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Full text of "Revue des langues romanes"

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REVUE 


LANGUES  ROMANES 


Montpellier.  — Imprimerie  centrale  du  Midi  (Hamelin  frères). 


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REVUE 


DES 


LANGUES  ROMANES 


PAR     L.\     SOCIÉTÉ 

POUR  L'ÉTUDE  DES  LANGUES  UOMANES 


Tr»o  isi  è  xxie    Série 

TOME    QUINZIÈME 
JANVIER  1886 

TOME  JÈSafïH    DE    LA    COLLECTION 


n 


MONTPELLIER 

AU  BUREAU    DES    PUBLICATIONS 
nu  LA.   SOCIÉTÉ 

l'OUK    I/BIIIDIC    !)1{.S     LAN'aUlSS    IIO.MANKS 

Rue  St-Guilhem,  n°  17 


PARIS 
MAISON  NEUVE  ET  Cie 

LIURAIKKS-ÉDlTKUnS 

25.  QUAI   VOr/rAlRE,  25 


M    DCCC   LXVXVl 


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REVUE 


DES 


LANGUES   ROMANES 


Dialectes  Anciens 


RECHERCHES 

SUR  LES  RAPPORTS  DES  CHANSONS  DE  GESTE 

ET  DE  l'Épopée  chevaleresque  italienne 


(Suite) 


Les  deux  récits  se  séparent  à  partir  du  vers  110.  Dans  lo 
second,  les  deux  pèlerins  reviennent  de  Constantinople  à  Mar- 
seille; le  trouvère  regardait  sans  doute  cette  ville  comme  le 
port  d'embarquement  le  mieux  désigné  pour  les  voyageurs  se 
rendant  en  Palestine.  La  traversée  dure  deux  mois  et  demi,  et 
Renaud  et  Maugis  arrivent  à  Acre.  Le  passage  qui  suit  (119- 
165)  me  paraît  incomplet,  bien  qu'à  la  rigueur  on  puisse  ad- 
mettre que  l'auteur  du  remaniement  ait  placé  dans  la  bouche 
de  Renaud  les  renseignements  qui,  dans  la  version  plus  an- 
cienne, sont  donnés  par  un  homme  du  pays. 

Les  chrétiens  ont  perdu  Jérusalem,  mais  leur  roi  David  (et 
non  Thomas)  n'a  pas  été  fait  prisonnier.  Il  a  réuni  ses  forces 
clans  la  plaine  de  Rames   et  se  prépare  à  livrer   Ijataille  aux 

Tome  xv  de  la  troisième  série.  —  Janvier  1886.  1 


6  RECHERCHES 

mécréants,  que  conduit  le  sultan  de  Perse.  Maugis  débute  par 
un  tour  de  sa  façon,  et  lui.  qui  r.vait  fait  tant  de  difficultés  pour 
accepter  de  prendre  part  à  la  guerre,  il  n'hésite  point  à  re- 
courir à  ses  enchantements  d'autrefois.  Grâce  à  lui,  les  deux 
pèlerins  font  uu  excellent  repas.  Cet  épisode  (183-209)  est  gai, 
mais  trivial. 

Le  lendemain,  Naburdagant  appelle  aux  armes  ses  païens 
de  Lutis,  des  Turcs,  des  Popeliquains,  toute  la  gent  Anté- 
christ. Il  attaque  les  chrétiens.  Le  roi  David  et  Geoffroy  de 
Nazareth  se  distinguent  dans  la  mêlée.  Le  roi  païen,  appelé 
tantôt  Nabugor,  tantôt  Naburdagant,  suivant  le  besoin  du  vers, 
a  décidément  l'avantage.  C'est  alors  que  Maugis  pousse  Re- 
naud à  montrer  sa  vaillance.  Armé  d'une  lourde  perche,  le 
fils  d'Ajmes  met  en  déroute  les  Sarrasins,  et  la  ville  sainte  est 
reconquise. 

Cependant  Naburdagant  appelle  à  lui  tous  ses  alliés,  les 
rois  d'Egypte  et  d'Inde  la  grant,  les  amiraux  de  Cordoue,  du 
Larris,  de  Babylone.  Dans  un  conseil,  il  est  résolu,  pour  évi- 
ter de  ruiner  la  contrée,  de  s'en  remettre  à  deux  champions, 
dont  la  valeur  décidera  du  sort  de  la  Judée.  Naburdagant, 
que  le  trouvère  finit  par  identifier  avec  le  roi  de  Babjlone,  a 
tenu  le  conseil  devant  tous  les  guerriers  assemblés.  II  de- 
mande qui  veut  se  charger  de  la  querelle  des  Sarrasins.  Trois 
champions  se  présentent  :  Safadin,  roi  d'Egypte,  en  qui  nous 
l'econnaissons  Seyfeddin,  frère  de  Saladin  ;  Marados,  roi  des 
Indes,  et  un  roi  de  Dàmiette.  Safadin   est  désigné. 

Autant  les  païens  ont  montré  d'empressement  à  s'offrir  pour 
défendre  leur  parti,  autant  les  chrétiens  hésitent  à  accepter 
riionneur  de  descendre  dans  la  lice.  En  vain  le  roi  David 
s'adresse  au  sire  de  Damas,  au  comte  d'Acre,  au  maître  des 
Templiers,  au  maître  de  l'Hôpital  et  aux  autres  barons.  Nul 
ne  veut  se  risquer  en  combat  singulier  contre  le  redoutable 
Safadin.  Maugis,  pour  sauver  l'honneur  des  chrétiens,  engage 
vivement-  son  cousin  à  s'offrir  pour  champion.  Renaud  y  con- 
sent et  les  chrétiens  applaudissent. 

Je  passe  sur  les  détails  qui  suivent  et  qui  ont  pour  objet  les 
prt'qiarïitifs  du  combat.  Le  trouvère,  heureux  d'avoir  ainsi  fait 
de  Renaud  le  re[)résentant  de  l'intérêt  chrétien,  ne  se  refuse 
aucun  développement.  Pour  mieux  rompre  avec  la  tradition, 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  7 

il  fait  reparaître  Tépée  invincible,  Froberge.  Renaud  Taurait, 
d'après  lui,  cachée  dans  son  bourdon  de  pèlerin. 

Le  combat  entre  Safadin  et  Renaud  est  longuement  conté, 
A  l'endroit  où  le  manuscrit  s'arrête,  Renaud  a  l'avantage.  Il 
est  probable  que  ce  premier  duel  était  suivi  de  deux  autres, 
puisque  les  Sarrasins  avaient  désigne  trois  champions.  Enfin 
la  défaite  définitive  de  Naburdagant  pouvait  être  la  matière 
d'un  long  récit,  où  le  sire  de  Damas  et  les  grands-maîtres  du 
Temple  et  de  l'Hôpital  auraient  eu  l'occasion  de  se  relever  de 
leur  première  défaillance. 

Dans  cette  version  incomplète  du  pèlerinage  de  Renaud 
apparaît  l'idée  de  transformer  en  un  représentant  de  la  chré- 
tienté en  Orient  le  héros  de  l'opiniâtre  guerre  soutenue  par 
les  fils  du  ducAjmes  contre  Charlemagne.  Contenue  en  germe 
dans  la  première  version,  elle  est  ici  développée,  sinon  avec 
un  talent  que  nous  ajons  à  louer,  du  moins  avec  assez  de  dé- 
cision et  d'ampleur  pour  ne  pas  rester  inaperçue.  Si  l'imita- 
tion italienne  avait  eu  pour  objet  nos  diverses  chansons  do 
geste,  dans  l'ordre  où  elles  se  sont  produites,  le  fait  aurait 
moins  d'importance  ;  mais,  quand  les  cycles  qui  forment  notre 
épopée  nationale  ont  passé  les  monts,  ils  étaient  déjà  formés 
de  textes  de  toute  espèce  et  de  toute  date,  et  cet  immense  re- 
cueil était  répandu  çà  et  là  par  les  chants  des  jongleurs,  sans 
que  nul  songeât  à  discuter  sur  le  plus  ou  moins  d'autorité  des 
variantes  et  des  remaniements.  Chacun  se  faisait  une  légende 
d'après  les  chansons  qu'il  connaissait,  et  le  texte  le  plus  déve- 
loppé avait  toute  chance  de  paraître  le  plus  authentique. 

La  courte  campagne  que  font  les  fils  Ajmon  contre  le  prince 
sarrasin  de  Toulouse,  pour  le  compte  du  roi  Yon,  ne  suffisait 
point  pour  amener  à  voir  dans  Renaud  le  champion  delà  cliré- 
tienté  ;  mais  la  manière  dont  Roland  et  Renaud  sont  opposés 
l'un  à  l'autre  en  plusieurs  circonstances,  leur  égalité  en  cou- 
rage et  en  vigueur,  l'amitié  qui  les  unit  à  partir  du  moment 
où  un  miracle  interrompt  la  dernière  et  la  plus  terrible  de 
leurs  luttes,  préparaient  la  pensée  de  les  unir  dans  des  entre- 
prises communes.  Dès  lors,  le  seul  pèlerinage  de  Renaud  en 
Palestine  devenait  un  motif  suffisant  de  placer  le  vaillant  che- 
valier à  côté  de  Roland,  et  de  les  regarder  comme  les  deux 
défenseurs  par  excellence  de  la  chrétienté.  La  conception  ila- 


8  RECHERCHES 

lienne  est  donc  ainsi  en  germe  dans  le  roman  des  Quatre  Fils 
Aymon  ;  et,  sans  la  force  de  la  tradition  bien  plus  grande  dans 
le  pays  d'origine  des  légendes,  sans  la  détermination  plus  pré- 
cise chez  nous  des  grandes  gestes,  une  évolution  pareille  eût 
placé  en  France  Renaud  au  même  rang  que  Roland  et  à  côté 
de  lui. 

Si  nous  lisons  dans  la  Chanson  de  Roland  que  le  neveu  de 
Charlemagne  s'était  emparé  de  Constantinople,  nous  voyons, 
dans  une  des  versions  de  Renaud  de  Montauban,  un  tableau 
de  conquêtes  qui  embrassent  tout  l'Orient  : 

Et  puis  recorderay  et  vouray  deviser 

Comment  Karle  les  fist  de  Gascongnie  semer, 

Comment  reurent  leur  pais,  com  Régnant  passa  mer, 

Jhérusalem  conquist,  comment  voult  raporter 

Les  trois  clous,  la  couronne  dont  Dieu  du  trosne  cler 

Fust  su  jus  couronnés  et  ses  menbres  fichier 

Pour  tout  humain  lignaige  hors  d'enfer  rachater. 

Ailleurs,  évidemment  vers  la  fin  du  poëme,  Renaud  dit: 

Pour  l'amour  de  toy,  Dieu,  oultre  mer  m'en  iré 
Veoir  Richier  en  Acre,  qui  est  roy  courormé. 
Qui  pour  l'amour  de  moi  a  été  déserté 
Ly  et  Huon  son  père,  mon  cousin  l'alosé. 
Là  iray  armes  prendre  contre  la  gent  maufé, 
Sans  moy  faire  connoistre  à  homme  qui  soit  né; 
Euchois  serai  en  Acre  au  roy  déjoue  [sic)  ayé 
Je  iray  au  Saint  Sépulcre  et  si  le  conquerré 
A  Robacre  combatre  qui  tient  la  royaulté 
Et  à  son  fils  ossy,  Durendal  l'amiré. 
Ou  il  mouront  par  mi  ou  il  seront  sacré; 
Puis  yrai  Angorie  conquerré,  c'est  mon  gré, 
Et  les  clous  et  le  fer  dont  ton  corps  fu  frappé, 
Et  la  sainte  couronne  et  le  suaire  orlé 
Dont  tu  fus  ou  sépulcre  jadis  enveloppé  '. 

*  Ces  passages  soûl  cités  par  Fr.  Michel  clans  la  préface  du  Charlemagne 
(p.  cNMi-cxiv),  d'après  un  manuscrit  qu'il  n'indique  pas  clairement  ;  il  en  a 
collalionné  le  texte  sur  le  ms.  7182  de  la  Bibliothèque  nalionale  de  Paris, 
f"  I  v,  et  foOOro. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE 


II 


MAUGIS    D  AIGREMONT 


Nos  plus  belles  chansons  de  geste,  celles  qui  méritent  le  plus 
justement  le  titre  d'épopées,  sont  des  récits   essentiellement 
guerriers,  oîi  le  merveilleux  chrétien  lui-même  n'apparaît  que 
rarement,  et  qui  ne  font  point  songer  aux  superstitions  germ;i- 
niques  ou  celtiques.  Telles    sont   les  chansons  de  Roland  et 
d'Aliscans,  pour  ne  citer  que  les  plus  renommées.  Mais  l'épo- 
pée française  dans  son  ensemble  ne  présente  pas  ce  caractère. 
Les  trouvères  n'hésitaient  nullement  à  user  des  ressources  que 
leur  offraient  les  croyances  populaires  sur  les  nains,  les  géants, 
les  enchanteurs  et  les  fées.  Dans  Huoa  de  Bordeaux,  le  petit 
roi  Auberon  nous  transporte  au  pays  des  prodiges.  Dans  Gau- 
frey,  Robastre  est  fils  d'un   lutin,  Malabron,  qui   soumet  son 
fils  à  des  épreuves  qui  rappellent  celles  que  Protée  impose  à 
Aristée    avant  de  consentir  à  l'instruire.  Ce  lutin  figure  déjà 
àdiXis,  Huon  de  Bordeaux.  Dans  Jehan  de  Lanson,  les  deux  pro- 
tagonistes sont  les  deux  enchanteurs  Basin  et  Malaquin.  Les 
géants  Fierabras,  dont  triomphe  Olivier;  Bréhus,  qui  est  tué 
parOgier;  Otinel,  qui  est  vaincu  par  Roland,  et  ces  person- 
nages de  proportion  colossale,  Rainouart  au  Tinel,  Ogier   le 
Danois,  ont  fait  penser  aux  géants  des  Sagas  germaniques'. 
Dans  ce  merveilleux  d'origine  très-reculée,  où  le  christianisme 
n'a  aucune  part,  il  restera  difficile  de  séparer  exactement  les 
éléments  germaniques  et  les  éléments  celtiques.  Une  précision 
très-grande  n'est  guère  possible  avec  les  documents  dont  nous 
disposons.  Si  l'on  remonte  aux  époques   antiques,  on  recon- 
naît que  l'imagination  des  races  aryennes  peuplait  le  monde 
d'êtres  surnaturels,  et  la  croyance  aux  fées  et  aux  sorciers  est 
à  peine  éteinte  chez  les  peuples  les  plus  civilisés  de  l'Europe 
moderne.  Quand  l'empire  romain  s'écroula,  le   christianisme 
était  encore  de  date  récente;  les  Gaulois  avaient-ils  en  qucl- 

'  Pio  Ra.jna,  le  Oviijmi  delV  ppopea  franche,  p.  439-443. 


10  RECHERCHES 

ques  siècles  perdu  tout  souvenir  des  rêveries  de  leurs  aïeux? 
On  peut  donc  supposer  sans  témérité  que  l'invasion  franquc 
eutpourconséquence  de  raviver  des  croyances  déjà  existantes, 
et  que  Timag-ination  celtique  n'était  pas  à  l'état  de  table  rase 
au  jour  où  les  Mérovingiens  devinrent  les  maîtres  de  la 
Gaule». 

Il  est  admis  que  le  cycle  de  la  Table  Ronde  a  fourni  des 
données  nombreuses  aux  œuvres  de  date  relativement  récente. 
Dans  Doon  de  Mcujence,  les  aventures  de  Tenfance  du  héros 
semblent  découpées  dans  un  roman  du  cycle  d'Artus.  L'on 
demande  au  jeune  chevalier  s'il  va  quérant  pour  venger  le  roi 
Artu  (v.  2668).  Dans  la  version  de  Huon  de  Bordeaux  qui 
nous  est  parvenue,  ré))isode  de  l'Orgueilleux  est  développé 
conformément  à  toutes  les  règles  du  genre.  Rien  n'y  manque, 
ni  une  jeune  fille  qui  a  été  enlevée  par  le  géant  et  qui  s'inté- 
resse au  chevalier,  ni  deux  hommes  de  cuivre  battant  d'un 
fléau  de  fer  et  gardant  le  passage,  ni  armes  merveilleuses,  ni 
anneau  enchanté.  Ces  données  sont-elles  primitivement  celti- 
ques ou  germaniques?  Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'elles  ont  le 
caractère  de  l'ensemble  des  inventions  qui  constituent  le  fonds 
ordinaire  des  romans  de  la  Table  Ronde  et  de  tous  ceux  qui 
en  dérivent,  et  qu'on  doit  y  voir  d'abord  des  imitations  d'œu- 
vres  composées  dans  des  conditions  où  l'emprunt  direct  aux 
races  teutoniques  n'est  guère  vraisemblable. 

Maugis,  le  cousin   des   fils  d'Aymes,  nous   offre   l'exemple 


'  M.  Rajoa  a  démontré  la  persistance,  dans  l'épopée  française,  d'éléments 
d'origine  germanique.  11  reste  à  faire  la  contre-partie  de  ce  travail,  à  relever 
les  éléments  d'origine  celtique  ou  romaine.  A  la  fin  de  son  livre  (p.  539;,  il 
reconnaît  que  l'épopée  demeura  en  France  fidèle  à  sa  nature,  et  y  conserva 
l'énergie  et  la  virilité  plus  longtemps  que  dans  sa  propre  patrie.  Il  trouve  la 
chose  merveilleuse,  et  vraiment  ce  n'est  pas  la  destinée  ordinaire  des  arbres 
transplantés.  Il  ajoute  :  «  Questa  ma;zgiore  viialità  vuol  certo  attribuirsi,  non 
»  ad  una  causa  unica,  bensi  ad  une  compiesso  di  ragioni.che  qui  poco  gio- 
»  verebbe  l'analizzare.  Essa  di  sicuro  pu6  compensare  largamente  la  Francia 
»  di  queila  certa  offesa  que  reca  al  suo  amor  proprio  il  doversi  riconoscere 
»  débitrice  deil'  epopea  ad  un'  altra  nazîone.  »  L'aniour-propre  de  la  France 
n'est  pas  en  cause  ;  ce  qui  est  digne  d'attention,  c'est  l'aptitude  de  nos  trou- 
vères à  garder  à  l'épopée  son  caractère  primitif.  Il  y  a  là  le  point  de  dépar 
de  recherches  dont  le  résultat  pourrait  être  d'amener  M.  Rajna  à  modifier  ou 
à  restreindre  certaines  de  ses  conclusions. 


Srm  LES   CHANSONS    DE  GESTE  11 

d'un  personnage  dont  le  type  premier,  celui  de  la  Chanson  de 
Renaud  de  Montauban,  peut  être  considéré  comme  d'origine 
germanique,  comme  introduit  dans  une  épopée  à  laquelle  il 
fut  d'abord  étranger,  par  le  désir  de  donner  aux  vassaux  ré- 
voltés un  auxiliaire  capable  de  les  protégercontre  la  rancune 
de  Charlemagne.  D'après  M. Ra.jna,Maugis  n'est  qu'une  forme 
dérivée  de  l'allemand  Madalge?^,  nom  d'un  nain  fils  d'une  reino 
des  nains.  Son  office  de  protecteur  bienveillant  serait  em- 
prunté de  celui  que  remplit  le  nain  Alberich,  prototype  d'Au- 
beron,  de  même  que  sa  qualité  de  larron  K 

Cette  opinion,  fondée  sur  les  rapprochements  les  plus  ingé- 
nieux, est  d'autant  plus  plausible,  que  l'intervention  de  Mau- 
gis  dans  les  aventures  des  fils  d'Aymes  ne  se  relie  à  la 
suite  des  faits  que  d'une  manière  tout  épisodique.  A  un  mo- 
ment de  l'action,  un  parent  dévoué  vient  s'y  mêler,  donne  çà 
etlàun  concours  efficace,  puis  se  retire  sans  attendre  lafin  et 
sans  raison.  La  réapparition  de  Maugis  dans  l'histoire  du  pè- 
lerinage à  Jérusalem  est  tout  aussi  peu  motivée.  On  peut  ad- 
mettre que  l'auteur  d'un  des  nombreux  remaniements  qu'a  dû 
subir  l'antique  légende  a  voulu  renouveler  le  sujet  par  l'in- 
troduction d'un  personnage  et  d'un  élément  nouveaux.  Reste 
à  se  demander  dans  quelle  mesure  la  légende  de  Merlin  peut 
être  écartée  du  débat.  Si  l'on  accepte  qu'à  un  moment  donné 
l'influence  germanique  se  continuait  encore,  tandis  que  les 
légendes  celtiques  redevenaient  l'objet  de  conceptions  nou- 
velles, on  ne  verra  pas  d'inconvénient  à  admettre  qu'il  y  ait 
eu  çà  et  là  fusion  d'éléments  d'origine  très-différente,  sans  que 
l'on  soit  autorisé  à  voir  partout  des  imitations  précises  de  per- 
sonnages ou  de  récits  déterminés.  Tel  poërae,  perdu  ou  dont  la 
forme  première  ne  pourrait  être  retrouvée,  a  eu  sa  part  dans 
la  série  d'additions  et  de  modifications  dont  on  essaye  aujour- 
d'hui de  reconstituer  la  suite. 

Maugis,  le  bon  larron,  l'enchanteur  serviable,  qui,  tout  en 
secourant  ses  amis,  ne  peut  s'empêcher  d'exciter  le  ressenti- 
ment de  îeurs  adversaires  par  les  mauvaises  plaisanteries  qu'il 
se  permet,  est  présenté  dans  Renaud  de  Montauban  comme  un 
chevalier  qui  se  distingue  de  ses  cousins  uniquement  parce 

1  Origiiii  dell'  epopea  frcutce^e,  p.  -i3i-i3ÎV 


12  RECHERCHES 

qu'il  sait  le  grimoire  et  peut  accomplir  les  prodiges  les  plus 
étranges  ;  c'est  un  homme,  ce  n'est  point  un  gnome  ou  un 
génie.  Que  le  type  primitif  vienne  de  Germanie  ou  d'ailleurs, 
le  chevalier  hardi  et  rieur  qui  égayé  la  suite  sombre  de  la 
lutte  des  fils  d'Ajmcs  contre  leur  suzerain  n'a  rien  des  con- 
ceptions sj-mboliques  des  âges  primitifs  ;  sa  phj'sionomie  est 
bien  arrêtée,  sans  rien  de  nuageux.  Ace  propos,  il  est  bon  de 
remarquer  que  le  problème  des  origines  de  l'épopée  française 
est  double.  Etablir  par  quelles  transformations  successives 
l'on  aboutit  des  chants  germaniques  aux  œuvres  de  nos  trou- 
vères est  un  travail  aussi  méritoire  que  difficile,  et  sans  lequel 
notre  connaissance  historique  de  la  question  ne  reposerait  sur 
rien  de  solide  ;  mais,  cela  fait,  l'on  n'en  doit  pas  moins  consta- 
ter que  l'épopée  française,  telle  que  nous  l'avons  dans  les  plus 
anciens  monuments,  est  héroïque,  mais  humaine  ;  qu'elle  con- 
stitue un  art  original  et  nouveau.  La  Chanson  de  Roland  est 
une  oeuvre  essentiellement  française,  et  la  grandeur  des  situa- 
tions, la  noblesse  des  caractères,  n'y  ont  rien  perdu. 

Maugis  est  un  personnage  d'autant  plus  digne  d'étude,  que 
l'on  peut  faire  son  histoire  littéraire  aux  trois  âges  de  l'épopée  : 
à  l'époque  primitive  et  mythologique,  il  appartient  à.  la  Ger- 
manie; puis  il  est  associé  aux  chevaliers  des  chansons  de  geste 
dans  le  roman  des  Quatre  Fils  Aipnon;  enfin  il  devient  l'objet 
d'un  poome  particulier  qui  offre  l'exemple  d'une  imitation 
voulue  et  complète  des  romans  de  la  Table  Ronde.  .Je  me  bor- 
nerai à  revenir  sur  le  rôle  de  Maugis  dans  le  Renaud  de  Mon  - 
tauban  avant  d'aborder  l'examen  de  la  chanson  de  geste  qui 
finit  par  être  consacrée  au  fils  du  duc  Beuves. 

Maugis  et  ses  cousins  se  rencontrent  pour  la  première  fois 
au  moment  où  commence  la  seconde  partie  de  la  légende  épi- 
que des  Quatre  Fils  Aymon.  Après  avoir  été  forcés  d'abandon- 
ner Montessor  et  s'être  réfugiés  dans  la  forêt  d'Ardenne, 
Renaud  et  ses  frères,  épuisés  de  fatigue,  mourant  de  faim,  se 
décident  à  revenir  à  Dordone,  dans  l'espoir  que  leur  père,  qui 
s'est  montré  jusque-là  acharné  à  leur  perte,  se  laissera  atten- 
drir. Leur  mère  les  accueille  avec  effusion  ;  mais  le  duc  Aj-mes, 
quand  il  les  voit  assis  à  sa  table,  ne  peut  contenir  sa  colère. 
Craignant  do  paraître  se  forjurer  envers  l'empereur,  il  leur 
reproche  durement  d'oser  recourir  à  lui.  Après  une  scène  vio- 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  13 

lente  entre  les  fils  et  le  père,  celui-ci  consent  à  laisser  la  du- 
chesse traiter  ses  enfants  comme  son  cœur  lui  conseille.  C'est 
ici  qu'apparaît  un  cousin  dont  le  nom  n'avait  pas  encore  été 
prononcé,  et  qui  prendra  longtemps  part  aux  aventures  de 
Renaud  et  de  ses  frères. 

Atant  es  vos  Maugis,  ki  est  preus  et  sénés 

Etrepairoit  de  France  ù  esté  ot  assés. 

A  la  cité  d'Orliens  ot  un  trésor  enblés. 

Quatre  somiers  amaiae  d'or  et  d'argent  torses. 

Il  avoit  oi  dire  et  si  fu  vérités, 

Que  li  fil  Aymon  sont  dedens  Dordone  entrés. 

Venus  est  celé  part  ;  es  le  aceminés, 

Parmi  le  maistre  porte  en  la  vile  est  entrés'. 

Maugis  est  donc  un  voleur,  mais  la  chose  n'est  point  de  na- 
ture à  effrayer  ses  parents.  Quelques  instants  avant,  le  duc 
Ayraes  ne  reprochait-il  pas  à  ses  fils  de  n'avoir  pas,  pour  se 
nourrir,  pillé  le  paj's, saccagé  les  abbayes  et,  au  besoin, mangé 
des  moines? 

Brisies  les  abaïes  et  froisies  à  bandon. 

Ki  del  sien  vos  donra,  si  li  faites  pardon. 

Et  qui  nel  voldra  faire,  mar  aura  raençon. 

Cuisies  les  et  mengies  en  feu  et  en  charbon  ; 

Jà  ne  vos  feront  mal  niant  plus  que  venison. 

Dame  Dex  me  confonde,  qui  vint  à  passion, 

Se  ensois  n'es  mengoie  que  de  faim  morusom. 

Mioldres  est  moine  en  rost  que  n'est  car  de  mouton  -. 

Une  telle  ironie  est  la  marque  des  mœurs  violentes  du 
temps.  J'y  vois  même  une  certaine  éloquence  naïve,  mais  pas- 
sionnée, qu'il  me  semble  juste  de  noter.  .J'aurais  à  cet  égard 
quelque  peine  à  me  placer  au  même  point  de  vue  que  tel  cri- 
tique, d'ailleurs  plus  compétentque personne^.  Cette  brutalité 
est  fréquente  dans  nos  chansons  de  geste,  dans  celles-là  mêmes 
que  l'on  compare  le  plus  volontiers  aux  épopées  homériques  : 

1  Renaus  de  Montauban,  éd.  Michelant.  p.  96-97. 

=  Op.  l.,  p.  9.3.  ' 

■^  M.  Gautier.  Ep.  nation.,  2<-  édil.,  III.  p.  2<"J5-2(J9. 


14  RECHERCHES 

elle  n'en  diminue  aucunement  le  mérite.  De  mémo,  lorsque  hs 
fils  d'Aymes,  reposés,  équipés  à  nouveau  par  les  soins  de  leur 
mère,  partent  suivis  de  sept  cents  chevaliers,  pour  cliercher 
aventure,  il  n'y  a  pas  lieu  d'être  surpris  que  le  trouvère  nous 
montre  leur  cousin  s'associant  à  leur  destinée: 

Vont  s'en  11  fil  Aimon,  ne  s'aseiirent  mie. 
.vu.  c.  chevaliers  a  en  la  lor  compaignie 
Et  Maugis  li  cortois  les  enconduie  et  guie*. 

Ce  bon  compagnon  va  nous  égayer  désormais  par  les  toui-s 
qu'il  jouera  aux  ennemis  de  ses  cousins,  et  en  bien  des  cir- 
constances il  sera  pour  ses  parents  d'un  précieux  secours. 
Pourquoi  le  frapper  d'anathôme  ?  a  Mais,  à  côte  d'eux,  voici  un 
»  nouveau  venu  qui  paraît  tout  à  fait  associé  àleur  fortune.... 
»  Il  monte  un  cheval  noir;  il  a  je  ne  sais  quelle  phj'sionomie 

»   étrange  et  je  lui  trouve  trop  de  fl.nesse  dans  les  yeux 

»  Quand  il  a  rencontré  ses  cousins,  il  venait  de  voler  un  trésor 
»  à  Montauban.  Ce  magicien  est  doublé  d'un  coupe-bourses. 
))  Pour  tout  dire,  je  me  serais  bien  passé  de  cet  oblique  per- 
»  sonnage.  Maugis  entrant  dans  le  roman  des  Quatre  Fils 
»  Aymon,  c'est  la  légende  celtique  pénétrant  dans  le  domaine 
»  de  notre  vieille  épopée  nationale;  c'est  la  fable,  c'est  le 
))   mensonge,  c'est  la  magie,  ce  sont  d'odieux  mélanges.  » 

Si  l'on  me  permet  d'exprimer  nettement  ma  pensée,  et  en 
laissant  de  côté  l'hypothèse  de  l'origine  celtique  du  person- 
nage de  Maugis,  j'avouerai  ne  pouvoir  partager  ce  dédain 
pour  le  mélange  incriminé.  La  chanson  de  geste,  bornée 
d'abord  à  des  récits  de  combats  où  la  monotonie  des  faits  est 
trop  rarement  compensée  par  la  variété  des  caractères,  ne 
pouvait  continuer  à  vivre  qu'en  acceptant  l'aide  du  merveil- 
leux. Est-ce,  après  tout,  un  dogme  qu'il  faille  entendre  par 
épopée  nationale  une  seule  série  des  compositions  épiques  de 
notre  moyen  âge?  S'il  est  vrai  que  les  moeurs  et  les  institu- 
tions de  la  France  féodale  ont  été  le  résultat  du  mélange  des 
Gallo-Romains  et  des  Germains,  pourquoi  considérer  comme 
hétérogène   un  élément  national    et  lui  refuser  tout  droit   de 

'  lienaus  de  Montaulinn,  p.  97. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  15 

cité?  L'on  sait  que,  malgré  Tacceptation  de  la  religion  chré- 
tienne, Ton  crut  longtemps  à  l'existenoe  d'un  monde  où  ré- 
gnaient les  fées,  les  lutins,  les  enchanteurs,  les  sorciers.  Lors- 
que la  chanson  de  geste  primitive  ne  suffit  plus  à  distraire  les 
châtelains  et  les  châtelaines,  ce  merveilleux  qui  hantait  tou- 
jours l'imagination  populaire  reparaît  de  tous  côtés  et  se 
hâte  d'étaler  ses  inventions.  Toutes  ne  sont  pas  également 
heureuses  et  intéressantes  ;  mais,  sans  cette  première  fécon- 
dité, posséderions-nous  ce  qu'il  y  a  de  plus  agréable  dans  no- 
tre poésie  moderne,  Arioste  et  Don  Quichotte? 

Le  rôle  de  Maugis  dans  le  roman  des  Quatre  Fils  Aymon 
consiste  à  tirer  d'affaire  ses  cousins  dans  les  circonstances 
où  leur  vaillance  est  impuissante,  et  à  jouer  à  l'empereur  des 
tours  où  la  dignité  de  Charles  est  fort  compromise.  L'auteur 
lui-même  auquel  j'ai  fait  allusion  déjà  ne  peut  s'empêclier  de 
reconnaître  que,  sans  ce  mélange  de  scènes  amusantes,  la  nar- 
ration semblerait  longue:  «Maugis  représente,  dans  cotte 
»  chanson,  cet  élément  héroï-comique  que  nous  ne  rencontrons 
»  pas  fréquemment  dans  les  monuments  de  notre  littérature 
»  épique  '.  » 

Ainsi  associé  à  l'histoire  des  héros  les  plus  [)opulaircs  de 
notre  légende  épique,  Maugis  devait  à  son  tour,  comme  la 
plupart  des  personnages  qui  ont  un  i-ôle  important  dans  les 
chansons  de  geste,  devenir  l'objet  d'une  composition  épique 
particulière.  De  là  le  roman  de  Maugis  cVAigremont,  que  Fou 
pourrait  appeler,  pour  se  conformer  à  l'usage,  les  Enfances 
Maugis.  L'auteur  s'est  demandé,  à  propos  de  Maugis,  quelle 
est  son  origine,  sa  droite  nation,  d'où  il  a  tiré  sa  science  d'en- 
chanteur, et,  une  fois  engagé  sur  ce  terrain,  il  a  voulu  nous 
donner  la  clef  de  tout  l'élément  merveilleux  de  la  légende  des 
fils  d'Aymes.  Cette  légende  nous  présente  en  effet  un  person- 
nage qui  est  tout  aussi  digne  d'intérêt  que  les  personnages 
humains:  c'est  Bajard,  le  cheval /«e,  dont  rintelligence  est  si 
utile  à  ses  maîtres  et  contre  lequel  Charlemagne  nourrit  une 
rancune  aussi  vive  que  celle  qu'il  ressent  à  l'égard  de  Maugis 
lui-même.  D'où  vient  ce  Bajard?  D'où  viiMit  également  Fro- 

'  M.  Gautier,  l.  l.,  p.  220. 


16  RECHERCHES  SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE 

berge,  l'épée  avec  laquelle  Renaud  tient  tête  à  Roland  arme 
de  Durandal,  à  Ogier  armé  de  Courtaine^? 

On  a  déjà  remarqué  que  le  roman  de  Maugis  est  une  imi- 
tation de  Lancelol  du Lac^:  une  analyse  détaillée  en  fera  mieux 
ressortir  le  caractère  et  l'importance.  Le  texte  du  Maugis 
d' Aigremont  étant  encore  inédit,  je  reproduis  en  entier  le 
commencement  du  poëme:  le  trouvère  nous  y  raconte  la  nais- 
sance de  Maugis  et  de  son  frère  Vivien,  l'éducation  de  Maugis 
auprès  de  la  fée  Oriande,  la  conquête  du  cheval  Bayard  et  de 
l'épée  Froberge  ^ . 

F.  Castets. 
(A  suivre.) 


I  M.  Pio  Rajna  a  remarqué  que,  dans  le  Renaud,  i\  n'y  a  aucune  indication 
sur  l'origine  de  l'épée  Floberge,  et  que  ce  qui  est  dit  dans  la  version  de  Ve- 
nise (fol.  16)  sur  la  façon  dont  Renaud  est  devenu  ie  maître  de  Bayard  pa- 
raît bien  vulgaire  quand  il  s'agit  d'un  animal  aussi  merveilleux: 

Renaus  ot  tiel  cheva!  qui  valoit  Aiemaine  : 
Baiart  avoit  a  non,  si  fu  nez  en  Bretaine: 
Un  borziois  l'acheta  au  duc  de  Loeraine, 
Qi  bien  l'avoit  nori  et  de  ble  et  de  vaine. 

II  ajoute:  «  Sarebbe  mai  più  prossimo  al  vero,  per  quanto  poco  allendibile 
in  générale,  il  Maugis  d' Aigremont ,  che  fa  del  cavallo  un  donodi  Malagigi? 
Puù  darsi  ;  ed  è  poi  cerlo  che  il  Maugis  ha  una  grande  apparenza  d'aver  con- 
servalo  un  resto  délia  Iradizione  originaria  facendo  donc  di  Malagigi  la 
spada.  »  Oi-ig.  delV  ep.  fr.,  p,  438-439. 

^  Hist.  littéf.  de  la  Fra7ice,i.  XXII,  p.  700-704.  Paulin  Paris  analyse 
brièvement  et  exactement  ce  roman,  mais  non  sans  quelque  sévérité. 

'  Le  texte  dont  je  me  sers  est  toujours  celui  du  ras.  II  247  de  Montpellier. 
Il  y  est  suivi  du  texte  du  Vivien  de  Monbrant.  Le  Maugis  remplit  les  feuil- 
lets 154-173.  Le  Vivien  commence  au  milieu  de  la  première  colonne  du  verso 
du  feuillet  173.  A  raison  de  deux  colonnes  à  la  page  et  de  62  lignes  par  co- 
lonne, cela  fait  4868  vers.  Quelques-uns  sont  répélés  ;  la  fin  de  quelques  au- 
tres a  été  laissée  en  blanc  par  le  copiste.  Paulin  Paris,  dans  sa  notice,  se  sert 
du  ms.  7183  de  la  Bibliothèque  nationale,  qui  lui  paraît  remonter  au  commen- 
cement du  XlVe  siècle. 


Dialectes  Modernes 


LAS  NOSSOS  D'OR 

DE  l'ACADEMIO  BEZIEIKENCO 


Brinde  pourtat  al  banquet  del  14  mai  1885 


Ce  n'est  qu'après  cinquante  années 
Que  les  noces  sont  d'or.  Grand  mal  ! 
Mais  les  brouilles  sont  terminées, 
Puis  l'or  est  un  divin  métal. 

(Songe  d'une  nuit  de  Sabbat,  ou  les  A'oces 
d'or  d'Oberon  et  de  Titania.  Gœthb, 
Faust;  trad.  Stapfer.) 

Cinquanto  ans  sou  passais  dempèi  que,  dins  Biterro, 
D'omes  sapiens,  e  forts  de  l'amour  de  sa  terro, 
Ausserou  lou  penoun  del  langage  natal, 
E  de  l'estudi  antic  doubriguèrou  lou  talh. 

D'illustres  davanciès  poudiôu  segui  la  draio. 
Avan  lou  festenal  que  metèt  tout  en  aio 
Per  bada  sus  soun  pedestal 


LES  NOCES  D'OR 

DE    l'académie  BITERROISE 


Blinde  porté  au  banquet  du  14  mai  1885 


Cinquante  ans  sont  passés  depuis  que,  dans  Bëziers,  —  des  hommes 
savants,  et  forts  de  l'amoui'  du  pays,  —  levèrent  l'étendard  de  la 
langue  natale,  —  et  des  études  de  l'antiquité  ouvrirent  le  premier  sil- 
lon. 

D'illustres  devanciers  ils  pouvaient  suivre  la  trace.  —  Avant  la 
grande  fête  qui  mit  tout  (le  pays)  en  mouvement  —  pour  admirer  sur 


LAS  NOSSOS  D'OR 

Nostre  Riquet,  viven  ])er  soun  noum  immourtal'. 
I  avio  'gut  dins  Beziès  mai  d'uno  Acaderaio. 
Sabem  pas  s'ero  d'alquiraio 
Que  s'occupabo,  ou  d'aleman, 
Lo  qu'ai  siècle  del  Roi  galan- 
Ero,  parés,  déjà  'spelido 
Dins  la  cieutat  jamai  anequelido 
Oun  lou  Destin  a  pauzat  nostre  nis. 
Al  tems  del  Bearnés,  Fistorio  nous  hou  dis. 
Un  autre  acamp  d'esprits  de  nauto  mino 
Fazio  flôri  dedins   Beziès. 
Erou  pas  de  truco-tauliès 
E  sabento  ero  sa  douttrino, 
Pèi  que  lou  rèi  Hanric,  amaire  des  lauriés, 

Lous  a  meses  dins  sous  papiès^ 
Mais  ignouram  sous  noums  ;  car  lou  Tems  rambalhair.) 
A  'mpourtat  sus  soun  col  hardit 
E  las  segos  e  lou  segaire, 
E  lou  noble  prefacli,  coumo  un  fum  avalit. 


son  piédestal  —  notre  Riquet,  vivant  par  son  nom  immortel  ^,  —  Ré- 
ziers  avait  eu  jilus  d'une  Académie. —  Nous  ne  savons  si  ralchimio- — 
l'occui)ait,  ou  bien  Tallemand, —  celle  qui,  au  siècle  du  roi  galant  hom- 
me-, —  était,  dit-on,  déjà  née  — dans  la  cité  jamais  inféconde  —  où 
le  destin  a  placé  notre  berceau.  — Au  temps  du  Réarnais,  l'histoire 
nous  le  dit,  —  une  autre  réunion  d'esprits  de  fière  mine  —  faisait  florès 
dans  Réziers. —  Ce  n'étaient  pas  des  fainéants,  —  et  grande  était  leur 
science, —  puisque  le  roi  Henri,  amoureux  des  lauriers,  — les  a  men- 
tionnés dans  ses  chartes''. —  Mais  leurs  noms  nous  sont  inconnus; 
carie  temps  brouillon  —  a  emporté  sur  son  épaule  hardie  —  les  mois- 
sons et  les  moissonneurs  — et  le  noble  travail,  évanoui  comme  une 
fumée. 


1  L'un  des  premiers  actes  de  la  Société  archéologique  de  Béziers,  fondée  en 
1834,  autorisée  ea  1835  et  reconnue  comme  élablisseraent  d'utilité  publique  le 
14  octobre  1874,  fut  de  décider  l'érection  d'une  statue  à  Pierre-Paul  Riquet, 
le  glorieux  créateur  du  caual  des  Deux-Mer?,  né  à  Béziers  en  16Ui.  David 
d'.\ngers  se  chargea  gratuitement  du  travail  du  statuaire,  et  le  bronze  qui  dé- 
core la  principale  avenue  de  laville  t'ulinauguré  au  milieu  d  un  enthousiasme 
indescriptible,  le  21  octol.re  183S. 


LAS  NOSSOS  d'or  19 

N'esautromen  de  rillustro  coumpagno 
Qua.\io  Matmii.  e  Bouillet  perreltous; 

De  toutes  sous  admiratous 

E  de  nautres  sous  successous, 

Amarganto  serio  la  lagno 

S"aviam  pas  d'obros  de  soun  goust. 

Des  astronomos,  des  douttous, 

Se  sap  prou  qu'es  pas  las  rubricos 

Que  mancou  dins  lou  cap  proufoun  ; 

So  que  sabou,  ou  sabou  d'afoun, 

Mais  bou  pas  las  mémos  praticos. 

Lous  uns  al  ciel  lèvou  lou  froun 

Per  estudia,  viran  en  roun, 
Lous  miliès  de  soarels,  d'estèlos,  de  planetos, 
Qu'uno  ma  soubeirano  a  semenat  amoun  : 
Amai  la  vejou  pas  dins  sas  loungos  lunetos, 

Acos  es  vrai  de  pount  en  poun, 
Lous  autres,  assaval,  marcbou  gueitan  la  terro 

Coumo  s'amb'  elo  avièu  la  guerro  ; 


11  en  est  autrement  de  Tillustre  assemblée  —  dont  Mairan  ef, 
Bouillet  furent  les  chefs;  —  de  tous  leurs  admirateurs,  et  de  nous 
leurs  successeurs,  —  amer  serait  le  chagrin  —  si  nous  n'avions  des 
œuvres  de  leur  génie. —  Des  astronomes,  des  médecins,  on  sait  bien 
que  la  science  — ne  manque  pas  dans  le  profond  cerveau; —  ce  qu'ils 
savent,  ils  le  savent  bien  ;  —  mais  diverses  sont  leurs  pratiques.  — 
Les  uns  au  ciel  lèvent  leur  front  —  pour  étudier,  dans  leur  gravita- 
tion,—  les  milliers  de  soleils,  détoiles,  de  planètes,  —  qu'une  main 
souveraine  a  semés  là-haut:  —  quoiqu'ils  ne  la  voient  pas  dans 
leurs  télescopes,  —  c'est  bien  l'exacte  vérité. —  Les  autres,  ici-ba.'^, 
marchent  en  fixant  la  terre  —  comme  sils   étaient  en  guerre  avec 

'■i  On  a  cru,  d"après  quelques  indices,  qu'une  académie  existait  déjà  là  Bé- 
ziers  au  temps  de  François  1*-"'. 

■'  Une  ordonnance  de  Henri  IV  eu  1599  mentionne  positivement  rAcadcmie 
de  Béziers.  Il  est  même  remarquable  que  les  articles  de  cette  ordonnance  ([ui 
pourvoient  aux  dépenses  de  tous  les  collèges  établis  dans  la  province  de  Lan- 
guedoc, même  du  jardin  des  simples  de  Montpellier,  ne  dotent  taxativement 
que  l'Académie  de  Béziers.  On  peut  en  inférer  sûrement  que  cette  académie 
était  alors  la  seule  qui  existât  en  France, 


20  LAS  NOSSOS  D  OR 

E  pamens  i  tapo  de  founs 
Las   fautes  de  sas  instrucciouns. 
—  N'es  pas  per  Tencian  temsque  parli, 
Nimai  per  lou  prezen  que  jauli, 
Car  sabem  que,  bèi  coumo  hier, 
De  soun  corps  médical  Beziès  pot  estre  fier. 

Dounc  de  nostres  aujols  dins  lous  arts,  la  scienso, 
Las  letros,  la  physico  e  dins  touto  sapienso, 
Digus  sieguet  pas  apendris  ; 
Mairan  hou  diguèt  a  Paris, 
E  lou  Rèi  femnassiè,  qu'a  laissât  dins  l'istorio 
Mai  de  vilaniè  que  de  glorio, 
Lous  lauzo  dins  un  mandomen 
Que  dizem  de  Letros  patentas  '  : 
Per  nautres,  sou  pas  ges  pudentos, 
E  nou'n  coufiam  rouialomen. 

Quatre-vinl-nou  venguèt  am  soun  cop  de  tounerro 
Fa  cala  las  cansous,  e  sus  touto  la  terro 

Lèu  se  passejèt  lou  drapèu 
Dount  la  glorio  e  lou  dol  hôu  fach  nostre  flambèu. 


elle;  —  et  pourtant  elle  cache  à  jamais  —  les  erreurs  de  leurs  or- 
donnances.—  Ce  n'est  pas  pour  notre  passé  que  je  parle,  —  ni  pour 
notre  présent  que  je  bavarde,  —  car  on  sait  qu'aujourd'hui,  comme 
autrefois,  —  Béziers  peut  être  fier  de  son  corps  médical. 

Ainsi  de  nos  aïeux,  dans  les  arts,  la  science, —  les  lettres,  la  i)hy- 
sique  et  toutes  connaissances, —  nul  ne  fut  jamais  apprenti  ;  —  Mai- 
l'an  n'en  fit  pas  petite  bouche  à  Paris,  —  et  le  Roi-Cotillon,  qui  laissa 
dans  l'histoire  —  plus  de  vilenies  que  de  gloire,  —  les  loue  dans  un 
mandement  —  appelé  Lettres  patentes  *  :  —  pour  nous  point  à  dé- 
daigner, —  nous  en  sommes  royalement  fiers. 

Quatre-vingt-neuf  de  son  coup  de  tonnerre  —  fit  taire  les  chansons, 
et  sur  tout  l'univers  —  bientôt  apparut  le  drapeau  —  dont  la  gloire 


1  Par  lettres  patentes  données  à  Versailles  au  mois  de  juillet  17GG  et  enre- 
gistrées au  Parlement  de  Toulouse  le  9  janvier  17G7,  le  roi  Louis  XV  consa- 
crait, sous  le  nom  d'Académie  royale  des  sciences  et  belles-lettres  de  Béziers, 


21  LAS  NOSSOS  D  OR 

Ero  passât  lou  tems  de  cliarrâ  sus  Hourasso, 
Sus  Houmero,  Vergèli  e  sus  touto  la  rasso 
D'encantaires^grecs  e  latis  : 

La  Muzo  avio  quitat  soun  nis. . . . 
Enfin,  quand  s'amaizet  lou  bruch  de  latempesto, 

Que  digus  crentèt  per  sa  testo, 
Lou  bouscage  amudit  qu'ero  sans  roussigaol, 
La  cieutat  atristado  oun  cap  de  gargalliol 

Se  couflabo  de  cansounetos, 

E  qu'ero  veuzo  d'amouretos, 
Faguèrou  tourna-mai  brezilha  las  causons 

Dount  ApouUoun  sieguet  jalons. 
Apoulloun, .  .ou  Phebu3,Mins  aquel  tems,  caucagno  ! 
Ero  lou  Dieu  del  jour  ;  digus  avio  la  cagno 

—  Bèi,  sabez,  es  pla  diferen,  — 

Per  caminâ  sus  un  soûl  reng 

Joust  lou  drapèu  mythoulougique  : 

Donne  Apoulloun,  ero  lougique, 

Ourdounet  a  sous  mai  fervens 

De  reveni  crema  l'encens 

Dessus  soun  autar  sjmboulique. 
Peraco  sans  retard,  coumo  un  temple  d'esprit, 


et  le  deuil  ont  fait  notre  flambeau.  —  Ce  n'était  plus  le  temps  de  cau- 
ser sur  Horace,  —  sur  Homère,  Virgile  et  sur  toute  la  race  —  d'en- 
chanteurs grecs  et  latins:  —  la  Muse  avait  quitté  son  nid. . . — Enfin, 
quand  s'apaisa  le  bruit  de  la  tempête,  —  quand  nul  ne  craignit  pour 
sa  tête,  —  le  boscage  muet,  privé  de  rossignols,  —  la  cité  dolente  où 
nul  gosier  —  ne  se  gonflait  de  chansonnettes,  —  et  qui  était  veuve 
d'amourettes,  —  firent  de  nouveau  résonner  des  chants  —  dont  Apollon 
fut  jaloux.  —  Apollon  ou  Phébus,  en  ce  temps-là,  sans  peine,  —  était 
le  Dieu  en  vogue  ;  personne  n'était  las  ;  —  aujourd'hui,  quelle  diffé- 
rence !  —  pour  emboîter  le  pas  —  sous  le  drapeau  de  la  mythologie. 
—  Donc  Apollon,  c'était  logique,  —  oi'donna  à  ses  plus  fervents  (dis- 
ciples) —  de  revenir  allumer  l'encens  —  sur  son  autel  symbolique. — 
Pour  cela,  sans  retard,  comme  un  temple  à  l'esprit  consacré,  —  le 

avec  de  grands  éloges  pour  les  travaux  accomplis,  l'exislence  de  l'Académi.' 
l'ondée  par  Mairan  eu  1723. 

2 


22  LAS    NOSSOS   D  OR 

Lou  Coulège  seguèt  cauzit  ^ 
Azais-,  Viennet  ^,  e  lou  que  de  Tibullo 

—  Oun  l'amour  sempre  nous  embullo  — 
Avio  traduch  en  francés  lasdoussous  *, 
S'i  traperou  am  quauques  douttous, 

Avoucats  e  litteratous. 
Aqui,  per  un  tems,  s'i  travalho  ; 
Mais  sieguetpas  qu'un  fioc  de  palho, 
Uno  festo  sans  lendema. 
Enfin  se  dounerou  la  ma 
D'omes  d'un  noble  caractero, 
E  foundèrou  dedins  Bitero 
Nostro  bello  Soucietat 
Que  lou  vielliun  a  pas  tout  a  fait  rouzigat. 

Aici  sem;  —  e,  tustan  lous  veires, 
Sans  nous  endroumi  sul  passât, 
Beguem,  beguem  a  nostres  reires 
E  mai  a  l'aveni A  Fimmourtalitat  ! 

Frédéric  Donnadieu. 
Beziès,  14  mai  1885, 


collège  fut  choisi'. —  Azaïs  -,  Viennet^,  et  celui  qui  de  TibuUe, —  où 
l'amour  sans  tin  nous  séduit,  —  avait  traduit  en  français  les  beautés*. 
—  s'y  réunirent  avec  des  médecins,  —  avocats  et  littérateurs.  —  Là, 
quelque  temps,  on  travaille  ;  —  mais  ce  ne  fut  qu'un  feu  de  paille,  — 
une  fête  sans  lendemain.  —  Enfin  se  donnèrent  la  main  —  des  hom- 
mes de  noble  caractère,  —  qui  fondèrent  dans  Béziers  —  notre  belle 
Société,  —  qui  n'est  pas  encore  rongée  de  vieillesse. 

Nous  voici  donc,  et,  choquant  nos  verres,  —  sans  nous  endormir 
sur  le  passé, —  buvons,  buvons  à  nos  anciens,  — mais  surtout  à  l'ave- 
nir, à  l'immortalité  ! 

Frédéric  Donnadieu. 
Béziers,  14  mai  1885. 

'  Une  réunioa  académique  eut  lieu  au  commencement,  de  ce  siècle,  dans  un 
local  du  collège  ;  mais  elle  eut  peu  de  durée  et  ne  produisit  rien  au  dehors. 

^  Jacques  Azaïs,  l'un  des  fondateurs  de  la  Société  archéologique,  père  de 
Gabriel  Azaïs,  notre  secrétaire  perpétuel.  Ses  travaux  d'histoire  locale,  et  sur- 
tout son  ri^cu^'il  il<^  vhts  biterrois  ou   Ve>:<t's  f-ezicii  encs,  sool  assez  connus. 


VILLANELLES 


I 

Parlaz-mi  de  moun  aimado 
Que,  triste,  ai  deugut  quità. 
0!  couro  l'aurai  troubado? 

Coussi  vieu  la  relaissado 
Que  ieu  vole  vesità? 
Parlaz-mi  de  moun  aimado. 

Emb'  elo,  moun  afFrairado, 

Aro  vène  per  resta. 

0!  couro  l'aurai  troubado? 

Ount  s'es  elo  retirado  ; 
Ount  pourrai  la  devistà? 
Parlaz-mi  de  moun  aimado. 


VILLANELLES 


1 

Parlez-moi  de  mon  aimée —  que,  triste,  j'ai  dû  quitter. —  Oh!  quand 
la  trouverai-je  ? 

Comment  vit-elle,  la  délaissée  —  que  je  veux  visiter? —  Parlez-moi 
de  mon  aimée. 

Avec  elle,  mon  amie  de  cœur, —  maintenant  je  viens  pour  rester. — 
Oh  !  quand  la  trouverai-je  ? 

Où  s'est-elle  retirée;  —  où  pourrai-je  la  découvrir?  —  Parlez-moi 
de  mon  aimée. 

pour  nous  dispenser  de  tout  éloge.  —    -^  Vieanet  (Jean-Poos-Guillaurae),  de 
l'Académie  française,  né  à  Béziers  en  1777,  mort  à  Paris  ea  1868. 

*  Le  marquis  de  Saint-Geniez,  traducteur  en  vers  français  des  Elégies  di; 
Tibulle  (1814).  Sa  traduction  est  citée  comme  une  des  meilleures,  avec  celle 
de.VIollevaut  (1806), 


VILLAN ELLES 

Ah!  ièn  de  ma  desirado, 
Pourriei  pas  pus  pacientà  ! 
0  !  couro  l'aurai  troubado  ? 

Pastresd'aquesto  encountrado, 
Se  voulez  mi  voulountà, 
Parlaz-mi  de  moun  aimado  : 
0  1  couro  l'aurai  troubado!' 


II 

Vèn  de  mouri,  Peirounèlo  ', 
Qu'aimave  ieu  mai  e  mai. 
0  mort,  que  tu  siès  cruzèlo  1 

La  ploure,  la  paubarèlo, 
La  qu'aro  pas  pus  aurai. 
Vèn  de  mouri,  Peirounèlo! 

Ero  ma  migo  fidèlo  ; 

Nous  quittavian  pas  jammai. 

0  mort,  que  tu  siès  cruzèlo! 


Ah!  loin  de  ma  désirée,  — je  ne  pourrai  plus  rester.  —  Oh  !  quaml 
la  trouverai-je  ? 

Bergers  de  cette  contrée,  —  si  vous  voulez  me  contenter,  —  parlez- 
moi  de  mon  aimée.  —  Oh!  quand  la  trouverai-je? 

II 

Elle  vient  de  mourir,  Pernelle, —  quej'aimais  tant  et  plus. —  0  mort, 
que  tu  es  cruelle  ! 

Je  la  pleure,  la  pauvrette, — celle  que  maintenant  je  naurai  plus. — 
Pernelle  vient  de  mourir! 

Elle  était  mon  amie  fidèle;  —  nous  ne  nous  quittions  jamais.  —  0 
mort,  que  tu  es  cruelle  ! 

'  Peirounèlo   Pi-tronilla  ,  en  fraDçais  Péronnelle  et  Pernelle. 


SUPER  FLUMINA  BABYl  OMS 

E  ris  la  primo  nouvèlo  : 
M'adenan  soûl  anarai. 
Vèn  de  mouri,  Peirounèlo  ! 

Lasso  !  après  ma  pastourèlo. 

Atambe  leu  mourirai. 

0  mort,  que  tu  siès  cruzèlo  1 

.Ta  la  nèblo  m'emmantèlo  : 
Guaire  pus  noun  souffrirai. 
Yen  de  mouri,  Peirounèlo! 
0  mort,  que  tu  siès  cruzèlo  ! 

P.  Fesquet. 


SUPER  FLUMIXA  BABYLOXIS 


A  Babilouno,  quand  nostros  pauros  mainados 
Estendieu  vès  Sioun  de  mans  entravacados, 
Pensavian  as  tourmens  de  la  caitivetad  : 
De  nostres  ièls  mourens  de  lagremos  toumbavou 

Ras  des  flums  que  coulavou 
Dedin  lus  ièch  nadau  en  pleno  libertad  ! 


Et  le  renouveau  nous  sourit:  —  mais  désormais  j'irai  seul. —  Pe  r- 
uelle  vient  de  mourir. 

Hélas  !  après  ma  pastourelle, —  bientôt  je  mourrai  aussi. —  0  mort, 
que  tu  es  cruelle  ! 

Déjà  le  brouillard  m'enveloppe:  —  bientôt  je  ne  souffrirai  plus . 
Pernelle  vient  de  mourir  !  —  0  mort,  que  tu  es  cruelle  ! 

P.  F. 


SUPER  FLUMINA  BABYLONIS 


Au  milieu  de  Babel,  sur  les  bords  de  ses  fleuves, 
Las,  accablés,  nous  nous  étions  assis 

Pour  pleurer  sur  Sion,  sur  ses  longues  épreuves, 
Sur  SCS  beaux  joins  si  vite  ('vanouis. 


2fi  SUPER   FLUMINA   BÂBYLONTS 

Erian  aqui  sétuds,  e  nostros  liros  mudos 
As  sauzes  deTabro  restavou  suspendudos, 
Mcntreque  Torre  estran,  riguen  de  nostres  plous, 
Nous  disié  :  «Prenez  dounc  las  liros  proufeticos 

E  digas  lous  canticos 
Qu'en  Juda  cantavias  d'un  cor  grat  e  gaujous.» 

Nautres  cantà,  perque  dins  aquesto  gent  malo 
S'entendiou  las  cansous  de  la  terro  mairalo  ! . . . 
Nou;  jammai  al  païs  ount  avèn  tant  gémit, 
Per  lou  fier  aversié  que  tout  jour  nous  atisso 

Et  qu'avèn  près  en  tisso, 
De  nostres  cans  dévots  lou  brutz  sero  p'auzit. 

Santo  Jérusalem,  nostro  maire  alanguido, 

Que  sonos  vanamen  ta  famiho  faidido 

E  que  beleu  papus  de  ma  vido  voirai, 

Se  dévié,  ta  memorio,  un  jour  estre  escrafado 

De  ma  tristo  pensado, 
Se  tu  deviès  quità  d'estre  ce  qu'aim'  al  mai. 

Que  ma  lengo  tapoun  cousento,  dessecado, 
Tengue  à  moun  paladar  e  que  sempre  empachado 


Nos  cithares  pendaient  aux  saules  de  ces  rives, 
Quand  tout  à  coup  nos  rudes  oppresseurs 

Vinrent  brutalement  de  nos  tribus  craintives, 
Comme  à  l'envi,  raviver  les  douleurs. 

((  Ils  voulaient,  disaient-ils,  entendre  nos  cantiques 
Et  se  distraire  à  nos  accords  joyeux  ! , , . 

Ils  voulaient  que  les  chants  de  nos  fêtes  publiques 
En  ce  moment  retentissent  pour  eux  1  » 

Ah  !  comment  vous  chanter,  nymnes  de  la  patrie. 
En  notre  exil,  devant  un  peuple  vain  ? 

Si  jamais  je  t'oublie,  ô  ma  terre  chérie, 

Qu'au  même  instant  se  dessèche  ma  main  ! 

Que  de  taire  ton  nom  ma  langue  soit  foi'cce, 
Si  ta  mémoire,  objet  cher  à  mou  cœur, 


SUPER   FLUMINA   BABYLONIS 

Noun  piesque  faire  auzi  que  de  sounsfrevoulits; 
Qu'en  despièch  de  l'esfos  de  ma  man  tremoulanto, 

Ma  liro  brounzinanto 
Si  taise  e  reste  queto  en  mous  detz   araulitz  ! 

Etern,  o  souven-ti  de  l'ouro  espaventablo 
Ount  des  efans  d'Edora  Tesclato  détestable 
Dounavo  de  couret  à  l'envaire  lassât  : 
«  A  bassac  !  à  bassac  !  »  eles  toutes  cridavou, 

E  lous  nostres  toumbavou 
Couvrits  par  lous  derocs  de  la  santo  cieutad. 

Mes  toun  jour  es  pas  ièn,  damnouso  Babilouno, 
Qu'as  fatz  de  nostre  front  destacà  la  courouno. 
Leu  veiras  de  vitous,  per  tous  baris  dourbits, 
Empourtà  lous  trésors  qu'amassos  numerouses, 

En  trepeïan  irouses, 
De  tous  tendres  felens  lous  cadabres  bouldrits. 

P.  Fesquet. 


N'est  dans  mes  vers  sans  trêve  retracée. 

Ou  cesse  un  jour  de  faire  mon  bonheur  !. . . . 

Souviens-toi,  juste  Dieu,  des  fils  de  l'Idumée 
Poussant  sur  nous  des  ennemis  divers, 

Et  criant  :  «  Par  le  feu  venez  voir  consumée 
Jérusalem,  source  de  nos  revers  !  » 

?]t  toi,  fière  Babel,  pour  nous  si  redoutable, 
Qu'il  te  soit  fait  au  gré  de  nos  souhaits  ! 

Qu'il  s'élève  bientôt,  cruel,  inexorable, 
Un  roi  vengeur  pour  punir  tes  forfaits  ! 

Que  l'ennemi  vainqueur  soit  pour  toi  sans  entrailles 
Et  sans  merci  pour  tes  peuples  hautains  ; 

Qu'il  broie  en  sa  fureur  et  contre  tes  murailles 
Le  faible  enfant  anach(^  de  tes  mains! 

P.  F. 


LOU  VAUVENARGO  D'ENRI  POUNTIÉ 


Qu's  aquel  apensamenti? 
Rabelais,  que  de  tout  galejo? 
Montaigne,  sourrisènt  scepti  ? 
La  Bruyère,  qu'un  pintre  envejo? 

Montesquieu,  d'esté  dôumati? 
Voltaire,  esprit  fin,  amo  vejo? 
0  lou  prefouns  De  Maistre?  —  Es-ti 
Un  qu'esclèiro?  Un  que  beluguejo  ? 

Es  un  vas  clin,  grèu  de  trésor 

Qu'a  bôudre  an  mounta  de  soun  cor. 

Mai  lou  front  plego  sout  lo  cargo. 

Dôu  genio  a  la  malautié  : 

Es  noste  Pascau,  Vauvenargo: 

Es  l'obro  majo  de  Pountié. 


LE  VAUVENARGUES  D'HENRY  PONTIER 


I 

Quelle  est  cette  (statue)  pensive? —  Rabelais,  qui  de  tout  plaisante? 
—  Montaigne,  le  souriant  sceptique?  —  La  Bruyère,  qu"un  peintre 
envierait? 

Montesquieu,  à  la  dogmatique  allure?  —  Voltaire,  esprit  fin,  âme 
vide, —  ou  le  profond  De  Maistre?  Est-ce  —  un  (de  ces  esprits)  qui 
éclairent?  un  (de  ceux-là)  qui  scintillent? 

Ce  (front)  est  une  urne  inclinée,  lourde  des  trésors  —  qui  à  foi.son 
sont  montés  du  cœur. —  Mais  il  ploie  sous  la  charge. 

11  a  le  mal  du  p:énie. —  C'est  notre  Pascal,  c'est  Vauvenargues;  — 
c'est  l'œuvre  majeure  de  Pontier. 


LOU  VAUVENARGO  d'eNRI  POUNTIÉ 


II 

Prendre  un  orne  sus  sa  cadiero 
E,  vis-à-vis  d'eu  asseta. 
Luca  sa  fàci,  misto  o  fiero, 
E,  fiero  0  misto,  la  pasta. 

Quinto  creacioun  vertadiero  ! 
Mai  i'  a  'n  triountie,  en  verita. 
Qu'es  en-subre  ;  e  bouco  badiero, 
Ais,  encuei,  Tamiro  espanta: 

Quand  d'un  se  saup  ni  lou  carage, 
Ni  l'èr,  —  tout  bèu  just  l'abihage,  — 
Lou  faire  sorge  viéu  dôu  cros, 

Vaqui^lou  miracle,  o  felibrc. 

Qu'as  fa.  —  Mount  as  vist  toun  eros  ? 

Dins  un  mirau  fidèu,  soun  libre. 

A.  DE  Gagnaud. 

Pourchiero.  d'abriéu  1883. 


Il 

Prendre  un  homme  sur  son  siège.  —  et,  assis  en  face  de  lui,  — 
scruter  son  visage  doux  ou  fier.  — et,  fier  ou  doux,  le  pétrir, 

Quelle  vraie  création  !  —  Mais,  en  vérité,  il  est  un  triomphe  — 
au-dessusj (de 'celui-là);  et,  bouche  béante.  —  Aix  étonné  Tadmire 
aujourd'hui. 

Quand  de  quelqu'un  on  ignore  les  traits  —  et  l'expression,  que  tout 
au  plus  (on  sait)  son  vêtement,  —  le  faire  sortir  vivant  du  tombeau, 

Voilà,  ô  félibre,  le  miracle  —  que  tu  as  fait.  Où  (donc)  as-tu  vu  ton 
héros?  —  Dans  un  miroir  fidèle,  son  livre. 

A.  G. 


SOUNETS   AMOUROUSES 


VIELS  PREGITS 

Voudriei  ben  estre  au  fin  founs  de  la  mar, 
Ou  sus  un  pioch  quauque  roc  insensible  ; 
Voudriei  ben  estre  un  soucàs  impassible, 
Per  senti  res  me  pouni  dins  ma  car. 

Ai  trop  aimât, —  hou  recounouisse  tard,  — 
Una  enfant  qu'es  despietousa  au  poussible  ; 
Soufrisse  un  mau  cousent,  afrous,  ourrible  ; 
N'en  sabe  ges,  aval  de  pus  amar. 

Diéus  inmourtals,  que  la  pietat  flourigue 
Dins  voste  cor;  voulountàs  que  mourigue, 
Ou  que  lèu  siegue  en  marbre  tremudat, 

A  soula  fi  que  dins  tant  freja  essença 
Pogue  milhou  supourtà  Tescasença 
D'un  misérable  aimant  sans  estre  aimât, 

SONNETS  AMOUREUX 


VIEILLES  PLAINTES 

Je  voudrois  estre  au  profond  de  la  mer. 
Ou  teur  un  mont,  quelque  roclie  insensible. 
Je  voudrois  estre  une  souche  impassible, 
A  celle  fin  de  ne  pouvoir  aymer. 
Pour  aymer  trop  et  pour  trop  estimer 
Une  beauté  rigoureuse  au  possible, 
Je  souffre  au  cœur  un  tourment  si  terrible 
Qu'il  n'en  est  point  là-bas  de  plus  amer. 
Dieux  immortels,  si  la  pitié  demeure 
Dedans  vos  cœurs,  permettez  que  je  meure 
Ou  que  je  sois  en  marbre  transformé, 
A  celle  fin  qu'en  si  dure  nature 
Je  puisse  mieux  supporter  l'avanture 
D'un  misérable  ayniant  sans  estre  aymé. 

Guy  de  Tours. 
Souspii's  amotireux .  Sonnet  xxix. 


SOUNETb  ÂMOUROUSES  31 

LOU  MIOSOTIS 


Dins  la  prado  fresqueto, —  au  bord  dôu  clar  vala, 
Mostre,  quand  vèn  abriéu, —  ma  courolo  mignouno  : 
Dis  iue  de  FEnfant-Diéu  ',  —  si  cinq  fueio  en  courouno 
An  bèn  li  couloureto  —  e  li  rai  estela. 

La  chato  au  front  pensiéu  —  arribo  e  me  meissouno, 
Coupe  d'autri  floureto  —  e  li  blavet  dôu  blad  ; 
Tôuti  pèr  sa  maneto, — emé  bon  biais  mescla, 
Fourman  bouquet  gentiéu  —  qu'amiro  la  chatouno. 

—  ((  Floureto  de  la  prado.  —  a  fa,  sias  pèr  moun  bèu  ; 
»  Pourtas-ie  mi  pensado  — e  moun  amour  fidèu, 
»  Mis  espèr,  mi  désir,  —  mi  dous  raive  de  femo; 

i>  E  tu  la  pus  pichoto,  —  en  ie  parlant  tout  bas, 
»  Digo-ie  :  De  Mignoto,  —  ami,  n'ôublides  pas 
»  Li  tourment,  li  souspir — e  li  caudi  lagremo.  » 

*  En  Prouvènço,  dison  au  miosotis  lis  iue  de  VEiifant  Jcsus. 


LE  MYOSOTIS 


Dans  la  fraîche  prairie,  au  bord  du  clair  ruisseau,  —  je  montre, 
quand  avril  arrive,  ma  mignonne  corolle  :  —  des  yeux  de  TEnfant- 
Dieu',  ses  cinq  pétales  en  couronne  —  ont  bien  les  couleurs  tendres 
et  les  rayons  étoiles. 

La  jeune  fille  au  front  pensif  vient  et  me  coupe,  —  avec  d'autres 
fleurs  et  les  bleuets  des  blés  ;  —  toutes,  arrangées  avec  art  par  sa 
main,  —  nous  formons  un  bouquet  charmant  qu'elle  admiVe. 

«  Fleurettes  de  la  prairie,  fait-elle,  vous  êtes  pour  mon  adoré;  — 
portez-lui  mes  pensées,  mon  fidèle  amour,  —  mes  espérances,  mes 
désirs,  mes  longs  rêves  de  femme  ; 

Et  toi.  la  plus  petite,  en  lui  parlant  à  demi-voix,  —  dis-lui:  De 
Mignonne,  a.m.i,)i' oubliez  pas  —  les  tourments,  les  soupirs  et  les  lar- 
mes brûlantes. 

'  Ea  Proveuce,  le  myosotis  porte  le  nom  d'i/eiix  de  l'Enfant  J<i.^it^. 


32  SOUNEIS  AMOUROUSES 

PREGUIERO 
A  la  chato  que,  me  diguént  un  jour  :  «  Ai  pantaisa  de  vous 
me  remembré  li  vers  de  V.  Hugo 


Donnez 

Afin  d'être  meilleur,  afin  de  voir  des  anges 
Passer  dans  vos  rêves,  la  nuit. 

Dins  ini  suau  pantai,  lou  qu'avès  vist  passa, 
N'a  pas  d'un  anjounèu  lis  alo  immaculado: 
Dôu  mau  a  mai  d'un  cop  couneigu  l'embulado, 
E  dins  soun  cor  d'enfant  forço  espigno  an  poussa. 

Vosto  aparicioun  fugue  la  ventoulado 
Que  boufè  dins  soun  cèu  pèr  li  nivo  cassa; 
E  despièi,  d'un  amour  que  rèn  pou  amoussa, 
A  coume  un  serafin  sa  pauro  amo  brulado. 

N'en  dis  mot  à  degun,  se  coumplais  dins  soun  mau  ; 
Sertis  vosto  bèuta  dedins  un  vers  d'esmau 
0  repasse  dins  eu  li  grèu  soucit  qu'enduro. 

A  besoun  de  pieta,  car  es  bon,  jouine  e  dous  ; 
Atambèn,  se  vonlès  calma  sa  blassaduro, 
Digas-ie  d'entre-tèms  :  «  Ai  pantaùa  de  vous.» 

PRIÈRE 

A  la  jeune  fille  qui.  me  disant  un  jour:    <  J'ai  rêvé  de  vous  »,  me 
rappela  les  vers  de  V.  Hugo 


Donnez 

Afin  d'être  meilleurs,  afin  de  voir  les  anges 
Passer  dans  vos  rêves,  la  nuit. 

Celui  que,  dans  un  rêve  suave,  vous  avez  aperçu, —  n"a  pas  les  ailes 
immaculées  d'un  ange;  —  du  mal  il  a  souvent  connu  l'embûche,  —  et 
bien  des  épines  ont  poussé  dans  son  cœur  d'enfant. 

Votre  apparition  fut  le  vent  —  qui  souffla  dans  son  ciel  pour  chas- 
ser les  nuages  ;  —  et  depuis,  d'un  amour  que  rien  ne  peut  éteindre, 
—  il  a,  comme  un  séraphin,  sa  pauvre  àme  brûlée. 

11  n'en  .lit  mot  à  personne,  se  complaisant  dans  son  mal  ;  —  il 
sertit  votre  beauté  dans  un  vers  d'émail,  —  ou  repasse  intérieure- 
ment les  griefs  soucis  qu'il  endure. 

11  lui  fuit  lie  la  iiilié,  cai-  il  est  bon.  jeune  et  doux;  — aussi,  si  vous 
voulez  calmer  {\a  douleur  de  sa  blessure,  —  dites-lui  parfois:  «  J'ai 
rêvé  de  vous.  » 


SOUMETS  AMOUROUSKS  P3 

JOUR  DE  BRU  MARI 


Deforo  fasiè  'n  tèms!  un  tèms  de  fin  d'autouno. 
Despièi  vue  jour  la  plueio,  e  la  nèblo,  e  lou  veut; 
Preissa,  pèr  la  carriero,  orne,  femo,  jouvènt, 
Couri'ièn  coume  un  troupèu  que  lou  chin  amoulouuo. 

Eli,  dins  la  chambreto  ounte  abrigon  souvent 
Lou  l>onur  très  cop  sant  que  Jouvènço  ie  douno, 
Disièn  à  pleno  voués,  e  felibre.  e  chatouno, 
Dôu  drame  de  Bornier'  quauque  tros  esmôuvént. 

Eujougavo  Gerald;  elo,  lajouino  Berto. 
La  passioun,  à  la  fes  pudico  e  descubèrto, 
Sourtié  de  chasque  mot,  dounant  vido  i  tablèu. .  . 

Quaucarèn  d'angeli  cantavo  dins  lou  membre  ; 
E  iéu,  lis  escoutant,  ôublidave  Nouvèmbre. . . . 
Jamai  s'èro  caufa,  moun  cor,  à  tau  soulèu. 

La  Fiho  de  Rouland. 


JOUR  DE  BRUMAIRE 


Il  faisait  dehors  un  temps  1  un  temps  de  fin  d'automne. —  Depuis 
huit  jours,  la  pluie,  et  le  brouillard,  et  le  vent;  — pressés  dans  la 
rue,  hommes,  femmes,  jeunes  gens,  —  couraient  comme  un  troupeau 
que  le  chien  rassemble. 

Eux,  dans  la  chambrette  qui  souvent  abrite  —  le  bonheur  trois  fois 
saint  que  la  jeunesse  leur  donne, — disaient  à  pleine  voix,  et  félibro, 
et  jeune  fille,  —  quelque  passage  émouvant  du  drame  de  Bornier'. 

Lui  jouait  (le  rôle  de)  Gérald,  elle  (celui  de)  la  jeune  Berthe  :  — 
la  passion,  à  la  fois  pudique  et  visible,  — jaillissait  de  chaque  mot, 
animant  les  tableaux. 

Quelque  chose  d'angélique  chantait  dans  la  salle  ;  —  et  moi,  les 
écoutant,  j'oubliais  novembre. —  Jamais  mon  cœur  ne  s'était  réchauffé 
à  tel  soleil. 

i  La  Fille  de  Roland. 


34  SOUNETS  AMOUROUSES 


PERQU'ERE  TRISTE 


A  Liso,  que  me  demandavo  Tencauso  de  ma  tristesso 
lou  jour  dou  premié  de  l'an 


Sounjave,  aièr  matin,  à  ma  jouvènço  morto, 
Is  an  que  lou  tèms  raubo  e  que  nous  rend  jamai  ; 
I  jour  ounte  enfantoun,  parpaiounet  pèr  orto, 
Etèrni  cujave  èstre  e  flour,  e  mes  de  mai. 

Sounjave  is  ilusioun  qu'un  vèspre  Tauro  emporte, 
Ajustant  d'autri  pes  i  pes  de  nèste  fais; 
E  m'ère  resôugu  de  pestèla  ma  porto 

1  vot  trop  messourguié  que  lou  mounde  nous  fai. 

Dins  un  pantai   doulènt  se  moustravo  ma  vido 
Tant  sourno  que  clamave  :  «  0  Mort,  fugues  avido  ! 
Mando  lèu  depasturo  i  vermas  afama! » 

Quand  revenguère  à  iéu,  quand  tourné  ma  pensado, 
M'atroubère,  traçant  sus  la  vitro  neblado, 
De  la  pouncho  dôu  det,  voste  noum  bèn-ama. 

P.  Chassart. 

2  de  janvié. 

POURQUOI  J'ÉTAIS  TRISTE 

A  Lise,  qui  me  demandait  la  cause  de  ma  tristesse  le  premier  jour 

de  l'an 


Je  songeais,  hier  matin,  à  ma  jeunesse  morte,  —  aux  années  que 
le  temps  vole  et  ne  nous  rend  jamais;  — aux  jours  où,  petit  enfant, 
papillon  dans  la  campagne, — je  croj-ais  éternelle  la  durée  des  fleurs 
et  du  mois  de  mai. 

Je  songeais  aux  illusions  que  le  vent  emporte  le  soir,  —  ajoutant 
d'autres  poids  aux  poids  de  notre  fardeau  ; —  et  j'avais  résolu  d'inter- 
dire ma  porte —  aux  souhaits  menteurs  que  nous  adresse  le  monde. 

Dans  un  rêve  pénible,  ma  vie  se  montrait  —  tellement  sombre  que 
je  criais  :  (c  0  mort,  sois  donc  avide!  —  Fournis  quelque  pâture  à  la 
voracité  des  vers  ! . . . 

Lorsque  je  revins  à  moi,  quand  j'eus  repris  ma  pensée,  —  je  me 
trouvai,  traçant  sur  la  vitre  bueuse,  —  de  la  pointe  du  doigt,  votre 
nom  bien-aimé. 

P.   Chassakv. 
2  janvier. 


VARIETES 


HOULE 


Entre  autres  vocables  romans  qui  semblent  dériver  du  latin  plutôt 
que  du  celtique  ou  des  langues  germaniques,  il  faut  citer  le  français 
houle,  en  espagnol  ola. 

D'après  M.  A.  Brachet  [Dict.  étym.  de  la  lang .  fr.),  houle  nous  est 
venu  du  breton  houl,  a  vague.  »  Mais,  en  réalité,  ce  mot  pourrait 
n'être  qu'une  modification  de  urultila,  diminutif  de  itndaj  «  vague, 
houle .  » 

En  effet,  selon  les  règles  connues  de  la  phonétique  romane  : 

a)  Quand  l'atone  u  de  undûla  est  tombée,  il  reste  und'la  ; 

h)  Or  le  d  de  und'la  étant  muet  s'efface,  et  und'la  se  réduit  à 
un' la  */ 

cj  Puis,  par  assimilation  des  dissemblables  ni,  un'la  fait  place  à 
ulla  V 

d)  Ensuite,  selon  la  tendance  à  la  moindre  action,  ulla  se  contracte 
en  ula  ^; 

e)  Mais  u,  de  ula  ne  reste  pas  tel  :  il  se  modifie  en  o,  d'où  ola'*; 


1  Règle:  «  Si  par  chute  de  la  voyelle  il  y  a  rencontre  de  trois  consonnes, 
celle  du  miheu  tombe,  si  elle  est  muette.  »  Voy.  Saint-Galmier  —  sanctus 
Baldomerus,  —  italien  manucure  =  manducare,  —  lang.  amenlo  =  amyg- 
dala,  —  arroche  =  atriplica  (arriplica,  arripl'ca,  arrip'ca,  arrica,  arroca,  car 
i  =r  0  (fr.  semoule  =  simila,  —  ordonner  ^  ordinare,  —  galoches  =  galli- 
cas,  —  GéDolhac,  nom  de  lieu,  Gard  =  Juniliacum,  etc.  Atriplica  mis  pour 
atriplex,  comme  facia  pour  faciès,  —  glacia  pour  glacies,  junica  pour  junix, 
icis,  —  hirunda  pour  hiruudo,  etc. 

*  Cf.  corolle,  lang.  courolo  :=  corolla  (pour  coronula,  coroo'la,  corolla),  — 
lang,  ^oWo,  italien  culla  =^  cunula  (cunla,  cuila),  italien  lulla,  «  douve  du 
fond  du  tonneau  »  pour  lunula,  —  au  Vigan  (Gard),  espillo ,  épingle  = 
spinula,  etc.  V.  latin  villum  (pour  vinulum)  dimin.  de  vinurn. 

3  Pour  //  =  I,  cf.  coule,  froc  (cuculla),  —  ampoule  (ampulla',  —  lang. 
oulo  (olia),  alevin  (allevamen),  —  pelisse  (pellicia),  etc. 

*  Cf.  fr.  échaudole  (scandula),  girandole  (girandula),  colombe  (columba\ 
tombeau  (tumellus,  dimin.  de  tymbus),  ormeau  (ulraellus),  onde  (unda),  sp. 
ola,  houle,  vague  (lat.  undûla).  — Uq^.  fade  manipolos,  agir  en  dessous, 
tromper,  duper  (manipulas),  concombre  (cucumen. 


36  NECROLOGIE 

/■)  A  son  tour,  o  de  ola  se  change  en  ou  en  français,  d'où  oula  '. 

(j)  De  plus,  a  de  oula  devient  e,  comme  dans  fève  =  faba,  —  sève 
=  sapa, —  case  =  casa,  —  pelle  =  pala,  —  rose  =  rosa,  etc.,  et  nous 
arrivons  à 

h)  ouïe,  qui  pourrait  bien  être  passé  dans  l'usage  sous  la  forme  de 
houle,  comme  huile  (d'oleum),  houe  (d'occa),  huis  (d'ostium),  huit 
(d'octo),  huître  (d'ostrea),  hurler  (d'ululare),  etc. 

Donc,  si  toutefois  notre  démonstration  pouvait  être  admise  i^t 
produire  une  conviction  scientitique,  /iO(i/e  dériverait  du  latin  undûla . 

P.  Fesquet. 


NÉCROLOGIE 


M.   Melchior    Barthès 

Au  moment  même  où  le  deuxième  et  dernier  volume  des  Flouretoti 
(le  mountagno  fut  déposé  sur  le  bureau  de  notre  Société,  un  compte 
rendu  détaillé  de  ce  livre,  non  moins  intéressant  par  le  dialecte  dans 
lequel  il  est  écrit  qu'attrayant  par  les  nombreuses  poésies  qu'il  ren- 
ferme fut  confié  à  l'un  de  nous.  La  rédaction  de  cette  analyse  a  été 
retardée  par  diverses  circonstances,  que  celui  qui  s'en  était  chargé  a  dû 
subir.  En  attendant  qu'elle  paraisse,  nous  avons  aujourd'hui  le  triste 
devoir  d'annoncer  la  mort  de    l'auteur  même  qui  en  était  l'objet. 

M.  Melchior  Barthès,  pharmacien  honoraire  de  première  classe,  fé- 
libre  majorai,  auteur  d'un  Glossaire  botanique  languedocien-français- 
latin,  honoré  d'une  médaille  d'or  par  la  Société  de  botanique  et  d'iiis- 
toire  naturelle  de  l'Hérault,  membre  et  lauréat  de  la  Société  pour 
l'étude  des  langues  romanes  et  de  plusieurs  autres  sociétés  scieutiti- 
qiies  et  littéraires,  s'est  éteint  le  18  février  1886,  à  Saint-Pons-dc- 
Thomières,  sa  ville  natale,  dans  laquelle  s'était  écoulée  à  peu  près  toute 
sa  vie. 

Victor  Rettner,  notre    infortuné  confrère,  dont    les  vers   ont  plu- 


'  Cf.  ourlf^r  inriilarfl  .  oublier  (ohlitarfi  .  outre    utrem).  laug.  oulo  (olla). 


NECROLOGIE  37 

sieurs  fois  enrichi  les  pages  de  cette  Eevue,  et  qui,  comme  Gilbert  et 
Hégésippe  Moreau,  a  fini  ses  jom-ssur  un  lit  d'hôpital,  était  aussi  né 
dans  cette  ville. 

M.  Melchior  Barthès  avait  soixante-huit  ans.  Bien  qu'ilfùt  parvenu 
aux  portes  de  la  vieillesse,  il  y  a  lieu  de  s'affliger  que  la  cruelle  ma- 
ladie qui  avait  peu  à  peu  anéanti  ses  forces  physiques,  sans  rien  lui 
enlever  de  sa  vigueur  intellectuelle,  ne  lui  ait  pas  laissé  le  temps 
d'achever  son  oeuvre  et  de  nous  donner  encore  d'autres  travaux. 
C'était,  nous  ne  craignons  pas  de  le  dire,  un  savant  consciencieux  et 
modeste,  dont  les  talents  et  les  aptitudes,  confinés  durant  toute  une  vie 
dans  un  entourage  bien  restreint,  auraient  pu,  sans  contredit,  paraî- 
tre et  se  développer  honorablement  dans  un  autre  milieu.  Enkmann- 
Chatrian  disent,  dans  un  de  leurs  romans  nationaux:  «  Souvent  les 
hommes  d'un  grand  talent  s'enterrent  à  droite  et  à  gauche  dans  de 
petits  endroits  où  personne  ne  se  doute  seulement  de  ce  qu'ils  valent. 
Ils  prennent  tout  doucement  leur  pli,  et  disparaissent  sans  qu'on  ait 
parlé  d'eux.  »  (Le  Blocus,  XV)  '.  Ce  type  honorable,  méconnu  des  es- 
prits superficiels  qui  jugent  les  hommes  d'après  les  qualités  exté- 
rieures, se  rencontre  encore  chez  certains  pharmaciens  de  petite  ville, 
véritables  et  souvent  seuls  conseillers  possibles  de  l'autorité  et  de 
leurs  concitoyens  dans  une  foule  de  questions  qui  intéressent  la  santé, 
l'hygiène  publique,  les  applications  de  la  science  à  l'industrie  et  aux 
arts. 

Tel  a  vécu  M.  Melchior  Barthès,  ayant  cherché  avant  tout  à  se  ren- 
dre utile.  La  publication  de  son  Glossaire  botanique  languedocien  est 
une  preuve  des  efforts  heureux  faits  par  lui  dans  ce  but.  Ce  livre  a 
été  jugé  comme  il  le  mérite  par  un  de  nos  anciens  confrères,  dont 
voici  les  paroles^  :«  La  plus  importante  des  œuvres  de  M.  Barthès, 
»  dans  l'ordre  de  leur  publication,  fut  celle  de  son  Glossaire  de  bota- 
»  nique,  dont  le  résultat  a  été  d'établir  et  de  fixer  la  flore  de  l'ar- 
»  rondissement  de  Saint- Pons,  après  en  avoir  soigneusement  recueilli 
»  les  espèces  végétales  et  définitivement  fondé  l'herbier. 

»  Le  jury  de  la  Société  d'horticulture  et  d'histoire  naturelle  de  l'Hé- 
»  rault,  dont  nous  avions  l'honneur  de  faire  partie,  frappé  de  l'utilité 
»  et  de  l'importance  de  ce  Glossaire,  décerna  à  son  auteur  une  mé- 
»  daille  d'or.  Ce  fut  la  légitime  récompense  d'un  ouvrage  dans  lequel 

1  Cette  nouvelle  contient  ua  moi  patois  très-bien  réussi  pour  des  auteurs 
étrangers  par  leur  naissance  à  notre  Midi  et  à  notre  littérature.  Le  négociant 
de  Pézenas  qui  expédie  au  père  Moïse,  une  bonne  tigure  de  juif,  principal  per- 
sonnage de  l'ouvrage,  les  douze  pipes  d'eau-de-vie,  s'appelle  M.  Quataya. 

■'  Ch.  Cavallier,  notaire  honoraire,  Étude  hi/jlio'jmphique  et  littéraire  sur 
if    Melchior  Barthès,  [Messager  du  Midi  du  31  mars  1886.) 


38  NECROLOGIE 

i>  chaque  plante  est  désignée  par  ses  noms  néo-romaus  languedo- 
»  ciens,  ses  noms  français,  latins,  ses  propriétés,  ses  usages,  ses  pro- 
yy  duits,  après  avoir  été  méthodiquement  classée  dans  la  famille  bota- 
»  nique  à  laquelle  elle  appartient. 

»  Il  est  facile,  en  parcourant  ce  volume,  de  se  rendre  compte  des 
»  longues  et  laborieuses  recherches  qu'a  dû  coûter  à  M.  Melchior 
»  Barthès  sa  composition.» 

M.  Melchior  Barthès  nous  appartient  surtout  coumie  romauisaut. 
L'étude  bibliographique  annoncée  permet  d'ajourner  le  jugement  que 
l'un  de  nous  portera  sur  son  œuvre.  Rappelons,  en  attendant,  que 
c'est  à  Montpellier  que  son  talent  a  été  spécialement  reconnu  et  en- 
couragé. A  part  la  médaille  d'or  décernée  à  son  Glossaire  par  la  So- 
ciété d'horticulture  et  d'histoire  naturelle,  son  premier  volume  des 
Flouretos  de  mountagno  reçut  en  1878,  de  la  Société  pour  l'étude  des 
langues  romanes,  une  médaille  d'argent.  Le  deuxième,  celui-là  même 
tlont  l'apparition  a  précédé  de  si  peu  de  temps  sa  mort,  et  qui  peut 
être  regardé  comme  son  testament  poétique,  fut  honoré  en  1884  d'une 
médaille  d'or  dans  le  concours  littéraire  ouvert  à  l'occasion  du  cente- 
naire de  Favre. 

Dès  aujourd'hui,  deux  points  peuvent  être  mis  en  lumière. 

L'examen  des  dates  inscrites  à  la  fin  de  plusieurs  des  pièces  qui 
composent  ce  dernier  volume  démontre  que  M.  Melchior  Barthès  a 
été  félibre  avant  même  que  le  félibrige  existât.  Il  en  est  de  ces  pièces 
qui  remontent  à  1842.  Toutes,  sauf  celles  qui  occupent  les  derniè- 
res pages,  sont  antérieures  à  1854,  époque  où  les  sept  poètes  de  Fout- 
segugne  posèrent  les  fondements  de  la  vaste  association  littéraire  qui 
a  poussé,  depuis,  tant  de  rameaux,  et  qui,  au  moment  où  les  dialec- 
tes locaux  semblaient  menacés  dans  leur  existence,  leur  a  infusé  pour 
bien  des  années  encore  une  nouvelle  vie,  en  leur  empruntant  la  ma- 
tière verbale  de  poëmes  déjà  nombreux,  dont  quelques-uns  sont  des 
chefs-d'œuvre,  et  en  établissant  des  écoles  philologiques  régionales 
destinées  à  les  étudier,  à  les  purifier,  à  les  protéger.  M.  Melchior 
Barthès  n'a  pas  attendu  la  constitution  du  félibrige  pour  écrire  dans 
la  langue  de  son  pays  et  pour  l'aimer.  Sans  vantardise  et  sans  honte, 
il  a  fait  briller  en  des  temps  d'oubli  le  flambeau  de  la  poésie  lan- 
guedocienne, et  il  doit  occuper  un  rang  distingué  parmi  les  auteurs 
qui  ont  assuré  la  vitalité  d'une  tradition  près  de  s'éteindre.  Son  con- 
temporain et  correspondant  Peyrottes,  le  potier  de  terre  de  Cler- 
mout-l'Hérault,  mon  compatriote  et  l'ami  de  ma  famille,  mérite  d'être 
placé  près  de  lui  à  ce  point  de  vue;  mais  il  n'a  pas  eu,  comme  lui,  le 
bonheur  de  voir  la  glorieuse  et  universelle  expansion  de  la  renaissance 
provençale.  Il  est  morten  1858,  dans  toute  la  force  de  l'âge  et  du  talent, 
honoré  et  regretté  comme  un  frère  parla  brillanle  pléiade  de  l'école 


NECROLOGIE  33 

d'Avignon,  qui  Taiirait  regretté  bien  plus  encore  si,  comme  moi,  elle 
avait  pu  jeter  un  coup  d'œil  sur  le  manuscrit  de  ses  œuvres  com- 
plètes, méthodiquement  classées  par  lui-même  et  prêtes,  pour  ainsi 
dire,  à  être  envoyées  à  l'imprimeur.  On  m'a  dit  que  j'étais  désigné  pour 
en  faire  l'édition.  Il  est  cà  craindre  que  l'exercice  absorbant  de  la  pro- 
fession médicale  ne  m'en  laisse  pas  le  temps'. 

Voici  le  second  point.  En  dehors  même  de  la  Provence,  un  grand 
nombre  de  ceux  qui  ont  rimé  en  langue  d'oc  n'ont  pas  résisté  à  la  sé- 
duction dudialectedeRoumanille,  d'Aubanel  etdeMistral.  On  a  peu  à 
peu  cédéàla  magie  de  la  forme,  et,  après  avoir  lu  les  œuvres  des  grands 
maîtres  de  notre  renaissance,  soit  coquetterie  philologique,  soit  pour 
leur  rendre  hommage,  on  a  voulu  aussi  composer  dans  leur  idiome.  Il 
n'y  aurait  pas  grand  mal  à  cela,  tout  pouvant  être  imité  dans  un  bon 
modèle,  si  la  trop  grande  généralisation  de  l'habitude  ne  devait  entraî- 
ner l'abandon  de  la  langue  que  plus  d'un  d'entre  nous  a  entendue 
dans  son  enfance,  et  la  faire  considérer  à  la  fin  comme  un  mauvais 
instrument,  bon  à  être  brisé  ou  tout  au  plus  conservé  parmi  les  curio- 
sités archéologiques.  Cette  unification  dialectale  est  contraire,  hâtons- 
nous  de  le  dire,  à  l'essence  même  du  félibrige.  Roumanille  inséra  dans 
Il  Prouvençalo,  parues  en  1852,  des  pièces  de  Moquin-Tandon,  de 
Peyrottes  et  de  Jasmin.  Romanisants  et  félibres,  nous  ne  devons  pas 
oublier  que  la  variété  même  de  nos  idiomes  fait  un  des  charmes  de 
nos  études.  Ne  soyons  pas  plus  Provençaux  que  les  Provençaux  eux_ 
mêmes  :  nous  sommes  de  la  même  armée,  sans  être  du  même  régi- 
ment. 

Notre  ami  Albert  Arnavielle,  qui  n'est  pas  le  dernier  parmi  les  fé- 
libres, nous  a  assuré  qu'il  n'avait  fait  qu'une  seule  infidélité  au  dia- 
lecte cévenol;  encore  s'agit-il,  dans  l'espèce,  de  son  Nouvè  remouUnen^ 
qu'il  dut  bien  composer  dans  le  dialecte  parlé  par  les  gens  qui  devaient 
le  chanter.  Patriote  pendant  sa  vie  entière,  M.  MelchiorBarthès  a  con- 
servé jusqu'à  la  mort  le  monothéisme  du  dialecte  saintponais,  qui  lui 
a  paru  suffisant  pour  exprimer  les  sentiments  les  plus  variés,  depuis 
les  plus  gais  jusqu'aux  plus  sévères.  Les  Flouretos  de  mountagno  sont, 

1  Cet  article  était  composé  quaad  nous  avons  lu  dans  le  n°  2  de  V  Union  des 
Reinies  méridionales, organe  hebdomadaire  de  la  Proye?ice(Marseille,  18  avril 
1886),  l'annonce  de  la  prochaine  apparition  d'un  ouvrage  de  M.  Thaddee 
Suche,  ayant  pour  titre  les  Poètes  provençaux  antérieurs  à  1854.  Il  y  là  le 
sujet  d'une  œuvre  très-instructive  d'histoire  littéraire,  qui  doit  franchir  les 
limites  de  la  Provence  proprement  dite,  même  celles  de  l'ancienne  Province 
Romaine,  dans  laquelle  Agen,  pays  de  Jasmin,  n'aurait  pas  été  compris,  et 
s'étendre  à  tous  les  pays  de  langue  d'oc,  c'est-à-dire,  à  peu  de  chose  près, 
à  la  moitié  de  la  France. 


40  NECROLOGIE 

pour  ainsi  dire,  l'hisloirode  sa  vie.  Son  mariage,  sa  vive  affeetion  pour 
celle  qui  a  parta<;é  son  sort, la  naissance  de  leurs  enfants  et  la  mort  de 
l'un  d'eux,  les  faits  principaux  dont  il  a  été  témoin  à  Saint-Pons,  les 
particularités  de  sa  carrière  pharmaceutique,  ses  regrets  de  l'aliénation 
partielle  d'une  forêt  communale  où  il  allait  cueillir  ample  moisson  de 
plantes  pour  ses  herbiers  et  probablement  aussi  de  sujets  de  poésie, 
que  la  joie  de  faire  un  peu  d'école  buissonnière  en  dehors  de  son  of- 
ficine, véritable  prison  scientifique  où  le  pharmacien  passe  presque 
toute  son  existence,  devait  naturellement  lui  inspirer,  événements 
gais  ou  tristes,  souvenirs  aimés  de  la  vie  d'étudiant,  tout  se  trouve  dans 
ce  livre  ondoyant  et  divers  comme  la  vie  humaine.  M.  Melchior  Bar- 
thès  y  a  ri  tour  à  tour  et  raillé,  pleuré  et  prié  dans  la  langue  de  ses 
pères.  Elle  lui  a  fourni  des  accents  qu'il  a  pu  s'appliquer  en  maintes 
circonstances,  même  dans  les  plus  solennelles.  Jeanne  d'Albret,  en 
donnant  le  jour  à  Henri  IV,  chantait,  dit-on,  dans  l'intervalle  des 
douleurs,  ]v  fameux  cantique  béarnais  : 

Nosta  Dona  del  cap  del  Pont, 
Ajudas-nos  en  aquesta  hora. 

Il  nous  a  été  dit  c^ue  les  lèvres  mourantes  de  j\I.  Barthès  nmrnui- 
raient  cette  stauce  que  nous  avions  lue  dans  son  ouvrage,  et  dont  le 
rappel  en  un  pareil  moment  fut  l'aflîrniation  la  plus  éloquente  de  la 
constance  des  sentiments  religieux  qu'il  avait  toujours  professés  : 

Soulel  de  l'univers,  divine  Prouvidenso, 
Siès  la  counsoulaciu  dal  que  vous  vol  aima; 
Serès,  tant  que  viurèi,  toulo  moun  espereuso. 
Que  la  mort  me  susprengue  uno  creux  à  la  ma  '  ! 

Nous  sommes  heureux  d'avoir  pu  consacrer  quelques  lignes  à  ce 
pu-fait  honnête  homme,  modèle  d'intégrité  professionnelle  et  de  ver- 
tus publiques  et  privées. 

Adelphe  Espagne. 


I  Flouretos  de  mou7ita(jno,  t.  II,  p.  27  [lou  Divendres  sant,  ou  la  Pussiii 

de  Nostre-Segne) . 


BIBLIOGRAPHIE 


Documents  historiques  bas-latins,  provençaux  et  français,  concer- 
nant principalement  la  Marche  et  le  Limousin,  publiés  sous  les  auspices  de 
la  Société  archéologique  et  historique  du  Limousin,  par  Alfred  Leroux, 
EmiJe  Molinier  et  Antoine  Thomas,  anciens  élèves  de  l'École  des  Chartes. 
—  Limoges,  imprimerie-librairie  veuve  H.  Ducourtieux.  2  vol.  in-8°,  18So- 
1885. 

Cet  important  recueil,  qui  comprend  plus  de  700  pages  in-S",  inté- 
resse surtout  les  études  historiques  ;  mais  plusieurs  des  documents 
qu'il  renferme  ne  sont  pas  d'un  moindre  prix  pour  le  philologue  que 
pour  l'historien .  Il  faut  citer  en  première  ligne  un  certain  nombre  de 
chartes  limousines  que  M.  Thomas,  car  c'est  à  lui  qu'incombait  cette 
partie  de  la  tâche  des  éditeurs,  a  publiées  et  en  partie  traduites  avec 
le  soin  et  l'exactitude  qu'il  apporte  à  tous  ses  travaux.  Trois  de  ces 
chartes  font  partie  d'un  cartulaire  de  l'aumônerie  de  Saint-Martial, 
rédigé,  d'après  M.  A.  Leroux,  au  Xle  siècle.  Ce  seraient  de  beaucoup, 
dans  ce  cas,  les  plus  anciennes  du  recueil  ;  mais  l'époque  est  peut-être 
un  peu  trop  reculée.  Les  autres  s'échelonnent  entre  1200  et  12G0.  Les 
documents  latins  contemporains  ou  antérieurs  offrent  aussi  matière  à 
d'utiles  observations,  à  cause  des  noms  propres  de  lieux  ou  de  person- 
nes en  pur  roman  que  l'on  y    rencontre. 

Un  compte  rendu  détaillé  du  recueil  de  MM.  Leroux,  Molinier  et 
Thomas,  ne  saurait  trouver  place  ici  ;  je  dois  me  borner  à  quelques  re- 
marques sur  la  partie  philologique  de  la  publication . 

T.  r,  p.  22,  n.  2.  Montjuuvi  dérive,  à  mon  avis, de  montem  gamlii, 
et  non,  comme  le  croit  M,  Thomas,  de  Montemgaiidivum,  qui  aurait 
donné  Monjauviu.  —  P.  34,  1.  3,  fitho .  Faute  d'impression  pour 
filho.  Cf.  la  note.  —  56,  1.  5,  Champalima.  On  aurait  aimé  trouver 
une  note  sur  ce  nom  de  lieu,  qui  rappelle  Champalinum.  le  type  bien 
connu  du  Calino  limousin.  —  83.  Dlnsel  ?  Ne  serait-ce  pas  plutôt 
d'Uisel?  —  144, 1.  1 .  Je  lirais  la  RaoJfeta,  et  de  même,  à  la  ligne  sui- 
vante, la  Bolessa,  la  Petita,  et  plus  bas,  la  Munia  (ou  mieux  la  3Iun- 
jaf).  — Ihid.  1.  3  du  bas,  du  Brut.  Faute  d'impression  pour  c?eu .* 
C'est  dans  tous  les  cas  ce  qu'il  faudrait. —  149,  pièce  no  31,  1.  3  et  8, 
qui  ste.  Pourquoi  ne  pas  écrire  ^-mî-s  <e.^  Sans  doute  pour  reproduire 
sans  changement  la  graphie  du  ms.  Mais  cela  peut  dérouter  le  lec- 
teur. J'écrirais  aussi,  ibid.,  n'Ato,  plutôt  que  Nato.  De  même,  p.  151, 
n'Aisiliiia,  plutôt  que  n'Aci. .  .  —  Pourquoi,  dans  cette  même  pièce,  ^ 
nd  no  serait-il  pas  e  nom  (in  uomiuc),  aussi  bii^u  et  mieux  que  et  dont- 


42  BIBLIOGRAPHIE 

num?  —  152,  1.  6,  al'oups.  Corr.  uops,  ou  est-ce  une  faute  d'im- 
pression ?  Ihid.  J'écrirais,  pour  les  raisons  déjà  données,  n'apertenia, 
n'eren,  Il  Esteve,  etc .  Ce  ne  serait  du  reste  que  logique,  puique  M.  Th. 
écrit  qu'il,  l'ups,  etc.  Ihid.  1.  9,  «  efer.»  La  traduction  indique  que 
M.  Th.  a  vu  un  là  adjectif  =  lat.  inferum, h\en  qu'il  ne  l'ait  pas  noté 
au  vocabulaire.  Je  crois  que  c'est  à  tort.  Le  sens  doit  être  :  «. .  .  le 
chemin  qui  part  du  carrefour  et  aboutit  (efer)  an  fossé.»  Cf.  Godefroy 
soua  fei'ir. —  La  lin  de  la  même  pièce  ne  me  paraît  pas  avoir  été  très- 
bien  comprise,  et  cela  parce  que  M.  Th.  y  a  méconnu,  ce  me  semble, 
la  véritable  signification  deill,  qui  est  ici,  à  mon  avis,  non  pas  j^ro- 
nom  personnel,  mais  pronom  démonstratif,  comme  en  d'autres  tex- 
tes. Il  faut  traduire  en  conséquence  :  a  Et  ceux  qui  en  étaient  bailes 
confirmèrent  la  donation  »,  au  lieu  de:  «  Et  ces  derniers  qui. . .»  Une 
ligne  plus  bas  on  retrouve  ce  même  pronom  dans  le  même  rôle  de  dé- 
monstratif :  il  las  Moleiras  =  ceux  des  Moleiras,  et  non  les  las  Molei- 
ras,  comme  a  traduit  M.  Thomas,  ce  qui  est  un  peu  différent.  Il  d'ail- 
leurs ne  saurait  être  une  forme  de  l'article  ;  il  faudrait  li .  La  phrase 
dont  cet  il  est  le  sujet  est  assez  obscure.  Je  soupçonne  un  parfait  plu- 
tôt qu'un  subjonctif  présent  dans  achapten.  Le  scribe  aurait  pu  faci- 
lement omettre  à  la  droite  du  t  le  signe  abréviatif  qui  vaut  er.  Il  fau- 
drait mettre  à  la  vestizo  de  Fonlop  far  entre  deux  virgules . 

P.  153,  pièce  34,  1.  6.  s'en.  Lis.  s'eu;  faute  d'impression.  N'y  en  a- 
t-il  pas  une  autre  dans  ce  qui  suit  immédiatement  :  non  a  faziaf  Cette 
forme  a,  pour  ^oc^  serait  dans  un  texte  limousin  bien  extraordinaire. 
P.  157,  1.  20.  La  forme  mair  =  mais,  qu'on  lit  ici,  est-elle  sûre? 
Le  glossaire  ne  la  mentionne  pas.  Elle  ne  serait  pas  d'ailleurs  plus 
surprenante  que  mar  et  mor,  l'une  et  l'autre  bien  connues, —  Ihid. 
1.  10,  cui  cel  avem.  Corr.  cin(=sin;  cf.  même  p.  cea^=sea)  celaven? 
Le  passage  n'est  pas  très-clair. —  159,  1.  18,  lire  aqui  on. —  L.  19, 
i  an  fasen  =  y  aille  faisant  (c'est-à-dire  y  fasse);  le  point  d'inter- 
rogation placé  après  an  est  donc  à  supprimer. 

P.  175,2.  Pourquoi  changer  es  ani  en  e  am?  es,  pour  ef,  est  une 
forme  bien  connue. —  178,  1.  29,  lis.  s'i  aperte.  —  197,  1,  7  du  bas, 
ou  fossat.  C'est  déjà  la  forme  actuelle  du  datif  de  l'article  (==.  au), 
et  il  est  intéressant  d'en  constater  l'existence  à  une  date  si  reculée 
(1288). 

P.  308,  dernière  ligne  du  texte.  C'est  à  tort  que  tautum  a  été  sub- 
stitué ktamen.  Ce  dernier  adverbe  est  bien  celui  qui  convient.  L'édi- 
teur n'a  pas  vu  qu'on  fait  ici  allusion  à  la  parenté  spirituelle  qui  se 
contracte  entre  le  parrain  et  la  mère,  ou  entre  la  marraine  et  le  père 
d'un  enfant  baptisé,  et  qui  est  un  des  empêchements  du  mariage. 

T.  II.  P.  5,1.  7.  veit.  Le  sens  paraît  être  vint.  Faut-il  corriger 
veintï  ou   cenit?  Il   y  a  d'autres  mots  latins  dans  ce  document.  — 


BIBLIOGRAPHIE  4î 

Jhid.  1.  14  et  16,  avent.  hive  auenf.  C'est  de  cette  forme  que  s'est 
ensuite  développé  auvent,  par  l'insertion  du  digamma.  —  L,  14,  lo 
jotze.  C'est  probablement  un  surnom.  Il  faut,  par  conséquent,  écrire 
Jotze.  Cf.  p.  24,  art.  8,  p.  25,  art.  50. —  14.  Le  verset  rapporté  dans  la 
note  1,  et  qu'on  trouve  souvent  cité  dans  les  testaments  du  moyen 
âge,  n'est  point  tiré  des  apocryphes.  Il  est  aussi  authentique  et 
canonique  que  possible.  Cf.  Revue  des  l.  rom.,  XXII,  174,  3-7.  —  21, 
1.  2.  Pourquoi  ne  pas  écrire  a  la  Cumba,  et,  ligne  suivante,  u  la 
Clausura  ?  et  de  même  encore  un  peu  plus  bas,  al  Forn,  a  la  Meanla  ? 
p.  23,  dernière  ligne,  al  Poi?  —  24,  1.  4,  lis.  auent.  —  L.  14,  hleih. 
Corr.  meilz  ?  Le  mil  et  le  maïs  (panitz)  sont  souvent  nommes  ensem- 
ble. Voy.  Du  Gange,  sous  pamctM?« . 

Avant  V'mdex  rerum  et  Vindex  nominum,  l'un  et  l'autre  très-co- 
pieux, on  trouve  un  glossaire  provençal  que  j'ai  déjà  mentionné  plus 
d'une  fois  et  qui  est  fort  court,  car  l'auteur  n'y  a  voulu  comprendre 
que  «les  mots,  les  formes  et  les  sens  qui  ne  figurent  pas  dans  le  Lexi- 
que rotnaîi,  ou  qui  oiïrent  un  intérêt  philologique  particulier.  »  On  y 
peut  relever  plusieurs  omissions  :  par  exemple,  absas,  I,  177;  estanc, 
I,  159;  eu  (=  el)  I,  165;  ostra,  I,  181;  la  locution  vendent  e  com- 
l^rant,  I,  177.  Quelques  mots  sont  mal  expliqués  ou  ne  le  sont  pas, 
qui  auraient  pu  l'être.  Justa  est  une  espèce  de  bouteille,  de  vase  à  li- 
quides. Voy.  Du  Cange,  sous  ce  mot.  —  Avena  mespezol  est  Y>QVit-èiY(i 
de  l'avoine  mélangée  de  pois  (mest  pezols).  Cf.  passim  aques  pour 
aquest,  et  quant  à  piezol,  qui  manque  à  Eaynouard.  voy.  Du  Cange, 
sous  ^esaî^. —  Empaitrier  n'a  pas,  ce  me  semble,  la  même  origine  que 
le  fr,  empêtrer.  J'y  vois  une  autre  forme  de  empachier,  c'est-à-dire 
empaitier,  où  la  liquide  se  sera  introduite,  comme  il  arrive  souvent 
après  t.  Cf.  trésor,  fristre,  env.  fr.,  etc.,  etc. —  Tressia  est,  par  mé- 
prise sans  doute,  qualifié  d'adverbe.  C'est  une  préposition. 

Cea  est  bien  certainement  sea,  et  le  sens  de  ce  mot  n'est  pas  dou- 
teux. Il  signifie  siège,  spécialement  siège  épiscopal,  évêché.  Cf.  la 
sea  de  Burdeu  vacant  dans  des  documents  bordelais  de  1274  et  1288 
{Archives  historiques  de  la  Gironde,  t.  V  et  VI).  J'ai  vu  encore  ce  mot 
en  d'autres  textes,  avec  la  même  signification  ' .  La  forme  pleine  seda 
existait  également.  Je  la  trouve  encore  employée  en  plein  seizième 
siècle  dans  le  Languedoc  :  «  Monsenor  le  percurayre  del  Rey  en  la 
seda  reala  de  Limos  »  (1536). 

Chauchiera,  traduit  par  cabane,  avec  le  signe  du  doute,  est  proba- 
blement une  tannerie,  en  prov.  moà.  cauquiero  ;  ce  pourrait  être  aussi 
un  four  à  chaux.  Voy.  calcaria  dans  Du  Cange.         C.  C. 

1  M.  Thomas  l'a  depuis  remarqué  et  signalé  kii-mèine  dans  uu  document 
rouergat  de  1218.  Cf.  Romania,  XIV,  275, 


PÉRIODIQUES 


Bulletin  archéologique  et  historique  de  la  Société  ar- 
chéologique de  Tarn-et-Garonne.  T.  XII.  Année  1884.  2'  tri- 
mestre, 

P.  81.  E.  Soleville.  Chants  populaires  du  bas  Quercy.  Suite  d"une 
très-intéressante  collection.  — 97.  Le  général  Seatelli.  Excursion  ar- 
chéologique faite  à  Cahors  le  28  avril  1884.  —  117.  Ch.  Dumas  de 
Rauly.  Fragments  de  vies  de  saints  en  langue  romane  du  XlVe  siècle. 
Le  ms.  dont  ces  fragments  sont  le  seul  reste  appartenait  à  l'abbaye 
de  Moissac.  Si  mutilé  qu'il  soit,  il  faut  remercier  M.  de  Rauly  de 
l'avoir  fait  connaître.  Les  vies  qu'il  renfermait  étaient  très-brèves,  à 
en  juger  par  ce  qui  s'en  est  conservé.  En  raison  du  peu  d'étendue  de 
ces  fragments,  je  les  reproduis  à  la  fin  du  présent  article,  avec  quel- 
ques corrections  et  quelques  éclaircissements.  La  leçon  du  ms.,  que 
je  suppose  fidèlement  reproduite  par  M.  de  Rauly,  est  toujours  don- 
née en  note,  quand  je  crois  devoir  m'en  écarter.  De  ces  fragments, 
au  nombre  de  sept,  le  premier  et  le  dernier  ont  perdu  leur  rubri- 
que. Il  ne  m'a  pas  été  difficile  de  retrouver  celle  du  dernier  ;  mais 
je  ne  devine  pas  quelle  pouvait  être  celle  du  premier.  La  mention 
de  Figeac  donne  lieu  de  supposer  qu'il  s'agit  là  d'un  saint  particu- 
lièrement honoré  dans  le  Quercy. —  L'écriture  du  ms.  est  du  XIV*  siè- 
cle, et  c'est  aussi  l'époque  qu'indique  la  langue. 


C.  C. 


[Sermo ?] 


quant  li passero  a  Figac,  e  aviahi  i  home  malaut,  e  juret  que 

morgues  '  nepassaria  ain  i  home,  que  loguariria,  e  quant  passero  pel 
pon  de  nuech,  se  tenc  aqui  e  dis  :  «  Ajudes  ^  mi,  per  amor  de  Dieu  td, 
e  tantost  quant  hi  toquet  lo  drap  en  que  era  lo  cors,  el  vich  be  he 
bel. 

8ERM0   SANOTE   GERALDI 

Sans  Guiral  fo  de  Alvernhe,  cavalier  ;  era  fort  noble  home  e  avia 
gran  renda  en  Alvernhye.  E  son  paire  era  de  Carsi  ;  e  non  s'aprojava 
de  la  dona  mas  en  temps  degut,  e  avia  a  nom  Guiral  coma  el,  e  somiet 
que  I  filh  auria  que  auria  a  nom  Guiral  coma  el,  e  en  ayssi  si  ende- 

1  Lis.  )nclf/ues?  Ci.  plus  loin,  p.  45,  notes  2  et  10. —  '  ajeudes. 


PERIODIQUES  45 

venc  ;  e  £es  gran  penedensa  e  det  so  que  avia  per  Dieu  ;  e  had  '  Orlhu 
fan  ne  gran  festa,  car  haqui  es  lo  cors . 

SERMO  DE  SANCTE  LUCHE,  EVANQKLISTA 

Saut  Luc  era  bos  metgues  -,  e  era  d'Antiocha,  segon  que  se  retrav 
en  la  sua  vida,  he  fonc^  companho  de  sant  Paul  en  peragrinatio,  n 
quant  sant  Paul  trametia^  sas  letras  ha  Colocences,  e  el  hy  metin 
S.  Luc,  e  saludava^  los  dizens  :  «  Luchas  nostre  frayre  cars,  que  esa[m'i 

me  »,  e  pueys  anet  en  Gracia aportarlos   evangelis  ha  i  avesque 

que  avia  nom.  . . 

SERJfO   SANCTE  COSME  ET  DAMIE 

Santz  Cosme  et  S.  Damia  ero..  .de  la  cieutat  de  Tra  '^  e  preyro  mar- 
tire  sotz  Dioclesiaremperayre,e  quant  "  no  volian  sacrificar  las  idolas, 
fes  los  liar  e  gitar  en  la  mar.  Els  angielhs  getero  los  foras,  e  aquel 
prezes  ^  que  s'apelava  Licia  damandet  loz  am  quai  malefici  obravo  ^  e 
elhs  disero:  c(  Cristias  sem  j),  e  fec  los  gitar  el  fuoch.  El  foch  per  vo- 
loatat  de  Dieu  si  escantic,  e  adoncas  el  comandet  qiie  hom  los  levés  en 
cros.  E  ero  metgues'"  e  de  noble  linage. 

SERMO   SANCTE   MICHAELIS 

Deves  far  raso  de  saut  Miquel,  e  deves  saber  oitra  mar  en  Epulia 
ha  i^  cieutat  que  s'apela  Senpodi  ;  e  près  de  la  cieutat  ha  i  puech  que 
a  nom  Gargar,  e  a  la  sima  del  puech  ha  una  belha  cava,  en  laquai 
S.  Miquels  a  '^  gleya,  e  hom  no  Ti  sabia  :  e  al  pe  del  puech  estava  i  home 
rie  que  avia  gran  bestial,  e  avia  a  nom  Guargua  coma  lo  puech,  e  i 
dia  el  marich  l  taur,  e  quant  lo  queria,  el  venc  a  la  boca  de  la  cava 
la  on  l'om  '^  entrava,  amb  "  i*  sageta  •'. . . 

SERMO   SANCTE    ANNE 

Sancta  Anna  hac  très  maritz,  de  cascun  hac  una  filha  que  avia  a 
nom  Maria.  E  la  una  hac  '^  Nostre  Senhor,  e  la  autra  "'  Jacme  [lo  Me- 
nor,  e  la  autra  Jacme"] .  frajTe  de  sant  Johan,  lo  '^  Major  ;  et  aquest 
apelha  se  lo  Major,  e  foc  frayre  de  san  Johan,  e  totz  très  foro  cozis. 


1  fiac^  _  2  monjues.  —  -^  fouc.  —  *  trcunitia.  —  '"  saludavo.  —  6  Corr. 
d'Egea.  -'  Corr.  quar7—  «Simple  transcription  du  latin  prœses.—  ^  obrava. 

1»  morgues.—  n  Miquel  fa.—  ^'-  la  canale  no  lon.—  '^^  suh.—  i*  fageta . 

15  hat.—  <6  autre.  —  ^^  Lacune  évidente  et  que  je  n'ai  peut-être  qu'incom- 
plètemeot  remplie. La  fîUe  d'Anna  et  de  son  second  mari,  à  savoir  Marie  CIpo- 
phas  ou  Jacobi,  eut  en  effet,  d'après  la  légende,  outre  Jacques  le  Mineur,  trois 
autres  fils  :  Simon,  Jude  et  Joseph  le  juste.  —  *^  le 


46  '  PERIODIQUES 

Aquest  s'en  anet  per  Samaria  e  en  darier  en  Espanha  e  convertit  ix 
mila  liomes  '  a  la  ley  de  Dieu ,  e  d'nqui  tornet  s'en  o  S[a]  maria  -,  e  aqui  '' 
ne  lay[sset]  dos  per  predicar  (predicava)  la  paraula  de  Dieu.  Alcuns  '* 
que  se  apelhava  Magus  ^  trames  li  un  apostol  sien,  que  apelhava  Fles- 
cus^,  que  loi  adusces  ' .  . . 

[SERMO   SANCTE    MARTHE] 

6  s'aprojava  de  l'aygua  e  no  podia  passar,  car  no  y  avia  ges  de  nau,  e 
mes  si  sus,  e  neguet  ;  e  els  fei'o  retirar  lo  e  aportero  1o  als  cieus  pes, 
e  resuscitet  lo,  disens  :  «  Vay  sus,  bel  jovencel  !  »  e  près  lo  per  la  ma 

he  batejet  lo.  E  prediquet  longtemps *,  he  dis  Nostre  Senhor  : 

«  Veni,  la  mia  amada,  tu  me^  as  receuput  en  ton  hostal,  he  ieu  te  re- 
ceubray  el  meu  paradis.»  E  fes  legir  la  passio  de  sant  Luc  davan  '^  si, 
e  quant  los  lectors  l'agro  fiaida  de  legir,  el[a]  dis:  «  In  manus  tuas 
commendo  spiritum  meum  »,  et  cum  ipsa  tune  expiravit.  E  aquo 
fach.  .  .un  avesque  "  que  era  cantava  sa  messà,  e  cant  los  [clergues] 
cantavo  lo  resposse  el  adoremus  '-,  e  venc  '^,  e  dis  *'*  li  :  «  Lo  meu 
amat  Fron,  levât,  anem  sebelir.  . .  .nostra  hostalieyra.  »  Els  clergues 
canthero, .  .el  remanen^^,  epuej's  sonero  li.  .  .e  a  pen[as]'^. .  .  :  «Trop 
me  aves. . .  cochât,  que  l'anel  els  gants  que  me  *'  bayliey  '^  al  gardian  '•' 
.    .»...  van  -"  lo  querre,  e  donero  l'anel  e  i  gan,  [ej  gardero  l'autre. . . 

Mémoires  de  la  Société  des  arts  et  des  sciences  de  Car- 
cassonne.  T.  IV.  3«  partie,  1884. 

P.  3G7.  P.  Foncin.  Aj^ropos  d'un  autographe  de  Descartes    et  d'un 

'  Corr.  discipols,  en  supprimant  lyiila  ?  Cf.  la  Légende  dorée  :  «  sed 
(lum. ..  soluramodo  ibidem,  ix.  discipulos  acquisivisset.  duos  ex  illis  causa 
prœdi  candi  reliquit... .» 

-  Esmaria.—  ^  C'est-à-dire  en  Espagne  —  ^  alcum. 

^  J'ai  dû  changer  l'ordre  de  ces  derniers  mots  pour  leur  donner  un   sens, 

et  un  sens  conforme  à  ce  qu'on  lit  dans  la  légende.  Le  ms.  porte  :  « ne 

lay  dos  alcum  que  se  apelhava  Magus  per  predicar.  Predicava  la  paraula  de 
Dieu,  trames  li.  .»  Magus,  du  reste,  dont  l'auteur  fait  un  nom  propre,  n'in- 
dique dans  le  texte  latin  de  Voragine  que  la  qualité  du  personnage  en  ques- 
tion, lequel  s'appelait  Ilermogenes.  —  **  Philetus,  dans  la  Légmidc  dorée.  — 
'  aduscef. 

'  Lacune  évidente,  quoique  non  indiquée. —  ''  mes. —  i"  dabmi. —  "  abes- 
que.  Il  s'agit  de  saint  Front,  évéque  de  Périgueux.  —  '*  adorent. 

'•'A  savoir  Jésus-Christ. —  ^^  die.  —  ^^  romanem.  —  ^'^  C( .  Leyenda 
aurea:  «  et  vix  excitatus  respondit...  »  —  *'  Corr.  ieu?  —  '^  laylieg.  — 
•9  gardiar.  Lacune  évidente  après  ce  mol,  bien  qu'on  n'en  indique  aucune. — 
"  vaij. 


PERIODIQUES  47 

document  inédit  sur  le  Cogito  ergo  sum. —  383.  Louis  Fedié.  Archives 
de  l'abhaye  de  La  Grasse.  La  Bulle  sur  papyrus  du  pape  Agapet  II . 
—  410.  M.  Mouynès.  Serment  exigé  des  Juifs  habitant  Carcassonne. 
Extraits  des  archires  du  département  de  l'Aude.  Ce  document,  en  lan- 
gue vulgaire,  est  donné  comme  du  XITP  siècle  ;  mais  la  langue  sem- 
ble indiquer  une  époque  plus  récente.  Le  même  serment  était  imposé 
aux  Juifs,  à  Arles  (on  le  trouve  en  latin  dans  les  coutumes  de  cette 
ville*),  et  sans  doute  ailleurs.  Cette  édition  du  texte  de  Carcassonne 
laisse  à  désirer. — 415.  Frédéric  Faber.  La  Carrière  dramatique  de  Phi- 
lippe-Françoïs-Nazaire  Fahre  d'Eglantine,  membre  de  la  Convention 
nationale.  Étude  biographique  accompagnée  de  documents  fort  inté- 
ressants. 

C.  C. 

Bulletin  de  la  Société  des  études  du  Lot.  T.  X,  2«  fasc.  — 
La  publication  du  registre  consulaire  de  Cabors,  connu  sous  le  nom  do 
Te  igitur,  que  la  Société  des  études  du  Lot  avait  commencée  dans  ses 
premiers  bulletins,  et  qui  était  restée  depuis  longtemps  interrompue, 
est  heureusement  reprise  dans  ce  numéro.  Nous  faisons  des  vœux 
pour  le  prompt  achèvement  de  cette  utile  publication,  dont,  par  suite 
du  départ  de  M.  Paul  Lacombe,  MM.  L.-L.  Combarieu  et  F.  Can- 
gardel  restent  à  présent  seuls  chargés-. —  Le  même  numéro  contient 
la  suite  des  Esbats  de  Guyon  de  Malevllle,  autre  publication  qu'on  ne 
saurait   trop  louer  la  Société   des   études  du  Lot  d'avoir  entreprise. 

C.  C. 

Mémoires  de  l'Académie  de  Nimes.  Ville  série,  t.  VI,  année 
1883.  —  Parmi  les  nombreux  mémoires  dont  se  compose  ce  volume, 
nous  n"avons  ici  à  en  signaler  que  deux.  Ils  sont  dus  l'un  et  l'autre  à 
M.  E.  Bondurand,  archiviste  du  Gard.  Le  premier  (pp.  29-41)  a  pour 
titre  les  Criées  ou  proclamations  du  baron  d'Hier  le  (\.  il  5).  C'est  un 
texte  en  langue  d'oc,  accompagné  d'un  avant-propos  et  de  notes. 
P.  32,  III,  1.5,  il  faut  sans  doute  lire  hont  au  lieu  de  houe;  sans  doute 
aussi,  p.  35,  XV,  4,  sieuas  au  lieu  de  sienas.  P.  27,  1.  1,  enpertrara 
est  plus  que  suspect.  Corr.  apertenra'^  —  Le  sujet  du  second  (pp.  43- 


1  Voy.  Ch.  Oiraiid,  Essai  sur  l'histoire  du  droit  français  au  moyen  âge, 
t.  II,  p.  244. 

2  Voici  quelques  remarques  sur  1e  texte  et  la  traduction.  F.  \ïy\  detat  veut 
dire  d'âge,  et  non  en  état.—  159,  1.  11  et  13  du  bas,  Wf..  deu  o  et  non  devo; 
—  p.  166,  1.  8,  lis.  pejuramens  ;—  1.  11,  lis.  vius  et  non  unis  ;—  1.  14,  lis. 
palha  ni,  et  non  palham  ;  —  p.  167.  lis.  de  l'u  >liu  a  l'autre  et  trad.  d'un 
jour  à  l'autre,  et  non  chaque  lundi. 


48  PERIODIQUES 

74),  qui  est  beaucoup  plus  intéressant,  est  le  Livre  des  pèlerins  de 
S.  Jacquen,  nis.  du  XlVe  siècle,  qui  contient  les  statuts  en  langue  d'oc 
d'une  confrérie  de  saint  Jacques  fondée  à  Nimes,  des  listes  de  mem- 
bres de  cette  confrérie,  des  inventaires,  comptes,  procès-verbaux,  en 
langue  d'oc  ou  en  latin,  le  tout  publié  avec  soin,  en  partie  traduit,  et 
accompagné  des  éclaircissements  nécessaires.  Ces  statuts  sont  presque 
entièrement  envers,  et,  sauf  les  six  premiers,  sur  l'assonance  a  d'un 
bout  à  l'autre. 

Un  de  ces  vers,  le  sixième,  dont  le  second  hémistiche  est  tout  fran- 
çais {Car  très  ves  l'an  sedet  hom  confeser),  détonne  parmi  les  autres  et 
pourrait  faire  sui>poser  qu'on  a  traduit  cette  pièce  de  la  langue  d'oil  ; 
mais  les  rimes  ne  favorisent  pas  cette  hypothèse.  —  Sept  lignes  de  la 
p.51,queM.  Bondurand  a  imprimées  comme  de  la  prose,  sont  en 
vers  comme  ce  qui  précède,  et  doivent  être  lues  : 

Et  se  a  ben  de  que,  que  sia  cm  sobrat', 

Adons  de  la  soa  arma  il  lo  devoQ  pregar. 

Mais  cant  i  aura  confraire  que  sos  obs  non  aura, 

Az  aqiiel  devon  eser  luimils  en  consolar. 

Car  greumens  es  malaules  om  can  paupertat  a. 

Per  que  il  li  acoron,  car  il  o  devon  far, 

Tro  que  Dieus  n'azordene  so  que  Ha  plazera, 

Per  vida  o  per  mort,  c'aisis  coven  de  far. 

Suivent  trois  lignes  dont  les  deux  dernières  pourraient  bien  aussi 
avoir  été  des  vers;  la  rime  y  est  encore,  mais  non  la  mesure. 

Le  texte  appelle  peu  d'autres  remarques  critiques.  P.  49,  il  faut 
écrire,  en  doux  mots,  a  guazaniar;  p.  50,  hen  e  dcvotainens,  ben  e  rr- 
gladamens,  et  non  pas  hene  ;  ibid.,  avant-dernière  ligne,  saviamens; 
p.  51,  sieitas,  probablement,  et  non  sienas,  qui  serait  français;  p.  52, 
volia  au  lieu  de  voira . 

Ce  texte  enrichira  la  lexicographie  provençale  au  moins  d'un  mot 
nouveau:  c'est  tarneinhre  (oubli)  (p.  52);  substantif  verbal  qui  au- 
torise à  admettre  l'existence  simultanée  de  tarneinhrar  {tarde  mémo- 
rare).  A  la  p.  50,  on  lit  :  lo  per  orde  veiira  Que  trastots  los  con- 
fraires  per  lor  nom  nomnara.  Per  orde,  comme  l'indique  l'article  qui 
précède,  doit  être  ici  un  nom  composé  ;  à  moins  qu'il  ne  faille  écrire 
en  un  seul  moi  perorde,  où  ^;er  serait  pour  pvp  {praiordo).  Ce  serait 
quelque  chose  comme  le  président. 

M.  Bondurand    compare,  dans   son  introduction,  les   statuts  de  la 

'  C'est-à-diii' :<!  S'il  a  bien  di*  quoi,  (|u'il  soit  homme  qui  ait  du  superflu.  » 
Pour  cel  emploi  Ju  paît.  pas?t'.  cf.  1p  fr.  aisé  =:qui  ade  l'aisance,  etc. 


CHRONIQUE  49 

confrérie  niraoise  de  Saint-Jacques  à  ceux  d'une  confrérie  établie  à 
Fanjeaiix  (Aude)  au  XIII^  siècle.  Mais  ceux-ci  sont  en  prose;  et  on 
en  connaît  d'autres,  rédigés  en  vers  comme  ceux  de  Niraes,  que  c'était 
ici  le  cas  de  rappeler.  Ils  ont  été  publiés  dans  la  Romania  (VIII, 211) 
par  MIL  Coliendy  et  Thomas',  qui  les  ont  utilement  rapprochés  des 
statuts  (en  prose)  de  la  confrérie  de  Saint-Sauveur,  fondée  à  Limoges 
en  1212. 

C.  C. 


CHRONIQUE 


Extrait  du  procès-verbal  de  la  séance  du  14  février  1886  du  Comité 
d'administration  de  la  Société  pour  l'étude  des  Langues  romanes. 

<(  Le  secrétaire  communique  une  lettre  de  M.  le  Président  du  Co- 
mité de  souscription  pour  le  buste  de  Boucherie,  de  laquelle  il  ré- 
sulte que  ce  Comité  «  a  décidé  que  le  reliquat  des  fonds  réunis  par 
))  ladite  souscription,  montant  à  522  fr.  71  c.,sera  remis  à  la  Société 
))  pour  l'étude  des  langues  romanes,  à  la  charge  pour  elle  d'emplo_yer 
y>  cette  somme  à  la  fondation,  à  la  Faculté  des  lettres  de  Montpellier, 
»  d'un  prix  quadriennal  de  philologie  romane,  constitué  par  les  inté- 
»  rets  de  ladite  somme  placée  en  rentes  sur  l'Etat  au  taux  de  3  %. 
»  Ce  prix  sera  intitulé  :  Prix  Anatole  Boucherie,  fondé  par  la  Société 
»  pour  l'étude  des  langues  romanes.  » 

»  La  Société  accepte  ces  conditions  et  décide  qu'elle  parfera  la 
somme  nécessaire  pour  l'achat  d'un  titre  de  rente  de  25  fr.,  afin  que 
le  prix  que  le  Comité  de  la  souscription  Boucherie  lui  laisse  l'hon- 
neur de  fonder  ne  soit  pas  inférieur  à  luO  fr. 

»  Sur  la  demande  de  M.  Castets,  il  est  décidé  que  le  procès- verbal 
de  la  dernière  séance  du  Comité  de  la  souscription  Boucherie  sera  in- 
séré dans  le  plus  prochain  numéro  de  la  Revue  des  langues  romanes .'» 

Comité  de  la  souscription  pour  élever  un  buste  à 
Anatole  Boucherie 

Procès-verbal  de  la  dernière  séarice 

Le  dimanche  24  janvier  1886,  les  membres  du  Comité  et  les  sous- 
cripteurs régulièrement  convoqués  se  sont  réunis  dans  la  salle  des 
séances  de  la  Société  jfour  l'étude  des  langues  romanes  (rue  de  l'An- 
cien-Courrier,  18),  sous  la  présidence  de  M.  Castets. 

Etaient  présents:  MM.  Auzillion,  Bazille  (Louis),  Bonnet  (Louis), 
Bonnet  (Max),  Castets,  Chabaneau,  Croiset,  Dauriac.  Gachon,  Ger- 
main, Granier,  Hamelin  (Ernest),  Itier,  Lambert  (Louis),  Martin  (Ar- 
thur), Planchon,  Revillout,  Westphal-Castelnau. 

»     Cf.  Revue  des  l.  rom.,  XVI,  85. 


tO  CHRONIQUE 

MM.  Bousquet,  Bruyn-Andrew-8,  Boucherie  frères,  de  Berlue,  Don- 
nadieu,  Grand  d'Esnon,  Le^pj'',  Mistral,  Taniizey  de  Larroque,  Savine 
(Albert),  s'excusent  par  lettre  de  ne  pouvoir  assister  à  la  réunion. 

M.  Castets,  président,  prononce  une  allocution  où  il  félicite,  au 
nom  de  tous  les  souscripteurs,  M.  Léopold  Savine,  auteur  du  buste 
de  Boucherie,  pour  le  talent  avec  lequel  il  a  accompli  uu  travail  dif- 
ficile, sans  vouloir  accepter  aucune  rémunération. 

Il  fait  remise,  au  nom  du  Comité,  à  la  Société  pour  l'étude  des  lan- 
gues romanes,  du  buste  en  bronze  de  A.  Boucherie. 

M.  Itier,  vice-président  de  la  Société,  remercie  le  Comité  et  ac- 
cepte, au  nom  de  la  Société  des  langues  romanes,  le  don  qui  lui  est 
offert . 

M.  Westphal-Castelnau  lit,  pour  M.  Eoque-Ferrior,  secrétaire  du  Co- 
mité, empêché,  un  rapport  sur  l'origine  et  le  but  de  la  souscription. 

M.  Lambert,  trésorier,  rend  compte  de  l'emploi  des  fonds  versés 
entre  ses  mains  comme  suit  : 

Recettes 

Les  cinq  listes  publiées  dans  la  Revue  des  langues  romanes  (fasc. 
de  juin,  août,  octobre,  décembre  1883  et  janvier  1884,  s'élevaient  à 
lasommede Fr.      2,012  50  | 

A  rectifier  dans  l'addition  de  la  quatrième  j       2,022  50 

liste 10     »  ' 

Six  souscriptions  n'ont  pu  être  recouvrées  par  suite  de 
décès  ou  autres  motifs,  ensemble 41     » 

Total  net  des  sommes  reçues 1 ,981  50 

Dépenses 

Frais  d'impression  et  affranchissements  ...  147  46  ^ 

Moulage  et  fonte  du  buste,  piédouche,  pié-  j 

destal,  etc 800  70  i 

Clichés,  tirage  et  envoi  de  la  photographie  f 

du  buste  aux  souscripteurs 192   10 )■      1,458  79 

Un  bronze  de  Barye  offert  à  l'auteur  du  buste  i 

et  une  photographie  encadrée  à  M.  Goûtés,  ar-  I 

chitecte 248     »  ] 

Frais  de  correspondance  et  recouvrements..  70  53  / 

Excédant  des  recettes Fr.         522  71 

L'Assemblée  approuve  les  comptes  du  trésorier. 

Le  Président  met  en  discussion  la  question  de  l'emploi  du  reliquat. 
Plusieurs  propositions  sont  présentées. 

Après  une  discussion  à  laquelle  prennent  part  I\IM.  Chabaneau, 
Itier,  Croiset,  Castets,  Planclion,  Germain,  Hamelin,  le  Comité  prend 
la  délibération  suivante  : 

c(  Le  Comité  de  la  souscription  Boucherie  donne  à  la  Société  pour 
»  l'étude  des  langues  romanes  le  reliquat  de  cette  souscription,  s'éle- 
))  vant  à  la  somme  de  522  fr.  71 . 

»  Il  est  entendu  que  \aSocicté  des  langues  romanes  transmettra  cette 
»  somme  en  toute  propriété  à  la  Faculté  des  lettres  de  Montpellier, 
»  aux  conditions  suivantes  : 


CHRONIQUE  51 

»  1"  La  Faculté  des  lettres  transformera  cette  somme  en  rentes 
»  3  °/o  sur  l'Etat  ; 

))  2o  Les  intérêts  capitalisés  en  seront  employés  à  foncier  un  prix 
»  de  philologie  romane,  qu'elle  décernera  tous  les  quatre  ans  après 
»  un  concours. 

»  S-^  Ce  prix  s'appellera:  Prix  Anatole  Boucherie,  fondé  par  la  So- 
y>  ciét^  pour  l'étude  dfis  langues  romanes.   » 

Sur  la  demande  de  M.  Lambert,  l'Assemblée  décide  que  les  procès- 
verbaux,  rapports,  comptes,  factures,  etc.,  seront  déposés  aux  archives 
de  la  Société  des  langues  romanes. 

Sur  la  proposition  de  M.  Eevillout,  l'Assemblée  vote  des  remercie- 
ments aux  membres  du  Bureau  pour  le  dévouement  avec  lequel  ils 
se  sont  acquittés  de  leur  mandat. 


Fait  à  Montpellier,  le  24  janvier  1886. 


Nous  sommes  heureux  d'annoncer  à  nos  lecteurs  la  prochaine  appa- 
rition d'un  ouvrage  de  notre  confrère  M.  Frédéric  Donnadieu,  qui  ne 
pourra  manquer  d'être  bien  accueilli  des  amis  de  la  littérature  pro- 
vençale. Il  a  pour  titre  les  Précurseurs  des  Féllhres.  C'est  le  travail 
qui  a  obtenu  le  prix  du  Ministère  de  l'instruction  publique  au  con- 
cours de  la  Société  des  Félibres  de  Paris  en  1883. 

L'auteur  l'a  augmenté  de  plusieurs  notices.  11  le  présente  au  public 
sous  la  forme  la  plus  élégante,  en  un  volume  grand  in-S»  raisin,  orné 
de  dix  portraits,  vues  et  monuments  du  Midi,  gravés  à  l'eau-forte 
par  P.  Maurou,  planches  hors  texte,  dessins  et  illustrations  dans  le 
texte. 


Souscription  organisée  par  les  Félibres  de  Paris  pour  offrir  à 
Frédéric  Mistral  son  buste  en  bronze 

Des  admirateurs  nombreux  du  poëte  ayant  manifesté  le  désir  de 
lui  rendre  un  hommage  public  et  durable,  les  félibres  de  Paris  ont 
organisé  une  souscription  pour  otfrir  à  leur  chef  et  illustre  CapouHé 
son  buste  en  bronze,  d'après  le  beau  buste  en  marbre  commandé  au 
scultpteur  Amy  par  le  Ministère  des  beaux-arts  et  destiné  à  un  mu- 
sée du  Midi. 

Ils  font  appel  à  tous  les  amis  du  poëte  et  de  la  poésie  provençale. 

Le  Président  des  félibres  de  Paris, 
Sextius  Michel  (^  I.  Q), 
Vice-président  de  la  Société  des  ciiefs  d'institution. 

Paris,  le  28  janvier  1886. 

Prière  d'envoyer  le  montant  de  la  souscription  à  M.  Sextius  Mi- 
chel, président  de  la  Société  des  Félibres  de  Paris  et  maire  du  15'= 
ai-rondissement  (63,  rue  Violet,   Paris). 

N.-B.  —  Tout  souscripteur  recevra  une  reproduction  photogra- 
phique du  buste  de  Frédéric  Mistral  (carte-album^  grand  format).  — 
La  liste  des  souscripteurs  sera  publiée  dans  les  journaux  et  revues 
du  félibrige. 


52  CHRONIQUE 


Le  Courrier  de  Vnugelas,  revue  philologique,  grammaticale  et  hiato- 
rïque,  coiirounee  par  l'Académie  française . 

Les  premiers  numéros  de  la  seconde  série  de  cette  utile  publication 
viennent  de  paraître.  Nous  ne  saurions  trop  la  recommander  aux  per- 
sonnes qui  s'intéressent  à  la  solution  des  diflieultés  grammaticales,  à 
l'explication  des  locutions  usuelles  et  proverbiales  et  à  leur  origine,  à 
l'étymologie  peu  connue  de  certains  mots,  eniiu  aux  remarques  inspi- 
rées {)arles  singularités  de  la  langue  française. 

Sous  le  titre  la  Légende  et  la  Vérité,  le  Courrier  de  Vaugelas  fait  la 
critique  des  faits  et  des  mots  réputés  authentiques,  et,  d'après  les  der- 
niers documents,  reconnus  faux  ou  dénaturés. 

L'article  Variétés  contient  des  curiosités  historiques,  littéraires, 
anecdotiques,  des  lettres  autographes  et  des  pièces  inédites.  Un  compte 
rendu  des  ouvrages  de  philologie,  histoire  et  littérature,  est  donné  sous 
la  rubrique  les  Livres  du  jour,  et  sous  celle  de  Théâtres  sont  analy- 
sées les  œuvres  dramatiques  dignes  d'attirer  l'attention  au  point  de 
vue  du  style,  de  l'art  scénique  ou  musical.  Une  hihliographie  des  ou- 
vrages de  philologie  et  de  grammaire  récemment  parus  complète  cet 
intéressant  recueil,  le  seul  qui  existe  en  ce  genre. 

Notons  enfin  qu'un  supplément  de  quatre  pages  comprend  la  publi- 
cation d'un  important  ouvrage  couronné  par  l'Académie  française  : 
le  Mi^  de  Grignan,  petit-fils  de  M™"  de  Sévigné,  parirL  Frédéric 
Masson. 

Le  Courrier  de  Vaugelas  a  obtenu  le  prix  Lambert,  et,  de  plus,  son 
mérite  a  été  consacré  par  Littré,  qui  cite  nombre  de  fois  son  opinion 
et  l'approuve  dans  son  supplément  de  1878. 

Le  prix  de  l'abonnement  est  de  10  fr.  pour  la  France  et  de  12  fr. 
pour  l'étranger.  Vingt  numéros  par  an  distribués  périodiquement. 
Adresser  un  mandat-poste  à  MM.  Firmin-Didot  et  Ce,  imprimeurs  de 
l'Institut,  1)6,  rue  Jacob,  Paris. 


Le  gérant  responsable  :  Ernest  IIamelix 


Montpellier.  —  Imprimerie  centrale  du  Alidi  (Hameiiu  Frères] 


Dialectes  Anciens 


DOCUMENTS 
SUR  LA  LANGUE  CATALANE 

DES  ANCIENS     COMTES   DE    ROUSSILLON    ET  DE    CERDAGNR 
(de  1311  à  1380) 


En  publiant  ces  Documents  sur  la  langue  catalane  des  anciens 
comtés  de  Roïissillon  et  de  Cerdagne,  nous  désirerions  compléter  le 
travail  d'un  homme  éminent  qui  avait  bien  voulu  nous  honorer  de 
son  amitié  et  de  ses  précieux  conseils  dans  les  dernières  années  do 
sa  vie.  Tous  les  lecteurs  de  la  Revue  des  langues  romanes,  tous 
les  linguistes,  connaissent  les  études  d'Alart  sur  la  langue  catalane. 
Les  documents  qu'il  a  publiés  ici  même  s'arrêtent  à  la  fin  du  règne 
de  Jacques  I^""  de  Majorque,  qui  mourut  à  la  fin  de  juillet  1311;  mais 
nous  savons  positivement  *  que  l'idée  de  jnotre  savant  ami  était  de 
pousser  cette  publication  jusqu'à  l'année  1380,  époque  où  la  langue 
catalane  peut  être  considérée  comme  fixée.  C'est  cette  lacune  de 
1311  à  1380  que  nous  nous  proposons  de  combler. 

Alart  a  pris  les  documents  de  sa  collection  dans  le  Livre  vert  mi- 
neur et  dans  le  Livre  premier  des  Ordinacions  de  la  cour  du  bailli 
de  Perpignan,  tous  deux  conservés  aux  archives  communales  de  cette 
ville,  et  dans  le  xvii<^  registre  de  la  Procuracio  realj  qui  est  aux  ar- 
chives du  département  des  Pyrénées-Orientales.  Nous  puiserons  aux 
mêmes  sources,  sauf  de  rares  exceptions. 

Nous  savons  en  quelle  haute  estime  les  meilleurs  érudits  tenaient, 
le  talent  de  notre  maître  et  ami;  nous  savons  aussi  quelle  connais- 
sance minutieuse  et  profonde  il  avait  des  vieux  textes  catalans:  c'est 
assez  dire  que  nous  ferons  tout  notre  possible  pour  que  le  travail  de 
l'élève  ne  soit  pas  trop  indigne  de  celui  du  maître. 

Pierre  Vidal. 

1   Revue  des  langues  romanes,  III,  p.  267,  et  IV,  p.  45. 

TOME  XV  DE  LA  TROISIÈME  SÉRIE.     —    FEVRIER  1886.  4 


54  DOCUMENTS 

PREMIERE  PARTIE 


REGNE  DE  DON  SANCHE,  DE  MAJORQUE 
(1311-1324) 


REGLEMENT  POUR    LES   FILEURS     ET    PILEUSES  DE  LAINE 

Quinlo  idus  augusli  anno  dommi  m.ccc.xi.  —  Inàt  factahec 
preconitzacio  infrascripla  ex  parte  hqj^ili  Perpiniani  in  hune 
modum. 

Auyatz  que  mana  lo  batle  del  s.  Rey,  que  noy  aja  nulhom 
crestia  ni  Juseu  qui  gaus  portar  lana  ni  estam,  ni  correteyar 
fillat',  per  vendre,  d'aqui  anant:  e  aquel  qui  contre  fara  pa- 
gara  per  pena  v.  s. 

Item  mana  que  no  ni  aga  negun  ni  neguna  per  ardiment 
que  aga,  qui  gaus  prestar  alcuna  [lana]  filada  ni  a  ffllar,  d'un 
pugesal  avayl  :  e  aquel  o  aquela  qui  aquest  manament  pas- 
sara,  perdra  tôt  aisso  quey  aura  prestat,  e  mes  per  pena 
V.  s. 

hem  mana  que  neguna  filanera  no  gaus  penre  lana  ni  es- 
tam per  filar  mentre  naja  daltre  ;  e  aquela  qui  aquest  mana- 
ment passara,  pagara  de  pena  xii.  d. 

Iteyn  mana  a  totes  les  filaneres,  que  no  gausen  mètre  en 
negun  capdel  destam  negun  foniro,  sino  del  estam  mesex,  e 
sia  filât,  sia  lur  o  daltruy  :  e  qui  contre  ayso  fara,  pagara  de 
pena  xii.  dr. 

De]  les  quais  damont  dites   pênes    aura  lo  dcnunciador  la 

terssa  part, 

[Ovdinacions,  [,  fo  4V)  v".) 

II 
MISE  EN  VIGUEUR  PU  RÈGLEMENT  DES  TUILERIES 

Divenres  xxviiii.  dies  del  mes  de  wjtubri  en  laijn  que  hom  eom- 
'  Lisez  fitat. 


SUR  LA  LANGUE  CATALANE  55 

tava  u.ccG.xi. —  La  dita  ordinacio  '  fo  lesta  e  revelada  en 
presencia  dEn  Brg  de  Sant  Paul,  batle  de  Perpenya,  e  den  Bù 
Brandi  juge,  e  den  Vidal  Grimau  e  den  Bfi  de  Vernet  e  den 
Bii  Morrut,  cossols  de  la  dita  vila  de  Perpenya,  e  den  Huget 
Sebors  e  den  Hue  de  Cantagril,  prohomes  de  la  dita  vila,  e  del 
senyor  En  Ar.  Vola,  tenent  loc  del  senyor  En  Brg  de  Pera- 
pertusa,  cavaler,  veger  de  Rôsseylo  e  de  Vallespir  :  lo  quai 
senyor  En  Arn.  Vola  vole  que  aquest  ordonamcnt  âges  loc 
par  tota  la  terra  de  Rôsseylo  e  de  Valespir. 

[Ordinacio7U,  I,  f''  2  ro.) 

111 

DEFENSES  DIVERSES  FAITES  AUX  HABITANTS  DE  PERPIGNAN 

1311? —  Mana  lo  batle  del  senyor  rey. 

Que  negun  hom  qui  aga  jurât  no  poder,  no  sia  corrater  ni 
gaus  usar  de  offici  de  corrateria  ;  e  qui  contrefara  pagara  per 
cascuna  vegadaL.  s.,  e  si  nols  volia  pagar  o  nols  podia  pagar, 
pacli  X,  assotz  :  de  la  quai  pena  dels  l.  s.  aura  lo  denonciador 
la  terssa  part. 

Item  que  negun  Juseu  ni  Juseua  no  gausiavar  ni  fer  lavar 
roba,  ni  ruscada,  ni  escudeles,  ni  negunes  autres  causes,  en 
dia  de  festa,  en  les  riberes  :  e  qui  contre  ayso  fara  pagara  de 
pena  per  cascuna  vegada  m.  s.,  de  laquai  lo  denonciador 
aura  lo  tertz. 

Item  mana  que  negun  ni  neguna  de  la  vila  de  Perpenya  no 
gaus  donar  o  fer  donar  per  si  ni  per  altre  a  menjar  ni  a  beure 
neguna  hora  del  dia,  ni  diner  en  loch  de  menjar  ni  de  beure, 
a  negun  hom  o  fembra  ques  loch  en  neguna  obra  de  cal  que 
condicio  que  sia  per  diners,  sos  -  a  saber,  a  masestres  de 
pera  e  de  caus  ni  de  terra,  ni  a  la  menobra  que  pertanga  als 
masestres,  ni  a  negun  traginer,  o  hortolan,  ni  a  neguns  ar- 
cheyadors,  ni  pintenador  de  lana,  ni  a  lavadors  ni  a  lavaneres 
de  lana,  ni  a  filaneres  de  lana,  ni  a  espardaners  de  li,  ni  a  mas- 

1  II  s'agit  ici  de  VOrdonament  dels  forns  teidevs,  so  es  assaber  en  quai 
manera  deuen  coyre  e  fer  los  cayvos  els  feules,  qui  est  de  1284  ou  de 
1285.  —  Publié  par  Âlart,  Revue  des  Lang.  rom.,  IV.  p.  362. 

-  Pour  so  es. 


56  DOCUMENTS 

sadors  de  li,  ni  a  triadors  de  lana,  ni  a  negun  hom   o  fembra 

ques  loch  per  diner  a  fer  calque  obra  que  sia,  dinsla  vila  de 

Perpenya  o  de  fora.  E  qui  contre  aysso  fara,  pagara  per  cas- 

cuna  vegada,  sos  asaber,  aquel  o  aquelaqui  dara  lo  dit  menjar 

o  beure   o  diners    en   loch    de   menjar  o  de   heure,  v.  s.,  el 

maestre  de  para  o  de  caus  o  de  terra  qui  o  penra  v.  s. ,  e  les 

autres  qui  penran  lo  dit  menjar   o  beure  o  diner  en  loch  dels 

ditz  menjars  o  heures,  ii.  s.  No  entenem  en  aysso  fusters  quis 

loguen  en  temps  de  venimies. 

Item  que  negun  ni  neguna  no  gaus  donar  o  fer  donar,  per 

si  ni  per  altrc,  negun  servesi   en  diner  ni  en  altre  manera,  ni 

donar  a  mengar   ni   a  beure  a  negun  moner  o  forner;  e  qui 

contrefara,  pagara  de  pena  per  cascuna  vegada  m.  s,  aquel  o 

aquela  qui  o  demanara    e  aquel    qui  o  penra,  dels  cals  lo  de- 

nunciador  aura  lo  tersstz. 

(Ordinacions ,  I,  fo  52  v.) 


IV 

MÉMOIRE   DE    LETTRES    REMISES    A    B.     DURAN,   PROCUREUR 
DU    ROI    A    MONTPELLIER 

Aquestes  son  les  cartes  que  foren  liurades  an  Biî  Duran, 
procurador  per  lo  molt  ait  senyor  Rey  de  Malorchcs  en  la 
vila  de  Monpesler  e  en  tota  la  baronia,  per  los  procuradors 
del  dit  senyor  rey  de  Malorches,  ayxi  corn  davayl  es  conten- 
gut. 

Digous-viii  dies  del  mes  de  setembre,  en  layn  de  -micccxi. 
liuraren  en  P.  de  Bardoyl  en  P.  Matfre  an  Bn  Duran,  pro- 
curador en  la  baronia  de  Monpesler,  cartes  pertanyentz  a  Pa- 
hola  e  ad  Adia  et  a  Vailles' lxxxxi. 

Item  li  liuraren  cartes  pertanyentz  al  castel  de  Pa- 

pia,  et  de  Durmaroh xx . 

Item  cartes  pert.  al  casteyl  de  Omelars viiii. 

Item  cartes  pert,  al  casteyl  de  Puget ,  xii. 

1  Ad  Adia;  le  d  est  amené  par  la  voyelle  a  qui  commence  le  mot  Adia;  de 
mùrne  le  t  de  et  est  amené  par  la  préposition  a.  Peut-être  ne  faut-il  voir 
aussi,  dans  ce  dernier  cas,  qu'une  pure  distraction  du  scribe,  mettante^  latin 
pour  f  calalau. 


SUR  LA  LANGUE  CATALANE  57 

Item  cartes  pertanyentz  a  Pinya viii. 

Item  cartes  pertanyentz  a  Mur  vejl.  ......    ....  nu . 

Item  cartes  pertanyentz  a  Sent  Jordi lui . 

Item  cartes  pertanyentz  a  Mont  Arfi un . 

Item  cartes  pertanyentz   a  la  compra  quen  Steve 

Sabors  fe  dels  Mazes  de  Vedas v 

Item  cartes  pertanyentz  a  Corno  e  de  Mont  Ffer- 

rer .  . \  n . 

hem  cartes  pertanyentz  al  mas  de  la  Valcera  e  de 

Segoles  e  daltres  mazes,  sagelades  de  plom. ...  n. 

Item  carLes  pertanyentz  al  feu  de  Sent  Bauseli. . .  n. 
Item  cartes   pertanyentz  al  feu    de  Castres  e   de 

Salsa I . 

Item  cartes  pertanyentz  a  Castres m. 

Item  cartes  [)ertanyentz  a  Frontinyna  '    xni. 

Item  cartes  pertanyentz  alcontrast  deVaylmagna.  ii. 

Soma CLXxxviii. 

Memoria  an  Bii  Duran,  que  romanen  a  Perpenj-a  en  poder 
dels  procuradors,  les  cartes  de  la  Palada  et  de  Calazon  -,  e 
la  carta  de  la,  divise^  que  fo  feyta  entre  lo  senyor  rcy  el  abat 
d'An  y  an  a. 

(Arch    des  Pyr.-Or.,  B.  94,  Procuracio  real,  registre  xvii,  f»  7  ro.) 

V 

PERMISSION  ACCORDÉE  AUX  HABITANTS  d'oRBANYA  ET  DE  NOHÈDES 
DE    COUPER    DES    ARBRES    DANS    LA  FORET    DE    «  COMA    PREONA  )) 

A  XXVI.  dies  de  utubri  m.  ccc.xi.  —  Donaren  licencia  los  se- 
nyors  procuradors  ad  homens  de  Orbanya'*,  que  pusqueu 
penre  ad  ops  de  fer  escaunes  a  lur  us  .x.  aybres,  e  ad  homens 

1  Sic. 

'  La  dernière  lettre  de  ce  nom  pourrait  bien  être  un  r. 

3  Sir. 

'•  Orbanya,  petite  commune  du  canton  de  Prades,  comme  Nohèdes,  dont  la 
seigneurie  appartenait  au  roi  de  Majorque.  Pour  la  formation  du  mot  No/ièdes, 
voy.  Alart,  Études  historiques  et  philologiques  sur  la  langue  catalane,  à 
la  suite  des  Docume7its,  etc.,  p.  19. 


58  DOCUMENTS 

de  Muntola  altresvii.  ajbres,  del  bosch    de  Coma  Prcona' ; 

mes  que  no  degon   pen[re]  negun  ajbre  que  sia  bo  ad  aybre 

de  nau,  ni  ad  entenes  ni  ad  altres  aybres  de  mar,  e  quels  ditz 

aybrcs  aga  a  vesor  en  P.  Reoort  foraster-,  ans  quels  talen. 

E  part  ajso  lor  atorgaren    que  pusquen  penre  tôt  aybre  que 

troben  abatut  en  lo  dit  bosch,  per  fer  so  ques  volran  a  lur  us 

daquels. 

(Arcli.  des  Pyr,-Or.,  B.  Pi,  Procuracio  rcal,  xvii.  f"  19  v.) 

VI 

RÈGLEMENT    POUR   LA    FORÊT  ROYALE    DE    MILLAS 

Diyous  xviii.  dies  de  nohembre  en  laijn  de  .mcccxi. — Fo  hor- 
donat  per  En  P.  de  Bardoyl  en  P.  Matfre,  procuradors  del 
raolt  ait  senjor  rey  de  Mayorches,  que  nuyl  liom  no  sia  tant 
ausat  que  gaus  cassav  en  lo  liosch  quel  S.  Re}'  ha  a  Milars, 
sens  licencia  del  S.  Rey  o  dels  seus:  e  qui  contra  fara,  pach 
per  quascuna  vegada  de  pena  lx.  s. 

Item  que  nuyl  hom  ni  femna  no  gaus  taylar  en  lo  bosch  da- 
muntdit  nin  trasca  lonya  vert,  sens  licencia  del  S.  Rey,  sotz 
pena  so  es  saber,  per  quascuna  vegada  quey  tayl  hon;'  trasca 
carga  de  bestiaho  doraex.  s. 

Jleinsi  negun  tayllava  en  lo  dit  bosch  hon  trasialenya  ce- 
cha  tro  a  carga  donie  ho  de  bestia,  pach  v.  s.  e  sy  hi  taylava 
hon  trahia  menys,  xii.  d. 

Item  hordonaren  (^ue  tota  bestia  grossa  que  intre  en  lo  dit 
bosch  per  pexer,  pach  de  pena  ii.  s.  e  besiia  menuda  vi   d. 

E  aquestcs  pênes   sentenen  ad  aquels   qui  contra  faran  de 

'  »  Vallée  profonde  »,  de  prcijon,  qui  dérive  du  hl\a  profund us. 

-  La  maîtrise  des  eaux  et  forêts  était  d'abord  occupée  eu  Roussiilon  par  un 
maître  des  eaux  et  un  maître  des  forets.  Ces  cliarges  furent  ensuite  réu- 
nies sur  la  tête  du  procureur  royal,  qui  eut  seul  la  connaissance  des  matières 
domaniales  et  des  eaux  et  forêts.  11  avait  sa  cour,  dite  du  Patrimoine  royal, 
transformée  plus  tard  en  ciiambro  du  domaine  et  supprimée  dans  la  seconde 
moitié  du  dernier  siècle. —  Une  ordonnance  de  juin  1~59  attribua  à  l'intendant 
du  Roussiilon  l'autorité  des  maîtres  des  eaux  et  forêts  et  aux  viguiers  eelles 
des  maîtres  particuliers.  Le  mol  foraster  ne  s'est  pas  conservé  avec  le  sens 
qu'il  a  ici. 

■'  //<)«  pour  «>  en,  ou  en  tire. 


SUR  LA  LANGUE  CATALANE  59 

die,  e  si  negu  contra  tasia  de  nujt,  pach  a  très  vegades  mes. 
E  aquestz  meteys  bans  entenen  que  sien  al  prat  de  la  Font 
aysi  que  en  lo  dit  bosch*. 

(Arch.  des  Pyr.-Or.,  B.  94,  Prociiracio  real,  reg.  xvn,  f»  IG  i".  i 

VII 

Criée  et   mise  en  vente  du  vingtième  des  revenus  des  habi- 
tants   DE   LA  TOUR  d'ELNE,    CONFORMÉMENT  AU    BILLET    d'eN- 

CHÈRES;  ténor  vero  predicte  cedule  in  Romano  scripte  talis  est: 

17  des  calendes  de  décembre  1811.  —  Ayso  es  laordonament 
del  vinte  quels  prosomes  de  la  Tora  an  fejt.e  stablit  Eu  Johan 
Bels  en  Biî  Vidal  venedors,  e  fan  bo  aver  e  tener  a  totom. 

Vinte  de  la  Tora-. 

Primerament  ^  darem  lo  vinte  de  totz  nostres  espletz  que 
Deus  nos  dara,  exseptat  pajla. 

Item  entenem  ne  a  livar  so  de  que  darem  a  seguadors.  e  a 
maxoners  e  a  seyoria,  e  a  deumes,  e  as  agusers  e  banders. 

Item  nentenem  a  liavar  '*  totz  sens  que  fasam  a  nujl  hom, 
per  aquels  camps  bon  los  espletz  [seran]. 

Item  entenem  a  vendre  de  la  vinimia  que  Deus  Ions"  dara 
a  nostre  prou  ;  mes  que  n[entenem]  a  livar  lo  sens  de  la  viya, 
que  dem  per  cascuna  saumada,   ii.  dr. 

Item  lentenem  a  vendre  de  les  olives  que  Deus  Ions  dara,  a 
nostre  prou. 

Item  lentenem  a  vendre  de  totz  los  sens  c  les  rendes  c  de 
totz  loguers,  dalbercs  o  [  ]    en  calque  part  les  agem, 

Ml  y  a  encore  aujourd'hui,  à  Millas,  une  fontaine  dite  Font  del  Rey.  — 
Millas,  chef-lieu  de  canton  de  l'arrondissement  de  Perpignan,  sur  le  chemin 
de  fer  de  Prades. 

-  Aujourd'hui  la  Tour-Bas-Elne,  commune  du  canton  est  de  Perpignan. 

3  Voy.  dans  les  Documents,  etc.,  d'Alart,  Valbara  ou  criée  et  mise  en 
vente  des  biens  et  revenus  de  feu  Pierre  Lauret.  On  verra  que  dans  ce  docu- 
ment offi>:iel,  qui  est  de  1308,  le  scribe  écrit  les  mois  vendra  et  molra  pour 
vendre  et  moire,  tandis  que  le  notaire  Canlallops  emploie  toujours  cette  der- 
nière forme.  Ce  qui  prouve  bien  que,  dans  tous  les  temps,  l'a  final  féminin 
catalan  n'a  été  qu'un  e  muet  français. 

*  Lisez  livar. 

»  Lons,  lo'ns 


60  DOCUMENTS 

si  dons  no  son   obliguatz  a  reredeume  e  a  vinte    e    en    autre 

[  ]. 

Item  lentenem  a  vendre  de  totz  los  guasayages  que  nos  fa- 

sam  en  mar  ni  en  terra  [ni]  en  autra  aygua,  e  no  comtam  me- 

cions,  exceptât  pevx  de  mengar  ;  e  quel  senyor  de  la  [na]  ve- 

gua  o  del  bolig  sia  tengut  dajustar  lo  dret  quin  tayera,  al  vin- 

tener,  e  de  paguar  aquel  a  [  dels]  e  a  lur  requ  [esta^ 

Item  lentenem  a  vendre  de  totz  los  mercaders  qui  van 
en  viaye  fora  la  terra,  de  totz  lurs  [guasajyages,  livat  lur 
vianda. 

Item  lentenem  a  vendre  de  totz  los  missatges  o  camareres 
qui  estaran  al  loc  de  la  Tor'  e  no  son  obliguatz  en  autre  loc  a 
reredeume  o  a  vinte,  e  totz  missatges  del  c[  ]  que  pa- 

guen  xxt''  de   lur  loguer.  comptan   per  temps,  segons  mes  e 
segons  meyns. 

Item  lentenem  a  vendre  de  totz  los  ayels  els  cabritz  que 
Deus  Ions  dara,  a  nostre  prou. 

Item  lentenem  a  vendre,  que  paguarem  per  cascuna  bestia, 
sia  feda,  o  cabra,  o  moton,  excreptat]  que  sia  viva  a  la  tone- 
son  II.  dr. 

Item  lentenem  a  vendre  de  cascun  alberc  hon  aya  poyls  lo 
dia  de  sent  Johan  o  ni  -  aya  autz,  de  [tôt]  layn  pac  i.  dr. 

Item  entenem  que  cascuna  porcelada  pac  m.  dr. 

Item  entenem  que  cascun  nadon  de  vaca  o  degua  o  dasena 
q[ue]  sia  viu  enfre  i.  mes  que  sera  natz,  pac  im.  dr. 

Item  lentenem  a  vendre,  quels  seyors  dels  leyns  c  de  les 
barques  mariners  e  servecials  per'  lurs  loguers  paguaran,  no 
comtada  la  mession,  e  quels  seyors  lagen  ajustar  [e  dar]  al 
vintener  lo  vinte,  e  paguar  a  lur  requesta. 

Item  lentenem  a  vendre,  que  tôt  înasseler,  per  cascun  moto, 
boc,  feda,  cabra  que  venfdra]  a  masel  pac  i.  dr.,  —  per  tôt 
porc  qui  vala  x.  s.  ho  daqui  amont,  que  auciraii  a  masel,  pac 
II.  dr. , —  per  tôt  porc  qui  vala  de  x.  s.  en  jos,  pac  i.  dr.,  per 
tôt  bon  o  vaca  qui  cost  xx.  s.  o  daqui  amont  pac  iiii.  dr.  o  si 

'  Estaran  al  loc  de  la  Tor  remplace  les  mots  i.  aijn  hic  agen  estar,  qui 
ont  été  barrés. 
-  Pour  n'h.i. 
3  Mot  douteux. 


SUR  LA  LANGUE  CATALANE  61 

er'ii  \  ]  pac  i.  dr,  o  si  ora  meyris,  pag  per  fif|Uol;i  ra- 

son  (himont  flitii,  ;  —  per  tôt  bon  ou  vaca  qui  cost  de  xx.  s. 
eu  jos,  pae  ii.  dr  ; — per  tôt  cabrit  e  ajel,  pac  mesabi. — Tôt 
aiitrom',  do  vibi  o  estrayii,  qui  vend  lesdites  carus  amas-el,  pac 
per  la  mcsexa  raso,  pero  no  sien  tengutz  de  paguar  re  per 
pels. 

/lern  entencm  vendre,  que  tota  flaquera,  per  cascuna  ajraina 
de  (V)rnieiit  ([Ui!  pastara,  pac  m.  dr;  —  per  cascuna  ayuiina  de 
pa,  dordi  o  de  nnil,  pac  m.  mesales. 

/fern  tôt  hoin  o  tota  femna  qui  vena  pa,  que  pac  lo  xl"-'  pa. 

/fern  tôt  bom  e  tota  fembra  qui  fassa  taverna  de  vi  o  vena 
vi  a  mennt  o  en  gros,  jiaguara  per  saumada  de  vi  xii.  dr,  si 
doiis"  no  avia  paguat  xx.'"  dels  rasims,  exceptât  persones  de 
la  Tor  quin  vcnessen  en  gros  e  la[g]uessen  de  so  des  lur  •'  que 
no  [)aguen  rc. 

Ilem  venem  vos  i.  sac  de  forment  quEn  Lanriguo  nos  dona 
do  gran.  Entenem  a  ven[dr]e  que  tota  terra  del  prevcrat  de 
Na  Moselona  paguara  xx*^". 

I^]  qui  ajso  comprara  paguara  ])arasis,  e  pendra  pai'asis, 
[E  no  en]  tenem  que  sades  nos  pac. 

flem  entenem  que  degun  taverner  no  gaus  mètre  vi  fiins  la 
taverna  entro  [quel]  aja  denunciat  al  vintencr,  e  que  negun 
hom  no  gaus  ensetar  vixel  ni  vendre  [  ]. 

(Arch.  des  Pyr.-Or.,  Manuel  de  l'ierro  de  Cantallops,  notaire 
d'Elne,  1311-1315,  original;  copie  dans  le  Manuel  de  Pierre 
Reynal,  noiaire  d'Elne,  de  novembre  1311  à  mai  1312.) 

VIII 

((  LA  GUIDA  DEL  LAVAR  DE  LA  LAN  A  )) 

(LeUre  de  Pons  de  Caramayn  aux  viguicrs  de  Contient  et  de  Cerdagnc  et 
aux  ballis  des  cliàteaux  de  Roussillon  et  Vailespir,  et  des  autres  lieux  des 
terres  du  l'oi.) 

14  des  calendes  de  juin  1312.—  «  De  nos  En  Pons  de  Cara- 

1  Autï'om,  pour  autre  home. 

2  Do7is,  comme  donch!<,  donc,  donches  et  donr/ues,  donc .  —  Don,  qu'on 
trouve  quelquefois  dans  les  textes  catalans,  est  pour  d'on  et  signifie  c'est 
pourquoi  {de  unde) . 

'  Pour  del  lur.  —  Cette  expression  correspond  très -bien  au  languedocien 


62  DOCUMENTS 

mayn ',  loctemont  del  molt  ait  senyor  rey  de  Malorcha,  als 
honratz  vegers  de  Gonflent  e  de  Ccrdanj'a,  e  a  totz  los  balles 
dels  castejls  de  Rossej^lon  -  e  de  Valespir  e  dels  altres  lochs 
de  la  terrra  del  dit  senyor  Rey,  als  cals  les  presentz  letres 
pervenran,  salutz  e  amors. 

»  Feni  vos  saber  que  adordonat  es  estât  per  los  sobre  pau- 
satz  dels  parayres  e  dels  tixedors  de  Perpenyae  per  los  cons- 
sols  daquel  matex  loch, de  voluntat  e  ab  consentiment  nostre, 
que  tôt  hom  e  tota  femna  qui  lav  o  lassa  lavar  lana,  aja  la 
dita  lana  a  lavar  ab  ayga  cauda,  e  esbesselar,  so  es,  que  la 
bâta  ab  bastons,  e  que  be  la  esclaresca  senes  alcun  entamara- 
ment. 

»  E  si  ni''  avia  negun  o  neguna  qui  contre  les  dites  causes 
vengues,  so  es  que  laves  la  dita  lana  o  fes  lavar  meyns  ''  dayga 
cauda,  e  no  la  batia  ben  al  bastons,  oy°  fasia  negun  entama- 
rament  al  esclarir,  que  pach  aquel  o  aquela  qui  fara  lavar  la 
dita  lana  xx.  s.  de  pena  per  cascuna  vegada  que  contre  el 
dit  adhordonament  vengues,  de  la  quai  pena  el  denunciador 
aga  la  terssa  part,  el  "  rémanent  sia  del  s,  Rey. 

»  Percascun  de  vos  altres  dizen  e  manam  de  part  del  senyor 


actuel  ço  del  llour,  ce  qui  leur  appartient,  leur  bien.  Au  singulier  eo  del  siu, 
son  bien.  —  Lur,  qui  devint  Uur  dans  la  suite,  est  toujours  employé  dans  le 
sens  de  de  ells  {illorum). 

*  Pons  de  Caramayn  ou  Caramany,  comme  on  écrit  aujourd'hui,  apparte- 
nait à  une  famille  du  pays  de  Fonollet,  établie  en  Roussillon.  Le  chevalier 
Pons  de  Caramany  avait  épousé  une  fille  de  Pierre  de  Villalongue,  dont  il 
n'eut  qu'une  fille,  du  nom  d'Hélène.  On  le  trouve,  en  1309,  en  possession  du 
tiers  de  la  seigneurie  de  Cf«e.^•  Noves  (près  d'ille),  qu'il  occupait  encore  en 
1321.11  fut  viguierde  Cerdagne  de  1303  à  1309  et  lieutenant  général  du  roi  de 
iMajorque  de  1311  à  1314.  En  celte  année,  nous  trouvons  Pons  de  Caramany 
avec  le  titre  de  seigneur  de  Paracoh  (château  situé  près  de  Molitg,  canton 
de  Prades).  Pons  figura  d'ailleurs  avec  distinction  à  la  cour  de  Sanche  et  de 
Jacques  II  de  Majorque.  Il  était  présent  au  palais  royal  de  Barcelone  le  1<t  oc- 
tobre 1327,  lorsque  Jacques  II,  assisté  de  son  tuteur,  prêta  foi  et  hommage 
au  roi  Jacques  d'Aragon.  On  ne  trouve  plus  trace  de  lui  après  l'année  1340. 

-  On  écrit  toujours  Rossello  en  catalan;  Rosseylon  est  castillan. 

•'  Pour  ni,  ou  mieux  n'hi. 

'<  Ici  meyns  signifie  sans. 

'  y,  pour  a  ella,  à  la  laine. 

s  El  pour  e'I  ou  c  lo,  et  le  restant.—  On  sait  que  l'article  el  n'est  pas  admi 
en  catalan. 


SUR  LA  LANGUE  CATALANE  63 

rey,  quel  dit  adordonament  servetz  e  servar  fassatz  axi  com 
de  sus  en  aquesta  letra  se  conten. 

»  Encara  mes,  volem  que  cascun  per  vostres  lochs  publica- 
mentcridar  o  ifassatz,  pero  fem  vos  saberque,  en  lo  dit  ador- 
donament de  les  lanes  a  lavar,  no  senten  lana  Englesa. 

»  Dades  disapte  xiii.  dies  del  mes  de  may,  en  lajn  de  Crist 
M.  CGC.  XII.  Retetz  ^  les  presens  al  portador. 

»  xu.  Iclns  junii  anno  domini  m.  gcc.  xii.  de  les  damunt  dites 
causes  contengudes  en  la  dita  letra,  fo  fejta  e  cridada  [crida] 
per  la  vila  de  Perpenya.  » 

(Ordinacions,  i,  fo  50  v».) 


IX 

PERMISSION  DONNÉE  AUX  HABITANTS  DE  PI  DE  COUPER  DES 
ARBRES  DANS  LA  FORET  DE  GARRAVELA 

Dimecres  xxvi,  dies  dabril,  layn  de  m.ccc.  xii. —  En  P.  do 
Bardoyl  en  P.  Matfre,  procuradors  del  moltalt  senyor  Rey  de 
Malorches  atorgaren  e  daren  licencia  a  la  universitat  de  ho- 
mens  de  Pin  en  Gonflent-  que  jjusquen  penre  e  fer  talar  cas- 
cun ayn  xv.  aybres  davet  enloboscli  de  Garravela,  e  daquels 
ferescaunes  alur  us.  Los  quais  pusquen  penre  en  aquel  loch 
ques  vulen  en  lo  dit  boscli.  E  per  aquela  matexa  manera  ator- 
garen e  daren  licencia  al  balle  del  dit  loch  de  Pin  que  puscha 
penre  e  fea  talar  v.  aybres  e  daqueles  -^  fer  fer  escaunes  a  son 
us  en  aquel  loch  que  li  sia  pus  covinent  en  lo  dit  bosch  aquest 
ayn  solament.Emperomanaren  los  ditz  procuradors  quels  ditz 


'  Retetz,  de  redre  ou  retre,  remettre. 

-  Vi  {Plnus),  commune  du  canton  d'Olelle  (arrûDdissement  de  Prades). 
Les  environs  de  ce  village  ont  été  très-boisés  dans  le  temps  ;  mais  ses  monta- 
gnes, qui  sont  des  contreforts  du  Canigou,  ont  vu  s'éclaircir  graduellement 
l'épais  manteau  forestier  dont  elles  étaient  enveloppées.  En  face  de  Pi  s'ou- 
vre la  sombre  et  étroite  vallée  du  torrent  de  Roja,  qui  de.scend  des  plus  hautes 
crêtes  des  Esquerdes  de  Roja.  Ces  crêtes  relient  le  pic  du  Canigou  à  la  pyra- 
mide Coslabona  et,  par  elle,  à  la  chaîne  pyrénéenne.  La  forêt  de  Garravela 
était  déjà  détruite  ou  XYllk  siècle;  on  ne  parle  plus  à  cette  époque  que  de  la 
«  montagne  de  Garravera .  « 

■iSic. 


64  DOCUMENTS 

homens  e  balles  agen  a  penre  los  cUtz  ajbres  ad  u vl  '  senes 
que  non  pusquen  oscar  altres  aybres,  sino  aquels  que  elej^i- 
ran  ad  ujl.  E  mes  lor  darcn  licencia  que  pusquen  penre  a  lur 
us  totz  los  ajbres  que  troben  abatutz  en  lo  dit  boscli,  e  fer 
daquels  so  ques  volran  a  lur  us. 

(Arch.  des  Pyr.-Or.,  B.  9i.  Procuracio  real,reg.  xvii,  f"  20  ro.) 

.     X 

NOMINATION  d'uN  GARDIEN  POUR  LA  TOUR  CERDANE  " 

Divenres  xvi.  dies  de  juynlayn  de  m.  ccc.xii. —  Fo  hordonat 
per  lo  senyor  rej  que  en  Peric  de  Livia  estia  a  la  Torr  Cer- 
dana.  Si  teres  ■''  de  serventz  et  ab  i.  ca,  e  deu  aver  per  garda 
de  la  dita  torr  quasqun  ayn  xxv.  Ib,  e  deu  comensar  lo  die  de 
sant  Johan  primer  venent,  e  deu  li  hom  pagar  la  maytat  del 
dit  salari  en  festa  de  Nadal,  e  laltra  maytat  en  festa  de  sant 
Johan  de  juyn. 

Item  vole  e  hordona  lo  dit  senyor  Rey  quel  dit  P.  de  Livia 
sia  balle  de  la  val  de  Queroll,  e  que  li  done  hora  de  salari  per 
la  dita  bailla  aytal  salari  quo  es  acusturaat  de  donar  a  balle  de 
la  dita  Val;  e  aysso  hordona  lo  sefiyor  Rey  que  sia  servat  ay- 
tant  quant  ad  el  playra. 

(Arch.  des  Pyr.-Or.,  B.  94,  Procuracio  real,  reg.  xvii,  fo  2i  r".) 


XI 

ENGAGEMENT   DE   BN   PIGUERES    DE  REMPLIR  FIDÈLEMENT   l'oFFICE 
DE    LA    «    SCRIVANIE    »    DU    CHATEAU    DE   TAUTAVEL 

Diluns  XXVI.  dies  de  juin  lai/n  de  mcccxii. —  En  Bn  Figueres 

'  Uyl;Yy  est  marque  d'un  trait.  On  a  écrit  plus  tard,  et  l'on  écrit  encore 
en  catalan  ull,  œil. 

-  Pour  la  Tour  Cerdanc  et  la  vallée  de  Querol  ou  Carol,  voy.  une  excellente 
élude  de  M.  Alart  dans  la  première  série  de  ses  Notices  sur  les  comtnunes 
du  lioussillon,  p.  145  et  suiv. — U  y  a,  dans  l'ancien  territoire  de  Puigcerda, 
et  non  loin  de  ce  qu'on  appelle  lo  bach  de  Llivia,  une  haute  montagne 
(2,810  mètres  d'altitude)  qui  porte  le  nom  de  Puif/  Peric,  appelée  Pujo  El- 
perico  dans  des  documents  des  X»  et  XI*  siècles  transcrits  par  Marca  (104, 
105).  Nos  gcographies  et  nos  guides  ont  sottement  transformé  le  Puig  Peric 
en  Pui/  de  Prigue!  —  ^  Sic. 


SUR  LA  LANGUE  CATALANE  65 

prevere  establit  enlacapela  quel  senyor  Rej  ha  en  lo  castell 
de  Taltauyl  ^  se  obliga  al  senyors  en  P.  de  Bordoyl  en  P.  Mat- 
fre  procuradors  del  dit  seîijor  Rey,  que  el  be  e  fiselment  ser- 
vira e  fara  lufflci  delescrivaniade  Taltauyl  de  totes  cartes  pu- 
bliques e  lescrivania  de  la  cort  aytant  quant  la  dita  escrivania 
tenga  per  lo  dit  seiîyor  Rey.  E  si  negun  frau  cometia  lo  dit 
Bn  en  lo  dit  offlci,  vole  e  promes  de  pagar  al  senyor  Rey  par 
nom  de  pena  l.  Ibr  de  Bar.  per  la  quai  pena  establi  fer- 
mansa  NArnald  Figuera  frare  seu,  del  dit  loc,  loqual  Arn.  Fi- 
guera  per  precs  e  per  manament  del  dit  Bii  frare  seu  sestabli 
per  fermansa  als  ditz  procuradors  per  la  dita  pena,  la  quai 
promes  pagar  al  ditz  procuradors  per  nom  del  dit  seiiyor  rey 
sil  dit  frare  seu  cometia  negun  frau  en  lo  dit  offlci  ;  per  la  quai 
pena  pagadora  obliga  lo  dit  Arn.  als  ditz  procuradors  per  nom 
del  dit  senyor  Rey  totz  sos  bens,  e  renuneia  ad  aquel  dret  qui 
mana  destrenyer  ans  lo  principal  que  la  fermansa. 

Feyt  lo  aysso  lo  die  el  ayn  damunt  ditz,  en  presencia  dEn 
Jacme-. 

En  dit  die.  NArnald  Figuera  se  obliga  e  promes  de  pagar  la 
pena  tantost  que  sia  trobat  quel  dit  Bii  frare  seu  bagues  cornes 
negun  frau  en  lo  dit  offlci. 

(Arch.  des  Pyr.-Or.,  B.  94,  Procumcio  real,  reg.  xvii,  fo  21  vo.) 


XII 

ERMENGAU    MORRET,    d'oPOL,    s' ENGAGE    A    COMPARAITRE    DEVANT 
LE    TRIBUNAL    DU    ROI    A    PREMIÈRE   RÉQUISITION 

Divenres  primer  die  del  mes  de  febrer  en  layn  de  m  .  ccc .  xiii . 
—  Ermengau  Morretrenderde  Opou^,  promes  als  senyors  En 

1  Aujourd'hui  Tautavel,  commune  du  canton  de  la  Tour  (arrondissement 
de  Perpignan) .  C'était  le  dernier  village  du  Roussillon  sur  les  limites  des  pays 
de  Fonollet  et  de  Pierrepertuse.  On  peut  visiter  les  ruines  de  ce  vieux  châ- 
teau, qui  comptait  encore  comme  place  de  guerre  en  1640.  Voy.  au  sujet  de 
Tautavel  les  études  du  premier  président  Aragon,  sous  le  titre  de  les  Ancie7is 
châteaux  forts  des  Corbières  l'oussillonnaises ;  Montpellier,  J.  Martel  aîné, 
1882.—  2  Sic. 

3  Opol(que  Ton  prononce  Opoul),  commune  de  Rivesaltes  (arrondissement 
de  Perpignan).  Pour  la  forme  de  ce  mot,  voy.  Alart,  Études  hist.  et  phiL,  à 
la  suite  de  ses  Documents,  etc. ,  p.  19. 


6Q  DOCUMENTS 

P.  de  Bardoyl  e  an  P.  Matfre  procuradors  del  molt  ait  senyor 
Rey  de  Malorches  que  el  '  presentara  sa  persona  en  la  cort 
del  senyor  Rey  tota  hora  que  per  la  dita  sia  request  per  so 
car  la  dita  cort  fa  demanda  al  dit  Ermengau  e  contre  el  per 
alqun  bestiar  que  era  estât  trobat  e  avial  près  a  sa  ma  e  nol 
avia  denunciat,  e  encara  per  alqun  bestiar  que  avia  acaptat 
e  feytacaptar  dalquns  homens  de  Opou,  tenentoffici  de  ballia. 
E  ajso  promes  sotz  pena  de  i.  Ibr,  per  ios  quais  obliga  sos 
bens,  e  dayso  dona  per  fermansa  En  P.  Morret  de  Baixas 
frare  seu.  Don  en^  P.  Morret  per  precs  del  dit  Ermengau  es- 
tablesch  [mi?]  per  fermansa  e  pagador  de  la  dita  pena  si  la  co- 
metia.  E  per  ayso  obliga  sos  bens. 

(Arch.  des  Pyr.-Or.,  B.  94,  Procuracio  real,  reg.  xvii,  f»  23  r».) 


XIII 

VISITE    DE    P.    DE    BARDOYL   A    SALSES    POUR   CONSTATER    l'ÉTAT 
DES    TERRES    DU    ROI 

Dimartz  v.  dies  de  febrer  en  layn  de  mcccxiii.  — Fo  en  P.  de 
Bardoyl,  procurador  delt  molt  ait  senyor  de  Mayorches,  a 
Salsses-',  e  de  manament  ad  el  feyt  per  lo  dit  senyor'*  Rej' 
sobrel'  feyt  de  les  terres  que  eren  en  Ios  termes  de  Salsses, 
quant  séria  covinent  causa  que  poguessen  estar  les  terres 
meyns®  de  blat,  e  après  quai  temps  deguessen  fer  blat  en  les 
dites  terres. 

Sobre  aysso  lo  ditP.  de  Bardoyl  fe  manament  anR.  Seguin, 
balle  de  Salsses  per  lo  dit  seiîyor  rey,  que  el  degues  penre 
testimonis  sobrel  dit  feyt.  Loqual  balle  de  mantenent  près  per 


»  Sic. 

2  II  faudrait  peul-clre  lire  eu,  qui  serait  mis  pour  yo  oxijo. 

^  Salses  (et  non  pas  Salces,  comme  on  l'écrit  trop  souvent  aujourd'hui), 
commune  du  canton  de  Rivesaltes  (arrondissement  de  Perpignan).,  C'est  la 
Fons  Salsulœ  des  anciens. 

'>  Sewyor;  le  trait  qui  surmonte  !"«  devrait  évidemment  faire  transcrire  ce 
mot  par  senynov  ou  sennyor.  Ou  trouve  aussi  ijuclquefois  sennor,  sans  y, 
((ui  est  remplacé  par  n  simple. 

'■>  Pour  sobre  lo. 

^  Meyns  de  hlat,  sans  blé. 


SUR  LA  LANGUE  CATALANE  67 

testimonis  En  G,  Bonafos  en  JaubertComa  consols  de  Salsses, 
e  En  R.Puster  e  En  Johan  Sabater  en  Johan  Amilot  e  En  P. 
Sabater  en  Ar.  R.  Biî  Lobet,  Antoni  Thomas,  Ar.  Pages,  P. 
Amalrich,  Steve  Rostojl,  totz  de  Salsses.  Los  quais  testimonis, 
juratz  en  poderdel  dit  balle  als  santz  iiii.  Evangelis,  dixeren 
que  totes  les  terres  que  son  en  los  termes  de  Salsses  e  en  lad- 
jacencia  de  la  glesade  sant  Esteve  del  dit  loc  se  degen  laurar 
e  semnar^  enfre  iiii.  ayns  tota  ora  que  playra  als  possesidors 
daqueles  cnfre  los  dits  iiii.  ayns,  en  altra  manera,  si  de  iiii. 
en  un.  ayns  al  meyns  no  les  lauraven  e  no  les  semenaven,  lo 
senyor  rey  pusca  donar  ad  accapte,  ad  altre  ho  ad  altresles 
dites  terres,  el  balle  del  dit  loc  per  lo  dit  senyor  rey  pusca 
aqueles  liurar  a  laurar  e  semenar  a  cuy  o  quais  se  voira. 

(Arclî.  des  Pyr-.Or.,  B.  94,  Procuracio  real,  reg.  xvii,  fo  24  i".) 

XIV  2 
DÉFENSE    DE    JETER    DU    POISSON    DANS    LE   RUISSEAU    DU    ROI 

Idus  augusti  anno  domini  m.  ccc.  xiii. —  Ffo  feyta  la  crida 
davayl  scrita  de  part  del  senyorEn  Bh  Daui,  cavaler,  balle  de 
Perpenya. 

Auyatz  que  mana  lo  balle  del  s.  Rey  a  totz  cominalment, 
que  no  ni  aganegun  ni  neguna,  sia  peyxoner  o  altre  persona, 
per  ardiment  que  aya,  qui  gaus  guitar-'  peix  al  rechdels. 
ReyS  sotz  pena  per  cascuna  vegada  de  ii.  s. 

XV 

RÈGLEMENT   POUR    LES   MARCHANDS    DE   SEL    EN    DETAIL 

Auyatz  que  mana  lo  balle  del  s.  Rey  a  totz  los  saliners  e  a 
totes  les  salineres  qui  venen  sal  a  menut,  que  cascun   e  cas- 

1  Lisez  semenar. 

2  Les  trois  criées  que  nous  donnons  sous  les  nos  xiv,  xv  et  xvi,  sont  à  la 
suite  l'une  de  l'autre  dans  le  ms.;  elles  se  rapportent  très-probablement  à 
la  même  date. 

3  Gii  représente  abusivement  ici  la  lettre  /;  r/uitar  est  mis  pour  jitar. 
*  Lo  rech  del  Rey  ou  Ruisseau  royal  de  Thuir. 


68  DOCUMENTS 

cuna  donene  sien  tengiitz  douar  per  tornes  a  cascuna  migera 
que  vendrai!  miga  cossa,  o  a  la  saumada  m.  cosses,  e  aissi 
segons  meyns  o  mes,  sotz  pena  de  v.  s. 


XVI 


DEFENSE    AUX    «    REGATERS  »    D  ACHETER    POUR    LES    REVENDRE 
CERTAI>'i:s    CATÉGORIES    DE    COMESTIBLES 

Aquesta  orida  davujl  scrila  t"o  t'ojta  de  part  del  sonyor  En 
Bn  Daui,  cavaler,  balle  de  Perpenya,  ab  conseyl  e  abvolun- 
tat  dKn  Bn  dAlanja,  e  dEn  Hugnet  Sabors  e  dEnRicolf  Oliba, 
diOn  BndeVernet  e  dEn  Pagua  Fnster,  consols  de  Perpenya, 
en  aquesta  mauera  quis  seguoix. 

Auyatz  que  mana  lo  balle  del  s.Reyatotz  comiiialiuent,que 
negun  regator  ni  regaterani  nuyl  altre  hom,  per  revendre  no 
gaus  coinprar  ni  fer  comprar  ni  meroadeyar  per  si  ni  per  altre 
dins  la  vila  de  Perpenya,  ni  de  fora  entorn  una  légua  de  la  dita 
vila,  en  camin.  fora  castel,  neguns  aucels,  volateria,  ni  ooniyls, 
ni  lebres,  ni  neguna  salvatgina,  ni  pois,  ni  galines,  ni  ous,  ni 
frouiatges,  ni  notz,  ni  avalanes,  ni  sebes  enforeades  :  dins  los 
casteyls,  erapero,  pusquen  comprar.  E  qui  contre  aixo  tara, 
pach  '  de  pena  per  cascuna  vegada  m.  s.,  de  la  cal  lo  denuu- 
ciador  aura  la  terssa  part,  exceptât  compradore  venedor. 

Item  mana  que  negun  regater  ni  regatera  no  gaus  comprar 
ni  fercom[)rartVuyta  ni  erba  per  revendre,  dins  la  vilade  Per- 
penya, ni  de  fora  entorn  una  lega  de  la  dita  vila,  en  oamin  [ni' 
fora  camin,  ni  en  castel  [ni?]  fora  castel,  tro  ^\\\c  mig  die  sia 
souat,  sotz  pena  de  m.  s. 

Item  que  negun  Juseu  ni  Juseua  no  gaus  comprar  ni  fer 
comprar  per  si  ni  per  altre  en  dies  de  mercat,  dins  la  vila  do 
Perpenya,  pois,  ni  galines,  auques,  anetz,  ni  neguna  volateria, 
ous,  ni  fromatges,  tro  tercia  sia  sonada,  sotz  pena  de  m,  s. 

(i)nlinacion$,  I,  ^>  hi  roet  v».) 


I  Vnrh  cl  souvotil/)/R'  pour/)«y  («m'il  payei.  Le  y  est  remplacé  très-rréqueiu- 
lueiil  par  ''  ou  ch  dur. 


SUR  LA  la.MjUE  Catalane  es 

XVII 

«    ORDONAMENT    DE   PIRES   » 

IP  nonas  septembr.  anno  domini  m.  ccc.  xiu.  —  Fo  fejta  la 
crida  davajl  scrita  de  partdel  balle. 

Aujatz  totz  cominalment  queus  fa  asaberlo  balle  del  s.Rej, 
quel  dit  s,  Rer  a  ahordonat  que  les  fires  del  mes  dahost  co- 
mensen  totz  temps  la  vespre  de  sent  Bertho!omeu,e  que,daqui 
anant,  perejl  ni  per  altre  no  sien  mudades  ni  alongades. 

[Ordinacions,  I,  f»  54  r».) 

XVIII 

DÉFEySE    AUX    «  POEQUERS  »    DE  SORTIR   DE   PERPIGSAX 

XVI.  klns  jaimai'ii  anno  domini yi.  ccc.  xiii.  —  Fo  fejta  la 
crida  davavl  scrita  de  part  del  senjor  En  BnDaui,  cavalier, 
balle  de  Perpenya. 

Aujatz  que  mana  el  balle  del  s.  Rev  a  totz  cominalment. 

quel  nostresenjor  Rev  a  adordonat  que  porquer  no  jsca'  de 

la  vila  de  Perpenvaper  asi  en  la. 

(Ibidem.) 

xrx 

DÉFENSE  AUX  «  ilEXESCALS»  d'EXERCER   l'OFTICE   DE  a  CORRATER» 

Pridie  idus  januarti  anno  domini  m.  ccc.  xm.  —  Fo  cridat 

perla  viia  de  Perpenva  de  manament  del  senvor  En  Bn  Daui. 

cavaler,  balle  de  Perpenva,  que  nul  menescal  no  gaus  esser 

corrater  sotz  pena  de  xx    s . 

{Ibidem.) 

XX 

RÈGLEiTEXT    POUR    LES   BOULANGERS 

xni.  kk  februarii  anno  domini  m.  ccc  .  xui.  —  Fo  cridat  per 
la  vila  de  Perpenja,  de  manament  del  senjor  Eii  Bn  Daui  ca- 

'  Se  sorte,  sabj.  de  ixir. 


70  DOCUMENTS 

valer,  balle  de  Perpenya,  que  noy  aga  negun  fflaquer  ni  ne- 
guna  flaquera  qui  daqui  anant  gaus  fer  pan  ni  tener  pan,  sino 
de  un  diner  o  de  ii.  diners,  e  quiaquestmanament  passara,  de 

pena  el  pan. 

(I/jidem.) 


XXI 

PENSION    VIAGÈRE    ASSIGNÉE    A    RAYMOND    DE   GUARDIA 
PAR    l'archevêque    DE    TARRAGONE  ' 

Divenres  xv.  dies  deimes  de  febreren  layn  de  m.  ccc.  xiii. — 
EnP.de  BardoylenP.Matfre,procuradors  del  moltalt  senyor 
Rey  de  Malorches,  veseren  i'  carta  o  letra  del  sant  pare 
archevesche  de  Tarragona,  que  era  estada  tramesa  al  senyor 
Rej^  per  raho  de  la  pencioque  avia  assignada  al  honrador  se- 
nyor frare  R.  Sa  Gruardia  del  orde  del  Temple  sabentras:  en 
la  quai  se  contenia,  entre  les  altres  coses,  quel  dit  frare  R., 
lo  quai  avia  absolit^,  degues  estar  e  esser  colloguat  en  la  casa 
del  Mas  Deu^,  e  en  aquel  loch  aga  habitacio  senes*  loger  e 
senes  selari,  e  que  de  la  ortalissa  del  ort  e  dels  frutz  dels  ay- 
bres  fruters  ad  ops  tant  solament  de  mengar,  e  encara  lenyes 
dels  bochs  del  Mas  Deu  o  dels  altres  locs,  senes  merme"  da- 
quels  locs,  per  se  e  per  sa  companya  pusca  francament  penre 
e  aver.  E  assigna  al  dit  frare  R.  per  provisio  de  totes  les  sues 
causes  e  a  sa  companya  necessaries  per  quascun  ayn —  cccl. 
Ib,  dels  bens  que  foren  del  dit  Temple. 

A  la  quai  quitacio  a  penre  comensa  a  mig  utubri  del  ayn  de 

M.  ccc.  XIII, 

De  la  quai  provisio  fo  manat  per  la  senyor  Rey  an   P.  de 

•  Ce  document  n'est  pas  inédit  ;  il  a  été  publié  par  Alart,  en  1S67,  dans  son 
étude  sur  \&  Suppression  de  l'ordre  du  Temple  en  Houssillon. 

-  La  lecture  de  la  fin  du  mot  est  douteuse  ;  peut-être  faut-il  lire  simple- 
mont  absolt. 

■'  Siège  de  la  commanderie  du  Roussillon.  La  maison  et  le  domaine  des 
Templiers  existent  encore  en  grande  partie  sous  le  même  nom,  à  14  kil.  de 
Perpignan,  et  non  loin  de  la  roule  d'Espagne.  Raymond  de  Guardia  avait  été 
11'  dernier  commandeur  du  Mas  Deu. 

*  Sans  [payer]  loyer  ni  salaire. 

^  Mej-tne,  dommage,  sans  porter  dommage  à  ces  lieux. 


SUR  LA  LANGUE  CATALANE  71 

Bardoyl  al  Volo  •  digous  mati  en  layn  de  sus  dit  a  la  casa  dEn 
Vives,  que  sia  pagada  al  dit  frire  R.  cascun  ayn  de  un.  en 
iiii.  meses,  mes  tota  hora  agai^  pagua  avantada-  ab  que  do 
1°  fermansa,  que  si  per  aventura  lo  dit  frare  R.  moria  que  au- 
ria  presa  la  pagua  e  no  li  pertanyia  so  que  près  auria,  les  fer- 
manses  que  dara  degen  retre  so  que  mes  auria  près  que  no  li 
pertanyeria  per  sa  pencio  o  quitacio. 

En  Bge''  d'Atsat  en  P.  d'Atsat  frares,  amdos  doncsels  habi- 
tantz  de  Perpenja,  perprecs  e  per  mauament  del  dit  frare  R. 
sestabliren  fermanses  de  retre  tôt  so  quel  dit  frare  R.  auria 
mes  près  que  no  li  pertanyeria  de  sa  quitacio  tro  al  dia  que 
morria,  e  per  ayso  obligaren  lurs  bens  e  renunciaren  a  tôt 
dret  per  els  fasen. 

De  la  quai  quitacio  li  fesem  liurar  an  P.  Ribera  divenres  viii. 
dies  del  mes  de  martz,  ab  l  Ib  que  ja  li  avia  liurades,  per  tôt 
— CCL.  Ib. 

Item  li  donem  al  dit  frare  R.  Sagardia  divenres  viii.  dies 
del  mes  de  martz,  nombrantz  al  Temple^  —  cxxiii.  Ib.  vi.  s. 
vni.  d. 

S^  que  li  avem  feyt  liurar,  per  tôt  ccclxxiii.  Ib.vi.  s.viii.d, 
que  fan  en  Tor.  dargent,  Tornes  d  argent  a  xvi.  d.,  —  v™dc. 
Torn.  dargent  qui  valen,  comdatz  xv.  diners  per  i.  Tornes 
dargent  Bar.  menutz,cccL.  Ib. 

Per  so  car  se  conte  en  la  carta  del  senyor  Archevesche  de 
Tarragona  que  les  ccc.  l.  Ib  sien  donades  al  dit  comanador 
en  Bar.  menutz  o  de  moneda  valent  aqueles. 

{alla  maww)Aquestes  cccl.  Ib  son  mundans*  en  lo  capitolde 

'  Le  Boulou,  commune  du  cauton  de  Céret. 

2  Amantada?  Le  sens  est  un  payement  joa?-  avance. 

3  II  s'agit  ici  de  la  Maison  du  Temple  à  Perpignan,  où  l'ancien  commandeur 
était  sans  doute  obligé  de  faire  sa  résidence.  Cette  maison  se  composait  d'une 
vaste  enceinte,  entourée  d'arcades  et  de  boutiques,  derrière  lesquelles  se  dres- 
saieut  les  murs  élevés  d'un  véritable  château.  C'était  le  manoir  le  mieux  forlilic 
de  la  ville  de  Perpignan,  deveuue  la  capitale  du  royaume  de  Majorque,  et,  en 
1285,  à  l'époque  où  le  château  royal  (citadelle  acluellCy  n'étaif  pas  encore 
achevé,  c'est  ce  manoir  qui  conservait  le  trésor  et  les  archives  de  la  couronne. 
Au  reste,  cette  dernière  destination  delà  Maison  du  Temple  datait  de  loin,  car, 
en  1180,  elle  servait  déjà  de  dépôt  aux  actes  publics  les  plus  importants. 

Ml  faut  lire  mudades :  «  Ces  mccc  livres  sont  reportées  à  rarlicle  delà  pen- 
sion de  frère  Raymond,  dans  le  Livre  de  la  Coviptalnlité  du  Temple  de  m. 
ccc.  XIIII.  » 


72  DOCUMENTS 

la  quitacio  de  ffrare  R.  en    lo   libre  de  la   ra/io  ciel  Temple  de 

M.  CGC,  XllII. 

(Arch.   des  Pyr.-Or.,  B.  94,  Vrociirado  real,  reg.  xvii,  lo  25  rv) 

XXII 

RÈGLEMENT    POUR    LE   RUISSEAU    DE   RIVESALTES  ' 

Diyous  xxviiii.  (lies  de  martz  laijn  de  mcccxiii.  —  Fo  adordo- 
natlier  En  P.  de  Bardoj-l,  proenrador  del  raolt  ait  senjor  vey 
(le  Majorches,  que  negun  hom  no  gaus  regardel  rech  quel  s, 
Rej  ha  feyt  fer  per  regar  lo  plan  de  Ribesaltes,  sino  aquels 
de  Ribesaltes  e  dels  altres  locs  qui  han  licencia  de  regar,  sens 
licencia  dels  procuradors  del  s.  Rey,  sotz  pena  de  lx.  s.  per 
quasquna  vegada,  la  quai  pagara  qui  contre  fara. 

Item  que  negun  hom  no  gaus  pexer  negun  bestiar  menut  ni 
gros  prop  lo  dit  rech  per  espasi  de  ii.  canes  de  Montpeller.  E 
aquel  qui  contrefara  pagara  de  pena  per  quascuna  vegada,  so 
es  saber,  per  quascuna  bestia  grossa  ii .  drs,  e  per  quascuna 
bestia  menudai.  d. 

Item  que  nuyl  hom  no  gaus  gitar  pères  ni  negun  altre  ra- 
sum^  en  lo  dit  rech,  sotz  pena  de  x.  s.  per  quascuna  vegada. 

De  les  quais  pênes  haura  lo  garda  o  baner  de  les  dites  cau- 
ses, la  meytat,  el  s.  Rey  laltra  meytat. 

De  totes  aquestes  hordonacions  fo  tramesa  letra  al  balle  de 
Baixans  ■'  e  al  balle  de  Parestortes  *,  e  Aspira''  e  de  la  pobla  de 

1  II  paraît  que  Jacques  l"^""  de  Majorque  avait  déjà  accordé  à  Béraoger  De- 
benun,  camérier  de  l'abbaye  de  la  Grasse,  seigneur  de  Rivesaites,  et  aux  ha- 
bitants du  lieu,  la  permission  de  construire  un  canal  qui  devait  traverser  les 
territoires  de  Pêne  et  d'Espira.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  le  3  des  calendes 
de  novembre  1312,  le  roi  de  Majorque  concéda  aux  seigneurs  et  habitants  do 
Rivesiilles  le  droit  de  prendre  les  eaux  de  l'Agli  pour  l'arrosage  de  leur  pla. 
En  1332,  Jacques  II  déchargea  les  habitants  de  l'obligation  de  tenir  en  état  la 
iligue  des  moulins.  Le  règlement  de  1313,  que  nous  publions  ici,  semble  bien 
l'aire  comprendre  que  le  canal  était  terminé  à  cette  dernière  date  et  qu'il  ap- 
partenait au  roi. 

-  Rasum,  déblai,  décombres. 

•'  Le  canal  traversait  ou  touchait  le  territoire  de  tous  ces  villages.  Baixas, 
commune  du  canton  de  Rivesaites  (arrondissement  de  Perpignan).  Lorsque 
son  nom  apparaît  pour  la  première  fois  dans  nos  archives  en  925,  c'est  sous 


SUR  LA  LANGUE  CATALANE  73 

Pena'^  e  de  Gaussa',  e  per  els  ditz  balles  fevta  crida  de  les 
dites  causes  en  quascun  dels  ditz  locs. 

(Arch.  des  Pyr.-Or.,  B.  94,  Procuracio  real.  reg.  xvii,  fo  22  10.) 

XXIII 

RÈGLEMENT     POUR    LES    VENTES    A    l'eNCAN 

VII.  kls  aprilis  anno  dominin.  ccc.  xiii.  —  Ordonat  fo  por  en 
Brgrdesent  Paul,  batle  de  Perpenya  e  per  En  BùBrandin, 
jutge  de  la  cort  del  dit  balle,  ab  consentiment  e  voluntat  dEn 
R.  de  Capsir  e  d'En  Pons  Bonet  e  dEn  Biï  Fabre  e  dEn  P. 
Gaussa  edEn  G-.  Neg-re,  conssols  de  Perpenya,  e  daltres  pro- 
somes  de  Perpenya,  que  si  daquest  die  enant  alcuna  causa 
moble  se  veu  ad  encant  o  a  coyl  en  la  vila  de  Perpenya,  e  si 
alcun  home  diu  al  encant  a  la  dita  causa  moble,  el  ^  corredor 
no  la  liurada  ad  aquel  qui  dit  j^auradins  espaci  deim.jorns 
que,  passatz  los  ditz'-*  iiii,  jorns,lo  dit  home  qui  dit  hi  aura 
no  siadestret  ni  forssat  a  penre  ni  comprar  la  dita  causa  mo- 
ble, ni  aquel  de  qui  sera  la  dita  causa  moble  no  sia  forssat  de 
vendre  ni  liurar  la  dita  causa  moble  si  nos  vol. 

Iteyn  fo  ordonat  que  si  alcuna  causa  no  mobla  se  vend  ad  en- 
la  forme  du  pluriel  :  villam qiiam  vocant  Baixanos  {Cartulairc 

dELne,  fo  12).  On  ne  le  trouve  guère,  plus  tard,  qu'une  ou  deux  fois  au  sin- 
gulier, de  Baxano. 

"Aujourd'hui  Peyrestortes,  commune  voisine  de  Baixas,  citée,  en  1130,  sous 
les  deux  formes  latine  et  romane  de  Parietihus  tovtis  et  Parets  fortes;  plus 
tard,  on  trouve  Perestortes  et  même  Peyrestortes,  cette  dernière  forme  en 
1143  (Arch.  des  Pyr.-Or.,  Rubriques  de  PuUjiiau,  X,  fo  732  vo). 

->  Espira-de-l'Agli,  commune  du  canton  deRivesaltes,  à  quelques  kilomètres 
de  Baixas  et  de  Peyrestortes. 

••  La  Pohla  de  Pena,  aujourd'hui  Cases-de-Pene  en  français,  et  las  Esca- 
zassas,  en  catalan.  Cette  dernière  forme  est  une  corruption  singulière  de  les 
Cases,  qui  semble  avoir  été  importée  par  les  habitants  du  pays  de  Fonollet.  Il 
y  avait  primitivement  en  cet  endroit  un  château  qu'on  désignait  simplement 
sous  le  nom  de  Pena  ou  Penna,  au  Xf»  siècle.  Le  mot  Casas  est  relativement 
récent. 

'  Caussa,  aujourd'hui  Calce,  comme  les  précédents  daos  le  canton  de  Ri- 
vesaltes.  La  première  forme  se  trouvait  en  988  dans  le  Cartulaire  de  Cuxa  ; 
plus  tard,  on  trouve  le  mot  en  latin  sous  les  formes  de  Cali;/a  et  Calcia. 

*  El  pour  e  lo. 

'  Le  ms.  porte  dins  los. 


74  DOCUMENTS 

cant,  et  alcun  hom  lii  aura  dit  a  leiicant  rcncantador  no  la 
aui'a  liurada  ad  a(iuel  qui  dit  hi  haura  dins  espasi  de  xv.dies, 
f[ue,  passatz  los  ditz  xv.  dics,  aquel  qui  dit  hi  aura  a  la  dita 
causa  no  moble,  no  sia  destret  ni  fortsat  de  comprar  aqueyla, 
ni  a(iuel  de  qui  sera  la  dita  causa  no  moble  no  sia  fortsat  de 
vendre  ni  de  liuraraquela  si  nos'  vol. 

[Ordinacions,  I,  f»  51  vo.) 

XXIV 

DÉFENSE   AUX    BAILLIS    ET    AUX    FERMIERS    DU    ROI    DE    LAISSER 
ALIÉNER    LES    BIENS    DU    DOMAINE 

Juin  1313.  —  Fo  adordonat  per  Monssenyor  En  Sanxo,  per 
la  {i'racia  de  deu  Rey  de  Malorches,  entorn  de  la  festa  de  sent 
Joliau  lîabtiste  de  juyn,  en  layn  moccxiii.  que  daqui  avant 
negun  batle  ho  render  de!  dit  senyor  Rey  no  laus  ni  leyxs 
alienar  ni  transportar  negunos  possessions  ques  tenguen  per 
lo  senyor  Rey  a  negun  hom  ni  femna  qui  tengua  masada  ho 
borda  per  altruy  senyor,  sia  laych-  sia  clergue.  Et  dayso 
avem  tramesa  copia,  nos  en  P.  de  Bardoyl  en  P.  Matfre,  pro- 
curadors  del  dit  senyor  Rey,  a  tots,  los  bâties  del  dit  senyor 
Rey,  que  de  part  del  dit  senyor  Roy  ho  degenfer  escriure  si- 
cretament  cascun  al  libre  de  sa  cort  en  loch  que  negun  altre 
hom,  septat  lo  dit  batle  de  cascun  loch  ho  sos  successors  tan 
solamcnt,no  ho  puschen  trobar  ni  ligir. 

(Arcli.  des  Pyr.-Or.,  B.  94,  Procuracio  rcal,  reg.  xvii,  f«  22  vo.) 

XXV 

DÉFENSE  DE  SE  BAIGNER  DANS  LK  lUIISSEAU  DU  ROI  ET  DE  PREN- 
DRE DE  l'eau  DANS  LE  RUISSEAU  DES  MOULINS  DU  SIEUR  FOU - 
TANET. 

XIII.  kh  augusti  anno  domini  m.  ccc.  xiii.  —  Fuit  facta  pre- 
conilzacio  infrascripta  ex  parle  Bernadi  Dauini ,  hajuli  Perpi- 
niani,  in  liunc  mndum. 

'  NoA  pour  no's  ou  no  se,  mot  à  mot,  «  si  cela  uc  se  voul,  si  ou  ne  le  veut 
pas.  » 

-  Ailleurs,  lecli. 


SUR  LA.  LANGUE  CATALANE  75 

Aujatz  quemana  lo  balle del  scnjorRov  atotz  cominalment, 
que  iiogun  ni  noguna,  per  ardimeiit  que  aya,  nos  gaus  baynar 
al  rech  del  senjor  Rej  dins  la  vila,  sotz  pena  de  xii.  drs'. 

ïtem  raana  a  totz  cominalment,  que  nesz'un  ni  ne.nuna,  pei- 
ardiment  que  aga,  no  gaus  pcnre  ayga  del  rech  dels  molins 
dEn  Fortanct  per  adaygar  vassades  de  li,  si  doncs  laj'ga  de 
les  dites  vasses  no  tornava  puxs  al  dit  rech  ;  c  aquel  o  a(jucla 
i\m  aquestmanament  passara,  pagara  de  i)onaper  cascunave- 
gada  V.  s. 

[Onlinacions,  I,  f»  52  ro.) 

XXVI 

RÈGLEMENT    POUR   LE   «GRAU    ))  DE    l'ÉTANG    DE    SAINT-LAURENT- 
DE-LA-SALANQUE 

Diiienrcs  xiiii.  die  s  de  desembre  layn  de  m.  ccc.  \ui.  —  Fo 
adîiordonat  de  manament  e  de  voluntat  del  senyor  Rey,  quels 
homcns  de  sent  Laurens  qui  i)esquen  c  pescaran  en  lo  estayn 
de  sent  Laurens  degen  pagar  e  contribuir  a  la  clausura  del 
dit  estayn  axi  quant  era  estât  antigament. 

So  es  saber  quels  renders  del  s.  Rey,  cant  lo  grau  se  deu 
penre,  primerament  degen  ajustar  salsores  e  altre  pertreyt 
per  penre  lo  dit  grau  a  ses  propries  raessions.  e,  ajustades 
les  dites  salsores  e  pertreyt  perlos  ditz  renders,  los  dits  pes- 
cadors  qui  pescaran  en  lo  dit  estayn  dins  lo  dit  ayn,  arequesta 
dels  ditz  renders  o  après  la  crida  feyta  per  los  ditz  renders, 
dcuen  anar  al  dit  grau  per  clausir  aquel,  e  ab  barches  aquels 
qui  auran barches, e  mètre  algua-  salsores  e  tôt  altre  pertreyt 
qui  ajustât  hi  sia  per  clausir  lo  dit  grau,  senesalqun  loguer  0 
sdari  que  aver  non''  deuen. 

Item  que  si  aquel  ayn  meteixs  quel  dit  grau  sera  près,  sen 
dave  quel  dit  grau  se  trenche  o,  senestrencar,  cove  a  reffort- 
sar,  los  ditz  renders  deuen  ajustar  v.  o  vi.  dels  ditz  pesca- 
c'ors,  dels  milors,  e  donar  ad  aquels  entendre    que  bon  séria 

'  Au-dessous:  non  tenetur  seu  servatur. 

2  Sic. 

3  T^on  ou  no'n. 


7t)  DOCUMENTS  SUR  LA  LANGUE  CATALANE 

quel  dit  grau  deguos  hom  penro  o  dogues  hom  reffortsaraquel, 
e  que  séria  lur  voluntat  que  degen  donar  o  contril>uir  per 
penre  o  per  reffortsar  lo  dit  grau.  E  adoncs  los  ditz  pescadors 
prometien  que  darien  ])er  cabessa  vi.  o  xii.d,  o  prometien  do- 
nar en  soma  entre  totz  x.  Ib  ou  xv.  Ib,  e  axi  segons  mes  e 
mevns,  segons  quels  era'  vigares  que  podra  muntar  la  messio 
del  retfortsament  dol  dit  grau  . 

ItPtn  quels  homens  estrayns  qui  venen  pescar  al  dit  estayn 
se  an  avenir  ab  los  renders  e,  segons  que  sera  covengut  en- 
tre los  primers  els  renders,  totz  los  altres  estrayns  qui  y  ven- 
ran  pescar  agen  a  pagar  segons  la  covinensa  dels  primers,  si 
doncs  los  renders  no  lin  volen  fer  gracia. 

Totes  les  causes  damont dites  foren  trobades  per  dit  de  tes- 
timonis  que  axi  era  aeostumat  de  fer  antigament,  los  quais 
testimonis  son  aquestz,  Johan  Raholph,  Steve  Jaubert,  P. 
Isern.  Johan  Jaubert.  Arn.  Rochafort,  totz  de  sent  Laurens. 

(Arch.  des  Pyr.-Or.,  B.  94,  Procuracio  real,  reg.  xvii,  f»  11  vo.) 

Pierre  Vidal. 
(A  suivre .) 


»  S/c. 


Dialectes  Modernes 


GRANDEUR  ET  DÉrADEXCE 

DU  MOT  «  MÉCHANT,^  AU  XVIIe  SIÈCLE 


Qui  n'a  rencontré  dans  quelqu'un  de  ces  recueils  de  bons 
mots,  si  nombreux  au  XYII^  et  au  XVIIIe  siècle,  Fanecdote 
.suivante  : 

"  Le  mot  (fros  a  été  tellement  à  la  mode,  qu'on  le  plaçait 
partout,  et  qu'on  le  confondait  avec  le  mot  de  grande  Le  Roi 
dit,  dans  ce  temps-là,  à  Despréaux  :  «  Je  souhaite  que  l'Acadé- 
»  mie  française,  qui  est  établie  pour  déterminer  le  vérirable 
»  sens  des  termes  de  la  langue,  distingue  précisément  la  si- 
)>  gniôcation  de  ces  mots  de  gros  et  àe grand,  afin  que  l'usage 
»  ne  les  confonde  pas  pour  toujours  ^.  »  —  «  Votre  Majesté 
))  n'a  rien  à  craindre,  lui  répondit  le  poète,  la  postérité  dis- 
y>  tinguera  toujours  bien  Louis  le  Grand  d'avec  Louis  le 
»   Gros  ■' .  » 


'  On  était  à  la  fin  de  cet  engouement  pour  le  mot  yros,  eu  1694,  lorsque 
Edme  Boursault  publia  sa  piquante  coraidie  :  Les  Mots  à  la  mode.  «  Gros  »  est 
un  mot  proscrit,  ma  sœur,  dit  M.  Brice,  le  personnage  raisonnable  de  la 
pièce.  Se.  6. 

-  Boursault  distingue  très-bien  la  signification  des  deux  termes  dans  les 
vers  suivants  : 

Me  trouver  l'esprit  fjros,  c  estl  e  trouver  épais  ; 
A  moins  qu'un  fjros  seigneur  n'ait  la  taille  fort  grosse. 
Est-il  expression  plus  bizarre  et  plus  fausse  ! 
Qui  diable  a  jamais  dit  depuis  quinze ^ros  jours? 

[Ibid.) 
Au  reste,  la  confusion  entre  grand,  et  fjros  venait  d'une  synonymie  réelle, 
qui  avait  existé  autrefois.  On  trouve  encore  dans  Monet:  gros,  grand,  puis- 
sant, assorti  de  moyens  et  de  crédit;  il  est  des  gros  de  la  ville. —  Grossir,  de- 
venir grand,  auf/esco. 

'  Desbois,  Recueil  de  hon<  mots,  1730  ;  II,  p.  82. 


78  GRANDEUR  ET  DECADENCE 

Un  engouement  du  même  genre  s'est  produit  en  faveur  du 
mot  méchant.  Il  était  devenu  tellement  à  la  mode,  pendant  la 
plus  grande  partie  du  règne  de  Louis  XIV,  qu'on  le  mettait 
partout  à  la  place  de  mauvais.  Ce  fait  curieux  de  linguistique 
vaut  la  peine  d'être  étudié. 

Les  deux  mots  ainsi  confondus  ne  paraissent  point  égale- 
ment anciens  dans  la  langue.  Tandis  que  mauvais  ou  malvais 
se  trouve  déjà  dans  la  Chanson  de  Roland,  le  premier  exemple 
de  méchant,  cité  par  Littré,  est  seulement  du  XIV^  siècle'.  Par 
contre,  si  l'origine  de  méchant  est  plus  moderne,  l'étymologie 
en  est  beaucoup  plus  claire  et  plus  incontestable. 

«  L'ancienne  forme,  dit  Littré,  est  mescheant,  du  préfixe 
mes  et  de  cheant,  participe  présent  du  verbe  choir.  Meschanl 
signifie  proprement  celui  qui  a  mauvaise  chance  ;  de  là  vient 
le  sens  de  ne  valant  rien,  chétif,  insuffisant  ;  un  pas  de  plus, 
en  s'éloignant  du  sens  primitif,  conduit  à  l'acception  de  con- 
traire à  la  probité  en  parlant  des  choses,  et  d'enclin  à  mal 
faire  en  parlant  des  personnes.  » 

Et,  comme  exemples  du  sens  primitif  et  du  sens  le  plus  loin- 
tain, Littré  cite  les  deux  textes  suivants,  qui  appartiennent, 
l'un  et  l'autre,  au  XIV^  siècle. 

«  Il  seroit  aucune  foiz  beneiiré,  et  après  autre  foix  maleu- 
reuz  et  mescheant.  Oresme.  Eihic.  23. 

»  Cils  chevaliers  l'a  pris  ens  ces  prez  là  devant.  Et  le  tient 
en  prison  en  guise  de  meschanl.  Guesclin,  2266. 

Cette  étymologie  est  assurément  hors  de  toute  discussion, 
et  déjà  Ménage  l'avait  indiquée" dans  ses  Origines  de  la  langue 
française.  Celle  du  synonyme  de  méchant  est  infiniment  plus 
douteuse.  Mauvais,  ou  plutôt  malvais,  vient,  disent  les  uns-,  du 
haut  allemand  balvasi,  transformé  en  malvasi  sous  l'influence 
de  malus.  Il  est  sorti,  au  dire  des  autres,  de  maie  levalus,  que 
l'on  retrouve  assez  bien  dans  le  provençal  malvats'^.  Je  laisse 

1  II  est  vrai  que  meschoir  et  mcschance  se  rencontrent  dans  des  textes  plus 
anciens.  — Me.9c/jflnnui-mêmc  avait  déjà,  au  XIII»  siècle,  le  sens  de  mauvais; 
ainsi  que  le  témoigne  un  texte  formel  de  Matthieu  Paris,  cité  par  Ménage  dans 
ses  Origines  :  «i  Dixit  quod  malus  csset,  gallicana  lingua  mcschaiit,  et  hoc 
verbum  maximae  offensionis   inter  eos.  »  (P.  1159  delapr.  éd.) 

^  Scheler. 

'  Diez,  Lex.  étym.,  I,  260. 


DU  MOT    «  MECHANT  "    AU  XVIP  SIECLE  79 

à  de  plus  habiles  le  soin  de  décider  entre  ces  deux  ctymolo- 
gies;  pourtant,  à  parler  franchement,  ni  l'une  ni  Fautre  ne 
me  séduisent.  Maie  levatus  s'accorde,  tout  au  plus  ',  avec  le 
provençal  malvats,  et  balvasi  me  répugne  infiniment.  Les  dé- 
fenseurs de  cette  dernière  origine  ne  tiennent  pas  assez  de 
compte  du  préfixe  ma/,  et  cependant  ce  préfixe,  ainsi  que  ses 
congénères  mar  et  mes,  occupent  une  place  trop  grande  dans 
la  formation  des  adjectifs  et  des  mots  péjoratifs  pour  qu'on  en 
fasse  ainsi  bon  marché.  Mais,  Je  le  répète,  je  n'ai  pas  le  droit 
de  donner  un  avis  en  matière  semblable  et  soumets  humble- 
ment mes  doutes  aux  romanistes.  Je  ne  garde  pour  moi  que 
la  tâche,  plus  modeste,  de  constater  la  fortune  de  nos  deux 
qualificatifs  pendant  le  cours  du  XVIIe  siècle. 

Littré,  comme  nous  l'avons  vu,  considère,  à  propos  de  mé- 
chant, le  sens  de  contraire  à  la  probité  et  d'enclin  au  mal, 
comme  l'acception  dernière  et  la  plus  éloignée  de  la  signifi- 
cation primitive.  Il  a  raison,  sans  doute,  au  point  de  vue  de 
l'ordre  logique  ;  mais  ce  sens  éloigné  devint  de  très-bonne 
heure  le  sens  le  plus  usuel.  Il  l'était  déjà  au  XIIP  siècle,  Mat- 
thieu Paris  l'atteste.  Littré  lui-même  donne  un  exemple  de 
cette  acception,  tiré  de  la  Chronique  du  Guesclin,  texte  de 
même  date  environ  que  l'ouvrage  d'Oresnie,  où  se  trouve  in- 
diqué le  sens  primitif. 

AuXVIesiècle,  cette  signification  dérivée  était  certainement 
la  principale  et  la  plus  ordinaire  %  Pour  traduire  les  mots  la- 
tins scelestus,  sceleratus,  nefandus,  nefarins,  nequam,  Charles 
Estienne''  n'emploie  g\xèvec{ViQ\e  moi  meschant,  et  réservemau- 
vais  pour  rendre  des  adjectifs  moins  énergiques,  comme  malus 
et  malignus.  Quant  au  substantif  abstrait  formé  de  méchant, 
s'il  eut  jamais  l'acception  de  mauvaise  chance,  d'insuffisance 
ou  de  valeur  chétive,  il  l'a  perdue  complètement.  Les  diction- 
naires du  temps  ne  le  rendent  que  par  des  termes  qui  signi- 

ï  Léon  Gautier,  Glosxaire  de  Roland,  p.  585. 

2  Non  pas  que  les  autres  sens  eussent  disparu.  En  15;^3,  Ch.  de  Bovelles 
{Carolus  Bovillus),  cité  ^a.v  (j&ma,  Lexique  de  Molière,  dit  expressément: 
meschant  (\\id.\'Oc&  abutentes  Galli  viruna  interdum  inopern,  interdura  zhî- 
quum,  dolosum  et  infelicem....  [de  Vitiis  vubjar.  lin;/.,  p.  15.  —Remar- 
quez que  peu  chanceux,  infelix,  est  rejeté  à  la  dernière  place. 

3  Dictionariumlatino-gallicum;  Lutetiic,  1561,  in-fol. 


80  GRANDEUR  ET  DECADENCE 

fient  penchant  au  mal  ou  action  coupable.  On  trouve,  en  effet, 
dans  un  lexique  à  l'usage  des  écoles,  le  Dictionariolwn  puero- 
rum\  après  meschanceté,  les  expressions  suivantes  :  facinus  illi- 
berale,  improbitas  cordis  humani,  impuritas,  indi(jnitas,  nequi- 
tia,  scelus,  vitium.  Le  terme  de  mesc fiance  est,  à  la  fin  du  siècle, 
traduit  par  iniquitas,  iniquité. 

Ainsi  le  mot  qui,  dans  l'origine,  avait  eu  le  sens  le  moins 
fort,  avait  alors  Tacception  la  plus  énergique  ;  tandis  que,  par 
un  sort  contraire,  l'adjectif,  que  son  étjmologie  semblait  des- 
tiner à  exprimer  un  plus  grand  degré  de  perversité,  n'avait 
plus  qu'un  sens  relativement  adouci-. 

Tel  était  l'état  de  ces  deux  mots  au  commencement  du 
XVIP  siècle.  Aussi,  dans  un  dictionnaire  français-italien  de 
1603,  composé  par  P.  Canal,  mauvais  est  rendu  par  malvâgio 
et  caltivo,  au  lieu  que  meschant  est  traduit  par  les  termes  au- 
trement énergiques  de  sceleratoet  de  ribaldo.  11  y  a  plus:  l'au- 
teur de  ce  vocabulaire,  ou  ne  s'est  douté  ni  de  la  signification 
primitive  de  peu  chanceux,  ni  de  l'acception  dérivée  de  chétif 
et  d'insuffisant,  ou  bien  n'a  tenu  aucun  compte  de  ces  deux 
sens,  plus  anciens  cependant  que  celui  qu'il  donne.  Faut-il 
s'en  étonner  ?  Nicot,  dont  le  dictionnaire  a  été  la  source  où 
puisèrent  tous  les  lexicographes  postérieurs,  n'est  pas  plus 
complet  surce  point.  Il  énumère,  en  effet,  diverses  acceptions 
du  mot  mescimnt:  scélérat,  abandonné  à  tous  les  vices,  digne 
de  punition,  quand  il  s'agit  des  personnes;  indigne,  criminel, 
honteux,  lorsqu'il  est  question  des  choses.  Mais  le  sens  d'in- 
suffisant, de  vil  et  de  peu  de  valeur,  n'est  pas  mentionné.  Quant 
à  celui  d'infortuné,  de  peu  chanceux,  à  peine  est-il  entrevu 
dans  des  exemples  comme  ceux-ci  :  les  meschantes  gens  d'une 
ville,  fxx  ciDilatis ;\q  lieu  oîi  se  retirent  toutes  meschantes 
gens,  ouïes  meschantes  gens  même:  sen/?'»a.  Encore  Nicot 
oppose-t-il  formellement  méchant  à  malheureux  dans  le  pro- 
verbe suivant:  Aimer  plus  estre  meschant  que  bclistre,  turpi- 
ter  potins  quam  calamitose  vivere'\ 

•  Dictionariolum  pueroriim.  Lugduui,  ap,  Henricum  Hylarium  el  Ludovi- 
ciini  Cloquemin.  1574,  iD-4o. 

^  11  en  est  de  même  du  nom  abstrait  dérivé  de  mauvais.  Le  Dictionario- 
lum piternvum  traduit  mauvaistié  (ma«i'rt(7j^dans  Ph.  Monel),  par  ?««//- 
;//iif>is,  /i/dvitas.  —  '  L'édition  de  Nicot,  que  nous  avons  consultée,  est  celle 
(le  Jean  Baudoin.  Lyon,  Cl.  Morillon,  1606,  in-4o. 


DU  MOT   «MECHANT»    AU  XV11«  SIECLE  81 

Fait  plus  singulier  encore,  Malherbe,  le  vieux  docteur  en 
langue  vulgaire,  n'emploie  meschant  que  dans  le  sens  de  per- 
vers; il  se  sert  au  contraire  de  mauvais,  dans  tous  les  cas  où 
les  hommes  de  la  génération  suivante  devaient  user  de  l'ad- 
jectif méchant. 

Est-ce  à  dire  pourtant  que  ce  dernier  eût  perdu  son  sens 
primitif  de  malheureux  ou  de  peu  de  valeur?  Non,  sans  doute. 
Si  l'on  ne  le  rencontre  avec  ces  acceptions,  ni  dans  le  dic- 
tionnaire de  Nicot  et  de  P.  Canal,  ni  dans  les  œuvres  de  Mal- 
herbe, la  lacune  est  facile  à  combler  au  moyen  de  lexiques  et 
d'écrivains  contemporains. — Le  Thresor  des  trois  langues  fran- 
çoùe,  italienne  et  espagnolle,  ne  donne,  il  est  vrai,  que  les  signi- 
fications d'inique,  abandonné  à  toute  gourmandise  et  à  toute 
«  impudicité  *.  »  Mais  Cotgrave  cite  un  proverbe  où  l'acception 
de  malheureux  et  de  misérable  ne  fait  pas  doute  :  «  Aujourd'liui 
marchand,  demain  «meschant^  »  ;  et,  dans  son  Parallèle  des  lan- 
gues latine  et  française,  le  jésuite  Philibert  Monet,  après  les 
trois  sens  de  «  malin  {inab'gnus),  ajant  mauvaise  âme,  et  fait 
»  par  méchanceté  »,  ajoute  ((  malotru,  de  nul  prix  ».  et, 
comme  exemple  de  cette  dernière  signification,  écrit:  a  Du 
»  butin,  je  n'ai  eu  qu'un  meschant  cheval  et  un  malotru  habit, 
—  de  prœda  tuli  dumtaxat  vilem  equum  et  abjectam  vestem-'. 

Les  écrivains  du  temps  rendent  le  même  témoignage.  Ma- 
thurin  Régnier  fait  dire  à  son  fâcheux  : 

Ce  sont  des  meschants  vers 

(Je  cogneu  qu'il  estoit  véritable  à  son  dire). 
Que  pour  tuer  le  temps  je  m'efforce  d'escrire''. 

Après  le  poète  satirique,  ennemi  de  Malherbe  et  de  son 
école,  citons  un  prédicateur,  alors  fort  célèbre,  Pierre  de 
Besse,  aumônier  du  prince  de  Condé.  Il  nous  montrera  le  mot 
employé  dans  le  sens  de  chétif  etde  méprisable,  sous  Henri  IV 
et  dans  les  premières  années  du  règne  de  Louis  XIII.  Voici, 

1  Ed.  de  1627. 

2  II  donne,  de  plus,  le  sens  de  qui  ne  vaut  rien. 

3  Ce  sens  de  vil  (3t  de  peu  de  valeur,  vilis,  mdiius  pretii,  Ph.  Monel  le 
donne  aussi  à  mauvais.  —  11  est.  utile  à  remarciuer  que  le  dictioonain'  de 
Monet  parut  seulement  vers  1630. 

*  Sut.  vm,  V.  116. 


82  GRANDEUR  ET  DECADENCE 

par  exemple,  une  phrase  tirée  de  sa  Royale  Prestrise\  Il  ve- 
nait de  traduire  un  passage  d'une  lettre  écrite  par  le  pape 
Alexandre  VI  au  cardinal  Ximenès,  et  il  accompagne  sa  tra- 
duction du  commentaire  suivant  :«  Le  bon  S.  Père-  voulait  dire 
»  que,  comme  les  prestres  ne  se  doivent  point  négliger  en 
»  portant  de  trop  raeschants  habits,  aussi  ne  doivent  ils  point 
»  par  trop  piaffer  en  (en)portant  de  trop  braves-'.» 

Ainsi  voilà  bien,  dans  un  auteur  fort  à  la  mode  au  commen- 
cement du  XVIP  siècle,  le  mot  méchant  pris  dans  une  de  ses 
acceptions  primitives;  on  l'oppose  à  brave,  qui  signifiait  de 
bonne  façon,  élégant,  distinguée 

Néanmoins  la  signification  de  vicieux  et  de  scélérat  était 
alors  la  plus  usuelle.  Pour  une  fois  que  l'on  rencontre  notre  ad- 
jectif avec  le  sens  de  méprisable  et  de  chétif,  on  le  trouve  au 
moins  dix  dans  celui  de  criminel  ou  de  pervers^.  Rappelons-en 
quelques  exemples  tirés  du  même  prédicateur.  Sa  langue  est  en- 
core la  langue  rude  et  imagée  du  XVI*  siècle  ;  elle  a,danssanaï- 
veté,  et  son  exubérance,  une  saveur  dont  on  regrette  souvent 
l'absence  dans  le  langage  plus  sobre  et  plus  délicat  de  l'âge  sui- 
vant. Notons  d'abord  cette  antithèse:  Ce  sont  aux  bons  jours 
que  se  fontles  meschantes  œuvres". —  ((  Le  prestre,  dit  ailleurs 
»  Pierre  de  Besse,  en  endurant  faict  paroistre  qu'il  est  juste; 
»  mais  en  se  revenchant,  il  monstre  qu'il  est  mescliant  comme 
»  les  autres  \ —  Le  prestre,  dit-il  encore,  est  donc  hoimne  de 
»  bien  qui  veille  volontiers,  comme  aussi  il  est  ineschant  quand 
»  il  ayme  trop  à  dormir  et  ne   peut  quitter  ses  couches  ^))  — 

1  Le  privilège  de  ce  livre  est  du  23  décembre  1609. 

2  Ce  boji  S.  Père  n'est  autre  que  le  fameux  Alexandre  Borgia,  bien  que 
Besse  nomme  par  inadvertance  Alexandre  IV  (1254-1261).  Il  s'agit  d'une  lettre 
adressée  au  cardinal  Ximenès,  en  1495,  et  qui  par  conséquent  ne  peut  appar- 
tenir qu'à  Alexandre  VI. 

3  Royale  Prestrise,  p,  467. 

'  Lindo,  gentil,  bello.  P.  Canal,  Dictionnaire  français  et  italien. 

»  Il  serait  facile  de  multiplier  les  preuves  :  on  pourrait  citer,  par  exemple, 
un  émule  de  Hardy,  Cl.  Billard  de  Courgenay,  dont  les  tragédies  parurent 
en  1611. 

''  Conceptions  théologiques  pour  tous  les  dimanches  de  l'Avent.  1609. 
édit.  Lyon,  1635,  p,  481. —  Les  6o?is  jours  sont  les  jours  de  fête. 

'/i/</.,  p.  35-2-353. 

*  Ihid.,  p.  445. 


DU  MOT   «  MÉCHANT  »♦    AU  XVII*  SIÈCLE  S3 

«  Courage,  s'écrie-t-il  dans  un  autre  passage,  et  ne  vous  fas- 
chez  point,  ô  prestres!  si  les  meschans  prospèrent  en  ce  monde 

les  meschans  ne  prétendent  rien  dans  le  ciel  ;  et  vous  ne 

devez  rien  prétendre  sur  la  terre'.» 

Et,  de  même  que  Besse  emploie  plus  souvent  meschant  avec 
l'acception  de  vicieux  et  de  pervers  qu'avec  celle  d'infortuné, 
de  vil  et  d'abject,  s'il  veut  exprimer  cette  dernière  idée,  il  se 
sert  de  préférence,  comme  nous  le  faisons  aujourd'hui,  du 
qualificatif  ?nttMya?5.  Veut-il  dépeindre  le  triste  état  de  l'enfant 
prodigue  rentrant  dans  la  maison  paternelle,  c'est  à  mauvais 
qu'il  recourt:  «  Son  père  le  voyant  tout  descliiré,  tout  des- 
»  cousu,  tout  sale,  et  ne  pouvant  supporter  ce  mauvais  equi- 
»  page,  commanda  tout  aussitostà  ses  gens  de  lui  arracher 
»  ses  guenillons,  l'habiller  en  enfant  de  bonne  maison  et  l'os- 
»  ter  de  ses  ordures-.» 

Les  contemporains  de  Pierre  de  Besse,  les  inconnus  de 
même  que  les  illustres,  se  servent  comme  lui  de  méchanl  pres- 
que toujours  dans  le  sens  de  vicieux  et  de  criminel,  et  rarement 
dans  ceux  de  malheureux  ou  d'insuffisant.  Citons,  par  exem- 
ple, Audiguier,  auteur  d'un  roman  longtemps  en  vogue,  puis- 
que la  première  édition  est  de  1615,  et  qu'on  le  réimprimait 
encore  en  1667.  Dans  ses  Amours  de  ÏÀsandre  et  de  Calisle'\  il 
appelle  une  fois  un  escalier  méchant^  ;  mais  il  dit  aussi  qu'un 
homme  de  bien  pouvait  faire  son  hermitage  au  milieu  du 
monde  comme  un  méchant®  pouvait  faire  son  monde  en  son 
hermitage;  il  parle  de  l'esprit  d'une  méchante ®  femme  et 
traite  un  ingrat  de  malheureux  et  de  méchant ^  D'ailleurs, 
il  a  plus  souvent  recours  à  mauvais  qu'à  son  sjnonj^me,  et  il 
en  use  à  peu  près  comme  nous  et  donne  cette  épithète  à  con- 
seiP,  à  coup,  à  fortune,  à  humeur,  à  opinion,  à  rencontre,  à 
tour,  à  temps,  à  orateur '-•:  tous  substantifs  auxquels  la  géné- 
ration suivante  accoUera  de  préférence  la  qualité  de  méchant. 

»  Ibid.,p.  356-357.  —  ^  Ibid.,  p.  461. 

^  Histoire  comique  de  notre  temps,  ou  les  Amours  de  Lisandre  et  de 
Calisfe.  Paris,  Michel  Bobin  et  Nicolas  le  Gras,  1667,  in-12. 

i  Ibid.,  p.  256.—  5  Ibid  ,  p.  494.  —  «^  Ibid.,  p.  468.-7  I/jid.,p.  247. 

"  Dédicace. 

9  P.  223,  298,  202,  265,  239,  60,  388.  La  plupart  de  ces  mots  sont  accom- 
pagnés plusieurs  fois,  dans  l'ouvrage,  de  Tadjectif  mauvais. 


84  GRANDEUR  ET  DECADENCE 

Dans  la  Vraie  Histoire  de  Frcmcion,  publiée  en  1622  par 
Charles  Sorrel,  mauvais  occupe  également  la  plus  grande 
place;  méchant  semble  pourtant  acquérir  de  l'importance,  au 
moins  avec  la  signification  de  vicieux.  Il  se  rencontre  même 
assez  souvent  à  côté  d'un  objet  de  peu  de  prix'.  On  pourrait 
dire  la  même  chose  à  propos  iV Ariane,  roman  historique  de 
Desmarets  (1632)  :  méchant  gagne  sur  son  rival;  il  lui  prend 
les  désirs,  les  desseins,  les  maximes,  les  pratiques-  ;  il  lui  en- 
lève l'empereur  ainsi  que  le  peuple  ^.  Cependant  il  se  contient 
encore  à  cette  date,  comme  on  peut  le  constater  dans  les  pre- 
mières comédies  de  Corneille.  Mélite  avec  Clitandre  lui  accor- 
dent une  action  et  un  sonnet*,  mais  gardent  leurs  préférences 
pour  mauvais. 

A  la  fin  du  règne  de  Louis  XIII,  et  particulièrement  pendan:^ 
la  régence  d'Anne  d'Autriche,  ?/?t'c/ian^  est  en  veine  de  fortune; 
il  pourrait,  comme  M""'  de  Sévigné,  conter  ses  petites  prospé- 
rités. Tandis  que,  dans  l'acception  d'injuste,  de  scélérat,  de 
vicieux,  quand  elle  s'applique  aux  personnes  et  aux  êtres  ani- 
més, il  reste  sur  ses  positions  et  demeure,  pour  ainsi  dire,  oisif 
et  stationnaire  ;  dès  qu'il  s'agit  de  choses,  il  s'avance  hardi- 
ment. Malencontreux,  chétif,  insuffisant,  de  peu  de  valeur,  vil, 
méprisable,  indigne,  criminel,  tous  ces  adjectifs  lui  cèdent  la 
place  ;  il  laisse  presque  dans  l'oubli  tous  les  péjoratifs  de 
la  langue  française"^.  Qui  ne  sait  que  Claude  Perrault 

De  méchant  médecin  devint  bon  architecte  ^  ? 

Nous  maudissons  encore  l'auteur  dur 

Qui,  de  ses  lourds  marteaux  martelant  le  bon  sens, 
Fit  de  fort  méchans  vers  douze  fois  douze  cents  "^ . 


1  Ai^uilleltes,  p.  178  ;  boyaux  de  chat,  89  ;  charrette,  44  ;  couvertures, 
284-  ctoiïes,  345;  habits,  175  et  pass.,  haillons,  274;  haridelle,  '62d[  hauts 
de  chausses,  77;  maisou,  81;  papier,  198.  Éd.  d'Emile  Colombey.  Paris,  l)e- 
hUiays,  1S58,  in-16 

-  1,  136;  165;  11,  20,  48.  Ariane;  Paris,  Guillemot,  1632.—  2  vol.  in-12. 

■i  Un  si  raeschant  empereur,  1,  376  —  Ce  meschant  peuple,  1,  241. 

•  Avfi.  de  Clitandre;  Mélite,  act.  II,  se.  4. 

s  II  est  à  remarquer  qu'alors  le  sens  de  mécliant  ne  varie  pas  selon  qu'il 
précède  ou  suit  le  substantif.  C'est  plus  tard  que  la  distinction  s'est  faite. 

"  Art.  poét.,  IV,  2i.  —  '  E/)ii/r.  pour  mettre  à  la  fin  de  la  Pucelte. 


DU  MOT  «  MÉCHANT  »   AU  XVII*  SIÈCLE  85 

Si  nous  étions  tentés  de  dire  à  Boileau  : 

C'est  un  méchant  métier  que  celui  de  médire  *, 

une  de  ses  victimes,  cet  «  écrivain  estimé  chez  les  provinciaux  », 
dont  il  a  dit  : 

Le  Pays,  sans  mentir,  est  un  bouffon  plaisant-, 

nous  répondrait  aussitôt:  «  Il  est  bon  qu'il  y  ait  de  méchants 
auteurs  pour  donner  de  l'éclat  aux  illustres.  »  Il  ajouterait 
même,  non  sans  une  pointe  de  malignité  pour  le  satirique  :  a  Si 
nous  n'avions  rien  écrit  de  méchant,  il  n'eût  peut  être  jamais 
rien  dit  de  bon^.  » 

Pendant  quarante  ans  au  moins,  il  n'y  eut  peut-être  point 
de  mot  aussi  en  honneur  dans  la  langue  française.  C'était  à 
qui  s'en  servirait  le  plus,  une  sorte  de  gageure  où  chacun, 
soit  en  parlant,  soit  en  écrivant,  s'évertuait  à  mettre  en  pra- 
tique le  vieux  proverbe  à  méchant  méchant  et  demi. 

Les  jansénistes  avaient  une  méchante  doctrine;  mais,  en 
compensation,  les  jésuites,  au  dire  de  Pascal,  enseignaient 
de  méchantes  maximes*.  Nos  soldats,  obligés  de  marcher  con- 
tre l'ennemi,  se  plaignaient  des  chemins  serrez  et  meschants^  ; 
par  contre,  Flaminius  demeurait  dans  la  comédie  de  Nico- 
dème  en  méchante  posture  ^  Tel  était  raillé  pour  sa  méchante 
voix  ■',  tel^autre  à  cause  de  son  méchant  cheval^;  celui-ci,  dans 
un  méchant  pas ^,  exerce  sa  méchante  humeur'"  en  s'irritant 
contre  sa  méchante  destinée"  ;  celui-là,  porté  de  méchante 
volonté*^,  en  fait  sentir  les  méchants  effets'''  à  toutes  ses  con- 
naissances, en  leur  rendant  de  méchants  offices'*,  en  leurfai- 


'  Sat.  vn,  V.  2—2  Sat.  m,  v.  180. 

3  Les  Nouvelles  Œucres  de  Monsieur  Le  Pays.  Amsterdam,  16S7,  in-12. 
Seconde  partie,  livre  IL  Lettre  première  à  M.  de  Tiger,  p.  122  et  123. 

"  Avez-vous  supprimé  les  livres  où  ces  méchantes  maximes  sont  enseignées? 
XI'  Provinciale,  éd.  de  Cologne,  1669,  p.  226. 

^  Mercure  galant,  octobre  1677,  p.  17.  -  "^  Corneille.  Exam.  de  Nicomède. 

1  Scarron,  Rom.  corn.,  XV,  183.—  »  Ibid.,  XIV,  138. 

9  Désordres  de  l'amour  (de  Mme  de  Villedieu),  1676, 1,  p.  50. 

1°  Mercure  galant,  mai  1677,  p.  7.—  *«  Désordres  de  l'amour,  111,  p.  26. 

*-  Ibid.,  L  P-  60.  —  13  Mercure  galant,  octobre  1677,  p.  17. 

1*  Désordres  de  l'amour,  IV,  p.  13. 

6 


86  GRANDEUR  ET  DECADENCE 

sant  passer  de  méchants  moments'.  Bussy-Rabutin  s'afflige 
du  méchant  état  de  ses  affaires,  du  méchant  succès  de  ses  dé- 
marches^, et,  pour  le  consoler,  la  marquise  de  Sévigné,  sa 
cousine,  lui  écrit  :  «Vous  avez  bien  fait  d'écrire  au  Roi  ;  votre 
»  lettre  est  fort  bonne  ;  vous  auriez  bien  de  la  peine  à  en 
»  écrire  de  méchantes^.  » 

Méchant  est  un  terme  qui  vient  si  souvent  à  la  bouche,  que 
l'auteur  du  Misanthrope  le  répète  quatre  fois  dans  la  seule 
scène  du  sonnet  d'Oronte  ;  et,  quand  Alceste  s'écrie  : 

Le  méchant  goiit  du  siècle  en  cela  me  fait  peur, 

ce  n'est  certainement  point  à  la  vogue  du  mot  méchant  qu'il 
songe. 

Personne,  en  effet,  ne  s'apercevait  qu'on  en  fît  un  usage 
abusif;  bien  au  contraire,  on  ne  croyait  jamais  l'employer 
assez.  Eléonore  de  Souvré,  abbesse  de  Saint-Amant,  écrivait 
à  sa  tante,  M™^  la  marquise  de  Sablé: «Je  suis  si  languissante 
que  je  ne  crois  pas  passer  Thiver  àcause  de  ma  méchante  poi- 
trine ^.  Et  La  Rochefoucauld  souhaite  à  sa  nièce  M""  de  Sillery, 
qui  se  marie  «  bravement  sans  lui  rien  dire»,  des  valets  qui  la 
volent,  un  méchant  cuisinier,  un  confesseur  moliniste  et  une 
femme  de  chambre  qui  ne  sait  pas  bien  peigner  ■'.  M™*  de  Sa- 
blé, qui  avait  pourtant  toujours  peur,  écrivait  à  l'abbé  de  la 
Victoire:  «Quand  vous  auriez  été. . .  .au  plus  méchant  air  du 
monde,  j'ai  tant  envie  de  vous  voir  que  je  n'aurais  pas  la  pa- 
tience de  vous  faire  passer  par  le  feu''.»  Plus  craintif,  un  de 
ses  contemporains  regardait  tout  comme  méchant  pour  la 
santé . 

Boileau,  dans  sa  confession  ironique,  a  beau  faire  le  bon 
apôtre  et  déclarer  le  métier  de  satirique  un  méchant  métier, 
il  ne  se  gêne  guère  avec  les  méchants  écrits  et  les  méchants 
auteurs;  et,  mariant  ensemble,  pour  les  opposer  l'un  à  l'autre, 


1  Mercure  (jalaiit,  octobre  1677,  p.  7. 

2  Bussy-Rabutin,  Lettres  au  Roi.  18  janvier  et  4  juiu  1687. 
•'  Afmc  de  Sévigné,  14  février  1687. 

*  4  novembre  1670;  Cousin,  3/™«  de  Sablé,  p.  402. 

3  Tiré  du    Petit  Magasin   des   Dames,  in-12,  1806,  p.  114.  par  Cousin, 
M"''  de  Sablé,  p.  521.  —  «  Ibid.,  p.  391. 


DU  MOT  «  MÉCHANT  «    AU  XVII*  SIECLE  87 

deux  adjectifs  alors  fort  en  crédit,  proclame  cet  oracle  célè- 
bre : 

Sans  la  langue,  en  un  mot,  l'auteur  le  plus  divin 
Est  toujours,  quoi  qu'il  fasse,  un  méchant  écrivain  « . 

Racine,  qui  s'est  moqué  avec  tant  d'esprit  des  ridicules  plai- 
doyers de  son  temps,  souffrait  pourtant  plus  facilement  un  mé- 
chant avocat  qu'un  méchant  comédien 2. 

Enfin  M™«  de  Sévigné,  voulant  prouvera  sa  fille  la  vérité 
d'un  récit,  citait  pour  ses  auteurs  Monsieur  le  Premier  et 
Monsieur  le  Grand  Maître,  et  trouvait  que  ces  auteurs-là 
n'étaient  pas  méchants^. 

On  pourrait  multiplier  à  l'infini  ces  exemples,  le  mot  mé- 
chant ajant  été  accouplé  avec  presque  tous  les  noms  de  per- 
sonnes ou  de  choses  ;  mais  ce  serait  de  l'abondance  stérile,  un 
méchant  défaut  que  Boileau  condamne  en  termes  exprès  : 

Qui  ne  sut  se  borner  ne  sut  jamais  écrire  ''. 

Pour  ne  pas  jouer  plus  longtemps  un  méchant  tour^  au  lec- 
teur, concluons  en  citant  comme  dernière  preuve  le  diction- 
naire de  Furetière.  Publié  seulement  en  1690,  mais  achevé 
déjà  en  '.1GS4,  à  l'époque  où  commencèrent  les  fameux  démê- 
lés de  son  auteur  avec  l'Académie,  il  montrera,  mieux  que 
que  toutes  les  citations,  l'étonnante  prospérité  du  mot  mé- 
clianl  aux  beaux  jours  de  Louis  XIV:  «  Mescliant,  mauvais  qui 
»  est  depourveu  de  bonnes  qualitez,  qui  ne  mérite  aucune  es- 
»  time.  Ce  mot  se  joint  à  presque  tous  les  substantifs  de  la 
»  langue  pour  marquer  leurs  défauts.  En  la  nature  on  dit 
»  meschante  beste,  meschant  pays,  meschant  bois,meschante 
»  pierre,"meschante  humeur,  meschante  étoffe.  En  morale, 
»  on  le  dit  de  ce  qui  est  contre  la  raison,  les  lois,  les  bonnes 
»  mœurs  :  un  meschant  garnement,  une  meschante  femme, 


^  Art  poétique,  1,161. 

2  «Oa  souffre  plus  facilement  un  méchant  avocat  qu'un  méchant  comédien.» 
Annotation  au  ch.  26  du  livre  I  du  de  Oratore.  Ed.  Hachette,  VI,  p.  332. 
—  Voir  d'autres  exemples  dans  le  Lexique  de  la  langue  de  Racine,  ib., 
VIII,  p.  316.  —  3  Mme  de  Sévigné, 21  août  1675,  IV,  p.  72. 

^  Artpoét.,  I,  63.  —  -  Scarron,  Rom.  corn.,  XIX,  p.  224. 


88  GRANDEUR  ET  DECADENCE 

»  qui  a  une  meschante  teste,  une  meschante  action,  un  mes- 
»  chant  juge. 

»  MescJiant  se  dit  aussi  des  choses  artificielles  et  incorpo- 
»  relies:  un  meschant  outil,  un  meschant  mot,  une  meschante 
»  doctrine,  de  meschants  vers,  un  meschant  orateur,  une  mes- 
»  chante  cause,  un  meschant  comédien,  un  meschant  plaisant, 
»  un  meschant  brouillon  ou  mauvaise  copie.  » 

Après  cette  longue  énumération,que  restait-il  au  synonyme 
de  méchant,  à  Fadjectif  mauvais?  Peu  de  chose  en  réalité, 
mais  beaucoup  en  théorie.  «  Mauvais,  dit  le  même  Furetière, 
»  qui  n'a  pas  les  qualités  qu'il  devrait  avoir,  qui  est  opposé  à 
»   bon. 

»  Ce  mot  se  peut  joindre  pour  épithète  à  presque  tous  les 
»  substantifs,  tant  en  la  nature  qu'en  la  morale.» 

En  puissance,  mcuii'ais  a  donc  autant  de  droits  que  méchant: 
pour  reprendre  ce  qu'il  a  perdu,  il  lui  suffit  d'attendre  un 
changement  dans  la  mode. 

En  1684,  c'est-à-dire  au  moment  où  l'abbé  de  Chalivoj ache- 
vait son  dictionnaire,  ce  changement  commençait  à  se  pro- 
duire. Le  mot  méchant,  dont  Furetière  avait  constaté  la 
prodigieuse  fortune,  était  à  la  veille  de  la  perdre.  I]  allait 
éprouver  le  sort  des  pervers  qu'il  servait  et  qu'il  sert  encore 
à  désigner  : 

Le  bonheur  des  méchants  comme  un  torrent  s'écoule  i . 

Telle  fut,  en  efî'et,  la  destinée  du  mot  dont  nous  avons  es- 
sayé de  faire  l'histoire  ;  après  avoir  tout  envahi,  il  laisse  échap- 
per peu  à  peu  presque  toutes  ses  conquêtes,  et  perd  avec  ses 
usurpations  une  partie  du  domaine  auquel  son  étymologie  lui 
donnait  droit.  Mauvais,  presque  complètement  dépouillé,  avait 
cependant  conservé,  pendant  la  domination  de  son  heureux 
rival,  quelques  fidèles, — des  provinciauxpeut-être.  Ainsi  dans 
l'année  1676,  époque  à  laquelle  méchant  régnait  souveraine- 
ment à  la  Cour  et  à  la  Ville,  il  s'était  rencontré  un  écrivain 
qui  n'avait  pas  tenu  compte  de  sa  vogue.  C'était  l'auteur  de 
Y  Héroïne  mousquetaire,  un  de  ces  romans  à  sensation  qui  char- 

1  Racine,  Âthalie,  11,  7. 


DU  MOT    «  MÉCHANT  »   AU  XVir  SIÈCLE  89 

ment  pendant  quelque  temps  les  oisifs  et  tombent  ensuite  dans 
l'oubli.  Dans  son  livre,  assez  volumineux  pourtant,  Tadjectif 
usurpateur  se  rencontre  à  peine,  tandis  que  mauvais  s'étale  à 
l'aise,  au-devant  de  tous  les  substantifs  qu'il  s'agit  de  qualifier 
en  mal.  Le  mot,  proscrit  par  une  sorte  de  désuétude,  non-seu- 
lement reprend  l'intelligence,  le  succès,  la  volonté  et  l'opi- 
nion, mais  il  se  rend  maître  de  l'usage  et  de  la  conduite,  rè- 
gle les  explications,  les  raisons  et  les  discours,  et  se  charge 
seul  de  donner  de  mauvaises  couleurs  aux  impressions  et  aux 
compliments'. 
Ainsi  commence, 

par  un  retour  grotesque, 

A  tomber  de  méchant  le  faste  pédantesque. 

Pendant  les  vingt  dernières  années  du  siècle,  ce  retour 
s'accentue  de  plus  en  plus:  méchant  recule  à  l'arrière-plan  ; 
les  écrivains  qui  l'ont  employé  presque  abusivement  dans  leur 
jeunesse  s'en  servent  d'une  façon  plus  discrète;  la  génération 
nouvelle  n'en  use  guère  ou  n'en  use  pas,  Boileau,  par  une  ha- 
bitude invétérée,  l'applique  encore  aux  écrits  -  ;  mais,  s'il  n'y 
renonce  pas  en  prose,  il  ne  l'introduit  ni  dans  ses  dernières 
satires,  ni  dans  ses  dernières  épîtres.  La  Bruyère  raille  les 
copies  fidèles  de  très-méchants  originaux';  mais  mauvais  est 
l'adjectif  qui  se  rencontre  habituellement  sous  sa  plume  dans 
des  cas  où  vingt  ans  plus  tôt  on  aurait  préféré  méchant. 

Si  des  grands  écrivains  on  passe  aux  médiocres,  —  et  les 
médiocres  sont  pres(|ue  toujours  des  témoins  plus  sûrs  de 
l'usage  et  de  la  mode  que  les  excellents,  on  trouve  également 
chez  eux  les  rôles  renversés  :  c'est  méchant  qui  descend  et 
mauvais  qui  montée  Ch.  Perrault  ne  nous  montre  jamais  le 

1  Héroïne  mousquetaire,  111,  54,  51  :  —  11,  143;  —  IIL  29,  10,  26,  38,  38, 
4.—  IV.  4. —  III,  77.  L'auteur  du  romaa  est  Préchac. 

-  J'ai  appris  qu'on  debiloit  dans  le  monde,  sous  mon  nom.  quanlitr  de  mé- 
chants écrits.  Avertissement  sur  la  yn'^'  satire. 

■'Ils  deviennent  des  copies  fidèles  de  très-méchants  originaux.  La  Bruyère, 
de  la  Ville,  7  ;  édit.  Hachette,  1,  280. 

*  J'ai  dressé,  d'après  quelques-uns  d'entre  eux,  des  tables  de  présence  pour 
les  deux  mots;  à  la  fin  du  siècle,  la  liste  de  mauvais  s'allonge,  celle  de  iné- 
c/iant  se  réduit. 


90  GRANDEUR  ET  DECADENCE 

premier  dans  sa  querelle  avec  Boileau,  àroccasion  de  la  Sa- 
lire  contre  les  femmes;  et,  si  le  grand  Arnauld,  qui  servit  entre 
eux  d'arbitre,  emploie  dans  sa  lettre  l'adjectif  me'c7w??/%  c'est 
dans  le  sens,  sinon  dans  la  place,  où  nous  remployions  encore 
aujourd'hui.  On  constate  encore  le  discrédit  d'un  terme  au- 
trefois si  en  vogue  dans  deux  ouvrages  de  la  même  époque  : 
les  Entretiens  de  morale,  publiés  en  1692,  et  le  Traité  de  la 
satire,  que  l'abbé  de  Villiers  lit  imprimer  en  1695.  Dans  l'un  et 
l'autre  de  ces  deux  livres,  mauvais  occupe  toutes  les  positions 
dont  méchant  était  maître  naguère  ;  le  goût,  les  phrases,  les 
ouvrages,  les  pièces  de  théâtre,  la  satire,  les  épigrammes,  la 
comédie,  lui  appartiennent;  il  qualifie  les  auteurs^  et  les  poè- 
tes, aussi  bien  que  les  maîtres  et  les  domestiques^;  il  flétrit 
la  mine  des  laides  et  enlaidit  l'humeur  des  belles*,  et,  s'il  per- 
met encore  à  son  rival  la  raillerie,  il  se  réserve  les  conseils, 
les  exemples  et  les  sermons^. 

Le  mot  meschanl,  qui  dans  l'origine  avait  signifié  peu  chan- 
ceux, puis  chétif  et  sans  valeur,  perdait  ainsi  son  sens  primi- 
tif et  son  sens  prochain,  pour  ne  guère  conserver  que  son  ac- 
ception dérivée  et  lointaine  de  vicieux  et  de  pervers.  Cette 
révolution  dans  sa  fortune,  qui  s'accomplissait  au  profit  non- 
seulement  de  mauvais,  mais  aussi  de  plusieurs  autres  adjectifs 
péjoratifs  *,  s'acheva  pendant  le  cours  du  XVIIP  siècle.  Aussi 
l'Académie  française,  après  avoir,  dans  l'avant-dernière  édition 
de  son  dictionnaire,  copié  presque  littéralement  Furetière  et 
fait  rénumération  des  substantifs  auxquels  pouvait  se  joindre 
cet  adjectif  pour  désigner  une  chose  ou  bien  un  animal  qui  ne 
vaut  rien  dans  son  genre,  a-t-elle  soin  d'ajouter:  il  a  vieilli 
dans  ce  sens. 

Il  a  vieilli,  sans  doute,  mais  c'est  presque  une  seconde  vieil- 

*  Méchante  disposition,  en  parlant  de  la  malignité  du  cœur,  qui  aime  la  mé- 
disance et  la  calomnie.  Lettres  de  M.  Ariiauld  à  M.  Pe)-rnult,dti.Qs  les 
CEuvres  de  Boileau,  éd.  Saint-Marc.  Amsterdam,  1775,  p.  389. 

-  Traité  de  ta  satire,  par  l'abbé  de  Villiers,  1695,  p.  o2  eipass.;  —  85, 
84,  42  et  pass.;  -  354,  40,  278,  174,  222. 

3  Entretiens  sur  la  morale,  1692.  p.  145.  Ces  entretiens  sont  de  M"e  Scu- 
déry.  —  *  Traité  de  la  satire,  p.  211,  247. 

5  Entretiens,  p.  240,  139,  320,  135. 

^  Boileau,  dans  ses  dernières  œuvres,  emploie  vit,  ridiriile,  triste,  où  vingt 
ans  plus  tôt  il  aurait  pu  se  servir  de  méchant. 


DU  MOT    «  MÉCHANT  j'    AU  XVll'"  SIÈCLE  91 

lesse  ;  car,  au  commencement  du  XVII«  siècle  et  durant  la  plus 
grande  partie  du  règne  de  Louis  XIII,  l'état  des  deux  mots 
méchant  et  mauvais  n'était  guère  différent  de  l'état  actuel  ' . 
Méchant  était-il  plus  employé  qu'il  ne  l'est  aujourd'hui  pour 
qualifier  une  chose  insuffisante  et  chétive?  c'est  possible;  mais 
c'est  seulement  vers  le  milieu  du  siècle  qu'il  a  pris  son  essor 
et  s'est  établi  dans  la  place  importante  où  nous  le  trouvons 
au  temps  de  Molière  et  de  Boileau. 

Ainsi  pour  les  deux  termes  qui  nous  occupent  s'est  accom- 
plie presque  à  la  lettre  la  prédiction  d'Horace  : 

Multa  renascentur  qua3  jam  cecidere,  cadentque 
Quaî  nunc  sunt  in  honore  vocabula,  si  volet  usus, 
Quem  pênes  arbitrium  est  et  jus  et  norma  loquendis. 

«  Telle  expression  doit  renaître  qui  depuis  longtemps  est 
tombée,  telle  autre  doit  tomber  qui  est  maintenant  en  honneur. 
C'est  l'usage  qui  en  décidera,  l'usage,  cet  arbitre  souverain, 
ce  maître,  ce  régulateur  du  langage.  » 

Comment  est  venue  cette  grande  vogue  de  méchant?  A. 
quelles  dates  précises  a-t-elle  commencé  et  fini?  Ce  sont  des 
questions  impossibles  à  résoudre.  Tout  ce  que  Ton  peut  faire 
en  semblable  matière,  c'est  de  constater  les  faits  ;  encore  les 
faits  sont-ils  tellement  mêlés  et  si  peu  constants,  que  l'on  ne 
saurait  établir  une  loi  générale  de  croissance  et  de  décrois- 
sance. 

C'est  donc  sous  toutes  réserves  que  nous  présentons  les  con- 
sidérations précédentes;  elles  résultent  pour  nous  d'un  exa- 
men attentif  et  patient  des  textes  ;  mais,  comme  on  ne  peut 
jamais  faire  de  dépouillement  complet,  peut-être  ne  serait- 
il  pas  malaisé  d'opposer  des  faits  contraires  à  ceux  que  nous 
avons  recueillis,  et  de  ruiner  ainsi  la  conclusion  de  cette  étude 
sur  deux  mots  encore  aujourd'hui  si  faciles  à  confondre. 

Ch.  Revillout. 


*  Voici  les  sens  que  lui  donne  Cotgrave  :  wicked,  impioiis,  imgracious, 
naughfy,  bad,  towd,villanous,  rogidsh;  vile,  filthy,  scurvij,  most  impure; 
al.so  paltvy,  course,  unworthy  ;  also  curst,  mischievous,  fiarsh,  froward. 

2  Ep.  ad  Pisones,  v.  70. 


DEUTE  PAGA 


Passave,  pèr  ié  dire  adieu,  davans  sa  porto, 
Quand  ause  un  crid,  lou  crid  de  la  furo  qu'emporto 
L'àrpio  d'un  cataras,  lou  siéule  dôu  rigau 
Qu'uno  serp  enclausis,  lou  quilet  fouligaud 

De  la  jouvo  qu'Amour  acoussejo  pôr  orto 
E  quelèu,  souto  un  bais  que  la  mord,toumbo  morto. 
Intre ...  0  felecita  qu'a  fugi  moun  fougau  ! 
Image  d'unbonur  que  sèmpre  me  fai  gau  : 

Tôuti  dous  embrassa,  li  vese  cauto  à  cauto, 

Enfant!  se  clavela  de  poutoun  sus  li  gauto, . . 

Zôu  !  de  rire  ! . . .  Eu  me  pren  la  man  ;  Elo  au  jardin 

Vai  radouba  li  pie  de  soun  èso  estrassado; 
Pièi,  graciouso,  m'adus  uno  fleur  de  pensado 
Que  pague  malamen  de  moun  sounet  badin.. . 

Louis  RouMiEUx. 


DETTE  ACQUITTEE 


Je  passais,  pour  leur  dire  adieu,  devant  leur  porte,  —  quand  j'en- 
tends un  cri,  le  cri  de  la  souris  qu'emporte  —  la  griffe  d'un  matou,  le 
cri  perçant  d'un  rouge-gorge  —  que  fascine  un  serpent,  le  cri  folâtre 

De  la  jouvencelle  que  poursuit  le  vagabond  Amour —  et  qui  bientôt 
se  rend  sous  le  baiser  qui  la  mord.  —  J'entre. ..  0  félicité  qui  a  fui 
mon  foyer!  —  Image  d'un  bonheur  qui  me  fait  toujours  envie  : 

Tous  les  deux  côte  à  côte  embrassés,  je  les  vois,  —  enfants  !  se 
clouer  des  baisers  sur  les  joues. . .  —  Et  de  rire  ! . . .  Lui  me  prend  la 
main  ;  Elle  au  jardin 

Va  rajuster  les  plis  de  son  corsage  chiffonné;  —  puis,  gracieuse, 

m'apporte  une  fleur  de  pensée, —  que  je  paye  bieu  mal  avec  ce  sonnet 

badin. 

Louis  RouMiEUX. 


VARIÉTÉS 
DE  LOMBARDO  ET  LUMACA 

POEME    LATIN    DU  MOYEN  AGE,  ATTRIBUÉ  A  OVIDE  * 


Au  moyen  âge,  les  Lombards,  c'est-à-dire  les  Italiens,  ne 
jouissaient  pas  en  France  d'une  grande  considération  :  leur 
nom  était  synonyme  d'usurier,  et  la  locution  «pitié  de  Lom- 
bart  »  était  passée  en  proverbe  au  même  titre  que  «  loyauté 
d'Anglois,  largesse  de  François  «et  «  sens  de  Breton.  »  On  ne 
s'en  tenait  pas  là,  on  les  accusait  aussi  de  couardise.  Ainsi 
dans  le  fabliau  de  Berengier  au  long  cul,  c'est  un  chevalier 
lombard  qui  joue  le  singulier  rôle  et  subit  les  conditions  si 
humiliantes  que  l'on  sait.  Les  chansons  de  geste  les  prennent 
assez  souvent  à  partie.  L'yl?o/,  par  exemple,  les  traite  de  man- 
geurs de  raves,  de  mangeurs  de  chats  et  de  souris,  de  gens 
sans  énergie,  prompts  à  s'alarmer. 

Car  la  gent  de  la  tare  est  tous  tans  esmaiable, 

dit  l'empereur  Louis  au  lombard  Guinehot  (v.  8865).  Nos  che- 
valiers batailleurs,  pour  qui  les  tournois,  eux-mêmes  si  sou- 
vent suivis  de  mort  d'homme,  n'étaient  que  des  passe-temps 
pacifiques,  riaient  de  leurs  grandes  épées  et  de  leurs  grandes 
et  lourdes  masses  d'armes,  qu'ils  jetaient  parterre  au  moment 
du  combat,  afin  de  s'entre-tirer  plus  facilement  les  cheveux, 
comme  des  enfants  qui  se  disputent: 

Et  portent  grans  espées,  si  ont  gians  pesans  makes, 
Et  jetent  trestoutjus,  quant  vienent  en  bataille; 


*  Le  petit  poëme  qu'on  va  lire  fut  transcrit  par  Boucherie  sur  le  ms.  lat. 
6111  de  la  Bibl.  nat.,  au  dernier  voyage  que  notre  ami  fit  à  Paris  pendant 
les  vacances  de  1882.  Il  le  destinait  à  la  Revue  des  langues  romanes,  et 
nous  l'avons  trouvé  dans  ses  papiers,  avec  l'intéressante  introduction  qu'il  y 
avait  jointe,  le  tout  préparé  pour  l'impression,  comme  nous  le  publions  au- 
jourd'hui, ainsi  que  les  trois  articles  qui  suivent. 


94  VARIETES 

Par  les  chevex  se  prendent,  si  tirent  et  si  sachent  ; 
Autresi  com  enfant  se  tirent  et  abatent. 

[Ibid.,  V.  8866.) 

Toutes  ces  grosses  plaisanteries  se  résumaient  habituelle- 
ment en  une  allusion  plus  ou  moins  développée,  mais  toujours 
comprise  des  lecteurs,  au  prétendu  àuelàw. Lombard  et  de  lali- 
?wace. C'était  le  lieu  commande  l'injure  internationale  de  Fran- 
çais à  Italien,  quelque  chose  d'analogue  au  combat  d'Arthur 
et  du  chat  de  Lausanne,  tant  de  fois  reproché  aux  Bretons, 

Qui  le  chat  occist  par  enchaus, 

avec  cette  différence  toutefois  en  faveur  de  ces  derniers  qu'on 
voyait,  dans  le  bizarre  exploit  de  leur  héros  légendaire,  la 
preuve,  non  d'un  manque  de  courage,  mais  d'un  manque  de 
bon  sens  ;  car  ce  terrible  chat  noir  était  un  des  plus  redoutables 
adversaires  qu'on  piit  imaginer,  au  dire  des  chroniqueurs  bre- 
tons. Néanmoins,  combattre  un  chat,  quelque  dangereux  qu'il 
pût  être,  quand  on  était  le  chef  des  chevaliers  de  la  Table- 
Ronde,  ce  n'était  pas  précisément  pour  cela  que  la  chevalerie 
avait  été  instituée,  se  disaient  les  demi-incrédules  à  qui  le  pa- 
triotisme breton  n'avait  pas  tout  à  fait  ((  perturbé  l'entende- 
ment. » 

Si  donc  la  Bretagne  était  le  pays  de  l'étrangeté,  la  Lom- 
bardie  était  celui  de  la  lâcheté,  et  le  combat  burlesque  du 
liOmbard  et  de  la  limace  était  là  pour  en  témoigner.  De  là 
l'expression  si  usitée  au  moyen  âge  de  «  assaillir  la  limace», 
qui  s'appliquait  à  ceux  dont  tout  le  courage  consistait  à  atta- 
quer des  ennemis  imaginaires  ou  nullement  dangereux. 

D'où  provenait  cette  singulière  légende  ?  Peut-être  de  quel- 
que superstition  italienne  qui  aurait  considéré  comme  un  pré- 
sage fâcheux  la  rencontre  d'un  limaçon  aux  cornes  allongées  '. 


1  [Rien,  à  ce  qu'il  paraît,  dans  les  superstitions  populaires  de  la  Lorabardie, 
ne  se  rapporte  au  dicton  français.  U.-A.  Caneilo,  que  j'avais  consulté  sur  ce 
sujet,  à  la  prière  de  Boucherie,  m'écrivait,  le  5  décembre  1882,  les  lignes  sui- 
vantes, qui  pourront  intéresser  les  folkloristes. 

«  Ho  chiesto  iuformazioni  intorno  alla  lumaca;  ma  sono  poche.  Una  mia 
donna  di  servizio  mi  a??icura  che  la  lumaca  è  simbolo  di  buona  forluna,  e  che 


VARIETES  95 

Les  signes  d'inquiétude  donnés  par  ceux  qui  se  trouvaient 
ainsi  en  présence  de  la  malencontreuse  bestiole  pouvaient 
être  mal  interprétés  par  des  étrangers,  par  des  Français  sur- 
tout, naturellement  moqueurs,  et  qui,  ne  connaissant  ni  ne  pra- 
tiquant ce  genre  de  superstition,  devaient  en  rire  et  en  faire  un 
thème  à  «gaberies.» 

Quelle  qu'en  soit  l'origine,  on  peut  dire  qu'elle  date  de  loin 
et  qu'elle  s'est  perpétuéebien  longtemps,  puisque  nous  voyons, 
par  les  nombreuses  citations  de  MM.  Baist'  et  A.Tobler(Ze2V- 
schrift,  11,303,  et  III,  98),  qu'elle  n'a  cessé  d'être  mentionnée 
du  XIP  au  XVIP  siècle. 

De  la  langue  vulgaire,  de  l'idiome  plébéien  où  elle  avait 
très-probablement  pris  naissance,  elle  avait  fini,  quile  croirait? 
par  pénétrer  dans  le  sanctuaire  de  la  langue  latine,  et  cela 
sous  le  couvert  d'Ovide  lui-même.  Ovide  chantant  en  distiques 
la  lutte  du  Lombard  et  de  la  limace  !  Peut-être  le  malin  versi- 
ficateur qui  se  cachait  sous  ce  pseudonyme  avait-il  supposé 
que  ses  lecteurs  verraient  dans  ces  vers  boiteux,  écrits  dans 
une  langue  qui  sent  par  trop  son  moyen  âge,  un  de  ces  poè- 
mes en  langue  gétique  comme  essaya  d'en  composer  la  muse 
souffreteuse  du  pauvre  exilé . 

Car  il  n'y  a  pas  à  en  douter,  c'est  bien  au  poète  de  Sulmone 


ciô  sta  scritto  aucbe  ael  Jibro  délia  Cabala  (che  non  ho  poluto  consuUare). 
Il  collega  Pallè  (modenese)  mi  dice  poi  che  nella  sua  provincia  ha  corso  una 
canzone  popolare  nella  quale,  tra  le  bestie  che  tormentano  i  dannati  ail'  In- 
ferno,  si  ricordaao  anche  i  mugalott  (lumache),  forma  metateticadi  lumagott^ 
—  Il  libro  dei  Sogni  dice:  Lumacone;  vederne  =  carica  onorifica.  Se  mos- 
tra  le  corna  =:  infedellà.  »  —  C.  C] 

1  [Aux  citations  de  M.  Baist,  dont  plusieurs,  il  convient  de  le  remarquer, 
ne  concernent  pas  les  Lombards,  par  exemple  celle  de  d'Arquier,  la  Guei-ro 
deoics  limacs  countro  lous  Leytoweses,  on  peut  ajouter  l'indication  d'un  au- 
tre poëme  burlesque  que  je  connais  seulement  par  un  catalogue  do  la  librairie 
A.  Claudin.  Voici  l'article  : 

H  Le  Limas,  d'Ubert  Philippe  de  Villiers,  au  seigneur  de  Blanchefort.  Paris, 
de  l'impr.  de  Nie.  Du  Chemin.  1564,  pet.  in-S".  —  Poëme  burlesque  de  la 
plus  grande  rareté.  L'abbé  Goujet,  dans  sa  Bibliothèque  françoiae,  donne  le 
titre  du  livre  d'après  Du  Verdier,  déclare  ne  l'avoir  jamais  vu,  et  «  ne  sait 
ce  que  c'est.  »  C'est  le  récit  d'un  combat  entre  Silène  et  un  énorme  colima- 
çon. Le  champ  de  bataille  est  sur  les  bords  de  l'Yonne,  à  un  endroit  auquel, 
dans  le  poëme,  on  a  donné  le  nom  de  Monthumys.  —  Philippe  Ubert  de 
Villiers  était  es/ezi  en  l'élection  de  Clameci."  —  C.-C] 


96  VARIETES 

que  la  pièce  dont  je  parle  aété  attribuée.  Le  ms.  6111  (fonds 
latin)  de  la  Bibl.  Nationale  l'enregistre  avec  ses  26  distiques 
bien  complets  et  avec  ce  titre  en  toutes  lettres  :  Ovidius  de 
Lombardo  et  lumaca. 

Il  était  certes  difficile  d'imaginer  une  attribution  qui  fût 
plus  contraire  k  la  chronologie,  aux  habitudes  de  versification, 
à  la  langue  et  au  style  d'Ovide.  Mais  pour  berner  ces  mal- 
heureux Lombards  tout  était  permis,  même  de  faire  d'un  con- 
temporain d'Auguste  un  déserteur  de  l'honneur  italien. 

Malgré  le  peu  de  valeur  poétique  de  cette  pièce,  qui  cepen- 
dant ne  manque  pas  d'une  certaine  verve,  malgré  ses  incor- 
rections de  toute  sorte,  j'ai  cru  intéressant  de  la  publier, 
parce  qu'elle  grossit  le  nombre  des  témoignages  déjà  réunis  sur 
cette  petite  question  d'histoire  littéraire. 

A.  Boucherie. 


[F°  35  r'']  OVIDIUS  DE  LOMBARDO  ET  LUMACA 

Veaerat  ad  segetes  lombardus  rusticus  :  illas 

Circuit,  et  gaudet  quod  sata  leta  videt. 
Dum  letus  letas  sic  admiratur  aristas, 

Huic  prêter  solitum  visa  lumacha  fuit. 
5     Quid  sit  miratur  ;  stupet  ;  horret  et  exanimatur. 

Mens  abit  atque  color;  deserit  ossa  calor. 
Ut  tandem  rediit  ad  se  procul  adstat,  et  inquit  : 

«  Quod  vides  scehis  est!  Hoc  mihi  summa  dies  ! 
Non  lupus  hoc  rursus  vel  vipera  ?  Nescio  quid  sit, 
10         Sed  scio,  quicquid  sit,  quod  mihi  bella  parât. 

Est  clipei  signum,  signura  sunt  sunt  (sic)  cornua  belli. 

Hem  !  pugnare  negem?  Non  :  ego  nialo  mori. 
Si  superare  queam  monstrum  talis  speciei, 

Et  decus  et  formam  *  (sic)  perpetuam  merui. 
15    Quid  dixi  ?  Non  est  probitas  ^  occurrere  monstro. 

Cetera  non  desunt  bella  timenda  minus. 
Que  dabitur  laus  si  furor  [sic)  non  pugna  vocetur? 

Humanumnon  est  hoc  periisse  modo. 
Hoc  mea  si  conjunx  et  proies  tota  videret  (^sic) 

*  Lisez  /(imam. 

-  On  remarquera  probitas  avec  le  sens  de  prouesse. 


VA  RIETES  97 

20         Pro  solo  visu  jam  sibi  tergha  darent. 

Insuper  hec  pugna  (sic)  non  equa  videbitur  uUi, 

Nam  meus  armatus  (sic)  hostis,  inherrais   ego  !  » 
Sic  dubitat;  metus  atque  pudor  pugnat  {sic)  in  eodem, 
Datpugaare  pudor,  sed  metus  ista  fugit  (sic)*. 
25     Denique  consilio  fiet  quod  judicat  equum. 
Consulit  uxorem,  consuluitque  deos. 
Dii  sibi  respondent  quod  sit  palma  fruiturus. 
Dum  vix  auderet  credere  numinibus, 
[F°35v°]  At  conjunx  timida  et  metuens  ut  casta  marito 
30         Exclamât  lacrimans  :  «  Quid,  furibunde,  paras  ? 
Que  tibi  bella  placent  ?  Si  non  tibi  monstra  perire  ^, 

Pone  tuos  animos,  parce  mihi  misère, 
Parce  tuis  natis  si  non  tibi  parcere  curas. 
Proh  dolor  !  extremum  viderit  ista  dies^  !  (sic) 
35     Non  audax  Hector,  non  hoc  auderet  Achilles  ; 
Herculis  hic  dies  ardua  deflceret.  » 
—  «  Pone  modum  precibus,  inquit,  carissima  conjunx, 

Nonprece  mens  audax  flectitur  aut  lacrimis. 
Dii  mihi  sunt  hodie  nomen  sine  fine  daturi, 
40        Jam  precor  ut  valeas  et  valeant  pueri.  » 

Ut  stetit,  in  campum  velox  hue  tendit  et  illud  (sic) 

Circumdatque  feram  magna  satis  minitans  : 
«  0  fera  !  cui  numquam  simile  (sic)  natura  creavit, 
Monstrum  monstruorum  (sic)  pernitiosa  lues  ! 
45     Que  mihi  tu  pandis  non  me  tua  cornua  terrent. 
Testaque  sub  cujus  tegmine  tuta  mânes. 
Atque  hodie  dextraforti  moriere,  ne[c]  ultra 

Te  patiar  segetes  commaculare  meas.  » 
Et  vibrans  telum  que  sint  loca  proxima  morti 
50         Prospicit,  et  palmam  strenuus  exequitur. 
Pro  tanto  facto  que  premia  digna  dabuntur  ? 
Non  est  res  parva  (sic).  Causidici  veniant  ! 

Finis. 


»  fugat  (?) 

2  Je  ne  comprends  pas. 

^  venerif  ixta  dies  (?) 


98  VARIETES 

GANDIN,  GOURGANDINE 


Une  gourgandine  est  une  femme  de  mauvaise  vie  ;  on  donne 
aussi  ce  nom  à  une  espèce  de  corset  entr'ouvert.  Un  gandin 
est  un  dandj  ridicule. 

De  ces  deux  mots,  le  premier  date  au  moins  duXVII^  siècle, 
puisqu'il  figure  dans  une  comédie  de  Boursault  parue  en  1694; 
le  second  est  tout  récent,  ou  du  moins  n'a  été  adopté  que  tout 
récemment  par  la  langue  courante. 

Quelle  en  est  Tétjmologie? 

Origine  inconnue,  dit  Littré  en  parlant  de  gourgandine,  et  il 
ajoute  :((Lhéricher  s'appuyant  sur  ce  passage  de  la  Muse  Nor- 
mande «  Pour  s'en  dMer  gourgandir  sur  ces  riaux»,  le  tire  de 
gore,  prostituée,  et  ^at^c^iV,  vé]Q)\nv  [Hisl.et  gloss.du  Normand, 
p.  381).  »  Il  dit  encore  :  «Le  passage  de  Boursault  prouve  que 
gourgandine,  vêtement,  a  été  dit  à' àT^rès g owgandme,  femme.  » 

Quant  à  gandin,  il  affirme,  je  ne  sais  d'après  quelles  autori- 
tés, que  c'était  d'abord  «  le  nom  d'un  personnage  de  vaude- 
ville. »  Cependant  cette  explication  ne  me  paraît  pas  très-sûre 
et  ne  doit  pas  nous  empêcher  de  chercher  ailleurs  la  solution 
de  ce  petit  problème,  ou  tout  au  moins  d'en  faciliter  la  re- 
cherche par  des  rapprochements  nouveaux. 

Gandin  ne  serait-il  pas  le  même  que  gâdin,  jeune  homme, 
dans  le  bellau,  patois  des  peigneurs  de  chanvre  du  haut  Jura? 
(Voir  les  Recherches  sur  la  langue  bellau,  argot  des  peigneurs 
de  chanvre  du  haut  Jura,  par  Ch.  Toubin  dans  les  Mémoires  de 
la  Société  d'émulation  du  Doubs,  i\^  série,  3^  vol.,  1867). 

De  même  gourgandine  doit  venir,  et  avec  plus  de  vraisem- 
blance encore,  de  ce  patois  bellau,  qui  traduit  «un  beau  gar- 
çon)^ par  gour-gudin.  L'équivalent  féminin  gourgâdino,  fr.  gour- 
gandine, s'en  dégage  tout  naturellement.  La  filiation  des  sens 
n'y  contredit  pas,  car  la  beauté  d'une  jeune  fille  n'est  pas  le 
meilleur  préservatif  pour  sa  vertu.  Il  est  vrai  que  le  féminin  de 
gour,  beau,  étant  gourdo,  il  nous  faudrait,  pour  que  l'équiva- 
lence fût  absolument  complète,  quelque  chose  comme  gourde- 
gandine.  Cette  objection,  dont  il  faut  tenir  compte,  diminue 
sans  doute   la  valeur  du  rapprochement  que  nous  venons  de 


BIBLIOGRAPHIE  99 

faire  entre  gour-gâdin  et  gourgandine,  mais  elle  ne  la  détruit 
pas.  Conservons  donc  la  forme  bellau  à  côté  de  la  forme  fran- 
çaise, en  attendant  que  quelque  patois  voisin  nous  fournisse 
sur  ce  point  de  nouveaux  et  plus  complets  renseignements. 

A.  Boucherie. 


BIBLIOGRAPHIE 


Les  Littératures  populaires  de  toutes  les  nations.  T.  XI.  Littérature 
orale  de  la  basse  Normandie  (Hague  et  Val-de-Saire),  par  Jeao  Fleury. 
x-396  pages.  Paris,  Maisonoeuve  frères  et  Cli,  Leclerc.  1883. 

M.  J.  Fleury  a  divisé  son  recueil  en  deux  parties.  La  première  con- 
tient les  récits  (légendes,  traditions,  féeries,  contes  plaisants,  etc.);  la 
seconde,  les  chansons,  devinettes,  proverbes.  Ces  textes  sont  presque 
tous  écrits  en  français.  Le  patois  y  paraît  cependant  assez  souvent, 
au  moins  dans  la  seconde  partie,  ce  qui  est,  comme  on  le  sait,  une 
garantie  de  plus  d'exactitude  et  un  avantage  pour  les  philologues. 
Notons,  à  ce  propos,  que  M.  J.  Fleury  annonce,  p.  383,  en  note,  qu'il 
publiera  prochainement  une  grammaire  et  un  glossaire  du  patois  de 
la  Hague.  Bonne  nouvelle  que  nous  enregistrons  avec  plaisir. 

Le  présent  recueil  a  été  composé  avec  soin  et  intelligence,  comme 
on  peut  tout  d'abord  l'induire  des  explications  données  par  l'auteur 
dans  sa  préface  sur  le  plan  qu'il  a  suivi,  et  comme  on  le  constate  en 
lisant  les  textes  recueillis. 

P.  95.  Au  lieu  du  môron  =  salamandre  terrestre,  c'est  Vorvet,  en 
patois  berrichon  Vanueil,  qui  serait  un  animal  si  dangereux,  s'il  y 
voyait.  Voy.  le  Glossaire  du  comte  Jaubert. 

P.  200.  La  même  anecdote  est  racontée  par  Brillât-Savarin.  «  Sans 
éçélo,  moussu  le  curé,  dit  le  paysan  forézien  qu'il  met  en  scène.  — 
Oui,  sans  échelles,  répond  le  curé  !  »  Et  le  paysan  de  siffler  son  chien 
en  lui  disant  de  sortir  avec  lui,  parce  que  dans  cette  paroisse  on  ne 
disait  que  des  menteries. 

P.  210.  En  Poitou,  ce  dialoguedes  coqs  présente  une  légère  variante. 
Quand  le  maître  coq  a  crié  de  sa  belle  voix  de  basse-taille  :  Je  le  fais 
quand  je  veux  !  et  que  le  moyen  coq  lui  a  répondu  un  ton  plus  bas  : 
Et  moi,  quand  je  peux!  le  petit  coq  à  voix  flûtée  répond  en  criant  à 
tue-tête  et  sur  la  même  rime  :  Vous  êtes  bien  heureux  ! 

P.  242.  Au  lieu  de  buvons  en  deux,  une  variante  donne  tirons  en 
deux . 


100  BIBLIOGRAPHIE 

P.  345.  J'ai  eu  occasion  de  citer  des  passages  de  cette  chanson 
(version  charentaise)  dans  la  Revue  des  langues  romanes.  Celle  que  je 
connais  diffère  par  quelques  détails  sans  importance  de  celle  que  pu- 
blie M.  J.  Fleury.  Elle  débute  ainsi: 

Quand  p'tit  Jean  s'en  va-l-aux  vignes, 

Hum  !  hum  !  la  dera  là  ! 
Quand  p'tit  Jean  s'en  va-t-aux  vignes, 

Sa  serpette  sous  son  bras  (ter). 

P.  377.  A  Brossac  (Charente),  on  dit  que,  pour  avoir  une  chaussure 
inusable,  il  faut  que  l'empeigne  soit,  je  ne  me  rappelle  plus  de  quelle 
substance,  que  la  semelle  soit  une  langue  d'avocat,  et  que  le  lignon 
(le  fil  de  la  couture)  soit  fait  de  rancune  de  prêtre. 

Les  Littératures  populaires  de  toutes  les  nations.  T.  XII.  Gargantua 

dans  les  traditions  populaires,  par  Paul  Sébillol.  x.xviii-342  pages.  Paris, 
Maisonneuve  frères  etCh,  Leclerc.  1883.   Prix:  7  fr.  50. 

Dans  V Introduction,  M.  P.  Sébillot  examine,  après  MM.  Gaidoz  et 
G.  Paris,  la  question  plusieurs  fois  agitée  de  l'antériorité  ou  de  la  non- 
antériorité  du  Gargantua  populaire  comparé  au  Gargantua  de  Rabe- 
lais. Les  preuves  qu'on  peut  appeler  matérielles  manquant,  on  est  et 
on  restera  longtemps  encore,  sinon  toujours,  dans  l'incertitude  à  cet 
égard.  M.  P.  Sébillot  fait  cependant,  d'accord  avec  G.  Sand,  une  re- 
marque qui  n'est  pas  sans  importance  et  qui  permet  de  supposer  une 
origine  plus  ancienne  au  Gargantua  populaire,  à  savoir  que  le  peuple 
ne  nomme  jamais  à  côté  de  cet  Hercule  goulu  et  bon  enfant  ses  deux 
inséparables  compagnons  de  la  légende  rabelaisienne,  Panurge  et 
frère  Jean  des  Entomeures,  bien  faits  cependant  l'un  et  l'autre  pour 
frapper  l'attention  des  conteurs  et  amuser  leur  imagination.  D'où  on 
est  en  droit  de  supposer  qu'il  n'y  a  pas  eu  d'emprunt,  parce  qu'en  pa- 
reil cas,  pas  plus  du  reste  que  quand  il  s'agit  d'argent,  les  emprun- 
teurs n'y  vont  pas  de  main  morte  et  ne  se  contentent  pas  du  tiers  quand 
ils  peuvent  avoir  le  tout. 

Peu  importe  au  fond  que  cette  question  soit  résolue  dans  un  sens 
ou  dans  l'autre.  L'essentiel  est  de  bien  constater  le  rôle  que  joue  et  la 
place  qu'occupe  dans  la  littérature  populaire  cette  curieuse  légende  de 
Gargantua.  C'est  la  tâche  que  s'est  imposée  M.  P.  Sébillot,  et  il  l'a 
prise  à  cœur.  Soit  de  sa  personne,  soit  par  correspondance,  il  s'est 
procuré  des  renseignements  sur  notre  héros  national  (?)  à  peu  près 
par  toute  la  France.  Il  les  a  classés  par  provinces  et  il  les  cite  in  ex- 
tenso, en  ayant  soin  d'y  joindre  des  notes  explicatives  et  de  les  faire 
suivre  des  rapprochements  nécessaires.  En  un  mot,  cette  publication 


BIBLIOGRAPHIE  lOi 

est, comme  celles  que  nous  connaissons  de  M.  Sébillot,  très-conscien- 
cieusement faite  et  fort  intéressante. 

Une  ou  deux  observations  pour  finir.  Gourgandine  n'a  rien  à  jvoir 
avec  gargate  ni  avec  gargante,  comme  le  prétend  Bourquelot,  p.  Xlli  ; 
c'est  un  mot  emprunté  probablement  par  l'argot  parisien  au  patois 
bellau  (des  peigneurs  du  haut  Jura),  et  signifiant  à  l'origine  belle  jeune 
fille.  Yoj.  le  présent  numéro  de  la  Revue  des  langues  romanes,  p.  98. 

P.  177.  Au  lieu  de  «o  l'ématonne  •»,  lisez  «.ol  ématonne  »,  ol  =  *ol- 
lud  pour  Ulud. 

A.  Boucherie. 

La  belle  collection  à  laquelle  appartiennent  les  deux  ouvrages  dont 
notre  ami  a  laissé  les  comptes  rendus  qu'on  vient  de  lire  s'est  depuis 
enrichie  de  neuf  autres  volumes,  qui  ne  méritent  pas  moins  que  les 
précédents  d'être  recommandés  à  nos  lecteurs.  En  voici  les  titres  : 

T.  XIII.  E.  Henry  Carnoy.  Littérature  orale  de  la  Picardie.  1883. 

T.  XIV.  E.  Eolland.  Eimes  et  jeux  de  l'enfance.  1883. 

T.  XV.  J.  Viuson.  Littérature  orale  du  pays  basque.  1883. 

T.  XVI.  .J.-B. -Frédéric  Ortoli.  Les  Contes  populaires  de  l'île  de 
Corse.  1883.  Il  est  regrettable  que  l'éditeur  n'ait  j^as  donné  la  version 
corse  de  ces  contes  à  côté  de  la  version  française. 

T.  XVII-XVIII.  J  -B.  Weckerlin.  Chansons  populaires  de  l'Alsace. 
1883.  Le  texte  alsacien  est  accompagné  d'une  trad.  française. 

T.  XIX-XXI.  Jean-François  Bladé.  Contes  populaires  de  la  Gasco- 
gne. 1886.  On  regrette,  comme  pour  le  t.  XVI,  que  ces  contes  ne 
soient  pas  donnés  dans  leur  forme  indigène. 

T.  XXII.  Paul  Sébillot.  Coutumes  populaires  de  la  haute  Breta- 
gne. 1886 . 

Le  prix  de  chaque  volume,  élégamment  cartonné  en  percaline  rose, 
est  de  7fr.  50. 

jMentionnons  à  cette  occasion  luie  nouvelle  revue,  qui  est  le  com- 
plément naturel  et  nécessaire  de  la  bibliothèque  des  Littératures  po- 
jnilaires  de  toutes  les  nations,  et  dont  nous  avons  reçu  récemment  les 
deux  premiers  numéros.  C'est  la  Revue  des  traditions  populaires^,  pu- 
bliée par  les  mêmes  éditeurs  que  la  Bibliothèque,  sous  la  savante  di- 
rection de  M.  Paul  Sébillot. 

G.  G, 

'  [In  numéro  par  mois;  12  fr.  par  an. 


CHRONIQUE 


Académie  de  Nimes 


Concours  x>our  les  années  1887  et  1888 

r/Académie  met  au  concours  deux  études  pour  participer  aux  prix 
ù  décerner,  savoir: 

I.  —  Médaille  d'or  de  la  valeur  de  300  fr.,  à  décerner  en  1887. — 
Histoire  littéraire:  des  Origines  an  F élib  ri  (je  ;  àe  son  influence  au 
jtoint  de  vue  littéraire  et  philologique,  et  de  son  avenir. 

II. —  Médaille  d'or  de  la  valeur  de  300  fr.  à  décerner  en  1888. — 
Histoire  locale  :  Jean  Nicot,  seigneur  de  Villeniain,  né  à  Nimes  en 
1530,  mort  en  1600,  secrétaire  du  roi  Henri  II;  sa  vie,  ses  écrits,  son 
ambassade  en  Portugal. 

Conditions  communes  aux  deux  concours.  —  Les  œuvres 
seront  adressées  /'r«Hro  au  secrétaire  ]jcrpétuel  de  l'Académie,  au  plus 
tard  le  31  décembre  1886,  pour  le  premier  concours,  et  le  31  déceuihre 
1887,  pour  le  second  concours. 

Elles  ne  seront  point  signées  et  porteront  une  épigraphe,  répétée  sur 
un  billet  cacheté  contenant  le  nom  de  l'auteur. 

Les  travaux  devront  être  inédits,  n'avoir  été  présentés  dans  aucun 
autre  concours,  et  seront  conservés  dans  les  archives  de  l'Académie. 

Les  auteurs  auront  toutefois  le  droit  d'en  faire  prendre  des  copies, 
mais  à  leurs  frais  et  sans  déplacement. 

Les  prix  seront  décernés  dans  la  séance  publique  qui  suivra  la  re- 
mise des  manuscrits. 


Dons  faits  à  la  Société  pour  l'étude  des  langues  romanes  : 

Par  M.  Nizier  du  Puitspelu  :  ki  Revue  lyonnaise,  année  1885  ; 

Par  M.  Achille  Mir:  le  manuscrit  de  son  poëme  loti  Sermou  dcl 
Curât  de  Cucugna; 

Par  RIM.  Hamelin  frères:  loii,  Sermou  del  Curât  de  Cuctigna,  y^r 
Achille  Mir;  un  ex.  de  l'édit.  gr.  in-4",  réglure  rouge  ; 

Par  M.  G.  Guichard  :  Armagna  doujineii  per  lou  bel  an  de  Diou 
1886.Valenço,  in-12  ; 

Par  l'auteur  :  Don  Savié  de  Fourviero,  canounge  de  Ferigoulet, 
Predicanço  nouvialo.  Cavaioun,  1886; 

Par  l'auteur  :  il  Dialetto  nizzurdo  nelle  sue  affinità  foniche  e  gram- 
maticali  colle  lingue  daco-romana,siiagnuola,  l'ortoghese,  etc.,  de  Ema- 
nuele  Valeri.  Nizza,  1885  ; 

Par  l'auteur:  Nosto-Damo-de-Lourdo,  poëme  provençal  par  l'abbé 
Célestin  Malignon.  Paris,  1880,  in-12  de  378  pp.; 

Par  l'auteur  :  Citants  populaires  de  la  France,  par  E.  Rolland, 
t.  I: 

Par  l'Académie  roumaine  :  Daine  si  strigaturc  din  Ardeal  date  la 
ivealà  de  D'  Ivan  Urben  larnik  si  Andréa  Barseanu.  Bucuresci,  1885; 
—  Hasdeu,  Ffi/inologicum  magnum  lionianiœ,  fasc.  2; 

Par  la  Société  des  lettres,  sciences  et  arts  de  l'Aveyron  :  Bonal, 
Comté  et  Comtes  de  Rodez.    Rodez,  1885; 

Par  la  «  Smithsonian  Institution  »:  Annuul  Report  of  the  hoard  of 


CHRONIQUE  103 

régente  of  the  SmWisonian  Institution,  for  tlie  year  1883,  "Washington, 
1885. 

Par  M.  François  Vidal  :  Vêpres  des  typograpTies,  1  p.  in-4.  —  Trois 
numéros  du  Mémorial  d'Aix. 

Par  M.  Campadieu  :  un  numéro  du  Midi- Journal ,  de  Béziers,  con- 
tenant des  vers  provençaux. 

Par  l'auteur:  Fluors  alpinas  rimas  da  G.  F.  Caderas.  Coira,  1883; 
—  NuovasEimas  da  G.  F.  Caderas.  Coira,  1879. 

Par  l'auteur  :  Itinéraire  de  Louis  XI  dauphin,  p;ir  Ulysse  Chevalier. 
1886. 

Par  l'auteur:  Flore  populaire  des  Vosges,  parN.  Haillant. 

Par  M.  Haillant  :  Extrait  d'un  rapport  de  M.  Darmesteter  sur  l'ou- 
vrage précédent. 


Liste  alphabétique  des  périodiques  que  la  Société  des  langues 
romanes  reçoit  par  échange  ou  à   d'autres  titres  ' . 

Archiv  fiur  das  Studium  der  neuereu   Sprachen  (Berlin) , 

Archivio  glottologico  italiano  (Milan). 

Bulletin  du  Cercle  S.  Simon  (Paris). 

Bibliothèque  de  l'Ecole  des  chartes  (Paris). 

Bulletin  du  Comité  des  travaux  historiques  et  scientifiques  (Paris, 
Ministère  de  l'Instr.  publique) 

Bulletin  d'histoire  ecclésiastique  des  diocèses  de  Valence,  Die,  Gap 
et  Grenoble  (Romans). 

Bulletin  historique  et  archéologique  de  Vaucluse  (Avignon). 

Butlleti  mensual  de  la  Associacio  d'excursions  catalana(Barcelona). 

Com-rier  de  Vaugelas  (Paris). 

Giornale  storico  délia  letteratura  italiana  (Turin), 

Gralla  (la),  setmanari  catala  y  literari  (Montevideo), 

0  Instituto  (Coïmbra). 
Journal  de  Forcalquier. 
Journal  des  savants  (Paris). 

Literaturblatt  fur  germanische  und  romanische  Philologie  (Heil- 
bronn) . 

Melusine  (Paris), 

Museo  Balear  (Palma  de  Mallorca). 

Nemausa  (Nimes). 

Polybiblion  (Paris). 

Propugnatore  (il)  (Bologne). 

Répertoire  des  travaux  historiques  contenant  l'analyse  des  publica- 
tions faites  en  France  et  à  l'étranger  (Paris,  Ministère  de  l'Instr.  pu- 
blicpie) . 

Revue  de  Béarn,  Navarre  et  Lanes  (Paris). 

Revue  critique  d'histoire  et  de  littérature  (Paris), 

Revue  félibréenne  (Lyon). 

Revue  de  Gascogne  (Auch). 

Revue  histori(iue,  scientifique  et  littéraire  du  Tarn  (Alby)  . 

Revue  de  linguistique  et  de  philologie  comparée  (Paris). 

Revue  sextienne  (Aix,  en  Provence). 

1  Ne  sont  pas  compris  dans  cette   liste  les  bulletins  ou  mémoires  des  se 
ciétés  savantes  énumerées  dans  la  liste  suivante. 


104  CHRONIQUE 

Rivista  critica  délia  letteratiira  italiana  (Florcuce). 

Remania  (Paris). 

Romanisehe  Forscliuno-en  (Erlangen). 

i{omaniscl)p  Studien  (Bonn). 

Studj  di  iilologia  romauza  (Rome). 

Zeitïichrift  fiir  nonfranzosisflie  Spraelie  und  Literatur  (Oppeln). 

Zcitschrift  fiir  roniiiiiisclu'  Philologie  (Huile). 


Liste,  par  ordre  alphabétique  de  départements,  des  sociétés  savan- 
tes qui  échangent  leurs  publications  avec  la  REVUE  DES  LANGUES 
ROMANES. 

.\lpks  (Bassics-).  Société  scientifique  et  littéraire  des  Basses-Alpes 
(Digne). 

Alpes  (Hautes-).  Société  d'études  des  Hautes-Alpes  (Gap). 

Alpes-Maritimes.  Société  des  lettres,  sciences  et  arts  des  Alpes- 
Maritimes  (Nice). 

AuiÊGE.  Société  ariégeoise  des  sciences,  lettres  et  arts(Foix). 

AvEYRON.  Société  des  lettres,  sciences  et  arts  de  PAveja-on  (Rodez). 

BouciiES-DU-RiiôNE.  Académie  des  sciences,  arts  et  belles-lettres 
d'Aix. 

Charente    Société  archéologique  (Angoulême). 

CoRRÈzE.  Société  des  lettres,  sciences  et  arts  de  la  Corrèze  (Tulle). 

Creuse.  Société  des  sciences  archéologiques  et  naturelles  de  la 
Creuse  (Guéret). 

UoRDOGNE.  Société  archéologique  et  historique  du  Périgord  (Péri- 
gueux) . 

Drôme.  Société  d'archéologie  de  la  Drôme  (Valence). 

Gard.  Académie  du  Gard  (Nimes). 

Gard.  Société  scientifique  et  littéraire  d'Alais, 

Hérault.  Académie  des  sciences  et  lettres  de  Montpellier. 

Hérault.  Société  archéologique,  scientifique  et  littéraire  de  Béziers. 

Indre-et-Loire.  Société  française  d'archéologie  (Tours). 

Isère.  Académie  delphinale  (Grenoble). 

Lot.  Société  des  études  littéraires,  scientifiques  et  historiques  du 
Lot,  (Cahors) . 

Lozère.  Société  d'agriculture,  industrie,  sciences  et  arts  de  la  Lo- 
zère (Mende). 

]'UY-DE-DÔME.  Académie  des  sciences,  belles-lettres  et  arts  de 
Clermont-Ferrand . 

Pyrénées  (Basses).  Société  des  lettres,  sciences  et  arts  (Pau). 

SÈVRES  (Deux).  Société  de  statistique  des  sciences  et  lettres 
(Niort). 

Tarn-et-Garonne.  Société  archéologique  deTarn-et-Garonnc(.Moii- 
tanban). 

Tarn-et-Garonne.  Société  des  sciences,  belles-lettres  et  arts  de 
Tarn-et-Garonne  (Montauban) . 

Var.  Société  académique  du  Var  (Toulon). 

Var.  Société  d'études  scientifiques  et  archéologiques  de  Lragui- 
gnan . 

Vaucluse.  Académie  de  Vaucluse  (Avignon). 


Le  gérant  responsable  :  Ernest  Hamelin. 


Dialectes  Anciens 


RECHERCHES 
SUR  LES  RAPPORTS  DES  CHANSONS  DE  GESTE 

ET  DE  l'Épopée  chevaleresque  italienne 


(Suite) 


Fol.  154,  ro  a.         Segneurs,  or  escoutes,  n'i  ait  noise  ne  ton  ; 

Que  Damedieu  de  gloire  nous  doinst  beneïchon, 
Et  je  vous  canteroi  d'une  bonne  canchon; 
Feite  est  de  vraie  estoire,  poi  i  a  se  (se)  voir  non. 
5     Chil  jougleor  nous  chantent  de  Maugis  le  larron 
Comment  il  guerroia  Temperere  Kallon 
Pour  aidier  ses  cousins  les  .un.  fis  Ajmon  ; 
Mes  chen  n'est  pas  d'ileuc  que  nous  vous  canteron, 
Mes  je  vous  en  diroi  la  droite  nation, 

i  10     Où  il  aprist  le  sens  que  il  sot  à  foison. 

j  II  est  voir  que  Maugis  fu  asses  gentis  hom  : 

i  ■  Son  père  fu  duc  Buef,  li  sire  d'Aigremon  ; 

La  ducheise,  sa  mère,  à  la  clere  faclion, 
Fille  Hernautde  Monder  o  le  fiouri  grenon. 
15     Si  fu  aieus  Maugis  qui  ot  cuer  de  lion, 
Et  d'Espolice  le  riche  roi  Othon, 
Et  Doon  de  Nantueil,  Girart  de  Rousillon, 
Et  Aymez  de  Dordonne  qui  moult  par  fu  preudom. 
Si  furent  si  cousin  lez  .iiii,  fix  Aymon, 
20     Quar  né  fu  et  estrait  de  bonne  nation. 

Or  vous  diroi  Festoire  com  en  escript  trouvon. 
A  une  Pentecouste,  aprez  l'Ascention, 
Tint  à  Aigremont  feste  le  riche  duc  Bevon. 

Tome  xv  de  la.  troisième  série.  —  Mars  1886.  8 


106  RECHERCHES 

Tout  i  fu  le  barnage  entour  et  environ, 
25     Moult  fu  la  court  pleniere  que  de  fi  le  set  on. 

Le  duc  Buef  d'Aigremont,qui  moult  fu  preus  et  ber, 

Ot  mouiller  bêle  et  gente  qui  moult  fist  àloer. 

Ains  que  portast  la  dame  o  le  viaire  cler, 

Furent  lonc  temps  ensemble,  chen  sachiez  sans  douter  ; 
30     Mes  puis  ot  tiex  enfans,  si  com  m'orrez  conter, 

Dont  il  leur  couvint  puis  mainte  lermeplorer, 

Et  li  et  le  duc  Buevez  mainte  paine  endurer. 

Segnors,  or  escoutez,  lessiez  la  noise  ester. 

A  une  Pentecouste  que  len  doit  célébrer, 
35     Tint  le  duc  Buef  grant  feste  à  Aigremont  sus  mer  ; 

Là  fu  court  si  pleniere  que  ne  vous  sai  conter. 

Quant  fu  fet  le  servise,  si  alerent  laver. 

Moult  i  ot  riches  mes  d'oisiaus  et  de  sengler. 

Quant  il  orent  mengié,  les  napes  font  ester. 
40     Chil  damoisel  de  pris  se  coururent  armer, 

Tost  et  isnelement  vont  es  chevax  monter, 

Et  issent  d'Aigrement  pour  lor  cors  déporter. 

Contreval  la  rivière  sunt  aies  behourder. 

Le  duc  Buef  d'Aigremont  i  va  pour  esgarder. 
45    La  ducheise  en  .i.  car  s'i  est  feite  mener, 

Pour  chen  qu'ele  iert  si  grosse  que  el  ne  pot  aler. 

Prez  estoit  li  terme  qu'el  devoit  enfanter. 

OU  ot  ,11.  pucheles  où  moult  se  pot  fier. 

L'une  iert  sa  suer  Ysane  qu'ele  pot'moult  amer, 
50     L'autre  fu  née  esclave,  qu'ele  acata  sus  mer: 

Pille  fu  l'Amirant  de  Palerne  sus  mer. 

Moult  lor  plet  le  déduit  que  font  li  bacheler. 
Une  lieue  pleniere  font  le  behourt  aler. 

Si  com  le  soleil  prist  sus  le  vespre  à  tourner, 
55     Prist  la  dame  ses  mains,  si  commenche  à  crier. 

Le  duc  Buef  l'a  oïe,  le  behort  fet  cesser. 
En  l'oraille  d'un  bois  fist  le  char  esconser, 
Tant  que  Dex  eùstfet  la  dame  délivrer. 

De  son  mal  la  duchoise  durement  traveilla, 
60     Damedieu  et  sa  mère  douchement  reclama. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  107 

Ne  demoura  puis  gueirez  que  Ihesus  li  aida, 
'"'  ^-     Quar  .1.  moult  bel  enfant  la  duchoise  donna; 

Mes  le  mal  la  rengoisse,  quar  .i.  autre  en  i  a. 

Damedieu  et  sa  mère  douchement  reclama, 
65     Et  Dieu  par  sa  pitié  manois  la  délivra, 

D'un  autre  bel  vallet  la  dame  délivra; 

Ele  prist  .i.  chier  paile  qu'en  sez  chambrez  trouva, 

La  dame  en  .ii.  moitiez  maintenant  le  trencha. 

Les  ,11.  enfans  petis  dedens  envolepa; 
70     Et  .II.  aniax  d'or  fin  que  en  ses  .ii.  mains  a, 

Le  duc  li  ot  donné  le  jour  qu'il  l'espousa, 

As  .11.  enfans  petis  que  durement  ama 

As  .11.  oreillez  destrez  les  aniax  pendu  a, 

Que  che  est  la  coustume  de  chel  païs  de  là. 
75     En  .1.  aune  pierre:  ja  qui  la  portera, 

Anemi  ne  maufe  ne  l'enfantosmera. 

La  dame  fu  malade,  àpaine  reposa. 

Au  duc  Buef  d'Aigremont  la  nouvele  ala 

Que  la  dame  est  délivre,  .ii.  enfans  eus  a. 
80     Quant  le  duc  l'a  oï,  Damedieu  reclama, 

Souef  et  bêlement  mener  lez  quémanda 

De  si  à  Aigremont,  et  ileuques  gerra. 

Atant  le  char  s'en  va  et  la  gent  s'arouta. 

Tout  droit  à  Aigremont  bêlement  chemina; 
85     Mez  anchois  qu'il  i  soient,  grant damage  i  ara; 

Je  cuit  que  lez  enfans  ambedui     perdra. 

Moult  est  lie  le  duc  Buef  d'Aigremont  et  sa  gent 

Que  la  dame  est  délivre,  qui  tant  a  le  cors  gent. 

Tout  droit  à  Aigremont  qui  sus  la  roche  pent, 
90     La  quémande  amener  souef  et  bêlement  ; 

Mez  il  n'ont  point  aie  plus  de  demi  arpent 

Que  il  ont  encontre  l'amiral  Sorgalant, 

Qui  Monbrant  la  chité  avoit  en  chasement. 

Moult  haoit  le  duc  Bueve  et  le  grevoit  forment. 
95     De  Mêlent  revenoit  d'assaillir  l'Amustant 

Que  il  reguerrioit  moult  angoisseusement. 

Le  duc  oï  la  noise  et  le  tabourement. 

De  chen  poveit  estre  s'émerveille  forment. 


108  RECHERCHES 

L'ensengne  à  Faumachour  voit  balier  o  vent: 

100     Bien  l'a  reconneiie,  si  a  dit  à  sa  gent: 
«  Barons,  dist  il,  pour  Dieu  omnipotent, 
»  Ves  ichi  de  Monbrant  l'amiral  Sorgalant. 
)'  A  la  bataille  sommez,  jel  soi  à  essient. 
»  Comment  le  feronnous?  pour  conseil  le  demant, 

105     »  De  la  ducheise  sui  en  grant  esgarement, 

»   Quar  ele  est  moult  malade  et  en  .i.  grant  torment.  » 
«  Sire,  dist  Savari,  .i.  quens  de  Bonivent, 
»  Meton  les  en  chel  bois  en  .i.  esconsement, 
))  A  .XXX.  chevaliers  plains  de  grant  hardement, 

110    »  Jusqu'à  tant  que  Testour  ara  pris  finement; 
»   Quar  au  devant  nous  sunt  li  Sarrasin  puUent. 
»  Loing  sommez  d'Aigremont,  le  notre  chasement.  » 
«  Voire,  dist  le  duc  Buef,  le  cuer  en  ai  dolent.  » 

Le  duc  Buef  d'Aigremont,  qui  ne  fu  pas  vilains, 
115    A  .XXX.  chevaliers,  tous  ses  amis  chertains, 

Armez  d'aubers  et  d'elmez,  es  destriers  castelains, 

Atant  es  vous  la  route  de  païens  primerains, 

Et  le  bon  duc  leur  sailli  d'un  costains. 

Aies  les  sunt  ferir  iries  comme  ferains, 
120    Ne  les  pot  garantir  targe,  escu  ne  clavains. 

Ochis  ont  les  premiers,  n'en  est  remez  a.  frains. 

Dez  armez  s'adoubèrent  esroment  qui  ains  ains. 

Grant  noise  démenèrent  li  mal  fixa  putains. 
Fol.  154, va     Sorgalan  l'aumachour  en  a  oïles  plains; 

125     11  fet  sonner  ses  cors  plus  de  .v^.  au  mains. 

Moult  par  i  ot  estour  merveilleus  et  pesant; 
La  duchoise  en  son  char  est  u  bois  verdoiant. 
Et  a  oï  la  noise  et  la  criée  grant. 
«  Hé  Dex,  biau  sire  père,  dist  la  dame  vaillant, 
130     »  Quel  noise  est  chen  que  j'oi,  moult  me  vois  mer  veillant. 
((  Dame,  chen  dist  l'esclave,  estour  i  a  pesant.» 
Et  la  ducheise  pleure,  moult  ot  le  cuer  dolent, 
Et  Ysane  sa  suer  la  va  reconfortant. 

Moult  fu  grant  la  bataille  et  merveillex  l'estour, 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  109 

135     De  sanc  et  de  chervele  fu  tout  couvert  entour. 
Ileuc  ot   .1.  païen  fel  et  mal  engignous, 
Tapineas  espie  ;  moult  fu  let  et  hidous  : 
Au  char  vint  à  la  dame  qui  moult  estoit  tristous, 
L'ainsné  enfant  a  pris,  aine  ne  li  fu  descous; 

140     Atant  s'en  va  fuiant  le  païen  orgueillous 

Droitement  à  Touleite,  tout  le  quemin  herbous. 

Or  emporte  li  enfez  Lapiniaus  l'espie 
Droitement  à  Monbranc,  la  fort  chité  garnie; 
Là  le  vendra,  chen  dist,  à  la  gent  païennie. 

145     Et  la  duchoise  pleure,  moult  forment  bret  et  crie, 
Quargrant  fu  li  estour  et  plaine  Fenvaie, 
Et,  quand  l'esclave  voit  la  pesant  arramie, 
Tost  et  isnelement  est  du  char  départie  ; 
L'autre  enfant  a  seisi,  ne  s'  i  atarga  mie. 

150     Atant  s'en  va  fuiant,  que  ne  detrie  mie, 
Droitement  à  Palerne  où  elle  fu  ravie. 
Moult  par  fu  grant  la  forche  de  la  gent  païennie, 
Du  char  ont  trait  la  dame  sus  l'erbe  qui  verdie. 
Làfu  Ysane  prise,  la  bêle,  l'eschevie, 

155     Qui  fille  fu  Hernaut  de  Monder  la  garnie. 
.1.  païen  l'a  ravie,  Sorbare  de  Nubie: 
Damedieu  le  confonde,  le  fix  sainte  Marie  . 

Moult  par  i  ot  estour  merveilleus  et  plenier 

Environ  la  duchoise  u  bos  sous  l'olivier. 
160     Le  duc  Buef  i  fiert  du  riche  branc  d'achier, 

Cui  il  ataint  à  coup  n'a  de  mire  mestier. 

En  Aigremont  le  sorent,  n'i  ot  que  courouchier; 

Par  le  pales  en  lieve  la  noise  et  le  tempier. 

As  armez  sunt  couru  serjant  et  chevalier, 
165     A  l'estour  sunt  venu  pour  duc  Buef  aidier, 

Et  furent  bien  as  armez  cent  millier. 

Là  veissiez  estour  merveilleus  et  plenier. 

Sorgalant  l'Amachour  fist  ses  cors  grilloier. 

Ses  païen  assembla  par  dejouste  .i.  rochier. 
170     Atant  es  Sorbare,  le  cuvert  losengier, 

Qui  Ysane  en  aporte,  la  bêle  au  cors  legier, 


110  RECHERCHES 

Au  fort  roi  Aquilant  deMaiogre  le  fier. 
Le  fort  roi  Aquilant  la  prist  à  aresnier  : 
«  Amie,  dist  le  roi,  gardez  no  me  noier  : 

175     »  Es  fille  de  vilain,  de  duc  ou  de  princhier?» 
«  Sire,  dist  la  puchele,  à  cheler  ne  vous  quier: 
»  Suer  sui  je  à  la  ducheise  fille  Hernaut  de  Monder. 
»  Se  vous  me  voulez  rendre  sans  mon  cors  empirer, 
»  Vous  en  arez'd'argent  carchié  .iiii,  sommier.» 

180     «  Par  Mahon,  dit  le  roi,' que  je  doi  avoir  chier, 

»  Je  n'en  prendroie  mie  tout  Tor  de  Montpellier.» 

Lies  fu  roi  Aquilant  quant  oï  la  nouvele, 
Que  ele  [fu]  gentille  et  avenant  et  bêle. 
«  ParMahommet,  dist  il,  que  on  prie  et  apele, 
185    »  0  moi  vous  en  vendrez,  si  serez  mon  ancele.  » 
Fol.  154,  vo  b     Chele  en  a  si  grant  duel,  à  poi  que  ne  cancliele. 
La  nuit  fu  moult  série  et  la  lune  fu  bêle. 

Le  duc}Buef  d'Aigremont  àla^fiere  vigour 
Ot  sa  gent  assemblée  que  n'i  a  fet  demour, 

190    Tout  environ  le  char  où  fu  la  franche  oisour, 

Qui  pour  ses  .ii.  enfans  fet  grant  noise  et  [grant]  plour. 

A  icheste  parole  s'estoit  mis  au  retour 

Tout  droit  à  Aigremont  dessous  le  pin  antour. 

La  ducheise  ont  couchié  en  sa  chambre  à  flour  : 

195     .  Viii  ans  j ut  puis  malade  dessous  le  couvcrtour. 
Et  païen  s'en  tornerent  quant  il  virent  le  jour. 

Au  matin  parsom'  l'aube,  quant  elle  fut  venue, 
S'en  tournèrent  païen,  chele  gent  mescreiie. 
Aquilant  de  Maiogre  à'ia  pensée  aguë 

200     A  Maiogre  s'en  va  que  il  a  maintenue. 

0  li  enporte  Ysane,d'un  ipaile  fu^vestue. 
Quant  il  vint  à  Maiogre,  sans  point  d'aresteii(r)e 
L'espousa  à  mouiller,  si  en  a  fet  sa  drue  ; 
Puis  l'a  roi  Aquilant  tant  longuement  tenue 

205     Qu'il  en  ot  roi  Brandoinequi  puis  tint  Valfondue, 

1  V.  197.  Ms.  «  Au  matin  par  sous  l'aube  quant  le  jour  esclerie.  » 


SUR  LES  CHANSONS   DE   GESTE  111 

Quant  Maugis  ot  la  teste  roi  Aquilant  tolue. 
L'esclave  qui  Fembla  en  la  se[l]ve  ramue, 
S'en  va  droit  à  Palerne  dont  ele  fu  issue  : 
Miex  li  vausist  encore  qu'ele  fust  remanue. 

210         L'esclave  à  tout  l'enfant  a  sa  voie  tornée 
Droitement  à  Palerne,  là  où  ele  fu  née  ; 
Et  Tapiniaus  a  l'autre  qui  sa  voie  a  hastée 
Droitement  à  Monbrant,  la  fort  chité  loée. 
Tant  erra  qu'il  i  vint  à  une  matinée  ; 

215     [Esclarmonde  ^]  trouva  en  la  chambre  pavée, 
La  famé  Sorgale  qui  plus  bêle  est  que  fée. 
De  Mahon  l'a  l'espie  hautement  saluée  : 
«  Que  est  chen  que  tu  portes,  dist  la  dame  henourée?» 
((  Che  est  le  fix  duc  Buevez  à  la  chiere  membrée 

220     »  Qui  sire  est  d'Aigremont  qui  siet  en  mer  salée. 
»  De    II.  en  est  la  dame  n'a  gueirez  délivrée. 
))  Je  li  emblai  chesti  en  la  forest  ramée, 
»  Or  le  voudroi  porter  outre  la  mer  salée. 
»  Là  en  arai  d'avoir  une  quartée.  » 

225     Et  la  dame  respont  quant  el  l'a  escoutée  : 
((  Tu  le  me  leiras  chi  par  bonne  destinée; 
»  Je  t'en  donroi  d'avoir  une  mine  comblée.  » 
«  Dame,  dist  le  païen,  bien  me  plest  et  agrée.  » 
<(  Par  Mahom[met],  dist  ele,  qui  ma  vie  a  sauvée, 

230     »   Or  ait  nom  Vivien  par  bonne  destinée.   » 
Vivien  fu  clamé  tant  comme  il  ot  durée, 
Tant  vesqui  longuement  qu'il  ot  famé  espousée. 
Es  l'esclave,  qui  s'est  de  la  dame  sevrée. 
Si  va  droit  à  Palerne  dont  ele  fu  robée. 

235     En  une  lande  large,  sous  l'espine  à  la  fée, 
Ileuques  s'aresta  et  fist  sa  reposée. 

Là  s'aresta  l'esclave,  ainsi  com  je  vous  di. 
Sous  l'espine  à  la  fée,  enmi  le  pre  flouri. 
N'ot  pas  sa  reposée  longuement fet  issi, 
240     Quant  du  bois  .1.  [liepart-]  et  .i.  lion  issi. 

1  Ms.  ElClermoat  le. 
Ms.  serpent. 


112  RECHERCHES 

Fain  les  cache  et  argue,  moult  estoit  agrami  ; 

Quant  il  voient  l'esclave,  chele  part  sunt  guenchi. 

Droit  à  l'esclave  sunt  tout  maintenant  verti, 

Et  quant  lez  vit  venir  moult  s'en  espeiiri. 
245     Tost  et  isnelement  en  son  estant  s'asist, 
Fol.  155,  ro  a     L'enfant  metderiere  li,  si  a  .i.  pel  coisi, 

Ele  s'est  abessié,  maintenant  le  saisi. 

Atant  es  le  lion  que  plus  n'i  atendi. 

L'esclave  tint  le  pel,  par  vertu  le  feri, 
250     Mez  chenne  li  valut  la  monte  d'un  espi. 

Ne  pourquant  ele  l'a  durement  eetourdi. 

Le  lion  bret  et  crie  que  li  gaut  en  tenti; 

Puis  a'geté  la  poe  que  plus  n'i  atendi. 

Amont  u  chief  la  ûert  que  il  li  a  croissi. 
255     A  douleur  la  depiechent,  ele  a  geté  .i.  cri, 

Tost  l'orent  devourée  et  le  cors  départi, 

Puis  en  vont  à  l'enfant  qui  noient  ne  dormi. 

A  l'enfant  sunt  andui  lezbestez  reperiés, 
Pour  chen  qu'il  fu  petit,  fu  forment  convoitiés, 

260    Le  liepart  saut  avant,  puis  s'estoit  avanchiés. 
Quant  le  lion  le  voit,  moult  en  fu  aïrés; 
Ne  veut  que  il  i  soit  de  noient  parchonniers, 
De  lui  est  le  liepart  fièrement  rechigniés  ; 
Mez  sachies,  le  liepart  fu  fier  et  engaigniez. 

265     Quant  le  lion  le  voit  venir  si  esragiés, 

Adonc  est  li  estour  merveilleux  commenchiés. 

Les  bestez  se  combatent,  si  com  povez  oïr. 
Pour  le  petit  enfant  qu'il  veulent  engloutir, 
Mez  li  un  ne  vouloit  l'autre  pas  acueillir. 

270     Tant  dura  la  bataille  près  fu  de  l'aserir. 

Ne  peuvent  mes  l'estour  endurer  ne  soufrir, 
Quar  de  lor  sanc  ont  fet  la  terre  acouvertir. 
La  terre  en  est  vermeille,  chen  sachiez  sans  mentir; 
Lor  bouiaus  veissiez  à  la  terre  gésir, 

275    Tant  ont  fet  lor  costez  et  lor  cuirs  desmentir. 
Toutez  .II.  lez  convint  à  la  terre  flatir. 
Or  ait  Dex l'enfant,  s'il  li  vient  à  plaisir. 
En^tel  sens^les^couvint  dévier  et  mourir. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  113 

Ainsi  corn  vous  oes,  Testour  renies  estoit 
280     Des  .II.  bestes  sauvagez,  qui  tant  duré  avoit 

Que  Tune  deles  l'autre  morte  à  terre  gesoit, 

Et  Tenfant  sous  l'espine  crioit  haut  et  braoit. 

Ne  demoura  puis  gueirez  que  par  ileuc  passoit 

Oriande  la  fée  qui  Rocheflour  tenoit. 
285     A  .1111.  de  ses  fées  vint  à  l'espine  droit  ; 

Le  jour  ont  chevauchié,  durement  se  douloit  ; 

Sous  l'espine  ramée  maintenant/leschendoit. 

Sus  .1.  paile  s'asist  que  on  li  estendoit, 

Et  devant  lui  lez  bestes  ambedeus  regardoit. 
290     La  teste  de  l'esclave  deles  veile  avoit. 

«De  famé  fu,  chen  dit,  bien  le  voit  et  bien  soit  ; 

«Chest  bestez  l'ont  mengié  sans  doutanche  orendroit.» 

Atant  de  l'autre  part  l'enfant  pleurer  oeit. 

Ele  vint  chele  part,  maintenant  le  prenoit. 
295     En  son  geron  le  met,  li  enfes  li  rioit. 

Oriande  la  fée  à  la  clere  fachon 

Tint  le  petit  enfant  qui  li  rit  à  foison. 

Elle  desmaillota,  vit  chen  fu  valleton. 

L'anel  vit  à  l'oreille  qui  valoit  maint  raangon. 

300     Ne  Tama  jîas  petit,  pour  voir  le  vous  dison  : 

«  11  est  de  haute  geste,  foi  que  doi  .S.  Simon .  » 
A  icheste  parole  es  venir  le  troton 
Espiet  une  espie  venir  tout  le  sablon. 
Nies  estoit  à  la  fée  dont  nous  ichi  parlon. 
305     N'ot  que. III.  piez  de  lonc,  si  queurt  plus  do  randon 
Que  cheval  espanois  ne  mulet  arragon. 
,1.  enfant  de  .vu.  ans  resemble  à  la  fachon, 
Si  en  a  plus  de  .c.  et  est  trop  fort  larron. 
Il  va  droit  à  la  fée  sans  nule  aresteison. 
310     De  Dieu  la  salua  qui  fist  .S.  Lazarun. 

«  Biau  nies,  dont  venes  vous  et  de  quel  région?  » 
«  Dame,  je  vieng  de  Franche,  le  royalme  Kallon. 
»  Ma  revenue  fu  tout  droit  par  Aigrement . 
»  .III.  jours  i  sejornai,  par  Dieu  et  par  son  nom; 
315     »  Et  chil  enfant,  qui  est,  dedens  vostre  giron  ?  » 

»  Biau  nies,  chen  dist  la  fée, par  Dieu  et  par  son  nom. 


114  RECHERCHES 

»  Nous  l'avon  chi  trouvé  tout  seul,  sans  compengnon 
»   Et  ves  là  une  teste  qui  gist  sus  le  perron.  » 
Espiet  prent  la  teste,  si  l'esgarde  environ, 
320     Bien  Ta  reconneiie  au  vis  et  au  menton  ; 

Puis  a  dit  à  la  fée  :  «Le  voir  vous  en  diron. 
»  Chil  enfes  si  est  fix  au  duc  Buef  d'Aigremont. 
»    .II.  en  ot  l'autre  jour  la  dame  au  bois  d'Abron, 
»  Et  veschi  une  esclave,  Dex  li  fâche  pardon.  » 

325  Moult  est  liée  la  fée  à  la  fresche  coulour 

Quant  eie  a  de  Fenfant  oïe  la  vraiour, 

Qu'il  est  nés  et  estreit  de  la  geste  franchour, 

Et  qu'en  son  lignage  a  maint  gentil  poigneo[u]r. 

Atant  est  remonté  u  mulet  Misaudour. 
330     Tant  vont  esperonnant,  qu'il  n'i  firent  demour, 

Qu'à  Rocheflour  vindrentque  n'i  firent  demour. 

Là  descendi  la  fée  en  son  pales  autour. 

L'enfant  fit  baptizier  à  joie  et  à  baudour. 

Pour  chen  qu'il  l'ont  trouvé  u  bois  à  la  verdeur, 
335     Li  a  mis  nom  Maugis,  puis  ne  li  failli  jour. 

Oriande'la  bêle  qui  moult  ot  cler  le  vis, 
Les  fées  entendirent  nuit  et  jour  à  Maugis. 
Oriande  ot  .i.  frère  qui  avoit  nom  Baudris, 
Esté  ot  à  Touleite  .vu.  ans  et  .xv.  dis. 
340     Plus  sot  d'encantemens  que  uns  homs  qui  fust  vis. 
Quant  Maugis  fu  d'aage  qu'il  ot  auques  avis, 
A  lui  aprendre  fu  nuit  et  jour  ententis, 
Et  Maugis  n'iert  d'aprendre  parecheus  n'alentis. 

Oriande  la  fée  o  le  viaire  cler  ' 

345     Entendi  moult  forment  à  Maugis  alever, 

As  mestrez  le  feisoit  nuit  et  jour  doctriner  ; 

Et,  quant  il  fu  d'aage  qu'il  pot  armes  porter, 

La  fée  l'adouba  et  li  chainst  le  branc  cler. 

Si  en  fist  son  ami,  si  l'oï  je  conter, 
350     Mes,  dont  il  iert  venus,  li  fist  moult  bien  cheler, 

Qu'il  ne  peiist  de  li  partirne  dessevrer. 

Chen  fu  aprez  avril,  si  com  may  dut  entrer, 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  115 

Que  Maugis  et  la  fée,  qui  moult  fet  à  loer, 
Par  dessous  Mongibel  s'alerent  déporter, 

355     Tout  du  lonc  du  rivage  le  païs  regarder. 
Maugis  a  regardé  tout  contreval  la  mer, 
Vit  risle  de  Bocan  moult  durement  fumer. 
A  s'amie  la  bêle  commenche  à  demander  : 
«  Dont  vient  cliele  fumiere  que  je  voilà  ester?  » 

360     «  Amis,  chen  dist  la  fée,  ne  le  vous  quier  cheler. 
»  Ch'  est  l'isle  de  Bocan,  chen  sachiez  sans  douter. 
))  D'ileuques  vient  le  soufre  moult  puant  et  amer; 
»  Si  comme  il  est  ars,  s'en  va  aval  la  mer. 
»  La  mestre  queminée  est  d'enfer,  sans  fausser. 

365     ))  Bocan,  il  art  tous  jors,  qu'il  ne  veut  pas  finer. 
»  Mez  d'une  grant  partie  n'i  pot  nul  abiter, 
»  Quar  .1.  cheval  i  a  qui  moult  fet  à  loer: 
»  Apelé  est  Baiart,  [a]i[n]ssi  l'oï  nommer.» 

«  Amis,  dist  Oriande,  sachies  à  ensient: 

»  Le  cheval  est  faé,  je  le  sai  vraiement. 

»  .1.  dragon  l'engendra  ileuc  en  .i.  serpent, 

»  Et  encore  le  gardent  u  grant  derubement, 

»  Et  .1.  moult  fier  deable,  je  vous  di  vraiement. 

»  Si  a  nom  Raanas,  hideus  est  durement. 

375     »  Le  cheval  est  faé,  et  tant  a  le  cors  gent 

»  Que  le  jour  porteroittrestout  delivrement 

»  .111.  chevaliers  armez  en  .i.  tornoiement.  » 

Maugis  pensa. I.  poi,  si  s'estoit  embrunchiez  ; 
Puis  a  dit  a  la  fée,  quant  il  fu  redrechiés: 

380     «  Je  vous  pri,  douche  amie,  que  me  donnez  congiés 
»  D'aler  veïr  Baiart  qui  tant  est  resongniés .  » 
c(  Amis,  dist  Oriande,  bien  puet  estre  lessiés. 
»  Se  vous  estiez  .c.  armez  et  haubergiez, 
»  Sachiez  de  vérité,  ja  n'en  revendroit  pies.  » 

385     «  Dame,  chen  dist  Maugis,  jamez  ne  serai  liés, 
»  Se  je  nel  vois  veir,  je  vous  di  sans  cuidiers.  » 
«  Amis,  dist  Oriande,  il  vous  est  otroïés. 
»  Aies  seiirement,  ne  soies  esmaïés.  » 
Quant  Maugis  l'a  oï,  durement  en  fu  liez. 


116  RECHERCHES 

390    Tost  fu  maintenant  .i.  batel  pourcachiés, 
Puis  sunt  à  Rocheflour  maintenant  reperiés 
Maugis  prist  maintenant,  ne  s'i  est  detriés, 
Une  pel  d'ours  boçue  que  il  aescorchiés. 
.1.  vestement  Ten  fu  tout  maintenant  loiés. 

395     Au  matinet  au  jour,  quant  il  fu  escleiriés, 
De  son  vestement  s'est  Maugis  appareilliez. 
D'un  cuir  debuef  aussi  durement  fu  froids, 
Queues  de  goupil  ot  environ  atachiés, 
Kt  de  chascune  part  ot  .ii.  cornez  drechiés. 

400     II  resemble  deable,  de  verte  le  sachiez. 

Baudris  li  a  son  mestre  .i.  croc  de  fer  bailliés, 
0  lui  porta  s'espée  ;  si  fu  moult  enseigniés, 
Si  de  lui  poveit  estre  Raanas  engigniés. 

Maugis  de  Rocheflour  est  parti  son  manoir, 
405     A  la  mer  est  venu,  n'i  vout  plus  remanoir . 
En  son  batel  entra,  si  naja  à  povoir 
Droitement  à  Bocan  qui  ne  fine  d'ardoir. 

Maugis  nage  forment  vers  Bocan  u  batel. 
Tant  esploite  et  tant  nage  que  il  vint  isnel, 

410     Puis  a  monté  la  roche  qui  fu  du  temps  Abel, 
Et  a  geté  .1.  bret  plus  fier  d'un  lionchel, 
Et  henist  et  recane  et  muit  comme  .i.  torel. 
Tout  en  fet  retentir  environ  le  monchel. 
Raanas  l'a  oï,  si  ist  de  son  fournel, 

415    II  a  geté  .i.  bret  aussi  comme  .i.  torel, 

*  Qu'on  le  puet  oïr  moult  prez  de  Mongibel. 

Il  a  veii  Maugis,  si  li  semble  moult  bel, 
Raanas  li  demande  :  «Dont  viens  tu  de  nouvel?  » 
Et  Maugis  li  respont,  le  gentil  damoisel: 

420     «  De  Franche  où  j'ai  fet  de  mon  vouloir  isnel. 
»  Je  fis  au  roi  ochirre  sa  famé  d'un  coutel  ; 
»  La  dame  de  Monmartre,  l'abeesse  Ysabel 
»  Fis  l'autre  jour  gésir  o  l'abbc  Daniel.  » 
Et  respont  Raanas:  «  Chi  a  riche  chembel. 

425     »  Quant  en  enfer  vendras,  tu  aras  bel  apel. 
»  Tu  seras  ostelé  en  moult  riche  vessel.  » 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  117 

Quant  acointié  se  fu  Maugis  de  Raanas, 
Si  a  monté  la  roche  qui  fu  faite  à  compas. 
Maugis  s'est  pourpensé,  qui  n'estoit  mie  las, 
430     Que,  se  il  nel'encante,  il  n'est  mie  de  gas. 
155,  vob.     Quanque  ilpourroit  fere  ne  vaudroit  point  .ii.  as. 
Il  sot  plus  de  clergie  assez  que  Ypocras. 
Ledeable  conjure  souave[menjt  tout  en  bas 
Des  haus  noms  Damedieu  et  de  .S.  Nicolas. 
■    435     Si  fort  Ta  conjuré  que  tout  isnele  pas 
Sus  une  roche  bise  est  queii  a  .i.  quas. 
De  là  ne  se  mouvroit  pour  tout  For  de  Damas. 

Quant  Maugis  ot  issi  tant  le  deable  estraint, 
.In,  dez  noms  Damedieu  a  sus  le  perron  taint, 
440     Qu'il  ne  se  pot  mouvoir,  ains  se  doulouse  et  plaint. 
La  grant  forche  de  Dieu  si  le  prent  et  estaint. 
Lors  s'en  tourna  Maugis  que  il  plus  n'i  remaint. 
De  la  roche  monter  de  noiéiit  ne  se  faint, 
Venus  est  à  la  fosse  là  où  li  serpent  maint. 

445        Le  serpent  fu  moult  grant  et  de  leide  estature. 
Onques  mez  si  hideus  ne  regarda  nature. 
Quant  Maugis  vit  venir,  si  a  levé  la  hure, 
Cuida  que  fust  deable  quant  il  vit  sa  figure. 
Quant  Maugis  l'aveu,  de  rien  ne  s'aseiire  ; 

450     De  Dieu  le  gloriex  le  grant  serpent  conjure  ; 
Puis  a  sachié  l'espée  dessous  la  couverture , 
Droitement  sus  la  teste,  où  ot  mainte  painture, 
A  féru  le  serpent,  mez  la  pel  fu  si  dure 
Qu'il  n'i  forfist  vaillant  une  pomme  meure. 

455        Dispeus  fu  moult  grant,  moult  ot  le  regard  fier, 
Quant  se  senti  féru  n'i  ot  que  courouchier. 
Qui  adonc  la  veïst  estendre  et  herichier 
Et  la  gueule  baer  et  les  dens  rechignier. 
Et  Maugis  par  la  goule  let  aler  le  goulier, 

460    Du  croc  de  fer  li  va  .i.  ruiste  coup  paier  ; 
Mez  ne  lit  valut  mie  la  monte  d'un  denier. 

Maugis  est  enBocan,  la  grant  montaingne  aguë, 


118  RECHERCHES 

0  le  serpent  félon  qui  durement  l'arguë  : 

Toute  li  avoit  arse  la  grantpel  malostrue. 
465     Se  Maugisne  fust  viste,  qui  tant  proesce  arguë, 

Du  cors  li  eiist  l'âme  et  la  vie  tolue. 

Mes  il  tourne  plus tost que  faucon  n'ist  de  mue. 

Le  serpent  va  ferir  en  la  teste  crestue, 

Que  la  hure  li  a  devant  toute  abatue. 
470     La  beste  s'aïra,  forment  s'est  irascue, 

Et  Maugis  fist  que  sage,  ne  l'a  mie  atendue. 

Deriere  lui  coisiune  pierre  fendue  : 

Le  creus  en  estoit  large,  mez  poi  i  a  veùe. 

L'entrée  en  fu  estroite,  et  petite,  et  menue. 
475     Ens  s'est  Maugis  féru  sans  point  d'aresteiie, 

Et  la  beste  après  lui  s'est  tantost  embatue . 

Par  les  espaules  est  u  pertrus  retenue, 

Ne  pot  aler  avant,  ileuc  est  remanue. 

Dispeus  est  en  la  rbche  dolent  et  iraseus 
480     Dont  l'entrée  est  petite,  le  creus  grant  et  moussus. 
La  roche  mort  et  grate  le  deable  crestus. 
Maugis,  quant  il  le  voit,  s'est  ariere  tenus, 
Et  quant  fu  eslongniez,  si  assaut  de  vertus 
Au  branc  fourbi  d'achier  qui  bien  est  esmoulus. 
485     Mez  chen  ne  li  valut  vaillissant  .ii.  festus, 
Et  Maugis  reclama  Ihesu  qui  maint  la  sus 
Que  il  d'ileuc  le  giet,  qu'il  n'i  soit  confondus. 

Maugis  est  en  la  roche  moussue  et  enhermie, 
Courouchié  et  dolent  moult  forment  se  gramie, 
490     Mez  le  serpent  félon  a  l'entrée  seisie. 

Il  prent  le  croc  de  fer,  par  ire  grant  le  rue. 

Fol.  156,  roa.     Le  grant  serpent  félon  va  ferir  les  l'oie. 
La  gueule  avoit  baée  la  beste  maleïe. 
Et  Maugis  li  ianche  ens  à  la  chiere  hardie, 
405     Le  tret  de  fer  i  boute  par  moult  grant  arramie  ; 
Le  cuer  et  la  couraille  li  deront  et  esmie, 
Parla  gueule  le  sache  une  moult  grant  partie. 
Quant  Maugis  l'a  veii,  Damedieu  en  merchie, 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  119 

Maintenant  recourt  sus  à  la  beste  fournie, 
500     Mes  il  ala  trop  près,  si  fu  moult  grant  folie, 
Que  la  beste  s'estent  qui  la  mort  a  igrie. 
As  ongles  le  seisi  par  si  grant  arramie 
Qu'entre  ses  piez  l'abat  sus  l'erbe  qui  verdie. 

Le  serpent  tint  Maugis  entre  sez  pies  devant 
505     As  ongles  qui  sunt  grant  et  agu  et  trenchant. 

Des  flans  et  des  eostez  en  va  le  sanc  raiant, 

Entre  ses  pies  se  pasme,  tant  le  va  angoissant: 

Jamez  jour  de  sa  vie  ne  ferist  coup  de  brant. 

Mez  le  serpent  mourut,  sachiez,  demaintenant 
510     A  mourir  enfla  si,  alieuge  fu  et  grant 

N'est  bons  qui  l'en  ostast  pour  tout  l'or  d'Orient. 

Quant  Maugis  l'a  veii,  moult  se  va  esmaiant. 

Le  vespre  aprecha,  le  jour  va  déclinant 

Et  lez  bestez  s'esmurent  dont  il  i  avoit  tant, 
515     Escorpions  et  tigrez,  autrez  menus  serpent, 

Culeuvrez  et  lesardes  et  boteriax  puUent, 

Et  siflent  environ,  les  testez  vont  levant. 

Se  Maugis  ot  paour,  ja  nul  ne  le  demant. 

Sus  une  haute  pierre  est  monté  maintenant 
520     Et  tint  le  croc  de  fer  et  sachie  le  nu  brant. 

Or  le  sequeure  Dieu  le  père  tout  puissant. 

Maugis  est  en  la  roche  dont  il  ne  puet  issir, 
Dolent  et  courouchié  n'a  en  lui  que  martir- 
Trestoute  nuit  veilla,  n'ot  cure  de  dormir 
525     Pour  les  bestes  sauvages  que  il  doit  moult  haïr, 
Qu'il  voit  environ  lui  tant  crier  et  saillir, 
Le  feu  de  Bocan  ot  environ  lui  bruir. 
Baiart  le  bon  destrier  oï  si  fort  henir 
Que  l'isle  de  Bocan  en  fesoit  retentir 

530         Maugis  est  en  Bocan  en  la  roche  soustaine 
Qui  fu  leide  et  hideuse  et  de  vermine  plaine. 
Monté  fu  le  vassal  sus  .i.  perron  hautaine, 
Et  prie  douchement  la  vertu  souveraine 
Qu'en  sauveté  le  giet  et  hors  de  cheste  paine, 


120  RECHERCHES 

535    Tant  forment  se  complaint  et  sa  douleur  demaine 
Et  prie  bonnement  que  Dex  le  jour  amaine. 

Au  matin  parsom*  l'aube  que  le  jour  esclaira 
Et  la  clarté  du  jour  par  le  pertrus  entra, 
Maugis  vint  au  serpent,  et,  quant  mort  le  trouva 

540    Damedieu  et  sa  mère  douchement  en  loa. 
Il  prist  le  croc  de  fer  que  o  lui  aporta, 
Venus  est  au  serpent,  moult  grant  coup  li  donna 
Et  sachie  o  croc  de  fer  que  dedens  le  tira; 
Puis  est  issu  d'ileuc  que  plus  n'i  demoura. 

545    Baiart  ot  cler  henir  qui  prez  d'ileuc  esta, 
Là  où  il  l'a  oï  droitement  s'en  ala. 
N'ala[st]  une  gumment  quant  Maugis  assena 
Dessous  le  fier  destrier  que  le  draglon  garda. 
Quant  Maugis  l'aveii,  moult  s'en  espuanta  ; 

550     11  sot  moult  d'ingromance,  le  serpent  conjura 
Si  que  de  li  meffere  nisun  poveir  n'en  a. 
Tost  et  isnelement  sus  en  l'eir  s'en  ala. 
Quant  Maugis  l'a  veii,  Damedieu  en  loa, 
Fol.  !56,  rob     Puis  va  veïr  Baiart  que  il  tant  désira. 

555     Gregneur  fierté  demaine  que  lion  ne  liepart 

Quant  vit  venir  Maugis  le  bon  destrier  Baiart: 
Gregneur  fierté  demaine  que  lion  ne  liepart. 

Quant  Baiart  vit  Maugis  et  prist  à  aviser 
Si  let  et  sihideus,  moult  se  prist  aïrer; 

560     Quatre  caiennez  prist  estant  à  pechoier. 

Quant  Maugis  l'a  veù,  prist  soi  à  pourpenser 
Que  clien  qu'il  est  si  let  le  fet  espuanter. 
La  grant  pel  d'ours  boçue  prist  donques  à  oster 
Et  remest  u  bliaut  qui  à  or  fu  ouvrer. 

565     Quant  le  destrier  le  voit,  prist  soi  asseiirer, 
Envers  lui  s'umilie  et  fait  semblant  d'amer, 
Devant  lui  s'agenouille  et  le  prent  à  amer: 
Che  est  senefianche  qu'àli  se  veut  donner. 
Quant  Maugis  l'aveii,  Dex  prist  à  merchier. 

*  Ms.  (i  par  sous,  v 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  121 

570    Isnelementet  tost  le  va  d'ileuc  oster, 

Par  le  frain  à  fin  or  le  va  Maugis  combrer, 
De  la  roche  le  tret  hors  au  jour  qui  fu  cler. 

Quant  Maugis  ot  hors  tret  le  bon  destrier  Baiart 
De  la  roche  naïe  où  Fescarbouffle  art 


575 


Et  Maugis  Taplanoie  d'environ  et  entour: 
«  Ahj,  Baiart, dist  il,  beste  de  grant  valouf, 
u  S'o  moi  vous  en  voulez  venir  à  Rochellour 
«  A  la  fée  Oriande  à  la  fresche  coulour.  » 

580     Le  destrier  iert  faes,  bien  le  sevent  plusour  : 
Autresi  Tentendi  com  dame  son  segnour. 
Vers  lui  s'umilia  et  par  moult  grant  amour. 
Sus  le  dos  li  sailli  le  hardi  pongneour, 
Puis  s'en  tourna  Maugis  que  il  n'i  fist  demour. 

585     Or  le  conduie  Dex  le  verai  sauveour. 

Quant  Maugis  fut  monté  sur  Baiart  Farragon, 
Maintenant  s'en  tourna  sans  nule  aresteison, 
Et  s'en  vint  à  la  mer  etdescent  au  perron. 
En  son  batel  entra  bêlement  k  bandon, 

590     Puis  a  mis  en  Baiart,  s'a  pris  .i.  avu'on 
En  la  mer  est  empaint,  si  naga  à  foison 
Tout  droit  à  Rochellour  u  plus  mestre  donjon, 
Oîi  estoit  Oriende  à  la  clerefachon. 
Atant  Espiet  devant  [estv]e[n]us  u  donjon. 

595     Quant  la  dame  le  voit  si  l'a  mis  a  reison: 

"  Biau  niez,  dont  venez  vous,  pour  le  cors  .S.Simon?'^ 

«  Dame,  dist  Espiet,  ja  ne  vous  cheleron. 

))  Je  vien  d'Esclevonnie  du  règne  à  l'Esclavon. 

»  Toute  oi  cherquié  la  terre  jusqu'à  Carphanaon. 

600     »  Grant  guerrevousestmutetmoult  grant contenchon. 
»  Sus  vous  vient  Atenor  .i.  enclime  félon. 
»  Je  li  oï  jurei  Tervagant  et  Mahon, 
»  Que  s'il  vous  peut  tenir  ja  n'arez  raenchon, 
»  Que  vous  ne  soies  arse  en  feu  et  en  carbon.» 

605     Quant  Toï  Oriande  ne  dist  ne  o  ne  non. 
A  une  fenestrele  taillie  d'or  enson 

9 


122  RECHERCHES 

S'est  la  dame  acouté  par  dessus  .i.  perron; 
En  la  mer  regarda  contreval  le  sablon 
Etcoisi  tel  navie,  si  grant  ne  vit  nul  hom. 

610         Quant  le  navie  fu  d'Oriande  veiis, 

Les  nés  et  les  dromons  et  lez  chalans  menus, 
Bien  set  ch'  est  Atenor  li  amirant  cremus . 
Atant  es  le  navie  ens  u  hamel  venus, 
Païen  sunt  descendus  et  dez  chalans  issus. 

615     Et  se  tendent  et  logent  emmi  le  pre  herbus. 
Fol.  156,  vo  a     Et  Oriande  pleure,  s'a  ses  crins  derumpus, 
Baudris  et  Espiet  en  est  o  li  venus, 
«  Dame,  font  il,  chil  duel  est  trop  pour  vous  tenus. 
»   Se  li  roi  Atenor  est  or  sus  vous  venus, 

620     »  Il  s'en  repentira,  par  Dieu  qui  maint  là  sus  ; 
n  Vous  avez  chevaliers  plus  de  .m.  à  escus. 
»  Ja  deusson  bien  estre  à  lor  brancs  recheiis .  » 
«  Frère,  dist  Oriande,  bien  soies  vous  venus. 
»   Or  feites  donc  qu'il  soient  armés  et  fervestus, 

625     ))  A  icheste  envaïe  soient  bien  recheiis.» 
Atant  sus  li  païen  maintenant  deschendus. 
Baudris  et  Espiet  n'i  sunt  arrestés  plus  : 
Il  sonnèrent  .ii.  gresles,  bien  furent  esmeiis. 
Tost  et  isnelement  sunt  as  armes  courus. 

630     Quant  sunt  armez,  si  montent  es  auferrans  cornus. 
Ja  sera  as  païen  le  païs  deffendus. 

Quant  par  Rocheflour  furent  fervestus  et  armés. 
Bien  furent. xv.  m.  atant  furent  esmés, 
Si  les  conduit  Baudris  le  viel  canu  barbés. 

635     Les  lui  fu  Espiet  sus  le  ver  pommelés, 

Ne  pert  sus  les  archons  fors  le  heaume  dorés. 
Il  tint  la  lanche  droite,  le  penon  fu  fremés. 
Quant  Sarrasin  lesontveiis  et  avisés. 
Il  coururent  as  armez,  si  se  sunt  adoubés. 

640     A  la  gent  Oriande  queurent  tous  abrievés, 

Devant  trestous  les  autres  vint  ,i.  roi  couronnez, 
Contre  Espiet  s'en  va,  son  espie  fu  ferés. 
Quant  ne  voit  fors  la  teste,  moult  en  fu  effreez 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  123 

Et  Espiet  le  fiert  qui  fu  preus  et  sénés, 
645     Très  parmi  lieu  du  cors  li  est  le  fer  aies: 

Tant  com  hanste  li  dure,  l'a  mort  enmi  le  près, 
Puis  crie:  «Rocheflor,  barons,  quar  i  feres  ». 

Moult  fu  grant  la  bataille  et  pesant  i'aatie 
Contreval  Rocheflor,  par  devant  la  marine, 

650     Mes  trop  fu  grant  la  forclie  de  la  gent  païenie. 
Oriande  la  bêle  à  la  couleur  rouvine 
Fu  à  une  fenestre  de  la  sale  perrine. 
Là  pleure  pour  Maugis  à  la  fiera  tourine. 
Bien  cuide  qu'en  Bocan  la  roche  desertine 

655     L'ait  tué  Raanas  et  la  gent  sauvechine  ; 

Mes  pour  noient  se  claime  lasse,  povre  meschine, 
Quar  il  est  revenus  o  port  de  bonne  orine. 
Durement  se  merveille  le  ber  de  bonne  orine, 
Bien  set  qu'il  i  a  siège  de  la  gent  apoline, 

660     Moult  li  poise  qu'il  n'a  sa  broigne  doublentine. 
Ja  i  en  lessast  tant  tout  envers  sur  l'esquine, 
Pour  l'amour  Oriande  la  franche  palasine. 
Lors  voit  .1,  Sarrasin  armé  sus  la  marine, 
Quant  voit  venir  Maugis  si  monte  sans  termine. 

665     Mes  Maugis  point  Baiart,tret  Fespée  acherine, 
Ains  que  le  païen  ait  de  sa  lanche  saisine, 
L'a  si  féru  Maugis  en  la  broigne  sartine 
Jusque  u  menton  le  fent,  à  terre  le  souvine. 
Maugis  estdeschendu  par  dejouste  l'espine. 

670     Tost  s'adoube  des  armes,  ch'  est  la  vérité  fine, 
Et  mist  dessus  Baiart  la  grant  sele  verrine, 
Puis  monte  le  vassal,  prist  la  lanche  encline. 

Quant  Maugis  fu  monté  qui  ot  cuer  palasin, 
Dez  armez  au  païen  qu'il  lessa  mort  souvin, 
675     Vistement  esperonne  vers  le  pesant  hustin. 
.L  païen  encontra  premier  en  son  chemin, 
Amustant  fu  puissant  des  puis  deles  le  Rim. 
Maugis  Ta  si  féru  le  damoisel  meschin. 
Parmi  le  corsli  passe  le  gonfanon  pourprin. 
Mort  l'a  jus  abatu  dessous  .i.  aubespin. 


124  RECHERCHES 

Sous  Rocheflour  fu  grant  li  estour  en  la  pree. 
Bien  i  feri  Maugis  à  laproesce  isnele. 
Oriande  Tesgarde  amont  de  la  tourele 
Et  pleure  tendrement  sa  main  à  sa  maissele, 

685     Et  maudioit  de  Dieu  que  on  prie  et  apele, 
Chil  Sarrasin  félon  qui  ainsi  se  révèle; 
Mes,  s'or  le  conneûst  la  gentil  damoisele, 
Ne  fust  mie  si  liée  pour  tout  l'or  de  Tudele. 
Moult  par  fu  grant  la  noise  de  cliele  gent  mesele. 

690     Baudri  ont  abatu  deles  une  tombele. 

Baudri  sailli  en  piez  dessus  l'erbe  nouvele. 
Mes  de  gent  païennourtant  entour  s'atropele 
Que  jamez  ne  montast  en  archon  ne  en  sele, 
Ne  fust  Maugis  le  ber  qui  vint  une  sentele 

695     Sus  Baiart  le  faé  qui  vint  comme  arondele, 

Et  tint  Tespée  u  poing  qui  luist  et  estenchele. 
En  la  presse  se  met  où  fu  grant  laflavele, 
Toute  cuevre  la  terre  des  mors  et  de  chervele. 

Baudri  fu  jus  à  terre  enmi  le  pre  flouris, 

700    Entour  fu  grant  la  presse  des  Turs  et  [des]  Persis. 
Il  crie  Rocheflour,  de  Maugis  fu  oïs, 
Tant  i  fiert  de  son  branc  qu'il  les  a  départis. 
Baudri  fist  remonter  qui  fu  preus  et  hardis. 
Atant  es  li  estour  enforchiez,  esbaudis. 

705    Ja  ne  fust  mes  sans  perte  li  estour  départis. 
Quant  le  jour  trespassa,  levespre  vint  seris, 
Et  païen  sunt  ariere  en  lor  tentes  vertis, 
Et  chil  de  Rocheflour  n'i  sunt  pas  alentis  : 
U  castel  s'en  entrèrent  par  le  pont  tourneïs. 

710     Oriande  la  bêle  oie  cors  eschevis 

I  vit  entrer  Maugis,  le  sanc  li  estfuïs, 

Quar  reconnu  l'avoit  ens  u  grant  fereïs, 

Au  remonter  Baudri  lor  mestre,  chen  m'est  vis. 

Là  en  vient  Oriande  ses  cors  espeiiris. 

715     «  Baudri,  dist  ele,  frère,  entendez  à  mes  dis 
»  Du  Sarrasin  félon  qui  tant  par  est  fournis. 
»  A  il  donc  le  castel? Ditez  le  moi,  amis. 
))  Se  rendu  li  avez,  tuit  sommez  mort  et  pris. 


SUR  LES  CHAIsSONS  DE  GESTE  125 

»  Miex  voudroie  mon  corsfusten  .i.  feu  bruis.» 

720         Quant  Baudri,  le  viel  mestre  à  la  barbe  florie, 
Entend!  Oriande  qui  tant  est  coulourie, 
Maintenant  li  a  dit:   a  Bêle  suer,  douche  amie, 
»  Che  n'est  mie  païen,  se  Dex  me  beneïe, 
»  Ains  est  Maugis  le  ber  à  la  chiere  hardie.» 

725     «  Hé  Dieu,  dist  Oriande,  dame  sainte  Marie, 
o  Ne  le  cuidal  veïr  jamez  jour  de  ma  vie.» 
Maintenant  le  desarme  la  dame  segnourie, 
Ele  l'acole  et  beise  par  moult  grande  mestrie. 
Moult  esgarde  Baiart  qui  queurt  par  arrami[e]. 

730     Et  ])aïen  reperierent  àlor  hebergierie, 
Grant  ire  a  Atenor  le  roi  d'Esclavonnie. 
«  Segnors barons,  dist  il,  par  Mahom  de  Persie, 
»  Oriande  a  o  lui  moult  riche  baronnie, 
»  Et  l'assaut  est  si  fort  que  ne  crient  assaut  mie. 

735     »  Lonctemps  povon  chi  estre  chen  sera  grant  folie. 

»  Mez  chen  que  je  vueil  fere  drois  est  que  le  vous  die. 
»  A  l'ami  Oriande  qui  moult  est  coulourie, 
»  Vueul  bataille  mander  cors  à  cors  d'aatie.» 
Et  il  ont  respondu  :  «  A  votre  quemandie.» 

167,  ro  a  740         Quant  le  roy  Atenor  ot  sa  reson  contée, 
.1.  Sarrasin  apele  de  mesnie  privée. 
A  Rocheflour  l'envoie  sans  plus  de  demeurée. 
Et  si  mande  Maugis  à  la  chiere  membrée. 
Bataille  cors  à  cors  à  lui  enmi  la  prée. 
745     Le  mesagier  s'en  tourne  sans  nule  demorée. 
Et  vint  àRocheflour  que  n'i  fit  arestée, 
Et  a  trouvé  Maugis  en  la  sale  pavée. 
Sa  reson  li  a  bien  de  chief  en  chief  contée. 
Quant  Maugis  l'entendi,  durement  li  agrée, 
750     Et  jure  Damedieu  et  la  vierge  henourée, 

11  ne  remaindroit  mie  pour  l'or  d'une  carrée. 
Quant  l'oï  Oriande,  forment  fu  effréé[e]. 
((  Dame, chen  dist  Maugis,  folie  avez  pensée, 
»  Quant  voulez  destourner  à  fere  la  meslée.  » 
755     Atant  li  mes  s'en  tourne  sans  nule  demorée, 


r,Q  RFXHERCHES 

Et  vint  à  Atenor  en  sa  tente  dorée. 

Dist  li  qu'il  s'armast  tost,  qu'il  ara  la  meslée 

Orendroit  de  Maugis  à  la  chiere  membrée. 

Quant  le  roi  a  oï  le  mesagc  parler, 
760     II  demande  sez  armez  et  se  va  adouber, 

As  barons  quémanda  bien  le  camp  à  garder. 

Lors  estvenu  o  camp  où  Testeur  doit  finer, 

Et  ses  frères  Maudras  ne  s'i  veut  arester. 

.Vii.c.  Sarrasin  fet  fervestir  et  armer. 
765    En  .1.  brueil  prez  d'iluec  les  a  fet  esconser 

Que  bien  pourront  l'estour  veïr  et  esgarder. 

Se  le  roy  Atenor  voient  au  dessous  aler, 

Tantost  le  secourront  qui  qu'en  doie  peser. 

De  Rocheflour  issi  Maugis,  il  et  sa  gent, 

770     Et  vont  à  Atenor  qui  u  pre  les  atent. 

Mes  Maugis  ne  soit  mie  le  grant  traïssement 
Que  li  a  fet  Maudras  qui  le  cors  Dieu  gravent, 
Mes  Espiez  le  ber  sot  chel  embuschement. 
Si  fet  Baudri  armer  tost  et  delivrement, 

775     Mil  chevaliers  des  leur  montèrent  esraument, 
Et  trestout  près  d'ileuc  desous  .i.  desrubant. 
Maugis  vint  ens  u  pre  as  barons  plus  de  client. 
Atenor  l'Esclavon  parla  premièrement, 
Il  a  dit  à  Maugis  :  «  Vassal,  à  moi  entent  : 

780     »  A  toi  me  combatrai,  et  ses  par  quel  couvent? 
»  Se  tu  me  peus  conquerre  à  ton  acherin  brant, 
»  En  mon  païs  irai  ariere  droitement, 
»  Que  ja  n'emporterai  ne  or  fin  ne  argent; 
»  Et  se  je  te  conquier,  sachez  tu  vraiement, 

785     »  Je  te  todrai  la  teste  à  mon  branc  qui  clii  pent, 
»   Et  arai  Rocheflour  trestout  à  mon  talent,  » 
A  icheste  parole  s'eslongnent  .i.  arpent. 
Sus  les  escus  se  fièrent  andui  si  fièrement, 
Ambedui  s'entreabatent  à  la  terre  en  présent. 

790     Quant  Baiart  le  faé  à  descarchie  se  sent, 
Grate  et  fronche  et  henist  si  esragiement, 
Au  cheval  Atenor  queurt  sus  ireement. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  U' 

Si  fiert  et  mort  et  giete  si  esragiement, 
Que  li  autre  cheval  ne  peut  soufrir  noient, 
795    Ains  s'en  torne  à  la  fuie  tost  et  isnelement. 
Baiart  s'aroute  après  com  foudre  qui  descent, 
Les  paveillons  qu'il  treuve  met  en  trebuchement, 
Devant  le  tref  Tataint  Escorfautle  puissant. 
Tantost  Tôt  estranglé  à  terre  leidement, 
800     Païen  le  cuident  prendre  et  livrer  à  tourment. 
Mes  il  fiert  le  premier  si  qu'à  terre  Testent 
157,  ro  b      Et  le  secont  aussi  et  le  tiers  vraiement. 

Baiart  ariere  tourne,  au  champ  vint  vistement, 
Où  furent  li  baron  ensemble  au  caplement. 

805         Li  baron  sunt  ensemble  enmi  le  pre  herbu, 
Atenor  li  aufage  iert  de  moult  grant  vertu. 
.Iii.  piez  estoit  plus  grant  de  Maugis  le  membru. 
Il  tint  nue  Froberge  au  branc  d'achier  moulu, 
Par  dessus  son  heaume  a  Maugis  si  féru, 

810     Se  ne  tournast  Fespée  tout  l'eiist  pourfendu. 

Maugis  fu  moult  navré  à  la  hardie  chiere, 
Le  sanc  vermeil  li  raie  et  devant  et  deriere. 
Il  tint  le  branc  d'achier  qui  geta  grant  lumière, 
Et  a  féru  l'aufage,  l'elme  li  escartele. 
815     Une  plaie  li  fist  où  couvendra  bon  mire. 
Tout  canchela l'aufage,  près  ne  caï  ariere. 

La  bataille  fu  grant  des  .ii.  barons  u  pré, 
Entour  eus  ont  de  sanc  trestout  ensanglenté, 
Mez  n'est  pas  li  cstour  egalment  devisé, 

820     Quar  moult  est  li  aufage  grant  et  desmesuré. 
Lors  va  ferir  Maugis  sus  son  elme  safré, 
Se  ne  tornast  Froberge  ja  fust  à  mal  aie, 
Sus  l'espaule  senestre  est  le  branc  dévalé. 
Dex  aida  à  Maugis,  le  roi  de  majesté, 

825     Du  coup  qui  fu  si  grant  est  trestout  canchelé, 
Et  l'aufage  l'empaint  par  si  grant  crualté, 
Ou  Maugis  vueille  ou  non  s'agenouille  ens  u  pré. 
Quant  Maugis  fu  à  terre,  forment  fu  vergondé 


128  RECHERCHES 

Pour  la  bêle  Oriande  de  qui  il  est  amé. 

830     Quant  il  vit  as  fenestrez  du  grant  palez  pavé, 
Pour  l'amour  de  li  a  hardement  recouvré, 
Vaferir  Atenor  le  païen  deffaé, 
Amont  dessus  son  elme  que  tout  Ta  desclierclé, 
Les  las  en  a  trenchié  de  quoi  on  Tôt  bendé. 

835     Du  coup  qui  fu  pesant  11  est  u  camp  volé, 
Le  hiaume  qu'ot  u  chief  qui  est  à  orgemé. 

Li  aufage  Atenor  o  le  courage  fier 
Tel  duel  a  et  tele  ire,  vis  cuida  esragier 
Quant  voit  gésir  à  terre  son  bon  elme  d'achier. 

840     II  va  ferir  Maugis,  le  nobile  guerrier, 

Amont  dessus  son  elme  qu'il  li  trenche  .i.  quartier, 
Nis  la  coife  dessus  ne  li  vaut  .i.  denier. 
Tant  a  pris  de  la  teste  sans  les  os  empirier 
Que  plus  de  .m.  en  oste  des  cheveus  au  premier. 

845     Le  sanc  vermeil  en  raie  entresi  qu'au  braier. 
Maugis  fu  moult  dolent  quant  se  vit  si  saignier, 
Damedieu  reclama  qui  tout  peut  justifier. 
Qu'il  le  gart  et  deff'ende  de  mort  et  d'encombrier, 
Quar  moult  doute  Froberge  que  il  voit  fiamboier. 

850     II  tint  l'espée  nue,  Tescu  prist  à  drechier, 
Va  ferir  le  païen  que  il  n'ot  guerez  chier, 
Asener  le  cuida  dessus  le  hanepier. 
Mes  le  païen  fu  sage,  si  est  glachié  arier, 
Et  l'espée  deschent  res  à  res  du  templier, 

855    Que  la  senestre  oreille  li  abat  u  gravier. 
Sur  le  senestre  bras  descent  de  l'aversier, 
Autresi  li  trencha  comme  .i.  raim  d'olivier  : 
Le  bras  atout  Froberge  li  abat  u  terrier. 
Maugis  sailli  avant  qui  fu  preus  et  legier. 

860    Froberge  en  a  levée  sans  point  de  detrier. 
Quant  l'aufage  le  voit,  le  sens  cuida  cangier, 
Forment  se  commencha  le  ber  à  gramoier. 
Fol.  157,  vo  a     (,   Ah}',  dist  il,  Froberge,  tant  fcitez  à  prisier  ! 

»  Vassal,  rent  moi  Froberge,  chen  te  vueil  je  proier. 

865     »  Je  te  donroi  d'avoir  .xv.  mules  carchier. 

))  De  toute  Esclavonnie  te  donrai  .i.  quartier.  » 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  129 

Et  respondi  MaugisiuEn  vain  vous  oi  pleidier, 
»  Je  n'en  prendroie  mie  tout  l'or  de  Montpellier.» 
Quant  le  roi  l'entendi,  prist  soi  à  courouchier, 

870     Courant  vint  à  Baiart  que  il  vit  estraier. 
De  Maugis  se  vouloit  sevrer  et  eslongnier, 
Et  droit  à  sa  navie  s'en  cuida  reperier. 
Mez  Baiart  le  faé  tourna  les  pies  derier, 
Et  assené  l'aufage  ens  u  flanc  senestrier, 

875     Que  il  a  fet  u  cors  .m.  des  costes  bruisier. 
Tost  et  isnelement  11  sailli  o  gosier, 
Plus  tost  Tôt  estranglé  que  n'eiist  .i.  lévrier 
.1.  lièvre  ou  .i.  connin,  quand  il  ist  du  rocliier. 
Quant  Sarrasin  le  voient,  li  ouvert  losengier, 

880     A  Maugis  queurent  sus  pour  son  corsdamagier. 
Quant  il  les  a  veiis  venir  et  aprechier, 
Il  sailli  maintenant  sus  Baiart  le  destrier, 
Et  Froberge  tint  nue,  si  feri  le  premier. 
La  teste  en  fist  voler  devant  li  en  Terbier, 

885     Et  plus  de  .c.  len  fièrent  qui  n'ont  soi[n]gd'espargnier. 

Sus  Maugis  fu  le  caple  merveilleus  et  pesant, 
Del  gent  païennor  dont  la  presse  fu  grant, 
Mes  il  se  deffent  bien,  mestier  en  a  moult  grant. 
Mes  toute  sa  proesce  n'i  vausist  pas  .i.  gant, 

890     Se  ne  fust  Espiet  qui  vi[n]t  esperonnant. 

Et  Baudri  le  viel  mestre  qui  a  le  poil  ferrant. 
Ireement  se  fièrent  sus  la  gentmescreant 
Et  crient  Rocheflour  hautement  en  oiant. 
Atant  es  par  Testeur  venu  .i.  amirant, 

895     Qui  tint  toute  la  terre  devers  lerusalem. 
Nies  estoit  à  l'aufage  et  son  appartenant. 
Et  Espiet  lefiert  a  loi  d'omme  sachant, 
Une  plaie  li  fist  merveilleuse  et  grant, 
Le  sanc  vermeil  en  va  à  l'esperon  coulant, 

900     Le  bras  eûst  perdu  se  ne  tornast  le  brant. 
Le  païen  sent  la  plaie,  si  se  va  gramoiant  ; 
Vers  Espies  torna  le  chief  de  Tauferrant, 
Mes  ne  voit  fors  la  teste  sus  les  archons  devant. 
Qu'il  n'avoit  que  .m.  pies  et  demi  seulement. 


130  RECHERCHES 

905     Le  païen  a  juré  Mahom  et  Tervagant 

Onques  mes  tel  froiture  ne  vit  si  avenant, 
En  la  bataille  entra  et  si  en  part  atant. 
Et  le  païen  abat  Baudri  en  .i.  pendant, 
Ja  en  prenist  la  teste  à  son  acherin  brant, 

910     Quant  Maugis  li  escrie:((Ne  l'ochi,  mescreant!» 
De  Froberge  li  donne  .i.  coup\si  très  pesant, 
A  terre  le  trébuche  du  bon  destrier  courant, 
Puis  a  monté  Baudri  comme  preus  et  vaillant. 

Moult  fu  grant  la  criée  des  gens  au  Sathenas. 
915     Es  vous  parmi  la  presse  venu  pongnant  Madras, 

Frère  fu  à  l'aufage  et  sire  de  Damas. 

Devant  Maugis^a  mort  Gautier  et  Elias, 

Parent  erent  Baudri  et  neveu  Bourias. 

Baiart  esperonna  qui  va  plus  que  le  pas, 
920     Sus  l'elmeTa  féru  qui  fu  fet  à  compas, 

Jusques  dens  le  pourfent,  mort  l'abat  à  .i.  quas . 

Puis  crieRocheflour,  n'ot  pas  le  cuer  couars. 

Quant  Maudrasfu  ochis,  païen  moult  s'esfreerent, 
Mahom  et  Tervagant  hautement  réclamèrent. 
Fol.  157,  V»  b     925     Païen  et  Sarrasin  à  la  fuie  tournèrent, 
Maugis  et  sa  mesnie  durement  les  basterent. 
Quanque  il  en  ataindrent  ochirent  et  tuèrent. 
Quar  chil  de  Rocheflour  lez  testez  lor  coupèrent. 
Quant  li  estour,  failli  as  tentez  s'en  alerent, 
930     Les  tentez  et  l'avoir  sauvement  emmenèrent, 
Maugis  et  sa  proesce,  je  vous  di,  moult  loerent, 
A  Rocheflour  la  grant  grant  joie  démenèrent. 

Maugis  en  Rocheflour  fu  en  son  bel  raanage, 
A  séjour  o  s'araie  qui  l'aime  de  courage, 

935     Garis  est  de  ses  plaiez,  n'i  sent  mes  nul  damage. 
«  Amis,  dist  Oriande,  vous  avez  vasselage, 
»  Bien'avez  garanti  moi  et  mon  héritage, 
»  Et  si  avez  vaincu  roi  Atenor  l'aufage. 
»  Chen  fu  le  plus  fier  homme  qui  fust  en  son  lignage. 

940    »  Bien  pert  qu'estes  estret  de  moult  riche  barnage 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  131 

»   Dont  onques  ne  fu  dit,  ne  sera  il  ja  chertez.  » 
Et  quant  Maugis  l'oï,  si  mua  son  courage, 
Jamez  ne  sera  lie  en  trestout  son  aage, 
Si  sara  qui  il  est  et  de  quel  parentage. 
945     Quant  l'oï  Oriande,  si  mua  son  visage. 

«  Amis,  dit  Oriande,  à  la  clere  fachon, 
»  Ja  si  tost  ne  sarez  qui  vous  estez  ou  non, 
»  Quar  damage  iarez,  foi  que  doi  .S.  Simon. 
»  Vous  estez  plus  aoise  que  ne  fu  onques  hom.» 

950     «  Dame,  chen  dist  Maugis,  pour  Dieu  et  pour  son  non, 
»  Dites  moi  qui  je  sui  et  de  quel  région.  » 
«  Amis,  dist  Oriande,  vous  ditez  foloison.  » 
«  Sui  je  donc  votre  fix?  or  n'i  ait  cheloison. 
»  Se  che  est  vérité,  mal  esploitié  avon, 

055     »  Grant  est  la  penitanche  que  nous  en  atendon.  » 
«  Nennil,  dist  Oriande,  n'en  aiez  soupechon, 
»  Mes  je  vous  ai  nourri  des  petit  enfanchon. 
»  Vo  perez  est  duc  Buef,  le  sire  d'Aigrement, 
»  Vous  estez  du  lignage  où  il  a  maint  preudon. 

960     »  Vos  onclez  est  le  duc  Girart  de  Roussillon 

»  Et  Aymez  de  Dordonne  et  de  Nantueil  Doon, 
»  Et  Othez  d'Espolice  qui  est  de  grant  renon, 
»  Et  de  Danemarche  Gaufroi  le  preudon 
»  Et  Grifez  d'Autefueille  qui  père  fu  Guenelon, 

965     »  Et  Morant  de  Riviers  qui  tant  a  de  renon, 
))  Eseûn  de  Bordele  qui  fu  père  Hugon, 
»  A  qui  fist  tant  de  bien  le  bon  roi  Oboron, 
»  Et  Ripeus  qui  fu  père  Anseis  le  baron, 
»  Et  .1.  roi  autresi  qui  a  à  nom  Peron, 

970     »  Qui  est  père  Oriant  qui  est  de  grant  renon; 
»  Et  aussi  est  Hernaut  qui  sire  est  de  Giron, 
»   Quens  Hernaut  de  Monder  o  le  fleuri  grenon. 
»)  Ichil  est  vos  aieus  et  si  est  moult  preudon. 
»   Mes  là  où  fustez  nés,  ot  une  contenchon, 

975     »  Que  païen  i  esmurent,  li  enclime  félon, 

»  A  la  gentil  duchoise  qui  fu  de  grant  renon. 
»  Vous  erabla  une  esclave,  Dex  li  fâche  pardon  ! 
»  0  vous  passa  la  mer  sans  nef  et  sans  dromon. 


13Î  RECHERCHRS  SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE 

»  A  une  avespree  laraenja  .1.  lion 
980     ))  Et  ,1.  liepart  sauvage,  ainsi  corn  nous  dison, 

))  Et  puis  s'entrestranglerent  ambedui  de  randon. 

»  Je  et  mes  damoiseles  par  ileuc  passion, 

))  Si  vous  oï  plourer  tout  seul,  sans  compengnon; 

»  Je  vous  en  apportai  sus  le  mul  arragon, 
985     »  Et  or  vous  ai  perdu  sans  nul  recouvroison.  )) 

Lors  pleure  tendrement  et  a  grant  marrison. 

F.  Castets. 


(A  suivre.) 


Dialectes  Modernes 


LE  MOT  a  PAIRE  » 

ET   LES    NOMS   FRANÇAIS    QUI  n'ONT  PAS  DE   SINGULIER 


M.  Tamizey  de  la  Roque  a  publié,  dans  le  Recueil  des  tra- 
vaux de  la  Société  d'agriculture,  sciences  et  arts  d'Agen  *,  des 
lettres  françaises  inédites  de  Joseph  Scaliger,  l'érudit  de  génie 
qui  est  à  la  fois  l'honneur  d'Agen,  sa  patrie,  et  de  la  France 
savante.  Ce  recueil,  rendu  plus  important  encore  par  les  notes 
si  complètes  et  si  précises  de  M.  Tamizej,  fournit  de  curieux 
renseignements  sur  l'état  de  notre  langue  à  la  fin  du  XVI^  siè- 
cle. On  j  découvre  en  particulier  les  vestiges  de  certaines  lo- 
cutions que  le  siècle  suivant  allait  faire  disparaître  et  que  le 
docte  éditeur  a  relevées  avec  beaucoup  de  soin  et  de  saga- 
cité. Entre  toutes  ces  expressions  et  ces  tournures  tombées 
en  désuétude,  il  en  est  une  qui  m'a  jjaru  surtout  digne  d'at- 
tention. C'est  l'emploi  du  mot  paire  dans  la  phrase  suivante  : 
«  Monsieur,  écrit  Scaliger  à  Pithou,  de  /rois  paires  de  lettres, 
»  que  je  vous  envolai  dernièrement,  il  est  impossible  que  vous 
»  n'en  aies  receu  quelcun- .  » 

M.  Tamizey  dit  à  propos  de  ce  passage  :  le  mot  paire  était 
autrefois  du  masculin.  C'est  tirer  d'un  exemple  du  XVP  siè- 
cle, cité  par  Littré,  une  conclusion  trop  générale.  Il  est  cer- 
tain que  ce  nom  se  trouve  parfois  au  masculin  dans  nos  an- 
ciens auteurs  ^  et  qu'il  l'est  encore  en  Saintonge,  où  l'on  dit 
«  un  paire  de  pincettes*.»  On  le  rencontre  même  avec  ce  genre 
en   plein  XVII«  siècle,  et  le  gazetier  Loret  raconte,  en  1650, 

'  2«  série,  t.  VL   Ageo,  1879,  in-8o. 

2  Ibid.,  p.  249,  10  septembre  1573 

3  Rabelais  a  dit:  un  nouveau /jazV  d'amitié. 

*  C'est  ce  que  rn'a  dit  mon  savant  ami,  M.  Ciiabarit'au 


134  LE  MOT   «   PAIRE   "    ET  LES  NOMS  FRANÇAIS 

que  le  cardinal  Mazarin  offrit  a  un  paire  »  de  gants  à  la  veuve 
du  duc  de  Chaulnes*.  Mais  le  mot  était  le  plus  habituellement 
féminin,  et  Scaliger,  en  l'employant  aiî  masculin,  s'en  sert 
contre  l'usage  le  plus  commun.  Déjà  en  1564,  c'est-à-dire  neuf 
ans  environ  avant  sa  lettre  à  Pithou,  un  dictionnaire  fait  pour 
les  enfants  porte  expressément  une  paire^de  quelque  chose  que 
ce  soit-. 

Ce  qui  n'est  pas  moins  digne  d'observation  que  l'emploi  du 
masculin,  c'est  l'étrangeté  de  la  tournure:  a  trois  paires  de 
lettres», pour  direo  trois  lettres.»  En  usant  de  cette  forme  qui 
nous  étonne,  Joseph  Scaliger  s'exprimait  comme  on  le  faisait 
couramment  encore  à  la  fin  du  XVP  siècle.  Ne  trouve-t-on 
pas  dans  le  Dictionnaire  de  Nicot  cet  exemple  que  je  transcris 
tout  entier,  à  cause  de  son  archaïsme  :  «  bailler  une  paire  de 
lettres  à  celuy  qu'on  nous  avoit  enchargé  de  les  bailler.  Epis- 
tolam  vel  literas  reddere.  » 

Comment  nos  pères  ont-ils  été  portés  à  se  servir  d'une  locu- 
tion aussi  singulière? 

Du  Cange,et  après  lui  les  auteurs  du  Dictionnaire  de  Tré- 
voux, l'expliquent  en  disant  qu'une  lettre  étant  pliée  semble 
être  double;  mais  cette  interprétation  spécieuse  me  paraît  peu 
plausible. 

Notre  mot  lettres,  en  effet,  n'a  pas  été  seulement  mis  au 
pluriel  pour  désigner  des  missives;  il  l'est  encore  quand  il  si- 
gnifie la  culture  de  l'esprit,  les  connaissances  que  procure 
l'étude.  On  le  rencontre  même  au  moyen  âge  dans  le  sens 
d'inscription  gravée  sur  un  monument^.  Évidemment  l'idée  de 
plier  en  deux  ne  se  prête  point  à  ces  diverses  acceptions. 
N'est-il  pas  plus  naturel  de  considérer  ce  vieux  mot  lettres, 


1  Madame,  pour  une  duchesse,  Vous  avez  là  de  chétifs  gands.  J'en  ay  de 
noirs,  j'en  ay  de  blaucs,  Je  vous  en  veux  donner  un  paire.  Muzehist.  Sa- 
raeiii,  12  novenabre  1650.  Vers  158. 

-  Trésor  des  mots  et  traicts  français.  Selon  l'ordre  des  lettres,  ainsi  qu'il 
les  faidt  escrire:  tournez  en  latin  par  plusieurs  mots  et  façons  de  parler 
pour  les  enfants.  A  Lyon,  par  Henri  Hylaire  et  Loys  Cloquemin,  m.o.lxuii, 
in-4o. 

^  C'est  à  peu  près  le  sens  de  es  passage  du  Romane,  p.  59.  «  Ces  lettres 
du  fin  or  estoienl. Et  enlisant  ce  raconloient.  Ci  gist  la  blanche  Bianchefleur.  » 
V.  Lacurne  de  Sainte-Palaye,  éd.  1880. 


QUI  n'ont  pas  de  singulier  135 

OU  plutôt  le  terme  latin  litterx  dont  il  est  venu,  comme  un 
pluriel  qui  renferme  et  signifie  un  certain  nombre  de  caractè- 
res, réunis  pour  faire  un  tout? 

L'explication  donnée  par  Du  Cange  n'est  donc  pas  satisfai- 
sante dans  le  cas  particulier  de  paires  de  lettres  ;  elle  Test 
bien  moins  encore  quand  il  s'agit  de  rendre  compte  de  ces 
expressions  bizarres  :  paire  de  noces,  paire  de  délices,  paire  de 
blés,  paire  de  nouvelles,  et  de  tant  d'autres. 

Essayons  de  suivre  la  génération  des  idées  qui  ont  pu  con- 
duire à  les  employer. 

Le  sens  primitif  du  moi  paire  n'est  douteux  pour  personne. 
Il  signifie  deux  choses  pareilles,  qui  se  joignent  ordinairement 
ensemble.  «  Une  paire  de  bas,  de  souliers,  de  gants,  de  man- 
chettes, de  pendants    d'oreille,  de  lunettes,  de  jarretières'.  » 

Après  les  objets  pareils,  venaient  ceux  qui  «  s'accouplent 
»ensemble,sont  appariés  et  ne  vont  guère  l'un  sans  l'autre-»: 
une  paire  de  bœufs,  une  paire  de  poulets,  une  paire  de  pi- 
geons, une  paire  de  roues,  une  paire  de  chenets,  une  paire 
d'étriers,  de  pistolets.  De  cette  acception  à  celle  de  réunion 
accidentelle  de  personnes  ou  de  choses,  le  passage  n'était  pas 
difficile  :  Rabelais  a  dit  un  paire  d'amitié  ;  nous  disons  nous- 
mêmes  une  paire  d'amis;  les  Anglais  appellent  encore  le  sonnez 
ou  coup  de  dés  qui  réunit  les  deux  six:  a  royal  pair.  La  locu- 
tion s'étendit  ensuite  aux  choses  qui  ne  forment  qu'un  tout, 
non  divisé, composé  de  deux  parties  semblables:  une  paire  de 
pincettes,  de  ciseaux,  de  tenailles,  de  manchettes.  On  dit  aussi, 
en  médecine,  une  paire  de  nerfs,  pour  nommer  chaque  division 
de  nerfs  semblables  qui  ont  une  origine  commune.  Plus  tard,  de 
cette  habitude  de  donner  le  nom  àe  paire  à  un  objet  unique  on 
passa  à  l'usage  d'appliquer  cette  dénomination  à  des  choses  qui, 
bien  que  formant  un  seul  tout,  n'étaient,  quel  que  fût  d'ailleurs 
le  nombre  des  parties  qui  composaient  cet  ensemble,  dési- 
gnées que  par  un  mot  pluriel.  Ainsi  l'on  dit  une  paire  d'ar- 
mes pour  signifier  une  armure,  c'est-à-dire  la  réunion  de  plu- 
sieurs armes  défensives  et  offensives  ;  une  paire  de  degrés,  afin 
de  désignerl'ensemble  des  marches  qui  composent  un  escalier, 

1  Dict.  de  Trévoux. 
Ibid. 


136  LE  MOT    «  PAIRE  »    ET  LES  NOMS  FRANÇAIS 

et  cette  forme  s'est  maintenue  dans  la  langue  anglaise'.  Plus 
tard,  quand  les  cartes  à  jouer  eurent  été  inventées,  la  réunion 
des  pièces  qui  constituaient  un  même  jeu  se  nomma  une  paire 
de  cartes.  Enfin  Ton  employa  le  mot  yja/re  simplement  avec  des 
noms  qui  n'avaient  pas  de  singulier;  et  l'on  dit  une  paire  de 
noces,  une  paire  de  lettres  . 

La  liste  de  ces  mots  ainsi  dépourvus  de  singulier  était  au- 
trefois beaucoup  plus  considérable  qu'aujourd'hui.  Palsgrave 
en  nomme  une  quarantaine  qui  nefigurent  plusdans  nos  gram- 
maires modernes,  et  l'on  pourrait  facilement  doubler  ce  nom- 
bre. Quelques-uns  de  ces  noms  employés  seulement  au  plu- 
riel venaient  de  noms  latins,  féminins  ou  masculins,  comme 
délices,  lettres,  noces,  ténèbres.  D'autres,  en  plus  grand  nom- 
bre, étaient  des  substantifs  et  surtout  des  adjectifs,  neutres 
en  latin,  qu'on  avait  assimilés  à  des  féminins  français;  ainsi 
orgues,  armes,  obsèques,  épousailles,  fiançailles,  etc.  Une 
troisième  catégorie  contenait  les  mots  qui,  sans  venir  préci- 
sément de  pluriels  latins,  n'étaient  employés  qu'au  pluriel 
dans  l'ancien  français,  tels  que  trêves,  descrottoyres,  escriptoy- 
res,  etc.-.  Enfin  venaient,  comme  aujourd'hui,  des  noms  qui 
avaient  au  pluriel  un  autre  sens  qu'au  singulier,  tels  que  car- 
tes, ordres,  tables  (jeu  de  trictrac),  tablettes,  etc. 

Quand  on  voulait  attacher  l'idée  d'unité  à  ces  noms  man- 
quant de  singulier,  on  n'était  pas  embarrassé.  On  les  faisait 
précéder  de  l'article  ungs,  unes,  imité  du  latin  uni  et  unœ, 
qui  s'employait  seulement  devant  les  pluriels.  On  disait  donc 
ungz  yeulx,  ungz  bras,  pour  désigner  les  deux  yeux,  les  deux 
bras,  etc.;  ungz  gantz,  ungz  souliers^,  unes  manches%  au  lieu 
de  dire  une  paire  de  gants,  de  souliers  ou  de  manches  ;  unes 
caries'',  afin  de  signifier  un  jeu  de  cartes,  etc.  Toutes  les  épi- 
thêtes  qui  se  rapportaient  à  ces  noms  se  mettaient  ensuite  au 
pluriel.  Ainsi  l'on  voit  dans  Olivier  de  la  Marche  :  Apres  eux 
venoitune  très  belle  dame... et  luy  partoyent  unes  manches.. . 


*  An  îii/lij  pair  of  stab's,  ua  vilain  escalier,  une  vilaine  montée. 

^  Voy.  Palsgrave,  p.  181  et  suiv. 

'  Palsgrave,  p.  184. 

4  Olivier  de  la  Marche.  Coll.  Petitot,  X,  p.  163. 

^Palsgrave,  p.  182. 


QUI  N  ONT  PAS  DE  SINGULIER  137 

escriptes  de  lettres  grégeoises... et  par  uns  petis  degrés, faicts 
à  cette  cause,  elle  monta  sur  la  table  K  »  Mais,  si  Ton  avait  fait 
passer  du  latin  en  français  les  mots  uni  et  unœ,  comme  on 
n'avait  pas  agi  de  même  avec  les  autres  adjectifs  distributifs, 
on  n'avait  pas  de  moyen  pour  compter  les  noms  dépourvus  de 
singulier.  Pourle  pouvoir,  il  fallait  donc  recourir  àun  terme  col- 
lectif que  Ton  joindrait  à  la  plupart  d'entre  eux,  afin  d'en  faire 
des  quantités  susceptibles  de  numération.  Paire  se  présentait 
assez  naturellement.  Quand  on  n'avait  à  parler  que  d'un  seul 
objet,  on  l'employait  en  concurrence  avec  ungs  et  unes;  lors- 
que l'on  était  en  présence  de  plusieurs  de  ces  unités  factices, 
ne  pouvait-on  pas,  en  l'absence  d'articles,  s'en  servir  aussi  et 
l'accompagner  d'un  nom  de  nombre?  Une  seule  armure  s'appe- 
lait indifféremment  unes  armes  ou  une  pai^^e  d'armes; deux  ar- 
mures pouvaient  donc  se  nommer  deux  paires  d'armes.  Voilà 
pourquoi  l'on  fut  amené  à  dire  non-seulement  trois  paires  de 
lettres,  au  lieu  de  trois  lettres,  mais  trois  paires  de  noces, 
pour  désigner  trois  noces.  «  J'ay  esté,  dit  un  grammairien 
contemporain  de  Charles  VIII  et  de  Louis  XII,  à  troys  paires 
de  nopces,  aux  unes  de  mon  frère,  aux  aultres  de  mon  fils  et 
aux  tierces  de  mon  nepveu.  »  Ce  qu'il  traduit  en  latin  par  la 
phrase  suivante,  qui  ne  laisse  aucun  doute  :  «  Interfui  tomis 
nuptiis^  unisfiliimei,  alteris  fratris,  tertiis  nepotis.»  T'rois  pai- 
res sert,  on  le  voit,  <à  remplacer  l'article  distributif  ternis-. 
De  même  la  Chronique  de  saint  Denis  porte  ces  mots  :  a  Luy 
vinrent  deux  paires  de  mauvaises  nouvelles»,  pour  deux 
mauvaises  nouvelles  ^ 

Je  ne  puis  garantir  que  paire  ait  été  ainsi  employé  devant 
tous  les  noms  dépourvus  de  singulier;  mais,  sans  parler  des 
mots  qui  emportent  avec  eux  une  idée  de  dualité*,  je  l'ai  ren- 
contrée devant  un  très-grand  nombre  de  substantifs  qui  n'ont 
que  le  pluriel. 


1  Coll.  Pelitot,  l.  X,  p.  163  et  164. 

-  Guidoûis  Juveoalis  In  latine  lin(jue  elegantias  intei'pretatio.  Lugduni, 
1523,  fol .  45. 

3  Tomel,  fol.  113. 

"Les  auteurs  du  Dictionnaire  de  Trévoux,  après  avoir  l'ait  observer  que 
paire  se  dit  plus  souvent  des  choses  artificielles  que  des  choses  naturelles, 
ajoutent:  «  On  ne  dit  pas  une  paire  de  mains,  de  bras,  de  jambes,  de  pieds, 

10 


138  LE  MOT   «  PAIRE  "    ET  LES  MOTS  FRANÇAIS 

Ainsi  l'on  disait  une  paire  d'armes,  une  paire  de  cartes,  une 
paire  de  délices,  une  paire  d'heures,  une  paire  de  patenô- 
tres, une  paire  de  lettres,  une  paire  de  noces,  une  paire  de 
reins,  une  paire  d'orgues,  une  paire  d'armoires  (aulmoires), 
une  paire  de  vergettes,  une  paire  d'écritures*. 

Et  que  l'on  ne  prétende  pas  que  ces  mots  présentaient  une 
idée  de  dualité;  qu'on  disait,  par  exemple,  une  paire  d'heures 
pour  désigner  un  livre  qui  contient  l'office  du  jour  et  celui  de 
la  nuit:  cette  explication,  dont  on  pourrait  se  contenter  à  la 
grande  rigueur  en  ce  qui  concerne  un  recueil  de  prières-,  ne 
serait  pas  de  mise  pour  la  plupart  des  noms  énumérés  plus 
haut.  Quelle  idée  de  dualité,  par  exemple,  offre  le  mot  délices? 
Comment,  au  contraire,  ne  pas  trouver  celle  de  pluralité  dans 
«  une  paire  d'armes  »,  qui  avait  le  même  sens  qu'armure  et  se 
composait,  dit  Trévoux,  d'un  casque,  d'une  cuirasse,  de  bras- 
sarts,  de  tassettes,  etc^? 

De  cet  emploi  du  mot  paire  pour  donner  à  des  substantifs 
pluriels  le  sens  du  singulier  et  permettre  de  compter  les  choses 
qu'ils  représentaient  comme  autant  d'objets  individuels,  na- 
quit une  nouvelle  acception,  non  moins  étrange  au  premier 
abord.  On  considéra  cette  expression  comme  désignant,  non 
plus  un  couple,  mais  un  assortiment  d'objets  formant  un  tout, 

»  d'yeux.  On  dit  pourtant  en  burlesque  une  belle  paire  de  fesses.  Gel  âne  a 
»  une  belle  paire  d'oreilles.  Scarron  a  dit: 

»  Elle  avait  au  bout  de  ses  manches 
»  Une  paire  de  mains  si  blanches.  » 

Palsgrave  a  écrit  néanmoins  ungs  yeulx,  etc.  Paire,  il  est  vrai,  se  rencon- 
tre rarement  avec  les  choses  naturelles  ;  c'est  parce  que  les  yeux,  les  oreilles 
et  toutes  les  parties  existant  à  double  dans  le  corps  de  l'homme  ou  de  l'ani- 
mal ne  forment  pas,  à  proprement  parler,  de  tout  distinct,  d'unité  à  part,  et 
qu'on  a  rarement  besoin  dans  l'usage  ordinaire  de  les  compter  et  de  les  ad- 
ditionner deux  par  deux.  Lacurne  (ras.)  trouve  «  paires  de  rens  (reins)  dans 
VHist.  de  du  Guesclin  par  Mesnard,  131. 

1  V.  dans  Lacurne  de  Sainte-Palaye,  Cotgrave  et  Trévoux. 

2  Mais  comment  expliquer  ainsi  «  uue  paire  de  sept  psaumes,  une  paire  de 
vigiles  »,  cités  par  Trévoux. 

3  Dom  Pedre tira  d'une  armoire  une  paire  d'armes  fort  riches  et  fort 

légères il  en  arma  son  idiotte.  Scarrou,  ÛE«i;>"es.  Amsterdam,  Pierre 

Mortier,    t.  IV,  p.  61.  La  Précaution    inutile.  Cf.  Cent    Nouvelles    nou- 
velles, x-41. 


QUI  N  ONT  PAS  DE  SINGULIER  139 

et  l'on  dit  une  paire  d'iiabits  pour  désigner  la  réunion  des  vê- 
tements nécessaires  à  la  toilette  ^ 

Une  paire  d'habits,  nous  apprend  Oudin  dans  ses  Recherches 
italiennes  et  françoises,  c'est  un  assortiment  de  vêtements  de 
rechange,  muda  di  vestiti.  C'est  dans  la  même  acception  que 
Monstrelet,  parlant  de  ménestrels  réunis  par  séries  de  trois 
pour  sonner  des  instruments  de  musique,  en  compte  dixpai- 
res  ^  Avec  cette  signification  également  qu'il  est  question  dans 
Lancelot  du  Lac  de  trois  paires  de  murs  à  franchir  pour  arri- 
vera une  tour  ^  En  ce  sens  encore  que  l'auteur  de  r£'i7je'ro?i  de 
discipline,  Antoine  du  Saix,  ami  de  Rabelais,  dit  d'un  enfant 
bien  élevé: 

«Vertus  et  luy  ne  feront  qu'une  paire'*.» 

On  fit  un  pas  de  plus:  de  l'idée  d'assortiment  on  arriva  à 
celle  d'espèce,  u  Sachez,  dit  une  grammaire  française  faite 
pour  les  Anglois,  qu'il  y  a  deux  paires  de  verbes,  c'est  à  sa- 
voir actif  et  passif^.  »  On  trouve  aussi  dans  une  ordonnance  du 
roi  Jean,  déjà  rapportée  parLacurne  de  Sainte-Palaye  :«  Nuls 
boulangers  ou  tallemelliers  venans  et  amenans  pains  à  Paris 
pour  vendre,  ne  pourront  mettre  pain  en  un  sac  de  deux  pai- 
res deblez  mais  tout  d'un  grain*^.  »  (Ord.  du  30  janvier  1350. 
-  n.  st.  1351.) 

\q.\  paire  ne  sert  pas  à  ajouter  l'idée  d'unité  à  un  substantif 

qui  n'a  que  le  pluriel  :  hlé,  comme  habit,  possède  les  deux  nom- 
bres, et  le  terme  de  paire,  qui  devant  ce  dernier  mot  s'enten- 
dait d'assortiment,  placé  à  côté  du  premier,  doit  se  traduire  par 

espèce.  C'est  le  sens  donné  parLacurne,  et  c'est  le  bon. 

1  Une  paire  d'habits,  qui  est  composée  d'uu  pourpoint,  d'un  haut-de- 
chausses  et  d'un  manteau  ou  d'un  justaucorps,  vestis  compléta.  (Trévoux.) 
On  dirait  aujourd'hui  <  un  complet.  » 

-  Edit,  delà  Soc.  de  l'histoire  de  France,  t.  II,  p.  '71. 

^  Lacurnede  Sainte-Palaye,  Glos.  fr,,  ms.,  foi.  19. Vo  paire.  Lacurne  cite, 
avec  quelques-uns  des  exemples  apportés  ici,  plusieurs  autres  encore. 

^  Esperon  de  discipline,  1532,  2^  part.,  feuill.4,  5,  vo. 

s  Donoit  français  pour  introduyr  les  Anglois  en  la  droit  language  de 
Pam,  fo320. 

6  Édits  et  ordonnances  des  rois  de  France.  Lyon,  1573;  in-lol.,  livre  iv. 
lit.  XII,  p.  1103. 


* 

140  LE  MOT    «  PAIRE  *    ET  LES  NOMS  FRANÇAIS 

Cette  acception  d'espèje  ou  de  sorte,  si  nettement  indiquée 
par  l'ordonnance  du  roi  Jean,  doit  servir  à  comprendreunvers 
contenu  dans  une  jolio  farce  de  la  Renaissance,  il/aes^re  il/t- 
min,  et  qui  a  singulièrement  embarrassé  les  commentateurs. 

Maistre  Mimin  est  un  jeune  sot,  placé  chez  un  magister,  et 
que  Tétude  a  rendu  maniaque  ;  il  ne  sait  plus  que  parler  latin 
et  ne  peut  dire  un  mot  de  français.  Pour  lui  rapprendre  sa  lan- 
gue maternelle,  sa  mère  le  fait  mettre  dans  une  cage,  comme 
un  papegai,et  chacun,  père, beau-père,  magister, mère  et  fian- 
cée, s'approchent  pour  endoctriner  le  bel  oiseau.  Le  maître 
essaye  le  premier,  car,  dit-il, 

Nos  paroles  et  ceulx  des  femmes 
Ce  sont  deux  paires  de  boissons. 
Pource  que  plus  nous  congaoissons 
Et  parlons  plus  grant  conséquence. 

La  prétention  du  pédant  est  bien  claire  :  il  i)ense  que  les 
paroles  des  hommes  valent  beaucoup  mieux  que  celles  des 
femmes  ;  et  non,  comme  le  voudrait  le  savant  et  ingénieux 
M.  Edouard  Fournier,  que  ce  sont  choses  qui  font  la  paire  en- 
semble et  sont  jumelles. 

Quand  il  dit: 

Ce  sont  deux  paires  de  boissons, 

c'est  comme  s'il  disait:  ce  sont  boissons  de  deux  espèces  diffé- 
rentes, et  la  locution  proverbiale  dont  il  se  sert  équivaut  à  ces 
deux  autres  :  «c'est  une  autre  paire  de  manches», ou  bien  en- 
core: «c'est  d'un  autre  tonneau,  rincez  vos  verres'». 

Et  la  suite  de  la  farce  prouve  bien  que  telle  est  la  pensée 
du  magister  :  il  adresse  la  parole  à  maistre  Mimin,  qui  ne  dit 
mot;  la  fiancée  s'avance  à  son  tour  et  commence  par  contre- 
dire la  vaniteuse  allégation  du  pédant: 

Et  non,  non. 
Femmes  ont  toujours  le  regnom 
De  parler 

Nous  avons  trop  plus  doulces  voix 
Que  ces  hommes  ;  ils  sont  trop  dures. 

*  Oudin,  Curios .  françaises ,  Wi  et  413. 


QUI  N  ONT  PAS  DE  SINGULIER  141 

Elle  parle,  ainsi  que  la  mère  ;  et  Fenfant  répond  en  français 
et  ne  veut  même  plus  dire  un  seul  mot  de  latin.  Les  femmes 
chantent  victoire  :  les  hommes  crient  miracle,  et  le  magister 
confondu  est  lui-même  obligé  de  dire: 

Il  n'est  ouvrage  que  de  femme 
Je  le  dy,  sans  que  nul  je  blasme, 
Mais  pour  parler  ilz  ont  le  briiyt  i. 

Ainsi  le  moi  paire,  après  avoir  signifié  deux  choses  de  môme 
espèce  qui  vont  ensemble,  a  désigné  ensuite  un  objet  composé 
de  deux  pièces  essentielles,  puis  s'est  joint  sans  aucune  idée 
précise  de  dualité  à  des  noms  dépourvus  de  singulier  pour  leur 
donner  le  sens  d'un  objet  unique.  Plus  tard,  on  Ta  placé  de- 
vant des  substantifs  qui  avaient  les  deux  nombres,  avec  l'ac- 
ception d'assortiment  et  d'espèce . 

On  ne  disait  donc  point  une  paire  de  lettres  pour  désigner 
une  seule  lettre  parce  qu'une  lettre  pliée  semble  en  faire 
deux,  mais  tout  simplement  parce  que  dans  le  vieux  fran- 
çais, le  mot  lettres  manquant  de  singulier,  on  n'avait  d'autre 
moyen  de  donner  à  ce  pluriel  le  sens  précis  d'un  objet  unique 
que  le  recours  à  cette  tournure. 

Au  reste,  l'incommodité  de  cette  locution  d'une  part,  et  de 
l'autre  la  ressemblance  pour  l'oreille  du  pluriel  ungs  et  unes  et 
du  singulier  un  et  wwe,  ont  peut-être  été  cause  que  l'on  a  donné 
un  singulier  à  ces  mots  qui  en  étaient  dépourvus  en  latin.  Ainsi 
de  bonne  heure  on  a  mis  une  lettre  et  non  plus  unes  lettres^,  et 
on  l'a  dit  même  pour  exprimer  les  connaissances  que  procu- 
rent le  travail  et  l'étude  ^.  Une  nouvelle  se  rencontre  à  côté 

il 

*  Le  Théâtre  français  avant  ta  Renaissance,  1450-1550.  Mystères,  Mo- 
ralités et  Farces,  par  Ed.  Fournier,  p.  314  à  321. 

2  La  lettre  reversa.  Beste,  cxxii.  —  Les  deux  formes  se  trouvent  concur- 
remment dansla  Très  loyeuse,  plaisante  et  récréative  Ilystoire  du  bon  chevalier 
sans  peur  et  sans  reproche,  ch.  vu:  «L'abbé  d'Esnay.. .  escripvit  unes  lettres 
à  ung  marchand  de  Lyon  (p.  172).  Incontinent  que  les  gentilzhommes eurent   - 
leur  lettre. . .»  p.  173,  coll.  Petitot,  Ire  série,  t.  XV. 

'^  Voyez  dans  VEsperon  de  disciplitie,  2«  partie,  fol.  a  iiij,  ce  vers  adressé 
aux  pères  pour  leur  reprocher  leur  ignorance:  Donc  que  vault  lettre  oncques 
vous  n'aperceustes. 


142      LE  MOT  «  PAIRE  »    ET  LES  NOMS  FRANÇAIS,  ETC. 

d'unes  nouvelles;  une  arme  s'emploie  au  lieu  d'unes  armes; 
une  trêve  prend  la  place  àhines  trêves. 

Cette  tendance  à  mettre  au  singulier  les  mots  qui  en  étaient 
dépourvus  alla  jusqu'à  en  donner  un  à  des  noms  venus  au- 
jourd'hui à  la  seule  forme  du  pluriel.  Nous  disons  «être  aux 
aguets»  ;  on  a  dit  autrefois  «  aller  d'aguet  dans  une  affaire». 
Nous  donnons  des  arrhes  ;  sous  Louis  XIII  on  baillait  un  écu 
d'arrhe.  Nous  ne  connaissons  que  les  broussailles;  on  traver- 
sait jadis  aussi  la  brossaille.  Le  mont  Pjrénée  était  le  confin 
ou  les  confins  de  la  France  et  de  l'Espagne  ',  presque  au  temps 
où  La  Fontaine  peignait  l'alarme  universelle  causée  par  le 
combat  du  lion  et  du  moucheron  dans  ce  vers  pittoresque  : 

11  rugit,  on  se  cache,  on  tremble  à  l'environ. 

En  même  temps  que  diminuait  le  nombre  des  mots  unique- 
ment usités  au  pluriel,  l'usage  de  paire,  en  dehors  de  l'idée  de 
dualité  réelle,  disparaissait  peu  à  peu.  Mais,  dans  une  langue 
étrangère  où  nous  avons  tant  de  faits  à  recueillir  pour  l'his- 
toire de  la  nôtre,  en  anglais,  le  mot  a  pair  of  stairs,  pour  dé- 
signer un  étage,  est  la  preuve  encore  vivante  de  l'emploi  du 
mot  paire  quand  il  s'agissait  de  signifier  et  de  compter  des  uni- 
tés factices  formées,  non  pas  de  deux,  mais  de  plusieurs  objets 
assemblés  ^ 

Ch.  Revillout. 


'  Voy.  Mouet  à  chacun  de  ces  mots. 

'  Le  mot  de  staivs  n'est  certainement  pas  le  seul  vestige  de  notre  vieille 
tournure:  Palsgrave  énumère  24  mots  employés  seulement  au  pluriel  en  fran- 
çais, qui  se  rendaient  en  anglais  par  a  payre  d  as  we  in  our  tong  use  to 
name  by  payres  »  (p.  1S2).  La  plupart  de  ces  tournures  sont  demeurées  dans 
l'anglais  moderne.  En  italien,  on  dit  encore  un  paio  di  carte,  di  scacchi;  un 
jeu  de  cartes,  d'échecs. 


CONTES  POPULAIRES 

DU    LANGUEDOC  * 
(Suite) 


Jan  bestio 

Uncop,  i  aviô  un  orne  que  s'apelavo  Jan;  ero  bestio  coumo 
un  toupi.  Sa  femno  s'apelavo  Marioun. 

Un  jour  sa  femno  i  diguet  :  «  Ai  fosso  traval  e  me  caldriô 
ana  al  mouli;  mais  n'ei  pas  lou  tems,  me  cal  fa  tetà  la  drol- 
leto  ;  i  vas  anà,  demandaras  al  moulinier  uno  pougnèiro,  uno 
emino  e  un  coup  de  farino  de  mil.  Repeto-vo,  per  veiro  ;  es 
tant  bestio  que  t'en  souvendras  pas. 

»  —  Direi  :  Moulinier,  balhats-me  uno  panièiro. . .» 


TRADUCTION 


JEAN  LE  SOT 

Il  était  une  fois  un  homme  qui  s'appelait  Jean  ;  il  était  bête  comme 
un  pot.  Sa  femme  s'appelait  Mariou. 

Un  jour  sa  femme  lui  dit:  «  J'ai  beaucoup  de  travail,  il  me  fau- 
drait aller  au  moulin,  mais  je  n'ai  pas  le  temps;  il  me  faut  rester 
pour  faire  téter  la  petite  fille  :  tu  vas  y  aller.  Tu  demanderas  au 
meunier  une  panière,  une  hémine-  et  un  coup  de  farine  de  maïs .  Ré- 
pète-le, voyons;  tu  es  si  bête  que  tu  ne  t'en  souviendras  pas. 

))  —  Je  dirai:  Meunier,  donnez-moi  une  panière, ... 

<  Voiries  fasc.  d'avril,  juillet  et  septembre  1885. 

2  M.  Azaïs,  dans  son  Dictionnaire  des  idiomes  romans,  donne  la  conte- 
nance de  ces  anciennes  mesures  et  cite,  au  mot  cmino,  le  dicton  populaire: 

Moulinier  passo-farino 
D'un  sestier  ne  fa  uno  emino, 
D'uno  emino  ne  fa  un  coup. 
Lou  moulinier  ba  pano  tout. 


144  JAN  BESTIO 

((_Piot!  es  pas  atal  ;  cal  dire:  Uno  pougnièiro,  uno  emino, 
un  coup.  A.qui  un  parel  de  tustaiis  per  faprene. 

«  —  Eh  be!  0,  va  direi  :  Uno  Pougnièiro,  uno  mino. . . 

)) — Aqui  dous  autris  emplastres,  bestias;  cal  dire  :  Uno 
pougnièiro,  uno  emino,  un  coup. 

»  —  Eh  be  !  0,  va  direi  :  Uno  pougnièiro,  uno  emino,  un  coup. 

»  — Va  pla.  Vai-t'en  e,  repeto-vo  tout  lou  loung  dal  cami.» 

Jan  s'en  va  en  cridant  tout  lou  loung  dal  cami  :  «  Uno  pou- 
gnièiro, uno  emino,  un  coup. . .  »  de  peu  d'estre  batut  per  sa 
femno. 

Al  cap  d'un  pauc,  atrovo  un  lauraire  que  semenavo  dex 
sacs  de  blat. 

«  — Jan,  veni  aici,  que  te  voli  dire  quicom.  » 

Jan  se  sarro  en  cridant  toujour:  «Uno  pougnièiro,  uno 
emino,  un  coup.  ...» 

Lou  lauraire  pren  soun  agulhado  e  n'en  tusto  sus  Fesquino 
de  Jan  en-t'i  diguent:  «De  que  !  de  que  !  malurous,  semeni  dex 
sacs  de  blat  e  dises  que  i  âge  uno  pougnièro,  uno  emino,  un 
coup  !  Te  cal  dire  :  Qu'a  carrados  n'i  âge. 


„  _  Sot  !  Ce  n'est  pas  ainsi  ;  il  faut  dire  :  Une  punière,  une  hc- 
»  mine,  un  coup.  Voilà  deux  giffles  pour  t' apprendre. 

»  —  C'est  bien  ;  oui,  je  dirai  :  Une  punière,  une  mine 

,>  —  Voilà  encore  deux  giffles,  sot  ;  il  faut  dire  :  Une  punière,  une 
»  hémine,  un  coup. 

»  —  C'est  bien;  oui,  je  le  dirai:  Une  punière,  une  hémine,  un 
coup. 

»  —  C'est  cela  ;  va-t'en  et  répète-le  tout  le  long  du  chemin.  « 

Jean  s'en  va  en  criant  tout  le  long  du  chemin  :  «  Une  punière,  une 
hémine,  un  coup.  ...  »,  de  peur  d'être  battu  par  sa  femme. 

Au  bout  d'un  moment,  il  trouve  un  laboureur  qui  semait  dix  sacs 
de  blé. 

«  —  Jean  !  viens  ici  ;  j'ai  quelque  chose  à  te  dire.  » 

Jean  s'approche  en  criant  toujours:  «  Une  punière,  une  hémine,  uu 
coup ...» 

Le  laboureur  prend  son  aiguillade  et  tape  sur  le  dos  de  Jean  en  lui 
disant:  «  Comment,  malheureux!  je  sème  dix  sacs  de  blé,  et  tu  dis 
qu'il  y  en  ait  une  punière,  une  hémine,  un  coup  !  11  faut  dire  :  Qu'il  y 
en  ait  à  charretées. 


JAN  BESTIO  145 

»  —  Eh  be!  0,  va  direi  :  Qu'a  carrados  n'i  âge,  qu'a  carra- 
dos  n'i  âge.  .    » 

E  prenguet  mai  soun  cami  en  cridant  :  Qu'a  carrados  n'i 
âge,  qu'a  carrados  n'i  âge .... 

Venguet  a  passa  un  entarroment;  en  entendent  Jan  que  cri- 
davo:  «  Qu'a  carrados  n'i  âge. . ,  »  lous ornes  que  seguission  i 
fiquèroun  uno  voulado.  «  De  que!  malurous,  dises  qu'a  carra- 
dos n'i  âge.  Cal  dire  :  Que  Dieusi  benisco  soun  amo. 

»  —  Ebbe!  0,  va  direi:  Que  Dieus  i  benisco  soun  amo,  que 
Dieus  i  benisco  soun  amo. . .  » 

En  prenguent  mai  soun  cami,  passet  de  junesso  qu'anavo 
nega  unogousso.  «  Que  dises,  malurous?  Que  Dieus  i  benisco 
soun  amo  !  »  E  zou  !  mai,  i  ficoun  uno  voulado . 

«  —  Cal  pas  dire  atal  ;  cal  dire  :  Van  negà  uno  gousso  fo- 
Ibo. 

» —  Eh  be!  0,  va  direi:  Van  negà  uno  gousso  folho,  van 
negà  uno  gousso  folho. . .  « 

Trapo  uno  nosso  que  se  passejavo  e  toujour  cridavo  :  «  Van 
nega  uno  gousso  folho,  van  negà  uno  gosso  folho. . .  » 


»  —  C'est  bien,  oui.  Je  le  dirai  :  Qu'il  y  en  ait  à  charretées,  qu'il  y 
»  en  ait  à  charretées » 

EtTi  continua  son  chemin  en  criant:  Qu'il  y  en  ait  à  charretées. . .  . 

Il  vint  à  passer  un  enterrement.  En  entendant  Jean  crier  :  «  Qu'il  y 
en  ait  à  charretées.  .  .»  les  gens  qui  suivaient  [le  deuil]  lui  donnèrent 
une  volée  de  coups.  «  Comment  !  malheureux!  tu  dis  «  Qu'il  y  en  ait 
à  charretées  !  »  Il  faut  dire  :  «  Que  Dieu  bénisse  son  âme.  » 
-  «  —  C'est  bien  ;  oui,  je  le  dirai  :  Que  Dieu  bénisse  son  âme,  que 
Dieu  bénisse  son  âme » 

En  continuant  son  chemin,  il  rencontra  des  jeunes  gens  qui  allaient 
noyer  une  chienne.  <(  Que  dis-tu,  malheureux?  Que  Dieu  bénisse  son 
âme  !  »  Et  de  nouveau  il  reçut  une  volée  de  coups. 

(t  ■ —  Il  ne  faut  pas  dire  ainsi  ;  il  faut  dire  :  On  va  noyer  une 
chienne  enragée. 

»  —  C'est  bien  ;  oui,  je  le  dirai  :  On  va  noyer  une  chienne  enra- 
gée, on  va  noyer  une  chienne  enragée. . .  » 

Il  trouve  plus  loin  une  noce  qui  se  promenait  et  toujours  il  criait  : 
«  On  va  nover  une  chienne  enragée,  on  va  noyer  une  chienne  enra- 


146  JAN  BESTIO 

Lou  eap-de-jouvent  e  lou  causso-novio  se  destacoun  de  la 
bando.  a  Insoulent,  atal  parles  d'uno  tant  poulido  novio?  Es- 
pero,. . . » 

E  Ions  cops  de  ped  e  lous  cops  de  poung  toumbavoun  a 
darré  sus  Tesquino  dal  paure  Jan. 

« —  Eh  be  !  dounc,  coussi  cal  dire?  Toutis  me  batès,  coumo 
ma  femno. 

»  —  Te  cal  dire:  Queloungtemps  demoroun  ensemble. 

»  —  Ehbe  !  0,  vadirei  :  Que  loungtemps  demoroun  ensemble, 
que  loungtemps  demoroun  ensemble..  .  » 

Gar-t-aqui  que  Jan,  en  cridant:aQue  loungtemps  demo- 
roun ensemble  - .  »  atrovo  dous  ornes  qu'avion  de  fango  jus- 
qu'al  col. 

« —  Ou  !  Jan,  li  cridet  un,  veni  m'ajuda  à  me  tira  d'aqui. 

)> —  Voli  pla»,  diguet  Jean.  Li  bailo  la  ma,  le  sourtits  de 
la  fango,  e  apei,  toutis  dous  ajudoun  l'autre. 

Quand  sioguèroun  sourtits  toutis  dous,  diguèroun  à  Jan  : 
«  Malurous,  nous  cridaves:  Que  loungtemps  demoroun  ensem- 
ble !  Ba  vas  paga.  » 


Les  garçons  d'honneur  se  séparent  de  la  bande:  «  Insolent!  Tu 
oses  parler  ainsi  d'une  si  belle  mariée?  Attends. . .  » 

Et  les  coups  de  pied,  les  coups  de  poing,  tombaient  de  tous  côtés 
sur  le  dos  du  pauvre  Jean. 

((  —  Eh  bien  donc  !  comment  faut-il  dire  ?  Vous  me  battez  tous, 
))  comme  ma  femme. 

»  —  Il  faut  dire:  Qu'ils  restent  longtemps  ensemble. 

)>  —  C'est  bien  ;  oui,  je  le  dirai:  Qu'ils  restent  longtemps  ensem- 
»  ble, qu'ils  restent  longtemps  ensemble.  » 

Voilà  que  Jean,  en  criant:  «  Qu'ils  restent  longtemps  ensemble  », 
trouve  deux  hommes  qui  étaient  embourbés  jusqu'au  cou. 

«  —  Holà!  Jean,  lui  cria  l'un  d'eux,  viens  m'aider  à  sortir  de 
là! 

«  —  Je  veux  bien  »,  dit  Jean.  Il  lui  donne  la  main,  le  tire  du  bour- 
bier, et  ensuite  tous  deux  aidèrent  à  l'autre. 

Quand  ils  furent  sortis  tous  deux,  ils  dirent  à  Jean  :  «  Malheureux, 
tu  nous  criais  :  Qu'ils  restent  longtemps  ensemble.  Tu  vas  nous  le 
payer.  » 


JÂN    BESTIO  147 

E  tificoun  uno  voulaclo  de  cops  de  poung. 

((  — NMa  prou,  m'avès  assoumat;  digas-me  coumo  cal  dire. 

»  —  Te  cal  dire  :  Qui  a  tirât  un,  que  tire  l'autre,  en  faguent 
sinne  de  dreito  e  de  gaucho. 

»  —  Eh  be!  0,  va  direi:  Qui  a  tirât  un,  que  tire  l'autre; 
qui  a  tirât  un,  que  tire  l'autre. ...» 

Finalement,  lou  paure  Jan  arrive  al  mouli. 

Lou  raoulinier  ero  borni,  e  Jan  ti  fasiô  sinne  de  dreito  e  de 
gaucho  en  diguent:  «  Qui  a  tirât  un,  que  tire  l'autre;  qui  a  ti- 
rât un,  que  tire  l'autre.  . .  » 

Lou  moulinier  prend  soun  fouet,  i  fico  uno  bono  estrilhado 
e  li  demande  se  veniô  persetrufa  d'el. 

«  —  Que  nani,  respoundet  Jan,  ma  femno  m'a  coumandat  de 
veni  aici  per  cercà  de  farino  de  mil;  m'a  dit  de  répéta  tout 
lou  loung  dal  cami:  uno  pougnièiro,  uno  émino,  un  coup;  ei 
atrouvat  tant  de  gens  que  van  feit  sanjà,  i  podi  pas  mai.  Ba- 
Ihats-me  la  farino  que  vous  demandi. 

« —  Aro  parles  pla,  diguet  lou  moulinier,  te  vau  balhà  so 
que  te  cal. 


Et  ils  lui  donnèrent  une  volée  de  coups  de  poing. 

«  —  C'est  assez!  Vous  m'avez  assommé.  Dites-moi  ce  qu'il  faut 
que  je  dise. 

»  —  Il  faut  dire  :  Qui  a  tiré  l'un,  tii'e  l'autre,  en  faisant  signe  à 
droite  et  à  gauche. 

»  —  C'est  bien  ;  oui,  je  le  dirai:  Qui  a  tiré  l'un,  tire  l'autre;  qui  a 
tiré  l'un,  tire  l'autre.  ...» 

Le  meunier  était  borgne,  et  Jean,  faisant  signe  à  droite  et  à  gauche, 
lui  disait  :  «  Qui  a  tiré  l'un,  tire  l'autre  ;  qui  a  tiré  l'uu,  tire  l'au- 
tre  » 

Le  meunier  prend  son  fouet,  lui  donne  une  bonne  volée  et  lui  de- 
mande s'il  venait  pour  se  moquer  de  lui. 

<(  —  Non  pas,  répond  Jean,  ma  femme  m'a  commandé  de  venir 
ici  chercher  de  la  farine  de  maïs  :  ells  m'a  dit  de  répéter  tout  le  long 
du  chemin:  Une  punière,  une  hémine,  un  coup;  mais  j'ai  trouvé  en 
route  tant  de  gens  qui  m'ont  fait  changer,  que  je  n'y  comprends  plus 
rien.  Donnez-moi  la  farine  que  je  vous  demande. 

»  —  Maintenant  tu  parles  bien,  dit  le  meunier  ;  je  vais  te  donner 
ce  qu'il  te  faut. 


148  JAN  BESTIO 

» —  Me  poudriots  presta  un  sedas? 

»  —  Aqui  toun  mil,  amai  lou  sedas.  » 

Jan  s'entourno  à  soun  oustal. 

Entre  temps,  tiravo  de  môuturo  dal  sac  e  la  passavo  al  se- 
das: «Atal,  disiô,ma  femno  sara  placountento,  i  espargni  lou 
traval  de  passa  la  farino.  » 

Tant  faguet,  que  semenet  la  farino  pel  cami  e  qu'arrivet  à 
soun  oustal  pus  qu'amé  de  bren. 

«  — Esperi,  ma  femno,  que  saras  countento  de  iéu;  te  porti 
tout  prest;  t'ei  passât  la  farino. 

»  —  Bourriquet  !  As  feit  un  poulit  traval,  as  semenat  la  fa- 
rino e  portes  pas  que  lou  bren.  Me  va  pagaras.  » 

Acops  de  ped,  à  cops  de  poung,  la  mouliè  rousset  lou  paure 
Janet. 

«  —  Calho-te,  femno,  un  autre  cop  farei  milhou. 

»  —  Coussi  fa?  Dema  es  la  fièiro  de  Bizo,  m'i  caldro  ana 
croumpaun  porce  unpairol  perfa  lamico,mai  podipas  daissa 
la  drouUoto  ;  t'i  caldra  ana. 

»  — 0,  femno,  v'adoubarei  pla. 


»  —  Ne  pourriez-vous  pas  me  prêter  un  tamis  ? 

»  —  Voilà  ton  maïs  avec  le  tamis.  » 

Jean  retourne  à  sa  maison. 

De  temps  en  temps  il  tirait  de  la  farine  du  sac  et  la  passait  au 
crible.  «  De  cette  façon,  disait-il,  ma  femme  sera  satisfaite  ;  je  lui 
économise  la  peine  de  passer  la  farine.  » 

Il  fit  tant  qu'il  sema  la  farine  par  le  chemin  et  n'eut  plus  que  du 
son  en  arrivant  à  la  maison. 

«  —  J'espère,  ma  femme,  que  tu  seras  contente  de  moi.  Je  te  porte 
tout  prêt  ;  j'ai  passé  la  farine. 

»  —  Bourrique  !  Tu  as  fait  un  beau  travail.  Tu  as  semé  la  farine 
et  ne  m'apportes  que  du  son.  Tu  vas  me  le  payer.  » 

A  coups  de  pied,  à  coups  de  poing,  la  femme  rossa  le  pauvre 
Janot. 

K  —  Calme-toi,  femme  ;  une  autre  fois  je  ferai  mieux. 

»  —  Comment  faire?  C'est  domain  la  foire  de  Bizc;  il  m'y  faudrait 
aller  aclieter  un  porc  et  un  chaudron  pour  faire  le  gâteau  de  maïs, 
mais  je  ne  peux  pas  quitter  la  fdlette  ;  il  t'y  faudra  aller. 

»  —  Oui,  femme,  je  m'arrangerai  bien. 


JAN  BESTIO  149 

))  —  Aqui  as  d'argent,  croumparas  un  pourquet,  un  pairoulet 
e  un  cartel  d'espillos.  Lou  pairol,  te  lou  métras  sus  l'espallo, 
per  l'anso,  coumo  lous  pairouliès;  aqui  as  uno  cordo  per  es- 
taca  lou  pourquet  ;  e  las  espillos,  te  las  métras  al  falset.  Par- 
tirats  dema,  boun  mati.  As  pla  coumprés? 

»  —  0,  femno,  v'adoubarei  pla.  )•> 

L'endema,  àFalbo,  Jan  pren  soun  bastou  e  s'encamino  tra- 
quet-traquet  cap  à  lafièiro  de  Bizo. 

Arrive,  croumpo  lou  porc, lou  pairol  e  lou  cartel  d'espillos; 
manjo  un  bouci,  béu  un  cop  e  s'entourno,  coumo  i  aviô  dit  sa 
femno. 

Pel  cami  atrovo  lou  coumpaire  Guilhaumet,  queperse  trufa 
d'el  i  dits:  «  Veses  pla  que  lou  porc  s'alasso  ;  val  mai  que  tri- 
gosses  lou  pairol  et  que  te  metes  lou  porc  sus  Tespallo. 

»  —  As  rasou,  coumpaire  Guilhaumet,  va  vau  faire  atal.  » 

Al  cap  d'un  pauc,  Jan  agetbesoun  d'escampa  d'aigo,  pau- 
set  lou  cartel  d'espillos  sus  uno  pèiro,  e,  quan  aget  acabat,  lou 
doublidet. 

Lou  porc  aviô  talent,  fasiô   pas  que  roundina  ;  s'asartet  de 


,)  —  Voilà  de  l'argent,  tu  achèteras  un  jeune  porc,  un  petit  chau- 
dron et  un  carton  d'épingles.  Le  chaudron,  tu  le  mettras  sur  l'épaule 
par  l'anse,  comme  font  les  chaudronniers  ;  voilà  une  corde  pour  atta- 
cher le  porc,  et  tu  mettras  les  épingles  au  gousset. 

»  —  Oui,  femme,  je  m'arrangerai  bien.  » 

Le  lendemain,  à  l'aube,  Jean  prend  son  bâton  et  s'achemine  tran- 
quillement vers  la  foire  de  Bize. 

11  arrive,  achète  le  porc,  le  chaudron  et  le  carton  d'épingles,  mange 
un  morceau,  boit  un  coup  et  s'en  revient  comme  le  lui  avait  recommandé 
sa  femme. 

Dans  le  chemin,  il  trouve  le  compère  Guillaume,  qui,  pour  se  mo- 
quer de  lui,  lui  dit  :  ((  Tu  vois  bien  que  le  porc  se  fatigue,  il  vaut 
bien  mieux  que  tu  traînes  le  chaudron  et  que  tu  mettes  le  porc  sur 
l'épaule. 

»  —  Tji  as  raison,  compère  Guillaume,  je  vais  faire  ainsi.  » 

Au  bout  de  quelques  instants,  Jean  eut  un  besoin  à  satisfaire  ;  il 
posa  le  carton  d'épingles  sur  une  pierre;  quand  il  eut  terminé,  il  l'ou- 
blia. 

Le  porc  avait  faim  et  ne  faisait  que  grogner  :  il  se  hasarda  à  mordre 


150  JAN   BESTIO 

moussegà  l'aurelho  de  Jean  :  lou  paure  orne  soufrissiô  amé  pa- 
cienso. 

Arrivet  à  l'oustal  amé  uno  aurelho  de  mens  et  pus  que 
l'anso  dal  pairol. 

u — Qu'as  feit,  malurous!  i  dits  la  femno,  t'as  daissatmanja 
l'aurelho  perlou  porc  e  nou  me  portes  que  l'anso  dal  pairol? 
Es  pas  atal  que  t'avio  dit  de  fa^ 

» — Es  lou  coumpaire  Guilhaumet  que  m'a  dit  qu'aniriômi- 
Ihou. 

»  —  E  lou  cartel  d'espillos?» 

La  femno  plouravo.  «  Vesi  que  caldra  tout  fa  ièu  soulo,podi 
pas  coumta  susaquel  inoucent.» 

Al  cap  d'un  pauc,  èro  lafièiro  d'Azilho.  La  Marioun  diguet 
à  Jan,  en  lou  faguent  leva  boun  mati:  «  M'en  vau  à  la  fièiro 
croumpa  un  porc  e  un  pairol;  tu,  auras  souen  de  la  drollo, 
aro  es  un  pauc  fourteto,  acoumenso  de  manjà;  avans  de  parti, 
i  vau  dounà  uno  tetado  ;  e  tu,  dins  lou  jour,  quand  couneissi- 
ras  qu'aura  talent,  fai-z-i  caufa  la  soupeto  e  douno-z-i  vo.  Se 
plouro  trop,  la  pourtaras  tetà  à  la  Banturo,  nostro  cousine,  e. 


l'oreille  de  Jean  :  le  pauvre  homme  souffrait  cela  patiemment. 

11  arriva  à  la  maison  avec  une  oreille  de  moins  et  l'anse  seule  du 
chaudron. 

«  —  Qu'as-tu  fait,  malheureux?  lui  dit  la  femme;  tu  t'es  laissé  man- 
ger l'oreille  par  le  porc  et  tu  ne  me  rapportes  que  l'anse  du  cliaudron. 
Ce  n'est  pas  ainsi  que  je  t'avais  dit  de  faire. 

»  —  C'est  le  compère  Guillaume  qui  m"a  dit  que  cela  irait  mieux 
ainsi. 

»  —  Et  le  carton  d'épingles?...  » 

La  femme  pleurait.  «  Je  vois  qu'il  me  faudra  seule  tout  faire  dé- 
»  sormais  ;  il  est  impossible  de  compter  sur  ce  niais.  » 

Quelque  temps  après,  c'était  la  foire  d'Azille.  La  Marion  dit  à 
Jeau,  en  le  faisant  lever  de  bon  matin  :  «  Je  m'en  vais  à  la  foire  ache- 
ter un  porc  et  un  chaudron;  toi,  tu  auras  soin  de  la  fillette;  mainte- 
nant elle  est  un  i)0u  plus  forte,  elle  commence  à  manger.  Avant  de 
partir,  je  vais  la  faire  téter,  et  toi,  dans  la  journée,  quand  tu  verras 
qu'elle  a  faim,  fais-lui  chauffer  sa  petite  soupe  et  donne-la-lui.  Si  elle 
pleure  trop  fort,  tu  la  poi'tcras  à  Vanture,  notre  cousine,  qui  la  fera 
téter.  Quand  tu  voudras  l'endormir,  tu  la  berceras  et  la  chatouilleras 


JAN   BESTIO  151 

quand  la  vouldras  endourmi,  la  bressaras  et  la  grataras  anic  la 
cabosso  d'aquelo  espillo  d'un  ardit.  As  placoumprcs? 

»  —  Siogues  tranquille,  va  farei  tout  coumo  m'as  dit.» 

La  Marioun  s'en  va  à  la  fièiro, 

Jan  fa  manjà  lasoupeto  à  la  drolio,  la  porto  tetà,  e,  quand 
l'a  recatado,  la  met  al  leit  e  la  bresso. 

La  filho  se  vol  pas  endourmi  ;  Jan  prend  l'espillo  d'un  ardit 
e  ti  grato  lou  frount:  gratet  ta  fort  que  crebetla  pel  e  sacer- 
vèlo  acoumenset  de  sourti. 

« —  0  la  sallo  femno,  so  diguet  Jan,  que  daisso  aquel  mai- 
nage  tout  empoustemil!  » 

Mentretant  curet  amé  l'espillo,  i  sourtisquet  tant  de  cervèlo 
que  pousquet,  e  la  drolio,  coumo  poudets  pensa,  bouleguet  pas 
pus. 

Alabets  Jan,se  vegent  tranquille,  diguet:  uAquelo  couquino 
de  Marioun  me  fa  passa  talent  ;  m'a  daissat  que  de  patanos; 
jamai  me  podi  assadoulà.  Aro  que  soun  soûl,  que  soun  pla 
mestre,  v'anan  adouba,  o 

Copo  dos  belos  tranchos  de  cambajou,  las  fa  coire  e  se  met  à 
manjà. 

avec  la  tête  de  cette  épingle  d'un  liard.  Tu  as   bien  compris? 

»  —  Sois  tranquille,  tout  sera  fait  comme  tu  le  veux.  » 

Marion  part  pour  la  foire. 

Jean  fait  manger  la  soupe  à  la  fillette  ;  plus  tard,  il  la  porto  à  la 
voisine  pour  la  faire  téter  et,  lorsqu'il  a  pourvu  à  tous  ses  besoins,  il 
la  met  au  lit  et  la  berce. 

La  fillette  ne  veut  pas  s'endormir.  Jean  prend  l'épingle  d'un  liard 
et  lui  chatouille  le  front.  Il  gratta  si  fort  qu'il  creva  la  peau  et  la  cer- 
velle commença  à  sortir. 

<(  —  Oh  !  la  femme  malpropre,  se  dit  Jean,  qui  laisse  cette  enfant 
pleine  d'apostème.» 

11  continua  à  curer  avec  l'épingle,  il  sortit  autant  de  cervelle  qu'il 
put;  et  l'enfant,  comme  vous  pouvez  le  penser,  ne  bougea  plus. 

Alors,  se  voyant  tranquille,  Jean  dit:  «  Cette  coquine  de  Marion  me 
fait  mourir  de  faini  ;  elle  ne  m'a  laissé  que  des  pommes  de  terre  ; 
jamais  je  ne  peux  manger  à  mou  appétit.  JMaintenant  que  je  suis 
seul  maître,  je  vais  me  refaire.  » 

11  coupe  deux  grosses  tranches  de  jambon,  les  fait  cuire  et  se  met 
à  manger. 


152  JAN    BESTIO 

«  —  Ai!  qun  plasé  de  poude  manjà  soun  sadoul  e  bèure  à  sa 
voulountat!  » 

Lou  cambajou  ero  un  pauc  salât;  très  cops  Jan  davalet  à 
la  cavo  rampli  lou  pourrouàla  barrico.Al  tresen  cop,  moussu 
vinas  coumensavo  de  li  troubla  la  testo,  doublidet  de  metie 
lou  douzil. 

La  set  lou  tourno  prene,  tourno  à  la  cavo.  Après  lou  darrier 
escalou,  trempo  souspedsdins  un  ébauchas;  agacbo  so  qu'es, 
e  te  vei  miech  pan  de  vi  pel  sol  ;  la  barrico,  que  tenio  quatre 
mechs,  s'ero  touto  escampado. 

«  —  Moun  Dieus  !  cridet  Jean,  coussi  farei  iéu  per  amaga 
acô?  » 

S'en  va  cercà  uno  saco  de  farino  e  Fespandits  per  la  cavo. 

N'i  aget  pas  prou  d'aquèlo,  n'anet  querre  dos  autros. 

«  —  Aro,  se  diguet,  la  Marioun  s'en  avisara  pas.  » 

Marioun,  en  arrivantdela  flèiro,  s'en  va  tout  prumiè  al  brès 
per  veire  la  droUeto. 

«  — Oh  !  vai,  dourmits,  i  diguet  Jan,  te  tracasses  pas. 

»  —  Sariô  pla  tems,  diguet  la  femno,de  manjà  un  bouci.  Jan, 
met  la  taulo,  que  vau  tira  un  pourrounat  de  vi.  i. 


«  —  Ah  !  quel  plaisir  de  pouvoir  manger  tout  son  soûl  et  de  boire 
à  sa  volonté.  » 

Le  jambon  était  uu  peu  salé;  trois  fois  Jean  descendit  à  la  cave 
remplir  le  flacon  au  tonneau.  A  la  troisième  fois,  le  vin  commençait  à 
lui  troubler  la  tête,  il  oublia  de  mettre  le  fosset. 

La  soif  augmentant,  il  descendit  encore  à  la  cave.  Au  dernier  éche- 
lon, il  trempe  ses  pieds  dans  un  bourbier  ;  il  regarde  et  voit  un  demi- 
empan  de  vin  sur  le  sol  ;  la  barrique,  qui  contenait  quatre  muids, 
s'était  toute  répandue. 

<( — Mon  Dieu!  cria  Jean,  comment  vais-je  faire  pour  cacher  cela?» 

Il  va  chercher  un  sac  de  farine  et  le  répand  dans  la  cave. 

Ce  sac  ne  suffisant  pas,  il  va  en  chercher  deux  autres. 

«  —  Maintenant,  dit-il,  Marion  ne  s'en  apercevra  pas.  » 

Marion,  en  revenant  de  la  foire,  va  tout  d'abord  au  berceau,  pour 
voir  la  fillette. 

«  —  Oh  !  va,  elle  dort,  lui  dit  Jean,  ne  t'inquiète  pas. 

»  —  11  serait  temps,  dit  la  femme,  démanger  un  morceau.  Jean, 
mets  la  table,  pendant  que  j'irai  tirer  un  flacon  de  vin,  » 


JAN  BESTIO  153 

Davalo  à  la  cavo  e  s'enfounso  lous  peds  dins  uno  fango  ne- 
gro. 

«  — Qu'es  acô?»  se  dits.  Va  querre  lou  calel  e  s'aviso  qu'a- 
quelo  fango  es  de  farino  pastado  amé  de  vi.  Va  à  la  pipo, 
Tatrovo  vido. 

Va  à  lasacariè,  atrovo  pas  cap  de  farino. 

Alabets  coumpren  so  qu'es  arrivât. 

«  — Couqui!  gusardas  !  M'as  escampat  tout  lou  vi  e  gastat 
touto  la  farino  !  Te  voli  tua. 

»  —  0,  e  tu,  salopo  que  daissaves  pouiri  lou  cap  de  ta  filho! 
Te,  agacho  touto  l'apoustemo  que  n'ai  tirât  ?  » 

La  Marioun  s'en  va  al  brès,  descouvrits  latoupino  de  la  fi- 
lho e  vêts  que  la  memorio  ero  traucado  :  la  droUo  ero  morto. 

Sul  cop  tombo  reto  morto  de  doulou. 

Cric  cric, 

Moun  counte  es  finit. 

Cric  crac, 

Moun  counte  es  acabat. 

(Version  uarbonnaise  communiquée  par  M.  Guibaud.) 


Elle  descend  à  la  cave  et  s'enfonce  les  pieds  dans  une  boue  noire. 
«  —  Qu'est-ce  que  cela?  )>  se  denianda-t-elle  ;  elle  va  chercher  la 
lampe  et  s'aperçoit  que  cette  boue  est  de  la  farine   pétrie  avec  du 
vin. 

Elle  va  au  tonneau  et  le  trouve  vide.  Elle  va  au  grenier,  n'y  trouve 
plus  de  farine.  Alors  elle  comprend  ce  qui  est  arrivé. 

«  —  Coquin  !  vaurien  !  Tu  m'as  perdu  à  la  fois  le  vin  et  la  farine. 
Je  veux  te  tuer. 

))  —  Oui,  et  toi,  malpropre,  qui  laissais  pourrir  la  tète  de  ta  fille  ! 
Tiens,  vois  tout  l'apostème  que  j'en  ai  retiré-  » 

La  Marion  va  au  berceau,  découvre  la  tête  de  la  fille  et  voit  que  la 
mémoire'  était  trouée  ;  la  fillette  était  morte.  Aussitôt  elle  tomba  raide 
morte  de  douleur. 

Cric  cric, 
Mon  conte  est  fini; 

Cric  crac, 
-Mon  conte  est  achevé. 

L.   Lambert. 
(A  suivre.) 

*  Litt.  :  la  fontanelle  antérieure,  11 


BIBLIOGRAPHIE 


Tradizioni  popolari  Abruzzesi,  raccolte  da  Gennaro  Finamore.  Vol.  I, 
Novelle  (parte  seconda);  vol.  Il,  Caati.  Lauciano,  tipografia  di  R.  Carabba, 
1885-1886. 

Ces  deux  volumes  sont  le  complément  du  beau  recueil  dont  M.  Gen- 
naro Finamore  a  publié  la  première  partie  en  1882.  Les  nouvelles 
recueillies  par  lui,  dans  diverses. localités  des  Abruzzes,  sont  données 
telles  qu'elles  lui  ont  été  racontées,  c'est-à-dire  dans  le  propre  par- 
ler de  ces  localités,  ce  qui  en  fait  de  véritables  textes  de  langue 
pour  l'étude  du  dialecte  et  des  variétés  dialectales  de  cette  province. 
A  la  fin  de  la  plupart  d'entre  elles  on  trouve  de  nombreux  renvois 
aux  récits  similaires  jjubliés  dans  les  recueils  de  Pitre,  Imbriani, 
Comparetti  et  autres.  —  Le  t.  II,  comme  le  titre  l'indique,  renferme 
les  Chants  populaires,  classés,  non  géograpbiquement,  comme  les 
nouvelles,  mais  par  nature  de  sujets.  A  la  fin  de  cbacun  d'eux  est  in- 
diquée d'ailleurs  la  localité  où  il  a  été  recueilli,  en  sorte  qu'ilspeuvent 
être  utilisés,  au  point  de  vue  des  recbercbes  linguistiques,  avec  la 
même  sûreté  que  les  nouvelles.  C'est  à  tous  égards,  parmi  les  recueils 
de  ce  genre,  un  des  plus  intéressants  que  je   connaisse. 

C.   C. 

Albino  Zenatti.  Rappresentazioni  sacre  nel  Trentino  (Estratlo  dairArchivio 
slorico  per  Trieste,  l'Istria  e  il  Trentino).  Romu,  1883,  67  p  .  in-S". 

Contribution  des  plus  intéressantes  à  l'histoire  du  théâtre  italien  . 
L'étude  de  M.  Zenatti,  aussi  attachante  qu'instructive  d'un  bout  à 
l'autre,  complète  heureusement  les  savantes  recherches  de  M.  d'Au- 
cora  et  de  M.  Monaci  sur  les  sacre  rappresentazioni  dans  la  péninsule. 
On  saura  gré  à  l'auteur  d'y  avoir  inséré  en  entier,  dans  un  texte  soi- 
gneusement établi  d'après  les  plus  anciennes  éditions,  l'une  des 
pièces  les  plus  remarquables  de  celles  qui  font  l'objet  de  son  travail. 
Elle  a  pour  titre  :  «  U  Misterj  délia  Passione  di  Nostro  Signore  Gesu 
Cristo,  da  cantarsi  dagli  Angeli  la  Settimana  Santa  in  processione  », 
et  se  compose  de  23  octaves. 

C.  C. 

Folk-Iore   Gatala.  Elliologia  de  Blànes,  per  D.  Joseph  Cortils  y  Vieta. 
Barcelona,  A.  Verdaguer,  1886. 

Dans  cet  intéressant  ouvrage,  qui  est  le  troisième  de  la  Bibliotcca 
popular.  publiée  par  VAssociacciô  d'excursions  catalanas,  ^L  Cortils  y 


CHROJSIQUE  155 

Vieta  étudie  avec  beaucoup  de  soin  et  de  métliode  les  usages  locaux, 
les  superstitions,  les  jeux,  la  littérature  populaire  (contes,  chansons, 
rondes,  énigmes,  proverbes,  comparaisons,  etc.)  du  district  de  Blanes. 
C'est  un  ouvrage  riche  de  renseignements,  que  îes  folkloristes  seront 
heureux  d'y  trouver  classés  dans  le  plus  grand  ordre.  Ce  livre  ne  sera 
pas  moins  bien  accueilli  des  philologues,  car  une  notable  partie  du 
volume  est  remplie  d'observations  instructives  sur  le  dialecte  de  la 
«  poblacion  »  qui  en  est  l'objet. 

C.  C. 


CHRONIQUE 


La  Société  agricole,  scientifique  et  littéraire  des  Pyrénées-Orien- 
tales ouvre  un  concours  pour  l'année  1S86. 

Partie  scientifique. —  Les  récompenses  seront  : 

Une  médaille  de  vermeil. 

Une  médaille  d'argent. 

Si  les  concurrents  étaient  nombreux,  il  serait  accordé  une  seconde 
médaille  d'argent. 

La  Société  ne  fixe  aucun  sujet  pour  ce  concours.  Les  récompenses 
seront  accordées  aux  meilleurs  travaux  scientifiques  se  rattachant  de 
préférence  à  la  région. 

Partie  littéraire .  —'  Les  récompenses  seront  : 

1 .  —  Un  prix  :  Histoire  locale  du  Eoussillon . 
II.  —  Un  prix:  Archéologie   locale  (monographie  d'un  monu- 
ment). 

III.  —  Un  prix  :  Poésie  française  sur  un  sujet  traitant  du  Eous- 

sillon historique  ou  pittoresque. 

IV.  —  Un  prix:  Poésie  française  (sujet  facultatif). 

V.  —  Un  prix:    Poésie  française  (sujet  humoristique) . 
VI.  —  Un  prix  :  Poésie  catalane  (genre  lyrique). 
VII.  —  Un  prix:  Poésie  catalane  (genre  humoristique). 

Les  ouvrages  devront  être  adressés  avant  le  15  octobre  1886: 

Pour  le  concours  scientifique,  à  M.  le  docteur  Paul  de  Lamer,  se- 
crétaire de  la  section  des  sciences,  4,  place  d'Armes,  à  Perpignan  ; 

Pour  le  concours  littéraire,  à  M.  Prosper  Auriol,  secrétaire  de  la 
section  des  lettres,  rue  Font-Froide,  1,  Perpignan. 

Chaque  composition  devra  être  accompagnée  du  nom  et  de  l'adresse 
de  l'auteur,  sous  enveloppe  cachetée;  l'enveloppe  portera  comme  sus- 
cription  une  épigraphe  ouïe  titre  de  l'ouvrage. 

La  Société  distribuera  les  primes  aux  lauréats  agricoles,  comme 
elle  le  fait  annuellement,  dans  la  même  séance  que  les  prix  du  cou- 
cours  . 


156  CHRONIQUE 


Vient  de  paraître  à  la  bibliothèque  Charpentier  la  première  série 
des  Li'fjende^,  Croyances  et  Sux>erstit>onb  de  la  mer,  par  Paul  Sébillot. 
Ce  volume,  digne  à  tons  égards  des  autres  publications  du  savant 
folkloriste,  est  consacré  à  la  mer  proprement  dite  et  au  rivage.  Il  con-- 
tient  nombre  de  légendes  empruntées  à  tous  les  pays  du  monde,  et 
qui,  pour  la  plupart,  sont  inéditos  ou  traduites  en  français  pour  la 
première  t'ois. 


Vient  de  paraître  la  cincpiième  série,  comprenant  les  lettres  R  k  Z, 
du  Dictiovnnire  analogique  et  étijinologique  des  idiomes  méridionaux, 
par  L.  Boucoiran.  Nimes,  L.  Boucoiran,  rue  Grétry,  26;  Paris,  Mai- 
sonneuve  frères  etCh.  Leclerc,  quai  Voltaire,  2.5.   Prix  :  7  fi-. 


Ministero  dell'Istruzione  pubblica  dltalia 


Avviso  di  Concorso 

Colle  norme  prescritte  dal  Regio  decreto  26  gennaio  1882,  n.  629, 
modificato  col  Piegio  decreto  11  agosto  1884,  n.  2621,  è  aperto  il  con- 
corso per  la  nomiua  di  prof  essore  straordinario  alla  cattedra  di  lette- 
ratura  fraucese  nella  R.  Academia  scientifico-letteraria  di  Milano.  (Sti- 
pendie, L.  3000.) 

Le  domande  su  carta  bollata  ed  i  titoli  indicati  in  apposito  elenco 
dovranno  esser  presentati  al  Ministero  délia  Pubblica  Istruzione  non 
più  tardi  del  10  settembre  1886. 

Ogni  domanda  inviata  dopo  quel  giorno  sarà  considcrata  corne  non 
avvenuta. 

Non  sono  ammessi  i  lavori  manoscritti. 

Le  publicazioni  dovranno  esser  prcsentate  in  numéro  di  esemplari 
bastevole  a  farne  la  distribuzione  ai  componenti  la  Commissione  esa- 
minatrice. 

Roma,  30  aprilo  1886. 

Il  Direitore  Capo  délia  dirisione  per  Tlstnizione  supenore, 

G.  Ferraîtdo. 


Le  Gérant  responsable  :  Ernest  Hamkmn. 


Dialectes  Anciens 


VIE  DE   SAINT  HERMENTAIRE 


La  Vie  de  saint  Hermentaire,  ou  Armentaire,  que  l'on  va  lire,  est 
publiée  ici  d"après  une  copie  faite  par  Raynouard  et  qui  appartient 
aujourd'hui  à  M.  Paul  Arba,ud.  C'est  celle-là  même  à  laquelle  M.  Ro- 
que-Ferrier,  quine  la5connaissait^que_par  les^extraits  qu'en  ont  donné 
Bouche  et  M.  Barbe,  a  consacré  il  y  a  cinq  ans,  dans  cette  Revue', 
deux  articles  très-intéressants,  que  nos  lecteurs  n'ont  certainement 
point  oubliés. 

Faut-il  croire  que  ce  récit,  comme  l'affirme  son  auteur,  soit  en  effet 
la  traduction  d'un  ouvrage,  —  aujourd'hui  perdu,  —  de  Raymond 
Féraud,  et  que  le  même  poëte^  ait  aussi  composé  les  autres  vies  de 
saints  dont  on  lui  fait  pareillement  honneur  dans  l'introduction?  De 
sérieux  motifs  de  suspicion  m'en  empêchent.  Qu'après  avoir  écrit  la 
Vie  de  saint  Honorât,  Raymond  Féraud  ait  mis  en  vers  provençaux 
les  légendes  de  saint  Tropez,  de  sainte^Catheriue,  de  sainte  Barbe  et 
d]autres  encore,  il  n'y  a  là  certainement  rien  d'invraisemblable,  et  on 
l'admettrait  sans^peine,  sur  la  foi  d'un  témoin  ordinaire.  On  ne  con- 
sentirait pas  moins  facilement  à  admettre  qu'il  avait  aussi  composé  la 
Vie  de  saint  Hermentaire ,'fi\  de  cette  vie  le  titre  seul  nous  avait  été 
conservé.  Mais  la  comparaison  qu'on  en  peut  faire,  et  qu'a  déjà  faite 
M.  Roque-Ferrier,  avec  la  Vie  de  saint  Honorât,  prouve,  ce  me  sem- 
ble, non-seulement  qu'elle  n'est  pas  du  même  auteur,  mais  encore  que 
c'est  une  œuvre  supposée,  fabriquée,  par  un  faussaire,  à  l'aide  de 
cette  dernière,  pour  une^boune  moitié.  Et  l'opinion  que  j'exprime  ici 
n'étonnera  personne,  si  j'ajoute  que  l'auteur  de  cette  prétendue  version 
de  la  Vie  de  saint  Hermentaire  n'est  autre,  à  mon  avis,  que  Jean  de 
Nostredame,  dont  les  Vies  des  anciens  poètes  provençaux  ?,ont  t^\q\- 
nes,  comme  on  sait,  de  pareilles  inventions. 

Je  remarque  d'abord  quej'ouvrage  a  été  «  mis  en  frauçois  »,  d'après 
le  titre  même,  en  l'an  1540.  Sij  la  date  est   exacte,  quel    autre  que 

i  T.  XX,  pp.  41,  236. 

TOME  XV  DE  LA  TROISIÈME  SÉRIE.     —    AVRIL  1886.  li? 


158  VIE  DE  SAINT  HERMENTAIRB 

Nostredame  pouvait,  dans  le  préambule,  insérer  la  prétendue  biogra- 
phie de  Raymond  Féraud,  telle  qu'il  devait  la  publier  trente-cinq  ans 
plus  tard,  sauf  quelques  suppressions  et  additions,  dans  les  Vies  des 
poètes  provençaux  ?  On  pourrait  objecter  que  le  préambule  a  pu  être 
écrit  après  coup,  par  l'auteur  de  la  copie  d"où  dérive  celle  de  Ray- 
nouard,  et  qui  paraît  être  la  môme  que  celle  dont  Bouche  a  eu  con- 
naissance. Mais  alors,  comment,  copiant  la  notice  de  Nostredame,  ne 
l'a-t-il  pas  transcrite  en  entier?  Comment  surtout  a-t-il  pu  y  ajouter 
des  traits  qui  manquent  dans  l'imprimé  et  que  nous  retrouvons  dans 
les  mss.  inédits  de  Nostredame  ou  dans  la  traduction  italienne  de 
Giudici,  laquelle,  ayant  été  faite,  non  sur  l'imprimé,  mais  sur  le  ms. 
môme  des  Vies,  est  d'une  grande  importance  pour  la  critique  de  ces 
dernières  ?  Ces  traits,  — j'en  ai  noté  deux,  —  sont  les  suivants: 

1.  On  lit  dans  le  Discortrs  de  la  vie  de  saint  Hcrmenlaire  (ci- 
après,  p.  1(30,  1.  25)  :  «  et  en  délaissant  cette  vie  lascive,  il  print  la 
contemplative.  »  Or  la  notice  imprimée  de  R.  Féraud,  p.  106  de  mon 
édition  (173  de  celle  de  1575),  porte  seulement:  c<  et  en  délaissant 
ceste  vie,  print  la  contemplative.  »  Mais  l'épithète  n'est  pas  omise 
dans  Giudici,  qui  traduit  :  «  e  lasciando  questa  vita  mondana,  si  diè 
alla  contemplativa.  » 

2.  Immédiatement  après,  on  lit  encore  dans  le  Discours  :  «  et  fist 
quelque  sonnet  en  rime  provençale  à  la  louange  dudict  Robert,  roy 
dudict  Naples.  ))La  notice  imprimée  dit  seulement  qu'il  «  fist  plusieurs 
rithmes  a  sa  louange.  »  Mais  dans  la  notice  manuscrite  conservée  à 
Carpentras,  on  lit  (p.  108  de  mon  édition):  «  Il  se  treuve  ung  sonnet 
qu'il  feist  à  la  louange  du  roy  René',  qui  se  commence: 

Seigneur,  lou  rey  s'allegra  en  ton  divin  secours  2. "« 

Le  même  titre  qui  nous  donne  cette  date,  vraie  ou  fausse  (  je  viens 
de  montrer  que  la  question,  au  fond,  importe  peu),  dé  1540,  nous  ap- 
prend que  c'est  (i  à  la  requeste  do  madame  de  Bagarris  »  que  la  Vie 


*  Ce  n'est  pas  un  lapsus  calami ;  car  on  lit  déjà  plus  haut  :  «estoit  le  poëte 
de  iVIarie  d'Hongrie,  mère  du  roy  René  »,  passage  dans  lequel  Hongrie  a  été 
substitué  k  Arragon,  écrit  d'abord.  La  correction  de  cette  première  erreur 
entramait  celle  de  la  seconde.  L'auteur  a  oublié  de  la  faire;  mais  il  est  évi- 
dent que,  s'il  avait  auparavant  songé  à  René,  il  s'était  dès  lors,  reculant  de- 
vant l'anaclironisme,  décidé  pour  Robert. 

'  Ce  sonnet  est  une  des  trois  pièces  apocryphes  que  M.  Paul  Meyer  a  signa- 
lées dans  lems.  12472  de  laB.  N.,  dont  Nostredame  fut  autrefois  le  pos- 
sesseur. Là  il  est  attribué  à  Bertran  de  Laraanon.  Voy.  les  Derniers  Trou- 
badours de  la  Provence,  p.  134.  (V.  13,  lis.  nostra  au  lieu  de  vostra.) 


VIE  DE  SAINT  HERMENTAIRE  159 

de  saint  Hermentere  fut  mise  en  françois.  Ce  n'est  pas  là  une  cir- 
constance indifférente,  car  nous  savons,  parle  témoignage  du  P.  Bou- 
gerel,  que  Jean  de  Nostredame  «  fut  élevé  dans  la  maison  de  Pierre 
Antoine  Rascas  de  Bagarris.  »  Le  rapprochement  de  ces  deux  faits, 
qui  m'avait  dès  l'abord,  et  avant  tout  examen,  suggéré  mon  hypo- 
thèse, ne  paraîtra  pas  fait,  dans  tous  les  cas,  pour  lui  ôter  de  sa  vrai- 
semblance. 

Cette  hypothèse  trouve  un  autre  appui  dans  le  style  du  Discours, 
lequel  ressemble,  à  s'y  méprendre,  à  celui  des  Vies.  Même  langue  in_ 
correcte  et  embarrassée,  mêmes  tournures  de  phrases,  mêmes  idiotis- 
mes*.  Le  lecteur  le  moins  attentif  sera  frappé  de  cet  air  de  famille. 

Mon  sentiment  est  donc  que  nous  avons  dans  le  Discours  de  la  vie, 
bonnes  mœurs  et  saincteté  de  sainct  Hermentere,  un  produit  de  la 
plume  de  Jean  de  Nostredame;  et,  comme  cette  plume  fut  celle  du  plus 
impudent  faussaire  qui  ait  jamais  infecté  l'histoire  de  ses  mensonges, 
on  trouvera  chez  moi  toute  naturelle  lopinion  que  j'ai  exprimée  plus 
haut  et  que  je  formule  ici  de  nouveau,  pour  conclure  ce  préambule,  à 
savoir  :  1°  que  l'attribution  de  cet  ouvrage  à  Raymond  Féraud  est 
fausse  ;  2"  qu'au  lieu  d'y  voir  la  traduction  d'un  original  provençal, 
nous  devons  y  reconnaître  une  pièce  supposée,  fabriquée  par  son  au- 
teur à  l'aide  d'emprunts  faits  à  la  Vie  de  saint  Honorât,  pour  la  plus 
grande  partie,  et  peut-être  à  d'autres  vies  de  saints  pour  le  reste.  Je 
réserve  pour  mes  notes  les  preuves  de  cette   dernière  assertion. 

c.  c. 


*  Je  signalerai  l'emploi  de  rinfmilif  passé  pour  le  participe  passé,  par  exem- 
ple: «  et  estre  éveillés,  troussarent. .  .»  p.  161,  1.  23. Cf.  dans  les  Vies:  «  Et 
y  avoir  demeuré  longtemps...»  (p.  64);  «  Gausbert  estre  de  retour...  » 
(p.  72).  Ce  singulier  idiotisme,  que  couaaft  encore  la  langue  de  nos  contrées 
(ainsi,   à  Montpellier,  dans  le  pseudo-français  du   cru  :  «  pas   plus   tôt  être 

sorti...,  aussitôt  être  arrivé »),  se  montre  plus  fréquent  encore  dans  la 

petite  chronique  provençale  dont  le  roman  deTersin  fait  partie,  et  dont  l'au- 
teur est  également  Jean  de  Nostredame.  En  dehors  de  ces  ouvrages,  je  ne 
me  rappelle  l'avoir  remarqué  que  dans  \&?,  Anciennes  Chroniques  de  Savoie, 
publiées  au  t.  V  des  Monumenta  Historiœ  patriœ.  (Par  exemple  :  «  El  The- 
zeus.  estre  couché...»  col.  14;  «  Estre  la  bataille  faite. .. .»  col.  92;  «  Estre 
couronné  à  Rome  l'empereur  Henrich. . .  » 


160  VIE  DE  SAINT  HERMEMÏAIRE 

Discours  de  la  vie  bonnes]  mœurs  et  saincteté  de  sainct  Hermen- 
tere,  de  nation  grec,  qui  vint  habiter  au  cartier  de  Fréjus  en  Pro- 
vence, escript  premièrement  en  rime  provençalle,  et  depuis  mis 
en  françois  à  la  requeste  de  madame  de  Bagarris  en  l'an  1540. 


Le  moine  dez  Isles  d'or  qu'on  appelle  aujourd'huj  les  isles 
d'Yeros,  que  les  enciens  cosmographes  ont  nomé  Estecadez, 
au  cathalogue  qu'il  a  faict  des  vies  des  poètes  provençaux,  a 
escript  que  frère  Raymond  Feraud,  gentilhomme  provençal, 
5  homme  de  grande  doctrine  en  toutes  sciences,  avoit  esté  toute 
sa  vie  amoreux  et  vi'ai  courtizan,  suivant  la  court  des  princes; 
fustbon  poëte  provençal.  La royne  Marie  issue  des  rois  d'Hon- 
grie, femme  de  Charles  2  du  nom  roi  de  Naples,  compte  de 
Provence,  l'avoit  retenu  a  son   service,  parce  qu'il  escrivoit 

10  fort  bien  et  doctement  en  langue  vulgaire  provensalle,  de 
toutes  sortes  derimes;  par  commandement  de  laquelle  mist  en 
vers  provençaux  la  vie  historialle  de  Andronic,  qui  fut  depuis 
réputé  et  nommé  sainct  Honorât  de  Lerins  en  l'isle,  fils  du  roi 
d'Ongrie;  à  laquelle  rojne   Marie   ledict  Raymond  Feraud 

15  desdiales  oeuvres  qu'il  avoit  dictées  et  composées,  que  fut  en 
l'an  1300;  d'entrés  lesquelles  œuvres  y  estre  aussi  la  vie  de 
S'  ^Ermentere,  grec  de  nation,  contemporain  d'Endronic,  la 
vie  de  S.  Tropez,  la  vie  de  Ste  Catherine,  la  vie  de  S'*  Barbe 
et  plusieurs  autres   œuvres  et  vies  des  saincts,  qu'il  desdia  a 

20  Robert,  roi  de  Naples,  comte  de  Provence,  fils  dudit  Charles 
2..  en  reconpense  desquelles  luy  fut  donné  une  place  audict 
monastère  de  sainct  Honoré  en  l'isle  de  Lerins.  Il  avoit  faict 
quelques  chants  d'amours  ;  mais  pour  ne  donner  maulvais 
exemple  a  la  jeunesse  de  son  temps,  les  mit  au  feu,  et  en  de- 

25  laissant  ceste  vie  lascive,  il  print  la  contemplative  et  se  randit 
religieux  audict  monastère;  et  fist  quelque  sonnet  en  rime 
provençale  a  la  louange  dudict  Robert,  roy  dudict  Naples. 
Par  quelques  fragmens  qui  se  truvent  de  luy  semble  que  ce 
Raymond  Feraud  fust  depuis  surnoméPorcarius,  et  trespassa 

30  audict  monastère  environ  le  temps  que  dessus. 

Or  dict  l'hystoire  que  Andronic  et  Germain  frères,  fils  du 
roy  d'Hongrie,  ayants  denuict,par  volunté  et  inspiration  di- 
vine, abandonné   le  palais  de   son  père  Andronic,  roy  d'Hon- 


VIE  DE  SAINT  HERMENTAIRE  161 

grie  (qu'on  dict  la  Panonie),  sainct  Caprasse  lesreceut  dans  la 
nef,  avec  lequel  saint  Caprasse  cstoit  sainct  Armentere  tout 
freschenaent  arrivé  de  Grèce,  dont  il  estoit  natif  et  fugitif, 
craignant  les  rigueurs  et  poursuites  que  faisoient  les  infidèles 
5  contre  les  serviteurs  de  Dieu  ;  et  eurent  le  vent  si  a  gré  et  la 
mer  si  calme  qu'ils  feurent  conduits  en  peu  d'espace  jusques 
en  la  Mauritanie.  Et  combienque  en  peu  de  jours  la  mer  s'es- 
meut  avec  terrible  tempeste  qu'on  eust  dict  que  le  ciel  et  la 
terre  se  dévoient  assambler,  sainct  Caprasse  se  donna  peur, 

10  mais  sainct  Hermantairequi  estoit  homme  jeune  et  corageux. 
se  confiant  à  la  bonté  de  Dieu,  asseura  fermement  ceux  qui 
estoient  dans  la  nef  qu'ils  n'endureroint  aucun  danger.  Et 
vindrent  arriver  en  la  cité  de  Ravenne.  Puis  s'acheminèrent 
a  Verseil  (en  Lombardie)  et  surmontant  le  col  de  la  Brasque 

15  et  de  TArgentiere  en  Pj[e]mond  treuvarent  sainct  Macrobe, 
qu'estoit  un  vray  et  divin  prophète,  auxquels  il  revella  plu- 
sieurs secrets  et  choses  divinatoires'. 

Pendant  que  sainct  Andronic,  sainct  Caprasse  et  sainct  Her- 
mantaire  faisoient  penitance  en  FArgentiere,  sainct  Jaques  de 

20  Compostelle  s'apparut  à  eux  en  songes  d'aller  visiter  le  roj 
Charlemagne,  fils  du  roy  Pipin,  qu'estoit  en  Espaigne  détenu 
prisonier  par  Aygollant,  seigneur  des  Sarrasins,  qu'estoit  envi- 
ron l'an  de  nostre  seigneur  801;  et  estre  esveillés  troussarent 
leurs  bagages,  se  mettant  en  voyage  et  traversant  la  Durance 

25  et  le  Rosne,  la  Garone  et  monts  Pireneux,  arrivarent  dans  peu 
de  temps  a  Tollete,  oîi  les  roys  et  princes  estoient  détenus  pri- 
soniers.  Sainct  Hermantaire,  qu'estoit  homme  jeune  et  vai- 
Ihant,  accompagné  de  l'esprit  de  Dieu,  va  tyrer  vaillhemment 
desdites  prisons  Charlesmagne  et  les  princes  qu'estoient  avec 

30  luy.  par  telle  hardiesse  que  nul  ne  lui  seut  que  dire,  et  néan- 
moins après  avoii*  veue  la  fille  d'Aygol'.ant  nommée  Sybille, 
qu'estoit  malade,  de  sa  veue  seule  recouvra  santé,  et  des  lors 
leur  donna  liscence  le  père  d'aller,  venir  et  retourner  par  les 
terres;  et  de  la  s'en  vindrent  descendre  a  Frejus,  qu'estoit  un 

35  port  de  mer  fameux  en  la  province  de  Narbone.  Julian,  eves- 
que  de  Fréjus,  qu'estoit  lors  présidant  en  l'église,  ayant  an- 
tendu  leur  venue,  leur  va  au  devant:  sainct  Hermentere  qu'es- 

1  -Ms.  fliminadoives?  Les  deux  premières  lettres  ue  sont  pas  sûres 


16Î  VIE  DE  SAINT  HERMENTAIRE 

toit  beau  et  de  bonne  nourriture,  print  d'une  main  Jullian, 
evesque,  sainct  Andronic  et  saint  Carpasse  de  l'autre  main,  et 
furent  conduits  dans  la  ville  où  à  l'aide  de  Dieu  et  par  leur  in- 
tercession le  frère  de  l'esveque,  surprins  de  maladie  incurable, 
5  fust  faict  sain  de  sa  personne.  De  ce  mesme  temps  sainct  Ca- 
prasse  deceda  au  grand  regret  de  sainct  Andronic  et  de  sainct 
Hermentaire  ;  mais  il  fust  consolé  par  sainct  Hermentaire. 

Et  de  là  sainct  Andronic  et  sainct  Hermentaire    s'en  vont 
tous  deux  monter  sur  mer  par  barque  et  s'en  vindrent  descen- 
10  dre  (conduits  par  l'esprit  de  Dieu)  en  Auriane  (qu'est  une  isle 
nommée  de  présent  Lerins).  A  la  plage  de  laquelle  y  avoit  de 
maies  gens  corsaires  et  escumeurs  de  mer  infidelles,  que  leur 
firent   de  moult  grandes  injures   et   résistances.  Mais  sainct 
Hermentaire,  vailhant  personnage,  à  grands  coups  de  pierres 
15  les  deschassa  et  desconfit,  tellement  que  n'ajant   plus   seure 
retraictepour  sauver  leur  vie  furent  constraints  se  jesterdans 
la  mer,  et  la  périrent  malereusement  :  et  sainct  Andronic    et 
sainct  Hermentaire  firent  si  bien   qu'ils  se  rendirent  maistres 
et  seigneurs  de   l'isle  Auriane.  Or  comme  ils  cuidoient  estre 
20  hors  de  danger  (pour  la  victoire  qu'ils  avoient  eu(x)  contre  les 
tyrans  de  l'isle),  voyci  venir  plusieurs  et  diverses  speces  [de] 
serpens  etbestes  venimeusescontre  d'eux,  qu'ilsmirenta  mort. 
Encores*  n'estoit  pas  tout  faict, car ilsvirentvenirdeuxgrands 
et  espouvantables  serpents  de  grandeur  et  grosseur  incroja- 
25  ble  :  mais  eulx  prenants  courage,  ayants  seulement  loysir  de 
prier  Dieu  les  vouloir  garder  de  la  gueulle    de  ces  monstres, 
sainct  Hermentaire  pourtoit  de  gros   pains  d'estouppes  qu'il 
avoit  formé  la  nuict  précédante  en  forme  d'esphere,  couvertes 
de  poirazine  ;  et  les  getta  dans  la  gueulle  de  ces  serpents.  Les- 
30  quels  empeschez  de  les  mascher  sainct  Andronic  et  sainct  Her- 
mentaire, avec  bastons  et  pierres,  firent  si  bien  qu'ils  les  des- 
confirent. Et  comme  victorieux  sainct  Andronic  et  sainct  Her- 
mentaire  portarent  la  despouille  en   ung  lieu   dans  l'isle,  où 
sainct  Andronic  fist  despuis  bastir  un  petit  oratoyre,  et  ce  fut 
35  en  l'an  802;  etdespuis  le  bruit  de  ces  deux  hommes  fust  telle- 
ment espandu  par  toute  ceste  contrée  qu'on  les  nommoit  les 
deux  champions  d'Auriane. 

Ms.  oicor  is,  en  deux  mots. 


VIE  DE  SAINT  HERMENTAIRE  163 

Magonce,  qui  fust  archevesque  de  Viene,  estant  en  son  ar- 
chevesché,  lujfust  révélé  en  songe  d'aller  visiter  Andronic  en 
risle,  et  avoir  de  lui  la  forme  et  règle  de  vivre  purement  et 
sainctement  en  la  loi  de  Jésus  Christ,  pour  après  lafere  gar- 
5  der  aux  clergs  de  son  archevesché,  et  se  mist  en  chemin  pour 
y  aller. 

Saincts  Mayme  etNazare  '  aj^ants  entandu  le  bruit  et  saincte 
vie  de  S'  Hermentaire,  se  misrent  en  chemin  pour  le  visiter, 
qu'estoient  lors  à  l'isle. 

10  De  ce  temps  mesme  Tevesque  d'Antiboul  trespassa  et  les 
bonnes  gens  du  païs,  amateurs  de  paix  et  du  repos  public,  ayant 
entandu  le  bon  bruit  et  saincteté  de  vie  de  S''  Hermentaire, 
l'esleurent  evesque  :  et  y  estant  arrivé,  pour  la  crainte  de  quel- 
que tyran  ennemi   de  Dieu  et  de  son  église,  qui  dominoit  en 

15  ce  Cartier  la,  pour  les  tyrannies  qu'il  y  commettoit  fust  con- 
straint  vuyder  la  place,  et  remettre  telle  charge  et  office,  et 
chercher  son  adventure  ailheurs,  et  s'en  alla  du  costé  de  Fre- 
jus. 

Lequel  cerchant  les   lieux  plus  solitaires  qu'il  pouvoit,  et 

20  plus  contemplatifs,  hors  de  la  comerce  du  puple  (qu'il  voyoit 
tant  affectioné  et  ententif  en  vil  gaing),  trouva  un  lieu  fort 
sollitayre,  toutesfoys  d'un  aïr  doux  et  sain,  et  se  mist  à  con- 
templer le  lieu,  priant  d'un  bon  cœur  a  Dieu  lui  faire  la  grâce 
de  faire  bastir  et  construire  là  un  petit  hermitage  pour  y  vivre 

25  en  pouvreté  et  repos  d'esprit  toute  sa  vie  et  estre  hors  des 
tumultes,  ennuits  et  embitions  quireignent  a  l'exercissedeces 
grands  bénéfices  et  dignitez  qu'il  haïssoit  mortellement. 

Et  allant  mandier  sa  vie  parFrejus  et  villes  cii'convoysines 
sans  déclarer  quel  il  estoit,  il  fist  si  bien  que  en  peu  de  temps 

30  il  se  bailha  à  cognoistre  aux  gens  de  bien  aymant  Dieu  et  sa 
saincte  paroUe;  par  l'ayde  desquelz  peu  de  temps  après  il  fist 
bastirun  petithermitage,  y  vivant  austerementdes  ausmone[s] 
qu'il  alloit  cherchant  du  jour  a  la  journée,  y  estant  visité  quel- 
ques fois  par  les    amis  auxquelz  il  enseignoyt   la  doctrine  de 

35  Jésus  Christ  purement   et  saintement   et  les  admonestoit   de 
fuyr  les  hérésies  qui  avoient  cours  de  ce  temps  là. 
■  Assez  loing  de  son  hermitage  tout  auprès   de  las  Empurias, 

'  Ms.  Mazare. 


164  VIE  DE  SAINT  HERMENTAIRE 

qu'on  dict  aujourd'huy  Empus,  dans  une  baulme  obscure  et 
noyre  où  estoit  vis  a  vis  une  grand  forest,  c'estoit  arresté  un 
serpent  "gros  et  dangereux  lequel  de  vilhesse  estoit  devenu 
dragon;  que  les  déluges  et  grandes  inondations  d'eaus  qui 
5  avoient  abondé  par  le  passé  par  tout  ce  cartier  là  et  l'ardeur 
du  soleil  qu'avoit  eschaufé  riiumeur  des  eaux,  entre  autres 
animaux,  la  terre  avoit  engendré  ce  dragon,  lequel  avoit  esté 
constraint  sortir  de  laforest(s)et  se  mettre  en  lapleyne  del'her- 
mitage  de  sainct  Hermentaire,  faisant  un  tel  degastauxbour- 
10  gades  circonvoisines  et  habitants  d'icelles  que  nul,  tant  bardy 
fust  il,'osoit  approcher  ni  aller  a  leurs  metaries  et  proprietez 
pour  les  cultiver.  Tellement  que  par  ce  moyen  tout  estoit  mis 
en  friche  et  terre  gaste.  Et  estoient  les  habitants  constrains 
se  remparer  aux  villes,  pour  se  garder  contre  l'impétuosité  et 
15  violence  de  ce  furieux  et  indomptable  monstre,  joint  que  Tair 
estoit  tout  corrompu  et  infecté  de  l'aleine  '  de  ceste  beste. 

En  Fan  de  nostre  seigneur  huict  cents  et  dix,  certains  pè- 
lerins allants  par  dévotion  en  risle  de  Lerins,  passants  par  l'her- 
mitage   de  sainct  Hermentaire,  qu'ils  avoient  cogneu   autres 
20   fois  pour  un  homme  de  Dieu,  ayant  entandu  qu'il  faisoit  là  sa 
résidence,  le  furent  truver;  et  après  leur  avoir  communiqué  et 
faict  entandre  le  dommage  qui-pourtoit  le  dragon,  et  qu'il  in- 
fectoit  le  païs  et  les  gens,  conclurent  de  propos  délibéré  l'as- 
saillir. Trois  des  pèlerins,  pounreux  d'avoir  ouy  parler  du  dra- 
25   gon,  vouloient  divertir  tant  qu'ils  pouvoient  ces^  compagnons 
de  ne  mettre  en  tel  danger  leurs  vies   et  qu'il  vaudroit  mieux 
poursuyvre  leur  chemin  et  d'aller  accomplir  leur  dévotion  et 
pèlerinage  à  Lerins  que  de  s'arrester  là. 
Sainct  Hermentaire  de  l'autre  costé  remonstroit  qu'on  ne 
30  sçauroit  fere  une  plus  saincte  œuvre  que  de  fere  mourir  ceste 
beste.  «  Comment  I  dict  quelqu'un  d'entre  eux.  Si  la  beste  est  si 
fiere  et  si  cruelle  comme  vous  nous  dites,  tout  un  païs  ne  suf- 
firoit  pas  à  la  fere  mourir  !))  —  «  Dictes  vous?  dict  sainct  Hermen- 
taire; je  me  fais  fort  moy  seul,  avec  l'ayde  de  Dieu,  à  tout  mon 
35   bourdon   et   les  vostres   de  l'accabler,  mais  que   nous   ayons 
bonne  confiance  en  luy,  qui  nous  donnera  la  victoire  et  nous 

«   Ms.  la  Icine.  —  -  Sic.  Corr.  que.  —  ^  ^ses,  pour  leurs.  Cf.  ci-dessus, 
p.  160,  1.  33. 


VIE  DE  SAINT  HERMENTAIRE  165 

délivrera  de  la  gueule  de  ceste  beste,  car  Dieu  a  assubjecti  à 
l'homme  toutes  les  bestes  de  la  terre.  Prenons  donc  courage, 
mes  frères  et  amis,  car  nous  empourterons  la  dépouille  de  la 
fiere  beste.  N'i  a  pas  dix  ans  passez  que  nostre  frère  Andronic 
5  et  moj,  à  la  descente  que  nous  fismes  en  Tisle  où  il  est  de  pre- 
sant,  par  le  moyen  de  la  grâce  de  Dieu,  ne  nous  donna  il  pas 
la  victoire  contre  les  fieres  bestes  venimeuses  qu'estoient  en 
ceste  isle?dont  je  penseen  avez  ouy  dire  quelque  chose.  Allons 
je  vous  prie,  car  Dieu  nous  aydera.  » 

10  Et  ce  disant  chachun  d'eux  print  son  bourdon  garni  d'un  fer 
pointu  au  bout,  et  j  metans  un  travers  de  bovs  a  chachun  en 
forme  de  croix,  marcharent  courageusement  contre  la  fiere 
beste  :  et  arrivarent  à  un  petit  champ  nommé  Arguinand,  pro- 
chain de  lavoye  Aureliane,  qui  tend  a  Fréjus,  qu'est  aujour- 

15  d'huy  le  vieux  bastiment  qu'est  encor  droict  au  lieu  et  place 
de  sainct  Michel,  et  là  firent  prière  à  Dieu  leur  donner  la  grâce 
de  dompter  ceste  fiere  beste. 

Achevées  que  furent  leurs  prières,  S  Hermentaire  le  cou- 
rageux se    met  premier  chantant  le  psaume  144  «  Benedictus 

20  dominus  deus  Israël  qui  docet  manus  meas  ad  prselium  et  di- 
gitos  meos  ad  bellum  »,  et  fust  segondé  par  ces  compagnons. 

Les  gens  des  champs  voysins,  voyants  ces  champions  mar- 
cher si  courageusement,  les  ungs  louoient  l'entreprise,  et  les 
autres  s'en  mouquoient    pour  le  peu  de  gens  qu'ils  estoient  : 

25  toutefois  leur  off'roient  gens  et  armes  pour  leur  ayder.  Mais 
sainct  Hermentaire  dict  qu'ils  avoient  pour  souverain  cappi- 
tene  Jésus  Christ,  les  exortans  seulement  prier  Dieu  de  leur 
donner  victoire  contre  la  fiere  beste. 

Il  s'en  vont  ces  pouvres  champions  avec  telle  parade  qu'on 

30  heustjugé  qu'ils  dévoient  estre  dévorez  du  monstre  dange- 
reux. Estants  armez  seulement  des  armures  spirituelles  et  de 
la  confiance  qu'ils  avoient  en  Dieu,  estants  bien  avants  entre 
le  boys  et  un  lieu  maragageux,  virent  venir  deloing  ce  mer- 
veilleux ilragon,  la  gueuUe  ouverte,  les  maschoires  bruyantes, 

35  armé  de  dents  pointues,  couvert  d'un  gros  cuir  à  dures  es- 
chailles,  se  rampant  surla  terre, bastant  son  doz  avec  ses  ays- 
les,  traînant  une  grosse  et  longue  queue  entortillée,  gettant  feu 
et  flamme  puante.  Les  pèlerins  se  voulants  mettre  en  deff"ance 
et  fere  teste  au  dragon,  la  fumée  en  estoufFa  trois  les  plus  pouu- 


166  VIE  DE  SAINT  HERMENTAIRE 

reux  qui  s'estoient  escartez  et  furent  enveloppez  de  la  queue. 
Les  sept  qui  estoient  demeurez  avec  S*  Hermentaire  ne  s'es- 
tonnants  de  rien,  mais  croissans  de  courage,  se  ruèrent  avec 
telle  fureur  sur  ce  monstre,  le  frappant  sur  la  teste  et  par  les 
5  flancs,  et  par  le  dos,  et  avec  grands  coups   de   pierres,  l'ont 
tant  travaillé  et  secours  '  que  sainct  Hermentaire  le  premier 
luy  fourra  le  fer  de  son  bourdon  aux  flancs,  ses  compagnons 
de  mesme.  Finalement  ils  firent  si  bien   qu'ils   le    mirent  à 
mort.  Les  villageois  se  voyant  sur  la  sommité  des  prochaines 
10  montaignes,  priants  Dieu  humblement  pour  les  pouvres  pèle- 
rins de  les  vouloir  garder  de  la  gueule  de  ce  faux  dragon,  fu- 
rent tous  bien  jouyeux  de  le  voirmort  et  estandu.  Tous  y  ac- 
coururent, tous  cuilhant  des  fleurs  qu'ils  trouvarent  par  les 
champs,  et  en  font  des  chapeaux  et  en  couronarentla  teste  de 
15  S' Hermentaire  et  de  ses  compagnons  ;  et  aux  sons  de  tambours 
et  musettes  se  mettent  en  forme  de  couronne,  chantans  cette 
chanson  : 

Diou  sia  grazit,  qui  nous  a  fach 
La  gracia  de  veyre  desfach 
20  Lou  dragon  qui  nous  destruzia 

Et  que  tant  de  mal  nous  fazia  ! 

Diou  sia  grazit  a  grand  soûlas, 
El-  que  a  romput  lou  doullent  las 
Del  quai  lou  dragon  menassava 
25  Nous  mangear  al  luec  ont  estava  ! 

Diou  sia  grazit,  car  sa  bontat 
Non  nous  a  jamay  deffautat. 
Mais  nous  a  fach  lusir  sacara, 
Tant  sancta  preciouso  et  cara! 

30  Diou  sia  grazit,  car  a  vougut 

Que  lou  dragon  non  a  pougut 
Nous  engoullar  dedins  sa  gouUa 
Que  jamay  non  ero  sadoulla! 

Diou  sia  grazit  qu'cz  pouderoux, 
35  Car  nous  deven  tenir  huroux 

1  Sic;  pour  sccous  (secoué).  —  •  Ms.  Et. 


VIE  DE  SAINT  HERMENTAIRE  167 

D'estre  escapas  d'aquesto  ruda 
Fiera  bestia,  traita  et  plaucuda*. 

L'hymne  fini,  tous  se  mirent  à  genoux,  levant  les  yeulx  au 
ciel,  à  jointes  mains  rendirent  grâces  a  Dieu  de  la  victoyre  par 
5  eux  obtenue  contre  le  dragon. 

Et  ce  faict  chachun  s'ajda  a  escourcher  le  dragon,  et  l'em- 
plirent d'herbes  odoriférantes  et  aromatiques  qu'ilz  cuilhyrent 
parles  champs,  et  l'emportèrent  àl'hermitage  de  S*  Hermen- 
taire,  lequel  depuis  il  dédia  a  une  eglyse,  qu'il  fist  bastir  soubs 

10  le  tiltre  de  S'  Michel  des  aulxmones  de  bonnes  gens  du  païs. 
Et  depuis  ce  lieu  làfust  appelle  vulgairement Dragoniam,  c'est 
à  dire  le  lieu  du  Dragon, 

Le  bruit  et  renommée  de  sainct  Hermentaire  s'espandit 
tellement  par  tout  le  païs  qu'on  ne  parloit  d'autre  personne 

15  que  de  luy,  pour  la  saincteté  que  reluisoit  en  ses  faicts,  car 
tous  les  malades  et  pouvres  d'esprit,  et  ceux  qui  estoient 
troublés  de  cerveau  se  retiroient  a  luy;  lesquels  moyennant 
les  prières  et  invocation  du  nom  de  Dieu,  en  peu  de  temps  on 
voyoit  choses  miraculeuses  en  eulx,  non  pas  d'une  santé  en- 

20  chantée  ou  charmée  qui  ne  dure  que  ung  ou  deux  jours ,  mais 
c'estoit  tant  qu'ils  vivoient,  car  on  les  voyoit  aller,  parler  et 
fréquenter  toutes  personnes  avec  bons  et  saincts  propos  des 
faicts  de  Dieu,  luirandantslouvanges-  immortelles  des  dons  et 
grasses  qu'il  avoit  infuses  a  sainct  Hermentaire. 

25  Et  jaçoit  ce  que  de  longue  main  le  Christianisme  fut  planté 
en  ce  quartier  là,  encores  y  fustil  mieux  affermi^  par  la  doc- 
trine et  bons  exemples  de  sainct  Hermentaire  et  de  ceulx  qui 
le  suivoint,  et  ne  faisoitron(s)  que  bien  peu  de  compte  de  la  loy 
payenne,  fors  que  des  Juifs   qui   y  estoient  plusieurs  ennees 

3Q  avoyt,  despuis  que  les  Romains,  jadis  seigneurs  de  tout  le 
monde,  leur  avoient  permis  vivre  en  leur  loy;  et  par  succession 
de  temps  eurent  permission  des  gouverneurs  que  les  rois  de 
France  tenoient  en  la  province  Narboynouse  de  y  vivre-''  et 
continuer  sans  abbus  toutesfois  ny  escandalie,  sur  la  peyne  de 


*  Ms.  plancuda 

2  La  même  forme  se  retrouve  deux  fois  plus  loin.  C'est  un  provençalisme. 
Cf.  lauvarl=  laiidare,  comme  auvir  :=  aiidire. 

3  Ms.  viuure . 


168  VIE  DE  SAINT  HERMSNTAIRE 

mort,  laquelle  pejne  leur  avoit  esté  imposée  par  le  sénat  con- 
sulte, en  payant  le  tribut  tel  qu'il  avoit  esté  ordonné. 

Et  audict  lieu  de  Dragoniara,  qu'on  nomme  aujourd'huy  Dra- 
guignan,  au  terroir  d'iceluy,  assez  loing  et  séparé  de  la  ville  y 
5  avoit  eraray  d'un  boys  une  fee  nommée  Estarella,  et  le  lieu  se 
nommoit  Sylopera*oùles  femmes  des  lieux circonvoysins,  abu- 
sées de  superstition,  alloientboyre  quelque  abev[r]aige  que  leur 
estoit  adminstree  par  les  presbtres  -  de  ceste  fee  ;  et  a  chef  de 
neuf  moys  aulcunes  d'elles  s'acouchoient  de  filz  ou  de  fiUhe. 

10  Dont  venu  a  la  notice  de  sainctHermentaire,yalla  accompagné 
desprincipaux  de  la  ville,  et  truvarent  quelques  femmes  voylées 
le  visage  d'un  voyle  rouge,  vestues  d'habits  incougneuxet  in- 
husitez,  auxquelles  les  prestres  et  sacrificateurs  de  la  fee  ad- 
ministroient  leursbennaudes^,  estants  assizesau  dessoubs  d'une 

15  grande  et  grosse  pierre  soubstenue  de  trois  grosses  pointes 
en  forme  d'obélisques,  faicts  et  composez  a  larustique  sans  au- 
cun ordre  d'architecture  ;  et  y  estants  arrivez  de  loing  regar- 
doint  tout  le  mistere;  et  sainct  Hermentaire  approchant  de  la 
pierre  remonstra  aux  femmes  et  sacrificateurs  que  ce  n'estoit 

20  pas  la  façon  d'ainsi  idolâtrer  et  d'abuser  les  pouvres  femmes 
simples,  car  la  grâce  de  Dieu  le  créateur  du  ciel  et  de  la  terre 
par  l'intercession  de  son  filz  Jésus  Christ  estoit  plus  que  ha- 
bondant  d'accomplir  leurs  désirs,  pourveu  qu'elles  de  bon  cœur 
le  priassent  et  que  telles  superstitions  et  abus  estoy[n]t  plus 

25  tost  pour  les  mener  a  une  damnaption  perpétuelle  et  que  le 
fruict  qui  naistroit  de  telles  damnables  hérésies  ne  viendroit 
jamais  bien. 

Les  femmes  oyants  ainsi  parler  S'  Hermentaire  se  desvoyl- 
larent  et  escoutans  voluntiers  et  attentif  ement  sa  doctrine  luy 

30  en  rendirent  grâces  el  s'en  retournarent  en  la  ville,  où  elles 
furent  le  visiter  souvent  en  son  hermitage  avec  les  plus  nota- 
bles femmes  de  la  ville  et  dez  lieux  circonvoysins;  toutes  les- 
quelles par  le  moyen  des  sainctes  prières  de  saint  Hermen- 
taire elles  obtenoint  de  Dieu  tout  ce  qu'elles  demandoint   et 

1  Ou  Cjidopera,  d'après  une  autre  copie.  Q.{.{Revue  des  langue;^  roma- 
nes, t.  XX,  p.  41. 

2  Ms.  pbres,  avec  un  signe  abréviatif  au-dessus. 

^  guinaicdes,  dans  l'autre  copie  déjà  citée.  Voy.  Revue  des  l.  rom.,  t.  XX, 
p.  41. 


VIE  DÉ  SAINT  HERMENTAIRE  169 

desiroint  de  bon  cœur,  et  toute  leur  famille  succedoit  de  bien 
en  mieux. 

Il  parla  aussi  avec  telle  sévérité  aux  sacrificateurs  de  la 
fee,  les  comendant  de  n'y  retourner  jamais  plus  et  que  s'ilz  fai- 

5  soint  le  contrere,  il  les  feroit  chastier  de  telle  sorte  qu'ilz  s'en 
sentiroint. 

Et  quand  a  la  fee  Estarelle,  quy  habitoit  au  haut  de  la  mon- 
taigne  d'Estarel,  elle  se  disparut  miraculeusement  de  ce  lieu 
et  s'en  voula  a  la  tour  de  la  Turbie  avec  ses  compaignes. 

]0  Ce  nonobstant,  quelque  temps  après  S' Hernientere  ayant 
esté  adverty  que]  les  presbtres  *  enchanteurs  continuoint  les 
abbus,  il  les  fist  prendre  et  sans  figure  de  procez  comme  héré- 
tiques les  fist  ardre  et  brusler  touts  vifs,  pour  servir  d'exem- 
ple à  tous. 

15  Et  neanmoings  fist  démolir  et  ruyner  la  maison  et  petite 
habitation  que  avoit  faict  bastir  la  fee,  où  elle  se  reduisojt 
toutes  les"nuicts,  et  ne  laissa  debout  que  la  grosse  pierre  ap- 
puyée sur  les  obélisques  pour  une  mémoire  perpétuelle,  lequel 
lieu  et  Cartier   on  a  depuis  nommé  la  Lausze  de  la  Fada,  la- 

20  quelle  est  encore  desbout.  Aujourd'huy  elle  est  assize  dans  les 
vignes  un  petit  a  quartier  du  chemin  royal  tirant  à  Empusj 
auprès  de  la  petite  rivière  à  main  gauche  dudict  chemin. 

De  ce  mesme  temps  l'evesque  d'Antiboul  trespassa  et  les 
gens  dupais  esleurent  sainct  Hermentaire,  lequel  a  grand  dif- 

25  ficulté  voulut  accepter  la  charge  et  dignité,  disant  aux  élec- 
teurs que  le  clergé  avoit  mandé  vers  luy  qu'il  aymoit  beau- 
coup mieux  s'arrester  en  son  petit  hermitage  et  là  vivre  en  sa 
pouvreté  ou  tout  repos  d'esprit  habonde  que  d'estre  nourry 
aux  habbois  d'envie,  de  calomnie  et  de  faux  rapports,  leur 

30  remerciant  l'honneur  qu'ilz  luy  Maisoint  les  priants  de  se  pour- 
voir d'unglautre,  et  a  son  reffus  les  électeurs  s'en  retourna- 
rent. 

Etant  seul  en  son  hermitage,  ceulxde  la  ville  de  Dragoniam, 
qui  avoint  perdu  l'ung  de?  recteurs   et  administrateurs  de  la 

^^  ville,  le  vinrent  truver,  luy  faisant  entendre  la  cause  de  leur 
venue,  et  que  tout  le  puple  l'avoit  esleu  à  la  place  du  rec- 

'  Ms.  pbres,  avec  un  signe  abréviatif  au-dessus.—  2  Ms.  leur. 


170  VIE  DE  SAIIST  HERMBNTAIRE 

teur  deffunct,  le  priant  vouloir  accepter  la  charge,  estants 
asseurez  que  par  sa  saincte  in^lustrie  ils  seroint  bien  gouver- 
nez et  administrez,  auxquelz  fust  respondu  par  sainct  Her- 
mentaire  et  remonstré  quelacharge  et  administration  de  leur 
5  ville  n'estoit  pas  petite  et  que  Dieu  ne  luj  avoit  pas  tant 
donné  de  sens  de  la  pouvoir  administrer.  <(  Toutesfois  estant 
accompagné  de  tant  d'honestes  personnes  et  sages  qui  j  sont, 
je  ne  la  refuserai  point»,  dict  il,  et  pour  cela  vaqua  il  trois  jours 
a  prières  et  jeusnes,  suppliant  le  seigneur  Dieu  luj  donner 
10  la  grâce  de  bien  gouverner  la  ville,  et  ce  faict  s'en  alla  en  la 
ville  et  durant  quelque  temps  il  fist  office  de  vray  administra- 
teur, conduysant  si  bien  les  affaires  de  la  ville  et  mesraes  des* 
pouvres  de  Jésus  Christ,  qu'il  fist  fonder  uiig  hospital  que  fut 
doté  de  l'aumosne  des  bonnes  gens.  Et  durant  son  administra- 
is tion,  il  visitoit  les  malades,  nourrissoit  les  pouvres,  consoloit 
les  dezoUez  et  deffandoit  les  vefves  et  orphelins.  Et  sur  la  se- 
gonde  année  de  son  administration,  il  en  fut  depposé  par  la 
conspiration  d'aucuns  meschants,mais  il  fust  restitué  et  remis 
par  le  bon  rapport  que  firent  les  autres  administrateurs  à 
20  Charles,  roy  de  Provence,  filz  de  Louys  le  Debonaire,  roy  de 
f rance. 

Son  administrationfinie,  s'en  retourna  en  son  hermitage,  y 
vivant  sollitairement  et  chastement  en  jeusnes  et  oresons,  et 
tout  ce  qu'il  aqueroit,  fust  d'argent,  de  pain,  de  bled,  de  vin, 
25  il  le  despartoit  tout  aux  pouvres  de  Jésus  Christ. 

Et  neanmoings,  ainsi  que  dict  l'istoire,  il  fonda  l'église  de 
gt  piei^rc  a  Draguignam  et  la  dota  des  ausmones  qu'il  rece- 
voit. 

Entre  plusieurs  chapelles,  oratoires  et  églises  qu'il  fistbastir, 

30  fut  celle  prochaine  de  son  hermitage  soubs  le  nom  de  sainct 

Jacques,  ordonnant  et  priant  après  sa  mort   les  recteurs  de 

Draguignam  l'intituller'  soubs  le  nom  d'hermitage  seulement 

le  lieu  de  sa  résidence  et  demeure. 

De   ce  temps   en  la  Prouvance  y  fust  si  grande  multitude 

35   de  sauterelles,  qui  avoint  six  ailles  et  cinq  pieds  et  deux  dents 

si  aygues  qu'elles  gastoint  et  consumoint  toutes  les  herbes  des 

prez  et  jardins  et  tous  les  oliviers  et  autres  arbres  fruictiers 

1  Ms.   /es.  —  2  Corr.  d'intituller,  ou  suppr.  V ? 


VIE  DE  SAINT  HERMENTAIRE  171 

de  ceste  contrée  là;  mais  saint  Hermentaire  flst  assembler  un 
conseil  gênerai  et  remonstra  a  Tassamblee  que  ces  bestes  es- 
toient  une  vraje  vengeance  de  Tire  de  Dieu  «pour  nous  fautes 
et  péchez,  disoit  il  ;  et  pour  Fappajser,  je  truverois  bon  de 
5  fere  une  procession  avec  prières  publiques  du  plus  grand  de 
la  ville  jusques  aux  petitz  de  sept  ans  et  au  dessus,  afin  que 
Dieu  nous  vueilhe  envoyer  sa  bénédiction.  »  Et  le  lendemain 
tout  le  puple  s'estant  mis  a  jeusnes  et  abstinances  pour  trois 
jours   firent  procession    generalle  avec  prières  publiques,  et 

10  peu  de  jours  après  Dieu  envoya  un  vent  qui  deschassa  ceste 
vermine  en  la  mer  de  Frejus;  etdez  lors  tous  jours  la  sainc- 
teté  de  sainct  Hermentaire  et  l'amour  que  Dieu  et  le  peuple 
lui  portoitse  manifestoit  de  jour  en  jour. 

Charles  le  Chauve,  roy  de  Prouvence,  filzde  Louys  le  Des- 

15  bonnaire,  roy  de  France,  fust  adverty  que  son  nepveu  l'em- 
pereur estoittrespassé,  s'en  alla  a  Rome  pour  recevoir  la  cou- 
ronne imperialle  et  y  ordonna  Boso,  fraire  de  sa  femme,  roy 
de  Prouvence,  et  estant  arrivé  à  Rome,  Jean  neufviesme  du 
nom,  pape  de  Rome,  le  couronna  ;  deux   ans  appres  empoi- 

20  sonné  trespassa.Le  pape  fist  eslyre  en  empereur  Louys  le  Bè- 
gue, filz  dudict  Charles  le  Chauve.  Et  pour  la  contention  que 
fust  sur  ceste  élection  le  pape  fust  poursuivy  et  constraint 
s'en  fuyr  à  Arles  et  y  demeura  avec  le  roy  Boso  six  mois,  pen- 
dant lequel  temps  ayant  ouy  parler  de  S'  Hermentaire,  de  sa 

25  saincteté,  bonnes  mœurs,  vie  et  conversation,  par  l'archeves- 
que  d'Arles  qui  estoit  lors,  fust  envoyé  quérir.  Le  pape  Jean, 
l'ayant  veu  et  interrogé  de  son  sçavoir  et  suffisance,  luybail- 
Iha  un  evesché  lors  vacant  en  la  Germanie  ;  et  pour  ne  des- 
plaire a  sa  saincteté  l'accepta  et  le'baillha  a  un  sien  familier 

30  et  bon  amy  de  Draguignam,  et  luy  se  retira  en  son  hermitage; 
et  trouva  que  quelques  larrons  infidèles  etheretyques  de  nuict 
luy  avoint  pylhé  son  hermitage  et  prins  quelques  ornemens 
d'église;  se  retira  au  pape  estant  encores  en  Arles,  et  à  sa 
requeste  fist  un  décret  moult  proufitable  que  d'hores^  en  avant 

35  les  sacrilèges  seroint  excommuniez  et  mulctez  de  trente  livres 
d'argent;  et  a  son  retour  il  s'enquist  si  bien  et  si  substileœent 
des  larrons  et  sacrilèges  de  son  hermitage  que  ayant  faict  pu- 

*  Ms.  /a.  — *  Ms.  d'hons. 


172  VIE  DE  SAINT  HERMEN  TAIRE 

blierce  sainct  décret  contre  eulx,  ils  ne  se  peurent  jamais  des- 
loger du  terroir  de  Draguignam  ains  alloj-ent  comme  tentez 
dingantz  ça  et  là.  Finalement  moururent  misérablement  en 
languissant  et  n'avoint  que  la  peau  et  les  os,  tant  de  force  et 

5   de  vertu  eust  cet  excommuniement. 

Du  temps  de  Formosus,pape  de  Rome,  fust  tenu  un  concile 
a  Viene  du  Dauphiné,  et  fust  faict  entendre  a  toutes  person- 
nes, de  quelque  estât  et  condition  que  ce  fust,  versé  aux  sainc- 
tes  lettres,  se  truver  a  Viene  audict  concilie  pour  y  traicter 

10  des  affaires  de  la  Crestienté.  L'evesque  de  Frejus  y  alla  et  le 
fist  entandre  a  sainct  Hermentaire,  le  priant  de  venir  en  sa 
compagnie.  Et  jacoitque  sainct  Hermentaire  estoit  ja  vieux, 
cassé  et  plein  d'ennées,  attaignant  ja  l'aage  de  quatre  vingts 
ans,  il  savoit  bien  qu'il  ne  seroit  jamais  de  retour,  et  fist  venir 

15  auprès  de  luy  les  recteurs  et  principaux  de  la  ville  de  Dra- 
guignam auxquelz  il  fist  entendre  le  voyage  qu'il  debvoit  faire 
au  concilie  de  Viene,  pourhobeira  son  prélat,  il  se  dispousoit 
d'y  aller  de  bon  cœur,  et  leur  dict  en  ceste  manière  : 

«  Messieurs,  vous  avez  veu  et  cogneu,  dez  que  j'ay  esté  au- 

20  presde  vouset  que  vous  m'avez  conversé,  je  ne  vousay,  comme 
je  pense,  monstre  aucun  mauvais  exemple,  faict  ne  dict  chose 
par  laquelle  vous  ayez  esté  escandalizez  ni  abuzez.  Je  vous  ai 
dict  et  remonstré  souvent  que  nous  avons  paradis  pour  les 
bons  et  enfer  pour  les   mauvais:  ceux  qui  vivront  verteuse- 

25  ment  auront  paradis,  et  ceux  dont  la  vie  sera  meschante  et 
deshonneste  auront  enfer,  lieu  de  peine  per(z)durable  et  infi- 
nie. Vous  avez  veu  et  cogneu  les  merveilleux  dangers  de  ce 
monde,  et  que  à  peine  les  hommes  et  mesmes  ceulx  qui  ont 
les  grands  honneurs  et  richesses  y  peuvent   fere  leur  salut  et 

30  qu'ilz  y  ont  cent  mille  empêchements.  Je  suis  délibéré.  Dieu 
aydant^  obeyssant  a  mon  prellat,  de  le  suivre  au  concilie  que 
se  doibt  tenir  a  Vienne,  mandé  par  nostre  sainct  père  le  pape; 
et  sellonque  je  me  sens,  attandu  mavieilhesse,  à  peine  me  re- 
verrez vous  plus.  A  ceste  cause,  je  vous  prie  et  exhorte  gar- 

35  dez  entre  vous  autres  charité  fraternelle.  Que  toute  embition 
et  envie  soyt  hors  de  vous  cœurs;  servez  et  aimez  Dieu,  gar- 
dez vous  de  l'offenser,  priez  le  souvent,  sans  intermission,  in- 
vitez les  saincts,  chantez  et  repassez  souvent  les  psaumes  de 
David  auxquelz  trouverez  consolation. 


VIE   DE  SAINT  HBRMENTAIRB  173 

Sj  vous  voulez  faire  confession  de  voz  péchez  et  fere  péni- 
tence, dictez'  de  bon  cœur  les  sept  psaumesque  je  vous  diray, 
les  6,  32,  27,  50,  102,  142.  Quand  vous  voudrez  prier  Dieu, 
dictez  les  psaumes  24,  80,  20,  85,  69,  52,  66,  60,  54,  63. 
5  Quand  vous  voudrez  louer  sa  majesté  et  randre  grâces  des 
bénéfices  qu'il  vous  a  faicts,  lisez  et  chantez  les  psaumes  102, 
103. 

Quand  vous  serez  affligez  de  tentations  humaines   et  spiri- 
tuelles qu'il  vous  semblera   estre  délaissez  de  Dieu,  dictez  les 
10   psaumes  2,  63,  68, 

S'il  vous  semble  estre  délaissez   en  voz  tribulations,  dictez 
les  psaumes  12,  29,  33,  43,  55,  63,  30  et  70,  102  et  103. 

Quand  vous  voudrez  exereiter  aux   louvanges   et  mande- 
ments de  Dieu,  118,  et  à  parler  tout  à  un  mot  repassez  souvent 
15  les  psaumes  du  commencement  jusquesà  la  fin,  et  vous  y  tru- 
verez  de  grandes  consolations.» 

Tous  les  assistants  en  l'oyant  pleurojent  si  très  fort  qu'ilz 
feurent  long^temps   sans  pouvoir  dire  ne  profferer   une  seule 
paroUe,  et  estre  un  peu  appaizez,  l'un  d'entre  eulz  luy  dict  en 
20  ceste  manière  : 

1  ((  Monsieur  nostre  maistre,  pencez  bien  que  vous  deviendrez, 

vous  priant  considérer  que  vous  estes  javieulx,  et  que  vostre 
temps  ne  sçauroit  porter  le  travail  du  chemin,  ni  le  froid,  ni 
le  chaut,  qui  sont  excessifs,  et  neanmoints  que  en  demeurant 
25  auprès  de  nous  (que  vous  ajmons  etbenirons-)  ferez  trop  plus 
de  bien  en  vostre  '  hermitage  que  d'aller  en  ce  concilie,  où 
vous  serez  mal  traicté  pour  la  nécessité  que  vous^endurez. 
Partant  nous  vous  prions  de  demeurer,  et  neantmoings  nous 
irons  truver  l'evesque  de  Frejus^  se  desporter  de  vous  mener 
BO  là.  » 

— ((Non,  leur  dict  sainct  Hermentaire,ne  le  faictez  pas,  car 
il  fautqueje  tiennema  promesse»,  et  en  ce  disant  les  embrassa 
tous,  et  print  congé  d'eux,  prenant  son  chemin  vers  Frejus, 
luj  fere  ^  compagnie  jusques  à  ce  qu'il  leur  donna  congé. 
Î5       Estre  arrivé  à  Fréjus,  il  fust  le  fort  bien  venu.  L'evesque 


1  Pour  dictesylet  de  même  aux  lignes  4,  9  et  11 . 

2  Corr.  bénissons? 

■*  Lacune?  —  ♦  Corr.  fi)^ent?  Peut-être  manque-t-il  ici  quelques  mots. 

13 


174  VIE  DE  SAINT  HERMËNTAIRE 

luj  fournit  d'un  cheval  et  s'en  partirent   pour  aller  à  Vienne 
enDaulpliiné. 

Et  estre  arrivés,  ilz  y  demeurarent  environ  ung  an.  Pascal 

et  Jean,  légats  depputés  par  le  pape  presidarent  audict  con- 

5  cille,  auquel  fust  traicté  entre  autres  choses,  qu'il  seroit  en- 

cores  licite  aux  presbtres  d'espouzer  femmes,  pourveu  qu'elle 

fust  pucelle  et  non  vefve,  pour  esviter  bigamie. 

L'evesque  de  Frejus  eust  comission  du  concilie  d'aller  fere 
publier  ce    décret,    à  la  requeste  de  plusieurs  evesques  qui 

10  avoint  désir  de  se  marier,  au  païs  d'Italie  vers  la  Sicille  et  la 
Grèce;  et  en  s'en  retournant  avec  sainct  Hermentaire,ledict 
sainct  Hermentaire  ne  pouvant  plus  supporter  le  travail  du 
chemin,  estre  arrivé  à  son  hermitage  trespassa  et  y  fust  ense- 
velj  ez  calandes  de  jun,  régnant  en  Provence  le  roj  Boso  ;  à 

15  l'honneur  duquel  les  bonnes  gens  qui  ajmoint  Dieu  et  la  vierge 
Marie  firent  bastir  une  petite  chapelle,  soubs  le  nom  et  tiltre 
de  sainct  Hermentaire,  car  l'evesque  de  Frejus  qui  le  co- 
gnoissoit  et  l'aymoitde  bon  cœur,  en  passant  a  Rome  par  de- 
vers le  pape,  iist  tantque  à  ses  louvanges  et  prières  le  cano- 

20  niza,  et  en  apporta  les  bulles,  portant  indulgences  a  tous  fi- 
delles  chrestiens  qui  iroint  visiter  ladicte  chapelle  de  mile 
ans,  et  que  toutes  les  ennées  la  fcste  de  sainct  Hermentaire 
seroit  solemnizée  le  jour  mesme  de  son  trespas. 

Extraict  et  collation[é]  à  son  original  estant  riere  messire  Thomas  de  Ville- 
neufve,  dict  Dary,  prieur  moderne  du  prieuré  de  saincL  Hermentaire  de  la 
presante  ville  de  Draguigan,  par  nous  Jaques  Roux,  notre  royal  de  ladicte  ville 
et  M''  Guillerrae  Colomb,  escrivain  de  ladicte  ville  et  en  foy  de  vérité  cy  soub- 
signez  : 

Roux,  not*, 
CoLLOMB,  escrivain. 

(A  suivre.) 


Dialectes  Modernes 


PARNASSE   PROVENÇAL 

ou  LES  POÈTES  PROVENÇAUX 

qui  ont  écrit  depuis  environ  le  milieu  du  seizième  siècle  jusqu'à  présent 

PARLE   PÈRE   BOUGEREL,  PRETRE  DE   l'oEIATOIRE  ^ 


La  Provence  avait  déjà  vu  les  troubadours  ou  poëtes  pro- 
vençaux chanter  leurs  vers  dans  tout  le  Royaume  et  mériter 
les  éloges  et  les  applaudissemens  de  tous  les  connoisseurs  ; 
lorsque  de  nouveaux  poëtes  provençaux  ont  marché  sur  les 
pas  de  ces  anciens,  et  souvent  même  les  ont  surpassés.  J'aj 
cru  que  je  devois  rassembler  dans  un  seul  article  tant  d'ex- 
cellens  poëtes  dont  la  plupart  restent  inconnus,  et  dont  les 
noms  méritent  de  passer  à  la  postérité.  Cet  article  sera  d'au- 
tant plus  curieux  que  personne,  que  je  sache,  n'a  encore  traité 
cette  matière. 


1  Ms.  no 723  de  la   bibl.  Méjanes,  à  Aix.  Ce  ms.  n'est  qu'une  copie;  nous 
ignorons  si  elle  a  été  prise  sur  l'original  même,  et  nous  n'en  connaissons  pas 
d'autre.  —  Sur  leP.  Boiigerel,  néà  Aix  vers  1680,  mort  àParis  Iel9  mars  1753, 
et  sur  ses  écrits,  voy.  Achard,  Dictionnaire  des  hommes  illustres  de  la  Pro- 
vence, et  surtout  le  P.Ingold,  Petite  Bibliothèque  oratorieime,  t.  II.  Le  père 
Joseph   Bougerel,  notice  biographique  et  bibliographique  d'après  des  do- 
cuments inédits.  Paris,  1882.   Le  principal   ouvrage  du    savant  oralorien, 
Vies  des  hommes  illustres  de  la  Pi-oue?ice,  est  resté  inédit.  Le  ms.,con 
serve  dans  une   bibliothèque  privée  peu  accessible,  contient,  paraît-il,  la  ma- 
tière de  quatre  volumes  in-é».  Il  est  probable  que  le  Paraisse    provençal 
n'est  qu'un  extrait   de  cet  ouvrage.  Peut-être  la  copie  d'Aix  est-elle  incom- 
plète. Quelques  indices  du  moins  le  feraient  supposer.  Voir  ci-après  dans  les 
Notes  et  additions. 


176  PARNASSE  PROVENÇAL 

LOUIS  BELAUD  DE  LA  BELAUDIERE 
ET  PIERRE  PAUL 


Louis  Belaud  de  la  Belaudiere  naquit  après  le  commence- 
ment du  seizième  siècle,  à  Grasse  ;  il  vint  dans  le  monde  avec 
un  génie  porté  à  la  poésie,  et  commença  à  faire  des  vers  dès 
Page  de  7  ans,  et  des  sonnets  à  10.  Il  n'avoit  jamais  lu  ni  li- 
vre latin,  ni  livre  français;  et  il  travailloit  avec  tant  de  faci- 
lité qu'il  n'ci  jamais  employé  plus  de  tems  à  composer  un  son- 
netqu'il  n'enfalloit  pourrécrire.Saconversationétoit  agréable 
et  enjouée;  il  méprisoit  philosophiquement  les  honneurs  et 
les  richesses;  il  servit  pendant  quelque  tems  dans  la  cavalerie 
et  dans  l'infanterie,  et  fut  ensuite  au  service  du  Bâtard  d'An- 
gouleme,  grand  prieur  de  France  et  gouverneur  de  Provence. 
Après  sa  mort,  il  se  retira  à  Marseille,  chez  le  capitaine  Pierre 
Paul,  son  ami;  mais  des  affaires  domestiques  l'ayant  conduit  à 
Grasse,  il  y  mourut  au  mois  de  novembre  1588,  âgé  de  56  ans. 
Il  laissa  ses  ouvrages  à  Pierre  Paul,  son  ami.  Sa  taille  étoit 
médiocre,  mais  proportionnée;  il  avoit  un  talent  particulier 
pour  connoître  les  differens  caractères  et  se  conformer  sans 
l^eine  à  l'humeur  d'un  chacun;  il  étoit  constant  ami,  dissi- 
muloit  les  deffauts  des  autres.  On  n'en  reconnoissoit  en  lui 
que  celui  de  l'amour;  il  dansoit  admirablement  bien  et  jouoit 
de  plusieurs  instrumens.  La  nature  lui  avoit  fait  ce  présent; 
il  se  confloit  tellement  à  ses  forces  qu'il  ne  menageoit  point 
sa  santé.  Aussi  raccourcit-il  ses  jours.  A  Tage  de  40  ans  on 
fit  son  portrait,  et  l'on  mit  autour  ces  paroles:  Vertu  me  guide, 
honneur  me  suit. 

Pierre  Paul,  après  sa  mort,  mit  ces  vers  au  dessous  : 

Veicy  la"vrayo  pourtreturo 
De  Louis  Bellaud,poeto  jadis 
Qu'en  viven  toujours  avié  euro 
De  servir  Diou  et  seis  amis  ; 
Si  cent  mille  ans  lou  mounde  dure 
Sous  carmes  noun  seran  poiris  : 


PARNASSE   PROVENÇAL  177 

Car  devant  que  la  parquo  duro 
De  soun  corps  ayo  près  monturo  ' 
Lous  a  passas  per  lou  tamis. 

Par  cet  échantillon  on  peut  juger  de  la  poésie  de  Pierre 
Paul. Les  poésies  de  ces  deux  poëtes  sont  pleines  de  feu;  on 
y  trouve  beaucoup  de  naturel.  L'ouvrage  de  Bellaud  est  inti- 
tulé :0/'ros  et  Rimos  provençalos  de  Louis  de  la  Belaudiere, 
gentilhommo provençau,  revioudados  per  Pierre  Paul,  escuyerde 
Marseillo,  dedicados  al  vertuoux  et  généraux  seignours  Louis 
d'Aix  et  Charle  de  Casaulx,  premiers  consous,  capilanis  de 
doues  galeros,  gubernatours  de  l' antiquo  villo  de  Marseillo.  \b9b, 
171-4°.  Pierre  Paul  fit  imprimer  ses  poésies  à  la  suite  de  cel- 
les ci.  Les  deux  tyrans  de  Marseille  appelleront  exprès  d'Avi- 
gnon Pierre  Mascaron  pour  les  imprimer.  Ce  fut  le  grand  père 
de  Jules  Mascaron,  Evêque  d'Agen  et  le  premierprédicateur  de 
son  tems.  Ces  deux  poëtes  sont  regardés  comme  les  restaura- 
teurs de  la  poésie  provençale.  Ce  qui  relevé  davantage  leur 
mérite,  c'est  qu'une  illustre  demoiselle,  nommée  Marseille 
d"Altouviti,  aussi  recommandable  par  sa  naissance  et  sa  vertu 
que  par  son  esprit  et  sestalens,  composa  leurs  éloges  en  vers 
que  voici: 

ODE 

Nul  n'aura  dans  le  ciel  partage, 
S'il  n'a  chanté  par  l'univers 
Le  rare  phénix  de  notre  âge, 
Paul  et  Bellaud  unis  en  vers. 

Mercuriens  discrets  poëtes, 
Enfans  des  neuf  muses  chéris, 
Je  sacre  aux  lauriers  de  vos  têtes 
Deux  festons  de  myrthe  choisis. 

Atropos  a  voulu  dissoudre 
Un  couple  d'amis  si  très  beaux, 
Ayant  mis  Louis  Bellaud  en  poudre 
Sous  le  froid  marbre  du' tombeau. 


1  Corr.  mouturo. 


178  PARNASSE  PROVENÇAL 

Mais  de  quoi  lui  sert  son  euvie? 
L'amour  a  dompté  son  effort', 
Car  Paul  lui  redonne  la  vie 
Malgré  le  destin  et  le  sort. 

Marseille  d'Altouvitis  étoit  née  à  Marseille  l'an  1550,  lors- 
que Philippe  d'Altouvitis,  son  père  étoit  premier  consul  de 
cette  ville.  Les  premiers  consuls  étoient  alors  de  condition;  il 
est  très  connu  dans  l'histoire  par  sa  fin  tragique.  Sa  mère  étoit 
Renée  de  Rieux,  baronne  de  Castellanne  et  de  Chateauneuf. 
D'Aubigné  l'appelle  princesse  de  Bretagne;  elle  avait  été  maî- 
tresse d'Henri  S.Marseille  fut  tenue  sur  les  fonds  de  baptême 
par  la  ville  de  Marseille, qui  lui  donna  son  nom  selon  la  cou- 
tume. Louis  de  Galaup  a  composé  des  vers  sur  le  bracelet 
de  Marseille  d'Altouvitis,  tissu  de  perles  et  de  corail,  et  lui  a 
addressé  une  mascarade  d'une  Amazonne  et  d'une  Esclave. 
Reboul  lui  dédia  en  1600  un  ouvrage  intitulé  :  la  Mort  cou- 
rageuse de  Sophonisba,  où  [il]  la  qualifie  baronne  de  Castel- 
lanne. L'ouvrage  fut  imprimé  à  Rouen,  in  16,  chez  Raphaël  de 
Petitval.  Elle  mourut  à  Marseille  l'an  1606,  et  fut  enterrée 
dans  l'Eglise  des  Grands  Carmes.  Après  avoir  célébré  si  di- 
gnement nos  deux  poètes,  elle  méritoit  de  trouver  un  panegi- 
riste  ;  elle  le  trouva  en  la  personne  de  Jean  de  Bermond,  Mar- 
seillois,  qui  lui  dressa  l'Epitaphe  qui  suit,  que  je  rapporterai 
avec  d'autant  plus  de  plaisir  que  l'éloge  de  cette  vertueuse  de- 
moiselle mérite  de  trouver  place  avec  celui  de  nos  deux  poè- 
tes. 

ÉPITAPHE    DE   MARSEILLE   d'aLTOUVITIS,    PAR   JEAN   DE   BERMOND, 
MARSEILLOIS 

Le  jour  étoit  couché  sous  l'ombre, 
Quand  la  Parque  d'un  esprit  sombre 
Couvrant  les  plus  vives  clartés 
Qu'amour  écrit  entre  ses  flammes, 
Sépara  des  parfaites  âmes 
L'ame  de  toutes  les  beautés. 

Ce  fut  des  grâces  la  quatrième, 
Ce  fut  des  muses  la  dixième, 

'   En  marge,  dans  le  ms.  :  FoHis  ut  mors  dilectio. 


PARNASSE  PROVENÇAL  179 

Marseille  qu'elle  nous  ravit  ; 
Mais  tout  le  triomphe  et  la  gloire 
Qui  naquit  de  cette  victoire 
De  rien  ou  de  peu  lui  servit. 

Car  l'esprit  quittant  la  nature 
D'un  corps  sujet  à  pourriture 
Ne  fléchit  à  même  destin; 
Mais  doué  d'un  astre  plus  ferme, 
La  fit,  sans  limiter  son  terme, 
Paroitre  au  point  de  son  matin. 


JEAN  DE  NOSTRADAME,  OU  NOSTRADAMUS 


Il  est  juste  de  mettre  ici  Thistorien  des  poètes  provençaux; 
il  étoit  lui  même  un  des  meilleurs  poètes  de  son  temps;  il 
composa  bien  des  chansons  galantes  qui  furent  estimées.  Il 
fut  procureur  au  parlement  de  Provence  et  naquit  à  Saint 
Rémi.  Michel  de  Nostradame  ou  Nostradamus,  astrologue,  fut 
son  aine.  On  n'a  pas  ramassé  ses  poésies.  On  trouve  seulement 
quelques  vers  françois'  à  la  tête  de  quelques  ouvrages;  il  fut 
élevé  dans  la  maison  de  Pierre  Antoine  Rascas  de  Bagarris. 
II  étoit  regardé  [comme  un  excellent  musicien,  etpinçoit  très 
délicatement  le  luth,  instrument  fort  à  la  mode  dans  ce  tems 
là.  Nous  avons  de  lui  :  les  Vies  des  plus  célèbres  et  anciens  poètes 
provençaux  qui  ont  fleuri  du  tems  des  comtes  de  Provence,  re- 
cueillies de  divers  auteurs  qui  les  ont  écrites  en  langage  proven- 
çal, lesquelles  ont  été  trouvées  écrites  à  la  main  en  quelques  bi- 
bliothèques anciennes,  par  Jehean  de  JSostradame,  procureur  en 
la  cour  du  parlement  de  Provence,  par  lesquelles  est  montré  l'an- 
cienneté de  plusieurs  nobles  maisons,  tant  de  Provence,  de  Lan- 
guedoc, France,  que  d'Italie  et  d'ailleurs.  Lgon,  1575.  Marsilii 
et  Bouquet,  in  S».  Elles  ont  été  traduites  en  italien  par  Giu- 
diciet  imprimées  aLjon,  in  8".  II  j  en  aune  autre  traduction 
aussi  en  italien  par  Gio.  Mario  Crescimbenj  sous  ce  titre:  le 
Vite  de*  pin  celebri  poeti  provenzali  scritte  in  Lingua  francese 

*  Suppl.  de  lui? 


180  PARNASSE   PROVENÇAL 

da  Giovanni  di  Noslradama,  procuratore  délia  corte  de  parla- 
mente  diProvenza,  e  trasporlate  nella  Toscana,  e  illustrate  e  ac- 
cresciuie  dal  canonico  Gio.  MaiHo  Crescimbeni  custode  d'Arca- 
dia  e  academico  gelato.Homa.  Ant.  Rossi,  \710,  in  4°.  Crescim- 
beni y  a  fait  des  additions  très  considérables.  Il  mourut  en 
1575. 


ROBERT  RUFFI 

Robert  Ruffi,  Marseillois,  étoit  fils  de  Barthélémy  Ruffi  et 
de  Baronne  de  Lans;  il  épousa  Marthe  de  Morineau,  fille  de 
François  de  Morineau,  gentilhomme  de  Tarascon,  qui  fut  vi- 
guier  de  Marseille  en  1577;  il  fut  grand  père  d'Antoine  Ruffi, 
historien  de  Marseille. 'Il  a  laissé  des  mémoires  mss.  de  tout 
ce  qui  s'est  passé  de  plus  remarquable  àMarseille,  depuis  l'an 
1586  jusqu'en  1596,  dont|",son  petit^fils  a  beaucoup  profité.  11 
avoit  composé  grand  nombre  de  vers  provençaux.  Une  seule 
piècemanuscrite  m'est  tombée  entre  les  mains.  C'est  une  chan- 
son historique  en  41  couplets  de  trois  vers  sur  la  grande  peste 
arrivée  à  Marseille  l'an  1580;  il  y  rapporte  tout  ce  qui  arriva 
dans  cette  ville.  11  y  mourut  le  trente  janvier  1636  dans  un 
âge  fort  avancé. 

CHANSON  PROVENÇALE  SUR  LA  GRANDE  PESTE  DE  l'aN  1580 

Tu  podes  ben  plourar,  pauro  Marseillo, 
De  la  perdo  qu'as  fach,  tant  merevillo, 
3     Cieutat  que  non  avies  ges  de  pareille. 

Dous  grands  flageoux  de  Diou  t'an  visitado  ; 
La  pesto  et  la  famino  t'an  rouinado, 
6     Per  grand  mortalita  que  t'es  ystado. 

Non  si  poudié  troubar  blat  ni  farine, 
E  mai  de  des  florins  valié  l'emino, 
9    Tallament  que  venguet  la  grand  famino. 

Et  lou  pan  que  de  blat  l'on  attroubavo 
Ero  quasi  pourrit  ou  ben  s'arnavo; 
12     En  lou  mangeant  au  couer  non  profitavo. 


PARNASSE  PROVENÇAL  181 

De  consons  d'uno  ville*  feron  ragis 
De  nous  prendre  los  blats  per  los  passagis, 
15     E  n'an  leva  la  tracho  das  villagis.    , 

Proun  d'autres  torts  n'an  fach,  noun  l'auze^  dire, 
EUous  de  nouestre  mau  an  vougu  rire  ; 
18    Mai  pourrien  ben  un  jour  avé  dôu  pire. 

Las  !  aquo  nous  mettet  en  fouert  grand  peno, 
Car,  en  faute  de  blat,  lou  pople  reno 
21     Et  souvent  grand  dangié  ai  consous  meno. 

Vesias  la  pauro  gent  de  talo  so[ue]rto 
Mangear  d'herbo,  plorant,  la  caro  mouerto, 
24     E  lei  laboradour  de  pouerto  en  pouerto. 

Certos  tombavan  ^  leou  en  mouert  subito 
Das  paures  que  premiers  la  fan  incito; 
27     En  aquo  si  counoi  quan  Diou  s'irrito. 

En  lan  quarante  siey  disien  gran  pesto  ; 
Solament  de  huech  mille  fan  la  festo  ; 
30     Mai  aro  a  ben  agut  plus  grand  tempesto. 

Puis  l'an  cinquante  siei  fon  reveillado  ; 
Mai  en  si'recourdan  de  la  passado, 
33     Fouguet  per  leou  fugir  en  breou  mancado. 

En  l'an  soixante  cinq  se  ressuscite, 
Mai  la  vigour  dau  frechfouerto  subito 
36     La  rendet  senso  fuecli  et  ben  petito. 

Aquesto  encaro  mai  es  espolido. 
E  pensant  qu'elle  fouesso  leou  finido, 
39     Couesto  en  proyn  de  gens  la  mouert  transido. 

Car  dau  pople  commun  d'uno  tau  villo 
Son  de  pesto  et  de  fan  morts  a  la  filo 
42     Ben  et  fouert  quasi  mai  de  trento  millo. 

Sur  las  autres  davant  l'on  se  fisavo; 
En  vesen  que  lou  mau  venié,  pui  coavo, 
45     «  Eici  noun  sera  ren  !  »  cadun  cridavo. 

1  Leis  coDsous  d'Aix.  (Note  du  ms.) 
-  Ms    lauzo.  —  3  Ms.  tombaran. 


182  PARNASSE    PROVENÇAL 

A  des  de  janvier  [l'an]  cinq  cent  huitante 
E  milo  commencet  gravo  e  mechanto, 
48     Puis  labret  fouert  à  la  semano  santo. 

Adonc  lous  carrafours  ben  s'estounavon, 
Vesent  que  tous  leis  jours  n'en  degrunavon, 
51     Et  proun  qu'embe  gran  pau  luen  si  sauvavon, 

Quan  foun  à  vint  d'abriou,  lou  fuech  s'allumo 
E  per  cade  canton  la  gent  consume. 
54     Helas!  ben  foun  de  greou  talo  coustumo! 

Certes  au  mes  de  may  fouguet  carnagi  : 
Quatre  ou  cinq  cens  per  jour  de  mortalagi 
57     Noun  poudien  abastar  au  caina[la]gi  '. 

De  quatre  cent  souldats  que  n'an  per  gardo 
A  cent  per  compagnie  fort  ben  bregado, 
60     Son  ben  a  fort  tous  mouerts  à  la  desfardo. 

E  proun  qu'en  caminant  davant  darriero 
Tomberoun  redes  mouerts  a  la  carriero, 
63     Tant  violent  lou  mau  adon  li  ero. 

La  gran  desolatieu,  las  !  qu'es  istado, 

Vesen  toute  la  gens  d'uno  houstalado 

66    Mourir  tous  dau  matin  à  la  vesprado  ! 

D'autres  qu'en  frénésie  lou  mau  boutavo  ; 
E  de  l'estro  en  rêvant  l'on  se  gitavo, 
69     Tantfougous  et  traydour  lou  mau  regnavo. 

D'autres  que  se  fisan  per  lo  contrari 
As  médecins,  barbiers  et  bouticaris, 
72     Non  lous  an  pas  sauvas,  soun  mouerts  de  glari. 

Dous  consous  grand  lausour(s)  an  -  aquistado 
De  non  aver  la  villo  abandonado  ; 
75     Gran  récompense  donc  an  meritado. 

Mais  noun  pas  lou  premier,  Pierre  Bourgo[u]gno, 
Car  s'en  fugit  fasen  [fouert]  laido  trougno, 
78     Laissant_leis  autreis  dous  à  la  beso[u]gno. 


>■  Ms.  abassar  au  carnagi.  —  -  Ms.  en. 


PARNASSE   PROVENÇAL  183 

Son  second  consou  [fon]  André  d'Oliero  ; 
Eou  anet  meritar  l'honnour  première, 
81     Mouren  s'es  aquista  la  glori  entiero. 

Lou  ters  '  consou,  Aquillenqui,  es  d'estimo 
D'aver  fouert  résista  en  talo  escrimo , 
84     Diou  nous  a  ben  sauva  aquelo  simo. 

Et  lou  bouen  assessour,  moussu  Jean  Dori, 
Doctour  et  officiau,  es  mort  en  glori, 
87     Laissant  un  bouen  renom  per  sa  memori. 

Lou  premier  capitani,  Joseph  Cabro, 
A  fach  per  lou  public  mouert  honorablo, 
90     Coumo  home  de  valour  recommendablo. 

Jamai  cas  tan  pietous  non^  s'es  vist  faire. 
Que  soun  fiou  lo  dotour,  sorres  et  fraire, 
93    A  la  gleizo  an^  pourtat  soulets  son  paire. 

Un  autre  capitani  a  tengut  testo 
En  talo  extremitat  e  gran  tempesto  ; 
96     Es  Nicoulin  Ferrât,  qu'en  hounour  resto. 

Autant  ben  n'es  proun  mouert  per  lo  terraire, 
Car  certos  de  secours  non  avien  gaire  ; 
99     Si  fugien  lou  mari,  molhé,  fiou,  fraire. 

Noun  avien  portefais  ;  si  sousterravon 
Paires,  maires,  enfans,  son  cor  crebavon, 
102     En  los  portan  au  croues  '-  los  tirassavon. 

Quan  foun^  a  mié  juillet,  las  saliduros, 
Per  lou  voler  de  Diou,  venieu  maduros 
105     Ou  tournavon  arriés  en  gariduros. 

Aven  passât  avoust3et  piii  setembre, 
Adon  si  commencet  mesclar  ensemble 
108     A  la  vilo  et  as  champs,  que  l'on  si  membre. 

Car  de  pluyos  vengueroun  fort  premières, 
Qu'aneroun  netejarvillo  e  carrières, 
111     Un  cadun  lausan  Diou  en  grans  ^  preguieros. 

1  Ms.  Lous  très,  très,  à  la  rigueur,  metathèse  de  te}'s,  pourrait  rester.  — 
2Ms.  Ion.  —  3Ms.  en.  —  "  Ms.  creoux.  —  ^  Ms.  /aw.— *_Ms.  grand. 


184  PARNASSE   PROVENÇAL 

E,  ben  que  d'aqueou  mau  n'y  aguesso  encaro, 
Dins  vilo  la  siou  forço  ero  tant  raro 
114     Que  degun  non  mourié  ni  avié  taro. 

Lous  homes  su  ^  d'aquo  fan  retirado 

Cadun  a  sa  maison  qu'avien  sarrado, 

1 17     Laissan  molher  as  champs  et  la  meynado. 

Adon  lo  vendemiar  foiiert  s'approchavo, 
Et  de  ly  provesir  l'on  s'estudiavo  ; 
120    Mai  de  bestiaris  pau  s'en  [ajtioubavo. 

Aqueou  que  la  cansoun  a  compôusado 
Et  agut  n'a'  grand  pôu  proun  de  vigado, 
123     Istant  au  terradour,  l'a  escapado. 


PAUL-ANTOINE  D'AGAR  DE  CAVAILLON 

Paul-Antoine  d'Agar,  fils  de  Palamedesd'Agar,  chevalier  de 
Tordre  du  Pape  et  gouverneur  de  Cavaillon  pendant  les  guer- 
res des  Calvinistes,  et  de  Gaspar  d'Agar,  sa  parente  et  sa 
femme  du  second  lit,  naquit  le  26  d'août  1575.  Il  eut  du  goût 
pour  la  poésie  et  y  réussit.  Sa  réputation  se  soutient  encore 
dans  la  province  parplusieurspiecesdans lesquelles  on  trouve 
beaucoup  de  feu  et  de  légèreté.  Telles  sont  la  Belou  paysano 
Mignardou,  loti  Rasselou,lou  Capilani  Fonferlu,  etc.,  qui  furent 
imprimés  dans  le  tems.Il  reste  encore  de  lui  quelques  poésies 
manuscrites.  J.  B.  Belli,  jésuite,  a  donné  dans  ses  dissertations 
un  Eloge  de  Paul-Antoine  d'Agar.  Il  se  maria  le  26  novembre 
1620,  avec  Louise  du  Sel  (de  Sale),  fille  du  capitaine  Christo- 
plile  du  Sel  et  de  Louise  Prevot,  dont  il  n'eut  point  d'enfans. 
Il  mourut  de  peste  en  1631:  Ilist,  de  la  nobl.  du  comté  Venaissin, 
tom.  IV,  pag.  92. 


CLAUDE  BRUEYS 

Claude  Brueys   naquit  à  Aix  et  fut  un  des  plus  beaux   es- 
prits de  son  tems.  Son  génie  vif  et  badin,  et  sa  conversation 

1  Ms.  lu.  —  -  Ms.  en. 


PARNASSE    PROVENÇAL  185 

enjouée,  le  faisoient  aimer  de  tout  le  monde,  et  son  grand 
talent  pour  la  poésie  qu'il  avoit  apporté  en  naissant  le  faisoit 
généralement  estimer.  Nous  n'avons  guère  eu  de  poëtequi  ait 
eu  autant  de  verve  que  lui.  Sa  fécondité  lui  fit  composer  bien 
des  ouvrages,  dont  il  fit  imprimer  la  plus  grande  partie  à 
Aix,  chez  Roise,  lan  1628;  il  intitula  son  recueil  Jardin  deis 
musos  provençalos.  Il  mérite  ce  titre  par  la  variété  des  pièces 
qu'on  y  trouve.  J'en  ai  vu  deux  éditions,  La  2"  étoit  très 
considérablement  augmentée;  de  sorte  que  je  doute  que  la 
plupart  des  pièces  qu'on  y  trouve  soient  de  lui.  Il  y  a  plusieurs 
comédies  en  5  actes.  Voici  les  principales  pièces  que  je  crois 
de  lui:  J°  Coqualani,  ou  discours  à  basions  rompus.  II.  L'em- 
barquament  ou  leis  viagis  et  leis  conquêtos  de  Caramantran.  III. 
Leis  statuts  de  san  Peyre  que  tous  leis  confreros  devon  gardai?  et 
observar  selon  sa  formo  et  tenour.  IV.  Leis  amours  dou  bergier 
Floriseo  e  de  la  bergiero  Olivo.  V.  La  bugado  provençalo  ounté 
cadun  l'y  a  un  panouchon,  enliassado  de  proverbis,  sentenços,  si- 
militudos  et  mots  per  rire  en  provençau,  enfumado  e  coulado  dins 
un  linçou  de  dez  sous  per  la  lavar,  sabonar  et  eyssugar  comme  si 
deou.  Si  Brueys  est  l'auteur  de  ces  proverbes,  comme  je  n'en 
doute  pas,  il  est  auteur  d'un  ouvrage  excellent,  plein  de  sens 
et  de  sel,  fondé  sur  l'expérience  de  tous  les  tems.  Ce  seul  ou- 
vrage suffit  pour  rendre  son  nom  immortel.  VI.  Comédie  de 
Vinterest  ou  de  la  ressemblanço  à  8  personages  en  cinq  actes. 
C'est  dommage  que  ses  ouvrages  soient  remplis  d'obscénités*. 


RAYNIER  DE  BRIANÇON 

On  trouve  dans  le  recueil  de  Brueys  un  poëme  intitulé  l'Ai 
de  Paulet,  ou  lou  crebo-couër  d'un  paysan,  à  la  mouer  de  son  ai. 
j'ay  appris  de  M.  deChasteuil  Gallaup  que  le  véritable  auteur 
de  cet  excellent  poëme  étoit  M.  Raynier  de  Briancon,  natif 
d'Aix  et  contemporain  de  Brueys. Gassendi  parle  de  lui  dans 
la  vie  de  M.  de  Peyresc.  Il  accompagna  celui-ci  à  Nismes.  Il 
s'étoitfort  distingué  par  ses  vers  provençaux.  Ce  poëme  seul 

*  On  avait  d'abord  écrit  d'obscurité.  La  correction  est  d'une  autre  main. 


186  PARNASSE    PROVENÇAL 

est  capable  de  l'immortaliser.  11  a  eu  une  approbation  géné- 
rale; il  y  a  des  beautés  inimitables  qui  le  font  encore  recher- 
cher, quoique  composé  depuis  plus  de  cent  ans.  L'abbé  Abeille 
a  dit  plusieurs  fois  que  s'il  pouvoit  conserver  toutes  les  beau- 
tés de  ce  poëme  en  le  traduisant  en  vers  françois,  cette  pièce 
seroit  le  sujet  de  l'admiration  de  tous  les  beaux  esprits. 
M.  L'abbé  Pejre  de  la  Coste,de  Nice,  l'a  traduiten  verspenta- 
metres  et  hexamètres  Tan  1713,  et  l'a  dédié  au  P.  Ailhaud, 
prêtre  de  l'oratoire  et  à  moi.  J'ai  son  orig-inal  ;  il  n'a  jamais 
vu  le  jour.  L'on  j  trouve  des  endroits  admirablement  bien 
rendus;  mais  pour  s'être  attaché  trop  servilement  à  traduire 
vers  pour  vers,  il  ne  s'est  pas  soutenu;  il  étoit  difficile  qu'il 
le  pût.  Chaque  langue  a  son  génie.  Il  n'est  pas  surprenant 
qu^  le  pocte  latin  n'ait  pu  exprimer  tout  le  badinage  et  le  sel 
du  poëte  provençal.  Je  vais  en  insérer  quelques  endroits.  Le 
poëte  commence  ainsi  : 

Si  n'aviou  pau  de  my  blessa, 
Toutaro  my  veirias  poussa 
Aques  couteou  dins  lou  gavagi. 
Cresi  que  fa  bouen  estre  sagi, 
Sens'^  aquo  bessay  va  fariou. 
Si  quauqu'un  se  vau  tua  per  you, 
Ly  pagaray  sel  funérailles. 
Tan  voudrié  parlar  ey  muraillos 
Ejugaàbedin  bedoc. 
Au  diantre  un  que  digue  d'oc  1 
Amon  mai  alongua  sa  vido  ; 
Per  you  remeti^la  partido, 
Nou  fau  ren  lou  tret  d'un  bourreou  ; 
Te  remetti  din  toun  fourreou, 
Instrument  maudit,  misérable, 
Nou  siou  pas  tant  abominable, 
Ben  que  siegui  tout  treboulat, 
Quan  viou  mon  ai  qu'a  trecoulat. 

Voici  la  traduction: 

Hoc  vellem  cultro  mihi  guttur  figere  acuto, 
Ni  metuam  vitsc  fila  secare  mese . 
Utilis  est  homini,  fateor,  prudentia:  forsan 
Triste  opus  aggrederer,  sed  tenet  illa  manum. 


PARNASSE  PROVENÇAL  187 

Ergo  velit  si  quis  pro  me  se  occidere  araicus, 
Funeris  expensas  solvere  polliceor. 
AUoquor  at  muros  et  ludum  sector  inanem, 
Qui  velit  hoc  munus  sumere,  nullus  adest. 
Hanc  potius  vilem  cupiunt  '  extendere  vitam, 
Quam  se  prseclara^nobilitare  -  nece. 
Attamen  hoc  meritum  meliori  cedo  nec  unquam 
Carnificis  peragam  barbarus  ofScium. 
Ergo  in  vaginam  redeas,  miserabile  ferrum  ; 
Non  ergo  me  perimam,  sim  ^  Hcet  usque  miser, 
At  quoties  funestum  nostrum  meditamm'  asellum. 

Après  la  description  de  Fane,  Paulet  fait  son  oraison  funè- 
bre, où  il  y  a  des  traits  inimitables.  Parmi  les  preuves  qu'il 
donne  de  sa  haute  naissance,  il  dit  entre  autre  choses  qu'il 
étoit  cousin  de  cet  ane  dont  Caïn  se  servit  pour  tuer  son  frère 
Abel. 

Quan  Caïn,  aqueou  traite  laire, 
Assassinet  son  paure  fraire, 
Se  servet  (me  v'an  dich  ensin) 
De  la  bregue  d'un  siou  cousin. 

Cum  dirus  Gain  fraterno  in  sanguine  primus 
Sacrilegum  est  ausus  commaculare  manum, 
Ut  fratrem  occidat  maxillam  sumpsit  aselli 
Gui  consanguineus  noster  asellus  erat. 

Quelques  beaux  que  soient  ces  vers  latins,  ils  ne  valent  pas 
les  provençaux. 


BARTHELEMY  FOURGEON 

Barthélémy  Fourgeon  fut  regardé  comme  un  homme  ex- 
traordinaire, et  surnommé  l'Ovide  provençal.  Il  seroit  difficile 
de  trouver  un  tems  dans  sa  vie  ou  il  n'ait  point  composé  de 
vers,  il  ne  parloit  qu'en  vers,  il  composoit  sur  le  champ  de 
poëmes  ;  gens  qui  l'ont  bien  connu  m'ont  assuré  plusieurs  fois 
que  c'étoit  un   esprit  original.  L'illustre  comte  d'Alais,  gou- 

*  Ms.  capiunt    —  2  On  avait  d'abord  écrit  nobilitate.  — ^Ms.  sin. 


188  PARNASSE   PROVENÇAL 

verneur  de  Provence,  passant  auprès  de  Flassans,  au  diocèse 
de  Frejus,  où  il  étoit  ouré,  alla  exprès  dans  ce  village  pour 
le  voir;  ce  prince  qui  étoit  homiue  d'esprit  et  savant  fut  très 
satisfait  de  sa  conversation  et  de  sa  facilité  à  s'énoncer  sur  le 
champ  en  vers;  il  lui  fit  des  presens,  et  les  marques  d'amitié 
qu'il  lui  donna  furent  les  preuves  de  l'estime  qu'il  avait  conçue 
pour  lui,  et  notre  curé  lui  dit  en  le  quittant: 

Et  au  mémento  de  la  messo 

Me  souvendray  de  vouestro  altesso. 

Je  n'ay  pu  savoir  d'autres  circonstances  de  sa  vie.  J'ay  en- 
tendu chanter  plusieurs  fois  sur  le  ton  des  lamentations  de 
Jérémie  une  chanson  qu'il  avoit  composée  en  vers  provençaux 
sur  les  lamentations  des  religieuses.  Ses  poésies  n'ont  pas  été 
imprimées,  sort  ordinaire  de  la  plupart  de  nos  poètes. 


GASPARD  ZERBIN 

Gaspard  Zerbin,  avocat  au  parlement  de  Provence,  cultiva 
avec  soin  le  pâmasse  provençal.  Nous  avons  de  lui  diverses 
comédies  imprimées  après  sa  mort  par  les  soins  de  Jean  Roize, 
imprimeur,  l'an  1655,  sous  ce  titre:  la  Perlo  deis  musos  et  co- 
médies provençalos.  Zevhiïi  a,  excellé  en  ce  genre  d'écrire.  Pit- 
ton,  Hist.  d'Aix,  1.  vi,  pag.  613. 


ESTIENNE  FONTAINE 

Estienne  Fontaine  étoit  bon  philosophe,  habile  chirurgien 
et  médiocre  peintre;  il  est  le  premier  qui  a  fait  des  vers  bur- 
lesques provençaux.  Il  habilloit  les  mots  provençaux  à  la 
françoise  et  les  françoisà  la  provençale.  Voicj  une  pièce  de  sa 
façon  : 

L'amour  m'anié  '  emblester 
Manchedi  sui-  la  vespreyo, 

*   m'avié  ? 


PARNASSE    PROVENÇAL  189 

Pillés  donc  san  contester 

L'offrande  de  ma  penseyo. 

Si  me  suis  trop  enauré 

Vous  pregi  me  restaurer, 

Vous  que  sias  la  quinto  essenço 

Das  bouens  gaubis  de  Provenço 

Vouestre  nom  es  din  moun  couer 

Escrit  en  lettro  daureyo, 

Sens'  avé  pau  que  la  mouer 

Ly  donne  la  grafigneyo  ; 

Car  me  poudes  sans  mentir 

De  seis  harpes  garentir, 

Vous  qu'avès  Tautorisanço 

De  ly  desponchar  sa  lanço. 

Venès  donc  illuminer 

L'ombro  de  mon  assistanço, 

Si  non,  vau  incriminer 

Lou  dagadou  din  ma  panço. 

Si  non_me  tenès  la  mau, 

Veires  de  boudins  deman, 

A  l'hazard  que  Diou  m'esquicbe 

Din  lou  croues  dau  mauvais  riche. 

II  étoit  d'Aix,  comme  Zerbin  ;  il  y  mourut  en  1652.  Pitton, 
Hist.  d'Aix,  1.  VI,  p.  612». 


FRANÇOIS  DE  BEGUE 

François  de  Bègue,  Marseillois,  se  distingua  très  avanta- 
geusement par  son  grand  talent  pour  la  poésie  provençale;  il 
composa  bien  des  comédies  très  facétieuses,  qui  furent  im- 
primées, ainsi  que  plusieurs  autres  pièces  de  poésie  et  surtout 
des  chansons. 


CHARLES  FEAU 

Dans  le  même  tems,  le  P.  Charles  Feau,  prêtre  de  l'oratoire, 
se  distinguoit  aussi  par  ses  poésies;  il  étoit  né  à  Marseille  l'an 

'  Ajouté  d'une   autre  main:  e/610. 

14 


190  PARNASSE   PROVENÇAL 

1605;  il  étoit  entré  dans  l'Oratoire  le  20  may  1627,  ou  il  en- 
seigna avec  succès  les  humanités  au  collège  de  Marseille. 
Comme  il  avoit  un  goût  tout  particulier  pour  la  poésie  pro- 
vençale, il  composa  plusieurs  comédies  qu'on  a  imprimées 
après  sa  mort  :  j  e  ne  saurois  marquer  l'année  de  l'édition,  mais 
je  nedois  pas  oublierqueTediteury  amêlébiendes  obscénités', 
qui  n'étoient  pas  certainement  dans  sonms.  et  qui  étoient  aussi 
contraires  à  son  génie  qu'à  son  caractère.  Une  de  ses  meilleu- 
res pièces  étoit  Brusquet  I  et  Brusquet  II  ;  il  avoit  tiré  son 
sujet  de  Brantôme  dans  la  vie  de  Strozzi,  prieur  de  Capoue  et 
général  des  galères.  C'est  une  espèce -du  Sosie  de  Plaute.  Ses 
pièces  ont  été  représentées  plusieurs  fois  dans  le  collège  des 
prêtres  de  l'Oratoire  à  Marseille.  On  les  a  représentées  aussi 
plusieurs  fois,  au  mois  de  septembre,  dans  les  maisons  de  cam- 
pagne. Alphonse  de  Richelieu,  archevêque  d'Aix,  ensuite  de 
Ljon,  abbé  de  St  Victor  de  Marseille'et  cardinal,  s'y  rendoit 
expressément  pour  y  assister.  Le  P.  Feau  avoit  un  fonds  de 
plaisanterie  inépuisable.  Son  génie  étoit  si  fécond,  si  badin  et 
si  enjoué,  qu'il  trouvoit  toujours  de  nouvelles  matières  pour 
rejouir  son  assemblée.  Il  faut  avouer  cependant  que  quelque 
mérite  qu'il  eût,  son  intention  étoit  moins  de  peindre  les  moeurs 
des  hommes  que  de  faire  rire  ;  en  quoi  il  reussissoit  admira- 
blement bien.  Les  esprits  qui  ne  veulent  que  l'excellent  et  le 
solide,  qui  ne  demandent  dans  une  comédie  que  des  caractères 
bien  soutenus,  des  peintures  naïves  des  moeurs  des  hommes,  et 
des  images  vives  de  leurs  défauts,  ne  trouveront  pas  leurs 
comptes  dans  la  lecture  de  ses  pièces,  aussi  bien  que  dans 
toutes  les  autres  denos  poètes  Provençaux.  Ce  père  avoit  bien 
du  goût  pour  les  beaux  arts,  sur  tout  pour  le  tour,  ainsi  que 
le  remarque  le  P.  Plumier.  Si  ses  pièces  le  faisoient  aimer  de 
tout  le  monde,  sa  sagesse  et  sa  régularité  le  faisoient  encore 
plus  estimer.  Il  mourut  après  le  milieu  du  dix  septième  siècle. 


'  On  avait  d'abord  écrit  obscurités.  La  correction  est  d'une  autre  main. 
'  Suppl.  d'imitation? 


PARNASSE  PROVENÇAL  19I 

N.  NATTE 

N.  Natte  paroissoit  à  Aix  pendant  le  tems  que  le  P.  Feau 
fleurissoit  à  Marseille  ;  il  étoit  né  à  Cucuron,  village  du  dio- 
cèse d'Aix;  il  étoit  docteur  en  théologie  et  bénéficier  de 
l'Eglise  de  Saint  Sauveur  a  Aix.  Les  mauvais  exemples  de 
plusieurs  poètes  provençaux  ne  furent  pas  contagieux  pour 
lui  ;  il  sanctifia  sa  muse,  et  composa  de  cantiques  spirituels 
aussi  saints  que  savans,  dit  Pitton  ;  il  se  plaint  de  ce  que  per- 
sonne n'a  pris  soin  de  les  recueillir,  et  de  les  donner  au  pu- 
blic. Pitton,  Hàt.  delà  ville  d'Aix,  1.  vi. 


N.  SEGUIN 

Le  capitaine  Seguin  naquit  àTarascon.  Ce  poète  provençal 
florissoit  environ  l'an  1640  ;  il  avoit  servi  dans  les  troupes  du 
duc  de  Savoje,  et  avoit  perdu  une  jambe;  il  avoit  composé 
plusieurs  comédies  qu'il  representoit  lui  même,  étant  très  bon 
acteur.  Les  règles  du  "théâtre  ne  sont  pas  observées  dans  ses 
pièces,  mais  il  j  a  du  feu,  de  la  facilité  et  du  naturel.  Sa 
versification  approche  de  celle  de  Bruejs.  On  estime  surtout 
la  pièce^qu'il^a  intitulée  Polichon\  dont  je  m'en  vais  insérer 
quelquesîvers.  Cupidon  parle  ainsi  dans  le  prologue  : 

Et    si  qua[u]qu'uQ  din  moun  servici 
M'accuso  de  trop  de  rigour, 
Senso  l'amar,  de  la  douçour 
L'on  n'aurié  pas  la  couneissenço. 
De  la  Quech  lou  jour^  preri  neissenço, 
Dei  chagrin  souertoua  leiplési, 
Leis  autres  nouveous.  dei  gausi, 
Enfin  la  rose  incarnadino 
Pren  sa  neissenço  d'une  espino. 


'  Au  vrai  Rolickon,  d'après  Lambert,  Catalo<jUe  des  mss,  de  la  bibl,  de 
Carpentras,  I,  431 
*  Ms.  toujour. 


192  PARNASSE  PROVENÇAL 

11  dit  ailleurs  : 

Lou  printens  donno  la  verduro, 
L'estiou  remplis  leis  magasins, 
L'autouno  produit  leis  rasins, 
E  de  Ihyver  naisse  la  glaço, 
De  la  tempesto  la  bounasso, 
E  dou  mau  '  se  tiro  lou  ben  '^. 


JEAN  DE  CHAZELLES 

Jean  de  Chazelles  naquit  à  Aix  à  la  fin  du  XVP  siècle  ;  il 
fut  d'abord  chanoine  de  l'Eglise  métropolitaine,  et  ensuite 
élu  le  6  d'août  1644  prévôt  ou  chef  du  chapitre.  C'étoit  un 
bel  esprit  et  un  homme  de  lettres.  Nous  avons  de  lui  une  ode 
françoise  addressée  au  comte  d'Harcourt  sur  la  reprise  des 
isles  de  Lerins  et  à  l'archevêque  de  Bordeaux  (Sourdis),  et 
sur  leur  départ  de  Provence.  C'est  une  brochure  imprimée  à 
Aix,  in-12;  il  eut  une  petite  dispute  avec  Gaspard  de  Venel. 
conseiller  au  parlement  de  Provence  au  sujet  d'un  sonnet. 
Ils  choisirent  pour  arbitre  M.  Godeau,  qui  leur  répondit  le 
1"  septembre  1669.  Je  donneraj  la  lettre  de  ce  prélat  dans 
l'article  de  Venel.  Chazelles  composa  grand  nombre  de  pièces 
provençales  et  de  chansons;  il  étoit  intime  ami  du  cardinal 
deGriraaldi.  L'an  1660,  ce  grand  prélat  ayant  reçu  l'ordre  de 
quitter  son  diocèse,  quand  le  Roy  arriveroit  à  Aix,  et  cela 
pour  céder  le  pas  au  cardinal  Mazarin,  il  partit  sur  le  champ 
et  se  fit  accompagner  par  M.  de  Chazelles  et  le  père  Cabassut, 
prêtre  de  l'Oratoire  et  son  confesseur.  Arrivés  au  Comtat,  ce 
cardinal  renvoya  M-  de  Chazelles.  Celui-ci  harangua  le  Roi  à 
son  arrivée  à  Aix.  Il  mourut  dans  cette  ville  l'an  1671.  Voici 
un  sonnet  de  lui  sur  la  pauvreté,  que  Pitton  a  rapporté  dans 
son  Histoire  de  la  ville  d'Aix. 

SONNET    su    LA    PAURETAT 

Troupo   de  quinolas,  orguillouso  paurillo, 

Quêtant  fouert  d'aqueou  mau  moustras  de  vous  piquar. 

*  Écrit  d'abord  tnai,  qu'on  a  corrigé.  —  '  Ms.  ben. 


PARNASSE    PROVENÇAL  193 

Pauretat  es  un  mau  que  noun  se  pou  liquar, 
Mai  non  ofFenso  pas  l'hounour  d'une  famillo. 

Au  contrari,  leis  dens  que  mouestro  la  roupillo 

D'un  pauré  que  partout  se  laisso  publicar 

Soun  d'armos  que  lou  fan  tallamen  respectar 

Qu'es  un  grand  cop  d'hazar  si  quauqu'un  lou  goupillo. 

Eou  pou  senso  regret  rouda  tou  l'univers 
Et  laissa  soun  houstau  e  sei  coffres  dubers  ; 
Fau  ben  per  lou  voular  qu'un  larrou  siège  habile. 

Tanben  per  cadenau  n'a  besoun  que  d'un  fiou, 
Pusque  lou  seou  dou  Rey  sérié  même  inutile 
Ounte  la  pauretat  a  déjà  mes  lou  siou. 


NICOLAS  SABOLY 

Saboly  naquit  à  Monteux,  village  du  comtat  Venaissin, 
dans  le^diocèse  de  Carpentras.  Après  avoir  étudié  trois  ans  en 
théologie  et  passé  bachelier  dans  l'université  d'Avignon,  il 
fut  fait  bénéficier  et  maitre  de  musique  dans  l'Eglise  de  Saint 
Pierre  de  cette  ville.  Sa  qualité  de  maitre  de  musique  lui  fit 
naître  l'envie  de  composer  de  Noëls  en  langue  provençale. 
Son  génie  se  trouva  si  propre  pour  ces  sortes  d'ouvrages,  que 
ses  noëls  firent  d'abord  le  plaisir  et  l'admiration  non  seule- 
ment du  peuple,  mais  encore  de  tous  les  gens  d'esprit.  On 
voit  par  un  de  ses  noëls,  composé  sur  le  passage  de  Louis  XIV 
par  Avignon,  l'an  1660,  qu'il  commença  à  composer  cette  an- 
née des  noëls,  ce  qu'il  a  continué  toutes  les  années  jusques  à  sa 
mort,  qui  arriva  à  Avignon  le  25  juillet  1675.  Il  étoit  âgé  de 
61  ans.  On  trouvoit  dans  ses  noëls  ce  qui  fait  le  mérite  de  tous 
les  bons  ouvrages,  beaucoup  de  justesse,  des  peintures  natu- 
relles et  un  style  simple  et  naïf,  beaucoup  d'exactitude  et  de 
richesses  dans  les  rimes  et  surtout  des  tours  et  des  expres- 
sions nouvelles.  Il  savoit  admirablement  bien  ajuster  ses  pa- 
roles à  ses  airs.  Ses  noëls  étant  devenus  extrêmement  rares, 
l'estime  qu'on  en  avoit  d'abord  conçue  n'ayant  fait  qu'aug- 
menter avec  le  tem?,on  crut  devoir  les  conserver  à  la  posté- 
rité; on  les  fit  imprimer  à  Avignon,  chez  Chastel,  en  1699  ;on 


194  PARNASSE    PROVENÇAL 

en  a  donné  une  seconde  édition  en  1704,  qui  ne  vaut  pas  la 
première.  Il  s'en  faut  bien  qu'il  ait  soutenu  sa  réputation.  On 
y  a  mis  plusieurs  noëls  de  Puech  qui  sont  infiniment  plus 
beaux  que  tous  ceux  de  Saboly.  Celui-ci  a  trouvé  un  historien 
qui  a  composé  sa  vie  en  latin,  c'est  M.  (Nicolas)  Folard,  cha- 
noine de  Nismes,  natif  d'Avignon  ;  elle  se  trouve  ms.  dans 
quelques  cabinets  de  curieux.  Je  vais  transcrire  un  noël  que 
je  trouve  dans  sa  2^  édition;  je  ne  sais  pas  certainement  s'il 
est  de  lui. 

NOËL   SUR   l'air   d'uN    CARRILLON 

Sus,  campanié,  reveillas  vous  ; 

Lou  jour  parei,  l'aubo  es  levado  ; 

Veissi  rhurouso  matinado 

Donté  deven(t)  renaisse  tous. 

Dieu  vea,  et  per  soun  arribado 

Souna  la  premiero  sounado  ; 

Fes  que  la  grosso  souno  avan. 

Din,  don,  din,  dan; 

Digue,  digue,   digue,  dan  ; 

Din,  don,  din,  dan  ; 

Diou  s'és  fach  enfan 

Per  sauva  lou  genre  human. 

Din,  don,  din,  dan; 

Fouere  Satan,  fouere  Satan, 

Plus  ges  de  guerre,  plus  ges  de  guerro, 

Que  tout  sié  nouveou, 

La  glori  au  ccou 

Et  la  pax  su  la  terre. 

La  perlo  ei  rayons  dou  souleou 
Se  forme  dedin  la  coquille  ; 
Diou  s'es  fourma  dins  uno  fillo 
Per  un  astre  plus  gran  qu'[aqu]eou. 
Enfin  en  aquesto  journado 
Aquelo  perlo  s'es  fourmado, 
Per  lou  pris  de  nouestro  rançon. 
Din,  dan,  din,  don  ; 
Digue,  digue,  digue,  dan  ; 
Din,  dan,  din,  don  ; 
Veyci  lou  second 
Qu'es  en  forme  de  trignon. 


PARNASSE   PROVENÇAL  195 

Din,  dan,  din,  don 

Fouero  démon,  fouero  démon, 

Plus  ges  de  guerro,  plus  ges  de  guerro  ! 

Que  tout  sié  nouveou, 

La  glori  au  ceou 

Et  la  pax  su  la  terro. 

Couragi,  veissy  la  clarta  ; 

Dieu  la  dono  à  sa  créature, 

N'y  a  plus  de  nuech  din  la  naturo 

Ni  d'ombro  ni  d'oscurita. 

Su  don  per  la  joyo  publiquo. 

Violons,  aubois,  basso  et  musico, 

Jugas  li  tous  un  carrillon. 

Din,  dan,  din,  don; 

Digue,  digue,  digue,  don  ; 

Din,  dan,  din,  don  ; 

N'es  ti  pas  raison 

De  recounoisse  un  tau  don? 

Din,  dan,  din,  don  ! 

Et  leissen  don,  et  leissen  don 

Leis  causos  vanos,  [leis  causes  vanos,] 

Et  que  nouestre  couër 

S.one  plus  fouer 

Que  [toutes]  lei  campanos  ! 


FRANÇOIS  BERTET 


François  Bertet  naquit  àTarascon  ;  après  avoir  passé  toute 
sa  jeunesse  dans  le  service,  il^^consacra  le  reste  de  ses  jours 
à  la  littérature  et  donna  divers  ouvrages  au  public,  entre  au- 
tres un  traité  français  d'éloquence,  et  plusieurs  ouvrages  en 
vers  provençaux  ;  il  épousa  Anne  dise,  et  en  eut  quatre  gar- 
çons qui  se  distinguèrent  aussi  dans  la  République  des  let- 
tres. N.  Bertet,  son  aine,  fut  dojen  deTarascon,  et  composa 
en  1649  l'histoirede  Sainte  Marthe  ;-il  y  a  des  vers  de  lui  dans 
la  préface  de  cet  ouvrage.  Jean  François  Bertet  fut  un  grand 
poëte  provençal,  et  Jean  Bertet  se'distingua  sur  tous.  Nous 
parlerons  plus  bas  des  deux  derniers. 


196  PARNASSE    PROVENÇAL 

LOUIS  PUECH 


Louis  Puech  naquit  à  Aix  avec  un  talent  marqué  pour  la 
poésie  ;  aussi  la  cultiva-t-il  toute  sa  vie,  avec  une  facilité  et 
un  talent  admirable  ;  il  excelloit  surtout  dans  les  noëls  et  les 
vaudevilles.  Comme  il  étoit  naturellement  satyrique,  il  mêloit 
ingénieusement  les  mystères  avec  les  affaires  du  tems.  Il  en 
fit  un  l'an  1657  contre  les  partisans,  qui  lui  attira  bien  du  cha- 
grin. Le  noël  le  plus  estimé  qu'il  ait  composé  est  celui  qu'il 
intitula  :  Lei  Baumians.  On  prétend  qu'il  en  avoit  pris  l'idée 
dans  Lope  de  Vega;  il  introduit  des  Bohémiens  qui  donnent 
la  bonne  fortune  au  Sauveur  nouveau  né.  Quelques  person- 
nes se  soulevèrent  contre  lui  et  furent  porter  plainte  à  M.  le 
cardinal  Grimaldy,  archevêque  d'Aix.  Cette  Eminence  mania 
Puech.  Il  ne  se  rendit  à  ses  ordres  qu'en  tremblant,  et  se  fit 
accompagner  de  quelques  amis,  entre  autres  de  M.  (Pierre)  ie 
Chasteuil  Galaup,  de  qui  j'ai  appris  ce  que  je  rapporte  de 
lui;  il  ne  lui  fut  pas  difficile  de  se  justifier  ;  il  représenta  à 
cette  Eminence,  qu'il  avoit  cru  pouvoir  faire  chanter  à  Aix  un 
noël  que  Lope  de  Vega  avoit  fait  chanter  àMadrid,  pays  d'inqui- 
sition. Le  cardinal  lui  ordonna  de  le  chanter,  et  en  fut  sicon- 
tentqu'il  l'encouragea  àcontinuerà  bien'  faire;  il  explique  dans 
ce  noël  tout  le  mystère  de  l'Incarnation;  c'est  un  chef  d'oeu- 
vre, le  voici: 

NOEL   DEI    BAUMIANS 

^  Cependan 

Nautrei  sian  très  Baumians,  De  ly  veire  la  man. 

Que  dounan  la  boueno  fourtuno  ;  Tu  siés,  à  ce  que  viou, 

Nautrei  sian  très  Baumians,  Egau  à  Diou; 

Qu'arrapan  partout  ounte  sian.  Tu  siés  soun  fiou 

Enfant  aimable  [e]  tant  doux,  Tout  adourable, 

Bouto,  bouto  aqui  la  crous,  Tu  siés,  à  ce  que  viou. 

Et  chascun  te  dira  Egau  à  Diou  ; 

Tout  ce  que  t'arribara.  Siés  nat  per  iou 

Commenso,Jeannan,  Diu  Iou  neau, 

•  Corr.  p.n? 


PARNASSE 


L'amour  t'a  fach  enfan, 
Per  tout  lou  geanre  human. 
Uno  vierjo  *  es  ta  maire, 
Siés  na  senso  ges  de  paire, 
Aquo  parei  din  ta  man. 


Ly  a  encoro  -  un  gran  secret 

Que  Jeannan  n'apas  vougu  dire, 

Ly  a  encore  un  gran  secret 

Que  fara  ben  leou  soun  effet. 

Vene,  vene,  beou^  Missi, 

Mette,  mette  eissy 

La  pieço  blanco, 

Per  nous  faire  rejoui. 

Jeannan  parlara, 

Beou  meina, 

Bout'aqui  per  dina. 

Souto  tondet*  mouyen 

Ly  a  eijcoro  quauquaren 

Per  nouestreben 

De  fouert  sinistre. 

Souto  ton  det'' moyen 

Ly  a  encore  quauquaren 

Pernouestre  ben 

De  rigouroux  : 

Sely  ves  une  croux, 

Qu'es  lou  salut  de  tous, 

Et  si  te  l'augi  dire, 

Lou  sujet  de  ton  martyre. 

Es  que  siés  ben  amouroux. 


Ly  a  encoro  quauquaren 
Au  bout  de  ta  ligno  vitalo, 
Ly    a  encoro  quauquaren 
Que  te  va  dire  Magassen . 
Vene,  vene,  beou  ^  german, 


PROVENÇAL  197 

Donno,  donno  eissy  ta  man. 

Et  te  5  devinaran 

Quauquaren  de  ben  charman. 

Mai  vengue  d'argen  ; 

Autan  ben, 

Senso  non  si  fara  ren. 

Tu  siés  Diou  et  mourtau, 

Et  coumo  tau 

Seras  ben  pau 

Dessus  la  terro. 

Tu  siés  Diou  et  mourtau, 

Et  coumo  tau 

Sera[s]  ben  pau 

Din  noueste  éta. 

Mai  ta  divinita. 

Es  su  l'Eternita 

Siés  l'autour  de  la  vido. 

Ton  essenço  es  infinido, 

N'as  ren  que  sié  limita. 


Voues  tu  pas  que  diguen 

Quauquaren  à  ta  santo  maire? 

Voues  ti  pas  ben  que  ly  fen 

Per  lou  mens^  nouestre  complimen? 

Bello  Damo,  venes  eissa, 

Nautrei  couneissen  déjà 

Que  din  ta  bello  man 

Ly  a  un  misteri  ben  gran. 

Tu  que  siés  pouly 

Digue  ly 

Quauquaren  de  joli. 

Tu  siés  dau  san  rouyau 

Et  toun  houstau 

Es  dei  plus  haut 

Daquestou  luuiiude  : 

Tu  siés  dou  san  rouyau 

Et  toun  houstau 


'  Ms.  viergo.  —  ^  Sic  et  de  même  plus  bas,  trois  ou  quatre  fois.  Corr    en- 
caro.  —  •'  Ms.  beau.  —  *  Ms.  des.  —  '  Ms.  de.  —  «  Ms.  ment. 


198 


PARNASSE  PROVENÇAL 


Es  dei  plus  haut. 

A  ce  que  viou, 

Toun  seignour  es  toun  fiou, 

Et  toun  paire  es  lou  miou. 

Que  poudes  tu  mai  estre, 

Que  la  fillo  de  toun  mestre, 

Et  la  maire  de  toun  Diou? 


E  tu,  boueu  signe  gran, 

Que  siés  au  cantoun  de  la  grupi, 

E  tu,  bouen  signe  gran, 

Voues  tu  pas  que  veguen  ta  man? 

Diguo,  tu  creignes  bessai 

Que  n'en  rauben  aquel  ai, 

Qu'es  aqui  destaca; 

Raubarian  plus  leou  lou  ea. 

Mette  aqui  dessu, 

Beou  moussu, 

N'aven  pas  enca  begu. 

lou  vesi  dins  ta  man 

Que  siés  ben  gran, 

Que  siés  ben  san, 

Que  siés  ben  juste; 

lou  vesi  dins  ta  man 

Que  siés  ben  gran, 

Que  siés  ben  san. 

Que  siés  ben  ama. 

Ai,  divin  marida. 


As  toujou  conserva 
Uno  santo  astinenço, 
Tu  gardes  la  providence, 
N'en  siés  tu  pas  ben  garda? 


Nautrei  couneissen  ben 

Que  siés  vengut  din  lou  moucide, 

Nautrei  couneissen  ben 

Que  tu  siés  vengu  senso  argen. 

Bel  enfan,  n'en  parlen  plus, 

Car  tu  siés  vengu  tout  nus. 

Tu  creigniés,  à  ce  que  vian, 

Lou  rescontre  dei  Bauraians. 

Que  creignes,  beou  fiou  ? 

Tu  siés  Diou  ; 

Escouto  nouestre  adiou. 

Si  trop  de   liberta 

Nous  a  pourta 

A  ti  douna  avanturo. 

Si  trop  de  liberta 

Nous  a  pourta 

A  typarlar*  trop  librament. 

Te  pregan  humblament 

De  faire  egalament 

Nostro  bouno  fortuno. 

Et  que  nous  en  donnes  uno 

Que  dure  eternellament. 


Puech  composa  encore  plusieurs  pièces  provençales,  entre 
autres[de  bouts  rimes  qui  lui  ont  fait  honneur,  etquefje  m'en 
vais  transcrire,  parce  qu'il  est  à  propos  de  conserver  de  lui 
jusques  au  moindre  morceau.  On  n'a  pas  ramassé  ses  ou- 
vrages. 

Si  nous  taxoun  plus  gaire,  auren  fauto  d'un. . . .   pan, 
Nous  fan  papounega  coumo  fa  la. .  . .  g[u]enucho, 

D'enrabi  et  de  chagrin  se  dounan  à satan, 

Quan  viou  que  tous  leis  jours  nous  levonpeou  ou. .  .plucho. 


'  Ms.  parlan. 


PARNASSE    PROVENÇAL  199 

Pouden  pas  evitar  de  mouri  tous  de. .  .  .fan, 
Buvre  d'aigo  au  gousset  qu'en  francès  dien  de.  . .  ruche, 
N'auren  ni  sou  ni  maille  avan  lou  bout  de.  .  .l'an, 
Et  voularen  plus  bas  que  noun  voule. .  .Tautrucho. 

Nous  pillon  de  par  tout  etab  hacet  ab. .  .hoc, 

Nous  demandon  d'argent  jusques  quan  fan  un. . . .  troc, 

Ou  qu'achatan  un  trau  que  sierve  eis  mouerts  de.. .  .nicho. 

Din  nouestre  desespoir  si  dizen  mor  ou. . .  par. 
Nous  menaçon  dabord  de  mettre  tout  en. . .  fricho, 
Et  per  nous  fa  staplan  basse'  que  digoun. . .  car. 

Il  composa  le  Procès  de  Madame  la  marquise  du  Canet;  il 
donna  un  poëme  sur  la  chambre  ardente,  par  rapport  aux  trou- 
bles qui  agitoient  la  Provence  ;  un  autre  sur  la  Magdeleine 
dans  le  désert  ;  le  Christ  mourant  sur  la  croix.  J'ai  lu  encore  de 
lui  une  comédie  burlesque  en  françois,  en  trois  actes,  intitulée: 
Amsterdam  malade.  Cette  pièce  fut  composée  pendant  les 
guerres  de  Hollande  ;  l'idée  en  est  originale.  Il  étoit  prieur^  de 
la  Tour  de  Beuvon,  au  diocèse  de  Sisteron.  Sur  ses  vieux 
jours  il  devint  amoureux  d'une  demoiselle  pour  laquelle  il 
composa  diverses  chansons  françoises,  et  autres  sortes  de  poé- 
sies. Il  mourut  à  Aix  après  l'an  1690.  Bouche,  dans  son  His- 
toire de  Provence,  parle  de  lui  avec  éloge.  Ses  ouvrages  étoient 
entre  les  mains  de  M.  Blacas,  prieur  de  Ventabren. 


ANTOINE  GEOFFROI  DE  LA  TOUR 


Antoine  Geoflfroi  de  la  Tour  naquit  à  Digne;  il  a  été  un  des 
plus  profonds  jurisconsultes  de  Provence  ;  il  avoit  cultivé  le 
parnasse  français,  latin  et  provençal,  mais  le  droit  l'occupa 
presque  entièrement;  il  composa  un  corps  de  droit  civil  et 
ecclésiastique  qu'il  divisa  en  six  parties,  qui  auroient  formé 
six  gros  vol.  in  folio,  lesquels  il  rangeoit  sous  les  titres  sui- 

1  Corr.  ùasto  t 

2  On  avait  d'abord  écrit  seigneur.  La  correction  est  d'une  autre  main. 


200  PARNASSE  PROVENÇAL 

vans  :  dans  le  premier  il  consideroit  l'homme  privé  et  dans  le 
célibat  ;  dans  le  second,  l'homme  marié  ;  dans  le  troisième, 
l'homme  veuf;  dans  le  quatrième,  l'homme  d'église  ;  dans  le 
cinquième,  l'homme  constitué  en  dignités  ecclésiastiques,  et 
aux  charges  publiques  de  justice  ou  de  la  guerre  ;  et  dans  le 
dernier  il  examinoit  l'homme  mort.  Il  porta  ses  livres  à 
Paris  l'an  1676,  qu'il  communiqua  à  Hubert  de  Chasteuil 
Galaup,  ancien  avocat  général  au  parlemenfde  Provence,  qui 
en  parla  à  Pierre  de  Chasteuil  Galaup,  son  frère,  et  à  ses 
amis,  comme  d'un  excellent  ouvrage ,  et  qui  seroit  d'une  grande 
utilité.  De  la  Tour  présenta  ensuite  un  placet  au  Roy,  dans  le- 
quel il  representoit  à  S.  M.  qu'ayant  fait"  un  nouveau  code 
pour  abréger  la  longueur  de  la  chicane,  cela  l'avoit  encouragé 
à  travailler  pour  faciliter  l'étude  du  droit,  et  rédiger  les  loix 
dans  un  nouvel  ordre,  travail  auquel  il  s'étoit  uniquement  oc- 
cupé pendant  plusieurs  années,  et  qu'il  iroit  de  la  gloire  du 
règne  de  S.  M.  que  cet  ouvrage  parût  sous  ses  auspices.  A 
cet  effet,  il  prioit  le  Roi  de  le  faire  examinerpartel  conseiller 
d'Etat  qu'il  lui  plairoit,  afin  que  sur  le  rapport  qui  en  seroit 
fait,  on  pût  lui  faciliter  les  moyens  de  le  donner  au  Public. 
Comme  la  dépense  étoit  très  considérable  pour  l'imprimer,  il 
ne  le  fut  pas  ;  il  étoit  alors  âgé  de  75  ans  ;  on  n'a  pas  sçu  ce 
que  devint  son  ms. 

Il  fit  présenter  l'an  1677  au  Roi  un  autre  ouvrage  composé 
de  poésies  françoises,  latines  et  provençales,  au  retour  de  ses 
armées  de  Flandres,  divisé  en  deux  grandes  parties.  La  se- 
conde édition  est  de  cette  année;  il  dit  dans  FEpitre  dédica- 
toire  au  Roi  qu'il  a  écrit  pour  les  droits  de  la  couronne  et  les 
libertés  de  l'Eglise  gallicane,  contre  les  abus  de  la  chancel- 
lerie romaine;  il  ajoute  qu'il  fut  contraint  de  se  réfugier  aux 
extrémités  du  Royaume.  11  a  composé  une  lettre  du  souverain 
bien  qu'il  adressa  à  Mgr  le  duc  d'Angouleme  par  une  ode  qu'on 
trouve  dans  la  2^  partie  de  ses  poésies.  La  P''  pièce  est  inti- 
tulée :  Stances  présentées  en  1638  à  Louis  le  juste  sur  la  nais- 
sance duRoi  glorieusement  régnant.  Il  dit  dans  son  épitre  au 
Roi  qu'il  est  le  premier  de  tous  les  écrivains  du  Royaume  qui 
ait  félicité  Louis  le  Juste  sur  la  naissance  de  Louis  XIV,  et  qui 
lui  ait  prédit  toutes  les  admirables  dispositions  qui  dévoient 
t'ornier  un  jour  le  plus  illustre  monar(|ue  de  la  terre.  Voici  un 
sonnet  qu'il  fit  imprimer  au  bas  de  son  placet. 


PARNASSE   PROVENÇAL  201 

SONNET    A    LOUIS    XIV    SUR    SON    DEPART    POUR    COMMANDER 
SES    ARMÉES   EN   FLANDRES   AU   MOIS   DE   FÉVRIER    1677 

Hyver  morne  et  chagrin,  monstre  animé  de  rage, 
Qui  fais  de  la  campagne  un  désert  odieux, 
Fais  fondre  tes  glaçons  et  respecte  ces  lieux 
A  qui  tout  l'univers  doit  un  jour  rendre  hommage. 

Mon  monarque  est  tout  prêt  à  faire  son  voyage, 
11  n'a  point  de  momens  qui  ne  soient  précieux, 
II  ne  peut  plus  souffrir  ces  murs  audacieux 
Qui  veulent  mesurer  leur  force  à  son  courage. 

Contre  ce  conquérant  tes  efforts  seront  vains  ; 
Ils  n'arrêteront  pas  ses  illustres  desseins. 
Tes  vents  impétueux  n'ébranlent  pas  son  ame. 

Resserre  ces  grands  froids  dans  leurs  sombres  prisons  ; 
Le  bras  de  mon  héros,  quand  la  gloire  l'enflame, 
Sçait  cueillir  des  lauriers  en  toutes  les  saisons. 

Tout  cela  est  tiré  des  mémoires  que  M.  Pierre  de  Chas- 
teuil  Galaup  m'adonne.  Donnons  maintenant  quelques  pièces 
provençales. 

PLACET    PROVENÇAU    QUE    DEOU   ESTRE    PRESENTAT    AU   REY 

Mon  placet,  ô  grand  Rei,  n'es  qu'un  pichot  memori 
Per  te  faire  sacher  en  patois  provençau 
(Puisqu'à  ce  que  m'an  dich,  non  l'entendes  pas  mau) 
Leis  rudos  tratamens  qu'ay  souffert  per  ta  glori. 

Leis  grefes  dou  conseou  n'en  gardoun  pron'  l'histori. 
Mai  iou  mangi  toujours  la  figuo  senso  sau  ; 
En  soustenen  teis  drechs  m'an  brûla  mon  houstau, 
il  Et  tout  ce  qu'ay  sauvât-  es  un  troues  d'escritori. 

Tu  que  fas  tan  de  ben  eis  autres  escrivans, 

Kelarguo  un  pau  per  iou  tei  liberalos  mans  ; 

Ai  tant  escri  per  tu,  siou  près  d'escrioure  encaro. 

Qu'Appelle  tourne  naisse,  et  prengue  son  pinceou^, 
Lou  pourtrait,  o  grand  Rei,  que  Iou  miou  te  preparo, 
Quan  tu  m'ajudaras,  sera  cent  fès  plus  beou. 

*  Ms.  prom.  —  "^  Ms.  sauvar.  —  3  Ms.  pinceau. 


202  PARNASSE  PROVENÇAL 

AU    REI    SU    SEIS    NOUVELLOS    VICTORIS 

Gran  Rei,  qû  troubarés  qu'escrive  vouestre  histori  ? 
Tous  lei  jours  vous  battes  regimens,  bataillons, 
Prends  vilos,  casteoux  per  pianos,  per  vallons, 
Et  cade  pas  que  fés  es  un  pas  à  la  giori. 

Lou  superbe  Espagnou  que  fasié  tant  lou  flori, 
Per  fugi  vouestreis  mans  marcho  de  reculons, 
L'Oulandés  vergougnoux  vous  viro  leis  talons 
Et  vous  laisso  empourtar  victori  sur  victori. 

Courao  poudés  soulet  domiitar  tant  d'ennemis  ? 

Muso,  per  lou  sacher  fay  virar  lou  tamis, 

Car  proun*  de  gens  m'an  dich  que  lou  tamis  devino. 

Mais  sabes  tu  perque  nouestre  prince  es  tan  fouer? 
Leis  autreis  souverains  noun  pagon'que  de  mino, 
Lou  nouestre  sau  pagar  et  de  mino  etde  couer. 


CHARLES  DU  PERIER 

Charles  du  Perler  s'appliqua  à  la  poésie  dès  ses  jeunes  an- 
nées. L'an  1673  il  composa  deux  sonnets  provençaux  à  la 
louange  de  Louis  deForbin  la  Marthe,  qui  fut  fait  cette  année 
capitaine  lieutenant  d'une  compagnie  de  mousquetaires;  il  ne 
composa  ces  deux  sonnets  que  pour  soutenir  l'honneur  de  la 
poésie  provençale,  comme  on  le  verra  dans  l'article  de  Pierre 
de  Chasteuil  Galaup.  Il  se  distingua  encore  plus  par  ses  beaux 
vers  latins,  qui  lui  acquirent  la  réputation  d'un  des  meilleurs 
poètes  latins  de  son  siècle.  Nous  avons  donné  ailleurs  sa  vie  ; 
il  étoit  né  à  Aix  de  Claude  du  Perier;  il  mourut  à  Paris  l'an 
1692. 

JEAN  SICARD 

Jean  Sicard  de  la  Tour  d'Aiguës,  diocèse  d'Aix,  s'amusa 
fort  agréablement  à  la  poésie  provençale   et  produisit  grand 

*  Ms.proT/i. 


PARNASSE   PROVENÇAL  203 

nombre  de  pièces  qui  furent  estimées.  Il  traduisit  les  Pseaumes 
en  vers  provençaux  qui  furent  imprimés;  il  composa  aussi 
plusieurs  chansons  et  épigrammes  pleines  d'esprit  et  de  feu, 
mais  satjriques.  Voici  celle  qu'il  fit  sur  M.  Colbert,  ministre 
d'État: 

EPITAPHO    DE   MOUSSU    COLBERT,    MINISTRE   d'eTAT 

En  aques  croues  es  entarra 

Colbert,  grau  ministre  d'Eta 

E  surintendant  dei  finance. 

Passan,  digas  un  requiem 

Per  aqueou  grand  homme  de  ben, 

Qu'afach  tantd'hespitaux  en  France. 


GASPARD  DE  VENEL 


Il  n'y  a  gueres  eu  de  magistrats  en  Provence  plus  connus 
que  M.  deVenel;il  naquit  à  Aix  et  fut  reçu  conseiller  au  par- 
lement de  Provence  l'an  1633.  La  poésie  provençale  fit  ses 
délices;  il  composa  une  grande  quantité  de  pièces  qu'on  n'a 
pas  pris  soin  de  recueillir  et  qu'on  auroit  aujourdhuy  bien  de 
la  peine  à  retrouver.  En  1676,  il  donna  une  tragédie  fran- 
çaise intitulée  Jephté  ;  il  avoit  mille  secrets  très  curieux  qui 
le  faisoient  passer  pour  sorcier  parmy  le  peuple  ;  il  aimoit  le. 
plaisir,  la  joje;  aussi  n'a-t-il  rien  épargné  pour  se  contenter. 
Il  avoit  épousé  Magdeleine  de  Gaillard, dame  d'un  grand  mé- 
rite, dont  il  n'eut  point  de  postérité.  Elle  fut  gouvernante  des 
nièces  du  cardinal  Mazarin,  et  ensuite  sous  gouvernante  de  Mg" 
les  ducs  de  Bourgogne,  d'Anjou  et  de  Berrj  ;  elle  mourut  en 
1687.  Son  marj  lui  survécut,  car  il  ne  mourut  qu'en  1697.  Il 
fut  enterré  dans  l'église  du  premier  couvent  de  la  Visitation  ,  ■ 
j'assistai  à  ses  obsèques.  C'étoit  un  très  bel  esprit;  il  eut, 
comme  j'ai  dit  ailleurs,  une  petite  dispute  avec  M.  de  Cha- 
zelles  sur  quelques  expressions  qu'il  avoit  employées  dans  un 
sonnet.  Ils  choisirent  M.  Godeau  pour  arbitre.  Je  m'en  vais 
rapporter  la  lettre  de  ce  prélat,  telle  que  je  la  trouve  dans  le 
recueil   ms.  de  ses   lettres  que  j'ay  entre  mes  mains,  parce 


204  PARNASSE  PROVENÇAL 

qu'on  n'en  a  donné   qu'une  partie;  elle    se   trouve  dans  mon 
recueil,  pag.  102. 


LETTRE  DE  M.  GODEAU  A  M".  DE  VENEL  ET  DE  CHAZELLES 

Messieurs,  Vous  me  faites  beaucoup  d'honneur  de  me  pren- 
dre pour  juge  de  la  noble  dispute  qui  s'est  élevée  entre  vous. 

Non  nostrum  inter  vos  tantas  componere  lites. 

Comme   le  soleil  est  le  sujet  de  votre  différent,  il  faudroit 
pour  le  bien  juger  avoir  l'esprit  plus  lumineux  que  lui, 

dans  mon  âge  penchant 
Et  qui  se  voit  si  près  de  son  triste  couchant. 

Je  ne  prononcerai  donc  rien  comme  juge,  et  je  me  conten- 
ter ay  de  parler  comme  un  ancien  amant  du  soleil,  et  comme 
un  vieux  admirateur  de  ce  bel  astre.  Je  suis  tout  à  fait  par- 
tial pourlui,et  je  voudrois  qu'il  fit  toute  chose  dans  la  poésie, 
aussi  bien  que  dans  la  nature  ;  mais  s'il  n'a  point  de  bornes 
dans  celle  cy,  il  en  a  sans  doute  dans  celle  là.  Dire^qu'il  fait 
le  jour,  c'est  parler  proprement  et  selon  l'usage  de  toutes  les 
langues,  lequel  est  le  maitre  souverain  en  cela.' Mais  c'est 
encore  faire  plus  entendre  qu'on  ne  dit.  Il  y  a  encore  quelque 
sens  plus  beau  qui'  ne  porte  de  soi  le  mot  de  fait;  je  ne  sçay  si 
je  m'explique  bien  ?  Dire  que  le  soleil  peint  les  jours,  c'est 
parler  figurément  et  employer  une  métaphore  qui  dabord 
frappe  l'imagination  par  sa  nouveauté,  et  semble  exprimer 
un  sens  fort  beau.  Mais  quand  l'entendement  considère  de 
plus  près  cette  locution,  il  en  est  assurément  blessé,  et  la  lu- 
mière qu'elle  porte  ressemble  à  celle  d'un  éclair,,  qui  est  plus 
vive  et  plus  resplendissante  que  celle  du  soleil,  mais  qui  éblouit 
et  blesse  les  yeux,  et  qui  disparoit  incontinent.  La  méta- 
phore hardie  est  comme  le  caractère  de  la  poésie,  qui  est  diffé- 
rente de  la  prose,  en  ce  sens  qu'elle  ne  dit  jamais  les  choses 
par  leur  nom.  Plus  sa  hardiesse  va  loin,  plus  elle  semble 
belle,  et  la  surprise  de  l'imagination,  ou  l'image  nouvelle  ou 
extraordinaire  qu'elle  forme,  fait  que  d'abord  elle  plait.  Il  y  a 

*  Coït,  quel 


PARNASSE   PROVENÇAL  205 

deux,  langues  où  elle  règne  plus  imperieuseraentque  dans  les 
autres;  elle  est  plus  hardie  dans  la  langue  grecque  que  dans 
la  latine,  et  plus  dans  l'espagnole  que  dans  l'italienne.  Le 
Tasse  a  des  hardiesses  belles  et  nouvelles;  mais  le  cavalier 
Marin  en  a  de  surprenantes,  de  bizarres;  toutefois  elles  trou- 
vent des  lecteurs  àqui  elles  plaisent,  et  ce  sont  ceux  qui,  comme 
l'auteur,  ont  plus  de  feu  d'imagination  que  de  pureté  de  ju- 
gement. Virgile,  entre  les  Latins,  est  particulièrement  admi- 
rable pour  la  chasteté  '  de  son  elocution  ;  Stace,  qui  l'a  voulu 
surpasser  en  s'élevant,  est  tombé  dans  des  précipices  ;  Lucain 
a  été  encore  plus  hardi  ou  plus  téméraire  que  lui,  et  son 
exemple  n'est  pas  toujours  recevable-  dans  notre  langue,  dont 
la  pureté  ne  peut  souffrir  des  expressions  extraordinaires,  si 
elles  ne  sont  fondées  sur  la  nature  des  choses.  Or  je  dou- 
terois  qu'il  en  fut  ainsi  de  la  peinture  des  jours,  qui  ne  peut 
avoir  de  fondement  dans  ce  sujet.  Ce  n'est  pas  que  je  le  vou- 
lusse examiner  aussi  curieusement  et  philosophiquement  que 
fait  M.  de  Chazelles.  Car  la  poésie  doit  s'affranchir  des  bornes 
étroites  de  la  philosophie  et  de  ses  façons  régulières  déparier. 
C'est  pourquoi  ces  matières  ne  sont  pas  propres  a  être  traitées 
en  vers  ;  et  l'on  ne  peut  jamais  faire  un  poëme  ^.  En  cela  Lu- 
crèce, parmi  les  Latins,  est  admirable  et  extraordinaire,  qui  a 
traité  si  excellemment  la  philosophie  dans  ses  vers.  Le  poëme 
de  saint  Prosper  des  Ingrats  est  aussi  une  pièce  merveilleuse, 
oii  l'auteur  traite  les  questionsde  la  grâce  si  merveilleusement 
et  si  solidement;  mais  c'est  une  pièce  qui  ne  doit  jamais  être 
tirée  en  exemple;  et  pour  revenir  ànotre  sujet,  je  ne  puis  dire 
autre  chose,  sinon  que  jevoudrois  que  l'on  pût  dire  que  le  so- 
leil peint  les  jours,  et  que  l'avoir  dit  est  une  hardiesse  belle, 
noble  et  magnifique,  quoique  nouvelle  et  irrégulière.  Il  y  a 
des  figures  qui  vont  au  delà  des  bornes  ordinaires,  comme  il 
y  a  des  vertus  héroïques,,  et  comme  la  poésie  est  le  langage 
des  dieux,  il  ne  faut  pas  s'étonner  si  elle  ne  parle  pas  tou- 
jours comme  les  hommes.  Au  reste,  je  souhaiterois  qu'il  n'y 
eut  dans  l'Europe  que  des  querelles  semblables  à  la  vôtre  ; 
elles  feroient  quelque    bruit;    mais  ce  seroit  un  bruit  comme 

'  Coït    clarté?  —  2  D'abord    redevable,   corrigé    d'une    autre    main.  — 
^  Sic.  Corr.  n'en  peut . ...  ou  en  faire  ? 

15 


206  PARNASSE   PROVENÇAL 

celui  des  cascades.  Que  sait-on  si  la  fontaine' d'Hypocrene 
n'en  fait  point  sur  le  mont  du  Parnasse  !  Si  vous  devez  tou- 
jours disputer  aussi  agréablement  que  vous  faites,  je  ne  vous 
conseille  pas  de  vous  accorder  jamais,  et  je  me  mêlerois  vo- 
lontiers de  votre  querele,  non  pas  comme  juge,  mais  comme 
entremeteur  intéressé,  qui  apprendray  toujours  quelque  chose 

en  vous  entendant  disputer.  Je  suis  de  tout  mon  cœur 

j-  Antoine.   Evêqvie  de  Vence. 
A  Vence,  le  I  septembre  1669. 


LE  PERE  CAMERON 

Le  Père  Cameron,  prêtre  de  l'oratoire,  naquit  à  Aix  ;  il 
s'adonna  aux  missions  et  composa  à  son  usage  des  cantiques 
spirituels  en  vers  provençaux  ;  ils  ont  été  imprimés  plusieurs 
fois.  On  en  trouve  encore  un  dans  les  dernières  éditions  du 
P.  Gautier,  qui  a  été  supprimé  dans  la  meilleure  édition  des 
cantiques  du  père  Gautier,  faite  chez  Labaye  %  à  Avignon 
l'an  1735.  Ce  cantique  est  une  instruction  pour  se  bien  con- 
fesser; il  fut  imprimé  pour  la  première  fois  en  1700. 

Le  Parnasse  provençal  du  P.  Bougerel  finit  ici.  La  notice  qui  suit  a  été 
ajoutée  postérieurement.  Elle  est  d'une  autre  main,  et  remplit  deux  feuillets 
d'un  format  plus  grand  que  le  reste  du  ms. 


GROS,  DERNIER  POETE  PROVENÇAL - 

Gros  François  Toussaint,  né  à  Marseille  vers  la  fin  du  siè- 
cle passé,  fit  revivre  la  poésie  provençale,  et  fut  le  troubadour 
de  notre  siècle.  Apres  avoir  fait  ses  premières  études  dans  le 
collège  de  l'oratoire  de  sa  patrie,  il  se  crut  appelle  à  l'état  de 
chartreux,  et  en  prit  l'habit  à  Villeneuve  les  Avignon  ;  mais 
avant  de  prononcer  ses  vœux,  il    changea   de  resolution,  et 

*  Ms.  chez  l'abbaye. 

-  Après  ce  titre,  on  lit,  écrit  d'une  autre  main  :  »  M.  de  Noyer  n'est  pas 
plus  vrai  dans  cette  note  que  daus  ses  dissertations.  » 


PARNASSE   PROVENÇAL  207 

revint  dans  sa  ])atrie.  où  il  se  fit  admirer  par  ses  vers  proven- 
çaux. 

La  maison  de    l'illustre   petite  fille  de  madame  de  Sévigné 
étoit  ouverte  à  tous  les  savans.  Gros   fut  bientôt  de  ce  nom- 
bre; il  chanta  sa  protectrice  ;  elle  fut  sensible  à  ses  louanges, 
et  lui  en  témoigna  toujours  sa  reconnaissance  par  l'accueil  le 
plus  favorable.  C'étoit  beaucoup  pour  un  jeune  auteur  ;  mais 
Gros  qui  n'étoit  pas  riche  desiroit  de  ti-ouver  un  mécène  gé- 
néreux, et  madame  la  marquise  de  Simiane   ne  lui  avoit  pas 
ouvert  sa  bourse.  Il  quitta  Marseille  pour  se  rendre  à  Paris; 
il  espéroit  que  cette  grande  ville  lui  off'riroit  des  ressources  ;  il 
se  trompa,  une  femme    et  des  enfans    augmentèrent   ses  be- 
soins; il  fallut  se  résoudre  à  entrer  dans  les  Fermes.  L'emploi 
qu'on  lui  donna  au  Pont-beau-voisin,  lui  fournit  de  quoi  sub- 
sister ;  mais  il  ne  paroit  pas  que  son  séjour  y  ait  été  de  longue 
durée.  Attaqué  de  paralysie,  il  se  fit  transporter  à  Lyon,  où 
il  mourut  à  l'âge  de    50   ans,  vers  Tannée  1748.  Nous   avons 
de  ce  poète  un  ouvrage  intitulé:  Reciiil  depouesies  prouven- 
çalos  de  M.  F.  T.  G.  de  Marsillo,  imprimé  à  Marseille,  chez 
D.  Sibié,  1734.  Le  fils  de  cet  imprimeur  en  donna  une  seconde 
édition   en  1763,  in  8°,  de  224  pages,  corrigée  et  augmentée, 
avec  une  explication  de  mots  les  plus  difficiles.  On  trouve  à  la 
fin  de  cette  seconde  édition   des  vers  francois  sur  l'ambition, 
qui  font  honneur  à  Gros,  et  qui  prouvent  qu'il  auroit  composé 
aussi  élégamment  en  francois,  qu'il  écrivoit  agréablement  en 
provençal.  Ce  livre  qui  est  fort  rare  aujourd'hui  est  précieux 
par  le  choix  des  pièces  et  par  la  beauté  des  vers  ;  les  fables  j 
sont  instructives  et  piquantes.  Grosdemontre  évidemment  que 
la  langue  provençale  a  des  beautés  qui  ne  se  trouvent  pas  ail- 
leurs; il  a  excellé  surtout  dans  son  dialogue  entre  un  bour- 
geois  et    un   paj'san  de    Marseille  sur  l'accouchement  de  la 
reine   et  sur  le  choix  de  madame  Varanchan,  nommée  nour- 
rice de  madame  de  France,  qui  commence  par  ces. vers:  Saint, 
Maiic/iuan,sies'  6e?< coî/c^o?<s.  Doux  etbon  par  caractère,  joyeux 
dans  l'adversité,    il  sut  allier  les  moeurs  au  talent,  et  quoique 
bègue  il  faisoit  les  délices  des  sociétés  honorables   ou   il  étoit 
admis.  (Mss.  du  P.Artaud.) 

(A  suivre.) 

1  Sic  ms.;  mais  le  texte  de  Gros  porte  vus. 


VARIETES 


CALCARIA,  TAXNKlîIE 


Dans  le  t.  XXVIII  de  la  Revue,  p.  43,  M.  Chabancau  fait  remarquer 
quo  les  éditeurs  des  Documents  concernant  la  Marche  et  le  Limousin 
ont  traduit  chauchiera  par  cabane  avec  le  signe  du  doute.  Il  y  voit 
la  signification  probable  de  tannerie  ou  àefour  ù  chaux. 

La  traduction  de  M.  Cli.  est  confimiée  parle  patois  lyonnais.  Les 
tanneries  qui,  dans  le  premier  tiers  du  siècle,  florissaient  à  St-Sym- 
phorien-sur-Coize,  étaient  dénommées  charchiri,  qui  représente  chau- 
chiera (  =  calcaria)  dans  la  phonétique  lyonnaise,  où  l  du  groupe  le 
devant  a,  devient  exceptionnellement  r  (il  le  devient  toujours  quand 
le  est  suivi  de  o,  u),  et  où  aria  =  iri. 

A  côté  de  charchiri,  on  a  chaussiri,  même  sens,  qui  représente  cal- 
cearki,  conformément  à  la  même  phonétique,  où  le  devant  e,  i  =  uss 
(exemple  calceare=-  choussi). 

C'est  à  tort  que  M.  Onofrio  {Essai  d'un  glossaire,  etc.)  avait  dérivé 
charchiri,  chaussiri,  de  calcare.  Les  charchire  (au  pluriel  iri,  devient 
ire)  sont  les  fosses  à  chaux,  où  l'on  met  macérer  les  peaux,  et  non  le 
lieu  où  on  les  piétine.  C'est  également  h  tort  que  M.  Gras  (Dict.  du 
patois  forêzïen)  a  tiré  ces  mots  de  chausse  (qui  doit  être  écrit  chosse), 
chêne,  lequel  n'eût  jamais  pu  donner  charchiri.  Cochard,  en  les  déri- 
vant de  chaux  [Statistique  du  canton  de  Saint- Symphorien),  avait  trouvé 
la  véritable  piste,  sans  cependant  remonter  à  Torigine   latine. 

D'après  ce  qui  précède,  on  comprend  comment  calcaria  a  pu  pren- 
dre, dans  nos  dialectes  romans,  tantôt  la  signification  de  tannerie, 
tantôt  celle  de  four  à  chaux.  Le  v.  fr.  chauchiere  signifiait  four  à 
chaux,  et,  d'après  M.  Gras,  on  disait  chochiere  pour  tannerie  au 
XVIP  siècle. 

Pditspelo. 


Le  Gérant  responsable  :  Ernest   II.amf.ijn. 


Dialectes  Anciens 


PARAPHRASE    DES   LITANIES 

EN    VERS    PROVENÇAUX 


Le  ms.  de  la  bibliothèque  d'Aviguon,  d'où  j'ai  tiré  la  version  pro- 
vençale des  Psaumes  de  la  pénitence,  que  j"ai  publiée  en  1881,  ren- 
ferme en  outre,  comme  je  l'ai  dit  alors,  une  paraphrase  des  litanies, 
également  en  vers  provençaux.  C'est  de  cette  paraphrase,  déjà  publiée 
en  1874  par  M.  Victor  Lieutaud,  dans  une  plaquette  tirée  à  petit 
nombre  et  devenue  fort  rare  ',  que  je  donne  ici  une  nouvelle  édition, 
après  en  avoir  soigneusement  revu  moi-même  le  texte  sur  le  ms.,  dont 
le  contenu  aura  ainsi  passé  tout  entier  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs. 

L'auteur  de  ce  petit  poënie  ne  s'est  pas  nommé  ;  mais,  dès  le  début 
de  son  œuvre,  il  nous  apprend  qu'il  était  franciscain,  et  il  exprime  en 
la  terminant  le  vœu  d'aller  au  ciel,  après  sa  mort,  voir  Sant  Castor 
henaurat,  qu'il  appelle  lo  sieu  payre.  Comme  saint  Castor  est  le  patron 
d'Apt,  dont  il  fut  évêque  (IV<*  siècle),  M.  Lieutaud  a  pu  très-légiti- 
mement supposer  que  le  moine  inconnu  dont  il  publiait  les  vers  était 
aptésien.  De  là  le  titre  qu'il  a  donné  à  sa  publication, 

La  4P  stance,  consacrée  à  saint  Louis  de  Marseille,  mort  en  1297, 
canonisé  en  1317,  prouve  que  l'ouvrage  n'a  pu  être  composé  qu'après 
cette  dernière  date.  M.  Lieutaud,  qui  a  déjà  fait  cette  observation, 
remarque  en  même  temps  que  saint  Elzéar  de  Sabran  n'y  est  nommé 
nulle  part;  d'où  il  conclut, —  se  fondant  sur  le  zèle  de  l'auteur  pour  les 
saints  de  la  Provence,  zèle  dont  témoigne  l'insertion  dans  ses  Litanies 
des  noms  de  saint  Honorât  et  de  saint  Louis  de  Marseille,  —  que 
l'ouvrage  est  antérieur  à  1369,  date  de  la  canonisation  de  saint  Elzéar. 

Nous  avons  donc  ici  l'œuvre  d'un  auteur  provençal  du  XIV«  siè- 
cle. La  langue  du  ms.  confirme  pleinement  ces  inductions.  C'est  cer- 
tainement du  provençal  de  Provence,  et  d'une  date  relativement  ré- 
cente, je  veux  dire  postérieure  à  l'âge  classique,  bien  qu"il  paraisse 
évident  que  l'auteur  connaissait  les  règles  de  la  langue  littéraire,  s'il 
ne  les  respectait  pas  toujours. 

'  Notes  pour  servir  à  Thistoire  de  Provence.  N'15.  Un  troubadour  ap- 
tésien de  l'ordre  de  S.  François.  Marseille  el  Aix,  1874,  16  pages  in-So. 

TOME  XV  DE  LA  TROISIÈME   SÉRIE.     —    MAI  1S8G.  16 


210  PARAPHRASE    DES   LITANIES 

L'ouvrage  comprend  68  couplets  de  huit  vers  de  sept  syllabes,  sur 
trois  rimes,  alternativement  féminines  et  masculines  ',  qui  changent 
à  chaque  couplet  {cuhlas  singulars  des  Leys  d'amors)  et  qui  sont  dis- 
posées dans  l'ordre  suivant  :a  babc  bcb.  Les  lettres  italiques  in- 
diquent les  rimes  féminines.  Ces  dernières,  en  plus  d'un  endroit,  se  ré- 
duisent à  l'assonnance  :33-35,41-43,  101-lu3,  137-139,  197-199,  205- 
207,  525-5272.  Les  rimes  masculines  ne  sont  pas  sans  présenter  aussi 
quelques  irrégularités:  ainsi,  vv.  158,426  et 480,  Va  et  Vo  suivis  d'une 
nasale  fixe  riment  respectivement  avec  des  a  et  des  o  suivis  d'une 
nasale  instable.  Mais  c'est  là  un  phénomène  ordinaire  dans  la  Pro- 
vence propre,  et  que  j'ai  déjà  signalé  dans  les  Psaumes  du  même 
ms.  Quant  aux  vers,  soit  masculins,  soit  féminins,  qui  sont  complè- 
tement dépourvus  de  rime,  l'incroyable  négligence  du  copiste,  —  car 
on  ne  saurait  rendre  l'auteur  responsable  de  pareilles  incorrections, — 
les  a  multipliés  à  un  degré  rare.  Tels  sont  les  vv.  4,  61,  247,  dont 
le  dernier  mot  a  dii  être  omis;  les  vv.  139, 165,  177,  187,  193-5,227, 
237,  319,  337,  357,  377,  440,  dont  la  rime  a  disparu,  par  suite  de 
substitutions,  de  transpositions,  de  répétitions  fautives  ou  d'altéra- 
tions diverses.  Ajoutons  ceux  où  la  rime  ne  manque  pas  à  la  vérité, 
mais  où  elle  ne  fait  que  reproduire  le  dernier  mot  d'un  vers  précédent: 
tel  est  le  cas  des  vv.  352,  376. 

Toutes  ces  fautes,  heureusement,  de  même  que  celles  que  Ion  re- 
marque à  lïntérieur  des  vers,  se  laissent  assez  facilement  corriger. 
Aussi  est-ce  dans  les  notes  que  le  lecteur  devra  chercher  la  plupart 
des  leçons  fautives  du  ms.  Le  nombre  est  très-petit  de  celles  que  je 
n'ai  pas  cru  devoir  prendre  sur  moi  de  corriger  dans  le  texte  même  3. 

Je  passe  à  l'exposé  méthodique  des  caractères  linguistiques  de 
l'ouvrage,  ou  du  moins  du  ms.  Plusieurs  des  traits  que  je  vais  relever 
ont  déjà  été  signalés  dans  les  Psaumes  que  le  même  ms.  nous  a  con- 
servés. Aussi  aurai-je  à  y  renvoj^er  plus  d'une  fois.  Je  rappelle  qu'ils 
ont  été  publiés  au  t.  XTX,  p.  209,  de  cette  Revue. 

1 .  L'a  posttonique  passe  à  l'e  après  i,  dans  sie  80,  sies  73  ;  phé- 
nomène déjà  très-commun  en  Provence  et  en  Languedoc  au  XIV*  siè- 
cle ;  mais  il  reste  beaucoup  plus  souvent  sans  se  modifier. —  Il  y  a  un 

1  Exceptions:  vv.  193-5,  337-339,  341-343, (tout  ce  couplet  —  le  43e  —  est 
masculin),  517-519,  peut-être  aussi  109-111. 

-Il  faudrait  ajouter  61  63  {armas:  falhas),  245-247  (tom :  m'arma)  et 
269-271  {ojvansa  :  salvada),  si  la  leçon  du  ms.  en  ces  trois  endroits  n'était 
pas  évidemment  incomplète  ou  fautive. 

^  Plusieurs  des  corrections  que  j'admets  dans  mon  texte  ou  que  je  propose 
en  note  ont  déjà  été  faites  ou  proposées  par  M.  Lieulaud.  Je  signalerai  en  leur 
lieu  celles  qui  ont  quelque  importance. 


EN  VERS  PROVENÇAUX  211 

exemple  {derer,  277)  de  la  forme  sèche  du  suffixe  ariiis  ;  un  autre  du 
retour  à  r«  du  même  suffixe  :  dénias,  pour  deniers,  au  v.  195,  si  du 
moins  ma  correction  est  aussi  sûre  qu'elle  me  le  semble.  Sur  ces  for- 
mes en  ia..  =  ie..,  qui  commencent  à  abonder  au  XIV*  siècle. 
Voy.  la  Revue,  VII,  439;  XIII,  117. 

l.  L'e  ouvert  tonique,  qui  se  diphthongue  dans  requier,  98,  reste 
sans  altération  dans  quer,  32  ;  au  contraire,  il  se  diphthongue  dans 
jiyenclies  {  =  pectines),  275,  contrairement  à  l'usage  ordinaire.  —  Si- 
gnalons le  passage  de  le  nasal  à  Va  dans  sandutz  =^  cendatz,  416,  et 
peut-être  dans  sans,  245.  Vo}'.  la  note. 

3.  L'î  redoublé  appelle  un  e  pour  former  triphthongue  dans  dïeysist, 
69,  =  dilsist,  où  le  second  i  provient  du  c  de  dixhtï;  voy.  sur  les 
formes  pareilles  la  Revue  des  langues  romanes,  XIII,  116.  Il  paraît 
avoir  permuté,  par  méthathèse,  avec  Vo  fermé  dans  ymols,  235  = 
Immiles  ;  mais  il  y  a  là  plutôt  deux  phénomènes  indépendants  :  muta- 
tion simple  de  u  en  i  et  substitution  d'un  suffixe  à  un  autre,  comme 
dans  les  adjectifs  italiens  en  ole='ilis. —  L'?/grec,  dont  le  traitement 
en  langue  d'oc,  comme  en  français,  présente  toujours  quelque  incerti- 
tude, est  ici  tantôt  i  (martire,  109,  249,  277;  martiriatz,  302),  tantôt  u 
(marturiatz,  89,  174);  mais  dans  ce  dernier  cas  seulement  à  la  proto- 
nique. 

4.  L'o  ouvert  se  diphthongue  en  uo  dans  /«oc,  482  ;  en  ue  dans 
vuelh,  13;  i^uesc,  362,  et  autres  formes  de  ces  deux  verbes,  ^a.ssm. 
Cette  diphthongue  ue,  à  son  tour,  se  réduit  deux  fois  à  «  .•  vulh,  168, 
273. 

5.  L'ii  tonique  est  passé  à  Vi,  —  cas  dont  il  y  a  ailleurs  bien  d'au- 
tres exemples,  —  dans  ymols  ^=  humiles.  Cf.  ci-dessus,  3. 

6.  Le  renforcement  en  iaio  de  la  triphthongue  ieu  est  un  phéno- 
mène assez  commun  en  d'autres  textes.  Cf.  Revue,  XIX,  234.  Nous  en 
avons  ici  un  exemple,  Andriau,  333  (mais  Andrieu,  113).  On  peut 
mentionner  également  tieau,  qui  se  lit  au  même  vers,  bien  que  la 
bonne  leçon  soit  sans  doute  tieu.  Le  copiste,  qui  probablement  pro- 
nonçait tiau,  aura  inconsciemment  fondu  ensemble  les  deux  formes. 
—  Dans  alaugon,  304  (  =  altujon),  la  diphtliongue  eu,  qui  reste  sans 
se  modifier  au  v.  40,  s'est  pareillement  renforcée. 

La  réduction  à  a  de  la  diphthongue  latine  au  de  gaudium  s'observe 
dans  quelques  textes.  Peut-être  est  ce  un  exemple  de  ce  phénomène 
qu'il  faut  voir  dans  guàch,  80,  plutôt  qu'une  interversion  purement 
graphique  des  deux  lettres  a  et  u.  J'ai  cru,  dans  tous  les  cas,  ne  pas 
devoir  corriger  gauch,  bien  que  ce  soit  c^^tte  dernière  forme  seule 
qu'on  trouve  plus  loin . 

7.  Les  cas  de  synérèse  sont  dans  notre  texte  extrêmement  nombreux  : 
u  et  e  :  Raphaël,  73  ;  o  et  a  :  Jolian,  476  ;  Padoa,  346  ;  surtout  \  et  a. 


212  PARAPHRASE  DES  LITANIES 

e,  ou  0  .-avidj  196;  aviam,  499  ;  cresiiana,  101,  229;  Gnahriel,  65  ;  itie- 
tat,  170;  tracion,  2^"^  \  passion,  489;  dapnacion,  472,  etc.,  etc.  Comme 
exemples  des  cas,  beaucoup  plus  rares,  et  pour  ainsi  dire  exception- 
nels, de  disyllabisme  des  mêmes  groupes,  citons  chrestiana,  133;  jas- 
sian,  158  ;  sia,  160  ;  marturiatz,  174  ;  ceîesiial,  390  ;  ajiat,  456  ;  glôrios, 
113  ;  tracion,  531 . 

8.  Les  cas  d'hiatus,  d'un  mot  à  l'autre,  même  quand  les  deux 
voyelles  sont  identiques,  ne  sont  pas  rares  :  je  renvoie  pour  a-a  aux 
vv.  87,248,  377,  433,  532;  pour  e-e,  aux  vv.  34,95,  114,  209  ;  pour 
a-e,  a-o,  etc.,  aux  vv.  12,7.5,  156,  160,241,  279,  etc.  Les  cas  d'éli- 
sion  paraissent  moins  fréquents.  C'est  principalement  avec  que  qu'on 
les  observe.  La  voyelle  élidée  est  ordinairement  supprimée  (vv.  32, 
48,  52,  75,  etc.);  mais  quelquefois  aussi  on  continue  de  l'écrire 
(20,  49,  59,  391,  537).  —  Le  v.  118  nous  offre  un  exemple  d'élision 
de  l'initiale  :  i  ^stiest,  pour  i  istiest.  Cf.  v.  343.  Peut-être  est-ce  le 
même  phénomène  que  devrait  présenter  le  v.  33  {en  qui  'speri'l),  plu- 
tôt que  la  fusion  en  une  seule  syllabe  (crase)  de  Vi  de  qui  avec  Ve 
(Vesperi. 

9.  Le  ^  dur  devant  a  se  double  inutilement  d'un  u:  80,  301,  424, 
425,  441,  486.  Au  contraire  cette  lettre  est  supprimée  dans  pogessa, 
175;  volgest,  443,  où  elle  serait  nécessaire  ;  cas  l'un  et  l'autre  très- 
fréquents  en  d'autres  textes. —  Signalons  la  forme  Aynes,  v.  377,  où 
le  g  se  fond  simplement  en  y  sans  donner  naissance  à  un  n  mouillée. 
C'est  là  un  trait  bien  provençal.  Cf.  S.  Honorât  et  Ste  Agnès. 

Par  une  faute  inverse  de  celle  que  je  signalais  tout  à  l'heure  {ge 
=  gue)  et  non  moins  commune  dans  les  anciens  textes,  le  son  du  j 
devant  a  ou  o  est  ici  plusieurs  fois  figuré  par  g  :  Gorgi',  281;  alau- 
gon,  304;  senhoregans,  382. 

10.  Le  d  final  de  ad,  quid,  qui  reste  tel  dans  ad  el,  v.  13  (cf.  v. 
279,  adiré,  non  azire),  s'aiguise  en  z,  même  dz,  dans  quez  est,  43  ; 
adz  el,  352  ;  mais  les  formes  ordinaires  de  ces  particules  sont  a  et 
que.  —  Le  groupe  nd  assimile  le  d  à  Vu  ou  le  laisse  tomber  dans  fa- 
zennas,  467;  calenas,  465.  Cf.  le  v.  103,  où  la  rime,  si  l'on  ne  veut  pas 
se  contenter  de  l'assonnance,  exige  demanas,  au  lieu  de  demandas, 
que  porte  le  ms . ,  et  le  v .  255,  où  la  rime  encore  exige  prenha,  que  j'ai 
restitué,  mais  où  le  ms.  donne  prenna  =  jirenda.  Ces  formes  sont 
très-communes  dans  les  textes  de  Provence  du  XIV*  siècle.  Cf.  Re- 
vue, VIII,  221  ;  XII,  229. 

1 1 .  Au  lieu  de  luocs  {locos),  on  trouve  luoch  au  v.  239.  Les  Psau- 
mes nous  offrent  de  même  precJi  et  antich  pour  precs  et  antics.  Il  faut 
se  rappeler,  pour  s'expliquer  ces  formes,  l'identité  de  prononciation, 
dans  un  grand  nombre  de  dialectes,  d'un  côté  de  ch  et  de  ts,  de  l'autre 
de  ts  et  de  es . 


EN  VERS  PROVENÇAUX  213 

12.  Le  s;  médial  ou  s  doux  est  tombé  dans  graylha,  2Dl;peadas, 
384;  graït,  406.  Final,  quelle  que  soit  son  origine,  <  +  s  ou  ce,  ci,  il 
passe  souvent  à  Vs:  cros,  116  ;  plas,  254;  esguiras,  276;  romans,  538. 

J'ai  parlé,  dans  l'introduction  des  Psaumes,  du  fréquent  abus  que 
fait  du  z  après  le  t  le  copiste  de  notre  vas.,  abus  qui,  du  reste,  comme 
je  l'ai  remarqué,  ne  lui  est  point  propre' .  Le  ï,  chez  lui,  affecte  trois 
formes  :  la  première,  qui  est  la  forme  ordinaire  de  cette  lettre,  où  la 
hanste  est  simplement  barrée  d'un  trait  horizontal;  la  seconde,  où  la 
barre  horizontale  se  replie  verticalement,  de  manière  à  former  comme 
un  z  cursif  privé  de  sa  boucle-;  la  troisième,  où  ce  repli  vertical  s'al- 
longe en  boucle,  en  dessous,  de  façon  à  reproduire  exacten^ent  la  fi- 
gured'un  z  cursif,  j'entends  d'un  s  à  queue,  caractère  que  je  ne  puis 
ici  représenter,  notre  imprimerie  ne  l'ayant  pas.  L'examen  très-atten- 
tif que  j'ai  fait  du  ms.ne  me  laisse  aucun  doute  sur  l'identité  de  signi- 
fication que  ces  trois  signes  avaient  pour  notre  copiste.  Cela  étant,  il 
pourrait  paraître  inutile  de  conserver  le  pseudo-s  en  question  dans  les 

1  Sur  le  ms.  1745  de  la  B.  N.  que  je  cite  en  cet  endroit,  cf.  Hermann  Su- 
chier,  Denkmaele);\,  i8l.  Dans  ce  même  ms.,  comme  M.  Suchier  Je  fait 
remarquer,  le  g  est  très-souvent  aussi  suivi  d'un  pseudo-z.  Or  ce  signe,  selon 
ce  que  j'ai  observé  moi-même,  n'est,  comme  daos  tz  ^=  t,  que  le  dernier  degré 
du  développement  d'un  Irait  horizontal  qu'on  remarque  dans  la  forme  la  plus 
simple  du  g,  trait  qui  se  replie  d'abord  comme  dans  le  t,  puis  se  prolonge  en 
boucle  de  façon  à  figurer  complètement  un  z  {gz). 

Un  autre  pseudo-z  qu'on  remarque  dans  certains  mss.,  et  que  je  mention- 
nerai ici  à  cette  occasion,  est  celui  que  produit,  sous  la  plume  de  quelques 
soribes,  le  dernier  jambage  d'une  m  prolongé  en  boucle,  et  qui  donne  à  cette 
lettre  l'apparence  du  groupe  nz.  11  arrive  même  quelquefois  que  ce  pseudo-3 
tient  lieu  de  l'm  entière,  peut-être  parce  que  le  premier  copiste,  prenant  le 
nz  =  m  pour  le  groupe  n  +  z,  a.  remplacé  l'n  par  un  titulus,  qu'un  second 
copiste  aura  omis  (par  exemple,  quem,  quenz,  qiiëz,  quez).  Cf.  là-dessus  la 
Revue  des  lai^gues  romanes,. 

^  Ce  signe  intermédiaire  (que  j'ai  plus  d'une  fois,  dans  les  Psaumes,  rendu 
à  tort  par  tz)  se  remarque  ici,  entre  autres  endroits,  aux  vers  11  {segut),  12 
[mont),  18  [formai  ),  32  {dolent),  83  [sont  esperit),  34  [font],  38  {henaurat), 
108  {lapidât),  208  {dupnat),  222  [tirassat),  252  [trobat),  350  {tôt),  357  (e^ 
pour  etz  =  estis),  516  {esperit),  520  (amiit),  etc. ,  etc.  11  représente,  par  con- 
séquent, comme  tz,  tantôt  t,  tantôt  tz.  Et  le  simple  t  lui-même,  en  raison  de 
celte  identité  de  valeur  des  trois  signes  pour  notre  copiste,  et  de  la  con- 
fusion qui  naturellement  devait  s'ensuivre  entre  tz,  variante  graphique  de 
t,et  tz,  groupe  réel,  a  dû  être  quelquefois  mis  pour  ce  dernier.  C'est  ce  qu'on 
observe,  par  exemple,  dant  tôt,  vv.  225,  316;  sant,  242;  qui  sont  pour  totos, 
sanctos,  et  dans  les  cas  plus  nombreux,  mais  moins  sûrs,  parce  que  là  le  fait 
peut  être  d'ordre  purement  grammatical,  oii  le  sujet  singulier  est  en  t,  au 
lieu  de  tz  (70,  162,  260,  274,  278,  312,  409,  518,  etc.). 


214  PARAPHRASE  DES  LITANIES 

cas  où  il  est  impossible  qu'on  ait  voulu  écrire  un  z  véritable';  j'ai 
cru  pourtant  qu'il  était  préférable  de  ne  pas  l'effacer,  afin  de  laisser 
aulecteurla  pleine  liberté  de  son  jugement  ;  seulement,  suivant  l'exem- 
l)le  donné  par  M.  Sucliier.  je  l'imprime  eu  italique.  Je  fais  de  même 
pour  le  t  de  la  seconde  forme  plus  haut  décrite.  On  aura  donc,  ici, 
pour  le  <  ordinaire  :  t  ;  pour  le  t  à  barre  simplement  repliée  :  t;  pour  le 
t  suivi  d'un  pseudo-2  .-  tz.  Mais  là  où  il  peut  y  avoir  doute,  quant  à  tz, 
sur  l'intention  de  l'auteur  ou  même  du  scribe,  par  exemple  au  sujet 
pluriel,  j'imprime  en  romain  le  z  comme  le  t,  m'abstenant  du  reste, 
systématiquement,  de  toute  correction  entraînant  l'adjonction  ou  la 
suppression  de  cette  lettre . 

13.  Le  groupe  rs  en  finale  est  presque  partout  réduit  à  s^  ce  qui 
est,  pour  ainsi  dire,  de  règle  en  Provence  an  XTY®  siècle  :  Tos,  306, 
=  Tours  (la  ville  de);  coSj  384,  =  corpus,  etc.  L'r,  à  la  vérité,  est 
quelquefois  écrite,  par  exemple  :  pecadors,  522  ;  confesors,  3.54  ;  mais 
des  rimes  telles  que  celles  qu'on  remarque  aux  couplets  43  et  66,  où  des 
mots  en  os  {=  ors)  ont  pour  correspondant  le  pronom  nos,  prouvent 
qu'on  ne  la  prononçait  pas. 

Notons  la  métathèse  de  Vr  dans  2'>ressona,  21,  41  {mais persona,  167), 
et  sa  chute,  constante  dans  guanren  (=  granren,  182,  etc.),  acciden- 
telle dans  vosta,  228.  (On  a  vostre,  vostra,  aux  vv.  356-7. 

14.  Un  exemple  remarquable  du  phénomène  que  les  Allemands  ap- 
pellent umgelcehrte  Schreibimg  nous  est  offert  par  optisme,  465,  où  le 
p  remplace  une  /.  C'est  le  contraire  de  oZtar  cat.  pour  autar=aptare, 
etc.  Application  bizarre  de  l'axiome  que  deux  quantités  égales  à  une 
troisième  sont  égales  entre  elles  :  al  et  ap)  donnant  également  au,  on 
a  cru  pouvoir  indifféremment  remonter  de  au  à  ap  ou  à  al. 

15.  Lorsque  Vm,  après  une  voyelle  et  devant  une  consonne,  n'est 
pas  figurée  simplement  par  un  tilde,  auquel  cas  je  rends  ce  signe  par 
m,  elle  est  le  plus  souvent  remplacée  par  n;  mi,  32,  123,  140,  etc.; 
flun,  474;  ensens,  81;  tostens,  85,  Au  contraire,  Vm  remplace  abusive- 
ment Vn  dans  grain,  213  ;  Martim,  305;  ensens,  297,  353. 

Cette  consonne  reste  sans  altération  dans  membratz,  168,  contraire- 
ment à  ce  qui  a  lieu  dans  renemhrei,  qu'on  lit  dans  les  Psaumes.  (Voir 
l'introduction,  n"  10.) 

16.  L'î!  instable,  sauf  au  pluriel  des  pronoms  possessifs,  est  tou- 
jours écrite,  même  à  la  fin  des  vers, quand  la  rime  l'exclut  ou  paraît 

*  Ainsi  dans  les  formes  verbales /«.sf:,  102,  134;  iestz,  119;  defentz,  120, 
136  ;  vezcinieKtz,  472;  dans  l'adverbe  motz,  106;  et  dans   les  très-nombreux 
régimes  singuliers,  tels  que  totz,  4,  6,  128,  299,  .368,  432,  480,  WO;  sertz,  3, 
488; /«j«//c,  iO ;  pietatz,  ii2;  gratz,  176,  220;    estatz,  Z^Qymortz,  341 
379;  descubevfz,  i82;  dezertz,  484;  jor/;,  515,  etc.,  etc. 


EN  VERS  PROVENÇAUX  215 

l'exclure:  ainsi  plan,  v.  6  ;fin,  54.  Seule  exception  no,  1(S7,  où  le  co- 
piste a  dû  omettre,  par  mégarde,  le  signe  de  la  nasale.  Après  IV, 
cette  lettre  reste  dans  carn,  457;  mais  elle  tombe  dans^or,  288  \jors, 
118  ;  jort,  465,  515,  dont  le  t,  comme  je  l'ai  expliqué  ailleurs,  est  le 
résidu  normal  du  z  de  la  forme  jorz  {jornz)  du  cas  sujet.  —  Un  est 
ajouté  à  un  i  final  dans  aysin,  8  ;  forme  qui,  plus  tard,  s'est  encore 
accrue  d'un  t  paragogique  :  d'où,  grâce  à  une  nouvelle  adjonction,  le 
moderne  aysindo. 

17.  Les  formes  de  l'article  sont  naturellement  celles  delà  Provence: 
le,  II,  pour  le  sujet  sing.,  masculin  et  féminin  ;  h,  hi,  pour  le  régime. 
On  trouve  cette  dernière  forme  au  v.  91,  dans  le  rôle  de  sujet.  Cette 
exception  xmique  est  probablement  le  résultat  d'un  lapsus. 

18.  Les  règles  de  la  déclinaison  sont  presque  partout  méconnues  ^ 
Il  est  probable,  non-seulement  que  le  copiste  les  ignorait,  mais  que 
l'auteur  lui-même  les  avait  souvent  violées.  On  peut  mettre  sur  le 
compte  du  premier  une  bonne  partie  des  fautes  sans  nombre  qu'on 
observe  dans  le  corps  des  vers;  mais  des  rimes  telles  que  celles  qu'on 
remarque  aux  couplets  13,  14,  22,  24,  26,  27,  28,  30,  31,  36,  42,  51, 
68,  surtout  aux  couplets  5,  17,  38,  57,  65.  et  dont  aucune  correction 
ne  paraît  pouvoir  rétablir  la  régularité,  semblent  bien  prouver  que  le 
second,  s'il  connaissait  les  règles  de  la  déclinaison,  les  traitait  assez 
librement.  Et  il  les  connaissait,  comme  le  prouvent,  moyennant  les 
corrections  qui  s'imposent,  les  rimes  masculines  des  couplets  9,  12, 
52,  particulièrement  des  couplets  10,  20,  21,  32,  33,  35,  39,  56,  si 
l'on  remarque  surtout  que  la  graphie  as  pour  «te,  aux  vv.  168  (couplet 
21),  254  (c.  32),  270  (c.  35),  ne  laisse  aucun  doute  sur  la  vraie  valeur 
de  ts,  là  où  cette  notation  est  régulière-,  malgré  l'abus  que  le  copiste 
fait  si  souvent  du  z  après  le  t,  et  dont  il  a  été  déjà  question,  ou  sur 

1  Le  sujet  pluriel,  hors  de  la  rime,  est  partout  en  s,  excepté  elegit  245,  duy 
e  duy  238,  et  de  plus  l'article  li  et  le  pronom  tuch,  qui  se  maintinrent  du 
reste,  par  habitude,  en  divers  lieux,  longtemps  après  que  toute  trace  de  la 
déclinaison  était  déjà  perdue  dans  les  noms:  82,  124,  141,  227,  229,  235,  298, 
357,  441,  448,  515,  519.  Au  sujet  singulier,  on  a  homs,  v.  2;  vieux,  162; 
fons,  491  (mais  fon,  22;  font,  34);  riei-geSjbi,  375,  401.  Partout  ailleurs  (les 
cas  de  t:  à  part  —  voir  la  note  suivante  —  )  la  règle  est  violée. 

2  Tel  est  le  cas  des  vers  66,  72,  90,  92,  250,  258,  Î62,  306,  308,  414.— 
Le  z  manque,  mais  doit  être  rétabli,  comme  l'indiquent  les  rimes  correspon- 
dantes dans  le  même  couplet,  aux  vv.  70,  162,  252,  260,  274,  278,  312,  410. 
—Aux  vv.  36,  110,  132,  174,  334,  456,  542,  544,  on  lit  au  contraire  tz,  que  la 
régularité  grammaticale  exige  en  effet,  mais  que  la  rime  repousse,  celles  qui 
y  correspondent  ne  pouvant  être  qu'en  t.  On  peut  croire  que  là,  comme  aux 
endroits  mentionnés  plus  haut  (p.  214,  n.  1),  le  z  n'est  qu'une  fioriture  gra- 
phique. Hors  de  la  rime,  la  notation  /:;  existe  en  outre  régulièrement,  pour  le 
sujet  singulier,  aux  vv.  2,  102,  150,  253,  480,  516,  518. 


216  PARAPHRASE  DES  LITANIES 

la  nécessité  de  la  rétablir,  lorsque,  en  correspondance  avec  cet  as,  on 
trouve  at  au  lieu  de  atz,  ce  qui  est  le  cas,  par  exemple,  du  couplet  35. 

Un  exemple  do  nom  intégral  à  pluriel  sensible  est  lasses  auv.  154, 
si  ma  correction  est  exacte.  Lesmots/rtc/i  et  gauch  (vv.  100,  200)  ne 
reçoivent  pas  Vs  flexionnelle  au  régime  pluriel,  ce  qui  se  remarque, 
en  beaucoup  d'autres  textes,  de  ces  mots  et  de  leurs  pareils,  parce 
qu'ils  sont  considérés  comme  intégrais  ou  invariables,  au  même  titre 
que  les  mots  en  s  radical.  Cf.   Psaumes,  introduction,  n"  13, 

10.  La  forme  ordinaire  du  pronom  de  la  première  personne,  au  cas 
sujet,  est  ieu,  yeu;  mais  on  trouve  aussi  heu,  v.  9,  et  hi/eu,  35,  179, 
305. 

Les  formes  du  pronom  personnel,  au  cas  oblique  du  singulier,  sont 
en  i  :  mi,  ti,  si.  Seule  exception  me,  au  v.  295.  imputable  peut-être 
au  copiste,  qui  aura  été  influencé  par  jHctas  qui  suit.  Cf.  Psaumes, 
n"  15. 

20.  La  forme  absolue  du  pronom  possessif  féminin  est  ordinaire- 
ment en  ieua{micua,  tieuu);  on  trouve  deux  ou  trois  fois  tiiia  (36,272) 
ou  tiuas{H'à).  Mais  ce  dernier  exemple  est  fautif,  comme  le  prouve  la 
mesure,  qui  exige  tieus. 

L'a  de  mieua,  iieua,  s'élide  devant  un  a  initial  suivant,  soit  qu'il 
s'écrive  (?a  mieua  arma,  vv.  287,327),  soit  qu'il  soit  supprimé  {la 
tieu  ajuâa,  vv.  169,  177,  207);  mais,  même  dans  ce  dernier  cas,  le 
copiste  ne  laisse  pas  d'attribuer  cette  lettre  au  pronom,  et  c'est  le 
mot  suivant  qu'il  en  prive,  écrivant  toujours  la  tieita  juda. —  Devant 
une  consonne,  ces  formes  ou  restent  disyllabiques,  et  par  conséquent 
conservent  l'a  efiEectivement  (vv.  24,  265,  492),  ou  se  réduisent  à 
mieu,  tieu  (91,143,  202,  543),  bien  que  le  copiste  continue  de  leur 
donner  l'a,  dont  on  les  trouve  déjà  dépouillées,  en  pareil  cas,  dans 
des  textes  antérieurs. 

Signalons,  pour  les  adjectifs  démonstratifs  ou  déterminatifs,  les 
formes  en  o,  comme  esto  (538),  tantos  |256),  dont  les  exemples,  encore 
assez  rares  au  XIV"  siècle,  deviennent  de  plus  en  plus  fréquents  dans 
les  monuments  postérieurs  des  dialectes  de  la  Provence  et  du  bas 
Languedoc. 

21;- Verbe.  La  première  personne  de  lïndic.  présent,  lorsqu'elle 
n'est  pas  sans  flexion,  est  tantôt  en  i,  tantôt  en  e;  mais  le  v.  329,  où 
il  y  a  requere  dans  le  ms. ,  mais  où  la  forme  requeri  s'impose,  à  cause 
de  la  rime,  semble  indiquer  que  les  formes  en  2*,  d'ailleurs  plus  nom- 
breuses, à  ce  qu'il  semble,  étaient  celles  de  l'auteur,  et  que  les  formes 
en  e  ont  été  introduites  par  le  copiste. 

Il  y  a  quelques  exemples  de  subj.  prés,  première  pcrs.  en  i  (vv. 
152,  IGû,  311,  525,  527),  forme  très-commune  dans  les  textes  de  la 
Provence  du  XIV«  siècle,  comme  j'ai  déjà  eu  plus  d'une  occasion  de 


EN  VERS  PROVENÇAUX  W 

le  coustater.  Mais  la  forme  en  e  s'y  rencontre  aussi  (249,  279,  292). 
Elle  est  assurée  par  la  rime  au  premier  de  ces  trois  exemples. 

La  deuxième  pers.  du  singulier,  dans  les  parfaits  faibles  de  la  pre- 
mière et  de  la  troisième  conjugaison  et  à  l'ind  .  présent  de  esser,  diph- 
thongue  partout  son  e  (yest,  20;  nasquiest,  28,  etc.)-  La  même  per- 
sonne, dans  les  parfaits  forts  en  si  d'origine  ou  assimilés,  oflEre  tantôt 
la  forme  pleine  [mezist,  266  -.fezlst,  380,  481),  tantôt  la  forme  contractée 
{quist,  322;  fîst,  323,  326). —  Dans  remangiiist,  387,  on  remarque  la 
substitution  de  la  flexion  gui  (=  lat.  ui)  à  la  tîexion  si,  ordinaire  au 
yevhe  remarier .  La  deuxième  personne  du  pluriel  aux  mêmes  temps, 
sauf  deux  exceptions  (es  et  et  pour  etz,  v.  299  et  357),  est  en  st  {est, 
43  ;  fost,  302  ;  volgest,  443),  réduction  de  stz,  qui,  pour  être  beaucoup 
plus  rare  que  tz,  ne  laisse  pas  d'être  encore  assez  fréquente  dans  les 
anciens  textes. 

La  deuxième  personne  du  pluriel  dans  les  autres  temps  est  en  s: 
84,  85,  230,  303,  359,  442,  446.  11  ny  a,  sauf  erreur,  aucun  exemple 
de  tz  ;  aucun  exemple  régulier,  du  moins,  car  irascatz,  qu'on  lit  dans 
le  ms.,  au  V.  223,  est  pour  irasca!^,  deuxième  pers.  du  singulier. 

La  terminaison  de  l'imparfait  du  subjonctif  est  en  a  (non  e)  :  ...es- 
sas  (501,  503),  ...essan  (509,  511). Cf. les  Psaumes,  introduction,  n°  16. 

Signalons  encore /es  (= /aciù's),  303,  à  côté  de/as,  359.  C'est  une 
forme  déjà  toute  moderne  et  qu'on  trouve  en  abondance  dans  les 
textes  provençaux  postérieurs. 

Le  subjonctif  présent,  resté  étymologique  dans  fassa,  16,  est  analo- 
gique dans  x>lasa,  31,  50,  370,  absolument  comme  dans  le  français 
moderne. 

22.  Notre  texte  offre  deux  exemples  d'un  adverbe  dont  l'emploi  ne 
devait  pas  être  commun,  car  on  le  rencontre  rarement  :  c'est  lo  (sans 
doute  loco),  au  sens  probable  de  aussitôt,  alors  (le  temps  ^our  le  lieu 
comme  alloc,  qui  est  dans  Raynouard  ;  cf.  le  latin  illico),  vv.  181,  405 
Pour  la  chute  du  c.  qui  reste  dans  alloc,  comme  dans  le  subst.  loc,  cf. 
la  et  sa  (de  illac,  ccce  hac),  à  coté  de  la/,  sai.  On  trouve  de  même  en 
catalan  alo,  à  côté  de  alloch. 

Notons,  V.  427,  la  forme  von^  aujourd'hui  voiinte  ou  mounte,  où  le  v. 
analogue  au  digamma  éolique,  est  le  renforcement  de  l'aspirée.  Cf. 
Bévue,  t.  XIX,  p.  211,  n.   1. 

23.  Le  trait  syntaxique  le  plus  notable  est  la  fi-équence  de  la  sub- 
stitution au  pronom  relatif  de  ses  éléments  logiques,  à  savoir  la  con- 
jonction que,  d'une  part,  et  le  pronom  personnel  ou  possessif  de  l'au- 
tre -.que  tu,  vv.  18,  27-28,  =  (toi)  qui;  que  ton,  493-4,  =  toi  dont; 
que  vostra,  357,  =  [vous)  dont  la;  que. .  .lo,  216,  =■  lui  que.  Cf.  là- 
dessus  la  Bévue  des  langues  romanes,  IX,  356;  XXV 1,  116. 

Je  signalerai  encore  l'emploi  de  nul  sans  négation  exprimée  (vv. 


218  PARAPHRASE  DES  LITANIES 

45,  403?),  celui  de  tu  comme  régime  direct  (vv.  161,  329,  471,  peut- 
être  aussi  51),  le  renversement  des  rôles  de  esser  et  aver  dans  son 
affutz. 244.  =  (m  estât  (Cf.  Eevue  desl.rom.,  XXV,  127),  l'emploi  de 
l'imparfait  du  subjonctif  pour  le  présent  du  même  mode,  au  v.  175 
(c£.  l'avant-dernier  vers  de  la  Prose  de  sainte  Eulalie),  l'espèce  de 
syllepse  que  présente  le  v.  181  (car  convertida  ne  peut  s'accorder  avec 
guanren,  qui  est  un  neutre),  et  enfin  l'emploi  pléonastique  de  que  au 
v.  326.  Cf.  Revue  des  l.  rom.,  XIII,  288. 

.  24.  Le  vocabulaire  d'un  poëme  comme  le  nôtre,  où  les  mêmes 
formules  reviennent  presque  continuellement,  doit  être  naturellement 
assez  pauvre.  Très-peu  de  mots  s'y  trouvent  qui  manquent  dans  le 
Lexique  roman,  ou  qui  n'y  figurent  pas  avec  l'acception  que  leur  donne 
notre  auteur.  Je  les  relève  ici  : 

Asseje,  215  ;  subst.  verbal  de  assetjar,  assiéger. 

Avist  (ïstar),  343,  422.  Être  précautionné,  se  comporter  prudem- 
ment, en  homme  avisé.  Cf.  Azaïs  (am<)  et  Mistral  {avis).  Je  crois 
être  sûr  d'avoir  vu  la  même  expression  dans  la  Vie  de  saint  Honorât, 
mais  je  ne  sais  pas  retrouver  l'endroit.  On  trouve  esser  vist,  au  même 
sens,  à  ce  qu'il  paraît,  dans  une  nouvelle  de  Raimon  Vidal  (Bartsch, 
Denkmaeler,  191,  1 4)  : 

No  volhatz  esserni  trop  trist 
Ni  trop  recrezen  ni  trop  vist, 
Ni  nul  trop  no  vulhatz  aver. 

Avist  s'emploie  aussi,  et  s'employait  déjà  sans  doute  autrefois,  avec 
tener,  dans  une  signification  active.  Voici  un  exemple  de  Bellaud  de 
la  Bellaudière,  où  le  sens  propre  de  la  locution  se  laisse  bien  voir  : 

Suc  tengut  plus  d'avist  {de  a  vist  ?)  qu'un  mastin  enrabiat. 

Cf.  l'expression  terie  d'à  ??2eK<,  commune  chez  les  félibres  (J/iî-Ciio, 
160,  etc.),  et  où  l'on  voit  que  ment  a  survécu  ailleurs  que  dans  la 
composition  adverbiale  que  l'on  connaît. 

Brassas,  311;  voir  ci-après  la  note  sur  ce  vers. 

Domen,  173  ;  domens,bVS.  Raynouard,  dementre,  do7ncntre.C^ est  ainsi 
que  sempre  a  été  réduit  à  sen,  puis  à  se,  dans  jasse,  ancse,  erassc,  desse. 

Gent  (la),  307,  les  gentils,  c'est-à-dire  les  imycns.  Acception  qui 
manque  à  Rayn. 

Graylha,  257,  grille.  Rayu.  n'a  aucune  des  formes  [gradilha,  grazï- 
Iha. . . .)  de  ce  mot. 

Lo,  181,  405,  là  ou  alors.  Voy.  ci-dessus,  paragr.  22. 

Trist,  328,  462,  malheureux,  maudit,  comme  en  italien.  Acception 
qui  manque  à  Raynouard. 


EN   VERS  PROVENÇAUX  219 

Yiiiols,  235.  Eayn.  Tlumil.  Voy.  la  note. 

Le  genre  de  littérature  dont  nos  Litanies  sont,  si  je  ne  me  trompe, 
l'un  des  moins  médiocres  échantillons  que  nous  offre  l'ancienne  poésie 
provençale,  je  veux  dire  la  paraphrase  ou  la  version  plus  ou  moins  li- 
bre des  prières  ordinaires  de  l'Église,  telles  que  \e  Pater ^V Ave  Maria, 
le  Credo,  etc.,  n'est  représenté,  dans  ce  qui  nous  reste  de  cette  poésie, 
que  par  un  assez  petit  nombre  de  pièces.  Voici  la  liste  de  toutes  celles 
que  je  connais. 

1.  Le  Pater.  Trois  versions  ou  paraphases  :  l'une,  de  14  vers,  con- 
servée dans  le  ms.  Harh-ien,  n"  3183,  a  été  publiée  par  M.  H.  Su- 
chier  dans  ses  Denkmaeler,  I,  291;  les  deux  autres  ont  été  signalées 
dans  un  récent  article  de  la  Roman/a  (XIV,  491,528),  par  M.  Paul 
Meyer,  qui  a  publié  21  vers  de  la  première  (elle  en  a  104)  et  la  se- 
conde, c[ui  n'en  a  que  36,  en  entier.  Ces  deux  pièces  font  partie  l'une 
et  l'autre  d'un  des  mss.  de  la  collection  Libri  (n°  105)  acc[uis  parle 
gouvernement  italien  * . 

2.  h'Ave  Maria.  Quatre,  savoir: 

a.  Paraphrase  en  sept  couplets  de  huit  vers.  Ms.B.N.  25415. 
M.  Paul  Meyer  en  a  publié  les  22  premiers  vers  dans  \e  BvUetv)  de 
la  Société  des  anciens  textes,  I,  76. 

b.  Paraphrase  en  34  vers.  Ms.  105  de  la  collection  Libri.  Publiée 
en  entier  par  M.  Paul  Meyer  dans  la  Romania,  XIV,  492. 

c.  Paraphrase  en  6  quatrains.  Je  la  crois  inédite.  Mon  vénérable 
ami,  le  docteur  Koulet,  à  qui  je  dois  la  copie  que  j'en  possède,  m'ap- 
prend qu'il  l'a  transcrite  le  15  juillet  1851,  à  Albi,  d'un  livre  d'heures 
ms.,  sur  vélin,  appartenant  à  M.  Clément  Compayré,  qui  attribuait  ce 
ms.  au  XIV*  siècle.  On  la  trouvera  ci-après  à  l'appendice. 

d.  Pièce  de  47  vers,  probablement  composée  aux  environs  de  Tan 
1500,  qui  a  pour  titre  :  S'enseguen  se  cinq  orations  compresas  sus  las 
cinq  letras  de  Ave  Maria,  et  qui  s'inspiie  autant  des  litanies  de  la 
Sainte  Vierge  que  de  VAve  Maria.  Elle  fait  suite  à  la  Confession  ge- 
nerala  de  fraire  Olivier  MaUhart  en  languatge  de  Tholosa.  Dumège  l'a 
reproduite, à  part,  au  t.  IV,  p.  199,  des  Institutions  de  la  ville  de  Tou- 
louse . 

3.  Le  Credo.  Deux  : 

a.  Ms.  Libri  105.  42  vers.  Les  douze  premiers  ont  été  publiés  par 
M.Paul  Meyer,  Romania,  XIV,  535. 

*  Dans  le  même  ms.  se  trouve  aussi  une  exposition  du  Pater  en  prose  pro- 
vençale.—  Raynouard  {Choix,  I,  198)  rapporte  un  vers,  si  c'est  bien  un  vers 
[A  nos  ve7iha  lo  teu  régnât),  d'une  autre  version  de  l'Oraison  dominicale. 
dont  il  ne  désigne  pas  le  ms. 


220  PARAPHRASE  DES  LITANIES 

h.  Livre  de  raison  de  Jean  de  Barbentane  (Archives  des  Bouches- 
dn-Rhône).  18  couplets  de  4  vers,  publiés  en  1862  par  M.  Ferdinand 
André,  en  une  brochure  de  8  pages,  dont  la  rareté,  autant  qu'une  au- 
tre circonstance  dont  je  vais  parler,  m'engage  à  donner  ici  une  nou- 
velle édition  de  cette  paraphrase.  La  circonstance  que  je  veux  dire 
est  que  le  personnage  qui  prit  le  soin  de  ti-anscrire  sur  son  livre  de 
raison  le  Credo  qui  nous  occupe  était  procureur  du  chapitre  de 
l'église  de  Saint-Castor  d'Apt,  fonctions  dont  il  fut  revêtu  le  9  octo- 
bre 1400;  ce  qui  suggère  naturellement  la  pensée  que  ce  Credo, 
comme  nop, Litanies,  doit  être  Tœuvre  d'un  Aptcsien,  et,  par  suite,  que 
les  deux  ouvrages  pourraient  fort  bien  être  d'un  seul  et  même  auteur. 

4.  Les  Commandements  de  Dieu.   Deux  versions  ou  paraphrases: 
a.  Ms.  Harleien  3183.  Dix  vers  publiés  par  M.  H.  Suchier, Z)enA;- 

maeler,  I,  ,290 . 

h.  Pièce  de  46  vers  octos.,  dont  les  40  premiers  sont  divisés  en 
quatrains,  et  que  je  crois  pouvoir  mentionner  ici,  malgré  sa  date  ré- 
cente. Elle  a  été  composée  par  Joseph  Cormys,  chanoine  du  chapitre 
deVence,  en  1552.  M.  Paul  Meyer  l'a  publiée  dans  \b,  Revue  des  So- 
ciétés savantes^  6«  série,  t.  III,  p.  432'. 

5.  Les  Litanies.  Outre  la  paraphrase  que  je  publie,  on  en  possède 
une  autre,  en  33  couplets  de  4  vers  octosyllabiques,  qui  porte  pour 
titre,  dans  le  ms.  qui  l'a  conservée  (British  Muséum,  Harleien  3183) 
Letania  de  sant  Pierre  de  Luxenborc.  Elle  a  été  publiée  par  M.  H. 
Suchier  dans  ses  Denhnaeler,  I,  291.  Cf.  ihid.,  p.   549  2. 

C'est  bien  aussi  une  espèce  de  litanie,  mais  d'une  allure  beaucoup 
plus  lil)re  que  les  précédentes,  qu'une  longue  prière  en  vers  de  six 
syllabes,  où  Jésus-Christ,    la  Sainte  'Vierge,  saint  Jean-Baptiste   et 

1  On  remarque  dans  cette  pièce  un  exemple,  que  je  signale  ici  en  passant, 
du  pliénomène  mentionné  ici-dessus,  n»  14.  C'est  dalmage,  pour  daumage, 
où  17  se  trouve,  en  dernière  analyse,  remplacer  une  n  [dai7iJiage),  comme 
ailleurs  un  p,  un  c  ou  un  g  {salma,  sauma,  sagma). 

-  Saint-Pierre  de  Luxembourg,  évêque  de  Metz  et  cardinal,  né  en  1369, 
mort  le  2  juillet  1387,  à  Villeneuve-lez-Avignon. —  Les  catalogues  des  biblio- 
thèques de  Burgaud  des  Marets  et  de  Bory  mentionnent  des  cantiques  en 
provençal  moderne,  concernant  ce  saint,  que  je  n'ai  jamais  vus.  Voici  les  ar- 
ticles qui  les  concernent: 

"  Cantiques  provençaux,  renfermant  les  principales  actions  de  la  vie  du 
bienheureux  Pierre  de  Luxembourg.  S.l.n.a.,  in-18.  "  (N°  1315  du  catalogue 
Burgaud.) 

«  Cantique  du  bienheureux  Pierre  de  Luxembourg  (tout  provençal).  Avi- 
gnon, J.  Chaillot  (17,.),  in-32  de  15  pages.  «  (No  1900  du  catalogue  Bory.) 

S'agit-il  d'ouvrages  différents  ou  seulement  de  deux  éditions  différentes, 
diinl  la  seconde  ne  contient  qu'un  des  cantiques  annoncés  dans  la  première  ? 


EN  VERS  PROVENÇAUX  ïll 

saint  George  sont  seuls  nominativement  invoqués,  et  qui  a  été  com- 
posée vers  1340  par  Peire  de  Ladils,  de  Bazas.  On  pourra  la  lire  pro- 
chainement, avec  les  autres  poésies  du  même  auteur  qui  nous  ont  été 
conservées,  dans  un  volupae  actuellement  sous  presse  (J.-B.  Noulet 
et  C.  Chabaneau,  Deux  mss . xjrovençaux  du  XIV®  siècle,  p.  129). 


j-po  9  1.0]  ^    Lag  letanias  romansadas 

Totz  homs  [a]jsi  trobara, 
Las  cals  a  per  sert::  dechadas, 

4     Per  endrejsar  totz  cor  [va], 
Un  endigue  fil  e  frajre 
De  sant  Frances  tots  de  pla(n), 
E  qui  las  voira  retrayre 

8     En  ajsin  comensara. 

[V°]  2.  Heu,  forfacha  creatura, 

C'ay  laisatz  mon  creator, 
E  segu^  se[ne]s  mesura 

12    Del  mon^  la(s)  falsa(s)  honor(s), 
Vuelh  ad  el  merce  requerre 
Que  mi  perdon  ma(s)  folor(s), 
E  mon  cor  plus  dur  que  ferre 

16     Fassa  mol  per  sa  dosor. 

3.  Senlier  Dieu,  eternal  payre, 
Que  tu  as  lo  mont  formai, 

Cel  e  terra  e  mar  e  l'ayre, 
20     Et  yest  en  laTrenitat 
Tota  premiera  pressona, 
F°  10]  Fon  de  la  Devinitats, 

Tu,  Senhe[r],  a  miperdona 
24     Per  la  tieua  gran  bontatz. 

4.  Fil  de  Dieu,  Jesu  salvaire, 
Home  e  Dieu  verament, 

Que  de  Dieu  solet  lo  payre 
28     Nasquiest  tu  eternalment 


222  PARAPHRASE  DES  LITANIES 

E  volguist  del  cel  dejsendre 
Per  lo  nostre  salvament, 
Plasa  ti,  Senher,  de  rendre 
32     So  qu'ieu  queran  cor  dolent. 

5.  San^  Esperif,  en  qui  esperi, 
Lume  e  fon^  de  bontaù, 

[V°]  Hjeu  seitanamens,  e  crezi 

36     Que  la  tiua  magestatz 

Prosezis(t)  ensems  del  Pajre 
E  del  Fil  benaiiraf, 
Tu  mi  dona  ben  a  fajre 

40     E  mi  aleuges  de  peccat-. 

6.  Ayl  benezetas  pressonas, 
Creze(s)  e  saj  vos  per  ver  dir 
Quez  est  un  Dieu  tota[s]  hor'a[s] 

44     Ni  ma[ys]  ni  mens,  ses  mentir, 
Al  cal  nulha  ren  que  sia 
Pot  escapar  ni  fugir. 
Senher,  merce  ti  queria, 
[Fo  12]   48     Qu'ieu  ti  pogues  ben  servir. 

7.  iMayre  dona,  que  jest  rejna 
De  tôt  cant  Dieu  a  sot  si, 

A  mi,  Verges,  tu  cnclina, 
52     Per  lo  gran  ben  qu'es  en  ti  ; 

De  mi,  caytieu  tan  endigne, 

Merce  aias  a  la  fi(n), 

E[l]  tieu  car  fil  tan  bénigne 
56    Ti  plasa  pregues  per  mi. 

8.  Senher  sant  Miquel  arcangel, 
A  tu  mi  rendi  premier. 

Que  jest  per  cert  aquel  angel 
00     Que  prenes,  al  jorn  derier, 
[V°]  Dels  fizels  las  armas  [pias]. 

Et  en  iest  passionier  ; 
(Tu)  escuzes  las  falhas  mias 
04     Davant  lo  Rev  drechiirier. 


EN  VERS  PROVENÇAUX  in 

9.  (Tu)  Senher  sant  Guabriel,  mesage 
Que  fust  per  Dieu  elegutz, 

Per  ben  del  uman  linhage, 
68     A  portar  tan  grans  salutz, 

Quant  diejsist  :  Ave  Maria, 

Per  quel  mont  fon  rezemut, 

Prec  ti  que  fassa[s]  ioiz  dia 
72     Qu'ieu  las  non  venga  perdutz. 

10.  Sant  Raphaël,  sies  m'en  ajuda. 
[F°  13]            Meje  ye%i  de  Dieu  sertans; 

M'arma  es  a  mal  venguda, 
76     Car  per  sert  mon  cor  es  vans. 

A  tu  comande  ma  vida, 

Garda  mi  de  malas  mans, 

E  preguiera  fai  complida 
80     Qu'ieu  sie  al[s]  guach  sobejran[s]. 

11.  A  totz  ensens  mi  comandi, 
Angels  de  Dieu,  humilmens. 
Hieu  a  totz  conselh  demandi 

84     Que  mi  ajudes  brie[u]mens. 

Vulhas  tostens  mi  défendre 

De  totz  enfernals  tormens, 
[V°]  E  pregui[e]ra  a  Dieu  rendre 

88     Per  totz  mos  defalhimens. 

12.  Senher  sant  Johan  Baptista, 
Que  fust  per  Dieu  marturiatz, 

La  tieu(a)  testa  fon  requista 
92     El  tieu  sanc  fon  escanpatz, 

Per  conselh  de  Rodiana 

A  cubrir  sa[s]  malvestatz. 

Tu  m'arma  que  es  tan  vana 
96     Fay  perdonar  sos  pecatz. 

13.  Senher  sant  Pejre  de  Roma, 
La  tieua  ajuda  requier  ; 

En  tu  es  d'onor  li  soma, 
[F"  14]  100     Car  en  totz  fach  fost  premier. 


224  PARAPHRASE  DES  LITANIES 

(Fost  mes)  en  cros  per  la  fe  crestiana 
Fust  tu  pauzatz  en  derier; 
Tu  per  mi  perdon  demanda 
104     Davant  lo  Rey  drechurier. 

14.  Sant  Paul,  sobeyran  maestre, 
Motz  as  lo  mont  ensenhatz. 
Tu  en  la  cieutat  da  Lestre 

108     Verament  fust  lapidai, 

Salvant  los  autres  martires, 

Fust  pue[y]sas  decapitaz. 

Tu,  Senher,  los  mieus  sospi[re]s 

112    Eysauses  per  ta  pietatz. 

[V°]  15.  Sanct  Andrieu,  glorios  payre 

Que  en  Gressia  prediquiest, 
De  sant  Peyre  fust  tu  frayre 
116     E  Jesu  Crist  mot  amiest. 
Sus  en  la  cros  ti  leveron, 
Dos  jors  per  entier  i  'stiest. 
Tu  iestz  cel  que  armas  queron  ; 
120     Defentz  mi,  car  pietos  yes[t] . 

16.  Sant  Jaume  de  Conpostella, 
Que  fust  frayre  de  sant  Jehan, 

An  ti  troban  en  Conpostella 
124     Perdon  romieus  con  la  van. 

Tu  perdiest  per  Dieu  la  testa, 
[F"  15]  Apres  Crist  lo  premier  an  ; 

Fay  me  venir  a  ta  festa 
128     E  mi  garda  de  totz  dan. 

17.  Sant  Joan,  en  ti  ay  pauzada 
Tota  ma  fe  de  prezent  ; 

A  tu  fon   recommandada 
132    Li  mayre  de  Dieu  plazentz  ; 

Pueys  per  la  fe  chrestiana 

Fustz  mes  en  oli  bolhcntz. 

Tu  amor  mi  toi  mundana 
136    E  de  totz  mal  mi  defentz. 


EN  VERS  PROVENÇAUX  223 

18.  San/'  Tomas,  de  Djeu  apostol, 
Que  amiest  Dieu  coralmens, 

[V°]  Non  trobi  savi  ni  consol, 

140     Message  an  majs  de  sens. 
So  que  li  autres  crezian 
Volguist  proar  sertamens. 
Las  tiuas  preguieras  mi  sian 
144     Perdon  de  mos  failli  mens. 

19.  San  Jaume,  conhat  bénigne 
De  l'autre  c'aj  dich  desus, 
Home  tant  sant  e  tant  digne, 

148     Que  fust  semblant  a  Jésus, 
Tu  fust  per  ta  santa  vida 
Derocatz  del  temple  jus. 
Ajudafai  mi  complida, 
[F"  16]  152     Qu'ieu  huevmays  non  pecqui  plus. 

20.  Sant  Felip,  benastruc  pajre 
Quels  lasses  Somaritan[sJ 
Ajudiest  premier  a  trayre 

156     De  la  error  dels  paguans, 

Et  aguist  .11.  santa[s]  filhas 

Que  ti  jassian  davans, 

Tu  de  mi  faj  meravilhas 
160     Que  yeu  non  sia  tan  van[s]. 

21.  Sant  Bertomieu,  tu  reclami, 
Que  fust  viens  escortegat; 

Toi  mi  que  jeu  non  tant  ami 
164     D'aquest  mont  la  vauetat. 
[V"]  La  tieu  ajuda  mi  don  a, 

Rezem  mi  de  mos  peccatz, 
Car  de  ta(nt)  santa  persona 
108    Yulli  ades  esser  membras. 

22.  Sant  Matyeu,  latieu  ajuda 
Mi  trametas  per  pietat:;, 

Que  m'arma  non  sja  venduda 
172     Al  demoni  pei'  peccats. 

17 


226  PARAPHRASE  DES   LITANIES 

Domen  que  dizias  la  messa 
Fust  per  Dieu  marturiatz 
Fay,  senher,  que  yeu  pogessa 
176     Ben  servir  a  Dieu  en  grat-. 

23.  Sant  Simon,  la  tieu  ajuda 
j-jjio  j^ijrj             ^j  bezonha  e  del  prec  tieu. 

Hyeu  per  sert  ay  gran  pendensa(s), 
180     Senher,  del  falhimen(s)  mieu(s). 

Per  tu  fon  lo  convertida 

Guanren  de  gens,  so  say  yeu . 

Fay,  bon  payre,  que  ma  vida 
184     Sia  tota  plazent  a  Dieu. 

24.  Sant  Juda,  tu,  coral  payre, 
Non  yest  pas  l'autre  trachor; 
Mas  de  bens  no  ay  fach  gayre, 

188     Prec  ti  mi  sias  defensor. 
Tu  moris[t]  en  Ermenia, 
[V°]  Sebelit  fust  an  gran  lionor, 

Per  lo  pobol  que  crezia 
192    Jesu  Crist  nostre  senhor. 

25.  A  tu  vene,  sant  Mathias, 
Apostol  que  sucezist 

Ad  aquel  que  per  dénias 
196     Avia  vendut  Jezu  Crist  ; 

Pueys  prediquiest  en  Judea 

E  gran  pobol  convertist. 

Tu  m'ensenha  con  yeu  quera 
200     Los  gauch  als  quais  tu  venguist. 

26.  Sant  Barnaba,  tu  regarda 
La  mieu(a)  gran  necessitatz. 
Car  ades  mi  sec  gran  arda 

204     Dels  grans  mais  en  que  ay  obrat. 

Tu  fust  donat  per  corapanha 
[F"  18]  A  sant  Paul  ben[a]iirat. 

La  tieu  ajuda  mi  valha 
208     Que  yeu  non  sia  dapna^. 


EN  VERS  PROVENÇAUX  227 

27.  Tu,  sani  Luc,  verge  e  noble, 
Fust  plan  del  sant  [Ejsperit, 

Del  cal  en  Constantinoble 
212     Le  tieu  cos  fon  sebelit. 

Senlier_,  que  fust  tan  gran  mege 

E  per  sant  Paul  elegit. 

Garda  mi  d'aquelh  assege 
216     Quel  diable  l'a  establit. 

28.  Sant  Mar[c],  tu  fus[t]  de  sant  Peyre 
Dicipol  adoctrinat, 

[V°]  E  fust  adordenat  prejre 

220     E  evesque  mal  ton  gratz, 

Puejsas  lo  sant  jor  de  Pascas 
Tu  fust  per  Dieu  tirassa^. 
Prec  ti,  senher,  non  t'irascas 
224     Car  jeu  malvays  t'aj  preguatz. 

29.  A  tôt  enpcemps  yeu  supliqui, 
Companha  del  mieu  senhor, 

Sans  apostols,  qu'ieu  m'apliqui 
228    Tostems  de  vost[r]a  lausor  ; 
Princes  de  la  fe  cristiana 
Ajudas  (a)  mi  pecador, 
Que  m'arma  sia  ben  sertana 
[F"  19]  232     De  venir  al  rey  major. 

30    Als  .Lxxii.  decipols 


Que  foron  tan  bons  e  ymols, 
236     Que  per  mandament  espres 

Que  am  luy  s\acompanh(i)a[van], 

[E]  duy  e  duy  en  après 

Per  totz  los  luoch  (que)  predicavan 
240     Que  liom  Dyeu  del  cel  âmes 

31.  Pueys  requere  yeu  l'ajuda 
Dels  sant  petitz  Ignocens, 
Que  non  an  tracion  saupuda 
244     Ni  son  agutz  mal  disen(t)s. 


228  PARAPHRASE  DES  LITANIES 

Elegit  foron  ses  taca 
[V°]  De  totas  las  autras  gens. 

Prec  lur  yeu  que  m'arma'[flaca] 
248     Fassa[n]  ferma  a  totz  vens  . 

32.  Prec  ti,  martir  ^ant  [E]steve. 
Que  fust  per  Dieu  lapidatz, 

Li  tieu  ajuda  mi  levé 
252     Dels  mais  en  qu'ieu  sui  troba^. 

Poderos  santz,  tu  m'ensenha 

E  mi  garda,  si  ti  plas, 

Que  le  djable  non  me  prenha 
256     A  far  tantos  mais  peccatz. 

33.  Sant  Laurens,  qu'en  la  grajlha 
Per  Jesu  Crist  fust  raustitz, 

[F"  20]  Ben  mi  daria  meravilha 

260     Si  era  non  era  ejsa[u]zit. 

Tu  que  nasquiest  en  Espanha 
Et  a  Roma  fust  nuj'ritz, 
Guarda  mi  de  la  conpanha 
264     Dels  malignes  esperitz. 

34.  Sant  Vineens,  la  tieua  vida 
Mezist  per  nostre  Senhor. 

Per  tu  receup  en  partida 
268     Una  bona  gran   honor, 
E  Valensa  es  onrada 
Atressi  per  ta  valor. 
Faj  que  m'arma  sia  salvada 
[V]       272     Per  la  tiua  gran  duusor. 

35.  Sant  Blazi,  a  tu  vulli  requerre 
Qu'ieu  ti  sia  recommandât, 

Car  an  grans  pjenches  de  ferre 
276    Lo  tieu  cors  fon  esguiras  ; 

Puejs  per  lo  derer  martire, 

Fust  pue[j]sas  décapitât. 

Faj  an  Dieu  que  jeu  adiré 
2S0     La  viltat  de  mos  peccatz. 


EN  VERS  PROVENÇAUX  229 

36.  San  Gorg'i,  en  tu  ay  fiansa, 
Perque  lo  tieu  nom  requier. 
Home  veray  ses  duptansa 

284     Fust  e  liai  cavalier; 
[F°  21]  Tu  desliuriest  la  rejna 

Del  dragon  tôt  per  entier. 

La  mieua  arma  tant  mesquina 
288     Mi  defent  al  jor  derier. 

37.  Sant  Cristol,tu  ma  preguiera 
Ejsausa  per  ta  pietat  ; 

Dona  mi,  senher,  maniera 
292     Con  jeu  layse  tôt  peccat. 

Tu  que  per  Djeu  an  sagetas 

Aguist  ton  cor[s]  tôt  traucat, 

Fay,  senher,  que  tu  me  metas 
296    En  lavia  de  veritat, 

38, '^A  totz  emsens  hyeu  mi  rendi, 
rv]  Martirs  de  Dieu  coronatz. 

De  totz  cant  es  yen  entendi 
300     Esser  breument  melhuratz. 
En  guanron  trop  de  manieras 
Fost  per  Dieu  martiriatz  ; 
Fes  que  las  vostras  preguieras 
304     M'alaugon  de  mos  peccatz. 

39.  Sant  Martin,  hyeu  a  tu  veni, 
Evesque  de  Tos  guausentz, 
Hyeu  a  la  gent  fe  non  teni, 
308    Non  suy  a  Dieu  concezentz; 
Plasa  ti  que  per  mi  fassas 
Oracion  a  luy  prezentz, 
[F°  22]  Qu'ieu  non  passi  tantas  brassas 

312    Cant  yeu  fauc  marrit  dolent. 

40.  Sant  Nicolau,  dous  car  payre, 
Que  fust  sebelit  a  Bar, 
Hyeu  non  say  tos  bens  retrayre 
316     Ni  tôt  tos  bens  recontar. 


230  PARAPHRASE  DES  LITANIES 

Li  tieuavida  elumena 
Totz  sels  que  ben  volun  far 
Tu  mi  guisa  ben  a  fayre 
320     Qu'ieu  ben  mi  puesca  salvar. 

41.  Sant  Loys,  tu  de  Marsselha, 
Tu  lo  rialme  non  quist 

E  fist  so  que  Dieu  conselha, 
[V°]       324     Nostre  Senher  (Dieu)  Jesu  Crist. 
Evesque  fust  deTholosa 
E  gran  miracle  que  fist. 
La  mieua  arma  tant  ployrosa, 
328     Consira,  que  non  sia  trist(a). 

42.  Sant  Honorât,  tu  requeri, 
Nebot  del  rey  Aygolant, 

Que  de  règne  ni  d'enperi 
332     Non  volguist  ni  tant  ni  cant. 

Del  rey  Andriau  lo  tie(a)u  payre 

Ti  enbliest,  veray  cos  santz. 

Ajuda  mi  tu  a  traf)'re 
330     Dels  mais  en  qu'ay  estatz  tant. 

[F°  23]  43.  SantFrances,  que  comensiest 

L'orde  dois  frayres  menos, 
El  tieu  cors  [sant]  tu  portiest 

340     Las  plagas  e  las  dolos 

De  la  morte  de  Jesu  Crist, 
Laquai  el  sostenc  per  nos; 
Tu  mi  fay  y  star  avist 

344     Contrais  demonis  trachos. 

44.  Sant  Anthoni  que  d'Espanha 
A  Padoa  venguist  fenir, 
Fay  que  yeu  leu  pertanha 
348     Dignamens  a  Dieu  servir. 
Dona  mi,senlier,  maniera 
[V°]  De  to^  peccats  a  fugir, 

E  mi  mostrala  cariera 
352     Qu'ieu  puesca  adz  el  venir. 


EN  VERS  PROVENÇAUX  231 

45.  A  totz  emsens,  las,  peccayre, 

Mi  torn  als  sans  confeso(r)s. 

Prec  vos  que  yeu  puesca  fajre 
356     Conte  de  vostre  socos. 

Vos  Qt  cels  que  vostra  vida 

Mi  prestes  a  totz  onos; 

Fas  que  m'arma  sia  gandida 
360     De  las  enfernalsdolos. 

46.  Gloriosa  Magdalena, 
Que  autra  non  puesc  trobar 

[F"  24]  Que  de  gracia  fos  tan  plena 

364     Ni  pogues  tan  Dieu  amar, 

Con  tu,coral  donna  mieua, 

Que  podes  an  luj  tan  far  ; 

An  Fajuda  dousa  ti[e]ua 
368     Mi  fay  de  tôt:;  perdonar. 

47.  Santa  Marta.  ma  preguiera 
Ti  plasa  vuelhas  auzir, 

Car  en  tu  ay  fe  entiera 
372     E  ti  volgra  mot  servir. 
Jésus  Crist  el  enpersona 
Lo  tieu  cor  vole  sebelir. 
Verges  donna,  tu  midona 
[V°]        376     Qu'ieu  a  el  puesca  servir. 

48.  Santa  Aynes,  verges  pura 
E  tozeta  de  .xm.  ans, 
Sostengu[is]t  la  mort^  tan  dura 

380     E  fezist  miracles  grans. 

Tu  per  mi  Jesu  Crist  pregua, 

Senher  dels  senhoregans. 

Que  yeu,  las  peccador,  segua 
384     Las  peadas  del[s]  cos  sans. 

49.  Dona  santa  Catherina, 
Filha  de(l)  rey  terenal, 

Que  puy[s]  remanguist  reina 
388     Apres  ton  payre  carnal, 


232  PARAPHRASE  DES   LITANIES 

[F°  251  Tu  jove  perdiest  la  testa 

Per  lo  rey  celestial  ; 
Fay  queyeu  venga  a  lafesta, 
392    Al  règne  perpétuai. 

50 .  Verge  dona  santa  Clara, 
Digna  de  totas  honos, 
Gloriosa,  tu  m'anpara 

396    E  mi  tramet  ton  socos. 
Lo  mieu  cor  tu  elumena 
Et  eysauses  los  mieus  plos, 
Tu  que  fust  de  vertutz  plena 

400     E  de  totas  resplandos. 

51.  (A)  tu,  verges  santa  Lucia, 
[V"]                 Temple  del  sant  Esperit, 

Que  per  nulha  maystria 
404     Ton  cor[s]  non  poc  esser  aunit, 

Tu  fust  lo  decapitada 

Per  ton  Dyeu  [que]  t'o  graït. 

Fay  qu'em  breu  mi  sia  donada 
408     Gracia  qu'ieu  sia  eysauzit. 

52.  (Sauf)  Aguata,  verge  proada, 
Sya  ti  recomandat. 

Tu  fust  greumens  turmentada 
412     Els  pietsaguist  arabatz. 
L'angel  a  ta  seboutura 
Si  s'en  venc  aconpanhatz, 
[F*>  26]  E  fon  i  an  vestidura 

416     De  sobre  noble[s]  sandatz. 

53.  Santa  Cecilia  honrada, 
Que  per  nostra  fe  morist, 

E  fust  per  Tangel  gardada 
420     E  ton  espos  convertist, 

Ensenha  mi  ben  a  fayre 

E  mi  fay  estar  avist. 

Pregua  per  mi  lo  tieu  payre, 
424     Coral  amigua  de  Crist. 


EN  VERS  PROVENÇAUX  233 

54.  Verge  santa  Marguarida, 
Que  fust  messa  en  preon(s), 
Von  fust  grieumens  envazida 

[V°]       428     Per  aquel  malvays  dragon, 
Li  cros  ti  fon  en  ajuda, 
Don  venc  a  destrucion. 
Prec  ti  que  sias  entenduda 
432     D'acabar  mi  tôt:;  perdon. 

55.  Santa  Anna  preciosa, 
Auja  de  Nostre  Senhor, 
Per  ta  filha  gloriosa 

436     Ti  porta  om  tan  d'onor. 

Plasa  ti  que  mi  defendas 

De  tota(s)  mortal(s)  dolor, 

E  l'amor  de  Dieu  mi  rendas 
440    D'acabar  mi  totz  perdon. 

[F°  27]  56.  Vos  totas,  verges  guauzentas, 

Quel  mont  non  aves  amats, 
Ni  volgest  esser  consentas 
444     Do  perdre  vergenitatz, 

Requere  que  vostr  ajuda 
Mi  trametas  per  pietat, 
Que  m'arma  sia^rezemuda 
448    Els  mieus  mais  sian  perdonatz. 

57.  Senher  mieu,  Jesu  salvajre, 
Car  totz  los  sans  aj  pr.^guat 

Que  per  mi,  caytieu  pecayre, 
452    Davan  tu  sian  avocatz, 

Plasa  ti  que  lur  pregu[i]era[s] 
[V°]  Eysauces  per  _ta  pietat, 

Que  yeu  en'totas  manieras 
456     Puesca  venir  afiatz. 

58.  Tu  sabes  que  carn  humana, 
Senher,  per  mi  receupist, 

Ta  mayre  fezist  germana 
460     De  la  verge  on  veno-uist. 


234  PARAPHRASE  DES  LITANIES 

Donx,  si  tu  non  mi  perdonas, 
Ben  mi  puesc  tenir  pei'  trist, 
Car  aquel  ben  non  mi  donas 
464     Per  que  morir  tu  volguist. 

59.  Tu  lo  sant  jort  de  Calenas 
De  majre  verge  nasqui[e]st, 

[F°  28]  Solamens  per  mas  fazennas 

468     En  aquest  mont  tu  entriest. 
Aire  el  cor  non  t'istava, 
En  aire  non  trebalhiest, 
Mas  aco  que  tu  amava(s) 
472     D[e]  dapnacion  rezemiestz. 

60.  Tu  receupiest  lo  baptisme 
En  après  el  flun  Jordan, 
Senher  Dieu,  fil  del  Aptisme. 

476     Sant  Johan  lo  det  de  sa  man. 
Mas  tu  mestier  non  n'avias 
Ni  nol  receupiest  en  van  ; 
Dunx  tu  per  mi  o  fazias 
[V°]        480     Qu  ieu  fos  mundatz  de  tôt-  dan. 

61 .  Tu  fezist  la  carantena, 
Foras  en  luoc  descubert:;. 
Per  mi  sofrist  tan  grieu  pena 

484     .Xl.  jors  el  dezertz. 

Aqui  ve[n]quiest  lo  demoni, 
Cant  Taguist  guanren  sufert. 
Ayso  m'es  donx  testimoni 

488     Que  merce  m'auras  per  certs. 

62.  Mort  e  passion  as  suferta 
Per  mi,  tant  vil  peccador. 
Adonx  l'on  li  fons  uberta 
492     De  la  tieua  gran  dosor, 
\F°  29]  E  fon  amor  ses  mezura 

Que  tu,  Eternal  Senhor, 
Per  mi,  tan  vil  creatura, 
496     Portessas  tan  de  dolor. 


EN  VERS  PROVENÇAUX  235 

63.  Pueysas  que  aguist  vencuda 
La  nostra  morts  gen[e]ral, 

La  vida  qu'avia[m]  perduda 
500     Restauriest  totz  per  eguaL 

Avant  que  ressucitessas 

Lo  tieu  cor[s]  era  mortal, 

Pueys  fon  digne  quel  mudessas 
504     A  vida  perpétuai. 

64.  (Et)  en  après,  si  con  tanhia, 
[V°]                 Senlier,  al  cel  t'en  montiest; 

Mas  la  santa  conpanliia 
508     Del[s]  apostols  sa  laysiest, 

Per  so  que  nos  ensenhesan 

So  que  tu  per  nos  obriest, 

E  qu'ey[sem]ple  nos  mostressan 
512     De  Tamor  que  nos  portiest. 

65.  Domens  quel[s]  dons  esperavan 
Que  de  tu  avian  auzitz, 

Un  jortc  qu'els  empsems  estavan, 
510     Lur  venc  lo  santz  Esperi^, 
Per  lo  cal  en  pauc  de  temps 
Totz  lo  mont  fon  convertitz, 
[F"  30]  E  tuch  li  fiels  ensems 

520     Foron  ensems  aiini^, 

66.  Estas  cauzas  as  tu  fâchas, 
Senher,  per  nos  peccado(r)s, 

Et  as  nostras  armas  trachas 
524     De  tantas  mala[s]  erros. 

Per  que  donx  merce  ti  clami 

Que  reguardes  los  mieus  plos; 

Non  vullias  que  yeu  mi  dampni, 
528     Pos  que  tant  as  fach  per  nos. 

67.  Al  jorn,  Senher,  del  juzizi, 
Cant  venras  lo  mont  jujar, 

Hon  tracion  ni  mal  vizi 
[V]       532     Non  si  poyra[n]  amaguar, 


236  PARAPHRASE  DES  LITANIES 

Plasa  ti  que  mi  perdones 
E  non  mi  vulhas  dapnar  ; 
Mas  a[m]  totz  los  santz  mi  dones 
536    Qu'ieu  al  cel  puesca  montar. 

68.  Prec  ti,  Senher,  que  al  peccayre 

Qu'esto  romans  a  parlât:;, 

Fer  vezer  lo  sieu  [car]  payre 
540     Sant  Castor  benaiiratr, 

Layses  far  vida  tant-  digna 

Que,  cant  el  sera  passatz, 

A  la  tieu(a)  cara  benigna 
544     Fer  Fangel  sia  presentatz. 

AMEN., 


NOTES 

V,  4.  «  [va.]  »  Le  copiste,  si  c'est  bien  ce  mot  qui  manque,  l'aurait 
sans  doute  écrit  van.  Cf.  vv.  6  et  54.  Le  dernier  mot  fait  pareille- 
ment défaut  aux  vv.  61  et  247, 

18.  Coït.  Tu  que  as  ? 

26.  «  Home.  »  Il  semble  y  avoir  liomo  dans  le  ms.  Corr.  Hom. .  . 
cerayament? — 27.  Remarquer  ici  l'emploi  du  diminutif  so/ei,  dans 
le  même  sens  que  sol,  emploi  tout  à  fait  conforme  à  l'usage  moderne. 
—  28.  Ms.   eternalmens. 

33.  Prononcez  quiesperi,  en  trois  syllabes?  ou  suppr.  Ye  initial  de 
esperi  (qui  'speri)? —  33-5.  «  esperi  :  crezi.  «L'auteur  confondait- 
il,  comme  on  le  faisait  à  Arles  de  son  temps,  l'r  et  Vs  douces?  On 
aurait  ici,  dans  ce  cas,  une  rime  complète,  au  lieu  d'une  simple  as- 
sonnance.  —  35.  «  e.  »  Corr.  o,  en  supprimant  la  virgule? —  36. 
Vaudrait-il  mieux  écrire  Que  et  conserver  prosezist  au  v.  suivant? 
Mais  e  pour  en  n'est  pas  de  la  langue  de  notre  texte. 

43.  «Quez  est  un.  «Ms.  El  est  an.  —  47.  «  queria.  »  Pour  querria, 
conditionnel. 

54.  «  sot  si.  ))  =  sol:  si.  M.  Lieutaud  a  lu  socsi.  C'est  de  cette 
forme,  à  sifflante  disparue,  que  vient  le  moderne  souto  (sota  déjà  au 
XllP  siècle). 

62.  Corr.  E  que   en   icsl  ptassonier   (ce   dernier  mot   étant  pour 


EN  VERS  PROVENÇAUX  237 

parsomer)? —  63.  (c  falhas  mias.  »  Ms.  mieua  falhas .  11  n'y  a  pas 
d'exemple  de  cette  forme  tnias,  non  plus  que  des  pareilles,  tia,  «f'a^dans 

notre  texte,  qui  ne  connaît  que  mieua,  tiua,  tieua Cela  pourrait 

rendre  suspecte  ma  correction.  M.  Lieutaud  s'est  borné  à  suppléer 
de  Dieu,  après  fizels,  au  v.  61,  qui  par  suite,  chez  lui,  comme  dans  le 
ms.,  assonne  seulement  avec  le  v.  63  [armas :  falhas). 

73.  Suppr.  en?  Ou  prononcer  en  une  seule  les  deux  dernières  syl- 
labes de  Raphaël  ?  On  dit  aujourd'hui,  en  Provence,  Rafel  ou  Rafev. 

82.  Ms.  Aagels. 

93-   «  de  Rodiaua.  »  Ainsi  divisé  dans  le    ms.  (pour  d'Erodiada). 

—  95.  Corr.  A  m' arma  f 

97. u  Peyre.  »  Le  ms.  a  seulement  P. —  99. «  soma,»  Ms.  sûma. 

—  103.  <c  demanda.  »  Corr.  demana?  Cf.  vv.  465,  467,  où  nas, 
nnas=  ndas.  —  104.  Ce  vers  reproduit  le  64^,  qui  termine,  comme 
ici,  un  couplet.  Est-ce  une  répétition  fautive? 

107.  <c  da  Lestre.  »  La  ville  de  Lystre,  dans  TAsie-Mineure. —  109. 
Vaudrait-il  mieux  corr.  martirs  et  conserver  sospis  au  v.  111?  J'ai 
préféré  faire  l'inverse,  le  sj'stème  rythmique  de  la  pièce  paraissant 
exiger  ici  des  rimes  féminines.  Cf.  ci-dessus,  p.  210. 

119,  «  armas  queron.  »  Ms.  marma  queres. 

122,  Suppr.  de  ou  pron.  Johan  en  une  seule  syllabe?  Cf.  vv.  129, 
476.  La  forme  contractée  John,  qu'on  trouve  dans  quelques  textes, 
est  une  conséquence  de  cette  prononciation  monosyllabique. 

123.  («  Conpostella.  »  Répétition  évidemment  fautive.  Corr,  Cas- 
tella?  Vautewc  aura  pu  confondre  la  Galice  avec  la  Castille. 

134.  «  mes,  »  Ms.  pauzatz .  Cf.  vv.  101-102, 

139.  «  consol,  )>  Ms  .  conselh.  La  correction  ne  procure  qu'une 
assonnance,  et  l'on  voudrait  une  rime  pleine.  Mais  cf.  ci-dessus, 
p.  210,  1.  5-7.  —  140.  Suppl.  iVi  devant  message  ?  Ou  corr.  Ques  aije 
agut? —  143.  «  tiuas.  «Corr.  tiens. —  «  sian.  »  Ms.  siaz . 

145.  «  conhat.  »  Ms.  con  y  est.  Conyat  serait  plus  près  de  la  le- 
çon du  ms.  Mais  notre  texte  ne  connaît  pour  !"«  mouillée  d'autre  signe 
que  nh\  ny  est  catalan.  Jacques  le  Mineur,  dont  il  s'agit  ici,  était, 
d'après  la  légende,  cousin  de  Jacques  le  Majeur,  ou  de  Compostelle, 

154.  Ms.  Que  es  laze.  Cf.  Actes  des  Apôtres,  ch.  viii,  v.  5-8, 
L'épithète  lasses  (malheureux,  cf.  vv,  72  et  353),  que  je  substitue  à 
laze  (qui  serait  pour  lazer,  lépreux),  s'explique  par  ce  dernier  verset 
et  le  précédent. —  158.  Ms.  davant.  Les  deux  filles  de  l'apôtre  Phi- 
lippe furent,  d'après  la  Légende  dorée,  ensevelies  auprès  de  lui.  C'est, 
sans  doute,  ce  que  notre  auteur  veut  dire  ici.  Mais  il  a  confondu  avec 
l'apôtre  un  autre  personnage  du  même  nom.  C'est  ce  dernier,  le  diacre 
Philippe,  qui  convertit  les  Samaritains.  Voy.  les  Actes  des   apôtres, 


238  PARAPHRASE  DES  LITANIES 

à  l'endroit  cité  tout  à  l'heure,  et  la  Légende  dorée,  t.  I,  p.  98,  de  la 
traduction  de  G[ustave]  B[runet]. 

1G5.  Ms.  Sant  apostol  tu  m'ajuda. 

169.  Ms.  la  lieuaiuda.  —  171.  «  venduda.  »  Ms.  vendem. 

177.  «  la  tieu  a-juda.  »  Répétition  fautive  de  la  fin  du  vers  corres- 
pondant du  couplet  précédent.  Corr.  de  ta  defensa?  ou  de  ta  va- 
lensa?  —  180.  «  del.  »  Ms.  des  ou  del .  La  dernière  lettre  n'est  pas 
sûre. 

187.  «  Mas.  »=  quoique? —  «  gayre.  »  Ms.  ganre  {ou  gauré). — 
190.  Suppr.  gran'i  ou  fust? 

193.  Ms.  venc. . .  .Matieu. —  195.  «  dénias.  >>  Ms.  deneyrs.  La 
substitution  de  ia  à  ie  dans  le  suffixe  ier  est  commune  en  Provence 
au  XlVc  siècle.  D'un  autre  côté,  ce  qui  est  dit  ici  s'applique  à  saint 
Mathias  et  non  à  S.  Mathieu.  La  double  correction  était  donc  toute 
indiquée.  —  197-199,  On  aurait  pu  prononcer  d'une  part  Judeza  (cf. 
cavazier,  malazurat,  etc.,  etc.),  de  l'autre  queza  (cf.  ci-dessus  la 
note  sur  vv.  33-35),  ce  qui  aurait  donné  une  rime  pleine  effective. 

203.  «  sec.  »  M.  Lieutaud  a  lu  fec.  —  «  arda.  »  =  équipage,  ba- 
gage, charge;  ici,  bien  entendu,  métaphoriquement. — 204.  Suppr.  enf 
ou  grans  ?  —  «  que  ay .  »  Ms .  que  y  a .  —  205-207.  Ici  encore  la  rime 
peut  avoir  été  moins  incomplète  qu'elle  ne  paraît,  les  deux  consonnes 
mouillées  Ih  et  nh  s'étant  souvent  fondues  l'une  et  l'autre  en  un  sim- 
ple y.  —  207.  Ms.  tteuajuda. 

211.  Ms.  contas tinoble.  C'est,  paraît-il,  en  357,  sous  l'empereur 
Constance,  que  les  reliques  de  saint  Paul  furent  transportées  de  Fa- 
tras à  Bysance.  Il  faut  sans  doute,  par  rfeZcaZ, entendre  :  sous  l'inspi- 
ration, ou  par  l'ordre,  du  Saint-Esprit.  —  213.  Ms.  gram.  —  215. 
c(  assege.  »  Subst.  verbal  de  assetjar.  Ms.   assage. 

217.  «Peyre.  «Ms.  seulement  P.  —220.  Ms.  Evesqiie  e.—  223. 
Ms.  irascatz.  Ce  vers  et  le  suivant  sont  intervertis  dans  le  ms. 

227.  «  m'apliqui.  «  Conjecture.  Ms.  entende.  —  228.  «  de.  » 
Corr.  a  ? 

234.  Suppl.  Totz  mos  pecatzyeu  confes?  ou  De  mos  p.  mi  c.  f  — 
235.  Ms.  ey  mois.  Ymols  =  umils.  On  trouve,  dans  la  Vie  de  saint 
^o«orai,  l'adverbe  humolment. —  236.  «  Que.  »  Corr.  E.*  ou  faire 
la  môme  correction  au  vers  suivant.  —  237-8.  Ms.: 

Que  aman  sa  corapanhia  duy 
E  duy  ennapres. 

Pour  le  V.  237,  on  pourrait  aussi  proposer:  Qu'en  sa  companhia 
anavan. 

241 .  «  Pueys.  »  Mot  gratté  ;  on  ne  distingue  plus  que  ys.  —  242. 


EN   VERS  PROVENÇAUX  239 

«ignocens.  »  Ms.  igtnocens,  avec  un  tilde  sur  Vm.  —  245.  «  ses.  » 
Ms.  sans  set. —  247.  «  [flaca].  »  Sic  dans  l'édit.  de  M.  Lieutaud. — 
248.  «  vens.  »  Ms .  bens.  Ce  ne  peut  être  ici  qu'une  faute  toute  ac- 
cidentelle et  dont  il  n'y  a  à  tirer  aucune  conséquence  phonétique, 

251.  Ms.  tieua  juda,  — 253.  Ms.  podoros. —  255.  Ms.  prëna, 
T^ouv  prenda . 

269.  Ms.  e  valhansa  et  onransa.  S.  Vincent,  diacre  et  martyr, 
dont  il  s'agit  ici,  était  de  Valence,  en  Espagne,  ce  qui  justifie  ma 
correction. 

273.  Ms.  vulh  el  querre.  La  correction  a  déjà  été  faite  par  M.  Lieu- 
taud. —  277.  «  Pueys.))Corr.E.? 

285.  «  la  reyna.  »  Non  pas  la  reine,  mais  la  fille  du  roi,  d'après  la 
légende.  Peire  de  Ladils,  dans  la  prière  mentionnée  plus  haut,  p.  221, 
est  sur  ce  point  plus  exact  que  notre  auteur- 

E  pueys  requier  ma  fes 
San  Jorge  que  m'ajut, 
Si  quem  done  verlut 
Contra  los  enamix, 
Quar  el  es  sansabrix 
A  gens  de  son  autrey. 
Que  la  filha  d'un  rey 
D'un  mal  drago  sostrays, 
Qu'anc  no  la  mes  el  cays 
Nil  fe  ges  vilanias. 

Il  existe  une  vie  de  S.  George  en  vers  provençaux,  qui  nous  a  été 
conservée  dans  une  copie  unique,  et  malheureusement  fort  mauvaise, 
B.  N.  ms,  14973,  f'"'  27  v''-44  v°).  Cet  ouvrage  est  encore  complète- 
ment inédit.  Aussi,  je  l'espère,  mes  lecteurs  me  sauront-ils  gré  d'en 
extraire  pour  eux  l'épisode  de  la  délivrance  de  la  princesse.  On  le 
trouvera  ci-après  au  n°  III  de  l'appendice.  —  286.  Ms.  gragon.  Cf. 
v.  428. 

293-294.  ((  Tu  que aguist  ton  cors.  »  Peut-être  faut-il  enten- 
dre :  «  Toi  que  tu  eus  ton  corps  . ...»  et  non  «  qui  eus ....  »  Cf.  ci- 
dessus,  p.  217,  n°  23.  D'après  la  légende,  S.  Cristophe  eut  la  tête 
tranchée.  Les  flèches  lancées  contre  lui  par  400  soldats  restaient  en 
l'air,  et  aucune  ne  l'atteignit. 

299.  Ms.  entende. 

305.  Ms.  Martim. — 308.  «  concezentz.  »  Corr.  contendentz?  Ou 
seulement  contezentz,  qui  serait  un  mot  formé  sous  l'influence  de 
contesa? —  310.  Corr.  Oracions...  plazent;:?  Ou  faut-il  entendre  : 
«en  présence  de  Dieu  »    (présent  devant  lui)?  —  311.  «  brassas.  » 


040  PARAPHRASE  DES  LITANIES 

Corr.  Irassas  (tant  de  misères)?  Voyez  trasso  dans  le  dict.  d'Azaïs. 
Ou  brassa  serait-il  synonyme  de  travail,  peine  f  Un  hrassier  est 
un  homme  qui  travaille  de  ses  bras,  un  journalier,  un  homme  de 
peine. 

316.  «  tosbens.  »  Répétition   sans  doute  fautive,  Corr.  tos  fach? 

—  319.  Corr.  Tu  a  ben  faire  mi  mena  ?  —  320.  Ms.  pusesca.  Suppr. 
ben,  en  corr.  Qtte  yeu? 

322.  «  non  quist.  »  La  lecture  de  non  est  incertaine;  le  mot  est 
surchargé.  M.Lieutaud  a  lu  conquisl;  mais  cela  ne  peut  convenir,  car 
saint  Louis  de  Marseille,  loin  de  conquérir  «  le  royaume»  (celui  de 
Naples),le  refusa,  au  contraire,  pour  se  consacrera  Dieu, et  céda  tous 
ses  droits  à  son  frère  Robert. —  326.  Corr.  grans  miracles? —  327. 
«  ployrosa.  wRaynouard  a^)Zo)'<os,d'où^?oiVos  se  déduit  sans  peine. 

329.  Ms.  requere. —  332  <(  tieCa)u.  »  Ou  ti(e)at<  ?  Cf.  Andriau. 
qui  précède  immédiatement.  Le  copiste  a  fondu  les  deux  formes  en 
une  seule. —  334.  Ms.   enblieust. —  336.  Ms.  en  quay  tant  estatz . 

340.  Allusion  aux  stigmates  de  S.  François  d'Assise.  — 342.  Ms. 
soslent. 

347.  Corr.  que  a  mi  leu? —  350.  Ms.  afigir.  —  352.  ^^  venir.  » 
Ms.  fugir,  répétition  fautive  de  la  rime  du  v.  350. 

357.  Ms,  vostra  iucla.  —  358.   «  Mi  prestes'.»  Corr.  Apreslel? 

—  «  onors.  »  Ms.  onorts . 

376.  «  servir.  »  Répétition  sans  doute  fautive  de  la  fin  du  vers  372. 
Corr,  grazir? 

'S71 .  «pura.  »  Ms,  proada 

391 ,  «  a  la  festa.  »  Ces  mots  sont  ajoutés  d'une  main  plus  récente. 
Corr.  ta  f.  ?  Cf.  v.  127.  —  392.  «  perpétuai.  »  On  avait  d'abord 
écrit  celestial,  répétition  fautive,  corrigée  par  la  même  main  qui  a 
complété  le  vers  précédent. 

395.  Ms,  m'enpera.  —  397.  «  cor.  »Ms.  cos. 

404,  Ms,  Tant.  —  Suppr.  non  (cf.  v,  46)?  ou  remplacer  esser  par 
estref —  406,  Ms.  Per  nom  dyeii  la  grait.  Correction  déjà  faite  par 
M.  Lieutaud,  sauf  la,  qu'il  a  conservé.  On  pourrait  aussi  penser  à 
Pel  nom  Dyeu . 

409.  Ms,  Santa  guata.  —  410.  «  recomaudat[zj.  »  Ms.  coman- 
dadat.  —  412.  Ms.  piecs.  —  413.  «  L'angel. ...»  Legenda  Aurea  : 
«  Cum  autem  fidèles  cum  aromatibus  corpus  ejus  condirent  et  in 
sarcofago  collocarent,  quidam  juveuis  sériels  indutus  cum  plus  quam 
ceutum  viris  pulcherrimis  et  ornatis  ac  albis  indutis,  qui  nunquam  in 
illis  partibus  visi  fuerant,  ad  corpus  ejus  venit., ,  .» —  414,  «  venc.  » 

'  Faute  qui  fjaraît  êlre  la  coaséquence  de  celle  que  le  copiste  a  commise  au 
v.  356,  eu  substituant  ajudahvida. 


EN  VERS   PROVENÇAUX  241 

Ms.  tenc.  —  415.  u  i.  »  Entre  deux  points  dans  le  ras.,  comme  si 
c'était  le  nombre  un. 

430.  Ms.  ad  estrucion. 

433.  M.  Lieutaud  ajoute  cVAt,  après  Anna.  Cette  addition  n'est 
pas  indispensable,  l'élision  de  Va  final  de  santa  n'étant  point  obliga- 
toire et  preciosa  ayant  régulièrement  quatre  syllabes. — 434.  «  auja.  » 
M.  Lieutaud,  comme  Raynouard,  écrit  avia.  Mais  cf.  aujol,  où  la 
prononciation  duj  est  certaine. —  438  Ms.  dolos. —  440.  Répétition 
fautive  du  v.  432,  qui  termine  le  couplet  précédent.  Corr.  Quem  sal 
(ou  quem  gart)  del  diable  trachor? 

446.  Ms.  trametes. 

450-51 .  Ms.  Que  totz . .  .  Car  per. .  . 

458.  Ms .  receupest .  —  459.((  germana.»  Remarquer  l'extension  de 
sens  donnée  ici  à  ce  mot  :  ((  ta  mère  naturelle,  ta  mère  selon  la 
chair.  » —  460.  Ms.  venguest. 

469.  «  cor.  »  Ms.  cos .  —  471.  (c  aco.  )>  Le  neutre  pour  le  masc. 
pluriel  :  «  ce  qui  t'aimait  »,  pour  «  ceux  qui  t'aimaient.  » 

473.  «  receupiest.  »  Ms.  resemiest.  —  474.  Ms.  E  après  lo  f. — 
476.  Ms.  de  la  sieua  man.  —  478.  «  nol  receupiest.  »  Ms.  non  lo 
ronpiest. —  480.  «  dan.  »  Ici  au  sens  de  péché,  comme  déjà  peut-être 
au  V.  128.  Ailleurs  ^,  pe'cAe,  inversement,  signifie  souvent  malheur, 
le  péché  étant  en  effet  pour  un  chrétien  le  plus  grand  malheur  pos- 
sible. De  là  l'exclamation  pecaire,  que  tout  le  monde  ici  connaît  bien, 
de  même  que  son  ancienne  traduction  française  pechère,  d'un  si  grand 
usage  encore  aujourd'hui. 

483.    «  sofrist.  »  Ms.  volguist.  —  488.  Ms.  m'aures. 

494.  senhor,  au  vocatif,  et  sans  s,  n'est  point  une  faute.  Au  temps 
de  notre  auteur,  comme  en  témoignent  les  Leys  d'amors,  ce  mot  et 
les  pareils  étaient  itidifférents,  c'est-à-dire  qu'on  pouvait  écrire  à  vo- 
lonté senlior  ou  senhors  au  cas  sujet. 

513.  «  esperavan.  »  Ms.  esperitz.  — 514.  Ms.  aiizitz  o.vian.  — 
520.  «  ensems.  >■>  Répétition  évidemment  fautive.  Corr.  adonx? 

523.  «  trachas.  »  Ms.  fâchas.  Correction  déjà  faite  par  M.  Lieu- 
taud. 

529.  Ms.  del  juzizi  senher. —  532.  »  poyra[n].  »  Peut-être  |îO(/ra 
serait-il  à  conserver  ;  tracion  et  vizi  pourraient  fort  bien  être  au  sin- 
gulier, malgré  l'absence  de  l's.  —  535.  «  dones.  «  Ms.  donas . 

537.  «  al  peccayre.»  Remarquer  ici  peccayre  au  cas  régime,  comme 
déjà  senher,  v.  382.  Inversement  on  a,  vv.  383  et  494,  peccador  et 
senhor  au  cas  sujet.  Nous  savons  par  les  Leys  d'amors  que  le  rapport 

'  Par  exemple  Chanson  de  Roland,  v.  15. 

18 


242  PARAPHRASE  DES  LITANIES 

grammatical  de  ces  formes  de  l'ancienne  déclinaison  à  accent  mobile 
avait  déjà  cessé  d'être  senti  au  XI V*^  siècle.  On  n'y  voyait  plus  que 
des  synonymes.  —  539.  «  [car].  »  Sic  chez  M.  Lieutaud.  Ou  pourrait 
aussi  bien  suppléer  bon.  — 541.  «  Layses.  »  Ms.  Laysi. 


APPENDICE 


I 
Paraphrase  de  l'Ave  Maria 


Ave  Maria 

Mayre  de  Dieu,  prendes  en  grat, 
Per  vostra  gran  humilitat, 
Aquest  salut  del  rej  del  cel, 
4     Que  vos  trames  per  Gabriel. 

Gracia  plena 

De  tota  gracia  cornplimen 
Aves  sens  tôt  defalhimen. 
Per  vos,  Dona,  siam  complit 
8    De  vertutz  del  Sant  Sperit^, 

Dominiis  tecum 

Dona,  la  Sancta  Trinitat, 
Per  sobre  granda  caritat, 
Fes  de  vos  temple  glorios, 
12    Fer  que  tostemps  siaz  am  nos. 

Benedicta  tu  in  miilieribiis 

Sobre  totas  vos  benezi 
Sel  que  per  maire  vos  cauzi. 
Pregas  quens  vuelha  benezir 
16     E  [que]  nos  garde  de  faillir. 

Voir  ci-dessus,  p.  219.  —  ^  Prononcez  espe^vY,  comme  en  catalan. 


EN   VERS  PROVENÇAUX  243 

Et  benecllctus  fruclus  ventris  lui  Jésus 

Dona,  aquest  fruch  glorios, 
Sobre  tôt  quant  es  precios, 
Es'  benezechper  tôt  quant  es, 
20     Car  fon  e  vida  de  tôt  be  es*. 

Sancta  Maria  mater  Dei,  ora  pro  nobis. 

Amen. 

Sancta  Maria,  pregas  per  nos 
Lo  vostre  car  filh  glorios, 
Quen(o)s  sia  tostemps  veraj  confort, 
24     E  nos  garde  de  mala  mort. 

Amen. 


II 
Paraphrase  du  Credo  ^ 

Credo 

De  tôt  cor  crezi  fermament 
E  confessi  verayament 
Los  sans  artiches  de  la  fe, 
4     Que  son  fondament  de  tôt  be(n). 

In  Deiim 

Tôt  premier  crezi  que  Dieus  es 
Sobeiran  a  trastotas  res  ; 
Très  personas  certanament 
8     Son  un  ver  Dieu  ses  partiment. 

*  Ms.  Fes.  —  2  Corr.  Ca)-  es  vida  e  fons  de  totz  bes'i 

•^  Voir  ci-dessus,  p.  220.  Je  rétablis  le  texte  du  ms.,  là  oîi  le  premier  éditeur 
l'a  induement  modifié,  d'après  les  indications  fournies  par  ses  notes.  Quel- 
ques-unes ne  sont  pas  très-claires.  Ainsi  aux  vv.  13,  19,  33,  35,  on  ne  voit 
pas  bien  si  Te  de  que,  qui  doit  être  élidé,  l'est  ou  non  dans  le  ms.;  au  v.l6, 
(et  bes  au  lieu  de  ben  »,  dit  la  note),  si  le  ms.  porte  en  effet  bes,  qu'exige  la 
rime,  ou  ben.  Aux  vv.  29-30,  M.  André  a  imprimé  volt  sufrit.  .  .  .  morit  ; 
fautes  de  lecture  évidentes  pour  uo/c  sii/re>...  morir. 


244  PARAPHRA.se  DES  LITANIES 

Patrem  omnipotentem 

Crezi  el  paire  glorios 
Ques  [es]  un  Dieu  tôt  poderos, 
Ses  fin  et  ses  comensament, 
12     Dont  totz  los  bens  an  naisement. 

Creatorem  cceli  et  ierrœ 

E  crezi  qu'el  creet  de  nient, 
Per  vertut  de  son  mandament, 
Cel,  tera,  mar  e  tôt  quant  es, 
16     E  ses  luy  non  es  nengun  bes. 

Et  in  Jesuni  Christum  Filium  ejus  unicum  Bominum  noslrum 

Et  ay  ma  fe  el  Salvador 
El  Filh  de  Dieu,  nostre  Senhor, 
Qu'es  nat  del  Paire  am  elaritat, 
20     Ejgual  am  luj  en  magestat. 

Qui  conceptus  est  de  Spiritu  Sancto 

E  crezil(o)  sant  conceupement 
De  luy  el  sant  encarnament, 
Et  tôt  so  per  sert  si  conplit 
24     Per  hobra  del  Sant  Sperit-, 

Natus  ex  Maria  Yirgine 

Et  crezi  que  del  cors  sagrat 
Dont  près  veraja  humanitat 
De  Maria  Verges  nasquet, 
28    Ver  hom  e  ver  Dieu  si  mostret. 

Passus  sub  Pontio  Pilato,  crucifixus,  mortuus  et  sepullus 

Apres  breument  el  vole  sufrir 
Greu  turment  et  per  nos  morir 
En  la  cros,  bon  fon  clavellat, 
32     E  pueis  el  sépulcre  pauzat. 


*  Prononcez  esperit,  et  de  même  au  v,  49.  Cf.  la  note  2  de  la  p.  242  ci- 
dessus. 


EN  VERS  PROVENÇAUX  245 

Descendit  ad  inferos 

En  après  crej  qu'el  deysendet 
Als  infers  els  espoliet 
E  en  trais  sels  qu'  avie  creatz 
36    Que  per  luj  fossan  deiliuratz. 

Tertia  die  resurrexit  a  mortuis 

Apres  crezi  que  lo  ters  jorn 
S'en  retornet  en  aquest  mon, 
El  sieu  sant  cors  resuscitet 
40     E  g-lorios  lo  recobret. 

Ascendit  ad  cœlos,  sedet  ad  dexteram  Dei  patris  omnipotentis 

En  après  crey  qu'el  s'en  montet 
Al  sieu  paire,  que  l'eysauset 
En  sobeirana  dignitat, 
44     Sobre  tôt  autre  principat. 

Inde  venturus  est  judicare  vivos  et  mortuos 

Et  d'aqui  vertadierament 
El  venra  far  lo  jujament, 
E  resebran  lur  guizardon 
48     (Totz)  sels  que  seran  malvas  ho  bons. 

Credo  in  Spiritum  Sanctum 

El  Sant  Sperit  es  ma  fe[s] 
Que  fon  per  Jhesu  Crist  trames, 
Per  los  (santz)  apostols  ensenhar 
52    E  per  totz  fizels  endreissar. 

Sanctam  Ecclesiam  Catholicam       ^ 

Sancta  Gleysa  crey  fermament 
Que  deu  venir  a  salvament, 
La  cal  ten  fe  de  veritat 
56    Am  compliment  de  karitat. 

Sanctorum  communionem 

E  crey  que  la  comunaltat 
Dels  sans  es  vera  sanctitat. 


246  PARAPHRASE    DES   LITANIES 

Car  receubron  los  sagramens 
60     De  sancta  Gleysa  dignamens. 

Remissionem  peccatorum 

Crezi  per  cei't  que  totz  pecatz 
En  la  Gleisa  son  j)erdonatz 
Pervertut  del  Sant  Esperit, 
64     Si  com  es  per  luj  establit. 

Garnis  resurrectionem 

E  crey  que  tôt  cors  receubra 
L'arma  que  ajudat  li  aura, 
Que  sien  ensems  guizardonatz, 
68     Per  tos  tems  salvatz  ho  dampnatz. 

Yitam  œlernam 

Crezi  quels  bons  tostems  viuran 
Lai  sus  el  cel  on  Dieu  veiran, 
E  li  mais  auran  piejs  de  mort, 
72     En  enfern,  ses  nengun  conort. 

Deo  (jr alias.  Amen. 


III 
Vie  de  saint  George  {Extraity 


[F°    27  V°]  SEQUITUR   VITA   BEATI   YEORGIJ 

^1  nô  de  Dieu  omnipotent, 
Vos  perpaus  de  contar  breu  mens  - 
La  vida  d'un  sant  cavalier 
Cui  apeleron  li  permies 
5    Jorgi,  et  nos  sant  Jorgi  Tapelam, 
Perla  santitat  que  y  atrobam. 


>  Voy.  ci-dessus,  p.  239.  —   -  Ainsi  divi.é  dans  le  ms.,  el  de  même  plu- 
sieurs autres  adverbes  en  men. 


EN  VERS  PROVENÇAUX  847 

Que  fom  en  lo  dich  cavalier, 
Cal  vertut  Dieus  li  det  en  permier. 
Per  ma  fe,  vos  uU  recontar 
10     Puy  que  Yorgi  saup  ben  Dieus  amar 
E  fom  fach  serps'  e  bon  crestian, 
Enpero  lo(s)  cruels  Dacians- 
Non  sabie(n)  que  crestian  fos, 
Car  le  sans  o  ténia  rescos, 
15    Non  per  esglas^  ni  per  pavor 
Que  ell  agues  dell  enperador, 
May  per  crejsser  cecretamens 
Dels  crestians  lo  sant  covent. 
A(a)lcuna  vas  Jorgi  calvaquet  (sic) 
20    En  son  eaval,  e  non  menet 
Co[m]panho  ni  armadura, 
[27  To]  May  so  brant  e  sa  lansa  dura, 

Per  Libia,c'a  nom  li  terra, 
En  la  cal  un  drac  faja  guerra 
25    A  Silena*,  aunaciutat 

Que  era  d'un'rej  paguan  ondrat, 
Lo  quai  ères  plus  non_avia 
May  una  filya  que  noyrie, 
Que  amava  mot  coralmens  ; 
30    Et  era  en  pron  covenent 
E  pron  gran'a  pendre  marit. 
Lonc  la  ciutat  c'aves  ausit 
Avia  u  lac  pregon  egran, 
On  era  le  drac  que  ay  dich  davant. 
35     Cant  le  dragon^  fam  avia, 
Vivasame[n]s  del  lacysia 
E  devorava  cruelméns  (sic) 
Que'que  trobes,  bestias  o  gens. 
Alcuna  ves  s'esdevenia 
40     Que  le  draguon  ren  non''conseguya. 
Ado[n]x  véniel  col  estendut 
Tro  la  ciutat  c'ay  mentaugut, 

'  Sic.  Corr.  ferms?  —  2  Le  proconsul  Dacien,  d'après  la  légende. —  ^  Pour 
esf/lai. —  *  Cyrène. —  s  Ms.  dradon. 


248  PARAPHRASE  DES  LITANIES 

E  tenja  son  cap  leva[t] 

Sobre  los  mus*  de  la  ciutat, 
[28  v°]     45     E  son  vérin  sobre  las  gens 

Gitava  li  cruel  serpent  ; 

Don  agron  tan  grieu  malautia 

Quel  rey  e  las  gens  scsperansa  ^ 

De  vjure  foron  trastut, 
50     Entro  que  an  agut 

Conselh  e  ajso  stablit 

Que  donon  quadajorn,  ses  oblit, 

Dos  bestias  al  cruel  draguon 

D'aver  menut  per  liurasoii, 
55     0  dautras  cars  lan  que  o  vallya, 

Per  tal  que  squivon  sa  batalya. 

Ayso  tôt  yorn  hom  li  portava 

En  un  luoc  ccrt  per  un  pasava, 

Cant  venia  ves  la  ciutat 
60     Que  ay  (s)  davant  soven  nônat. 

Cant  fom  Faver  quay  dévorât, 

E[l]  pobol  fom  mot  spaurat. 

Aneron  s'en  davant  lo  rey  : 

((  Senyer,  preguam  ti  que  fasas  ley 
65     Aytal  que  om  giete  sort  ; 

Si  non  o  fas,  nos  em  tut  mort; 
[29  r»]  E  cell  en  cuy  li  sort  cayra, 

Demantenent  om  la  (s/c)  dara 

A  la  cerpent  per  so  conduch. 
70     Si  non  o  fas,  nos  em  destrus.  » 

—  «  Yeu  0  autrey,  sa  ^  dis  lo  rey, 

Et  establich  c'ayso  sia  ley, 

E  vull  que  obcerves  trastut 

Aquesta  ley  c'ay  mentaugut, 
75     E  mandi  que  sia  obcervat 

Aysi  con  si  era  jurât.  » 

D'aquesta  ley  c'ausit  aves 

Useron  antre  els  en  après, 

•  Pour  77ïicrs.  — '.^  Pourjses  speransa.  —  3  Pour  celte  forme  du  pron.  dé- 
monstr.,  voyiz  la  Romania,  IV,  p.  339,  n.  i. 


EN   VERS  PROVENÇAUX  2-59 

E  tant  quel  drac  ac  dévorât 
80    Mot  de  la  gent  de  la  ciutat. 

AUcuna  vas  si  esdevenc 

Que  la^filya  delrey  fom  el  renc 

0  *  la  dicha  sort  si  gitet, 

Aysi  con  Dieus  o  asordenet, 
85     Li  sort  sobre  ela  vay  caser; 

Do[n]t  n'ac  le  rrey  gran  desplaer. 

Non  ac^may  (t)re  (?)  tan  gran  dolor, 

E  menet  mariment  e  plor 

E  le  rrey  e  tota  sa  gent. 
90     En  aquel  miech  yeys  li  cerpent, 
[29  Vo]  Fom  venguda  tro  la  ciutat 

Et  a  lo  pôbûl  {sic)  trebalyat 

Tan  fort  que  ail  rey  son  vengutz. 

Mot  iras  e  scomoguzs, 
95    Et  an  li  dich  mot  grosamens: 

((  Tu,  rey,  rrompes  los  covenens, 

Et  ayso  no  es  de  bon  rrey 

Que  el  permier  rompa  la  ley. 

Nos^seriam  mors  e  destrucb, 
100     Si  le  drac  non  avia  conduch; 

Si  non  voles  liurar  ladonsela-, 

El  palay  ardrem  tu  e  ela.  » 

Cant  le  rrey  ausiy  la  gran  cridor 

El  ^  pobol,  de  mort  ac  pavor. 
105     El  lur  diy  plan  e  suaumens: 

«Barons,  prenes  aur  vo  argent 

E  dénies  tant  cô  envolres, 

E,  si  vos  plas,  que  m'autreges 

Viii.  yors  d'espasi  de  plorar 
110     Ma  filya,  puey  que  scapar 

Non  pot  a  la  mort  de  la  serpent.  » 

Adonx  fom  crit  de  tota  gent 

Dient  aqui  mesey  : 

«Aysi  sia  cô  a  dich  le  rrey  !  » 

*  1^  Ubi,  ou  corr.  On?  —  2  Ms.  doysela.  —  •'  Corr.  Del? 


250  PARAPHRASE  DES   LITANIES 

[30  r"]  115     Puay  s'entornan  vivasamens 
Ves  lur  alberc  '  tota  la  gens. 
El  rrej^stet  viii.  yors  côplit, 
Trist  dolûjrùs  (sic)  e  marrit, 
E  soven  el  disia  ploros  : 

120     ((  Oy  filya,  cô  viuray  ces  vos? 
Car>l';vostre  maridament 
Rey,  dux,  princes  e  noblas  gens, 
Reinas  e  donas  gentills 
Juglas  e  trobas,  enafylls, 

125     Cantaras  e  salteriuns^ 

ennez  canoni. . . 

Citairas,  violas,  fiai.. . 

Ribebas,  arpas,  am 

tanpbalas 

130    Cornamuza 

Desirava  yeu  ayostar. 

Aras  vos  dey  ades  liurar 

A  ecer  conduch  d'una  cerpen  % 

Do[n]x*  n'ay  dolor  e  marriment. 

135    Filya,  cô  ben  mi  fora. près, 
Si  yeu  non  fos  home  ni  rres^. 
E  non  agra  tan  gran  dolor.  » 
Ayso  disent  anbe  gran  plor, 
Foron  li  viii  jors  traspasas. 

140     E  vevos  trastot  lo  pobûîl  ajostat, 
Lo  pobûU  davant  lo  palay, 
E  tut  crideron  :  «  Rey,  uesmay  * 
Liura  ta  filya  ses  bentenf, 
Si  no  voles  pendre  auniment.  » 
[30  v»]  145     Cant  le  rrey  viy  que  a  far  covenc, 
Marrit  si  gitet  el  renc 
Es  als  sieus  diys*  an  gran  sospir: 


''  Ms.  nlhert. —  ^  Le'ms.  est  mutilé  à  l'endroit  des  cinq  vers  qui  suivent. — 
3  Ms.  cerper.—  ''  Pour  dont,  comme  sans  doute  déjà  plus  haut.  —  s  Pour 
reis.  Ms.  n-s,  du  moins  à  ce  qu'il  semble,  la  deuxième  r  ajoutée  dans  l'interli- 
gne.—  *  Sic,  pour  ueymay.  Cf.  v.  15.  —  "^  Sic,  ou  heutcnt.  Corr.  lesteni, 
(retard).  —  «  Ms.  clins. 


EN  VERS  PROVENÇAUX  251 

«  Ma  filya,  de  ryal  vestis 

Asornada  m'adues; 
150     En  breu  de  temps  traspasara  après.  » 

Donâs(s«"c)  e  cavalies  plorant 

Aduyseron  al  rrej  davant 

Sa  filja  ;  el  rrey,  cant  la  vij, 

Planjent  e  sospirant  ajssi 
155    Diy  :  «  Fillya,  yeu  vos  rendi  al  cretor, 

Qu'ell  vos  capdell  per  sa  doujsor.  » 

E  fort  grinjos  pas  11  donet  ^ 

E  li  donsela'  s'aginolet, 

E  dij:  «  Payre  pietos  bon, 
160     Dona  mi  ta  bénédiction.  » 

Ado[n]x  a[n]  plans  e  an  sospir 

Le  payre  la  va  besenyr, 

Et  ili  aloc^  ses  tôt  bestent 

S'enpres  anar  ves  la  serpent. 
165    Esguardava  fort  la(s)  gens 

Quoras  yisseria  li  serpent. 
[31  r°]  Dome[n]s  que  illi  c'en  van '^  la  plorant, 

Vevos  Yorgi  lo  cavalier  sant, 

Lo  cal  ay  mentaugut  desus, 
170     An  las  armas  que  ay  dich  ses  plus; 

E  vay  s'anb  ela  encontrar, 

E  le  sans  près  li  a  demandar  : 

«0  donsela,  e  von  anas?» 

Diy:  «  Senyer,  aloc  vos  guardas, 
175    Si  ades  non  voles  morir, 

Que^  una  serpen  mi  deu  assir^ 

C'ades  yssira  d'aquest  lac  ; 

E  cug  vos  dir  per  atrasach 

Que  si  non  [vos]  vostas  breumens, 
180     Non  poyres  fugir  ses  turment.  n 

—  «  Filla,  non  vull  fugir, 


'  Ms.  dones. —  2  jis.  plutôt  dousela. —  3  Sur  cet  adverbe  (:=  alors,  aussi- 
tôt), qui  revient  plusieurs  fois  dans  ce  poëme,  cf.  ci-dessus,  p.  217,  n»  22.  — 
''  Corr.  vay?  L'n  et  l'y  sont  plusieurs  fois  confondus  dans  le  ms.  Cf.  vv.  101, 
214.—  s  Ms.  Ciie.—  *  Sîc;  corr.  issir? 


252  PARAPHRASE  DBS  LITANIES 

May  S  el  nom  de  dieu  remanir. 

un  tu  de  perill  guardar.  » 

—  «Bon  cavalier,  non  o  podes  far, 

185    Dij  illi,  fug  apertamens.  » 
E  domens  jejs  li  serpent 
E  tent  ves  el  col  estendut  ; 
[31  v]  El  cav[a]lier,  cuj  Dieus  ajut, 

S'es  guarnit  del  cenall  de  Crist, 

190    Tantost  cô  a  lo  draguon  vist. 
En  son  cavall  puyet  aloc 
E  tenc  ves  ell  aytant  con  poc, 
S'asta  davant  si  ben  rrigent, 
E  det  tal  colp  a  la  cerpent 

195    Que  aloc  en  terra  vay  caser. 

Diy  ell  :  a  Sorre,  yeu  ti  diray  ver 
Quell  nom  de  Dieu  es  poderos; 
Ardidamens  tos  cabels  ros 
Pausa  el  coll  de  la  cerpent, 

200    E  torna  t'en  dema[n]tenent 
Davant  ela,  en  la  ciutat.  » 
E  la  donsela  non  a  duptat  ; 
A  côplit  entieramens 
Del  cavalier  so  mandament. 

205     E  li  gent,  quant  lo  drac  viron  '  venir, 
Tut  comenseron  a  fugir 
D'autra  part,  fora  de  la  ciutat. 
Adonx  (se)  le  sans  lur  a  cridat 
E  facli(t)  senall  de  remanir, 

210     E  ell  ves  elos  a  tenir, 
[32  r°]  E  correc  fort  aytant  con  poc, 

Tant  que  {sic)  amb  elos  fom  aloc, 

E  diy  al  rrey  e  a  sas  gens  : 

«  Barons',  aquest  cruell  cerpent, 

215  Per  que  fuges,  non  a  poder 
A  vos  autres  plus  de  noser. 
Dyeus  a  vos  autres  m'a  trames 


1  (1  sp.mble  qu'il  y  ait  plutôt  vù-a7i  dans  le  ms. 
i  Ms.  Baroijs.  Cf.  v.  101  el  la  note  sur  167. 


EN   VERS   PROVENÇAUX  253 

Per  tal  que  tuch  vos  bateges*, 

E  puey  ajsi,  vostre  vesent, 
220     Ausiray  aquesta  serpent.  » 

Adofx^ns  li  fih^a  el  rej 

Sibateget  aqui  meseys, 

E  en  après  tota  la  gent, 

Tant  que  xx  milia  e  non  mens 
225     S'en  bategeron  sol  de  graus, 

Estier  fennas  [et]  enfans. 

Apres  sant  Yorgi,  lur  vesent, 

A  s'espasa  ausij  la  cerpent, 

E  puej  fes  lunyar  de  la  ciutat 
230    Fortmens,  pertall  que  enfermetat 

Non  pusca  donar  a  las  gens, 

An  sa  pudor  del  dich  cerpent. 

Apres  aysso  fes  far  le  rrey 

[32  v°]  De  mantenent  aqui  meseys 

235    Una  gleysa  mot  presiosa, 

A  onor  de  la  gloriosa 

Verges  mayre  de  Crist 

E  del  pros  cavalier  avist-, 

Sant  Yorgi,  que  sa  filla  a  stort 
240    E  tracha  de  perill  de  mort, 

En  la  call  una  font  novela 

Aysi  ^  aloc  clara  e  bêla, 

On  tôt  oms  pueys  que  es  banyat 

Es  de  mantenent  desliurat 
245    De  cal  que  oie  enfermetat . 

So*  a  fach  le  rrey  ajostar 

Gran  trasaur  aviadamens 

De  dénies  e  d'autre  argent, 

E  fes  si  venir  davant 
250    Lo  benastruc  cavalier  sant. 

«Yeu,  diy  le  rrey,  ti  prec  per  Dieu 

Que  (nen^)  ayso  deyas  prendre  del  mieu.» 

—  «  Rey,  diy  le  sans,  yeu  non  ti  quyer 


1  Ms.  mateges. —  'Cf.  ci-dessus,  p.  218.—  3  pour  eysi  (exivit).  Cf.  v,  176. 
—  *  Corr  Si?  —  "  Lecture  douteuse. 


254  PARAPHRASE  DES   LITANIES 

Ni  aur  ni  argent  ni  denier, 
255     May  pregi  ti  que  be  voluntos 
[33  r°]  0  clones  als  paures  vergonjos.» 

Aloc  le  rrey  ses  tôt  bestent 

Compliy  del  sans  son  mandament, 

El  tesaur  que  avia  ajostat 
260     Trastot  als  paures  a  donat. 

Pujs  a  le  sans  lo  rej  estruch 

De  catre  causas  es  enbut, 

So  es  que  aja  el  e  li  cieu 

Cura  de  la  gleja  de  Dieu, 
265     Apres  deja  preyres  ondrar, 

Car  sagran  Dyeu  el  ssant  autar, 

Et  après  que  lo  ssant  mestier 

Auya  soven  e  volenties, 

E  en  après  que  sia  euros 
270    Tostems  dels  paures  vergonyos. 

Ayso  diy  le  sant  cavalier  : 

«  A  Dieu  sias,  rey  !  »  Puey(a  su)s  son  destrier 

Li  fon  aduch  ondrada  mens, 

E  torna  s'en  de  mantenent 
275     A  son  alberc. 


IV 

La  présente  publication  pouvant  être  considérée  comme  le  complé- 
ment de  celle  des  Psaumes  de  la  pénitence,  que  j'ai  faite  en  1881,  on 
trouvera  naturel  que  je  corrige  ici  quelques  fautes  de  lecture  qu'un 
examen  du  ms.  m'a  donné  l'occasion  de  reconnaîti-e  dans  cette  der- 
nière'. Je  donnerai  en  même  temps  le  résultat  de  la  révision,  faite  par 
moi-même  sur  le  ms.  1745  de  la  B.  N.,  du  texte  du  psaume  108  que 
j'ai  publié  alors  en  appendice,  d'après  l'édition  de  M.  Bartsch  (Dt'/i/c- 


*  Je  représente  ici  par  un  t  italique,  comme  dans  les  Litanies,  la  seconde 
forme  de  celte  lettre  décrite  ci-dessus  (p.  213),  et  que  j'avais  plusieurs  fois, 
dans  les  Psaumes,  figurée  à  tort  par  tz. 


EN    VERS  PROVENÇAUX  1b?> 

maeler,  p.  71).  Pour  ce  dernier,  comme  pour  les  Psaumes  de  la  pé- 
nitence, yindique  ici  purement  et  simplement  les  leçons  du  ms.,  soit 
qu'il  faille  les  rétablir  dans  mon  texte,  soit  que  je  les  mentionne  seu- 
lement pour  mémoire,  ne  les  ayant  pas  relevées  dans  mes  notes. 

A .  Psaumes  de  la  pénitence 

Ps.  L.,  V.  7.   minas. —  13.  tiua. — 15.  plas.  —  19.  virtut, —  24, 

deslieura dels.   —   25.    Dyeu,  Dyeu.  —   36,   trebalhatz.   — 

37.  Dyeu.  —  38.  Dyeu. , .  .humiliatz.  —  42,  complidameni.  —  43. 
acabai —  46.  adonx. .  .conplis,^  CL  18.  ajosta^. —  19.  semblant. 
— 55.  senhir, —  87.  pauquza.  — 90.  mieyetat. —  95.  tiuas.  — 99, 
veramens.— 105  Hiest.  I  mezeis,  ==  CXXIX.  18.  sostengu^.  —  19. 
mieua. —  22.  nueh.  —  27.  redepmcion.  =  CXLII.  2.  mon.  — 7, 
trobaf.  —  12.  alligai.  —  15.  trebalhai.  —  16.  torba^.  —  29.  sen- 
blans, —  32.  matim.  —  41.  con  speritz.  —  50.  emsens, 

B.  Psaume  108 

Vers  1.  Diaus. —  2.  lausor. —  12,  Ci.—  16.  No. — 20.  rémunérât. 

—  23,  garda.  —  26.  Queencontra.  —  28.  coma  p.  — 29.  Tonts .  — 
31,  autry.  —  37,  digneiat  aussi  bien  que  digneiar.  — 46,  doloz.  — 
54,  ofFenden.  —  58,  perseguits,  —  59.  mëdics.  —  60.  quelurcor*. 

—  64.  bê. —  68.  Deux  lignes  dans  le  ms.  La  première  finit  à  p?ow. — 
69.  Id.  La  première  ligne  finit  à  traucan. —  70-73.  Ce  couplet  forme 
dans  le  ms.  8  vers  et  non  pas  seulement  4.  La  coupure  se  fait  où  je 
l'ai  marquée.  —  73,  senhat.  —  75.  Queam.  — 77.  dam, —  78,  Diaus. 

—  80.  tu, ,  .siau. —  84,  destramenat. — 91 .  so  n'est  pas  dans  le  ms. 

—  94.  lausoy.  —98,  mi.—  100.  Sapio.  —  108-111,  Cinq  lignes 
dans  le  ms,  La  seconde  finit  à  vestitz,  la  troisième  kjupo,  la  qua- 
trième à  cuber ts.  —  112.  iau.  —  116.  paure.  Ce  vers  et  les  deux 
suivants  forment  chacun  deux  lignes  dans  le  ms,,  soit  six  en  tout,  La 
premièi'e  finit  à  paure,  la  troisième  à  gardât,  la  cinquième  à  m'arma . 
' — 118.  a  salvamen.  Amen. 


•  que  lur  =  dont  le.  Autre  exemple  de  la  particularité  de  syntaxe  signa- 
lée ci-dessus  (p.  217)  dans  les  Litanies. 


BIBLIOGRAPHIE 


Michel  Bréal  et  Anatole  Bailly,  Dictionnaire  étymologique  latin.  Paris, 

Hachette,  1885,  in-S°.  Ou:  Leçons  de  mots:  les  mots  latins  groupés  d'après 
le  sens  et  l'étymologie.  Cours  supérieur. 

Ceux  qui  cultivent  la  philologie  romane  sont  habitués  à  manier 
le  glossaire  de  Du  Cange,  le  lexique  de  Raynouard  et  les  dictionnai- 
res de  Diez  et  de  Littré.  Mais  ils  savent  de  quel  secours  le  latin 
archaïque  peut  être  pour  leurs  études.  N'ont-ils  pas  besoin  de  re- 
courir à  la  vieille  forme  fûvi  pour  expliquer  notre  je  fus,  tu  fus, 
etc. ,  dont  le  classique /«i  ne  saurait  rendre  compte?  L'italien  n'a-t-il 
pas  une  analogie  frappante  avec  les  plus  anciennes  inscriptions  la- 
tines? C'est  un  fait  connu,  que  le  travail  de  décomposition  et  de 
transformation  qui  recommença  avec  la  décadence  de  la  langue  litté- 
raire s'était  déjà  manifesté  avant  que  la  culture  grecque  ne  vînt  ar- 
rêter pour  longtemps  l'impulsion  à  laquelle  obéit  nécessairement, 
sous  l'action  de  nos  organes,  toute  langue  abandonnée  à  elle-même. 
Ce  sont  précisément  ces  altérations  et  ces  variations  de  forme,  ainsi 
enrayées  vers  le  temps  d'Ennius,  que  l'on  retrouve  dans  la  transition 
du  latin  au  roman.  Il  est  donc  indispensable,  dans  l'étude  des  langues 
romanes,  de  mettre  à  profit  les  travaux  consacrés  à  la  morphologie 
du  latin  archaïque.  Le  dictionnaire  étymologique  de  MM.  Michel 
Bréal  et  An.  Bailly,  sans  se  substituer  aux  ouvrages  de  Corssen,Kûh- 
ner,  Biicheler,  aux  collections  de  textes  d'Egger  etWordsworth,  doit 
être,  à  côté  d'eux,  pour  les  idiomes  néo-latins,  une  source  précieuse 
d'informations.  L'ombrien,  l'osque,  les  litanies  des  fi-ères  Arvales,  le 
chant  des  Salions,  la  loi  des  XII  Tables,  les  plus  anciens  monuments 
épigraphiques,  les  plus  vieux  manuscrits  de  Plaute,  tel  vers  d'Accius 
cité  par  Nonius,  tous  ces  documents  de  la  plus  haute  antiquité,  en 
même  temps  qu'ils  servent  à  établir  la  phonétique  latine,  sont  aussi 
le  point  de  départ  de  la  phonétique  romane,  puisqu'ils  nous  révèlent 
presque  tous  les  phénomènes  grammaticaux  auxquels  donna  lieu  la 
formation  des  idiomes  néo -latins  sur  la  lingua  romana. 

Un  autre  intérêt  du  Dictionnaire  étymologique  latin  pour  les  lan- 
gues romanes  est  de  montrer  comment  la  signification  primitive  de 
certains  mots  latins  a  passé  dans  les  dérivés  qu'ils  ont  formés,  et 
comment  ces  dérivés  peuvent,  à  leur  tour,  faire  retrouver,  par  une 
hypothèse  vraisemblable,  le  premier  sens,  perdu  en  latin.  Il  est  cu- 
rieux que  le  verbe  ourdit-  ait  gardé  le  sens  originaire  de  ordlri,  à 
l'exclusion  des  autres  acceptions;  que  crerer  reproduise  la  signification 


BIBLIOGRAPHIE  257 

primitive  de  crepare  que  le  dérivé  du  composé  abemere  (aveindre) 
garde  probablement  celle  du  simple  emere,  qui  voulait  dire  prendre, 
avant  de  signifier  acheter;  que  remuer,  après  avoir  eu  le  sens  de  chan- 
ger, comme  muer  et  commuer,  soit  revenu  à  l'acception  première  de 
movere,  auquel  il  se  rattache  ;  que  dans  le  mot  contribution,  il  y  ait  quel- 
que chose  du  sens  premier  de  tribuere,  repartir  (l'impôt)  par  tribus. 
N'est-il  pas  pei'mis  de  croire  que  les  locutions  se  mirer,  point  de  mire, 
et  l'espagnol  mirar,  renferment  la  signification  primitive  de  mirus, 
qui  aurait  signifié  d'abord  regardé?  Tous  ces  rapprochements,  dus 
presque  tous  à  MM.  Bréal  et  Baill}'^,  font  voir  que  la  connaissance 
exacte  du  latin  est  nécessaire  pour  l'intelligence  même  d'une  grande 
partie  de  notre  vocabulaire,  que  c'est  la  langue  populaire  qui  maintient 
le  mieux  la  tradition  du  sens  original,  et  que  l'on  peut  dégager  de  tel 
mot  des  idiomes  néo-latins  la  signification  première,  tombée  en  dé- 
suétude ou  perdue,  d'un  mot  latin. 

Cette  signification  primitive,  nous  la  voj'ons  se  modifier  dans  les 
langues  romanes  comme  en  latin  ;  elle  se  généralise  dans  saison,  comme 
dans  emolumentum ;  elle  -se  restreint  dans  auto-da-fe,  comme  dans 
supplicïum;  elle  passe  de  l'abstrait  au  concret  dans  intendance,  comme 
dans  provincia;  elle  prend,  par  euphémisme,  une  nuance  péjomtive 
à&nsmaisonde  santé,  pour  cause  de  santé,  comme  dans  valetudo;  elle 
s'afïaiiilit  duns  abîmer,  gâter,  comme  dans  fatigo,  labes ;  il  y  a  la 
même  métaphore  dans  scelus  et  tort,  dans  ordiri  =  commencer,  et 
remettre  sur  le  métier  =  recommencer  ;  le  même  changement  de  genre 
dans  optio  (masc.)  et  un  aide  ;  le  même  sens  privatif  dans  populus, 
populari  (dépeupler),  et  plume,  plumer  ;  le  même  fait  de  langage  dans 
nœnum  (=  ne  unum)  et  ne. .  . .  ^J^^,  ne. . . .  point,  ne. .  .rien;  le  fran- 
çais un  cent-garde  peut  servir  à  confirmer  l'hypothèse  qui  rattache 
miles  à  mille,  et  l'ancien  sens  de  joug,  qui  désignait  une  mesure 
agraire,  rend  plus  probable  la  parenté  de,  juger  et  dejîigum. 

Montrer  comment  s'est  fait  le  passage  d'une  catégorie  à  une  autre, 
du  sens  propre  au  sens  métaphorique,  de  l'abstrait  au  concret;  retrou- 
ver sous  la  signification  actuelle  les  autres  acceptions  qu'elle  a  fait 
tomber  en  désuétude  ;  faire  revivre  le  sens  premier  effacé  ou  simple- 
ment décoloré,  rattacher  les  différents  sens  d'un  mot  à  la  science,  à 
l'art,  au  fait  historique,  à  l'institution,  à  l'usage  qui  lui  a  donné  nais- 
sance, tel  est  le  travail  complexe  et  capital  auquel  les  auteurs  du 
dictionnaire  ont,  comme  ils  le  disent  dans  la  préface,  principalement 
consacré  leurs  efforts.  Si  l'on  songe  que  tout  était  à  faire,  pour  ainsi 
dire,  dans  cet  ordre  de  recherches,  on  leur  saura  doublement  gré 
d'avoir  porté  lear  attention  sur  une  partie  que  les  grands  ouvrages 
d'étymologie  avaient  trop  négligée  jusqu'ici.  Sans  doute  il  importe  de 
savoir  quelle  est  l'origine  d'un  mot,  et  s'il  peut  entrer  dans  telle  famille 

19 


258  BIBLIOGRAPHIE 

sans  trop  soulever  de  protestations.  Mais  il  ne  faut  pas  oublier  qu'on 
marche  ici  sur  un  terrain  dangereux.  Pour  établir  la  parenté  des 
mots  entre  eux  et  les  ranger  sous  le  mot  simple  qui  a  servi  à  les 
former,  il  ne  faut  pas  moins  que  la  connaissance  des  lois  d'après  les- 
quelles les  voyelles  se  modifient,  les  consonnes  se  susbtituent  lesunes 
aux  antres,  les  mots  s'abrègent,  l'accent  se  déplace  et  la  quantité  va- 
rie, qui  font  que  tel  groupement  de  consonnes  est  exceptionnel  dans 
une  langue  et  ordinaire  dans  une  autre,  et  qui  président  à  la  dériva- 
tion et  à  la  composition  des  mots  ;  il  faut  aussi  la  longue  pratique, 
qui  est  une  garantie  de  réserve.  Le  traducteur  de  la  Ghrammaire  com- 
parée des  langues  indo-eur'opéennes  de  François  Bopp,  le  commentateur 
des  Tables  Eugubines,  ainsi  que  l'auteur  de  la  hoWc  Grammaire  grecque 
et  du  Manuel  pour  l'étude  des  Racines  grecques  et  latines,  qui  fit  pé- 
nétrer, il  y  a  environ  vingt  ans,  dans  notre  enseignement  classique  les 
derniers  résultats  et  la  méthode  de  la  linguistique  moderne,  étaient  tout 
désignés  pour  entreprendre  ce  travail  et  le  mener  à  bonne  fin.  C'est 
précisément  parce  qu'ils  ont  poussé  j^lus  loin  létnde  de  la  phonétique 
et  de  l'étymologie  et  qu'ils  la  cultivent  dejjuis  plus  longtemps,  qu'ils 
savent  mieux  que  personne  combien  on  peut  en  abuser.  Aussi  leurs 
conclusions  sont-elles  souvent  tempérées  par  un  «  peut-être  »  cir- 
conspect. Ils  aiment  mieux  se  résigner  à  ignorer,  lorsqu'aucune  des 
étymologies  présentées  n'est  vraisemblable  :  celles  qu'ils  nous  propo- 
sent en  reçoivent  d'autant  plus  d'autorité. C'est  cet  esprit  démesure 
joint  au  savoir  le  plus  étendu  et  le  plus  solide  qui  recommande  les 
rapprochements  qu'ils  font  des  mots  souvent  les  plus  éloignés  en 
ajjparence,  mais  dans  lesquels  l'analyse  étymologique  découvre  le 
même  élément  fondamental,  en  rendant  compte  des  changements 
qu'il  a  subis. 

Le  classement  des  sens,  dans  l'ordre  historique,  n'a  pas  les  mêmes 
dangers  ;  il  est,  en  tout  cas,  d'un  intérêt  plus  direct  et  plus  général. 
Lorsque  nous  rencontrons,  par  exemple,  le  verbe  exige,  tantôt  dans 
le  sens  de  pousser  deJiors,  tantôt  dans  celui  de  peser,  nous  sommes 
choqués  par  cette  incohérence,  et  nous  seutons  le  besoiu  d'une  expli- 
cation. Il  y  a  plus,  nous  risquons  de  nous  tromper  grossièrement  ou  de 
ne  comprendre  qu'à  demi  un  texte,  lorsque  nous  ignorons  ou  que  nous 
oublions  l'historique  d'un  mot.  Le  sens  actuel,  transformé  ou  même 
diamétralement  opposé  au  sens  primordial,  peut  nous  induire  dans  les 
erreurs  les  plus  étranges.   L'adverbe  compendieusement  '  est  souvent 

[*  Et  l'adjectif  compendieux  pareillement.  Qui  s'attendrait  pourtant  à  trou- 
ver un  exemple  d'un  tel  renversement  du  sens  de  ce  mot  dans  la  Revue  de 
l'enseig7icment  secondaire  et  de  l'enseignement  supérieur,  et  cela  sous  la 
plume  d'un  critique  qui  s'est  érigé  en  juge,  plus  sévère  que  la  Faculté  elle- 


BIBLIOGRAPHIE  259 

employé  aujourd'hui  dans  le  sens  de  longuement,  sans  rien  omettre, 
contrairement  au  sens  étymologique  et  primitif  :  pour  faire  courte 
qu'on  retrouve  dans  le  nom  de  ville  Compïègne,  =  un  chemin  qui  abrège. 
Dans  un  autre  ordre  d'idées,  le  Languedocien  dit  en  lioc  au  sens  de 
nulle  part,  du  latin  in  loco,  qui  signifie  précisément  le  contraire.  La 
logique  générale  répugne  à  ces  écarts  de  signification  et  demande 
qu'on  rapproche  les  distances,  qu'où  rétablisse  les  intermédiaires,  qui 
rendent  naturel  ce  qui  paraîtrait  d'abord  inadmissible.  Quand  on  tient 
les  deux  chaînons  extrêmes,  le  sens  actuel  d'une  part,  que  nous  donne 
l'usage  courant  de  la  langue,  et  d'autre  part  le  sens  primitif,  que  Ton 
demande  de  préférence  aux  comiques  comme  Plaute,  aux  auteurs  qui 
ont  employé  beaucoup  d'expressions  avec  leur  force  première,  comme 
Virgile  ;  aujurisconsulte  Ulpien,  aux  grammairiens  VarronNonniuset 
Festus,  ou  bien  aux  termes  congénères  des  autres  langues  de  la  fa- 
mille, alors  commence  l'opération  la  plus  difficile,  mais  aussi  la  plus 
féconde  et  la  plus  intéressante:  elle  consiste  à  trouver  la  transition  où 
nous  voyons  le  sens  se  modifier  ou  bien  devenir  le  contraire  de  ce  qu  il 
était  d'abord.  Elle  est  fournie  quelquefois  par  un  monument  écrit, 
où  le  contexte  explique  le  pli  nouveau  que  le  mot  a  pris  dans 
l'usage. 

Le  plus  souvent  la  phrase  écrite  manque,  et  l'on  est  obligé  d'y 
suppléer  par  la  logique  générale  du  langage.  Que  de  remarques  inté- 
ressantes, chemin  faisant,  sur  la  façon  dont  les  institutions  civiles, 
politiques,  religieuses,  la  marine,  les  métiers,  fournissent  la  matière 
première  des  sens,  qui  vont  ensuite  se  décolorant  jusqu'à  s'efEacer 
tout  à  fait  pour  faire  place  à  une  signification  terne  et  générale  ; 
siu-  la  simplicité  des  moyens  qu'emploie  une  langue  pour  s'enrichir, 
eu  profitant  d'une  circonstance  fortuite  d'orthographe  ou  d'un  ca- 
price de  l'usage  (axilla  =  épaule,  et  âla  pour  *axla=  aile  ;  cf.  compter 
et  conter  =  coinputare);  sur  la  manière  dont  «  la  tradition  populaire 
modifie  ses  interprétations  tout  en  conservant  ses  anciens  mots  » 
(voir  nlxi  Di,  sous  n'itor);  et  «dont  les  légendes  s'édifient  sur  une  équi- 
voque de  sens  »  (voir  au  mot  rnensa);  sur  «  la  grande  facilité  de 
transmission  des  termes  techniques  d'une  langue  dans  une  autre  ))(v. 
meditarï);  sur  «  les  confusions  entre  deux  familles  de  mots  »  (voir  au 
mot  mens,  mendax);  sur  «  les  associations  d'idées  »  (v.  au  mot  carus); 


même,  des  thèses  de  doctorat  es-lettres?  Voici  ce  qu'on  y  lit,  p.  130  du  t.  VI: 
»  L'entreprise  est  justifiée,  à  condition  de  n'être  pas  trop  compendieuse.  »  Ce 
qui  veut  dire,  ou  à  peu  près,  pour  l'auteur  de  cette  phrase  étrange,  comme 
il  résuite  évidemment  du  contexte  :  «  La  première  qualité  d'un  pareil  ouvrage 
doit  être  la  brièveté.  »  Mais  qu'est-ce  donc,  à  part  même  l'impropriété  du 
terme,  qu'une  entreprise  compendieuse?  —  Réd.^, 


260  BIBLIOGRAPHIE 

sur  de  «  curieuses  comparaisons  populaires  »  {te 4a,  furunculuSj  cf. 
compère-loriot)  ;  enfin  sur  «  les  amusettes  du  peuple,  qui  prouvent 
que  le  langage  n'est  pas  seulement  l'œuvre  des  savants,  mais  que  tout 
le  monde  y  collabore,  hommes,  femmes,  enfants  »  (v.  mus,  cf. 
souris) . 

On  me  pardonnera  d'avoir  cédé  à  la  tentation  de  tout  dire  et  de 
tout  citer.  Je  n'ai  rien  voulu  négliger  de  ce  qui  multipliait  en  quel- 
que sorte  l'intérêt  du  livre,  et  c'est  sans  doute  la  cause  qui  m'a  em- 
pêché d'en  signaler  la  principale  utilité.  Ceux  qui  se  livrent  à  l'étude 
des  langues  romanes  ne  renoncent  pus  pour  cela  à  goûter  nos  classi- 
ques. Ils  n'ont  pas  toujours  la  préoccupation  de  l'étymologie,  quand 
ils  lisent  les  textes  de  la  littérature  romaine.  Ils  les  relisent  pour 
eux-mêmes  et  pour  le  plaisir  littéraire  qu'ils  y  trouvent.  C'est  donc 
répondre  à  ce  goût  des  lettres  anciennes  et  le  fortifier  que  de  leur  re- 
commander un  instrument  de  i^récision  à  l'aide  duquel  ils  pouiTont 
pénétrer  le  sens  intime  d'un  vers,  d'une  phrase,  d'un  mot,  en  saisir 
les  nuances  les  plus  délicates,  et  arriver  ainsi  jusqu'à  l'âme  de  la  civi- 
lisation antique,  dont  la  nôtre  est  sortie.  S'ils  peuvent  désormais  trou- 
ver par  ce  moyen  un  charme  nouveau  à  la  lecture  de  Virgile  et  d'Ho- 
race, ils  s'estimeront  heureux  de  partager  cet  avantage  avec  les  pro- 
fesseurs et  les  élèves  de  nos  lycées  et  de  nos  facultés. 

Joseph  Brenous. 


Le  Gérant  responsable  :  Ernest  Hamelin. 


Dialectes  Anciens 


SAINTE  MARIE  MADELEINE 

DANS    LA  LITTÉRATURE   PROVENÇALE 

[Suite  ) 


VII 

Cantiques  populaires  sur  sainte  Madeleine 

On  ne  saurait  guère  douter  que  les  poésies  qui  font  l'objet  de  cette 
dernière  section  de  notre  recueil,  comme  en  général  la  plupart  des 
chants  religieux  d"un  caractère  vraiment  populaire,  ne  se  chantassent 
déjà,  sous  une  forme  peu  différente  de  celle  que  la  tradition  nous  a 
conservée,  dès  le  XVI^  siècle  au  moins  *.  Aussi  le  lecteur  ne  s'éton- 
nera-t-il  point  de  me  voir  leur  donner  place  dans  une  publication  qui 
prétend  embrasser  tout  ce  qui,  dans  la  littérature  provençale,  depuis 
les  origines  jusqu'au  XVl''  siècle  inclusivement,  se  rapporte  à  sainte 
Marie  Madeleine. 

Je  dois  à  l'obligeance  de  M.  Louis  Lambert  le  texte  des  quatre 
premiers  chants  que  l'on  va  lire,  avec  la  notation  musicale  du  troi- 
sième et  du  quatrième.  Le  cinquième  m'a  été  donné  par  M.  Fort,  pro- 
fesseur au  lycée  de  Montpellier. 

Les  n°\.3,  4  et  5  ne  sont  que  des  versions  différentes,  plus  ou 
moins  abrégées  ou  modifiées,  d'un  original  primitif,  dont  il  a  été  déjà 

1  On  peut  l'affirmer  par  exemple,  avec  certitude,  de  la  pièce  publiée  par 
Damase  Arbaud  (I,  49i,  sous  le  titre  de  Chants  joyoïix,  et  qui  est  une  va- 
riante de  celle  que  j'ai  publiée  ici  même,  en  1878,  d'après  unms.  du  commen- 
cement du  XVII«  siècle,  où  elle  est  donnée  comme  trèi-ancienne.  Cf  ci-dessus, 
t.  XXVIII,  p.  109  et  p.  267,  où  trois  couplets  en  sont  rapportés.  D'autres 
variantes  de  la  même  pièce,  plus  ou  moins  réduites  ou  développées,  ont  été 
publiées:  dans  cette  Revue  (XIII,  217],  par  notre  regretté  V.  Smith;  dans 
l'Exercice  du  Chrétien  (Moalpellier,  1815),  p.  312,  et  peut-être  ailleurs. 

TOME  XV  DE  LA  TROISIÈME   SÉRIE.     —    JoiN  1886.  20 


262  SAINTE  AJARIE  MADELEINE 

publié,  à  ma  connaissance,  cinq  autres  versions,  qui  ont  avec  les  nô- 
tres des  rapports  plus  ou  moins  étroits  ;  savoir  : 

1°  ParMilây  Fontanals,  dans  son  RomanceriUo,2<^  édition,  p.  10, 
une  version  catalane,  qui  concorde  spécialement  (la  première  moitié  à 
part,  dont  l'origine  est  autre)  avec  notre  n°  4  ; 

2°  Par  Damase  Arbaud,  t.  1,  p.  04,  do  son  excellent  recueil,  une 
version  provençale,  de  laquelle  notre  n"  'i  ciiffère  moins  que  d'aucune 
autre  ; 

3"  Par  Victor  Smith,  dans  la  Romania,  IV,  439,  une  version  re- 
cueillie dans  l'Ardèche,  dont  la  conclusion  concorde  avec  celle  de 
notre  n"  4,  et  l'ensemble  en  général,  malgré  les  lacunes  qu'elle  pré- 
sente, avec  notre  n"  3. 

4"  Par  M.  J.-F.  Bladé,  dans  ses  Poésies  populaires  de  la  Gas- 
cogne, t.  1,  pp.  182  et  338,  deux  versions  gasconnes  qui  sont  à  peu 
près,  avec  les  nôtres,  dans  le  môme  rapport  que  la  précédente  • . 

J'ai  jugé  inutile  de  repruduire  ici  in  extenso  les  versions  que  je 
viens  de  mentionner,  tout  le  monde  pouvant  les  lire  dans  les  recueils 
que  j'ai  cités.  Je  noterai  seulement  quelques-unes  des  variantes  les 
plus  importantes  que  l'on  y  remarque.  A  désigne  la  version  de  Da- 
mase Arbaud,  M  celle  de  Milâ,  S  celle  de  Smith. 

Le  recueil  de  Damase  Arbaud,  outre  la  version  mentionnée  de  notre 
cantique  n°  3,  renferme  (t.  II, p.  15)  un  autre  chant  intitulé  la  Coun- 
versioun  de  santo  Madaleno,  qui  n'est  qu'une  pièce  française  pro- 
vençalisée,  comme  le  prouvent  certains  passages  où  des  mots  français 
qui,  traduits,  n'auraient  pu  rimer,  ont  été  conservés  tels  quels.  Ou 
peut  y  comparer  une  version  purement  française  et  plus  développée  du 
même  chant,  qui  se  lit  p.  148  de  la  Grande  Bible  des  Noëls  (Orléans, 
1877).  Dans  celle-ci,  le  rythme  primitif,  l'un  des  plus  anciens  de  la 
poésie  romane,  paraît  avoir  été  mieux  conservé  que  dans  la  version 
provençalisée.  La  pièce  est  en  vers  de  onze  syllabes  (7  +  4),  avec 
rime  ou  assounance  intérieure  (mais  ceci  peut  être  un  enjolivement 
postérieur),  comme  dans  plusieurs  pièces  dutroubadour Guillaume  VII, 

*  Le  même  recueil  renferme,  t.  I,  p.  84,-  sous  le  litre  de  Mario-Madaleno 
e  seiit  Joan,  deux  couplets  qui  paraissent  des  débris,  tant  bien  que  mal  liés 
ensemble,  de  deux  pièces  différentes,  l'une  sur  sainte  Madeleine,  l'autre  sur 
la  sainte  Vierge.  Voici  le  premier  de  ces  couplets,  le  seul  où  il  soit  question 
de  sainte  Madeleine  : 

Mario  Madaleno, 
Ero  que  se  proumono 
Perlas  ribos,  lous  camps. 
Lou  pruraè  que  rencounlro 
Estec  moussu  sent  Joau. 


SAINTE  MARIE  MADELEINE  263 

et  elle  présente,  dans  la  version  française,  cette  particularité  remarqua- 
ble que,  si  la  césure  est  féminiue,  le  second  hémistiche  n'a  que  3  syl- 
labes : 

Madeleiue  oyaut  ceci,        prend  ses  habits 
De  beau  velours  cramoisi  des  plus  jolis, 

Et  ses  blondes  chevelures        tout  en  rond 
P\'iisaieat  mille  torlillures         sur  son  front. 

C'est  exactement  ce  qui  a  lieu  chez  Guillaume  de  Poitiers  et  les 
troubadours  ses  successeurs  qui  ont  employé  le  même  mètre: 

E  cil  que  no  volran  creire  mos  casteis 

Ado  vezer  per  lo  bosc        en  uo  deveis. 

Mais  cette  précieuse  marque  d'antiquité  a  disparu  dans  la  version 
de  Damase  Arbaud,  où  le  second  hémistiche  a  constamment  quatre 
syllabes,  que  la  césure  soit  féminine  ou  masculine  : 

Quaad  la  Madaleno  intret,       Jésus  prechet. 
A  tant  prêchât  sur  lou  vici,        sur  lou  pécat 
Que  soun  coueret  mai  soun  amo        nen  a  toucat. 


NOËL    LIMOUSIN  ' 

I.  Loun  boun  Dî  e  la  Sento  "Vierjo 
Se  permenâ  s'en  van  tous  dous  ; 

De  novessi,  de  novessi, 
Se  permenâ  s'en  van  tous  dous; 
De  novessien  nous. 

II.  I  rencountreren  Madaleno 
Que  jugavo  em  lous  garsous, 

De  novessi,  de  novessi, 
Que  jugavo  em  lous  garsous  ; 
De  novessien  nous. 

III.  — «  E  dijas  nous  donne,  Madaleno, 
Voudrias  vous  venî  coumo  nous?. . .  » 

1  Communiqué  par  M.  le  baron  d'Aigueperse,  de  StPaul  d'Eyjau  (Haute- 
Vienne). 


264  SAINTE  MARIE   MADELEINE 

IV.     —  «  Mas  noun  pas,  noun  pas,  Sento  Vierjo, 
Ne  menas  pas  de  beus  garsous. , .  » 

V.     —  '<  Ne  dijas  pas  co,  Madaleno, 
N'en  mené  lou  pus  beu  de  tous. . .  » 

VI.     — «  Atendés  me  qui,  Sento  Vierjo, 

I  m'en  vau  me  channhâ  ciias  nous. . .  » 

VII.     Elo  fugué  bientôt  coueifado 

En  treis  ôunas  de  beu  velour. . . 

VIII.     Veiqui  treis  reis  que  Facoumpanhen 
En  grando  ceremounio 

IX.     Lou  premier  porto  la  baniero 

L'autreis  dous  porten  lous  courdous, . . 

X.     En  entrant  tous  dedins  Teiglieijo, 
Lous  ôutars  nen  trembleren  tous. . . 

XI.     Lous  pêtreis  quiteren  lour  messo, 

Lous  beneitiers  n'en  fan  lous  tours. . . 

XII.     —  «  Dijas  doun,  pêtreis,  vôtro  messo, 
E  vous,  chantreis,  vôtras  leissous.  . . 

XIII.     »  N'ajas  de  pou  ni  mai  de  crento, 
Lou  boun  Jésus  eis  coumo  nous  ; 

De  novessi,  de  novessi, 
Lou  boun  Jésus  eis  coumo  nous, 
De  novessien  nous.» 


II 


,  1 


LAS    TREI    MARIOS 

Ountanas,  las  trei  Marios,      toutoi  très  de  bras  en  bras? 

—  Anan  veseNostreSegne,     aquel  grand  Dieu  tout  puis- 

[sant. 

—  Tourna  voun,  las  trei  Marios,      Jésus   ei  ressuscitât. 
4.  — Que  sio  mort  ou  que  sio  'n  vido,     toutoi  très  i  cal  ana. 

1  Recueilli  à  Belesta  (Ariége)  par  M"*'  Rosalie  Lambert. 


SAINTE  MARIE  MADELEINE  265 

Abalh,  bés,  ni  a  uno  counquo,       tout  soun   sanc  arre- 

[massat. 
Abalh,    abalh,    sus  sa  toumbo,       i  a'n    aibre   de  tres- 

[plantat. 
Sus  la  cimo  d'aquel  aibre       sant  Miquel  li  ei  mountat. 
8.    Nostre  Segne  n'in  ba  dire  :       sant  Miquel  que  fas  achi? 
leu  ne  vese  tant  de  moundo       que  jamès  n'aviô  tant  vist. 
leu  des  très  camis  que  savi       te  lei  voli  ensegna  : 
La  un  es  le  cami  de  glorio       e  l'autre  le  gloria  ; 
12.  L'autre  le  del  filh  del  paire,       ount  toutis  nous  cal  ana. 

III 

LA    MATALENO  * 


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S'en      val       de     porto 


en  —  por  -  to       — 


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Per    trou  -  ba      un 


eu      -      rat 


I.  Mario  Mataleno,       que  n'avio  tant  pecat, 

S'en  vai  de  porto  en  porto       per  trouba  un  curât. 


1  Version  narbonnaise  doQnée  par  M.  Guibaud. 


266  SAINTE  MARIE  MADELEINE 

II.  Passo  a-n  uno  capelo,       Jésus  i  ero  cledins. 
4    Elo  tusto  la  porto  :        a  Sius  plet,  venes  durbi.» 

III.  Sant  Jan  dis  asant  Pierre  :     —  uRegardo  qui's  aqui.» 

—  «  Mario  Mataleno  ;       nous  i  caldra  dourbi. 

IV.  «  Mario  Mataleno,       aissis  que  venes  fa?  » 

8  —  «Moussegnes  Jean  e  Pierre,       me  venio  confessa.» 

V.  —  ((Digos  nous,  Mataleno,       digos  nous  tous  pecats.» 

—  «  N'ei  tant  feit  dins  ma  vido       que  se  pot  pas 

[coumta.  » 

VI.  »  Laterro  que  me  porto       se  deurio  englouti, 
12  »  Lavilo  ount  soui  nascudo       se  deurio  demouli.» 

VIL  —  (t  Sept  ans  dejoust  la  caugno       te  cal  ana  resta.  » 
Al  cap  de  sept  annados         Jésus  ven  a  passa. 

VIII.  «  Mario  Mataleno,       de  que  tu  n'as  viscut?» 

16  — «De  racinos  sauvajos,  n'ei  pas  toujour  agut. » 

IX.  —  «  Mario  Mataleno,         quno  aigo  n'as  begut?» 

—  «Re  que  d'aigo  treboulo,       n'ei  pas  toujour  agut.  » 

X.   «  Jésus  Christ,  moun  boun  paire       voudriô  lava  las 

[mas  » 
20  Jésus  tusto  la  roco,       sul  cop  Faigo  a  rajat. 

XI.   «  0  mas  ta  poulidetos,       blancas  coumo  lou  lait, 
»  Vous  sios  feitos  pla  negros,       negros  coumo  un 

[cremal, 

XII.   »  Vous  qu'ères  ta  blanquetos,       ta  frescos  de  coulou 
24  ))  Que  las  rosos  musquetos       que  soun  al  rousieirou.» 

XIII.  —  «  Mario  Mataleno,       retornes  al  pecat; 

I)  Sept  ans  dejoust  la  caugno       penitenso  faras.  » 

XIV.  —  «  Jésus  Christ,  moun  boun  paire,       coussi  pouirei 

[ieu  fa?» 
28  —  <(  Maltro,  ta  santo  sorre,       ti  vendra  counsoula.  » 

XV.  —  «Boun  Jésus,  pietadeto,       m'i  faguets  pas  tourna, 
»  De  mous  els  las  larmetos       me  lavaran  las  mas. 

XVI.  »  De  mous  els  las  larmotos       les  peds  vous  lavaran, 
32  »  Lous  pelses  de  ma  testo       vous  lous  eissugaran.  » 


SAINTE  MARIE  MADELEINE 


267 


IV 
LA  PAURO   MATALENO ' 


p^^m 


B 


,=,,^-J_ 


0  —      pau    -    ro        Ma     -    ta  -    le    -  no        0  — 


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ten 


so         te 


cal 


fa. 


«  0  pauro  Mataleno,         penitenso  te  cal  fa. 
Te  cal  ana  '  las  balmos         sept  ans  i  demeura. 
Al  cap  de  sept  annados,         paradis  auras  gagnât.» 
4     Al  cap  de  sept  annados,         Jésus  la  vai  trouba. 
«  0  pauro  Mataleno         quno  vido  as  tengut?  » 
—  «  0  Jésus,  le  boun  Jésus,       la  que  vous  avés  vourgut  : 
N'ai  culido  Terbeto         coumo  1'  bestia  banut; 
8     N'ai  pas  agut  d'aigueto         quand  ieu  auriè  vourgut.  » 
Jésus  pertits  la  roco,         d'aigueto  n'es  vengut. 
Ta  Ieu  qu'arribo  Taigo,        sas  mas  s'encourt  lava, 
Blancos  coumo  la  neijo,         negros  coumo  1'  pecat. 
12     «  0  pauro  Mataleno,         perque  as  tournât  peca? 


*  Belesta'Ariége).  Ecrit  et  noté  sous  la  dictée  de  Jacques  Demay. 


268  SAINTE  MARIE  MADELEINE 

T'en  cal  tourna  '  las  balmos,         sept  ans  i  demoura; 
§ept  e  sept  fan  quatorze,         paradis  auras  gagnât.  » 
Al  cap  de  sept  annados,       Jésus  la  vai  trouba  : 
16     «  0,'pauro  Mataleno,         al  cel  t'en  cal  ana, 
En  coumpagno  das  anjos,         la  Vierges  i  sara.  » 


V 

CONSOU  DE  MORIO  MOTOLÈNO  ' 

«  Quai  bourro  (li)   trossa  lo  mar,       o  Morio   Motoleno? 

(Ois-)  » 

—  «  leu,  sou'diet  lou  nobotié,       ieu  lo  bous  trossorai, 

[bèlo.  » 
(Mes)  fouerou   pas  o  mietjo  mar       que  lo   barquo   s'en- 

[grobelo, 
4     Mes  sou  diet  lou  nobotié:      «Çoy  opecodou  ou  pecaïdo.» 

—  «  Se   pecodouno  ieu  ne    soui,       doissas  m'en  ona  per 

[ai go.  » 
Mes  sou  diet  lou  nobotié  :       «  Forai  pas,  (nou)  forai  pas, 

[belo  ; 
Bous  doissorai  pas  dobola,       son  sober  quai    ses  bous, 

[belo.  ;> 
8    —  «  Nobotié,  (ieu)  zo  te  dirai  :       soui  Morio  Motoleno.  » 

—  «  Se   Motoleno   (bous)  ne  ses,       ieu  bous  sourtirai  en 

[ribo.  » 
(Et)  lo  menerou  ol  miet  d'un  bos,       librado  o  (los)  bestios 

[saubatjos. 
01  miet  del  bos   montjabo  pas       que   de   rocinos  sou- 

[batjos. 
12     01  cat  de   set  ons  (cinq)  ou  sieis       benou  querre  Moto- 

[leno. 
Fouerou  pas  o  mietjo  mar       que  Motoleno  regarde. 
«  Aï,  paourés  pès,  (aï)  paouros  mos,       qui  bous  o  bits  et 

[bous  betjo  !  » 

*  Villefranche   de   Rouergue.  —  '  Seulement  le  second   lirmistiche,  et  d 
même  tous  les  suivants. 


SAIISTB  MA.RIE  MADELEINE  269 

—  «  (Aï,)  Motoleno,  qu'obès  dit  ?       Cal  doubla  lo  péni- 

[tenço.  » 
16     Lo   tournerou  ol  miet  del  bos,       librado  o  (los)   bestios 

[saubatjos. 
01  cat  de  set  ons  (cinq)  ou  sieis       tornou   querre  Moto- 

[leno. 
Os   pès   de    nostre   (boun)  Saubur,       o   lo   gleizo   l'ôu 

[pourtado. 
Omb(e)  los  larmos  de  sous  els       lous  pès  del  Saubur  lo- 

[babo. 
20     Omb(e)  soun  pel  rous  qu'elF  obiô       tout  doucet  lousessu- 

[gabo. 
Oïtal  naoutres  pousque(sse)n  fa,       coum'  Morio  Moto- 

[leno! 


NOTES 
1 

NOEL   LIMOUSIN 


Je  donne  à  cette  pièce  '  le  titre  de  Noël,  parce  qu'il  me  semble 
reconnaître  ce  mot  dans  le  refrain,  un  peu  obscur,  qui  se  répète  à  cha- 
que couplet.  Si  je  ne  me  trompe  pas  dans  ma  conjecture,  il  faudrait 
écrire  de  novê  sien  nous,  c'est-à-dire  de  noel  soijons  nous!  et  met- 
tre des  points  suspensifs  après  novessi. 

Couplet  I,  vv.  2  et  4.  Se  manque  dans  la  copie  communiquée; 
mais  la  mesure  exige  huit  syllabes.  Ailleius  qu'en  Limousin,  on  pour- 
rait songer  à  corriger  toutes,  ou  toutis,  sans  suppléer  se. 

Coup.  III.  «  coumo  ))  =  avec. 

C.  V.  «  lou  pus  beu  de  tous.  »  Cf  .ce  passage  d'un  noël  narbonnais: 

Un  angelet  em  sa  troumpetto 
Ben  anounça  perLout  la  patz 
E  dis  qu'une  maire  biergetto 
A  fait  lou  pus  bel  das  goujatz. 


1  Cf.  dans  la  Grande  Bible  des  Jioëls ,  Orléans,  1877,  p.  226,  la  pièce  in- 
titulée la  Chandeleur.  Ce  n'est  guère  qu'une  variante  de  la  nôtre,  moins 
mondaine  dans  les  détails. 


270  SAINTE  MARIE  MADELEINE 

C.  VI,  V.  2.  Je  supplée  /  (=  ieu),  qu'exige  la  mesure.  —  «  me 
channhâ.  »   =  me  changer,  c'est-à-dire  prendre  d'autres  vêtements. 

C.  VII,  V.  1 ,  «  coueifado.  »  Au  lieu  de  a-o,  on  voudrait  ici,  comme  on 
l'a  partout  ailleurs,  sauf  au  couplet  suivant,  l'assonnance  e-o. — V.  2. 
«  velour.  »  Prononciation  moderne,  substituée  à  la  primitive,  qui  était 
sans  doute  velotis. 

C.  VIII.  Couplet  probablement  corrompu.  Ni  le  premier  vers  n'as- 
sonne,  ni  le  second  ne  rime  avec  son  correspondant  dans  les  autres 
couplets.  Pour  procurer  un  semblant  de  rime  et  conserver  la  mesure, 
il  faudrait  transporter  l'accent  sur  Vo  final  de  ceremounio,  qu'on  pro- 
noncerait ou,  tout  en  laissant  à  ce  mot  les  cinq  syllabes  primitives. 

C.  IX.  «  L'autreis.  »  :=  Lous  autreis.  Les  élisions  de  ce  genre 
(la  prononciation  pleine  est  loû  autrei)  sont  exceptionnelles.  Cf.  ma 
Grammaire  limousine,  p.  189. 

C.  XI,  2.  «  Les  bénitiers  en  font  les  tours,  »  c'est-à-diie :  se  metten 
à  tourner.  Si  bizarre  que  cela  paraisse,  il  ne  semble  pas  qu'on  puisse 
entendre  ce  vers  autrement.  A  la  rigueur  cependant,  il  pourrait  y 
avoir  là  une  anacoluthe  :  «  les  bénitiers,  ils  (à  savoir  les  prêtres)  en 
font  les  tours.  »  Mais  outre  ce  que  la  tournure  aurait  de  suspect,  lous 
tours,  au  pluriel,  ne  conviendrait  guère. 

Je  rappellerai,  en  terminant,  que  l's  finale,  que  j'ai  cru  devoir  écrire 
en  faveur  de  l'étymologie,  et  pour  ne  pas  trop  dérouter  le  lecteur,  ne 
se  prononce  pas  dans  le  haut  Limousin,  même  en  liaison. 


II 

LA.S    TREI    MARIOS 

Des  douze  vers  ici  réunis,  les  six  premiers  tout  au  plus,  peut-être 
seulement  les  quatre  premiers,  appartiennent  réellement  à  une  pièce 
sur  les  trois  Maries.  Le  reste  paraît  provenir  d'un  ou  deux  chants 
différents  (sur  le  jugement  dernier  ?)  que  l'on  aura  confondus  avec  ce- 
lui des  trois  Maries.  Le  sujet  de  celui-ci  a  du  reste  été  traité  plus 
longuement  dans  trois  cantiques,  publiés  tous  les  trois,  que  j'ai  déjà 
cités  plus  haut,  et  qui  paraissent  dériver  d'un  môme  original.  11  me 
suffira  ici  de  les  mentionner  de  nouveau,  en  renvoyant  aux  recueils 
dans  lesquels  le  lecteur  curieux  do  les  lire  pourra  les  trouver: 

1.  Cantique  sur  la  résurrection,  publié  par  moi-même,  d'après  une 
copie  de  1612  (Revue  des  l.  romanes,  XIV,  5). 

2.  Un  alléluia  pascal  en  Velai/,  publié  par  Victor  Smith  (/^i'i., 
XIII,  217). 

3.  Chants  joyoux  (Damasc  Arbaud,  I,  49). 


SAINTE  MARIE  MADELEINE  271 

Dans  un  cantique  sans  titre  particulier,  sur  le  même  sujet,  le  même 
rythme  et  le  même  air  (0  filii  et  fdiœ)  que  les  précédents,  imprimé 
p.  312  d'un  volume  intitulé  Exercice  du  Chrétien (Mont^eWier,  1815), 
et  que  j'ai  également  cité  plus  haut,  p.  261,  n.  1,  un  seul  couplet  sur 
douze  est  consacré  aux  trois  Maries.  Elles  en  ont  au  contraire  douze 
sur  22,  21  ou  16,  dans  les  autres  versions . 


III 


LA   MATALENO 

Ce  cantique  a,  chez  Damase  Arbaud  comme  ici,  seize  couplets  ou 
32  vers.  La  version  catalane  publiée  par  Milâ,  au  lieu  des  couplets 
1-6  de  la  nôtre,  en  contient  douze,  dont  le  sujet,  tout  différent,  est 
précisément  celui  de  la  Counversioun  de  santo  Madeleno  (Damase 
Arbaud,  II,  15)  mentionnée  plus  haut,  p.  262.  Elle  en  diffère,  en  outre, 
en  ce  que  Madeleine  à  la  fin  y  est  par-donnée  et  monte  au  ciel  ;  ce  qui 
est  au  contraire  une  concordance,  comme  je  Tai  déjà  noté,  avec  la 
version  de  Belestâ  et  avec  celles  de  l'Ardèche  et  de  la  Gascogne, 
probablement  plus  conformes  sur  ce  point  au  texte  primitif,  dont  les 
derniers  vers,  dans  la  version  narbonnaise  comme  dans  celle  de  Da- 
mase Arbaud,  se  seront  perdus. 

Une  différence  d'un  autre  ordre  est  à  signaler  entre  la  version  ca- 
talane et  celles  de  Narbonne,  de  Belestâ,  de  la  Provence,  de  l'Ardèche 
et  de  la  Gascogne.  Ces  dernières  sont  uniformément  en  vers  de  douze 
syllabes*,  à  rime  masculine  et  à  césure  féminine  (épique)^;  tandis  que 
la  première  est  en  vers  de  quatorze  s^^llabes  (7  -|-  7),  à  césure  mascu- 
line et  à  assonnance  féminine.  11  est  remarquable  que  cette  forme  est 
justement  celle  de  notre  n°  5.  Ajoutons  que,  dans  la  pièce  catalane, 
l'assonnance  est  d'un  bout  à  l'autre  identique  à  elle-même  {à-a,  ou  à-e, 
ce  qui,  en  catalan,  est  la  même  chose),  caractère  bien  primitif,  comme 


•  Dans  la  première  des  versions  gasconnes,  le  premier  hémistiche  de  chaque 
couplet  est  double;  en  d'autres  termes,  chaque  couplet  a  cinq  vers  (appa- 
rents) de  six  syllabes.  Dans  le  premier  couplet,  on  lit  Pecadouro  deDiu  après 
Mario  Madaleno,  qui  en  est'le  début;  et  ces  deux  derniers  mois  sont  répé- 
tés, sans  aucune  utilité  pour  le  sens,  en  tète  de  tous  les  couplets  suivants.  Ce 
sont  là  sans  nul  doute  des  additions  arbitraires  au  texte  primitif,  de  véritables 
interpolations. 

2  Les  deux  derniers  couplets,  dans  A,  font  à  cet  égard  exception;  mais  c'est 
sûrement  par  suite  d'une  altération  de  roriginal. 


272  SAINTE  MARIE  MADELEINE 

©n  sait,  que  les  nôtres  ont  peut-être  présenté  à  un  certain  moment, 
mais  qu'il  serait  difficile  aujourd'hui  de  leur  restituer. 

V.  1-2.  La  leçon  de  A,  d'ailleurs  confirmée  par  S,  est  ici  bien  pré- 
férable : 

Mario  Madaleno,        la  pauro  pecairilz 

S'en  va  de  pouerto  en  pouerto        cercar  Diu  Jesus-Christ. 

10.  N'ai  tant  fach  e  fa  faire  A. —  11 .  «  se.  »  Coït,  me?  A  :  me 
deurie  plus  pourtar.  —  13,  «  caugno.  »  Synonyme  de  baumo.  Voy. 
cauno  dans  Mistral  ou  Azaïs. 

19.  A  :  mes  mans  voudriou  lavar,  ce  qui  donne  une  meilleure  as- 
sonnance.  —  21-22.  A: 

Ai  !  belo  ma  blanqueto,      blanco  coumo  lou  lach, 
Fresco  coumo  la  roso,      qu  t'a  vist  e  te  vei  ! 

Leçon  corrompue,  comme  on  voit,  puisqu'il  ne  peut  y  avoir  ni  rime, 
ni'assonnance.  car  la  correction  leit,  qui  irait  de  soi  ailleurs  (le  pays 
de  Foix,  par  exemple),  n'est  pas  possible  en  Provence, —  23-24.  Ce 
couplet  manque  dans  A,  qui,  en  revanche,  quatre  vers  plus  loin 
(après  le  quatorzième,  vv.  27-28),  donne  celui-ci,  que  n'a  pas  notre 
version  : 

La  blanco  coulourabeto      te  pourtara  dinar 
Et  les  auceous  que  pitoun      t'anaran  abeurar. 


IV 


LA    PAURO    MATALENO 

V.  1 .  La  notation  musicale  exige  que  l'on  conserve  ici  les  sept  syl- 
labes du  second  hémistiche.  La  pièce  tout  entière  ctait-ellc  primiti- 
vement en  vers  de  14  syllabes?  Cf.  les  vv.  3,  6,  14. 

2.  «  ana.  »  =  ana  a. —  3.  Corr.  le  cel'^  Cf.  v.  16. —  6.  Se  rap^ 
peler  que,  dans  la  prononciation  populaire,  Jesiw  est  un  mot  paroxy- 
ton. — «  vous  avets.  »  Suppr.  vous  ou  contracter  avels  en  els  ?  Cf. 
le  second  des  vers  catalans  cités  ci-après.  —  7.  «  coumol  bcstià  ba- 
nut.  »  Ce  trait  se  retrouve  dans  la  seconde  des  versions  gasconnes, 
mais  l'épithète  diffère  {meniit). —  9.  «  n'es  vengut.  »  Var.  faiveni. — 
11.11  doit  manquer  au  moins  un  vers  avant  celui-ci,  qui  est  évidem- 
ment corrompu.  —  13<  «  tourna.  )■>  =  tourna  a.  Cf.  v.  2. —  14.  Al  cap 
de  sept  annados  vaudrait  mieux,  la  répétition  textuelle  (cf.  vv.  3,  15) 
étant  beaucoup   plus  dans  la  tradition  populaire  qu'un  pareil  change- 


SAINTE  MARIE  MADELEINE  273 

ment  [L.  L.].  —  «  paradis.  »  Corr.  le  cel?  —15.  Dans  la  version  ca- 
talane, avec  laquelle  celle-ci  s'accorde  mieux,  en  cette  fin,  comme  je 
l'ai  déjà  noté,  qu'avec  la  version  narbonnaise  et  avec  la  provençale, 
Jésus  pourtant  n'intervient  pas,  ni  pour  condamner  Madeleine  à  un 
prolongement  de  pénitence,  ni  pour  la  pardonner.  En  voici  les  der- 
niers vers  : 

«  Ay  mans  qui-os  ha  vist  y  os  veu        heu  quedat  desfigurades  !  » 
Ya'û  baixa  un  ângel  del  cel:        «  Magdalena,  qu'ets  dit  ara? 
Has  de  tornâ  altres  set  anys        al  désert  de  la  montanya.  » 
Acabat  de  les  set  anys,        Magdalena  s'en  alsave. 
Quant  es  a  lamitja  nit,        Magdalena  ya  finave: 
Los  angels  li  feyen  llum,        la  Verge  l'amortellave. 

11  y  a,  au  contraire,  parfait  accord  sur  ces  deux  points  entre  notre 
n"  4  et  les  deux  versions  gasconnes.  Voici  la  fin  de  la  première  : 

Au  cap  de  set  annados        Jésus  l'angouc  trouba. 
«  Mario  Madaleno,         au  ceu  que  eau  ana.  » 

et  celle  de  la  seconde  : 

Lou  boun  Diu  se  lo  meno        tout  dret  en  paradis. 

Cf.   la  fin  de  la  version  recueillie  par  V.  Smith: 

Maria  Madeleina  de  quen'  aigua  n"as  bediu  ? 

—  D'aigua  de  la  clara  fontaina;  n'ai  pas  toudzours  adiu. 

—  Vène  que  nous  n'anaren  ensembla  tout  droit  au  paradis. 

—  Ainsi  fasçoun  les  nostros,  quand  lour  corps  partiron. 


V 

CONSOU   DE    MARIO    MOTOLKNO 

Cette  chanson  se  chantait  en  Rouergue  pendant  la  moisson,  il  y  a 
quarante  ou  cinquante  ans,  sur  l'air  du  Credo.  Le  chef  entonnait 
le  chant,  et  le  second  hémistiche  de  chaque  vers  était  répété  en 
chœur  par  la  troupe  des  moissonneurs. 

J'ai  déjà  signale  la  parfaite  conformité  que  présente  cette  chanson, 
au  point  de  vue  rythmique,  avec  la  pièce  catalane  publiée  par  Milâ. 
Mais  elle  en  diffère  beaucoup  par  les  détails,  comme  de  nos  n°^  3  et  4, 
bien  que  le  sujet  au  fond  soit  le  même  (la  pénitence  de  Madeleine). 
On  s'aperçoit  tout  d'abord  que  la  légende  de  Marie  l'Egyptienne  y 
est  mêlée,  assez  discrètement  d'ailleurs,  avec  celle  de  l'amie  de  Jé- 
sus, ce  qui  a  lieu  aussi  dans  certaines  rédactions  latines  de  la  vie  de 
notre  sainte. 


274  SAINTE  MARIE  MADELEINE 

1.  «  trossa  »  (  ^^  Lrassar,  Tu  protonique,  comme  l'a  post-tonique, 
s'affaiblissant  en  o  dans  ce  dialecte),  passer,  traverser. Voy.  Azaïs. 

2.  «  diet.  )>  =  dixit.  On  reraar  juera  cette  forme,  où  ie  est  sans 
doute  un  résidu  de  la  triphthongue  iei  qu'on  observe  dans  la  forme 
dieis,  laquelle  provient  de  diis,  moyennant  l'insertion  d'un  e.  Cf. 
là-dessus,  Revue  des  lang .  rom.,  XIV,  116. 

4.  «  pecadou  ou.  »  A  contracter,  dans  la  prononciation,  en  trois 
syllabes. —  «  pecaido  »  =  pecairo,  féminin  analogique  de  pecaire, 
qui  a  remplacé  en  divers  lieux,  mais  non  supplanté  partout,  l'ancien 
pecairitz.  Quant  au  changement  de  r  doux  en  d,  c'est  un  phéno- 
mène bien  connu.  On  l'observe  souvent  à  Montpellier  même. 

5.  <(  pecodouno.  »  Autre  forme  analogique.  C'est  le  féminin  de 
pecadou,  dont  Vou  final  a  été  considéré,  par  fausse  analogie  (cf. 
■millou,  millouna),  d'après  bou,  bouno,  etc.,  comme  provenant  de 
oun. —  «  doissas»,  du  verbe  daissai'  =  laissar.  Cf.  l'espagnol  dejar. 

7.  Le  premier  hémistiche  est  trop  long  d'une  syllabe.  On  pourrait 
substituer  ona  à  dobola.  —  8.  <(  zo  »  ^  le,  neutre.  Ailleurs  zou. 
C'est  ecce  hoc. 

11.  Une  syllabe  de  trop  au  premier  hémistiche.  Corr,  Oqui  non 
montjabo  pas? 

12.  «  ons.  »  Pour  ans.  Ua  nasal,  même  tonique  et  en  position, 
s'affaiblit  en  o  dans  le  rouergat. —  19.  Cf.  ce  vers  et  le  suivant  avec  les 
deux  derniers  de  notre  n"  3.  —  21 .  Cf.  ce  vers  avec  le  dernier  de  la 
version  publiée  par  V.  Smith  (ci-dessus,  p.  273). 


APPENDICE 


J'ai  pensé  qu'il  ne  serait  pas  hors  de  propos  d'extraire,  pour  mes 
lecteurs,  de  l'une  des  versions  provençales  du  Nouveau  Testament 
que  nous  possédons,  les  passages  des  Evangiles  qui  sont  le  principal 
fondement  de  la  légende  de  sainte  Marie  Madeleine.  La  version  que 
j'ai  choisie  est  celle  du  ms.  2425  de  la  B.  N.  J'emprunte  le  second,  le 
troisième  et  le  quatrième  de  mes  extraits,  à  M.  Gilly  et  à  M.  WoUen- 
berg,  qui  ont  publié  l'un  et  l'autre  en  entier,  d'après  cems.,  l'Evan- 
gile de  saint  Jean  '.  Le  premier  est  publié  ici,  pour  la  première  fois, 

'  TJie  liomaunt  Version  of  the  Gospel  according  ta  Sf  Jo/m. ..hy  William 


SAINTE  MARIE  MADELEINE  275 

d'après    une  copie,  prise  sur  le  ms.  lui-même,  que  je  dois  à  l'obli- 
geance de  M.  Coastans. 


EVANGELIUM    SECUNDUM    LUCAM,    CAP.    VII 

(B.  N.  ms.  fr.  2425,  fo  26  r») 

36.  Uns  farizieus  pregava  lo  que  manjes  ab  lui,  et  entrant  en  la 
mayzo  del  pharizieu  e  sec  se  almanjar. 

37.  E  vête  una  femna  que  era  pecayris  en  la  cioutat,  e  cant  saup 
que  Jésus  era  en  la  cioutat  e  fon  al  manjar  en  la  maizo  del  farizieu, 
aportet  una  bostea  plena  d'unguent; 

38.  e  venc  a  Jesu,  e  va  se  gitar  a  sos  pes,  et  am  sas  lagremas  los 
comenset  allavar  et  a  baysar  los,  et  am  sos  pels  torcar  et  eysujar,  et 
amb  aquel  unguent  onlier  los  pes  de  Jesu. 

39.  E  vezeut  ayso,  le  farizieus  que  avia  lui  apcllat  dis  dedins  son 
cor(s):  «  Aquest,  si  fos  propheta,  non  fezera  ayso,  car  la  femna  es 
pecairis  et  el  o  saupra.  » 

40.  E  Jésus  dis  li:  «  Vuelh  te  alcuna  cauza  dire. 

41.  Duy  deutor  devian  deute  a  un  usurier.  La  u  li  dévia  .v.  c.  de- 
nier [s]  e  l'autre  .l., 

42.  e  non  avian  de  que  pagar,  e  perdonet  a  cascu  lo  deute.  A  cal 
fes  mais  de  gracia  ni  cal  amet  mais  ?  » 

43.  E  Sismon  respondet  que  ad  aquel  a  cui  mais  perdonet.  E  Jésus 
dis:  «  Drechurierament  as  jujat,  » 

44 .  E  viret  se  alla  femna  e  dis  :  u  Ves  aquesta  femna  :  en  ta  mayzo 
entriei  e  nom  doniest  aygua  a  mos  pes,  et  aquesta  arrozet  mos  pes 
am  lagremas  e  am  sos  pels  los  me  torquet  ; 

45.  ni,  p'os  que  intret,  non  cesset  de  baysar  mos  pes, 

46.  et  am  hunguentlos  m'a  ougz. 

47.  Per  la  cal  cauza  ieu  die  a  tu  que  tug  siey  peccatli  son  perdo- 
nat,  quar  fort  amet  ;  e  cel  ama  mens  a  cui  meus  es  perdonat,  » 

48.  E  dis  ad  ella  :  «  Li  tieu  peccat  te  son  perdonat.  » 

49.  Et  aquil  que  eran  al  manjar  comenceron  adir:  «  Cals  es  aquest 
que  perdona  peccat?  )> 

50.  E  dis  alla  femna  :  «  Ta  fe  te  fa  salva,  vay  en  pas*.  » 


Stephen  Gilly.  London,  Î848. —  L'Évangile  selon  S.  Jean,  en  vieux  provençal, 
publié  par  J.  Wollenberg.  Berlin,  1868. 

1  Après  cet  extrail,  j'aurais  voulu  donner  la  traduction  des  versets  38-42 
du  chap.  X  de  saiaL  Luc.  Mais  le  feuillet  qui  contenait  la  fin  de  ce  chapitre 
manque  aujourd'hui  dans  le  ms.  2425. 


276  SAINTE  MARIE  MADELEINE 


EVANGELIUM  SECUNDUM  JOANXEM,  CAP.  XI 

1 .  Mas  era  uns  languens  que  avi[a]  nom  Lazer,  del  castel  de 
Martha  e  de  Maria,  de  las  sores  d'el. 

2.  Mas  [Maria]  era  aycella  que  annet  onher  Jesu  am  los  unguens, 
et  am  sos  pels  sos  pes  li  eysuget,  de  la  cal  son  fraire  d'ella  era  ma- 
laut,  lo  Lazer. 

3.  Adonc  las  sorres  d'el(las)  trameseron  a  Jesu,  disent:  «  Senher, 
ve  te  aquel  que  tu  amas  es  malautes.  » 

4.  E  Jésus  dis  lur;  «Aquesta  malautia  non  es  de  mort,  mas  per 
la  gloria  de  Dieu,  quel  filh  de  Dieu  sia  glorificat  per  el.  » 

5.  Mas  Jésus  amava  Martha  e  Maria,  las  sorres  del  Lazer. 

6.  Mas  per  amer  d'el  istet  aqui  .ii.  jorns. 

7.  Pueys  annet  am  sos  discipol[s]  en  Judea. 

8.  E  van  dire  siey  discipol  :  «  Maistre,  per  que  vas  ara  en  Judea? 
non  sabes  quel  Juzieu  te  volon  allapidar?» 

9.  E  Jésus  va  respondre:<(  Las  oras  del  jorn,  non  son  .xii.  ?  Si 
alcuns  ira  el  jorn  non  offendra,  quar  ve  la  lus  d'aquest  mont.  » 

[10.  Mas  si  el  ira  en  la  nuech,  el  offendra,  quar  la  lus  non  es  en 
el.] 

1 1.  Et  après  ayso  lur  va  dire  Jésus  :  «  Lo  nostre  amix  Lazer  dorm  ; 
mas  ieu  la  vauc,  que  suscite  el  de  son.  » 

12.  Adonc  li  discipol  van  dire:  «  Senher,  si  dorm,  el  sera  salv.» 

13.  Mas  Jésus  avia  dich  délia  mort  d'el;  mas  il  cujavan  que  dor- 
mis. 

14.  Adonc  Jésus  dis  apertaaient  :  <c  Lo  Lazer  es  mortz  ; 

15.  et  ieu  alegre  mi  per  vos,  que  crezas,  que  ieu  non  era  aqui.  Mas 
annem  a  el.  » 

17.  E  Jésus  venc  en  Betania,  et  atrobet  que  .  un.  jorns  avia  istat 
mort  el  monument. 

18.  Mas  era  Betania  prop  de  Jérusalem. 

19.  E  motz  des  Juzieus  eran  vengut  a  Marta  e  a  Maria,  per  consolar 
las. 

20.  E  Martha  auzi  que  Jésus  venia,  e  corre  li  acontra,  e  gitet  se  a 
sos  pes,  e  va  li  dire  : 

21 .  «  Senher,  si  tu  fossas  istat  aysi,  lo  mieu  fraire  non  fora  mortz. 

22.  Mas  yeu  [say]  que  quai  que  cauza  que  tu  querras  a  Dieu,  ti 
sera  donat.  » 

23.  E  Jésus  li  va  dire  :  «  Tos  fraires  resuscitara.  » 

24.  E  Martha  dis:  «  Ben  say  que  resuscitara  el  redier  jorn.  » 

25.  E  Jésus  li  va  dire:  «  Yeu  suy  resurrexio  e  vida  ;  qui  cre  en 
mi,  ancar  si  es  mort,  vioura  ; 


SAINTE  MARIE   MADELEINE  277 

26.  e  tutz  cil  que  mi  creiran  non  morran  eternalment.  Crezes 
ayso  ?  » 

27.  Et  ella  dis  :  «  Certas,  Senher,  ieu  cre  que  tu  iest  fîlh  de  Dieu 
viou,  que  venguist  en  aquest  mont.» 

28.  E  cant  ac  dich  aquestas  cauzas,  annet  et  apellet  sa  sorre  Maria, 
e  va  li  conselhar  :  «  Lo  maistre  sa  es  e  apella  te.  » 

29.  E  cant  ella  auzi,  levet  se  apertament,  e  venc  vers  el. 

30.  E  Jésus  non  era  ancara  intrat  el  castel,  mas  era  aqui  on  Mar- 
tha  1  "avia  laysat. 

31 .  Adonc  li  Juzieu,  can  viron  Maria  levar  apertament,  et  issi  s'en, 
penseron  se  que  annes  al  monument  per  plorar  sobre  son  fraire. 

32.  E  can  Maria  fon  aqui  on  Jésus  era,  vi  lo,  e  casec  si  a  sos  pes, 
e  va  li  dir  :  «  Senher,  si  fossas  istat  aysi,  lo  mieu  fraire  non  fora 
mort.  » 

33.  Adonx  Jésus,  can  vi  plorant  Maria,  e  mot  d'autres  Juzieus  amb 
ella,  e  Jésus  fon  mogut  de  pietat. 

34.  E  demandent]  li  :  «  On  Faves  sebelit?»  — «  Senher,  ven,  e  vei- 
ras  0.  » 

35.  E  Jésus  ploret. 

36.  Adonc  van  dire  li  Juzieu  :  «  Vejas  con  plora  sobre  lui,  ben 
l'amava.  » 

37.  Et  alcuns  d'els  dizian  :  «Aquest,  que  uberc  los  vuels  al  sec,  non 
l'agra  pogut  gardar  de  mort?  » 

38.  E  Jésus  frement  en  si  meteis  venc  al  monument. 

39.  E  va  dire:  «  Levatz  la  peira  que  es  desobre  pausada.  »  E 
Martha  va  dire:  «  Senher,  el  flaira, que  .un.  jorns  a  istat  mortz.  » 

40.  E  Jésus  va  li  dir:<c  Non  t'ayieu  dich  que,  si  crezes,  veyras  la 
gloria  de  Dieu  ?  » 

41.  Et  adonc  van  levar  la  peira.  E  Jésus  levet  los  (h)vuelh  ves  lo 
cel  e  dis:  «  0  paire,  gracias  ti  fauc  quar  tu  mi  auzes. 

42.  Mas  ieu  say  ben  que  tu  me  auzes  tota  ora  ;  mas  ieu  die  ayso 
per  lo  pobol  que  es  aysi,  que  crezan  que  tu  m'as  trames.  » 

43.  E  con  ac  dich  ayzo,  cridet  an  gran  vous:  «  Lazer,  ve  défe- 
ras. » 

44.  E  tantost  aquel,  que  avia  istat  mort  .iiii.  jorns,  issic  foras,  liât 
los  pes  e  las  mans  ;  e  la  cara  era  liada  am  lo  suari.  E  Jésus  va  lur 
dire:  «  Deslias  lo,  e  laysas  l'anar.  » 

45.  E  mot  de  Juzieus  que  eran  aqui  vengut,  [e]  viron  aquestas  cau- 
zas que  Jésus  fasia,  crezeron  en  el, 

46.  Mas  alcu  d'ellos  anneron  as  pharisiens,  e  van  lur  dire  aycellas 
cauzas  que  Jésus  fes. 


21 


278  SAINTE  MARIE  MADELEINE 


CAP.    XII 


1.  Adonc  Jésus  davaa  .vi.  jorns  délia  pascha  venc  en  Betania, 
aqui  on  resuscitet  lo  Lazer,  que  avia  istat  mort. 

2.  E  feron  aqui  a  el  cena;  e  Marta  ministrava. 

3.  E  Maria,  sa  sorre,  près  lioura  d'onguent  precios  de  nart  pistât, 
et  ois  los  pes  de  Jesu,  et  am  sos  pels  los  eysujet;  e  li  mayzo  fon  um- 
plidade  la  odor  del  onguent. 

4.  Adonc  uns  des  discipols  de  lui,  Judas  Escariot,  loquals  era  a 
liourar,  lui  dis  : 

5.  «  Per  que  aquest  unguent  non  es  vendutz  ,ccc.  deniers,  e  fos 
donat  a  paures?  » 

G,  Mas  el  dis  ayso,  non  per  so  que  pertengues  a  el  des  paures, 
mas  car  el  era  laire,  e  portava  borsa,  en  que  metia  aycellas  cauzas  que 
eran  messas. 

7.  Adonc  Jésus  dis  a  la  femna:«  Layssa  l'onguent,  e  garda  lo  en- 
tro  al  mieu  sépulcre. 

8.  Quar  vos  aures  totas  oras  los  paures  am  vos  ;  mas  mi  non  au[r]es 
totas  oras.  » 


1.  Mas  u  disapte  ben  mati,  venc  Maria  Magdalena  al  monument  e 
vi  la  peyra  vostada  del  monument. 

2.  Adoncas  correc  e  venc  a  Sismon  Peyre  e  ail'  autre  discipol, 
loqual  Jésus  amava,  e  dis  lur  :  «  Vostat  au  lo  seuhor  del  monument,  e 
non  sabem  on  l'an  pauzat.  » 

3.  Adonc  Peyre  e  l'autre  discipol  corregronal  monument. 

4.  E  aycel  autre  discipol  corria  plus  fort  que  Peyre  e  venc  premiers 
al  monument. 

5.  E  va  se  dinar  e  vi  las  toalhas  pauzadas,  pero  non  la  intre[t]  . 

6.  E  Peyre  venc  aprop,  e  intret  el  monument,  e  vi  los  draps  linis 
pauzat[z] 

7.  el  suari,  loqual  avia  istat  sobre  lo  cap  de  Jesu,  non  pauzat  am 
loâ  draps  del  li,  mas  era  envolopatz  ad  autra  part. 

8.  Per  so  adonc  aycel  autre  discipol  que  era  vengut  premiers  in- 
tret e  vi  e  credet, 

9.  quar  ancar  non  sabia  l'escriptura,  que  covenges  el  resuscitar  de 
mort. 

10.  Adonc  li  discipol  anneron  derescabs  a  lur  meteyzes. 


SAINTE  MARIE  MADELEINE  279 

11.  Mas  Maria  istava  de  foras  justa  lo  monument  plorant,  e  mentre 
que  ella  plorava,  regardet  ins  el  monument, 

12.  e  vi  dos  angels  sezent  am  blancas  vestimentas,  la  on  lo  cor[s] 
de  Jesu  avia  istat  pauzat,  .i.   al  cap  e  autre  al[s]pes. 

13.  E  dizian  a  ella  :  «  0  femna,  per  que  ploras  ?  »  Et  ella  respon_ 
det  :  «  Per  so  quar  n'an  portât  lo  mieu  senhor  e  non  say  on  l'an  mes.» 

14.  E  cant  ac  die  ayso,  tornet  atras  e  vi  Jesum  istant,  mas  non  sabia 
pas  que  el  fos. 

15.  E  va  li  dir  :  «  0  femna,  per  que  ploras?  que  queres?  »  Et  ella 
se  pensava  que  fos  ortolans,  e  dis  a  el  :  <(  0  sentier,  si  vostiest  lo 
mieu  senhor  del  monument,  digas  mi  on  l'as  pauzat,  e  ieu  ostaray 
lo... 

16.  E  Jésus  va  dire  a  ella  :  «  0  Maria!  »  E  ella  respondet:  «  Rabi  », 
que  vol  dire  maistre,  e  venc  ves  el  corrent,  e  casec  en  terra  de  gauch, 
et  cuje[t]  lo  abrasar. 

17.  E  Jésus  li  va  dire  :«  Non  mi  vuelhas  ancar  tocar,  quar  ieu  non 
pugiey  ancara  al  mieu  paire  ;  mas  vay  a  mos  fraires  e  digas  lur  :  yeu 
pugiey  al  mieu  paire  e  al  vostre,  al  mieu  dieu  e  al  vostre.  » 

18.  E  Maria  Magdalena  venc  anunciar  as  discipols  que  «  ieu  vi  lo 
Senhor  e  el  dis  a  mi  aquestas  cauzas.  » 


II 


La  légende  de  sainte  Marthe  est  si  étroitement  liée  à  celle  de  sainte 
Madeleine  qu'il  m'a  paru  convenable  de  la  donner  ici,  en  provençal, 
d'après  les  deux  mss.  de  la  Légende  dorée  qui  m'ont  fourni  celle  de 
sainte  Madeleine.  Sur  les  rapports  de  ces  deux  mss.  et  les-caractères 
linguistiques  qu'ils  présentent,  je  renvoie  à  ce  qui  a  été  dit  ci-dessus, 
t  XXVI,  p.  106.  Je  rappelle  que  je  désigne  par  A  le  ms.  fr.  9759, 
qui  est  celui  que  je  suis  principalement,  par  B  le  ms.  esp.  227,  qui 
me  sert  surtout  à  corriger  ou  à  compléter  le  premier. 


[Fo  196  r"]   La  Vida  de  santa  Martha 

Martha  foc  hosta  de  Jhesu  Christ.  E  foc  son  payre  e  sa  mayre  de 
linatge  real;  ffo  lo  payre  de  ela  duc  de  Siria  e  deMaritima,  Possesia 
santa  Martha  .ni.  castels,  so  es  Magdalo  e  Bethania  e  .la.  part  de 
Jherusalem,  per  heretat  de  sa  mayre,  am  la  sua  sor  e  son  frayre  La- 


280  SAINTE  MARIE   MADELEINE 

zer.  Nos  troba  '  que  hanc  agues  marit  ni  paria  de  home.  La  nobla 
[hosta-]  se  pessava  noblament  de  Jhesu  Christ  e  de  la  sua  sor,  (e 
donc  ^)coma  a  ela  fos  [V]  a  vegiayres  [que  totz  lo  mons  no  abastes  '•] 
a  servir  tan  gran  senhor.  Apres  la  ascensio  de  Jhesu  Christ,  et  donc 
coma  fos  fâcha  persecutio  ^  dels  disciples,  e  am  lo  seu  frayre  sant 
Lazcr  e  am  la  sua  sor  santa  Maria  Magdalena  [e  sant  Maximi**], 
que  los  avia  bateialz  e  al  quai  foron  coman  l.itz  per  Spirit  Sant,  ....'' 
que  "  per  (a)mar ''j  Dieus  volent,  vengron  a  Marcela,  e  en  après  els  s'en 
aneron  en  la  ciutat  d'Aichs  '",  e  aqui  els  convertiron  mot  gran  re  de 
gent  a  la  fe  de  Dieu.  Era  santa  Martha  bêla  parlera  e  mot  graciosa. 
—  Era  en  aquel  temps,  sobre  Rose  ",  en  .1.  bosch,  entre  Arles^-  e 
Avinho,  .1.  drach  que  era  mieg  peis'^  e  mieg  bestia,  pus  gros  que 
.1.  buou  e  pus  long  que  .1.  caval,  que  avia  dens  talans  coma  spasa'*; 
e  estava  en  l'ayga  quant  se  volia,  e  el  bosch  quant  se  volia,  e  aucisia 
totz  aquels  que  passavon  per  lo  cami  prop  del  bosch,  e  aquels*'  que 
passavon  per  l'ayga  fasia  abocar  las  barquas  e  aucisia  las  gens''"'.  E 
vengut  era  per  la  mar  de  Galicia  en  sa,  e  ffoc  engenrat  en  Asya  per 
Leviatan,  que  es  serpen  d'ayga  mot  feresta  ''  e  cruzel,  e  de  Bonac  *", 
que  es  bestia  que  se  fa  ''■*  en  la  regio  de  Galicia,  que  [ha-^]  aytal  natura 
que  aquels  21  que[l]  volon  encagiar",  per  spasi  de  .P.versana-^  geta 


1  Leçon  de  B.  A:  710  Irobec,  leçon  qui  semble  Indiquer  que  le  copiste 
avait  sous  les  yeux  nos  troba,  qu'il  n'a  pas  compris,  y  voyant  un  parfait  au 
lieu  d'un  présent.  Le  latin  porte  niinquam  legitur.  —  ^  Manque  dans  A; 
suppléé  d'après  B,  —  ^  eJiB.  —  "  Suppléé  d'après  le  latin  [quod  ad  ser- 
viendumtanto  hospitinon  siifficeret  etiam  totus  mundus).  Ba  seulement: 
que  non  abastas  a  servir  tant  gran  senyor.  —  s  Sic  b,  Lat.  dispersio. — 
6  Suppléé  d'après  B,  conforme  au  texte  latin.  —  '  Le  latin  ajoute  :  «  Multis- 
que  aliis,  ablalis  remis,  vciis  elgubernaculis  omnibus  aiimenlisque,  ratibus  ab 
infidelibus  includuntur.  »  Lacune  commune  à  nos  deux  mss.  —  «  qui  B.  — 
0  mar  B. —  i"  Auchs  A.  —  u.  Leçon  de  B.  A:  reyre.  —  i*  Arlet  A  etB.  — 
13  pg,.  (p  barré)  A,  pex  B,  —  1^  B  ajoute:  «  e  una  corns  (corr.  n.  corns  ou 
unas  cornas  ?)  de  cada  part.»  Lat.:  «  binis  pariuis  ex  utraque  parte  munitus.» 
—  15  =:  a  aquels.  —  16  b  se  tient  ici  plus  près  dn  texte  lalin  :  «  e  estant  eu 
l'ayga  amagat  el  aucisia  sels  quin  passavea  e  fasia  périr  les  naus.  »  Abocar 
=.  renverser,  ici  submerger.  Sur  ce  mot,  qui  manque  à  Rayn.,  voy.  J.-B. 
Noulet,  Étude  sur  G.  de  la  Barre,  p.  13.  —  *'  Ferest,  ta,=  sauvage,  féroce. 
Gel  adj.,  qui  manque  à  Rayn.,  est  dans  le  dict.  catalan  de  Labernia. —  '**  bo7i- 
fat  A,  bo7iatB.  LslL  Bonac  ho.  —  '^  Lat.:  «  quod  Galaliaî  regio  gignit.»  — 
^"  Suppléé  d'après  B.  —  2'  =  a  aquels.—  --  entagiar  A,  enceguarB.  Lat. 
insectatores  suos.  Encagiar  n'est  du  reste  qu'une  autre  forme  de  encanhar, 
exciter,  irriter  (cf.  Azaïs,  Dict .  des  idiomes  romans).  J'ai  vu  souvent,  au- 
trefois, le  nom  de  lieu  Antagnac  (Lot-el-Garonne)  écrit  Antagiac.  —  23  Lat. 
juger  is . 


SAINTE  MARIE   MADELEINE  281 

la  sua  faitura  >  ayssi  coma  cayrel,  e  tota  res  que  toca  crema  ayssi 
coma  fuoc.  A  laquai  bestia  ana  santa  Martha,  et  trobec  la  en  lo  bos- 
catge  que  mangiava  .i.  home,  e  gitec  sobre  lo  drach  ayga  benezecta 
e  mostrec  li  lo  senhal  de  la  crotz  .  E  donc  mantenent  foc  -  vencut  ^ 
coma  ovelha  '%  e  ^  lo  liet  santa  Martha  am  la  sua  cencha;  e  man- 
ten[en]t  lo  poble  lo  auciron  am  lanssas  e  am  peyras.  Era  appellat 
[aquel]  drach  Tarascha*",  e  per  aysso  dis  hom  Tarasco  a  aquel  loc. 
Era  abans  appelât  aquel  loc  Narluc^,  que  volia  dire  nègre  loc,  per 
so  quant  avia  grans  boscatges  nègres.  Apres  aysso  santa  Martha 
demorec  aqui,  de  licencia  de  sant  Maximi,  maestre  seu  ;  e  aqui  ela 
estava  en  oratio.  En  loqual  loc  fec  .i.  monestier  de  don[a]s,  a  honor 
de  santa  Maria  Magdalena^;  e  aqui  el[a]  fec  mot  aspra  vida,  ayssi 
que  no  mangiava  sinon  pa  e  ayga  ,P.  vegada  lo  jorn,  he.  c.  vega- 
das[lo  dia  he  .c.  vegadas^]  la  nueg  s'aginolhavaper  Dieuspregar.  E 
donc  coma  una  vegada  ela  presigues  as  Avinho,  entre  la  ciutat  el  fluvi 
de  Rose  *",  .i.  enfan  stava  de  lay  lo  fluvi  de  Rose  *",  que  volia  ausir  las 
suas  paraulas,  per  que  veac  a  ela  nadan  'i.  Mas  soptosament  foc  negat 
e  mort.  Lo  cors  del  quai  foc  atrobat  lo  lendema,  per  que  foc  portât 
davant  santa  Martha,  per  so  que  lo  resuscites.  E  donc  mantenent, 
fâcha  oratio  a  Dieu,  ela  lo  près  per  la  ma  e  leva  lo  sus  ses  tôt  mal,  e 
après  ela  lo  bateiec. —  Recompta  Eusebi  en  lo  .v.  libre  de  las  Ysto- 
rias  eclesiasticas  que  una  femna  que  perdiasanc  perla  natura  derrere, 
pueys  que  foc  guerida,  fec  far  .i=>.  ymagena  en  lo  seu  verdier,  a  sem- 
blansa  de  Jhesu  Christ,  e  ayssi  [F°  197  r°]  vestit  coma  ela  lo  avia  vist  ; 
laquai  ymagena  ela  mot  honrava,  e  las  herbas  que  se  fazian'-  dejotz 
aquela  ymagena,  que  no  avian  davant  deguna  vertut,  foron  mot  ver- 
tuosas  ;  de  lasquals  eron  gueritzmotz  malautes.  Dis  sant  Ambros  que 
aquela  femna  foc  santa  Martha,  que  guérie*'^  d'aquela  malautia.  — 
Nostre  Seuhor  revelec  a  santa  Martha  la  sua  mort  ans  per  .i.  an  •*,  e  per 
tôt  l'an  ela  foc  trebalhada  per  febre,  e,  al  cap  dels  .viii.  dias  i^, 
ela  ausic  e  vie  los  angels  que  portavon  la  arma  de  la  sua  sor  santa 
Maria  Magdalena  al  cel;  per  que  ela  dis  als  frayres  e  a  las  sors  del 

'  fenda  (=  fr.  fiente)  B.  Lat.  .^tercus  siium.  —  -  manque  dans  B.  — 
i  Leçon  de  B.  A:  vengiit.  Lat.  vicfus  est. —  "coma  lo  vie  lay  A;  con  a  feda 
B.  Lat.:«  ut  ovis  stans.»  —  *  Manque  dans  B.—  *  Sic  B.  A:  Tarascli.  — 
7  NerlucB.  —  *  Sic  A  et  B.  Lat.:  a  ad  honorera  béate  Marie  sempervirgi- 
nis.  » —  '  Suppléé  d'après  B,  conforme  au  texte  lat.  —  i"  Sic  B.  A:  Rosa. — 
*i  Le  ms.  porte  î;en,  avec  un  signe  abrév.  au-dessus.  B:«  per  que  nadan  volia 
as  ela  venir  »,  ce  qui  pourrait  suggérer  pour  A  la  correction  vole  a  ela  venir. 
Lat.:«  nudatus  natare  cepit.  »  —  i^  Lat.  crescentes,  —  '^  gueria  A;  guari 
B.  Lat.:  «  quam  Dominus  sanavit.  «  —  '*  Lat.:  «  ante  per  annum.  »  —  '*  aw.s 
del  viajten  dia  B.  Lat.:  «  anle  octavum  diem.  » 


082  SAINTE  MARIE  MADELEINE 

monestier:  «  0  companhos  e  vos  amicz  meus,  icu  vos  pregui  queus 
[alegretz']  am  mi,  coma^  sapiatz  que  ieu  hyey  ausitz  los  angels,  que 
pogiavan  l'arma  de  la  mia  sor  al  cel.  »  En  après  ela  dis  :  «  0  mot 
bcla  sor,  et  mot  amada,  vivas  ^  am  lo  maestre  teu  e  koste  meu  en  *  la 
tua  sela  benaurada  !  »  E  mantenent  santa  Martha  amonestec  totz 
aquels  que  li  stavon  de  costa,  que  stesson  am  lums  costa  ela  e  "  que 
velhesson  entro  a  la  sua  mort.  E  quant  foc  mieja  nueg''  lo(s)  vens 
que  fasia  desquantis  '^  totz  los  lums,  per  que  mantenent  ela  vie 
grans  companhias  de  diables,  per  que  ela  comensa  Dieus  pregar,  di- 
sent: «  0  sant  payre  meu  car,  ajustatz  se  so,  per  mi  a  devorar,  los 
diables  que  tenon  scritz  totz  los  meus  defalhimens  ;  raas  tu.  Sen- 
hor,  sias  en  lo  meu  adjutorii.  »  E  mantenent  ela  vie  la  sua  sor  que 
venc  a  ela,  e  portava  en  la  sua  ma  .la.  gran  falha  cremant,  e  en- 
ses  totz  los  ciris  elas  iampesas  que  eronmortas  perven^.E  dis  Jhesu 
Christ:  «  Veyne,  hosta  mia,  car  la  bon  ieu  stariey  seras  tu  am  mi; 
car  tu  me  resaubies  en  ton  hostal,  per  que  ieu  te  resaub[r]iey  en  lo 
meu  cel  ;  e  totz  aquels  que  me  pregaran  ^  ieu  yssausiriey  per  amer  de 
tu.  »  Ayssi  coma  la  hora  se  propiava  de  la  sua  mort,  ela  se  fec  por- 
tar  défera,  per  so  que  vigues  lo  cel  ;  e  mandée  se  *°  pausar  sobre  cenre 
e  que  hom  li  tangues  la  crotz  davant,  e  ausiro  "  la  [orar]'^  en  aques- 
tas  paraulas  :  «  0  Senhor  car,  garda  aquesta  pobreta'^^  e  ayssi  coma 
tu  volgues  albregar  am  mi  en  l'ostalh  ^'*,  en  ayssi  tu  me  recep  en  lo 
règne  celestial  !  »  E  santa  Martha  manda  que  hom  li  legis  la  passio 
de  Jhesu  Christ '3;  e  quant  foc  en  aquel  loc  bon  se  lieg  :  «  Payre,  en 
las  tuas  mas  comandi  lo  meu  spirit  »,  ela  mantenent  trames  l'espirit 
a  Dieu.  En  lo  secon  dia,  que  foc  dimenge,  ayssi  coma  de  costale  seu 
cors  disian  lausors  losclergues,  entorn  de  tercia,  san  Fron  cantava 
messa  en  Peyregorg^'^,  e  après  la  pistola  el  s'adormic  en  la  cadieyra; 
e  aqui  Dieus  li  apparec,  a  el  disent:  «  0  amat  mieu   Front,  si  vols 


*  Suppléé  d'après  B.  La  place  de  ce  mot  est  en  blanc  dans  A. —  2  Manque 
dans  B.  —  •'  vives  A  et  B.  Lat.  vivas.  —  ■*  Sic  B.  A:  a.  Lat.  ifî  sede.  —  s  0 
A.  —  6  B  ajoute:  «que  tots  dormien.  »  Lat.:  «  custodibus  somno  gravatis.  » 
—  ''  Descantir,  éteindre,  manque  dans  Rayuouard,  qui  n'a  qu'escanti)-.  lo 
veyit.  ..aiicis  B.  —  »  ici  une  lacune  dans  A  comme  dans  B.  Le  texte  latin 
porte  :  «  Dumque  altéra  alteram  proprio  nomine  vocaret,  ecce  Christus  adve- 
nit,  dicens...»  —  »  Sic  B.  Il  faudrait  suppléer  e7i  ton  nom,  ou  corriger  te. 
Lat.  et  invocantes  te.—  *"  ânes  se  A,  mana  se  B.  Lat.:  «  jussitque  se  in  ler- 
ram   super  cinerem  poni.  b  —   i*  ausira  A.  —  *2  5  a   seulement  denant, 

orn ,  conformément  au  latin  oravit  in  hecverha.  La  meilleure  correction 

de  A  serait  peut-être  e  asora  en.  —  ^^  pobi'esa  h.  paiihrctatB.  Lat.  pau- 
percidam.  —  '*  en  lo  meu  ostal  B.  —  i^  «  secumdum  Lucara  b,  ajoute  le 
texte  latin.—  "•  Perjregorp  A.  Lat.  «  apud  Petragoricas.  » 


SAINTE  MARIE  MADELEINE  283 

complir  so  que  nos  promesem  *  a  la  nostra  hosta,  leva  sus  e  seguis 
me.  »  Per  que  de  mantenent  els  vengron  a  Tarasco,  e  de  costa  lo 
cors  de  ela  cantans  am  les  autres,  disseron  tôt  lo  officii  ;  el  ^  cors 
d'ela  els  meseron  am  lors  mas  propias  en  lo  vas.  E  donc  coma  en 
Peyragorg  ^  fos  cantatper  los  cantadors  loR^  e  Allehiia^,  el  diague 
volgues  penre  benedictio,  per  so  coma  volia  dire  Tavangeli^,  a  envi- 
das^  pogron  despertar  lo  avesque,  perque  el  lor  dis:  «  0  frayres 
meus,  per  que  m'avetz  revelhat^  ?  [que  Jhesu  Christ  m'avia  amenât 
per  sebelir  la  sua  osta,  e  avem  la  sebelida.  Trametetz  test  la  un  mi- 
satye,  quem  aport  l'anel  els  guans  que  comaney  en  la  al  sacrista,  e 
per  oblit  o  he  en  lagequit,  per  so  cor(s)  me  despertetz^.  »  Per  que  la 
aneren  los  misatyes,  e  reseberen  un  guant  del  sacrista  e  l'anel,  e 
l'autre  gant  aremena  ^  lo  sacrista  per  testimoni  del  feyt.  —  Miracle, 
Dix  sent  Front  que,  après  la  sepultura,  un  clergue  demana  a  Jhesu 
Crist  con  avia  nom  ;  al  quai  el  no  vole  respondre,  mes  que  li  mostra 
un  libre  que  ténia  en  la  ma  ubert,  en  lo  quai  no  avia  als  escrit  si  no 
aquest  verset:  «  En  la  memoria  perdurable  sera  la  justa  osta  mia,  e 
no  temera  negun  mal  en  lo  derer  jusesi.  »  On  con  aquel  gires  les 
cartes  del  libre,  noy  troba  als  escrit  ^''. —  Miracle.  On  con  mots  mi- 
racles se  fesen  en  lo  vas  de  senta  Martha,  en  C(o)lodoveus,  rey  de 
Fransa,  qui  fo  bateyat  per  sent  Remigi,  anec  la  al  seu  vas,  e  aqui 
el  fo  guarit  de  mot  grant  dolor  que  sofria  als  royons.  Per  la  quai 
causa  el  requesi  *'  aquel  loc,  e  dona  als  servidors d'aquel loc  .m.  mi- 
1ers  de  terra  en  aviro  del  loc,  de  totes  parts,  ab  vilas  e  ab  castels,  e 
fe  aquel  loc  franc.  —  Senta  Marcella,  qui  era  serventa  d'ela,  escrisc 
la  sua  vida  ;  laquai  en  après  s'en  ana  preycar  en  P'sclavoyna  l'avan- 
geli  de  Deu,  e  après  .x.  ayns  ela  s'en  ana  ha  Deu.] 


'  Lat.  pollicitus  es.  —  "^  e  ell  k.  —  ^Peragogh  A.  —  *  fi  barrée,  c'est-à- 
dire  répons.  Manque  dans  B,  ainsi  que  alléluia,  qui  suit  —  ^  La  traduction, 
ici,  dans   A  comme  dans  B,  abrège  le  texte:  «  dum...  dyaconus,  evangelium 

lecturus,  benedictionem  petens,  episcopum  excitaret »  —  *^  a  en  vides  A, 

asemujdes  B.  Lat.:  «  ille  vix  excitatus.  »  Le  trad.  au  lieu  de  à  peine,  pa- 
raît avoir  compris  avec  peine,  malgré  lui  (invilum).  Rayn.  n'a  de  cette 
locution  que  la  forme  toute  française  a  envis.  —  ">  Ici  s'arrête  A,  par  suite 
évidemment  d'une  erreur  du  copiste,  qui  aura  sauté  un  feuillet  ou  une  page  de 
l'original.  Ce  qui  suit  immédiatement  appartient  à  la  Vie  de  saint  Germain.  Je 
transcris  purement  et  simplement,  pour  combler  la  lacune,  le  texte  de  B,  — 
8  Lat.:  «  quia  me  tam  cito  excitastis.  » —  '  Lat.  retinuit .Aremenar  est  dans 
Rayn.,  mais  seulement  dans  la  signification  de  7ie  pas  oublier  et  non  au  sens 
matériel  que  ce  verbe  a  ici.  —  *"  Lat.:  »  cunctis  foliis  hoc  reperit  scriptum.  » 
—  1  =  enrequesi  (lat.  ditavit). 


Dialectes  Modernes 


PARNASSE   PROVENÇAL 

PAR  LE    P.  BOUGEREL,    PRÊTRE    DE    l'oRATOIRE 

(Suite) 


NOTES  ET  ADDITIONS 


Explication  des  abréviations  employées  pour  les  ouvrages  cités 
dans  ces  Notes  et  additions 

Achard. —  Dictionnaire  de  la  Provence  et  du  Comté-Venaissin,  t.  III 
et  IV.  Marseille.  1786. 

Barjavel.  — Dictionnaire  historique,  biographique  et  bibliographi- 
que du  département  de  Vaucluse.  2  vol.  in-S".  Carpentras,  1841. 

Bory.  — Catalogue  des  livres  rares  et  précieux  composant  labibl. 
de  J.-T.  Bory.  Marseille,  1875.  (Je  cite  par  n°^) 

Burgaud. —  Bibliothèque  patoise  de  Burgaud  des  Marets.  Paris, 
Maisonneuve  et  Ce,  1873.  (Je  cite  par  n°^) 

Essais. —  Supplément  aux  Essays  de  littérature,  1703,  p.  148.  Od 
y  mentionne  huit  poètes  modernes,  qui  avaient  été  confondus  à  tort, 
dans  les  Essays,  avec  des  poètes  provençaux  anciens,  et  que  je  sup- 
pose avoir  composé  en  provençal.  Cela  est  sûr,  du  moins,  de  l'un 
d'eux,  Pierre  de  Chasteuil-Gallaup. 

Gaut.  — Étude  sur  la  litt.  et  la  poésie  provençales,  dans  le  t.  IX 
des  Mémoires  de  l'Académie  d'Aix.  Aix,  1867. 

Lambert.  —  Catalogue  des  mss.  de  la  bibl.  de  Carpentras,  par 
C.-G.-A.  Lambert.  Carpentras,  1862. 

Millin. —  Essai  historique  sur  la  langue  et  la  litt.  provençales, 
(\^ns\Q  Magasin  encyclopédique,  1808,  t.  II. 

Noulet,  —  Essai  sur  l'histoire  littéraire  des  patois  du  midi  de  la 
France.  I  (XVI«  et  XV1I<^  siècles),  1856;  II  (XVllle  siècle),  1877. 

Soleinne.  —  Bibliothèque  dramatique  de  M.  de  Soleinne,  t.  III.  (Je 
cite  par  n°*.) 


PARNASSE  PROVENÇAL  285 

Soliers.  —  Raimond  de  Soliers,  Rerum  antiqiiarum  et  nobiliorum 
Provinciœ  Commentarii,. .,  livre  V,  chap.  23  :  de  Poetis  qui  Provin- 
ciali  sernione  scripserunt.  Ouvrage  resté  inédit,  sauf  le  premier 
livre,  dont  il  a  été  publié,  en  1615,  une  traduction  française.  Je  le  cite 
d'après  le  ms.  original,  qui  est  à  Aix.  L'auteur,  mort  vers  1594, 
mentionne  dans  ce  chapitre,  comme  ayant  été  célébrés  par  Jean  de 
Nostredame,  son  ami,  un  certain  nombre  de  poètes  provençaux  qui 
florissaient  de  son  temps  (hodiernos  viros  Provinciales  poemate  cla- 
ros),  et  dont  je  n'ai  trouvé  les  noms  nulle  part  ailleurs.  Aussi  ne  leur 
donné-je  place  ici  que  sous  bénéfice  d'inventaire. 


P.  175,  n.  1.  Sur  le  grand  ouvrage  du  P.  Bougerai,  on 
peut  voir  les  Mémoires  de  littérature  et  d'histoire  du  P.  Desmo- 
lels,  p .  77.  Sous  le  titre  de  «  Projet  d'une  histoire  des  hommes 
illustres  de  Provence  » ,  le  P.  Bougerel  y  fit  imprimer  une 
sorte  de  prospectus,  rédigé  par  lui-même,  de  sa  publication 
projetée.  Le  titre  qu'il  y  donne  à  son  ouvrage  est  celui-ci: 
«  Histoire  des  hommes  illustres  de  Provence,  qui  se  sont  dis- 
tinguez par  leur  sçavoir,  par  leurs  emplois,  par  leur  sainteté, 
et  par  leur  habileté  dans  les  beaux  Arts;  depuis  le  siècle  d'A- 
lexandre le  Grand  jusqu'à  présent;  avec  des  dissertations  et 
des  notes.  "Voici  le  seul  passage  qui,  dans  ce  projet,  concerne 
les  poètes  provençaux  ;  il  n'y  est  pas  question  des  modernes. 

(c  A  la  fin  du  dixième  siècle,  les  Troubadours  me  fournis- 
sent la  matière  d'un  chapitre  assez  singulier,  où  je  tâche  de 
montrer  que  dans  le  temps  que  la  barbarie  et  l'ignorance  re- 
gnoient  partout,  les  Troubadours  faisoient  fleurir  en  Provence 
les  belles  lettres  et  qu'ils  sont  inventeurs  de  la  rime.  Je  ne 
crois  pas  devoir  donner  le  détail  de  leurs  vies.  Cependant  je 
ne  laisse  pas  de  parler  assez  au  long  de  ceux  qui  se  sont  dis- 
tingués par  un  mérite  solide.  » 

Bellaud  de  la  Bellaudière.  p.  176.  —  Sur  ce  poète,  voy. 
Noulet,  I,  18-27,  et  Aug.  Fabre,  Louis  Bellaud  de  la  Bellau- 
dière. Marseille,  1861.  Une  nouvelle  édition  de  ses  œuvres  se- 
rait bien  accueillie  des  philologues  et  des  amis  de  la  poésie 
provençale. 

On  sait  que  le  Bâtard  d'Angoulême,  grand  prieur  de  France 
et  gouverneur  de  Provence,  au  service  duquel  fut  Bellaud  de 


286  PARNASSE   PROVENÇAL 

la  Bellaudière,  fut  tué  le  l='"juin  1586  par  Philippe  d'Altovitis, 
père  de  Marseille  d'Altovitis,  dont  il  est  question  plus  loin. 

Pierre  Paul.  P.  176.  —  Cet  ami  et  émule  de  Bellaud  de  la 
Bellaudière,  né  vers  1565,  mourut  après  1615,  date  de  l'une 
de  ses  dernières  pièces.  Il  est  qualifié  «escujer  de  Marseille», 
sur  le  frontispice  des  poésies  qu'il  fit  imprimer  en  1595,  à  la 
suite  de  celles  de  son  ami,  sous  le  titre  de  Barbouillados  et 
fanlazies  journalieros  de  Pierre  Pau.  Après  ce  recueil,  il  en 
composa  un  autre,  intitulé  VAutounado,  qui  est  encore  inédit, 
et  dont  le  ms.  existe  à  la  bibl.  de  Carpentras,  où  il  porte  le 
n°  378.  Voy.  le  catalogue  de  Lambert,  1,  211. 

Jean  de  Nostradame.  P.  179.  —  Il  est  fâcheux  que  le  P. 
Bougerel  ne  nomme  pas  les  ouvrages  en  tête  desquels  on 
trouve,  d'après  lui,  des  vers  français  de  Jean  de  Nostredame. 
Je  n'en  ai  pu  trouver  aucun,  malgré  mes  recherches,  et  je  n'ai 
pas  été  plus  heureux  quant  à  ses  chansons  galantes.  Le  docte 
oratorien  n'aurait-il  pas  ici  confondu  Jean  avec  son  neveu 
César?  Ce  qu'il  dit  ensuite  de  son  talent  pour  la  musique  et  de 
son  habileté  à  pincer  le  luth  aide  à  me  le  faire  croire.  César, 
en  efî'et,  fut  renommé  comme  musicien  et  joueur  de  luth,  tan- 
dis qu'on  ne  lit  nulle  part  ailleurs  que  Jean  ait  eu, à  cet  égard, 
quelque  réputation. 

Il  n'en  est  pas  moins  certain  que  Jean  de  Nostredame  fut 
poëte  et  poète  provençal.  Nous  avons  de  ce  fait,  outre  l'attes- 
tation formelle  de  son  ami  Raymond  de  Soliers,  qui  le  qualifie 
de  poeta  egregins,  des  preuves  directes  dans  les  vers  assez 
nombreux,  et  évidemment  apocryphes  pour  la  plupart,  que  ce 
procureur  peu  consciencieux  met  sous  le  nom  des  poètes  pro- 
vençaux dont  il  prétend  raconter  la  vie. 

Jean  de  Nostredame  n'usa  pas  seulement  dans  ses  vers  de  la 
langue  provençale;  il  l'employa  aussi  en  prose,  dans  les  es- 
pèces d'annales  qui  ont  pour  titre  So  que  s'es  pogut  reculhir 
dels  comtes  de  Prouvensa  et  de  Forcalquier,  et  dont  le  ms.  est  à 
la  bibl.  de  Carpentras  (n°  522). 

Le  a  Pierre  Antoine  Rascas  do  Bagarris»,  dans  la  maison 
duquel  le  P.  Bougerel  dit  que  Jean  de  Nostredame  fui  élevé, 
était  sans  doute  l'aïeul  du  célèbre  personnage  de  ce  nom,  qui 
fut  garde  du  cabinet  des  médailles  d'Henri  IV  et  qui  mourut 
en  1620,  à  Aix,  où   il  était  né  en  1562.  Peut-être  y  a-t-il  eu 


PARNASSE   PROVENÇAL  Î87 

erreur  sur  les  prénoms  ;  ou  l'auteur  a-t-il  voulu  dire:  la  mai- 
son d'où  est  sorti  Pierre-Antoine  Rascas  de  B.? 

Robert  Ruffi  ».  P.  180.—  Outre  la  pièce  ici  reproduite,  je 
connais  de  Robert  Ruffi  deux  sonnets  à  la  louange  de  Bellaud 
de  la  Bellaudière,  qui  sont  imprimés  dans  les  Obyos  de  ce  der- 
nier, pp.  32  et  41,  et  une  pièce  Ijrique,  encore  inédite,  qui  se 
lit  en  tête  du  ms.  de  VAutounado  de  Pierre  Paul,  dans  le  ms. 
de  Carpentras  mentionné  plus  haut.  Voici  la  première  stance 
de  cette  pièce,  qui  en  a  dix-huit  : 

Quan  lou  printens  et  l'autoun 
Debatien  lou  Jsremeiragi, 
leou  mi  troubiou  d'escoutoun, 
Amagat  souto  un  ramagi, 
Auzent  d'aqui  la  rezon 
Que  l'un  e  l'autre  allegavo, 
Car  un  cadun  si  donavo 
La  lauzour  en  sa  sezon. 


1  Déjà  au  XVe  siècle,  un  autre  Ruffi  (était-il  de  la  même  famille?)  compo- 
sait des  vers  provençaux.  Dans  un  sermon  de  Pierre  de  Marini,  confesseur 
et  prédicateur  du  roi  René,  mort  en  1467,  il  est  parlé,  dit  Fauris  de  S.  Vin- 
cens  {Magasin  e?icyclopédique,  1813,  t.  III,  p.  23),  d'un  religieux  nommé 
Guillaume  Ruffi,  âgé  de  quatre-vingt-dix  ans,  qui,  bien  qu'aveugle  depuis 
vingt-cinq  ans,  était  toujours  de  la  plus  grande  gaieté.  «  Marini  le  trouva  un 
jour  dans  sa  cellule,  riant  à  gorge  déployée  ;  et,  lui  ayant  demandé  le  sujet  de 
sa  gaieté,  il  lui  répondit  qu'il  faisoit  une  chanson  pour  être  chantée  aux  fêtes 
de  Noël  (post  benedictionem  nectaris)  »  Mos  euim  tune  erat  illis  qui  be- 
nedictionem  dabant  in  festo  Nativitatis  aliquod  jucundum  componere  ut  ca;te- 
ros  ad  risum  et  solatium  possent  inducere.  »  Marini  rapporte  ensuite  quatre 
vers  provençaux  de  cette  chanson.  Ils  peignent  assez  naïvement  de  vieux 
moines  assis  auprès  d'un  mauvais  feu,  où  ils  se  disputent  le  plaisir  de  ti- 
sonner : 

Lou  payre  ambe  son  baston  —  tourouret 
Remuda  lo  tison; 
Item        Frayre  Johan  an  son  frogon  —  tourouret 
Cemena  lo  carbon. 

«  Au  sujet  de  ces  vers  du'P.  Ruffi,  ajoute  Fauris  de  S.  Vincens,  l'on  peut 
remarquer  que,  pendant  ce  siècle  et  dans  des  temps  postérieurs,  on  chantoit 
dans  les  églises  des  cantiques  ou  noëls  provençaux  qui  faisoient  en  quelque 
manière  partie  du  culte,  quoiqu'ils  traitassent  souvent  de  sujets  bien  profanes. 
On  chantoit  à  St-Sauveur,  àAix,  pendant  la  ligue,  des  noëls  où  les  aventures 
galantes  du  duc  d'Epernon  éloient  rapportées.» 


288  PARNASSE   PROVENÇAL 

La  «  chanson  »  sur  la  peste  de  Tan  1580,  que  le  P,  Bougerel 
nous  a  conservée,  est  remarquable  au  point  de  vue  de  la  ver- 
sification. Elle  est  en  vers  de  10  syllabes  coupés  après  la 
sixième,  comme  dans  Gii^art  de  Rossillon.  Mais  la  syllabe  atone, 
qui  suit  la  césure,  quand  celle-ci  est  féminine,  compte  toujours 
dans  l'hémistiche  suivant'  : 

La  pesto  et  la  fami  |  no  t'an  rouinado; 
Et  n'an  leva  la  tra  |  cho  das  villagis  ; 

etc.  C'est,  comme  chacun  sait,  le  système  italien  [Per  far  una 
leggia  \  dra  sua  vendetta,  Petrarca),  dont  les  exemples  ne  man- 
quent pas  d'ailleurs,  quoique  assez  rares,  dans  l'ancien  proven- 
çal et  même  dans  l'ancien  français: 

Fraire,  aquesta  eu  |  ra  li  faras. 

(Raimon  d'Avignon.) 

et  avec  la  césure  à  la  quatrième  syllabe: 

La  lauzon  l'an  |  gel  ab  joy  et  ab  chan. 
(Pons  de  Chapteuil.) 

Si  de  respon  |  dreus  troba  ben  après. 
(Peire  Vidal.) 


1  II  ea  est  de  même  dans  la  Tourre  de  Barhentano,  de  Frédéric  Mistral 
(lis  Isclo  d'or,  p.  36),  où  ce  même  vers  de  6  -f  4  est  employé: 

Memamen  i  fenes  |  tro,  dins  Ion  cas... 
A  chausi  per  clavai  |  re  de  sa  tourre. . . 
A  l'oumbro  de  sa  tour  |  re  faire  mau. .. 
Lou  calignaire  toum  |  bo  sus  la  roco. 

Dans  la  troisième  partie  du  Tamhour  d'Arcolo'.ihid.,^.  62), qui  est  aussi 
en  vers  de  dix  syllabes,  coupés  après  la  sixième,  on  trouve  encore  un  exem- 
ple,—  un  seul,  — de  cette  césure  enjambau le,  comme  Boucherie  l'appelait. 
C'est  celui-ci  : 

Pourtavon  :  î  grands  o  |  me  la  patrio... 

Le  contraire  a  lieu  dans  un  chant  populaire  du  même  mètre  [Belo  Callio), 
publié  par  Damase  Arbaud  (II,  103).  La  césure  y  est  partout  féminine,  mais 
partout  épique^  c'est-à-dire  que  la  syllabe  atone  qui  suit  la  6°  ne  compte  pas 
dans  la  mesure  du  vers.  Despourrins  a  employé  ce  même  mètre  dans  une  de 
ses  chansons  {La  haut  sus  las  inountagnes,  vv.  2  et  3  de  chaque  couplel); 
mais  la  césure,  comme  la  rime,  y  est  partout  masculine. 


PARNASSE  PROVENÇAL  289 

Per  capita  |  ni  car  sei  enamic. 

(Guiraut  Riquier.) 

De  même,  dans  les  vers  de  onze  sjUabes  du  comte  de  Poi- 
tiers : 

E  dirai  vos  m'entenden  ]  sa  de  que  es, 
à  côté  de  : 

Companho  tant  ai  agutz        d'avols  conres; 

et  déjà  dans  la  Séquence  de  sainte  Eulalie  (dix  syllabes)  : 

Voidrent  la  vein  |  tre  li  Deo  inimi, 
Voldrent  la  fai  |  re  Diaule  servir  ; 

et  encore  (treize  syllabes): 

Niule  cose  non  la  pou  |  ret  omque  pleier, 
à  côté  de  : 

La  polie  sempre  non  amast      lo  Deo  menestier. 

J'ai  remarqué  la  même  coupe  dans  quelques  cantiques  im- 
primés en  Provence  au  siècle  dernier,  oîi  elle  est  du  reste 
beaucoup  plus  rare  que  la  coupe  ordinaire.  Exemples  : 

Braveis  enfan       me  rejouisse  fort 
Toutei  lei  via  |  ge  que  fan  la  doutrine.. . 
An  passa  tou  |  tei  jusqu'en  Betelen. . . 
Diguen  plus  a  |  re  que  sien  nialhurous. . . 

(H. -H. ,  curé  d'Orgon,  Nouveaux  Cantiques 
spirituels.  Avignon,  1748,  pp.  127,  135,  136.) 

La  grande  prie  |  ro  que  voueli  vous  faire. 

(^Cantiques  spirituels  des  missions  des  prêtres 
séculiers.  Marseille,  1787,  p.  75.) 

Paul-Antoine  d'Agar.  P.  184.  —  L.  7-8.  On  pourrait  lire 
aussi,  comme  afaitMillin(p.  77):  la  helou  Paysano,  Mignard  ou 
lou  Rasselou.  Barjavel  a  imprimé  paysano  mignardou,  sans  vir- 
gule ni  majuscule,  et  Lou  rasteloun.  Outre  les  pièces  en  ques- 
tion, cet  auteur  mentionne  encore  a  des  stances,  en  forme  de 
lamentations,  sur  les  malheurs  de  Cavaiilon»,  composées  en 
1631,  c'est-à-dire  Tannée  même  de  la  mort  du  poëte.  On  trouve 
un  sonnet  de  lui  dans  les  Marguerites  d'Aubert,  1613  (de  Ber- 
luc-Perussis,  du  Sonnet,  p-H)- 


290  PARNASSE   PROVENÇAL 

Claude  Brueys.  P.  184.  —  Le  P.  Bougerel  confond  ici,  avec 
le  recueil  de  Bruejs,  un  autre  recueil  qui  porte  le  même  titre, 
mais  qui  en  est  tout  différent.  Ce  second,  Jardin  deis  Mitsos  pro- 
vençalos,  renferme  des  pièces  de  divers  auteurs,  dont  l'un  même 
(Sage)  n'est  pas  provençal.  Vojez-en  la  composition  dans  Bur- 
gaud,  n"  1185.  Cf.  ibid.,  1368.  Des  six  ouvrages  mentionnés 
ici  par  Bougerel,  le  premier,  seul,  est  de  Brueys.  Le  Jardin  de 
ce  dernier  a  été  réimprimé  par  les  soins  de  M.  Mortreuil,  en 
deux  vol.  in-12  (Marseille,  1843  et  1853),  sous  le  titre  de  Poé- 
sies provençales  des  XVI''  et  XVII^  siècles.  Voy.  Bory,  n'^'  1804, 
1805,  1808;  Noulet,  1,215. 

Raynier  de  Briançon.  p.  185.  —  L.  5:  «  Gassendi  parle  de 
lui. ..))  Est-ce  bien  du  môme?  Gassendi  (p.  125)  appelle  celui 
qui  accompagnait  Peiresc,  revenant  de  Montpellier  en  1010, 
Jacobus  Raynerius,  sans  lui  donner  d'autre  qualification  que 
celle  de  Aquensis  ciois,  tandis  que  le  nôtre  portait  le  prénom 
de  Louis.  Il  mourut  en  1670,  âgé  de  soixante-douze  ans.  Voy. 
son  article  dans  Achard,  qui  rapporte  son  épitaphe.  Cf.  Bory, 
n«  1842;  Burgaud,  n"  1185,  4°. 

Barthélémy  Fourgeon.  P.  187.  —  Des  vers  de  ce  poëte  se 
trouvent  dans  le  ms.n°  17  du  catalogue  Bory  (p.  299). 

Gaspard  Zerbin.  P.  188.  —  Ce  poëte  était  mort  depuis  plu- 
sieurs années  quand  la  Perlo  deis  Musos  fut  imprimée.  11  était 
né,  paraît-il,  enl590.  Son  père,  Bernard  Zerbin,  procureur  au 
siège  d'Aix,  avait  aussi  composé  des  vers  provençaux.  On 
trouve  de  lui,  avec  une  odelette  française,  un  sonnet  provençal, 
parmi  les  pièces  liminaires  des  Passotens  de  Bellaud  de  la  Bel- 
laudière.  Voy.  l'intéressante  préface  jointe  par  J.-T.  Bory  à  la 
réimpression  de  la  Perlo  dey  Musos  et  coumedies  prouvensales, 
qui  a  été  faite  à  Marseille  en  1872  (Etienne  Camoin,  éditeur). 
Ce  rare  volume  renferme  cinq  comédies,  dont  aucune  n'a  de 
titre  particulier,  et  un  Prologue  sur  r Amour.  Roux  Alpberand, 
les  Bues  d'Aix,  11,  230;  Bory,  n«^  2027,  2028. 

François  DE  Bègue.  P.  189.— Cf.  Ruffy,  Hist.  de  Marseille, 
t.  II,  p.  388;  Burgaud,  n"  1185,  6"  et  S",  et  les  trois  lignes  qui 
suivent;  Bory,  1806  et  1842. 

Charles  Feau.  P.  189.  —  Voy.  son  article  dans  Achard. 
Il  mourut  le  8  février  1677.  Cf.  Burgaud,  n°  1185,  7". 

N.  SEguiN.  P.  191.  —Un  recueil  ms,  de  labibl.  de  Carpen- 


PARNASSE    PROVENÇAL  291 

tras  (no  631)  renferme  cinq  comédies  de  Seguin  :  V Empereur 
de  Maroc  ou  Glouiou,  avec  un  prologue  ;  Rolichon,  Dardin,  les 
Gagne- Deniers,  le  Jardinage.  Cette  dernière  n'est  qu'un  simple 
dialogue  entre  un  maître  et  son  valet.  Voy.  Lambert,  t.  I, 
p.  431. 

Saboly.P.  193.  —  Sur  Saboly,  voy.,  entre  autres  travaux, 
\e%Noêls,  par  Fabbé  Paul  Terris,  pp.  112-119,  et  sur  les  édit. 
de  ses  noëls,  Burgaud,  n°^  1561  à  1572. 

François  Bertet.  P.  195. —  Les  articles  annoncés  àlafin 
de  celui-ci,  sur  Jean-François  Bertet  et  sur  Jean  Bertet,  man- 
quent dans  le  ms.,  soit  que  Fauteur  ait  négligé  de  les  écrire, 
soit  que  la  copie  d'Aix,  comme  je  l'ai  supposé,  présente  des 
lacunes.  Il  est  probable  qu'ils  figurent  l'un  et  l'autre  dans  le 
grand  ouvrage  du  P.  Bougerel .  Cela  est  du  moins  certain  du 
dernier,  puique  l'extrait  de  cet  ouvrage,  qui  a  été  publié  en 
1752  sous  le  titre  de  Mémoires  pour  servir  à  rhistoire  de  plu- 
sieurs hommes  illustres  de  la  Provence,  contient  sur  lui  une 
assez  longue  notice.  J'en  reproduis  seulement  ce  qui  intéresse 
plus  particulièrement  notre  sujet,  renvoyant  pour  le  reste  à 
ce  volume,  qui  n'est  pas  très -rare,  ou  à  Achard. 

«  Jean  Bertet  naquit  à  Tarascon  en  Provence  le  22  février 

1622.  Il  etoit  fils  de  François  Bertet  et  d'Anne  d'Ise 

La  vivacité  de  son  esprit,  la  facilité  avec  laquelle  il  s'énonçoit, 
sa  mémoire  prodigieuse  le  firent  rechercher  avec  empresse- 
ment et  recevoir  dans  la  Compagnie  de  Jésus,  le  25  janvier 
1637. 

»    '.  .  .Pendant  son  séjour  à  Lyon,  il  se  lia  très-étroi- 

tement  avec  le  fameux  Père  Théophile  Raynaud.  Ils  travaillè- 
rent ensemble  à  la  revision  de  tous  les  ouvrages  de  ce  Père... 
Comme  Charles  Emmanuel,  duc  de  Savoye,  fournissoit  aux 
frais  de  cette  édition,  parce  que  le  P.  Théophile  Raynaud 
etoit  né  dans  le  comté  de  Nice,  le  P.  Bertet  eut  l'honneur 
d'être  connu  de  ce  prince.  Il  lui  envoya  plusieurs  poésies  la- 
tines et  un  ouvrage  en  vers  françois  intitulé:  les  Empresse- 
mens  du  Parnasse.  Le  principal  personnage  est  le  fameux  trou- 
badour Arnaud  Daniel,  qui  prononça  un  Madrigal  provençal 
assez  gaillard,  dont  j'ai  une  copie.  11  en  reçut  des  remerci- 
mens  par  des  lettres  écrites  de  la  propre  main  de  ce  prince, 
et  remplies  de  témoignages  d'estime  et  d'amitié. . . . 


292  PARNASSE   PROVENÇAL 

»  Le  cardinal  de  Bouillon  [qui  avait  obtenu  du  général  des 
Jésuites  que  le  P.  Bertet  demeurât  auprès  de  lui]  ayant  ac- 
compagné le  Roi  en  Flandres  pendant  la  guerre  de  Hollande, 
le  P.  Bertet  fit  une  chanson  provençale  qu'il  intitula  la  Cam- 
pagno  d'HoUando  (1672).  Elle  fit  du  bruit;  le  Roi  la  vit,  la 
goûta,  il  voulut  en  connoître  l'auteur.  Charmé  de  l'accueil 
gracieux  que  S.  M.  lui  avoit  fait  àLikerk,  il  composa  un  son- 
net italien,  qui  commence  : 

Canta  il  rè  mia  cansoun  {sic)  provenzale. 

»  C'est  un  morceau  achevé,  écrit  avec  toute  la  délicatesse 
du  Tasse  et  de  Guarini.  La  campagne  suivante  lui  fournit  une 
plus  riche  matière.  Le  Roi  la  commença  par  le  siège  de  Maes- 
tric.  Notre  poète  composa  d'abord  un  sonnet  espagnol  sur  les 

mines  qu'on  fit  jouer  pendant  ce  siège Il  fit  aussi  trois 

épigrammes  latines  sur  ce  sujet.  . .  .  Mais  la  pièce  qui  fit  le 
plus  de  bruit  fut  une  épigramme  provençale  sur  la  prise  de 
Maestric. 

»  Pour  en  sentir  toute  la  beauté,  il  faut  se  ressouvenir  que 
le  siège  ne  dura  que  treize  jours;  que  le  jour  de  saint  Pierre 
nos  troupes  donnèrent  un  assaut  furieux  ;  que  les  ennemis 
capitulèrent  le  jour  de  saint  Paul,  et  se  rendirent  deux  jours 
après. 

San  Peyre  eme  sa  testo  raso 
Diguot  davan  Maestric  l'autre  jour  a  san  Pau  : 
Per  combattre  aujourd'hui  presto  mi  toua  espazo, 
Dins  dous  jours  perintra  te  presturay  ma  clau. 

))  Il  la  traduisit  aussi  en  vers  latins  :  elle  fut  fort  goûtée  ; 
on  la  lut  au  Roi.  Elle  fut  encore  traduite  en  vers  latins  par 
M.  de  Montmor,  et  par  le  P.  Albert  d'Augieres,  jésuite;  elle 
fut  cause  d'une  petite  dispute  entre  plusieurs  beaux  esprits, 
dont  on  trouvera  le  détail  dans  la  vie  de  Pierre  de  Chasteuil- 
Galaup'. . . 

»  Le  succès  qu'avoient  eu  ces  petits  ouvrages  fut  un  puis- 
sant aiguillon  pour  lui.  Il  adressa  ensuite  au  Roi  une  fable 
provençale,  un  madrigal  italien,  et  une  épigramme  latine  sur 
les  foudres  du  camp  de  Mons » 

'  Voy.  ci-après,  à  l'arl.  de  Charles  du  Perier. 


PARNASSE    PROVENÇAL  293 

Louis  Puech.  P.  196.  —  Sur  ce  poëte,  voy.  Paul  Terris,  les 
Noëls,  pp.  109-112. 

Antoine  Geoffroi  de  la  Tour.  P.  199.—  Sur  ce  poëte,  on 
peut  voir  une  notice  de  M.  Mouan  dans  les  Mémoires  de  l'A- 
cadémie d'Aix,  t,  VII  (1857),  p.  207.  Cf.  Burgaud,  n''  1352,  et 
Bory,  n°  1S46 . 

Charles  du  Perier,  P.  202.  —  L.  6:  a  Comme  on  le  verra 
dans  l'article  de  Pierre  de  Chasteuil  Galaup.  «  Cet  article  man- 
que. Est-ce  encore  une  lacune  du  ms.  d'Aix,  ou  l'auteur  né- 
gligea-t-il  de  l'extraire  de  son  grand  ouvrage,  dans  lequel 
sans  doute  il  figure  ?0n  peut  heureusement  y  suppléer,  grâce 
à  la  notice  qu'il  publia  lui-même  sur  cet  écrivain  dans  les 
Mémoires  do  littérature  et  d'histoire  du  P.  Desmolets.  Voir 
dans  la  liste  alphabétique  ci-après,  l'article  Chasteuil. 

Jean  Sicakd.  P.  202.  —  Sa  traduction  ou  plutôt  sa  para- 
phrase des  Psaumes  parut  en  1656.  Voy.  dans  Bory,  n"  1845, 
une  minutieuse  description  de  cette  première  édition  et  de  la 
seconde,  qui  est  de  1673. 

Gaspard  de  Venel.  P.  203.  —  AcharJ,  qui  ne  nomme  ce 
magistrat  qu'à  l'occasion  de  sa  femme,  a  consacré  à  celle-ci 
une  longue  notice  (t.  IV,  p.  300). 

Le  p.  Cameron.  P.  260.—  Cf.  Bory,  n°  1854.  On  s'étonne 
que  le  P.  Bougerel  n'ait  fait  que  nommer  ici  en  passant  le 
P.  Gautier  et  qu'il  n'ait  rien  dit  des  autres  PP.  de  l'Oratoire, 
auteurs  des  Cansous  spirituelos  dont  on  a  composé,  avec  celles 
de  ce  dernier,  les  l'ecueils  mentionnés  dans  Bory,  sous  les 
n**^  1848,  1849,  1850  Dans  son  grand  ouvrage,  il  doit  y  avoir 
une  notice  sur  le  P.  Gautier',  et  c'est  probablement  celle-là 
même  qu'Achard  a  insérée,  avec  quelques  modifications  ou 
additions,  dans  son  Dictionnaire  de  lu  Provence,  où  elle  est  sui- 
vie de  ces  mots  entre  parenthèses  :  Article  du  Père  B.,  prêti^e 
de  rOratoire.  On  y  voit  que  le  P.  Gautier,  né  à  Digne  en  1662, 
mourut  de  la  peste,  à  Marseille,  le  11  septembre  1720.  En 
voici  un  extrait:  «  Son  esprit  et  son  cœur  sont  peints  au  na- 
turel dans  les  admirables  caniiques  qu'il  avoit  composés  en 
françois  et  en  provençal,  sur  l'air  des  chansons  profanes  qui 

'  La  même,  vraisemblablement,  qui  est  en  lète  (de  la  main  du  P.  Bougerel 
lui-même)  du  ms.  24  du  catalogue  Bory  (p.  300). 

22 


294  VESPRAS  DE  TOUSSANTS 

avoient  cours  de  son  temps,  et  dont  il  s'étoit  servi  avec  fruit 

dans  ses  missions On  y  admire,  dit  M.  Laurensi  [dans 

son  Histoire  de  Castellanc?J,  une  théologie  saine  et  profonde, 
une  piété  tendre  et  solide,  un  goût  de  poésie  qui  enchérit  sur 
celle  des  plus  célèbres  poètes  provençaux.  Son  cantique  con- 
tre la  danse  vaut  un  traité  entier  sur  cette  matière. ...  Il  n'y 
a  point  de  ville  ni  de  village  en  Provence  où  ces  cantiques  ne 
soient  connus,  et  Ton  n'en  chante  guère  d'autres  dans  les 
catéchismes  et  les  missions  qui  se  font  dans  les  paroisses.  » 

GrROS.  P.  206. —  Cet  article  est  littéralement  reproduit  dans 
Achard,  ou  peut-être  en  a-t-il  été  extrait.  Sur  Gros,  voj.Nou- 
let,  II,  61, et  une  lettre  de  l'abbé  Bentivoglio,  datée  du  26  jan- 
vier 1739,  que  J.  Banquier  a  publiée  dans  la  Revue,  XVlll, 
181;  sur  les  éditions  de  ses  poésies,  Bory,  n"*  1934  à  1940. 

C.  C. 
(A  suivre.) 


VESPRAS  DE  TOUSSANTS 


A  Teodor  Aubanel 

Aquela  pèça  a  oubtengut  una  mencioun  as  Jocs  flourals  de  la  Mariténenço 
de  Prouvcnço,  acainpada  en  vila  d'A-z-Ais,  lou  13  de  jun  1886. 

Es  nouvembre.  Adieu  la  verdura. 
Déjà  coumençala  frescura. 
Lou   vent  dins  lous  aubres  frémis. 
Lou  clouquiè  lentamen  gingoula, 


VEPRES  DE  LA  TOUSSAINT 


A  Théodore  Aubanel 

Cette  pièce  a  obtenu  une  meatioo  aux  Jeux  floraux  de  la  [Maùitenance 
de  Provence),  réunie  à  Aix,  le  13  juin  1886 

C'est  novembre.  Adieu  la  verdure. —  Déjà  commence  la  fraîcheur. 
•  Le  vent  dans  les  arbres  frémit.  —  Le  clocher  lentement  se  plaint, 


VESPRAS   DE   TOUSSANTS  295 

E  vous  vai  jusqu'à  la  mesoula 
Sa  crida'  que  trôna  e  gémis. 

Quana  mescladissa  bizarra 
De  blanca  e  de  negra  simarra 
Sus  lou  capelan  s'espandis! 
La  voues  galoia  e  lou  cor  leste, 
Disien  FAlleluia  céleste  ; 
Ara  cantan  De  profundis. 

Ansin  dinslou  viaje  terrestre, 

Siegue  en  vila,  siegue  au  campestre. 

Après  lou  bonur  ven  lou  dôu. 

Lou  qu'au  jour  d'ioi  troumfla  au  pinacle 

Oufrira  deman  lou  spectacle 

De  cabussadas  que  fan  pou. 

Dins  nostres  jardis,  margaridas, 
Restas  las  darrieiras  flouridas, 
E  dins  lous  squares  de  Paris^ 


—  et  (il)  vous  va  jusqu'à  la  moelle  —  son  appel  qui  tonne  et  gémit. 
Quel  mélange  bizarre  —  de  blanche   et  de  noire   chape  —  sur   le 

prêtre  se  répand! —  La  voix  joyeuse    et  le  cœur  léger,  —  nous  di- 
sions FAlleluia  céleste; — maintenant  nous  chantons  De  profundis. 
Ainsi  dans  le  voyage  terrestre,  —  soit    en  ville,  soit  aux  champs. 

—  Après  le  bonheur  vient  le  deuil.—  Celui  qui  aujourd'hui  triomphe 
au  pinacle  —  offrira  demain  le  spectacle  —  de  grandes  chutes  qui 
font  peur. 

Dans  nos    jardins,  marguerites,  —  vous  restez  les  dernières   fleu- 

1  Crida  ne  veut  pas  dire  cri,  mais  criée,  appel,  proclamation  d'un  acte 
quelconque  de  l'autorité  laïque  ou  ecclésiastique.  Le  mot  publication  est  ce- 
lui qui  le  traduit  le  mieux.  Pas  mal  de  gens  disent  encore  dans  le  Midi  :  «  On 
les  crie,  on  les  a  criés  dimanche,  à  la  grand'messe  »,  en  parlant  des  futurs 
époux.  «On  les  publie»  est  devenu  l'expression  courante;  mais  en  langue  d'oc 
on  dit  toujours  :  lous  cridou,  lous  an  cridafs  dimenche.  Voy.  dans  le  t.  I, 
de  la  Revice  des  lançj .  romanes:  Crides  de  la  Court  de  Monsieur  de  Lau- 
zère,  publiées  par  Léon  Vinas. 

2  Diverses  plantes  de  la  famille  des  Synanlhérées  (notamment  dans  les 
genres  Anthémis,  Aster,  Chrysanthemum),  confondues  à  tort  par  plusieurs 


296  VESPRAS   DE  TOUSSANTS 

Mais  vostra  rouiala  courouna, 
Palla  parura  de  l'autouna, 
A  soun  toui'  se  fana  e  mouris. 

Adounc  tout  s'avalis  e  toumba'; 
A  tout,  sus  lou  bord  de  la  toumba, 
Cantan  Tinfernau  Libéra.  .  >  . 
Nani,  lou  nègre  en  blanc  se  muda. 
Ausissès,  Tourguena  préluda 
L'hymne  divin  Pangelingua. 


ries,  —  et  dans  les  squares  de  Paris.  —  Mais  votre  royale  couronne, 
—  pâle  parure  de  l'automne,  —  à  son  tour  se  fane  et  meurt. 

Pour  lors,  tout  disparaît  et    tombe.  —  A  tout,  sur  le    bord   de    la 

tombe,  —  nous  chantons  le  Libéra  des  morts —  Non,  le  noir  en 

blanc  se  change.  —  Ecoutez,  l'orgue  prélude  —  l'hymne  divin  Pangk 

LINGUA. 


personnes  étrangères  à  la  botanique  sous  l'appellatioa  commune  de  margue- 
rites, restent  en  fleurs  dans  les  jardins  publics  de  beaucoup  de  villes  de 
France,  et  même  à  Paris  jusqu'à  la  fin  de  novembre  J'avais  fait  celte  remar- 
que avant  d'avoir  lu  dans  H  Fiho  d'Avignoun  (Mountpelié,  Empremarié  cen- 
trale dou  Miejour,  li  fraire  Hamelin,  1885)  la  jolie  pièce  la  Crisantemo,  qui 
exprime  la  même  idée,  et  dont  voici  les  deux  premières  strophes.  Cette  pièce 
est  dédiée  à  M™<=  Elise  Hamelin  : 

La  fre  vèn,  li  roso  soun  morto. 
Toute  fueio  lou  vent  l'emporte 
E  Taubre  n'es  plus  canladis; 
Dins  lou  jardin  vèuse  à  brassado. 
De  la  cisampo  trecassado, 
La  crisantemo  s'espandis. 

Palinello,  coumo  es  poulido, 
La  crisantemo  afrejoulido, 
Pauro  darriero  tlour  de  l'an  ! 
Sus  la  fenèstro  qu'un  rai  dauro 
A  pas  tant  de  souléu  que  d'auro, 
E  vous  souris  en  tremoulant. 


Je  suis  heureux  d'avoir  pu  sur  ce  point,  qui  est  le  seul  malheureusement 
pour  moi,  suivre  les  traces  du  félibre  de  la  Miôugi-ano. 

*  L'irrégulicr  tomba  serait  peut-être  plus  conforme  à  l'usage.  L'indicatif 
présent  du   verbe    toumba  se  conjugue  en  languedocien,   tombe,  tomhes, 


VESPRAS   DE  TOUSSANTS  297 

Bona  maire,  Gleisa  avisada, 

Vos  faire  veire  à  ta  nisada 

Que  la  gau  raseja  lous  plous. 

Nous  mostrant  loui  Sants  dins  sa  glori, 

Pioi  lous  que  cremou  au  purgatori, 

Mescles  la  joia  elas  doulous. 

Quana  liçou  per  Finfourtuna! 
Ne  save  mai  d'un  e  mai  d'una 
Que,  sous  lou  malur  escrancat, 


Bonne  mère,  Église  avisée,  —  tu  veux  faire  voir  à  ta  nichée  — que 
le  bonheur  touche  les  pleurs.  —  Nous  montrant  les  saints  dans  leur 
gloire,  —  puis  ceux  qui  brûlent  au  purgatoire,  —  tu  mêles  la  joie  et 
les  douleurs. 

Quelle  leçon  pour  l'infortune!  —  J'en  sais  plus  d'un  et  plus  d'une 
—  qui,  sous  le  malheur  éreinté,  —  sanglotte  :  «  Tout  est  perdu,  hé- 

tomha,  toumhan,  toumhas,  tombou.  Remarquons  le  retour  à  la  régularité 
dans  les  deux  premières  personnes  du  pluriel.  Les  deux  formes  tendent  à 
se  confondre,  notamment  à  l'impératif.  Deux  enfants  se  battaient.  Leurs 
camarades,  faisant  le  cercle,  leur  criaient  pour  les  excitera  la  lutte:  ^oî^to- 
ba-loit.  S'ils  disaient  toniha-lmi,  conformément  à  l'usage  peut-être,  mais 
non  au  radical  de  l'infinitif,  je  déclare  n'avoir  pas  pu  faire  de  différence  entre 
0  et  ou.  D'ailleurs  la  forme  régulière,  que  j'ai  adoptée,  se  trouvant  dans 
Mistral: 

Cabusso  edavalant  à  la  barrulo,  toumbo... 

[Lou  Roucas  de  Sisife,  Armana  prouvençau  de  1872.) 
et  dans  Aubanel  : 

au  calabrun  que  toumbo 

S'ausis  de  voues     ........ 

.     .     .     Lou  pas  tin  di  chato  à  ped  descau 

Que  courron  tira  d'aigo,  e  lou  ferrât  que  toumbo, 

Et  l'ardit  campanié  toumbo  eme  la  campano. 
(Li  Fihod'Avignoun,  pp.  196,  204,  238), 

je  n'ai  pas  cru  devoir  être  plus  rigoriste.  Les  deux  formes  existent  donc.  L'ir- 
rcgulière  est  peut-être  menacée  de  disparaître,  et  le  type  radical  seul  survivra. 
Ainsi,  en  physiologie,  après  quelques  générations,  on  voit  souvent  les  hybrides 
remonter  à  l'atavisme. 


298  VESPRAS  DE    TOUSSANTS 

Sousca:  «  Tout  es  perdut,  pecaire  ! 
Sen  aganits.  Noui  resta  gaire 
Qu'a  parti  per  l'eternitat,  » 

De  qu'es  aquelafe  panarda? 
Ama  trop  pauruga,  arregarda  : 
Vieu,  l'ausselou  que  cresiès  mort. 
Mut  e  samboutit  per  l'ourage, 
BufFe  temps  siau,  dins  lou  fiolhage 
Repieupa  e  repren  essor. 

S'es  dich  que  per  reprendre  vida 
Cal  mouri  *.  Pioi,  quand  es  sourtida, 
L'espiga  en  jun  souris  au  vent, 
E  quand  la  vigna  es  vendemiada, 
Souta  sa  rama  enrabalada 
Pounchou  lous  cats  per  l'an  que  ven. 

En  hiver  la  terra  clavada 

A  ges  de  flous  ;  sembla  arrasada 

Dejoust  la  tafa  de  la  nèu. 

Mais  n'es  pas  morta,  es  endourmida, 


las'!  — Nous  n'avons  plus  aucune  ressource.  Il  ne  nous  reste  guère  — 
qu'à  partir  pour  réternité.  » 

Quelle  est  cette  foi  boiteuse  ?  —  Ame  trop  poltronne,  regarde.  — 
Il  vit,  le  petit  oiseau  que  tu  croyais  mort.  —  Muet  et  cahoté  par 
l'orage,  —  que  souffle  un  temps  serein,  dans  le  feuillage  —  il  re- 
pépie et  reprend  essor. 

Il  a  été  dit  que  pour  reprendre  vie  —  il  faut  mourir.  Puis,  quand  il 
est  sorti,  —  l'épi  en  juin  sourit  au  vent.  —  Et  quand  la  vigne  est  ven- 
dangée, —  sous  ses  feuilles  balayées  (par  le  vent)  —  pointent  les 
bourgeons  pour  l'année  suivante. 

En  hiver,  la  terre  fermée  à  clef  —  n"a  pas  de  fleurs  ;  elle  semble 
ensevelie —  sous  le  linceul  de  la  neige. —  Mais  elle  n'est  pas  morte, 


1  Amen,  amen,^dico  vobis,  nisi  granum  frumenti  cadens  in  lerram,  mortuuiu 
fuprit,  ipsum  solum  manet;  si  autem  raorluum  fuerit,  raullum  fruclum  affert 
(Evang.  sec.  Joan.,  xn,  24)  Insipiens,  tu  quod  seininas  non  vivilicalur,  uisi 
priii?  inorialur.  (B.  Paul.  Apost.  ad  Coriulh    Prima,  .xv,  36.) 


VBSPRAS  DE    TOUSSANTS  299 

Devendra  tournamai  flourida 
Am  lou  printems  e  lou  soulèu. 

Atabé  ieu,  que  la  tempesta 
Mai  d'un  cop  m'a  brandit  la  testa, 
Soui  restât  ferme  au  founs  dau  cor. 
Toucarés  pas  à  ma  racina. 
Crese  en  la  justiça  divina, 
E  contra  Satan  fau  esfor. 

Poudès  me  trissa  couma  pebre, 
Me  dire  emb'  un  rire  funèbre  : 
«  Nunc  morere  »,  couma  Pyrrhus'. 
Monte  dau  cros,  nouvèu  Lazare  ; 
Permoun  revenje  m'aprepare. 
Mais  perque?  Vautres  ses  pas  pus. 

Adéufe  Espagne. 
Aspiraa  (Eraut),  1  de  nouvembre  1885  ,  4  houras  dau  vespre. 


elle  est  endormie.  —  Elle  refleurira  —  avec  le  printemps  et  le  soleil . 

Et  moi  aussi,  dont  la  tempête —  a  plus  d'une  fois  secoué  la  tête, — 
je  suis  resté  ferme  au  fond  du  cœur.  —  Vous  ne  toucherez  pas  à  ma 
racine.  —  Je  crois  à  la  justice  divine, —  et  contre  Satan  je  fais  ef- 
fort. 

Vous  pouvez  me  broyer  comme  du  poivre,  —  me  dire  avec  un  rire 
funèbre  :  —  «  En  attendant  meurs  !  »  comme  Pyrrhus.  —  Je  monte  de 
la  fosse,  nouveau  Lazare  ;  —  pour  ma  revanche  je  me  prépare,  — 
Mais  pourquoi?  vous  n'existez  plus. 

Adelphe  Espagne. 

'  JEneid  ,  II,  550. 


A  NOUOSTEI  FRAIRE  LES  ENGADIN 


Entre  lei  fiho  dei  Latin, 
Estent  que  sias  qu'uno  meinado, 
Devèin'èsse  la  pus  amado, 
Braves  e  fidèus  Engadin  ! 

Ou  sourgènt  tudesquc  do  Tlnn, 
Ou  founs  d'uno  fresco  valèio, 
Fèi  flouri  lalengo  e  l'idèio 
Dei  gràndei  fiho  dôu  Latin. 

Roussignôu  pardus  eilalin 
Ounte  les  aiglofan  soun  iero, 
Cantèi  la  canson  douço  e  fiero, 
La  fiero  cansoun  dei  Latin. 

Dieu  garde  lou  nis  Engadin 
Des  arpo  de  l'aiglo  prussiano, 
E  que  sèmpre  en  lengo  roumano 
Am'  eu  canten  l'inné  Latin  ! 


A  NOS  FRERES  LES  ENGADINS 


Entre  les  filles  des  Latins,  —  comme  votre  patrie  est  la  plus  pe- 
tite, —  elle  doit  être  la  plus  aimée,  —  Engadins  bons  et  fidèles  ! 

Aux  sources  tudesques  de  l'inn, —  au  fond  d'une  vallée  pleine  de 
fraîcheur,  —  vous  faites  fleurir  la  langue  et  l'idée —  des  grandes  filles 
du  Latin. 

Rossignols  perdus  là-haut  —  où  les  aigles  font  leur  aire,  —  vous 
chantez  la  chanson  fière  et  douce, —  la  fière  chanson  des  Latins. 

Que  Dieu  garde  le  nid  Engadin — des  serres  de  l'aigle  prussienne, 
—  etqu'àjamais  en  langue  romane  nous  chantions  —  avec  lui  l'hymne 
de  la  Latinité  1 


A  NOUOSTEI   FRAIRE   LES   ENGADIN  301 

A  M.  Caderas,  que,  par  nouôstei  fèsto  de  1882,  noui 
mandé  un  quatrin  qu'es  escrincela  su  la  pèiro  de 
uouoste  pouont  gigant. 


Tei  vers,  su  nouoste  pouont  Latin, 
Par  nàutréi  dien  toun  amistanço. 
Sus  toun  album,  questes  estanço 
Diran  qu'amen  les  Engadin. 

Canounge  E.  Savy. 

Fourcôuquié,  18  d'abriéu  1886. 
(Parla  fourcôuqueiren . ) 


  M .  Caderas,  qai,  pour  nos  fêtes  de  1882,  nous  envoya  un  quatrain 
aujourd'hui  gravé  sur  notre  viaduc 


Tes  vers,  sur  notre  pont  latin,  —  disent  ton  amitié  pour  nous.  — 
Sur  ton  album,  ces  stances  —  diront  que  nous  aimons  les  Enga- 
dins. 

Chanoine  E.  Savy. 

Forcalquier,  18  avril  1886. 


A  LAS  ABELHOS  DE  LOUNGONAUSO 


Per  las  brancos  toutes  flouridos 
Des  tilhs  qu'an  cent  ans  e  mai  mai, 
Ausissi,  sus  la  fi  de  mai, 
Milanto  abelhos  aberidos 
Brounzi  sens  s'alassa  jamai. 

E  demest  las  flous  que  daurejoun 
Al  soulelh  embabarilhant, 
Las  chucairos,  en  travalhant, 
De  Talbo  al  soulelh  coule  virejoun. 
Aimi  Ihour  eissam  varalhant  ! 

Pesucos  de  poulvero  audouso, 
Un  en  pr'uno,  tournoun  al  bue, 
Per  fi  d'i  pausa  le  clar  chue, 
L'ambrousio  deliciouso 
Que  nous  pot  gari  de  tout  truc. 

Coumoulats  la  bresco,  apressados, 
Abelhos  divos,  mouscos  d'or! 
Mais,  pensi  pas  que  de  moun  cor, 
Ount  l'amour  planto  sas  fissados, 
Vostre  mel  levé  le  malcor! 

Auguste  FouRÈs. 
Loungonauso,  31  de  mai  1886. 
(Languedocien,  sous-dialecle  de  Castelnaudary  et  de  ses  environs.) 

AUX  ABEILLES  DE  LONGUENAUSE 


A  travers  les  branches  toutes  fleuries  —  de  tilleuls  qui  ont  cent  ans 
et  même  davantage,  —  j'ouïs,  sur  la  fin  de  mai, —  des  milliers  d'a- 
beilles joyeuses  —  bourdonner  sans  se  lasser  jamais. 

Et  parmi  les  fleurs  qui  doraient  —  au  soleil  éblouissant, —  les  su- 
ceuses, en  travaillant, —  de  l'aube  au  soleil  couchant  vont  et  viennent. 
—  J'aime  leur  essaim  bruyant! 

Lourdes  de  pollen  odorant,  —  une  à  une,  elles  reviennent  à  la  ru- 
che, —  afin  d'y  déposer  le  clair  suc,  —  l'ambroisie  délicieuse  —  qui 
nous  peut  guérir  de  tout  heurt. 

Emplissez  vos  cellules,  empressées,  —  abeilles  déesses,  mouches 
d'or  !  —  Mais  je  ne  pense  pas  que  de  mon  cœur,  — où  l'amour  enfonce 
ses  coups  de  flèche, —  votre  miel  enlève  la  douleur!  A.  F. 


LOU  RESCOUNDAL 


Quand  l'ivèr,  al  darriè  badal, 
Clucavo  Tel  enta  Pasquetos, 
E  qu'as  niucs  de  fe,  de  brouquetos, 
Tournavou  's  auzèls  del  randal, 

Endourmits  dezempêi  Nadal, 

Lous  jocs  renaissiu  :  —  perlinguetos, 

Catitorbo,  barros,  auquetos. .  . 

Mes  s'un  quirdavo  :  «  Al  rescoundal  !  » 

Sul  cop,  —  proumpto  coumo  un  esclaire, 
Coumo  un  vol  de  cardis  dins  Taire,  — 
Per  lissos,  granjos  e  trastets, 

Fujio  nostro  troupo  espandido.  . . . 
—  Jouns  de  rires  e  de  poutets, 
Atal  fujès  de  nostro  vido  ! 

Fernan  Lodi. 


(Languedocien,  sous-dialecte  de  Lacapelle-Livron,  par  Caylus  (Tarn-et- 
Garonne). 


CLIGNE-MUSETTE 

Quand  l'hiver,  à  son  dernier  souffle,  —  fermait  l'œil  vers  le  temps 
de  Pâquettes  (dimanche  de  Quasimodo),  —  et  qu'aux  nids  de  foin,  de 
branchettes, —  revenaient  les  oiseaux  des  buissons. 

Endormis  depuis  la   Noël,  —    les  jeux  renaissaient:  toupies,  — 

colin-maillard,  barres,  jeu  des  oies. —  Mais  si  lun  criait  :  «  A 

cligne-musette  !  » 

Soudain,  prompte  comme  un  éclair,  —  comme  un  vol  de  chardonne- 
rets dans  l'air,  —  par  les  haies,  les  granges  et  les  galetas, 

Fuyait  notre  troupe  éparpillée. . . —  Jours  de  rires  et  de  baisers, — 
ainsi  vous  fuyez  de  notre  vie  ! 

F.  L. 


LA  CARRETO 


A  Auguste  Fourès 

La  carreto  pes  roudals 
Rullo,  ruUo,  trico-traco, 
E,  de  pajaco  en  pajaco, 
A  travès  coumbèls,  penjals, 

Pes  rastouls,  pes  carretals, 
Ount  cado  roc  de  bijaco, 
De  sas  cardilhos  foulhaco 
Lous  aparres  des  randals, 

Ount  va  ta  requinquilhado? 
—  As  prats.  Anèj,  pla  bilhado, 
Fasquen  pantaissa  1'  parel, 

Tournara  mounta,  pezuco, 
Enta  l'ouro  ount  lou  sourel 
Darrè  F  pèj  fuj  e  s'arruco. 

Fernan  Lodi. 

(Laaguedocien,  sous-dialecte  de  Lacapelle-Livron,  par  Caylus  (Tarn-el- 
Garonne) . 


LA  CHARRETTE 

A  Auguste  Fourès 

La  charrette  par  les  ornières  —  roule,  roule,  cahin-caha,  —  et  de 
flaque  en  flaque,  —  à  travers  vallons  et  pentes. 

Par  les  chaumes,  par  les  chemins,  —  où  chaque  pierre  la  secoue, 
—  de  ses  ridelles  bat  les  branches  et  eflraye  —  les  moineaux  des 
buissons. 

Où  va-t-elle  si  alerte?  —  Aux  praiiies.  Ce  soir,  bien  billée,  — faisant 
panteler  les  bœufs, 

Elle  remontera,  lourde,  —  vers  l'heure   où  le  soleil  —  derrière  les 

monts  fuit  et  se  cache. 

F.  L. 


VARIÉTÉS 


BRUSCAMBILLE  FABULISTE 

Si  La  Fontaine  a  rendu  un  immense  service  aux  fables  ésopiques 
en  leur  donnant  la  forme  poétique,  pittoresque,  exquise,  que  l'on  sait, 
ce  service  n'est  pas  allé  pour  elles  sans  quelque  compensation.  Elles 
y  ont  gagné  la  beauté  et  perdu  l'indépendance.  Il  leur  est  arrivé  ce 
qui  serait  arrivé  au  loup  s'il  eût  écouté  le  conseil  du  chien  :  le  hon- 
hoimne  lésa  choyées,  caressées,  polies;  mais  il  a  mis  un  collier  à  leur 
cou,  qui  en  est  resté  outrageusement  pelé.  Lion  et  âne,  bouc  et  re- 
nard, tous  les  héros  de  l'éternelle  comédie  animale  sont  aujourd'hui 
connus  et  admirés  plus  qu'ils  ne  l'ont  jamais  été  ;  on  en  parle  partout, 
partout  on  fait  allusion  à  leurs  exploits  ;  mais  ce  sont  le  lion  et  l'âne, 
le  bouc  et  le  renard  de  La  Fontaine,  et  leurs  exploits  servent  à  la 
gloire  de  La  Fontaine,  comme  ceux  d'un  favori  des  courses  servent  à 
la  gloire  de  son  possesseur. 

Il  en  était  tout  autrement  avant  que  le  poëte  leur  prodiguât  ses 
soins  dangereux.  Plus  secs,  plus  maigres,  plus  misérables,  ils  cou- 
raient du  moins  où  ils  voulaient  et  ne  se  faisaient  pas  faute  de  vouloir 
courir  ;  tous  les  peuples  les  ont  vus  et  nous  ont  conté  quelque  chose 
de  leur  histoire.  Alors  les  fables  ne  formaient  pas  cette  armée  bien 
ordonnée  et  uniformément  vêtue,  à  laquelle  un  seul  homme  a  donné  la 
loi:  elles  allaient,  tantôt  isolées,  tantôt  par  groupes,  se  mettant  momen- 
tanément aux  ordres  de  qui  leur  paraissait  avoir  besoin  d'elles  ;  mais, 
après  avoir  rendu  vaillamment  service,  reprenant  bien  vite  leur  li- 
berté. C'est  ainsi  qu'elles  avaient  combattu  pour  Esope,  pour  Démos- 
thène,  pour  Ménénius  Agrippa,  pour  bien  d'autres  encore,  faibles  ou 
puissants.  C'est  ainsi  que,  peu  avant  d'être  séduites  par  La  Fontaine, 
elles  servaient  encore  un  pauvre  diable,  le  comédien  et  farceur  Brus- 
cambille. 

On  connaît  peu  la  vie,  mais  on  connaît  beaucoup  le  nom  du  sieur 
des  Lauriers,  dit  Bruscambille.  Acteur  du  théâtre  de  l'Hôtel  de  Bour- 
gogne, il  y  tenait  une  place  particulière  et  y  exerçait  d'importantes 
fonctions.  C'était  pendant  ces  premières  années  du  XVIIe  siècle,  qui 
préludaient  à  la  noble  littérature  du  grand  règne  par  une  formidable 
éciosion  de  facéties,  de  contes  salés,  de  vers  orduriers  ;  un  public  tur- 
bulent et  grossier  s'agitait  dans  la  salle  de  spectacle,  aux  jours  de 
représentation.  Comment  le  faire  attendre  jusqu'à  ce  que  les  acteurs 
fussent  préparés?  Comment  obtenir  de  lui  le  silence  et  l'attention  né- 
cessaires ?  Bruscambille  s'avançait  seul  sur  la  scène  et  lui  débitait  un 
de  ses  prologues  facétieux,  un  de  ses  paradoxes,  un  de  ses  galima- 


306  VARIETES 

tias.  Esprit  et  folie,  ériiditiou  et  obscurité,  il  mettait  tout  en  œuvre 
pour  le  calmer  et  le  rendre  docile,  et,  comme  les  fables  lui  offraient 
une  aide  précieuse,  il  avait  aussi  recours  aux  fables. 

Tantôt  il  se  contentait  de  faire  à  l'une  d'elles  une  allusion  rapide, 
comme  le  jour  où,  louant  la  pauvreté  et  les  pauvres,  il  prévenait 
ainsi  une  objection  : 

('  Vous  me  direz  icy  en  balançant  &  haussant  vostre  teste  comme  le 
contre-poix  d'une  orloge,  que  j'en  parle  pour  mon  interest  particulier, 
&  comme  l'un  des  snpposts  de  cette  founnilleuse  république,  &  qui 
})lus  est  ad  instar  lupi  Esopici,  à  l'imitation  du  loup  d'Esope,  qui 
ayant  perdu  sa  queue  sociia  suadere  volebat  ut  sibi  caudam  dénièrent, 
leur  vouloit,  dis-je,  persuader  de  se  faire  escourter,  afin  d'estre  sans 
queue  comme  luy  *.  » 

Tantôt  il  empruntait  simplement  à  une  autre  un  point  de  départ 
poiu"  un  développement  nouveau  et  original  : 

«  Quelque  nouvel  Adon,  imitant  la  fable  du  Regnard  &  du  Cor- 
beau, &  aiin  d'avoir  part  au  fromage  persuadera  à  sa  maistresse  que 
sa  beauté  est  incomparable,  &  elle  sera  beaucoup  plus  semblable  à  une 
Méduse,  les  hideux  regards  de  laquelle  metamorphosoient  les  hommes 
en  rocher.  Il  dira "» 

Tantôt  enfin  il  en  contait  quelqu'une,  tout  au  long,  à  ses  auditeurs. 
J'en  trouve  ainsi  deux  dans  ses  œuvres,  qui  valent  peut-être  la  peine 
d'en  être  détachées.  La  première  a  été  indiquée  par  M.  Moland,  dans 
son  édition  de  La  Fontaine;  mais  la  seconde,  qui  est  la  plus  intéres- 
sante, n'a  été  connue  ni  de  M.  Moland,  ni  de  M.  Régnier,  le  dernier  et 
le  meilleur  éditeur  de  notre  fabuliste. 

Voici  d'abord  la  fable  du  Meunier,  son  Fils  et  l'Ane;  les  incidents 
en  sont  ordonnés  d'une  façon  particulière,  qui  n'est  celle  ni  de  Faërne, 
ni  du  Pogge,  ni  de  Racan,  ni  de  La  Fontaine,  et  Bruscambille,  plus 
réservé  qu'on  ne  l'aurait  attendu,  n'a  pas  fait  porter  l'âne  par  ses 
maîtres . 

(c  Je  tourne  à  mon  premier  discours  touchant  ceux  qui  s'escriment 
mieux  de  la  langue  que  de  l'espadon,  pour  vous  faire  paroistre,  par  un 
petit  exemple  que  je  vais  produire  sur  le  tapis,  qu'il  est  fort  difficile 
de  se  gai-antir  dos  rigueurs  de  la  censure,  &  conformer  ses  actions  à 
toutes  humeurs.  Un  bon  viellar   nommé    Titius    ayant  un    voyage  à 

'  Les  Œuvres  de  Bruscambille,  divisées  en  quatre  livres A  Paris,  chez 

Abraliam  du  Chesne,  m.  dc.  xix,  in-12,p.236.  (Prologue  facecieux  de  la  pau- 
vreté.) 

2  Prologues  taiit  sérieux  que  facecieux  avec  plusieurs  galimatias,  par  le 
sr  D.  L.  A  Paris,  chez  Jean  Millot  ..  IGIO,  iii-12,  p.  41.  (Prologue  en  fa- 
veur du  mensonge.) 


VARIETES  307 

faire,  meine  son  û\s  fort  jeune  avec  Iny,  monte  sur  sa  jument  &  le 
laisse  aller  à  pié  ;  mais  ils  neurent  pas  faict  longue  traicte,  qu'ils  ren- 
contrèrent quelques  coquillards  couches  sur  le  ventre  au  soleil,  qui 
luy  dirent  comment  n'avez  vous  point  de  honte  d'aller  ainsi  à  cheval, 
ce  pauvre  enfant  estant  à  pié.  Titius  àceste  reprehension  descend  & 
fait  monter  son  fils  tirant  plus  outre,  mais  à  peine  eurent  ils  fait  un 
quart  de  lieuë  que  le  bon  homme  fut  de  rechef  attaqué  par  une  vieille 
plus  ridée  qu'une  chemise  de  Flandres  qui  luy  dit  qu'il  estoit  mal 
advisé  de  souffrir  un  jeune  galant  fraiz  &  allaigre  estre  à  cheval, 
tandis  qu'il  battoit  la  terre  de  ses  pieds,  ce  que  voyant  Titius  il  fait 
descendre  son  fils  &  chasse  la  jument  devant  eux,  mais  ils  furent 
encor  rencontrez  par  quelques  passevolans,  qui  blasmerent  le  père  & 
le  fils,  disans  vous  estes  de  pauvres  gens  de  laisser  ainsi  reposervostre 
jument  qui  vous  peut  aisément  porter  tous  deux.  Infortuné  s'escria  le 
bon  homme  que  feray-je  en  chose  si  discordante,  lors  luy  &  son  fils 
montent  sur  la  jument,  mais  voicy  bien  pis  car  passant  par  Vaugi- 
rard  il  leur  fut  prononcé  haut  &  clair  comment  n'avez  vous  point  de 
honte  de  fouler  ainsi  cesle  pauvre  beste ,  il  est  aisé  à  voir  que  vous 
l'avez  desrobee.  Je  dis  cecy  pour  nos  sévères  Gâtons  lesquels  ressem- 
blans  à  ces  grosses  mouches  qui  grondent  &  bourdonnent  entre  deux 
châssis,  piquent  tout  le  monde  avec  l'aiguillon  de  leur  censure.  L'un 
dira  parlant  des  commediens,  celuy-cy  est  trop  amoureux  de  sa  per- 
sonne, cet  autre  ne  porte  pas  bien  sa  jambe,  il  semble  que  cet  autre 
ait  chié  dans  ses  chausses,  voy  en  voicy  un  qui  fait  de  l'entendu  & 
du  dédaigneux,  &  une  infinité  d'autres  discours  tendans  à  fin  de 
beste  * .  » 

Si  ce  récit  ne  manque  ni  de  verve  ni  d'originalité,  le  suivant  en  a 
plus  encore  : 

«  La  Fable  d'Esope  me  semble  de  fort  bonne  grâce  quand  elle  fait 
une  digression  sur  deux  pots,  dont  l'un  estoit  de  fer,  &  l'autre  de 
terre.  Monsieur  le  pot  de  terre  ayant  un  voj'age  à  faire  en  un  pays 
qui  n'a  point  de  nom  est  incontinent  accosté  de  Monsieur  le  pot  de 
fer  :  lequel  luy  ayant  fait  une  profonde  &  basse  révérence  à  trois 
pieds,  &  osté  son  couvercle  en  forme  de  bonnet,  avec  toute  cérémonie, 
n'oublie  rien  de  tout  ce  qui  estoit  requis  pour  parvenir  à  une  associa- 
tion. Et  de  faict  le  supplie  d'avoir  agréable  que  leur  traffic  &  com- 
merce f  ust  esgalement  partagé  entre  eux.  A  quoy  Monsieur  le  pot  de 
terre  respond  en  toute  humilité. Ah!  Monsieur,  mon  amy,  pares  cum 
parihus.  Je  suis  un  pauvre  compagnon,  qui  n'ay  brebis,  pigeon,  n'oy- 
son,  &  par  conséquent,  indigne  de  vostre  alliance  pour  avoir  les  reins 

'  (Xuvres,  p.  19S--210.  (Prologue  de  la  caloraaie.) 


308  PERIODIQUES 

trop  foibles.  Vous  di  jb  qui  estes  gros  Bourgeois  de  cuisine,  &  moy 
simple  officier,  tous  les  jours  subject  à  cassation,  vous  suppliant  de 
trouver  bon  que  je  tiéne  quartier  à  part  sans  me  caresser  ou  appro- 
cher de  plus  près  :  car  la  moindre  de  vos  accolades  seroit  capable  de 
ni'estroppier  de  tous  mes  membres.  Ce  qui  causeroit  ma  totalle  ruine. 
Prudence  admirable,  &  digne  d'avoir  l'exemple  que  je  vay  mettre  sur 
le  tapis  pour  fidelle  interprète,  à  fin  de  descouvrir  ce  qui  est  caché 
soubs  cette  escorce  fabuleuse. ...» 

Et  voulez-vous  savoir  quelle  est  la  morale  de  l'histoire?  Bruscam- 
bille  la  tire  un  peu  plus  loin,  et  de  façon  à  contenter  toutes  les  main- 
tenances : 

«  Pour  conclusion  je  soustiens  à  basse  nette,  que  la  plus  grande  fi- 
nesse qu'il  y  ait  en  ce  monde,  est  de  parler  son  patois,  aller  ronde- 
ment en  besongne,  &  imitant  la  fable  du  pot  de  terre  ne  se  prendre  à 
son  maistre.  ...*.» 

Tel  est  Bruscambille  fabuliste.  Si  nos  lecteurs  trouvent  dans  ses 
récits  quelque  agrément,  si  quelques-uns  de  ses  traits  leur  rappellent 
Marot  et  sa  fable  du  Lion  et  du  Rat,  ils  nous  pardonneront  de  leur 
avoir  présenté  un  aussi  singulier  disciple  du«  philosophe  Esope  -  »,  un 
aussi  singulier  prédécesseur  de  La  Fontaine. 

E    R. 


PERIODIQUES 


Zeitschrift  fur  romanische  Philologie,  IX,  2-3.  —  P.  IGl.  E. 
Mail.  Sur  r  Histoire  de  la  littérature  de  la  fable  au  moyen  âge,  ci  en 
partictdier  de  l'Esope  de  Marie  de  France.  D'après  l'auteur,  qui  étudie 
depuis  longtemps  cette  question  difficile,  V Esope  de  Marie  est  la  tra- 
duction d'un  ouvrage  anglais  perdu,  composé  probablement  au  com- 
mencement du  XII"^  siècle  ou  un  peu  plus  tard.  La  première  partie 
était  un  remaniement  ànRomulus  deNilant  ;  la  deuxième  était  formée 
d'un  choix  de  récits  fait  par  l'auteur  même,  et  emprunté  à  des  sources 
très-diverses  et  difficiles  à  déterminer.  Les  deux  recueils  latins  que 
nous  connaissons  ne  sont  pas  la  source  de  Marie,  mais  en  dérivent. 

P.  204.  E.  Settegast.  L'/(ice  de   l'honneur  dans   le   Roland.   Au 

XIIP  siècle,  les  chansons  de  geste  charmaient  encore  les  auditeurs, 
mais  n'excitaient  guère  en  eux  d'émotion  sincère  et  durable  :  l'en- 
thousiasme des  croisades  n'était  plus  qu'un  souvenir. —  P.  223,  W. 

'  Prolo(jues  tant  sérieux..  . .,  f.  57-58  et  f.  G3. 
'  Expression  de  Bruscambille. 


PERIODIQUES  309 

Meyer.  Essai  de  Phonétique  et  de  Morpliologïe  romanes  (Cf.  VIII, 
205  sqq.)-  Très- important. —  P.  268,  B.  Kraux.  Importance  de  l'ac- 
cent dans  le  vers  français .  —  P.  278.  H.  J.  Heller.  La  Clémence  de 
Titus  de  Métastase .  Comparaison  entre  le  texte  du  célèbre  tragique 
italien  et  le  libretto  mis  en  musique  par  Mozart. —  P.  287.  A.  To- 
bler.  Proverhia  que  dicuntur  super  natura  fem inarum  (189  quatrains 
italiens  tirés  du  ms.  Hamilton,  à  Berlin).  Contribution  intéressante 
à  la  littérature  des  proverbes  et  à  l'histoire  de  la  satire  contre  les 
femmes. —  P.  332.  C.  Decurtins.  Chronique  riméeen  vieux  ladin.  — 
P.  360.  C.  Michaelis  de  Vasconcellos.  Extraits  de  manuscrits  portu- 
gais. —  P.  375.  W.  Dreser.  Additions  au  Dictionnaire  complet  de 
l'italien  et  de  l'allemand  de  Michaelis  (V.  Zeitschr.,  VIII,  63).—  P. 
A.  Eeifferscheid .  Cotip>  d'œil  sur  la  carrière  académique  deFr.  Diez. 
MÉLANGES.  I.  Histoire  littéraire.  1.  P.  406.  0.  Schultz.  Les 
Troubadours  génois.  —  2.  E.  Stengel.  Développement  de  Z'alba  pro- 
vençale. —  II.  P.  412.  Manuscrits.  A.  Mussafia.  Sur  Z'Enfant  juif 
de  Wolter.  Nouveau  teste,  tiré  du  ms.  B.  N.  fs.  fr.  818,  —  III. 
Critique  des  textes.  1.  P.  413.  A.  Tobler.  Sur  les  Poëmes  du  Ren- 
dus de  Moiliens.  Observations  sur  l'édition  de  M.  van  Hamel.  —  2.  P. 
41 8.  A.  Tobler  Ulrich:  Recueil  d'exemples  en  ancien  italien  (Corrections). 
— 3.P.  419,P.  Schwieger.  Remarques  sur  AmietAmile.  —  IV.  Lexi- 
cologie. P.  425.  A.  Gaspary.  Développement  du  sens  factitif  dans  les 
verbes  romans .  —  V.Etymologie.  P.  429.  J.  Ulrich.  Verbes  dérivés  à 
l'aide  du  suffixe  ic  dans  les  langues  romanes. 

Comptes  RENDUS.  P.  431.  Fr.  Habicht.  Bertrâge  zur  Begriindung 
der  Stellung  von  Subjeckt  und  Pradikat  im  Neufranzosischen.  Dis- 
sertation d'Iéna,  1882  (A.  Schultze). 

IX,  4.  — P.  437.  V.  Crescini.  Idalagos  (voy.  plus  bas,  X,  1).  — 
P.  480.  A.  liorning.  Etude  sur  le  ivcdlon  mof?Ê?'?ie  (d'après  une  ou- 
vrière originaire  de  Seraing,  à  quelques  kilomètres  au  sud  de  Liège). 
—  P.  497.  Le  même.  Étude  du  dialecte  vosgien-lorrain.  Ces  deux  dis- 
sertations paraissent  soignées  ;  il  est  d'ailleurs  difficile  d'en  donner 
.  une  analyse. —  P.  513.  L.  Hirsch.  Phonétique  et  Mor-phologie  du  dia- 
lecte de  Sienne.  —  P.  571.  A.  Gaspary.  Sur  le  troisième  volume  des 
Anciennes  poésies  de  langue  vulgaire  publiées  par  A.  d'Ancona  et 
D.  Comparetti  (Bologna,  1884).—  P.  590.  H.  Tiktin.  La. Place  des 
pronoms  atones  et  des  formes  verbales  en  roumain. — P.  597.  W.  Meyer. 
Etudes  franco-itfdiennes.  Étude  du  ras.  fr.  1598  de  la  Bibliothèque 
nationale,  qui  contient  les  chansons  de  geste  à' Aspremont  et  à'Anseis 
de  Cartage. 

X,  1 .  P.  1.  V. Crescini.  /rfaZa^os  (fin).  L'auteur,  eu  terminant  cette 
curieuse  étude  de  l'épisode  final  du  Fïlocolo  de  Boccace,  conclut  que 
l'amante  d'Idalagos  n'est  autre  que  Maria  d'Aquiuo  (Fiammetta),  l'a- 

23 


310  PERIODIQUES 

mante  bien  connue  de  Boccace,  dont  il  faut  lire  les  noms  au  rebours  : 
Airam=  Marie,  Alleiram,  Mariella,  etc.  ;  de  sorte  que  nous  avons  ici 
une  véritable  autobiographie.  —  P.  22.  W.  Meyer.  Études  franco- 
italiennes  (suite).  —  P.  56.  L.  Hirsch.  Phonétique  et  morphologie  du 
dialecte  de  Sienne  (suite).  — P.  71 .  P.  Scheffer-Boichorst.  Encore  la 
question  de  Dino  Compaqni.  —  P.  124.  Gian  Caviezel.  Contes  du 
canton  des  Grisons.  — P.  143.  K.  Bartsch.  Sur  Girart  de  Roussillon. 
M.  B.  rapproche  du  texte  provençal  (d'après le  ms.  d'Oxford) un  frag- 
ment de  traduction  allemande  du  XIV®  siècle,  récemment  découvert 
aux  archives  de  Stolberg,  par  E.  Jacob,  et  publié  par  M.  Steinmeyer 
dans  la  Zeitschrift  fur  deutsches  Altertum.  —  P.  153.  E.  Stengel. 
Les  deux  poèmes  provençaux  du  ms.  latin  11312  de  la  Bibliothèque  na- 
tioncde.  M.  St.  divise  les  strophes  et  couplets  d'une  façon  notable- 
ment différente  de  celle  du  premier  éditeur,  M.  P.  Meyer. 

MÉLANGES.  1.  COMMD.VICATION  DE  MANUSCRITS.  P.  160.    E.  Stengel. 

L'Alba  de  Peire  Espagnol^. —  P.  162.  II.  Critique  des  textes.  1. 
A.  Tobler.  Sur  Joinville,  Au  paragr.  23  de  l'édition  de  Wailly,  il 
faut  lire:  et  que  je  nen  uvoie  iJoour  (au  lieu  de  iwoir)  de  enyvrer.  — 
2.  Le  même.  Sur  les  Lais  de  Marie  de  France.  Excellentes  correc- 
tions au  texte  de  l'édition  Warnke,pour  compléter  celles  de  Mussatia 
[Literaturhlatt  fUr  germ.  und  rom .  Philologie,  1885,  497  sqq.). —  3. 
E.  Stengel.  \°  Sur  les  Serments,  \ue:  et  in  aiudha  er  in  cadhuna 
cosa  (correction  déjà  faite  par  notre  collaborateur  ^I.  Clédat  dans  cette 
Revue,  t.  XXVIII,  309).  2"  Sur  le  Saint  Léger.  A  la  strophe  8,  où  le 
ms.  donne  :  Et  hune  tambien  que  il  en  fisl,  lire  :  Et  hune  (=  unquam) 
hume  tant  bien  ne  fst  (un  peu  arbitraire),  et  à  la  strophe  37,  c,  si  li, 
au  lieu  de  cil  li  de  l'édition  G.  Paris  (ms.  cilli). 

III.  Êttmoloqie.  l.P.  171.  W.  Meyer.  Ètymologies  romanes:  \i. 
abbiaccare,  heffa,  scilipare,  scuppire,  sdrajarsi,  sisa;  esp.  esconzado, 
Jeja,  tobillo ;  fr.  grolle  =  'graula,  'gravula,  et  non  gracula,  qui  aurait 
donné  graille  {gralha,  se  rencontre  en  effet  dans  plusieurs  dialectes 
méridionaux);  fr.  vouge  =viduvium,  qui  traduit  oV/i),/»  dans  les  Glos- 
saires grecs-latins  ;  fr.  hù  (l'auteur  préfère  l'étymologie  de  Tobler  à 
celle  de  Thomas,  Romania,  XII,  332).  —  2.  Grœber.  Ital.  ansi,  v. 
fr.  ainz.    (Réponse  à  l'article   de  M.  Thomas,    àans  Romania,  XIII, 

572.)  L.    CONSTANS. 

1  [  V.  33.  Il  doit  y  avoir  là  une  allusion  à  l'enfaut  prodigue.  Corr.  Car  dels 
dos  fils  fo  [pel  paircl]  nietens?  Le  ms.  C,  d'après  une  copie  que  je  possède 
des  poésies  de  Peire  Espanhol,  faite  sur  ce  ms.,  ne  présente  pas  ici  la  lacune 
indiquée  par  M.  St.,  et  on  y  lit,  non  sois,  mais  fols. —  V.  35.  Corr.  que  m'eyi 
tanh,  en  mettant  un  poiot  d'interrogation  à  la  fin  du  vers  *? —  C.  C.  ] 


Le  Gérant  responsable  :    Ernest  Hamelin. 


TABLE  DES  MATIERES 

DU  TOME    QUINZIÈME  DE    LA  TROISIÈME    SERIE 

(XXIX*    DE   LA  collection) 


DIALECTES    ANCIENS 

Pages. 
Recherches    sur  les  chansons  de  geste  et  de  l'épopée  chevale- 

resciue  italienne  (suite)  {F.  Castets.)  5-105 
Documents  sur  la  langue  catalane  des  anciens  comtés  de  Rous- 

sillon  et  de  Cerdague  (P.  Vidal)  .  53 

Vie  de  saint  Hermentaire  (C.  Chabaneauj.  157 

Paraphrase  des  Litanies  en  vers  provençaux  (C.  Chabaneatj).  209 

Sainte  Marie-Madeleine  dans    la  littérature  provençale  (suite) 

(C.Chabanead).  261 

DIALECTES  MODERNES 

Las  Nossos  d'or  de   l'Academio  Bezieirenco  (F.  Donnadieu).  17 

Villanelles  (P.  Fesquet).  23 

Super  flumimi  Bahylonis  (P.  Fesquet).  25 

Lou  Vauvenargo  d'Enri  Pountié  (A.  de  Gagnaud).  28 

Sounets  amourouses  (P.  Chassary).  30 
Grandeur  et  décadence  du  mot  méchant  au  XVIP  siècle  (E. 

Eevillodt)  .  77 

Déute  paga  (L.  Roumieux).  92 
Le  mot  paire  et  les  mots  français  qui  n'ont  pas  de  singulier 

(E.  Revillodt).      "  133 

Contes  populaires  du  Languedoc  (suite)  (L.  Lambert).  143 
Parnasse  provençal  du  P.  Bougerel  (C.  Chabaneau).            175-284 

Vespras  de  Toussants  (A.  Espagne)  .  294 

A  nouostei  fraire  les  Engadin  (E.  Savy).  300 

A  las  abelhos  de  Loungonauso  (A.  Fourès).  302 

Lou  Rescoundal  (F.  LoDi).  303 

La  Carreto  (F.  Lodi).  304 

VARIÉTÉS 

Houle  (P.  Fesquet).  35 

De  Lombardo  et  Lumaca  (A.  Boucherie).  93 


312  TABLE  DES  MATIERES 

Pages. 
Gandin,  gourgandine  (A.  Boucherie)  .  98 

Calcaria,  tannerie  (Puitspelu).  208 

Bruscambille  fabuliste  (E.  Rigal)  .  305 

NÉCROLOGIE 

M.  Melcliior  Barthès  (A.  Espagne).  36 

BIBLIOGRAPHIE 

Documents  historiques  bas-latins,  provençaux  et  français,  con- 
cernant la  Marche  et  le  Limousin,  publiés  par  A.  Leroux, 
E,  Molinier  et  A.  Thomas  (C.  Chabaneau),  41 

Les  Littératures  populaires  de  toutes  les  nations  (A.  Boucherie).     99 

Tradizioni   popolari    abruzzesi,  raccolte  da  G.  Finamore   (C. 

Chabaneau).  154 

Rappresentazioni  sacre  ncl  ïrentino,  da  Albino  Zenatti  (C.  Cha- 
baneau). 154 

Ethologiadc  Blanes  per  D.  Joseph  Cortils  yVieta  (C.  Chaba- 
neau). 154 

Dictionnaire  étymologique   latin  par  Michel   Bréal  et  Anatole 

Bailly  (J.  Brenous).  256 

PÉRIODIQUES 

Bulletin  de  la  Société  archéologique  et  historique  de  Tarn-et- 

Garonne.  1884,  2e  trimestre  (C.  Chabaneau).  44 

Bulletin  de  la  Société  des  arts  et  des  sciences  de  Carcassonne, 

t.  IV,  3^  partie  (C.  Chabaneau).  46 

Bulletin  delà  Société  des  études  du  Lot,  t.X.(C.  Chabaneau).         47 
Mémoires  de  l'Académie  de  Nimes.  1883  (C.  Chabaneau).  47 

Zeitschrift  fiir  romanische  philologie  (IX,  2-4;  X,  1).  (L.  CON- 

stans).  308 


Chronique.  .  49-102-155 

Table  DES  matières.  311 


Montpellier,  Imprimerie  centrale  du  Midi.  —  Hamelin  Frères. 


REVUE 


DES 


LANGUES   ROMANES 


MONTPELLIER.   —  IMPRIMEIIII-:  CliNTRALE  DU  MIDI  (HAMELIN  FRÈRES) 


REVUE 


DES 


LANGUES  ROMANES 


PAR     LA     SOCIl^lTE 

POUR  L'ÉTUDE  DES  LANGUES  ROMANES 


Troisième    Série 

TOME    SEIZIÈME 
JUILLET  1886 

TOME    XXX    DE    I,A    COLLECTION 


MONTPELLIER 

AU  BUREAU   DES   PUBLICATIONS 

DE  LA    SOCIÉTÉ 
voua    L'ÉrUDK    dus    LAMOUICS    ItOMANKS 

RneSt-Guilhem.n"  17 


PARIS 
Maisonneuve  frères  et  Gh.  Leclerc 

LIBRAIRES-ÉDITEURS 

25,  QUAI    VOLTAIRE,  25 


M   Dcnc  I.XXXVI 


REVUE 


DES 


LANGUES   ROMANES 


Dialectes  Modernes 


GRAMMAIRE  GASCONNE 

ET   FRANÇOISE    ' 


A    MONSEIGNEUR 
l'illustrissime    et    REVERBNDISSIME 

FRANÇOIS  D'ANDIGNÉ 

BVÊQUE  d'aCQS 


Monseigneur, 

J'ose  espérer  de  votre  bonté,  qu'en  acceptant  cette  Grammaire  Gas- 
conne, que  j"ai  l'honneur  de  présenter  à  Vôtre  Grandeur,  et  que  je  n'ay 
entreprise  que  pour  obéir  à  ses  ordres.  Elle  me  pardonnera  les  fau- 
tes que  mon  état,  mon  âge  et  le  désir  que  j'ay  eu  de  la  finir,  en  peu 
de  tems,  n'ont  peu  empêcher  de  s'y  glisser.  Votre  Empressement  à 
sçavoir  la  langue  vulguaire  de  vôtre  Diocèse,  qui  est  la  seule  que  la 
plus  grande  partie  de  vos  Diocésains  entendent,  vous  a  fait  souhaiter 

1  Cette  grammaire,  que  nous  publions  d'après  une  copie  qui  nous  a  été 
communiquée  par  M.  Charies  Leclerc,  est  loin  de  réaliser  l'idéal  de  la  perfec- 

To.ME  XV  DE  LA  TROISIÈME  SÉRIE.  ^  JuiLl.ET  1886.  1 


6  GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 

d'aprendre  cet  idiome,  pour  pouvoir  immédiatement,  par  vous  même, 
satisfaire  aux  besoins  des  peuples  et  surtout  des  pauvres  comis  à  vos 
soins  et  l'objet  de  vôtre  sollicitude  pastoralle.  Je  m'estimeray  heu- 
reux, Monseigneur,  d'avoir,  en  quelque  manière,  contribué  au  bonheur 
qui  leur  en  reviendra.  Plaise  au  ciel,  de  1)  'iiif  vos  Travaux  apostoli- 
ques et  ceux  que  leur  obscurité  et  leur  pauvreté  les  empêche  de  se 
produire  devant  Votre  Grandeur,  la  voyant  venir  à  Eux  avec  les  mar- 
ques de  bonté  et  de  douceur  qui  charment  tout  le  monde.  Ce  sont  les 
vœux  sincères. 

Monseigneur, 
de  Votre  très  humble,  très  obéissant  et 
très  soumis  serviteur, 

Signé  :  de  Grateloup. 


A  Dacqs,  ce  4  juin  1734. 


tioa.  Nous  pensons  néanmoins  qu'elle  pourra  rendre  quelques  services  à 
nos  études.  Nous  la  donnons  telle  quelle,  et  sans  en  rien  retrancher,  malgré 
tout  ce  qu'elle  contient  d'inutile.  Il  s'y  trouve  assez  de  renseignements  boas 
à  recueillir  pour  qu'on  ne  nous  sache  pas  mauvais  gré  de  lui  avoir  donné 
place  dans  la  Revue.  Nous  ne  savons  rien  de  l'auteur,  que  ce  que  nous  en 
apprend  la  dédicace  de  son  ouvrage.  Nous  y  voyons  seulement  qu'il  s'ap- 
pelait de  Grateloup,  et  qu'il  était  déjà  vieux  en  1734.  On  a  donc  là  un  docu- 
ment d'une  authenticité  certiiine  pour  l'étude  morphologique  et  aussi, —  impli- 
citement,—  pour  l'étude  phonétique  du  dialecte  des  Landes  au  commencement 
du  XVIIIe  siècle. 

Sur  la  couveiiure  de  la  copie  que  nous  reproduisons,  on  lit:  «  Grammaire 
gasconne  et  française  copiée  sur  un  manuscrit  de  M.  Grateloup,  de  Dax. 
daté  du  4  juin  1734. 

»  L'introduction  ou  plutôt  la  dédicace  a  été  copiée  par  la  main  de  son 
petit-fils,  docteur,  exerçant  la  médecine  à  Bordeaux. 

1858-1859, 

»  Cet  exemplaire  a  été  copié  exprès  pour  moi  et  m'a  été  donné  par  M.  Gra- 
teloup, médecin  et  savant  naturaliste  à  Bordeaux.  » 

Le  tout  de  la  même  main . 


GRAMMAIRE   GASCONNE  ET  FRANÇOISE 

GRAMMAIRE   GASCONNE 

ET  FRANÇOISE 


Le  Gascon  est  une  langue  vulgaire  dont  la  pluspart  des  ex- 
pressions dérivent  de  la  langue  françoise  et  n'en  diffèrent  que 
de  la  seule  terminaison. 

PARTIES  D'ORAISON 


1. 

2. 

L'article. 
Le  nom . 

6. 

7. 

Le  participe. 
La  préposition. 

3. 
4. 
5. 

Le  pronom. 
Le  verbe. 
L'adverbe . 

8. 
9. 

La  conjonction 
L'interjection. 

DE  L'ARTICLE 

La  première  partie  de  l'oraison  est  l'article,  qui  seul  se  dé- 
cline et  sert  à  la  déclinaison  des  autres  parties  déclinables,  à 
sçavoir,  aux  noms,  pronoms  et  participes,  n'i  ajant  d'autre 
moyen  de  connoitre  la  variation  des  cas  que  celuj-la  dans  les 
langues  vulguaires. 

L'article  est  compté  pour  une  partie  d'oraison,  tellement 
qu'il  y  en  a  neuf,  qui  est  une  de  plus  que  parmi  les  Latins. 

Il  faut  sçavoir  qu'il  y  a  trois  articles  dans  le  Gascon  et  de 
trois  genres,  comme  les  noms  :  le  masculin  est  Ion,  le  féminin 
est  lé,  le  neutre  loû,  qui  se  décline. 

DECLINAISON    DE   l' ARTICLE    MASCULIN 

Singulier  Pluriel 

Nom.    lou,  le  loas,  les 

Gén.      dou,  du  dous,  des 

Dat.      au,  au  aux,  aux 

Ace.     lou,  le  lous,  les 

Abl.     dou,  du  dous,  des. 


8  GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 

DE    l'article    féminin 
Singulier  Pluriel 

Nom.     lé,  la  les,  les 

Gén.      de  lé,  delà  de  les,  des 

Dut.       â  lé,  a  la  a  les,  aux 

Ace.      lé,  la  les,  les 

Abl.      de  lé,  de  la  de  les,  des 

DE    l'usage    des    articles 

L'article  loû  se  met  toujours  avec  les  noms  du  genre  mas- 
culin, l'article  lé  se  met  devant  les  noms  du  genre  féminin, 
quoy  qu'en  quelques  endroits  de  Gascoigne,  l'article  se  change 
en  la  pour  le  féminin.  L'article  lou  se  met  pour  le  genre  neu- 
tre. 

DES  NOMS  ET  LEURS  GENRES 

Les  noms  masculins  substantifs  se  connoitront  par  l'article 
loû  pour  le  masculin,  et  lé  pour  le  féminin,  et  loû  pour  le  neu- 
tre, comme 

lou  proféte  le  prophète 

lé  planette  la  planète 

lou  bey  le  bien. 

DES    LÊTRES 

Les  lêtres  en  gascon  ont  leur  article  différent.  L'article 
loy  s'élide  devant  une  voyelle  et  devant  quelques  consonnes. 


l'a 

lou^ 

le  n 

lou  l 

lou  b 

l'A 

Vo 

lou  V 

lou  c 

Yi 

lonp 

Vx 

lou  d 

lou  k 

lou  q 

IV 

ïe 

VI 

Vr 

Vz. 

Vf 

Vm 

Vs 

DES   TERMINAISONS    DU    NOMBRE 

Pluriel 
Le  pluriel  des  noms  ne  diffère  du  singulier  que  par  quelques 
consommes  adjoutées  à  la  finalle. 


GRAMMAIRE   GASCONNE  ET   FRANÇOISE  9 

.  Singulier  Pluriel 

bertad  vérité  bertats  véritez 

graci  grâce  gracis  grâces 

proucez  procez  proucès  procez 

bertut  vertu  bertuts  vertus 

animaut  animal  animauts  animaux 

bachet  bateau  bachets  bateaux 

palle  pelle  pales  pelles 

limac  limaçon  limacs  limaçons. 

DÉCLINAISO^fS    DES    NOMS    SUBSTANTfFS 

Il  suffit  de  sçavoir  décliner  les  articles  pour  scavoir  décli- 
cliiier  les  noms,  tant  propres  que  communs,  substantifs  ou 
adjectifs.  Les  noms  propres  n'ont  point  d'article  au  nominatif, 
ni  à  l'accusatif.  Les  autres  cas  ne  semblent  avoir  que  des  par- 
ticules, qui  [sont]  de  véritables  prépositions,  comme  au  génitif 
d'où,  au  datif  à,  l'accusatif  comme  le  nominatif,  au  vocatif 
l'interjection  o  ou  haû,  à  l'ablatif  cCoû. 

EXEMPLE  DES  NOMS  PROPRES 

Nom.  Pierre  Cataline 

Gên,  de  Pierre  de  Cataline 

Dat.  à  Pierre  à  Cataline 

Ace.  Pierre  Cataline 

Yoc.  ô  Pierre  ô  Cataline 

Ahl.  de  Pierre  de  Cataline. 


Bat. 
Ace. 
Yoc. 
Ahl. 


Dat. 
Ace. 
Voc. 
Ahl. 


EXEMPLE    DES   NOMS    COMMUNS 
Singulier 


Nom.     lou  paj- 
Gên.      don  pay 


au  pay 
pay 

hau  pay 
dou  pay 


Nom .     lous  pais 
Gén.       dons  pais 

aûs  pais 

pais 

hau  pais 

doùs  pais 


Pluriel 


le  père 
du  père 
au  père 
père 
ô  père 
du  père. 

les  pères 
des  pères 
aux  pères 
pères 
6  pères 
des  pères. 


10 


GRAMMAIRE    GASCO^NE  ET  FRANÇOISE 


NOMS   ADJECTIFS 


Nom. 

lou  bon 

le  bon 

Gén. 

dou  bon 

du  bon 

Bat. 

au  bon 

au  bon 

Ace. 

ou  bon 

le  bon 

Yoc. 

hau  bon 

ô  bon 

Ahl. 

dou  bon 

du  bon. 

Pluriel 

Nom. 

lous  bons 

les  bons 

Gén. 

doùs  bons 

des  bons 

Bat. 

aux  bons 

aux  bons 

Ace. 

loùs  bons 

les  bons 

Yoc. 

hau  bons 

ô  bon- 

Abl. 

doùs  bons 

des  bons. 

Le 

eminia 

Nom . 

lé  bonne 

la  bonne 

Gén, 

dé  lé  bonne 

de  la  bonne 

Bat. 

a  lé  bonne 

à  la  bonne 

Ace. 

lé  bonne 

la  bonne 

Voc. 

hau  lé  bonne 

ô  la  bonne 

Abl. 

de  lé  bonne 

de  la  bonne 

Pluriel 

Nom . 

les  bonnes 

les  bonnes 

Gén 

dé  lés  bonnes 

des  bonnes 

Bat. 

à  les  bonnes 

aux  bonnes 

Ace. 

les  bonnes 

les  bonnes 

Voc. 

hau  bonnes 

ô  bonnes 

Abl. 

de  les  bonnes 

des  bonnes 

EXEMPLE 

DU    COMMUN 

Sir 

gulier 

Nom. 

loû  gran 

le  grand 

Gén. 

dou  gran 

du  grand 

Bat. 

au  gran 

au  grand 

Aec. 

lôu  grau 

le  grand 

Voe. 

haù  gran 

ô  grand 

Abl. 

dou  gran 

du  graml. 

PI 

uriel 

Nom,. 

lous  grans 

les  grands 

Gén. 

doùs_  grans 

des  glands 

Bat. 

aus  grans 

aux  grands 

GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 

lous  grans  les  grands 


11 


Ace. 

Voc.       hau  grans 

Abl.       dons  grans 


ô  grands 
des  grands. 


Les  neutres  se  déclinent  comme  les  noms  c\  dessus. 


Nom. 

G  en. 

Dat. 

Ace. 

Yoc. 

Abl. 

Nom . 

Gén. 

Dat. 

Ace. 

Voc. 

Abl. 


loû  bon 
doû  bon 
au  bon 
loû  bon 
hau  bon 
doû  bon 

loû  gran 
doû  gran 
au  g^ran 
lou  gran 
hau  gran 
doû  gran 


ce  qui  est  bon 

du  bon 

au  bon 

le  bon 

ô  bon 

du  bon. 

ce  qui  est  grand 

du  grand 

au  grand 

le  grand 

ô  grand 

du  grand. 


DES  NOMS  DIMINUTIFS  ET  DE  CEUX  QUI   AUGMENTENT 

Les  Gascons  suppriment  l'adjectif  grand  ou  petit, pour  aug- 
menter, et  pour  diminuer,  et  pour  dire  un  grand  homme,  ils 
disent  ung  houmias,  unegrande  femme,  ù  hemnasse  ;  au  dimi- 
nutif un  petit  homme,  ung  houmios,  une  petite  femme,  ù  hen- 
nette. 

DES  NOMS   NlMliRAUX 


ung.  un 

u,  une 

dux 

deux 

très 

trois 

coûate 

quatre 

cinc 

cinq 

chies 

six 

sept 

sept 

goueït 

huit 

nau 

neuf 

dets 

dix 

unze 

onze 

doutze 

douze 

tretze 

treize 

quâtourze 

quatorze 

quinze 

quinze 

setze 

seize 

1-2 


GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


dets  et  sept 

dets  e  goiieit 

desenau 

bin 

trente 

quarante 

cinquante 

soixante 

septante 

goûeitante 

nonante 

cen 

dus  cens 

très  cens 

coiiate  cens 

cinq  cens 

cheis  cens 

sept  cens 

goûeit  cens 

naû  cens 

mille 

una:  milion 


dix-sept 

dix-huit 

dix-neuf 

vingt 

tren  te 

quarante 

cinquante 

soixante 

soixante-dix 

quatre-vingts 

quatre-vingt-dix 

cent 

deux  oeats 

trois  cento 

quatre  cents 

cinq  cents 

six  cents 

sept  cents 

huit  cents 

neuf  cents 

mille 

un  million. 


DES  PRONOMS  BK  L.V  PREMIERE  PERSONNE 


Nom. 

jou 

je  ou  moy 

Gén . 

dé  jou 

de  moy 

Bat. 

à  jou 

à  moy 

Ace. 

jou 

moy 

Yoc, 

hau  jou 

ô  moy 

Abl. 

de  jou 

Pluriel 

do  moy. 

Nom. 

nous  autis 

nous 

Gén. 

dé  nous 

autis 

de  nous 

Bat. 

à  nous 

autis 

à  nous 

Ace. 

nous  ai 

tis 

nous 

Yoc. 

ô  nous 

îutis 

6  nous 

Abl.' 

de  nous 

autis 

de  nous. 

DECLINAISON  DU  PRONOM  DE    LA  SECONDE  PERSONNE 
Singulier 


Nom . 
Gén . 


tu 
dé  tu 


toy 
de  toy 


GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


13 


Bat. 

à  tu 

a  toy 

Ace. 

tu 

toy 

Yoc. 

hau  tu 

ô  toy 

AU. 

de  tu 

de  toy. 

Pluriel 

Nom. 

-    bous  autis 

vous  autres 

Gén. 

dé  bous  autis 

de  vous 

Bat. 

à  Dous  autis 

a  vous 

Ace. 

bous  autis 

vous 

Yoc. 

hau  bous  autis 

ô  vous 

AU. 

de  bous  autis 

de  vous. 

DÉCLINAISON    DU    PRONOM    DE 

LA    TROISIÈME 

PERSONNE 

Singulier 

Pluriel 

Nom . 

et                  luy 

ets 

eux 

Gén . 

d'et              de  luy 

d'ets 

d'eux 

Bat. 

à  et               a  luy 

à  ets 

à  eux 

Aec. 

et                 luy 

ets 

eux 

Yoc. 

ô  et              ô  luy 

ôets 

ô  eux 

AU. 

d'et             de  luy 

d'ets 

d'eux 

EN    COMPOSITION   AVEC    «    MÉDICH  »,    QUI    SIGNIFIE   MEME 

Nom 

joû  médich 

moy-même 

Gén . 

déjoû  médich 

de  moy-même 

Bat. 

à  jôu  médich 

a  moy-même 

Ace. 

joû  médich 

moy-même 

AU. 

dé  jou  médich 

de  moy-même. 

Pluriel 

Nom. 

nous  médich 

nous-mêmes 

Gén. 

de  nous  médich 

de  nous-mêmes 

Bat. 

à  nous  médich 

à  nous-mêmes 

Aec. 

nous  médich 

nous-mêmes 

AU. 

de  nous  médich 

de  nous-mêmes. 

DEUXIÈME   PERSONNE 

Singulier 

Pluriel 

Nom 

tu  médich           taj^-même 

bous  médirh 

vous-mêmes 

G  en 

de  tu  - 

—             de toy — 

de  bous  — 

de  vous  — 

Dut. 

a  tu 

—             a  toy  — 

à  bous  — 

a  vous  — 

Ace. 

tu 

toy      - 

bous       ■ — 

vous       — 

Voc 

a  tu 

—            ô  toy  — 

ô  bous    — 

ô  vous  — 

AU 

de  tu 

—            de  toy  — 

de  bous  — 

de  vous  — 

14 


GRAMMAIRE  GASCO^NE  ET  FRANÇOISE 


TROISIEME 

PERSONNE 

Pluriel 

Nom. 

et  médich 

luy-même 

ets  médich 

eux-mêmes 

Gén. 

d'et    — 

de luy  — 

d'ets  — 

d'eux  — 

Bat. 

aet    — 

à  luy  — 

à  ets  — 

à  eux  — 

Ace. 

et       — 

luy      — 

ets     — 

eux     — 

AU. 

d'et    — 

de luy  — 

diets   — 

d'eux  — 

DES    PRONOMS    POSSESSIFS   QUI   DERIVENT    DES    PRECEDENTS 

Ces  pronoms  sont  loû  mey,  le  mien;  ton,  tien;  son,  sien;  meis, 
miens;  tons,  tiens;  sons,  siens. 

Les  féminins  sont  semblables,  les  neutres  ont  besoin  de 
l'article  loû,  qui  doit  précéder. 


Loû  mei 

le  mien 

lous  meis 

les  miens 

loû  ton 

le  tien 

lous  tous 

les  tiens 

loû  son 

le  sien 

lous  sous 

les  siens. 

ne  bouil  pas  perde  loû  mey 
de  qui  es  aco  ?  mey  ou  son. 


je  ne  veux  pas  perdre  le  mien 
de  qui  est  cecy  ?  mien  ou  tien. 


La  déclinaison  des  pronoms  possessifs  est  semblable  à  celle 
des  noms  et  se  fait  avec  l'article. 


Nom.  lou  mei,     le  mi 

Gén.  dou  mei,  de  le  mi 

Dut,  au  mei,     a  le  mi 

Ace.  lou  mei,  le  mi 

Abl.  doû  mei,  de  le  mi 


le  mien,    la  mienne 
du  mien,  de  la  mienne 
au  mien,    à  la  mienne 
le  mien,     la  mienne 
du  mien,   delà  mienne. 


PRONOMS   INTERROGATIFS 

de  qui  ou  de  quein?  de  qui  ou  de  quel? 

Pluriel 
de  queins  ou  de  caûaux  desquels,  desquelles 

queignes  ou  caûaux  ?  quelles 

de  qui  es  aquét  chibau?  de  qui  est  ce  cheval? 

de  queigne  es  aquere  maison?  de  quelle  est  cette  maison? 

PRONOMS   DÉMONSTRATIFS 


aqués 

celui-cy 

aquet 

celui-là 

aquère 

celle-là 

aqueres 

celles-là 

aco 

cecy 

aquo 

cela 

GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


15 


Singulier  masculin 


Féminin 


Neutre 


Nom. 

aqués 

celuy-ci 

aqueste     celle-cy      aco 

Gén. 

deques 

d'aqueste 

daco 

Bat. 

a  aqués 

à  aqueste 

a  aco 

Ace. 

aques 

aqueste 

aco 

Abl. 

déqués 

déqueste 
Pluriel 

daco. 

Notn . 

aquets 

ceux-là 

aquères 

celles-là 

Gén 

dequets 

daquères 

Dat. 

à  aquéts 

a  aquères 

Ace. 

aquets 

aquères 

Abl. 

daquets 

d'aquères 

Singulier  masculin 

Féminin 

Neutr 

Nom. 

et      il  ou  luy 

ère      elle 

aco 

Gén. 

d'et 

d'ère 

d'aco 

Dat. 

a  et 

a  ère 

a  aco 

Ace. 

et 

ère 

aco 

Abl. 

d'et 

d'ère 
Pluriel 

d'aco 

Nom. 

ets 

eux 

ères 

elles 

Gén. 

d'ets 

deux 

d'ères 

d'elles 

Dat. 

a  ets 

a  eux 

ères 

a  elles 

Aec. 

ets 

eux 

ères 

elles 

cela 


DES    PRONOMS    RELATIFS 


Il  y  a  trois  pronoms  relatifs  savoir,  quein,  que,  coiiaû;  qui, 
que,  quel. 


Nom. 

quein 

que 

coiiaù 

Gén . 

de  quein 

de  que 

de  coiiaû 

Dat. 

a  quein 

a  que 

a  coûaù 

Aec. 

quein 

que 

coiiaû 

Abl. 

de  quein 

de  que 
Pluriel 

de  couaû 

Nom. 

queignes 

coûaux 

Gén. 

de  queignes 

de  couaûx 

Dat. 

a  queignes 

à  couaûx 

Aec. 

queignes 

couaûx 

Abl. 

de  queignes 

de  couaûx 

16 


GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


DECLINAISON 

DE 

COUAU,    QUEL 

S 

ngulier  masculin 

Féminiû 

Nom. 

loû  conaû 

le  coûâu                laquelle 

G  en. 

doù  cou  au 

de  le  couaû           de  laquelle 

Dat. 

au  coùaû 

à  le  coûaû             à  laquelle 

Ace. 

loû  couaû 

le  couaû                 laquelle 

Abl. 

doù  coûaû 

de  le  coûaû          de  laquelle 

Pluriel 

Nom 

lous  coûaûx 

les  coûaûx 

Gén. 

doûs  coûaûx 

de  les  coûaûx 

Bat. 

aux  coûaûx 

à  les  coûaûx 

Ace. 

lous  coûaûx 

les  coûaûx 

Abl. 

doûs  coûaûx 

de  les  coûaûx. 

DU 

VERBE 

Le  verbe  est  une  partie  de  Toraison,  qui  signifie  l'action  et 
la  passion. 

Il  est  actif  ou  passif. 

Le  verbe,  en  gascon,  a  besoin  d'être  précédé  de  la  particule 
que  pour  sa  conjugaison;  le  que  s'élide  devant  une  voyelle. 


DU  VERBE   ABE,    AVOIR 
INDICATIF 

jou  qu'ey  j'ay 

tu  qu'as  tu  as 

et  qu'a  il  a 

nous  qu'aua  nous  avons 

bous  qu'ats  vous  avés 

ets  qu'an  ils  ont. 


jou  qu'abi 
tu  qu'abèbes 
et  qu'abôbe 
qu'abebem 

—  abebets 

—  abeben 


PASSE  IMPABFAIT 


j'avois 
tu  avois 
il  avoit 
nous  avions 
vous  aviez 
ils  avoient. 


GRAMMAIRL   GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


17 


PARFAIT  DEFFINI 


qu'aboui 

j'eus 

—  abous 

tu  eus 

—  aboii 

il'  eut 

—  aboum 

uous  eûmes 

—  abouts 

vous  eûtes 

—  aboun 

ils  eurent. 

FUTUR 

qu'aurei 

j'auray 

—  auras 

tu  auras 

—  aura 

il  aura 

—  auram 

nous  aurons 

—  aurais 

vous  aurez 

—  auran 

ils  auront. 

OPTATIF 

Diu  bouUi 

Dieu  veuille 

qu'aje 

que   j'aye 

—  ajis 

—  tu  ayes 

—  aji 

—  il  ait 

—  ajim 

—  nous  ayons 

—  ajits 

—  vous  ayez 

—  ajin 

—  ils  ayent. 

IMPARFAIT  CO.NJONCTIF 


s'aboussy 

s'abousses 

s'abousse 

s'aboussem 

s'aboussets 

s'aboussen 


SI  J'eusse 

si  tu  eusses 

s'il  eut 

si  nous  eussions 

si  vous  eussiez 

s'ils  eussent 


s'abebi 

s'abèbes 

s'abèbe 

s'abebem 

s'abebets 

s'abében 

encouère 
qu'aboussi 
—  abousses 


SI  j  avois 
si  tu  avois 
s'il  avoit 
si  nous  avions 
si  vous  aviez 
s'ils  avoient. 

encore 
j'eusse 
tu  eusses 


i« 


GRAMM\IRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 

il  eut 

nous  eussions 


qu'abousse 

—  aboussem 

—  aboussets 

—  aboussen 

quen  aurey 

—  tu  auras 

—  et  aura 

—  nous  auram 

—  bous  aurats 

—  et  auran 
aben 


vous  eussiez 
ils  eussent. 

quand  j'aurai 

—  tu  auras 

—  il  aura 

—  nous  aurons 

—  vous  aurez 

—  ils  auront, 
ayant. 


Les  verbes  françois  qui  se  terminent  en  é  à  l'infinitif  se  ter- 
minent en  gascon  presque  tous  en  à. 

DU    VERBE    ESTA,    QUI    SIGNIFIE    ETRE 
INDICATIF  PRESENT 


jou  que  souy 

je  SUIS 

tu  qu'es 

tu  es 

et  qu'es 

il  est 

nous  que  som 

nous  sommes 

bous  auts  qu'ets 

VOUS  êtes 

ets  que  son 

ils  sont. 

PASSÉ 

MPARFAIT 

qu'eri 

j'étois 

—  ères 

tu  étois 

—  ère 

il  étoit 

—  erem 

nous  étions 

—  erets 

VOUS  étiez 

—  eren 

ils  étoyent. 

PARFAIT  DÉFFI.M 

qu'es  touy 

je  fus 

—  estous 

tu  fus 

—  estou 

il  fut 

—  estoum 

nous  fûmes 

—  estouts 

vous  fûtes 

—  estoun 

ils  furent. 

PARFAIT 

IiNDÉFFINI 

qu'ey  estât 

j'ay  été 

—  as  estât 

tu  as  été 

GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


19 


qu'a  estât 

il  a  été 

—  am  estât 

nous  avons  été 

—  ats  estats 

vous  avez  été 

— an  estât 

ils  ont  été. 

PARFAIT 

TROISIÈME 

quen  aboui  estât 

quand  j'eus  été 

—  abous  estats 

—     tu  eus  été 

—  abou  estât 

—     il  eut  été 

—  aboum  estât 

—     nous  eûmes  été 

—  abouts  estât 

—    vous  eûtes  été 

—  aboun  estât 

—    ils  eurent  été. 

PLUS-QUE-PARFAIT 

qu'abi  estât 

j'avois  été 

—  abes  estât 

tu  avois  été 

—  abé  estât 

il  avoit  été 

—  abem  estât 

nous  avions  été 

—  abets  estât 

vous  aviez  été 

—  aben  estât 

ils  avoyent  été 

FUTUR 

que  serei 

je  serai 

—  seras 

tu  seras 

—  sera 

il  sera 

—  seram 

nous  serons 

—  serats 

vous  serez 

—  seran 

ils  seront. 

SECOND   FUTUR 

jou  que  debi  esta 

je  dois  être 

tu  que  deûs  esta 

tu  dois  être 

et  que  deu  esta 

il  doit  être 

nous  que  debem  esta 

nous  devons  être 

bous  que  débets  esta 

vous  devez  être 

ets  que  deben  esta 

ils  doivent  être. 

IMPÉRATIF 

sis  tu 

sois  tu 

que  si  et 

qu'il  soit 

—  sim 

nous  soyions 

—  sits 

vous  soyiez 

—  sin 

qu'ils  soyent. 

20 


GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


OPTATIF 


Diu  bouilli  que  si 
que  sis 

—  si 

—  sini 

—  sits 

—  sia 


Uieu  veuille  que  je  sois 

que  lu  sois 

qu'il  soit 

que  nous  soj'ons 

que  vous  so3'iez 

qu'ils  soyeat. 


IMPARFAIT   CONJONCTIF 

qu'estoussi  je  fusse 

—  estousses  tu  fusses 

—  estousse  il  fut 

—  estoussem  nous  fussions 

—  estoussets  vous  fussiez 

—  estoussen  ils  fussent. 


PARF-^IT   CONJONCTIF 


encouëre 
qu'aji  estât 
tu  qu'ajis  estât 
et  qu'aji  estât 
nous  qu'ajim  estât 
bous  qu'ajets  estât 
ets  qu'ajin  estât 


encore 

que  j'aye  été 

—  tu  ayes  été 

—  il  aye  été 

—  nous  ayons  été 

—  vous  ayez  été 

—  ils  ayent  été. 


PLUS-QUE-PARFAIT  CONJONCTIF 


encouere 
qu'abouissi  estât 

—  abousses  estât 

—  abousse  estât 

—  aboussen  estât 

—  aboussets  estât 

—  aboussen  estât 


encore  que 
j'eusse  été 
tu  eusses  été 
il  eut  été 
nous  eussions  été 
vous  eussiez  été 
ils  eussent  été. 


quen  serei 

—  seras 

—  sera 

—  nous  seram 


FUTUU  CONJONCTIF 

quand  je  serai 

—  tu  seras 

—  il  sera 

—  nnus  serons 


—     bous  serats 
— '■    ets  serau 


vous  serez 
ils  seront. 


GRÂMMA.1RB  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


21 


SECOND  FUTUa 

quen  aurei  estât 

quand  j'aurai  été 

—     auras  estât 

—     tu  auras  été 

—     aura  estât 

—     il  aura  été 

—    nous  auram 

estât 

—     nous  aurons  été 

—    bous  aurats  estât 

—    vous  aurez  été 

—    ets  auran  estât 

—     ils  auront  été 

esta 

être 

abé  estât 

avoir  été 

debé  estât 

devoir  être 

estan 

étant. 

CONJUGAISON    DU    VERBE    DA,    DONNER 


INDICATIF  PRESENT 


jou  que  daoû 

je  donne 

tu  que  das 

tu  donnes 

et  que  da 

il  donne 

nous  que  dam 

nous  donnons 

bouts  que  dats 

vous  donnez 

ets  que  dan 

ils  donnent. 

PASSÉ  IMPARFAIT 

que  dabi 

je  donnois 

—  dabes 

tu  donnois 

—  dabe 

il  donnoit 

—  dabem 

nous  donnions 

—  dabets 

vous  donniez 

—  daben 

ils  donnoient. 

PARFAIT  DEFFINI 

que  doni 

je  donnai 

—  dous 

tu  donnas 

—  dou 

il  donna 

—  doûni 

nous  donnâmes 

—  doûts 

vous  donnâtes 

—  doûn 

ils  donnèrent. 

PARFAIT  INDEFFINI 

qu'ei  dat 

j'ay  donné 

—  as  dat 

tu  as  donné 

22 


GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


qu'a  dat 

il  a  donné 

—  am  dat 

nous  avons  donné 

—  ats  dat 

vous  avez  donné 

—  an  dat 

ils  ont  donné. 

PARFAIT  TROISIÈME 

qiien  aboui  dat 

quand  j'eus  donné 

—     aboûs  dat 

—     tu  eus  donné 

—     et  aboû  dat 

—     il  eut  donné 

—     nous  aboûni 

dat                 —     nous  eûmes  donné 

—     bous  aboûts 

dat                 —     vous  eûtes  donné 

—    ets  aboûn  dat                    —    ils  eurent  donné. 

PLUS-QUE  PARFAIT 

qu'abi  dat 

j'avois  donné 

—  abes  dat 

tu  avois  donné 

—  abé  dat 

il  avoit  donné 

—  abem  dat 

nous  avions  donné 

—  abets  dat 

vous  aviez  donné 

—  aben  dat 

ils  avoyent  donné. 

FUTUR 

que  derei 

je  donnerai 

—  deras 

tu  donneras 

—  dera 

il  donnera 

—  deram 

nous  donnerons 

—  derats 

vous  donnerez 

—  deran 

ils  donneront. 

SECOND  FUTUR 

que  debi  da 

je  dois  donner 

—  deûs  da 

tu  dois  donner 

—  deû  dat 

il  doit  donner 

—  debem  da 

nous  devons  donner 

—  débets  da 

vous  devez  donner 

—  deben  da 

ils  doivent  donner. 

IMPÉRATIF 

da  tu 

donne  toy 

que  donquis 

tu  donnes 

—  donqui 

il  donne 

—  donquim 

nous  donnons 

—  donquits 

vous  donnez 

—  donquin 

ils  donnent 

GRAMMAIRE  GASOONNE  ET  FRANÇOISE 


23 


Dia  bouilli 
que  donqui 

—  donquis 

—  donqui 

—  donqui  m 

—  douquits 

—  donquin 


que  doussi 

—  dousses 

—  dousse 

—  doussem 

—  doussets 

—  doussen 


da 


Dieu  veuille  que 
je  donue 
tu  dounes 
il  donne 
nous  donnions 
vous  donniez 
ils  donnent. 

IMPÉRATIF  CONJONCTIF 

je  donnasse 
tu  donnasses 
il  donnât 
nous  donnassions 
vous  donnassiez 
ils  donnassent. 


INFINITIF 


donner 


CONJUGAISON  DU    VERBE    PARLA,   PARLER 
INDICATIF  PRÉSENT 


jou  que  parlé 
tu  que  parles 
et  que  parle 
vous  que  parlam 
bous  que  parlats 
ets  que  parlen 


que  parlébi 

—  parlèbes 

—  parlèbe 

—  parlébem 

—  parlébets 

—  parlében 

que  parlei 

—  parlas 

—  parla 

—  parlam 


je  parle 
tu  parles 
il  parle 
nous  parlons 
vous  parlez 
ils  parlent. 


IMPARFAIT 


je  parlois 
tu  parlois 
il  parloit 
nous  parlions 
vous  parliez 
ils  parloient. 


PARFAIT  DEFFINI 


je  parlai 

tu  parlas 

il  parla 
nous  parlâmes 


24 


GRAMMAIRK  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


que  parlats  vous  parlâtes 

—  parlai!  ils  parlèrent. 

PARFAIT  INDÉFFIM 

qu'ei  parlât  j'ay  parlé 

qu'as  parlât  tu  as  parlé 

qu'a  parlât  il  a  parlé 

qu'am  parlât  nous  avons  parlé 

qu'ats  parlât  vous  avez  parlé 

qu'an  parlât  ils  ont  parlé. 


PAUFAIT  TROISIEME 


quen  ouï  parlât 
tu  oCis  parlât 
et  où  parlât 
nous  oûm  parlât 
bous  oûts  parlât 
ets  oûn  parlât 


quand  j'eus  parlé 
tu  eus  parlé 
il  eut  parlé 
nous  eûmes  parlé 
vous  eûtes  parlé 
ils  eurent  parlé. 


PLUS-QUE-PARFAIT 


rlat 


jou  qu'abi  parl„. 
tu  qu'abés  parlât 
et  qu'abé  parlât 
nous  qu'abem  parlât 
bous  qu'abets  parlât 
ets  qu'aben  parlât 


j'avois  parlé 
tu  avois  parlé 
il  avoit  parlé 
nous  avions  parlé 
vous  aviez  parlé 
ils  avoient  parlé. 


que  parleré 

—  parleras 

—  parlera 

—  parleram 

—  parlerats 

—  parléran 


FUTUR 


je  parlerai 
tu  parleras 
il  parlera 
nous  parlerons 
vous  parlerez 
ils  parleront. 


SECOND  FUTUR 


que   debi  parla 

—  deus  parla 

—  deu  parla 

—  debera  parla 

—  débets  parla 

—  deben  parla 


je  dois  parler 
tu  dois  parler 
il  doit  parler 
nous  devons  parler 
vous  devez  parler 
ils  doivent  parler. 


GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


25 


IMPERATIF 

parlé 

parle 

que  parlis 

que  tu  parles 

—  parli 

—  il  parle 

—  parlim 

—  nous  parlions 

—  parlits 

—  vous  parliez 

—  parlin 

—  ils  parlent. 

OPTATIF 

plaçi  à  Diu 

Dieu  veuille 

que   parli 

que  je  parle 

—  parlis 

—  tu  parles 

—  parli 

—  il  parle 

—  parlim 

—  nous  parlions 

—    parlits 

—  vous  parliez 

—  parlin 

—  ils  parlent. 

IMPARFAIT  CONJOXCTIF 

que  calé 

il  falloit 

que  parlassi 

que  je  parlasse 

—  parlasses 

—  tu  parlasses 

—  parlasse 

—  il  parlât 

—  parlassem 

—  nous  parlassions 

—  parlassets 

—  vous  parlassiez 

— '  parlassen 

—  ils  parlassent. 

Encouëre 

Encore  que 

qu'aji  parlât 

j'aie  parlé 

—  ajis  parlât 

tu  aies  parlé 

—  aji  parlât 

il  ait  parlé 

—  ajim  parlât 

nous  aiions  parlé 

—  ajits  parlât 

vous  aiiez  parlé 

—  ajin  parlât 

ils  ayent  parlé. 

FUTUR    INCERTAIN 

que  parleri 

je  parlerois 

—  parleres 

tu  parlerois 

—  parléré 

il  parleroit 

—  parlerem 

nous  parlerions 

—  parlerets 

vous  parleriez 

—  parleren 

ils  parleroient. 

26 


GRAMMAIRE    GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


quen  pailerei 
tu  parleras 
et  que  parlera 
que  parleram 

—  parlerats 

—  parleran. 

qu'en  aurei  parlât 
tu  auras  parlât 
et  aura  parlât 
nous  auram  parlât 
bous  aurats  parlât 
ets  auran  parlât 

parla 
abé  parlât 
débé  parla 
parlan 


CONJONCTIF 

quand  je  })arlerai 

—  tu  parleras 

—  il  parlera 

—  nous  parlerons 

—  vous  parlerez 

—  ils  parleront 

—  j'aurai  parle 

—  tu  auras  parlé 

—  il  aura  parlé 

—  nous  aurons  parlé 

—  vous  aurez  parlé 

—  ils  auront  parlé 

parler 
avoir  parlé 
devoir  parler 
parlant. 


Liste  des  verbes  en  à  qui  se  conjuguent  comme  le  verbe 
pm'la. 


apera 

appeler 

se  hida 

se  fier 

juna 

jeûner 

paga 

payer 

crompa 

acheter 

pilla 

piller 

recompensa 

récompenser 

miaça 

menacer 

disna 

dîner 

injuria 

injurier 

sépara 

séparer 

affronta 

affronter 

acomoda 

accomoder 

bériffica 

vérifier 

cstupa 

éteindre 

abentura 

aventurer 

apaisa 

apaiser 

hazarda 

hasarder 

canta 

chanter 

tua 

tuer 

ploura 

pleurer 

pensa 

penser 

proffita 

profiter 

pensa  û  plaguc 

panser  une  plaie 

soupa 

souper 

eschenta 

épouvanter 

trouba 

trouver 

Ihcba 

lever 

gaigna 

gagner 

suda 

suer 

contesta 

contester 

rémédia 

remédier 

miassa 

menacer 

coupa 

couper 

despouïlla 

dépouiller 

liga 

lier 

traina  carrussa 

traîner 

foueita 

foueter 

presta 

prêter 

escana 

étrangler 

GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


27 


estima 

estimer 

s'apressa 

s'approcher 

effaça 

effacer 

jutja  ■ 

juger 

laba 

laver 

condamna 

condamner 

pana 

dérober 

daicha 

.  laisser 

baysa 

baiser 

demonbra 

oublier 

cruza 

creuser 

s'opignastra 

s'opiniàtrer 

cassa 

chasser 

despensa 

dépenser 

bessa 

verser 

acusa 

accuser 

mouca 

moucher 

apiria 

apprêter 

aluca 

allumer 

mespreza 

mépriser 

da 

donner 

mautrecta 

maltraiter 

estrema 

ôter 

engatja 

engager 

lauda 

louer 

acaba 

achever 

pardonna 

pardonner 

lâcha 

laisser 

miaspla 

mâcher 

espia 

regarder 

abala 

avaler 

déclara 

déclarer 

camina 

marcher 

arriba 

arriver 

recula 

reculer 

entra 

entrer 

abança 

avancer 

embia 

envoyer 

refusa 

refuser 

se  retira 

se  retirer 

manda 

mander 

abourda 

aborder 

trompa 

tromper 

arronça 

jeter 

esperreca 

déchirer 

darrigua 

déraciner 

dansa 

danser 

amilla 

apprivoiser 

mazeda 

dompter 

présenta 

présenter 

flata 

flatter 

représenta 

représenter 

mia 

mener 

se  meichida 

se  méfier 

martiriza 

martyriser 

ayda,  ajuda 

aider 

enchanta 

enchanter 

blasma 

blâmer 

repausa 

reposer 

aunoura 

honorer 

lassa 

lasser 

barra 

fermer 

jura 

jurer 

assiégea 

assiéger 

pregua 

prier 

se  fâcha 

se  fâcher 

estournuda 

éternuer 

uza 

user 

benja 

venger 

marida 

marier 

serqua 

chercher 

ayma 

aimer 

truqua 

battre,  heurter 

conforma 

conformer 

permena 

promener 

bisita 

visiter 

banta 

vanter 

ana 

aller 

s'esloigna 

s'éloigner 

pouja 

monter 

GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


CONJUGAISON  DU   VERBE  ABÉ    OU  TIENE,  AVOIR  OU  TENIR 


quey 
tu  qu'as 
et  qu'a 
nous  qu'am 
bous  qu'ats 
ets  qu'an 


qu'abi 

—  abes 

—  abe 

—  abcm 

—  abets 

—  aben 


INDICATIF   PRESENT 


tu  as 
il  a 

nous  avons 
vous  avez 
ils  ont. 


PASSE   IMPARFAIT 


j  avois 
tu  avois 
il  avoit 
nous  avions 
vous  aviez 
ils  avoient 


PARFAIT  DEFFINI 


qu'aboui 

—  abouis 

—  abou 

—  aboum 

—  abouts 

—  aboun 


j  eus 
tu  eus 
il  eut 

nous  eûmes 
vous  eûtes 
ils  eurent. 


PARFAIT    INDEFFINI 


qu'ey  abut 

—  as  abut 

—  a  abut 

—  am  abut 

—  ats  abut 

—  an  abut 


j  ai  eu 
tu  as  eu 
il  a  eu 

nous  avons  eu 
vous  avez  eu 

ils  ont  eu. 


PLDS-QUE-PARFAIT 


qu'abé  abut 

—  abes  abut 

—  abe  abut 

—  abem  abut 

—  abets  abut 

—  aben  abut 


j  avois  eu 
tu  avois  eu 
il  avoit  eu 
nous  avions  eu 
vous  aviez  eu 
ils  avoient  eu. 


GRAMMAIRE  GASCONNE    ET    FRANÇOISE 
FUTUR 


29 


qu  aureï 

j  aurai 

—  auras 

tu  auras 

—  aura 

il  aura 

—  auram 

nous  aurons 

—  aurats 

vous  aurez 

—  auran 

ils  auront 

SECOND  FUTUR 

que  debi  abé 

je  dois  avoir 

—  deus  abé 

tu  dois  avoir 

—  deu  abé 

il  doit  avoir 

—  debem  abé 

nous  devons  avoir 

—  débets  abé 

vous  devez  avoir 

—  deben  abé 

ils  doivent  avoir. 

UN 

TEMPS 

COMPOSÉ 

que  devrai  abé 

je  devrai  avoir 

—  devras  abé 

tu  devras  avoir 

—  devra  abé 

il  devra  avoir 

—  devram  abé 

nous  devrons  avoir 

—  devrats  abé 

vous  devrez  avoir 

—  devran  abé 

ils  devront  avoir. 

IMPÉRATIF 

aje  ou  tient 

aie  ou  tiens 

qu'aji 

qu'il  aie 

—  ajim 

que  nous  ayions 

—  ajits 

que  vous  ayez 

—  ajin 

qu'ils  aient. 

OPTATIF   ET 

CONJO.NCTIF 

Diu  bouilli 

Dieu  veuille 

qu'aji 

que  j'aye 

—  ajis 

—  tu  ayes 

-aji 

—  il  ait 

—  ajim 

—  nous  ayions 

—  ajits 

—  vous  aviez 

—  ajin 

—  ils  ayent. 

IMPARFAIT   CONJONCTIF 

Encouëre 

Encore  que. 

qu'aboussi 

j'eusse 

30 


GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRA^COISB 


qu'aboussis 

—  aboussi 

• —  aboussim 

—  aboussits 

—  aboussin 


Encouëre  que 
aji  abut 
ajis  abut 
aji  abut 
ajim  abut 
ajits  abut 
ajin  abut 


tu  eusses 
il  eût 

nous  eussions 
vous  eussiez 
ils  eussent. 

PARFAIT  CONJONCTIF 

Encore  que 
j'aye  eu 
tu  ayes  eu 
il  ayt  eu 
nous  ayions  eu 
vous  ayez  eu 
ils  ayent  eu. 


PLUS-QUE-PARFAIT 


s'abofissi  abut 
s'aboûsses  abut 
s'aboûsse  abut 
s'aboûssem  abut 
s'aboûssets  abut 
s'aboussen  abut 


SI  j  avois  eu 
tu  eusses  eu 
il  eut  eu 

nous  eussions  eu 
vous  eussiez  eu 
ils  eussent  eu. 


TEMPS  INCERTAIN 


qu  auri 

j  aurois 

—  aures 

tu  aurois 

—  auré 

il  auroit 

—  aurem 

nous  aurions 

—  aurets 

vous  auriez 

—  auren 

ils  auroient. 

FUTUR  CONJONCTIF 

quen  aurci 

quand  j'aurai 

—    auras 

—     tu  auras 

—     aura 

—     il  aura 

—     auram 

—     nous  aurons 

• —     aurats 

—     vous  aurez 

—     auran 

—     ils  auront. 

SECOND  FUTUR  CONJONCTIF 

quen  quand 

aurei  abut  j'aurai  eu 

auras  abut  tu  auras  eu 


GRAMMA.IRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE  31 

aura  abut  il  aura  eu 

auram  abut  nous  aurons  eu 

aurats  abut  vous  aurez  eu 

auran  abut  ils  auront  eu. 

GÉRONDIF 

aben  aiant. 


CONJUGAISON    DU   VERBE  LEGI,    LIRE 
INDICATIF  PRÉSENT 


que  léjëchi 

je  lis 

—  léjeich 

tu  lis 

—  léjëich 

il  lit 

—  léjirn 

nous  lisons 

—  légits 

vous  lisez 

—  léjin 

ils  lisent. 

PASSÉ  IMPARFAIT 

que  legibe 

je  lisois 

—  legibes 

vous  lisiez 

—  legibe 

il  lisoit 

—  legibem 

nous  lisions 

—  legibets 

vous  lisiez 

—  legiben 

ils  lisoient. 

PARFAIT  DÉFFINI 

que  legi 

je  lus 

—  legis 

tu  lus 

—  legi 

il  lut 

—  légim 

nous  lûmes 

—  legits 

vous  lûtes 

—  legin 

ils  lurent. 

PARFAIT  INDÉFFINI 

qu'ei  legit 

j'ai  lu 

—  as  legit 

tu  as  lu 

—  a  legit 

il  a  lu 

—  am  legit 

nous  avons  lu 

—  ats  legits 

vous  avez  lu 

—  an  legit 

ils  ont  lu. 

32 


GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


PARFAIT   TROISIEME 

quen  aboui  legit  j'eus  lu 

—  abous  legit  tu  eus  lu 

—  abou  legit  il  eut  lu 

—  aboum  legit  nous  eûmes  lu 

—  abouts  legit  vous  eûtes  lu 

—  aboun  legit  ils  eurent  lu. 


qu'abi  legit 

—  abes  legit 

—  abe  legit 

—  abem  legit 

—  abets  legit 

—  aben  legit 

que  legirai 

—  légiras 

—  legira 

—  légiram 

—  legirats 

—  legiran 

que  debi legi 

—  deus  legi 

—  deu  legi 

—  debem  legi 

—  débets  legi 

—  deben  legi 

lejeich 

que  lejechis 

—  lejechi 

—  lejechini 

—  lejechits 

—  lejechin 


PLCSS-QUE-PARFAIT 

j'avois  lu 
tu  avois  lu 
il  avoit  lu 
nous  avions  lu 
vous  aviez  lu 
ils  avoient  lu. 


FUTDR 

je  lirai 
tu  liras 
il  lira 

nous  lirons 
vous  lirez 
ils  liront. 

SECOND  FUTUR 

je  dois  lire 
tu  dois  lire 
il  doit  lire 
nous  devons  lire 
vous  devez  lire 
ils  doivent  lire. 

IMPERATIF 

lis 

que  tu  lises 

—  il  lise 

—  nous  lisions 

—  vous  lisiez 

—  ils  lisent. 


OPTATIF    ET   CONJONCTIF 


Enooucre  que  Ifjechi 
que  lejechis 


Encore  que  je  lise 
que  tu  lises 


GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


33 


que  lejechi 

—  lejechim 

—  lejechits 

—  lejechin 


qu'il  lise 

—  nous  lisions 
— ■  vous  lisiez 

—  ils  lisent. 


IMPARFAIT  CONJûNCTIF 


Encouëre  que  lejoussi 
que  lejousses 

—  lejousse 

—  lejoussem 

—  lejoussets 

—  lejousseu 


Encore  que  je  lusse 
que  tu  lusses 

—  il  lût 

—  nous  lussions 

—  vous  lussiez 

—  ils  lussent. 


PARFAIT    CONJONCTIF 


Encouëre  qu'aji  legit 
qu'ajis  legit 

—  aji  legit 

—  ajim  legit 

—  aiits  legit 

—  ajin  legit 


Encore  que  j'aie  lu 
tu  aies  lu 
il  ait  lu 
nous  ayons  lu 
vous  ayez  lu 
ils  aient  lu. 


PLDS-QUE-PABFAIT 


Encouëre  qu'aboussi  legit 
qu'abousses  legit 

—  abousse  legit 

—  aboussem  legit 

—  aboussets  legit 

—  aboussen  legit 


Encore  que  j'eusse  lu 

tu  eusses  lu 

il  eût  lu 

nous  eussions  lu 

vous^eussiez  lu 

ils  eussent  lu. 


que  légiri 

—  légires 

—  légiré 

—  légirem 

—  légirets 

—  légiren 


TEMPS    INCERTAIN 

je  lirois 
tu  lirois 
il  liroit 
nous  lirions 
vous  liriez 
ils  liroient. 


FUTUR   CONJONCTIF 

quen  aurei  legit  quand  j'aurai  lu 

—  auras  legit  —    tu  auras  lu 

—  aura  legit  —     il  aura  lu 

—  auram  legit  •  —    nous  aurons 


34 


GRAMMAIRE   GASCONNE   ET  FRANÇOISE 


quen 

aurats  legit 

(juand  vous  aurez  lu 

auran  legit 

—     ils  amont  lu. 

GÉRONTIF 

lejen 

lisant. 

CONJUGAISON  DU  VKRBE    RESPOUNE,   REPONDRE 


INDICATIF  PRESENT 


que  respouui 

—  respons 

—  respoun 

—  respounem 

—  repounets 

—  respounen 


je  répons 
tu  répons 
il  répond 
nous  répondons 
vous  répondez 
ils  répondent. 


PASSE  IMPARFAIT 


que  respounebi 

—  respounebes 

—  respounebe 

■ —  respounebem 

—  respounebets 

—  respouneben 


je  répondois 
tu  répondois 
il  répondoit 
nous  répondions 
vous  répomliez 
ils  répoudoient. 


PARFAIT  DEFFINl 


que  respounoui 

—  respounoûs 

—  respounou 

—  respounoum 

—  respounouts 

—  respounoun 


je  répondis 
tu  répondis 
il  répondit 
nous  répondîmes 
vous  répondîtes 
ils  répondirent, 


qu'ei  respoun  ut 

—  as  respounut 

—  a  respounut 

—  am  respounut 

—  ats  respounut 

—  an  respounut 


PARFAIT   INDEFFINI 

j'ai  répondu 

tu  as  répondu 

il  a  répondu 

nous  avons  répondu 

vous  avez  répondu 

ils  ont  répondu.  ' 


FUTUR 


que  respounerai 
—  respouneras 


je  répondrai 
tu  répondras 


GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


35 


que  respounera 

—  respouneram 

—  respounerats 

—  respouneran 


respoun 
que  responni 

—  respounim 

—  respounits 

—  respounin 


il  répondra 
nous  répondrons 
vous  répondrez 
ils  répondront. 


IMPERATIF 


réponds 

qu'il  réponde 

que  nous  répondions 

que  vous  répondiez 

qu'ils  répondent. 


OPTATIF 


Encouëre  que  respouui 
que  respounis 

—  respouni 

—  respounim 

—  respounits 

—  respounin 


Encore  que  je  réponde 
tu  répondes 
il  réponde 
nous  répondions 
vous  répondiez 
ils  répondent. 


IMPARFAIT  CONJONCTIF 


que  respounoussi 

—  respounousses 

—  respounousse 

—  respounoussem 

—  respounoussets 

—  respounoussen 


je  répondisse 
tu  répondisses 
il  répondît 
nous  répondissions 
vous  répondissiez 
ils  répondissent. 


PARFAIT    CONJONCTIF 

Encouëre  que  Encore  que 

aji  respounut  j'àïe  répondu 

ajis  respounut  tu  aies  répondu 

aji  respounut  il  ait  répondu 

ajim  respounut  nous  ayions  répondu 

ajits  respounut  vous  ayiez  répondu 

ajin  respounut  ils  aient  répondu. 

PLUS-QUE  PARFAIT   CONJONCTIF 


Encouëre 
qu'aboussi  respounut 

—  abousses  respounut 

—  abousse  respounut 

—  aboussem  respounut 


Encore  que 
j'eusse  répondu 
tu  eusses  répondu 
il  eût  répondu 
nous  eussions  répondu 


3G 


GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


qu'aboussets  rcspounut 
—  aboussen  respoimut 


vous  eussiez  répondu 
ils  eussent  répondu. 


SECOND  FUTUR  CONJO.NCTIF 


quen  aurai  respounut 

—  auras  respounut 

—  aura  respounut 


quand  j'aurai  répondu 
tu  auras  répondu 
il  aura  répondu. 


Respoûnen 


GERONDIF 

répondant. 


LISTE  DES  VERBES    COMME  RESPOUNE 

escoune  cacher  bene 

prene  prendre 


vendre 
enterprene  entreprendre . 


CONJUGAISON    DU    VERBE    BOULE,  VOULOIR 


que  bouil 

—  bos 

—  boû 

—  boûlem 

—  boulets 

—  boulen 


que  boulebi 

—  boulebes 

—  boulebe 

—  boulebem 

—  boulebets 

—  boulebcn 


que  boului 

—  boulous 

—  bouloû 

—  bouloum 

—  boulouts 

—  bouloun 


I^D^CATIF  PRESENT 

je  veux 
tu  veux 
il  veut 

nous  voulons 
vous  voulez 
ils  veulent. 

IMPAHFAIT 

je  voulois 
tu  voulois 
il  vouloit 
nous  voulions 
vous  vouliez 
ils  vouloient. 

PARFAIT    DKFFIM 

je  voulus 
tu  voulus 
il  voulut 
nous  voulûmes 
vous  voulûtes 
ils  voulurent. 


PLUS-QUE-PARFAIT 

qu'abi  boulut  j'avois  voulu. 


GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


37 


que  bourrai 

—  bourras 

—  bourra 

—  bourram 

—  bourrats 

—  bourran 


bouilis 
q'-ie  bouilis 

—  bouilli 

—  bouillim 

—  bouillits 

—  bouillin 


Eûcouëre  que  bouilli 
que  bouillis 

—  bouilli 

—  bouillim 

—  bouillils 

—  bouillin 


je  voudrai 
tu  voudras 
il  voudra 
nous  voudrons 
vous  voudrez 
ils  voudront 


IMPARFAIT 


veux 

que  tu  veuilles 

—  il  veuille 

—  nous  veuillions 

—  vous  veuilliez 

—  ils  veuillent. 


OPTATIF 


Encore  que  je  veuille 
tu  veuilles 
il  veuille 
nous  voulions 
vous  voulliez 
ils  veuillent. 


IMPARFAIT   CONJONCTIF 

se  boulebi  si  je  voulois 

se  boulebes  si  tu  voulois 

se  boulebe  s'il  vouloit 

se  boulebem  si  nous  voulions 

se  boulebets  si  vous  vouliez 

se  bouleben  s'ils  vouloient. 


Encouëre  que  bouloussi 
que  boulousses 

—  boulousse 

—  bouloussem 

—  bouloussets 

—  bouloussen 


LE  MEME 

Encore  que  je  voulusse 

tu  voulusses 

il  voulût 

nous  voulussions 

vous  voulussiez 

ils  voulussent. 


PARFAIT  CONJONCTIF 


Encouëre 
qu'aji  boulut 


Encore  que 
j'aie  voulu. 


38 


GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


PLUS-QUE-PARFAIT   CONJONCTIF 

s'abi  boulut  si  j'eusse  voulu 


s'abebes  boulut 


que  bourri 

—  bourres 

—  bourré 

—  bourrem 

—  bourrets 

—  bourren 


si  tu  eusses  voulu 

TEMPS  INCERTAIN 

je  voudrois 
tu  voudrois 
il  voudroit 
nous  voudrions 
vous  voudriez 
ils  voudroient. 


CONJUGAISON   DU  VERBE  CADE,    TOMBER 


que  cadi 

—  caits 

—  cait 

—  cadem 

—  cadets 

—  caden 


que  cadibé 
—  cadèbes 


que  cadoui 

—  cadous 

—  cadou 

—  cadoum 

—  cadouts 

—  cadoun 


je  tombe 
tu  tombes 
il  tombe 
nous  tombons 
vous  tombez 
ils  tombent. 


PASSE  IMPARFAIT 


je  tombois 
tu  tombois. 


PARFAIT  DEFFLM 


je  tombai 
tu  tombas 
il  tomba 
nous  tombâmes 
vous  tombâtes 
ils  tombèrent. 


PARFAIT  INDEFFINI 

que  soui  cadut  je  suis  tombé 

PLUS-QUE-PARFAIT 

qu'eri  cadut  j'ctois  tombe 

FUTUR 


que  cairei 
—  cairas 


je  tomberai 
tu  tomberas 


GRAMMAIRE  GASCONNE    ET    FRANÇOISE 


39 


que  caira 

il  tombera 

—  cairam 

nous  tomberons 

—  cairats 

vous  tomberez 

—  cairaa 

ils  tomberont. 

SECOND  FUTUR 

que  debi  cadé 

je  dois  tomber 

—  deus  cadé 

tu  dois  tomber 

—  deu  cadé 

il  doit  tomber 

—  debem  cadé 

nous  devons  tomber 

—  débets  cadé 

vous  devez  tomber 

—  deben  cadé 

ils  doivent  tomber. 

IMPÉRATIF 

caï    • 

tombe 

que  cadi 

qu'il  tombe 

—  cadim 

que  nous  tombions 

—  cadits 

que  vous  tombiez 

—  cadin 

qu'ils  tombent. 

OPTATIF 

Diu  bouilli 

Dieu  veuille 

que  cadi 

que  je  tombe 

—  cadis 

—  tu  tombes 

—  cadi 

—  il  tombe 

—  cadim 

nous  tombions 

—  cadits 

vous  tombiez 

—  cadin 

ils  tombent. 

IMPARFAIT  CONJONCTIF 

Se  cadebi 

si  je  tombois 

—  cadebes 

si  tu  tombois 

—  cadebe 

s'il  tomboit 

—  cadebem 

nous  tombions 

—  cadebets 

vous  tombiez 

—  cadeben 

ils  tomboient. 

LE  MÊME 

que  cairi 

je  tomberois 

—  caires 

tu  tomberois 

—  Caire 

il  tomberoit 

—  cairem 

nous  tomberions 

—  cairets 

vous  tomberiez 

—  cairen. 

ils  tomberoient. 

40 


GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


Encouëre 
(jue  si  cadut 
—  sis  cadut 


s'eri  cadut 


PARFAIT  CONJONCTIF 

Encore  que 
je  sois  tombé 
tu  sois  tombé. 

PLUS-QUE-PARFAIT 

si  j'eusse  tombi 


Encouëre 
(ju'estouisse  cadut 

—  estousses  cadut 

—  estousse  cadut 


LE  MEME 

Encore  que 
je  fusse  tombé 
tu  fusses  tombé 
il  fût  tombé 


FUTUR   CONJONCTIF 

que  cairei  je  tomberai 

—  cairas  tu  tomberas 

—  caira  il  tombera 

—  cairam  nous  tomberons 

—  cairats  vous  tomberez 

—  cairan  ils  tomberont. 

SECOND  FUTUR  CONJONCTIF 


quen  serey  cadut 
—     seras  cadut 


caden 


quand  je  serai  tombé 
tu  seras  tombé. 


GERONDIF 


tombant 


CONJUGAISON  DU  VKRBE    SABE,  SÇAVOIR 


que 

sei 

— 

saps 

— 

sap 

— 

sabem 

— 

sabets 

— 

saben 

que 

sabi 

— 

sabes 

INDICATIF  PRESENT 

je  sai 
tu  sais 
il  sait 

nous  savons 
vous  savez 
ils  savent. 

PASSÉ  IMPARFAIT 

je  savois 
tu  savois 


GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


41 


que  sabé 

—  sabem 

—  sabets 

—  saben 


que  saboûi 

—  saboûs 

—  saboû 

—  saboûm 

—  saboûts 

—  saboûn 


quen 

aboui  sabut 
abous  sabut 
aboû  sabut 
aboûra  sabut 
aboûts  sabut 
aboun  sabut 


qu'abi  sabut 


quen  saurai 

—  sauras 

—  saura 

—  sauram 

—  saurats 

—  sauran 


que  debi  sabé 

—  deûs  sabé 

—  deu  sabé 

—  debem  sabé 

—  débets  sabé 

—  deben  sabé 


il  savoit 
nous  savions 
vous  saviez 
ils  savoient. 

PARFAIT  DÉFFINl 

je  savois  (sic) 
tu  savois 
il  savoit 
nous  savions 
vous  saviez 
ils  savoient. 

PARFAIT  IIN'DÉFFINI 


quand 
j'eus'su 
tu  eus  su 
il  eut  su 
nous  eûmes  su 
vous  eûtes  su 
ils  eurent  su. 

PLUS-QUE-PARFAIT 

j'avois  su. 


FUTUR 

je  saurai 
tu'sauras 
il  saura 
nous  saurons 
vous  saurez 
ils  sauront. 

SECOND  FUTUR 

je  dois  savoir 
tu  dois  savoir 
il  doit  savoir 
nous  devons  savoir 
vous  devez  savoir 
ils  doivent  savoir. 


DEUX  TEMPS   COMPOSEZ 

que  debebi  sabé  je  d[ev]ois  savoir 

—  deuri  sabé  tu  (sic;  lis.  Je)  d[evr]ois  savoir 


42 


GRAMMAIRE  GASCOISNE  KT  FRANÇOISE 


IMPERATIF 

sap  ou  sapis 

sache 

que  sapi 

qu'i[l]  sache 

—  sapim 

que  nous  sachions 

—  sapits 

que  vous  sachiez 

—  sapin 

qu'ils  sachent. 

OPTATIF    ET    CONJONCTIF 

que  sapi 

que  je  sache 

—  sapis 

—  tu  saches 

—  sapi 

—  il  sache 

—  sapim 

—   nous  sachions 

—  sapits 

—  vous  sachiez 

—  sapin 

—  ils  sachent. 

PARFAIT 

CONJONCTIF 

Encouëre  que  s 

aboussi 

Encore  que  je  susse 

que  sabousses 

que  tu  susses 

—  sabousse 

—  il  sût 

—  saboussem 

—  nous  sussions 

—  saboussets 

—  vous  sussiez 

—  saboussen 

—  ils  sussent. 

LE  MÊME 

que  sabi 

si  je  savois 

—  sabes 

si  tu  savois 

—  sabé 

s'il  savoit 

—  sabem 

si  nous  savions 

—  sabets 

si  vous  saviez 

—  saben 

s'ils  savoient. 

LE    MEME 

Encouëre  que  saboussi  Encore  que  je  susse. 


que  sauri 

—  saures 

—  saurc 

—  saurem 

—  saurcts 

—  sauren 


TEMPS    INCERTAIN 


je  saurois 
tu  saurois 
il  sauroit 
nous  saurions 
vous  sauriez 
ils  sauroient. 


GRAMMA-IRB  GASCONNE  ET  FRANÇOISE  43 

PARFAIT    CONJONCTIF 

Eiicouëre  qu'aji  sabut  Eacore  que  j'aie  su 

qu'ajis  sabut  que  tu  aies  su 

—  aji  sabut  —  il  ait  su. 

PLUS-QUE -PARFAIT  CONJONCTIF 

s'abebi  sabut  si  j'avois  su. 

LE  MÊME 

Encouëre  qu'aboussi  sabut     Encore  que  j'eusse  su. 

LE   MÊME 

s'aboussi  sabut  si  j'eusse  su. 

FUTUR  CONJONCTIF 

quen  saurei  quand  je  saurai 

—  sauras  tu  sauras 

—  saura  il  saura 

—  saurara  nous  saurons 

—  saurats  vous  saurez 

—  sauran  ils  sauront. 

SECOND  FUTUR  CONJONCTIF 

quen  aurei  sabut  quand  j'aurai  su 

—  auras  sabut  —     tu  auras  su 

—  aura  sabut  —     il  aura  su 

—  auram  sabut  —     nous  aurons  su 

—  aurats  sabut  —     vous  aurez  su 

—  auran  sabut  —     ils  auront  su. 

GÉRONDIF 

saben  sachant. 


VERBES  QUI  SE  CONJUGUENT  COMME    SABE 

bède     voir  poudé     pouvoir 

cabé     être  contenu  debc     devoir 

recebé     recevoir  bebe     boire 

arride     rire  crède     croire 

plabe    pleuvoir  abé     avoir. 


44 


GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


CONJUGAISON  DU    VERBE    ENTENE,    ENTENDRE 
INDICATIF  PRÉSENT 

qu'enteni  j'entends 

—  entcns  tu  entends 

—  enten  il  entend 

—  etenem  nous  entendons 

—  entenets  vous  entendez 

—  entenen  ils  entendent. 


qu'entenebi 
—  entenebes 


PASSE  IMPARFAIT 


j'entendois 
tu  entendois. 


PARFAIT  DEFFINI 

qu'entenoui  j'entendis 

—  entenous  tu  entendis 

—  entenou  il  entendit 

—  entenoum  nous  entendîmes 

—  entenouts  vous  entendîtes 

—  entenoun  ils  entendirent. 


qu'ei  entenut 

—  as  entenut 

—  a  entenut 


PARFAIT  INDEFFINI 


j'ai  entendu 
tu  as  entendu 
il  a  entendu. 


PLUS-QUE-PARFAIT 


qu'abi  entenut 
—  abes  entenut 


j'avois  entendu 
tu  avois  entendu. 


qu'entenerei 
—  enteneras 


FUTUR 


j'entendrai 
tu  entendras. 


que  debe  entene 
—  deus  entene 


SECOND  FUTUR 


je  dois  entendre 
tu  dois  entendre. 


DEUX  TEMPS   COMPOSEZ 


que  debebi  entene 
—  dcbcbes  entene 


je  devois  entendre 
tu  devois  entendre 


GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


45 


que  deurai  entene 
—  deuras  eutene 


je  devrai  entendre 
tu  devras  entendre. 


IMPERATIF 

Enten  entends 

qu'enteni  qu'il  entende 

entenem  entendons 

entenets  entendez 

qu'entenin  qu'ils  entendent. 

OPTATIF  ET   CONJONCTIF 


Encouëre  qu'enteni 
qu'entendis  (sic) 

—  entendi 

—  entendim 

—  entendits 

—  entenden 


Encore  que  j'entende 
que  tu  entendes 

—  il  entende 

—  nous  entendions 

—  vous  entendiez 

—  ils  entendent. 


Encouëre  qu'entenoussi 
qu'entenoûsses 

—  entenoûsse 

—  entenoûssem 

—  entenoûssets 

—  entenoûssen 


IMPARFAIT   COWJONCTIF 

Encore  que  j'entendisse 
que  tu  entendisses 

—  il  entendît 

—  nous  entendissions 

—  vous  entendissiez 

—  ils  entendissent. 


s'entenebi 

s'entenebes 

s'entenebe 

s'enteuebem 

s'entenebets 

s'enteneben 


qu"enteneri 
—  enteueres 


si  j"entendois 
si  tu  entendois 
s'il  entendoit 
si  nous  entendions 
si  vous  entendiez 
s'ils  eatendoient. 


TEMPS  INCERTAIN 


j'entendrois 
tu  entendrois 


PARFAIT   COiNJONCTIF 


Encouëre 
(ju'aji  entenut 

—  ajis  entenut 

—  aji  entenut 


Encore  que 
j'aie  entendu 
tu  aies  entendu 
il  ait  entendu. 


46 


GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


PLUS-QUE  PARFAIT  CONJONCTIF 

s'abebi  eiitonut  si  j'avois  entendu 


s'abebes  entenut 
s'abebe  entenut 


quen  entenerei 
tu  enteneras 
et  entenera 
noue  entenorem 
bous  entenerats 
ets  enteneran 


si  tu  avois  entendu 
s'il  avoit  entendu 

FUTUR  CONJONCTIF 

quand  j'entendrai 
tu  entendras 
il  entendra 
nous  entendrons 
vous  entendrez 
ils  entendront. 


SECOND   FUTUR  CONJONCTIF 

(]u'aurei  entenut  j'aurai  entendu. 

GÉRONDIF 

[entenen  entendant] 

CONJUGAISON    DU    VERBE    DISE,    DIRE 


INDICATIF 

PRESENT 

que  die 

je  dis 

—  dits 

tu  dis 

et  dits 

il  dit 

que  diseui 

nous  disons 

—  disets 

vous  dites 

—  disen 

ils  disent. 

PASSÉ 

IMPARFAIT 

que  de  si 

je  disois 

—  dises 

tu  disois 

—  dise 

il  disoit 

—  disem 

nous  disions 

—  disets 

vous  disiez 

—  disen 

ils  disoient. 

PARFAIT 

DÉFFIM 

que  digoCiy 

je  dis 

—  digoûs 

tu  dis 

—  digoû 

il  dit 

—   digoûm 

nous  dimcs 

GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


47 


que  digoûts 

vous  dîtes 

—  digouQ 

ils  dirent. 

PARFAIT  INDÉFFLM 

qu'ei  dit 

j'ai  dit 

—  as  dit 

tu  as  dit 

—  a  dit 

il  a  dit 

—  abem^dit 

nous  avons  dit 

—  abets  dit 

vous  avez  dit 

—  aben  dit 

ils  ont  dit. 

PARFAIT  TROISIÈME 

quen  aboui  dit 

quand  j'eus  dit 

bous  aboûs  dit 

tu  eus  dit 

et  abou  dit 

il  eut  dit 

nous  aboum  dit 

nous  eûmes  dit 

qu'abouts  dit 

vous  eûtes  dit 

—  aboun  dit 

ils  eurent  dit. 

PLUS-QUE-PARFAIT 

qu'abé  dit 

j'avois  dit 

—  abes  dit 

tu  avois  dit 

—  abé  dit 

il  avoit  dit 

—  abem  dit 

nous  avions  dit 

—  abets  dit 

vous  aviez  dit 

aben  dit 

ils  avoient  diL 

FUTUR 

que  dirie 

je  dirai 

—  diras 

tu  diras 

—  dira 

il  dira 

—  diram 

nous  dirons 

—   dirats 

vous  direz 

—  diran 

ils  diront. 

SECOND  FUTUR 

que  debi  dise 

je  dois  dire 

—  deûs  dise 

tu  dois  dire 

—  deû  dise 

il  doit  dire 

—  dobem  dise 

nous  devons  dire 

—  débets  dise 

vous  devez  dire 

—  deben  dise 

ils  doivent  dire. 

48 


GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


DEUX  TEMPS  COMPOSEZ 

que  debebi  dise  je  devois  dire 

—  debebes  dise  tu  devois  dire 

—  debebe  dise  il  devoit  dire 

—  debebem  dise  nous  devions  dire 

—  debebets  dise  vous  deviez  dire 

—  debeben  dise  ils  dévoient  dire. 


quen  deuroi  dise 

—  deûras  dise 

—  deûra  dise 

—  deûram  dise 

—  deûrats  dise 

—  deûran  dise 


dits 

que  disis 

—  disi 

—  deguim 

—  deguits 

—  deti"uia 


LE  MÊME 

quand  je  devrai  dire 

—  tu  devras  dire 

—  il  devra  dire 

—  nous  devrons  dire 

—  vous  devrez  dire 

—  ils  devront  dire. 

IMPÉRATIF 

dis 

que  tu  dises 
qu'il  dise 
nous  disions 
vous  disiez 
qu'ils  disent. 


Diu  bouilli  que  digue 
que  diguis 

—  digui 

—  diguim 

—  diguits 

—  diofuin 


OPTATIF  ET   CONJONCTIF 

que  je  dise 
tu  dises 
qu'il  dise 
nous  disions 


vous  disiez 
qu'ils  disent. 


IMPARFAIT   CONJONCTIF 

se  disi  ou  disébe  si  je  disois 

se  dises  ou  disebes  si  tu  disois 

se  dise  ou  disebe  s'il  disoit 

se  disem  ou  disebem  si  nous  disions 

se  disets  ou  disebets  si  vous  disiez 

se  disen  ou  disébeu  s'ils  disoient. 


PARFAIT   CONJONCTIF 


Eucouëre  qu'aji  dit 
qu'ajis  dit 


Hiicore  que  j'aie  <Iit 
tu  aies  dit 


GRAMMAIRE   GASCONNE  ET   FRAMGOISB 


49 


qu'  aji  dit 

—  ajim  dit 

—  ajits  dit 

—  ajin  dit 


il  ait  dit 
nous  ayons  dit 
vous  ayez  dit 
ils  aient  dit 


PLUS-QUE-PARFAIT  CONJONCTIF 

s'abouissi  dit  si  j'eusse  dit 

s'abouisses  dit  si  tu  eusses  dit 

s'abouisse  dit  s'il  eût  dit 

s'aboussem  dit  si  nous  eussions   dit 

s'aboussets  dit  si  vous  eussiez  dit 

s'aboussen  dit  s'ils  eussent  dit 

LE  MÊME 

s'abebi  dit  si  j'avois  dit 

s'abebes  dit  si  tu  avois  dit 

s'abebe  dit  s'il  avoit  dit 

s'abebem  dit  si  nous  avions  dit 

s'abebets  dit  si  vous  aviez  dit 

s'abeben  dit  s'ils  avoient  dit. 

TEMPS  INCERTAIN 

que  diseri  je  dirois 

—  diseres  tu  dirois 

—  diseré  il  diroit 

—  diserem  nous  dirions 

—  diserats  vous  diriez 

—  diseren  ils  diroient. 

FUTUR   CONJONCTIF 

quen  direi  quand  je  dirai 

—  diseras  —     tu  diras 

—  disera  —     il  dira 

—  diseram  —     nous  dirons 

—  diserats  —     vous  direz 

—  diseran  —     ils  diront. 


SECOND  FUTUR    CONJONCTIF 


quen  aurei  dit 
qu'auras  dit 

—  aura  dit 

—  aurara  dit 

—  aurats  dit 

—  auran  dit 


quand  j'aurai  dit 

—  tu  auras  dit 

—  il  aura  dit 

—  nous  aurons  dit 

—  vous  aurez  dit 

—  ils  auront  dit. 


GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


disen 


GERONDIF 

disant. 


sus     sur 
dessus     dessus 
aban     avant 
dabun     devant 
contre     contre 
darré     derrière 


PREPOSITIONS 

per     pour,  par 
sonque     excepté 
segoun     suivant 
prés     auprès 
entia    jusques 
chen     sans 


dap     avec 
en     en 
entre     entre 
enterdemiei     parmi 
doû  constat     vers 
près     près . 


EXEMPLES 


Repausas  bous  susjou 
dessus  loû  cap 
aban  loù  jour 
per  teri'e 
sonques  ung  cop 
prés  doû  bocsq 
entia  la  mourt 
chens  raison 
dap  prudence 
en  poujan 
entre  loûs  bras 
enterdemiei  lou  blat 
doû  coûstat  doû  nord 
prez  doù  cazau 
dabau  la  porte 
darré  la  maison 


reposez-vous  sur  moi 
sur  la  tète 
avant  le  jour 
par  terre 

si  ce  n'est  une  fois 
près  du  bois 
jusqu'à  la  mort 
sans  raison 
avec  prudence 
en  montant 
entre  les  bras 
parmi  le  bled 
du  côté  du  nord 
près  du  jardin 
devant  la  porte 
derrière  la  maison. 


DES  CONJONCTIONS 

Parmi  les  conjonctions,  les  unes  s'appellent  copulatives, 
liant  les  paroles  et  leur  signification,  les  autres  dijonctives, 
séparant  le  sens  et  joignant  seulement  les  dictions. 


et    et 

encouëre     encore 


LES     COPULATIVES 

tabé     aussi 
ataû     ainsi 


corn     connue 
se     si 


GRAMMAIRE   GASCONISE  ET  FRANÇOISE 


51 


dap     avec 
donc     hé  bien 


pieich  que     puisque 
leù     bientôt 


parceque     parce  que 
per  aco     pour  cela. 


EXEMPLES 


l'homi  et  le  hemne 

Pierre  et  jou  tabé 

encouëre  que  sim  sous 

que  hem  atau 

com  lous  auts 

se  ti  bau 

que  disni  dap  tu 

puich  que  n'es  pas  sage 

é  donc  que  hets  ? 

bienets  leû 

qués  aco? 


l'homme  et  la  femme, 
Pierre  et  moi  aussi 
quoi  que  seuls 
nous  faisons  ainsi 
comme  les  autres 
si  je  vais  à  toi 
je  dîne  avec  toi 
puisque  tu  n'es  pas  sage 
hé  bien,  que  faites-vous  ? 
venez  tôt 
qu'est-ce  que  c'est  ? 


DU  NOM  DES  JOURS  DE  LA  SEiMAINE 


dimenche     dimanche 
dilungs     lundi 
dimarcs     mardi 
dimercres     mercredi 


dejaun    jeudi 
dibeis     vendredi 
dissapte     samedi. 


ADVERBES 


aujourd'hui     gouëy 

alors     labets 

à  savoir     à  sabé 

à  peine     détemen  [sic) 

à  tort     à  tort 

à  toute  heure     à  touthore 

à  tout  moment     cadé  moumen 

à  dessein     à  dessien  [nade 

à  colin-maillard     à  la  barre  pa- 

aveuglemeut     abuglemen 

à  mon  côté     au  mei  coustat 

à  ce  moment     tout  are 

à  moins  que     a  miens  que 

avec  moi     dap  joû 

■Bvec  vous     dap  bous 

avec  toi     dap  tu 


avec  lui     dap  et 

ailleurs     aillons 

au  moins     au  miens 

à  peu  près     a  plus  près 

assez     proû 

assez  de  pain     proû  de  pan 

autrement     autemen 

au  commencement     au  cap 

à  mon  gré     au  mei  grat 

au  pis  aller     au  pis  ana 

à  cette  heure     adare,  aquesthore 

à  propos     à  perpaus 

à  quel  propos     à  quein  perpaus 

auprès  de  moi     au  mei  près 

auprès  de  vous     au  bos  près 

après     despuits 


52 


GRAMMAIRE  GASCONNE  ET  FRANÇOISE 


à  quoi  peasez-vous     à  que  pen- 

ainsi     ataû  [sats 

à  condition  que     à  condition 

après-midi     après  mijouru 

après-demain     aprez  douman 

après  tout     aprez  tout 

à  la  fin     à  le  fin 

à  mon  insu     apanas 

à  présent    adare 

au  contraire     au  contrari 

assez  bien     proû  plan 

au  rebours     a  larrambouhiii 

à  souhait     à  grat 

aussitôt  que     taleu  que        [^rons 

aussitôt  qu'il  viendra  nous  sorti- 

taleu  que  bira  que  sourtiram 
aussitôt  que  nous     taleu  que  nous 
aussi  bien  que  moi     ta  plan  que 
afin  de     enta  [joû 

afin  que     atin  que 
à  l'eutour     à  lenteur  [table 

au  tour  de  la  table     autour  de   la 
à  force  de  lire     à  force  de  leji 
avant  hier    abanjé 
auparavant    depermé 
à  l'ombre     à  l'ompre 
au  soleil    au  soû 
autrefois     auts  cops 
au  soir     au  se 
au  plus  tôt    au  meleû 
à  la  mode     à  le  mode 
assez  tôt    proû  leù 
assez  souvent    proû  souben  [bez 
à  tort  et  à  travers     à  tort  et  à  tra- 
à  coincouche  (=  en  quinconce?) 

de  corn  à  clin 
à  rebours     a  l'arraboubiu 


aussitôt  que  nous     taleû  que  nous 
aussi  bien  que  moi     ta  plan  com 

aussi  bien  que  vous     ta  plan  com 
afin  que     enta  ou  per  ("vous 

afin  de     per 
arrière     darré 
à  mon  tour    au  mei  tour 
à  la  hâte    dehit  biste 
au  lieu  de     au  loc  de 
autant  que  moi    autant  que  joû 
assurément     asséguraderaen 
au  dépens  d'autrui      au  despens 
[des  auts 
à  mes  dépens     au  mei  despens 
à  vos  dépens     ans  bos  despens 
à  tâtons     à  tastes 
à  bon  marché     à  bon  marcat 
à  meilleur  marché     à  meille  mar- 
à  la  fois     tout  à  cop  [cat 

à  jamais     à  jamés 
au  reste     à  la  fin 
à  la  dérobée    à  panât 
à  la  sourdine     tout  chouaû 
en  cachette     à  Tescounut 
à  quatre  pattes     à  boucs   [pipos 
à  pet    en  gueule     aux  couates 
à  l'envi     a  me  ha 
à  mon  avis     a  mon  abis 
à  loisir    à  louersir 
avec  qui?     dapqui?  [parlât 

à  qui  avez-vous  parlé?     a  qui  ats 
à  perte  de^vue     a  perte  de  biste 
à  ce  que  je  vois     a  so  que  bei 
actuellement     are  medich 
après  quoi     après  que 
alternativement     l'un  arron  l'aut. 


bien     bien  ou  plan 
bientôt    l)elleû 
beaucoup     fort 


bonnement     bonnement 
beaucoup  meilleur     fort  meille 
(A  suivre.) 


DOULOU 

A  moun  amie  Louvis  de  Roumiéux 

Rouge  coumo  1'  coustat  de  Jésus  à  la  Croux, 
Le  soulelhas  s'acato,  —  e,  demest  las  espigos, 
Le  cor  de  grilhs  s'ausis,tal  qu'unotristo  voux. 
Doulou,  maissanto  serp,  dins  moun  amo  te  ligos  ! 

Uno  sourgo  de  plous  de  mas  perpelhos  douts  ; 
Bràmi  mai  que  le  taure  al  mour  frétât  d'ourtigos. 
Pacans,  fasets-m'un  trauc  qu'aje  linsou  de  pouts, 
E  vous  pouirè  fugi,  tahinos  enemigos! 

Pauriero  de  moun  èstre!  iéu  m'envau  fat  e  folh  ; 
Soun  aro  pla  soulet,  alagat  per  le  dolh; 
Trepeji  sens  relais,  coumo  un  maudit,  per  orto. 

Toumbel,  durbis-te  dounc  ;  es,  tu,  le  milhou  leit!. 
—  Esclairats-me  de  gràcio,  al  miei  d'aicesto  neit, 
0  maire,  flou  de  lux  !  vôli  pas  que  siots  morto  ! . . . 

A.    FOURÈS. 

LouDgonauso  (per  Vilomur),  10  de  julhet  de  1886. 
DOULEUR 


A  mon  ami  Louis  Roumieuz 

Rouge  comme  le  côté  de  Jésus  sur  la  Croix,  —  le  grand  soleil 
descend,  et,  au  milieu  des  épis,  —  le  choeur  des  grillons  s'ouït,  tel 
qu'une  voix  triste.  — Douleur,  mauvaise  couleuvre,  dans  mon  âme  tu 
te  noues  ! 

Une  source  de  pleurs  de  mes  paupières  jaillit  ;  —  je  beugle  plus 
qu'un  taureau  au  muffle  frotté  d'orties.  —  Vagabonds,  faites-moi  un 
trou  qui  ait  la  profondeur  d'un  puits,  —  et  je  pourrai  vous  échapper, 
tristesses  ennemies  ! 

Misère  de  mon  être!  moi,  je  vais  éperdu  et  fou  ;  —  je  suis  mainte- 
nant bien  seul,  courbé  par  le  deuil;  — je  piétine  sans  relâche,  comme 
un  maudit,  par  les  champs. 

Tombeau,  ouvre-toi  donc  ;  tu  es,  toi,  le  meilleur  lit!. . .  — Eclairez- 
moi  de  grâce,  au  milieu  de  cette  nuit,  —  ô  mère,  fleur  de  lumière  !  je 

ne  veux  pas  que  vous  soyez  morte  ! 

A.  FouRÈs. 

LoDguenause  (par  Villeniur),  10  juillet  1S86.  3* 


ES  PAS  MORTO 


A  moun  ami  Aguste  Fourès 

As  resoun,  fraire:  noun,  ta  maire  n'es  pas  morto! 

Es  qu'une  maire  déu  péri, 
Elo  qu'en  nous  pausant  au  lindau  de  la  porto 

D'aqueste  mounde  tant  marrit, 

Dins  un  poutounnous  aveja  soun  amo  forte, 
Soun  cor,  soun  sang,  soun  esperit?... 

Morto,  elo!  que  nous  a  degaia  touto  sorto 
De  vido,  anen!  elo  mouri!... 

Escouto,  e  Tausiras  dins  Ter  que  se  respiro, 
Dins  la  font  lindo  que  trespiro, 
Dins  lou  dôu  même  que  te  mord . . . 

Regarde,  ami,  regarde,  e  quand,  s'as  l'ur  de  crèire, 
Saras  seul  e  voudras  la  vèire, 
Davalo  au  fin  founs  de  toun  cor!. . . 

Louis  Rou MIEUX. 

Mount-pelié  (villa  di  Felibre),  12  de  juliet  de  1886. 


ELLE  N'EST  PAS  MORTE 


A  mon  ami  Auguste  Fourès 

Tu  as  raison,  frère  ;  non,  ta  mère  n'est  point  morte  !  —  Est-ce  qu'une 
mère  doit  périr,  —  elle  qui,  en  nous  déposant  au  seuil  de  la  porte  — 
de  ce  monde  si  mauvais, 

Dans  un  baiser  nous  a  versé  son  âme  forte,  — son  cœur,  son  sang, 

son  esprit? — Morte, elle!  qui  nous  a  prodigué  toute  espèce —  de 

vies,  allons!  elle  mourir!. .  . 

Ecoute,  et  tu  l'entendras  dans  l'air  qu'on  respire,  —  dans  la  source 
limpide  qui  jaillit,  —  dans  le  deuil  même  (pii  te  déchire. . . 

Regarde,  ami,  regarde,  et  lorsque,  si  tu  as  le  bonheur  de  croire, 
—  tu  seras  seul  et  tu  voudras  la  voir,  —  descends  au  plus  profond 
de  ton  cœur!., . 

Louis  RouMiEux. 

Montpellier  (villa  des  Félibres),  12 juillet  1886. 


BIBLIOGRAPHIE 


Gustav  Koerting.  Eacyclopaedie  und  Metliodologie  der  romanischen  Philo- 
logie. Drilter  Theil.  xx-838  pages,  ia-S».  Heilbronn,  verlag  voa  Gebr. 
Henninguer,  1886. 

Ce  volume  estle  troisième  et  dernier  de  l'ouvrage  considérable  en- 
trepris par  M.  Kôrting  et  dont  nous  avons, en  avril  1885,  annoncé  et 
loué  les  deux  premiers.  Celui-ci  mérite  les  mêmes  éloges  et  ne  ren- 
dra pas  moins  de  services. 

Chacune  des  langues  romanes  y  est  l'objet  d'une  étude  particulière. 
C'est  le  français  qui  en  occupe  la  plus  grande  partie,  la  moitié  du  vo- 
lume environ;  il  suffira,  pour  donner  au  lecteur  une  idée  du  plan  de 
l'auteur  et  de  l'utilité  de  son  ouvrage,  de  reproduire  ici  les  titres  des 
chapitres  de  cette  première  section.  I.  Domaine  de  la  langue  fran- 
çaise.—  II.  Histoire  delà  langue  française.  — III.  Histoire  de  la 
philologie  française.  —  IV.  Les  Dialectes  du  français. —  V,  La  Phoné- 
tique. —  VI.  Les  Mots.  — VII.  Forme  et  formation  des  mots.  — 
VIII.  Syntaxe  et  stylistique. —  IX.  Rythmique. —  X.  Histoire  litté- 
raire . 

Chacune  des  autres  langues  est  examinée  à  son  tour  à  ces  diffé- 
rents points  de  vue.  La  bibliographie,  dans  chaque  section,  nous  a 
paru  très-riche  ;  mais  on  y  pourrait  relever  quelques  lacunes,  et  aussi 
quelques  confusions.  Ainsi,  Guiot  de  Provins  figure  parmi  les  auteurs 
provençaux;  la  vie  latine  de  sainte  Euphrosyne  et  le  commentaire 
sur  Virgile,  que  Boucherie  publia,  en  1872  et  1874,  dans  cette  Revue, 
sont  donnés  comme  des  textes  provençaux.  Mais  ce  sont  là  des  erreurs 
sans  grande  conséquence,  et  qui  ne  diminueront  pas  l'utilité  du  livre 
de  M.  Korting  pour  les  lecteurs  auxquels  il  l'a  destiné. 

C.  C. 

Le  Canzoniere  autographe  de  Pétrarque,  Communication  faite  à  l'Aca- 
démie des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  par  Pierre  de  Nolhac,  ancien  mem- 
bre de  l'École  de  Rome,  maître  de  conférences  à  l'École  des  hautes  études. 
Paris,  librairie  C.  Klincksieck,  1886,  in-12,  30  pag. 

M.  P.  de  Nolhac  a  eu  l'heureuse  fortune  de  retrouver  le  ms.  auto- 
graphe du  «  Canzoniere  »  de  Pétrarque  qui  servit  à  l'édition  donnée 
en  1501  par  Aide  Manuce,  aidé  de  Pietro  Bembo,  ms.  qu'on  croj-ait 
perdu  et  dont  l'existence  avait  été  mise  en  doute  par  quelques  criti- 
ques. C'est  de  cette  précieuse  découverte  que  M.  P.  de  Nolhac  rend 
compte  dans  la  plaquette  que  nous  annonçons,  u  Je  me  propose  d'éta- 


56  CHRONIQUE 

blir,  dit-il  en  commençant:  1"  que  le  ms.  d'Aide  a  existé  ;  2"  qu'après 
avoir  appartenu  à  Bembo,  il  a  passé  dans  la  bibliothèque  de  Fulvio 
Orsini;  3°  que  c'est  aujourd'hui  le  ms.  Vatican  Latin  3195.  »  Et  il  éta- 
blit en  effet,  et  démontre  de  la  façon  la  plus  certaine,  ces  trois  parties 
de  sa  thèse.  C'est  ce  qu'ont  déjà  reconnu  les  critiques  les  plus  compé- 
tents et  les  mieux  placés  pour  vérifier  ses  preuves.  Je  signalerai  tout 
particulièrement  un  article  considérable  publié  par  M.  Rodolfo  Renier 
dans  le  Giornale  storico  délia  letleratura  itaUanct  (t.  VII,  p.  403),  auquel 
fait  suite  une  lettre  de  M.  de  Nolhac  lui-même,  que  ne  devront  pas 
négliger  de  lire  ceux  que  sa  découverte  intéresse. 

Une  note  du  mémoire  de  M.  de  Nolhac  renvoie  d'avance  à  un  livre 
qu'il  achève  sur  la  Bibliothèque  de  Fulrio  Orsini,  et  dont  ce  mémoire, 
qui  peut  en  être  considéré  comme  un  extrait,  fait  prévoir  l'importance 
et  l'intérêt.  Tous  les  amis  de  nos  études  en  hâteront  comme  moi  la 
publication  de  tous  leurs  vœux,  sachant  combien  cette  bibliothèque 
était  riche  en  manuscrits  romans,  et  que  plusieurs  des  plus  considé- 
rables parmi  les  chansonniers  provençaux  en  proviennent. 

C.  C. 


CHRONIQUE 


"Vient  de  paraître  :  le  Livre  d'or  du  Congrès  des  félibres  d'Aqui- 
taine et  du  Concours  de  philologie  et  de  littérature  romanes,  organisé 
par  la  Société  ariégeoise  des  lettres,  sciences  et  arts,  ou  Recueil  de  do- 
cuments mis  en  ordre  par  Louis  Lafont  de  Sentenac,  trésorier  de  la 
Société  ariégeoise. 

Cette  brochure,  qui  doit  perpétuer  le  souvenir  de  ce  concours,  le 
premier  ouvert  dans  la  région,  est  composée  de  88  pages  in-8°,  di- 
visée en  trois  chapitres,  dont  voici  la  matière  ; 

Chapitre  I. —  Séance  du  18  mai  1880. —  Distribution  des  récom- 
penses —  Discours.  —  Liste  des  lauréats.  —  Rapport  sur  le  résultat  du 
Concours, —  Compte  rendu  en   patois  de  cette  séance. 

Chapitre  II.  —  Le  Banquet  du  19  mai.  —  Les  Brindes.  —  Les 
Adieux.  —  Compte  rendu  en  patois  du  banquet. 

Chapitre  III.  —  Documents  divers  en  français  et  en  patois  (prose 
et  poésie).  Prix  :  2  fr.  —  Adresser  les  demandes  à  M.  L.  Lafont  de 
Sentenac,  trésorier  de  la  Société  ariégeoise  des  sciences,  lettres  et  arts, 
à  Foix, 


Essai  sur  le  patois  normand  de  la  TTague.   Sous  ce  titre,  M.  Jean 
Flcury,  lecteur  à  l'Université   de  S.-Péterabourg,  vient  de  publier, 


CHRONIQUE  57 

Ciiez  MM.  Maisonneuve  frères  et  Ch.  Leclerc,  un  travail  considérable, 
dont  la  première  partie  avait  déjà  paru  dans  la,  Revue  de  linguistique, 
où  elle  avait  été  fort  remarquée.  La  devixième  partie,  complètement 
inédite,  est  im  ample  glossaire  du  patois  étudié.  Le  tout  forme  un 
beau  volume  in-8°  de  368  pag. 


M.  A.  Loiseau,  professeur  au  lycée  de  Vanves,  auteur  de  V Histoire 
des  progrès  de  la  grammaire  en  France,  depuis  la  Renaissance  jusqu'à 
710S  jours,  et  d'une  Histoire  delà  langue  française,  qui  a  obtenu  en 
1880  une  première  médaille  d'or  de  la  Société  des  études  historiques, 
a  publié  récemment,  chez  l'éditeur  Ernest  Thorin(in-12.  viii-406  pp.), 
une  Histoire  de  la  litt.  portugaise,  depuis  son  origine  jusqu'à  nos  jours, 
qui  ne  peut  manquer  d'être  bien  accueillie  des  amis  des  lettres  ro- 
manes. 


MM.  Tommaso  Casini  et  Salomone  ]\Iorpurgo  ont  eu  l'excellente 
idée  de  publier,  à  l'occasion  des  noces  d'un  ami,  selon  une  gracieuse 
coutume  italienne  qui  paraît  vouloir  s'acclimater  en  France*,  sept 
lettres  inédites  adressées,  de  1445  à  1460,  par  Contessina  de'  Bardi, 
femme  de  Cosme  de  Médicis  l'ancien,  à  ses  fils  Jean  et  Pierre,  et 
dans  lesquelles  on  retrouve  peinte  au  vif,  selon  la  juste  remarque  des 
éditeurs.  «  la  cara  e  buona  imagine  di  quelle  gentildonne,  che  nei  son- 
tuozi  palazzi  fiorentini,  fra  gli  splendori  dell'arte  riunovata,  seppero 
mantenere  nelle  famiglie  la  semplicità  del  vivere  e  dello  scrivere  an- 
tico.  » 


M.  Cesare  de  Lollis,  sur  le  conseil  d'un  maître  qui  n'en  donnera  ja- 
mais que  d'excellents,  notre  savant  confrère  M.  Ernest  ]Monaci, vient 
de  publier  dans  les  Mémoires  de  la  Reale  Accademia  dei  Lincei  et  de 
faire  tirer  à  part  (Roma,  1886,  in-4o)  une  édition  diplomatique,  très- 
soignée  et  très-bien  conçue,  du  chansonnier  provençal  contenu  dans 
le  ms.  no  3208  de  la  Bibliothèque  vaticane.  Tous  les  provençalistes  se 
joindront  à  nous  pour  remercier  M.  de  Lollis  de  ce  beau  présent,  dont 
le  prix  est  augmenté  par  une  préface  qui  complète  heureusement  les 
renseignements  déjà  fournis  sur  le  ms.  3208  par  M]\I.  Grûtzmacher  et 
Bartsch.  Un  passage  de  cette  préface  nous  donne  lieu  d'espérer  que 
nous  posséderons  bientôt,  reproduits  de  même,  par  les  soins  de  M.  de 
Lollis  ou  d"aTitres  élèves  de  M.  Monaci,  les  autres  chansonniers  pro- 
vençaux delà  Vaticane. 


Ne  quittons  pas  l'Italie  sans  annoncer  une  intéressante  Storia  lette- 
raria  délie  donne  italtane,  publiée  à  Naples  par  M.  Eduardo  Magliani. 

1  Nous  faisons  surtout  allusion  aux  publications  du  même  genre  auxquelles 
a  donné  lieu  le  mariage  de  M.Gaston  Paris  (voy.  ]a.  Roman ia ,1^\\ ,  620)  et  à 
la  belle  édition  du  Lai  de  l'Oiselet,  que  M.  Gaston  Paris  a  publiée  lui-même, 
eu  un  si  charmant  volume,  en  avril  1884,  à  l'occasioa  du  mariage  d'un  de  ses 
neveux. 


58  CHRONIQUE 

C'est  un  élégant  volume,  petit  in-8o  de  269  pag.,  d'une  lecture  très- 
agréable,  et  que  l'on  ne  fermera  pas  sans  y  avoir  profité. 


M.  A.  Germain,  le  savant  doyen  honoraire  de  notre  Faculté  des 
lettres,  vient  de  se  créer  un  nouveau  titre  à  la  reconnaissance  des 
érudits  et  de  rendre  un  nouveau  et  signalé  service  aux  études  histori- 
ques, par  la  publication  intégrale  du  cartulaire  des  Guillems  de  Mont- 
pellier, connu  vulgairement  sous  le  nom  de  Jfemorial  des  Nobles,  et 
dont  le  titre  véritable  est  Liber  mstrumentorum  viemorïaUuui .  M.  Ger- 
main ne  s'est  pas  borné  à  reproduire  le  texte  de  ce  cartulaire;  il  en  a 
soigneusement  annoté  et  daté  chaque  charte,  l'entourant  de  tous  les 
éclaircissements  nécessaires;  il  y  a  joint  deux  amples  tables  chrono- 
logiques, l'une  générale,  l'autre  par  séries  de  documents,  et  il  a  placé 
en  tête  une  Introduction  historique,  où  se  retrouvent  toutes  les  qualités 
qui  ont  dès  longtemps  acquis  à  ses  ouvrages  l'universelle  autorité 
dont  ils  jouissent. 

Le  Mémorial  des  Nobles  contient  im  certain  nombre  de  chartes  ro- 
manes, et  nos  lecteurs  n'ont  pas  oublié  que  ces  chartes  ont  paru  pour 
la  première  fois  dans  cette  Revue,  où  notre  confrère,  M.  Achille  Mon- 
tel,  les  publia,  avec  grand  soin  et  au  grand  profit  de  nos  études,  il  y 
a  déjà  douze  ans  et  plus.  M.  Germain,  devant  les  publier  à  nouveau, 
avec  les  chartes  latines  dans  la  masse  desquelles  elles  sont  un  peu 
perdues,  a  demandé  à  M.  Camille  Chabaneau  de  l'aider  dans  cette 
partie  de  sa  tâche.  Notre  confrère,  pour  complaire  à  sou  honoré  doyen, 
a  donc  coUationné  les  copies  et  lu,  avec  le  ms.  original  sous  les  yeux, 
lès  épreuves  des  chartes  purement  romanes  et  de  plusieurs  de  celles 
qui  sont  seulement  farcies  de  roman*,  et  il  a  rédigé  ensuite,  pour 
l'introduction  (pp.  XLl-LXX),une  suite  àe  remarques,  dans  lesquelles  la 
phonétique,  la  morphologie,  le  vocabulaire-,  les  noms  propres,  sont  suc- 
cessivement examinés,  et  qui  se  terminent  par  quelques  corrections  et 
éclaircissements. 


La  nouvelle  édition  de  VHlstoire  générale  de  Languedoc,  publiée  à 
Toulouse  par  M.  Edouard  Privât,  parmi  les  nombreuses  additions 
à  l'œuvre  primitive,  qui,  jointes  à  l'annotation  courante  du  texte  des 
bénédictins,  en  font  un  ouvrage  tout  nouveau,  renferme  dans  son 
t.  X,  récemment  paru,  un  long  travail  de  notre  confrère  M.  Camille 
Cliabaneau,  lequel  comprend  trois  parties,  d'étendue  très-inégale, 
dont  il    a  été   tiré  à  part  quelques  exemplaires',  sous  les    titres  ci- 


•  Quelques  feuilles  du  commencement,  spécialement  la  quatorzième  f\.  la 
quinzième,  ont  été  tirées,  sans  que  M.  Chabaneau  en  ait  revu  les  épreuves  sur 
l'original.  Mais  les  fautes  qui  s'y  sont  glissées  ont  été  corrigées  dans  les  «  cor- 
rections et  éclaircissements.  » 

-  [Le  mot  stérile,  qui  se  lit  à  l'article  vaciu,  et  qu'on  aurait  dû  mettre  entre 
parenthèses  et  faire  suivre  d'un  point  d'inlerro^alion,  rend  mai  l'idée  qu'é- 
veille le  mol  provençal.  Une  XHiciva  est,  en  eff^'t,  v\no  jeune  hrebis  <nti  n'a 
pan  encore  porté,  et  non  une  brebis  stérile.  Voy.  le  Dictionnaire  béarnais 
de  MM.  Lespy  et  Raymond,  sous  bassiu.  —  C.  C] 

^  A  Toulouse,  chez  Edouard  Privât,  rue  des  Tourneurs,  45. 


CHRONIQHE  59 

après  :  1 .  Sur  la  langue  romane  du  midi  de  la  France,  ou  le  Proven- 
çal; —  2.  Les  biographies  des  troubadours  en  langue  provençale,  pu- 
bliées intégralement  pour  la  première  fois,  avec  une  introduction  et 
des  notes,  accompagnées  de  textes  latins,  provençaux,  italiens  et  es- 
pagnols, concernant  ces  poètes,  et  suivies  d'un  appendice  contenant 
la  liste  alphabétique  des  auteurs  provençaux,  avec  l'indication  de  leurs 
œuvres  publiées  ou  inédites,  et  le  répertoire  méthodique  des  ouvrages 
anonymes  de  la  littérature  provençale  depuis  les  origines  jusqu'à  la 
fin  du  XV'  siècle;  —  3.  Origine  et  établissement  de  l'Académie  des 
Jeux  Floraux.  Extraits  du  ms.  inédit  des  Leys  d'amors,  publiés  avec 
une  introduction,  des  notes  et  une  table  alphabétique  des  poètes  de 
l'école  de  Toulouse.  Le  tout  forme  250  pages  grand  in-4o,  à  deux  co- 
lonnes. 


La  ville  de  Lyon  contribue  depuis  quelque  temps,  plus  qu'aucune 
autre,  au  progrès  de  nos  études.  Après  les  remarquables  travaux  de 
M.  Nizier  du  Puitspelu  sur  le  dialecte  lyonnais,  dont  la  forme, —  qua- 
lité rare  dans  des  ouvrages  de  ce  genre,  —  est  aussi  attrayante 
que  le  fond  en  est  solide*;  après  les  études  de  M.  Philippon,  moins 
originales,  mais  pleines  d'intérêt  aussi  et  fort  instructives,  sur  le 
même  dialecte,  nous  avons  vu  paraître,  dans  l'espace  de  deux  ans, 
sous  le  nom  de  M.  Léon  Clédat,  deux  publications  excellentes  et  des 
mieux  faites  pour  propager  la  connaissance  de  notre  ancienne  langue 
et  le  désir  de  l'étudier,  une  Grammaire  du  vieux  français  et  une  édi- 
tion de  la  Chanson  de  Roland^,  déjà  épuisée;  et  voilà  qu'aujourd'hui, 
en  même  temps  qu'il  publie  de  nouveau,  revu  et  corrigé,  ce  dernier 
ouvrage,  M.  Clédat  nous  donne  encore,  pour  compléter  l'œuvre  si 
louable  de  vulgarisation  à  laquelle  il  a  voué  depuis  quelques  années 
ses  loisirs,  un  recueil  de  «  Morceaux  choisis  des  auteurs  français  du 
moyen  âge,  avec  une  introduction  grammaticale,  des  notes  littéraires 
et  un  glossaire  du  vieux  français^  )>,  recueil  qui  n'est  pas  appelé  à 
rendre  moins  de  services  que  la  Chrestomathie  de  M.  Constans,  et  qu'il 
nous  est  particulièrement  agréable  de  pouvoir  recommander  aux  mê- 
mes titres,  c'est-à-dire  comme  un  bon  livre,  et  comme  l'œuvre  d'un 
collègue  et  d'un  confrère. 

Mais  les  ouvrages  que  nous  venons  d'annoncer  ou  de  rappeler  ne 
sont  pas  les  seuls  qui  témoignent  de  la  féconde  activité  de  nos  études 
dans  la  cité  lyonnaise.  Un  autre  jeune  maître  de  la  Faculté  des  lettres 
de  Lyon,  M.  Ferdinand  Brunot,  comprenant  qu'il  y  avait  place,  à 
côté  de  la  Grammaire  du  vieux  français  de  M.  Clédat,  pour  un  ou- 
vrage moins  restreint,  où  l'histoire  de  la  langue  serait  continuée  jus- 
qu'à nos  jours,  et  justement  pénétré  de  l'importance  du  service  que 
rendrait  un  pareil  livre,  a  conçu  le  dessein  de  compléter  sur  ce  jDoint 
notre  outillage  grammatical,  et  il  l'a  réalisé  très-heureusement  par  la 
publication,  qui  vient  d'avoir  lieu,  d'un  «  Précis  de  grammaire  histori- 
que de  la  langue  française,  avec  introduction  sur  les  origines  et  le 
développement  de  cette  langue  »,  beau  volume  de  vili-692  pag/,  qui 


i\0Y.  Bévue  des  l.  rom.,  XXVIIF,  149.  —  "-  Ibid.,  154. 
3  Paris,  Garnier  frères,  1  vol.  in-12  de  xxxii-5G0  pag. 
♦  Paris,  G.  Masson,  éditeur. 


60  chronique:! 

obtiendra,  nous  n'en  doutons  pas,  auprès  du  public  studieux,  tout  le 
succès  qu'il  mérite. 


Encore  une  bonne  nouvelle,  pour  terminer.  Le  Dictionnaire  léarnais 
ancien  et  moderne  de  MM.  V.  Lespy  et  P.  Raymond,  annoncé  depuis 
1876,  de  la  manière  la  plus  favorable,  dans  un  rapport  de  ]\I.  Paul 
Meyerau  Comité  des  travaux  historiques,  vient  enfin  de  paraître.  Il 
forme  2  vol.  in-8"^de  plus  de  400  pages  chacun,  qui  ont  leur  place 
marquée,  selon  une  formule  qui  ne  fut  jamais  mieux  appliquée,  dans 
la  bibliothèque  de  tout  romaniste.  C'est  certainement  l'un  des  ouvra- 
ges les  plus  considérables,  et  par  son  étendue  et  par  sa  valeur  scienti- 
fique, qui  aient  été  publiés  depuis  longtemps,  dans  le  domaine  de  nos 
études.  Ce  n'est  pas  seulement  un  vocabulaire  de  l'idiome  moderue:  il 
donne  aussi,  comme  le  titre  l'indique,  les  mots  et  les  formes  propres 
à  l'ancienne  langue,  et  il  sera  par  là  d'un  très-grand  secours  à  tous 
ceux  qui,  par  goût  ou  par  état,  ont  à  lire  quelques-unes  de  ces  chartes 
gasconnes  que  le  moyen  âge  nous  a  laissées  en  si  grand  nondjre,  et 
qui  sont  une  mine  aussi  précieuse  pour  le  philologue  que  pour  l'iiis- 
torien.  N'oublions  pas  de  joindre  à  l'éloge  des  auteurs,  —  dont  l'un, 
hélas  !  M.  Paul  Raymond,  est  mort  longtemps  avant  l'achèvement  de 
l'ouvrage,  —  celui  qui  est  justement  dû  à  leurs  imprimeurs.  Le  Dic- 
tionnaire béarnais  sort  des  presses  de  Vlnipri/nrrie  centrale  du  Midi, 
si  parfaitement  outillée,  —  matériel  et  personnel,  —  pour  les  travaux 
de  ce  genre,  et  l'on  peut  assurer  que  les  directeurs  de  cet  important 
établissement,  MM.  Hamelin  frères,  à  qui  l'on  doit  pourtant  déjà  tant 
de  belles  et  bonnes  impressions,  se  sont  surpassés  dans  l'exécution  de 
ces  deux  volumes. 


Le  Gérant  res]}onsahle  :  Ernest  H.\melin. 


Montpellier.  —  Imprimerie  centrale  du  Midi.  (Hamelin  Frères), 


Dialectes  Anciens 


RECHERCHES 
SUR  LES  RAPPORTS  DES  CHANSONS  DE  GESTE 

ET  DE  l'Épopée  chevaleresque  itaijenne 


(Suite) 

Le  texte  que  Ton  vient  de  lire  '  contient  l'histoire  de  Mau- 
gis  jusqu'au  moment  oîi  la  fée  Oriande  lui  apprend  de  qui  11 
est  fils  et  de  quelle  geste  il  est  issu. 

L'auteur,  après  avoir  annoncé  qu'il  dira  «  la  droite  nation» 
de  Maugis  et 

Où  il  aprist  le  sens  que  il  sot  à  foison, 

donne  d'abord  la  généalogie  de  son  héros,  puis  entre  en  ma- 
tière: circonstances  de  la  naissance  de  Vivien  et  de  Maugis 
(2i-86)  ;  les  deux  enfants  sont  enlevés  (87-278)  :  Oriande  re- 
cueille Maugis  et  fait  son  éducation  (279-351);  Maugis  va  con- 
quérir Bayard  dans  l'île  de  Bocan  (352-585).  Attaque  de  Ro- 
cheflour  parles  païens:  Maugis  tue  le  roi  Atenor  et  conquiert 
Froberge  (586-932)  ;  il  obtient  d'Oriande  qu'elle  lui  révèle  quel 
est  son  parentage. 

La  généalogie  de  Maugis,  indiquée  au  commencement  du 
roman  (11-19),  est  présentée  plus  loin  par  Oriande  d'une  façon 
complète  (958-972).  C'est  le  tableau  de  la  geste  de  Doon  de 
Mayence,  tel  qu'on  le  trouve  avec  quelques  détails  de  plus 
dans  le  Gaufrey  (79-119)  et  seulement  mentionné  dans  Doon 
de  Maience  (7992-8011).  Cette  généalogie  a  sa  raison  d'être, 

*  Après  le  v.  574,  il  y  a  une  lacune;  —  la  fin  du  vers  941  ne  donne  ni 
rime,  ni  sens;  —  v.  966,  le  ras.  donne  «  Eseun.»  On  lit  dans  le  mêmems.,  au 
commencement  de  Gaufrey:  «Esevin.  »  Il  faut  corriger:  »  Et  Sevin.  " 

Tome  xv  de  la  troisième  skrie.  —  Août  1886.  4 


62  RECHERCHES 

non  point  dans  la  réalité  des  relations  de  parenté  qu'elle  sem- 
ble résumer,  mais  dans  le  besoin  qu'éprouvèrent  les  auteurs 
de  réunir  en  une  seule  geste  les  nombreux  barons  qui  ne  pou- 
vaient rentrer  ni  dans  la  geste  du  Roi,  ni  dans  celle  de  Garin 
de  Montglane.  On  l'a  déjà  remarqué,  la  geste  de  Doon  «  se 
»  constitua  le  plus  tard  et  fut  aussi  le  plus  complètement  l'œu- 

»  vre  des  arrangeurs le  nojau  originaire  de  cette  fa- 

»  mille,  c'étaient  les  quatre  grands  représentants  de  la  lutte 
«féodale,  Beuve  d'Aigremont,  Aimon  d'Ardenne,  Doon  de 
»  Nanteuil  et  Girard  de  Roussillon,  avec  leurs  enfants'.  »  On 
imagina  un  ancêtre  commun  qui  aurait  eu  douze  fils-,  et  l'on 
put  ainsi  établir  une  parenté  entre  les  personnages  dont 
l'origine  était  inconnue  ou  ne  semblait  pas  assez  illustre  et 
ceux  qui  étaient  déjà  acceptés  par  la  tradition  poétique. 

Le  Gaufrey  et  le  Maugis  donnent  les  noms  suivants: 

Gaufrej,  père  d'Ogier  le  Danois; 

Doon  de  Nanteuil,  père  de  Garnier  ; 

Grifes  de  Hautefeuille,  père  de  Ganelon^; 

Ajmes  de  Dordonne,  père  de  Renaud,  d'Alard,  de  Guichard 
et  de  Richard  ; 

Beuves  d'Aigremont,  père  de  Maugis  et  de  Vivien  ; 

Othon,  père  d'Yvoire  et  d'Yvon; 

Ripeus,  qui   eutAnséis  de  la  sœur  de  Charlemagne; 

Sevin  de  Bordeaux,  père  de  Huon; 

Le  roi  Peron,  père  d'Oriant  ou  Euriant; 

Morant  de  Riviers,  père  de  Raymond  de  Saint- Gilles  ; 

Hernaut  de  Giron  ou  de  Gironde  ; 

Girartde  Roussillon. 

Oï  avés  les  noms  des  .xii.  fix  Doon. 


'   M.  G.  Paris  dans  VHistoircpoét.  de  Charlemagne,  p.  77. 
2  On  en  vint  même  à  lui  allriijaer  douze  (illes.  G.  Paris,  ibid.,  noie. 
■>  Dans  Gaufrey  (v.  3999  et  suiv  ),  on  a  la  liste  des  douze  traîtres,  fils  de 
ce  Grifes  ou  Grifon  de  Hautefeuille  : 

de  li  issi  puis  Guenelon  cl  Hardrés, 

Milon  elAuboin.  et  Herpiu  etGondrez, 
Pinabel  de  Sorenche  et  Tiebaul  et  Fourrés, 
Et  llervieu  du  Lion,  qui  sot  du  mal  assés, 
EtTiebaut  d'Aspremont,  qui  fu  moult  redoutés. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  63 

Résoudre  tous  les  problèmes  qui  résultent  de  la  réunion  de 
ces  noms  n'est  pas  chose  facile.  Je  me  bornerai  à  quelques  re- 
marques. 

Dans  Gaufrey,  le  vers  où  paraît  le  nom  de  Vivien  est  mal 
placé.  Voici  le  texte  : 

Et  le  .Ve.  fix  fu  duc  Buef  d'Aigremon  : 
Icheli  si  fu  père  Vivien  l'Esclavon, 
Qui  père  fu  Maugis,  qui  tant  fu  bon  larron, 
Qui  puis  fist  tant  d'ennui  lemperéor  Kallon. 

Il  est  évident  qu'à  moins  d'accepter  Vivien  pour  père  de 
Maug'is,  le  second  vers  doit  devenir  le  dernier. 

Dans  Maugis,  Otlion  est  appelé  Othes  d'Espolice.  Dans  Ag- 
meri  de  Narbonne,  on  trouve  Othon  d'Apolice.  Dans  Gajdon, 
Espolice  a  été  donnée  par  Ganelon  à  son  frère  Thibaut  d'As- 
premont. 

Le  roi  Peron  semble  être  Pierre  ou  Pierron,  qui  devint  roi 
d'Orcanie  et  eut  pour  petit-fils,  à  la  cinquième  génération,  le 
roi  Loth,  père  de  Gauvain,  d'Agravain,  de  Gaheriet  et  de 
Guerres*.  Le  nom  et  le  titre  sont  donc  empruntés  à  un  cousin 
de  Joseph  d'Arimathie;  mais  on  lui  attribue  ici  une  autre  des- 
cendance: il  est  le  père  d'Oriant,  père  lui-même  du  Chevalier 
au  Cjgne,  ancêtre  de  Godefroj  de  Bouillon.  Pour  donner  plus 
de  relief  à  sa  nomenclature,  le  trouvère  va  chercher  un  des 
noms  des  légendes  de  la  Table-Ronde  et  l'insère  dans  sa  liste 
en  imaginant  un  lien  de  parenté,  non-seulement  avec  les  hé- 
ros de  l'épopée  ancienne,  mais  avec  les  personnages  d'un  cy- 
cle récent  et  de  nature  toute  particulière.  Dans  le  roman  de 
Doon  de  Maience,  nous  avons  une  forme  différente  de  cette 
invention.  Ce  n'est  pas  le  Chevalier  au  Cygne  qui  descend  de 
Doon,  mais  bien  la  dame  de  Nimègue-,  dont  Hélias  se  fait  le 
défenseur  et  dont  il  épousera  la  fille: 

La  dame  de  [Njimaie  dont  parole  fu  grans, 
Le  chevalier  o  chisne  fu  pour  li  combatans, 

1  Romans  de  la  Table  Ronde,  par  P.  Paris,  t.  1,  p.  318-349:  Aventures 
de  Pierre,  son  établissement.  Descendances. 

-  Dans  le  texte  imprimé  de  Doon  de  Maience,  il  y  a  «  Vimaie  »,  et  le  ms. 
de  Montpellier  donne  en  effet  cette  leçon,  mais  elle  prouve  seulement  que  le 
copiste  ne  connaissait  pas  le  cycle  de  la  Croisade  et  a  confondu  Vn  et  Vu. 


64  RECHERCHES 

Quant  il  sa  fille  jnist,  dont  il  ot  .m.  enfans. 

Godefrei  en  sailli 

(Doon  de  Maience,  80U7,  suiv.) 

Ainsi  le  cycle  de  la  Croisade  se  trouve  rattaché  à  la  geste 
de  Doon  et  en  formerait  une  des  branches.  L'idée  première  a 
été  peut-être  suggérée  par  le  passage  des  Enfances  de  Go- 
defroj,  oîi  la  duchesse  de  Bouillon  rai)pelle  à  quelle  famille  elle 
appartient: 

Mais  jo  sui  del  linage  Rainait  le  fil  Aimon  '. 

Cette  simple  indication  suffisait. 

Hernaut  de  Giron  ou  de  Gironde  figure  dans  la  liste  des 
fils  d'Aymeri  de  Narbonne.  Dans  Maugis,  il  est  appelé  le  plus 
souvent  Hernaut  de  Monder;  la  duchesse  d'Aigremont  est 
sa  fille.  Il  est  dit  Hernaut  de  Vantamise  dans  un  épisode  du 
Gaufrey,  où  Arnaud  de  Beaulande,  père  d'Aymeri,  Girard  de 
Vienne,  Milon  de  Fouille  et  Renier  de  Gennes  combattent,  en 
compagnie  de  Robastre,  à  côté  des  fils  de  Doon^. 

Si  Doon  de  Mayence  devient,  au  point  de  vue  généalogique, 
le  principal  de  tous  ces  personnages,  la  pensée  des  roman- 
ciers n'en  revient  pas  moins  toujours  de  préférence  aux  vrais 
héros  du  cycle.  Ainsi,  dans  Aye  d'Avignon,  il  est  fait  souvent 
allusion  à  la  parenté  de  Garnier  de  Nanteuil  et  des  quatre 
fils  d'Aymes.  Aubouin  et  Milon,  qui,  dans  ce  roman,  sont  fils 
de  Pinabel  et  n'appartiennent  pas  à  la  geste  de  Doon  de 
Mayence,  s'écrient: 

Vos  estez  de  la  geste  des   .un.   fiz  Aymon, 
Qu'il  getet  a  de  France,  et  Maugis  le  larron-'. 

Le  roman  de  Gui  de  Nanteuil  commence  par  une  mention 
pareille  : 

Oï  avez  de  Aye,  la  bêle  d'Avignon, 

De  Garnier  de  Nantueil,  le  nobile  baron  ; 

Près  fu  de  parenté  Girart  de  Roussillon, 

Et  fu  cousin  germain  Rcgnaut,  le  fix  Aymon  ''. 

«  H'^t  lut.  de  la  France,  XXII,  p.  393.  —  2  Gaufrey,  v    2541, 
;•  A'je  d'AvUjnon,  v.  160,  cf.  331,  1312.    —'  Cf.  v.  1665,  suiv. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  65 

Demême,  dans  le  roman  ûe  Mmigi's,  quand  Beiives  apprend 
que  Maugis  est  son  fils,  et  qu'il  écrit  à  ses  parents  : 

Moult  par  fii  esmaiez  le  riche  ducRevon: 
Il  fet  ses  bries  escrire  à  sou  clerc  Salemon. 
Ses  valles  envoia  sans  nule  arestoison. 
L'uQ  envoie  à  son  frère  Girart  de  Ronssilloû, 
Et  l'autre  si  ira  à  Nantueil,  à  Doon, 
Et  le  tiers  à  Dordouae,  clie  iort  au  viel  Ayinoii, 
Le  quart  à  Vantamise,  à  Renier  le  baron. 
(Fol.  164  r«  b.) 

De  prime  abord,  on  ne  voit  pas  trop  ce  que  vient  faire  ici  ce 
Renier  de  Vantamise,  qui  ne  figure  ]>as  sur  la  liste  reproduite 
plus  haut.  Est-il  une  contre-façon  de  Renier  de  Gennes,  fils  de 
Garin  de  Montglane  et  père  d'Olivier?  Nous  avons  vu  déjà  le 
nom  de  Hernaut  de  Gironde,  fils  d'Ajmeri,  attribué  à  l'un  des 
fils  supposés  de  Doon  de  Majence  ;  mais  ce  Hernaut,  fils  de 
Doon,  est  appelé  aussi  Hernaut  de  Vantamise  '.Qu'est  donc 
Vantamise  ? 

Dans  la  chanson  de  Jourdain  de  Blaf'vies,  le  fidèle  Renier  est 
dit  Renier  de  Vantamise.  C'est  bien  le  même  mot,  à  une  lettre 
près,  et  l'on  sait  que  Vu  et  Vn  se  confondent  souvent  dans  les 
manuscrits.  L'on  a  cru  reconnaître  dans  ce  nom  de  lieu  Tal- 
mont,  village  situé  près  de  Blaye^  Le  personnage  de  Renier 
paraît  donc  emprunté  à  la  geste  d'Amis  et  d'Amiles,  et  il  le 
doit  sans  doute  à  la  notoriété  de  son  dévouement  envers  le  fils 
de  Girard  et  à  l'importance  du  rôle  qu'il  a  d'un  bout  à  l'autre 
de  Jourdain  de  Blaivies. 

Renier  de  Vantamise,  quelle  que  soit  sa  première  origine, 
et  bien  qu'il  ne  soit  porté  ni  sur  la  liste  du  Gaufrey,  ni   sur 

*  Gnufrey,  v.  2541.  Dans  ce  passage  sont  repris  sans  ordre  les  noms  des 
principaux  descendants  de  Doon  de  Mayence. 

-  M.  Koch,  auleurd'un  essai  sur  Joicrdain  de  fi/^U'/es  (Kœnigsberg,  1875), 
croit  pouvoir  identifier  VaI[Vau-]ramise  et  TaJmont  sur  Gironde,  s  Cette 
»  localité  est  dite,  en  latin  du  moyen  âge,  Tainnus  Burgus:  en  ajoutant  à  la 
')  syllabe  radicale  Tarn  la  terminaison  ise  et  en  la  faisant  précéder  de  Vai,  de 
■>  même  que  dans  l'épopée  on  place  Mont  devant  Laon,  on  aurait  notre  Vau- 
»  tamise,  et  j'estime  que,  vu  l'incertitude  notoire  et  la  corruption  des  noms 
»  de  lieu  dans  les  Chansons,  cette  dérivation  n'est  pas  tirée  de  trop  loin.  » 
P.  20. 


ee  RRCHERCHES 

celle  de  Maugis,  n'en  est  pas  moins,  dansées  deux  romans,  un 
fils  de  Doon  de  Majence,  un  treizième  fils.  Dans  Gaufrey,  lors 
de  la  conquête  des  villes  qui  seront  réparties  entre  les  frères, 
après  la  prise  de  Grellemont,  les  guerriers  les  plus  vaillants 
sont  Hernaut  de  Beaulande,  Girard  de  Vienne,  Milon, 

Renier  le  duc  de  Jennes  et  le  petit  Renier, 
Qui  fix  estoit  Doon,  frère  Gaiifrey  le  fier'. 

Plus  loin  on  conquiert  Vantamise: 

Si  Font  Renier  donnée  au  petit  le  menour  ; 
Renier  de  Vantamise  ot  à  nom  puis  chu  jour^. 

Dans  Maugis  et  Gaufrey,  il  y  a  donc  un  treizième  fils  de 
Doon,  ce  qui  est  en  contradiction  avec  les  deux  listes  données 
dans  ces  romans.  En  comparant  ces  listes,  on  reconnaîtra  que 
celle  de  Maugis  paraît  la  plus  ancienne.  Elle  donne  les  noms 
dans  l'ordre  suivant:  Beuves,  Girard,  Aymes,  Doon,  Otlies, 
Gaufroi,  Grifes,  Morand,  Sevin,  Ripeus,  Peron,  Hernaut.  Les 
quatre  célèbres  frères  sont  au  premier  rang,  puis  viennent  les 
personnages  que  l'auteur  croit  pouvoir  leur  adjoindre  ;  Her- 
naut de  Monder,  dont  il  est  probablement  l'inventeur,  arrive  le 
dernier.  Sa  liste  ne  s'étale  pas  en  tête  du  récit  avec  la  solennité 
d'une  pièce  notariée  ;  elle  s'j  glisse  discrètement,  et  c'est 
Oriande  qui  la  présente;  or  peut-on  exigerqu'une  fée  ne  dise 
rien  que  de  vrai?  Je  crois  que  Ripeu  ou  Rispeuset  Renier  de 
Vantamise  font  double  emploi  ;  chemin  faisant,  le  trouvère  ou- 
blie qu'il  avait  inscrit  déjàlenomdu  père  d'Anséis  de  Cartilage 
et  lui  substitue  celui  de  Renier.  L'auteur  de  Gaufrey  ?>emh\er■^ài 
avoir  emprunté  la  liste  du  Maugis,  mi2às  sans  se  rendre  compte 
de  la  raison  de  l'ordre  suivant  lequel  les  noms  y  sont  placés; 
et  dans  le  cours  de  son  récit,  trompé  par  l'exemple  de  son  de- 
vancier, il  aurait  également  introduit  le  personnage  de  Renier 
de  Vantamise. 

L'hypothèse  contraire  paraît  au  premier  abord  également 
admissible;  mais  il  n'en  est  pas  de  même  lorsque  l'on  remar- 
que que  Vivien  l'Amachour  est  mentionné  dans  le  Gaufvey  ; 
que,  dans  le  Maugis  et  le  T'Viven,  Hernaut  de  Monder  et  Othes 

1  V.  444U,  s.  —2  V.  4698,  s. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  67 

cFEspolice  lui-même  ont  un  rôle  important,  tandis  que  leurs 
noms  sont  simplement  cités  dans  le  Gauf'rey,  et  encore  avec 
une  confusion  entre  Hernaut  de  Girone  et  Renier  de  Vanta- 
tamise'.  Je  verrais  volontiers  dans  le  Maugis  le  point  de  de- 
part  de  la  conception  du  cycle  de  Doon  de  Mayence,  si  la 
liste  d'Oriande  donnait  le  nom  du  père  des  douze  frères.  Cette 
omission  est  singulière.  Vient  elle  de  ce  que  ce  nom  était 
assez  connu  pour  qu'il  ne  fûtpns  nécessaire  de  le  dire  ;  ou  plu- 
tôt l'auteur  lui-même,  après  avoir  formé  sa  liste  d'éléments  si 
divers,  aurait-il  hésité  à  achever  son  œuvre  dans  la  crainte 
que  le  nom  qu'il  proposerait  ne  déplût?  Il  serait  possible,  dans 
un  travail  d'ensemble  sur  le  cycle  deDoon  de  Mayence,  d'étu- 
dier cette  question  et  d'autres  semblables.  Il  suffit  ici  de  mar- 
quer le  lien  que  le  Maugis  établit  entre  l'histoire  des  Fils  Ay- 
mon  et  le  cycle  de  Doon. 

La  moitié  des  personnages  portés  sur  la  liste  due  à  l'érudi- 
tion d'Oriande  ne  figure  point  dans  l'action  de  Maugis  et  de 
Vivien:  Tony  retrouve  seulement  Beuves,  Aymes  et  ses  fils, 
Girard  de  Roussillon,  Doon  de  Nanteuil,  Othes  d'Espolioe, 
Hernaut  de  Monder.  Sauf  le  dernier,  ces  noms  sont  déjà  dans 
Renaud  de  Montauban'^ .  Quant  à  Renier  de  Vantamise,  peu  habi- 
tué, semble-t-il,  à  une  parenté  qui  lui  est  nouvelle,  il  oublie 
de  répondre  à  l'appel  de  Beuves. 

Maugis  est  donc  fils  de  Beuves  d' Aigrement  et  de  la  du- 
chesse, fille  d'Hernaut  de  Monder  ou  de  Gironde  ;  il  est  le 
cousin  des  fils  d'Aymes  comme  de  tous  les  petits-fils  de  Doon 
de  Mayence.  L'auteur  a  donné  à  Hernaut  deux  filles:  la  du- 
chesse d'Aigremont  et  Ysane,  qui  est  enlevée,  puis  épousée 
par  le  roi  Aquilant  de  Maiogre  (Majorque). 

J) ans  Renaud  de  Monfauban,  les  courtes  indications  qui  se- 
raient de  nature  à  faire  regarder  Maugis  comme  fils  de  Beuves 
n'arrivent  que  tard  dans  la  suite  du  récit,  incidemment  et  de 
manière  à  faire  douter  de  leur  ancienneté^.  Dans  la  première 

1  L'auteur  sait  mal  sa  liste.  Au  vers  1753,  on  trouve  un  Foucon  aunomi^re 
des  fils  dont  Doon  de  Mayence  regrette  de  s'être  séparé. 

2  P.  115,  on  trouve  un  Oto7i  de  Police  à  la  cour  de  Charles. 

■'Je  parle,  bien  entendu,  du  Renaus  de  Montauban  publié  par  M.  Miclie- 
lan!,  car  le  texte  du  ms.  de  Montpellier  en  diffère  ici  comme  en  bien  d'autres 
endroits.  Je  reviendrai  sur  ce  sujet  à  la  fin  de  l'analyse  du  Maugis. 


68  RECHERCHES 

partie  du  roman,  qui  est  une  chanson  de  geste  bien  distincte, 
la  M07H  de  neuves,  il  n'est  dit  en  aucun  endroit  que  Beuves 
ait  un  enfant.  Ni  quand  la  duchesse  essaye  de  le  détourner  de 
mal  accueillir  Lobier,  ni  plus  tard  quand  son  corps  est  rap- 
porté à  Aigremont,  il  n'est  fait  d'allusion  à  son  fils  Maugis. 
Dans  l'histoire  proprement  dite  des  fils  d'Ajmes,  il  faut  passer 
toute  la  première  partie  avant  que  ce  nom  soit  prononcé. 
Maugis  entre  dans  l'action  quand  Renaud  et  ses  frères  vien- 
nent à  Dordonne  avant  de  partir  pour  la  Gascogne.  Pour  les 
accompagner,  il  interrompt  ses  larcins.  Dès  lors  il  est  qualifié 
le  plus  ordinairement  de  cousin  des  fils  d'Aymes,  sans  que  l'on 
insiste  davantage  sur  l'origine  de  cette  parenté.  La  plupart 
du  temps,  une  simple  épithète  accompagne  son  nom.  Il  est  dit 
tour  à  tour  par  ses  amis  :  lerre,  faé,  séné,  le  bon  larron 
prouvé,  le  ber,  le  courtois,  l'aduré,  le  nobile  baron;  et  par 
ses  ennemis  :  traître,  larron  desfaé,  tirant.  On  fait  ressortir 
volontiers  les  deux  principaux  traits  de  son  caractère: 

Mult  par  fu  preus  Maugis  et  de  mult  grant  renon  ; 
N'avoit  tel  chevalier  jusqu'en  Carfanaon, 
Fors  Renaut,  son  cousin,  ki  tant  fu  de  hait  non, 
Ne  plus  aiaistre  laron  desi  el  pré  Noiron^ 

Mais  on  n'associe  pas  le  nom  de  son  père  au  sien.  Si,  dès 
l'origine,  Maugis  eût  été  accepté  comme  fils  de  Beuves,  le 
ressentiment  de  la  mort  de  son  père  aurait  été  la  principale 
des  raisons  de  son  alliance  avec  ses  cousins,  et  son  entrée 
dans  Faction  eût  été  mieux  motivée.  Les  quelques  passages 
oîi  la  parenté  de  Maugis  est  définie  avec  une  certaine  précision 
arrivent  tard  et  ne  satisfont  pas. 

Il  dit  aux  fils  d'Aymes  : 

Vos  iestes  mi  cousin,  près  nos  apartenou  ^ 

Alard  donne  un  détail  de  plus  : 

cosins  Maugis,  ne  nos  contraliez, 

Vos  estes  dema  jeste,  fils  mon  oncle  le  fier  ^. 

Mais  on  ne  sait  encore  de  quel  oncle  il  s'agit.  Charles  reste 
dans  le  même  vague  quand  il  dit  à  Renaud  : 

1  Ed.  Michelant,  p.  138.  —  -  P.  201.  —  ■■>  P.  212, 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  69 

Vos  me  rondres  Maugis,  vo  cousin  naturel  '. 

Maugis  dit  à  l'empereur,  en  l'attaquant; 

La  mort  Buef  d'Aigremont  vos  voirai  demander-. 

On  ne  comprend  pas  qu'un  fils  se  borne  ainsi  à  une  simple 
allusion.  Ici,  comme  dans  tout  le  roman,  Maugis  soutient  con- 
tre Charles  la  querelle  de  ses  cousins  plutôt  que  la  sienne. 

Lorsque  Renaud  refuse  à  Charlemagne  de  s'engager  à  lui 
livrer  Maugis,  songe-t-il  à  parler  d'une  parenté  quelconque? 

Maugis  est  mes  secors,  m'esperance  et  ma  vie, 
Mes  escus  et  ma  lance  et  m'espée  forbie. 
Mes  pains,  mes  vins,  ma  charz  et  ma  herbergerie. 
Mes  serganz  et  mes  sire,  mes  maistres  et  ma  vie, 
«       Et  s'est  mes  deffensiers  vers  tote  vilonie^. 

11  plaide  la  cause  d'un  ami  dont  l'aide  lui  a  été  infiniment 
utile. 

Je  concevrais  volontiers  l'histoire  de  la  légende  des  Fils  Aj- 
mon  de  la  façon  suivante.  Il  j  aurait  eu  d'abord  deux  chan- 
sons de  geste  distinctes,  l'une  différant  peu  de  la  Mort  de 
Beuves  d'Aigremont,  telle  qu'elle  est  conservée  dans  les  plus 
anciens  manuscrits;  l'autre  ayant  pour. sujet  la  lutte  des  fils 
d'Avmes  de  Dordonne  contre  Charlemagne.  Celle-ci  n'allait 
pas  plus  loin  que  la  prise  de  Moutessor  et  la  fuite  des  fils 
Ajmon,  qui  trouvaient  peut-être  déjà  un  asile  à  la  cour  des 
ducs  de  Gascogne.  Un  trouvère  voulut  compléter  cette  chan- 
son en  imaginant  une  seconde  guerre  des  Fils  Ajmon  contre 
l'empereur.  Le  lieu  de  l'action  est  en  Gascogne;  le  siège  de 
Montauban  succède  à  celui  de  Montessor.  Je  crois  qu'il  faut 
attribuer  à  l'auteur  de  cette  continuation  l'introduction  de 
Maugis  dans  la  légende  des  Fils  Ajmon.  11  craignait  que  la 
seconde  partie  du  récit  ne  ressemblât  trop  à  la  première,  et 
il  j  a  donné  un  des  principaux  rôles  à  un  personnage  très-ca- 
pable d'intéresser  par  ses  talents  surnaturels  et  son  activité 
ingénieuse;  mais  sûrementil  s'est  inspiré  d'une  tradition  déj'i 
existante.  La  haine  implacable  de  Charlemagne  pour  Maugis, 

•  P.  288.  —  -  P.  293.  Le  nis.  de  Monipellier  donne  «vous  feroi  compe- 
rer  »,  mais  celte  version  tient  compte  du  Maugis  d'Aigremont.  —  3  p_  337^ 


70  R'- CHERCHES 

racliarnement  avec  lequel  il  le  réclame  au  point  d'oublier  ses 
griefs  les  plus  légitimes,  les  causes  vraies  de  la  guerre,  c'est- 
à-dire  les  meurtres  de  son  fils  Lohier  et  de  Bertolais,  me  sem- 
blent absolument  inexplicables  si  l'on  ne  suppose  qu'entre 
Charles  et  Maugisil  y  avait  guerre  ouverte  depuis  longtemps. 
Maugis  et  Bayard  obsèdent  la  pensée  de  l'empereur,  et  il  re- 
fusera jusqu'au  bout  de  se  réconcilier  avec  eux.  Ne  pouvant 
mettre  la  main  sur  Maugis,  il  voudra  satisfaire  sa  rancune  sur 
Bajard  ;  mais  celui-là,  comme  Maugis,  lui  échappera  encore  : 
leur  nature  les  protège  contre  ses  vengeances.  C'est  un  ad - 
versaire  de  l'empereur  qui  vient  donner  son  aide  aux  fils  A}'- 
mon  au  moment  où  ils  sont  forcés  de  s'exiler,  et  son  attitude 
ordinaire  sera  plutôt  celle  d'un  allié  fidèle  que  d'un  parent.  Il 
y  a  dans  la  geste  du  Roi  un  voleur  et  enchanteur,  Basin,  qui 
sert  les  intérêts  de  Charlemagne.  Maugis  a  dû  avoir  le  rôle 
contraire  ;  mais  il  n'en  restait  qu'un  souvenir  confus,  ce  qui 
explique  l'absence  d'allusions  précises  à  un  récit  antérieur.  On 
entrevoit  seulement  un  lutin  rusé,  taquinant  et  tourmentant 
le  chef  des  Francs  et  lui  faisant  la  vie  dure,  se  présentant  à 
lui  sous  les  déguisements  les  plus  divers,  le  volant,  le  raillant, 
puis  disparaissant  sans  laisser  de  traces,  mais  bornant  là  ses 
entreprises,  plus  impatientant  que  réellement  dangereux'. 

C'est  en  revenant  de  son  pèlerinage  à  St-Jacques  de  Galice 
que  Charlemagne  passe  devant  Montauban,  et  songe  à  repren- 

1  M.  Rajaa  emploie  les  mots  «  neckisch,  schelraisch  »,  pour  définir  le  ca- 
ractère des  tours  que  Maugis  joue  à  l'empereur,  et  cette  appréciation  est  très- 
exacte;  mais  je  n'entends  pas  comme  lui  le  vers: 

Il  ne  volt  pas  que  Karles  soit  à  lui  aïrés. 

(Ed.  Michelant,  p.330.) 

Maugis  comprend  que  cette  fois,  en  livrant  Charles  endormi  à  ses  ennemis, 
il  a  dépassé  les  bornes  de  la  plaisanterie  permise.  Son  droit  n'allait  pas  jus- 
que-là. Dès  lors,  il  n'intervient  plus  dans  la  lutte.  V.  Oi'ii) .  d.  Ep.  Fr  , 
p.  435  et  note,  p.  438,  note. 

M.  Rajna  n'accepte  pas  l'opinion  de  Simrock  [Deutsche  Mythologie,  §125, 
p.  430,  4*  édition),  qui  voit  dans  Maugis  une  transformation  d'Elegast.  Cepen 
dant,  si  l'on  remarque  qu'Elegast  ou  Basin  était  l'ennemi  de  Charles  avant 
de  lui  rendre  les  services  rapportés  dans  divers  romans,  on  sera  moins  éloigné 
d'accueillir  l'idée  d'une  parenté  entre  Basin  et  Maugis.  V.  Rajna,  op.  t., 
p.  433-431.  Cf.  G.  Paris,  Ilist.  poétique  de  Charlemaçine,  p.  315-322. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  71 

dre  la  guerre  contre  Renaud  et  ses  frères.  Ce  détail  ne  me 
paraît  pas  une  addition  postérieure  ;  il  fait  corps  avec  le  reste 
de  la  narration;  j'en  induirais  que  cette  seconde  forme  de  la 
légende  ne  remonte  pas  au  delà  de  la  date  de  la  composition 
de  la  Chronique  de  Turpin,  qui  est  de  la  fin  du  XPou  du  com- 
mencement du  XIP  siècle. 

Le  Renaud  de  Montauban  qui  nous  est  parvenu  me  semble 
représenter  une  troisième  époque.  La  Chanson  de  geste  s'al- 
longe du  récit  du  pèlerinage  de  Renaud  à  Jérusalem,  de  son 
retour  et  de  sa  fin.  Maugis,  qui  avait  quitté  ses  cousins  après 
leur  avoir  livré  Charlemagne,  revient  leur  dire  adieu  avant 
de  partir  pour  la  Terre  Sainte.  Les  deux  cousins  se  retrouve- 
ront ensemble  à  Constantinople,  Cette  version  a  été  publiée 
par  M.  iVIichelant.  C'est  elle  que  j'ai  déjà  comparée  souvent 
et  que  j'aurai  encore  à  comparer  avec  les  textes  du  manu- 
scrit de  Montpellier.  Un  roi  chrétien  règne  à  Jérusalem  et  ré- 
siste péniblement  aux  attaques  des  mahométans.  Maugis  n'y 
apparaît  encore  qu'après  la  prise  de  Montessor,  et,  fait  digne 
de  remarque,  le  «larron  faé  »  a  beau  se  faire  accepter  dans  le 
monde  des  nobles  chevaliers,  il  n'en  reste  pas  moins  sans 
terre  et  sans  cri  de  guerre  particulier  Dans  la  bataille,  son 
cri  n'est  pas  Aigremont,  mais  Montauban.  C'est  un  aventu- 
rier. 

Le  texte  de  Montpellier  donne  une  quatrième  époque.  La 
Chanson  de  geste  y  tourne  au  roman  d'aventures.  On  a  vu  quel 
développement  y  prend  le  récit  du  pèlerinage.  Le  nom  du 
frère  de  Saladin,  Seyfeddin,  indique  à  quelle  date  peut  re- 
monter cette  version.  Les  antécédents  du  sujet  sont  complétés 
par  la  composition  du  Maugis  d' Aigremont  et  du  Vivien  de 
Monbranc ;  le  personnage  de  Maugis  est  indiqué  dès  le  com- 
mencement de  l'histoire  des  Fils  Aymon.  Le  trouvère  ne  se 
borne  pas  à  des  additions;  il  abrège  en  plusieurs  endroits  l'an- 
cien texte,  dont  ildiminue  l'importance  et  modifie  le  caractère 
au  profit  de  ses  propres  inventions.  Comme  date  de  composi- 
tion, on  peut  accepter  le  commencement  du  XIIP  siècle.  Je 
ne  serais  pas  éloigné  d'admettre  que  le  copiste  du  texte  im- 
primé par  M.  Michelantait  connu  ce  remaniement'.  J'aurai  à 

'  C'est  une  supposition  fondée  sur  les  mots   relevés  déjà:  «  vous  êtes  de 


72  RKCHËRCHKS 

revenir  sur  les  rapports  étroits  du  Maugis  d'Atgremont,  du 
Vivien  de  Monhranc  et  de  cette  quatrième  forme  de  la  légende 
des  Fils  Ajmon  :  ces  trois  compositions  me  paraissent  l'œuvre 
d'un  même  auteur. 

Le  trouvère  a  donc  le  droit  de  prétendre  que  les  autres  jon- 
gleurs ont  négligé  ce  qu'il  va  raconter:  l'enfance  de  Maugis. 
Mais,  en  le  plaçant  dans  la  même  geste  que  les  fils  d'Aymes.  il 
ne  s'écartait  pas  de  la  forme  précédente  :  Maugis  était  accepté 
déjà  comme  le  cousin  de  Renaud,  et  il  était  tout  naturel  de 
lui  attribuer  pour  père  Beuves  d'Aigremont,  qui  était  mort 
sans  enfants,  et  dont  la  sombre  figure  domine  en  quelque  sorte 
l'histoire  des  Fils  Aymon.  Ainsi  la  logique  des  choses,  par  une 
évolution  insensible,  donnait  successivement  un  corps,  une 
famille,  un  titre  de  noblesse,  à  un  personnage  qui,  pour  s'être 
mêlé  trop  souvent  des  affaires  de  l'humanité,  était  condamné  à 
devenir  de  plus  en  plus  homme.  Comme  conclusion  dernière, 
Maugis,  une  fois  vieux,  regrettera  son  passé  et  finira  ses  jours 
dans  un  ermitage.  L'on  est  loin  de  la  mythologie  germani- 
que. 

Restait  à  expliquer  le  côté  merveilleux  de  la  légende  des 
Quatre  Fils  Aymon.  Ce  merveilleux, résulte  du  rôle  de  Maugis 
et  des  dons  surprenants  de  Baj^ard.  Supprimez  ces  deux  per- 
sonnages et  vous  aurez  la  plus  classique  des  chansons  de  geste. 
Le  trouvère  n'avait  qu'à  écouter  ses  contemporains:  les  ré- 
cits bretons  étaient  dans  toutes  les  bouches;  il  n'était  bruit 
que  des  aventures  d'Artus,  de  Tristan,  de  G-auvain,  de  Lancelot, 
des  amours  de  Genièvre  et  d'Iseult.  Pourquoi  eût-il  hésité  à 
puiser  à  ces  sources  si  accessibles  et  si  fécondes?  Un  autre 
trouvère  n'a-t-il  pas  dit: 

Li  conte  de  Bretaigne  sont  si  vain  et  plaisant  '  ? 

L'auteur  du  Maugis  connaissait  l'histoire  de  Lancelot;  il  sa- 
vait comment  le  fils  du  roi  Ban  et  ses  cousins  Lionel  et  Bolior 
avaient  été  recueillis  et  élevés  par  Viviane,  la  Dame  du  Lac, 
l'amante  perfide  de  Merlin.  D'après  lui,  la  duchesse  d'Aigre- 

ma  gesle,  mon  cousin  naturel,  fils  de  mon  oncle  le  fier.  »  Le  nom  de  Vivien 
lui-même,  on  le  verra  plus  loin,  a  été  de  bonne  heure  introduit  dans  ce  texte. 
1  .\u  commencement  de  la  chanson  des  Sesnes. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  73 

mont  a  deux  fils  qui  sont  destinés  à  lui  être  ravis  dés  leur  ve- 
nue au  monde.  Elle  met  à  l'oreille  droite  de  chacun  un  anneau 
d'or,  ce  car,  nous  dit  l'auteur,  c'est  la  coutume  de  ce  pays.  » 
Puis  il  ajoute  qu'un  de  ces  anneaux  est  garni  d'une  pierre  qui 
est  une  protection  sûre  contre  les  démons.  Ce  détail  est  "em- 
prunté du  soin  que  prend  la  Dame  du  Lac  de  donner  à  Lan- 
celot,  quand  elle  se  sépare  de  lui,  un  anneau  qui  conjure  tous 
les  sortilèges  et  qui  ne  sera  pas  inutile  au  chevalier  dans 
l'aventure  du  Val  sans  retour^.  Pendant  le  combat  qui  a  lieu 
entre  les  chrétiens  et  les  Sarrasins,  un  espion  (Tapinéas,  ou 
Lapinéas,  ou  Lapiniaus)  s'empare  de  l'aîné  des  enfants  et  le 
porte  à Monbranc,  où  l'épouse  de  l'amiral  Sorgalé,Esclarmonde, 
l'achète,  se  charge  de  lui  et  lui  donne  le  nom  de  Vivien: 

«  Par  Mahommet,  dist  ele,  qui  ma  vie  a  sauvée, 
»  Or  ait  nom  Vivien  par  bonne  destinée  -.  » 

Le  nom  de  Vivien  existe  déjà  dans  les  chansons  de  geste, 
c'est  celui  du  neveu  de  Guillaume  d'Orange,  du  jeune  héros 
d'Aliscans;  pourquoi  notre  trouvère  l'a-t-il  donné  au  frère 
<iu'il  attribue  à  Maugis?  Sans  doute  parce  que  c'était  un  des 
plus  illustres,  des  plus  retentissants,  peut-être  parce  qu'il  em- 
pruntait aux  Enfances  Vivien  l'idée  de  faire  élever  l'un  des  deux 
frères  chez  les  Sarrasins,  ou  bien  encore  par  une  sorte  de 
réminiscence  du  nom  de  Viviane.  Toujours  est-il  que  Vivien 
d'Aigremont  prend  dès  lors  son  rang  parmi  les  paladins.  Des 
textes  anciens  du  Renaud  de  Montauban  l'acceptent.  Lorsque 
Ogier,  dans  sa  querelle  avec  Roland,  se  vante  du  lignage  dont 

1  Dans  Gaiifrey,  Églantine  donne  à  Robastre  un  anneau  possédant  des 
vertus  pareilles  : 

La  pierre  a  tel  vertu  que  qui  la  portera, 

Anemi  ne  maufé  ja  ne  11  méfiera, 

Ne  en  feu  ne  en  eve  son  cors^ne  périra. 

(V.  7801,  s.;  cf.  7865,  s,) 

2  V.  229.  Dans  Huo7i  de  Bordeaux,  Esclarmonde  est  la  fille  de  Gaudisse, 
l'amiral  de  Babylone,  et  Monbranc  est  la  cité  d'Yvorin,  frère  de  Gaudisse. 
Elle  est  située  en  Orient,  non  loin  de  Babylone  et  d'Aufalerne,  d'oiiHuoa  s'em- 
barque pour  Brindes  quand  il  a  reconquis  Esclarmonde.  Dans  Bofo  d'Antona, 
la  ville  d'où  s'enfuient  Bovo  et  Drusiana  est  Monbrand  ;  mais  ce  nom,  dans 
lesReali,  est  remplacé  par  celui  (]e  Polofiia. 


74  RECHERCHES 

il  est  issu,  il  nomme  son  oncle  Beuves  d'Aigremont  et  un 
cousin,  qui,  d'après  la  comparaison  des  manuscrits,  ne  peut 
guère  être  que  Vivien  : 

«  Vivien  d'Aigremont fu  mes  prociens  cousins*.» 

C'est  évidemment  une  addition  au  texte  primitif;  mais  cette 
interpolation  est  très-ancienne. 

Dans  un  passage  de  Gaufrey  où  il  est  longuement  parlé  des 
destinées  des  descendants  de  Doon  de  Mayence,  après  les 
noms  des  fils  d'Ajraes,  de  Maugis  le  larron,  de  Beaudouin  de 
Flandres  et  de  Raimbaut  le  Frison,  arrive 

Vivien  l'amachour  qui  moult  ot  de  bontés 2. 

Dans  Simon  de  Pouille,  Vivien  d'Aigremont  figure  au  nom- 
bre des  barons  qui  forment  la  cour  de  Charlemagne.  Dans  un 
tournoi,  il  joute  avec  Olivier^.  Mais  il  apparaît  trop  tard  dans 


'  L'édition  de  M.  Micheiant,  (p.  215)  donne  «  Unnaus  d'Aigremont  »;  mais 
il  est  dit  en  noie  que  le  ms.  B.  (Bibl.  nationale,  775}  a  «  Viviens.  »  Le  ms. 
de  Montpellier  H  247  a  tout  naturellement* une  leçon  plus  décisive  encore: 
«Vivien  de  Monhranc  iert  mon  cousin  germain.  »  Fol.  196,  vo  a.  On  sait 
qu'entre  unnaus  et  viviens  la  confusion  est  très-facile,  car  il  n'y  a  de  diffé- 
rence réelle  qu'entre  l'a  et  l'e. 

2  V.  2553.  11  y  figure  aussi  dans  la  généalogie  ;  mais  le  vers  où  son  nom 
est  cité  n'est  pas,  nous  l'avons  remarqué  plus  haut,  à  laplace  qu'il  doit  occu- 
per. —  Dans  la  généalogie  des  Reali,  outre  le  Vivien  delV  Arrjiento,  fils  de 
Guérin  d'Ansidonie  (Garin  d'Anséune)  et  petit-fils  d'Aimeri  de  Narbonne,  nous 
trouvons  un  Vivien  délia  faccia  grifagna,  fils  d'Arnaud  de  Gironde,  et  enfin 
Vivien  fils  de  Beuves  d'Aigremont,  dit  Vlvianodal  liabon.  Ces  qualifications 
singulières,  destinées  sans  doute  à  distinguer  les  homonymes  qui  se  multi- 
pliaient, sont  dues  à  l'auteur  des   Reali. 

•'  V.  l'analyse  de  ce  roman  dans  la  préface  de  Fr.  Michel  à  son  édition 
de  Charlemagne ,  et  dans  les  Ep.  y^ationales  de  M.  Gautier,  2^  éi.,  t.  lll, 
p.  347.  C'est  dans  Simon  de  Pouille  que  Bernard  de  Clermont  figure  au 
nombre  des  douze  pairs.  Les  romans  qui  ont  le  lieu  de  leur  action  en  Italie 
ou  quelque  autre  lien  avec  ce  pays  (ici  le  nom  du  fief  de  Simon)  ont  eu  une 
infiuence  particulière  sur  la  constitution  des  légendes  et  des  cycles  de  l'épo- 
pée chevaleresque  italienne.  Nous  en  avons  ici  un  exemple.  Les  auteurs  ita- 
liens, on  Ta  remarqué  souvent,  n'ont  pas  accepté  Doon  pour  ancêtre  de  la 
geste  de  Mayence.  La  raison  en  est,  sans  doute,  dans  la  popularité  du  Beuves 
d'Ilanstone,  on  le  traître  est  précisément  un  Doou  d(;  Mayence.  Il  y  avait  lieu 
à  équivoque.  L'auteur  du   Doon  de   Maience  le  reconnaît   lui-même.  Après 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  75 

notre  littérature  épique,  et,  bien  qu'il  ait  une  chanson  de 
geste  particulière, la  place  qui  lui  est  faite  est  petite.  Il  y  avait 
trop  de  grands  noms  anciens  pour  qu'il  pût  sortir  du  demi- 
jour  où,  dès  sa  naissance,  il  nous  apparaît  à  côté  de  son  frère. 
Notre  trouvère  a  eu  beau  lui  donner  une  vigueur  et  une  vail- 
lance qui  ne  sont  surpassées  par  aucun  :  pour  qu'il  reste  en 
évidence,  il  lui  manque  dès  le  premier  jour  une  physionomie 
vraiment  originale.  Ce  n'est  qu'un  nom  de  plus. 

Nous  avons  déjà  dit  qu'Ysane,  sœur  de  la  duchesse,  est 
enlevée  par  Aquilant  de  Maiogre,  qui  l'épouse.  11  en  aura  un 
fils,  Brandoine,  plus  tard  roi  de  Valfondu. 

Le  second  enfant  a  été  enlevé  par  une  esclave  qui  veut 
revenir  «  à  Palerne,  d'où  elle  fu  robée.  »  Elle  passe  la  mer 
«  sans  nef  et  sans  dromon'  »  ;  mais,  s'étant  arrêtée  sous  Vépine 
à  la  fée  pour  se  reposer,  elle  est  déchirée  par  un  lion  et  un 
léopard.  Cette  proie  ne  suffit  pas  aux  deux  animaux  farouches, 
et  ils  dévoreraient  aussi  le  petit  enfant,  s'ils  ne  commençaient 
par  se  le  disputer.  Tous  deux  succombent  après  une  lutte 
acharnée.  Ce  récit  peut  être  rapproché  de  la  lutte  du  lion  et 
du  tigre  devant  l'enfant  Doon"-;mais  il  est  beaucoup  plus  court. 


avoir  dit  qu'il  y  a  ea  plusieurs  Charles  à  Paris,  plusieurs  Aymeri  à  Narbonne, 
maiût  Guillaume  à  Orange,  il  ajoute: 

Chil  Do  dont  je  vous  chant,  qui  chest  fet  a  empris 
Contre  le  roi  Kalloa  et  qui  s'est  aatis, 
Chea  ne  fu  pas  chil  Do,  le  traître  faillis, 
Qui  Beuvon  de  Hantonne  cacha  de  son  pais, 
Le  raari  Josïane,  la  bien  feite  au  clervis. 
(V.  6653,  s.) 

On  comprend  qu'on  ait  préféré,  pour  la  geste  des  loyaux  chevaliers,  un  autre 
héros  éponyme.  Le  nom  de  Bernard  de  CIermont,se  rencontrant  dans  Simon 
dePouille.  rappelant  la  ville  où  avait  été  résolue  la  première  croisade,  n'étant 
revendiqué  d'ailleurs  par  aucune  tradition  importante,  il  était  tout  simple  de 
le  prendre.  Telle  me  semble  être  l'origine  du  nom  de  la  geste  de  Clermont. 
Pour  les  généalogies  données  par  le  Fioravante  et  les  Reali,  v.  P.  Rajna, 
i  Reali  di  Francia,  p.  265  s.,  et  les  tableaux  à  la  fin  du  volume. 

1  V.  979.  L'auteur  est  surpris  lui-même  de  la  facilité  avec  laquelle  Fesclave 
se  rend  d'Aigremont  à  Palerme.  V.  v.  234. 

2  Doon  de  Maience,  v.  1474-1650.  La  lutte  des  deux  animaux  sauvages 
était  devenue  un  pur  lieu  commua.  Ici,  pour  que  la  forme  antique  fût  ob- 
servée, l'enfant  devrait  être  enlevé  par  un  lion  ou  un  griiïon  bienfaisant,  qui 


76  RECHERCHES 

et  a  de  plus  le  mérite  qu'il  est  étroitement  lié  à  l'action.  C'est, 
en  effet,  grâce  à  l'abandon  de  l'enfant  sur  le  sol  qu'il  est  ren- 
contré par  la  fée  Oriande.  Elle  le  prend  sur  ses  genoux  et  le 
caresse. 

Le  lieu  où  l'esclave  s'est  arrêtée  est  dit  fespine  à  la  fée,  en 
souvenir  de  l'endroit  où  Viviane  obtient  de  Merlin  qu'il  lui 
communique  ses  derniers  secrets:  «  Tant  qu'il  lor  avint  un  jor 
»  ({u'il  s'aloient  main  à  main  déduisant  par  la  forest  de  Brios- 
wque;  si  trouvèrent  un  buisson  d'aubes  épines,  ha.u.t  et  he\, tout 
»  charchié  de  flors.  Ils  s'assistrent  dessouz,  etc.  '.»  Ces  fleurs 
d'aubépine  sont  bien  aussi  pourquelque  chose  dans  le  nom  de 
Rocheflour  donné  au  château  de  la  fée. 

Survient  un  neveu  de  la  fée  qui  lui  révèle  que  cet  enfant  est 
fils  du  duc  d'Aigremont.  Espiet,  ainsi  nommé  parce  qu'il  fait 
souvent  le  métier  d'espion,  est  un  nain,  haut  de  trois  pieds, 
âgé  de  cent  ans.  11  court 

plus  de  randon 

Que  cheval  espanois  ne  mulet  arragon. 

Ce  personnage,  tout  en  étant  un  «folet  séné»,  un  magicien 
à  ses  heures,  prend  part  aux  batailles  avec  autant  de  courage 
et  de  vigueur  que  le  meilleur  chevalier^. 

La  fée  remonte  sur  son  mulet  Misaudour  et  revient  à  Ro- 
cheflour. Là, elle  fait  baptiser  l'enfant  et  l'appelle  Maugis(mal 
gisant) 

Pour  chen  qu'il  l'ont  trouvé  u  bois  à  la  verdour. 

Donc  Maugis  est  élevé  par  les  fées,  comme  Lancelot  auprès 
de  Viviane.  Baudri,  frère  d'Oriande,  qui  avait  appris  à  Tolède 
l'art  des  enchantements,  est  chargé  de  l'instruction  de  Fen- 
fant.  Quand  Maugis  atteint  l'âge  d'homme,  la  fée  l'adoube 
chevalier  et  en  fait  son  ami. 

l'aurait  sauvé  des  alteinles  de  quelque  bête  cruelle;  mais  le  trouvère  a  mieux 
aimé  faire  intervenir  la  fée  Oriande.  Cf.  P.  Rajua,  Or.  d.  Ep.  Fr.,  p.  44S- 
4  i<.). 

I  P.  Paris,  R.  d.l.  T.  «.,  H,  p.  184. 

-  U  réunit  doncles  talents  de  Galopin,  de  Picolet,  de  Maubrun  d'Aigremolee. 
V.  P.  Rajna,  Or  d.  Ep.  Fr.,  p.  432-433  (ce  Maubrun  ne  dériverait-il  pas  lui- 
même  de  Maugis  d'Aigrement?);  — mais,  de  plus,  il  est  beau  comniti  .\uberon. 
Nous  le  verrons  à  l'endroit  où  il  se  présente  à  Charlemagne. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  7T 

Ainsi  le  trouvère  a  rempli  deux  de  ses  promesses:  nous  sa- 
vons de  qui  est  né  Maugis  et  de  qui  il  tient  sa  science  d'en- 
chanteur. Restait  à  faire  connaître  les  origines  de  Bayard  et 
de  Froberge. 

Rocheflour,  le  château  de  la  fée,  est  situé,  paraît-il,  en  Si- 
cile, non  loin  du  Mont  Gibel  ou  de  l'Etna.  En  se  promenant 
sur  le  bord  de  la  mer  avec  son  amie,  Maugis  aperçoit  une  île 
d'où  s'élève  une  grande  fumée.  «  C'est  Bocan,  lui  dit  la  fée, 
d'où  nous  vient  le  soufre.»  Elle  lui  apprend  alors  l'existence 
du  cheval  faé,  qui  est  né  de  l'accouplement  d'un  dragon  et  d'un 
serpent.  Il  est  gardé  par  un  diable  horrible,  Raanas. 

L'éloge  qu'Oriande  fait  des  qualités  du  cheval  faé  donne  à 
Maugis  l'idée  d'en  devenir  le  maître.  Malgré  les  objections  de 
son  amie,  il  tentera  l'entreprise.  Il  revêt  un  déguisement  très- 
compliqué,  formé  d'une  peau  d'ours  et  d'un  cuir  de  boeuf,  sur- 
monté de  deux  cornes  et  se  terminant  par  une  queue  de  re- 
nard. Il  emporte  son  épée  et  un  croc  de  fer.  Ainsi  équipé,  il  se 
rend  en  bateau  à  Bocan. 

Ses  cris  font  sortir  le  diable  Raanas  de  son  four.  Le  dégui- 
sement de  Maugis  lui  semble  très-beau,  ses  vanteries  lui  plai- 
sent, et  il  laisse  celui  qu'il  croit  un  confrère  s'approcher  et 
l'enchanter.  Mais  les  choses  se  passent  moins  bien  avec  le 
grand  serpent  Dispeus.  Maugis  est  descendu  dans  la  caverne 
du  monstre  ;  il  en  triomphe  après  une  lutte  longue  et  acharnée  ; 
mais  la  nuit  est  venue,  et  il  est  forcé  d'attendre  le  jour  au 
milieu  de  toutes  sortes  d'animaux  étranges,  pendant  que  le 
feu  du  volcan  et  les  hennissements  de  Bayard  ébranlent  l'île 
entière  ^ 

Le  jour  venu,  Maugis  conjure  le  dragon  et  s'approche  de 
Bayard;  mais  celui-ci,  effrayé  par  le  singulier  costume  qu'il 
porte,  se  démène  avec  fureur.  Maugis  dépose  son  déguisement 
et  apparaît  avec  son  bliaut  brodé  d'or:  Bayard  se  rassure  et 
s'agenouille  humblement  devant  le  chevalier,  dont  il  sera  dé- 
sormais le  serviteur  fidèle.  Maugis  prend  le  coursier  par  le 
frein  d'or  et  le  mène  au  grand  jour". 

1  Maugis,  au  milieu  de  ces  reptiles,  rappelle  Gauvaio  dans  la  Tour  dou- 
loureuse de  Karadoc.  V.P.Paris,  R.  d.  l.  T.  R.,  IV,  p.  263,  s, 

2  «La  versioue  divulgalasi  in  Italia,  che  su  per  giù,  dev'  essere  quella  del 

5 


78  RECHERCHES 

Bocan  est  Vidcano,  une  des  principales  îles  Lipari,  l'an- 
cienne Hiera.  L'on  y  exploite  encore  le  soufre.  Toutes  ces  îles 
sont  volcaniques.  Dans  celle  de  Stromboli  est  le  volcan  du 
même  nom,  qui  jette  de  la  fumée  et  des  flammes  continuelles. 
Les  indications  géographiques  du  trouvère  sont  donc  d'une 
exactitude  suffisante;  mais  d'où  lui  est  venue  la  pensée  de  pla- 
cer Rocheflour  dans  les  vallées  de  l'Etna,  et  pourquoi  la  fée 
Oriande  et  le  cheval  Bayard  se  trouvent-ils  dans  un  pays  si 
éloigné  des  forêts  de  Brocéliande  et  d'Ardenne? 

On  sait  que  de  bonne  heure  Artus,  frère  de  la  savante  Mor- 
gain,  fut  regardé  comme  régnant  sur  le  pays  de  féerie,  dont 
les  limites  se  déplaçaient  et  reculaient  au  gréde  l'imagination 
des  romanciers  et  du  peuple: 

II  a  des  lieux  faés  es  marches  de  Champagne, 
Et  aussi  en  a  il  en  la  Roche  grifaigne, 
Et  si  ci'oi  qu'il  en  a  aussi  en  Alemaigne, 
Et  ou  bois  Bersillant  par  desous  la  montaigne, 
Et  non  pour  quant  ausi  en  a  il  en  Espaigne, 
Et  tout  cil  leu  faé  sont  Artu  de  Bretaigne  * . 

Donc,  si  une  légende  ancienne  a  transporté  Artus  en  Sicile 
et  lui  a  donné  le  mont  Etna  pour  séjour,  il  n'y  a  rien  d'éton- 
nant à  ce  que  les  fées  l'y  aient  suivi  et  que  tout  le  merveil- 
leux de  la  Bretagne  s'étale  sous  le  ciel  de  Messine  et  de  Pa- 
lerme.  Or  une  telle  légende  a  existé,  nous  en  avons  plusieurs 
témoignages. 

Au  commencement  du  XIII"  siècle,  nous  trouvons  le  récit 
suivant  de  Gervais  de  Tilbury.  Un  ôertain  jour,  le  palefroi  de 
l'évoque  de  Catane  s'étant  échappé,  le  garçon  d'écurie  le  pour- 
suivit dans  les  vallées  du  mont  Etna,  que  les   habitants  nom- 

»  Maugia  francese,  porta  che  Bajardo  sia  il  cavallo  d'Achille,  incantato  dalla 
"  madré  in  una  cavRruaalla  morte  dell'  eroe.  Di  là  lo  trarrebb.?  Malagigi  per 
»  l'arne  donoal  cugino.  Quesl'  incanto  nella  caverna  mi  pare  aver  parentcla 
>i  colle  note  Iradizioni  intorao  ad  Uggeri,  Carlo,  Frederico  Barbarossa.  Anche 
»  Scheming,  il  cavallo  di  Wittich,  provieue  vo?i  dem  berge,  giusta  un  allu- 
»  sione  di  un  Rosengarten  (Grimm,  Heldcnx,  p.  196);  ma  si  traita  di  lutl' 
»  altro.  ))  P.  Rajna,  Or.  d.  Ep.  Fr.,  p.  447,  n.  1.  M.  Rajna  renvoie  à  son 
étude  sur  Rinaldo  da  Mo7itaUjano,  sur  laquelle  je  reviendrai  quand  je  traite- 
rai de  ce  roman  italien. 
'  Hist.  littéraire,  XXII,  p.  349,  dans  l'analyse  de  Brun  de  la  Montagne. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  79 

ment  mont  Gibel.  Il  arriva  ainsi  «  aune  vaste  plaine  remplie 
»  de  délices  de  toute  espèce  ;  et  là,  dans  un  palais  construit 
«avec  un  art  merveilleux,  il  vit  Arthur  étendu  sur  un  lit  d^une 
«magnificence  royale.  Arthur,  apercevant  l'étranger  et  lui 
»  ayant  demandé  le  motif  de  sa  venue,  n'en  fut  pas  plutôt  in- 
»  formé  qu'il  fit  amener  le  palefroi  perdu,  et  le  fit  rendre  au 
»  garçon  pour  que  celui-ci  le  ramenât  à  l'évêque.  Arthur  ra- 
»  conta  alors  qu'il  se  trouvait  là  depuis  longtemps,  malade  de 
»  blessures  qui  se  rouvraient  tous  les  ans,  et  qu'il  avait  reçues 
«dans  une  bataille  contre  son  neveu  Modred  et  contre  Chil- 
))déric,  chef  des  Saxons*.  »  Gervais  de  Tilbury  avait  voyagé 
en  Italie  et  connaissait  particulièrement  la  Sicile,  où  vers  1190 
il  avait  été  au  service  du  roi  Guillaume*. 

Cent  ans  plus  tard,  Césaire  de  Heisterbach  donne  une  va- 
riante de  ce  conte.  Lors  de  la  conquête  de  la  Sicile  par  l'em- 
pereur Henri  (1294),  le  palefroi  d'un  doyen  de  l'église  de  Pa- 
lerme  (in  ecclesia  Palernensi,  Pa/erne,  d'après  l'usage  français 
du  moyen  âge)  se  perdit  dans  le  mont  Etna.  Le  serviteur  qui 
est  allé  à  sa  recherche  rencontre  un  vieillard  qui  lui  apprend 
que  le  cheval  est  dans  le  mont  Gyber,  où  Artus  (Arcturus)  le 
retient.  Il  lui  enjoint  de  faire  savoir  à  son  maître  qu'il  ait  à  se 
rendre  dans  quatorze  jours  àla  cour  solennelle  du  roi  (curiam 
sollennem,  court  pleniere).  Le  doyen,  ayant  dédaigné  d'obéir 
à  cette  invitation,  tomba  malade  au  jour  fixé  et  mourut  ^. 


1  Cité  d'après  Fauriel,  Dante  et  les  Origines  de  la  langue  et  de  la  litté- 
rature italiennes,  I,  p.  289-290.  Fauriel  est,  que  je  sache,  le  premier  qui  ait 
remarqué  cette  légende  ainsi  que  d'autres  relatives  aux  traditions  d'origine 
clievaleresque  qui  out  été  conservées  en  Italie.  Elle  est  tirée  des  Otia  impe- 
rialia,  sec.  decisio,  Leibniz,  Scriptores  rerum  brunsvicensium,  1,921.  M.  G. 
Paris  l'a  rappelée  dans  son  article  la  Sicile  dans  la  littérature  française, 
Rornania,  V,  p.  liO.  Cf.  l'itrè,  le  Tradizioni  cavalleresche  popolari  in  Si- 
cilia,  Bomania,  XII,  p.  391. —  M.  Graf,  dans  le  Giornale  storico  délia  let' 
teratura  italiana,N,  p.  80-130, a  publié  récemment,  sous  le  titre  A'Appunti 
per  la  storia  del  ciclo  brettone  in  Italia,  un  remarquable  article  où,  entre 
autres  choses,  la  légende  d'Artus  en  Sicile  est  traitée  d'une  façon  complète. 
Ce  travail  m'a  été  très-utile. 

2  M.  Graf,  /.  /.,  p.  87. 

3  Caesarius  von  Heisterbach,  Dialogus  miraculorum,  éd.  Strange,  1851, 
Bistiyictio  XII,  c.  12. 


80  RECHERCHES 

Quand  les  auteurs  latins  du  moyen  âge  faisaient  des  em- 
prunts aux  légendes  poétiques  de  leur  temps,  ils  les  gâtaient 
le  plus  souvent  par  la  lourdeur  do  leur  stjle,  le  caractère  mo- 
nacal de  leur  imagination,  enfin  par  pur  pédantisme.  C'est  le 
cas,  entre  autres,  du  Pseudo-Turpin  et  de  l'auteur  latin  du 
voyage  de  Charlemagne  en  Orient.  Il  est  donc  probable  que 
nous  n'avons  ici  que  la  reproduction  infidèle  et  décolorée 
d'une  narration  d'un  trouvère  normand.  On  l'a  dit  avec  rai- 
son, les  Normands,  quand  ils  arrivèrent  en  Sicile,  furent  tel- 
lement surpris  de  la  beauté  du  pays,  qu'ils  s'imaginèrent  y 
retrouver  l'île  délicieuse  d'Avalon,  où,  suivant  Geofroy  de 
Monmouth,  Morgain  avait  transporté  Artus  blessé  ' .  Mais  c'est 
précisément  l'absence  de  Morgain  et  de  ses  compagnes  dans 
ces  deux  contes  qui  avertit  qu'il  y  a  eu  une  suppression  vou- 
lue. La  présence  d' Artus  dans  l'Etna  n'a  de  sens  que  si  les 
fées  ont  transporté  sur  les  sommets  de  la  haute  montagne  le 
séjour  où  elles  recueillirent  le  roi  vaincu  et  mourant.  Ce  que 
la  tradition  latine  avait  omis,  la  tradition  populaire  l'a  con- 
servé, et  le  nom  de  la  fée  Morgane  désigne  encore  une  sorte 
particulière  de  mirage  qui  se  produit  souvent  dans  le  détroit 
de  Messine. 

Ce  n'est  donc  point  l'auteur  du  Maugis  d' Aigremont  qui  a 
eu  le  premier  la  pensée  de  transporter  en  Sicile  le  royaume 
de  féerie.  Il  suit  une  légende  antérieure.  Il  accepte  sans  hési- 
tation aucune  et  comme  chose  déjà  connue  qu'Oriande  et  ses 
compagnes  ont  leur  demeure  habituelle  dans  ce  pays,  au  mont 
Gibel.  Les  fées  qui  avaient  élevé  Lancelot  étaient  mieux  dési- 
gnées encore  pour  instruire  un  futur  magicien  ;  et  où  pouvait- 
on  plus  naturellement  trouver  le  cheval  faé,  l'étrange  Bayard, 
qu'aux  portes  de  l'enfer,  dans  un  volcan  gardé  par  un  démon 
et  des  monstres  affreux?  S'il  a  préféré  Bocan  au  mont  Gibel, 
c'est  sans  doute  pour  dissimuler  son  emprunt  et  faire  parade 
de  ses  connaissances  géographiques.  En  réalité,  Maugis  fait  la 
conquête  d'un  des  destriers  d' Artus.  Au  fond  des  récits  latins 
que  nous  avons  cités,  on  reconnaît  la  croyance  à  l'existence 
dans  la  montagne  de  palefrois  appartenant  au  roi  et  à  sa  cour^ 

'  M.  Graf,  l.  Z.,p.  96. 

1  CeLte  idée  paraîtra  toute  naturelle,  si  l'on  rapproche  desiégemles  rappoi*- 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  81 

Nous  avons  jusqu'ici  constaté  deux  données  empruntées 
p^r  notre  trouvère  au  cycle  d'Artus  :  les  Enfances  de  son  hé- 
ros, le  lieu  où  celui-ci  est  élevé  par  les  fées.  Mais  Fauteur  du 
Maugis  d' Aigremont  n'est  pas  le  seul  qui  ait  ainsi  associé  les 
Enfances  de  Lancelot  et  la  légende  sur  le  mont  Gibel.  11  y  a 
dans  notre  littérature  épique  un  poëme  qui  commence  de  la 
même  manière  et  se  rattache  aux  mêmes  origines:  c'est  Flo- 
riant  et  Florète.  Ce  poëme,  composé  peut-être  au  XIIP  siècle, 
plus  probablement  au  XI Ve  siècle,  n'est  pas  une  œuvre  origi- 
nale, car  tout  ou  presque  tout  y  semble  emprunté  aux  précé- 
dents romanciers  et  aux  dernières  chansons  de  geste;  mais  il 
est  bien  écrit,  d'une  lecture  agréable,  et,  comme  on  l'a  remar- 
qué', il  donne  les  antécédents  des  légendes  qui  placentArtus 
en  Sicile.  Le  mont  Gibel  y  devient  une  sorte  de  royaume  en- 
chanté, séjour  ordinaire  de  Morgain  et  de  ses  compagnes. 

Le  récit  commence  avant  la  naissance  du  héros.  Elyadus, 
roi  de  Sicile,  est  tué  par  le  traître  Maragot.  Celui-ci  veut 
épouser  la  reine  ;  mais  elle  parvient  à  s'enfuir  avec  un  vassal 
fidèle  qui  la  conduit  chez  lui  à  Monréal.  Pendant  le  voyage, 
la  reine  est  prise  des  douleurs  de  l'enfantement  et  se  délivre, 
dans  un  bois,  d'un  fils  que  ses  quatre  chambrières  recueil- 
lent. Mais  trois  fées  de  la  mer  viennent  à  passer,  en  retour- 
nant  «du  déduit»    à  leur   retraite   habituelle.  La  première 

tées  par  Gervais  et  Césaire  un  autre  passage  de  Gervais  cité  par  M.  Graf  et 
qui  fait  suite  immédiatement  à  celui  que  Fauriel  avait  remarqué.  «  Sed  et  in 
»  sylvis  Britanniœ  majoris  aut  minoris  consirailia  contigisse  referuntur,  nar- 
»  rantibus  nemorum  custodibus,  quos  forestarios,  quasi  indaginum  ac  viva- 
»  riorum  ferinorum  aut  regiorum  nemorum,  vulgus  nominat,  se  alternis  die- 
1)  bus  circa  horam  meridianam  et  in  primo  noctiura  conticinio  sub  plenilunio 
»  luna  lucente,  saepissime  videre  militum  copiam  venantium  et  canum  etcor- 
»  nuum  strepitum,  qui  sciscitantibus,  se  de  societate  et  famiiia  Arturi  esse 
»  dicunt.  »  —  jM.  Graf  (Z.  /.)  rappelle  que  l'on  nourrissait  des  chevaux  sur 
les  pentes  de  l'Etna.  Ne  pourrait-on  pas  supposer  qu'à  des  imaginations  rem- 
plies des  légendes  bretonnes,  il  a  suffi  d'un  ciieval  égaré  et  hennissant  la  nuit 
dans  les  vallées  pour  que  l'on  ait  cru  entendre  passer  sur  la  montagne  le 
cortéfce  d'Artus? 

1  Floriant  et  Florète  a  été  publié  en  1873  par  Fr.  Michel,  à  Edimbourg, 
pour  le  Roxburgh  Club.  L'édition  n'a  pas  été  mise  dans  le  commerce,  et, 
comme  M.  Graf,  je  ne  puis  parler  de  ce  roman  que  d'après  l'analyse,  d'ail- 
leurs suffisamment  complète,  qui  en  est  donnée  dans  VHistoire  littéraire, 
XXVill,  p.  139-179. 


82  RECHERCHES 

était  Morgain.  Elles  enlèvent  l'enfant  et  le  portent  au  château 
de  Mongibel,  où  il  est  baptisé  sous  le  nom  de  Floriant,  nom 
que  l'on  trouve  déjà  dans  la  geste  de  Gui  de  Bourgogne,  dans 
Gui  de  Nanteuil,  dans  Ogier  le  Danois. 

Morgain  mit  Floriant  sous  la  direction  d'un  maître  qui  lui 
enseigna  «  les  set  ars  »,  les  jeux  de  tables  et  d'échecs,  la 
chasse  aux  chiens  et  aux  oiseaux: 

Toute  rien  qu'apent  à  franc  homme 
Li  a  apris;  ce  est  la  somme. 

Quand  il  eut  quinze  ans,  Floriant  voulut,  à  l'exemple  de  Lan- 
celot,  savoir  qui  lui  avait  donné  naissance.  La  fée  se  contente 
de  lui  apprendre  qu'il  est  fils  de  roi  et  de  reine,  puis  elle  l'a- 
doube chevalier.  Floriant  part  sur  une  nef  d'ébène,  qui  le  con- 
duira suivant  son  gré.  Alors  commence  pour  le  jeune  prince 
une  longue  série  d'aventures.  Il  est  accueilli  par  le  roi  Artus, 
et  avec  l'aide  des  Bretons  défait  le  traître  Maragot  et  son  allié 
Philemenis,  empereur  de  Constantinople.  Il  obtient  Tamourde 
Florète,  fille  de  l'empereur,  dans  des  conditions  qui  rappel, 
lenttel  \)a.ssa,ge àe Maugis :  un  verger,  un  ami  qui  veille,  etc., 
c'est  un  lieu  commun  de  ce  genre  de  poésie.  Florète  se  laisse 
enlever  et  l'empereur  consent  au  mariage.  Floriant,  devenu 
emper,eur  de  Constantinople,  touchait  à  la  fin  de  ses  jours; 
mais  la  bienfaisante  Morgain  l'attire  de  nouveau  dans  le  sé- 
jour enchanté  et  j  fait  aussi  venir  Florète^  sa  femme.  Artus  y 
viendra  à  son  tour,  à  ce  que  dit  Morgain  elle-même: 

Li  rois  Artus  au  defenir, 
Mes  frères,  i   ert  amenez 
Quant  il  sera  à  mort  menez. 

L'auteur  du  Maugis  d' Aigremont  a-t-il  connu  Floriant  et 
Florète?  Au  point  de  vue  de  l'histoire  de  l'épopée,  la  question  a 
peu  d'importance.  Ce  qui  fait  l'intérêt  du  Maugis,  c'est  l'in- 
troduction, dans  la  légende  des  Fils  Ajmon,  d'éléments  em- 
pruntés au  cycle  d'Artus,  quels  que  soient  les  romans  dont  le 
trouvère  s'est  inspiré.  Malgré  ces  emprunts,  le  Maugis  reste 
une  chanson  de  geste,  tandis  que  Floriant  et  Florète  est  d'un 
bout  à  l'autre  un  roman  d'aventures.  Il   est  vrai  que  celui  des 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  83 

deux  auteurs  qui  a  eu  le  premier  l'idée  de  combiner  les  données 
que  lui  offraient  l'enfance  de  Lancelot  et  la  légende  d'Artus 
au  mont  Gibel,  a  le  mérite  de  Toriginalité  et  a  pu  servir  de 
modèle  à  l'autre;  mais  il  n'est  pas  aisé  de  reconnaître  auquel 
appartient  la  priorité  de  l'invention.  L'auteur  du  Maiigis,  du 
Vivien  de  Monbranc,  probablement  aussi  àw  Renaud  de  Montau- 
ban  remanié,  qui  a  été  conservé  dans  le  manuscrit  de  Mont- 
pellier, a  donné  d'autres  preuves  d'initiative  et  de  conception 
personnelle,  et  on  le  verra  dans  la  suite  de  ces  études.  Il  le 
montre  ici  même  par  le  soin  qu'il  prend  de  ne  rien  dire  qui  rap- 
pelle le  souvenir  de  la  Table  Ronde.  Le  nom  d'Artus  n'est  pas 
prononcé;  Morgain  change  de  nom  et  devient  Oriande.  Mor- 
gain  était  la  sœur  d'Artus;  Oriande  a  un  neveu,  Espiet,  nain 
et  espion  à  la  fois.  Rocbeflour  est  situé  sur  le  montGibel; 
mais  il  n'est  pas  parlé  autrement  de  la  célèbre  montagne,  et 
c'estàBocan  queMaugis  trouvera  Bayard.  Oriande  est  à  peine 
une  fée.  C'est  le  vieux  maître  Baudri  qui  apprend  la  magie  à 
Maugis.  Elle  est  reine  et  vit  dans  un  château-fort.  Elle  a  des 
ennemis  qui  lui  font  la  guerre  et  sa  science  magique  ne  lui  est 
d'aucun  secours.  Quand  Maugis  la  quitte,  elle  pleure  parce 
qu'elle  craint  de  ne  plus  revoir  son  ami;  mais  elle  ne  sait  rien 
des  aventures  qu'il  doit  rencontrer  et  ne  lui  donne  aucun  con- 
seil. 

L'auteur  suit  un  chemin  à  lui  et  transforme  les  données  qu'il 
emprunte  de  façon  à  ce  qu'elles  deviennent  siennes.  Il  s'ap- 
plique évidemment  à  en  dissimuler  l'origine  ;  mais  il  veut  sur- 
tout éviter  l'invraisemblance  qu'aurait  présentée  la  persis- 
tance d'éléments  hétérogènes  restés  reconnaissablesdans  l'en- 
semble qu'il  a  créé  en  complétant  et  remaniant  l'histoire  des 
Fils  Ajmon.  Quelques  traits  indiquent  une  imitation  directe 
du  Lancelot  du  Lac:  la  naissance  des  deux  enfants,  l'anneau 
magique,  peut-être  1' «épine  à  la  fée»  et  le  nom  de  Rocbeflour. 
Onest  frappé  de  certaines  diff'érences:  dansFloriantet Florèle, 
Morgain  est  une  protectrice;  dans  Maugis,  Oriande  s'éprend 
du  fils  deBeuves  et  devient  son  amante,  trait  assez  conforme 
aux  traditions  anciennes  sur  la  sœur  d'Artus.  Floriant  reçoit 
d'elle  ses  armes  et  son  cheval,  et  n'a  pas  aies  conquérir;  elle 
ne  lui  révèle  que  fort  tard  le  nom  de  ses  parents.  Il  est  donc 
très-possible  que  nous  ayons  ici  un  exemple  de  deux  imita- 


84  RECHERCHES 

tions  parallèles  et  indépendantes.  D'ailleurs  ces  deux  romans 
sont  d'importance  très-inégale  :  l'un  ne  fut  qu'un  récit  d'aven- 
tures de  plus;  l'autre,  rattaché  avec  un  plein  succès  à  la  lé- 
gende si  populaire  des  Fils  Aymon,  devait  avoirune  part  dans 
l'influence  que  cette  légende  a  exercée  sar  les  transformations 
ultérieures  de  la  poésie  narrative. 

Maugis  revient  à  Rocheflour  fort  à  propos  pour  repousser 
une  attaque  d'Atenor,  amiral  ou  roi  d'Esclavonie  ;  en  compa- 
gnie d'Espiet  et  de  Baudri,  il  fait  des  prodiges  de  valeur.  Ate- 
nor  est  armé  de  Froberge,  l'épée  célèbre  qui  passera  aux 
mains  de  Renaud.  Maugis  et  le  païen  engagent  un  duel,  où 
tous  deux  déploient  autant  de  vaillance  que  de  vigueur.  D'un 
coup  heureux,  Maugis  tranche  le  bras  qui  portait  Froberge, 
et,  malgré  les  prières  d'Atenor  qui  le  supplie  de  lui  rendre  la 
précieuse  épée,  il  l'achèverait,  si  le  blessé,  en  voulant  monter 
sur  Bayard  et  s'enfuir,  n'était  renversé  et  étranglé  par  le  ter- 
rible coursier.  D'ailleurs  le  même  Bayard,  pendant  que  son 
maître  était  aux  prises  avec  Atenor,  a  déjà  poursuivi,  attaqué, 
étranglé  le  cheval  du  païen.  Il  se  comporte  déjà  en  créature 
intelligente  et  prélude  aux  combats  qu'il  soutiendra  pour  le 
compte  de  Renaud. 

Dans  les  Fils  Aymon,  pendant  le  duel  de  Begesde  Toulouse 
et  de  Renaud,  Bayard  engage  de  son  côté  la  lutte  avec  le  che- 
val du  Sarrasin,  si  bien  que,  lors  de  la  rentrée  triomphale  des 
vainqueurs, les  Bordelais  se  disaient  l'un  à  l'autre: 

(c  Aine  mais  n'avint  tel  cose  à  fil  d'empercor; 
»  Baiars  prist  le  cheval  et  Renaus  le  segnor  '.  » 

Pendant  le  combat  d'Ogier  et  de  Renaud,  quand  les  deux 
chevaliers  ont  perdu  les  arçons  et  continuent  la  lutte  à  pied, 
les  deux  chevaux  Broiefort  et  Bayard  imitent  leurs  maîtres 
et  se  jettent  l'un  sur  l'autre  avec  fureur.  Ogier,  craignant 
pour  Broiefort,  tire  Courtaine  et  veut  frapper  Bayard,  mais 
Renaud  ne  lui  en  laisse  pas  le  temps^.  De  même  dans  le  duel 
de  Roland  et  de  Renaud,  lorsque  Roland  a  été  porté  à  terre 
par  la  faute  de  son  destrier,  Bayard  d'une  forte  ruade  blesse 

»  Éd.  Michelant,  p.  105. 
=  P.  209. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  85 

Veillantin  à  la  tête,  le  force  à  briser  ses  rênes  et  à  s'enfuir. 
Roland  veut  trancher  la  tête  à  Bayard  : 

Quant  Renaus  Fa  veû,  ue  le  tint  mie  à  befe 

Et  a  dit  à  Roland:  «  Que  est  ce  que  vous  testes? 

)>  Ja  est  çou  vilenie  à  home  de  vo  geste. 

))  Que  demandes  Baiart?  Ja  est  çou  une  beste, 

»  Se  vos  voles  bataille,  vers  moi  le  venes  querre. 

»  Vous  en  aures  asses,  par  les  iols  de  ma  teste. 

»  Laisies  moi  mon  destrier,  il  n'a  meillor  en  terre  ; 

»  Et  si  est  mes  chevaux,  bien  est  droit  qu'il  me  serve'.  » 

L'origine  donnée  ici  à  Froberge  n'a  rien  de  fort  intéres- 
sant, rien  qui  explique  sa  puissance  merveilleuse.  L'érudition 
et  l'imagination  du  trouvère  ont  été  à  court  également.  L'au- 
teur de  Fierabras  était  mieux  renseigné;  il  savait  que  Fro- 
berge, comme  Hauteclaire  et  Jojeuse,  était  l'œuvre  de  Ga- 
land,  le  célèbre  forgeron-.  Dans  Garin  le  Loherain,  son  frère 


1  P.  241-242. 

-  Fierabras,  V .  654-655: 

Et  Galans  fist  Froberge  à  l'acier  atempré, 
Hauteclere  et  Joiouse  où  moult  ot  digneté. 

Al.  Rajna  fait,  à  propos  du  noms  de  Floherge,  Froberge,  Flamberge,  les 
remarques  suivantes:  «  In  Floberge  la  seconda  parle  del  composlo  sarà  forse 
»  hercht,  luminoso  ;  nella  prima  vedrei  dubitalivamente  il  solito  nostro  Modo. 
«  Da  confrontare  Hauteclere,  che  potrebb'  essere  Iraduzione  e  forse  preci- 
»  saraeute  del  nostro  vocabolo.  Froberge  àev'  essere  un'  alterazione  fonelica; 
»  in  Flamberge  suppongo  un  rawicinamento  intenzionale  a  flamme.  Tutt' 
»  altre  ipotesi  nel  Diez.  Et.  TV.  »  —  Origini  deW  Ep.  Fr .,  p.  444,  n.  2.  A  la 
page  suivante,  note  1,M.  Rajna  énumère  les  épées  qui  auraient  été  forgées 
par  Galand,  le  Wéland  ou  Wielaud  des  légendes  germaniques. 

Dans  Doon  de  Maience,  quand  Cliarles  et  Doon  s'arment  pour  se  combat- 
tre, nous  apprenons  que,  sans  doute,  Durendal  que  porte  Charlemagne  est 
l'œuvre  de  Galan,  et  qu'elle  fut  conquise  sur  l'amiral  Braimant;  mais  que 
Merveilleuse,  l'épée  de  Doon,  a  été  aussi  forgée  dans  l'atelier  de  Galan  «  le 
fix  à  la  fée  »  par  un  de  ses  apprentis.  Quand  elle  fut  achevée  et  trempée, 
la  mère  de  Galan,  après  l'avoir  rendue  faée  par  ses  oraisons  e.t  ses  conjura- 
tions, la  laissa  sur  un  andier  de  fer,  le  tranchant  tourné  en  des.sous.  Le  len- 
demain, l'épée  avait  coupé  en  deux  le  landier  sur  lequel  elle  reposait.  De  là 
elle  tint  le  nom  de  Merveilleuse.  Doon  de  Maience,  vv.  6902-6927.  Cf.  P. 
Michel  et  Depping,  Véland  le  forgeron;  ¥a\.  du  Méril,  Histoire  de  la  poésie 
Scandinave,  p.  361,  s. 


86  RECHERCHES 

Bègue  de  Belin  possède  une  épée  de  ce  nom.  Mais  ce  n'est 
pointa  ces  romans  que  pensait  notre  trouvère.  Il  songeait  à 
imiter  l'endroit  de  Mainet  où  Charles  enlève  Durendal  à  Brai- 
mant,  et  celui  des  Enfances  Ogier  où  le  bon  chevalier  reçoit 
Courtaine  des  mains  du  loyal  Karaheu  et  conquiert  Broiefort 
sur  Brunamont: 

Là  conquist  il  Broiefort  l'aduré, 

Courtain  s'espée  qui  tant  fist  à  loer. 

N'a  homme  en  France  qui  l'en  ost  encontrer, 

Pour  que  d'Ogier  le  couvenist  garer. 

Par  Broiefort  fu  Ogier  aiosé 

Et  par  les  cous  de  Courtain  redouté  ' . 

Les  épces  et  les  destriers  des  héros  de  nos  chansons  de 
geste  attendent  encore  leur  historien-.  On  me  pardonnera, 
quand  je  rencontre  les  noms  de  Courtaine,  de  Bayard,  de  Fro- 
berge,de  ra'arrêter un  instant.  Nous  ne  sortons  pas  de  lageste 
de  Doon  de  Mayence  et  nous  ne  nous  écartons  guère  du 
Maugis,  qui,  en  tant  que  chanson  de  geste,  dérive  d'Ogier  de 
Dancmarche  et  de  Renaud  de  Montauban. 

D'après  l'auteur  de /'ïeraôras^,  Courtaine  serait  l'œuvre  de 
Munificans,  frère  de  Galand  : 

Et  Munificans  fist  Durendal  au  pui[n]g  clcr, 
Musaguine  et  Courtain,  ki  sont  de  graut  bonté, 
Dont  Ogiers  li  Danois  en  a  maint  caup  donné. 

Dans  Renaud  de  Montauban'',  Ogier  explique  ainsi  le  nom  de 
son  épée: 

((  Ens  el  perron  à  Ais  te  fis  jo  essaier. 

»  Rolans  i  feri  primes  et  li  cuens  Oliviers, 

»  Et  je  feri  après,  s'en  trençai  demi-pié. 

))  Iluec  vos  brisai  jo,  le  cuer  en  ai  irié. 

»  Par  votre  grant  bonté  vos  fis  je  apointer, 

»  Por  çou  aves  non  corte,  nol  vos  quier  à  nier.  » 


»  Chcnnlerie  Ogier  de  Danemarche,  v.  3089,  suiv.  Je  cite  ce  passage -ci 
d'après  le  ms.  H.  247  de  Montpellier.  Le  quatrième  vers  manque  daas  la 
version  imprimée. 

*V.  P,  Rajaa,  Or.  d.  E.  F.,  p.  443-449.  Cf.  Gautier,  Roland,  11»  éd., 
p.  384-386,  305-396.  -  ^  V.  651-653.  — *  p.  210. 


SUR  LES  CHANSONS    DE   GESTE  87 

Mais,  dans  les  Enfances  Ogier,  la  légende  de  Courtaine  est 
fort  différente.  C'est  Tépée  que  ceint  Karaheu  avant  de  re- 
joindre Ogier  dans  File  du  Tibre  : 

Puis  çaintrespée  Brumadant'  le  sauvage, 
Cil  qui  le  fist  ot  à  non  Escurable, 
Il  n'en  fit  plus  que  celi  e  un  autre, 
Plus  de  vingt  fois  le  fondi  e  ramasse  ; 
Et  en  argent  l'esmera  trente  quatre . 
Quand  il  otfait,  si  fu  mult  avenable, 
Puis  l'empira  par  mervillous  outrage  ; 
11  l'ensaia  sur  un  pérom  de  marbre, 
Qu'il  le  fendi  de  l'un  cief  dusqu'en  l'autre. 
Au  resachier  em  brisa  plaine  palme; 
Lors  ot  tel  duel,  por  un  poi  que  n'esrage. 
Lors  le  regrete  come  frère  fet  l'autre  : 
«  Tant  mar  i  fustes,  bone  épée  [doutable]! 
»  Qui  vos  ara,  ben  doit  avoir  barnage 
»  Et  en  son  cuer  proueche  e  vasselage.  » 
Lors  le  rameure,  gentement  la  rafaite  ; 
Corte  avoit  non  et  tôt  por  cel  afaire^. 

Plus  loin,  Karaheu  revêt  Ogier  de  ses  propres  armes  et  lui 
donne  Courtaine,  qu'Ogier  conservera  désormais: 

«  Ogier,  dist-il,  je  vos  donrai  m'espée, 
»  Certain  la  bone,  qui  tant  est  redotée  ^.  » 

Dans  la  version  du  Renaud  de  Monlauban,  publiée  par 
M.  Michelant,  il  n'est  rien  dit  de  l'origine  de  Bajard.  Quand 
les  fils  d'Aymes  sont  adoubés  chevaliers,  on  amène  à  Renaud 
un  cheval 

qui  tos  estoit  faés  ; 

Baiars  avoit  à  non,  issi  fu  apelés. 

La  sele  li  fu  mise  et  li  poitraus  fermés. 

Onques  ne  fu  tel  beste  à  bors  ne  à  cités. 

Evidemment  l'auteur  de  ce  roman  n'en  savait  pas  plus  long 
sur  l'origine  de  Bayard  que  sur  celle  de  Maugis.  Quant  à  Fro  • 

1  Le  ras.  de  Montpellier,  d'ailleurs  très-iacomplet  en  cet  endroit,  donne 
Brunadon,  et  plus  bas  doutable,  que  j'ai  imprimé  au  lieu  de  boutable. 

2  Chevalerie  Ogier,  v.  1647,  s.  —  3  V.  2700,  s. 


S8  RECHERCHES 

berge,  nous  voyons  que,  dans  la  cérémonie  de  l'adoubement, 
Ogierceint  une  épée  à  Renaud  ;  mais  le  nom  deFroberge  n'ar- 
rive que  bien  tard,  lorsque  les  quatre  frères  se  rendent  à 
Vaucouleurs,  à  la  p.  173  de  la  version  imprimée,  qui  remplit 
457  pages.  On  a  vu  plus  haut  que,  d'après  le  texte  de  Montpel- 
lier, Renaud  a  emporté  Froberge  dans  son  pèlerinage.  Dans  le 
long  récit  que  nous  avons  cité  au  commencement  de  cette 
étude,  il  est  dit  qu'il  la  tenait  de  Charlemagne  *.  C'était  une 
solution  simple;  on  peut  supposer  que  l'auteur  se  rappelait 
ces  paroles  d'Ogier  à  Renaud  : 

«  Karles  nostro  emperere  est  mult  preiis  et  cortois. 
»  Ja  vos  dona  il  armes  voiant  tos  les  François  2.  » 

Mais  il  n'j  a  dans  ces  vers  qu'une  allusion  à  l'adoubement 
des  fils  Ajmon  par  l'empereur. 

L'auteur  de  Gui  de  Nanteuil  a  cru  rehausser  l'intérêt  du 
duel  de  Gui  et  d'Hervieu  de  Lion  en  y  mêlant  quelques  noms 
empruntés  aux  légendes  anciennes.  L'épéequ'Ayglentine  ceint 
à  Gui  est  «une  dez  .111.  que  Galanfist  seur  mer ''.«Celle  d'Her- 
vieu n'est  pas  moins  remarquable: 

Ele  fu  Vivien,  si  l'ot  merveillez  chiere  ; 

Une  nuit  saint  Jehan  li  embla  .1.  lechierre'*. 

Malgré  cette  illustre  origine,  elle  se  brise  dans  le  bouclier 
de  Gui.  —  Si  l'épée  de  Vivien  était  destinée  à  si  mal  finir,  que 
dire  du  destrier  de  Renaud? C'est  encore  à  Hervieu,  c'est-à- 
dire  à  l'un  des  traîtres  de  la  gent  Ganelon,  que  le  trouvère  a 
eu  l'étrange  idée  de  le  donner: 

Baiart  li  amenèrent,  onques  n'i  ot  croupière  ; 
11  ot  sele  d"y voire  à  merveillez  legiere^. 

Et  dans  Te  combat,  quand  l'épée  d'Hervieu  vient  de  se  bri- 
ser entre  ses  mains,  Gui  deNanteuil,  sans  plus  hésiter, 

Au  bon  cheval  Baiart  a  la  teste  tolue. 
i  V.  40(5,  —  2  P.  117.  -  3  V    951,  -  "  V,  1004.  —  ^  V.  1009,  s. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  89 

Le  trouvère  voj^ait  peut-être  une  leçon  de  morale  dans  le  t'ait 
que  Tépée  et  le  coursier  perdaient  toutes  leurs  vertus  une 
fois  remis  à  des  mains  déloyales  ;  mais  c'est  là  un  point  de  vue 
très-moderne.  Mieux  valait  laisser  courir  Bayarddans  la  forêt 
d'Ardenne  et  ne  pas  toucher  àrépée  de  Vivien. 

Pour  en  revenir  à  Maugis,  je  dirai  que  son  duel  avec  Ate- 
nor  reproduit  souvent  les  péripéties  du  combat  de  Brunamont 
et  d'Ogier.  Le  second  récit  a  été  inspiré  parle  premier. 

Maugis  possède  Bayard  et  Froberge;  il  sait  l'art  des  en- 
chantements; il  n'a  plus  qu'à  revenir  auprès  des  siens.  Il  oblige 
Oriande  à  lui  avouer  de  qui  il  est  fils,  quelle  est  sa  famille. 
Dès  lors,  il  est  destiné  à  quitter  Rocheflour. 

Ici  commençait  pour  le  trouvère  un  second  sujet:  Maugis  à 
la  recherche,  en  quête  de  sa  famille,  employant  toutes  les  res- 
sources de  sa  science  et  de  son  courage  pour  vaincre  les  ob- 
stacles qu'il  rencontrera  sur  son  chemin.  L'auteur  n'était  lié 
par  aucun  récit  antérieur.  Il  créait  lui-même  la  matière  de  son 
roman  ;  il  avait  libre  carrière  et  pouvait  faire  preuve  d'ori- 
ginalité. Dans  le  long  extrait  que  nous  avons  donné,  on  a  pu 
reconnaître  une  certaine  science  de  la  composition,  l'art  de 
conter  sans  trop  de  longueurs  ;  çà  et  là,  de  la  vivacité,  de  l'es- 
prit, une  naïveté  agréable.  Ces  qualités  suffisaient-elles  dans 
une  oeuvre  destinée,  non  pas  à  rivaliser  avec  l'épopée  grave 
et  grandiose  de  l'âge  précédent,  mais  à  combiner  d'une  façon 
heureuse  des  éléments  disparates,  provenant  les  uns  des  chan- 
sons de  geste,  les  autres  des  romans  d'aventure  et  de  galan- 
terie? 

Je  crains  que  la  narration  que  je  vais  analyser  ne  satisfasse 
qu'à  demi  notre  attente.  Ce  n'est  pas  en  France  que  la  fusion 
des  deux  genres  s'achèvera  en  une  épopée  tour  à  tour  noble, 
spirituelle  et  gracieuse.  Nous  sommes  loin  encore  d'Arioste. 
Cependant  c'est  dans  ces  obscures  origines  qu'il  faut  chercher 
les  racines  du  grand  arbre  qui,  à  la  Renaissance,  p.orta  de  si 
belles  fleurs. 


90  RECHERCHES 

III 

MAUGIS     d'aIGREMONT 


Analyse  de  la  suite  du  texte 

[Fol.  158  ro«].  Oriande  sait  qu'elle  va  perdre  son  ami; 
elle  en  ressent  une  vive  douleur.  Arrive  un  messager  de  Tou- 
leile  ta  grant.  Les  sages  Goulias,  Aufaré  et  Landri,  demandent 
que  Baudri  se  rende  auprès  d'eux  dans  les  quinze  jours.  Us 
ont  trouvé  dans  un  souterrain  un  livre  que  le  sage  Ypocras  y 
avait  caché.  Baudri  demande  à  sa  sœur  qu'elle  lui  prête  Mau- 
gis.  Elle  y  consent,  mais  sans  espoir  de  revoir  son  ami. 

Maugis  s'arme  et  monte  sur  Bayard.  Oriande  charge  Espiet 
de  l'accompagner. 

Mez  il  li  venist  miex  que  il  fu  demourez, 
Que  Baiart  l'estrangla,  ch'  est  fine  veritez*. 

Les  vieux  maîtres  les  accueillent  avec  honneur;  ils  instrui- 
sent Maugis,  qui  fait  de  rapides  progrès  et  reçoit  la  qualifica- 
tion de  il/es^re  Maugis. 

Maugis  est  donc  allé  tout  simplement  prendre  ses  grades  à 
l'Ecole  de  Tolède.  Aux  yeux  du  trouvère,  les  écoles  arabes  où 
l'on  étudiait  les  sciences  et  la  médecine  sont  purement  des 
écoles  de  magie,  etHippocrate  se  trouve  être  le  patron  de  cet 
art.  L'événement  qui  appelle  Maugis  à  Tolède  est  la  décou- 
verte d'un  livre  du  célèbre  médecin.  Nous  quittons  le  domaine 
do  la  sorcellerie  populaire  et  de  la  féerie  du  cycle  d'Artus:  la 
magie  veut  avoir  les  apparences  de  la  science.  La  confusion 
d'ailleurs  remontait  loin;  on  sait  les  légendes  sur  Alexandre, 
IJippocrate,  Virgile.  D'après  le  Pseudo-Turpin,  la  magie  ou 
iii''cromancie  [w'cjromnnce,  ingromance)e^i  un  art  qu'il  est  per- 
mis d'étudier;  mais  qui  ne  doit  pas  être  pratiqué,  parce  qu'il 

'  A  la  fui  (lu  poème,  Bayard  tueEspiel  d'une  ruade  ;  il  ne  l'étrangle  pas. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  91 

ne  saurait  se  passer  du  concours  des  démons.  Les  préceptes 
en  sont  formulés  dans  un  livre  exécrable  [liber  sacratus,  inimo 
execratus).  Pour  ces  raisons,  bien  qu'il  puisse  être  considéré 
comme  le  huitième  des  arts  libéraux,  il  ne  fut  pas  représenté 
sur  les  murs  du  palais  de  Charlemagne  *. 

Galafre  régnait  sur  Tolède  et  sur  l'Espagne;  il  avait  deux 
fils:  Marsire  ou  Marsile,  l'aîné,  Baligan,  li  mainsnés^.  Maugis 
s'éprend  de  la  femme  de  Marsile,  qui  était  belle,  et  lui  témoi- 
gne en  secret  son  amour.  Au  mois  de  mai,  Galafre  tient  sa 
cour.  Il  rappelle  à  ses  barons  qu'il  est  vieux  et  frêle:  il  a  cent 
ans  passés. —  [158  r°  6]  Il  est  très-inquiet  à  la  suite  d'un  songe 
étrange: 

1     Anuit  songei   .i.   songe  dont  moult  sui  efFreés, 
Quer  il  m'estoit  avis,  ains  qu'il  fust  ajournés, 
Là  dehors  en  chele  isle  tout  contreval  les  prés. 
Tout  iert  mon  cors  d'argent,  et  mon  chief  sourorez 
Et  mi  dui  pié  de  pion:  ainsi  iere  formés. 

5     Puis  nous  venoit  d'oisiauset  debestez  plentés 
Que  onques  n'en  vit  tant  homme  de  mère  nés. 
.1.  lion  y  avoit  qu'estoit  descaennez, 
Le  chief  m'ostoit  du  bu  par  fine  poostés. 

1  V.  moD  édition  de  Turpin  au  ch.  xxxi  :  «  De  septem  artibus  quas  Karolus 
depingi  fecit  in  paiatio  suo  »,  p.  60;  — àproposdes  magiciens  de  Tolède,  Mor- 
dante, c.  XXV,  ott.  43: 

sendo  in  Toiletta 

Dove  ogni  negromante  si  raccozza. 

Dans  le  même  chant  (ott.  81),  Marsile  a  recours  aux  sages  de  Tolède  pour 
qu'ils  interprètent  les  prodiges  qui  ont  suivi  son  accord  avec  Ganelon. 

2  Le  trouvère  connaissait  la  légende  du  séjour  de  Charlemagne  en  Espa- 
pagne.  Au  fol.  167  v»  è,  il  est  parlé  d'un  haubert  que  l'empereur  avait  jadis 
conquis  sur  Braimant.  Maugis  à  la  cour  de  Galafre,  défenseur  de  Marsile,  qui 
en  fait  son  sénéchal,  ressemble  fort  àMainet;  mais  ses  amours  sont  moins 
excusables  V.  pour  cette  légende  ancienne  mentionnée  par  le  Pseudo-Turpin, 
et  dont  on  a  la  forme  la  plus  agréable  dans  les  Heali,  M.  G.Paris,  Hist.  poét. 
deCh.,  ch.  m,  p.  227,  s.  L'auteur  delà  Chronique,  si  longtemps  attribuée  à 
Turpin,  a  eu  sans  doute  le  premier  la  pensée  de  faire  de  Balugant,  l'émir  de 
Babylone,  un  frère  de  Marsile. —  De  longs  fragments  du  Mainet  primitif,  envi- 
ron 800  vers,  ont  été  retrouvés  en  1874  par  le  regretté  Boucherie  et  publiés 
par  M.  G.  Paris  dans  la  Romania,  juillet-octobre  1875.  Cf.  Gautier,  Ep.  Nat., 
2»  éd.,  III,  p.  37-40. 


92  RECHERCHES 

Apres  chele  avisoa  fa  en  une  autre  entrés 
10     Que  il  m'estoit  avis  que  Maugis  le  sénés 

Les  oisiaus  et  les  bestez  cachoit  de  clies  régnés, 
Et  de  prendre  Maugis  sunt  moult  forment  penés. 
Par  lui  estoit  Marsile  mes  fix  roi  couronnés, 
Et  Baligan  en  [Perse]  iert  sus  .i.  pin  montés'. 
15    Tuit  i  furent  li  arbre  du  païs  aclinés. 

Maugis  explique  le  songe.  L'empereur  de  Perse  doit  venir 
attaquer  Galafre  et  le  tuera.  Maugis  secourra  les  fils  de  Ga- 
lafre.  Marsile  restera  roi  d'Espagne  et  Baligant  sera  élu  roi 
de  Perse.  A  peine  Maugis  a-t-il  parlé  que  le  songe  se  réalise. 
L'amiral  de  Perse  campe  déjà  sous  les  murs  de  la  ville,  Gala- 
fre, au  premier  choc  des  armées,  est  tué  par  l'amiral. — 
[158  v°  a\  Le  géant  Escorfaut,  armé  d'une  épée,  de  cinq 
épieux,  de  cinq  dards,  de  trois  couteaux,  d'un  croc,  d'une  be- 
saiguë  et  d'une  masse,  promet  à  l'amiral  de  prendre  Tolède. 
11  commence  par  enfoncer  à  coups  de  masse  la  porte  de  la  ville  ; 
mais  les  assiégés  ont  le  temps  de  laisser  tomber  la  porte  cou- 
lante de  cuivre  sarrazinour .  Marsile  et  Baligant  tentent  une 
sortie;  le  premier  est  fait  prisonnier  par  Escorfaut.  Sa  femme 
se  désole;  Maugis  la  réconforte. —  [158  v»  b]  11  s'arme  et  va 
à  la  rencontre  du  géant.  Après  bien  des  coups  donnés  et  reçus 
de  part  et  d'autre,  ils  échangent  quelques  paroles,  Maugis 
apprend  à  Escorfaut  qu'il  est  fils  du  duc  Beuves.  Comme 
il  se  fait  tard,  le  géant  propose  d'interrompre  le  combat  -. 
—  [159  r°  a]  Tous  deux  vont  passer  la  nuit  au  camp  de  l'ami- 
ral. Celui-ci  s'engage,  si  Maugis  est  vainqueur,  à  livrer  son 
royaume  et  sa  tête.  Les  barons  de  Perse,  après  avoir  vaine- 
ment essayer  de  détourner  leur  seigneur  de  cette  pensée,  con- 
sentent à  le  pleiger  envers  Maugis.  Escorfaut  héberge  Maugis 
et  renvoie  Marsile  à  Tolède. 


*  Ms.  «  en  presse.  » 

-  Cf.  le  combat  d'Ogier  et  de  Braihier.  Les  deux  géants  se  portent  \g  doigt 
aux  dents  comiue  garantie  de  leur  fidélité  à  leur  parole.  Dans  Of/ier: 

Pour  le  miex  crerre  feri  son  doit  au  dent; 
Ici: 

Son  doit  fiert  à  sa  dent  pour  iVIaugis  miex  fier. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  93 

Le  jaiant  moult  se  paine  de  Maugis  aeisier, 
Mes  onques  n'acointa  plus  félon  losengier. 

Le  lendemain  matin,  le  combat  est  repris.  Si  Maugis  vou- 
lait adorer  Mahomet,  Escorfaut  lui  donnerait  en  mariage  sa 
fille. 

Escorfaude  au  vis  cler 

Qui  est  assez  plus  noire  qu'errement  destrempé  *. 

Maugis  refuse  et  finit  par  le  tuer.  Les  barons  de  Perse  tien- 
nent leur  parole,  livrent  l'amiral,  et  Marsile  lui  tranche  la. 
tête. — [159  v^a]  AquilantdeMaiogre,parent  deFamiral,  part 
pour  Valdormant  son  domaine  ;  mais  les  barons  de  Perse 
prennent  Baligant  pour  amiral  et  seigneur.  C'est  lui  qui  se- 
courra Marsile  contre  Charlemagne.  Marsile  est  roi  de  To- 
lède; il  prend  Maugis  pour  sénéchal,  puis  commence  la  guerre 
contre  Aquilant,  On  assiège  la  cité  de  Valdormant.  La  reine 
Ysane  apprend  que  Maugis  est  chrétien  et  dès  lors  s'intéresse 
à  lui;  son  fils  Brandoine  et  Aquilant  font  une  sortie.  —  [159 
v°  b]  Maugis  tue  Aquilant;  deuil  d' Ysane: 

Mes  vous  l'avez  souvent  en   .i.  proverbe  oï 
Que  jenne  famé  a  tost  oublié  viel  mari. 

Le  siège  se  continue.  Ysane  envoie  par  Espietdes  messages 
d'amour  à  Maugis.  Celui-ci  pénètre  la  nuit  dans  la  ville  par  une 
fausse  posterne  et  a  un  entretien  avec  elle  dans  un  verger  pen- 
dant qu'Espiet  fait  le  guet.  —  [160  r"  a]  Ysane  reconnaîtMau- 
gis  à  l'anneau  qu'il  porte  à  l'oreille;  elle  lui  apprend  qu'elle 
est  sa  tante.  Il  sort  de  la  ville  avec  Espiet  et  rencontre  le  roi 


'  Cf.  Huon  de  Bordeaux,  v.  6520,  s.  Le  géant  Agrapartfait  la  même  offre 
à  lluou  : 

«  Si  te  doarai  .i.  moult  rice  présent: 

»  Ma  suer  germaine,  noire  est  com  arement; 

»  Graindre  est  de  moi,  si  a  .'.  piet  de  dent.» 

L'expression  si  fréquente  dans  les  chansons:  noir  comme  arrement,  ou 
errement  destrempé,  noir  comme  l'encre,  s'est  conservée  dans  le  franco- 
italien  :  negro  cum  agrament  stemprà.  Bovo  d'Antona,  v.  1160,  éd.  de 
M.  Rajna,  à  la  fin  des  Reali  di  Francia. 

6 


94  RECHERCHES 

Brandoine  :  comliat  des  deux  cousins  germains.  —  [160,  r"  b] 
Embarras  de.  Maugis,  qui  sait  avec  qui  il  se  bat. —  [160,  V  a] 
Maugis  renverse  Brandoine,  lui  révèle  leur  parenté,  et  le  me- 
nace de  le  tuer  s'il  ne  se  convertit  pas.  Brandoine  renie  Ma- 
homet, et  tous  deux  rentrent  dans  la  ville,  où  Ysane  pleure 
à  la  vue  de  leurs  blessures.  — [160  v°  b]  Après  le  baptême  de 
Brandoine  la  paix  est  conclue,  et  Maugis  revient  à  Tolède 
avec  Marsile,  qui  a  pleine  confiance  en  lui  et  lui  remet  son 
pouvoir  et  ses  trésors.  Maugis  n'en  continue  pas  moins  ses 
amours  avec  la  femme  de  Marsile;  et  une  nuit,  un  Sarrasin 
les  aperçoit  tous  deux  dans  la  chambre  de  la  reine.  —  [161 
r"  a]  Marsile  est  averti;  il  accourt,  frappe  à  la  porte  et  la  fait 
enfoncer. 

Mais  Maugis  s'est  transformé  en  un  cerf  dont  les  andouil- 
1ers  sont  garnis  de  pierres  étincelantes.  Le  roi  n'en  menace' 
pas  moins  la  reine.  Celle-ci  consent  à  être  brûlée  vive  si  elle 
a  eu  avec  Maugis  d'autres  rapports  qu'avec  la  bête  que  l'on 
voit*.— [161  r°  b]  Maugis  raconte  sa  mésaventure  à  ses  maî- 

^  Paulia  Paris  {Histoire  littéraire,  XXII,  article  sur  Maugis  d'Aifjremont) 
a  présenté  une  analyse  très-développée  des  amours  de  Maugis  avec  la  femme 
de  Marsile,  dont  le  trouvère  oublie  de  donner  le  nom  (Braraimunde),  et  avec 
Ysane.  Il  remarque  que  la  surprise  des  amants  et  la  proposition  que  fait  la 
reine  de  subir  l'épreuve  du  feu  sont  des  emprunts  au  lAincelot  du  Lac.  En 
comparant  les  citations  contenues  dans  cet  article  et  le  texte  de  Montpellier, 
je  constate  dans  ce  dernier  une  lacune  au  fol.  161  r°  b. —  On  voit  dans  mon 
résumé  que,  lorsque  Maugis  et  Espietquittent  l'Espagne,  ils  perdent  les  provi- 
sions que  les  vieux  maîtres  leur  avaient  données,  puis  se  réfugient  dans  un 
bois.  Mon  texte  continue  ainsi: 

A  iciieste  parole  la  nuit  si  les  sousprent; 

Or  personne  n'a  parlé.  L'analyse  de  VHistoire  littéraire  permet  de  remplir 
cette  lacune.  Chemin  faisant,  Maugis  et  Espiet  ont  faim.  Maugis  demande  con- 
seil au  nain,  qui  trouve  un  expédient: 

a  Sire,  dist  Espiet,  vos  parlés  malement, 
»  Désespérer  est  pire  que  venins  de  serpent. 
»  Meillor  larron  de  vous  n'a  dus  qu'en  Orient, 
»  Je  méismes  en  sai  quanque  mestier  appent; 
»  Si  emblerons  assés  et  donrous  largement. 
»  Tolons  denier  as  riches,  donons  à  povre  gent. 
))  Jà  n'en  pèsera  Dieu,  le'pere  omnipotent.» 
Dist  Maugis:  «  Tu  paroles  bel  et  courtoisement.» 
VHistoire  littéraire  ajoute:  «  Il  faut  convenir  que  les  règles  de  l'honneur 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  95 

très  Baudri,  Bourias,  Ferrant  de  Rise.  Ils  lui  donnent  un  bou- 
clier d'or  et  deux  mulets  chargés  de  provisions.  En  compagnie 
d'Espiet,  il  quitte  Tolède.  Cependant  Escorfaut  de  Monglai  a 
trouvé  dans  la  chambre  de  la  reine  les  gants  de  Maugis  et  les 
a  remis  au  roi.  On  poursuit  Maugis  ;  mais  Espiet  et  lui  se  ré- 
fugient dans  un  bois,  après  avoi'r  abandonné  leurs  deux  som- 
miers. De  là,  ils  vont  offrir  leurs  services  à  Tamustant  de  Mê- 
lent.— [161  v°  a]  L'amustant  est  en  guerre  avec  Vivien  de 
Monbranc,  Dans  la  mêlée,  les  deux  frères  sont  aux  prises  un 
moment  ;  puis  se  séparent,  et  Maugis  tue  le  roi  ou  amachour 
Sorgalan. —  [161  v°  b]  Vivien  emporte  le  corps  de  Sorgalan  à 
Monbranc,  lui  fait  de  belles  funérailles  et  devient  Tépoux 
d'Esclarmonde.  Il  envahit  les  terres  de  Beuves  d'Aigremont. 

Maugis  se  décide  à  aller  à  la  recherche  de  son  père  et  de  sa 
mère.  —  [162  r°  a]  Maugis  fait  ses  adieux  à  l'amustant  de  Mê- 
lent, qui  le  comble  de  présents  : 

Donner  li  fist  d'avoir  carchié  .i.  arragon; 
AEspiez  donna  .i.  bon  destrier  gascon. 
Et  o  sommier  mener  li  donna  .i.  garchon 
Qui  ot  non  Fousifie  '  et  est  de  sa  maison. 

Un  paumier  qu'ils  rencontrent  leur  apprend  qu'Hernaut 
de  Monder  et  Othes  d'Espolice  sont  assiégés  dans  Monder 
par  l'empereur  Charles  depuis  un  an.  Maugis  envoie  Espiet 
à  Maiogre,  pour  demander  des  renforts  à  Ysane  et  à  Bran- 
doine. 


et  de  la  courtoisie  oot  fait  quelque   progrès  depuis  .Maugis  et  le  trouvère  qui 
l'avait  choisi  pour  son  héros.  » 

M.  Rajoa,  au  sujet  de  la  sympathie  dont  est  entouré  le  larron  Maugis,  rap- 
pelle que  l'auteur  du  Pienaud,  «  un  peu  socialiste  »,  a  le  soin  de  nous  avertir 
que  Maugis  n'enleva  jamais  rien  aux  pauvres: 

Mes  onques  à  vilain  n'embla  un  oef  pelé. . . 
Mes  aine  n'embla  vilain  vaillant  un  esperon. 

{Orig.  d.  Ep.  Fr.,  p.  435.) 

'  Dans  Simon  de  Pouille,  Falsifie  est  un  messager  que  l'amiral  Jouas 
envoie  au.K  chrétiens  avec  le  dessein  de  leâ  faire  tomber  dans  un  piège.  Fr. 
Michel,  préface  de  Chai-lemayne,  p.  xcvi,  Gautier,  £/).  7iation.,2<'  éd.,  111, 
p.  349,  note. 


96  RECHERCHES 

La  ruse  que  Maugis  emploie  pour  entrer  dans  Monder  mé- 
rite d'être  rapportée  : 

Maugis  et  Fousifie  vont  vers  l'est  de  Paris. 

Moult  par  est  le  bon  lerre  esmaiez  et  pensis 

Comme  il  entre  en  Monder  dont  li  mur  sont  voutis. 

Oes  de  quelboidie  Maugis  s'est  entremis. 
5     De  Baiart  descendi  par  dessous  .11.  olis, 

Vistement  se  desarme,  n'i  a  plus  terme  quis; 

Sus  Baiart  est  monté,  le  bon  destrier  de  pris, 

Maugis  vest  maintenant  .1.  moult  blanc  souplis 

Et  desus  cape  close  d'un  sanguin  de  Paris, 
.10     Et  capel  rouge  aussi  avoit  en  son  chief  mis  ; 

.11.  gans  ot  en  sez  mains  plus  blanc  que  flor  de  lis. 

Sus  le  cheval  monta  qui  fu  fort  et  braidis. 

Bien  semble  cardinal,  par  foi  le  vous  plevis. 

Puis  distà  Fousifie  assez  valent  avis: 
15     ((Chest  sommier  me  menez  droit  à  Monder  la  cliis. 

))Se  Franchois  t'aresonnent,  ne  soiez  esbahis, 

»  A  qui  est  chel  sommier?  — di  lor,  biau  dous  amis: 

))A  .1.  cardinal  est  de  Rome  beneïs.» 

Atant  s'en  est  torné,  à  la  voie  s'est  mis. 

20         Quant  départi  se  fu  Maugis  de  Fousifie, 
Al'ost  Kallon  s'en  va  toute  la  voie  antie, 
Es  hébergez  entra  par  une  praerie, 
Outre  s'en  va  par  l'ost,  n'i  a  chil  (jui  desdie. 
Le  roi  se  sist  devant  seur  .1.  drapde  Roussie, 

25     Le  sommier  voit  passer,  à  haute  vois  escrie  : 
«A  qui  est  chil  sommier?  ne  me  chelez  tu  mie.  » 
Fousifie  respont  où  moult  ot  de  boidie: 
«Sire,  à  .1.  cardinal  de  Romme  la  garnie, 
»Mès  larrons  orgueilleus,  que  le  cors  Dieu  maudie, 

30     »  .XXX    clers  nous  ont  mors  par  lor  grant  estoutie: 
»  A  ])aine  ai  amené  chesti  à  garantie . 
»  Mi  sire  vient  ichi  tout  seul  sans  compengnie.  » 
((Chen  poise  moi,  dist  Kalles,  se  Dex  me  beneie.» 
Adonc  monta  le  roi,  il  et  sa  baronie, 

35     Encontre  le  légat  vont  moult  grant  compengnie. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  97 

Devant  le  tref  rencontrent  de  soie  d'Aumarie. 
Maugis  lieve  la  main  qu'il  ot  bêle  et  fornie, 
Et  les  saigne  et  assoult  de  Dieu  le  fix  Marie. 
«Sire  légat,  dist  Kalles,  mon  cuer  moult  se  gramie 

40     «Des  larrons  orgueilleus,  que  Ihesus  maleïe, 
»  Qui  vous  ont  assailli  et  votre  gent  leidie.  » 
Et  Maugis  li  respont,  qui  entent  la  boidie  : 
<(  Sire  emperere  Kalles,  ne  leiroi  ne  vous  die, 
»  Par  vous  i  sunt  li  lerre  qui  font  la  roberie. 

45     »  Mi  sire  l'apostole  en  a  bien  l'oevre  oïe. 
))Sus  païen  deiissiez  mener  cheste  estoutie. 
»  Or  avez  cheste  terre  gastée  et  essilie.  » 
«  Sire  légat,  dist  Kalles,  se  Dex  me  beneïe, 
»  Il  commenclia  premier  cheste  estoutie.  » 

50     ))Sire  roi,  dist  Maugis,  lessiez  votre  folie, 
»  Je  parleroi  o  conte  et  à  sa  baronnie, 
»  Quer  je  i  voudroi  mes  hui  prendre  hebergerie.  » 

DistTemperere  Kalles:  ((Biau  sire  cardinal, 
»  Vous  en  vendrez  o  moi,  moult  par  me  sera  bel.  » 
55     «Non  ferai,  dist  Maugis,  ains  irai  au  castel, 

»  Quar  parler  vueil  au  conte  et  à  cheus  de  Tostel, 
»  Volentiers  abattre  la  noise  et  le  chembel.» 
((  Aies,   dist  l'emperere,  au  cors  .S.  Daniel.  » 
Et  Maugis  esperonne,  si  s'en  torna  isnel. 
60     Devant  lui  esgarda  contreval  .i.  ruissel, 
Fousifie  a  veii  ester  sus  le  ponchel  ; 
A  l'issir  des  hébergez,  u  pendant  d'un  vauehel, 
Encontre  de  vitaille  carchié   .iiii.  poutrel, 
De  pain,  de  vin,  de  char,  si  i  ot  maint  oisel  : 
65     Si  les  conduit  Dunaimez,  Salemon  et  Hoel. 

Maugis  voit  les  sommiers  venir  et  amener 
Que  Naymes  et  Hoel  et  Salemon  le  ber 
Conduisoient  à  l'ost  pourKallon  présenter. 
Moult  est  lie  Maugis,  le  vaillant  bacheler, 
70    Petit  prise  son  sens  s'il  nés  en  peut  mener. 
.1.  encantement  fet  qui  moult  fet  à  loer. 
Cheuz  qui  lez  sommiers  mainent,  a  fet  si  encanter 


98  RECHERCHES 

Qu'il  lor  fist  du  castel  les  tentez  resembler  ; 

Les  sommiers,  qui  vers  Tost  prenoient  à  aler^ 
75     A  fet  vers  le  castel  ariere  retorner  ; 

A  .II.  barons  puissans  lez  fet  avant  mener. 

Quant  Francheis  l'ont  veii,  si  prennent  à  crier: 

«He!  Naimez  de  Bavière,  où  devez  vous  aller? 

«Voulez  vous  donques  Kalle  guerpir  et  adosser?» 
80     Maugis  tint  .i.  baston,  grant  coup  lor  va  donner, 

Et  distli  .1.  à  l'autre  :  «  Or  le  lessiez  aler, 

»  Chi  a  mal  cardinal,  Dex  li  puist  mal  donner. 

»  Ainz  mez  ne  vi  à  prestre  si  vilain  coup  donner.  » 

Et  Maugislor  commenche  hautement  à  crier: 
85     ((Ales,fix  à  putain,  Kallemaine  conter 

»  Que  Maugis  le  bon  lerre  l'est  venu  encanter. 

))Fet  me  sui  cardinal  pour  lui  embriconner, 

»  Asses  tost  li  feroi  le  siège  comperer.  » 

Maugis  entre  au  château  avec  Naymes,  Hoel,  Salomon  et 
tout  son  convoi.  Après  que  le  comte  Hernaut  a  rassure  les 
chevaliers  français,  Maugis  se  fait  reconnaître  de  son  grand- 
père,  et  lui  apprend  que  sa  fille  Ysane  est  reine  de  Maiogre  et 
qu'elle  a  deux  fils  qui  viennent  d'être  baptisés  :  ils  sont  aver- 
tis du  besoin  où  est  le  comte,  et  se  préparent  à  le  secourir. 
Cependant  l'armée  des  Français  attaque  Monder.  Maugis  dé- 
sarçonne Ogier.  —  [162  v°  b]  Hernaut  et  ses  chevaliers  en- 
tourent Ogier,  qui  est  fait  prisonnier.  Le  combat  redouble  de 
violence  et  les  Français  sont  en  pleine  déroute.  Guillemer 
l'Escot,  avec  quinze  chevaliers,  se  réfugie  dans  un  marais  d'où 
ils  ne  peuvent  plus  sortir.  Charlemagne  fait  prendre  les  armes 
à  toutes  ses  forces.  En  passant  près  du  marais,  Hernaut  raille 
Guillemer  et  ses  Ecossais  : 

Le  quens  Hernaut  les  voit,  o  le  fleuri  grenon  ; 
A  Guillemer  l'Escot  a  dit  un  gap  félon: 
«Sire  Escot  Guillemer,  peschiez  vous  as  poissons? 
))I]  i  a  moult  plus  rainez  que  perchez  ne  saumons. 
»  Trestous  vos  Escotois,  pleùst  Dieu  et  son  non, 
»  I  fussent  avec  vous  etNormans  et  Bretons' .  » 

»  Cet  épisode  m'a  tout  l'air  d'avoir  été  suggéré  par  les  lourdes  plaisante- 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  99 

Quand  Charlemagne  et  son  ost  arrivent  sur  le  champ  de 
bataille,  Maugis  rappelle  Hernaut  et  son  oncle  le  roi  Othon 
d'Espolice.  —  [163  r°  a]  Ils  rentrent  dans  Monder.  Charlema- 
gne fait  donner  l'assaut  à  la  ville.  En  voyant  Guillemer  dans  le 
marais,  Griffes  et  Charles  se  moquent  de  lui  au  lieu  de  l'aider. 
L'assaut  échoue,  et  Guillemer  qui  a  été  oublié  est  obligé  de  se 
rendre  à  Hernaut.  —  [163  r"  b]  Un  messager  apporte  la  nou- 
velle queBeuves  d' Aigrement,  serré  de  près  par  Vivien  l'ama- 
chour,  demande  d'être  secouru.  Maugis  se  déguise  en  paumier 
ou  pèlerin  : 

Le  bourdon  prent  u  poing  et  l'escrepe  au  costé, 

.1.  capel  ot  u  chief  en  trente  lieus  chité, 

Son  vis  a  taint  d'une  herbe  qui  est  de  grant  bonté'. 

ries  que  Renaud  décoche  à  Ogier  quand  celui-ci  a  dû  repasser  la  rivière  : 

«  Ogier,  ce  dist  Renaus,  estes  vos  pesclieor? 

»  Se  tu  as  pris  anguilesu  troites  u  saumon, 

»  Fai  m'ent  tel  compaignie,  com  doit  faire  frans  hom. 

»  U  tu  passes  ceie  ewe,  si  vien  joster  à  nos. . . 

(P.  207,  cf.  210-211.) 

Renaud,  en  le  voyant  sur  l'autre  bord  de  la  rivière,  lui  dit  en  raillant 
de  lui  veiidre  les  poissons  qu'il  avait  pris,  ou  bien  s'il  voulait  jouter  en- 
core contre  lui,  qu'il  allait  le  joindre  de  l'autre  côté.  Bibl.  bleue. 

1  Ce  tour  de  Maugis  n'est  qu'une  imitation,  mais  très-abrégée,  du  passage 
si  connu  du  Renaud  de  Montauban  (p.  250-257).  La  chape  fait  sans  doute  par. 
lie  du  costume  de  paumier,  mais  le  vers  du  Maugis  indique  qu'elle  avait  une 
célébrité  particulière.  Ici,  comme  en  d'autres  endroits,  l'auteur  de  la  version 
publiée  par  M.  Michelant  me  paraît  altérer  un  texte  moins  prosaïque.  Dans  son 
récit,  Maugis  ne  se  sert  guère  de  son  chaperon  que  pour  y  mettre  les  trente 
livres  que  les  seigneurs  lui  donnent;  mais  il  semble  que  ce  costume  lui  est  or< 
dinaire,  car  Richard  dit  à  Ogier  (p.  271)  : 

«Jouai  veù Maugis  o  le  chaperon  lé.» 

J'accepterais  volontiers,  pour  ma  part,  la  supposition  de  M.  Rajna:  «  In  que 
»  tempo  egli  (Maugis)  possedeva  probabilmente  una  tarnkappe,  e  poteva  a 
>)  suo  piacere  rendersi  invisibile.  »  Or.  d.  Ep.  F.,  p.  435.  Dans  Gaufrey 
(v.  8195,  s.),  Malabron  revêt  sa  cape  quand  il  veut  devenir  invisible  : 

Le  folet  ot  sa  cape  vestu  et  endossé  ; 
Si  n'est  nul  qui  le  voie,  che  est  la  vérité, 
Puis  que  il  a  sa  cape  vestu  et  endossé. 

A  la  page  suivante,  Malabron  couvre  Robastre  d'un  pan  de  son  manteau  et 
le  délie  sans  que  les  géants  s'en  aperçoivent.  Dans  Garin  de  Montglane,  Per- 


100  RECHERCHES 

Il  se  rend  au  camp  des  Français  ;  mais  un  espion  de  Charles, 
Grafumez,  a  été  témoin  de  son  déguisement  et  le  trahira. 
Quand  l'empereur  voit  arriver  le  pèlerin,  il  dit  à  Othon  et  à 
Othoé: 

((Ves  ichi  un  paumier,  moult  a  son  cors  lassé, 
»  Il  pert  bien  à  sa  char  qu'il  a  moult  loing  este.  » 
Dist  Sansez  de  Borgoigne  :  «  Vous  ditez  vérité, 
))I  tiex  menues  gens  aront  la  majesté. 
»  Nous,  haus  homraez,  povon  moult  estre  espuanté 
«Qui  tuon  les  vilains  qui  gaaignent  le  blé.» 
Dist  l'emperere  Kalles:  «Vous  dites  vérité'.» 

[163  v°  a]  Maugis  les  salue  ;  il  vient  des  pèlerinages  de  St- 
Jacques  et  de  Rochemadour;  il  demande  à  manger.  L'empe- 
reur tient  à  le  servir  lui-même,  et,  après  le  repas,  lui  donne 
un  hanap  d'argent.  Au  sortir  de  la  tente  de  Charles,  Maugis 
rencontre  l'espion  Grafumez  qui  l'arrête,  lui  dit  qui  il  est,  ap- 
pelle à  l'aide.  —  [163  v°  b]  Après  une  lutte  violente,  Maugis 
est  amené  à  l'empereur;  on  le  charge  de  chaînes. Charles  en- 
voie Grafumez  offrir  à  Hernaut  de  lui  rendre  son  petit-fils,  si 
de  son  côté  il  veut  se  soumettre.  Mais  Fousifie  rencontre 
Grafumez,  se  dit  espion  lui  aussi  de  Charles,  se  fait  tout  ra- 
conter, puis  assomme  à  demi  le  malheureux,  que  le  comte 
Hernaut  ordonne  de  pendre  à  un  pin.  La  colère  des  Français 
est  grande.  Cependant  le  messager  de  Beuves  repart  pour 
Aigrement  avec  une  lettre  pour  le  duc  ;  on  lui  fait  savoir  que 
Maugis  est  son  fils,  et  pourquoi  on  ne  peut  lui  porter  secours. 
Le  messager  tombe  entre  les  mains  des  Sarrasins  ;  on  trouve 
sûr  lui  la  lettre  et  on  la  fait  lire 

A  un  clerc  renoié  dont  en  Tost  assez  ont. 

digon  l'enchanteur  ayant  emprisonné  Robastre,  Malabron  apporte  à  son  fils 
la  cape  invisible  d'Auberon.  Robastre  recouvre  sa  liberté  et  s'amuse  à  jouer 
mille  tours  à  ses  ennemis  et  à  ses  amis.  Gautier,  Ep.  f)-ançaises,  2"  éd.,  IV, 
251  — Nous  verrons  plus  loin  qu'Espiet  se  sert  d'un  capel  pour  ses  enchan- 
tements ;   est-ce  une  réduction  de  la  chape  en  question? 

•  Nous  avons  ici  la  première  forme,  timide  encore,  mais  déjà  éloquente,  de 
cette  protestation  contre'Ja  dureté  féodale  que  La  Bruyère  devait  exprimer 
avec  tant  d'énern;ie  en  faveur  des  paysans,  qui  méritent  «  de  ne  pas  manquer 
de  ce  pain  qu'ils  ont  semé.  » 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  101 

[164  r"  b]  Vivien,  enchanté  de  ce  qu'il  apprend,  laisse  le 
messager  rentrer  dans  Monder.  Quand  Beuves  est  renseigné, 
il  fait  écrire  à  ses  frères  Girard  de  Roussillon,  Doon  de  Nan- 
tueil,  Aymes  de  Dordonne,  Renier  de  Vantaraise.  Pour  proté- 
ger le  départ  du  messager,  Beuves  sort  de  grand  matin  et 
surprend  les  gardes  de  Fennemi.  Il  tue  Corfrain  et  blesse 
Danemont  d'Abilant.  —  [164  v°  a\  Vivien  s'arme  et  attaque 
Beuves.  Leurs  chevaux  sont  tués.  Beuves  est  relevé  par  ses 
chevaliers  et  rentre  dans  Aigremont.  L'amachour  est  fu- 
rieux: 

Forment  11  oïssiez  le  duc  Buef  menachier, 
Mes  il  fet  moult  que  fol  de  tel  chose  afichier  : 
Par  temps  li  couvendra  d'autre  Martin  pleidier'. 

Espiet  est  arrivé  à  Valdormant  ;  sur  son  avis,  Brandoine 
réunit  son  armée,  et  avec  sa  mère  Ysane  part  pour  secourir 
Hernaut  de  Monder.  On  campe  à  quelques  lieues  de  Mon- 
der, Brandoine  envoie  Espiet  saluer  son  aïeul  de  sa  part. 
Espiet  veut  traverser  l'ost  de  Chaiiemagne  : 

N'ot  que  .m.  piez  de  lonc,  si  pot  bien  randonner; 
,1.   enfant  de  .vu.  ans  semble  le  bacheler, 
Si  en  a  plus  de  .c.  qui  n'en  veut  mesconter, 
Et  sot  trestpus  langagez  courtoisement  parler. 

Espiet  entre  sous  la  tente  de  Charlemagne,  et,  irrité  de  ce 
que  Maugis  est  prisonnier,  forme  le  projet  d'effrayer  l'empe- 
reur. Celui-ci  le  trouve  très-beau  et  lui  demande  qui  il  est-. 

I  Cf.  Gui  de  Bourgogyie,  v.  1402-1404. 

-  Espiet  est  beau  en  souvenir  d'Auberon. 

Si  n'a  de  grant  que  .ni.  pies  mesurés  ; 
Mais  tout  à  certes  est  moult  grant  sa  biautés. 
Car  plus  est  biaus  que  solaus  en  esté. 

(Hiwn  deBordemix,  v    3155,  s.) 

Quand  Aiiberon  raconte  à  Huon  comment  une  fée,  après  l'avoir  condamné 
à  ne  pas  grandir,  lui  accorda  par  compensation  le  don  de  beauté,  il  dit  de 
lui-même  : 

«  Autant  sui  biaus  con  solaus  en  esté.   » 
(V.3512.) 

II  en  dit  autant  à  Charlemague,  v.   10400. 

Le  nain-chevalier  de  Lancelot  du  Lac  est  laid. 


102  RECHERCHES 

Espiez  fu  dolent,  forment  ot  grant  doulour 
Que  Maugis  en  prison  estoit  à  tel  doulour  ; 
Pour  chen  veut  à  Kallon  fere  .i.  poi  de  paour. 
Maugis  Ta  conneli,  n'ot  mes  joie  gregnour; 
5     Volentiers  i  parlast,  s'il  en  eiist  leisour. 
Espiez  s'aresta  devant  l'empereour. 
Kalles  le  regarda,  si  li  dist  par  amour, 
Quer  mes  si  bel  enfant  n'avoit  veû  nul  jour, 
Il  li  a  dit  :  «  Enfes,  ditez  moi,  par  amour', 

10    »  Où  aies  vous?  dont  estez?  dont  sunt  vo  conditour?  » 
«Sire,  dist  Espiez,  Ihesu  le  creatour; 
»  Mez  de  mon  errement  vous  dirai  la  vraiour. 
»  Je  sui  nés  de  Touleite,  ôx  d'un  encanteour; 
»  De  son  mestier  m'aprist  et  de  ses  sens  plusour. 

15     »  Tant  en  sai  que  vous  onques  ne  veïstez  meillour. 
»  Je  sai  bien  ostoier  .i.  faucon  osteour 
»  Et  garder  par  mestrie  .i.  destrier  misaudour. 
»  De  trestous  estrumens  ne  fu  tel  deduitour  : 
))Biez  sai  chanter  et  lire  et  sui  bon  conteour  ; 

20     »  N'onquez  ne  fu  à  homme  duc,  prinche  ne  contour, 
»Se  je  vueil,  que  sa  famé  ne  m'emast  par  amour. 
»  Or  est  mon  père  mort,  si  vois  querrant  seignour.  » 
))Par  S.  Denis,  dist  Kalles,  tu  es  de  grant  valour. 
»  Ne  fust  une  deschez,  à  moi  fust  le  séjour. 

25     »  Monstrez  nous  de  vos  giex  la  mestrie  et  la  flour. 
))  Je  te  donrai  assez,  se  es  tel  joueour.  » 
))Sire,  dit  Espiez,  volentiers  sans  demour. 
»  Vous  en  ares  assez,  mez  n'en  aiez  freour, 
»  Quer  de  bons  et  de  biaus  en  verrez  ja  plusour.  » 

Li  tref  fu  large  et  grant  d'un  paile  de  Tudele, 
Et  laplache  fu  grant,  tous  furent  en  rouele. 
Espiez  .1.  capel  fist  de  gla[y  et]  de  cenele^, 
Sel  mist  sus  le  jonchel  qui  fu  fresche  et  nouvele, 
Puis  a  féru  dessus  du  rain  d'une  canele. 
35     .1.   encantement  fist  où  ot  mestrie  bêle, 

1  Ms.  «  mez  enfes.  » 

-  Ms.  «  de  gla  de  cenele.  » 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  103 

Quarvis  fu  àKallon  que  dessus  la  rouele 
Du  capel  de  bo[n]et  qui  fu  fet  à  Tudele  \ 
Du  capel  de  bo[n]et  qui  fu  fet  à  Bordele, 
Sailli  demaintenant  .xxx.  et  une  puchele  ; 
40     Vestuez  sont  d'orfrois,  petitez  les  memmeles. 
Fol.  165  r"a.  L'une  cante  .i.  sonnet,  et  l'autre  une  viele. 
Onques  mes  mélodie  ne  fu  veiitant  bêle. 

L'encantement  fu  fier,  de  voir  le  vous  plevis, 
Que  à  tous  fu  ensemble  et  à  Kallon  avis 

45     Que  tous  les  semble  à  estre  en  gloire  en  paradis. 
Moult  s'enrist  bonnement  le  bon  lerre  Maugis. 
Li  encantement  faut  et  finement  a  pris  ; 
Kalles  li  emperere  en  a  durement  ris, 
Onques  mes  ménestrel  ne  vit  si  bien  apris. 

50     u  Segnors,  dist  Espiez,  ne  soiez  esbahis. 

))Ja  en  verrez  .i.  autre  qui  encor  vaut  tex   ,x.  » 
Il  fîert  sus  le  capel,  tantost  en  sunt  saillis 
.II.  grans  serpens  félons  et  .iiii.  coquatris, 
Escorpions  et  tigrez  plus  de  .lxx. 

55     Qui  s'entrecombatoient  comme  deables  vis. 
N'i  vousist  l'emperere  pas  estre  pour  Paris. 
Il  reclame  S.  .Jaque  et  le  ber  S.  Denis 
Que  de  mort  le  deffende,  que  il  n'i  soit  malmis. 

Moult  par  fu  orgueilleus  ichel  encantement, 
60     Quer  avis  fu  à  Kalle  et  à  toute  sa  gent 

2 

Quer  laiens  ot  de  bestez  si  grant  c[r]ooullemenl 
Que  il  ne  garde  Teure  que  il  muire  à  torment; 
Et  gietentfeu  et  flambe  issi  espessement 
Que  tout  le  paveillon  en  alume  et  esprent, 
65     Et  que  Kalles  meïsme  à  sa  barbe  le  sent. 
A  sa  main  l'a  sachié  que  peus  en  sache  ,c. 

1  Ms.  ce  bovet.  »  Le  scribe  n'a  pas  compris  l'expression  cliapel  de  bonnet 
qu'il  avait  sous  les  yeux  ;  après  avoir  d'abord  écrit  bonnet,  il  a  barré  le  mot 
d'un  trait  rouge  et  l'a  remplacé  par  «  bovet.   » 

-Lacune  évidente,  probablement  d'un  vers. 


:04  RECHERCHES 

Il  se  voue  à  S.  Jaque  et  au  ber  S.  Vinchent. 
Espiezet  Maugis  en  rient  bonnement. 
Et  quant  chen  fu  venu  que  il  prist  finement, 
70    Kalles  ne  fu  si  lie  pour  Tor  de  Bonivent, 
Et  dist  à  Espiez  :  «  Amis,  à  moi  entent. 
»Le  matin  te  feroi  paier  à  ton  talent,  » 

Espiet,  maigre  sa  suffisance,  n'invente  guère.  Sa  conversa- 
tion avec  l'empereur  rappelle  en  bien  des  points  le  passage  de 
Huon  de  Bordeaux  où  le  chevalier,  tombé  dans  une  affreuse 
misère  pour  n'avoir  pas  respecté  les  ordres  d'Aubcron,  ren- 
contre Instrument  le  Jongleur,  et  va  offrir  ses  services  à  Yvo- 
rin.  Parmi  les  talents  dont  Espiet  se  vante,  plusieurs  sont  em- 
pruntés à  Instrument  et  à  Huon,  à  l'un  ceux  de  ménestrel,  à 
l'autre  ceux  d'élever  Tépervier  et  de  se  faire  aimer  des  bel- 
les dames'.  Merlin,  de  son  côté,  s'est  vanté  à  Viviane  de  pos- 
séder de  grands  secrets.  Le  premier  jeu  d'Espietest  une  repro- 
duction de  celui  par  lequel  Merlin  essaj'e  d'abord  de  satisfaire 
la  curiosité  de  la  jeune  fille  :  «  Merlin  se  tire  un  peu  à  l'écart, 
»  fait  un  cercle,  revient  à  Viviane  et  se  rassied  sur  le  bord  de 
))  la  fontaine.  L'instant  d'après,  la  demoiselle  regarde  et  voit 
»  sortir  de  la  forêt  de  Briosque  dames  et  chevaliers,  écujers 
wetpucelles  se  tenant  main  à  main  et  faisant  la  plus  belle  fête 
))  du  monde.  Puis  jongleurs  et  jongleresses  se  rangent  autour 
»  de  la  ligne  que  Merlin  a  tracée,  et  commencent  à  jouer  du 
»  tambour  et  d'autres  instruments.  Les  danses  s'ébranlent  et 
))les  caroles,  plus  belles  et  gracieuses  qu'on  ne  saurait  dire ^w 
—  Le  second  jeud'Espiet  est  d'un  tout  autre  caractère  :  des 
serpents  lancent  des  flammes  et  épouvantent  les  assistants. 
Plus  loin,  Maugis  y  aura  recours  dans  sa  lutte  avec  l'enchan- 
teur Noiron.  Dans  Gaufrey,  Malabron  l'emploie  pour  mettre 
en  déroute  les  dix  géants  qui  ont  enchaîné  son  fîlsRobastre^. 
Maugis,  pour  accomplir  ses  plus  surprenants  prodiges,  se 
borne  à  prononcer  un  charme.  Espiet  a  recours  aux  procédés 
de  l'art.  11  trace  un    cercle  comme  Merlin,  pose  un  chapeau 


'  Huon  de  Bordeaux,  v.72i4,  s.;  7401,  s. 
a  P.  Paris,  R.  d.  l.  T.  R.,  Il,  p.  177. 

■'  Gaufre;/,  v.  8627,  s. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  T05 

sur  le  sol  et  frappe  dessus  comme  tout  enchanteur  bien  ap- 
pris. 

L'empereur  garde  Espiet  à  dîner.  Le  soir  venu,  le  «folet» 
enchante  Charlemagne  et  ses  barons  ;  ils  sont  pris  d'un  lourd 
sommeil.  Espiet  veut  alors  délivrer  Maugis;  mais  les  fers  sont 
trop  lourds  et  bien  rivés.  Maugis  prononce  un  charme  ou  for- 
mule magique,  et  ses  chaînes  volent  en  éclats. Le «folet  séné» 
lui  conseille  de  partir.  —  [165  r°  b]  Sans  Espiet,  Maugis  eût 
tué  Charles;  il  se  borne  à  placer  dans  la  main  de  l'empereur 
un  gros  bâton,  barbouille  de  noir  le  visage  de  Milon,  coupe 
les  grenons  du  comte  Elimant  et  tond  Garin.  Ils  brisent  les 
coffres,  enlèvent  tout  l'or  et  l'argent,  et  en  chargent  un  fort 
sommier.  Maugis  monte  sur  le  cheval  de  l'empereur.  Puis  ils 
chargent  quinze  sommiers  de  provisions.  Maugis  demande 
congé  à  Charles,  et  ils  s'en  vont.  Maugis  se  dirige  du  côté  de 
l'armée  de  Brandoine,  tandis  qu'Espiet  conduit  les  sommiers  à 
Monder.  Mais  Lambert  le  Berrujer  se  trouve  sur  le  chemin 
de  Maugis.—  [165  v"  a]  Il  le  reconnaît  et  voudrait  l'arrêter. 
Maugis  le  renverse  de  cheval,  puis  arrive  au  camp  de  Bran- 
doine. 

Cependant  Charles  et  les  quatre  seigneurs  se  sont  réveillés; 
ils  apprennent  que  Lambert  est  grièvement  blessé,  et  consta- 
tent que  la  vaisselle  d'or  et  d'argent  a  été  enlevée.  —  [165 
vo  6]  De  même  on  a  fait  main-basse  sur  tous  les  vivres  du  roi. 
Landri,  un  traître,  frère  d'Amauri  (les  auteurs  de  cette  guerre 
entre  Charles  et  Hernaut),  conseille  d'assaillir  Monder.  Les 
Français,  conduits  par  Amauri,  vont  fourrager  et  mettent  le 
feu  à  un  des  villages  d'Hernaut.  Ils  rencontrent  Maugis  et 
l'avaut-garde  de  Brandoine.  Amauri  tue  Guinemer  de  Maio- 
gre;  mais,  légèrement  blessé  par  Maugis,  il  prend  la  fuite. 
Charlemagne  fait  prendre  les  armes  à  Landri  de  Vermandois, 
frère  d'Amauri,  et  à  quinze  mille  chevaliers.  —  [166  r°  d\ 
Maugis,  dans  le  combat  qui  s'est  engagé,  tue  Landri  ;  mais  il 
est  entouré,  et  son  cheval  est  tué  sous  lui.  Il  sonne  du  cor, 
et  Espiet  lui  amène  Bajard.  Brandoine  arrive  à  son  tour, 
suivi  de  ses  barons  et  de  son  armée. 

[166  r"  b]  Charles  apprend  à  qui  il  a  affaire.  Il  se  met  à  la 
tête  de  toute  son  armée.  Hernaut  et  Othon  d'Espolice  enva- 
hissent le  camp,  pillent  et  brûlent  tout.  Charles,  du  haut  d'une 


106  RECHERCHES 

montagne,  contemple  avec  effroi  l'armée  de  Brandoine-  De  son 
côté,  Maugis  a  reconnu  rorifiamme  et  le  dragon  de  l'empe- 
reur.—  [166  V"  a]  Le  combat  s'engage,  Hernaut  de  Monder 
vient  y  prendre  part.  Brandoine  et  lui  se  combattent  sans  se 
connaître,  et  le  comte  n'est  sauvé  que  par  l'intervention  d'Es- 
piet  et  de  Maugis.  L'aïeul  et  le  petit-fils  s'embrassent  et  les 
Français  sont  repoussés.  Charles  apprend  que  son  camp  a  été 
pillé.  —  [166  v°  0]  Charlemagne  voit  la  victoire  de  l'ennemi 
et  prie  Dieu  de  garder  la  France  «qu'elle  ne  soit  honnie.»  Le 
soleil,  qui  était  haut  encore,  se  couche  aussitôt  et  le  combat 
s'arrête.  L'empereur,  découragé,  écoute  l'avis  du  ducSanses; 
il  charge  Sanses  et  trois  autres  barons  de  demander  à  Hernaut 
de  lui  rendre  Dunaimez,  dont  les  conseils  lui  sont  nécessaires. 

—  [167  r*  a]  A  ce  moment,  Hernaut  recevait  un  secours 
d'hommes  et  de  provisions  que  lui  envoyait  la  fée  Oriande.  Il 
permet  aux  barons  prisonniers  d'aller  au  camp  de  l'empereur. 

—  [167  r"/']  Les  Français  auraient  un  pauvre  repas  si  Espiet 
ne  leur  amenait  de  Monder  un  convoi  de  vivres.  Dunaimez 
conseille  à  l'empereur  de  s'accorder  avec  Hernaut.  —  [167 
v°  a]  Dunaimez  expose  à  Hernaut  les  conditions  de  la  paix: 
l'empereur  lui  rendra  son  fief  agrandi  ;  mais,  de  son  côté, 
il  fera  hommage  à  l'empereur  et  lui  remettra  les  clefs  de  son 
château. 

A  lui  ires  à  pié,  en  braies,  trestout  nu. 

Maugis  exige  à  son  tour  que  l'empereur  consente  à  venir 
combattre  Vivien  l'amachour,  qui  assiège  Aigremont.  Charles 
accepte.  —  [167  v°  h]  Charles  reçoit  l'hommage  de  Hernaut, 
lui  donne  le  Val  de  St-Vincentet  un  riche  ijarncment  qu'il  con- 
quit jadis  à  Tolède,  quand  il  occit  Braimant: 

Hons,  quand  il  l'a  vestu,  mal  ne  douleur  ne  sent'. 

Il  y  a  grande  fête  à  Monder;  mais  Maugis  rappelle  la  si- 
tuation de  son  père,  et  Charles  donne  l'ordre  du  départ.  Un 
espion  de  Vivien  court  en  apporter  la  nouvelle  à  l'amachour. 


*  C'est  évidemmeat  le  haubert  merveilleux  que^l'Orgueilleux  avait  ravi   à 
Auberon,  et  qu'à  son  tour  Huoq  de  Bordeaux  reprend  au  géant. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  107 

—  [168,  r°  a]  Vivien  ne  s'effraye  pas,  car  tous  les  Sarrasins 
dépendent  d'Esclarmonde  : 

Lors  fet  ses  bries  escrire  sans  nule  arestoison, 
Et  mande  sez  amis  à  sa  deffension, 
Sorbaré  d'Aumarie  et  le  viel  Faussaron, 
Et  le  grant  amu[r]afle  de  l'isle  de  Moisson, 
L'amiral  de  Palerne  et  de  NaplezCorbon, 
Et  de  Mase  Fabur,  et  le  riche  Amadon, 
Et  Ronflart  et   Flambart  et  le  roi  Rubion. 
Avant  en  Sarragonne  manda  Matefelon. 
A  Rise  s'asembla  la  mesnie  Noiron. 

Les  païens  sont  réunis  sous  les  murs  d'Aigremont.  Beuves 
et  la  duchesse  s'effrayent  d'abord  en  voyant  toutes  ces  tentes 
ennemies.  Mais  du  côté  du  Pid  Droon,  Beuves  aperçoit  une  en- 
seigne suivie  de  beaucoup  d'autres:  c'est  celle  de  son  frère 
Girard  de  Roussillon.Puis  apparaissent  les  enseignes  deDoon 
de  Nanteuil,  du  vieux  comte  Aymes  de  Dordonne,  qui  est  ac- 
compagné de  ses  filsRenaudin  et  Alard  le  blond.  —  [168  r°6] 
Du  côté  an  pui  àe  Mayence  brille  l'oriflamme  de  France.  L'ar- 
mée de  Brandoine  vient  se  ranger  à  côté  de  celle  de  l'empe- 
reur. Au  loin,  Beuves  distingue  les  enseignes  de  ses  frères 
Hernautet  Othon.  L'empereur  tient  un  conseil  et  décide  d'en- 
voyer un  messager  à  l'amachour.  Ogier  s'offre  ;  mais  Charles 
ne  l'accepte  pas.  Maugis  se  charge  d'aller  proposer  à  Vivien 
de  ((guerpir  Mahom  et  ses  grans  foletés.  »  —  [168  v°  a]  Mau- 
gis rencontre  sur  son  chemin  Girard  de  Roussillon,  son  oncle, 
qu'il  désarçonne  sans  le  connaître  ;  mais  les  flls  d' Aymes  et 
Doon  de  Nanteuil  accourent,  et  Maugis  s'enfuit.  —  [168  v"  b] 
Charlemagne  envoie  à  son  secours  ;  mais  on  se  reconnaît,  et 
Girard  est  fier  d'avoir  un  tel  neveu.  Maugis,  arrivé  devant 
Vivien,  le  salue  suivant  la  formule  ordinaire: 

«Chil  [Damejdieu  de  gloire  qui  en  crois  fu  pené 
»  Saut  et  gart  le  duc  Buef  d'Aigremont  la  chité, 
)»Et  Hernaut  de  iMoncler,  le  viel  canu  barbé, 
))Et  Kalle  l'emperere  qui  est  lor  avoué, 
»Et  chestui  amachour  et  trestuit  si  privé.» 


lOS  RECHERCHES 

Vivien  le  reprend  courtoisement  : 

«Amis,  dist  Tamachour,  tu  n'es  mie  séné. 
))Du  salut  que  m'as  fet  ne  te  soi  je  nul  gré, 
«Si  laie[n]z  com  tu  Tas  souhaidié  et  oré.  » 
Quant  Maugis  Ta  oï,  si  a  en  haut  parlé: 
5     «  Araachour,  de  Mahom  soiez  vous  salué  ; 
»  Burgibuz  et  Pilate  et  Noiron  le  desvé 
))Vous  soient  hui  ensemble  tout  à  votre  costé, 
))Et  Lucifer  ior  fix,  e  trestuit  li  maufé.  » 
<(  Amis,  dist  Viviens,  or  as  tu  bien  parlé  ; 

10     "Des  or  mes  peustu  dire  ton  bon  et  ton  pensé.  » 
))Sire,  chen  dist  Maugis,  n'en  iert  mot  trestorné. 
»  Mesagier  ne  doit  estre  de  noient  encombré. 
»  Je  sui  mesagier  Kalle,  le  fort  roi  couronné. 
«L'emperere  vous  mande,  qui  moult  a  poosté, 

15     »  Que  lessiez  Mahommet,  si  ferez  que  séné, 

))Que  pourchiaus  estranglerent  quant  il  fu  enivré.» 

Vivien  s'emporte.  11  a  reconnu  dans  Maugis  celui  qui  a  tué 
l'amachour  Sorgalant.  Les  païens  entourent  le  chevalier;  il 
en  tue  cinq  et  s'élance  sur  Bajard,  qu'il  avait  eu  le  soin  de 
tenir  par  la  bride.  Dans  ce  danger,  il  reste  fier  et  menaçant: 

Il  tint  nue  Froberge  trestoute  ensanglantée. 
«Amachour,  dist  Maugis,  ch'  est  vérité  prouvée; 
))Onques  de  bonne  geste  ne  fustez  engendrée, 
»  Quant  m'as  fet  assaillir  à  ta  gent  mal  senée. 
»  Par  la  foi  que  je  doi  à  la  vierge  henourée, 
))Ta  mort  si  est  escripte  au  trenchant  de  m'espée.  » 

Pendant  que  Maugis  est  ainsi  entouré,  son  père  est  sorti 
d'Aigremont  pour  aller  s'entendre  avec  ses  frères;  mais,  as- 
sailli par  les  païens,  il  est  obligé  de  se  réfugier  dans  une  grotte, 
((  le  creus  à  la  guivre  »,  et  de  là,  se  couvrant  de  son  bouclier 
qui  ferme  Tonti'ée,  il  appelle  à  son  secours.  Le  bruit  se  ré- 
pand parmi  les  païens  que  Beuves  est  mort.  Maugis  entend  ce 
cri,  et,  sans  demander  congé  à  Vivien,  part  [)0ur  secourir  son 
père.  Il  disperse  les  Sarrasins  qu'il  rencontre.  —  [169  r"  b] 
Il  appelle  le  duc,  le  dégage,  et  celui-ci  appren  l  inie   le  che- 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  109 

valier  qui  vient  de  le  sauver  est  son  fils.  Après  une  scène  tou- 
chante de  reconnaissance,  tous  deux  se  dirigent  sans  tarder 
vers  Aigremont.  Un  enchantement  de  Maugis  trouble  la  vue 
des  païens,  qui  se  jettent  en  furieux  les  uns  sur  les  autres. 
Beuves  et  Maugis  sont  reçus  par  la  duchesse,  qui  s'afflige  à  la 
vue  des  blessures  de  son  époux.  —  [169  v°  a]  La  duchesse 
apprend  que  Maugis  est  son  fils;  elle  reconnaît  l'anneau  qu'il 
porte  à  l'oreille;  elle  est  dans  la  joie. 

Cependant  les  païens  ont  recouvré  le  sens,  et  Vivien  se  dé- 
cide à  employer  un  sien  enchanteur  qui  sera  le  rival  de  Mau- 
gis. C'est  Noiron,  un  géant  tout  noir  qui  sait  plus  que  Simon 
Mage.  Il  commence  par  lancerune  flèche  qu'un  diable  conduit 
et  qui,  sans  qu'on  la  voie  venir,  va  percer  un  chevalier  à  côté 
de  Beuves.  En  même  temps,  les  assiégés  s'imaginent  que  la 
ville  est  en  feu,  et  courent  çà  et  là.  Le  désordre  est  au  comble. 
—  [169  V  b]  La  lutte  s'engage  entre  les  deux  enchanteurs. 
ÎNoiron  fait  que  la  porte  d'Aigremont  saute  hors  de  ses  gonds, 
et  les  païens  peuvent  se  répandre  dans  la  ville  ;  mais  Mau- 
gis fait  apparaître  une  haute  tour  à  la  place  de  la  porte; 
celle-ci  est  rétablie  grâce  à  la  surprise  des  païens.  La  lutte 
se  continue  donc  dans  l'intérieur  de  la  place  et  les  deux  en- 
chanteurs en  viennent  à  se  combattre  corps  à  corps.  Noiron 
est  blessé.  —  [170  r°  a]  Il  trouble  l'esprit  de  Maugis  et  de  ses 
alliés.  Ils  croient  que  Maugis  se  noie  dans  une  eau  courante, 
et  les  païens  en  profitent  pour  en  tuer  un  grand  nombre. 
Maugis,  quand  l'enchantement  a  pris  fin,  donne  à  son  tour 
une  preuve  qu'il  n'a  pas  oublié  les  leçons  de  son  maître  Bau- 
dri.  Les  païens  se  croient  entourés  de  flammes,  courent  au 
hasard,  se  plaignent  et  se  démènent.  Maugis  profite  de  leur 
désarroi  pour  trancher  d'un  coup  d'épée  le  bras  gauche  de 
Noiron.  Celui-ci  appelle  à  son  secours  tous  les  diables  d'enfer; 
ils  ne  peuvent  rien  contre  Maugis  qui  est  protégé  parla  vertu 
de  l'anneau.  Ils  volent  pareils  à  des  corbeaux  et  font  un  grand 
bruit  qui  effraje  les  chrétiens.  Tout  autour  de  Maugis  ils  font 
jaillii'  la  flamme  des  pierres  et  des  cailloux. —  [170  r°  b]  Les 
diables  ne  peuvent  sauver  Noiron  des  mains  de  Maugis,  qui 
les  a  conjurés.  Ils  redoublent  leur  épouvantable  tempête,  et, 
après  avoir  mis  le  feu  à  trente  maisons,  vont  se  poser  hors  de 
la  ville,  sur  une  tour  occupée  par  les  païens.  Elle  s'écroule  et 

7 


110  RECHERCHES 

trois  cents  païens  sont  écrasés.  Puis  ils  prennent  leur  vol  et 
passent  avec  un  grand  fracas  au-dessus  de  l'armée  de  Char- 
lemagne.  Noiron  essaye  encore  son  art  contre  Maugis. Celui- 
ci  se  croit  assailli  par  un  serpent: 

Noiron  li  encantierre  fu  forment  abosmé, 
Du  bras  qu'il  a  perdu  a  moult  le  cuer  iré. 
.1.  encantement  fist  dont  il  estoit  séné, 
Qu'avis  fu  à  Maugis,  le  vassal  aduré, 

5    C'un  serpent  li  sailloit,  merveilleus  et  cresté, 
Qui  tantli  getoitfeu  que  tout  l'avoitbruUé. 
Qui  donc  veïst  Maugis  du  bon  branc  aclieré 
Escremir  tout  par  li,  com  s'il  fust  forsené, 
Et  reclamer  en  haut  Ihesu  de  majesté. 

10     Qui  le  veut  esgarder,  bien  semble  fursené. 
Le  duc  Buef  qui  le  voit  en  est  tout  trespensé. 
Guident  que  li  deable  l'aient  du  sens  jeté. 
Du-Buef  ist  de  la  tour,  et  o  lui  son  barné, 
Où  il  estoient  tuit  pour  li  deable  entré; 

15     Venus  sunt  à  Maugis  qui  estoit  violé 
De  l'encantement  fort  qui  si  l'a  estonné. 
Dus  Buef  le  cuide  prendre,  et  o  lui  si  privé, 
Mes  le  priraerain  a  Maugis  si  assené 
Que  mort  l'a  devant  li  à  la  terre  versé. 

20     Adonques  fu  dus  Buef  durement  aïré  ; 
Maugis  avoit  son  fix  à  .S.  Jaque  voué 
Qu'il  le  meite  en  son  sens  se  il  li  vient  à  gré. 
De  l'encanteor  n'ont  tant  ne  quant  avisé, 
Querd'un  encantement  fu  pour  eus  avisé. 

25     Quant  de  l'encantement  fu  Maugis  descombré. 
Et  son  père  duc  Buef  li  a  dit  et  conté 
Comme  il  ot  son  baron  orendroit  afolé  : 
«Père,  chen  dist  iMaugis,  quer  j'estoie  encanté. 
»  Vees  vous  le  glouton  qui  est  à  moi  mellé? 

30     ))Onques  mes  ne  vi  homme  d'encanter  si  séné. 
»  Se  chiens  ne  m'eiist  Damedieu  amené, 
«Parforche  vous  eiist  à  l'amachour  livré; 
»  Par  lui  fust  abatue  sainte  crestienté.  » 
«Biau  fix,  chen  dist  dus  Buef,  vous  ditez  vérité. 

35    »  Beueïte  soit  l'eure  que  tu  fus  engendré.  » 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  111 

[170  v*'  d\  Maugis  fait  prendre  Noiron  et  on  le  lance  au 
moyen  d'un  mangonneau  dans  le  camp  de  Vivien'.  Le  corps  en 
tombant  tue  Rubion  de  Carthage  et  s'écrase  aux  pieds  de  l'ama- 
cliour,  qui  est  couvert  de  sang.  Cependant  Maugis  et  Beuves 
se  rendent  au  camp  des  chrétiens.  En  chemin,  ils  dispersent 
un  corps  de  païens  et  font  prisonnier  le  chef,  Murgalant 
de  Perse,  qui  promet  de  renier  Mahom.  Charlemagne  tenait 
un  conseil  de  ses  barons.  —  [170  v°  h]  On  était  inquiet  du 
sort  de  Maugis,  dont  on  n'avait  plus  de  nouvelles  depuis  qu'il 
s'était  rendu  au  camp  de  Vivien.  Mais  Desier  de  Pavie  voit 
venir  la  troupe  des  chevaliers  d'Aigremont.  Maugis  raconte 
brièvement  comment  il  s'est  acquitté  de  son  message.  On  bap- 
tise Murgalant,  dont  Beuves  est  le  parrain.  Charles  lui  donne 
un  graudduché  en  Allemagne  ;  il  s'appelleradésormais  Beuves 
l'AUemaut.  Le  nouveau  chrétien  annonce  que  les  païens  atta- 
queront le  lendemain,  et  on  se  prépare  à  leur  résister.  Mais 
un  espion  de  Vivien  court  tout  lui  rapporter,  et  le  matin  les 
païens  prennent  les  armes. 

[171  r°a]  Les  païens  s'avancent  dans  la  prairie.  Les  Fran- 
çais forment  sept éa<fl/7/es,  l'armée  deBrandoine  trois.  Charles 
répartit  les  batailles  entre  Brandoine,  le  roi  OLhon  d'Espolice 
et  les  quatre  frères.  Maugis  est  en  tête  avec  mille  chevaliers  ; 
il  porte  l'oriâamme.  De  leur  côté  s'avancent  Vivien  et  ses  ba- 
rons. Maugis  et  son  corps  s'élancent  les  premiers.  Beuves 
d'Allemagne,  le  nouveau  chrétien,  se  distingue  dans  la  mêlée. — 
[171,  r°  ôj  Vivien  et  son  père  se  rencontrent  deux  fois.  La  se- 
conde Beuves  est  fait  prisonnier,  et  Vivien  allait  lui  trancher 


'  La  dame  de  Hongaefort  fait  placer  dans  une  perrière  le  sénéchal  de  Ga- 
lides  et  un  autre  chevalier  qui  ont  été  vaincus  parBohor;  ils  sont  lancés 
ainsi  dans  le  camp  des  assiégeants.  P.  Paris,  R.  d.  l.  T.  R.,  V,  p.  130-131. 
—  Dans  Simo7i  de  Pouille,  qui  paraît  plus  moderne  que  le  Maugis  (nous 
avons  vu  qu'il  place  Vivien  d'Aigremont  à  la  cour  de  Charlemagne),  les  chré- 
tiens traitent  de  même  Tristamant  qui  lésa  trahis: 

Amont  la  tour  l'enmenent  à  guise  de  garçon, 
En  mangonel  le  si  saichent  de  rendon. 
Si  a  droit  l'ont  balancé  com  se  fust  un  boucton. 
Aux  piez  l'Amirant  chiet  devant  son  pavillon 

Fr.  Michel,  préface  de  Charlemagne,  p.  lxxxix. 


112  RECHERCHES 

la  tête,  quand  le  fort  roi  Ysoré  lui  fait  remarquer  que  la  mort 
de  Beuves  exaspérerait  les  chrétiens  et  qu'il  vaut  mieux  gar- 
der un  tel  otage  à  Monbranc.  —  [171  v°  a]  Vivien  suit  ce 
conseil.  Maugis,  quand  lisait  que  son  père  a  été  pris,  rend  au 
roi  l'oriflamme,  qui  est  confiée  à  Fagonde  Balesgues;puis  il  se 
jette  dans  le  combat,  tue  le  vieux  Flambart  de  l"île  des  Ténè- 
bres, l'amiral  Ysoré,  Arpatris.  Charles  et  les  trois  frères  com- 
battent aussi  vaillamment.  Brandoinetue  Sorbrin,  qui  portait 
l'oriflamme  de  lagent  Apolin,  et  le  roi  Alipantin.  Vivien  essaye 
vuiiiement  de  continuer  la  lutte. 

L'amacbour  Vivien  voit  ses  païens  mourir, 
Tel  duel  a  et  tel  ire  du  sens  cuida  issir  ; 
,1111.  cors  d'arain  fist  et  corner  et  tentir,] 
Mez  de  son  grant  empire  que  hui  ot  à  baillir, 
5     Ne  peut  demi  millier  alier  n'acueillir. 
Par  tout  les  voit  à  .c.  et  à  millier  gésir, 
Et  clieus  qui  sont  en  vie,  voit  toutez  pars  fuir. 
Mahommet  reclama  à  plours  et  à  souspir. 
((He!  duc  Buef  d'Aigremont,  moult  par  te  puis  haïr. 
10     «Par  toi  et  par  ta  geste  m'estuet  le  champ  guerpir, 
»  Quer  je  voi  mez  gens  mors  de  toutez  pars  gésir.  » 

[171  v^i^]  Vivien,  en  quittant  le  champ  de  bataille,  rencon- 
tre et  blesse  légèrement  son  aïeul  Hernaut.  Maugis,  monté 
sur  Bayard,  rejoint  l'amacbour.  Un  combat  violent  s'engage 
entre  les  deux  frères.  —  [172,  r°  a]  Vivien  porte  à  Maugis  un 
coup  qui  le  renverse,  et  il  allait  l'achever,  quand  un  ange 
descend  du  ciel  et  une  lumière  éclatante  éblouit  Vivien.  Mau- 
gis en  profite  pour  se  redresser  et  recommencer  la  lutte;  mais 
son  épée  s'engage  dans  les  armes  de  son  frère,  qui  la  lui  ar- 
rache des  mains.  —  [172  r°  0]  Maugis  désespéré  a  recours  à 
son  art.  Vivien  s'imagine  qu'il  est  à  Monbranc  devant  l'autel 
de  Mahom  et  de  Tervagant.  Il  s'agenouille  et  adore  Mahom. 
Maugis  lui  enlève  Froberge  et  sa  propre  épée.  Vivien  revient 
à  lui,  et  après  quelques  discours  se  reconnaît  son  prisonnier. 
Il  aura  sa  liberté  quand  le  duc  Beuves  aura  été  rendu  aux 
siens;  il  refuse  de  changer  de  religion  et  se  promet  bien  de 
recommencer  plus  tard  la  guerre.  Maugis  le  conduit  à  Aigre- 
mont. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  113 

[172  voaJQuandramachour  paraît  devant  la  duchesse,  elle 
reconnaît  avec  surprise  l'anneau  d'or  qu'il  porte  à  l'oreille.  Il 
est  grand  et  beau  et  ressemble  à  Maugis.  Après  l'avoir  me- 
nacé de  mort,  s'il  ne  rend  le  duc  Beuves,  la  duchesse  lui  de- 
mande de  qui  il  est  fils.  Il  sait  simplement  que  la  belle  Es- 
clarmonde  l'a  acheté  sur  le  rivage  et  lui  a  dit  qu'il  est  issu  de 
haut  parage  et  fils  d'un  amiral  puissant.  Maugis  interrompt 
ces  discours.  Comment  aura-t-on  le  duc  Beuves?  Vivien  s'off're 
pour  aller  le  chercher  lui-même  et  donne  sa  parole  à  l'empe- 
reur et  à  tous  les  assistants.  —  [172  v°  b]  La  duchesse  obtient 
la  promesse  qu'il  forcera  Esclarmonde  à  lui  révéler  le  secret 
de  sa  naissance.  Il  revient  à  Monbranc,  apprend  à  sa  femme  et 
à  Beuves  tout  ce  qui  s'est  passé  et  charge  Escorfaut  de  Mon- 
glai  de  ramener  le  duc  sain  et  sauf  à  Aigrement.  —  [173 
r"  a]  Vivien  arrache  à  Esclarmonde  la  vérité. 

L'amachour  Vivien  courouchié  et  marri 
Enmena  Esclarmonde  au  gent  cors  segnouri 
En  la  chambre  pavée,  n'i  ot  noise  ne  cri. 
Le  branc  avoit  sachié,  nel  mist  pas  en  oubli. 
5     «Dame,  dist  Vivien,  ja  m'avez  vous  nourri 

))Et  moi  pris  à  segnor,  forment  vous  en  merchi  ; 
))  Or  vous  pri  pour  Maliom,  gardez  n'i  ait  menti, 
»  Ditez  moi  qui  je  sui  et  de  quel  lieu  je  sui, 
))Et,  se  vous  ne  le  feitez,  n'ere  pas  votre  ami.  » 

10     Quant  Esclarmonde  l'ot,  tout  le  sanc  li  frémi, 
Paour  a  que  Mahom  ne  soit  pas  li  guerpi. 
«Par  Mahommet,  dist  ele,  d'un  amiral  [Persi] 
»  Estez  né  et  extrait,  dist  chil  qui  vous  vendi.  » 
Il  respont  :  «  Par  Mahom,  vous  i  aves  menti. 

15     »  Quant  fu  à  Aigrement  tout  le  voir  en  oï, 

))Et,  se  vous  nel  me  ditez,  par  foi  le  vous  plevi, 
»  Orendroit  vous  feroi  de  chest  siècle  partir.  » 
Et,  quand  ele  l'entent,  moult  s'en  espeiiri. 
Guide  que  d'Aigremont  li  ait  esté  gehi. 

20     Ele  a  dit:  «Vivien,  pour  Mahommet  merchi! 
«Vérité  vous  diroi,  loialment  vous  affi. 

V.  12,  Ms.  «  d'un  amiral  parti.  » 


114  RECHERCHES 

«Sire,  dist  Esclarmonde,  amachour  segnouri, 
))  Fix  es  Buef  d' Aigrement  qui  or  torna  de  clii. 
»  Mez  là  où  tu  fus  né  ot  grant  noise  et  grant  cri. 
25     »  Là  t'embla  .i.  païen  qui  à  moi  te  vendi. 
»  Encor  en  ai  le  paile,  qui  est  à  or  sarti, 
»  Où  fus  envolepé  u  maillolet  peti 
»  Quant  nasquis  de  la  dame  à  qui  on  te  toli.  » 

Quant  Famachour  oï  la  dame  ainsi  parler 

30     Qu'il  estoit  fix  dus  Buef  d'Aigremont  dessus  mer, 
D'ire  et  de  mautalent  commonche  à  aluraer: 
«He  las  !  chetif,  dolent,  or  devroie  desver 
»  Quant  ai  fet  mon  chier  père  traveillier  et  pener. 
»  Près  ne  m'a  fet  deable  dedens  enfer  aler. 

35     »  Pour  quoi  le  m'avez  fet  si  longuement  clieler? 
»  Moult  le  vous  couvendra  chierement  comperer.  » 
Ja  li  feïst  la  teste  hors  du  bu  dessevrer, 
Mez  au  pié  li  chaï  pour  la  merchi  crier. 
Il  l'araa  durement,  ne  la  vout  adeser, 

40     Anchois  se  prist  en  sus  forment  àdoulouser. 
Par  ire  va  l'espée  à  la  terre  ruer. 
Et  de  ses  dras  trestous  s'est  aie  desnuer, 
N'i  laisse  fors  les  braiez  ne  cauche  ne  soûler. 
Devant  lui  Esclarmonde  aie  paile  aporté. 

45     L'amachour  si  le  prist,  sel  commenche  à  ploier. 
De  la  chambre  est  issu,  si  commenche  à  errer. 
Esclarmonde  ne  vout  targier  ne  demorer, 
Miex  vout  ele  mourir  que  de  lui  dessevrer. 
Deli  et  d'Esclarmonde  ne  vous  vueil  plus  conter. 

A  peine  Beuves  est-il  de  retour  à  Aigrement  que  Maugis 
veut  que  l'on  parte  pour  assiéger  Monbranc  et  se  venger  de 
l'amachour. —  [173  r"  b]  Mais  la  duchesse  intervient:  «Vi- 
vien est  ton  frère»,  dit-elle. 

A  ce  moment  apparaissent  Vivien  et  Esclarmonde.  Vivien 
se  jette  aux  pieds  de  son  père,  lui  baise  la  jambe,  lui  demande 
pardon  pour  tout  le  mal  qu'il  lui  a  fait.  Il  raconte  comment 
il  a  été  vendu  à  Esclarmonde  et  montre  le  paile  dans  lequel  il 
était  roulé  quand  il  fut  enlevé  par  Tapinel.  C'est  grande  fête 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  115 

à  Aigremont.  Vivien  et  Esclarmonde  sont  baptisés.  Il  gardera 
son  nom;  mais  la  duchesse  donne  le  sien  à  sa  bru,  (jui  s'appel- 
lera A  y /ce.  Puis  on  procède  à  leur  mariage  suivant  la  loi  chré- 
tienne. On  se  sépare  ;  chacun  part  pour  son  pays.  Alors  se  pro- 
duit un  accident  qui  fait  passer  Bayard  etFroberge  des  mains 
de  Maugis  à  celles  de  Renaud. 

En  Aigremont  fu  grant  la  joie  et  li  barnés, 
Et  la  feste  tenue  tant  qu'il  fu  desaubez. 
A  la  loi  crestiennes  sunt  andui  espousés. 
A  .1.  lundi  matin  sunt  trestuit  aprestés, 
5     Chascun  va  reperier  de  lan  il  fu  tornés. 
Maugis  à  Espiet  a  Baiart  demandés, 
Il  li  queurt  amener  parle  chanfrain  dorés, 
Baiart  Ta  u  talon  par  deriere  hurtés 
Que  le  soûler  fendi,  le  sanc  en  est  volés. 

10     En  son  pié  fu  blechié,  si  en  est  aïrés. 

Il  tenoit  .1.  basrton,  grant  coup  l'en  a  donnés. 
«Maleoit  fils  de  diable  »  l'a  Espiet  clamés. 
Baiart  Ta  entendu,  quer  il  estoit  faés. 
Sachiez  de  vérité,  il  en  a  moult  pesés. 

15     11  a  escous  la  teste,  si  l'a  du  pié  frapés 
Que  il  l'avoit  illeuc  tout  mort  agreventés. 
Qui  donc  veist  Maugis  dolent  et  abosmez. 
Pour  l'amour  à  la  fée  [l'avoit]  si  aamés. 
Li  baron  et  li  prinche  ont  Maugis  confortés. 

20     Renaudin  son  cousin  a  Maugis  apelés. 

«Cousin,  chen  dist  Maugis  au  courage  adurés, 
»  Je  vous  doins  chest  destrier  de  bonne  volontés.  » 
Il  a  deschaint  Froberge  au  pont  d'or  neelés, 
A  Renaut  son  cousin  avoit  le  branc  donnés, 

25     Et  Renaus  l'en  avoit  bonnement  merchiez. 
Puis  fist  par  le  cheval  mainte  ruiste  fîertez. 
Ainsi  com  vous  orrez,  se  je  sui  escoutez. 
Au  duc  Buef  d'Aigremont  ont  congié  demandés. 
Et  le  duc  Buef  les  a  à  Ihcsu  quémandés. 

30     Kalles  vers  douce  Franco  est  lors  acheminés, 

Roi  Brandoine  en  ramené  [o  li]  son  grant  barnés, 
Le  quensllernaut  en  rest  droit  à  Monder  aies, 


116  RECHERCHES 

Et  Othon  d'Espolice,  le  fort  roi  couronnés. 

Girart  à  Roussillon  a  son  cheval  tournés, 
35     EtDoon  àNanteuil,  ne  s'i  est  demeurez. 

ADordonne  s'en  va  Aymez  le  viel  barbés. 

Viviens  s'en  rêva  à  Monbranc  sa  chités. 

.11.  evesques  en  a  ensemble  o  lui  menez 

Qui  le  peuple  du  resne  [ont]  tost  crestienncs', 
40     Et,  qui  ne  vont  clien  fere,  si  ot  le  chief  coupez. 

Duc  Buef  à  Aigrement  est  en  pes  demeurez, 

Et  Maugis,  le  sienfix,  qu'il  avoit  aamés. 

EXPLICIT  LE  ROMANS  DE  MAU.    LE  VAILLANT 

ET  DE  .  W.  SON    FRERE  l'aMACHOUR  DE  MONBRANC. 


IV 

LE  MAUGIS  d'aIGREMONT    ET    LE  RENAIlD    DE    MONTAUBAN 

L'auteur  a  traité  complètement  le  sujet  qu'il  s'était  tracé, 
les  Enfances  Maugis,  et  la  mort  d'Espiet  explique  suffisamment 
pourquoi  Maugis  ne  veut  pas  conserver  Bajard.  D'ailleurs  le 
frère  d'Oriande,  l'ami  fidèle  du  fils  de  Beuves  ne  figurant  point 
dans  les  aventures  traditionnelles  des  Quatre  Fils  Aymon, 
mieux  valait  pour  la  vraisemblance  le  supposer  mort  qu'indif- 
férent. Dans  Pulci^,  Morgante  disparaît  également  au  moment 
où  l'action  rentre  dans  le  domaine  des  traditions  consacrées 
sur  Roncevaux.  La  morsure  d'un  crabe  a  raison  du  géant  in- 
vincible. 

On  a  pu  remarquer  que  Renier  de  Vantamise,  ce  treizième 
fils  de  Doon,  a  fini  par  disparaître  du  récit  sans  que  l'auteur 
s'en  soit  autrement  occupé.  On  verra  dans  le  Vivien  de  Mon- 
branc, dont  nous  donnerons  plus  loin  le  texte,  que  les  person- 
nages qui  ne  sont  point  mentionnés  dans  le  Renaud  de  M on- 
tauban  meurent  tous  en  temps  utile  :  Hernaut  de  Monder, 
Othon  d'Espolice,  Brandoino.  Le  terrain  est  ainsi  dégagé  des 
fictions  ({ue  la  tradition  plus  ancienne  ignorait,  et  des  romans 

'  Ms.  «  a  tosL  oreslieunes.»  ~  -  Morgante,   c.  xx,  ott.  50-52. 


SUR  LES  CHANSOMS  DE  GESTC  117 

de  date  plus  récente  à  la  chanson  de  geste,  le  passage  se  fait 
tout  naturellement  et  sans  effort. 

Mais  si,  dans  la  rédaction  du  Mauqis  et  du  TViven,  Fauteur 
n'a  jamais  perdu  de  vue  qu'il  rédigeait  une  véritable  intro- 
duction à  l'histoire  des  fils  d'Aymes,  et  que  le  plus  grand  mé- 
rite de  ses  inventions  serait  d'y  respecter  les  données  de  la 
légende,  il  a  cru  néanmoins  qu'il  pouvait  sans  inconvénient 
remanier  le  vieux  texte,  de  façon  à  ce  qu'il  se  reliât  sans  so- 
lution apparente  de  continuité  avec  son  oeuvre  propre.  Le 
remaniement  du  Renaud  de  Montauban,  qui  a  été  conservé 
dans  le  manuscrit  de  Montpellier,  ne  peut  être  attribué  qu'à 
un  trouvère  intéressé  à  en  faire  la  suite  naturelle  du  Maugis 
dWigremont. 

En  effet,  une  fois  Maugis  reconnu  et  présenté  à  tous  comme 
le  fils  deBeuves,  n'était-il  pas  étrange  qu'il  ne  fût  fait  aucune 
allusion  à  son  existence  dans  la  première  partie  du  Renaud 
de  Montauban,  partie  très-distincte,  oi;  il  ne  s'agit  que  des  dé- 
mêlés de  Beuves  d'Aigremont  et  de  Charlemagne?  Dans  la 
version  de  Montpellier,  Maugis  est  à  côté  de  sa  mère,  quand  le 
corps  deBeuves,  qui  a  été  assassiné  par  Grifon  de  Hautefeuille, 
est  rapporté  à  Aigrement. 

De  Testeur  sunt  partis  atantli  .x.  serjant. 
.iiii-   lieuez  plenierez  ala  le  cors  saignant 
Que  les  plaiez  ne  porent  estanchier  tant  ne  quant. 
Des  jornéez  qu'il  font  ne  vos  iroi  contant. 
5     Vindrent  à  Aigrement  à  un  avesprement  ; 
La  duchoise  s'estut  as  fenestrez  devant, 
0  lui  Maugis  son  fix  que  ele  aime  forment, 
Cheus  a  veiis  venir  courouchiez  et  dolent 
Qui  lor  seignor  aloient  tout  adez  regretant. 
10     Quant  la  dame  l'oï,  s'en  ot  le  cuer  dolent. 

Très  parmi  la  chité  la  nouvele  en  ala 
Que  lor  seignor  est  mort,  forment  lor  en  pesa. 
La  duchoise  et  Maugis  grant  duel  en  démena: 
((Sire  Dex,  [fet  Maugis,  quel  damage  chi  a! 
15     ))Se  je  vif  longuement,  Kalles  Tacatera.  » 

((Biau  fix,  dist  la  duchoise,  ne  vous  esmaiez  ja. 


118  RECHERCHES 

»  Le  duc  Girart,  ton  oncle,  moult  bien  vous  aidera. 
»  Ainchiez  que  li  an  passe,  moult  le  courouchera 
»  Et  Renaut,  ton  cousin,  que  Ajmez  engendra,  n 

Par  cette  addition,  l'accord  est  rétabli  entre  les  deux  ro- 
mans, et  Maugis  apparaît  déjà  comme  le  futur  vengeur  de  la 
mort  de  Beuves. 

Mais  notre  trouvère  ne  pouvait  s'en  tenir  là.  L'idée-mère 
du  Maugis  d'Aigremont  est  Texplication  de  ce  que  la  légende 
des  Quatre  Fils  Aymon  offrait  d'incomplet  et  d'obscur.  La  mort 
de  Beuves  et  le  Renaud  de  Montauban  une  fois  réunis  par 
l'usage  en  un  seul  récit,  et  bien  que  même  dans  le  manuscrit 
de  Montpellier  la  première  des  narrations  se  termine  par  la 
formule  consacrée  «  explicit  la  mort  dus  Buef  d'Aigremont  », 
on  ne  pouvait  méconnaître  que  dans  les  querelles  de  la  famille 
d'Ajmes  et  de  Charlemagne  tous  les  torts  n'étaient  pas  du 
côté  de  l'empereur,  ce  qui  était  en  contradiction  avec  la  fière 
loyauté  des  quatre  fils  Aymon.  D'autre  p?»rt,  on  pouvait  être 
choqué  de  la  facilité  assez  peu  naturelle  avec  laquelle  Charle- 
magne et  le  duc  Aymes  oublient,  l'un  la  mort  de  son  fils,  l'au- 
tre la  mort  de  son  frère.  Il  y  avait  trop  de  meurtres  inexpli- 
qués dans  la  première  partie,  trop  de  bonne  humeur  et  de 
gaîté dans  le  début  delà  seconde. Le  vieux  texte  pouvait  donc 
être  corrigé  d'une  façon  utile. 

Déjà,  dans  le  Vivien  de  Monbranc,  il  y  a  eu  entre  Charlema- 
gne et  Lohier  d'un  côté,  et  Beuves  et  Maugis  de  l'autre,  une 
rupture  complète  dans  des  circonstances  où,  on  le  verra,  l'em- 
pereur et  son  fils  agissent  de  la  façon  la  plus  blessante  pour 
les  fiers  barons.  C'était  un  motif,  non  suffisant  à  notre  point 
de  vue,  mais  du  moins  un  motif  de  haine  entre  Charles  et 
Beuves,  et  une  explication  de  la  colère  du  duc  d'Aigremont, 
quand  Lohier  vient  lui  apporter  les  ordres  menaçants  de  l'em- 
pereur. Notre  trouvère  a  fait  davantage.  Il  a  fondu  ensemble 
la  Mort  de  Beuves  et  le  commencement  du  lîenawl  de  Montau- 
ban de  la  façon  suivante. 

L'envoi  d'un  premier  message  de  Charlemagne  et  la  mort 
du  messager,  Enguerrand  d'Espolice,sont  supprimés'.  C'était 

1  Celte  suppression  a  été  également  constatée  par  M.  Rajua,  dans  le  ms. 
civ,  3,  16,  de  \ea\S{^.  Rinatdo  da  Montalhano,  p.  i'o.  D'après  les  indications 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  119 

un  meurtre  de  moins  à  la  charge  de  Beuves,  meurtre  que  le 
trouvère  n'aurait  su  comment  excuser;  c'était  aussi  la  sup- 
pression d'un  double  emploi. 

On  n'était  plus  sensible  à  cette  sorte  de  gradation  qui  plai- 
sait aux  vieux  seigneurs  féodaux,  aux  yeux  desquels  se  char- 
ger d'un  second  message  quand  les  premiers  messagers  avaient 
été  mis  à  mort  était  le  comble  de  Théroïsme  *.  Lohier,  Tennemi 
de  Beuves,  va  le  provoquer  dans  son  château,  et  la  mort  est 
le  prix  de  cette  témérité.  C'est  pendant  le  voyage  de  Lohier  à 
Aigremont,  avant  que  sa  mort  soit  connue  et  qu'il  y  ait  du 
sang  entre  les  deux  familles,  que  l'empereur  adoube  cheva- 
liers les  fils  d'Aymes.  Dans  la  version  plus  ancienne,  cette  ce. 
rémonie  a  lieu  après  la  mort  de  Beuves,  lorsqu'une  réconci- 
liation est  intervenue  entre  Charles  et  les  frères  du  duc.  Aymes 
a  pris  part  aux  deux  guerres  successives  entre  l'empereur  et 
sa  famille;  mais  ni  l'un  ni  l'autre  n'ont  l'air  de  s'en  souvenir, 
et  Charles  comble  de  caresses  Renaud  et  ses  frères.  Dans  la 
version  de  Montpellier,  Aymes  et  ses  fils,  qui  se  sentaient  liés 
envers  l'empereur,  n'ont  pas  soutenu  Beuves  après  l'attentat 
qu'il  avait  commis.  Dès  qu'ils  en  reçoivent  la  nouvelle,  ils 
quittent  la  cour  de  l'empereur  et  vont  à  Dordonne.  Ils  content 
à  la  duchesse  tout  ce  qui  s'est  passé. 

Quant  la  dame  les  vit,  ses  a  mis  à  reson  : 
((Sire,  bien  vegniez  vous?» —  «A  Dieu,  beneïchon.  » 
wEstRenaut,  mon  cher  fix,  chevalier  abandon?» 
))Oïl,  ma  douce  dame,  le  gentil  hons  respont, 
5     »  Adoubez  nous  a  tous,  l'emperere  Kallon; 
»  Si  home  devenimez,  feeulté  li  devon; 
»  Mez  j'en  dont  durement  qu'encor  nel  courouchon.  » 
((Renaut,  chen  dist  la  dame,  vous  ferez  que  bricon.  » 
((Dame,  chen  dist  Renaut,  ne  sai  que  nous  feron. 

données  parM.  Rajna  (p.  6-8),  il  contient  des  allusions  à  la  guerre  d'Espagne 
où  Roland  s'empara  de  Nobles. 

'  Dans  Rola?id,  malgré  la  mort  de  Basan  et  de  Basile  (v.  207-209,  éd. 
Gautier),  Naimes,  Roland,  Olivier,  s'offrent  pour  porter  le  message  à  Marsile; 
mais  l'empereur  ne  veut  envoyer  aucun  des  douze  pairs.  Il  refuse  également 
d'accepter  Turpin.  C'est  alors  que  Roland  propose  son  beau-père,  et  encore 
offre-t-il  d'y  aller  a  sa  place  (v.  244-316J. 


120  RECHERCHRS 

10     »  Mêliez  sommez  à  Kalle,ja  ne  vous  cheleron. 
«Sanscongie  departimez  de  la  court  entre  nous, 
»Querli  dus  Buef,  mon  oncle,  le  sire  d'Aigremont, 
»  Si  a  ochis  Lohier  qui  eâtoit  fix  Kallon.  » 
Quant  la  dame  l'oï,  si  en  ot  marison. 

15     Bien  set  de  vérité  ch'est  lor  destruction. 

La  dame  Marguerie  s'ala  moult  dolosant, 
Qu'ele  doute  la  guerre  et  le  destruiement. 
«Biau  fix,  clien  dist  la  dame,  .i.  petitet  m'entent, 
))Sus  toute  créature  va  ton  seignor  servant. 

20     »Et  vous,  sire  dus  Ajmez,  moult  me  vois  merveillant 
«Que  de  Kallon  partistes  si  aïréement. » 
Et  respont  li  dus  Ajmez,  qui  le  cuer  ot  dolent, 
Que  le  duc  d'Aigremont,  mon  frère  le  vaillant, 
A  mort  le  fix  Kallon  à  son  acherin  brant. 

25     «Sire,  chen  dist  la  dame,  pour  Dieu  omnipotent, 
»  Ne  te  va  de  lor  fet  pour  rien  entremetant  ; 
»  Mes  aidiez  à  Kallon,  mon  seignor  le  vaillant, 
))Mès  aidiez  à  Kallon,  ton  seignor,  loialment.  » 
Et  respont  li  dus  Ajmez  :  «Si  m'aït  .S.  Amant! 

30     »  Or  soit  comme  il  pourra  des  ichi  en  avant.  » 

Aymes  et  ses  fils  suivent  les  conseils  de  la  duchesse  Mar- 
guerie* et  ne  prennent  point  part  aux  guerres  que  Girard  de 
Roussillon  et  Doon  de  Nanteuil  soutiennent  contre  Charles. 
Mais,  quand  la  paix  se  fit,  on  négligea  de  s'assurer  l'assenti- 
ment de  Renaud,  Alard,  Guichard,  Richard  et  Maugis.  Cette 
négligence  ne  devait  pas  rester  sans  conséquence. 

Entoutceci, le  trouvère  aété préoccupé  desaiiverla  loyauté 
d' Aymes  de  Dordonne.  assez  compromise  dansFautre  version. 
La  duchesse  est  l'interprète  exact  de  cette  conception  nou- 
velle de  la  légende. 

Le  début  de  l'histoire  des  Fils  Aymon  se  trouve  par  suite 
modifié.  Charles  est  bien  disposé  pour  Aymes  et  ses  fils,  et 
veut  les  récompenser: 

«Dus  Aymez,  dist  le  roi,  moult  par  estez  preudom; 
'  Elle  est  appelée  Aye  dans  rédition  de  M.  Miclielant. 


SUR  LES  CHANSONS    DE   GESTE  121 

»  Je  vous  aim  loialment,  de  verte  le  dison. 
»  Je  donrai  à  vos  fix  moult  bêle  pension. 
»  Je  feroi  senescal  de  Renaut  le  baron, 
5    »  Aalart  et  Guichart  porteront  le  dragon, 
))EtRichart  portera  mon  estourin  faucon.  » 

Aj-mes  s'incline  devant  la  volonté  de  l'empereur,  tout  en 
rappelant  qu'il  n'a  pas  oublié  la  mort  de  son  frère  Beuves. 
Renaud,  Alard  et  Guichard  expriment  des  sentiments  pareils, 
et,  après  une  violente  querelle,  Charlemagne  chasse  grossiè- 
rement Renaud. Après  cette  scène,  le  calme  renaît.  On  dîne; 
puis  les  uns  vont  behourder,  les  autres  jouent  aux  tables  et 
aux  échecs.  Renaud  et  Bertelais  jouaient  ensemble.  Le  fils  de 
l'empereur  insulte  son  adversaire  et  le  frappe  au  visage; 
Renaud,  d'un  coup  de  l'échiquier  d'or,  étend  Bertelais  mort  à 
ses  pieds  ' .  Alors  s'engage  un  véritable  combat,  où  se  distingue 
le  «  vassal  Amaugis.  »  Les  quatre  frères  et  «  Amaugis,  leur 
ami»,  quittent  Paris  et  s'enfuient  à  Dordonne-.  De  là  les  fils 
Aymon  iront  bâtir  Montessor  sur  la  Meuse,  tandis  que  Charle- 
magne afie  leur  père,  qui  a  prorais  de  ne  pas  les  secourir. 

La  Bibliothèque  bleue  suit  fidèlement  le  texte  du  manuscrit 
de  Montpellier  pour  tout  ce  commencement  de  l'histoire  des 
fils  Ajmon,  et  ne  fait  guère  que  le  résumer  ou  le  traduire.  A 
propos  du  cheval  que,  d'après  cette  version,  Renaud  avait  déjà 
quand  il  fut  armé  chevalier,  elle  se  conforme  à  la  tradition 
créée  par  le  Maugis:  «  Puis  Renaud  monta  sur  son  cheval 
))Bajard,  qui  jamais  n'eut  son  pareil;  car,  pour  avoir  couru 
»  dix  lieues,  il  n'était  pas  fatigué.  Ce  cheval  avait  été  nourri 

1  Cette  version  des  origines  de  la  querelle  de  Renaud  et  de  l'empereur  est 
assez  conforme  au  récit  que  fait  Renaud  lui-même  dans  le  texte  de  M.Miche- 
lant.p.  227.  Cf.  aussi  dans  Ogier  Ja  mort  de  Baudouin.  Je  reviendrai  sur  tout 
ceci  à  propos  du  Rinaldo  da  Montalbano. 

^  Une  des  versions  du  Renaud  de  Montauban  «  fait  retenir  les  trois  frères 
»  de  Renaud  dans  la  chartre  de  l'empereur  jusqu'au  moment  où  leur  cousin 
»  Amaugis  ou  Maugis  vient  les  délivrer,  grâce  aux  sorts  qu'il  jette  autour  de 
»  lui;  c'est  encore  là  une  pâle  imitation  de  la  prison  d'Ogier  dans  la  tour  de 
»  Reims,  et  l'on  ne  doit  pas  s'y  arrêter.  »  Bibliothèque  7iatio7i.,  ms.  7183, 
f<>67.  Histoire  littéraire,  XXII,  p.  674-675.  Le  ms.  de  Venise  contient  é°-a- 
lement  cet  épisode;  mais  on  ne  le  retrouve  pas  dans  le  Rinaldo  da  Motital- 
bano.  P.  Rajua,  Rinaldo  d.  M.,  p.  34 


122  RECHERCHES 

»  en  l'île  de  Blescau,  et  Maugis,filsduduc  Beuves  d'Aigremont, 
«  l'avait  donné  à  son  cousin  Renaud.  » 

L'intérêt  que  présente  le  remaniement  que  contient  le  ma- 
nuscrit de  Montpellier  vient  de  ce  qu'il  a  été  fait  par  un 
homme  qui  se  rendait  parfaitement  compte  des  conséquences 
des  additions  et  des  changements  qu'il  faisait  à  la  légende.  Il 
abrège  très-souvent  ;  sa  langue  épique  est  de  la  décadence  ; 
mais  il  n'a  pas  altéré  le  caractère  général  du  vieux  roman  et 
il  a  tiré  habilement  parti  des  données  qu'il  possédait.  Cela  ex- 
plique le  succès  de  soii  œuvre.  J'ai  dû  faire  souvent  usage  de 
ce  texte;  je  crois  pouvoir  en  reproduire  un  passage  assez  in- 
téressant, qui  permettra  d'en  comparer  le  stjle  avec  celui  de 
la  version  imprimée'.  La  Bibliotlibque  bleue  suit  encore  ici  le 
texte  de  Montpellier. 

Le  roi  Yon  expose  à  ses  conseillers  que  l'empereur  exige 
que  les  fils  d'Aymes  soient  remis  entre  ses  mains  et  leur  de- 
mande leur  avis. 

«Segnors,  dist  [le]  roi  Yon,  .i.  conseil  vous  demani  : 
«Ne  mêle  donnes  mie  du  tout  à  mon  talent, 
»  Mes  si  que  bien  en  die  li  petit  et  li  grant. 
»  Kallemaines  de  France,  l'emperere  puissant, 
5     »  Est  entré  en  ma  terre  par  moult  grant  mautalent. 
»  Durement  me  menache,  moi  et  toute  ma  gent, 
»  Se  je  les  fix  Ajmon  tous  .iiii.  ne  li  rent, 
»  Ne  me  leira  castel,  bourc  ne  vile  en  estant. 
»  Mes  onques  le  mien  père  ne  tint  du  sien  .i.  gant, 

10     ))Non  fera  ja  le  fix  en  trestout  son  vivant. 
»  Se  il  a  avec  lui  Olivier  et  RouUant, 
»  Et  j'ai  Renaut  o  moi  et  Richardin  l'enfant  ; 
))Et,  se  il  a  dusNaimes,  Berenguieret  Bruiant, 
))J'ai  Guichart,  Aalart,  Amaugis  le  vaillant; 

15     »Et,  se  il  a  aussi  Ogier  le  combatant, 

»  J'ai  Guichardin  d'Espagne,  Godefroi  le  puissant. 
»  Se  il  a  .XII.  pers,  et  je  en  ai  autretant  ; 

1  Dans  le  texte  imprimé,  ce  passage  comprend  218  vers  (p.  154-160;.  11 
n'y  a  que  ciuq  barons  dans  le  conseil  du  roi  ;  mais  chacun  parle  longuement, 
et  il  y  a  deux  délibérations  successives. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  113 

»  Se  il  a  .c.  mile  hommes,  de  .c.  mile  me  vaut; 
»  S'il  est  rois,  et  je  rois,  s'il  a  branc,  et  je  branc. 
20     »  Je  deraant  vo  conseil,  ne  le  m'aies  ehelant; 

))(Mez)conseilliesmoi  à  droit  que  Dex  vous  soit  aidant.» 

Premerain  a  parlé  Godefroi,  che  m'est  vis. 
«  Je  me  merveil,  dist  il,  par  le  cors  S .  Denis, 
»  Que  vous  queres  conseil  que  Renaus  soit  ochis. 
25     ))I1  est  votre  linge  homme  et  vo  carnel  amis, 
»  Et  de  votre  seror  a  il  .ii.  fix  nourris, 
»  Et  si  vous  a  vengié  de  tous  vos  anemis.  « 

Apres  avoit  parlé  le  mal  quens  d'Avignon  ; 
Dex  li  doinst  maie  honte,  il  ne  dit  se  mal  non. 

30     «Riche  roi  de  Gascoigne,  entendez  ma  reson: 

»Se  vous  perdez  Gascoigne  pour  .i.  tout  seul  baron, 
»Et  vous  toutez  vos  gens  donnez  pour  .i.  povre  hon, 
«Legieu  avez  perdu  par  le  cors  .S.  Sjmon. 
»  Tout  li  mont  vous  tendroit  à  fol  et  à  bricon. 

35    «Délivrez  lui  Renaut  qui  me  semble  félon.  » 

Le  quens  de  Monbendel  après  lui  a  parlé  : 
«Riche  roi  de  Gascoigne,  sachies  de  vérité, 
»  Enfin  vous  veut  honnir  qui  chen  vous  aloé. 
))  Quant  Renaus  vint  à  vous  de  segnor  esgaré, 

40     »  Il  ne  sembla  pas  homme  qui  eiist  povreté, 
»  Son  mendre  escuier  iert  de  [vair]  afublé'. 
»  Àins  que  Renaus  eiist  son  esperon  ostés, 
»  [II]  vous  dist  moult  très  bien  qu'à  Kallon  iert  mellés. 
»  Vo  serour  li  donnastez  et  une  ducheé 

45     »  Acuicié  à  les  marchez  et  de  lonc  et  de  lé. 

»Par  ichel  .S,  aposti'C  c'on  quiert  enNoiron  pré, 
))Ne  doit  porter  couronne  ne  tenir  roialté 
»  Qui  pour  paour  de  mort  rent  si  riche  barné  . 
))  Encor  n'avez  perdu  ne  castel  ne  chité. 

50    »  Se  traïssiez  Renaut,  trop  aves  mal  ouvré, 

»  Ms.  «  de  vert  afuble.  »  —Ed.  Michelant,  p.  157: 

Ses  pires  escuiers  iert  de  gris  afublés. 


124  RECHERCHES 

))Queren  trestoutez  cours  serez  au  doi  monstre. 
))  Jamez  n'arez  heneur  en  trestout  votre  aé. 
»  Judas  qui  Dieu  traï,  serez  tous  jours  clamé.  » 

Apres  parla  Antiaume  à  la  barbe  flourie, 
55     Damedieu  li  doinst  mallefix.S.  Marie. 

«Riche  roi  de  Gascoigne,  chestui  ne  créez  mie, 
»  Enfin  vous  veult  traïr.  Ne  lerroi  ne  vous  die  : 
»  Les  .iiii.  fils  Aymon  sunt  de  povre  lignie, 
»  Délivrez  li  Renaut,  qui  qu'en  pleurt  ne  qui  rie. 
GO     »  Miex  est  qu'il  soit  honni  que  vo  gent  soit  perie.  )> 

Apres  parla  Guinant,  .i.  duc  qui  tint  Baione: 
«Roi,  chil  vous  veut  traïr  qui  chest  conseil  vous  donne. 
«Renaus  le  fix  Ajmon  est  moult  noble  personne, 
»  Plus  vaillant  que  son  père  n'a  il  jusqu'en  Sessoigne. 
05     »  Ichil  roi  ne  doit  mie  à  droit  porter  couronne 
»  Qui  pour  paour  de  mort  son  baron  abandonne.  » 

Après  parla  Hunalt  qui  le  poil  ot  canu, 
Et  a  dit  à  Guinant:  «Tu  as  le  sens  perdu. 
»  Quant  tu  verras  chest  règne  gasté  et  confondu 
70     »  Et  brisié  maint  castel  et  maint  mort  abatu, 

»Toi  ne  caudra  il  gueirez  qui  soit  pris  ne  vaincu.  » 
«Assez  miex,  dist  Guinant,  si  m'ait  or  Ihesu.  » 

Apres  parla  Bernart  qui  moult  ot  fier  courage, 
Le  septisme  des  contez,  et  dist  moult  grant  outrage  : 

75     «Riche  roy  de  Gascongne,  moult  ferez  grant  folage 
»  Se  vous  Renaut  tenes  contre  le  fort  roi  Kalle. 
»  Kalles  est  moult  cruel  et  de  moult  haut  parage, 
«Rendez  [à]  li  Renaut  et  tresîout  son  parage.  » 
Quant  le  roi  Ys  l'entent,  si  leva  le  vis;ige. 

80     Or  le  rendra  à  Kalle  et  atout  le  barnage. 

Ce  morceau  est  très-supérieur  pour  le  fond  et  la  forme  à 
ce  que  nous  lisons  dans  le  licnaud  de  Montauban.  Yon  parle 
ici  avec  une  fierté  vraiment  royale,  et  ses  conseillers  s'expri- 
ment avec  une  éloquente  concision.  La  phraséologie  épique  de 
notre  trouvère  se  ressent  d'ordinaire  do  l'usure  du  temps;  on  a 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  125 

donné  tant  de  coups  d'épée  depuis  Roncevaux  et  Aliscans! 
Maisquand  il  sort  de  Timitation  trop  matérielle,  quand  il  n'est 
plus  gêné  par  l'embarras  des  récits  de  batailles,  et  que,  soit 
dans  le  Maugis,  soit  dans  l'histoire  des  Fils  Ajmon,  il  exprime 
des  idées  et  des  sentiments  qui  lui  appartiennent,  il  devient 
intéressant.  Le  mot  de  Maugis  à  Vivien: 

Ta  mort  si  est  escripte  au  trenchant  de  m'espée, 

les  paroles  des  barons  reconnaissant  leur  cruauté  envers  les 
pauvres  serfs  qui  gagnent  le  blé,  le  sourire  du  petit  Maugis 
sur  les  genoux  d'Oriande,  bien  d'autres  passages,  nous  le  mon- 
trent capable  de  prendre  tous  les  tons.  Il  est  d'ailleurs  moins 
ignorant  que  la  plupart  de  ses  devanciers.  Il  connaît  la  Sicile 
et  ses  volcans;  il  ne  sait  de  l'Orient  que  ce  qu'en  rapportaient 
les  pèlerins;  mais  du  moins  les  noms  propres  ne  sont  pas  trop 
altérés.  Ces  qualités  ne  sauraient  remplacer  le  souffle  épique, 
l'ardeur  héroïque  et  sincère  des  premiers  âges;  mais  elles 
donnaient  le  succès  présent  et  permettaient  de  soutenir  sans 
trop  d'infériorité  la  rivalité  des  romans  qui  dérivaient  directe- 
ment des  légendes  bretonnes. 

Je  voudrais  définir  le  procédé  de  composition  de  l'auteur  du 
Maugis.  Il  a  emprunté  au  Lancelot  du  Lac  la  naissance  des  fils 
de  Beuves  et  l'éducation  de  Maugis  par  une  fée,  et  à  la  lé- 
gende d'Artus  le  lieu  où  se  passe  l'enfance  de  son  héros.  Quand 
il  conduit  Maugis  à  la  cour  de  Galafre,  en  fait  le  champion  de 
Marsile  et  l'amant  de  la  reine,  il  imite  les  récits  sur  la  jeu- 
nesse de  Charlemagne  et  les  amours  de  Lancelot  et  de  Geniè- 
vre. Les  fils  à  la  recherche  de  leurs  pères,  les  combats  entre 
père  et  fils  avant  qu'ait  lieu  l'inévitable  reconnaissance,  dé- 
rivent des  sources  germaniques.  Dans  le  personnage  d'Espiet, 
nous  voyons  la  double  influence  de  Huon  de  Bordeaux  et  de  la 
Table  Ronde.  De  la  Table-Ronde  vient  aussi  le  caractère  ga- 
lant de  Maugis,  qui  a  des  aventures  amoureuses  tout  comme 
le  bon  Gauvain.  Mais  d'où  sortent  ces  espions  qui  se  hâtent  à 
travers  le  récit,  renseignant  les  princes  sur  ce  qui  se  passe 
chez  leurs  ennemis?  Notre  auteur  a  trouvé  le  type  si  intéres- 
sant qu'il  n'a  pas  hésité  à  présenter  d'abord  le  neveu  d'Oriande 
comme  un  espion,  et  dans  le  remaniement  des  Fils  Atjnion,ce 


126  RECHERCHES 

n'est  plus  un  messager,  mais  un  espion  qui  apprend  à  Beuves 
les  projets  deCliarlemagne*.Le  sans-façon  avec  lequel  Maugis 
se  met  successivement  au  service  de  Marsile  et  de  FAmustant 
de  Mellent%  la  remarque  que  chez  les  Sarrasins  il  y  avait 
maint  clerc  renégat,  indiquent  la  fin  de  l'enthousiasme  reli- 
gieux. Dans  les  romans  italiens,  Renaud  et  Roland  se  com- 
porteront souvent  comme  le  fait  ici  Maugis  dans  ses  voyages 
en  pays  sarrasin. 

Le  monde  féodal  est  dépeint  tel  que  nous  le  voyons  dans 
Ihnaud  de  Montauban  et  les  chansons  de  la  même  époque.  Les 
barons  faits  prisonniers,  grâce  à  la  ruse  de  Maugis,  sont  très- 
satisfaits  de  l'aventure,  parce  qu'elle,  les  dispense  de  tirer 
l'épée  au  profit  de  l'empereur  dans  la  guerre  qu'il  soutient 
contre  ses  vassaux  révoltés.  Naymes  ou  Dunaymes  ^  est  le 
conseiller  indispensable  du  roi,  comme  toujours,  etCharlema- 
gne  est  obligé  de  prier  ses  ennemis  de  lui  rendre  celui  sans 
lequel  il  ne  sait  rien  décider.  Le  roi  de  Saint-Denis  est  ce  qu'il 
restera  désormais,  très-menaçant,  très-violent,  très-obstiné, 
mais  malheureux  dans  ses  entreprises,  raillé,  vaincu,  mais 
néanmoins  protégé  de  Dieu  quand  l'honneur  delà  France  est 
en  cause.  Il  finit  par  avoir  l'hommage  de  ses  barons,  mais  à  la 
condition  de  payer  leur  soumission. 

L'opposition  des  Sarrasins  et  des  chrétiens  est  en  général 
marquée  des  mêmes  traits  que  partout.  Cependant  on  ne  voit 

*  Dans  Renaud  de  Montauban,  je  n'ai  trouvé  qu'un  espion  (p.  220)  dont 
d'ailleurs  Espiet  me  semble  dériver: 

lluec  ot  une  espie  ki  Pinax  avoit  non, 
Et  cil  estoit  de  Frise,  .xv.  pies  ot  de  ionc 
Et  voloil  contrefaire  Maugis  le  fort  larron. 

Dans  le  ms.  de  Montpellier,  il  est  appelé  Maupin,  éa.VLS  la  Bibliotlièque 
h\s\iç,  Pignaut. —  Dans  Ogier,v.  4877,  Gérémie,  espion  de  Didier;  v.  7339, 
uu  espion  d'Ogier,  v.  9803,  un  espion  de  Brehus, 

2  Dans  Iluon  de  Bordeaux  (v.  7540-8175),  Huon  devient  le  champion 
d'Yvorin  de  Monbranc,  frère  de  Gaudisse,  et  tue  Sorbrin;  puis  il  est  aux 
prises  avec  Geriaumes,  devenu  de  son  côté  le  champion  de  Galafre.  Les  deux 
cliréliens  font  ensemble  la  conquête  d'Aufalerne,  et  Iluon  retrouve  Esclar- 
monde- 

'  Nous  avons  aussi  rencontré  la  forme  Du-Buef.  En  italien,  Diisnamo 
devint  le  nom  ordinaire  du  bon  duc  de  Bavière. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  127 

plus  d'allusion  au  royaume  chrétien  de  Jérusalem,  et  les  agres- 
sions viennent  des  mahométans.  A  l'époque  de  la  composition 
de  ce  roman,  FefFort  des  croisades  n'aboutissait qu'àdes  échecs 
et  à  des  revers.  Le  roi  de  Jérusalem  n'a  été  conservé,  à  la  fin 
du  Renaud  de  Montauban,  que  par  respect  pour  la  tradition 
poétique. 

Je  relèverai  un  procédé  assez  important,  le  dédoublement 
des  personnages.  A  côté  de  Maugis,  nous  avons  Espiet  et  Vi- 
vien, représentant,  l'un  la  science  magique,  l'autre  la  vail- 
lance chevaleresque.  Cela  ne  suffît  pas  ;  à  Maugis  est-  opposé 
un  troisième  enchanteur,  Noiron.  D'ailleurs  le  trouvère  ima- 
gine, sans  hésiter,  des  personnages  nouveaux:  Hernaut  de 
Monder,  Ysane,  Brandoine  ;  tantôt  il  invente  les  noms,  tantôt 
il  les  prend  au  hasard  dans  d'autres  récits.  Il  y  a  en  tout  cela 
plus  d'intelligence  et  de  métier  que  d'originalité;  vraie.  Ce- 
pendant telle  page,  on  a  pu  s'en  convaincre,  n'est  pas  sans 
mérite.  La  plupart  des  chansons  de  geste  de  date  récente  sont 
d'une  fatigante  prolixité.  Ce  n'est  le  défaut  ni  du  Maugis,  ni 
surtout  du  Vivien  de  Monbranc.  D'une  manière  générale,  la 
narration  de  notre  trouvère  est  bien  composée,  et  il  sait  éviter 
tout  désaccord  entre  ses  conceptions  et  la  légende.  En  faisant 
du  Maugis,  du  Vivien  et  du  Renaud  de  Montauban,  un  ensemble 
homogène  où  les  faits  se  suivent  dans  un  ordre  clair  et  natu- 
rel, il  s'est  approprié  le  plus  populaire  des  récits  du  moyen 
âge. 

Je  ne  sais  si  le  personnage  de  Maugis  a  réellement  gagné  à 
devenir  l'objet  d'un  poëme  distinct.  On  a  été  sévère  pour  la 
facilité  avec  laquelle  il  aime  successivement  Oriande,  la  reine 
épouse  de  Marsile,  sa  tante  Ysane  ^  Ce  qui  me  frappe,  c'est 
qu'il  ne  s'attache  vraiment  à  aucune.  Il  quitte  la  douce  fée, 
abandonne  la  reine,  celle-ci  au  milieu  d'un  embarras  terrible, 
sans  paraître  ému.  Sans  doute,  à  la  fin  du  Vivien  de  Monbranc, 
il  reviendra  à  Rocheflour  auprès  de  son  amie  Oriande;  mais  il 
ne  s'éprend  d'aucune  dame  à  la  façon  des  chevaliers  de  la  cour 
d'Artus.  Il  devient  de  plus  en  plus  le  guerrier  rude  et  batail- 
leur des  chansons  de  geste.  En  rase  campagne  ou  en  champ 
clos,  il  ne  redoute  personne.  Il  n'emploie  sa  puissance  magi- 

*  Histoire  littéraire,  XXII,  p.:701-703. 


128  RECHERCHES 

que  que  dans  des  circonstances  graves,  dans  rintérèt  des  siens 
ou  pourdésarmer  son  frère.  Il  est,  en  un  mot,  très-digne  d'en- 
trer dans  la  compagnie  de  Renaud  et  de  ses  frères.  Mais,  si 
nous  négligeons  l'amusante  histoire  de  son  déguisement  en 
cardinal,  il  paraît  moins  inventif,  moins  gai  que  dans  l'histoire 
des  Fils  Ajmon,  Il  semble  céder  à  Espiet  l'usage  d'une  partie 
de  ses  dons.  Il  a  la  conception  prompte,  la  répartie  toujours 
prête;  mais  l'armure  de  chevalier  a  fini  par  alourdir  sa  dé- 
marche. Il  n'a  plus  rien  du  lutin  primitif,  car,  sa  science  d'en- 
chanteur, il  la  tient  des  sages  qui  l'ont  instruit,  et,  quand  il 
l'emploie  à  propos,  il  ne  peut  s'empêcher  de  s'écrier: 


bien  fist  qui  me  l'aprit! 


Remaniée  et  complétée,  l'histoire  des  Fils  Ajmon  passa  en 
Italie  et  y  fut  l'objet  d'une  imitation  qui  tantôt  suit  les  ver- 
sions françaises,  tantôt  les  modifie,  tantôt  s'en  écarte  décidé- 
ment; mais,  avant  d'aborder  l'examen  du  Rinaldo  da  Montal- 
bano,  je  crois  devoir  reproduire  le  texte  du  Vivien  de  Mon- 
branc,  tel  qu'il  a  été  conservé  dans  le  manuscrit  de  Montpel- 
lier^  Ce  petit  poëme  est  une  véritable  chanson  de  geste,  qui, 
pour  le  fond  et  la  forme,  ménage  la  transition  entre  le  roman 
et  l'épopée,  le  Maugis  et  lelienaud  de  Montauban. 


VIVIEN  DE   MONBRANC 

Dans  la  trilogie  que  forment  le  Maugis,  le  Vivien  et  le  roman 
des  Fils  Aymon,  la  seconde  de  ces  compositions  a  pour  objet 
de  compléter  les  antécédents  de  l'histoire  des  Fils  Aymon. 
L'hostilité  particulière  de  Beuves  d'Aigremont  pour  Charles 
et  le  meurtre  de  Lohier  y  trouvent  une  explication  dans  le 
mauvais  accueil  que  Beuves  et  Maugis  reçoivent  à  la  cour  de 
Charles,  lorsqu'ils  vont  demander  à  l'empereur  de  secourir 
Vivien.  Maugis  s'annonce  déjà  comme   l'adversaire  de  l'em- 

<  Il  est  à  croire  qu'on  le  retrouvera,  dans  d'autres  mss.,  entre  le  Maugiii 
(ï Aifirernovt  e\  l'histoire  des  Fils  Aymon. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  1?9 

pereur.  L'amitié  des  fils  d'Aymes  et  de  Maugis  se  forme  dans 
la  lutte  qu'ils  soutiennent  ensemble  contre  les  Sarrasins,  et  où 
le  jeune  Renaud  fait  l'épreuve  des  mérites  de  Bayard  et  de 
Froberge.  Les  personnages  qui  ont  figuré  dans  le  Maugis, 
mais  qui  ne  devaient  pas  reparaître  dans  le  Benaud  de  Montau- 
ban,  sont  définitivement  écartés  de  la  scène,  soit  qu'ils  meu- 
rent, soit  qu'ils  s'établissent  en  pays  lointain.  Maugis  ne  re- 
viendra à  Aigrement  qu'après  la  mort  de  son  père  ',  et  Vivien 
ne  quittera  plus  Monbrane,  où  le  bruit  de  ce  qui  se  passe  en 
France  n'arrive  point  jusqu'à  lui. 

Le  sujet  proprement  dit  est  le  siège  de  Monbrane.  Les  in- 
cidents se  succèdent  avec  assez  de  variété,  mais  sans  longs 
développements,  car  l'auteur  est  pressé  d'en  finir  avec  cette 
sorte  de  transition  et  de  passer  à  l'histoire  des  Fils  Aj^mon;  à 
l'occasion  des  funérailles  des  chrétiens,  il  ne  peut  s'empêcher 
de  dire  (v.  1061,  suiv.): 

Ne  soi  pour  quoi  le  deuil  vous   seroit  racontés, 
Je  ai  trop  à  fere,  ja  n'en  seroi  mellés. 

Les  qualités  et  les  défauts  de  la  narration  sont  les  mêmes 
que  dans  le  Maugis,  les  ressemblances  avec  le  Gaufrey  aussi 
fréquentes. 

Vivien,  malgré  sa  conversion,  a  gardé  son  iiiveà'amachour. 

Au  point  de  vue  de  l'histoire  de  la  légende  des  Fils  Aymon, 
le  Vivien  marque  davantage  une  conception  neuve,  déjà  indi- 
quée dans  le  Maugis.  Les  célèbres  frères  Beuves,  Doon,  Ay- 
mes,  Girart  et  les  enfants  Maugis,  Renaud,  Alard,  sont  enga- 
gés dans  une  guerre  contre  les  Sarrasins.  Reprise  comme  elle 
l'a  été  à  la  fin  du  Renaud  de  Montauban- ,  cette  conception  con- 
stitue une  transformation  réelle  de  la  légende.  Dès  lors  Re- 
naud et  son  lignage  n'apparaissent  plus  seulement  comme  des 
barons  indociles;  ils  sont  aussi, quand  il  le  faut,  les  défenseurs 
de  la  chrétienté.  L'auteur  songeait  à  Roncevaux  en  écrivant 
les  dernières  laisses  de  ce  court  poème. 

*  Je  parle  toujours  d'après  la  version  de  Montpellier,  où  Maugis  est  men- 
tionné dans  la  Mort  de  Beuves  et  au  commencement  du  Renaud  de  Montau- 
ban. 

'  V.  l'extrait  du  ms.  de  Montpellier  cité  au  commencement  de  ce  travail. 


130  RECHERCHES 


Sommaire 


Les  Sarrasins,  poussés  par  les  prédications  de  leur  apostole  Cali- 
fre,  décident  de  reconquérir  Monbranc  et  de  châtier  Vivien  et  Esclar- 
monde.Ii  sont  conduits  par  le  soudan  de  Babj^lone,  l'amiral  de  Perse, 
le  roi  de  Nubie,  le  roi  Joacab  de  Claudie,  le  roi  Machabré,  le  roi  de 
Barbarie  et  bien  d'autres  (1-86). 

Ils  débarquent  au  port  Alibrandin,  à  cinq  lieues  de  Monbranc.  Ils 
marchent  sur  la  ville.  Vivien  est  averti  de  leur  projet  et  de  leur  ap- 
proche. 11  consulte  sa  femme,  qui  lui  conseille  de  faire  appel  à  son 
père  Beuves,  à  Girart  son  oncle,  à  son  frère  Maugis  et  au  roi  Bran- 
doine  son  cousin.  Mais  Vivien  veut  d'abord  éprouver  ses  forces.  Dans 
un  premier  combat,  il  tient  tête  à  l'avant-garde  des  ennemis  ;  mais 
l'arrivée  du  soudan  sur  le  champ  de  bataille  l'oblige  à  s'enfermer 
dans  Monbranc  (87-191). 

La  reine  Avice  *  engage  de  nouveau  Vivien  à  recourir  à  ses  parents 
et  à  prier  Beuves  d'aller  demander  l'aide  de  Charlemagne.  Le  cheva- 
lier David  est  chargé  du  message.  Pour  que  David  puisse  passer, 
Vivien  attaque  le  camp  des  Sarrasins.  Le  messager  arrive  à  Aigre- 
mont.  Brandoine  est  d'avis  que  lui,  Girart  de  Roussillon,  Doon,  Ay- 
mes,  Hernaut  de  Monder  et  Othon  d'Espolice,  se  préparent  sans  tar- 
der à  secourir  Vivien,  tandis  que  Beuves  et  Maugis  iront  en  France 
réclamer  l'appui  que  l'empereur  doit  à  ses  vassaux  ;  si  Charles  est 
sourd  à  leur  demande,  on  lui  refusera  désormais  tout  hommage.  Beu- 
ves et  son  fils  vont  à  Laon.  L'empereur  refuse  de  marcher  au  secours 
de  Vivien,  parce  que  l'on  ne  peut  faire  la  guerre  pendant  l'hiver  ;  que 
les  assiégés  s'efforcent  de  tenir  jusqu'à  la  belle  saison.  Beuves  re- 
proche à  l'empereur  de  trahir  ses  vassaux  ;  il  lui  déclare  qu'il  lui  rend 
son  Jiommage  et  que  toute  sa  parenté  en  fait  autant.  Maugis,  de  son 
côté,  annonce  à  Charles  qu'il  lui  causera  de  cruels  ennuis.  Les  deux 
barons  partent  ;  mais  Lohier,  que  les  paroles  deMaugis  ont  rendu  fu- 
rieux, se  met  à  leur  poursuite  avec  cent  chevaliers.  11  échange  quel- 
ques coups  d'épée  avec  Beuves  et  Maugis  ;  mais  celui-ci  a  recours  à 
un  enchantement,  et  Lohier  renonce  à  sa  poursuite  et  revient  à  Laon 
(192-375). 

Beuves  et  Maugis  sont  de  retour  à  Aigrement,  où  déjà  leurs  parents 
ont  réuni  une  puissante  armée.  On  part  pour  Monbranc.  Quand  l'on 
en  est  à  une  demi-journée,  on  décide  d'avertir  Vivien.  Fousifie  sera  le 

1  On  se  rappelle  que.  ce  nom  a  été  donné  à  Esclarrnonde  par  sa  marraine 
Avice,  la  duchesse  d'Aigremont. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  131 

messager.  Les  barons  se  logent  clans  la  plaine.  On  s'arme,  et  le  com- 
mandement de  l'avant-garde  est  confié  àMaugis,  qui  emmène  avec  lui 
les  deux  fils  aînés  d'Aymes,  Alard  et  Renaudin.  Comme  ils  ne  sont 
pas  encore  chevaliers,  ils  prennent  chacun  pour  arme  un  lourd  bâton 
carré.  Renaud  monte  sur  Bayard.  Cependant  Fousifîe,  qui  par  un  en- 
chantement s'est  transformé  en  géant,  s'avance  monté  sur  un  droma- 
daire et  passe  à  travers  les  Sarrasins,  qu'il  injurie  et  qui  s'enfuient  de 
toutes  parts.  Il  est  reçu  à  Monbranc  et  apprend  à  Vivien  l'arrivée  de 
ses  parents.  Vivien  fait  une  sortie;  après  de  beaux  faits  d'armes,  il 
est  désarçonné  et  fait  prisonnier;  son  destrier  Passavant  se  dégage 
et  revient  à  Monbranc.  Dame  Avice  et  les  chrétiens  sont  dans  le  deuil, 
quand  ils  voient  que  Passavant  est  revenu  sans  son  maître  (.376- 
558). 

Vivien  est  entre  les  mains  du  Soudan,  qui  l'insulte  et  le  menace.  Le 
roi  Josué  conseille  d'envoyer  le  prisonnier  à Babylone.  Sorbrin  de  Ba- 
lesgués  est  chargé  de  le  conduire.  Le  chartrier  aura  l'ordre  de  le 
battre  et  de  le  frapper  tous  les  jours.  Pendant  que  Sorbrin  l'emmène, 
Vivien  se  lamente  à  haute  voix  et  reproche  à  sa  famille  de  l'aban- 
donner. Maugis  l'entend  et  avertit  Renaud  que  c'est  sans  doute  un 
prisonnier  chrétien  et  que  la  ville  est  déjà  prise.  Ils  attaquent  les 
Sarrasins,  et  Renaud  et  Alard  font  merveille  avec  leurs  bâtons.  L'ar- 
mée du  Soudan  prend  les  armes.  Cependant  Vivien  est  délivré  et  se 
fait  reconnaître.  On  l'amène  au  camp  chrétien.  Il  supplie  son  père  de 
secourir  au  plus  tôt  sa  ville,  où  Avice  est  eu  proie  à  toutes  les  inquié- 
tudes. Les  chrétiens  prennent  les  armes  et  forment  sept  échelles. 
Beuves,  accompagné  de  Maugis,  de  Vivien,  de  Renaud  et  d'Alard, 
commande  la  première  (5.59-672). 

Les  chrétiens  arrivent  sous  Monbranc.  Les  païens  ont  formé  dix 
échelles.  La  bataille  commence  par  les  exploits  de  Vivien  et  de  Re- 
naudin ;  mais  le  soudan  vient  au  secours  des  siens,  et  la  première 
échelle  des  chrétiens  est  repoussée.  Girard  de  Roussillon  entre  en 
ligne.  Renaudin  brise  sa  perche  en  portant  un  coup  qui  rompt  la  tête 
à  un  cavalier  et  les  reins  au  cheval.  Bayard  défend  son  maître.  Re- 
naud a  l'inspiration  de  tirer  Froberge.  Tous  les  corps  des  chrétiens 
sont  engagés,  les  assiégés  les  rejoignent,  et,  après  une  longue  et  san- 
glante mêlée,  les  Sarrasins  sont  mis  en  fuite  ;  mais  Othon  d'Espolice 
a  été  tué  par  le  soudan,  Hernaut  de  Monder  par  l'amiral  Clargis, 
Brandoine  par  l'amiral  de  Perse.  Le  soudan  doit  son  salut  à  la  vitesse 
de  son  dromadaire  et  s'embarque  avec  ce  qui  reste  de  son  armée.  Les 
diables  leur  donnent  si  bon  veut  qu'ils  arrivent  à  Babylone  sans  en- 
combre (673-1038). 

Les  chrétiens  enterrent  leurs  morts  et  élèvent  sur  le  lieu  un  mona- 
stère où  cent  moines  liront  leur  psautier.  Quant  aux  restes    d'Othon, 


132  RECHERCHES 

d'Hornaut  et  de  Brandoine,  on  ensevelit  les  entrailles  à  Monbranc, 
dans  le  monastère  de  la  Sainte-Trinité,  et  les  corps,  lavés  de  vin,  sont 
enveloppés  dans  des  cuirs  de  cerf.  L'armée  les  rapportera.  Chacun 
s'en  retourne  dans  son  pays.  Maugis  part  pour  Rocheflour,  où  il  re- 
trouvera Oriande,  son  amie.  Il  n'emmène  avec  lui  que  son  fidèle  Fou- 
sifie.  De  son  vivant,  il  ne  reverra  plus  son  père.  Vivien  demeure  à 
Monbranc,  où  les  païens  ne  vinrent  plus  l'attaquer.  Désormais  Beuves 
devait  vivre  en  paix  jusqu'au  jour  où  la  mort  deLohier  causa  une  lon- 
gue guerre  entre  l'empereur  et  le  lignage  de  Beuves.  Et,  quand  la  paix 
eut  été  faite,  la  guerre  recommença  entre  Charlemagne  et  les  fils 
Aymon  et  Maugis. 

Le  trouvère  remercie  les  seigneurs  et  les  belles  dames  pour  l'argent 
qu'ils  lui  ont  donné  àfoison.  Il  annonce  qu'il  va  chanter  l'histoire  des 
Quatre  Fils  A  ij mon  (1039-1097). 

Fol.  173  va.       CHI   COMMENCHE    VIVIEN   l'aMACHOUR  ' 

Segnors,  or  escoutez,  se  Dexvous  beneïe, 
Bonne  canchon  qui  bien  doit  estre  oïe. 
Che  est  de  Vivien  de  Monbranc  la  garnie, 
Fix  dus  Buef  d'Aigrement  à  la  chiere  hardie 
5     Et  frère  Amaugis  qui  tant  sot  de  boidie. 
[Il]  et  la  loi  Mahom  et  Tervagant  guerpie 
Et  crut  en  Damedieu  le  fix  sainte  Marie. 
Ja  orrez  la  canchon,  mez  qu'il  ne  vous  ennuie, 
Si  comme  l'amiral  qui  iert  roi  de  Persie, 

10     Sodant  de  Babiloine  et  le  roi  de  Nubie, 
Et  le  roi  Joacab  qui  tint  toute  Claudie, 
Et  le  roi  Maehabré,  le  roi  de  Barbarie, 
.XXV.  amirals  de  moult  grant  segnourie, 
Asegierent  Monbranc  la  fort  chité  garnie. 

15     Chist  autre  jougleor  ne  vous  en  chantent  raie, 
Quer  il  n'en  serent  pas  la  monte  d'une  alie  ; 
Mes  je  vous  en  diroi,  j'en  soi  toute  la  vie, 
La  vraie  estoire,  or  vueil  qu'el  soit  oïe. 

1  .Te  mets  entre  parenthèses  (  )  les  lettres  ou  les  mots  superflus;  entre 
crochets  [  J,la  leçon  que  je  propose  en  quelques  endroits  pour  remédier  aux 
erreurs  ou  aux  oublis  du  copiste. 

6.  Ms.  «  Vivien  ot.»  — 10.  Ms.«  Sodant.  »  Dans  la  suite  l'abréviatioa 
M  Sod.,  »  aux  vers  455  et  581  «  Soud.  » 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  133 

Chen  fu  à  une  feste,  qui  moult  estesjoïe, 
Du  baron  ,S.  Jehan  que  len  aoure  et  prie. 
Là  font  païen  grant  feste  en  lor  mahommerie 
De  lor  dieu  Mahommet  qui  ne  vaut  une  alie, 
Pour  chen  que  à  chel  jor,  sachiez  le(i)  sans  boidie, 
L'estranglerent  les  truiez  par  sa  grant  glout[on]nie. 

25     A  ichel  jor  tint  feste,  qui  moult  iei't  enforchie, 
Sodant  de  Babiloine  qui  moult  ot  courtoisie. 
.XXXII.  rois  i  otde  la  loi  païennie, 
.XXV.  amirals  qui  Dex  n'amoi[en]t  mie. 
Califre  Fapostole  de  la  loi  païennie 

30     Lor  preeicha  chel  jour  lor  creanche  honnie  ; 
Aprez  si  lor  a  mis  tel  parole  en  Toïe 
Dont  en  .:.  jor  moururent  de  païen  .x*^,  mile, 
Et  maint  de  nos  Francheis  i  mourut  à  hasquie, 
Ainsi  com  vous  orrez  ains  l'eure  de  compile. 

35        L'apostole  Califre  commenche  à  sarmonner 
A  la  gent  sarrasine  qui  Dex  puist  mal  donner  ; 
La  vie  Mahommet  loi'  commenche  à  monstrer, 
Comment  il  s'en  ala  au  fort  vin  enivrer, 
Comment  il  se  lessa  as  truiez  estrangler, 

40     Quant  u  fumier  ala  dormir  et  reposer. 

Dient  païen:  «  Tel  dieu  fet  forment  à  loer  ; 
))  Tout  le  monde  le  doit  servir  et  henourer.  » 
Quant  ot  fet  li  Califre  son  sarmon  definer, 
En  une  autre  manière  commencha  à  parler. 

45    En  haut  a  dit  à  tous,  ne  le  vont  pas  cheler  : 

«  Moult  vous  devroit  à  tous  dedens  les  cuers  peser 
»  De  Vivien  l'aufage  qui  s'est  fet  baptisier 
))Et  sa  famé  Eselarmonde  qu'est  de  vos  parenté  ; 
»  Aprez  furent  païen  à  martire  livré[s]  ; 

50     ))  De  notre  loi  destruire  se  vont  forment  pener, 
»  Jamez  jour  n'amera  Sarrasin  ni  Escler. 
))Mahom  en  a  tel  duel,  je  vous  di  sans  fausser, 
«Jamez  ne  le  verrez  nule  joie  mener, 
))  Ne  nul  miracle  fera,  ne  nul  semblant  monstrer.  » 

49.  Ms.  «  livrer.  » 


134  RECHERCHES 

55     Quant  le  Sodant  l'entent,  bien  cuide  forsener 
De  chen  qu'il  ot  Califre  dire  et  raconter. 
Lors  vient  à  Mahoramet,  si  commenche  à  jurer 
Qu'il  fera  sonbarnage  venir  et  assembler  ; 
Jamez  ne  finera  par  terre  ne  par  mer, 

60     Tant  que  devant  Monbranc  fera  ses  os  jouster  ; 
Et  rois  et  amiraus  li  revont  afier 
Que  il  voudront  lor  os  et  conduire  et  mener, 
Vivien  destruiront  s'il  le  peuent  trouver. 
Le  Sodant  les  en  prist  forment  à  merchier. 

65     ((  Barons,  dist  le  Sodant,  n'i  devon  demeurer, 
«Ne  devon  plus  targier  à  chest  fet  amender; 
»  Mez  chascun  mant  ses  hommez  sans  point  de  l'ares- 
«Sire,  dient  païen,  bien  fet  à  greanter.  »  [ter.  » 

Sodant  de  Babiloine  fu  durement  plain  d'ire, 
70     Où  qu'il  voit  sez  mesagez,  si  lor  commenche  à  dire: 
«  Alez  tost  vistement  semondre  mon  empire.  » 
Li  mesagers  s'aprestent  et  chacun  d'eus  s'atire, 
Amiraus  et  aufagez  semonnent  tout  à  tire. 
Bien  furent  .c.  milliers  qui  de  prez  les  revide. 
75     Vivien  menachoient  qui  de  Monbranc  iert  sire. 

Sodant  de  Babiloine  assemble  [le  put  lin] 
A  l'issue  d'aoust,  si  commenche  ga[a]ing. 
Bien  [i]  furent  .c™.  du  lignage  Cayn, 
Entresic  à  la  mer  ne  pristrent  onques  fin. 
80     Dedens  les  nés  font  meitre  et  pain  et  char  et  vin, 
Fol.  174  ra.    Apres  i  sunt  entré  tous  ensemble  à  .i.  brin. 
Li  marinier  qu'es  guie  ne  sunt  mie  tapin, 
Miex  connoissent  la  mer  qu'escrivaiti  parchemin. 
Tant  nagierent  ensemble  o  soir  et  o  matin 
85     Que  de  Monbranc  coisirent  le  grant  pales  marbrin. 
Atant  suntarivé  au  port  Alibrandin. 


76.  Ms.  «  li  glouton  de  put  lin,  » 

86.  Le  «  port  Alibrandin  »  est  calquo  sur  le  «  port  Alixandriû  »,  dont  il 
est  si  souvent  question  ;  mais  dans  Huoti  de  Bordeaux,  le  port  voisin  de  Mon- 
branc est  Aufalerne. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  13E 

Au  port  Alibrandin  sunt  païen  arivé, 
A  .V.  lieuez  petitez  de  Monbranc  la  chité, 
Puis  se  sunt  vistement  fervestus  et  armé. 

90     Sodant  de  Babiloine  si  lor  a  quémandé, 
Puis  a  roi  Acarin  le  Sodant  apelé, 
Li  amiral  Joas  et  le  viel  Triboé. 
«Barons,  dist  li  Sodant,  or  oiez  mon  pensé  : 
«Prenez  .xxx™.  hommez  qui  bien  soient  armé, 
95     «Entresic  à  Monbranc   n'i  ait  resne  tiré.  » 
«  Sire,  dient  li  roi,  or  soit  à  votre  gré.  » 
Atant  se  sunt  parti,  rengié  et  ordené. 
Par  le  païs  s'espandent  rengié  et  ordené. 
Si  que  tout  le  païs  ont  à  honte  livré, 

100     N'i  remest  bonne  vile  que  il  n'aient  gasté, 
Trestout  le  païs  ardent,  n'i  est  rien  demeuré. 
.1.  crestien  convers  qui  les  ot  avisé, 
Vers  la  chité  s'en  fust  tout  le  chemin  ferré  ; 
Vivien  etsez  hommez  avoit  dedens  trouvé. 

105     Quant  vint  devant  le  roi,  si  fu  si  eifreé 

Que  au  roi  ne  parla  ne  n'a  nul  mot  sonné, 
Ains  s'asist  devant  li,  si  li  a  escrié: 
«Vivien,  gentil  sire,  mal  vous  est  encontre. 
»  Païenne  gent  chevauchent  qui  aient  mal  dehé. 

110     )>U  premier  front  devant  sunt  bien  .c    .  armé.» 
Quant  Vivien  l'entent,  s'a  .i.  souspir  geté. 
Puis  dist  au  mesagier:  «  Il  t'ont  espuanté, 
))Et  si  ne  t'ont  blechié  ne  plaie  ne  navré.  » 
Lors  monta  en  la  tour  dont  li  castel  sunt  lé, 

115     Et  voit  venir  païen  dont  ne  [se]  sunt  gardé. 
De  Ihesu  les  maudit,  le  roi  de  majesté. 

Vivien  le  convers  lez  païen  avisa, 
Moult  s'esmaie  forment  que  itant  en  i  a. 
Atant  est  descendu,  de  sa  tour  dévala, 
120     Où  que  il  voit  sa  famé,  douchement  l'apela: 

«Dame,  conseilliez  moi,  moult  malement  me  va. 
»  Païen  viennent  sus  nous  d'outre  la  mer  de  là.  » 
Puis  la  prist  par  la  main,  en  la  tour  la  mena. 
Tout  entour  le  païs  la  dame  regarda, 


136  RECHERCHES 

125     Ne  voit  fors  Sarrasin  dont  le  païs  peupla. 
Vivien  l'amachour  dureoaent  s'esmaia. 
«  Sire,  chen  dist  la  dame,  ne  vous  esmaiez  ja. 
»Vous  prendrez  .i.  raesage  qui  point  n'arestera 
»  Tant  qu'à  Aigremont  viegne  ;  ileuc  le  contera 

130     »Au  dus  Buef  li  tien  père  qui  secours  t'amenra. 
))  D'ileuc  à  Roussillon  le  message  en  ira, 
))Au  duc  Girart  ton  oncle  ton  besoing  nonchera. 
wMaugis  au  roi  Brandoine  tost  savoir  le  fera.  » 
Et,  quant  le  roi  Tentent,  douchement  la  baisa. 

135     «Beneiete  soit  la  dame  qui  tel  conseil  donna; 

))Mès,  s'il  vous  plest,  mon  cors,  dame,  si  s'armera, 
»  Tant  que  j'aie  essaie  la  forche  à  cheus  de  là, 
»  Et  sarai  de  ma  .gent  comment  el  m'aidera.  » 
Ses  armez  a  demandées,  et  on  li  aporta; 

140     .III.  escuiers  l'armèrent,  la  dame  lor  aida. 

Trois  escuiers  armèrent  Vivien  au  vis  fier, 
Et,  quant  il  fu  armé,  lors  se  fist  il  plus  fier 
Fol.  174  r"6.  Que  lion  ne  serpent  qui  deschent  de  rochier. 

.II.  serjans  li  amainent  Passavant  son  destrier. 

145     Vivien  i  monta  par  le  doré  estrier, 

Puis  fist  ouvrir  la  porte  pour  sa  gent  essaier  ; 
Et  Sarrasin  commenclient  qui  ains  ains  aprechier, 
A  mains  de  .un.  archiez  furent  ja  li  premier. 
Quant  Vivien  les  voit,  si  commenche  à  huchier  : 

150     «  Diva,  qui  estez  vous,  lecheor,  pautonnier? 
»  Qui  vous  a  quémandé  à  ma  terre  essillier  ? 
»  Moie  est  la  segnourie,  je  l'ai  à  j.ustisier.  » 
Et  Tassinel  respont  :  «  Tes  toi,  faus  losengier, 
))Sodant  de  Babiloine  sommez  gonfauonnicr. 

155     »  Si  alon  prendre  terre  où  puist  son  ost  logier, 
))Que  trestout  ton  païs  voudra  il  essillier.  » 
Et  respont  Vivien:  «  Chen  veil  je  calengier, 
«De  votre  cors  meïsme  me  vengeroi  premier.» 

Les  .11.  os  s'entraprechent  par  milieu  d'un  vauchel. 
141.  Ms.  H  au  fier  vis.  » 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  137 

160     Vivien  lesse  courre  le  bon  destrier  isnel, 
Sus  l'escu  de  son  col  va  ferir  Tassinel, 
Tant  corn  hanste  li  dure  l'abati  du  poutrel; 
Du  caïr  que  il  fist  espandi  le  chervel. 
«  Outre,  dist  Vivien,  t'ame  ait  Luciabel.  » 

105     Puis  feri  Madiant  .i.  legier  bacheler, 
Mort  l'a  jus  abatu  pardeles  .i,  missel. 
Et  le  tiers  abat  mort  qui  ot  nom  Finabel, 
Puis  escrie  ses  hommez  :  «  Ferez,  franc  damoisel.  » 
A  iches[t]  mot  se  fiert  ens  u  greignor  tropel, 

170     A  Tun  coupe  le  bras,  à  l'autre  le  musel, 

Au  tiers  coupe  la  cuisse  et  au  quart  le  chervel. 

Moult  fu  grant  la  bataille  et  la  mellée  fiere, 
Crestiens  i  ferirent  d'angoisseuse  manière. 
Vivien  fu  devant,  ne  se  tint  pas  deriere; 

175     Passavant  esperonne  qui  queurt  comme  levriere, 
Va  ferir  Estifé  sus  l'elme  de  Bavière, 
Si  souef  l'abat  mort  qu'il  chai  par  deriere. 
Et,  quant  païen  le  voient,  ne  font  pas  bêle  chiere  ; 
Lors  acueillent  nos  gens  et  devant  et  deriere. 

180     Quant  Vivien  les  voit,  si  fist  dolente  chiere; 

Il  escrie  «  Monbranc!  bonne  gent  droituriere  !  » 
Il  brocha  Passavant  en  la  gent  pantonniere  ! 
Va  ferir  Acarin  sus  la  broigne  doubliere  ; 
L'ame  s'en  est  alée  en  enfer  estraiere. 

185     Puis  esgarde  le  roi  contrevallabruiere, 

Lors  voit  venir  Sodant  delez  la  sablonniere. 
Il  a  dit  àsez  hommez:  «Gent  de  bonne  manière, 
))Retornon  au  palez,  ne  soion  pas  lanière.  » 
Vers  la  chité  les  maine,  mez  il  va  tout  deriere. 

190     Cheus  ouvrirent  lez  portez  qui  sunt  as  murs  de  pierre, 
Et  notre  gent  i  entre  qui  ne  fu  pas  lanière. 

En  la  chité  entra  Vivien  le  hardis. 
Encontre  vint  Avice,  la  bêle  au  cler  vis  ; 
Puis  li  demande  :  «Sire,  est  vo  cors  point  malmis?» 
195     «Nennil,  dame,  dist  il,  à  Dieu  en  rent  merchis.  » 
Adonc  ont  mis  les  tablez,  au  raengier  sunt  assis. 


138  RECHERCHES 

Et,  quant  orent  mengié  li  conte  et  li  marcliis, 
Vivien  le  convers  est  en  estant  saillis; 
D'une  part  se  torna  du  grant  palez  voutis, 
200     Et  avec  li  mena  chevaliers  jusqu'à  .x.. 
Et  si  i  fu  sa  famé  qui  moult  ot  cler  le  vis. 
«  Seignors  qui  me  loez,  dist  le  prinche  gentis, 
»  Pour  secours  trametrai  à  mes  prochains  amis.  » 
»Sire,  chen  dist  la  dame,  chen  m'est  avis 
Fol.  174  V»  a. 205  ))Que  vous  mandez  dus  Buef  et  Girart  et  Maugis, 

»  Et  mandez  roi  Brandoine  qui  est  votre  cousins.  » 

«Sire,  chen  dist  la  dame,  envers  moi  entendes. 
»  Mandez  le  roi  Kallon,  qui  tant  est  redoutés, 
»  Qu'il  vous  viengne  secorre,  que  ch'est  votre  avoués.» 
210     «Dame,  dist  Vivien,  bien  conseillié  m'avés.» 

«Sire,  chen  dist  la  dame,  entendez  mon  avis. 
»  Mandez  dus  Buef  vo  père,  qui  tant  est  de  grant  pris, 
«Qu'il  mande  Kallemaine  le  roi  de  Saint  Denis.» 
«Chest  conseil  est  moult  bon  »,  chen  respont  Savaris. 

215     «Voire,  dist  Vivien,  son  cors  soit  beneïs; 

»  Mez  de  mesagier  querre  sui  forment  entrepris.  » 
Là  ot  .1.  chevalier  qui  ot  à  nom  Davis. 
Quant  il  ot  la  parole,  si  est  avant  saillis. 
Puis  a  dit  hautement:  «  Gentil  roi  seignouris, 

220     «De  fere  le  mesage  sui  prest  (et)  amanevis.» 

Quant  Vivien  l'entent,  si  l'eurent  cent  merchis. 
Le  Maigremor  li  donne  qui  a  le  poil  flouris. 
Mez  païen  sunt  logié  enmi  le  pre  flouris. 

Environ  la  chité  furent  païen  logié, 
225     Chele  nuit  se  cuidoient  estre  bien  aeisié  ; 
Mez  Vivien  le  ber  autre  chose  a  pensé, 
Son  barnage  apela  et  si  lor  a  nunchié  : 
«Or  tost  courez  as  armez,  n'i  ait  plus  detrié. 
»  La  nuit  est  bêle  et  clere,  tost  seron  reperié. 
230     «Feitez  tant  que  il  soient  un  petit  esveillié. 
»  Plus  nous  en  douteront  li  paien  renoié. 
»  Et  Davis  s'en  ira  errant  à  cheminer.  » 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  139 

Lors  se  queurent  armer  ;  n'i  ont  plus  demouré, 
Es  chevaus  sunt  montez  qui  sunt  appareillié . 

235     Lors  s'en  issirent  tuit  moult  bien  encouragié, 
Bien  furent  .xxx™.  qui  sunt  d'armez  prisié. 
Vers  la  tente  Sodant  se  sunt  acheminé. 
Ichele  nuit  se  sunt  païen  moult  mal  gueitié, 
Ne  se  donnèrent  garde,  si  lor  a  escrié 

240    Vivien  hautement  qui  n'i  a  plus  targié  : 

«Ma[r]  n'i  avez  mon  resne  gasté  ne  essillié.w 
Lors  ont  trenchié  lez  cordez  où  li  pel  sunt  fichié, 
Par  lez  paveillons  ont  lez  espées  lanchié  ; 
Maint  païen  ont  ochis  et  maint  ont  mehaignié. 

245    Et  Vivien  le  ber  n'en  a  nul  espargnié, 
Ochis  a  Malaquin  et  Butor  Tenforchié, 
Maudras  et  Banient  et  Foret  Tenvoisié; 
Florabant  et  Flohart  a  il  si  empirié. 
Sodant  de  Babilonie  est  par  le  tref  cachié. 

250     Atant  vindrent  païen  armez  et  haubergié. 
Vivien  nous  eussent  malement  empirié, 
Mez  Davis  dans  le  mesage  li  a  moult  bien  aidié, 
Et  puis  s'en  est  parti,  onques  n'i  prist  congié, 
Son  chemin  acueilli,  tost  se  fu  esloignié. 

255    Lors  assembla  sez  hommez,  n'i  a  plus  detrié. 
En  la  chité  entrèrent  joiant  et  envoisié. 

Nos  crestiens  entrèrent  eu  la  chité  majour, 
Et  Davis  chevaucha  la  terre  parvigour. 
Dez  jornéez  qu'il  fist,  n'i  ferai  lonc  séjour. 
260    Tant  erra  le  mesage  dessuz  le  misaudour 
Que  il  voit  d' Aigrement  le  palez  et  la  tour. 
Seignors,  oes  comment  illi  avint  cheljour. 
Leduc  Buef  tenoit  court,  onques  ne  vi  greignor; 
Atant  es  vous  Davis  dessus  le  misaudour, 
265    Tous  lez  a  saluez  de  Dieu  le  creatour 
Fol.  174  V»  6.    De  par  roi  Vivien  le  hardi  pongneour. 

241 .  Après  «  Ma  »,  deux  lettres  ont  été  grattées  ;  il  reste  devant  l'î  la  lettre 
n  ou  ic. 
259.  Ms.  «  lonc  lonc,  » 


140  RECHERCHES 

)>Segnors,  dist  le  mesage,  Dex  m'a  fet  [grant]  heuour 
»  Quant  chi  vous  ai  trouvez  ensemble  à  .i.  jour. 
))Roi  Vivien  vous  mande,  à  qui  Dex  doinst  honnour, 

270     ))Que  vousl'alez  secourre  chascun  à  son  atour, 
»  Que  païen  l'ont  assis  environ  et  entour, 
sSodant  de  Babiloine  et  le  roi  Amaflor 
))Et  l'amiral  Joas  à  qui  Dex  doinst  tristour, 
»  Et  bien  .xxv    rois  qui  sunt  superiour, 

275     »  Qui  ont  assis  Monbranc  le  palez  et  la  tour  ; 
»  Et  si  vous  mande  tous  pour  Dieu  le  creatour 
»  Que  vous  le  secoures,  que  n'i  feitez  demour,  ^ 
»Et  que  vous  mandez  Kalle  le  riche  empereour 
))Que  il  viengne  secourre  son  home  sans  demour(e).  » 

280         Li  mesagier  abien  contée  sa  reson. 

Lors  responnent  ensemble  clerementà  haut  ton: 
a  Chertez  ne  peut  faillir  au  secors  li  frans  hon.  » 
Au  mengier  sunt  assiz,  sans  fere  lonc  sarmon; 
Et,  quant  orent  mengié  et  beli  li  baron, 

285     Buef  apelaBrandoine  et  Girart  et  Doon 

Et  Maugis  son  enfant  et  Aymez  de  Dordon 
Et  Hernaut  de  Monder,  le  riche  roi  Othon. 
«Segnors,  dist  le  dus  Buef,  entendez  ma  reson. 
))Sodant  de  Babiloine  a  moult  le  cuer  félon; 

290     »  S'a  forche  prent  mon  fix,  jamez  ne  le  verron.  » 

«Barons,  chen  dist  Brandoine,  savez  que  nous  feron? 
»  Entre  nous  qui  chi  sommez  notre  effors  manderon, 
))Et  le  duc  Buef  mon  oncle  et  Maugis  le  larron 
))Si  s'en  iront  en  Franche  trostout  droità  Kallon. 

395     »  En  despit  le  tendroit,  chen  seroit  mesprison; 

»Pour  chen  seroit  reson  que  nous  [le]  maudisson, 
»Et,  s'il  ne  veut  venir  secourre  le  baron, 
»  Hommage  li  rendez  et  lez  nos  à  bandon. 
))Mez  ne  seron  sez  hommez  ne  de  lui  ne  tendron.  » 

300     (iSire,  chen  dist  dus  Buef,  issi  esploiteron,  » 
Lor  chevax  furent  près,  n'i  firent  lonc  sermon. 
Onques  il  ne  finerent,  si  vindrentà  Laon; 
Kallemaine  trouvèrent  ens  u  mestre  donjon, 
De  Dieu  le  saluèrent  qui  souffri  passion, 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  iU 

305     Toute  li  ont  contée  Tafere  et  la  lechon, 

Puis  li  monstrent  le  brief  qui  est  u  quarrenon, 
Que  porta  le  mesage  l'autr'  ier  en  sameison. 
Quant  Kalles  Fentendi,  si  b.essa  le  menton  ; 
Aprez,  quant  il  parla,  si  a  dit  à  bas  ton  : 

310     ((  Segnors,  à  cheste  fois  les  piez  n'i  porteron. 
»  L'ostoier  en  iver  n'est  mie  de  saison. 
»  Atendez  jusqu'à  tant  que  il  soit  Rouveson; 
»  Se  tant  se  peut  tenir,  adonc  le  secourron.  » 
Et,  quant  Maugis  l'entent,  ne  dist  ne  o  ne  non, 

315     Et  le  duc  Buef  son  pare  en  ot  grant  marisôn. 
Il  parla  hautement  que  moult  ot  cuer  félon, 
Pour  poi  ne  fer[it]  Kalle  le  roi  de  Monlaon. 

Le  duc  Buef  si  parole  qui  mautalent  esprent: 
»  Sire  drois  emperere,  or  oez  mon  semblant. 

320     »  Vous  failliez  au  secors  Vivien  mon  enfant, 
»  Et,  quant  il  sera  mort,  sel  serez  secourant. 
»  Dant  roi,  vous  en  euvrez  com  mauvez  recréant. 
«Puis  que  vous  me  failliez,  votre  hommage  vous  rent. 
n  Ne  tendroi  mes  de  vous  de  terre  plain  .i.  gant, 

325     ))Ne  je  ne  li  mien  frère  nous  n'en  tendron  noient, 
»  Ne  mon  niez  roi  Brandoine,  ne  Othon  le  vaillant, 
»Ne  Hernaut  de  Monder  le  viel  o  poil  ferrant. 
»  Je  le  di  de  par  eus,  il  le  vous  sunt  mandant.  » 
Quant  le  duc  ot  parlé,  si  saut  Maugis  avant. 

330     Moult  hautement  parla  et  dist  au  roi  itant. 

«  Sire  roi,  dist  Maugis,  entendez  mon  semblant. 
»  D'une  tele  vantanche  par  devant  vous  me  vaut 
»  Que  bien  vueil  que  tuit  l'oient  li  petit  et  li  grant, 
«Des  or  mes  vous  feroi  courouchié  et  dolent,  » 

335     «  Roi,  chen  dist  le  duc   Buef,  à  maufe  te  quemant.  » 
Seur  les  chevax  montèrent  de  grant  ire  pensant. 

311.  Dans  Gaufrey,  l'hiver  oblige  le  roi  Danois  àJever  le  siège  de /{ocAe- 
brune,  château  de  Passerose  (v.  7259  suiv.). 

312.  Cf.  Gui  de  Nanteuil,  v.  376:  «  Ja  ne  verrez  passer  première  Rou- 
voison.»  —C'est  la  fête  des  Rogations. 

317.  Ms.  «  feroi.  » 

9 


14-2  RECHERCHES 

Lohier  ot  les  parolez  de  Maugis  le  vaillant, 

De  duel  esragera  s'il  ne  se  va  venjant. 

.c.  chevaliers  manda  qui  de  lui  sunt  tenant, 

340     Puis  dist:  <i  Armez  vous  tost,  feitez,  jel  vous  quemant. 
»  S'iron  aprez  dus  Buef  et  Maugis  son  enfant.  » 
Aprez  Maugis  s'en  vont  à  esperon  brochant, 
Lohier  devant  les  autrez  estoit  plus  d'un  arpent. 
Le  duc  Buef  d'Aigremont  si  le  vaperchevant; 

345     A  Maugis  le  monstra,  si  se  va  sousriant. 
Atant  es  vous  Lohier  qui  lor  va  escriant  : 
«Arier  vendres,  lechierre,  ne  vous  ires  vantant.» 
Puis  va  ferir  Maugis,  n'i  va  plus  atendant. 
Maugis  n'iert  point  armé,  si  le  douta  forment  ; 

350     Le  mante[l]  àermin  li  va  tout  découpant. 
Maugis  douta  le  fet  ;  et  chil  l'empaint  avant. 
Du  cheval  Tabati,  mez  il  fu  en  estant, 
Puis  a  treit(r)e  l'espée.  Et  duc  Buef  maintenant 
Fert  Lohier  [de]  sus  Telme  .i.  coup  en  trespassant; 

355     Au  bon  destrier  coupa  le  chef,  Lohier  deschent, 
Et  Maugis  remonta  dessus  son  auferran[t]. 
Puis  en  vint  à  son  père,  si  dist:  «Alon  nous  ent.  » 
Adonc  se  sunt  torné  contreval  .i.  pendant, 
Et  Lohier  remonta,  puis  va  après  pongnant. 

360    Ja  fust  il  a  dus  Buef  malement  croullemeut, 
Se  ne  fust  Amaugis  qui  .i.  encantement 
A  fet,  de  quoi  il  set  asses  et  larguement, 
Qu'ans  chevaliers  fu  vis  qui  Falerent  sievant, 
Que  une  grant rivière  voit  après  eus  bruiant; 

365     Bien  i  cuident  noier,  si  retornent  atant. 

Et  Lohier  esperonne  qui  tous  jors  fu  devant. 
Mes  tant  ne  sot  aler  que  ne  li  soit  semblant 
Que  l'eve  soit  tous  jors  aprez  lui  [ajcourant. 
Kalles  estoit  as  très  de  son  palez  devant, 

370     Et,  quant  coisi  [Lohier],  si   se  va  merveillant; 
Dedens  Laon  s'en  entre  ;  et  li  encantement 
Failli  à  ichele  eure  et  a  pris  finement. 
Et  Kalles  vint  encontre  si  li  va  demandant  : 

341.  Ms.  «  Si  iron.  » 


SUR  LES  eu  AN  SONS  DE  GESTE  143 

«  Biau  fix,  dont  venez  vous?  »  et  il  li  va  contant: 
375     «De  Maugis  encauchier,  trop  set  d'encantement. » 
Et  Maugis  et  son  père  si  ont  chevauchié  tant 
Qu'il  vindrent  (à)  Aigrement  tout  droit  à  l'ajornant. 
Parmi  la  mestre  porte  [sunt]  entré  maintenant  : 
Encontre  sunt  aie  chevalier  et  serjant, 
380     Puis  lor  ont  demandé  com  lor  est  couvenant, 
Et  il  ont  respondu  :  «  Moult  sommez  esmaiant 
))Que  le  roi  nous  failli  tout  au  commenchement, 
»  Et  li  deïsmez  bien  hautement  en  oiant 
»  Que  nous  de  li  jamez  ne  seron  fie  tenant.  » 

385         Par  devant  Aigremont  moult  fu  grant  Fasemblée. 
Girart  de  Roussillon  à  qui  proesce  agrée 
I  ot  bien  .xv™.  de  gent  bien  atournée, 
Et  le  duc  de  Nantueil  .xv™.  assemblée, 
Quens  Ajmes  de  Dordonne  .xx™.  de  bien  armée, 
75  1°  6.390  Roi  Brandoine  .xx™.  tout  par  nombre  contée, 
Et  Othon  d'Espolice  .xiiii™.  armée, 
Hernaut  en  ot  .xx™.  qui  bien  fu  ajournée. 
Et  Davis  a  forment  sa  besoigne  hastée  ; 
Ne  sai  que  je  feïsse  ici  longue  arestée  ; 
395    A  la  voie  se  meitent  sans  fere  demourée, 

Et  Davis  les  conduit,  qui  bien  sot  la  contrée, 
Asses  près  de  Monbrancà  demie  journée. 
Lors  se  fu  tost  li  ost  (tout)  en  .i.  val  esconsée 
«  Segnors,  dist  li  dus  Buef,  bonne  gent  henourée, 
400     «  [Or]  prenon  .i.  mesage  par  bonne  destinée 
))Que  nous  envoieron  en  lachité  loée.  » 
«Chertez,  chen  dist  Maugis,  chi  a  reson  membrée.  » 

«Segnors,  chen  dist  Maugis,  pour  Dieu  le  fix  Marie, 
»  Cheste  reson  est  bonne,  se  chascun  s'i  otrie. 
405     ))Le  mesagier  est  prest,  se  Dex  me  beneïe, 
))Qui  sauvement  ira  en  la  chité  garnie.» 
Lors  se  leva  Maugis  à  la  chiere  hardie, 

378.  Ms.  «  est  entre.» 

400.  Ms.  «que  prenon.» 

401.  Ms.  «  que  nous  envoieron  envoieron. 


144  RECHERCHES 

Son  escuier  apele  qui  otnom  Fousifie  : 

«Amis,  venez  avant:  se  Dex  vousbeneïe, 
410     »  En  la  chité  irez  qui  qu'en  plort  ne  qui  rie. 

»  Salues  moi  mon  frère  de  par  la  baronnie.  » 

Lors  se  court  adouber  richement  par  mestrie. 

Or  vous  leiron  ichi  à  icheste  fiée  : 

A  la  voie  se  met  que  plus  ne  s'i  detrie. 
415     Si  vous  raconteron  de  la  franche  lignie 

Qui  la  nuit  se  loga  en  une  praerie. 

En  une  praerie  sunt  nos  barons  logié, 

A  .V.  lieuez  se  sunt  de  Monbranc  hebergié. 
420     Par  le  conseil  Girart  et  Doon  Fenforchié 

Firent  crier  par  l'ost  que  fussent  haubergié. 

Maugis  vint  as  barons  et  si  lor  a  nunchié 

QueFavangarde  àfere  li  aient  otrié. 

((Avec  moi  enmerroi  Renaudin  le  prisié 
4'25     )>Et  Aalart  son  frère  au  courage  enforchié. 

))S'arai  .m.  chevaliers  de  bien  fere  enheitié.  » 

Et  li  baron  responnent  :  ((  Si  soit  à  Dieu  congié .  » 

Maugis  s'apareilla  que  n'i  a  detrié, 

Renaut  et  Aalart  ne  s'i  sunt  atargié, 
430     .II.  grans  bastons  ont  pris  et  en  lor  col  plungié 

Pour  chen  que  il  ne  furent  de  noient  chevalier. 

Baiart  ont  amené  que  on  ot  deslié, 

Et  Renaut  i  monta  qu'à  estrief  n'en  sot  gré. 

A  la  voie  se  meitent  que  n'i  ont  detrié. 
435     Et  le  mesage  a  tant  erré  et  chevauchié 

Qu'il  a  l'ost  des  païen  de  bien  près  aprechié, 

Apres  a  de  sa  main  son  visage  seignié. 

Fousifie  se  saigne  quant  les  Turs  aveiis, 
Puis  les  avoit  maudis  de  Dieu  le  roi  Ihesus. 
440     Adonc  a  pris  une  herbe  dont  s'est  apercheûs, 
Sus  li  l'avoit  portée  bien  .xiiii.  ans  et  plus  ; 
Adonc  l'a  conjurée  etfist  son  carne  sus. 

438.  Dans  le  Maugis,  Fousifie  est  donné  à  Maugis  par  Vamuxtant  de  Mcl- 
lent.  Élail-il  cliréLien?  L'auleur  ne  songe  pas  à  nous  le  dire.  On  voit  d'ailleurs 
que  Maugis  lui  a  enseigné  son  art. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  145 

Lors  fu  grant  et  corsu,  quarrés  et  parcreiis, 
Bien  ot  .xiiii.  pies  sans  la  teste  et  li  bus, 

445    Et  la  teste  en  ot  .iiii.,  bien  fu  desconneiis  ; 
Son  dromadaire  fu  si  grant  et  si  corsus 
Que  tref  ne  paveillon  ne  breham  bien  cosus 
Ne  semble  pas  si  grant  as  païen  mescreiis. 
.1.  baston  il  portoit,  greille  fu  et  menus; 

450     Si  sembleit  .i.  grant  quesne  esbranchié  par  dessus. 
En  icele  manière  s'est  en  l'ost  embatus; 
Fol.  175  v  a   Et,  quant  il  fu  entr'eus,  si  cria  sus  et  jus  : 

((Fix  à  putain,  glouton,  confonde  vous  Ihesus. 
»  Ne  vous  puet  garantir  Mahommet  ne  Cahus, 

455     »  Les  fourques  sunt  drechiez  où  Soudant  iert  pendus.  » 
Quant  païen  l'ont  oï,  chele  part  sunt  courus, 
Mez,  quant  voient  qu'il  est  si  grant  et  si  corsus, 
Et  qu'en  son  col  avoit  levé  .i.  si  grant  fus, 
A  lor  très  se  repèrent  trestout  taisant  et  mus, 

460     Et  il  s'en  passa  outre,  ne  s'i  est  arestus. 
Desi  à  la  chité  en  est  pongnant  venus. 

A  la  chité  s'en  vint  Fousifie  pongnant, 
A  sa  vois  qu'il  ot  clerc  va  as  murs  escriant: 
«  Ouvrez  moi  tost  la  porte,  je  vous  pri  et  quemant.  » 

465     Chil  des  murs  le  regardent  ;  quant  l'ont  veii  si  grant. 
Lors  n'i  ot  si  hardi  qui  ne  s'en  espuant  ; 
A  haute  vois  escrient  :  «  Fel  ouvert  souduiant, 
»  Ja  chïens  n'enterrez,  se  Dex  plest  le  puissant.  » 
Quant  l'entent  Fousifie,  si  se  va  sousriant, 

470     Adonc  deffistson  carne  et  son  encantement, 
Sifu  en  tel  manière  escuier  corn  devant. 
Lors  l'a  reconneii  Vivien  de  Monbranc. 
La  porte  li  ouvrirent  trestout  demaintenant. 
Et  Fousifie  i  entre,  si  les  va  saluant. 

475    Vivien  va  encontre,  si  le  va  acolant. 

446.  D'où  vient  ce  dromadaire?  Dans  Gaufrey,  Baudrés,  messager  de 
l'amiral  Quinart,  est  monté  sur  un  dromadaire.  Tierri  le  lui  enlève,  traverse 
ainsi  le  camp  ennemi  et  pénètre  dans  Greliemont,  où  étaient  assiégés  Gaufrey, 
ses  frères  et  Robastre  (v.  4041  suiv.). 


146  RECHERCHES 

«Sire,  salus  vous  mande  duc  Buef  le  combatant, 
»  Et  tout  votre  lignage  qui  vous  sunt  secourant, 
»  (Mez)  Kallemaines  de  Franche  vous  est  du  tout  fail- 
«ParDieu,  dist  Vivien,  bien  le  font  mi  parent,    [lant.  » 

480     »  Pour  Tamour  du  secors  qu'il  me  vont  amenant, 
»  M'en  istrai  je  là  hors  armé  sus  Tauferrant.  » 
Lors  fist  sonner  .i.  cor  qui  fu  d'os  d'olifant  ; 
Les  chevaliers  si  s'arment  quant  le  vont  entendant. 
Ne  furent  pa[s]  .ix™.,  jel  saià  essient. 

485    Les  portez  font  ouvrir  tost  et  isnelement, 

Serréement  chevauchent  envers  le  tref  Sodant. 

Devers  le  tref  Sodant  sunt  crestien  venu. 

Païen  furent  levé,  si  les  ont  percheii, 

Lor  escrient  as  armez,  n'i  ont  plus  atendu . 
490    Le  Sodant  si  s'arma  sus  .i.  cuir  d'or  batu, 

Son  destrier  li  amainent  c'en  clamoit  Sancperdu. 

Le  Sodant  i  monta  qui  moult  l'a  chier  tenu  . 

Et  nos  crestiens  sunt  tantost  à  eus  couru, 

Maint  en  ont  trebuchié  et  maint  à  mort  féru 
495    Vivien  lesse  courre  parmi  .i.  pre  herbu, 

Sus  son  escu  feri  .i.  païen  maloistru. 

Les  .11.  os  s'entrapressent  contreval  la  campeingne. 
Atant  es  vous  .i.  roi  qui  fu  de  Burianne  ; 
Vivien  l'abat  mort  du  destrier  de  Bretaigne. 
500     .1.  autre  en  aferu  si  que  il  le  mehaigne, 
Et  le  neveu  Sodant  a  mis  jus  de  brehaigne, 
Au  caïr  que  il  fist  trestout  il  le  mehaigne. 

Moult  fu  grant  la  bataille  et  par  mons  et  par  vaus, 
Atant  es  vous  Sodant  atout  .vi.  amiraus. 

505    Bien  furent  . xxx"" .  qui  n'ont  pas  cuers  loiaus. 

Es  crestiens  se  fièrent  com[me]  leu  entre  aigniaus, 
.iiii<=.  en  abatent  à  terre  des  chevaus. 
Quant  Vivien  le  voit  lors  fu  ses  devers  couraus, 
A  retorner  ariere  ont  torné  lez  chevaus, 

510    Et  ses  hommez  après  contreval  les  costaus. 

Moalt  [fu]  grant  la  bataille,  orgueilleuse  et  félonne. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  147 

Vivien  l'amachour  maint ruiste  coup  i  donne. 
Sodant  de  Babiloine  envers  li  esperonne. 
V"  b.    Quant  Vivien  le  voit,  vers  lui  son  cheval  torne, 
515     Et  fîert  si  le  Sodant  sus  Felme  en  la  couronne, 
Mort  Telist  abatu  de  la  sele  àArgonne, 
Mez  Sodant  recula,  quer  li  vassal  ressoigne. 
A  Vivien  escape,  dont  il  ot  grant  vergonne, 
Et  li  païen  félon  Vivien  avironne. 
520     Tant  n'en  sot  trebuchier  que  il  plus  n'en  foisonne. 
Ilatrenchié  parmi  l'amiral  de  Valdonne, 
Mez  li  païen  de  Perse  et  cheus  de  Babiloine 
L'abatent  du  destrier  c'on  li  tramist  d'Argonne. 

Le  roi  Vivien  fu  cheii  de  son  destrier 

525     Droit  devant  le  Sodant  qui  gueirez  ne  l'ot  cliier. 
Tant  s'estoit  combatu   à  la  gent  l'aversier 
Qu'il  n'ot  nul  de  sez  hommez  ne  crier  ne  huchier  ; 
.iiii.  fois  crie  Monbranc,  mez  ne  li  ot  mestier. 
A  forche  l'ont  seisi  li  ouvert  losengier, 

530     Sodant  de  Babiloine  l'ont  rendu  prisonnier. 

Seignors,  or  escoutez,  pour  Dieu  le  droiturier, 
S'orrez  de  Passavant  qui  moult  fist  à  prisier. 
Quant  il  vit  son  seignor  abatu  en  l'erbier. 
Lors  regibe  dez  pies  et  fet  semblant  si  fier; 

535     Puis  a  baé  la  gueule  en  guise  d'aversier 

Com  se  vousist  les  Turs  devourer  et  mengier. 
.1.  païen  a  saisi  droit  parmi  le  gosier, 
De  la  sele  le  levé  com  .i.  raim  d'olivier, 
Puis  le  liati  à  terre  aussi  com  fust  legier  ; 

540     Au  chaïr  que  il  fist  le  fist  tout  debrisier. 
Puis  en  ferist  .i.  autre  des  piez  u  hanepier 
Qu'il  li  fist  lachervele  voler  et  espanchier, 
Et  au  tiers  et  au  quart  fist  lez  costez  brisier. 
Et  Sarrasin  forment  prennent  à  eslongnier. 

545     Lors  le  lessent  aler,  ne  l'osent  detrier. 

A  la  chit  de  Monbranc  donc  vint  à  l'escleirier. 


534.  Dans  Gaiifreij, \e  cheva]  de  Doon  est  Regihët,  ainsi  nommé  parce  que 
son  maître  seul  pouvait  rapprocher (v.  219  suiv.). 


4 
148  RECHERCHES 

Quant  crestiens  le  virent  sans  seignor  reperier, 
En  la  chité  entrèrent,  s'en  (i)  amènent  li  coursier. 

Crestiens  s'en  entrèrent  en  la  chité  garnie. 
550     Pour  lor  seignor  demainent  moult  grande  plorerie, 

Et,  quant  la  dame  entent  la  grande  plourerie, 

Par  les  degrez  avale  de  la  sale  perrine, 

Ettreuve  deschendue  la  riche  baronnie. 

Quant  la  dame  les  voit,  moult  fu  espeiirie. 
555     Quant  coisi  Passavant,  le  destrier  de  Sulie, 

Qu'il  revint  sans  segnor,  adonc  fu  esmarie  ; 

Lors  se  pasmeladame,  moult  estoit  esmarie. 

Fousifie  la  lieve  et  puis  si  la  castie. 

Chi  lerron  de  la  dame  et  de  sa  compengnie, 
560     Diron  de  Vivien  qui  Dex  soit  en  aie. 

Mené  Font  en  la  tente  o  Sodant  de  Perâ;«, 

Ses  armez  li  osterent  et  li  .i.  d'eus  le  lie. 

En  lor  très  se  desarment  païen  qui  Dex  mal  face; 
Sodant  de  Babiloine  ont  desarmé  sa  face. 

565     Quant  il  fu  desarmé,  si  s'asist  en  la  place, 

Son  prison  demanda  en  moult  petit  d'espace. 
Et  il  li  ont  mené  sans  fere  lonc  estrace. 
Quant  le  Sodant  le  voit,  durement  le  menace, 
Ses  deus  poins  qu'il  ot  grans  ens  es  cheveus  li  lace, 

570    Assez  li  fetde  honte  comment  que  il  li  place, 
De  sanc  vermeil  li  cuevre  et  le  vis  et  la  face. 
Ja  l'elist  mehaignié  ou  ochis  en  la  place. 
Quant  le  roi  Josué  de  sez  poins  li  esrace. 

Pol.  176  ra.       «Sire  riche  Sodant,  dist  le  roi  Josués, 

575     n  Vous  feitez  vilennie  et  forment  mesprennés, 

»  Quant  par  devant  nous  tous  chest  chetif  ochiés  ; 
))Mez,  se  le  mien  conseil  et  mon  los  en  créés, 
))Vous  le  bailleres,  sire,  Sorbrin  de  Balesgués, 
»  Et  si  le  conduira  à  tout  .m.  bien  armez 
580     ))Es  tours  de  Babiloine  en  vos  grans  fermetés.  » 

578.  Vers  répété. 


SUR  LES  CHANSONS   DE  GESTE  149 

«ParMahom,  dist  Soudant,  bien  conseillié  m'avez.  » 
Lors  apela  Sorbrin  :  «Bel  ami,  chavenés. 
«Feitez  isnelement  et  si  vous  en  aies. 
»  ,M.  Sarrasin  armez  ensemble  o  vous  merrés, 

585    »  Desi  Alibrandin  ne  vous  aresterés, 

))Puis  passeras  la  mer,  ne  vous  en  douterez, 
«Vivien  chest  chetif  ensemble  o  vous  merrés, 
))Es  tours  de  Babiloine  soit  mis  et  enserrés, 
»  Au  chartrier  si  me  ditez,  si  chier  com  vous  m'avez, 

590     )>Que  il  soit  chascun  jour  bien  batu  et  frapés.  » 
Donc  l'enmainent  païen,  de  lor  très  sunt  tornez, 
Et  il  reclaime  Dieu,  le  roi  de  majestez: 
«Ha!  bêle  douce  amie,  jamez  ne  me  verrez; 
»  Haj!  biau  trez  dous  père,  jamez  ne  [me]  verrez; 

595     ))Elas!  que  direz  vous,  quant  vous  chest  plet  sarés? 
))Et  ma  dame  vo  famé,  de  qui  je  sui  amés? 
))He  Dex!  et  que  fet  ore  mez  richez  parentez, 
»  Girart  de  Roussillon  et  Ajmez  le  barbez 
»Et  Doon  de  Nantueil  et  Hernaut  de  Monder? 

600     »  Et  vous  cousin  Brandoine,  pour  quoi  tant  demourés? 
"     ))Et  vous,  Maugis,  biau  frère,  vilainement  ouvrés, 
))Et  vous,  roi  d'Espolice,  oublié  vous  m'avez.  » 
Et  li  païen  chevauchent  baut  et  jaiant  et  liés, 
Il  puierent  .i.  mont,  li  cuvert  renoiez, 

605     Onques  n'en  seurent  mot,  ne  s'ont  garde  donné. 
Si  lor  vint  au  devant  Amaugis  le  sénés 
Qui  faisoit  l'escargueite  atout  .m.  adoubés; 
Bien  a  oï  son  frère,  comment  s'est  démentes, 
Que  li  oi  regreter  son  riche  parentés; 

610     Renaudin  apela:  «Biau  cousin,  escoutés.  » 

«  Renaudin,  biau  cousin,  dist  Maugis,  or  entent. 
»  J'oi  chi  venir  païen  que  le  cors  Dieu  gravent  ; 
»  Il  mainnent  .i.  prison  qui  forment  va  criant, 
»  Moult  va  notre  lignage  et  nous  tous  regretant. 
615     ))De  mon  frère  me  doute  que  l'amiral  Persant 
»  N'ait  prise  sa  chité  et  li  mis  àtorment.» 

605.  Ms.  «  ne  sunt  garde  donnes.» 


150  RECHERCHES 

«Sire,  dist  Reuaudin,  qu'alon  nous  atendant?» 

Renaudin  aies  mos  oïs  et  escoutés 
Que  Maugis  li  ot  dit,  lors  se  sunt  acoisiés, 

620     L'escargueite  feisoit  et  Aalart  l'ainsnés, 

Et  Maugis  les  conduit  tout  .i.  chemin  ferrés. 
Bien  orent  Vivien  comment  s'est.dementez. 
Quant  Renaudin  Tentent,  si  lor  a  escriés  : 
«Pix  à  putain,  glouton,  le  prison  me  lerrez.  » 

625     Quant  Sarrasin  coisirent  des  armez  la  clartés, 
Lors  n'i  ot  si  hardi  ne  fust  espuantés. 

Sus  l'agait  de  no  gent  sunt  païen  erabatus. 
Maugis  point  le  cheval  qui  saut  lez  saus  menus. 
Va  ferir  .i.  païen  amont  sus  son  escus, 

630    Tant  com  hanste  li  dure  l'abat  mort  estendus. 
Puis  a  treite  l'espée  au  brun  coutel  moulus, 
Si  en  feri  .i.  autre  que  parmi  Ta  fendus. 
Renaudin  en  a  .i.  de  son  espié  férus 
Si  fort  que  tout  li  froisse  et  les  os  et  le  bus; 

035     Et  Aalart  son  frère  a  d'autre  part  férus. 
Fol.  176  r»6.  Chascun  feri  le  sien  là  où  l'a  consieûs. 

Onques  n'i  demoura  ne  cauf  ne  quevelus, 

Fors  .III.  qui  s'enfuïrent  le  grant  quemin  batus. 

Au  Sodant  ont  conté  com  lor  est  avenus . 

640  Quant  le  Sodant  l'entent,  grant  duel  en  a  eus. 
Lors  escria:  «  As  armez,  n'i  ait  plus  atendus.  » 
Et  il  si  firent  tous  des  qu'il  l'ont  entendu. 

Li  Sarrasin  s'armèrent  à  forche  et  à  bandon , 
Bien  furent  •ii''.  mile  li  encrismé  félon. 

645     D'eus  vous  lerroi  ichi,  si  vousraconteron 
De  Renaut,  de  Maugis  et  d' Aalart  le  blont. 
Tost  et  isnelement  s'en  vindrent  au  prison, 
Puisli  ont  demandé  son  estre  et  son  non, 
Et  il  lor  a  conté  sans  point  d'aresteison, 

650     Quant  orent  desconfit  Persantet  Esclavon: 

((Je  ai  nom  Vivien,  et  vous,  comme  avez  non?  » 
Et  Maugis  li  respont  par  moult  bêle  reson  : 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  151 

«Je  sui  Maugis  vo  frère,  et  chil  dui  v;illeton 
»  Suiit  vo  cousin  germain  et  fix  au  viel  Ajmon.  » 

655     Maugis  prist  Vivien  son  frère  le  baron, 

Puis  le  mainent  as  tentez  où  furent  li  baron, 
Adonc  le  conjoïrententour  et  environ. 
«Seignors,  dist  Vivien,  pour  Dieu,  quel  la  feron? 
»  Ma  chité  ont  assise  Persant  et  Esclavon, 

660     «Plus  sunt  de  n^,  mile  ainsi  com  nous  cuidon, 

))Et  ma  famé  est  dedens  en  moult  trez  grantfrichon.  » 
«Biau  fix,  clien  dist  dus  Buef,  chertez  plus  n'aten- 
Lors  furent  endossé  li  haubert  fremillon,  [dron,  n 

Tantost  furent  armé,  n'i  font  demoureson. 

665     .VII.  eschielez  ont  feitez  de  lor  gent  sans  tenchon: 
La  première  si  fu  au  duc  Buef  d'Aigremont, 
La  seconde  Guichart,  la  tiercbe  au  viel  Ajmon, 
La  quarte  roi  Brandoine,  la  .v*.  Doon 
Hernaut  a  la  sisime,  la  .vu".   Othon, 

670     Renaut  et  Aalart  et  Maugis  le  larron 
Et  Vivien  son  frère  qui  ot  cucr  de  lion. 
Font  la  première  eschele,  vont  s'en  àesperon. 

Nos  crestiens  chevauclient  à  forche  et  à  vigour, 
.vu.  eschielez  ont  feitez  chele  gent  de  valeur. 

675     A  Monbranc  chevauchierent,  onques  n'i  ot  demour 
Tant  [qu'il  oient]  la  bruit  de  la  gent  païennour, 
Qui  se  furent  armé  par  matinet  au  jour, 
.X.  eschielez  ont  feitez,  Sodant  ot  lamenour. 
Et  crestiens  lor  viennent  sans  fere  nul  demour, 

680    Entreferir  se  vont,  onques  n'i  ot  destour. 
Vivien  fut  devant  où  moult  ot  de  valour. 
Il  point  et  esperonne  le  destrier  misaudour, 
Va  ferir  .i.  païen  susl'escu  paint  à  flour. 
Du  destrier  l'abat  mort  empres  .i.  quarrefour, 

685     A  haute  vois  escrie  :  «Vous  mourrez  à  douleur, 
»  Le  louiervous  rendroi  comme  de  tel  valour.  » 

Es  près  dessous  Monbranc  commencha  la  bataille. 
676.  Ms.  «  Tant  que  voient.» 


Î5?  RECHERCHES 

Il  n'i  acrestien  que  Sarrasin  n'asaille, 

Mes  dessus  tous  les  autres  Vivien  s'i  imaille. 

690     Atant  es  vous  ponirnant  Pinabel  de  Soraille 
.1.  soudoier  feri  qui  fu  de  Cornouaille, 
Mort  Ta  jus  abatu  à  terre  où  il  baaille, 
Puis  apela  nos  gens  :  «Chetive  garchonnaille, 
«Tous  i  morrez  à  honte,  ne  cuit  que  nul  s'en  aille.  » 

095     Quant  Renaudin  Tentent,  cuidiez  que  ne  l'en  caille. 
Vers  lui  torna  Baiart,  cuidiez  que  il  li  faille  , 
Fol.  176  V"  a.    De  son  pel  le  feri,  ne  lui  caut  qui  en  caille, 
Si  souef  l'abat  mort  qu'il  ne  bret  ne  baaille  ; 
Puis  en  refiert  .i.  autre  qu'il  li  ront  lacoraille, 

700     Et  le  tiers  et  le  quart  ra  il  ocliis  sans  faille, 

Puis  crie  à  haute  vois  :  «Segnor,  metez  en  taille.  » 

Grant  fu  le  capleïs  contreval  li  essart. 
Et  Renaudin  brocha  son  bon  destrier  Baiart, 
Et  fiert  .1.  Sarrasin  dessus  son  estouart, 

705     Autresi  le  gravente  cora  se  fust  .i.   poupart; 
Puis  rochist  Malatart,  Malaquin  et  Guimart, 
Et  Salemon  d'Egypte,  .i.  félon  Achopart, 
Puis  ra  ochis  Mandoire,  .i.  amiral  gaignart. 
Mez  le  riche  Sodant  qui  fu]|en  Jor  esgart 

710     Revient  à  lor  secors  ass[e]z  plus  que  soi[t]  tart. 
Bien  sunt  .lx™.  et  félon  et  gaignart. 
Gautier  nous  ont  ochis  et  de  Senlis  Achart, 
Et  Morant  et  Tierri  et  Lambert  et  Benart 
Et  Audemer  l'Escot  et  le  comte  Benart, 

715     Aymer  de  Venise  et  le  courtois  Richart, 

Et  tiex  .yc.  des  autrez  qui  ne  furent  couart. 

Ja  fust  dus  Buef  ochis  et  s'eschiele  matée, 
Quant  sorvint  une  eschiele  de  bonne  gent  armée  ; 
Girart  de  Roussillon  l'a  conduite  et  guiée. 
720     II  crie  Roussillon  à  moult  grant  alenée, 
.1.  amiral  fiert  si  sus  la  targo  dorée, 
U  cors  li  met  la  lanche  une  aune  mesurée; 

707.  «Achopart»  Cf.  Gaiifrey,  v.  3353,  4053,  etc.  Ogier,  v.  796,991. 


I 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  153 

Quant  Sarrasin  le  virent,  [il  font]  une  assemblée, 
Sus  le  cors  veïssiez  grant  noise  et  grant  criée. 

725     Et  Girart  maintenant  si  a  sachié  l'espée, 
.1.  Sarrasin  en  flert  sus  la  cheicle  dorée, 
Mort  l'a  jus  abatu  de  la  sele  dorée, 
Puis  cria  «Roussillon!  »à  haute  vois  levée. 
Quant  Renaudin  l'entent  s'a  la  perche  levée. 

730     Chele  part  adrecha  Baiart  de  randonnée, 
Sus  le  hiaume  feri  .i.  Turc  de  Valfondée 
Qu'à  la  terre  en  abat  toute  la  chervelée, 
Et  au  cheval  a  toute  trenchié  l'eschinée. 
A  chel  coup  est  la  perche  en  .ii.  moitiez  froée. 

735     Et  quant  Sarrasin  virent  qu'ele  fu  debruisée 
Tost  li  coururent  sus  tous  à  une  huée; 
Ja  eussent  la  broigne  en  .xxx.  lieus  faussée, 
Se  ne  fust  le  destrier  à  la  croupe  tieulée 
Qui  henit  et  regibe  et  fet  si  grant  menée; 

740     A.  l'un  brisa  le  col,  à  l'autre  l'eschinée. 
De  païen  fist  iluec  si  très  grant  lapidée, 
Merveille  est  que  Renaut  ne  fist  la  reversée. 
Oez  quele  aventure  Ihesu  li  a  donnée  : 
De  Froberge  li  membre  dont  l'alemele  est  fée, 

745     Qui  pendoit  à  l'archon  de  la  sele  dorée. 

Làfustl'enfez  Renaut  malement  malbaillis 
Ne  fust  chele  aventure  que  Dex  li  a  tramis. 
Et  le  vaillant  Renaut  qui  fu  de  moult  grant  pris 
Si  l'a  amont  levée  qui  moult  fu  engramis; 
750     Parmi  son  elme  fiert  .i.  roi  de  Moravis, 
En  .II.  moitiez  le  fentet  le  cheval  de  pris. 
Lors  dient  l'un  à  l'autre  :«Chen  est  .i.  Antecris, 
»  Qu'il  atendra  à  coup  il  sera  tout  fenis.  » 
En  fuie  sunt  torné,  si  ont  le  camp  guerpis, 
755     Se  ne  fustl'amirant  qui  sire  est  des  Persis. 
Il  escrie  s'ensengne  :  «  Or  avant  Sarrasins!  » 
Lors  courent  à  Renaut  plus  de  .m.  Bédouins. 
Fol.  176  v  h.  Jafu  mort  et  ochis,  ja  n'enescapast  vis. 

Quant  dus  Buef  et  ses  hommez  et  Girart  le  marchis 
760    Lez  secoururent  bien  as  bons  brans  acherins. 


Ié4  RECHERCHES 

Ja  fussent  li  païen  maté  et  desconfis, 
Quant  l'amiral  Joas  et  l'amiral  Clargis 
Et  le  roi  Joacas  et  l'amiral  Persis 
Vindrent  en  la  bataille  sus  les  chevax  de  pris. 

765    Et  crestiens  les  ont  as  bons  brans  achevins 
Trez  vigoureusement  par  ire  recueillis  ; 
Mez  tant  fu  grant  la  presse  de  félon  Sarrasins, 
Ne  vausist  lor  deffense  vaillant  .11.  parisis. 
Fuir  les  couvenist  ou  remaindre  tous  vis, 

770     Quant  Ajmez  de  Dordonne  o  le  grenon  flouris 
Et  Doon  de  Nantueil  le  chevalier  hardis 
Vindrent  en  la  bataille  à  .xx™.  fervestis 

Là  oîi  Do  de  Nantueil  as  païen  assembla 

Et  Ajmez  de  Dordonne  que  moult  forment  ama, 
775     Do  escrie  Nantueil,  mie  ne  se  targa, 

Puis  a  brandi  la  hanste  et  l'escu  acola. 

Joas  ala  ferir  que  premier  encontra, 

Chen  fu  .1.  amiral  qui  onques  Dieu  n'ama; 

Tant  com  hanste  li  dure  du  destrier  l'abat. 
780     Puis  regarda  sus  destre,  .1.   païen  avisa 

Qui  .1.  de  nos  barons  en  .11.  moitiez  coupa. 

Lors  fiertsi  le  païen  que  en  ,11.  le  coupa, 

(Puis  flert  si  le  païen  que  en  .11,  le  coupa). 

Atant  es  vous  Sodant  qui  forment  se  hasta, 
785     Hernaut  ala  ferir  que  premier  encontra, 

Si  souef  l'abat  mort  que  li  espié  froissa. 

Quant  Aymez  de  Dordonne  ot  coisi  cheus  de  là, 

.1,  escuier  apele  et  si  li  envoia 

A  Othon  d'Espolice  qu'ariere  lui  lessa  ; 
790    De  venir  en  l'estour  durement  le  hasta, 

Et  le  bon  roi  si  fist  quant  le  mes  escouta. 

Quant  Othon  fu  venu  à  ichele  envaïe, 
Es  païen  se  ferirent  trestous  à  une  hie. 


783.  Vers  répété  par  suite  d'une  distraction  du  copiste,  qui  se  perdait  dans 
cette  série  de  coups  d'épée  prodigieux. 
785.  Ce  ue  peut  être  Hernaut  de  Monder,  encore  vivant  au  vers  807  s. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  155 

Rois  Otliez  esperonne  le  destrier  de  Nubie, 

795     Et  fiert  .i.  amiral  du  resne  de  Persie; 

Parmi  le  gros  du  cuer  le  gonfanon  li  guie, 
De  la  seleTeslongne  une  grande  brachie. 
Et  duc  Buef  d'autre  part  fièrement  s'i  manie. 
Vivien  de  Monbranc  ses  grans  cous  i  emplie. 

800    Renaut  et  Aalart  ne  s'i  oublient  mie, 

Et  Aymez  de  Dordonne  qui  pis  ne  valoit  mie 
En  ochist  tant  et  tue,  n'est  nus  qui  nous  en  die. 
Mez  tout  chen  ne  leur  vaut  la  monte  d'une  alie 
Que  tant  i  est  venus  des  païen  de  Larie, 

805     N'est  bons  qui  les  milliers  ne  les  .c.  vous  en  die. 
Ja  tornassent  les  dos,  il  n'i  durassent  mie, 
Quant  au  bon  conte  Hernaut  le  conta  une  espie, 
Et  au  bon  roi  Brandoine  qui  moult  ot  grant  basquie. 
Lors  s'escria  Hernaut  à  baute  vois  série  : 

810     c(Or  avant,  biau  dous  niés,  ne  vous  atargiez  mie.» 
Chascun  dez  espérons  son  bon  destrier  i  guie. 

Brandoine  voit  TefiFors  des  Sarrasins  félons. 
Li  et  le  quens  Hernaut  qui  fu  de  grant  renons 
Eus  enlagregnor  presse  mainnent  lor  contencbons, 

815     A  destre  et  à  senestre  fièrent  les  Esclavons. 
A  ichele  envaïe  fu  ocbis  Clarions 
Et  Cabrueil  et  Faussart,  Salatre,  Licions, 
Et  Gingados  d'Egjpte  et  le  roi  Faussarons, 
Fol.  177  va.    Corberon  et  Fausirez  et  l'amiral  Ebrons 

820     Et  bien    x'".  Turs  de  lor  meillors  barons. 

Quant  le  Sodant  le  voit,  plus  dolent  ne  fu  bons; 
Lors fist  sonner  .i.  cors  dont  grans  estoit  li  tons, 
Et  brocbe  le  cbeval  des trencbans  espérons. 
.1.  cbevalier  feri  qui  moult  estoit  preudons, 

825     Trestout  le  pourfendi  desiques  es  arcbons. 
Puis  regarda  sus  destre  li  amacbour  félons, 
Et  a  veù  roi  Otbez  qui  sus  païen  félons 
Carpente  e[t]  de  s'espée  païen  met  en  fricbons. 
Grant  duel  en  ot  Sodant,  lors  fiert  des  espérons 

795.  Vers  répété,  mais  barré  d'un  trait  rouge. 


156  RECHERCHES 

830     Et  a  treite  Tespée  et  s'en  va  vers  Othons. 

Sodant  Ta  si  féru  par  tel  devisions 

Que  par  mi  fu  coupé  et  visage  et  mentons. 

Le  bon  roi  chaï  mort  maintenant  dez  archons. 

L'ame  s'en  est  alée,  Dex  li  faciie  pardons. 
835    Et  le  Sodant  escrie  Babiloine  à  haut  tons  : 

«Ferez,  frans  Sarrasin,  [quer]  mar  les  redoutons. 

»  .1.  des  leur  ai  ochis,  loés  en  soit  Mahons! 

«D'Espolice  iert  rois,  Othez  estoit  ses  nons.  » 

Pour  lui  sunt  li  Francheis  moult  dolent  et  embrons. 

840         Quant  Othez  fu  ochis,  grant  i  fu  la  douleur. 

Crestiens  en  menèrent  et  grant  noise  et  grant  plour. 

Lors  ont  le  cors  porté  sous  .i.  arbre  sansflour, 

En  sus  de  la  bataille  .i.   poi  en  .i.  destour. 

Ileuc  si  le  couchierent  sus  l'escu  paint  à  flour. 
845     Tost  et  isnelement  repairenten  Testeur, 

Es  païen  se  ferirent  isnel  et  sans  demour, 

Moult  i  o[n]t  abatu  ettrebuchié  des  lour. 

Ja  fussent  desconfit  (et)  sans  terme  et  sans  demour, 

Quant  l'amiral  Clargis  qui  Dex  doinst  deshenour, 
850     Ala  ferir  Hernaut  sus  l'elme  paint  à  flour, 

Jusqu'es  dens  le  fendi,  onques  n'i  ot  retour. 

Quant  Francheis  l'aperchurent,  s'enforchala  douleur 

Or  jut  le  quens  Hernaut  parmi  le  pre  flouris. 
Chen  fu  duel  et  damage  du  bon  baron  de  pris  ; 

855     Quant  ses  hommez  le  seurent,  n'i  ot  ne  gieu  ne  ris. 
HeDex!  com  le  regrete  Vivien  et  Maugis! 
Lors  couchierent  Hernaut  desus  son  escu  bis, 
Les  Othez  d'Espolice  l'en  ont  porté  et  mis. 
Puis  retornent  ariere  es  u  grant  fereis. 

860  Lors  ferirent  païen  es  costez  et  es  pis, 
Plus  de  .X™.  en  ont  aflfolez  et  malmis, 
Vivien  de  Monbranc  fu  chevalier  eslis, 
11  drecha  son  visage,  si  a  veii  Clargis. 
Quant  Vivien  le  voit  moult  en  fu  asouplis, 

865     II  ne  fu  pas  si  lié  pour  tout  l'or  de  Paris. 
Vivien  li  tourna  le  bon  cheval  de  pris. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  157 

L'espée  tint  u  poing,  si  a  féru  Clargis 
Que  le  cors  du  païen  du  tout'espeiiris. 

Quant  Clargis  fu  ochis  crestiens  furent  lié, 

870     Et  Sarrasin  dolent  et  forment  esmaié. 
Ja  fussent  desconfit  et  mortli  renoié, 
Quant  l'amiral  Persis,  qui  le  cuer  ot  iré, 
A  fet  sonner  .1.  greile,  s'a  sa  gent  ralié. 
«Seignors,  dist  l'amiral,  mal  sommez  engignié. 

875     »  Quant  je  passai  cha  outre  et  je  sui  arivé, 

«Bien  cuidai tout conquerre  et  meitre  sous  mon  pié; 
»  Mez  trop  sunt  crestien  aduré  et  prisié, 
»  Ja  n'emporteron  rien  du  lor  à  bon  marchié. 
Fol.  177  r°  b.   Lors  broche  le  cheval  o  poil  aplennié 

880     Et  se  fiert  en  Francheis  com  deable  en  moustier. 
Roj  Brandoine  le  voit,  forment  len  a  pesé, 
A  l'amiral  s'en  vient,  ne  s'i  est  detrié, 
Ja  li  fera  savoir  s'il  a  fet  bon  marchié. 

Roj  Brandoine  coisi  l'amiral  Lucien. 

885     Quant  vois  ochis  son  oncle,  moult  en  ot  grant  frichon, 
Lors  brocha  le  cheval  qui  Sauterel  ot  non, 
Et  tint  l'espée  nue  au  pont  doré  enson. 
L'amiral  en  feri  sus  son  elme  roon, 
Trestout  le  pourfendi  desiques  en  l'archon. 

890     II  a  esters  son  coup,  mort  l'abat  u  sablon. 

Bien  se  preuve  Brandoine  le  roi  de  grant  renon, 
A  plus  de  .XXV.  en  fet  voidier  l'archon. 
Ja  fussent  li  païen  mis  à  destruction, 
Quant  l'amiral  Corsuble  et  le  roi  Medion 

895     Et  le  roi  de  Damas  et  le  roi  Danemon 

Vindrent  en  la  bataille,  chascun  ot  gonfanon. 
Et  Sodan  demeura  u  mestre  paveillon, 
Sa  gent   fet  adouber  entour  et  environ. 
Et  le  Sodan  monta  sans  point  d'aresteison, 

900     Atout  .XXX™.  hommez  s'en  ist  du  paveillon. 
Ja  eiissent  nos  gens  maie  confession, 
Quant  chil  de  la  chité  s'en  issentà  bandon 

10 


158  RECHERCHES 

Et  furent  bien  .xx™.  hardi  comme  lion. 
Fousifie  devant  porta  le  gonfanon. 

905        Cheus  de  la  chite  issirent  à  esperon  brochant, 
Bien  estoient  .xx™.  que  bourgeis  que  serjant. 
Entre  païen  se  fièrent  moult  aïréement, 
Maint  en  i  ont  ochis  et  livré  à  torment, 
Moult  ont  bien  au  Sodan  moustré  ior  mautalent. 

910    Et  d'autre  part  estoit  le  caplement  moult  grant, 
Quant  l'amiral  Corsuble  et  le  roi  Mediant 
Et  le  roi  de  Damas  et  le  roi  Corniquant, 
Atout  .XXX™.  hommez  vont  les  nos  aprechant, 
Et  le  fort  roi  Brandoine  les  a  veiis  venant. 

915     II  broche  le  destrier,  moult  le  va  arguant, 
.1.  espié  vit  à  terre,  si  l'en  leva  errant 
Et  fiert  roi  Medeas  en  son  escu  devant. 
Parmi  le  gros  du  cuer  li  va  le  fer  passant, 
Mort  le  trébuche  à  terre  du  bon  destrier  courant, 

920     Puis  escria  «  Maiogre  !»  à  sa  vois  hautement. 

Quant  ses  hommez  l'oïrent,  chele  part  vont  tournant; 
Là  ot  maint  elme  fraint  et  maint  païen  senglant. 
Atant  es  vous  Corsuble  et  l'amiral  Persant 
Et  le  roi  Danemont  et  le  roi  Abilant 

925     Brandoine  vont  ferir  en  son  escu  devant  ; 
A  terre  le  couvint  caïr  de  l'auferrant, 
Mez  tost  resailli  sus  le  hardi  combatant. 
Le  fort  [roi]  Danemont  feri  à  rencontrant, 
Les  mamelez  li  trenche,  tout  va  aval  glachant, 

930     Chilchaï  mort  à  terre  du  bon  destrier  courant; 
Et  Brandoine  seisi  le  destrier  auferrant, 
De  plain  vol  i  sailli  Brandoine  maintenant. 
Mez  que  li  estrief  eiist  à  son  talent, 
L'ont  païen  si  féru  et  deriere  et  devant, 

935    Et  dessous  lui  ochis  le  bon  destrier  courant. 
A  la  terre  le  meitent  ariere  maintenant. 
Ja  l'eussent  ochis  et  livré  à  torment, 

91G.  (I  vil  ù  terre  »  répélé. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  159 

Se  ne  fust  Renaudin  qui  vint  esperonnant, 
Entre  li  et  Aalart  qui  porte  le  perquant. 

940        Ja  fust  le  roi  Brandoine  et  mort  et  malbaillis, 
Se  ne  fust  Renaudin  le  preus  et  le  hardis. 
Il  tint  nue  Froberge  dont  le  pont  est  massis, 
Entre  païen  se  fiert  com  leu  entre  brebis, 
Le  roi  de  Damas  trenche  les  costez  et  le  pis, 

915     Et  au  roi  Clarion  a  il  trenchié  le  vis, 

Puis  ra  ochis  Mandras  et  Butor  etClaudis. 

Roi  Brandoine  ont  monté  et  Font  à  cheval  mis, 

Puis  l'enmainent  d'ileuc  vers  le  grant  capleïs. 

A  l'estour  retournèrent  Renaut  et  Aalart 
950     Et  Brandoine  le  roi  qui  les  grans  cous  départ. 
Sus  païen  s'enibatirent  qui  dedens  .i.  essart 
Orent  pris  le  dus  Buef  et  navré  d'un  faussart. 
Ja  Teûssent  ochis  li  félon  Achopart, 
Se  ne  fust  Renaudin,  Brandoine  et  Aalart. 
955     Quant  en  chele  partie  s'en  vint  li  dus  Girart 
Et  Doon  deNantueil  et  Ajraez  le  veillart, 
Vivien  et  Maugis  qui  ne  sunt  pas  couart, 
Là  ont  ochis  maint  Turc  et  maint  fort  Achopart. 
Atant  es  l'amiral  qui  torne  chele  part. 

960        L'amiral  s' aresta  quifu  en  grant  frichon. 
Et  tint  nue  l'espée  dont  doré  est  le  pont, 
Entre  Francheis  s'embat  irié  comme  lion, 
Plus  de  .xiiii.  en  a  abatus  u  sablon. 
Quant  le  voient  Francheis,  s'en  ont  grant  marison, 

965     Chascun  li  a  fet  voie,  n'i  meitent  contenchon. 
Que  vous  iroie  je  alonguant  lacanchon? 
Il  saisi  une  lanche  à  .i.  blanc  gonfanon, 
Si  va  ferir  Brandoine  en  l'escu  au  lion, 
Parmi  le  corps  li  mist  le  fust  et  le  penon, 

970     Tant  com  hanste  lidure  l'abat  mort  u  sablon. 
Chen  fu  duel  et  damage,  Dex  li  fâche  pardon  ! 
Là  fussent  desconfis  etNormant  et  Breton, 
Quant  dus  Buef  et  Maugis  vindrent  à  la  tenchon. 
Le  roi  Brandoine  trouvent  ochis  sus  le  sablon. 


160  RECHERCHES 

975         Là,  où  le  roi  Brandoine  fu  à  la  terre  mis, 

Vint  dus  Buef  d'Aigrement  et  le  sien  fix  Maugis, 
Vivien  d'autre  part  qui  moult  estoit  marris  : 
«  Cousin,  qui  vous  a  mort,  il  iert  notre  anemis. 
»  Ja  Ihesu  de  chest  jour  ne  m'en  lest  aler  vis, 

980     »  Cousin,  se  ne  vous  venge  ains  que  jour  soit  faillis.  » 
Lors  brocha  le  cheval  des  espérons  massis 
Etfiert  leroi  Durgant  en  son  escuvoutis. 
Mort  l'a  jus  abatu  u  pendant  d'un  larris. 
De  la  mort  de  Brandoine  fa  le  droit  ileuc  pris. 

985     Quant  l'amiral  le  voit,  à  poi  n'esrage  vis; 
Le  destrier  esperonne  par  merveilleus  aïr, 
Et  tint  nue  l'espée;  Vivien  va  ferir 
Amont  dessus^son  elme,  mez  nel  pot  desartir, 
L';irchon  et  le  cheval  a  i  coupé  par  mi. 

990     Lors  chaï  Vivien,  ne  se  pot  plus  tenir. 

Et  païen  l'avironnent  que  Ihesu  puist  honnir. 

Desus  Vivien  fu  le  capleïs  moult  grant, 
De  toutez  part  le  fièrent  Sarrasin  et  Persant, 
Et  Vivien  dubranc  vistement  se  deffent; 
995     Mez  toute  sa  deflTense  n'i  vausist  pas  .i.   gant 
Que  ne  fustmort  ou  pris  ou  livré  à  tourment, 
Fol.  177  v».     Quant  ilja  escrié  à  haute  vois  «  Monbranc.  » 

Lors  l'entendi  son  père  et  Maugis  son  enfant, 
Chele  part  sunt  venus  à  esperon  brochant. 

1000     Renaut  et  Aalart  vient  aprez  randonnant. 

Tant  i  fièrent  li  nostre  et  tant  se  vont  penant 
Que  il  ont  remonté  Vivien  le  vaillant- 
Et  Girart  esperonne  le  bon  destrier  courant, 
L'amiral  va  ferir  en  l'escu  à  argent, 

1005     Devers  le  les  senestre  le  bon  branc  li  deschent; 
L'espaule  et  le  costé  trestout  entièrement 
Abati  tout  à  terre  du  bon  destrier  courant; 
L'ame  s'en  est  alée  en  enfer  le  puant. 
«  Outre,  chen  dist  Girart,  le  cors  Dieu  te  gravent!  o 

1010     Quant  Sarrasin  le  voient  moult  en  sunt  esmaiant. 

Quant  païen  voient  mort  Corsuble  sus  l'erbier 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  IGI 

Et  crestiens  ferir  du  riche  branc  d'achier, 
Moult  durement  se  prennent  trestous  à  esmaier. 
Lors  fuient  qui  miex  miex,  n'i  voudrent  plus  ester. 

1015     Et  quant  le  Sodant  vit  ses  Turs  esparpeillier. 
Et  il  vit  crestiens  envers  lui  aprechier, 
Lor  ne  les  atendist  pour  plain  .i.  val  d'ormier. 
Des  espérons  à  or  abrochié  le  destrier. 
Et  crestiens  l'encauchent  qui  Dex  gart  d'encombrier. 

1020     Sodant  i  convenist  demourer  prisonnier 
Que  Fousiâe'l'ot  abatu  du  dest[r]ier, 
Mez  Sarrasin  l'assaillent  et  devant  et  derier. 
JaTeiissent  ochis,  n'en  peiist  reperier, 
MèsGrirart  i  sourvint,  o  lui  maint  chevalier; 

1025     Et  quant  le  voit  Sodant  envers  lui  aprechier, 
Dessus  le  dromadaire  monta  sans  atargier, 
Puis  s'en  torna  fuiant  par  delez  .i.  rochier. 
Et  le  soleil  abesse,  si  prist  à  anuitier, 
Si  demoura  la  cache,  si  ont  fet  redrechier 

1030     Fousifie  qu'il  trouvent  à  pié  les  .i.  rochier. 
Es  tentez  as  païen  se  vont  la  nuit  couchier 
Desi  à  l'endemain  qu'il  virent  escleirier. 
Les  païen  es  ne:^  entrent,  les  voilez  font  drechier, 
Et  deablezlor  donnent  si  bon  vent  et  plenier 

1035     Que  jusqu'en  Babiloine  n'i  orent  encombrier. 

D'eus  vous  lenoi  ichi,  si  vous  voudroi  nunchier 
Des  Francheis  qui  se  firent  chele  nuit  aeisier, 
Et  dormirent  la  nuit  tout  à  lor  desirier. 
L'endemain,  quant  il  virent  le  soleil  raier  cler, 

1040     Lors  se  font  nos  barons  moult  bien  appareillier 
Et  puis  si  font  le  champ  sus  et  jus  recherquier. 
Li  baron  en  la  plache  firent  fera  -i.  carnier. 
Les  mors  firent  dedens  jeter  et  balanchier, 
Puis  fist  on  en  la  plache  .i.  moustier  estorer 

1045     Et  fere  une  abeïe  qui  moult  fet  àprisier. 

Dedens  ont  mis  .c.  moingnez  qui  liront  lor  sautier. 

Quant  nos  crestiens  orent  le  carnier  aprestés 
Et  tous  nos  crestiens  et  mis  et  enterrés. 
Ne  mes  le  roi  Othon  où  tant  avoit  bontés, 


}Q2  RECHERCHES 

1050     Et  liernaut  de  Monder,  Brandoine  le  sénés  ; 

Tous  les  cors  dez  .m.  prinches  ont  à  Monbranc  porté.< 

Ens  u  mestre  moustier  de  Sainte  Trinités. 

Fu  le  servise  dit,  hautement  célébrés, 

Mes  les  cors  des  barons  n'i  sunt  point  enterrés, 
1055    Fors  seulement  Tentraille  c'on  en  avoit  ostés, 

Et  puis  furent   dedens  de  bon  vin  bien  lavés  ; 

En  .111.  bons  cuirs  de  cherf  les  ont  envolepés. 
Fol.  178  r  a.     Chascun  vers  son  païs  se  sunt  acheminés, 

Le  segnor  en  reportent  chascun  en  [son]  régnez. 
lOGO     Ne  soi  pour  quoi  le  duel  vous  seroit  racontés, 

Je  ay  trop  à  fere,  ja  n'en  seroi  mellés. 

Aprez  s'en  retorna  chascun  en  son  régnez, 

Vivien  demoura  à  joie  et  à  santés, 

Et  Maugis  o  s'amie  ala  par  vérités. 

1065         Maugis  en  Rocheflour  s'en  ala  o  s'amie. 
11  n'enmena  o  lui  ne  mes  que  Fousifie, 
La  duchoise  sa  mère  alessié  moult  marrie, 
Et  le  bon  duc  son  père  de  revenir  li  prie. 
En  plourant  se  départ,  le  cuer  11  atendrie. 

1070         Maugis  part  de  son  père,  le  chevalier  membre, 
Jamez  ne  le  verra  à  jour  de  son  aé  ; 
Et  Vivien  demeura  à  Monbranc  sa  chité, 
Moult  tint  en  pes  la  terre  et  toute  l'erité, 
Conques  plus  de  païen  ne  fu  aresonné  ; 

1075     Et  le  duc  Buef  son  père  aussi  en  sa  chité. 

En  pes  a  le  duc  Buef  moult  longuement  esté, 
Entresic  à  .i.  jour  que  il  vous  iert  conté 
Que  Kalles  l'emperere  o  le  grenon  mellé 
Tramist  à  Aigremont  Lohier  son  fix  l'ainsné 

1080     Pour  demander  servise  au  duc  Buef  le  barbé. 
Ochis  i  fu  li  enfez,  si  com  vous  iert  conté, 
Puis  fu  àKallemaine  tramis  et  renvoie, 


1054  et  siiiv.  Cf.  Rohnid  (éd.  Gautier),  v.  3685-3694,  et  TiP'pin,  ch.  xxvii, 
de  Cori)oribus  ynortiiorum  aromntibits  et  sale  condilomm. 
1062.  Ms.  <c  en  sunt  régnez.  » 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GFSTE  163 

Puis  en  mourut  duc  Buef,  ch'  est  fine  vérité. 

1085     Si  en  fu  le  lignage  en  guerre  son  aé, 

Mes  puis  fu  la  pes  feite  de  trestout  le  barné, 
Et  de  tout  le  lignage  prist  le  roy  feeulté, 
Ne  mez  que  de  Renaut  et  d'Aalart  l'ainsné 
Et  de  Guichart  son  frère,  de  Richart  le  mainsné, 

1090     Et  de  Maugis  le  lerre  où  tant  ot  de  bonté. 
Par  lui  fu  Kallemaines  maintez  fois  aïré, 

Segnors  etbelez  danaez,  Dex  vous  fâche  pardon, 
Vous  qui  de  votre  argent  m'avez  donné  foison. 
Ihesucrist  le  vous  rende  qui  soufri  passion. 
1095     Aprez  vous  chanteron  dez  .iiii.  fiex  Ajmon, 

Ainsi  comme  il  vengierent  le  duc  Buef  d'Aigremont 
Que  Kalles  avoit  fet  ochirre  en  traïson. 
Ihesus  le  roi  de  gloire,  par  son  saintisme  non. 
Nous  otroit  par  sa  grâce  de  paradis  le  don. 

Explicit 

EXPLICIT    LE  ROMMANS  VIVIEN  DE  MONBRANC 

LI  AMACHOUR  GENTIL  QUI    TANT  FU    CONQUERANT. 


VI 

RINALDO    DA    MONTALBANO 

Deux  chants  anciens,  la  Mort  de  Beiives  et  l'histoire  des 
Quatre  Fils  Aymon,  furent  d'abord  unis  dans  l'usage  ;  puis  le 
second  fut  augmenté  successivement  d'une  guerre  soutenue 
en  Gascogne  contre  Charlemagne  par  Renaud,  ses  frères  et 
Maugis,  du  pèlerinage  de  Renaud  et  de  Maugis  en  Palestine 
et  des  faits  qui  suivirent  leur  retour  en  France.  Deux  poèmes 
plus  récents,  consacrés  aux  fils  deBeuves,  vinrent  enfin  com- 
pléter cet  ensemble  ;  et  dans  le  manuscrit  de  Montpellier,  nous 
avons  constaté  qu'un  remaniement  adroit  avait  achevé  la  fu- 
sion de  ces  divers  éléments  en  un  tout  suflîsamment  un  et  ho- 
mogène. Mais  les  dernières  versions  ne  faisaient  pas  oublier 
les  plus  anciennes,  et  l'on   peut  admettre  que  les  Italiens  en 


164  RECHERCHES 

connaissaient  plusieurs  quand  ils' firent  passer  dans  leur  litté- 
rature  populaire  Thistoire  de  Renaud.  Ils  ne  pouvaient  son- 
ger à  revenir  en  arrière  et  à  supprimer  ce  qui  s'était  greffé 
sur  les  légendes  primitives.  Ils  prirent  donc  pour  objet  prin- 
cipal de  leur  imitation  l'ensemble  formé  parle  Maugis,  le  Vivien 
et  \e  Renaud  de  Montauban,\iZvce  (\\\\\&  y  trouvaient,  après  une 
exposition,  trop  longue  sans  doute,  mais  qui  en  somme  satis- 
fait l'esprit,  une  suite  de  faits  se  déroulant  clairement  et  sans 
peine,  La   coexistence  de   plusieurs   versions  les  autorisait  à 
puisera  leur  gré  dans  l'une  ou  l'autre,  et  surtout  à  modifier 
à  leur  tour  la  légende  et  à  la  remanier  encore  dans  la  uiéme 
pensée  que  l'avaient  fait  leurs  devanciers,  de  façon  à  lui  don- 
ner, soit  plus  d'unité,  soit  plus  d'agrément,  soit  un  caractère 
plus  moral.  En  tout  cela,  ils  ne  firent  que  se  conformer  àl'exem- 
ple  qui   leur  avait  été  donné  par  nos  trouvères.  Ceux-ci  te- 
naient à  raconter  des  choses  nouvelles  et  le  proclamaient  en 
tête  de  leurs  chants;  n'était-ce  pas   inviter  leurs   imitateurs 
étrangers  à  ne  pas  reproduire   servilement  les  _textes  qu'ils 
avaient  sous  les  yeux?  Les  conteurs  italiens  'avaient  le  droit 
de  montrer  qu'eux  aussi  ils  savaient  plus,  qu'ils   imaginaient 
mieux  que  leurs  devanciers.  Si  dans  les  poètes  lyriques  italiens 
du  Xllle  siècle  il  est  souvent  fait  allusion   aux  héros  des  ro- 
mans français  * ,  quelle  connaissance  de  ces  matières  ne  devaient 
point  posséder  ceux  qui  préféraient  aux  sonnets  et  aux  can- 
zones  les  récits  de  l'épopée  française?  Encore  aujourd'hui  la 
passion  pour  les  aventures  de  nos  chevaliers   s'est  conservée 
en  Sicile  avec  une  vivacité  extrême  -  ;  mais  ce  qui  est  de  notre 
temps  une  exception  curieuse,  était  la  règle  générale  au  XIIP 
et  au  XIV^  siècle,  quand  le  grand  nom  de  Charlemagne  était 
encore  sans  rival,  quand  les  guerres    entre  vassaux  et  suze- 
rains, chrétiens  et  Sarrasins,  étaient  choses  d'un  intérêt  tout 
contemporain.  Je  crois  donc  que  cette  sorte  d'érudition   était 


*  V.  Bartoli,  i  Primi  due  Secoli  délia  Letteratiira  italiana,  c.  n,  §2:  la 
Lingua  e  la  Poesia  fi'ancesc  i?i  Italia  (p.  92-110),  et  c.  x,  p.  279  s.  Cf., 
en  ce  qui  concerne  le  cycle  breton,  Grà^,  Giornale  storico,  V,  p.  102-130. 

-  J'ai  renvoyé  déjà  à  l'article  de  M.  Pitre  sur  cette  question  {Romania.  XII  (, 
p.  315-398).  Ce  maintien  en  plein  XlXe  siècle  d'une  tradition  épique  si  au- 
cienne  est  un  dus  plus  curieux  phénomènes  de  l'histoire  littéraire. 


SUR  I  ES  CHANSONS  DE  GESTE  165 

assez  répandue  pour  qu'il  n'y  ait  pas  lieu  d'être  surpris  des 
altérations  que  les  légendes  ont  subies  en  Italie,  et  qu'il  ne 
soit  pas  nécessaire  de  supposer,  à  chaque  modification  que  l'on 
constate,  un  poëme  français  ou  franco-italien  perdu  qui  en 
aurait  été  l'origine.  Les  comiques  latins  faisaient  souvent  de 
deux  pièces  grecques  une  seule  pièce  latine,  ce  qu'ils  appe- 
laient contammare  fabulas.  L'initiative  des  auteurs  me  paraît 
souvent  une  explication  suffisante.  Il  était  naturel  qu'en  pré- 
sence de  récits  dont  un  grand  nombre  portaientla  marque  de 
remaniements  considérables,  les  Italiens  ne  se  soient  pas  crus 
obligés  à  faire  le  métier  desimpies  traducteurs*.  Cette  façon 
de  voir  me  paraît  justifiée  parla  comparaison  du  Rinaldo  da 
Montalbano  et  des  versions  françaises  de  l'histoire  des  Fils 
Ajmon. 

Les  romans  italiens  qui  ont  pour  objet  les  aventures  de 
Renaud  et  de  sa  famille  paraissent  dériver  de  deux  textes 
anciens,  l'un  en  prose,  l'autre    en  vers^  Je   les  examinerai 

1  Dans  son  étude  intitulée  la  Rotta  di  Roncisvalle  {Propngnatore,yo\.\N ; 
tirage  à  part,  Bologna,  1871),  M.  Rajna  examine  les  formes  qu'a  prises  en 
Italie  la  Chanson  de  Roland,  et  il  arrive  à  démontrer  par  la  comparaison  des 
textes  qu'à  chaque  étape  des  modifications  successives  du  récit  l'on  constate 
l'imitation  de  modèles  d'âges  différents.  Dans  sa  conclusion,  il  écarte  nette- 
ment l'opinion  que  le  roman  chevaleresque  italien  se  serait  déLaché  d'un'seul 
coup  de  ses  racines  françaises:  «  Dali'  esame  istituito  mi  sembra  appaia  chia- 
»  rameute  che  la  letteratura  cavalleresca  délia  Toscana  s'atliene  a  quella  délie 
'1  provincie  settentrionali  e  allresi  délia  Francia  per  un  numéro  di  fili  ben 
»  maggiore  che  forse  noD  si  credesse;  le  creazioni  straniere  continuarono  ad 
«  essere  note  suU'  Arno  nella  loro  propria  lingua  non  solo  per  tutto  il  tre- 
»  cento,  ma  ancora  fîno  al  declinare  del  secoln  XV.  d 

-  Le  travail  de  M.  Rajna  a  été  publié  d'abord  dans  le  Propiignatore  (vol. 
III)  sous  le  titre  de  Rinaldo  da  Montalbano,  puis  en  tirage  a  part(Bologna, 
1870).  C'est  à  cette  seconde  édition  que  je  renvoie.  Le  roman  en  prose  a  été  con- 
servé dans  deux  manuscrits  de  la  bibliothèque  Laurentieune  cotés,  l'un  xlii, 
37;  l'autre  lxxxix,  64.  Le  premier  a  été  achevé  le  15  avril  1506.  Il  contient 
cinq  livres.  Le  second  semble  de  la  fin  du  XV«  siècle  ou  du  commencement 
du  XVI«.  Il  contient  seulement  les  trois  premiers  livres  du -précédent.  Le 
poëme  se  trouve  dans  un  manuscrit  de  la  Palatine  (E,  5,  4,  46).  Il  est  divisé 
en  cinquante-un  chants,  comprenant  en  tout  2038  octaves.  Le  manuscrit  paraît 
dater  du  milieu  du  XVe  siècle.  Le  copiste  a  laissé  en  blanc  beaucoup  de  mots 
et  même  des  vers  entiers.  P.  Rajna,  /.  /.,  p.  3-4. —  M.  Rajna  est  convaincu 
que  tous  les  romans  italiens  en  vers,  où  il  s'agit  de  Renaud,  dérivent  du  texte 
de  la  Palatine. 


16Ô  RECHERCHES 

en  me  servant  de  l'analyse  qui  en  a  été  donnée  par  M.  Rajna, 
Le  roman  en  prose  commence  par  la  description  d'une  cour 
plénière  tenue  par  Charleraagne  à  l'occasion  de  la  Pentecôte, 
quand  l'arrogance  de  Girard  de  Fratta  a  été  abattue,  c'est  à- 
dire  plusieurs  années  après  la  guerre  d'Aspremont.  Charles 
est  au  milieu  de  ses  barons,  assis  sur  sa  chaire  impériale. 
Comme  il  fait  chaud,  l'empereur  se  fait  apporter  une  coupe  de 
vin.  Après  avoir  bu,  il  la  passe  à  Ajmes  (Amone);  mais  Ghi- 
namo  de  Bajonne,  un  duc  mayençais,  ennemi  d'Aymes,  qui  a 
épousé  Clarice  qu'il  aimait,  se  lève  et  lui  reproche  d'oser  boire 
à  la  coupe  impériale  alors  qu'il  a  été  déshonoré  par  sa  femme. 
Il  affirme  qu'il  a  eu  les  faveurs  de  Clarice,  et  que  Renaud 
et  ses  frères  sont  ses  fils.  Il  donne  pour  preuve  la  connais- 
sance qu'il  a  d'une  tache  que  la  duchesse  a  sur  le  corps,  et 
quelques  bagatelles  qu'il  tient  d'une  servante  qu'il  a  subor- 
née. Aymes  part  aussitôt  pour  aller  demander  des  explica- 
tions à  la  duchesse.  Cependant  Roland  envoie  un  messager  à 
Clarice  pour  lui  apprendre  ce  dont  Ghinamo  s'était  vanté,  et 
il  lui  fait  dire  que,  si  le  fait  était  vrai,  elle  eût  à  se  tuer:  «  car, 
si  le  fait  est  vrai,  je  te  ferai  poursuivre  par  le  monde  entier,  et  je 
ferai  manger  aux  chiens  ton  corps  et  celui  de  tes  enfants  ;  mais, 
s'il  nest  pas  vrai,  fuis  cette  colère  et  hâte-toi,  car  A;/mon  est 
parti  et  va  à  Doj^donne  pour  te  tuer.  »  Clarice  effrayée  se  ré- 
fugie dans  un  de  ses  châteaux,  appelé  Monte-Arraino,  où  elle 
reste  cinq  ans.  Après  ce  laps  de  temps,  Renaud  étant  en  âge 
de  porter  les  armes  vient  dans  la  chambre  de  sa  mère  et  la 
menace  de  lui  donner  la  mort  si  elle  ne  lui  dit  de  qui  il  est 
fils.  Elle  se  jette  à  ses  pieds  et  lui  jure  qu' Aymes  est  son 
père  * . 

Comme  bien  d'autres  chansons  de  geste,  le  Renaud  de  Mon- 
^«wiÇ/aji- commence  par  une  cour  plénière,  tenue  à  laPentecôte, 
où  l'on  voit  Charles  assis  sur  son  faudestueil,  entouré  de  rois, 
de  chevaliers,  d'archevêques,  d'abbés;  et  c'est  également  dans 
une   réunion  pareille,  qui  a  eu  lieu  aussi  à  la  Pentecôte,  que 

*  N'ayant  sous  les  yeux  qu'une  analyse  où  M,  Rajuarae  paraît  insister  sur 
les  points  qu'il  juge  les  plus  importants,  je  ne  puis  éviter  quelques  lacunes. 
Ici  l'on  ne  sait  ni  où  le  duc  Aymes  est  allé,  ni  ce  qu'il  a  fait. 

-  Ou  plutôt  la  Mort  de  Bauves  d'Ai<jremont,  comme  je  lai  expliqué  déjà. 


SUR  LES  CHAIsSONS  DE  GESTE  l67 

Tempereur  annonce  à  Ajmes  qu'il  veut  adouber  ses  fils  che- 
valiers. 

Entre  la  version  imprimée  et  celle  de  Montpellier,  il  y  a 
de  notables  différences.  Dans  toutes  les  deux,  Charlemagne 
profite  de  la  réunion  de  sa  cour  pour  se  plaindre  de  Beuves 
d'Aigremont,  qui  ne  daigne  pas  le  servir.  Mais  la  raison  de 
Fabsence  de  Beuves,  d'après  le  texte  imprimé,  est  qu'il  est 
resté  l'ennemi  de  l'empereur  depuis  que  Doon  de  Nanteuil  a 
a  été  chassé  de  France.  Ainsi  la  querelle  du  suzerain  et  du  fier 
vassal  a  ses  origines  dans  la  légende  de  Doon.  Dans  le  texte 
de  Montpellier,  Charlemagne,  qui  sait  que,  depuis  le  refus 
qu'il  a  fait  de  secourir  Vivien,  il  ne  peut  plus  compter  sur 
l'hommage  de  Beuves,  et  qui  lui-même  ne  saurait  rappeler 
sans  inconvénient  le  vrai  motif  de  son  différend  avec  le  duc 
d'Aigremont,  allègue  que  Beuves,  lors  de  la  guerre  des  Ses- 
nes,  a  fait  cause  commune  avec  les  barons  qui  s'obstinèrent  à 
ne  pas  donner  leur  aide  à  l'empereur.  L'argument  n'est  pas 
mal  trouvé,  car  le  père  de  Vivien  aurait  eu  ainsi  les  premiers 
torts.  Je  reproduis  le  commencement  de  la  version  de  Mont- 
pellier. 

CHI    COMMENCHE   LE   ROMMANS    DEZ    .IIII.    PIX   AYMON 

Barons,  ces  canchon  de  grant  nobilité. 
Toute  est  de  vraie  estoire,  sans  point  de  fausseté, 
Onques  meillor  n'oïstez  ains  puis  [que]  Dex  fu  né. 
A  Saint  Denis  en  France  que  Dex  a  tant  amé, 
5     Le  trouva  on  u  roulle  et  l'autre  auctorité 

Comme  Kalles  de  France,  le  fort  roi  couronné, 
Guerria  le  duc  Buef  d'Aigremont  la  chité. 
Et  Girart  .i.  sien  frère  qui  tant  ot  de  bonté, 
Et  Doon  de  Nanteuil  o  le  grenon  mellé, 
10     Et  Ajmon  de  Dordonne  le  vassal  aduré. 

Chil  .IIII.  furent  frère  et  d'un  père  engendré. 
Il  n'ot  si  vaillans  hommez  en  la  crestienté. 
Kalles  les  haï  moult  et  vers  eus  fu  iré. 
Ainsi  com  vous  orrez  se  je  sui  escouté. 

15         Che  fu  à  Pentecouste,  après  l'Ascension, 


16?  RECHERCHES 

Kalles  fu  à  Paris,  en  samestre  meison. 
Moult  i  fu  grant  la  court  de  chevaliers  baron. 
Tuit  i  furent  venu  chil  prinche  de  renon, 
Salemon  deBretaigne,  [de]*  Maus  conte  Huon 

20     Et  Yvon  et  Yvoire,  Berengier  et  Haston, 
Et  tant  des  autrez  que  nombre  n'en  savon. 
A  la  court  est  venu  dus  Aymez  de  Dordon, 
Et  avec  11  ses  fix  qui  sunt  de  grant  renon. 
Tuit  .iiii.  sunt  vallet,  n'ont  barbe  ne  grenon. 

25     Kallemaines  se  lieve,  si  parla  corn  preudon. 
«Barons,  che  dist  le  rois,  or  oes  mareson. 
»  Tante  terre  ai  conquise  et  tante  région 
))Dont  li  seignor  me  servent  ou  il  vueillent  ou  non. 
»  Je  conquis  Guiteclin,  ichil  Sesne  félon, 

30     ))En  Sessoigne  la  grant  que  nous  outre  tenon. 
))Là  perdi  Baudouin,  que  nous  tant  amion. 
»  N'i  daignierent  venir  mi  chevalier  baron 
))Fors  le  duc  des  Normans  et  le  roi  Salemon. 
»Par  icheus  de  Herupe  hu  ge  salvation. 

35     ))Le  duc  Buef  d'Aigremont  n'i  fu  pas,  chen  set  on. 
»  Lambert  le  Berruier  et  Rohans  le  Breton 
»  Et  Gaufrei  de  Bordele  que  nous  perdu  avon, 
»  Assez  i  mandai  autrez  qui  sunt  de  mon  roion  : 
))  N'i  daignierent  venir,  foi  que  doi  .S.  Synion. 

40     »  Je  mandai  en  aide  Girart  de  Roussillon 
)'  EtDoon  de  Nanteuil  et  son  frère  Bevon: 
»  N'i  daignierent  venir,  pourvoir  le  vous  dison. 
«Barons  à  vous  me  plaing,  nobile  compengnon 
))  Mez  par  icheste  barbe  qui  me  pent  au  guernon, 

-45     »  Venjance  en  arai,  qui  qu'en  poist  no  qui  non. 
»  Au  duc  Buef  manderai,  le  sire  d'Aigremon, 
))  Qu'il  me  viengne  servir  à  coite  d'esperon 
»  Et  amaint  avec  lui  .iin<^.  compengnon. 
»  Et  se  il  le  refuse,  que  il  die  que  non, 

50     »  Je  manderoi  Francheis  de  meute  et  de  randon, 
))Trametrai  li  .c".  de  gent  de  grant  renon 
»  Qui  destruiront  sa  terre  et  metront  en  carbon. 
»  Qui  fera  le  mesage?  barons,  or  l'eslison.  » 

1  Ms.  .>  (lu... 


SUR  LES  CHANSONS   DE   GESTE  169 

Dunajmez  conseille  au  roi  de  choisir  le  messager,  et,  comme 
personne  ne  s'offre,  Charlemagne  désigne  son  fils  Lohier. 

J'ai  cité  ce  passage,  non-seulement  parce  que  le  fait  de  rem- 
placer la  guerre  avec  Doon  par  la  guerre  des  Sesnes  a  donné 
l'idée  au  romancier  italien  de  parler  lui  aussi  d'une  guerre  in- 
téressante pour  des  Italiens,  celle  d'Aspremont;  mais  parce 
que  nous  trouvons  ici  réunis  en  un  seul  vers,  les  noms  d'Yvon, 
d'Yvoire,  de  Bérenger  et  de  Haston.Les  Italiens  substituèrent 
Otton  ou  Ottone  à  Haston,  et  dès  lors  ces  personnages  furent 
inséparables: 

Avino,  Avolio,  Ottone  e  Berlinghiere*. 

De  là  à  les  regarder  comme  frères,  il  n'y  avait  qu'un  pas; 
on  les  supposa  fils  de  Najmes  de  Bavière.  Mais  cette  parenté 
n'avait  d'autre  origine  que  le  hasard  qui  avait  présenté  à  la 
mémoire  de  nos  trouvères  une  suite  de  noms  formant  si  na- 
turellement un  alexandrin  : 

Et  Yvon  et  Yvoire,  Berengier  et  Haston^. 

La  nouveauté  du  début  du  roman  italien  consiste  dans  le 
rôle  important  attribué  à  Ghinamo.  L'idée  en  soi  n'a  rien  d'ori- 
ginal, car  la  calomnie  est  une  arme  employée  souvent  par  le 
lignage  de  Ganelon.  Grifes  de  Hautefeuille,  le  père  de  cette 
famille  détestée,  trahit  et  calomnie  ses  frères  dans  le  Gaufrey. 
Dans  Parise  la  duchesse,  douze  traîtres  de  la  race  de  Gane- 
lon s'entendent  pour  accuser  Painse  d'avoir  empoisonné  le 
frère  du  duc  Rajmond  son  époux.  Amaurj,  qui,  après  avoir 
poussé  Chariot  à  attaquer  sans  raison  les  fils  de  Sevin,  sou- 
tient la  cause  de  l'empereur  contre  Huon  de  Bordeaux,  ap- 
partient à  la  même  famille.  Mais  la  nature  du  reproche  fait  au 
duc  Ajmes  sort  des  habitudes  de  l'épopée  française.  Dans  nos 
chansons,  les  querelles  entre  les  barons,  leurs  révoltes  contre 
Charlemagne,  ont  d'ordinaire  leur  origine  dans  la  violation, 
alléguée  à  tort  ou  à  raison,  de  quelque  droit  féodal  ;  il  s'agit 
tantôt  d'un  hommage  refusé  auroi,  tantôt  d'un  fief  ardemment 

'V.  Thomas,  Nouvelles  Recherches  sur  l'Entrée  de  Spagîie,  p.  48-49. 

^  Dans  Gui  de  Bourgogne  même  ordre  que  dans  le  vers  italien:  «Ne  Yvon 
ne  Yvoire,  Halon  ne  Berangier».  v.  417,  cf.  348,  et  44t4.  Je  reviendrai  sur 
ce  roman  dans  le  chapitre  suivant. 


Î70  RECHERCHES 

convoité, tantôt  d'actes  de  pure  violence.  Ici  c'est  la  vie  privée 
'  qui  est  en  en  cause.  La  femme  d'un  des  plus  fiers  barons  est 
accusée  d'adultère,  et  son  mari  est  pour  cela  jugé  indigne  de 
boire  à  la  coupe  du  roi.  Je  vois  là  un  double  emprunt  aux 
romans  bretons:  d'abord  le  hanap  merveilleux  où  les  dames 
chastes  pouvaient  seules  boire  sans  inconvénient,  lianap  que 
nous  retrouvons  dans  Huon  de  Bordeaux  et  qui  est  bien  pour 
quelque  chose  dans  le  dénoûment  de  ce  poëme.puis  Diabitude 
d'apprécier  la  valeur  morale  des  personnes  pour  d'autres  mo- 
tifs que  les  qualités  purement  guerrières  de  vigueur  et  décou- 
rage. L'accusation  elle-même  d'adultère,  mais  ne  visant  que  la 
femme  regardée  comme  coupable,  se  rencontre  dans  le  Macaire 
et  le  Fioravanle. 

Y  avait-il  quelque  indication  dans  la  légende  des  Fils  Ay- 
mon  qui  pût  amener  l'auteur  italien  à  supposer  que  l'odieuse 
calomnie  de  Ghinamo  ne  soulèverait  pas  la  réprobation  una- 
nime de  Cliarles  et  de  ses  barons?  Je  n'oserais  l'affirmer,  et 
je  demande  que  l'on  voie  surtout  dans  ce  que  je  vais  en  dire 
le  désir  de  faire  connaître  les  textes  dont  je  dispose. 

L'auteur  du  roman  italien  en  prose  connaissait  l'histoire 
d'Ogier  le  Danois  et  l'a  même  intercalée  dans  la  suite  de  son 
récita  Le  fait  n'a  rien  d'étonnant,  puisque  Ogier  est  de  la 
même  geste  que  Renaud,  et  n'a  cessé,  pendant  le  siège  deMon- 
tauban,  de  donner  aux  fils  Ajmon  des  preuves  de  son  ami- 
tié. Or,  si  l'on  compare  dans  le  manuscrit  de  Montpellier  les 
deux  récits  où  sont  contées  les  morts  si  semblables  de  Bau- 
douinet  et  de  Bertolais,  on  n'est  pas  éloigné  de  penser  quede 
cette  comparaison  ait  pu  naître  l'idée  de  suspecter  la  légiti- 
mité des  fils  Aj'mon.  Dans  ce  manuscrit,  la  dispute  de  Bau- 
douinet  et  de  Chariot  est  beaucoup  plus  développée  que  dans 
la  version  imprimée.  Chariot  vient  de  perdre  la  partie,  et  son 
roi  est  mat  dans  un  coin  de  l'échiquier: 

Le  fix  le  roi  fu  forment  aïrés 
Quant  il  se  voit  si  forment  enanglés, 

1  Rajna,  /.  l.,  p.  42  — Cela  était  tout  naturel,  car  dans  la  légende  fran- 
çaise les  noms  d'Ogier  et  de  Renaud  étaient  inséparables.  Le  cycle  de  Doon 
de  Mayence  s'est  formé  autour  des  histoires  de  ces  deux  grands  vassaux.  En 
Italie,  Roland,  le  héros  dcRoncevaux,  devait  faire  négliger  le  bon  Danois  et 
se  substituera  lui  dans  Taraitié  des  fils  Avmon. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  171 

Baudouinet  commenche  à  ramposner  : 

«Fix  à  putain,  pour  quoi  m'as  forjouez? 
5     ))Ogier  ton  père,  le  mien  serf  racatez, 

»  Ne  m'eust  dit  mat  pour  lez  membrez  couper.  » 

Bist  Baudouin:  «Damoisiau,  vous  mentes. 

»  Ma  mère  chertez  ne  fist  aine  puteés. 

»  Ele  fu  fille  le  castelain  Guirrez 
10     »De  saint  Omer  qui  tant  fist  àloer. 

»  Voir  fu,  mon  père  en  fist  sa  volenté: 

«Comme  haut  homme  bien  en  ot  poosté. 

»  En  chele  dame  fa  mon  cors  engendré. 

n  Ne  plot  à  Dieu  qu'il  fussent  espousé, 
15     »  Ele  n'iert  pas  de  si  grant  parenté 

))  Comme  mon  père,  chen  soit  de  vérité, 

»  Souventez  fois  en  ai  mon  cuer  iré. 

»  Famé  n'est  pute  sel  n'a  homme  tué 

»  Ou  son  enfant  murdri  et  estranglé.  » 
20     Kallot  l'entent,  aine  ne  l'en  prist  pité, 

Ains  saut  en  piez,  s'a  l'eschequier  combré. 

Kallot  le  fel,  qui  Dex  doinst  encombrier, 
A  .II.  mains  prent  le  pesant  eschequier  ; 
Baudouinet  en  ferit  u  frontier, 
25     Seur  le',brun  marbre  le  fet  mort  trebuchier  *. 

Dans  la  version  de  Michelant,  Renaud, insulté  et  frappé  par 

1  Voici  le  texte  de  rédilion  Banois  (v.  3109  s.): 

«  Bastars,  dist-il,  mult  es  oulrequidiez, 

»  Fel  et  quvers  et  trop  en  remanciés. 

»  Ogier  tes  pères,  li  miens  hom  cavagiés, 

»  N'en  desist  tant  por  tôt  l'or  desosciel, 

»  Ardoir  en  fu,  en  un  conpieg  noier. 

»  Mal  le  pensastes,  vos  le  comperrés  cliier.  » 

A  ses  deus  mains  a  saisi  Fesqueker, 

Bauduinet  en  feri  el  fronter, 

Le  test  li  fent,  s'en  sait  li  cerveler  ; 

Desus  le  marbre  le  fist  mort  justichier. 

On  peut  comparer  le   texte  de   Montpellier  avec  le  passage  correspondant 
cité  par  Barrois  dans  sa  préface,  p.  lxvi,  etqui  en  dérive  évidemment. 


172  RECHERCHES 

Bertolais,  va  se  plaindre  à  Charlemagne,  qui  ne  veut  pas 
l'écouter  et  le  traite  de  mauvais  garçon.  Renaud  reproche 
alorsà  l'empereur  la  mort  de  Beuves  d'Aigremont,  qui  ne  doit 
pas  rester  impunie;  pour  lui,  il  ne  s'associera  pas  à  l'indiifé- 
rence  de  son  père  et  de  ses  oncles.  Charles,  irrité,  le  frappe 
de  son  gant  au  visage,  si  bien  que  le'sang  coule  à  terre.  Re- 
naud s'en  va;  mais,  au  milieu  de  la  salle,  il  rencontre  Berto- 
lais, et,  dans  sa  colère,  lui  fend  la  tête  d'un  coup  d'échiquier. 
Dans  le  texte  de  Montpellier,  Renaud  et  ses  frères  ont  été 
adoubés  chevaliers  par  le  roi  avant  que  l'on  sût  la  mort  de 
Lohier,  et^ni  eux  ni  leur  père  n'ont  pris  part  aux  guerres  qui 
ont  suivi;  mais  il  n'y  a  pas  eu  non  plus  de  paix  conclue  entre 
eux  et  le  roi.  Aussi,  quand  Charlemagne  offre  spontanément 
d'honorer  les  fils  Aymon  et  que  leur  père  lui  ^appelle  la  moi't 
de  Beuves,  Renaud  n'hésite  pas  à  intervenir: 

«Sire,  chen  dist  Renaut,  qui  fu  li  graiudrez  hom, 
«Chevalier  nous  feïstez,  neer  ne  le  povon; 
»  Durement  vous  haon,  ja  ne  vous  cheleron, 
»  Pour  la  mort  au  duc  Buef  le  sire  d'Aigremon, 
5     »  Quer  à  nous  ne  feïstez  pes  ne  acordoison.  » 
Kallemaines  l'oï,  si  drechale  menton, 
Adonques  rougi  Kalle  aussi  comme  carbon. 
«Renaut,  fui  toi  de  chi,  fix  à  putain,  garchon. 
»  A  moult  petit  s'en  faut,  ne  te  met  en  prison.  » 
10     «Sire,  chen  dist  Renaut,  ne  seroit  pas  reson. 
»  Puisque  ne  l'amendez,  à  itant  nous  taison,  » 

A  itant  le  lessierent  li  .m.  bacheler, 
Renaut  le  fix  Avmon  lessa  atant  ester, 
Aalart  et  Guichart  le  vont  reconforter, 
15     Et  puis  aprez  mengié  alerent  behourder. 
Et  li  auquant  s'asieent  et  prennent  à  jouer. 
Renaut  et  Bertelai  si  ont  pris  .i.  tablier 
Et  uns  eschez  d'ivoire,  si  pristrent  à  jouer. 
He  Dex  !  à  grant  martire  les  convint  dessevrer. 

20         Renaut  et  Bertelai  sunt  au  jouer  assis, 
Et  tant  i  ont  joué  que  il  i  ot  estris . 


SUR  LES  CHANSONS   DE  GESTE  173 

Bertelai  le  clama  fix  à  putain  chetis, 
Et  a  hauchié  la  paume,  si  le  feri  u  vis. 
Tel  bufe  li  donna  que  le  sanc  est  saillis. 
25     Et,  quant  Renaut  le  voit,  si  en  fu  moult  marris. 
Il  saisi  Teschequier  qui  fu  à  or  massis, 
S'en  feri  Bertelai  très  par  mi  lieu  du  vis 
Que  trestout  le  fendi  entresiques  u  pis 
Mort  l'avait  étendu,  or  est  levé  le  cris. 

La  Bihl/othèque  bleue  suit  assez  exactement  cette  version. 
«Renaut  dit  hardiment  au  roi  qu'il  le  haïssait,  parce  qu'il  avait 
»  fait  tuer  son  oncle  par  trahison  ;  mais  nous  en  aurons,  lui 
»  dit-il,  raison  quelque  jour.  Charlemagne  rougitde  colère,  et 
»lui  dit:  Jeune  téméraire,  ôte-toi  de  ma  présence;  je  te  jure 
»  que  si  je  n'avais  égard  à  cette  auguste  compagnie,  j'ordon- 
»  nerais  qu'on  le  mît  dans  une  prison  où  tu  pourrais  te  repen- 
»  tir  de  ton  auda-e.  Renaud  ne  dit  plus  mot. 

»  Le  dîner  étant  prêt,  ils  s'assirent  tous  à  table,  excepté 
wSalomon  et  Godefroi,  qui  servait  ce  jour-là;  mais  Renaud  ne 
«pouvait  rien  manger  en  pensant  à  l'affront  qu'il  avait  reçu, 
»  et  songeait  toujours  comment  il  pourrait  se  venger.  Ses  frè- 
»  res  le  consolaient.  A[)rès  le  dîner,  les  seigneurs  allèrent  à  la 
»  récréation,  et  Bertelot,  neveu  de  Charlemagne,  appela  Re- 
»  naud  pour  jouer  aux  échecs  avec  lui. 

»  Bertelot  et  Renaud  s'assirent  pour  jouer  aux  échecs,  qui 
»  êtuient  d'ivoire  et  l'échiquier  d'or  massif.  Ils  jouèrent  tant 
»  qu'ils  eurent  dispute  ;  de  sorte  que  Bertelot  appela  Renaud  fils 
))de  catin,  et  le  frappa  au  visage,  dont  il  sortit  du  sang.  Quand 
»  Renaud  se  vit  ainsi  outragé  et  blessé,  il  prit  l'échiquier  de 
»  furie  et  en  cassa  la  tête  à  Bertelot,  qui  mourut  sur  place. 
))I1  s'éleva  un  grand  bruit  dans  le  palais  que  Renaud,  fils  d'Aj- 
))mon,  avait  tué  Bertelot,  neveu  du  roi.  » 

J'ai  cité  volontiers  cette  imitation,  parce  qu'elle  reproduit 
avec  fidélité  tous  les  traits  essentiels  du  modèle. 

J'en  reviens  à  l'injure  faite,  dans  ces  deux  passages,  à  Bau- 
douinet  et  à  Renaud.  Le  premier  y  répond  par  une  justifica- 
tion de  sa  mère  qui  nous  paraît  peu  satisfaisante,  mais  qui 
prouve  que  ce  mot,  trop  souvent  répété  dans  nos  chansons  de 
geste,  n'était  pas  toujours  une  insulte  banale.  Renaud,  dont  le 

11 


174  RECHERCHES 

cas  est  outre,  outragé  deux  fois  de  suite  par  Charlemagne  et 
Bertolais,  frappé  par  celui-ci,  tue  le  neveu  de  l'empereur. 

Est-il  impossible  que  cet  outrage,  pris  au  sérieux  ûansOg/t'}' 
et  répété  dans  les  Fils  Aymon  par  Charlemagne  et  son  neveu, 
ait  engagé  un  imitateur  à  en  tirer  tout  un  drame?  Si  Bertolais 
qualifie  ainsi  la  mère  de  Renaud,  pourquoi  un  Ghinamo  n'en 
dirait-il  pas  davantage?  Cette  pauvre  invention,  qui  gâte  le 
commencement  de  notre  histoire  des  Fils  Aymon,  s'explique 
d'ailleurs  assez  par  la  notoriété  des  infidélités  de  trop  de  belles 
•dames  du  cycle  d'Artus,  au  niveau  desquelles  allaient  descendre 
les  châtelaines  de  notre  épopée. 

Il  n'y  a  de  vraiment  italien  dans  le  fait  de  Ghinamo  que  son 
audace  à  se  poser  en  Don  Juan. 

Le  nom  de  Ghinamo  de  Bayonne  a  déroulé  jusqu'ici  les  con- 
jectures. La  famille  de  Ganelon,  devenue  en  Italie  la  geste 
des  Mayençais,  était  cependant  assez  riche  en  traîtres  [)Our 
qu'il  ne  fût  pas  nécessaire  d'inventer  un  nom  nouveau.  Dans 
celui-ci,  je  verrais  volontiers  une  modification  par  simple 
transposition  de  syllabes  du  nom  d'Amauguin  le  brun,  per- 
sonnage de  la  famille  de  Ganelon,  qui,  au  commencement 
d'Aye d'Avignon,  accuse  faussement Garnierde  Nanteuil  d'avoir 
comploté  la  mort  de  l'empereur.  Ce  personnage  reparaît  encore 
dans  Gui  de  Nanteuil,  et  nous  retrouvons  dans  Parise  la  du- 
chesse un  Aumaguin,  fils  de  Hardrez,  et  par  conséquent  du  li- 
gnage de  Ganelon,  qui  se  déguise  en  pèlerin  pour  tromper  le 
duc  Raymond  et  lui  faire  croire  que  Parise  a  empoisonné  son 
frère  Beuves.  Quant  à  la  situation  géographique  du  fief  qui 
lui  est  attribué,  elle  ne  surprendra  point  si  l'on  songe  que  des 
noms  de  lieu  du  midi  de  la  France,  tels  que  Montauban,  Avi- 
gnon, Valence,  reviennent  souvent  dans  les  chansons  où  il  est 
traité  de  la  geste  de  Renaud. 

Monte-Armino  est  formé  sur  le  modèle  deMontessor,  Mon- 
bendel,  Montauban,  Montchevrel,  etc.;  mais  le  second  des 
mots  qui  le  composent  décèle  une  prétention  à  l'érudition,  dont 
nous  retrouverons  des  traces  beaucoup  plus  évidentes  dans  la 
suite  du  roman. 

La  violence  avec  laquelle  Renaud  exige  de  sa  mère  qu'elle 
lui  révèle  de  qui  il  est  fils  a  un  caractère  dramatique  ;  mais 
ce    n'est  (ju'une  répétition  de  l'endroit  du  Maugi's  où  Vivien 


SUR   LES  CHANSONS  DE   GESTE  175 

contraint  Esclarmonde  à  lui  avouer  que  Beuves  d'Aigremont 
est  son  père. 

L'épouse  d'Ajmes  est  dite  Clarice.  C'est  dame  Aye  dans  la 
version  imprimée \  Marguerie  dans  le  texte  de  Montpellier. 
L'auteur  italien  a  préféré  le  nom  de  Clarice,  plus  agréable 
sans  doute  à  ses  oreilles,  et  qui  dans  les  versions  françaises  est 
celui  de  la  sœur  du  roi  Yon,  que  son  frère  donne  en  mariage 
à  Renaud.  Pour  remédier  à  ce  double  emploi  et  s'écarter  de 
la  tradition  sans  paraître  la  contredire,  on  imaginera  plus  tard 
que  le  roi  Yon  (Ivone)  a  une  fille  du  nom  de  Béatrix  qui  s'é- 
prend de  Renaud  et  finit  par  l'épouser-. 

Le  supplice  dont  Roland  menace  Clarice  et  ses  fils  ne  me 
semble  pas  d'origine  française  ;  dans  les  Chansons,  on  parle 
plutôt  de  pendre  les  gens,  de  les  démembrer  ou  de  les  brûler 
vifs.  Je  vois  ici  une  simple  réminiscence  des  «chiens  dévorants» 
dont  Jezabel  fut  la  proie. 

La  présence  de  Roland  à  la  cour  de  Charlemagne,  dès  les 
premières  pages  de  la  narration,  et  son  intervention  dans  les 
affaires  domestiques  du  duc  Aymes,  sont  les  premiers  traits 
du  développement  d'une  conception  nouvelle,  beaucoup  plus 
importante  que  tout  le  reste,  et  dont  il  est  juste  de  recon- 
naître l'originalité. 

Dans  le  Renaud  de  Montauban,  Roland  n'apparaît  que  tard. 
Naymes  conseillait  à  l'empereur,  revenu  de  son  pèlerinage  en 
Galice,  d'attendre  un  an  avant  de  recommencer  la  guerre  con- 
trôles fils  Aymon,  quand  arrive  un  jeune  garçon  accompagné 
de  trente  damoiseaux  de  gente  façon.  11  porte  une  pelisse 
d'hermine,  des  kueses  d'Afrique,  des  éperons  d"or.  Son  regard 
est  plus  fier  que  celui  d'un  léopard  ou  d'un  lion.  Il  est  très- 
bien  fait  et  de  belle  tournure.  Il  vient  au  palais,  descend  au 
perron  et  ne  s'arrête  que  devant  Charles.  11  se  fait  connaître. 
On  l'appelle  Roland;  il  est  né  en  Bretagne,  à  Saint-Fagon, 
fils  de  la  sœur  de  Charlemagne  et  de  Milon,  le  duc  d'Angers. 

*  Renaud  de  Montauhan,  p.  91-92. 

2  Dans  le  Renaud  de  Montauban,  la  sœur  d'Yon  était  déjà  désignée  par 
deux  noms  différents:  c'est  d'abord  «  ma  seror  Aéiis  au  cors  gent  »,  p.  117; 
puis  «  Clarise  à  la  clere  façon  »,  p.  223,  cf.  226.  Ce  nom,  d'ailleurs,  revient 
très-rarement  dans  le  récit.  Dans  le  premier  passage,  la  version  de  Montpel- 
lier donne  «  ma  seror  qui  moult  a  le  cors  gent.  » 


176  RECHERCHES 

L'empereur  l'embrasse  et  compte  qu'il  le  vengera  de  Renaud. 
Roland  espère  bien  vaincre  celui  qui  a  tué  son  cousin  Ber- 
tolais.  On  apprend  alors  que  les  Sesnes  assiègent  Cologne. 
Roland  est  chargé  du  commandement  de  l'armée,  et  revient 
bientôt  triomphant,  amenant  prisonnier  le  duc  des  Sesnes, 
Escorfaut,  que  l'on  enchaîne  soigneusement  pour  le  baptiser 
le  lendemain.  C'est  alors  que  Naymes  a  l'idée  de  donner  des 
courses,  afin  que  l'on  trouve  pour  Roland  un  cheval  aussi  bon 
que  Bajard^ 

La  Bibliothèque  bleue  n'a  rien  changé  à  ce  récit,  qui  nous 
montre  Roland  portant  pour  la  première  fois  les  armes  après 
la  construction  de  Montauban,  et  désireux  de  se  faire  le  cham- 
pion de  son  oncle  contre  Renaud.  Mais  l'auteur  italien  avait 
remarqué  que  l'antipathie  de  Roland  pour  le  vaillantfilsd' Ar- 
mes n'était,  pas  destinée  à  durer,  et  qu'après  s'être  mesurés  ils 
deviennent  des  amis  fidèles.  D'autre  part,  il  est  fait  allusion 
à  la  parenté  de  Charlemagne  et  d'Ajiuos-  ;  et,  comme  le  duc 

1  P.  119-123. 

2  P.  47,  249.  M.  Riijna  ne  croit  pas  qu'il  y  ait  trace  d'une  parenté  entre 
Renaud  et  Roland  dans  les  textes  français  (/{/?iaWr»  da  Montall/a7io,p.  14). 
Il  suflit  cependant  qu'Aymes  et  ses  fils  soient  regardés  comme  du  lignage  de 
l'empereur  pour  que  Roland  soit  leur  cousin.  L'impression  générale  qui  res- 
sort de  la  lecture  du  Renaud  de  Montaufjini  est  que  la  plupart  des  barons 
qui  y  jouent  quelque  rôle  sont  unis  entre  eux  parles  liens  du  sang.  La  famille  de 
Grifes  de  Hautefeuille  fait  seule  exception.  Dans  Ogier,  les  chefs  des  cheva- 
liers traîtres  qui  essayent  de  livrer  leur  seigneur  à  Charlemagne  sont  Hardrés 
et  son  frère  Gontier;  les  deux  qui  se  présentent  à  l'empereur  sont  Hardrés  et 
Bereugier  (v.  8153  s,)  Ces  deux  noms  appartiennent  au  lignage  Ganelon  ; 
mais  on  ne  comprend  pas  que  ceu.x  qui  les  portent  aient  pu  suivre  Ogier. 
Eu  revanche,  quand  Brehus  propose  à  Ogier  de  renier  sa  foi,  le  fier  Danois 
répond  (v.  11754  s.): 

«  Or  oi  plait  de  bricon: 

»  Aine  n'aparting  Hardré  ne  Ganelon 
»  Que  Deu  guerpisse  et  traïsse  Kallon.  » 

C'est  bien  dans  les  Fils  Aymoii  que  se  dessine  clairement  la  distinction 
entre  une  geste  loyale  et  une  geste  des  traîtres.  Pour  la  parenté  des  barons 
loyaux  entre  eux,  voici  quelques-uns  des  passages  les  plus  importants.  Alard 
dit  (p.  212): 

«  El  Ogiers  li  Danois,  (ils  m'anlaiu  par  mon  clef.  » 

A  la  p.  213,  Charles,  Olivior,  Roland,  Salomon,  Estons,  Richard,  Ydolon, 
sont  réunis,  et  les  barons,  parlant  des  lils  Aymon,  se  disent: 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  177 

Aymes  et  ses  frères  sont  également  unis  par  le  sang  à  la  plu- 
part des  barons  de  l'empereur,  Roland  et  les  fils  Ajraon  font 
partie  d'une  nombreuse  famille  qui  peut  ne  pas  toujours  mar- 
cher d'accord,  mais  qui  dans  des  circonstances  graves  se  re- 
trouve parfaitement  unie.  Tous  les  barons  s'entendent  quand 
il  faut  refuser  de  pendre  Richard,  fils  d'Ajmes,  ou  obtenir  la 
liberté  de  Richard  de  Normandie. 

Pour  tirer  parti  de  ces  données,  l'auteur  italien  suppose  que 
Roland  avait  atteint  l'âge  d'homme  au  moment  où  commence 
sa  narration,  et  que,  d'ailleurs,  il  avait  droit  de  s'intéresser  à 
l'honneur  du  duc  Aymes,  son  paient.  Roland  gardera  ce  nou- 
veau rôle.  Plus  sérieux  que  Renaud,  mais  bien  disposé  pour 
lui,  il  aura  toujours  sa  part  d'action  dans  lavie  de  son  cousin. 
Il  deviendra  son  protecteur  contre  la  méchanceté  des  Mayen- 
çais,  jusqu'à  ce  que,  par  une  conséquence  naturelle,  il  y  ait 
entre  les  deux  chevaliers  un  échange  ordinaire  de  bons  offices 
et  que  leurs  noms  soient  toujours  associés.  Cette  conception, 
qui  devait  être  féconde,  appartient  en  propre  à  l'Italie  et  ne 
pouvait  venir  à  la  pensée  d'un  trouvère  français,  parce  que, 
chez  nous,  l'épopée  avait  trop  bien  arrêté  les  grandes  lignes 
de  la  vie  du  neveu  de  Charles.  Le  caractère  de  Roland  ne 
devait  se  modifier  qu'en  j)ay3  étranger.  En  Italie,  après  être 
devenu  le  compagnon  des  aventures  de  Renaud,  il  finit  par 
imiter  ses  faiblesses;  et  si,  dans  le  Mordante,  il  garde  sa  gravité 
originelle,  avec  Boiardo  et  Arioste,  il  tourne  au  chevalier  er- 
rant, et  son  amour  et  sa  folie  sont  d'un  Tristan  ou  d'un  Lan- 
celot. 

«  Cosin  somes  germain,  près  nos  apartenon.  » 
P.  217,  Ogier,  parlant  au  nom  des  douze  pairs,  explique  à  Charlemagne  qu'ils 
ont  voulu  l'épouvanter: 

«  Que  Richart  no  cousin  feissiez  délivrer.  » 
Dans  Oijierdf  Danemarche,  Ogier  esl  cousin  deTurpiu  (v.  9242): 
((  Mes  cosIds  est  li  gentis  dus  palais.  -> 

Cf.  9270.  —  La  parenté  d'Ogier,  qui  supplie  Charlemagne  de  l'épargner, 
comprend  :  Naymes,  Guilimer  l'Escol,  Salomon  de  Bretagne,  le  roi  Otiioé, 
Doon  de  Nanteuil,  Girard  de  Roussillon.  Aymes  de  Dordonue,  Thierry  d'Ar- 
denne,  Geofroy  d'Anjou;  princes,  ducs  ou  comtes,  ils  sont  soixante  (v.  9509  s., 
9526  s.). 


178  RECHERCHES 

L'auteur,  usant  de  la  donnée  que  lui  offraient  les  courses  où 
Charlema2:ne  espérait  découvrir  un  cheval  digne  de  Roland, 
imagine  que  Clarice,  dans  l'intention  de  procurer  des  armes 
excellentes  à  ses  fils,  fait  annoncer,  avec  l'autorisation  de  Char- 
lemagne,  qu'une  grande  foire  aura  lieu  à  Monte-Armino  ;  puis 
il  se  reporte  à  plusieurs  années  en  arrière  pour  expliquer 
l'origine  de  deux  personnages  qui  paraîtront  bientôt  en  scène  *. 
La  duchesse  d'Aigremont,  ne  pouvant  avoir  d'enfants,  avait 
fait  un  vœu;  devenue  enceinte,  elle  partit  avec  son  mari  en 
pèlerinage  pour  Saint-Jacques  de  Galice.  En  revenant,  elle 
donne  le  jour  dans  un  bois  à  deux  jumeaux  qui,  par  suite  de 
l'attaque  soudaine  d'une  troupe  de  Sarrasins,  restent  aban- 
donnés. L'un  des  enfants  est  recueilli  par  le  roi  Abilante,  qui 
lui  donne  le  nom  de  Vivien,  l'élève  comme  s'il  était  son  fils, 
et  lui  cache  sa  véritable  origine.  Le  second,  jeté  dans  un 
fossé,  en  est  retiré  par  la  dame  de  Belfiore,  sœur  d'Abilante, 
qui,  en  souvenir  de  l'endroit  où  elle  l'avait  trouvé,  lui  donna 


1  Imitation  évidente  de  l'endroit  de  Renaud  de  Montanbnn  où,  sur  le  con- 
seil deNaymes,  des  courses  ont  lieu  à  Paris,  afin  de  procurer  à  Roland  un  che- 
val digue  de  lui.  P.  123-1,31. 

M.  Rajna  (/{zVio/f/Oj  p.  16)  croit  qu'ici  le  texte  italien  ne  dérive  pas  du 
Maugis  d'Aigremont,  \ia.Tce  qae  Maugis  y  est  élevé  en  Espagne  et  non  en 
Sicile,  et  qu'il  est  invraisemblable  qu'un  écrivain  ou  chanteur  italien  ail  voulu 
transporter  en  un  pays  étranger  une  scène  que  les  sources  qu'il  connaissait 
auraient  placée  en  Italie.  Se  fondant  sur  ce  que  la  forme  Malagigi  se  rap- 
porte au  français  Maugis,  il  suppose  que  la  version  italienne  dérive  d'un  texte 
plus  ancien  que  le  Maugis.  Il  ajoute  que  l'absence  des  aventures  amoureuses 
de  Maugis  indique  également  l'imitation  d'un  texte  plus  ancien.  J'explique  ces 
différences  uniquement  par  la  manière  dont  l'auteur  italien  a  compris  son  su- 
jet ;  il  a  voulu  écrire  à  nouveau  l'histoire  des  Fils  Aymon,  modifiant,  ajoutant, 
supprimant.  Pour  donner  plus  d'unité  au  commencement  de  sa  narration,  il 
ne  sépare  pas  les  deux  enfants,  fait  d'Oriande  la  sœur  d'Aquilaut;  au  lieu  de 
Monbranc  et  de  Rochefiour,  il  imagine  Belfiore.  La  scène  est  en  Espagne,  lieu 
ordinaire  des  guerres  entre  Sarrasins  et  chrétiens.  Dans  le  Rinaldo  en  vers, 
la  guerre  des  Sesnes,  racontée  dans  le  Renaud  de  Montauban,  devient  une 
invasion  des  Sarrasins  et  n'est  reconnaissable  qu'au  nom  de  Scrofaido  (Escor- 
faut).  Dans  Ogier,  Brehus  est  roi  d'Afrique,  de  Babylone,  de  Damas  et  des 
Sesnes.  De  son  côté,  l'auteur  du  Viaggio  nella  Spagna  place  à  la  cour  du  loi 
de  Portugal  l'aventure  d'Olivier  à  Constantinople.  La  chronique  de  Turpin 
avait  donné  l'exemple  d.;  transporter  en  Espagne  la  guerre  d'Agolant  et  celle 
de  Fierabras  (Ferracutus). 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  179 

le  nom  de  Malgiaci  (Mau-gis);  mais  on  l'appela  Malagigi  *.La 
(hi me  élève  Tenfant  et  l'instruit  ;  mais  le  malicieux  Maugis 
apprend  plus  qu'elle  ne  voulait  et  parvient  à  lui  dérober  la 
connaissance  de  la  magie, art  qu'elle  possédait  à  fond.  Il  s'em- 
presse d'user  du  pouvoir  qu'il  vient  d'acquérir,  et  contraint 
un  démon  à  l'éclairer  sur  tout  ce  qui  peut  l'intéresser.  Il  sait 
ainsi  de  qui  il  est  né,  qu'il  est  le  cousin  des  fils  Aymon  et 
dans  quelle  intention  Clarice  a  voulu  avoir  une  foire  à  Monte- 
Armino.  Il  décide  qu'il  procurera  à  Renaud  «  le  meilleur  clie- 
«  val  qui  soit  au  monde.  Il  fit  un  enchantement  et  trouva  que 
»  la  mère  d'Achille,  quand  elle  apprit  la  mort  de  son  fils,en- 
»  chanta  son  cheval  dans  une  montagne,  au  milieu  de  la  mer 
wOcéane,  et  qu'elle  v  enchanta  aussi  les  armes  et  l'épée  qui 
«avaient  appartenu  à  Achille.»  Après  avoir  obtenu  laper- 
mission  de  la  dame  de  Belfiore,  Maugis  va  chercher Bayard 
etFroberge  (Frusberta-)  ;  puis,  avec  d'autres  armes  et  d'au- 
tres chevaux,  il  se  rend  à  Monte-Armino  déguisé  en  vieillard. 
Baj'ard  plaît  à  Renaud  qui  veut  l'acheter,  et,  après  de  longs 
discours,  tous  deux  vont  avec  Clarice  au  château,  où  Maugis 
redevient  tout  à  coup  un  jeune  homme,  à  la  grande  frayeur  de 
la  dame.  Il  se  fait  alors  connaître,  fait  présent  à  son  cousin  du 
cheval  et  de  l'épée,  puis  s'en  retourne  en  Espagne,  à  Bel- 
fiore . 

Les  fils  d'Aymes,  ayant  reçu  de  Maugis  des  armes  et  des 
chevaux,  partent  pour  Paris,  où  leur  mère  désire  qu'ils  soient 
adoubés  chevaliers  par  l'empereur.  Lorsque  Ghinamo  le  sait, 
il  leur  tend  un  piège,  espérant  les  mettre  à  mort.  Mais  le  bon 

1  «  E  perché  ella  (la  dame  de  Belfiore)  l'aveva  trovato  nella  fossa  che  gia- 
»  cea  niale,  gli  pose  nome  Malgiaci  ;  ma  egli  fue  chiamato  Malagigi.»  Malagigi 
me  semble  venir  de  la  forme  Madalijis,  que  nous  trouvons  dans  Y  Entrée  de 
Spag7ie: 

Madalgis  le  lairon  et  sou  cosin  Guioard. 

[Bihl.  de  l'Ec.  de.^  Chartes,  1858,  p.  255.) 

La  forme  allemande  esl  Malerjis. 

2  Frusberta,  comme  Malagigi,  est  une  forme  résultant  d'altérations  suc- 
cessives (Frosherga.  Frosberda,  Frusberta).  Ces  noms  s'étaient  ainsi  modifiés 
par  suite  de  la  transmission  orale,  et  cela  seul  donnerait  à  croire  que  l'histoire 
de  Renaud  était  répandue  en  Italie  longtemps  avant  la  rédaction  des  versions 
du  Rinaldo,  dont  il  est  traité  ci-dessus. 


180  RECHERCHES 

droit  triomphe.  Ghinamo  est  tué  jiar Renaud,  ses  hommes  sont 
mis  en  fuite,  et  les  quatre  frères  reprennent  leur  route  vers 
Paris,  où  ils  sont  accueillis  avec  grand  honneur  et  faits  cheva- 
liers. Surviennent  alors  les  fils  de  Ghinamo  apportant  le  corps 
de  leur  père.  Les  barons  se  divisent,  et,  sur  le  conseil  de  Na}'- 
mes,  on  décide  que  le  cadavre  du  traître  sera  pendu  et  que 
Renaud  et  ses  frères  seront  bannis  de  la  chrétienté  jusqu'à  ce 
qu'ils  aient  fait  un  pèlerinage  au  Saint-Sépulcre*. 

Les  bannis  partent,  et  Ganelon  et  Pinabel  vont  les  attendre 
dans  la  forêt  de  Quintafoglia.  Renaud  et  ses  frères  sont  sauvés 
par  l'arrivée  très-opportune  de  Roland  sur  le  champ  de  ba- 
taille. Les  Mayençais  fuient;  Renaud,  au  lieu  d'aller  en  Pa- 
lestine, revient  à  Monte-Armino,  etRoland,  une  fois  de  retour 
à  Paris,  raconte  ce  qui  s'est  passé  ;  mais,  pour  éviter  le  scan- 
dale, il  ne  révèle  qu'à  l'empereur  les  noms  des  traîtres. 

Charlemagne  ayant  un  jour  fait  allusion  à  la  trahison  de 
Ganelon,  celui-ci  lui  rappelle  que  depuis  huit  ans  Beuvesd'Ai- 
gremont  (Buovo  d'Agrismonte)  ne  s'acquitte  pas  de  son  devoir 
envers  la  couronne.  Les  barons  s'offrent  pour  marcher  contre 
le  vassal  rebelle;  mais  Charles  veut  essayer  d'abord  un  autre 
moyen.  Un  messager,  Morando  di  Normandia(Enguerrand 
d'Espolice  dans  le  Renaud  de  Monfauban  imprimé),  va  à  Aigre- 
mont.  Malgré  son  langage  outrecuidant,  Beuves  le  laisserait 
repartir  sans  lui  faire  aucun  mal,  s'il  ne  tuait  un  géant  gardien 
du  pont  du  château^.  Il  est  mis  à  mort,  et  un  espion  de  Gane- 
lon en  apporte  la  nouvelle  à  Paris.  Elle  est  accueillie  avec  in- 
crédulité, et  Ganelon  conseille  l'envoi  d'un  second  messager. 
A  son  instigation,  Lohier  (Alorino)  s'offre  pour  cet  office  et 

1  Naymes  ne  fait,  que  proposer,  dès  le  commencement  du  récit,  d'appliquer  à 
Renaud  la  peine  qui  lui  est  impcsée  à  la  fin  de  sa  guerre  avec  Charlemagne, 
comme  l'une  des  coodilions  esseatielles  de  la  paix. 

"-  «  Questa  citlàera  posta  in  su  'n  uno  monte  molto  dilettoso,  e  appiè  del 
»  monte  correva  uno  grande  fiume  che  si  cliiamava  Arginore,  e  avea  un 
»  grande  ponte  con  due  torre;  e  Buovo  vi  teneva  a  guardia  uno  grande  gio- 
»  gante.  Questa  cittâ  d'Agrcsmonle  e  queslo  ponte  fecie  fare  Giulio  Cesare, 
»  quand'  egli  acquistô  la  Spagnia.  »  [Hinaldo,  p.  22-23.)  —  Quand  Gui  de 
Bourgogne  et  ses  compagnons,  se  rendant  à  Montorgueil,  ont  passé  les  ri- 
vières aimantées,  ils  trouvent  à  l'entrée  du  palais  de  Iluidelon  un  géant  af- 
freux qui  garde  la  porte  principale.  Gui,  pour  entrer,  est  obligé  de  le  tuer  {Gici 
de  Bourrjoijne,  v.  1773  18?0). 


SUR  LES  CHANSONS  DE   GESTE  Î81 

part  avec  mille  hommes  armés.  Arrivé  devant  Beuves,  il  lui 
parle  avec  violence  et  le  menace  de  son  épée,  alors  que  Beu- 
ves s'était  résigné  à  supporter  les  injures  et  à  rendre  hom- 
mage à  son  seigneur.  Une  lutte  s'engage,  et  Beuves,  après 
avoir  tué  malgré  lui  le  fils  de  Charles,  fait  embaumer  le  corps, 
qui  est  rapporté  à  l'empereur.  Charles  et  sa  cour  sont  dans 
le  deuil  et  se  préparent  à  venger  Lohier. 

Cependant,  en  Espagne,  le  cruel  roi  Abilante  confie  à  Vivien 
une  armée  de  soixante  mille  hommes  pour  qu'il  aille  attaquer 
Aigremont.  Vivien  assiège  le  château  et  fait  prisonnier  dans 
un  combat  le  duc  Beuves.  Charles  et  les  Mayençais  appren- 
nent avec  joie  la  captivité  de  Beuves,  et  l'empereur,  malgré 
Naymes,  défend  sous  peine  de  mort  de  secourir  Aigremont. 
Néanmoins,  Roland,  Astolphe,  Ogier  et  Olivier,  partent  secrè- 
tement. De  son  côté,  Maugis, ayant  eu  connaissance  de  ce  qui 
se  passe,  quitte  l'Espagne  et  va  à  Aigremont.  Il  a  revêtu  des 
armes  enchantées  et  se  donne  pour  un  chevalier  en  quête 
d'aventures.  Sa  mère  l'accepte  pour  champion,  et  il  a  r.u  duel 
avec  Vivien.  Après  bien  des  coups  donnés  et  reçus,  il  !  j  fait 
connaître  à  son  frère,  lui  apprend  de  qui  ils  sont  fils,  et  le 
combat  et  la  guerre  sont  ainsi  terminés.  La  reconnaissance 
des  parents  et  des  enfants  a  lieu  avec  des  transports  de  joie, 
auxquels  viennent  prendre  part  Roland  et  ses  compagnons. 
Une  partie  de  l'armée  de  Vivien  reçoit  "le  baptême,  les  autres 
s'en  retournent  en  Espagne,  et  Roland  avec  ses  amis  revient 
à  Paris,  oîi  son  oncle  le  reçoit  fort  mal.  Mais  le  cœur  de  Charles 
s'adoucit  bientôt;  de  sorte  qu'il  veut  voir  Maugis  et  Vivien, 
les  accueille  gracieusement  et  se  décide  à  pardonner  à  leur 
père. 

L'empereur  envoie  donc  des  messagers  à  Beuves,  et  celui-ci 
se  met  en  route  pour  Paris;  mais  les  fils  de  Ghinamo,  poussés 
parGanelon,  le  surprennent  et  le  tuent  pendant  son  voyage, 
puis  réussissent  à  pénétrer  dans  Aigremont,  qu'ils  mettent  à 
feu  et  à  sang,  et  où  ils  laissent  une  garnison.  Tls  rapportent, 
à  Paris  le  corps  de  Beuves,  et  Charlemagne  paraît  plus  satis- 
fait que  mécontent  de  ce  qui  est  arrivé.  Vivien  et  Maugis  le 
soupçonnent  de  complicité,  partent  avec  Girard  pour  Rous- 
sillon  et  demandent  aide  et  secours  à  leurs  parents  et  à  leurs 
amis.  Toute  la  geste  se  rassemble,  et  les  fils  de  Ghinamo,  que 


182  RK  CHERCHES 

Maugis  fait  tomberdans  une  embuscade,  y  périssent  avec  deux 
mille  des  leurs;  Bayonne  est  pris  et  mis  à  sac,  Aigrement  re- 
couvré. A  cette  nouvelle,  Charlemagne  se  laisse  induire  par 
Ganelon  à  attaquerRoussillon.  Les  rebelles  ont  le  dessus  dans 
la  première  rencontre;  mais  il  est  trop  malaisé  de  résister  au 
chef  de  la  chrétienté,  et  Maugis  songe  à  recourir  à  son  art. 
Il  laisse  à  ses  parents  la  garde  de  la  ville,  et  se  fait  porter 
))Hr  son  démon  Malaterra  sur  FApennin,  où  les  démons  le 
fournissent  de  brefs  bien  et  dûment  scellés  par  le  pape.  Il  se 
fait  passer  pour  un  cardinal  envoyé  en  France  comme  légat,  en 
prend  le  costume  et  se  fait  suivre  du  cortège  requis.  En  com- 
pagnie d'un  grand  nombre  de  prêtres,  d'abbés,  d'évêques  et 
de  chevaliers,  il  passe  en  Savoie  et  de  là  en  Bourgogne,  puis 
va  à  Paris,  où  il  fait  savoir  à  la  reine  que  Charles  sera  excom- 
munié s'il  ne  se  conforme  immédiatement  à  un  bref  qu'il 
apporte  et  par  lequel  il  est  interdit  de  faire  la  guerre  à  des 
chrétiens.  Puis  il  va  présenter  ce  bref  à  l'empereur,  et  les  Cler- 
montois  obtiennent  ainsi  la  paix  et  leur  pardon.  Charles  re- 
vient à  Paris  et  les  fils  Aymon  se  préparent  à  faire  le  voyage 
au  Saint-Sépulcre,  qui  leur  a  été  imposé  à  la  suite  de  la  mort 
de  Ghinamo. 

Renaud  et  ses  frères  vont  s'embarquer  à  Valence;  mais  ils 
sont  poussés  par  une  tempête  jusqu'à  l'île  Perdue,  où  régnait 
le  géant  Brunalmonte,  fils  du  roi  Uli vante  et  frère  de  Mara- 
bi'ino.  Renaud  tue  Brunalmonte  et  donne  le  gouvernement  du 
pays  à  Morando,  capitaine  du  navire  ([ui  les  a  portés.  Il  reprend 
la  mer  et  va  au  château  de  Gostantino,  frère  de  Brunalmonte, 
(|ui.  après  avoir  tué  et  dépouillé  le  seigneur  du  pays,  retient 
sa  fille  prisonnière.  Après  une  nouvelle  victoire  de  Renaud, 
le  château  est  pris  et  rendu  à  un  frère  du  seigneur  légitime. 
Celui-ci  donne  à  Renaud  un  nain  de  belle  figure,  qui  savait 
toutes  les  langues  d'Asie  et  d'Afrique.  Renaud,  qui  se  cache 
dès  lors  sous  le  nom  de  Brandorde  l'île  Perdue,  lui  ordonne  de 
le  conduire  avec  ses  frères  dans  un  paj's  où  il  y  ait  quelque 
guerre,  a  Le  nain  traversa  la  Syrie.  A  l'entiée  Je  la  Perse,  ily 
»  a  une  cité  appelée  Nilibi,  sur  un  fleuve  qui  avait  nom  Fosca. 
»  Le  i>ays  était  couvert  de  gens,  et  le  Soudan  de  Perse  faisait 
»  le  siège  delà  ville  pour  l'enlever  à  l'Amostant  de  Perse, 
»  Renaud  se  présenta  devant  le  Soudan  et  lui  demanda  une 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  183 

))  solde  égale  à  celle  de  cent  chevaliers,  et  le  Soudan  dit  que 
»  Roland  et  Olivier  ne  méritaient  pas  une  solde  pareille,  et  lui 
»  permit  d'entrerdans  Nilibi.  »  Une  fois  dans  laville,  Renaud, 
grâce  à  l'influence  de  Fiorita,  fille  de  l'Araostant,  est  fait  ca- 
pitaine général  ',  Il  justifie  cette  confiance,  car  bientôt  le  sou- 
dan  est  prisonnier  et  son  armée  est  détruite.  Mais  le  secret 
de  son  vrai  nom  est  révélé  par  deux  espions  de  Ganelon  au 
Soudan  et  par  celui-ci  à  TAmustant.  Ce  dernier  n'hésite  point 
à  jeter  en  prison  les  quatre  fi-ères  et  se  réconcilie  avec  ses 
ennemis.  Fiorita,  éprise  de  Renaud,  off're  aux  captifs  de  les 
faire  échapper,  si  Renaud  consent  à  la  prendre  pour  femme 
et  à  lui  donner  son  amour.  Il  s'y  résigne,  et,  après  avoir  passé 
la  nuit  avec  elle,  il  est  secrètement  rendu  à  la  liberté,  et  part 
en  promettant  de  revenir  quand  il  aura  achevé  son  pèleri- 
nage. 

Les  frères  arrivent  à  la  cité  de  Sorini,  où  le  roi  Salione  est 
assiégé  à  tort  par  Chiariello,  frère  lui  aussi  de  Brunalmonte. 
Renaud  se  charge  de  le  combattre;  mais  celui-ci,  après  une 
longue  défense,  voyant  qu'il  a  le  dessous,  fait  déchaîner  con- 
tre son  adversaire  un  farouche  lion.  Sa  perfidie  ne  lui  sert  à 
rien  ;  Renaud  les  tue  tous  deux,  et  son  armée,  qui  avait  pi-is 
les  armes,  est  taillée  en  pièces.  Cependant  des  espions  de  Ga- 
nelon étaient  venus  renseigner  Salione;  mais  celui-ci  lésa 
fait  pendre.  Puis  il  accepte  le  baptême,  et  sa  fille  Guiletta 
donne  au  chevalier,  en  souvenir  du  combat,  une  riche  soubre- 
veste  oîi  est  brodé  un  lion.  Telles  seront  désormais  les  armes 
de  Renaud.  Elle  obtient  en  échange  la  promesse  d'un  don  à 
son  choix.  Les  barons  partent,  et  la  jeune  fille,  les  ayant  re- 
joints sous  un  costume  d'écuyer,  rn[  [lelle  la  promesse  qui  lui  a 
été  faite  et  obtient  de  les  accompagner  avec  ce  déguisement. 
Ils  arrivent  à  la  cité  de  Valdiiiferna,  et  le  roi  Roncano,  grand 
ami  de  Chiariello,  les  fait  prisoniiiei's  par  trahison.  Le  nain 
réussit  à  s'enfuir  et  va  informer  Salione.  Cependant  «Maugis, 
»  qui  était  camérier  du  roi  Charles,  avait  enchanté  un  diable 
»  dans  un  anneau  et   l'appelait  Suipini   le  nouveliier  (novel- 

•  Ce  passa.ce  est  imité  de  celui  de  la  Spagna  où  Roland  demande  à  Maclii- 
dante  une  solde  de  trente  livres,  et,  sur  le  refus  du  sultao,  entre  dans  la  ville 
assiégée  et  offre  ses  services  à  Sansonnet  et  à  son  père. 


184  RECriERCHES 

))liere);  tous  les  jours  il  lui  demandait  ce  que  faisait  Renaud. 
n  Quand  il  sut  qu'il  était  captif  à  Yal(iinferna  »,  il  eut  peur  et 
informa  Roland,  Olivier  et  Ogier,  Ceux-ci,  qu'Astolphe  accom- 
pagne malgré  eux,  partent  d'Aigues-Mortes,  et,  poussés  par 
une  tempête  au  pays  deSalione,  sont  reconnus  par  le  nain  à 
leurs  armes.  Le  roi  les  reçoit  avec  honneur,  et  ils  se  rendent 
sans  se  faire  connaître  à  Valdinferna,  qui  est  assiégé  par  le 
Soudan,  très-irrité  contre  Roncano,qui  a  négligé  de  se  rendre 
à  sa  cour  avec  la  belle  Indiana  sa  femme.  Le  roi  fait  sortir  de 
prison  Renaud,  qui,  sans  laisser  paraître  sa  joie  de  revoir  les 
paladins,  tue  le  champion  du  Soudan.  Roncano  et  le  Soudan 
se  réconcilient. 

Surviennent  pour  la  troisième  fois  des  espions  de  Ganelon, 
qui  apprennent  au  Soudan  les  vrais  noms  de  Rolaiid  et  de  ses 
compagnons  ;  mais  ceux-ci  s'en  aperçoivent  à  tem  js,  se  retirent 
et  s'enferment  dans  la  place,  protégés  qu'ils  sont  par  Indiana 
pour  l'amour  de  Salomon,  qui  lui  avait  fait  grand  honneur, 
quand  elle  avait  été  jetée  par  une  tempête  sur  les  côtes  de  la 
Bretagne.  Maugis  informe  Salomon  de  l'amourd'Indianaet  de 
la  captivité  des  barons,  et  obtientqu'il  parte  secrètement  avec 
Girard  de  Roussillon  et  d'autres  chevaliers.  Après  une  longue 
chevauchée,  ils  arrivent  à  Sorini,  ville  de  Salione.  Cei)endant 
les  vivres  manquent  dans  Valdinferna  et  les  barons  en  sortent 
]i;ir  un  souterrain  ;  mais  ils  sont?  découverts  et  rejoints.  Ils 
combattent  avec  valeur,  et,  secourus  à  temps  par  Salomon  et 
ses  compagnons,  remportent  la  victoire,  ils  rentrent  dans  la 
ville,  la  saccagent  et  s'en  vont.  Indiana  est  donnée  à  Salomon, 
qui  l'emmène  avec  lui  et  la  fait  baptiser  sous  le  nom  de  Sibilla. 
Renaud  et  ses  frères  se  rendent  au  Saint  Sépulcre,  et,  quand 
les  trois  années  de  leur  exil  sont  écoulées,  reviennent  en 
Fi'ance. 

Le  second  livre  commence  par  la  querelle  de  Renaud  et  de 
Bertolais  et  la  mort  de  celui-ci;  il  suit  assez  fidèlement  l'his- 
toire des  Fils  Aymon  jusqu'à  la  construction  de  Montauban,  qui 
est  attribuée  à  l'art  magique  de  Maugis  '.  Le  roi  sarrasin  Beges 

•  Reaaiiil  épouse   Béatrice,  fille  du  roi  Ivoiie.  La   sœur  du  roi  Yen   ('luit 
Clarice;  mais,  ce  nom  ayant  été  attribué  à  la  mère  des  fils  Aymon,  l'auteu 
emprunte  celui  de  la  mère  de  Baudouinet.  V.  plu?  haut,  p.  175,  n  ,2. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  '         185 

de  Toulouse  est  devenu  Mambrino  d'Ulivaute,  qui  envahit  la 
France  pour  venger  la  mort  de  son  frère  Brunalmonte,  quia 
été  tué  par  Renaud,  comme  on  Ta  vu.  Les  livres  suivants, 
d'après  M,  Rajna,  sont  d'invention  purement  italienne^. 

Les  vingt-six  premiers  chants  du  roman  italien  en  vers  dif- 
fèrent peu  pour  le  fond  des  deux  livres  en  prose  dont  il  a  été 
parlé  jusqu'ici  ;  mais  à  partir  de  la  construction  de  Montauban, 
les  deux  récits  se  séparent  et  le  poëme  suit  à  peu  près  exac- 
tement jusqu'à  la  fin  notre  Renaud  de  Montauhan.  Le  rôle  de 
Ganelon  a  cependant  plus  d'importance,  et  Roland,  au  lieu  de 
faire  ses  premières  armes  contre  les  Saxons,  délivre  la  Pro- 
vence envahie  par  les  Sarrasins;  le  géant  Scrofaldo  (Escor- 
faut)  est  fait  prisonnier  et  reçoit  le  baptême.  Dans  Renaud  de 
Montauban,  Escorfaus  est  le  nom  du  duc  des  Saxons  ;  mais  dans 
Maugis,  c'est  celui  d'un  géant  au  service  de  l'amiral  de  Perse, 
Pendant  le  siège  de  Montauban,  le  roi  Gattamogliera  arrive 
d'Orient  pour  venger  la  mort  de  Mambrino  et  de  ses  frères  ;  il 
oflfre  son  alliance  à  Charlemagne,  qui  l'accepte  et  promet  au 
païen  de  renier  le  Christ  s'il  le  délivre  de  son  ennemi.  Lesba- 
rons  français  indignés  s'en  vont  à  Montauban.  Gattamogliera, 
quand  le  jour  est  levé,  défie  Renaud,  et  ceiui-ci  va  à  sa  ren- 
contre armé  de  Durendal.  Après  un  long  combat.il  tranche  la 
tête  à  son  adversaire,  la  présente  à  Charles  et  essaye  vaine- 
ment d'obtenir  sa  grâce. 

Le  poëme  paraît  à  M.  Rajna  de  date  plus  récente  que  le  ro- 
man en  prose,  et  il  e^iplique  la  différence  si  complète  de  la  se- 
conde partie  des  deux  récits  par  l'existence  supposée  d'un 
poëme  franco-italien  que  le  prosateur  aurait  imité  jusqu'à  la 
fin  du  second  livre,  et  que  l'auteur  de  la  version  rimée  aurait 
suivi  d'un  bout  à  l'autre  -.  Cette  hypothèse  ne  me  paraît  pas 
nécessaire,  car  on  peut  très-bien  admettre  que  l'auteur  du 
poëme  ait  suivi  le  roman  en  prose  jusqu'à  l'endroit  où  il  au- 
rait préféré  revenir  aux  versions  françaises,  dont  le  caractère 


'  Rinaldo,  p.  33.  Cependant  plus  loin  (p.  42),  M.  Rajna  dit  que  le  troi- 
sième livre  raconte  Ihistoire  d'Ogier  le  Danois.  Cela  est  fort  important,  parce 
que  l'on  retrouve  dansla'version  française  d'O^/e?- plusieurs  données  qui  ont 
été  utilisées  par  l'auteur  italien  dans  son  Rinaldo.  V.  plus  haut,  p.  170,  n.  1. 

2  Rinaldo,  p.  41-42 


186  RECHERCHRS 

vraiment  épique  lui  semblait  peut-être  plus  digne  d'imitation. 
Quant  à  la  première  partie,  alors  même  qu'il  aurait  eu  entre 
les  mains  les  poëmes  français  dont  elle  s'inspire,  il  aurait  hé- 
sité à  abandonner  l'arrangement  (jue  son  prédécesseur  avait 
fait,  suivant  le  goût  italien,  du  Maugis,d\i  Vioien  et  de  la  Mort 
de  fieuves.  Il  est  certain  qu'avant  les  deux  romans  dont  il  est 
question,  l'histoire  des  Fils  Ajmon  était  connue  en  Italie  par 
les  versions  françaises  elles-mêmes,  et  peut-être  par  de  pre- 
miers essais  qui  ont  pu  être  composés,  soit  dans  ce  parler 
étrange  que  l'on  appelle  le  franco-italien,  soit  en  toscan.  Nous 
en  avons  une  preuve  dans  la  forme  Malarjigi  que  le  nom  de 
Maugis  avait  prise  de  bonne  heure,  et  que  les  auteurs  res- 
pectent, nous  l'avons  vu,  tout  en  indiquant  quelle  en  devrait 
être  la  véritable  traduction  italienne.  Mais,  si  l'on  considère 
que  la  plupart  des  romans  italiens  anciens  se  bornent  à  repro- 
duire à  peu  près  exactement  les  textes  français,  ou  s'en  écar- 
tent complètement  au  gré  de  l'imagination,  sans  qu'il  y  soit 
emprunté  aux  chants  primitifs  autre  chose  que  des  noms  de 
lieux  ou  de  personnes',  on  reconnaîtra  que  rien  n'oblige  à 
croire  qu'un  modèle  particulier  ait  guidé  l'auteur  de  la  pre- 
mière partie  dnRinaldo  da  Montalbano. 

C'est  ce  remaniement  qu'il  convientd'examiiierde  plus  près. 
L'auteur  italien  fond  en  un  seul  récit  les  trois  poëmes  français. 
11  change  les  noms,  modifie  l'ordre  chronologique,  introduit 
des  incidents  nouveaux,  tantôt  d'un  caractère  très-peu  héi'oï- 
que,  tantôt,  rappelant  les  aventures  des  chevaliers  de  la  Ta- 
ble-Ronde, et  semble  prendre  à  tâche  de  montrer  qu'il  est 
bien  l'auteur  de  ce  qu'il  conte.  Après  une  introduction  d'un 
goût  douteux,  mais  qui  n'est  pas  sans  conséquence  pour  ce  qui 
va  suivre,  il  refait  le  Maugis  dWigremont.  Au  lieu  de  la  fée 
Oriande,  nous  trouvons  une  sœur  du  roi  sarrasin  Aquilant, 
devenu  lui-même  Abilaute.  Belfioie,  (]ui  reniiiIaceRocheflour, 
n'est  plus  en  Sicile,  mais  en  Espagne;  et,  si  Bayard  est  enchanté 
dans  une  île,  ce  n'est  plus  dans  le  voisinage  du  mont  Etna 
qu'il  faut  la  chercher,  mais  en  plein  Océan.  D'ailleurs,  par  défé- 
rence [)our  ranti(juité  classique,  Bajard  est  l'ancien  coursier 
d'Achille,  et  Frobergo  est  également  l'épée  du  fils  de  Thétis. 

1  lUnaldo,  p.  28. 


SUR  LES  CHA^"SO^S  DE  GESTE  187 

Le  traître  Ghinamo  tend  aux  FilsAjmonun  piège  sembla- 
ble à  celui  dans  lequel  devait  succomber  Beuves  d'Aigrement. 
L'antagonisme  de  la  gent  de  Maveuce  et  de  la  geste  de  Cler- 
montse  continue  d'un  bout  à  l'autre  de  la  narration  et  tend  à 
en  devenir  l'intérêt  principal.  Cette  conception  dérive  évidem- 
ment des  poëmes  franco-italiens  ;  mais  l'opposition  de  la  famille 
d'Aymes  et  de  la  geste  de  Ganelon,  composée  de  traîtres,  est 
déjà  marquée  dans  le  Renaud  de  Montouban: 

En  France  ot  .1.  linage  cui  Dame  Dex  mal  dont: 
Ce  fu  Grif  d'Autefeuille  et  son  fils  Ganelon, 
Béranger  et  Hardré  et  Hervi  de  Lion, 
Antiaumes  li  félon,  Fouques  de  Morillon'. 

Nous  avons  noté  que  la  guerre  que  se  font  Charlemagne  et 
Hernaut  de  Monder  dans  le  Maugis  a  été  provoquée  par  la 
malignité  de  Landri  et  d'Amauri, 

Dans  Aye  d'Avignon  et  dans  Gui  de  Nanteuil,  la  geste  de  Ga- 
nelon ne  fait  que  machiner  des  trahisons  contre  les  barons  du 
lignage  de  Renaud. 

Lavengeance  que  Ganelon  et  les  fils  de  Ghinamo  poursui- 
vent contre  Renaud  est  conforme  à  ce  qui  se  passe  dans  les 
romans  français.  A  la  fin  de  Renaud  de  Monfauban,  les  fils  de 
Gr'ifesde  Hautefeuille  et  de  Fouques  de  Morillon,  qui  avait  été 
tué  à  Vaucouleurs,  veulent  venger  sa  mort  sur  les  fils  de  Re- 
naud, Yon  et  Ajmonet.  Dans  Gui  de  Nanteuil,  Uervieu  de  Lion, 
Amalgré,  Sanses  etAmauguin,  donnent,  des  raisons  pareilles-, 
et  ne  cessent  de  tendre  des  embûches  à  leur  adversaire. 

C'est  ici  que  nous  rencontrons  un  déplacement  de  faits  qui 
est  très-important.  La  Mort  de  Beuves  en  entier  vient  s'inter- 
caler dans  le  récit.  Nous  avons  vu  que  l'auteur  du  Vivien  a 
voulu  rendre  moins  odieux  le  meurtre  du  fils  de  l'empereur  en 
imaginant  des  torts  que  Charlemagne  et  Lohier  auraient  eus 
envers  Beuves,  et  probablement  en  supprimant  de  son  récit 
la  mort  d'Enguerrantd'Espolice,  pour  laquelle  il  n'y  avait  pas 
d'excuse  possible.  L'auteur  italien, guidé  par  la  même  pensée, 
mais  voulant  faire  autrement,  suppose  que  le  premier  messa- 

»  P.  39. 

^  Gui  de  Nanteuil,  v.  250-266,  1542-1543. 


188  RECHERCHES 

ger  est  tué  parce  qu'il  a  lui-même  mis  à  mort  le  géant  gar- 
dien de  l'entrée  du  château,  et  que.Beuves,  dont  il  fait  unmo- 
dèle  de  longanimité,  ne  tue  Lohier  qu'à  sou  corps  défendant. 
Ce  passage  permet  d'entrevoir  que  l'auteur  italien  connaissait 
le  Vwi'en,  la  version  des  Fi/s  Aymon  qui  le  suit  dans  le  manu- 
scrit de  Montpellier,  version  qui  en  ce  point  ne  diffère  pas  de 
celle  de  Venise  ',  et  une  version  conforme  au  Renaud  de  Mon- 
t uub an  im-çvhïïé.  Renonçant  à  imiter  le  Vivien  d'aussi  près  que 
le  Maugis,  il  ne  pouvait  reproduire  l'endroit  où  Charlemagne 
et  Lohier  accueillent  si  mal  Beuves  et  Maugis  quand  ceux-ci 
demandent  à  l'empereur  de  marcher  au  secours  de  Vivien.  Il 
revint  alors  à  la  version  la  plus  ancienne,  mais  ne  crut  pou- 
voir la  conserver  qu'en  la  corrigeant,  ce  qu'il  fit  à  l'aide  d'un 
géant  emprunté  au  cjcle  d'Artus'  et  d'un  adoucissement  assez 
malencontreux  du  caractère  du  plus  farouche  des  vassaux. 

Vivien  assiégeant  Aigremont  nous  ramène  au  Maugis;  mais 
ici  apparaît  une  idée  nouvelle.  Toutes  les  fois  qu'un  membre 
de  la  geste  de  Clerraont  est  en  péril,  ceux  qui  sont  à  la  cour 
de  Charlemagne  partent  en  secret  pour  le  secourir.  C'est  pur 
emprunt  aux   usages  des  chevaliers  du  cycle  d'Artus,  qui  ne 

'  Rinaldo,  p.  23  24.  Je  dis  en  ce  point,  parce  que  nous  rencontrons  plus 
loin  des  dilî(;rences  très-importantes.  J'ai  noté  déjà  que,  d'après  cette  version 
et  celle  que  contient  le  ms.  7183  de  la  Bibliothèque  nationale,  Alaugis  délivre 
ses  cousins,  que  Charlemagne  avait  fait  emprisonner  après  la  mort  de  Berlo- 
lais.  L'auteur  italien  n"a  pas  accepté  cette  invention. 

^  Ou  à  Gui  de  Bourgogne,  comme  je  l'ai  dit  plus  haut.  Dans  ce  cas,  les 
rivières  aimantées  me  paraissent  inaiquer  plutôt  une  origine  arabe.  Un  pèlerin 
décrit  Montorgueil  de  la  façon  suivante  : 

«  La  cité  est  si  noble  corn  ja  oïr  porrez  : 

»  .111.  eves  i  acourent  devant  par  les  chanez, 

»  L'une  a  non  Rupane,  l'autre  Marne  des  guez, 

»  Si  i  cort  anviron  qui  cort  à  Balesguez; 

1)  Escarflaires  i  cort,  dont  li  fioz  est  levez, 

»  Et,  d'autre  part  la  vile,  si  cort  li  flos  de  mer 

»  Dedens  les  clos  des  vignes,  les  vignes  et  les  blez. 

»  Les  eves  sont  si  fieres  con  ja  oïr  porrez: 

»  De  pierres  d'ayma'it  i  est  grans  laplentés; 

»  Onques  Diex  ne  fist  homes,  s'il  i  estoit  antrez, 

»  Por  coi  éust  hauberc  ne  ceint  le  branc  letré, 

»  Quejaraèsaa  issist  an  trestot  son  aé.  » 

(V.  1502-1514.) 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  189 

cessent  de  se  mettre  en  quête  les  uns  des  autres.  De  là  une 
série  infinie  d'aventures  auxquelles  tous  se  trouvent  associés. 
Dans  le  Maugis  et  le  Renaud  de  Montavhan,  les  barons,  quand 
ils  sont  mécontents  de  Fentêtement  de  Fempereur,  n'hésitent 
point  à  s'accorder  avec  les  fils  Aymon  ;  mais  ils  ne  courent 
point  à  leur  recherche.  L'imitation  du  cycle  d'Artus  est  donc 
poussée  plus  loin  que  dans  nos  romans;  mais  ceux-ci,  en  d'au- 
ires  points,  en  donnaient  l'exemple.  L'auteur  italien,  qui  n'a 
pas  voulu  de  fée  dans  sa  narration,  y  accepte  les  chevaliers 
errants. 

Le  combat  de  Maugis  et  de  son  frère  etleur  reconnaissance 
n'ont  rien  de  particulier;  mais  on  ne  peut  s'empêcher  de  re- 
gretter Esclarmonde,  si  belle  et  si  tendre.  Elle  disparaît  comme 
Oriande  et  Ysane.  De  même  les  aventures  galantes  de  Maugis 
ont  été  laissées  de  côté,  soit  qu'elles  parussent  indignes  de  la 
gravité  de  l'épopée,  soit  parce  qu'il  était  trop  facile  d"y  re- 
connaître l'imitation  du  Mainet. 

Du  Vivien,  il  reste  peu  de  chose  ',  et  les  guerres  entre  Char- 
lemagne  et  ses  vassaux,  racontées  dans  le  Maugis  et  leBeuves 
d'Aigremont,  nen  font  qu'une  seule,  qui  est  placée  après  la 
mort  du  duc.  Pour  plus  de  clarté,  Je  reprendrai  les  versions 
successives  de  la  iMort  de  Beuves.  Dans  le  Renauil  de  Montau- 
/vanjBeuves  tue  successivement  les  deux  messagers  de  Char- 
lemagne,  Enguerrand  d'ïïspolice  et  Lohier.  La  guerre  éclate 
et  Beuves  est  soutenu  par  ses  frères.  Une  fois  la  paix  conclue, 
Beuves  va  à  Paris  pour  rendre  à  l'empereur  l'hommage  (ju'il 
lui  a  promis.  Grifes  de  Hautefeuille,  Ganelon  etleur  lignage, 
ofi'rent  à  Charlemagne  de  tuer  le  duc.  Leur  proposition  est 
acceptée,  et  Beuves  est  assassiné  dans  la  plaine  de  Floridon. 
Les  frères  de  Beuves  reprennent  les  armes  ;  mais  cette  seconde 
guerre  est  contée  en  quelques  vers  seulement,  et  se  termine 
par  la  paix  de  Charlemagne  et  de  ses  vassaux. 

Dans  la  version  de  Montpellier,  il  n'y  a  qu'un  messager, 
Lohier,  Aymes  ne  prend  point  part  à  la  guerre.  Elle  est  suivie 
d'une  seconde  guerre,  racontée  encore  très-brièvement,  mais 

'  Ce  romaQ  a  sa  raison  d'être  dans  le  cycle  français  de  Renaud,  mais  il 
n'en  aurait  aucune  dans  le  remaniement  italien,  où  les  trahisons  des  Mayen- 
çais  deviennent  l'explication  à  peu  près  unique  de  tous  les  événements. 

12 


190  RECHERCHES 

à  laquelle  Ayraes  et  ses  fils,  qui,  on  s'en  souvient,  ont  déjà  été 
adoul)és  chevaliers  par  l'empereur,  restent  étrangers. 

Dans  la  version  de  Venise,  le  premier  messager  est  Lohier, 
qui  est  tué  ;  et  Beuves,  quand  l'empereur  lui  adresse  un  second 
messager,  Enguerrand  d'Espolice  (il  est  le  premier  dans  le 
Renaud  de  Montauban),  Taccueille  avec  déférence  et  part  pour 
Paris,  dans  l'espérance  d'obtenir  sa  grâce.  C'est  alors  qu'il  est 
assassiné.  La  guerre  éclate  entre  l'empereur  et  les  frères  de 
Beuves  ^  Cette  troisième  forme  est  évidemment  postérieure  au 
texte  de  Montpellier,  dont  elle  paraît  une  variante.  Le  désir 
d'atténuer  la  révolte  des  barons  aboutit  à  sa  dernière  consé- 
quence, il  la  fait  supprimer;  car  si,  dans  la  version  de  Mont- 
pellier, Ajmes  reste  étranger  à  la  guerre  soutenue  par  ses 
frères,  Girard  et  Doon  n'en  sont  pas  moins  en  faute,  tandis  que 
l'on  ne  peut  que  les  louer  de  venger  leur  frère  tué  par  trahi- 
son. Des  deux  guerres,  la  première  racontée  longuement,  la 
seconde  simplement  mentionnée,  il  n'en  reste  qu'une.  Le  rôle 
attribué  à  Enguerrand  d'Espolice  prouve  que  l'auteur  con- 
naissait aussi  un  texte  plus  ancien  ou  plus  complet  que  celui  de 
Montpellier. 

L'auteur  italien  emprunte  à  la  troisième  version  l'idée  de 
placer  la  guerre  après  la  mort  de  Beuves,  et  conserve  du  Re- 
naud de  Montaubanle  message  et  la  mort  d'Enguerraml,  ap- 
pelé Morando  dans  la  prose  et  Inorante  dans  le  poème.  Sa 
préoccupation  principale  a  été  de  commencer  par^fondre  en 
une  seule  narration  les  antécédents  de  l'histoire  des  Fils  Av- 
mon,  qui  dans  les  versions  françaises  restaient  encore  des  poè- 
mes distincts,  11  a  élagué,  modifié,  transposé,  et  l'on  ne  peut 
dire  que  sa  façon  de  conter  et  son  style  donnent  un  grand 
agrément  à  son  œuvre.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  la 
Mort  de  Beuves,  dont  le  Maiigis  et  le  Vivien  ne  sont  que  des 
branches,  a  fini  ainsi  par  prendre  dans  l'histoire  des  Fils  Aj- 
mon  une  importance  très-grande,  parce  que  l'on  j  trouvait 
l'origine  et  l'explication  de  tous  les  événements  suivants. 

11  ne  sera  peut-être  pas  inutile  de  compléter  ces  remarques 
en  insistant  sur  les  formes  qu'a  prises  le  récit  de  la  mort  de 
Beuves. 

'^Rmaldo,  p.  23-24. 


SUR  LES  CHANSONS  DE   GESTE  191 

Dans  le  roman  italien,  la  guerre  éclate  par  le  fait  des  fils 
de  Gliinamo,  qui,  poussés  par  Ganelon,  tuent  Beuves  et  pren- 
nent Aigrement.  Le  corps  est  rapporté  à  Paris,  où  se  trou- 
vaient précisément  Vivien  et  Maugis,  et  ce  sont  les  fils  de  la 
victime  qui  se  mettent  à  la  tête  de  la  révolte.  Pour  rendre  la 
comparaison  plus  facile,  je  dois  revenir  sur  les  versions  fran- 
çaises de  la  Mort  de  Beuves. 

Dans  le  Renaud  de  Montauban^  Charlemagne  est  réellement 
complice  de  l'attentat.  Grifes  de  Hautefeuille  et  son  lignage 
l'ont  consulté  avant  de  se  risquer  à  tuer  le  duc,  et,  après  une 
première  objection,  il  leur  a  répondu  : 

« mult  très  bien  Totrion. 

»  Aies  delivrement,  s'en  prendes  vengison, 

»  Se  m'en  poes  venger,  je  vos  donrai  grant  don.  » 

Et,  quand  on  lui  apporte  la  tête  de  Beuves,  il  ne  cache  pas 
sa  joie: 

Comme  Karles  l'oï,  sel  fist  mult  bielement. 
«Amis,  ce  distli  rois,  ci  a  mult  bel  présent.» 

Dans  le  texte  de  Montpellier,  que  je  reproduis  ci-dessous, 
au  lieu  d'une  proposition  faite  en  commun  par  les  traîtres, 
c'est  Ganelon  qui  parle.  Il  prend  décidément  le  premier  rang 
aux  dépens  de  son  père,  qui  cependant  donnera  le  coup  mor- 
tel à  Beuves,  comme  dans  la  version  plus  ancienne.  Charles, 
sans  faire  d'objection  au  meurtre  de  son  ennemi,  ne  veut  pas 
être  compromis  dans  l'aff'aire,  finit  par  dire  que  ce  serait  tra- 
hison. Le  corps  de  Beuves  est  respecté  et  rendu  à  ses  hommes, 
qui  le  rapportent  à  Aigrement. 

Je  rappelle  (jue  la  guerre  qui  avait  suivi  la  mort  de  Lohier 
ayant  pris  fin,  Girard,  Doon  et  Beuves,  s'en  étaient  retournés 
chacun  dans  son  pays;  mais  ils  devaient  venir  à  Paris  avant 
la  Saint-Jean  pour  servir  le  roi. 

Chen  fu  à  Pentecouste  que  li  pre  sunt  fleuri, 
(Le  duc  Buef  d'Aigrement  en  son  païs  verti)^ 
Devant  la  Saint  Jehan,  ainsi  com  je  vous  di, 

iP.39. 

2  Ce  vers  a  été  transposé  par  une  distraction  du  copiste. 


192  RECHERCHES 

Que  Kalles  tint  sa  court  en  la  chit  de  Paris. 
5     Là  i  turent  venus  li  dus  et  li  marchis, 

Le  dus  Buef  d' Aigrement  ne  s'i  est  alentis. 

Atout  .c.  chevaliers  estd'Aigremont  partis, 

Et  venoit  servir  Kalle  le  roi  de  .S.  Denis. 

Guenelon  apela  son  neveu  Aloris, 
10     Fouques  de  Moreillon  i  refu  autresi, 

Hardrez  et  Berenguier  que  Dex  puist  maleïr  ; 

Chil  ont  mis  à  reson  KfiUe  le  fix  Pépin. 

«Sire,  che  a  dit  Guenez,  entendez  cha,  ami, 

»  Or  vous  vient  li  dus  Buef  à  votre  court  servir, 
15     »  Et  sunt  en  sa  compengne  .c  chevaliers  de  pris. 

»  Moult  grant  honte  est  chen,  par  Dieu  qui  ne  menti, 

»  Quant  vous  amez  cheli  qui  Lohier  vous  murdri. 

»  Se  vous  le  vouliez,  par  le  corps  .  S  •  Rémi, 

«Nous  Fochirrion,  sire,  comme  votre  anemi.  » 
20     «Barons,  dist  Kallemaines,  par  bonne  foi  Totri  ; 

»  Quoi  que  vous  entachiez,  ne  soit  pas  sus  moi  mis.» 

«Sire,  dist  Guenez,  le  matin  mouveron 
»0  .111™.  chevaliers  aselmez  d'Avignon.» 
«Guenez,  chen  dist  le  roi,  chen  seroit  trahison, 

25     »  Quer  nous  avon  mult  bien  donné  trievez  Beuvon.  » 
«Sire,  chen  a  dit  Guenez,  oes  autre  reson  : 
»Ja  n'i  metez  (ja)  vos  mains,  emperere  frans  liom.» 
«Guenez,  chen  dist  le  roi,  or  feitez  votre  bon.  » 
Adonc  en  sunt  parti  Fouques  et  Guenelon 

30  Et  Escos  et  [Hervis]S  Aloris  et  Sanson. 
Bien  furent  .un",  de  hardi  compagnon. 
De  Paris  sunt  issus  à  coite  d'esperon. 

Le  quens  Guenez  chevauche  sur  l'auferrant  destrier, 
Armez  d'aubers  et  d'elmez  et  d'espeez  d'achier, 
35     Et  ot  en  sa  compengne  .iiii"".  chevalier. 
Dedens  .i.  val  parfont  qui  fist  àresongnier 
Encontrerent  duc  Buef  il  et  si  chevalier. 
Fouques  de  Moreillon  les  escria  primier: 

1  Ms.  «  Berhis.  » 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  193 

«Duc  Buef,  mar  ochesistez  lefix  Kalle  Lohier  ; 
40     ))Ainchiez  que  il  soit  vespre,  l'arois  coiuperé  cliier.  » 

Quant  le  duc  Buef  Toï,  prist  soi  à  merveillier  : 

«He  Dex  !  chen  dist  li  dus,  qui  tout  as  à  baillier, 

))Qui  se  gardera  mez  de  si  fat  encombrier? 

»  Je  tenoie  à  loial  Kallemaine  o  vis  fier.  » 
45     Et  Guenez  esperonne  sus  Baiart  le  coursier. 

Sus  son  escu  devant  ala  ferir  Richier 

Que  mort  l'a  abatu  devant  li  en  Ferbier. 

Puis  escriaen  haut:  a  Ferez  i,  chevalier! 

«Il  ont  ochis  Lohier,  si  le  comperront  chier.  » 
50     Le  duc  Buef  d'Aigremont  ne  se  vont  atargier, 

Sanson  ala  ferir  qui  estoit  sus  Brehier. 

Mort  l'avoit  abatu  que  ne  li  mut  pleidier. 

((Outre,  dist  il,  cuvert,  Dex  te  doinst  encombrier.» 

Fiere  fu  la  bataille  et  greveuse  à  souffrir. 
55     Le  duc  Buef  d'Aigremont,  qui  fut  de  grant  aïr 

N'ot  que  .c.  chevaliers,  chil  erent  .un.  mil. 

Le  champ  fu  mal  partis  à  ichest  envaïr. 

Es  vous  parmi  la  presse  Guenelon  de  Montir 

Fiert  Josian  de  Blois  sus  Tescu  d'or  voutis, 
60     Mort  l'avoit  abatu,  Dex  le  puist  maleïr. 

Puis  cria  «  Hautofeuille  !  »  bien  le  peut  on  oïr. 

Moult  fu  grant  la  bataille  et  dure  Tenvaie. 
La  gent  au  duc  Bevon  fu  moult  afebloïe 
Qu'il  ne  furent  que  .c.  à  la  connestablie  ; 

65     Encore  en  sunt  .l.  es  chevax  de  Nubie. 

Et  le  duc  d'Aigreraont  qui  les  semont  et  prie: 
«Barons,  quer  i  ferez,  tant  com  serez  en  vie.» 
Dont  hurta  le  destrier,  s'a  la  lanche  brandie. 
Sus  son  escu  à  or  ala  ferir  Helie, 

70     Mort  l'avoit  abatu  en  la  lande  enermie. 
Le  duc  crie  «  Aigremont!  »  à  une  vois  série. 
Dex!  cheli  jour  i  ot  tante  arme  départie. 

La  valee  fubele  et  le  pais  igaus. 
V][  Grifon  d'Autefueille  li  cuvert  desloiax 


194  RECHERCHES 

75     Fiert  le  cheval  au  duc  par  devant  li  poitrax, 
Si  que  toute  la  lanche  li  bouta  es  bouiaus. 
Mort  Tavoitabatu  le  glout  les  .i.  terraus. 
Li  dus  sailli  en  piez,  tint  le  branc  naturaus 
Et  a  féru  Grifon  parmi  Felme  à  esmaus. 

80     Tout  abat  en  .i.  mont  chevalier  et  chevaus, 
Lors  escrie  li  dus  :  «  N'i  garrez,  desloiaus  !  » 

Le  dus  Buef  d'Aigremont  aochis  le  cheval 

Par  devant  lez  archons,  res  à  rez  du  poitral. 

Adonc  est  trebuchié  le  traître  mortal. 
85     Tantost  resailli  sus  que  guerez  n'i  esta, 

Et  a  sachié  le  branc  où  ot  pont  de  cristal. 

Es  les  vous  assemblez  li  baron  natural. 

Le  duc  Buef  d'Aigremont  en  ot  o  cuer  moult  mal; 

Bien  voit  que  il  mourra,  n'enpuet  partir  par  al, 
90     Mez  il  se  vendra  bien,  s'en  jure  .S.  Thomal. 

Il  referi  Grifon  parmi  l'elme  à  esmal. 

Atant  i  vint  pongnant  dessus  son  bon  cheval 

Guenelon  le  sien  fix  qui  n'estoit  pas  loial. 

Une  lanche  paumoie  d'achier  poitevinal, 
95     Fiert  le  duc  d'Aigremont  devers  le  senestral, 

Le  fer  li  a  conduit  très  parmi  le  costal, 

Si  l'abati  à  terre  comme  anemi  mortal. 

Or  fu  féru  à  mort  le  vaillant  chevalier, 
Du  coup  qu'il  a  eii  le  couvint  trebuchier. 

100     Demaintenant  li  queurt  Grifon  li  aversier. 

Le  haubert  li  souslieve  qui  est  menu  maillié, 
Dedens  le  cors  li  met  le  branc  fourbi  d'achier. 
L'ame  s'en  est  partie  du  vaiUant  chevalier. 
Puis  li  a  dit  Grifon:  «Or  as  tu  ton  louier, 

105     «Pour  le  fix  Kallemaine  l'emperere  au  vis  fier 
))  Que  tu  feïs  ochirre  à  duel  et  àpechié.» 
Puis  monta  u  cheval  auferrant  et  coursier 
Et  acueilli  la  gent  au  duc  Buef  le  guerrier. 
Onques  n'en  escapa  fors  que  .x.  chevalier, 

1 1  0     Et  chil  li  ont  juré,  plovi  et  affîé 

Qu'el  castel  d'Aigremont  l'emporteront  arier. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  195 

De  l'estour  sunt  partis  atant  li  .x.  serjant, 
.1111.  lieuez  plenierez  alale  cors  saignant 
Que  les  plaiez  ne  porent  estanchier  tant  ne  quant*. 

On  voit  que  Todieuse  conclusion  de  ce  drame,  tel  qu'il  était 
rapporté  dans  la  version  plus  ancienne,  a  été  supprimée.  Si 
cruels  et  perfides  que  soient  Ganelon  et  son  père,  ils  n'osent 
outrager  les  restes  de  leur  ennemi  et  apporter  à  Charlemagne 
un  affreux  présent.  Quand  ils  viennent  lui  conter  ce  qu'ils  ont 
fait: 

((Bien  avez  fait,  dist  il,  si  m'aït  .S.  Simon.» 

Si  l'auteur  italien  paraît  avoir  suivi,  pour  l'ordre  de  sa  nar- 
ration de  la  mort  de  Beuves,  un  texte  plus  récent  que  celui 
de  Montpellier,  en  revanche,  il  a  emprunté  à  celui-ci  l'idée  du 
déguisement  de  Maugis   en  cardinal.  L'invention  lui  a  paru 
heureuse,  et  il  a  voulu  en  tirer  un  meilleur  parti  que  son  de- 
vancier. Il  imagine  donc  que  Charlemagne  se  résignera  à  faire 
la  paix,  parce  que  le  faux  cardinal  Maugis  lui  présentera  des 
brefs    du  pape   et  le  menacera  de  l'excommunication.  C'est 
dépasser  la  mesure.  Sans  doute  Maugis,  pour  entrer  dans  le 
château  assiégé  de  Monder,  se  déguise  en  cardinal,  et  dit   à 
l'empereur  qu'il  a  grand  tort  de  faire  la  guerre  à  des  chrétiens, 
que  le  pape  en  est  très-mécontent,  et  que  Charles  doit  s'ac- 
corder avec  ses  barons;  mais  tout  cela  n'est  qu'une  plaisan- 
terie d'un  moment.  Aussitôt  hors  de  péril,  le  vaillant  chevalier 
parle  un  tout  autre  langage,  et  les  pauvres  hommes  d'armes 
qu'il  rencontre  et  maltraite  ne  peuvent  que  s'écrier  :  «  Ci  a  mal 
cardinal!»  Il  y  a  dans  toute  l'imitation  italienne  de  ce  passage 
amusant  une  sorte  d'emphase  déplaisante:  pourquoi  faire  in- 
tervenir le  diable,  et  pourquoi  ce   diable   emporte-t-il  Maugis 
sur  un  sommet  de  l'Apennin;'  Je  reconnais  que  Fousifle  était 
une  pauvre  escorte  pour  un  cardinal-légat;  mais  le  trouvère 
avait  parfaitement  prévu  l'objection,  et,  sans  les  larrons  qui 
dévastent  le  pays,  Maugis,  au  dire  de  Fousifie,  eût  été  suivi 

•  J'ai  déjà  cité  la  suite  de  ce  passage  à  la  fin  de  i'aualyse  du  Maugis  d'Ai- 
gremont . 


196  RECHERCHES 

de  trente  clercs'.  —  Mais  Charlemagne  est  très-crédule.  — 
Soit  ;  mais,  si  nous  sommes  choqués  de  cette  crédulité  naïve, 
quel  intérêt  peuvent  avoir  pour  nous,  non-seulement  les  tours 
de  Maugis,  mais  tous  les  prodiges  et  de  Merlin  et  de  la  suite 
des  enchanteurs  jusqu'à  la  belle  Armide? 

M.  Rajna  a  très-bien  fait  ressortir  l'importance  qu'a  eue  le 
Beuves  d'Aigremont  dans  l'histoire  de  la  poésie  chevaleresque 
italienne,  et  je  ne  saurais  mieux  faire  que  de  reproduire  ses 
propres  expressions: 

«Je  noterai  avant  tout  que  ce  roman  semble  devoir  être 
«compté  au  nombre  des  premiers  qui  soient  parvenus  eii  Ita- 
»lie,  de  ceux  qui,  à  une  époque  très-recu!oe,  étaient  le  plus  fa- 
»  miliers  aux  chanteurs  et  aux  auditeurs  de  notre  pays.  En 
»  fait,  qui  ne  connaît  les  inimitiés  perpétuelles  des  gestes  de 
»Clermont  et  de  Majence?  C'est  sur  elles  que  repose  la  fable 
«d'un  grand  nombre  de  nos  compositions  italiennes,  en  par- 
»  ticulier  du  Morgante,  et  il  n'y  en  a  guère  qui  [)araissent  les 
«ignorer.  Néanmoins  dans  les  romans  français  cet  antago- 
»nisme  n'apparaît  point,  et  il  serait  malaisé  de  trouver  un 
«autre  acte  d'hostilité  entre  les  deux  familles  que  ce  meurtre 
»  de  Beuves  accompli  précisément  par  des  traîtres  apparte- 
«nant  à  cette  race.  Je  suis  persuadé  qu'il  faut  reconnaître  ici 
»  le  germe  d'où  s'est  élevée  graduellement  une  grande  plante 
»  qui  malheureusement  a  envahi  peu  à  peu  beaucoup  plus 
»  d'espace  qu'il  n'était  juste,  et  a  enlevé  la  lumière  et  la  nour- 
»  riture  aux  autres  parties  du  cycle.  Or,  puisque  le  Beuves 
»  d'Aigremont,  excepté  le  premier  livre  du  roman  en  prose  et 
»  les  lieux  correspondants  du  poëme  de  la  bibliothèque  pala- 
»  tine,  est  très-peu  connu  de  nos  romanciers,  nous  aurons  ici 
»  à  observer  le  fait  très-remarquable  d'une  narration  tombée  de 
))  bonne  heure  dans  l'oubli,  mais  survivant  dans  ses  effets,  car 
«l'on  y  trouve  l'origine  de  l'un  des  caractères  les  plus  saillants 
«  de  notre  littérature  romanesque.  ^» 

1  Dans  Ogier  (v.  9505  p.),  lorsque  Turpin  va  demauder  à  l'empereur  de  le 
charger  de  garder  lui-triême  son  prisonnier,  il  est  accompagné  d"un  cortège 
composé  comme  celui  de  Molaylgi : 

Od  lui  mena  chevaliers  à  plenté, 
Vesques  et  mognes  et  prious  et  abés. 
-  liinaldo,  p.  2i,c[.  43-44.  A  mes  yeux,  l'ensemble  des  chansons  de  gest 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  197 

Charles  condamne  les  fils  Aymon  à  faire  un  pèlerinage  au 
Saiat-Sépulci^e.  Cette  idée  est  empruntée  à  la  fin  du  Renaud 
de  MontaubanK  Mais  les  aventures  du  cjcle  d'Artus  atten- 
dent nos  pèlerins  sur  la  route,  et  il  leur  faut  relâcher  à  Tîle 
Perdue.  Nous  retrouvons  néanmoins  le  Maugis  avec  Espiet, 
qui  sans  doute  perd  son  nom  et  sa  parenté,  et  ne  serait  qu'un 
nain  comme  les  a.utres  s'il  ne  gardait  sa  beauté  et  s'il  ne  lui 
restait  de  sa  science  la  connaissance  des  langues  d'Asie  et 
d'Afrique.  Les  chevaliers  au  service  de  Tamustant  ou  amos- 
tante,  la  guerre  contre  le  Soudan  de  Perse,  la  passion  de  Fio- 
rita  pour  Renaud,  sont  des  emprunts  au  Maugis  et  à  d'autres 
récits.  Maugis  avait  prêté  son  épée  d'abord  à  Marsile,  puis  à 
l'amustant  de  Mellent,  contre  l'amiral  Sorgalé,  et  Florette 
dans  Floovant^  Floripas  dans  Fierabras,  Fleur  d'espine  dans 
Gaufrey,  comme  tant  d'autres  princesses  sarrasines,  se  font 
d'emblée  les  alliées  des  chrétiens.  Mais  Renaud  paraît  ici  se 
souvenir  des  amours  de  Maugis  en  Espagne,  et  se  laisse  aller 
à  répondre  à  l'amour  de  Fiorita. 

L'influence  des  romans  franco-italiens  est  très-reconnaissa- 
ble  à  partir  de  l'arrivée  des  paladins  chez  Salione.  L'auteur 
s'inspire  certainement  du  voyage  que  Roland  fait  en  Orient 
dans  V Entrée  de  Spagne  ou  dans  une  des  imitations  italiennes 
de  ce  roman.  .Je  remarque  que  ce  personnage,  en  se  convertis- 
sant et  en  devenant  le  plus  fidèle  allié  de  Renaud,  ne  fait  que 
suivre  l'exemple  de  bien  d'autres.  Nous  avons  vu  dans  Maugis 
un  Beuves  le  Convers,  pour  ne  parler  ni  de  Brandoine,  ni  de 
Vivien  lui-même. 

Les  espions  de  Ganelon  s'en  vont  partout  révéler  les  noms 
vrais  des  chevaliers  qui,  sous  divers  déguisements,  se  présen- 
tent à  la  cour  des  rois  sarj-asins.  Nous  avons  rencontré  plu- 
sieurs espions  dans  les  textes  du  manuscrit  de  Montpellier 
que  nous  avons  étudiés  plus  haut:  Espiet,  Fousifie,  Grafumez, 

que  M.  Rajna  désigne  par  le  nom  de  Beuves  d' Aif/remont  (Maugis,  Vivien, 
Mort  de  Beuves)  n'est  pas  le  seul  exemple  de  l'influence  que  des  compositions 
françaises,  dont  il  n'est  plus  parlé  dans  la  suite,  ont  eue  sur  les  premiers  essais 
du  roman  italien.  Je  reviendrai  sur  ce  sujet  dans  le  chapitre  suivant,  à  pro- 
pos de  VEntrée  de  Spagne  et  de  ses  suites. 

1  Je  l'ai  déjà  dit;  mais  j'ajoule  que  le  propre  de  la  version  italienne  est  de 
transformer  tout  fait  impurtaot  eu  une  donnée  générale. 


198  RECHERCHES 

représentent  un  élément  nouveau  dans  la  narration  épique. 
Dans  le  roman  italien,  ces  espions  sont  toujours  au  service  de 
Ganelon.  Insensiblement,  tout  ce  qui,  à  un  degré  quelconque, 
a  un  caractère  de  bassesse,  est  attribué  à  la  geste  des  Majen- 
çais.  La  narration,  si  Ton  veut,  y  gagne  en  clarté,  et  il  n'y  a 
pas  de  confusion  possible  entre  les  deux  grandes  familles  ; 
mais  toute  simplification  de  cette  nature  détermine  à  l'avance 
la  marche  de  Faction,  supprime  des  éléments  d'intérêt,  engen- 
dre la  monotonie  et  prête  de  bonne  heure  à  la  parodie. 

La  famille  des  géants,  Mambrino,  Gostantino,  Brunalmonte, 
peut  paraître  chose  nouvelle,  et  cependant  nous  avons  aussi 
bien  des  géants  dans  nos  chansons.  Le  géant  Brunalmonte  et 
la  guerre  que  son  frère  Mambrino  vient  faire  aux  chrétiens, 
ne  sont  qu'une  imitation  de  l'épisode  à'Ogïer  où  le  fils  de 
Gaufre}^  tenu  jusqu'à  ce  moment  sous  bonne  garJe  parChar- 
lemagne,  obtient  de  combattre  Karaheus,  puisBrunamont,et, 
victorieux,  rentre  en  grâce  auprès  de  l'empereur.  C'est  égale- 
ment dans  Ogie?'  que  nous  trouvons  le  premier  emploi  d'une 
donnée  qui  devait  être  féconde,  celle  de  montrer  ces  géants 
mahométans,  tous  rois  dans  quelque  contrée,  venant  tour  à 
tour  chercher  la  vengeance  de  la  mort  de  l'un  d'entre  eux  qui 
est  tombé  sous  les  coups  des  chrétiens*. 


1  Brehus  envahit  la  France  pour  venger  Brairnant  tué  par  Cliarlemagne  et 
Justamont  tué  par  Pépin.  11  s'écrie  (v.  9874  s.): 

«  Je  voil  aler  véir  les  os  Kallon  ; 

»  Prover  le  voil  à  traitor  félon  : 

»  Braimont  ocist  par  mortel  traïson. 

»  Pépins  ses  pères  si  ocist  Justamont: 

»  Vengerai  les,  foi  que  jou  doi  Mahon.  » 

Cf.  9941-9951,  9993-9995,  et  Mainet  dans  la  Romania,  iv,  pp.  319,  329. 

Dans  l'édition  Barrois,  la  fin  du  combat  d'Ogier  et  de  Brehus  est  incom- 
plète. On  peut  la  reconstituera  l'aide  du  ras.  de  Montpellier  Fol.  135  fù], 
dont  voici  la  version: 

Le  coup  trespasse  par  desseure  sa  teste, 
Bruiant  s'en  va  aussi  comme  lempeste, 
.II.  piez  ou  plus  dedens  le  pre  l'enserre; 
Et  distOgier:  a  Chi  a  laide  nouvelle. 
5    »  Se  longuez  vis,  chest  ara  douleurs  cbertez; 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  199 

Maugis,  dans  les  textes  français,  n'a  point  la  faculté  de  con- 
naître ce  qui  se  passe  hors  de  la  portée  de  sa  vue.  Il  est  ren- 
seigné par  les  mêmes  moyens  que  tout  le  monde,  et,  dans  le 
Renaud  de  Montauhan ,  c'est  grâce  à  la  révélation  de  l'honnête 
Gontard  qu'il  apprend  la  trahison  du  roi  Yon.  Il  n'a  aucune 
action  en  distance,  et  ne  vaut  que  là  où  il  est  présent  en  per- 
sonne. Dans  le  roman  italien,  grâce  aux  démons  qu'il  a  sous 
ses  ordres,  il  se  tient  au  courant  de  ce  qui  se  passe  en  tout 
lieu  et  exerce  une  influence  générale  sur  les  événements.  Ce 
n'est  donc  plus  un  magicien  ordinaire,  capable  seulement  de 
tours  et  de  prodiges  qui  font  illusion  à  ceux  qu'il  veut  trom- 
per: c'est  un  enchanteur;  tel  que  le  sage  Merlin,  il  est  partout 
présent.  Non-seulement  les  démons    le  renseignent,  mais  ils 


»  Mes,  ains  que  voies,  che  cuit,  aprechier  vespre, 

»  Aras  ostel  dedens  enfer  le  pesme, 

»  Là  iras  tu  avec  cheus  de  ta  geste. 

»  Ne  te  pris  mez  vaillant  une  chenele. 
10    »  i\"amerai  mes  ne  toi  ne  ta  flavele. 

»  Cresre  dévoies  u  gloriex  celestre, 

»  Mez,  se  je  puis,  je  te  donroi  confesse 

»  Au  branc  d'achier  dont  trenche  l'alemele.  » 

Lor  li  queurt  sus  le  duc  de  bonne  geste 
15    Et  tint  Courlain  qui  est  et  bonne  et  bele. 

Et  fiertBrehier  qui  li  ot  fet  moleste; 

Grant  coup  li  donne  en  travers  parmi  l'elme, 

Les  las  li  trenche,  le  collier  en  desserre, 

Une  hantée  en  fet  voler  la  teste. 
20    Ogier  le  voit,  en  crois  se  giete  en  terre, 

Dieu   en  merchie  le  gloriex  celestre, 

Sa  douche  mère  qui  pecheors  rapele. 

Atant  se  saigne  Ogier  de  sa  main  destre, 

Et  se  leva  et  tint  Courtain  la  bele 
25    Qui  tainte  estoit  de  sanc  et  de  chervele. 

Moult  bien  l'essuie,  o  fuerre  la  renserre. 

Pour  reposer  s'asiet  .i.  poi  sus  l'erbe. 

Or  feitez  pès  etc.. 

Ce  passage  ne  comprend  que  sept  vers  dans  l'édition  Barrois  (11850-11856); 
le  texte  a  été  omis  du  vers  4  au  v.  10,  par  suite  de  la  confusion  des  rimes 
nouvelle  pX  flavele.  Le  dernier  vers  est  le  v.  19,  où  il  faut  corriger  hanstée, 
d'après  la  leçon  ci-dessus.  Le  ms.  de  Montpellier  ne  peut  être  pris  pour  prin- 
cipal texte,  mais  il  conviendra  de  le  consulter  si  l'on  veut  donner  uneboune 
édition  de  l'histoire  d'Ogier. 


500  RECHERCHES 

le  portent  là  où  il  lui  plaît.  Il  a  recours  à  eux  pour  la  con- 
struction de  Montauban,  qui  est  achevé  en  une  nuit;  et,  quand 
le  matin  Charles  et  Yvon  viennent  dîner  dans  le  château, 
le  repas  se  compose  de  trente-six  plats  qui  ont  été  enlevés 
aux  tables  du  Soudan,  du  Pape  et  d'autres  princes*.  L'auteur 
du  Maugis  d'Aigremont,  dans  son  imitation  du  cjcle  d'Artus, 
n'était  pas  allé  jusque-là.  Sans  doute,  il  avait  fait  de  Maugis 
un  écolier  d'Oriande  et  des  sages  de  Tolède;  mais,  en  expli- 
quant ainsi  l'origine  de  sa  science,  il  n'j  avait  rien  ajouté.  Il 
tient  si  peu  à  faire  de  Fart  magique  le  principal  mérite  de 
Maugis,  qu'il  place  à  côté  de  lui  Espiet  et  Fousifie,  qui,  à  l'oc- 
casion, font  preuve  d'un  talent  égal  au  sien.  Il  oubliait  que, 
dans  l'histoire  des  Fils  Ajmon,  Maugis  n'est  utile  que  parce 
qu'il  fait  ce  que  ses  cousins  ne  peuvent  faire,  et  que  la  geste 
de  Renaud  n'avait  pas  besoin  d'un  bon  chevalier  de  plus.  L'au- 
teur italien,  qui  voyait  d'un  coup  d'œil  d'ensemble  les  diverses 
branches  de  la  légende  française,  a  reconnu  que  Maugis  n'a 
d'autre  raison  d'être  que  sa  puissance  d'enchanteur,  et,  sans 
j)lus  hésiter,  il  lui  a  attribué  des  dons  égaux  à  ceux  de  Merlin. 
Dès  lors,  le  merveilleux  aura  dans  l'épopée  italienne  une  place 
bien  plus  grande  que  dans  nos  chansons  de  geste,  où  son  ac- 
tion est  restée  épisodique.  Une  puissance  d'ordre  surnaturel 
planera  au-dessus  des  événements,  et  son  intervention  se  fera 
sentir  partout.  Mais  il  est  curieux  qu'ici  encore  celui  qui  a 
eompi'is  le  mieux  l'intérêt  de  l'une  des  données  que  lui  offrait 
son  sujet  en  ait  négligé  une  autre  que  l'auteur  du  Maugis 
avait  acceptée,  et  que  l'importance  reconnue  au  merveilleux 
aurait  pu  faire  maintenir.  Nous  ne  rencontrons  pas  de  ces 
combats  entre  enchanteurs  où  l'on  peut  retrouver  un  reflet 
des  conflits  des  génies  de  l'époque  mythique.  Malgré  l'exemple 
delà  lutte  de  Maugis  et  de  Noiron,le//?na/rfo  ne  connaît  d'au- 
tre magicien  que  Maugis. 

A  un  autre  point  de  vue,  la  tradition  française  s'altère  notable- 


^  Rinaldo,  p.  32-33.  ~  Dans  la  version  des  Fils  Aytnon  de  Montpellier, 
lorsque  Renaud  et  Maugis  sont  en  Palestine,  c'est  grâce  à  un  enchantement 
de  Maugis  que  les  deux  pèlerins  ont  à  dîner.  Dans  son  admiration  pour  son 
cousin.  Renaud  s'écrie:  «Un  deabies  vous  (isl.»  V.  io'  fraguicQl  cité  au  com- 
mencement de  celle  élude,  V.  183-209. 


SUR  LKS  CHANSONS  DE  GESTE  201 

ment.  Maugis  a  pu  apprendre  le  grimoire;  mais  je  ne  vois  nulle 
part  qu'il  ait  recoui's  à  des  démons.  Qu'en  avait-il  besoin,  et 
n'est-il  pas  lui-même  d'essence  assez  subtile  pour  se  passer  de 
l'assistance  des  maudits?  Les  païens  seuls,  adorateurs  de  Ter- 
vagant,  de  Jupin  et  d'Apolin,  peuvent  s'adresser  à  de  tels 
auxiliaires. 

Rien  n'est  plus  désagréable  au  bon  génie  Auberon  que  d'être 
confondu  avec  la  gent  diabolique  %  et  dans  Gaufrey,  Robastre 
ajant  eu  le  tort  de  dire  à  Hernaut  de  Beaulande  que  c'est 
grâce  à  l'aide  d'un  manfé  qu'il  a  passé  la  mer,  Malabron  l'en 
blâme  très-sévèrement  et  fait  sa  profession  de  foi  : 

«Je  ne  sui  pas  déable  ne  je  ne  sui  maufé, 

«  Ains  sui  de  la  partie  au  roi  de  majesté, 

»  Qui  en  cliest  siècle  m'a  issi  fet  donné 

))Que  par  le  monde  vois  à  ma  volonté, 

»  Et  en  toutez  manières  est  bien  mon  cors  mué, 

»  Mes  n'ai  lai  de  maufere  homme  crestionné-.  » 

Mais  les  bons  génies,  trop  souvent  associés  aux  oeuvres  des 
hommes,  tendent  à  perdre  de  leur  dignité  primitive,  et  peu 
à  peu  ils  se  transforment  en  sorciers.  Le  fils  de  Beuvesd'Ai- 
gremont,  entouré  d'agents  d'aspect  désagréable  et  comman- 
dant aux  puissances  infernales,  n'est  plus  qu'un  mage  habile 
et  ne  se  distingue  guère  du  rivai  que  les  Sarrasins  lui  opposent 
dans  le  Maugis,  du  méchant  enchanteur  Noirou. 

Le  roi  Gattamogiieia,  qui  entreprend  à  son  tour  de  venger 
Marabrino  et  ses  frères,  n'a  guère  de  particulier  que  son  nom^. 
Mais  la  promesse  que  fait  Charlemagne  de  renoncer  au  Christ, 
si  le  Sarrasin  le  délivre  des  fils  Aymon,  est  tellement  étrange, 
que  l'on  ne  peut  comprendre  comment  l'auteur  du  poëme  a 
pu  l'accepter  ou  l'inventer.  Je  n'y  vois  qu'une  application 
malencontreuse  au  fils  de  Pépin  d'un  des  faits  de  la  légende 
de  Girard  de  Frette.  Cette  légende  a  été  conservée  dans  le  ro- 
man italien  d'Aspramonte,  dont  elle  forme  la  dernière  partie. 

^  Huo)i  de  Bordeaux,  v.  3339. 
2  Gaufrey,  v.  8212,  s. 

■<'  L'étymologie  me  semble  accatta-mogliera,  comme  Cattabriga  pour  accatta- 
brighe . 


202  RECHERCHES 

Elle  peut  être  résumée  en  quelques  lignes.  —  Les  chrétiens 
étaient  revenus  d'Italie,  et  ce  n'étaient  partout  que  fêtes  et 
réjouissances.  Mais  un  Mayençais,  Fiamiggone,  tue  par  trahi- 
son un  neveu  de  Girard  de  Fratta,  Buoso  (Bois,  Boson).  Pen- 
dant que  l'empereur  attaque  la  cité  de  Fiamiggone,  Girard 
veut  se  venger  lui-même,  et,  le  jour  de  Saint-Denis,  Paris  est 
pris  et  mis  à  sac.  Dèslorslaguerrese  continue  entre  Charles  et 
Girard.  Après  divers  incidents,  l'empereur  met  le  siège  devant 
Vienne,  et  Don  Chiaro  (Claire,  Clairon),  neveu  de  Girard,  qui 
dans  la  guerre  précédente  avait  vaincu  le  roi  Trojano,  tombe 
sous  les  coups  de  Roland  dans  un  combat  singulier  qui  dure 
trois  jours.  Girard,  après  avoir  ainsi  perdu  ses  deux  neveux, 
n'est  plus  maître  de  lui  :  dans  sa  fureur  il  renie  Dieu,  brise  un 
crucifix,  quitte  Vienne  et  s'en  va  en  Espagne  auprès  du  roi 
Marsile.  Là  il  renie  de  nouveau  le  Christ  d'une  façon  solen- 
nelle, accepte  la  foi  de  Mahomet,  et  promet  à  Marsile  de  le 
faire  seigneur  de  Vienne  et  de  tout  son  duché.  Marsile  entre 
en  France  ;  mais  l'invasion  des  païens  échoue,  et  Girard  re- 
vient à  Vienne  auprès  de  ses  fils,  qui  depuis  son  abjuration  ne 
s'entendaient  plus  avec  lui.  Charles  assiège  la  ville.  Roland  et 
Olivier,  petit-fils  de  Girard,  ont  entre  eux  le  combat  à  la  suite 
duquel  la  belle  Aude  devient  la  fiancée  de  Roland.  Girard  fait 
l'empereur  prisonnier  ;  mais  ses  fils  se  révoltent  contre  lui  et 
le  jettent  dans  une  prison  où  il  meurt  '. 

Un  trouvère  français,  si  peu  respectueux  qu'il  fût  de  la  di- 
gnité royale,  n'aurait  sûrement  pas  supposé  que  Charlema- 
gne,  le  chef  de  la  chrétienté,  le  roi  toujours  protégé  par  la 
main  divine,  ait  pu  songer  à  renier  sa  foi.  Dans  le  Vivien, 
nous  avons  vu  seulement  que  l'empereur  refuse  d'aller  secou- 
rir Monbranc  assiégé  par  les  Sarrasins,  et  que  ce  refus  est 
la  cause  de  la  rupture  de  l'empereur  et  de  toute  la  famille  de 
Beuves.  Mais  les  légendes  françaises,  en  changeant  de  pays, 
I)erdaient  nécessairementdela  solidité  de  leurfond;  l'étranger, 


'  Le  Gheranlo  da  Fratta  forme  le  troisième  livre  du  roman  d'Aspramofite, 
et  va  du  ch.  223  au  cli.  259  et  dernier.  Pour  le  résumé  ci-dessus,  je  me  suis 
servi  des  rubriques  publiées  par  M.  Miclielant  dans  le  Jahvbuch  fiir  roma- 
nische  U7id  oiglische  Literutur  de  Lemcke,  vol.  XI,  311-312;  XII,  G0-G5.  Cf. 
G.  Paris,  Hist.  poéf.  de  Ch.,  p.  324-325. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  203 

qui  les  admirait,  n'en  avait  qu'à  demi  le  sentiment,  et  le  côté 
aventureux  des  récits  en  faisait  l'intérêt  principal.  Nous  som- 
mes sur  le  chemin  qui  conduit  à  la  parodie  de  Pulci. 

Les  guerres  entre  chrétiens  et  mahométans,  qui  font  le  sujet 
d'une  partie  du  Maugis  et  de  tout  le  Vivt'en,  sont  représentées 
dans  le  lîinaldo  par  les  invasions  sarrasines  qui  se  succèdent 
au  commencement  de  ce  roman.  Mais  l'honneur  de  repousser 
les  païens  est  enlevé  à  Maugis  pour  être  attribué  àRenaud. 
La  part  faite  à  Benaudin  dans  les  chansons  françaises,  et  le 
besoin  de  grandir  encore  le  personnage  principal  au  détriment 
des  autres,  expliquent  cette  modification,  qui  concorde  d'ail- 
leurs avec  la  fin  des  versions  françaises  où  Renaud,  arrivé  à 
Jérusalem,  reti'ouve  toute  sa  vaillance  pour  combattre  les  en- 
nemis du  nom  chrétien.  Le  duel  de  Safadin  et  de  Renaud,  s'il 
a  été  connu  des  auteurs  italiens,  ne  pouvait  que  les  engager  à 
développer  l'indication  donnée  dans  le  Maugis  et  le  Vivien,  et 
à  faire  de  Renaud,  dès  qu'il  paraît  en  scène,  le  champion  de  la 
chrétienté. 

Je  ne  peux  juger  de  la  valeur  littéraire  de  ces  deux  romans 
que  par  les  extraits  qu'en  a  donnés  M.  Rajna.  L'auteur  du 
roman  en  prose  compose,  pense  et  écrit  de  la  même  manière 
que  celui  des  Reali:  chez  tous  deux,  c'est  la  même  tendance  à 
ramener  les  légendes  guerrières  au  convenu  de  la  chronique, 
la  même  préoccupation  des  souvenirs  classiques,  la  même  dé- 
marche pesante.  Le  poëme  est  de  même  famille  que  \a,Spagna 
et  VOt'lando.  On  y  trouve  bizarrement  associés  les  formes  de 
la  phraséologie  de  nos  chansons  de  geste  et  les  tâtonnements 
d'une  littérature  qui  tend  à  s'élever  de  la  prose  d'une  conver- 
sation vulgaire  à  la  poésie,  alliant  la  platitude  et  l'expression 
figurée,  sincère  d'ailleurset  naïve,  etofifranteà  etlà  d'heureuses 
rencontres.  L'habitude  d'enjprunterles  sujets  et  les  sentiments 
à  des  modèles  étrangers  et  d'un  autre  âge  pèse  sur  le  poète, 
et  il  n'apaslalibre  alluredenos  trouvères;  il  vole  lourdement, 
s'élevant  parfois,  mais  revenant  bientôt  raser  encore  le  sol. 
L'épopée  populaire  italienne  n'eut  jamais  le  puissant  essor  de 
nos  chansons  de  geste;  elle  est  tenue  par  des  lisières,  et,  sans 
l'inspiration  de  la  Renaissance  qui  renouvela  tout,  elle  se  fût 
éteinte  sans  laisser  de  monument  digne  d'étude. 

Le  Rinaldo  da  Montalbano  est  une  adaptation    au  goût  ita- 


204  RECHERCHES 

lien  de  la  légende  des  Quatre  Fils  Aymon,  complétée  par  le 
Maugis  d' Aigreiaont  ei  le  Vivien  de  Monbranc.  L'auteur,  à  sup- 
poserqu'il  n'y  en  ait  eu  qu'un,  a  rais  à  profit  les  données  très- 
variées  que  lui  offraient  les  dernières  versions  de  cette  légende. 
L'opposition  des  gestes  de  Maj-ence  et  de  Clermont,  l'allure 
plus  romanesque  du  récit,  le  remaniement  complet  de  la  pre- 
mière partie,  font  du  Hinaldo  une  œuvre  d'un  aspect  fort  diffé- 
rent de  celui  que  présente  l'ensemble  formé  par  nos  trois  chan- 
sons de  geste.  L'auteur,  néanmoins,  suivait  encore  en  ceci 
l'exemple  des  trouvères  qui  avaient  successivement  modifié  et 
développé  l'antique  récit;  mais,  tout  en  faisant,  lui  aussi,  des 
emprunts  au  cycle  d'Artus,  il  a  craint  de  le  laisser  trop  paraî- 
tre et  a  renoncé  aux  éléments  d'intérêt  que  lui  offraient  à  cet 
égard  certaines  parties  des  Enfances  du  fils  de  Beuves  d'Ai- 
gremont.  11  a  accepté  la  magie  de  Maugis  et  a  même  abusé 
(le  cette  donnée;  mais  il  n'a  pas  voulu  du  ro^^aume  de  féerie. 
Le  trouvère  français  lui-même  n'avait  tiré  qu'un  médiocre 
parti  du  personnage  d'Oriande,  qui  ne  fait  qu'apparaître  au 
commencement  du  Maugis  et  dont  l'action  est  nulle  dans  la 
suite  du  récit;  et,  si  l'auteur  italien  a  supprimé  tous  les  per- 
sonnages, sauf  Vivien,  qui  n'avaient  point  de  rôle  dans  le  Re- 
naud de  Montduhan,  il  était  encore  ici  conduit  par  l'exemjjle 
de  ses  devanciei'S.  Nous  avons  vu  en  effet  que,  de  toute  la 
famille  et  de  tous  les  amis  créés  autour  de  Mauiiis,  il  ne  reste 
personne  de  vivant  au  commencement  du  Renaud  de  Monfau- 
ban.  Seuls,  Oriande  et  l'Amacliour  sont  épargnés,  l'une  parce 
qu'elle  est  immortelle,  l'autre  parce  que  l'auteur  l'a  si  bien  re- 
légué à  Monbranc,  que  l'on  ne  songera  guère  à  l'y  aller  cher- 
cher, à  moins  que  le  trouvère  n'ait  conçu  de  propos  délibéré 
l'espoir  que  ce  personnage  finirait  par  se  confondre  avec  Vi- 
vien d'Anseiine,  élevé  comme  lui  chez  les  Sarrasins. 

Pour  ne  pas  augmenter  les  difficultés  de  cette  discussion, 
je  ne  fais  qu'allusion  aux  poèmes  franco-italiens  que  l'auteur 
du  Rinaldo  connaissait  au  moins  par  la  Spagna,  qui  en  est  une 
imitation  en  octaves  et  en  dialecte  toscan,  et  auxquels  il  doit 
beaucoup  pour  la  conception  de  son  sujet  et  pour  la  manière 
de  le  traiter*.  Il  a  fait  pour  Renaud  ce  que  ses  prédécesseurs 

'  Je  dis  «  l'auteur  »,  parce  qu'en   somme,  le  Rinaldo  italien  est  celui   des 
premiers  livres  du  roman  en  prose. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  205 

avaient  fait  pour  Roland,  mais  avec  moins  d'originalité  et  de 
peine,  car  des  additions  et  des  modifications  de  toute  sorte 
avaient  déjà  transformé  riiistoire  des  Fils  Ajmon  en  un  véri- 
table roman  d'aventures.  Peut-être  avait-il  entrevu  que  ce 
roman  avait  été  déjà  un  des  modèles  français  dont  l'auteur  de 
V Entrée  de  Spagne  s'est  inspiré  le  plus  volontiers,  et  que  tel 
élément  d'intérêt  qu'il  empruntait  à  son  tour  à  ses  devanciers 
italiens  avait  son  origine  première  dans  le  Renaud  de  Montau- 
ban  et  ses  branches. 

M.  Rajna,  dont  sur  plusieurs  points  j'ai  dû  me  séparer,  mais 
qui,  sans  avoir  eu  sous  les  jeux  les  textes  que  j'ai  pu  consul- 
ter, n'en  a  pas  moins  reconnu  que  le  Beuves  d' Aigremont  et 
ses  branches  prennent  dans  la  version  définitivement  adoptée 
en  Italie  une  importance  qui  transforme  complètement  l'his- 
toire des  Fils  Aymon,  termine  son  étude  sur  le  Binaldo  da 
Montalbano  par  les  remarques  suivantes,  d'oii  il  ressort  que 
l'épopée  italienne  est  en  germe  dans  cette  première  ébauche. 
«La  littérature  romanesque  devra  sembler  un  sujet  digne 
«d'attention,  non-seulement àtous ceux, et  ils  sont  nombreux, 
»  qui  s'adonnent  de  nos  jours  à  l'étude  des  littératures,  et 
"Surtout  des  littératures  populaires,  comme  aune  étude  scien- 
))tifique,  mais  tout  autant  aux  amateurs,  beaucoup  plus  nom- 
»  breux,  des  études  historiques.  Que  tous  supportent  donc  pa- 
))tiemment  ce  long  discours  sur.  le  Rinaldo  da  Montalbano, 
«partie  trop  importante  du  cycle  carolingien  pour  qu'il  suf- 
))fise  d'en  traiter  brièvement.  On  y  trouve,  comme  je  l'ai  déjà 
»  dit,  les  origines  de  la  plus  grande  partie  des  traits  caracté- 
«ristiques  du  roman  chevaleresque  d'invention  purement  ita- 
)-  lienne  ;  c'est  la  seule  partie  qui  ait  été  développée  à  l'excès 
»  par  des  additions,  des  imitations,  des  continuations  de  toute 
»  sorte.  Peu  à  peu  les  embûches  de  Ganelon  pour  ruiner  la 
»  geste  de  Clermont  vont  se  multipliant  outre  mesure;  ses  es- 
»  pions,  que  nous  avons  souvent  rencontrés  dans  la  première 
))  partie  du  roman  en  prose  et  du  poème,  courent  par  le  monde 
«entier;  ses  artifices,  sa  malice,  exaspèrent  à  tout  moment 
«l'âme  ardente  du  fils  d'Ajmes  et  le  forcent  àtirerrépée  pour 
»  se  défendre  dans  la  salle  même  de  Charles,  et  l'empereur, 
»  devenu  désormais  un  aveugle  instrument  entre  les  mains 
»d'un  conseiller  perfide,  punit  avec  la  plus  cruelle  sévérité 

13 


206  RECHERCHES 

»  celui  qui  est  innocent  ou  qui  du  moins  estdigne  d'indulgence. 
»  C'est  là  qu'est  l'origine  de  ces  continuels  exils  de  Renaud, 
»  occasion  de  longues  pérégrinations  en  Orient  et  d'aventures 
n  où  viennent  se  mêlerles  autres  paladins  qui  s'inspirent  main- 
»  tenant  de  sentiments  assez  semblables  à  ceux  des  chevaliers 
»  errants  de  la  Bretagne.  Et  avec  ces  aventures  alternent,  en 
»se  répétant  d'une  façon  aussi  fastidieuse,  les  invasions  des 
«Sarrasins  en  France. Toutes  d'ailleurs  finissent, comme  celle 
»  de  Mambrino  dans  notre  poëme,  par  la  mort  des  chefs  et  la 
»  destruction  des  hordes  qui  les  avaient  suivis. 

»  Tels  sont  les  fils  principaux  dont  se  forma  la  pauvre  trame 
»  d'un  grand  nombre  de  récits  souvent  d'une  longueur  déme- 
«surée.Pour  ne  citer  que  les  titres  de  ceux  qui  appartiennent 
»  proprement  à  l'histoire  de  Renaud  et  en  constituent  les  di- 
»  verses  branches,  je  nommerai  le  Dodonello,  Baldo  di  Fiore 
»  ou  l'Ancroia,  l'Empereur  d'Aldelia,  Calidonia,  le  Château  du 
»  Grand  Lac,  le  Château  de  Teris,  Rubion  d'Anferna,  les  Van- 
»  teries  de  Dionesta,  D'autres  se  rattachent  étroitement  au 
»sire  de  Montauban,  comme  leRinaldo-et  le  Tapinello';  d'au- 
))tres  ne  sont  guère  qu'une  imitation  de  son  histoire,  ou  lui 
«laissent le  rôle  principal.  C'est  qu'en  effet,  en  Italie, Renaud 
«fut  l'objet  de  la  sympathie  du  public  plus  que  les  autres  pa- 
))ladins.  Si  ceux-ci  voulurent  garder  leur  réputation  et  ne 
»  pas  être  mis  de  côté  comme  de  vieux  harnais,  ils  durent  se 
«transformer  à  sa  ressemblance  et  déposer  leurs  dépouilles 
»  antiques.  En  somme,  et  pour  me  résumer,  le  protagoniste 
«du  roman  chevaleresque  italien  est  Renaud,  et,  par  suite, 
«c'est  dans  les  récits  dont  il  est  l'objet  que  nous  devons  et 
»  pouvons  étudier  les  métamorphoses  de  la  matière  qui  nous 
«avait  été  transmise  par  les  jongleurs  français*.  » 

1  Parmi  les  titres  énumérés  ici  par  M.  Rajna,  je  relève  deux  noms  qui  sont 
dans  le  Maugis.  L'on  a  vu  le  roi  sarrasin  Rubion  de  Cartliagc  aux  fol.  168  ro, 
170  vo.  L'espion  Tapineas  (v.  137;  —  Lapiniaus  au  v.  142  est  une  mauvaise 
leçon)  est  finalement  appelé  Tapinel  à  l'endroit  où  Esclarraonde  révèle  à  Vi- 
vien le  secret  de  sa  naissance. 

-  Rinnldo,  p.  95-96. —  Dans  ses  articles  sur  les  versions  italiennes  d'0^«e;' 
le  Danois  [Romania,  II,  III,  IV),  M.  Rajna  a  eu  l'occasion  de  parler  encore 
de  la  transformation  de  la  légende  de  Renaud  en  Italie.  La  rareté,  ou  même 
l'absence  complète  de  textes  imprimés,  rendront  longtemps  encore  fort  malai- 
sée l'étude  des  questions  de  ce  genre. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  207 

VII 

REMARQUES  SUR  l'enTRÉB  DE  SPAGNB  ET  SES    SUITES 

\i  Entrée  de  Spagne^  est  formée  de  deux  parties  bien  dis- 
tinctes: Tune  a  été  inspirée  par  la  Chronique  de  Turpin,  la 
Chanson  de  Roland  et  un  récit  perdu  relatif  à  la  prise  de  No- 
bles ;  Tautre  est,  semble-t-il,  purement  de  l'invention  de  l'au- 
teur; elle  a  pour  objet  les  aventures  que  Roland  rencontre  en 
Orient,  quand,  après  l'outrage  qu'il  a  reçu  de  Charlemagne, 
il  quitte  le  camp  chrétien.  De  prime  abord,  l'on  est  peu  disposé 
à  reconnaître  quelque  parenté  entre  ces  récits  et  les  versions 
françaises  de  l'histoire  des  Fils  Ajmon,  Cependant,  si  l'on  exa- 
mine les  passages  oîi  le  caractère d'Estous  n'est  plus  seulement 
orgueilleux  et  violent,  suivant  la  tradition  de  la  plupart  des 
chansons  de  geste,  mais  spirituel  et  gai;  si  l'on  compare  l'épi- 
sode de  la  captivité  d'Ysorès  et  les  endroits  si  curieux  de  Re- 
naud de  Montauban  où,  à  propos  de  Richard,  fils  d'Aymes,  et 
de  Richard  de  Normandie,  les  barons  opposent  une  si  ferme 
résistance  à  l'opiniâtreté  de  Charlemagne,  on  estporté  àcroire 
que  le  poème  franco-italien  doit  bien  quelque  chose  à  la  chan- 
son de  geste  française.  Les  aventures  de  Roland  en  Orient  ont 
un  tout  autre  développement  que  le  pèlerinage  de  Renaud  ; 
mais,  sans  méconnaître  quelle  part  est  faite  aux  souvenirs  de 
la  Table-Ronde  dans  cette  nouvelle  forme  de  la  légende  caro- 
lingienne, il  est  permis  de  rappeler  que  telle  version  des  Fils 
Ajmon  fait  de  Renaud  un  véritable  champion  delà  chrétienté 
en  Palestine,  et  de  trouver  naturel  que,  dans  un  poème  que 

'  Dans  ses  Nouvelles  Recherches  sur  V Entrée  de  Spagnr  {hM .  des  Ecoles 
françaises  d'Athènes  et  de  Rome,  fasc.  25),  M.  Thomas  a  prouvé  que  tel  est 
le  vrai  titre  de  ce  roman,  mais  tel  n'est  pas  le  principal  objet  de  ce  travail  ; 
M.  Thomas  a  voulu  y  démontrer  les  trois  propositions  suivantes:  l"  Nicolas 
de  Padoue  n'existe  pas,  mais  /'Entrée  de  Spagne  est  l'œuvre  de  deux  au- 
teurs dont  le  premier  était  de  Padoue  et  dont  le  second  s'appelait  Nico- 
las ;  le  second  a  continué  le  poëme  laissé  inachevé  par  le  premier. — 2°  La 
Prise  de  Pampelune /"arf  partie  intégrante  de  /'Entrée  de  Spagne  et  a  pour 
auteur  Nicolas,  —  3o  Ce  Nicolas  n'est  autre  que  Nicolas  de  Vêro7ie,  auteur 
de  la  Passion. 


208  RECHERCHES 

Fauteur  pensait  conduire  jusqu'à  Roncevaux',  Roland  ait  été 
chargé  d'un  rôle  pour  lequel  il  était  si  évidemment  désigné-. 
Je  crois,  en  un  mot,  que,  sans  exagération  aucune,  l'on  est  en 
droit  d'attribuer  à  l'histoire  des  Fils  Ajmon,  telle  que  l'Italie 
l'avait  reçue,  formant  un  véritable  cjcb,  plus  variée,  plus  in- 
téressante^ plus  populaire  que  la  plupart  des  autres  narra- 
tions épiques,  une  sorte  d'influence  générale  sur  la  façon  dont 
l'auteur  de  V Entrée  de  Spagne  a  compris  et  traité  son  sujets 
Le  ressort  principal  de  son  action  est  l'antagonisme  de  la  fa- 
mille de  Granelon,  la  geste  de  Hautefeuille,  devenue  la  geste 
de  Mayence,  et  de  la  geste  des  vassaux  fidèles  et  loyaux  ; 
or,  comme  nous  l'avons  vu  plus  haut,  cette  donnée  a  été  sûre- 
ment suggérée  par  l'hostilité  des  deux  grandes  familles  ri- 
vales, telle  qu'elle  nous  est  présentée  dans  les  Fils  Aymon,  à 
partir  de  la  mort  de  Beuves  jusqu'au  dernier  combat  entre  les 
fils  de  Renaud  et  ceux  de  Fouques  de  Morillon,  telle  que  nous 
la  retrouvons  dans  la  plupart  des  romans  qui  composent  la 
geste  de  Doon  de  Mayence. 

La  Prise  de  Parnpelune  est  une  continuation  de  YEnlrée  de 
Spagne.  Mais  déjà  en  France  l'on  avait  composé  une  chanson 
de  geste  qui,  dans  l'ordre  des  faits,  occupe  précisément  la  même 
place  que  la  Prise  de  Parnpelune:  c'est  Gui  de  Bourgogne*. 

i  Là  comensa  je,  trosque  la  finisun 

Do  jusque  ou  point  de  l'euvre  Ganelon. 

(Bibl.  de  l'Éc.  des  CJuirtes,  IV,  p.  221  ("Analyse 
de  M.  Gautier). 

^  Dans  la  chanson  à  laquelle  son  nom  est  attaché,  Roland  est  véritablement 
l'cpée  de  Charlemagne.  On  n'a  qu'à  relire  le  discours  qu'il  adresse  àDurandal 
(v.  2316-2337).  Ce  sentiment  Vest  conservé  même  dans  la  mauvaise  imitation 
de  Turpin:  d  Per  te  Sarraceni  destruuntur,  gens  perfida  destruitur,  le.\  chris- 
tiana  exaltalur,  laus  Dei  et  gloria  et  celeberrima  fama  acqiiiritur.  0  quoticns 
domini  nostri  lesu  Christi  sanguinem  per  te  vindicavi!  quotiens  Christi  inimi- 
cos  peremi!  quotiens  Sarracenos  trucidavi!  (ch.  xxii).» 

^  On  comprendra  que  je  n'examine  point  ici  dans  quelle  mesure  les  con- 
clusions de  M.  Thomas  sur  l'auteur  ou  les  auteurs  de  l'Entrée  de  Spagne  et 
de  la  Prise  de Pampeltine  sont  fondées;  mais  j'appelle  de  tous  mes  vœux  le 
moment  où  le  premier  de  ces  poëraes  sera  publié  en  entier. 

*  Jusqu'ici  l'on  a  cru  que  Gui  de  Bourgogne,  une  de  nos  chansons  de 
geste  les  mieux  composées  et  les  plus  intéressantes,  n'a  pas  été  connu  à 
Ictrauger.  Cependant,  dans  l'un  des  deux  Inventaires  du  XF*  siècle  pour 
la  famille  d'Esté,  publiés  par  Pio  Rajna  dans  la  Bomania  (II,  49),  on  signale 


SUR   LES  CHANSONS  DE   GESTE  209 

L'auteur  de  ce  roman  avait  vu  dans  le  ch.  m  de  la  Chro- 
nique de  Turpin  que  Charlemagne  avait  maudit  quatre  villes  : 
Lucerna,Ventosa,  Capparra,  Adama,  dont  la  conquête  lui  avait 
coûté  trop  de  peine.  Le  siège  de  Lucerne  avait  duré  quatre 
mois,  et  ne  s'était  terminé  que  lorsque,  Charles  ayant  invoqué 
Dieu  et  saint  Jacques,  les  murs  s'écroulèrent  d'eux-mêmes  et 
un  lac  s'étendit  à  la  place  de  la  ville  La  malédiction  de  Char- 
lemagne n'était  pas  restée  sans  conséquence,  et  «  ces  quatre 
»  villes,  dit  Turpin,  sont  demeurées  sans  habitants  jusqu'à  nos 
»  jours.  »  D'autre  part,  l'on  remarque  dans  plusieurs  chansons 
de  geste  une  tendance  à  donner  aux  jeunes  chevaliers  le  pas 
sur  les  vieux  héros  de  l'épopée.  Dans  la  chanson  d'Asp remont, 
l'empereur,  déjà  terrassé  par  Eaumont  (le  célèbre  Almonte  de 
l'épopée  italienne),  est  sauvé  par  Roland,  qui  a  rejoint  l'armée 
en  compagnie  de  ses  jeunes  amis  et  malgré  Tordre  qui  leur 
avait  été  donné  de  rester  en  France.  Après  la  victoire,  on 
adoube  chevaliers  Rolland,  Estez  de  Langres,  Haton,  Beren- 
gier,  Ivon,  Ivore  '  et  le  Gascon  Angelier.  D'un  rapprochement 
tout  naturel  est  sortie  l'idée-mère  de  Gui  de  [Bourgogne:  faire 
exécuter  par  les  fils  ce  que  les  pères  n'ont  pu  que  tenter,  leur 
donner  l'honneur  de  réduire  les  cités  qui  ont  tenu  en  échec 
la  première  armée.  La  prise  de  Luiserne  sera  le  couronnement 
de  l'entreprise.  Je  remarquerai  c[neGin  de  Bourgogne Si  été  en 
France  l'objet  d'une  imitation  au  moins.  Une  des  versions  des 


«  libro  uno  chiamado  Guion  ia  fraocese.  s  M.  Gautier  pense  qu'il  s'agit  plu- 
tôt de  Gui  de  Na?ifeuil,  donl  il  existe  à  Venise  uq  ms.  italianisé  {Ep.  nationa- 
les, 2c  éd.,  IV,  p.  481,  B.  4).  L'enchevêtrement  des  légendes  aboutit  généra- 
lement aune  confusion  entre  les  personnages  qui  portent  le  même  nom.  Dans 
la  tradition  française,  il  y  avait  deux  Gui  de  Bourgogne  et  un  Gui  de  Nan- 
teuil.  En  Italie,  les  deux  premiers  se  confondent  en  un  seul;  mais,  comme  la 
qualification  de  Gui  le  Sauvage  a  éfé  appliquée  au  fils  de  Garnier  de  Nanteuil 
et  de  la  belle  Aye  (V.  A>je  d'Avignon,  v.  2283),  les  Italiens  attribuent  ce  nom 
à  un  fils  de  Renaud,  Guidone  Selvaggio.  Arioste  le  supposera  fils  d'Aymon. 
M.  RainalFonti  deW  Orl.  Fur.,  p.  265)  ne  paraît  pas  regarder  le  Gui  de 
Nanteuil  comme  une  suite  A' Aye  d'Avignon  /est-ce  parce  que  ce  roman  serait 
de  date  trop  récente?  V.  pour  l'opinion  contraire  la  préface  de  l'édition  de 
M.  P.  Meyer, p.  ix. 

*  Encore  un  exemple  de  la  réunion  de  ces  quatre  personnages  dont  j'ai 
trouvé  aussi  les  noms  formant  un  seul  vers  à  la  fin  d'une  version  des  Quatre 
Fils  Aymon    Bibl.  nation.,  766,  f.  fr,). 


210  RECHERCHES 

Quatre  Fils  Aymon  (Bibl.  nat.,  ms.  766)  se  termine  parle  ré- 
cit d'une  guerre  contre  les  Sarrasins  où  Maugis  a  le  rôle  prin- 
cipal et  où  périssent  les  frères  et  les  fils  de  Renaud.  Or  parmi 
les  rois  sarrasins  figurent  au  premier  rang  Ydelon  de  Mon- 
torgueil  et  son  fils  Danemont.  Le  désastre  des  chrétiens  serait, 
d'après  l'auteur,  la  cause  de  .l'expédition  que  Charlemagne  fit 
contre  les  Sarrasins  d'Espagne. 

Jetons  un  coup  d'œil  sur  la.  Prise  de  Pampelune,  titre  que  je 
remplacerais  volontiers  par  celui  de  la  Conquête  des  villes,  qui 
aurait  l'avantage  de  rappeler  le  ch.  m  de  Turpin;  le  cadre 
est  celui-ci:  raconter  la  conquête  des  principales  villes  d'Es- 
pagne opérée  grâce  à  un  renfort  composé  nom^lnsdes  evfants, 
mais  des  troupes  de  Didier,  roi  des  Lombards.  Le  plan  diff'ère 
peu  de  celui  de  Gui  de  Bourgogne.  L'intervention  des  Lom- 
bards a  été  suggérée  par  la  présence  dans  l'armée  chrétienne 
d'un  renfort  italien  amené  par  quatre  marquis*  et  du  corps 
commandé  par  Constantin,  préfet  de  Rome'.  Dans  Turpin, 
Pampelune  est  prise  deuxfois,la  première  grâce  à  un  miracle 
qui  rappelle  la  chute  des  murs  de  Jéricho^,  la  seconde  à  la 
suite  d'une  grande  guerre*  :  de  là  l'idée  de  faire  coïncider 
l'arrivée  du  renfort  italien  avec  le  siège  de  cette  ville.  Comme 
Gui  de  Bourgogne,  Didier  obtiendra  un  honneur  qui  a  été  re- 
fusé à  Charlemagne,  et  Roland  dira  de  lui  (v.  291): 

Ch'il  a  fait  en  un  jour  plus  bontié,  sens  gaber, 
Che  en  cinc  ans  n'avons  feit. 

Le  caractère  italien  de  certains  détails  frappe  tout  d'abord. 
Roland  est  appelé  à  plusieurs  reprises  \e  sénateur  romain^.  Il 
commande  les  troupes  que  lui  a  confiées  l'Eglise  et  prend 
ainsi  la  place  de  Constantin  (v.  5827): 

A  vint  mil  civalers  de  sainte  Yglise  magne 
L'avant  ■  garde  conduit  Rolland  e  sa  compagne. 

'  Turpini  Mstoria  KaroU  cf  Rotholandis  c.  viii, 

2  0;j.  /.,  c.  XI.  —  3  G.  11.  — ^  C.  vi-xiv. 

^  Il  n'est  pourtant  pas  le  premier  à  porter  ce  titre.  Maugis,  à  la  fin  d'une 
des  versions  des  Quatie  Fils  Aymon  (nis.  7G(),  fonds  fr.  de  la  Bibl.  nation., 
ancien  7183),  est  élu  senator  de  Rome.  Lépisode  est  longuement  développé 
et  dut  frapper  les  Ilaliens. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  ?11 

L'idée  de  placer  les  Lombards  dans  rarmée  de  Charles,  de 
leur  attribuer  un  caractère  capable  d'aller  jusqu'à  la  révolte 
ouverte,  de  les  associer  à  une  grande  entreprise  commune, 
est  déjà  dans  l'épisode  de  la  construction  du  pont  sur  le  Rhin*. 
Il  y  avait  là  comme  un  conseil  de  les  relever  des  imputations 
qui  pèsent  sur  eux  dans  Ogier  le  Danois  (v.  4980): 

Vesci  Lunbars,  poi  i  a  loialtage, 
Traïtor  sont, 

passage  auquel  Didier  songe  sans  doute  quand,  pour  engager 
ses  soldats  à  tenir  tête  aux  Français  et" aux  Thiois,il  leur  dit 
(v.89): 

or  feisons  si  che  ao  desevremant 

Nul  jugleour  de  nous  maie  çançon  ne  cant. 

Mont-Garzin,  les  masques  que  Maoceris  fait  prendre  à  ses 
soldats-,  le  personnage  d'Altumaj or  ^,  sont  des  emprunts  faits 
à  la  Chronique.  Jonas  semble  venir  de  Simon  de  Fouille, 
poëme  dont  les  Italiens  ^  ont  certainement  profité.  Mais  l'idée 
d'un  conflit  entre  les  conquérants  de  Pampelune  et  les  autres 
soldats  de  Charlemagne  est  due  au  rapprochement  de  deux 


*  V.  Chanson  des  Saisnes,  clviii-clxvi. 

a  V.  1622.  Cf.  Turpin,  c.  xviii. 

3  V.  Turpio,  c.  IX,  xiv,xv,  xvm  et  le  supplément  de  Altumaiore  Cordubœ. 
V.'G.  Paris,  de  Pseudo-Turpino,  p.  37.  L'original  de  ce  personnage  est  Al- 
manzor,  qui  envahit  la  Galice  en  897.  La  prise  et  la  ruine  de  Léon,  la  prise  de 
Santiago,  les  défaites  des  chrétiens,  leur  victoire  à  Calataiiazor,  formèrent 
toute  une  légende  autour  du  nom  du  chef  maure.  V.  Espana  sayrada  de 
Florès,  XXXIV,  p.  293-312;  XXXVIII,  p.  12.  Le  supplément,  qui  place  avec 
raison  les  invasions  d'Almanzor  après  le  règne  de  Charlemagne,  contredit  le 
passage  du  c.  xvm,  où  le  Sarrasin  vaincu  reçoit  le  baptême  et  devient  vassal 
de  l'empereur  chrétieu  :  de  là  l'embarras  de  l'auteur  de  la  Prise  de  Pampe- 
lune, qui,  voyant  dans  la  chronique  et  les  suppléments  des  documeuts  au- 
thentiques et  ayant  tiré  de  la  conversion  d'Altumajor  un  des  épisodes  les 
plus  intéressants  de  son  poëme,  ne  sait  comment  expliquer  qu'un  tel  cheva- 
lier ait  pu  redevenir  un  ennemi  de  la  foi  chrétienne  (v.  5647.  s.). 

Alour  tous  li  borzois  Damnidieu  loerent 

Seul  pour  Altumajour  :  car  tous  moût  l'amoient  ; 

Mais  pues  la  mort  Zarllon  asés  vilainemeut 

Guerpi  il  Yesu  Grist  et  ovra  malement 

Ver  la  giant  Crestiaine,  se  Trepin  ne  nous  ment. 


212  RECHERCHES 

passages  de  Gui  de  Bourgogne.  Quand  l'armée  de  renfort  est 
arrivée,  ce  sont  les  Allemands  qui  doivent  lui  céder  leurs  cam- 
pements' ;  et,  à  la  fin  du  poëme,  une  querelle  éclate  entre  Gui 
et  Roland  au  sujet  du  palais  d'Aquilant,  roi  de  Luiserne.  La 
ville  a  été  prise  grâce  à  la  valeur  de  Gui,  pendant  une  absence 
de  Charlemagne,  qui  était  allé  faire  ses  dévotions  à  Saint- 
Jacques-de-Compostelle,  et  le  jeune  chevalier  ne  veut  rendre 
le  palais  qu'il  occupe  qu'à  l'empereur  lui-même.  Un  miracle 
termine  le  débat  par  la  destruction  immédiate,  et  conforme  au 
textede  Turpin,  de  l'objet  de  ladispute.  Charlemagne  demande 
au  ciel  que  Luiserne  disparaisse: 

Dont  n'éiissiés  vos  mie  demie  liue  aiée 

Que  la  citez  est  toute  en  abysme  coulée, 

Et  par  desus  les  murs  tote  d'eve  rasée, 

Si  est  assés  plus  noire  que  n'est  pois  destrempée, 

Et  li  mur  sont  vermeil  comme  rose  esmerée  ; 

Kncor  ce  voient  cil  qui  vont  en  la  contrée. 

Le  combat  des  Lombards  et  des  Thiois  est  là  comme  en 
germe;  mais  le  trouvère  italien  corrige  heureusement  son  mo- 
dèle en  donnant  à  Roland  l'honneur  de  rétablir  la  concorde 
entre  les  chrétiens. 

On  a  encore  comme  une  contre-partie  de  la  prise  de  Lui- 
serne dans  celle  de  Toletèle  par  Hestous.  Pendant  que  Char- 
lemagne et  Roland  sont  fort  occupés  ailleurs,  le  fils  d'Œdon, 
après  la  mort  de  Burabel,  roi  d'Agabie  (cf.  Turpin,  ch.  ix), 
s'empare  de  l'enseigne  du  Sarrasin,  la  fait  dresser,  et,  grâce  à 
ce  stratagème,  entre  dans  Toletèle  sans  coup  férir.  Quand 
Charlemagne  veut  être  accueilli  dans  la  place,  Hestous  lui 
répond  par  un  refus,  et  c'est  à  Roland  seulement  qu'il  consent 
à  ouvrir  la  porte  (v.  4838-4880,  5059-5106).  Cet  épisode  semi- 
sérieux,  semi-plaisant,  se  rattache  au  genre  mixte,  confinant 
au  roman  d'aventures,  auquel  appartient  Gui  de  Bourgogne. 

Autre  analogie.  Une  fois  les  fils  des  douze  pairs  engagés  en 
Espagne,  ils  doivent  leurs  succès  au  concours  fidèle,  mais  peu 
scrupuleux,  qui  leur  est  prêté  par  des  Sarrasins  convertis. 
Huidelon  de  Montorgueil  et  ses  fils,  Danemont  et  Dragolant, 

J  V.  1192,  s. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  213 

font  entrer  les  chrétiens  dans  la  tour  d'Augorie  en  trompant 
Ja  confiance  du  roi  Escorfaut,  et,  une  fois  Escorfaut  converti, 
il  livre  Emaudras,  roi  de  Maudrane^àses  nouveaux  alliés.  De 
même,  Altumajour  et  Carpent  n'hésitent  nullement  à  intro- 
duire par  ruse  les  Français  dans  les  villes  de  leurs  frères  de  la 
veille. 

On  sait  qu'il  j  a  une  lacune  considérable  entre  la  fin  du  ma- 
nuscrit de  Venise  xxi  [Entrée  de  Spagne)  et  le  point  où  com- 
mence le  manuscrit  v  {Prise  de  Pampelune).  Pour  remplir  ce 
vide,  nous  avons:  1°  la  Spagna  en  vers;  2°  les  rubriques  du 
manuscrit  perdu  de  la  Spagna  en  prose,  rubriques  publiées 
par  M.  Michelant  dans  le  Jahrbuch  d'Ebert,  t.  XII,  p.  65-72, 
217-232,  396-406;  3°  le  Viaggio  di  Carlo  Magno  m  Ispagna  per 
conqmstare  il  cammino  di  S.  Giacomo.  Or,  si  l'on  examine  ces 
divers  textes,  on  j  trouve  un  personnage  appelé  Gione  dans 
la  Spagna  en  vers,  Chirone  dans  la  Spagna  en  prose,  Algi- 
rone  dans  le  Viaggio:  c'est  le  Guron  de  IsiPiisede  Pampelune, 
et  il  me  semble  un  très-proche  'parent  de  Gui  ou  Guion  du 
Bourgogne.  Lorsque  Charlemagne  s'est  décidé  à  faireàMarsile 
la  fière  réponse  [Entrée  de  Spagne): 

A  fere  tôt  mes  venjances  veuut  est  la  vigille, 

Qi  m'ont  meffet  non  dormeut  qe  Karlons  se  reville, 

pauvrement  traduite  dans  le  Viaggio:  «EU'  è  venuta  la  vigi- 
lia  di  fare  le  nostre  vendette,  e  chi  m'a  fatto  alcuna  onta  ne 
ingiuria,  non  dorme,  chè  Carlo  si  risvegiia  moite  fiate»,  il  con- 
fie le  pouvoir  à  Anséis  de  Pontiu,  neveu  de  Ganelon^.  Charles 
est  parti,  les  années  se  sont  écoulées;  le  Mayençais  conçoit  un 
jour  le  projet  d'épouser  l'impératrice  et  de  s'emparer  du  trône. 
Mais  Roland,  qui  depuis  son  vojage  en  Orient  a  un  démon  à 
son  service,  avertit  Charlemagne,  et  celui-ci  est  transporté 
à  Paris  par  le  démon.  Il  se  fait  reconnaître,  chasse  le  traître 
Anséis,  et  revient  après  avoir  confié  à  Algirone  la  lieutenance 
générale  de  l'empire.  Voici,  d'après  le  Viaggio,  la  généalogie 
de  ce  personnage:  «S'appellavaAlgirone,  eerustato  figliolo  di 
Gimongello,  fratello  dello  re  Salamone  di  Bertagna,  e  Flora- 

1  Ansuis  de  Mayence  dans  le  Viaggio;  Macaire,  neveu  de  Ganelon,  dans  la 
Spagna  en  vers. 


214  RECHERCHES 

pace,  sorella  di  Florabbrazza,  fo  sua  madré,  ed  erano  diii  fra- 
telli,e  Taltro  s'apellava  Balduino,  dui  gioveni  infanli  di  venti 
anni^»  L'auteur,  ayant  dans  la  légende  de  Gui  de  Bourgogne, 
d'une  part,  l'histoire  de  son  mariage  avec  Floripas,  sœur  de 
P^ierabras  ;  de  l'autre,  le  roman  qui  porte  son  nom  et  oîi  nous 
le  voyons,  tout  jeune  encore,  conduire  en  Espagne  l'armée  des 
enfanls,  invente  deux  fils  auxquels  il  attribuera  la  part  de  ces 
récits  qui  ne  peut  se  concilier  avec  le  Fierabras.  En  effet, 
l'impératrice  charge  les  deux  frères  de  conduire  une  armée 
de  renfort  à  Gharlemagne.  Les  incidents  du  voj^age  diffè- 
rent ;  mais  l'imitation  est  manifeste.il  me  suffira  de  renvoyer 
au  passage  où  a  lieu  la  rencontre  des  deux  armées  chrétiennes. 

Quand  le  récit  du  Viaggio  atteint  la  Pinse  de  Pampelime,  on 
relève  quelques  différences.  C'est  Baudouin,  et  non  Algiron, 
qui  enlève  la  couronne  de  Marsile.  Il  n'est  parlé  ni  de  TAltu- 
majour,  ni  de  Carpent.  La  bataille  des  Lombards  et  des  Fran- 
çais a  lieu  avant  la  prise  de  Pampelune,  et  il  n'est  fait  aucune 
allusion  à  la  plaisanterie  par  laquelle  Gharlemagne  accueille 
la  demande  [que  fait  Didier  d'un  camp  où  il  puisse  loger  ses 
soldats  (Prise  de  Pampelune,  v.  198,  s.).  La  narration  est  d'ail- 
leurs complète  et  va  jusqu'au  châtiment  de  Ganelon.  L'auteur 
y  a  intercalé  une  imitation  de  Galien  le  Rétkoré,  de  manière  à 
associer  le  fils  d'Olivier  et  d'une  princesse  de  Portugal  (alté- 
ration du  récit  donné  dans  le  Voyage  à  Jérusalem)  à  la  bataille 
de  Roncevaux  et  à  la  fin  de  la  guerre. 

La  Spagna  en  vers  prêterait  à  des  observations  analogues. 
Ainsi  l'assaut  de  Pampelune  se  fait  de  la  même  manière  que 
celui  de  Luiserne  dans  Guide  Bourgogne. Roidind  attaque  d'un 


1  Ch.  XLi,  p.  67,  69.  Corap.  également  le  passage  correspondant  de  \nSpa- 
(jna  en  vers.  Dans  ce  poëme,  Gione  n'a  pas  de  frère.  L'auteur  de  la  Spagna 
en  prose,  si  l'on  en  juge  par  les  rubriques,  gâte  tout  cela;  v.  surtout  ch.  138. 
La  colère  de  Salomon  est  beaucoup  mieux  motivée  dans  la  Spagna  en  vers. 
J'ai  déjà  dit  que,  dans  le  roman  en  prose,  le  nom  du  personnage  en  question 
est  Chirone.  Dans  l'édition  des  fiea/t,  doutje  dispose  (Venise,  1787,  chez 
Pietro  Marcuzzi),  je  trouve  à  la  généalogie  le  passage  suivant:  dal  re  Sala- 
mon  nacquc  Lione,  il  quai -per  uso  deW  arco  fu  chiamato  Chirone.  Celte 
explication  classique  est  bien  conforme  aux  habitudes  de  l'auteur  des  Reali  ; 
du  moins,  elle  me  paraît  confirmer  la  forme  Chirone.  M.  Rajna,  dans  le  ta- 
bleau des  Geste  minori  placé  à  la  fin  de  son  étude  sur  les  Reali,  donne  les 
formes  Lianes  dette  Achiron. 


SUR  LES  CHANSONS    DE   GESTE  215 

côté,  son  rival  de  rautre,et  c'est  seulement  après  que  celui-ci 
est  entré  dans  la  ville  queRolandypénotreàson  tour. De  même 
Gui  et  Gione  peuvent  aller,  l'un  auprès  de  Huidelon,  l'autre  à 
la  cour  de  Marsile,  sans  être  arrêtés  par  les  Sarrasins,  parce 
qu'ils  s'annoncent  comme  des  messagers  de  paix.  Par  contre, 
Guron,  dans  la  Prise  de  Pampelune,  ne  dit  rien  de  pareil:  les 
gardes,  d'après  l'auteur,  avaient  ordre  de  laisser  passer  trois 
chevaliers  chrétiens,  et  pas  davantage.  Il  semblerait  qu'ici, 
comme  pour  le  récit  de  Roncevaux,  le  poëme  italien  remonte 
directement  aux  sources  françaises. 

Il  me  paraît  dans  son  ensemble  une  imitation  des  deux  poè- 
mes franco-italiens,  plus  fidèle  tout  à  la  fois  et  plus  indépen- 
dante que  le  Viaggio,  qui  tantôt  traduit  littéralement,  tantôt 
abandonne  ses  modèles.  Je  me  bornerai  à  remarquer  que  les 
noms  donnés  par  nos  chansons  de  geste  se  retrouvent  à  peu 
près  tous  dans  les  compositions  italiennes.  L'Aî^^a/fe  n'est  que 
YAlgalife  du  Boland  et  sera  VArgalia  de  Boiardo;  Maocéjis, 
qui  devient  successivement  Malzarize,  Maharix,  Mazzarigi, 
n'est  autre  que  le  beau  Margariz  de  Séville  du  Roland,  que,  dans 
le  texte  de  Venise  nous  voyons,  percé  de  quatre  épieux,  revenir 
vers  Marsile  pour  lui  annoncer  la  défaite  de  ses  premiers  ba- 
taillons, fait  rapporté  également  dans  le  Viaggio,  mais  attri- 
bué à  un  Algarixde  Séville. La  Spagna  en  vers  appliquecette 
donnée  successivement  au  roi  Bertoco  après  l'échec  de  Fal- 
sirone,  à  un  roi  sans  autre  désignation,  après  la  défaite  de 
Grandonio. 

Dans  ce  roman,  comme  dans  le  Viaggio,  Mazzarigi  ou  Mal- 
zarix  meurt  de  la  main  de  Roland  à  la  fin  du  combat.  Le  per- 
sonnage a  été  dédoublé,  par  suite  du  rôle  important  qu'il  a 
depuis  la  Prise  de  Pampelune.  Sansonnet  et  Ysorès,  plus  tard 
Sanso7ieito  et  Isoliere,  existent  déjà  dans  notre  épopée.  Dans 
le  Roman  de  Roncevaux,  ils  sont  du  nombre  des  barons  qui, 
étant  restés  auprès  de  Charlemagne,  survivent  à  la  destruction 
de  l'arrière-garde.Le  premier  n'est  autre  que  l'émir  Balant  de 
la  Chanson  d'Aspremoîît.  Quand  il  se  convertit,  on  l'appela 
Samson  ;  il  est  vrai  que  le  trouvère  ajoute  qu'il  mourut  àRon- 
cevaux';  mais  on  ne  saurait  songer  à  faire  concorder  les  di- 

'  Thomas,  Nouvelles  Recherches,  p.  48. 


216  RECHERCHES 

verses  formes  de  ces  légendes.  Ysorès,  dans  notre  épopée,  est 
surtout  le  nom  du  personnage  qui,  outragé  dans  son  honneur 
par  le  roi  Anséis,  livrera  l'Espagne  aux  mulsumans,  nom  que 
nous  retrouvons  dans  le  titre  d'une  chanson  de  geste  célèbre: 
«  Ci  commence  li  Moniage  Guillaume  et  si  com  il  tua  Ysoré 
devant  Paris  *.  »  Isolier  ne  gardera  de  ses  origines  que  sa 
fierté,  et  représentera  surtout  la  courtoisie  chevaleresque. 
Mais  j'avoue  ne  pas  retrouver  un  ancêtre  français  de  Çarpent 
de  la  Stoille  ou  Serpentino  délia  Stella. 

Dans  l'épopée  de  Boiardo,  les  noms  nouveaux  ne  sont  nom- 
breux, comme  M.  Rajna  l'a  vu  ^,  que  du  côté  des  Sarrasins;  les 
généalogies  des  barons  chrétiens  sont  établies  depuis  trop 
longtemps  pour  que  l'on  puisse  y  opérer  des  changements  de 
quelque  importance.  Mais  nos  trouvères  eux-mêmes  avaient 
donné  à  leurs  successeurs  l'exemple  de  ne  se  refuser  aucune 
liberté  à  l'égard  des  noms  des  rois  mulsumans  :  pourvu  que  ces 
noms  soient  déplaisants  ou  ridicules,  ils  n'hésitent  point  à  les 
employer.  Néanmoins  beaucoup  des  chefs  mahométans  donnés 
parles  chansons  de  geste  et  la  Chronique  de  Turpin  sont  con- 
servés dans  les  compositions  italiennes.  Il  y  a  souvent,  il  est 
vrai,  tantôt  déplacement  d'un  personnage,  tantôt  répétition 
d'un  même  tjpe,  tantôt  modification  d'un  caractère.  Le  roi 
Galafre,  devenu  Galafron,  régnera  fort  loin  de  l'Espagne,  au 
Cathaj  ;  Rodomont  viendra  se  placer  à  côté  de  Ferragus,  dont 
;!  prendra  à  son  compte  la  férocité  primitive;  du  roi  Aigo- 
lant  dérivent  d'autres  rois,  Agramant,  Agrican.  Boiardo,  à 
l'occasion  de  ce  dernier,  imitera  un  instant,  dans  son  récit 
semi-héroïque,  semi-badin,  le  passage  le  moins  épique  de  la 
Chronique.  On  se  rappelle  que  Roland  et  Ferracutus  ont  en- 
semble une  interminable  discussion  théologique,  que  les  au- 

1  Une  version  italienne  à! Anséis  de  Carthaije  a  été  publiée  en  1871  par 
M.  Ceruli.  Elle  est  intitulée  la  Seconda  Spugna.  Elle  est  suivie  de  YAcquisto 
del  Ponente  ou  conquête  de  l'Espagne  par  le  roi  sarrasin  Tibaldo.  On  voit 
comment  le  cycle  du  Roi  est  rattaché  à  celui  de  Guillaume  d'Orange.  Le  ms. 
d'où  ont  été  tirés  ces  deux  romans  appartient  à  l'Ambrosienne  et  date  de  la 
seconde  moitié  du  XV°  siècle.  M.  Gautier,  à  ^to\)0?, à' Anséis  de  Carthage,  ne 
parle  de  la  Seconda  Spagna  que  d'après  les  rubriques  du  manuscrit  Albani, 
aujourd'hui  perdu  {Ep.  natioji.,  2e  éd.,  111,  p.  638-639,  note). 

2  Rajna,  Fonti  deW  Orlando  Furioso,  p.  20-21. 


SUR  LES  CHAIsSONS  DE  GESTE  217 

teurs  de  V Entrée  de  Spagne  et  de  la.  Spagna  en  vers  reprodui- 
sent scrupuleusement,  mais  qui  est  abrégée  dans  le  Viaggio. 
Roland  voudrait  essayer  de  convertir  Agrican,  comme  jadis  il 
a  voulu  convertir  Ferracutus.  Agrican,  moins  conciliant  que  le 
géant,  répond  qu'étant  enfant,  il  a  cassé  la  tête  au  maître  qui 
voulait  l'instruire  ;  qu'il  faut  laisser  la  doctrine  au  prêtre  et  au 
docteur,  et  que  Roland,  avec  toute  sa  science  et  sa  sagesse,  fe- 
rait mieux  ou  de  dormir,  ou  de  parler  d'armes  et  d'amour.  Ce- 
pendant, une  fois  blessé  à  mort,  il  demande  et  reçoit  le  bap- 
tême'. L'allusion  à  la  science  de  Roland  serait  inintelligible 
si  l'on  ne  se  rappelait  les  distiques  consacrés  dans  la  Chronique 
à  l'éloge  du  vaillant  chevalier-.  De  ce  centon,  il  suffira  de  ci- 
ter deux  vers: 

Dogmata  corde  tenens,  plenus  valut  arca  libellis: 
Quiscjuis  quod  voluit  fonte  fluente  bibit. 

Parfois  tel  nom  ancien  est  appliqué  à  un  personnage  nou- 
veau, parce  qu'il  sonne  bien.  La  belle  Bradamante  doit  pro- 
bablement le  sien  aux  transformations  suivantes  :  dans  le 
Roland,  la  reine,  épouse  de  Marsile,  est  appelée  Bramimunde 
dans  la  première  partie,  Braniidonie  dans  la  seconde.  Elle  est 
dite  Braïdomme  et  Braidamonde  dans  le  Roman  de  Roncevaux. 
La  Spagna  en  vers  donne  Branda  ;  le  liaggio,  Braidamonte. 
Ce  nom  parut  sans  doute  trop  beau  pour  être  porté  par  une 
Sarrasine.  Le  quatrième  livre  du  Rinaldo  en  prose,  intitulé 
Mombello,  a  pour  sujet  les  amours  d'Aymes  et  d'une  jeune 
païenne  de  la  Dacie  :  de  cette  union  irréguiière  naît  la  coura- 
geuse Braidamonte,  qui,  au  sixième  livre  [Rubione  d' Anferna), 
sera  vaincue  par  son  frère  Renaud.  La  guerre  d'Anferna  une 
fois  terminée,  elle  épouse  son  oncle  Girard  de  Roussillon. 
Arioste  la  suppose  fille  de  Béatrix,  par  respect  pour  la  famille 
d'Esté  \ 

Boiardo  modifie  légèrement  le  nom  primititif,  de  façon  à  lui 

1  Orl.  iuJiamorato,  1. 1,  c.  xvin.  ott.  31  ;  —  c.  xix,  ott.  16. 

-  C.  XXIV  :  de  Nohilitate,  morihus  et  largitate  heuti  Hotliolandi  martyris. 

3  V.P.  Rajna,  Fonti  dell'  Ort.  fur.,  p.  46-47  et  516-517.  La  version  du 
Rinaldo  qui  a  pour  sixième  livre  le  Ru/jiotie  est  autre  que  celleque  M. Rajna 
a  étudiée  dans  le  Rinaldo  da  Montalijano.  V.  Fonti,  p.  45,  n.  2. 


218  RECHERCHES 

donner  un  sens  conforme  au  caractère  du  personnage,  et  la 
sœur  deRenaud  seva,Brand?amanle['A[ma.nt  les  épées).  Arioste 
adoucit  le  mot  en  Brandajnante.  De  même  àeRodamonte(Tonge- 
montagne)  il  fera  Rodomonte,  par  pur  besoin  d'euphonie. 

Le  nain  Brunel,  plus  tard  roi  de  Tingitane  en  récompense 
de  ses  services,  qui  se  vante  de  pouvoir  accomplir  les  prodiges 
les  plus  merveilleux  et  va  jusqu'à  dire  : 

Ruberù  al  Papa  il  suon  de  la  canipana', 

est  proche  parent  du  Maugis  primitif. 

Parmi  tous  ces  personnages,  il  en  est  un  dont  la  destinée 
est  plus  particulièrement  intéressante. 

Dans  la  Chronique  de  Turpin,  Estous  ou  Estoult-  est  un  des 
principaux  chefs  de  l'armée  de  Charlemagne,  l'égal  d'Arnaud 
de  Beaulande,du  roi  Arastagnus,du  duc  Engelier,du  roi  Gon- 
delbuef,  d'Ogier  et  de  Constantin.  Voici  les  passages  qui  le 
concernent  :  Estultus,  cornes  lingonensis,  filius  Odonù,  cum  tri- 
bus millibus  virorum  beliatorum^;  \\  est  le  seul  à  qui  Turpin 
attribue  un  compagnon,  Salomon,  soci'us  Estulli^;  dans  la 
marche  sur  Pampelune,  il  conduit  le  second  corps  de  troupes  °; 
il  figure  à  la  tête  de  son  armée  dans  la  bataille  sous  Pampe- 
lune''; il  est  enseveli  aux  Aliscans  avec  Salomon '. 

Estous  est  un  des  compagnons  de  Roland  dans  la  Chanson 
d' Aspremont^  ;  il  doit  à  la  manière  dont  il  a  été  présenté  dans 
Guide  Bourgogne  d'être  placé  au  premier  rang  dans  la  Prise 
de  Pampelune,  à  côté  de  Roland  et  mieux  en  vue  qu'Olivier, 

^  0)'l.  innam.,  1.  Il,  c.  m,  otl.  39-42. 

-  Estoul  est  encore,  en  Languedoc,  un  nom  de  famille  assez  répandu. 

^  C    XI,  p.  17  de  mon  édition. 

"  Ihid.,  p.  18.  —  '"  IbUL,  p.  19.  —  ^  d.  xiv,  p.  24.  —  '  C.  xxix,  p.  55. 

8  Estous  a  déjà  attiré  raltention.  V.  Mussafia,  Préf.  d.  1.  P.  d.  Pampe- 
lune;  G.  Paris,  Hist.  poét.  de  Ch.,  p.  183-189;  L.  Gautier,  Ep.  nation., 
2eéd.,ill,  p.  HT,  s.;  V\o 'R&inai,  Propugnatore ,  ann.  iv,  p.  83.  Dans  la 
Chanson  d'Aspremont,  lorsque  Roland  demande  d'être  fait  chevalier,  il  ne 
sépare  pas  sa  cause  de  celle  de  son  ami  Estous  : 

Je  ai  servi  de  la  cope  au  raengier, 
Estoz  de  Lengres  set  devant  vos  treucliier. 
Se  moi  et  lui  ne  fêtes  chevalier, 
Autre  serjant  vos  covieot  porchacier. 


SUR   LES  CHANSOI^S  DE   GESTE  219 

qui  devient  de  plus  en  plus  un  simple  reflet  de  son  ami.  Si  nous 
prenons,  en  effet,  non  le  texte  du  manuscrit  de  Tours  qu'ont 
publié  MM.  Guessard  et  Michelant,  mais  celui  du  manuscrit 
de  Londres  qu'ils  citent  souvent  dans  les  notes,  nous  voyons 
que,  dès  le  commencement  du  roman,  c'est  le  fils  cVOdon  de 
Lengres  qui  montre  le  plus  de  décision  et  de  hardiesse  entre 
les  fils  des  douze  pairs.  Quand  le  fils  de  Ganelon  réclame  la 
couronne,  Estous  le  fait  taire,  et,  après  avoir  dit  de  lui-même 
qu'il  est  trop  violent  pour  faire  un  roi  de  France,  il  s'associe 
aux  conseils  du  sage  Bertran.  Le  fils  de  Ganelon  s'étant  per- 
mis de  protester,  Estous  est  sur  le  point  de  le  frapper  d'un  bâ- 
ton (cf.  Otinel,  V.  101-108).  On  choisit  pour  roi  le  fils  de  San- 
son.  Gui  de  Bourgogne,  et  l'on  part  pour  aller  secourir  les 
pères  qui  soutiennent  depuis  si  longtemps  la  guerre. 

Les  premiers  incidents  du  voyage  mettent  encore  en  relief 
la  témérité  d'Estous,  soit  qu'il  veuille  attaquer  l'imprenable 
cité  de  Montorgueil,  soit  qu'il  franchisse  un  gué  pour  en  venir 
aux  mains  avec  les  Sarrasins,  soit  que,  dans  un  grand  combat, 
il  joute  avec  le  chef  des  païens,  Danemont.  Il  est  vrai  que,  dans 
la  suite  du  roman,  Gui  de  Bourgogne  devient  l'objet  unique 
de  l'attention,  et  qu'Estons  ne  se  montre  plus  que  rarement, 
tantôt  pour  parler  durement  à  son  père  qui  ignore  qui  il  est, 
et  qui  lui  répond  : 

Tu  as  mult  verai  non  : 

Tu  es  fel  et  estous;  Estous  t'apele  l'on; 

tantôt  pour  menacer  le  roi  Huidelon  plus  vertement  encore 
que  ne  l'ont  fait  Gui  et  Bertran: 

Estous,  li  fils  Œdon,  nï  volt  plus  arester, 

A  sa  vois  qu'il  ot  clere  commença  à  crier  : 

«  Huidres  de  Montorgueil,  ne  te  quier  à  celer, 

»  Laissié  ont  du  mesage,  mes  je  t' an  voil  conter,  »  etc.; 

tantôt  (v.  2175)  pour  réclamer  l'honneur  do  jouter  avec  le  fils 
de  Huidelon,  dans  des  circonstances  auxquelles  songeait 
l'auteur  de  la  Prise  de  Pampehme  quand  il  a  imaginé  de  faire 
jouter  Guron  (transformation  évidente  de  Gui  ou  Guion  de 
Bourgogne),  le  messager  de  Charles,  contre  deux  chevaliers 
de  Marsile. 


220  RECHERCHES 

Dans  Renaud  de  Montauban,  Estous  est  sans  doute  Fun  des 
barons  dont  Charlemagne  est  «onstamment  entouré;  mais, 
bien  que  le  compagnon  de  Roland,  il  n'a  pas  un  rôle  impor- 
tant. Une  seule  fois  il  prend  la  parole  de  façon  à  faire  connaî- 
tre son  caractère  :  c'est  dans  des  circonstances  graves.  L'em- 
pereur a  demandé  à  ses  pairs  de  se  charger  de  pendre  l'un 
des  fils  d'Aymes,  Richard,  qui  est  prisonnier.  Béranger,  Yde- 
lon,  Ogier,  Turpin,  Salomon,  Roland,  Geoffroy  d'Anjou,  Oli- 
vier, ont  successivement  refusé.  Charlemagne  s'emporte  et 
rappelle  quelle  terrible  vengeance  il  a  prise  des  douze  pairs 
qui  avaient  comploté  sa  mort.  Puis  il  s'adresse  à  Estous  et  lui 
fait  les  plus  belles  promesses;  s'il  veut  pendre  Richard,  il  lui 
donnera  Clermont  d'Auvergne,  Montferrant,  d'autres  fiefs.  Le 
jeune  chevalier  répond  adroitement  : 

«  Sire,  ce  dist  Estous,  merci,  por  amor  Dé. 

»  Ves  là  Œdon,  mon  père,  qui  tient  les  iretés. 

))  Onques  n'en  ci  encor  ne  chastel  ne  cité  ; 

»  Ains  sui  compains  Rollans  de  mes  armes  porter  ; 

»  Si  me  vif  de  mes  armes  com  autre  bacelers. 

»  Mais  quant  aurai  la  terre  et  tenrai  l'ireté, 

»  Adonc  ferai  je,  sire,  toute  vo  volenté.  •• 

«  Par  saint  Denis,  dist  Karles,  vos  i  covient  aler. 

»  Je  me  sui  por  les  autres  à  vo  cors  aboutés.  » 

«  Sire,  est  ce  donc  à  certes  que  vos  issi  parles?  » 

«  Oïl,  ce  dist  li  rois,  si  me  garisse  Dés.  )> 

((  Par  foi,  ce  dist  Estous,  or  vos  oi  je  jurer  ; 

»  Mais  par  celé  corone  que  vos  deves  porter, 

»  Vos  ne  voiries  estre  al  caaignon  fermer, 

»  Emperere  de  France,  por  .xnri.  cités.  » 

«  Oes,  sire,  dist  Guenes,  com  vos  a  ramprosné  '.  » 

Ces  fières  et  spirituelles  reparties  avaient  sans  doute  attiré 
l'attention  des  auteurs  de  X Entrée  de  Spagne  et  de  la  Prise  de 
Pampelune.  Désormais  Estous  n'est  plus  seulement  le  guer- 
rier le  plus  rude  et  le  plus  félon  de  l'armée,  le  fils  d'un  père 
oh  moult  ol  estoutie  {Gaydon,  p.  144).  Son  caractère  est  conçu 
d'une  façon  plus  complexe  et  plus  riche.  Il  est  aussi  rusé 
qu'entreprenant,  beau  parleur,  plaisantant  volontiers,  grand 

*  Renaud  de  Montauhmi,  p.  267. 


SUR  LES  CHANSONS   DE  GESTE  221 

ami  de  Roland,  mais  moins  confiant  que  le  comte  de  Clermont. 
Nous  avons  vu  comment  il  prend  Toletèle  et  comment  il  se 
permet  de  gaher  aux  dépens  de  l'empereur.  Mais  déjà,  lorsque 
Didier,  s'étant  réconcilié  avec  Cliarlemagne,  lui  offre  le  palais 
dont  la  possession  a  provoqué  un  si  terrible  combat.  Estons 
n'a  pu  s'empêcher  de  dire  tout  net  ce  qu'il  pense  (v.  402,  s.): 

«  Dexii'ier,  dist  Hestous,  de  ce  ne  dubités, 

»  Qa'il  le  prendra  tre  bien,  pues  que  ensi  le  priés; 

»  Car  de  si  feites  grâces  vous  feroit  il  asés. 

))  Se  je  l'ostel  eûse  eusi  corn  vous  gaagnés, 

»  Aotre  queo  duc  Hestous  [n'i  seroit  hosteliés].» 

Quand  l'empereur  l'oï,  si  en  list  à  cief  cliniés 

E  pues  dist:  «  Sire  Hestous,  por  Dieu  de  maïstés, 

»  Or  prendrai  je  l'hostel  pour  fer  vous  plus  iriés.» 

«  Bien  le  croi,  dist  Hestous,  sire,  nel  moi  juriés, 

)>  Car  plaisant  sempre  fustes,  courtois,  bien  costumés.» 

Quand  Ciiarlemagne  se  risque  à  demander  aux  pairs  quel 
est  celui  d'entre  eux  qui  consentira  à  céder  sa  [)lace  à  Mao- 
ceris,  c'est  Estons  qui  lui  répond,  et  il  le  fait  de-  façon  à  ôter 
toute  illusion  à  l'empereur  (v.  552,  s.): 

Primer  parolle  Hestous,  que  lieve  contre  mont 

E  dist  :  «  Sire  emperer,  par  Dieu  le  roi  dou  mont 

»  Nous  ne  somes  par  toi  en  host  ci  à  cist  pont, 

))  Mes  pour  amor  de  cil  que  de  bien  fer  est  pront, 

»  Ce  est  Rolland  tuen  niés,  à  cui  Danideu  dont 

))  Acomplir  suen  voloir,  car  maint  preu  en  auront. 

»  Il  ne  i  a  nul  de  nous  si  bais  ne  si  aou  font 

»   Que  ne  soit  duc  ou  prince  ou  grand marchis  oucont. 

»  Mieus  amons  [nous]  mourir  ou  le  cuens  de  Clermont 

»  Che  tenir  quant  que  vaut  Paris  jusque  en  Piémont.  » 

Il  faut  toute  l'autorité  de  Roland  pour  que  son  ami  consente 
âne  plusse  défier  de  la  loyauté  d'Isorés,le  nouveau  chrétien. 
Un  moment  la  trahison  semble  évidente.  La  douleur  d'Isorés, 
les  reproches  qu'Estons  fait  à  Roland,  la  réponse  de  celui-ci, 
forment  une  petite  scène  qui  n'est  pas  sans  mérite  (v,  4445, 
suiv.): 

14 


222  RECHERCHES 

Lour  quand  Isorés  oit  celle  giant  pourçeiie, 

De  dolour  qu'il  en  oit  fist  ciere  irascue; 

Pues  encliua  le  cief  e  tint  sa  boce  mue. 

«  Rolland,  ce  dist  Hestous,  la  couse  est  avenue 

»  Que  je  vous  ay  huy  tant  noncee  et  menteiie. 

»  La  parole  d'Hestous  ne  veut  être  creiie  ; 

»  Mais  ce  me  reconforte  et  de  parlier  m'arglie, 

»  Che  la  force  aou  lion  est  as  las  enbatue, 

»  E  la  pie  est  aou  broy  atainte  e  retenue.» 

«  Estons,  ce  dist  Rolland,  ancour  n'est  mie  rendue 

»  La  proie  as  Saracins,  ains  sera  cier  vendue 

)»  Avant  que  nous  crions  l'ensagne  recreiïe.» 

Le  silence  si  expressif  d'Isorés,  l'ironie  d'Estous,  la  fermeté 
confiante  et  fière  de  Roland,  ne  pouvaient  être  mieux  rendus, 
et  je  ne  pense  pas  que  l'on  me  sache  mauvais  gré  d'avoir  re- 
produit un  passage  aussi  remarquable  ;  après  l'avoir  lu,  on 
comprend  que  des  poèmes  composés  et  écrits,  abstraciion 
faite  de  la  langue,  comme  la  Prise  de  Pampelune  (je  ne  parle 
pas  de  V Entrée  en  Espagne  dont,  à  mon  grand  regret,  je  ne 
connais  que  l'analyse,  où  d'ailleurs  les  beaux  vers  ne  man- 
quent pas),  aient  pu  rendre  populaires  en  Italie  des  récits  d'ori- 
gine française. 

Ainsi  le  personnage  d'Estous  commence  à  se  dégager  de 
cette  série  monotone  où  se  répétait  à  l'infini  le  type  du  che- 
valier robuste  et  courageux.  En  même  temps  se  produit  un 
fait  qui  relève  de  la  philologie.  Du  substantif  Zan^res  il  était 
naturel  de  tirer  un  adjectif:  Estons  de  Lengres  ou  de  Langles 
(cf.  angélus,  angle,  angre),  ce  qui  dans  l'usage  populaire  ne 
difi"ère  nullement  d'Estous  de  V Angles,  sera  dit  Estous  V An- 
glais. Cette  transformation  se  fait  sous  nos  jeux  dans  la  Prise 
de  Pampelune  :  v.  4408,  Hestous  l'Englois;  v.  4845:  E  à  cinc 
çant  civalers  Englois  de  sa  maison;  v.  4870:  A  cent  des  siens 
Anglois  Hestous  baud  etnovel.  — Le  fait  a  lieu  pour  d'autres 
qu'Estous.  Sur  le  conseil  de  Ganelon,  on  envoie  à  Marsile  les 
deux  messagers  dont  il  est  parlé  si  souvent  (v.  2547): 

Dons  civalers  de  Langles,  ond  l'un  d'eu  se  noma 
Basin,  l'autre  Basel. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  223 

Le  premier  est  appelé  ailleurs  (v,  459)  FEnglois  Basin*. 

Que  restait-il  à  faire  aux  poètes  italiens  ?  A  préférer  au  nom 
d'Estous  ou  d'Estoult  celui  d' Astolfo,  qui  leur  était  plus  familier  ; 
et  c'est  ainsi  que  le  cornes  lingonensis  de  Turpin  se  transforme 
en  un  beau  prince  Astolfo  inglese,  riche,  spirituel,  aimable, 
d'une  galanterie  qui  a  son  origine  dans  les  aventures  amou- 
reuses des  autres  paladins,  et  en  particulier  d'Olivier  à  la  cour 
de  l'empereur  de  Constantinople. 

Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  retrouver  dans  les  vieux  textes 
tel  trait  que  les  poètes  de  la  Renaissance  ont  fait  ressortir 
avec  prédilection.  On  sait  que,  dans  les  romans  italiens,  Astolfe 
est  fréquemment  désarçonné  :  ce  qui  lui  vaut  les  railleries  de 
ses  compagnons,  et  qu'il  n'est  à  l'abri  de  cette  sorte  d'acci- 
dents que  du  jour  où  le  charitable  Boiardo  met  entre  ses  mains 
la  lance  d'or  du  frère  d'Angélique.  Cette  légende  remonte 
haut.  Dans  la  Spagnaen  prose  2,  nous  voyons  Astolfe,  prison- 
nier de  Ferragus,  en  compagnie  des  autres  pairs,  moins  Ro- 
land, commencer  déjà  à  rejeter  sur  son  cheval  la  chute  ma- 
lencontreuse qui  l'a  livré  à  son  adversaire  :  «  Chôme  Astolfo 
))  molto  si  schuso  dell'  essere  abattuto,  e  chôme  fue  difetto  del 
»  suo  chavallo,  e  chôme  Ferraue  gli  fecie  mangiare  in  sua  pre- 
wsenza,  e  poi  fecie  nella  torre  in  una  chamera  fare  letti  per 
»  loro. » 

Il  est  curieux  que  le  futur  possesseur  de  la  lance  d'or  pé- 
risse dans  leViaggio  précisément  parce  que  son  adversaire,  le 
Vieux  de  la  Montagne,  est  muni  d'un  bouclier  enchanté  qui 
aveugle  ceux  qui  ont  le  malheur  de  le  regarder.  Turpin,  in- 
struit par  le  malheur  d' Astolfe,  a  soin  de  fermer  les  yeux 
avant  d'aborder  le  Sarrasin.  Il  peut  ainsi  le  tuer  et  lui  enlever 
le  bouclier  ;  mais  cela  ne  l'empêche  pas  d'être  obligé  de  fuir 
devant  Malzarix,  Le  bond  que  fit  le  cheval  de  l'archevêque 
en  cette  circonstance  laissa  quatre  empreintes  sur  le    sol: 


1  M.  Thomas,  Op.  L,  remarque  que,  dans  VE7if)-ée  de  Spayne,  Estous  est 
d'abord,  comme  dans  la  légende  française,  fils  d'Odon,  duc  de  Langres;mais 
que  bientôt  une  confusion  singulière  s'introduit,  et  sous  la  plume  du  scribe 
et  dans  l'esprit  même  du  poëte:  pour  lui,  Estous  commence  à  ne  plus  être 
Lengrois  ou  même  Lenglois,  mais  Englois,  et  ses  soldats  sont  d'Angleterre. 

2  Auch.  xxii,  d'après  les  rubriques  publiées. 


224  RECHERCHES 

«anche  chi  ci  va,  lo  po  vedere^  «Boiardo  doit  peut-être  à  cet 
endroit  l'idée  de  confier  la  lance  enchantée  à  Astolfe  et  l'épi- 
sode comique  où  Turpin  fuit  devant  Roger,  tombe  avec  son 
cheval  dans  un  ravin  et  ne  doit  son  salut  qu'à  la  générosité 
du  jeune  chevalier^. 

Les  romans  italiens  qui  dérivent  de  Y  Entrée  de  Spagne  et  de 
la  Prise  de  Pampelune  se  terminent  par  le  récit  du  désastre 
de  Roncevaux,  et  achèvent  ainsi  de  remplir  le  cadre  que  l'au- 
teur de  Y  Entrée  de  Spagne  s'était  tracé.  La.  Spagna  en  vers,  la 
Spagna  en  prose,  la  Rotta  di  Roncisvalle  et  les  derniers  chants 
du  Morgante,  ont  été  de  la  part  de  M.  Rajna  l'objet  d'une 
étude  minutieuse,  d'où  il  résulte  que  chacune  de  ces  composi- 
tions successives,  tout  en  s'inspirant  de  celles  qui  la  précé- 
daient, présente  souvent  des  traces  d'une  imitation  directe  de 
la  Chanson  de  lioland  et  de  la  Chronique  de  Turpin,  et  que,  par 
conséquent,  les  textes  français  ont  été  connus  en  Toscane  jus- 
qu'à la  fin  du  XV^  siècle.  L'imitation  du  Galien,  que  l'on  ren- 
contre dans  le  Viaggio,  est  une  nouvelle  preuve  à  l'appui  de 
l'opinion  de  M.  Rajna. 

Plus  l'on  étudiera  les  romans  italiens  du  moyen  âge,  et  plus 
Ton  y  retrouvera  la  marque  d'une  connaissance  très-étendue 
de  notre  littérature  épique.  Telle  chanson  de  geste,  dont  au- 
cun texte  italien  ne  fait  mention  d'une  façon  expresse,  a  été 
néanmoins  récitée  sur  les  bords  du  Pô  et  de  l'Arno,  et  l'épo- 
pée italienne  lui  doit  plus  qu'on  ne  pense.  On  ne  saurait  nier 
qu'ylye  d'Avignon  et  Gui  de  Nanteuil  ne  forment  un  ensem- 
ble dont  aient  pu  tirer  parti  des  imitateurs  intelligents.  J'ai 
cru  y  voir  dans  Amauguin  le  prototype  de  Ghinamo  ;  et,  d'ail- 
leurs, l'opposition  si  nettement  marquée  entrela  geste  des  traî- 
tres et  le  lignage  des  barons  loyaux,  le  rôle  chevaleresque  du 
Sarrasin  Ganor,  la  variété  des  aventures,  off'rentavecle  roman 
italien  des  caractères  de  ressemblance  qu'il  suffit  d'indiquer. 
Restait  à  trouver  dans  ces  poèmes  un  endroit  qui  eût  été  l'ob- 
jet d'une  imitation  incontestable. 

M.  Rajna,  arrivé   aux  prodiges  qui,  dans  les   compositions 
italiennes,  suivent  la  trahison  de  Ganelon,  ajoute:  «  Aucune 

'  C.  un,  p.  187. 

2  Orl.  innam.,  1,  III,  c.  iv,  oit.  41-45. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  225 

version  française  ne  contient  rien  de  semblable.  »  La  question 
est  intéressante  et  mérite  d'être  étudiée  de  plus  près. 

Dans  la  Chansun  de  Roland,  lorsque  Ganelon  va  recevoir  le 
gant,  le  bâton  et  la  lettre,  il  se  produit  un  t'ait  que  les  Fran- 
çais regardent  comme  un  mauvais  présage: 

Li  Emperere  li  tent  sun  guant,  le  destre  ; 
Mais  li  quens  Guenes  iloec  ne  volsist  estre  ; 
Quant  le  dut  prendre,  si  li  caït  àtere: 
Dient  Franceis:  «  Deus  !  que  purrat  ço  estre? 
«  De  cest  message  nus  aviendrat  grant  perte'.  » 

Quand  Roland  apprend  qu'il  est  chargé  du  commandement 
de  Farrière-garde,  il  reproche  durement  cette  maladresse  à 
son  parâtre. 

Plus  loin,  une  tempête  et  un  tremblement  de  terre  se  dé- 
chaînent sur  toute  la  France  au  moment  oîi  Tarmée  de  Mar- 
sile  va  entrer  en  ligne,  et  le  trouvère  s'écrie-  : 

C'est  la  doulur  pur  la  mort  de  Rollant! 

Mais  rien  de  pareil  n'a  lieu  lorsque  Ganelon  conclut  avec 
Marsile  l'accord  qui  livre  aux  Sarrasins  Roland  et  les  douze 
pairs. 

Il  en  est  autrement  dans  les  romans  italiens. 

Dans  la  Spagna  en  vers,  avant  même  que  Ganelon  et  Mar- 
sile aient  eu  d'entretien  secret,  le  ciel  avertit  le  traître  qu'il 
connaît  ses  intentions: 

Essendo  Gano  e  Marsilio  a  sedere, 
Si  com'  io  dissi  nel'  altro  cantare, 
In  su  una  sedia  di  grande  valore, 
Clie  'Itradimento  vole  ordinare, 
Dio  dimostrô  alhora  per  suo  potere 
Che  quella  sedia  si  vide  fîaccare, 
Marsilio  e  Gano  caderno  in  terra. 
Il  mal  pensier  perô  Gannon  différa. 

Ganelon  est  étonné  ;  mais  il  n'en  reste  pas  moins  résolu  à 
trahir  les  Français. 

IV,  .3.31.— 2  V.  1437. 


226  RECHERCHES 

Demême  que  dans  la  Chanson,  Marsile  conduit  son  hôte  dans 
un  jardin;  mais  Fauteur  croit  devoir  donner  une  courte  des- 
cription du  lieu  : 

Aveva  in  quel  giardino  una  fontana 
Coq  cierti  pomi  d'intorno  adornata, 
Ch'  al  mondo  non  è  ignuna  si  sovrana, 
D'un  prato  belle  tutta  atorniata*. 

On  apporte  le  livre  où  est  racontée  l'histoire  deMahom,  et 
c'est  la  main  posée  sur  ce  livre  que  Ganelon  jure  de  trahir 
Roland. 

Dans  la  Chanson,  les  choses  se  passent  autrement.  Ganelon 
n'oublie  pas  qu'il  est  chrétien  et  jure  sur  les  reliques  enfer- 
mées dans  le  pommeau  de  sonépée: 

Sur  les  reliques  de  s'espée  Murglais 
La  traïson  jurât,  si  s'est  fors  faiz  ~. 

C'est  Marsile  qui  prête  serment  sur  le  livre  qui  contient  la 
loi  de  «Mahum  et  Tervagan.  » 
Alors  le  Christ 

Voile  mostrar  miracolo  compiuto  ; 
Che  quella  fonte  d'aqua  cosi  chiara 
Diventô  rossa  corne  sangue  [ejaraara; 
E  gli  alberi  dell'  orto  si  secaro, 
La  giente  allor  maravigliossi  molto  '. 

Je  remarque  d'abord  que  dans  la  Spagna  il  n'est  fait  au- 
cune mention  de  la  chute  du  gant,  et  que  Roland  n'y  réclame 
pas  contre  le  choix  qui  a  été  fait  de  lui  pour  commander  l'ar- 
rière-garde. Le  premier  mauvais  présage  est  donc  supprimé; 
mais,  par  compensation,  nous  en  trouvons  un  autre,  plus  in- 
telligible sans  doute  pour  les  auditeurs  italiens  :  la  chute  du 
siège  où  Ganelon  et  Marsile  avaient  pris  place,  siège  qui  est 
bien  le  fauteuil  d'ivoire  sur  lequel,  dans  la  Chanson,  on  dépose 
le  livre  sacré  des  Sarrasins,  mais  que  l'auteur  italien  a  cru 
plus  naturel  d'employer  à  un  autre  usage. 

1  Texte  donné  par  M.  Rajna,  d'après  le  ras.  de  la  Laurenlienne,  Rotta  di 
Rondsvalle,  p.  74.  —  ^  V.  607.  —  ^  Cité  d'après  M.  Rajua,  Op.  /.,  p.  74. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  227 

Restent  trois  détails  :  la  fontaine,  le  changement  de  cou- 
leur que  subissent  ses  eaux,  les  arbres  qui  se  dessèchent. 

C'est  aux  romans  de  la  Table-Ronde  que  remonte  l'habitude 
de  décrire  des  jardins  ornés  de  fontaines.  Mais  l'idée  de  mon- 
trer la  nature  protestant  contre  un  acte  odieux  de  trahison 
n'est  pas  sans  exemple  dans  notre  épopée.  Dans  Renaud  de 
Montauban,  lorsque  le  roi  Yon  et  ses  barons  ont  décidé  de  li- 
vrer les  fils  Ajmon  à  Charlemagne,  et  que,  sur  l'avis  de  Rai- 
mon,  on  convient  de  les  amènera  se  rendre  sans  armes  dans 
la  plaine  de  Vaucouleurs,  nous  trouvons  un  prodige  de  même 
nature  que  le  changement  de  couleur  des  eaux  de  la  fontaine 
de  la  Spagna  *  : 

Por  saint  Renaut  fist  Des  illuec  grant  inonstrison. 
Escrist  est  à  Tremoingne,  en  la  fiertre  au  baron: 
La  chambre  qui  fu  blanche,  en  mua  sa  color  ; 
Illueques  devint  inde  et  perse,  corn  charbon, 
Et  li  ,1,  ne  vit  l'autre,  ains  chaïrent  trestot. 
Une  grant  pièce  jurent  illuec  en  pamison, 
Puis  issent  de  la  chambre,  lor  conseil  fine  ont. 

!1  n'y  a  pas  là  d'imitation  proprement  dite,  mais  une  sorte  de 
transposition.  Il  semble,  d'ailleurs,  que  l'auteur  delà  Sparjna 
n'a  pas  voulu  s'en  tenir  à  cette  seule  application  d'une  donnée 
qu'il  trouvait  heureuse  ".  D'après  lui,  pendant  que  Charlema- 
gne est  à  Saragosse,  Ganelon  tue  le  gardien  de  la  prison  où  il 
était  enfermé,  prend  un  cheval  et  s'enfuit;  mais  Dieu  fait  des- 
cendre un  brouillard  épais,  et,  le  jour  suivant,  le  traître,  qui 
n'a  pu  s'éloigner,  est  repris  par  ses  gardiens  ".  Dans  le  Roman 


1  Renaus  de  Montauhan.  p.  160. 

'  Toutes  les  littératures,  tant  qu'elles  en  sont  encore  à  la  période  de  l'iraita- 
tion,  ne  négligent  rien  dans  les  modèles  dont  elles  s'inspirent.  On  est  tout 
surpris  quand  on  voit  quels  emprunts  les  Latins  ont  faits  aux  Grecs:  idées, 
'mages,  coupes  de  vers,  le  poète  latin  reproduit  tout  avec  une  sorte  de  su- 
perstition. Dans  l'édition  que  j'ai  donnée  d'une  imitation  italienne  (//  Fiore) 
du  Roman  de  la  Rose,  on  peut  voir  comment  aucun  mot  digne  d'attention, 
aucun  détail  intéressant,  n'a  échappé  à  l'imitateur,  bien  que  souvent  un  seul 
de  ses  sonnets  soit  composé  d'emprunts  faits  sur  toute  l'étendue  du  vaste 
poëme. 

3  Rajna,  Rotta  di  Ronc.,ç.9i. 


228  RECHERCHES 

de  Roncevaux,  Ganelon  s'enfuit  deux  fois,  d'abord  quand  les 
Français,  revenant  dans  leur  pajs,  s'arrêtent  sur  les  bords 
de  la  Sorges;  le  traître  est  repris,  non  sans  peine,  par  Othon, 
que  viennent  aider  Ysorés  et  Samsonnet'.  Dieu  a  allégé  le 
poids  des  armes  d'Othoii  pour  qu'il  puisse  rejoindre  Ganelon. 
La  seconde  fois,  le  jugement  de  Dieu  allait  décider  entre  Gon- 
drebuef  de  Frise  et  Ganelon  ;  mais  à  peine  celui-ci  est-il  à 
cheval  qu'il  s'échappe  encore  ;  on  le  rejoint,  et  il  est  ramené 
à  Montloon.  C'est  alors  que  Pinabel  se  présente  pour  défendre 
la  cause  de  son  oncle-.  L'auteur  de  la  Spagna  réduit  ces  deux 
tentatives  d'évasion  à  une  seule  ;  mais  il  essaje  d'ajouter  quel- 
que relief  à  son  récit,  et,  comme  il  a  supprimé  la  poursuite 
d'Othon,  il  donne  à  l'intervention  divine  la  forme  que  l'on  a 
vue  plus  haut.  Le  Viaggio  se  borne  à  suivre  exactement  le  ré- 
cit du  Roman  de  Roncevaux,  si  ce  n'est  que  l'on  était  déjà  arrivé 
à  Blaye  quand  a  lieu  la  première  évasion  de  Ganelon. 

Dans  Aye  d'Avignon,  nous  retrouvons  les  arbres  qui  devien- 
nent stériles  à  la  suite  de  la  trahison  de  Ganelon. 

Bérenger,  ne  pouvant  plus  défendre  Grellemont,  abandonne 
la  place, mais  emmène  avec  lui  Aje  d'Avignon,  qu'il  a  enlevée 
à  Garnier.  Quand  ils  débarquent  à  Aigremore,  le  roi  Ganor  les 
fait  prisonniers,  retient  Aye  qu'il  veut  épouser,  et  envoie  les 
fils  de  Ganelon  au  roi  Marsile,  qui  leur  fera  bon  accueil  en 
souvenir  du  service  qu'il  a  reçu  de  leur  père.  Bérenger  et  ses 
frères  sont  donc  conduits  en  Espagne,  à  Morinde,  qui  était  la 
capitale  de  Marsile*  : 

Morinde  fu  assise  ou  chief  de  .nn.  mons  ; 
.n.  [eves]  fors  et  rades  li  corent  environ, 
De  par  trestote  Espengne  amainnent  garison. 
Les  murs  en  furent  tous  asmans  et  macedon, 
Que  tors  i  ot  moult  grans  entor  et  environ, 
Estre  la  maistre  selle  le  roi  Marcillion 
Qui  tient  très  bien  de  lonc  le  trait  à  ,i.  bojon. 
Çà  dehors  est  la  place,  estoit  droit  au  perron; 
.lui.  loriers  i  a  de  moult  bêle  façon. 


1  V.  11115-11560.  —  2V.  12452-12624. 

^  Dans  Anséi.-^  de  Carthu(/e,  lacapitalg  de  Marsile  est  cgaleracut  iMorinde; 
elle  est  la  Mecque  dans  la  Seconda  Spagna. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  229 

Dec  porparla  Ganes  la  mortel  traïson 
Dont  inorurent  à  glaive  li  .xii.  compaignon. 
Signant  vertu  i  fist  Damediex  por  Karlon 
Que  des  loriers  qui  furent  là  planté  environ 
Aine  puis  n'en  porta  nul  ne  foille  ne  boton, 
Et  si  sont  trestuit  vert  de  terre  jusq'  en  son^. 

Il  est  remarquable  qu'aucune  des  données  que  présentaient 
les  textes  français  n'a  été  négligée  :  il  y  a  toujours  une  version 
où  elle  est  employée. 

La  tempête  et  le  tremblement  de  terre  mentionnés  par 
la  Chanson  de  Roland  ont  été  transportés,  par  Fauteur  de  la 
Spagna  en  prose,  à  l'endroit  où  il  raconte  la  trahison  de  Ga- 
nelon.  A  peine  Ganelon  et  Marsile  ont-ils  promis  avec  serment, 
l'un  de  livrer  l'arrière-garde  chrétienne,  l'autre  de  payer  le 
prix  convenu,  qui  est  la  couronne  de  France,  qu'un  grand  vent 
s'élève,  ébranle  la  fontaine  et  fait  trembler  Ganelon,  qu'il  est 
nécessaire  de  rassurer;  enfin  tout  se  calme,  a  Dicie  Turpino 
))  che  in  questo  medesimo  di  venue  e  giunse  quel  vento  tra  gli 
»padiglioni  di  Carlo,  e  tutti  gli  gittô  per  terra  con  tutte  le 
))  loro  bandiere  e  gonfaloni,  e  massimamente  gittô  per  terra 
»  quegli  del  conte  Orlando  e  d'Ulivieri  e  d'Astolfo  e  degli  altri 
))paladini  molto  più  che  gli  altri,  del  quale  segnio  lo  re  Carlo 
»  e  gli  altri  signiori  presono  grande  ammirazione,  dicendo  : 
))Iddio  ci  aiuti.  «Ce  prodige  se  renouvelle  encore  quand,  le 
troisième  jour,  Marsile  et  Ganelon  prêtent  serment  sur  le  livre 
de  Mahomet.  Cette  fois  la  fontaine  s'écroule,  ainsi  que  de  nom- 
breuses maisons.  Les  conditions  de  la  paix,  qui  doivent  être 
soumises  à  Charlemagne,  sont  enfin  arrêtées,  et  la  tempête  et 
le  tremblement  de  terre  se  re[)roduisent  une  dernière  fois-. 

On  voit  que  l'auteur  de  ce  roman,  qui  reproche  si  volontiers 
à  \-a.  Spagna  en  vers  de  ne  pas  suivre  exactement  le  récit  de 
Turpin,  c'est-à-dire  les  versions  françaises  ou  franco-italiennes 
de  la  Chanson  de  Roland,  tient  à  bien  marquer  les  emprunts 
qu'il  fait  lui-même  aux  sources  anciennes.  D'ailleurs,  il  s'est 
ingénié  à  profiter  de  tout  ce  qui  avait  été  négligé  par  son  pré- 
décesseur. 

M.Rajna   a  remarqué    que  les  versions  italiennes  puisent 

1  V.  1605  s.  —  2  Rotta  di  Ronc,  p.  42-43. 


Î30  RECHERCHES 

indiiFéremment  dans  les  récits  français,  la  Chronique  de  Tur- 
pin  et  les  poëmes  franco-italiens.  Voici  un  exemple  où  une  indi- 
cation de  Turpin  a  été  Torigine  d'un  épisode  intéressant. 

D'après  la  Chanson,  Baudouin,  le  fils  de  Ganelon,  était  resté 
en  France,  et  son  père,  avant  de  partir  pour  la  cour  de  Mar- 
sile,  le  recommande  à  ses  compagnons  d'armes'. 

Dans  la  Chronique  de  Turpin,  Baudouin  figure  au  nombre 
des  chefs  de  l'armée  de  Charlemagne-.  A  la  fin  du  combat  de 
Roncevaux,  il  se  réfugie  avec  Tliierrj  dans  une  forêt,  où  ils 
se  tiennent  cachés^.  Il  reparaît  au  moment  où  Roland  est  sur 
le  point  d'expirer,  cherche  vainement  de  l'eau,  que  le  mou- 
rant réclamait  pour  calmer  sa  soif  ardente,  le  bénit  et  part 
dans  la  crainte  que  les  Sarrasins  ne  le  surprennent*.  Il  arrive 
devant  Charlemagne  au  moment  où  Turpin,  de  son  côté,  ra- 
contait comment  il  avait  appris  par  une  vision  la  mort  de  Ro- 
land et  de  Marsile  ;  il  dit  tout  ce  qui  s'est  passé  et  qu'il  a  laissé 
Roland  agonisant^. 

On  ne  pouvait  tirer  un  plus  mauvais  parti  d'un  personnage 
doublement  intéressant  comme  fils  de  Ganelon  et  frère  de  Ro- 
land. Dans  plusieurs  versions  italiennes,  les  Sarrasins,  aver- 
tis de  la  présence  sur  le  champ  de  bataille  du  fils  de  celui  à 
qui  ils  devront  la  victoire,  et  le  reconnaissant  à  un  signe  con- 
venu, ont  grand  soin  de  l'épargner  jusqu'au  moment  où,  sur 
le  conseil  de  Roland,  il  change  de  costume  et  ne  tarde  pas  à 
succomber. 

L'auteur  de  la  Spagna  en  prose  a  voulu  revenir  au  texte  de 
Turpin  sans  renoncer  à  l'idée  de  compter  Baudouin  au  nom- 
bre des  guerriers  qui  meurent  à  Roncevaux.  Aucun  chrétien 
n'a  pu  échapper  aux  coups  des  Sarrasins,  excepté  le  fils  de  Ga- 
nelon, qui  s'est  armé  et  s'est  enfui  vers  le  camp  de  Charlema- 
gne. Dans  sa  course,  il  reçoit  plusieurs  blessures  mortelles. 
Il  rencontre  Salomon  et  lui  raconte  le  désastre.  Le  roi  de 
Bretagne  revient  sur  ses  pas,  la  nouvelle  se  répand;  Baudouin 
raconte  à  Charlemagne  la  destruction  de  l'arrière-garde,  et, 
après  avoirmauditla  trahison  de  son  père,  il  tombe  et  meurt '^. 
Pulci  a  certainement  eu  raison   de  s'inspirer  du  récit  de  la 

>  V.  295,  s.;  364,  s.  —  2  c.  xi,  p.  18.  —  ^  c.  xxi,  p.  42;  xxii.p.  44.  — 
1  C.  xxni,  p.  50.  —  K  C.  XXV,  p.50.  —  ^  Rajna,  Rotta  diRonc,  p.  45. 


SUR  LES  CHANSONS   DE  GESTE  231 

Spagnaen  vers,  plutôt  que  de  la  variante  imaginée  parle  pro- 
sateur. 

Dans  le  Viaggio,  Ton  rencontre  ici  une  singulière  contra- 
diction qui  montre  que  l'auteur,  désireux  surtout  de  former 
une  compilation  plus  riche  que  ses  devanciers,  oublie  parfois 
de  mettre  ses  notes  en  ordre.  Dans  son  récit,  Ganelon,  en  trai- 
tant avec  Marsile,  demande  bien  que  Ton  ne  fasse  aucun  mal 
à  son  fils,  qui  restera  dans  la  vallée  avec  Roland  et  qui  sera 
reconnaissable  à  son  cheval  blanc  ^  ;  mais,  dans  le  combat,  il 
n'est  pas  plus  question  de  ce  fils  que  dans  nos  chansons  de 
geste.  L'auteur  a  été  sans  doute  embarrassé  par  l'emploi  qu'il 
avait  déjà  fait  du  nom  de  Baldovino  pour  désigner  le  frère 
d'Algiron.  Aussi  lorsque  Roland,  à  bout  de  forces,  demande 
avec  instances  quelques  gouttes  d'eau,  ce  n'est  plus  à  son  frère, 
mais  à  l'archevêque  Turpin,  qu'il  s'adresse'.  On  a,  par  com- 
pensation, Thistoire  du  fils  d'Olivier,  Galeant,  et  l'on  ne  sau- 
rait blâmer  l'auteur  d'avoir  utilisé  une  des  plus  heureuses  va- 
riantes de  la  Chanson  de  Roland. 

M.  Rajna,  se  fondant  sur  ce  que  Baudouin,  fils  de  Ganelon, 
se  retrouve  dans  toutes  les  versions  italiennes,  tandis  que, 
d'après  la  Chanson,  il  a  été  laissé  tout  enfant  en  France,  en 
induit  que  l'introduction  de  ce  personnage  dans  le  combat 
est  due  probablement  à  l'âge  franco-italien  •'.  La  première  idée 
appartient  cependant  à  la  Chronique  ;  et,  dès  lors,  si  l'on  songe 
que  Turpin  n'a  rien  inventé  en  matière  de  narration  épique, 
ne  peut-on  pas  supposer  qu'il  emprunte  cet  emploi  du  per- 
sonnage de  Baudouin  à  une  version  de  la  Chanson  de  Ro- 
land? 

Dans  la  Spagna  en  vers,  il  n'est  point  parlé  de  Baudouin 
dans  l'entretien  de  Marsile  et  de  Ganelon,  et  c'est  Falserone 
qui  a  l'idée  de  faire  épargner  le  jeune  chevalier.  Il  avertit  ses 
barons  que  Baudouin  porte  sur  son  vêtement  un  faucon  d'ar- 
gent sur  champ  d'azur  :  ce  sont  les  armes  de  la  lignée  de 
Griff'es  de  Hautefeuille.  Dans  le  Morgante,  c'est  Ganelon  qui 
songe  à  la  sûi'eté  de  son  fils  et  en  fait  une  des  conditions  de 
son  pacte  avec  Marsile.  Le  roi  sarrasin  lui    donne  sa  propre 

1  C.  xxxvu,  p.  127.  —  2  G.  LUI,  p.  l'Jl,  —  •'  Rotta  di  Ronc,  p.  81. 


232  RECHERCHES 

soubreveste,  qui  empêchera  que  Baudouin  ne  soit  confondu 
avec  les  autres  chrétiens.  Dans  ce  poëme,  Roland  n'a  pas  de 
lui-même  la  pensée  de  conseillera  Baudouin  de  changer  d'ar- 
mure. Il  rencontre  Buiaforte,  fils  de  son  ancien  ami  le  Vieux 
de  la  Montagne,  qui  lui  apprend  quelle  trahison  a  été  ourdie 
parGanelon,  et  lui  explique  pourquoi  Baudouin  est  épargné 
par  les  Sarrasins. 

A  propos  de  la  Chronique  de  Turpin,  et  sur  le  point  de  n'en 
plus  parler,  me  passera-t-on  d'essayer  d'y  retrouver  l'expli- 
cation d'une  difficulté  qui  a  jusqu'ici  embarrassé  les  critiques? 
Le  chiffre  des  soldats  que  Charlemagne  confie  à  Roland  est  de 
20,000  dans  la  Chanson^  et  dans  la  Chronique  -.  Dans  V Entrée 
de  Spagne,  cette  troupe  est  fournie  par  le  Pape,  ce  qui  peut 
résulter  d'une  confusion  entre  les  20,000  soldats  de  Roland  et 
les  20,000  autres  que  le  préfet  Constantin  amène  de  Rome. 
Mais,  dans  les  récits  italiens,  on  trouve  le  chifi're  de  20,600 
{Spagna  en  vers  et  en  prose)  et  de  20,666  [Viaggio).  Le  se- 
cond nombre  n'est  qu'un  exemple  de  cette  précision  d'abord 
sérieuse,  puis  ironique, qui  caractérise  le  roman  italien;  mais 
il  n'en  est  pas  de  même  du  premier.  Je  n'y  verrais  pour  ma 
part  que  le  résultat  d'une  mauvaise  lecture.  L'on  peut  admet- 
tre que,  dans  l'expression  «cum  viginti  millibus  Christiano- 
rum»,ron  ait  écrit  l'abréviation  m?'lbus  de  telle  sorte  que  le  b 
ait  été  pris  pour  un  v  ou  v,  et  que  le  signe  représentant  us  se 
soit  confondu  avec  le  signe  !<=.  Dès  lors  on  aura  cru  lire  cujn 
viginti  mil  W^  . 

Le  roman  chevaleresque  italien  du  moyen  âge  aboutit  au 
Morgante  de  Pulci;  c'est  l'œuvre  d'un  lettré,  et  dès  lors  l'épo- 
pée populaire  cède  la  place  aux  inventions  plus  brillantes, 
mais  moins  sincères,  des  poètes  de  cour. 

Parmi  les  motifs  que  Pulci  tient  de  son  devancieranonyme", 
l'auteur  de  VOrland»,  il  en  est  un,  celui  de  la  femme  guer- 
rière, dont  il  n'a  pas  été  parlé  jusqu'ici.  C'est  qu'en  effet,  dans 
nos  chansons  de  geste,  on  ne  rencontre  pas  de  châtelaine  qui 
songe  à  revêtir  une  armure  et  à  courir  le  monde.  La  Galacielle 
àeV Aspramonte  est-elle  l'aïeule  de  toute  cette  famille  où  bril- 
lentBradamante,  Marfise  et  Clorinde?  Boiardo  et  Arioste  sem- 

IV.  789.  —  2C.  XXI. 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  233 

blent  le  reconnaître  en  lui  donnant  pour  enfants  Mai^flse  et 
Roger'.  Sans  doute  en  Italie  les  réminiscences  classiques  sont 
chose  ordinaire,  et  Penthésilée,  Camille,  Tlppolita  de  la  Te- 
seide,  sont  sûrement  les  personnages  auxquels  les  poètes  de  la 
Renaissance  songeaient  le  plus,  quand  ils  jetaient  leurs  hé- 
roïnes dans  la  mêlée  des  batailles;  mais  le  moyen  âge  italien 
avait  eu  aussi  des  amazones,  telles  que  Meridiana  et  Antea, 
Dans  une  des  suites  à'Aye  d'Avignon,  dans  le  long  roman  de 
Tristan  de  Nanteuil,  nous  vojons  Aye,  déguisée  en  chevalier 
sous  le  nom  de  Gaudion,  combattre  longtemps  dans  les  rangs 
des  païens-. 

M.  Rajna  n'accepte  pas  l'idée  émise  par  P.  Paris  ^,  qu'Ayc 
déguisée  en  chevalier  pourrait  bien  être  le  premier  exemple 
de  la  femme  guerrière  dans  la  poésie  romanesque.  Il  distingue 
la  femme  guerrière  et  la  géante*.  L'origine  de  ce  tjpe  ne  me 
semble  devoir  être  rapportée  à  aucun  personnage  déternjiné. 
La  chanson  de  geste  tournant  de  plus  en  plus  au  roman,  et 
les  guerres  perdant  leur  gravité  primitive  pour  ressembler  à 
de  simples  tournois,  les  dames,  qui  sont  l'occasion  de  la  plu- 
part des  querelles,  devaient  finir  par  descendre  dans  l'arène 
ou  bien  se  risquer,  elles  aussi,  en  quête  d'aventures.  L'héroïne 
du  roman  est  une  forme  gracieuse  du  chevalier  errant.  Les 
armures  des  vieux  seigneurs  féodaux  étaient  trop  lourdes  pour 
des  châtelaines,  et  la  femme  de  Beuves  d'Aigrement,  comme 
la  femme  de  Renaud,  ne  parlent  de  la  guerre  qu'avec  effroi. 

Je  voudrais  résumer  en  quelques  mots  la  pensée  qui  me 
paraît  se  dégager  de  ces  recherches.  De  l'épopée  française 
à  l'épopée  italienne,  il  n'y  a  pas  de  solution  de  continuité;  le 
genre  se  modifie  suivant  le  talent  des  auteurs  et  en  perdant 
insensiblement  de  sa  variété  primitive;  mais,  jusqu'au  seuil  de 
la  Renaissance,  le  roman  populaire  italien  s'applique  encore  à 
rester  fidèle  à  ses  origines  françaises  et  ne  s'en  sépare  qu'à 
son  insu.  Au  fur  et  à  mesure  qu'augmente  le  nombre  des  com- 


*  Orl.  hviam.,  1.  II,  c.  i,  ott.  70-73  ;1.  III,  o.  v,  oit.  24  s.  Cf.  Rajaa,  Fonti 
deir  0.  F.,  p.  44-45,  447-453. 

^  M.  P.  Meyer,  préface  de  Gui  de  Nanteuil,  p.  xix. 
■'  Histoire  littéraire,  xxvi,  p.  268. 

*  Fonti  deW  Orl.  Fur,,  p.  41-43. 


234  RECHERCHES 

positions,  il  devient  plus  malaisé  d'y  démêler  la  part  de  Fan- 
cien  et  du  nouveau,  parce  que  chacune  d'elles  est  à  son  tour 
l'objet  de  remaniements  et  le  point  de  départ  d'imitations  i)lus 
ou  moins  originales,  et  un  fait  semblable  s'était  produit  en 
France  dès  la  seconde  époque  de  notre  poésie  narrative.  Mais, 
tout  compte  fait,  il  est  peu  de  données  générales,  ou  même  de 
détails  intéressants,  dont  l'on  ne  puisse  retrouver  l'origine  ou 
des  exemples  dans  des  œuvres  françaises. 


ADDITIONS 


LE   MANUSCRIT  766. 

Ce  manuscrit  (ancien  7183)  contient  le  Maugis  (T Aigremonl 
et  une  version  de  l'histoire  des  Fils  Ajmon.  Le  Maugis,  qui 
n'est  pas  suivi  du  Vivien,  est  complet,  sauf  une  lacune  consi- 
dérable (v.  278-444  du  texte  de  Montpellier),  et  contient  en- 
viron 8,000  vers.  Le  texte  de  Montpellier  est  écourté  en  nom- 
bre d'endroits,  mais  me  paraît  en  général  donner  une  leçon 
plus  ancienne.  Les  circonstances  m'ont  empêché  de  consulter 
à  temps  le  texte  de  Paiis.  Je  cite  l'endroit  où  est  raconté  com- 
ment Esclarmonde  adopte  Vivien  [F°  3,  r°  /j]: 

Ele  reçut  l'enfant  dcdenz  sa  geroniiée. 

La  dame  l'esgarda  qui  fu  preuz  et  senée, 

Onques  si  bêle  rien  el  mont  ne  fu  trouvée. 

«  Par  Mahommet,  dist  ele,  qui  mainte  ame  a  sauvée, 

»  11  vivra  longuement,  n'i  a  mestier  celée. 

»  Or  ait  non  Vivien  par  bone  destinée.  )> 

Ainsi  li  a  mis  non,  c'est  vérité  provée. 

Vivien  fu  clamé  tant  com  il  ot  durée. 

Tant  vescu  longuement  que  il  l'ot  espousée. 

Quant  Maugis  ot  la  teste  à  Sorgalant  coupée 

0  le  brant  acerin,  soz  Mêlant  eu  la  prée, 

Fu  la  dame  et  s'anor  à  Vivien  donnée. 

La  généalogie  donnée  par  Oriande  contient  seulement  les 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  ?35 

noms  suivants  :  Beuves,  Girard  de  Roussillon,  AjmesdeDor- 
donne,  Guion  de  Nanteuil  {sic),  Otes  de  Polise,  Hernaut  de 
Monder;  mais  j'y  relève  une  bonne  leçon: 

0  vous  passa  le  Far  sans  nef  et  sanz  dromon. 

Le  texte  de  Montpellier  donne  la  mer,  et  a  supprimé  plus 
haut  l'itinéraire  qu'a  suivi  l'esclave  en  se  dirigeant  vers  la 
Sicile:  Milan,  Rome,  Aspremont.  De  même,  il  abrège  par  trop 
la  fin  du  discours  d'Oriande  : 

«  Si  vous  oï  plorer  tôt  sol  sans  compaignon 

»  El  maillolet  petit  qui  fu  de  grant  renon, 

»  Et  je  vous  emportai  sor  le  mul  arragon. 

))  Soavet  vous  nom  aval  en  ma  meson 

))  Tant  qu'estes  chevalier  et  as  armez  preudon. 

»  Mon  cors  et  mon  avoir  vous  ai  mis  à  bandon, 

))  Et  or  vous  ai  perdu,  n'i  ai  recouvroison.   » 

Dans  le  ms.  766,  l'on  a,  si  je  ne  me  trompe,  un  essai  de  con- 
ciliation de  la  version  du  Beuves  d' Aùjremont  de  Montpellier 
et  des  versions  plus  anciennes.  Voici  le  résumé  de  la  partie 
la  plus  importante. 

Après  la  mortd'Enguerrand  et  de  Lohier  a  lieu  une  longue 
guerre  ;  puis  la  paix  est  accordée  à  Beuves  et  à  ses  frères. 
Les  traîtres,  dont  aucun  n'est  désigné  par  son  nom,  conseil- 
lent à  l'empereur  de  se  venger  de  celui  qui  a  tué  son  fils.  Il  ne 
répond  rien  ;  seulement,  «  tant  ont  prié  le  roi  qu'il  fontotroii- 
son.  »  A  cet  endroit,  le  trouvère  interrompt  sa  narration  pour 
parler  des  quatre  fils  Aymon.  Ils  étaient  à  Dordonne.  Leur 
mère  leur  dit  que  la  paix  est  faite  entre  leur  père  et  l'empe- 
reur, et  leur  conseille  d'aller  à  la  cour  servir  Charlemagne.  Ils 
prennent  de  beaux  vêtements  et  se  présentent  à  Charles,  qui 
leur  oiîre  de  les  faire  chevaliers. 

Le  jour  suivant  a  lieu  l'adoubement  de  Renaud  et  de  ses 
frères.  Après  une  quintaine  où  Renaud  se  distingue  entre  tous, 
on  rentre  à  Paris,  et  le  vaillant  chevalier  distribue  de  riches 
présents. 

Cependant  les  traîtres  sont  allés  à  la  rencontre  du  ducd'Ai- 
gremont.  Le  combat  a  lieu  dans  les  prés  sous  Bordeaux.  Ga- 
nelon  n'y  joue  aucun  rôle  :  Griftes  de  Hautefeuille  est  seul  res- 
ponsable du  meurtre. 


236  RECHERCHES 

Pendant  que  l'on  tuait  son  époux,  la  duchesse  racontait  à 
ses  fils  Maugis  et  Vivien  un  songe  qui  Tavait  effra3'ée.Maugis 
promet  que,  s'il  arrive  malheur  à  son  père,  il  saura  le  venger. 
Arrive  le  corps.  La  duchesse  s'évanouit.  Les  messagers  disent 
ce  qui  s'est  passé  et  ajoutent  ce  détail,  emprunté  à  la  version 
ancienne,  que  les  traîtres  ont  coupé  la  tête  à  leur  victime. 

On  rend  les  derniers  honneurs  au  duc,  et  Tévêque  tâche  de 
consoler  la  duchesse;  mais  ses  deux  fils  avertissent  Girard 
(le  Roussillon,  Tout  à  la  fois,  on  apprend  à  Paris  la  nouvelle  de 
la  mort  de  Beuves,  et  Charles  reçoit  un  messager  de  Girard 
qui  lui  déclare  une  guerre  implacable.  Cette  guerre  néanmoins 
est  à  peine  indiquée,  et  la  paix  est  conclue.  Puis  Charles  tient 
sa  cour  à  Paris.  Les  fils  Aymon  y  viennent,  tout  en  se  promet- 
tant de  venger  leur  oncle.  On  joue  aux  échecs.  Bertelès  et 
Renaud  jouent  ensemble.  Le  premier  s'irrite,  insulte  Renaud 
dans  les  termes  que  l'on  sait  et  le  frappe.  Mal  reçu  par  Char- 
lemagne,  Renaud  proteste  et  rappelle  la  mort  de  Beuves: 
entre  lui  et  Charles  il  n'y  a  pas  eu  d'accord.  L'empereur  le 
frappe  au  visage,  Renaud  s'éloigne,  rencontre  Bertelès  et 
le  tue.  Un  combat  violent  s'engage,  et  les  fils  Ajmon  peuvent 
fuir.  On  les  poursuit:  Alard,  Guichard,  Richard  sont  jiris  et 
seraient  pendus,  si  Aymes  n'obtenîiit  qu'ils  soient  enfermés 
dans  une  charlre  où,  mal  nourris,  ils  ne  pourront  vivre  long- 
temps. Cependant  Renaud  a  rencontré  Maugis,  et  celui-ci,  par 
un  enchantement,  tire  ses  cousins  de  prison. 

Ce  remaniement  dérive  de  celui  de  Montpellier,  mais  ne  le 
vaut  pas,  bien  que  l'auteur  du  Rinaldo  s'en  soit  inspiré. 

ORIANDE 

Ce  nom  me  paraît  emprunté  à  celui  que  porte,  dans  le 
Mainet,  la  belle  Sarrasine  qui  deviendra  l'épouse  de  Charlema- 
gne:  Orionde  Galie,  La  fille  de  Galafre  connaît  les  arts,  sait 
prédire  l'avenir  et  consulte  le  ciel  dans  un  miroir  magique. 
Plus  tard,  le  nom  de  Galienne  sera  attribué  à  une  fée,  dans 
Gulien  le  Rhétoré.  Peut-être  le  miroir  que  Galienne  consulte 
pour  connaître  le  passé  et  l'avenir,  est-il  l'origine  du  procédé 
que  Marsile  emploie,  dans  V Entrée  de  Spagne,  pour  savoir  de 


SUR  LES  CHANSONS  DE  GESTE  Î37 

quel  côté  Charleraagneva  conduire  son  armée.  Y.  liomania,  lY, 
l'article  de  M.  G.  Paris  sur  Mainet,  p.  311,  312,  et  l'article  de 
M.  Rajna  sur  Ogier  le  Danois,  p,  416.  Ce  nom  d'Orionde  se- 
rait-il la  marque  de  l'application  aux  Enfances  de  Charlemagne 
d'une  variante  des  légendes  germaniques  sur  Œrwandil  et 
Orendel?  V.Simrock,  Deutsche  Mythologie,  4"^  édit., 245-247. 


Errata 

P.  76,  1.  22,  lisez  :  mulet  misaudour ;  92,  1.  29,  lisez:  essayé  de 
détourner  ;  95, 1.  20,  corrigez  :  et  [ert]  de  sa  maison  ;  96,  v.  8,  corri- 
gez :  sorpelis  ;  102,  v.  9,  rétablir:  mez  ;  v.  19,  lisez  :  Bien  sai  chanter  ; 
V.  24,  le  nis.  766  donne:  Ne  fust  une  desteches  o  moi  fust  le  sejor, 
corrigez  :  ne  fust  mie  d'esteches  ;  108,  v.  3,  lisez  :  Si  l'aiez  (habeas)  ; 
1 13,  V.  1 1,  lisez  :  par;  122,  v.  1,  supprimez  :  [le]  ;  123,  v.  45,  corrigez  : 
Acui[t]ié  ;  132, v.  16,  lisez  :  Quer  il  n'en  sevent  pas;  133,  v.  20,  l'en 
aoure;  v.  49,  supprimez  :  [s]  ;  134,  v.  79,  135,  v.  95,  162,  v.  1077, 
lisez  :  entre  si  c';  134,  v.  82,  lisez  :  ques  guie  ;  136,  v.  135,  Beneeite  ; 
137,  V.  182,  pautonniere  ;  139.  v.  241,  supprimez  :  n'  ;  139,  v.  252,  sup- 
primez :  dans  ;  146,  v.  508,  lisez  :  lors  fu  ses  deus  couraus  ;  152, 
V.  710,  plus  que  soi  cart;  153,  v.  733,  trenchie  ;  v.  753,  Qui  l'atendra; 
154,  V.  765,  acherins  ;  156,  v.  859,  corrigez:  e[n]s  u  grant  fereis  ;  157, 
V.  881,  lisez:  l'en;  v.  885,  corrigez  :  voit;  v.  887,  lisez:  en  son;  168, 
V.  19,  cor rigez :  du.  Mans  conte  Huon;  171,  v.  16,  lisez:  chen  soi  de 
vérité;  v.  18,  s'el  ;  174,  1,  1,  lisez:  autre. 


15 


VARIÉTÉS 


DIE    XIII   JUNII   M.IIIl"   LV*°.    REQUESTA   REDDITA    DOMINIS    CONSU- 
LIBUS   PER  HONESTUM  VIRUM  LUDOVICUM  d'aNDREA'. 

IHS 

Espausa  per  davantvos,  messenhoslos  cossolsde  la  présent 
villa  de  Monpellier-,  Loys  d'Andréa  que  en  Fan  m  cccc  xlvii, 
per  ordenansa  de  S"".  Jaques  Cuor,  allora  argentier  e  con- 
selhier  del  rej  nostre  senhor,  e  de  voluntat  e  consentiment  de 
vostres  predecessos,  merchans  e  habitans  vostres,  e  aquels 
consentens  e  non  contradisens,  fonc  ordenat  de  far  fajre  una 
logia  en  la  présent  villa  de  Monpellier  e  en  la  plassa  comuna- 
mentapellada  las  Taulas,  e  parelhament  una  fontajna  de  foras 
la  présent  villa,  près  de  la  glieysa  dels  Carmes,  apelada  la  Font 
Putanella;  laqualla  logia  e  fontajna  se  dévia  fayre  de  serta- 
nas  grassias  o  remessions  que  lo  dict  Jaques  Cuor  avia  pro- 
mesas  de  far  donar  per  lo  Rey  nostre  senhor  alla  dicha  villa, 
sobre  la  cotta  e  porsion  toquant  alla  villa  tant  de  las  talhas 
precedens  que  aquellas  a  venir  ;  es  ansi  que,  per  comensar  los 
dict[s]  obrages  e  aquels  a  finir,  lodict  Jaques  Cuor,  avent  totta(s) 
poysansa,  hordenet  al  dict  spausant,  loqual  era  luoctenent  de 

[1  Ce  documeat,  concernant  la  Font  Putanelle  (Cf.  Revue  IV,  142),  nous  a 
été  communiqué  par  M.  Adolphe  Ricard,  qui  l'a  extrait  autrefois  des  archives 
municipales  de  Montpellier  (aujourd'hui  portefeuille  DD).  Outre  l'intérêt  histo- 
rique qu'il  reçoit  du  nom  de  l'homme  illustre  qui  s'y  trouve  mentionné,  il  en 
offre  aussi  un  autre,  simplement  philologique,  que  dos  lecteurs  apprécieront; 
c'est  d'être  un  échantillon  authentique  du  dialecte  de  Montpellier  et  de  la  gra- 
phie de  ses  notaires,  au  milieu  du  XV  siècle.  —  Cet  article  était  composé,  — 
texte  et  note,  —  et  prêt  à  paraître  dans  notre  n»  de  juillet,  quand  nous  avons 
appris  que  M.  le  docteur  Coste  allait  publier  de  son  côté  le  même  document 
eu  appendice  à  un  travail  important  sur  les  fontaines  de  Montpellier.  Ce  tra- 
vail a  paru  dans  le  dernier  Bulletin  de  la  Société  languedocienne  de  géo- 
graphie, et  on  y  lit  en  effet  noire  document.  Nous  n'avons  pas  cru  cependant 
devoir  sacrifier  ces  trois  pages,  dont  l'intérêt  reste  entier  pour  ceux  de  nos 
lecteurs  qui  sont  étrangers  à  la  Société  de  géographie.  —  Féd.] 

-  En  abrégé  :  77ioplr,  avec  Vo  surmonté  d'un  tilde,  et  1'/  barrée.  De  même 
plus  bas.  Peut-être  vaudrait-il  mieux  lire  Monpeslier 


VARIETES  239 

Johan  de  Casaus,  ressebedor  partiqular  en  la  diocesa  de  Ma- 
ghalona,  que  dels  denyes  de  sa  receppta  paguessa  e  contentessa 
tott  so  que  saria  necessari  toquant  los  hedifflsse[s]  de  la  dicha 
logia  e  fontayna,  per  la  parelha  somma  recobrar  de  la  villa,  a 
causa  de  lurs  grassias  o  remessions,  lasquals  se  ténia  segur  de 
obtenir  ;  e  en  ayssindas  es  estât  acomplit  per  lo  dict  spausant, 
sans  aver  alcuna  seghurtat,  se  non  tant  solament  las  paraulas 
del  dict  Jaques  Cuor,  ont  la  causa  es  estadaperilhosa.  Mays 
alla  pressutta  e  gran  diligensa  del  dict  spausant,  tant  per  sa 
seghurtat  que  de  la  villa,  affac  sercar  aquellas  grassias  o  re- 
messions, que  perlo  dict  senhor  se  desia  estre  autregiadas  alla 
présent  villa,  an  gran  cost  e  despens,  lasquals  atrobadas  affac 
levar  per  lo  secrettari  e  de  aquellas  ne  a  rendut  conte  en  la 
cambra  dels  conte[s].  Een'  las  dichas  lettras de  grassias  eracon- 
tengutt  que  aquel  que  faria  receppta  saria  tengut  en  rendre 
conte  ali  huffissies  reals  e  reliqua  e  averaquit  de  vos,  messen- 
hos,  o  precuros  vostres,  coma  plus  a  plem  se  pot  veser  per  las 
dichas  lettras.Es  entrevenghut  que  monss'lo  precuror  gêne- 
rai perlo  reynostre  senhor,  comessari  sobre  la  receppta  e  des- 
pensa de  la  présent  logia  tant  solament,  estant  en  la  présent 
villa  de  Monpellier,  a  compellit  lo  dict  espausant  de  en  ren- 
dre conte  per  davant  el,  tallament  que  se  es  atrobat  per  final 
conte  estre  débita  de  cccxx  f.  xii  s.,  de  laquala  somma  lo  dict 
spausant  avolguttrebatrelasommade  cmixxvf.  xii  s.,  a  causa 
de  la  despensa  fâcha  alla  dicha  Font  Putanela,  laquala  somma 
non  a  volgutt  amettre,  disent  que  alla  villa  apertenia  de  o  pa- 
ghar  e  que  la  dicha  resta  apertenia  al  rey  a  causa  de  la  plassa. 
Item  talament  es  estât  procesit  avant  que  righorosament  et  de 
fact,per  capption  de  personnae  de  bens,  es  estât  compellit  lo 
dict  espausant  a  delieurarebaylar  a  monss'^Otto  Castelan,  ar- 
gentier e  conselhier  del  dict  senhor, la  dicha  somma  de  cccxx 
f.  XII  s.;  per  lasquals  causas  lo  dict  espausant  s'es  complant  a 
vostres  predecessos  e  despoys  a  vos  autres,  tant  a  causa  de 
la  dicha  fontayna  que  dels  haquitz  de  las  dichas  grassias,  e  far 
complimentai  paghamen(s)  d'aquelas,dont  per  vostres  predeces- 
sos et  per  vos  autres,  messenhos,  es  estatt  reffusuns  o  delaj'ans  a 
son  gran  pregiudisse  e  dannage.Eperque  a  el  non  puoscaestre 

1  iMs.  ?ie. 


240  VARIETES 

enputat,  per temps  endevenidor,  que  lo  ben  e  utilitatde  la  villa 
e  causa  publica  que  a  sa  estansia  sia  estada  lesida  e  agravada 
per  los  pregiudisses  [que]  en  poirian  seguir,vos  suplica  que  vo 
plasa  de  lo  far  contentar  so  que  ly  es  degutt  de  resta  de  las 
dichas  grassias,  affln  de  vos  faj're  vostras  quitansas.  E  pare- 
Ihament  que  el  sia  quitat  de  las  dichas  grassias  e  ajsso  a  con- 
fermation  vostra,  a  causa  de  vostre  dret  que  aves  eu  la  dicha  lo- 
gia,  e  d'altra  part,  atendutt  non  aves  volgutt  défendre  ne  prene 
degun  carghe  a  causa  de  la  dicha  fontajna  e  que  ella  reman 
alla  villa  e  a  servitut  d'aquela  e  comuna  a  hung  cascun,tant  ha- 
bitaus  que  strangies,  que  vos  plassa  de  Ij  paghar  la  dicha  soma 
de  c  un XXV  f.  xii  s.,  que  monta  la  dicha  despeiisa  an  tottz  dans 
e  enteresses.  Car  non  es  rasonàble  ella  sia  sobre  el  ne  del 
sieu  0  degia  paghar.  E  en  aquesta  e  en  totas  altras  causas  vos 
plassa  de  donar  talla  provesion  que  el  non  agia  causa  de  estre 
malcontent  de  vos  autres.  Altrament,  en  cas  que  per  vos,  mes- 
senhos,  fosses  en  aysso  reffusant  o  delayans,  protesta  contra 
vos  autres  e  contra  la  comunitat  e  bens  d'aquela,  en  la  mjlhor 
forma  e  maniejra  que  de  justissia  pott  ne  deu,e  de  averrecors 
aquiont  apertendra  assa  seghurtatperlas  causas  sobredichas, 
e  d'aysso  vos  en  demanda  a  vos,  nottari,  estre  fac  esturment 
public.  —  En  la  presensia  de  vos  testimonis  ayssi  presentz. 

Datum  pro  copia originali  per  me  J,  Sici  not.  (Seing 

du  notaire). 


COPIA  DE  LA  RESPONSA  QUE  FAN  LOS  SENHORS  CONSOLS  A  LA 
CEDULA  DESSUS. 

Vistaper  messenhors  los  consols  de  la  présent  villa  de  Mont- 
pellier certana  requesta,  renduda  et  baylada  per  lo  honorable 
home  S""  Lo^^s  d'Andréa,  borges  de  ladita  villa,  et  aquela  re- 
questa consultada  ara  plusors  senhors  doctors  borgeses  licen- 
tias  e  merchans  habitans  de  ladita  villa,  respondon  losdits  sen- 
hors consols,  per  délibération  del  conselh  dels  dits  senhors,  a 
ladicharequesta,  en  laformaetmanejra  que  s'en  sec.  Permiey- 
rament  quant  au  regart  de  la  Font  Putanella,  per  la  reparaciori 
ethedefticacionde  laqualapretentlodich  d'Andréa aver  despen- 
dut  la  somma  de  cini  xxvf.  xii  s.,  laquala  somma  demanda  et 


( 


VARIÉTÉS  241 

requier  a  luy  estre  pagada  per  la  villa,  car  dis  que  ladicha  fon- 
taina  es  de  la  villa  et  a  l'asatge  de  la  villa,  respondon  losdits 
senhors  consols,  am  deliberacion  que  dessus,  que  ad  els  non 
par  ponch  que  lodich  d'Andréa  aia  jamais  agut  mandament 
de  lurs  predecessors  senhors  consols,  o  de  la  vila.  de  far  la 
reparacion  pretenduda,  laquai  reparacion  es  estada  volunta- 
ria.  Perque  aia  recors  lodich  S''  Lojs  d'Andréa  contra  aquel  o 
aquels  que  Tan  fach  far  aquela  despensa.  Totas  vetz  losdits 
senhors  consols  se  hueffron  que,  al  cas  que  ad  els  sia  remonstrat 
que  lodich  d'Andréa  aia  avut  mandamen  de  la  villa  de  far  la 
pretenduda  reparacion,  que  els  faran  so  que  fai-  deuran  per 
rason  et  justissa.  En  après  quant  al  regart  de  la  quictansa  o 
certiffication,  que  demanda  lodich  d'Andréa  luj  estre  fâcha 
per  losdits  senhors  consols  de  las  gracias  lasquals  preten  avei- 
convertidas  en  hedifficacion  delà  logia,  respondon  losdits  sen- 
hors consols,  am  deliberacion  que  dessus,  que  els  non  podon 
ne  devon  far  quittansa  o  certiffication  de  so  que  non  sabon  ne 
lur  appai'  en  alcuna  raanieyra.  Perque,  rendutz  que  sian  los 
comptes  de  ladita  lotga  et  vist  aquels  per  losdits  senhors  con- 
sols, tant  sus  la  requesta  de  las  dichas  gracias  coma  sus  la 
despensa  de  ladichalotga,  etpostquamreliquafueruntrestituta, 
losditz  senhors  consols  faram  so  que  de  drech  et  per  rason  far 
deuran.  Non  consentons  en  alcuna  manieyra  a  las  protesta- 
cions  faittas  en  ladicha  requesta  tant  que  poyrian  prejudicar, 
e  d'aisso  demandan  a  vos, notari,  estre  fach  e  retengut  instru- 
ment public. 

Die  XXIII  junii  miiii'^  lv  . .  .magistri  Jacobi  Alaroti  et  Medici 
tradiderunt  supradictam  responsionein  mihi  Johanni  Cicj  no- 
tarii  ad  fines  inserendi  in  instrumente  requeste. 


THÉODORE    AUBANEL 


«  Aujourd'hui,  s'écriait  Mistral  en  adressant  un  dernier 
adieu  à  la  dépouille  mortelle  d'Aubanel,  aujourd'hui,  ô  Poé- 
sie! ô  Provence  !  ô  ville  d'Avignon  !  vous  pouvez  prendre  le 
deuil  !  ))  Et  la  foule  qui  l'entourait  s'associait  par  ses  larmes 
à  ces  éloquentes  paroles.  C'était  bien  là  un  deuil  universel  : 
une  ville  entière  attestait  par  sa  douleur  que  la  mort  venait 
de  frapper  un  de  ces  coups  qui  font  dans  le  monde  des  vivants 
un  vide  que  rien  ne  saurait  remplir. 

Théodore  Aubanel  était,  en  effet,  un  de  ces  poètes  chez  qui 
l'art  et  le  sentiment  personnel  sont  si  intimement  unis  que, 
pour  eux,  on  ne  saurait  séparer  l'œuvre,  de  l'ouvrier  lui-même. 
La  note  que  ces  inspirés  ont  fait  entendre,  tout  en  laissant 
après  elle  un  écho  qui  ne  se  tait  plus,  ne  saurait  plus  être  re- 
dite, parce  qu'elle  était  une  portion  même  de  leur  âme,  de 
leur  cœur  et  de  leur  vie.  On  a  voulu,  pour  donner  une  idée 
de  sa  poésie,  le  rapprocher  de  Pétrarque  et  d'Alfred  de  Mus- 
set ;  ces  rapprochements  ne  sont  guère  fondés  que  sur  une 
vague  similitude  entre  les  sujets  de  leurs  œuvres:  Aubanel 
fut,  comme  eux,  un  de  ces  poètes  de  la  tendresse  et  de  l'amour 
qui  demeurent  chers  à  tous  ceux  qui  lisent  à  l'âge  où  le  cœur 
s'éveille,  parce  qu'ils  expriment,  avec  ce  charme  qui  est  le 
privilège  de  l'art,  un  des  sentiments  les  plus  puissants  et  les 
plus  universels  de  l'homme.  Mais  les  délicatesses  ingénieuses 
de  Pétrarque  et  l'ironie  blasée  d'Alfred  de  Musset  contrastent 
avec  la  passion  naïve,  intense  et  d'instinct,  qui  déborde  chez 
Aubanel.  Ce  qui  fait  la  force  de  cette  passion,  c'est  qu'elle  n'a 
pas  ou  à  subir  l'usure  de  l'expérience:  c'est  par  là  qu'elle  est 
originale,  parce  qu'elle  est,  s'il  est  permis  de  m'exprimor  ainsi, 
saisie  au  moment  même  où  elle  s'échappe  brûlante  du  cœur, 
avant   qu'elle  se  soit  refroidie  au  contact  de  la  réflexion. 

Pour  la  rendre,  cette  passion,  comme  l'a  fait  ce  primitif  du 
sentiment  qui  était  en  même  temps  un  maitre  ciseleur  de  l'ex- 


THEODORE    AUBANEL  243 

pression  et  un  coloriste  inimitable,  il  lui  fallait  ce  qui  man- 
que à  ses  devanciers  :  une  chasteté,  non  pas  donnée  par  la 
nature  ou  restituée  parles  épreuves,  mais  imposée  par  la  vo- 
lonté; une  chasteté  qui  n'est  défendue  et  sauvegardée  que 
par  des  combats  de  chaque  jour.  Ce  n'est  pas  d'aujourd'hui 
qne  les  critiques  ont  pu  remarquer  que  la  passion  n'est  ja- 
mais rendue  avec  une  intensité  plus  puissante  que  par  ceux 
qui  ont  passé  leur  vie  à  en  triompher.  Mais,  s'il  fallait  une 
preuve  de  cette  vérité,  on  la  trouve  éclatante  dans  l'œuvre 
tout  entière  d'Aubanel. 

Il  était  logique  que  ce  poëte  d'instinct  eût  recours,  pour 
chanter,  à  une  langue  que  le  travail  de  la  réflexion  n'a  pas 
encore  raffinée  en  la  subtilisant.  Né  dans  une  famille  qui  était 
fixée  à  Avignon  depuis  plus  d'un  siècle,  héritier  de  plusieurs 
générations  d'imprimeurs  justement  considérés,  vivant  dans 
le  milieu  de  la  bourgeoisie  notable  d'une  ville  importante,  il 
semblait  moins  naturellement  destiné  que  Roumanille,  le  fils 
du  jardinier  de  Saint-Rémy,  ou  Mistral,  le  fils  du  propriétaire- 
cultivateur  de  Maillanne,  à  choisir  pour  langue  poétique  la 
langue  des  paysans.  Tout  le  monde  sait  que  c'est  à  Roumanille 
que  revient  l'initiative  de  la  restitution  de  la  dignité  littéraire 
des  idiomes  de  la  langue  d'oc.  Aubanel  fut  des  premiers  à 
s'associer  à  ce  mouvement  de  renaissance;  il  collabora  au 
recueil  intitulé  li  Prouvençalo  et  figura  parmi  les  sept  poètes 
provençaux  qui,  à  Font-Segugne,  fondèrent  le  félibrige.  C'est 
que,  des  premiers,  il  avait  deviné  quel  instrument  nouveau 
ces  idiomes,  rappelés  à  la  conscience  de  leur  valeur  littéraire, 
apportaient  à  la  poésie  dans  tous  les  genres  et  sous  toutes  ses 
formes  ;  c'est  que  lui,  qui  avait  senti  dans  ses  premiers  es- 
sais en  français  quelle  difficulté  il  v  avait  à  serrer  de  près 
la  nature  dans  la  langue  que  trois  siècles  de  trituration  litté- 
raire avaient  usée,  il  comprenait  combien  mieux  le  génie  de 
l'idiome  provençal  correspondait  à  la  nature  de  son  émotion 
poétique;  et,  laissant  de  côté  ses  ébauches  d'écolier  écrites 
en  langue  française,  il  révéla  dès  son  début  un  maître  dans 
la  langue  provençale. 

Ses  premières  pièces  se  retrouvent  en  partie  dans  le  se- 
cond livre  de  la  Miôugrano  :  rEntre-lusido.  On  y  retrouve  la 
même  langue  pure  et  sans   recherche,  le  même  instinct  de 


244  THEODORE    AUBANEL 

la  poésie  pittoresque,  le  même  sentiment  des  harmonies  et 
de  la  puissance  de  la  couleur,  que  dans  les  chefs-d'œuvre  qui, 
depuis  lors,  ont  consacré  sa  renommée.  Mais  on  n'y  voyait 
pas  encore  apparaître  le  fonds  propre  dans  lequel  était  pui- 
sée cette  poésie  si  sincère  :  le  cœur  du  poëte  lui-même.  C'est 
dans  le  premier  livre  de  la  Miôugrano  que  cette  poésie,  si  vi- 
vante dans  la  forme  par  la  mise  en  action  du  sujet  et  l'inten- 
sité de  la  lumière,  se  dévoila  avec  ce  caractère  de  subjecti- 
vité intime  qui  lui  prête  un  charme  si  attrayant. 

On  connaît  l'histoire  des  origines  de  ce  livre.  Aubanel,  ar- 
rivé à  l'adolescence,  avait  vécu  à  côté  d'une  jeune  fille  dont  la 
beauté  et  les  grâces  innocentes  exerçaient  sur  son  àme  une 
influence  souveraine.  C'était  dans  le  milieu  même  où  la  poésie 
nouvelle  renaissait  dans  tout  son  éclat  que  ces  relations  de 
tous  les  jours  l'attachaient  si  fortement,  et  sans  qu'il  en  eût 
conscience,  à  cette  amie  de  sa  jeunesse.  Un  amour  ignoré  de 
tous  et  de  lui-même  grandissait  dans  son  cœur,  et  la  vérité 
ne  lui  fut  révélée  que  par  un  coup  aussi  irréparable  qu'im- 
prévu. Zàni  était  devenue  fille  de  la  Charité  et  partait  pour 
l'Orient,  où  elle  allait,  appelée  par  une  vocation  irrésistible, 
devenir  l'humble  et  fidèle  servante  des  pauvres,  des  malades 
et  des  orphelins.  Le  même  jour  il  sentit  qu'un  amour  profond 
s'était  emparé  de  son  âme,  et  que  cet  amour  était  sans  es- 
pérance. Sept  ans  il  pleura  de  cette  douleur  qui  ne  pouvait 
avoir  de  remède,  et,  comme  l'a  dit  Mistral,  «  lou  rcgounfle  de 
soun  amour  de  liuen  en  liuen  gisclavo  en  un  desbord  de  poueûo. 
Avie  près  per  deviso  :  quau  canto,  soun  mau  encanto,  e  chasco 
fès  que  lou  regret  ie  trasié  'no  lancejado,  lou  paure  drôle  trasié 
^no  plagnitudo.  » 

Ce  sont  ces  plaintes,  continue  le  confident  de  notre  poëte, 
ces  jets  poignants  d'amour,  qu'à  la  prière  de  tous  ses  amis 
Théodore  Aubanel  se  décida  enfin  à  publier  sous  ce  titre  : 
le  Livre  de  V Amour,  le  premier  des  trois  livres  de  la  Miôu- 
grano enlreduberlo. 

Outre  lou  Libre  de  l'Amour  et  VEntrelusido,  la  Miôugrano 
se  compose  d'un  troisième  livre  :  lou  Libre  de  la  Mort.  Dans 
l'amertunio  de  sa  douleur,  Aubanel  se  tourna  vers  tous  ceux 
qui  souffraient  ici-ljas,  et  «flagella  en  vers  âpres  et  mordants 
tous  les  instruments  du  sort  inique,  toutes  les  tyrannies  de 


THEODORE    AUBANïïL  245 

ce  monde.  »  Dans  une  série  de  tableaux  chargés  d'ombre  et 
de  mélancolie,  il  retraça  les  infortunes  qui  tenaient  ici-bas 
compagnie  à  sa  souffrance  ;  la  plupart  de  ces  tableaux  ont 
une  renommée  qui  dépasse  même  les  limites  du  territoire  de 
notre  langue.  Il  n'est  pas  une  anthologie  de  la  littérature 
méridionale,  publiée  en  Italie,  eu  Allemagne,  en  Espagne, 
oi\  iou  9  Thermidor,  par  exemple,  n'occupe  une  place  d'hon- 
neur. 

La  publication  de  la  Miôugrano  entreduberto  eut  un  reten- 
tissement considérable.  Désormais,  la  renommée  plaça  à  la 
tête  de  la  renaissance  provençale  une  trinité  indivisible  : 
Roumanille,  Mistral,  Aubanel.  On  ne  s'attend  pas  à  trouver 
ici  un  parallèle  entre  ces  trois  maîtres;  nous  nous  bornerons 
à  dire  que  chacun  d'eux  a  des  mérites  et  un  génie  qui  lui 
demeurent  propres;  mais  que  si  la  meilleure  part,  sinon  la 
plus  haute,  est  réservée,  au  sein  des  admirations  de  ce  monde, 
à  ceux  qui  pénètrent  le  plus  profondément  dans  le  sanctuaire 
intime  d'où  jaillissent  les  sources  vives  de  la  tendresse  et  de 
l'amour,  Aubanel  n'a  pas  eu  à  se  plaindre  de  sa  destinée  lit- 
téraire. 

Aubanel  conquit  de  bonne  heure  sa  place  dans  la  poésie 
contemporaine,  même  auprès  de  l'aréopage  tout-puissant  qui 
exerce  en  France  le  ministère  de  la  critique  littéraire.  Son 
œuvre  tout  humaine  ne  présente  pas,  comme  les  œuvres  du 
père  et  celles  du  chef  du  félibrige,  ce  caractère  militant  qui 
a  excité  contre  eux  des  luttes  et  même  des  révoltes.  La  lan- 
gue provençale  est  pour  eux  inséparable  de  la  Provence,  de 
son  passé,  de  son  avenir;  chez  Aubanel,  elle  apparaît  surtout 
comme  un  instrument  poétique,  celui  qui  convient  le  mieux  à 
son  tempérament  de  poète  et  qu'il  impose  à  ses  lecteurs  par 
l'excellence  même  des  œuvres  qu'il  permet  d'exécuter.  Essen- 
tiellement artiste,  accessible  aux  impressions  de  l'art  sous 
toutes  ses  formes,  subissant  toutes  les  préoccupations  artis- 
tiques d'une  époque  où  l'art  s'est  fait  une  si  grande  place 
dans  le  monde,  amené  par  cela  même  à  se  mêler  au  milieu 
parisien,  où  les  questions  d'art  sont  agitées  dans  une  com- 
plexité qui  va  jusqu'à  la  confusion,  Aubanel  avait  beaucoup 
d'amis  à  Paris,  et,  comme  ses  poésies  ne  soulevaient  d'autres 
problèmes  que  ceux  qui  sont  uniquement  du  domaine  de  l'art, 


246  THEODORE  AUBANEL 

on  l'y  admira  pour  son  talent,  en  voulant  bien  ne  pas  lui 
faire  un  crime  de  l'avoii'  tel  qu'il  l'avait.  Cette  critique,  re- 
belle à  la  résurrection  de  la  langue  provençale,  qui  a  si  sou- 
vent réédité  les  objectio:;s  patriotiques  les  plus  fantaisistes 
et  répété  les  calomnies  philologiques  les  plus  banales,  et  qui 
n'a  enfin  été  réduite  au  silence  que  depuis  bien  peu  d'années, 
cette  critique  malveillante  de  parti  pris  désarma  de  bonne 
heure  devant  la  sympathie  universelle  qui  faisait  accueil  à 
Aubanel. —  Théophile  Gauthier  le  salua  grand  poëte  et  maître 
dans  l'art  de  la  couleur  et  de  la  forme  ;  Alphonse  Daudet,  qui, 
né  parmi  les  félibres,  n'a  pas  toujours  émoussé  pour  eux  la 
pointe  de  ses  épigrammes,  n'a  eu  pour  lui  qu'une  affection 
sans  défaillance,  a  Quand  je  sens  s'éteindre  en  moi  le  senti- 
ment de  la  lumière,  je  relis  li  Fabre,  et  il  se  rallume  soudain 
à  cette  flamme  incandescente  »,  disait  un  jour  un  des  maîtres 
de  notre  jeune  littérature.  Quel  plus  bel  éloge  pourrait  rêver 
le  coloriste  le  plus  ambitieux  ! 

La  Revue  des  langues  romanes  eut  la  bonne  fortune  de  faire 
connaître  au  public  un  grand  nombre  de  petits  poèmes  ex- 
quis, que  Théodore  Aubanel  a  composés  depuis  la  publication 
de  la  Miôugrano.  Quelques  autres  ont  paru  çà  et  là  dans  di- 
vers recueils,  avec  l'autorisation  de  l'auteur  ;  mais  la  publicité 
du  livre  ne  leur  a  pas  été  accordée.  Ces  poëmes  cependant 
sont  nombreux,  et  le  talent  d'Aubanel  y  apparaît  avec  une  ma- 
turité puissante.  Le  sentiment  de  la  couleur  y  atteint  une  in- 
tensité que  nul  n'a  dépassée,  et  on  pourrait  dresser  une  liste 
de  ceux  qui  méritent,  sans  qu'on  puisse  nous  taxer  d'exa- 
gération, le  nom  de  chefs-d'œuvre.  Plusieurs,  bien  qu'inédits 
ou  presque  inédits,  ont  acquis  une  réputation  qui  n'est  due 
qu'au  souvenir  ineffaçable  d'une  audition  fugitive.  La  Venus 
d'Arle,  la  Venus  d' Avignoun,  li  Fabre,  li  Noço  de  fio,  etc.,  etc., 
sont  des  modèles  achevés  de  poésie,  où  l'émotion  revêt  une 
forme  vivante,  poussée  jusqu'à  l'action  dramatique,  et  où 
l'imagination  est  parée  de  couleurs  éblouissantes. 

Aubanel  avait  réuni  la  plupart  de  ces  poëmes  en  recueil. 
L'Imprimerie  centrale  du  Midi  avait  imprimé  ce  recueil  sous 
le  titre  :  li  Fiho  d'Avignoun  (1885).  11  n'était  pas  destiné  au 
public,  mais  seulement  aux  amis  de  l'auteur,  et  chaque  exem- 
plaire portait  le  nom  de  celui  à  qui  il  était  destiné.  Bien  peu 


THEODORE   AUBANEL  247 

de  ces  destinataires  ont  reçu  l'exemplaire  imprimé  pour  eux. 
Des  scrupules  sur  lesquels  nous  n'avons  pas  à  porter  de  ju- 
gement déterminèrent  Aubanel  à  suspendre  la  distribution 
des  Fiho  d'Avignouyi.  Mais  ces  scrupules  tenaient  à  des  con- 
ditions que  la  mort  du  poëte  a  fait  disparaître,  et  il  y  a  lieu 
d'espérer  que,  d'un  commun  accord,  tous  ceux  qui  ont  des 
droits  sur  la  publication  des  poésies  d'Aubanel  auront  à  cœur 
de  restituer  dans  sou  entier  l'œuvre  du  poëte.  Cette  œuvre 
comprend,  outre  ta  Miôugrano  et  li  Fiho  d'Avignoun,  des  poé- 
sies encore  absolument  inédites,  comme  la  chanson  qui  a  ce 
refrain  : 

Li  jjàuri  vièi 
Que  soun  en  purgatôri 
Espinchoun  de  sa  bôri 
Li  jouine  que  soun  rèi  ; 

tableau  endiablé  de  jeunesse  et  de  folle  joie,  qui  semble  avoir 
été  peint  avec  le  pinceau  puissant  d'un  Rubens.  Cette  œuvre 
comprend  en  outre  les  drames  d'Aubanel,  et  ces  drames  en 
constituent  une  des  parties  les  plus  saisissantes. 

Aubanel  a  écrit  trois  drames  :  lou  Pastre,  que  l'on  nomme 
quelquefois  Cabrai,  du  nom  de  son  personnage  principal  ;  lou 
Pan  dôu  Pecat  et  lou  Raubatàrï. 

Lou  Pastre  est  un  drame  bizarre  et  étrange,  qui  a  pour  cadre 
ces  hautes  solitudes  alpestres  où  des  troupeaux  nombreux 
paissent  en  paix  loin  de  toute  autre  figure  humaine  que  celle 
du  berger  qui  les  garde  ;  il  met  en  opposition,  d'une  part,  un 
pâtre  sauvage,  ignorant  de  toutes  les  lois  des  sociétés,  livré 
par  la  nature  à  l'impulsion  de  ses  instincts  qui  ne  connaissent 
aucun  frein,  et,  d'autre  part,  un  type  virginal  déjeune  fille 
qui  se  donne  la  mort  pour  sauver  sa  pureté.  C'est  une  sorte 
d'idylle  sauvage,  touchante  et  furieuse  à  la  fois,  telle  qu'à  ma 
connaissance  il  n'a  jamais  rien  été  ébauché  de  semblable. 

Lou  Pan  dôu  Pecat  se  conforme  mieux  aux  perspectives  de 
la  scène  ;  mais  son  originalité  n'en  est  pas  moins  incontes- 
table. Une  jeune  Ai'lésienne,  habituée  aux  triomphes  que  rem- 
portait sa  beauté  sur  la  beauté  de  ses  compagnes,  est  amenée 
par  son  mari  dans  une  ferme,  où  désormais  elle  doit  vivre 
absorbée  par  les  soins  du  ménage,  au  milieu  de  sa  famille 


248  THEODORE     AUBANEL 

prospère  et  à  côté  d'un  époux  qui  l'adore.  Au  bout  de  quel- 
ques années,  les  souvenirs  de  ces  années  brillantes  que  les 
devoirs  et  les  soucis  de  la  mère  de  famille  n'ont  pu  effacer, 
ces  souvenirs  qui  séduisent  encore  son  imagination  assou- 
pie, viennent  à  se  réveiller  ;  le  premier  galant  qui  se  trouve  là 
leur  donne  un  corps,  et,  comme  par  un  coup  de  foudre,  voilà 
la  jeune  et  modeste  fermière  livrée  à  la  folie  d'une  passion 
d'autant  plus  irrésistible  qu'elle  est  comme  le  résumé  de  longs 
regrets  inavoués  et  injustifiables  :  l'épouse  coupable  aban- 
donne sou  mari  et  ses  enfants  et  fuit  avec  son  complice  vers 
ce  pays  qui  sert  de  refuge  à  tous  les  criminels  du  midi  de  la 
France.  Le  mari  outragé  poursuit  les  fugitifs;  mais,  quand  il 
les  retrouve,  le  mépris  et  le  dégoût  l'envahissent,  et,  rayant 
désormais  du  livre  de  sa  vie  celle  qui  a  déshonoré  son  nom, 
il  ne  songe  plus  qu'à  une  chose,  effacer  à  jamais  même  son 
souvenir  et  inspirer  à  leurs  enfants  l'horreur  de  celle  qui  les 
a  délaissés.  A  cette  idée  horrible,  dans  l'épouse  adultère  la 
mère  se  retrouve  soudain  :  elle  accourt  suppliante  et,  devant 
le  légitime  et  hautain  mépris  avec  lequel  elle  est  reçue,  elle 
cherche  dans  la  mort  un  châtiment  qui  puisse  expier  sa  faute. 

Le  sujet  est  de  tous  les  temps  et  a  figuré  sur  toutes  les 
scènes  ;  mais  l'atmosphère  de  poésie  inspirée  et  sincère  où 
flotte,  pour  ainsi  dire,  le  drame  tout  entier;  l'énergie  de  la 
passion,  la  dignité  du  rôle  du  mari  outragé  et  sa  noblesse 
rustique,  le  milieu  provençal  si  vivant,  la  langue  admirable 
surtout,  qui  permet  au  poète,  sans  être  infidèle  aux  exigences 
de  l'art,  de  toucher  aux  dernières  limites  de  la  réalité  ;  cette 
langue  qui  porte,  pour  ainsi  dire,  sans  fléchir,  le  poids  d'an 
réalisme  qui  eût  écrasé  un  drame  écrit  dans  un  idiome  moins 
naïf  et  moins  vivant  :  voilà  ce  qui  fait  le  prix  de  cette  œuvre 
dont  s'est  occupée  à  maintes  reprises  la  presse  parisienne,  et 
ce  qui  lui  valut  un  succès  éclatant  sur  le  théâtre  de  Montpel- 
lier, où  elle  fut  représentée  pour  la  première  fois,  au  cours 
des  Fêtes  latines  célébrées  dans  cette  ville.  Le  souvenir  de 
cette  représentation  est  resté  gravé  dans  la  mémoire  de  tous 
les  amis  de  notre  renaissance  méridionale. 

Le  comité  des  Fêtes  latines  avait  résolu  de  jouer  un  des 
drames  d'Aubanel.  Le  poète,  consulté,  avait  choisi  pour  être 
représenté  son  troisième  drame,  lou  Raubatàri,  qui  n'est  qu'un 


THEODORE    AUBANEI.  249 

remaniement  du  Pastre,  remaniement  où  Ton  n'a  conservé 
que  le  squelette  de  ce  drame,  en  faisant  disparaître  ce  qu'il  y 
avait  de  sauvage  et  de  bizarre,  mais  aussi  d'original,  dans  la 
conception  primitive.  Celui  des  membres  du  comité  qui  était 
chargé  de  préparer  la  représentation  n'acceptait  qu'avec  re- 
gret l'idée  d'Aubanel  :  il  connaissait  les  autres  drames,  il 
savait  qu'on  ne  pouvait  faire  affronter  la  scène  à  Cabrât,  mais 
il  pria  Aubanel  de  vouloir  bien  consentir  à  laisser  représen- 
ter lou  Pan  dôu  Pecat.  La  permission  fut  accordée. 

Il  s'agissait  de  monter  la  pièce,  et  d'abord  de  trouver  des 
acteurs.  Ce  fut  le  félibre  Arnavielle  qui,  avec  le  dévouement 
et  le  feu  qu'il  met  d'ordinaire  au  service  de  la  causo,  se  char- 
gea de  cette  mission,  et  elle  n'était  certes  pas  sans  difficultés. 
Avec  le  concours  du  félibre  Gaussen,  il  chercha  dans  Alais, 
qu'il  habitait  alors,  parmi  les  admirateurs  d'Aubanel  (et  dans 
les  jeunes  adeptes  du  félibrige  on  sait  s'ils  sont  nombreux), 
des  acteurs  de  bonne  volonté.  Gaussen  se  chargea  du  rôle  de 
Véranet;  Laval,  de  celui  du  mari,  Malandran.  Il  fallait  trou- 
ver une  actrice  capable  de  jouer  le  rôle  de  Fanette,  rôle 
écrasant,  hérissé  de  difficultés  et  qui  exige  l'art  des  nuances 
le  plus  consommé.  Le  hasard  mit  en  présence  du  directeur 
improvisé  une  de  ces  actrices  qui  jouent,  sur  les  théâtres  fo- 
rains, les  drames  les  plus  touff'us  du  répertoire  moderne  après 
deux  ou  trois  répétitions.  Etait-il  croyable  qu'une  actrice  ha- 
bituée à  toutes  les  exagérations  de  cette  scène  foraine  pût 
jouer,  même  d'une  manière  supportable,  un  rôle  tel  que  celui 
qu'on  lui  proposait?  J'ai  peine  à  concevoir  comment  la  Mar- 
guerite conventionnelle  de  la  Tour  de  Nesle,  ou  la  Lucrèce 
hurlante  au  milieu  des  orgies  des  Borgia,  pût  devenir  cette 
Fanette  que  nous  avons  vue  naturelle,  modeste,  touchante  et 
pudique  encore,  même  dans  les  élans  les  plus  abandonnés  de 
la  passion.  Ce  problème  n'admet  qu'une  solution  :  c'est  à  la 
langue  dans  laquelle  le  drame  est  écrit  que  l'on  doit  faire  re- 
monter le  mérite  de  cette  transformation.  M"*^  Robert  était 
Provençale  ;  après  avoir  usé  tous  les  procédés  de  la  conven- 
tion banale  dans  l'improvisation  de  cette  scène  dévorante  à 
laquelle  il  faut  chaque  soir  ses  cinq  actes  nouveaux  de  drame 
bourré  de  coups  de  théâtre;  après  s'être  habituée  âne  con- 
naître de  la  langue  française  que  ce  qu'il  est  d'usage  qu'on  en 


250  THEODORE    AUBANEL 

extraye  pour  faire  face  à  des  situations  étiquetées  et  classées 
d'avance,  tout  à  coup  elle  s'est  trouvée  transportée  dans  un 
monde  nouveau:  un  monde  vrai,  qu'elle  connaissait  depuis  son 
enfance,  où  l'on  parlait  un  langage  qu'elle  ne  pouvait  ramener 
à  des  formules  de  convention,  et  qu'elle  sentait  être  le  langage 
d'êtres  vivants  et  non  d'abstractions  dramatiques.  Cette  lan- 
gue nouvelle  lui  a  révélé  un  art  nouveau,  et,  grâce  à  elle, 
elle  a  compris  le  drame  et  l'a  rendu  avec  un  art  et  un  tact 
que  je  n'imagine  pas  qu'on  puisse  surpasser.  Secondée  d'une 
manière  remarquable  par  Laval,  qui  fit  ressortir  tout  ce  qu'il 
y  a  de  fierté  simple  et  mâle  dans  le  rôle  de  Malandran,  et  par 
Gaussen,  emporté  et  ardent  comme  un  gardian  de  dix-huit 
ans,  elle  assura  le  succès  de  la  pièce. 

Il  me  souvient  notamment  des  appréhensions  que  causaient 
à  celui  qui  avait  provoqué  la  représentation  du  Pan  dôu  Pecat 
certaines  scènes  des  plus  passionnées  du  drame,  notamment  la 
scène  vi  du  second  acte.  «  Jamais,  disait-il  àAubanel,  cela  ne 
passera  à  la  représentation.  »  Et  Aul)anel,  toujours  facile,  dans 
samodestie,  à  recevoir  des  conseils,  consentit  à  remanier  la 
scène.  —  Mais,  au  moment  de  la  répétition  générale,  quand  il 
fallut  jouer  en  suivant  le  texte  nouveau,  la  troupe  entière  re- 
fusa de  l'adopter.  «Nous  avons  appris  le  drame,  dirent  Laval, 
Gaussen  et  M""^  Robert  d'une  voix  unanime,  tel  qu'il  était 
écrit;  nous  l'avons  compris  tel  qu'il  était  sous  sa  forme  pre- 
mière, avec  ses  emportements  et  ses  coups  do  soleil,  nous  ne 
pourrions  pas  le  jouer  autrement;  qu'on  nous  le  laisse  tout 
entier  et  sans  y  rien  changer.  »  Et  il  fallut  bien  en  passer  par 
là  :  le  drame  fut  joué  sans  changement.  Mais,  quand  on  en  vint 
à  la  fameuse  scène,  le  public  sympathique  qui  jusque-là  avait 
manifesté  à  chaque  instant  son  impression  favorable,  le  public, 
surpris  tout  à  coup  de  cette  audace  nouvelle,  qui  semblait  bri- 
serles  moules  convenus,  et  qui  se  jetait  en  pleine  vie,  sans  se 
soucier  des  ménagements  auxquels  il  était  habitué,  le  public 
tout  à  coup  fit  un  silence  profond,  comme  s'il  s'interrogeait 
pour  savoir  s'il  fallait  protester  ou  applaudir.  Cette  surprise 
qui  s'emparait  d'une  salle  entière,  ce  moment  d'hésitation 
silencieuse  qui  révélait  l'impression  inconsciente  de  specta- 
teurs désorientés  dans  la  banalité  de  la  marche  ordinaire  de 
leur  admiration,  ne  durèrent  pas  longtemps  ;  les  applaudisse- 


THEODORE    AUBANEL  251 

ments  éclatèrent  tout  à  coup,  longs  et  retentissants,  et,  de- 
puis ce  moment  jusqu'à  la  chute  du  rideau,  ce  ne  fut  qu'un 
succès  d'émotion  et  de  larmes. 

Aubanel  avait  gardé  un  profond  souvenir  de  cette  soirée. 
Il  était  fier  de  ce  succès,  et  ce  n'était  pas  sans  raison.  Il  est 
malaisé  de  prédire  l'avenir  qui  attend  la  renaissance  proven- 
çale ;  comme  l'a  dit  Mistral, 

D'uno  raço  que  regreio 
Sian  bessai  li  proumié  grèu. . . . 
D'un  vièl  pople  fier  e  libre 
Sian  bessai  la  fînicioun. 

Mais,  en  tout  cas,  lou  Pan  dôu  Pecat  a  démontré  tout  ce 
que  peut,  pour  prêter  à  l'art  des  puissances  nouvelles,  l'in- 
strument nouveau  que  lui  a  restitué  cette  renaissance  dont 
Roumanille  a  été  l'initiateur,  et  dont  Mistral  et  Aubanel  de- 
meurent les  deux  maîtres-ouvriers. 

Lou  Pan  dôu  Pecat,  publié  à  un  petit  nombre  d'exemplai- 
res, portant  chacun  le  nom  de  son  destinataire,  a  été  imprimé 
parles  frères  Hamelin  (1882),  et,  plus  heureux  que  li  Fiho 
d'Avignoun,  a  pu  être  distribué.  Mais  il  n'est  pas  parvenu  jus- 
qu'au grand  public,  et  une  édition  des  œuvres  d'Aubanel  qui 
ferait  connaître  lou  Pastre,  lou  Pan  dôu  Pecat  et  lou  Baubatôti, 
est  attendue  avec  impatience  par  tous  les  amis  de  notre  litté- 
rature méridionale. 

Les  ennuis  qu'avait  causés  à  Aubanel  cette  publication  in- 
time d'une  partie  de  ses  oeuvres  inédites,  avaient  développé  en 
lui  le  goût  de  la  vie  intérieure,  qui  était,  du  reste,  un  de  ses 
sentiments  naturels.  Sa  famille  et  ses  amis  lui  faisaient  un 
monde  dont  l'horizon  étroit  suffisait  à  sa  modestie.  Il  trou- 
vait à  son  foynr  domestique  le  bonheur  le  plus  complet,  au- 
près d'une  épouse  qui  appartenait  à  l'une  des  familles  notables 
de  Vaison,  qui  savait  le  comprendre  et  dont  l'aff'ection  absorba 
toute  sa  vie  :  auprès  de  son  fils,  dont  il  voyait,  avec  une  légi- 
time fierté  qu'il  ne  dissimulait  pas,  le  caractère  généreux  et 
ferme,  se  former  sous  ses  yeux.  Privé,  par  une  mort  préma- 
turée, du  concours  que  lui  apportait  son  frère  Charles  dans  la 
direction  de  la  maison  Aubanel  frères,  il  se  faisait  une  joie  de 
transmettre  à  son  neveu  et  à  ce  fils  doué  dès  l'adolescence 


252  THEODORE  AUBANEL 

des  sérieuses  qualités  de  l'homme  mûr,  cette  maison  dont  la 
vieille  réputation  recevait  un  nouveau  lustre  de  sa  gloire 
poétique.  Cœur  d'enfant  et  cœur  d'artiste,  son  âme  avait  tou- 
tes les  naïvetés  et  toutes  les  effusions  qui  attirent  et  enchaî- 
nent la  sympathie.  Il  était  adoré  de  ses  amis,  et  Tàmitié,  chose 
rare  à  ses  yeux,  était  pour  lui  le  plus  précieux  des  biens  ;  il 
en  était  pour  ainsi  dire  affamé.  Mais,  de  ce  côté -là,  il  n'eut 
rien  à  regretter;  personne  ne  fut  jamais  tant  et  si  bien  aimé. 
Il  était  devenu  à  Avignon  le  centre  d'une  réunion  d'hommes 
distingués,  qui  se  réunissaient  à  des  époques  périodiques  et 
qui  se  désignaient  entre  eux  sous  le  nom  de  Miôugranié.  Il 
existe  d'Aubanel  une  plaquette  excessivement  rare,  formée 
de  sonnets  dont  chacun  des  Miôucjranié  ioMvmi  le  sujet.  Là  se 
rencontraient  ensemble  les  docteurs  Alfred  Pamard  et  Cassin, 
le  peintre  Grivolas,  le  poète  Mouzin,  auteur  de  VEmpereuv 
d'Arles,  l'architecte  Pascal,  Dumas,  Delpon,  etc.,  etc.  Souvent 
l'île  de  la  Barthelasse  les  voyait  assis  encà  de  l'oste  Satrayno, 
autour  d'une  table  en  plein  air  sur  les  bords  du  Rhône,  en 
face  du  panorama  d'Avignon  découpant  sur  l'azur  sombre  du 
ciel  les  dentelles  de  ses  créneaux  et  de  ses  tours. 

Souto  lou  grand  cèu  blanc 

L'oundado  negro 
Miraio  en  barulant 

La  luno  alegro  ; 
Dou  goutique  Avignoun 
Palais  e  tourihoun 

Fan  de  dentello 

Dins  lis  estello  ! 

A  cette  table  venaient  s'asseoir  tour  à  tour  les  félibres 
avignonnais  :  Félix  Gras  et  Brunet,  et  les  amis  étrangers  à 
Avignon:  Alphonse  Daudet,  Paul  Arène,  Charles  Monselet(de 
Paris),  Mariéton  (de  Lyon),  Auguste  Marin  (de  Marseille), 
Roumieux  et  G-laize,  Auzière,  Chassary,  Marsal,  Brissaud  (de 
Montpellier),  etc.,  etc.  Heureuses  journées,  dont  le  souvenir 
ne  s'effacera  jamais  du  cœur  de  ceux  qui  les  ont  vécues. . . . 

Ce  lien  de  l'amitié,  si  fort  pour  Aubanel,  le  rattachait  à 
doux  villes  importantes  du  Midi:  Marseille,  où  habitait  Lu- 
dovic Legré,  un  des  dépositaires  de  ses  manuscrits,  et  Mont- 


THEODORE    AUBAKEL  253 

pellier,  où  était  fixé  son  ami,  cher  entre  tous,  Louis  Rou- 
mieux,  qui  avait  reçu  un  dépôt  identique,  et  à  qui  il  était  uni 
par  une  mutuelle  affection,  cimentée  par  un  dévouement  à 
toute  épreuve.  C'est  à  Montpellier  qu'avait  été  représenté 
lou  Pan  dôu  Pecat;  c'est  à  Montpellier  qu'on  lui  avait  offert  un 
banquet  pour  célébrer  sa  nomination  dans  l'ordre  de  la  Lé- 
gion d'honneur;  c'est  à  Montpellier  qu'il  aimait  souvent  à  ve- 
nir compléter  ce  quïl  appelait  soji  trio,  le  trio  fraternel  où  il 
étanchait  sa  soif  d'affection  intime;  le  trio  composé,  avec  lui, 
deRoumieux  et  de  l'auteur  de  ces  lignes,  pour  qui  son  amitié 
fut  et  demeurera  toujours  un  trésor  inestimable  ;  c'est  Mont- 
pellier qui  a  eu  sa  dernière  pensée  poétique.  Il  devait  j  venir 
dans  les  premiers  jours  de  novembre,  et  se  proposait,  pour 
sui'prendre  une  famille  amie  qui  l'attendait,  de  célébrer  dans 
un  sonnet  un  mas  bâti  sur  les  collines  qui  bordent  le  Lez;  un 
sonnet  dont,  écrivait-il  le  26  octobre,  «  la  chute  chantait  déjà 
à  son  oreille  !.. .  .» 

Ce  fut  le  dernier  chant  que  la  muse  lui  ait  murmuré  ;  le 
29,  atteint  par  un  mal  terrible  dont  il  avait  triomphé  dans  un 
premier  assaut,  il  était  frappé  mortellement. 

Animé  d'une  foi  religieuse  qui  n'avait  jamais  connu  le 
doute,  Aubanel.ne  craignait  pas  la  mort;  mais  les  images  hi- 
deuses qu'elle  suscite  lui  répugnaient:  n'était-ce  pas  lui  qui 
avait  écrit  ce  vers,  dont  on  pouvait  faire  la  devise  du  poète: 

Luse  tout  ço  qu'es  bèu  ;  tout  ço  qu'es  laid  s'escounde? 

Aussi  en  écrivant,  quelques  années  auparavant,  sa  chanson 
li  Set  Poutoun,  avait-il  adressé  à  la  Mort  une  invocation  trop 
vaine,  hélas! 

Tu  que  fas  que  galoupa 
E  ti  grands  os  fan  11  clincleto 
Sus  toun  chivau,  Mort-peleto, 
Regarde  ma  porto  e  l'arrestes  pas  ! 

Mais  la  faucheuse  impitoyable  avait  regardé  la  porte  :  elle 
était  entrée  ;  elle  avait  frappé  un  coup  que  ni  les  soins  les 
plus  assidus  des  docteurs  Cassin  et  Pamard,  ni  la  tendresse 
dévouée  des  siens,  ne  purent  détourner.  Le  31  octobre,    à 

16 


254  THEODORE    AUBANEL 

deux  heures  do  Taprès  midi,  Aubanel  expirait  sans  souffrance 
entre  les  bras  de  sa  femme  et  de  son  fils,  assisté  jusqu'au 
dernier  soupir  par  son  fidèle  ami  Roumieux.  qui,  accouru  à 
la  hâte,  ne  voulut  pas  le  quitter  jusqu'au  moment  où  la  terre 
devait  le  recouvrir. 

Ce  fut  le  2  novembre,  jour  consacré  aux  morts,  qu'au  milieu 
d'un  deuil  universel,  les  restes  d'Aubanel  furent  conduits  à 
]eur  dernière  demeure.  En  tête  du  cortège,  Roumanille  et 
Mistral  portaient  un  drap  en  l'honneur  de  celui  dont  le  nom 
était  uni  au  leur  par  une  gloire  dans  laquelle  ils  ne  seront 
jamais  séparés;  venaient  ensuite  deux  des  premiers  maîtres 
sortis  de  la  nouvelle  école  poétique  :  Roumieux,  qui  marchait 
avec  le  deuil;  Félix  Gras,  qui  accompagnait  Roumanille  et 
Mistral.  Anselme  Mathieu,  Tavan,  Crousilhat,  les  seuls  sur- 
vivants, avec  ces  deux  derniers,  des  sept  félibres  de  Font- 
Segugne,  n'avaient  pu  arriver  à  temps  pour  accompagner  leur 
illustre  compagnon  de  luttes  et  de  triomphes  poétiques.  Le 
temps  fut  beau  tant  que  dura  la  cérémonie  ;  les  pluies  torren- 
tielles, qui,  depuis  plusieurs  jours,  préparaient  tant  de  désas- 
tres au  Midi,  s'arrêtèrent  durant  quelques  heures;  le  cortège 
funèbre  put  se  dérouler  le  long  des  vieux  remparts  et  s'avan- 
cer vers  la  cité  des  morts,  sous  les  allées  de  pins  mélancoli- 
ques, à  travers  les  brassées  de  fleurs  qui  jonchaient  le  sol, 
comme  si  les  morts  eux-mêmes  avaient  voulu  rendre  un  su- 
prême hommage  à  cette  âme  exquise  depoëtc  dont  la  dépouille 
terrestre  venait  habiter  parmi  eux. 

A.   Glaize. 


CHRONIQUE 


La  Société  pour  l'étude  des  langues  romanes  vient  de  faire  une 
nouvelle  et  bien  cruelle  perte  :  Théodore  Aubanel  est  mort  le  31  oc- 
tobre. A  la  nouvelle  de  ce  funeste  événement,  le  i^résident  de  la  So- 
ciété, M.  le  docteur  Espagne,  s'empressa  d'envoyer  par  télégramme  à 
la  famille  de  notre  illustre  confrère  l'expression  de  notre  douleur  et  de 
notre  sjnnpathie.  Plusieurs  membres  de  la  Société  assistèrent  à  ses 
funérailles,  et  parmi  eux  M.  Antonin  Glaize,  qui  nous  a  rendu,  dans 
les  pages  émues  qu'on  vient  de  lire,  mieux  qu'aucun  autre  d'entre 
nous  n'aurait  pu  le  faire,  la  physionomie  du  grand  poëte  que  nous 
pleurons. 


M.  Louis  Havet,  professeur  de  philologie  latine  au  Collège  de 
France,  vient  de  faire  paraître  à  la  libraire  Hachette  un  Abrégé  de 
grainmaire  latine  à  l'usage  des  classes  de  grammaire^ .  On  voit  avec 
plaisir  un  érudit  aussi  versé  dans  les  découvertes  les  plus  récentes 
de  la  philologie  en  France  et  à  l'étranger  s'inspirer  de  la  méthode  du 
vieux  Lhomond,  qu'il  met  au  courant  de  la  science  moderne,  pour 
nous  donner  un  livre  élémentaire  à  la  fois  très-savant  et  très-simple; 
il  s'en  explique  dans  sa  préface  en  ces  termes  : 

«  La  grammaire  que  j'ai  le  plus  j^ratiquée  en  composant  celle-ci, 
c'est  la  grammaire  de  Lhomond,  livre  qui  a  certains  défauts  voyants, 
mais  dont  il  ne  faut  pas  se  moquer  vite.  Je  l'ai  étudiée  ligne  à  ligne 
avec  le  plus  grand  fruit,  et  je  m'en  suis  inspiré  beaucoup 

»  De  toutes  les  modifications  essayées  dans  ce  livre,  la  plus  grande, 
celle  qui  commande  le  plan  tout  entier,  n'est  que  le  développement 
d'une  tentative  de  Lhomond. 

»  Cette  modification  consiste  à  rejeter  la  division  traditionnelle  des 
grammaires  en  deux  parties,  contenant  l'une  la  morphologie  et  l'autre 
la  syntaxe.» 

Dirons-nous  que  c'est  une  réhabilitation  de  la  vieille  grammaire  de 
Lhomond  ?  Au  fond,  M.  Havet,  qui  en  a  vu  tous  les  défauts,  ne  se- 
rait pas  de  notre  avis. 

Mais,  dans  tous  les  cas,  ce  patronage  empêchera  M.  Havet  d'être 
traité  de  novateur  à  outrance,  alors  qu'il  entreprend  de  donner  aux 
enfants  des  classes  élémentaires,  avec  une  clarté  admirable  et  dans 
un  ordre  logique,  les  règles  essentielles  de  la  langue  latine. 


Sur  l'Enjambement  de  la  strophe  et  du  vers  en  ancien  français.  Tel 
est  le  sujet  que    M.  Eduard    Stramwitz,  docteur  de    l'Université  de 

'  Un  vol.  in-16,  cartonné,  1  fr.  50. 


256  CHRONIQUE 

Grreif swald,  a  choisi  pour  sa  dissertation  inaugurale  ' .  Il  l'a  traité  avec 
soin,  iiiétliode  et  clarté.  Son  travail,  où  les  exemples  abondent  et  dans 
lequel  les  divisions  et  subdivisions  qu'il  y  a  introduites  permettent  de 
s'orienter  facilement,  sera  utilement  consulté  par  ceux  qui  s'adonnent 
à  l'étude  de  la  versification  et  aussi  de  la  syntaxe  française. 


L'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  a  décerné,  cette  an- 
née, à  M.  Camille  Chabaneau,  le  prix  fondé  par  le  marquis  de  La 
Grange.  Voici  le  passage  du  discours  de  M.  Gaston  Paris,  président 
de  l'Académie,  qui  concerne  notre  confrère: 

a  Comme  Stanislas  Julien,  notre  confrère  le  marquis  de  La  Grange 
a  voulu  fomenter  après  sa  mort  les  études  qu'il  avait  aimées  pendant 
sa  vie.  Il  a  fondé  un  prix  en  faveur  de  la  publication  d'une  œuvre 
inédite  des  anciens  poëtes  de  la  France  ;  à  défaut  d'une  telle  publica- 
tion, le  prix  peut  être  donné  au  meilleur  travail  sur  d'anciens  poëmes 
déjà  publiés.  Le  lauréat  de  cette  année,  M.  Camille  Chabaneau,  réu- 
nissait ces  deux  titres.  L'année  dernière,  il  publiait,  d'après  un  ma- 
nuscrit de  Montpellier,  le  roman  en  vers  de  Fanuel.  étrange  légende, 
d'origine  certainement  orientale,  sur  les  ancêtres  de  la  Vierge  Marie, 
et  en  même  temps  il  donnait  une  édition  des  Biographies  des  trou- 
badours, accompagnée  d'un  commentaire  bien  conçu  et  d'une  très- 
utile  bibliographie  de  tous  les  monuments  de  l'ancienne  littérature 
méridionale.  M.  Chabaneau  s'est  d'ailleurs  acquis  une  juste  réputa- 
tion par  des  travaux  déjà  nombreux,  dans  le  domaine  de  la  philologie 
française  et  provençale,  où  se  montrent  partout  uue  érudition  de  pre- 
mière main,  une  grande  sagacité  critique,  un  goût  fin  et  un  esprit  ju- 
dicieux. Nous  sommes  heureux  d'avoir  une  occasion  de  lui  témoigner 
publiquement  notre  estime.»  .  ^    ,| 


Sous  le  titre  de  las  Festos  ilel  Felibrit/e,  notre  confrère  M.  le  vi- 
comte de  Margon  vient  de  publier  un  très-agréable  poëme,  où,  dans 
un  cadre  aussi  ingénieux  que  simple,  il  a  su  grouper  habilement  toutes 
les  gloires  et  la  plupart  des  illustrations  du  félibrige.  Ce  poëme  est 
dédié  à  M.Frédéric  Donnadieu  ;  présenté  au  public  sous  le  patronage 
d'un  maitre  au  goût  si  sûr,  l'ouvrage  de  M.  de  Margon  ne  saurait  man- 
quer de  trouver  partout  le  meilleur  accueil.  Ajoutons  qu'il  forme  un 
volume  grand  in-18  de  l'aspect  le  plus  élégant,  imprimé  avec  grand 
soin,  en  beaux  caractères  et  sur  beau  papier,  par  MM.  Hamelin 
frères. 


*  Ueber  Strophemind  Vers-Enjambement  im  Alfranzoesischen.  Greifs- 
wald,  Druck  von  JuiiusAbel,  188G,  iu-S".  190  pages. 


Le  Gérant  responsable  :  Ernest  Hamhlix. 


Montpellier,  Imprimerie  centrale  du  Midi  (Hamelin  Frères) 


Dialectes  Anciens 


DOCUMENTS 

SUR    LA    LANGUE     CATALANE 

DES  ANCIENS   COMTÉS     DE  ROUSSILLON    ET    DE  CERDAGNE 
(de  1311  à  1380) 


(Suite) 
XXVII 

PERMISSION  DE  CONSTRUIRE  UNE  SCIERIE    DANS  LA   «  COMA 
DEL  LANCER  »,  ACCORDÉE  A   DEUX  HABITANTS   DE  PRATS-DE-MOLLÔ 

Dissapte  vu.  dies  de  desemb'>'e  layn  deu.  ccc.  xiiii. —  EnP.de 
Bardoyl,  procurador  del  molt  ait  senjor  rej  de  Majorches  ab 
concejl  dEn  R.  Rog,  balle  de  Pratz',  dona  licencia  e  autori- 
tat  an  R.  Verneda  e  an  Jacme  Miralles  de  Pratz,  que  els  que 
pusquen  fer  e  tenei'  .1.  molin  serrador  en  la  coma  del  Lancer 
dels  termes  de  Pratz  e  que  ad  us  del  dit  molin  pusquen  penre 
assatz  dels  ajbres  del  bosclis  -  de  la  dita  coma,  sotz  condicio 
que  quasqun  jorn  que  obraran  ho  serraran  ab  lo  dit  molin  do- 
nen  al  dit  S.  Rey  xx.  dr.  Bar.  los  quais  degen  pagar  en  lo 
darrer  die  de  quasquua  setmana  que  hauran  serrât  o  feyt  ser- 
rar  0  obrar  ab  lo  dit  molin,  e  que  no  pusquen  obrar  ni  serrar 
ab  lo  dit  molin  de  nuj'tz  ab  lum. 

Els  davant  dits  R.  Verneda  e  Jacme  Mirai  es,  rehebentz  lo 
dit  atorgament  del  dit  P.  de  Bardojl,  procurador,  sotz  les  con- 
dicious  e  retendons  sobre  dites,  promejren  al  dit  procurador 
que  els  daran  los  dits  xx  dr.  Bar.,  et  totes  les  altres  causes 
dessus  dites  promeyren  tenir  e    servar  e  complir,  e  per  ajsso 

1  Prals-de-Mollo,  chef-lieu  de  cantOQ  de  l'arrondissement  de  Céret 

^  Sic,  pour  bosch. 

Tome  xxx  de  la  troisième  série.  —  Décembre  1886.  17 


25S  DOCUMENTS 

attendre  e  complir  obligueren*  lo  dit  molin  ab  ses   milorers 
feytz  e  fasedors  e  totz  lors  bens. 

Test.  Jacme  sobira,  scriva,  R.  Rog,  balle  de  Pratz,  P.  Ca- 
pell,  sag-. 

(Arch.  des  Pyr.-Or.,  B.  94,  Proc.  real,  rég.  xvii,  fo  27  vo.) 


XXVIII 

NOMINATION    d' ARBITRES    POUR    REGLER   LA  SUCCESSION    DU    JUIF 
SALOMON    SULLAM  DE   PORTA  (1314) 

Com  lo  molt  ait  senyor  rey  En  Jacme  ^  de  bona    memoria 
bagues  regonegut  deure  an  Salamo  Sotlam  de  Porta,  Juseu 
sa  enrera  *de  Vilafrancha  de  Penedes^  x.  mill.  sol.  los  quais 
vole  e  manalo  dit  senyorRey  que  fossen  pagatz  als  pus  prus- 
mes  del  dit  Sotlam  qui  milor  dret  hi  haguessen  par  ordonacio 
del  dit  S.  Rey,  e  per  assignacio  feyta  per  En  Bonjuses  Asday 
e  per  En  Jusseif  Léo,  fil  dEn  Bon  Juses  dElna,  exsecudors  del 
testament  del  dit  Salamo  qui  ladoncs  vivien,  fossen  assignats 
pagadors  dels  ditz  x.mill.  sol.  so  es  saber:aNa  Dolssa  muler 
del  dit  Salamo  m.  mill.  sol.  dins  ii.  ayns,  pagant  cada  ayn  la 
terssa  part,  e  an  Salamo  Sotlam  de  Porta,  frare  del  dit  Salamo, 
II.  mill.  sol  dins  II.  ayns  primers  venentz,no  feyta  neguna  altra 
mencioni  ordinacio  dels  altres  romanentzv.  mill.  sol, — segons 
que  aysso  en  lo   libre  ordinari  dEn  Ramon  Plasensa,  ladoncs 
thesaurerdel  ditsenyorRey  del  ayn  de  m.ccc.vii.  en  lo  Capi- 
tol de  Paga  dedeuies  pus  largament  es  contengut  ;  e,  pagatz  los 
ditz  v.mill  sol  segons  la  ordinacio  damunt  dita,  dels  quais  nos 
Arn.de  Codalet,  thesaurer  del  molt  ait  senyor  Rey  en  Sanxo, 
pagam  a  la  dita  Dolssa  la  derrerapagua,  e  es  cert  quel  dit  En 
Ramon  Plazensa  en  son  libt^e  ordinari  derrer  que  leixa   après 
la  mort  del  dit  seiiyor  Rey  de  bona  memoria  can  hac  reddut 
compte,  la  bon  regonech  deure    en  la  fin  del  libre  los  deutes 
quel  dit  S.  Rey  de  bona  memoria  dévia,  no  feu  alquna  mencio 
ni  regon  exensa  dels  ditz  v.  mill.  solromanents  a  pagar  dois 
dits  x."5; 

*  Sic,  pour  ohlifiuen. —  -  Sag,  liuissier. —  3  Jacques  1er  de  Majorque. — 
•*  Autrefois,  par  le  passé.  — s  ViUafranca  del  Penedès,  ville  d'Espague,  au 
sud-ouest  de  Barcelone. 


SUR  LÀ  LANGUE  CATALANE  259 

Per  que,  lo  dit  senjor  Rey  en  Sanxo  asso  no  contrastan, 
auda  delibej-acio  al)  lo  discret  Arn.  Trauer,  jutge  seu,  de  so 
que  de  dret  e  de  ralio  si  degues  fer,  volch  e  mana  dimartz  à 
xiii.  jorns  de  febrer,  per  descarrech  de  la  anima  del  dit  senjor 
Rey  de  bona  memoria  pare  seu,  que  no  contrastant  si  be  la 
ditaregon  exensa  no  era  estada  escrita  perlo  ditR.Plazensa, 
quels  ditz  v.™  sol  fossen  pagatz,  com  no  apparegues  que  fos- 
sen  estatz  pagatz.  Ecom  los  ditz  marmessors  del  dit  Salamo  Sotz- 
lam  fossen  mortz,  e  ejl  agues  ordonat  en  son  testament  que, 
mortzlos  ditz  marmessors,  los  secrataris  de  laAljamadels  Ju- 
seus  de  Barsalona  els  secrataris  de  lAljama  de  Vilafranchade 
Penedes*  poguessen  constituiraltres  marmessors  per  complir 
la  sua  derrera  volentat  e  la  ordonacio  del  dit  testament,  los 
demont  ditz  seeretaris  establiren  e  constituiren  en  logar  dels 
diîz  manemessors,  so  es  assaber  Eu  Sotlam  Astruch  juseu,  fil 
dEn  Astruch  Sollam  de  Poi'ta  saenrera,  e  En  Samuel  Sollam 
juseu  fil  den  Sollam  Sammuel  de  Porta  saenrera  e  en  Sollam 
Mosse  de  Porta  juseu,  als  quais  donaren  plen  poder  de  de- 
manar  e  de  rehebre  totz  doutes  e  altres  bens  pertanyentz  al 
dit  Salamo,  e  encara  de  distribuyr  aquels  segons  la  sua  der- 
rera volentat,  segons  que  aq.uestes  coses  plus  largament  son 
contengudes  en  una  publica  carta  feyta  per  auctoritat  dEn  P. 
des  Coj!,  notari  public  de  Barssaloua  iii°.  kls  junii  anno  dhi 

M.  CGC.  XI1°. 

Les  quais  coses  complides,  los  ditz  juseus  constituitz  en  lo- 
gar- dels  ditz  manemessors  soplegaren  al  dit  senyor  Rej  que 
fos  de  sa  merce  que  manas  pagar  los  ditsv.™  sol.  per  complir 
la  derrera  volental  del  dit  Salamon  Sotlam.  E  finalment  fo 
covengut  entrel  dit  senyor  Rej  en  Arn.de  Codalet,  thezaurer 
seu  de  i"  part,  el  dit  Sollam  Mosse  per  nom  de  si  e  dels  altres 
mermessors  ab  el  ensems  de  laltra,  quels  dilz  v™  sol  remanentz 
à  pagar  fossen  pagatz  en  aquesta  manera,  so  es  assaber,  ara 
de  présent  l.  Ib,  e  cada  ayn  per  adenant  altres  l,  Ib  estro  ^  los 
ditz  V.™  sol  fossen  entegrament  paguatz.  Per  la  quai  causa  lo 
dit,  Sotlam  Mosse,  per  nom  propri  e  per  nom  damont  dit,  feu 

*  Valjama,  «la  réunion  des  juifs»,  indique  la  communauté  ']\i\\q  de  Perpi- 
gnan. Le  call  était  le  quartier  séparé  qu'ils  habitaient,  appelé  f/hetto  en 
Provence  et  en  Italie. —  -  En  lieu  et  place.  —  ^  Sic,  pour  entra. 


260  DOCUMENTS 

a  nos  dit  Arn.  de  Codalet  carta  de  regoneixensa  de  la  primera 
pagua  que  arals  fem';  e  encara  se  obligaren  de  retre  los  ditz 
dines,  si  per  adenant  aparia  negun  qui  melordret  lii  agues  que 
els,  0  que  aver  nols  deguessen,  o  que  fossen  ja  paguatz.  E  axi 
luiram  al  dit  Sotlam  Mosse,  que  li  liura  per  nos  En  Nicholau 
de  Sent  Just,  nombrantz,  lo  demont  dit  die  dedimartz-.  Delà 
quai  escriptura  nos  dit  Arn.  de  Codalet  manam  donar  translat 
al  dit  Sollam  Mosse  sagelat  ab  nostre  sagel,  corn  ne  fossem 
request  per  el,  per  raho  de  les  altres  romanentz  pagues. 

Apres  aquestes  causes  quo  fos  nada  questio  entre  la  dita 
Dolssa  demanan  délai*  part  el  ditSamiel  Sullam  en  Astruch, 
juseus,  de  Vilafratichade  Penedes,  mauumissors  del  testament 
de  dit  Salamon  Sullam  establitz  per  lAlgama  dels  juseus  de 
Barssalona  e  per  lAlgama  dels  juseus  de  Vilafrancha  de  Pene- 
des a  qui  en  lo  dit  testament  era  donat  poder  destablir  altres 
manumissors  sils  primers  manumissors  morien,  de  laltra  part 
deÊfenentz,  sobre  aysso  so  es  saberquar  la  dita  Dolssa  disia  e 
affermava  que  ad  ela  solament  e  no  ad  altra  los  ditz  iiii.™  sol. 
pertanyien  per  raso  de  la  dot  que  al  dit  marit  seu  aporta  en 
temps  lur  matrimonial  e  per  donacio    per  nupcies.  Los  ditz 
empero  Samiel  Sullam  e  Astruch  en  contrari    disentz  que  ad 
els  aixiquanta  manumissors  delditSalamo  se  pertanyien  eno 
ad  altre,  disens  que  a  la  dita  Dolssa  es  plenerament   satisfeyt 
per  lereter  del  dit  Salamo  en  la  dita  dot  e  donacio  per  nupcie?. 
Finalment  les  dites  partz,  volentz  venir  a  fi  e  a  pau  de  la  dita 
questio,  compromeyren  sobre  aquela  en  les  discretz  Bû  Daui, 
cavaler,  balle  de  Perpenya,  en  Hue  de  Belvesi,savi  en  dret  e 
on  Vidal  Benevist,  juseuhabitador  de  Vilafrancha  de  Penedes, 
als  quais  donaren  pie  e  libéral  poder  e  auctoritat  aixi  quant  ad 
arbitres  arbitradors  ho  amigables  composidors  de  diffinir  e  de 
termenar  la  dita  questio,  aixi  quant  a  lur  discrecio  sera  vist 
fasedor .  Los  quais  arbitres,  ausides  les  rasons  de  les  dites  partz , 
pronunciaren  entre  les  dites  partz  en  aquestamanera,so  es  sa- 
ber  que  la  dita  Dolssa    dels  ditz  iiii™  sol.  haga  tant   solament 
sexanta  Ibr,  so  es  saber  ara  x.  Ibr  e  les   romanentz  l.  Ibr  en 
la  tei'ssapaguafasedoraper  los  ditz Procuradors  del  ditseiiyor 

*  A)-aL^  fcrn,  pour  ara  los  hi  fem,  «  que  nous  leur  faisons  maintenant.  » 
2  13  février  1313. 


SUR  LA  LANGUE  CATALANE  261 

rejcontenguda  en  la  dita  carta  del  dit  S.  Rey.  Los  romanentz 
emperoii^DCCC.  sol.  sien  pagatz  als  ditz  Samiel  Sullam  c  Sul- 
lam  Astruc  manumissors  per  les  pagues  e  termes  contengutz 
en  la  dita  carta  del  dit  S.  Rej.  Laquai  pronuciacio  dessus  dita 
les  dites  partz  lausaren,  atorgueren  ^  e  flfermaren  e  aquela  pro- 
meyi^en-  tenir  et  servar  eno  contrevenir  aixi  quant  en  i^  carta 
daqui  feyta  idus  julii  anno  dm  Mccc.xnit  en  poder  dEn  Jo- 
lian  Barrau,  scriva  public  de  la  cort  del  balle  de  Perpenya,  es 
contengut. 

Deuem  retenir  dels  juseus  dessus  dits  la  paga  de  febrer  de 
Mcccxiiii.  tro  quis  sien  avengutz  ab  en  P.  Feliu,  escrivan  de 
la  cort  de  so  que  li  deuen  per  justicia. 

Fo  feyta  composicio  entre  lo  dit  P.  Felui  els  juseus,  segons 
que  diu  Bii  Messeger  ax.lbr. 

Foren  retengudes. 

(Arch.  des  Pyr.-Or.,  B.  94,  Pi-oc.  real,  reg,  xvii,  f»  27  ) 


XXIX 

RÈGLEMENT  POUR  LES  «  SCRIVANIES  »  DE  LA  COUR  DU  BAILLI  DE 
PERPIGNAN,  DE  LA  COUR  DES  APPELLATIONS  DU  CHATEAU  ROYAL 
ET  DU    «  TAULER  »    OU  BUREAU  DU    VIGUIER  DE    ROUSSILLON 

Divenres  a  xxYi.  dejuliol  de  m.ccc.xiiii. —  En  P,  de  Bardoyl 
en  Huch  de  Cantagril,  procuradors  del  senyor  rey  de  Mayor- 
ques,  ordonaren  que  per  be  e  utilitat  comune,  lescrivan  qui 
tindra  e  régira  les  scrivanies  de  la  cort  delbatle  de  Perpenya 
e  del  tauler  del  viguer  deRosseylo  e  enquare  de  la  cort  de  les 
appellecions  del  casteyl,  dega  prometre  e  jurar  que  el  fara 
be  e  lialment  son  offici  e  que  no  pendra  ni  pendre  fara  cor 
VI.  d.  per  cascuna  fuyla  de  paper,  de  acte,  e  que  en  la  dita 
fuyla  0  lenque  dege  aver  xx.  régions  en  cascuna  plagene  al 
meyns,  e  quel  paper  sie  de  forma  migane  e  que  los  spays  dels 
costats  de  la  plagene  nohagen  entrendos  cor-^  mig  quarto  de 
cane  de  Perpenya  ^. 

1  Sic.  —  2  Sic.  —  ■'  Seulement  que.  —  ^  <>  Demi-carton  »  de  canne  de 
Perpignan. 


26-2  DOCUMENTS 

E  encare,  que  negun  région  no  pusque  esser  comptât  per 
raglon,  si  nos  es  terç  région  o  mes^ 

E  entenen  enquare  que  lescripture  sia  ben  continuade  e 
sens  frau,  en  axi  que  no  hage  masse  espay  de  la  una  diccion  - 
en  laltre.  E  que  lescriva  no  dega  donar  a  negun  hom  trelat  de 
neguna  scriptura  si  no  nés  request,  ni  dega  aver  re  de  neguna 
scriptura  de  recepcion  de  testimonis  ni  daltre,  sinodels  tre- 
lats  que  dara.  E  enquare  juren  que  en  los  processos  a  ordonar 
no  meten  ni  dicten  paraules  sobreflues,  e  que  agen  encorporar 
als  libres  los  libelles  e  les  sentencies^. 

Arch.  des  Pyr.-Or.  B.  9i,  Proc.  real,Teg.  xvii,  fo33  v».) 


XXX 

DÉFENSE   d'arroser   FAITE   PAR  LES   PROCUREURS    DU  ROI   A 
DIVERS  HABITANTS    DE    PERPIGNAN 

Divenres  xxvi.  dies  de  juliol  en  layn  de  mcccxiiii.  —  En  P. 
de  Bardoyl  en  Hue  de  Cantagril,  procuradors  del  molt  al  se- 
njor  rej  de  Majorches,  empara*  an  R.  Castelon,  sartre,  laj^- 
gua  del  rech  qui  passa  prop  i.  ort  seu  que  ha  en  los  termes 
de  Maloles,  e  mana  al  dit  R.  de  part  del  S.  Rey  que  de  layga 
del  dit  rech  no  no  °  gaus  regar  ni  fer  regar  lo  dit  ort  sotz  pena 
de  L.  s.  per  aytantes  veguades  quon  ne  regara  on  fara  regar. 

Test.  Jacme  Sobira  e  Jacme  Bocanova. 

Item  a  xxvii.  de  juliol,  ditz  procuradors  empararen  an  Jo- 
han  Torrent,  ortola,  lajgua  del  dit  rech,  e  manaren  que  el  no 
rech  ni  fassa  regar  i.  ort  que  ha  logat  dEn  Roer,  prop  lo  dit 
rech,  sotz  ladita  pena.  Foli  donada  licencia  quen  pusca  regar 
daj'si  à  Sant-Michel  de  setembre  primer  venent,  e  mes  i.  ajn 
seguent;  e  haguemne  ^  entre  so  que  ja  havia  regat  tro  ad  are  e 
so  dessus  dit  que  regara  vi.  s. 

1  Région  et  raglon,  rayure,  ligne.  —  '  Diccion,  mot.  — 3  Ce  document 
semble  avoir  été  copié  vers  13o0.  —  *  Sic,  \)0\n  empararen,  saisirent. — 
B  Sic. —  "^  «  El  que  nous  en  ayons,  que  nous  en  retirions,  entre  ce  qu'il  avait 
arrosé  jusqu'à  présent  et  ce  qu'il  arrosera,  marqué  ci-dessus,  six  sous.  '> 


SUR  LA  LANGUE  CATALANE  263 

Item  dissapte  m.  dies  del  mes  dahost  empararen  an  P.  Cof- 
folent  maheler,  lajgua  del  dit  rech,  e  manaren  axi  com  da- 
ment que  no  gaiis  regarla  possessio  sua  que  ha  comprada  den 
Boteler,  sotz  pena  de  l.  s.  Testimonis,  P.  Capel,  saig-,  P.Re- 
cort,  forester,  Jacme  Bocanova. 

(Arch.  des  Pyr.-Or.,  B    94,  Proc.  real,  reg.  xvii,  f»  28  ro.) 


XXXI 

AUTORISATION  DE  CONSTRUIRE  UNE  ((  MOLINE  DE  FER  »  OU  FORGE 
ET  UN  MOULIN  A  FARINE  DANS  LE  TERRITOIRE  DE  PRATS-DE- 
MOLLO. 

A  XXVIII.  del  mes  duytubri  layn  de  mcccxiiii.  —  En  P,  de 
Bardojl,  procurador  delmoltalt  senyor  rejde  Mayorches,  do- 
neren*  licencia  an  R.  Rog  de  Pratz  e  an  P.  des  Boix  de  Cam- 
predon  e  anJohan  Segui  de  Vilafrancha  e  an  P.  Oliver  de 
Saorra,  que  pusquessenferi''molinade  ferr  enfre  la  coma  ape- 
lada  Yla-longua  e  la  coma  apelada  Lancer,  ho  en  quai  daque- 
les  mes  lor  plaura.  E  qie  pusquen  penre  ad  us  de  la  dita  mo- 
lina  dels  aybres  dels  boschs  que  son  en  les  dites  comes,  ex- 
ceptatz  avetz  vertz  e  bes  vertz^  e  adero  e  freixa,  dels  quais  no 
degen  penre  ni  taylar,  salvant  que  pusquen  penre  dels  avetz 
ad  ops  de  cobrir  les  cases  que  faran  per  la  dita  molina  e  ad  us 
daquela,  e  no  altrament. 

Encara  que  [n]  pusquen  portar  e  penre  en  los  retorns  de  les 
besties  que  tenran  ad  us  de  la  dita  molina  sens  tôt  forestatge. 

Item  lor  dona  licencia  que  pusquen  fer  i.  moli  blader  a  moire 
los  blatz  ques  despendran  ad  us  de  la  dita  molina. 

Lo  quai  atorgament  fe  lo  dit  procurador  als  dessus  ditz  sotz 
aytal  condicio  que  de  tôt  lo  ferr  ques  fara  en  la  dita  molina 
donen  al  S,  Rey  ho  a  cuy  el  voira,  lo  dotz  en  quintal,  lo  quai 
ferr  degen  pagar  al  S.  Rey  lo  darrer  ^  die  de  quasquna  setmana 
que  hauran  obrat  o  feyt  obrar  en  la  dita  molina. 

Item  fo  covinensa  entrais  ditz  procuradors  e  rehebedors  de 

Sic,  pour  dona.  — -  Bes,  bouleau  blanc.  —  3  sic.  Voyez  p.  264. 


264  DOCUMENTS 

la  dita  molina,  que  si  la  dita  molina  per  deffaliment  ho  per 
ineportunitat^  de  lenja  fasia  a  mudar,  que  ho  [iuguen  fer;  e 
encara,  que  pusquen  ab  aquela  mudar  lo  dit  molin  blader. 

Les  quais  causes  los  dessus  ditz  rehebedors  de  la  dita  molina 
lausaren  e  atorgaren  aixi  quo  pus  largament  es  contengut  en 
I»  carta  notada  per  En  Jacme  Sobira  en  la  nota  de  la  Thesau- 
reria. 

(Arch.  des  Pyr.-Or.,  B.  94,  P}-oc.  real,  reg.  xvii,  fo  26  vo.) 


XXXII 

«  AYSO  ES  l'ordonament  feyt  dels  peixoners  » 

Eyi  layn  de  m.cccxvii. —  Fo  adordonat  per  R.  Creyxels, 
batle  de  Perpenya,  cavaler,  de  conseyl  dEn  Huguet  Sabors  e 
dEn  Perpenya  Roma  e  dEn  Jehan  de  Corneyla  e  dEn  G.  Tho- 
mas e  dEn  Berthomeu  Fontfreda  eonsols,  e  dels  prohomes  de 
Perpenya,  de  manament  especial  del  molt  altsenyorEnSanxo, 
per  la  gracia  de  deu  rey  de  Malorches,  quels  manaments  sotz 
scrits  sien  servatz  sotz  les  pênes  que  pausades  hi  son. 

Ara  auj^atz  que  mana  el  Veguer  el  balle  del  S.  Rey,  als  dins 
e  als  de  fora-,  que  totz  los  pescadors  o  mercaders,  ode  qual- 
que  loch  que  sien  de  la  terra  del  dit  S.  Rey  o  de  fora,  qui  pes- 
quen  en  les  mars,  o  en  estayns  qui  son  de  la  Vayl  de  Baynuls 
tro  a  la  Thet^,  degen  e  sien  tengutz  de  portar  e  de  vendre 
los  ditz  peyxes  en  la  terra  del  dit  S,  Rey 


1  «  Incommodité  de  faire  du  bois  (?)  .« 

2  a  A  ceux  de  dedans  et  de  dehors.  » 

3  «  La  vallée  de  Banyuls  »,  resserrée  au  voisinage  de  la  mer  par  les  co- 
teaux des  anses  de  Perafîta  et  des  Elmes,  s'élargit  intérieurement  et  forme, 
pour  ainsi  dire,  un  éventail  dont  les  arêtes  sont  dessinées  par  les  ravins  de  Vall 
Auger,  de  la  Roma,  de  Carpila  et  de  Vall  Auria.  Dans  les  actes  du  moyen 
âge,  Banyuls  porte  indistinctement  les  noms  de /?a/«eo/(B,  BainuUs  de  Mari- 
timo,  de  Marcdina  et  Banyuls  del  Marende.  On  dit  aujourd'hui  «Banyuls- 
sur-Mer»  eu  français  el  a  Banyuls  de  la  iMarenda»  en  catalan.  Le  droit  de  pè- 
che, de  Roses  au  grau  d'Argeles  ou  «  jusqu'à  laTet»,  appartenait  d'abord 
aux  comtes  d'Empories-Roussillon,  et,  jusqu'au  XVII»  siècle,  il  fut  pratiqué 
presque  exclusivement  par  les  pêcheurs  d'Empories,  Roses,  Cadaquers  el 


SUR  LA  LANGUE  CATALA.NE  265 

Item  si,  en  los  ditz  peyxes  quis  pescliaran  en  mar  o  en  es- 
tajns,  eren  per  aventura  una  o  dos  persones  o  mes,  pescha- 
dors  o  mereaders,  que  els  no  degen  ni  gausen  eyxaug'uar'  los 
ditz  peixes  adiners;  mes,  que  caschunqui  part  na^vuyla  aver 
sa  part,  e  que  nofassa  tornes  de  diners  la  un  al  altre.  Eaquels 
qui  part  ne  volran  aver,  degen  esser  aqui  presentz  personal- 
nient,  o  lurs  missatges  qui  estien  ab  ejls  en  lurs  alberchs... 

Item  que  tôt  hom  qui  port  o  fassa  portar  peix  freschs^  per 
vendre  a  lavila  de  Perpenja,  se  gart  quel  peix  no  puda  ni  sia 

corromput;  E degen  pausar  los  ditz  peyxes  en  la  plassa 

del  maseyl  vell,  dreta  via,  axi  quo  venran  ;  els  homes  es- 
trayns  en  la  plassa  de  la  Peyxoneria  nova  davant  lo  rech\  E 
aytant  tost  quols  ditz  peyxes  seran  en  les  taules,  de  mante- 
nent  degen  aquel  trere  buydar  a  les  taules,  en  tal  manera  que 
tôt  hom  los  puscha  veser  clarament,  e  que  nols  tenguen  ama- 
guatz  ab  neguna  causa. . . . 

(Arch.  des  Pyr.-Or.,  B.  94,  Proc.  real,  reg.    xvii.) 


XXXIU 

ETABLISSEMENT    d'uN  ÉCRIVAIN   PUBLIC  A  TORREILLES 

Divenres  xxvii.  dies  dejuijnm.  ccc.xv. —  G.Alamayn,  pre- 
vere  de  Torreles,promes  en  poder  dels  senj'ors  en  P.  de  Bar- 
doyl  en  Huchde  Cantagril,procuradors  del  senyor  rey,  que  el 

Collioure  ;  de  sorte  que  la  population  de  Banyuls,  qui  s'y  livre  aujourd'hui  avec 
tant  de  succès,  y  est  demeurée  complètement  étrangère  jusqu'aux  deux  der- 
niers siècles. 

1  Signifie  ici  épuiser,  acheter,  c'est-à-dire  acheter  tout  le  poisson.  Cette 
expression  se  trouve  dans  «  l'ordonament  e  establiment  del  peix  »  de  129S, 
donné  par  Alart.  Sur  ce  mot,  voy.  Revue  des  langues  romanes,  VI,  p,  320. 

^  Sic,  pour  ne. 

3  Sic. 

^  Sur  ia  place  Neuve,  qui  porte  encore  le  même  nom.  Le  ruisseau  dont  il 
est  ici  question  est  le  ruisseau  Comtal,  qui  aineuait  l'eau  au  moulin  du  roi,  si- 
tué à  côté  de  la  Poissonnerie.  Ces  eaux  descendaient  ensuite,  comme  aujour- 
d'hui d'ailleurs,  par  la  rue  de  la  budellaria,  appelée  rue  de  VAnge  actuelle- 
ment. 


266  DOCUMENTS 

be  e  fidelment  fara  e  servira  lo  offici  de  la  escrivania  e  les  al- 
tres  escriptures  que  rehebra  axi  com  escriva  en  la  vila  e  ter- 
mes de  Torreles\  de  la  primera  passada  festa  de  sent  Johan 
de  juyn  a  ii.  ayns  sotz  pena  si  la  cometia  deL.  Ibr  per  les 
quais  obliga  sos  bens. 

G.  Emengau  de  Sent  Laurens  en  Laurens  Corberade  Torre- 
les  perprecs  del  dit  G.  Alamayn  intraren  fermanses  al  senyor 
rej  per  la  dita  pena  ab  el  e  senes  el,  e  obligaren  cascun  lurs 
bens  e  renunciaren  a  tôt  dret  ad  els  aiudan. 

{Ibidem,  fo  31  v».) 


XXXIV 

NOMINATION  DE  GARDES  DU    RUISSEAU  ROYAL    DE    THUIR 

Dimartz  viii.  de  Jultol  m. ccc.xy. —  En  P.  Mauran,  fil  den 
Mauran  de  Rodes,  promes  e  jura  en  poder  dels  senyors  En  P. 
de  Bardoyl  en  Huch  de  Cantagril,  procuradors  del  molt  ait 
senyor  rey  de  Malorches,  que  el  be  e  fiselment  gardara  da- 
quest  présent  die  a  i.  ayn  lo  rech  de  Toyr,  e  aquel  per  son  po- 
der tenra  condret  de  la  presa  de  laygua  tro  al  forn  de  la  caus 
que  fo  feyt  prop  Vinya  Bremona,  en  ay tal  raanera  que  tôt  so  que 
y  fassa  adobar  e  el  ho  pot  complir  de  sa  persona,  que  ho  deu 
fer  sens  altra  manobra.  Empero,  si  tal  trench  o  enbarch-  lii 
endevenia  que  per  si  en  leixs  ^  adobar  no  ho  pogues,  pot  y  mè- 
tre manobra  axi  quant  mesterhi  fara,  e  aquela  deu  pagar  lo 
senyor  Rey,  e  deu  aver  per  cascun  die,  axi  fasener  com  per 
festa,  vi"''  dr. 

Empero,  pot  fer  lesfasenes  en  so  del  seu  ab  que  ^cascun  die 
sia  a  cerch'^  tôt  lo  rech  mati  e  vespre. 

De  lesquals  paguam  al  dit  P,  Mauran  comptans  a  xxii.  de 
setembre  —  ii.  Ibr. 


1  Toreilles,  commune  du  canton  de  Rivesaltes. 

2  Enbarch,  «  empêchement,  embarras.  » 

3  Si  enleixs,  «que  par  lui  tout  seul  il  ne  put  l'arranger.  » 

*  Ab  que,  a  pourvu  que.  » 

•  Cerch,\\sei  cecft  ou  sech. 


SUR  LA  LANGUE  CATALANE  267 

E  nos  doiiem  al  dit  P,  Mauran  per  xxiiii.  dies  de  juliol  e 
per  aliost,  setembre  e  per  utubfi  per  ii.  diesdel  mes  denohem- 
bre  en  que  ha  .cxvi.  jorns  tro  al  die  que  foren  livatz  los  exau- 
gadors    e  no  correch  lo    rech,  a  vF"   dr   per  die  —  ii.  Ibr 

XVIII.   s. 

Et  aixi  resten  que  li  avem  a  tornar  xviii.  ^,  les  quais  pa- 
guem  al  dit  P.  Mauran  a  xviii.  de  jujn  m.ccc.xvi.  P.  Triles 
de  Muntela  S  habitant  de  Bula,  jura  e  promes  de  garder  e 
tener  condret  lo  rech  de  Tojr  del  dit  forn  de  caus  tro  al 
torrent  de  Castelnou,  sotz  aquela  forma  desus  escrita  an  P. 
Mauran  en  tôt  e  per  tôt,  e  pren  aixi  meteix  vi^°  dr  per  die.  Em- 
pero  comensa  cap  de  ajn  a  xii.de  juliol  M.ccc.xv.De  les  quais 
paguamal  dit  P.  Triles  que  lidonem  comdantz  a  Perpenyadi- 
gous  iiii.  dies  del  mes  de  setembre. —  ii  Ibr.  E  nos  deuem  al 
dit  P.  Triles  per  xviiii.  dies  de  juliol  e  perlo  mes  de  ahost,  se- 
tembre, utubri  e  per  .11,  dies  de  nohembre  en  que  ha  c.xii. 
jorns  entro  al  die  que  foren  livatz  los  exaugadors  el  rech  no 
correch  a  vi®"  dfir  per  die  11.  Ibr.  xvi.  s. 

Et  aixi  resta  que  li  ha  hom  a  tornar  daquest  comdexvi.  s. 

Los  quais  paguam  al  dit  P.  Triles  que  li  donem  a  viii.  de 
dehembre  m.cccxv^. 

(Arch.  des  Pyr.-Or.,  B,  94,  Proc.  real,  reg.  xvn,  fo  32  ro.) 


XXXV 

DÉSIGNATION  DES  ((  CARRERES  »  OU  CHEMINS  PUBLICS  DU  TERRITOIRE 
DE    SALSES 

Kls  marci  anno  dhi  m.ccc.xv"  Dominus  Petrus  de  Bardollin 
et Hiiguetus  de  Cantagrillo  procuratores  dni Régis Mayoric.  exis- 

1  Le  scribe  avait  mis 'd'abord  d'Orbanija,  qui  a  été  barré.  Muntda,  que 
nous  avons  déjà  rencontré,  était  un  hameau  de  la  vallée  de  Nohèdes  ;  il  n'en 
reste  plus  rien  aujourd'hui. 

2  II  n'est  pas  possible  de  fixer  par  des  pièces  authentiques  la  date  du  pre- 
mier établissement  du  ruisseau  de  Thuir.  Primitivement  établi,  sans  doute, 
pour  le  seul  territoire  de  Thuir  et  l'entretien  des  usines  de  cette  petite  ville, 
il   fut  continué  vers  Perpignan  avant   la  fin   du  XII*^  siècle;  car,  dès  l'année 


16S  DOCUMENTS 

tentes  in  villa  de  Salssis,  ad  instanciam  et  requùicionem  Pétri 
Tores  '  et  Johannis  Geraldi  consulum,  nmndavit  Berengario  Ri- 
(jaldi  baiulo  dicti  loci  et  Ffcrrario  de  Gadujudici  dicti  loci,  quod 
infrascripta  facerent  scribi  in  libro  curte  de  Salssis  et  dicti 
haiulus  et  judex  mandaverunt  Berengario  Jaufredi  scriptori  pn- 
blico  de  Salssis  scribi  in  dicto  libro  ea  que  secuntur,  videlicet 
quod  carrerie  terminorum  de  Salssis  sint  inperpt-tumn  ut  secun- 
tur. Et  dicti  procuratores  de  mandalo  dicti  diii  régis  visis  omni- 
bus locis  dictorum  terminorum  dixerunt  quod  carreria  que  est 
loco  vocato  camp  del  sola  de  Vespela^,  desa  el  Roue  deves 
Salsses  pausan  terme  a  la  garriga  del  senjor  rey,  e  laltre 
terme  a  la  carrera  dEn  Carbonel,  e  prenen  del  laurat  de  "Ves- 
pela  è  ha  la  carrera  vi.  canes  de  Montpesler  dample. 

/tema.\  cortalden  Bn  Porcell  de  Garrius*,  dessus  laRoue  a 
la  rota  del  fabre  de  Tura*  en  un.  lochs  termenals,  e  ha  la 
carrera  VI.  canes  de  Montpesler  dample. 

Item  I.  terme  pausat  entre  i.  camp  de  Vespela,  e  del  dit 
fabre  de  Tura  que  ha  vi.  canes  de  Montp.  dample. 

Jtetn  I.  terme  pausat  dessus  la  carrera  deGrajleres,  a  vi. 
canes  de  Montpesler  dample. 

I/em  I.  terme  pausat  entre  la  rota ^  del  dit  P.  Tura  e  del  dit 
Vidal,  e  ha  la  carrera  vi.  canes,  etc. 

1172,  nous  trouvons  à  Perpignan  des  moulins  qui  ne  pouvaient  être  alimen- 
tés que  par  une  déviation  importante  de  ce  canal.  La  p)'esa  de  Vayrpia,  ou 
origine  du  ruisseau  de  Thuir,  était  située  au-dessus  de  Vinça.  ViiiyaBremona, 
dont  il  est  question  ci-dessus,  devait  se  trouver  dans  le  territoire  de  Boule 
Ternère  (Bula),  actuellement  dans  le  canton  de  Vinça.  Le  torrent  de  Cas- 
teilnou  (petite  commune  du  canton  de  Thuir)  passait  sous  le  canal  pour  aller 
rejoindre  la  Tet. 

*  Peut-être  faudrait-il  lire  Cors. 

2  La  grange  de  Vespella  (entre  Salses  et  Opoul)  fut  donnée  à  l'abbaye  do 
Fontfroide  en  vertu  de  divers  actes  (XII"  siècle).  Elle  fut  inféodée  aux  jésuites 
en  1669. 

■'  Garrius,  village  situé  sur  les  bords  de  l'étang  de  Salses  et  à  2  kilom.  sud- 
ouest  de  la  petite  ville  de  ce  nom.  Aujourd'hui,  hameau  désigné  sous  le  nom  de 
Garrieiix,  dans  les  cartes. 

'*  Tura,  village  situé  sur  la  rive  gauche  de  l'Agli,  en  face  de  Rivesaltes  ;  au- 
jourd'hui complètement  disparu. 

^  Rota  ;  les  documents  rédigés  en  latin  écrivent  rupta  et  rida.  11  y  a  près 
de  la  mer,  et  non  loin  de  Cornella-de-Vercol,  un  endroit  appelé  las  Routas, 
ainsi  désigné  en  1315  :  loco  vocato  a  les  Rotes.  Je  lis  dans  un  document  de 


SUR  LA  LANGUE   CATALANE  ^GO 

Item  altre  terme  entrel  dit  P.  Tura  e  En  P.  Fferrer  de  Ri- 
besaltes. 

Item  altre  terme  entre  Bii  Durande  Salsses  el  dit  P.  Fferrer 
de  Ribesaltes  entre  En  R.  Rogde  Tura  e  va  tota  serra  e  ve  a 
la  coma  de  Grayleres,  e  de  la  dita  coma  al  Rouanell  et  aqui 
son  pausatz  ii.  termes  a  la  rota  den  Brg  Moner  de  Tura  e  va 
la  carrera  tro  al  Rouanel  e  ha  vi.  canes  de  Montpesler  dam- 
ple. 

Item  altre  terme  al  camp  de  Vespela  que  va  al  Rouanell  e 
ha  VI.  canes  de  Montp.  dample  la  carrera  e  ve  tro  a  la  rota 
den  Cavalera  e  aqui  es  pausat  i.  terme  que  ve  al  Rouanelle 
daqui  es  pausat  altre  terme  al  camp  de  Vespela  el  Rouanell,  e 
va  ferir  a  la  rota  den  P.  Joher  de  Turae  aqui  son  pausatz  ii. 
termes. 

Item  altre  terme  pausat  a  la  rota  dEn  Matfre  e  ha  vi.  can. 
de  Montp.  dample  la  carrera  entro  sus  al  Roanel,e  d'aqui  son 
pausatz  II,   termes  a  la  rota  den  R.  Cabaner  de  Tura. 

Itemi.  terme  pausat  al  camp  den  Johan  Lansol  entro  al 
Roanell  e  ha  vi.  canes  de  Montpesler  dample  '. 

Item  iiii.  termes  pausatz  a  la  rota  den  R.  Cabaner  e  ha  vi. 
canes  entro  al  Rou[anell]  e  que  daqui  en  aval  dels  ditz  iiii. 
termes  pausatz  a  la  ditarota  del  ditR.  Cabaner  nujl  altre  hom 
no  haga  a  rompre  entro  al  Roue. 

(Arch.  des  Pyr.-Or.,  B.  94,  Procuracio  real,  reg.  xvii,  fu  15  vo). 


XXXVI 

AUTORISATION  ACCORDÉE  A  ARNALD  TRAUER  DE  PRENDRE  DE'l'eAU 
AU  RUISSEAU  DE  CLAYRA  POUR  SES  MOULINS  DE  SAINT-HIPPO- 
LYTE. 

Aquesta  es  la  ordonacio  feyta  e  contenguda  en  la  carta 
quel  senjor  Rej  fe  a  micer  Arn.  Trauer  sobre  la  recepcio  de 

1378:  «  Quey  puscha  tenir  bestiar  de  dos  apers  per  laurar  e  per  rowpre  les 
dites  terres  e  rotes.  » 

♦  La  canne  de  Montpellier  se  trouve  usitée  en  Roussiilon,  comme  mesure  de 
longueur,  dès  la  fin  du  XIII*  siècle.  Elle  s'y  était  probablement  introduite  à 
l'époque  où  les  deux  seigneuries  passèrent  dans  la  main  du  même  prince. 


2:0  DOCUMENTS 

la  aygua  del  rech  dels  molis  de  Clajra  que  decorr  als  molis  de 
sent  Ypolit/  . 

Primerament  dona  e  autorga  lo  dit  senjor  vej  al  dit  micer 
Arn.  Trauere  als  seus  en  pertotz  temps  que  tota  aquela  ay- 
gua  la  quai  eP  dit  S.  Rey  fara  menar  e  decorrera  als  molis  seus 
de  Clayra,  de  continent  après  los  dits  molis,  el  dit  micer  Arn. 
Trauer  reheba  erehebre  pusca  franchament  a  son  plaserfran- 
chament,  et  menar  aquela  aygua  e  fer  menar,  pereyl  ho  per  los 
seus  als  molis  de  sent  Ypolit  per  eyl  fazedors  e  als  termes  del 
dit  loch  de  sent  Ypolit  e  en  altre  loch  ques  vuyla  eyl  els  seus 
Cl  a  regar  les  possessions  quais  que  quais  e  en  tôt  altre  us.  En 
ayxi  empero  que  quan  que  quan  et  quantesque  veguades  la 
dita  aygua,  la  quai  el  els  seus  rehebran  sotz  los  ditz  molis  de 
Clayra,  sera  necessaria  en  tôt  ho  em  ^  partida  als  molis  que  En 
R.  Nègre  ha  a  Ssent  Laurens  ho  a  regar  les  possessions  de 
sent  Laurens,  el  dit  R.  Nègre  els  seus  tenentz  los  ditz  molis 
seus  de  sent  Laurens  pusquen  aqui  meseys  de  jos  los  ditz  mo- 
lis de  Clayra  rehebre  e  penre  e  fer  penre  e  menar  al  fluui  del 
Aygii,  sobre  la  resclausa  sua,  per  alqun  rech  que  nos  hi  fa- 
rem  fer,  aqui  après  los  ditz  molis  de  Clayra  entro  al  dit  fluvi, 
lu  dita  aygua  que  decorrera  dels  ditz  molis  de  Clayra,  en  tôt 
ho  en  partida  ayxi  com  sera  necessaria  als  ditz  seus  molis  de 
sont  Laurens  etareguarles  possessions  de  Sent  Laurens,  en 
ayxi*  si  laygua  que  decorrera  per  lo  dit  fluvi  del  Aygli,  entro 
sus  a  la  dita  resclausa  del  dit  R.  Nègre  no  b  istava  als  ditz  seus 
molis  e  a  regar  les  possessions  de  sent  Laurens,  per  les  quais 
coses  no  entenem  en  alcuna  manera  mermar  ni  deteriorar". 

Daqui  avant  vol  lo  senyor  Rey  quel  dit  micer  Arn.  Trauer 
els  seus  tenentz  los  molis  de  sent  Ypolit  aga  e  sia  tengut  de 
pagar  e  contribuir  la  quarta  part  de  totes  les  despeses  les 
quais  per  temps  al  s.  Rey  e  als  seus  fer  convenra,  segons  les 
condicions  de  sus  dites,  feytes  enfre  el  dit  s.  Rey  el  monestir 

1  Clayra,  Saint-Hippolyle,  Saint-Laurent-de-la-Salanque, communes  du  can- 
ton de  Rivesaltes. 

-  El  ne  peut  pas  être  ici  pour  la  conjonction  e  et  l'article  lo,  comme  plus 
bas  {el  dit  micer  Ar?i.  Trauer,  etc.).  El  est  donc,  du  moins  dans  le  cas  pré- 
sent, article  lui-même,  quoiqu'on  dise  BofaruU  (Sistema  f/ramatical,  p.  7y). 

^  Pour  e)}.  —  ^  Sic. 

^  Mermar,  «  diminuer.  »  On  trouve  souvent   mirmar  avec  le  même  sens. 


SUR  LA  LANGUE  CATALANE  271 

de  Frontfreda  per  refleccio  ho  reparacio  de  la  resclausa  lio 
reclauses,  sobre  la  quai  ho  les  quais  lo  dit  monestir  de  Font- 
freda  rehebra  ajgua  del  dit  fluvidel  Ajgli,  alslursmolis  de 
Tura,  el  S.Rej  per  conseguent  els  seus  als  molis  de  Clajra,  e 
daqui  enant  el  dit  micer  Arn.  Trauer  als  seus  molis  de  sent 
Ypolit.  Et  sotz  les  condicions  e  retendons  de  sus  dites  totz 
temps  salves  el  dit  S.  Rej  autrega  la  dita  aygua  als  molis  del 
dit  micer  Ar,  Trauer  e  als  seus. 

(Arch.  des  Pyr.-Or.,  B.  94,  Procuracio  real,  reg.  xvii,  f»  56  ro.) 


XXXVII 

ORDONNANCE  AU  SUJET  d'uN    BARRAGE  A  ETABLIR  SUR  l'aGLI 
POUR  LES  MOULINS  DE  TURA  * 

Aquesta  es  la  ordonacio  feyta  et  contenguda  en  i*  carta  de- 
vedida  per  ABC,  sobre  la  pajxerael  rech  dels  molis  de  Tura, 
la  quai  fo  fejta  entre  el  molt  ait  senjor  En  Sanxo  per  la 
gracia  de  deu  rey  de  Malorches,  el  honorable  religios,  frare 
Jacme  per  la  gracia  de  deu  abbat  del  monestir  de  Sca  M''  de 
Fontfreda-  vi.  kls  inarcii  anno  dhi  m.ccc.  xv.  per  ma  deu 
Jacme  Sobira  et  sots  escrita  per  ma  den  Laurens  Plasenssa 
sabentras  ^  scriva  publich  del  dit  sehjor  Rey. 

Primo  es  contengut*  en  la  dita  carta,  quel  senyor  Abbat  el 
monestir  daquel  muden  lo[s]  ditz  lurs  molis  de  Tura  en  loch 
plus  ait  que  ara  no  son,  ja  désignât,  e  que  la  payxera  sia  mu- 
dada  en  lo  loch  désignât,  et  que  sia  feyta  de  comunesdespeses 
del  S.  Rey  e  del  dit  monestir   mig  per  mig,  aytan  quant  ara 

*  Il  existe  [Arch.  des  Pyr-Or.,  B.  13)  une  copie  de  cette  ordonnance  faite 
au  XVe  siècle.  La  copie  écrit  ordinacio,  fou,  fêta,  pexera,  molins,  honora- 
bles, scrita,  aquell,  destruida,  Acjlin,  adonchs,  au  lieu  de  ordojiacia,  fo, 
feijta,  payxera,  ho7irable,  escrita,  aquel,  destroida,  Aygli,adoncs,  qui  sont 
dans  l'original. 

2  Les  biens  que  possédait  l'abbaye  de  Sainte  Marie  de  Front-Froide  en 
Roussijlon  étaient  considérables.  M.  E.  Cauvet  en  a  dressé  une  liste  exacte 
dans  son  Étude  historique  sur  Fontfroide.  Montpellier,  Félix  Seguin,  1875, 
liv.  V,  ch.  XVI.  —  3  Omis  dans  la  copie    —  *  Convengut  dans  la  copie. 


072  DOCUMENTS 

te  el  flum  del  Ajgii  e  daqui  avant  se  estendra  e  sera  neces- 
sari  Et  que  de  non  la  dita  pajxera  sia  crescuda.  Et  si  la  dita 
pajxera  era  destroida  en  tôt,  sia  fejta  a  messions  comunes 
mig  per  mig,  daqui  avant.  Mes  en  lareparacio  de  la  dita  pay- 
xera,  ho  si  era  destroyda  en  part,  adoncs  lo  dit  S.  Rey  meta 
en  les  despeses  la  terssa  part,  el  dit  monestirles  romanentz 
II.  partz,  en  aytant  quant  es  sobre  el[s]  molis  del  dit  mones- 
tir. 

hem  el  recli  dels  molis  sia  feyt  per  lo  dit  monestir  a  lurs 
despeses,  entro  al  casai  del  molis  del  dit  monestir  ;  el  dit  S. 
Rey  fassa  lo  dit  rech  sotz  los  ditz  molis  de  Tura  complidament 
ab  ses  despeses,  en  ayxi  quels  molis  de  sus  ditz  del  dit  mones- 
tir nos  pusquen  engorgar,  mes  que  a  messions  comunes  mig 
per  mig  el  dit  rech  sia  tengut  condret,  et  sobre  el  dit  casai 
dels  ditz  molis  et  de  jos  pertot  lo  terme  de  Tura  solament. 

Item  que  en  la  part  davayl  dels  ditz  molis  vulgarment  ape- 
lada  Caquil,  sia  pausat  senyal  ad  eternal  memoria,  en  ayxi 
que  nuls  temps  laygua  del  rech  desus  dit  no  pusca  pugar  oltra 
el  dit  senyal,  et  en  ayxi  el  dit  rech  sia  tengut  curât  per  les 
dites  partz,  et  aquel  senyal  totz  temps  romanguaen  son  esta- 
nient. 

llem  quels  homes  de  Tura  per  tôt  lo  terme  del  dit  castol 
].>usquen  penre  aygua  del  dit  rech  a  regatiu,  segons  quel  mo- 
nestir a  adordonate  ordonara,  ses  ^  contradiccio  del  dit  S,  Rey 
et  ses   successors,  el  dit  monestir  aga  regatiu  daquels. 

Item  que  sia  donat  sufficient  sait  als  ditz  molis,  so  es  assa- 
ber  de  xii.  palms  de  cana  de  Monpesler  de  canal,  e  que  el  dit 
monestir  sia  tengut  de  ferel  casai  del[s]  ditz  molis  a  lurs  mes- 
sions, et  en  lo  dit  casai  pusca  fer  v.  rodes  ho  mes  sis  vol  a  sa 
volontat. 

Item  quel  monestir  pusca  fer  els-  molis  ho  deprop  exauga- 
dors,  I,  ho  moltz,  la  hon  se  vorla  e  li  playra,  e  quan  et  ay- 
tantes  veus  com  li  playra  ho  voira. 

Item  quel  dit  S.  Rey  ho  els  sens  no  pusquen  fer  casai  de 
molins  en  tôt  lo  dit  rech,  sino  prop  lo  castel  seu  de  Clayra, 
per  III,  ho  per  un,  balestades,  vers  lo  terme  de  Tura, 

Itentsl  pont  era  neeessari  sobre  el  torrent  apelat /orren/rfe/ 

'  Comme  suns  ou  senes,  «  sans.  »  —  ^  Lisez  «/.•>■ . 


SUR  LA.  LANGUE  CATALANE  273 

Roue,  en  ayso  quel  dit  rech  dels  ditz  molis  se  fassa,  el  monestir 
sia  tengut  de  fer  la  primera  veu.  Mes  si  après  per  alqun  cas 
era  destrojt  ho  fraytura  va  de  reparacio  r  veu  ho  mes,  sia 
fejt  e  réparât  e  sia  tengut  condret  a  messions  comunes  del 
dit  S.  Rej  e  del  monestir  mig  per  mig  totz  temps  daqui 
avant. 

Item  Si  el  Prior  del  Mas  de  la  Garriga  '  volia  haver  regatiu 
del  dit  rech,  si  pren  ajgua  del  rech  desus  dit  sotz  los  molis 
del  dit  monestir,  tôt  lo  regatiu  sia  del  S.  Rey.  Si  empero  pre- 
nia  la  dita  ajgua  sobre  els  molis,  aj^o  no  pusca  fer  senes  vo- 
lentat  daquels  del  dit  monastir-,  et  adoncs  lo  dit  regatiu  sia 
cornu  del  dit  S.  Rej  et  del  dit  monestir.  Ajso  empero  sia  fejt 
ses  prejudici  dels  molis  d'En  R.  Nègre  e  de  totz  los  altres  ha- 
vens  alous  en  los  termes  del  castejl  de  SentLaurens, 

Item  fo  feyta  covinenssa  entre  les  dites  partz  quel  dit  mo- 
nastir sia  tengut  de  satisfer  als  lauradors  daqueles  terres  que 
son  sobrels  ditz  molins  del  espasi  lo  quai  sera  necessari  en  lo 
dit  rech  e  en  les  ribes  daquell,  el  S.  Rejsatisfassa  axi  metex 
als  lauradors  de  les  terres  que  son  dejos  los  ditz  molins,  per 
tôt  lo  terme  del  dit  castell  de  Tura  ;  mes  del  dit  espasi  no  sia 
tengut  alguna  causa  donar  lo  dit  S.  Rej  al  dit  monastir,  per 
raso  de  dreta  senjoria  o  per  altra  manera,  quant  ques  esquart 
al  monastir  damont  dit. 

Item  si  les  partz  se  convenien  que  lapaixera  que  ga  es  fejta 
bastes  per  lo  rech  e  per  los  ditz  molins  fasedors,  adoncs  la  dita 
paixera,  la  primera  veguada  sia  reparada  e  fortifflcada  e  cre- 
guda  ^  a  despeses  comunes  de  casquna  part  mig  per  mig;  mes 
depux  en  la  reparacio  daquela  lo  monastir  paus  los  docs  partz 
el  S.  Rej  la  terssa  part.  Si  enpero  les  partz  se  convenien  que 
la  paixera  que  ara  es  no  bastes,  mes  que  altra  de  non  ne  fos 
feyta,  adoncs  les  pères  de  la  dita  paxeria  que  ara  es  sien  pre- 
ses  dementre  que  sen  hi  poran  trobar.  E  si  no  bastava,  adoncs 
a  comunes  despeses  de  les  partz  sien  portades  e  ahudes  a  la 
dita  paxeria  de  nou  fasedora  e  sien  hi  meses  e  pausades. 

*  Le  Mas  de  la  Garriga,  sur  l'Agli,  à  1  kilom.  et  demi  à  l'est  de  Rivesalle?, 
é'.ait  un  prieuré  dépeudaut  de  Sainte-Marie-de-Villelongue  (Carcasses),  de 
l'ordre  de  Cîteaux. 

2  Sic.  —  ■'  Cveguda,  «  accrue,  augiueulée.  » 

18 


274  DOCUMENTS 

Item  la  paxera  que  en  lo  comensament  sera  feyta  de  rama  e 
lenjes  e  cavalons'  a  comunes  desposes  mig  per  mig. 

Item  quel  dit  S.  Rej  pusca  fer  casai  de  molins  en  los  termes 
del  dit  castejl  seu  deClayra  axi  cant  es  dit,  en  lo  loc  ga  dési- 
gnât, e  ad  aquels  penre  ajgadel  rech  dels  ditz  molins  de  Tura, 
dejos  aquels  molins  de  Tura. 

E  cant  lo  dit  senj^or  abat  del  monastir  de  Fontfreda  o  son 
couent  el  monastir  no  podien  mostrar,  requetz,  alqun  titol 
per  lo  quai  poguessen  penre  del  dit  flum  del  Ajgli  aygua  als 
ditz  seus  molins  de  Tura,  sino  possessio  longua  la  quai  sobre 
ajso  allegaven,  lo  dit  senjor  Rej  nostre  de  Malorques  per  si 
els  seus  successors  quais  que  quais  conferma  e  atorgua  al  dit 
senyorabat  présent  e  resebent  e  al  seu  monastir  la  dita  ajgua 
del  dit  flum  delAjglin^  als  ditz  seus  molins  de  Tura  empertotz 
temps,  sotz  les  formes  e  covenenses  damont  dites.  En  testimoni 
enpero  e  fe  pus  plenera  de  totes  les  dites  causes,  axi  lo  dit 
senyor  nostre  Rej  com  lo  dit  senjor  abat  en  aquesta  présent 
carta  manaren  pausar  lurs  sagels. 

(Arch.  des  Pyr-.Or,,  B.  94,  Procuracio  real,  reg.  xvii,  fo55.) 


XXXVIII 

ÉTAT     DES  CONTRIBUTIONS   DES  VILLES    ET    LIEUX  ROYAUX 
DU  ROUSSILLON  POUR   LE  SALAIRE  DES  JUGES  FORAINS 

1316  (?)  Ayso  es  la  forma  en  quai  manera  deuen  pagar  los 
castels  del  senyor  Rey  lur  part  al  celari  dels  jutges  forans  e 
del  avocat,  e  monta  per  tôt  L  .x.  Ibrs. 

1  Cocliure  ^ viii.   1.   x.   s xii.   1. 

1  Cai;a/07js,  troncs  d'arbre  qui  jouent  le  rôle  de  soutiens. 

2  Dès  le  X»  siècle,  ce  fleuve  porte  le  nom  d'Aquilinum  dans  sa  partie  in- 
fi'rieure,  comme  près  de  sa  source  (non  loin  du  pic  deBugaracli,  département 
do  l'Aude)  au  XII«,  et  ce  nom  se  montre  dès  l'an  1278  sous  la  forme  actuelle 
de  l'Agli.  On  trouve  un  lieu  de  Monte  Aglino,  dans  le  pays  de  Fenouillet, 
mentionné  en  1211. 

••  Les  cliiffres  de  la  première  colonne  ont  été  barrés,  on  ne  sait  à  quelle 
époque,  el  remplacés  par  les  chiffres  correspondants  de  la  seconde  colonne. 


SUR  LA  LANGUE  CATALANE 

2  Argilers vi.  1.  x.  s 

3  Mont  Esquiu m.   1.   x.   s.... 

4  Volo III .   1 

5  Maurelans x .   s . 

6  Taltahuyl i.   1.   x.  s 

7  Milars vi.   1 


275 


X. 

un 

VI. 

III. 

VI. 


iiii.  d. 


8  Estagel i.   1.   x. 

9  Toyr viiii.  1 

10  Toluges i, 

11  Lauro m.   1,   x.   s x.s. 

12  Sent  Esteve viii 

13  Salses viii 

14  Opeu I 

15  Clajra vi 

16  Sen  Laurens vi 

17  Torreles vi, 

18  Tressena  * 

S'  pertot  c.  Ibr. 

(Arch.  des  Pyr.-Or.,  B.  94,  Procuracio  real,  reg.  xvii,  fo79  v" 


1.  v.    s. . 

1.  X.   s. . 

1,  X.    s.. 

1.  VIII.  s. 

1.  X.    s. . 

1.  X.    s.. 

1 

1.  VI.  s. 


XII. 

I. 
III. 

X. 

II. 

X. 
X. 
X. 
X. 


1  1,  Collioure;  2,  Argelès;  3,  Montesquieu;  4,  le  Boulou  ;  5,  Maurellas; 
6,  Tautavel;  7,  Millas;  8,  Estagel;  9,  Thuir;  10,  Toulouges;  11,  Liauro; 
12,  Saiot-Estève;  13,  Salses;  14,  Opoul;  15,  Clayra  ou  Claire;  IG,  Saint- 
Laurent-de-la-Salanque;  17,  Torreilles;  18,  Tresserres. 


NOTICE  SUR  ROBERT  DE  BALSAC 

SÉNÉCHAL   d'aGENAIS    ET    DE   GASCOGNE 


Robert  de  Balsac  fut  à  la  fois  un  homme  de  guerre  et  un  écrivain, 
ce  qui  aurait  dû,  semble-t-il,  lui  assurer  une  double  réputation  ;  il 
n'en  a  même  pas  obtenu  une  toute  simple,  tout  ordinaire,  car  on  l'a 
oublié  dans  tous  nos  recueils  biographiques,  et,  en  dehors  d'un  petit 
nombre  de  spécialistes,  personne  ne  le  connaît  ;  aucune  notice  de  quel- 
que étendue  ne  lui  a  jamais  été  consacrée.  Aussi  réclamerai-jc  des 
lecteurs,  en  faveur  des  imperfections  de  mon  essai,  l'indulgence  par- 
ticulière que  l'on  doit  toujours  accorder  à  celui  qui  s'avance  sur  un 
terrain  inexploré  : 

Âvia. ..  peragro  loca,  nullius  ante 
Trita  solo.. A. 

Du  reste,  je  le  déclare  avec  une  reconnaissante  joie,  j'ai  été  aidé, 
dans  ma  lutte  contre  les  difficultés  d'un  sujet  entièrement  neuf,  par 
d'excellents  confrères:  iM.  J.-B.-E.  de  Jaurgain,  qui  m'a  transmis 
diverses  notes  prises  d'une  main  aussi  sûre  que  complaisante  parmi 
les  manuscrits  de  la  Bibliothèque  nationale  ;  M.  François  Moulenq,  le 
savant  secrétaire  général  de  la  Société  archéologique  de  Tarn-et- 
Garonne,  auquel  je  dois  la  communication  d'un  important  document 
inédit,  dont  on  trouvera  dans  l'appendice  de  considérables  extrait?  ; 
M.  Emile  Picot,  qui  m'a  gracieusement  permis  de  tirer  parti  d'un  des 
plus  rares  volumes  de  la  magnifique  bibliothèque  du  très-regretté 
baron  James  de  Rothschild;  M.  Paul  Desjardins,  professeur  au  col- 
lège Stanislas,  qui  a  mis  tant  d'obligeance  et  d'exactitude,  —  ce  sont 
là  chez  lui  des  vertus  de  famille,  —  à  transcrire,  d'après  l'exemplaire 
dont  je  viens  de  faire  mention,  le  texte  du  Chemin  de  l'Ospital  ;  enfin 
M.  Camille  Chabaneau,  dont  la  vieille  amitié,  —  notre  première  ren- 
contre dans  la  bibliothèque  de  Marmande  date  déjà  d'une  quarantaine 
d'années,  —  m'a  fourni  de  précieux  secours  pour  l'annotation  philo- 
logique du  petit  traité  de  morale  de  Robert  de  Balsac. 

La  maison  de  Balsac  est  originaire  de  l'Auvergne  ;  elle  a  pris  son 
nom  d'une  localité  située  dans  le  département  de  la  Haute-Loire  (ar- 
rondissement et  canton  de  Brioude,  commune  de  Saint-Gérond)^.  Cette 

*  Lucrèce,  de  Rerum  Natura,  lib.  iv,  vers  1-2. 

'  Balsac  est  h  10  kilomètres  de  Brioiuie.  Il  faut  naturellement  écrire  le  nom 
de  la  famille  comme  on  a  toujours  écrit  le  nom  de  la  localité  qui  a  été  son 
berce.ui.  La  forme  Balsac  est,  du  reste,  généralement  adoplée  dans  les  ma- 


NOTICE  SUR  ROBERT  DE  BALSAC  277 

maison  ne  semble  pas  avoir  été  très-ancienne,  car  les  auteurs  sérieux, 
ceux  qui  ne  nous  rappellent  pas,  par  leurs  illusions  voulues  ou  non 
voulues,  que  généalogie  rime  avec  mythologie,  ne  remontent  pas  plus 
haut  que  la  seconde  moitié  du  XlVe  siècle,  où  vivait,  comme  s'expri- 
ment les  rédacteurs  du  Dictionnaire  de  Moréri  (édition  de  1759), 
((  Jean  de  Balsac,  seigneur  d'Entragues,  lequel  aida  le  roi  Charles  Vil 
de  tous  ses  biens  contre  les  Anglais*,  et  épousa  Jeanne  de  Chaban- 
nes,  fille  de  Jacques  de  Chabannes^.  « 

nuscrits  comme  dans  les  imprimés.  D'autres  familles  qui  portent  le  nom  de 
Balzac  diffèrent  de  la  famille  dont  nous  nous  occupons,  et  se  rattachent,  l'une 
à  une  localité  de  la  Charente  (commune  de  Balzac,  canton  d'Angoulème,  à 
10  kilomètres  de  cette  ville),  l'autre  à  une  localité  de  l'Aveyron  (Balzac,  com- 
mune de  Clairvaux,  canton  de  Marcillac,  arrondissement  de  Rodez).  M.  de 
Barrau  [Documents  historiques  et  généalogiques  sur  les  familles  du  Rouer- 
gue,  t.  m,  1857,  p.  692)  constate  que  «  les  comtes  d'Entraygues  du  Rouer- 
gue  n'ont  rien  de  commun  avec  les  comtes  d'Entraygues  qui  furent  en  grande 
faveur  sous  le  règne  d'Henri  Ilt.«  Ceux-ci,  ajoute-t-il,  étaient  d'Auvergne,  et 
Enlraygues,  dont  ils  étaient  seigneurs,  était  une  paroisse  annexe  d'Enazat, 
dans  le  diocèse  de  Clermont,  élection  de  Gannat.  »  On  connaît  en  France 
quatre  localités  qui  portent  le  nom  d'Entraigues  ou  Entraygues,  et  qui  em- 
pruntent ce  nom  au  voisinage  de  quelque  cours  d'eau:  la  première  dans  l'A- 
veyron, chef-lieu  de  canton  de  l'arrondissement  d'Espalion,  au  confluent  delà 
Truyère  et  du  Lot;  la  seconde  dans  l'Isère,  arrondissement  de  Grenoble,  can- 
ton de  Valbonnais,  près  de  la  Bonne;  la  troisième  dans  le  Puy-de-Dôme,  ar- 
rondissement de  Riom,  canton  d'Ennezat,  sur  le  Bédat;  la  dernière  dans  Vau- 
cluse,  arrondissement  et  canton  de  Carpentras,  à  12  kilomètres  de  cette  ville, 
sur  une  branche  de  la  Sorgue.  Dans  la  curieuse  publication  de  .M.  Faugère- 
Dubourg  [Nos  pères  sous  Louis  XIV.  Extraits  des  Mémoires  sur  la  géné- 
ralité de  Bordeaux  concernant  UAgenais,  etc.  Textes  rédigés  à  Vinten- 
dance  en  1715;  Agen,  1885,  grand  in-S»,  p.  85),  l'origine  auvergnate  du 
nom  d'Entraygues  a  été  méconnue,  et  l'intendant  donne  du  mot  cette  fantas- 
tique explication:  «  On  l'appelle  d'Entragues  à  cause  des  baronnies  de  Cler- 
mont et  de  Dunes,  que  la  rivière  de  Garonne  sépare,  qui  appartenoient  à  cette 
maison:  en  latin  de  inter  aquas,  en  gascon  Entraygos.  » 

1  Je  ne  pouvais  consulter  sur  ce  point  un  auteur  plus  compétent  que  M.  le 
marquis  de  Beaucourt,  au  bel  ouvrage  duquel  l'Académie  des  Inscriptions  et 
Belles-Lettres  vient  de  décerner  si  justement  sa  plus  magnifique  récompense, 
le  grand  prix  Gobert.  L'historien  de  Charles  Vil  n'a  trouvé  dans  ses  immenses 
recherches  aucun  document  du  temps  relatif  aux  services  rendus  par  Jean  de 
Balsac  au  roi.  Voici  le  seul  renseignement  que  fournissent  les  dossiers  bleus 
du  Cabinet  des  titres  (n°  1253)  et  qu'il  m'a  bien  amicalement  transmis  :«  Jean 
de  Balsac,  fils  de  Ruffec,  fut  chevalier,  seigneur  d'Antragues,  Montagu  et 
Marcoussis,  vidame  de  Launoi,  conseiller  du  Roy  et  grand  maistre  d'hostel  de 
France.  11  feit  bastir  et  fonda  le  mouastère  des  Celestins  de  iMarcoussis  et  en 
hayne  des  bons  et  fidelles  services  par  luy  rendus  au  roy  et  au  royaume  de 


278  NOTICE  SUR  ROBERT  DE  BALSAC 

Robert  de  Balsac  fut  le  second  suivant  les  uns,  le  troisième  sui- 
vant les  autres,  des  enfants  issus  de  ce  mariage  ^.  On  ignore  le  lieu 
et  l'année  de  sa  naissance.  Comme  on  avait  prétendu  que  son  père 
fut  sénéchal  d'A  gênais  et  Gascogne '%  on  a  supposé  qu'il  vit  le  jour 
à  Agen''.  Mais,  malgré  tout  le  désir  que  j'aurais  d'ajouter  un  nom 
de  plus  à  la  liste  des  célébrités  agenaises,  de  longueur  assez  respec- 
table déjà,  la  vérité  devant  être  mise  au-dessus  de  tout  et  devant 
l'emporter  même  sur  le  patriotisme^,  je  suis  obligé  de  déclarer  que  la 

France  fut  par  les  rebelles  et  ennemis  de  Sa  Majesté  injustement  mis  à  mort 
gnoniinieusement  la  veille  de  Saint-Luc,  17  d'octobre  1409,  et  fut  inhumé  au 
monastère.  » 

'  M.  Jules  de  Bourrousse  de  Laffore  [Généalogies  des  maisons  de  Fahri 
et  d'Ayrenx,  Bordeaux,  1884,  in-S",  p.  54)  a  transformé  Jeanne  de  Chahan- 
?ies,mentionnée  partons  les  généalogistes,  en  Agnès  d'Entragues.  Cette  inad- 
vertance d'un  aussi  consciencieux  travailleur  nous  rappelle  à  tous,  comme  le 
pulvis  es  du  mercredi  des  Cendres,  notre  extrême  fragilité.  Qui  donc  est  sûr 
de  sa  mémoire  et  de  son  attention?  Les  bénédictins  eux-mêmes,  nos  maîtres 
si  vénérés,  n'ont-ils  pas,  eux  aussi,  commis  de  gros  péchés  en  matière  d'érudi- 
tion? D'après  le  document  du  Cabinet  des  titres,  cité  dans  la  note  précédente, 
le  père  de  Jeanne  de  Chabannes  portait,  non  le  prénom  de  Jacques,  mais  le 
prénom  de  Robert;  il  était  seigneur  de  Charlus.  La  mère  de  Jeanne  était 
Élips  de  Bord. 

3  Voici  l'énumération  des  titres  du  fds  aîné,  telle  que  la  donne  le  P.  An- 
selme (t.  II,  p.  437):  «  RufTec  de  Balsac,  seigneur  de  Glisenove,  Bensac, 
Saint-Araand,  Prélat,  Paulhac,  Rioumartin,  Sévérac,  Rosières,  Cusset,  Mont- 
morillon,  Saint-Clément,  Chàtillon-d'Azergues,  Bagnols,  la  Rigaudière,  séné- 
chal de  Niraes  et  de  Beaucaire,  capitaine  de  dix  hommes  d'armes,  gouverneur 
du  Pont-Saint-Esprit,  qualifié  conseiller,  chambellan  du  roi  dans  le  don  à  lui 
fait  par  Louis  XI,  en  1471,  des  seigneuries  de  Cassaignes  et  de  Marsillac,  con- 
fisquées sur  Jean  V,  comte  d'Armagnac.  »  Rufîec  de  Balsac  mourut  le  25  oc- 
tobre 1473  et  fut  enterré  à  Saint-Julien-de-Brioude. 

*  Aucun  des  textes  anciens  que  j'ai  pu  voir  ne  confère  à  Jean  de  Balsac  le 
titre  de  sénéchal.  Ce  sont  les  généalogistes  seulement  qui  ont  prêté  ce  titre 
tantôt  à  Jean  et  tantôt  à  son  fils  aîné, 

^  M.  Jules  Andrieu  a  bien  voulu  me  communiquer  la  feuille  du  premier 
volume  de  \i\  Bibliographie  générale  de  l'Age?inis  i?.Q\is  presse),  où  il  s'occupe 
(p.  39-40)  de  R.  de  Balsac,  né,  dit-il,  «  très-probablement  à  Agen  vers  1440.  » 
Si  Robert  n'appartient  pas  à  l'Agenais  par  sa  naissance,  il  lui  appartient,  en 
quelque  sorte,  par  son  long  séjour  (plus  d'un  quart  de  siècle),  et  nul  ne  blâ- 
mera le  si  zélé  et  si  habile  chercheur  d'avoir  introduit  dans  son  ouvrage  le 
nom  du  sénéchal-moraliste. 

"  M.  Gaston  Paris  (la  Poésie  du  moyen  âge.  Leçons  et  Lectures.  Paris, 
Hachette,  1886,  la  Chanson  de  Roland)  a  dit  avec  autant  de  raison  que 
d'éloquence:  «  La  science  n'a  d'autre  objet  que  la  vérité,  et  la  vérité  pour 
elle-même.  Celui  qui,  par  un  motif  patriotique,  religieux  etmêmemoral,  se  per- 


NOTICE  SUR  ROBERT  DE  BALSAC  279 

conjecture  ne  me  paraît  pas  recevable.  Résignons-nous,  jusqu'à  la  dé- 
couverte de  quelque  document  décisif,  à  laisser  indécises  les  questions 
relatives  au  lieu  et  à  l'époque  de  la  naissance  de  Robert. 

On  ne  possède  pas  de  détails  sur  sa  jeunesse.  La  première  mention 
que  nous  rencontrions  de  lui  est  dans  un  acte  par  lequel  Charles  de 
France,  duc  de  Guyenne,  lui  fait  donation,  le  23  février  14G3,  de  la 
terre  de  Clermont-Dessus,  laquelle  forme  aujourd'hui  la  commune  de 
ce  nom  ^  Le  nouveau  possesseur  de  Clermont-Dessus  ne  tarda  pas 
cà  aller  guerroyer  en  Italie.  Voici  la  lettre  de  recommandation  qu'en 
faveur  du  protégé  de  son  frère,  Louis  XI  écrivit,  le  27  mai  1464  , 
«  A  nostre  très  cher  et  très  amé  oncle  le  Duc  de  Milan  : 

»  Loys,  par  la  grâce  de  Dieu,  roy  de  France.  Très  cher  et  très 
amé  oncle,  pour  ce  que  entre  noz  serviteurs,  avons  en  especial  re- 
commandacion  nostre  bien  amé  serviteur,  Robert  de  Balsac,  escuier, 
et  pour  ce  que  ledit  de  Balsac,  comme  nous  a  dit,  a  grant  désir  et 
affection  d'aler  veoir  le  monde  et  de  sy  employer  en  fait  de  guerre 
soubz  aucuns  de  nos  parens  et  espetiaulx  amis  ;  que  sommes  informés 
deuement  que  ledit  Robert  est  de  bonne  maison  et  noble  et  bien  ex- 
pert au  fait  de  la  guerre,  et  qu'il  est  homme  pour  bien  servir,  et  que 
vouldrions  son  bien  et  avancement,  nous  désirerions  bien  que  ledit 
Robert  vous  peust  faire  aucun  bon  service.  Pourquoyvous  prions  bien 
affectueusement  que,  pour  amoui-  et  contemplacion  de  nous,  vous  le 
vueilliés  prendre  et  employer  en  vostre  service,  et  l'avoir  pour  espe- 

met  dans  les  faits  qu'il  étudie,  dans  les  conclusions  qu'il  tire,  la  plus  petite 
dissimulatioD,  l'altération  la  plus  légère,  n'est  pas  digne  d'avoir  sa  place  dans 
le  grand  laboratoire  où  la  probité  est  un  titre  d'admission  plus  indispensable 
que  l'habileté.  » 

I  Département  de  Lot-et-Garonne,  arrondissement  d'Agen,  canton  de  Puy- 
mirol,  à  20  kilomètres  d'Agen  et  à  18  kilomètres  de  Puymirol.  Voir  Coutumes 
de  Clermont-Dessus  en  Agenais,  1262,  publiées  parHippolyte  Rebouis  (Paris, 
Larose,  1881,  in-8o,  p.  6);  Documents  historiques  sur  le  Tcam-et-Garonne, 
par  M.  François  Moulenq  (Montauban,  1881,  in-8o,  p.  61).  M.  Moulenq,  dont 
le  recueil,  aujourd'hui  formé  de  trois  volumes,  est  si  bien  fait  et  a  tant  d'im- 
portance, comme  j'ai  eu  grand  plaisir  à  le  constater  trois  fois  de  suite  dans 
la  Revue  des  questions  historiques,  cite  ainsi,  en  note,  le  document  sur 
lequel  il  s'appuie:  «  Original  aux  archives  de  Madame  la  comtesse  Marie  de 
Raymond.  »  Cet  original  devra  désormais  être  consulté,  avec  grand  nombre 
d'autres  manuscrits  et  plusieurs  centaines  d'ouvrages  historiques  et  généalo- 
giques de  haute  valeur,  dans  le  fonds  Rayinond,  légué  aux  archives  dé- 
partementales de  Lot-et-Garonne.  Voir  ma  notice  sur  Madame  la  comtesse 
Marie  de  Raymond  {kuch,  1886,  in-8o),  et  aussi  et  surtout  la  notice  publiée 
sur  cette  femme  d'élite  par  MM.  Ad.  Magen  et  Georges  Tholin  (Agen,  1886, 
in-8o). 


280  KOTICE  SUR  ROBERT  DE  BALSAC 

cialement  recommandé,  comme  vouldriés  que  eussions  ung  de  voz 
serviteurs  en  cas  semblable.  Et,  ce  faisant,  nous  ferez  singulier  plai- 
sir. Donné  à  Paris,  le  xxvii' jourde  may. —  Loys. — De  Reilhac*.  » 

Nous  ignorons  les  circonstances  et  la  durée  du  séjour  de  Robert 
en  Italie.  Nous  le  retrouvons,  en  1468,  au  service  du  frère  de  Louis  XI, 
auquel  le  roi  de  France,  à  la  suite  de  la  guerre  dite  du  Bien  public, 
avait  cédé  le  duché  de  Normandie,  qu'il  devait  bientôt  lui  reprendre: 
<(  En  présence  de  Jehan  Chambellan,  secrétaire  de  Mgr  le  duc  de 
Normandie,  Robert  de  Balsac,  ecuyer,  étant  au  service  dudit  seigneur, 
a  confessé  avoir  receu  de  mestre  Pierre  Morin,  trésorier  gênerai  dudit 
seigneur,  420  livres  tournois  en  280  reaulx  que  ledit  seigneur  a  or- 
donnés tant  pour  lui  que  pour  4  hommes  d'armes  et  18  archers  étant 
sous  lui  au  service  dudit  seigneur,  pour  leurs  gages  de  deux  mois  finis 
au  dernier  jour  de  juillet. .  .^.  » 

J.-F.  Boudon  de  Saint-Amans,  dans  le  tableau  fort  incomplet  des  sé- 
néchaux de  l'Agenais  (Histoire  ancienne  et  moderne  du  département 
de  Lot-et-Garonne,  t.  I,  1836,  p.  304)  fait  commencer  le  sénéchalat 
de  Balsac  d'Entragues  à  la  fin  de  1467^.  Pour  moi,  c'est  seulement 
dans  un  document  de  1469  que  je  trouve  Robert  revêtu  du  titre  de  sé- 


1  Original  aux  archives  de  Milan,  reproduit  dans  les  Lettres  de  Louis  XI, 
roi  de  France,  publiées  pour  la  Sociélé  de  l'Histoire  de  France  par  MM.  Jo- 
seph Vaesen  et  Etienne  Cbaravay,  t.  II,  1885,  p.  183. 

2  Bibliothèque  nationale,  pièces  originales,  vol.  178,  no  6.  Dans  le  même 
manuscrit,  sous  le  no27,  on  conserve  la  lettre  suivante  de  R.  de  Balsao,  non 
datée,  mais  qui  doit  appartenir  à  jl'époque  où  nous  place  le  document  pré- 
cédent: «  Monsgr  le  thesaurier,  je  me  recommande  à  vous  tant  quejepeux_ 
Nague[re]s  que  vous  escripts  par  Florimonl  du  Monteil  que  iii'e[u]voyssez 
l'argent  de  mes  gages,  il  ne  vous  trouva  point  jusques  avant  qu'il  s'en  venoit 
et  par  ainsi  ne  m'en  apporta  point;  mais  je  vous  prie  que  par  le  bastard  de 
Bedeur,  porteur  des  présentes,  m'envoyez  mes  gages  des  moys  de  juillet  et 
aoust  derniers  passez  desquelz  j'ay  passé  la  quittan[ce]  es  mains  de  raaislre 
Denys  et  j'ay  espérance  d'est[re]  d'ycy  à  vu  ou  vui  [jours?]  dev[er]s  Monsg' 
et  me  paierez  le  reste  et  je  vous  baiileray  quictan[ce]  de  toute  l'année.  [Je 
n'ajoute  pas?]  autre  chose,  mays  je  pry  nostre  Seigneur  Monsg'  le  thesau- 
r|ier]qui  vous  doint  ce  que  desirez.  Escript  à  Clermont-Sobiran  le  xxvi»  d'oc- 
tobre. Le  tout  vostre  Robbert  de  Balsac.»  Clermont-Dessus,  dans  les  cou- 
tumes de  i262,sappeUeClar)non-Sobeira.  La  Chenaye-Desbois  (t.  II,  p.  249) 
a  séparé  en  deux  le  dernier  mot  et  adopté  l'étrange  forme  :  Clermont  Sous- 
Diran . 

•'  Le  pré(l(icesseur  de  Robert  de  Balsac  fut  ou,  pour  mieux  dire,  paraît 
avoir  été  Pierre  de  Raymond,  sieur  de  Folmonl,  sénéchal  d'Agenais  et  de 
Quercy  (1462-1467).  (Saint-Amans,  Tai/eflu  déjà  cité;  Généalogie  manu- 
scrite de  la  maison  de  Raymond,  etc.). 


NOTICE  SUR  ROBERT  DE  BALSAC  281 

néchal  d'A gênais  et  de  Gascogne.  J'emprunte  aux  Procès-verbaux  de 
la  réintégration  des  terres  usurpées  sur  le  domaine  du  duc  de 
Guyenne  '  le  début  du  Pareatis  de  Monsieur  le  seneschal  d'Age- 
710 is  :  ((  Robert  de  Balzac,  sieur  du  Rieu-Martin^,  conseiller  et 
chambellan  de  très  hault,  très  puissant  et  excellent  prince,  Monsei- 
gneur, duc  de  Guyenne,  et  son  senechal  d'Agenois  et  de  Gascoigne  à 
tous  justiciers  et  officiers  de  notre  dite  senechaucee  et  leurs  lieute- 
nants et  autres  qu'il  appartiendi'a,  salut^.»  , 

Le  nouveau  sénéchal  de  l'Agenais  prit  part  avec  son  frère  aîné, 
Ruffec  de  Balsac,  sénéchal  de  Beaucaire  ^,  à  la  facile  conquête  du 
comté  d'Armagnac,  entreprise  (mai  1469)  par  l'ordre  de  Louis  XI  et 
sous  le  commandement  du  comte  de  Dammartin,  pendant  que  Jean  V 
cherchait  un  refuge  en  Espagne.  Robert  obtint,  dans  les  dépouilles 
du  fugitif,  les  terres  de  Dunes  (commune  de  Tarn-et-Garonne,  arron- 
dissement de  Moissac,  canton  d'Auvilars),  de  Malauze  (canton  de 
Moissac)  et  de  Tournon  (Lot-et-Garonne,  arrondissement  de  Ville- 
neuve). Les  documents  déjà  mentionnés  de  V Appendice  renferment 
d'abondants  renseignements  sur  les  terres  octroyées  au  sénéchal  de 
l'Agenais,  reprises,  un  peu  plus  tard,  à  main  armée  par  Jean  V,  et  qui 
furent  l'objet  d'un  débat  porté  devant  deux  commissaires  chargés  par 
le  roi  de  procéder  à  une  enquête  sur  les  réclamations  du  châtelain 
dépossédé». 

'  Ce  documeat,  considérable  par  soq  étendue  comme  par  sa  valeur,  a  élé 
communiqué  aux  Archives  historiques  du  département  de  la  Gironde  (t.  V, 
1863,  p.  339-376),  par  le  docteur  Jules  de  Bourrousse  de  Laffore. 

2  C'est  Rioux-MartJQ,  commune  du  département  de  la  Charente,  arrondis- 
sement de  Barbezieux,  canton  de  Chalais,  à  52  kilomètres  d'Angoulême.  Je 
ne  vois  pas  d'autre  localité  eu  France  dont  le  nom  se  rapproche  de  celui-là. 

3  Dans  le  recueil  des  Chartes  extraites  des  archives  municipales  d'Agen, 
publiées  par  MM.  A.  Mageu  et  G.  Tholin  (Villeneuve-sur-Lot,  1876,  in-4o),  le 
seuéchalat  de  Balsac  {Robertus  de  Balsuco,  dominus  de  Interaquis  et  Cla- 
riraontis  superio)is,  consiliarius  et  cambellanui  domininostri  régis,  ejus- 
que  senescallus  Agennensis  et  Vasconie]  apparaît  pour  la  première  fois  en 
1478-79. 

*  Mal  à  propos  appelé  Geoffroy  dans  les  dossiers  bleus  déjà  cités, 
n„  12535. 

»  Écrit  que  produisent  le  procureur  genrral  du  roy  et  Robert  de  Bal- 
sac, escuycr  et  seneschal  d'Agenois,  der/iendeurs,  contre  messire  Charles 
d'Armagjiac,  deffeiideur,  par  devaiit  nobles  et  puissans  seigneurs  mes- 
sires  Jean  d'Estuer,  chevalier,  seigneur  de  Labarde,  seneschal  de  Lion, 
lieideiiant  du  roy  nostre  Sire  ez  Marches  de  par  deçà  et  Monsieur  maistre 
Bernard  de  Saint-Félix,  docteur  en  chasque  droit,  conseiller  du  roy  en 
la  court  de  Parlement  de  Tholoze  et  commissaire  en  cette  partie.  L'avocat 


28Î  NOTICE  SUR  ROBERT  DE  BALSAC 

Énuméroas  rapidement  diverses  pièces  relatives  aux  premières  an- 
nées du  sénéchalat  de  R.  de  Balsac  :  Du  27  février  1470  (v.  st.  ),  «  En 
lirésencede  Jehan  Vachereau,  secrétaire  de  Mgr  le  duc  deGuyenne», 
quittance  de  66  livres  13  sols  4  deniers  tournois  est  par  lui  donnée 
pour  ses  gages  de  chambellan  du  duc  de  Guyenne  pendant  ledit 
mois  de  février  '.  Du  6  février  1471  (n.  st.),  rôle  de  la  compagnie  de 
20  hommes  d'armes  et  de  40  archers-  sous  la  charge  de  R.  de  Balsac, 
écuyer,  seigneur  de  Rieumartin,  conseiller  et  chambellan  du  duc  de 
Guyenne  et  son  sénéchal  d'Agenais^.  Du  23  septembre  1471,  en  pré- 
sence de  Denis  de  Sablou,  «  secrétaire  de  Mgr  le  duc  de  Guyenne», 
quittance  de  60  livres  tournois  donnée  par  ce  noble  homme  Robert 
de  Balsac,  conseiller  et  chambellan  de  Mgr,  sénéchal  d'Agenais  et  de 
Gascogne,  capitaine  de  20  lances  des  ordonnances  dudit  seigneur, 
pour  ses  gages  et  droits  de  capitaine  desdites  20  lances  pour  le 
quai'tier  d'avril,  mai  et  juin  dernier  passés '*.  »  Du  même  jour,  en 
présence  du  même  Denis  de  Sablon,  quittance  de  66  livres  13  sous 
4  deniers  tournois,  donnée  par  le  même  pour  ses  gages  de  chambel- 
lan d'avril  dernier  passé ^.  Du  24  novembre  1471,  montre  à  Agen  de 
10  hommes  d'armes  et  20  archers  sous  la  charge  du  même  •'.  Du  19  dé- 
ccmbèe  1471,  montre  àPonsen  Gascogne  (sic)  de  20  hommes  d'armes 
et  40  archers  sous  la  charge  du  même''. 

Un  acte  du  16  juillet  1471,  passé  devant  le  notaire  Jehan  Leroux, 
nous  apprend  que  le  chambellan  du  duc  de  Guyenne  était  à  cette 
date  capitaine  de  l'importante  forteresse  de  Puymirol:  «  Honorable 
homme  messire  Bernard  de  Gotz,  docteur  en  droictz,  procureur  du 
noble  et  puissant  seigneur  Robert  de  Balsac,  écuyer,  seigneur  de 
Rieumartin,  etc.,  a  reçu  50  livres  tournois  pour  les  gages  de  la  ca- 

qui  a  rédigé  le   mémoire  en   faveur  des  intérêts  de  R.  de  Balsac  s'appelait 
Laurel. 
'  Bibliothèque  Nationale.  Pièces  originales,  vol.  178,  no  10. 

2  Ces  40  archers  me  rappellent  que  certain  auteur,  parlant  du  frère  aîné  de 
Robert,  s'est  livré  par  mégarde  à  une  multiplication  singulière  et  a  trans- 
formé les  40  archers  de  Ruffec  de  Balsac  en  4,000  archers.  A  une  poignée 
d'hommes,  c'est  substituer  une  armée. 

3  Bibliothèque  Nationale.  Collection  Clairambault,  vol.  235,  n°  145.  — 
Autre  montre,  le  18  avril  1471  après  Pâques,  àRaveael,de  20  hommes  d'ar- 
mes et  40  archers  (même  collection,  vol.  120). 

♦  Pièces  originales,  vol.  178,  no  11.  Ravenel  est  une  commune  du  déparle- 
ment de  l'Oise,  arrondissement  de  Clermont,  à  37  kilomètres  de  Beauvais. 

5  Ihid.,  no  12. 

6  nolleclion  Clairambault,  vol.  235,  no  161. 

■'  Ifji'd.,  vol.  120.  Poiis  en  Gascogne  n'est  autre  que  Pons  en  Sainlonge 
(chef-lieu  de  canton  de  l'arrondissement  de  Saintes). 


NOTICE  SUR  ROBERT  DE  BALSAC  583 

pitaincrie  de  Puyinirol  dont  ledit  seigneur  est  capitaine,  de  l'an  fini 
le  jour  de  la  Saint-Jean  Baptiste  dernier  passée 

Avant  même  le  décès  du  duc  de  Guyenne,  dès  le  10  mai  1472,  Ro- 
bert s'intitule  «  conseiller  et  chambellan  du  Roi  et  son  sénéchal  d'A- 
genais  -.  »  Etait-ce  un  acte  de  courtisanerie  empressée?  Ou  le  bruit 
de  la  mort  du  malheureux  frère  de  Louis  XI  s'était-il  répandu  trop 
tôt? 

La  guerre  entre  Louis  XI  et  Jean  V  d'Armagnac  ayant  recommencé, 
R.  de  Balsac  fut  un  des  principaux  chefs  de  la  nouvelle  armée  envoyée 
par  le  roi  de  France  en  Gascogne  ;  il  s'y  fit  remarquer  par  sa  bouil- 
lante ardeur.  Mais  joua-t-il,  dans  les  dramatiques  événements  qui 
suivirent  la  prise  de  Lectoure  (5  mars) '5,  le  rôle  odieux  que  divers 
écrivains  lui  ont  attribué?  Est-il  responsable,  comme  on  l'a  tant  dit 
et  redit,  des  perfidies  et  des  cruautés  de  cette  lamentable  journée? 
Se  retrouvant  en  face  de  l'adversaire  contre  lequel  il  avait  plaidé,  et 
se  montrant  aussi  féroce  que  rapace,  a-t-il  donné  le  signal  de  l'assas- 
sinat du  comte  d'Armagnac,  en  criant  à  ses  soldats  Tue!  tue!  On 
voudrait  croire  que  Balsac  n'a  pas  commis  un  crime  aussi  lâche  et 
aussi  infâme  que  celui  de  faire  égorger  un  ennemi  sans  défense.  11 
s'est  trouvé,  de  nos  jours,  un  historien  judicieux  et  instruit  qui  n'a 
pas  craint  de  réhabiliter  le  prétendu  complice  du  sénéchal  d'Agenais, 
le  commandant  en  chef  de  l'armée,  Jean  de  JoufFroy,  évêque  d'Albi, 
que  l'indignation  populaire  avait  surnommé  le  diable  d'Arras  '*.  Je 
n'irai  pas  aussi  loin  en  ce  qui  regarde  Balsac,  et  je  me  contenterai 
d'observer  que  les  récits  contemporains  sont  contradictoires,  que  les 
jugements  des  historiens  sont  divers,  qu'au  milieu  de  la  demi-obscu- 
rité formée  par  tant  de  témoignages  et  d'appréciations  opposés,  il 
serait  téméraire  de  se  ranger  du  côté  des  accusateurs,  et  que  la  jus- 


*  Pièces  originales,  vol.  178,  no  13 

2  Ibid.,  vol.  178,  no  15. 

3  Plusieurs  historiens  indinneat  le  6  mars.  Les  rédacteurs  de  ['Art  de  vé- 
rifier les  dates  ont  d'il  (C hro no loijie  iiKtorique  des  rois  de  France):  «  Cet 
horrible  événement  est  du  5  iiar-i  »;  ils  ont  vé^éié  [Chronologie  historique 
des  comtes  d'Armagnac):^  C  t  hoirible  ovéaement  est  du  vendredi  5  (et  non 
6)  mars  1473.  » 

4  Le  cardinal  Jean  Jouffroy.  Etude  historique,  par  Ch.  Fierville,  doc- 
teur es  lettres,  censeur  des  études  au  lycée  de  Coutances.  Paris,  Hachette, 
1874,  in-8o,  p-  202-206.  Ou  trouvera  dans  cet  ouvrage  d'abondantes  indica- 
tions bibliograpiiiques,  l'auteur  n'ayant  oublié  aucun  des  chroniqueurs  du 
XV"  siècle  et  ayant  cité  bon  nombre  d'historiens  postérieurs,  notamment  Jean 
de  Serres,  Henri  de  Sponde,  Mariana,  .Mézeray,  Dom  Bernard  de  Montfaucon, 
La  Faille,  Duclos,  Dom  Vaissète,  le  chanoine  Monlezun,  etc. 


Î84  NOTICE  SUR  ROBERT  DE   BALSAC 

tice  veut  que,  dans  le  doute,  oq  s'abstienne  de  prononcer    une  sen- 
tence définitive  '. 

Robert  de  Balsac  se  maria,  le  3  octobre  1474,  avec  Antoinette  de 
Castelnau,  qui  appartenait  aune  vieille  famille  du  Quercy  et  qui  était 
fille  d'Antoine,  seigneur  de  Castelnau  et  de  Bretenoux,  frère  aîné  de 
l'évêque  de  Cahors,  Jean  de  Castelnau  2;  il  en  eut  cinq  enfants,  deux 
fils  et  trois  filles.  L'aîné  de  ses  fils,  Pierre,  seigneur  d'En tragues  et  de 
Dunes,  chevalier  de  l'ordre  du  roi,  gouverneur  de  la  haute  et  basse 
Marche,  épousa  sa  cousine,  Anne  Malet,  dame  de  Montagu,  fille  de 

1  Les  graves  auteurs  de  l'Âi't  de  vérifier  les  dates  n'ont  pas  hésité  à  ab- 
soudre par  leur  silence  R.  de  Balsac.  Voici  leur  bref  et  saisissant  récit:»  Les 
troupes  du  roi  étant  entrées  dans  la  ville,  le  comte,  par  ordre  et  en  présenre 
df!  MontfaucoD,  l'un  de  leurs  chefs,  ppt poignardé  entre  les  bras  de  sa  femme; 
les  habitants  sont  massacrés,  la  ville  est  livrée  aux  flammes.  »  Legrand  (His- 
toire de  Louis  XI,  t.  II,  p.  783,  ms.  de  la  Bibliothèque  Nationale)  attribue 
aussi  le  meurtre  du  comte  d'Armagnac  à  Guillaume  de  Montfaucon,  lieute- 
nant du  sénéchal  deBeaucaire:  «  Monfaucon  commanda  à  Pierre  Gorgias  de 
faire  ce  qu'il  avait  promis,  et  cet  archer  donna  trois  coups  de  poignard  dans 
l'estomac  du  comte.  » 

'  Antoine  de  Castelnau  s'était  marié,  en  1436,  avec  Catherine  de  Chavigny. 
Voir  l'Histoire  générale  de  la  province  de  Quercy,  par  Guillaume  Lacoste 
(ea  cours  de  publication,  t.  III,  p.  420).  Le  beau-frère  de  Balsac,  Jean  de 
Castelnau,  a  été  accusé  d'avo'r  empoisonné  la  veuve  du  comte  d'Armagnac, 
captive  dans  le  château  de  Castelnau-de-Bretenoux  (arrondissement  de  Figeac). 
Voir  Essais  historiques  sur  le  Rouerç/ue,pa.c\p.h&TOD  de  Gaujal  (t.  I,p.96). 
D'autres  ont  raconté  que  Jeanne  de  Foix  périt  tragiquement  dans  le  château 
de  Buzet,  près  de  Lectoure.  La  vérité  est  que  la  veuve  de  Jean  V  paraît  avoir 
longtemps  survécu  à  son  époux,  et  que,  comme  l'affirme  Olhagaray,  l'historien 
du  pays  de  Foix,  elle  mourut  de  mort  naturelle  à  Pau.  Voir  les  observations 
de  Dom  Vaissète  (Histoire  générale  de  Lanç/uedoc,  t.  V,  p.  44-50)  et  de 
l'abbé  Monlezun  (Histoire  de  la  Gascofj7ie.  t.  IV,  p.  375).  Il  résulte  de  tout 
ceci  que  les  auteurs  de  VArt  de  vérifier  les  dates  ont  eu  grand  tort  de  dire: 
«  Elle  [Jeanne]  le  [Jean  V]  suivit  au  tombeau  peu  de  jours  après  dans  la  pe- 
tite ville  de  Castelnau  de  Bretenoux  en  Querci,  où  elle  avait  été  transportée. 
On  prétend  que  sa  mort  fut  l'effet  d'un  breuvage  qu'on  lui  donna  pour  la 
faire  avorter.  »  Il  en  résulte  encore  que  G.  Lacoste  a  eu  grand  tort  d'attribuer 
à  Jean  de  Castelnau  (p.  435)  «  la  mort  barbare  de  la  comtesse  d'Armagnac  » 
et  d'ajouter  que,  «  comme  pour  racheter  le  crime  qu'il  venait  de  commettre  «, 
ce  seigneur  «  fit  bâtir  l'église  de  Castelnau,  l'enrichit  de  vases  et  d'ornements 
sacrés  et  y  mit  des  chapelains.»  Ceux  qui  ne  seraient  pas  trop  effrayés  par  une 
page  où  se  déploie,  au  milieu  de  métaphores  échevelées,  une  sensiblerie  mé- 
Indrainalique,  pourront  lire,  dausVHistoire  du  midi  de  la  France  par  Mary 
LaTon  (l,  III,  p.  2i9)  le  récit  de  l'entrevue  du  «  sombre  cardinal  Jouffroy  » 
el  de  Vin  fortunée  forcée  par  lui  «  à  boire  un  breuvage  pour  détruire,  après 
l'Armagnac  mort,  celui  qui  ne  vivait  pas  encore.  » 


NOTICE  SUR  ROBERT  DE  BALSAC  385 

Louis,  seigneur  de  Graville,  amiral  de  France',  qui  lui  donna  deux 
fils:  Guillaume,  dont  les  descendants  devinrent  marquis  de  Clermont 
d'Entragues,  et  Thomas,  d'où  provint  la  branche  des  seigneurs  de 
Montagu  -. 

Après  son  mariage,  le  sénéchal  d'Agenais  passa  plusieurs  années 
encore  dans  cette  province.  S'il  la  quitta  en  1475,  —  (il  était  à  Ve- 
zelay  avec  ses  archers  au  commencement  de  juin)^,  —  nous  le  re- 
trouvons en  Agenais  avant  la  fin  de  cette  même   année,  prenant,  en 

1  Bernard  de  la  Monnoye  rappelle,  dans  une  note  de  la  Bibliothèque 
française  d'Antoine  Duverdier  (t.  V,  1773,  p.  416),  que  Pierre  avait  enlevé 
sa  cousine  germaine  Anne  Mallet  [c'était  la  fille  de  Marie  de  Balsac,  sœur  de 
Robert] eL  l'épousa  malgré  le  père  irrité.  Il  ajoute  :u  L'Amiral  voulut  de.shériter 
sa  fille  ;  mais  le  prieur  des  Célestins  de  Marcoussis  obtint  la  grâce  de  la  fille 
et  du  gendre,  en  les  présentant  à  l'Amiral,  un  Vendredi-Saint,  dans  l'instant 
où  celui-ci  alloit  adorer  la  Croix.  C'est  cette  Anne  Mallet  qui  porloit  pour  de- 
vise chantepleure,  avec  ces  mots  Musas  natura,  lacrymas  fortuna,  comme 
je  l'ai  remarqué  dans  ma  note  sur  la  Croix  du  Maine,  à  l'article  d'yl?i?ie  de 
Graville,  t.  1,  p.  83.  »  En  cette  page  83,  voir  d'intéressants  détails  sur  la 
traduction  en  vers  que  la  belle-fille  de  Robert  de  Balsac  fit  du  roman  de  Pa- 
lémon  et  Arcite,  dont  le  manuscrit  se  voyait,  du  temps  de  Duverdier,  «  en  la 
librairie  de  Monsieur  le  comte  d'Urfé  >>,  arrière-petit-fils  de  la  traductrice,  et 
passa  depuis,  dit  la  Monnoye,  dans  la  Bibliothèque  du  Roi. 

2  Un  des  fils  de  Guillaume  de  Balsac,  seigneur  d'Entragues,  de  .Marcoussis, 
gouverneur  du  Havre-de-Grace,  Charles,  seigneur  et  baron  de  Dunes,  comte 
de  Graville.  chevalier  des  ordres  du  roi,  mort  en  1599,  fut  célèbre  à  la  cour 
du  roi  Henri  111,  où  il  était  surnommé  le  bel  Entraguet{\o\ï  surson  duel  avec 
le  comte  de  Caylus,  du  27  avril  1578,  les  Mémoires-journaux  de  Pierre  de 
l'Estoile,  édition  Jouaust.  t.  I,  p.  243-254).  Une  petite  nièce  de  Charles, 
fille  de  François  de  Balsac  et  de  Marie  Touchet,  fut  la  trop  fameuse  marquise 
de  Verneuil  (Henriette  de  Balsac).  Parmi  les  autres  descendants  de  Guillaume 
de  Balsac,  citons  encore  Henri  de  Balsac,  marquis  de  Clerraont-dEntragues, 
seigneur  de  Mezières,  qui  épousa  Louise  Luillier,  dame  de  Boullencourt, 
mère  de  Louise,  qui  épousa  le  marquis  d'Avaugour,  et  de  Marie,  qui  épousa 
le  comte  de  Marchin.  La  mère  et  les  deux  filles,  également  remarquables  par 
leur  bonté  et  par  leur  esprit,  occupent  une  place  considérable  dans  l-s 
Lettres  de  Jean  Chapelain,  de  l'Académie  française  (t.  I,  1880,  in-4o, 
passirn  delà  p.  1  à  la  p.  646);  elles  furent  les  protectrices  d'Antoine  Godeau, 
évêque  de  Grasse  et  de  Vence,  et  les  amies  de  M"^  Paulet,  qui  mourut  dans 
le  château  de  Clermont-Dessus,commeà  propos  d'un  passage  des  Historiettes 
de  Tallemant  des  Réaux  sur  la  Lyonne,  je  l'ai  rappelé  en  une  note  de  la 
Revue  de  Gascogne  (t.  XVII,  1876,  p.  427). 

3  Montre  et  revue  des  archers  étant  sous  la  conduite  du  sire  de  Balsac, 
sénéchal  d'Agenois,  passée  à  Vezelay  le  5  juin  1475  (Bibliothèque  Nationale, 
fonds  français  21,499,  f"  260).  Communication  de  M.  Slein,  archiviste  paléo- 
graphe. 


286  NOTICE  SUR  ROBERT  DE  BALSAC 

tête  d'un  mandement  relatif  au  péage  de  Marmande  ',  les  titres  de 
seigneur  des  baronnies  d'Entraigues  et  de  Clermont-Sobiran,  conseil- 
ler et  chambellan  du  roi  et  son  sénéchal  d'Agënais  et  de  Gascogne. 
Nous  l'y  retrouvons  aussi,  deux  ans  plus  tard,  recevant,  au  château  de 
Clermont,  l'aveu  et  dénombrement  de  quelques  habitants  du  mas 
de  Labroa  en  la  personne  de  noble  homme  Florimont  de  Monteilh  et 
d'honorable  homme  Jean  Dauphin,  juge  de  ladite  baronnie  de  Cler- 
mont. On  accole  là  au  nom  de  R.  de  Balsac  les  épithètes  noble  et 
jmissatil  et  les  titres  de  seigneur  des  baronnies  d'Enlragues  et  de 
Clermont-Dessus  {Clarimontis  superioris,  car  le  document  est  en 
langue  latine)  et  seigneur  de  Saint-Amant,  conseiller  et  chambellan 
du  roi  et  son  sénéchal  d'Agënais  et  de  Tarascon  {sic)  ^.  En  1482,  le 
22  juin,  il  donne  quittance  de  800  livres  tournois  «  qui  lui  ont  été 
ordonnés  pour  sa  pension  et  son  entretien  au  service  du  roi  pendant 
l'année  commencée  le  P""  octobre  passé  ^.  »  Le  14  avril  1483,  il  signe 
à  Condom,  en  qualité  de  sénéchal  d'Agënais  et  Gascogne,  des  lettres 
pour  faire  jouir  les  habitants  de  Lectoure  des  privilégesconfirmés 
parle  roi  Louis  XI*.  » 

Ce  fut  très-peu  de  temps  après  que  Balsac  repartit  pour  l'Italie. 
Veuf  d'Antoinette  de  Castelnau,  morte  on  ne  sait  en  quelle  année, 
il  se  remaria  (22  octobre  (1483)  avec  Lancie  Fabri,  fille  de  Laurent 
Fabri,  gonfalonier  delà  république  de  Florence,  et  de  Louise  Alberti. 
On  ne  dit  pas  s'il  y  eut  des  enfants  de  ce  second  mariage,  qui  établit 
une  lointaine  parenté  entre  le  sénéchal  d'Agënais,  de  la  fin  du  XVe  siè- 
cle, et  l'illustre  conseiller  au  parlement  de  Provence,  de  la  première 

1  Bibliothèque  Nationale.  Pièces  originales,  vol.  178,  nu  16.  Le  jour  et  le 
mois  manquent. 

2  Pièces  originales.  Vol.  178,  no  17.  Je  suppose  que  Tarascoîi  est  un 
lapsus  de  copiste,  et  qu'il  faut  lire  Vascon,  abréviation  de  Vasconie. 

3  Ibid.,  n"  19.  Notons,  d'après  l'ouvrage  de  M.  Moulenq  (t.  II,  p.  59), 
que  Bernard  de  Tayac  de  Villevaire,  transigea,  le  17  mars  1482,  avec  Robert 
de  Balsac,  seigneur  de  Clermont,  sur  la  haute  justice  du  lieu  de  Golfech 
(comraanderie  de  l'ordre  du  Temple,  puis  de  l'ordre  de  Saint-Jean-de-Jéru- 
salem, dans  le  grand  prieuré  de  Toulouse),  cette  haute  justice  ayant  été 
reconnue  appartenir  au  commandeur  (Archives  de  la  Haute-Garonne).  Voir 
encore  dans  l'inépuisable  recueil  de  M.  Moulenq  (t.  II,  p.  191)  de  curieux  ren- 
seignements sur  Jeanne  de  Lavilate,  qui,  après  avoir  été  fiancée,  le  21  octobre 
14G7,  à  l'âge  de  six  à  sept  ans,  par  Jean  V,  comte  d'Armagnac,  à  Jean  II  de 
Peclipeyrou,  seigneur  de  Monbarla,  fut  prise,  en  1473,  par  les  soldats  deR.de 
Balsac,  lequel  la  maria  à  sou  cousin  Amalric  de  Lentilhac. 

*  Archives  liixtoriqices  de  la  Gascogne,  fascicule  i.x.  Archives  de  la  ville 
de  Lectoure.  Coutumes,  Statuts  et  Records.  Documents  inédits  publiés 
par  P.  Druilhet,  1885,  p.  96. 


NOTICE  SUR  ROBERT  DE  BALSAC  287 

moitié  du  XVI1«  siècle,   Claude   Nicolas  de  Fabri,  seigneur    de  Pei- 
resc*. 

Je  mentionnerai  siiïîplement  des  lettres  d'attache  pour  le  sénécha- 
lat  d'Agenais  et  Gascogne  délivrées  à  R.  de  Balsac,  le  5  juin  1484, 
à  cause  de  l'avènement  de  Charles  VIll  (sacré  le  30  mai  de  la  même 
année)  2  ;  mais  j'analyserai  un  document  du  l^''  novembre  1486  qui 
me  paraît  intéressant  pour  l'histoire  de  Clermont-Dessus  :  procès- 
verbal  fait  par  le  sieur  Tort,  commissaire  député  de  la  Cour,  pour 
faire  jouir  Robert  de  Balsac  des  rentes  et  revenus  du  lieu  de  Cler- 
mont  dus  par  les  habitants  dudit  lieu,  et  faire  cesser  les  désobéis- 
sances, forces  et  violences,  que  commettaient  plusieurs  malfaiteurs  et 
gens  de  guerre  étant  dans  ladite  place,  et  notamment  de  celles  qui 
avaient  été  commises  sur  la  personne  de  messire  Arnault  d'Oyenart  ^, 
qui  avait  été  commis  pour  lever  le  péage  dudit  Clermont,  duquel  pro- 
cès-verbal il  résulte  que  lesdits  gens  de  guerre  s'étaient  retirés  dans 
le  château  de  Clermont,  d'où  ils  avaient  tiré  plusieurs  coups  et  blessé 
trois  ou  quatre  hommes  delà  compagnie  dudit  commissaire  qui  avait 
mandé  lesdits  habitants.  Se  présentèrent  seulement  Antoine  Gast,  dit 
le  Magister,  Jean  Coderc,  Jean  Peissiero,  Pierre  Molinier,  Jean  Oi- 
Ihac,  Pierre  de  Pena,  James  Brunel,  Manault  del  Bosc,  Antoine  Pe- 
lacuer,  Guirault  Garrie,    Pierre  Sage,  Jean  Solhade  et  Pierre  Galau, 

'  Généalogies  des  maisons  de  Fabri  et  d'Ayrenx,  par  Jules  de  Bour- 
rousse  de  Laffore.  Le  savant  généalogiste  indique  ainsi  (p.  55)  les  armes  de 
Robert  :  d'azur  à  trois  flanquis  ou  sautoirs  d'argent,  jjosés  deux  et  U7i; 
au  chef  d'or,  chargé  de  trois  ftaiiquis  du  champ,  posés  en  face.  Conférez 
une  note  de  M.  Joseph  Gardères  dans  la  Revue  de  Gascogne  (t.  XXVII, 
1886,  p.  27).  L'excellent  historien  du  collège  de  Condom  croit  que  la  belle 
leur  du  XVe  siècle  qui  fait  partie  de  cet  établissement,  et  que  j'ai  eu  le  plaisir 
d'admirer  en  sa  compagnie  l'été  dernier  [j'écris  ceci  en  mai  1886],  a  été  con- 
struite parMondon,  écuyer,  bâtard  de  Balsac,  lieutenant  du  sénéchal  d'Agenais 
et  Gascogne,  comme  semblent  Findiquer  les  armes  qui  s'étalent  dans  le  fron- 
ton d'une  des  principales  fenêtres  du  monument.  Ajoutons  que,  dans  un  rôle 
de  la  compagnie  de  Robert  de  Balsac  dressé  en  1499,  figurent  le  bâtard  de 
Balsac,  comme  lieutenant  de  son  frère,  et  un  certain  Pierre  de  Balsac,  comme 
homme  d'armes. 

*  Inventaire  sommaire  des  archives  communales,  rédigé  par  MM.  Bos- 
vieux  et  G.  Tholin,  archivistes.   Ville  d'Agen,  1884,  p.  11. 

^  De  la  maison  noble  d'Oyhenart  d'Etcharry,  parent  de  Pierre  d'Oyhenart 
et  de  Bernard  d'Oyhenart,  dit  le  Basque,  qui  servaient  le  premier  comme 
homme  d'armes,  le  second  comme  archer,  dans  la  compagnie  de  Robert  de 
Balsac.  Voir  l'étude  très-neuve  et  très-curieuse  de  M.  J.-B.-C.  deJaurgain, 
intitulée:  Arnaud  d'Oihenart  et  sa  famille  (Paris,  Champion,  1885,  grand 
iû-8o). 


288  NOTICE  SUR  ROBERT  DE  BALSAC 

qui,  ayant  été  requis  par  M*  Pierre  d'Aubigny,  procureur  suffisamment 
fondé  dudit  de  Balsac,  de  payer  lesdites  rentes,  s'y  refusèrent  de 
nouveau.  Sur  le  refus  qui  en  fut  fait  par  ledit  Gast  comme  consul  et 
parlant  pour  tous,  attendu  qu'inhibitions  leur  en  avaient  été  signifiées 
par  le  procureur  de  Mgr  d'Armagnac,  ledit  commissaire  les  fit  con- 
duire aux  prisons  du  roi  àPuymirol*.  » 

Après  avoir  signalé  une  quittance  de  000  livres  tournois  donnée 
par  R.  de  Balsac,  le  13  janvier  1490  (n.  st.),  pour  ses  gages  de  séné- 
chal, de  Noël  1488  à  pareille  fête  de  1489  2,  et  une  montre  à  Ville- 
neuve d'Agenois,  le  28  août  1492,  de  50  lances  (48  hommes  d'armes  et 
100  archers)  sous  la  charge  du  même  personnage  ^,  nous  le  suivrons 
dans  son  troisième  voyage  en  Italie,  àl'époque  de  cette  triomphante 
promenade  de  Charles  VIII  à  travers  toute  la  Péninsule  (5  septem- 
bre 1494-22  février  1495).  Balsac,  par  l'influence  de  son  beau-frère 
Ludovic  Fabri,  qui  aida  tant  le  jeune  roi  à  devenir  maître  de  Pise, 
obtint  le  gouvernement  de  la  citadelle  de  cette  ville  et  de  plusieurs 
autres  places  voisines.  J'ai  le  regret  de  déclarer  quïl  se  montra  fort 
indigne  de  la  confiance  qui  lui  avait  été  ainsi  témoignée.  Écoutons  le 
réquisitoire,  sévère  jusqu'à  l'injure,  de  Philippe  de  Commynes'*: 
«  Bien  six  ou  septjours  perdit  le  Roy  son  temps  à  la  ville  de  Pise,  et 
puis  mua  la  garnison,  et  mit  en  la  citadelle  ung  appelle  Entragues, 
homme  bien  mal  conditionné,  serviteur  du  duc  d'Orléans;  et  le  luy 
adressa  Monseigneur  de  Ligny. .  . .  Ledict  seigneur  d'Entragues  feit 
tant  qu'il  eut  encores  entre  ses  mains  Petresaincte  [Pietra-Santa]  et 
une  autre  place  après,  appellée  Mortron  [Mortano].  11  en  eut  une  aul- 

tre  appelée  Librefacto,  près  de  la  ville  de  Lucques  [1495] Une 

aultre  honte  et  dommaige  luy  advint  [à  Charles  VIII].  que  ung  ap- 
pelle Entragues,  qui  tenoit  la  citadelle  de  Pise  (qui  estoit  le  fort,  et 
qui  tenoit  ceste  cité  en  subjection),  bailla  ladicte  citadelle  aux  Pi- 
sans  qui  estoit  allés  contre  le  serment  du  Roy  qui  deux  fois  jura  aux 
Florentins  de  leur  rendre  ladicte  citadelle  et  aultres  places.  Pietre- 
saincte  vendit  encores   ledict   Entragues  aux  Luçois  ",   et  Librefacto 

1  SigQé  P.  Tort,  lieutenant  et  commissaire  susdit,  et  A.  Dabelli,  uotaire 
royal.  Pièces  originales,  vol.  178,  n"  20. 

■'  Foads  français,  vol.  25,782,  no  113. 

*  Mémoires  publiés  pour  la  Société  de  l'histoire  de  France  par  M''»  Du- 
pont, t.  Il,  p.  441  et  pp.  544-546. 

^  I3'après  Sismondi  [Histoire  des  républiques  italiennes,  t.  XH,  p.  379), 
la  vente,  faite  le  2G  février  1496,  produisit  24,000  florins.  Voir  dans  le  même 
volume  (p.  377-378)  divers  détails  sur  les  scandaleux  profits  que  Balsac  retira 
de  la  cession   au.\  Pisaos  de   la   forteresse,  qu'ils    s'empressèrent   de  raser. 


NOTICE  SUR  ROBERT  DE  BALSAO  289 

aux  Venissiens  ;  le  tout  à  la  grant  honte  du  Roy,  et  de  ses  subjectz, 
et  dommaige,  et  consommation  de   la  perte  du  royaume  de  Naples.  » 

On  ne  peut  repousser  l'accablant  témoignage  de  Commynes,  car  ce 
témoignage  est  confirmé  parles  historiens  italiens;  et  M.  de  Cherrier, 
résumant  les  récits  d'Ammirato,  de  Guichardin,  de  Paul  Jove,  a  eu 
le  droit  de  flétrir  la  coupable  intrigue  qui  exerça  une  influence  si 
désastreuse  sur  les  opérations  de  l'armée  de  Naples  et,  par  suite,  sur 
les  résultats  de  toute  l'expédition  '. 

L'ex-gouverneur  de  la  citadelle  de  Pise  fut  disgracié  pendant  quel- 
que temps  2;  mais  le  roi,  qui  «  dans  un  transport  extraordinaire  d'in- 
dignation »,  s'était  écrié  :  8i  je  puis  mettre  la  main  sur  ce  traître, 
je  n'attendrai  p)as  qu'on  auiène  le  bourreau  et  je  lui  couperai  moi- 
même  la  tête  ;  le  roi  qui  avait  ajouté:  Jamais  je  ne  le  recevrai  en 
graee,  autrement  ce  serait  avouer  au  monde  entier  que  j'ai  au- 
torisé sa  perfidie  '^,  ce  roi  allait  bientôt  mourir  (7  avril  1498)  ;  et, 
peu  de  temps  après  cette  mort,  l'inamovible  sénéchal  put  constater 
que  le  roi  de  France  se  souvenait  des  amis  du  duc  d'Orléans,  car 
il  reçut  de  Louis  XII,  le  4  juin  1499,  la  confirmation  d'une  pension  de 
deux  mille  livres  tournois  à  prendre  sur  le  salin  d'Agen*.  Le  docu- 
ment qui  nous  révèle  ainsi  la  bienveillance  du  nouveau  roi  pour  son 
ancien  collaborateur  nous  est  parvenu  dans  un  tel  état  de  détério- 
ration, que  la  lecture  en  est  à  peu  près  impossible.  Tout  au  plus 
peut-on,  à  travers  les  déchirures  du  .p3.rchemin,  reconnaître  que 
Louis  XII  a  voulu  favorablement  traiter  Robert  de  Balsac,  chevalier, 
seigneur  d'Entragues  et  de  Saint-Aymant,  sou  senechal  d'Agenoys, 
«  en  considération  des  grands,  vertueux  et  recommandables  services 
qu'il  a  faits  à  notre  dit  feu  seigneur  et  cousin^.  «  On  parvient  à  dé- 

J'avais  prié  M.  A.  d'Ancona,  le  très-célèbre  professeur  de  l'Université  de 
Pise,  de  me  dire  s'il  existe  dans  les  archives  de  cette  ville  quelque  document 
relatif  aux  agissements  de  notre  compatriote:  l'^éminent  érudit  a  bien  voulu 
m'apprendre  que  l'on  ne  conserve  à  Pise  aucun-manuscrit  de  cette  époque. 

1  Histoire  de  Charles  VIII;  Paris,  Didier,  1860,  t.  II,  p.  332. 

2  Pour  la  première  fois  après  son  retour  d'Itiilie,  on  le  voit  employé  en 
septembre  1497:  il  fut  chargé  d'une  mission  en  Soûle,  mission  qui  nous  a  été 
révélée  par  M.  de  Jaurgain  {Revue  de  Béarn  et  Navarre,  livraison  de  jan- 
vier-mars 1885,  p.  78). 

^  M.  de  Cherrier  rappelle  ces  paroles,  dites  par  Charles  VllI  à  Lyon  aux 
ambassadeurs  florentins,  le  7  février  1496,  d'après  le  recueil  des  Négociations 
diplomatiques  (p.  649).  Le  roi  dit  encore  aux  ambassadeurs,  sur  Balsac,  ce 
mot  qu'il  faut  rapprocher  de  l'assertion  de  Commynes  :«  Cet  homme  est  au  duc 
d'Orléans,  et  non  àïnoi.  » 

*  Pièces  originales,  vol.  178,  no  27. 

!>  La  formule  officielle  semble  prendre  ici  une  ironie  vengeresse,  et  quoi  de 
plus  écrasant  que  l'éloge  donné  par  le  scvïh&ainwertueux  services  d'un  traître? 

19 


20O  NOTICE  SUR  ROBERT  DE  BALSAC 

chiffrer  encore  les  mots  que  voici,  qui  semblent  attester  que  Balsac 
s'était  distingué  dans  la  guerre  de  Bretagne  (1487-1488):  «  Le  roy 
Charles  que  Dieu  absolve  lui  avoit  donné. .  .en  faveur  et  recongnois- 
sance  de  ses  grands  et  recommandables  services.,  .  .de  Bretaigne  où 

il  servit  vertueusement  de  oorps  et  de  biens  et  où  il  receu [sans 

doute  :  des  blessures]. ...» 

Pendant  les  dernières  années  de  sa  vie,  R.  de  Balsac  s'éloigne  sou- 
vent de  l'Agenais.  En  février  et  mai  1499,  il  est  en  Champagne,  à 
Vitry-en-Perthois  *;  au  mois  d'août  1499,  il  est  en  Artois,  à  Té- 
rouanne^.  Après  avoir,  semble-t-il,  touché  barre  seulement  à  Agen 
eu  août  1500^,  il  revient  à  Térouanne  (février  1501)*.  Le  30  juin 
de  cette  même  année,  il  figure  pour  la  dernière  fois,  comme  sénéchal 
d'Agenais  et  de  Gascogne,  dans  une  quittance  de  COO  livres  tournois 
pour  ses  gages  d'une  année  commencée  à  la  Saint  Jean-Baptiste  1500 
et  finie  à  pareil  jour  de  l'an  1501,  quittance  dans  laquelle  il  prend 
les  titres  accumulés  de  seigneur  d'Entragues,  de  Saint-Amans,  de 
Juys^,  de  Dunes  ^  et  de  Clermont''.    Le  8  mars  de  l'année  suivante, 

*  Bibliothèque  Nationale,  fonds  français,  vol.  21,505,  no  625. 

2  Collection  Clairambault,  vol.  120. 

3  Catalogue  d'une  imporhmte  collection  de  curiosités  autographiques, 
vendue  le  27  mal  1885  (Paris,  maison  Gabriel  Charavay,  in-80,  p.  4,  article  G): 
R.  de  Balsac,  en  une  pièce  sur  vélin,  signée  le  25  août  1500,  à  Ageii,  mande 
au  receveur  d'Agenois  de  compter  9  livres  tournois  à  Thomas  deLanda,  avo- 
cat du  roi,  ainsi  qu'à  Bernard  de  Lams,  pour  neuf  jours  de  voyage;  ils  se 
sont  rendus  à  Marmande  pour  y  interroger,  par-devant  le  juge  Maurre,  les 
témoins  produits  par  le  seigneur  de  Lauzun,  dans  un  procès  contre  le  séné- 
chal. 

4  Bibliothèque  Nationale,  fonds  français,  vol.  25,783,  no  28. 

'  Je  ne  connais  en  France  qu'une  seule  localité  de  ce  nom:  Juis,  dans  la 
commune  de  Savigneux,  département  dell'Ain,  arrondissement  de  Trévoux. 
Le  château  de  Juis  est-il  le  château  qu'a  possédé  R.  de  Balsac? 

*  Voir  d'instructives  pages  sur  Dunes  dans  le  t.  III  des  Documents  histo- 
riques sur  le  Tarn-et-Garonne  {]^.  371-377).  M.  Moulenq  rappelle  (p.  374) 
qu'à  l'époque  où  Louis  XI  fit  donation  de  cette  terre  à  R.  de  Balsac,  ce  der- 
nier acquit  de  Raymond-Bernard  IV  de  Durforl,  seigneur  de  Boissières,  la 
partif?  de  ladite  seigneurie  provenant  de  Régine  de  Goth,  femme  de  Bernard 
do  Durfort,  sire  de  Flamarens,  et  que  l'entière  barounie  de  Dunes  appartint 
ainsi  à  la  maison  de  Balsac.  Puisque  nous  sommes  ramenés  en  cette  note  à 
la  confiscation  des  biens  de  la  maison  d'Armagnac  en  1471,  ajoutons  que  R. 
de  Balsac  obtint,  en  outre,  la  quatrième  partie  de  la  seigneurie  d'Astafort 
(arrondissement  d'Ageu).  Voy.  Astafort  en  Agetiais.  Notice  historique  et 
Coutumes  publiées  par  Charles  Baradat  de  Lacase  \Paris  et  Agen,  1886, 
gr.  in-8",  p.  40). 

'  Pièces  originales,  vol.  179,   no  325,  R.  de  Balsac  n'était  plus  sénéchal  le 


•     NOTICE  SUR  ROBERT  DE  BALSAC  291 

il  donne  quittance  de  120  livres  tournois  pour  son  état  de  capitaine  de 
40  lances  des  ordonnances  du  roi  (quartier  d'octobre,  novembre  et 
décembre  1501),  et  son  nom  apparaît  pour  la  dernière  fois  le  5  juillet 
1503,  au  bas  d'une  autre  quittance,  pour  le  même  état  de  capitaine, 
pendant  le  quartier  d'avril,  mai  et  juin.  Déjà  le  3  mai,  il  avait  fait 
son  testament.  On  ne  connaît  pas  l'époque  précise  de  sa  mort  ;  mais 
probablement  l'année  ne  s'écoula  pas  sans  qu'on  l'eût  inhumé  dans 
cette  église  collégiale  de  Saint-Amand,  dont  il  avait  été  le  fondateur, 
dès  l'année  1484,  y  ayant  établi  six  chanoines,  six  prébendiers  et 
plusieurs  chapelains'. 

Nous  n'avons  que  peu  de  mots  à  dire  de  l'écrivain.  Robert  a  lais.sé 
deux  opuscules  seulement,  un  petit  traité  d'art  militaire  (la  Nef  des 
batailles,  où  est  démontré  Vordre  et  train  qu'un  prince  ou  chef  de 
guerre  doit  tenir,  qui  veut  conquester  im  pays,  ou  2Jasser  et  tra- 
verser les  pays  des  ennemis)  et  un  petit  traité  de  morale (fe  Chemin 
pour  aller  a  TOspital)-.  J'em-pYnni.Q  à  l'excellent  Catalogue  des 
livres  composant  la  bibliothèque  de  feu  M.  le  baron  James  de 
Rothschild  (Paris,  Morgand,  1884,  grand  in-8°,  p.  75,  art.  137)  cette 
intéressante  notice  sur  la  satire  morale  de  Balsac:  «  L'auteur  y  fait 

22  janvier  1503.  Son  successeur  était  alors  Antoine  de  Lestranges,  que  J'en 
retrouve  encore  sénéchal  d'Agenais  quatre  ans  plus  tard.  Le  sénéchalat  d'A. 
de  Lestranges  est  resté  ignoré  de  tous  les  annalistes  de  l'Agenais.  C'est  une 
des  particularités  nouvelles  que  nous  devons  en  si  grand  nombre  à  la  remar- 
quable publication  de  M.  Léopold  Delisle  :  les  Collections  de  Basfard  d'Es- 
tang. Catalogue,  etc.  (Paris,  1885,  in-8°,  p.  108,  n»  978  ;  p.  109,  n»  983). 

1  Selon  B.  de  la  Monnoye  (note  déjà  citée  de  la  Bibliothèque  fra7içoise 
d'Ant.  Duverdier),  R.  de  Balsac  «  mourut  vers  l'an  1503.  »  Ce  commentateur 
ajoute  qu'ail  fut  aimé  de  Louis  XII.  » 

2  Ces  titres  sont  donnés  par  Ant.  Duverdier,  d'après  l'édition  de  Paris  par 
Philippe  le  IN'oir,  1525,  in-4°.  Voir  dans  le  Manuel  du  Libraire  (t.  I,  col. 
1769- 177U,  article  Champier)  des  titres  beaucoup  plus  développés,  d'après 
l'édiliou  de  Lyon  (1502,  ia-4o),  Symphorien  Champier  a  mis,  en  tête  d'un  re- 
cueil de  pièces  en  prose  et  en  vers  de  sa  composition,  la  Nef  des  princes  et 
des  Batailles  de  noblesse,  etc.,  de  noble  et  puissant  seigneur  Robert  de 
Balsat,  consedler  et  chambrelun  du  roy  nostre  Sire,  et,  à  la  fin  de  ce  même 
recueil,  le  Chemin  de  l'hospital  et  comme  il  se  peut  éviter.  Je  viens  de  nom- 
mer Ant.  Duverdier;  je  ne  puis  m'empêcher  de  constater  que  sa  notice  de 
deux  lignes  sur  Balsac  (lui  aussi  donne  la  forme  adoptée  dans  toutes  les  'si- 
gnatures de  Robert)  semble  bien  ne  viser  qu'un  pur  Auvergnat  :  «  seigneur 
d'Antraigues  et  de  S.  Amand,ès  montaignes  d'Auvergne  »,  dit-il  en  commen- 
çant. N'est-ce  pas  l'indication,  peu  précise  si  l'on  veut,  mais  non  méprisable, 
du  lieu  d'origine,  du  7iid  ?  Et  quand  Duverdier  ajoute:  c  sénéchal  au  pays 
d'Agenez  et  de  Gascogne  »,  n'entend-il  pas  par  là  qu'il  fut  dans  le  Sud-Ouest 
un  simple  oiseau  de  passage? 


292  NOTICE  SUR  ROBERT  DE  BALSAC  • 

une  longue  énumération  des  gens  qui,  placés  dans  toutes  les  condi- 
tions de  la  vie  sociale,  arrivent  à  la  ruine  par  leurs  prodigalités  et 
leurs  folies.  Cette  pièce  paraît  avoir  eu  une  grande  vogue  vers  la  fin 
duXV"  siècle  et  au  commencement  du  XVle  siècle.  Pierre  Gringore 
s'en  est  sans  doute  inspiré  dans  les  Abus  du  monde  ;  le  Catholicon 
des  maladvisez,  de  Laurens  des  Moulins,  n'en  est  qu'une  amplifica- 
tion poétique;  enfin  d'Adonville,  dans  &e&Regrets  et  Peines  des  mal- 
advisez et  dans  ses  Moyens  d'éviter  merencolie  (Montaiglon  et 
Rothschild,  Recueil  de  poésies  françaises,  II,  42-76  ;  XII,  327-330), 
s'est  borné  à  la  mettre  en  rimes.  Non-seulement  il  a  suivi  pas  à  pas 
son  modèle,  mais  il  en  a  reproduit  textuellement  certains  passages, 
comme  il  l'a  fait  dans  V  Honneur  des  nobles,  copie  envers  du  Bla- 
son des  couleurs,  de  Sicile  (Recueil  de  poésies  françaises,  XllI,  68- 

428) le  Chemin  de  VOspital  a  été  réimprimé  par  M.  Allut  dans 

son  Étude  biographique  et  bibliographique  sur  Symphorien  Cham- 
pier  (Lyon,  1859,  in-8°,  119-126).  Notre  édition,  qui  donne  un  texte 
différent  de  celui  qu'a  reproduit  M.  Allut,  a  dû  être  exécutée  vers 
1525.» 

C'est  cette  différence  de  texte  qui  m'a  décidé  à  donner  une  nouvelle 
édition  des  sentences  de  l'ancien  sénéchal  de  ma  province  natale. 
Los  philologues  qui  ne  connaissent  pas  la  très-rare  publication  de 
M.  Allut  seront  bien  aises  de  se  procurer  facilement  les  pages  où 
Robert  de  Balsac,  devenu  vieux  et  se  faisant  ermite,  a  réuni  tant  de 
sages  propos  ;  et  ceux  qui  ont  le  bonheur  de  posséder  le  somptueux 
volume  de  1859  ne  seront  pas  fâchés  de  comparer  le  texte  adopté  par 
l'éditeur  lyonnais,  avec  le  texte  à  peu  près  inconnu  que  j'offre  aux 
amis  de  la  vieille  langue,  et  d'où,  si  je  ne  m'abuse,  s'exhale  vague, 
mais  encore  reconnaissable,  une  agréable  senteur  gasconne,  Robert 
de  Balsac  n'ayant  pu  passer  tant  d'années  auprès  de  la  Garonne  sans 
s'être  imprégné  de  cet  air  qui  (je  ne  veux  pas  sortir  des  limites  de 
la  sénéchaussée)  a  été  si  favorable  à  tant  d'écrivains,  parmi  lesquels 
je  me  contenterai  de  saluer  un  prosateur  comme  Bernard  Palissy  et 

un  poëte  comme  Jasmin. 

Ph.  Tamizey  de  Larroque. 

P. -S.  —  M.  Antoine  Vernière.  le  savant  éditeur  à\x  Journal  de 
voyage  de  Dom  Jacques  Boyer,  Religieux  Bénédictin  de  la  Congré- 
gation rfe  (Sami-Maur  (Clermont-Ferrand,  1886,  grand  in-S"),  a  l'ama- 
bilité de  me  communi(juer  un  extrait  du  Dictionnaire  statistique  et 
historique  du  département  du  Can^a/,  Aurillac,  1852-1855,  t.  III, 
pp.  109-110),  extrait  qui  fournit  un  intéressant  supplément  aux  ren- 
seignements déjà  douués  sur  Robert  de  Balsac  et  qui  nous  donne, 
notanuneut,  la  date  précise  de  sa  mort: 


IsOTICE  SUR  ROBERT  DE  BALSAC  293 

«A  peu  de  distance  de  ce  bourg  [St-Chamand,  anciennement  St- 
Amand],  on  voyait  autrefois,  sur  le  mont  Constans  et  sur  le  terrain  de 
Long-Puech,  une  église  de  style  ogival,  remarquablement  belle  à  en 
juger  par  les  rares  débris  qui  en  restent.  Robert  de  Balsac,  seigneur 
de  St-Chamand,  dont  la  vie  avait  été  pleine  d'agitations  et  de  trou- 
bles, l'avait  édifiée  en  1483,  pour  se  rédimer,  sans  doute,  des  fautes 
qu'il  avait  commises,  et  l'avait  érigée  en  église  collégiale,  à  laquelle 
il  avait  attaché  un  chapitre  composé  de  six  chanoines  et  d'un  doyen, 
à  la  nomination  du  seigneur  du  lieu.  La  bulle  autorisant  cette  fonda- 
tion est  de  Sixte  IV...  Robert  de  Balsac  avait  assigné  des  rentes 
considérables  à  l'entretien  de  cette  église  et  de  son  chapitre. .  .Lors- 
qu'on démolit  cette  église,  on  trouva,  en  fouillant  près  du  chœur,  son 
tombeau,  qui  portait  sur  une  plaque  de  cuivre  l'inscription  suivante  : 

((  Cy  devant  gyt  noble  et  puissant  seigneur  Robert  de  Balsac,  che- 
valier, conseiller  chambellan  du  roy  nostre  sire,  et  son  sénéchal  d'Age- 
nois  et  de  Gascogne,  et  capitaine  des  gendarmes  de  l'ordonnance  et 
fondateur  de  l'église  de  céans,  qui  trépassa  le  ix*  jour  du  mois  de  may 
de  mil  cinq  cent  trois. 

))  Priez  Dieu  pour  son  âme. 

»  Cy  devant  gyt  noble  damoiselle  de  Castelnau  de  Bretenoux, 
femme  et  épouse  dudit  Robert  de  Balsac,  sénéchal  d'Agenois,  la- 
quelle trépassa  le  ix«  jour  de  septembre,  l'an  mil  quatre  cent  quatre- 
vingt-quatorze.  y> 

D'après  le  Guide  historique,  archéologique,  statistique  et  pitto- 
resque des  voyageurs  dans  le  département  du  Cantal,  par  Henri 
Durif  (p.  390),  ce  fut  M.  Cabanes,  maire  de  St-Chamant,  qui,  prati- 
quant des  fouilles  dans  son  jardin  (ancien  emplacement  de  l'oratoire 
construit  près  du  chapitre  et  sous  le  pavé  duquel  R.  de  Balsac  avait 
été  inhumé),  découvrit  en  1839  une  plaque  en  cuivre  d'une  forme  car- 
rée, portant  en  lettres  gothiques  l'inscription  que  l'on  vient  de  lire, 
laquelle  plaque  est  déposée  au  presbytère.  La  date  de  cette  décou- 
verte explique  comment  P. -G.  Aigueperse,  auteur  de  la  Biographie 
ou  Dictionnaire  historique  des  personnages  d'Auvergne  illustres, 
etc.  (Clermont-Ferrand.  1834,  t.  I,  p.  65),  a  pu  dire:  «  On  ignore 
l'époque  de  sa  mort.  )> Voici  les  premières  lignes  de  l'article  d'Aigue- 
perse,  dont  je  dois  aussi  la  connaissance  à  mon  obligeant  confrère, 
M.  A.  Vernière  :  «  Robert  de  Balsac,  fils  de  Jean  de  Balsac  et  d'Agnès 
de  Chabannes,  seigneur  d'Entragues  et  de  Saint-Amand,  frère  de 
Roffec  de  Balsac,  sénéchal  de  Nimes  et  de  Beaucaire,  fut  sénéchal 
de  Gascogne  et  d'Agenois,  après  son  frère,  capitaine  des  châteaux  de 
Tournon,  Port  de  Penne  et  de  Châtelculhier,  an  diocèse  d'Agen.  » 


LE   CHEMIN  DE  L'OSPITAL 

ET  CEULX  QUI  EN   SONT  POSSESSEURS 


[F°  1  f>]  Le  chemin  de  l'ospital  et  ceulx  qui  en  sont  posses- 
seurs. 

Et  premièrement 

Ceulx  qui  ont  petit  et  despendent  beaucoup. 

Gens  qui  jouent  voulenticrs  et  perdent  souvent. 

Gens  qui  n'ont  pas  grans  prisées',  ne  rentes  et  portent  draps 
de  soye  et  chiers  habillemens. 

Vieulx  gensdarmes  qui  ont  gaudj  en  leur  jeunesse. 

Gens  qui  despendent  leurs  biens  sans  ordre  ne  mesure. 

Marchans  qui  achaptent  cher  et  vendent  à  bon  marché  et 
crédit. 

Gens  qui  se  veulent  vengier  d'aulcun  mal  ou  desplaisir  que 
on  leur  a  fait,  car  tel  se  veut  venger  qui  souventefFois  se  de- 
servist. 

[F"  2  a]  Gens  qui  par  sottie  et  paresse  laissent  perdre  ce 
qu'ilz  ont  gaigné  de  leurs  maistres,  pour  faulte  de  le  serrer 
et  demander. 

Gens  qui  se  gouvernent  par  le  conseil  des  folz  et  meschans 
et  leur  donnent  charge  de  leurs  besongnes. 

Gens  qui  portent  plus  grant  estât  que  leus  (sic)  biens  ne 
valient. 

Gens  qui  n'ont  travaillé  en  jeunesse  vont  en  Thospital  en 
vieillesse. 

Gens  qui  servent  leurmaistre  à  leurs  despens. 

Marchans  et  aultres  gens  qui  ont  perdu  leur  crédit. 

Gens  subtilz  et  legiers  qui  font  la  chose  devant  que  y  pen- 
ser. 

Gens  paresseux  lasches  et  negligens. 

Gens  quinont^  au  jour  la  journée  et  ne  pensent  au  temps 
advenir. 

1  C'est-à-dirc  «  de  grands  biens.  »  Litlré  n'a  pas  d'exemple  aussi  ancien 
de  ce  substantif. —  '  Sic;  corr.  vont? 


LE  CHEMIN  DE  l'osPITAL  2^)5 

Gens  yvrongnes  et  gourmans. 

Gens   quelque  grans  biens  et  chevance  qu'ils  *  despendent 
[F"  2  b]  follement  et  sans  raison. 

Gens  pillars^  et  putaniers  qui  de  paillardise  font  mestier. 

Ceulx  qui  se  couchent  tost  etlievent  tard. 

Ceulx  qui  prestentvoulentiers  à  ceulx  qui  n'ont  dequoy  ren- 
dre. 

Gens  plaideurs,  harseleurs  et  nourrisseurs  de  procès. 

Ceulx  qui  sont  opiniastres  et  incorrigibles. 

Gens  qui  ne  trouvent  riens  cher  à  créance  et  payent  mal. 

Ceulx  qui  ne  sçavent  exercer  l'office  en  quoy  ilz  sont  com- 
mis. 

Gens  qui  mengent  leur  blé  en  herbe  ^. 

Ceulx  de  qui  serviteurs  jouent  jusques  à  la  minuyt. 

Gens  qui  entreprennent  plus  grant  chose  qu'ilz  ne  peuvent. 

Gens  prodigues  et  grans  despendeurs  sans  mesure. 

[F"  3  a]  Gens  coustumiers  de  faire  œuvre  défait*  ou  folies. 

Ceulx  qui  sont  desobeissans  à  leur  prince  ou  justice^. 

Ceulx  qui  par  paresse  et  faulte  de  couraige  laissent  perdre 
leurs  biens. 

Ceulx  qui  chargent  trop  grant  estât  à  leurs  femmes. 

Ceulx  qui  mainent  souvent  leurs  femmes  en  voyages. 

Ceulx  qui  font  souvent  grans  banquetz  et  grandes  assem- 
blées. 

Ceulx  qui  donnent  leurs  biens  trop  excessivement. 

Ceulx  qui  se  prisent   plus  qu'ilz  ne  valent  et  à  qui    semble 
que  les  biens  leur  sont  deuz  de  rente. 

Ceulx  qui  ne  vivent  en  provision'',  mais  au  jour  la  journée. 
Ceulx  qui  se  despouillent  avant  que  aller  coucher ',  si  n'est 

1  Suppl.  aient,  qui  le?  —  -  Sic,  pour  paillars. 

^  Le  Roux  de  Lincy  (le  Livre  des  prove7-bes  français,  seconde  édition. 
Paris,  1859,  t.  I,  p.  59)  ne  cite  sous  cette  locution  qu'un  écrivain  postérieur, 
Rabelais  (liv.  m,  chap.  ii). 

*  Sic;  corr.  fat. 

s  Pour  la  signification  concrète  qu'a  justice  en  ce  passage,  analogue  à  celle 
qu'avait  prise  potestas,  cf.  Littré,  qui  en  cite  deux  exemples  du  Xlle  siècle. 

^  Prévoyance.  Cf.  Littré,  à  l'historique. 

7  C'est-à-dire  qui  cèdent  de  leur  vivant  ce  qu'ils  possèdent.  On  connaît 
riiistorielte  de  l'homme  qui,  ayant  eu  l'imprudence  de   donner  trop  tôt  ses 


296  LK  CHEMIN  DE  L  OSPITAL 

à  gens  qui  '  y  sojent  bien  tenus  par  raison  et  soient  bien  seurs 
d'eulx. 

[F  3°  b]  Ceulx  qui  ne  vivent   que  de  piller  et   desrober,  et 
de  choses  de  mauvais  acquest,  qui  requiert  mauvaise  fin^. 

Ceulx  qui  despendent  beaucoup  et  g-aignent  peu. 

Ceulx  qui  font  mal  penser  leurs  chevaux  et  leurs  bestes. 

Ceulx  qui  laissent  pourrir  leurs  tapisseries  es  murailles  et 
leurs  linges  en  l'arche. 

Ceulx  qui  sont  pièges  et  cautions  pour  aultruy. 

Compaignons  et  povres  gentilz  hommes  achaptans  et  men- 
geans  choses  friandes  et  chères. 

Ceulx  qui  laissent  les  prez  et  les  jardins  ouvrez  sans  clorre, 
et  sans  garder,  quant  les  fruitz  y  sont. 

Ceux  qui  laissent  plouvoir  sur  leurs  greniers  en  leurs  mai- 
sons et  sur  les  courtines  par  faulte  de  les  couvrir. 

Ceulx  qui  chantent  tousjours  gaudeamus  et  n'ont  point  de 
requiem. 

Ceulx  qui  changent  ung  bon  cheval  à  ung  mauvais. 

[F°  4  a]  Ceulx  qui  vendent  et  engaigent  leur  chevance  sans 
grant  cause. 

Les  taverniers  qui  tiennent  bordeau  et  gens  de  maulvaise 
vie. 

Ceux  qui  font  menger  en  leur  mesnage  le  pain  chault  et 
frians  [sic)  et  qui  bruslentle  bois  verd^ 

Ceulx  qui  laissent  leurgranche  descouverte  quant  les  biens '^ 
sont  dedans. 

Ceulx  qui  ont  eu  de  grans  biens,  et  les  ont  perdus. 

Ceulx  qui  laissent  menger  les  prez  et  les  bledz  pour  paresse 
d'aller  geter  le  bestail  de  dedans  ou  le  faire  garder. 

Ceux  qui  se  laissent  brider  ou  subjuger  a  leurs  prochains  . 

biens,  eut  tant  à  le  regretter,  qu'il    laissa  par  testament  un   coffre   plein  de 
pierres  destinées  à  lapider  le  premier  qui  imiterait  son  exemple. 
1  Sic;  corr.  que?  —  *  Bien  mal  acquis  ne  profite  jamais 

*  Jôuno  fenno,  po  tendre  e  bouei  vert, 
Meten  la  raeijou  6u  désert. 

(Proverbe  périgourdin.) 

*  La  récolte,  les  fruits  de  la  terre.  Littré  n'indique  pas  cette  acception  spé- 
ciale, bien  qu'il  en  cite  un  exemple,  tiré  de  Vaugelas.  En  Limousin,  on  dit 
dans  ce  sens,  be  de  Di  (bien  de  Dieu). 


LE  CHEMIN  DE  L  OSPITAL  297 

Ceux  qui  coupent  leurs  chausses  au  genoil  et  descouppent 
leurs  pourpointz  et  habillemens. 

Ceulx  qui  vont  tard  faire  leur  journée  et  leur  besongne. 

Ceulx  qui  ne  pensent  depuis  qu'il/,  lievent'  au-  lict  sinon  à 
quoj  ilz  pourront  passer  temps  tout  le  jour  et  faire  leur  lai- 
sance  ^. 

[F°  4è]  Ceulx  qui  laissent  leurs  caves,  garuicrs*  et  char- 
niers ouvers. 

Ceulx  qui  vendent  leur  chevance  pour  estre  marchans. 

Ceulx  qui  font  leur  dommaige  pour  faire  plaisir  a  autruy. 

Ceulx  qui  par  faulte  de  réparation  qu'ilz  feroient  bien  lais- 
sent cheoirune  maison. 

Gens  qui  laissent  perdre  leur  bondroict  et  procès  parfaulte 
de  poursuivre. 

Ceux  qui  n'ont  nullement  paour  ne  crainte  de  justice. 

Ceux  qui  laissent  perdre  cent  escutz  pour  paour  d'en  des- 
pendre dix. 

Ceulx  qui  aiment  mieulx  faire  ouir  par  aultruj  les  comp- 
tes de  la  despence  de  leur  maison  quel'ouir  eulxmesmes. 

Ceulx  qui  baillent  leurs  biens  à  garder  a  autruj  sans 
compte. 

Ceulx  qui  ayment  mieulx  leur  avse  et  plaisir  que  leur  prouf- 
fit  et  honneur. 

Les  gens  qui  font  de  trop  de  mestiers, 

[F°  5  a]  Ceulx  qui  veullent  user  de  leur  voulante  plus  que 
de  raison. 

Ceux  qui  dient  qu'ilz  sont  sages  sont  folz. 

Ceulx  qui  refusent  et  fuient  avoir  une  bonne  charge,  et  com- 
mission pour  espargner  leur  paine. 

Ceulx  qui  prestent  leurs  bous  chevaulx  et  liabillemens  aceulx 
qui  sont  ingratz  et  de  niaulvaise  conscience. 

Ceulx  qui  sont  si  grans  b.ibij'.3urs,  menteurs  et  flateurs  en 
la  fin  ne  sontgueres  prisez  et  si  font  mal  leurs  besongnes. 

1  Lever,  comme  laver,  et  beaucoup  d'autres  verbes,  pouvait  s'employer  au 
sens  réfléchi,  sans  être  accompagné  du  prouora. 

2  Corr.  du? 

3  Pour  loisance,  synon.  de  loi!<ir.  —  ^  Pour  graniers  (=  greniers),  par 
métathèse. 


^98  LE  CHEMIN  DE  L  OSPITAL 

Ceulx  qui  ne  sont  bien  advisez  et  saiges,  qui  font  les  choses 
legierement  sans  penser  a  quelle  fin  doybvent  venir. 

Les  gens  qui  sont  si  glorieulx  et  qui  cuident  beaucoup  va- 
loir et  leur  semble  que  jamais  bien  ne  leur  faudra. 

Ceulx  qui  n'ont  pas  grant  rente  ne  revenues*,  lesquelz  le 
seigneur  menge  a  un  lieu  et  la  dame  en  l'autre,  et  font  troys 
ou  quatre  disners  l'ung  après  l'autre. 

[F°  5  b]  Gens  ingratz  envers  Dieu  et  qui  ne  le  servent  point 
mais  vivent  et  mainent  mauvaise  vie  qui  tend  a  mauvaise 
fin. 

Ceulx  qui  ont  des  biens  ou  chevance  en  plusieurs  lieux  et 
ne  les  visitent  point. 

Ceux  qui  attendent  d'avoirla  succession  de  aulcuns  de  leurs 
parens  laquelle  ala(sîe)  d'aventure  ilz  n'auront  jamais. 

Les  gens  qui  exercent  bien  leuimestier  et  voyant  qu'il  {sic) 
n'en  peuent  vivre  ilz  en  doivent  prendre  ung  ou  autrement, 
etc. 

Ceulx  qui  par  négligence  laissent  pourrir  le  foin  du  pré. 

Maistres  qui  se  fient  et  attendent  du  tout  de  leurs  beso- 
gnes a  leurs  serviteurs  sans  soy  enquérir  s'ilz  les  servent  bien 
ou  mal. 

Ceulx  qui  sont  tuteurs  ou  curateurs  d'enfans  povres. 

Ceulx  qui  vendent  leurs  biens  pour  prester  l'argent  à  aul- 
truy. 

Gens  qui  prennent  question  -  pour  enfans  ou  pour  commung. 

[F°  6  a]  Povres  gens  qui  veullent  estre  bien  aises  et  ne 
veuUent  rien  faire. 

Trésoriers  recepveurs  et  despenciers  qui  demeurent  long 
temps  sans  rendre  leurs  comptes  et  qui  donnent  l'argent  sans 
en  avoir  bon  acquit. 

Ceulx  qui  se  font  varletz   ce  de  qu'ilz''  sont  maistres. 


*  Nous  n'avons  plus  que  la  forme  masculine  de  ce  substantif,  au  sens  qu'il 
a  ici.  Mais  la  forme  féminine  est  celle  que  le  moyen  âge  employait  de  préfé. 
reuce.  Yoy.  Littre,  Revenu,  2,  à  Thistorique. 

-  Ce  mot  paraît  signifier  ici,  si  ce  n'est  pas  une  faute  d'impression,  pour 
gestion,  charge  des  affaires  d'autrui.  Cf.  Litlré,  son?,  questeur ,  à  l'histori- 
que. 

'  Sic.  Corr.  de  ceux  qu'ilz  (pour  dont  ilz)  ? 


LE  CHEMIN  DE  L  OSPITÀL  299 

Ceulx  qui  reçoivent  l'argent  cFaultruj  et  le  mettent  en  leurs 
affaires. 

Ceulx  qui  se  vantent  de  faire  beaucoup  et  ne  font  rien  qui 
vaille. 

Enfans  se  fient  aux  biens  de  leur  père  qui  est  riche. 

Ceulx  qui  se  meslent  d'aultruj"  mestier. 

Ceulx  qui  a  faulte  de  couraige  et  diligence  {sic)  laissent  a 
pourchasser  et  amasser  des  biens. 

Ceulx  qui  reprennent  les  aultres  et  font  pis  que  eux. 

Ceulx  qui  nourrissent  mal  leurs  serviteurs  et  veuUeut  qu'ilz 
besongnent  bien. 

[F°  6  b]  Les  gens  que  quant  ilz  sont  bien  ajses  et  font  leur 
prouffit  qui  ne  se  y  peuent  tenir,  mais  veulent  changer,  et 
fout  leur  dommaige. 

Mary  et  femme  qui  se  accordent  mal. 

Deux  maistres  en  une  maison  differens  et  contraires  d'oppi- 
nion^. 

Ceulx  qui  se  fient  tousjours  trouver  leur  vie. 

Jeunes  gens  et  d'autres  quant  leurs  pareiis  leurs  {sic)  repro- 
chent faultes  et  vices,  ils  sont  mal  contens  et  font  pis  que  de- 
vant et  ne  se  veulent  corriger  et  fuient  ceulx  qui  leur  conseil- 
lent leur  proufiît. 

Ceulx  qui  laissent  leur  tapisserie,  couvertes,  linceulx,habil- 
lemens,  qui  sontung  peu  rompus,  perdre  et  qui  laissent  épan- 
cher la  plume  de  leur  litz,  par  faulte  de  radouber  la  coeste. 

Ceulx  qui  sur  espérance  de  gens  d'église  mainent  grant 
despence. 

[F"  7  a]  Ceulx  qui  sont  chiches  d'une  maille  et  larges  d'ung 
escu^. 

Gens  qui  sont  opiniasu-es,  qui  ont  ung  procès,  en  trouvent 
bon  apointement  et  ne  lo  voul'ent  prendre,  qui  perdent  tout 
bien  souvent. 

Ceulx  qui  ne  sçaveni  coiduno  une  bonne  fortune  quant 
elle  leur  vient  ne  mettre  a  exécution,  car  elle  ne  vient  pas 
tousjours. 

1  Toute  maison  divisée  périra. 

-  Nous  avons  en  Gascogne  ce  diclon  pittoresque:  Amayne  bren,  escampe 

hai'ie;  Il  amasse  le  son  et  répand  la  farine. |Ea  Auvergne:  Omasso  bren,  es- 

uinpo  furino;  ou  encore:  Escompo  lou  froiime7i  per  garda  lo  bentelo  (la 

balle). 


300  LE  CHEMIN  DE  L  OSPITAL 

Ceulx  qui  laissent  ung  bon  mestier  pour  ung  mauvais. 

Gens  qui  se  attendent  de  faire  leurs  besongnes  de  demain 
a  demain  et  ne  peuvent  trouver  l'heure.  Et  tandis  le  temps 
s'en  va. 

Gens  qui  ont  grant  eur  et  grant  auctoritté  qui  pensent  que 
ceste  fortune  dure  tousjours. 

Ceulx  qui  congnoissent  que  leurs  besongnes  se  font  mal  et 
n'y  remédient  de  bonne  heure. 

Gens  qui  font  grandes  despences  et  mises  pour  espérance 
d'avoir  de  grans  biens  d'ung  procès  qu'ilz  ont  en  justice,  car 
[F°  7  è]  a  l'adventure  ilz  perdront  le  principal  et  payeront 
les  despens. 

Ceulx  qui  pour  espargnerung  peu  de  paine  et  d'argent  tom- 
bent en  inconveniens  et  plus  grant  mise  et  travail  beaucoup 
de  foys. 

Gens  qui  assencent  '  leur  chevance  a  bon  marché,  et  maul- 
vais  payeurs  qui  en  prennent  en  payement  maulvais  chevaulx 
et  pierreries  ^  draps  plus  chers  que  ilz  ne  vallent. 

Maistres  de  qui  les  serviteurs  donnent  dn  meillieur  vin  a 
grans  potz  et  la  chair  et  aultres  biens  a  leurs  paillardes,  ou 
ailleurs. 

Ceulx  qui  laissent  le  pavé  de  leurs  chambres  et  les  foyers 
et  cheminées  aussy  les  verrières  sans  radouber.  Car  tous  les 
jours  le  dommaige  y  croist  et  est  signe  de  gens  très  paresseux. 

Et  finablement  Rogier  Bontemps  qui  ne  pense  a  tomber  es 
inconveniens  et  nécessités  du  temps  advenir  sont  les  enfans 
aisnés  et  principaulx  héritiers  de  l'hospital,  [F°  8  a]  ensemble 
tous  les  dessus  nommez,  qui  pour  raison  et  ^  leurs  merittes  et 
manière  de  vivre  et  de  faire  n'y  deivent  ne  n'y  peuvent  faillir 

Tous  ceulx  qui  feront  le  contraire  de  ce  qui  est  dessus 
nommé  ne  auront  jamais  ne  part  ne  quart  ne  héritage  audit 
hospital,  mais  en  seront  exceptez  et  quittes  et  aussi  de  l'ordre 
de  belistrerie  et  mal  gouverne*. 

FINIS. 

*  Qui  donnent  à  cens  ou  à  rente. —  '  Suppléez  ou?  —  ^  Sic;  corr.  de. 

'  Corr.  )nale  ou  gouvert,  qui  était  la  forme  masculine,  alors  usitée,  de  ce 
substantif.  Mal  Gouvert  fut  souveut  persoûoilié,  à  celte  époque,  dans  les 
ouvrages  satiriques. 


APPENDICE 


Toiirnon  ' 

Et  premièrement  dient  que  ledit  Tornon  est  une  bastille  roialle  et 
l'une  de  ceulx  que  le  conte  Raymond  de  Tholose  fist  bastir  en  Age- 
nois  et  en  signe  de  ce  les  armes  de  la  ville  et  leur  seau  sont  celles 
dudit  conte  Raymond  en  signiffiance    de  ce  que  dit  est. 

Item  que  c'est  l'une  des  places  fortes,  ville  et  chasteau  que  soit 
en  Guienne  et  de  toute  ancienneté  du  dommaine  du  roy  et  duché  de 
Guienne,  et  de  ce  est  voix  et  femme  {sic)  ^  publicque  audit  Tornon, 
au  pays  d'Agenois  et  ailleurs. 

Item  est  vray  que  les  roys  de  France  ont  donnés  de  beaux  privi- 
leiges  à  ceulx  dudit  Tornon  comme  estant  de  leur  dommaine  et  entre 
autres  y  a  privileige  qu'ils  ne  puissent  jamais  estre  aliénez  hors  de  la 
couronne  de  France  et  dommayne  de  Guienne. 

Item  plusieurs  ont  veu  les  originaulx  desdits  privileiges  de  Tornon 
contenant  ce  que  dit  est. 

Item  est  vray  que  le    roy  Charles  septiesme  en  fut  toutjours    pos- 


*  Je  rappelle  que  les  documents  que  l'oa  va  lire  sont  extraits  de  l'enquête 
faite  par  ordre  du  Conseil  du  roi,  à  la  requête  de  Robert  de  Balsac,  dossier 
qui  appartient  aux  archives  de  M.  F.  Moulenq. 

2  De  fama,  renommée.  Reproduisons  une  note  marginale  de  la  partie  ad- 
verse (écriture  dn  temps):  «  Tornon  est  du  domayne  du  comte  d'Arraaignac 
tenu  ei;  possédé  comme  [mot  iUisibli-]  par  l'espace  de  tant  de  temps  que  n'est 
mémoire  du  conlrere  continue  et  pacifiée  excepté  le  temps  que  les  terres 
d'Armaignac  ont  esté  mises  eu  la  main  du  roy.  Aussi  ne  ont  ordoné  à  plu- 
sieurs autres  places  et  villes  du  comté  dArmaignac  comme  à  ceulx  de  Lec- 
tore,  d'Aux,  Bagalone,  Rodez  et  autres  et  sic  non  prohat  hoc  esse.  Le  loy 
Charles  en  feul  détenteur  es  temps  de  toutes  les  autres  terres  d'Armaignac  et 
non  plus.  Pour  ce  que  le  roy  Loys  mist  toutes  les  terres  d'Armaign„c  en  ses 
mains  fist  donation  à  Monseigf  de  Guienne  de  toutes  les  terres  d'Armaignac 
en  Guienne,  mes  après  Monseig'  de  Guienne  retourna  toutes  les  terres  qu'il 
tenet  d'Armaignac  à  Monseigr  d'Armaignac  et  aussi  Tornon  lequel  tenet  ledit 
Balsac  qui  par  commandement  de  mondit  seigneur  de  Guienne  le  bailla  et 
restitua  à  mondit  segr  d'Armaignac  qui  la  tint  jusqu'à  ce  qu'il  fust  assiégé  â 
Lecture  et  ainsi  appert  que  Tornon  n'estet  ne  fut  onques  du  domayce  du 
roy  et  pour  ce  assez  respondeu  aux  trois  articles  sequens.  « 


302  LE  CHEMIN  DE  L  OSPITAL 

sesseur  et  donna  la  cappitauerie  dudit  chasteau  à  Johachim  Roault 
lequel  y  avoit  comis  un  Valentin  La  Rocques  qui  la  tint  jusques  au 
trespas  dudit  feu  roy  Charles. 

Item  et  despuis  feu  Monss''  de  Guienne,  frère  du  feu  roy  Loys,  a 
possédé  ledit  lieu  de  Tornon  et  ledit  de  Balsac,  comme  cappitaine, 
l'a  tenu  pour  ledit  duc  de  Guyenne  qui  à  ce  l'avoit  comis  et  aussi  pour 
ledit  feu  roy  Loys  qui,  après  la  mort  dudit  feu  de  Guienne,  en  donna 
la  cappitainerie  audit  de  Balsac. 

Item  est  vray  que  après  la  mort  dudit  feu  roy  Loys  pour  ce  que 
ledit  do  Balsac  tenoit  ladite  place  afin  que  ne  fut  doubte  qu'elle  ap- 
partenoit  au  roy  nostre  dit  seigneur,  les  comis  i)ar  les  trésoriers  de 
France  reduirent  au  domayue  dudit  seigneur  ladite  place  avecques 
tout  son  revenu. 

Item  et  lesdits  commissaires  du  domaine  feirent  faire  serement  de 
nouveau  aux  consuls  et  habitans  de  ladite  ville  terre  et  seigneurie  en 
plaine  rue  d'estre  bons  et  loyauls  au  roy  comme  ses  vrays  subgectz 
sans  moyen  et  de  ne  laisser  entrer  homme  dans  leur  ville  qu'il  ne 
fut  du  vouloir  et  consentement  dudit  seigneur  en  Agenois  que  com- 
missaires sur  ceste  matière  avoient  estes. 

Item  et  semblable  serement  firent  faire  lesdits  commissaires  à  Je- 
han Daillac  dit  lo  Moro  et  à  Jehan  de  Madame  comis  à  garder  ledit 
chasleau  pour  ledit  de  Balsac,  cappitaine. 

Item  non  obstant  ledit  serement  sans  congié  du  l'oyou  de  leur  cap- 
pitaine ou  autres  officiers  royaulx  les  aucuns  desdits  habitans  ont  mis 
au  moys  de  may  derenierement  passé  environ  le  huytiesme  jour  de- 
dans ladite  ville  ledit  messire  Charles  d'Armaignac,  luy  allant  au 
devant,  cryant  vive  Armaignac  et  le  recepceurent  en  prossession  gé- 
nérale comme  seigneur  contre  le  serement  qu'ils  avoient  fait  au  roy 
nostre  dit  seigneur. 

Item  lesdits  habitans  incontinent  firent  ledit  serement  audit  sei- 
gneur d'Armaignac  de  luy  estre  bons  et  loyaulx  contre  tous  sans  con- 
gié ou  licence  du  roy  nostre  sire  ou  de  leur  cappitaine  ou  ses  officiers. 
Item  après  ce  que  ledit  d'Armaignac  fut  dedans  ladite  ville  avec 
bien  sept  ou  huyt  cens  hommes  en  habillement  de  guerre,  il  fist 
mettre  le  siège  aud[it]  chasteau  tout  à  l'antour. 

Item  ledit  d'Armaignac  luy  mesmes  en  personne  sans  aucun  com- 
missaire menaça  ceulx  qui  estoient  dedans  le  chasteau  de  lad[ite] 
phice  de  Tornon  de  les  pandre  par  la  gorge  s'ils  ne  se  randoient  et 
qu'il  les  auroit  par  assault  et  ainsi  demoura  devant  ledit  chasteau 
neuf  jours. 

Item  et  ledit  d'Armaignac  coutrainguit  plusieurs  des  habitans  et 
consuls  do  lad[ite]  ville  de  aller  demander  lo  chasteau  pour  luy  à 
ceulx  qui  lo  tcuoicnt  pour  le  roy,  nostre  sire. 


LE  CHEMIN  DE  l'oSPITAL  303 

II 

Clermont-Dessus,  Dunes,  Malauze  et  Tournon 

Et  venant  à  son  cas  disoit  icelluy  Lauret  qu'il  y  a  trois  pla- 
ces assises  en  Agenois,  c'est  assavoir  Dunes,  Clermont-Sobiran  el 
Tournon,  et  en  Quercyune  autre  place  nommée  Malause,  desquelles 
led[it]de  Balsac  estoit  en  possession  et  saisine  et  d'icelles  en  estoit 
saisy  et  vray  possesseur  en  temps  que  led[it]  d'Armaignac  l'en  a  des- 
pouillé,  dessaisy  et  gecté  hors  par  force,  violance  et  main  forte  de 
gens  de  guerre,  voyre  en  hostillité,  car  les  susd[ites]  places  sont 
fortes.  Et  pour  remonstrer  les  tiltres  et  moyens  comme  icelluy  de 
Balsac  impétrant  les  tenoit  et  possedoit,  disoit  led[it]  Lauret. 

Premièrement  touchant  ledit  lieu  de  Dunes,  dit  que  led[it]  lieu  de 
Dunes  est  nuement  dud[it]  de  Balsac  parles  moyens  ensuyvans.  Car 
estoit  le  temps  passé  m  hiimanis  dame  Margarite  de  Terride,  dame 
dud[it]  chasteau  et  lieu  de  Dunes,  laquelle  quand  fut  au  dernier  de 
ses  jours  fist  testament  auquel  institua  son  héritier  Amanieu  de  Lé- 
vis  auquel  substitua  Philippe  de  Lévis  et  ordonnaque  led[it]  Amanieu 
son  héritier  mouroit  sans  masle  de  son  loyal  mariatge,  icelluy  Phi- 
lippe fust,  à  la  mort  dud[it]  Amanieu,  son  héritier,  et  légua  à  da- 
moiselle  Margarite  de  Manas  led[it]  chasteau  de  Dunes  et  tout  le 
droit  qu'elle  avoit  en  icelluy  lieu.  Et  en  cette  voulante  lad[ite]  Mar- 
garite de  Terride,  testatrice,  alla  de  vie  à  trespas,  après  la  mort  de 
laquelle  lad[ite]  damoiselle  Margarite  de  Manas  print  son  legs  et 
s,ii\\Q\ii2i possessionem  dicii  loci  de  Dunes,  et  led^it]  Amanieu,  heretier, 
print  possession  reaile  et  corporalle  de  tous  et  chacuns  les  biens  et 
heretaiges  de  lad[ite]  dame  Margarite  de  Terride,  lesquels  il  a  tenu 
et  possédé  quamdiu  vixit,  et  puis  après  est  allé  de  vie  à  trespas,  et 
jwst  euvi  ledit  Philippe,  substitué  aussi,  est  allé  de  vie  à  trespas  sii- 
peroivente  eadem  domicella  Margarita  de  Manas,  legataria  sellon 
qu'on  dit,  laquelle  in  vim  legati  sibi  facti  a  tenu  et  ^osseàé lyaciffice 
led[it]  lieu  de  Dunes  tantdud[it]  Amanieu  et  Philipes,  de  leurs  here- 
tiers  et  substitués  que  depuis  en  ça  spacio  quinquaginta  annorum  et 
plus  pacifficc  et  quiète,  et  comme  dame  et  possesseresse  dud[it]  lieu 
de  Dunes  tant  qu'elle  vesquit  par  tous   notoirement   et   pour  ce  fust 

1  Note  marginale  de  l'adversaire  :  «  Parce  que  dit  est  par  le  procès  du 
Baillif  de  Mascon  et  mémoires  autr(  s  fêtes  au  parlement,  intendits  de  Cler- 
mont  et  Dunes,  peut  hors  prendre  response  aux  articles  sequens  par  laquelle 
apparestra  que  ne  contiennent  vérité.  » 


304  LE  CHEMIN  DE  L  OSPITAL 

repputée.  Et  puis  après  lad[ite]  damoiselle  Margarite  de  Manas  est 
allée  de  vie  à  trespas  relicto  sibi  et  siiperstite  ejus  filio  unico  natu- 
rale  et  légitima  Johanne  Grymoard  acherede  universale,  lequel,  ea 
defftmcta,  s'est  tenu  et  porté  pour  son  heretier,  et  a  tenu  après  la 
mort  de  sad[ite]  mère  led[itj  lieu  de  Dunes  et  possédé  par  aucun 
temps  et  en  a  fait  et  disposé. 

Item  tousjours  estoit  respondu  par  ceulx  dud[it]  chasteau  qu'ils 
le  tenoient  pour  le  Roy  nostre  seigneur  corne  de  son  vray  dommaine, 
et  que  ledit  impétrant  pour  ledit  seigneur  comme  son  cappitaine  se 
tenoit  et  qu'ils  avoient  fait  serement  audit  seigneur  ou  à  ses  officiers 
ne  le  randre  que  à  luy  et  que  sans  leur  congié  ils  ne  l'oseroient  bailler 
car  autrement  ils  seroient  traictres  et  parjures,  demandent  ung  petit 
delay  pour  le  faire  assavoir  audit  cappitaine  ou  atout  le  moins, aux 
officiers  du  Roy  qui  estoient  Agen  et  que  jamais  ne  leur  fut  accordé 
par  ledit  d'Armaignac  ny  ses  gens,  mais  tousjours  contiuuoient  en 
leurs  menaces  de  leur  donner  l'assault. 

Item  adoncques  ledit  Messg""  Charles  fist  grant  preparatives  d'as- 
sault  come  charrettes,  faguoz,  engins  à  forces  de  fustiers,  lier  char- 
rettes et  poi'fes  et et  l'artillerie  et  d'autres  grans  instrumens  de 

guerre. 

Item  et  jour  et  nuict  ledit  M  esEg""  Charles  tenoit  ceulx  qui  estoient 
dedans  led[it]  chasteau  assigiez  et  environnez  que  pouvoient  avoir 
aucun  secours  ne  vivres . 

Item  pourquoy  ceulx  dud[it]  chasteau  fui'ent  contraints  bailler  la- 
d[ite]  place  audit  d'Armaignac  par  force,  lequel  fist  prandre,  piller 
tout  ce  qui  estoit  dedans  led[it]  chasteau  aud[it]  de  Balsac  apparte- 
nant vaillant  jusques  à  quatre  cens  livres  et  plus. 

Item  ledit  d'Armaignac  bailla  son  obligé  de  randre  lad[ite]  place 
de  Tournon  à  ceulx  à  qui  la  luy  bailleroient  au  cas  qu'il  ne  le  pleust 
au  roy  qu'il  l'a  eusse  promise. 

Item  ledit  d'Armaignac  a  fait  prandre  à  ses  gens  plusieurs  biens 
appartenans  audfitj  de  Balsac  qui  estoient  à  l'ostel  de  Pelledent,  con- 
sul dud[it]  Tournon,  qui  les  gardoit  pour  led[it]  impétrant  vaillans  la 
somme  de  cent  livres  tournois. 

Item  ledit  d'Armaignac  vesquit  luy  et  toute  sa  armée  durant  ledit 
temps  aux  despens  de  lad[ite]  ville  et  de  la  terre. 

Item  par  quoy  ceulx  de  lad[itej  terre  ont  esté  contraints  mectre  une 
grande  somme  de  deniers  sur  eulx  sans  congié  des  officiers  du  roy 
pour  paier  le  despens  dud[it]  d'Armaignac  et  de  ses  gens. 

Item  et  despuis  ceulx  qui  ont  esté  aud[it]  chasteau  pour  led[it] 
d'Armaignac  ont  tousjours  vesqu  et  vivent  encores  aux  despens  de 
lad[ite]  ville  et  terre  sans  riens  paier,  pillent  et  roubbont  et  font  des 
mauls  auxdLits]habitans  de  lad[ite]  ville,  terre  et  juridiction. 


LE  CHEMIN  DE  l'oSPITAL  305 

Item  et  est  bien  à  noter  que  ledit  de  Balsac  a  esté  cappitaine  du- 
d[it]  lieu  pour  le  roy  nostre  seigneur,  il  leur  a  tenu  tousjours  bonne 
justice,  n'a  rien  prins  d'eulx  sans  paier  ne  luy  ne  ses  gens,  les  a  gar- 
dez de  foulle  et  d'oppression  de  toute  sa  puissance  et  souvent  amo- 
nestez  les  susd[its]  habitans  d'estre  bons  et  loyaulx  au  Roy  en  leur 
remonstrant  le  grant  bien  qu'ils  avoient  d"estre  du  domraaine  et  les 
advertissoit  des  maulx  qu'ils  avoient  autresfois  eu  pour  ceste  cause. 

Item  ce  que  dit  est  est  vray,  notoire  et  manifeste. 

A  sa  volonté  plainement  et  paisiblement  comme  ung  chacun  sei- 
gneur peut  et  doit  faire  de  sa  chouse  propre  sans  ce  que  jamais  le 
conte  d'Armaignac  ne  autres  de  lad[ite]  maison  d'Armaignac  y  aient 
rien  demandé.  Et  après  aucun  temps  led[it]  Grimoard,_/i/à<A'  et  hères 
de  sa  dite  mère  damoiselle  Margarite  de  Manas  eust  mcstier  d'argent 
et  se  retira  vers  ledfit]  de  Balzac  impétrant  auquel  il  vendit  led[it] 
lieu  et  place  de  Dunes  avec  tout  et  chacuns  les  droiz  qu'il  y  pouvoit 
avoir  et  lui  en  appartenoient  pour  certain  pris  contenu  en  l'instrument 
sur  ce  fait  et  passé.  Par  le  moyen  de  laquelle  vendition  led[it]  de 
Balsac  a  tenu  et  possède  paciffice  et  qiiiete  et  sans  nulle  contradic- 
tion icelluy  lieu  de  Dunes  par  l'espace  de  neuf  ans  ou  environ  et  en  a 
prins  et  receu  tous  les  prouffiz^  revenus,  rantes,  droiz  et  esmolumens 
sans  que  jamais  led[it]  d'Armaignac  ne  autres  de  lad[ite]  maison  d'Ar- 
maignac y  aie  riens  demandé.  Et  pour  ce  que  ma  damme  de  Crussol, 
qui  estoit  fille  dadit  Philippe  de  Lévis,  heretier  substitué,  disoit  que  la- 
d[ite]  place  de  Dunes  luy  appartenoit  meust  débat  plaitet  procès  à  cause 
de  lad[ite]  place  de  Dunes  aud[it]  de  Balzac  en  la  court  de  parlement  à 
Paris  et  pourfouyr  à  débat  et  question  ledit  de  Balsac  s'accorda  avec 
ques  lad[ite]  ma  damme  de  Crussol  moyennant  la  somme  de  quatorze 
cens  livres  tournoises...Lad[ite]  damede  Crussol  quicta,  céda  et  trans- 
porta audrit]  de  Balsac  impétrant  tous  et  chacuns  les  droiz  que  lui 
pouvoient  appartenir  en  lad[ite]  place,  de  quoyfut  passé  instrument, 
lequel  accord  fut  autorisé  par  arrest  de  lad[ite]  court  de  parlement... 
Et  j)ar  ses  tiltres  et  moyens  icelluy  de  Balsac  a  tenu  possède  led[it] 
lieu  de  Dunes  corne  dit  est.... et  l'a  tenu  jusques  au  vingtième  jour 
du  moy  de  may  derrenier  passé,  auquel  moys  et  led[it]  jour  vint  au- 
d[it]  lieu  de  Dunes  Jehan  de  Montesquieu,  escuyer,  seigneur  de  Mon- 
tesquieu, envoyé  par  led[it]  d'Armaignac  et  lequel  se  disoit  estre 
son  procureur  gênerai  avec  un  nommé  Labartete,  accpmpaignez  de 
grand  nombre  de  gens  armez  lesquels  sans  commission  nulle  parvoye 
de  guerre  et  fource,  et  parce  que  la  ville  ou  lieu  de  Dunes  n'est  point 
forte,  entrèrent  dedans  icelle  et  aucuns  habitans  dudfit]  lieu  firent 
faire  serement  d'estre  bons  et  loiaulx  aud[it]  d'Armaignac  et  les  au- 
tres s'enfouyrent  es  villes  d'Agen  et  autres  villes  prouchaines.  Et 
quand  eurent  gaignée  lad[ite]  ville  de  Dunes    ceulx  dud[it)  d'Armai; 

20 


306  LE  CHEMIN  DE   L  OSPITAL 

gnac  et  Montesquieu  misrent  eschelles,  approuches  et  autres  habille- 
raens  poui- assaillir  led[it]  chasteau de  Dîmes  au  centre  d'icelluy  chas- 
teau  et  y  baillèrent  quatre  assauts.  Et  y  alla  ung  nommé  maistre  Jehan 
Molinier  ditFoizon,  procureur  dud[it]  de  Balsac  pour  veoir  qu'ils  fai- 
soient  et  scavoirpour  quelle  auctorité  ils  faisoient  cella.  Lesquels  de 
Montesquieu,  Labartète  et  ses  gens  l'estachèrent  ou  firent  estacher  à 
une  charrette  et  le  misrent  au  devant  d'eiilx  et  en  faisoient  pavoiz 
et  le  maltraictoient  tellement  que  ceulx  qui  estoient  dedans  pour  le- 
d[it]  de  Balsac  furent  contraincts  d'eux  randre  et  bailler  lad[ite]  place, 
aians  pitié  dudit  Foizon,  procureur,  leur  compaignon  et  de  fait  le  ren- 
dirent et  lesd[its]  de  Montesquieu,  Labartète  et  leurs  gens  se  misrent 
dedans  et  prindrent  des  biens,  estans  dedans  lad[ite]  place  apparte- 
nant aud[it]  de  Balsac  jusques  à  la  somme  de  cent  escus  et  plus.  Quoi 
voyant  led[it]  de  Balsac  s'estoit  transporté  devers  le  Roy  nostre  sou- 
verain seigneur  et  messeigneurs  de  son  sang  et  de  son  grant  conseil 
ausquels  il  a  donné  son  cas  à  entendre  et  entendu  et  ouye  la  com- 
plainte dud[it]  de  Balsac  luy  ont  baillé  et  octroyé  lettres  contenant  la 
comission  de  nous  comissaires  dessus  dits  par  lesquelles  est  mandé 
que  s'il  nous  appert  que  led[it]  chasteau  et  lieu  de  Dunes  appar- 
tiengue  audit  de  Balsac  et  qu'il  en  fut  possesseur,  corne  dit  est  du 
moins  tempore  dictarum  caplionis,  spoliationis  et  intrusionis  facla- 
rum  par  lesdits  de  Montesquieu  et  Labartète  et  leurs  gens  au  nom 
dudit  Moss»"  Charles  d'Armaignac  ou  de  tant  que  souffire  doye  que 
led[it]d'Armaignac  et  aussi  led[it]  Montesquieu  et  tous  autres  soient 
contraints  de  laisser  lad[ite]  place  de  Dunes  et  icelle  randre  et  res- 
tituer aud[it]  de  Balsac  impétrant  una  cum  bonis  per  eos  captis  et 
laissent  joyr  et  user  led[it]  impétrant  des  possessions  et  saisines 
d'icelluy,  lieu  et  place  de  Dunes  esquelles  il  estoit  paravant  lesdites 
prinse,  intrusion  et  violence  au  temps  d'icelles.  Et  ce  par  prinse  de 
corps  et  de  biens  et  autres  voyes  deues  et  raisonnables  et  aussi  par 
main  armée  si  mestier  est  en  façon  que  honneur  en  demeure  au  Roy 
et  qu'il  soit  obey,  disant  ledfit]  Lauret  qu'il  avoit  fait  adjourner  le- 
d[it]  d'Armaignac  en  personne  de  son  procureur  nommé  es  exploits 
pour  veoir  mectre  à  deue  exécution  lesd[ites]  lettres  de  nostre  comis- 
sion  

Lauret  touchant  le  lieu  de  Clermont-Soubiran  dit  que  led[it]    lieu 
de  Clcrmont  est  forte  place  assise  sur  une  montagne  sur  la  rivière  de 

Garonne  ou  de   pays  d'Agenois laquelle  place  y  avoit  plusieurs 

forteresses  et  maisons  fortes,  in  quatuor  qum'um  quilibet  condomi- 
norum  habitabat ,  come  ceulx  de  Lustrac,  de  Beaujamont,  Roque- 
corn  et  Boyssières,  lesquels  en  estoient  coseigneurs.  Et  pour  ce  que 
estoit  belle  chouse  et  est  en  beau  et  grant  passaige  les  Anglois  affec- 
toientmoult  de  l'avoir  et  de  fait  l'eurent;  et  en  la  tenant  et  occupant 


LE  CHEMIN  OE  l'oSPITAL  307 

firent  maints  maulx  aux  subgects  du  Roj-  et  fut  des  dcrreniercs  re- 
duictes  à  l'obéissance  de  la  couronne  de  France  ;  et  icelle  retournée  à 
l'obéissance  du  Roj,  on  dit  que  le  feu  conte  d'Armaignac  s'en  saisist 
jaçoit  ce  qu'il  n'y  eust  aucun  droit,  mais  ne  la  tint  gueres  car  tantost 
après  par  la  forfaicture  dud[it]  d'Armaignac  contre  le  Roy  coraise  le 
feu  Roy  Louis  derrenierement  trespassé  prist  et  mist  à  sa  main  toutes 
les  terres,  places  et  seigneuries  dud[it]  d'Armaignac  et  mesmement 
lad[ite]  place  de  Clermont.  Et  despuis  par  arrest  à  Paris  ses  bien  fu- 
rent confisqués  au  Roy  qui  donna  toutes  les  places  qu'il  avoit  en  la 
duchié  de  Guienne  à  feu  Monssgf  de  Guienne  et  iccUuy  duc  donna 
audrit]  impétrant  led[it]  lieu  de  Clermont  assis  en  lad[ite]  duchié  et 
l'en  mist  enpossession;  2'^(em  locian  cum  suis  jurihus  imcifficediclus 
impetrans  qui  tanlimi  quantum  dictus  dux  vixit,  lenuit  ac  possedit 
eteodeffunctole  feu  royLoys  nonimmemor  serviciorum  sibi etcorone 
Franche  par  ledit  de  Balsac  faiz  confirma  led[it]  don  de  lad[ite]  place 
aud[it]  de  Balsac,  seneschal  d'A génois,  impétrant,  lequel  de  Balsac 
aussi  despuis  ad  juris  sui  corroborationem  à  beaux  deniers  comp- 
tans  a  acquis  lesdroizque  lesd[its]coseigneurs  dessus  nommés  avoient 
et  leur  pouvoient  appartenir  aud[it]  Clermont.  Et  à  ceste  cause  par 
ses  titres  a  esté  led[it]  de  Balsac  vray  seigneur  et  possesseur  dud[it] 
lieu  de  Clermont  et  Fa  tenu  despuis  en  ça  et  possédé  citm  suis  juri- 
hus et  emoliimentis  tant  per  se  quam  suos  officiarios  et  deputatos 
jusques  au  mois  de  may  derrenier  passé  auquel  temps  le  viugtiesme 
jour  d'icellui  vint  audit  lieu  le  Baillif  de  Mascon  soy  disant  avoir  co- 
mission  de  retourner,  bailler  et  délivrer  aud[it]Messire  Charles  d'Ar- 
maignac les  fruiz,  émolumens  et  droiz  des  terres  appartenans  audit 
d'Armaignac,  lequel  baillif,  selon  que  l'on  dit,  bailla  et  retourna  à 
icelluy  d'Armaignac  les  rantes,  prouffiz  et  émolumens  d'icelluy  lieu 
de  Clermont'tant  seullement  et  non  pas  la  place:  duquel  baillif  de 
Mascon,  comissaire,  le  procureur  dud[it]  de  Balsac  est  porté  pour 
appellant  et  a  esté  retenu  à  Paris,  et  siib  colore  de  ceste  restitution 
faicte  des  susd[ites]  rantes  aud[it]  d'Armaignac,  icelluy  d'Armaignac 
en  propre  personne  avecques  trois  ou  quatre  cenz  hommes  armez  et 
embastonnez  est  venu  more  hostili  mectre  le  siège  devant  le  chasteau 
de  Clermont  et  y  tint  led[it]  siège  trois  ou  quatre  jours  et  bailla 
troys  foiz  l'assault  tellement  que  ceulx  de  dedans  qui  estoient  reti- 
rez au  domgeon  furent  contrainctz  d'eulx  randre  et  de  fait  se  randi- 
rent  et  entrarent  en  lad[ite]  place  led[it]  d'Armaignac  et  ses  gens  et 
prindrent  et  ravirent'tous  les  biens  qui  estoient  dedans  appartenans 
aud  [dit]  de  Balsac  vaillans  la  somme  de  quatre  cens  livres  tournoises 
et  plus  et  vesquit  led[dit]  d'Armaignac  et  ses  gens  tant  qu'il  fut  là  et 
aussi  vivent  à  présent  et  ont  despuis  vescu  ceulx  qu'il  a  mis  aud[it] 
lieu  pour  la  garde  d'icelluy  aux  dcspcus  des  bonnes  gens  de  la  terre 


308  LE  CHEMIN  DE  L  OSPITAL 

et  seigneurie  de  Clcrmont  et  par  force  et  voye  de  guerre  et  prins  le- 
d[it]  lieu  et  le  tient  occupé  en  despoullant  led[dit]  de  Balsac.  Pour- 
quoy  a  eu  recours  au  Roy  nostre  seigneur  et  à  son  grand  conseil  du- 
quel a  obtenues  lesd[ites]  lectrescontenans  nostre  d[ite]  comission  par 
lesquelles  nous  est  mandé  quod  constat  de  ce  que  dit  est  dessus  ou  de 
tant  que  souffire  doye  que  soubz  la  main  du  Roy  icelluy  de  Balsac 
soit  reintégré  in  et  de  dicta  platea  restitue  modo  et  forma  qu'il  es- 
toit  du  temps  et  paravant  lad[ite]  violance,  intrusion  et  despuoille. 
Et  requiert  led[it]  Lauret  pour  led[it]  de  Balsac  l'entérinement  des 

d[ites]  lectres  et  conclud  qu'elles  sont  raisonnables et  conclud 

comme  dessus  a  esté  dit  touchant  la  place  de  Dunes. 

Touchant  la  place  de  Malause  dit  que  Malausc  est  une  forte  place 
assise  sur  la  rivière  de  Garonne  et  sur  ung  roc  laquelle  est  moult 
forte  et  appartenoit  le  temps  passé  à  Jehan  de  Durfort  et  à  Ramond 
Bernard  de  Durfort,  lesquelz  firent  leur  heretier  le  seigneur  de  Boy- 
sière  come  prochain  in  gradu  pareniile  qui  aussi  estoit  leur  dona- 
taire. Lequel,  tant  come  heretier  que  come  donataire  d'iceulx  de  Dur- 
fort  après  leur  trespas,  fut  et  a  esté  seigneur  dudit  lieu  de  Malause, 
duquel  ledit  impétrant  a  acquis  tout  le  droit  qu'il  y  avoit.  Et  pour  ce 
que  ung  bastard  de  Malause  et  le  feu  conte  d'Armaignac  prétendoient 
avoir  droit  en  lad[ite]  place  de  Malause,  ledit  bastard  meust  procès 
aud[it]  conte.  Lequel  procès  fut  démené  en  la  court  de  parlement  à 
Tholose  et  par  arrest  de  lad[ite]  court  fut  dit  que  le[dit]  lieu  de  Ma- 
lause seroit  mis  à  la  main  du  Roy,  ce  que  fut  fait,  et  après  s'en  est 
ensuivy  ung  autres  arrest  contre  led[it]  mess''  Charles  d'Armaignac 
contre  lequel  aussi  fut  dit  qu'elle  seroit  mise  en  la  main  du  roy,  ce 
que  fut  fait  reallement  et  de  fait  et  lapsu  temporis  tous  les  biens  du- 
dit conte  d'Armaignac  furent  confisqués  au  roy.  Pourquoy  de  man- 
data re^J5  led[it]  de  Balsac  print  lad[ite]  place  quod  moleste  gerens 
led[it] bastard  conquestus  est  curie parlamenti . .  .pour  laquelle  place 
mectre  en  et  soubs  la  main  du  roy  furent  comis  Mess'''  maistres  An- 
thoine  Boix  et  Jehan  Seguier,  conseillers  du  Roy  en  lad[ito]  court  de 
parlement  lesquels  en  l'un  d'eulx  la  misdrent  en  et  soubs  la  main  du 
Roy  et  de  lad[ite]  court,  lesquels  depuis  l'ont  tenue  soubz  la  main 
dud[it]  seigneur  jusques  audit  moys  de  may  derrenier  passé  auquel 
est  venu  led[it]  d'Armaignac  impctré  accompagné  de  gens  d'armes 
et  de  guerre  comme  a  esté  dit  qui  a  mis  le  siège  et  prinse  lad[ite] 
place  de  Malause  par  force  et  main  armée  ainsi  qu'il  avoit  fait  de 
Clermont  et  Dunes  et  est  entré  dedans  et  la  tient  occupée  violando 
manum  regiani  et  arresta  curie  parlamenti  et  à  ceste  cause  led[it] 
de  Balsac  a  eu  recours,  comme  dit  est,  au  roy  et  au  grand  conseil  et 
a  obtenu  les  lectres  ci  dessus  incorporées  par  lesquelles  nous  est 
mandé  que  s'il  nous  appert  de  ce  que  dit  est  que  nous  ayons  à  faire 


VARIETES  309 

réintégrer  la  main  du  Roy  et  qu'elle  soit  retournée  en  et  soubz  la- 
d[ite]  main  in  manibus  deceulx  qui  estoient  séquestres  et  la  tenoient 
tempore  captionis,  violencie  et  intrusionis  faclorum  per  dictum  de 
Arnianhaco . , . 


VARIETES 


AMBAISSI,   AMBIORSES,  EN  LYONNAIS 

Dans  un  fascicule  intitulé  Vieilles  Choses  et  Vieux  Mots  lyonnais, 
imprimé  à  Lyon  en  1885,  j'ai  cité  le  mot  ambaissi,  dont  l'interpréta- 
tion exacte  n'avait  pas  encore  été  donnée,  et  j'ai  mentionné  les  tex- 
tes suivants: 

«  Item  ambessi  de  înrmlUc  de  v'^fais,  a  l'entra  paiera  ii  gros  (Tarif 
des  droits  d'entrée  de  la  ville  deLyon,  vers  1295')  »; 

«  Item  ambessi  de  furnilli,  de  v'^  fes  lambessi,  paiera  a  l'entra  j 
gros  {Tarif  des    mêmes  droits,  du  A  décembre  1358-]»; 

«  Eeçu  de  Michel  le  pannetier  pour  une  ambaisse  de  furnillie  que 
fut  taillée  au  brotel  devant  Ruanne,  pour  mettre  en  la  peyssicre  du 
portail  viel. . .  (A^-ch.  municip.  BB,  376,  f'  23,  v° .  1381)  )>; 

«  Payé  pour  426  fais  qui  ont  été  employés  à  l'œuvre  de  la  ïorrete 
pour  la  défense  du  Ron,  achetés  de  Floret  au  prix  de  6  gros  Vambaisse 
(Id.  ce,  376,  cote  3.  1380)  »; 

«  Ils  ont  concluz  que  ce  Nisies  Greysieu  vuelt  bailler  5  f .  de  Vam- 
besse  de  la  leigne  du  brotel  de  la  ville  {Procès  verbaux  du  Consulat,  VF 
de  février.  1419).  » 

Il  ressortait  de  ces  testes  que  Vambaissi  était  une  mesure  pour  les 
fagots.  Il  paraissait  y  avoir  eu  plusieurs  sortes  d'a?nirtîsse,'î,  puisqu'on 
désignait  celle  de  laquelle  il  s'agissait;  lapins  conunune  semblait 
avoir  été  de  500  fagots.  J'ajoutais  que  l'orthographe  primitive  était 
certainement  ambaissi,  transformé  en  ambesse  par  homophonie  entre 
ê  et  ai,  et  par  l'influence  d'oïl  qui  a  substitué  la  finale  en  e  muet  à  la 
finale  lyonnaise  i.  M.  Gras  fait  mention  d'un  acte  forézien  de  la  fin 
du  XIIl"  siècle,  où  l'on  retrouve  la  finale  i  :  «  Une  ambaissi  de  fur- 
nilie  de  500  faix  Vambaissi.  » 

1  Cartidaire  mimicipal,  publié  par  M.  M.-C.  Guigne,  p.  420. 
-  Cité  par  M.  Philipon,  lUmiaiiia,  l.  XII,  p.  574. 


310  VARIETES 

N'ayant  jusque-là  rencontré  le  mot  dans  aucun  dialecte,  ne  possé- 
dant aucun  historique,  on  ne  pouvait  présenter  que  des  hypothèses 
pour  l'étymologie.  Introduit  sur  une  fausse  piste  par  l'a  initial  de  tous 
les  textes  lyonnais  et  foréziens,  je  proposai  timidement  le  lat.  am- 
haxia,  commission,  charge.  De  là  ambaissi,  charge  d'une  ou  plusieurs 
voitures,  par  une  dérivation  de  sens  inverse  à  celle  qui  de  charge 
«  onus  ))  (de  cai'ricare)  a  fait  «  vectigal  »,  impôt,  redevance.  J'ai  re- 
produit cette  hypotlièse  dans  le  Dictionnaire  étymologique  du  j^citois 
lyonnais,  mais  non  sans  l'accompagner  de  deux  points  d'interrogation 
successifs,  pour  indiquer  combien  j'étais  peu  convaincu.  Cette  éty- 
mologie  avait  un  mérite,  mais  c'était  le  seul  :  celui  de  ne  pas  être  ra- 
dicalement impossible . 

J'ai  rencontré,  depuis,  le  mot  dans  le  Dictionnaire  de  M.  Mistral, 
qui  est  une  mine  si  riche  et  si  précieuse.  J'y  vois  que  am  à  lïnitiale, 
en  lyonnais,  est  pour  en,  de  m'.  Je  lis  en  effet  qu'une  einhaisso,  em- 
baicho,  signifie  l'emballage,  les  sacs  ou  cordages  qui  servent  d'enve- 
loppes aux  marchandises  que  l'on  pèse,  et  que  lis  embaisso,  las  embais- 
sos  ou  embiassos (répondant  au  lyonnais  ambiorses),  sont  une  espèce  de 
châssis  que  l'on  attache  sur  un  bât,  et  à  chaque  bout  duquel  on  pend 
un  sac  ;  ce  sont  encore  des  cacolets,  et  aussi  de  grands  cabas  en  spar- 
terie. 

Embaisso  paraît  à  M.  Mistral  venir  di' impages  ;  mais  impages  n'est 
pas  possible  comme  forme  et  ne  s'applique  pas  au  sens.  Dans  les  tex- 
tes deVitruve  et  àeFestuSjimixcges  signifie  une  traverse  pour  main- 
tenir les  panneaux  d'une  menuiserie. 

Il  est  plus  facile  de  casser  les  montres  que  d'en  faire.  Il  est  plus 
facile  de  démolir  les  étymologies  que  d'en  établir  de  bonnes.  Je  puis 
donc  modestement  craindre  que  l'étymologie  que  je  vais  proposer 
n'aille  rejoindre  ambaxia  et  imjmges.  Elle  semble  cependant  plus  pré- 
sentable. 

Je  vois  dans  Vembaisso  l'idée  primitive  d'un  appareil  destiné  à  en- 
velopper, à  maintenir  le  faix  de  la  bête  de  somme.  C'est  très-exacte- 
ment ce  que  font  encore  les  ambiassos  du  Languedoc,  auxquelles  res- 
semblent furieusement  les  ambiorses  du  Lj'onnais.  Nos  ambiorses  sont, 
en  effet,  un  appareil  pour  le  dos  des  mulets  et  dans  lequel  on  charge 
des  javelles.  Il  se  compose  de  deux  cadres  rectangulaires  fixés  au  bât, 
auxquels  sont  attachés  des  filets  que  l'on  noue  par-dessus  le  faix 
pour  le  retenir. 

*  Tanl  il  est  vrai  qu'il  ne  faut  tenir  aucun  compte  de  l'orthographe,  quand 
elle  n'est  pas  fondée  sur  la  prononciation.  J'ajoute  que  l'origine  in  ne  fait  pas 
doute.  L'érudit  M.  Vachez  veut  bien  rae  faire  counailre  qu'à  Riverie  on  em- 
ploie parfois  la  forme  imbiorses. 


CHRONIQUE  311 

Entraîné  toujours  sur  une  fausse  piste  par  la  présence  de  a  ini- 
tial, j'avais  cru  reconnaître  le  radical  ambo,  à  cause  du  caractère  dou- 
ble de  l'appareil,  et  je  demandais  s'il  fallait  lire  ambohursas ,  réduit 
à  ambursas  * . 

Je  crois  qu'il  est  plus  vraisemblable  de  lire  dans  tous  ces  mots  le 
radical  de  bastiim,  bât,  dont  on  peut  tirer  un  *m-Z»as/iare,  embâter, 
attacher  à  un  bât. /mias^^'aj'e  donne  très-régulièrement  prov.  e?«iaissa, 
lyonn.  embaissî.  Tiare  devient  ssi,  et  a  devient  aï  par  l'attraction  de 
l'yotte  de  l'hiatus.  D'ew&ajssa  emèaissî,  verbe,  se  tire  un  substant.  ver- 
bal, embaisso,  embaissi,  appareil  pour  Vembâfage. 

La  forme  emblassos  peut  s'expliquer  par  l'influence  de  biasso,  be- 
sace. Embiorses  paraît  tiré  à'embiassos.  soit  avec  l'épenthèse  de  r, 
si  commune  en  lyonnais,  soit  sous  l'influence  de  bursas.  En  tous  cas, 
l'identité  des  objets,  dans  le  Lyonnais  et  dans  le  Languedoc,  ne  peut 
laisser  de  doute  sur  l'identité  des  noms.  L'emploi  du  pluriel  pour  dé- 
signer l'objet  est  dû  au  caractère  double  de  l'appareil,  comme  dans  le 
ir.  jumelles,  lunette  double. 

PUITSPELU. 


CHRONIQUE 


La  Société  des  langues  romanes  a  fait  une  nouvelle  et  bien  sen- 
sible perte  en  la  personne  de  M.  Louis  Bazille,  décédé  le  27  novem- 
bredernier.  M.  Louis  Bazille  était,  parmi  nos  confrères,  l'un  des  plus 
sympathiques  à  nos  travaux  et  des  plus  dévoués  à  la  Société.  Sa  fa- 
mille, qui  connaissait  ses  sentiments  et  qui  a  tenu  à  honneur  de  s"en 
inspirer,  a  fait  remettre  à  notre  trésorier,  à  titre  de  souvenir,  une  somme 
de  300  fr. 


Encore  une  autre  perte  que  nous  avons  le  douloureux  devoir  d'en- 
registrer: celle  de  M.  Hippolyte  Bousquet,  décédé  à  Bessan  le  26  dé- 
cembre. M.  Bousquet  était  aimé  et  estimé  de  tous  ceux  d'entre  nous 
qui  le  connaissaient.  La  Revue  a  publié  quelques-unes  des  poésies 
qu'il  aimait  à  composer  dans  la  variété  du  dialecte  languedocien  que 
l'on  parle  à  Bessan,  et  nos  lecteurs  ne  les  ont  certainement  pas  ou- 
bliées. 


Dictionnaire  étymologique  du  patois  lyonnais. 


312  CHRONIQUE 

FÊTES  DU  QUATRIÈME  CENTENAIRE 
DE   LA  RÉUNION   DE   LA    PROVENCE  A  LA    FRANCE 

Présidents  d'honneur 

MM.  Mistral,  président  du  Félibrige  ;  de  Colomb,  général  en  chef 
commandant  le  XV«  corps  ;  Bessat,  premier  président  à  la  Cour  d'ap- 
pel d'Aix  ;  le  Préfet  du  département  des  Bouches-du-Pihône  ;  Azaïs, 
général  commandant  la  subdivision  d'Aix;  Leydet,  député  des  Bou- 
ches-du-Rliûne  ;  Abram,  président  du  Conseil  général  des  Bouches-du- 
Rhône  ;  Naquet,  procureur  général  à  la  Cour  d'Aix  ;  Belin,  recteur 
de  l'Académie  d'Aix  ;  Debax,  sous-préfet  d'Aix. 


CONCOURS  LITTERAIRE  ET  POETIQUE 
PROGRAMME 

I.  —  Histoire  et  Archéologie 

1"  Mémoires  se  rapportant  à  la  réunion  de  la  Provence  à  la  France. 

N.B.  —  On  pourra  se  borner  à  étudier  un  point  particulier  de 
cette  vaste  question,  par  exemple:  examiner  les  causes  ou  bien  les 
conséquences  de  ce  grand  événement,  ou  encore  esquisser  la  biogra- 
phie de  l'un  des  princes  qui  l'ont  préparée  ou  de  l'un  des  hommes  qui 
y  ont  contribué. 

2°  Eloge  (en  prose)  de  Palamède  de  Forbin. 

3°  Publication  ou  communication  de  documents  inédits  relatifs  à 
la  réunion  de  la  Provence  à  la  France. 

A°  Monographie  d'une  localité  ou  d'un  monument  de  Provence. 

II.  —  Littérature  et  Poésie 

A.  Section  française 

1°  Chant  populaire  à  stances  semblables,  avec  refrain,  célébrant  la 
réunion  de  la  Provence  à  la  France. 

N.-B.  —  La  pièce  qui  obtiendra  la  plus  haute  récompense  sera 
mise  en  musique  et  chantée  solennellement  pendant  les  fêtes. 

2"  Sonnet  sur  un  sujet  intéressant  la  Provence. 

3"  Poésies  diverses  sur  des  sujets  intéressant  la  Provence. 

4"  Légendes  et  contes  populaires  de  la  Provence  ou  d'une  des  con- 
trées du  midi  de  l'Europe  (vers). 

B.  Section  provençale 

\°  Chant  populaire  à  stances  semblables,  avec  refrain,  célébrant  la 
réunion  de  la  Provence  à  la  France. 

N.-B.  —  La  pièce  qui  obtiendra  la  plus  haute  récompense  sera 
mise  en  musique  et  chautéu  solennellement  pendant  les  fêtes.  Tous 
les  dialectes  de  langue  d'oc,  le  catalan  compris ,  sont  admis  à  concourir. 


CHRONIQUE  313 

Il  en  est  de  même  pour  tous  les  autres  prix  de  cette  section,  sauf  le 
n°2. 

2»  Poésie  lyrique  en  langue  d'oc  du  XII^,  du  XIIP  ou  du  XIV^ 
siècle. 

3°  Sonnet  sur  un  sujet  intéressant  la  Provence. 

4°  Eloge  poétique  d'une  des  illustrations  do  la  Provence. 

5°  Poésie  narrative  et  contes  badins  en  vers. 

6"  Poésies  diverses  sur  des  sujets  intéressant  la  Provence. 

7°  Contes  en  prose. 

8°  Légendes  et  contes  populaires  inédits  de  la  Provence  ou  d'une 
des  contrées  du  midi  de  l'Europe. 

III.  —  Philologie 

1"  Recherches  sur  un  des  sous-dialectes  provençaux  au  XVe  siè- 
cle. 

N.-B.  —  Les  mémoires  devront  être  écrits  en  français,  et  l'on  se 
conformera,  autant  que  possible,  à  l'orthographe  adoptée  par  les  fé- 
libres. 

2°  Traduction  eu  langue  d'oc  d'Ausone,  Catalogus  nobiblUum  ur- 
hium  :  Arelas,  Tolosa,  Burdigala  (en  laissant  de  côté  la  conclusion 
du  poëme). 

N  -B.  —  Ce  concours  étant  exclusivement  destiné  aux  élèves  des 
classes  supérieures  des  lycées,  collèges  et  institutions,  les  proviseurs, 
principaux  et  directeurs,  devront  adresser  eux-mêmes  les  envois,  en 
indiquant  la  classe  à  laquelle  appartiendra  l'élève.  —  Tous  les  dia- 
lectes de  la  langue  d'oc,  catalan  compris,  sont  admis  à  concourir. 

Observations  générales 

Tous  les  envois  doivent  être  adressés  franco  avant  le  1"^''  mai, 
terme  de  rigueur,  à  M.  L.  Constans,  professeur  à  la  Faculté  des 
lettres  d'Aix,  secrétaire  de  la  Commission  des  lettres.  —  Les  chants 
destinés  à  être  mis  en  musique  devront  être  envoyés  avant  le 
1"  avril. 

Chaque  pièce  (ou  mémoire)  portera  une  épigraphe,  qui  sera  répé- 
tée sur  un  billet  cacheté,  renfermant,  avec  le  nom,  le  prénom,  la  pro- 
fession et  le  domicile  de  l'auteur,  la  déclaration  que  la  pièce  (ou  le 
mémoire)  est  inédite  et  n'a  jamais  été  présentée  à  un  autre  con- 
cours. 

Trois  médailles  au  moins  seront  attribuées  à  cliacun  des  18  con- 
cours institués. 


La  Faculté  des  lettres  de  Lyon  se  propose  de  publier,  par  les 
soins  de  notre  savant  confrère,  M.  Léon  Clédat,  professeur  de  langue 
et  de  littérature  françaises  du  moyen  âge,  une  reproduction  photogra- 
phique du  célèbre  manuscrit  connu  sous  le  nom  de  Bible  vaudoise. 

Ce  manuscrit,  qui  est,  comme  on  l'a  dit,  «  un  des  plus  beaux  orne- 
ments ))  de  la  bibliothèque  du  Palais  des  Arts,  à  Lyon,  contient  une 
traduction,  en  langue  vulgaire  du  XIII"  siècle,  des  quatre  Evanfjiles, 
des  Actes  des  Apôtres,  de  V Apocalypse  et  des  Ejiitres  de  saint  Paul, 
et  se  termine  par  un  rituel  vaudois  ou  cathare,  qui  offre  le  plus  grand 

21 


314  CHRONIQUE 

intérêt  au  point  de  vue  de  l'histoire  des  tentatives  de  réforme  reli- 
gieuse au  moyen  âge. 

La  Bible  du  Palais  des  Arts  a  longtemps  passé  pour  être  incontes- 
tablement vaudoise;  M.  Reuss,  suivi  par  M.  Samuel  Berger,  y  voit  au 
contraire  une  œuvre  cathare,  mais  l'iij'pothèse  de  l'origine  vaudoise 
paraît  reprendre  faveur.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  publication  entreprise 
par  la  Faculté  des  lettres  de  Lyon  est  de  nature  à  faciliter  la  solution 
de  la  question,  en  permettant  aux  savants  d'avoir  entre  les  mains  la 
reproduction  exacte  du  manuscrit,  alors  que,  jusqu'à  présent,  ils  n'ont 
pu  le  connaître  que  par  des  extraits  :  sur  près  de  500  pages,  une  cin- 
quantaine seulement,  contenant  l'Evangile  de  saint  Jeau,  ont  été  pu- 
bliées eu  1878,  par  M.  Fœrster,  dans  la  Revue  des  langues  romanes. 

Le  manuscrit  mérite  assurément  le?;  honneurs  d'une  reproduction  pho- 
tographique, comme  le  Roland  de  la  bibliothèque  d'Oxford,  comme 
le  Mystère  de  sainte  ^(;/iès,  de  la  bibliothèque  Chigi.  Et  cette  reproduc- 
tion sera  d'autant  plus  utile  que  l'écriture  est  fort  difficile  à  lire,  par 
suite  de  la  multiplicité  des  abréviatioup.  Les  professeurs  de  paléogra- 
phie trouveront  dans  ce  volume  la  plus  belle  collection  d'abréviations 
qu'il  soit  possible  de  souhaiter. 

Quant  à  l'intérêt  philologique  du  manuscrit,  il  est  trop  apprécié 
des  romanistes  pour  qu'il  soit  nécessaire  d'y  insister. 

La  bible  du  Palais  des  Arts  sera  produite  en  photolithographie,  par 
les  procédés  de  MM.  Lumière  fils,  et  formera  un  beau  volume  in-8° 
de  600  pages.  On  remarquera  que  l'éditeur  a  pu  établir  un  prix  infé- 
rieur de  plus  de  moitié  à  celui  des  publications  analogues,  bien  que 
ces  dernières  soient  purement  photographiques  et,  par  conséquent, 
destinées  à  s'effacer  graduellement. 

Le  prix  de  souscription  ist  fixé  à  30  fr.  par  exemplaire.  A  la  mise 
en  vente,  le  prix  de  l'exemplaire  sera  porté,  pour  ceux  qui  n'auraient 
pas  souscrit,  à  50  fr. 

Adresser  les  demandes  à  M.  Bourgeois,  secrétaire  du  Comité  de 
publication,  à  la  Faculté  des  lettres  de  Lyon,  palais  Saint-Pierre. 


Notre  confrère  M.  Camille  Chabaneau  a  été  élu  correspondant  de 
l'Institut,  en  remplacement  de  M.  Abel  Desjardins,  dans  la  séance  du 
24  décembre  de    l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres. 


Nous  annoncions  dernièrement  la  publication  du  Dictionnaire  béar- 
nais de  MM.  Lespjr  et  Raymond.  Aujourd'hui,  c'est  l'achèvement  du 
Dictionnaire  provençal-français  (lou  Trésor  dôu  Felibrigejdi^  Frédéric 
Mistral  que  nous  sommes  heureux  d'annoncer  à  nos  lecteurs.  La  der- 
nière livraison  de  cette  œuvre  magistrale  vient  d'être  distribuée  aux  sou- 
scripteurs . 


En  même  temps  que  s'achevait  à  Aix  l'impression  de  ce  vaste  ré- 
pertoire, indispensable  désormais  à  ceux  qui  font  de  la  langue  d'oc, 
ancienne  ou  moderne,  l'objet  de  leurs  études,  on  commençait  à  Lyon 
celle  d'un  autre  dictionnaire  qui  ne  sera  pas  moins  utile,  pour  l'étude 


CHRONIQUE  315 

du  franco-provençal  et  des  dialectes  français  et  provençaux  voisins 
de  ce  groupe  linguistique,  que  le  Trésor  clou  Felibrige  pour  l'étude  du 
provençal  proprement  dit  ;  c'est  le  Dictionnaire  éti/mologiqiie  du  jm- 
tois  lyonnais,  par  M.  Nizier  du  Puitspelu.  La  première  livraison,  con- 
tenant les  lettres  A,  B,  C  et  le  commenceirient  du  D,  a  déjà  paru; 
elle  forme  un  fascicule  de  1 12  pages  grand  in-8",  à  deux  colonnes, 
qui  permet  de  juger  dès  à  présent  de  l'importance  et  de  la  haute  va- 
leur de  l'ouvrage  de  notre  confrère. 


Signalons,  en  terminant,  un  très-élégant  petitvolume  que  M.  Albert 
Tourniervient  de  publier  chez  l'éditeur  Alphonse  Lemerre,  à  l'occasion 
des  «  Fêtes  du  Soleil  »,  sous  le  titre  de  Chansonnier  provençal.  C'est 
un  recueil  de  18  chansons  choisies  parmi  les  plus  remarquables  et 
les  plus  populaires  des  poètes  provençaux  contemporains  :  Mistral, 
Aubanel,  Roumieux,  Félix  Gras,  Paul  Arène,  Clovis  Hugues,  Alphonse 
Michel. 


Le  Gérant  responsable  :  Ernest  Hamelin. 


Montpellier,  Imprimerie  centrale  du  Midi. —  Hamelin  Frères. 


TABLE  DES  MATIERES 

DU  TOME     QUINZIÈME   DE    LA  TROISIÈME    SERIE 
(XXX'    DE    LA  collection) 

DIALECTES    ANCIENS 


Recherches  sur  les  rapports  des  chansons  de  geste  et  de  l'épo- 
pée chevaleresque  italienne  {suite  et  fin)  (F.  Castets).  61 

Documents  sur  la  langue  catalane  des  anciens  comtés  de  Rous- 

sillon  et  de  Cerdague  {suite)  (P.  Vidal).  257 

Notice  sur  Robert  de  Balsac  (Tamizey  de  Larroque).  276 

DIALECTES  MODERNES 

Grammaire   gasconne  et  françoise  (de  Gratelodp).                           5 

£)omZo2«  (A.  FoDRÈs).  53 

Es  pas  morto  (L.  Roumiedx).  54 

Théodore  Aubanel  (A.  Glaize).  242 

VARIÉTÉS 

Requesta  redd'da  per  Ludovicuin  d'Andréa.  238 

Amhaissi,  Amhiorses,  en  lyonnais  (Puitspeld).  309 

BIBLIOGRAPHIE 

G.  Koerting,  Encyclopœdie  und  Méthodologie  der  rntnanischen 

Philologie  (C.  C).  55 

P.  DE  Nolhac,  le  Canzoniere  autographe  de  Pétrarque  (C.  C.)  55 


Chkoniqde.  56,  254,  311 

Table  des  matières.  316 


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Revue  des  langues  romanes 


t. 29-30 


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