nombre.  C'est  un  de  ces  joyaux  qui  suffisent 
à  la  parure  d'une  province,  et  dont  on  se  sent  le  besoin  de  parler  après 


376  l'église  sainte-foy  de  conçues 

l'avoif  v'i  :  on  pense  avoir  fait  une  découverte  qu'on  ne  se  croit  pas  le 
droit  de  caclier;  et,  quand  même  les  hommes  spéciaux  auraient  savam- 
ment parlé,  on  veut  encore  dire  le  mot  du  rêveur  qui  n'a  point  compulsé 
les  vieux  parchemins,  mais  n'a  interrogé  que  la  mémoire  de  deux  ou 
trois  indigènes,  et  n'a  demandé  à  un  rapide  et  désordonné  pèlerinage  que 
des  émotions  d'artiste. 

C'est  pourquoi  j'ai  écrit  ce  qui  suit  : 

IL 

Vers  le  commencement  du  XIP  siècle,  Conches,  qui  s'appelait  alors 
Douville,  appartenait  à  la  famille  de  Tosny,  descendants  d'un  certain 
Malahuec,  compagnon  d'armes  de  ce  UoUon  qui  traitait  avec  tant  de  dé- 
sinvolture le  roi  de  France.  Roger  I"  de  Tosny  était  allé  seconder 
Sanche  d'Aragon  dans  sa  lutte  contre  les  Maures,  et  avait  fait  le  pèleri- 
nage de  Saiut-Jacques-de-Compostelle.  A  son  retour,  il  visita,  en  Aqui- 
taine, le  tombeau  de  la  vierge  Ste  Foy,  martyrisée  à  Conches  {apud 
Couchas  Rutenoriun).  W  rapporta  des  reliques  de  la  Sainte  martyre,  bâtit 
une  église  sous  son  patronage,  et  fonda  l'abbaye  de  Conches,  dont  on 
voit  encore  les  ruines.  C'est  alors  que  l'on  vit  apparaître  pour  la  pre- 
mière fois  le  nom  de  Conches,  dont  on  s'est  évertué  à  chercher  bien  loin 
l'étymologie.  N'est-il  pas  vraisemblable  que  Roger  ait  donné  à  la  cité  nais- 
sante le  nom  de  la  ville  où  fut  martyrisée  la  Sainte  qu'il  lui  donnait  pour 
patronne? 

Cette  première  église  consistait  en  un  seul  vaisseau,  tout  d'une  venue. 
Aussi  Roger  111  de  Tosny  y  lit-il  ajouter  un  chœur,  une  tour  et  un  clocher. 
Puis,  s'il  faut  en  croire  de  vieilles  chroniques,  vers  le  milieu  du  XIIP  siè- 
cle, sous  l'inspiration  de  la  comtesse  Amicie  de  Courtenay,  épouse  de 
Robert  II  d'Artois,  seigneur  de  Conches.  la  tour  et  le  clocher  auraient 
subi  une  complète  transformation.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'église  fut  détruite, 
et  remplacée  aussitôt  par  celle  que  nous  admirons  aujourd'hui.  Une  tra- 
dition rapporte  que  cette  destruction  eut  lieu  sous  Robert  III  d'Artois.  Mais 
cette  tradition  est  inacceptable,  car  le  caractère  de  l'architecture  et  des 
décorations  de  la  nouvelle  église  est  celui  du  commencement  du  XVP  siè- 
cle, et  Robert  III  était  mort  en  1342.  La  destruction  de  l'église  ne  saurait 
être  reportée  tout  au  plus  qu'à  la  fin  de  la  guerre  de  Cent  ans.  Peut-être 
est-ce  la  raison  de  cette  tradition. 

Néanmoins,  les  chroniques  locales  nous  apprennent  que  l'église  actuelle 
n'était  pas  encore  achevée  à  l'époque  de  la  Ligue,  dont  elle  eut  beaucoup 
à  souR'rir,  la  ville  ayant  été  prise  et  saccagée  par  les  Ligueurs,  en  1590. 


REVUE  DE   L'ART   CHRETIEN. 


l'cU/cf  du.  Âau/où- 


fine    Sf  E'/ic/i/it: 


PLAN 


VITRAUX. 

ABCDEFG   lie  cù.-  Sai/Uc  Foi/  a 

SCCVUV  c/f  /il  \>ic  de  J.  C. 

H  De'ùuà. 

I    s'- 'e,i/i  £a^/t.tU 

J  Iklrutf . 

K  La  l'iujuie.  . 

L   Le prtiisoù: 

M  La.  l'eue . 

N  L'Eux/iarùli'e . 

0  S' Michel. 

F  Déùutt 

9  S'^Bomiun 

R  PrésenlcUii'/i  t/elS.J-C. 

S    Triomphe  de  Marit 

T  /  Annvnciiiiu'iL . 

U   OffuedeUi.r.S^''Via-ifc. 

Y  La  lyatuufede  NS.J-C. 

X  iV-D  de  Bm  .Sccciu-S  . 


Escjjii'er 


rEa/fse   S^!^  Fou  de  fo/n'/u\s' 


Lilk..  Dtio.i'cuy  ■DidUUiiX'lirras 


l'église    SAINTE-FOY   DE    CONCHES  377 

Parmi  les  hommes  qui  contribuèrent  le  plus  à  la  construction  du  nouvel 
édifice,  on  cite  Nicolas  Levavasseur,  abbé  de  l'abbaye  de  Gonches,  en  i  509, 

m. 

L'église  Sainte-Foy  de  Conches  date  donc  du  XVP  siècle  '.  Elle  appar- 
tient à  ce  style  flamboyant  après  lequel  s'éteint  l'art  ogival,  expression 
d'un  style  qui  sera  toujours,  quoi  qu'on  fasse,  le  style  religieux  par  excel- 
lence. L'architecture  ogivale  n'avait  plus  alors  les  grandes  lignes  et  la 
naïve  simplicité  du  XIIP  siècle  ;  la  grave  et  majestueuse  ogive  s'était  peu 
à  peu  transformée  en  quelque  chose  de  gai  et  de  souriant  ;  les  lignes  in- 
flexibles s'étaient  arrondies;  la  belle  monotonie  des  surfaces  avait  disparu 
sous  une  végétation  luxuriante  ;  les  angles  s'étaient  émoussés;  l'ogive,  en 
un  mot,  avait  fait  d'avance  les  concessions  qu'allait  lui  demander  la  Re- 
naissance, avec  ses  nllures  italiennes,  ses  colonnes  en  tire-bouchon,  ses 
frontons  brisés,  ses  médaillons  de  marbres  multicolores,  ses  anges  bouf- 
fis, et  ses  images  dorées.  Tel  était  l'état  de  Tart  au  moment  oii  naissait 
notre  église. 

Sainte-Foy  de  Gonches  est  une  église  de  moyenne  grandeur.  Sa  forme 
rappelle  celle  des  anciennes  basiliques  romaines  :  elle  a  trois  nefs,  et  une 
abside,  qui  continue  la  nef  centrale. 

Le  premier  regard  jeté  sur  la  façade  accuse  un  accommodement  entre 
l'art  naissant  et  Fart  déchu.  Un  corps  principal,  servant  de  pignon  à  la 
nef  centrale,  est  flanqué  de  deux  tours  un  peu  plus  larges  que  les  nefs  de 
côté,  aux  dépens  de  la  nef  centrale.  La  façade  est  percée  d'ouvertures 
ogivales  se  mariant  plus  ou  moins  avantageusement  avec  des  baies  qui 
offrent  tous  les  caractères  de  la  Renaissance.  La  tour  de  gauche,  ou  sep- 
tentrionale, appelée  tour  du  Saint-Esprit,  est  restée  inachevée.  Elle  ap- 
partient à  la  Renaissance.  Ses  deux  angles  saillants,  à  l'extérieur  et  sur  le 
côté  de  l'église,  sont  flanqués  d'énormes  pilastres  à  chapiteaux  compo- 
sites. Elle  otï're  un  portail  rectangulaire  couronné  par  un  petit  fronton, 
que  surmonte  une  fenêtre  à  plein-cintre  divisée  par  des  meneaux  en  fer. 
Une  fenêtre  semblable  existe  sur  le  côté  nord.  Gette  tour  fut  construite 
en  1620. 

*  L'église  de  Gonches,  très-intéressante  par  son  architecture  élégante  et  par 
ses  vitraux,  est  du  XVI"  siècle.  Quelques  parties  ne  doivent  être  que  de  la  seconde 
moitié  de  ce  sièchî.  (Note  de  M.  de  Caumont  sur  le  style  architectonique  de  quel- 
ques monuments  des  villes  de  Gonches  et  de  Verneuil.  —  Bulletin  monumental, 
tom.  I,  1833,  pag.  274.) 

Iï«  séiit,  tome  II.  27 


378  L  ÉGLISE    SAINTE-FOY    DE    CONCHES 

La  tour  méridionale,  qui  supporte  le  clocher,  et  qui  est  flanquée  d'une 
élégante  tourelle  renfermant  l'e.scalier,  date  du  commencement  du  XVI* 
siècle.  Percée  d'une  porte  à  plei"-cintre  surmontée  d'une  fenêtre  à  me- 
neaux flamboyants,  elle  offre  ensuite  deux  étages;  le  premier  est  occupé 
par  une  magnifique  horloge,  et  le  second,  par  trois  belles  cloches,  mal- 
heureusement fêlées.  Puis  vient  la  plate-forme,  entourée  d'une  balustrade 
à  découpures  flamboyantes.  C'est  sur  cette  plate-forme  que  repose,  flan- 
quée de  quatre  clochetons,  la  flèche  peut-être  la  plus  ouvrée,  la  plus  me- 
nuisée,  la  plus  déchiquetée  qui  ait  jamais  laissé  voir  le  ciel  à  travers  son 
cône  de  dentelle.  Elle  a  elle-même  trois  étages  accessibles.  Ce  n'est  pas 
sans  une  émotion  mêlée  de  ci'ainte  que  je  contemplais,  le  7  septembre  der- 
nier, du  plus  élevé  de  ces  trois  étages,  la  jolie  petite  ville  de  Couches, 
qui  s'étalait  à  mes  pieds,  et,  à  l'autre  extrémité  de  l'église,  la  vallée  du 
Ronîoir,  ceinte  d'une  couronne  de  forêts.  11  faisait  un  vent  très-violent,  et 
malgré  moi,  je  ne  me  sentais  pas  très-rassuré  dans  ce  clocher  aux  formes 
si  légères,  qui  se  balançait  au  souffle  du  vent,  au-dessus  de  ma  tête. 

Cette  flèche  a  subi  bien  des  vicissitudes.  Elle  fut  réparée  en  1710,  lors 
de  la  pose  de  l'horloge.  Mais,  en  1760,  un  certain  architecte,  s'imaginant 
que  le  couronnement  était  trop  lourd,  le  fit  supprimer.  Cependant,  ce  qui 
restait  de  l'œuvre  des  premiers  artistes  menaçait  ruine,  et  son  inclinaison 
sur  la  rue  qui  longe  le  portail  inspirait  de  sérieuses  inquiétudes  \  lors- 
qu'en  1842  on  se  décida  à  l'aliattre,  et  à  rebâtir  une  nouvelle  flèche  sur  le 
modèle  de  la  première.  Les  travaux  de  la  charpente  étaient  terminés,  les 
plombiers  avaient  commencé  les  leuis,  d'immenses  échafaudages  s'éle- 
vaient jusqu'au  sommet,  quand,  par  une  nuit  de  printemps,  un  ouragan 
renversa  tout.  Des  maisons  voisines  furent  écrasées  par  le  choc,  et  le  pied 
de  la  flèche  tomba  sur  le  mur  des  bas-côtés,  où  les  vitraux  furent  brisés. 
La  croix  de  la  flèche  était  allée  tomber  dans  la  vallée  *. 

Après  cette  catastrophe,  des  soldats  appelés  d'Evreux  furent  chargés 
de  déblayer  les  décombres.  Le  clocher  fut  transporté  pièce  par  pièce  sur 


»  M.  de  Caumont  disait  en  1837  :  La  tour  de  Conches  menace  ruine  et  perd 
chaque  jour  quelques-unes  des  lames  de  plomb  qui  la  recouvrent.  Une  restaura- 
tion serait  urgente,  elle  demanderait  une  dépense  de  iO,000  fr.,  mais  elle  est 
digne  d'attirer  l'attention  du  Gouvernement  et  des  nutorités  locales.  [Bull,  mo- 
ntim.,  tora.  III.  1867,  pag.  81.)  —  Voir  aussi  RapjiorI  sur  les  recherches  archéo- 
logiques clans  le  département  de  l'Eure,  par  M  Chevreaux.  [Bull,  monum., 
tom.  VI,  1840,  pag.  475.) 

*  Voy.  séance  du  22  mars  18i2.  Note  communiquée  par  M.  Chevreaux.  [Bull. 
monum.,  Um.  VIII,  1842,  p.  Oy.) 


LKGLISE    SAINTE-FOY    DE    CONCHES  379 

les  promenades  publiques.  On  le  reconstruisit  ensuite, mais  avec  de  grandes 
précautions,  de  manière  à  empêcher  un  nouveau  malheur.  On  avait  soin 
d'enlever  les  échafaudages  à  me.sure  que  les  travaux  de  plomberie  avan- 
çaient. Et  aujourd'hui  on  peut  admirer  cette  belle  et  élégante  flèche,  haute 
de  oo  mètres,  qui  s'élance  si  coquette  dans  les  airs.  Construite  d'après  le 
plan  primitif,  on  sent  là  le  dernier  souffle  de  cette  architecture  ogivale 
qui  ne  voulut  s'éteindre  qu'après  avoir  épuisé  tous  les  éléments  d'une  or- 
nementation presque  sans  bornes. 

L'architecture  extérieure  de  l'église  est  assez  sévère.  Huit  contreforts 
à  dessins  caractéristiques  du  XVl'  siècle,  dont  les  six  premiers  sont  tron- 
qués et  attendent  leur  achèvement,  indiquent  au  dehors  autant  de  ran- 
gées intérieures  de  piliers.  Le  mur  des  bas-côtés  est  percé  de  larges  fe- 
nêtres occupant  tout  l'espace  compris  entre  les  contreforts  à  clochetons 
feuillages  qui  supportent  les  arcs-boulants  de  la  claire-voie.  Ces  arcs- 
boutants,  surmontés,  dans  toute  leur  longueur,  d'une  arête  dentelée  en 
pierre,  d'un  bel  eft'et,  s'appuient  sur  les  contreforts  de  la  nef.  Ceux-ci 
sont  carrés,  et  terminés  par  d'élégants  clochetons  ornés  de  feuillages 
frisés  et  de  figures  grotesques  :  ils  font  le  tour  du  chevet,  et  sont  séparés 
entre  eux,  à  la  iuiuteur  de  l'égoùt  du  toit,  par  une  balustrade  flam- 
boyante. Le  pourtour  du  chœur,  qui  comprend  le  chevet  et  les  deux  der- 
nières travées  de  la  nef,  est  seul  complètement  achevé.  11  a  été  réparé  il 
y  a  une  quinzaine  d'années  (1860-1862)  aux  frais  du  gouvernement.  Sur 
l'arête  du  toit  court  une  crête  à  dessins  flamboyants,  et,  au  point  d'inter- 
sections des  pans  coupés  de  la  toiture  du  chevet,  s'élève  une  croix  à  bran- 
ches fleurdelisées,  placée  depuis  peu  d'années. 

L'église,  avons-nous  dit,  domine  la  vallée  du  Uouloir  ;  son  chevet  est 
la  continuation  de  la  colline  à  pic  sur  laquelle  elle  est  élevée.  Aussi  n'est- 
ce  pas  sans  surprise  que  l'on  aperçoit  un  instant,  du  chemin  de  fer,  qui 
passe  au  pied  de  la  colline,  cette  église  aux  formes  si  aériennes  surmon- 
tée de  sa  flèche  qui  dessine  sur  le  ciel  sa  délicate  dentelle.  On  sent  que 
c'est  l'œuvre  de  ces  générations  animées  par  une  foi  ardente,  qui  com- 
prenaient que  le  temple  de  Dieu  doit  être,  dans  tout  son  ensemble  comme 
dans  chacune  de  ses  parties,  l'expression  de  la  prière  que  lui  adressent 
ceux  qui  se  prosternent  au  pied  des  autels. 

IV. 

Quand  on  pénètre  dans  l'église  de  Conches,  on  sent  la  vérité  de  cette 
parole  de  Montaigne  :  «  11  n'est  àmct  si  revesche  qui  ne  se  sente  touchée 
de  quelque  révérence^à  considérer  la  vastité  de  nos  églises  et  leur  diver- 


380  l'église  sainte-foy  de  conches 

site  d'ornements.  Ceulx  mesme  qui  y  entrent  avec  mespris  sentent  quel- 
que frisson  dans  le  cucur.  »  Malheureusement,  àConchcs,  la  nef  n'est  pas 
achevée  ;  mais  le  chœur  et  les  bas-côtés  attirent  Tattention  par  leur  ar- 
chitecture, non  moins  que  par  la  Ijeauté  de  leurs  admirables  vitraux,  qui 
sont  le  plus  précieux  joyau  de  l'église  de  Gonches.  C'est  grâce  à  eux  que 
je  me  suis  senti  pris  d'un  bel  enthousiasme  pour  ce  monument  :  aussi 
n'auront-ils  pas  la  moindre  part  dans  ce  travail,  dont  le  chapitre  suivant 
sera  consacré  à  leur  description. 

Des  huit  travées  de  la  nef,  les  deux  dernières,  jointes  au  chevet,  qui  est 
à  sept  pans,  forment  le  chœur.  Les  six  autres  sont  inachevées  :  elles  sont 
sévères  d'ornements,  et  même  deux  d'entre  elles,  à  colonnes  octogones, 
en  sont  complètement  dépourvues.  Les  autres  colonnes  sont  semblables 
les  unes  aux  autres,  à  moulures  rondes  et  assez  rares  ;  point  de  chapi- 
teaux, dont  tiennent  lieu  tout  au  plus  quelques  moulures  insignifiantes. 
Sur  l'arête  de  l'ogive  des  arcades,  l'œuvre  s'arrête  inachevée,  le  triforium 
et  la  claire-voie  sont  remplacés  par  une  construction  en  charpente  qui 
supporte,  à  la  hauteur  de  la  voûte  en  pierre  du  chœur,  une  voûte  en  bois 
recouverte  d'un  affreux  badigeon.  Il  serait  bien  à  désirer  que  le  gouver- 
nement, qui  a  déjà  fait  réparer  le  chœur,  fit  disparaître  cette  construc- 
tion si  disgracieuse,  derrière  laquelle  sont  cachées  des  fenêtres  dont  la 
réparation  achèverait  de  faire  de  l'église  de  Couches  un  véritable  bijou. 

Les  collatéraux  ont  leur  base  sur  les  deux  tours,  dont  la  largeur  est 
plus  grande  que  la  leur  :  aussi  empiètent-elles  un  peu  sur  la  nef  princi- 
pale. Les  collatéraux  se  terminent,  à  la  hauteur  de  la  septième  travée, 
par  un  mur  droit  auquel  est  adossé  un  autel.  Leurs  voûtes  sont  en  pierre, 
avec  arceaux  multiples  et  nervures  prismatiques.  Leur  aspect  est  uni- 
forme :  malheureusement  les  aimoiries  qui  ornaient  les  clefs  de  voûtes 
ont  été  détruites  par  le  marteau  des  niveleurs  de  distinctions  et  de  privi- 
lèges. Les  arcades  des  voûtes,  dans  les  deux  travées  qui  avoisinent  le 
chœur,  reposent  sur  des  pilastres  à  moulures  prismatiques,  adossés  au 
mur.  Les  autres  vont  se  confondre  avec  la  muraille  elle-même  sur  laquelle 
elles  s'appuient. 

Quant  au  chœur,  il  se  compose  des  deux  dernières  travées  de  la  nef  et 
du  chevet  heptagone.  Chaque  pilier  est  formé  d'un  faisceau  de  moulures 
prismatiques  élancées  qui  vont  s'épanouir  en  nervures  à  la  voûte.  Au- 
dessus  des  arcades  des  deux  travées,  commencent  immédiatement  les 
fenêtres,  qui  occupent  toute  la  largeur  des  entrecolonnements  et  sont 
divisées  par  des  meneaux  en  lobes  flamboyants. 

Les  sept  faces  du  chevet  sont  percées  chacune  d'une  fenêtre,  séparée 
de  sa  voisine  par  un  faisceau  de  moulures  prismatiques  d'un  seul  jet.  Ces 


L  ÉGLISE    SAINTE-FOY   DE    CONCHES  381 

fenêtres,  très-élancées,  n'ont  pas  moins  do  10'"  30  d'élévation.  Un  meneau 
vertical  les  divise  en  deux  compartiments,  et  se  subdivise,  à  la  hauteur 
de  la  naissance  de  l'ogive,  pour  former  des  lobes  flamboyants.  De  plus, 
une  traverse  trilobée  divise  horizontalement  les  fenêtres  vers  le  milieu 
de  leur  hauteur. 

La  voûte  du  sanctuaire  et  celle  de  la  partie  achevée  de  la  nef,  qui  forme 
le  chœur,  sont  en  pierre,  avec  des  arceaux  multipliés  et  des  nervures 
prismatiques.  D'autres  arceaux,  ornés  de  culs-de-lampe  armoriés,  sont 
dans  les  intcados  des  voûtes  :  tout  l'ensemble  porte  le  cachet  du  XVI* 
siècle.  Ce  ne  sont  pas  encore  les  culs-dc-lampe  en  pendentifs  de  la  Renais- 
sance, mais  c'est  déjà  un  acheminement  vers  ces  tours  de  force  d'une 
hardiesse  vraiment  inquiétante,  dont  on  peut  voir  de  beaux  spécimens 
au-dessus  du  chœur,  à  Saint-Eustache,  au-dessus  du  transsept  de  Saint- 
Etienne  du  Mont,  et  dans  la  chapelle  de  la  Sainte-Vierge,  à  Saint-Gervais. 

On  a  rapporté  à  l'un  des  piliers  de  gauche,  dans  la  grande  nef,  une 
chaire  en  bois  qui  jure  avec  son  entourage  comme  un  anachronisme. 
Qu'on  se  figure  un  cube,  une  boîte  posée  sur  un  piquet  que  l'œil  s'attend 
à  chaque  instant  à  voir  ployer  sous  le  poids  du  prédicateur.  Et,  pour 
compléter  la  ressemblance,  cette  boîte  est  surmontée,  en  guise  d'abat- 
voix,  d'un  affreux  couvercle,  orné,  sur  sa  face  inférieure,  d'une  vilaine 
colombe.  On  ne  peut  rien  imaginer  de  plus  simple,  mais  aussi,  on  ne  peut 
rien  concevoir  de  plus  laid. 

A  cette  œuvre  de  menuiserie  fait  dignement  pendant  le  buffet  d'orgues. 
Ce  meuble  affiche,  d'une  façon  bien  malheureuse,  des  prétentions  au 
gothique  ;  mais  il  a  l'air  honteux  de  lui-même  et  semble  chercher  à  tenir 
le  moins  de  place  possible.  C'est,  avec  la  voûte  en  bois  que  j'ai  fait 
remarquer  plus  haut,  et  l'autel  en  marbre  multicolore  qui  s'étale  sans 
pudeur  au  milieu  du  sanctuaire,  ce  qui  dépare  cette  charmante  église  ; 
ce  sont  autant  de  taches  à  effacer  de  ce  livre  où  l'art  ogival  mourant  a 
écrit  une  si  belle  page. 

La  sacristie  de  l'église  de  Conches  est  remarquable  à  plus  d'un  titre. 
C'était  autrefois  une  chapelle  dédiée  à  la  Sainte-Trinité,  et  sa  construction 
remonte  jusqu'au  règne  de  Henri  11.  Elle  est  éclairée  par  quatre  fenêtres 
en  plein-cintre,  dans  le  style  de  la  Renaissance.  Les  arceaux  qui  sou- 
tiennent la  voûte  s'appuient  tous  contre  la  seconde  pile  du  sanctuaire, 
et.  à  l'autre  extrémité,  contre  les  jambages  des  fenêtres.  La  porte  sculptée 
délicatement  et  sa  poignée  en  fer  ciselé  attirent  l'attention  du  visiteur. 
On  admire  encore,  dans  la  sacristie,  une  piscine  en  marbre  blanc  d'un 
travail  exquis,  découverte  l'écemment  derrière  les  boiseries  vermoulues, 
et  un  panneau  en  bois  sculpté,  représentant  la  Sainte-Trinité. 


382  l'église  sainte-foy  de  concres 

La  sacristie   des   chantres,    de    construction  moderne,    ne    ferait  pas 
honneur  au  maçon  le  moins  habile  :  il  serait  à  désirer  qu'elle  fût  détruite. 


Mais  j'ai  hâte  d'arriver  à  la  description  îles  vitraux.  M.  Charles  Lenor- 
mant  ne  craint  pas  de  dire  que  Conches  est  «  le  pays  qui  renferme  à  lui 
«  seul  plus  de  belles  verrières  (jue  toutes  les  autres  contrées  réunies  »  '; 
et  Pierre  Le  Vieil  dans  son  Traité  -  qui  fait  paitie  de  la  collei.tion  des 
descriptions  d'arts  et  métiers,  publiées  par  TAcadémie  des  sciences, 
s'étend  avec  éloge  sur  le  mérite  des  venières  de  Conches,  et  notamment 
sur  la  recherche  et  la  finesse  des  détails  qu'on  y  remarque  \ 

Il  y  a,  dans  notre  église,  deux  séries  de  vitraux.  Les  premiers  sont 
ceux  du  chœur,  qui  remplissent  les  sept  fenêtres  du  chevet  ;  les  autres 
ornent  les  fenêtres  des  bas-côtés. 

On  a  ignoré  pendant  longtemps  le  nom  de  l'artiste  à  (jui  l'on  doit  les 
verrières  du  chœur,  qui  renferment  une  même  suite  de  sujets.  Enfin,  il 
y  a  quel(]ues  années  seulement,  on  a  découvert,  sur  l'une  d'entre  elles, 
cette  inscription  : 

^IbfgifDtrfi  1)09  rtiiuo  I?omtiii  n 

ce  qui  veut  dire  qu'un  artiste  de  nom  d'Aldegrevers,  est  l'auteur,  sinon 
des  vitraux,  au  moins  des  cartons,  et  qu'il  avait  fait  ce  travail  en  152.)  ''. 

Mais  écoutons  M.  Charles  Lcnormant  : 

«  11  nous  semble  impossible  de  ne  pas  reconnaître  ici  Albert  ou  plutôt 
«  Henri  Aldegrevers.  peintre  allemand,  né  à  Soî'sI,  en  Westphalie,  et 
«  qui  vint  de  bonne  heure  à  Nuremberg,  pour  y  suivre  les  leçons  d'Albert 
Durer. 

((  Aldegrevers  est  considéré  comme  le  premier  de  ceux  qu'on  appelait 
«  les  petits  maîtres,  à  cause  de  leur  goût  poui'  traiter  les  sujets  de  petite 
«  dimension. 

'  Rapport  sur  les  vitraux  de  l'rglife  de  Conches. 

*  L'art  de  le  peinture  sur  verre  et  de  La  vitrerie,  par  feu  M.  Le  Vieil.  177i 
(p.  58). 

'  En  Normandie,  dit  M.  do  Gauiviont.  j'aurais  à  signaler  les  vitres  fort  remar- 
quables de  l'église  de  Conches,  au  nombre  de  23,  représentant  plusieurs  allégo- 
ries mystiques  en  l'honneur  de  la  Vierge,  la  vie  de  Jésus-Christ,  celle  de  la  pa- 
tronne, sainte  Foy,  et  quelques  autres  sujets  indiqués  par  M.  Langlois.  (Cours 
d'antiquités  monumentales,  vi"  partie,  p.  033.) 

♦  Voir  M.  Ch.  Lenormant,  ouv.  cité. 


l'église  sainte-foy  de  conçues  383 

<*  Le  plus  intéressant  de  ses  tableaux  à  comparer  avec  nos  vitraux 

«  serait  le  Christ  en  croix  de  la  galerie  de  Munich,  ouvrage  dans  lequel 
«  M.  de  Nagler,  auteur  d'un  dictionnaire  et  artiste  très-estimé,  remarque 
«  une  tendance  à  se  rapprocher  des  maîtres  italiens. 

î  Les  vitraux  de  Conches  sont  d'un  goût  allemand,  mais  cependant 
«  moins  prononcé  que  la  plupart  des  planches  d'Aldegrevers;  et  d'ail- 
«  leurs,  on  est  loin  d'avoir  eu  jusqu'ici,  de  cet  artiste,  un  ensemble  de 
«  composition  aussi  riche,  et  aussi  intéressant.  Quand  il  l'exécuta,  il  était 
«  dans  sa  première  jeunesse,  car  nous  savons,  grâce  à  l'inscription  qu 
«  accompagne  son  portrait  gravé  par  lui-même,  qu'il  était  né  en  1502.  La 
«  plus  ancienne  de  ses  estampes  datées  est  de  lo22,  et  l'on  a  vu  que  les 
('  peintures  de  Cunches  étaient  de  1520.  Aussi  tout  en  admirant  la  préco- 
*  cité  de  l'artiste,  s'étonne-t-on  moins  de  le  voir,  dans  ses  premiers  tra- 
«  vaux,  tout  à  fait  dégagé  de  l'influence  d'Albert  Durer.  « 

Nous  avons  dit  que  chacune  des  fenêtres  du  chevet  est  divisée  en  deux 
parties  par  une  traverse  horizontale  trilobée.  Chacune  de  ces  deux  parties 
contient  trois  compartiments  superposés,  dans  chacun  desquels  est  un 
sujet  :  ce  qui  fait  six  sujets  par  fenêtre.  Les  trois  tableaux  de  la  partie  su- 
périeure représentent  des  scènes  de  la  vie  du  Sauveur;  des  trois  tableaux 
de  la  partie  inférieure,  deux  représentent  des  épisodes  de  la  vie  et  de  la 
mort  de  Sainte  Foy  ;  et  le  troisième  est  consacré  aux  donateurs  et  à  leurs 
saints  patrons. 

Je  pourrais  commencer  la  description  par  le  haut  de  la  première  fenê- 
tre qui  se  trouve  à  gauche  du  spectateur  regardant  l'autel,  pour  finir  par 
le  bas  de  la  dernière  fenêtre  de  droite.  Mais  cette  méthode  qui  serait 
bonne  dans  un  ouvrage  didactique,  dans  une  monographie  complète,  au- 
rait l'inconvénient,  dans  ces  notes,  de  mettre  de  la  confusion  dans  l'es- 
prit du  lecteur  en  mêlant  ensemble  les  sujets  des  trois  séries  de  tableaux. 
Aussi  me  contenterai -je  de  donner  l'énumération  des  scènes  de  chacune 
des  séries  :  je  tei'minerai  par  la  désignation  des  figures  des  donateurs,  et 
des  SS.  Patrons  qui  occupent  le  compartiment  inférieur  de  chaque  fenê- 
tre, à  l'exception  de  la  première  oij  ce  compartiment  est  consacré  à  la  vie 
de  Sainte  Foy. 

Les  tableaux  relatifs  à  la  vie  de  Notre-Seigneur,  représentent  :  Sainte 
Marie-Madeleine  demandant  à  Jésus  la  résurrection  de  Lazare  ;  l'entrée 
du  Sauveur  à  Jérusalem;  1  institution  du  divin  sacrement  de  l'Eucharis- 
tie; —  Jésus  recevant  du  jardin  des  Oliviers  la  coupe  que  lui  apporte  un 
ange  ;  la  trahison  de  Judas  ;  Jésus  devant  Caïpbe  ;  —  Pilate  montrant  le 
Christ  au  peuple  en  disant  :  Ecce  Iwmo  ;  la  flagellation;  Notre-Seigneur 
traité  en  roi  de  théâtre  ;  -    Jésus  mourant  sur  la  croix,  au-dessus  de  la- 


384  l'église  sainte-foy  de  conçues 

quelle  l'artiste,  par  un  heureux  rapprochement,  a  place  le  nid  d'un  péli- 
can qui  déchire  son  côté,  pour  nourrir  ses  petits  de  son  sang;  Jésus  chargé 
de  sa  croix,  gravissant  le  chemin  du  Calvaire;  Pilate  se  lavant  les  mains; 
—  la  Résurrection;  la  visite  aux  âmes  justes  dans  les  Limbes;  la  descente 
de  Croix;  —  l'apparition  de  Notre-Seigneur  à  la  Très-Sainte  Vierge,  puis 
à  Marie-Madeleine  ;  la  pêche  miraculeuse  ;  —  le  Saint-Esprit  descendant 
sur  les  Apôtres  au  jour  de  la  Pentecôte;  l'Ascension  de  Jésus-Christ,  et 
enfin  Saint  Thomas  touchant  les  plaies  de  son  divin  maître.  —  J'ai  suivi 
pour  chaque  fenêtre  l'ordre  descendant,  quoique  l'ordre  contraire  soit 
souvent,  comme  il  est  facile  de  le  voir,  l'ordre  chronologique. 

Le  premier  tableau  de  la  seconde  série  représente  la  naissance  de  sainte 
Foy.  Puis  la  jeune  Vierge,  à  l'école,  est  debout  devant  le  magister,  tandis 
que  d'autres  enfants  écoutent  et  dicutent.  Le  troisième  tableau  nous  mon- 
tre Sainte  Foy  prêchant  devant  un  nombreux  auditoire.  A  la  fenêtre  sui- 
vante, nous  la  voyons  subissant  l'interrogatoire  de  Dacien,  et,  dans  le 
môme  tableau,  sa  mère  l'encourage  en  lui  montrant  le  ciel.  Plus  bas,  sainte 
Foy  refuse  de  sacrifier  aux  faux  dieux,  ut  au  second  plan  elle  est  attachée 
à  une  colonne,  et  frappée  de  verges.  Aux  pieds  de  Dacien,  un  ange 
soutient  un  écu  sur  lequel  sont  les  armes  de  Conches  :  d'or  à  la 
bande  d'azur,  chargée  de  trois  coquilles  d'argent.  Ensuite  sainte  Foy 
est  tenaillée;  puis  elle  se  tient  debout,  les  mains  jointes,  au  milieu  d'un 
temple  qui  s'écroule  et  écrase  dans  sa  chute  les  soldats  auxquels  la  fureur 
de  Dacien  avait  résolu  de  prostituer  son  honneur.  Le  tyran,  furieux  de 
n'avoir  pu  la  vaincre,  lui  fait  endurci'  ensuite  le  supplice  du  gril,  et  une 
colombe  apporte  à  sainte  Foy  la  glorieuse  couronne  du  martyre;  mais  la 
jeune  vierge  a  encore  résisté  à  ce  supplice,  et  son  bourreau  la  fa't  plonger 
dans  une  chaudière  d'huile  bouillante  ;  un  ange  descend  du  ciel  pour  la 
consoler  et  l'encourager.  Au  preraier  tableau  de  la  cinquième  fenêtre, 
Saint  Caprais,  suspendu  à  une  potence,  les  mains  jointes,  semble  implorer 
la  justice  divine,  tandis  que  sainte  Foy  refuse  de  nouveau  de  sacrifier  aux 
idoles. 

Enfin  au  milieu  d'une  place  magnifique,  où  la  foule  semble  attirée  par 
un  grand  spectacle,  sainte  Foy,  à  genoux,  attend  son  dernier  supphce  ; 
le  bourreau  lève  déjà  le  glaive  pour  lui  donner  le  coup  qui  va  la  mettre 
en  possession  de  la  gloire  éternelle.  Puis  c'e.^t  la  mère  de  notre  sainte, 
contemplant  les  restes  inanimés  de  sa  fille  ;  et  au-dessous,  des  femmes 
ensevelissent  ces  précieuses  dépouilles  :  une  foule  d'infirmes  semblent  ve- 
nir implorer  la  protection  de  la  vierge  martyre  :  ce  tableau  a  pour  fond 
un  charmant  paysage.  Dans  la  septième  fenêtre,  des  pèlerins  de  ;toute 
condition  s'agenouillent  autour  de  la  châsse  de  la  Sainte.  Enfin  l'heureuse 


l'église  saihte-foy  de  conches  385 

mère  de  Sainte  Foy  rend  le  dernier  soupir  auprès  du  somptueux  catafal- 
que, contenant  les  restes  glorieux  de  celle  qui,  du  haut  du  ciel,  l'appelle 
à  partager  sa  gloire. 

Les  compartiments  consacrés  à  la  représentation  des  donateurs  et  de 
leurs  SS.  Patrons  nous  montrent  d'abord  deux  donateurs  et,  avec  eux, 
trois  saints  que  l'on  pense  être  Saint  Nicolas,  Saint  Roch  et  Saint  Benoît  : 
puis  de  nouveau  Saint  Benoît,  avec  Saint  Louis,  roi  de  France;  c'est 
sur  le  manteau  du  saint  roi,  que  se  trouve  l'inscription  à  laquelle  on  doit 
de  connaître  le  nom  de  l'auteur  de  ces  vitraux  :  Aldegrevers  hos  anno  Do- 
mini  XX.  A  la  quatrième  fenêtre,  Messire  Jean  Vavasseur,  abbé  régulier 
de  l'abbaye  de  Saint  Pierre  et  Saint  Paul  de  Conches,  donateur,  suivant 
•les  chroniques,  de  tout  ce  magnifique  ensemble  de  verrières  :  et  avec  lui 
Saint  Jean,  son  patron  :  Saint  Pierre  et  Saint  Paul,  patrons  de  l'abbaye  ; 
à  la  fenêtre  suivante,  Saint  Georges  terrassant  le  démon,  et  la  Sainte 
Vierge  avec  cette  invocation  :  Monstra  te  esse  matrem  :  au  bas  du  comparti- 
ment sont  des  armoiries  ;  Saint  Jean,  écrivant  son  Evangile,  et  Saint 
Jean-Baptiste  prêchant  occupent  le  tableau  de  la  fenêtre  suivante.  Enfin 
le  compartiment  de  la  septième  fenêtre,  fort  maladroitement  mutilé  pour 
l'établissement  d'un  vasistas,  nous  offre  encore  un  groupe  d'anges, 
et  un  fragment  d'inscription  malheureusement  trop  incomplet  pour  four- 
nir quelque  indication. 

Les  vitraux  des  bas-côtés  n'attirent  pas  moins  l'attention  que  ceux  du 
chœur  :  «  11  semble,  dit  M.  Lenormant,  que  les  plus  habiles  verriers  de 
«  la  Normandie,  en  décorant  à  l'envi  les  chapelles  latérales  de  l'église 
«  de  Conches,  aient  voulu  rivaliser  avec  le  jeune  maître  allemand  qui  leur 
«  avait  en  quelque  sorte  ouvert  les  voies  de  la  grande  peinture  histo- 
«  rique.  » 

La  chute  de  la  flèche  a  détruit  la  première  verrière  du  collatéral  de 
droite,  et  elle  n'a  pu  être  réparée  '.  La  seconde  offre  trois  scènes  de  la 
vie  de  S.  Jean-Baptiste.  C'est  d'abord  le  S.  Précurseur  prêchant  dans  le 
désert  le  baptême  de  la  pénitence  a  un  auditoire  de  soldats  et  de  publi- 
cains,  à  qui  S.  Jean  désigne  le  Christ  placé  au  milieu  d'eux  en  leur  disant 
ces  paroles  écrites  sur  un  phylactère  dans  la  partie  supérieure  du  tableau  : 

*  Sur  une  verrière  détruite  avant  la  Révolution,  dit  M.  Chevreaux,  on  voyait 
une  légende  assez  singulière.  Saint  Ijornard  se  rendait  au  lieu  de  sa  mission  :  le 
diable,  pour  lui  jouer  niche,  vola  l'essieu  de  sa  voiture.  Ma's  le  grand  Saint,  ne 
s'embarrassant  pas  pour  si  pçu,  saisit  le  diable  qui  le  regardait  d'un  air  gogue- 
nard, le  tortilla,  puis  le  passant  dans  les  roues,  le  força  lui-même  à  servir  d'es-- 
sieu.  ^Rapport  de  M.  Chevreaux.  Bull,  monum . ,  tom .  VI,  1840.  p.  475.) 


386  l'f.GOSE    SAfNTE-FOT    DE    CONÇUES 

«  Ecce  Agnus  Dei\  ecce  qui  tollit  peccata  mundi.  Hic  est  de  quo  dixi  :  Posé 
«  me  venitvir  qui  ante  me  factus  est  quia  prior  me  erat^  et  ego  vidi,  et  testi- 
«  monium  perhilnii quia  hic  est  Filius  Dei.  »  En  bas  l'épuuse  du  donateur 
est  agonouillée,  les  mains  jointes,  devant  un  prie-Dieu,  sur  lequel  un  livre 
est  ouvert. 

Puis  Jean,  sur  la  rive  du  Jourdain,  laisse  couler  de  sa  main  Teau  du 
baptême  sur  la  tête  de  Jésus,  plongé  dans  le  fleuve.  Deux  phylactères 
portent,  l'un  les  paroles  de  Jean,  s'excusant  de  baptiser  son  Sauveur  ',  et 
l'autre  la  réponse  de  Jésus  :  «  Sine  modo  :  sic  enim  decet  nos  implere  om- 
u  nem  justitiam  -.  »  Du  milieu  des  rayons  qui  descendent  du  ciel,  se  déta- 
chent les  paroles  de  Dieu  le  Père  :  «  Hic  est  Films  meus  dilecdis,  in  quo 
<(  mihi  complacui.  »  EnOn  dans  le  troisième  compartiment,  S.  Jean  inter- 
rogé :  «  Quid  ergo  faciemus?  »  répond  au  peuple  en  lui  prêchant  l'aumône, 
et  aux  publicains  en  leur  prescrivant  l'accomplissement  de  la  loi. 

Ce  vitrail,  longtemps  incomplet,  a  pu  être  restauré,  grâce  aux  fragments 
qui  en  ont  été  rcdouvés  dans  une  église  de  l'arrondissement  de  Pont-Au- 
demer.  Deux  panneaux  ont  été  ainsi  rétablis  :  ils  représentent  le  donateur 
et  la  donatrice  avec  leurs  enfants. 

L'ans  les  lobes  supérieurs  de  la  fenêtre,  Dieu  le  Père  entre  deux  anges 
en  adoration,  bénit  de  la  main  droite  et  tient  le  globe  de  la  terre  de  l'autre 
main  ;  et  S.  Martin  partage  son  manteau  avec  un  pauvre. 

La  quatiième  n'offre  qu'une  seule  scène  :  la  chute  de  la  manne  dans  le 
désert.  Au  premier  plan  Moïse,  tenant  sous  son  bras  les  tables  de  la  loi, 
et  acciimpagné  do  deux  auties  personnages,  indique  au  peuple,  de  sa 
baguette,  le  ciel  obscurci  par  la  manne  oui  tombe  en  abondance.  Der- 
rière lui  sont  plu-ieurs  tentes,  dont  une,  la  sienne  sans  doute,  est  surmontée 
des  tables  du  la  loi,  et  une  autre  d'un  croissant  l'enversé  et  d'une  étoile. 
Au  deuxième  plan,  on  voit  le  tabernacle  au-dessus  duquel  se  trouve  la 
coloime  de  nuée.  De  tous  côtés  les  Israélites  courent,  portant  des  vases 
dans  lesquels  ils  recueilletit  la  manne.  A  gauche  du  tableau,  le  donateur 
en  surplis  se  tient  les  mains  jointes  devant  un  livre  ouvert  sur  une  table. 

Dans  les  lobes  est  représentée  la  chute  des  cailler  ^,  qui  précéda  celle 
de  la  manne. 

Le  sujet  de  la  cinquième  verrière  est  expliqué  par  l'inscription  f[ui  la  sur- 
monte :  Torcular  nalcavi  solus  et  de  genfilms  non  est  vir  mecum  '*.  La  scène 

'  Matth  ,  IIL  \'a. 
«  Matth.,  III,  ■!.■.. 
»  Exode,  XVI,   13. 
Msaï.,  LXIII,  3. 


l'égltse  sainte-foy  de  conches  387 

se  passe  au  milieu  d'une  vaste  plaine  dont  l'horizon  est  borné  par  des  col- 
lines, aux  pieds  desquelles  on  voit  une'foule  de  monuments  antiques  ;  sur 
la  gauche,  les  ruines  d'un  amphithéâtre  ;  au  centre  celles  d'un  temple 
païen.  En  avant,  au  milieu,  le  Christ  est  debout  sur  le  pressoir  ;  ses 
pieds  pressent  le  raisin  ;  de  la  main  droite  il  indique  sa  poitrine  ;  de  la 
gauche,  il  montre  le  vin  qui  coule  sous  ses  pieds.  A  gauche,  le  donateur, 
entouré  des  membres  de  sa  famille,  va  puiser  avec  un  vase  fort  riche  le 
vin  coulant  du  pressoir;  à  droite  est  agenouillée  son  épouse,  avec  d'autres 
personnes  de  sa  famille.  Au  second  plan,  un  char  portant  une  futaille,  et 
attelé  d'un  bœuf  et  d'un  lion,  est  conduit  par  un  ange;  un  aigle  a  les 
serres  appuyées  sur  la  futaille.  Au  bas  du  tableau,  se  trouvent  les  armoi- 
ries du  donateur  avec  sa  belle  devise  :  non  qvam  magnys  satis.  —  non 
QVAM  SATIS  PARVM.  —  Cette  devise  se  trouve  aussi  sur  une  plaque  de  cuivre 
incrustée  dans  le  mur,  au-dessous  de  la  fenêtre,  et  portant  une  inscription 
qui  nous  apprend  que  le  donateur  est.  «  Noble  homme  et  Sage  maître 
Jehan  Letellier,  Seigneur  des  Bricux,  conseiller  du  lioy  en  son  grand 
conseil,  granti  rapporteur  ès-chancelleries  de  France,  maître  des  requêtes 
ordinaires  de  la  reine;  natif  de  la  ville  de  Conches.  » 

A  la  si.xième  fenèti-e,  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  à  table  au  milieu  de 
ses  disciples  dans  un  temple  vert  et  fort  riche,  leur  dévoile  la  trahison  de 
Judas,  que  les  autres  Apôtres  regardent  avec  étonnement,  tandis  qu'il 
cherche  à  cacher  la  bourse  qui  contient  le  prix  de  sa  félonie.  Par  une 
singulière  bizarrerie  le  donateur  s'est  fait  représenter  mort  au-dessous  du 
tableau.  Puis  au-dessous  encore,  il  est  dégagé  de  son  suaire  ;  son  épouse, 
vêtue  de  l'habit  de  religieuse,  prie  à  genoux  à  ses  pieds  :  près  de  lui  est 
son  épitaphe  qui  résume  en  même  temps  la  donation  du  vitrail.  Elle  nous 
apprend  que  c'est  un  sieur  Martel,  sur  qui  un  registre  de  l'abbaye  nous 
dit  :  «  En  1630,  Pierre  Martel  de  Houen  qui  fut  le  dernier  gouverneur  du 
château  de  Conches,  eut  s^in  de  réparer  le  pont  qui  y  conduisait  ;  il  y 
avait  une  chambre  oîi  il  logeait,  quelquefois  ;  il  mourut  en  11372,  et  est 
inhumé  devant  l'autel  de  St-.Michel.  »  Ses  armes  qui  se  trouvent  dans  le 
vitrail  sont  parlantes  :  de  gueules  à  trois  marteaux  d'or. 

A  la  fenêtre  suivante,  le  Christ,  assis  sous  l'arcade  centi'ale  d'une  sorte 
d'arc-de-triomphe,  bénit  de  la  main  droite  un  calice  que  sa  main  gauche 
tient  appuyé  sur  ses  genoux.  A  ses  côtés  sont  deux  anges  en  adoration, 
tandis  qu'au-dessus  de  lui  deux  autres  anges  soutiennent  un  phylactère 
portant  ces  mots  :  Ecce  panis  Angelorum,  factus  abus  lu'atorum.  A  droite 
et  h  gauche,  les  quatre  évangélistes  sont  placés  deux  a  deux,  l'un  au- 
dessus  de  l'autre  dans  des  sortes  de  niches  ;  à  gauche  c'est  S.  Marc,  avec 
S.  Louis,  le  donateur,  et  un  autre  personnage,  et  au-dessus  S.  Jean,  k 


388  l'église  sainte-fot  de  conçues 

droite,  S.  Luc  est  placé  <au-dessus  de  S.  Matthieu,  accompagné  de  la 
Ste  patronne  de  la  dDnatricc  portant  la  palme  du  martyre;  au-dessous,  la 
donatrice  elle-même  avec  sa  fille. 

Les  lobes  représentent  erjcore   les  Israélites  ramassant  les  cailles  et  la 
manne  dans  le  désert  et,  de  plus,  David  demandant  des  vivres  et  des  ar 
mes  au  Grand-Prètre  Achimelech,  qui  lui  offre  du  pain  et  une  épée. 

La  dernière  fenêtre  au  fond  du  collatéral,  au-dessus  de  l'autel  dédié  à 
S.  Michel,  offre  quatre  sujets  différents  :  Ce  sont,  adroite,  le  crucifiement 
de  S.  Pierre  :  A  gauche,  S.  Antoine  dans  le  désert,  et,  au  milieu  S.Michel. 
Le  quatrième  sujet  qui  se  voit  dans  les  lobes  est  le  martyr  de  S.  Sébas- 
tien. Ce  saint  était  particulièrement  honoié  à  (.lonches  et  sa  statue  avait 
été  placée  au-dessus  d'une  des  portes  de  la  ville,  à  la  suite  d'une  peste  dont 
elle  avait  été  délivrée  par  son  intercession. 

Si  nous  passons  au  collatéral  de  gauche,  nous  trouvons,  comme  de 
l'autre  côté,  une  fenêtre  dont  la  verrière  a  été  détruite  :  puis  le  vitrail 
connu  sous  le  nom  de  Vitrail  de  saint  Romain,  bien  que  ce  saint  ne  soit 
pas  le  sujet  principal  du  tableau.  La  Sainte  Vierge  est  au  milieu  tenant 
l'enfant  Jésus  dans  ses  bras.  A  gauche,  S.  Adrien,  en  costume  de  Sei- 
gneur de  l'époque,  a  une  épée  dans  la  main  droite,  et  dans  l'autre,  une 
hache  et  une  enclume,  instruments  de  son  supplice.  A  droite,  S.  Romain, 
archevêque  de  Rouen,  revêtu  du  costume  épiscopal,  porte  une  croix  à  la 
main  droite,  et  tient  en  laisse,  de  la  gauche,  un  monstre,  qui,  de  son 
temps  désolait  le  pays,  et  que  l'on  connaissait  sous  le  nom  de  Gargouille. 
Au  bas  du  tableau,  le  donateur  et  son  épouse  sont  en  prières,  à  genoux 
l'un  vis-à-vis  l'autre.  Si  l'on  en  juge  par  le  lambrequin  et  le  tenant  de 
ses  armoiries,  ce  donateur  devait  être  un  haut  et  puissant  seigneur  :  on 
n'a  pas  sur  lui  d'autres  détails  :  Tous  les  personnages  de  ce  vitrail  occu- 
pent trois  niches  dont  la  décoration  est  très-riche,  et  qui  correspondent 
aux  trois  divisions  de  la  fenêtre.  Les  lobes  sont  occupés  par  Ste  Marie- 
Madeleine,  et  des  anges  adorateurs. 

Le  sujet  de  la  troisième  fenêtre  est  la  Présentation  de  Notre-Seigneur 
au  temple.  Les  artistes  croient  reconnaître,  dans  ce  vitrail,  le  faire  de 
Jean  Cousin.  La  scène  se  passe  dans  un  temple  vaste  et  somptueux.  A 
travers  les  colonnes  on  aperçoit  un  gracieux  paysage  sur  lequel  se  déta- 
chent des  ruines  antiques.  Marie,  debout,  contemple  son  divin  Enfant, 
qu'elle  vient  de  déposer  entre  les  mains  du  Grand-l'iêtre.  Un  jeune  homme 
porte  un(!  torche,  et  une  jeune  fcnane  offre  deux  tourterelles.  Un  person- 
nage qui  semble  être  un  doclcur,  montre  n  tleux  autres  les  prophéties 
concernant  la  veime  du  Messie.  Dans  le  lobe  du  milieu,  Marie  enfant  gra- 
vit les  degrés  du  temple,  au  haut  desquels  le  Grand-Prêtre  lui  tend  les 


l'église  saixte-foy  de  conçues  389 

bras  :  Son  père  et  sa  mère  disparaissent  derrière  deux  colonnes.  A  gauche, 
onvoitrépisode  de  la  femme  adultère,  etàdroite,  des  marchands  d'oiseaux. 
Le  tableau  suivant  représente  le  triomphe  de  la  Ste  Vierge.  Du  Palais 
Virginal,  placé  à  gauche,  sort  un  immense  cortège  qui  passe  au  premier 
plan,  puis  se  contourne  pour  entrer  dans  le  Temple  de  l'Hoaneur,  que  l'on 
voit  au  second  plan,  à  dtoite.  Une  foule  de  personnes,  marchant  en  tête 
du  cortège,  entrent  dans  ce  temple.  Elles  sont  suivies  par  d'autres  person- 
nages, représentant  les  arts  libéraux,  reconnaissables  par  les  attributs  qui 
les  distinguent,  et  les  bannières  qui  portent  leurs  noms,  puis  les  Vertus 
cardinales  et  les  Vertus  théologales,  précédant  immédiatement  le  char  sur 
lequel  est  assise  Marie,  qui  tient  une  palme,  tandis  qu'un  ange  dépose  sur 
sa  tête  une  couronne  dont  sept  étoiles  forment  les  fleurons.  Sous  les  roues 
du  char  se  débat  un  monstre  hideux,  image  de  tous  les  vices.  Derrière, 
marchent  enchaînées  plusieurs  femmes  dont  l'une  tient  par  la  main  l'a- 
mour, dont  le  flambeau  est  tombé  à  ses  pieds.  Au  premier  plan,  à  droite, 
Jessé  à  l'entrée  de  son  palais,  placé  en  face  du  Palais  Virginal,  montre 
Marie  triomphante  aux  rois  ses  descendants.  L'inscription  suivante  accom- 
pagne ce  tableau  : 

La  noble  Vierge  va  triomphant  en  bonheur. 
Du  palais  virginal  jusqu'au  temple  d'honneur. 
Jessé  en  son  palais  à  la  vue  espaadue. 
Pour  voir  les  douze  rois  dont  elle  est  descendue. 
Et  leur  dit  :  Nobles  rois,  voici  de  vous  l'Ancelle. 
Qui  tous  vous  annoblit,  et  non  par  vous  icèle. 

Le  Temple  de  l'Honneur  porte  la  date  de  1353.  Les  versets  1,  3,  4,  15 
du  XII'  chapitre  de  l'Apocalypse  forment  le  sujet  des  lobes.  La  femme 
vient  d'enfanter  un  enfant  que  Dieu  et  les  anges  enlèvent  à  la  fureur  du 
dragon  qui  vomit  de  l'eau  et  de  la  fumée. 

A  la  cinquième  fenêtre  on  voit  l'Annonciation.  Le  vitrail  primitif  a  été 
détruit  dans  l'incendie  des  ateliers  de  MM.  Maréchal  de  Metz.  Celui  que 
l'on  voit  aujourd'hui  est  d'exécution  récente.  Mais  l'artiste  y  a  suivi  scru- 
puleusement jusque  dans  ses  moindres  détails  le  dessin  ancien.  Marie  en 
prières,  devant  un  prie-Dieu  magnifique,  tourne  d'une  main  les  feuillets 
de  son  livre,  et  fait  de  l'autre  un  geste  d'étonnement,  à  la  vue  de  l'Ar- 
change Gabriel  qui  tient  un  sceptre  et  montre  le  ciel.  Au  milieu  du  ta- 
bleau, dans  un  vase  fui  t  riche  est  un  lys.  Dans  le  haut,  Dieu  le  Père  est 
entouré  de  nuages  d'or  d'où  partent  des  rayons  qui descendentsur  Marie. 
Dans  ces  rayons  on  voit  une  hostie  sur  laquelle  sont  représentés  la  co- 
lombe et  l'Enfant  Jésus  portant  sa  croix.  La  scène  se  passe  dans  un  splen- 


390  L  ÉGLISE    SAINTE-FOY    DE    CONCHES 

diC.c  n.tlais,  ouvert  sur  un  riant  paysage  que  rehaussent  des  ruines  gran- 
dioses. Dans  les  lobes  S.  Jean  prêche  dans  le  désert,  puis  la  fille  d'Héro- 
diade  danse  devant  Hérode  et  devant  sa  mère,  et  reçoit  ensuite  dans  un 
plat  la  tête  du  saint  précurseur. 

Le  vitrail  suivant,  un  des  mieux  conservés  de  la  collection  «  repré- 
(c  sente  .sur  un  fond  d'azur,  la  figure  colossale  de  la  Ste  Vierge.  Toutes 
«  les  épithètes  allégoriques  par  lesquelles  cette  sainte  Mère  de  Dieu  est 
<  désignée  dans  la  Sainte-Ecriture  y  sont  peintes  avec  beaucoup  de  soin. 
«  Telle  est  une  ville  avec  cette  inscription  :  «  Civitas  Dei  ;  un  puits  avec 
i(  celle-ci  :  Puteus  aquarum  viventium.  »  etc.  Enfin  on  y  distingue  trois  fi- 
((  gures  d'anges  qui  déploient  en  trois  endroits  différents  un  rouleau  sur 
«  lequel  on  lit  cette  légende  singulière  :  «  Seule  sans  si  dans  sa  concep- 
«  tien  '.  »  Dans  les  lobes,  on  voit  des  anges,  les  uns  en  adoration,  les 
autres  faisant  résonner  des  instruments  de  musique. 

L'avant-dernier  tableau,  qui  représente  la  Nativité  de  Notre-Seigneur, 
a  pour  scène  les  ruines  d'un  temple  antique  servant  d'étable.  L'Enfant- 
Jésus  couché  dans  un  berceau  de  paille  est  entouré  par  Marie,  Joseph,  et 
des  anges  dans  l'attitude  de  l'adoration.  Un  vieillard  aveugle  entre,  con- 
duit par  un  jeune  homme,  et  un  berger  fait  signe  à  ses  compagnons.  A 
droite  et  à  gauche  sont  agenouillés  le  donateur  et  la  donatrice  accompa- 
gnés, le  premier  de  S.  Roch,  et  l'autre  de  S.  Nicolas.  Derrière  la  dona- 
trice, «  on  admire  par-dessus  tout,  dit  Le  Vieil,  un  lointain,  où  un  groupe 
«  de  bergers  dansants  forment  par  leurs  attitudes  naïves  un  point  de  vue 
«  des  plus  gracieux.  »  Derrière  le  donateur  on  voit  deux  personnages 
dont  l'un  porte  une  brebis  sur  ses  épaules.  Est-ce  une  allusion  à  la  para- 
bole du  Bon  Pasteur,  comme  l'a  cru  M.  Lenormant?  Ou  bien  le  peintre 
n'aurait-il  pas  voulu  représenter  un  berger,  qui,  touché  du  dénijment  de 
la  Sainte  Famille,  lui  apporterait  en  présent  une  de  ses  brebis?  Dans  les 
lobes,  S.  Jean-Baptiste  montre  du  doigt  un  agneau  se  dressant  pour  brou- 
ter les  feuilles  d'un  arbre.  On  y  voit  aussi  l'Annonciation  de  la  Ste  Vierge. 

Enfin  le  dernier  vitrail  est  consacré  à  Notre-Dame-de-Bon-Secours.  La 
Sainte  Vierge  est  assise  sous  une  niche  construite  dans  le  style  de  la  Re- 
naissance. Son  visage,  dont  le  type  se  retrouve  dans  l'Ecole  italienne,  est 
admirable  d'expression.  Un  ange  tient  au-dessus  d'elle  une  couronne 
llenrdelisée.  A  ses  pieds,  des  représentants  de  la  hiérarchie  ecclésiastique, 
papes,  cardinaux,  archevêques,  évêques,  implorent  Marie.  Un  côté  du 
tableau  a  pour  horizon  des  chaumières  en  ruines,  et  l'on  voit  s'avancer 
des  peisonnages  en  haillons,  aux  traits  altérés  par  la  souffrance  :  parmi 

*  Le  Vieil,  ouv.  cit. 


LTGLI5E    SAINTE-FOY    DE    CÛNCHËS  391 

eux  il  y  a  des  aveugles,  des  boiteux,  des  malheureux  de  toute  espèce.  Un 
ange  tient  au-dessus  d'eux  cette  prière  :  «  Juva  p7xsiVanime^.  »  Au-des- 
sous, des  femmes  de  lout  âge  et  de  toutes  conditions  adressent  leurs 
prières  à  la  Mère  des  miséricordes.  Elles  ont  pour  pendant,  de  l'autre 
côté,  des  hommes  dans  la  même  attitude  suppliante.  Au-dessus  d'eux,  des 
cavaliers  armés  poursuivant  des  fuyards,  offrent  une  scène  de  guerre  ou  de 
brigandage.  Un  ange  porte  ces  mots  :  Sancla  Maria,  succurre  miseris. 

Les  lobes  offrent  deux  autres  tableaux  de  malheurs  :  un  naufrage  et  un 
incendie.  Les  malheureux  incendiés  fuient  de  tous  côtés  :  l'exprossion  de 
leursfigures  et  de  leurs  gestes  annonce  le  désespoir  :  l'un  d'eux  se  retourne 
pour  jeter  un  dernier  regard  sur  sa  maison  devenue  la  proie  des  flammes. 

VI. 

La  magnifique  collection  des  vitraux  de  Couches  se  pi'ésente  naturelle- 
ment avec  une  division  fondée  sur  le  genre  différent  des  écoles  auxquelles 
ont  appartenu  les  artistes.  Les  verrières  du  cho-ur  sont  de  l'école  alle- 
mande. Celles  des  bas-côtés  sont  l'œuvre  d'artistes  Normands.  Auxquelles 
donner  la  préférence?  Les  opinions  sont  partagées,  et  ces  sentiments  di- 
vers se  partagent  également  les  hommes  recommandables  parleur  science 
archéologique  et  leur  bon  goût. 

L'ensemble  que  présente  la  série  des  tableaux  dus  au  pinceau  d'Alde- 
grevers  se  recommande  par  ses  nombreuses  qualités  :  fécondité  d'inven- 
tion avec  laquelle  sont  traités  les  personnages,  ton  varié  des  couleurs, 
délicatesse  des  détails,  expression  admirable  des  figures,  fidélité  aux 
principes  de  l'art,  ce  sont  là,  il  me  semble,  autant  de  motifs  réels  de  pré- 
férer l'œuvre  de  l'élève  d'Albert  Durer,  quoique  sa  magnificence  soit  un 
peu  éclipsée,  pour  les  yeux  inexpérimentés,  par  son  état  actuel  de  déla- 
brement. Traiter  un  personnage  de  vingt  manières  différentes,  employer 
des  redites  obligées  de  couleurs,  captivant  l'œil  sans  le  fiitiguer,  c'est  là 
certainement  un  caractère  de  supériorité  appartenant  au  peintre  alle- 
mand. Et  puis  chaque  tableau  de  la  légende  de  Sainte  Foy  est  accompa- 
gné de  quatre  vers  dans  le  style  naïf  du  temps,  ce  qui  en  fait  un  manu- 
scrit historié  d'une  valeur  inappréciable. 

Les  auteurs  des  verrières  des  nefs  latérales  ont  évidemment  travaillé  à 
rivaliser  avec  le  maître  allemand  ;  et  s'ils  n'ont  pu  le  surpasser,  il  faut 
avouer  qu'ils  l'ont  sui\i  de  bien  près.  L'étendue  des  fenêtres  sur  lesquelles 
ils  avaient  à  produire  leurs  tableaux  a  merveilleusement  favorisé  leur 
génie  :  ils  ont  pu  produire  leurs  sujets  dans  tout  leur  développement  :  la 
finesse  et  la  perfection  des  lignes,  le  ton  harmonisé  des  couleurs,  et  par- 


392  L'iXiLISE    SAINTE-FOY    DE    CONCHES 

ticulii'^rpment  le  rapport  remarquable  entre  le  sujet  principal  et  les  sujets 
accessoires  qui  en  sont  le  symbole,  font  do  cet  ensemble  une  galerie  d'art 
admirable,  un  merveilleux  traité  ouvert  à  l'œil  du  fidèle  qui  ne  peut  pui- 
ser ailleurs  la  science  de  la  Religion. 

Mais  ce  qu'on  ne  saurait  rendre,  c'est  le  sentiment  de  profonde  véné- 
ration que  l'on  éprouve  en  présence  d'une  telle  œuvre,  pour  les  hommes 
qui  l'ont  conçue  et  exécutée.  C'est  immense  comme  un  dénombrement  de 
la  Bible  ou  d'Homère,  et  pourtant  le  nom  d'aucun  de  ces  rapsodes  n'est 
parvenu  jusqu'à  nous.  Ces  humbles  ouvriers,  qui  ont  presque  égalé  leurs 
devanciers,  nous  ont  laissé  des  chefs-d'œuvre,  sans  se  douter  qu'ils  aient 
fait  autre  chose  que  de  gagner  leur  pain  quotidien. 

L'exécution  s'eflace;devant  le  choix  des  sujets.  La  Cène,  le  Pressoir,  le 
Triomphe  et  l'Otfice  de  la  Sainte  Vierge,  et  l'admirable  tableau  de  Notre- 
Dame  de  Bon-Secours  offraient  des  difficultés  d'exécution  heureusement 
surmontées.  Dans  le  Triomphe  de  la  Sainte  Vierge,  l'artiste  a  su,  tout  en 
réunissant  un  grand  nombre  de  personnages,  éviter  la  confusion.  Que 
dire  du  tableau  de  Noire-Dame  de  Bon-Secours,  paraphrase  de  l'invoca- 
tion :  Sancta  Maria^  succurre  miserïs,  et  de  l'allégorie  du  Pressoir?  La 
conception  est  admirable  et  l'exécution  ne  lui  est  guère  inférieure.  Enfin 
le  coloris  et  la  disposition  des  personnages  ne  peuvent  être  plus  heureux 
que  dans  la  Cène,  la  Manne,  la  Nativité  de  Jésus-Christ. 

En  un  mot,  je  crois  avec  M.  Ch.  Lenormant,  qu'on  trouverait  difficile- 
ment une  réunion  d'œuvres  aussi  admirables.  C'est  la  Renaissance  éta- 
lant sur  le  verre  tout  ce  que  la  peinture  a  de  plus  beau  et  ce  dont  elle  se 
glorifie  à  plus  juste  titre. 

Lors  de  la  construction  de  la  chapelle  de  Dreux,  la  famille  d'Orléans, 
désirant  ne  rien  épargner,  pour  faire  de  ce  monument  un  bijou,  eut  l'idée 
d'acheter  les  vitraux  de  Couches  pour  en  orner  le  tombeau  qu'elle  se  pré- 
parait. Malgié  la  somme  considérable  qu'elle  offrit,  et  qui  eût  pu  séduire, 
car  elle  aurait  suffi  pour  l'achèvement  de  l'église  de  Conciles,  le  digne 
curé  de  Sainte-Foy  ferma  l'oreille  aux  séductions.  Les  instances  réitérées 
le  trouvèrent  aussi  insensible  :  il  résista  jusqu'au  bout,  préférant  voir  son 
éghse  inachevée  que  privée  de  .son  plus  précieux  ornement.  Aussi  le  pro- 
jet fût-il  abandonné  et  notre  siècle  eut  l'occasion  d'illustrer  la  chapelle  de 
Dreux  d'un  chef-d'œuvre  de  son  genre.  Le  digne  pasteur  à  qui  on  doit  la 
conservation  de  ces  inimitables  vitraux  est  mort,  mais  son  souvenir  vit 
encore,  et  vivra  toujours  dans  la  petite  ville  de  Conches  dont  il  prit  si 
bien  les  intérêts. 

L'abbé  A.  Bouillet. 


LES  TABLEAUX 


DE 


L'ÉGLISE  SAINT-LOUIS.  DE  VERSAILLES 


Au  moment  où,  avec  une  louable  sollicitude,  l'Administration  des 
Beaux-Arts  s'occupe  de  provoquer  et  de  faire  des  inventaires  détaillés  des 
œuvres  de  peinture  et  de  sculpture  dont  les  musées  et  surtout  les  églises 
de  province  possèdent  des  spécimens  encore  nombreux,  souvent  remar- 
quables, échappés  aux  vicissitudes  du  temps  et  des  révolutions,  il'nous  a 
semblé  intéressant  de  publier,  en  les  revoyant,  des  notes  prises  par  nous, 
dès  1852,  sur  les  tableaux  des  peintres  français,  du  XVII''  et  du  XVIIP 
siècle  que  renferme  l'église  Saint-Louis  de  Versailles. 

EniSo2,  c'est-à-dire  il  y  a  plus  de  vingt  ans,  on  recherchait,  en  France, 
avec  une  ardeur  active  toutes  les  œuvres,  même  les  plus  médiocres  ouïes 
plus  contestées  des  peintres  célèbres  de  l'Italie,  de  l'Espagne  et  de  l'Alle- 
magne, et  l'on  croyait  faire  preuve  de  goût  et  de  connaissance  artistique 
en  méprisant  les  toiles  des  anciens  maîtres  de  l'école  française,  si  riche, 
si  variée  et  si  estimée  cependant  par  toute  l'Europe;  les  choses  —  Dieu 
merci!  —  ont  bien  changé  depuis. 

C'est  surtout  dans  les  églises  que  se  sont  conservées  avec  plus  ou  moins 
de  bonheur  les  œuvres  des  Lebrun,  des  Losueur,  des  Jouvenet,  des 
Restout  et  de  tant  d'autres.  Les  édifices  religieux  sont  —  en  certaines 
villes,  — de  véritables  musées  oii  les  richesses  artistiques  des  couvents 
supprimés  en  1790,  sont  venues  s'abriter  en  assez  grand  nombre. 

L'église  cathédrale  de  Versailles,  édifice  du  siècle  dernier,  la  paroisse 
Saint-Louis,  est  riche  en  tableaux  de  peintres  français  des  deux  derniers 
siècles;  il  suffit  de  citer  les  noms  de  Jouvenet  et  de  Restout,  de  Leinoyna 
et  de  Boucher,  pi.ur  attirer  sur  les  toiles,  dont  elle  est  ornée,  l'attention 
et  le  curieux  intérêt  des  hommes  de  goût. 

Il<-'  série,  tome  IL  28 


39-4  TABLEAIX    DK    I.  r.Cl.lSl-;    SAlNT-LOlls 

I. 

JÉSUS   RESSUSCITANT   LE    FILS    DE    LA    VEUVE    DR    KAÏM. 
Tableau  île  Jean  Jonvenet. 

Nous  trouvons  le  sujet  de  cette  grande  et  belle  toile  au  chapitre  VII  de 
l'Evangile  selon  saint  Luc. 

€  Jésus  allait  en  une  ville  appelée  Naïm;  et  ses  disciples  l'accompa- 
«  gnaient  avec  une  grande  foule  de  peuple. 

«  Et  lorsqu'il  était  près  de  la  porte  de  la  ville,  il  arriva  qu'on  portait 
«  en  terre  un  mort,  qui  était  le  fils  unique  de  sa  mère,  et  cette  femme 
«  était  veuve;  et  il  y  avait  une  grande  quantité  de  personnes  de  la  ville 
«  avec  elle. 

f  Le  Seigneur  l'ayant  vue,  fut  touché  de  compassion  envers  elle,  et  il 
«  lui  dit  :  —  Ne  pleurez  point. 

«  Et  s'approchant  il  toucha  le  brancard.  Ceux  qui  le  portaient  s'arrê- 
«  tèrent.  Alors  il  dit  :  --  Jeune  homme,  levez-vous,  je  vous  le  commande, 

«  En  même  temps  le  mort  se  leva  sur  son  séant  et  commença  à  mar- 
€  cher  :  et  Jésus  le  rendit  à  sa  mère. 

«  Tous  ceux  qui  étaient  présents  furent  saisis  de  frayeur,  et  ils  glori- 
«  fiaient  Dieu,  en  disant  :  —  Un  grand  prophète  a  paru  au  milieu  de 
«  nous,  et  Dieu  a  visité  son  peuple.  » 

Voyons  maintenant  comment  Jouvenet  a  traité  ce  que  j'appellerais  la 
mise  en  scène  de  ce  simple  et  touchant  récit. 

Le  fond  du  tableau  est  fermé  par  la  porte  du  bourg  ou  de  la  petite  ville 
de  Naïm;  à  droite  du  spectateur  se  prolongent  des  bâtiments  flanqués  de 
tours  crénelées,  d'un  effet  pittoresque.  Quatre  marches  à  descendre  con- 
duisent au  cimetière;  sur  le  haut  des  degrés,  le  Christ  debout,  montrant 
du  doigt  le  ciel  et  d'une  main  touchant  le  brancard,  arrête  le  convoi  fu- 
nèbre et  prononce  en  même  temps  ces  consolantes  paroles  :  —  «  Ne  pleu- 
rez point.  B 

Le  Fils  de  Dieu  est  vêtu  d'une  longue  robe  rouge  et  drapé  dans  un 
manteau  d'étoffe  bleue;  sa  tête,  belle  et  simple,  vue  de  profil,  a  le  type 
nazaréen;  de  longs  cheveux  et  une  barbe  d'un  blond  doré  l'encadrent 
avec  douceur  et  force  à  la  fois.  Au  bas  des  degrés,  la  mère  suppliante 
et  pleine  d'espoir,  est  debout  et  lève  ses  yeux  et  ses  bras  vers  le  Sauveur. 
Son  costume  est  riche,  et  son  voile  blanc  se  confond  presque  avec  la  cou- 
leur mate  de  son  visage  fatigué  par  les  larmes. 

Sa  prière,  aussitôt  entendue,  est  exaucée;  déjà  le  mort  a  rejeté  la  par- 


1J£    VERSAILLES  395 

tie  du  suaire  qui  lui  couvrait  la  poitrine;  sa  tête  allanguie  se  tourne  vers 
le  Christ,  et  ses  deux  bras  s'élèvent  pour  remercier  Celui  qui  le  rend  à  la 
vie. 

Les  porteurs  se  sont  arrêtés;  ceux  de  devant,  drapés  dans  une  étoffe 
de  couleur  sombre,  rappellent  par  l'expression  de  leurs  traits  quelques- 
uns  des  Récollets,  pour  l'église  desquels  Jouvenet  peignit  ce  tableau. 

Un  d'eux  détourne  la  tête  du  côté  de  Jésus,  avec  une  surprise  mêlée 
d'un  peu  d'effroi;  l'autre  écarte  de  la  main  une  jeune  enfant  de  douze  à 
treize  ans  qui  peint  son  étonnemeut  et  son  admiration  par  un  geste  ex- 
pressif. Vu  du  dos,  ce  personnage  est  bien  posé  et  respire  la  vie  qu'on  y 
devine,  sans  le  voir. 

Au  premier  plan,  un  fossoyeur  s'appuie  sur  sa  pelle  et  regarde  ce  qui 
se  passe  avec  un  air  d'impassibilité  qui  semble  exprimer  que  le  spectacle 
de  la  mort  est  peu  fait  pour  l'étonner.  Un  de  ses  compagnons,  vieillard 
nerveux  et  fortement  bâti,  le  corps  à  demi  nu,  est  descendu  dans  une 
fosse  qu'il  achève  de  creuser  et  au  bord  de  laquelle  on  voit  un  crâne  et 
des  ossements.  Un  pic  et  une  draperie  rouge  complètent  les  accessoires. 

Derrière  Jésus  viennent  ses  disciples,  calmes  et  attentifs;  près  d'eux, 
les  Pharisiens  regardent  avec  ce  parti  pris  qui  faisait  dire  à  un  sophiste 
du  siècle  passé  :  «  Je  verrais  ressusciter  un  mort,  que  je  ne  croirais  pas 
pour  cela.  » 

Au  fond,  le  peuple  accourt  ;  à  une  galerie  un  peu  plus  éloignée,  d'au- 
tres spectateurs  se  pressent  avec  curiosité,  et,  sur  le  côté  droit,  des  hommes 
de  tout  âge  expriment  de  diverses  manières  les  sentiments  qu'excite  en 
eux  la  vue  de  ce  prodige. 

Cette  toile  que  nous  avons  analysée  aussi  exactement  que  possible,  est 
peut-être  une  des  plus  belles  que  Jouvenet  ait  peintes. 

Comme  Lesueur,  il  ne  vit  jamais  l'Italie  et  ne  dut  son  talent  et  ses  succès 
qu'à  son  génie  naturel  fécondé  par  l'étude  et  l'observation  constante  de 
la  nature  ainsi  que  par  la  méditation  assidue  des  sujets  qu'il  se  proposait 
de  traiter. 

Son  dessin  est  correct  et  savant  ;  une  pratique  profonde  se  remarque 
dans  tout  ce  qu'il  a  fait,  avec  une  grande  intelligence  de  la  couleur  locale, 
un  beau  choix  d'attitudes,  des  draperies  bien  jetées  et  du  meilleur  goût. 

Sans  avoir  parfaitement  possédé  la  couleur,  Jouvenet  a  donné  beaucoup 
d'effet  à  ses  tableaux,  par  l'intelligence  du  clair  obscur  qu'il  a  su  y  répan- 
dre avec  une  rare  habileté. 

Ce  qu'il  y  a  surtout  de  remarquable  dans  sa  Résurrection  du  fils  de  la 
veure  de  Nn'im,  ce  sont  les  trois  ligures  principales  :  Jésus,  la  mère  et  le 
fils. 


3U(i  TABLKAIX    ])E    LELiLlSi:    SAINT-LOUIS 

Le  seul  reproche  que  Ton  puisse  faire  ù  la  figure  de  la  mère^  c'est  d'a- 
voir un  profil  un  peu  anguleux  ;  mais  qu'elle  expression  de  douleur  et 
d'espérance  ses  traits  reflètent  î  Les  bras,  couverts  d'une  gaze  mal  ren- 
due, semblent  trop  gros. 

Le  torse  du  jfils  est  d'un  beau  modelé  et  s'éclaire  heureusement.de  la 
lumière  Iqui  entoure  la  tête  du  Christ  \ 

Peu  de  peintres  ont  autant  produit  et  aussi  bien  que  Jouvenet.  Fils 
d'un  artiste  et  neveu  d'un  homme  de  talent,  il  naquit  à  Rouen  le  21 
août  1647.  A  vingt-neuf  ans,  il  fit  un  chet-d'œuvre,  la  cjuérison  du  para- 
lytique, que  l'on  voyait  naguère  à  Notre-Dame  de  Paris  et  qui  est  aujour- 
d'hui au  musée  du  Louvre  avec  d'autres  tableaux  provenant  de  la  même 
cathédrale.  Le  célèbre  Lebrun  l'admira  et  le  protégea  chaudement  ;  le 
sujet  que  Jouvenet  choisit  pour  son  entrée  à  l'Académie  royale  de  peinture 
rappela  avec  bonheur  la  manière  du  Poussin,  dont  son  a'ïeul  avait  été  le 
premier  maître. 

En  1713,  étant  tombé  paralytique  du  côté  droit,  il  se  crut  hors  d'état 
de  manier  désormais  ses  chers  pinceaux.  Un  jour  qu'il  regardait  peindre 
son  neveu  Restout,  l'un  de  ses  meilleurs  élèves,  il  voulut  lui  faire  corriger 
quelque  endroit  de  son  tableau,  et  ne  pouvant  s'exphquer  il  prit  le  pinceau 
de  la  main  paralysée  pour  retoucher  une  tête,  qu'il  gâta.  Sa  vivacité  ne 
put  supporter  ce  triste  effet  de  sa  maladie  ;  il  essaya  de  réparer  de  la 
main  gauche  l'accident  causé  par  la  droite,  et  à  son  grand  étonnement 
comme  à  son  grand  bonheur  cette  main  exécuta  fidèlement  sa  pensée. 

Il  peignit  avec  succès,  de  la  main  gauche,  quelques  tableaux,  entre 
autres  le  Magnificat  qu'on  admirait  naguère  dans  le  chœur  de  Notre-Dame 
de  Paris  (aujourd'hui  au  Louvre),  et  s'y  représenta,  avec  cette  inscription 
au  bas  de  son  portrait  :  J.  Jouvenet,  dextrâ paralyticus,  sinistrâ  fecit,  1716. 
(Jean  Jouvenet,  devenu  paralytique  de  la  main  droite,  a  peint  de  la  main 
gauche  cette  toile.) 

Jouvenet  mourut  peu  après,  le  5  avril  1717,  laissant  deux  élèves, 
François  Jouvenet  et  Restout,  ses  neveux. 

L'église  Saint-Louis  de  Versailles  possède,  dans  son  cadre  primitif 
(dans  la  croisée,  à  droite),  un  grand  tableau  de  Restout,  représentant  la 
Nativité  de  Jésus-Christ,  dont  nous  allons  parler. 

Il  est  curieux  et  intéressant  d'avoir  sous  les  yeux  Tœuvre  du  maître  et 
celle  de  l'élève. 

*  Ce  tableau,  après  avoir  longtemps  orné  la  croisée  (à  gauche)  de  l'église  Saint- 
Louis,  se  voit  aujourd'hui  au  fond  de  la  grande  sacristie  ;  de  la  porte,  l'effet  de  la 
perspective  générale  est  vraiment  saisissant. 


VKtiSAILLES  397 


il. 


LA    NATIVITÉ    DE   JÉSUS-CHRIST. 

Tableau  de  Jean  Restout. 

Cette  toile  est  assez  sombre,  sauf  au  milieu,  d'oi^i  se  dégage  une  vive 
lumière  qui,  partie  de  la  tète  de  l'enfant  Jésus  éclaire  le  centre  de  la  com- 
position ;  c'est  ce  qu'en  terme  d'atelier  on  appelle  un  effet  de  lanterne 
magique,  que  Restout  emprunta  à  Carie  Maratte  et  dont  Boucher,  en 
même  circonstance,  fit  usage  avec  plusd'cclatencoreet —  pour  ainsi  dire, 
—  de  sonorité  dans  le  coloris  de  son  œuvre  traitée  à  la  flamande,  comme 
celle  de  Restout  dont  il  s'agit  ici. 

Le  Sauveur  est  couché  dans  la  crèche  ;  d'un  côté,  S.  Joseph,  à  genoux, 
l'adore  ;  de  l'autre,  la  Vierge,  assise,  découvre  l'enfant  Dieu  aux  regards 
des  bergers  empressés. 

A  droite,  sur  le  premier  plan,  on  voit  un  groupe  de  jeunes  filles,  toutes 
trois  diversement  impressionnées  :  l'une  tient  un  panier  plein  d'œufs, 
qu'elle  apporte  à  Jésus;  sa  compagne,  éblouie  par  la  splendeur  céleste, 
détourne  un  peu  la  tête,  tandis  que  la  dernière  enfant  marque  son  admi- 
ration par  un  geste  naïf. 

Derrière  les  jeunes  filles,  un  berger  fait  résonner  sa  cornemuse  et 
s'arrête  pour  juger  de  l'effet  produit  par  sa  mélodie  rustique.  Dans  une 
partie  plus  retirée,  un  autre  berger  se  prosterne  profondément  et  semble 
absorbé  par  un  sentiment  d'ineffable  admiration.  Un  troisième  berger  est 
debout,  près  de  son  confrère,  le  musicien. 

A  gauche,  dans  un  coin,  un  berger  vu  de  trois  quarts,  debout,  tient 
d'une  main  sa  houlette,  et,  de  l'autre,  peint  sa  surprise  et  son  étonne- 
raent. 

Au-dessus  de  la  crèche  se  groupenttrois  têtes  d'anges,  ailées.  Plus  haut 
encore,  un  ange  aux  ailes  déployées  fend  la  nue  et  développe  au  dessus 
de  son  front  une  bandelette  qui  porto  en  écrit  le  premier  mot  du  cantique 
qui  retentit  à  la  naissance  du  Fils  de  Dieu  :  Gloria  ! 

Par  terre,  sur  le  devant  du  tableau,  un  panier  et  une  huulefte.  Cette 
toile  est  signée  Restout  et  porte  la  date  de  î761. 

Jean  Restout,  neveu  et  élève  de  Jean  Jouvenet,  naquit  à  lîoueij  en 
1692  d'un  père  et  d'une  mère  qui  cultivaient  avec  succès  l'art  de  la  pein- 
ture. 

Restout  u  quel(|ues-unes  des  qualités  de  son  maître,  surtout  l'ampleur 
du  style,  mais  il  outre  ses  défauts  par  hop  de  négligence   dans  le  dessin 


398  TARLE.MX  ni:  léglise  saint-louis 

et  la  couleur,  comme  on  peut  s'en  convaincre  en  étudiant  le  tableau  que 
nous  venons  d'analyser  et  qui  a  été  réparé  il  y  a  quelqutîs  années  avec 
beaucoup  d'intelligence. 

Ce  qu'il  y  a  de  vraiment  remarquable  dans  la  Nativité  de  Jésus-Christ 
de  Restout,  c'est  le  divin  Enfant  et  la  Vierge  qui  est  fort  gracieuse,  bien 
que  son  visage  soit  un  peu  fade. 

La  grâce  des  jeunes  filles  pèche  par  l'exagération  du  sentiment  rus- 
tique; il  y  a  pourtant  de  la  naïveté  dans  ces  regards  d'enfants  qui,  sous 
l'empire  d'une  vive  émotion,  cherchent  à  prouver,  selon  leur  âge,  à  Celui 
qui  vient  de  naître  leur  reconnaissance  et  leur  amour. 

La  naïveté  est  surtout  la  grande  qualité  de  llestout;  il  n'a  qu'un  tort, 
c'est  de  l'outrer  parfois. 

Étudiée  au  point  de  vue  historique  et  critique,  la  scène  de  la  Nativité^ 
si  souvent  reproduite  par  les  peintres  de  tous  les  pays,  peut  fournir  quel- 
ques détails  intéressants. 

Restout,  en  laissant  dans  une  profonde  obscurité  toute  la  partie  de  son 
tableau,  que,  sans  cette  habile  précaution,  il  eut  dû  remplir  d'architecture 
pour  se  conformer  à  la  tradition  artistique,  a  su  tourner  avantageusement 
une  difficulté  assez  grande  qui  n'est  pas  encore  résolue,  à  l'heure  qu'il  est. 
€  Dans  le  doute,  abstiens-toi,  »  a  dit  la  sagesse  des  nations  :  Restout  a 
suivi  ce  conseil  et  s'en  est  bien  trouvé. 

Nicolas  Denisot,  peintre  et  poète  français,  qui  vivait  dans  le  XVP  siècle, 
nous  a  laissé  dans  ses  Cantiques  spiritia-is,  une  description  assez  singulière 
du  lieu  où  le  tils  de  Dieu  vint  au  monde  et  reçut  les  adorations  des  bergers 
d'abord,  puis  des  rois  mages.  Comme  cette  description  —  de  haute  fan- 
taisie —  a  beaucoup  de  ressemblance  avec  ce  que  grand  nombre  de 
peintres  ont  supposé  sur  cet  article,  il  n'est  pas  inutile  d'en  citer  les  prin- 
cipaux traits  : 

Quatre  fourches  eu  carré. 
L'une  sur  l'autre  penchantes, 
Sous  un  plancher  bigarré, 
De  tous  côtés  chancelantes, 
Étaient  les  quatre  piliers 
De  ce  tant  heureux  repaire. 
Où  les  anges  à  milliers 
Ont  vu  la  Yierge  être  mère . 
Sur  ces  fourches  tout  en  long 
Quatre  perches  à  l'antique 
Desceignaient  le  double  front 
D'un  double  et  double  purti((ue. 


m:  vF.usMf.i.Rs  399 

Tout  lo  plancher  de  roseaux 
Et  de  paille  ramassée, 
De  torchies  et  de  tuileaux, 
D'herbe  sèche  entrelacée, 
Était  tout  entièrement 
Lambrissé  en  telle  sorte 
Qu'on  eut  dit  facilement 
Le  tout  n'être  qu'une  porte. 
Les  poutres  et  soliveaux 
Étaient  petites  perchettes, 
Plus  pour  nicher  les  oiseaux 
Que  pour  servir  de  logettes. 
L'entour  était  façonné 
D'une  claie  mi-rompue, 
Où  le  vent  avait  donné 
Tant  qu'il  l'avait  corrompue. 
Sur  le  dessus  mi-passait 
L'herbe  penchant  de  froidure 
Qui  ses  cheveux  hérissait 
Teints  encore  de  verdure. 
Quatre  gaules  en  travers. 
Déjà  sèches  de  vieillesse, 
Ouvertes  de  mille  vers. 
Bout  sur  bout  faisaient  l'adresse. 

V'oilà  le  beau  corps  d'hôtel 

Et  la  maison  somptueuse 

Oîi  le  grand  Dieu  immortel 

Est  né  de  la  Vierge  heureuse,  etc. 

Ce  beau  corps  d'Iiûtel  ou  plutôt  cette  misérable  cabane  a  tant  plu  aux 
peintres,  que  presque  tous  se  sont  empressés  d'en  faire  usage. 

Quelques  artistes,  voulant  sans  cloute  donnei'  plus  de  noblesse  à  leur 
composition,  laissèrent  de  côté  la  cabane  décrite  par  le  bon  Denisot,  ou 
plutôtils  la  transformèrent  en  un  temple  ou  palais  dont  les  débris  annoncent 
la  magnificence  et  la  grandeur.  Des  colonnes  renversées,  des  voûtes 
chancelantes  à  demi-rompues,  de  l'herbe  et  de  la  mousse  qui  poussent  à 
travers  les  frises  et  les  corniches  sont  tous  objets  favorables  au  pinceau; 
ils  n'ont  pas  oublié  d'en  faire  usage. 

D'autres,  persuadés  rue  le  contraste  serait  plus  frappant  s'ils  unissaient 
et  les  ruines  dont  nous  venons  de  parler  et  la  cabane  de  Denisot,  prirent, 
en  conséquence,  moitié  de  l'un  moitié  de  l'autre;  et  de  ces  deux  moitiés 


iOO  TABLi:.\tx  i)i:  l"f.i;lisI':  sAiNT-Lons 

ils  compusèrent  uii  bâtiment  d'une  con<ti'uction  nouvelle,  dans  lequel  ils 

firent  naître  le  Messie. 

Mais  est-il  bien  vrai  que  Jésus  soit  né  dans  l'un  des  trois  endroits  ima- 
ginés par  les  peintres  ? 

Ici  les  dénégations  se  pressent  en  foule  :  une  seule  est  concluante,  et 
nous  nous  y  tenons. 

Depuis'S.  Jérôme,  qui  passa  la  plus  grande  partie  de  sa  vie  à  Bethléem 
jusqu'à  Chateaubriand  qui  visita  le  lieu  de  la  naissance  du  Christ,  en  pèle- 
rin, en  poète  et  en  historien,  les  plus  graves  auteurs  ont  toujours  cru  et 
écrit  que  Jésus  était  né  dans  une  grotte  et  non  dans  une  cabane,  encore 
moins  dans  un  palais  tombant  en  ruines.  Cette  grotte  existe  encore;  elle 
a,  dans  tous  les  temps,  attiré  la  piété  des  fidèles. 

Chateaubriand  la  décrit  en  ces  termes  :  «  Cette  sainte  grotte  est  irré- 
gulière, parce  qu'elle  occupe  l'emplacement  irréguher  de  l'étable  et  de  la 
crèche.  Elle  a  trente  sept  pieds  et  demi  de  long,  onze  pieds  trois  pouces 
de  large  et  neuf  pieds  de  haut.  Elle  est  taillée  dans  le  roc...  Tout  au  fond 
de  la  i^rûtte,  du  côté  de  l'Orient,  est  la  place  où  la  Vierge  enfanta  le 
Rédempteur  des  hommes.  Cette  place  est  marquée  par  un  marbre  blanc 
incrusté  de  jaspe  et  entouré  d'un  cercle  d'argent  radié  en  forme  de  soleil. 
On  lit  ces  mots  à  l'entour  : 

Hic  de  Virgine  Maria  Jésus  Clirklus  ?iatA(s  est  '.  «  Ici  est  né  de  la  Vierge 
Marie  Jésus-Christ.  » 

Ces  détails  sont  confor-njes  avec  ce  qu'on  tiouve  dans  les  relations  pré- 
cédentes de  la  Terre-Sainte,  par  rapport  à  la  grotte  de  Bethléem. 

Ilestout,  en  masquant  de  nuages  le  fond  de  son  tableau,  a  donc  évité 
l'erreur  de  ses  devanciers. 

Au  lieu  de  donner  à  Marie  un  ca'-actère  humble  et  respectueux,  il  a  — 
conformément  à  ce  que  disent  Isa'ïo  et  S.  Thomas,  -  exprimé  sur  son 
visage  la  joie,  l'admiration,  le  contentement. 

11  a  eu  aussi  le  bon  esprit  dr  ne  pas  représenter  le  bœuf  et  l'àne,  que 
l'on  fait  toujours  intervenir  dans  les  tableaux  de  la  Nativité,  moins  en 
vertu  d'une  tradition  historique  que  comme  la  représentation  de  la  pro- 
phétie d'Habacuc  et  d'Isa'ïe.  Le  Seigneur  a  paru  au  milieu  de  deux  ani- 
maux, dit  le  premier.  Le  bœuf  a  reconnu  son  maître  et  l'écurie  de  celui  qui 
le  nourrit,  dit  le  second. 

Dom  Calmet  assure  que  les  saints  Pères,  du  suffrage  desquels  on 
voudrait  se  prévaloir  pour   faire    adorer  l'enfant   Jésus  par  le  bœuf  et 


'  Ititicrairc  de  Paris  à  Jér}isule>v ,  fdil.  df^  |S1 1 .  i.  H,  [..  10.^  et  15b. 


DE    VKliSAlLLES  'lOl 

l'âne,  doivent  sentendre  en  un  sens  allégorique  des  Juifs  convertis  et  des 
Gentils  qui  ont  reconnu  le  Christ. 

La  réserve  de  Restout  sur  les  points  que  nous  venons  de  signaler  est 
déjà  très-louable  de  la  part  de  cet  artiste  et  suffit  seule  h  racheter  bien  des 
défauts. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  serait  à  désirer  que  nos  peintres  modernes  missent 
autant  de  sentiment  de  la  religion  et  des  convenances  dans  des  compo- 
sitions faites  pour  les  églises  que  Restout  en  a  toujours  montré  dans  ses 
tableaux  religieux. 

111. 

SAINT  LOUIS  HONORANT  LA  CROIX  ET  LA  COURONNE  d'ÉPINES. 
Tableau  de  François  I.emoyne. 

S.  Louis  est  à  genoux  sur  les  marches  d'un  autel  et  paraît  plongé  dans 
une  extase  profonde  causée  par  la  vue  de  la  vive  lumière  qui  émane  de  la 
croix  et  de  la  couronne  d'épines  de  Jésus-Christ,  qu'il  vient  de  déposer 
dans  la  sainte  chapelle  de  Paris. 

S.  Louis  est  en  grand  costume  royal,  comme  on  représente  Louis  XIV 
ou  Louis  XV,  l'épée  au  côté,  le  manteau  de  velours  bleu  fieurdelysé  sur 
les  épaules,  en  culotte  de  satin  blanc  et  en  bas  de  la  même  couleur.  11 
s'agenouille  sur  un  coussin  pareillement  semé  de  fleurs  de  lys. 

Au-dessus  de  sa  tète,  des  anges,  dans  diverses  attitudes,  sont  agenouillés 
et  expriment  le  triple  sentiment  de  l'adoration,  de  la  surprise  et  de  l'ad- 
miration en  présence  de  la  couronne  d'épines  dont  un  Dieu  fait  homme 
a  voulu  ceindre  son  front  et  de  la  croix  où  il  expira  si  douloureusement. 

Des  nuages  garnissent  le  fond  de  cette  toile  et  laissent  seulement  voir 
les  bases  des  colonnes  de  style  grec  qui  supportent  la  vjûte  de  la  chapelle. 
Sur  une  des  marches  de  Tautel,  on  lit  le  nom  de  F.  Lemoyne  et,  à  côté, 
la  date  de  1727, 

Ce  tableau  fut  peint  exprès  pour  l'autel  qu'il  décore  et  fut  donné  par 
Louis  XV  à  l'église  Saint-Louis  de  Versailles. 

Pendant  la  Révolution,  on  imagina  de  badigeonner  le  manteau  et  le 
coussin  fleurdelysés,  pour  sauver  cette  toile  du  vandalisme. 

On  remarque  dans  cette  peinture  qui  —  hâtons-nous  de  le  dire,  —  n'est 
pas  une  des  meilleures  de  Lemoyne,  toutes  les  qualités  et  aussi  tous  les 
défauts  de  ce  maître.  Le  coloris  est  frais  et  suave,  mais  l'agencement  n'est 
pas  heureux,  les  attaches  manquent  de  finesse,  surtout  dans  un  des  anges 
qui  est  agenouillé;  les  formes  sont  maniérées.  Mais,  encore  une  fois. 


402  TABLEAUX    DE    i/eGLISE   SAINT-LOUIS 

ce  n'est  pas  d'après  eette  toile,  fort  estimable  en  somme,  qu'il  faut  juger 
Lemoyne. 

Pour  apprécier  le  génie  de  ce  maître,  allez  au  château  de  Versailles, 
entrez  dans  le  salon  d'Hercule,  levez  les  yeux  et  admirez  la  composition, 
l'ordre,  la  couleur  brillante  de  ce  plafond  mythologique,  — la  composi- 
tion pittoresque  la  plus  vaste  peut-être  que  l'Europe  possède.  Cette  page 
de  peinture  a  soixante-quatre  pieds  de  longueur  sur  cinquante-quatre  de 
largeur  ;  on  y  compte  cent  quarante-deux  figures.  Lemoyne  y  travailla 
quatre  ans. 

Né  à  Paris  en  J688,  de  parents  fort  pauvres,  cet  artiste  se  forma  presque 
seul  en  étudiant  le  Guide,  Carie  Naratte  et  Pierre  de  Cortone.  Ses  pro- 
grès furent  rapides  ;  en  1718,  il  vit  s'ouvrir  devant  lui  les  portes  de  l'Aca- 
démie royale  de  peinture. 

Arrivé  au  premier  rang,  tout  semblait  lui  sourire  dans  l'avenir  et  devoir 
assurer  son  bonheur  matériel  et  sa  fortune  ;  mais  des  chagrins  de  famille, 
la  perte  cruelle  d'une  épouse  adorée,  la  jalousie  de  ses  confrères  et  surtout 
une  humeur  noire  dont  rien  ne  pouvait  le  distraire  amenèrent  cet  artiste 
à  une  fin  prématurée  et  terrible. 

Dans  les  six  derniers  mois  de  sa  vie,  il  fut  attaqué  d'une  fièvre  chaude 
qui  lui  laissait  peu  de  bons  intervalles  ;  tout  lui  était  suspect  ;  il  croyait 
sans  cesse  être  poursuivi  par  la  justice.  Entendant  un  jour  frapper  à  sa 
porte  un  ami  qui  était  convenu  avec  lui  de  le  venir  prendre  pour  le  mener 
passer  quelques  jours  à  la  campagne,  il  crut  qu'on  venait  l'arrêter.  Rem- 
pli de  cette  pensée,  son  humeur  noire  se  changea  tout  à  coup  en  frénésie  : 
il  prit  son  épée  et  s'en  perça. 

II  avait  quarante-neuf  ans  (1737). 

L'examen  du  tableau  de  S.  Louis,  au  point  de  vue  purement  historique 
et  du  costume,  atteste  chez  Lemoyne  comme  chez  tous  les  anciens  pein- 
tres une  complète  ignorance  ou  plutôt  un  grand  dédain  de  la  fidélité 
dans  le  costume  et  dans  la  reproduction  de  l'architecture  du  Moyen-Age. 

Jusqu'à  ce  jour,  on  n'avait  pas  eu  de  véritable  portrait  de  S.  Louis,  et 
les  artistes  modernes  se  bornaient  à  copier  servilement  une  statue  prove- 
nant de  l'abbaye  de  St-Denys,  qu'à  la  suite  du  déménagement  du  musée 
des  Petils-Augustins,  on  baptisa  du  nom  de  St-Louis,  tandis  qu'il  est  par- 
faitement prouvé  aujourd'hui  que  c'est  l'effigie  de  Charles  V,  dit  le  Sage. 

«  "Voici  plus  do  vingt  ans,  —  écrivait  M.  de  Giiilhermy,  en  1848  *,  — 
(|ue  la  tête  de  celle  statue  sert  de  type  à  tous  les  artistes  qui  ont  à  peindre 
ou  à  sculpter  un  S.  Louis  pour  quelque  monument  public.  Nous  ne  con« 

'  Monagrnphie  de  Saint-Denis,  p.  160-16'2.  < 


DE    VERSAILLES  '*t)3 

naissons  aucun  portrait  de  St-Louis  qui  réunisse  des  conditions  suffisan- 
tes d'authenticité...  Il  est  assurément  très-regrettable  qu'on  ne  possède 
d'un  aussi  graud  roi  aucun  monument  original  et  considérable  ;  mais  ce 
n'était  pas  un  motif  de  commettre  un  faux  en  matière  d'iconographie  pour 
combler  cette  fâcheuse  lacune.  » 

Si  nous  consultons  les  chroniqueurs  contemporains,  Guillaume  deNan- 
gis,  Geoffroy  de  Beaulieu  et  Joinville,  ils  nous  apprendront  que  St-Louis 
était  le  plus  bel  homme  de  son  temps. 

Ensuite,  St-Louis,  que  l'on  représente  toujours  avec  des  cheveux  noirs 
et  une  carnation  très-brune,  était  blond  ;  ce  que  Lemoyne  n'a  pas  obser- 
vé, en  donnant  à  ce  prince  des  cheveux  très-châtains  et  d'une  coupe  qui 
n'est  pas  celle  du  XIII'  siècle. 

La  chevelure  du  pieux  monarque  rappelle  celle  de  Louis  XIII  dans  ses 
dernières  années,  sur  le  tableau  de  Lemoyne.  Sous  St-Louis,  on  portait 
les  cheveux  taillés  en  rond  et  un  peu  roulés  en  dessous,  comme  on  peut 
s'en  convaincre  en  regardant  les  monuments  peints  ou  sculptés  de  ce 
temps-là. 

Un  mot  du  costume.  D'abord  on  ne  s'habillait  pas  ainsi,  et  de  plus, 
St-Louis,  pour  sa  part,  avait  une  très-grande  simplicité  dans  ses  manières 
et  dans  ses  habits.  En  aucun  temps  d'ailleurs  on  ne  s'est  approché  de  l'au- 
tel avec  une  épée  au  côté,  et  pour  vénérer  les  reliques  de  la  Passion 
St-Louis  n'eût  pas  déployé  le  faste  royal  quelui  suppose  très-gratuite- 
ment Lemoyne. 

Lorsqu'après  la  prise  de  Jérusalem  les  croisés  victorieux  proclamèrent 
Godefroy  de  Bouillon  empereur  dans  l'église  du  saint  Sépulcre  et  qu'ils 
voulurent  poser  sur  sa  tête  la  couronne  impériale,  ce  grand  homme,  qui 
était  un  fervent  chrétien,  se  refusa  à  ces  honneurs  en  disant  :  a  A  Dieu 
ne  plaise  que  je  ceigne  mon  front  d'un  diadème  d'or  en  cet  endroit  oîi  le 
Sauveur  des  hommes  a  voulu  être  couronné  d'épines  !  d 

Mais  revenons  à  St-Louis,  et  laissons  parler  son  naïf  historien,  le  bon 
Joinville.  On  va  voir  ce  que  ce  monarque  pensait  du  luxe  que  les  princes 
croient  devoir  afficher  et  quels  étaient  à  cet  égard  ses  principes  et  sa  ma- 
nière d'agir. 

«  Il  disait  que  on  se  devait  porter,  vêtir  et  orner  chacun  selon  son  état 
et  condition  et  de  moyenne  manière,  afin  que  les  preudes  gens  {les  sagef) 
et  anciens  de  ce  monde  ne  puissent  dire  ni  reprocher  à  autrui  :  «  Tel  en 
fait  trop,  »  et  aussi  que  les  jeunes  gens  ne  disent  :  t  Tel  en  fait  peu  et  ne 
fait  point  d'honneur  à  son  état.  » 
Et  ailleurs  : 
«  Plusieurs  foi«  ai  vu  que  au  dit  temps  d'été  le  bon  roi  venait  au  jardin 


iO^l  TABLEAI'X    Dl-:    I/kGLISE    SAINT-LOUIS 

de  Paris,  une  cotte  de  camelot  vêtue,  un  surcotde  tiretaine  sans  manches 
et  un  mantel  pardessus  de  sandal  *  noir.  » 

Enfin,  nous  terminons  ces  citations  par  cette  dernière,  qui  nous  semble 
importante  :  «  Da  l'état  du  roi  et  comme  il  se  maintint  dorénavant  qu'il 
fut  venu  d'outre-mer  vous  dirai.  C'est  à  savoir  queoncques  puis  en  ses 
habits  ne  voulut  porter  ni  menu  vair  ni  gris  ^  ni  écarlate  ni  étriers  ni 
éperons  dorés.  Ses  robes  étaient  de  camelin  ou  de  pers  ',  et  étaient  les 
fourrures  de  ses  manteaux  et  de  ses  robes  de  peaux  de  garnutes  *  et  de 
jambes  de  lièvres  *.  » 

Il  y  a  loin  de  cette  simplicité  du  bon  roi  au  velours,  au  satin  et  aux 
broderies  d'or  dont  Lemoyne  et  d'autres  artistes  ont  paré  et  parent  encore 
St-Louis... 

Lemoyne  laissa  deux  élèves  illustres  :  Natoire,  pour  le  portrait,  et 
Boucher,  pour  les  bergeries  et  les  mythologies, 

IV. 

LA  PRÉDICATION  DE  SAINT-JEAN-BAPTISTE  DANS  LE  DÉSERT 
Tableau  de  Boucher. 

Dans  la  chapelle,  au-dessus  de  celle  qui  porte  le  titre  de  St-Louis,  on 
voit  une  toile  de  Boucher,  représentant  La  pi'édication  de  Saint-Jean- Bap- 
tiste dans  le  désert. 

Ce  tableau  est  d'autant  plus  intéressant  à  étudier,  que  Boucher  n'est 
guère  connu  comme  peintre  de  sujets  religieux  ;  il  a  fait  plus  de  bergères 
et  de  nymphes  que  de  saints  et  de  saintes. 

N'y  eût-il  que  l'étrangeté  et  la  nouveauté  de  cet  aspect  du  talent  gra- 
cieux de  Boucher  à  constater,  que  ce  serait  déjà  une  véritable  bonne  for- 
tune pour  les  amateurs  et  pour  le  critique  d'art. 

C'est  au  chapitre  III  (versets  1,  ±,  3,  10  à  li  et  18),  de  St-Luc,  que 
Boucher  a  emprunté  le  sujet  de  la  toile  dont  il  s'agit  ici  : 

«  L'an  quinzième  de  l'empire  de  Tibère  César...  le  Seigneur  fit  enten- 
«  dre  su  parole  à  Jean,  fils  de  Zacharie,  dans  le  désert. 

'  Gros  taffetas. 
^  Fourrures  de  prix. 

'  Étoffe  commune,  bleu  tirant  sur  le  noir. 
*  Lapins  blancs. 

■''  Édit.  de  Petitdt  :  Collection  de  Mémoires  relatifs  à  l'Histoire  de  France^ 
p.  160,  Ig.iet  387. 


DE    VERSAILLES  405 

«  Et  il  vint  dans  tout  le  pays  qui  est  aux  environs  du  Jourdain,  prê- 
«  chant  le  baptême  de  pénitence  pour  la  rémission  des  péchés... 

«  Et  le  peuple  lui  demandant  :  —  Que  devons-nous  faire? 

«  Il  leur  répondit  :  —  Que  celui  qui  a  deux  vêtements  en  donne  à  celai 
«  qui  n'en  a  point,  et  que  celui  qui  a  de  quoi  manger  en  fasse  de  même. 

«  Il  y  eut  aussi  des  Publicains  qui  vinrent  à  lui  pour  être  baptisés,  et 
«  qui  lui  dirent:  —  Maître,  que  faut-il  que  nous  fassions? 

«  II  leur  dit  :  —  N'exigez  rien  au-delà  de  ce  qui  vous  est  ordonné. 

((  Les  soldats  aussi  lui  demandaient  :  —  Et  nous,  que  devons-nous 
a  faire  ?  —  Il  leur  répondit  :  —  N'usez  point  de  violence  ni  de  fraude 
u  envers  personne,  et  contentez-vous  de  votre  paie... 

«  Il  disait  encore  beaucoup  d'autres  choses  au  peuple  dans  les  exhor- 
«  tations  qu'il  leur  faisait.  » 

Voici  comment  Boucher  a  tenté  la  traduction  des  passages  de  l'Evan- 
gile que  nous  venons  de  citer. 

S.  Jean  est  debout  sur  un  tertre  de  gazon;  il  s'appuie,  d'une  main,  sur 
une  longue  croix  de  bois  ornée  d'une  banderolle  blanche  et,  de  l'autre, 
montre  le  ciel  aux  personnes  qui  l'entourent. 

Un  peu  sur  le  premier  plan,  un  homme  assis  lève  ses  yeux  au  ciel  et 
semble  dans  l'admiration  des  beaux  préceptes  de  charité  que  S.  Jean 
donne  à  la  foule.  Derrièi^e  ce  personnage,  un  homme  vêtu  de  long,  coiff'é 
d'une  sorte  de  voile  rouge,  s'avance  vers  le  saint  avec  amour  et  componc- 
tion; d'une  main  il  appuie  ses  pas  appesantis  sur  un  bâton,  de  l'autre  il 
tient  un  volumineux  paquet  de  papyrus. 

L'attitude  de  ce  personnage  et  l'expression  de  sa  figure  nous  feraient 
penser  que  c'est  un  pubiicain  qui  adresse  à  S.  Jean  cette  question  rap- 
portée plus  haut  :  «  Maître,  que  faut-il  que  nous  fassions,  nous  les  collec- 
teurs de  l'impôt?  » 

L'Evangile  qui,  en  fait  de  conversion  d'homme  d'argent,  ne  cite  que 
celle  du  banquier  S.  Mathieu,  ne  nous  dit  pas  comment  les  pubhcains  ac- 
cueillaient le  conseil  ou  plutôt  le  précepte  du  précurseur  du  Christ  :  — 
«  N'exigez  rien  au-delà  de  ce  qui  vous  a  été  ordonné.   » 

L'homme  public  qu'a  représenté  Boucher  parait  vraiment  disposé  à  sui- 
vre les  avis  de  S.  Jean. 

Cette  figure  et  celle  de  l'homme  assis  au  premier  'plan  sont  d'un  bon 
dessin  et  d'un  effet  pittoresque. 

Mais  ce^qui  commande'  surtout  notre  admiration,  ce  qui  révèle  dès  l'aLord 
la  touche  de  Boucher,  ce  sont  les  suaves  figures  de  femmes  et  les  têtes 
d'anges  qu'il  a  introduites  dans  cette  composition. 

Au  premier  plan,  ù  droite,  une  femme  vêtue  d'une  robe  blanche  est 


iOti  1  ABl.EAUX    UK    L  tX+LlSE    SALNT-LOLIS 

assise  et  u'cA  vue  que  de  trois  quarts;  elle  impose  silence  à  un  enfant 
place  vis-à-vis  d'elle  sur  les  genoux  de  sa  mère  et  dont  les  jeux  paraissent 
la  distraire.  Ces  deux  femmes  sont  ce  que  l'on  peut  imaginer  de  plus  char- 
mant comme  dessin  et  comme  couleur,  ce  ne  sont  pas  des  Juives  sans 
doute,  mais  bien  de  très-jolies  Françaises  du  temps  de  Louis  XV.  Leurs 
chevelures  cendrées  sont  d'un  effet  velouté  des  plus  heureux. 

La  femme  du  premier  plan  soutient  d'une  main  son  enfant  qui  s'endort 
tout  debout  et,  de  l'autre,  impose  naïvement  silence  au  petit  espiègle  qui 
lui  fait  face.  Un  second  enfant  s'est  assoupi  sur  le  sein  de  l'autre  femme, 
dont  le  visage  exprime  une  attention  profonde  mêlée  d'un  peu  de  surprise. 

Le  fond  du  tableau  est  un  ciel  pur,  un  de  ces  ciels  comme  les  aimait 
Boucher,  plutôt  vert  que  bleu;  de  légers  nuages  encadrent  le  tableau  et  à 
leurs  franges  apparaissent  des  têtes  d'anges  ailées.  Derrière  S.  Jean,  nous 
recommandons  vivement  aux  amateurs  de  style  précieux,  de  coloris  bien 
frais,  deux  têtes  d'anges  enfants,  de  la  plus  exquise  mignardise. 

Il  faudrait  avoir  la  plume  de  Narivaux  pour  analyser  une  toile  de  Bou- 
cher; peu  de  talents,  dans  des  genres  divers,  ont  eu,  ce  nous  semble, 
autant  de  rapports  que  celui  de  l'auteur  de  Marianne  et  celui  de  la  Prédi- 
cation de  S.  Jean . 

Pourquoi  ne  pouvons-nous  pas  louer  aussi  bien  le  personnage  principal 
du  tableau  de  Boucher  —  S.  Jean-Baptiste.  Dans  cette  figure,  l'élève 
semble  avoir  outré  les  défauts  du  maître;  on  reproche  à  Leraoyne  l'igno- 
rance ou  la  négligence  des  plus  simples  notions  d'anatomie  appliquée  à 
la  peinture;  que  dire  alors  de  cette  figure  si  mal  campée,  dont  les  genoux 
sont  si  exagérés,  les  jambes  presque  torses  et  les  attaches  du  cou  si  ma- 
ladroites? Et  puis,  est-ce  bien  là  la  sévère  image  de  celui  qui  prêchait  la 
pénitence  et  était  la  voix  qui  crie  dans  le  désert. 

Le  vêtement  traditionnel  de  poil  de  chameau  qui  couvre  S.  Jean  l'era- 
maillotte  plutôt  qu'il  ne  l'habille  :  la  poitrine,  les  jambes  et  les  bras  sont 
trop  ù  nu.  Si  Boucher  avait  eu  la  conscience  de  sa  faiblesse  dans  le  style 
académiqui',  il  eût  vêtu  le  précurseur  de  la  longue  robe  talairc  que  lui 
donnent  les  imagiers  du  moyen-âge;  non-seulement  il  eût  été  alors  dans 
le  vrai,  mais  il  eût  habilement  tourné  une  difficulté  qui,  après  tout,  n'était 
pas  si  insurmontable. 

L'agneau  qui  est  à  côté  de  S.  Jean  figure  le  Christ  dont  le  précurseur 
dit,  en  le  voyant  s'avancer  au  baptême  qu'il  devait  recevoir  de  ses  mains: 
—  «  Voici  l'agneau  do  Dieu,  voici  celui  qui  efface  les  péchés  du  monde,  » 
paroles  dont  le  début  se  lit  sur  la  banderolle  de  la  longue  croix  de  S. 
Jean  :  Ecce  aynus  Dei. 

En  fuit  d'accessoires,  on  remarque  sur  le  devant  de  cette  toile,  adroite, 


m-:  VEKSAILI.K-  407 

une  draperie  négligemment  jetée  et  un  bourdon  de  pèlerin  avec  sa  gourde; 
à  gauche,  un  chien  dont  on  n'aperçoit  que  la  tête  et  qui  est  bien  dessiné 
et  d'un  bon  effet. 

Si  sévère  qu'ait  été  notre  appréciation  du  tableau  de  Boucher  que  pos- 
sède la  cathédrale  de  Versailles,  on  a  pu  voir  que  nous  rendions  large- 
ment justice  à  l'expression  générale  de  cette  page  de  peinture.  Il  serait 
même  à  désirer  que  nos  peintres  de  sujets  religieux  fussent  aussi  scrupu- 
leux que  Boucher  dans  le  choix  des  attitudes  et  l'expression  qu'ils  don- 
nent à  leurs  personnages.  Sans  doute,  il  n'y  a  pas,  dans  la  peinture  de 
Boucher  dont  nous  venons  de  parler,  cette  gravité  que  nous  avons  tous 
admirée  dans  Jouvenet  et  cette  naïveté  pieuse  qui  était  le  grand  talent  de 
Restent;  mais  la.  Prédication  de  S.  Jean  n'en  reste  pas  moins,  aux  yeux 
des  amateurs  et  du  public  chrétien,  une  page  religieuse  dont  le  mérite 
est  d'autant  plus  réel  que  —  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  —  Boucher  a 
peint  plus  de  bergères  et  de  nymphes  que  de  saints  et  de  saintes. 

Ce  tableau  nous  remet  en  mémoire  certaine  toile  représentant  le  même 
sujet,  dont  l'église  Saint-Roch,  à  Paris,  est  -  comment  dirons-nous  bien? 
—  ornée?  non,  affligée. 

M.  de  Montalembert  a  parfaitement  stigmatisé  d'un  seul  mot  celui  qui 
a  pu  peindre  une  pareille  niaiserie  :  «  Cet  homme  qui  prêche  d'un  air 
goguenard  à  un  auditoire  de  gamins  de  Paris,  c'est  le  précurseur  martyr 
annonçant  la  venue  du  Sauveur  ' .  » 

L'aspect  pittoresque  du  cadre,  dans  lequel  Boucher  a  mis  sa  composi- 
tion, est  non-seulement  vraisemblable,  mais  se  conciUe  encore  parfaite- 
ment avec  le  récit  des  voyageurs  sur  le  désert,  oij  l'on  prétend  que  S. 
Jean  passa  la  plus  gra;;Je  partie  de  sa  vie  et  qui  porte  encore  son  nom. 
«  11  ne  faut  pas,  dit  le  père  Naud  -,  —  en  entendant  ce  mot  de  désert, 
s'imaginer  des  terres  stériles  et  abandonnées  ou  quelque  forêt  inhabitée 
et  inaccessible.  Ce  lieu  est  un  des  plus  agréables  qui  se  voient  dans  la 
Judée...  Il  n'est  guère  plus  désert  que  les  ermitages  de  nos  solitaires  d'Eu- 
rope, qui  sont  seulement  un  peu  écartés  du  chemin,  en  quelque  endroit 
de  difficile  accès  et  peu  fréquenté...  » 

En  face  du  tableau  de  Boucher,  au-dessus  du  confessionnal,  se  dressait 
une  toile  (aujourd'hui  dans  la  sacristie),  qu'on  attribue  au  Dominiquin  et 
qui,  en  effet,  en  reproduit  bien  le  style  et  la  couleur  :  S.  Jean-Baptiste  est 
debout,  drapé  dans  son  vêtement  de  poil,  il  lève  un  doigt  au  ciel  et  de 

»  Du  Vandalisme  et  du  Catholicisme  dans  l'Art  (fragments). 
*  Voilage  nouveau  dfl  la  Terre-Sainte,  in-l"2,  Paris,  1679. 


408  TAHLEAUX    DE    l'É<.ïLISR    SAINT-LUIIS 

l'autre  iiiaiu  [i"nt  aon  étendard.  A  ses  pieds  est  un  agneau;  dans  le  loin- 
tain, uu  paysage  et  le  Jourdain  vaguement  indiqués. 

Il  y  aurait  un  parallèle  curieux  —  si  les  parallèles  n'étaient  pas  souve- 
rainement absurdes  —  à  établir  entre  la  manière  dont  le  Dominiquin  et 
Boucher  ont  traité  le  même  sujet.  Mais  ce  n'est  pas  ici  le  lieu,  et  nous 
nous  sommes  interdit  de  parler  des  peintres  étrangers  pour  ne  nous  oc- 
cuper tout  spécialement  que  des  œuvres  des  artistes  français  dont  les 
églises  de  Versailles  sont  ornées. 

V. 

LA    PRÉSENTATION    DE    LA    VIERGE    AU   TEMPLE. 
Tableau  de  CoUin  tle  Vermont. 

La  scène  —  si  je  puis  me  servir  de  ce  terme  emprunté  à  Tart  drama- 
tique —  la  scène  se  passe  dans  l'intérieur  du  temple  de  Jérusalem,  au 
pied  d'un  autel  dont  deux  colonnes  torses  dorées,  à  gauche,  indiquent  le 
baldaquin  :  on  arrive  par  cinq  degrés  à  cette  partie  du  temple. 

Sur  la  marche  la  plus  haute  s'agenouille  une  jeune  enfant  de  cinq  à 
sept  ans,  vêtue  d'une  robe  blanche  par  dessus  laquelle  est  jeté  un  manteau 
d'un  bleu  tendre  ;  ses  petites  maintes  sont  jointes  ;  elle  est  nu-tête  et  dé- 
tourne un  peu  la  figure,  de  manière  à  ce  qu'on  devine  plutôt  qu'on  ne  le 
voit  un  profil  candide.  Cette  entant,  c'est  la  Vierge  Marie. 

Derrière  elle,  sainte  Anne,  sa  mère,  femme  d'un  âge  mur,  belle  encore, 
la  présente  en  l'entourant  de  ses  bras,  tandis  que  ses  yeux  levés  au  ciel 
avec  une  expression  touchante,  expriment  l'importance  qu'elle  attache  à 
l'offrande  qu'elle  fait  de  sa  fille  unique  au  Seigneur.  Un  peu  plus  loin,  on 
aperçoit  le  père  de  Marie,  Joachim,  beau  et  doux  vieillard  encore  vigou- 
reux. D'une  main,  il  tient  un  bâton  de  voyage,  de  l'autre  il  ramène  un 
pan  de  son  manteau. 

Au  fond  et  non  loin  de  ce  groupe,  deux  femmes  échangent  un  regard 
de  surprise  et  d'admiration. 

A  gauche,  le  Grand-Prêtre,  revêtu  de  ses  plus  riches  ornements,  la  tête 
coiffée  de  la  mitre  blanche  et  le  front  ceint  de  la  lame  d'or  sur  laquelle 
était  écrit  le  nom  de  Dieu,  s'avance,  assisté  de  deux  lévites  et  suivi  de 
deux  porte-flambeaux,  au  devant  de  la  Vierge.  La  tête  placide  du  vieillard 
se  penche  vers  Marie,  et  ses  bras  étendus  l'invitent  à  entrer  dans  la  re- 
traite du  temple.  Les  vêtements  de  dessous  du  souverain  Pontife  sont  re- 
couverts d'une  grande  chape  dont  deux  acolytes  soulèvent  les  pans  de 


DE    VERSAILLES  409 

devant  ;  ce  qui  laisse  apercevoir  une  doublure  de  drap  d'or  qui  est  d'un 
effet  très-riche. 

Toujours  à  gauche,  mais  tout  à  fait  au  premier  plan,  une  jeune  fille  et 
une  femme  ;  la  première  est  debout  et  tourne  le  dos  au  spectateur  ;  elle 
est  vêtue  d'une  longue  robe  rouge  et  fait  un  geste  d'étonnement  en  regar- 
dant la  j(iune  Vierge  qui  s'oftre  au  Seigneur  dans  un  âge  si,  tendre;  la  se- 
conde est  assise  sur  la  dernière  marche  de  Tescalier  et  tient  d'une  main 
une  cage  où  l'on  aperçoit  des  colombes,  offrande  du  pauvre,  tandis  que 
de  l'autre  n.aiii  elle  montre  à  sa  compagne  le  spectacle  admirable  qui 
s'oflie  à  leurs  regards.  Aux  pieds  de  cette  femme  on  voit  une  corbeille 
contenant  des  fruits. 

Le  fond  de  cette  toile  nous  présente  une  arcade  ouverte  surmontée  d'une 
fenêtre,  à  travers  lesquelles  on  aperçoit  un  ciel  bleu  semé  de  quelques 
nuages.  Dans  le  haut  du  tableau,  deux  petits  anges  descendent  vers  la 
Vierge  ;  l'un  deux  tient  une  couronne  suspendue  au-dessus  de  la  tête  de 
Marie,  tandis  que  l'autre  s'apprête  à  semer  des  lys,  emblème  de  la  pureté 
de  celle  qui  s'offre  à  Dieu  dans  son  temple. 

Cette  toile  est  signée  CoUin  de  Verra  ont,  et  porte  la  date  de  1755. 

Ce  peintre  distingué  naquit  à  Versailles,  en  1693.  Filleul  du  célèbre 
Hyacinthe  Rigaud,  et  son  meilleur  élève,  Collin  visita  l'Italie  et  Rome  oi^i 
la  vue  et  l'étude  des  grands  maîtres  développèrent  et  perfectionnèrent  son 
génie  pour  la  peinture. 

Il  mourut  à  Versailles,  le  16  février  1761. 

Les  principales  qualités  de  cet  artiste,  trop  peu  connu,  sont  un  bon 
goût  de  dessin,  de  l'élégance  et  de  la  pureté  dans  le  style.  On  cite  comme 
ses  deux  plus  belles  productions,  dans  des  genres  différents,  le  tableau  de 
la  Présentation,  que  nous  venons  d'analyser,  et  la  maladie  d'Antiochus, 
qu'il  exposa  au  concours  de  1727. 

Il  a  laissé  une  suite  considérable  d'esquisses  terminées,  dont  il  avait  pris 
les  sujets  dans  l'histoire  de  Cyrus. 

L'effet  général  du  tableau  de  la  Présentation  est  beau  et  noble.  Les  atti- 
tudes des  personnages  sont  simples,  naturelles  et  vraies.  L'architecture 
est  bien  traitée  et  d'un  style  grandiose  ;  les  colonnes  torses  placées  ù 
gauche  sont  seulement  d'une  teinte  et^d'un  effet  équivoques. 

La  Vierge,  saint  Anne,  saint  Joachim  et  le  Grand-Prêtre  sont  des  figures 
pleines  de  correction  et  de  vie  ;  les  divers  sentiments  qui  devaient  les 
animer  en  ce  moment  solennel  sont  bien  exprimés. 

Si  maintenant  nous  entrons  dans  les  détails,  rien  de  plus  charmant  et 
de  plus  pur  que  la  Viei'ge  agenouillée  ;  ses  mains  enfantines  sont  d"un  mo- 
delé exquis  ;  la  robe  blanche  et  le  manteau  bleu  sont  d'un  coloris  suave. 
Ile  série,  tome  II.  29 


41U  TAiiLb;Ai\  \>\:  Li.Gi.isi:  SAi\r-i.uL"is 

Hicri  de  vigoureux  et  do  chauilciiu'iit  dessiné  comme  le  bras  nu  de  la 
femme  assise  au  premier  plan. 

Enfin  la  tête  du  Grand-Prctre  est  pleine  de  sérénité  ;  sa  barbe,  presque 
•blanche,  est  bien  plantée  et  donne  à  sa  physionomie  un  calme  majestueux. 
Le  costume  est  exact. 

Les  acolytes,  surtout  les  porte-flambeaux  sont  d'une  couleur  singulière 
—  un  peu  feuille  morte.  Le  ciel  du  fond  aurait  pu  être  plus  bleu  :  nous  le 
trouvons  trop  chargé  de  nuages  gris,  d"un  effet  lourd  et  disgracieux  ;  il  y 
a  loin  de  là  à  l'inaltérable  azur  de  l'Orient. 

Dans  la  chapelle  du  bas  côté,  à  droite,  où  est  actuellement  ce  tableau, 
parfaitement  restauré,  le  jour  est  loin  de  lui  être  favorable  ;  il  n'y  a  pas 
d'ailleurs  assez  de  distance  pour  se  reculer  et  pour  pouvoir  apprécier  dans 
sa  véritable  perspective  cette  toile  qui  mérite  à  bien  des  titres  l'attention 
de  l'amateur. 

"^  Avant  les  changements  faits  à  la  chapelle  de  la  Vierge  qui  est  derrière 
le  maître-autel,  ce  tableau  occupait  Farcade  du  fond,  aujourdhui  remplie 
d'une  gloire  écrasante  de  dorure  et  d'une  statue  de  Marie,  —  le  tout  d'un 
effet  presque  nul,  à  cause  de  l'obscurité  causée  par  les  vitraux  de  deux 
grandes  fenêtres  voisines. 

CoUin  de  Vermont  avait  peint  la  Présentation  pour  cet  autel,  auquel  elle 
servait  de  rétable.  L'architecture  figurée  reproduisait  le  style  même  de  la 
chapelle  et  vue  d'une  certaine  distance,  cette  composition  était  d'un  effet 
grandiose  et  pittoresque,  comme  se  le  rappellent  fort  bien  tous  ceux  qui 
l'ont  vue  à  sa  place  primitive,  où  elle  prolongeait  la  perspective  de  l'é- 
difice. 

Nous  avons  analysé  le  tableau  de  l'artiste  versaillais;  nous  en  avons 
énuméré  les  qualités,  plus  nombreuses  que  les  défauts.  Il  nous  reste,  selon 
l'habitude  que  nous  avons  prise  dès  la  première  de  ces  esquisses  critiques. 
à  dire  un  mot  de  la  Présentation,  au  point  de  vue  historique. 

Collin  de  Vermont,  ainsi  que  Restout,  qui  a  traité  le  même  sujet,  a 
manqué  à  l'histoire  et  à  la  tradition,  en  donnant  une  grande  pompe  à  la 
Présentation  de  la  Vierge  au  temple. 

Il  parait  que  Collin  de  Vermont,  ainsi  que  ses  devanciers,  a  envisagé 
l'offrande  de  Marie  comme  une  cérémonie  religieuse,  une  espèce  de  sacri- 
fice. Les  flambeaux,  l'autel  (indiqué  par  les  colonnes  torsets)  manifestent 
assez  son  idée  à  cet  égard.  Nous  ignorons  où  les  peintres  ont  trouvé  cette 
prétendue  cérémonie  rehgieuse  qui  leur  a  fait  admettre  dans  leurs  com- 
positions des  épisodes  et  des  accessoires  qui  appartiennent  plus  spéciale- 
ment à  la  Purification. 

La  cérémonie  de  la  Présentation  de  la  Vierge,  telle  que  la  plupart  des 


DE    VERSAILLES  -411 

artistes  l'ont  comprise,  devrait  plutôt  s'intituler  le  vœu  qnela.  préstutation 
de  Marie.  Dans  ce  cas,  il  faudrait  peindre  la  Mère  de  Dieu  âgée  de  douze 
ans  au  moins,  et  encore  on  ne  devrait  pas  admettre  pour  cela  la  pompe 
dont  CoUin  de  Vermont,  Hestout  et  autres  artistes  ont  entouré  une  céré- 
monie qui  avait  toujours  lieu  fort  simplement. 

VI. 

SAINT-PIERRE    DÉLIVRÉ  DE  SA  PRISON  PAR  UN  ANGE. 
Tableau  de  Jeau-Bapliste  Deshays. 

L'artiste  a  pris  le  sujet  de  son  tableau  dans  le  chapitre  XII  des  Actes 
des  Apôtres. 

«  En  ce  temps-là  le  roi  llérode  employa  sa  puissance  pour  maltraiter 
€  quelques-uns  de  l'Église 

«  En  voyant  que  cela  plaisait  aux  Juifs,  il  fit  encore  prendre  Pierre. 

«  L'ayant  donc  fait  arrêter,  il  le  mit  en  prison  et  le  donna  à  garder  à 
«  quatre  bandes  de  quatre  soldats  chacune,  dans  le  dessein  de  le  faire 
a  mourir  devant  tout  le  peuple 

«  Pendant  que  Pierre  était  ainsi  gardé  dans  la  prison,  T Église  faisait 
«  sans  cesse  des  prières  à  Dieu  pour  lui. 

«  Mais  la  nuit  même  de  devant  le  jour  qu'Hérode  avait  destiné  à  son 
«  supplice,  comme  Pierre  dormait  entre  deux  soldats,  lié  de  deux 
«  chaînes 

(1  L'ange  du  Seigneur  parut  tout  d'un  coup  et  remplit  le  lieu  de  lumière, 
«  et  poussant  Pierre  par  le  côté,  il  l'éveilla  et  lui  dit  :  —  Levez-vous 
«  promptement.  »   Au  même  moment  leschaînes  tombèrent  de  ses  mains. 

«  Et  l'ange  lui  dit  :  —  Mettez  votre  ceinture  et  chaussez  vos  sandales.  » 
a  II  le  fit.  Et  l'ange  ajouta  :  —  Prenez  votre  vêtement  et  suivez-moi. 

«  Il  sortit  donc,  et  il  le  suivait  ne  sachant  pas  que  ce  qui  se  faisait  par 
«  l'ange  fût  véritable,  mais  s'imaginant  que  ce  qu'il  voyait  n'était  qu'un 
«  songe.  » 

Deshays,  avec  autant  de  génie  que  d'habileté,  a  reproduit  les  princi- 
paux traits  de  ce  récit  de  la  manière  suivante  : 

La  scène  se  passe  dans  un  cachot  bâti  en  fortes  pierres,  dont  les  murs 
sont  percés  de  deux  fenêtres  garnies  de  sohdes  barreaux  de  fer. 

Dans  le  haut  de  la  composition,  un  ange,  les  ailes  déployées  et  vêtu 
d'une  longue  robe  flottante,  montre  d'une  main  le  ciel  d'oii  il  apporte  à 
S.  Pierre  la  nouvelle  de  sa  délivrance  et,  de  l'autre,  qu'il  étend  vers  le 
prince  des  apôtres,  l'invite  à  se  lever  et  à  le  suivre. 


412  TABLEAUX    DE    l'ÉGLISE    SAINT-LOUIS 

S.  Pierre  est  a  demi  couché  sur  le  pavô  du  cacliot,  ;  so^  bras,  libres  de 
leurs  chaînes  se  lèvent  au  ciel  et  expriment  à  la  fois  l'admiration  et  la 
surprise.  Sa  tète,  pleine  de  noblesse,  est  encadrée  dans  une  barbe 
blanche  d'un  effet  argenté,  que  concourt  à  augmenter  le  rayon  lumineux 
qui  inonde  la  prison.  Ses  yeux  cherchent  à  fixer  l'ange,  et  sa  bouche 
entr'ouverte  semble  prête  à  parler. 

Rien  de  si  largement  drapé,  posé  et  surtout  peint  que  cette  belle  figure 
de  S.  Pierre. 

L'ange  est  une  suave  composition,  peut  être  trop  féminine  dans  le  mo- 
delé des  bras  et  des  mains  qui  sont  parfaites  de  dessin,  d'attache  et  de 
coloris.  Le  pied  laisse  un  peu  à  désirer,  sous  le  rapport  du  dessin  et  de  la 
touche.  Au-dessous  de  ce  personnage  on  admire  deux  têtes  d'anges 
ailées,  d'un  effet  aussi  charmant  qu'inattendu  ;  l'une  exprime  Taffection, 
l'autre  une  curiosité  enfantine. 

Le  nuage  qui  porte  les  anges  est  léger,  et  la  lumière  est  vive  et  pure. 
Au  fond  du  tableau,  dans  le  bas,  à  gauche,  on  aperçoit  deux  soldats 
endormis  ;  leurs  casques  et  leurs  bras  nus  sont  très-heureusement  éclairés 
par  le  reflet  d'une  lampe  qu'on  n'aperçoit  pas,  mais  qu'on  devine. 

Ces  deux  figures  du  second  et  du  troisième  plan  sont  vigoureusement 
esquissées  ;  les  bras  d'un  des  soldats  sont  seulement  tant  soit  peu  exa- 
gérés. 

Enfin,  les  ^^accessoires  tels  que  la  paille  qui  sert  de  lit  à  S.  Pierre,  les 
blocs  de  pierre  qui  jonchent  le  sol  et  les  chaînes  rompues  sont  d'un  effet 
vrai  et  complètent  heureusement  l'ensemble  de  cette  remarquable  com- 
position. 

A  gauche,  sur  une  sorte  de  borne,  on  lit  le  nom  du  peintre  Deshays  et 
une  date,  qui  est  1761 . 

Jean-Baptiste  Deshays  naquit  à  Rouen  en  1729.  Son  père  fut  son  pre- 
mier maître  et  lui  apprit  les  principes  de  l'art  de  peindre.  Collin  de  Ver- 
mont,  puis  Restout,  complétèrent  son  instruction  artistique,  et  en  1751  le 
premier  prix  de  peinture  vint  récompenser  les  efforts  de  Deshays  et  l'en- 
courager à  poursuivre  une  carrière  où  il  promettait  tant,  dès  l'âge  de  vingt- 
deux  ans.  A  la  suite  de  ce  premier  triomphe,  notre  jeune  artiste  entra 
chez  le  célèbre  Vanloo,  où  il  resta  trois  ans,  H  alla  ensuite  à  Rome  :  ce 
voyage  développa  rapidement  son  génie.  A  son  retour  en  France,  il 
épousa  la  fille  aînée  de  Boucher,  et  en  1758  il  fut  reçu  membre  de 
l'Académie  royale  de  peinture.  Son  tableau  de  réception  représentait 
Venus  versant  sur  le  corps  d'Hector  une  essence  divine  pour  le  garantir  de 
la  cor7'uption.  Cet  ouvrage  marqua  dès  lors  la  place  de  son  auteur  parmi 
les  meilleurs  peinircs  qu'eût  prnduits  la  France. 


DE    VCnSAILLES  413 

On  clevaiL  attendre  de  nombieux  ouvrages  d'un  artiste  qui  promettait 
et  tenait  déjà  tant,  lorsqu'une  chute  funeste  l'enleva,  à  l'âge  de  trente- 
quatre  ans. 

Ses  chefs-d'œuvre  sont  :  le  tableau  dont  nous  venons  de  parler,  l'É- 
tude^ Jupiter  et  Antiope,  le  comte  de  Comminges,  le  martyre  de  S.  André 
et  surtout  les  derniers  moments  de  S.  Benoît. 

De?hays  réunissait  la  vigueur  de  l'expression  à  l'enthousiasme  du  génie  : 
il  mourut  à  Paris,  le  10  février  1765. 

Cochin.  fils  du  célèbre  graveur  de  ce  nom  et  artiste  distingué  lui-même, 
publia,  en  17(33.  en  un  volume  in- 12,  des  Lettres  sur  la  vie  de  Deshays, 
auxquelles  nous  avons  emprunté  les  quelques  détails  biographiques  qu'on 
vient  de  lire. 

Vil. 

SAINT    PIERRE    MARCHANT   SUR    LES    EAUX. 
Tableau  de  Boucher. 

Dans  la  même  chapelle,  en  regard  Tune  de  lautrc,  l'œuvre  du  beau-père 
faisant  f:ice  à  celle  du  gendre,  mais  non  cependant  à  mérite  égal. 

Voici  en  quels  termes  l'Evangile  selon  S.  Jean  (chap.  XXI,  vers.  -4-7) 
indique  le  sujet  de  cette  toile  :  «.  Le  matin  étant  venu,  Jésus  parut  sur  le 
<(  rivage,  sans  que  ses  disciples  connussent  que  c'était  Jésus. 

«  Jésus  leur  dit  donc  :  — «  Enfants  n'avoz-vous  rien  à  manger?  »  Ils  lui 
«  répondii'ent  :  —  «  Non.  » 

«  il  leur  dit  :  —  «  Jetez  le  filet  au  côté  droit  de  la  barque,  et  vous  en 
«  trouverez.  »  Ils  le  jetèrent  aussitôt;  et  ils  ne  pouvaient  plus  le  tirer,  tant 
S(  il  était  chargé  de  poissons. 

«  .\lors,  le  disciple  que  Jésus  aimait  dit  à  Pierre  :  —  C'est  le  Sei- 
((  gneur.  »  Et  Simon-Pierre  ayant  ou'ï  que  c'était  le  Seigneur,  mit  son  ha- 
a  bit,  cai'  il  était  nu,  et  il  se  jeta  dans  la  mer. 

(i  Les  autr(!s  disciples  vinrent  dans  la  barque,  n'étant  pas  loin  de  la 
((  terre,  et  ils  y  tirèrent  le  filet  plein  de  poissons.  » 

Boucher  a  saisi  le  moment  oii  S.  Pierre,  emporté  par  son  empresse- 
ment à  rejoindre  le  Sauveur,  s'élance  sur  la  mer,  sans  se  douter  du  mira- 
cle dont  il  est  lui-même  l'objet.  Jésus  vient  au  devant  de  son  apôtre  et  lui 
tend  avec  affection  la  main  droite;  Pierre  esta  demi  agenouillé  et  exprime 
son  admii'ation  et  son  amour  pour  le  divin  Maître. 

•Au  second  plan,  sur  la  gauche  du  spectateur,  dans  une  barque,  les  apô- 
tres dont  un  contemple  avec  extase  Jésus,  sur  lequel  se  concentre  toute 


MA  TABLEAUX    DE    LÉGT.ISE    SATNT-LOUIS 

l'attention  ;  car,  les  apùtrcs,  non  plus  que  S.  Pierre  lui-môme  ne  semblent 
voir  le  miracle  qui  se  produit  pour  le  disciple  ainsi  que  pour  le  maître. 

La  figure  de  Jésus  est  belle  et  rayonne  de  sa  propre  lumière,  sans  rien 
emprunter  h  l'auréole  traditionnelle  ;  seulement,  des  têtes  d'anges  ailées 
qui  émergent  des  nuages  montrent  que  la  cour  céleste  assiste  à  cette  nou- 
velle manifestation  du  Christ  ressuscité  et  désormais  impassible.  C'est  une 
idée  heureuse  et  conforme  à  la  vérité. 

S.  Pierre  est  habillé  comme  le  même  apôtre  dans  le  tableau  de 
Deshays,  qui  fait  face  à  celui-ci  :  ce  parallèle  a  de  l'intérêt;  il  est  seule- 
ment à  regretter  que  la  toile  de  Boucher  soit  placée  un  peu  haut,  qu'elle 
soit  dévernie  et  surtout  que  l'obscurité  occosionnéo  par  un  assez  médiocre 
vitrail  empêche  d'en  bien  saisir  rensemble. 

La  mer  agitée,  le  ciel  orageux,  tout  est  d'une  bonne  couleur,  étant 
admis  la  tonalité  chère  à  Boucher,  qui  n'invente  pas  ses  teintes  mais  les 
emprunte  presque  toujours  à  une  saison  féconde  en  transformations  ma- 
giques et  fugitives  de  l'atmosphère,  —  à  l'autoirino. 

En  somme,  ce  tableau  de  Boucher  nous  sond)lf  bien  supérieur  à  sa 
Prédication  de  S.  Jean- Baptiste  dam^  le  dÀ^crt. 

Vlll. 

LA    COMPASSION    DE    LA    VIERGE. 
Tableau  de  l'icne' 

Tel  est  le  titre,  selon  nous,  fort  bien  trouvé,  que  le  [)nblic  donne  à  ce 
tableau  qui  —  dans  la  croisée,  à  gauche  -  h\\l  pendant  à  celui  de  la  Na- 
tivité ;  tous  deux  sont  de  même  dimension,  plus  hauts  que  larges. 

Sous  un  ciel  sombre,  qui  tend  cependant  à  s'éclaircir,  se  détache  suo 
un  lerra'n  raontneux  la  croix  d'oii  le  coi'ps  du  (MirisL  vient  d'être  détaché 
et  descendu  par  les  mains  pieuses  des  amis  du  (ils  de  Uieu.  La  croix  est 
formée  de  deux  pièces  de  bois  non  é(|uarries,  ce  qui  paraît  plus  conforme  à 
la  vraisemblance  ;  un  voile  pend  à  l'un  des  bras  et  iuk;  ('•cbelle  y  est  en- 
core appliquée. 

Hiiit  personnages,  dont  trois  principaux  —  Marie,  .Jésus  et  Madeleine 
—  sont  les  acteurs  du  diame  douloureux  dont  nous  sommes  les  specta- 
teurs. 

Marie  qui  s'est  laissée  aller  à  terre  est  soutenue  piir  une  femme  qui  est 
probablement  Marthe  même;  la  Vierge  mère  se  pâme  sui-  le  corps  inani- 
mé de  son  (ils,  tandis  que  Madeleine,  agenouilb'e,  soutient  le  bras  gauche 
de  Marie  qui  fléchit  vers  elle  et  dont  la  tête  s'appuie  presque  sur  sa  poi- 


trine,  comme  ringuôro  celle  de  Jean  snr  le  cœur  do  Jésus  :  il  y  a  là,  on  le 
sent,  une  touchante  association  d'idées.  Madeleine  n'est-ellc  pas,  ne  de- 
vait-elle pas  être  celle  des  saintes  femmes  que  Marie  devait  affectionner  le 
plus  ?. . . 

L'expression  de  douleur  de  la  mère  du  Sauveur  se  fond  en  une  sorte 
d'évanouissement  qui  résume  la  tristesse  profonde  et  poussée  jusqu'à  ses 
dernières  limites  ;  au  jardin  des  Olives,  le  chagrin  anticipé  des  apôtres 
avait  fermé  leurs  yeux,  aussi  puissant  que  le  sommeil. 

Le  corps  du  Christ  est  d'un  heureux  modelé  ;  la  tête  dont  l'expression 
a  le  calme  souverain  respire  plutôt  le  repos  que  le  trépas. 

xMadeleine  est  une  nMuarqualjle  figure  pleine  d'expression  ;  le  costume 
se  compose  de  ton^;  harmonieux  —  jaune,  rouge  et  bleu. 

Un  jeune  homme  (est-ce  S.  Jean  ?)  s'appuie  d'une  maiu  à  l'échelle 
dressée  contre  la  croix,  et  de  l'autre  exprime  un  sentiment  de  compassion 
profondément  émue. 

^  Sur  la  droite,  un  vieillard,  Joseph  d'Arimathie,  debout,  tient  un  suaire 
tout  prêt  pour  l'ensevelissement  de  son  divin  Maître  ;  cette  figure  laisse  à 
désirer  comme  dessin  et  cnmino  expression  :  elle  est  vulgaire  et  presque 
froide,  tant  ou  y  voit  peu  le  sentiment  ([ui  doit  l'animer. 

A  gauche,  deux  figures  assez  insignifiantes  se  perdent  dans  le  coin  delà 
toile. 

Enlin,  au  premier  plan,  vers  la  droite,  un  grand  bassin  de  cuivre 
rouge  dont  l'eau  a  servi  à  laver  le  corps  du  Christ  est  auprès  de  la  cou- 
ronne d"épines  peut-être  trop  abandonnée  et  déjà  oubliée,  au  moins  pour 
l'heure  présente. 

On  le  voit,  ce  n'est  pas  une  descente  de  croix  que  l'artiste  a  voulu  pein- 
dre, mais  la  compassion  qu'inspii-e  Marie  aux  témoins  de  son  immense 
douleur;  il  a  ainsi  traduit  fidèlement  une  des  strophes  du  Sfaùat,  qui 
provoque  la  pitié  de^^  chi-ètions  à  l'égard  de  la  mère  du  Sauveur. 

Quis  csl  ho)nn  qui  uo»  ficret, 
(Jirtslimatrem  si  videret, 
In  lanto  suppUcio  ? 
Et  ailleurs  : 

0  qiiam  tr^slis  et  afilidu 
Fuit  illu  hcnediclu 
Mater  Unigeniti! 

Voilà  le  vi'ai  sentiment  qui  a  inspir(''  ce  s'ijeL  dont  la  donnée  est  em- 
pruntée à  l'auivro  suljlimr  (ruii  Ihéologien  ]iiiète,  (|ue  D'église  a  mis  sur 
ses  autels. 


416  TABLKAUX    T)E    LÉGLISE    SAINT-LOUIS 

Pierre  —  l'auteur  de  ce  tableau  —  né  (;n  1713,  mort  en  178Î)  à  l'àj^e  de 
soixaute-seize  ans  eut  une  brillante  carrière  d'artiste.  Elève  de  Natoire,  son 
talent  se  développa  de  bonne  heure  en  Italie  auprès  de  De  Troy.  Ses  étu- 
des à  Rome  préparèrent,  avant  celles  de  Vieu,  la  restauration  de  la  pein- 
ture en  Fraace.  S.  Sulpice  et  S.  Germain-des-Prés.  à  Paris,  ainsi  que 
S.  Louis  et  Notre-Dame  à  Versailles,  possèdent  les  meilleurs  tableaux  de 
Pierre  dont  l'œuvre  la  plus  remarquable,  la  plus  capitale  est  —  sans  con- 
tredit, —  la  coupole  de  la  chapelle  de  la  Vierge,  à  S.  Rcch,  qu'il  termina 
en  1756;  la  disposition  générale  et  la  manière  de  peindre  large  et  facile 
de  cet  artiste  se  disputent  la  prééminence  dans  les  divers  ouvrages  dus  à 
son  talent  fécond. 

IX. 

LE    SOMMEIL    DE    SAINT   JOSEPH. 
Tableau  de  Jeaurat 

«  Après  le  départ  des  Mages,  un  ange  du  Seigneur  apparut  à  .loseph 
«  pendant  qu'il  dormait  et  lui  dit  :  -  Levez-vous,  prenez  l'enfant  et  la 
0  mère,  fuyez  en  Egypte  et  ne  partez  point  jusqu'à  cr  que  je  vous  le  dise  : 
«  car.  Hérode  cherchera  l'enfant  pour  le  faire  mourir.  » 

Ces  mots  de  l'Evangile  selon  S.  Mathieu,  chapitre  n,  verset  13,  ont 
fourni  à  Jeaurat  le  sujet  d'un  tableau  qui  n'est  pas  sans  mérite  et  dont  le 
sentiment  est  celui  même  de  la  placidité  qu'indique  et  qu'impose  ce  titre, 
le  Sommi'il  de  S.  Joseph. 

Au  premier  plan,  comme  une  des  deux  figures  principales  de  cette 
toile,  S.  Joseph  assis,  vêtu  d'une  longue  robe  et  d'un  manteau  qu'il  a  re- 
jeté sur  ses  genoux^  les  pieds  chaussés  de  sandales  —  S.  Joseph  appuie  sa 
tête  sur  son  bras  gauche,  tandis  que  le  droit  repose  sur  un  de  ses  genoux  ; 
la  tète  un  peu  penchée,  le  patriarche  de  la  nouvelle  loi  semble  plutôt  mé- 
diter que  dormir  :  un  tel  {'o^\^v  devait  sans  cesse  vcilhv  sur  le  précieux 
dépôt  qui  lui  avait  été  confié  par  Dieu  même.  Fidelis  servus  et  priidens. 
L'expression  de  cette  tête  à  cheveux  prc'sque  blancs,  bien  qu'encore  dans 
la  force  de  l'âge,  est  douce  et  sereine,  vraie  sui'tout  ;  c'est  bien  là  le  juste. 
Aux  pieds  de  Joseph,  quelques  outils  groupés,  un  maillet,  un  compas, 
etc.,  indiquent  sa  profession  d'ouvriei*  charpentier. 

Au-dessus  de  S.  Joseph,  un  ange  porté  sur  un  nuage  étend  ses  grandes 
ailes  blanches;  ses  bras  indi(|U('nt,  en  même  temps  que  ses  lèvres,  la  di- 
rection que  doit  prendre  la  Sainte-Famille;  la  pose  est  pleine  de  grâce,  les 
bras  sont  bien  modelés,  la  draperie  qui  voltige  donne  de  la  légèreté  à 
cette  figure  qui  rappelle  un  peu  les  anges  de  Restout, 


DE    VERSAILLES  417 

Au  fond,  tout  au  fond  du  tableau,  à  gauche,  la  Vierge  mère  assise  con- 
temple afTectueusement  le  divin  enfant  dont  elle  soutient,  d'une  main,  l'o- 
reiller sur  lequel  repose  sa  tête,  tandis  que,  de  l'autre,  elle  écarte  un  peu 
la  couverture  pour  mieux  voir  Jésus  et  aussi  permettre  au  souffle  du  bœuf 
de  réchauffer  ces  membres  délicats  ;  car,  l'endroit  où  se  passe  cette  scène 
est  une  ruine  de  vieil  édifice  que  recouvre  assez  incomplètement  une  toi- 
ture à  l'effet  pittoresque  mais  d'un  confortable  par  trop  sommaire,  tel  que 
l'école  flamande  s'imaginait  et  représentait  non-seulement  l'étable  de  Be- 
thléem, mais  encore  la  maison  de  Nazareth. 

Aux  pieds  de  Marie,  un  escabeau  poitant  une  corbeille  à  ouvrage  indi- 
que les  occupations  habituelles  de  la  reine  des  saints. 

Les  deux  figures  de  la  Vierge  et  de  l'Enfant  Jésus  n'ont  sans  doute  pas 
été  mises  sans  raison  par  le  peintre  tout  au  fond  du  tableau  ;  elles  complè- 
tent le  sujet  de  sa  composition  qui  est,  avant  tout  et  d'abord,  le  sommeil 
ou  le  songe  de  S.  Joseph. 

Cette  toile  a  été,  il  y  a  quelques  années,  l'objet  d'une  restauration  intel- 
ligente, ce  dont  elle  avait  grand  besoin,  et  qui  a  été  confiée  à  l'habile  res- 
taurateur des  toiles  de  Restout,  de  Pierre  et  de  Collin  de  Vermont  dont 
nous  avons  ci-dessus  donné  la  description. 

Né  à  Paris,  en  1699,  Etienne  Jeaurat  —  l'auteur  du  Sommeil  de  S.  Jo- 
seph, —  est  un  peintre  rem;uqual)le  du  siècle  dernier;  ses  œuvres  sont 
devenues  assez  rares.  En  1724,  il  fit  avec  son  maître  Nicolas  Veughels, 
nommé  directeur  de  l'école  de  peinture  à  Rome,  le  voyage  d'Italie,  objet 
des  désirs  de  tous  les  élèves  de  l'Acndémie  et  il  en  revint  avec  une  cer- 
taine réputation.  Il  débuta  par  de  grandes  compositions  religieuses,  histo- 
riques ou  mythologiques,  mais  son  goût  et  celui  de  son  époque  le  porta  de 
préférence  aux  tableautins,  aux  iufét^iews,  aux  scènes  de  la  vie  bour- 
geoise et  des  md'uis  populaires,  halles,  marchés,  etc.;  comme  celui  de 
Chardin,  son  pinceau  sut  toujours  rester  chaste. 

Ce  fut  en  17(31  que  le  Sommeil  de  S.  Joseph  parut  au  salon  ;  cette  toile 
y  fut  remarquée  ;  elle  est  aujoui-d'hui  (avec  l'Adoration  du  Sacré-Ccein\ 
dont  nous  parlerons  tout  à  l'heure),  du  nombre  des  rares  compositions  re- 
ligieuses de  Jeaurat  que  l'on  possède,  encore,  et  c'est  l'église  Saint-Louis 
de  Versailles  qui,  après  les  avoir  reçues  de  Louis  XV,  les  a  conservées  à 
travers  les  révolutions. 

Cet  artiste  mourut  à  Versailles  même  en  1789,  âgé  de  quatre-vingt-onze 
ans  et  fut  enterré  dans  le  cimetière  de  la  paroisse  Saint-Louis  sur  laquelle 
il  passa  une  grande  partie  de  sa  vie. 

On  peut  lire  avec  fruit  sur  ce  peintre  trop  peu  connu  une  intéressante 


418        .  TABLEAUX   DE    l'ÉGLISE    SAINT-LOUIS 

brochure  de  M.  Sylvain  Puychevrier,  publiée  en  1862  (45  pages  in-S), 
dans  l'Annuaire  de  l'Yonne  pour  1863. 


X. 

l'adoration  du  sacré  cœur  de  Jésus. 
Tableau  de  Jeaurat. 

Nous  ignorons  en  quelle  année  Jeaurat  peignit  ce  tableau,  jugé  bien  su- 
périeur à  celui  du  Sommeil  de  S.  Joseph,  du  môme  artiste;  il  y  a  dans  la 
toile  dont  nous  allons  donner  la  description  une  idée  mystique,  chose 
assez  rare  au  siècle  dernier  plus  enclin  à  la  mythologie  qu'au  surnatura- 
lisme. 

Au  sommet  de  cette  compositi(m  et  sous  le  triangle  oii  rayonne  en  ca- 
ractères hébraïques  le  nom  ineffable  de  Dieu,  un  cœur  enflammé,  celtii 
de  Jésus,  rayonne  et  illumine  tout  le  tableau.  Huit  petits  anges,  quatre  de 
chaque  côté,  portent  comme  autant  de  trophées  de  la  Passion,  la  colonne, 
la  lance,  l'éponge,  les  verges,  le  marteau,  les  tenailles,  les  clous,  la  croix 
et  l'échelle;  la  couronne  d'épines  est  élevée  entre  les  mains  d'un  des  petits 
anges,  ainsi  que  les  clous. 

Plus  bas,  sur  le  livre  des  sept  sceaux  apparaît  couché  et  dans  l'attitude 
de  victime  l'Agneau  rédempteur;  sur  la  face  de  l'autel  qui  le  supporte,  on 
lit  ces  simples  et  éloquentes  paroles  :  Sic  nos  dilexit  (C'est  ainsi  qu'il  nous 
a  aimés.) 

Au  pied  de  cet  autel,  deux  anges,  sous  les  traits  de  deux  jeunes  gens, 
sont  à  genoux;  celui  de  gauche,  les  mains  croisées  sur  la  poitrine  regarde 
et  admire  l'Agneau,  tandis  que  celui  de  droite,  la  tête  inclinée,  les  mains 
jointes  et  un  peu  élevées,  prie  et  se  recueille  en  méditant  sur  cet  immense 
mystère  d'amour. 

C'est  là  une  belle  composition,  il  y  a  du  mouvement  et  du  recueillement 
en  môme  temps;  comme  idée  religieuse,  cette  toile  nous  l'appelle  un  grand 
et  magnifique  tableau  de  Lafosse,  qui  naguère  ornait  l'église  de  Boulogne, 
près  Paris,  et  qui  était  un  don  de  la  munificence  de  Louis  XV  à  ce  remar- 
quable sanctuaire,  —  une  sorte  de  sainte  chapelle  dont  le  clocher  en 
flèche  se  voit  de  loin  dans  la  campagne. 

En  1801,  V Adoration  du  Sacré-Cœur  b.  été  restaurée,  ainsi  que  le  Sommeil 
de  S.  Joseph,  par  un  artiste  d(-  Veisailles,  nommé  Bellangeon. 


DE    VERSAILLES  419 


XL 


PRÉDICATION  DE    SAINT    VINCENT   DE    PAUL. 
Tableau  de  Noël  Halle. 

C'est  dans  l'église  Saint-Étienne-du-Mont,  à  Paris,  que  le  peintre  a  placé 
la  scène  de  son  tableau;  la  perspective  du  bas-côté  droit  et  d'une  partie 
du  jubé  forme  le  fond  de  cette  composition  peuplée  d'un  grand  nombre  de 
figures . 

En  chaire,  sur  la  droite  du  spectateur,  le  saint  en  grand  surplis  à  larges 
manches  et  à  col  rabattu,  fait  d'une  main  un  geste  expressif  en  sa  simph- 
cité,  qui  appelle  et  fixe  l'attention  de  son  auditoire  où  toutes  les  classes  de 
la  société  —  surtout  la  noblesse.  —  sont  représentées.  Le  bonnet  carré  que 
le  saint  tient  de  l'autre  main  indique  qu'il  va  terminer  son  discours  et 
qu'il  en  est  à  la  péroraison,  fort  éloquente  à  en  juger  par  les  impressions 
qui  se  traduisent  sur  les  figures  des  auditeurs  ;  l'objet  bien  connu  de  ce 
sermon  était  le  salut  des  pauvres  enfants  trouvés  dont  Vincent  plaida  si 
éloquemment  la  cause,  en  une  circonstance  à  jamais  solennelle. 

La  tête  du  saint,  alors  dans  toute  la  force  de  l'âge,  est  d'un  beau  carac- 
tère et  bien  modelée. 

Parmi  les  personnages  qui  se  pressent  au  pied  et  autour  de  la  chaire, 
on  remarque  surtout,  à  droite,  deux  hommes  debout,  puis  un  troisième 
assis  sur  une  chaise,  style  Louis  XIIL  vu  de  trois  quarts.  A  gauche,  au 
deuxième  plan,  le  jeune  gentilhomme  qui,  assis,  écoute  le  prédicateur,  en 
élevant  vers  lui  ses  regards,  est  dans  une  attitude  vraie. 

En  avant,  du  môme  côté,  une  femme  assise  par  terre,  vue  du  dos,  sert 
de  repoussoir  au  tableau:  près  d'elle  une  tète  d'enfant  éveillée  et  ingénue 
en  son  expression  d'espièglerie.  Sous  la  chaire,  on  aperçoit  deux  Sœurs 
de  la  Charité,  l'une  profondément  recueillie,  l'autre  élevant  ses  yeux  vers 
le  prédicateur.  Il  y  a  beaucoup  de  mouvement  et  de  vie  dans  ce  tableau, 
où  le  costume  est  assez  bien  observé,  vu  l'époque  où  l'artiste  vivait  et  qui 
ne  se  piquait  pas  précisément  d'une  grande  exactitude  en  cette  matière. 

L'auteur  de  ce  tableau.  Noël  Halle,  issu  d'une  famille  de  peintres  non 
sans  talent,  naquit  à  Paris  en  1711.  Élève  de  son  père,  il  obtint  de  bonne 
heure  les  premiers  prix  de  l'Académie,  puis  fut  envoyé  ù  llome.  En  1771, 
il  fut  nommé  surintendant  des  manufactures  de  tapisseries  de  la  couronne. 
Envoyé  à  Home  en  qualité  de  directeur  de  l'École  de  Fiance,  il  remplit 
avec  intelligence  cet  important  emploi.  Il  entendait  bien  l'architecture  et 
la  perspective,  comme  on  peut  le  voir  en  étudiant  le  tableau  ci-dessus  dé- 


420  TABLEAUX    DE    l'ÉGLISE    SAINT-LOUIS 

crit;  mais,  pour  la  composition  et  le  coloris  il  laisse  à  désirer.  Ses  tableaux 
les  plus  appréciés  sont  Achille  dans  l'île  de  Sct/j^os,  Eglé  et  Silène,  Hippo- 
mène  et  Atalante,  la  Prédication  de  S.  Vincent  de  Paul,  etc. 
Noël  Halle  mourut  en  1781. 

XII. 

LE    BAPTÊME    DE    JÉSUS-CURIST. 
Tableau  d'Araédée  Vanloo. 

S.  Jean-Baptiste,  debout,  à  moitié  couvert  d'une  peau  de  chameau, 
qui  lui  laisse  les  bras  et  les  jambes  nus,  s'appuie  d'une  main  sur  la  hampe 
d'une  longue  croix  formée  d'un  roseau  et,  de  l'autre  main,  verse  avec  une 
coquille  de  l'eau  du  Jourdain  sur  le  front  de  Jésus  agenouillé  à  ses  pieds. 
Le  Messie,  les  cheveux  partagés  sur  le  front  et  pendants,  ramène  sur  sa 
poitrine  les  plis  d'une  longue  draperie  blanche  dont  l'extrémité  trempe 
dans  le  fleuve. 

Au  ciel,  le  Saint-Esprit  sous  la  forme  d'une  colombe;  quelques  têtes 
d'anges  dont  les  regards  sont  fixés  sur  cette  scène.  Un  peu  au-dessus  du 
Christ  et  derrière  lui,  deux  anges  aux  grandes  ailes  et  aux  robes  flottantes 
contemplent  avec  admiration  et  amour  l'humilité  du  Fils  de  Dieu. 

Derrière  S.  Jean  un  vieillard  debout,  les  mains  jointes,  se  recueille  pro- 
fondément tandis  qu'un  jeune  homme  achève  de  se  dépouiller  de  ses  vê- 
tements, adossé  H  une  touffe  de  grands  palmiers. 

Un  paysage  semé  de  roches  au  travers  desquelles  serpente  le  Jourdain 
forme  le  fond  de  cette  scène,  oii  les  figures  les  plus  remarquables  et  les 
mieux  dessinées  sont  celles  du  vieillard  et  des  deux  anges. 

Charles-Amédée-Philippe  Vanloo,  l'auteur  de  cette  toile,  né  à  Turin  eu 
1718,  passa  d'abord  son  enfance  en  Italie,  puis  il  vint  à  Paris  où  il  exposa 
souvent  au  salon  du  Louvre;  il  y  envoyait  d'ordinaire  des  tableaux  my- 
thologi([ues  et  quelquefois  des  sujets  assez  singulièrement  choisis,  comme 
nn  Oiseau  dans  la  machine  pneumatique  (1771)  et  Une  jeune  fille  électrisée 
(1777).  Talent  fade  et  incertain,  Amédée  est  resté  le  moindre  des  Vanloo  ; 
bien  qu'actif  producteur,  ses  ouvrages  sont  devenus  rares. 

Il  mourut  vers  1791. 

XIII. 

APPARITION  DE  JKSUS-CIIUIST  A  SAINT  PIKRRE. 

Tabloaii  de  Sourlcy. 

Cette  toile,  peinte  en  1664  parSourlcy,  élève  de  Mignard  — le  seul,  dit- 


DE    VERSAILLES  421 

on,  qu'ait  eu  cet  artiste  célèbre,  — fut  placée  dans  l'église  cathédrale  de 
Parisetyrestajusqu'en  1808,  époque  où,  en  échange  du  Vœu  de  Louis  XIII ^ 
de  Carie  Vanloo,  enlevé  à  l'église  Notre-Dame  des  Victoires  pour  être 
donné  à  Saint-Louis  de  Versailles  qui  dutle  rendre  à  Paris,  Saint-Louisjreçut 
en  compensation  l'Apparition  de  Jésus- Christ  à  S.  Pierre.  Devenu  le  pen- 
dant de  la  Résurrection  du  fils  de  la  veuve  de  Naïm  (de  Jouvenet),  ce  ta- 
bleau orna  quelque  temps  Saint-Luuis  puis  fut  relégué  dans  les  niugasins 
du  château  de  Vex"sailles,  d'où  enfin  on  l'a  tiré,  puis  restauré  après  l'avoir 
ceintré,  de  carré  qu'il  était,  et  aujourd'hui  on  le  voit  au  dessus  de  la 
porte  droite  d'entrée,  par  le  grand  portail  de  la  cathédrale.  Là,  quoiqu'il 
soit  placé  assez  haut,  on  y  peut  admii'or  les  qualités  de  dessin  et  de  coloris 
qui  l'ont  fait  attribuer  à  Pierre  Mignard  lui-même,  tant  son  élève  a  repro- 
duit habilement  et  heureusement  le  style  du  maître,  avec  ses  qualit(^s  et 
ses  défauts. 

Le  fond  de  ce  tableau  est  un  paysage  pris  dans  la  campagne  romaine  ; 
des  collines,  des  sentiers  sinueux,  quelques  arbres;  la  perspective  ne 
manque  pas  de  profondeur,  quoiqu'un  peu  vague. 

En  avant  de  cette  composition,  deux  personnages  captiventl'attention,  ce 
sont  :  le  Christ  et  S.  Pierre. 

Le  Christ,  sa  croix  ^ur  l'épaule  gauche,  regarde  S.  Pierre  avec  une 
majesté  sereine  et,  de  la  main  droite,  avec  l'index,  lui  indique  Rome  où  il 
va  pour  s'y  faire  crucifier  une  seconde  fois,  ainsi  que  le  rapporte  une 
antique  tradition  dont  S.  Ambroise,  au  quatrième  siècle,  s'est  fait  l'écho 
et  qui  a  laissé  à  l'église  érigée  sur  l'emplacement  même  de  ce  fait  le  titre 
de  Domine  </uo  vadis?  «  Seigneur,  où  allez-vous?  »  question  adressée  par 
S.  Pierre  au  divin  Maître,  en  le  voyant  ainsi  chargé  de  sa  croix  se  montrer 
à  lui. 

S.  Pierre,  qui  sortait  de  Rome  pour  se  dérober  à  la  persécution,  sur  les 
instances  des  fidèles,  regarde  Jésus;  à  demi  agenouillé,  il  exprime  sur  son 
visage  et  par  ses  mains  étendues  le  sentiment  de  surprise  que  lui  causent 
la  vue  et  la  réponse  du  divin  Maître  ;  il  se  relève  presque  immédiatement 
pour  obéir  à  l'ordre  de  Jésus.  Cette  figure  est  bien  posée  et  parle  vraiment  : 
celle  de  Jésus,  debout,  presque  nu,  avec  ses  pieds  qui  portent  les  traces 
des  clous,  est  très-belle  ,  la  tête  est  d'un  grand  caractère,  le  torse  modelé 
avec  force,  seuls  les  pectoraux  sont  peut-être  trop  saillants.  Derrière  les 
épaules  du  Christ  flotte  une  draperie  bleuâtre,  comme  les  affectionnait 
Mignard. 

11  est  à  regretter  qnc  ce  tableau  ait  été  ceintré  ;  on  ne  sait  plus  bien  si 
c'est  une  colonne  qui  se    voit,   élevée  sur  plusieurs    marches,   derrière 


422  TABLEALX    DF    L'hGLISE    SAINT-LOUIS 

S.  Pierre;   les  quelques  arbres  qui  en   sont   proches  laissent  à  désirer 
comme  dessin  et  comme  coloris. 

En  somme,  on  sent  (jue  dans  cette  composition  le  peintre  s'est  préoc- 
cupé avant  tout  des  deux  figures  de  Jésus  et  de  Pierre— de  celle  de  Jésus 
principalement,  qui  est  fort  belle. 

XIV,  XV  et  XVI. 

Sacristie. 

Dans  la  grande  sacristie  de  la  même  église,  où  l'on  admire  la  Résurrec- 
tion du  fils  de  la  veuve  de  Nahn  (de  Jouvenet),  se  voient  trois  toiles  assez 
remarquables;  ce  sont  un  ^.  Augustin  {de  Monei),  un  «S.  Jérôme  (de 
De.shays)  et  un  -i'.  Christophe  (de  Vien). 

Placés  à  la  droite  et  à  la  gauche  du  grand  tableau  de  Jouvenet,  les 
deux  toiles  de  Monet  et  de  Deshays  soutiennent  vaillamment  la  compa- 
raison avec  un  des  chefs-d'œuvre  de  l'école  française  du  dix-septième 

siècle. 

S.  Augustin,  revêtu  de  sa  chape  épiscopale  d'un  style  moderne,  sa 
crosse  à  ses  pieds,  tête  nue  et  assis,  trace  sur  un  livre  ouvert  que  porte 
un  ange  debout  devant  lui  ses  immortelles  Con/esswns.  La  têtedel'évêque 
d'Hippone  est  d'un  beau  caractère  et  l'artiste  dont  nous  ne  connaissons 
guère  que  le  nom  (Monet),  a  bien  saisi  l'instant  de  l'extase.  L'ange  laisse 
à  désirer  comme  forme  et  comme  couleur. 

Quant  au  S.  Jérôme,  c'est  bien  le  faire  de  Deshays,  dont  nous  avons 
déjà  signalé  le  S.  Pierre  en  prison.  Le  solitaire,  à  demi  nu,  se  renverse 
en  arrière  aux  accents  de  la  trompette  embouchée  par  un  ange  dont  la 
pose  est  pleine  de  Sveltesse  et  de  ce  que  les  Italiens  appellent  furia. 

Il  y  a  un  contraste  très-harmonieux  (si  l'on  peut  ainsi  s'exprimer), 
entre  le  calme  qui  règne  dans  le  S.  Augustin  et  l'âpreté  qui  caractérise 
le  S.  Jérôme;  on  sent  que  ces  deux  tableaux  ont  été  faits  pour  former 
pendants. 

Les  cadres  dorés,  en  bois  finement  sculpté,  sont  du  temps  même  (du 
dix-huitième  siècle.) 

Le  S.  Christophe  (de  Vien)  est  la  mise  en  action  de  la  légende  popu- 
laire ;  le  géant  vient  de  traverser  le  fleuve,  portant  sur  son  épaule  Jésus 
enfant,  et  au  moment  oh.  son  pied  se  pose  sur  le  rivage,  le  bâton  qui  lui 
servait  d'appui  se  couvre  de  fleurs. 

On  sait  que  Vien,  né  à  Montpellier  en  1716  et  mort,  dans  un  âge  très- 
avançé,  en  1809,  fut  un  des  plus  grands  peintres  du  siècle  dernier. 


DE    VEIISAILLES  •  423 

A  Paris,  on  admire  —  dans  l'église  Saint-lloch.  —  sa  grande  toile, 
S.  Denys  jjrèclamt  dans  les  Gaules. 

Telles  sont  les  richesses  artistiques  que  possède  encore,  à  l'heure  qu'il 
est,  Téglise  cathédrale  de  Versailles;  des  noms  tels  que  ceux  de  Jouvenet, 
de  Restout,  de  Boucher,  de  Pierre,  de  Deshays,  de  Jeaurat  et  de  Vien 
(pour  ne  citer  que  les  principaux),  disentassez  le  mérite  des  œuvres  qui 
leur  sont  dues. 

Ch.  Barthélémy. 


LES  ARCHITECTES 

DE   LA  CATHÉDRALE   DE  TOLÈDE 
(1227-1800) 


Quoique  une  réelle  incertitude  règne  sur  la  date  exacte  de  la  fondation 
de  la  cathédrale  de  Tolède  \  cette  église  primatiale  de  toutes  les  Espagnes*, 
de  nombreux  documents,  colligés  par  Bermudez  ^  et  provenant  des  pré- 
cieuses archives  du  Chapitre  de  cette  cathédrale  '*,  nous  ont  conservé  Ijs 

^  Les  Annales  de  Tolède  (L.  111)  fixent  l'année  1264,  tandis  que  salazar  de 
MENDOZA,  dans  l'introduction  de  la  Chronique  du  cardinal  D.  Pedro  Gonzalez  de 
Mendoza,  dit  que  la  premièie  pierre  tut  posée  le  li  août  de  Tannée  1227,  veille 
de  l'Assomption.  Ber^iudkz,  de  son  côté,  dit  {Nolicias  de  los  arquitectos  y  ar- 
quiiecliira  de  E^spanà,  etc.,  t.  I,  p.  47,  in-S",  Madrid,  1829,  inip.  real)  que  le 
roi  D.  Fernando  et  l'archevêque  D.  Rodiigo  posèrent  les  premières  pierres  en 
l'année  1 226  et  cite  à  l'appui  de  cette  assertion  ce  passage  suivant  de  l'histoire  de 
l'archevêque  D.  Rodrigo,  écrite  par  lui-même  (L.  IX,  c.  13)  :..  «  Et  tune  jece- 
runt  primayn  lupidcm  Rex  et  archiepiscopus  Rodericusin  fundamento  ecdesiœ 
Toleta)tœ,  quœ  in  forma  mezquitœ  à  iempore  arabum  adhuc  stabat  :  ciijus  fa- 
brica  opère  mirabili  de  die  in  diem  non  sine  grandi  admiratione  hominum 
exaltatur.  » 

...  «  Et  alors  le  roi  et  l'archevêque  Roderic  ont  posé  la  première  pierre  des  fon- 
dations de  l'Eglise  de  Tolède,  laquelle  restait  encore  à  l'état  de  mosquée  depuis 
le  temps  des  Arabes,  et  la  construction  de  cette  œuvre  admirable  s'élève  de  jour 
en  jour  non  sans  exciter  la  grande  admiration  des  hommes.  » 

*  La  cathédrale  de  Tolède  est  la  métropole  de  toute  l'Espagne  et  l'archevêque 
est  le  primat  du  royaume  (A.  Geumond  de  Lavigne,  Itinéraire  de  VEspagnc, 
p.  296,  in-12,  Paris,  1866.) 

*  Voir  note  1 . 

*  Behmude/.,  ouvrage  cité,  p.  'i8,  n.  1  et  p.  253  :  Catalogo  de  los  Arquitectos 
maestros  mayores  de  la  cutedral  de  Toledo,  desde  elano  de  1415  hasla  fines  del 
siglo  xvTii. 


LES  ARCHITECTES  DE  LA  CATHÉDRALE  DE  TOLÈDE  425 

noms  de  presque  tous  les  appareilleurs,  maîtres-ès-œuvres  ou  architectes  ^ 
de  cet  édifice  vénéré,  depuis  Pedro  Ferez  qui  en  traça  les  plans  au  trei- 
zième siècle,  jusqu'à  D.  Ignacio  Haan  qui  y  fut  chargé  de  travaux  d'achè- 
vement vers  la  fin  du  dix-huitième. 

Nous  ne  faisons  au  reste  que  traduire  la  liste  donnée  par  le  biographe 
espagnol  %  mais  en  l'annotant  avec  des  renseignements  empruntés  le  plus 
souvent  à  son  rarissime  ouvrage  ^  ;  car  il  nous  a  paru  intéressant  de 
grouper  autour  des  noms  de  ces  vieux  maîtres  de  l'architecture  espagnole 
quelques  indications  sur  lanature  du  concours  qu'ils  ont  apporté  àl'œuvre 
commune. 

Pedro  Perez,  qualifié  sur  son  épitaphe  de  magister  Ecclesix  scte  Marie 
Toletani  \  mourut  en  1290,  après  avoir  dirigé  les  travaux  pendant  soixante- 
quatre  ans,  ce  qu'admet  assez  volontiers  la  tradition  espagnole  ^.  C'est 
donc  à  cet  ancien  maître  qu'est  dû  le  plan  de  ce  vaste  édifice  qui,  suivant 
Lucio  Manineo  Siculo  [De  rébus  Hispaniœ  meînorabilibus),  compte  dans 
son  ensemble  sept  cent  cinquante  fenêtres. 

La  cathédrale  de  Tolède,  toute  construite  de  pierre  blanche,  a  cinq 
nefs,  entourées  de  chapelles,  et  quatre-vingt-quatre  piliers  ;  sa  lonp-ueur 


'  Aparejador,  maestro  mayor,  arquitecto,  sont  les  titres  donnés  par  Bermu- 
dez  à  ces  directeurs  des  travaux  de  la  cathédrale. 

2  Catalogo,  p.  253. 

3  Cet  ouvrage,  dédié  à  S.  M.  le  Roi  Ferdinand  VII  et  imprimé  par  son  ordre  à 
l'Imprimerie  Royale  de  Madrid,  a  fait  autrefois  partie  des  livres  appartenant  à  la 
Real  Academia  de  las  très  nobles  arles  de  Sun  Fernando  et  est  devenu  aujour- 
d'hui presque  introuvable  dans  les  bibliothèques  publiques  de  France  et  d'Espagne. 
—  C'est  même  à  la  bienveillance  de  notre  excellent  confrère  et  très-honoré 
collègue,  D.  EuGENio  de  la  Camara,  secrétaii  e-général  de  l'Académie  de  San 
Fernando,  que  nous  devons  l'exemplaire  que  nous  possédons  et  qui  nous  fut 
adressé  en  1869  par  ordre  de  l'Académie. 

*  Cette  épitaphe  porte  les  mots  :  qui  presens  templum  construxit  et  hic  quie- 
scit. 

^  Voir  note  1,  p.  281. —  Les  divers  récits,  relatifs  à  la  fondation  et  aux  premiers 
travaux  de  la  cathédrale  de  Tolède,  admettent  tous  que  Pedro  Perez  en  a  dirigé  les 
travaux  pendant  soixante-quatre  ans,  et  Bermudez  dit  à  ce  sujet  (p,  47  et  48)  : 
«  Mais  il  n'y  a  rien  d'impossible  à  ce  qu'un  liomme  vive  près  de  cent  années,  et 
que,  dès  l'âge  de  vingt-six  ou  de  vingt-huit  ans,  il  puisse  être  bon  architecte.  »  — 
Au  reste,  d'après  l'épitaphe  citée  plus  haut,  Pedro  Perez  ne  serait  mort  que  le  10 
novembre  1328,  ce  qui  fixerait  avec  les  Annales  de  Tolède  {\oïr  note  citée)  la  fon- 
dation de  la  cathédrale  à  l'année  12(34. 

Ile  série,  tome  II.  30 


426  LES  AIVCHITECTES 

est  de  quatre  cent  quatre  pieds  ;  sa  largeur  de  deux  cent  deux,  et  la  hauteur 
de  la  nef  principale  de  cent  soixante  ' . 

Après  Pedro  Ferez,  mais  seulement  plus  d'un  siècle  plus  tard,  viennent 
dans  l'ordre  suivant  : 

1.  Alyar  Gomez,  cité  comme  appareilleur  des  carrières  de  Olihuelas  *. 
11  dirigea  en  1418  les  travaux  de  la  façade  principale  ^,  et,  en  1425,  ceux 
de  la  tour  située  à  la  droite  de  cette  façade  "^  et  renfermant  la  grosse 
cloche  \ 

2.  Anequin  de  Egas  de  Bruxelles  *;,  grand-maître  de  l'œuvre  de  la 
sainte  église  de  Tolède  \  C'est  cet  artiste  qui,  aidé  d'un  appareilleur, 
Juan  Fernandez  de  Liena  (lui  aussi  un  artiste  de  renom),  fît  construire, 
en  1459,  la  façade  de  los  Leones  *  qui  est  celle  du  transsept  méridional  de 
cette  vaste  église. 

^  Le  pied  espagnol  étant  de  0,27  à  0,28  c,  les  dimensions  de  la  cathédrale  de 
Tolède  sont  environ  les  suivantes  : 

Longueur  '  113  mètres. 

Largeur  57      id. 

Hauteur  de  la  nef  principale  45      id. 

2  Bermudez,  1. 1,  p.  94. 

2  Cette  façade  occidentale,  de  style  ogival  et  richtmient  décorée  de  statues, 
comprend  les  trois  portes  dites  de  VInfierno  (de  l'Enfer),  del  Perdon  (du  Pardon) 
et  del  Juicio  (du  Jugement). 

*  Cette  tour  est  divisée  dans  sa  hauteur  en  trois  parties  :  la  première,  de  forme 
carrée,  la  seconde  octogonale,  et  la  dernière  formant  flèche  et  terminée  par  une 
croix  de  fer.  Les  murs  de  cette  tour  ont  plus  de  cinq  mètres  d'épaisseur  à  la  base, 
et  sa  hauteur  totale  atteint  quatre-vingt-dix  mètres. 

^  Cette  cloche,  située  à  la  partie  supérieure  du  premier  corps  de  la  tour,  pèse, 
dit-on,  dix-sept  mille  huit  cents  kilogrammes  et  les  Espagnols  assurent  qu'on 
l'entend  parfois  jusqu'à  Madrid,  c'est-à-dire  à  une  distance  de  plus  de  vingt  lieues. 

'^  Le  même  que  les  Flamands  appellent  Jean  van  der  Eycken.  {R'ivue  Univer- 
selle des  Arts,  1855,  in-8,  Paris,  Bruxelles  ;  1. 1,  p.  18  :  Les  arts  en  Belgique  sous 
Charles-Quint  (Architecture.) 

'  Bermudez,  1. 1,  p.  419. 

^  «  La  porte  dite  des  Lions,  qui  donne  son  nom  à  cette  façade,  est  une  des 
œuvres  les  plus  remarquables  de  l'architecture  ogivale.  Elle  se  compose  de  nom- 
breux arcs  ornés  à  profusion  de  statuettes  placées  dans  de  petites  niches  avec  dais 
et  du  travail  le  plus  élégant.  Cette  porte  doit  elle-même  son  nom  à  un  motif  d'or- 
nementation assez  employé  dans  les  édifices  du  Moyen -Age.  Elle  est  précédée 
d'un  parvis  fermé  par  une  grille  en  fer  disposée  entre  six  colonnes  que  surmontent 
des  lions  seivant  de  supports  à  des  écussons  armoriés.»  —  Feu  A.  du  Bois  et  Ch. 
Lucas,  Biographie  universelle  des  architectes  célèbres,  t.  I,  p.  219. 


DE  LA  CATHÉDRALE  DE  TOLÈDE  427 

3.  Mabtin  Sanchez  Bonifacio,  que  les  archives  du  Chapitre  qualifient 
de  grand  architecte  et  citent  depuis  1481  '.  11  exécuta,  en  1483,  la  façade 
de  la  chapelle  dite  du  Sagrario  -,  et  était  en  1484,  grand-maître  de 
l'œuvre  de  la  sainte  église  de  Tolède. 

4.  Juan  Guas,  en  1494  ^.  Cet  artiste  est  surtout  connu  comme  l'auteur 
de  l'église  du  fameux  couvent  de  San  Juan  de  los  Reyes  à  Tolède,  un  des 
monuments  les  plus  remarquables  de  l'architecture  espagnole  de  la  fin  du 
quinzième  siècle  *. 

5.  Henrique  Egas,  fils  de  Anequin  Egas,  plus  connu  sous  le  nom  de 
maître  Henri.  Il  succéda,  dit  Bermudez  ^,  en  1494,  à  son  père,  comme 
grand-maître  de  la  sainte  église  de  Tolède  et  conserva  ses  fonctions 
jusqu'à  sa  mort  arrivée  en  1534.  Pendant  ces  quarante  années  il  cons- 
truisit beaucoup  d'édifices  à  Tolède  et  en  dehors  de  cette  ville,  car  tous 
les  Chapitres  d'Espagne  tinrent  à  honneur  de  le  consulter  ;  mais,  dans  la 
cathédrale  de  Tolède,  on  ne  connaît  pas  d'autre  trace  du  passage  d'Hen- 
rique  Egas  que  des  travaux  de  construction  de  la  chapelle  mozarabe  ^. 

6.  Alonzo  Coyarrubias,  élève  et  gendre  de  Henrique  Egas  "^^  nommé  le 

'  Bermudez,  t.  I,  p.  126  et  253. 

2  Cette  chapelle,  à  laquelle  on  accède  par  la  sacristie,  est  une  des  plus  riches 
et,  divisée  en  plusieurs  parties,  en  renferme  une  qui  doit  à  sa  forme  octogonale 
le  nom  d'Oc/muo.  Ce  dernier  sanctuaire  est  un  véritable  trésor  (sagrario  a  même 
cette  signification)  dans  lequel  on  visite  les  œuvres  d'art  et  les  reliques  les  plus 
précieuses. 

2  On  se  rend  difficilement  compte  des  travaux  dirigés  par  Juan  Guas  au  nom 
duquel  n'est  attachée  aucune  partie  importante  de  la  construction  ou  de  la  déco- 
ration de  la  cathédrale  11  faut  même  ajouter  que  le  titre  de  grand-maitre  de  l'œu- 
vre de  la  cathédrale  ayant  été  porté  successivement  par  Anequin  de  Egas  et  par 
Henrique  Egas,  son  fils,  ce  n'est  que  la  mention  faite  dans  le  Catalogue  (vQir 
note  4,  p.  281)  qui  nous  fait  conserver  ici  le  nom  de  Juan  Guas. 

*  Edifice  fondé  en  1477  par  les  rois  catholiques  Ferdinand  et  Isabelle  qui  avaient 
pi'imitivement  décidé  d'en  faire  le  lieu  de  leur  sépulture.  De  nombreux  motifs  dft 
sculpture,  parmi  lesquels  les  chiffres  et  les  écussons  des  souverains  fondateurs, 
décorent  à  profusion  cet  édifice  qui  a  beaucoup  souffert  pendant  les  guerres  du 
commencement  de  ce  siècle. 

^  Bermudez,  t.  I,  p.  133. 

6  Cette  chapelle,  construite  sur  un  plan  carré  de  quatorze  mètres  de  côté,  fut 
érigée  pour  perpétuer,  au  milieu  des  cérémonies  modernes  du  rite  grégorien, 
l'ancien  rite  chrétien  primitif  qui.  par  une  capitulation  spéciale,  et  lors  de  l'inva. 
sion  des  Arabes,  avait  continué  de  s'exercer  dans  six  des  églises  de  Tolède. —  G.  DE 
La  VIGNE,  Ilùtéraire  cité,  p.  298. 

'  Alonso,  né  à  Govarrubias,  dans  l'archevêché  de  Burgos,  avait  étudié  l'archi- 


428  .LES  ARCHITECTES 

15  octobre  1334  grand-maître  de  l'œuvre,  fonctions  qu'il  abandonna  de 
son  plein  gré  et  comblé  d'honneurs,  lui  et  les  siens,  par  le  roi  Philippe  II 
et  le  Chapitre  de  Tolède  en  lo65  '.  On  doit  à  Alonso  Covarrubias  les 
dessins  de  la  chapelle  dite  de  los  Reyes  nuevos,  qu'exécuta  sous  sa  direc- 
tion Alvaro  Montegro  -. 

7.  Fernand  Gonzalez,  nommé  le  1"  octobre  1566  et  qui  mourut  le  31 
août  1576  3. 

8.  Nicolas  de  Vergara,  dit  le  jeune  *,  nommé  une  première  fois  le  l*"" 
septembre  1376,  et  une  seconde  fois  le  9  juin  1587.  Nicolas  de  Vergara 
resta  grand-maître  de  l'œuvre  jusqu'à  sa  mort  arrivée  le  11  décembre 
1606,  et  fit  reconstruire  la  chapelle  de  Notre-Dame  du  Sagrario  ^. 

9.  Diego  de  Alcantera  qui,  par  suite  du  désistement  de  Nicolas  de  Ver- 
gara, exerça  ces  mêmes  fonctions  du  25  février  1582  jusqu'à  sa  mort 
arrivée  le  11  avril  1387  ^ 

10.  Juan  Bautista  Monegro,  nommé  grand-maître  depuis  le  29  dé- 
cembre 1606,  jusqu'à  sa  mort  arrivée  le  8  février  1621.  L'archevêque 
D.  Bernard  de  Sandoval  y  Rojas  chargea  cet  artiste,  à  la  fois  sculpteur  et 
architecte  de  continuer  la  chapelle  du  Sagrario  et  VOchavo  ''. 

tecture  à  l'école  de  Simon  de  Cologne,  et,  venu  à  Tolède  avec  son  frère  MâRCOS 
(lequel  devint  maître  de  la  chasublerie  de  la  cathédrale),  Alonso  y  épousa  Maria 
GuTiERREZ  DE  Egâs,  fille  de  Heniique. 

*  Bermudez  publie  (t.  I,  p.  182  et  suiv)  une  longue  biographie  de  Al  mso  Co- 
varrubias, et  (même  vol  ,  p.  305),  d'intéressants  documents  relatant  des  cédules 
royale?  de  l'empereur  Charles-Quint  et  du  roi  Philippe  II  relatives  à  cet  artiste 
dont  un  fils,  D.  Diego  de  Covarrubias  y  Leiva  fut  évêque  de  Ségovie,  et  nous  a 
conservé,  dans  ses  Mémoires,  la  date  de  la  mort  de  son  père  arrivée  le  11  mars 
1570. 

^  Bermudez,  t.  I,  p.  225.  —  Juan-Bautista  Monegro,  que  nous  citerons  plus 
loin  comme  grand-maître  de  l'anivre  de  la  cathédrale  de  Tolède,  était  fils  de  cet 
Alvaro  Monegro. 

^  Catalogo,  p.  253. 

*  Il  était  fils  de  NicoLAS  DE  Vergara,  sculpteur  et  architecte,  qui  dessina  et  fit 
construire  le  portail  principal  de  V Église  de  San  Juan  de  Los  Reyes  à  Tolède,  en 
1565  (voir  plus  haut  Juan  Guas,  p.  284). 

^  Le  roi  Philippe  II  voulut,  à  cette  époque,  voir  les  dessins  de  cette  chapelle  sur 
lesquels,  dit  Bermudez  (t.  111,  p.  118),  il  indiqua  quelques  légères  corrections; 
plutôt  en  signe  d'approbation.  (Voir  plus  haut  Martin  Sancuez  Bonifacio,  p.  284.) 

«  Diego  de  Alcantara,  à  la  fois  architecte  et  sculpteur,  était,  depuis  1573,  em- 
ployé en  cette  dernière  qualité  par  le  Chapitre  de  Tolède.  (Bermudez,  t.  III,  p.  48.) 

■^  Idem,  t.  III,  p.  108.  (Voiries  notes  précédentes.) 


DE  LA  CATHEDRALE  DE  TOLÈDE  429 

H.  ToRiBio  Gonzalez,  grand-maître  de  l'œuvre  par  intérim,  depuis 
1622  jusqu'à  son  désistement  en  1625,  et  auquel  on  doit  toutes  les  sculp- 
tures sur  liois  de  noyer  de  la  chapelle  du  Sagrario  '. 

12.  Jorge  Manuel  Theotocopuli,  depuis  le  10  mars  1623  jusqu'à  sa 
mort  arrivée  le  29  mars  1631.  Cet  architecte,  fils  de  l'architecte  Domingo 
Theotocopuli,  grec  d'origine,  traça  et  exécuta  la  coupole  et  la  lanterne  de 
la  chapelle  mozarabe  de  la  cathédrale  -  et  donna  des  dessins  pour 
YOchavo  '. 

13.  LORENZO  Fernandez  de  Salazar,  qui  succéda,  le  16  août  1631,  à 
Jorge  Manuel  Theotocopuli  comme  grand-maître  de  l'œuvre  de  la  cathé- 
drale, et  qui,  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  le  4  juillet  1643,  continua  les  travaux 
de  VOchavo  sur  les  avis  donnés  par  Pedro  de  la  Torre  et  le  frère  Fran- 
cisco Bautista  *. 

14.  Felipe  Lazaro  de  Goyti,  nommé  le  13  août  1643  à  la  suite  d'un 
concours  ^  et  qui  mourut  le  17  août  1653  \  Cet  artiste  eut  enfin  la  satis- 
faction de  terminer  peu  avant  sa  mort,  le  24  avril  1653,  la  décoration  de 
VOchavo  '' . 

15.  GoSME  DE  Penalacia  qui,  nommé  le  14  février  1656,  mourut  le  4 
août  1657  ^ 

IG.  JosEF  EE  Ortega,  nommé  le  24  août  1657  sur  sa  grande  réputation, 
mais  que  des  misons  de  santé  firent  se  désister  le  18  juin  1671  et  qui 
mourut  le  3  janvier  1673  ^. 

17.  Bartolomé  Zombigo  ou  Sombigo  de  Salcedo  qui,  nommé  architecte 

»Bermudez,  t.  III,  p.  79. 

2  Ce  travail,  déclaré  inexécutable  suivant  le  tracé  indiqué  par  Jorge  Manuel, 
fut  achevé  par  cet  artiste  en  1631.  (Idem,  t.  III,  p.  185.) 

•^  Mais,  sur  l'avis  des  architectes  Juan  Bautista  Crescenci  et  Juan  Gomez  de 
MouA,  le  cardinal  Zapata  préféra  revenir  aux  dessins  primitifs  donnés  par  Nicolas 
DE  Vergara  et  Juan  Bautista  Moxegro.  (Voir  page  précédente.) 

•  Bermudez,  t.  IV,  p.  7. 

"  Les  concurrents  étaient,  avec  Goyti,  Alonso  Gang,  Juan  de  la  Pena,  Juan 
DE  Gandia  et  Juan  de  la  Pedrosa. 

^  Bermudez,  t.  IV,  p.  43. 

''  Les  marbres  les  plus  riches  furent  employés  à  profusion  dans  cette  chapelle 
ainsi  que  dans  les  deux  avoisinantes. 

^  Bermudez,  t.  IV,  p.  52. 

'  A  Josef  de  Ortega,  ainsi  qu'à  ses  prédécesseurs  qui  durent  abandonner  l'em- 
ploi actif  do  grand-maitre  de  l'œuvre  de  la  cathédrale  de  Tolède,  le  Chapitre  con- 
serva dans  leur  retraite  la  tot.dité  de  leur  traitement  (Bermudez,  t.  IV,  p.  42). 


430  LF.S  ARCHITECTES 

et  grand-maître  de  l'œuvre  le  18  juin  1(571,  mourut  le  14  août  1682  après 
avoir  prodigué  de  nouveaux  marbres  dans  la  chapelle  de  l'Ochavo  *. 

18.  JosEF  DoNOSO,  né  à  Consuegra,  à  la  fois  peintre  et  architecte,  et 
élève  de  son  père,  lui-même  peintre  de  talent.  Donoso,  qui  avait  complété 
son  éducation  à  Rome  et  dont  les  œuvres  d'architecture  sont  nombreuses  '*, 
fut  nommé  grand-maître  de  l'œuvre  de  la  cathédrale  de  Tolède  le  13 
août  1085  et  mourut  le  14  septembre  1690. 

19.  D.  Theodgho  Ardemans,  né  d'un  père  d'origine  allemande,  fut  lui 
aussi  peintre  et  architecte.  Ardemans  a  de  plus  laissé  plusieurs  traités 
estimés;  mais,  nommé  grand-maître  de  l'œuvre  de  la  cathédrale  le  12 
mars  1691,  il  fut  forcé,  par  des  raisons  de  santé,  de  résigner  cet  emploi 
de  27  octobre  1721.  Ardemans  mourut  en  1726  '. 

20  Naroiso  Tome,  qui  se  qualifiait  de  peintre,  sculpteur  et  architecte, 
et  qu'il  faut  compter  parmi  les  élèves  du  fameux  Ghurriguera.  Nommé 
le  27  octobre  1721,  c'est  à  lui  qu'est  dû  le  transparent  '*,  «  cet  entassement 
inoui  de  marbres,  de  bronzes,  de  volutes,  de  consoles,  de  balustres,  de 
chapitaux  bizarres,  de  nuages  et  de  rayons  solaires,  ainsi  nommé  parce 
que,  dans  le  projet  primitif,  cette  construction,  érigée  en  arrière  du  reta- 
ble de  la  capella  mayor^  devait  être  entièrement  à  jour  pour  laisser  voir 
l'intérieur  du  sanctuaire  ^  » 

21.  Le  célèbre  D.  Ventura  Rodriguez,  qui  fut  directeur  de  l'Académie 
des  Reaux-Arts  de  San  Fernando,  et  que  ses  contemporains  surnommèrent 
le  Restaurateur  de  V Architectur.e  en  Espagne.  Appelé  par  le  Chapitre  de 
Tolède  le  17  novembre  1772,  cet  architecte  termina  la  façade  principale 
de  la  cathédrale  dans  le  goût  de  son  époque,  c'est-;\-dire  dans  le  sentiment 
classique  de  l'architecture  romaine  antique  la  plus  riche.  D.  Ventura 
Rodriguez  fit  en  outre  ériger  dans  le  même  style,  en  1777,  les  deux  reta- 


*  Bermudez,  t.  IV,  p.  62. 

■^  Donoso,  dit  de  plus  Palomino  (voir  Bermudez,  t.  IV,  p.  79  et  80)  laissa  de 
nombreux  écrits  d'une  grande  valeur  sur  les  sciences  exactes  et  sur  leur  applica- 
tion à  l'architecture. 

^Bermudez,  t.  IV,  p.  IIU  et  suiv.  —  Consulter  aussi  Biof/r.  univ.  des  urcli. 
célèbres,  1. 1,  p.  262  et  suiv. 

*  Bermudez,  t.  IV,  p.  lOi  et  n.  1,  p.  106. 

^G.  de  LA.VIGNE,  Itinéraire  cité,  p.  21)8.  —  Un  révérend  prédicateur,  aussi  bon 
poète  que  Tome  était  bon  architecte,  composa  et  fit  imprimer,  dit  Bermudez,  une 
pièce  de  vers  de  huit  syllabes  en  éloge  de  ce  transparent  qu'il  qualifiait  de 
Huitième  merveille  du  monde. 


DE  LA  CATHÉDRALE  DE  TOLÈDE  431 

bles  de  la  chapelle  de  los  Reye^  Nuevos  ',  et,  comblé  d'honneurs  par  ses 
contemporains,  mourut  à  Madrid  le  26  août  1785  *. 

22.  D.  EuGENioLoPEzDuRANGO,  qui  était  appareilleur  depuis  le  lo  août 
1773,  fut  nommé  grand-maître  de  l'œuvre  le  28  janvier  1786,  prit  sa 
retraite  le  9  septembre  1793  et  mourut  le  5  septembre  1794  ^ 

23  D.  Ignacio  Haan,  membre  de  l'Académie  de  San  Fernando  et 
nommé  grand-maître  de  l'œuvre  le  21  septembre  179-4  \ 

Avec  cet  artiste  finit  la  liste  donnée  par  Bermudez  et  s'arrête  forcément 
notre  travail.  Nous  savons  cependant  que,  vers  1800,  fut  reconstruite 
l'une  des  portes  de  la  façade  méridionale  de  la  cathédrale  et  dans  un  style 
tout  différent  que  Tadmirable  Po7'te  des  Lions,  sa  voisine  '^  ;  mais  nous  ne 
connaissons  pas  le  nom  de  l'architecte  auquel  il  faut  attribuer  ce  travail. 

Cependant  nous  serions  injuste,  si  nous  n'inscrivions  pas  à  la  suite  du 
Catalogue  des  Maîtres  auxquels  la  cathédrale  de  Tolède  doit  les  splendeurs 
de  son  architecture,  toute  une  famiUe  d'artistes,  celle  des  Arfe  compre- 
nant Henrique,  Antonio,  son  fils,  et  Juan,  son  petit-fils.  Ces  trois  artistes, 
«  célèbres  architectes  et  sculpteurs  en  or  et  en  argent  du  XVP  siècle, 
étaient,  dit  Bermudez  %  d'origine  allemande,  et  on  peut  présumer  que 
le  roi  Philippe  I",  le  Beau,  avait  fait  venir  le  premier,  Henrique  de  Arfe, 
de  ses  provinces  flamandes. 

«  Tous  trois  exécutèrent,  pour  un  grand  nombre  d'églises  d'Espagne 
(et  notamment  pour  la  cathédrale  de  Tolède)  ces  merveilleuses  custodes 
ou  tabernacles  d'argent,  recouverts  de  dorure,  ornés  d'innombrables 
statues,  parfois  éblouissants  de  pierres  précieuses,  et  qui  prouvent,  par 
l'agencement  de  leurs  parties,  le  charme  de  leur  décoration  et  le  fini  de 
leur  exécution,  outre  de  grandes  aptitudes  de  composition  architecturale, 
l'habileté  de  main  d'un  sculpteur  consommé  et  une  parfaite  connaissance 
des  données  spéciales  de  l'orfèvrerie. 

«  Conservée  dans  un  petit  cabinet  attenant  à  la  sacristie  de  la  cathé- 
drale, la  custode  de  la  cathédrale  de  Tolède  est  une  remarquable  œuvre 
d'orfèvrerie  d'une  hauteur  totale  de  plus  de  quatre  mètres.  Elle  est  en 
argent  doré,  d'un  poids  considérable  (plus  de  deux  cents  kilogrammes)  et 

*  Chapelle  fondée  par  le  roi  Henri  II  et  qui  renferme  les  tombeaux  de  plusieurs 
souverains  espagnols. 

2  Bermudez,  t.  IV,  p.  237  et  suiv. 
'  Catalogua  p.  254. 

*  Idem, idem. 

*  G.  de  Lavigne.  Itinéraire  cite,  p.  297. 

*  Voir  1. 111,  p  97,  tout  un  long  chapitre  consacré  à  cette  famille  des  Arfe. 


432  LES  ARCHITECTES  DE  LA  CATHÉDRALE  DE  TOLÈDE 

enrichie  de  nombreux  diamants  et  d'émaux  des  plus  précieux.  Elle  se 
compose  de  trois  corps  ou  étages  en  retraite  qui  lui  donnent  ainsi  une 
forme  pyramidale  et,  commencée  par  Ilenrique  de  Arfe,  elle  ne  fut  ter- 
minée que  par  son  petit-fils  Juan.  Toutes  les  parties  de  cet  immense 
assemblage  de  plaques  de  métal  sont  reliées  ensemble  par  quatre-vingt 
mille  viroles,  et  il  y  a  tout  un  livre  de  prescriptions  à  suivre  pour  les 
démonter  et  les  remonter  lors  des  sorties  annuelles  des  processions  de  la 
Fête-Dieu  ^ 

Tels  sont  les  renseignements  que  nous  avons  pu  réunir  sur  les  archi- 
tectes de  la  cathédrale  de  Tolède  ;  cependant  nous  espérons,  aussitôt  la 
fin  des  troubles  politiques  qui  désolent  actuellement  l'Espagne*,  joindre  de 
nouveaux  documents  à  ceux  que  nous  avons  traduits  ou  relatés  ci-dessus 
et  parvenir  à  compléter  jusqu'à  nos  jours  la  liste  des  Maîtres-h-œuvres 
auxquels  l'Espagne  doit  la  construction  et  l'entretien  de  l'admirable 
Cathédrale  de  Tolède. 

Gn ARLES  Lucas,  Architecte, 
Membre  correspondant  de  l'Académie  de  San-Fernando. 

*  Biogr.  -miv.  des  Archit.  célèbres,  t.  1,  p.  265  et  266. 

'^  Ces  lignes  étaient  écrites  avant  la  restauration  du  roi  Alphonse  XII,  aussi 
pourrions-nous  déjà  y  ajouter  plusieurs  documents  intéressants;  mais  il  nous 
semble  préférable  d'attendre  encore  quelque  peu  et  d'offrir  à  nos  lecteurs  un  tra- 
vail plus  complet,  travail  dont,  grâce  à  la  bienveillance  de  notre  trcs-bonoré 
confrère,  D.  Eugenio  de  la  Camara,  nous  attendons  les  principaux  éléments  de 
sa  précieuse  collaboration.  —  Ch.  L. 


VOCABULAIRE 

DES   SYMBOLES   ET   DES    ATTRIBUTS 
employés  dans  l' Iconographie  chrétienne 

QUATORZIÈME   ARTICLE  * 


P. 


Païens.  —  Des  personnages  païens  figurent  dans  l'iconographie  chré- 
tienne du  Moyen-Age.  Tantôt  c'est  une  faveur  qui  leur  est  accordée:  il 
en  est  ainsi  de  Sénèque,  que  S.  Jérôme  range  au  nombre  des  auteurs 
chrétiens;  de  Platon,  qui  a  entrevu  le  mystère  de  la  Trinité;  de  Vir- 
gile, considéré  comme  à  demi  prophète;  de  Pythagore,  de  Solon,  etc. 
Tantôt  c'est  pour  exprimer  un  vice  ou  une  infériorité  :  t'est  ainsi 
(ju'Aristote  est  mis  sous  les  pieds  de  S.  Augustin;  Néron,  sous  ceux  de 
la  Justice  ;  Porphyre  ou  Maximin  II,  sous  ceux  de  Ste  Catheiine  d'Ale- 
xandrie; Sardanapale,  sous  ceux  de  la  Prudence;  Tarquin,  sous  ceux 
de  la  Tempérance. 

Pain.  —  A.  de  Melchisédech,  des  prophètes  Abdias,  Elie  et  Habacue; 
de  la  Sibylle  phrygieime;  de  S.  Antoine,  S.  Arnoul  de  Soissons,  S.  Be- 
noît, Ste  Catherine  de  Sienne,  S.  Honoré,  S.  Jean  l'Aumônier,  Ste  Ger- 
trude^  S.  Josse,  S.  Landry,  Ste  Marie  l'Egyptienne,  S.  Nicolas  de  Tolen- 
tino,  S.  Marcoul,  S.  Onuphrc,  S.  Paul  ermite,  S.  Paul  de  Verdun,  etc. 

Palette  et  pinceaux.  —  A.  de  la  Peinture. 

Pallium.  —  S.  de  la  perfection  du  Sauveur,  des  vertus  pontificales. 

Palme.  —  Symbole  de  victoire  et  surtout  de  martyre;  mais  il  est  avéré 
maintenant  que,  dans  les  séi)ultures  chrétiennes  des  catacombes,  ce 
n'est  point  un  signe  assuré  de  martyre,  à  moins  qu'elle  ne  soit  jointe 
à  d'autres  indices  plus  positifs.  La  Congrégation  des  iiululgences  et  des 

*  Voir  le  numéro  d'Octobre-Novembre  1874,  p.  353. 


434  VOCABULAIRE 

reliques,  dans  une  réponse  du  10  avril  1668,  avait  considéré  la  palme 
comme  un  signe  très-certain  de  martyre  ;  mais  cette  opinion  est  aban- 
donnée depuis  longtemps.  Benoît  XIV  ne  fait  pas  difficullé  de  déclarer 
que  «  dans  les  fouilles  des  cimetières,  la  seule  base  sur  laquelle  on  se 
fonde,  c'est  non  pas  la  palme,  mais  le  vase  teint  de  sang.  » 

La  palme  est  l'attribut  des  martyrs,  qui  la  tiennent  à  la  main.  L'ico- 
nographie moderne,  par  un  oubli  de  sa  pieuse  signification,  place  par- 
fois la  i)alme  à  terre,  aux  pieds  des  saints. 

Palmier.  —  S.  de  la  Sagesse  éternelle,  de  la  Ste  Vierge,  de  l'Eglise, 
du  martyre,  de  la  vertu,  de  la  justice.  —  A.  de  S.  Paul  ermite,  de 
S.  Pai)liuuce,  de  S.  Onupbre.  —  Le  palmier,  dans  les  catacombes,  est 
l'arbre  de  vie  :  c'est  aussi  le  signe  de  la  résurrection,  parce  que,  selon 
une  légende  antique,  il  renaissait  de  ses  cendres  après  avoir  été  brûlé. 
—  Aux  funérailles  de  Marie,  S.  Jean  porte  une  branche  de  palmier. 

Palmipèdes  [oiseaux).  —  Emblème  du  Baptême,  dans  l'art  chrétien 
primitif,  parce  que  ces  oiseaux  vivent  souvent  dans  l'eau. 

Panetière. — A.  de  Jésus  pèlerin,  de  S.  Jacques  le  Majeur,  de  S.  Roch. 

Panier.  —  A.  de  Sle  DoroUiée,  S.Félix  de  Gantalice,  Ste  Françoise 
Romaine,  S.  Nicolas  de  Tolentino,  S.  Philippe,  Ste  Pontienne,  S.  Ro- 
main de  Subiaco. 

Panthère.  —  S.  de  Jésus-Christ,  de  l'aspiration  vers  le  ciel,  de  la  vo- 
lu[)té.  —  D'après  certains  Bestiaires,  la  panthère,  animal  doux  et  pai- 
sible (!),  fait  penser  à  la  mansuétude  du  Sauveur. 

Paon.  —  Dans  l'art  chrétien  primitif,  c'est  le  symbole  de  la  résur- 
rection, parce  (ju'il  se  revêt  de  nouvelles  plumes  au  printemps;  de 
rimmortalité,  à  cause  de  l'incorruptibilité  (jue  les  anciens  attribuaient 
à  sa  chair.  L'iconographie  moderne  en  a  faille  symbole  de  l'orgueil,  de 
la  vanité.  C'est  l'attribut  du  printemps,  du  mois  de  mai,  de  Ste  Barbe, 
du  B.  Gunlher,  de  S.  Liboire. 

Papes.  —  Revêtus  d'une  chape,  ils  portent  la  triple  couronne  (tiare), 
la  croix  à  triple  croisillon  et  parfois  les  clés  de  S.  Pierre. 

Papillon.  —  S.  de  la  résurrection,  de  la  légèreté.  —  A.  de  l'incons- 
tance. 

Paradis.  —  L'art  chrétien  jirimitif  le  représente  par  des  roses,  des 
fleurs,  des  tours,  une  cité.  —  V.  Jérusalem. 

Parallélisme.  —  Dins  les  tapisseries,  les  vitraux,  les  miniatures,  on 
voit  souvent  le^  scènes  du  Nouveau  Testament  avoir  pour  pendants  des 
scènes  figuratives  de  l'ancienne  Loi.  Voici  quelques  exemides  de  ce 
parallélisme  com[),iratif  : 

Annonciation.  —  Chute  d'Eve. 


DES    SYMBOLES  4.35 

Circoncision  de  Jésus.  —  Circoncision  d'Isaac. 

Adoration  des  Mages.  —  La  reine  de  Saba  visite  Salomon. 

Massacre  des  innocents.  —  Moïse  sauvé  des  eaux. 

Crucifiement.  —  Le  serpent  d'airain. 

Sépulture  du  Sauveur.  —  Jonas  dans  le  ventre  de  la  baleine,  ou  le 
puits  où  fut  jeté  le  patriarche  Joseph. 

Piésurrection  de  Jésus-Christ.  —  Jonas  sort  du  ventre  de  la  baleine, 
ou  exaltation  de  Jose[ih  en  Egypte. 

L'ascension.  —  Enlèvement  d'Enoch  ou  d'Elie,  ou  bien  encore  l'é- 
chelle de  Jacob. 

Pentecôte. — Moïse  recevant  la  Loi,  ou  la  confusion  des  langues  à 
Babel. 

La  communion.  —  La  manne. 

Pai^esse.  —  Figurée  par  un  vilain,  chevauchant  sur  un  âne  et  portant 
uu  hibou. 

Passereau.  —  S.  de  la  solitude  pénitente. 

Patience.  —  Figurée  par  une  fenuue  à  cheval  sur  un  bœuf. 

Patriarches.  —  Us  sont  représentés  avec  un  attribut  particulier  qui 
fait  allusion  à  quelque  circonstance  de  leur  vie  ;  Benjamin,  avec  un 
loup;  Juda  et  Ruben,  avec  un  lion;  Issachar,  avec  un  âne;  Nephtali, 
avec  un  cerf;  Joseph,  avec  un  livre;  Lévi,  avec  un  encensoir;  Aser 
porte  une  branche  chargée  de  fruits;  Cad  est  vêtu  en  guerrier;  Dan 
déchire  la  gueule  d'un  lion  ;  Zabulon  est  monté  sur  un  navire. 

Patrons.  —  Il  est  ])arfois  utile,  ].our  comprendre  certaines  scènes  des 
bas-reliefs  et  des  vitraux  peints,  de  connaître  quels  sont  les  Saints  que 
les  corporations  du  Moyen-Age  ont  choisis  pour  i)atrons.  Nous  allons 
donner  la  liste  des  [)rincipaux.  Il  y  aura  parfois  plusieurs  patrons  pour 
une  profession,  parce  que  les  patronages  d'un  même  état  varient  sui- 
vant les  pays. 

Académiciens,  s.  Louis.  Architectes,  s.  Thomas.,  ste  Barbe. 

Agriculteurs,  s.  Éloi^  s.  Gens.  Argentiers,  s.  Pierre  ès-Liens. 

Aiguilletiers,  s.  Sébastien.  Armuriers,  ste  Barbe,  s.  Guillaume. 

Amidoimiers,  s.  Charles  Borromée.  Arquebusiers,  ste  Barbe,  s.  Éloi. 

Apothicaires,  s.  Corne  et  s.  Damien,  Artificiers,  ste  Barbe. 

s.  Nicolas.  Artilleurs,  ste  Barbe. 

Apprêteurs,   s.  Jean  Porte-Latine,  Aubergistes,  s.  J. -Baptiste. 

s.  Maurice.  Aveugles  (Quinze-Vingts),  s.  Louis. 

Arbalétriers,  s.  Christophe.  Avocats,  s.  l^ves. 

Archers,  s.  Georges,  s.  Sébastien.  Avoués,  5.  Yves. 


436 

Balanciers,  s.  Michel. 
Barbiers,  5.  Louis. 
Bateliers,  s.  Nicolas. 
Bedeaux,  s.  Constance,  s.  Guy. 
Bergers,  s.  Benezet,  s.  Druon,  s.  Leu, 

s.  Wendelin,  s.  Mam?nès, 
Bergères,  ste  Solange,  ste  Geneviève. 
Bijoutiers,  s.  Éloi,  s.  Louis. 
Bimbelotiers,  s.  Claude. 
Blanchisseurs,  s.  Maurice. 
Blattiers,  L.a  Toussaint. 
Boisseliers,  ste  Anne. 
Bonnetiers,  s.   Michel,   s.   Fiacre, 

s.  Jacques,  s.  Louis,  Nativité. 
Bottiers,  s.  Crépin. 
Boucliers,  s.  Antoine,  s.  Barthélémy, 

s.  Hubert,  s.  Nicolas,  Annoncia- 
tion, Fête-Dieu. 
Boutions,  s.  Mathurin. 
Boulangers,  s.  Honoré,   s.  Aubert, 

s.  Luclard,  s.  Michel. 
Bourreaux,  s.  Adrien. 
Bourreliers,  s.  Éloi,  s.  J.-Baptiste, 

l'Assomption. 
Boursiers,  s.  Brieuc. 
Boutonniers,  s.  Louis. 
Brasseurs,   s.  Arnoul,  s.   Médard, 

s.  Nicolas. 
Briquetiers,  s.  Vincent  Ferricr. 
Brodeurs,  ste  Claire,  s.  Clair,  s.  Luc, 

s.  Louis. 
Brodeuses,  ste  Claire,  s.  Luc^  N.-D. 

des  Neiges. 
Brosseurs,  s.  Dorothée. 
Bûcherons,  s.  Joseph. 


Cabaretiers,  s.  J.-Baptiste,  s.  Lau 
rent,  s.  Théodote,  s.  Zachée. 

Cardeurs,  5.  Bluise,  ste  Marie 
Madeleine. 


VOCABULAIRE 

Carilloîuieurs,  ste  Barbe. 

Carriers,  s.  Biaise. 

Carrossiers,  ste  Catherine,  s.  Éloi. 

Garliers,  l'Epiphanie. 

Cartonniers,  s.  Jean  P.-L. 

Cavaliers,  ste  Marthe,  s.  Georges. 

Ceinturonniers,  s.  J.-Baptiste. 

Couturières,  Nativité,  Transfigura- 
tion, ste  Anne. 

Chaînetiers,  s.  Alexis. 

Chandeliers,  Purification. 

Cliantres,  s.  Grégoire-le-Grand. 

Cha|)eliers,  s.  Jacques-le-Maj.,s.  Mi- 
chel. 

Charcutiers,  s.  Antoine,  Fête-Dieu. 

Chargeurs,  s.  Christophe. 

Charpentiers,  ste  Barbe,  s.  Joseph, 
s.  Mathias. 

Charrons,  ste  Anne,  ste  Catherine, 
s.  Joseph. 

Chasseurs,  s.  Hubert,  s.  Eustache. 

Chaudronniers,  s.  Éloi,  s.  Pierre- 
ès-Liens. 

Cliaussetiers,  ste  Anne,  s.   Biaise. 

Chirurgiens,  ss.  Corne  et  Damien, 
s.  Boch. 

Ciriers,  s.  Nicolas,  ste  Geneviève, 
Purification. 

Clergé,  s.  Charles  Borromée,  s.  Jean 
Népomucène. 

Cloutiers,  s.  Cloud,  s.  Pierre. 

Coiffeurs,  s.  Louis. 

Collèges,  s.  Charlemagne,  s.  Louis 
de  Gonzague. 

Compagnons  du  devoir,  s.  Jacques. 

Comédiens,  s.  Genest. 

Comédiennes,  ste  Pélagie. 

Confiseurs,  s.  Mathias,  Purification. 

Cordon niei's,  s.  Crépin. 

Corroyeurs,  s.  Simon,  s.  Jacques. 


Cordiers,  s.  Paul. 

Couteliers,  s.  J.-Baptiste,  s.  Flot. 

Couvreurs,  ste  Barbe,   s.  Vincent- 

Ferriei\  V Ascension,  Exalt.  de  la 

Croix. 
Cultivateurs,  s.  Roch.,  s.  Eloi.^    s. 

G  €718. 

Cuisiuiers,  s.  Just,  s.  Laurent,  Na- 
tivité. 

Débardeurs,  s.  Nicolas. 

Dégraisseurs,  Transfiguration. 

Dentellières,  N.-D.  des  Neiges. 

Diacres,  s.  Etienne. 

Dinaudiers,  s.  Fiacre,  s.  Maur. 

Distillateurs,  s.  Louis,  Nativité,  Pen- 
tecôte. 

Docteurs  en  droit  canon,  s.  Rai- 
mond  de  Pennafort. 

Domestiques,  ste  Zite,  s.  Onésyme. 

Doreurs,  ste  Claire,  s.  Michel,  s. 
Pierre-hs-L. 

Drapiers,  s.  Biaise,  s.  Séverin,  Na- 
tivité. 

Droguistes,  s.  Nicolas. 

Ebénistes,  ste  Anne. 

Ecoliers,  s.  Nicolas,  s.  Grégoii^e-le- 

G.,  s.  Louis  de  Gonzague. 
Écrivains,  s.  Cassien. 
Emailleurs,  s.  Clair. 
Enfants  de  chœur,  ss.  Innocents. 
Entrepreneurs  de  bâtiments,  les  4 

couronnés. 
Eperonniers,  s.  Éloi,  s.  Gilles. 
Epiciers,  s.  Jacques-le-Maj.,  s.  Louis, 

s.  Michel,  s.  Nicolas,  Purification. 
Epingliers,  s.  Apollinaire,  Nativité. 
Escrimeurs,  s.  Michel. 
Etameurs,  Visitation. 


DES   SYMBOLES  -437 

Etudiants,  s.  Jérôme,  ste  Catherine 

d'Alexandyne. 
Etuvistes,  s.  Michel. 


Faïenciers,  s.  Antoine  de  Padoue. 

Fariniers,  s.  Honoré. 

Femmes  mariées,  ste  Barbe. 

Ferblantiers,  s.  Eloi,  s.  Pierres-ès- 
Liens. 

Ferronniers,  s.  Pierre-ès-Liens. 

Fiancés,  s.  Valentin. 

Filassiers,  Baptême  de  Notre-Sei- 
gneur. 

Fileurs,  s.  Séverin,  s.  Louis. 

Filles  repenties,  ste  Madeleine. 

Financiers,  s.  Mathieu. 

Fleuristes,  s.  Fiacre. 

Fondeurs,  s.  Eloi,  s.  Hubert,  s. 
Pierre-ès-Liens . 

Forestiers,  s.  Hubert. 

Forgerons,  s.  Eloi,  s.  Calmer,  s. 
Léonard. 

Fossoyeurs,  s.  Antoine,  ste   Barbe. 

Fondeurs,  s.  Michel. 

Foulons,  s.  Christophe. 

Fourbisseurs,  s.  Eloi,  s.  Jean-Bap- 
tiste. 

Frères  pontifes,  s.  Benezet. 

Fripiers,  s. Maurice,  s.  Jean-Baptiste, 
Trinité,  Exaltât,  de  la  Croix, 

Fromagiers,  s.  Michel. 

Fruitiers,  s.  Christophe. 

Gaîniers,  ste  Madeleine. 

Gantiers,  5.  Crépin,  ste  Madeleine. 

Gaufriers,  s.  Michel. 

Garçons,  s.  Nicolas. 

Garçons  d'écurie,  s.  Etienne. 

Geôliers,  s.  Adrien. 

Grainetiers,  s.  Antoine. 


438  VOCABULAIRE 

Gratteurs,  s.  Maurice. 
Graveia::,  f.  Jcati  P.  L. 
Guerriers,  c*.  Georges,  s.  Ignace  de 
Loyola,  s.  Martin,  s.  Maurice. 


Hommes  mariés,  s.  Joseph. 

Horlogers,  s.  F  loi. 

Hôleliiers,   s.    Julien- l'Hospitalier, 

s.  Martin,  ste   Marthe^  s.   Tliéo- 

dote. 
Honpiers,  s.  Biaise. 
Huiliers,  s.  Jean  P.  L. 
Huissiers,  s.  Yves. 

Imprimeurs,  5.  Jean  P.  L. 
Incendiés,  s.  Donat. 
lii>tituteurs,  5.  Charlemagne. 
Iiistilulrices,  ste  Ursule. 

Jardiniers,  s.  Adélard,  ste  Agnès, 
ste  Dorothée,  s.  Fiacre,  s.  Roch. 
Jeunes  filles,  ste  Catherine. 
Joailliers,  s.  F  loi,  s.  Louis. 
Jongleurs,  s.  Julien-V Hospitalier . 
Jurisconsultes,  s.  Yves. 

Laboureurs,  s.  Floi.,  s.  Isidore,   s. 

Jean-Bapt.,  s.  Lambert,  s.  Léonce, 

ste  Lucie. 
Lanlerniers,  s.  Clair,  s.   Marc,  s. 

Maur. 
Lapidaires,  s.  Louis. 
Lavandiers,  s.  Blanchard. 
Lavandières,  ste  Marthe. 
•  Lessiveuses,  ste  Maure. 
Libraires,  s.  Jean  P.  L.,  s.  Jean  de 

Dieu. 
Limonadiers,   Nativité,   Pentecôte. 
Lingcres,  ste  Anne,  ste   ]é)'onique. 
Lutliiers,  ste  Cécile. 


Maçons,  ste  Barbe,  s.  Thomas,  les  4 
Couronnés,  l'Ascension. 

Magistrats,  5.  Yves. 

Maîtres  d'armes,  s.  Michel. 

Maîtres  d'école,  s.  Cassien. 

Maquignons,  s.  Louis. 

Maraîcbers,  s.  Fiacre. 

Marcliands,  s.  Louis. 

Marchands  de  fer,  s.  Sébastien. 

Maréchaux,  s.  Eloi,  s.  Jean-Bap- 
tiste. 

Mariniers,  s.  Nicolas. 

Matelassiers,  s.  Biaise. 

Médecins,  s.  Luc 

Mégissiers,  s.  Jean-Baptiste,  ste 
Madeleine. 

Mendiants,  s.'  Alexis,  s.  Lazare. 

Ménétriers,  s.  Genesl,  s.  Julien 
VHospitalier. 

Menuisiers,  ste  Anyie. 

Merciers,  s.  Louis,  s.  Michel,  Puri- 
fication. 

Mesureurs  de  grains,  s.  Michel,  s. 
Nicolas. 

Meuniers,  s.  Arnoul,  s.  Fugene,  s. 
Honoré,  s.  Martin,  s.  Nicolas,  s. 
Orner,  s.  Vast. 

Mineurs,  ste  Barbe. 

Miroitiers,  s.  Clair. 

Mounayeurs,  s.  Floi. 

Moissonneurs,  s.  Pierre. 

Musiciens,  ste  Cécile,  s.  Julien. 

Nattiers,  Noël. 

Navigateurs,  s.  Ehne. 

Négociants,  s.  Frumence,  s.  Louis. 

Notaires,  ste  Catherine,  s.  Jean  P. 
L.,  s.  Marc,  s.  Yves. 

Nourrices,  ste  Concorde,  ste  Lau- 
rence. 


DES   SYMBOLES 


439 


Orfèvres,  s.  Eloi,  s.  Luc. 
Orphelins,  s.  Yves. 

Palefreniers,  s.  Marcel. 
Papetiers,  s.  Jean  P .  L.^  s.  Louis, 

s.  Pierre. 
Paralytiques,  s.  Servule. 
Parclieminiers,  s.  Jean  P.  L. 
Parfumeurs,  ste  Madeleine. 
Parquetiers,  ste  Anne. 
Passementiers,  s.  Luc. 
Pâtissiers,  s.   Honoré,   s.  Louis,  s. 

Michel. 
Paveurs,  s.  Rock. 
Pêcheurs,  s.  André,  s.  Nicolas. 
Peigneurs  de  laine,  s.  Louis. 
Peigniers,  ste  Anne,  s.  Hildevert. 
Peintres,  ste  Catherine,  s.  Luc,  s. 

Michel. 
Peintres-verriers,  s.   Luc,   s.  Jac- 

ques-le- Majeur. 
Pèlerins,  s,  Alexis,  s.  Nicolas. 
Percepteurs,  s.  Mathieu. 
Perruquiers,  s.  Louis. 
Pharmaciens,  s.   Côme  et   s.  Da- 

mien. 
Philosophes,  ste  Catlterine. 
Plafonneurs,  s.  Michel. 
Planchéieurs,  s.  Pierre. 
Plâtriers,  s.  Biaise,  les  4  Couronnés. 
Plombiers,  s.  Pieri^e-ès-L.,  s.   Vin- 

cent-Ferrier,  la  Trinité. 
Poissonniers,  s.  Andi-é,  s.  Pierre. 
Portefaix ,   s.   Christophe ,   s.  Léo- 
nard. 
Porteurs  d'eau,  s.  Léonard. 
Potiers,  s.  Bon,  s.  Pierre. 
Potiers  d'étain,s.  Fiacre,  s.  Mathu- 

rin . 
Potiers  de  terre.  Nativité. 


Prisonniers;,  s.  Léonard. 
Procureurs,  s.  Yves. 

Quincailliers,  s.  Louis. 

Piaccommodeuses ,    ste    Catherine 

d'Alexandrie. 
Racqiietiers,  ste  Barbe. 
Relieurs,  s.  Barthélémy,  s.  Jean  P. 

L. 
Restaurateurs,  s.  J.  Baptiste. 
Rôtisseurs,  s.   Laurent,    l'Assomp- 

tion. 
Rubaniers,  Purification,  Nativité. 

Sabotiers,  s.  Béné. 

Sacristains,  s.  Constance,  s.  Guy. 

Sages-fenunes,  s.  Côme  et  s.  Da- 
mien,  s.  Raymond-Nonnat. 

Salpêtriers,  ste  Barbe. 

Saltinibanijues,  s.  Genest. 

Sapeurs-Pom[)iers,  s.  Laurent,  s. 
Nicolas,  (à  Amiens,  s.  Firmin). 

Savetiers,  s.  Crépin,  s.  Pierre,  ste 
Catherine. 

Scieurs  de  long,  s.  Cyr,  la  Visita- 
tion. 

Sculpteurs,  ste  Anne,  les  4  Cou- 
ronnés. 

Selliers,  s.  J.  Baptiste,  s.  Flot. 

Sergents  à  cheval,  s.  Martin. 

Serrurriers,  s.  Eloi,  s.  Gautier,  s. 
Léonard,  s.  Pierre-ès-L. 

Servantes,  ste  Marthe,  ste  Zite. 

Sonneurs,  s.  Antoine. 

Suisses,  s.  Constance. 

Tableltiers,  s.  Hildevert. 
Taillandiers,  s.  Mathias,  s.  Pierre- 
ès-L. 


440 


VOCABULAIRE    DES    SYMBOLES 


Tailleurs  d'habits,  s.  Hoînobun,  s. 
Bonïface,  s.  J.  Baptiste^  Trinité. 

Tailleurs  de  pierres,  s.  Biaise,  les 
A  Couronnés,  s.  Thomas,  l'Assomp- 
tion. 

Tanneurs,  s.  Barthélémy,  s.  Simon 
et  s.  Jucle. 

Tapissiers,  s.  Jacques,  l'Immaculée- 
Conception. 

Teinturiers,  ste   Lydie,  s.  Mauince. 

Théologiens,  s,  Augustin,  ste  Eu- 
phémie,  s.  Jean  l'Evangéliste. 

Tisserands,  s.  Bonaventure,  ste 
Anastasie,  s.  Crépin. 

Tisseurs  de  laine,  s.  Bernardin. 

Tisseurs  de  soie,  s.  Séverin. 

Tôliers,  s.  Pierre-ès-L. 

Tondeurs,  s.  Maurice. 

Tondeurs  de  draps,  s.  Antoine.,  s. 
François  d'Assises,  s.  Nicolas,  As- 
somption, Visitation. 

Tonneliers,  ste  Anne,  s.  Jean  Porte- 
L.,  ste  Madeleine,  s.  Nicolas, 
l'Immaculée  -  Conception . 

(A  suivre.) 


Tourneurs,  ste  Anne,  s.  Bernard  de 

Tiron,  s.  Claude. 
Traiteurs,  s.  Laurent,  Nativité. 
Tripiers,  Fête-Dieu. 
Tuiliers,  s.  Fiacre. 
Typographes,  s.  Jean  l'Evangéliste. 

Vanniers,  s.  Antoine,  s.  Marc,  s. 
Paul,  ermite. 

Vergettiers,  ste  Barbe. 

Verriers,  s.  Clair. 

Vétérinaires,  s.  Eloi. 

Veuves,  ste  Monique. 

Vidangeurs,  s.  Clair,  s.  Jules. 

Vignerons,  s.  Jean  l'Ev.,  s.  Mar- 
tin, s.  Werner,  s.  Vincent. 

Vinaigriers,  s.  Vincent,  Purifica- 
tion, Nativité. 

Vins  (marcliands  de),  5.  Martin. 

Vitriers,  s.  Marc,  s.  Michel,  la  Tri- 
nité. 

Voyageurs,  s.  JulienA' Hospitalier , 
s.  Nicolas. 

J.   CORBLET. 


DES  FORMES  HIERATIQUES 

ET  DE  LEUR  INFLUENCE  SUR  LE  PROGRÈS  DES  ARTS 


Quelque  extraordinaire  que  puisse  paraître  la  durée  des  dogmes  égyp- 
tiens, le  fait  du  culte  du  dieu  Apis  s'explique  naturellement  et  philoso- 
phiquement. L'histoire  même  des  civilisations  et  des  déchéances  intellec- 
tuelles et  morales  des  peuples  corrobore  cette  explication. 

Le  culte  d'O.^^iris  était  ce  qui  restait  de  la  notion  du  Dieu  d'Abraham  et 
de  Jacob.  Rebelle  h  ses  origines,  le  peuple  égyptien  avait  préféré  le  gou- 
vernement humain  et  terrestre  à  celui  de  la  loi  divine  et  traditionnelle  ; 
l'idée  divine  s'atrophia  et  se  transforma  de  plus  en  plus  jusqu'à  ce  qu'elle 
fût  descendue  au  niveau  de  ses  instincts  matériels.  Quoi  de  plus  naturel 
alors  que,  sous  le  nom  d'Osiris,  le  principe  divin  ait  été  enfermé  systé- 
matiquement et  scellé  dans  la  forme  d'un  taureau,  de  ces  nombreux  Apis 
qui  unissaient  au  prestige  d'une  légende  dont  l'origine  est,  comme  tou- 
jours, vénérable  et  sacrée,  les  symboles  de  puissance,  de  force,  d'utilité, 
de  fécondité,  de  richesse  agricole,  de  principe  nourricier  et  matériel  par 
excellence  ? 

N'est-ce  pas  là  l'histoire  de  l'idolâtrie  chez  tous  les  peuples? 

Mais  ces  grands  écarts  de  la  voie  de  la  vérité  religieuse  démontrent, 
par  des  indices  certains,  la  communauté  d'origine,  et  attestent  la  force 
des  traditions  et  l'impérissable  empreinte  qu'elles  laissent  dans  tous  les 
rameaux  de  la  famille  humaine. 

Qu'ils  le  veuillent  ou  non,  les  hommes  d'étude  apportent  leurs  preuves 
et  paient  leur  dîme  à  cette  vérité  incontestable. 

Ainsi,  ce  n'était  pas  assez  des  légendes  grecques,  dont  Eschyle  nous  a 
livré  dans  son  Prométhée  les  prophétiques  symboles;  ce  n'était  pas  assez 
de?  prédictions  latines  que  Virgile  a  résumées  dans  les  vers  si  souvent 
cités  par  los  apologistes,  il  fallait  que  les  fouilles  exécutées  dans  le  désert 

lie  série,  tome  IL  31 


442  DES  FORMES  HIÉRATIQUES 

par  notre  intrépide  compatriote  M.  Mariette  et  la  découverte  du  Sera- 
peiim  vinssent  confirmer  les  croyances  fermes  et  lucides  des  chrétiens 
par  la  superstitieuse  théologie  égyptienne. 

L'exposé  simple  et  sans  commentaires  du  résumé  doctrinal  de  cette 
théologie,  d'après  les  monuments  mis  on  lumière  par  M.  Mariette,  qui 
sont  au  nombre  de  plusieurs  milliers,  suffira  pour  démontrer  sa  concor- 
dance avec  les  prophéties  relatives  à  l'avènement  du  Messie,  avec  les 
faits  évangéliques  et  l'enseignement  immédiatement  transmis  par  la  Pa- 
trologie  chrétienne. 

Osiris,  Apis  et  Phtah  sont  trois  manifestations  diverses  ne  formant 
qu'un  seul  Dieu. 

Apis  est  Osiris  fait  chair. 

Hérodote  dit  qu'Apis  ou  Epaphos  est  enfanté  par  une  génisse  qui  ne 
doit  porter  aucun  autre  fruit.  D'autres  auteurs  affirment  qu'un  éclair 
parti  du  ciel  tombe  sur  cette  génisse  qui  alors  donne  naissance  à  Apis. 
Pomponius  Mêla  dit  qu'Apis  est  conçu  par  le  feu  céleste.  D'autres  attri- 
buent cette  influence  à  la  lune,  et  Plutarque  rapporte  cette  croyance. 

Les  monuments  hiéroglyphiques  donnent  pour  auteur  de  l'incarnation 
d'Apis  l'une  des  trois  divinités  égyptiennes,  Phtah,  le  souffle  ou  l'esprit 
de  Dieu  (riveuixa). 

Ainsi,  une  génisse  qui  est  aussi  déesse  et  dont  le  culte  est  affirmé  par 
les  monuments,  a  donné  naissance  au  dieu  Apis  sans  cesser  d'être  vierge. 
Elle  a  conçu  sous  l'influence  du  dieu  Phtah,  et  son  fils  est  l'incarnation 
d'Osiris.  C'est  donc  un  dieu,  fils  de  dieu,  personnifiant  l'amour  des  hom- 
mes, le  principe  vivifiant  et  bienfaisant  qui  est  descendu  sur  la  terre  pour 
vivre  au  milieu  des  hommes  jusqu'à  sa  mort  violente,  dont  le  moment  est 
fixé  par  la  loi  divine  d'Osiris.  Mais  il  ressuscite  et,  sous  le  nom  de  Sérapis, 
il  va  rejoindre  Osiris  qui  est  le  juge  suprême  des  mortels  et  qui  les  associe 
à  sa  vie  éternellement  heureuse,  lorsqu'ils  ont  été  suffisamment  justifiés. 

Ces  faits  établis  par  les  inscriptions  et  les  monuments  ont  été  portés  à 
la  connaissance  du  pubhc  par  de  savants  explorateurs  et  des  archéolo- 
gues qui  n'ont  eu  en  vue  que  les  intérêts  de  la  science.  Ces  faits  me  sem- 
blent avoir  une  importance  considérable. 

Dans  l'histoire  de  l'art  égygtien,les  croyances  jouent  un  rôle  si  prépon- 
dérant que  toute  pensée  de  l'artiste,  toute  marque  de  son  imagination, 
toute  conception  individuelle,  tout  arrangement  môme  disparaissent  ; 
tous  les  faits  constituant  la  base  de  la  religion,  et  par  conséquent  de  l'édi- 
fice social,  théocratique  et  militaire,  devaient  être  exprimés  et  reproduits 
sans  modification  d'aucune  sorte,  sans  qu'une  interprétation  un  peu  élas- 
tique fût  admise  et  tentât  d'infiiinor  la  réalité  des  dogmes. 


ET  DE  LEUR  INFLUENCE  SUR  LE  PROGRÈS  DES  ARTS  443 

11  paraît,  d'après  les  affirmations  des  égyptologues,  qu'un  art  plus  libre 
aurait  existé  pendant  la  première  période  de  l'histoire  égyptienne,  par 
conséquent  au  temps  des  premiers  Pharaons,  et  que  les  monuments  ap- 
partenant à  cette  époque  offrent  un  modèle  et  un  sentiment  de  la  nature 
qui  les  distinguent  de  ceux  des  dynasties  suivantes.  Plusieurs  spécimens 
de  ces  objets  primitifs  sont  exposés  dans  le  musée  de  Boulaq. 

Ce  fait  étrange  ne  peut  guère  s'expliquer  que  par  la  différence  qui  a 
existé  entre  le  système  politique  et  patriarcal  en  vigueur  dans  le  principe, 
et  l'absolutisme  théocratique  qui  l'a  remplacé.  Sous  ce  dernier  régime, 
l'artiste  n'était  en  quelque  sorte  qu'un  écrivain,  puisque  les  objets  qu'il 
sculptait  ou  représentait  d'une  autre  manière  étaient  les  mots  de  la  lan- 
gue sacrée.  11  lui  était  interdit  de  s'écarter  des  types  conventionnels  sous 
peine  d'être  accusé  de  porter  atteinte  au  dogme  religieux. 

Quand  on  s'imagine  dans  quelles  immenses  proportions  l'art  égyptien 
était  appelé  à  interpréter  la  pensée  nationale  et  les  croyances  de  tout  un 
peuple,  on  est  amené  à  comprendre  de  quelle  influence  est  armé  pour  le 
bien  comme  pour  le  mal  un  art  compris  de  cette  façon,  avec  cette  volonté 
ferme,  persévérante,  immuable,  dominatrice  et  maîtresse  suprême  des 
âmes,  des  consciences  et  de  l'imagination  même. 

Retenons  ce  fait,  que  des  peuples  anciens  ont  non-seulement  considéré 
les  formes  hiératiques  dans  l'art  comme  utiles  et  nécessaires  à  la  conser- 
vation de  leurs  croyances,  mais  que  la  durée  de  l'existence  de  ces  peuples 
sous  la  forme  qu'ils  se  sont  volontairement  attribuée  a  été  en  raison  di- 
recte de  la  vigueur  avec  laquelle  ces  moyens  artistiques  d'action  ont  été 
maintenus  dans  leur  intégrité  et  leur  austérité. 

Sous  le  rapport  de  la  durée,  quel  peuple  peut  être  comparé  au  peuple 
égyptien  ?  Lequel  peut  revendiquer  dans  l'histoire  cette  existence  de  trois 
mille  ans,  depuis  Hycsos  jusqu'aux  Antonins,  pendant  lesquels  les  institu- 
tions religieuses  se  sont  maintenues  malgré  les  révolutions,  les  conquêtes, 
les  invasions  et  surtout  les  influences  étrangères  que  la  navigation  et  le 
commerce  si  florissant  chez  les  Egyptiens  pouvaient  exercer  sur  leur  civi- 
lisation intérieure  ?  Les  Grecs  n'ont  à  opposer  que  quatre  siècles  d'auto- 
nomie réelle.  Les  Romains  ont  eu  une  existence  politique  progressive 
pendant  un  millier  d'années,  et  combien  de  fois  cette  existence  s'est-elle 
modifiée  depuis  leurs  premiers  rois  jusqu'aux  derniers  empereurs?  A  peine 
pourrait-on  fixer  une  période  de  trois  siècles  pendant  lesquels  cette  vie  de 
peuple  a  offert  un  ensemble  complet,  depuis  les  Scipions  jusqu'aux  règnes 
de  Septime  Sévère  et  de  Caracalla. 

Aussi  la  mobilité  des  idées  a-t-elle  été  cause  de  la  variété  des  objets 
proposés  à   l'imagination  des  artistes.  Malgré  la  perfection  plastique,,  la 


444  DES  FORMES  lilERATHJLES 

grâce,  l'esprit  qu'on  admire  dans  les  diverses  œuvres  de  l'art  grec,  mal- 
gré la  conception  fortement  idéalisée  des  œuvres  de  l'architecture  romai- 
ne, le  cai-actère  qui  est  le  critérium,  la  première  règle  de  tout  jugement 
en  matière  d'art,  est  d'un  ordre  inférieur  à  celui  de  l'art  égyptien  plus 
élevé,  plus  profond  et  qui  a  exercé  une  influence  plus  directe  et  plus  sou- 
veraine sur  de  longues  générations. 

Mais,  dira-t-on,  cet  idéal  hiératique,  cet  asservissement  des  artistes  à 
des  formes  de  convention,  à  des  principes  établis  exclusivement  en  vue 
de  la  conservation  d'une  société,  immobilisent  l'esprit  humain,  circons- 
crivent le  dom^iine  de  la  pensée,  coupent  les  ailes  à  l'imagination  et  abou- 
tissent en  fin  de  compte  à  entasser  des  œuvres  mortes,  des  cadavres  de 
toutes  dimensions,  depuis  les  statuettes  et  les  stèles  jusqu'aux  colossales 
figures  des  sphinx  et  des  empereurs  dans  des  nécropoles  qui  elles-mêmes 
sont  recouvertes  par  les  sables  du  désert,  au  fur  et  à  mesure  qu'on  en  a 
extrait  quelques  objets  qui  n'ont  plus  pour  nous  qu'un  intérêt  de  curio- 
sité, étrangers  qu'ils  sont  à  nos  idées,  à  nos  mœurs,  à  notre  goût. 

Voyez,  ajoutera-t-on  encore,  quel  a  été  le  sort  de  cet  art  exclusivement 
soumis  aux  inflexibles  exigences  de  la  théologie,  aux  formes  mythiques 
imposées  au  talent  du  dessinateur,  du  peintre  et  du  statuaire.  Dans  l'Assy- 
rie, les  types  étaient  dift'érents  de  ceux  de  Thèbes  et  de  Memphis  ;  mais 
leur  sort  a  été  le  même.  Dans  Tlnde,  le  même  principe  a  été  maintenu 
pendant  de  longs  siècles,  et  il  n'a  donné  naissance  qu'à  de  monstrueuses 
productions  aussi  empreintes  de  laideur  que  de  fanatisme. 

Loin  de  voir  dans  cette  objection  un  obstacle  à  la  doctrine  que  je  désire 
établir  en  matière  d'esthétique,  je  l'approuve,  je  la  trouve  fondée  et  je 
m'en  empare  pour  ma  démonstration. 

Qu'il  y  ait  des  formes  hiératiques,  qu'elles  soient  indispensables  pour 
la  conservation  des  dogmes  et  des  mœurs,  ce  sont  là  des  faits  facilement 
démontrables  ;  s'ensuit-il  de  là  que  l'art  doive  être  immobilisé  et  privé  de 
liberté?  Nullement.  La  liberté  ne  peut  qu'être  une  conséquence  de  la  vé- 
rité, et  on  rencontrera,  sur  ce  terrain  des  beaux-arts,  cette  triple  entité 
admise  par  les  meilleurs  philosophes  :  le  bien,  le  beau  et  le  vrai.  Les 
formes  hiératiques  au  service  des  erreurs  des  religions  anciennes  ont 
abouti  à  une  reproduction  des  mêmes  types,  dépourvue  de  liberté,  et  ont 
fini  par  la  stérilité  et  l'anéantissement, 

11  est  naturel  que,  sans  liberté  et  sans  vérité,  elles  se  soient  amoindries 
avec  les  erreurs  mêmes  dont  elles  étaient  l'expression. 

Les  arts  anciens  ne  sont  pas  les  seuls  qui  aient  eu  cette  destinée.  L'art 
grec  byzantin  s'est  aussi  immobilisé,  momifié,  faute  de  liberté,  tandis  que 
l'art  latin  n'est  jamais  resté  stationuaiie.  Il   n'existe  aucune  conception 


ET  DE  LElii   INFr.UENOE  Sl'R  i  E  l'ROGRÈS  DES  ARTS  445 

humaine  qui  ait  mieux  que  l'art  latin  réalisé  le  problème  de  la  variété 
jointe  à  l'unité. 

L'art  latin  a  conservé  pendant  de  longs  siècles  des  formes  hiératiques, 
des  symboles,  une  iconographie  fermement  observée  dans  ses  lignes  prin- 
cipales et  essentielles.  Cependant  les  artistes  ont  su  déployer  toutes  les 
richesses  de  leur  imagination,  et  ils  ont  assurément  fait  preuve  d'une  im- 
mense fécondité.  Pourquoi  le  problème  a-t-il  été  résolu  ?  Parce  que  l'ar^t 
latin  était  en  possession  de  la  vérité.  Or  il  n'y  a  que  la  vérité  qui  puisse 
permettre  une  certaine  liberté  et  s'en  accommoder.  Sa  force  suffit  pour 
contrebalancer  les  écarts  et  les  licences  de  cette  liberté. 

L'étude  des  origines  des  beaux-arts  est  le  moyen  le  plus  sûr  de  décou- 
vrir les  sources  d'où  découle  la  meilleure  esthétique  et,  par  conséquent, 
d'en  établir  les  règles. 

Félix  Clément, 


L'ÉCOLE  LAÏQUE  DU  XIP  SIÈCLE 


Monsieur  le  Rédacteur, 

Voici  à  ce  sujet  quelques  réflexions  que  vous  apprécierez,  et  auxciuelles 
vous  donnerez  l'hospitalité  de  votre  excellente  Revue,  si  vous  le  jugez  à 
propos. 

Monsieur  Caro,  dans  son  discours  de  réception  à  l'Académie  française^ 
expose,  en  lui  donnant  tous  ses  suffrages,  une  singulière  théorie  de 
M.  V'itet.  son  prédécesseur  au  fauteuil  de  l'Institut  :  «  Dans  Thistoire  de 
«  l'ogive,  dans  la  simple  apparition  de  l'arc  brisé,  il  se  plaît  à  voir  tout  un 
«  mouvement  d'idées  :  c'est  l'esprit  du  XIP  siècle,  esprit  novateur, 
((  hasardeux,  systématique.  Le  plein-cintre  est  le  symbole  attardé  de 
((  l'ancien  état  social,  le  type  de  l'art  hiératique,  vivant  de  traditions  et  de 
«  règles.  L'ogive  marque  une  évolution  en  voie  de  s'accomplir.  Elle 
«  est  le  signe  architectural  d'une  société  nouvelle,  tourmentée  d'une 
«  fiè\  re  d'alî'ranchissement.  C'est  la  pensée  laïque  qui  se  réveille.  «  La  foi 
«  ne  perd  rien  de  son  ardeur,  mais  elle  se  sécularise  pour  ainsi  dire.  »  L'art 
«  fait  de  même.  Les  architectes  n'appartiennent  plus  ni  à  l'Eglise  ni  à 
«  aucun  ordre  ;  ils  sont  tous  des  bourgeois,  vivant  de  leur  travail  et 
«  gagnant  leur  salaire.  A  peine  reste-t-il  dans  le  fond  des  cloîtres 
«  quelques  vieux  moines  essayant  encore  de  manier  l'équerre  et  le  compas- 
«  Mais  l'ogive  n'est  pas  à  eux  ;  ils  n'en  comprennent  pas  la  langue, 
((  ils  en  redoutent  môme  les  hardiesses.  Ces  formes  insolites,  ces  défis 
«  superbes  aux  lois  de  la  pesanteur,  ces  aspirations  et  ces  élans  de  la 
«  pensée  en  dehors  de  toute  tradition  les  troublent  vaguement.  Ces  poèmes 
«  de  pierre  les  inquiètent  par  leur  fantaisie.  Ils  y  voient  quelque  chose 
«  comme  un  paradoxe  contre  les  règles  do  leur  art,  peut-être  même  une 
«  tentative  audacieuse  contre  la  nature.  » 

Voilà,  en  stylo  académicpie,  la  manifestation  d'une  découverte  que 
M.  Vltet  a  fuit(;  dans  son  imagination,  que  M.  Caro  célèbre  avec  emphase, 
et  qui  parait  être  le  point  de  départ  de  M.  Viollet-le-Duc  dans  son  étude 


l'école  laïque  du  XII*  SIÈCLE  447 

sur  la  renaissance  du  XIP  siècle  :  à  savoir  que  l'art  chrétien  n'est  devenu 
l'art  ogival  qu'en  se  sécularisant  ;  en  d'autres  termes,  que  c'est  à  l'école 
laïque  que  nous  devons  les  chefs-d'œuvre  de  l'art  gothique.  C'est  bien  là 
la  pensée  de  M.  Vitet,  et  en  lisant  le  second  volume  des  «  Entretiens  sur 
l'architecture  »  de  M.  Viollet-le-Duc,  il  est  impossible  de  lui  en  prêter 
un  autre. 

Or,  distinguons  ici  :  Depuis  qu'on  parle  tant  d'instruction  laïque^,  gra- 
tuite et  obligatoire,  on  s'est  habitué  à  donner  à  l'épithète  laïque  une 
signification  très-large  et  un  rôle  d'opposition  que  ne  'lui  donne  point  le 
dictionnaire.  Laïque  veut  dire  tout  simplement,  s'il  s'agit  d'une  école,  que 
le  maître  au  lieu  d'être  pris  dans  les  rangs  du  clergé,  n'en  fait  point  partie. 
Là  se  borne  le  sens  dn  mot  laïque  ;  n'allons  point  l'étendre  ou  plutôt  le 
transformer  en  en  faisant  le  synonyme  d'ennemi,  d'anticlérical  pour  me 
servir  d'une  expression  aussi  barbare  que  moderne .  Le  laïque  ne  doit  pas 
plus  être  l'ennemi  du  clerc  que  le  clerc  du  laïque  :  ils  sont  île  la  même 
famille  chrétienne,  égaux  par  la  naissance  et  les  promesses  futures.  L'au- 
torité spirituelle  établit  seule  une  diflFérence  pour  le  bien  et  le  progrès  de 
la  société. 

Ceci  posé,  entend-on  par  école  laïque  de  l'art  ogival  une  école  qui 
se  fonde  à  côté  de  l'école  monastique  pour  multiplier  les  bienfaits  de  la 
civilisation  chrétienne,  pour  chercher  dans  une  noble  et  pacifique  émula- 
tion à  développer  les  germes  féconds  de  l'art  chrétien?  Très-bien  :  nous 
adoptons  l'expression /a/^-ue, et  nous  accordons  très-volontiers  à  M.  Viollet- 
le-Duc  ainsi  qu'à  M.  Vitet  que  cette  école  laïque  est  pleine  de  vie.  ardente, 
aventureuse.  Mais  prétendre  que  les  Logeurs  du  bon  Dieu  des  XIP  et 
XlIP  siècles  ne  se  soient  débarrassés  des  langes  de  l'art  by/.antin  que 
contre  le  gré  des  moines  qui  auraient  voulu  les  retenir  comme  des  prison- 
niers à  la  chaîne,  prétendre  que  les  hardiesses,  les  aspirations  et  les  élans  de 
la  pensée,  des  ymaigiers  et  des  maîtres  de  l'œuvre  aient  troublé  le  clergé, 
c'est  une  erreur  manifeste,  j'allais  dire,  un  mensonge  historique.  Comment! 
l'Église  sera  donc  destinée  jus(]u'à  la  fin  \\  se  voir  toujours  refuser  l'hon- 
neur de  ses  bienfaits  et  de  ses  plus  magnifiques  conquêtes  !  Tant  (jue  l'art 
ogival  fut  regardé  comme  un  art  barbare,  et  il  n'y  a  pas  encore  longtemps, 
tant  que  nos  cathédrales  furent  considérées  comme  le  produit  d'une  imagi- 
nation désordonnée,  sans  principes,  ni  règles,  les  ennemis  de  l'Eglise  ne 
manquèrent  pas  de  lui  retourner  toute  la  responsabilité  de  cette  barbarie  : 
c'était  l'école  cléricale,  et  l'école  cléricale  seule  qui  étail  capable  de  ces 
monstruosités  :  «  haro  sur  le  baudet!  »  Et  maintenant  que  les  esprits  trop 
longtemps  dévoyés  par  la  renaissance  laïque  du  XVP  siècle,  sont  revenus 
à  des   notions  plus   saines  sur  l'art  et  comprennent  toute  la  sagesse, 


448  l'école  laïque  du  xii*  sipîicle 

la  science,  la  vraie  beauté  de  nos  chefs-d'œuvre,  arrière  l'Église  !  ce  n'est 
plus  elle,  ce  n'est  plus  son  école,  c'est  une  autre  école  qu'on  appelle  laïque^ 
en  donnant  à  ce  mot  le  sens  le  plus  défavorable  à  l'Église.  En  vérité,  s'il 
n'y  a  point  dans  cette  conduite  de  l'ingratitude,  il  y  a  du  moins  beaucoup 
de  précipitation  et  très-peu  d'impartialité. 

Les  écoles  monastiques  ont  été  jusqu'au  XII*  siècle,  les  seuls  foyers  de 
lumière  intellectuelle  et  artistique,  les  seules  Académies  des  Beaux- AjHs.  Il 
ne  pouvait  en  être  autrement.  Les  peuples  barbares  qui  ont  formé  la  nation 
française,  sans  cesse  occupés  de  guerres  et  d'expéditions  lointaines, 
n'étaient  pas  encore  aptes  à  recevoir  l'éducation  artistique  providentielle- 
ment conservée  dans  les  monastères.  Jusque-là  donc  on  ne  trouve  point 
d'artistes  laïques,  par  la  même  raison  qu'on  ne  trouve  point  d'orateurs  ou 
de  poètes  laïques.  Mais  peu  à  peu  l'instruction  sort  des  monastères, 
se  répand  dans  le  peuple;  le  goût  des  arts  habilement  cultivé  par  les  moi- 
nes, germe,  fleurit  sur  un  sol  chrétien  et  s'épanouit  dans  les  chefs- 
d'œuvre  qui  nous  étonnent  encore.  Ces  poèmes  de  pierre^  loin  d'inquiéter 
rÉglise  par  leur  fantaisie,  la  comblent  de  joie  et  d'honneur;  elle  en  est 
fîère,  comme  le  maître  est  fier  de  l'œuvre  d'un  apprenti.  Les.  mains  sont 
laï(|ues,  mais  la  tête  est  toujours  cléricale,  ou  plutôt,  car  ce  mot  a  été  doté 
d'une  mauvaise  signification,  la  tête  est  chrétienne,  catholique;  et  nos 
cathédrales  ne  sont  que  l'expression  de  l'union  intime  de  la  grande  famille 
chrétienne.  Monsieur  VioUet-le-Duc  semblait  pourtant  l'avoir  bien  com- 
pris, en  choisissant  comme  frontispice  à  son  grand  Dictionnaire  une  petite 
vignette  représentant  un  architecte  en  costume  monacal,  un  constructeur 
en  habit  laïque,  travaillant  tous  deux  sous  la  protection  de  Tépée  d'un  che- 
vaher.  C'est  là  toute  l'histoire  de  nos  chefs-d'œuvre  gothiques,  et  il 
me  semble  injuste  de  voir  dans  l'enthousiasme  du  XIIP  siècle,  la  manifes- 
tation d'un  antagonisme  religieux  et  artistique. 

On  cite  ordinairement,pour  appuyer  cette  thèse  nouvelle  de  Trco/e/fl/V/Me, 
une  lettre  de  S.  Bernard  prescrivant  à  ses  moines  de  conserver  la  simplicité 
dans  leurs  édifices  et  de  ne  point  admettre  chez  eux  le  luxe  architectural 
des  nouvelles  constructions.  Outre  que  ce  sentiment  de  S.  Bernard  est 
personnel,  et  par  conséquent  peut  n'être  qu'une  exception,  je  crois  que  le 
reproche  qu'on  lui  fait  depuis  si  longtemps,  n'est  pas  aussi  mérité  qu'il  le 
paraît.  M.  Viollet-le-Duc  lui-même  dont  le  goût  est  pur  et  les  études  très- 
étendues  en  architecture,  admettrait-il  pour  une  ccrîise  monastique  le  même 
style  que  pour  une  cathédrale?  Non  assurément.  Il  comprend  comme 
S.  Bernard  que  l'église  d'un  monastère,  d'une  colonie  agricole  surtout, 
doit  être  d'un  style  sévère,  dépourvu  de  tout  ornement  superflu,  propre  à 
énerver  des  imaginations  que  les  rudes  travaux  des  champs  doivent  ordi- 


l'école  LAÏOIE  Dr  XIl"  SIÈCLE  449 

naireraent  occuper.  A  ces  moines  robustes  et  travailleurs,  il  faut  un  style 
sobre  comme  leur  vie,  simple  comme  leur  bure,  mais  pourtant,  qu'on 
veuille  bien  se  le  persuader,  cette  simplicité  n'exclut  pas  la  beauté,  et 
même  une  certaine  magnificence.  Aussi  n'est-ce  pas  sans  étonnement  que 
je  trouve  dans  un  rapport  de  M .  Viollet-le-Duc  sur  la  magnifique  église 
de  Pontigny  (Yonne),  colonie  essentiellement  agricole,  cette  étrange  opi- 
nion :  «  L'ennui  vous  saisit  dans  cette  grande,  froide  et  irréprochable 
«  église.  C'est  là  l'œuvre  de  gens  parfaits,  mais  totalement  dépourvu  de 
«  goût.  »  Oui,  ces  gens  étaient  parfaits,  ou  tout  au  moins  tendaient  à  la 
perfection  ;  et  à  ce  désir  de  la  perfection  ils  joignaient  un  sentiment  vrai 
de  l'art  qui  leur  faisait  préférer  une  noble  simplicité  à  une  orgueilleuse  et 
funeste  richesse.  Il  n'en  saurait  être  de  même  des  monastères  scientifi- 
ques, si  je  puis  dire,  et  des  cathédrales,  de  Cluny  et  d'Amiens,  par  exem- 
ple. Cluny  est  une  école  d'artistes,  de  savants  de  premier  ordre.  Ils  doivent 
loger  Dieu  dans  un  monument  qui  soit  tout  à  la  fois  l'hommage  de  leur 
talent  et  le  foyer  où  ils  échauffent  leur  imagination.  Amiens  ou  toute  autre 
cité  est  une  association,  ime  famille  de  savants  et  d'ignorants,  de  riches  et 
de  pauvres.  Elle  aura  sa  cathédrale,  splendide  ex-voto  de  son  opulence, 
en  même  temps  que  livre  toujours  ouvert  pour  les  petits  et  les  simples. 

Qu'on  ne  cherche  donc  point  à  scinder  le  mouvement  extraordinaire  qui 
se  manifeste  au  XII"  siècle  pour  faire  à  l'Église  le  reproche  tout  gratuit 
de  vouloir  arrêter  ou  tout  au  moins  de  ne  point  suivre  le  mouvement  de 
l'art  chrétien.  Si  l'Église,  au  contraire,  ne  l'avait  patronné  ce  mouvement, 
si  elle  ne  l'avait  dirigé,  iljse  serait  laïcisé  presqu'aussitôt,  c'est-à-dire,  qu'il 
n'aurait  point  attendu  ce  que  l'on  appelle  à  tort  la  Renaissance  pour  tom- 
ber dans  le  faux  et  le  barbare.  «  Les  moines,  dit  M.  E.  Cartier,  dans  sa 
«  belle  Étude  sur  Vart  chrétien,  les  moines  ont  été  les  protecteurs  de  l'art 
«  au  moyen-âge,  parce  que  l'intelligence  et  le  travail  les  avaient  rendus 
((  riches  et  puissants  :  ils  furent  la  cause  principale  de  cette  véritable 
((  Renaissance  des  XP  et  XII"  siècles.  L'élan  qu'ils  avaient  donné,  s'aug- 
((  menta  par  l'organisation  des  communes  et  le  développement  du  pouvoir 
«  royal  sous  Philippe  Auguste  et  S.  Louis.  Il  y  eut  alors  une  noble  ému- 
«  lation  entre  les  villes  pour  élever  de  magnifiques  cathédrales,  mais  il  n'y 
«  eut  pas  d'antagonisme  entre  l'architecture  laïque  et  l'architecture  mo- 
«  nastique.  L'abbé  de  Saint-Germain-des-Prés  confiait  à  Pierre  de 
«  Montereau  la  construction  de  sa  chapelle  de  la  Vierge.  Les  disciples  de 
«  S.  François  mettaient  au  concours  l'église  d'Assises  et  donnaient  la 
((  préférence  à  Jacques  Lallemand.  Arnolfo  di  Lapo,  le  grand  architecte 
((  de  Florence,  avait  pour  élèves  les  dominicains  Fra  Sisto  et  Fra  l'ustoro 
«  qui  bâtirent  Santa  Maria  Novella  tant  admirée  par  Michel-Ange.  Il  y 


4^0  l'école  laïque  du  xii'^  siècle 

€  avait  union,  fraternité  entre  les  laïques  et  les  moines.  L'architecture 
«  pouvait  être  monastique  par  le  caractère  que  lui  imprimaient  l'esprit  et 
«  les  convenances  particulières  de  la  règle,  mais  elle  ne  différait  en  rien 
a  comme  style  de  l'architecture  des  cathédrales.  L'art  était  alors  tout  reli- 
«  gieux .  Il  cessa  de  l'être  au  XVP  siècle  :  il  devint  laïqne,  et  ce  fut  la 
«  cause  de  sa  décadence.  » 

Peu  importe,  nous  permettrons-nous  d'ajouter,  que  le  burin  ou  le  com- 
pas soit  entre  les  mains  d'un  laïque  ou  d'un  moine  ;  pourvu  que  la  main 
qui  les  dirige  obéisse  au  mouvement  d'un  cœur  chrétien,  cela  suffit,  car 
l'Eglise  n'est  pas  égoïste.  Elle  ne  veut  pas,  elle  ne  peut  pas,  depuis  la 
grande  parole  :  ((  Euntes  docete  omnes  gentes,  »  garder  pour  elle  exclusive- 
ment le  trésor  du  beau  dont  seule  elle  a  le  secret.  Elle  le  dispense  partout 
où  elle  peut  pénétrer,  et  sa  mission  comme  sa  gloire  est  de  le  communiquer 
à  tous  les  peuples.  Lorsqu'elle  aborde  sur  une  plage  lointaine,  elle  porte  à 
la  main  la  Croix  et  le  compas.  Elle  ne  dédaigne  point  de  se  servir  du  com- 
pas, tant  qu'elle  n'a  pas  trouvé  d'intelligence  capable  de  le  diriger.  Mais 
quand  elle  a  formé  quelque  intelligence,  éveillé  dans  l'âme  de  quelque  ar- 
tiste le  sentiment  du  beau,  elle  le  lui  abandonne  volontiers,  se  réservant 
seulement  la  Croix  pour  la  placer  elle-même  comme  un  sceau  divin  sur 
l'œuvre  de  ses  enfants.  Loin  d'être  ^afouse  ou.  inguiète,  elle  applaudit  aux 
efforts  de  Michel-Ange  et  de  Bramante,  et  c'est  son  œuvre  propre  qu'elle 
glorifie  en  arborant  en  triomphe  sa  Croix  sur  le  dôme  de  Saint-Pierre  de 
Rome. 

Veuillez  agréer.  Monsieur  le  Rédacteur,  l'expression  de  mon  profond 
respect, 

J.    GiRAUD, 

Cwé  de  Dannemoine, 

près  Tonnerre  (Yonne). 


DEUX  MUSICIENS  OUBLIÉS 


Le  savant  M.  Fétis,  directeur  du  Conservatoire  de  Bruxelles,  a  publié, 
sous  forme  de  Dictionnaire  et  par  ordre  alphabétique,  la  biographie  de 
tous  ceux  —  artistes,  écrivains  ou  compositeurs  —  qui,  dans  tous  les  pays 
et  dans  tous  les  temps,  se  sont  livrés  à  la  culture  de  la  musique.  Ce  ré- 
pertoire est  à  la  fois  des  plus  vastes  et  des  plus  intéressants.  Une  nou- 
velle édition  en  a  été  donnée  récemment  au  public  par  le  libraire  Didot,  à 
Paris.  Je  crois  faire  œuvre  utile  en  signalant  à  l'éditeur  deux  lacunes,  de 
peu  d'importance  sans  doute,  mais  qu'il  sera  facile,  le  cas  échéant,  de 
combler  comme  il  convient,  pour  ne  pas  laisser  feuilleter  inutilement  par 
les  gens  studieux  une  série  de  volumes  déjà  très-considérable  et  un  en- 
semble de  documents  qui,  je  m'empresse  de  le  reconnaître,  n'existe  nulle 
part  aussi  complet .  En  produisant  à  la  lumière  deux  épitaphes  restées 
dans  l'ombre,  j'ai  aussi  en  vue  de  fournir  à  l'excellent  directeur  de  la  Re~ 
vue  de  musique  fondée  à  Toulouse  deux  pièces,  connues  à  Rome  des  épigra- 
phistes,  mais  certainement  ignorées  en  France.  La  presse  archéologique, 
en  admettant  dans  ses  colonnes  de  semblables  renseignements,  rend  un 
service  réel  aux  revues  musicales,  qui,  sans  elles,  en  attendraient  peut- 
être  longtemps  la  communication  de  leurs  lecteurs  ou  collaborateurs.  Nous 
sommes  tous  solidaires  de  la  même  cause,  qui  est  de  vulgariser  les  con- 
naissances acquises  par  l'étude. 

M.  Forcella  a  bien  mérité  de  la  science  par  sa  publication,  vraiment  ca- 
pitale, des  inscriptions  des  églises  et  autres  monuments  de  Rome.  JNous 
reviendrons  plus  à  loisir  et  en  détail  sur  les  cinq  volumes  déjà  imprimés. 
Aujourd'hui  je  ne  veux  que  lui  faire  un  emprunt,  qui  montrera  quel  parti 
on  peut  tirer,  pour  l'histoire  des  arts  de  la  ville  éternelle,  d'une  collection 
qui  s'étend  du  XI*  siècle  au  XIX*  inclusivement. 


432  DEUX    MUSICIENS    OUBLIÉS 

I. 

J'avais  remarqué  et  même  copié  autrefois  pour  une  histoire  des  a7'tistes 
italiens  l'épitaphe  suivante,  qui  date  du  XVIP  siècle,  époque  de  la  belle 
musique  de  chambre  dans  le  pays  classique  de  l'harmonie.  Je  la  revois 
avec  plaisir  dans  l'ouvrage  romain  : 

[Écusson  armorié  de  la  défunte). 
I      CHR      R 

OLYMPIAE  OEVLAE 

CVI  MORS  CVM  FLORE 

VENVSTATIS   AETATISQ. 

ARTEM  CANENDI  SVPRA 

AETATEM   SVSTVLIT 

MOESTISSIMI    MATER   ET 

FRATRES   PP. 

yiX.  ANN.  XXVIl  MEN.  IX 

DIES   XIV   OBIIT   XIV   IVLII 

MDCXXII. 

[Autre  écusson  armorié.) 

La  dalle  tumulaire  est  encastrée  dans  le  pavé  de  la  grande  nef  de 
l'église  cardinalice  et  conventuelle  de  Saint-Martin-des-Monts.  C'est  donc 
une  place  d'honneur  qu'on  a  choisie  pour  le  jeune  artiste.  Rome  aime  les 
arts  avec  passion  et  elle  s'est  toujours  montrée  pleine  d'égards  pour  ceux 
qui  ont  consacré  leur  vie  et  leur  talent  à  la  culture  du  beau,  sous  quelque 
forme  qu'il  se  produise. 

Etait-elle  noble,  cette  cantatrice  distinguée?  Rien  ne  l'indique  d'une  ma- 
nière précise,  car,  de  nos  jours  encore  en  Italie,  pas  plus  qu'en  France 
avant  la  révolution,  les  armoiries  ne  sont  un  signe  certain  de  noblesse. 
Tout  noble  a  un  écusson  chargé  d'attributs  ou  d'emblèmes  conventionnels, 
mais  les  bourgeois  aussi  se  sont  créé  un  blason  fantaisiste.  C'est  admis,  et 
franchement,  cela  ne  tire  pas  à  conséquence. 

M.  Forcella  est  très-sobre  de  notes  ;  on  se  prend  à  le  regretter  en  le  li- 
sant. Il  n'eut  pas  été  inutile  de  donner  la  traduction  de  la  première  ligne 
dont  les  initiales  sont  un  problême  tout  au  moins  fort  diffi'ile  à  résoudre 
même  pour  des  archéologues  exercés.  Je  suis  si  peu  sûr  de  l'interpréta- 
tation  qui  m'est  venue  à  l'esprit  que  je  n'ose  l'écrire,  quoique  je  puisse 
m'appu^'er  de  ce  correctif  d'Horace  .-  Faciant  meliora  patentes.  Je  lirais 
toutefois  :  Jesu  Christo  Redemptori. 


DEUX    MUSICIENS    OUBLIÉS  4o3 

Olympe  OEoli  vécut  27  ans,  9  mois  et  14  jours.  Elle  décéda  le  14  juillet 
1622. 

Olympe  peut  paraître  un  nom  païen  et,  à  cette  époque,  on  ne  se  privait 
pas  d'en  donner.  Cependant  je  dois  dire,  à  la  décharge  des  parents  de  la 
défunte,  (\\x  Olympia  n'est  pas  inconnu  à  l'antiquité  chrétienne,  comme 
l'histoire  de  Sainte  Balbine  en  fournit  un  exemple  mémorable. 

Le  nom  de  famille  latinisé  a  été  mis  au  féminin  et  la  voyelle  o  s'est 
changée  en  son  équivalent  euphonique  u.  Autres  remarques  épigraphi- 
ques  :  les  points-milieux,  si  communs  à  Rome,  n'indiquent  ici  que  des 
mots  tronqués  ou  des  fins  de  phrase  ;  puis  les  lettres  des  diphthongues  sont 
tantôt  jointes,  tantôt  séparées.  Faut-il  y  voir  une  faute  du  graveur?  c'est 
possible  et  de  tels  cas  ne  sont  pas  rares.  Faut-il,  au  contraire,  rejeter  l'er- 
reur sur  le  copiste  ou  même  le  typographe?  Je  l'admettrais  encore,  car 
malheureusement  le  recueil  de  Forcella  n'est  pas  exempt  de  ces  petites  im- 
perfections de  détail  qui  prouveraient  ou  trop  de  précipitation  dans  la  ré- 
daction ou  une  correction  trop  peu  sévère  à  l'imprimerie.  Je  dis  cela  pour 
l'amélioration  des  textes  qui  restent  à  publier. 

La  dalle  fut  posée  (posuere)  par  les  soins  de  la  mère  et  des  frères  sur  la 
dépouille  mortelle,  objet  de  leur  grande  tristesse.  Trois  traits  vifs  repro- 
chent à  la  mort  le  coup  fatal  qu'elle  a  porté  à  la  famille  :  Olympe  était 
jeune,  dans  la  fleur  de  la  beauté  et  son  talent  de  cantatrice  surpassait  de 
beaucoup  son  âge.  Une  pensée  chrétienne  n'eût  pas  gâté  l'expression  trop 
humaine  des  regrets. 

II. 

La  seconde  inscription  dont  j'ai  à  parler  n'existe  plus.  Forcella  l'a  ex- 
traite d'un  manuscrit  du  Vatican  qui  la  cite  comme  étant  autrefois  dans  la 
diaconie  de  Saint-Nicolas  in  carcere.  De  quand  date  la  disparition  de  cette 
dalle  du  XVIP  siècle,  qui  ne  devait  pas,  vu  son  peu  d'ancienneté,  être  as- 
sez effacée  pour  devenir  illisible,  même  à  la  suite  du  frottement  des  pieds 
des  fidèles  sur  le  marbre  du  pavé  ?  Serait-ce  trop  hardi  d'en  accuser  la 
restauration  récente  de  l'église,  qui  a  un  peu  sacrifié  son  passé  pour  avoir 
du  neuf  et  d  j  plus  beau  ?  Je  constate,  dans  ces  derniers  temps,  de  sem- 
blables disparitions,  fort  regrettables  à  plus  d'un  point  de  vue,  dans  le  re- 
nouvellement des  pavages  de  St-Eustache,  St-Louis-des-Français,le  Pan- 
théon et  la  Minerve. 

François  de  Rossi  était  natif  de  Palestrina.  Il  mourut  le  8  janvier  1672, 
âge  de  5l)  ans,  dont  iM  passés  à  Saint-Nicolas  dans  les  fonctions  de  cha- 
noine, puis  de  doyen.   Ses  sœurs  constatèrent  sur  la  tombe  qu'il  était 


454  DEUX    MUSICIENS    OUBLIÉS 

«  cher  à  plusieurs  cardinaux  ».  Ces  simples  mots  signifieraient-ils  un  com- 
positeur >!e  musique  religieuse  plutôt  qu'un  dilettante?  J'aime  à  le  croire. 

L'épigraphe  débute  par  un  écusson  qui,  en  Italie,  ne  dénote  pas  plus  la 
noblesse  que  le  de  mis  en  avant  du  nom  de  famille,  latinisé  suivant  l'usage. 
Vient  ensuite  la  formule  habituelle  :  Deo  opti'mo  maximo.  Beaucoup  de 
mots  sont  abrégés,  et  deux  fois  seulement  la  lettre  M  est  remplacée  par 
un  trait  horizontal. 

Le  chanoine  est  qualifié,  comme  tel,  de  ti^ès-révérend.  Admodum  reve- 
rendus  est,  en  effet,  son  titre  officiel.  Révérend ?,Qâi\t  de  tout  ecclésiastique 
en  place,  curé  ou  autre,  ainsi  que  le  pratiquent  les  anglais.  Révérendissime 
appartient  en  propre  à  la  prélatureet  à  l'épiscopat;  sous  Urbain  VIII,  les 
cardinaux  l'ont  quitté  pour  E minent iss ime . 

Enfin  D  réduit  à  l'initiale  de  Dominiis,  répond  au  Don  qu'ont  conservé 
les  Romains  et  qu'ils  mettent  toujours  avant  le  nom  de  baptême  dans  le 
langage  ordinaire.  Le  chanoine  De  Rossi  devait  donc  être  appelé  de  son 
temps  Don  Frayicesco. 

Voici  son  épitaphe  latine,  telle  que  l'a  copiée  Galletti,  au  siècle  dernier, 
probablement  un  peu  rapidement,  car  il  y  a  des  fautes  évidentes  de  lec- 
ture : 

D.  0.  M. 

ADM.   RDO  D.  FRANCO  DE  RVBEIS 

PRAENESTINO 

HVIVS  ECCE  CANON  ICO  DECANO 

QUI   MVSICES   ARTE    POLLENS   ET 

MVLTIS  EEMIS  S.  R.  E.   CARDBVS  CARUS 

POST  VEHICVLVm 

ETATIS  SUAE  ANNORVm  L. 

ET.  XXXI  IN  HAC  ECCA  CANTVS 

AD  PERENNES  CONCENTVS 

EST  ASSOCIATVS 

VI.  IDVS  lANVARII  MDCLXXII 

SORORES  MESTISS.  POSVERE 

Le  chanoine  avait  chanté  au  chœur  les  louanges  de  Dieu,  de  plus  il  ai- 
mait la  musique.  Au  ciel  il  aura  été  «  associé  aux  concerts  éternels.  »  On 
ne  pouvait  terminer  plus  gracieusement  l'éloge  funèbre  d'un  musicien. 

X.  Barbier  de  Montault. 


L'EGLISE 

DU  COUVENT  DES  DOMINICAINS 
DE  SAINT-MAXIMIN 


Commencée  dès  les  dernières  années  du  XIP  siècle  en  même  temps 
que  les  bâtiments  claustraux,  cette  église  a  été  continuée  pendant  le 
cours  des  deux  siècles  suivants  et  terminée  seulement  dans  les  premières 
années  du  XVI^.  Bien  qu'on  trouve  dans  ce  monument  des  traces  appa- 
rentes de  ces  différentes  époques  de  l'art,  il  offre  néanmoins  une  grande 
homogénéité  de  style,  bien  rare  pour  le  long  espace  de  temps  qu'on  a 
mis  à  le  construire  et  qui  est  due  certainement  à  la  persistance  des  tradi- 
tions monastiques. 

Le  portail  de  sa  nef  principale  n'a  jamais  été  exécuté  ;  les  façades  des 
bas-côtés  seules  existent,  et  leur  décoration  excessivement  simple  pour 
l'époque  offre  les  caractères  de  la  fin  du  XV®  ou  du  commencement  du 
XVI"  siècle  ;  leur  genre  d'ornementation  peut  donner  une  idée  de  celle 
destinée  au  grand  po.  tail.  Ces  portes  latérales  se  trouvent  placées  au 
fond  d'une  suite  d'arcs  décroissants  en  ogive,  composés  de  moulures  pris- 
matiques et  surmontés  d'ornements  de  style  flamboyant.  Chacun  de  ces 
portails  est  percé  d'une  large  fenêtre  ogivale  diviséepar  un  double  meneau 
et  renfermant  de  nombreux  quatre-feuilles  dans  ses  découpures  ;  il  est 
encadré  par  deux  robustes  contreforts  qui  supportent  à  leur  sommet  une 
voûte  en  forme  de  porche,  disposition  singulière  et  tout-à-fait  inusitée. 

A  l'angle  méridional  de  la  façade,  on  trouve  les  bases  bien  apparentes 
de  la  tour  du  clocher  qui  n'a  pas  été  édifiée  et  qui  devait  compléter 
l'aspect  monumental  de  l'église. 

Sur  chacune  des  faces  latérales  de  cet  édifice,  dix  contreforts  portent 
les  arcs  qui  buttent  les  voûtes  et  sont  surmontés  de  couronnements  où 
s'étalent  d'anciens  fleurons  aux  élégantes  découpures.  Deux  tourelles 
servant  d'escalier  flanquent  l'abside  qui  s'élève  dans  de  majestueuses  pro- 
portions. 


436  l'lglise  des  dominicains 

Un  hp.iu  dallage  dont  quelques  parties  subsistent  encore,  recouvrait 
autrefois  les  voûtes  des  trois  nefs,  ainsi  que  celles  des  chapelles,  et  Técou- 
lement  des  eaux  pluviales  s'opérait  de  la  manière  la  plus  naturelle  et  la 
plus  logique.  Une  gouttière  en  pierre,  en  forme  de  corniche,  supportée 
par  des  corbeaux  nettement  profilés,  régnait  au  pourtour  de  la  grande 
nef,  recevant  les  eaux  qui  étaient  conduites  par  des  tuyaux  de  descente 
aussi  en  pierre,  jusqu'aux  canaux  pratiqués  sur  les  arcs-boutants  et  de  là 
à  travers  les  contreforts,  dans  leurs  gueulards,  taillés  en  forme  de  monstres, 
pour  les  rejeter.  Ces  animaux  fantastiques,  aujourd'hui  ruinés,  renfer- 
maient probablement  une  expression  symbolique  dont  le  sens  est  perdu 
pour  nous. 

La  couverture  des  bas -côtés  avait  de  même  sa  gouttière  en  pierre 
établie  à  son  pourtour  et  son  rang  inférieur  de  gargouilles. 

Les  eaux  ainsi  dégorgées  par  ce  double  rang  de  monstres  de  pierre 
tombaient  à  l'extrémité  des  toitures  des  chapelles,  chargées  de  les  débiter 
au  dehors. 

Mais  ce  régime  si  simple  d'ordonnance  a  fait  place  au  plus  déplorable 
système;  car  au-dessus  du  grand  comble,  la  charpente  qui  soutient  les 
couvertures  en  tuiles  se  trouve  supportée  par  des  piliers  établis  sur  les 
reins  même  des  voûtes,  et  au-dessus  des  bas-côtés  cette  toiture  est  portée 
par  des  arcs  grossiers  dont  le  développement  a  nécessité  l'exhaussement 
des  faces  extérieures  par  un  petit  mur  en  maçonnerie  d'un  effet  détestable, 
de  sorte  que  tous  les  anciens  canaux  d'écoulement  sont  condamnés  à 
l'inutilité,  et  la  pente  des  toitures  des  nefs  latérales  et  des  chapelles,  néces- 
sitée par  cette  odieuse  combinaison,  a  envahi  la  base  des  fenêtres  des 
diverses  nefs  et  a  ainsi  dénaturé  les  dispositions  primitives,  si  habilement 
conçues,  de  cet  édifice. 

L'intérieur  de  cette  église  est  d'un  effet  incomparable. 

Son  plan  se  compose  de  trois  nefs,  accompagnées  de  chapelles  ;  elle 
n'est  point  coupée  par  un  transsept  ;  ses  collatéraux  ne  se  prolongent  pas 
autour  du  chœur,  ils  s'arrêtent  à  la  naissance  de  l'abside  principale  et  se 
terminent  en  contre-absides. 

Voici  ses  dimensions  dans  œuvre  : 

Longueur  de  la  grande  nef 72  mètres  60  c. 

Longueur  des  collatéraux 64  20 

Hauteur  de  la  grande  nef  sous  voûte.     .     .  28  70 

Hauteur  des  collatéraux 17  60 

Hauteur  des  chapelles 10  25 

Largeur  des  trois  nefs  et  des  chapelles  .     .  37  20 


UE  SAINT-MAXIMIN  457 

Seize  piliers  détachés  et  quatre  engagés  soutiennent  les  retombées  des 
arcades  ogivales  qui  établissent  les  communications  entre  les  diverses 
nefs.  Ces  piliers  sont  détachés  en  faisceau  de  sveltes  colonnettes  d'où  par- 
tent les  nervures  formant  les  arêtes  des  voûtes  ogivales.  Trois  de  ces  co- 
lonnettes groupées  soutiennent  les  arcs  de  la  grande  nef,  trois  aussi  sont 
disposées  de  la  même  manière  dans  les  bas-côtés  et  une  dans  chaque 
entre -colonnement  porte  l'archivolte  des  arcades  ;  cette  archivolte  ornée 
de  moulures  est  partout  rectangulaire,  sauf  aux  arcades  adhérentes  à 
l'abside,  où  son  principal  tore  est  curviligne,  muni  d'une  arête  figurant  un 
petit  filet  ;  elle  est  soutenue  par  un  faisceau  de  trois  colonnettes  au  lieu 
d'une  seule,  élégante  disposition  delà  fin  du  XIIP  siècle,  dans  cette  partie 
primitive  du  monument. 

Les  chapitaux  d'une  nudité  caractéristique,  sans  ornements  ni  feuillage, 
ont  généralement  leurs  tailloirs  à  pans  coupés,  excepté  aux  dernières  ar- 
cades où  ils  sont  circulaires.  Ces  piliers  sont  ainsi  d'une  très-grande  sim- 
plicité, La  hauteur  de  leurs  bases  est  très-variable,  les  unes  ont  plus  d'un 
mètre,  tandis  que  d'autres  ont  à  peine  50  centimètres  ;  il  n'y  a  pas  même 
de  similitude  à  cet  égard  dans  les  piliers  parallèlement  correspondants . 

Malgré  l'unité  d'architecture  qui  règne  dans  l'ensemble  de  ce  monument, 
on  remarque  en  lui  des  différences  de  détail  très-sensibles,  quand  on  en 
analyse  les  proportions.  Ces  différences  sont  plus  nombreuses  encore  dans 
les  travées  postérieures  à  la  reprise  de  l'édifice  au  XV^  siècle,  car  cette 
reprise  est  très-apparente  à  l'extérieur  comme  à  l'intérieur  et  ces  dissem- 
blances multiples  ne  nuisent  pourtant  point  à  son  tour  si  harmonieux. 

La  grande  nef  se  compose  de  neuf  travées,  les  collatéraux  de  huit,  à 
chacune  desquelles  correspond  une  chapelle  dont  la  construction  est 
entrée  dans  le  plan  primitif  de  l'édifice.  Moins  élevées  que  les  nefs  latérales, 
ces  chapelles  en  complètent  l'ensemble  architectural.  Une  fenêtre  aujour- 
d'hui bouchée  perçait  leur  mur  du  fond,  contre  lequel  se  trouvent  mainte- 
nant adossés  les  autels,  autrefois  tous  orientés  comme  l'église.  Cette 
fenêtre  divisée  par  un  meneau,  renfermait  des  ornements  dans  le  style  du 
XIV^  siècle  qui  subsistent  encore,  tels  que  ceux  que  l'on  voit  dans  les 
ouvertures  des  nefs,  c'est  à-dire  un  quatre-feuille  inscrit  dans  un  cercle, 
s'étalant  au-dessus  des  arcatures  trilobées  que  porte  le  meneau  vertical  ; 
dans  les  contre-absides  s'épanouissent  de  plus  deux  trèfles  aux  feuilles 
arrondies,  au-dessous  de  ces  quatre-feuilles,  ainsi  que  dans  les  baies  su- 
péx'ieures  de  l'abside  principale  où  ces  trèfles  sont  surmontés  de  roses  à 
cinq  lobes  d'une  noble  ampleur,  tandis  que  dans  les  baies  inférieures  de 
cette  abside,  ce  sont  des  trèfles  lancéolés  qui  les  décorent  ;  on  trouve  aussi 
dans  certaines  ouvertures  des  bas-côtés  et  des  chapelles  des  traces  d'or- 
Ile  série,  tome  II.  3 


4o8  L'ÉGL1>^F.  DKs   liu.MlMCAINS 

nementation  flamboyantes  comme  dans  celle  de  la  grande  nef  où  ce  style 
du  XY"'  siècle  domine  souverainement. 

Ces  diverses  découpures  ont  été  refaites  ou  restaurées  en  grande  partie, 
mais  toutes  ces  baies  sont  aujourd'hui  garnies  de  vitraux  incolores  qui 
donnent  trop  de  jour  à  l'église.  Q)uelques  fragments  des  anciennes  verrières 
subsistent  seulement  dans  les  bas  côtés. 

On  se  fera  facilement  une  idée  du  merveilleux  effet  que  devait  produire 
ce  triple  rang  de  fenêtres,  quand  chacune  d'elles  conservait  ses  premières 
dimensions.  C'était  un  édifice  ouvert  de  toute  part  à  la  lumière,  ainsi  que 
le  démontrent  la  multiplicité  et  le  prolongement  de  ses  baies  ;  cette  dispo- 
sition dans  le  sens  primitif  était  réellement  admirable.  Mais  ce  qu'il  y  a 
surtout  d'incomparable,  c'est  l'abside  à  sept  pans,  dont  cinq  sont  percés 
d'un  double  rang  d'ouvertures  superposées,  d'une  très  grande  hauteur, 
séparées  seulement  entre  elles  par  un  meneau  horizontal  et  dont  la  partie 
inférieure  se  trouve  aujourd'hui  envahie  par  des'marbreries  de  l'époque  de 
Louis  XIV,  qui  en  diminuent  singulièrement  l'effet. 

Cette  abside  a  ses  diverses  faces  polygonales  séparées  par  une  svelte 
colonnette,  sur  laquelle  repose  la  nervure  formant  l'arête  des  sept  quar- 
tiers qui  composent  sa  voûte  ;  deux  autres  colonnettes  infiniment  plus  lé- 
gères, montent  aussi  du  sol  pour  porter  les  arcs  formerets  de  ces  divers 
segments  et  encadrer  ainsi  les  doubles  fenêtres  superposées  de  cette  par- 
tie si  remarquable  du  monument. 

Quelques-unes  des  clefs  de  voûte  auxquelles  viennent  se  rattacher  les 
nervures  croisées  sont  ornées  des  blasons  des  comtes  de  Provence  et  des 
rois  de  France. 

Les  voûtes   des  chapelles   sont   soutenues  aussi  par   des  nervures, 
reposant  sur  des  consoles,  au  lieu  de  colonnettes,  et  les  clefs  qui  réunissent' 
ces  nervures  sont  pour  la  plupart  décorées  d'ornements  peints,  générale- 
ment mutilés.  Ces  chapelles,  ainsi  que  les  arcades  qui  leur  donnent  accès, 
varient  de  grandeur,  selon  la  largeur  de  la  travée  correspondante  de  la  nef. 

L'intérieur  du  vaisseau  a  eu  l'insigne  bonheur  de  ne  point  être  badi- 
geonné ;  mais  il  est  à  regretter  que  le  pavé  de  l'église,  autrefois  couvert 
de  grandes  dalles  et  de  pierres  tombales,  n'ait  plus  la  gravité  qui  lui  con- 
venait si  bien. 

Le  fond  de  la  nef  est  occupé  par  des  additions  du  XVII"  siècle,  qui, 
quoique  en  désaccord  complet  avec  le  style  du  monument,  font  cependant 
entre  elles  un  magnifique  ensemble  ;  on  dirait  une  église  de  Louis  XIV 
dans  une  éghse  gothique. 

Cette  ornementation  consiste  dans  les  marbreries  de  l'abside  et  les  boi- 
series du  chœur. 


I>E  SAINT-MAMMIX  459 

Ce  chœur  porte  la  date  de  1C92;  ses  stalles  au  nombre  de  94  sont 
d'une  grande  beauté  d'ensemble  et  d'une  merveilleuse  richesse  de  détails  : 
elles  se  développent  sur  deux  étages  en  retraite  contre  une  sorte  de 
chancel  et  sont  sculptées  de  médaillons  où  figurent  les  plus  glorieux  faits 
de  l'histoire  de  l'ordre  de  saint  Dominique,  dus  au  ciseau  du  frère  Vincent 
Funel. 

Un  autre  grand  et  bel  ouvrage  de  sculpture  sur  bois,  c'est  la  chaire  por- 
tant la  date  de  1756;  le  frère  Louis  Gudet  en  est  l'auteur. 

L'orgue  fixe  aussi  l'attention  dans  la  grande  nef;  il  a  été  terminé  peu 
d'années  avant  la  rév^olution,  par  le  frère  Isnard,  dominicain  du  couvent 
de  Tarascon  '. 

Dans  les  nefs  latérales  et  les  chapelles,  se  trouvent  divers  autels  re- 
marquables, entre  autres  celui  connu  sous  le  nom  de  Corpus  Domi)ii.,  pré- 
cieux monument  du  XV!'"  siècle,  dont  les  peintures  sur  bois  renferment 
dans  une  série  de  médaillons  bien  conservés,  l'histoire  de  la  Passion.  Ces 
peintures  ont  été  données  par  le  malheureux  surintendant  des  finances  de 
François  I",  Jacques  de  Beaune,  seigneur  de  Semblançay,  ainsi  que  l'in- 
dique une  inscription  en  caractères  gothiques,  peinte  sur  le  devant  de  cet 
autel. 

Cette  église  possède  aussi  une  crypte  qui  en  a  été  le  véritable  fondement, 
c'est  là  qu'on  conserve  le  tombeau  célèbre  de  sainte  Madeleine  et  le  reli- 
quaire contenant  son  chef  vénéré.  De  la  crypte  ancienne  il  ne  subsiste  que 
quelques  pierres  noircies  par  le  temps,  tandis  que  la  chapelle  souterraine 
actuelle  a  été  refaite  dans  les  derniers  siècles  avec  assez  peu  de  goût.  Mais 
sous  le  rapport  religieux,  cette  crypte  a  une  importance 'capitale  et  sous 
le  rapport  de  l'histoire  de  l'art,  elle  contient  des  monuments  de  la  plus 
grande  valeur,  entre  autres  divers  sarcophages  des  premiers  siècles  où 
s'étalent  des  sujets  chrétiens  ou  bibUques  du  plus  haut  intérêt  «. 

Sans  entrer  à  l'égard  de  cette  église  dans  de  plus  longs  détails  qui  nous 
forceraient  à  répéter  ce  que  nous  avons  dit  dans  notre  Notice  spéciale  sur 
ce  monument,  qu'il  nous  soit  permis  toutefois  de  reproduire  les  lignes  par 
lesquelles  nous  avons  essayé  d'esquisser  le  caractère  de  cet  édifice  où  do- 
minent les  éléments  architectoniques  des  XII1«  et  XIV»  siècles. 

«  Cette  église  ne  jouit  pas  de  la  célébrité  qu'elle  mérite  ;  elle  n'a  point, 
il  est  vrai,  les  dimensions  des  grandes  cathédrales  du  nord,  mais  l'éton- 
nante justesse  de  ses  combinaisons  architecturales  accroît  singulièrement 
l'effet  de  sa  perspective  et  la  fait  paraître  plus  vaste  qu'elle  n'est  en  réalité. 

1  Le  traité  et  le  devis  des  travaux,  à  ce  sujet,  sont  conservés  dans  les  archives. 
»  Voir  notre  Notice  sur  l'église  de  Saint-Maximin. 


460  LÏXiLfSK  DRS  DOMINrCAlNS 

C'est  un  vaisseau  d'une  merveilleuse  beauté  d'ensemble,  d'une  incompa- 
rable pureté  de  lignes,  d'une  élégance  et  dune  légèreté  de  formes  vrai- 
ment admirables.  Le  prodigieux  élancement  de  ses  piliers,  l'imposante 
noblesse  de  ses  voûtes  et  surtout  la  suprême  harmonie  de  ses  proportions, 
lui  impriment  un  cachet  de  poétique  grandeur  que  peut-être  nul  autre  mo- 
nument ne  possède  à  un  degré  si  élevé.  Moins  considérable  en  étendue 
que  les  églises  de  premier  ordre  en  France,  moins  complète  qu'elles  par 
le  plan,  moins  riche  par  les  détails  et  par  l'ornementation,  elle  est  supé- 
rieure au  plus  grand  nombre  de  ces  cathédrales  comme  valeur  esthétique. 
Aucune  autre  église  ne  renferme,  en  effet,  une  plus  haute  expression  des 
splendeurs  de  l'art  et  de  la  pensée  chrétienne,  aussi  nulle  ne  saurait  exal- 
ter plus  vivement  l'âme  et  lui  procurer  de  plus  profondes  et  de  plus  reli- 
gieuses émotions D'un  goût  sévère   et   pur,  comme  en  général 

toutes  les  fondations  de  l'ordre  des  Dominicains,  cette  église  est  d'une^ex- 
trême  sobriété  d'ornementation,  due  probablement  à  l'inspiration  monas- 
tique qui  a  présidé  à  sa  construction  ;  et  néanmoins  inimitablement  belle, 
elle  revêt  ainsi  un  caractère  de  sublime  simplicité  ^  » 

En  ett'et  si  l'institut  dominicain,  d'après  le  P.  Lacordaire  *,  s'allie  bien 
au  génie  français,  l'architecture  de  cet  ordre  religieux  nous  semble 
éminemment  propre,  de  son  côté,  à  caractériser  notre  art  national  durant 
la  période  gothique,  et  l'église  de  Saint-Maximin  est  véritablement  le  pro- 
duit le  plus  noble  et  la  formule  la  plus  explicite  de  cette  ai'chitecture 
dominicaine  en  même  temps  que  le  type  par  excellence  de  l'art  ogival  dans 
le  Midi. 

La  majestueuse  basilique  domine  ainsi  les  diverses  constructions  qui 
rayonnent  autour  d'elle,  le  cloître,  les  lieux  réguliers,  l'hospice,  le  collège, 
l'inlinnerie  et  toutes  les  dépendances,  tandis  qu'au  dehors  de  l'enceinte 
monastique,  s'étend  le  grand  enclos  avec  son  allée  parallèle  à  l'aile  sep- 
tentrionale des  bâtiments  claustraux. 

Tel  était  ce  vaste  et  beau  couvent  dans  sa  distribution  matérielle  à  la 
fois  simple  et  noble,  admirablement  appropriée  aux  exigences  de  la  vie 
régulière  et  de  la  règle  dominicaine. 

Plus  d'une  fois  avant  son  rétablissement,  nous  avons  éprouvé  un  charme 
mdicible  à  évoquer  les  souvenirs  de  son  passé.  Aux  heures  du  soir,  sur- 
tout, quand  les  derniers  rayons  du  jour  expiraient  au  faîte  de  l'édifice,  en 
parcourant  les  abords  de  cette  demeure  abandonnée,  notre  imagination  se 
plaisait  à  la  repeupler  de  ses  anciens  hôtes  et  à  les  faire  vivre  de  nouveau 

'  Notice  sur  Véglise  de  Saint-Maximin,  p.  66,  67,  etc. 

^  Voir  Mémoire  jiour  Je  rrtahlisse^wnt  des  Fr  Prêcheurs,  ch.  V. 


DE  SAINT-MAXIMIN  461 

par  la  pensée  dans  leurs  longs  corridors  déserts,  dans  leurs  cellules  vides, 
sous  les  arceaux  effondrés  de  leur  cloître  solitaire 

Aujourd'hui  ce  rêve  de  nos  jeunes  années  a  trouvé  sa  réalisation  :  tous 
ces  fantômes  ont  secoué  la  poussière  de  leur  tombeau  et  à  l'heure  qu'il 
est,  ils  habitent,  pleins  de  vie,  cet  asile  relevé  de  ses  ruines.  Aussi,  du  sein 
de  ses  vieux  murs  s'élève  encore  la  prière  dans  ses  plus  magnifiques  élans, 
et  de  ses  chaires  d'enseignement  théologique,  la  science  coule  à  pleins 
flots.  A  l'auréole  resplendissante  de  son  passé,  le  couvciit  de  Saint-Maxi- 
min  ajoutera  le  lustre  de  ses  destinées  nouvelles,  car  désormais  le  glo- 
rieux nom  du  père  Lacordaire,  en  demeurant  irrévocablement  lié  à  son 
histoire,  sera  son  immortel  protecteur  dans  l'avenir  :  et  si  les  exemp- 
tions et  les  privilèges  de  ce  couvent  sont  aujourd'hui  détruits,  si  ses  pos- 
sessions territoriales  sont  à  jamais  perdues,  si  sa  puissance  et  ses  droits 
n'existent  plus,  il  est  pourtant  une  richesse  qui  ne  lui  fera  pas  défaut,  c'est 
celle  qui  est  due  aux  mérites  de  la  vie  régulière,  à  l'élévation  des  vertus 
ascétiques,  au  prestige  de  l'éloquence,  à  l'ardeur  du  dévouement  évangé- 
lique,  à  l'éclat  souverain  de  la  science  et  de  la  sainteté  i 

Louis  ROSTAN. 


RAPPORT 

DU    R.   P.   GERMER-DURA-ND 

SDR 

L'IMAGERIE  RELIGIEUSE 

LU   A  l'assemblée   générale   DES   COMITÉS   CATHOLIQUES 


(Extrait  de  la  séance  du  i"  avril  iSlôl 


Monseigneur, 
Messieurs, 

La  question  de  l'imagerie  religieuse  vous  a  déjà  préoccupés  l'année 
dernière,  et  si  nous  abordons  encore  ce  sujet,  ce  n'est  point  pour  l'exposer 
à  nouveau.  Je  viens  seulement  vous  dire  ce  qui  a  été  fait  pour  répondre 
aux  vœux  que  vous  avez  émis,  à  la  suite  de  l'intéressant  et  judicieux  rap- 
port de  M.  l'abbé  Charles. 

Après  cela,  si  vous  le  permettez,  nous  dirons  un  mot  de  limageric 
populaire  d'Epinal. 

Le  premier  vœu  de  l'assemblée  de  1874  était  conçu  en  ces  termes  : 

«  Que  des  concours  soient  ouverts  par  les  différentes  Sociétés  d'art 
chrétien  sur  les  sujets  d'imagerie  religieuse,  et  que  des  primes  soient 
accordées  aux  travaux  les  plus  remarquables.  » 

Si  ce  vœu  n'a  pas  été  mis  à  exécution,  ce  n"est  point  le  désir  qui  a  man- 
qué. Les  Sociétés  d'art  chrétien,  encore  peu  nombreuses  et  à  peine  assises, 
n'ont  pas  les  revenus  nécessaires  pour  ouvrir  chaque  année  tous  les  con- 
cours qu'elles  voudraient  proposer  à  l'émulation  des  artistes.  Le  droit  de 
posséder,  refusé  jusqu'à  présent  par  la  loi  aux  corporations  religieuses, 
pourra  seul  assurer  les  fondations  nécessaires  à  l'ouverture  de  concours 
annuels. 

Mais  si  ce  premier  vœu  est  resté,  cette  année,  à  l'état  de  desideratum, 
le  second  n'a  pas  eu  le  même  sort.  Il  était  ainsi  formulé  : 

€  Qu'une  approbation  publi(]ue  soit  donnée  par  ces  Sociétés  à  toute 


RAïu'ORT  sn;  l'imagerie  religieuse  463 

image  religieuse  qui  serait  présentée  à  son  examen,  et  qui  serait  trouvée 
conforme  aux  règles  de  l'art  et  de  la  tradition  chrétienne.  Cette  appro- 
bation pourrait  être  mentionnée,  soit  dans  un  catalogue  spécial,  soit  sur 
l'image  elle-même,  avec  une  empreinte  ou  un  sceau  de  la  Société,  n 

Le  Congrès  des  Œuvres  ouvrières,  tenu  à  Lyon,  au  mois  d'août  der- 
nier, est  venu  appuyer  et  préciser  encore  cette  motion  en  émettant  le 
vœu  : 

«  Que  la  Société  de  Saint- Jean,  pour  l'encouragement  de  l'art  chrétien, 
soit  instamment  priée  de  publier  un  catalogue  des  images  conformes  à  la 
fois  à  la  saine  doctrine  et  aux  règles  de  l'art  religieux.   » 

Devant  une  sommation  aussi  pressante,  la  Société  de  Saint-Jean  aurait 
eu  mauvaise  grâce  à  ne  pas  se  rendre.  Elle  s'est  mise  à  l'œuvre.  Les  jour- 
naux cathohques  ont  mis  sous  les  yeux  de  leurs  abonnés,  —  vous  en  êtes 
tous,  Messieurs,  et  vous  avez  dû  lire  —  la  note  suivante  : 

IMAGERIE  RELIGIEUSE. 

«  La  Société  de  Saint-Jean,  pour  l'encouragement  de  l'Art  chrétien, 
informe  MM.  les  artistes  et  les  éditeurs  d'estampes,  images,  statues,  etc., 
qu'elle  va  dresser  un  catalogue  des  œuvres  qui  lui  paraîtront  mériter 
d'être  recommandées  au  point  de  vue  de  l'art  chrétien.  Ce  catalogue  sera 
publié. 

«  Trois  conditions  sont  requises  pour  l'admission  des  ouvrages  d'art 
sur  le  catalogue  de  la  Société  de  Saint-Jean  : 

«  1°  Le  caractère  religieux,  c'est-à-dire  l'orthodoxie  du  sujet  et  l'élé- 
vation de  la  pensée,  concourant  à  inspirer  la  foi  et  la  piété  ; 

«  2°  Le  mérite  artistii}ue,  au  point  de  vue  de  la  composition  et  du 
dessin  ; 

«  3°  Une  exécution  satisfaisante,  soit  par  la  gravure,  soit  par  la  pho- 
tographie, soit  par  le  modelage,  soit  par  la  chromo-lithographie,  ou  tout 
autre  mode. 

«  Ces  trois  conditions  devront  se  trouver  réunies  pour  l'admission  d'une 
œuvre  sur  le  catalogue.  » 

Cet  appel  a  été  diversement  apprécié  par  les  éditeurs.  Plusieurs,  beau- 
coup même,  à  en  juger  par  leur  abstention  à  y  i-épondre,  v  ont  vu  une 
menace  plus  qu'un  encouragement.  J'ose  dire  qu'ils  ont  un  pou  raison  ; 
c'était  le  cri  de  la  conscience.  D'autres,  au  contraire,  (jui  ont  le  sincère 
désir  de  bien  faire,  se  sont  empressés  de  soumettre  leui-s  collections  à 
l'examen  de  la  Société  de  Saint- Jean. 

Afin  que  l'admission  sur  le  catalogue  acquit  une  valeur  incontestable. 
la  Société  a  pris  la  résolution  d'être  sévère. 


464  RAPPORT   SUR    l'imagerie   RELIGIEUSE 

Les  trois  conditions  exigées,  c'est-à-dire  le  caractère  religieux^  le  mérite 
artistique  et  la  bonne  exécution,  doivent  être  constatés  en  séance,  et  l'ap- 
probation, pour  être  valide,  nécessite  la  présence  de  neuf  membres  au 
moins.  De  plus,  pour  rendre  les  décisions  indépendantes  de  toute  influence, 
les  confrères  s'interdisent  de  recommander  aucun  artiste  ou  marchand. 

Telles  sont  les  bases  d'opération  pour  la  rédaction  du  catalogue.  Il  est 
sur  le  métier  et  le  premier  fascicule  sera  publié  prochainement. 

Pour  donner  à  cette  œuvre  une  utilité  pratique,  et  pour  faciliter  la  dif- 
fusion des  images  recommandées  par  elle,  la  Société  de  Saint-Jean  a  fait 
appel  au  concours  éclairé  de  la  Société  bibliographique.  Un  album  con- 
tenant un  spécimen  des  images  inscrites  au  catalogue  sera  déposé  à  la 
librairie  de  la  Société  bibliographique,  qui  veut  bien  accepter  d'être  l'in- 
termédiaire entre  les  acheteurs  et  les  différents  éditeurs  d'estampes. 

De  cette  façon,  personne  ne  sera  embarrassé  pour  se  procurer  les 
images  recommandées  par  la  Société  de  l'art  chrétien. 

Vous  le  voyez,  Messieurs,  le  deuxième  vœu  de  votre  dernière  assem- 
blée, relatif  à  l'imagerie,  est  en  pleine  voie  d'exécution  :  bonheur  que  plus 
d'un  de  ses  frères  pourrait  lui  envier. 

II. 

Le  catalogue,  dont  je  viens  de  vous  entretenir,  sera  nécessairement 
limité  par  la  sévérité  même  du  règlement  qui  préside  à  sa  rédaction.  Ce 
sera  un  catalogue  de  petits  chefs-d'œuvre,  si  l'on  veut,  fort  utile,  sans 
doute,  mais  insuffisant  au  point  de  vue  de  la  propagande  populaire. 

Le  Congrès  de  Lyon  et  la  dernière  assemblée  des  Comités  catholiques 
du  Nord  et  du  Pas-de  Calais  ont  appelé  l'atiention  sur  une  imagerie  bien 
autrement  répandue  que  les  emblèmes  et  les  images  à  surprises  qui  abon- 
dent chez  nos  éditeurs  de  Paris,  sur  l'imagerie  populaire  d'Epinal. 

On  pourra  objecter  peut-être  que  cette  question  soit  du  domaine  de 
l'art,  et  que  votre  commission  d'Art  chrétien  n'est  pas  appelée  à  l'aborder. 
Tel  n'a  pas  été  son  avis;  elle  a  pense,  au  contraire,  qu'elle  ne  devait  se 
désintéresser  d'aucune  des  manifestations  de  l'art  religieux,  si  faible  et  si 
rudimentaire  qu'elle  fût. 

Les  images  d'Épinal  pénètrent  partout,  et,  indépendamment  du  bon 
marché,  qui  fait  une  partie  de  leur  succès,  leurs  grandes  dimensions  et 
l'éclat,  souvent  peu  artistique,  il  est  vrai,  de  leur  coloris,  leur  assure  une 
popularité  (|u"aucun  autre  genre  d'images  ne  saurait  atteindre. 

Or,  ces  images  sont  trop  souvent  employées  à  la  diffusion  de  tout  autre 
chose  que  des  pensées  religieuses  et  morales.   Les  succès  scandaleux  du 


RAPPORT   SUR   l'imagerie    RELIGIEUSE  465 

théâtre  de  bas  étage  trouvent  dans  l'imagerie  d'Épinal  un  moyen  facile  de 
proj3agande,  et  ne  s'en  servent  que  trop.  Les  planches  éditées  pendant 
ces  dernières  années  en  font  foi.  D'autre  part,  les  Contes  de  Perrault 
prennent  la  place  des  légendes  des  Saints  ;  on  veut  chasser  Dieu  de  l'ima- 
gerie comme  He  l'école. 

Les  sujets  de  sainteté  figurent  encore  sur  les  catalogues  des  éditeurs, 
mais  on  a  grand'peine  à  les  trouver  dans  les  dépôts  pour  la  vente  au  dé- 
tail; nous  en  avons  fait  l'expérience  à  Paris.  Il  faut  ajouter  que  la  plupart 
de  ces  images  religieuses  sont  d'une  simplicité  d'exécution  qui  dénotent 
l'ancienneté  des  iJanches,  et  le  peu  de  souci  des  éditeurs  de  développer 
cette  branche  importante  de  leur  industrie. 

Cependant  l'examen  de  ces  épaves  de  l'imagerie  que  le  peuple  chrétien 
appréciait  jadis,  à  cause  du  fond  plutôt  que  de  la  forme,  nous  a  conduits 
à  faire  sur  la  question  générale  de  l'imagerie  une  observation  utile  à 
noter. 

Quand  les  imagiers  d'Epinal  ont  voulu  faire  des  images  pieuses,  ils  ont 
choisi  les  sujets  que  leur  indiquait  la  tradition.  Ils  ont  peint  d'abord  Jésus- 
Christ  et  l'Evangile  ;  en  second  lieu,  la  très-sainte  Vierge  et  les  diverses 
madones  vénérées  dans  les  pèlerinages;  en  troisième  lieu,  les  Saints,  dont 
la  série  comprenait  en  particulier  :  les  Apôtres,  les  patrons  des  corps 
d'état,  les  patrons  des  pays,  des  provinces,  des  villes,  etc. 

Or,  si  revenant  d'Épmal  à  Paris,  nous  jetons  les  yeux  sur  les  devan- 
tures des  marchands  d'images  de  piété,  qu'y  voyons-nous?  Les  sujets  que 
nous  venons  d'indiquer,  les  Saints  surtout,  ont  été  laissés  de  côté,  et  ont 
été  remplacés,  pour  la  grande  majorité  des  estampes,  par  des  emblèmes 
empruntés  à  un  mysticisme  de  convention,  souvent  fade,  qui  peut  pro- 
duire, sans  doute,  une  bonne  impression  sur  les  cœurs,  mais  qui  n'est 
jamais  un  enseignement  positif  et  solide,  comme  le  serait  le  portrait  d'un 
saint  avec  ses  attributs  traditionnels,  et  accompagné  d'une  notice  ou  d'un 
cantique  sur  ses  miracles  et  ses  vertus. 

Là  est  la  source  du  mal  :  on  veut  remplacer  la  sainteté  par  une  piété 
mal  comprise.  Le  jansénisme,  qui  a  exercé  en  France  une  si  longue  et  si 
fâcheuse  influence,  a  tué  le  culte  des  Saints  et  a  voulu  y  suppléer  par  le 
mysticisme.  Or,  le  mysticisme  est  bon,  à  condition  qu'on  l'apprendra  de 
la  bouche  des  Saints  qui  l'ont  pratiqué  et  en  ont  été  les  modèles,  et  non  pas 
de  la  fantaisie  du  premier  imagier  venu.  (Très-bien  !) 

Pour  que  l'imagerie  religieuse  soit  saine,  il  faut  qu'elle  rentre  dans  sa 
voie  véritable,  qui  est  d'honorer  les  Saints.  Les  artistes  n'auront  qu'à  lire 
leurs  vies  pour  y  trouver  de  fécondes  inspirations,  et  le  développement 
du  culte  des  Saints  sera  plus  utile  au  bien  des  âmes  que  le  mysticisme  de 


466  RAPPORT   SUR    i;iMAGERIE    RELIGIEUSE 

convention,  qui  affadit  les  cœurs  et  excite,  souvent  avec  raison,  les  mo- 
queries des  libres-penseurs.  fTrès-bien  !  très-bien!) 

Revenons  à  la  pratique,  après  ce  court  exposé  de  théorie,  et  constatons 
que  les  images  religieuses  d'Epinal,  dans  la  simplicité  de  leur  dessin  et  le 
ton  criard  de  leur  coloris,  étaient  plus  près  de  la  vérité  que  l'imagerie 
parisienne,  dont  nous  déplorons  à  bon  droit  les  abus.  (Applaudissement 
général.) 

On  a  cité  à  la  Commission  un  éditeur  d'Epinal,  qui  a  publié  récemment 
quelques  sujets  tirés  des  compositions  des  grands  maîtres,  et  un  caté- 
chisme où  la  doctrine  chrétienne  est  très-habilement  résumée  en  un  vaste 
tableau.  Cet  éditeur  se  montre  disposé  à  marcher  dans  cette  voie,  et  offre 
de  faire  traiter  par  ses  dessinateurs  les  sujets  qui  lui  seraient  indiqués  avec 
une  certaine  précision. 

Il  y  a  là,  Messieurs,  une  œuvre  à  faire  au  point  de  vue  du  bien  des 
âmes.  Dans  les  missions  à  la  campagne,  que  le  Jubilé  va  multiplier  cette 
année,  les  prédicateurs  ont  souvent  recours  à  l'imagerie  d'Epinal,  pour 
laisser  dans  chaque  famille  un  souvenir  de  ces  grandes  journées  qui  im- 
pressionnent si  vivement  les  âmes  dans  beaucoup  d'écoles,  pour  ne  pas 
dire  dans  toutes,  un  des  moyens  ordinaires  d'émulation  est  la  distribution 
des  feuilles  d'images. 

L'invention  de  l'école  sans  Dieu  a  amené  la  publication  d'images  abso- 
lument insignifiantes,  intitulées  :  «  Jones  rorgueilleux^  —  Robert  le  petit 
fugitif.,  —  Ce  que  coûte  un  mensonge.,  »  etc..  où  l'on  s'applique  à  faire  aux 
écoliers  la  morale  sans  Dieu  ;  nous  devons  réagir  contre  cette  invasion 
d'athéisme  pratique. 

L'histoire  des  saints  enfants  —  il  y  en  a  de  canonisés  —  fournirait  aux 
écoliers  des  leçons  bien  autrement  utiles  que  l'histoire  de  Gribouille  ou  de 
Jean-Paul  Chopart  ;  et  il  y  a  un  sérieux  intérêt  pour  le  bien  à  perfection- 
ner et  améliorer  un  genre  d'images  qui  exerce  une  véritable  influence  sur 
l'éducation  du  peuple.  (Oui  !  oui  !  —  Très-bien  !  très-bien!) 

La  commission  de  l'Art  chrétien  propose  donc  à  votre  approbation  le 
vœu  suivant  : 

Que  les  Sociétés  d'art  chrétien  et  les  œuvres  de  propagande  encouragent 
les  éditeurs  d'images  populaires,  et  spécialement  ceux  d'Epinal,  à  publier 
des  images  religieuses,  et  en  favorisent  la  diffusion  dans  les  écoles,  dans 
les  ateliers  et  dans  les  campagnes.  (Vive  approbation.) 


TRAVAUX  DES  SOCIETES  SAVANTES 


Les  sociétés  savantes  de  Province,  —  M.  Ferdinad  Delannoy  publie 
dans  Y  Echo  universel  une  Chronique  des  Sociétés  départementales,  où  nous 
trouvons  d'intéressants  détails  statistiques. 

Il  existe  aujourd'hui  en  France  et  dans  les  colonies  deux  cent  trente- 
cinq  sociétés,  dites  sociétés  savantes.  Quelques-unes  ont  des  titres  de 
noblesse  qui  les  rapprochent  de  nos  compagnies  les  plus  illustres.  L'Aca- 
démie des  Jeux-Floraux  de  Toulouse  remonte  au  quatorzième  siècle. 
Fondée  en  1323,  elle  fut  restaurée  par  Clémence  Isaure  vers  la  fin  du 
quinzième  siècle,  autorisée  par  lettres  patentes  de  Louis  XIV  en  1694, 
et  reconnue  établissement  d'utilité  publique  en  1773.  L'Académie  des 
sciences,  arts  et  belles -lettres  de  Caen  date  de  1652;  l'Académie  des 
sciences,  belles-lettres  et  arts  de  Bordeaux  date  de  1662.  Citons  encore 
parmi  celles  qui  furent  fondées  au  dix-septième  giècle  :  l'Académie  de 
Nîmes  (1682),  et,  parmi  celles  que  le  siècle  suivant  vit  naître,  les  Aca- 
démies de  Lyon  (1700),  de  Montpellier  (1706),  de  Dijon  (1723),  de  Mar- 
seille (1726),  de  Toulouse  (17  i6),  de  Besançon  (17o2) ,  de  Stanislas  à 
Nancy  (1751),  d'Amiens  (1750),  de  Rouen  (1744),  de  Limoges  (1759). 
Si  ces  différentes  Académies  ne  peuvent  revendiquer  pour  l'éclat  de  leur 
nom  et  Timporfance  de  leurs  travaux  les  titres  glorieux  de  Tlnstitut  de 
France,  on  voit  néanmoins  qu'elles  ne  sont  nullement  dépourvues  de  ce 
qui  assure  des  droits  à  l'estime,  à  la  reconnaissance  et  au  respect,  c'est- 
à-dire  l'ancienneté,  les  services  rendus,  les  bonnes  traditions  locales 
maintenues  et  améliorées. 

11  y  a  un  paradoxe  qui  consiste  à  soutenir  que  les  intérêts  matériels  et 
les  intérêts  intellectuels  se  gênent,  que  les  uns  ne  prospèrent  qu'au  détri- 
ment des  autres.  A  ce  compte,  les  pays  les  plus  pauvres  devraient  être  les 
plus  instruits,  les  plus  moraux.  C'est  le  contraire  qui  est  la  vérité.  Les 
faits  les  plus  incontestables  le  prouvent.   En  voici  qui  appartiennent  à 


■468  TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES 

l'ordre  de  choses  qui  nous  occupe.  C'est  dans  le  Centre,  c'est  dans  le  Midi, 
dans  l'Ouest  breton  et  vendéen  que  le  sol  est  le  plus  ingrat,  que  l'industrie 
est  le  moins  développée,  que  la  somine  de  bien-être  est  le  moins  consi- 
dérable, c'est  là  aussi  que  nous  rencontrons  les  départements  que  l'igno- 
rance souille  le  plus  profondément  de  sa  tache  noire.  Savez-vous  quels 
sont  les  départements  dépourvus  des  sociétés  savantes? —  Ce  sont  les 
Hautes-Alpes,  les  Basses-Alpes,  la  Corse,  les  Landes,  le  Lot,  la  Corrèze,  le 
Cantal,  l'Ariége,  l'Indre,  l'Orne,  les  Ardennes.  La  coïncidence  géogra- 
phique devient  frappante,  si  l'on  pousse  un  peu  plus  loin  l'examen,  car  on 
s'aperçoit  que  les  quarante-six  départements  qui  ne  possèdent  qu'une  ou 
deux  sociétés  appartiennent  tous  aux  nuances  sombres  sur  la  carte  de 
l'instructicn  primaire. 

Voici  maintenant  la  contre-épreuve  :  la  Normandie  (au  sein  de  laquelle 
l'Orne  fait  tache  et  exception)  compte  en  quatre  départements  vingt-cinq 
sociétés.  La  plus  riche,  la  plus  laborieuse  de  nos  provinces,  celle  où  le 
bien-être  est  le  plus  goûté  et  le  plus  répandu,  est  aussi  celle  qui  accorde 
le  plus  aux  intérêts  moraux  dont  les  sociétés  sont  les  organes.  Nous  ne 
soutenons  pas  que  ces  intérêts  se  confondent  avec  ceux  que  représente  la 
diffusion  de  l'instruction  primaire  ;  nous  savons  qu'ils  se  rattachent  plus 
étroitement  aux  aspirations  et  aux  besoins  des  classes  moyennes,  aux 
productions  agricoles  ou  industrielles  de  la  contrée  ;  mais  nous  croyons, 
en  fin  de  compte,  qu'il  n'y  a  pas  incompatibilité,  mais  bien  solidarité, 
entre  tous  les  véritables  intérêts,  de  quelque  ordre  qu'ils  soient. 

Sur  les  deux  cent  trente-cinq  sociétés  de  France,  soixante-six  ont  été 
reconnues  établissements  d'utilité  publique  :  preuve  des  services  rendus 
ou  témoignage  de  la  confiance  qu'elles  sont  appelées  à  en  rendre.  Il  y  a 
longtemps,  du  reste,  que  l'administration  a  compris  tout  le  parti  à  tirer 
des  sociétés.  !)e  tous  les  ministres  qui,  depuis  quarante  années,  se  sont 
succédé  au  département  de  l'instruction  publique,  il  n'en  est  pas  un  qui 
n'ait  tenu  à  honneur  de  leur  donner  des  marques  de  sollicitude.  Grâce  à 
cette  continuité  de  vues  et  d'efforts,  l'œuvre  commencée  par  M.  Guizot, 
qui  rattacha  les  sociétés  au  Comité  des  travaux  historiques,  n'a  pas  été 
entravée  par  les  agitations  politiques. 

Les  publications  des  Académies  départementales  constituent  une  im- 
mense bibliothèque,  d'une  variété  et  d'une  richesse  extrêmes,  remplie  de 
documents  précieux  pour  l'histoire  de  France,  pour  les  arts,  l'agriculture 
ou  le  commerce.  On  compte  160  volumes  publiés  par  cinq  sociétés  du 
Rhône,  31  volumes  par  l'Académie  de  Clermont-Ferrand,  43  volumes  par 
celle  d'Arras,  33  volumes  par  celle  de  Lille,  58  volumes  par  celle  de  Sta- 
nislas à  Nancy,  74  volumes  par  celle  de  Châlons,  43   volumes  par  la 


TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES  469 

Société  d'agriculture,  sciences,  belles-lettres,  d'Orléans,  50  volumes  par 
celle  de  Tours,  61  volumes  par  l'Académie  de  Bordeaux  :  plus  de  loO  vo- 
lumes par  les  Académies  de  Toulouse,  sans  compter  les  publications  des 
jeux  Floraux,  etc.  etc. 

Académie  nationale  de  Reims.  —  M.  E.  Barthélémy  en  rendant 
compte  au  Comité  des  travaux  historiques  des  tomes  xlvii  et  xlviii  de 
cette  académie,  apprécie  en  ces  termes  un  important  traval  de  M.  l'abbé 
Cerf: 

«  M.  l'abbé  Cerf,  un  des  plus  laborieux  membres  de  l'Académie,  a  con- 
sacré une  bonne  étude  à  l'évangéliaire  slave,  dit  texte  du  Sacre,  qui  est 
conservé  à  la  bibliothèque  de  Reims.  Ce  manuscrit,  dont  la  réputation  est 
européenne,  et  qui  a  été  reproduit  en  fac-similé  depuis  le  commencement 
de  notre  siècle,  a  appartenu  jusqu'à  la  Révolution  au  chapitre  de  la  cathé- 
drale. C'est  un  in-4"  en  parchemin,  de  47  feuillets  écrits  des  deux  côtés; 
il  est  relié  en  tablettes  de  bois  de  chêne  recouvertes  de  maroquin  rose 
foncé.  L'inventaire  du  trésor  de  la  catliédrale,  dressé  en  1663,  nous  ap- 
prend que  ce  manuscrit  fut  donné  par  le  cardinal  de  Lorraine,  la  veille 
de  Pâques  1574;  couvert  d'argent  doré  avec  des  pierreries,  des  reliques, 
et  aux  coins  les  figures  d'argent  émaillées  de  l'aigle,  de  l'homme,  du 
bœuf  et  du  lion.  «  Ledit  livre  provient  du  trésor  de  Constantinople,  et  on 
le  tient  venir  de  saint  Hiérôme  et  pèse  6  marcs,  6  onces.  »  Ses  riches  or- 
nements disparurent  en  1793.  Les  seize  premiers  feuillets,  écrits  d'une 
écriture  étrangère,  sur  deux  colonnes  distancées  l'une  de  l'autre.  Les  têtes 
de  majuscules  et  de  chapitres  sont  soignées,  mais  sans  élégance,  présen- 
tant les  caractères  de  l'art  byzantin.  Lès  capitales  sont  épaisses  et  assez 
grossièrement  tracées  à  l'encre  rouge;  tout  le  reste  de  l'ouvrage  est  à 
l'encre  noire.  Les  autres  feuillets,  à  deux  colonnes  aussi,  ne  sont  pas  réglés; 
le  parchemin  en  est  plus  beau  ;  les  lettres  sont  deux  fois  plus  grandes  et 
absolument  différentes;  les  initiales  sont  ornées  de  fleurons,  de  feuillages, 
de  figures  humaines  quelquefois  rehaussées  d'or,  mais  encore  sans  élé- 
gance. 

«  M.  l'abbé  Cerf  se  pose  quatre  questions  que  nous  allons  indiquer  avec 
leurs  solutions. 

«  A  quelle  nation  appartiennent  les  deux  écritures  de  Tévangéliaire? 
M.  l'abbé  Cerf  constate  que  l'origine  slave  est  devenue  inattaquable,  et 
l'une  des  premières  preuves  qu'on  en  eut  fut  que  le  czar  Pierre  le  Grand, 
lors  de  sa  visite  à  Rome,  se  fit  présenter  le  manuscrit  et  le  put  lire  cou- 
ramment. 


470  TRAVA'  \    DES    Si.l('lÉ'l'i:S    SAVANTES 

«  Quel  est  ridiôme  employé  dans  ce  livre,  et  en  quels  caractères  est-il 
écrit?  L;i  ^  romière  partie,  écrite  en  caractères  dits  hyrilica,  du  nom  de 
saint  Cyrille,  inventeur  de  l'alphabet  slavon  dans  le  dialecte  de  l'Eglise 
slavonne,  date  du  XP  siècle  ;  la  seconde  est  écrite  en  caractères  boivkwica, 
c'est-à-dire  avec  les  caractères  glagolitiques  de  la  Bohême,  elle  date  de 
la  fin  du  XIV"  siècle. 

«  Origine  de  l'évangéiiaire  ?  Nous  ne  rappellerons  pas  tout  ce  qui  a 
été  imaginé  à  ce  sujet.  Nous  savons  que  ce  manuscrit  appartenait,  en 
1395,  à  l'abbaye  de  Prague,  en  Bohême,  dont  un  moine,  comme  il  a  pris 
soin  de  le  dire  lui-même,  a  écrit  la  seconde  partie.  La  première  est 
tracée,  paraît-il  au  moins  très-vraisemblablement,  de  la  main  de  saint 
Procope.  Le  manuscrit,  après  les  vicissitudes  éprouvées  par  l'abbaye  de 
cet  éminent  personnage,  entra  dans  la  bibliothèque  du  roi  de  Bohême  ; 
Charles  VI  probablement  l'offrit  aux  moines  qu'il  établit  sur  l'emplace- 
ment même  où  avait  existé  le  monastère  de  Saint-Procope,  en  1347.  Il  est 
probable  ensuite  que  Ferdinand  P',  roi  des  Romains,  offrit  ce  précieux 
manuscrit  en  don  au  cardinal  de  Lorraine,  quand  celui-ci  vint  à  Inspruck, 
en  1569,  pour  conférer,  dit  l'historien  rémois  Cocquault,  «  des  contro- 
verses de  mariage.  » 

((  Quant  à  Tusage  de  cet  évangéliaire,  M.  l'abbé  Cerf  n'admet  pas,  en 
dépit  de  la  tradition,  qu'il  ait  servi  au  serment  de  nos  rois  lors  de  leur 
sacre.  Le  savant  rémois  Pluche  dit  nettement  que  de  son  temps  on  se 
servait  du  livre  d'évangiles  en  caractères  d'usage.  M.  Cerf  conclut  que,  si 
cela  avait  lieu  au  XVIIP  siècle,  quand  Pluche  écrivait,  ni  Louis  XV  ni 
Louis  XVI  ne  durent  se  servir  de  ce  manuscrit  ;  mais  il  explique  la  tra- 
dition par  ce  fait  très-naturel,  que,  Henri  III  ayant  été  sacré  à  Reims  en 
arrivant  de  Pologne,  il  est  très-vraisemblable  qu'on  ait  cru  devoir  lui  faire 
prêter  son  serment  sur  cet  évangile,  écrit  dans  la  langue  des  peuples  qui 
venaient  eux-mêmes  de  Félire  roi  ;  le  livre  devait  être  doublement  agréa- 
ble au  jeune  prince,  à  cause  du  souvenir  et  à  cause  du  cardinal  de  Lor- 
raine, si  dévoué  au  nouveau  souverain  qui  épousait  précisément  une 
princesse  lorraine  au  lendemain  de  son  couronnement. 

«  Telle  est  l'explication  proposée  par  M.  l'abbé  Cerf,  qui  ne  se  dissi- 
mule pas  qu'elle  ne  peut  être  présentée  que  comme  une  simple  conjecture. 
Nous  cioyons,  on  effet,  que  rien  ne  l'appuie  très-sérieusement,  et,  même 
au  cas  où  Henri  III  aurait  prêté  son  serment  royal  sur  ce  texte,  il  est 
peut-être  plus  vraisemblable  de  présumer  que  cet  évangéliaire  aurait  été 
tout  simplement  choisi  comme  plus  particulièrement  mystérieux,  p 

(Revue  des  Sociétés  savantes.) 


TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTKS  471 

Société  archéologique  du  Midi  de  la  France.  —  Nous  lisons  dans  son 
dernier  Bulletin  : 

M.  Barry  communique  à  la  Société  le  texte  d'une  nouvelle  inscription 
inédite,  récemment  découverte  par  M.  Lozès,  dans  son  domaine  d'En- 
Barsous,  à  une  certaine  distance  de  l'ancienne  civitas  des  Convenx  (Saint- 
Bertrand-de-Comminges  aujourd'hui). 

RVFINO  5  SILEX 
CONIS  5  FIL 

RVRINVS  ï  F  ï  EX  B  TES 
TAMENTO 

Rufino^  Silexconis  fil  (io),  Rurinus  f  (ilius),  ex  testamento. 

Quoique  le  correspondant  de  M.  Barry  (M.  Achille  d'Asque,  de  Tihiran), 
ne  lui  ait  fourni  aucun  renseignement  sur  la  date  réelle  de  la  découverte 
et  sur  le  lieu  où  elle  a  été  faite,  il  y  a  plus  d'une  raison  de  croire  que  ce 
nouveau  marbre  provient  aussi  d'une  petite  vallée  qui  s'ouvre  de  l'est  à 
l'ouest,  dans  le  sens  de  l'axe  des  Pyrénées,  à  deux  kilomètres  de  la  ville, 
et  qui  est  connue  dans  le  pays  sous  le  nom  populaire  de  Combe  de  Cata- 
lans. C'était  dans  le  fond  de  cette  vallée,  longtemps  déserte  et  inculte,  que 
passait,  à  l'époque  rom:dne,  la  voie  bien  connue  qui  menait  de  Toulouse 
à  Dax  en  longeant  le  pied  de  la  chaîne,  à  partir  de  l'oppidum  des  Convenx. 
Dès  l'année  1863,  deux  inscriptions  tumulaires,  l'une  complète,  l'autre 
mutilée,  avaient  été  découvertes  à  Tentrée  de  cette  combe,  à  droite  de  la 
route  actuelle  qui  coupe  ici  transversalement  la  vallée  et  le  domaine  en  se 
dirigeant  du  côté  de  Montiéjeau.  Elles  appartenaient,  suivant  toute  appa- 
rence, à  quelqu'un  des  édicules  funèbres  fmonumenta,  sepulcreta)  qui  bor- 
daient la  route  au-dessus  comme  au-dessous  de  la  ville,  et  M.  Barry,  en 
commentant  ces  deux  textes  dans  un  mémoire  lu  aux  conférences  de  la 
Sorbonne  (186oj,  en  concluait  que  cette  voie  funèbre,  dont  on  venait  de 
retrouver  quelques  jalons  assez  loin  de  la  ville  antique,  se  prolongeait 
avec  la  route  qu'elle  suivait  dans  le  thalweg  de  la  Combe  oii  l'on  avait 
toute  chance  de  retrouver  quelques  nouveaux  débris  des  sepula^eta  qui  la 
bordaient,  si  les  travaux  de  défrichement  étaient  repris  et  poussés  dans 
cette  partie  du  domaine  avec  l'attention  intelligente  que  M.  Lozès  y  avait 
apportée  jusqu'alors. 

Ces  conjectures  ont  été  .  'ritiées  il  y  a  trois  ou  quatre  ans  par  la  décou- 
verte de  nombreuses  substructions  alignées  dans  le  fond  de  la  combe,  et 
par  celle  de  qualie  inscriptions  tumulaires  dont  les  dalles  de  marbre  blanc 
(Saint-Béat),  détucliées  depuis  très-longtemps  et  réunies  on  ne  sait  par 


/t7"2  TRAVAUX    DE?    SOCIÉTÉS    SAVANTES 

qui  ui  dans  quel  Lut,  out  été  retrouvées  les  unes  au-dessus  des  autres  sur 
le  veri=nnt  nord  de  la  vallée,  à  gauche  cette  fois  et  à  quelque  distance  de 
la  route  actuelle. 

Pour  s'assurer  la  primeur  de  ces  documents  inédits  qu'il  essaiera  d'in- 
terpréter et  de  commenter  plus  tard,  M.  Barry  s'est  décidé  à  publier  dès 
aujourd'hui  le  texte  des  quatre  inscriptions  dont  il  vient  de  parler,  en  les 
accompagnant  d'une  traduction  littérale. 

D  M 

SECVNDO  MVNDI AF 

INGENVA*CALVlNIïïF 

VXOR 

D  (is)  M  [animus)  :  Secundo,   Mundi  f  [l'iioj,  Ingenua,  Calvini  filia^  uxor. 

F  V  S  ©  5  E  STE  N  © 

NISîFsSEYERAE 

SILYANI  ï  F  ï  VXoR  s  FVSCI 

NVS  5  F  s  EXT  2  F  ï  C 

Fusco,  Estenconis  f  (ilio)  ;  Severae,   Silvani  f  (iliae),  uxor  [ij,  Fuscinus)^ 
f  [ilîus),  ex  t  {estamentoj  f  fierij  c  {uravù). 

VsSENIVSïïORGOF 

SIBI  ET 
©FAVSTAEïHAIABlïF 

VXORI 
ALBINAE  5  F  5  ALBINO  z  F 
V  fi'vus  ou  iiiiyit)  Senius,  Orcoï  (ou  OrcoH  [i)  (filiusj,  sibi  et  (■)  (©ocvo'vti,  de- 
functae)  Foustae,  Haiabi  (on  Hatahi)   f  (iliae),  uxori,  AlOinae,  f  {iliae), 
Albino,  f  (ilio). 

0  AÏATccON'S  IRIGCOnIs  E. 
VRBANVS  ATtACCoN.sF 
S  E  N  N ACIVS  ATTACCoN.s 
[URESFAciENDs  CvRavt 

©avovTi  =  de  l'une  toj   Attacconi,    Siricconis   f  {ilio)^    Urbanus,    Attaconis) 
f  {iltus'i,  Sennagius  Attaconis,  hères,  faciend  (um)  curavit. 

L'intérêt  de  ces  monuments,  qui   ne  sont,  comme  on  le   voit,  que  de 
simples  épitaphes,  détachées  des  tombeaux  auxquels  elles  appartenaient, 


TRAVAUX    DKS    SOCIÉTÉS    SAVANTES  473 

consiste  en  grande  partie  dans  les  noms  indigènes  qui  se  trouvent  ici 
mêlés  à  des  noms  d'apparence  romaine  et  dont  quelques-uns  comme  ceux 
de  Senius  (gallicè  Seigne  ou  Segne)^  Haiabus  ou  Hatabus,  Orcoiis  ou  Or- 
choiïs  (gallicè  Orcoé)  paraissent  ici  pour  la  première  fois.  On  peut  en  dire 
autant  des  trois  noms  Estenso,  Attacco,  Sù-icco,  dont  les  finales  seraient 
tout  aussi  bien  celtiques  que  romaines,  puisque  l'on  trouve  dans  l'idiome 
aquitain  du  pied  des  Pyrénées,  un  assez  grand  nombre  de  noms  d'homme 
ou  de  femme  {Nescato,  Vando-esso,  etc.)  terminés  en  o  et  peut-être  en  07i 
comme  le  nom  bien  connu  de  Narbon  que  les  latins  traduisaient  par  Narbo, 
contrairement  à  l'orthographe  des  Grecs  qui  l'écrivent  constamment 
Napêwv.  Celui  de  Silex  nous  était  connu  (comme  celui  de  Setmagius)^  par 
d'autres  marbres  inscrits  découverts  aussi  dans  la  région  centrale  des  Py- 
rénées ;  mais  nous  le  retrouvons  ici  affublé  d'une  finale  {Silexco  ou  Sîlexcon 
qui  devait  modifier,  on  ne  sait  dans  quel  sens,  ce  radical  incompris  lui- 
même. 

Quant  à  l'âge  de  ces  monuments,  M.  Barry  est  tenté  de  croire,  en  dépit 
de  différences  assez  tranchées  parfois  de  travail  et  de  gravure,  qu'ils 
appartiennent  tous  au  second,  et  peut-être  même  au  troisième  siècle  de 
notre  ère,  comme  le  milliaire  daté  des  deux  Philippes,  dont  les  caractères 
lourds,  allongés  et  indécis,  rappellent,  à  plus  d'un  égard,  ceux  du  titulus 
d'Attacco.  Celui  de  Secundus,  le  plus  correct  et  le  plus  soigné  de  tous, 
avec  celui  de  Rufinus^  Silexconis  filius,  ne  remonterait  pas  lui-même  au- 
delà  de  cette  époque,  où  la  tête  de  la  voie  funèbre  atteignait  déjà,  en  aval 
de  la  ville,  l'entrée  de  la  combe  des  Catalans,  qu'elle  aurait  à  son  tour 
traversée  et  peuplée  en  moins  d'un  siècle,  si  ces  inductions  ne  sont  point 
trop  précises. 

Société  d'archéologie  Lorraine.  —  M.  Arthur  Benoît  pubhe  les  notes 
suivantes  sur  l'Iconographie  lorraine,  sur  saint  Goëric,  évêque  de  Metz, 
et  les  chanoinesses  d'Epinal  : 

«  D'après  le  P.  Benoît  Picart^  «  le  chapitre  ou  abbaye  des  Dames 
d'Epinal  «  reconnaissait  pour  patron  et  fondateur  saint  Gouery,  Gœury, 
Gœry,  Goëric,  riche  seigneur  d'Aquitaine,  successeur  de  saint  Arnould 
sur  le  siège  épiscopal  de  Metz,  qu'il  occupa  dix-huit  ans  (629-647).  Son 
corps  fut  déposé  dans  l'abbaye  Saint-Symphorien  hors  Metz,  et,  vers  970, 
un  de  ses  successeurs,  Thierry  I",  qui  passe  également  pour  un  des  fon- 
dateurs du  monastère  d'Epinal,  y  fit  transporter  ses  restes,  en  laissant 
toutefois  son  chef  à  Saint-Symphorien. 

*  Pouillr  du  diocèse  de  Toul,  t.  II,  p.  127. 

Ile  série,  tome  II.  33 


474  TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES 

«  A  Epinal,  le  grand  autel  du  cha'ur  '.  où  les  religieuses  faisaient  l'of- 
fice, fut  placé  sous  l'invocation  du  saint  prélat  messin.  Après  l'élection  de 
chaque  abbesse,  les  religieuses  venaient  recevoir  en  grande  cérémonie 
leur  nouvelle  supérieure  à  l'entrée  du  chœur,  et  la  conduisaient  faire  sa 
prière  à  l'autel  Saint-Goëric,  puis  l'ubbesse  prenait  possession  de  sa  stalle. 

«  Le  plus  ancien  dessin  réprésentant  saint  Goëric  se  trouve  dans  un 
magnifique  manuscrit  intitulé  :  Evangelium  secundum  Marcum,  écrit  dans 
le  cours  du  Xi"  siècle  sur  velin  pourpre  in  folio.  Cet  Evangéliaire  était 
jadis  la  propriété  des  chanoinesses  de  l'insigne  «  chapitre  saint  Gœury 
d'Epinal  ».  Feu  M.  le  comte  de  Ludre  a  eu  la  générosité,  il  y  a  près  de 
trente  ans,  d'en  faire  don  à  la  bibliothèque  de  cette  ville,  où  il  se  trouve 
actuellement. 

«  En  tête  du  volume,  recouvert  en  vermeil,  on  trouve  deux  miniatures 
remontant  au  XV  siècle  :  l'une  représente  saint  Marc,  l'autre  saint  Goë- 
ric, a  un  des  patrons  d'Epinal  ».  Voici  la  description  qu'en  donne 
M.  Michelant.  chargé  par  M.  le  Ministre  de  l'Instruction  publique  de 
dresser  le  catalogue  des  manuscrits  de  cette  bibliothèque  :  a  11  est  nimbé 
d'or,  recevant  la  mitre  d'un  ange  et  entouré  de  ses  deux  filles,  sainte  Vic- 
torine  et  sainte  Précie  ^  ;  un  personnage  vêtu  de  bleu  avec  aumusse  l'im- 
plore également.  On  lit  au-dessous  :  S.  GOERICVS  REX  en  or  sur  fond 
bleu  et  une  invocation  en  cursive  gothique. 

»  Au  bas,  à  droite,  un  petit  écusson  écartelé  de  France  et  de  Castille  (?)  ; 
à  gauche  celui  du  chapitre,  de  sable  à  la  croix  d'argent  accostée  en  chef 
du  soleil  et  de  la  lune.  » 

«  Ces  armoiries  diffèrent  trop  de  celles  données  par  l'Armoriai  de  1696, 
dont  une  copie  manuscrite  existe  à  la  bibliothèque  de  la  ville  de  Metz, 
pour  que  je  ne  cite  pas  ces  dernières  :  «  d'azur  à  une  figure  de  saint 
Goëry  représenté  de  front  jusqu'aux  cuisses  et  mouvant  de  la  pointe  de 
l'écu,  la  tête  entourée  d'un  cercle  de  lumières,  le  corps  armé,  tenant  de 
la  main  droite  un  livre  posé  sur  son  estomac,  et  de  la  gauche  une  dra- 
perie qui  le  couvre  jusqu'à  la  ceinture,  le  tout  d'or  et  la  cuirasse  chargée 
en  haut  de  trois  croisettes  d'argent  ;  l'écu  bordé  de  gueules  avec  ces 
mots  S.  GODVARTVS  SANTI  GOERIGl  D.  G.  (sic)  écrits  en  lettres  capi- 
tales d'argent  ». 

«  Suivant  Dom  Calmet  %  les  chanoinesses  d'Epinal  furent  les  premières  j 

'  Le  curé  faisait  l'office  à  l'autel  de  saint  Maurice,  patron  de  la  paroisse. 
-  Quelques  hagiographes  ne  parlent  pas  des  deux  filles  de  saint  Goëric.  Dom 
Calmet  prétend  que  le  monastère  d'Epinal  fut  fondé  pour  leur  servir  de  refuge. 
'  Hist.  de  Lorraine,  [fo  édit.,  t.  I,  col.  xcvi.  —  Une  notice  sur  M"»  de  Lenon 


TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES  47o 

en  Lorraine  qui  eurent  le  droit  de  porter  une  décoration  chapitrale.  L'ab- 
besse  Charlotte  de  Lenoncourt  (1643-1698)  fit  approuver  par  la  cour  de 
Rome  rétablissement  d'une  espèce  d'ordre  de  chevalerie  qu'elle  crut 
devoir  créer  pour  son  noble  monastère.  On  ignore  complètement  ce  que 
pouvait  être  cet  ordre  de  chevalerie.  Dans  tous  les  cas,  lïnsigne  qui  le 
distinguait  serait  peut-être  la  croix  chapitrale  dont  le  musée  d'Épinal 
conserve  un  exemplaire,  celui  de  la  baronne  Louise-Benoît  de  Bœcklin  de 
Mœrbourg,  dame  originaire  d'Alsace  (1788),  et  dont  la  description  se 
trouve  dans  le  remarquable  Mémoire  sur  les  décorations  des  chapitres  de 
Lorraine  *,  par  feu  M.  Aug.  Digot.  Le  savant  historien  déclare  cette  déco- 
ration faite  sans  goût  et  d'une  médiocre  exécution  artistique  ;  elle  con- 
siste en  une  croix  étoilée  à  huit  pointes  en  or,  dont  le  médaillon  central 
offre  en  droit  la  sainte  Vierge  en  pied  tenant  d'une  main  le  divin  enfant, 
et  de  l'autre  un  sceptre,  et  au  revers  saint  Goëric,  également  en  pied, 
avec  ses  habits  pontificaux  et  la  mitre,  tenant,  contrairement  à  l'usage, 
la  crosse  de  la  main  droite.  » 

«  Ce  qui  pourrait  faire  supposer  que  cette  décoration  peut  remonter  à 
l'époque  de  l'abbesse  de  Lenoncourt,  c'est  que  Piganiol  de  la  Force  en 
parle  longuement  dès  17o-4  dans  sa  Description  de  la  France  "\ 

a  Les  chanoinesses  d'Épinal  sont  habillées  au  chœur,  dit-il,  d'un  très- 
grand  manteau  noir  qui  a  une  queue  très-longue  et  est  bordée  d'une  four- 
rure blanche.  Elles  ont  sur  la  tète  une  bande  de  toile  large  de  deux  pouces 
sur  laquelle  il  y  a  un  petit  ruban  noir.  Elles  attachent  cette  bande  de  toile 
sur  le  haut  de  leur  bonnet,  l'appellent  un  mari'^,  ne  le  quittent  peint,  le 
portent  à  la  ville,  ainsi  qu'au  chœur  ».    • 

court  a  paru  dans  les  Mémoires  de  la  Société  d'émulation  des  Vosges,  1858, 
p.  337.  —  Sabovrin  de  Nanton,  Notice  sur  les  chanoinesses  d'Épinal,  1858,  p.  7. 

'  Mémoires  de  la  Société  d'archéologie,  1864,  p.  30  ;  il  suppose  la  décoration 
octroyée  de  1774  à  1780. 

*  T.  XIII,  p.  504. 

^  Les  chanoinesses  d'Epinal  appelaient  familièrement  le  mari  un  ruban  noir 
qui  était  un  des  attributs  distinctifs  des  chapitres  de  dames  en  Lorraine.  Le  dé- 
coiffement  ou  l'enlèvement  du  mari  était  la  peine  la  plus  sévère  que  l'on  pût  in- 
fliger à  une  chanDinesse.  C'était  une  espèce  de  mort  civile,  la  radiation  du  cha- 
pitre. D'après  les  statuts  de  Remiremont,  la  chanoinesse  était  alors  considérée 
comme  morte,  et  sa  nièce  de  prébende  lui  succédait.  C'est  ce  qui  arriva  en  1711 
à  une  chanoinesse  fugitive,  originaire  des  bords  du  lac  de  Constance,  et  que  la 
sollicitude  de  la  cour  de  France  sauva  de  la  peine  capitale  que  voulait  lui  infliger 
le  Conseil  souverain  d'Alsace.  (V.  E.  de  Nevremand,  Petite  Gazette  d'Alsace, 
t.  II,  p.  1.) 


476  TRAVAUX    liIvS    SOCIKTÉS    S\V\XTËS 

Lorsqu'elles  vont  au  clneur.  elles  portent  une  coiffe  noire  qu'elles 
nouent  sous  le  menton.  Elles  portent  sur  leur  habit,  de  droite  à  gauche, 
un  ruban  aussi  large  que  celui  des  chevaliers  du  Saint-Esprit,  dans  le- 
quel on  passe  une  croix  d'or,  faite  comme  celle  des  chevaliers  de  Malte, 
de  Tautre  côté  de  laquelle  est  la  figure  de  saint  Gouery,  duc  d'Aquitaine, 
leur  patron,  et  de  l'autre  l'image  de  la  Vierge.  L'anneau  de  cette  croix 
est  passe  dans  le  cordon  bleu,  et  elles  l'arrêtent  de  manière  qu'elle  leur 
reste  à  peu  près  à  l'endroit  du  cœur.  Quand  elles  vont  dans  la  ville  ou 
qu'elles  restent  chez  elles,  elles  ne  portent  point  ce  grand  cordon,  qui 
leur  est  incommode,  elles  attachent  seulement  cette  croix  à  un  petit  ru- 
ban bleu  sur  leur  habit.  Elles  portent  au  chœur,  sur  le  bras  gauche,  une 
aumusse  très-ample,  qui  va  jusqu'au  bas  de  la  robe.  Elles  ont  sur  leur  ha- 
billement ordinaire  un  scapulaire  de  toile  empesé,  sur  lequel  il  y  a  une 
gaze  noire  ;  le  scapulaire  est  large  d'environ  quatre  pouces  ;  il  se  trouve 
au-dessous  de  leur  menton  et  opère  l'effet  d'une  guimpe.  Les  coiffes  noi- 
res que  portent  les  chanoinesses  d'Epinal  sont  beaucoup  plus  grandes  que 
celles  que  portent  les  autres  chanoinesses.  Elles  ne  les  hent  point  sous  le 
menton  et  laissent  pendre  deux  bouts  par  derrière.  » 

Saint  Goëric  n'est  pas  oublié  dans  la  splendide  galerie  des  évêques  de 
la  cathédrale  de  Metz,  œuvre  du  peintre-verrier  Valentin  Bouch,  qui  tra- 
vaillait vers  1526.  Voici  comme  M.  E.  Bégin  décrit  le  saint  évêque  *  : 

((  \°  Figure  vue  de  profil,  nimbée  d'or,  mitre  d'argent  avec  incrustation 
d'or  et  de  pierreries,  crosse  d'or  avec  écharpe  blanche,  chape  verte  ga- 
lonnée d'or,  robe  ou  soutane  blanche,  mains  gantées  en  couleur  violette 
et  tenant  une  couronne  d'or  ;  au  bas:  S.  GOERIGVS.  » 

Enfin,  le  graveur  Hans  Burgmayer,  dans  la  suite  des  Saints  de  la  famille 
de  l'empereur  Maximilien  /",  gravure  sur  bois  in-folio,  faite  vers  l'an 
1516,  a  représenté  saint  Goëric  ou  Gury  «  debout,  regardant  un  ange  qui 
lui  présente  un  voile  sur  lequel  sont  représentés  deux  yeux;  »  allusion  au 
miracle  du  recouvrement  de  la  vue  que  le  fondateur  d'Epinal  obtint  par 
les  prières  de  saint  Arnould.  Dict.  d'Iconographie^  par  A.  Guenebault, 
col.  254,  coll.  Migne,  1851.) 

Un  souvenir  de  la  charité  de  saint  Goëric,  dont  la  fête  se  célèbre  le  19 
septembre,  existait  encore  à  Epinal  avant  la  Révolution.  L'abbesse  avait 
le  patronat  d'uu  petit  hôpital,  dit  de  saint  Gœury,  où  l'on  recevait  les  ma- 
lades et  les  pauvres  pèlerins, 

'  Hist.  de  la  cathédrale  de  Metz,  t.  L  p.  i^'i. 


TRAVAUX    DES    SOCIETES  SAVANTES  477 

Société  archéologique  du  Limousin.  ~  On  nous  écrit  de  Limoges  : 

La  Société  archéologique  et  historique  du  Limousin  s'est  réunie  à  la 
fin  du  mois  de  février,  pour  procéder  au  renouvellement  de  son  bureau. 

Elle  a  nommé  comme  président,  en  remplacement  de  M.  Dubébat.  au- 
jourd'hui conseiller  à  la  Cour  de  Toulouse,  M.  l'abbé  Arbellot,  curé-archi- 
prêtre  de  Rochechouard.  Ce  choix,  qui  était  prévu,  est  de  nature  à  satis- 
faire tout  le  monde.  M,  l'abbé  Arbellot  est  un  des  hommes  qui  ont  fait 
faire  le  plus  de  progrès  à  la  science  archéologique  dans  le  Limousin,  et 
connaissant  le  mieux  cette  province  :  continuateur  de  l'œuvra  de  l'abbé 
Texier,  avec  le  même  dévouement  et  la  même  ardeur  patiente,  il  n'est 
guère  de  souvenirs  qu'il  n'ait  interrogés,  de  documents  et  d'archives  qu'il 
n'ait  déchiffrés  et  fouillés,  de  monuments  et  vestiges  qu'il  n'ait  étudiés  et 
approfondis,  pour  faire  revivre  le  passé  de  notre  pays  dans  des  notices  ou 
des  monographies  pleines  d'érudition  et  d'intérêt. 

L'histoire  du  passé  !  Voilà  une  étude  dont  on  ne  se  soucie  guère  en  gé- 
néral! Comment  d'ailleurs  pourrait-on  y  songer,  quand  le  temps  manque 
pour  connaître  le  présent?  Aussi  bien  n'est-il  pas  rare  de  trouver  des  gens 
qui,  tout  entiers  à  ce  présent,  s'étonnent  de  voir  quelques  hommes  passer 
leur  existence  à  lire  des  inscriptions  ou  des  parchemins,  à  disserter  sur 
des  questions  mortes  ou  sur  des  dates  et  des  origines  incertaines. 

Ils  sont  bien  près,  ces  gens-là,  de  traiter  d'inutiles  et  d'oisives,  toutes 
ces  investigations  ;  pour  peu,  ils  les  trouveraient  ridicules. 

Pour  nous,  en  admettant  môme  que  les  archéologues  aient  leurs  petites 
exagérations  —  comme  tous  les  savants,  —  et  qu'ils  soient  passibles  d'er- 
reurs —  errare  humanum  est,  —  notre  sentiment  est  qu'ils  rendent  des 
services  signalés  à  l'histoire  et  à  la  sociéfé. 

Ce  sont  eux  qui  reconstruisent,  pierre  par  pierre,  en  quelque  sorte,  l'é- 
difice des  siècles  écoulés,  de  ces  siècles  qu'on  avait  cru  un  moment  si 
bien  éteints  et  si  bien  oubliés,  que  pour  beaucoup  l'humanité  semblait  ne 
dater  que  d'hier  ;  ce  sont  eux  qui  nous  révèlent  les  hommes  et  les  choses 
d'autrefois  avec  leur  véritable  aspect,  dissipant  les  préjugés,  faisant  jus- 
tice des  calomnies,  et  nous  inspirant  parfois  une  sincère  admiration  pour 
les  mœurs,  les  institutions,  les  sages  libertés,  les  vertus  et  les  grandeurs 
d'un  autre  âge,  qui  est  trop  critiqué  parce  qu'il  est  trop  méconnu. 

Tel  est  le  rôle  des  sociétés  archéologiques  et  celui  de  la  société  du  Li- 
mousin, en  particulier. 

S'il  fallait,  au  surplus,  défendre  cette  dernière,  à  laquelle  personne  n'a 
le  mauvais  goût  de  faire  un  procès,  on  remarquerait  que  dans  notre  ville 
oii  la  vie  littéraire  n'est  pas  très-active  et  qui  ne  possède  poinl  de  facultés 
officielles  ni  d'académie  libre,  une  société  de  ce  genre  est  le  rendez-vous 


478  TRAVAUX   DES   SOCIÉTÉS   SAVANTES 

naturel  de  tous  ceux  qui  aiment  les  spéculations  désintéressées  de  l'esprit; 
et  ce  serait  une  erreur  de  croire  que  dans  un  tel  milieu  tout  s'y  réduise  à 
des  discussions  arides  et  sèches  sur  des  points  spéciaux  d'archéologie,  et 
que  la  forme  n'y  soit  point  en  grand  honneur. 

Les  vives  et  attrayantes  biographies  de  M.  Dubébat,  vrais  morceaux 
littéraires,  ne  datent  que  d'hier  et  trouvent  leur  place  à  côté  des  savantes 
notices  de  M.  Lecler,  des  piquants  entretiens  de  M.  Arbellotet  des  études 
historiques  de  M.  Louis  Guibert,  où  les  qualités  de  style  ne  le  cèdent  ja- 
mais à  celles  du  fond. 

La  Société  historique  et  archéologique  du  Limousin  a  d'autres  mérites 
encore  à  nos  yeux.  Si  les  musées  de  la  ville  ne  lui  doivent  pas,  à  propre- 
ment parler,  leurs  fondations,  c'est  par  elle  du  moins  qu'ils  se  sont  agran- 
dis et  développés  ;  c'est  elle  qui,  lentement  et  laborieusement,  avec  une 
véritable  générosité,  a  formé  quelques-unes  de  ces  collections  sur  les- 
quelles elle  ne  revendique  qu'un  droit  de  contrôle. 

Le  médailler,  aujourd'hui  très-complet,  lui  doit  la  plupart  de  ses  ri- 
chesses. Elle  eut  enfin  Thonneur  de  présider  à  la  naissance  du  musée  cé- 
rami([ue  et  de  seconder  de  tout  son  pouvoir  les  hommes  intelligents  et 
zélés,  tous  lui  appartenant  du  reste  comme  ses  membres,  qui  ont  su  faire 
en  quelques  années  de  ce  musée  trop  longtemps  négligé,  l'importante  et 
très-belle  collection  que  l'on  connaît. 

Académie  d'archéologie  de  Belgique.  —  Le  classement  qui  s'exécute 
aux  archives  du  royaume  de?  papiers  de  l'ancien  Conseil  souverain  de 
Brabant,  vient  de  faire  faire  une  découverte  qui  intéressi;  l'histoire  de 
l'art  et  de  l'archéologie  :  on  a  trouvé,  mêlés  à  des  pièces  de  procédure, 
deux  dessins  à  l'encre  de  Chine,  représentant  des  verrières  de  la  chapelle 
du  Saint-Sacrement  dans  l'église  de  Sainte-Gudule,  à  Bruxelles  ;  le  pre- 
mier mesurant  en  hauteur  1"",  03,  en  largeur  29  centimètres;  le  second 
.  91  et  31  1[2  centimètres. 

Ces  dessins  sont  du  XVII®  siècle,  comme  le  démontrent  les  filigranes 
dont  le  papier  est  marqué,  les  caractères  des  inscriptions  et  mieux  encore 
la  manière  du  dessinateur. 

Le  plus  grand  se  rapporte  à  la  première  vei'rière  de  ladite  chapelle. 
Cette  verrière,  présent  du  roi  de  Portugal  Jean  III  et  de  sa  femme  Cathe- 
rine d'Autriche,  sœur  de  Charles-Ouint,  fut  exécutée  en  1542  par  Jean 
Haeck,  d'après  les  dessins  de  Michel  van  Coxyen  [Histoire  de  Bruxelles^ 
par  Henné  et  Wauters,  tome  III,  p.  :203).  Un  portail  du  style  de  la  Re- 
naissance y  est  figuré.  Cette  grande  construction,  dont  les  détails  sont 
extrêmement  riches,  est  divisée  en  deux  parties.  Dans  le  compartiment 


TRAVAUX   DES    SOCIÉTÉS   SAVANTES  479 

supérieur  se  trouvent  quatre  figures  :  1°  Jonathas  remettant  à  Jean  de 
Louvain  60  moutons  d'or,  prix  du  sacrilège  commis  par  ce  personnage. 
2°  Jonathas  emportant  le  calice  avec  les  hosties,  tandis  que  Jean  de  Lou- 
vain s'éloigne  à  droite.  Au  compartiment  inférieur  sont  à  genoux  devant 
un  prie-Dieu,  et  à  droite,  Jean  III,  roi  de  Portugal,  accompagné  de  saint 
Jean-Baptiste,  et  sa  femme  Catherine  d'Autriche,  accompagnée  de  sainte 
Catherine.  Le  roi  et  la  reine  sont  en  grand  costume. 

Le  second  dessin  représente  la  verrière  donnée  par  Charles  V  en  la 
même  année.  Comme  le  précédent,  il  figure  un  grand  portique  du  style 
de  la  Renaissance,  divisé  en  deux  compartiments  superposés.  Le  plus  élevé 
est  couronné  d'un  entablement,  sur  la  corniche  duquel  sont  assis  deux 
hommes  au  naturel,  l'un  à  gauche,  l'autre  à  droite. 

Au  compartiment  supérieur  sont  représentés  six  Juifs,  dont  quatre  poi- 
gnardant les  hosties  répandues  sur  une  table,  pendant  que  deux  de  leurs 
coreligionnaires  tombent  renversés  à  terre.  Au  bas  sont  placés,  sous  un 
dais  et  à  genoux  devant  un  prie-Dieu,  Charles  V  et  sa  femme  Isabelle  de 
Portugal,  se  regardant  de  face.  L'empereur  est  accompagné  de  son  saint 
patron  Charlemagne  ;  derrière  la  princesse  se  trouve  sainte  Elisabeth. 
Les  deux  dessins  étaient  dans  un  assez  mauvais  état;  ils  ont  été  restaurés 
avec  soin  et  encadrés.  Ils  sont  placés  aux  archives  du  royaume,  dans  le 
corridor  qui  conduit  à  la  salle  du  public. 

Société  des  Antiquaires  de  Picardie.  —  Dans  :;a  séance  du  16  février, 
cette  Société  avait  voté  la  proposition  suivante  : 

((  La  Société  des  Antiquaires  de  Picardie,  émue  de  la  décision  prise 
par  le  Conseil  municipal,  le  8  de  ce  mois,  laquelle  a  pour  objet  de  faire 
disparaître  certains  emblèmes  et  inscriptions  qui  décorent  le  musée  qu'elle 
a  édifié  ;  et  considérant  que  le  respect  de  l'histoire  et  de  l'art  ne  permettent 
pas  que  les  monuments  publics  soient  retouchés  et  altérés  dans  leur  orne- 
mentation et  leurs  caractères  primitifs  à  chaque  changement  de  régime 
politique  ;  exprime  le  vœu  que  le  Conseil  municipal,  mieux  éclairé,  rap- 
porte cette  décision.  Copie  de  la  présente  délibération  sera  envoyée  au 
Conseil  municipal.  » 

Malgré  ce  vœu  et  les  protestations  du  bon  sens  public,  le  Conseil  muni- 
cipal d'Amiens  a  accompli  les  actes  de  vandalisme  qu'il  projetait. 

J.  C. 


BIBLIOGRAPHIE 


LES  ÉTUDES  PRÉHISTORIQUES  ET  LA  LIBRE  PENSÉE  DEVANT  LA 
SCIENCE  ;  Rcponae  à  M.  G.  de  MortiJlet,  par  F,  Chabas,  Correspondant  de 
l'Institut  :  in-8°,  55  p.,  Paris  et  Chalon-sur-Saône,  1875. 

Nous  avons  appris  à  nos  lecteurs,  sous  forme  épisodique  (n"  de  février 
1875,  p.  170),  comment  une  Bévue  publiée  h  Toulouse  avait,  de  sa  pro- 
pre autorité,  supprimé  un  livre  de  M.  Chabas,  et,  tout  en  signalant  ce 
fait  qui  nous  avait  paru  plus  qu'étrange,  nous  nous  sommes  abstenu  de 
mettre  en  scène  aucune  personnalité. 

Aujourd'hui,  les  masques  sont  tombés  ;  la  Bévue  d'anthropologie  daigne 
enfin  rendre  un  état  ci\ï\  aux  Études  sur  l'antiqu/'té  historique  :  on  con- 
naît les  noms  des  belligérants,  et  la  lutte  se  trouve  engagée  entre 
MM.  Chabas,  le  R.  P.  de  Valroger,  B.  Pozzi,  dans  un  camp;  M.  G.  de 
Mortillet  dans  l'autre. 

La  critique  de  M.  de  Mortillet  est  vive,  acerbe  même,  disent  ses  adver- 
saires ;  la  riposte  n'a  pas  été  longue  à  venir.  Si  nous  ignorons  l'attitude 
prise  par  M.  Pozzi,  le  R.  P.  de  Valroger  a  adressé  à  la  Bévue  des  ques- 
tions historiques  (n"  d'avril  1875,  p.  574)  une  lettre  où  l'inébranlable  fer- 
meté des  principes  s'allie  à  la  modération  du  style  :  quant  à  M.  Chabas, 
il  a  répondu  par  une  brochure  que  nous  tenons  à  mettre  en  lumière. 

Un  savant,  très-jeune  sans  doute  et  passablement  hautain,  nous  a  si- 
gnifié —  par  voie  indirecte,  il  est  vrai  —  que  nous  n'entendions  rien  au 
débat.  Soit,  nous  acceptons  de  bonne  grâce  le  brevet  d'incompétence  que 
nous  octroie  si  dédaigneusement  une  autorité  adolescente,  et  nous  voulons 
rester,  s'il  est  possible,  à  l'écart  du  terrain  scientifique.  Mais  M.  Chabas 
croit  qu'Adam  est  If  père  de  l'humanité,  et  non  le  premier  des  Juifs  ;  que 
l'apparition  de  Ihomme  sur  la  terre  ne  remonte  pas  aussi  haut  qu'il  con- 
vient à  l'école  matérialiste  de  l'affirmer  ;  que  les  étages  géologiques  du 


BIBLIOGRAPHIE  481 

globe,  non  plus  que  les  lois  de  la  paléontologie,  ne  sont  pas  encore  déter- 
minés par  un  arrêt  sans  appel.  Or,  ces  idées  sont  aussi  les  nôtres  et  nous 
regardons  comme  un  devoir  de  propager  les  écrits  où  on  les  expose. 

Ajoutons  qu'un  profond  savoir  vient  en  aide  à  l'esprit  éminemment  reli- 
gieux de  M.  Chabas  qui,  au  service  de  son  immense  érudition,  met  en 
outre  un  remarquable  talent  de  polémiste.  Les  coups  qu'on  lui  porte, 
il  sait  les  rendre  avec  usure,  et  les  traits  acérés  qu'il  décoche  au  besoin 
font  une  agréable  diversion  aux  arguments  sérieux  de  sa  thèse.       c.  L. 


INDEX  BIBLIOGRAPHIQUE 

(ARCHÉOLOGIE    ET    BEAUX-ARTS) 


AMADOR  DE  LOS  RIOS  (Rodr.).  Inscri- 
pciones  arabes  de  Sevilla.  Precedidas 
de  una  carta  prologo  del  llmo.  Sr.  D. 
José  Amador  de  los  R.ios.  In-4°,  270 
p.  et  9  grav.  Madrid,  Murillo.  G  fr. 

ARCHITECTURE  de  la  Renaissance.  Le 
Château  de  Blois,  ensembles  et  dé- 
tailsj  sculpture  ornementale,  décora- 
tions peintes,  cheminées,  tentures, 
plafonds,  carrelages  (extérieur  et  in- 
térieur). Texte  historique  et  descrip- 
tif, l  et  2.  In-folio,  8  pi.  Paris,  Ducher. 

—  L'ouvrage  formera  un  vol.  publié 
en  trois  fascicules,  comprenant  60  pi. 
dont  12  en  chromolithogr.  (comptant 
pour  24)  et  25  photographies  impri- 
mées par  un  nouveau  procédé  qui  les 
rend  inaltérables.  L'ouvrage  complet, 
180  fr. 

BILLING  (Archibald)  The  Science  of 
Geins,  Jewels,  Coins,  and  Medals, 
Ancient  and  Modem.  New  éd.,  revi- 
sed  and  corrected.  Gr.  in-8°,  230  p. 
Lundon,  Daldy  et  Isbister.  26  fr.  25. 

BULLETTINO  di  Archeologia  cristiana. 
(T.  VI,  n°  l.)  — Scoperte  nel  ciiuitero 
di  Domitilla.  —  Sul  sepolcro  di  S.  Pe- 
tronilla.  —  II  sepolcro  di  Veneranda. 

—  Sepolcri  dei  Flavii  cristiani  (pi.). 
CARRIERE  (Prof.  Dr  Mor  ).  Atlas  der 

Plastik  u.  Mulcrei.  30  Tuf.  in  Stahist. 
nebst  erlaut.  Texte.  [Aus  :  «  Bilder- 
Atlas.  2.  Aufl.  »]  In-fol.,  18  p.  Leip- 
zig, Brockhaus.  tO  fr. 


CARTIER  (E.).  Etude  sur  l'art  chrétien. 
Gr.  in-8»,  xi  11-99  p.  et  8  pi.  Paris, 
Firmin  Didot.  S  fr. 

CAVALIER  (Avv.  Michèle).  1\  Museo 
Cavaleri  e  il  Municipio  di  Milano.  In- 
4°,  6L6  p.  Milano,  stab.  tip.  Civelli. 

GHARENCEY  (de).  Les  Animaux  de  la 
vision  d'Ezéchiel  et  la  symbolique 
chaldéenne,  par  M.  H.  de  Charencey, 
membre  correspondant  de  l'Académie 
des  sciences,  arts  et  belles-lettres  de 
Caen.  In-8'*,  25  p.  Gaen,  imp.  Le 
Blanc-Hardel.  (Extr.  des  Mémoires 
de  l'Acad.  de  Gaen.) 

COMPTES-RENDUS  de  la  Société  fran- 
çaise de  numismatique  et  d'archéo- 
logie. T.  IV.  Année  1873.  Gr.  in-8<>, 
xviri-34(j  p.  Paris,  58,  rue  de  l'Uni- 
versité. 12  fr. 

CONGRES  archéologique  de  France. 
(XL<^  session.)  Séances  générales  te- 
nues à  Châteauroux  en  1873  par  la 
Société  française  d'archéologie  pour 
la  conservation  et  la  description  des 
monuments.  ln-8'>,  Lxii-731  p.  et  gr. 
Paris,  Derache.  10  fr. 

COTTEAU.  Congrès  international  d'an- 
tliroi)ologie  et  d'archéologie  préhis- 
toriques. Session  de  Stockholm  ;  par 
M.  G.  Colteau,  président  de  la  So- 
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p.  Auxerrc.  imp.  Pcrriquet. 

CRUZADA  VILLA-AMIL.  Rubens  diplo- 
matico  espanol.  Las  viajes  a  Espana 


y  noticia  de  sus  cuadros,  segun  los 
inventarios  de  las  Casas  de  Austria 
y  de  Borbon.  In-S»,  386  p.  Madrid, 
187i,  Murillo.  3  fr. 
CURTI  (Aw.  Pier  Ambrogio).  Pompei 
e  le  sue  rovine.   3  vol.  in-16,  392, 
420  et  436  p.  et  lig.  Milauo,  1873-74, 
Sanvito.  18  fr. 
DESJARDINS.  Rome.  Le  Mont  Palatin, 
par  T.  Desjardins,  architecte,  mem- 
bre de  plusieurs  académies.   In-8°, 
23  p.  Lyon,  imp.  Riotor. 
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FLEURY.     Inventaire    sommaire    des 
sceaux  originaux  des  Archives  de  la 
Haute-Marne  ;  par  M.  P.  de  Fleury, 
archiviste  de  Loir-et  Cher    In-8°,  23 
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GEVAERT  iFr.  Aug.).  Histoire  et  théo- 
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I".    Gr.  in-8°,   450  p.   et  planches. 
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GRUYER  (F. -A.).  Les  Œuvres  d'art  de 
la  Renaissance  italienne  au  temple  de 
Saint-Jean  (baptistère  de  Florence). 
ln-8»,  xii-293  p.  et  3  pi.  Paris,  Loo- 
nes.  "JO  fr. 
GUÉRIN.    Description    géographique , 
historique    et    archéologique    de   la 
Palestine,    accompagnée    de    cartes 
détaillées  ;  par  M.  V.  Guérin,  mem- 
bre de  la  Société  de  géographie  de 
Paris,  chargé  d'une  mission  scienti- 
fique. Seconde  partie.  Samarie.  2  vol. 
gr.  in-8»,  915  p.  et  5  pi.  Paris,  Ghal- 
lemel  aîné.  20  fr. 
HIGNARD.  Les  Peintures  antiques  rela- 
tives au  mythe  de  Paphné,  d'après 
M.Wolfgang  Helbig,  par  M.  Hignard, 
professeur  de  littérature  ancienne  à 
la  faculté  des  lettres  de  Lyon.  In-S", 
20  p,  Lyon,  nnp.  Riotor. 
HOUZÉ  DE  L'AULNOIT  (A.),  avoc.  No- 


index  BIBLIOGRAPHIQUE  483 

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partenant aux  hospices  de  Lille.  In-l", 
8  p.  Lille,  imp.  Lefebvre-Ducrocq. 

HUCHER.  Jubé  du  cardinal  Philippe  de 
Luxembourg,à  la  cathédrale  du  Mans, 
décrit  d'après  un  dessin  d'architecte 
du  temps  et  des  documents  inédits, 
et  reproduit  en  fac-similé,  par  Eugène 
Hucher,  président  de  la  commission 
d'archéologie  de  la  Société  d'agricul- 
ture, etc.,  de  la  Sarthe.  In-folio  à  3 
col. ,  6  p.  et  8  pi.  Le  Mans,  Monnoyer. 

PEIGNÉ-DELACOURT.  Topographie  ar- 
chéologique des  cantons  de  la  France, 
par  M.  Peigné-Delacourt,  membre 
correspondant  de  la  Société  des  anti- 
quaires de  France,  etc.  Département 
de  l'Oise.  Arrondissement  de  Com- 
piègne. Canton  de  Ribécourt.  In-S", 
x-125  p.,  3  cartes  et  37  vignettes. 
Noyon,  imp.  Andrieux. 

POUY.  La  mort  tragique,  à  Chantilly, 
du  célèbre  cuisinier  Watel  ou  Vatel, 
d'après  Mme  de  Sévigné  (1671). 
Amiens,  1874,  in  8°. 

MÉNARD.  Histoire  des  beaux-arts,  il- 
lustrée de  414  gravures  représentant 
les  chets-d'œuvre  de  l'art  à  toutes  les 
époques,  par  René  Ménard,  rédacteur 
en  chef  de  la  Gazelle  des  heavx-arts. 
ln-4",  2  col.,  516  p.  Paris,  lib.  de 
Y  Echo  de  la  Sorbonne.  10  fr. 

MÉNARD  (Louis  et  René).  Musée  de 
peinture  et  de  sculpture,  ou  Recueil 
des  principaux  tableaux,  statues  et 
bas-reliefs  des  collections  publiques 
et  particulières  de  l'Europe,  dessiné 
et  gravé  à  l'eau-forte  par  Réveil,  avec 
des  notices  descriptives,  critiques  et 
historiques.  Texte.  Vol.  I  à  VIII  etX. 
Gr.  in-l8,  720  p.  Paris,  V»  A.  Morel. 
^20fr. 

MOREL  (J.-P.)  et  GANTIER  (Ant.).  Voie 
romaine  ah  Aquis  Tarbellicis  et 
routes  qui  venaient  s'y  souder.  In-4», 
05  p.  Saint-Gaudens,  Abadie.  (Extr. 
du  Journal  de  Saint-Gaudens.  J 

MOWAT  (R  ).  Notice  de  quelques  ine- 


'm 


INDE.X    mrJLIOriRAPHIQUE 


criptions  grecques  observées  dans 
diverses  collections.  In -8°,  38  p.  et 
pi.  Paris,  Franck.  2  fr.  (Ext  du  t.  IX 
des  Mém.  de  la  Soc.  archéol.  d'Ille- 
et-Vilciine.J 

MULLER  (l'abbé  Eug.).  Antiphonaire 
du  Mont-Renaud.  In-8»,  61  p.  et  2  pi. 
Noyon,  imp.  Andrieux.  (Ext.  du  Bul- 
letin du  Comité  archéol.  de  Noyon.) 

MYERS  (P.-V.-N.).  Remains  of  Lost 
Empires  :  Sketches  of  the  Ruins  of 
Palmyra,  Nineveh,  Babylon  and  Per- 
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OVERBECK  (.T.).  Pompeji  in  seinen  Ge- 
bauden,  Alterthùmern  u.  Kunstwer- 
ken  f.  Kunstu.  Alterthumsfreunde 
dargestellt.  3.,  abermals  durchgearb. 
u.  verm.  Aufl.  Mit  26  grosseren,  zum 
Theil  farb.  Ansichten  (in  Holzschn. 
u.  Lith.)  u.  315  Holzschn.  im  Texte 
sowie  e.  grossen  (lith.)  Plane.  In-8°, 
xvi-580  p.  Leipzig,  Engelmann.  25  fr. 

PETROZ  (P.)-  L'Art  et  la  Critique  en 
France.  In- 18  jésus,  vi-345  p.  Paris, 
Germer  Baillière.  3  fr.  50. 

REVUE  ARCHÉOLOGIQUE.  —  Avril.  - 


Vivien  de  Saint-Martin  :  L'Ilion  d'Ho- 
mère, rUium  des  Romains  (fin).  — 
G.  Schlumberger  :  Numismatique  des 
croisades.  —  E.  Le  Hlant  :  Tablai 
égyptiennes  à  inscriptions  grecques 
(suite).  —  A.  Bertrand  :  Le  Casque 
de  Berru.  —  E.  Miller  :  Poëmes  vul- 
gaires de  Théodore  Prodrome  (fin). 

—  Bulletin  de  l'Académie  des  ins- 
criptions. —  Nouvelles  et  correspon- 
dance. —  Bibliographie.  —  2  pi. 

SCHNEIDER  (Oberrichter  Dr  A  ».  Beit- 
rage  zur  Kenntniss  der  romischen 
Personennamen.  Gr.  in-S",  xiii-85  p. 
Zurich,  Orell,  Fûssli  et  Co.  3  fr. 

SOCIÉTÉ  ARCHÉOLOGIQUE  DU  MIDI 
DE  LA  FRANCE.  —  Mémoires,  t.  X, 
4»  livr.  —  Robert  le  Fort,  sa  famille 
et  son  origine,  par  M.  Louis  Rioult 
de  Neuville.  —  Le  château  d'Oiron 
(Deux-Sèvres),  par  M.  l'abbé  M.-B. 
Carrière.  —  Notice  historique  sur  le 
lieu  de  Galan,  par  M.  E.  Pessemesse. 

—  Une  table  d'autel  de  l'église  Saint- 
Sernin,  par  M.  Gaussé.  —  Petites 
villes  fortifiées  du  Moyen-Age  dans  le 
Toulousain,  par  M.  A.  du  Bourg,  etc. 

j.  c. 


CHRONIQUE 


Nécrologie.  —  Nous  avons  le  regret  de  consigner  ici  la  mort  de  deux 
de  nos  amis  et  collaborateurs,  M.  l'abbé  Cochet  et  M.  Ernest  Breton. 

L'abbé  J.-B.  Désiré  Cochet,  chevalier  de  la  légion  d'honneur,  officier 
d'académie,  correspondant  de  l'Institut,  membre  du  Comité  des  travaux 
historiques,  directeur  du  musée  des  antiquités  de  la  Seine-Inférieure, ins- 
pecteur des  monuments  historiques  et  des  monuments  religieux  du  dio- 
cèse de  Rouen,  membre  d'un  grand  nombre  de  Sociétés  savantes  fran- 
çaises et  étrangères,  est  décédé  à  Rouen,  le  l^'  juin,  dans  sa  soixante- 
quatorzième  année.  On  peut  dire  qu'il  a  été  le  fondateur  de  l'archéologie 
sépulcrale  ;  ses  recherches  et  ses  découvertes  ont  été  consignées  dans  de 
nombreux  ouvrages  et  principalement  dans  les  trois  qui  portent  pour 
titres  :  Le  tombeau  de  Chilpéric.  —  La  Normandie  souterraine.  —  Sépul- 
tures gauloises,  romaines,  francques  et  normandes.  L'abbé  Cochet,  membre 
très-acLif  de  la  Commission  départementale  des  antiquités,  a  publié  un 
nombre  considérable  d'écrits  sur  l'histoire,  les  monuments  et  les  antiqui- 
tés de  la  Seine-Inférieure.  Notre  savant  et  regretté  confrère  passait  rare- 
ment une  année  sans  nous  adresser  quelque  intéressante  communication. 

M.  Ernest  Breton,  membre  de  la  Société  des  antiquaires  de  France, 
chevalier  delà  légion  d'honneur  et  de  plusieurs  ordres  étrangers,  est  mort 
à  Paris  le  29  mai  dans  sa  soixante-troisième  année.  Parmi  ses  plus  im- 
portants ouvrages,  nous  citerons  :  Introduction  à  l'histoire  de  France,  1838, 
in-folio.  —  Monuments  de  tous  les  peuples,  ouvrage  traduit  en  plusieurs 
langues.  —  Pompeia.  —  Athènes.  M.  Ernest  Breton  a  pris  une  part  fort 
active  aux  Irsixaux  deVListitut  historique {Auiourd'hm  Société  des  sciences 
historiques),  dont  il  a  été  plusieurs  fois  le  président.  Nous  avons  publié  de 
lui  dans  cette  Revue,  plusieurs  monographies  d'importants  monuments  de 
France,  d'Italie,  d'Allemagne  et  d'Espagne.  M.  Ernest  Breton  dessinait 
très  habilement  sur  bois  et  pouvait  illustrer  ses  propres  ouvrages;  c'est  à 
son  amitié  que  nous  devons  le  plus  grand  nombre  des  gravures  de  notre 
Manuel  d'archéologie. 

Payons  aussi  un  tivjut  de  regrets  à  la  mémoire  de  M.  Ch.  Rohault  de 
Fleury.  Nous  croyons  savoir  que  cet  éminent  archéologue  laisse  à  peu 
près  achevée  une  Iconographie  de  la  sainte  Vierge. 


486  CHRONIQUE 

Rome.  -  Depuis  plus  d'une  année  des  ouvriers  plombiers  renouvellent 
la  couverture  de  plomb  du  Dôme  de  St-Pierre.  Le  Dôme  proprement  dit 
esta  peu  piL.'  recouvert  :  on  en  est  arrivé  à  la  pyramide  qui  surmonte 
la  lanterne  et  supporte  la  boule.  Cette  pyramide  est  maintenant  toute 
blanche. 

Les  restaurations  sont  étendues  aussi  aux  grandes  statues  de  pierre  qui 
couronnent  la  façade.  Le  temps  les  avait  noircies,  on  les  gratte  un  peu 
pour  leur  rendre  la  couleur  naturelle  de  la  pierre. 

Pompéï.  —  On  a  découveit  récemment  à  Pompéï  un  tableau  que  l'on 
estime  le  plus  remarquable/le  ceux  qu'on  en  a  extraits  jusqu'ici;  il  repré- 
sente Laocoon  d'après  la  description  de  Virgile.  Le  taureau  du  sacrifice  y 
est.  Le  bon  état  dans  lequel  les  couleurs  se  sont  conservées  fait  espérer 
que  ce  tableau  pourra  être  transporté  au  Musée  de  Naples. 

Venise.  —  C'est  un  fait  connu  que  les  six  grands  tableaux  à  l'huile  de 
Rubens,  avec  épisode  des  derniers  jours  de  Decius  Mus,  de  la  Galerie 
princiôre  de  Lichtenstein,  à  Vienne,  était  destinés  a  servir  de  modèles  pour 
des  Gobelins.  Le  paysagiste  allemand,  Charles  Reichardt,  qui  réside  à 
Venise,  vient  de  découvrir  dans  cette  ville  ces  Gobelins  et  les  a  acquis 
pour  le  prince  Solms,  un  neveu  de  la  princesse  Lichtenstein. 

[Journal  des  beaux-arts.) 

Statue  de  saint  Jean  découverte  à  Pise.  —  On  a  retrouvé  dernière- 
ment une  superbe  statue  en  marbre  représentant  un  saint  Jean  à  l'âge 
d'environ  quatorze  ans,  que  les  connaisseurs  prétendent  être  une  œuvre 
de  Michel-Ange.  Cette  statue  se  trouve  actuellement  à  Pise.  On  l'avait 
prise  d'abord  pour  une  composition  de  Donatello. 

Cette  statue  est  l'objet  de  grands  débats  dans  le  monde  artistique  de 
Rome.  Elle  aun  mètre  35  centimètres  de  hauteur  ;  le  Saint  porte  sur  la 
jambe  gauche  ;  la  main  du  même  côté  presse  un  rayon  de  miel  et  la  droite 
tient  une  corne  qu'il  porte  à  ses  lèvres  ;  une  peau  d'agneau  placée  en 
bandoulière,  de  gauche  à  droite,  lui  couvre  une  partie  du  dos.  Le  proprié- 
taire de  cette  statue  en  marbre  est  M.  Rossel-Mimi-Gualandi.  de  Pise, 
qui  a  invité  tous  les  artistes  de  Rome  à  donner  leur  avis  sur  l'attribution 
qu'il  croit  pouvoir  en  faire  à  Michel-Ange.  L'œuvre  est  de  tout  point  re- 
marquable et  peut  fort  bien  être  d'un  si  grand  maître;  toutefois  on  n'y 
sent  pas  la  vigueur  que  l'artiste  florentin  donnait  ordinairement  à  ses  con- 
ceptions; il  faudrait  attribuer  cette  particularité  à  l'âge  qu'avait  Michel- 
Ange  lorsqu'il  fit  ce  saint  Jean.  Suivant  Vasari,  —  car  Vasari  en  parle  en 


CHRONIQUE  487 

termes  exprès, — il  n'avait  guère  alors  que  vingt  et  un  ans.  Voici  ce  qu  on 
lit,  à  ce  sujet,  dans  cet  auteur  : 

a  Mais  Michel-Ange,  reconnaissant  qu'il  perdait  son  temps  (à  Bologne, 
où  il  avait  été  très-amicalement  reçu  par  Francesco  Aldovrandi),  s'en  re- 
tourna volontiers  à  Florence;  il  fit,  pour  Lorenzo  di  Pies  Francesco,  de 
Medici,  un  petit  saint  Jean  en  marbre;  puis  s'attaquant  à  un  autre  bloc, 
se  mit  à  sculpter  un  Cupidon  endormi,  etc.  » 

On  voit  que  ce  saint  Jean  a  son  acte  de  naissance;  c'est  une  véritable 
découverte,  car  il  était  jusqu'à  présent  à  peu  près  ignoré,  et  Tattribution 
à  Donatello  ne  faisait  que  fourvoyer  dans  leurs  appréciations  les  rares 
connaisseurs  qui  l'avaient  pu  voir. 

(Extrait  de  la  correspondance  italienne  du  Moniteu?'  Universel.) 

Encouragement  à  la  peinture  chrétienne.  {Concours  avec  prix  pour 
1875).  —  1.  Un  concours  avec  prix  est  ouvert  pour  un  tableau  à  l'huile 
sur  toile,  de  45  centimètres  de  largeur,  sur  GO  de  haut,  représentant  St- 
Joseph  (demi-figure)  avec  TEnfant  Jésus. 

2.  Les  tableaux  des  concurrents  doivent  être  rendus,  au  plus  tard,  le  10 
novembre  prochain,  francs  de  port,  à  l'adresse  suivante  :  A  M.  le  prési- 
dent de  la  Société  d'encouragement  de  peinture  chrétienne,  Grande  rue,  209, 
à  Bologne. 

3.  Tout  tableau  devra  porter,  au  revers,  une  devise  en  caractères  bien 
lisibles,  et  être  accompagné  des  noms,  prénoms  et  domicile  du  peintre 
concurrent,  écrits  lisiblement  dans  une  lettre  fermée  et  cachetée,  portant 
à  l'extérieure  la  même  devise  que  celle  inscrite  derrière  le  tableau. 

Les  lettres  ne  seront  ouvertes  qu'après  la  décision  qui  décernera  le  prix. 

4.  Un  jury  d'artistes  distingués  convoqués  à  cet  effet  prononcera  avec 
rapport  écrit,  sur  celui  des  tableaux  qui  méritera  le  prix. 

5.  Le  prix  consiste  en  une  médaille  d'or,  grand  module,  mille  francs 
en  or  et  12  copies  oléographiques  du  tableau  primé,  à  remettre  dès  que 
la  reproduction  en  sera  faite. 

6.  Le  tableau  primé  reste  la  propriété  de  la  Société  d'encouragement 
pour  la  peinture  chrétienne. 

7.  Les  concurrents  pourront  ajouter  à  leur  lertre,  une  note  indiquant  le 
prix  qu'ils  demanderaient  de  leur  tableau  dans  le  cas  prévu  par  l'article 
suivant. 

8.  Tous  les  tableaux  autres  que  celui  primé,  seront  exposés  puMique- 
ment,  pour  en  faciliter  la  \  ente  au  profit  des  peintres  s'ils  le  désirent. 

9.  Après  cette  exposition,  les  tableaux  non  vendus  seront  renvoyés  à 
leurs  auteurs,  à  l'adresse  indiquée  dans  leur  lettre. 


48H  CHRONIQUE 

10.  ToutconcuireiiL  peut  envoyer  plusieurs  tableaux  sur  le  même  sujet, 
mais  chacun  de  ces  tableaux  devra  porter  une  devise  particulière  et  être 
accumpayaé  de  la  lettre  correspondante,  cachetée  conformément  à  l'ar- 
ticle 3. 

Le  musée  national  polonais  en  Suisse.  —  La  direction  du  Musée  na- 
tional polonais,  au  château  de  Rapperswyl,  en  Suisse,  vient  de  publier 
son  ciyiquième  compte-rendu  annuel,  qui  témoigne  de  son  rapide  dévelop- 
pement. Il  est  devenu  l'un  des  plus  riches  en  documents  et  souvenirs 
historiques,  et  il  doit  ce  progrès  extraordinaire  aux  dons  nombreux  qui 
ne  cessent  d'affluer  de  divers  pays  et  aux  acquisitions  de  riches  collec- 
tions historiques.  On  y  trouve  cent  vingt  grands  volumes  contenant  un 
très-grand  nombre  d'actes  et  de  documents.  Parmi  les  manuscrits  se  dis- 
tingue celui  de  M.  Pietrazewski,  orientaliste  au  service  de  la  Prusse,  con- 
sacré aux  relations  de  la  Turquie  avec  la  Pologne  et  la  Russie,  d'après 
les  chr(>nographes  turcs.  Les  correspondances  des  rois  de  Pologne  et  de 
ses  personnages  illustres  sont  des  plus  intéressantes. 

La  bibliothèque  du  Musée  contient  presque  toutes  les  œuvres  des  chro- 
niqueurs et  des  historiens  de  la  Pologne,  le  texte  de  ses  lois  et  constitu- 
tions ;  le  journal  officiel  de  ses  Diètes,  depuis  1764;  tous  les  journaux 
polonais  depuis  1786  ;  une  masse  de  feuilles  étrangères  oii  se  trouvent 
des  matériaux  historiques  importants.  Elle  possède  des  éditions  bien 
rares,  et  ses  doubles  sont  tellement  nombreux,  que  l'on  pourrait  composer 
avec  eux  une  nouvelle  bibhothèque. 

Dans  la  section  artistique  on  voit  des  milliers  de  gravures,  principale- 
ment polonaises,  la  galerie  des  portraits  d'illustrations  nationales,  celle 
des  costumes  du  pays,  les  albums  consacrés  aux  vues  de  la  Pologne.  En 
général,  les  produits  artistiques  exposés  au  Musée  sont  une  preuve  maté- 
rielle des  grands  progrès  que  font  les  Polonais  sous  le  rapport  de  l'art. 

Les  collections  numismatiques  sont  riches  ;  il  y  a  un  grand  nombre  de 
doubles  et  de  pièces  très-rares.  Dans  la  section  archéologique  se  trouvent 
des  objets  fort  intéressants  provenant  des  fouilles  faites  en  Pologne.  Les 
collections  des  drapeaux  polonais  et  des  coins  méritent  d'être  examinées. 

La  fondation  du  Musée  national  polonais  a  été  accueillie  favorablement 
par  l'opinion  publique,  et  elle  est  encouragée  par  les  dons  des  Gouverne- 
ments, des  Sociétés  savantes  et  des  particuhers.  Des  milliers  de  visiteurs 
attestent  par  leur  présence  la  popularité  de  cette  institution,  qui  a  été 
très-bien  définie  par  un  écrivain  suédois,  M.  Bergstrand,  auteur  d'une 
description  de  ce  Musée  :  «  C'est  La  première  fois,  dit-il,  que  la  Pologne 
s'est  placée  sur  un  terrain  où  elle  ne  peut  être  vaincue,  »  {Monde.) 


CHRONIQUE  489 

Une  ville  inconnue.  —  M.  Conder  a  découvert  à  Khirbet  Deir  Sercer 
une  ville  ontière  complètement  inconnue  jusqu'ici,  quoiqu'elle  ne  soit 
qu'à  deux  lieues  et  demie  de  Séhastieh,  l'ancienne  Samarie.  Elle  est  située 
au  sommet  d'une  colline,  et  présente  un  champ  couvert  de  débris  de  ma- 
çonnerie parmi  lesquels  plusieurs  blocs  ont  plus  de  dix  pieds  de  longueur. 
On  y  voit  les  fondations  de  deux  vastes  bâtiments  dont  l'un,  avec  ses 
murailles  de  huit  pieds  d'épaisseur  et  son  pavement  en  mosaïque,  est 
évidemment  un  édifice  public.  Les  arcades  rondes,  les  moulures  semi- 
classiques,  les  pierres  bien  taillées,  tout  indique  que  ces  ruines  appar- 
tiennent à  une  cité  qui  fut  considérable.  M.  Conder  regarde  comme  pro- 
bable que  c'est  l'ancienne  Sozuza.  et  qu'elle  date  du  premier  ou  du  second 
siècle,  peut-être  même  de  l'époque  hérodienne. 

(Quaterly  Statement.) 

Psautier  de  Louis-le-Pieux.  —  Une  merveille  de  calligraphie  du 
moyen-âge  vient,  nous  dit  the  Academy,  d'être  envoyée  à  Paris  par  un 
libraire  anglais,  qui  l'a  achetée  36,000  francs.  C'est  un  psautier  provenant 
du  monastère  de  Saint-Hubert,  dans  les  Ardennes,  et  connu  sous  le  nom 
de  Psautier  de  Louis-le-Pieux,  quoique  M.  Paulin  Paris,  qui  l'a  examiné, 
incline  à  penser  qu'il  ne  remonte  pas  plus  haut  que  Lothaire,  son  fils.  Il 
est  écrit  en  onciales.  La  reliure  présente,  d'un  côté,  un  ivoire  admirable- 
ment ciselé,  de  l'autre,  une  plaque  de  cuivre  repoussé  représentant  le  sou- 
verain auquel  le  manuscrit  a  appartenu.  Ce  psautier  avait  été  décrit  par 
Mabillon,  au  dix-septième  siècle;  mais,  depuis  la  fin  du  dix-huitième  siè- 
cle, on  le  croyait  perdu. 

D'un  prétendu  auteur  de  1'  u  Imitation  de  Jésus-Christ.  »  —  // 

Propugnatore  et  plusieurs  autres  revues  italiennes  nous  parlent  d'une 
Imitation  de  Jésus-Christ  en  langue  du  treizième  siècle,  publiée  par 
M.  Giuseppe  Turrini  (Bologne,  typ.  royale  1874,  in-8"  de  xiv-408  pages). 
D'après  le  nouvel  éditeur,  l'auteur  de  cet  admirable  livre  serait  Giovanni 
Gersenio  de  Vercelli,  moine  bénédictin,  qui  vivait  dans  les  premières 
années  du  treizième  siècle.  [Polybiblion.) 

Une  cloche  fondue  en  1793.  —  Dans  le  Bulletin  de  la  Société  archéolo- 
gique de  Soissons,  M.  de  Laprairie  signale  la  cloche  du  village  d'Hirson, 
dont  voici  l'inscription  : 

L'an  1793,  ^2^  de  la  République  française,  j'ay  été  bénite  par  le  citoyen 
Jean-François  Godard.^  curé  depuis  1781   et  officier  municipal,  et  nommé 
Csesar  par  les  citoyens  Csesar-Mezand,  maire  d'Hirson,  et   Marie-Louise- 
11"=  séné,  tome  II,  34 


490  CHRONIQUE 

Victoire  Bouillard^  épouse  de  Louise  Godefrof/,  procureur  de  la  commune. 
Moi/  et  mes  deux  sœurs  nous  arons  été  fondues  aux  frais  de  la  commune 
d'Hirson. 

Ainsi,  comme  le  fait  remarijiier  M.  de  Laprairie,  au  moment  où  toutes 
les  communes  ont  perdu  ou  vont  perdre  leurs  cloches,  la  commune  d'Hir- 
son en  fait  faire  trois;  et  à  quelle  date?  à  la  tin  de  1793.  Celle  des  trois 
qui  existe  encore  est  nommée  César,  et  le  prêtre  qui  la  bénit  est  tout  à  la 
fois  curé  et  officier  municipal  I 

Un  sceau  du  XIIP  siècle.  —  M.  l'abbé  Lavant  décrit  ainsi  dans  le 
Messager  des  Sciences  hisloriqucs  le  sceau  du  béguinage  de  Saint-Aubert 
de  Gand  : 

La  matrice  en  cuivre  du  sceau  primitif  est  un  chef-d'œuvre  de  la  gravure 
flamande  au  XIIP  siècle.  Nous  en  avons  trouvé  une  empreinte  dans  la 
belle  collection  sigillaire  de  M.  Ch.  Onghena.  Nous  y  voyons  entre  deux 
écus  triangulaires,  probablement  aux  armes  de  Flandre  et  de  Gand,  saint 
Aubert  en  costume  pontiiical,  debout  sur  un  escabeau  couvert  d'orne- 
ments. Le  saint  évêque,la  main  droite  ouverte  et  levée,  tient  de  la  gauche 
la  crosse  à  vélum  ondoyant  et  à  volute  tournée  vers  l'intérieur.  Les  deux 
écus  au  lion  semblent  faire  allusion  à  la  fondation  de  l'hospice  par  nos 
bourgeois,  sous  le  patronage  des  souverains.  Au-dessus  de  l'écusson  de 
droite  brille  une  étoile  à  six  raies,  symbole  sigillaire  très-commun  au 
Moyen- Age. 

La  légende,  précédée  d'une  croix  grecque  et  comprise  entre  deux  gre- 
netis,  porte  en  beaux  caractères  :  ^.  hospiialis,Sci.  Auberti.  in  Portacker. 
Le  module  est  de  0°^  052  sur  0'"  0,37. 

Nous  avons  été  assez  heureux  pour  découvrir  le  contre-scel  du  même 
hospice.  Il  est  appendu  à  un  acte  du  l*"'  octobre  1334,  par  lequel  le  prêtre 
Martin  de  Hosdine,  proviseur  de  rétabliss?ment,  du  consentement  de  l'abbé 
de  Saint-Bavon,  règle  avec  le  chapelain  un  difïérend  au  sujet  des  rentes 
de  la  chapellenie. 

La  forme  de  ce  sceau  est  orbiculaire,  au  diamètre  de  0"  018.  Dans  le 
champ  est  figuré  un  buste  d'évêque,  la  tête  nue,  entre  deux  branches  po- 
sées en  pal.  L'inscription  porte  entre  deux  filets  :  CoUra  sigill'  de  Portacr. 

Abandonné  par  les  prébendières  et  aliéné  par  la  commission  des  Hos- 
pices, le  Béguinage  de  Poortakker  est  occupé  depuis  le  24  mai  1864  par 
les  dames  de  l'Adoration  perpétuelle. 

Un  portrait  de  Jeanne  d'Arc.  —  Il  s'est,  depuis  quelque  temps,  pro- 
duit à  Paris  un  grantl  émoi  dans  le  monde  qui  s'occupe  d'histoire  et  d'ar- 


CHRONIQUE  491 

chéologie,et  celte  émotion  est  jaarfaitement  justifiée,  comme  on  va  le  voir, 
II  y  a  une  trentaine  d'années,  M.  Auvray,  expert  et  marchand  de  tableaux 
bien  connu,  dont  le  magasin  est  sous  le  péristyle  du  Palais-Royal,  acheta 
à  Orléans,  d'une  personne  qui  vit  encore,  un  petit  tableau  fort  sale,  fort 
noir,  qu'il  paya  un  très-bas  prix  et  oublia  dans  son  grenier,  au  milieu  de 
débris  de  toutes  sortes.  Il  y  a  quelques  mois,  un  ami  de  M.  Auvray  était 
en  quête  de  vieilles  peintures  pour  compléter  un  ameublement  ancien, 
M.  Auvray  se  rappela  tout  à  coup  le  tableau  acheté  jadis,  et  le  retrouva 
—  il  est  sur  bois  —  en  deux  morceaux.  Il  se  mit  à  le  nettoyer,  et  vit  ap- 
paraître successivement,  d'abord  dans  la  partie  supérieure  de  la  peinture, 
et  ensuite  au  bas,  le  nom  de  Jeanne  d'Arc.  Bientôt  ce  fut  la  bonne  Lor- 
raine elle-même  qui  se  dégagea  de  la  croûte  noirâtre.  Elle  est  debout,  à  la 
gauche  d'une  Vierge  qui  occupe  le  milieu  du  tableau,  et  qui,  à  sa  droite,  a 
saint  Michel.  Jeanne  d'Arc  est  vêtue  d'un  hoqueton  rouge,  sur  la  ceinture 
dorée  duquel  on  peut  lire  encore  son  nom.   Sa  main  gauche  s'appuie  sur 
un  bouclier  portant  les  armoiries  que  lui  donna  Charles  VII;  sa  main 
droite  tient  la  bannière  bien  connue.  Elle  porte  un  heaume,  derrière  lequel 
parait  s'arrondir  une  auréole,  mais  ce  pourrait  bien  être  un  lambrequin  ou 
volet.  La  figure  de  la  Pucelle  est  restée  assez  obscure;  cependant  on  dis- 
tingue parfaitement  bien  un  nez  droit  et  bien  formé  et  une  bouche  indi- 
quant la  fermeté;  l'œil  gauche  semble  loucher.  Ce  tableau  si  curieux  a 
été  examiné  par  les  hommes  les  plus  compétents;  Une  reste  aucun  doute, 
ni  sur  l'époque  de  cette  peinture,  ni  sur  le  personnage  qu'elle  représente, 
et  l'intérêt  que  cause  ce  tableau  est  d'autant  plus  grand  qu'avant  cette 
trouvaille  on  ne  possédait  aucun  portrait  de  la  Pucelle  offrant  des  carac- 
tères d'authenticité.  Un  des  érudits,  consultés  à  propos  de  cette  décou- 
verte, pense  que  cette  œuvre  pourrait  être  celle  d'un  peintre  écossais, 
Power,  qui  peignit  l'étendard  de  la  Pucelle,  laquelle  l'avait  pris  en  amitié 
et  fit  marier  ses  filles.  Cette  peinture  semble  être  un  ex-voto  destiné  à 
rappeler  la  délivrance  d'Orléans.  Peut-être  y  aurait-il  sur  sa  date  une  in- 
duction à  tirer  des  armoiries  qu'on  y  voit;  elles  furent  accordées  à  Jeanne 
le  2  juin  1429.  Le  tableau  ne  peut  donc  être  antérieur  à  cette  époque. 

{Revue  bibliographique  universelle.) 

Épi  de  faîtage,  en  plomb,  du  XV'^  siècle.  —  Le  plomb  a  joué  un  rôle 
important  dans  l'ornementation  extérieure  des  édifices  du  Moyen-Age, 
mais  il  reste  très-peu  des  élégantes  productions  des  plombiers;  la  plupart 
(crêtes,  épis,  girouettes)  sont  malheureusement  retournés  au  creuset. 
M.  Benvignat,  membre  de  la  commission  du  Musée  archéologique  de 
Lille,  a  récemment  offert  à  ce  Musée,  au  nom  de  feu  M.  Louis  Devémy, 


492  (JHllONIUl'K 

un  rare  et  curieux  spécimen  de  'ctte  industrie  ;  c'est  un  v\n  de  laitage  du 
XV^  siècle,  provenant  d'une  ancienne  maison  de  Douai.  La  base  de  cet 
épi  a  la  forme  d'une  pyramide,  dont  les  arêtes  sont  ornées  de  petites 
feuilles  en  plomb  coulé  qu'on  y  a  soudées:  au  lieu  de  se  terminer  en  pointe, 
la  pyramide  présente  à  son  sommet  une  sphère  aplatie  supportant  un  bou- 
quet de  quatre  feuilles  frisées  et  déchiquetées  d'où  s'échappe  une  tige  en 
spirale  qui  termine  l'épi.  M.  Benvignat  possède  un  pendant  de  cet  épi,  en 
tout  semblable  au  précédent;  dire  qu'il  a  été  décrit  et  dessiné,  en  1856, 
dans  le  journal  anglais  The  Builder,  et  qu'il  a  figuré  à  la  dernière  Exposi- 
tion universelle  (section  de  Thistoire  du  travail),  c'est  donner  la  preuve  de 
l'intérêt  qui  s'attache  au  curieux  morceau  dont  s'est  enrichi  le  Musée  ar- 
chéologique de  Lille. 

(Bulletin  scientifique  du  département  du  IS'ord.J 

Amiens.  —  Les  travaux  qu'on  exécute  pour  la  continuation  du  palais 
de  Justice  ont  mis  à  nu  une  curieuse  substructionqueM.  Darsy  a  reconnu 
être  une  prison  du  XIIL  siècle,  toute  en  pierres  de  tailles,  dont  la  voûte 
a  été  elTondrée.  Les  murailles  sont  couvertes  d'inscriptions  faites  par  les 
prisonniers,  inscriptions  qu'il  sera  peut-être  possible  de  déchiflFrer  lorsque 
les  pierres  seront  séchées  et  complètement  débarrassées  des  matériaux  de 
remplissage. 

CasseL  —  En  ôtant  une  couche  épaisse  de  crasse  qui  recouvrait  un 
tableau  de  Gassel,  on  vient  de  découvrir  un  vrai  chef-d'œuvre,  un  Rubens 
représentant  une  apparition  de  la  Ste  Vierge  à  S.  François  d'Assise. 

La  mosaïque  de  Saint-Paul  de  Rome.  -  La  mosaïque  de  la  façade  de 
Saint-Paul,  dégagée  de  l'échafaudage,  des  toiles  et  nattes  en  paille  qui  la 
masquaient,  luit  maintenant  au  soleil  couchant  d'un  éclat  incomparable. 
Les  personnages  se  détachant  sur  le  fond  d'or  paraissent  vivre  dans  la 
gloire  du  paradis. 

La  superficie  de  la  peinture  n'est  pas  moindre  de  365,56  mètres  de 
hauteur. 

Après  l'incendie  de  1823,  et  la  reconstruction  du  corps  de  la  basilique, 
le  pape  Grégoire  XVI  chargea  le  peintre  Filippo  Agricola  de  composer 
des  cartons  en  vue  de  la  mosaïque  qui  devait  orner  la  façade.  Cet  artiste 
mourut  sans  avoir  terminé  ses  dessins.  Le  tiavail  resta  en  suspens  jusqu'au 
règne  de  Pie  IX.  Ce  grand  Pontife  confia  au  peintre  Consoni,  directeur 
de  la  fabrique  des  mosaïques  du  Vatican,  le  soin  de  composer  des  cartons 
et  d'exécuter  l'ouvrage  en  mosaïque. 


CHRONIQUE  i93 

La  décoration  se  divise  en  trois  parties  :  le  tympan  ou  fronton,  la  frise 
qui  le  supporte  et  le  tableau  inférieur  descendant  jusqu'au  portique,  dont 
les  colonnes  seront  plus  tard  dressées  ;  elles  sont  toutes  prêtes  sous  les 
hangars,  dans  la  cour  qui  sétend  devant  la  basilique.  Dans  le  fronton 
triangulaire,  M.  Consoni  a  représenté  le  Sauveursur  le  trône  dans  l'attitude 
de  bénir.  Sur  la  base  du  trône,  de  chaque  côté,  sont  assis  S.  Pierre  et 
S.  Paul. 

Dans  la  frise,  on  voit  au  milieu  l'Agneau  divin  sur  la  montagne  mystique 
de  laquelle  coulent  les  quatre  fleuves  des  livres  saints. 

Des  brebis  blauclies  semblables  à  celles  des  anciennes  mosaïques bysan- 
tines,  représentent  les  apôtres  à  droite  et  à  gauche  ;  elles  se  détachent 
sur  les  murs  de  d^-ix  villes  symbolisant  Jérusalem  et  Bethléem. 

La  pai'tie  inféi  icure  est  divisée  en  quatre  espaces  par  les  deux  fenêtres 
qui  éclairent  la  nef  principale  de  la  basilique  :  quatre  figures  debout,  se 
détachant  sur  fond  d'or,  complètent  la  décoration,  ce  sont  les  grands 
prophètes  :  Isaïe,  Jérémie,  Ezéchiel  et  Daniel.  Chaque  prophète  porte 
dans  la  main  le  volume  de  se?  prophéties. 

Le  mérite  principal  de  ces  peintures  est  une  parfaite  harmonie,  de  sorte 
qu'aucfune  partie,  malgré  les  divisions  imposées  par  l'architecture,  n'est 
séparée  du  tout.  Les  figures  sont  conçues  dans  le  goût  des  types  raphaël- 
lesques.  sans  paraître  trop  imitées  cependant;  leurs  proportions  colossa- 
les sont  très-justes  et  la  ligne  extérieure,  que  l'on  nomme  sagoma,  est 
aussi  pure  que  celles  des  statues  des  meilleurs  maîtres  ;  car  c'est  la  diffi- 
culté pour  les  mosaïques  colossales  comme  pour  les  statues.  Elles  doivent 
faire  l'eiïet  de  statues  peintes,  ditnt  la  distance  égalise  les  proportions  et 
harmonise  les  formes  et  les  couleurs.  Ce  but  a  été  atteint  par  Consoni 
dans  la  mosaïque  de  Saint-Paul.  11  a  eu  en  vue  les  oiuvres  des  maîtres 
qui  ont  précédé  le  XVl^  siècle,  et  a  pris  pour  guides  Giotto  et  Raphaël. 

M.  Consoni  a  été  aidé  dans  ce  grand  travail,  qui  immortalisera  son 
nom,  par  MM.  Fabrizio  d'Ambrosio  et  Constanzo  Maldura,  l'un  et  l'autre 
artistes  de  la  fabrique  pontificale.  Le  trav;;il  a  duré  près  de  vingt  ans.  on 
ne  dit  point  encore  ce  qu'il  a  coûté.  Mais  on  doit  convenir  que  cette  im- 
mense décoration  extérieure  est  conforme  à  Tintérieur  incomparable  de 
la  basilique  de  Saint-Paul,  cette  enceinte  aux  cent  colonnes  de  marbre 
blanc,  dont  l'impression  j'cligieuse,,  recueillie,  silencieuse,  dans  cette 
campagne  aride  et  solitaire  est  peut-être  plus  puissante  sur  l'àme  que 
celle  de  Saint-Pierre. 

Il  faut  rendre  au  gouvernement  la  justice  de  n'avoir  point  entravé 
celte  œuvre.  On  dit,  au  monastère  même  de  Saint-Paul,  que  M.  le  com- 
mandeur Gadda,  préfet  de  Rome,  malgré  son  libéralisme,  se  rendait  per- 


494  CHRONIQUE 

sonnellement  à  la  basilique  toutes  les  semaines  et  suivait  avec  intérêt  l'a- 
vancement du  travail. 

Il  est  vrai  que  tout  l'univers  civilisé  s'intéressait  à  cette  grande  œuvre 
et  que  les  catholiques,  les  hommes  de  goût,  toutes  les  personnes  qui  pren- 
nent à  cœur  la  grandeur  de  R.ome  n'auraient  pas  vu  sans  un  profond 
regret  l'interruption  des  travaux  de  la  basilique  de  Saint-Paul,  inaugurés 
par  la  Papauté. 

La  façade  de  la  basilique  est  tournée  vers  le  couchant  :  c'est  dans  les 
heures  de  l'après-midi  qu'il  faut  l'admirer.  On  se  retire  de  cette  visite 
avec  un  éblouisseraent,  on  a  dans  l'imagination  comme  une  céleste  vi- 
sion. 

Louis  XIV,  roi  d'Amérique.  —  M.  Camille  Picqué.  conservateur-ad- 
joint de  la  bibliothèque  royale  de  Bruxelles,  dit  le  Messager  des  Sciences 
historiques,  vient  de  découvrir  une  médaille  frappée  en  riionneur  du  duc 
de  Levis,  vice-roi  cV Amérique.  L'exergue  porte  :  Franc,  christ,  de  Levi. 
D.  Dampville.  p.  Franc,  pro  rex  americ.e.  Puisque  le  duc  de  Lévis  était 
vice-roi  d'Amérique,  Louis  XIY  en  était  donc  roi.  Yoilà  une  nouvelle  qui 
surprendra  singulièrement  les  citoyens  des  Etats-Unis. 

Nous  apprenons  que  S.  S.  Pie  IX  vient  de  récompenser  les  éminents 
travaux  de  notre  savant  collaborateur  Mgr  Barbier  de  Montault,  en  l'éle- 
vant à  la  dignité  de  prélat  domestique,  c'est-à-dire  au  plus  haut  degré  de 
la  prélature. 

J.  C. 


TABLE  DES  ARTICLES 


CONTENUS 


dans  le  tome  dix-neia vienne  de  la  Revue  de  l'Art  clirétien 


Avril  (A.  d').  Biblioiïraphie,  179. 
Barbier  de  Montault.  La  croix  de 
Henri  IV  à  Rome,  47. 

—  Découverte  d'un  traité  de  sym- 
bolisme du  XIII"  .siècle  à  la  bi- 
bliothèque de  Poitiers,  315. 

—  Deux  musiciens  oubliés,  430. 
Barthélémy  (Ch.).  Les   tableaux 

de  l'église  Saint-Louis  de  Ver- 
sailles, 393. 

BouiLLET  (A.).  Essai  sur  Téglise  de 
Sainte-Foy  de  Conches,  37o. 

BoYER  DE  Sainte-Suzanne  (de).  Les 
tapisseries  d'Amiens,  6L 

Chaillot.  Castel-Gandoll'o.  312. 

Clément  (Félix).  Des  formes  hiéra- 
tiques et  de  leur  influence  sur 
le  progrès  des  arts,  441. 

CoRBLET  (J.).  Deux  grands  artistes 
chrétiens;  les  frères  Duthoit, o2. 

—  Travaux  des  Sociétés  savantes, 
70,  242,  317,  467. 

—  Index  bibliographique,  79, 2oo, 
334,  482. 


—  Chronique,  81,  181,  239,  336, 
485. 

—  L'architecture  civile  et  mili- 
taire de  Pise  avant  le  XV°  siè- 
cle, loO. 

—  Bibliographie,  252. 

—  Un  chef-d'œuvre  typographi- 
que, 265. 

—  Vocabulaire  des  symboles  et  des 
attributs  employés  dans  l'ico- 
nographie chrétienne,  433. 

—  Table  des  articles  du  tome  XIX, 
495. 

—  Table  des  dessins,  197. 

—  Table  analytique  des  matiè- 
res. 498. 

Davin  .  Les  anciens  monuments 
chrétiens  de    Rodez,  213,  292. 

DelvktNE.  Quelques  remarques  à 
propos  d'une  nouvelle  édition 
de  Vlmitatiun  de  Jésus -Christ, 
233. 

GERMUit-iiunAND  (le  p.).  [{apport 
sur  rimagerie    religieuse.  462. 


496 


TABLE  DES  ARTICLES 


GiRAUD  (J.).  L'école  laïque  au 
XIP  siècle,  446. 

L.  G.  Le  nouveau  chœur  de  la  ca- 
thédrale de  Montpellier,  236. 

Le  Blant  (Edm.).  Sur  une  pierre 
tumulaire  portant  les  mots 
Christus  hic  est,  25. 

—  Note  sur  quelques  représenta- 
tions antiques  de  Daniel  dans  la 
Fosse  aux  lions,  89. 

LiNAS  (Ch.  de),  les  origines  de 
l'orfèvrerie  cloisonnée,  o,  96, 
185,  300,  358. 

—  Les  silex  de  Wagnonlieu,  170. 

—  Bibliographie,  480. 

Lucas  (Ch.).  Les  architectes  de  la 
cathédrale  de  Tolède,  425. 

Maguelonne  (Comte  de).  Biblio- 
graphie, 251. 


Minasi  (le  P.).  Le  sarcophage  de 

Sainte-Quitterie,  123. 
Plaine  (Dom  F.).  Le  B.  Charles  de 

Blois,  duc  de  Bretagne,  protec- 
teur  des  arts   au   XIV*   siècle, 

274. 
Richard   (J.-M.).    Inventaire    du 

couvent  des  Dominicaines  d'Ar- 

ras  en  1324,  64. 
l'iOSTAN.  L'église  du  couvent  des 

Dominicains  de  Saint-Maximin, 

455. 
ScHMiDT  (Potrus).  Eglise  du  Vœu 

national  au  Sacré-Cœur,  19. 
Soyez  (Edm.).  Bibliographie,  251. 
Van-Drival.  L'exposition  de  Lille, 

32.  173.  345. 


TABLE  DES  DESSINS 


1.  Agrafes  de  ceinturon,  89,  93. 

2.  Autel  de  Deusdedit,  293. 

3.  Bague  hindoue,  101. 

4.  Bijoux   assyriens   en   pierres 

dures,  185. 

5.  —       égyptiens.  104. 

6.  —       sassanides,  8. 

7.  Bracelet d'Assirbanipal,  185. 

8.  Chapelle  triptyque,  356. 

9.  Croix  de  Clairmarais,  345. 

10.  Coupe  de  verre  trouvée  à  Pod- 

goritza,  91. 

11.  Cuve  baptismale  de    Hildes- 

heim,  270. 

12.  Diptyque  en  ivoire,  349. 

13.  —        (feuillet)  353. 

14.  Eglise  du  Sacré-Cœur,   pro- 

jet de  M.  Abadie,  22. 

15.  —   Sainte-Fov    de    Couches, 

377. 

16.  Figures  assyriennes   en   bri- 

ques émaillées,  185. 

17.  Fresque  de  Raphaël,  366. 

18.  Inscription  de  la  Porta   Au- 

rea,  161. 

19.  —  mérovingienne   de    Vicq  , 

24. 

20.  Jéhu    devant    Salraan-Asar, 

189. 

21.  Lampe    représentant     Daniel 

dans  la  Fosse  aux  lions,  92. 

22.  Maison    de    Borgo    Nuovo   à 

Pise,  163. 


23. 


24. 
25. 
26. 
27. 

28. 


29. 

30. 
31. 
32. 

33. 
34. 
35. 
36. 
37. 

38. 
39. 

40. 

41. 
42, 
43! 
U. 


Multiplication  des  pains, 
peinture  des  Catacombes, 
266. 

Parement  d'autel,  353. 

Ponte  al  Mare,  à  Pise.  166. 

Porta  Aurea  de  Pise,  162. 

Reliquaires,  352. 

Résurrection  de  la  fille  de 
Jaïre .  tableau  de  Rem- 
brandt. 273. 

Retour  de  l'Enfant  prodigue, 
tableau  de  L.  Spada.  271. 

Salman-Asar,  190. 

Sarcopiiage  d'Arles,  89. 

—  de  S.  Amans,  face  anté- 
rieure, 221. 

—  côté  droit,  226. 

—  côté  gauche,  228. 

—  de  S.  Mamas.  231. 

—  de  Ste-Quitterie,  137. 
Seille  mérovingienne  trouvée 

à  Miannay,  89. 
Sennacuérih  à  Lachis,  195. 
Statue  du  roi    Assur-Nasir- 

Ilabal,  188. 
Tapisserie  appartenant  à  M. 

Dclaherche,  177. 
Tombe  trouvée  à  Brescia.  94. 
Tour  h  Pise,  159. 

—  des  Upezzinghi.  160. 
Triptyque     de    Sainghin   en 

Melantois.  352. 


TABLE  ANALYTIQUE 
DES  MATIÈRES 

CONTENUES  DANS  LE  TOME  DIX-NEUVIÈME  DE  LA  REVUE  DE  l'aRT  CHRÉTIEN  * 


Abadie  (M.),  19,  24,  249. 

Abbaye  de  S.- Lucien,  252-254. 

Abraham,  266. 

Académie — d'Amiens.  325 ; — d'ar- 
chéologie de  Belgique,  478  ;  — 
de  Reims.  469  ;  -  des  beaux- 
arts,  72,  249; —  des  inscrip- 
tions, 72.  2W.  320;  -  pontifi- 
cale d'archéologie,  71  ;  — royale 
de  Belgique,  249. 

Académies  départementales,  468. 

Adam  élevé  à  l'état  de  erâce,  138- 
143. 

Adam  et  Eve  violant  le  précepte 
divin,  143-144. 

Agrafe  mérovingienne,  93. 

Aire-suii-l'Adour,  123. 

Aldegrevers,  peintre  allemand, 
382. 

Alexandre  Sévère,  17. 

Amans  (S.),  216,  217. 

Ameublement  des  églises,  284. 

Amiens,  52,  54,  60,  '1-92  —  voir 
Carmélites,  Tapissenes,  etc. 

Angleterre,  181. 

Anneau  chrétien  de  Lunel,  215. 

Annonciation  (1'),  389. 

Antipiionaires  manuscrits,  39. 

Antiquités  de  la  Tarentaise,  319; 
—  {iréhistoriques,  170. 

Aqueduc  de  Goutances,  318. 


Arabie.  367-374. 

Archéologie,  20,  477. 

Architectes  de  la  Cathédrale  de 
Tolède,  424-432. 

Architecture,  19,  2i; —  du  XVI^ 
siècle,  379  ;  —  civile  de  Pise, 
138-169. 

Arianisme,  224. 

Arras,  345.  —  Voir  Bibliothèqui  ^ 
Inventaire,  Musée^  etc. 

Art  byzantin,  338;  —  chinois, 
322  ;  —  chrétien,  267  ;  —  égyp- 
tien, 108,  442-444  ;  —  gr<^c, 
1 11  ;  —  judaïque  ;  114-122  ;  — 
phénicien,  358;  —  toscan,  158. 

Artaxercès  l^\  12,  13,  14. 

Artaxercès  h,  12,  13. 

Artistes  de  Cambrai,  76,  77. 

Assur-Nazir-Habal,  188. 

Assyro-Chaldéens,  310,  372,  185- 
212. 

Attila,  son  cercueil,  263. 

Attributs  employés  dans  l'ico- 
nographie chrétienne,  433-440. 

Aubes,  280. 

Augustin  (S.),  422. 

Autel  de  Deusdedù.  292-297. 

Autels  portatifs,  352. 


B 


Babylone,  l<S7. 
Babyloniens,  186. 


'  Nous  n'avons  jins  inséré  dans  (•.i>t,te  ta1)lc  les  noms  des  auteurs  d'articles; 
ils  sont  imprimés  d'une  manièie  assez  saillante  dans  la  première  table  pour 
que  nous  ayons  c]u  cette  répétition  inutile,  J.  corblet. 


TABLE  ANALYTIQUE 


499 


Bains  romains,  318. 

Baptême,  128,  133,  139,  142, 
352,  420. 

Baptistères,  124. 

Barry  (M.).  471. 

Bas-reliefs,  10,  333. 

Baye  (M.  de),  239. 

Béguicnage  de  Gand,  337. 

Benoit  (M.  Louis),  88. 

Bernard  (S.),  448. 

Bible  manuscrite,  38,  39. 

Bibliographie.  179-180,  230,  234, 
330-333,  480-481. 

Bibliothèque  —  d'Arras,  32,  34, 
36,  37,  39;—  de  Boulogne,  33. 
40  ;  —  de  Lille,  33  ;  —  de  Poi- 
tiers, 313. 

Bijoux,  333  ;  —  assyro-chaldcens, 
183-212;  —  égyptiens,  96-114  ; 
juifs,  114-122  ;  —  sassanides, 
8; — syro-phéniciens,  361,  362. 

Blanc  (M.  Charles),  70. 

Bon-Pasteur  (le),  144-149. 

Botta  (M.),  191,  204,  203. 

Boucher,  peintre.  404-408,  413- 
414. 

Boucles  d'oreilles,  209. 

Bourdon  de  Georges  d'Amboise, 
326. 

Bracelets  égyptiens,  106,  111. 

Brancourt  (M.  l'abbé],  332. 

Bretagne,  276-291 . 

Breton  (M.  Ernest),  483. 

Bréviaires  manuscrits,  41. 

Brianchon  (M.),  73,74. 

Bruxelles,  478. — Voir  Académie. 

Bustes  gallo-romain,  327-329. 


Cabinet  des  Antiques,  13. 

Carrières  (Mgr  de),  236,237,239. 

Calonne  (le  baron  A.  de),  330. 

Cambrai,  73,76. 

Carmélites  d'Amiens,  231. 

Caro  (M.),  446. 

Cartier  (M.    Etienne),  :?67.  268, 

449. 
Castel-Gandolfo,  312-314. 
Catacombes  de  Home,  331. 
Caumont  (M.  de).  220,  293,  341, 

378. 


Céramique,  333. 

Cérémonial  culinaire,  246-249. 

Cérès  (M.  l'abbé),  292,293. 

Cerf  (M.  l'abbé),  469. 

Chabas  (M.),  p.  7,  98,  103,  171, 

172,  349,  481. 
Chaire  du  XP  siècle,  343. 
Chaldée  (la),  211. 
Chanoinesses  d'Epina),  473. 
Chapes,  283. 

Charles  de  Blois  (le  B.),  274-291. 
Chasses,  290,  330. 
Cheminée  du  XVP  siècle,  326. 
Chérubins,  303. 
Chorsabad,  194,  204. 
Christus  hic  est,  23,  31. 
Chronique,   81-84,  181-184.  239- 

264,  336-344. 
Clairmarais  (abbaye  de),  348. 
Clermont-Ganneau  (M.),  181,  182, 

183. 
Cloche  fondue  en  1793,  489. 
Cloches,  73. 
Cochet  [M.  l'abbé),  483. 
Colliers  assyriens,  209. 
Collin  de  Yermont  (M.),  408-411. 
Comité  des  Tiavaux   historiques. 

332. 
Commission     départementale    des 

antiquités  de  la  Seine -Infé- 
rieure, 325. 
Compassion  de  la  Vierge.  414-416. 
Conçues,  Église  Ste-Foy,  375-392. 
Concours  artistiques,  463,  487. 
Confessor,  valeur  de  ce  titre^  82. 
Congrès    des    Sociétés   savantes, 

317-320. 
Corblet  (M.  l'abbé),  323,  324-. 
Corot,  peintre,  323. 
Corporations,  433-440. 
Coupole,  23. 
Couvent  des  Dominicains  de  St- 

Maximin,  433  461. 
Croix  d'autel.  287,  3i7,  348.  349. 
Croix  de  Henri  IV  à  Rome.  47,  31. 

336. 
Croix  processionnelles,  349. 
Croix-reliquaires,  346. 
Crucifix,  347. 
Cryptes,  123. 
Custodes,  331. 


."SOO 


TABLE   ANALYTIQUE 


I> 


Dalles  funéraires,  181. 

Daniel  dans  la  fosse  aux  lions,  89- 

9o.  149-153. 
Darcel  (M.),  112,  113. 
Découvertes  romaines, près  d'Eu. 

342. 
Deladp.eue  (M.),  252. 
Démon,  27, 

DEsnAYS(J.-B.),  411-413. 
DEUsnE;DiT.  évoque  de  Rodez.  292- 

297. 
Deville  (M.  Achille),  264. 
Diadèmes  assyriens,  208. 
DîDOT  (M.  Finnin),  265. 
DiDRON  (M.  Ed.).  238.  241. 
DiNAN  (Brotairne),  279, 
Diptyques,  352. 
Dominicains  d'Arras,  64. 
DOMMARTFN  (abbaye  de\  330-331. 
Douai,  350, 
Doucey  (Aisne),  332. 
Dubois  (M.  Ch.),  324. 
DuRiEux  (M.),  75,  76, 
DuTuoiT  (les  frères),  52-60. 


FcoLE  laïque  T)  du  XIÎ^  siècle, 
446-450. 

Ecriture  cunéiforme.  186. 

Eglise  (1"),  148. 

Eglises  à  coupole,  21. 

Egypte.  96-114, 

FIgyptiens,  442. 

Emau.k,  112,  304,305,310:  —ba- 
byloniens, 201.  206;  —  peints, 
173  ;  —  phéniciens,  361. 

Enfant  [V)  prodii^ue,  271, 

Epée  des  rois  Perses,  11. 

Epuod,  118. 

Epinal,  ses  iraa,L;iers,  464-466. 

Epinois  (M,  11,  de),  331. 

Epis  de  faitiij^e,  491. 

Epitapues,  82.  4.52.  454. 

Espagne,  181, 

Eu^ (Seine-inférieure),  342, 

Eucharistie,  29.  30,  94,  95. 

EvANGÉLiAiRE  (hi  sacrc.  469. 

EVANGÉLIAIRKS.  .''>.'{,   35. 


Exposition   de  Lille,  32-46,  173- 

178.  345-357. 
EzÉCHiEL.  sa  vision,  300-311. 


FÉTis  (M.),  451. 

Flèches  en  silex,  259. 

Fonts  baptismaux  de  Hildesheim, 

270,  272. 
Forcella  (M.).  451,  452,  453. 
Formes  hiératiques  de  l'art,  441- 

445. 
Fouilles,  81,  86. 
FouRViÈREs  (Eglise  de),  87. 
FoYfSle),  384. 
Fregimont  (Lot-et-Garonne),  343- 

344. 
Fresques.  71,  85,  269. 


G 


Gand.  337,  490. 

Garizim,  ses  l'uines,  321-322. 

Gasparûni  [M.).  250. 

Gautier  (M   Léon).  242,  260. 

Germaine  (Ste).  183. 

Gersen,  33;{. 

Gerson,  233.  264, 

Goeric  (S,),  473, 

Gravures,  269,  272. 

Grimouari)  de  St-Laurent  (M.  le 

comte),  180. 
Guelfes  et  Gibelins.  168, 
Gueranger  (Doni),  184, 
GuÉRiN  (M.  V.),  321-322. 
GuiBERT  (Mgr),  19. 
Guingamp   (Côtes   du   Nord),  277, 

282. 

H 

Halle  (Noël),  419-420. 


Henri  IV,  47, 


Voir  Croix. 
57. 


Hekbault  (M. 
Hekcule,  27. 
Hiéroglypues.  442. 
Hirson  (Aisne),  489. 


ICHTuus,  132.  133. 
Iconographie    chrétienne  ,    132 


TABLH  ANAr.Vi'IuLE 


501 


433;  —  lûiTcUiie,  i73.  476;  — 
russe,  338. 

Imagerie  religieuse,  260-2G2,  462- 
466. 

Imitation  de  Jésus  -  Christ ,  233- 
235,  264,  489. 

Incunables.  43. 

Index  biljlinuraphique,  79-80, 
255-258,  334-335,  4S2-484. 

Inscriptions,  25,  27,  31,  49.  86, 
161.  188,  189,  191.  192.  193, 
195,  197,  2D0,  202,  ,296,  307, 
314,  471-473.  —  V.  Épitaphes. 

Institut  de  France,  70. 

Inventaire  du  Couvent  des  Do- 
minicaines d'Arras.  64,  69. 

Israélites,  121 . 

Ivoire,  101. 


Jaffa,  181. 

Jean-Baptiste  (S.),  404  408,  486. 
Jeanne  d'Arc,  490-491. 
Jeaurat  (Etienne),  416  il8. 
JÉflu,  roi  d'Israël,  189. 
Jérémie  (le  prophète),  202. 

JÉRÔME  (S.),  422. 

Jersey  (île  de),  324. 

Jésuites  (collèges  des\  298. 

JÉsus-CuRiST,  224,  225,  226,  227, 
228,  229,  265-273,  297,  298, 
386,387,  390,  394,  413,  421.— 
Voir  Nativité,  Sac^  ^-Cœur,  etc. 

JONAS,  135,  136. 

Joseph  (S.),  416-418. 

JouvENET,  395,  396. 

Judée,  114-122. 


Labarte  (M  -J.),  301,  305,  310. 
Lamballb,  279,  281. 
Lapérouse  (xM.  Gustave),  25. 
LARMiSS  (les)  de  la  Prière,  320. 
Layard  (M.),  187,  188,  210. 
Lazare    (résurrection    dei,    154- 

157. 
Le  Blant  (M.  EdmouJ  .  220,  294, 

320. 
Lemoyne  iFranyois),  401-404. 
Lenormant  (M.  Ch.',  390,  392. 


Lenormant  (M.  F.),  12,  196,  198, 

210. 
Lille,  3o{i.~Yo\r  Exposition,  etc. 

LiLLEBONNE,  73. 

Livres  d  heures.  40,  44. 

LONGi'ÉRiER  (M.  de),  182,  203. 

Lorraine,  246-249. 

LOTH  (M.  Arthur),  233,  234. 

Louis  (S.),  401-404. 

Lourdes,  262. 

LuNEL  (Aveyron),  215. 


m 


Mabille  (M.  Emile).  264. 

Magne  (M.  l'abbé),  294. 

Maisons  du  Moyen-Age,  163. 

Malines,  356. 

Manuscrits  à  miniatures,  32-46. 

Marie  (la  Sainte  Vierge) ,  176, 
388,  389.  —  A'oir  Compassion, 
Présentation,  etc. 

Marsy  (M.  Arthur  de\  88. 

Martinov  (le  P.),  338. 

Mathon  (M.),  252. 

Médailles,  215,  354,  355. 

Médaillon  de  marbre,  297. 

Menant  (M.),  198,  200. 

Mer  rouge,  336,  368. 

Mésopota.mie,  186,  198,  212. 

MiANNAY  (Somme),  89. 

Michel-Ange,  267,  486. 

Miniatures.  —  Voir  Manuscrits. 

Missels,  35,  38. 

Moines,  449. 

Moïse,  116,  120,  122. 

Monet,  peintre,  422. 

Monogramme  du  Christ,  227. 

MoKTiviLLiERS  (Seine-Inférieure), 
73. 

Montpellier,  nouveau  chœur  de 
sa  cathédrale,  236-241. 

Mosaïques,  81,  240,  365. 

Moyen-Age,  448. 

Multiplication  despains, 269, 272. 

Musée  —  Carnavalet,  340;  —d'Ar- 
ias, 348;   —  do'   Leipzig,   83; 

—  de  Munich,  MO;  —  de 
Vienne.  104; —  de  Wiesbaden, 
9;  —  du  Louvre,  361.  362,  373; 

—  national  polonais,  en  Suisse, 
488. 


502 


TABLE  ANALYTIQUE 


Musiciens  oubliés  (deuxj  431-454. 
Mus.(.)'E  religieuse,  8u. 


IV 


Nabuchodonosor,  371. 

Nackch-i-Red-Jab,  12,  18. 

Nantes,  279,  282,  283. 

Nativité  de  Jésus-Christ,  397- 
401. 

Nécrologie,  88,  184,  264,  344, 
485. 

Nemrod,  185. 

Ninive,  181,  186,  187,  194,  212. 

Numismatique,  213.  —  Voir  Mé- 
dailles. 


o 


OEoLi  (Olympe),  433. 
Œuvres  de  miséricorde,  270. 
Orfèvrerie  —  cloisonnée,  5-18, 96- 

122,  183-212,  300-311.  338-374; 

—  religieuse,  287,  345-352. 
OsiRis,  441. 
Ostensoirs,  288,  349. 


Païens,  433. 
Pain,  433. 
Pallium,  433. 
Palme,  433. 
Palmier,  434. 
Palmipèdes,  434. 
Panetière,  434. 
Panier,  434. 
Panthère,  434. 
Paon,  434. 
Papes,  434. 
Papillon,  434. 
Paradis,  434. 
Parallélisme,  434. 
Paralytique  lie),  128-131. 
Parchemin,  33. 
Parements  d'autel,  285. 
Paresse,  433. 
Passereau,  435. 
Patience,  433. 
Patriarches,  435. 
Patrons    de    corporations,    433- 
440. 


Paul  (S.),  225. 

Pectoral  assyrien,  210. 

Pectoralia,  118. 

Peinture,    173-178,    282,    283, 

284. 
Peintures  —   chrétiennes,   487  ; 

—  murales,  337. — yo'ivÉmauXj 

Tableaux,  Vitraux,  etc. 
Penthièvre    (Jeanne    de),    276, 

277,  279. 
Persépolis,  12. 
Petit  (M.  Elle),  233-235,  264. 
Phénicie,  359-367. 
Phéniciens,  371, 
Pierre   (S.),  223,  224,  223,411- 

414,  420-422. 
Pierre,  peintre,  414-416. 
Pierre  tumulaire  du  V®  siècle,  25, 

31. 
Pierres  précieuses  —  d'Egypte,  98, 

99,100;  —  des  Juifs,  119. 
PiSE,  486.  — Voir  Architecture. 
Place  (M.  V.),193,  194,  203,204, 

205. 
Plaque  de  Wolfsheim,  8-18. 
Pologne,  488. 
PoMPÉi,  486. 
Ponts  du  Moyen-Age,  164,  163, 

166. 
Porcelaine,  104. 
Portes  de  ville,  164. 
Pothières,  23. 
Présentation  de  la  Sainte  Vierge 

au  Temple,  408-411. 
Prison  du  XIIP  siècle,  492. 
Prisse  d'Avesnes  (M.),  107,  109. 
Prophètes,  308. 
Psautiers,  33,  489. 
Puy-de-Dôme,  317. 
Pyxides,  330. 


QuiNTiANUS  (S.),  évêque  de  Rodez, 
218,  219. 

Raphaël,  266,  272. 
Rational,  119. 
Reliquaires,  289,  343,  346. 
Rembrandt,  273. 


TABLE  ANALYTIQUE 


o03 


Rennes  fllle-et-Vil.),  ^277,  279,  282. 

Restout,  397. 

RÉSURRECTION  —  de  Jésus-Christ, 
229;  -  de  la  fille  de  Jaïre,  273. 

RÉvoiL  (M.),  237,  239,  240,  241. 

Rodez,  ses  anciens  monuments, 
214-232,  292-299. 

Rcesseller  (M.  Ch.),  73. 

RoHAULT  de  Fleury  (M.  Cil.),  483. 

Rohault  de  Fleury  (M.  G.),  138- 
169. 

Rome,  81,  336,  486.  ~  Voir  Cata- 
combes, Croix. 

Rossi  (François  de),  433,  434. 

Rossi  (M.  J.-B.  de),  71,  82. 

RuBENs.  486. 

Russie,  338. 

RuTENNEs  (les),  213. 


Sacré-Cœur  (Adoration  du),  418. 

Sacré-Cœur  (Eglise  du),  19-24. 

Sacrifice  d'Abraham,  126. 

Sacristie,  381. 

Saint-André-au-Bois  (Abbaye  de), 
330-331. 

Saint-Maximin  (Var), —  voir  Cou- 
vent. 

Saint-Omer,  348. 

Salman-Asar,  189,  190. 

Salmon  (M.  Charles),  231. 

Salomon,  370. 

Sapor  I,  11,  13. 

SaporII,  10,  11,  17. 

Sarcophages  —  d'Arles,  320;  —  de 
Rodez,  216-232;  —  de  Sainte- 
Quitterie,  123-137;  -  de  Ste- 
Marthe,  87; —  phéniciens,  339. 

Sargon,  roi  d'Assyrie,  191,  193. 

Sassanides,  12. 

Sceau  —  du  XlIP  siècle,  490  ;  — 
du  XV^  siècle,  323. 

Sceaux,  334. 

ScAHLK  (M.  le  docteur),  8,  14. 

Sculptures  chétiennes,  34,  136- 
138. 

Seîlle  mérovingienne,  89. 

Sennachérib,  187,  l'>3,  194,  193, 
371. 

Sépultures  de  l'âge  de  bronze, 
318. 


Setier  en  bronze,  73. 
Silex  de  Wagnonlieu,  170-172. 
Smyrne,  83. 

Société  —  archéologique  de  Sois 
sons,  489  ;  —  du  Limousin.  477 

—  du  Midi  de  la  France,  327 
471-473;  —  d'Ulm,  78;  —  arté 
sienne  des  Amis  des  Arts,  323 

—  d'archéologie  Lorraine,  243 
473; — d'Emulation  de C'imbrai 
73;  —  de  Saint-Jean,  78,  322 
463;—  des  anciens  textes  fran 
çais,  242;  —des  Antiquaires  de 
France,  242,  321  ;  —  des  Anti- 
quaires   de    Picardie,    37,    89, 
479;—  des  Bibliophiles  français, 
327;  —  des  Sciences   de  Lille, 
329;  —  Hâvraise  d'études  di- 
verses,   73,    243;   —   paléogra- 
phique de  Londres,  78;  —pour 
l'étude  des  langues  romanes,  74  ; 

—  pour  l'histoire  de  Paris,  249. 
Sociétés    savantes   de   Province, 

467-469.  —  Voir  Travaux  des 
Sociétés  savantes. 

SouEiCH  (canton  d'Aspet),  327. 

Sourley,  420. 

Spada  (L.),  271. 

Statue  —  découverte  au  Mesnil- 
sous-Lillebonne  ,  243-243  ,  — 
égyptienne,  103. 

Statues,  183,  188. 

Stèles  phéniciens,  360. 

Style  flamboyant,  377. 

Symboles  de  l'iconographie  chré- 
tienne, 433-440. 

Symbolisme,  313-316. 

Syrie,  338-367. 


Tableaux,  173-178;  —  de  Saint- 
Louis  de  Versailles,  393-423. 
Tapisseries  d'Amiens,  61,  63. 

TÉTRAMORPOE,  303. 

Théâtre  romain,  86. 

Thèses  d'Université,  333. 

Thomas  a  Kempis,  233,  234,  235. 

ToBiE,  131-133. 

Tolède,  sa  cathédrale,  424-432. 

Toulouse,  183. 

Tour  surélevée  en  briques,  169. 


004 


TABLE    ANALYTiglE 


Travaux  des  Sociétés  savantes, 
71-T"^'..  242-249,  318-329,  467- 
479. 

Trêves,  28. 

Trinité,  142. 

TuMULUS  de  Trouville-en-Caux, 
73. 

Tyr,  36o. 


Valcabrère,  86. 
Vanloo  (Amédée),  420. 
Van  RoBAis  (M.),  89,90,  95. 
Versailles.  —  Voir  Tableaux. 
Vert  (M.),  233,233. 
Vervoitte  (M.  Ch.),  83. 


Vêtements  sacerdotaux,  286. 
Veuillot  (M.  Louis),  263-273. 
Veuve  de  Naïm,  394-396. 
Ville  inconnue  (une),  489. 
Vincent  de  Paul  (S.), 419-420. 
ViOLLET-LE-Duc  (M.),  446, 447, 448, 

4i9. 
Virg  LE,  366. 
ViTET  (M.  L.),  446,  447. 
Vitraux  peints,  382,  478. 
Von  Cohausen  (M.),  9,  17. 

Wagnonlieu  (Pas-de-Calais),  170. 
WoLFsiiEiM  (duché  de  Nassau),  8, 
17. 


Arias,  typographie  Planque  et  Cie. 


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