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REVUE
LANGUES ROMANES
Montpellier. — Imprimerie centrale du Midi (Hamelin frères).
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REVUE
DES
LANGUES ROMANES
PAR L.\ SOCIÉTÉ
POUR L'ÉTUDE DES LANGUES UOMANES
Tr»o isi è xxie Série
TOME QUINZIÈME
JANVIER 1886
TOME JÈSafïH DE LA COLLECTION
n
MONTPELLIER
AU BUREAU DES PUBLICATIONS
nu LA. SOCIÉTÉ
l'OUK I/BIIIDIC !)1{.S LAN'aUlSS IIO.MANKS
Rue St-Guilhem, n° 17
PARIS
MAISON NEUVE ET Cie
LIURAIKKS-ÉDlTKUnS
25. QUAI VOr/rAlRE, 25
M DCCC LXVXVl
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REVUE
DES
LANGUES ROMANES
Dialectes Anciens
RECHERCHES
SUR LES RAPPORTS DES CHANSONS DE GESTE
ET DE l'Épopée chevaleresque italienne
(Suite)
Les deux récits se séparent à partir du vers 110. Dans lo
second, les deux pèlerins reviennent de Constantinople à Mar-
seille; le trouvère regardait sans doute cette ville comme le
port d'embarquement le mieux désigné pour les voyageurs se
rendant en Palestine. La traversée dure deux mois et demi, et
Renaud et Maugis arrivent à Acre. Le passage qui suit (119-
165) me paraît incomplet, bien qu'à la rigueur on puisse ad-
mettre que l'auteur du remaniement ait placé dans la bouche
de Renaud les renseignements qui, dans la version plus an-
cienne, sont donnés par un homme du pays.
Les chrétiens ont perdu Jérusalem, mais leur roi David (et
non Thomas) n'a pas été fait prisonnier. Il a réuni ses forces
clans la plaine de Rames et se prépare à livrer Ijataille aux
Tome xv de la troisième série. — Janvier 1886. 1
6 RECHERCHES
mécréants, que conduit le sultan de Perse. Maugis débute par
un tour de sa façon, et lui. qui r.vait fait tant de difficultés pour
accepter de prendre part à la guerre, il n'hésite point à re-
courir à ses enchantements d'autrefois. Grâce à lui, les deux
pèlerins font uu excellent repas. Cet épisode (183-209) est gai,
mais trivial.
Le lendemain, Naburdagant appelle aux armes ses païens
de Lutis, des Turcs, des Popeliquains, toute la gent Anté-
christ. Il attaque les chrétiens. Le roi David et Geoffroy de
Nazareth se distinguent dans la mêlée. Le roi païen, appelé
tantôt Nabugor, tantôt Naburdagant, suivant le besoin du vers,
a décidément l'avantage. C'est alors que Maugis pousse Re-
naud à montrer sa vaillance. Armé d'une lourde perche, le
fils d'Ajmes met en déroute les Sarrasins, et la ville sainte est
reconquise.
Cependant Naburdagant appelle à lui tous ses alliés, les
rois d'Egypte et d'Inde la grant, les amiraux de Cordoue, du
Larris, de Babylone. Dans un conseil, il est résolu, pour évi-
ter de ruiner la contrée, de s'en remettre à deux champions,
dont la valeur décidera du sort de la Judée. Naburdagant,
que le trouvère finit par identifier avec le roi de Babjlone, a
tenu le conseil devant tous les guerriers assemblés. II de-
mande qui veut se charger de la querelle des Sarrasins. Trois
champions se présentent : Safadin, roi d'Egypte, en qui nous
l'econnaissons Seyfeddin, frère de Saladin ; Marados, roi des
Indes, et un roi de Dàmiette. Safadin est désigné.
Autant les païens ont montré d'empressement à s'offrir pour
défendre leur parti, autant les chrétiens hésitent à accepter
riionneur de descendre dans la lice. En vain le roi David
s'adresse au sire de Damas, au comte d'Acre, au maître des
Templiers, au maître de l'Hôpital et aux autres barons. Nul
ne veut se risquer en combat singulier contre le redoutable
Safadin. Maugis, pour sauver l'honneur des chrétiens, engage
vivement- son cousin à s'offrir pour champion. Renaud y con-
sent et les chrétiens applaudissent.
Je passe sur les détails qui suivent et qui ont pour objet les
prt'qiarïitifs du combat. Le trouvère, heureux d'avoir ainsi fait
de Renaud le re[)résentant de l'intérêt chrétien, ne se refuse
aucun développement. Pour mieux rompre avec la tradition,
SUR LES CHANSONS DE GESTE 7
il fait reparaître Tépée invincible, Froberge. Renaud Taurait,
d'après lui, cachée dans son bourdon de pèlerin.
Le combat entre Safadin et Renaud est longuement conté,
A l'endroit où le manuscrit s'arrête, Renaud a l'avantage. Il
est probable que ce premier duel était suivi de deux autres,
puisque les Sarrasins avaient désigne trois champions. Enfin
la défaite définitive de Naburdagant pouvait être la matière
d'un long récit, où le sire de Damas et les grands-maîtres du
Temple et de l'Hôpital auraient eu l'occasion de se relever de
leur première défaillance.
Dans cette version incomplète du pèlerinage de Renaud
apparaît l'idée de transformer en un représentant de la chré-
tienté en Orient le héros de l'opiniâtre guerre soutenue par
les fils du ducAjmes contre Charlemagne. Contenue en germe
dans la première version, elle est ici développée, sinon avec
un talent que nous ajons à louer, du moins avec assez de dé-
cision et d'ampleur pour ne pas rester inaperçue. Si l'imita-
tion italienne avait eu pour objet nos diverses chansons do
geste, dans l'ordre où elles se sont produites, le fait aurait
moins d'importance ; mais, quand les cycles qui forment notre
épopée nationale ont passé les monts, ils étaient déjà formés
de textes de toute espèce et de toute date, et cet immense re-
cueil était répandu çà et là par les chants des jongleurs, sans
que nul songeât à discuter sur le plus ou moins d'autorité des
variantes et des remaniements. Chacun se faisait une légende
d'après les chansons qu'il connaissait, et le texte le plus déve-
loppé avait toute chance de paraître le plus authentique.
La courte campagne que font les fils Ajmon contre le prince
sarrasin de Toulouse, pour le compte du roi Yon, ne suffisait
point pour amener à voir dans Renaud le champion delà cliré-
tienté ; mais la manière dont Roland et Renaud sont opposés
l'un à l'autre en plusieurs circonstances, leur égalité en cou-
rage et en vigueur, l'amitié qui les unit à partir du moment
où un miracle interrompt la dernière et la plus terrible de
leurs luttes, préparaient la pensée de les unir dans des entre-
prises communes. Dès lors, le seul pèlerinage de Renaud en
Palestine devenait un motif suffisant de placer le vaillant che-
valier à côté de Roland, et de les regarder comme les deux
défenseurs par excellence de la chrétienté. La conception ila-
8 RECHERCHES
lienne est donc ainsi en germe dans le roman des Quatre Fils
Aymon ; et, sans la force de la tradition bien plus grande dans
le pays d'origine des légendes, sans la détermination plus pré-
cise chez nous des grandes gestes, une évolution pareille eût
placé en France Renaud au même rang que Roland et à côté
de lui.
Si nous lisons dans la Chanson de Roland que le neveu de
Charlemagne s'était emparé de Constantinople, nous voyons,
dans une des versions de Renaud de Montauban, un tableau
de conquêtes qui embrassent tout l'Orient :
Et puis recorderay et vouray deviser
Comment Karle les fist de Gascongnie semer,
Comment reurent leur pais, com Régnant passa mer,
Jhérusalem conquist, comment voult raporter
Les trois clous, la couronne dont Dieu du trosne cler
Fust su jus couronnés et ses menbres fichier
Pour tout humain lignaige hors d'enfer rachater.
Ailleurs, évidemment vers la fin du poëme, Renaud dit:
Pour l'amour de toy, Dieu, oultre mer m'en iré
Veoir Richier en Acre, qui est roy courormé.
Qui pour l'amour de moi a été déserté
Ly et Huon son père, mon cousin l'alosé.
Là iray armes prendre contre la gent maufé,
Sans moy faire connoistre à homme qui soit né;
Euchois serai en Acre au roy déjoue [sic) ayé
Je iray au Saint Sépulcre et si le conquerré
A Robacre combatre qui tient la royaulté
Et à son fils ossy, Durendal l'amiré.
Ou il mouront par mi ou il seront sacré;
Puis yrai Angorie conquerré, c'est mon gré,
Et les clous et le fer dont ton corps fu frappé,
Et la sainte couronne et le suaire orlé
Dont tu fus ou sépulcre jadis enveloppé '.
* Ces passages soûl cités par Fr. Michel clans la préface du Charlemagne
(p. cNMi-cxiv), d'après un manuscrit qu'il n'indique pas clairement ; il en a
collalionné le texte sur le ms. 7182 de la Bibliothèque nalionale de Paris,
f" I v, et foOOro.
SUR LES CHANSONS DE GESTE
II
MAUGIS D AIGREMONT
Nos plus belles chansons de geste, celles qui méritent le plus
justement le titre d'épopées, sont des récits essentiellement
guerriers, oîi le merveilleux chrétien lui-même n'apparaît que
rarement, et qui ne font point songer aux superstitions germ;i-
niques ou celtiques. Telles sont les chansons de Roland et
d'Aliscans, pour ne citer que les plus renommées. Mais l'épo-
pée française dans son ensemble ne présente pas ce caractère.
Les trouvères n'hésitaient nullement à user des ressources que
leur offraient les croyances populaires sur les nains, les géants,
les enchanteurs et les fées. Dans Huoa de Bordeaux, le petit
roi Auberon nous transporte au pays des prodiges. Dans Gau-
frey, Robastre est fils d'un lutin, Malabron, qui soumet son
fils à des épreuves qui rappellent celles que Protée impose à
Aristée avant de consentir à l'instruire. Ce lutin figure déjà
àdiXis, Huon de Bordeaux. Dans Jehan de Lanson, les deux pro-
tagonistes sont les deux enchanteurs Basin et Malaquin. Les
géants Fierabras, dont triomphe Olivier; Bréhus, qui est tué
parOgier; Otinel, qui est vaincu par Roland, et ces person-
nages de proportion colossale, Rainouart au Tinel, Ogier le
Danois, ont fait penser aux géants des Sagas germaniques'.
Dans ce merveilleux d'origine très-reculée, où le christianisme
n'a aucune part, il restera difficile de séparer exactement les
éléments germaniques et les éléments celtiques. Une précision
très-grande n'est guère possible avec les documents dont nous
disposons. Si l'on remonte aux époques antiques, on recon-
naît que l'imagination des races aryennes peuplait le monde
d'êtres surnaturels, et la croyance aux fées et aux sorciers est
à peine éteinte chez les peuples les plus civilisés de l'Europe
moderne. Quand l'empire romain s'écroula, le christianisme
était encore de date récente; les Gaulois avaient-ils en qucl-
' Pio Ra.jna, le Oviijmi delV ppopea franche, p. 439-443.
10 RECHERCHES
ques siècles perdu tout souvenir des rêveries de leurs aïeux?
On peut donc supposer sans témérité que l'invasion franquc
eutpourconséquence de raviver des croyances déjà existantes,
et que Timag-ination celtique n'était pas à l'état de table rase
au jour où les Mérovingiens devinrent les maîtres de la
Gaule».
Il est admis que le cycle de la Table Ronde a fourni des
données nombreuses aux œuvres de date relativement récente.
Dans Doon de Mcujence, les aventures de Tenfance du héros
semblent découpées dans un roman du cycle d'Artus. L'on
demande au jeune chevalier s'il va quérant pour venger le roi
Artu (v. 2668). Dans la version de Huon de Bordeaux qui
nous est parvenue, ré))isode de l'Orgueilleux est développé
conformément à toutes les règles du genre. Rien n'y manque,
ni une jeune fille qui a été enlevée par le géant et qui s'inté-
resse au chevalier, ni deux hommes de cuivre battant d'un
fléau de fer et gardant le passage, ni armes merveilleuses, ni
anneau enchanté. Ces données sont-elles primitivement celti-
ques ou germaniques? Ce qui est certain, c'est qu'elles ont le
caractère de l'ensemble des inventions qui constituent le fonds
ordinaire des romans de la Table Ronde et de tous ceux qui
en dérivent, et qu'on doit y voir d'abord des imitations d'œu-
vres composées dans des conditions où l'emprunt direct aux
races teutoniques n'est guère vraisemblable.
Maugis, le cousin des fils d'Aymes, nous offre l'exemple
' M. Rajoa a démontré la persistance, dans l'épopée française, d'éléments
d'origine germanique. 11 reste à faire la contre-partie de ce travail, à relever
les éléments d'origine celtique ou romaine. A la fin de son livre (p. 539;, il
reconnaît que l'épopée demeura en France fidèle à sa nature, et y conserva
l'énergie et la virilité plus longtemps que dans sa propre patrie. Il trouve la
chose merveilleuse, et vraiment ce n'est pas la destinée ordinaire des arbres
transplantés. Il ajoute : « Questa ma;zgiore viialità vuol certo attribuirsi, non
» ad una causa unica, bensi ad une compiesso di ragioni.che qui poco gio-
» verebbe l'analizzare. Essa di sicuro pu6 compensare largamente la Francia
» di queila certa offesa que reca al suo amor proprio il doversi riconoscere
» débitrice deil' epopea ad un' altra nazîone. » L'aniour-propre de la France
n'est pas en cause ; ce qui est digne d'attention, c'est l'aptitude de nos trou-
vères à garder à l'épopée son caractère primitif. Il y a là le point de dépar
de recherches dont le résultat pourrait être d'amener M. Rajna à modifier ou
à restreindre certaines de ses conclusions.
Srm LES CHANSONS DE GESTE 11
d'un personnage dont le type premier, celui de la Chanson de
Renaud de Montauban, peut être considéré comme d'origine
germanique, comme introduit dans une épopée à laquelle il
fut d'abord étranger, par le désir de donner aux vassaux ré-
voltés un auxiliaire capable de les protégercontre la rancune
de Charlemagne. D'après M. Ra.jna,Maugis n'est qu'une forme
dérivée de l'allemand Madalge?^, nom d'un nain fils d'une reino
des nains. Son office de protecteur bienveillant serait em-
prunté de celui que remplit le nain Alberich, prototype d'Au-
beron, de même que sa qualité de larron K
Cette opinion, fondée sur les rapprochements les plus ingé-
nieux, est d'autant plus plausible, que l'intervention de Mau-
gis dans les aventures des fils d'Aymes ne se relie à la
suite des faits que d'une manière tout épisodique. A un mo-
ment de l'action, un parent dévoué vient s'y mêler, donne çà
etlàun concours efficace, puis se retire sans attendre lafin et
sans raison. La réapparition de Maugis dans l'histoire du pè-
lerinage à Jérusalem est tout aussi peu motivée. On peut ad-
mettre que l'auteur d'un des nombreux remaniements qu'a dû
subir l'antique légende a voulu renouveler le sujet par l'in-
troduction d'un personnage et d'un élément nouveaux. Reste
à se demander dans quelle mesure la légende de Merlin peut
être écartée du débat. Si l'on accepte qu'à un moment donné
l'influence germanique se continuait encore, tandis que les
légendes celtiques redevenaient l'objet de conceptions nou-
velles, on ne verra pas d'inconvénient à admettre qu'il y ait
eu çà et là fusion d'éléments d'origine très-différente, sans que
l'on soit autorisé à voir partout des imitations précises de per-
sonnages ou de récits déterminés. Tel poërae, perdu ou dont la
forme première ne pourrait être retrouvée, a eu sa part dans
la série d'additions et de modifications dont on essaye aujour-
d'hui de reconstituer la suite.
Maugis, le bon larron, l'enchanteur serviable, qui, tout en
secourant ses amis, ne peut s'empêcher d'exciter le ressenti-
ment de îeurs adversaires par les mauvaises plaisanteries qu'il
se permet, est présenté dans Renaud de Montauban comme un
chevalier qui se distingue de ses cousins uniquement parce
1 Origiiii dell' epopea frcutce^e, p. -i3i-i3ÎV
12 RECHERCHES
qu'il sait le grimoire et peut accomplir les prodiges les plus
étranges ; c'est un homme, ce n'est point un gnome ou un
génie. Que le type primitif vienne de Germanie ou d'ailleurs,
le chevalier hardi et rieur qui égayé la suite sombre de la
lutte des fils d'Ajmcs contre leur suzerain n'a rien des con-
ceptions sj-mboliques des âges primitifs ; sa phj'sionomie est
bien arrêtée, sans rien de nuageux. Ace propos, il est bon de
remarquer que le problème des origines de l'épopée française
est double. Etablir par quelles transformations successives
l'on aboutit des chants germaniques aux œuvres de nos trou-
vères est un travail aussi méritoire que difficile, et sans lequel
notre connaissance historique de la question ne reposerait sur
rien de solide ; mais, cela fait, l'on n'en doit pas moins consta-
ter que l'épopée française, telle que nous l'avons dans les plus
anciens monuments, est héroïque, mais humaine ; qu'elle con-
stitue un art original et nouveau. La Chanson de Roland est
une oeuvre essentiellement française, et la grandeur des situa-
tions, la noblesse des caractères, n'y ont rien perdu.
Maugis est un personnage d'autant plus digne d'étude, que
l'on peut faire son histoire littéraire aux trois âges de l'épopée :
à l'époque primitive et mythologique, il appartient à. la Ger-
manie; puis il est associé aux chevaliers des chansons de geste
dans le roman des Quatre Fils Aipnon; enfin il devient l'objet
d'un poome particulier qui offre l'exemple d'une imitation
voulue et complète des romans de la Table Ronde. .Je me bor-
nerai à revenir sur le rôle de Maugis dans le Renaud de Mon -
tauban avant d'aborder l'examen de la chanson de geste qui
finit par être consacrée au fils du duc Beuves.
Maugis et ses cousins se rencontrent pour la première fois
au moment où commence la seconde partie de la légende épi-
que des Quatre Fils Aymon. Après avoir été forcés d'abandon-
ner Montessor et s'être réfugiés dans la forêt d'Ardenne,
Renaud et ses frères, épuisés de fatigue, mourant de faim, se
décident à revenir à Dordone, dans l'espoir que leur père, qui
s'est montré jusque-là acharné à leur perte, se laissera atten-
drir. Leur mère les accueille avec effusion ; mais le duc Aj-mes,
quand il les voit assis à sa table, ne peut contenir sa colère.
Craignant do paraître se forjurer envers l'empereur, il leur
reproche durement d'oser recourir à lui. Après une scène vio-
SUR LES CHANSONS DE GESTE 13
lente entre les fils et le père, celui-ci consent à laisser la du-
chesse traiter ses enfants comme son cœur lui conseille. C'est
ici qu'apparaît un cousin dont le nom n'avait pas encore été
prononcé, et qui prendra longtemps part aux aventures de
Renaud et de ses frères.
Atant es vos Maugis, ki est preus et sénés
Etrepairoit de France ù esté ot assés.
A la cité d'Orliens ot un trésor enblés.
Quatre somiers amaiae d'or et d'argent torses.
Il avoit oi dire et si fu vérités,
Que li fil Aymon sont dedens Dordone entrés.
Venus est celé part ; es le aceminés,
Parmi le maistre porte en la vile est entrés'.
Maugis est donc un voleur, mais la chose n'est point de na-
ture à effrayer ses parents. Quelques instants avant, le duc
Ayraes ne reprochait-il pas à ses fils de n'avoir pas, pour se
nourrir, pillé le paj's, saccagé les abbayes et, au besoin, mangé
des moines?
Brisies les abaïes et froisies à bandon.
Ki del sien vos donra, si li faites pardon.
Et qui nel voldra faire, mar aura raençon.
Cuisies les et mengies en feu et en charbon ;
Jà ne vos feront mal niant plus que venison.
Dame Dex me confonde, qui vint à passion,
Se ensois n'es mengoie que de faim morusom.
Mioldres est moine en rost que n'est car de mouton -.
Une telle ironie est la marque des mœurs violentes du
temps. J'y vois même une certaine éloquence naïve, mais pas-
sionnée, qu'il me semble juste de noter. .J'aurais à cet égard
quelque peine à me placer au même point de vue que tel cri-
tique, d'ailleurs plus compétentque personne^. Cette brutalité
est fréquente dans nos chansons de geste, dans celles-là mêmes
que l'on compare le plus volontiers aux épopées homériques :
1 Renaus de Montauban, éd. Michelant. p. 96-97.
= Op. l., p. 9.3. '
■^ M. Gautier. Ep. nation., 2<- édil., III. p. 2<"J5-2(J9.
14 RECHERCHES
elle n'en diminue aucunement le mérite. De mémo, lorsque hs
fils d'Aymes, reposés, équipés à nouveau par les soins de leur
mère, partent suivis de sept cents chevaliers, pour cliercher
aventure, il n'y a pas lieu d'être surpris que le trouvère nous
montre leur cousin s'associant à leur destinée:
Vont s'en 11 fil Aimon, ne s'aseiirent mie.
.vu. c. chevaliers a en la lor compaignie
Et Maugis li cortois les enconduie et guie*.
Ce bon compagnon va nous égayer désormais par les toui-s
qu'il jouera aux ennemis de ses cousins, et en bien des cir-
constances il sera pour ses parents d'un précieux secours.
Pourquoi le frapper d'anathôme ? a Mais, à côte d'eux, voici un
» nouveau venu qui paraît tout à fait associé àleur fortune....
» Il monte un cheval noir; il a je ne sais quelle phj'sionomie
» étrange et je lui trouve trop de fl.nesse dans les yeux
» Quand il a rencontré ses cousins, il venait de voler un trésor
» à Montauban. Ce magicien est doublé d'un coupe-bourses.
)) Pour tout dire, je me serais bien passé de cet oblique per-
» sonnage. Maugis entrant dans le roman des Quatre Fils
» Aymon, c'est la légende celtique pénétrant dans le domaine
» de notre vieille épopée nationale; c'est la fable, c'est le
)) mensonge, c'est la magie, ce sont d'odieux mélanges. »
Si l'on me permet d'exprimer nettement ma pensée, et en
laissant de côté l'hypothèse de l'origine celtique du person-
nage de Maugis, j'avouerai ne pouvoir partager ce dédain
pour le mélange incriminé. La chanson de geste, bornée
d'abord à des récits de combats où la monotonie des faits est
trop rarement compensée par la variété des caractères, ne
pouvait continuer à vivre qu'en acceptant l'aide du merveil-
leux. Est-ce, après tout, un dogme qu'il faille entendre par
épopée nationale une seule série des compositions épiques de
notre moyen âge? S'il est vrai que les moeurs et les institu-
tions de la France féodale ont été le résultat du mélange des
Gallo-Romains et des Germains, pourquoi considérer comme
hétérogène un élément national et lui refuser tout droit de
' lienaus de Montaulinn, p. 97.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 15
cité? L'on sait que, malgré Tacceptation de la religion chré-
tienne, Ton crut longtemps à l'existenoe d'un monde où ré-
gnaient les fées, les lutins, les enchanteurs, les sorciers. Lors-
que la chanson de geste primitive ne suffit plus à distraire les
châtelains et les châtelaines, ce merveilleux qui hantait tou-
jours l'imagination populaire reparaît de tous côtés et se
hâte d'étaler ses inventions. Toutes ne sont pas également
heureuses et intéressantes ; mais, sans cette première fécon-
dité, posséderions-nous ce qu'il y a de plus agréable dans no-
tre poésie moderne, Arioste et Don Quichotte?
Le rôle de Maugis dans le roman des Quatre Fils Aymon
consiste à tirer d'affaire ses cousins dans les circonstances
où leur vaillance est impuissante, et à jouer à l'empereur des
tours où la dignité de Charles est fort compromise. L'auteur
lui-même auquel j'ai fait allusion déjà ne peut s'empêclier de
reconnaître que, sans ce mélange de scènes amusantes, la nar-
ration semblerait longue: «Maugis représente, dans cotte
» chanson, cet élément héroï-comique que nous ne rencontrons
» pas fréquemment dans les monuments de notre littérature
» épique '. »
Ainsi associé à l'histoire des héros les plus [)opulaircs de
notre légende épique, Maugis devait à son tour, comme la
plupart des personnages qui ont un i-ôle important dans les
chansons de geste, devenir l'objet d'une composition épique
particulière. De là le roman de Maugis cVAigremont, que Fou
pourrait appeler, pour se conformer à l'usage, les Enfances
Maugis. L'auteur s'est demandé, à propos de Maugis, quelle
est son origine, sa droite nation, d'où il a tiré sa science d'en-
chanteur, et, une fois engagé sur ce terrain, il a voulu nous
donner la clef de tout l'élément merveilleux de la légende des
fils d'Aymes. Cette légende nous présente en effet un person-
nage qui est tout aussi digne d'intérêt que les personnages
humains: c'est Bajard, le cheval /«e, dont rintelligence est si
utile à ses maîtres et contre lequel Charlemagne nourrit une
rancune aussi vive que celle qu'il ressent à l'égard de Maugis
lui-même. D'où vient ce Bajard? D'où viiMit également Fro-
' M. Gautier, l. l., p. 220.
16 RECHERCHES SUR LES CHANSONS DE GESTE
berge, l'épée avec laquelle Renaud tient tête à Roland arme
de Durandal, à Ogier armé de Courtaine^?
On a déjà remarqué que le roman de Maugis est une imi-
tation de Lancelol du Lac^: une analyse détaillée en fera mieux
ressortir le caractère et l'importance. Le texte du Maugis
d' Aigremont étant encore inédit, je reproduis en entier le
commencement du poëme: le trouvère nous y raconte la nais-
sance de Maugis et de son frère Vivien, l'éducation de Maugis
auprès de la fée Oriande, la conquête du cheval Bayard et de
l'épée Froberge ^ .
F. Castets.
(A suivre.)
I M. Pio Rajna a remarqué que, dans le Renaud, i\ n'y a aucune indication
sur l'origine de l'épée Floberge, et que ce qui est dit dans la version de Ve-
nise (fol. 16) sur la façon dont Renaud est devenu ie maître de Bayard pa-
raît bien vulgaire quand il s'agit d'un animal aussi merveilleux:
Renaus ot tiel cheva! qui valoit Aiemaine :
Baiart avoit a non, si fu nez en Bretaine:
Un borziois l'acheta au duc de Loeraine,
Qi bien l'avoit nori et de ble et de vaine.
II ajoute: « Sarebbe mai più prossimo al vero, per quanto poco allendibile
in générale, il Maugis d' Aigremont , che fa del cavallo un donodi Malagigi?
Puù darsi ; ed è poi cerlo che il Maugis ha una grande apparenza d'aver con-
servalo un resto délia Iradizione originaria facendo donc di Malagigi la
spada. » Oi-ig. delV ep. fr., p, 438-439.
^ Hist. littéf. de la Fra7ice,i. XXII, p. 700-704. Paulin Paris analyse
brièvement et exactement ce roman, mais non sans quelque sévérité.
' Le texte dont je me sers est toujours celui du ras. II 247 de Montpellier.
Il y est suivi du texte du Vivien de Monbrant. Le Maugis remplit les feuil-
lets 154-173. Le Vivien commence au milieu de la première colonne du verso
du feuillet 173. A raison de deux colonnes à la page et de 62 lignes par co-
lonne, cela fait 4868 vers. Quelques-uns sont répélés ; la fin de quelques au-
tres a été laissée en blanc par le copiste. Paulin Paris, dans sa notice, se sert
du ms. 7183 de la Bibliothèque nationale, qui lui paraît remonter au commen-
cement du XlVe siècle.
Dialectes Modernes
LAS NOSSOS D'OR
DE l'ACADEMIO BEZIEIKENCO
Brinde pourtat al banquet del 14 mai 1885
Ce n'est qu'après cinquante années
Que les noces sont d'or. Grand mal !
Mais les brouilles sont terminées,
Puis l'or est un divin métal.
(Songe d'une nuit de Sabbat, ou les A'oces
d'or d'Oberon et de Titania. Gœthb,
Faust; trad. Stapfer.)
Cinquanto ans sou passais dempèi que, dins Biterro,
D'omes sapiens, e forts de l'amour de sa terro,
Ausserou lou penoun del langage natal,
E de l'estudi antic doubriguèrou lou talh.
D'illustres davanciès poudiôu segui la draio.
Avan lou festenal que metèt tout en aio
Per bada sus soun pedestal
LES NOCES D'OR
DE l'académie BITERROISE
Blinde porté au banquet du 14 mai 1885
Cinquante ans sont passés depuis que, dans Bëziers, — des hommes
savants, et forts de l'amoui' du pays, — levèrent l'étendard de la
langue natale, — et des études de l'antiquité ouvrirent le premier sil-
lon.
D'illustres devanciers ils pouvaient suivre la trace. — Avant la
grande fête qui mit tout (le pays) en mouvement — pour admirer sur
LAS NOSSOS D'OR
Nostre Riquet, viven ])er soun noum immourtal'.
I avio 'gut dins Beziès mai d'uno Acaderaio.
Sabem pas s'ero d'alquiraio
Que s'occupabo, ou d'aleman,
Lo qu'ai siècle del Roi galan-
Ero, parés, déjà 'spelido
Dins la cieutat jamai anequelido
Oun lou Destin a pauzat nostre nis.
Al tems del Bearnés, Fistorio nous hou dis.
Un autre acamp d'esprits de nauto mino
Fazio flôri dedins Beziès.
Erou pas de truco-tauliès
E sabento ero sa douttrino,
Pèi que lou rèi Hanric, amaire des lauriés,
Lous a meses dins sous papiès^
Mais ignouram sous noums ; car lou Tems rambalhair.)
A 'mpourtat sus soun col hardit
E las segos e lou segaire,
E lou noble prefacli, coumo un fum avalit.
son piédestal — notre Riquet, vivant par son nom immortel ^, — Ré-
ziers avait eu jilus d'une Académie. — Nous ne savons si ralchimio- —
l'occui)ait, ou bien Tallemand, — celle qui, au siècle du roi galant hom-
me-, — était, dit-on, déjà née — dans la cité jamais inféconde — où
le destin a placé notre berceau. — Au temps du Réarnais, l'histoire
nous le dit, — une autre réunion d'esprits de fière mine — faisait florès
dans Réziers. — Ce n'étaient pas des fainéants, — et grande était leur
science, — puisque le roi Henri, amoureux des lauriers, — les a men-
tionnés dans ses chartes''. — Mais leurs noms nous sont inconnus;
carie temps brouillon — a emporté sur son épaule hardie — les mois-
sons et les moissonneurs — et le noble travail, évanoui comme une
fumée.
1 L'un des premiers actes de la Société archéologique de Béziers, fondée en
1834, autorisée ea 1835 et reconnue comme élablisseraent d'utilité publique le
14 octobre 1874, fut de décider l'érection d'une statue à Pierre-Paul Riquet,
le glorieux créateur du caual des Deux-Mer?, né à Béziers en 16Ui. David
d'.\ngers se chargea gratuitement du travail du statuaire, et le bronze qui dé-
core la principale avenue de laville t'ulinauguré au milieu d un enthousiasme
indescriptible, le 21 octol.re 183S.
LAS NOSSOS d'or 19
N'esautromen de rillustro coumpagno
Qua.\io Matmii. e Bouillet perreltous;
De toutes sous admiratous
E de nautres sous successous,
Amarganto serio la lagno
S"aviam pas d'obros de soun goust.
Des astronomos, des douttous,
Se sap prou qu'es pas las rubricos
Que mancou dins lou cap proufoun ;
So que sabou, ou sabou d'afoun,
Mais bou pas las mémos praticos.
Lous uns al ciel lèvou lou froun
Per estudia, viran en roun,
Lous miliès de soarels, d'estèlos, de planetos,
Qu'uno ma soubeirano a semenat amoun :
Amai la vejou pas dins sas loungos lunetos,
Acos es vrai de pount en poun,
Lous autres, assaval, marcbou gueitan la terro
Coumo s'amb' elo avièu la guerro ;
11 en est autrement de Tillustre assemblée — dont Mairan ef,
Bouillet furent les chefs; — de tous leurs admirateurs, et de nous
leurs successeurs, — amer serait le chagrin — si nous n'avions des
œuvres de leur génie. — Des astronomes, des médecins, on sait bien
que la science — ne manque pas dans le profond cerveau; — ce qu'ils
savent, ils le savent bien ; — mais diverses sont leurs pratiques. —
Les uns au ciel lèvent leur front — pour étudier, dans leur gravita-
tion,— les milliers de soleils, détoiles, de planètes, — qu'une main
souveraine a semés là-haut: — quoiqu'ils ne la voient pas dans
leurs télescopes, — c'est bien l'exacte vérité. — Les autres, ici-ba.'^,
marchent en fixant la terre — comme sils étaient en guerre avec
'■i On a cru, d"après quelques indices, qu'une académie existait déjà là Bé-
ziers au temps de François 1*-"'.
■' Une ordonnance de Henri IV eu 1599 mentionne positivement rAcadcmie
de Béziers. Il est même remarquable que les articles de cette ordonnance ([ui
pourvoient aux dépenses de tous les collèges établis dans la province de Lan-
guedoc, même du jardin des simples de Montpellier, ne dotent taxativement
que l'Académie de Béziers. On peut en inférer sûrement que cette académie
était alors la seule qui existât en France,
20 LAS NOSSOS D OR
E pamens i tapo de founs
Las fautes de sas instrucciouns.
— N'es pas per Tencian temsque parli,
Nimai per lou prezen que jauli,
Car sabem que, bèi coumo hier,
De soun corps médical Beziès pot estre fier.
Dounc de nostres aujols dins lous arts, la scienso,
Las letros, la physico e dins touto sapienso,
Digus sieguet pas apendris ;
Mairan hou diguèt a Paris,
E lou Rèi femnassiè, qu'a laissât dins l'istorio
Mai de vilaniè que de glorio,
Lous lauzo dins un mandomen
Que dizem de Letros patentas ' :
Per nautres, sou pas ges pudentos,
E nou'n coufiam rouialomen.
Quatre-vinl-nou venguèt am soun cop de tounerro
Fa cala las cansous, e sus touto la terro
Lèu se passejèt lou drapèu
Dount la glorio e lou dol hôu fach nostre flambèu.
elle; — et pourtant elle cache à jamais — les erreurs de leurs or-
donnances.— Ce n'est pas pour notre passé que je parle, — ni pour
notre présent que je bavarde, — car on sait qu'aujourd'hui, comme
autrefois, — Béziers peut être fier de son corps médical.
Ainsi de nos aïeux, dans les arts, la science, — les lettres, la i)hy-
sique et toutes connaissances, — nul ne fut jamais apprenti ; — Mai-
l'an n'en fit pas petite bouche à Paris, — et le Roi-Cotillon, qui laissa
dans l'histoire — plus de vilenies que de gloire, — les loue dans un
mandement — appelé Lettres patentes * : — pour nous point à dé-
daigner, — nous en sommes royalement fiers.
Quatre-vingt-neuf de son coup de tonnerre — fit taire les chansons,
et sur tout l'univers — bientôt apparut le drapeau — dont la gloire
1 Par lettres patentes données à Versailles au mois de juillet 17GG et enre-
gistrées au Parlement de Toulouse le 9 janvier 17G7, le roi Louis XV consa-
crait, sous le nom d'Académie royale des sciences et belles-lettres de Béziers,
21 LAS NOSSOS D OR
Ero passât lou tems de cliarrâ sus Hourasso,
Sus Houmero, Vergèli e sus touto la rasso
D'encantaires^grecs e latis :
La Muzo avio quitat soun nis. . . .
Enfin, quand s'amaizet lou bruch de latempesto,
Que digus crentèt per sa testo,
Lou bouscage amudit qu'ero sans roussigaol,
La cieutat atristado oun cap de gargalliol
Se couflabo de cansounetos,
E qu'ero veuzo d'amouretos,
Faguèrou tourna-mai brezilha las causons
Dount ApouUoun sieguet jalons.
Apoulloun, . .ou Phebu3,Mins aquel tems, caucagno !
Ero lou Dieu del jour ; digus avio la cagno
— Bèi, sabez, es pla diferen, —
Per caminâ sus un soûl reng
Joust lou drapèu mythoulougique :
Donne Apoulloun, ero lougique,
Ourdounet a sous mai fervens
De reveni crema l'encens
Dessus soun autar sjmboulique.
Peraco sans retard, coumo un temple d'esprit,
et le deuil ont fait notre flambeau. — Ce n'était plus le temps de cau-
ser sur Horace, — sur Homère, Virgile et sur toute la race — d'en-
chanteurs grecs et latins: — la Muse avait quitté son nid. . . — Enfin,
quand s'apaisa le bruit de la tempête, — quand nul ne craignit pour
sa tête, — le boscage muet, privé de rossignols, — la cité dolente où
nul gosier — ne se gonflait de chansonnettes, — et qui était veuve
d'amourettes, — firent de nouveau résonner des chants — dont Apollon
fut jaloux. — Apollon ou Phébus, en ce temps-là, sans peine, — était
le Dieu en vogue ; personne n'était las ; — aujourd'hui, quelle diffé-
rence ! — pour emboîter le pas — sous le drapeau de la mythologie.
— Donc Apollon, c'était logique, — oi'donna à ses plus fervents (dis-
ciples) — de revenir allumer l'encens — sur son autel symbolique. —
Pour cela, sans retard, comme un temple à l'esprit consacré, — le
avec de grands éloges pour les travaux accomplis, l'exislence de l'Académi.'
l'ondée par Mairan eu 1723.
2
22 LAS NOSSOS D OR
Lou Coulège seguèt cauzit ^
Azais-, Viennet ^, e lou que de Tibullo
— Oun l'amour sempre nous embullo —
Avio traduch en francés lasdoussous *,
S'i traperou am quauques douttous,
Avoucats e litteratous.
Aqui, per un tems, s'i travalho ;
Mais sieguetpas qu'un fioc de palho,
Uno festo sans lendema.
Enfin se dounerou la ma
D'omes d'un noble caractero,
E foundèrou dedins Bitero
Nostro bello Soucietat
Que lou vielliun a pas tout a fait rouzigat.
Aici sem; — e, tustan lous veires,
Sans nous endroumi sul passât,
Beguem, beguem a nostres reires
E mai a l'aveni A Fimmourtalitat !
Frédéric Donnadieu.
Beziès, 14 mai 1885,
collège fut choisi'. — Azaïs -, Viennet^, et celui qui de TibuUe, — où
l'amour sans tin nous séduit, — avait traduit en français les beautés*.
— s'y réunirent avec des médecins, — avocats et littérateurs. — Là,
quelque temps, on travaille ; — mais ce ne fut qu'un feu de paille, —
une fête sans lendemain. — Enfin se donnèrent la main — des hom-
mes de noble caractère, — qui fondèrent dans Béziers — notre belle
Société, — qui n'est pas encore rongée de vieillesse.
Nous voici donc, et, choquant nos verres, — sans nous endormir
sur le passé, — buvons, buvons à nos anciens, — mais surtout à l'ave-
nir, à l'immortalité !
Frédéric Donnadieu.
Béziers, 14 mai 1885.
' Une réunioa académique eut lieu au commencement, de ce siècle, dans un
local du collège ; mais elle eut peu de durée et ne produisit rien au dehors.
^ Jacques Azaïs, l'un des fondateurs de la Société archéologique, père de
Gabriel Azaïs, notre secrétaire perpétuel. Ses travaux d'histoire locale, et sur-
tout son ri^cu^'il il<^ vhts biterrois ou Ve>:<t's f-ezicii encs, sool assez connus.
VILLANELLES
I
Parlaz-mi de moun aimado
Que, triste, ai deugut quità.
0! couro l'aurai troubado?
Coussi vieu la relaissado
Que ieu vole vesità?
Parlaz-mi de moun aimado.
Emb' elo, moun afFrairado,
Aro vène per resta.
0! couro l'aurai troubado?
Ount s'es elo retirado ;
Ount pourrai la devistà?
Parlaz-mi de moun aimado.
VILLANELLES
1
Parlez-moi de mon aimée — que, triste, j'ai dû quitter. — Oh! quand
la trouverai-je ?
Comment vit-elle, la délaissée — que je veux visiter? — Parlez-moi
de mon aimée.
Avec elle, mon amie de cœur, — maintenant je viens pour rester. —
Oh ! quand la trouverai-je ?
Où s'est-elle retirée; — où pourrai-je la découvrir? — Parlez-moi
de mon aimée.
pour nous dispenser de tout éloge. — -^ Vieanet (Jean-Poos-Guillaurae), de
l'Académie française, né à Béziers en 1777, mort à Paris ea 1868.
* Le marquis de Saint-Geniez, traducteur en vers français des Elégies di;
Tibulle (1814). Sa traduction est citée comme une des meilleures, avec celle
de.VIollevaut (1806),
VILLAN ELLES
Ah! ièn de ma desirado,
Pourriei pas pus pacientà !
0 ! couro l'aurai troubado ?
Pastresd'aquesto encountrado,
Se voulez mi voulountà,
Parlaz-mi de moun aimado :
0 1 couro l'aurai troubado!'
II
Vèn de mouri, Peirounèlo ',
Qu'aimave ieu mai e mai.
0 mort, que tu siès cruzèlo 1
La ploure, la paubarèlo,
La qu'aro pas pus aurai.
Vèn de mouri, Peirounèlo!
Ero ma migo fidèlo ;
Nous quittavian pas jammai.
0 mort, que tu siès cruzèlo!
Ah! loin de ma désirée, — je ne pourrai plus rester. — Oh ! quaml
la trouverai-je ?
Bergers de cette contrée, — si vous voulez me contenter, — parlez-
moi de mon aimée. — Oh! quand la trouverai-je?
II
Elle vient de mourir, Pernelle, — quej'aimais tant et plus. — 0 mort,
que tu es cruelle !
Je la pleure, la pauvrette, — celle que maintenant je naurai plus. —
Pernelle vient de mourir!
Elle était mon amie fidèle; — nous ne nous quittions jamais. — 0
mort, que tu es cruelle !
' Peirounèlo Pi-tronilla , en fraDçais Péronnelle et Pernelle.
SUPER FLUMINA BABYl OMS
E ris la primo nouvèlo :
M'adenan soûl anarai.
Vèn de mouri, Peirounèlo !
Lasso ! après ma pastourèlo.
Atambe leu mourirai.
0 mort, que tu siès cruzèlo 1
.Ta la nèblo m'emmantèlo :
Guaire pus noun souffrirai.
Yen de mouri, Peirounèlo!
0 mort, que tu siès cruzèlo !
P. Fesquet.
SUPER FLUMIXA BABYLOXIS
A Babilouno, quand nostros pauros mainados
Estendieu vès Sioun de mans entravacados,
Pensavian as tourmens de la caitivetad :
De nostres ièls mourens de lagremos toumbavou
Ras des flums que coulavou
Dedin lus ièch nadau en pleno libertad !
Et le renouveau nous sourit: — mais désormais j'irai seul. — Pe r-
uelle vient de mourir.
Hélas ! après ma pastourelle, — bientôt je mourrai aussi. — 0 mort,
que tu es cruelle !
Déjà le brouillard m'enveloppe: — bientôt je ne souffrirai plus .
Pernelle vient de mourir ! — 0 mort, que tu es cruelle !
P. F.
SUPER FLUMINA BABYLONIS
Au milieu de Babel, sur les bords de ses fleuves,
Las, accablés, nous nous étions assis
Pour pleurer sur Sion, sur ses longues épreuves,
Sur SCS beaux joins si vite ('vanouis.
2fi SUPER FLUMINA BÂBYLONTS
Erian aqui sétuds, e nostros liros mudos
As sauzes deTabro restavou suspendudos,
Mcntreque Torre estran, riguen de nostres plous,
Nous disié : «Prenez dounc las liros proufeticos
E digas lous canticos
Qu'en Juda cantavias d'un cor grat e gaujous.»
Nautres cantà, perque dins aquesto gent malo
S'entendiou las cansous de la terro mairalo ! . . .
Nou; jammai al païs ount avèn tant gémit,
Per lou fier aversié que tout jour nous atisso
Et qu'avèn près en tisso,
De nostres cans dévots lou brutz sero p'auzit.
Santo Jérusalem, nostro maire alanguido,
Que sonos vanamen ta famiho faidido
E que beleu papus de ma vido voirai,
Se dévié, ta memorio, un jour estre escrafado
De ma tristo pensado,
Se tu deviès quità d'estre ce qu'aim' al mai.
Que ma lengo tapoun cousento, dessecado,
Tengue à moun paladar e que sempre empachado
Nos cithares pendaient aux saules de ces rives,
Quand tout à coup nos rudes oppresseurs
Vinrent brutalement de nos tribus craintives,
Comme à l'envi, raviver les douleurs.
(( Ils voulaient, disaient-ils, entendre nos cantiques
Et se distraire à nos accords joyeux ! , , .
Ils voulaient que les chants de nos fêtes publiques
En ce moment retentissent pour eux 1 »
Ah ! comment vous chanter, nymnes de la patrie.
En notre exil, devant un peuple vain ?
Si jamais je t'oublie, ô ma terre chérie,
Qu'au même instant se dessèche ma main !
Que de taire ton nom ma langue soit foi'cce,
Si ta mémoire, objet cher à mou cœur,
SUPER FLUMINA BABYLONIS
Noun piesque faire auzi que de sounsfrevoulits;
Qu'en despièch de l'esfos de ma man tremoulanto,
Ma liro brounzinanto
Si taise e reste queto en mous detz araulitz !
Etern, o souven-ti de l'ouro espaventablo
Ount des efans d'Edora Tesclato détestable
Dounavo de couret à l'envaire lassât :
« A bassac ! à bassac ! » eles toutes cridavou,
E lous nostres toumbavou
Couvrits par lous derocs de la santo cieutad.
Mes toun jour es pas ièn, damnouso Babilouno,
Qu'as fatz de nostre front destacà la courouno.
Leu veiras de vitous, per tous baris dourbits,
Empourtà lous trésors qu'amassos numerouses,
En trepeïan irouses,
De tous tendres felens lous cadabres bouldrits.
P. Fesquet.
N'est dans mes vers sans trêve retracée.
Ou cesse un jour de faire mon bonheur !. . . .
Souviens-toi, juste Dieu, des fils de l'Idumée
Poussant sur nous des ennemis divers,
Et criant : « Par le feu venez voir consumée
Jérusalem, source de nos revers ! »
?]t toi, fière Babel, pour nous si redoutable,
Qu'il te soit fait au gré de nos souhaits !
Qu'il s'élève bientôt, cruel, inexorable,
Un roi vengeur pour punir tes forfaits !
Que l'ennemi vainqueur soit pour toi sans entrailles
Et sans merci pour tes peuples hautains ;
Qu'il broie en sa fureur et contre tes murailles
Le faible enfant anach(^ de tes mains!
P. F.
LOU VAUVENARGO D'ENRI POUNTIÉ
Qu's aquel apensamenti?
Rabelais, que de tout galejo?
Montaigne, sourrisènt scepti ?
La Bruyère, qu'un pintre envejo?
Montesquieu, d'esté dôumati?
Voltaire, esprit fin, amo vejo?
0 lou prefouns De Maistre? — Es-ti
Un qu'esclèiro? Un que beluguejo ?
Es un vas clin, grèu de trésor
Qu'a bôudre an mounta de soun cor.
Mai lou front plego sout lo cargo.
Dôu genio a la malautié :
Es noste Pascau, Vauvenargo:
Es l'obro majo de Pountié.
LE VAUVENARGUES D'HENRY PONTIER
I
Quelle est cette (statue) pensive? — Rabelais, qui de tout plaisante?
— Montaigne, le souriant sceptique? — La Bruyère, qu"un peintre
envierait?
Montesquieu, à la dogmatique allure? — Voltaire, esprit fin, âme
vide, — ou le profond De Maistre? Est-ce — un (de ces esprits) qui
éclairent? un (de ceux-là) qui scintillent?
Ce (front) est une urne inclinée, lourde des trésors — qui à foi.son
sont montés du cœur. — Mais il ploie sous la charge.
11 a le mal du p:énie. — C'est notre Pascal, c'est Vauvenargues; —
c'est l'œuvre majeure de Pontier.
LOU VAUVENARGO d'eNRI POUNTIÉ
II
Prendre un orne sus sa cadiero
E, vis-à-vis d'eu asseta.
Luca sa fàci, misto o fiero,
E, fiero 0 misto, la pasta.
Quinto creacioun vertadiero !
Mai i' a 'n triountie, en verita.
Qu'es en-subre ; e bouco badiero,
Ais, encuei, Tamiro espanta:
Quand d'un se saup ni lou carage,
Ni l'èr, — tout bèu just l'abihage, —
Lou faire sorge viéu dôu cros,
Vaqui^lou miracle, o felibrc.
Qu'as fa. — Mount as vist toun eros ?
Dins un mirau fidèu, soun libre.
A. DE Gagnaud.
Pourchiero. d'abriéu 1883.
Il
Prendre un homme sur son siège. — et, assis en face de lui, —
scruter son visage doux ou fier. — et, fier ou doux, le pétrir,
Quelle vraie création ! — Mais, en vérité, il est un triomphe —
au-dessusj (de 'celui-là); et, bouche béante. — Aix étonné Tadmire
aujourd'hui.
Quand de quelqu'un on ignore les traits — et l'expression, que tout
au plus (on sait) son vêtement, — le faire sortir vivant du tombeau,
Voilà, ô félibre, le miracle — que tu as fait. Où (donc) as-tu vu ton
héros? — Dans un miroir fidèle, son livre.
A. G.
SOUNETS AMOUROUSES
VIELS PREGITS
Voudriei ben estre au fin founs de la mar,
Ou sus un pioch quauque roc insensible ;
Voudriei ben estre un soucàs impassible,
Per senti res me pouni dins ma car.
Ai trop aimât, — hou recounouisse tard, —
Una enfant qu'es despietousa au poussible ;
Soufrisse un mau cousent, afrous, ourrible ;
N'en sabe ges, aval de pus amar.
Diéus inmourtals, que la pietat flourigue
Dins voste cor; voulountàs que mourigue,
Ou que lèu siegue en marbre tremudat,
A soula fi que dins tant freja essença
Pogue milhou supourtà Tescasença
D'un misérable aimant sans estre aimât,
SONNETS AMOUREUX
VIEILLES PLAINTES
Je voudrois estre au profond de la mer.
Ou teur un mont, quelque roclie insensible.
Je voudrois estre une souche impassible,
A celle fin de ne pouvoir aymer.
Pour aymer trop et pour trop estimer
Une beauté rigoureuse au possible,
Je souffre au cœur un tourment si terrible
Qu'il n'en est point là-bas de plus amer.
Dieux immortels, si la pitié demeure
Dedans vos cœurs, permettez que je meure
Ou que je sois en marbre transformé,
A celle fin qu'en si dure nature
Je puisse mieux supporter l'avanture
D'un misérable ayniant sans estre aymé.
Guy de Tours.
Souspii's amotireux . Sonnet xxix.
SOUNETb ÂMOUROUSES 31
LOU MIOSOTIS
Dins la prado fresqueto, — au bord dôu clar vala,
Mostre, quand vèn abriéu, — ma courolo mignouno :
Dis iue de FEnfant-Diéu ', — si cinq fueio en courouno
An bèn li couloureto — e li rai estela.
La chato au front pensiéu — arribo e me meissouno,
Coupe d'autri floureto — e li blavet dôu blad ;
Tôuti pèr sa maneto, — emé bon biais mescla,
Fourman bouquet gentiéu — qu'amiro la chatouno.
— (( Floureto de la prado. — a fa, sias pèr moun bèu ;
» Pourtas-ie mi pensado — e moun amour fidèu,
» Mis espèr, mi désir, — mi dous raive de femo;
i> E tu la pus pichoto, — en ie parlant tout bas,
» Digo-ie : De Mignoto, — ami, n'ôublides pas
» Li tourment, li souspir — e li caudi lagremo. »
* En Prouvènço, dison au miosotis lis iue de VEiifant Jcsus.
LE MYOSOTIS
Dans la fraîche prairie, au bord du clair ruisseau, — je montre,
quand avril arrive, ma mignonne corolle : — des yeux de TEnfant-
Dieu', ses cinq pétales en couronne — ont bien les couleurs tendres
et les rayons étoiles.
La jeune fille au front pensif vient et me coupe, — avec d'autres
fleurs et les bleuets des blés ; — toutes, arrangées avec art par sa
main, — nous formons un bouquet charmant qu'elle admiVe.
« Fleurettes de la prairie, fait-elle, vous êtes pour mon adoré; —
portez-lui mes pensées, mon fidèle amour, — mes espérances, mes
désirs, mes longs rêves de femme ;
Et toi. la plus petite, en lui parlant à demi-voix, — dis-lui: De
Mignonne, a.m.i,)i' oubliez pas — les tourments, les soupirs et les lar-
mes brûlantes.
' Ea Proveuce, le myosotis porte le nom d'i/eiix de l'Enfant J<i.^it^.
32 SOUNEIS AMOUROUSES
PREGUIERO
A la chato que, me diguént un jour : « Ai pantaisa de vous
me remembré li vers de V. Hugo
Donnez
Afin d'être meilleur, afin de voir des anges
Passer dans vos rêves, la nuit.
Dins ini suau pantai, lou qu'avès vist passa,
N'a pas d'un anjounèu lis alo immaculado:
Dôu mau a mai d'un cop couneigu l'embulado,
E dins soun cor d'enfant forço espigno an poussa.
Vosto aparicioun fugue la ventoulado
Que boufè dins soun cèu pèr li nivo cassa;
E despièi, d'un amour que rèn pou amoussa,
A coume un serafin sa pauro amo brulado.
N'en dis mot à degun, se coumplais dins soun mau ;
Sertis vosto bèuta dedins un vers d'esmau
0 repasse dins eu li grèu soucit qu'enduro.
A besoun de pieta, car es bon, jouine e dous ;
Atambèn, se vonlès calma sa blassaduro,
Digas-ie d'entre-tèms : « Ai pantaùa de vous.»
PRIÈRE
A la jeune fille qui. me disant un jour: < J'ai rêvé de vous », me
rappela les vers de V. Hugo
Donnez
Afin d'être meilleurs, afin de voir les anges
Passer dans vos rêves, la nuit.
Celui que, dans un rêve suave, vous avez aperçu, — n"a pas les ailes
immaculées d'un ange; — du mal il a souvent connu l'embûche, — et
bien des épines ont poussé dans son cœur d'enfant.
Votre apparition fut le vent — qui souffla dans son ciel pour chas-
ser les nuages ; — et depuis, d'un amour que rien ne peut éteindre,
— il a, comme un séraphin, sa pauvre àme brûlée.
11 n'en .lit mot à personne, se complaisant dans son mal ; — il
sertit votre beauté dans un vers d'émail, — ou repasse intérieure-
ment les griefs soucis qu'il endure.
11 lui fuit lie la iiilié, cai- il est bon. jeune et doux; — aussi, si vous
voulez calmer {\a douleur de sa blessure, — dites-lui parfois: « J'ai
rêvé de vous. »
SOUMETS AMOUROUSKS P3
JOUR DE BRU MARI
Deforo fasiè 'n tèms! un tèms de fin d'autouno.
Despièi vue jour la plueio, e la nèblo, e lou veut;
Preissa, pèr la carriero, orne, femo, jouvènt,
Couri'ièn coume un troupèu que lou chin amoulouuo.
Eli, dins la chambreto ounte abrigon souvent
Lou l>onur très cop sant que Jouvènço ie douno,
Disièn à pleno voués, e felibre. e chatouno,
Dôu drame de Bornier' quauque tros esmôuvént.
Eujougavo Gerald; elo, lajouino Berto.
La passioun, à la fes pudico e descubèrto,
Sourtié de chasque mot, dounant vido i tablèu. . .
Quaucarèn d'angeli cantavo dins lou membre ;
E iéu, lis escoutant, ôublidave Nouvèmbre. . . .
Jamai s'èro caufa, moun cor, à tau soulèu.
La Fiho de Rouland.
JOUR DE BRUMAIRE
Il faisait dehors un temps 1 un temps de fin d'automne. — Depuis
huit jours, la pluie, et le brouillard, et le vent; — pressés dans la
rue, hommes, femmes, jeunes gens, — couraient comme un troupeau
que le chien rassemble.
Eux, dans la chambrette qui souvent abrite — le bonheur trois fois
saint que la jeunesse leur donne, — disaient à pleine voix, et félibro,
et jeune fille, — quelque passage émouvant du drame de Bornier'.
Lui jouait (le rôle de) Gérald, elle (celui de) la jeune Berthe : —
la passion, à la fois pudique et visible, — jaillissait de chaque mot,
animant les tableaux.
Quelque chose d'angélique chantait dans la salle ; — et moi, les
écoutant, j'oubliais novembre. — Jamais mon cœur ne s'était réchauffé
à tel soleil.
i La Fille de Roland.
34 SOUNETS AMOUROUSES
PERQU'ERE TRISTE
A Liso, que me demandavo Tencauso de ma tristesso
lou jour dou premié de l'an
Sounjave, aièr matin, à ma jouvènço morto,
Is an que lou tèms raubo e que nous rend jamai ;
I jour ounte enfantoun, parpaiounet pèr orto,
Etèrni cujave èstre e flour, e mes de mai.
Sounjave is ilusioun qu'un vèspre Tauro emporte,
Ajustant d'autri pes i pes de nèste fais;
E m'ère resôugu de pestèla ma porto
1 vot trop messourguié que lou mounde nous fai.
Dins un pantai doulènt se moustravo ma vido
Tant sourno que clamave : « 0 Mort, fugues avido !
Mando lèu depasturo i vermas afama! »
Quand revenguère à iéu, quand tourné ma pensado,
M'atroubère, traçant sus la vitro neblado,
De la pouncho dôu det, voste noum bèn-ama.
P. Chassart.
2 de janvié.
POURQUOI J'ÉTAIS TRISTE
A Lise, qui me demandait la cause de ma tristesse le premier jour
de l'an
Je songeais, hier matin, à ma jeunesse morte, — aux années que
le temps vole et ne nous rend jamais; — aux jours où, petit enfant,
papillon dans la campagne, — je croj-ais éternelle la durée des fleurs
et du mois de mai.
Je songeais aux illusions que le vent emporte le soir, — ajoutant
d'autres poids aux poids de notre fardeau ; — et j'avais résolu d'inter-
dire ma porte — aux souhaits menteurs que nous adresse le monde.
Dans un rêve pénible, ma vie se montrait — tellement sombre que
je criais : (c 0 mort, sois donc avide! — Fournis quelque pâture à la
voracité des vers ! . . .
Lorsque je revins à moi, quand j'eus repris ma pensée, — je me
trouvai, traçant sur la vitre bueuse, — de la pointe du doigt, votre
nom bien-aimé.
P. Chassakv.
2 janvier.
VARIETES
HOULE
Entre autres vocables romans qui semblent dériver du latin plutôt
que du celtique ou des langues germaniques, il faut citer le français
houle, en espagnol ola.
D'après M. A. Brachet [Dict. étym. de la lang . fr.), houle nous est
venu du breton houl, a vague. » Mais, en réalité, ce mot pourrait
n'être qu'une modification de urultila, diminutif de itndaj « vague,
houle . »
En effet, selon les règles connues de la phonétique romane :
a) Quand l'atone u de undûla est tombée, il reste und'la ;
h) Or le d de und'la étant muet s'efface, et und'la se réduit à
un' la */
cj Puis, par assimilation des dissemblables ni, un'la fait place à
ulla V
d) Ensuite, selon la tendance à la moindre action, ulla se contracte
en ula ^;
e) Mais u, de ula ne reste pas tel : il se modifie en o, d'où ola'*;
1 Règle: « Si par chute de la voyelle il y a rencontre de trois consonnes,
celle du miheu tombe, si elle est muette. » Voy. Saint-Galmier — sanctus
Baldomerus, — italien manucure = manducare, — lang. amenlo = amyg-
dala, — arroche = atriplica (arriplica, arripl'ca, arrip'ca, arrica, arroca, car
i =r 0 (fr. semoule = simila, — ordonner ^ ordinare, — galoches = galli-
cas, — GéDolhac, nom de lieu, Gard = Juniliacum, etc. Atriplica mis pour
atriplex, comme facia pour faciès, — glacia pour glacies, junica pour junix,
icis, — hirunda pour hiruudo, etc.
* Cf. corolle, lang. courolo := corolla (pour coronula, coroo'la, corolla), —
lang, ^oWo, italien culla =^ cunula (cunla, cuila), italien lulla, « douve du
fond du tonneau » pour lunula, — au Vigan (Gard), espillo , épingle =
spinula, etc. V. latin villum (pour vinulum) dimin. de vinurn.
3 Pour // = I, cf. coule, froc (cuculla), — ampoule (ampulla', — lang.
oulo (olia), alevin (allevamen), — pelisse (pellicia), etc.
* Cf. fr. échaudole (scandula), girandole (girandula), colombe (columba\
tombeau (tumellus, dimin. de tymbus), ormeau (ulraellus), onde (unda), sp.
ola, houle, vague (lat. undûla). — Uq^. fade manipolos, agir en dessous,
tromper, duper (manipulas), concombre (cucumen.
36 NECROLOGIE
/■) A son tour, o de ola se change en ou en français, d'où oula '.
(j) De plus, a de oula devient e, comme dans fève = faba, — sève
= sapa, — case = casa, — pelle = pala, — rose = rosa, etc., et nous
arrivons à
h) ouïe, qui pourrait bien être passé dans l'usage sous la forme de
houle, comme huile (d'oleum), houe (d'occa), huis (d'ostium), huit
(d'octo), huître (d'ostrea), hurler (d'ululare), etc.
Donc, si toutefois notre démonstration pouvait être admise i^t
produire une conviction scientitique, /iO(i/e dériverait du latin undûla .
P. Fesquet.
NÉCROLOGIE
M. Melchior Barthès
Au moment même où le deuxième et dernier volume des Flouretoti
(le mountagno fut déposé sur le bureau de notre Société, un compte
rendu détaillé de ce livre, non moins intéressant par le dialecte dans
lequel il est écrit qu'attrayant par les nombreuses poésies qu'il ren-
ferme fut confié à l'un de nous. La rédaction de cette analyse a été
retardée par diverses circonstances, que celui qui s'en était chargé a dû
subir. En attendant qu'elle paraisse, nous avons aujourd'hui le triste
devoir d'annoncer la mort de l'auteur même qui en était l'objet.
M. Melchior Barthès, pharmacien honoraire de première classe, fé-
libre majorai, auteur d'un Glossaire botanique languedocien-français-
latin, honoré d'une médaille d'or par la Société de botanique et d'iiis-
toire naturelle de l'Hérault, membre et lauréat de la Société pour
l'étude des langues romanes et de plusieurs autres sociétés scieutiti-
qiies et littéraires, s'est éteint le 18 février 1886, à Saint-Pons-dc-
Thomières, sa ville natale, dans laquelle s'était écoulée à peu près toute
sa vie.
Victor Rettner, notre infortuné confrère, dont les vers ont plu-
' Cf. ourlf^r inriilarfl . oublier (ohlitarfi . outre utrem). laug. oulo (olla).
NECROLOGIE 37
sieurs fois enrichi les pages de cette Eevue, et qui, comme Gilbert et
Hégésippe Moreau, a fini ses jom-ssur un lit d'hôpital, était aussi né
dans cette ville.
M. Melchior Barthès avait soixante-huit ans. Bien qu'ilfùt parvenu
aux portes de la vieillesse, il y a lieu de s'affliger que la cruelle ma-
ladie qui avait peu à peu anéanti ses forces physiques, sans rien lui
enlever de sa vigueur intellectuelle, ne lui ait pas laissé le temps
d'achever son oeuvre et de nous donner encore d'autres travaux.
C'était, nous ne craignons pas de le dire, un savant consciencieux et
modeste, dont les talents et les aptitudes, confinés durant toute une vie
dans un entourage bien restreint, auraient pu, sans contredit, paraî-
tre et se développer honorablement dans un autre milieu. Enkmann-
Chatrian disent, dans un de leurs romans nationaux: « Souvent les
hommes d'un grand talent s'enterrent à droite et à gauche dans de
petits endroits où personne ne se doute seulement de ce qu'ils valent.
Ils prennent tout doucement leur pli, et disparaissent sans qu'on ait
parlé d'eux. » (Le Blocus, XV) '. Ce type honorable, méconnu des es-
prits superficiels qui jugent les hommes d'après les qualités exté-
rieures, se rencontre encore chez certains pharmaciens de petite ville,
véritables et souvent seuls conseillers possibles de l'autorité et de
leurs concitoyens dans une foule de questions qui intéressent la santé,
l'hygiène publique, les applications de la science à l'industrie et aux
arts.
Tel a vécu M. Melchior Barthès, ayant cherché avant tout à se ren-
dre utile. La publication de son Glossaire botanique languedocien est
une preuve des efforts heureux faits par lui dans ce but. Ce livre a
été jugé comme il le mérite par un de nos anciens confrères, dont
voici les paroles^ :« La plus importante des œuvres de M. Barthès,
» dans l'ordre de leur publication, fut celle de son Glossaire de bota-
» nique, dont le résultat a été d'établir et de fixer la flore de l'ar-
» rondissement de Saint- Pons, après en avoir soigneusement recueilli
» les espèces végétales et définitivement fondé l'herbier.
» Le jury de la Société d'horticulture et d'histoire naturelle de l'Hé-
» rault, dont nous avions l'honneur de faire partie, frappé de l'utilité
» et de l'importance de ce Glossaire, décerna à son auteur une mé-
» daille d'or. Ce fut la légitime récompense d'un ouvrage dans lequel
1 Cette nouvelle contient ua moi patois très-bien réussi pour des auteurs
étrangers par leur naissance à notre Midi et à notre littérature. Le négociant
de Pézenas qui expédie au père Moïse, une bonne tigure de juif, principal per-
sonnage de l'ouvrage, les douze pipes d'eau-de-vie, s'appelle M. Quataya.
■' Ch. Cavallier, notaire honoraire, Étude hi/jlio'jmphique et littéraire sur
if Melchior Barthès, [Messager du Midi du 31 mars 1886.)
38 NECROLOGIE
i> chaque plante est désignée par ses noms néo-romaus languedo-
» ciens, ses noms français, latins, ses propriétés, ses usages, ses pro-
yy duits, après avoir été méthodiquement classée dans la famille bota-
» nique à laquelle elle appartient.
» Il est facile, en parcourant ce volume, de se rendre compte des
» longues et laborieuses recherches qu'a dû coûter à M. Melchior
» Barthès sa composition.»
M. Melchior Barthès nous appartient surtout coumie romauisaut.
L'étude bibliographique annoncée permet d'ajourner le jugement que
l'un de nous portera sur son œuvre. Rappelons, en attendant, que
c'est à Montpellier que son talent a été spécialement reconnu et en-
couragé. A part la médaille d'or décernée à son Glossaire par la So-
ciété d'horticulture et d'histoire naturelle, son premier volume des
Flouretos de mountagno reçut en 1878, de la Société pour l'étude des
langues romanes, une médaille d'argent. Le deuxième, celui-là même
tlont l'apparition a précédé de si peu de temps sa mort, et qui peut
être regardé comme son testament poétique, fut honoré en 1884 d'une
médaille d'or dans le concours littéraire ouvert à l'occasion du cente-
naire de Favre.
Dès aujourd'hui, deux points peuvent être mis en lumière.
L'examen des dates inscrites à la fin de plusieurs des pièces qui
composent ce dernier volume démontre que M. Melchior Barthès a
été félibre avant même que le félibrige existât. Il en est de ces pièces
qui remontent à 1842. Toutes, sauf celles qui occupent les derniè-
res pages, sont antérieures à 1854, époque où les sept poètes de Fout-
segugne posèrent les fondements de la vaste association littéraire qui
a poussé, depuis, tant de rameaux, et qui, au moment où les dialec-
tes locaux semblaient menacés dans leur existence, leur a infusé pour
bien des années encore une nouvelle vie, en leur empruntant la ma-
tière verbale de poëmes déjà nombreux, dont quelques-uns sont des
chefs-d'œuvre, et en établissant des écoles philologiques régionales
destinées à les étudier, à les purifier, à les protéger. M. Melchior
Barthès n'a pas attendu la constitution du félibrige pour écrire dans
la langue de son pays et pour l'aimer. Sans vantardise et sans honte,
il a fait briller en des temps d'oubli le flambeau de la poésie lan-
guedocienne, et il doit occuper un rang distingué parmi les auteurs
qui ont assuré la vitalité d'une tradition près de s'éteindre. Son con-
temporain et correspondant Peyrottes, le potier de terre de Cler-
mout-l'Hérault, mon compatriote et l'ami de ma famille, mérite d'être
placé près de lui à ce point de vue; mais il n'a pas eu, comme lui, le
bonheur de voir la glorieuse et universelle expansion de la renaissance
provençale. Il est morten 1858, dans toute la force de l'âge et du talent,
honoré et regretté comme un frère parla brillanle pléiade de l'école
NECROLOGIE 33
d'Avignon, qui Taiirait regretté bien plus encore si, comme moi, elle
avait pu jeter un coup d'œil sur le manuscrit de ses œuvres com-
plètes, méthodiquement classées par lui-même et prêtes, pour ainsi
dire, à être envoyées à l'imprimeur. On m'a dit que j'étais désigné pour
en faire l'édition. Il est cà craindre que l'exercice absorbant de la pro-
fession médicale ne m'en laisse pas le temps'.
Voici le second point. En dehors même de la Provence, un grand
nombre de ceux qui ont rimé en langue d'oc n'ont pas résisté à la sé-
duction dudialectedeRoumanille, d'Aubanel etdeMistral. On a peu à
peu cédéàla magie de la forme, et, après avoir lu les œuvres des grands
maîtres de notre renaissance, soit coquetterie philologique, soit pour
leur rendre hommage, on a voulu aussi composer dans leur idiome. Il
n'y aurait pas grand mal à cela, tout pouvant être imité dans un bon
modèle, si la trop grande généralisation de l'habitude ne devait entraî-
ner l'abandon de la langue que plus d'un d'entre nous a entendue
dans son enfance, et la faire considérer à la fin comme un mauvais
instrument, bon à être brisé ou tout au plus conservé parmi les curio-
sités archéologiques. Cette unification dialectale est contraire, hâtons-
nous de le dire, à l'essence même du félibrige. Roumanille inséra dans
Il Prouvençalo, parues en 1852, des pièces de Moquin-Tandon, de
Peyrottes et de Jasmin. Romanisants et félibres, nous ne devons pas
oublier que la variété même de nos idiomes fait un des charmes de
nos études. Ne soyons pas plus Provençaux que les Provençaux eux_
mêmes : nous sommes de la même armée, sans être du même régi-
ment.
Notre ami Albert Arnavielle, qui n'est pas le dernier parmi les fé-
libres, nous a assuré qu'il n'avait fait qu'une seule infidélité au dia-
lecte cévenol; encore s'agit-il, dans l'espèce, de son Nouvè remouUnen^
qu'il dut bien composer dans le dialecte parlé par les gens qui devaient
le chanter. Patriote pendant sa vie entière, M. MelchiorBarthès a con-
servé jusqu'à la mort le monothéisme du dialecte saintponais, qui lui
a paru suffisant pour exprimer les sentiments les plus variés, depuis
les plus gais jusqu'aux plus sévères. Les Flouretos de mountagno sont,
1 Cet article était composé quaad nous avons lu dans le n° 2 de V Union des
Reinies méridionales, organe hebdomadaire de la Proye?ice(Marseille, 18 avril
1886), l'annonce de la prochaine apparition d'un ouvrage de M. Thaddee
Suche, ayant pour titre les Poètes provençaux antérieurs à 1854. Il y là le
sujet d'une œuvre très-instructive d'histoire littéraire, qui doit franchir les
limites de la Provence proprement dite, même celles de l'ancienne Province
Romaine, dans laquelle Agen, pays de Jasmin, n'aurait pas été compris, et
s'étendre à tous les pays de langue d'oc, c'est-à-dire, à peu de chose près,
à la moitié de la France.
40 NECROLOGIE
pour ainsi dire, l'hisloirode sa vie. Son mariage, sa vive affeetion pour
celle qui a parta<;é son sort, la naissance de leurs enfants et la mort de
l'un d'eux, les faits principaux dont il a été témoin à Saint-Pons, les
particularités de sa carrière pharmaceutique, ses regrets de l'aliénation
partielle d'une forêt communale où il allait cueillir ample moisson de
plantes pour ses herbiers et probablement aussi de sujets de poésie,
que la joie de faire un peu d'école buissonnière en dehors de son of-
ficine, véritable prison scientifique où le pharmacien passe presque
toute son existence, devait naturellement lui inspirer, événements
gais ou tristes, souvenirs aimés de la vie d'étudiant, tout se trouve dans
ce livre ondoyant et divers comme la vie humaine. M. Melchior Bar-
thès y a ri tour à tour et raillé, pleuré et prié dans la langue de ses
pères. Elle lui a fourni des accents qu'il a pu s'appliquer en maintes
circonstances, même dans les plus solennelles. Jeanne d'Albret, en
donnant le jour à Henri IV, chantait, dit-on, dans l'intervalle des
douleurs, ]v fameux cantique béarnais :
Nosta Dona del cap del Pont,
Ajudas-nos en aquesta hora.
Il nous a été dit c^ue les lèvres mourantes de j\I. Barthès nmrnui-
raient cette stauce que nous avions lue dans son ouvrage, et dont le
rappel en un pareil moment fut l'aflîrniation la plus éloquente de la
constance des sentiments religieux qu'il avait toujours professés :
Soulel de l'univers, divine Prouvidenso,
Siès la counsoulaciu dal que vous vol aima;
Serès, tant que viurèi, toulo moun espereuso.
Que la mort me susprengue uno creux à la ma ' !
Nous sommes heureux d'avoir pu consacrer quelques lignes à ce
pu-fait honnête homme, modèle d'intégrité professionnelle et de ver-
tus publiques et privées.
Adelphe Espagne.
I Flouretos de mou7ita(jno, t. II, p. 27 [lou Divendres sant, ou la Pussiii
de Nostre-Segne) .
BIBLIOGRAPHIE
Documents historiques bas-latins, provençaux et français, concer-
nant principalement la Marche et le Limousin, publiés sous les auspices de
la Société archéologique et historique du Limousin, par Alfred Leroux,
EmiJe Molinier et Antoine Thomas, anciens élèves de l'École des Chartes.
— Limoges, imprimerie-librairie veuve H. Ducourtieux. 2 vol. in-8°, 18So-
1885.
Cet important recueil, qui comprend plus de 700 pages in-S", inté-
resse surtout les études historiques ; mais plusieurs des documents
qu'il renferme ne sont pas d'un moindre prix pour le philologue que
pour l'historien . Il faut citer en première ligne un certain nombre de
chartes limousines que M. Thomas, car c'est à lui qu'incombait cette
partie de la tâche des éditeurs, a publiées et en partie traduites avec
le soin et l'exactitude qu'il apporte à tous ses travaux. Trois de ces
chartes font partie d'un cartulaire de l'aumônerie de Saint-Martial,
rédigé, d'après M. A. Leroux, au Xle siècle. Ce seraient de beaucoup,
dans ce cas, les plus anciennes du recueil ; mais l'époque est peut-être
un peu trop reculée. Les autres s'échelonnent entre 1200 et 12G0. Les
documents latins contemporains ou antérieurs offrent aussi matière à
d'utiles observations, à cause des noms propres de lieux ou de person-
nes en pur roman que l'on y rencontre.
Un compte rendu détaillé du recueil de MM. Leroux, Molinier et
Thomas, ne saurait trouver place ici ; je dois me borner à quelques re-
marques sur la partie philologique de la publication .
T. r, p. 22, n. 2. Montjuuvi dérive, à mon avis, de montem gamlii,
et non, comme le croit M, Thomas, de Montemgaiidivum, qui aurait
donné Monjauviu. — P. 34, 1. 3, fitho . Faute d'impression pour
filho. Cf. la note. — 56, 1. 5, Champalima. On aurait aimé trouver
une note sur ce nom de lieu, qui rappelle Champalinum. le type bien
connu du Calino limousin. — 83. Dlnsel ? Ne serait-ce pas plutôt
d'Uisel? — 144, 1. 1 . Je lirais la RaoJfeta, et de même, à la ligne sui-
vante, la Bolessa, la Petita, et plus bas, la Munia (ou mieux la 3Iun-
jaf). — Ihid. 1. 3 du bas, du Brut. Faute d'impression pour c?eu .*
C'est dans tous les cas ce qu'il faudrait. — 149, pièce no 31, 1. 3 et 8,
qui ste. Pourquoi ne pas écrire ^-mî-s <e.^ Sans doute pour reproduire
sans changement la graphie du ms. Mais cela peut dérouter le lec-
teur. J'écrirais aussi, ibid., n'Ato, plutôt que Nato. De même, p. 151,
n'Aisiliiia, plutôt que n'Aci. . . — Pourquoi, dans cette même pièce, ^
nd no serait-il pas e nom (in uomiuc), aussi bii^u et mieux que et dont-
42 BIBLIOGRAPHIE
num? — 152, 1. 6, al'oups. Corr. uops, ou est-ce une faute d'im-
pression ? Ihid. J'écrirais, pour les raisons déjà données, n'apertenia,
n'eren, Il Esteve, etc . Ce ne serait du reste que logique, puique M. Th.
écrit qu'il, l'ups, etc. Ihid. 1. 9, « efer.» La traduction indique que
M. Th. a vu un là adjectif = lat. inferum, h\en qu'il ne l'ait pas noté
au vocabulaire. Je crois que c'est à tort. Le sens doit être : «. . . le
chemin qui part du carrefour et aboutit (efer) an fossé.» Cf. Godefroy
soua fei'ir. — La lin de la même pièce ne me paraît pas avoir été très-
bien comprise, et cela parce que M. Th. y a méconnu, ce me semble,
la véritable signification deill, qui est ici, à mon avis, non pas j^ro-
nom personnel, mais pronom démonstratif, comme en d'autres tex-
tes. Il faut traduire en conséquence : a Et ceux qui en étaient bailes
confirmèrent la donation », au lieu de: « Et ces derniers qui. . .» Une
ligne plus bas on retrouve ce même pronom dans le même rôle de dé-
monstratif : il las Moleiras = ceux des Moleiras, et non les las Molei-
ras, comme a traduit M. Thomas, ce qui est un peu différent. Il d'ail-
leurs ne saurait être une forme de l'article ; il faudrait li . La phrase
dont cet il est le sujet est assez obscure. Je soupçonne un parfait plu-
tôt qu'un subjonctif présent dans achapten. Le scribe aurait pu faci-
lement omettre à la droite du t le signe abréviatif qui vaut er. Il fau-
drait mettre à la vestizo de Fonlop far entre deux virgules .
P. 153, pièce 34, 1. 6. s'en. Lis. s'eu; faute d'impression. N'y en a-
t-il pas une autre dans ce qui suit immédiatement : non a faziaf Cette
forme a, pour ^oc^ serait dans un texte limousin bien extraordinaire.
P. 157, 1. 20. La forme mair = mais, qu'on lit ici, est-elle sûre?
Le glossaire ne la mentionne pas. Elle ne serait pas d'ailleurs plus
surprenante que mar et mor, l'une et l'autre bien connues, — Ihid.
1. 10, cui cel avem. Corr. cin(=sin; cf. même p. cea^=sea) celaven?
Le passage n'est pas très-clair. — 159, 1. 18, lire aqui on. — L. 19,
i an fasen = y aille faisant (c'est-à-dire y fasse); le point d'inter-
rogation placé après an est donc à supprimer.
P. 175,2. Pourquoi changer es ani en e am? es, pour ef, est une
forme bien connue. — 178, 1. 29, lis. s'i aperte. — 197, 1, 7 du bas,
ou fossat. C'est déjà la forme actuelle du datif de l'article (==. au),
et il est intéressant d'en constater l'existence à une date si reculée
(1288).
P. 308, dernière ligne du texte. C'est à tort que tautum a été sub-
stitué ktamen. Ce dernier adverbe est bien celui qui convient. L'édi-
teur n'a pas vu qu'on fait ici allusion à la parenté spirituelle qui se
contracte entre le parrain et la mère, ou entre la marraine et le père
d'un enfant baptisé, et qui est un des empêchements du mariage.
T. II. P. 5,1. 7. veit. Le sens paraît être vint. Faut-il corriger
veintï ou cenit? Il y a d'autres mots latins dans ce document. —
BIBLIOGRAPHIE 4î
Jhid. 1. 14 et 16, avent. hive auenf. C'est de cette forme que s'est
ensuite développé auvent, par l'insertion du digamma. — L, 14, lo
jotze. C'est probablement un surnom. Il faut, par conséquent, écrire
Jotze. Cf. p. 24, art. 8, p. 25, art. 50. — 14. Le verset rapporté dans la
note 1, et qu'on trouve souvent cité dans les testaments du moyen
âge, n'est point tiré des apocryphes. Il est aussi authentique et
canonique que possible. Cf. Revue des l. rom., XXII, 174, 3-7. — 21,
1. 2. Pourquoi ne pas écrire a la Cumba, et, ligne suivante, u la
Clausura ? et de même encore un peu plus bas, al Forn, a la Meanla ?
p. 23, dernière ligne, al Poi? — 24, 1. 4, lis. auent. — L. 14, hleih.
Corr. meilz ? Le mil et le maïs (panitz) sont souvent nommes ensem-
ble. Voy. Du Gange, sous pamctM?« .
Avant V'mdex rerum et Vindex nominum, l'un et l'autre très-co-
pieux, on trouve un glossaire provençal que j'ai déjà mentionné plus
d'une fois et qui est fort court, car l'auteur n'y a voulu comprendre
que «les mots, les formes et les sens qui ne figurent pas dans le Lexi-
que rotnaîi, ou qui oiïrent un intérêt philologique particulier. » On y
peut relever plusieurs omissions : par exemple, absas, I, 177; estanc,
I, 159; eu (= el) I, 165; ostra, I, 181; la locution vendent e com-
l^rant, I, 177. Quelques mots sont mal expliqués ou ne le sont pas,
qui auraient pu l'être. Justa est une espèce de bouteille, de vase à li-
quides. Voy. Du Cange, sous ce mot. — Avena mespezol est Y>QVit-èiY(i
de l'avoine mélangée de pois (mest pezols). Cf. passim aques pour
aquest, et quant à piezol, qui manque à Eaynouard. voy. Du Cange,
sous ^esaî^. — Empaitrier n'a pas, ce me semble, la même origine que
le fr, empêtrer. J'y vois une autre forme de empachier, c'est-à-dire
empaitier, où la liquide se sera introduite, comme il arrive souvent
après t. Cf. trésor, fristre, env. fr., etc., etc. — Tressia est, par mé-
prise sans doute, qualifié d'adverbe. C'est une préposition.
Cea est bien certainement sea, et le sens de ce mot n'est pas dou-
teux. Il signifie siège, spécialement siège épiscopal, évêché. Cf. la
sea de Burdeu vacant dans des documents bordelais de 1274 et 1288
{Archives historiques de la Gironde, t. V et VI). J'ai vu encore ce mot
en d'autres textes, avec la même signification ' . La forme pleine seda
existait également. Je la trouve encore employée en plein seizième
siècle dans le Languedoc : « Monsenor le percurayre del Rey en la
seda reala de Limos » (1536).
Chauchiera, traduit par cabane, avec le signe du doute, est proba-
blement une tannerie, en prov. moà. cauquiero ; ce pourrait être aussi
un four à chaux. Voy. calcaria dans Du Cange. C. C.
1 M. Thomas l'a depuis remarqué et signalé kii-mèine dans uu document
rouergat de 1218. Cf. Romania, XIV, 275,
PÉRIODIQUES
Bulletin archéologique et historique de la Société ar-
chéologique de Tarn-et-Garonne. T. XII. Année 1884. 2' tri-
mestre,
P. 81. E. Soleville. Chants populaires du bas Quercy. Suite d"une
très-intéressante collection. — 97. Le général Seatelli. Excursion ar-
chéologique faite à Cahors le 28 avril 1884. — 117. Ch. Dumas de
Rauly. Fragments de vies de saints en langue romane du XlVe siècle.
Le ms. dont ces fragments sont le seul reste appartenait à l'abbaye
de Moissac. Si mutilé qu'il soit, il faut remercier M. de Rauly de
l'avoir fait connaître. Les vies qu'il renfermait étaient très-brèves, à
en juger par ce qui s'en est conservé. En raison du peu d'étendue de
ces fragments, je les reproduis à la fin du présent article, avec quel-
ques corrections et quelques éclaircissements. La leçon du ms., que
je suppose fidèlement reproduite par M. de Rauly, est toujours don-
née en note, quand je crois devoir m'en écarter. De ces fragments,
au nombre de sept, le premier et le dernier ont perdu leur rubri-
que. Il ne m'a pas été difficile de retrouver celle du dernier ; mais
je ne devine pas quelle pouvait être celle du premier. La mention
de Figeac donne lieu de supposer qu'il s'agit là d'un saint particu-
lièrement honoré dans le Quercy. — L'écriture du ms. est du XIV* siè-
cle, et c'est aussi l'époque qu'indique la langue.
C. C.
[Sermo ?]
quant li passero a Figac, e aviahi i home malaut, e juret que
morgues ' nepassaria ain i home, que loguariria, e quant passero pel
pon de nuech, se tenc aqui e dis : « Ajudes ^ mi, per amor de Dieu td,
e tantost quant hi toquet lo drap en que era lo cors, el vich be he
bel.
8ERM0 SANOTE GERALDI
Sans Guiral fo de Alvernhe, cavalier ; era fort noble home e avia
gran renda en Alvernhye. E son paire era de Carsi ; e non s'aprojava
de la dona mas en temps degut, e avia a nom Guiral coma el, e somiet
que I filh auria que auria a nom Guiral coma el, e en ayssi si ende-
1 Lis. )nclf/ues? Ci. plus loin, p. 45, notes 2 et 10. — ' ajeudes.
PERIODIQUES 45
venc ; e £es gran penedensa e det so que avia per Dieu ; e had ' Orlhu
fan ne gran festa, car haqui es lo cors .
SERMO DE SANCTE LUCHE, EVANQKLISTA
Saut Luc era bos metgues -, e era d'Antiocha, segon que se retrav
en la sua vida, he fonc^ companho de sant Paul en peragrinatio, n
quant sant Paul trametia^ sas letras ha Colocences, e el hy metin
S. Luc, e saludava^ los dizens : « Luchas nostre frayre cars, que esa[m'i
me », e pueys anet en Gracia aportarlos evangelis ha i avesque
que avia nom. . .
SERJfO SANCTE COSME ET DAMIE
Santz Cosme et S. Damia ero.. .de la cieutat de Tra '^ e preyro mar-
tire sotz Dioclesiaremperayre,e quant " no volian sacrificar las idolas,
fes los liar e gitar en la mar. Els angielhs getero los foras, e aquel
prezes ^ que s'apelava Licia damandet loz am quai malefici obravo ^ e
elhs disero: c( Cristias sem j), e fec los gitar el fuoch. El foch per vo-
loatat de Dieu si escantic, e adoncas el comandet qiie hom los levés en
cros. E ero metgues'" e de noble linage.
SERMO SANCTE MICHAELIS
Deves far raso de saut Miquel, e deves saber oitra mar en Epulia
ha i^ cieutat que s'apela Senpodi ; e près de la cieutat ha i puech que
a nom Gargar, e a la sima del puech ha una belha cava, en laquai
S. Miquels a '^ gleya, e hom no Ti sabia : e al pe del puech estava i home
rie que avia gran bestial, e avia a nom Guargua coma lo puech, e i
dia el marich l taur, e quant lo queria, el venc a la boca de la cava
la on l'om '^ entrava, amb " i* sageta •'. . .
SERMO SANCTE ANNE
Sancta Anna hac très maritz, de cascun hac una filha que avia a
nom Maria. E la una hac '^ Nostre Senhor, e la autra "' Jacme [lo Me-
nor, e la autra Jacme"] . frajTe de sant Johan, lo '^ Major ; et aquest
apelha se lo Major, e foc frayre de san Johan, e totz très foro cozis.
1 fiac^ _ 2 monjues. — -^ fouc. — * trcunitia. — '" saludavo. — 6 Corr.
d'Egea. -' Corr. quar7— «Simple transcription du latin prœses.— ^ obrava.
1» morgues.— n Miquel fa.— ^'- la canale no lon.— '^^ suh.— i* fageta .
15 hat.— <6 autre. — ^^ Lacune évidente et que je n'ai peut-être qu'incom-
plètemeot remplie. La fîUe d'Anna et de son second mari, à savoir Marie CIpo-
phas ou Jacobi, eut en effet, d'après la légende, outre Jacques le Mineur, trois
autres fils : Simon, Jude et Joseph le juste. — *^ le
46 ' PERIODIQUES
Aquest s'en anet per Samaria e en darier en Espanha e convertit ix
mila liomes ' a la ley de Dieu , e d'nqui tornet s'en o S[a] maria -, e aqui ''
ne lay[sset] dos per predicar (predicava) la paraula de Dieu. Alcuns '*
que se apelhava Magus ^ trames li un apostol sien, que apelhava Fles-
cus^, que loi adusces ' . . .
[SERMO SANCTE MARTHE]
6 s'aprojava de l'aygua e no podia passar, car no y avia ges de nau, e
mes si sus, e neguet ; e els fei'o retirar lo e aportero 1o als cieus pes,
e resuscitet lo, disens : « Vay sus, bel jovencel ! » e près lo per la ma
he batejet lo. E prediquet longtemps *, he dis Nostre Senhor :
« Veni, la mia amada, tu me^ as receuput en ton hostal, he ieu te re-
ceubray el meu paradis.» E fes legir la passio de sant Luc davan '^ si,
e quant los lectors l'agro fiaida de legir, el[a] dis: « In manus tuas
commendo spiritum meum », et cum ipsa tune expiravit. E aquo
fach. . .un avesque " que era cantava sa messà, e cant los [clergues]
cantavo lo resposse el adoremus '-, e venc '^, e dis *'* li : « Lo meu
amat Fron, levât, anem sebelir. . . .nostra hostalieyra. » Els clergues
canthero, . .el remanen^^, epuej's sonero li. . .e a pen[as]'^. . . : «Trop
me aves. . . cochât, que l'anel els gants que me *' bayliey '^ al gardian '•'
. .»... van -" lo querre, e donero l'anel e i gan, [ej gardero l'autre. . .
Mémoires de la Société des arts et des sciences de Car-
cassonne. T. IV. 3« partie, 1884.
P. 3G7. P. Foncin. Aj^ropos d'un autographe de Descartes et d'un
' Corr. discipols, en supprimant lyiila ? Cf. la Légende dorée : « sed
(lum. .. soluramodo ibidem, ix. discipulos acquisivisset. duos ex illis causa
prœdi candi reliquit... .»
- Esmaria.— ^ C'est-à-dire en Espagne — ^ alcum.
^ J'ai dû changer l'ordre de ces derniers mots pour leur donner un sens,
et un sens conforme à ce qu'on lit dans la légende. Le ms. porte : « ne
lay dos alcum que se apelhava Magus per predicar. Predicava la paraula de
Dieu, trames li. .» Magus, du reste, dont l'auteur fait un nom propre, n'in-
dique dans le texte latin de Voragine que la qualité du personnage en ques-
tion, lequel s'appelait Ilermogenes. — ** Philetus, dans la Légmidc dorée. —
' aduscef.
' Lacune évidente, quoique non indiquée. — '' mes. — i" dabmi. — " abes-
que. Il s'agit de saint Front, évéque de Périgueux. — '* adorent.
'•'A savoir Jésus-Christ. — ^^ die. — ^^ romanem. — ^'^ C( . Leyenda
aurea: « et vix excitatus respondit... » — *' Corr. ieu? — '^ laylieg. —
•9 gardiar. Lacune évidente après ce mol, bien qu'on n'en indique aucune. —
" vaij.
PERIODIQUES 47
document inédit sur le Cogito ergo sum. — 383. Louis Fedié. Archives
de l'abhaye de La Grasse. La Bulle sur papyrus du pape Agapet II .
— 410. M. Mouynès. Serment exigé des Juifs habitant Carcassonne.
Extraits des archires du département de l'Aude. Ce document, en lan-
gue vulgaire, est donné comme du XITP siècle ; mais la langue sem-
ble indiquer une époque plus récente. Le même serment était imposé
aux Juifs, à Arles (on le trouve en latin dans les coutumes de cette
ville*), et sans doute ailleurs. Cette édition du texte de Carcassonne
laisse à désirer. — 415. Frédéric Faber. La Carrière dramatique de Phi-
lippe-Françoïs-Nazaire Fahre d'Eglantine, membre de la Convention
nationale. Étude biographique accompagnée de documents fort inté-
ressants.
C. C.
Bulletin de la Société des études du Lot. T. X, 2« fasc. —
La publication du registre consulaire de Cabors, connu sous le nom do
Te igitur, que la Société des études du Lot avait commencée dans ses
premiers bulletins, et qui était restée depuis longtemps interrompue,
est heureusement reprise dans ce numéro. Nous faisons des vœux
pour le prompt achèvement de cette utile publication, dont, par suite
du départ de M. Paul Lacombe, MM. L.-L. Combarieu et F. Can-
gardel restent à présent seuls chargés-. — Le même numéro contient
la suite des Esbats de Guyon de Malevllle, autre publication qu'on ne
saurait trop louer la Société des études du Lot d'avoir entreprise.
C. C.
Mémoires de l'Académie de Nimes. Ville série, t. VI, année
1883. — Parmi les nombreux mémoires dont se compose ce volume,
nous n"avons ici à en signaler que deux. Ils sont dus l'un et l'autre à
M. E. Bondurand, archiviste du Gard. Le premier (pp. 29-41) a pour
titre les Criées ou proclamations du baron d'Hier le (\. il 5). C'est un
texte en langue d'oc, accompagné d'un avant-propos et de notes.
P. 32, III, 1.5, il faut sans doute lire hont au lieu de houe; sans doute
aussi, p. 35, XV, 4, sieuas au lieu de sienas. P. 27, 1. 1, enpertrara
est plus que suspect. Corr. apertenra'^ — Le sujet du second (pp. 43-
1 Voy. Ch. Oiraiid, Essai sur l'histoire du droit français au moyen âge,
t. II, p. 244.
2 Voici quelques remarques sur 1e texte et la traduction. F. \ïy\ detat veut
dire d'âge, et non en état.— 159, 1. 11 et 13 du bas, Wf.. deu o et non devo;
— p. 166, 1. 8, lis. pejuramens ;— 1. 11, lis. vius et non unis ;— 1. 14, lis.
palha ni, et non palham ; — p. 167. lis. de l'u >liu a l'autre et trad. d'un
jour à l'autre, et non chaque lundi.
48 PERIODIQUES
74), qui est beaucoup plus intéressant, est le Livre des pèlerins de
S. Jacquen, nis. du XlVe siècle, qui contient les statuts en langue d'oc
d'une confrérie de saint Jacques fondée à Nimes, des listes de mem-
bres de cette confrérie, des inventaires, comptes, procès-verbaux, en
langue d'oc ou en latin, le tout publié avec soin, en partie traduit, et
accompagné des éclaircissements nécessaires. Ces statuts sont presque
entièrement envers, et, sauf les six premiers, sur l'assonance a d'un
bout à l'autre.
Un de ces vers, le sixième, dont le second hémistiche est tout fran-
çais {Car très ves l'an sedet hom confeser), détonne parmi les autres et
pourrait faire sui>poser qu'on a traduit cette pièce de la langue d'oil ;
mais les rimes ne favorisent pas cette hypothèse. — Sept lignes de la
p.51,queM. Bondurand a imprimées comme de la prose, sont en
vers comme ce qui précède, et doivent être lues :
Et se a ben de que, que sia cm sobrat',
Adons de la soa arma il lo devoQ pregar.
Mais cant i aura confraire que sos obs non aura,
Az aqiiel devon eser luimils en consolar.
Car greumens es malaules om can paupertat a.
Per que il li acoron, car il o devon far,
Tro que Dieus n'azordene so que Ha plazera,
Per vida o per mort, c'aisis coven de far.
Suivent trois lignes dont les deux dernières pourraient bien aussi
avoir été des vers; la rime y est encore, mais non la mesure.
Le texte appelle peu d'autres remarques critiques. P. 49, il faut
écrire, en doux mots, a guazaniar; p. 50, hen e dcvotainens, ben e rr-
gladamens, et non pas hene ; ibid., avant-dernière ligne, saviamens;
p. 51, sieitas, probablement, et non sienas, qui serait français; p. 52,
volia au lieu de voira .
Ce texte enrichira la lexicographie provençale au moins d'un mot
nouveau: c'est tarneinhre (oubli) (p. 52); substantif verbal qui au-
torise à admettre l'existence simultanée de tarneinhrar {tarde mémo-
rare). A la p. 50, on lit : lo per orde veiira Que trastots los con-
fraires per lor nom nomnara. Per orde, comme l'indique l'article qui
précède, doit être ici un nom composé ; à moins qu'il ne faille écrire
en un seul moi perorde, où ^;er serait pour pvp {praiordo). Ce serait
quelque chose comme le président.
M. Bondurand compare, dans son introduction, les statuts de la
' C'est-à-diii' :<! S'il a bien di* quoi, (|u'il soit homme qui ait du superflu. »
Pour cel emploi Ju paît. pas?t'. cf. 1p fr. aisé =:qui ade l'aisance, etc.
CHRONIQUE 49
confrérie niraoise de Saint-Jacques à ceux d'une confrérie établie à
Fanjeaiix (Aude) au XIII^ siècle. Mais ceux-ci sont en prose; et on
en connaît d'autres, rédigés en vers comme ceux de Niraes, que c'était
ici le cas de rappeler. Ils ont été publiés dans la Romania (VIII, 211)
par MIL Coliendy et Thomas', qui les ont utilement rapprochés des
statuts (en prose) de la confrérie de Saint-Sauveur, fondée à Limoges
en 1212.
C. C.
CHRONIQUE
Extrait du procès-verbal de la séance du 14 février 1886 du Comité
d'administration de la Société pour l'étude des Langues romanes.
<( Le secrétaire communique une lettre de M. le Président du Co-
mité de souscription pour le buste de Boucherie, de laquelle il ré-
sulte que ce Comité « a décidé que le reliquat des fonds réunis par
)) ladite souscription, montant à 522 fr. 71 c.,sera remis à la Société
)) pour l'étude des langues romanes, à la charge pour elle d'emplo_yer
y> cette somme à la fondation, à la Faculté des lettres de Montpellier,
» d'un prix quadriennal de philologie romane, constitué par les inté-
» rets de ladite somme placée en rentes sur l'Etat au taux de 3 %.
» Ce prix sera intitulé : Prix Anatole Boucherie, fondé par la Société
» pour l'étude des langues romanes. »
» La Société accepte ces conditions et décide qu'elle parfera la
somme nécessaire pour l'achat d'un titre de rente de 25 fr., afin que
le prix que le Comité de la souscription Boucherie lui laisse l'hon-
neur de fonder ne soit pas inférieur à luO fr.
» Sur la demande de M. Castets, il est décidé que le procès- verbal
de la dernière séance du Comité de la souscription Boucherie sera in-
séré dans le plus prochain numéro de la Revue des langues romanes .'»
Comité de la souscription pour élever un buste à
Anatole Boucherie
Procès-verbal de la dernière séarice
Le dimanche 24 janvier 1886, les membres du Comité et les sous-
cripteurs régulièrement convoqués se sont réunis dans la salle des
séances de la Société jfour l'étude des langues romanes (rue de l'An-
cien-Courrier, 18), sous la présidence de M. Castets.
Etaient présents: MM. Auzillion, Bazille (Louis), Bonnet (Louis),
Bonnet (Max), Castets, Chabaneau, Croiset, Dauriac. Gachon, Ger-
main, Granier, Hamelin (Ernest), Itier, Lambert (Louis), Martin (Ar-
thur), Planchon, Revillout, Westphal-Castelnau.
» Cf. Revue des l. rom., XVI, 85.
tO CHRONIQUE
MM. Bousquet, Bruyn-Andrew-8, Boucherie frères, de Berlue, Don-
nadieu, Grand d'Esnon, Le^pj'', Mistral, Taniizey de Larroque, Savine
(Albert), s'excusent par lettre de ne pouvoir assister à la réunion.
M. Castets, président, prononce une allocution où il félicite, au
nom de tous les souscripteurs, M. Léopold Savine, auteur du buste
de Boucherie, pour le talent avec lequel il a accompli uu travail dif-
ficile, sans vouloir accepter aucune rémunération.
Il fait remise, au nom du Comité, à la Société pour l'étude des lan-
gues romanes, du buste en bronze de A. Boucherie.
M. Itier, vice-président de la Société, remercie le Comité et ac-
cepte, au nom de la Société des langues romanes, le don qui lui est
offert .
M. Westphal-Castelnau lit, pour M. Eoque-Ferrior, secrétaire du Co-
mité, empêché, un rapport sur l'origine et le but de la souscription.
M. Lambert, trésorier, rend compte de l'emploi des fonds versés
entre ses mains comme suit :
Recettes
Les cinq listes publiées dans la Revue des langues romanes (fasc.
de juin, août, octobre, décembre 1883 et janvier 1884, s'élevaient à
lasommede Fr. 2,012 50 |
A rectifier dans l'addition de la quatrième j 2,022 50
liste 10 » '
Six souscriptions n'ont pu être recouvrées par suite de
décès ou autres motifs, ensemble 41 »
Total net des sommes reçues 1 ,981 50
Dépenses
Frais d'impression et affranchissements ... 147 46 ^
Moulage et fonte du buste, piédouche, pié- j
destal, etc 800 70 i
Clichés, tirage et envoi de la photographie f
du buste aux souscripteurs 192 10 )■ 1,458 79
Un bronze de Barye offert à l'auteur du buste i
et une photographie encadrée à M. Goûtés, ar- I
chitecte 248 » ]
Frais de correspondance et recouvrements.. 70 53 /
Excédant des recettes Fr. 522 71
L'Assemblée approuve les comptes du trésorier.
Le Président met en discussion la question de l'emploi du reliquat.
Plusieurs propositions sont présentées.
Après une discussion à laquelle prennent part I\IM. Chabaneau,
Itier, Croiset, Castets, Planclion, Germain, Hamelin, le Comité prend
la délibération suivante :
c( Le Comité de la souscription Boucherie donne à la Société pour
» l'étude des langues romanes le reliquat de cette souscription, s'éle-
)) vant à la somme de 522 fr. 71 .
» Il est entendu que \aSocicté des langues romanes transmettra cette
» somme en toute propriété à la Faculté des lettres de Montpellier,
» aux conditions suivantes :
CHRONIQUE 51
» 1" La Faculté des lettres transformera cette somme en rentes
» 3 °/o sur l'Etat ;
)) 2o Les intérêts capitalisés en seront employés à foncier un prix
» de philologie romane, qu'elle décernera tous les quatre ans après
» un concours.
» S-^ Ce prix s'appellera: Prix Anatole Boucherie, fondé par la So-
y> ciét^ pour l'étude dfis langues romanes. »
Sur la demande de M. Lambert, l'Assemblée décide que les procès-
verbaux, rapports, comptes, factures, etc., seront déposés aux archives
de la Société des langues romanes.
Sur la proposition de M. Eevillout, l'Assemblée vote des remercie-
ments aux membres du Bureau pour le dévouement avec lequel ils
se sont acquittés de leur mandat.
Fait à Montpellier, le 24 janvier 1886.
Nous sommes heureux d'annoncer à nos lecteurs la prochaine appa-
rition d'un ouvrage de notre confrère M. Frédéric Donnadieu, qui ne
pourra manquer d'être bien accueilli des amis de la littérature pro-
vençale. Il a pour titre les Précurseurs des Féllhres. C'est le travail
qui a obtenu le prix du Ministère de l'instruction publique au con-
cours de la Société des Félibres de Paris en 1883.
L'auteur l'a augmenté de plusieurs notices. 11 le présente au public
sous la forme la plus élégante, en un volume grand in-S» raisin, orné
de dix portraits, vues et monuments du Midi, gravés à l'eau-forte
par P. Maurou, planches hors texte, dessins et illustrations dans le
texte.
Souscription organisée par les Félibres de Paris pour offrir à
Frédéric Mistral son buste en bronze
Des admirateurs nombreux du poëte ayant manifesté le désir de
lui rendre un hommage public et durable, les félibres de Paris ont
organisé une souscription pour otfrir à leur chef et illustre CapouHé
son buste en bronze, d'après le beau buste en marbre commandé au
scultpteur Amy par le Ministère des beaux-arts et destiné à un mu-
sée du Midi.
Ils font appel à tous les amis du poëte et de la poésie provençale.
Le Président des félibres de Paris,
Sextius Michel (^ I. Q),
Vice-président de la Société des ciiefs d'institution.
Paris, le 28 janvier 1886.
Prière d'envoyer le montant de la souscription à M. Sextius Mi-
chel, président de la Société des Félibres de Paris et maire du 15'=
ai-rondissement (63, rue Violet, Paris).
N.-B. — Tout souscripteur recevra une reproduction photogra-
phique du buste de Frédéric Mistral (carte-album^ grand format). —
La liste des souscripteurs sera publiée dans les journaux et revues
du félibrige.
52 CHRONIQUE
Le Courrier de Vnugelas, revue philologique, grammaticale et hiato-
rïque, coiirounee par l'Académie française .
Les premiers numéros de la seconde série de cette utile publication
viennent de paraître. Nous ne saurions trop la recommander aux per-
sonnes qui s'intéressent à la solution des diflieultés grammaticales, à
l'explication des locutions usuelles et proverbiales et à leur origine, à
l'étymologie peu connue de certains mots, eniiu aux remarques inspi-
rées {)arles singularités de la langue française.
Sous le titre la Légende et la Vérité, le Courrier de Vaugelas fait la
critique des faits et des mots réputés authentiques, et, d'après les der-
niers documents, reconnus faux ou dénaturés.
L'article Variétés contient des curiosités historiques, littéraires,
anecdotiques, des lettres autographes et des pièces inédites. Un compte
rendu des ouvrages de philologie, histoire et littérature, est donné sous
la rubrique les Livres du jour, et sous celle de Théâtres sont analy-
sées les œuvres dramatiques dignes d'attirer l'attention au point de
vue du style, de l'art scénique ou musical. Une hihliographie des ou-
vrages de philologie et de grammaire récemment parus complète cet
intéressant recueil, le seul qui existe en ce genre.
Notons enfin qu'un supplément de quatre pages comprend la publi-
cation d'un important ouvrage couronné par l'Académie française :
le Mi^ de Grignan, petit-fils de M™" de Sévigné, parirL Frédéric
Masson.
Le Courrier de Vaugelas a obtenu le prix Lambert, et, de plus, son
mérite a été consacré par Littré, qui cite nombre de fois son opinion
et l'approuve dans son supplément de 1878.
Le prix de l'abonnement est de 10 fr. pour la France et de 12 fr.
pour l'étranger. Vingt numéros par an distribués périodiquement.
Adresser un mandat-poste à MM. Firmin-Didot et Ce, imprimeurs de
l'Institut, 1)6, rue Jacob, Paris.
Le gérant responsable : Ernest IIamelix
Montpellier. — Imprimerie centrale du Alidi (Hameiiu Frères]
Dialectes Anciens
DOCUMENTS
SUR LA LANGUE CATALANE
DES ANCIENS COMTES DE ROUSSILLON ET DE CERDAGNR
(de 1311 à 1380)
En publiant ces Documents sur la langue catalane des anciens
comtés de Roïissillon et de Cerdagne, nous désirerions compléter le
travail d'un homme éminent qui avait bien voulu nous honorer de
son amitié et de ses précieux conseils dans les dernières années do
sa vie. Tous les lecteurs de la Revue des langues romanes, tous
les linguistes, connaissent les études d'Alart sur la langue catalane.
Les documents qu'il a publiés ici même s'arrêtent à la fin du règne
de Jacques I^"" de Majorque, qui mourut à la fin de juillet 1311; mais
nous savons positivement * que l'idée de jnotre savant ami était de
pousser cette publication jusqu'à l'année 1380, époque où la langue
catalane peut être considérée comme fixée. C'est cette lacune de
1311 à 1380 que nous nous proposons de combler.
Alart a pris les documents de sa collection dans le Livre vert mi-
neur et dans le Livre premier des Ordinacions de la cour du bailli
de Perpignan, tous deux conservés aux archives communales de cette
ville, et dans le xvii<^ registre de la Procuracio realj qui est aux ar-
chives du département des Pyrénées-Orientales. Nous puiserons aux
mêmes sources, sauf de rares exceptions.
Nous savons en quelle haute estime les meilleurs érudits tenaient,
le talent de notre maître et ami; nous savons aussi quelle connais-
sance minutieuse et profonde il avait des vieux textes catalans: c'est
assez dire que nous ferons tout notre possible pour que le travail de
l'élève ne soit pas trop indigne de celui du maître.
Pierre Vidal.
1 Revue des langues romanes, III, p. 267, et IV, p. 45.
TOME XV DE LA TROISIÈME SÉRIE. — FEVRIER 1886. 4
54 DOCUMENTS
PREMIERE PARTIE
REGNE DE DON SANCHE, DE MAJORQUE
(1311-1324)
REGLEMENT POUR LES FILEURS ET PILEUSES DE LAINE
Quinlo idus augusli anno dommi m.ccc.xi. — Inàt factahec
preconitzacio infrascripla ex parte hqj^ili Perpiniani in hune
modum.
Auyatz que mana lo batle del s. Rey, que noy aja nulhom
crestia ni Juseu qui gaus portar lana ni estam, ni correteyar
fillat', per vendre, d'aqui anant: e aquel qui contre fara pa-
gara per pena v. s.
Item mana que no ni aga negun ni neguna per ardiment
que aga, qui gaus prestar alcuna [lana] filada ni a ffllar, d'un
pugesal avayl : e aquel o aquela qui aquest manament pas-
sara, perdra tôt aisso quey aura prestat, e mes per pena
V. s.
hem mana que neguna filanera no gaus penre lana ni es-
tam per filar mentre naja daltre ; e aquela qui aquest mana-
ment passara, pagara de pena xii. d.
Iteyn mana a totes les filaneres, que no gausen mètre en
negun capdel destam negun foniro, sino del estam mesex, e
sia filât, sia lur o daltruy : e qui contre ayso fara, pagara de
pena xii. dr.
De] les quais damont dites pênes aura lo dcnunciador la
terssa part,
[Ovdinacions, [, fo 4V) v".)
II
MISE EN VIGUEUR PU RÈGLEMENT DES TUILERIES
Divenres xxviiii. dies del mes de wjtubri en laijn que hom eom-
' Lisez fitat.
SUR LA LANGUE CATALANE 55
tava u.ccG.xi. — La dita ordinacio ' fo lesta e revelada en
presencia dEn Brg de Sant Paul, batle de Perpenya, e den Bù
Brandi juge, e den Vidal Grimau e den Bfi de Vernet e den
Bii Morrut, cossols de la dita vila de Perpenya, e den Huget
Sebors e den Hue de Cantagril, prohomes de la dita vila, e del
senyor En Ar. Vola, tenent loc del senyor En Brg de Pera-
pertusa, cavaler, veger de Rôsseylo e de Vallespir : lo quai
senyor En Arn. Vola vole que aquest ordonamcnt âges loc
par tota la terra de Rôsseylo e de Valespir.
[Ordinacio7U, I, f'' 2 ro.)
111
DEFENSES DIVERSES FAITES AUX HABITANTS DE PERPIGNAN
1311? — Mana lo batle del senyor rey.
Que negun hom qui aga jurât no poder, no sia corrater ni
gaus usar de offici de corrateria ; e qui contrefara pagara per
cascuna vegadaL. s., e si nols volia pagar o nols podia pagar,
pacli X, assotz : de la quai pena dels l. s. aura lo denonciador
la terssa part.
Item que negun Juseu ni Juseua no gausiavar ni fer lavar
roba, ni ruscada, ni escudeles, ni negunes autres causes, en
dia de festa, en les riberes : e qui contre ayso fara pagara de
pena per cascuna vegada m. s., de laquai lo denonciador
aura lo tertz.
Item mana que negun ni neguna de la vila de Perpenya no
gaus donar o fer donar per si ni per altre a menjar ni a beure
neguna hora del dia, ni diner en loch de menjar ni de beure,
a negun hom o fembra ques loch en neguna obra de cal que
condicio que sia per diners, sos - a saber, a masestres de
pera e de caus ni de terra, ni a la menobra que pertanga als
masestres, ni a negun traginer, o hortolan, ni a neguns ar-
cheyadors, ni pintenador de lana, ni a lavadors ni a lavaneres
de lana, ni a filaneres de lana, ni a espardaners de li, ni a mas-
1 II s'agit ici de VOrdonament dels forns teidevs, so es assaber en quai
manera deuen coyre e fer los cayvos els feules, qui est de 1284 ou de
1285. — Publié par Âlart, Revue des Lang. rom., IV. p. 362.
- Pour so es.
56 DOCUMENTS
sadors de li, ni a triadors de lana, ni a negun hom o fembra
ques loch per diner a fer calque obra que sia, dinsla vila de
Perpenya o de fora. E qui contre aysso fara, pagara per cas-
cuna vegada, sos asaber, aquel o aquelaqui dara lo dit menjar
o beure o diners en loch de menjar o de heure, v. s., el
maestre de para o de caus o de terra qui o penra v. s. , e les
autres qui penran lo dit menjar o beure o diner en loch dels
ditz menjars o heures, ii. s. No entenem en aysso fusters quis
loguen en temps de venimies.
Item que negun ni neguna no gaus donar o fer donar, per
si ni per altrc, negun servesi en diner ni en altre manera, ni
donar a mengar ni a beure a negun moner o forner; e qui
contrefara, pagara de pena per cascuna vegada m. s, aquel o
aquela qui o demanara e aquel qui o penra, dels cals lo de-
nunciador aura lo tersstz.
(Ordinacions , I, fo 52 v.)
IV
MÉMOIRE DE LETTRES REMISES A B. DURAN, PROCUREUR
DU ROI A MONTPELLIER
Aquestes son les cartes que foren liurades an Biî Duran,
procurador per lo molt ait senyor Rey de Malorchcs en la
vila de Monpesler e en tota la baronia, per los procuradors
del dit senyor rey de Malorches, ayxi corn davayl es conten-
gut.
Digous-viii dies del mes de setembre, en layn de -micccxi.
liuraren en P. de Bardoyl en P. Matfre an Bn Duran, pro-
curador en la baronia de Monpesler, cartes pertanyentz a Pa-
hola e ad Adia et a Vailles' lxxxxi.
Item li liuraren cartes pertanyentz al castel de Pa-
pia, et de Durmaroh xx .
Item cartes pert. al casteyl de Omelars viiii.
Item cartes pert, al casteyl de Puget , xii.
1 Ad Adia; le d est amené par la voyelle a qui commence le mot Adia; de
mùrne le t de et est amené par la préposition a. Peut-être ne faut-il voir
aussi, dans ce dernier cas, qu'une pure distraction du scribe, mettante^ latin
pour f calalau.
SUR LA LANGUE CATALANE 57
Item cartes pertanyentz a Pinya viii.
Item cartes pertanyentz a Mur vejl. ...... .... nu .
Item cartes pertanyentz a Sent Jordi lui .
Item cartes pertanyentz a Mont Arfi un .
Item cartes pertanyentz a la compra quen Steve
Sabors fe dels Mazes de Vedas v
Item cartes pertanyentz a Corno e de Mont Ffer-
rer . . \ n .
hem cartes pertanyentz al mas de la Valcera e de
Segoles e daltres mazes, sagelades de plom. ... n.
Item carLes pertanyentz al feu de Sent Bauseli. . . n.
Item cartes pertanyentz al feu de Castres e de
Salsa I .
Item cartes pertanyentz a Castres m.
Item cartes [)ertanyentz a Frontinyna ' xni.
Item cartes pertanyentz alcontrast deVaylmagna. ii.
Soma CLXxxviii.
Memoria an Bii Duran, que romanen a Perpenj-a en poder
dels procuradors, les cartes de la Palada et de Calazon -, e
la carta de la, divise^ que fo feyta entre lo senyor rcy el abat
d'An y an a.
(Arch des Pyr.-Or., B. 94, Procuracio real, registre xvii, f» 7 ro.)
V
PERMISSION ACCORDÉE AUX HABITANTS d'oRBANYA ET DE NOHÈDES
DE COUPER DES ARBRES DANS LA FORET DE « COMA PREONA ))
A XXVI. dies de utubri m. ccc.xi. — Donaren licencia los se-
nyors procuradors ad homens de Orbanya'*, que pusqueu
penre ad ops de fer escaunes a lur us .x. aybres, e ad homens
1 Sic.
' La dernière lettre de ce nom pourrait bien être un r.
3 Sir.
'• Orbanya, petite commune du canton de Prades, comme Nohèdes, dont la
seigneurie appartenait au roi de Majorque. Pour la formation du mot No/ièdes,
voy. Alart, Études historiques et philologiques sur la langue catalane, à
la suite des Docume7its, etc., p. 19.
58 DOCUMENTS
de Muntola altresvii. ajbres, del bosch de Coma Prcona' ;
mes que no degon pen[re] negun ajbre que sia bo ad aybre
de nau, ni ad entenes ni ad altres aybres de mar, e quels ditz
aybrcs aga a vesor en P. Reoort foraster-, ans quels talen.
E part ajso lor atorgaren que pusquen penre tôt aybre que
troben abatut en lo dit bosch, per fer so ques volran a lur us
daquels.
(Arcli. des Pyr,-Or., B. Pi, Procuracio rcal, xvii. f" 19 v.)
VI
RÈGLEMENT POUR LA FORÊT ROYALE DE MILLAS
Diyous xviii. dies de nohembre en laijn de .mcccxi. — Fo hor-
donat per En P. de Bardoyl en P. Matfre, procuradors del
raolt ait senjor rey de Mayorches, que nuyl liom no sia tant
ausat que gaus cassav en lo liosch quel S. Re}' ha a Milars,
sens licencia del S. Rey o dels seus: e qui contra fara, pach
per quascuna vegada de pena lx. s.
Item que nuyl hom ni femna no gaus taylar en lo bosch da-
muntdit nin trasca lonya vert, sens licencia del S. Rey, sotz
pena so es saber, per quascuna vegada quey tayl hon;' trasca
carga de bestiaho doraex. s.
Jleinsi negun tayllava en lo dit bosch hon trasialenya ce-
cha tro a carga donie ho de bestia, pach v. s. e sy hi taylava
hon trahia menys, xii. d.
Item hordonaren (^ue tota bestia grossa que intre en lo dit
bosch per pexer, pach de pena ii. s. e besiia menuda vi d.
E aquestcs pênes sentenen ad aquels qui contra faran de
' » Vallée profonde », de prcijon, qui dérive du hl\a profund us.
- La maîtrise des eaux et forêts était d'abord occupée eu Roussiilon par un
maître des eaux et un maître des forets. Ces cliarges furent ensuite réu-
nies sur la tête du procureur royal, qui eut seul la connaissance des matières
domaniales et des eaux et forêts. 11 avait sa cour, dite du Patrimoine royal,
transformée plus tard en ciiambro du domaine et supprimée dans la seconde
moitié du dernier siècle. — Une ordonnance de juin 1~59 attribua à l'intendant
du Roussiilon l'autorité des maîtres des eaux et forêts et aux viguiers eelles
des maîtres particuliers. Le mol foraster ne s'est pas conservé avec le sens
qu'il a ici.
■' //<)« pour «> en, ou en tire.
SUR LA LANGUE CATALANE 59
die, e si negu contra tasia de nujt, pach a très vegades mes.
E aquestz meteys bans entenen que sien al prat de la Font
aysi que en lo dit bosch*.
(Arch. des Pyr.-Or., B. 94, Prociiracio real, reg. xvn, f» IG i". i
VII
Criée et mise en vente du vingtième des revenus des habi-
tants DE LA TOUR d'ELNE, CONFORMÉMENT AU BILLET d'eN-
CHÈRES; ténor vero predicte cedule in Romano scripte talis est:
17 des calendes de décembre 1811. — Ayso es laordonament
del vinte quels prosomes de la Tora an fejt.e stablit Eu Johan
Bels en Biî Vidal venedors, e fan bo aver e tener a totom.
Vinte de la Tora-.
Primerament ^ darem lo vinte de totz nostres espletz que
Deus nos dara, exseptat pajla.
Item entenem ne a livar so de que darem a seguadors. e a
maxoners e a seyoria, e a deumes, e as agusers e banders.
Item nentenem a liavar '* totz sens que fasam a nujl hom,
per aquels camps bon los espletz [seran].
Item entenem a vendre de la vinimia que Deus Ions" dara
a nostre prou ; mes que n[entenem] a livar lo sens de la viya,
que dem per cascuna saumada, ii. dr.
Item lentenem a vendre de les olives que Deus Ions dara, a
nostre prou.
Item lentenem a vendre de totz los sens c les rendes c de
totz loguers, dalbercs o [ ] en calque part les agem,
Ml y a encore aujourd'hui, à Millas, une fontaine dite Font del Rey. —
Millas, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Perpignan, sur le chemin
de fer de Prades.
- Aujourd'hui la Tour-Bas-Elne, commune du canton est de Perpignan.
3 Voy. dans les Documents, etc., d'Alart, Valbara ou criée et mise en
vente des biens et revenus de feu Pierre Lauret. On verra que dans ce docu-
ment offi>:iel, qui est de 1308, le scribe écrit les mois vendra et molra pour
vendre et moire, tandis que le notaire Canlallops emploie toujours cette der-
nière forme. Ce qui prouve bien que, dans tous les temps, l'a final féminin
catalan n'a été qu'un e muet français.
* Lisez livar.
» Lons, lo'ns
60 DOCUMENTS
si dons no son obliguatz a reredeume e a vinte e en autre
[ ].
Item lentenem a vendre de totz los guasayages que nos fa-
sam en mar ni en terra [ni] en autra aygua, e no comtam me-
cions, exceptât pevx de mengar ; e quel senyor de la [na] ve-
gua o del bolig sia tengut dajustar lo dret quin tayera, al vin-
tener, e de paguar aquel a [ dels] e a lur requ [esta^
Item lentenem a vendre de totz los mercaders qui van
en viaye fora la terra, de totz lurs [guasajyages, livat lur
vianda.
Item lentenem a vendre de totz los missatges o camareres
qui estaran al loc de la Tor' e no son obliguatz en autre loc a
reredeume o a vinte, e totz missatges del c[ ] que pa-
guen xxt'' de lur loguer. comptan per temps, segons mes e
segons meyns.
Item lentenem a vendre de totz los ayels els cabritz que
Deus Ions dara, a nostre prou.
Item lentenem a vendre, que paguarem per cascuna bestia,
sia feda, o cabra, o moton, excreptat] que sia viva a la tone-
son II. dr.
Item lentenem a vendre de cascun alberc hon aya poyls lo
dia de sent Johan o ni - aya autz, de [tôt] layn pac i. dr.
Item entenem que cascuna porcelada pac m. dr.
Item entenem que cascun nadon de vaca o degua o dasena
q[ue] sia viu enfre i. mes que sera natz, pac im. dr.
Item lentenem a vendre, quels seyors dels leyns c de les
barques mariners e servecials per' lurs loguers paguaran, no
comtada la mession, e quels seyors lagen ajustar [e dar] al
vintener lo vinte, e paguar a lur requesta.
Item lentenem a vendre, que tôt înasseler, per cascun moto,
boc, feda, cabra que venfdra] a masel pac i. dr., — per tôt
porc qui vala x. s. ho daqui amont, que auciraii a masel, pac
II. dr. , — per tôt porc qui vala de x. s. en jos, pac i. dr., per
tôt bon o vaca qui cost xx. s. o daqui amont pac iiii. dr. o si
' Estaran al loc de la Tor remplace les mots i. aijn hic agen estar, qui
ont été barrés.
- Pour n'h.i.
3 Mot douteux.
SUR LA LANGUE CATALANE 61
er'ii \ ] pac i. dr, o si ora meyris, pag per fif|Uol;i ra-
son (himont flitii, ; — per tôt bon ou vaca qui cost de xx. s.
eu jos, pae ii. dr ; — per tôt cabrit e ajel, pac mesabi. — Tôt
aiitrom', do vibi o estrayii, qui vend lesdites carus amas-el, pac
per la mcsexa raso, pero no sien tengutz de paguar re per
pels.
/lern entencm vendre, que tota flaquera, per cascuna ajraina
de (V)rnieiit ([Ui! pastara, pac m. dr; — per cascuna ayuiina de
pa, dordi o de nnil, pac m. mesales.
/fern tôt hoin o tota femna qui vena pa, que pac lo xl"-' pa.
/fern tôt bom e tota fembra qui fassa taverna de vi o vena
vi a mennt o en gros, jiaguara per saumada de vi xii. dr, si
doiis" no avia paguat xx.'" dels rasims, exceptât persones de
la Tor quin vcnessen en gros e la[g]uessen de so des lur •' que
no [)aguen rc.
Ilem venem vos i. sac de forment quEn Lanriguo nos dona
do gran. Entenem a ven[dr]e que tota terra del prevcrat de
Na Moselona paguara xx*^".
I^] qui ajso comprara paguara ])arasis, e pendra pai'asis,
[E no en] tenem que sades nos pac.
flem entenem que degun taverner no gaus mètre vi fiins la
taverna entro [quel] aja denunciat al vintencr, e que negun
hom no gaus ensetar vixel ni vendre [ ].
(Arch. des Pyr.-Or., Manuel de l'ierro de Cantallops, notaire
d'Elne, 1311-1315, original; copie dans le Manuel de Pierre
Reynal, noiaire d'Elne, de novembre 1311 à mai 1312.)
VIII
(( LA GUIDA DEL LAVAR DE LA LAN A ))
(LeUre de Pons de Caramayn aux viguicrs de Contient et de Cerdagnc et
aux ballis des cliàteaux de Roussillon et Vailespir, et des autres lieux des
terres du l'oi.)
14 des calendes de juin 1312.— « De nos En Pons de Cara-
1 Autï'om, pour autre home.
2 Do7is, comme donch!<, donc, donches et donr/ues, donc . — Don, qu'on
trouve quelquefois dans les textes catalans, est pour d'on et signifie c'est
pourquoi {de unde) .
' Pour del lur. — Cette expression correspond très -bien au languedocien
62 DOCUMENTS
mayn ', loctemont del molt ait senyor rey de Malorcha, als
honratz vegers de Gonflent e de Ccrdanj'a, e a totz los balles
dels castejls de Rossej^lon - e de Valespir e dels altres lochs
de la terrra del dit senyor Rey, als cals les presentz letres
pervenran, salutz e amors.
» Feni vos saber que adordonat es estât per los sobre pau-
satz dels parayres e dels tixedors de Perpenyae per los cons-
sols daquel matex loch, de voluntat e ab consentiment nostre,
que tôt hom e tota femna qui lav o lassa lavar lana, aja la
dita lana a lavar ab ayga cauda, e esbesselar, so es, que la
bâta ab bastons, e que be la esclaresca senes alcun entamara-
ment.
» E si ni'' avia negun o neguna qui contre les dites causes
vengues, so es que laves la dita lana o fes lavar meyns '' dayga
cauda, e no la batia ben al bastons, oy° fasia negun entama-
rament al esclarir, que pach aquel o aquela qui fara lavar la
dita lana xx. s. de pena per cascuna vegada que contre el
dit adhordonament vengues, de la quai pena el denunciador
aga la terssa part, el " rémanent sia del s, Rey.
» Percascun de vos altres dizen e manam de part del senyor
actuel ço del llour, ce qui leur appartient, leur bien. Au singulier eo del siu,
son bien. — Lur, qui devint Uur dans la suite, est toujours employé dans le
sens de de ells {illorum).
* Pons de Caramayn ou Caramany, comme on écrit aujourd'hui, apparte-
nait à une famille du pays de Fonollet, établie en Roussillon. Le chevalier
Pons de Caramany avait épousé une fille de Pierre de Villalongue, dont il
n'eut qu'une fille, du nom d'Hélène. On le trouve, en 1309, en possession du
tiers de la seigneurie de Cf«e.^• Noves (près d'ille), qu'il occupait encore en
1321.11 fut viguierde Cerdagne de 1303 à 1309 et lieutenant général du roi de
iMajorque de 1311 à 1314. En celte année, nous trouvons Pons de Caramany
avec le titre de seigneur de Paracoh (château situé près de Molitg, canton
de Prades). Pons figura d'ailleurs avec distinction à la cour de Sanche et de
Jacques II de Majorque. Il était présent au palais royal de Barcelone le 1<t oc-
tobre 1327, lorsque Jacques II, assisté de son tuteur, prêta foi et hommage
au roi Jacques d'Aragon. On ne trouve plus trace de lui après l'année 1340.
- On écrit toujours Rossello en catalan; Rosseylon est castillan.
•' Pour ni, ou mieux n'hi.
'< Ici meyns signifie sans.
' y, pour a ella, à la laine.
s El pour e'I ou c lo, et le restant.— On sait que l'article el n'est pas admi
en catalan.
SUR LA LANGUE CATALANE 63
rey, quel dit adordonament servetz e servar fassatz axi com
de sus en aquesta letra se conten.
» Encara mes, volem que cascun per vostres lochs publica-
mentcridar o ifassatz, pero fem vos saberque, en lo dit ador-
donament de les lanes a lavar, no senten lana Englesa.
» Dades disapte xiii. dies del mes de may, en lajn de Crist
M. CGC. XII. Retetz ^ les presens al portador.
» xu. Iclns junii anno domini m. gcc. xii. de les damunt dites
causes contengudes en la dita letra, fo fejta e cridada [crida]
per la vila de Perpenya. »
(Ordinacions, i, fo 50 v».)
IX
PERMISSION DONNÉE AUX HABITANTS DE PI DE COUPER DES
ARBRES DANS LA FORET DE GARRAVELA
Dimecres xxvi, dies dabril, layn de m.ccc. xii. — En P. do
Bardoyl en P. Matfre, procuradors del moltalt senyor Rey de
Malorches atorgaren e daren licencia a la universitat de ho-
mens de Pin en Gonflent- que jjusquen penre e fer talar cas-
cun ayn xv. aybres davet enloboscli de Garravela, e daquels
ferescaunes alur us. Los quais pusquen penre en aquel loch
ques vulen en lo dit boscli. E per aquela matexa manera ator-
garen e daren licencia al balle del dit loch de Pin que puscha
penre e fea talar v. aybres e daqueles -^ fer fer escaunes a son
us en aquel loch que li sia pus covinent en lo dit bosch aquest
ayn solament.Emperomanaren los ditz procuradors quels ditz
' Retetz, de redre ou retre, remettre.
- Vi {Plnus), commune du canton d'Olelle (arrûDdissement de Prades).
Les environs de ce village ont été très-boisés dans le temps ; mais ses monta-
gnes, qui sont des contreforts du Canigou, ont vu s'éclaircir graduellement
l'épais manteau forestier dont elles étaient enveloppées. En face de Pi s'ou-
vre la sombre et étroite vallée du torrent de Roja, qui de.scend des plus hautes
crêtes des Esquerdes de Roja. Ces crêtes relient le pic du Canigou à la pyra-
mide Coslabona et, par elle, à la chaîne pyrénéenne. La forêt de Garravela
était déjà détruite ou XYllk siècle; on ne parle plus à cette époque que de la
« montagne de Garravera . «
■iSic.
64 DOCUMENTS
homens e balles agen a penre los cUtz ajbres ad u vl ' senes
que non pusquen oscar altres aybres, sino aquels que elej^i-
ran ad ujl. E mes lor darcn licencia que pusquen penre a lur
us totz los ajbres que troben abatutz en lo dit boscli, e fer
daquels so ques volran a lur us.
(Arch. des Pyr.-Or., B. 9i. Procuracio real,reg. xvii, f" 20 ro.)
. X
NOMINATION d'uN GARDIEN POUR LA TOUR CERDANE "
Divenres xvi. dies de juynlayn de m. ccc.xii. — Fo hordonat
per lo senyor rej que en Peric de Livia estia a la Torr Cer-
dana. Si teres ■'' de serventz et ab i. ca, e deu aver per garda
de la dita torr quasqun ayn xxv. Ib, e deu comensar lo die de
sant Johan primer venent, e deu li hom pagar la maytat del
dit salari en festa de Nadal, e laltra maytat en festa de sant
Johan de juyn.
Item vole e hordona lo dit senyor Rey quel dit P. de Livia
sia balle de la val de Queroll, e que li done hora de salari per
la dita bailla aytal salari quo es acusturaat de donar a balle de
la dita Val; e aysso hordona lo sefiyor Rey que sia servat ay-
tant quant ad el playra.
(Arch. des Pyr.-Or., B. 94, Procuracio real, reg. xvii, fo 2i r".)
XI
ENGAGEMENT DE BN PIGUERES DE REMPLIR FIDÈLEMENT l'oFFICE
DE LA « SCRIVANIE » DU CHATEAU DE TAUTAVEL
Diluns XXVI. dies de juin lai/n de mcccxii. — En Bn Figueres
' Uyl;Yy est marque d'un trait. On a écrit plus tard, et l'on écrit encore
en catalan ull, œil.
- Pour la Tour Cerdanc et la vallée de Querol ou Carol, voy. une excellente
élude de M. Alart dans la première série de ses Notices sur les comtnunes
du lioussillon, p. 145 et suiv. — U y a, dans l'ancien territoire de Puigcerda,
et non loin de ce qu'on appelle lo bach de Llivia, une haute montagne
(2,810 mètres d'altitude) qui porte le nom de Puif/ Peric, appelée Pujo El-
perico dans des documents des X» et XI* siècles transcrits par Marca (104,
105). Nos gcographies et nos guides ont sottement transformé le Puig Peric
en Pui/ de Prigue! — ^ Sic.
SUR LA LANGUE CATALANE 65
prevere establit enlacapela quel senyor Rej ha en lo castell
de Taltauyl ^ se obliga al senyors en P. de Bordoyl en P. Mat-
fre procuradors del dit seîijor Rey, que el be e fiselment ser-
vira e fara lufflci delescrivaniade Taltauyl de totes cartes pu-
bliques e lescrivania de la cort aytant quant la dita escrivania
tenga per lo dit seiîyor Rey. E si negun frau cometia lo dit
Bn en lo dit offlci, vole e promes de pagar al senyor Rey par
nom de pena l. Ibr de Bar. per la quai pena establi fer-
mansa NArnald Figuera frare seu, del dit loc, loqual Arn. Fi-
guera per precs e per manament del dit Bii frare seu sestabli
per fermansa als ditz procuradors per la dita pena, la quai
promes pagar al ditz procuradors per nom del dit seiiyor rey
sil dit frare seu cometia negun frau en lo dit offlci ; per la quai
pena pagadora obliga lo dit Arn. als ditz procuradors per nom
del dit senyor Rey totz sos bens, e renuneia ad aquel dret qui
mana destrenyer ans lo principal que la fermansa.
Feyt lo aysso lo die el ayn damunt ditz, en presencia dEn
Jacme-.
En dit die. NArnald Figuera se obliga e promes de pagar la
pena tantost que sia trobat quel dit Bii frare seu bagues cornes
negun frau en lo dit offlci.
(Arch. des Pyr.-Or., B. 94, Procumcio real, reg. xvii, fo 21 vo.)
XII
ERMENGAU MORRET, d'oPOL, s' ENGAGE A COMPARAITRE DEVANT
LE TRIBUNAL DU ROI A PREMIÈRE RÉQUISITION
Divenres primer die del mes de febrer en layn de m . ccc . xiii .
— Ermengau Morretrenderde Opou^, promes als senyors En
1 Aujourd'hui Tautavel, commune du canton de la Tour (arrondissement
de Perpignan) . C'était le dernier village du Roussillon sur les limites des pays
de Fonollet et de Pierrepertuse. On peut visiter les ruines de ce vieux châ-
teau, qui comptait encore comme place de guerre en 1640. Voy. au sujet de
Tautavel les études du premier président Aragon, sous le titre de les Ancie7is
châteaux forts des Corbières l'oussillonnaises ; Montpellier, J. Martel aîné,
1882.— 2 Sic.
3 Opol(que Ton prononce Opoul), commune de Rivesaltes (arrondissement
de Perpignan). Pour la forme de ce mot, voy. Alart, Études hist. et phiL, à
la suite de ses Documents, etc. , p. 19.
6Q DOCUMENTS
P. de Bardoyl e an P. Matfre procuradors del molt ait senyor
Rey de Malorches que el ' presentara sa persona en la cort
del senyor Rey tota hora que per la dita sia request per so
car la dita cort fa demanda al dit Ermengau e contre el per
alqun bestiar que era estât trobat e avial près a sa ma e nol
avia denunciat, e encara per alqun bestiar que avia acaptat
e feytacaptar dalquns homens de Opou, tenentoffici de ballia.
E ajso promes sotz pena de i. Ibr, per ios quais obliga sos
bens, e dayso dona per fermansa En P. Morret de Baixas
frare seu. Don en^ P. Morret per precs del dit Ermengau es-
tablesch [mi?] per fermansa e pagador de la dita pena si la co-
metia. E per ayso obliga sos bens.
(Arch. des Pyr.-Or., B. 94, Procuracio real, reg. xvii, f» 23 r».)
XIII
VISITE DE P. DE BARDOYL A SALSES POUR CONSTATER l'ÉTAT
DES TERRES DU ROI
Dimartz v. dies de febrer en layn de mcccxiii. — Fo en P. de
Bardoyl, procurador delt molt ait senyor de Mayorches, a
Salsses-', e de manament ad el feyt per lo dit senyor'* Rej'
sobrel' feyt de les terres que eren en Ios termes de Salsses,
quant séria covinent causa que poguessen estar les terres
meyns® de blat, e après quai temps deguessen fer blat en les
dites terres.
Sobre aysso lo ditP. de Bardoyl fe manament anR. Seguin,
balle de Salsses per lo dit seiîyor rey, que el degues penre
testimonis sobrel dit feyt. Loqual balle de mantenent près per
» Sic.
2 II faudrait peul-clre lire eu, qui serait mis pour yo oxijo.
^ Salses (et non pas Salces, comme on l'écrit trop souvent aujourd'hui),
commune du canton de Rivesaltes (arrondissement de Perpignan)., C'est la
Fons Salsulœ des anciens.
'> Sewyor; le trait qui surmonte !"« devrait évidemment faire transcrire ce
mot par senynov ou sennyor. Ou trouve aussi ijuclquefois sennor, sans y,
((ui est remplacé par n simple.
'■> Pour sobre lo.
^ Meyns de hlat, sans blé.
SUR LA LANGUE CATALANE 67
testimonis En G, Bonafos en JaubertComa consols de Salsses,
e En R.Puster e En Johan Sabater en Johan Amilot e En P.
Sabater en Ar. R. Biî Lobet, Antoni Thomas, Ar. Pages, P.
Amalrich, Steve Rostojl, totz de Salsses. Los quais testimonis,
juratz en poderdel dit balle als santz iiii. Evangelis, dixeren
que totes les terres que son en los termes de Salsses e en lad-
jacencia de la glesade sant Esteve del dit loc se degen laurar
e semnar^ enfre iiii. ayns tota ora que playra als possesidors
daqueles cnfre los dits iiii. ayns, en altra manera, si de iiii.
en un. ayns al meyns no les lauraven e no les semenaven, lo
senyor rey pusca donar ad accapte, ad altre ho ad altresles
dites terres, el balle del dit loc per lo dit senyor rey pusca
aqueles liurar a laurar e semenar a cuy o quais se voira.
(Arclî. des Pyr-.Or., B. 94, Procuracio real, reg. xvii, fo 24 i".)
XIV 2
DÉFENSE DE JETER DU POISSON DANS LE RUISSEAU DU ROI
Idus augusti anno domini m. ccc. xiii. — Ffo feyta la crida
davayl scrita de part del senyorEn Bh Daui, cavaler, balle de
Perpenya.
Auyatz que mana lo balle del s. Rey a totz cominalment,
que no ni aganegun ni neguna, sia peyxoner o altre persona,
per ardiment que aya, qui gaus guitar-' peix al rechdels.
ReyS sotz pena per cascuna vegada de ii. s.
XV
RÈGLEMENT POUR LES MARCHANDS DE SEL EN DETAIL
Auyatz que mana lo balle del s. Rey a totz los saliners e a
totes les salineres qui venen sal a menut, que cascun e cas-
1 Lisez semenar.
2 Les trois criées que nous donnons sous les nos xiv, xv et xvi, sont à la
suite l'une de l'autre dans le ms.; elles se rapportent très-probablement à
la même date.
3 Gii représente abusivement ici la lettre /; r/uitar est mis pour jitar.
* Lo rech del Rey ou Ruisseau royal de Thuir.
68 DOCUMENTS
cuna donene sien tengiitz douar per tornes a cascuna migera
que vendrai! miga cossa, o a la saumada m. cosses, e aissi
segons meyns o mes, sotz pena de v. s.
XVI
DEFENSE AUX « REGATERS » D ACHETER POUR LES REVENDRE
CERTAI>'i:s CATÉGORIES DE COMESTIBLES
Aquesta orida davujl scrila t"o t'ojta de part del sonyor En
Bn Daui, cavaler, balle de Perpenya, ab conseyl e abvolun-
tat dKn Bn dAlanja, e dEn Hugnet Sabors e dEnRicolf Oliba,
diOn BndeVernet e dEn Pagua Fnster, consols de Perpenya,
en aquesta mauera quis seguoix.
Auyatz que mana lo balle del s.Reyatotz comiiialiuent,que
negun regator ni regaterani nuyl altre hom, per revendre no
gaus coinprar ni fer comprar ni meroadeyar per si ni per altre
dins la vila de Perpenya, ni de fora entorn una légua de la dita
vila, en camin. fora castel, neguns aucels, volateria, ni ooniyls,
ni lebres, ni neguna salvatgina, ni pois, ni galines, ni ous, ni
frouiatges, ni notz, ni avalanes, ni sebes enforeades : dins los
casteyls, erapero, pusquen comprar. E qui contre aixo tara,
pach ' de pena per cascuna vegada m. s., de la cal lo denuu-
ciador aura la terssa part, exceptât compradore venedor.
Item mana que negun regater ni regatera no gaus comprar
ni fercom[)rartVuyta ni erba per revendre, dins la vilade Per-
penya, ni de fora entorn una lega de la dita vila, en oamin [ni'
fora camin, ni en castel [ni?] fora castel, tro ^\\\c mig die sia
souat, sotz pena de m. s.
Item que negun Juseu ni Juseua no gaus comprar ni fer
comprar per si ni per altre en dies de mercat, dins la vila do
Perpenya, pois, ni galines, auques, anetz, ni neguna volateria,
ous, ni fromatges, tro tercia sia sonada, sotz pena de m, s.
(i)nlinacion$, I, ^> hi roet v».)
I Vnrh cl souvotil/)/R' pour/)«y («m'il payei. Le y est remplacé très-rréqueiu-
lueiil par '' ou ch dur.
SUR LA la.MjUE Catalane es
XVII
« ORDONAMENT DE PIRES »
IP nonas septembr. anno domini m. ccc. xiu. — Fo fejta la
crida davajl scrita de partdel balle.
Aujatz totz cominalment queus fa asaberlo balle del s.Rej,
quel dit s, Rer a ahordonat que les fires del mes dahost co-
mensen totz temps la vespre de sent Bertho!omeu,e que,daqui
anant, perejl ni per altre no sien mudades ni alongades.
[Ordinacions, I, f» 54 r».)
XVIII
DÉFEySE AUX « POEQUERS » DE SORTIR DE PERPIGSAX
XVI. klns jaimai'ii anno domini yi. ccc. xiii. — Fo fejta la
crida davavl scrita de part del senjor En BnDaui, cavalier,
balle de Perpenya.
Aujatz que mana el balle del s. Rev a totz cominalment.
quel nostresenjor Rev a adordonat que porquer no jsca' de
la vila de Perpenvaper asi en la.
(Ibidem.)
xrx
DÉFENSE AUX « ilEXESCALS» d'EXERCER l'OFTICE DE a CORRATER»
Pridie idus januarti anno domini m. ccc. xm. — Fo cridat
perla viia de Perpenva de manament del senvor En Bn Daui.
cavaler, balle de Perpenva, que nul menescal no gaus esser
corrater sotz pena de xx s .
{Ibidem.)
XX
RÈGLEiTEXT POUR LES BOULANGERS
xni. kk februarii anno domini m. ccc . xui. — Fo cridat per
la vila de Perpenja, de manament del senjor Eii Bn Daui ca-
' Se sorte, sabj. de ixir.
70 DOCUMENTS
valer, balle de Perpenya, que noy aga negun fflaquer ni ne-
guna flaquera qui daqui anant gaus fer pan ni tener pan, sino
de un diner o de ii. diners, e quiaquestmanament passara, de
pena el pan.
(I/jidem.)
XXI
PENSION VIAGÈRE ASSIGNÉE A RAYMOND DE GUARDIA
PAR l'archevêque DE TARRAGONE '
Divenres xv. dies deimes de febreren layn de m. ccc. xiii. —
EnP.de BardoylenP.Matfre,procuradors del moltalt senyor
Rey de Malorches, veseren i' carta o letra del sant pare
archevesche de Tarragona, que era estada tramesa al senyor
Rej^ per raho de la pencioque avia assignada al honrador se-
nyor frare R. Sa Gruardia del orde del Temple sabentras: en
la quai se contenia, entre les altres coses, quel dit frare R.,
lo quai avia absolit^, degues estar e esser colloguat en la casa
del Mas Deu^, e en aquel loch aga habitacio senes* loger e
senes selari, e que de la ortalissa del ort e dels frutz dels ay-
bres fruters ad ops tant solament de mengar, e encara lenyes
dels bochs del Mas Deu o dels altres locs, senes merme" da-
quels locs, per se e per sa companya pusca francament penre
e aver. E assigna al dit frare R. per provisio de totes les sues
causes e a sa companya necessaries per quascun ayn — cccl.
Ib, dels bens que foren del dit Temple.
A la quai quitacio a penre comensa a mig utubri del ayn de
M. ccc. XIII,
De la quai provisio fo manat per la senyor Rey an P. de
• Ce document n'est pas inédit ; il a été publié par Alart, en 1S67, dans son
étude sur \& Suppression de l'ordre du Temple en Houssillon.
- La lecture de la fin du mot est douteuse ; peut-être faut-il lire simple-
mont absolt.
■' Siège de la commanderie du Roussillon. La maison et le domaine des
Templiers existent encore en grande partie sous le même nom, à 14 kil. de
Perpignan, et non loin de la roule d'Espagne. Raymond de Guardia avait été
11' dernier commandeur du Mas Deu.
* Sans [payer] loyer ni salaire.
^ Mej-tne, dommage, sans porter dommage à ces lieux.
SUR LA LANGUE CATALANE 71
Bardoyl al Volo • digous mati en layn de sus dit a la casa dEn
Vives, que sia pagada al dit frire R. cascun ayn de un. en
iiii. meses, mes tota hora agai^ pagua avantada- ab que do
1° fermansa, que si per aventura lo dit frare R. moria que au-
ria presa la pagua e no li pertanyia so que près auria, les fer-
manses que dara degen retre so que mes auria près que no li
pertanyeria per sa pencio o quitacio.
En Bge'' d'Atsat en P. d'Atsat frares, amdos doncsels habi-
tantz de Perpenja, perprecs e per mauament del dit frare R.
sestabliren fermanses de retre tôt so quel dit frare R. auria
mes près que no li pertanyeria de sa quitacio tro al dia que
morria, e per ayso obligaren lurs bens e renunciaren a tôt
dret per els fasen.
De la quai quitacio li fesem liurar an P. Ribera divenres viii.
dies del mes de martz, ab l Ib que ja li avia liurades, per tôt
— CCL. Ib.
Item li donem al dit frare R. Sagardia divenres viii. dies
del mes de martz, nombrantz al Temple^ — cxxiii. Ib. vi. s.
vni. d.
S^ que li avem feyt liurar, per tôt ccclxxiii. Ib.vi. s.viii.d,
que fan en Tor. dargent, Tornes d argent a xvi. d., — v™dc.
Torn. dargent qui valen, comdatz xv. diners per i. Tornes
dargent Bar. menutz,cccL. Ib.
Per so car se conte en la carta del senyor Archevesche de
Tarragona que les ccc. l. Ib sien donades al dit comanador
en Bar. menutz o de moneda valent aqueles.
{alla maww)Aquestes cccl. Ib son mundans* en lo capitolde
' Le Boulou, commune du cauton de Céret.
2 Amantada? Le sens est un payement joa?- avance.
3 II s'agit ici de la Maison du Temple à Perpignan, où l'ancien commandeur
était sans doute obligé de faire sa résidence. Cette maison se composait d'une
vaste enceinte, entourée d'arcades et de boutiques, derrière lesquelles se dres-
saieut les murs élevés d'un véritable château. C'était le manoir le mieux forlilic
de la ville de Perpignan, deveuue la capitale du royaume de Majorque, et, en
1285, à l'époque où le château royal (citadelle acluellCy n'étaif pas encore
achevé, c'est ce manoir qui conservait le trésor et les archives de la couronne.
Au reste, cette dernière destination delà Maison du Temple datait de loin, car,
en 1180, elle servait déjà de dépôt aux actes publics les plus importants.
Ml faut lire mudades : « Ces mccc livres sont reportées à rarlicle delà pen-
sion de frère Raymond, dans le Livre de la Coviptalnlité du Temple de m.
ccc. XIIII. »
72 DOCUMENTS
la quitacio de ffrare R. en lo libre de la ra/io ciel Temple de
M. CGC, XllII.
(Arch. des Pyr.-Or., B. 94, Vrociirado real, reg. xvii, lo 25 rv)
XXII
RÈGLEMENT POUR LE RUISSEAU DE RIVESALTES '
Diyous xxviiii. (lies de martz laijn de mcccxiii. — Fo adordo-
natlier En P. de Bardoj-l, proenrador del raolt ait senjor vey
(le Majorches, que negun hom no gaus regardel rech quel s,
Rej ha feyt fer per regar lo plan de Ribesaltes, sino aquels
de Ribesaltes e dels altres locs qui han licencia de regar, sens
licencia dels procuradors del s. Rey, sotz pena de lx. s. per
quasquna vegada, la quai pagara qui contre fara.
Item que negun hom no gaus pexer negun bestiar menut ni
gros prop lo dit rech per espasi de ii. canes de Montpeller. E
aquel qui contrefara pagara de pena per quascuna vegada, so
es saber, per quascuna bestia grossa ii . drs, e per quascuna
bestia menudai. d.
Item que nuyl hom no gaus gitar pères ni negun altre ra-
sum^ en lo dit rech, sotz pena de x. s. per quascuna vegada.
De les quais pênes haura lo garda o baner de les dites cau-
ses, la meytat, el s. Rey laltra meytat.
De totes aquestes hordonacions fo tramesa letra al balle de
Baixans ■' e al balle de Parestortes *, e Aspira'' e de la pobla de
1 II paraît que Jacques l"^"" de Majorque avait déjà accordé à Béraoger De-
benun, camérier de l'abbaye de la Grasse, seigneur de Rivesaites, et aux ha-
bitants du lieu, la permission de construire un canal qui devait traverser les
territoires de Pêne et d'Espira. Ce qui est certain, c'est que le 3 des calendes
de novembre 1312, le roi de Majorque concéda aux seigneurs et habitants do
Rivesiilles le droit de prendre les eaux de l'Agli pour l'arrosage de leur pla.
En 1332, Jacques II déchargea les habitants de l'obligation de tenir en état la
iligue des moulins. Le règlement de 1313, que nous publions ici, semble bien
l'aire comprendre que le canal était terminé à cette dernière date et qu'il ap-
partenait au roi.
- Rasum, déblai, décombres.
•' Le canal traversait ou touchait le territoire de tous ces villages. Baixas,
commune du canton de Rivesaites (arrondissement de Perpignan). Lorsque
son nom apparaît pour la première fois dans nos archives en 925, c'est sous
SUR LA LANGUE CATALANE 73
Pena'^ e de Gaussa', e per els ditz balles fevta crida de les
dites causes en quascun dels ditz locs.
(Arch. des Pyr.-Or., B. 94, Procuracio real. reg. xvii, fo 22 10.)
XXIII
RÈGLEMENT POUR LES VENTES A l'eNCAN
VII. kls aprilis anno dominin. ccc. xiii. — Ordonat fo por en
Brgrdesent Paul, batle de Perpenya e per En BùBrandin,
jutge de la cort del dit balle, ab consentiment e voluntat dEn
R. de Capsir e d'En Pons Bonet e dEn Biï Fabre e dEn P.
Gaussa edEn G-. Neg-re, conssols de Perpenya, e daltres pro-
somes de Perpenya, que si daquest die enant alcuna causa
moble se veu ad encant o a coyl en la vila de Perpenya, e si
alcun home diu al encant a la dita causa moble, el ^ corredor
no la liurada ad aquel qui dit j^auradins espaci deim.jorns
que, passatz los ditz'-* iiii, jorns,lo dit home qui dit hi aura
no siadestret ni forssat a penre ni comprar la dita causa mo-
ble, ni aquel de qui sera la dita causa moble no sia forssat de
vendre ni liurar la dita causa moble si nos vol.
Iteyn fo ordonat que si alcuna causa no mobla se vend ad en-
la forme du pluriel : villam qiiam vocant Baixanos {Cartulairc
dELne, fo 12). On ne le trouve guère, plus tard, qu'une ou deux fois au sin-
gulier, de Baxano.
"Aujourd'hui Peyrestortes, commune voisine de Baixas, citée, en 1130, sous
les deux formes latine et romane de Parietihus tovtis et Parets fortes; plus
tard, on trouve Perestortes et même Peyrestortes, cette dernière forme en
1143 (Arch. des Pyr.-Or., Rubriques de PuUjiiau, X, fo 732 vo).
-> Espira-de-l'Agli, commune du canton deRivesaltes, à quelques kilomètres
de Baixas et de Peyrestortes.
•• La Pohla de Pena, aujourd'hui Cases-de-Pene en français, et las Esca-
zassas, en catalan. Cette dernière forme est une corruption singulière de les
Cases, qui semble avoir été importée par les habitants du pays de Fonollet. Il
y avait primitivement en cet endroit un château qu'on désignait simplement
sous le nom de Pena ou Penna, au Xf» siècle. Le mot Casas est relativement
récent.
' Caussa, aujourd'hui Calce, comme les précédents daos le canton de Ri-
vesaltes. La première forme se trouvait en 988 dans le Cartulaire de Cuxa ;
plus tard, on trouve le mot en latin sous les formes de Cali;/a et Calcia.
* El pour e lo.
' Le ms. porte dins los.
74 DOCUMENTS
cant, et alcun hom lii aura dit a leiicant rcncantador no la
aui'a liurada ad a(iuel qui dit hi haura dins espasi de xv.dies,
f[ue, passatz los ditz xv. dics, aquel qui dit hi aura a la dita
causa no moble, no sia destret ni fortsat de comprar aqueyla,
ni a(iuel de qui sera la dita causa no moble no sia fortsat de
vendre ni de liuraraquela si nos' vol.
[Ordinacions, I, f» 51 vo.)
XXIV
DÉFENSE AUX BAILLIS ET AUX FERMIERS DU ROI DE LAISSER
ALIÉNER LES BIENS DU DOMAINE
Juin 1313. — Fo adordonat per Monssenyor En Sanxo, per
la {i'racia de deu Rey de Malorches, entorn de la festa de sent
Joliau lîabtiste de juyn, en layn moccxiii. que daqui avant
negun batle ho render de! dit senyor Rey no laus ni leyxs
alienar ni transportar negunos possessions ques tenguen per
lo senyor Rey a negun hom ni femna qui tengua masada ho
borda per altruy senyor, sia laych- sia clergue. Et dayso
avem tramesa copia, nos en P. de Bardoyl en P. Matfre, pro-
curadors del dit senyor Rey, a tots, los bâties del dit senyor
Rey, que de part del dit senyor Roy ho degenfer escriure si-
cretament cascun al libre de sa cort en loch que negun altre
hom, septat lo dit batle de cascun loch ho sos successors tan
solamcnt,no ho puschen trobar ni ligir.
(Arcli. des Pyr.-Or., B. 94, Procuracio rcal, reg. xvii, f« 22 vo.)
XXV
DÉFENSE DE SE BAIGNER DANS LK lUIISSEAU DU ROI ET DE PREN-
DRE DE l'eau DANS LE RUISSEAU DES MOULINS DU SIEUR FOU -
TANET.
XIII. kh augusti anno domini m. ccc. xiii. — Fuit facta pre-
conilzacio infrascripta ex parle Bernadi Dauini , hajuli Perpi-
niani, in liunc mndum.
' NoA pour no's ou no se, mot à mot, « si cela uc se voul, si ou ne le veut
pas. »
- Ailleurs, lecli.
SUR LA. LANGUE CATALANE 75
Aujatz quemana lo balle del scnjorRov atotz cominalment,
que iiogun ni noguna, per ardimeiit que aya, nos gaus baynar
al rech del senjor Rej dins la vila, sotz pena de xii. drs'.
ïtem raana a totz cominalment, que nesz'un ni ne.nuna, pei-
ardiment que aga, no gaus pcnre ayga del rech dels molins
dEn Fortanct per adaygar vassades de li, si doncs laj'ga de
les dites vasses no tornava puxs al dit rech ; c aquel o a(jucla
i\m aquestmanament passara, pagara de i)onaper cascunave-
gada V. s.
[Onlinacions, I, f» 52 ro.)
XXVI
RÈGLEMENT POUR LE «GRAU )) DE l'ÉTANG DE SAINT-LAURENT-
DE-LA-SALANQUE
Diiienrcs xiiii. die s de desembre layn de m. ccc. \ui. — Fo
adîiordonat de manament e de voluntat del senyor Rey, quels
homcns de sent Laurens qui i)esquen c pescaran en lo estayn
de sent Laurens degen pagar e contribuir a la clausura del
dit estayn axi quant era estât antigament.
So es saber quels renders del s. Rey, cant lo grau se deu
penre, primerament degen ajustar salsores e altre pertreyt
per penre lo dit grau a ses propries raessions. e, ajustades
les dites salsores e pertreyt perlos ditz renders, los dits pes-
cadors qui pescaran en lo dit estayn dins lo dit ayn, arequesta
dels ditz renders o après la crida feyta per los ditz renders,
dcuen anar al dit grau per clausir aquel, e ab barches aquels
qui auran barches, e mètre algua- salsores e tôt altre pertreyt
qui ajustât hi sia per clausir lo dit grau, senesalqun loguer 0
sdari que aver non'' deuen.
Item que si aquel ayn meteixs quel dit grau sera près, sen
dave quel dit grau se trenche o, senestrencar, cove a reffort-
sar, los ditz renders deuen ajustar v. o vi. dels ditz pesca-
c'ors, dels milors, e donar ad aquels entendre que bon séria
' Au-dessous: non tenetur seu servatur.
2 Sic.
3 T^on ou no'n.
7t) DOCUMENTS SUR LA LANGUE CATALANE
quel dit grau deguos hom penro o dogues hom reffortsaraquel,
e que séria lur voluntat que degen donar o contril>uir per
penre o per reffortsar lo dit grau. E adoncs los ditz pescadors
prometien que darien ])er cabessa vi. o xii.d, o prometien do-
nar en soma entre totz x. Ib ou xv. Ib, e axi segons mes e
mevns, segons quels era' vigares que podra muntar la messio
del retfortsament dol dit grau .
ItPtn quels homens estrayns qui venen pescar al dit estayn
se an avenir ab los renders e, segons que sera covengut en-
tre los primers els renders, totz los altres estrayns qui y ven-
ran pescar agen a pagar segons la covinensa dels primers, si
doncs los renders no lin volen fer gracia.
Totes les causes damont dites foren trobades per dit de tes-
timonis que axi era aeostumat de fer antigament, los quais
testimonis son aquestz, Johan Raholph, Steve Jaubert, P.
Isern. Johan Jaubert. Arn. Rochafort, totz de sent Laurens.
(Arch. des Pyr.-Or., B. 94, Procuracio real, reg. xvii, f» 11 vo.)
Pierre Vidal.
(A suivre .)
» S/c.
Dialectes Modernes
GRANDEUR ET DÉrADEXCE
DU MOT « MÉCHANT,^ AU XVIIe SIÈCLE
Qui n'a rencontré dans quelqu'un de ces recueils de bons
mots, si nombreux au XYII^ et au XVIIIe siècle, Fanecdote
.suivante :
" Le mot (fros a été tellement à la mode, qu'on le plaçait
partout, et qu'on le confondait avec le mot de grande Le Roi
dit, dans ce temps-là, à Despréaux : « Je souhaite que l'Acadé-
» mie française, qui est établie pour déterminer le vérirable
» sens des termes de la langue, distingue précisément la si-
)> gniôcation de ces mots de gros et àe grand, afin que l'usage
» ne les confonde pas pour toujours ^. » — « Votre Majesté
)) n'a rien à craindre, lui répondit le poète, la postérité dis-
y> tinguera toujours bien Louis le Grand d'avec Louis le
» Gros ■' . »
' On était à la fin de cet engouement pour le mot yros, eu 1694, lorsque
Edme Boursault publia sa piquante coraidie : Les Mots à la mode. « Gros » est
un mot proscrit, ma sœur, dit M. Brice, le personnage raisonnable de la
pièce. Se. 6.
- Boursault distingue très-bien la signification des deux termes dans les
vers suivants :
Me trouver l'esprit fjros, c estl e trouver épais ;
A moins qu'un fjros seigneur n'ait la taille fort grosse.
Est-il expression plus bizarre et plus fausse !
Qui diable a jamais dit depuis quinze ^ros jours?
[Ibid.)
Au reste, la confusion entre grand, et fjros venait d'une synonymie réelle,
qui avait existé autrefois. On trouve encore dans Monet: gros, grand, puis-
sant, assorti de moyens et de crédit; il est des gros de la ville. — Grossir, de-
venir grand, auf/esco.
' Desbois, Recueil de hon< mots, 1730 ; II, p. 82.
78 GRANDEUR ET DECADENCE
Un engouement du même genre s'est produit en faveur du
mot méchant. Il était devenu tellement à la mode, pendant la
plus grande partie du règne de Louis XIV, qu'on le mettait
partout à la place de mauvais. Ce fait curieux de linguistique
vaut la peine d'être étudié.
Les deux mots ainsi confondus ne paraissent point égale-
ment anciens dans la langue. Tandis que mauvais ou malvais
se trouve déjà dans la Chanson de Roland, le premier exemple
de méchant, cité par Littré, est seulement du XIV^ siècle'. Par
contre, si l'origine de méchant est plus moderne, l'étymologie
en est beaucoup plus claire et plus incontestable.
« L'ancienne forme, dit Littré, est mescheant, du préfixe
mes et de cheant, participe présent du verbe choir. Meschanl
signifie proprement celui qui a mauvaise chance ; de là vient
le sens de ne valant rien, chétif, insuffisant ; un pas de plus,
en s'éloignant du sens primitif, conduit à l'acception de con-
traire à la probité en parlant des choses, et d'enclin à mal
faire en parlant des personnes. »
Et, comme exemples du sens primitif et du sens le plus loin-
tain, Littré cite les deux textes suivants, qui appartiennent,
l'un et l'autre, au XIV^ siècle.
« Il seroit aucune foiz beneiiré, et après autre foix maleu-
reuz et mescheant. Oresme. Eihic. 23.
» Cils chevaliers l'a pris ens ces prez là devant. Et le tient
en prison en guise de meschanl. Guesclin, 2266.
Cette étymologie est assurément hors de toute discussion,
et déjà Ménage l'avait indiquée" dans ses Origines de la langue
française. Celle du synonyme de méchant est infiniment plus
douteuse. Mauvais, ou plutôt malvais, vient, disent les uns-, du
haut allemand balvasi, transformé en malvasi sous l'influence
de malus. Il est sorti, au dire des autres, de maie levalus, que
l'on retrouve assez bien dans le provençal malvats'^. Je laisse
1 II est vrai que meschoir et mcschance se rencontrent dans des textes plus
anciens. — Me.9c/jflnnui-mêmc avait déjà, au XIII» siècle, le sens de mauvais;
ainsi que le témoigne un texte formel de Matthieu Paris, cité par Ménage dans
ses Origines : «i Dixit quod malus csset, gallicana lingua mcschaiit, et hoc
verbum maximae offensionis inter eos. » (P. 1159 delapr. éd.)
^ Scheler.
' Diez, Lex. étym., I, 260.
DU MOT « MECHANT " AU XVIP SIECLE 79
à de plus habiles le soin de décider entre ces deux ctymolo-
gies; pourtant, à parler franchement, ni l'une ni Fautre ne
me séduisent. Maie levatus s'accorde, tout au plus ', avec le
provençal malvats, et balvasi me répugne infiniment. Les dé-
fenseurs de cette dernière origine ne tiennent pas assez de
compte du préfixe ma/, et cependant ce préfixe, ainsi que ses
congénères mar et mes, occupent une place trop grande dans
la formation des adjectifs et des mots péjoratifs pour qu'on en
fasse ainsi bon marché. Mais, Je le répète, je n'ai pas le droit
de donner un avis en matière semblable et soumets humble-
ment mes doutes aux romanistes. Je ne garde pour moi que
la tâche, plus modeste, de constater la fortune de nos deux
qualificatifs pendant le cours du XVIIe siècle.
Littré, comme nous l'avons vu, considère, à propos de mé-
chant, le sens de contraire à la probité et d'enclin au mal,
comme l'acception dernière et la plus éloignée de la signifi-
cation primitive. Il a raison, sans doute, au point de vue de
l'ordre logique ; mais ce sens éloigné devint de très-bonne
heure le sens le plus usuel. Il l'était déjà au XIIP siècle, Mat-
thieu Paris l'atteste. Littré lui-même donne un exemple de
cette acception, tiré de la Chronique du Guesclin, texte de
même date environ que l'ouvrage d'Oresnie, où se trouve in-
diqué le sens primitif.
AuXVIesiècle, cette signification dérivée était certainement
la principale et la plus ordinaire % Pour traduire les mots la-
tins scelestus, sceleratus, nefandus, nefarins, nequam, Charles
Estienne'' n'emploie g\xèvec{ViQ\e moi meschant, et réservemau-
vais pour rendre des adjectifs moins énergiques, comme malus
et malignus. Quant au substantif abstrait formé de méchant,
s'il eut jamais l'acception de mauvaise chance, d'insuffisance
ou de valeur chétive, il l'a perdue complètement. Les diction-
naires du temps ne le rendent que par des termes qui signi-
ï Léon Gautier, Glosxaire de Roland, p. 585.
2 Non pas que les autres sens eussent disparu. En 15;^3, Ch. de Bovelles
{Carolus Bovillus), cité ^a.v (j&ma, Lexique de Molière, dit expressément:
meschant (\\id.\'Oc& abutentes Galli viruna interdum inopern, interdura zhî-
quum, dolosum et infelicem.... [de Vitiis vubjar. lin;/., p. 15. —Remar-
quez que peu chanceux, infelix, est rejeté à la dernière place.
3 Dictionariumlatino-gallicum; Lutetiic, 1561, in-fol.
80 GRANDEUR ET DECADENCE
fient penchant au mal ou action coupable. On trouve, en effet,
dans un lexique à l'usage des écoles, le Dictionariolwn puero-
rum\ après meschanceté, les expressions suivantes : facinus illi-
berale, improbitas cordis humani, impuritas, indi(jnitas, nequi-
tia, scelus, vitium. Le terme de mesc fiance est, à la fin du siècle,
traduit par iniquitas, iniquité.
Ainsi le mot qui, dans l'origine, avait eu le sens le moins
fort, avait alors Tacception la plus énergique ; tandis que, par
un sort contraire, l'adjectif, que son étjmologie semblait des-
tiner à exprimer un plus grand degré de perversité, n'avait
plus qu'un sens relativement adouci-.
Tel était l'état de ces deux mots au commencement du
XVIP siècle. Aussi, dans un dictionnaire français-italien de
1603, composé par P. Canal, mauvais est rendu par malvâgio
et caltivo, au lieu que meschant est traduit par les termes au-
trement énergiques de sceleratoet de ribaldo. 11 y a plus: l'au-
teur de ce vocabulaire, ou ne s'est douté ni de la signification
primitive de peu chanceux, ni de l'acception dérivée de chétif
et d'insuffisant, ou bien n'a tenu aucun compte de ces deux
sens, plus anciens cependant que celui qu'il donne. Faut-il
s'en étonner ? Nicot, dont le dictionnaire a été la source où
puisèrent tous les lexicographes postérieurs, n'est pas plus
complet surce point. Il énumère, en effet, diverses acceptions
du mot mescimnt: scélérat, abandonné à tous les vices, digne
de punition, quand il s'agit des personnes; indigne, criminel,
honteux, lorsqu'il est question des choses. Mais le sens d'in-
suffisant, de vil et de peu de valeur, n'est pas mentionné. Quant
à celui d'infortuné, de peu chanceux, à peine est-il entrevu
dans des exemples comme ceux-ci : les meschantes gens d'une
ville, fxx ciDilatis ;\q lieu oîi se retirent toutes meschantes
gens, ouïes meschantes gens même: sen/?'»a. Encore Nicot
oppose-t-il formellement méchant à malheureux dans le pro-
verbe suivant: Aimer plus estre meschant que bclistre, turpi-
ter potins quam calamitose vivere'\
• Dictionariolum pueroriim. Lugduui, ap, Henricum Hylarium el Ludovi-
ciini Cloquemin. 1574, iD-4o.
^ 11 en est de même du nom abstrait dérivé de mauvais. Le Dictionario-
lum piternvum traduit mauvaistié (ma«i'rt(7j^dans Ph. Monel), par ?««//-
;//iif>is, /i/dvitas. — ' L'édition de Nicot, que nous avons consultée, est celle
(le Jean Baudoin. Lyon, Cl. Morillon, 1606, in-4o.
DU MOT «MECHANT» AU XV11« SIECLE 81
Fait plus singulier encore, Malherbe, le vieux docteur en
langue vulgaire, n'emploie meschant que dans le sens de per-
vers; il se sert au contraire de mauvais, dans tous les cas où
les hommes de la génération suivante devaient user de l'ad-
jectif méchant.
Est-ce à dire pourtant que ce dernier eût perdu son sens
primitif de malheureux ou de peu de valeur? Non, sans doute.
Si l'on ne le rencontre avec ces acceptions, ni dans le dic-
tionnaire de Nicot et de P. Canal, ni dans les œuvres de Mal-
herbe, la lacune est facile à combler au moyen de lexiques et
d'écrivains contemporains. — Le Thresor des trois langues fran-
çoùe, italienne et espagnolle, ne donne, il est vrai, que les signi-
fications d'inique, abandonné à toute gourmandise et à toute
« impudicité *. » Mais Cotgrave cite un proverbe où l'acception
de malheureux et de misérable ne fait pas doute : « Aujourd'liui
marchand, demain «meschant^ » ; et, dans son Parallèle des lan-
gues latine et française, le jésuite Philibert Monet, après les
trois sens de « malin {inab'gnus), ajant mauvaise âme, et fait
» par méchanceté », ajoute (( malotru, de nul prix ». et,
comme exemple de cette dernière signification, écrit: a Du
» butin, je n'ai eu qu'un meschant cheval et un malotru habit,
— de prœda tuli dumtaxat vilem equum et abjectam vestem-'.
Les écrivains du temps rendent le même témoignage. Ma-
thurin Régnier fait dire à son fâcheux :
Ce sont des meschants vers
(Je cogneu qu'il estoit véritable à son dire).
Que pour tuer le temps je m'efforce d'escrire''.
Après le poète satirique, ennemi de Malherbe et de son
école, citons un prédicateur, alors fort célèbre, Pierre de
Besse, aumônier du prince de Condé. Il nous montrera le mot
employé dans le sens de chétif etde méprisable, sous Henri IV
et dans les premières années du règne de Louis XIII. Voici,
1 Ed. de 1627.
2 II donne, de plus, le sens de qui ne vaut rien.
3 Ce sens de vil (3t de peu de valeur, vilis, mdiius pretii, Ph. Monel le
donne aussi à mauvais. — 11 est. utile à remarciuer que le dictioonain' de
Monet parut seulement vers 1630.
* Sut. vm, V. 116.
82 GRANDEUR ET DECADENCE
par exemple, une phrase tirée de sa Royale Prestrise\ Il ve-
nait de traduire un passage d'une lettre écrite par le pape
Alexandre VI au cardinal Ximenès, et il accompagne sa tra-
duction du commentaire suivant :« Le bon S. Père- voulait dire
» que, comme les prestres ne se doivent point négliger en
» portant de trop raeschants habits, aussi ne doivent ils point
» par trop piaffer en (en)portant de trop braves-'.»
Ainsi voilà bien, dans un auteur fort à la mode au commen-
cement du XVIP siècle, le mot méchant pris dans une de ses
acceptions primitives; on l'oppose à brave, qui signifiait de
bonne façon, élégant, distinguée
Néanmoins la signification de vicieux et de scélérat était
alors la plus usuelle. Pour une fois que l'on rencontre notre ad-
jectif avec le sens de méprisable et de chétif, on le trouve au
moins dix dans celui de criminel ou de pervers^. Rappelons-en
quelques exemples tirés du même prédicateur. Sa langue est en-
core la langue rude et imagée du XVI* siècle ; elle a,danssanaï-
veté, et son exubérance, une saveur dont on regrette souvent
l'absence dans le langage plus sobre et plus délicat de l'âge sui-
vant. Notons d'abord cette antithèse: Ce sont aux bons jours
que se fontles meschantes œuvres". — (( Le prestre, dit ailleurs
» Pierre de Besse, en endurant faict paroistre qu'il est juste;
» mais en se revenchant, il monstre qu'il est mescliant comme
» les autres \ — Le prestre, dit-il encore, est donc hoimne de
» bien qui veille volontiers, comme aussi il est ineschant quand
» il ayme trop à dormir et ne peut quitter ses couches ^)) —
1 Le privilège de ce livre est du 23 décembre 1609.
2 Ce boji S. Père n'est autre que le fameux Alexandre Borgia, bien que
Besse nomme par inadvertance Alexandre IV (1254-1261). Il s'agit d'une lettre
adressée au cardinal Ximenès, en 1495, et qui par conséquent ne peut appar-
tenir qu'à Alexandre VI.
3 Royale Prestrise, p, 467.
' Lindo, gentil, bello. P. Canal, Dictionnaire français et italien.
» Il serait facile de multiplier les preuves : on pourrait citer, par exemple,
un émule de Hardy, Cl. Billard de Courgenay, dont les tragédies parurent
en 1611.
'' Conceptions théologiques pour tous les dimanches de l'Avent. 1609.
édit. Lyon, 1635, p, 481. — Les 6o?is jours sont les jours de fête.
'/i/</., p. 35-2-353.
* Ihid., p. 445.
DU MOT « MÉCHANT »♦ AU XVII* SIÈCLE S3
« Courage, s'écrie-t-il dans un autre passage, et ne vous fas-
chez point, ô prestres! si les meschans prospèrent en ce monde
les meschans ne prétendent rien dans le ciel ; et vous ne
devez rien prétendre sur la terre'.»
Et, de même que Besse emploie plus souvent meschant avec
l'acception de vicieux et de pervers qu'avec celle d'infortuné,
de vil et d'abject, s'il veut exprimer cette dernière idée, il se
sert de préférence, comme nous le faisons aujourd'hui, du
qualificatif ?nttMya?5. Veut-il dépeindre le triste état de l'enfant
prodigue rentrant dans la maison paternelle, c'est à mauvais
qu'il recourt: « Son père le voyant tout descliiré, tout des-
» cousu, tout sale, et ne pouvant supporter ce mauvais equi-
» page, commanda tout aussitostà ses gens de lui arracher
» ses guenillons, l'habiller en enfant de bonne maison et l'os-
» ter de ses ordures-.»
Les contemporains de Pierre de Besse, les inconnus de
même que les illustres, se servent comme lui de méchanl pres-
que toujours dans le sens de vicieux et de criminel, et rarement
dans ceux de malheureux ou d'insuffisant. Citons, par exem-
ple, Audiguier, auteur d'un roman longtemps en vogue, puis-
que la première édition est de 1615, et qu'on le réimprimait
encore en 1667. Dans ses Amours de ÏÀsandre et de Calisle'\ il
appelle une fois un escalier méchant^ ; mais il dit aussi qu'un
homme de bien pouvait faire son hermitage au milieu du
monde comme un méchant® pouvait faire son monde en son
hermitage; il parle de l'esprit d'une méchante ® femme et
traite un ingrat de malheureux et de méchant ^ D'ailleurs,
il a plus souvent recours à mauvais qu'à son sjnonj^me, et il
en use à peu près comme nous et donne cette épithète à con-
seiP, à coup, à fortune, à humeur, à opinion, à rencontre, à
tour, à temps, à orateur '-•: tous substantifs auxquels la géné-
ration suivante accoUera de préférence la qualité de méchant.
» Ibid.,p. 356-357. — ^ Ibid., p. 461.
^ Histoire comique de notre temps, ou les Amours de Lisandre et de
Calisfe. Paris, Michel Bobin et Nicolas le Gras, 1667, in-12.
i Ibid., p. 256.— 5 Ibid , p. 494. — «^ Ibid., p. 468.-7 I/jid.,p. 247.
" Dédicace.
9 P. 223, 298, 202, 265, 239, 60, 388. La plupart de ces mots sont accom-
pagnés plusieurs fois, dans l'ouvrage, de Tadjectif mauvais.
84 GRANDEUR ET DECADENCE
Dans la Vraie Histoire de Frcmcion, publiée en 1622 par
Charles Sorrel, mauvais occupe également la plus grande
place; méchant semble pourtant acquérir de l'importance, au
moins avec la signification de vicieux. Il se rencontre même
assez souvent à côté d'un objet de peu de prix'. On pourrait
dire la même chose à propos iV Ariane, roman historique de
Desmarets (1632) : méchant gagne sur son rival; il lui prend
les désirs, les desseins, les maximes, les pratiques- ; il lui en-
lève l'empereur ainsi que le peuple ^. Cependant il se contient
encore à cette date, comme on peut le constater dans les pre-
mières comédies de Corneille. Mélite avec Clitandre lui accor-
dent une action et un sonnet*, mais gardent leurs préférences
pour mauvais.
A la fin du règne de Louis XIII, et particulièrement pendan:^
la régence d'Anne d'Autriche, ?/?t'c/ian^ est en veine de fortune;
il pourrait, comme M""' de Sévigné, conter ses petites prospé-
rités. Tandis que, dans l'acception d'injuste, de scélérat, de
vicieux, quand elle s'applique aux personnes et aux êtres ani-
més, il reste sur ses positions et demeure, pour ainsi dire, oisif
et stationnaire ; dès qu'il s'agit de choses, il s'avance hardi-
ment. Malencontreux, chétif, insuffisant, de peu de valeur, vil,
méprisable, indigne, criminel, tous ces adjectifs lui cèdent la
place ; il laisse presque dans l'oubli tous les péjoratifs de
la langue française"^. Qui ne sait que Claude Perrault
De méchant médecin devint bon architecte ^ ?
Nous maudissons encore l'auteur dur
Qui, de ses lourds marteaux martelant le bon sens,
Fit de fort méchans vers douze fois douze cents "^ .
1 Ai^uilleltes, p. 178 ; boyaux de chat, 89 ; charrette, 44 ; couvertures,
284- ctoiïes, 345; habits, 175 et pass., haillons, 274; haridelle, '62d[ hauts
de chausses, 77; maisou, 81; papier, 198. Éd. d'Emile Colombey. Paris, l)e-
hUiays, 1S58, in-16
- 1, 136; 165; 11, 20, 48. Ariane; Paris, Guillemot, 1632.— 2 vol. in-12.
■i Un si raeschant empereur, 1, 376 — Ce meschant peuple, 1, 241.
• Avfi. de Clitandre; Mélite, act. II, se. 4.
s II est à remarquer qu'alors le sens de mécliant ne varie pas selon qu'il
précède ou suit le substantif. C'est plus tard que la distinction s'est faite.
" Art. poét., IV, 2i. — ' E/)ii/r. pour mettre à la fin de la Pucelte.
DU MOT « MÉCHANT » AU XVII* SIÈCLE 85
Si nous étions tentés de dire à Boileau :
C'est un méchant métier que celui de médire *,
une de ses victimes, cet « écrivain estimé chez les provinciaux »,
dont il a dit :
Le Pays, sans mentir, est un bouffon plaisant-,
nous répondrait aussitôt: « Il est bon qu'il y ait de méchants
auteurs pour donner de l'éclat aux illustres. » Il ajouterait
même, non sans une pointe de malignité pour le satirique : a Si
nous n'avions rien écrit de méchant, il n'eût peut être jamais
rien dit de bon^. »
Pendant quarante ans au moins, il n'y eut peut-être point
de mot aussi en honneur dans la langue française. C'était à
qui s'en servirait le plus, une sorte de gageure où chacun,
soit en parlant, soit en écrivant, s'évertuait à mettre en pra-
tique le vieux proverbe à méchant méchant et demi.
Les jansénistes avaient une méchante doctrine; mais, en
compensation, les jésuites, au dire de Pascal, enseignaient
de méchantes maximes*. Nos soldats, obligés de marcher con-
tre l'ennemi, se plaignaient des chemins serrez et meschants^ ;
par contre, Flaminius demeurait dans la comédie de Nico-
dème en méchante posture ^ Tel était raillé pour sa méchante
voix ■', tel^autre à cause de son méchant cheval^; celui-ci, dans
un méchant pas ^, exerce sa méchante humeur'" en s'irritant
contre sa méchante destinée" ; celui-là, porté de méchante
volonté*^, en fait sentir les méchants effets''' à toutes ses con-
naissances, en leur rendant de méchants offices'*, en leurfai-
' Sat. vn, V. 2—2 Sat. m, v. 180.
3 Les Nouvelles Œucres de Monsieur Le Pays. Amsterdam, 16S7, in-12.
Seconde partie, livre IL Lettre première à M. de Tiger, p. 122 et 123.
" Avez-vous supprimé les livres où ces méchantes maximes sont enseignées?
XI' Provinciale, éd. de Cologne, 1669, p. 226.
^ Mercure galant, octobre 1677, p. 17. - "^ Corneille. Exam. de Nicomède.
1 Scarron, Rom. corn., XV, 183.— » Ibid., XIV, 138.
9 Désordres de l'amour (de Mme de Villedieu), 1676, 1, p. 50.
1° Mercure galant, mai 1677, p. 7.— *« Désordres de l'amour, 111, p. 26.
*- Ibid., L P- 60. — 13 Mercure galant, octobre 1677, p. 17.
1* Désordres de l'amour, IV, p. 13.
6
86 GRANDEUR ET DECADENCE
sant passer de méchants moments'. Bussy-Rabutin s'afflige
du méchant état de ses affaires, du méchant succès de ses dé-
marches^, et, pour le consoler, la marquise de Sévigné, sa
cousine, lui écrit : «Vous avez bien fait d'écrire au Roi ; votre
» lettre est fort bonne ; vous auriez bien de la peine à en
» écrire de méchantes^. »
Méchant est un terme qui vient si souvent à la bouche, que
l'auteur du Misanthrope le répète quatre fois dans la seule
scène du sonnet d'Oronte ; et, quand Alceste s'écrie :
Le méchant goiit du siècle en cela me fait peur,
ce n'est certainement point à la vogue du mot méchant qu'il
songe.
Personne, en effet, ne s'apercevait qu'on en fît un usage
abusif; bien au contraire, on ne croyait jamais l'employer
assez. Eléonore de Souvré, abbesse de Saint-Amant, écrivait
à sa tante, M™^ la marquise de Sablé: «Je suis si languissante
que je ne crois pas passer Thiver àcause de ma méchante poi-
trine ^. Et La Rochefoucauld souhaite à sa nièce M"" de Sillery,
qui se marie « bravement sans lui rien dire», des valets qui la
volent, un méchant cuisinier, un confesseur moliniste et une
femme de chambre qui ne sait pas bien peigner ■'. M™* de Sa-
blé, qui avait pourtant toujours peur, écrivait à l'abbé de la
Victoire: «Quand vous auriez été. . . .au plus méchant air du
monde, j'ai tant envie de vous voir que je n'aurais pas la pa-
tience de vous faire passer par le feu''.» Plus craintif, un de
ses contemporains regardait tout comme méchant pour la
santé .
Boileau, dans sa confession ironique, a beau faire le bon
apôtre et déclarer le métier de satirique un méchant métier,
il ne se gêne guère avec les méchants écrits et les méchants
auteurs; et, mariant ensemble, pour les opposer l'un à l'autre,
1 Mercure (jalaiit, octobre 1677, p. 7.
2 Bussy-Rabutin, Lettres au Roi. 18 janvier et 4 juiu 1687.
•' Afmc de Sévigné, 14 février 1687.
* 4 novembre 1670; Cousin, 3/™« de Sablé, p. 402.
3 Tiré du Petit Magasin des Dames, in-12, 1806, p. 114. par Cousin,
M"'' de Sablé, p. 521. — « Ibid., p. 391.
DU MOT « MÉCHANT « AU XVII* SIECLE 87
deux adjectifs alors fort en crédit, proclame cet oracle célè-
bre :
Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain « .
Racine, qui s'est moqué avec tant d'esprit des ridicules plai-
doyers de son temps, souffrait pourtant plus facilement un mé-
chant avocat qu'un méchant comédien 2.
Enfin M™« de Sévigné, voulant prouvera sa fille la vérité
d'un récit, citait pour ses auteurs Monsieur le Premier et
Monsieur le Grand Maître, et trouvait que ces auteurs-là
n'étaient pas méchants^.
On pourrait multiplier à l'infini ces exemples, le mot mé-
chant ajant été accouplé avec presque tous les noms de per-
sonnes ou de choses ; mais ce serait de l'abondance stérile, un
méchant défaut que Boileau condamne en termes exprès :
Qui ne sut se borner ne sut jamais écrire ''.
Pour ne pas jouer plus longtemps un méchant tour^ au lec-
teur, concluons en citant comme dernière preuve le diction-
naire de Furetière. Publié seulement en 1690, mais achevé
déjà en '.1GS4, à l'époque où commencèrent les fameux démê-
lés de son auteur avec l'Académie, il montrera, mieux que
que toutes les citations, l'étonnante prospérité du mot mé-
clianl aux beaux jours de Louis XIV: « Mescliant, mauvais qui
» est depourveu de bonnes qualitez, qui ne mérite aucune es-
» time. Ce mot se joint à presque tous les substantifs de la
» langue pour marquer leurs défauts. En la nature on dit
» meschante beste, meschant pays, meschant bois,meschante
» pierre,"meschante humeur, meschante étoffe. En morale,
» on le dit de ce qui est contre la raison, les lois, les bonnes
» mœurs : un meschant garnement, une meschante femme,
^ Art poétique, 1,161.
2 «Oa souffre plus facilement un méchant avocat qu'un méchant comédien.»
Annotation au ch. 26 du livre I du de Oratore. Ed. Hachette, VI, p. 332.
— Voir d'autres exemples dans le Lexique de la langue de Racine, ib.,
VIII, p. 316. — 3 Mme de Sévigné, 21 août 1675, IV, p. 72.
^ Artpoét., I, 63. — - Scarron, Rom. corn., XIX, p. 224.
88 GRANDEUR ET DECADENCE
» qui a une meschante teste, une meschante action, un mes-
» chant juge.
» MescJiant se dit aussi des choses artificielles et incorpo-
» relies: un meschant outil, un meschant mot, une meschante
» doctrine, de meschants vers, un meschant orateur, une mes-
» chante cause, un meschant comédien, un meschant plaisant,
» un meschant brouillon ou mauvaise copie. »
Après cette longue énumération,que restait-il au synonyme
de méchant, à Fadjectif mauvais? Peu de chose en réalité,
mais beaucoup en théorie. « Mauvais, dit le même Furetière,
» qui n'a pas les qualités qu'il devrait avoir, qui est opposé à
» bon.
» Ce mot se peut joindre pour épithète à presque tous les
» substantifs, tant en la nature qu'en la morale.»
En puissance, mcuii'ais a donc autant de droits que méchant:
pour reprendre ce qu'il a perdu, il lui suffit d'attendre un
changement dans la mode.
En 1684, c'est-à-dire au moment où l'abbé de Chalivoj ache-
vait son dictionnaire, ce changement commençait à se pro-
duire. Le mot méchant, dont Furetière avait constaté la
prodigieuse fortune, était à la veille de la perdre. I] allait
éprouver le sort des pervers qu'il servait et qu'il sert encore
à désigner :
Le bonheur des méchants comme un torrent s'écoule i .
Telle fut, en efî'et, la destinée du mot dont nous avons es-
sayé de faire l'histoire ; après avoir tout envahi, il laisse échap-
per peu à peu presque toutes ses conquêtes, et perd avec ses
usurpations une partie du domaine auquel son étymologie lui
donnait droit. Mauvais, presque complètement dépouillé, avait
cependant conservé, pendant la domination de son heureux
rival, quelques fidèles, — des provinciauxpeut-être. Ainsi dans
l'année 1676, époque à laquelle méchant régnait souveraine-
ment à la Cour et à la Ville, il s'était rencontré un écrivain
qui n'avait pas tenu compte de sa vogue. C'était l'auteur de
Y Héroïne mousquetaire, un de ces romans à sensation qui char-
1 Racine, Âthalie, 11, 7.
DU MOT « MÉCHANT » AU XVir SIÈCLE 89
ment pendant quelque temps les oisifs et tombent ensuite dans
l'oubli. Dans son livre, assez volumineux pourtant, Tadjectif
usurpateur se rencontre à peine, tandis que mauvais s'étale à
l'aise, au-devant de tous les substantifs qu'il s'agit de qualifier
en mal. Le mot, proscrit par une sorte de désuétude, non-seu-
lement reprend l'intelligence, le succès, la volonté et l'opi-
nion, mais il se rend maître de l'usage et de la conduite, rè-
gle les explications, les raisons et les discours, et se charge
seul de donner de mauvaises couleurs aux impressions et aux
compliments'.
Ainsi commence,
par un retour grotesque,
A tomber de méchant le faste pédantesque.
Pendant les vingt dernières années du siècle, ce retour
s'accentue de plus en plus: méchant recule à l'arrière-plan ;
les écrivains qui l'ont employé presque abusivement dans leur
jeunesse s'en servent d'une façon plus discrète; la génération
nouvelle n'en use guère ou n'en use pas, Boileau, par une ha-
bitude invétérée, l'applique encore aux écrits - ; mais, s'il n'y
renonce pas en prose, il ne l'introduit ni dans ses dernières
satires, ni dans ses dernières épîtres. La Bruyère raille les
copies fidèles de très-méchants originaux'; mais mauvais est
l'adjectif qui se rencontre habituellement sous sa plume dans
des cas où vingt ans plus tôt on aurait préféré méchant.
Si des grands écrivains on passe aux médiocres, — et les
médiocres sont pres(|ue toujours des témoins plus sûrs de
l'usage et de la mode que les excellents, on trouve également
chez eux les rôles renversés : c'est méchant qui descend et
mauvais qui montée Ch. Perrault ne nous montre jamais le
1 Héroïne mousquetaire, 111, 54, 51 : — 11, 143; — IIL 29, 10, 26, 38, 38,
4.— IV. 4. — III, 77. L'auteur du romaa est Préchac.
- J'ai appris qu'on debiloit dans le monde, sous mon nom. quanlitr de mé-
chants écrits. Avertissement sur la yn'^' satire.
■'Ils deviennent des copies fidèles de très-méchants originaux. La Bruyère,
de la Ville, 7 ; édit. Hachette, 1, 280.
* J'ai dressé, d'après quelques-uns d'entre eux, des tables de présence pour
les deux mots; à la fin du siècle, la liste de mauvais s'allonge, celle de iné-
c/iant se réduit.
90 GRANDEUR ET DECADENCE
premier dans sa querelle avec Boileau, àroccasion de la Sa-
lire contre les femmes; et, si le grand Arnauld, qui servit entre
eux d'arbitre, emploie dans sa lettre l'adjectif me'c7w??/% c'est
dans le sens, sinon dans la place, où nous remployions encore
aujourd'hui. On constate encore le discrédit d'un terme au-
trefois si en vogue dans deux ouvrages de la même époque :
les Entretiens de morale, publiés en 1692, et le Traité de la
satire, que l'abbé de Villiers lit imprimer en 1695. Dans l'un et
l'autre de ces deux livres, mauvais occupe toutes les positions
dont méchant était maître naguère ; le goût, les phrases, les
ouvrages, les pièces de théâtre, la satire, les épigrammes, la
comédie, lui appartiennent; il qualifie les auteurs^ et les poè-
tes, aussi bien que les maîtres et les domestiques^; il flétrit
la mine des laides et enlaidit l'humeur des belles*, et, s'il per-
met encore à son rival la raillerie, il se réserve les conseils,
les exemples et les sermons^.
Le mot meschanl, qui dans l'origine avait signifié peu chan-
ceux, puis chétif et sans valeur, perdait ainsi son sens primi-
tif et son sens prochain, pour ne guère conserver que son ac-
ception dérivée et lointaine de vicieux et de pervers. Cette
révolution dans sa fortune, qui s'accomplissait au profit non-
seulement de mauvais, mais aussi de plusieurs autres adjectifs
péjoratifs *, s'acheva pendant le cours du XVIIP siècle. Aussi
l'Académie française, après avoir, dans l'avant-dernière édition
de son dictionnaire, copié presque littéralement Furetière et
fait rénumération des substantifs auxquels pouvait se joindre
cet adjectif pour désigner une chose ou bien un animal qui ne
vaut rien dans son genre, a-t-elle soin d'ajouter: il a vieilli
dans ce sens.
Il a vieilli, sans doute, mais c'est presque une seconde vieil-
* Méchante disposition, en parlant de la malignité du cœur, qui aime la mé-
disance et la calomnie. Lettres de M. Ariiauld à M. Pe)-rnult,dti.Qs les
CEuvres de Boileau, éd. Saint-Marc. Amsterdam, 1775, p. 389.
- Traité de ta satire, par l'abbé de Villiers, 1695, p. o2 eipass.; — 85,
84, 42 et pass.; - 354, 40, 278, 174, 222.
3 Entretiens sur la morale, 1692. p. 145. Ces entretiens sont de M"e Scu-
déry. — * Traité de la satire, p. 211, 247.
5 Entretiens, p. 240, 139, 320, 135.
^ Boileau, dans ses dernières œuvres, emploie vit, ridiriile, triste, où vingt
ans plus tôt il aurait pu se servir de méchant.
DU MOT « MÉCHANT j' AU XVll'" SIÈCLE 91
lesse ; car, au commencement du XVII« siècle et durant la plus
grande partie du règne de Louis XIII, l'état des deux mots
méchant et mauvais n'était guère différent de l'état actuel ' .
Méchant était-il plus employé qu'il ne l'est aujourd'hui pour
qualifier une chose insuffisante et chétive? c'est possible; mais
c'est seulement vers le milieu du siècle qu'il a pris son essor
et s'est établi dans la place importante où nous le trouvons
au temps de Molière et de Boileau.
Ainsi pour les deux termes qui nous occupent s'est accom-
plie presque à la lettre la prédiction d'Horace :
Multa renascentur qua3 jam cecidere, cadentque
Quaî nunc sunt in honore vocabula, si volet usus,
Quem pênes arbitrium est et jus et norma loquendis.
« Telle expression doit renaître qui depuis longtemps est
tombée, telle autre doit tomber qui est maintenant en honneur.
C'est l'usage qui en décidera, l'usage, cet arbitre souverain,
ce maître, ce régulateur du langage. »
Comment est venue cette grande vogue de méchant? A.
quelles dates précises a-t-elle commencé et fini? Ce sont des
questions impossibles à résoudre. Tout ce que Ton peut faire
en semblable matière, c'est de constater les faits ; encore les
faits sont-ils tellement mêlés et si peu constants, que l'on ne
saurait établir une loi générale de croissance et de décrois-
sance.
C'est donc sous toutes réserves que nous présentons les con-
sidérations précédentes; elles résultent pour nous d'un exa-
men attentif et patient des textes ; mais, comme on ne peut
jamais faire de dépouillement complet, peut-être ne serait-
il pas malaisé d'opposer des faits contraires à ceux que nous
avons recueillis, et de ruiner ainsi la conclusion de cette étude
sur deux mots encore aujourd'hui si faciles à confondre.
Ch. Revillout.
* Voici les sens que lui donne Cotgrave : wicked, impioiis, imgracious,
naughfy, bad, towd,villanous, rogidsh; vile, filthy, scurvij, most impure;
al.so paltvy, course, unworthy ; also curst, mischievous, fiarsh, froward.
2 Ep. ad Pisones, v. 70.
DEUTE PAGA
Passave, pèr ié dire adieu, davans sa porto,
Quand ause un crid, lou crid de la furo qu'emporto
L'àrpio d'un cataras, lou siéule dôu rigau
Qu'uno serp enclausis, lou quilet fouligaud
De la jouvo qu'Amour acoussejo pôr orto
E quelèu, souto un bais que la mord,toumbo morto.
Intre ... 0 felecita qu'a fugi moun fougau !
Image d'unbonur que sèmpre me fai gau :
Tôuti dous embrassa, li vese cauto à cauto,
Enfant! se clavela de poutoun sus li gauto, . .
Zôu ! de rire ! . . . Eu me pren la man ; Elo au jardin
Vai radouba li pie de soun èso estrassado;
Pièi, graciouso, m'adus uno fleur de pensado
Que pague malamen de moun sounet badin.. .
Louis RouMiEUx.
DETTE ACQUITTEE
Je passais, pour leur dire adieu, devant leur porte, — quand j'en-
tends un cri, le cri de la souris qu'emporte — la griffe d'un matou, le
cri perçant d'un rouge-gorge — que fascine un serpent, le cri folâtre
De la jouvencelle que poursuit le vagabond Amour — et qui bientôt
se rend sous le baiser qui la mord. — J'entre. .. 0 félicité qui a fui
mon foyer! — Image d'un bonheur qui me fait toujours envie :
Tous les deux côte à côte embrassés, je les vois, — enfants ! se
clouer des baisers sur les joues. . . — Et de rire ! . . . Lui me prend la
main ; Elle au jardin
Va rajuster les plis de son corsage chiffonné; — puis, gracieuse,
m'apporte une fleur de pensée, — que je paye bieu mal avec ce sonnet
badin.
Louis RouMiEUX.
VARIÉTÉS
DE LOMBARDO ET LUMACA
POEME LATIN DU MOYEN AGE, ATTRIBUÉ A OVIDE *
Au moyen âge, les Lombards, c'est-à-dire les Italiens, ne
jouissaient pas en France d'une grande considération : leur
nom était synonyme d'usurier, et la locution «pitié de Lom-
bart » était passée en proverbe au même titre que « loyauté
d'Anglois, largesse de François «et « sens de Breton. » On ne
s'en tenait pas là, on les accusait aussi de couardise. Ainsi
dans le fabliau de Berengier au long cul, c'est un chevalier
lombard qui joue le singulier rôle et subit les conditions si
humiliantes que l'on sait. Les chansons de geste les prennent
assez souvent à partie. L'yl?o/, par exemple, les traite de man-
geurs de raves, de mangeurs de chats et de souris, de gens
sans énergie, prompts à s'alarmer.
Car la gent de la tare est tous tans esmaiable,
dit l'empereur Louis au lombard Guinehot (v. 8865). Nos che-
valiers batailleurs, pour qui les tournois, eux-mêmes si sou-
vent suivis de mort d'homme, n'étaient que des passe-temps
pacifiques, riaient de leurs grandes épées et de leurs grandes
et lourdes masses d'armes, qu'ils jetaient parterre au moment
du combat, afin de s'entre-tirer plus facilement les cheveux,
comme des enfants qui se disputent:
Et portent grans espées, si ont gians pesans makes,
Et jetent trestoutjus, quant vienent en bataille;
* Le petit poëme qu'on va lire fut transcrit par Boucherie sur le ms. lat.
6111 de la Bibl. nat., au dernier voyage que notre ami fit à Paris pendant
les vacances de 1882. Il le destinait à la Revue des langues romanes, et
nous l'avons trouvé dans ses papiers, avec l'intéressante introduction qu'il y
avait jointe, le tout préparé pour l'impression, comme nous le publions au-
jourd'hui, ainsi que les trois articles qui suivent.
94 VARIETES
Par les chevex se prendent, si tirent et si sachent ;
Autresi com enfant se tirent et abatent.
[Ibid., V. 8866.)
Toutes ces grosses plaisanteries se résumaient habituelle-
ment en une allusion plus ou moins développée, mais toujours
comprise des lecteurs, au prétendu àuelàw. Lombard et de lali-
?wace. C'était le lieu commande l'injure internationale de Fran-
çais à Italien, quelque chose d'analogue au combat d'Arthur
et du chat de Lausanne, tant de fois reproché aux Bretons,
Qui le chat occist par enchaus,
avec cette différence toutefois en faveur de ces derniers qu'on
voyait, dans le bizarre exploit de leur héros légendaire, la
preuve, non d'un manque de courage, mais d'un manque de
bon sens ; car ce terrible chat noir était un des plus redoutables
adversaires qu'on piit imaginer, au dire des chroniqueurs bre-
tons. Néanmoins, combattre un chat, quelque dangereux qu'il
pût être, quand on était le chef des chevaliers de la Table-
Ronde, ce n'était pas précisément pour cela que la chevalerie
avait été instituée, se disaient les demi-incrédules à qui le pa-
triotisme breton n'avait pas tout à fait (( perturbé l'entende-
ment. »
Si donc la Bretagne était le pays de l'étrangeté, la Lom-
bardie était celui de la lâcheté, et le combat burlesque du
liOmbard et de la limace était là pour en témoigner. De là
l'expression si usitée au moyen âge de « assaillir la limace»,
qui s'appliquait à ceux dont tout le courage consistait à atta-
quer des ennemis imaginaires ou nullement dangereux.
D'où provenait cette singulière légende ? Peut-être de quel-
que superstition italienne qui aurait considéré comme un pré-
sage fâcheux la rencontre d'un limaçon aux cornes allongées '.
1 [Rien, à ce qu'il paraît, dans les superstitions populaires de la Lorabardie,
ne se rapporte au dicton français. U.-A. Caneilo, que j'avais consulté sur ce
sujet, à la prière de Boucherie, m'écrivait, le 5 décembre 1882, les lignes sui-
vantes, qui pourront intéresser les folkloristes.
« Ho chiesto iuformazioni intorno alla lumaca; ma sono poche. Una mia
donna di servizio mi a??icura che la lumaca è simbolo di buona forluna, e che
VARIETES 95
Les signes d'inquiétude donnés par ceux qui se trouvaient
ainsi en présence de la malencontreuse bestiole pouvaient
être mal interprétés par des étrangers, par des Français sur-
tout, naturellement moqueurs, et qui, ne connaissant ni ne pra-
tiquant ce genre de superstition, devaient en rire et en faire un
thème à «gaberies.»
Quelle qu'en soit l'origine, on peut dire qu'elle date de loin
et qu'elle s'est perpétuéebien longtemps, puisque nous voyons,
par les nombreuses citations de MM. Baist' et A.Tobler(Ze2V-
schrift, 11,303, et III, 98), qu'elle n'a cessé d'être mentionnée
du XIP au XVIP siècle.
De la langue vulgaire, de l'idiome plébéien où elle avait
très-probablement pris naissance, elle avait fini, quile croirait?
par pénétrer dans le sanctuaire de la langue latine, et cela
sous le couvert d'Ovide lui-même. Ovide chantant en distiques
la lutte du Lombard et de la limace ! Peut-être le malin versi-
ficateur qui se cachait sous ce pseudonyme avait-il supposé
que ses lecteurs verraient dans ces vers boiteux, écrits dans
une langue qui sent par trop son moyen âge, un de ces poè-
mes en langue gétique comme essaya d'en composer la muse
souffreteuse du pauvre exilé .
Car il n'y a pas à en douter, c'est bien au poète de Sulmone
ciô sta scritto aucbe ael Jibro délia Cabala (che non ho poluto consuUare).
Il collega Pallè (modenese) mi dice poi che nella sua provincia ha corso una
canzone popolare nella quale, tra le bestie che tormentano i dannati ail' In-
ferno, si ricordaao anche i mugalott (lumache), forma metateticadi lumagott^
— Il libro dei Sogni dice: Lumacone; vederne = carica onorifica. Se mos-
tra le corna =: infedellà. » — C. C]
1 [Aux citations de M. Baist, dont plusieurs, il convient de le remarquer,
ne concernent pas les Lombards, par exemple celle de d'Arquier, la Guei-ro
deoics limacs countro lous Leytoweses, on peut ajouter l'indication d'un au-
tre poëme burlesque que je connais seulement par un catalogue do la librairie
A. Claudin. Voici l'article :
H Le Limas, d'Ubert Philippe de Villiers, au seigneur de Blanchefort. Paris,
de l'impr. de Nie. Du Chemin. 1564, pet. in-S". — Poëme burlesque de la
plus grande rareté. L'abbé Goujet, dans sa Bibliothèque françoiae, donne le
titre du livre d'après Du Verdier, déclare ne l'avoir jamais vu, et « ne sait
ce que c'est. » C'est le récit d'un combat entre Silène et un énorme colima-
çon. Le champ de bataille est sur les bords de l'Yonne, à un endroit auquel,
dans le poëme, on a donné le nom de Monthumys. — Philippe Ubert de
Villiers était es/ezi en l'élection de Clameci." — C.-C]
96 VARIETES
que la pièce dont je parle aété attribuée. Le ms. 6111 (fonds
latin) de la Bibl. Nationale l'enregistre avec ses 26 distiques
bien complets et avec ce titre en toutes lettres : Ovidius de
Lombardo et lumaca.
Il était certes difficile d'imaginer une attribution qui fût
plus contraire k la chronologie, aux habitudes de versification,
à la langue et au style d'Ovide. Mais pour berner ces mal-
heureux Lombards tout était permis, même de faire d'un con-
temporain d'Auguste un déserteur de l'honneur italien.
Malgré le peu de valeur poétique de cette pièce, qui cepen-
dant ne manque pas d'une certaine verve, malgré ses incor-
rections de toute sorte, j'ai cru intéressant de la publier,
parce qu'elle grossit le nombre des témoignages déjà réunis sur
cette petite question d'histoire littéraire.
A. Boucherie.
[F° 35 r''] OVIDIUS DE LOMBARDO ET LUMACA
Veaerat ad segetes lombardus rusticus : illas
Circuit, et gaudet quod sata leta videt.
Dum letus letas sic admiratur aristas,
Huic prêter solitum visa lumacha fuit.
5 Quid sit miratur ; stupet ; horret et exanimatur.
Mens abit atque color; deserit ossa calor.
Ut tandem rediit ad se procul adstat, et inquit :
« Quod vides scehis est! Hoc mihi summa dies !
Non lupus hoc rursus vel vipera ? Nescio quid sit,
10 Sed scio, quicquid sit, quod mihi bella parât.
Est clipei signum, signura sunt sunt (sic) cornua belli.
Hem ! pugnare negem? Non : ego nialo mori.
Si superare queam monstrum talis speciei,
Et decus et formam * (sic) perpetuam merui.
15 Quid dixi ? Non est probitas ^ occurrere monstro.
Cetera non desunt bella timenda minus.
Que dabitur laus si furor [sic) non pugna vocetur?
Humanumnon est hoc periisse modo.
Hoc mea si conjunx et proies tota videret (^sic)
* Lisez /(imam.
- On remarquera probitas avec le sens de prouesse.
VA RIETES 97
20 Pro solo visu jam sibi tergha darent.
Insuper hec pugna (sic) non equa videbitur uUi,
Nam meus armatus (sic) hostis, inherrais ego ! »
Sic dubitat; metus atque pudor pugnat {sic) in eodem,
Datpugaare pudor, sed metus ista fugit (sic)*.
25 Denique consilio fiet quod judicat equum.
Consulit uxorem, consuluitque deos.
Dii sibi respondent quod sit palma fruiturus.
Dum vix auderet credere numinibus,
[F°35v°] At conjunx timida et metuens ut casta marito
30 Exclamât lacrimans : « Quid, furibunde, paras ?
Que tibi bella placent ? Si non tibi monstra perire ^,
Pone tuos animos, parce mihi misère,
Parce tuis natis si non tibi parcere curas.
Proh dolor ! extremum viderit ista dies^ ! (sic)
35 Non audax Hector, non hoc auderet Achilles ;
Herculis hic dies ardua deflceret. »
— « Pone modum precibus, inquit, carissima conjunx,
Nonprece mens audax flectitur aut lacrimis.
Dii mihi sunt hodie nomen sine fine daturi,
40 Jam precor ut valeas et valeant pueri. »
Ut stetit, in campum velox hue tendit et illud (sic)
Circumdatque feram magna satis minitans :
« 0 fera ! cui numquam simile (sic) natura creavit,
Monstrum monstruorum (sic) pernitiosa lues !
45 Que mihi tu pandis non me tua cornua terrent.
Testaque sub cujus tegmine tuta mânes.
Atque hodie dextraforti moriere, ne[c] ultra
Te patiar segetes commaculare meas. »
Et vibrans telum que sint loca proxima morti
50 Prospicit, et palmam strenuus exequitur.
Pro tanto facto que premia digna dabuntur ?
Non est res parva (sic). Causidici veniant !
Finis.
» fugat (?)
2 Je ne comprends pas.
^ venerif ixta dies (?)
98 VARIETES
GANDIN, GOURGANDINE
Une gourgandine est une femme de mauvaise vie ; on donne
aussi ce nom à une espèce de corset entr'ouvert. Un gandin
est un dandj ridicule.
De ces deux mots, le premier date au moins duXVII^ siècle,
puisqu'il figure dans une comédie de Boursault parue en 1694;
le second est tout récent, ou du moins n'a été adopté que tout
récemment par la langue courante.
Quelle en est Tétjmologie?
Origine inconnue, dit Littré en parlant de gourgandine, et il
ajoute :((Lhéricher s'appuyant sur ce passage de la Muse Nor-
mande « Pour s'en dMer gourgandir sur ces riaux», le tire de
gore, prostituée, et ^at^c^iV, vé]Q)\nv [Hisl.et gloss.du Normand,
p. 381). » Il dit encore : «Le passage de Boursault prouve que
gourgandine, vêtement, a été dit à' àT^rès g owgandme, femme. »
Quant à gandin, il affirme, je ne sais d'après quelles autori-
tés, que c'était d'abord « le nom d'un personnage de vaude-
ville. » Cependant cette explication ne me paraît pas très-sûre
et ne doit pas nous empêcher de chercher ailleurs la solution
de ce petit problème, ou tout au moins d'en faciliter la re-
cherche par des rapprochements nouveaux.
Gandin ne serait-il pas le même que gâdin, jeune homme,
dans le bellau, patois des peigneurs de chanvre du haut Jura?
(Voir les Recherches sur la langue bellau, argot des peigneurs
de chanvre du haut Jura, par Ch. Toubin dans les Mémoires de
la Société d'émulation du Doubs, i\^ série, 3^ vol., 1867).
De même gourgandine doit venir, et avec plus de vraisem-
blance encore, de ce patois bellau, qui traduit «un beau gar-
çon)^ par gour-gudin. L'équivalent féminin gourgâdino, fr. gour-
gandine, s'en dégage tout naturellement. La filiation des sens
n'y contredit pas, car la beauté d'une jeune fille n'est pas le
meilleur préservatif pour sa vertu. Il est vrai que le féminin de
gour, beau, étant gourdo, il nous faudrait, pour que l'équiva-
lence fût absolument complète, quelque chose comme gourde-
gandine. Cette objection, dont il faut tenir compte, diminue
sans doute la valeur du rapprochement que nous venons de
BIBLIOGRAPHIE 99
faire entre gour-gâdin et gourgandine, mais elle ne la détruit
pas. Conservons donc la forme bellau à côté de la forme fran-
çaise, en attendant que quelque patois voisin nous fournisse
sur ce point de nouveaux et plus complets renseignements.
A. Boucherie.
BIBLIOGRAPHIE
Les Littératures populaires de toutes les nations. T. XI. Littérature
orale de la basse Normandie (Hague et Val-de-Saire), par Jeao Fleury.
x-396 pages. Paris, Maisonoeuve frères et Cli, Leclerc. 1883.
M. J. Fleury a divisé son recueil en deux parties. La première con-
tient les récits (légendes, traditions, féeries, contes plaisants, etc.); la
seconde, les chansons, devinettes, proverbes. Ces textes sont presque
tous écrits en français. Le patois y paraît cependant assez souvent,
au moins dans la seconde partie, ce qui est, comme on le sait, une
garantie de plus d'exactitude et un avantage pour les philologues.
Notons, à ce propos, que M. J. Fleury annonce, p. 383, en note, qu'il
publiera prochainement une grammaire et un glossaire du patois de
la Hague. Bonne nouvelle que nous enregistrons avec plaisir.
Le présent recueil a été composé avec soin et intelligence, comme
on peut tout d'abord l'induire des explications données par l'auteur
dans sa préface sur le plan qu'il a suivi, et comme on le constate en
lisant les textes recueillis.
P. 95. Au lieu du môron = salamandre terrestre, c'est Vorvet, en
patois berrichon Vanueil, qui serait un animal si dangereux, s'il y
voyait. Voy. le Glossaire du comte Jaubert.
P. 200. La même anecdote est racontée par Brillât-Savarin. « Sans
éçélo, moussu le curé, dit le paysan forézien qu'il met en scène. —
Oui, sans échelles, répond le curé ! » Et le paysan de siffler son chien
en lui disant de sortir avec lui, parce que dans cette paroisse on ne
disait que des menteries.
P. 210. En Poitou, ce dialoguedes coqs présente une légère variante.
Quand le maître coq a crié de sa belle voix de basse-taille : Je le fais
quand je veux ! et que le moyen coq lui a répondu un ton plus bas :
Et moi, quand je peux! le petit coq à voix flûtée répond en criant à
tue-tête et sur la même rime : Vous êtes bien heureux !
P. 242. Au lieu de buvons en deux, une variante donne tirons en
deux .
100 BIBLIOGRAPHIE
P. 345. J'ai eu occasion de citer des passages de cette chanson
(version charentaise) dans la Revue des langues romanes. Celle que je
connais diffère par quelques détails sans importance de celle que pu-
blie M. J. Fleury. Elle débute ainsi:
Quand p'tit Jean s'en va-l-aux vignes,
Hum ! hum ! la dera là !
Quand p'tit Jean s'en va-t-aux vignes,
Sa serpette sous son bras (ter).
P. 377. A Brossac (Charente), on dit que, pour avoir une chaussure
inusable, il faut que l'empeigne soit, je ne me rappelle plus de quelle
substance, que la semelle soit une langue d'avocat, et que le lignon
(le fil de la couture) soit fait de rancune de prêtre.
Les Littératures populaires de toutes les nations. T. XII. Gargantua
dans les traditions populaires, par Paul Sébillol. x.xviii-342 pages. Paris,
Maisonneuve frères etCh, Leclerc. 1883. Prix: 7 fr. 50.
Dans V Introduction, M. P. Sébillot examine, après MM. Gaidoz et
G. Paris, la question plusieurs fois agitée de l'antériorité ou de la non-
antériorité du Gargantua populaire comparé au Gargantua de Rabe-
lais. Les preuves qu'on peut appeler matérielles manquant, on est et
on restera longtemps encore, sinon toujours, dans l'incertitude à cet
égard. M. P. Sébillot fait cependant, d'accord avec G. Sand, une re-
marque qui n'est pas sans importance et qui permet de supposer une
origine plus ancienne au Gargantua populaire, à savoir que le peuple
ne nomme jamais à côté de cet Hercule goulu et bon enfant ses deux
inséparables compagnons de la légende rabelaisienne, Panurge et
frère Jean des Entomeures, bien faits cependant l'un et l'autre pour
frapper l'attention des conteurs et amuser leur imagination. D'où on
est en droit de supposer qu'il n'y a pas eu d'emprunt, parce qu'en pa-
reil cas, pas plus du reste que quand il s'agit d'argent, les emprun-
teurs n'y vont pas de main morte et ne se contentent pas du tiers quand
ils peuvent avoir le tout.
Peu importe au fond que cette question soit résolue dans un sens
ou dans l'autre. L'essentiel est de bien constater le rôle que joue et la
place qu'occupe dans la littérature populaire cette curieuse légende de
Gargantua. C'est la tâche que s'est imposée M. P. Sébillot, et il l'a
prise à cœur. Soit de sa personne, soit par correspondance, il s'est
procuré des renseignements sur notre héros national (?) à peu près
par toute la France. Il les a classés par provinces et il les cite in ex-
tenso, en ayant soin d'y joindre des notes explicatives et de les faire
suivre des rapprochements nécessaires. En un mot, cette publication
BIBLIOGRAPHIE lOi
est, comme celles que nous connaissons de M. Sébillot, très-conscien-
cieusement faite et fort intéressante.
Une ou deux observations pour finir. Gourgandine n'a rien à jvoir
avec gargate ni avec gargante, comme le prétend Bourquelot, p. Xlli ;
c'est un mot emprunté probablement par l'argot parisien au patois
bellau (des peigneurs du haut Jura), et signifiant à l'origine belle jeune
fille. Yoj. le présent numéro de la Revue des langues romanes, p. 98.
P. 177. Au lieu de «o l'ématonne •», lisez «.ol ématonne », ol = *ol-
lud pour Ulud.
A. Boucherie.
La belle collection à laquelle appartiennent les deux ouvrages dont
notre ami a laissé les comptes rendus qu'on vient de lire s'est depuis
enrichie de neuf autres volumes, qui ne méritent pas moins que les
précédents d'être recommandés à nos lecteurs. En voici les titres :
T. XIII. E. Henry Carnoy. Littérature orale de la Picardie. 1883.
T. XIV. E. Eolland. Eimes et jeux de l'enfance. 1883.
T. XV. J. Viuson. Littérature orale du pays basque. 1883.
T. XVI. .J.-B. -Frédéric Ortoli. Les Contes populaires de l'île de
Corse. 1883. Il est regrettable que l'éditeur n'ait j^as donné la version
corse de ces contes à côté de la version française.
T. XVII-XVIII. J -B. Weckerlin. Chansons populaires de l'Alsace.
1883. Le texte alsacien est accompagné d'une trad. française.
T. XIX-XXI. Jean-François Bladé. Contes populaires de la Gasco-
gne. 1886. On regrette, comme pour le t. XVI, que ces contes ne
soient pas donnés dans leur forme indigène.
T. XXII. Paul Sébillot. Coutumes populaires de la haute Breta-
gne. 1886 .
Le prix de chaque volume, élégamment cartonné en percaline rose,
est de 7fr. 50.
jMentionnons à cette occasion luie nouvelle revue, qui est le com-
plément naturel et nécessaire de la bibliothèque des Littératures po-
jnilaires de toutes les nations, et dont nous avons reçu récemment les
deux premiers numéros. C'est la Revue des traditions populaires^, pu-
bliée par les mêmes éditeurs que la Bibliothèque, sous la savante di-
rection de M. Paul Sébillot.
G. G,
' [In numéro par mois; 12 fr. par an.
CHRONIQUE
Académie de Nimes
Concours x>our les années 1887 et 1888
r/Académie met au concours deux études pour participer aux prix
ù décerner, savoir:
I. — Médaille d'or de la valeur de 300 fr., à décerner en 1887. —
Histoire littéraire: des Origines an F élib ri (je ; àe son influence au
jtoint de vue littéraire et philologique, et de son avenir.
II. — Médaille d'or de la valeur de 300 fr. à décerner en 1888. —
Histoire locale : Jean Nicot, seigneur de Villeniain, né à Nimes en
1530, mort en 1600, secrétaire du roi Henri II; sa vie, ses écrits, son
ambassade en Portugal.
Conditions communes aux deux concours. — Les œuvres
seront adressées /'r«Hro au secrétaire ]jcrpétuel de l'Académie, au plus
tard le 31 décembre 1886, pour le premier concours, et le 31 déceuihre
1887, pour le second concours.
Elles ne seront point signées et porteront une épigraphe, répétée sur
un billet cacheté contenant le nom de l'auteur.
Les travaux devront être inédits, n'avoir été présentés dans aucun
autre concours, et seront conservés dans les archives de l'Académie.
Les auteurs auront toutefois le droit d'en faire prendre des copies,
mais à leurs frais et sans déplacement.
Les prix seront décernés dans la séance publique qui suivra la re-
mise des manuscrits.
Dons faits à la Société pour l'étude des langues romanes :
Par M. Nizier du Puitspelu : ki Revue lyonnaise, année 1885 ;
Par M. Achille Mir: le manuscrit de son poëme loti Sermou dcl
Curât de Cucugna;
Par RIM. Hamelin frères: loii, Sermou del Curât de Cuctigna, y^r
Achille Mir; un ex. de l'édit. gr. in-4", réglure rouge ;
Par M. G. Guichard : Armagna doujineii per lou bel an de Diou
1886.Valenço, in-12 ;
Par l'auteur : Don Savié de Fourviero, canounge de Ferigoulet,
Predicanço nouvialo. Cavaioun, 1886;
Par l'auteur : il Dialetto nizzurdo nelle sue affinità foniche e gram-
maticali colle lingue daco-romana,siiagnuola, l'ortoghese, etc., de Ema-
nuele Valeri. Nizza, 1885 ;
Par l'auteur: Nosto-Damo-de-Lourdo, poëme provençal par l'abbé
Célestin Malignon. Paris, 1880, in-12 de 378 pp.;
Par l'auteur : Citants populaires de la France, par E. Rolland,
t. I:
Par l'Académie roumaine : Daine si strigaturc din Ardeal date la
ivealà de D' Ivan Urben larnik si Andréa Barseanu. Bucuresci, 1885;
— Hasdeu, Ffi/inologicum magnum lionianiœ, fasc. 2;
Par la Société des lettres, sciences et arts de l'Aveyron : Bonal,
Comté et Comtes de Rodez. Rodez, 1885;
Par la « Smithsonian Institution »: Annuul Report of the hoard of
CHRONIQUE 103
régente of the SmWisonian Institution, for tlie year 1883, "Washington,
1885.
Par M. François Vidal : Vêpres des typograpTies, 1 p. in-4. — Trois
numéros du Mémorial d'Aix.
Par M. Campadieu : un numéro du Midi- Journal , de Béziers, con-
tenant des vers provençaux.
Par l'auteur: Fluors alpinas rimas da G. F. Caderas. Coira, 1883;
— NuovasEimas da G. F. Caderas. Coira, 1879.
Par l'auteur : Itinéraire de Louis XI dauphin, p;ir Ulysse Chevalier.
1886.
Par l'auteur: Flore populaire des Vosges, parN. Haillant.
Par M. Haillant : Extrait d'un rapport de M. Darmesteter sur l'ou-
vrage précédent.
Liste alphabétique des périodiques que la Société des langues
romanes reçoit par échange ou à d'autres titres ' .
Archiv fiur das Studium der neuereu Sprachen (Berlin) ,
Archivio glottologico italiano (Milan).
Bulletin du Cercle S. Simon (Paris).
Bibliothèque de l'Ecole des chartes (Paris).
Bulletin du Comité des travaux historiques et scientifiques (Paris,
Ministère de l'Instr. publique)
Bulletin d'histoire ecclésiastique des diocèses de Valence, Die, Gap
et Grenoble (Romans).
Bulletin historique et archéologique de Vaucluse (Avignon).
Butlleti mensual de la Associacio d'excursions catalana(Barcelona).
Com-rier de Vaugelas (Paris).
Giornale storico délia letteratura italiana (Turin),
Gralla (la), setmanari catala y literari (Montevideo),
0 Instituto (Coïmbra).
Journal de Forcalquier.
Journal des savants (Paris).
Literaturblatt fur germanische und romanische Philologie (Heil-
bronn) .
Melusine (Paris),
Museo Balear (Palma de Mallorca).
Nemausa (Nimes).
Polybiblion (Paris).
Propugnatore (il) (Bologne).
Répertoire des travaux historiques contenant l'analyse des publica-
tions faites en France et à l'étranger (Paris, Ministère de l'Instr. pu-
blicpie) .
Revue de Béarn, Navarre et Lanes (Paris).
Revue critique d'histoire et de littérature (Paris),
Revue félibréenne (Lyon).
Revue de Gascogne (Auch).
Revue histori(iue, scientifique et littéraire du Tarn (Alby) .
Revue de linguistique et de philologie comparée (Paris).
Revue sextienne (Aix, en Provence).
1 Ne sont pas compris dans cette liste les bulletins ou mémoires des se
ciétés savantes énumerées dans la liste suivante.
104 CHRONIQUE
Rivista critica délia letteratiira italiana (Florcuce).
Remania (Paris).
Romanisehe Forscliuno-en (Erlangen).
i{omaniscl)p Studien (Bonn).
Studj di iilologia romauza (Rome).
Zeitïichrift fiir nonfranzosisflie Spraelie und Literatur (Oppeln).
Zcitschrift fiir roniiiiiisclu' Philologie (Huile).
Liste, par ordre alphabétique de départements, des sociétés savan-
tes qui échangent leurs publications avec la REVUE DES LANGUES
ROMANES.
.\lpks (Bassics-). Société scientifique et littéraire des Basses-Alpes
(Digne).
Alpes (Hautes-). Société d'études des Hautes-Alpes (Gap).
Alpes-Maritimes. Société des lettres, sciences et arts des Alpes-
Maritimes (Nice).
AuiÊGE. Société ariégeoise des sciences, lettres et arts(Foix).
AvEYRON. Société des lettres, sciences et arts de PAveja-on (Rodez).
BouciiES-DU-RiiôNE. Académie des sciences, arts et belles-lettres
d'Aix.
Charente Société archéologique (Angoulême).
CoRRÈzE. Société des lettres, sciences et arts de la Corrèze (Tulle).
Creuse. Société des sciences archéologiques et naturelles de la
Creuse (Guéret).
UoRDOGNE. Société archéologique et historique du Périgord (Péri-
gueux) .
Drôme. Société d'archéologie de la Drôme (Valence).
Gard. Académie du Gard (Nimes).
Gard. Société scientifique et littéraire d'Alais,
Hérault. Académie des sciences et lettres de Montpellier.
Hérault. Société archéologique, scientifique et littéraire de Béziers.
Indre-et-Loire. Société française d'archéologie (Tours).
Isère. Académie delphinale (Grenoble).
Lot. Société des études littéraires, scientifiques et historiques du
Lot, (Cahors) .
Lozère. Société d'agriculture, industrie, sciences et arts de la Lo-
zère (Mende).
]'UY-DE-DÔME. Académie des sciences, belles-lettres et arts de
Clermont-Ferrand .
Pyrénées (Basses). Société des lettres, sciences et arts (Pau).
SÈVRES (Deux). Société de statistique des sciences et lettres
(Niort).
Tarn-et-Garonne. Société archéologique deTarn-et-Garonnc(.Moii-
tanban).
Tarn-et-Garonne. Société des sciences, belles-lettres et arts de
Tarn-et-Garonne (Montauban) .
Var. Société académique du Var (Toulon).
Var. Société d'études scientifiques et archéologiques de Lragui-
gnan .
Vaucluse. Académie de Vaucluse (Avignon).
Le gérant responsable : Ernest Hamelin.
Dialectes Anciens
RECHERCHES
SUR LES RAPPORTS DES CHANSONS DE GESTE
ET DE l'Épopée chevaleresque italienne
(Suite)
Fol. 154, ro a. Segneurs, or escoutes, n'i ait noise ne ton ;
Que Damedieu de gloire nous doinst beneïchon,
Et je vous canteroi d'une bonne canchon;
Feite est de vraie estoire, poi i a se (se) voir non.
5 Chil jougleor nous chantent de Maugis le larron
Comment il guerroia Temperere Kallon
Pour aidier ses cousins les .un. fis Ajmon ;
Mes chen n'est pas d'ileuc que nous vous canteron,
Mes je vous en diroi la droite nation,
i 10 Où il aprist le sens que il sot à foison.
j II est voir que Maugis fu asses gentis hom :
i ■ Son père fu duc Buef, li sire d'Aigremon ;
La ducheise, sa mère, à la clere faclion,
Fille Hernautde Monder o le fiouri grenon.
15 Si fu aieus Maugis qui ot cuer de lion,
Et d'Espolice le riche roi Othon,
Et Doon de Nantueil, Girart de Rousillon,
Et Aymez de Dordonne qui moult par fu preudom.
Si furent si cousin lez .iiii, fix Aymon,
20 Quar né fu et estrait de bonne nation.
Or vous diroi Festoire com en escript trouvon.
A une Pentecouste, aprez l'Ascention,
Tint à Aigremont feste le riche duc Bevon.
Tome xv de la. troisième série. — Mars 1886. 8
106 RECHERCHES
Tout i fu le barnage entour et environ,
25 Moult fu la court pleniere que de fi le set on.
Le duc Buef d'Aigremont,qui moult fu preus et ber,
Ot mouiller bêle et gente qui moult fist àloer.
Ains que portast la dame o le viaire cler,
Furent lonc temps ensemble, chen sachiez sans douter ;
30 Mes puis ot tiex enfans, si com m'orrez conter,
Dont il leur couvint puis mainte lermeplorer,
Et li et le duc Buevez mainte paine endurer.
Segnors, or escoutez, lessiez la noise ester.
A une Pentecouste que len doit célébrer,
35 Tint le duc Buef grant feste à Aigremont sus mer ;
Là fu court si pleniere que ne vous sai conter.
Quant fu fet le servise, si alerent laver.
Moult i ot riches mes d'oisiaus et de sengler.
Quant il orent mengié, les napes font ester.
40 Chil damoisel de pris se coururent armer,
Tost et isnelement vont es chevax monter,
Et issent d'Aigrement pour lor cors déporter.
Contreval la rivière sunt aies behourder.
Le duc Buef d'Aigremont i va pour esgarder.
45 La ducheise en .i. car s'i est feite mener,
Pour chen qu'ele iert si grosse que el ne pot aler.
Prez estoit li terme qu'el devoit enfanter.
OU ot ,11. pucheles où moult se pot fier.
L'une iert sa suer Ysane qu'ele pot'moult amer,
50 L'autre fu née esclave, qu'ele acata sus mer:
Pille fu l'Amirant de Palerne sus mer.
Moult lor plet le déduit que font li bacheler.
Une lieue pleniere font le behourt aler.
Si com le soleil prist sus le vespre à tourner,
55 Prist la dame ses mains, si commenche à crier.
Le duc Buef l'a oïe, le behort fet cesser.
En l'oraille d'un bois fist le char esconser,
Tant que Dex eùstfet la dame délivrer.
De son mal la duchoise durement traveilla,
60 Damedieu et sa mère douchement reclama.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 107
Ne demoura puis gueirez que Ihesus li aida,
'"' ^- Quar .1. moult bel enfant la duchoise donna;
Mes le mal la rengoisse, quar .i. autre en i a.
Damedieu et sa mère douchement reclama,
65 Et Dieu par sa pitié manois la délivra,
D'un autre bel vallet la dame délivra;
Ele prist .i. chier paile qu'en sez chambrez trouva,
La dame en .ii. moitiez maintenant le trencha.
Les ,11. enfans petis dedens envolepa;
70 Et .II. aniax d'or fin que en ses .ii. mains a,
Le duc li ot donné le jour qu'il l'espousa,
As .11. enfans petis que durement ama
As .11. oreillez destrez les aniax pendu a,
Que che est la coustume de chel païs de là.
75 En .1. aune pierre: ja qui la portera,
Anemi ne maufe ne l'enfantosmera.
La dame fu malade, àpaine reposa.
Au duc Buef d'Aigremont la nouvele ala
Que la dame est délivre, .ii. enfans eus a.
80 Quant le duc l'a oï, Damedieu reclama,
Souef et bêlement mener lez quémanda
De si à Aigremont, et ileuques gerra.
Atant le char s'en va et la gent s'arouta.
Tout droit à Aigremont bêlement chemina;
85 Mez anchois qu'il i soient, grant damage i ara;
Je cuit que lez enfans ambedui perdra.
Moult est lie le duc Buef d'Aigremont et sa gent
Que la dame est délivre, qui tant a le cors gent.
Tout droit à Aigremont qui sus la roche pent,
90 La quémande amener souef et bêlement ;
Mez il n'ont point aie plus de demi arpent
Que il ont encontre l'amiral Sorgalant,
Qui Monbrant la chité avoit en chasement.
Moult haoit le duc Bueve et le grevoit forment.
95 De Mêlent revenoit d'assaillir l'Amustant
Que il reguerrioit moult angoisseusement.
Le duc oï la noise et le tabourement.
De chen poveit estre s'émerveille forment.
108 RECHERCHES
L'ensengne à Faumachour voit balier o vent:
100 Bien l'a reconneiie, si a dit à sa gent:
« Barons, dist il, pour Dieu omnipotent,
» Ves ichi de Monbrant l'amiral Sorgalant.
)' A la bataille sommez, jel soi à essient.
» Comment le feronnous? pour conseil le demant,
105 » De la ducheise sui en grant esgarement,
» Quar ele est moult malade et en .i. grant torment. »
« Sire, dist Savari, .i. quens de Bonivent,
» Meton les en chel bois en .i. esconsement,
)) A .XXX. chevaliers plains de grant hardement,
110 » Jusqu'à tant que Testour ara pris finement;
» Quar au devant nous sunt li Sarrasin puUent.
» Loing sommez d'Aigremont, le notre chasement. »
« Voire, dist le duc Buef, le cuer en ai dolent. »
Le duc Buef d'Aigremont, qui ne fu pas vilains,
115 A .XXX. chevaliers, tous ses amis chertains,
Armez d'aubers et d'elmez, es destriers castelains,
Atant es vous la route de païens primerains,
Et le bon duc leur sailli d'un costains.
Aies les sunt ferir iries comme ferains,
120 Ne les pot garantir targe, escu ne clavains.
Ochis ont les premiers, n'en est remez a. frains.
Dez armez s'adoubèrent esroment qui ains ains.
Grant noise démenèrent li mal fixa putains.
Fol. 154, va Sorgalan l'aumachour en a oïles plains;
125 11 fet sonner ses cors plus de .v^. au mains.
Moult par i ot estour merveilleus et pesant;
La duchoise en son char est u bois verdoiant.
Et a oï la noise et la criée grant.
« Hé Dex, biau sire père, dist la dame vaillant,
130 » Quel noise est chen que j'oi, moult me vois mer veillant.
(( Dame, chen dist l'esclave, estour i a pesant.»
Et la ducheise pleure, moult ot le cuer dolent,
Et Ysane sa suer la va reconfortant.
Moult fu grant la bataille et merveillex l'estour,
SUR LES CHANSONS DE GESTE 109
135 De sanc et de chervele fu tout couvert entour.
Ileuc ot .1. païen fel et mal engignous,
Tapineas espie ; moult fu let et hidous :
Au char vint à la dame qui moult estoit tristous,
L'ainsné enfant a pris, aine ne li fu descous;
140 Atant s'en va fuiant le païen orgueillous
Droitement à Touleite, tout le quemin herbous.
Or emporte li enfez Lapiniaus l'espie
Droitement à Monbranc, la fort chité garnie;
Là le vendra, chen dist, à la gent païennie.
145 Et la duchoise pleure, moult forment bret et crie,
Quargrant fu li estour et plaine Fenvaie,
Et, quand l'esclave voit la pesant arramie,
Tost et isnelement est du char départie ;
L'autre enfant a seisi, ne s' i atarga mie.
150 Atant s'en va fuiant, que ne detrie mie,
Droitement à Palerne où elle fu ravie.
Moult par fu grant la forche de la gent païennie,
Du char ont trait la dame sus l'erbe qui verdie.
Làfu Ysane prise, la bêle, l'eschevie,
155 Qui fille fu Hernaut de Monder la garnie.
.1. païen l'a ravie, Sorbare de Nubie:
Damedieu le confonde, le fix sainte Marie .
Moult par i ot estour merveilleus et plenier
Environ la duchoise u bos sous l'olivier.
160 Le duc Buef i fiert du riche branc d'achier,
Cui il ataint à coup n'a de mire mestier.
En Aigremont le sorent, n'i ot que courouchier;
Par le pales en lieve la noise et le tempier.
As armez sunt couru serjant et chevalier,
165 A l'estour sunt venu pour duc Buef aidier,
Et furent bien as armez cent millier.
Là veissiez estour merveilleus et plenier.
Sorgalant l'Amachour fist ses cors grilloier.
Ses païen assembla par dejouste .i. rochier.
170 Atant es Sorbare, le cuvert losengier,
Qui Ysane en aporte, la bêle au cors legier,
110 RECHERCHES
Au fort roi Aquilant deMaiogre le fier.
Le fort roi Aquilant la prist à aresnier :
« Amie, dist le roi, gardez no me noier :
175 » Es fille de vilain, de duc ou de princhier?»
« Sire, dist la puchele, à cheler ne vous quier:
» Suer sui je à la ducheise fille Hernaut de Monder.
» Se vous me voulez rendre sans mon cors empirer,
» Vous en arez'd'argent carchié .iiii, sommier.»
180 « Par Mahon, dit le roi,' que je doi avoir chier,
» Je n'en prendroie mie tout Tor de Montpellier.»
Lies fu roi Aquilant quant oï la nouvele,
Que ele [fu] gentille et avenant et bêle.
« ParMahommet, dist il, que on prie et apele,
185 » 0 moi vous en vendrez, si serez mon ancele. »
Fol. 154, vo b Chele en a si grant duel, à poi que ne cancliele.
La nuit fu moult série et la lune fu bêle.
Le duc}Buef d'Aigremont àla^fiere vigour
Ot sa gent assemblée que n'i a fet demour,
190 Tout environ le char où fu la franche oisour,
Qui pour ses .ii. enfans fet grant noise et [grant] plour.
A icheste parole s'estoit mis au retour
Tout droit à Aigremont dessous le pin antour.
La ducheise ont couchié en sa chambre à flour :
195 . Viii ans j ut puis malade dessous le couvcrtour.
Et païen s'en tornerent quant il virent le jour.
Au matin parsom' l'aube, quant elle fut venue,
S'en tournèrent païen, chele gent mescreiie.
Aquilant de Maiogre à'ia pensée aguë
200 A Maiogre s'en va que il a maintenue.
0 li enporte Ysane,d'un ipaile fu^vestue.
Quant il vint à Maiogre, sans point d'aresteii(r)e
L'espousa à mouiller, si en a fet sa drue ;
Puis l'a roi Aquilant tant longuement tenue
205 Qu'il en ot roi Brandoinequi puis tint Valfondue,
1 V. 197. Ms. « Au matin par sous l'aube quant le jour esclerie. »
SUR LES CHANSONS DE GESTE 111
Quant Maugis ot la teste roi Aquilant tolue.
L'esclave qui Fembla en la se[l]ve ramue,
S'en va droit à Palerne dont ele fu issue :
Miex li vausist encore qu'ele fust remanue.
210 L'esclave à tout l'enfant a sa voie tornée
Droitement à Palerne, là où ele fu née ;
Et Tapiniaus a l'autre qui sa voie a hastée
Droitement à Monbrant, la fort chité loée.
Tant erra qu'il i vint à une matinée ;
215 [Esclarmonde ^] trouva en la chambre pavée,
La famé Sorgale qui plus bêle est que fée.
De Mahon l'a l'espie hautement saluée :
« Que est chen que tu portes, dist la dame henourée?»
(( Che est le fix duc Buevez à la chiere membrée
220 » Qui sire est d'Aigremont qui siet en mer salée.
» De II. en est la dame n'a gueirez délivrée.
)) Je li emblai chesti en la forest ramée,
» Or le voudroi porter outre la mer salée.
» Là en arai d'avoir une quartée. »
225 Et la dame respont quant el l'a escoutée :
(( Tu le me leiras chi par bonne destinée;
» Je t'en donroi d'avoir une mine comblée. »
« Dame, dist le païen, bien me plest et agrée. »
<( Par Mahom[met], dist ele, qui ma vie a sauvée,
230 » Or ait nom Vivien par bonne destinée. »
Vivien fu clamé tant comme il ot durée,
Tant vesqui longuement qu'il ot famé espousée.
Es l'esclave, qui s'est de la dame sevrée.
Si va droit à Palerne dont ele fu robée.
235 En une lande large, sous l'espine à la fée,
Ileuques s'aresta et fist sa reposée.
Là s'aresta l'esclave, ainsi com je vous di.
Sous l'espine à la fée, enmi le pre flouri.
N'ot pas sa reposée longuement fet issi,
240 Quant du bois .1. [liepart-] et .i. lion issi.
1 Ms. ElClermoat le.
Ms. serpent.
112 RECHERCHES
Fain les cache et argue, moult estoit agrami ;
Quant il voient l'esclave, chele part sunt guenchi.
Droit à l'esclave sunt tout maintenant verti,
Et quant lez vit venir moult s'en espeiiri.
245 Tost et isnelement en son estant s'asist,
Fol. 155, ro a L'enfant metderiere li, si a .i. pel coisi,
Ele s'est abessié, maintenant le saisi.
Atant es le lion que plus n'i atendi.
L'esclave tint le pel, par vertu le feri,
250 Mez chenne li valut la monte d'un espi.
Ne pourquant ele l'a durement eetourdi.
Le lion bret et crie que li gaut en tenti;
Puis a'geté la poe que plus n'i atendi.
Amont u chief la ûert que il li a croissi.
255 A douleur la depiechent, ele a geté .i. cri,
Tost l'orent devourée et le cors départi,
Puis en vont à l'enfant qui noient ne dormi.
A l'enfant sunt andui lezbestez reperiés,
Pour chen qu'il fu petit, fu forment convoitiés,
260 Le liepart saut avant, puis s'estoit avanchiés.
Quant le lion le voit, moult en fu aïrés;
Ne veut que il i soit de noient parchonniers,
De lui est le liepart fièrement rechigniés ;
Mez sachies, le liepart fu fier et engaigniez.
265 Quant le lion le voit venir si esragiés,
Adonc est li estour merveilleux commenchiés.
Les bestez se combatent, si com povez oïr.
Pour le petit enfant qu'il veulent engloutir,
Mez li un ne vouloit l'autre pas acueillir.
270 Tant dura la bataille près fu de l'aserir.
Ne peuvent mes l'estour endurer ne soufrir,
Quar de lor sanc ont fet la terre acouvertir.
La terre en est vermeille, chen sachiez sans mentir;
Lor bouiaus veissiez à la terre gésir,
275 Tant ont fet lor costez et lor cuirs desmentir.
Toutez .II. lez convint à la terre flatir.
Or ait Dex l'enfant, s'il li vient à plaisir.
En^tel sens^les^couvint dévier et mourir.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 113
Ainsi corn vous oes, Testour renies estoit
280 Des .II. bestes sauvagez, qui tant duré avoit
Que Tune deles l'autre morte à terre gesoit,
Et Tenfant sous l'espine crioit haut et braoit.
Ne demoura puis gueirez que par ileuc passoit
Oriande la fée qui Rocheflour tenoit.
285 A .1111. de ses fées vint à l'espine droit ;
Le jour ont chevauchié, durement se douloit ;
Sous l'espine ramée maintenant/leschendoit.
Sus .1. paile s'asist que on li estendoit,
Et devant lui lez bestes ambedeus regardoit.
290 La teste de l'esclave deles veile avoit.
«De famé fu, chen dit, bien le voit et bien soit ;
«Chest bestez l'ont mengié sans doutanche orendroit.»
Atant de l'autre part l'enfant pleurer oeit.
Ele vint chele part, maintenant le prenoit.
295 En son geron le met, li enfes li rioit.
Oriande la fée à la clere fachon
Tint le petit enfant qui li rit à foison.
Elle desmaillota, vit chen fu valleton.
L'anel vit à l'oreille qui valoit maint raangon.
300 Ne Tama jîas petit, pour voir le vous dison :
« 11 est de haute geste, foi que doi .S. Simon . »
A icheste parole es venir le troton
Espiet une espie venir tout le sablon.
Nies estoit à la fée dont nous ichi parlon.
305 N'ot que. III. piez de lonc, si queurt plus do randon
Que cheval espanois ne mulet arragon.
,1. enfant de .vu. ans resemble à la fachon,
Si en a plus de .c. et est trop fort larron.
Il va droit à la fée sans nule aresteison.
310 De Dieu la salua qui fist .S. Lazarun.
« Biau nies, dont venes vous et de quel région? »
« Dame, je vieng de Franche, le royalme Kallon.
» Ma revenue fu tout droit par Aigrement .
» .III. jours i sejornai, par Dieu et par son nom;
315 » Et chil enfant, qui est, dedens vostre giron ? »
» Biau nies, chen dist la fée, par Dieu et par son nom.
114 RECHERCHES
» Nous l'avon chi trouvé tout seul, sans compengnon
» Et ves là une teste qui gist sus le perron. »
Espiet prent la teste, si l'esgarde environ,
320 Bien Ta reconneiie au vis et au menton ;
Puis a dit à la fée : «Le voir vous en diron.
» Chil enfes si est fix au duc Buef d'Aigremont.
» .II. en ot l'autre jour la dame au bois d'Abron,
» Et veschi une esclave, Dex li fâche pardon. »
325 Moult est liée la fée à la fresche coulour
Quant eie a de Fenfant oïe la vraiour,
Qu'il est nés et estreit de la geste franchour,
Et qu'en son lignage a maint gentil poigneo[u]r.
Atant est remonté u mulet Misaudour.
330 Tant vont esperonnant, qu'il n'i firent demour,
Qu'à Rocheflour vindrentque n'i firent demour.
Là descendi la fée en son pales autour.
L'enfant fit baptizier à joie et à baudour.
Pour chen qu'il l'ont trouvé u bois à la verdeur,
335 Li a mis nom Maugis, puis ne li failli jour.
Oriande'la bêle qui moult ot cler le vis,
Les fées entendirent nuit et jour à Maugis.
Oriande ot .i. frère qui avoit nom Baudris,
Esté ot à Touleite .vu. ans et .xv. dis.
340 Plus sot d'encantemens que uns homs qui fust vis.
Quant Maugis fu d'aage qu'il ot auques avis,
A lui aprendre fu nuit et jour ententis,
Et Maugis n'iert d'aprendre parecheus n'alentis.
Oriande la fée o le viaire cler '
345 Entendi moult forment à Maugis alever,
As mestrez le feisoit nuit et jour doctriner ;
Et, quant il fu d'aage qu'il pot armes porter,
La fée l'adouba et li chainst le branc cler.
Si en fist son ami, si l'oï je conter,
350 Mes, dont il iert venus, li fist moult bien cheler,
Qu'il ne peiist de li partirne dessevrer.
Chen fu aprez avril, si com may dut entrer,
SUR LES CHANSONS DE GESTE 115
Que Maugis et la fée, qui moult fet à loer,
Par dessous Mongibel s'alerent déporter,
355 Tout du lonc du rivage le païs regarder.
Maugis a regardé tout contreval la mer,
Vit risle de Bocan moult durement fumer.
A s'amie la bêle commenche à demander :
« Dont vient cliele fumiere que je voilà ester? »
360 « Amis, chen dist la fée, ne le vous quier cheler.
» Ch' est l'isle de Bocan, chen sachiez sans douter.
)) D'ileuques vient le soufre moult puant et amer;
» Si comme il est ars, s'en va aval la mer.
» La mestre queminée est d'enfer, sans fausser.
365 )) Bocan, il art tous jors, qu'il ne veut pas finer.
» Mez d'une grant partie n'i pot nul abiter,
» Quar .1. cheval i a qui moult fet à loer:
» Apelé est Baiart, [a]i[n]ssi l'oï nommer.»
« Amis, dist Oriande, sachies à ensient:
» Le cheval est faé, je le sai vraiement.
» .1. dragon l'engendra ileuc en .i. serpent,
» Et encore le gardent u grant derubement,
» Et .1. moult fier deable, je vous di vraiement.
» Si a nom Raanas, hideus est durement.
375 » Le cheval est faé, et tant a le cors gent
» Que le jour porteroittrestout delivrement
» .111. chevaliers armez en .i. tornoiement. »
Maugis pensa. I. poi, si s'estoit embrunchiez ;
Puis a dit a la fée, quant il fu redrechiés:
380 « Je vous pri, douche amie, que me donnez congiés
» D'aler veïr Baiart qui tant est resongniés . »
c( Amis, dist Oriande, bien puet estre lessiés.
» Se vous estiez .c. armez et haubergiez,
» Sachiez de vérité, ja n'en revendroit pies. »
385 « Dame, chen dist Maugis, jamez ne serai liés,
» Se je nel vois veir, je vous di sans cuidiers. »
« Amis, dist Oriande, il vous est otroïés.
» Aies seiirement, ne soies esmaïés. »
Quant Maugis l'a oï, durement en fu liez.
116 RECHERCHES
390 Tost fu maintenant .i. batel pourcachiés,
Puis sunt à Rocheflour maintenant reperiés
Maugis prist maintenant, ne s'i est detriés,
Une pel d'ours boçue que il aescorchiés.
.1. vestement Ten fu tout maintenant loiés.
395 Au matinet au jour, quant il fu escleiriés,
De son vestement s'est Maugis appareilliez.
D'un cuir debuef aussi durement fu froids,
Queues de goupil ot environ atachiés,
Kt de chascune part ot .ii. cornez drechiés.
400 II resemble deable, de verte le sachiez.
Baudris li a son mestre .i. croc de fer bailliés,
0 lui porta s'espée ; si fu moult enseigniés,
Si de lui poveit estre Raanas engigniés.
Maugis de Rocheflour est parti son manoir,
405 A la mer est venu, n'i vout plus remanoir .
En son batel entra, si naja à povoir
Droitement à Bocan qui ne fine d'ardoir.
Maugis nage forment vers Bocan u batel.
Tant esploite et tant nage que il vint isnel,
410 Puis a monté la roche qui fu du temps Abel,
Et a geté .1. bret plus fier d'un lionchel,
Et henist et recane et muit comme .i. torel.
Tout en fet retentir environ le monchel.
Raanas l'a oï, si ist de son fournel,
415 II a geté .i. bret aussi comme .i. torel,
* Qu'on le puet oïr moult prez de Mongibel.
Il a veii Maugis, si li semble moult bel,
Raanas li demande : «Dont viens tu de nouvel? »
Et Maugis li respont, le gentil damoisel:
420 « De Franche où j'ai fet de mon vouloir isnel.
» Je fis au roi ochirre sa famé d'un coutel ;
» La dame de Monmartre, l'abeesse Ysabel
» Fis l'autre jour gésir o l'abbc Daniel. »
Et respont Raanas: « Chi a riche chembel.
425 » Quant en enfer vendras, tu aras bel apel.
» Tu seras ostelé en moult riche vessel. »
SUR LES CHANSONS DE GESTE 117
Quant acointié se fu Maugis de Raanas,
Si a monté la roche qui fu faite à compas.
Maugis s'est pourpensé, qui n'estoit mie las,
430 Que, se il nel'encante, il n'est mie de gas.
155, vob. Quanque ilpourroit fere ne vaudroit point .ii. as.
Il sot plus de clergie assez que Ypocras.
Ledeable conjure souave[menjt tout en bas
Des haus noms Damedieu et de .S. Nicolas.
■ 435 Si fort Ta conjuré que tout isnele pas
Sus une roche bise est queii a .i. quas.
De là ne se mouvroit pour tout For de Damas.
Quant Maugis ot issi tant le deable estraint,
.In, dez noms Damedieu a sus le perron taint,
440 Qu'il ne se pot mouvoir, ains se doulouse et plaint.
La grant forche de Dieu si le prent et estaint.
Lors s'en tourna Maugis que il plus n'i remaint.
De la roche monter de noiéiit ne se faint,
Venus est à la fosse là où li serpent maint.
445 Le serpent fu moult grant et de leide estature.
Onques mez si hideus ne regarda nature.
Quant Maugis vit venir, si a levé la hure,
Cuida que fust deable quant il vit sa figure.
Quant Maugis l'aveu, de rien ne s'aseiire ;
450 De Dieu le gloriex le grant serpent conjure ;
Puis a sachié l'espée dessous la couverture ,
Droitement sus la teste, où ot mainte painture,
A féru le serpent, mez la pel fu si dure
Qu'il n'i forfist vaillant une pomme meure.
455 Dispeus fu moult grant, moult ot le regard fier,
Quant se senti féru n'i ot que courouchier.
Qui adonc la veïst estendre et herichier
Et la gueule baer et les dens rechignier.
Et Maugis par la goule let aler le goulier,
460 Du croc de fer li va .i. ruiste coup paier ;
Mez ne lit valut mie la monte d'un denier.
Maugis est enBocan, la grant montaingne aguë,
118 RECHERCHES
0 le serpent félon qui durement l'arguë :
Toute li avoit arse la grantpel malostrue.
465 Se Maugisne fust viste, qui tant proesce arguë,
Du cors li eiist l'âme et la vie tolue.
Mes il tourne plus tost que faucon n'ist de mue.
Le serpent va ferir en la teste crestue,
Que la hure li a devant toute abatue.
470 La beste s'aïra, forment s'est irascue,
Et Maugis fist que sage, ne l'a mie atendue.
Deriere lui coisiune pierre fendue :
Le creus en estoit large, mez poi i a veùe.
L'entrée en fu estroite, et petite, et menue.
475 Ens s'est Maugis féru sans point d'aresteiie,
Et la beste après lui s'est tantost embatue .
Par les espaules est u pertrus retenue,
Ne pot aler avant, ileuc est remanue.
Dispeus est en la rbche dolent et iraseus
480 Dont l'entrée est petite, le creus grant et moussus.
La roche mort et grate le deable crestus.
Maugis, quant il le voit, s'est ariere tenus,
Et quant fu eslongniez, si assaut de vertus
Au branc fourbi d'achier qui bien est esmoulus.
485 Mez chen ne li valut vaillissant .ii. festus,
Et Maugis reclama Ihesu qui maint la sus
Que il d'ileuc le giet, qu'il n'i soit confondus.
Maugis est en la roche moussue et enhermie,
Courouchié et dolent moult forment se gramie,
490 Mez le serpent félon a l'entrée seisie.
Il prent le croc de fer, par ire grant le rue.
Fol. 156, roa. Le grant serpent félon va ferir les l'oie.
La gueule avoit baée la beste maleïe.
Et Maugis li ianche ens à la chiere hardie,
405 Le tret de fer i boute par moult grant arramie ;
Le cuer et la couraille li deront et esmie,
Parla gueule le sache une moult grant partie.
Quant Maugis l'a veii, Damedieu en merchie,
SUR LES CHANSONS DE GESTE 119
Maintenant recourt sus à la beste fournie,
500 Mes il ala trop près, si fu moult grant folie,
Que la beste s'estent qui la mort a igrie.
As ongles le seisi par si grant arramie
Qu'entre ses piez l'abat sus l'erbe qui verdie.
Le serpent tint Maugis entre sez pies devant
505 As ongles qui sunt grant et agu et trenchant.
Des flans et des eostez en va le sanc raiant,
Entre ses pies se pasme, tant le va angoissant:
Jamez jour de sa vie ne ferist coup de brant.
Mez le serpent mourut, sachiez, demaintenant
510 A mourir enfla si, alieuge fu et grant
N'est bons qui l'en ostast pour tout l'or d'Orient.
Quant Maugis l'a veii, moult se va esmaiant.
Le vespre aprecha, le jour va déclinant
Et lez bestez s'esmurent dont il i avoit tant,
515 Escorpions et tigrez, autrez menus serpent,
Culeuvrez et lesardes et boteriax puUent,
Et siflent environ, les testez vont levant.
Se Maugis ot paour, ja nul ne le demant.
Sus une haute pierre est monté maintenant
520 Et tint le croc de fer et sachie le nu brant.
Or le sequeure Dieu le père tout puissant.
Maugis est en la roche dont il ne puet issir,
Dolent et courouchié n'a en lui que martir-
Trestoute nuit veilla, n'ot cure de dormir
525 Pour les bestes sauvages que il doit moult haïr,
Qu'il voit environ lui tant crier et saillir,
Le feu de Bocan ot environ lui bruir.
Baiart le bon destrier oï si fort henir
Que l'isle de Bocan en fesoit retentir
530 Maugis est en Bocan en la roche soustaine
Qui fu leide et hideuse et de vermine plaine.
Monté fu le vassal sus .i. perron hautaine,
Et prie douchement la vertu souveraine
Qu'en sauveté le giet et hors de cheste paine,
120 RECHERCHES
535 Tant forment se complaint et sa douleur demaine
Et prie bonnement que Dex le jour amaine.
Au matin parsom* l'aube que le jour esclaira
Et la clarté du jour par le pertrus entra,
Maugis vint au serpent, et, quant mort le trouva
540 Damedieu et sa mère douchement en loa.
Il prist le croc de fer que o lui aporta,
Venus est au serpent, moult grant coup li donna
Et sachie o croc de fer que dedens le tira;
Puis est issu d'ileuc que plus n'i demoura.
545 Baiart ot cler henir qui prez d'ileuc esta,
Là où il l'a oï droitement s'en ala.
N'ala[st] une gumment quant Maugis assena
Dessous le fier destrier que le draglon garda.
Quant Maugis l'aveii, moult s'en espuanta ;
550 11 sot moult d'ingromance, le serpent conjura
Si que de li meffere nisun poveir n'en a.
Tost et isnelement sus en l'eir s'en ala.
Quant Maugis l'a veii, Damedieu en loa,
Fol. !56, rob Puis va veïr Baiart que il tant désira.
555 Gregneur fierté demaine que lion ne liepart
Quant vit venir Maugis le bon destrier Baiart:
Gregneur fierté demaine que lion ne liepart.
Quant Baiart vit Maugis et prist à aviser
Si let et sihideus, moult se prist aïrer;
560 Quatre caiennez prist estant à pechoier.
Quant Maugis l'a veù, prist soi à pourpenser
Que clien qu'il est si let le fet espuanter.
La grant pel d'ours boçue prist donques à oster
Et remest u bliaut qui à or fu ouvrer.
565 Quant le destrier le voit, prist soi asseiirer,
Envers lui s'umilie et fait semblant d'amer,
Devant lui s'agenouille et le prent à amer:
Che est senefianche qu'àli se veut donner.
Quant Maugis l'aveii, Dex prist à merchier.
* Ms. (i par sous, v
SUR LES CHANSONS DE GESTE 121
570 Isnelementet tost le va d'ileuc oster,
Par le frain à fin or le va Maugis combrer,
De la roche le tret hors au jour qui fu cler.
Quant Maugis ot hors tret le bon destrier Baiart
De la roche naïe où Fescarbouffle art
575
Et Maugis Taplanoie d'environ et entour:
« Ahj, Baiart, dist il, beste de grant valouf,
u S'o moi vous en voulez venir à Rochellour
« A la fée Oriande à la fresche coulour. »
580 Le destrier iert faes, bien le sevent plusour :
Autresi Tentendi com dame son segnour.
Vers lui s'umilia et par moult grant amour.
Sus le dos li sailli le hardi pongneour,
Puis s'en tourna Maugis que il n'i fist demour.
585 Or le conduie Dex le verai sauveour.
Quant Maugis fut monté sur Baiart Farragon,
Maintenant s'en tourna sans nule aresteison,
Et s'en vint à la mer etdescent au perron.
En son batel entra bêlement k bandon,
590 Puis a mis en Baiart, s'a pris .i. avu'on
En la mer est empaint, si naga à foison
Tout droit à Rochellour u plus mestre donjon,
Oîi estoit Oriende à la clerefachon.
Atant Espiet devant [estv]e[n]us u donjon.
595 Quant la dame le voit si l'a mis a reison:
" Biau niez, dont venez vous, pour le cors .S.Simon?'^
« Dame, dist Espiet, ja ne vous cheleron.
)) Je vien d'Esclevonnie du règne à l'Esclavon.
» Toute oi cherquié la terre jusqu'à Carphanaon.
600 » Grant guerrevousestmutetmoult grant contenchon.
» Sus vous vient Atenor .i. enclime félon.
» Je li oï jurei Tervagant et Mahon,
» Que s'il vous peut tenir ja n'arez raenchon,
» Que vous ne soies arse en feu et en carbon.»
605 Quant Toï Oriande ne dist ne o ne non.
A une fenestrele taillie d'or enson
9
122 RECHERCHES
S'est la dame acouté par dessus .i. perron;
En la mer regarda contreval le sablon
Etcoisi tel navie, si grant ne vit nul hom.
610 Quant le navie fu d'Oriande veiis,
Les nés et les dromons et lez chalans menus,
Bien set ch' est Atenor li amirant cremus .
Atant es le navie ens u hamel venus,
Païen sunt descendus et dez chalans issus.
615 Et se tendent et logent emmi le pre herbus.
Fol. 156, vo a Et Oriande pleure, s'a ses crins derumpus,
Baudris et Espiet en est o li venus,
« Dame, font il, chil duel est trop pour vous tenus.
» Se li roi Atenor est or sus vous venus,
620 » Il s'en repentira, par Dieu qui maint là sus ;
n Vous avez chevaliers plus de .m. à escus.
» Ja deusson bien estre à lor brancs recheiis . »
« Frère, dist Oriande, bien soies vous venus.
» Or feites donc qu'il soient armés et fervestus,
625 )) A icheste envaïe soient bien recheiis.»
Atant sus li païen maintenant deschendus.
Baudris et Espiet n'i sunt arrestés plus :
Il sonnèrent .ii. gresles, bien furent esmeiis.
Tost et isnelement sunt as armes courus.
630 Quant sunt armez, si montent es auferrans cornus.
Ja sera as païen le païs deffendus.
Quant par Rocheflour furent fervestus et armés.
Bien furent. xv. m. atant furent esmés,
Si les conduit Baudris le viel canu barbés.
635 Les lui fu Espiet sus le ver pommelés,
Ne pert sus les archons fors le heaume dorés.
Il tint la lanche droite, le penon fu fremés.
Quant Sarrasin lesontveiis et avisés.
Il coururent as armez, si se sunt adoubés.
640 A la gent Oriande queurent tous abrievés,
Devant trestous les autres vint ,i. roi couronnez,
Contre Espiet s'en va, son espie fu ferés.
Quant ne voit fors la teste, moult en fu effreez
SUR LES CHANSONS DE GESTE 123
Et Espiet le fiert qui fu preus et sénés,
645 Très parmi lieu du cors li est le fer aies:
Tant com hanste li dure, l'a mort enmi le près,
Puis crie: «Rocheflor, barons, quar i feres ».
Moult fu grant la bataille et pesant i'aatie
Contreval Rocheflor, par devant la marine,
650 Mes trop fu grant la forclie de la gent païenie.
Oriande la bêle à la couleur rouvine
Fu à une fenestre de la sale perrine.
Là pleure pour Maugis à la fiera tourine.
Bien cuide qu'en Bocan la roche desertine
655 L'ait tué Raanas et la gent sauvechine ;
Mes pour noient se claime lasse, povre meschine,
Quar il est revenus o port de bonne orine.
Durement se merveille le ber de bonne orine,
Bien set qu'il i a siège de la gent apoline,
660 Moult li poise qu'il n'a sa broigne doublentine.
Ja i en lessast tant tout envers sur l'esquine,
Pour l'amour Oriande la franche palasine.
Lors voit .1, Sarrasin armé sus la marine,
Quant voit venir Maugis si monte sans termine.
665 Mes Maugis point Baiart,tret Fespée acherine,
Ains que le païen ait de sa lanche saisine,
L'a si féru Maugis en la broigne sartine
Jusque u menton le fent, à terre le souvine.
Maugis estdeschendu par dejouste l'espine.
670 Tost s'adoube des armes, ch' est la vérité fine,
Et mist dessus Baiart la grant sele verrine,
Puis monte le vassal, prist la lanche encline.
Quant Maugis fu monté qui ot cuer palasin,
Dez armez au païen qu'il lessa mort souvin,
675 Vistement esperonne vers le pesant hustin.
.L païen encontra premier en son chemin,
Amustant fu puissant des puis deles le Rim.
Maugis Ta si féru le damoisel meschin.
Parmi le corsli passe le gonfanon pourprin.
Mort l'a jus abatu dessous .i. aubespin.
124 RECHERCHES
Sous Rocheflour fu grant li estour en la pree.
Bien i feri Maugis à laproesce isnele.
Oriande Tesgarde amont de la tourele
Et pleure tendrement sa main à sa maissele,
685 Et maudioit de Dieu que on prie et apele,
Chil Sarrasin félon qui ainsi se révèle;
Mes, s'or le conneûst la gentil damoisele,
Ne fust mie si liée pour tout l'or de Tudele.
Moult par fu grant la noise de cliele gent mesele.
690 Baudri ont abatu deles une tombele.
Baudri sailli en piez dessus l'erbe nouvele.
Mes de gent païennourtant entour s'atropele
Que jamez ne montast en archon ne en sele,
Ne fust Maugis le ber qui vint une sentele
695 Sus Baiart le faé qui vint comme arondele,
Et tint Tespée u poing qui luist et estenchele.
En la presse se met où fu grant laflavele,
Toute cuevre la terre des mors et de chervele.
Baudri fu jus à terre enmi le pre flouris,
700 Entour fu grant la presse des Turs et [des] Persis.
Il crie Rocheflour, de Maugis fu oïs,
Tant i fiert de son branc qu'il les a départis.
Baudri fist remonter qui fu preus et hardis.
Atant es li estour enforchiez, esbaudis.
705 Ja ne fust mes sans perte li estour départis.
Quant le jour trespassa, levespre vint seris,
Et païen sunt ariere en lor tentes vertis,
Et chil de Rocheflour n'i sunt pas alentis :
U castel s'en entrèrent par le pont tourneïs.
710 Oriande la bêle oie cors eschevis
I vit entrer Maugis, le sanc li estfuïs,
Quar reconnu l'avoit ens u grant fereïs,
Au remonter Baudri lor mestre, chen m'est vis.
Là en vient Oriande ses cors espeiiris.
715 « Baudri, dist ele, frère, entendez à mes dis
» Du Sarrasin félon qui tant par est fournis.
» A il donc le castel? Ditez le moi, amis.
)) Se rendu li avez, tuit sommez mort et pris.
SUR LES CHAIsSONS DE GESTE 125
» Miex voudroie mon corsfusten .i. feu bruis.»
720 Quant Baudri, le viel mestre à la barbe florie,
Entend! Oriande qui tant est coulourie,
Maintenant li a dit: a Bêle suer, douche amie,
» Che n'est mie païen, se Dex me beneïe,
» Ains est Maugis le ber à la chiere hardie.»
725 « Hé Dieu, dist Oriande, dame sainte Marie,
o Ne le cuidal veïr jamez jour de ma vie.»
Maintenant le desarme la dame segnourie,
Ele l'acole et beise par moult grande mestrie.
Moult esgarde Baiart qui queurt par arrami[e].
730 Et ])aïen reperierent àlor hebergierie,
Grant ire a Atenor le roi d'Esclavonnie.
« Segnors barons, dist il, par Mahom de Persie,
» Oriande a o lui moult riche baronnie,
» Et l'assaut est si fort que ne crient assaut mie.
735 » Lonctemps povon chi estre chen sera grant folie.
» Mez chen que je vueil fere drois est que le vous die.
» A l'ami Oriande qui moult est coulourie,
» Vueul bataille mander cors à cors d'aatie.»
Et il ont respondu : « A votre quemandie.»
167, ro a 740 Quant le roy Atenor ot sa reson contée,
.1. Sarrasin apele de mesnie privée.
A Rocheflour l'envoie sans plus de demeurée.
Et si mande Maugis à la chiere membrée.
Bataille cors à cors à lui enmi la prée.
745 Le mesagier s'en tourne sans nule demorée.
Et vint àRocheflour que n'i fit arestée,
Et a trouvé Maugis en la sale pavée.
Sa reson li a bien de chief en chief contée.
Quant Maugis l'entendi, durement li agrée,
750 Et jure Damedieu et la vierge henourée,
11 ne remaindroit mie pour l'or d'une carrée.
Quant l'oï Oriande, forment fu effréé[e].
(( Dame, chen dist Maugis, folie avez pensée,
» Quant voulez destourner à fere la meslée. »
755 Atant li mes s'en tourne sans nule demorée,
r,Q RFXHERCHES
Et vint à Atenor en sa tente dorée.
Dist li qu'il s'armast tost, qu'il ara la meslée
Orendroit de Maugis à la chiere membrée.
Quant le roi a oï le mesagc parler,
760 II demande sez armez et se va adouber,
As barons quémanda bien le camp à garder.
Lors estvenu o camp où Testeur doit finer,
Et ses frères Maudras ne s'i veut arester.
.Vii.c. Sarrasin fet fervestir et armer.
765 En .1. brueil prez d'iluec les a fet esconser
Que bien pourront l'estour veïr et esgarder.
Se le roy Atenor voient au dessous aler,
Tantost le secourront qui qu'en doie peser.
De Rocheflour issi Maugis, il et sa gent,
770 Et vont à Atenor qui u pre les atent.
Mes Maugis ne soit mie le grant traïssement
Que li a fet Maudras qui le cors Dieu gravent,
Mes Espiez le ber sot chel embuschement.
Si fet Baudri armer tost et delivrement,
775 Mil chevaliers des leur montèrent esraument,
Et trestout près d'ileuc desous .i. desrubant.
Maugis vint ens u pre as barons plus de client.
Atenor l'Esclavon parla premièrement,
Il a dit à Maugis : « Vassal, à moi entent :
780 » A toi me combatrai, et ses par quel couvent?
» Se tu me peus conquerre à ton acherin brant,
» En mon païs irai ariere droitement,
» Que ja n'emporterai ne or fin ne argent;
» Et se je te conquier, sachez tu vraiement,
785 » Je te todrai la teste à mon branc qui clii pent,
» Et arai Rocheflour trestout à mon talent, »
A icheste parole s'eslongnent .i. arpent.
Sus les escus se fièrent andui si fièrement,
Ambedui s'entreabatent à la terre en présent.
790 Quant Baiart le faé à descarchie se sent,
Grate et fronche et henist si esragiement,
Au cheval Atenor queurt sus ireement.
SUR LES CHANSONS DE GESTE U'
Si fiert et mort et giete si esragiement,
Que li autre cheval ne peut soufrir noient,
795 Ains s'en torne à la fuie tost et isnelement.
Baiart s'aroute après com foudre qui descent,
Les paveillons qu'il treuve met en trebuchement,
Devant le tref Tataint Escorfautle puissant.
Tantost Tôt estranglé à terre leidement,
800 Païen le cuident prendre et livrer à tourment.
Mes il fiert le premier si qu'à terre Testent
157, ro b Et le secont aussi et le tiers vraiement.
Baiart ariere tourne, au champ vint vistement,
Où furent li baron ensemble au caplement.
805 Li baron sunt ensemble enmi le pre herbu,
Atenor li aufage iert de moult grant vertu.
.Iii. piez estoit plus grant de Maugis le membru.
Il tint nue Froberge au branc d'achier moulu,
Par dessus son heaume a Maugis si féru,
810 Se ne tournast Fespée tout l'eiist pourfendu.
Maugis fu moult navré à la hardie chiere,
Le sanc vermeil li raie et devant et deriere.
Il tint le branc d'achier qui geta grant lumière,
Et a féru l'aufage, l'elme li escartele.
815 Une plaie li fist où couvendra bon mire.
Tout canchela l'aufage, près ne caï ariere.
La bataille fu grant des .ii. barons u pré,
Entour eus ont de sanc trestout ensanglenté,
Mez n'est pas li cstour egalment devisé,
820 Quar moult est li aufage grant et desmesuré.
Lors va ferir Maugis sus son elme safré,
Se ne tornast Froberge ja fust à mal aie,
Sus l'espaule senestre est le branc dévalé.
Dex aida à Maugis, le roi de majesté,
825 Du coup qui fu si grant est trestout canchelé,
Et l'aufage l'empaint par si grant crualté,
Ou Maugis vueille ou non s'agenouille ens u pré.
Quant Maugis fu à terre, forment fu vergondé
128 RECHERCHES
Pour la bêle Oriande de qui il est amé.
830 Quant il vit as fenestrez du grant palez pavé,
Pour l'amour de li a hardement recouvré,
Vaferir Atenor le païen deffaé,
Amont dessus son elme que tout Ta desclierclé,
Les las en a trenchié de quoi on Tôt bendé.
835 Du coup qui fu pesant 11 est u camp volé,
Le hiaume qu'ot u chief qui est à orgemé.
Li aufage Atenor o le courage fier
Tel duel a et tele ire, vis cuida esragier
Quant voit gésir à terre son bon elme d'achier.
840 II va ferir Maugis, le nobile guerrier,
Amont dessus son elme qu'il li trenche .i. quartier,
Nis la coife dessus ne li vaut .i. denier.
Tant a pris de la teste sans les os empirier
Que plus de .m. en oste des cheveus au premier.
845 Le sanc vermeil en raie entresi qu'au braier.
Maugis fu moult dolent quant se vit si saignier,
Damedieu reclama qui tout peut justifier.
Qu'il le gart et deff'ende de mort et d'encombrier,
Quar moult doute Froberge que il voit fiamboier.
850 II tint l'espée nue, Tescu prist à drechier,
Va ferir le païen que il n'ot guerez chier,
Asener le cuida dessus le hanepier.
Mes le païen fu sage, si est glachié arier,
Et l'espée deschent res à res du templier,
855 Que la senestre oreille li abat u gravier.
Sur le senestre bras descent de l'aversier,
Autresi li trencha comme .i. raim d'olivier :
Le bras atout Froberge li abat u terrier.
Maugis sailli avant qui fu preus et legier.
860 Froberge en a levée sans point de detrier.
Quant l'aufage le voit, le sens cuida cangier,
Forment se commencha le ber à gramoier.
Fol. 157, vo a (, Ah}', dist il, Froberge, tant fcitez à prisier !
» Vassal, rent moi Froberge, chen te vueil je proier.
865 » Je te donroi d'avoir .xv. mules carchier.
)) De toute Esclavonnie te donrai .i. quartier. »
SUR LES CHANSONS DE GESTE 129
Et respondi MaugisiuEn vain vous oi pleidier,
» Je n'en prendroie mie tout l'or de Montpellier.»
Quant le roi l'entendi, prist soi à courouchier,
870 Courant vint à Baiart que il vit estraier.
De Maugis se vouloit sevrer et eslongnier,
Et droit à sa navie s'en cuida reperier.
Mez Baiart le faé tourna les pies derier,
Et assené l'aufage ens u flanc senestrier,
875 Que il a fet u cors .m. des costes bruisier.
Tost et isnelement 11 sailli o gosier,
Plus tost Tôt estranglé que n'eiist .i. lévrier
.1. lièvre ou .i. connin, quand il ist du rocliier.
Quant Sarrasin le voient, li ouvert losengier,
880 A Maugis queurent sus pour son corsdamagier.
Quant il les a veiis venir et aprechier,
Il sailli maintenant sus Baiart le destrier,
Et Froberge tint nue, si feri le premier.
La teste en fist voler devant li en Terbier,
885 Et plus de .c. len fièrent qui n'ont soi[n]gd'espargnier.
Sus Maugis fu le caple merveilleus et pesant,
Del gent païennor dont la presse fu grant,
Mes il se deffent bien, mestier en a moult grant.
Mes toute sa proesce n'i vausist pas .i. gant,
890 Se ne fust Espiet qui vi[n]t esperonnant.
Et Baudri le viel mestre qui a le poil ferrant.
Ireement se fièrent sus la gentmescreant
Et crient Rocheflour hautement en oiant.
Atant es par Testeur venu .i. amirant,
895 Qui tint toute la terre devers lerusalem.
Nies estoit à l'aufage et son appartenant.
Et Espiet lefiert a loi d'omme sachant,
Une plaie li fist merveilleuse et grant,
Le sanc vermeil en va à l'esperon coulant,
900 Le bras eûst perdu se ne tornast le brant.
Le païen sent la plaie, si se va gramoiant ;
Vers Espies torna le chief de Tauferrant,
Mes ne voit fors la teste sus les archons devant.
Qu'il n'avoit que .m. pies et demi seulement.
130 RECHERCHES
905 Le païen a juré Mahom et Tervagant
Onques mes tel froiture ne vit si avenant,
En la bataille entra et si en part atant.
Et le païen abat Baudri en .i. pendant,
Ja en prenist la teste à son acherin brant,
910 Quant Maugis li escrie:((Ne l'ochi, mescreant!»
De Froberge li donne .i. coup\si très pesant,
A terre le trébuche du bon destrier courant,
Puis a monté Baudri comme preus et vaillant.
Moult fu grant la criée des gens au Sathenas.
915 Es vous parmi la presse venu pongnant Madras,
Frère fu à l'aufage et sire de Damas.
Devant Maugis^a mort Gautier et Elias,
Parent erent Baudri et neveu Bourias.
Baiart esperonna qui va plus que le pas,
920 Sus l'elmeTa féru qui fu fet à compas,
Jusques dens le pourfent, mort l'abat à .i. quas .
Puis crieRocheflour, n'ot pas le cuer couars.
Quant Maudrasfu ochis, païen moult s'esfreerent,
Mahom et Tervagant hautement réclamèrent.
Fol. 157, V» b 925 Païen et Sarrasin à la fuie tournèrent,
Maugis et sa mesnie durement les basterent.
Quanque il en ataindrent ochirent et tuèrent.
Quar chil de Rocheflour lez testez lor coupèrent.
Quant li estour, failli as tentez s'en alerent,
930 Les tentez et l'avoir sauvement emmenèrent,
Maugis et sa proesce, je vous di, moult loerent,
A Rocheflour la grant grant joie démenèrent.
Maugis en Rocheflour fu en son bel raanage,
A séjour o s'araie qui l'aime de courage,
935 Garis est de ses plaiez, n'i sent mes nul damage.
« Amis, dist Oriande, vous avez vasselage,
» Bien'avez garanti moi et mon héritage,
» Et si avez vaincu roi Atenor l'aufage.
» Chen fu le plus fier homme qui fust en son lignage.
940 » Bien pert qu'estes estret de moult riche barnage
SUR LES CHANSONS DE GESTE 131
» Dont onques ne fu dit, ne sera il ja chertez. »
Et quant Maugis l'oï, si mua son courage,
Jamez ne sera lie en trestout son aage,
Si sara qui il est et de quel parentage.
945 Quant l'oï Oriande, si mua son visage.
« Amis, dit Oriande, à la clere fachon,
» Ja si tost ne sarez qui vous estez ou non,
» Quar damage iarez, foi que doi .S. Simon.
» Vous estez plus aoise que ne fu onques hom.»
950 « Dame, chen dist Maugis, pour Dieu et pour son non,
» Dites moi qui je sui et de quel région. »
« Amis, dist Oriande, vous ditez foloison. »
« Sui je donc votre fix? or n'i ait cheloison.
» Se che est vérité, mal esploitié avon,
055 » Grant est la penitanche que nous en atendon. »
« Nennil, dist Oriande, n'en aiez soupechon,
» Mes je vous ai nourri des petit enfanchon.
» Vo perez est duc Buef, le sire d'Aigrement,
» Vous estez du lignage où il a maint preudon.
960 » Vos onclez est le duc Girart de Roussillon
» Et Aymez de Dordonne et de Nantueil Doon,
» Et Othez d'Espolice qui est de grant renon,
» Et de Danemarche Gaufroi le preudon
» Et Grifez d'Autefueille qui père fu Guenelon,
965 » Et Morant de Riviers qui tant a de renon,
)) Eseûn de Bordele qui fu père Hugon,
» A qui fist tant de bien le bon roi Oboron,
» Et Ripeus qui fu père Anseis le baron,
» Et .1. roi autresi qui a à nom Peron,
970 » Qui est père Oriant qui est de grant renon;
» Et aussi est Hernaut qui sire est de Giron,
» Quens Hernaut de Monder o le fleuri grenon.
») Ichil est vos aieus et si est moult preudon.
» Mes là où fustez nés, ot une contenchon,
975 » Que païen i esmurent, li enclime félon,
» A la gentil duchoise qui fu de grant renon.
» Vous erabla une esclave, Dex li fâche pardon !
» 0 vous passa la mer sans nef et sans dromon.
13Î RECHERCHRS SUR LES CHANSONS DE GESTE
» A une avespree laraenja .1. lion
980 )) Et ,1. liepart sauvage, ainsi corn nous dison,
)) Et puis s'entrestranglerent ambedui de randon.
» Je et mes damoiseles par ileuc passion,
)) Si vous oï plourer tout seul, sans compengnon;
» Je vous en apportai sus le mul arragon,
985 » Et or vous ai perdu sans nul recouvroison. ))
Lors pleure tendrement et a grant marrison.
F. Castets.
(A suivre.)
Dialectes Modernes
LE MOT a PAIRE »
ET LES NOMS FRANÇAIS QUI n'ONT PAS DE SINGULIER
M. Tamizey de la Roque a publié, dans le Recueil des tra-
vaux de la Société d'agriculture, sciences et arts d'Agen *, des
lettres françaises inédites de Joseph Scaliger, l'érudit de génie
qui est à la fois l'honneur d'Agen, sa patrie, et de la France
savante. Ce recueil, rendu plus important encore par les notes
si complètes et si précises de M. Tamizej, fournit de curieux
renseignements sur l'état de notre langue à la fin du XVI^ siè-
cle. On j découvre en particulier les vestiges de certaines lo-
cutions que le siècle suivant allait faire disparaître et que le
docte éditeur a relevées avec beaucoup de soin et de saga-
cité. Entre toutes ces expressions et ces tournures tombées
en désuétude, il en est une qui m'a jjaru surtout digne d'at-
tention. C'est l'emploi du mot paire dans la phrase suivante :
« Monsieur, écrit Scaliger à Pithou, de /rois paires de lettres,
» que je vous envolai dernièrement, il est impossible que vous
» n'en aies receu quelcun- . »
M. Tamizey dit à propos de ce passage : le mot paire était
autrefois du masculin. C'est tirer d'un exemple du XVP siè-
cle, cité par Littré, une conclusion trop générale. Il est cer-
tain que ce nom se trouve parfois au masculin dans nos an-
ciens auteurs ^ et qu'il l'est encore en Saintonge, où l'on dit
« un paire de pincettes*.» On le rencontre même avec ce genre
en plein XVII« siècle, et le gazetier Loret raconte, en 1650,
' 2« série, t. VL Ageo, 1879, in-8o.
2 Ibid., p. 249, 10 septembre 1573
3 Rabelais a dit: un nouveau /jazV d'amitié.
* C'est ce que rn'a dit mon savant ami, M. Ciiabarit'au
134 LE MOT « PAIRE " ET LES NOMS FRANÇAIS
que le cardinal Mazarin offrit a un paire » de gants à la veuve
du duc de Chaulnes*. Mais le mot était le plus habituellement
féminin, et Scaliger, en l'employant aiî masculin, s'en sert
contre l'usage le plus commun. Déjà en 1564, c'est-à-dire neuf
ans environ avant sa lettre à Pithou, un dictionnaire fait pour
les enfants porte expressément une paire^de quelque chose que
ce soit-.
Ce qui n'est pas moins digne d'observation que l'emploi du
masculin, c'est l'étrangeté de la tournure: a trois paires de
lettres», pour direo trois lettres.» En usant de cette forme qui
nous étonne, Joseph Scaliger s'exprimait comme on le faisait
couramment encore à la fin du XVP siècle. Ne trouve-t-on
pas dans le Dictionnaire de Nicot cet exemple que je transcris
tout entier, à cause de son archaïsme : « bailler une paire de
lettres à celuy qu'on nous avoit enchargé de les bailler. Epis-
tolam vel literas reddere. »
Comment nos pères ont-ils été portés à se servir d'une locu-
tion aussi singulière?
Du Cange,et après lui les auteurs du Dictionnaire de Tré-
voux, l'expliquent en disant qu'une lettre étant pliée semble
être double; mais cette interprétation spécieuse me paraît peu
plausible.
Notre mot lettres, en effet, n'a pas été seulement mis au
pluriel pour désigner des missives; il l'est encore quand il si-
gnifie la culture de l'esprit, les connaissances que procure
l'étude. On le rencontre même au moyen âge dans le sens
d'inscription gravée sur un monument^. Évidemment l'idée de
plier en deux ne se prête point à ces diverses acceptions.
N'est-il pas plus naturel de considérer ce vieux mot lettres,
1 Madame, pour une duchesse, Vous avez là de chétifs gands. J'en ay de
noirs, j'en ay de blaucs, Je vous en veux donner un paire. Muzehist. Sa-
raeiii, 12 novenabre 1650. Vers 158.
- Trésor des mots et traicts français. Selon l'ordre des lettres, ainsi qu'il
les faidt escrire: tournez en latin par plusieurs mots et façons de parler
pour les enfants. A Lyon, par Henri Hylaire et Loys Cloquemin, m.o.lxuii,
in-4o.
^ C'est à peu près le sens de es passage du Romane, p. 59. « Ces lettres
du fin or estoienl. Et enlisant ce raconloient. Ci gist la blanche Bianchefleur. »
V. Lacurne de Sainte-Palaye, éd. 1880.
QUI n'ont pas de singulier 135
OU plutôt le terme latin litterx dont il est venu, comme un
pluriel qui renferme et signifie un certain nombre de caractè-
res, réunis pour faire un tout?
L'explication donnée par Du Cange n'est donc pas satisfai-
sante dans le cas particulier de paires de lettres ; elle Test
bien moins encore quand il s'agit de rendre compte de ces
expressions bizarres : paire de noces, paire de délices, paire de
blés, paire de nouvelles, et de tant d'autres.
Essayons de suivre la génération des idées qui ont pu con-
duire à les employer.
Le sens primitif du moi paire n'est douteux pour personne.
Il signifie deux choses pareilles, qui se joignent ordinairement
ensemble. « Une paire de bas, de souliers, de gants, de man-
chettes, de pendants d'oreille, de lunettes, de jarretières'. »
Après les objets pareils, venaient ceux qui « s'accouplent
»ensemble,sont appariés et ne vont guère l'un sans l'autre-»:
une paire de bœufs, une paire de poulets, une paire de pi-
geons, une paire de roues, une paire de chenets, une paire
d'étriers, de pistolets. De cette acception à celle de réunion
accidentelle de personnes ou de choses, le passage n'était pas
difficile : Rabelais a dit un paire d'amitié ; nous disons nous-
mêmes une paire d'amis; les Anglais appellent encore le sonnez
ou coup de dés qui réunit les deux six: a royal pair. La locu-
tion s'étendit ensuite aux choses qui ne forment qu'un tout,
non divisé, composé de deux parties semblables: une paire de
pincettes, de ciseaux, de tenailles, de manchettes. On dit aussi,
en médecine, une paire de nerfs, pour nommer chaque division
de nerfs semblables qui ont une origine commune. Plus tard, de
cette habitude de donner le nom àe paire à un objet unique on
passa à l'usage d'appliquer cette dénomination à des choses qui,
bien que formant un seul tout, n'étaient, quel que fût d'ailleurs
le nombre des parties qui composaient cet ensemble, dési-
gnées que par un mot pluriel. Ainsi l'on dit une paire d'ar-
mes pour signifier une armure, c'est-à-dire la réunion de plu-
sieurs armes défensives et offensives ; une paire de degrés, afin
de désignerl'ensemble des marches qui composent un escalier,
1 Dict. de Trévoux.
Ibid.
136 LE MOT « PAIRE » ET LES NOMS FRANÇAIS
et cette forme s'est maintenue dans la langue anglaise'. Plus
tard, quand les cartes à jouer eurent été inventées, la réunion
des pièces qui constituaient un même jeu se nomma une paire
de cartes. Enfin Ton employa le mot yja/re simplement avec des
noms qui n'avaient pas de singulier; et l'on dit une paire de
noces, une paire de lettres .
La liste de ces mots ainsi dépourvus de singulier était au-
trefois beaucoup plus considérable qu'aujourd'hui. Palsgrave
en nomme une quarantaine qui nefigurent plusdans nos gram-
maires modernes, et l'on pourrait facilement doubler ce nom-
bre. Quelques-uns de ces noms employés seulement au plu-
riel venaient de noms latins, féminins ou masculins, comme
délices, lettres, noces, ténèbres. D'autres, en plus grand nom-
bre, étaient des substantifs et surtout des adjectifs, neutres
en latin, qu'on avait assimilés à des féminins français; ainsi
orgues, armes, obsèques, épousailles, fiançailles, etc. Une
troisième catégorie contenait les mots qui, sans venir préci-
sément de pluriels latins, n'étaient employés qu'au pluriel
dans l'ancien français, tels que trêves, descrottoyres, escriptoy-
res, etc.-. Enfin venaient, comme aujourd'hui, des noms qui
avaient au pluriel un autre sens qu'au singulier, tels que car-
tes, ordres, tables (jeu de trictrac), tablettes, etc.
Quand on voulait attacher l'idée d'unité à ces noms man-
quant de singulier, on n'était pas embarrassé. On les faisait
précéder de l'article ungs, unes, imité du latin uni et unœ,
qui s'employait seulement devant les pluriels. On disait donc
ungz yeulx, ungz bras, pour désigner les deux yeux, les deux
bras, etc.; ungz gantz, ungz souliers^, unes manches% au lieu
de dire une paire de gants, de souliers ou de manches ; unes
caries'', afin de signifier un jeu de cartes, etc. Toutes les épi-
thêtes qui se rapportaient à ces noms se mettaient ensuite au
pluriel. Ainsi l'on voit dans Olivier de la Marche : Apres eux
venoitune très belle dame... et luy partoyent unes manches.. .
* An îii/lij pair of stab's, ua vilain escalier, une vilaine montée.
^ Voy. Palsgrave, p. 181 et suiv.
' Palsgrave, p. 184.
4 Olivier de la Marche. Coll. Petitot, X, p. 163.
^Palsgrave, p. 182.
QUI N ONT PAS DE SINGULIER 137
escriptes de lettres grégeoises... et par uns petis degrés, faicts
à cette cause, elle monta sur la table K » Mais, si Ton avait fait
passer du latin en français les mots uni et unœ, comme on
n'avait pas agi de même avec les autres adjectifs distributifs,
on n'avait pas de moyen pour compter les noms dépourvus de
singulier. Pourle pouvoir, il fallait donc recourir àun terme col-
lectif que Ton joindrait à la plupart d'entre eux, afin d'en faire
des quantités susceptibles de numération. Paire se présentait
assez naturellement. Quand on n'avait à parler que d'un seul
objet, on l'employait en concurrence avec ungs et unes; lors-
que l'on était en présence de plusieurs de ces unités factices,
ne pouvait-on pas, en l'absence d'articles, s'en servir aussi et
l'accompagner d'un nom de nombre? Une seule armure s'appe-
lait indifféremment unes armes ou une pai^^e d'armes; deux ar-
mures pouvaient donc se nommer deux paires d'armes. Voilà
pourquoi l'on fut amené à dire non-seulement trois paires de
lettres, au lieu de trois lettres, mais trois paires de noces,
pour désigner trois noces. « J'ay esté, dit un grammairien
contemporain de Charles VIII et de Louis XII, à troys paires
de nopces, aux unes de mon frère, aux aultres de mon fils et
aux tierces de mon nepveu. » Ce qu'il traduit en latin par la
phrase suivante, qui ne laisse aucun doute : « Interfui tomis
nuptiis^ unisfiliimei, alteris fratris, tertiis nepotis.» T'rois pai-
res sert, on le voit, <à remplacer l'article distributif ternis-.
De même la Chronique de saint Denis porte ces mots : a Luy
vinrent deux paires de mauvaises nouvelles», pour deux
mauvaises nouvelles ^
Je ne puis garantir que paire ait été ainsi employé devant
tous les noms dépourvus de singulier; mais, sans parler des
mots qui emportent avec eux une idée de dualité*, je l'ai ren-
contrée devant un très-grand nombre de substantifs qui n'ont
que le pluriel.
1 Coll. Pelitot, l. X, p. 163 et 164.
- Guidoûis Juveoalis In latine lin(jue elegantias intei'pretatio. Lugduni,
1523, fol . 45.
3 Tomel, fol. 113.
"Les auteurs du Dictionnaire de Trévoux, après avoir l'ait observer que
paire se dit plus souvent des choses artificielles que des choses naturelles,
ajoutent: « On ne dit pas une paire de mains, de bras, de jambes, de pieds,
10
138 LE MOT « PAIRE " ET LES MOTS FRANÇAIS
Ainsi l'on disait une paire d'armes, une paire de cartes, une
paire de délices, une paire d'heures, une paire de patenô-
tres, une paire de lettres, une paire de noces, une paire de
reins, une paire d'orgues, une paire d'armoires (aulmoires),
une paire de vergettes, une paire d'écritures*.
Et que l'on ne prétende pas que ces mots présentaient une
idée de dualité; qu'on disait, par exemple, une paire d'heures
pour désigner un livre qui contient l'office du jour et celui de
la nuit: cette explication, dont on pourrait se contenter à la
grande rigueur en ce qui concerne un recueil de prières-, ne
serait pas de mise pour la plupart des noms énumérés plus
haut. Quelle idée de dualité, par exemple, offre le mot délices?
Comment, au contraire, ne pas trouver celle de pluralité dans
« une paire d'armes », qui avait le même sens qu'armure et se
composait, dit Trévoux, d'un casque, d'une cuirasse, de bras-
sarts, de tassettes, etc^?
De cet emploi du mot paire pour donner à des substantifs
pluriels le sens du singulier et permettre de compter les choses
qu'ils représentaient comme autant d'objets individuels, na-
quit une nouvelle acception, non moins étrange au premier
abord. On considéra cette expression comme désignant, non
plus un couple, mais un assortiment d'objets formant un tout,
» d'yeux. On dit pourtant en burlesque une belle paire de fesses. Gel âne a
» une belle paire d'oreilles. Scarron a dit:
» Elle avait au bout de ses manches
» Une paire de mains si blanches. »
Palsgrave a écrit néanmoins ungs yeulx, etc. Paire, il est vrai, se rencon-
tre rarement avec les choses naturelles ; c'est parce que les yeux, les oreilles
et toutes les parties existant à double dans le corps de l'homme ou de l'ani-
mal ne forment pas, à proprement parler, de tout distinct, d'unité à part, et
qu'on a rarement besoin dans l'usage ordinaire de les compter et de les ad-
ditionner deux par deux. Lacurne (ras.) trouve « paires de rens (reins) dans
VHist. de du Guesclin par Mesnard, 131.
1 V. dans Lacurne de Sainte-Palaye, Cotgrave et Trévoux.
2 Mais comment expliquer ainsi « uue paire de sept psaumes, une paire de
vigiles », cités par Trévoux.
3 Dom Pedre tira d'une armoire une paire d'armes fort riches et fort
légères il en arma son idiotte. Scarrou, ÛE«i;>"es. Amsterdam, Pierre
Mortier, t. IV, p. 61. La Précaution inutile. Cf. Cent Nouvelles nou-
velles, x-41.
QUI N ONT PAS DE SINGULIER 139
et l'on dit une paire d'iiabits pour désigner la réunion des vê-
tements nécessaires à la toilette ^
Une paire d'habits, nous apprend Oudin dans ses Recherches
italiennes et françoises, c'est un assortiment de vêtements de
rechange, muda di vestiti. C'est dans la même acception que
Monstrelet, parlant de ménestrels réunis par séries de trois
pour sonner des instruments de musique, en compte dixpai-
res ^ Avec cette signification également qu'il est question dans
Lancelot du Lac de trois paires de murs à franchir pour arri-
vera une tour ^ En ce sens encore que l'auteur de r£'i7je'ro?i de
discipline, Antoine du Saix, ami de Rabelais, dit d'un enfant
bien élevé:
«Vertus et luy ne feront qu'une paire'*.»
On fit un pas de plus: de l'idée d'assortiment on arriva à
celle d'espèce, u Sachez, dit une grammaire française faite
pour les Anglois, qu'il y a deux paires de verbes, c'est à sa-
voir actif et passif^. » On trouve aussi dans une ordonnance du
roi Jean, déjà rapportée parLacurne de Sainte-Palaye :« Nuls
boulangers ou tallemelliers venans et amenans pains à Paris
pour vendre, ne pourront mettre pain en un sac de deux pai-
res deblez mais tout d'un grain*^. » (Ord. du 30 janvier 1350.
- n. st. 1351.)
\q.\ paire ne sert pas à ajouter l'idée d'unité à un substantif
qui n'a que le pluriel : hlé, comme habit, possède les deux nom-
bres, et le terme de paire, qui devant ce dernier mot s'enten-
dait d'assortiment, placé à côté du premier, doit se traduire par
espèce. C'est le sens donné parLacurne, et c'est le bon.
1 Une paire d'habits, qui est composée d'uu pourpoint, d'un haut-de-
chausses et d'un manteau ou d'un justaucorps, vestis compléta. (Trévoux.)
On dirait aujourd'hui < un complet. »
- Edit, delà Soc. de l'histoire de France, t. II, p. '71.
^ Lacurnede Sainte-Palaye, Glos. fr,, ms., foi. 19. Vo paire. Lacurne cite,
avec quelques-uns des exemples apportés ici, plusieurs autres encore.
^ Esperon de discipline, 1532, 2^ part., feuill.4, 5, vo.
s Donoit français pour introduyr les Anglois en la droit language de
Pam, fo320.
6 Édits et ordonnances des rois de France. Lyon, 1573; in-lol., livre iv.
lit. XII, p. 1103.
*
140 LE MOT « PAIRE * ET LES NOMS FRANÇAIS
Cette acception d'espèje ou de sorte, si nettement indiquée
par l'ordonnance du roi Jean, doit servir à comprendreunvers
contenu dans une jolio farce de la Renaissance, il/aes^re il/t-
min, et qui a singulièrement embarrassé les commentateurs.
Maistre Mimin est un jeune sot, placé chez un magister, et
que Tétude a rendu maniaque ; il ne sait plus que parler latin
et ne peut dire un mot de français. Pour lui rapprendre sa lan-
gue maternelle, sa mère le fait mettre dans une cage, comme
un papegai,et chacun, père, beau-père, magister, mère et fian-
cée, s'approchent pour endoctriner le bel oiseau. Le maître
essaye le premier, car, dit-il,
Nos paroles et ceulx des femmes
Ce sont deux paires de boissons.
Pource que plus nous congaoissons
Et parlons plus grant conséquence.
La prétention du pédant est bien claire : il i)ense que les
paroles des hommes valent beaucoup mieux que celles des
femmes ; et non, comme le voudrait le savant et ingénieux
M. Edouard Fournier, que ce sont choses qui font la paire en-
semble et sont jumelles.
Quand il dit:
Ce sont deux paires de boissons,
c'est comme s'il disait: ce sont boissons de deux espèces diffé-
rentes, et la locution proverbiale dont il se sert équivaut à ces
deux autres : «c'est une autre paire de manches», ou bien en-
core: «c'est d'un autre tonneau, rincez vos verres'».
Et la suite de la farce prouve bien que telle est la pensée
du magister : il adresse la parole à maistre Mimin, qui ne dit
mot; la fiancée s'avance à son tour et commence par contre-
dire la vaniteuse allégation du pédant:
Et non, non.
Femmes ont toujours le regnom
De parler
Nous avons trop plus doulces voix
Que ces hommes ; ils sont trop dures.
* Oudin, Curios . françaises , Wi et 413.
QUI N ONT PAS DE SINGULIER 141
Elle parle, ainsi que la mère ; et Fenfant répond en français
et ne veut même plus dire un seul mot de latin. Les femmes
chantent victoire : les hommes crient miracle, et le magister
confondu est lui-même obligé de dire:
Il n'est ouvrage que de femme
Je le dy, sans que nul je blasme,
Mais pour parler ilz ont le briiyt i.
Ainsi le moi paire, après avoir signifié deux choses de môme
espèce qui vont ensemble, a désigné ensuite un objet composé
de deux pièces essentielles, puis s'est joint sans aucune idée
précise de dualité à des noms dépourvus de singulier pour leur
donner le sens d'un objet unique. Plus tard, on Ta placé de-
vant des substantifs qui avaient les deux nombres, avec l'ac-
ception d'assortiment et d'espèce .
On ne disait donc point une paire de lettres pour désigner
une seule lettre parce qu'une lettre pliée semble en faire
deux, mais tout simplement parce que dans le vieux fran-
çais, le mot lettres manquant de singulier, on n'avait d'autre
moyen de donner à ce pluriel le sens précis d'un objet unique
que le recours à cette tournure.
Au reste, l'incommodité de cette locution d'une part, et de
l'autre la ressemblance pour l'oreille du pluriel ungs et unes et
du singulier un et wwe, ont peut-être été cause que l'on a donné
un singulier à ces mots qui en étaient dépourvus en latin. Ainsi
de bonne heure on a mis une lettre et non plus unes lettres^, et
on l'a dit même pour exprimer les connaissances que procu-
rent le travail et l'étude ^. Une nouvelle se rencontre à côté
il
* Le Théâtre français avant ta Renaissance, 1450-1550. Mystères, Mo-
ralités et Farces, par Ed. Fournier, p. 314 à 321.
2 La lettre reversa. Beste, cxxii. — Les deux formes se trouvent concur-
remment dansla Très loyeuse, plaisante et récréative Ilystoire du bon chevalier
sans peur et sans reproche, ch. vu: «L'abbé d'Esnay.. . escripvit unes lettres
à ung marchand de Lyon (p. 172). Incontinent que les gentilzhommes eurent -
leur lettre. . .» p. 173, coll. Petitot, Ire série, t. XV.
'^ Voyez dans VEsperon de disciplitie, 2« partie, fol. a iiij, ce vers adressé
aux pères pour leur reprocher leur ignorance: Donc que vault lettre oncques
vous n'aperceustes.
142 LE MOT « PAIRE » ET LES NOMS FRANÇAIS, ETC.
d'unes nouvelles; une arme s'emploie au lieu d'unes armes;
une trêve prend la place àhines trêves.
Cette tendance à mettre au singulier les mots qui en étaient
dépourvus alla jusqu'à en donner un à des noms venus au-
jourd'hui à la seule forme du pluriel. Nous disons «être aux
aguets» ; on a dit autrefois « aller d'aguet dans une affaire».
Nous donnons des arrhes ; sous Louis XIII on baillait un écu
d'arrhe. Nous ne connaissons que les broussailles; on traver-
sait jadis aussi la brossaille. Le mont Pjrénée était le confin
ou les confins de la France et de l'Espagne ', presque au temps
où La Fontaine peignait l'alarme universelle causée par le
combat du lion et du moucheron dans ce vers pittoresque :
11 rugit, on se cache, on tremble à l'environ.
En même temps que diminuait le nombre des mots unique-
ment usités au pluriel, l'usage de paire, en dehors de l'idée de
dualité réelle, disparaissait peu à peu. Mais, dans une langue
étrangère où nous avons tant de faits à recueillir pour l'his-
toire de la nôtre, en anglais, le mot a pair of stairs, pour dé-
signer un étage, est la preuve encore vivante de l'emploi du
mot paire quand il s'agissait de signifier et de compter des uni-
tés factices formées, non pas de deux, mais de plusieurs objets
assemblés ^
Ch. Revillout.
' Voy. Mouet à chacun de ces mots.
' Le mot de staivs n'est certainement pas le seul vestige de notre vieille
tournure: Palsgrave énumère 24 mots employés seulement au pluriel en fran-
çais, qui se rendaient en anglais par a payre d as we in our tong use to
name by payres » (p. 1S2). La plupart de ces tournures sont demeurées dans
l'anglais moderne. En italien, on dit encore un paio di carte, di scacchi; un
jeu de cartes, d'échecs.
CONTES POPULAIRES
DU LANGUEDOC *
(Suite)
Jan bestio
Uncop, i aviô un orne que s'apelavo Jan; ero bestio coumo
un toupi. Sa femno s'apelavo Marioun.
Un jour sa femno i diguet : « Ai fosso traval e me caldriô
ana al mouli; mais n'ei pas lou tems, me cal fa tetà la drol-
leto ; i vas anà, demandaras al moulinier uno pougnèiro, uno
emino e un coup de farino de mil. Repeto-vo, per veiro ; es
tant bestio que t'en souvendras pas.
» — Direi : Moulinier, balhats-me uno panièiro. . .»
TRADUCTION
JEAN LE SOT
Il était une fois un homme qui s'appelait Jean ; il était bête comme
un pot. Sa femme s'appelait Mariou.
Un jour sa femme lui dit: « J'ai beaucoup de travail, il me fau-
drait aller au moulin, mais je n'ai pas le temps; il me faut rester
pour faire téter la petite fille : tu vas y aller. Tu demanderas au
meunier une panière, une hémine- et un coup de farine de maïs . Ré-
pète-le, voyons; tu es si bête que tu ne t'en souviendras pas.
)) — Je dirai: Meunier, donnez-moi une panière, ...
< Voiries fasc. d'avril, juillet et septembre 1885.
2 M. Azaïs, dans son Dictionnaire des idiomes romans, donne la conte-
nance de ces anciennes mesures et cite, au mot cmino, le dicton populaire:
Moulinier passo-farino
D'un sestier ne fa uno emino,
D'uno emino ne fa un coup.
Lou moulinier ba pano tout.
144 JAN BESTIO
((_Piot! es pas atal ; cal dire: Uno pougnièiro, uno emino,
un coup. A.qui un parel de tustaiis per faprene.
« — Eh be! 0, va direi : Uno Pougnièiro, uno mino. . .
)) — Aqui dous autris emplastres, bestias; cal dire : Uno
pougnièiro, uno emino, un coup.
» — Eh be ! 0, va direi : Uno pougnièiro, uno emino, un coup.
» — Va pla. Vai-t'en e, repeto-vo tout lou loung dal cami.»
Jan s'en va en cridant tout lou loung dal cami : « Uno pou-
gnièiro, uno emino, un coup. . . » de peu d'estre batut per sa
femno.
Al cap d'un pauc, atrovo un lauraire que semenavo dex
sacs de blat.
« — Jan, veni aici, que te voli dire quicom. »
Jan se sarro en cridant toujour: «Uno pougnièiro, uno
emino, un coup. ...»
Lou lauraire pren soun agulhado e n'en tusto sus Fesquino
de Jan en-t'i diguent: «De que ! de que ! malurous, semeni dex
sacs de blat e dises que i âge uno pougnièro, uno emino, un
coup ! Te cal dire : Qu'a carrados n'i âge.
„ _ Sot ! Ce n'est pas ainsi ; il faut dire : Une punière, une hc-
» mine, un coup. Voilà deux giffles pour t' apprendre.
» — C'est bien ; oui, je dirai : Une punière, une mine
,> — Voilà encore deux giffles, sot ; il faut dire : Une punière, une
» hémine, un coup.
» — C'est bien; oui, je le dirai: Une punière, une hémine, un
coup.
» — C'est cela ; va-t'en et répète-le tout le long du chemin. «
Jean s'en va en criant tout le long du chemin : « Une punière, une
hémine, un coup. ... », de peur d'être battu par sa femme.
Au bout d'un moment, il trouve un laboureur qui semait dix sacs
de blé.
« — Jean ! viens ici ; j'ai quelque chose à te dire. »
Jean s'approche en criant toujours: « Une punière, une hémine, uu
coup ...»
Le laboureur prend son aiguillade et tape sur le dos de Jean en lui
disant: « Comment, malheureux! je sème dix sacs de blé, et tu dis
qu'il y en ait une punière, une hémine, un coup ! 11 faut dire : Qu'il y
en ait à charretées.
JAN BESTIO 145
» — Eh be! 0, va direi : Qu'a carrados n'i âge, qu'a carra-
dos n'i âge. . »
E prenguet mai soun cami en cridant : Qu'a carrados n'i
âge, qu'a carrados n'i âge ....
Venguet a passa un entarroment; en entendent Jan que cri-
davo: « Qu'a carrados n'i âge. . , » lous ornes que seguission i
fiquèroun uno voulado. « De que! malurous, dises qu'a carra-
dos n'i âge. Cal dire : Que Dieusi benisco soun amo.
» — Ebbe! 0, va direi: Que Dieus i benisco soun amo, que
Dieus i benisco soun amo. . . »
En prenguent mai soun cami, passet de junesso qu'anavo
nega unogousso. « Que dises, malurous? Que Dieus i benisco
soun amo ! » E zou ! mai, i ficoun uno voulado .
« — Cal pas dire atal ; cal dire : Van negà uno gousso fo-
Ibo.
» — Eh be! 0, va direi: Van negà uno gousso folho, van
negà uno gousso folho. . . «
Trapo uno nosso que se passejavo e toujour cridavo : « Van
nega uno gousso folho, van negà uno gosso folho. . . »
» — C'est bien, oui. Je le dirai : Qu'il y en ait à charretées, qu'il y
» en ait à charretées »
EtTi continua son chemin en criant: Qu'il y en ait à charretées. . . .
Il vint à passer un enterrement. En entendant Jean crier : « Qu'il y
en ait à charretées. . .» les gens qui suivaient [le deuil] lui donnèrent
une volée de coups. « Comment ! malheureux! tu dis « Qu'il y en ait
à charretées ! » Il faut dire : « Que Dieu bénisse son âme. »
- « — C'est bien ; oui, je le dirai : Que Dieu bénisse son âme, que
Dieu bénisse son âme »
En continuant son chemin, il rencontra des jeunes gens qui allaient
noyer une chienne. <( Que dis-tu, malheureux? Que Dieu bénisse son
âme ! » Et de nouveau il reçut une volée de coups.
(t ■ — Il ne faut pas dire ainsi ; il faut dire : On va noyer une
chienne enragée.
» — C'est bien ; oui, je le dirai : On va noyer une chienne enra-
gée, on va noyer une chienne enragée. . . »
Il trouve plus loin une noce qui se promenait et toujours il criait :
« On va nover une chienne enragée, on va noyer une chienne enra-
146 JAN BESTIO
Lou eap-de-jouvent e lou causso-novio se destacoun de la
bando. a Insoulent, atal parles d'uno tant poulido novio? Es-
pero,. . . »
E Ions cops de ped e lous cops de poung toumbavoun a
darré sus Tesquino dal paure Jan.
« — Eh be ! dounc, coussi cal dire? Toutis me batès, coumo
ma femno.
» — Te cal dire: Queloungtemps demoroun ensemble.
» — Ehbe ! 0, vadirei : Que loungtemps demoroun ensemble,
que loungtemps demoroun ensemble.. . »
Gar-t-aqui que Jan, en cridant:aQue loungtemps demo-
roun ensemble - . » atrovo dous ornes qu'avion de fango jus-
qu'al col.
« — Ou ! Jan, li cridet un, veni m'ajuda à me tira d'aqui.
)> — Voli pla», diguet Jean. Li bailo la ma, le sourtits de
la fango, e apei, toutis dous ajudoun l'autre.
Quand sioguèroun sourtits toutis dous, diguèroun à Jan :
« Malurous, nous cridaves: Que loungtemps demoroun ensem-
ble ! Ba vas paga. »
Les garçons d'honneur se séparent de la bande: « Insolent! Tu
oses parler ainsi d'une si belle mariée? Attends. . . »
Et les coups de pied, les coups de poing, tombaient de tous côtés
sur le dos du pauvre Jean.
(( — Eh bien donc ! comment faut-il dire ? Vous me battez tous,
)) comme ma femme.
» — Il faut dire: Qu'ils restent longtemps ensemble.
)> — C'est bien ; oui, je le dirai: Qu'ils restent longtemps ensem-
» ble, qu'ils restent longtemps ensemble. »
Voilà que Jean, en criant: « Qu'ils restent longtemps ensemble »,
trouve deux hommes qui étaient embourbés jusqu'au cou.
« — Holà! Jean, lui cria l'un d'eux, viens m'aider à sortir de
là!
« — Je veux bien », dit Jean. Il lui donne la main, le tire du bour-
bier, et ensuite tous deux aidèrent à l'autre.
Quand ils furent sortis tous deux, ils dirent à Jean : « Malheureux,
tu nous criais : Qu'ils restent longtemps ensemble. Tu vas nous le
payer. »
JÂN BESTIO 147
E tificoun uno voulaclo de cops de poung.
(( — NMa prou, m'avès assoumat; digas-me coumo cal dire.
» — Te cal dire : Qui a tirât un, que tire l'autre, en faguent
sinne de dreito e de gaucho.
» — Eh be! 0, va direi: Qui a tirât un, que tire l'autre;
qui a tirât un, que tire l'autre. ...»
Finalement, lou paure Jan arrive al mouli.
Lou raoulinier ero borni, e Jan ti fasiô sinne de dreito e de
gaucho en diguent: « Qui a tirât un, que tire l'autre; qui a ti-
rât un, que tire l'autre. . . »
Lou moulinier prend soun fouet, i fico uno bono estrilhado
e li demande se veniô persetrufa d'el.
« — Que nani, respoundet Jan, ma femno m'a coumandat de
veni aici per cercà de farino de mil; m'a dit de répéta tout
lou loung dal cami: uno pougnièiro, uno émino, un coup; ei
atrouvat tant de gens que van feit sanjà, i podi pas mai. Ba-
Ihats-me la farino que vous demandi.
« — Aro parles pla, diguet lou moulinier, te vau balhà so
que te cal.
Et ils lui donnèrent une volée de coups de poing.
« — C'est assez! Vous m'avez assommé. Dites-moi ce qu'il faut
que je dise.
» — Il faut dire : Qui a tiré l'un, tii'e l'autre, en faisant signe à
droite et à gauche.
» — C'est bien ; oui, je le dirai: Qui a tiré l'un, tire l'autre; qui a
tiré l'un, tire l'autre. ...»
Le meunier était borgne, et Jean, faisant signe à droite et à gauche,
lui disait : « Qui a tiré l'un, tire l'autre ; qui a tiré l'uu, tire l'au-
tre »
Le meunier prend son fouet, lui donne une bonne volée et lui de-
mande s'il venait pour se moquer de lui.
<( — Non pas, répond Jean, ma femme m'a commandé de venir
ici chercher de la farine de maïs : ells m'a dit de répéter tout le long
du chemin: Une punière, une hémine, un coup; mais j'ai trouvé en
route tant de gens qui m'ont fait changer, que je n'y comprends plus
rien. Donnez-moi la farine que je vous demande.
» — Maintenant tu parles bien, dit le meunier ; je vais te donner
ce qu'il te faut.
148 JAN BESTIO
» — Me poudriots presta un sedas?
» — Aqui toun mil, amai lou sedas. »
Jan s'entourno à soun oustal.
Entre temps, tiravo de môuturo dal sac e la passavo al se-
das: «Atal, disiô,ma femno sara placountento, i espargni lou
traval de passa la farino. »
Tant faguet, que semenet la farino pel cami e qu'arrivet à
soun oustal pus qu'amé de bren.
« — Esperi, ma femno, que saras countento de iéu; te porti
tout prest; t'ei passât la farino.
» — Bourriquet ! As feit un poulit traval, as semenat la fa-
rino e portes pas que lou bren. Me va pagaras. »
Acops de ped, à cops de poung, la mouliè rousset lou paure
Janet.
« — Calho-te, femno, un autre cop farei milhou.
» — Coussi fa? Dema es la fièiro de Bizo, m'i caldro ana
croumpaun porce unpairol perfa lamico,mai podipas daissa
la drouUoto ; t'i caldra ana.
» — 0, femno, v'adoubarei pla.
» — Ne pourriez-vous pas me prêter un tamis ?
» — Voilà ton maïs avec le tamis. »
Jean retourne à sa maison.
De temps en temps il tirait de la farine du sac et la passait au
crible. « De cette façon, disait-il, ma femme sera satisfaite ; je lui
économise la peine de passer la farine. »
Il fit tant qu'il sema la farine par le chemin et n'eut plus que du
son en arrivant à la maison.
« — J'espère, ma femme, que tu seras contente de moi. Je te porte
tout prêt ; j'ai passé la farine.
» — Bourrique ! Tu as fait un beau travail. Tu as semé la farine
et ne m'apportes que du son. Tu vas me le payer. »
A coups de pied, à coups de poing, la femme rossa le pauvre
Janot.
K — Calme-toi, femme ; une autre fois je ferai mieux.
» — Comment faire? C'est domain la foire de Bizc; il m'y faudrait
aller aclieter un porc et un chaudron pour faire le gâteau de maïs,
mais je ne peux pas quitter la fdlette ; il t'y faudra aller.
» — Oui, femme, je m'arrangerai bien.
JAN BESTIO 149
)) — Aqui as d'argent, croumparas un pourquet, un pairoulet
e un cartel d'espillos. Lou pairol, te lou métras sus l'espallo,
per l'anso, coumo lous pairouliès; aqui as uno cordo per es-
taca lou pourquet ; e las espillos, te las métras al falset. Par-
tirats dema, boun mati. As pla coumprés?
» — 0, femno, v'adoubarei pla. )•>
L'endema, àFalbo, Jan pren soun bastou e s'encamino tra-
quet-traquet cap à lafièiro de Bizo.
Arrive, croumpo lou porc, lou pairol e lou cartel d'espillos;
manjo un bouci, béu un cop e s'entourno, coumo i aviô dit sa
femno.
Pel cami atrovo lou coumpaire Guilhaumet, queperse trufa
d'el i dits: « Veses pla que lou porc s'alasso ; val mai que tri-
gosses lou pairol et que te metes lou porc sus Tespallo.
» — As rasou, coumpaire Guilhaumet, va vau faire atal. »
Al cap d'un pauc, Jan agetbesoun d'escampa d'aigo, pau-
set lou cartel d'espillos sus uno pèiro, e, quan aget acabat, lou
doublidet.
Lou porc aviô talent, fasiô pas que roundina ; s'asartet de
,) — Voilà de l'argent, tu achèteras un jeune porc, un petit chau-
dron et un carton d'épingles. Le chaudron, tu le mettras sur l'épaule
par l'anse, comme font les chaudronniers ; voilà une corde pour atta-
cher le porc, et tu mettras les épingles au gousset.
» — Oui, femme, je m'arrangerai bien. »
Le lendemain, à l'aube, Jean prend son bâton et s'achemine tran-
quillement vers la foire de Bize.
11 arrive, achète le porc, le chaudron et le carton d'épingles, mange
un morceau, boit un coup et s'en revient comme le lui avait recommandé
sa femme.
Dans le chemin, il trouve le compère Guillaume, qui, pour se mo-
quer de lui, lui dit : (( Tu vois bien que le porc se fatigue, il vaut
bien mieux que tu traînes le chaudron et que tu mettes le porc sur
l'épaule.
» — Tji as raison, compère Guillaume, je vais faire ainsi. »
Au bout de quelques instants, Jean eut un besoin à satisfaire ; il
posa le carton d'épingles sur une pierre; quand il eut terminé, il l'ou-
blia.
Le porc avait faim et ne faisait que grogner : il se hasarda à mordre
150 JAN BESTIO
moussegà l'aurelho de Jean : lou paure orne soufrissiô amé pa-
cienso.
Arrivet à l'oustal amé uno aurelho de mens et pus que
l'anso dal pairol.
u — Qu'as feit, malurous! i dits la femno, t'as daissatmanja
l'aurelho perlou porc e nou me portes que l'anso dal pairol?
Es pas atal que t'avio dit de fa^
» — Es lou coumpaire Guilhaumet que m'a dit qu'aniriômi-
Ihou.
» — E lou cartel d'espillos?»
La femno plouravo. « Vesi que caldra tout fa ièu soulo,podi
pas coumta susaquel inoucent.»
Al cap d'un pauc, èro lafièiro d'Azilho. La Marioun diguet
à Jan, en lou faguent leva boun mati: « M'en vau à la fièiro
croumpa un porc e un pairol; tu, auras souen de la drollo,
aro es un pauc fourteto, acoumenso de manjà; avans de parti,
i vau dounà uno tetado ; e tu, dins lou jour, quand couneissi-
ras qu'aura talent, fai-z-i caufa la soupeto e douno-z-i vo. Se
plouro trop, la pourtaras tetà à la Banturo, nostro cousine, e.
l'oreille de Jean : le pauvre homme souffrait cela patiemment.
11 arriva à la maison avec une oreille de moins et l'anse seule du
chaudron.
« — Qu'as-tu fait, malheureux? lui dit la femme; tu t'es laissé man-
ger l'oreille par le porc et tu ne me rapportes que l'anse du cliaudron.
Ce n'est pas ainsi que je t'avais dit de faire.
» — C'est le compère Guillaume qui m"a dit que cela irait mieux
ainsi.
» — Et le carton d'épingles?... »
La femme pleurait. « Je vois qu'il me faudra seule tout faire dé-
» sormais ; il est impossible de compter sur ce niais. »
Quelque temps après, c'était la foire d'Azille. La Marion dit à
Jeau, en le faisant lever de bon matin : « Je m'en vais à la foire ache-
ter un porc et un chaudron; toi, tu auras soin de la fillette; mainte-
nant elle est un i)0u plus forte, elle commence à manger. Avant de
partir, je vais la faire téter, et toi, dans la journée, quand tu verras
qu'elle a faim, fais-lui chauffer sa petite soupe et donne-la-lui. Si elle
pleure trop fort, tu la poi'tcras à Vanture, notre cousine, qui la fera
téter. Quand tu voudras l'endormir, tu la berceras et la chatouilleras
JAN BESTIO 151
quand la vouldras endourmi, la bressaras et la grataras anic la
cabosso d'aquelo espillo d'un ardit. As placoumprcs?
» — Siogues tranquille, va farei tout coumo m'as dit.»
La Marioun s'en va à la fièiro,
Jan fa manjà lasoupeto à la drolio, la porto tetà, e, quand
l'a recatado, la met al leit e la bresso.
La filho se vol pas endourmi ; Jan prend l'espillo d'un ardit
e ti grato lou frount: gratet ta fort que crebetla pel e sacer-
vèlo acoumenset de sourti.
« — 0 la sallo femno, so diguet Jan, que daisso aquel mai-
nage tout empoustemil! »
Mentretant curet amé l'espillo, i sourtisquet tant de cervèlo
que pousquet, e la drolio, coumo poudets pensa, bouleguet pas
pus.
Alabets Jan,se vegent tranquille, diguet: uAquelo couquino
de Marioun me fa passa talent ; m'a daissat que de patanos;
jamai me podi assadoulà. Aro que soun soûl, que soun pla
mestre, v'anan adouba, o
Copo dos belos tranchos de cambajou, las fa coire e se met à
manjà.
avec la tête de cette épingle d'un liard. Tu as bien compris?
» — Sois tranquille, tout sera fait comme tu le veux. »
Marion part pour la foire.
Jean fait manger la soupe à la fillette ; plus tard, il la porto à la
voisine pour la faire téter et, lorsqu'il a pourvu à tous ses besoins, il
la met au lit et la berce.
La fillette ne veut pas s'endormir. Jean prend l'épingle d'un liard
et lui chatouille le front. Il gratta si fort qu'il creva la peau et la cer-
velle commença à sortir.
<( — Oh ! la femme malpropre, se dit Jean, qui laisse cette enfant
pleine d'apostème.»
11 continua à curer avec l'épingle, il sortit autant de cervelle qu'il
put; et l'enfant, comme vous pouvez le penser, ne bougea plus.
Alors, se voyant tranquille, Jean dit: « Cette coquine de Marion me
fait mourir de faini ; elle ne m'a laissé que des pommes de terre ;
jamais je ne peux manger à mou appétit. JMaintenant que je suis
seul maître, je vais me refaire. »
11 coupe deux grosses tranches de jambon, les fait cuire et se met
à manger.
152 JAN BESTIO
« — Ai! qun plasé de poude manjà soun sadoul e bèure à sa
voulountat! »
Lou cambajou ero un pauc salât; très cops Jan davalet à
la cavo rampli lou pourrouàla barrico.Al tresen cop, moussu
vinas coumensavo de li troubla la testo, doublidet de metie
lou douzil.
La set lou tourno prene, tourno à la cavo. Après lou darrier
escalou, trempo souspedsdins un ébauchas; agacbo so qu'es,
e te vei miech pan de vi pel sol ; la barrico, que tenio quatre
mechs, s'ero touto escampado.
« — Moun Dieus ! cridet Jean, coussi farei iéu per amaga
acô? »
S'en va cercà uno saco de farino e Fespandits per la cavo.
N'i aget pas prou d'aquèlo, n'anet querre dos autros.
« — Aro, se diguet, la Marioun s'en avisara pas. »
Marioun, en arrivantdela flèiro, s'en va tout prumiè al brès
per veire la droUeto.
« — Oh ! vai, dourmits, i diguet Jan, te tracasses pas.
» — Sariô pla tems, diguet la femno,de manjà un bouci. Jan,
met la taulo, que vau tira un pourrounat de vi. i.
« — Ah ! quel plaisir de pouvoir manger tout son soûl et de boire
à sa volonté. »
Le jambon était uu peu salé; trois fois Jean descendit à la cave
remplir le flacon au tonneau. A la troisième fois, le vin commençait à
lui troubler la tête, il oublia de mettre le fosset.
La soif augmentant, il descendit encore à la cave. Au dernier éche-
lon, il trempe ses pieds dans un bourbier ; il regarde et voit un demi-
empan de vin sur le sol ; la barrique, qui contenait quatre muids,
s'était toute répandue.
<( — Mon Dieu! cria Jean, comment vais-je faire pour cacher cela?»
Il va chercher un sac de farine et le répand dans la cave.
Ce sac ne suffisant pas, il va en chercher deux autres.
« — Maintenant, dit-il, Marion ne s'en apercevra pas. »
Marion, en revenant de la foire, va tout d'abord au berceau, pour
voir la fillette.
« — Oh ! va, elle dort, lui dit Jean, ne t'inquiète pas.
» — 11 serait temps, dit la femme, démanger un morceau. Jean,
mets la table, pendant que j'irai tirer un flacon de vin, »
JAN BESTIO 153
Davalo à la cavo e s'enfounso lous peds dins uno fango ne-
gro.
« — Qu'es acô?» se dits. Va querre lou calel e s'aviso qu'a-
quelo fango es de farino pastado amé de vi. Va à la pipo,
Tatrovo vido.
Va à lasacariè, atrovo pas cap de farino.
Alabets coumpren so qu'es arrivât.
« — Couqui! gusardas ! M'as escampat tout lou vi e gastat
touto la farino ! Te voli tua.
» — 0, e tu, salopo que daissaves pouiri lou cap de ta filho!
Te, agacho touto l'apoustemo que n'ai tirât ? »
La Marioun s'en va al brès, descouvrits latoupino de la fi-
lho e vêts que la memorio ero traucado : la droUo ero morto.
Sul cop tombo reto morto de doulou.
Cric cric,
Moun counte es finit.
Cric crac,
Moun counte es acabat.
(Version uarbonnaise communiquée par M. Guibaud.)
Elle descend à la cave et s'enfonce les pieds dans une boue noire.
« — Qu'est-ce que cela? )> se denianda-t-elle ; elle va chercher la
lampe et s'aperçoit que cette boue est de la farine pétrie avec du
vin.
Elle va au tonneau et le trouve vide. Elle va au grenier, n'y trouve
plus de farine. Alors elle comprend ce qui est arrivé.
« — Coquin ! vaurien ! Tu m'as perdu à la fois le vin et la farine.
Je veux te tuer.
)) — Oui, et toi, malpropre, qui laissais pourrir la tète de ta fille !
Tiens, vois tout l'apostème que j'en ai retiré- »
La Marion va au berceau, découvre la tête de la fille et voit que la
mémoire' était trouée ; la fillette était morte. Aussitôt elle tomba raide
morte de douleur.
Cric cric,
Mon conte est fini;
Cric crac,
-Mon conte est achevé.
L. Lambert.
(A suivre.)
* Litt. : la fontanelle antérieure, 11
BIBLIOGRAPHIE
Tradizioni popolari Abruzzesi, raccolte da Gennaro Finamore. Vol. I,
Novelle (parte seconda); vol. Il, Caati. Lauciano, tipografia di R. Carabba,
1885-1886.
Ces deux volumes sont le complément du beau recueil dont M. Gen-
naro Finamore a publié la première partie en 1882. Les nouvelles
recueillies par lui, dans diverses. localités des Abruzzes, sont données
telles qu'elles lui ont été racontées, c'est-à-dire dans le propre par-
ler de ces localités, ce qui en fait de véritables textes de langue
pour l'étude du dialecte et des variétés dialectales de cette province.
A la fin de la plupart d'entre elles on trouve de nombreux renvois
aux récits similaires jjubliés dans les recueils de Pitre, Imbriani,
Comparetti et autres. — Le t. II, comme le titre l'indique, renferme
les Chants populaires, classés, non géograpbiquement, comme les
nouvelles, mais par nature de sujets. A la fin de cbacun d'eux est in-
diquée d'ailleurs la localité où il a été recueilli, en sorte qu'ilspeuvent
être utilisés, au point de vue des recbercbes linguistiques, avec la
même sûreté que les nouvelles. C'est à tous égards, parmi les recueils
de ce genre, un des plus intéressants que je connaisse.
C. C.
Albino Zenatti. Rappresentazioni sacre nel Trentino (Estratlo dairArchivio
slorico per Trieste, l'Istria e il Trentino). Romu, 1883, 67 p . in-S".
Contribution des plus intéressantes à l'histoire du théâtre italien .
L'étude de M. Zenatti, aussi attachante qu'instructive d'un bout à
l'autre, complète heureusement les savantes recherches de M. d'Au-
cora et de M. Monaci sur les sacre rappresentazioni dans la péninsule.
On saura gré à l'auteur d'y avoir inséré en entier, dans un texte soi-
gneusement établi d'après les plus anciennes éditions, l'une des
pièces les plus remarquables de celles qui font l'objet de son travail.
Elle a pour titre : « U Misterj délia Passione di Nostro Signore Gesu
Cristo, da cantarsi dagli Angeli la Settimana Santa in processione »,
et se compose de 23 octaves.
C. C.
Folk-Iore Gatala. Elliologia de Blànes, per D. Joseph Cortils y Vieta.
Barcelona, A. Verdaguer, 1886.
Dans cet intéressant ouvrage, qui est le troisième de la Bibliotcca
popular. publiée par VAssociacciô d'excursions catalanas, ^L Cortils y
CHROJSIQUE 155
Vieta étudie avec beaucoup de soin et de métliode les usages locaux,
les superstitions, les jeux, la littérature populaire (contes, chansons,
rondes, énigmes, proverbes, comparaisons, etc.) du district de Blanes.
C'est un ouvrage riche de renseignements, que îes folkloristes seront
heureux d'y trouver classés dans le plus grand ordre. Ce livre ne sera
pas moins bien accueilli des philologues, car une notable partie du
volume est remplie d'observations instructives sur le dialecte de la
« poblacion » qui en est l'objet.
C. C.
CHRONIQUE
La Société agricole, scientifique et littéraire des Pyrénées-Orien-
tales ouvre un concours pour l'année 1S86.
Partie scientifique. — Les récompenses seront :
Une médaille de vermeil.
Une médaille d'argent.
Si les concurrents étaient nombreux, il serait accordé une seconde
médaille d'argent.
La Société ne fixe aucun sujet pour ce concours. Les récompenses
seront accordées aux meilleurs travaux scientifiques se rattachant de
préférence à la région.
Partie littéraire . —' Les récompenses seront :
1 . — Un prix : Histoire locale du Eoussillon .
II. — Un prix: Archéologie locale (monographie d'un monu-
ment).
III. — Un prix : Poésie française sur un sujet traitant du Eous-
sillon historique ou pittoresque.
IV. — Un prix: Poésie française (sujet facultatif).
V. — Un prix: Poésie française (sujet humoristique) .
VI. — Un prix : Poésie catalane (genre lyrique).
VII. — Un prix: Poésie catalane (genre humoristique).
Les ouvrages devront être adressés avant le 15 octobre 1886:
Pour le concours scientifique, à M. le docteur Paul de Lamer, se-
crétaire de la section des sciences, 4, place d'Armes, à Perpignan ;
Pour le concours littéraire, à M. Prosper Auriol, secrétaire de la
section des lettres, rue Font-Froide, 1, Perpignan.
Chaque composition devra être accompagnée du nom et de l'adresse
de l'auteur, sous enveloppe cachetée; l'enveloppe portera comme sus-
cription une épigraphe ouïe titre de l'ouvrage.
La Société distribuera les primes aux lauréats agricoles, comme
elle le fait annuellement, dans la même séance que les prix du cou-
cours .
156 CHRONIQUE
Vient de paraître à la bibliothèque Charpentier la première série
des Li'fjende^, Croyances et Sux>erstit>onb de la mer, par Paul Sébillot.
Ce volume, digne à tons égards des autres publications du savant
folkloriste, est consacré à la mer proprement dite et au rivage. Il con--
tient nombre de légendes empruntées à tous les pays du monde, et
qui, pour la plupart, sont inéditos ou traduites en français pour la
première t'ois.
Vient de paraître la cincpiième série, comprenant les lettres R k Z,
du Dictiovnnire analogique et étijinologique des idiomes méridionaux,
par L. Boucoiran. Nimes, L. Boucoiran, rue Grétry, 26; Paris, Mai-
sonneuve frères etCh. Leclerc, quai Voltaire, 2.5. Prix : 7 fi-.
Ministero dell'Istruzione pubblica dltalia
Avviso di Concorso
Colle norme prescritte dal Regio decreto 26 gennaio 1882, n. 629,
modificato col Piegio decreto 11 agosto 1884, n. 2621, è aperto il con-
corso per la nomiua di prof essore straordinario alla cattedra di lette-
ratura fraucese nella R. Academia scientifico-letteraria di Milano. (Sti-
pendie, L. 3000.)
Le domande su carta bollata ed i titoli indicati in apposito elenco
dovranno esser presentati al Ministero délia Pubblica Istruzione non
più tardi del 10 settembre 1886.
Ogni domanda inviata dopo quel giorno sarà considcrata corne non
avvenuta.
Non sono ammessi i lavori manoscritti.
Le publicazioni dovranno esser prcsentate in numéro di esemplari
bastevole a farne la distribuzione ai componenti la Commissione esa-
minatrice.
Roma, 30 aprilo 1886.
Il Direitore Capo délia dirisione per Tlstnizione supenore,
G. Ferraîtdo.
Le Gérant responsable : Ernest Hamkmn.
Dialectes Anciens
VIE DE SAINT HERMENTAIRE
La Vie de saint Hermentaire, ou Armentaire, que l'on va lire, est
publiée ici d"après une copie faite par Raynouard et qui appartient
aujourd'hui à M. Paul Arba,ud. C'est celle-là même à laquelle M. Ro-
que-Ferrier, quine la5connaissait^que_par les^extraits qu'en ont donné
Bouche et M. Barbe, a consacré il y a cinq ans, dans cette Revue',
deux articles très-intéressants, que nos lecteurs n'ont certainement
point oubliés.
Faut-il croire que ce récit, comme l'affirme son auteur, soit en effet
la traduction d'un ouvrage, — aujourd'hui perdu, — de Raymond
Féraud, et que le même poëte^ ait aussi composé les autres vies de
saints dont on lui fait pareillement honneur dans l'introduction? De
sérieux motifs de suspicion m'en empêchent. Qu'après avoir écrit la
Vie de saint Honorât, Raymond Féraud ait mis en vers provençaux
les légendes de saint Tropez, de sainte^Catheriue, de sainte Barbe et
d]autres encore, il n'y a là certainement rien d'invraisemblable, et on
l'admettrait sans^peine, sur la foi d'un témoin ordinaire. On ne con-
sentirait pas moins facilement à admettre qu'il avait aussi composé la
Vie de saint Hermentaire ,'fi\ de cette vie le titre seul nous avait été
conservé. Mais la comparaison qu'on en peut faire, et qu'a déjà faite
M. Roque-Ferrier, avec la Vie de saint Honorât, prouve, ce me sem-
ble, non-seulement qu'elle n'est pas du même auteur, mais encore que
c'est une œuvre supposée, fabriquée, par un faussaire, à l'aide de
cette dernière, pour une^boune moitié. Et l'opinion que j'exprime ici
n'étonnera personne, si j'ajoute que l'auteur de cette prétendue version
de la Vie de saint Hermentaire n'est autre, à mon avis, que Jean de
Nostredame, dont les Vies des anciens poètes provençaux ?,ont t^\q\-
nes, comme on sait, de pareilles inventions.
Je remarque d'abord quej'ouvrage a été « mis en frauçois », d'après
le titre même, en l'an 1540. Sij la date est exacte, quel autre que
i T. XX, pp. 41, 236.
TOME XV DE LA TROISIÈME SÉRIE. — AVRIL 1886. li?
158 VIE DE SAINT HERMENTAIRB
Nostredame pouvait, dans le préambule, insérer la prétendue biogra-
phie de Raymond Féraud, telle qu'il devait la publier trente-cinq ans
plus tard, sauf quelques suppressions et additions, dans les Vies des
poètes provençaux ? On pourrait objecter que le préambule a pu être
écrit après coup, par l'auteur de la copie d"où dérive celle de Ray-
nouard, et qui paraît être la môme que celle dont Bouche a eu con-
naissance. Mais alors, comment, copiant la notice de Nostredame, ne
l'a-t-il pas transcrite en entier? Comment surtout a-t-il pu y ajouter
des traits qui manquent dans l'imprimé et que nous retrouvons dans
les mss. inédits de Nostredame ou dans la traduction italienne de
Giudici, laquelle, ayant été faite, non sur l'imprimé, mais sur le ms.
môme des Vies, est d'une grande importance pour la critique de ces
dernières ? Ces traits, — j'en ai noté deux, — sont les suivants:
1. On lit dans le Discortrs de la vie de saint Hcrmenlaire (ci-
après, p. 1(30, 1. 25) : « et en délaissant cette vie lascive, il print la
contemplative. » Or la notice imprimée de R. Féraud, p. 106 de mon
édition (173 de celle de 1575), porte seulement: c< et en délaissant
ceste vie, print la contemplative. » Mais l'épithète n'est pas omise
dans Giudici, qui traduit : « e lasciando questa vita mondana, si diè
alla contemplativa. »
2. Immédiatement après, on lit encore dans le Discours : « et fist
quelque sonnet en rime provençale à la louange dudict Robert, roy
dudict Naples. ))La notice imprimée dit seulement qu'il « fist plusieurs
rithmes a sa louange. » Mais dans la notice manuscrite conservée à
Carpentras, on lit (p. 108 de mon édition): « Il se treuve ung sonnet
qu'il feist à la louange du roy René', qui se commence:
Seigneur, lou rey s'allegra en ton divin secours 2. "«
Le même titre qui nous donne cette date, vraie ou fausse ( je viens
de montrer que la question, au fond, importe peu), dé 1540, nous ap-
prend que c'est (i à la requeste do madame de Bagarris » que la Vie
* Ce n'est pas un lapsus calami ; car on lit déjà plus haut : «estoit le poëte
de iVIarie d'Hongrie, mère du roy René », passage dans lequel Hongrie a été
substitué k Arragon, écrit d'abord. La correction de cette première erreur
entramait celle de la seconde. L'auteur a oublié de la faire; mais il est évi-
dent que, s'il avait auparavant songé à René, il s'était dès lors, reculant de-
vant l'anaclironisme, décidé pour Robert.
' Ce sonnet est une des trois pièces apocryphes que M. Paul Meyer a signa-
lées dans lems. 12472 de laB. N., dont Nostredame fut autrefois le pos-
sesseur. Là il est attribué à Bertran de Laraanon. Voy. les Derniers Trou-
badours de la Provence, p. 134. (V. 13, lis. nostra au lieu de vostra.)
VIE DE SAINT HERMENTAIRE 159
de saint Hermentere fut mise en françois. Ce n'est pas là une cir-
constance indifférente, car nous savons, parle témoignage du P. Bou-
gerel, que Jean de Nostredame « fut élevé dans la maison de Pierre
Antoine Rascas de Bagarris. » Le rapprochement de ces deux faits,
qui m'avait dès l'abord, et avant tout examen, suggéré mon hypo-
thèse, ne paraîtra pas fait, dans tous les cas, pour lui ôter de sa vrai-
semblance.
Cette hypothèse trouve un autre appui dans le style du Discours,
lequel ressemble, à s'y méprendre, à celui des Vies. Même langue in_
correcte et embarrassée, mêmes tournures de phrases, mêmes idiotis-
mes*. Le lecteur le moins attentif sera frappé de cet air de famille.
Mon sentiment est donc que nous avons dans le Discours de la vie,
bonnes mœurs et saincteté de sainct Hermentere, un produit de la
plume de Jean de Nostredame; et, comme cette plume fut celle du plus
impudent faussaire qui ait jamais infecté l'histoire de ses mensonges,
on trouvera chez moi toute naturelle lopinion que j'ai exprimée plus
haut et que je formule ici de nouveau, pour conclure ce préambule, à
savoir : 1° que l'attribution de cet ouvrage à Raymond Féraud est
fausse ; 2" qu'au lieu d'y voir la traduction d'un original provençal,
nous devons y reconnaître une pièce supposée, fabriquée par son au-
teur à l'aide d'emprunts faits à la Vie de saint Honorât, pour la plus
grande partie, et peut-être à d'autres vies de saints pour le reste. Je
réserve pour mes notes les preuves de cette dernière assertion.
c. c.
* Je signalerai l'emploi de rinfmilif passé pour le participe passé, par exem-
ple: « et estre éveillés, troussarent. . .» p. 161, 1. 23. Cf. dans les Vies: « Et
y avoir demeuré longtemps...» (p. 64); « Gausbert estre de retour... »
(p. 72). Ce singulier idiotisme, que couaaft encore la langue de nos contrées
(ainsi, à Montpellier, dans le pseudo-français du cru : « pas plus tôt être
sorti..., aussitôt être arrivé »), se montre plus fréquent encore dans la
petite chronique provençale dont le roman deTersin fait partie, et dont l'au-
teur est également Jean de Nostredame. En dehors de ces ouvrages, je ne
me rappelle l'avoir remarqué que dans \&?, Anciennes Chroniques de Savoie,
publiées au t. V des Monumenta Historiœ patriœ. (Par exemple : « El The-
zeus. estre couché...» col. 14; « Estre la bataille faite. .. .» col. 92; « Estre
couronné à Rome l'empereur Henrich. . . »
160 VIE DE SAINT HERMEMÏAIRE
Discours de la vie bonnes] mœurs et saincteté de sainct Hermen-
tere, de nation grec, qui vint habiter au cartier de Fréjus en Pro-
vence, escript premièrement en rime provençalle, et depuis mis
en françois à la requeste de madame de Bagarris en l'an 1540.
Le moine dez Isles d'or qu'on appelle aujourd'huj les isles
d'Yeros, que les enciens cosmographes ont nomé Estecadez,
au cathalogue qu'il a faict des vies des poètes provençaux, a
escript que frère Raymond Feraud, gentilhomme provençal,
5 homme de grande doctrine en toutes sciences, avoit esté toute
sa vie amoreux et vi'ai courtizan, suivant la court des princes;
fustbon poëte provençal. La royne Marie issue des rois d'Hon-
grie, femme de Charles 2 du nom roi de Naples, compte de
Provence, l'avoit retenu a son service, parce qu'il escrivoit
10 fort bien et doctement en langue vulgaire provensalle, de
toutes sortes derimes; par commandement de laquelle mist en
vers provençaux la vie historialle de Andronic, qui fut depuis
réputé et nommé sainct Honorât de Lerins en l'isle, fils du roi
d'Ongrie; à laquelle rojne Marie ledict Raymond Feraud
15 desdiales oeuvres qu'il avoit dictées et composées, que fut en
l'an 1300; d'entrés lesquelles œuvres y estre aussi la vie de
S' ^Ermentere, grec de nation, contemporain d'Endronic, la
vie de S. Tropez, la vie de Ste Catherine, la vie de S'* Barbe
et plusieurs autres œuvres et vies des saincts, qu'il desdia a
20 Robert, roi de Naples, comte de Provence, fils dudit Charles
2.. en reconpense desquelles luy fut donné une place audict
monastère de sainct Honoré en l'isle de Lerins. Il avoit faict
quelques chants d'amours ; mais pour ne donner maulvais
exemple a la jeunesse de son temps, les mit au feu, et en de-
25 laissant ceste vie lascive, il print la contemplative et se randit
religieux audict monastère; et fist quelque sonnet en rime
provençale a la louange dudict Robert, roy dudict Naples.
Par quelques fragmens qui se truvent de luy semble que ce
Raymond Feraud fust depuis surnoméPorcarius, et trespassa
30 audict monastère environ le temps que dessus.
Or dict l'hystoire que Andronic et Germain frères, fils du
roy d'Hongrie, ayants denuict,par volunté et inspiration di-
vine, abandonné le palais de son père Andronic, roy d'Hon-
VIE DE SAINT HERMENTAIRE 161
grie (qu'on dict la Panonie), sainct Caprasse lesreceut dans la
nef, avec lequel saint Caprasse cstoit sainct Armentere tout
freschenaent arrivé de Grèce, dont il estoit natif et fugitif,
craignant les rigueurs et poursuites que faisoient les infidèles
5 contre les serviteurs de Dieu ; et eurent le vent si a gré et la
mer si calme qu'ils feurent conduits en peu d'espace jusques
en la Mauritanie. Et combienque en peu de jours la mer s'es-
meut avec terrible tempeste qu'on eust dict que le ciel et la
terre se dévoient assambler, sainct Caprasse se donna peur,
10 mais sainct Hermantairequi estoit homme jeune et corageux.
se confiant à la bonté de Dieu, asseura fermement ceux qui
estoient dans la nef qu'ils n'endureroint aucun danger. Et
vindrent arriver en la cité de Ravenne. Puis s'acheminèrent
a Verseil (en Lombardie) et surmontant le col de la Brasque
15 et de TArgentiere en Pj[e]mond treuvarent sainct Macrobe,
qu'estoit un vray et divin prophète, auxquels il revella plu-
sieurs secrets et choses divinatoires'.
Pendant que sainct Andronic, sainct Caprasse et sainct Her-
mantaire faisoient penitance en FArgentiere, sainct Jaques de
20 Compostelle s'apparut à eux en songes d'aller visiter le roj
Charlemagne, fils du roy Pipin, qu'estoit en Espaigne détenu
prisonier par Aygollant, seigneur des Sarrasins, qu'estoit envi-
ron l'an de nostre seigneur 801; et estre esveillés troussarent
leurs bagages, se mettant en voyage et traversant la Durance
25 et le Rosne, la Garone et monts Pireneux, arrivarent dans peu
de temps a Tollete, oîi les roys et princes estoient détenus pri-
soniers. Sainct Hermantaire, qu'estoit homme jeune et vai-
Ihant, accompagné de l'esprit de Dieu, va tyrer vaillhemment
desdites prisons Charlesmagne et les princes qu'estoient avec
30 luy. par telle hardiesse que nul ne lui seut que dire, et néan-
moins après avoii* veue la fille d'Aygol'.ant nommée Sybille,
qu'estoit malade, de sa veue seule recouvra santé, et des lors
leur donna liscence le père d'aller, venir et retourner par les
terres; et de la s'en vindrent descendre a Frejus, qu'estoit un
35 port de mer fameux en la province de Narbone. Julian, eves-
que de Fréjus, qu'estoit lors présidant en l'église, ayant an-
tendu leur venue, leur va au devant: sainct Hermentere qu'es-
1 -Ms. fliminadoives? Les deux premières lettres ue sont pas sûres
16Î VIE DE SAINT HERMENTAIRE
toit beau et de bonne nourriture, print d'une main Jullian,
evesque, sainct Andronic et saint Carpasse de l'autre main, et
furent conduits dans la ville où à l'aide de Dieu et par leur in-
tercession le frère de l'esveque, surprins de maladie incurable,
5 fust faict sain de sa personne. De ce mesme temps sainct Ca-
prasse deceda au grand regret de sainct Andronic et de sainct
Hermentaire ; mais il fust consolé par sainct Hermentaire.
Et de là sainct Andronic et sainct Hermentaire s'en vont
tous deux monter sur mer par barque et s'en vindrent descen-
10 dre (conduits par l'esprit de Dieu) en Auriane (qu'est une isle
nommée de présent Lerins). A la plage de laquelle y avoit de
maies gens corsaires et escumeurs de mer infidelles, que leur
firent de moult grandes injures et résistances. Mais sainct
Hermentaire, vailhant personnage, à grands coups de pierres
15 les deschassa et desconfit, tellement que n'ajant plus seure
retraictepour sauver leur vie furent constraints se jesterdans
la mer, et la périrent malereusement : et sainct Andronic et
sainct Hermentaire firent si bien qu'ils se rendirent maistres
et seigneurs de l'isle Auriane. Or comme ils cuidoient estre
20 hors de danger (pour la victoire qu'ils avoient eu(x) contre les
tyrans de l'isle), voyci venir plusieurs et diverses speces [de]
serpens etbestes venimeusescontre d'eux, qu'ilsmirenta mort.
Encores* n'estoit pas tout faict, car ilsvirentvenirdeuxgrands
et espouvantables serpents de grandeur et grosseur incroja-
25 ble : mais eulx prenants courage, ayants seulement loysir de
prier Dieu les vouloir garder de la gueulle de ces monstres,
sainct Hermentaire pourtoit de gros pains d'estouppes qu'il
avoit formé la nuict précédante en forme d'esphere, couvertes
de poirazine ; et les getta dans la gueulle de ces serpents. Les-
30 quels empeschez de les mascher sainct Andronic et sainct Her-
mentaire, avec bastons et pierres, firent si bien qu'ils les des-
confirent. Et comme victorieux sainct Andronic et sainct Her-
mentaire portarent la despouille en ung lieu dans l'isle, où
sainct Andronic fist despuis bastir un petit oratoyre, et ce fut
35 en l'an 802; etdespuis le bruit de ces deux hommes fust telle-
ment espandu par toute ceste contrée qu'on les nommoit les
deux champions d'Auriane.
Ms. oicor is, en deux mots.
VIE DE SAINT HERMENTAIRE 163
Magonce, qui fust archevesque de Viene, estant en son ar-
chevesché, lujfust révélé en songe d'aller visiter Andronic en
risle, et avoir de lui la forme et règle de vivre purement et
sainctement en la loi de Jésus Christ, pour après lafere gar-
5 der aux clergs de son archevesché, et se mist en chemin pour
y aller.
Saincts Mayme etNazare ' aj^ants entandu le bruit et saincte
vie de S' Hermentaire, se misrent en chemin pour le visiter,
qu'estoient lors à l'isle.
10 De ce temps mesme Tevesque d'Antiboul trespassa et les
bonnes gens du païs, amateurs de paix et du repos public, ayant
entandu le bon bruit et saincteté de vie de S'' Hermentaire,
l'esleurent evesque : et y estant arrivé, pour la crainte de quel-
que tyran ennemi de Dieu et de son église, qui dominoit en
15 ce Cartier la, pour les tyrannies qu'il y commettoit fust con-
straint vuyder la place, et remettre telle charge et office, et
chercher son adventure ailheurs, et s'en alla du costé de Fre-
jus.
Lequel cerchant les lieux plus solitaires qu'il pouvoit, et
20 plus contemplatifs, hors de la comerce du puple (qu'il voyoit
tant affectioné et ententif en vil gaing), trouva un lieu fort
sollitayre, toutesfoys d'un aïr doux et sain, et se mist à con-
templer le lieu, priant d'un bon cœur a Dieu lui faire la grâce
de faire bastir et construire là un petit hermitage pour y vivre
25 en pouvreté et repos d'esprit toute sa vie et estre hors des
tumultes, ennuits et embitions quireignent a l'exercissedeces
grands bénéfices et dignitez qu'il haïssoit mortellement.
Et allant mandier sa vie parFrejus et villes cii'convoysines
sans déclarer quel il estoit, il fist si bien que en peu de temps
30 il se bailha à cognoistre aux gens de bien aymant Dieu et sa
saincte paroUe; par l'ayde desquelz peu de temps après il fist
bastirun petithermitage, y vivant austerementdes ausmone[s]
qu'il alloit cherchant du jour a la journée, y estant visité quel-
ques fois par les amis auxquelz il enseignoyt la doctrine de
35 Jésus Christ purement et saintement et les admonestoit de
fuyr les hérésies qui avoient cours de ce temps là.
■ Assez loing de son hermitage tout auprès de las Empurias,
' Ms. Mazare.
164 VIE DE SAINT HERMENTAIRE
qu'on dict aujourd'huy Empus, dans une baulme obscure et
noyre où estoit vis a vis une grand forest, c'estoit arresté un
serpent "gros et dangereux lequel de vilhesse estoit devenu
dragon; que les déluges et grandes inondations d'eaus qui
5 avoient abondé par le passé par tout ce cartier là et l'ardeur
du soleil qu'avoit eschaufé riiumeur des eaux, entre autres
animaux, la terre avoit engendré ce dragon, lequel avoit esté
constraint sortir de laforest(s)et se mettre en lapleyne del'her-
mitage de sainct Hermentaire, faisant un tel degastauxbour-
10 gades circonvoisines et habitants d'icelles que nul, tant bardy
fust il,'osoit approcher ni aller a leurs metaries et proprietez
pour les cultiver. Tellement que par ce moyen tout estoit mis
en friche et terre gaste. Et estoient les habitants constrains
se remparer aux villes, pour se garder contre l'impétuosité et
15 violence de ce furieux et indomptable monstre, joint que Tair
estoit tout corrompu et infecté de l'aleine ' de ceste beste.
En Fan de nostre seigneur huict cents et dix, certains pè-
lerins allants par dévotion en risle de Lerins, passants par l'her-
mitage de sainct Hermentaire, qu'ils avoient cogneu autres
20 fois pour un homme de Dieu, ayant entandu qu'il faisoit là sa
résidence, le furent truver; et après leur avoir communiqué et
faict entandre le dommage qui-pourtoit le dragon, et qu'il in-
fectoit le païs et les gens, conclurent de propos délibéré l'as-
saillir. Trois des pèlerins, pounreux d'avoir ouy parler du dra-
25 gon, vouloient divertir tant qu'ils pouvoient ces^ compagnons
de ne mettre en tel danger leurs vies et qu'il vaudroit mieux
poursuyvre leur chemin et d'aller accomplir leur dévotion et
pèlerinage à Lerins que de s'arrester là.
Sainct Hermentaire de l'autre costé remonstroit qu'on ne
30 sçauroit fere une plus saincte œuvre que de fere mourir ceste
beste. « Comment I dict quelqu'un d'entre eux. Si la beste est si
fiere et si cruelle comme vous nous dites, tout un païs ne suf-
firoit pas à la fere mourir !)) — « Dictes vous? dict sainct Hermen-
taire; je me fais fort moy seul, avec l'ayde de Dieu, à tout mon
35 bourdon et les vostres de l'accabler, mais que nous ayons
bonne confiance en luy, qui nous donnera la victoire et nous
« Ms. la Icine. — - Sic. Corr. que. — ^ ^ses, pour leurs. Cf. ci-dessus,
p. 160, 1. 33.
VIE DE SAINT HERMENTAIRE 165
délivrera de la gueule de ceste beste, car Dieu a assubjecti à
l'homme toutes les bestes de la terre. Prenons donc courage,
mes frères et amis, car nous empourterons la dépouille de la
fiere beste. N'i a pas dix ans passez que nostre frère Andronic
5 et moj, à la descente que nous fismes en Tisle où il est de pre-
sant, par le moyen de la grâce de Dieu, ne nous donna il pas
la victoire contre les fieres bestes venimeuses qu'estoient en
ceste isle?dont je penseen avez ouy dire quelque chose. Allons
je vous prie, car Dieu nous aydera. »
10 Et ce disant chachun d'eux print son bourdon garni d'un fer
pointu au bout, et j metans un travers de bovs a chachun en
forme de croix, marcharent courageusement contre la fiere
beste : et arrivarent à un petit champ nommé Arguinand, pro-
chain de lavoye Aureliane, qui tend a Fréjus, qu'est aujour-
15 d'huy le vieux bastiment qu'est encor droict au lieu et place
de sainct Michel, et là firent prière à Dieu leur donner la grâce
de dompter ceste fiere beste.
Achevées que furent leurs prières, S Hermentaire le cou-
rageux se met premier chantant le psaume 144 « Benedictus
20 dominus deus Israël qui docet manus meas ad prselium et di-
gitos meos ad bellum », et fust segondé par ces compagnons.
Les gens des champs voysins, voyants ces champions mar-
cher si courageusement, les ungs louoient l'entreprise, et les
autres s'en mouquoient pour le peu de gens qu'ils estoient :
25 toutefois leur off'roient gens et armes pour leur ayder. Mais
sainct Hermentaire dict qu'ils avoient pour souverain cappi-
tene Jésus Christ, les exortans seulement prier Dieu de leur
donner victoire contre la fiere beste.
Il s'en vont ces pouvres champions avec telle parade qu'on
30 heustjugé qu'ils dévoient estre dévorez du monstre dange-
reux. Estants armez seulement des armures spirituelles et de
la confiance qu'ils avoient en Dieu, estants bien avants entre
le boys et un lieu maragageux, virent venir deloing ce mer-
veilleux ilragon, la gueuUe ouverte, les maschoires bruyantes,
35 armé de dents pointues, couvert d'un gros cuir à dures es-
chailles, se rampant surla terre, bastant son doz avec ses ays-
les, traînant une grosse et longue queue entortillée, gettant feu
et flamme puante. Les pèlerins se voulants mettre en deff"ance
et fere teste au dragon, la fumée en estoufFa trois les plus pouu-
166 VIE DE SAINT HERMENTAIRE
reux qui s'estoient escartez et furent enveloppez de la queue.
Les sept qui estoient demeurez avec S* Hermentaire ne s'es-
tonnants de rien, mais croissans de courage, se ruèrent avec
telle fureur sur ce monstre, le frappant sur la teste et par les
5 flancs, et par le dos, et avec grands coups de pierres, l'ont
tant travaillé et secours ' que sainct Hermentaire le premier
luy fourra le fer de son bourdon aux flancs, ses compagnons
de mesme. Finalement ils firent si bien qu'ils le mirent à
mort. Les villageois se voyant sur la sommité des prochaines
10 montaignes, priants Dieu humblement pour les pouvres pèle-
rins de les vouloir garder de la gueule de ce faux dragon, fu-
rent tous bien jouyeux de le voirmort et estandu. Tous y ac-
coururent, tous cuilhant des fleurs qu'ils trouvarent par les
champs, et en font des chapeaux et en couronarentla teste de
15 S' Hermentaire et de ses compagnons ; et aux sons de tambours
et musettes se mettent en forme de couronne, chantans cette
chanson :
Diou sia grazit, qui nous a fach
La gracia de veyre desfach
20 Lou dragon qui nous destruzia
Et que tant de mal nous fazia !
Diou sia grazit a grand soûlas,
El- que a romput lou doullent las
Del quai lou dragon menassava
25 Nous mangear al luec ont estava !
Diou sia grazit, car sa bontat
Non nous a jamay deffautat.
Mais nous a fach lusir sacara,
Tant sancta preciouso et cara!
30 Diou sia grazit, car a vougut
Que lou dragon non a pougut
Nous engoullar dedins sa gouUa
Que jamay non ero sadoulla!
Diou sia grazit qu'cz pouderoux,
35 Car nous deven tenir huroux
1 Sic; pour sccous (secoué). — • Ms. Et.
VIE DE SAINT HERMENTAIRE 167
D'estre escapas d'aquesto ruda
Fiera bestia, traita et plaucuda*.
L'hymne fini, tous se mirent à genoux, levant les yeulx au
ciel, à jointes mains rendirent grâces a Dieu de la victoyre par
5 eux obtenue contre le dragon.
Et ce faict chachun s'ajda a escourcher le dragon, et l'em-
plirent d'herbes odoriférantes et aromatiques qu'ilz cuilhyrent
parles champs, et l'emportèrent àl'hermitage de S* Hermen-
taire, lequel depuis il dédia a une eglyse, qu'il fist bastir soubs
10 le tiltre de S' Michel des aulxmones de bonnes gens du païs.
Et depuis ce lieu làfust appelle vulgairement Dragoniam, c'est
à dire le lieu du Dragon,
Le bruit et renommée de sainct Hermentaire s'espandit
tellement par tout le païs qu'on ne parloit d'autre personne
15 que de luy, pour la saincteté que reluisoit en ses faicts, car
tous les malades et pouvres d'esprit, et ceux qui estoient
troublés de cerveau se retiroient a luy; lesquels moyennant
les prières et invocation du nom de Dieu, en peu de temps on
voyoit choses miraculeuses en eulx, non pas d'une santé en-
20 chantée ou charmée qui ne dure que ung ou deux jours , mais
c'estoit tant qu'ils vivoient, car on les voyoit aller, parler et
fréquenter toutes personnes avec bons et saincts propos des
faicts de Dieu, luirandantslouvanges- immortelles des dons et
grasses qu'il avoit infuses a sainct Hermentaire.
25 Et jaçoit ce que de longue main le Christianisme fut planté
en ce quartier là, encores y fustil mieux affermi^ par la doc-
trine et bons exemples de sainct Hermentaire et de ceulx qui
le suivoint, et ne faisoitron(s) que bien peu de compte de la loy
payenne, fors que des Juifs qui y estoient plusieurs ennees
3Q avoyt, despuis que les Romains, jadis seigneurs de tout le
monde, leur avoient permis vivre en leur loy; et par succession
de temps eurent permission des gouverneurs que les rois de
France tenoient en la province Narboynouse de y vivre-'' et
continuer sans abbus toutesfois ny escandalie, sur la peyne de
* Ms. plancuda
2 La même forme se retrouve deux fois plus loin. C'est un provençalisme.
Cf. lauvarl= laiidare, comme auvir := aiidire.
3 Ms. viuure .
168 VIE DE SAINT HERMSNTAIRE
mort, laquelle pejne leur avoit esté imposée par le sénat con-
sulte, en payant le tribut tel qu'il avoit esté ordonné.
Et audict lieu de Dragoniara, qu'on nomme aujourd'huy Dra-
guignan, au terroir d'iceluy, assez loing et séparé de la ville y
5 avoit eraray d'un boys une fee nommée Estarella, et le lieu se
nommoit Sylopera*oùles femmes des lieux circonvoysins, abu-
sées de superstition, alloientboyre quelque abev[r]aige que leur
estoit adminstree par les presbtres - de ceste fee ; et a chef de
neuf moys aulcunes d'elles s'acouchoient de filz ou de fiUhe.
10 Dont venu a la notice de sainctHermentaire,yalla accompagné
desprincipaux de la ville, et truvarent quelques femmes voylées
le visage d'un voyle rouge, vestues d'habits incougneuxet in-
husitez, auxquelles les prestres et sacrificateurs de la fee ad-
ministroient leursbennaudes^, estants assizesau dessoubs d'une
15 grande et grosse pierre soubstenue de trois grosses pointes
en forme d'obélisques, faicts et composez a larustique sans au-
cun ordre d'architecture ; et y estants arrivez de loing regar-
doint tout le mistere; et sainct Hermentaire approchant de la
pierre remonstra aux femmes et sacrificateurs que ce n'estoit
20 pas la façon d'ainsi idolâtrer et d'abuser les pouvres femmes
simples, car la grâce de Dieu le créateur du ciel et de la terre
par l'intercession de son filz Jésus Christ estoit plus que ha-
bondant d'accomplir leurs désirs, pourveu qu'elles de bon cœur
le priassent et que telles superstitions et abus estoy[n]t plus
25 tost pour les mener a une damnaption perpétuelle et que le
fruict qui naistroit de telles damnables hérésies ne viendroit
jamais bien.
Les femmes oyants ainsi parler S' Hermentaire se desvoyl-
larent et escoutans voluntiers et attentif ement sa doctrine luy
30 en rendirent grâces el s'en retournarent en la ville, où elles
furent le visiter souvent en son hermitage avec les plus nota-
bles femmes de la ville et dez lieux circonvoysins; toutes les-
quelles par le moyen des sainctes prières de saint Hermen-
taire elles obtenoint de Dieu tout ce qu'elles demandoint et
1 Ou Cjidopera, d'après une autre copie. Q.{.{Revue des langue;^ roma-
nes, t. XX, p. 41.
2 Ms. pbres, avec un signe abréviatif au-dessus.
^ guinaicdes, dans l'autre copie déjà citée. Voy. Revue des l. rom., t. XX,
p. 41.
VIE DÉ SAINT HERMENTAIRE 169
desiroint de bon cœur, et toute leur famille succedoit de bien
en mieux.
Il parla aussi avec telle sévérité aux sacrificateurs de la
fee, les comendant de n'y retourner jamais plus et que s'ilz fai-
5 soint le contrere, il les feroit chastier de telle sorte qu'ilz s'en
sentiroint.
Et quand a la fee Estarelle, quy habitoit au haut de la mon-
taigne d'Estarel, elle se disparut miraculeusement de ce lieu
et s'en voula a la tour de la Turbie avec ses compaignes.
]0 Ce nonobstant, quelque temps après S' Hernientere ayant
esté adverty que] les presbtres * enchanteurs continuoint les
abbus, il les fist prendre et sans figure de procez comme héré-
tiques les fist ardre et brusler touts vifs, pour servir d'exem-
ple à tous.
15 Et neanmoings fist démolir et ruyner la maison et petite
habitation que avoit faict bastir la fee, où elle se reduisojt
toutes les"nuicts, et ne laissa debout que la grosse pierre ap-
puyée sur les obélisques pour une mémoire perpétuelle, lequel
lieu et Cartier on a depuis nommé la Lausze de la Fada, la-
20 quelle est encore desbout. Aujourd'huy elle est assize dans les
vignes un petit a quartier du chemin royal tirant à Empusj
auprès de la petite rivière à main gauche dudict chemin.
De ce mesme temps l'evesque d'Antiboul trespassa et les
gens dupais esleurent sainct Hermentaire, lequel a grand dif-
25 ficulté voulut accepter la charge et dignité, disant aux élec-
teurs que le clergé avoit mandé vers luy qu'il aymoit beau-
coup mieux s'arrester en son petit hermitage et là vivre en sa
pouvreté ou tout repos d'esprit habonde que d'estre nourry
aux habbois d'envie, de calomnie et de faux rapports, leur
30 remerciant l'honneur qu'ilz luy Maisoint les priants de se pour-
voir d'unglautre, et a son reffus les électeurs s'en retourna-
rent.
Etant seul en son hermitage, ceulxde la ville de Dragoniam,
qui avoint perdu l'ung de? recteurs et administrateurs de la
^^ ville, le vinrent truver, luy faisant entendre la cause de leur
venue, et que tout le puple l'avoit esleu à la place du rec-
' Ms. pbres, avec un signe abréviatif au-dessus.— 2 Ms. leur.
170 VIE DE SAIIST HERMBNTAIRE
teur deffunct, le priant vouloir accepter la charge, estants
asseurez que par sa saincte in^lustrie ils seroint bien gouver-
nez et administrez, auxquelz fust respondu par sainct Her-
mentaire et remonstré quelacharge et administration de leur
5 ville n'estoit pas petite et que Dieu ne luj avoit pas tant
donné de sens de la pouvoir administrer. <( Toutesfois estant
accompagné de tant d'honestes personnes et sages qui j sont,
je ne la refuserai point», dict il, et pour cela vaqua il trois jours
a prières et jeusnes, suppliant le seigneur Dieu luj donner
10 la grâce de bien gouverner la ville, et ce faict s'en alla en la
ville et durant quelque temps il fist office de vray administra-
teur, conduysant si bien les affaires de la ville et mesraes des*
pouvres de Jésus Christ, qu'il fist fonder uiig hospital que fut
doté de l'aumosne des bonnes gens. Et durant son administra-
is tion, il visitoit les malades, nourrissoit les pouvres, consoloit
les dezoUez et deffandoit les vefves et orphelins. Et sur la se-
gonde année de son administration, il en fut depposé par la
conspiration d'aucuns meschants,mais il fust restitué et remis
par le bon rapport que firent les autres administrateurs à
20 Charles, roy de Provence, filz de Louys le Debonaire, roy de
f rance.
Son administrationfinie, s'en retourna en son hermitage, y
vivant sollitairement et chastement en jeusnes et oresons, et
tout ce qu'il aqueroit, fust d'argent, de pain, de bled, de vin,
25 il le despartoit tout aux pouvres de Jésus Christ.
Et neanmoings, ainsi que dict l'istoire, il fonda l'église de
gt piei^rc a Draguignam et la dota des ausmones qu'il rece-
voit.
Entre plusieurs chapelles, oratoires et églises qu'il fistbastir,
30 fut celle prochaine de son hermitage soubs le nom de sainct
Jacques, ordonnant et priant après sa mort les recteurs de
Draguignam l'intituller' soubs le nom d'hermitage seulement
le lieu de sa résidence et demeure.
De ce temps en la Prouvance y fust si grande multitude
35 de sauterelles, qui avoint six ailles et cinq pieds et deux dents
si aygues qu'elles gastoint et consumoint toutes les herbes des
prez et jardins et tous les oliviers et autres arbres fruictiers
1 Ms. /es. — 2 Corr. d'intituller, ou suppr. V ?
VIE DE SAINT HERMENTAIRE 171
de ceste contrée là; mais saint Hermentaire flst assembler un
conseil gênerai et remonstra a Tassamblee que ces bestes es-
toient une vraje vengeance de Tire de Dieu «pour nous fautes
et péchez, disoit il ; et pour Fappajser, je truverois bon de
5 fere une procession avec prières publiques du plus grand de
la ville jusques aux petitz de sept ans et au dessus, afin que
Dieu nous vueilhe envoyer sa bénédiction. » Et le lendemain
tout le puple s'estant mis a jeusnes et abstinances pour trois
jours firent procession generalle avec prières publiques, et
10 peu de jours après Dieu envoya un vent qui deschassa ceste
vermine en la mer de Frejus; etdez lors tous jours la sainc-
teté de sainct Hermentaire et l'amour que Dieu et le peuple
lui portoitse manifestoit de jour en jour.
Charles le Chauve, roy de Prouvence, filzde Louys le Des-
15 bonnaire, roy de France, fust adverty que son nepveu l'em-
pereur estoittrespassé, s'en alla a Rome pour recevoir la cou-
ronne imperialle et y ordonna Boso, fraire de sa femme, roy
de Prouvence, et estant arrivé à Rome, Jean neufviesme du
nom, pape de Rome, le couronna ; deux ans appres empoi-
20 sonné trespassa.Le pape fist eslyre en empereur Louys le Bè-
gue, filz dudict Charles le Chauve. Et pour la contention que
fust sur ceste élection le pape fust poursuivy et constraint
s'en fuyr à Arles et y demeura avec le roy Boso six mois, pen-
dant lequel temps ayant ouy parler de S' Hermentaire, de sa
25 saincteté, bonnes mœurs, vie et conversation, par l'archeves-
que d'Arles qui estoit lors, fust envoyé quérir. Le pape Jean,
l'ayant veu et interrogé de son sçavoir et suffisance, luybail-
Iha un evesché lors vacant en la Germanie ; et pour ne des-
plaire a sa saincteté l'accepta et le'baillha a un sien familier
30 et bon amy de Draguignam, et luy se retira en son hermitage;
et trouva que quelques larrons infidèles etheretyques de nuict
luy avoint pylhé son hermitage et prins quelques ornemens
d'église; se retira au pape estant encores en Arles, et à sa
requeste fist un décret moult proufitable que d'hores^ en avant
35 les sacrilèges seroint excommuniez et mulctez de trente livres
d'argent; et a son retour il s'enquist si bien et si substileœent
des larrons et sacrilèges de son hermitage que ayant faict pu-
* Ms. /a. — * Ms. d'hons.
172 VIE DE SAINT HERMEN TAIRE
blierce sainct décret contre eulx, ils ne se peurent jamais des-
loger du terroir de Draguignam ains alloj-ent comme tentez
dingantz ça et là. Finalement moururent misérablement en
languissant et n'avoint que la peau et les os, tant de force et
5 de vertu eust cet excommuniement.
Du temps de Formosus,pape de Rome, fust tenu un concile
a Viene du Dauphiné, et fust faict entendre a toutes person-
nes, de quelque estât et condition que ce fust, versé aux sainc-
tes lettres, se truver a Viene audict concilie pour y traicter
10 des affaires de la Crestienté. L'evesque de Frejus y alla et le
fist entandre a sainct Hermentaire, le priant de venir en sa
compagnie. Et jacoitque sainct Hermentaire estoit ja vieux,
cassé et plein d'ennées, attaignant ja l'aage de quatre vingts
ans, il savoit bien qu'il ne seroit jamais de retour, et fist venir
15 auprès de luy les recteurs et principaux de la ville de Dra-
guignam auxquelz il fist entendre le voyage qu'il debvoit faire
au concilie de Viene, pourhobeira son prélat, il se dispousoit
d'y aller de bon cœur, et leur dict en ceste manière :
« Messieurs, vous avez veu et cogneu, dez que j'ay esté au-
20 presde vouset que vous m'avez conversé, je ne vousay, comme
je pense, monstre aucun mauvais exemple, faict ne dict chose
par laquelle vous ayez esté escandalizez ni abuzez. Je vous ai
dict et remonstré souvent que nous avons paradis pour les
bons et enfer pour les mauvais: ceux qui vivront verteuse-
25 ment auront paradis, et ceux dont la vie sera meschante et
deshonneste auront enfer, lieu de peine per(z)durable et infi-
nie. Vous avez veu et cogneu les merveilleux dangers de ce
monde, et que à peine les hommes et mesmes ceulx qui ont
les grands honneurs et richesses y peuvent fere leur salut et
30 qu'ilz y ont cent mille empêchements. Je suis délibéré. Dieu
aydant^ obeyssant a mon prellat, de le suivre au concilie que
se doibt tenir a Vienne, mandé par nostre sainct père le pape;
et sellonque je me sens, attandu mavieilhesse, à peine me re-
verrez vous plus. A ceste cause, je vous prie et exhorte gar-
35 dez entre vous autres charité fraternelle. Que toute embition
et envie soyt hors de vous cœurs; servez et aimez Dieu, gar-
dez vous de l'offenser, priez le souvent, sans intermission, in-
vitez les saincts, chantez et repassez souvent les psaumes de
David auxquelz trouverez consolation.
VIE DE SAINT HBRMENTAIRB 173
Sj vous voulez faire confession de voz péchez et fere péni-
tence, dictez' de bon cœur les sept psaumesque je vous diray,
les 6, 32, 27, 50, 102, 142. Quand vous voudrez prier Dieu,
dictez les psaumes 24, 80, 20, 85, 69, 52, 66, 60, 54, 63.
5 Quand vous voudrez louer sa majesté et randre grâces des
bénéfices qu'il vous a faicts, lisez et chantez les psaumes 102,
103.
Quand vous serez affligez de tentations humaines et spiri-
tuelles qu'il vous semblera estre délaissez de Dieu, dictez les
10 psaumes 2, 63, 68,
S'il vous semble estre délaissez en voz tribulations, dictez
les psaumes 12, 29, 33, 43, 55, 63, 30 et 70, 102 et 103.
Quand vous voudrez exereiter aux louvanges et mande-
ments de Dieu, 118, et à parler tout à un mot repassez souvent
15 les psaumes du commencement jusquesà la fin, et vous y tru-
verez de grandes consolations.»
Tous les assistants en l'oyant pleurojent si très fort qu'ilz
feurent long^temps sans pouvoir dire ne profferer une seule
paroUe, et estre un peu appaizez, l'un d'entre eulz luy dict en
20 ceste manière :
1 (( Monsieur nostre maistre, pencez bien que vous deviendrez,
vous priant considérer que vous estes javieulx, et que vostre
temps ne sçauroit porter le travail du chemin, ni le froid, ni
le chaut, qui sont excessifs, et neanmoints que en demeurant
25 auprès de nous (que vous ajmons etbenirons-) ferez trop plus
de bien en vostre ' hermitage que d'aller en ce concilie, où
vous serez mal traicté pour la nécessité que vous^endurez.
Partant nous vous prions de demeurer, et neantmoings nous
irons truver l'evesque de Frejus^ se desporter de vous mener
BO là. »
— ((Non, leur dict sainct Hermentaire,ne le faictez pas, car
il fautqueje tiennema promesse», et en ce disant les embrassa
tous, et print congé d'eux, prenant son chemin vers Frejus,
luj fere ^ compagnie jusques à ce qu'il leur donna congé.
Î5 Estre arrivé à Fréjus, il fust le fort bien venu. L'evesque
1 Pour dictesylet de même aux lignes 4, 9 et 11 .
2 Corr. bénissons?
■* Lacune? — ♦ Corr. fi)^ent? Peut-être manque-t-il ici quelques mots.
13
174 VIE DE SAINT HERMËNTAIRE
luj fournit d'un cheval et s'en partirent pour aller à Vienne
enDaulpliiné.
Et estre arrivés, ilz y demeurarent environ ung an. Pascal
et Jean, légats depputés par le pape presidarent audict con-
5 cille, auquel fust traicté entre autres choses, qu'il seroit en-
cores licite aux presbtres d'espouzer femmes, pourveu qu'elle
fust pucelle et non vefve, pour esviter bigamie.
L'evesque de Frejus eust comission du concilie d'aller fere
publier ce décret, à la requeste de plusieurs evesques qui
10 avoint désir de se marier, au païs d'Italie vers la Sicille et la
Grèce; et en s'en retournant avec sainct Hermentaire,ledict
sainct Hermentaire ne pouvant plus supporter le travail du
chemin, estre arrivé à son hermitage trespassa et y fust ense-
velj ez calandes de jun, régnant en Provence le roj Boso ; à
15 l'honneur duquel les bonnes gens qui ajmoint Dieu et la vierge
Marie firent bastir une petite chapelle, soubs le nom et tiltre
de sainct Hermentaire, car l'evesque de Frejus qui le co-
gnoissoit et l'aymoitde bon cœur, en passant a Rome par de-
vers le pape, iist tantque à ses louvanges et prières le cano-
20 niza, et en apporta les bulles, portant indulgences a tous fi-
delles chrestiens qui iroint visiter ladicte chapelle de mile
ans, et que toutes les ennées la fcste de sainct Hermentaire
seroit solemnizée le jour mesme de son trespas.
Extraict et collation[é] à son original estant riere messire Thomas de Ville-
neufve, dict Dary, prieur moderne du prieuré de saincL Hermentaire de la
presante ville de Draguigan, par nous Jaques Roux, notre royal de ladicte ville
et M'' Guillerrae Colomb, escrivain de ladicte ville et en foy de vérité cy soub-
signez :
Roux, not*,
CoLLOMB, escrivain.
(A suivre.)
Dialectes Modernes
PARNASSE PROVENÇAL
ou LES POÈTES PROVENÇAUX
qui ont écrit depuis environ le milieu du seizième siècle jusqu'à présent
PARLE PÈRE BOUGEREL, PRETRE DE l'oEIATOIRE ^
La Provence avait déjà vu les troubadours ou poëtes pro-
vençaux chanter leurs vers dans tout le Royaume et mériter
les éloges et les applaudissemens de tous les connoisseurs ;
lorsque de nouveaux poëtes provençaux ont marché sur les
pas de ces anciens, et souvent même les ont surpassés. J'aj
cru que je devois rassembler dans un seul article tant d'ex-
cellens poëtes dont la plupart restent inconnus, et dont les
noms méritent de passer à la postérité. Cet article sera d'au-
tant plus curieux que personne, que je sache, n'a encore traité
cette matière.
1 Ms. no 723 de la bibl. Méjanes, à Aix. Ce ms. n'est qu'une copie; nous
ignorons si elle a été prise sur l'original même, et nous n'en connaissons pas
d'autre. — Sur leP. Boiigerel, néà Aix vers 1680, mort àParis Iel9 mars 1753,
et sur ses écrits, voy. Achard, Dictionnaire des hommes illustres de la Pro-
vence, et surtout le P.Ingold, Petite Bibliothèque oratorieime, t. II. Le père
Joseph Bougerel, notice biographique et bibliographique d'après des do-
cuments inédits. Paris, 1882. Le principal ouvrage du savant oralorien,
Vies des hommes illustres de la Pi-oue?ice, est resté inédit. Le ms.,con
serve dans une bibliothèque privée peu accessible, contient, paraît-il, la ma-
tière de quatre volumes in-é». Il est probable que le Paraisse provençal
n'est qu'un extrait de cet ouvrage. Peut-être la copie d'Aix est-elle incom-
plète. Quelques indices du moins le feraient supposer. Voir ci-après dans les
Notes et additions.
176 PARNASSE PROVENÇAL
LOUIS BELAUD DE LA BELAUDIERE
ET PIERRE PAUL
Louis Belaud de la Belaudiere naquit après le commence-
ment du seizième siècle, à Grasse ; il vint dans le monde avec
un génie porté à la poésie, et commença à faire des vers dès
Page de 7 ans, et des sonnets à 10. Il n'avoit jamais lu ni li-
vre latin, ni livre français; et il travailloit avec tant de faci-
lité qu'il n'ci jamais employé plus de tems à composer un son-
netqu'il n'enfalloit pourrécrire.Saconversationétoit agréable
et enjouée; il méprisoit philosophiquement les honneurs et
les richesses; il servit pendant quelque tems dans la cavalerie
et dans l'infanterie, et fut ensuite au service du Bâtard d'An-
gouleme, grand prieur de France et gouverneur de Provence.
Après sa mort, il se retira à Marseille, chez le capitaine Pierre
Paul, son ami; mais des affaires domestiques l'ayant conduit à
Grasse, il y mourut au mois de novembre 1588, âgé de 56 ans.
Il laissa ses ouvrages à Pierre Paul, son ami. Sa taille étoit
médiocre, mais proportionnée; il avoit un talent particulier
pour connoître les differens caractères et se conformer sans
l^eine à l'humeur d'un chacun; il étoit constant ami, dissi-
muloit les deffauts des autres. On n'en reconnoissoit en lui
que celui de l'amour; il dansoit admirablement bien et jouoit
de plusieurs instrumens. La nature lui avoit fait ce présent;
il se confloit tellement à ses forces qu'il ne menageoit point
sa santé. Aussi raccourcit-il ses jours. A Tage de 40 ans on
fit son portrait, et l'on mit autour ces paroles: Vertu me guide,
honneur me suit.
Pierre Paul, après sa mort, mit ces vers au dessous :
Veicy la"vrayo pourtreturo
De Louis Bellaud,poeto jadis
Qu'en viven toujours avié euro
De servir Diou et seis amis ;
Si cent mille ans lou mounde dure
Sous carmes noun seran poiris :
PARNASSE PROVENÇAL 177
Car devant que la parquo duro
De soun corps ayo près monturo '
Lous a passas per lou tamis.
Par cet échantillon on peut juger de la poésie de Pierre
Paul. Les poésies de ces deux poëtes sont pleines de feu; on
y trouve beaucoup de naturel. L'ouvrage de Bellaud est inti-
tulé :0/'ros et Rimos provençalos de Louis de la Belaudiere,
gentilhommo provençau, revioudados per Pierre Paul, escuyerde
Marseillo, dedicados al vertuoux et généraux seignours Louis
d'Aix et Charle de Casaulx, premiers consous, capilanis de
doues galeros, gubernatours de l' antiquo villo de Marseillo. \b9b,
171-4°. Pierre Paul fit imprimer ses poésies à la suite de cel-
les ci. Les deux tyrans de Marseille appelleront exprès d'Avi-
gnon Pierre Mascaron pour les imprimer. Ce fut le grand père
de Jules Mascaron, Evêque d'Agen et le premierprédicateur de
son tems. Ces deux poëtes sont regardés comme les restaura-
teurs de la poésie provençale. Ce qui relevé davantage leur
mérite, c'est qu'une illustre demoiselle, nommée Marseille
d"Altouviti, aussi recommandable par sa naissance et sa vertu
que par son esprit et sestalens, composa leurs éloges en vers
que voici:
ODE
Nul n'aura dans le ciel partage,
S'il n'a chanté par l'univers
Le rare phénix de notre âge,
Paul et Bellaud unis en vers.
Mercuriens discrets poëtes,
Enfans des neuf muses chéris,
Je sacre aux lauriers de vos têtes
Deux festons de myrthe choisis.
Atropos a voulu dissoudre
Un couple d'amis si très beaux,
Ayant mis Louis Bellaud en poudre
Sous le froid marbre du' tombeau.
1 Corr. mouturo.
178 PARNASSE PROVENÇAL
Mais de quoi lui sert son euvie?
L'amour a dompté son effort',
Car Paul lui redonne la vie
Malgré le destin et le sort.
Marseille d'Altouvitis étoit née à Marseille l'an 1550, lors-
que Philippe d'Altouvitis, son père étoit premier consul de
cette ville. Les premiers consuls étoient alors de condition; il
est très connu dans l'histoire par sa fin tragique. Sa mère étoit
Renée de Rieux, baronne de Castellanne et de Chateauneuf.
D'Aubigné l'appelle princesse de Bretagne; elle avait été maî-
tresse d'Henri S.Marseille fut tenue sur les fonds de baptême
par la ville de Marseille, qui lui donna son nom selon la cou-
tume. Louis de Galaup a composé des vers sur le bracelet
de Marseille d'Altouvitis, tissu de perles et de corail, et lui a
addressé une mascarade d'une Amazonne et d'une Esclave.
Reboul lui dédia en 1600 un ouvrage intitulé : la Mort cou-
rageuse de Sophonisba, où [il] la qualifie baronne de Castel-
lanne. L'ouvrage fut imprimé à Rouen, in 16, chez Raphaël de
Petitval. Elle mourut à Marseille l'an 1606, et fut enterrée
dans l'Eglise des Grands Carmes. Après avoir célébré si di-
gnement nos deux poètes, elle méritoit de trouver un panegi-
riste ; elle le trouva en la personne de Jean de Bermond, Mar-
seillois, qui lui dressa l'Epitaphe qui suit, que je rapporterai
avec d'autant plus de plaisir que l'éloge de cette vertueuse de-
moiselle mérite de trouver place avec celui de nos deux poè-
tes.
ÉPITAPHE DE MARSEILLE d'aLTOUVITIS, PAR JEAN DE BERMOND,
MARSEILLOIS
Le jour étoit couché sous l'ombre,
Quand la Parque d'un esprit sombre
Couvrant les plus vives clartés
Qu'amour écrit entre ses flammes,
Sépara des parfaites âmes
L'ame de toutes les beautés.
Ce fut des grâces la quatrième,
Ce fut des muses la dixième,
' En marge, dans le ms. : FoHis ut mors dilectio.
PARNASSE PROVENÇAL 179
Marseille qu'elle nous ravit ;
Mais tout le triomphe et la gloire
Qui naquit de cette victoire
De rien ou de peu lui servit.
Car l'esprit quittant la nature
D'un corps sujet à pourriture
Ne fléchit à même destin;
Mais doué d'un astre plus ferme,
La fit, sans limiter son terme,
Paroitre au point de son matin.
JEAN DE NOSTRADAME, OU NOSTRADAMUS
Il est juste de mettre ici Thistorien des poètes provençaux;
il étoit lui même un des meilleurs poètes de son temps; il
composa bien des chansons galantes qui furent estimées. Il
fut procureur au parlement de Provence et naquit à Saint
Rémi. Michel de Nostradame ou Nostradamus, astrologue, fut
son aine. On n'a pas ramassé ses poésies. On trouve seulement
quelques vers françois' à la tête de quelques ouvrages; il fut
élevé dans la maison de Pierre Antoine Rascas de Bagarris.
II étoit regardé [comme un excellent musicien, etpinçoit très
délicatement le luth, instrument fort à la mode dans ce tems
là. Nous avons de lui : les Vies des plus célèbres et anciens poètes
provençaux qui ont fleuri du tems des comtes de Provence, re-
cueillies de divers auteurs qui les ont écrites en langage proven-
çal, lesquelles ont été trouvées écrites à la main en quelques bi-
bliothèques anciennes, par Jehean de JSostradame, procureur en
la cour du parlement de Provence, par lesquelles est montré l'an-
cienneté de plusieurs nobles maisons, tant de Provence, de Lan-
guedoc, France, que d'Italie et d'ailleurs. Lgon, 1575. Marsilii
et Bouquet, in S». Elles ont été traduites en italien par Giu-
diciet imprimées aLjon, in 8". II j en aune autre traduction
aussi en italien par Gio. Mario Crescimbenj sous ce titre: le
Vite de* pin celebri poeti provenzali scritte in Lingua francese
* Suppl. de lui?
180 PARNASSE PROVENÇAL
da Giovanni di Noslradama, procuratore délia corte de parla-
mente diProvenza, e trasporlate nella Toscana, e illustrate e ac-
cresciuie dal canonico Gio. MaiHo Crescimbeni custode d'Arca-
dia e academico gelato.Homa. Ant. Rossi, \710, in 4°. Crescim-
beni y a fait des additions très considérables. Il mourut en
1575.
ROBERT RUFFI
Robert Ruffi, Marseillois, étoit fils de Barthélémy Ruffi et
de Baronne de Lans; il épousa Marthe de Morineau, fille de
François de Morineau, gentilhomme de Tarascon, qui fut vi-
guier de Marseille en 1577; il fut grand père d'Antoine Ruffi,
historien de Marseille. 'Il a laissé des mémoires mss. de tout
ce qui s'est passé de plus remarquable àMarseille, depuis l'an
1586 jusqu'en 1596, dont|",son petit^fils a beaucoup profité. 11
avoit composé grand nombre de vers provençaux. Une seule
piècemanuscrite m'est tombée entre les mains. C'est une chan-
son historique en 41 couplets de trois vers sur la grande peste
arrivée à Marseille l'an 1580; il y rapporte tout ce qui arriva
dans cette ville. 11 y mourut le trente janvier 1636 dans un
âge fort avancé.
CHANSON PROVENÇALE SUR LA GRANDE PESTE DE l'aN 1580
Tu podes ben plourar, pauro Marseillo,
De la perdo qu'as fach, tant merevillo,
3 Cieutat que non avies ges de pareille.
Dous grands flageoux de Diou t'an visitado ;
La pesto et la famino t'an rouinado,
6 Per grand mortalita que t'es ystado.
Non si poudié troubar blat ni farine,
E mai de des florins valié l'emino,
9 Tallament que venguet la grand famino.
Et lou pan que de blat l'on attroubavo
Ero quasi pourrit ou ben s'arnavo;
12 En lou mangeant au couer non profitavo.
PARNASSE PROVENÇAL 181
De consons d'uno ville* feron ragis
De nous prendre los blats per los passagis,
15 E n'an leva la tracho das villagis. ,
Proun d'autres torts n'an fach, noun l'auze^ dire,
EUous de nouestre mau an vougu rire ;
18 Mai pourrien ben un jour avé dôu pire.
Las ! aquo nous mettet en fouert grand peno,
Car, en faute de blat, lou pople reno
21 Et souvent grand dangié ai consous meno.
Vesias la pauro gent de talo so[ue]rto
Mangear d'herbo, plorant, la caro mouerto,
24 E lei laboradour de pouerto en pouerto.
Certos tombavan ^ leou en mouert subito
Das paures que premiers la fan incito;
27 En aquo si counoi quan Diou s'irrito.
En lan quarante siey disien gran pesto ;
Solament de huech mille fan la festo ;
30 Mai aro a ben agut plus grand tempesto.
Puis l'an cinquante siei fon reveillado ;
Mai en si'recourdan de la passado,
33 Fouguet per leou fugir en breou mancado.
En l'an soixante cinq se ressuscite,
Mai la vigour dau frechfouerto subito
36 La rendet senso fuecli et ben petito.
Aquesto encaro mai es espolido.
E pensant qu'elle fouesso leou finido,
39 Couesto en proyn de gens la mouert transido.
Car dau pople commun d'uno tau villo
Son de pesto et de fan morts a la filo
42 Ben et fouert quasi mai de trento millo.
Sur las autres davant l'on se fisavo;
En vesen que lou mau venié, pui coavo,
45 « Eici noun sera ren ! » cadun cridavo.
1 Leis coDsous d'Aix. (Note du ms.)
- Ms lauzo. — 3 Ms. tombaran.
182 PARNASSE PROVENÇAL
A des de janvier [l'an] cinq cent huitante
E milo commencet gravo e mechanto,
48 Puis labret fouert à la semano santo.
Adonc lous carrafours ben s'estounavon,
Vesent que tous leis jours n'en degrunavon,
51 Et proun qu'embe gran pau luen si sauvavon,
Quan foun à vint d'abriou, lou fuech s'allumo
E per cade canton la gent consume.
54 Helas! ben foun de greou talo coustumo!
Certes au mes de may fouguet carnagi :
Quatre ou cinq cens per jour de mortalagi
57 Noun poudien abastar au caina[la]gi '.
De quatre cent souldats que n'an per gardo
A cent per compagnie fort ben bregado,
60 Son ben a fort tous mouerts à la desfardo.
E proun qu'en caminant davant darriero
Tomberoun redes mouerts a la carriero,
63 Tant violent lou mau adon li ero.
La gran desolatieu, las ! qu'es istado,
Vesen toute la gens d'uno houstalado
66 Mourir tous dau matin à la vesprado !
D'autres qu'en frénésie lou mau boutavo ;
E de l'estro en rêvant l'on se gitavo,
69 Tantfougous et traydour lou mau regnavo.
D'autres que se fisan per lo contrari
As médecins, barbiers et bouticaris,
72 Non lous an pas sauvas, soun mouerts de glari.
Dous consous grand lausour(s) an - aquistado
De non aver la villo abandonado ;
75 Gran récompense donc an meritado.
Mais noun pas lou premier, Pierre Bourgo[u]gno,
Car s'en fugit fasen [fouert] laido trougno,
78 Laissant_leis autreis dous à la beso[u]gno.
>■ Ms. abassar au carnagi. — - Ms. en.
PARNASSE PROVENÇAL 183
Son second consou [fon] André d'Oliero ;
Eou anet meritar l'honnour première,
81 Mouren s'es aquista la glori entiero.
Lou ters ' consou, Aquillenqui, es d'estimo
D'aver fouert résista en talo escrimo ,
84 Diou nous a ben sauva aquelo simo.
Et lou bouen assessour, moussu Jean Dori,
Doctour et officiau, es mort en glori,
87 Laissant un bouen renom per sa memori.
Lou premier capitani, Joseph Cabro,
A fach per lou public mouert honorablo,
90 Coumo home de valour recommendablo.
Jamai cas tan pietous non^ s'es vist faire.
Que soun fiou lo dotour, sorres et fraire,
93 A la gleizo an^ pourtat soulets son paire.
Un autre capitani a tengut testo
En talo extremitat e gran tempesto ;
96 Es Nicoulin Ferrât, qu'en hounour resto.
Autant ben n'es proun mouert per lo terraire,
Car certos de secours non avien gaire ;
99 Si fugien lou mari, molhé, fiou, fraire.
Noun avien portefais ; si sousterravon
Paires, maires, enfans, son cor crebavon,
102 En los portan au croues '- los tirassavon.
Quan foun^ a mié juillet, las saliduros,
Per lou voler de Diou, venieu maduros
105 Ou tournavon arriés en gariduros.
Aven passât avoust3et piii setembre,
Adon si commencet mesclar ensemble
108 A la vilo et as champs, que l'on si membre.
Car de pluyos vengueroun fort premières,
Qu'aneroun netejarvillo e carrières,
111 Un cadun lausan Diou en grans ^ preguieros.
1 Ms. Lous très, très, à la rigueur, metathèse de te}'s, pourrait rester. —
2Ms. Ion. — 3Ms. en. — " Ms. creoux. — ^ Ms. /aw.— *_Ms. grand.
184 PARNASSE PROVENÇAL
E, ben que d'aqueou mau n'y aguesso encaro,
Dins vilo la siou forço ero tant raro
114 Que degun non mourié ni avié taro.
Lous homes su ^ d'aquo fan retirado
Cadun a sa maison qu'avien sarrado,
1 17 Laissan molher as champs et la meynado.
Adon lo vendemiar foiiert s'approchavo,
Et de ly provesir l'on s'estudiavo ;
120 Mai de bestiaris pau s'en [ajtioubavo.
Aqueou que la cansoun a compôusado
Et agut n'a' grand pôu proun de vigado,
123 Istant au terradour, l'a escapado.
PAUL-ANTOINE D'AGAR DE CAVAILLON
Paul-Antoine d'Agar, fils de Palamedesd'Agar, chevalier de
Tordre du Pape et gouverneur de Cavaillon pendant les guer-
res des Calvinistes, et de Gaspar d'Agar, sa parente et sa
femme du second lit, naquit le 26 d'août 1575. Il eut du goût
pour la poésie et y réussit. Sa réputation se soutient encore
dans la province parplusieurspiecesdans lesquelles on trouve
beaucoup de feu et de légèreté. Telles sont la Belou paysano
Mignardou, loti Rasselou,lou Capilani Fonferlu, etc., qui furent
imprimés dans le tems.Il reste encore de lui quelques poésies
manuscrites. J. B. Belli, jésuite, a donné dans ses dissertations
un Eloge de Paul-Antoine d'Agar. Il se maria le 26 novembre
1620, avec Louise du Sel (de Sale), fille du capitaine Christo-
plile du Sel et de Louise Prevot, dont il n'eut point d'enfans.
Il mourut de peste en 1631: Ilist, de la nobl. du comté Venaissin,
tom. IV, pag. 92.
CLAUDE BRUEYS
Claude Brueys naquit à Aix et fut un des plus beaux es-
prits de son tems. Son génie vif et badin, et sa conversation
1 Ms. lu. — - Ms. en.
PARNASSE PROVENÇAL 185
enjouée, le faisoient aimer de tout le monde, et son grand
talent pour la poésie qu'il avoit apporté en naissant le faisoit
généralement estimer. Nous n'avons guère eu de poëtequi ait
eu autant de verve que lui. Sa fécondité lui fit composer bien
des ouvrages, dont il fit imprimer la plus grande partie à
Aix, chez Roise, lan 1628; il intitula son recueil Jardin deis
musos provençalos. Il mérite ce titre par la variété des pièces
qu'on y trouve. J'en ai vu deux éditions, La 2" étoit très
considérablement augmentée; de sorte que je doute que la
plupart des pièces qu'on y trouve soient de lui. Il y a plusieurs
comédies en 5 actes. Voici les principales pièces que je crois
de lui: J° Coqualani, ou discours à basions rompus. II. L'em-
barquament ou leis viagis et leis conquêtos de Caramantran. III.
Leis statuts de san Peyre que tous leis confreros devon gardai? et
observar selon sa formo et tenour. IV. Leis amours dou bergier
Floriseo e de la bergiero Olivo. V. La bugado provençalo ounté
cadun l'y a un panouchon, enliassado de proverbis, sentenços, si-
militudos et mots per rire en provençau, enfumado e coulado dins
un linçou de dez sous per la lavar, sabonar et eyssugar comme si
deou. Si Brueys est l'auteur de ces proverbes, comme je n'en
doute pas, il est auteur d'un ouvrage excellent, plein de sens
et de sel, fondé sur l'expérience de tous les tems. Ce seul ou-
vrage suffit pour rendre son nom immortel. VI. Comédie de
Vinterest ou de la ressemblanço à 8 personages en cinq actes.
C'est dommage que ses ouvrages soient remplis d'obscénités*.
RAYNIER DE BRIANÇON
On trouve dans le recueil de Brueys un poëme intitulé l'Ai
de Paulet, ou lou crebo-couër d'un paysan, à la mouer de son ai.
j'ay appris de M. deChasteuil Gallaup que le véritable auteur
de cet excellent poëme étoit M. Raynier de Briancon, natif
d'Aix et contemporain de Brueys. Gassendi parle de lui dans
la vie de M. de Peyresc. Il accompagna celui-ci à Nismes. Il
s'étoitfort distingué par ses vers provençaux. Ce poëme seul
* On avait d'abord écrit d'obscurité. La correction est d'une autre main.
186 PARNASSE PROVENÇAL
est capable de l'immortaliser. 11 a eu une approbation géné-
rale; il y a des beautés inimitables qui le font encore recher-
cher, quoique composé depuis plus de cent ans. L'abbé Abeille
a dit plusieurs fois que s'il pouvoit conserver toutes les beau-
tés de ce poëme en le traduisant en vers françois, cette pièce
seroit le sujet de l'admiration de tous les beaux esprits.
M. L'abbé Pejre de la Coste,de Nice, l'a traduiten verspenta-
metres et hexamètres Tan 1713, et l'a dédié au P. Ailhaud,
prêtre de l'oratoire et à moi. J'ai son orig-inal ; il n'a jamais
vu le jour. L'on j trouve des endroits admirablement bien
rendus; mais pour s'être attaché trop servilement à traduire
vers pour vers, il ne s'est pas soutenu; il étoit difficile qu'il
le pût. Chaque langue a son génie. Il n'est pas surprenant
qu^ le pocte latin n'ait pu exprimer tout le badinage et le sel
du poëte provençal. Je vais en insérer quelques endroits. Le
poëte commence ainsi :
Si n'aviou pau de my blessa,
Toutaro my veirias poussa
Aques couteou dins lou gavagi.
Cresi que fa bouen estre sagi,
Sens'^ aquo bessay va fariou.
Si quauqu'un se vau tua per you,
Ly pagaray sel funérailles.
Tan voudrié parlar ey muraillos
Ejugaàbedin bedoc.
Au diantre un que digue d'oc 1
Amon mai alongua sa vido ;
Per you remeti^la partido,
Nou fau ren lou tret d'un bourreou ;
Te remetti din toun fourreou,
Instrument maudit, misérable,
Nou siou pas tant abominable,
Ben que siegui tout treboulat,
Quan viou mon ai qu'a trecoulat.
Voici la traduction:
Hoc vellem cultro mihi guttur figere acuto,
Ni metuam vitsc fila secare mese .
Utilis est homini, fateor, prudentia: forsan
Triste opus aggrederer, sed tenet illa manum.
PARNASSE PROVENÇAL 187
Ergo velit si quis pro me se occidere araicus,
Funeris expensas solvere polliceor.
AUoquor at muros et ludum sector inanem,
Qui velit hoc munus sumere, nullus adest.
Hanc potius vilem cupiunt ' extendere vitam,
Quam se prseclara^nobilitare - nece.
Attamen hoc meritum meliori cedo nec unquam
Carnificis peragam barbarus ofScium.
Ergo in vaginam redeas, miserabile ferrum ;
Non ergo me perimam, sim ^ Hcet usque miser,
At quoties funestum nostrum meditamm' asellum.
Après la description de Fane, Paulet fait son oraison funè-
bre, où il y a des traits inimitables. Parmi les preuves qu'il
donne de sa haute naissance, il dit entre autre choses qu'il
étoit cousin de cet ane dont Caïn se servit pour tuer son frère
Abel.
Quan Caïn, aqueou traite laire,
Assassinet son paure fraire,
Se servet (me v'an dich ensin)
De la bregue d'un siou cousin.
Cum dirus Gain fraterno in sanguine primus
Sacrilegum est ausus commaculare manum,
Ut fratrem occidat maxillam sumpsit aselli
Gui consanguineus noster asellus erat.
Quelques beaux que soient ces vers latins, ils ne valent pas
les provençaux.
BARTHELEMY FOURGEON
Barthélémy Fourgeon fut regardé comme un homme ex-
traordinaire, et surnommé l'Ovide provençal. Il seroit difficile
de trouver un tems dans sa vie ou il n'ait point composé de
vers, il ne parloit qu'en vers, il composoit sur le champ de
poëmes ; gens qui l'ont bien connu m'ont assuré plusieurs fois
que c'étoit un esprit original. L'illustre comte d'Alais, gou-
* Ms. capiunt — 2 On avait d'abord écrit nobilitate. — ^Ms. sin.
188 PARNASSE PROVENÇAL
verneur de Provence, passant auprès de Flassans, au diocèse
de Frejus, où il étoit ouré, alla exprès dans ce village pour
le voir; ce prince qui étoit homiue d'esprit et savant fut très
satisfait de sa conversation et de sa facilité à s'énoncer sur le
champ en vers; il lui fit des presens, et les marques d'amitié
qu'il lui donna furent les preuves de l'estime qu'il avait conçue
pour lui, et notre curé lui dit en le quittant:
Et au mémento de la messo
Me souvendray de vouestro altesso.
Je n'ay pu savoir d'autres circonstances de sa vie. J'ay en-
tendu chanter plusieurs fois sur le ton des lamentations de
Jérémie une chanson qu'il avoit composée en vers provençaux
sur les lamentations des religieuses. Ses poésies n'ont pas été
imprimées, sort ordinaire de la plupart de nos poètes.
GASPARD ZERBIN
Gaspard Zerbin, avocat au parlement de Provence, cultiva
avec soin le pâmasse provençal. Nous avons de lui diverses
comédies imprimées après sa mort par les soins de Jean Roize,
imprimeur, l'an 1655, sous ce titre: la Perlo deis musos et co-
médies provençalos. Zevhiïi a, excellé en ce genre d'écrire. Pit-
ton, Hist. d'Aix, 1. vi, pag. 613.
ESTIENNE FONTAINE
Estienne Fontaine étoit bon philosophe, habile chirurgien
et médiocre peintre; il est le premier qui a fait des vers bur-
lesques provençaux. Il habilloit les mots provençaux à la
françoise et les françoisà la provençale. Voicj une pièce de sa
façon :
L'amour m'anié ' emblester
Manchedi sui- la vespreyo,
* m'avié ?
PARNASSE PROVENÇAL 189
Pillés donc san contester
L'offrande de ma penseyo.
Si me suis trop enauré
Vous pregi me restaurer,
Vous que sias la quinto essenço
Das bouens gaubis de Provenço
Vouestre nom es din moun couer
Escrit en lettro daureyo,
Sens' avé pau que la mouer
Ly donne la grafigneyo ;
Car me poudes sans mentir
De seis harpes garentir,
Vous qu'avès Tautorisanço
De ly desponchar sa lanço.
Venès donc illuminer
L'ombro de mon assistanço,
Si non, vau incriminer
Lou dagadou din ma panço.
Si non_me tenès la mau,
Veires de boudins deman,
A l'hazard que Diou m'esquicbe
Din lou croues dau mauvais riche.
II étoit d'Aix, comme Zerbin ; il y mourut en 1652. Pitton,
Hist. d'Aix, 1. VI, p. 612».
FRANÇOIS DE BEGUE
François de Bègue, Marseillois, se distingua très avanta-
geusement par son grand talent pour la poésie provençale; il
composa bien des comédies très facétieuses, qui furent im-
primées, ainsi que plusieurs autres pièces de poésie et surtout
des chansons.
CHARLES FEAU
Dans le même tems, le P. Charles Feau, prêtre de l'oratoire,
se distinguoit aussi par ses poésies; il étoit né à Marseille l'an
' Ajouté d'une autre main: e/610.
14
190 PARNASSE PROVENÇAL
1605; il étoit entré dans l'Oratoire le 20 may 1627, ou il en-
seigna avec succès les humanités au collège de Marseille.
Comme il avoit un goût tout particulier pour la poésie pro-
vençale, il composa plusieurs comédies qu'on a imprimées
après sa mort : j e ne saurois marquer l'année de l'édition, mais
je nedois pas oublierqueTediteury amêlébiendes obscénités',
qui n'étoient pas certainement dans sonms. et qui étoient aussi
contraires à son génie qu'à son caractère. Une de ses meilleu-
res pièces étoit Brusquet I et Brusquet II ; il avoit tiré son
sujet de Brantôme dans la vie de Strozzi, prieur de Capoue et
général des galères. C'est une espèce -du Sosie de Plaute. Ses
pièces ont été représentées plusieurs fois dans le collège des
prêtres de l'Oratoire à Marseille. On les a représentées aussi
plusieurs fois, au mois de septembre, dans les maisons de cam-
pagne. Alphonse de Richelieu, archevêque d'Aix, ensuite de
Ljon, abbé de St Victor de Marseille'et cardinal, s'y rendoit
expressément pour y assister. Le P. Feau avoit un fonds de
plaisanterie inépuisable. Son génie étoit si fécond, si badin et
si enjoué, qu'il trouvoit toujours de nouvelles matières pour
rejouir son assemblée. Il faut avouer cependant que quelque
mérite qu'il eût, son intention étoit moins de peindre les moeurs
des hommes que de faire rire ; en quoi il reussissoit admira-
blement bien. Les esprits qui ne veulent que l'excellent et le
solide, qui ne demandent dans une comédie que des caractères
bien soutenus, des peintures naïves des moeurs des hommes, et
des images vives de leurs défauts, ne trouveront pas leurs
comptes dans la lecture de ses pièces, aussi bien que dans
toutes les autres denos poètes Provençaux. Ce père avoit bien
du goût pour les beaux arts, sur tout pour le tour, ainsi que
le remarque le P. Plumier. Si ses pièces le faisoient aimer de
tout le monde, sa sagesse et sa régularité le faisoient encore
plus estimer. Il mourut après le milieu du dix septième siècle.
' On avait d'abord écrit obscurités. La correction est d'une autre main.
' Suppl. d'imitation?
PARNASSE PROVENÇAL 19I
N. NATTE
N. Natte paroissoit à Aix pendant le tems que le P. Feau
fleurissoit à Marseille ; il étoit né à Cucuron, village du dio-
cèse d'Aix; il étoit docteur en théologie et bénéficier de
l'Eglise de Saint Sauveur a Aix. Les mauvais exemples de
plusieurs poètes provençaux ne furent pas contagieux pour
lui ; il sanctifia sa muse, et composa de cantiques spirituels
aussi saints que savans, dit Pitton ; il se plaint de ce que per-
sonne n'a pris soin de les recueillir, et de les donner au pu-
blic. Pitton, Hàt. delà ville d'Aix, 1. vi.
N. SEGUIN
Le capitaine Seguin naquit àTarascon. Ce poète provençal
florissoit environ l'an 1640 ; il avoit servi dans les troupes du
duc de Savoje, et avoit perdu une jambe; il avoit composé
plusieurs comédies qu'il representoit lui même, étant très bon
acteur. Les règles du "théâtre ne sont pas observées dans ses
pièces, mais il j a du feu, de la facilité et du naturel. Sa
versification approche de celle de Bruejs. On estime surtout
la pièce^qu'il^a intitulée Polichon\ dont je m'en vais insérer
quelquesîvers. Cupidon parle ainsi dans le prologue :
Et si qua[u]qu'uQ din moun servici
M'accuso de trop de rigour,
Senso l'amar, de la douçour
L'on n'aurié pas la couneissenço.
De la Quech lou jour^ preri neissenço,
Dei chagrin souertoua leiplési,
Leis autres nouveous. dei gausi,
Enfin la rose incarnadino
Pren sa neissenço d'une espino.
' Au vrai Rolickon, d'après Lambert, Catalo<jUe des mss, de la bibl, de
Carpentras, I, 431
* Ms. toujour.
192 PARNASSE PROVENÇAL
11 dit ailleurs :
Lou printens donno la verduro,
L'estiou remplis leis magasins,
L'autouno produit leis rasins,
E de Ihyver naisse la glaço,
De la tempesto la bounasso,
E dou mau ' se tiro lou ben '^.
JEAN DE CHAZELLES
Jean de Chazelles naquit à Aix à la fin du XVP siècle ; il
fut d'abord chanoine de l'Eglise métropolitaine, et ensuite
élu le 6 d'août 1644 prévôt ou chef du chapitre. C'étoit un
bel esprit et un homme de lettres. Nous avons de lui une ode
françoise addressée au comte d'Harcourt sur la reprise des
isles de Lerins et à l'archevêque de Bordeaux (Sourdis), et
sur leur départ de Provence. C'est une brochure imprimée à
Aix, in-12; il eut une petite dispute avec Gaspard de Venel.
conseiller au parlement de Provence au sujet d'un sonnet.
Ils choisirent pour arbitre M. Godeau, qui leur répondit le
1" septembre 1669. Je donneraj la lettre de ce prélat dans
l'article de Venel. Chazelles composa grand nombre de pièces
provençales et de chansons; il étoit intime ami du cardinal
deGriraaldi. L'an 1660, ce grand prélat ayant reçu l'ordre de
quitter son diocèse, quand le Roy arriveroit à Aix, et cela
pour céder le pas au cardinal Mazarin, il partit sur le champ
et se fit accompagner par M. de Chazelles et le père Cabassut,
prêtre de l'Oratoire et son confesseur. Arrivés au Comtat, ce
cardinal renvoya M- de Chazelles. Celui-ci harangua le Roi à
son arrivée à Aix. Il mourut dans cette ville l'an 1671. Voici
un sonnet de lui sur la pauvreté, que Pitton a rapporté dans
son Histoire de la ville d'Aix.
SONNET su LA PAURETAT
Troupo de quinolas, orguillouso paurillo,
Quêtant fouert d'aqueou mau moustras de vous piquar.
* Écrit d'abord tnai, qu'on a corrigé. — ' Ms. ben.
PARNASSE PROVENÇAL 193
Pauretat es un mau que noun se pou liquar,
Mai non ofFenso pas l'hounour d'une famillo.
Au contrari, leis dens que mouestro la roupillo
D'un pauré que partout se laisso publicar
Soun d'armos que lou fan tallamen respectar
Qu'es un grand cop d'hazar si quauqu'un lou goupillo.
Eou pou senso regret rouda tou l'univers
Et laissa soun houstau e sei coffres dubers ;
Fau ben per lou voular qu'un larrou siège habile.
Tanben per cadenau n'a besoun que d'un fiou,
Pusque lou seou dou Rey sérié même inutile
Ounte la pauretat a déjà mes lou siou.
NICOLAS SABOLY
Saboly naquit à Monteux, village du comtat Venaissin,
dans le^diocèse de Carpentras. Après avoir étudié trois ans en
théologie et passé bachelier dans l'université d'Avignon, il
fut fait bénéficier et maitre de musique dans l'Eglise de Saint
Pierre de cette ville. Sa qualité de maitre de musique lui fit
naître l'envie de composer de Noëls en langue provençale.
Son génie se trouva si propre pour ces sortes d'ouvrages, que
ses noëls firent d'abord le plaisir et l'admiration non seule-
ment du peuple, mais encore de tous les gens d'esprit. On
voit par un de ses noëls, composé sur le passage de Louis XIV
par Avignon, l'an 1660, qu'il commença à composer cette an-
née des noëls, ce qu'il a continué toutes les années jusques à sa
mort, qui arriva à Avignon le 25 juillet 1675. Il étoit âgé de
61 ans. On trouvoit dans ses noëls ce qui fait le mérite de tous
les bons ouvrages, beaucoup de justesse, des peintures natu-
relles et un style simple et naïf, beaucoup d'exactitude et de
richesses dans les rimes et surtout des tours et des expres-
sions nouvelles. Il savoit admirablement bien ajuster ses pa-
roles à ses airs. Ses noëls étant devenus extrêmement rares,
l'estime qu'on en avoit d'abord conçue n'ayant fait qu'aug-
menter avec le tem?,on crut devoir les conserver à la posté-
rité; on les fit imprimer à Avignon, chez Chastel, en 1699 ;on
194 PARNASSE PROVENÇAL
en a donné une seconde édition en 1704, qui ne vaut pas la
première. Il s'en faut bien qu'il ait soutenu sa réputation. On
y a mis plusieurs noëls de Puech qui sont infiniment plus
beaux que tous ceux de Saboly. Celui-ci a trouvé un historien
qui a composé sa vie en latin, c'est M. (Nicolas) Folard, cha-
noine de Nismes, natif d'Avignon ; elle se trouve ms. dans
quelques cabinets de curieux. Je vais transcrire un noël que
je trouve dans sa 2^ édition; je ne sais pas certainement s'il
est de lui.
NOËL SUR l'air d'uN CARRILLON
Sus, campanié, reveillas vous ;
Lou jour parei, l'aubo es levado ;
Veissi rhurouso matinado
Donté deven(t) renaisse tous.
Dieu vea, et per soun arribado
Souna la premiero sounado ;
Fes que la grosso souno avan.
Din, don, din, dan;
Digue, digue, digue, dan ;
Din, don, din, dan ;
Diou s'és fach enfan
Per sauva lou genre human.
Din, don, din, dan;
Fouere Satan, fouere Satan,
Plus ges de guerre, plus ges de guerro,
Que tout sié nouveou,
La glori au ccou
Et la pax su la terre.
La perlo ei rayons dou souleou
Se forme dedin la coquille ;
Diou s'es fourma dins uno fillo
Per un astre plus gran qu'[aqu]eou.
Enfin en aquesto journado
Aquelo perlo s'es fourmado,
Per lou pris de nouestro rançon.
Din, dan, din, don ;
Digue, digue, digue, dan ;
Din, dan, din, don ;
Veyci lou second
Qu'es en forme de trignon.
PARNASSE PROVENÇAL 195
Din, dan, din, don
Fouero démon, fouero démon,
Plus ges de guerro, plus ges de guerro !
Que tout sié nouveou,
La glori au ceou
Et la pax su la terro.
Couragi, veissy la clarta ;
Dieu la dono à sa créature,
N'y a plus de nuech din la naturo
Ni d'ombro ni d'oscurita.
Su don per la joyo publiquo.
Violons, aubois, basso et musico,
Jugas li tous un carrillon.
Din, dan, din, don;
Digue, digue, digue, don ;
Din, dan, din, don ;
N'es ti pas raison
De recounoisse un tau don?
Din, dan, din, don !
Et leissen don, et leissen don
Leis causos vanos, [leis causes vanos,]
Et que nouestre couër
S.one plus fouer
Que [toutes] lei campanos !
FRANÇOIS BERTET
François Bertet naquit àTarascon ; après avoir passé toute
sa jeunesse dans le service, il^^consacra le reste de ses jours
à la littérature et donna divers ouvrages au public, entre au-
tres un traité français d'éloquence, et plusieurs ouvrages en
vers provençaux ; il épousa Anne dise, et en eut quatre gar-
çons qui se distinguèrent aussi dans la République des let-
tres. N. Bertet, son aine, fut dojen deTarascon, et composa
en 1649 l'histoirede Sainte Marthe ;-il y a des vers de lui dans
la préface de cet ouvrage. Jean François Bertet fut un grand
poëte provençal, et Jean Bertet se'distingua sur tous. Nous
parlerons plus bas des deux derniers.
196 PARNASSE PROVENÇAL
LOUIS PUECH
Louis Puech naquit à Aix avec un talent marqué pour la
poésie ; aussi la cultiva-t-il toute sa vie, avec une facilité et
un talent admirable ; il excelloit surtout dans les noëls et les
vaudevilles. Comme il étoit naturellement satyrique, il mêloit
ingénieusement les mystères avec les affaires du tems. Il en
fit un l'an 1657 contre les partisans, qui lui attira bien du cha-
grin. Le noël le plus estimé qu'il ait composé est celui qu'il
intitula : Lei Baumians. On prétend qu'il en avoit pris l'idée
dans Lope de Vega; il introduit des Bohémiens qui donnent
la bonne fortune au Sauveur nouveau né. Quelques person-
nes se soulevèrent contre lui et furent porter plainte à M. le
cardinal Grimaldy, archevêque d'Aix. Cette Eminence mania
Puech. Il ne se rendit à ses ordres qu'en tremblant, et se fit
accompagner de quelques amis, entre autres de M. (Pierre) ie
Chasteuil Galaup, de qui j'ai appris ce que je rapporte de
lui; il ne lui fut pas difficile de se justifier ; il représenta à
cette Eminence, qu'il avoit cru pouvoir faire chanter à Aix un
noël que Lope de Vega avoit fait chanter àMadrid, pays d'inqui-
sition. Le cardinal lui ordonna de le chanter, et en fut sicon-
tentqu'il l'encouragea àcontinuerà bien' faire; il explique dans
ce noël tout le mystère de l'Incarnation; c'est un chef d'oeu-
vre, le voici:
NOEL DEI BAUMIANS
^ Cependan
Nautrei sian très Baumians, De ly veire la man.
Que dounan la boueno fourtuno ; Tu siés, à ce que viou,
Nautrei sian très Baumians, Egau à Diou;
Qu'arrapan partout ounte sian. Tu siés soun fiou
Enfant aimable [e] tant doux, Tout adourable,
Bouto, bouto aqui la crous, Tu siés, à ce que viou.
Et chascun te dira Egau à Diou ;
Tout ce que t'arribara. Siés nat per iou
Commenso,Jeannan, Diu Iou neau,
• Corr. p.n?
PARNASSE
L'amour t'a fach enfan,
Per tout lou geanre human.
Uno vierjo * es ta maire,
Siés na senso ges de paire,
Aquo parei din ta man.
Ly a encoro - un gran secret
Que Jeannan n'apas vougu dire,
Ly a encore un gran secret
Que fara ben leou soun effet.
Vene, vene, beou^ Missi,
Mette, mette eissy
La pieço blanco,
Per nous faire rejoui.
Jeannan parlara,
Beou meina,
Bout'aqui per dina.
Souto tondet* mouyen
Ly a eijcoro quauquaren
Per nouestreben
De fouert sinistre.
Souto ton det'' moyen
Ly a encore quauquaren
Pernouestre ben
De rigouroux :
Sely ves une croux,
Qu'es lou salut de tous,
Et si te l'augi dire,
Lou sujet de ton martyre.
Es que siés ben amouroux.
Ly a encoro quauquaren
Au bout de ta ligno vitalo,
Ly a encoro quauquaren
Que te va dire Magassen .
Vene, vene, beou ^ german,
PROVENÇAL 197
Donno, donno eissy ta man.
Et te 5 devinaran
Quauquaren de ben charman.
Mai vengue d'argen ;
Autan ben,
Senso non si fara ren.
Tu siés Diou et mourtau,
Et coumo tau
Seras ben pau
Dessus la terro.
Tu siés Diou et mourtau,
Et coumo tau
Sera[s] ben pau
Din noueste éta.
Mai ta divinita.
Es su l'Eternita
Siés l'autour de la vido.
Ton essenço es infinido,
N'as ren que sié limita.
Voues tu pas que diguen
Quauquaren à ta santo maire?
Voues ti pas ben que ly fen
Per lou mens^ nouestre complimen?
Bello Damo, venes eissa,
Nautrei couneissen déjà
Que din ta bello man
Ly a un misteri ben gran.
Tu que siés pouly
Digue ly
Quauquaren de joli.
Tu siés dau san rouyau
Et toun houstau
Es dei plus haut
Daquestou luuiiude :
Tu siés dou san rouyau
Et toun houstau
' Ms. viergo. — ^ Sic et de même plus bas, trois ou quatre fois. Corr en-
caro. — •' Ms. beau. — * Ms. des. — ' Ms. de. — « Ms. ment.
198
PARNASSE PROVENÇAL
Es dei plus haut.
A ce que viou,
Toun seignour es toun fiou,
Et toun paire es lou miou.
Que poudes tu mai estre,
Que la fillo de toun mestre,
Et la maire de toun Diou?
E tu, boueu signe gran,
Que siés au cantoun de la grupi,
E tu, bouen signe gran,
Voues tu pas que veguen ta man?
Diguo, tu creignes bessai
Que n'en rauben aquel ai,
Qu'es aqui destaca;
Raubarian plus leou lou ea.
Mette aqui dessu,
Beou moussu,
N'aven pas enca begu.
lou vesi dins ta man
Que siés ben gran,
Que siés ben san,
Que siés ben juste;
lou vesi dins ta man
Que siés ben gran,
Que siés ben san.
Que siés ben ama.
Ai, divin marida.
As toujou conserva
Uno santo astinenço,
Tu gardes la providence,
N'en siés tu pas ben garda?
Nautrei couneissen ben
Que siés vengut din lou moucide,
Nautrei couneissen ben
Que tu siés vengu senso argen.
Bel enfan, n'en parlen plus,
Car tu siés vengu tout nus.
Tu creigniés, à ce que vian,
Lou rescontre dei Bauraians.
Que creignes, beou fiou ?
Tu siés Diou ;
Escouto nouestre adiou.
Si trop de liberta
Nous a pourta
A ti douna avanturo.
Si trop de liberta
Nous a pourta
A typarlar* trop librament.
Te pregan humblament
De faire egalament
Nostro bouno fortuno.
Et que nous en donnes uno
Que dure eternellament.
Puech composa encore plusieurs pièces provençales, entre
autres[de bouts rimes qui lui ont fait honneur, etquefje m'en
vais transcrire, parce qu'il est à propos de conserver de lui
jusques au moindre morceau. On n'a pas ramassé ses ou-
vrages.
Si nous taxoun plus gaire, auren fauto d'un. . . . pan,
Nous fan papounega coumo fa la. . . . g[u]enucho,
D'enrabi et de chagrin se dounan à satan,
Quan viou que tous leis jours nous levonpeou ou. . .plucho.
' Ms. parlan.
PARNASSE PROVENÇAL 199
Pouden pas evitar de mouri tous de. . . .fan,
Buvre d'aigo au gousset qu'en francès dien de. . . ruche,
N'auren ni sou ni maille avan lou bout de. . .l'an,
Et voularen plus bas que noun voule. . .Tautrucho.
Nous pillon de par tout etab hacet ab. . .hoc,
Nous demandon d'argent jusques quan fan un. . . . troc,
Ou qu'achatan un trau que sierve eis mouerts de.. . .nicho.
Din nouestre desespoir si dizen mor ou. . . par.
Nous menaçon dabord de mettre tout en. . . fricho,
Et per nous fa staplan basse' que digoun. . . car.
Il composa le Procès de Madame la marquise du Canet; il
donna un poëme sur la chambre ardente, par rapport aux trou-
bles qui agitoient la Provence ; un autre sur la Magdeleine
dans le désert ; le Christ mourant sur la croix. J'ai lu encore de
lui une comédie burlesque en françois, en trois actes, intitulée:
Amsterdam malade. Cette pièce fut composée pendant les
guerres de Hollande ; l'idée en est originale. Il étoit prieur^ de
la Tour de Beuvon, au diocèse de Sisteron. Sur ses vieux
jours il devint amoureux d'une demoiselle pour laquelle il
composa diverses chansons françoises, et autres sortes de poé-
sies. Il mourut à Aix après l'an 1690. Bouche, dans son His-
toire de Provence, parle de lui avec éloge. Ses ouvrages étoient
entre les mains de M. Blacas, prieur de Ventabren.
ANTOINE GEOFFROI DE LA TOUR
Antoine Geoflfroi de la Tour naquit à Digne; il a été un des
plus profonds jurisconsultes de Provence ; il avoit cultivé le
parnasse français, latin et provençal, mais le droit l'occupa
presque entièrement; il composa un corps de droit civil et
ecclésiastique qu'il divisa en six parties, qui auroient formé
six gros vol. in folio, lesquels il rangeoit sous les titres sui-
1 Corr. ùasto t
2 On avait d'abord écrit seigneur. La correction est d'une autre main.
200 PARNASSE PROVENÇAL
vans : dans le premier il consideroit l'homme privé et dans le
célibat ; dans le second, l'homme marié ; dans le troisième,
l'homme veuf; dans le quatrième, l'homme d'église ; dans le
cinquième, l'homme constitué en dignités ecclésiastiques, et
aux charges publiques de justice ou de la guerre ; et dans le
dernier il examinoit l'homme mort. Il porta ses livres à
Paris l'an 1676, qu'il communiqua à Hubert de Chasteuil
Galaup, ancien avocat général au parlemenfde Provence, qui
en parla à Pierre de Chasteuil Galaup, son frère, et à ses
amis, comme d'un excellent ouvrage , et qui seroit d'une grande
utilité. De la Tour présenta ensuite un placet au Roy, dans le-
quel il representoit à S. M. qu'ayant fait" un nouveau code
pour abréger la longueur de la chicane, cela l'avoit encouragé
à travailler pour faciliter l'étude du droit, et rédiger les loix
dans un nouvel ordre, travail auquel il s'étoit uniquement oc-
cupé pendant plusieurs années, et qu'il iroit de la gloire du
règne de S. M. que cet ouvrage parût sous ses auspices. A
cet effet, il prioit le Roi de le faire examinerpartel conseiller
d'Etat qu'il lui plairoit, afin que sur le rapport qui en seroit
fait, on pût lui faciliter les moyens de le donner au Public.
Comme la dépense étoit très considérable pour l'imprimer, il
ne le fut pas ; il étoit alors âgé de 75 ans ; on n'a pas sçu ce
que devint son ms.
Il fit présenter l'an 1677 au Roi un autre ouvrage composé
de poésies françoises, latines et provençales, au retour de ses
armées de Flandres, divisé en deux grandes parties. La se-
conde édition est de cette année; il dit dans FEpitre dédica-
toire au Roi qu'il a écrit pour les droits de la couronne et les
libertés de l'Eglise gallicane, contre les abus de la chancel-
lerie romaine; il ajoute qu'il fut contraint de se réfugier aux
extrémités du Royaume. 11 a composé une lettre du souverain
bien qu'il adressa à Mgr le duc d'Angouleme par une ode qu'on
trouve dans la 2^ partie de ses poésies. La P'' pièce est inti-
tulée : Stances présentées en 1638 à Louis le juste sur la nais-
sance duRoi glorieusement régnant. Il dit dans son épitre au
Roi qu'il est le premier de tous les écrivains du Royaume qui
ait félicité Louis le Juste sur la naissance de Louis XIV, et qui
lui ait prédit toutes les admirables dispositions qui dévoient
t'ornier un jour le plus illustre monar(|ue de la terre. Voici un
sonnet qu'il fit imprimer au bas de son placet.
PARNASSE PROVENÇAL 201
SONNET A LOUIS XIV SUR SON DEPART POUR COMMANDER
SES ARMÉES EN FLANDRES AU MOIS DE FÉVRIER 1677
Hyver morne et chagrin, monstre animé de rage,
Qui fais de la campagne un désert odieux,
Fais fondre tes glaçons et respecte ces lieux
A qui tout l'univers doit un jour rendre hommage.
Mon monarque est tout prêt à faire son voyage,
11 n'a point de momens qui ne soient précieux,
II ne peut plus souffrir ces murs audacieux
Qui veulent mesurer leur force à son courage.
Contre ce conquérant tes efforts seront vains ;
Ils n'arrêteront pas ses illustres desseins.
Tes vents impétueux n'ébranlent pas son ame.
Resserre ces grands froids dans leurs sombres prisons ;
Le bras de mon héros, quand la gloire l'enflame,
Sçait cueillir des lauriers en toutes les saisons.
Tout cela est tiré des mémoires que M. Pierre de Chas-
teuil Galaup m'adonne. Donnons maintenant quelques pièces
provençales.
PLACET PROVENÇAU QUE DEOU ESTRE PRESENTAT AU REY
Mon placet, ô grand Rei, n'es qu'un pichot memori
Per te faire sacher en patois provençau
(Puisqu'à ce que m'an dich, non l'entendes pas mau)
Leis rudos tratamens qu'ay souffert per ta glori.
Leis grefes dou conseou n'en gardoun pron' l'histori.
Mai iou mangi toujours la figuo senso sau ;
En soustenen teis drechs m'an brûla mon houstau,
il Et tout ce qu'ay sauvât- es un troues d'escritori.
Tu que fas tan de ben eis autres escrivans,
Kelarguo un pau per iou tei liberalos mans ;
Ai tant escri per tu, siou près d'escrioure encaro.
Qu'Appelle tourne naisse, et prengue son pinceou^,
Lou pourtrait, o grand Rei, que Iou miou te preparo,
Quan tu m'ajudaras, sera cent fès plus beou.
* Ms. prom. — "^ Ms. sauvar. — 3 Ms. pinceau.
202 PARNASSE PROVENÇAL
AU REI SU SEIS NOUVELLOS VICTORIS
Gran Rei, qû troubarés qu'escrive vouestre histori ?
Tous lei jours vous battes regimens, bataillons,
Prends vilos, casteoux per pianos, per vallons,
Et cade pas que fés es un pas à la giori.
Lou superbe Espagnou que fasié tant lou flori,
Per fugi vouestreis mans marcho de reculons,
L'Oulandés vergougnoux vous viro leis talons
Et vous laisso empourtar victori sur victori.
Courao poudés soulet domiitar tant d'ennemis ?
Muso, per lou sacher fay virar lou tamis,
Car proun* de gens m'an dich que lou tamis devino.
Mais sabes tu perque nouestre prince es tan fouer?
Leis autreis souverains noun pagon'que de mino,
Lou nouestre sau pagar et de mino etde couer.
CHARLES DU PERIER
Charles du Perler s'appliqua à la poésie dès ses jeunes an-
nées. L'an 1673 il composa deux sonnets provençaux à la
louange de Louis deForbin la Marthe, qui fut fait cette année
capitaine lieutenant d'une compagnie de mousquetaires; il ne
composa ces deux sonnets que pour soutenir l'honneur de la
poésie provençale, comme on le verra dans l'article de Pierre
de Chasteuil Galaup. Il se distingua encore plus par ses beaux
vers latins, qui lui acquirent la réputation d'un des meilleurs
poètes latins de son siècle. Nous avons donné ailleurs sa vie ;
il étoit né à Aix de Claude du Perier; il mourut à Paris l'an
1692.
JEAN SICARD
Jean Sicard de la Tour d'Aiguës, diocèse d'Aix, s'amusa
fort agréablement à la poésie provençale et produisit grand
* Ms.proT/i.
PARNASSE PROVENÇAL 203
nombre de pièces qui furent estimées. Il traduisit les Pseaumes
en vers provençaux qui furent imprimés; il composa aussi
plusieurs chansons et épigrammes pleines d'esprit et de feu,
mais satjriques. Voici celle qu'il fit sur M. Colbert, ministre
d'État:
EPITAPHO DE MOUSSU COLBERT, MINISTRE d'eTAT
En aques croues es entarra
Colbert, grau ministre d'Eta
E surintendant dei finance.
Passan, digas un requiem
Per aqueou grand homme de ben,
Qu'afach tantd'hespitaux en France.
GASPARD DE VENEL
Il n'y a gueres eu de magistrats en Provence plus connus
que M. deVenel;il naquit à Aix et fut reçu conseiller au par-
lement de Provence l'an 1633. La poésie provençale fit ses
délices; il composa une grande quantité de pièces qu'on n'a
pas pris soin de recueillir et qu'on auroit aujourdhuy bien de
la peine à retrouver. En 1676, il donna une tragédie fran-
çaise intitulée Jephté ; il avoit mille secrets très curieux qui
le faisoient passer pour sorcier parmy le peuple ; il aimoit le.
plaisir, la joje; aussi n'a-t-il rien épargné pour se contenter.
Il avoit épousé Magdeleine de Gaillard, dame d'un grand mé-
rite, dont il n'eut point de postérité. Elle fut gouvernante des
nièces du cardinal Mazarin, et ensuite sous gouvernante de Mg"
les ducs de Bourgogne, d'Anjou et de Berrj ; elle mourut en
1687. Son marj lui survécut, car il ne mourut qu'en 1697. Il
fut enterré dans l'église du premier couvent de la Visitation , ■
j'assistai à ses obsèques. C'étoit un très bel esprit; il eut,
comme j'ai dit ailleurs, une petite dispute avec M. de Cha-
zelles sur quelques expressions qu'il avoit employées dans un
sonnet. Ils choisirent M. Godeau pour arbitre. Je m'en vais
rapporter la lettre de ce prélat, telle que je la trouve dans le
recueil ms. de ses lettres que j'ay entre mes mains, parce
204 PARNASSE PROVENÇAL
qu'on n'en a donné qu'une partie; elle se trouve dans mon
recueil, pag. 102.
LETTRE DE M. GODEAU A M". DE VENEL ET DE CHAZELLES
Messieurs, Vous me faites beaucoup d'honneur de me pren-
dre pour juge de la noble dispute qui s'est élevée entre vous.
Non nostrum inter vos tantas componere lites.
Comme le soleil est le sujet de votre différent, il faudroit
pour le bien juger avoir l'esprit plus lumineux que lui,
dans mon âge penchant
Et qui se voit si près de son triste couchant.
Je ne prononcerai donc rien comme juge, et je me conten-
ter ay de parler comme un ancien amant du soleil, et comme
un vieux admirateur de ce bel astre. Je suis tout à fait par-
tial pourlui,et je voudrois qu'il fit toute chose dans la poésie,
aussi bien que dans la nature ; mais s'il n'a point de bornes
dans celle cy, il en a sans doute dans celle là. Dire^qu'il fait
le jour, c'est parler proprement et selon l'usage de toutes les
langues, lequel est le maitre souverain en cela.' Mais c'est
encore faire plus entendre qu'on ne dit. Il y a encore quelque
sens plus beau qui' ne porte de soi le mot de fait; je ne sçay si
je m'explique bien ? Dire que le soleil peint les jours, c'est
parler figurément et employer une métaphore qui dabord
frappe l'imagination par sa nouveauté, et semble exprimer
un sens fort beau. Mais quand l'entendement considère de
plus près cette locution, il en est assurément blessé, et la lu-
mière qu'elle porte ressemble à celle d'un éclair,, qui est plus
vive et plus resplendissante que celle du soleil, mais qui éblouit
et blesse les yeux, et qui disparoit incontinent. La méta-
phore hardie est comme le caractère de la poésie, qui est diffé-
rente de la prose, en ce sens qu'elle ne dit jamais les choses
par leur nom. Plus sa hardiesse va loin, plus elle semble
belle, et la surprise de l'imagination, ou l'image nouvelle ou
extraordinaire qu'elle forme, fait que d'abord elle plait. Il y a
* Coït, quel
PARNASSE PROVENÇAL 205
deux, langues où elle règne plus imperieuseraentque dans les
autres; elle est plus hardie dans la langue grecque que dans
la latine, et plus dans l'espagnole que dans l'italienne. Le
Tasse a des hardiesses belles et nouvelles; mais le cavalier
Marin en a de surprenantes, de bizarres; toutefois elles trou-
vent des lecteurs àqui elles plaisent, et ce sont ceux qui, comme
l'auteur, ont plus de feu d'imagination que de pureté de ju-
gement. Virgile, entre les Latins, est particulièrement admi-
rable pour la chasteté ' de son elocution ; Stace, qui l'a voulu
surpasser en s'élevant, est tombé dans des précipices ; Lucain
a été encore plus hardi ou plus téméraire que lui, et son
exemple n'est pas toujours recevable- dans notre langue, dont
la pureté ne peut souffrir des expressions extraordinaires, si
elles ne sont fondées sur la nature des choses. Or je dou-
terois qu'il en fut ainsi de la peinture des jours, qui ne peut
avoir de fondement dans ce sujet. Ce n'est pas que je le vou-
lusse examiner aussi curieusement et philosophiquement que
fait M. de Chazelles. Car la poésie doit s'affranchir des bornes
étroites de la philosophie et de ses façons régulières déparier.
C'est pourquoi ces matières ne sont pas propres a être traitées
en vers ; et l'on ne peut jamais faire un poëme ^. En cela Lu-
crèce, parmi les Latins, est admirable et extraordinaire, qui a
traité si excellemment la philosophie dans ses vers. Le poëme
de saint Prosper des Ingrats est aussi une pièce merveilleuse,
oii l'auteur traite les questionsde la grâce si merveilleusement
et si solidement; mais c'est une pièce qui ne doit jamais être
tirée en exemple; et pour revenir ànotre sujet, je ne puis dire
autre chose, sinon que jevoudrois que l'on pût dire que le so-
leil peint les jours, et que l'avoir dit est une hardiesse belle,
noble et magnifique, quoique nouvelle et irrégulière. Il y a
des figures qui vont au delà des bornes ordinaires, comme il
y a des vertus héroïques,, et comme la poésie est le langage
des dieux, il ne faut pas s'étonner si elle ne parle pas tou-
jours comme les hommes. Au reste, je souhaiterois qu'il n'y
eut dans l'Europe que des querelles semblables à la vôtre ;
elles feroient quelque bruit; mais ce seroit un bruit comme
' Coït clarté? — 2 D'abord redevable, corrigé d'une autre main. —
^ Sic. Corr. n'en peut . ... ou en faire ?
15
206 PARNASSE PROVENÇAL
celui des cascades. Que sait-on si la fontaine' d'Hypocrene
n'en fait point sur le mont du Parnasse ! Si vous devez tou-
jours disputer aussi agréablement que vous faites, je ne vous
conseille pas de vous accorder jamais, et je me mêlerois vo-
lontiers de votre querele, non pas comme juge, mais comme
entremeteur intéressé, qui apprendray toujours quelque chose
en vous entendant disputer. Je suis de tout mon cœur
j- Antoine. Evêqvie de Vence.
A Vence, le I septembre 1669.
LE PERE CAMERON
Le Père Cameron, prêtre de l'oratoire, naquit à Aix ; il
s'adonna aux missions et composa à son usage des cantiques
spirituels en vers provençaux ; ils ont été imprimés plusieurs
fois. On en trouve encore un dans les dernières éditions du
P. Gautier, qui a été supprimé dans la meilleure édition des
cantiques du père Gautier, faite chez Labaye % à Avignon
l'an 1735. Ce cantique est une instruction pour se bien con-
fesser; il fut imprimé pour la première fois en 1700.
Le Parnasse provençal du P. Bougerel finit ici. La notice qui suit a été
ajoutée postérieurement. Elle est d'une autre main, et remplit deux feuillets
d'un format plus grand que le reste du ms.
GROS, DERNIER POETE PROVENÇAL -
Gros François Toussaint, né à Marseille vers la fin du siè-
cle passé, fit revivre la poésie provençale, et fut le troubadour
de notre siècle. Apres avoir fait ses premières études dans le
collège de l'oratoire de sa patrie, il se crut appelle à l'état de
chartreux, et en prit l'habit à Villeneuve les Avignon ; mais
avant de prononcer ses vœux, il changea de resolution, et
* Ms. chez l'abbaye.
- Après ce titre, on lit, écrit d'une autre main : » M. de Noyer n'est pas
plus vrai dans cette note que daus ses dissertations. »
PARNASSE PROVENÇAL 207
revint dans sa ])atrie. où il se fit admirer par ses vers proven-
çaux.
La maison de l'illustre petite fille de madame de Sévigné
étoit ouverte à tous les savans. Gros fut bientôt de ce nom-
bre; il chanta sa protectrice ; elle fut sensible à ses louanges,
et lui en témoigna toujours sa reconnaissance par l'accueil le
plus favorable. C'étoit beaucoup pour un jeune auteur ; mais
Gros qui n'étoit pas riche desiroit de ti-ouver un mécène gé-
néreux, et madame la marquise de Simiane ne lui avoit pas
ouvert sa bourse. Il quitta Marseille pour se rendre à Paris;
il espéroit que cette grande ville lui off'riroit des ressources ; il
se trompa, une femme et des enfans augmentèrent ses be-
soins; il fallut se résoudre à entrer dans les Fermes. L'emploi
qu'on lui donna au Pont-beau-voisin, lui fournit de quoi sub-
sister ; mais il ne paroit pas que son séjour y ait été de longue
durée. Attaqué de paralysie, il se fit transporter à Lyon, où
il mourut à l'âge de 50 ans, vers Tannée 1748. Nous avons
de ce poète un ouvrage intitulé: Reciiil depouesies prouven-
çalos de M. F. T. G. de Marsillo, imprimé à Marseille, chez
D. Sibié, 1734. Le fils de cet imprimeur en donna une seconde
édition en 1763, in 8°, de 224 pages, corrigée et augmentée,
avec une explication de mots les plus difficiles. On trouve à la
fin de cette seconde édition des vers francois sur l'ambition,
qui font honneur à Gros, et qui prouvent qu'il auroit composé
aussi élégamment en francois, qu'il écrivoit agréablement en
provençal. Ce livre qui est fort rare aujourd'hui est précieux
par le choix des pièces et par la beauté des vers ; les fables j
sont instructives et piquantes. Grosdemontre évidemment que
la langue provençale a des beautés qui ne se trouvent pas ail-
leurs; il a excellé surtout dans son dialogue entre un bour-
geois et un paj'san de Marseille sur l'accouchement de la
reine et sur le choix de madame Varanchan, nommée nour-
rice de madame de France, qui commence par ces. vers: Saint,
Maiic/iuan,sies' 6e?< coî/c^o?<s. Doux etbon par caractère, joyeux
dans l'adversité, il sut allier les moeurs au talent, et quoique
bègue il faisoit les délices des sociétés honorables ou il étoit
admis. (Mss. du P.Artaud.)
(A suivre.)
1 Sic ms.; mais le texte de Gros porte vus.
VARIETES
CALCARIA, TAXNKlîIE
Dans le t. XXVIII de la Revue, p. 43, M. Chabancau fait remarquer
quo les éditeurs des Documents concernant la Marche et le Limousin
ont traduit chauchiera par cabane avec le signe du doute. Il y voit
la signification probable de tannerie ou àefour ù chaux.
La traduction de M. Cli. est confimiée parle patois lyonnais. Les
tanneries qui, dans le premier tiers du siècle, florissaient à St-Sym-
phorien-sur-Coize, étaient dénommées charchiri, qui représente chau-
chiera ( = calcaria) dans la phonétique lyonnaise, où l du groupe le
devant a, devient exceptionnellement r (il le devient toujours quand
le est suivi de o, u), et où aria = iri.
A côté de charchiri, on a chaussiri, même sens, qui représente cal-
cearki, conformément à la même phonétique, où le devant e, i = uss
(exemple calceare=- choussi).
C'est à tort que M. Onofrio {Essai d'un glossaire, etc.) avait dérivé
charchiri, chaussiri, de calcare. Les charchire (au pluriel iri, devient
ire) sont les fosses à chaux, où l'on met macérer les peaux, et non le
lieu où on les piétine. C'est également h tort que M. Gras (Dict. du
patois forêzïen) a tiré ces mots de chausse (qui doit être écrit chosse),
chêne, lequel n'eût jamais pu donner charchiri. Cochard, en les déri-
vant de chaux [Statistique du canton de Saint- Symphorien), avait trouvé
la véritable piste, sans cependant remonter à Torigine latine.
D'après ce qui précède, on comprend comment calcaria a pu pren-
dre, dans nos dialectes romans, tantôt la signification de tannerie,
tantôt celle de four à chaux. Le v. fr. chauchiere signifiait four à
chaux, et, d'après M. Gras, on disait chochiere pour tannerie au
XVIP siècle.
Pditspelo.
Le Gérant responsable : Ernest II.amf.ijn.
Dialectes Anciens
PARAPHRASE DES LITANIES
EN VERS PROVENÇAUX
Le ms. de la bibliothèque d'Aviguon, d'où j'ai tiré la version pro-
vençale des Psaumes de la pénitence, que j"ai publiée en 1881, ren-
ferme en outre, comme je l'ai dit alors, une paraphrase des litanies,
également en vers provençaux. C'est de cette paraphrase, déjà publiée
en 1874 par M. Victor Lieutaud, dans une plaquette tirée à petit
nombre et devenue fort rare ', que je donne ici une nouvelle édition,
après en avoir soigneusement revu moi-même le texte sur le ms., dont
le contenu aura ainsi passé tout entier sous les yeux de nos lecteurs.
L'auteur de ce petit poënie ne s'est pas nommé ; mais, dès le début
de son œuvre, il nous apprend qu'il était franciscain, et il exprime en
la terminant le vœu d'aller au ciel, après sa mort, voir Sant Castor
henaurat, qu'il appelle lo sieu payre. Comme saint Castor est le patron
d'Apt, dont il fut évêque (IV<* siècle), M. Lieutaud a pu très-légiti-
mement supposer que le moine inconnu dont il publiait les vers était
aptésien. De là le titre qu'il a donné à sa publication,
La 4P stance, consacrée à saint Louis de Marseille, mort en 1297,
canonisé en 1317, prouve que l'ouvrage n'a pu être composé qu'après
cette dernière date. M. Lieutaud, qui a déjà fait cette observation,
remarque en même temps que saint Elzéar de Sabran n'y est nommé
nulle part; d'où il conclut, — se fondant sur le zèle de l'auteur pour les
saints de la Provence, zèle dont témoigne l'insertion dans ses Litanies
des noms de saint Honorât et de saint Louis de Marseille, — que
l'ouvrage est antérieur à 1369, date de la canonisation de saint Elzéar.
Nous avons donc ici l'œuvre d'un auteur provençal du XIV« siè-
cle. La langue du ms. confirme pleinement ces inductions. C'est cer-
tainement du provençal de Provence, et d'une date relativement ré-
cente, je veux dire postérieure à l'âge classique, bien qu"il paraisse
évident que l'auteur connaissait les règles de la langue littéraire, s'il
ne les respectait pas toujours.
' Notes pour servir à Thistoire de Provence. N'15. Un troubadour ap-
tésien de l'ordre de S. François. Marseille el Aix, 1874, 16 pages in-So.
TOME XV DE LA TROISIÈME SÉRIE. — MAI 1S8G. 16
210 PARAPHRASE DES LITANIES
L'ouvrage comprend 68 couplets de huit vers de sept syllabes, sur
trois rimes, alternativement féminines et masculines ', qui changent
à chaque couplet {cuhlas singulars des Leys d'amors) et qui sont dis-
posées dans l'ordre suivant :a babc bcb. Les lettres italiques in-
diquent les rimes féminines. Ces dernières, en plus d'un endroit, se ré-
duisent à l'assonnance :33-35,41-43, 101-lu3, 137-139, 197-199, 205-
207, 525-5272. Les rimes masculines ne sont pas sans présenter aussi
quelques irrégularités: ainsi, vv. 158,426 et 480, Va et Vo suivis d'une
nasale fixe riment respectivement avec des a et des o suivis d'une
nasale instable. Mais c'est là un phénomène ordinaire dans la Pro-
vence propre, et que j'ai déjà signalé dans les Psaumes du même
ms. Quant aux vers, soit masculins, soit féminins, qui sont complè-
tement dépourvus de rime, l'incroyable négligence du copiste, — car
on ne saurait rendre l'auteur responsable de pareilles incorrections, —
les a multipliés à un degré rare. Tels sont les vv. 4, 61, 247, dont
le dernier mot a dii être omis; les vv. 139, 165, 177, 187, 193-5,227,
237, 319, 337, 357, 377, 440, dont la rime a disparu, par suite de
substitutions, de transpositions, de répétitions fautives ou d'altéra-
tions diverses. Ajoutons ceux où la rime ne manque pas à la vérité,
mais où elle ne fait que reproduire le dernier mot d'un vers précédent:
tel est le cas des vv. 352, 376.
Toutes ces fautes, heureusement, de même que celles que Ion re-
marque à lïntérieur des vers, se laissent assez facilement corriger.
Aussi est-ce dans les notes que le lecteur devra chercher la plupart
des leçons fautives du ms. Le nombre est très-petit de celles que je
n'ai pas cru devoir prendre sur moi de corriger dans le texte même 3.
Je passe à l'exposé méthodique des caractères linguistiques de
l'ouvrage, ou du moins du ms. Plusieurs des traits que je vais relever
ont déjà été signalés dans les Psaumes que le même ms. nous a con-
servés. Aussi aurai-je à y renvoj^er plus d'une fois. Je rappelle qu'ils
ont été publiés au t. XTX, p. 209, de cette Revue.
1 . L'a posttonique passe à l'e après i, dans sie 80, sies 73 ; phé-
nomène déjà très-commun en Provence et en Languedoc au XIV* siè-
cle ; mais il reste beaucoup plus souvent sans se modifier. — Il y a un
1 Exceptions: vv. 193-5, 337-339, 341-343, (tout ce couplet — le 43e — est
masculin), 517-519, peut-être aussi 109-111.
-Il faudrait ajouter 61 63 {armas: falhas), 245-247 (tom : m'arma) et
269-271 {ojvansa : salvada), si la leçon du ms. en ces trois endroits n'était
pas évidemment incomplète ou fautive.
^ Plusieurs des corrections que j'admets dans mon texte ou que je propose
en note ont déjà été faites ou proposées par M. Lieulaud. Je signalerai en leur
lieu celles qui ont quelque importance.
EN VERS PROVENÇAUX 211
exemple {derer, 277) de la forme sèche du suffixe ariiis ; un autre du
retour à r« du même suffixe : dénias, pour deniers, au v. 195, si du
moins ma correction est aussi sûre qu'elle me le semble. Sur ces for-
mes en ia.. = ie.., qui commencent à abonder au XIV* siècle.
Voy. la Revue, VII, 439; XIII, 117.
l. L'e ouvert tonique, qui se diphthongue dans requier, 98, reste
sans altération dans quer, 32 ; au contraire, il se diphthongue dans
jiyenclies { = pectines), 275, contrairement à l'usage ordinaire. — Si-
gnalons le passage de le nasal à Va dans sandutz =^ cendatz, 416, et
peut-être dans sans, 245. Vo}'. la note.
3. L'î redoublé appelle un e pour former triphthongue dans dïeysist,
69, = dilsist, où le second i provient du c de dixhtï; voy. sur les
formes pareilles la Revue des langues romanes, XIII, 116. Il paraît
avoir permuté, par méthathèse, avec Vo fermé dans ymols, 235 =
Immiles ; mais il y a là plutôt deux phénomènes indépendants : muta-
tion simple de u en i et substitution d'un suffixe à un autre, comme
dans les adjectifs italiens en ole='ilis. — L'?/grec, dont le traitement
en langue d'oc, comme en français, présente toujours quelque incerti-
tude, est ici tantôt i (martire, 109, 249, 277; martiriatz, 302), tantôt u
(marturiatz, 89, 174); mais dans ce dernier cas seulement à la proto-
nique.
4. L'o ouvert se diphthongue en uo dans /«oc, 482 ; en ue dans
vuelh, 13; i^uesc, 362, et autres formes de ces deux verbes, ^a.ssm.
Cette diphthongue ue, à son tour, se réduit deux fois à « .• vulh, 168,
273.
5. L'ii tonique est passé à Vi, — cas dont il y a ailleurs bien d'au-
tres exemples, — dans ymols ^= humiles. Cf. ci-dessus, 3.
6. Le renforcement en iaio de la triphthongue ieu est un phéno-
mène assez commun en d'autres textes. Cf. Revue, XIX, 234. Nous en
avons ici un exemple, Andriau, 333 (mais Andrieu, 113). On peut
mentionner également tieau, qui se lit au même vers, bien que la
bonne leçon soit sans doute tieu. Le copiste, qui probablement pro-
nonçait tiau, aura inconsciemment fondu ensemble les deux formes.
— Dans alaugon, 304 ( = altujon), la diphtliongue eu, qui reste sans
se modifier au v. 40, s'est pareillement renforcée.
La réduction à a de la diphthongue latine au de gaudium s'observe
dans quelques textes. Peut-être est ce un exemple de ce phénomène
qu'il faut voir dans guàch, 80, plutôt qu'une interversion purement
graphique des deux lettres a et u. J'ai cru, dans tous les cas, ne pas
devoir corriger gauch, bien que ce soit c^^tte dernière forme seule
qu'on trouve plus loin .
7. Les cas de synérèse sont dans notre texte extrêmement nombreux :
u et e : Raphaël, 73 ; o et a : Jolian, 476 ; Padoa, 346 ; surtout \ et a.
212 PARAPHRASE DES LITANIES
e, ou 0 .-avidj 196; aviam, 499 ; cresiiana, 101, 229; Gnahriel, 65 ; itie-
tat, 170; tracion, 2^"^ \ passion, 489; dapnacion, 472, etc., etc. Comme
exemples des cas, beaucoup plus rares, et pour ainsi dire exception-
nels, de disyllabisme des mêmes groupes, citons chrestiana, 133; jas-
sian, 158 ; sia, 160 ; marturiatz, 174 ; ceîesiial, 390 ; ajiat, 456 ; glôrios,
113 ; tracion, 531 .
8. Les cas d'hiatus, d'un mot à l'autre, même quand les deux
voyelles sont identiques, ne sont pas rares : je renvoie pour a-a aux
vv. 87,248, 377, 433, 532; pour e-e, aux vv. 34,95, 114, 209 ; pour
a-e, a-o, etc., aux vv. 12,7.5, 156, 160,241, 279, etc. Les cas d'éli-
sion paraissent moins fréquents. C'est principalement avec que qu'on
les observe. La voyelle élidée est ordinairement supprimée (vv. 32,
48, 52, 75, etc.); mais quelquefois aussi on continue de l'écrire
(20, 49, 59, 391, 537). — Le v. 118 nous offre un exemple d'élision
de l'initiale : i ^stiest, pour i istiest. Cf. v. 343. Peut-être est-ce le
même phénomène que devrait présenter le v. 33 {en qui 'speri'l), plu-
tôt que la fusion en une seule syllabe (crase) de Vi de qui avec Ve
(Vesperi.
9. Le ^ dur devant a se double inutilement d'un u: 80, 301, 424,
425, 441, 486. Au contraire cette lettre est supprimée dans pogessa,
175; volgest, 443, où elle serait nécessaire ; cas l'un et l'autre très-
fréquents en d'autres textes. — Signalons la forme Aynes, v. 377, où
le g se fond simplement en y sans donner naissance à un n mouillée.
C'est là un trait bien provençal. Cf. S. Honorât et Ste Agnès.
Par une faute inverse de celle que je signalais tout à l'heure {ge
= gue) et non moins commune dans les anciens textes, le son du j
devant a ou o est ici plusieurs fois figuré par g : Gorgi', 281; alau-
gon, 304; senhoregans, 382.
10. Le d final de ad, quid, qui reste tel dans ad el, v. 13 (cf. v.
279, adiré, non azire), s'aiguise en z, même dz, dans quez est, 43 ;
adz el, 352 ; mais les formes ordinaires de ces particules sont a et
que. — Le groupe nd assimile le d à Vu ou le laisse tomber dans fa-
zennas, 467; calenas, 465. Cf. le v. 103, où la rime, si l'on ne veut pas
se contenter de l'assonnance, exige demanas, au lieu de demandas,
que porte le ms . , et le v . 255, où la rime encore exige prenha, que j'ai
restitué, mais où le ms. donne prenna = jirenda. Ces formes sont
très-communes dans les textes de Provence du XIV* siècle. Cf. Re-
vue, VIII, 221 ; XII, 229.
1 1 . Au lieu de luocs {locos), on trouve luoch au v. 239. Les Psau-
mes nous offrent de même precJi et antich pour precs et antics. Il faut
se rappeler, pour s'expliquer ces formes, l'identité de prononciation,
dans un grand nombre de dialectes, d'un côté de ch et de ts, de l'autre
de ts et de es .
EN VERS PROVENÇAUX 213
12. Le s; médial ou s doux est tombé dans graylha, 2Dl;peadas,
384; graït, 406. Final, quelle que soit son origine, < + s ou ce, ci, il
passe souvent à Vs: cros, 116 ; plas, 254; esguiras, 276; romans, 538.
J'ai parlé, dans l'introduction des Psaumes, du fréquent abus que
fait du z après le t le copiste de notre vas., abus qui, du reste, comme
je l'ai remarqué, ne lui est point propre' . Le ï, chez lui, affecte trois
formes : la première, qui est la forme ordinaire de cette lettre, où la
hanste est simplement barrée d'un trait horizontal; la seconde, où la
barre horizontale se replie verticalement, de manière à former comme
un z cursif privé de sa boucle-; la troisième, où ce repli vertical s'al-
longe en boucle, en dessous, de façon à reproduire exacten^ent la fi-
gured'un z cursif, j'entends d'un s à queue, caractère que je ne puis
ici représenter, notre imprimerie ne l'ayant pas. L'examen très-atten-
tif que j'ai fait du ms.ne me laisse aucun doute sur l'identité de signi-
fication que ces trois signes avaient pour notre copiste. Cela étant, il
pourrait paraître inutile de conserver le pseudo-s en question dans les
1 Sur le ms. 1745 de la B. N. que je cite en cet endroit, cf. Hermann Su-
chier, Denkmaele);\, i8l. Dans ce même ms., comme M. Suchier Je fait
remarquer, le g est très-souvent aussi suivi d'un pseudo-z. Or ce signe, selon
ce que j'ai observé moi-même, n'est, comme daos tz ^= t, que le dernier degré
du développement d'un Irait horizontal qu'on remarque dans la forme la plus
simple du g, trait qui se replie d'abord comme dans le t, puis se prolonge en
boucle de façon à figurer complètement un z {gz).
Un autre pseudo-z qu'on remarque dans certains mss., et que je mention-
nerai ici à cette occasion, est celui que produit, sous la plume de quelques
soribes, le dernier jambage d'une m prolongé en boucle, et qui donne à cette
lettre l'apparence du groupe nz. 11 arrive même quelquefois que ce pseudo-3
tient lieu de l'm entière, peut-être parce que le premier copiste, prenant le
nz = m pour le groupe n + z, a. remplacé l'n par un titulus, qu'un second
copiste aura omis (par exemple, quem, quenz, qiiëz, quez). Cf. là-dessus la
Revue des lai^gues romanes,.
^ Ce signe intermédiaire (que j'ai plus d'une fois, dans les Psaumes, rendu
à tort par tz) se remarque ici, entre autres endroits, aux vers 11 {segut), 12
[mont), 18 [formai ), 32 {dolent), 83 [sont esperit), 34 [font], 38 {henaurat),
108 {lapidât), 208 {dupnat), 222 [tirassat), 252 [trobat), 350 {tôt), 357 (e^
pour etz = estis), 516 {esperit), 520 (amiit), etc. , etc. 11 représente, par con-
séquent, comme tz, tantôt t, tantôt tz. Et le simple t lui-même, en raison de
celte identité de valeur des trois signes pour notre copiste, et de la con-
fusion qui naturellement devait s'ensuivre entre tz, variante graphique de
t,et tz, groupe réel, a dû être quelquefois mis pour ce dernier. C'est ce qu'on
observe, par exemple, dant tôt, vv. 225, 316; sant, 242; qui sont pour totos,
sanctos, et dans les cas plus nombreux, mais moins sûrs, parce que là le fait
peut être d'ordre purement grammatical, oii le sujet singulier est en t, au
lieu de tz (70, 162, 260, 274, 278, 312, 409, 518, etc.).
214 PARAPHRASE DES LITANIES
cas où il est impossible qu'on ait voulu écrire un z véritable'; j'ai
cru pourtant qu'il était préférable de ne pas l'effacer, afin de laisser
aulecteurla pleine liberté de son jugement ; seulement, suivant l'exem-
l)le donné par M. Sucliier. je l'imprime eu italique. Je fais de même
pour le t de la seconde forme plus haut décrite. On aura donc, ici,
pour le < ordinaire : t ; pour le t à barre simplement repliée : t; pour le
t suivi d'un pseudo-2 .- tz. Mais là où il peut y avoir doute, quant à tz,
sur l'intention de l'auteur ou même du scribe, par exemple au sujet
pluriel, j'imprime en romain le z comme le t, m'abstenant du reste,
systématiquement, de toute correction entraînant l'adjonction ou la
suppression de cette lettre .
13. Le groupe rs en finale est presque partout réduit à s^ ce qui
est, pour ainsi dire, de règle en Provence an XTY® siècle : Tos, 306,
= Tours (la ville de); coSj 384, = corpus, etc. L'r, à la vérité, est
quelquefois écrite, par exemple : pecadors, 522 ; confesors, 3.54 ; mais
des rimes telles que celles qu'on remarque aux couplets 43 et 66, où des
mots en os {= ors) ont pour correspondant le pronom nos, prouvent
qu'on ne la prononçait pas.
Notons la métathèse de Vr dans 2'>ressona, 21, 41 {mais persona, 167),
et sa chute, constante dans guanren (= granren, 182, etc.), acciden-
telle dans vosta, 228. (On a vostre, vostra, aux vv. 356-7.
14. Un exemple remarquable du phénomène que les Allemands ap-
pellent umgelcehrte Schreibimg nous est offert par optisme, 465, où le
p remplace une /. C'est le contraire de oZtar cat. pour autar=aptare,
etc. Application bizarre de l'axiome que deux quantités égales à une
troisième sont égales entre elles : al et ap) donnant également au, on
a cru pouvoir indifféremment remonter de au à ap ou à al.
15. Lorsque Vm, après une voyelle et devant une consonne, n'est
pas figurée simplement par un tilde, auquel cas je rends ce signe par
m, elle est le plus souvent remplacée par n; mi, 32, 123, 140, etc.;
flun, 474; ensens, 81; tostens, 85, Au contraire, Vm remplace abusive-
ment Vn dans grain, 213 ; Martim, 305; ensens, 297, 353.
Cette consonne reste sans altération dans membratz, 168, contraire-
ment à ce qui a lieu dans renemhrei, qu'on lit dans les Psaumes. (Voir
l'introduction, n" 10.)
16. L'î! instable, sauf au pluriel des pronoms possessifs, est tou-
jours écrite, même à la fin des vers, quand la rime l'exclut ou paraît
* Ainsi dans les formes verbales /«.sf:, 102, 134; iestz, 119; defentz, 120,
136 ; vezcinieKtz, 472; dans l'adverbe motz, 106; et dans les très-nombreux
régimes singuliers, tels que totz, 4, 6, 128, 299, .368, 432, 480, WO; sertz, 3,
488; /«j«//c, iO ; pietatz, ii2; gratz, 176, 220; estatz, Z^Qymortz, 341
379; descubevfz, i82; dezertz, 484; jor/;, 515, etc., etc.
EN VERS PROVENÇAUX 215
l'exclure: ainsi plan, v. 6 ;fin, 54. Seule exception no, 1(S7, où le co-
piste a dû omettre, par mégarde, le signe de la nasale. Après IV,
cette lettre reste dans carn, 457; mais elle tombe dans^or, 288 \jors,
118 ; jort, 465, 515, dont le t, comme je l'ai expliqué ailleurs, est le
résidu normal du z de la forme jorz {jornz) du cas sujet. — Un est
ajouté à un i final dans aysin, 8 ; forme qui, plus tard, s'est encore
accrue d'un t paragogique : d'où, grâce à une nouvelle adjonction, le
moderne aysindo.
17. Les formes de l'article sont naturellement celles delà Provence:
le, II, pour le sujet sing., masculin et féminin ; h, hi, pour le régime.
On trouve cette dernière forme au v. 91, dans le rôle de sujet. Cette
exception xmique est probablement le résultat d'un lapsus.
18. Les règles de la déclinaison sont presque partout méconnues ^
Il est probable, non-seulement que le copiste les ignorait, mais que
l'auteur lui-même les avait souvent violées. On peut mettre sur le
compte du premier une bonne partie des fautes sans nombre qu'on
observe dans le corps des vers; mais des rimes telles que celles qu'on
remarque aux couplets 13, 14, 22, 24, 26, 27, 28, 30, 31, 36, 42, 51,
68, surtout aux couplets 5, 17, 38, 57, 65. et dont aucune correction
ne paraît pouvoir rétablir la régularité, semblent bien prouver que le
second, s'il connaissait les règles de la déclinaison, les traitait assez
librement. Et il les connaissait, comme le prouvent, moyennant les
corrections qui s'imposent, les rimes masculines des couplets 9, 12,
52, particulièrement des couplets 10, 20, 21, 32, 33, 35, 39, 56, si
l'on remarque surtout que la graphie as pour «te, aux vv. 168 (couplet
21), 254 (c. 32), 270 (c. 35), ne laisse aucun doute sur la vraie valeur
de ts, là où cette notation est régulière-, malgré l'abus que le copiste
fait si souvent du z après le t, et dont il a été déjà question, ou sur
1 Le sujet pluriel, hors de la rime, est partout en s, excepté elegit 245, duy
e duy 238, et de plus l'article li et le pronom tuch, qui se maintinrent du
reste, par habitude, en divers lieux, longtemps après que toute trace de la
déclinaison était déjà perdue dans les noms: 82, 124, 141, 227, 229, 235, 298,
357, 441, 448, 515, 519. Au sujet singulier, on a homs, v. 2; vieux, 162;
fons, 491 (mais fon, 22; font, 34); riei-geSjbi, 375, 401. Partout ailleurs (les
cas de t: à part — voir la note suivante — ) la règle est violée.
2 Tel est le cas des vers 66, 72, 90, 92, 250, 258, Î62, 306, 308, 414.—
Le z manque, mais doit être rétabli, comme l'indiquent les rimes correspon-
dantes dans le même couplet, aux vv. 70, 162, 252, 260, 274, 278, 312, 410.
—Aux vv. 36, 110, 132, 174, 334, 456, 542, 544, on lit au contraire tz, que la
régularité grammaticale exige en effet, mais que la rime repousse, celles qui
y correspondent ne pouvant être qu'en t. On peut croire que là, comme aux
endroits mentionnés plus haut (p. 214, n. 1), le z n'est qu'une fioriture gra-
phique. Hors de la rime, la notation /:; existe en outre régulièrement, pour le
sujet singulier, aux vv. 2, 102, 150, 253, 480, 516, 518.
216 PARAPHRASE DES LITANIES
la nécessité de la rétablir, lorsque, en correspondance avec cet as, on
trouve at au lieu de atz, ce qui est le cas, par exemple, du couplet 35.
Un exemple do nom intégral à pluriel sensible est lasses auv. 154,
si ma correction est exacte. Lesmots/rtc/i et gauch (vv. 100, 200) ne
reçoivent pas Vs flexionnelle au régime pluriel, ce qui se remarque,
en beaucoup d'autres textes, de ces mots et de leurs pareils, parce
qu'ils sont considérés comme intégrais ou invariables, au même titre
que les mots en s radical. Cf. Psaumes, introduction, n" 13,
10. La forme ordinaire du pronom de la première personne, au cas
sujet, est ieu, yeu; mais on trouve aussi heu, v. 9, et hi/eu, 35, 179,
305.
Les formes du pronom personnel, au cas oblique du singulier, sont
en i : mi, ti, si. Seule exception me, au v. 295. imputable peut-être
au copiste, qui aura été influencé par jHctas qui suit. Cf. Psaumes,
n" 15.
20. La forme absolue du pronom possessif féminin est ordinaire-
ment en ieua{micua, tieuu); on trouve deux ou trois fois tiiia (36,272)
ou tiuas{H'à). Mais ce dernier exemple est fautif, comme le prouve la
mesure, qui exige tieus.
L'a de mieua, iieua, s'élide devant un a initial suivant, soit qu'il
s'écrive (?a mieua arma, vv. 287,327), soit qu'il soit supprimé {la
tieu ajuâa, vv. 169, 177, 207); mais, même dans ce dernier cas, le
copiste ne laisse pas d'attribuer cette lettre au pronom, et c'est le
mot suivant qu'il en prive, écrivant toujours la tieita juda. — Devant
une consonne, ces formes ou restent disyllabiques, et par conséquent
conservent l'a efiEectivement (vv. 24, 265, 492), ou se réduisent à
mieu, tieu (91,143, 202, 543), bien que le copiste continue de leur
donner l'a, dont on les trouve déjà dépouillées, en pareil cas, dans
des textes antérieurs.
Signalons, pour les adjectifs démonstratifs ou déterminatifs, les
formes en o, comme esto (538), tantos |256), dont les exemples, encore
assez rares au XIV" siècle, deviennent de plus en plus fréquents dans
les monuments postérieurs des dialectes de la Provence et du bas
Languedoc.
21;- Verbe. La première personne de lïndic. présent, lorsqu'elle
n'est pas sans flexion, est tantôt en i, tantôt en e; mais le v. 329, où
il y a requere dans le ms. , mais où la forme requeri s'impose, à cause
de la rime, semble indiquer que les formes en 2*, d'ailleurs plus nom-
breuses, à ce qu'il semble, étaient celles de l'auteur, et que les formes
en e ont été introduites par le copiste.
Il y a quelques exemples de subj. prés, première pcrs. en i (vv.
152, IGû, 311, 525, 527), forme très-commune dans les textes de la
Provence du XIV« siècle, comme j'ai déjà eu plus d'une occasion de
EN VERS PROVENÇAUX W
le coustater. Mais la forme en e s'y rencontre aussi (249, 279, 292).
Elle est assurée par la rime au premier de ces trois exemples.
La deuxième pers. du singulier, dans les parfaits faibles de la pre-
mière et de la troisième conjugaison et à l'ind . présent de esser, diph-
thongue partout son e (yest, 20; nasquiest, 28, etc.)- La même per-
sonne, dans les parfaits forts en si d'origine ou assimilés, oflEre tantôt
la forme pleine [mezist, 266 -.fezlst, 380, 481), tantôt la forme contractée
{quist, 322; fîst, 323, 326). — Dans remangiiist, 387, on remarque la
substitution de la flexion gui (= lat. ui) à la tîexion si, ordinaire au
yevhe remarier . La deuxième personne du pluriel aux mêmes temps,
sauf deux exceptions (es et et pour etz, v. 299 et 357), est en st {est,
43 ; fost, 302 ; volgest, 443), réduction de stz, qui, pour être beaucoup
plus rare que tz, ne laisse pas d'être encore assez fréquente dans les
anciens textes.
La deuxième personne du pluriel dans les autres temps est en s:
84, 85, 230, 303, 359, 442, 446. 11 ny a, sauf erreur, aucun exemple
de tz ; aucun exemple régulier, du moins, car irascatz, qu'on lit dans
le ms., au V. 223, est pour irasca!^, deuxième pers. du singulier.
La terminaison de l'imparfait du subjonctif est en a (non e) : ...es-
sas (501, 503), ...essan (509, 511). Cf. les Psaumes, introduction, n° 16.
Signalons encore /es (= /aciù's), 303, à côté de/as, 359. C'est une
forme déjà toute moderne et qu'on trouve en abondance dans les
textes provençaux postérieurs.
Le subjonctif présent, resté étymologique dans fassa, 16, est analo-
gique dans x>lasa, 31, 50, 370, absolument comme dans le français
moderne.
22. Notre texte offre deux exemples d'un adverbe dont l'emploi ne
devait pas être commun, car on le rencontre rarement : c'est lo (sans
doute loco), au sens probable de aussitôt, alors (le temps ^our le lieu
comme alloc, qui est dans Raynouard ; cf. le latin illico), vv. 181, 405
Pour la chute du c. qui reste dans alloc, comme dans le subst. loc, cf.
la et sa (de illac, ccce hac), à coté de la/, sai. On trouve de même en
catalan alo, à côté de alloch.
Notons, V. 427, la forme von^ aujourd'hui voiinte ou mounte, où le v.
analogue au digamma éolique, est le renforcement de l'aspirée. Cf.
Bévue, t. XIX, p. 211, n. 1.
23. Le trait syntaxique le plus notable est la fi-équence de la sub-
stitution au pronom relatif de ses éléments logiques, à savoir la con-
jonction que, d'une part, et le pronom personnel ou possessif de l'au-
tre -.que tu, vv. 18, 27-28, = (toi) qui; que ton, 493-4, = toi dont;
que vostra, 357, = [vous) dont la; que. . .lo, 216, =■ lui que. Cf. là-
dessus la Bévue des langues romanes, IX, 356; XXV 1, 116.
Je signalerai encore l'emploi de nul sans négation exprimée (vv.
218 PARAPHRASE DES LITANIES
45, 403?), celui de tu comme régime direct (vv. 161, 329, 471, peut-
être aussi 51), le renversement des rôles de esser et aver dans son
affutz. 244. = (m estât (Cf. Eevue desl.rom., XXV, 127), l'emploi de
l'imparfait du subjonctif pour le présent du même mode, au v. 175
(c£. l'avant-dernier vers de la Prose de sainte Eulalie), l'espèce de
syllepse que présente le v. 181 (car convertida ne peut s'accorder avec
guanren, qui est un neutre), et enfin l'emploi pléonastique de que au
v. 326. Cf. Revue des l. rom., XIII, 288.
. 24. Le vocabulaire d'un poëme comme le nôtre, où les mêmes
formules reviennent presque continuellement, doit être naturellement
assez pauvre. Très-peu de mots s'y trouvent qui manquent dans le
Lexique roman, ou qui n'y figurent pas avec l'acception que leur donne
notre auteur. Je les relève ici :
Asseje, 215 ; subst. verbal de assetjar, assiéger.
Avist (ïstar), 343, 422. Être précautionné, se comporter prudem-
ment, en homme avisé. Cf. Azaïs (am<) et Mistral {avis). Je crois
être sûr d'avoir vu la même expression dans la Vie de saint Honorât,
mais je ne sais pas retrouver l'endroit. On trouve esser vist, au même
sens, à ce qu'il paraît, dans une nouvelle de Raimon Vidal (Bartsch,
Denkmaeler, 191, 1 4) :
No volhatz esserni trop trist
Ni trop recrezen ni trop vist,
Ni nul trop no vulhatz aver.
Avist s'emploie aussi, et s'employait déjà sans doute autrefois, avec
tener, dans une signification active. Voici un exemple de Bellaud de
la Bellaudière, où le sens propre de la locution se laisse bien voir :
Suc tengut plus d'avist {de a vist ?) qu'un mastin enrabiat.
Cf. l'expression terie d'à ??2eK<, commune chez les félibres (J/iî-Ciio,
160, etc.), et où l'on voit que ment a survécu ailleurs que dans la
composition adverbiale que l'on connaît.
Brassas, 311; voir ci-après la note sur ce vers.
Domen, 173 ; domens,bVS. Raynouard, dementre, do7ncntre.C^ est ainsi
que sempre a été réduit à sen, puis à se, dans jasse, ancse, erassc, desse.
Gent (la), 307, les gentils, c'est-à-dire les imycns. Acception qui
manque à Rayn.
Graylha, 257, grille. Rayu. n'a aucune des formes [gradilha, grazï-
Iha. . . .) de ce mot.
Lo, 181, 405, là ou alors. Voy. ci-dessus, paragr. 22.
Trist, 328, 462, malheureux, maudit, comme en italien. Acception
qui manque à Raynouard.
EN VERS PROVENÇAUX 219
Yiiiols, 235. Eayn. Tlumil. Voy. la note.
Le genre de littérature dont nos Litanies sont, si je ne me trompe,
l'un des moins médiocres échantillons que nous offre l'ancienne poésie
provençale, je veux dire la paraphrase ou la version plus ou moins li-
bre des prières ordinaires de l'Église, telles que \e Pater ^V Ave Maria,
le Credo, etc., n'est représenté, dans ce qui nous reste de cette poésie,
que par un assez petit nombre de pièces. Voici la liste de toutes celles
que je connais.
1. Le Pater. Trois versions ou paraphases : l'une, de 14 vers, con-
servée dans le ms. Harh-ien, n" 3183, a été publiée par M. H. Su-
chier dans ses Denkmaeler, I, 291; les deux autres ont été signalées
dans un récent article de la Roman/a (XIV, 491,528), par M. Paul
Meyer, qui a publié 21 vers de la première (elle en a 104) et la se-
conde, c[ui n'en a que 36, en entier. Ces deux pièces font partie l'une
et l'autre d'un des mss. de la collection Libri (n° 105) acc[uis parle
gouvernement italien * .
2. h'Ave Maria. Quatre, savoir:
a. Paraphrase en sept couplets de huit vers. Ms.B.N. 25415.
M. Paul Meyer en a publié les 22 premiers vers dans \e BvUetv) de
la Société des anciens textes, I, 76.
b. Paraphrase en 34 vers. Ms. 105 de la collection Libri. Publiée
en entier par M. Paul Meyer dans la Romania, XIV, 492.
c. Paraphrase en 6 quatrains. Je la crois inédite. Mon vénérable
ami, le docteur Koulet, à qui je dois la copie que j'en possède, m'ap-
prend qu'il l'a transcrite le 15 juillet 1851, à Albi, d'un livre d'heures
ms., sur vélin, appartenant à M. Clément Compayré, qui attribuait ce
ms. au XIV* siècle. On la trouvera ci-après à l'appendice.
d. Pièce de 47 vers, probablement composée aux environs de Tan
1500, qui a pour titre : S'enseguen se cinq orations compresas sus las
cinq letras de Ave Maria, et qui s'inspiie autant des litanies de la
Sainte Vierge que de VAve Maria. Elle fait suite à la Confession ge-
nerala de fraire Olivier MaUhart en languatge de Tholosa. Dumège l'a
reproduite, à part, au t. IV, p. 199, des Institutions de la ville de Tou-
louse .
3. Le Credo. Deux :
a. Ms. Libri 105. 42 vers. Les douze premiers ont été publiés par
M.Paul Meyer, Romania, XIV, 535.
* Dans le même ms. se trouve aussi une exposition du Pater en prose pro-
vençale.— Raynouard {Choix, I, 198) rapporte un vers, si c'est bien un vers
[A nos ve7iha lo teu régnât), d'une autre version de l'Oraison dominicale.
dont il ne désigne pas le ms.
220 PARAPHRASE DES LITANIES
h. Livre de raison de Jean de Barbentane (Archives des Bouches-
dn-Rhône). 18 couplets de 4 vers, publiés en 1862 par M. Ferdinand
André, en une brochure de 8 pages, dont la rareté, autant qu'une au-
tre circonstance dont je vais parler, m'engage à donner ici une nou-
velle édition de cette paraphrase. La circonstance que je veux dire
est que le personnage qui prit le soin de ti-anscrire sur son livre de
raison le Credo qui nous occupe était procureur du chapitre de
l'église de Saint-Castor d'Apt, fonctions dont il fut revêtu le 9 octo-
bre 1400; ce qui suggère naturellement la pensée que ce Credo,
comme nop, Litanies, doit être Tœuvre d'un Aptcsien, et, par suite, que
les deux ouvrages pourraient fort bien être d'un seul et même auteur.
4. Les Commandements de Dieu. Deux versions ou paraphrases:
a. Ms. Harleien 3183. Dix vers publiés par M. H. Suchier, Z)enA;-
maeler, I, ,290 .
h. Pièce de 46 vers octos., dont les 40 premiers sont divisés en
quatrains, et que je crois pouvoir mentionner ici, malgré sa date ré-
cente. Elle a été composée par Joseph Cormys, chanoine du chapitre
deVence, en 1552. M. Paul Meyer l'a publiée dans \b, Revue des So-
ciétés savantes^ 6« série, t. III, p. 432'.
5. Les Litanies. Outre la paraphrase que je publie, on en possède
une autre, en 33 couplets de 4 vers octosyllabiques, qui porte pour
titre, dans le ms. qui l'a conservée (British Muséum, Harleien 3183)
Letania de sant Pierre de Luxenborc. Elle a été publiée par M. H.
Suchier dans ses Denhnaeler, I, 291. Cf. ihid., p. 549 2.
C'est bien aussi une espèce de litanie, mais d'une allure beaucoup
plus lil)re que les précédentes, qu'une longue prière en vers de six
syllabes, où Jésus-Christ, la Sainte 'Vierge, saint Jean-Baptiste et
1 On remarque dans cette pièce un exemple, que je signale ici en passant,
du pliénomène mentionné ici-dessus, n» 14. C'est dalmage, pour daumage,
où 17 se trouve, en dernière analyse, remplacer une n [dai7iJiage), comme
ailleurs un p, un c ou un g {salma, sauma, sagma).
- Saint-Pierre de Luxembourg, évêque de Metz et cardinal, né en 1369,
mort le 2 juillet 1387, à Villeneuve-lez-Avignon. — Les catalogues des biblio-
thèques de Burgaud des Marets et de Bory mentionnent des cantiques en
provençal moderne, concernant ce saint, que je n'ai jamais vus. Voici les ar-
ticles qui les concernent:
" Cantiques provençaux, renfermant les principales actions de la vie du
bienheureux Pierre de Luxembourg. S.l.n.a., in-18. " (N° 1315 du catalogue
Burgaud.)
« Cantique du bienheureux Pierre de Luxembourg (tout provençal). Avi-
gnon, J. Chaillot (17,.), in-32 de 15 pages. « (No 1900 du catalogue Bory.)
S'agit-il d'ouvrages différents ou seulement de deux éditions différentes,
diinl la seconde ne contient qu'un des cantiques annoncés dans la première ?
EN VERS PROVENÇAUX ïll
saint George sont seuls nominativement invoqués, et qui a été com-
posée vers 1340 par Peire de Ladils, de Bazas. On pourra la lire pro-
chainement, avec les autres poésies du même auteur qui nous ont été
conservées, dans un volupae actuellement sous presse (J.-B. Noulet
et C. Chabaneau, Deux mss . xjrovençaux du XIV® siècle, p. 129).
j-po 9 1.0] ^ Lag letanias romansadas
Totz homs [a]jsi trobara,
Las cals a per sert:: dechadas,
4 Per endrejsar totz cor [va],
Un endigue fil e frajre
De sant Frances tots de pla(n),
E qui las voira retrayre
8 En ajsin comensara.
[V°] 2. Heu, forfacha creatura,
C'ay laisatz mon creator,
E segu^ se[ne]s mesura
12 Del mon^ la(s) falsa(s) honor(s),
Vuelh ad el merce requerre
Que mi perdon ma(s) folor(s),
E mon cor plus dur que ferre
16 Fassa mol per sa dosor.
3. Senlier Dieu, eternal payre,
Que tu as lo mont formai,
Cel e terra e mar e l'ayre,
20 Et yest en laTrenitat
Tota premiera pressona,
F° 10] Fon de la Devinitats,
Tu, Senhe[r], a miperdona
24 Per la tieua gran bontatz.
4. Fil de Dieu, Jesu salvaire,
Home e Dieu verament,
Que de Dieu solet lo payre
28 Nasquiest tu eternalment
222 PARAPHRASE DES LITANIES
E volguist del cel dejsendre
Per lo nostre salvament,
Plasa ti, Senher, de rendre
32 So qu'ieu queran cor dolent.
5. San^ Esperif, en qui esperi,
Lume e fon^ de bontaù,
[V°] Hjeu seitanamens, e crezi
36 Que la tiua magestatz
Prosezis(t) ensems del Pajre
E del Fil benaiiraf,
Tu mi dona ben a fajre
40 E mi aleuges de peccat-.
6. Ayl benezetas pressonas,
Creze(s) e saj vos per ver dir
Quez est un Dieu tota[s] hor'a[s]
44 Ni ma[ys] ni mens, ses mentir,
Al cal nulha ren que sia
Pot escapar ni fugir.
Senher, merce ti queria,
[Fo 12] 48 Qu'ieu ti pogues ben servir.
7. iMayre dona, que jest rejna
De tôt cant Dieu a sot si,
A mi, Verges, tu cnclina,
52 Per lo gran ben qu'es en ti ;
De mi, caytieu tan endigne,
Merce aias a la fi(n),
E[l] tieu car fil tan bénigne
56 Ti plasa pregues per mi.
8. Senher sant Miquel arcangel,
A tu mi rendi premier.
Que jest per cert aquel angel
00 Que prenes, al jorn derier,
[V°] Dels fizels las armas [pias].
Et en iest passionier ;
(Tu) escuzes las falhas mias
04 Davant lo Rev drechiirier.
EN VERS PROVENÇAUX in
9. (Tu) Senher sant Guabriel, mesage
Que fust per Dieu elegutz,
Per ben del uman linhage,
68 A portar tan grans salutz,
Quant diejsist : Ave Maria,
Per quel mont fon rezemut,
Prec ti que fassa[s] ioiz dia
72 Qu'ieu las non venga perdutz.
10. Sant Raphaël, sies m'en ajuda.
[F° 13] Meje ye%i de Dieu sertans;
M'arma es a mal venguda,
76 Car per sert mon cor es vans.
A tu comande ma vida,
Garda mi de malas mans,
E preguiera fai complida
80 Qu'ieu sie al[s] guach sobejran[s].
11. A totz ensens mi comandi,
Angels de Dieu, humilmens.
Hieu a totz conselh demandi
84 Que mi ajudes brie[u]mens.
Vulhas tostens mi défendre
De totz enfernals tormens,
[V°] E pregui[e]ra a Dieu rendre
88 Per totz mos defalhimens.
12. Senher sant Johan Baptista,
Que fust per Dieu marturiatz,
La tieu(a) testa fon requista
92 El tieu sanc fon escanpatz,
Per conselh de Rodiana
A cubrir sa[s] malvestatz.
Tu m'arma que es tan vana
96 Fay perdonar sos pecatz.
13. Senher sant Pejre de Roma,
La tieua ajuda requier ;
En tu es d'onor li soma,
[F" 14] 100 Car en totz fach fost premier.
224 PARAPHRASE DES LITANIES
(Fost mes) en cros per la fe crestiana
Fust tu pauzatz en derier;
Tu per mi perdon demanda
104 Davant lo Rey drechurier.
14. Sant Paul, sobeyran maestre,
Motz as lo mont ensenhatz.
Tu en la cieutat da Lestre
108 Verament fust lapidai,
Salvant los autres martires,
Fust pue[y]sas decapitaz.
Tu, Senher, los mieus sospi[re]s
112 Eysauses per ta pietatz.
[V°] 15. Sanct Andrieu, glorios payre
Que en Gressia prediquiest,
De sant Peyre fust tu frayre
116 E Jesu Crist mot amiest.
Sus en la cros ti leveron,
Dos jors per entier i 'stiest.
Tu iestz cel que armas queron ;
120 Defentz mi, car pietos yes[t] .
16. Sant Jaume de Conpostella,
Que fust frayre de sant Jehan,
An ti troban en Conpostella
124 Perdon romieus con la van.
Tu perdiest per Dieu la testa,
[F" 15] Apres Crist lo premier an ;
Fay me venir a ta festa
128 E mi garda de totz dan.
17. Sant Joan, en ti ay pauzada
Tota ma fe de prezent ;
A tu fon recommandada
132 Li mayre de Dieu plazentz ;
Pueys per la fe chrestiana
Fustz mes en oli bolhcntz.
Tu amor mi toi mundana
136 E de totz mal mi defentz.
EN VERS PROVENÇAUX 223
18. San/' Tomas, de Djeu apostol,
Que amiest Dieu coralmens,
[V°] Non trobi savi ni consol,
140 Message an majs de sens.
So que li autres crezian
Volguist proar sertamens.
Las tiuas preguieras mi sian
144 Perdon de mos failli mens.
19. San Jaume, conhat bénigne
De l'autre c'aj dich desus,
Home tant sant e tant digne,
148 Que fust semblant a Jésus,
Tu fust per ta santa vida
Derocatz del temple jus.
Ajudafai mi complida,
[F" 16] 152 Qu'ieu huevmays non pecqui plus.
20. Sant Felip, benastruc pajre
Quels lasses Somaritan[sJ
Ajudiest premier a trayre
156 De la error dels paguans,
Et aguist .11. santa[s] filhas
Que ti jassian davans,
Tu de mi faj meravilhas
160 Que yeu non sia tan van[s].
21. Sant Bertomieu, tu reclami,
Que fust viens escortegat;
Toi mi que jeu non tant ami
164 D'aquest mont la vauetat.
[V"] La tieu ajuda mi don a,
Rezem mi de mos peccatz,
Car de ta(nt) santa persona
108 Yulli ades esser membras.
22. Sant Matyeu, latieu ajuda
Mi trametas per pietat:;,
Que m'arma non sja venduda
172 Al demoni pei' peccats.
17
226 PARAPHRASE DES LITANIES
Domen que dizias la messa
Fust per Dieu marturiatz
Fay, senher, que yeu pogessa
176 Ben servir a Dieu en grat-.
23. Sant Simon, la tieu ajuda
j-jjio j^ijrj ^j bezonha e del prec tieu.
Hyeu per sert ay gran pendensa(s),
180 Senher, del falhimen(s) mieu(s).
Per tu fon lo convertida
Guanren de gens, so say yeu .
Fay, bon payre, que ma vida
184 Sia tota plazent a Dieu.
24. Sant Juda, tu, coral payre,
Non yest pas l'autre trachor;
Mas de bens no ay fach gayre,
188 Prec ti mi sias defensor.
Tu moris[t] en Ermenia,
[V°] Sebelit fust an gran lionor,
Per lo pobol que crezia
192 Jesu Crist nostre senhor.
25. A tu vene, sant Mathias,
Apostol que sucezist
Ad aquel que per dénias
196 Avia vendut Jezu Crist ;
Pueys prediquiest en Judea
E gran pobol convertist.
Tu m'ensenha con yeu quera
200 Los gauch als quais tu venguist.
26. Sant Barnaba, tu regarda
La mieu(a) gran necessitatz.
Car ades mi sec gran arda
204 Dels grans mais en que ay obrat.
Tu fust donat per corapanha
[F" 18] A sant Paul ben[a]iirat.
La tieu ajuda mi valha
208 Que yeu non sia dapna^.
EN VERS PROVENÇAUX 227
27. Tu, sani Luc, verge e noble,
Fust plan del sant [Ejsperit,
Del cal en Constantinoble
212 Le tieu cos fon sebelit.
Senlier_, que fust tan gran mege
E per sant Paul elegit.
Garda mi d'aquelh assege
216 Quel diable l'a establit.
28. Sant Mar[c], tu fus[t] de sant Peyre
Dicipol adoctrinat,
[V°] E fust adordenat prejre
220 E evesque mal ton gratz,
Puejsas lo sant jor de Pascas
Tu fust per Dieu tirassa^.
Prec ti, senher, non t'irascas
224 Car jeu malvays t'aj preguatz.
29. A tôt enpcemps yeu supliqui,
Companha del mieu senhor,
Sans apostols, qu'ieu m'apliqui
228 Tostems de vost[r]a lausor ;
Princes de la fe cristiana
Ajudas (a) mi pecador,
Que m'arma sia ben sertana
[F" 19] 232 De venir al rey major.
30 Als .Lxxii. decipols
Que foron tan bons e ymols,
236 Que per mandament espres
Que am luy s\acompanh(i)a[van],
[E] duy e duy en après
Per totz los luoch (que) predicavan
240 Que liom Dyeu del cel âmes
31. Pueys requere yeu l'ajuda
Dels sant petitz Ignocens,
Que non an tracion saupuda
244 Ni son agutz mal disen(t)s.
228 PARAPHRASE DES LITANIES
Elegit foron ses taca
[V°] De totas las autras gens.
Prec lur yeu que m'arma'[flaca]
248 Fassa[n] ferma a totz vens .
32. Prec ti, martir ^ant [E]steve.
Que fust per Dieu lapidatz,
Li tieu ajuda mi levé
252 Dels mais en qu'ieu sui troba^.
Poderos santz, tu m'ensenha
E mi garda, si ti plas,
Que le djable non me prenha
256 A far tantos mais peccatz.
33. Sant Laurens, qu'en la grajlha
Per Jesu Crist fust raustitz,
[F" 20] Ben mi daria meravilha
260 Si era non era ejsa[u]zit.
Tu que nasquiest en Espanha
Et a Roma fust nuj'ritz,
Guarda mi de la conpanha
264 Dels malignes esperitz.
34. Sant Vineens, la tieua vida
Mezist per nostre Senhor.
Per tu receup en partida
268 Una bona gran honor,
E Valensa es onrada
Atressi per ta valor.
Faj que m'arma sia salvada
[V] 272 Per la tiua gran duusor.
35. Sant Blazi, a tu vulli requerre
Qu'ieu ti sia recommandât,
Car an grans pjenches de ferre
276 Lo tieu cors fon esguiras ;
Puejs per lo derer martire,
Fust pue[j]sas décapitât.
Faj an Dieu que jeu adiré
2S0 La viltat de mos peccatz.
EN VERS PROVENÇAUX 229
36. San Gorg'i, en tu ay fiansa,
Perque lo tieu nom requier.
Home veray ses duptansa
284 Fust e liai cavalier;
[F° 21] Tu desliuriest la rejna
Del dragon tôt per entier.
La mieua arma tant mesquina
288 Mi defent al jor derier.
37. Sant Cristol,tu ma preguiera
Ejsausa per ta pietat ;
Dona mi, senher, maniera
292 Con jeu layse tôt peccat.
Tu que per Djeu an sagetas
Aguist ton cor[s] tôt traucat,
Fay, senher, que tu me metas
296 En lavia de veritat,
38, '^A totz emsens hyeu mi rendi,
rv] Martirs de Dieu coronatz.
De totz cant es yen entendi
300 Esser breument melhuratz.
En guanron trop de manieras
Fost per Dieu martiriatz ;
Fes que las vostras preguieras
304 M'alaugon de mos peccatz.
39. Sant Martin, hyeu a tu veni,
Evesque de Tos guausentz,
Hyeu a la gent fe non teni,
308 Non suy a Dieu concezentz;
Plasa ti que per mi fassas
Oracion a luy prezentz,
[F° 22] Qu'ieu non passi tantas brassas
312 Cant yeu fauc marrit dolent.
40. Sant Nicolau, dous car payre,
Que fust sebelit a Bar,
Hyeu non say tos bens retrayre
316 Ni tôt tos bens recontar.
230 PARAPHRASE DES LITANIES
Li tieuavida elumena
Totz sels que ben volun far
Tu mi guisa ben a fayre
320 Qu'ieu ben mi puesca salvar.
41. Sant Loys, tu de Marsselha,
Tu lo rialme non quist
E fist so que Dieu conselha,
[V°] 324 Nostre Senher (Dieu) Jesu Crist.
Evesque fust deTholosa
E gran miracle que fist.
La mieua arma tant ployrosa,
328 Consira, que non sia trist(a).
42. Sant Honorât, tu requeri,
Nebot del rey Aygolant,
Que de règne ni d'enperi
332 Non volguist ni tant ni cant.
Del rey Andriau lo tie(a)u payre
Ti enbliest, veray cos santz.
Ajuda mi tu a traf)'re
330 Dels mais en qu'ay estatz tant.
[F° 23] 43. SantFrances, que comensiest
L'orde dois frayres menos,
El tieu cors [sant] tu portiest
340 Las plagas e las dolos
De la morte de Jesu Crist,
Laquai el sostenc per nos;
Tu mi fay y star avist
344 Contrais demonis trachos.
44. Sant Anthoni que d'Espanha
A Padoa venguist fenir,
Fay que yeu leu pertanha
348 Dignamens a Dieu servir.
Dona mi,senlier, maniera
[V°] De to^ peccats a fugir,
E mi mostrala cariera
352 Qu'ieu puesca adz el venir.
EN VERS PROVENÇAUX 231
45. A totz emsens, las, peccayre,
Mi torn als sans confeso(r)s.
Prec vos que yeu puesca fajre
356 Conte de vostre socos.
Vos Qt cels que vostra vida
Mi prestes a totz onos;
Fas que m'arma sia gandida
360 De las enfernalsdolos.
46. Gloriosa Magdalena,
Que autra non puesc trobar
[F" 24] Que de gracia fos tan plena
364 Ni pogues tan Dieu amar,
Con tu,coral donna mieua,
Que podes an luj tan far ;
An Fajuda dousa ti[e]ua
368 Mi fay de tôt:; perdonar.
47. Santa Marta. ma preguiera
Ti plasa vuelhas auzir,
Car en tu ay fe entiera
372 E ti volgra mot servir.
Jésus Crist el enpersona
Lo tieu cor vole sebelir.
Verges donna, tu midona
[V°] 376 Qu'ieu a el puesca servir.
48. Santa Aynes, verges pura
E tozeta de .xm. ans,
Sostengu[is]t la mort^ tan dura
380 E fezist miracles grans.
Tu per mi Jesu Crist pregua,
Senher dels senhoregans.
Que yeu, las peccador, segua
384 Las peadas del[s] cos sans.
49. Dona santa Catherina,
Filha de(l) rey terenal,
Que puy[s] remanguist reina
388 Apres ton payre carnal,
232 PARAPHRASE DES LITANIES
[F° 251 Tu jove perdiest la testa
Per lo rey celestial ;
Fay queyeu venga a lafesta,
392 Al règne perpétuai.
50 . Verge dona santa Clara,
Digna de totas honos,
Gloriosa, tu m'anpara
396 E mi tramet ton socos.
Lo mieu cor tu elumena
Et eysauses los mieus plos,
Tu que fust de vertutz plena
400 E de totas resplandos.
51. (A) tu, verges santa Lucia,
[V"] Temple del sant Esperit,
Que per nulha maystria
404 Ton cor[s] non poc esser aunit,
Tu fust lo decapitada
Per ton Dyeu [que] t'o graït.
Fay qu'em breu mi sia donada
408 Gracia qu'ieu sia eysauzit.
52. (Sauf) Aguata, verge proada,
Sya ti recomandat.
Tu fust greumens turmentada
412 Els pietsaguist arabatz.
L'angel a ta seboutura
Si s'en venc aconpanhatz,
[F*> 26] E fon i an vestidura
416 De sobre noble[s] sandatz.
53. Santa Cecilia honrada,
Que per nostra fe morist,
E fust per Tangel gardada
420 E ton espos convertist,
Ensenha mi ben a fayre
E mi fay estar avist.
Pregua per mi lo tieu payre,
424 Coral amigua de Crist.
EN VERS PROVENÇAUX 233
54. Verge santa Marguarida,
Que fust messa en preon(s),
Von fust grieumens envazida
[V°] 428 Per aquel malvays dragon,
Li cros ti fon en ajuda,
Don venc a destrucion.
Prec ti que sias entenduda
432 D'acabar mi tôt:; perdon.
55. Santa Anna preciosa,
Auja de Nostre Senhor,
Per ta filha gloriosa
436 Ti porta om tan d'onor.
Plasa ti que mi defendas
De tota(s) mortal(s) dolor,
E l'amor de Dieu mi rendas
440 D'acabar mi totz perdon.
[F° 27] 56. Vos totas, verges guauzentas,
Quel mont non aves amats,
Ni volgest esser consentas
444 Do perdre vergenitatz,
Requere que vostr ajuda
Mi trametas per pietat,
Que m'arma sia^rezemuda
448 Els mieus mais sian perdonatz.
57. Senher mieu, Jesu salvajre,
Car totz los sans aj pr.^guat
Que per mi, caytieu pecayre,
452 Davan tu sian avocatz,
Plasa ti que lur pregu[i]era[s]
[V°] Eysauces per _ta pietat,
Que yeu en'totas manieras
456 Puesca venir afiatz.
58. Tu sabes que carn humana,
Senher, per mi receupist,
Ta mayre fezist germana
460 De la verge on veno-uist.
234 PARAPHRASE DES LITANIES
Donx, si tu non mi perdonas,
Ben mi puesc tenir pei' trist,
Car aquel ben non mi donas
464 Per que morir tu volguist.
59. Tu lo sant jort de Calenas
De majre verge nasqui[e]st,
[F° 28] Solamens per mas fazennas
468 En aquest mont tu entriest.
Aire el cor non t'istava,
En aire non trebalhiest,
Mas aco que tu amava(s)
472 D[e] dapnacion rezemiestz.
60. Tu receupiest lo baptisme
En après el flun Jordan,
Senher Dieu, fil del Aptisme.
476 Sant Johan lo det de sa man.
Mas tu mestier non n'avias
Ni nol receupiest en van ;
Dunx tu per mi o fazias
[V°] 480 Qu ieu fos mundatz de tôt- dan.
61 . Tu fezist la carantena,
Foras en luoc descubert:;.
Per mi sofrist tan grieu pena
484 .Xl. jors el dezertz.
Aqui ve[n]quiest lo demoni,
Cant Taguist guanren sufert.
Ayso m'es donx testimoni
488 Que merce m'auras per certs.
62. Mort e passion as suferta
Per mi, tant vil peccador.
Adonx l'on li fons uberta
492 De la tieua gran dosor,
\F° 29] E fon amor ses mezura
Que tu, Eternal Senhor,
Per mi, tan vil creatura,
496 Portessas tan de dolor.
EN VERS PROVENÇAUX 235
63. Pueysas que aguist vencuda
La nostra morts gen[e]ral,
La vida qu'avia[m] perduda
500 Restauriest totz per eguaL
Avant que ressucitessas
Lo tieu cor[s] era mortal,
Pueys fon digne quel mudessas
504 A vida perpétuai.
64. (Et) en après, si con tanhia,
[V°] Senlier, al cel t'en montiest;
Mas la santa conpanliia
508 Del[s] apostols sa laysiest,
Per so que nos ensenhesan
So que tu per nos obriest,
E qu'ey[sem]ple nos mostressan
512 De Tamor que nos portiest.
65. Domens quel[s] dons esperavan
Que de tu avian auzitz,
Un jortc qu'els empsems estavan,
510 Lur venc lo santz Esperi^,
Per lo cal en pauc de temps
Totz lo mont fon convertitz,
[F" 30] E tuch li fiels ensems
520 Foron ensems aiini^,
66. Estas cauzas as tu fâchas,
Senher, per nos peccado(r)s,
Et as nostras armas trachas
524 De tantas mala[s] erros.
Per que donx merce ti clami
Que reguardes los mieus plos;
Non vullias que yeu mi dampni,
528 Pos que tant as fach per nos.
67. Al jorn, Senher, del juzizi,
Cant venras lo mont jujar,
Hon tracion ni mal vizi
[V] 532 Non si poyra[n] amaguar,
236 PARAPHRASE DES LITANIES
Plasa ti que mi perdones
E non mi vulhas dapnar ;
Mas a[m] totz los santz mi dones
536 Qu'ieu al cel puesca montar.
68. Prec ti, Senher, que al peccayre
Qu'esto romans a parlât:;,
Fer vezer lo sieu [car] payre
540 Sant Castor benaiiratr,
Layses far vida tant- digna
Que, cant el sera passatz,
A la tieu(a) cara benigna
544 Fer Fangel sia presentatz.
AMEN.,
NOTES
V, 4. « [va.] » Le copiste, si c'est bien ce mot qui manque, l'aurait
sans doute écrit van. Cf. vv. 6 et 54. Le dernier mot fait pareille-
ment défaut aux vv. 61 et 247,
18. Coït. Tu que as ?
26. « Home. » Il semble y avoir liomo dans le ms. Corr. Hom. . .
cerayament? — 27. Remarquer ici l'emploi du diminutif so/ei, dans
le même sens que sol, emploi tout à fait conforme à l'usage moderne.
— 28. Ms. eternalmens.
33. Prononcez quiesperi, en trois syllabes? ou suppr. Ye initial de
esperi (qui 'speri)? — 33-5. « esperi : crezi. «L'auteur confondait-
il, comme on le faisait à Arles de son temps, l'r et Vs douces? On
aurait ici, dans ce cas, une rime complète, au lieu d'une simple as-
sonnance. — 35. « e. » Corr. o, en supprimant la virgule? — 36.
Vaudrait-il mieux écrire Que et conserver prosezist au v. suivant?
Mais e pour en n'est pas de la langue de notre texte.
43. «Quez est un. «Ms. El est an. — 47. « queria. » Pour querria,
conditionnel.
54. « sot si. )) = sol: si. M. Lieutaud a lu socsi. C'est de cette
forme, à sifflante disparue, que vient le moderne souto (sota déjà au
XllP siècle).
62. Corr. E que en icsl ptassonier (ce dernier mot étant pour
EN VERS PROVENÇAUX 237
parsomer)? — 63. (c falhas mias. » Ms. mieua falhas . 11 n'y a pas
d'exemple de cette forme tnias, non plus que des pareilles, tia, «f'a^dans
notre texte, qui ne connaît que mieua, tiua, tieua Cela pourrait
rendre suspecte ma correction. M. Lieutaud s'est borné à suppléer
de Dieu, après fizels, au v. 61, qui par suite, chez lui, comme dans le
ms., assonne seulement avec le v. 63 [armas : falhas).
73. Suppr. en? Ou prononcer en une seule les deux dernières syl-
labes de Raphaël ? On dit aujourd'hui, en Provence, Rafel ou Rafev.
82. Ms. Aagels.
93- « de Rodiaua. » Ainsi divisé dans le ms. (pour d'Erodiada).
— 95. Corr. A m' arma f
97. u Peyre. » Le ms. a seulement P. — 99. « soma,» Ms. sûma.
— 103. <c demanda. » Corr. demana? Cf. vv. 465, 467, où nas,
nnas= ndas. — 104. Ce vers reproduit le 64^, qui termine, comme
ici, un couplet. Est-ce une répétition fautive?
107. <c da Lestre. » La ville de Lystre, dans TAsie-Mineure. — 109.
Vaudrait-il mieux corr. martirs et conserver sospis au v. 111? J'ai
préféré faire l'inverse, le sj'stème rythmique de la pièce paraissant
exiger ici des rimes féminines. Cf. ci-dessus, p. 210.
119, « armas queron. » Ms. marma queres.
122, Suppr. de ou pron. Johan en une seule syllabe? Cf. vv. 129,
476. La forme contractée John, qu'on trouve dans quelques textes,
est une conséquence de cette prononciation monosyllabique.
123. (« Conpostella. » Répétition évidemment fautive. Corr, Cas-
tella? Vautewc aura pu confondre la Galice avec la Castille.
134. « mes, » Ms. pauzatz . Cf. vv. 101-102,
139. « consol, )> Ms . conselh. La correction ne procure qu'une
assonnance, et l'on voudrait une rime pleine. Mais cf. ci-dessus,
p. 210, 1. 5-7. — 140. Suppl. iVi devant message ? Ou corr. Ques aije
agut? — 143. « tiuas. «Corr. tiens. — « sian. » Ms. siaz .
145. « conhat. » Ms. con y est. Conyat serait plus près de la le-
çon du ms. Mais notre texte ne connaît pour !"« mouillée d'autre signe
que nh\ ny est catalan. Jacques le Mineur, dont il s'agit ici, était,
d'après la légende, cousin de Jacques le Majeur, ou de Compostelle,
154. Ms. Que es laze. Cf. Actes des Apôtres, ch. viii, v. 5-8,
L'épithète lasses (malheureux, cf. vv, 72 et 353), que je substitue à
laze (qui serait pour lazer, lépreux), s'explique par ce dernier verset
et le précédent. — 158. Ms. davant. Les deux filles de l'apôtre Phi-
lippe furent, d'après la Légende dorée, ensevelies auprès de lui. C'est,
sans doute, ce que notre auteur veut dire ici. Mais il a confondu avec
l'apôtre un autre personnage du même nom. C'est ce dernier, le diacre
Philippe, qui convertit les Samaritains. Voy. les Actes des apôtres,
238 PARAPHRASE DES LITANIES
à l'endroit cité tout à l'heure, et la Légende dorée, t. I, p. 98, de la
traduction de G[ustave] B[runet].
1G5. Ms. Sant apostol tu m'ajuda.
169. Ms. la lieuaiuda. — 171. « venduda. » Ms. vendem.
177. « la tieu a-juda. » Répétition fautive de la fin du vers corres-
pondant du couplet précédent. Corr. de ta defensa? ou de ta va-
lensa? — 180. « del. » Ms. des ou del . La dernière lettre n'est pas
sûre.
187. « Mas. »= quoique? — « gayre. » Ms. ganre {ou gauré). —
190. Suppr. gran'i ou fust?
193. Ms. venc. . . .Matieu. — 195. « dénias. >> Ms. deneyrs. La
substitution de ia à ie dans le suffixe ier est commune en Provence
au XlVc siècle. D'un autre côté, ce qui est dit ici s'applique à saint
Mathias et non à S. Mathieu. La double correction était donc toute
indiquée. — 197-199, On aurait pu prononcer d'une part Judeza (cf.
cavazier, malazurat, etc., etc.), de l'autre queza (cf. ci-dessus la
note sur vv. 33-35), ce qui aurait donné une rime pleine effective.
203. « sec. » M. Lieutaud a lu fec. — « arda. » = équipage, ba-
gage, charge; ici, bien entendu, métaphoriquement. — 204. Suppr. enf
ou grans ? — « que ay . » Ms . que y a . — 205-207. Ici encore la rime
peut avoir été moins incomplète qu'elle ne paraît, les deux consonnes
mouillées Ih et nh s'étant souvent fondues l'une et l'autre en un sim-
ple y. — 207. Ms. tteuajuda.
211. Ms. contas tinoble. C'est, paraît-il, en 357, sous l'empereur
Constance, que les reliques de saint Paul furent transportées de Fa-
tras à Bysance. Il faut sans doute, par rfeZcaZ, entendre : sous l'inspi-
ration, ou par l'ordre, du Saint-Esprit. — 213. Ms. gram. — 215.
c( assege. » Subst. verbal de assetjar. Ms. assage.
217. «Peyre. «Ms. seulement P. —220. Ms. Evesqiie e.— 223.
Ms. irascatz. Ce vers et le suivant sont intervertis dans le ms.
227. « m'apliqui. « Conjecture. Ms. entende. — 228. « de. »
Corr. a ?
234. Suppl. Totz mos pecatzyeu confes? ou De mos p. mi c. f —
235. Ms. ey mois. Ymols = umils. On trouve, dans la Vie de saint
^o«orai, l'adverbe humolment. — 236. « Que. » Corr. E.* ou faire
la môme correction au vers suivant. — 237-8. Ms.:
Que aman sa corapanhia duy
E duy ennapres.
Pour le V. 237, on pourrait aussi proposer: Qu'en sa companhia
anavan.
241 . « Pueys. » Mot gratté ; on ne distingue plus que ys. — 242.
EN VERS PROVENÇAUX 239
«ignocens. » Ms. igtnocens, avec un tilde sur Vm. — 245. « ses. »
Ms. sans set. — 247. « [flaca]. » Sic dans l'édit. de M. Lieutaud. —
248. « vens. » Ms . bens. Ce ne peut être ici qu'une faute toute ac-
cidentelle et dont il n'y a à tirer aucune conséquence phonétique,
251. Ms. tieua juda, — 253. Ms. podoros. — 255. Ms. prëna,
T^ouv prenda .
269. Ms. e valhansa et onransa. S. Vincent, diacre et martyr,
dont il s'agit ici, était de Valence, en Espagne, ce qui justifie ma
correction.
273. Ms. vulh el querre. La correction a déjà été faite par M. Lieu-
taud. — 277. « Pueys.))Corr.E.?
285. « la reyna. » Non pas la reine, mais la fille du roi, d'après la
légende. Peire de Ladils, dans la prière mentionnée plus haut, p. 221,
est sur ce point plus exact que notre auteur-
E pueys requier ma fes
San Jorge que m'ajut,
Si quem done verlut
Contra los enamix,
Quar el es sansabrix
A gens de son autrey.
Que la filha d'un rey
D'un mal drago sostrays,
Qu'anc no la mes el cays
Nil fe ges vilanias.
Il existe une vie de S. George en vers provençaux, qui nous a été
conservée dans une copie unique, et malheureusement fort mauvaise,
B. N. ms, 14973, f'"' 27 v''-44 v°). Cet ouvrage est encore complète-
ment inédit. Aussi, je l'espère, mes lecteurs me sauront-ils gré d'en
extraire pour eux l'épisode de la délivrance de la princesse. On le
trouvera ci-après au n° III de l'appendice. — 286. Ms. gragon. Cf.
v. 428.
293-294. (( Tu que aguist ton cors. » Peut-être faut-il enten-
dre : « Toi que tu eus ton corps . ...» et non « qui eus .... » Cf. ci-
dessus, p. 217, n° 23. D'après la légende, S. Cristophe eut la tête
tranchée. Les flèches lancées contre lui par 400 soldats restaient en
l'air, et aucune ne l'atteignit.
299. Ms. entende.
305. Ms. Martim. — 308. « concezentz. » Corr. contendentz? Ou
seulement contezentz, qui serait un mot formé sous l'influence de
contesa? — 310. Corr. Oracions... plazent;:? Ou faut-il entendre :
«en présence de Dieu » (présent devant lui)? — 311. « brassas. »
040 PARAPHRASE DES LITANIES
Corr. Irassas (tant de misères)? Voyez trasso dans le dict. d'Azaïs.
Ou brassa serait-il synonyme de travail, peine f Un hrassier est
un homme qui travaille de ses bras, un journalier, un homme de
peine.
316. « tosbens. » Répétition sans doute fautive, Corr. tos fach?
— 319. Corr. Tu a ben faire mi mena ? — 320. Ms. pusesca. Suppr.
ben, en corr. Qtte yeu?
322. « non quist. » La lecture de non est incertaine; le mot est
surchargé. M.Lieutaud a lu conquisl; mais cela ne peut convenir, car
saint Louis de Marseille, loin de conquérir « le royaume» (celui de
Naples),le refusa, au contraire, pour se consacrera Dieu, et céda tous
ses droits à son frère Robert. — 326. Corr. grans miracles? — 327.
« ployrosa. wRaynouard a^)Zo)'<os,d'où^?oiVos se déduit sans peine.
329. Ms. requere. — 332 <( tieCa)u. » Ou ti(e)at< ? Cf. Andriau.
qui précède immédiatement. Le copiste a fondu les deux formes en
une seule. — 334. Ms. enblieust. — 336. Ms. en quay tant estatz .
340. Allusion aux stigmates de S. François d'Assise. — 342. Ms.
soslent.
347. Corr. que a mi leu? — 350. Ms. afigir. — 352. ^^ venir. »
Ms. fugir, répétition fautive de la rime du v. 350.
357. Ms, vostra iucla. — 358. « Mi prestes'.» Corr. Apreslel?
— « onors. » Ms. onorts .
376. « servir. » Répétition sans doute fautive de la fin du vers 372.
Corr, grazir?
'S71 . «pura. » Ms, proada
391 , « a la festa. » Ces mots sont ajoutés d'une main plus récente.
Corr. ta f. ? Cf. v. 127. — 392. « perpétuai. » On avait d'abord
écrit celestial, répétition fautive, corrigée par la même main qui a
complété le vers précédent.
395. Ms, m'enpera. — 397. « cor. »Ms. cos.
404, Ms, Tant. — Suppr. non (cf. v, 46)? ou remplacer esser par
estref — 406, Ms. Per nom dyeii la grait. Correction déjà faite par
M. Lieutaud, sauf la, qu'il a conservé. On pourrait aussi penser à
Pel nom Dyeu .
409. Ms, Santa guata. — 410. « recomaudat[zj. » Ms. coman-
dadat. — 412. Ms. piecs. — 413. « L'angel. ...» Legenda Aurea :
« Cum autem fidèles cum aromatibus corpus ejus condirent et in
sarcofago collocarent, quidam juveuis sériels indutus cum plus quam
ceutum viris pulcherrimis et ornatis ac albis indutis, qui nunquam in
illis partibus visi fuerant, ad corpus ejus venit., , .» — 414, « venc. »
' Faute qui fjaraît êlre la coaséquence de celle que le copiste a commise au
v. 356, eu substituant ajudahvida.
EN VERS PROVENÇAUX 241
Ms. tenc. — 415. u i. » Entre deux points dans le ras., comme si
c'était le nombre un.
430. Ms. ad estrucion.
433. M. Lieutaud ajoute cVAt, après Anna. Cette addition n'est
pas indispensable, l'élision de Va final de santa n'étant point obliga-
toire et preciosa ayant régulièrement quatre syllabes. — 434. « auja. »
M. Lieutaud, comme Raynouard, écrit avia. Mais cf. aujol, où la
prononciation duj est certaine. — 438 Ms. dolos. — 440. Répétition
fautive du v. 432, qui termine le couplet précédent. Corr. Quem sal
(ou quem gart) del diable trachor?
446. Ms. trametes.
450-51 . Ms. Que totz . . . Car per. . .
458. Ms . receupest . — 459.(( germana.» Remarquer l'extension de
sens donnée ici à ce mot : (( ta mère naturelle, ta mère selon la
chair. » — 460. Ms. venguest.
469. « cor. » Ms. cos . — 471. (c aco. )> Le neutre pour le masc.
pluriel : « ce qui t'aimait », pour « ceux qui t'aimaient. »
473. « receupiest. » Ms. resemiest. — 474. Ms. E après lo f. —
476. Ms. de la sieua man. — 478. « nol receupiest. » Ms. non lo
ronpiest. — 480. « dan. » Ici au sens de péché, comme déjà peut-être
au V. 128. Ailleurs ^, pe'cAe, inversement, signifie souvent malheur,
le péché étant en effet pour un chrétien le plus grand malheur pos-
sible. De là l'exclamation pecaire, que tout le monde ici connaît bien,
de même que son ancienne traduction française pechère, d'un si grand
usage encore aujourd'hui.
483. « sofrist. » Ms. volguist. — 488. Ms. m'aures.
494. senhor, au vocatif, et sans s, n'est point une faute. Au temps
de notre auteur, comme en témoignent les Leys d'amors, ce mot et
les pareils étaient itidifférents, c'est-à-dire qu'on pouvait écrire à vo-
lonté senlior ou senhors au cas sujet.
513. « esperavan. » Ms. esperitz. — 514. Ms. aiizitz o.vian. —
520. « ensems. >■> Répétition évidemment fautive. Corr. adonx?
523. « trachas. » Ms. fâchas. Correction déjà faite par M. Lieu-
taud.
529. Ms. del juzizi senher. — 532. » poyra[n]. » Peut-être |îO(/ra
serait-il à conserver ; tracion et vizi pourraient fort bien être au sin-
gulier, malgré l'absence de l's. — 535. « dones. « Ms. donas .
537. « al peccayre.» Remarquer ici peccayre au cas régime, comme
déjà senher, v. 382. Inversement on a, vv. 383 et 494, peccador et
senhor au cas sujet. Nous savons par les Leys d'amors que le rapport
' Par exemple Chanson de Roland, v. 15.
18
242 PARAPHRASE DES LITANIES
grammatical de ces formes de l'ancienne déclinaison à accent mobile
avait déjà cessé d'être senti au XI V*^ siècle. On n'y voyait plus que
des synonymes. — 539. « [car]. » Sic chez M. Lieutaud. Ou pourrait
aussi bien suppléer bon. — 541. « Layses. » Ms. Laysi.
APPENDICE
I
Paraphrase de l'Ave Maria
Ave Maria
Mayre de Dieu, prendes en grat,
Per vostra gran humilitat,
Aquest salut del rej del cel,
4 Que vos trames per Gabriel.
Gracia plena
De tota gracia cornplimen
Aves sens tôt defalhimen.
Per vos, Dona, siam complit
8 De vertutz del Sant Sperit^,
Dominiis tecum
Dona, la Sancta Trinitat,
Per sobre granda caritat,
Fes de vos temple glorios,
12 Fer que tostemps siaz am nos.
Benedicta tu in miilieribiis
Sobre totas vos benezi
Sel que per maire vos cauzi.
Pregas quens vuelha benezir
16 E [que] nos garde de faillir.
Voir ci-dessus, p. 219. — ^ Prononcez espe^vY, comme en catalan.
EN VERS PROVENÇAUX 243
Et benecllctus fruclus ventris lui Jésus
Dona, aquest fruch glorios,
Sobre tôt quant es precios,
Es' benezechper tôt quant es,
20 Car fon e vida de tôt be es*.
Sancta Maria mater Dei, ora pro nobis.
Amen.
Sancta Maria, pregas per nos
Lo vostre car filh glorios,
Quen(o)s sia tostemps veraj confort,
24 E nos garde de mala mort.
Amen.
II
Paraphrase du Credo ^
Credo
De tôt cor crezi fermament
E confessi verayament
Los sans artiches de la fe,
4 Que son fondament de tôt be(n).
In Deiim
Tôt premier crezi que Dieus es
Sobeiran a trastotas res ;
Très personas certanament
8 Son un ver Dieu ses partiment.
* Ms. Fes. — 2 Corr. Ca)- es vida e fons de totz bes'i
•^ Voir ci-dessus, p. 220. Je rétablis le texte du ms., là oîi le premier éditeur
l'a induement modifié, d'après les indications fournies par ses notes. Quel-
ques-unes ne sont pas très-claires. Ainsi aux vv. 13, 19, 33, 35, on ne voit
pas bien si Te de que, qui doit être élidé, l'est ou non dans le ms.; au v.l6,
(et bes au lieu de ben », dit la note), si le ms. porte en effet bes, qu'exige la
rime, ou ben. Aux vv. 29-30, M. André a imprimé volt sufrit. . . . morit ;
fautes de lecture évidentes pour uo/c sii/re>... morir.
244 PARAPHRA.se DES LITANIES
Patrem omnipotentem
Crezi el paire glorios
Ques [es] un Dieu tôt poderos,
Ses fin et ses comensament,
12 Dont totz los bens an naisement.
Creatorem cceli et ierrœ
E crezi qu'el creet de nient,
Per vertut de son mandament,
Cel, tera, mar e tôt quant es,
16 E ses luy non es nengun bes.
Et in Jesuni Christum Filium ejus unicum Bominum noslrum
Et ay ma fe el Salvador
El Filh de Dieu, nostre Senhor,
Qu'es nat del Paire am elaritat,
20 Ejgual am luj en magestat.
Qui conceptus est de Spiritu Sancto
E crezil(o) sant conceupement
De luy el sant encarnament,
Et tôt so per sert si conplit
24 Per hobra del Sant Sperit-,
Natus ex Maria Yirgine
Et crezi que del cors sagrat
Dont près veraja humanitat
De Maria Verges nasquet,
28 Ver hom e ver Dieu si mostret.
Passus sub Pontio Pilato, crucifixus, mortuus et sepullus
Apres breument el vole sufrir
Greu turment et per nos morir
En la cros, bon fon clavellat,
32 E pueis el sépulcre pauzat.
* Prononcez esperit, et de même au v, 49. Cf. la note 2 de la p. 242 ci-
dessus.
EN VERS PROVENÇAUX 245
Descendit ad inferos
En après crej qu'el deysendet
Als infers els espoliet
E en trais sels qu' avie creatz
36 Que per luj fossan deiliuratz.
Tertia die resurrexit a mortuis
Apres crezi que lo ters jorn
S'en retornet en aquest mon,
El sieu sant cors resuscitet
40 E g-lorios lo recobret.
Ascendit ad cœlos, sedet ad dexteram Dei patris omnipotentis
En après crey qu'el s'en montet
Al sieu paire, que l'eysauset
En sobeirana dignitat,
44 Sobre tôt autre principat.
Inde venturus est judicare vivos et mortuos
Et d'aqui vertadierament
El venra far lo jujament,
E resebran lur guizardon
48 (Totz) sels que seran malvas ho bons.
Credo in Spiritum Sanctum
El Sant Sperit es ma fe[s]
Que fon per Jhesu Crist trames,
Per los (santz) apostols ensenhar
52 E per totz fizels endreissar.
Sanctam Ecclesiam Catholicam ^
Sancta Gleysa crey fermament
Que deu venir a salvament,
La cal ten fe de veritat
56 Am compliment de karitat.
Sanctorum communionem
E crey que la comunaltat
Dels sans es vera sanctitat.
246 PARAPHRASE DES LITANIES
Car receubron los sagramens
60 De sancta Gleysa dignamens.
Remissionem peccatorum
Crezi per cei't que totz pecatz
En la Gleisa son j)erdonatz
Pervertut del Sant Esperit,
64 Si com es per luj establit.
Garnis resurrectionem
E crey que tôt cors receubra
L'arma que ajudat li aura,
Que sien ensems guizardonatz,
68 Per tos tems salvatz ho dampnatz.
Yitam œlernam
Crezi quels bons tostems viuran
Lai sus el cel on Dieu veiran,
E li mais auran piejs de mort,
72 En enfern, ses nengun conort.
Deo (jr alias. Amen.
III
Vie de saint George {Extraity
[F° 27 V°] SEQUITUR VITA BEATI YEORGIJ
^1 nô de Dieu omnipotent,
Vos perpaus de contar breu mens -
La vida d'un sant cavalier
Cui apeleron li permies
5 Jorgi, et nos sant Jorgi Tapelam,
Perla santitat que y atrobam.
> Voy. ci-dessus, p. 239. — - Ainsi divi.é dans le ms., el de même plu-
sieurs autres adverbes en men.
EN VERS PROVENÇAUX 847
Que fom en lo dich cavalier,
Cal vertut Dieus li det en permier.
Per ma fe, vos uU recontar
10 Puy que Yorgi saup ben Dieus amar
E fom fach serps' e bon crestian,
Enpero lo(s) cruels Dacians-
Non sabie(n) que crestian fos,
Car le sans o ténia rescos,
15 Non per esglas^ ni per pavor
Que ell agues dell enperador,
May per crejsser cecretamens
Dels crestians lo sant covent.
A(a)lcuna vas Jorgi calvaquet (sic)
20 En son eaval, e non menet
Co[m]panho ni armadura,
[27 To] May so brant e sa lansa dura,
Per Libia,c'a nom li terra,
En la cal un drac faja guerra
25 A Silena*, aunaciutat
Que era d'un'rej paguan ondrat,
Lo quai ères plus non_avia
May una filya que noyrie,
Que amava mot coralmens ;
30 Et era en pron covenent
E pron gran'a pendre marit.
Lonc la ciutat c'aves ausit
Avia u lac pregon egran,
On era le drac que ay dich davant.
35 Cant le dragon^ fam avia,
Vivasame[n]s del lacysia
E devorava cruelméns (sic)
Que'que trobes, bestias o gens.
Alcuna ves s'esdevenia
40 Que le draguon ren non''conseguya.
Ado[n]x véniel col estendut
Tro la ciutat c'ay mentaugut,
' Sic. Corr. ferms? — 2 Le proconsul Dacien, d'après la légende. — ^ Pour
esf/lai. — * Cyrène. — s Ms. dradon.
248 PARAPHRASE DES LITANIES
E tenja son cap leva[t]
Sobre los mus* de la ciutat,
[28 v°] 45 E son vérin sobre las gens
Gitava li cruel serpent ;
Don agron tan grieu malautia
Quel rey e las gens scsperansa ^
De vjure foron trastut,
50 Entro que an agut
Conselh e ajso stablit
Que donon quadajorn, ses oblit,
Dos bestias al cruel draguon
D'aver menut per liurasoii,
55 0 dautras cars lan que o vallya,
Per tal que squivon sa batalya.
Ayso tôt yorn hom li portava
En un luoc ccrt per un pasava,
Cant venia ves la ciutat
60 Que ay (s) davant soven nônat.
Cant fom Faver quay dévorât,
E[l] pobol fom mot spaurat.
Aneron s'en davant lo rey :
(( Senyer, preguam ti que fasas ley
65 Aytal que om giete sort ;
Si non o fas, nos em tut mort;
[29 r»] E cell en cuy li sort cayra,
Demantenent om la (s/c) dara
A la cerpent per so conduch.
70 Si non o fas, nos em destrus. »
— « Yeu 0 autrey, sa ^ dis lo rey,
Et establich c'ayso sia ley,
E vull que obcerves trastut
Aquesta ley c'ay mentaugut,
75 E mandi que sia obcervat
Aysi con si era jurât. »
D'aquesta ley c'ausit aves
Useron antre els en après,
• Pour 77ïicrs. — '.^ Pourjses speransa. — 3 Pour celte forme du pron. dé-
monstr., voyiz la Romania, IV, p. 339, n. i.
EN VERS PROVENÇAUX 2-59
E tant quel drac ac dévorât
80 Mot de la gent de la ciutat.
AUcuna vas si esdevenc
Que la^filya delrey fom el renc
0 * la dicha sort si gitet,
Aysi con Dieus o asordenet,
85 Li sort sobre ela vay caser;
Do[n]t n'ac le rrey gran desplaer.
Non ac^may (t)re (?) tan gran dolor,
E menet mariment e plor
E le rrey e tota sa gent.
90 En aquel miech yeys li cerpent,
[29 Vo] Fom venguda tro la ciutat
Et a lo pôbûl {sic) trebalyat
Tan fort que ail rey son vengutz.
Mot iras e scomoguzs,
95 Et an li dich mot grosamens:
(( Tu, rey, rrompes los covenens,
Et ayso no es de bon rrey
Que el permier rompa la ley.
Nos^seriam mors e destrucb,
100 Si le drac non avia conduch;
Si non voles liurar ladonsela-,
El palay ardrem tu e ela. »
Cant le rrey ausiy la gran cridor
El ^ pobol, de mort ac pavor.
105 El lur diy plan e suaumens:
«Barons, prenes aur vo argent
E dénies tant cô envolres,
E, si vos plas, que m'autreges
Viii. yors d'espasi de plorar
110 Ma filya, puey que scapar
Non pot a la mort de la serpent. »
Adonx fom crit de tota gent
Dient aqui mesey :
«Aysi sia cô a dich le rrey ! »
* 1^ Ubi, ou corr. On? — 2 Ms. doysela. — •' Corr. Del?
250 PARAPHRASE DES LITANIES
[30 r"] 115 Puay s'entornan vivasamens
Ves lur alberc ' tota la gens.
El rrej^stet viii. yors côplit,
Trist dolûjrùs (sic) e marrit,
E soven el disia ploros :
120 (( Oy filya, cô viuray ces vos?
Car>l';vostre maridament
Rey, dux, princes e noblas gens,
Reinas e donas gentills
Juglas e trobas, enafylls,
125 Cantaras e salteriuns^
ennez canoni. . .
Citairas, violas, fiai.. .
Ribebas, arpas, am
tanpbalas
130 Cornamuza
Desirava yeu ayostar.
Aras vos dey ades liurar
A ecer conduch d'una cerpen %
Do[n]x* n'ay dolor e marriment.
135 Filya, cô ben mi fora. près,
Si yeu non fos home ni rres^.
E non agra tan gran dolor. »
Ayso disent anbe gran plor,
Foron li viii jors traspasas.
140 E vevos trastot lo pobûîl ajostat,
Lo pobûU davant lo palay,
E tut crideron : « Rey, uesmay *
Liura ta filya ses bentenf,
Si no voles pendre auniment. »
[30 v»] 145 Cant le rrey viy que a far covenc,
Marrit si gitet el renc
Es als sieus diys* an gran sospir:
'' Ms. nlhert. — ^ Le'ms. est mutilé à l'endroit des cinq vers qui suivent. —
3 Ms. cerper.— '' Pour dont, comme sans doute déjà plus haut. — s Pour
reis. Ms. n-s, du moins à ce qu'il semble, la deuxième r ajoutée dans l'interli-
gne.— * Sic, pour ueymay. Cf. v. 15. — "^ Sic, ou heutcnt. Corr. lesteni,
(retard). — « Ms. clins.
EN VERS PROVENÇAUX 251
« Ma filya, de ryal vestis
Asornada m'adues;
150 En breu de temps traspasara après. »
Donâs(s«"c) e cavalies plorant
Aduyseron al rrej davant
Sa filja ; el rrey, cant la vij,
Planjent e sospirant ajssi
155 Diy : « Fillya, yeu vos rendi al cretor,
Qu'ell vos capdell per sa doujsor. »
E fort grinjos pas 11 donet ^
E li donsela' s'aginolet,
E dij: « Payre pietos bon,
160 Dona mi ta bénédiction. »
Ado[n]x a[n] plans e an sospir
Le payre la va besenyr,
Et ili aloc^ ses tôt bestent
S'enpres anar ves la serpent.
165 Esguardava fort la(s) gens
Quoras yisseria li serpent.
[31 r°] Dome[n]s que illi c'en van '^ la plorant,
Vevos Yorgi lo cavalier sant,
Lo cal ay mentaugut desus,
170 An las armas que ay dich ses plus;
E vay s'anb ela encontrar,
E le sans près li a demandar :
«0 donsela, e von anas?»
Diy: « Senyer, aloc vos guardas,
175 Si ades non voles morir,
Que^ una serpen mi deu assir^
C'ades yssira d'aquest lac ;
E cug vos dir per atrasach
Que si non [vos] vostas breumens,
180 Non poyres fugir ses turment. n
— « Filla, non vull fugir,
' Ms. dones. — 2 jis. plutôt dousela. — 3 Sur cet adverbe (:= alors, aussi-
tôt), qui revient plusieurs fois dans ce poëme, cf. ci-dessus, p. 217, n» 22. —
'' Corr. vay? L'n et l'y sont plusieurs fois confondus dans le ms. Cf. vv. 101,
214.— s Ms. Ciie.— * Sîc; corr. issir?
252 PARAPHRASE DBS LITANIES
May S el nom de dieu remanir.
un tu de perill guardar. »
— «Bon cavalier, non o podes far,
185 Dij illi, fug apertamens. »
E domens jejs li serpent
E tent ves el col estendut ;
[31 v] El cav[a]lier, cuj Dieus ajut,
S'es guarnit del cenall de Crist,
190 Tantost cô a lo draguon vist.
En son cavall puyet aloc
E tenc ves ell aytant con poc,
S'asta davant si ben rrigent,
E det tal colp a la cerpent
195 Que aloc en terra vay caser.
Diy ell : a Sorre, yeu ti diray ver
Quell nom de Dieu es poderos;
Ardidamens tos cabels ros
Pausa el coll de la cerpent,
200 E torna t'en dema[n]tenent
Davant ela, en la ciutat. »
E la donsela non a duptat ;
A côplit entieramens
Del cavalier so mandament.
205 E li gent, quant lo drac viron ' venir,
Tut comenseron a fugir
D'autra part, fora de la ciutat.
Adonx (se) le sans lur a cridat
E facli(t) senall de remanir,
210 E ell ves elos a tenir,
[32 r°] E correc fort aytant con poc,
Tant que {sic) amb elos fom aloc,
E diy al rrey e a sas gens :
« Barons', aquest cruell cerpent,
215 Per que fuges, non a poder
A vos autres plus de noser.
Dyeus a vos autres m'a trames
1 (1 sp.mble qu'il y ait plutôt vù-a7i dans le ms.
i Ms. Baroijs. Cf. v. 101 el la note sur 167.
EN VERS PROVENÇAUX 253
Per tal que tuch vos bateges*,
E puey ajsi, vostre vesent,
220 Ausiray aquesta serpent. »
Adofx^ns li fih^a el rej
Sibateget aqui meseys,
E en après tota la gent,
Tant que xx milia e non mens
225 S'en bategeron sol de graus,
Estier fennas [et] enfans.
Apres sant Yorgi, lur vesent,
A s'espasa ausij la cerpent,
E puej fes lunyar de la ciutat
230 Fortmens, pertall que enfermetat
Non pusca donar a las gens,
An sa pudor del dich cerpent.
Apres aysso fes far le rrey
[32 v°] De mantenent aqui meseys
235 Una gleysa mot presiosa,
A onor de la gloriosa
Verges mayre de Crist
E del pros cavalier avist-,
Sant Yorgi, que sa filla a stort
240 E tracha de perill de mort,
En la call una font novela
Aysi ^ aloc clara e bêla,
On tôt oms pueys que es banyat
Es de mantenent desliurat
245 De cal que oie enfermetat .
So* a fach le rrey ajostar
Gran trasaur aviadamens
De dénies e d'autre argent,
E fes si venir davant
250 Lo benastruc cavalier sant.
«Yeu, diy le rrey, ti prec per Dieu
Que (nen^) ayso deyas prendre del mieu.»
— « Rey, diy le sans, yeu non ti quyer
1 Ms. mateges. — 'Cf. ci-dessus, p. 218.— 3 pour eysi (exivit). Cf. v, 176.
— * Corr Si? — " Lecture douteuse.
254 PARAPHRASE DES LITANIES
Ni aur ni argent ni denier,
255 May pregi ti que be voluntos
[33 r°] 0 clones als paures vergonjos.»
Aloc le rrey ses tôt bestent
Compliy del sans son mandament,
El tesaur que avia ajostat
260 Trastot als paures a donat.
Pujs a le sans lo rej estruch
De catre causas es enbut,
So es que aja el e li cieu
Cura de la gleja de Dieu,
265 Apres deja preyres ondrar,
Car sagran Dyeu el ssant autar,
Et après que lo ssant mestier
Auya soven e volenties,
E en après que sia euros
270 Tostems dels paures vergonyos.
Ayso diy le sant cavalier :
« A Dieu sias, rey ! » Puey(a su)s son destrier
Li fon aduch ondrada mens,
E torna s'en de mantenent
275 A son alberc.
IV
La présente publication pouvant être considérée comme le complé-
ment de celle des Psaumes de la pénitence, que j'ai faite en 1881, on
trouvera naturel que je corrige ici quelques fautes de lecture qu'un
examen du ms. m'a donné l'occasion de reconnaîti-e dans cette der-
nière'. Je donnerai en même temps le résultat de la révision, faite par
moi-même sur le ms. 1745 de la B. N., du texte du psaume 108 que
j'ai publié alors en appendice, d'après l'édition de M. Bartsch (Dt'/i/c-
* Je représente ici par un t italique, comme dans les Litanies, la seconde
forme de celte lettre décrite ci-dessus (p. 213), et que j'avais plusieurs fois,
dans les Psaumes, figurée à tort par tz.
EN VERS PROVENÇAUX 1b?>
maeler, p. 71). Pour ce dernier, comme pour les Psaumes de la pé-
nitence, yindique ici purement et simplement les leçons du ms., soit
qu'il faille les rétablir dans mon texte, soit que je les mentionne seu-
lement pour mémoire, ne les ayant pas relevées dans mes notes.
A . Psaumes de la pénitence
Ps. L., V. 7. minas. — 13. tiua. — 15. plas. — 19. virtut, — 24,
deslieura dels. — 25. Dyeu, Dyeu. — 36, trebalhatz. —
37. Dyeu. — 38. Dyeu. , . .humiliatz. — 42, complidameni. — 43.
acabai — 46. adonx. . .conplis,^ CL 18. ajosta^. — 19. semblant.
— 55. senhir, — 87. pauquza. — 90. mieyetat. — 95. tiuas. — 99,
veramens.— 105 Hiest. I mezeis, == CXXIX. 18. sostengu^. — 19.
mieua. — 22. nueh. — 27. redepmcion. = CXLII. 2. mon. — 7,
trobaf. — 12. alligai. — 15. trebalhai. — 16. torba^. — 29. sen-
blans, — 32. matim. — 41. con speritz. — 50. emsens,
B. Psaume 108
Vers 1. Diaus. — 2. lausor. — 12, Ci.— 16. No. — 20. rémunérât.
— 23, garda. — 26. Queencontra. — 28. coma p. — 29. Tonts . —
31, autry. — 37, digneiat aussi bien que digneiar. — 46, doloz. —
54, ofFenden. — 58, perseguits, — 59. mëdics. — 60. quelurcor*.
— 64. bê. — 68. Deux lignes dans le ms. La première finit à p?ow. —
69. Id. La première ligne finit à traucan. — 70-73. Ce couplet forme
dans le ms. 8 vers et non pas seulement 4. La coupure se fait où je
l'ai marquée. — 73, senhat. — 75. Queam. — 77. dam, — 78, Diaus.
— 80. tu, , .siau. — 84, destramenat. — 91 . so n'est pas dans le ms.
— 94. lausoy. —98, mi.— 100. Sapio. — 108-111, Cinq lignes
dans le ms, La seconde finit à vestitz, la troisième kjupo, la qua-
trième à cuber ts. — 112. iau. — 116. paure. Ce vers et les deux
suivants forment chacun deux lignes dans le ms,, soit six en tout, La
premièi'e finit à paure, la troisième à gardât, la cinquième à m'arma .
' — 118. a salvamen. Amen.
• que lur = dont le. Autre exemple de la particularité de syntaxe signa-
lée ci-dessus (p. 217) dans les Litanies.
BIBLIOGRAPHIE
Michel Bréal et Anatole Bailly, Dictionnaire étymologique latin. Paris,
Hachette, 1885, in-S°. Ou: Leçons de mots: les mots latins groupés d'après
le sens et l'étymologie. Cours supérieur.
Ceux qui cultivent la philologie romane sont habitués à manier
le glossaire de Du Cange, le lexique de Raynouard et les dictionnai-
res de Diez et de Littré. Mais ils savent de quel secours le latin
archaïque peut être pour leurs études. N'ont-ils pas besoin de re-
courir à la vieille forme fûvi pour expliquer notre je fus, tu fus,
etc. , dont le classique /«i ne saurait rendre compte? L'italien n'a-t-il
pas une analogie frappante avec les plus anciennes inscriptions la-
tines? C'est un fait connu, que le travail de décomposition et de
transformation qui recommença avec la décadence de la langue litté-
raire s'était déjà manifesté avant que la culture grecque ne vînt ar-
rêter pour longtemps l'impulsion à laquelle obéit nécessairement,
sous l'action de nos organes, toute langue abandonnée à elle-même.
Ce sont précisément ces altérations et ces variations de forme, ainsi
enrayées vers le temps d'Ennius, que l'on retrouve dans la transition
du latin au roman. Il est donc indispensable, dans l'étude des langues
romanes, de mettre à profit les travaux consacrés à la morphologie
du latin archaïque. Le dictionnaire étymologique de MM. Michel
Bréal et An. Bailly, sans se substituer aux ouvrages de Corssen,Kûh-
ner, Biicheler, aux collections de textes d'Egger etWordsworth, doit
être, à côté d'eux, pour les idiomes néo-latins, une source précieuse
d'informations. L'ombrien, l'osque, les litanies des fi-ères Arvales, le
chant des Salions, la loi des XII Tables, les plus anciens monuments
épigraphiques, les plus vieux manuscrits de Plaute, tel vers d'Accius
cité par Nonius, tous ces documents de la plus haute antiquité, en
même temps qu'ils servent à établir la phonétique latine, sont aussi
le point de départ de la phonétique romane, puisqu'ils nous révèlent
presque tous les phénomènes grammaticaux auxquels donna lieu la
formation des idiomes néo -latins sur la lingua romana.
Un autre intérêt du Dictionnaire étymologique latin pour les lan-
gues romanes est de montrer comment la signification primitive de
certains mots latins a passé dans les dérivés qu'ils ont formés, et
comment ces dérivés peuvent, à leur tour, faire retrouver, par une
hypothèse vraisemblable, le premier sens, perdu en latin. Il est cu-
rieux que le verbe ourdit- ait gardé le sens originaire de ordlri, à
l'exclusion des autres acceptions; que crerer reproduise la signification
BIBLIOGRAPHIE 257
primitive de crepare que le dérivé du composé abemere (aveindre)
garde probablement celle du simple emere, qui voulait dire prendre,
avant de signifier acheter; que remuer, après avoir eu le sens de chan-
ger, comme muer et commuer, soit revenu à l'acception première de
movere, auquel il se rattache ; que dans le mot contribution, il y ait quel-
que chose du sens premier de tribuere, repartir (l'impôt) par tribus.
N'est-il pas pei'mis de croire que les locutions se mirer, point de mire,
et l'espagnol mirar, renferment la signification primitive de mirus,
qui aurait signifié d'abord regardé? Tous ces rapprochements, dus
presque tous à MM. Bréal et Baill}'^, font voir que la connaissance
exacte du latin est nécessaire pour l'intelligence même d'une grande
partie de notre vocabulaire, que c'est la langue populaire qui maintient
le mieux la tradition du sens original, et que l'on peut dégager de tel
mot des idiomes néo-latins la signification première, tombée en dé-
suétude ou perdue, d'un mot latin.
Cette signification primitive, nous la voj'ons se modifier dans les
langues romanes comme en latin ; elle se généralise dans saison, comme
dans emolumentum ; elle -se restreint dans auto-da-fe, comme dans
supplicïum; elle passe de l'abstrait au concret dans intendance, comme
dans provincia; elle prend, par euphémisme, une nuance péjomtive
à&nsmaisonde santé, pour cause de santé, comme dans valetudo; elle
s'afïaiiilit duns abîmer, gâter, comme dans fatigo, labes ; il y a la
même métaphore dans scelus et tort, dans ordiri = commencer, et
remettre sur le métier = recommencer ; le même changement de genre
dans optio (masc.) et un aide ; le même sens privatif dans populus,
populari (dépeupler), et plume, plumer ; le même fait de langage dans
nœnum (= ne unum) et ne. . . . ^J^^, ne. . . . point, ne. . .rien; le fran-
çais un cent-garde peut servir à confirmer l'hypothèse qui rattache
miles à mille, et l'ancien sens de joug, qui désignait une mesure
agraire, rend plus probable la parenté de, juger et dejîigum.
Montrer comment s'est fait le passage d'une catégorie à une autre,
du sens propre au sens métaphorique, de l'abstrait au concret; retrou-
ver sous la signification actuelle les autres acceptions qu'elle a fait
tomber en désuétude ; faire revivre le sens premier effacé ou simple-
ment décoloré, rattacher les différents sens d'un mot à la science, à
l'art, au fait historique, à l'institution, à l'usage qui lui a donné nais-
sance, tel est le travail complexe et capital auquel les auteurs du
dictionnaire ont, comme ils le disent dans la préface, principalement
consacré leurs efforts. Si l'on songe que tout était à faire, pour ainsi
dire, dans cet ordre de recherches, on leur saura doublement gré
d'avoir porté lear attention sur une partie que les grands ouvrages
d'étymologie avaient trop négligée jusqu'ici. Sans doute il importe de
savoir quelle est l'origine d'un mot, et s'il peut entrer dans telle famille
19
258 BIBLIOGRAPHIE
sans trop soulever de protestations. Mais il ne faut pas oublier qu'on
marche ici sur un terrain dangereux. Pour établir la parenté des
mots entre eux et les ranger sous le mot simple qui a servi à les
former, il ne faut pas moins que la connaissance des lois d'après les-
quelles les voyelles se modifient, les consonnes se susbtituent lesunes
aux antres, les mots s'abrègent, l'accent se déplace et la quantité va-
rie, qui font que tel groupement de consonnes est exceptionnel dans
une langue et ordinaire dans une autre, et qui président à la dériva-
tion et à la composition des mots ; il faut aussi la longue pratique,
qui est une garantie de réserve. Le traducteur de la Ghrammaire com-
parée des langues indo-eur'opéennes de François Bopp, le commentateur
des Tables Eugubines, ainsi que l'auteur de la hoWc Grammaire grecque
et du Manuel pour l'étude des Racines grecques et latines, qui fit pé-
nétrer, il y a environ vingt ans, dans notre enseignement classique les
derniers résultats et la méthode de la linguistique moderne, étaient tout
désignés pour entreprendre ce travail et le mener à bonne fin. C'est
précisément parce qu'ils ont poussé j^lus loin létnde de la phonétique
et de l'étymologie et qu'ils la cultivent dejjuis plus longtemps, qu'ils
savent mieux que personne combien on peut en abuser. Aussi leurs
conclusions sont-elles souvent tempérées par un « peut-être » cir-
conspect. Ils aiment mieux se résigner à ignorer, lorsqu'aucune des
étymologies présentées n'est vraisemblable : celles qu'ils nous propo-
sent en reçoivent d'autant plus d'autorité. C'est cet esprit démesure
joint au savoir le plus étendu et le plus solide qui recommande les
rapprochements qu'ils font des mots souvent les plus éloignés en
ajjparence, mais dans lesquels l'analyse étymologique découvre le
même élément fondamental, en rendant compte des changements
qu'il a subis.
Le classement des sens, dans l'ordre historique, n'a pas les mêmes
dangers ; il est, en tout cas, d'un intérêt plus direct et plus général.
Lorsque nous rencontrons, par exemple, le verbe exige, tantôt dans
le sens de pousser deJiors, tantôt dans celui de peser, nous sommes
choqués par cette incohérence, et nous seutons le besoiu d'une expli-
cation. Il y a plus, nous risquons de nous tromper grossièrement ou de
ne comprendre qu'à demi un texte, lorsque nous ignorons ou que nous
oublions l'historique d'un mot. Le sens actuel, transformé ou même
diamétralement opposé au sens primordial, peut nous induire dans les
erreurs les plus étranges. L'adverbe compendieusement ' est souvent
[* Et l'adjectif compendieux pareillement. Qui s'attendrait pourtant à trou-
ver un exemple d'un tel renversement du sens de ce mot dans la Revue de
l'enseig7icment secondaire et de l'enseignement supérieur, et cela sous la
plume d'un critique qui s'est érigé en juge, plus sévère que la Faculté elle-
BIBLIOGRAPHIE 259
employé aujourd'hui dans le sens de longuement, sans rien omettre,
contrairement au sens étymologique et primitif : pour faire courte
qu'on retrouve dans le nom de ville Compïègne, = un chemin qui abrège.
Dans un autre ordre d'idées, le Languedocien dit en lioc au sens de
nulle part, du latin in loco, qui signifie précisément le contraire. La
logique générale répugne à ces écarts de signification et demande
qu'on rapproche les distances, qu'où rétablisse les intermédiaires, qui
rendent naturel ce qui paraîtrait d'abord inadmissible. Quand on tient
les deux chaînons extrêmes, le sens actuel d'une part, que nous donne
l'usage courant de la langue, et d'autre part le sens primitif, que Ton
demande de préférence aux comiques comme Plaute, aux auteurs qui
ont employé beaucoup d'expressions avec leur force première, comme
Virgile ; aujurisconsulte Ulpien, aux grammairiens VarronNonniuset
Festus, ou bien aux termes congénères des autres langues de la fa-
mille, alors commence l'opération la plus difficile, mais aussi la plus
féconde et la plus intéressante: elle consiste à trouver la transition où
nous voyons le sens se modifier ou bien devenir le contraire de ce qu il
était d'abord. Elle est fournie quelquefois par un monument écrit,
où le contexte explique le pli nouveau que le mot a pris dans
l'usage.
Le plus souvent la phrase écrite manque, et l'on est obligé d'y
suppléer par la logique générale du langage. Que de remarques inté-
ressantes, chemin faisant, sur la façon dont les institutions civiles,
politiques, religieuses, la marine, les métiers, fournissent la matière
première des sens, qui vont ensuite se décolorant jusqu'à s'efEacer
tout à fait pour faire place à une signification terne et générale ;
siu- la simplicité des moyens qu'emploie une langue pour s'enrichir,
eu profitant d'une circonstance fortuite d'orthographe ou d'un ca-
price de l'usage (axilla = épaule, et âla pour *axla= aile ; cf. compter
et conter = coinputare); sur la manière dont « la tradition populaire
modifie ses interprétations tout en conservant ses anciens mots »
(voir nlxi Di, sous n'itor); et «dont les légendes s'édifient sur une équi-
voque de sens » (voir au mot rnensa); sur « la grande facilité de
transmission des termes techniques d'une langue dans une autre ))(v.
meditarï); sur « les confusions entre deux familles de mots » (voir au
mot mens, mendax); sur « les associations d'idées » (v. au mot carus);
même, des thèses de doctorat es-lettres? Voici ce qu'on y lit, p. 130 du t. VI:
» L'entreprise est justifiée, à condition de n'être pas trop compendieuse. » Ce
qui veut dire, ou à peu près, pour l'auteur de cette phrase étrange, comme
il résuite évidemment du contexte : « La première qualité d'un pareil ouvrage
doit être la brièveté. » Mais qu'est-ce donc, à part même l'impropriété du
terme, qu'une entreprise compendieuse? — Réd.^,
260 BIBLIOGRAPHIE
sur de « curieuses comparaisons populaires » {te 4a, furunculuSj cf.
compère-loriot) ; enfin sur « les amusettes du peuple, qui prouvent
que le langage n'est pas seulement l'œuvre des savants, mais que tout
le monde y collabore, hommes, femmes, enfants » (v. mus, cf.
souris) .
On me pardonnera d'avoir cédé à la tentation de tout dire et de
tout citer. Je n'ai rien voulu négliger de ce qui multipliait en quel-
que sorte l'intérêt du livre, et c'est sans doute la cause qui m'a em-
pêché d'en signaler la principale utilité. Ceux qui se livrent à l'étude
des langues romanes ne renoncent pus pour cela à goûter nos classi-
ques. Ils n'ont pas toujours la préoccupation de l'étymologie, quand
ils lisent les textes de la littérature romaine. Ils les relisent pour
eux-mêmes et pour le plaisir littéraire qu'ils y trouvent. C'est donc
répondre à ce goût des lettres anciennes et le fortifier que de leur re-
commander un instrument de i^récision à l'aide duquel ils pouiTont
pénétrer le sens intime d'un vers, d'une phrase, d'un mot, en saisir
les nuances les plus délicates, et arriver ainsi jusqu'à l'âme de la civi-
lisation antique, dont la nôtre est sortie. S'ils peuvent désormais trou-
ver par ce moyen un charme nouveau à la lecture de Virgile et d'Ho-
race, ils s'estimeront heureux de partager cet avantage avec les pro-
fesseurs et les élèves de nos lycées et de nos facultés.
Joseph Brenous.
Le Gérant responsable : Ernest Hamelin.
Dialectes Anciens
SAINTE MARIE MADELEINE
DANS LA LITTÉRATURE PROVENÇALE
[Suite )
VII
Cantiques populaires sur sainte Madeleine
On ne saurait guère douter que les poésies qui font l'objet de cette
dernière section de notre recueil, comme en général la plupart des
chants religieux d"un caractère vraiment populaire, ne se chantassent
déjà, sous une forme peu différente de celle que la tradition nous a
conservée, dès le XVI^ siècle au moins *. Aussi le lecteur ne s'éton-
nera-t-il point de me voir leur donner place dans une publication qui
prétend embrasser tout ce qui, dans la littérature provençale, depuis
les origines jusqu'au XVl'' siècle inclusivement, se rapporte à sainte
Marie Madeleine.
Je dois à l'obligeance de M. Louis Lambert le texte des quatre
premiers chants que l'on va lire, avec la notation musicale du troi-
sième et du quatrième. Le cinquième m'a été donné par M. Fort, pro-
fesseur au lycée de Montpellier.
Les n°\.3, 4 et 5 ne sont que des versions différentes, plus ou
moins abrégées ou modifiées, d'un original primitif, dont il a été déjà
1 On peut l'affirmer par exemple, avec certitude, de la pièce publiée par
Damase Arbaud (I, 49i, sous le titre de Chants joyoïix, et qui est une va-
riante de celle que j'ai publiée ici même, en 1878, d'après unms. du commen-
cement du XVII« siècle, où elle est donnée comme trèi-ancienne. Cf ci-dessus,
t. XXVIII, p. 109 et p. 267, où trois couplets en sont rapportés. D'autres
variantes de la même pièce, plus ou moins réduites ou développées, ont été
publiées: dans cette Revue (XIII, 217], par notre regretté V. Smith; dans
l'Exercice du Chrétien (Moalpellier, 1815), p. 312, et peut-être ailleurs.
TOME XV DE LA TROISIÈME SÉRIE. — JoiN 1886. 20
262 SAINTE AJARIE MADELEINE
publié, à ma connaissance, cinq autres versions, qui ont avec les nô-
tres des rapports plus ou moins étroits ; savoir :
1° ParMilây Fontanals, dans son RomanceriUo,2<^ édition, p. 10,
une version catalane, qui concorde spécialement (la première moitié à
part, dont l'origine est autre) avec notre n° 4 ;
2° Par Damase Arbaud, t. 1, p. 04, do son excellent recueil, une
version provençale, de laquelle notre n" 'i ciiffère moins que d'aucune
autre ;
3" Par Victor Smith, dans la Romania, IV, 439, une version re-
cueillie dans l'Ardèche, dont la conclusion concorde avec celle de
notre n" 4, et l'ensemble en général, malgré les lacunes qu'elle pré-
sente, avec notre n" 3.
4" Par M. J.-F. Bladé, dans ses Poésies populaires de la Gas-
cogne, t. 1, pp. 182 et 338, deux versions gasconnes qui sont à peu
près, avec les nôtres, dans le môme rapport que la précédente • .
J'ai jugé inutile de repruduire ici in extenso les versions que je
viens de mentionner, tout le monde pouvant les lire dans les recueils
que j'ai cités. Je noterai seulement quelques-unes des variantes les
plus importantes que l'on y remarque. A désigne la version de Da-
mase Arbaud, M celle de Milâ, S celle de Smith.
Le recueil de Damase Arbaud, outre la version mentionnée de notre
cantique n° 3, renferme (t. II, p. 15) un autre chant intitulé la Coun-
versioun de santo Madaleno, qui n'est qu'une pièce française pro-
vençalisée, comme le prouvent certains passages où des mots français
qui, traduits, n'auraient pu rimer, ont été conservés tels quels. Ou
peut y comparer une version purement française et plus développée du
même chant, qui se lit p. 148 de la Grande Bible des Noëls (Orléans,
1877). Dans celle-ci, le rythme primitif, l'un des plus anciens de la
poésie romane, paraît avoir été mieux conservé que dans la version
provençalisée. La pièce est en vers de onze syllabes (7 + 4), avec
rime ou assounance intérieure (mais ceci peut être un enjolivement
postérieur), comme dans plusieurs pièces dutroubadour Guillaume VII,
* Le même recueil renferme, t. I, p. 84,- sous le litre de Mario-Madaleno
e seiit Joan, deux couplets qui paraissent des débris, tant bien que mal liés
ensemble, de deux pièces différentes, l'une sur sainte Madeleine, l'autre sur
la sainte Vierge. Voici le premier de ces couplets, le seul où il soit question
de sainte Madeleine :
Mario Madaleno,
Ero que se proumono
Perlas ribos, lous camps.
Lou pruraè que rencounlro
Estec moussu sent Joau.
SAINTE MARIE MADELEINE 263
et elle présente, dans la version française, cette particularité remarqua-
ble que, si la césure est féminiue, le second hémistiche n'a que 3 syl-
labes :
Madeleiue oyaut ceci, prend ses habits
De beau velours cramoisi des plus jolis,
Et ses blondes chevelures tout en rond
P\'iisaieat mille torlillures sur son front.
C'est exactement ce qui a lieu chez Guillaume de Poitiers et les
troubadours ses successeurs qui ont employé le même mètre:
E cil que no volran creire mos casteis
Ado vezer per lo bosc en uo deveis.
Mais cette précieuse marque d'antiquité a disparu dans la version
de Damase Arbaud, où le second hémistiche a constamment quatre
syllabes, que la césure soit féminine ou masculine :
Quaad la Madaleno intret, Jésus prechet.
A tant prêchât sur lou vici, sur lou pécat
Que soun coueret mai soun amo nen a toucat.
NOËL LIMOUSIN '
I. Loun boun Dî e la Sento "Vierjo
Se permenâ s'en van tous dous ;
De novessi, de novessi,
Se permenâ s'en van tous dous;
De novessien nous.
II. I rencountreren Madaleno
Que jugavo em lous garsous,
De novessi, de novessi,
Que jugavo em lous garsous ;
De novessien nous.
III. — « E dijas nous donne, Madaleno,
Voudrias vous venî coumo nous?. . . »
1 Communiqué par M. le baron d'Aigueperse, de StPaul d'Eyjau (Haute-
Vienne).
264 SAINTE MARIE MADELEINE
IV. — « Mas noun pas, noun pas, Sento Vierjo,
Ne menas pas de beus garsous. , . »
V. — '< Ne dijas pas co, Madaleno,
N'en mené lou pus beu de tous. . . »
VI. — « Atendés me qui, Sento Vierjo,
I m'en vau me channhâ ciias nous. . . »
VII. Elo fugué bientôt coueifado
En treis ôunas de beu velour. . .
VIII. Veiqui treis reis que Facoumpanhen
En grando ceremounio
IX. Lou premier porto la baniero
L'autreis dous porten lous courdous, . .
X. En entrant tous dedins Teiglieijo,
Lous ôutars nen trembleren tous. . .
XI. Lous pêtreis quiteren lour messo,
Lous beneitiers n'en fan lous tours. . .
XII. — « Dijas doun, pêtreis, vôtro messo,
E vous, chantreis, vôtras leissous. . .
XIII. » N'ajas de pou ni mai de crento,
Lou boun Jésus eis coumo nous ;
De novessi, de novessi,
Lou boun Jésus eis coumo nous,
De novessien nous.»
II
, 1
LAS TREI MARIOS
Ountanas, las trei Marios, toutoi très de bras en bras?
— Anan veseNostreSegne, aquel grand Dieu tout puis-
[sant.
— Tourna voun, las trei Marios, Jésus ei ressuscitât.
4. — Que sio mort ou que sio 'n vido, toutoi très i cal ana.
1 Recueilli à Belesta (Ariége) par M"*' Rosalie Lambert.
SAINTE MARIE MADELEINE 265
Abalh, bés, ni a uno counquo, tout soun sanc arre-
[massat.
Abalh, abalh, sus sa toumbo, i a'n aibre de tres-
[plantat.
Sus la cimo d'aquel aibre sant Miquel li ei mountat.
8. Nostre Segne n'in ba dire : sant Miquel que fas achi?
leu ne vese tant de moundo que jamès n'aviô tant vist.
leu des très camis que savi te lei voli ensegna :
La un es le cami de glorio e l'autre le gloria ;
12. L'autre le del filh del paire, ount toutis nous cal ana.
III
LA MATALENO *
W
|E^=#4^
Ma - ri - 0 Ma
ta
le - no —
^XX-LC M r g
Jue n'a - viô tant — pe
cat
m
^
t=^
S'en val de porto
en — por - to —
llï l
e
Per trou - ba un
eu - rat
I. Mario Mataleno, que n'avio tant pecat,
S'en vai de porto en porto per trouba un curât.
1 Version narbonnaise doQnée par M. Guibaud.
266 SAINTE MARIE MADELEINE
II. Passo a-n uno capelo, Jésus i ero cledins.
4 Elo tusto la porto : a Sius plet, venes durbi.»
III. Sant Jan dis asant Pierre : — uRegardo qui's aqui.»
— « Mario Mataleno ; nous i caldra dourbi.
IV. « Mario Mataleno, aissis que venes fa? »
8 — «Moussegnes Jean e Pierre, me venio confessa.»
V. — ((Digos nous, Mataleno, digos nous tous pecats.»
— « N'ei tant feit dins ma vido que se pot pas
[coumta. »
VI. » Laterro que me porto se deurio englouti,
12 » Lavilo ount soui nascudo se deurio demouli.»
VIL — (t Sept ans dejoust la caugno te cal ana resta. »
Al cap de sept annados Jésus ven a passa.
VIII. « Mario Mataleno, de que tu n'as viscut?»
16 — «De racinos sauvajos, n'ei pas toujour agut. »
IX. — « Mario Mataleno, quno aigo n'as begut?»
— «Re que d'aigo treboulo, n'ei pas toujour agut. »
X. « Jésus Christ, moun boun paire voudriô lava las
[mas »
20 Jésus tusto la roco, sul cop Faigo a rajat.
XI. « 0 mas ta poulidetos, blancas coumo lou lait,
» Vous sios feitos pla negros, negros coumo un
[cremal,
XII. » Vous qu'ères ta blanquetos, ta frescos de coulou
24 )) Que las rosos musquetos que soun al rousieirou.»
XIII. — « Mario Mataleno, retornes al pecat;
I) Sept ans dejoust la caugno penitenso faras. »
XIV. — « Jésus Christ, moun boun paire, coussi pouirei
[ieu fa?»
28 — <( Maltro, ta santo sorre, ti vendra counsoula. »
XV. — «Boun Jésus, pietadeto, m'i faguets pas tourna,
» De mous els las larmetos me lavaran las mas.
XVI. » De mous els las larmotos les peds vous lavaran,
32 » Lous pelses de ma testo vous lous eissugaran. »
SAINTE MARIE MADELEINE
267
IV
LA PAURO MATALENO '
p^^m
B
,=,,^-J_
0 — pau - ro Ma - ta - le - no 0 —
7=lF
t^
y
pau
ro Ma - ta - le
-N-
i
no, pe - ni
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3^
1^=^
y-
ten
te
cal
fa.
pe - ni -
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Pf^
t-
^
ten
so te
cal
fa.
« 0 pauro Mataleno, penitenso te cal fa.
Te cal ana ' las balmos sept ans i demeura.
Al cap de sept annados, paradis auras gagnât.»
4 Al cap de sept annados, Jésus la vai trouba.
« 0 pauro Mataleno quno vido as tengut? »
— « 0 Jésus, le boun Jésus, la que vous avés vourgut :
N'ai culido Terbeto coumo 1' bestia banut;
8 N'ai pas agut d'aigueto quand ieu auriè vourgut. »
Jésus pertits la roco, d'aigueto n'es vengut.
Ta Ieu qu'arribo Taigo, sas mas s'encourt lava,
Blancos coumo la neijo, negros coumo 1' pecat.
12 « 0 pauro Mataleno, perque as tournât peca?
* Belesta'Ariége). Ecrit et noté sous la dictée de Jacques Demay.
268 SAINTE MARIE MADELEINE
T'en cal tourna ' las balmos, sept ans i demoura;
§ept e sept fan quatorze, paradis auras gagnât. »
Al cap de sept annados, Jésus la vai trouba :
16 « 0,'pauro Mataleno, al cel t'en cal ana,
En coumpagno das anjos, la Vierges i sara. »
V
CONSOU DE MORIO MOTOLÈNO '
« Quai bourro (li) trossa lo mar, o Morio Motoleno?
(Ois-) »
— « leu, sou'diet lou nobotié, ieu lo bous trossorai,
[bèlo. »
(Mes) fouerou pas o mietjo mar que lo barquo s'en-
[grobelo,
4 Mes sou diet lou nobotié: «Çoy opecodou ou pecaïdo.»
— « Se pecodouno ieu ne soui, doissas m'en ona per
[ai go. »
Mes sou diet lou nobotié : « Forai pas, (nou) forai pas,
[belo ;
Bous doissorai pas dobola, son sober quai ses bous,
[belo. ;>
8 — « Nobotié, (ieu) zo te dirai : soui Morio Motoleno. »
— « Se Motoleno (bous) ne ses, ieu bous sourtirai en
[ribo. »
(Et) lo menerou ol miet d'un bos, librado o (los) bestios
[saubatjos.
01 miet del bos montjabo pas que de rocinos sou-
[batjos.
12 01 cat de set ons (cinq) ou sieis benou querre Moto-
[leno.
Fouerou pas o mietjo mar que Motoleno regarde.
« Aï, paourés pès, (aï) paouros mos, qui bous o bits et
[bous betjo ! »
* Villefranche de Rouergue. — ' Seulement le second lirmistiche, et d
même tous les suivants.
SAIISTB MA.RIE MADELEINE 269
— « (Aï,) Motoleno, qu'obès dit ? Cal doubla lo péni-
[tenço. »
16 Lo tournerou ol miet del bos, librado o (los) bestios
[saubatjos.
01 cat de set ons (cinq) ou sieis tornou querre Moto-
[leno.
Os pès de nostre (boun) Saubur, o lo gleizo l'ôu
[pourtado.
Omb(e) los larmos de sous els lous pès del Saubur lo-
[babo.
20 Omb(e) soun pel rous qu'elF obiô tout doucet lousessu-
[gabo.
Oïtal naoutres pousque(sse)n fa, coum' Morio Moto-
[leno!
NOTES
1
NOEL LIMOUSIN
Je donne à cette pièce ' le titre de Noël, parce qu'il me semble
reconnaître ce mot dans le refrain, un peu obscur, qui se répète à cha-
que couplet. Si je ne me trompe pas dans ma conjecture, il faudrait
écrire de novê sien nous, c'est-à-dire de noel soijons nous! et met-
tre des points suspensifs après novessi.
Couplet I, vv. 2 et 4. Se manque dans la copie communiquée;
mais la mesure exige huit syllabes. Ailleius qu'en Limousin, on pour-
rait songer à corriger toutes, ou toutis, sans suppléer se.
Coup. III. « coumo )) = avec.
C. V. « lou pus beu de tous. » Cf .ce passage d'un noël narbonnais:
Un angelet em sa troumpetto
Ben anounça perLout la patz
E dis qu'une maire biergetto
A fait lou pus bel das goujatz.
1 Cf. dans la Grande Bible des Jioëls , Orléans, 1877, p. 226, la pièce in-
titulée la Chandeleur. Ce n'est guère qu'une variante de la nôtre, moins
mondaine dans les détails.
270 SAINTE MARIE MADELEINE
C. VI, V. 2. Je supplée / (= ieu), qu'exige la mesure. — « me
channhâ. » = me changer, c'est-à-dire prendre d'autres vêtements.
C. VII, V. 1 , « coueifado. » Au lieu de a-o, on voudrait ici, comme on
l'a partout ailleurs, sauf au couplet suivant, l'assonnance e-o. — V. 2.
« velour. » Prononciation moderne, substituée à la primitive, qui était
sans doute velotis.
C. VIII. Couplet probablement corrompu. Ni le premier vers n'as-
sonne, ni le second ne rime avec son correspondant dans les autres
couplets. Pour procurer un semblant de rime et conserver la mesure,
il faudrait transporter l'accent sur Vo final de ceremounio, qu'on pro-
noncerait ou, tout en laissant à ce mot les cinq syllabes primitives.
C. IX. « L'autreis. » := Lous autreis. Les élisions de ce genre
(la prononciation pleine est loû autrei) sont exceptionnelles. Cf. ma
Grammaire limousine, p. 189.
C. XI, 2. « Les bénitiers en font les tours, » c'est-à-diie : se metten
à tourner. Si bizarre que cela paraisse, il ne semble pas qu'on puisse
entendre ce vers autrement. A la rigueur cependant, il pourrait y
avoir là une anacoluthe : « les bénitiers, ils (à savoir les prêtres) en
font les tours. » Mais outre ce que la tournure aurait de suspect, lous
tours, au pluriel, ne conviendrait guère.
Je rappellerai, en terminant, que l's finale, que j'ai cru devoir écrire
en faveur de l'étymologie, et pour ne pas trop dérouter le lecteur, ne
se prononce pas dans le haut Limousin, même en liaison.
II
LA.S TREI MARIOS
Des douze vers ici réunis, les six premiers tout au plus, peut-être
seulement les quatre premiers, appartiennent réellement à une pièce
sur les trois Maries. Le reste paraît provenir d'un ou deux chants
différents (sur le jugement dernier ?) que l'on aura confondus avec ce-
lui des trois Maries. Le sujet de celui-ci a du reste été traité plus
longuement dans trois cantiques, publiés tous les trois, que j'ai déjà
cités plus haut, et qui paraissent dériver d'un môme original. 11 me
suffira ici de les mentionner de nouveau, en renvoyant aux recueils
dans lesquels le lecteur curieux do les lire pourra les trouver:
1. Cantique sur la résurrection, publié par moi-même, d'après une
copie de 1612 (Revue des l. romanes, XIV, 5).
2. Un alléluia pascal en Velai/, publié par Victor Smith (/^i'i.,
XIII, 217).
3. Chants joyoux (Damasc Arbaud, I, 49).
SAINTE MARIE MADELEINE 271
Dans un cantique sans titre particulier, sur le même sujet, le même
rythme et le même air (0 filii et fdiœ) que les précédents, imprimé
p. 312 d'un volume intitulé Exercice du Chrétien (Mont^eWier, 1815),
et que j'ai également cité plus haut, p. 261, n. 1, un seul couplet sur
douze est consacré aux trois Maries. Elles en ont au contraire douze
sur 22, 21 ou 16, dans les autres versions .
III
LA MATALENO
Ce cantique a, chez Damase Arbaud comme ici, seize couplets ou
32 vers. La version catalane publiée par Milâ, au lieu des couplets
1-6 de la nôtre, en contient douze, dont le sujet, tout différent, est
précisément celui de la Counversioun de santo Madeleno (Damase
Arbaud, II, 15) mentionnée plus haut, p. 262. Elle en diffère, en outre,
en ce que Madeleine à la fin y est par-donnée et monte au ciel ; ce qui
est au contraire une concordance, comme je Tai déjà noté, avec la
version de Belestâ et avec celles de l'Ardèche et de la Gascogne,
probablement plus conformes sur ce point au texte primitif, dont les
derniers vers, dans la version narbonnaise comme dans celle de Da-
mase Arbaud, se seront perdus.
Une différence d'un autre ordre est à signaler entre la version ca-
talane et celles de Narbonne, de Belestâ, de la Provence, de l'Ardèche
et de la Gascogne. Ces dernières sont uniformément en vers de douze
syllabes*, à rime masculine et à césure féminine (épique)^; tandis que
la première est en vers de quatorze s^^llabes (7 -|- 7), à césure mascu-
line et à assonnance féminine. 11 est remarquable que cette forme est
justement celle de notre n° 5. Ajoutons que, dans la pièce catalane,
l'assonnance est d'un bout à l'autre identique à elle-même {à-a, ou à-e,
ce qui, en catalan, est la même chose), caractère bien primitif, comme
• Dans la première des versions gasconnes, le premier hémistiche de chaque
couplet est double; en d'autres termes, chaque couplet a cinq vers (appa-
rents) de six syllabes. Dans le premier couplet, on lit Pecadouro deDiu après
Mario Madaleno, qui en est'le début; et ces deux derniers mois sont répé-
tés, sans aucune utilité pour le sens, en tète de tous les couplets suivants. Ce
sont là sans nul doute des additions arbitraires au texte primitif, de véritables
interpolations.
2 Les deux derniers couplets, dans A, font à cet égard exception; mais c'est
sûrement par suite d'une altération de roriginal.
272 SAINTE MARIE MADELEINE
©n sait, que les nôtres ont peut-être présenté à un certain moment,
mais qu'il serait difficile aujourd'hui de leur restituer.
V. 1-2. La leçon de A, d'ailleurs confirmée par S, est ici bien pré-
férable :
Mario Madaleno, la pauro pecairilz
S'en va de pouerto en pouerto cercar Diu Jesus-Christ.
10. N'ai tant fach e fa faire A. — 11 . « se. » Coït, me? A : me
deurie plus pourtar. — 13, « caugno. » Synonyme de baumo. Voy.
cauno dans Mistral ou Azaïs.
19. A : mes mans voudriou lavar, ce qui donne une meilleure as-
sonnance. — 21-22. A:
Ai ! belo ma blanqueto, blanco coumo lou lach,
Fresco coumo la roso, qu t'a vist e te vei !
Leçon corrompue, comme on voit, puisqu'il ne peut y avoir ni rime,
ni'assonnance. car la correction leit, qui irait de soi ailleurs (le pays
de Foix, par exemple), n'est pas possible en Provence, — 23-24. Ce
couplet manque dans A, qui, en revanche, quatre vers plus loin
(après le quatorzième, vv. 27-28), donne celui-ci, que n'a pas notre
version :
La blanco coulourabeto te pourtara dinar
Et les auceous que pitoun t'anaran abeurar.
IV
LA PAURO MATALENO
V. 1 . La notation musicale exige que l'on conserve ici les sept syl-
labes du second hémistiche. La pièce tout entière ctait-ellc primiti-
vement en vers de 14 syllabes? Cf. les vv. 3, 6, 14.
2. « ana. » = ana a. — 3. Corr. le cel'^ Cf. v. 16. — 6. Se rap^
peler que, dans la prononciation populaire, Jesiw est un mot paroxy-
ton. — « vous avets. » Suppr. vous ou contracter avels en els ? Cf.
le second des vers catalans cités ci-après. — 7. « coumol bcstià ba-
nut. » Ce trait se retrouve dans la seconde des versions gasconnes,
mais l'épithète diffère {meniit). — 9. « n'es vengut. » Var. faiveni. —
11.11 doit manquer au moins un vers avant celui-ci, qui est évidem-
ment corrompu. — 13< « tourna. )■> = tourna a. Cf. v. 2. — 14. Al cap
de sept annados vaudrait mieux, la répétition textuelle (cf. vv. 3, 15)
étant beaucoup plus dans la tradition populaire qu'un pareil change-
SAINTE MARIE MADELEINE 273
ment [L. L.]. — « paradis. » Corr. le cel? —15. Dans la version ca-
talane, avec laquelle celle-ci s'accorde mieux, en cette fin, comme je
l'ai déjà noté, qu'avec la version narbonnaise et avec la provençale,
Jésus pourtant n'intervient pas, ni pour condamner Madeleine à un
prolongement de pénitence, ni pour la pardonner. En voici les der-
niers vers :
« Ay mans qui-os ha vist y os veu heu quedat desfigurades ! »
Ya'û baixa un ângel del cel: « Magdalena, qu'ets dit ara?
Has de tornâ altres set anys al désert de la montanya. »
Acabat de les set anys, Magdalena s'en alsave.
Quant es a lamitja nit, Magdalena ya finave:
Los angels li feyen llum, la Verge l'amortellave.
11 y a, au contraire, parfait accord sur ces deux points entre notre
n" 4 et les deux versions gasconnes. Voici la fin de la première :
Au cap de set annados Jésus l'angouc trouba.
« Mario Madaleno, au ceu que eau ana. »
et celle de la seconde :
Lou boun Diu se lo meno tout dret en paradis.
Cf. la fin de la version recueillie par V. Smith:
Maria Madeleina de quen' aigua n"as bediu ?
— D'aigua de la clara fontaina; n'ai pas toudzours adiu.
— Vène que nous n'anaren ensembla tout droit au paradis.
— Ainsi fasçoun les nostros, quand lour corps partiron.
V
CONSOU DE MARIO MOTOLKNO
Cette chanson se chantait en Rouergue pendant la moisson, il y a
quarante ou cinquante ans, sur l'air du Credo. Le chef entonnait
le chant, et le second hémistiche de chaque vers était répété en
chœur par la troupe des moissonneurs.
J'ai déjà signale la parfaite conformité que présente cette chanson,
au point de vue rythmique, avec la pièce catalane publiée par Milâ.
Mais elle en diffère beaucoup par les détails, comme de nos n°^ 3 et 4,
bien que le sujet au fond soit le même (la pénitence de Madeleine).
On s'aperçoit tout d'abord que la légende de Marie l'Egyptienne y
est mêlée, assez discrètement d'ailleurs, avec celle de l'amie de Jé-
sus, ce qui a lieu aussi dans certaines rédactions latines de la vie de
notre sainte.
274 SAINTE MARIE MADELEINE
1. « trossa » ( ^^ Lrassar, Tu protonique, comme l'a post-tonique,
s'affaiblissant en o dans ce dialecte), passer, traverser. Voy. Azaïs.
2. « diet. )> = dixit. On reraar juera cette forme, où ie est sans
doute un résidu de la triphthongue iei qu'on observe dans la forme
dieis, laquelle provient de diis, moyennant l'insertion d'un e. Cf.
là-dessus, Revue des lang . rom., XIV, 116.
4. « pecadou ou. » A contracter, dans la prononciation, en trois
syllabes. — « pecaido » = pecairo, féminin analogique de pecaire,
qui a remplacé en divers lieux, mais non supplanté partout, l'ancien
pecairitz. Quant au changement de r doux en d, c'est un phéno-
mène bien connu. On l'observe souvent à Montpellier même.
5. <( pecodouno. » Autre forme analogique. C'est le féminin de
pecadou, dont Vou final a été considéré, par fausse analogie (cf.
■millou, millouna), d'après bou, bouno, etc., comme provenant de
oun. — « doissas», du verbe daissai' = laissar. Cf. l'espagnol dejar.
7. Le premier hémistiche est trop long d'une syllabe. On pourrait
substituer ona à dobola. — 8. <( zo » ^ le, neutre. Ailleurs zou.
C'est ecce hoc.
11. Une syllabe de trop au premier hémistiche. Corr, Oqui non
montjabo pas?
12. « ons. » Pour ans. Ua nasal, même tonique et en position,
s'affaiblit en o dans le rouergat. — 19. Cf. ce vers et le suivant avec les
deux derniers de notre n" 3. — 21 . Cf. ce vers avec le dernier de la
version publiée par V. Smith (ci-dessus, p. 273).
APPENDICE
J'ai pensé qu'il ne serait pas hors de propos d'extraire, pour mes
lecteurs, de l'une des versions provençales du Nouveau Testament
que nous possédons, les passages des Evangiles qui sont le principal
fondement de la légende de sainte Marie Madeleine. La version que
j'ai choisie est celle du ms. 2425 de la B. N. J'emprunte le second, le
troisième et le quatrième de mes extraits, à M. Gilly et à M. WoUen-
berg, qui ont publié l'un et l'autre en entier, d'après cems., l'Evan-
gile de saint Jean '. Le premier est publié ici, pour la première fois,
' TJie liomaunt Version of the Gospel according ta Sf Jo/m. ..hy William
SAINTE MARIE MADELEINE 275
d'après une copie, prise sur le ms. lui-même, que je dois à l'obli-
geance de M. Coastans.
EVANGELIUM SECUNDUM LUCAM, CAP. VII
(B. N. ms. fr. 2425, fo 26 r»)
36. Uns farizieus pregava lo que manjes ab lui, et entrant en la
mayzo del pharizieu e sec se almanjar.
37. E vête una femna que era pecayris en la cioutat, e cant saup
que Jésus era en la cioutat e fon al manjar en la maizo del farizieu,
aportet una bostea plena d'unguent;
38. e venc a Jesu, e va se gitar a sos pes, et am sas lagremas los
comenset allavar et a baysar los, et am sos pels torcar et eysujar, et
amb aquel unguent onlier los pes de Jesu.
39. E vezeut ayso, le farizieus que avia lui apcllat dis dedins son
cor(s): « Aquest, si fos propheta, non fezera ayso, car la femna es
pecairis et el o saupra. »
40. E Jésus dis li: « Vuelh te alcuna cauza dire.
41. Duy deutor devian deute a un usurier. La u li dévia .v. c. de-
nier [s] e l'autre .l.,
42. e non avian de que pagar, e perdonet a cascu lo deute. A cal
fes mais de gracia ni cal amet mais ? »
43. E Sismon respondet que ad aquel a cui mais perdonet. E Jésus
dis: « Drechurierament as jujat, »
44 . E viret se alla femna e dis : u Ves aquesta femna : en ta mayzo
entriei e nom doniest aygua a mos pes, et aquesta arrozet mos pes
am lagremas e am sos pels los me torquet ;
45. ni, p'os que intret, non cesset de baysar mos pes,
46. et am hunguentlos m'a ougz.
47. Per la cal cauza ieu die a tu que tug siey peccatli son perdo-
nat, quar fort amet ; e cel ama mens a cui meus es perdonat, »
48. E dis ad ella : « Li tieu peccat te son perdonat. »
49. Et aquil que eran al manjar comenceron adir: « Cals es aquest
que perdona peccat? )>
50. E dis alla femna : « Ta fe te fa salva, vay en pas*. »
Stephen Gilly. London, Î848. — L'Évangile selon S. Jean, en vieux provençal,
publié par J. Wollenberg. Berlin, 1868.
1 Après cet extrail, j'aurais voulu donner la traduction des versets 38-42
du chap. X de saiaL Luc. Mais le feuillet qui contenait la fin de ce chapitre
manque aujourd'hui dans le ms. 2425.
276 SAINTE MARIE MADELEINE
EVANGELIUM SECUNDUM JOANXEM, CAP. XI
1 . Mas era uns languens que avi[a] nom Lazer, del castel de
Martha e de Maria, de las sores d'el.
2. Mas [Maria] era aycella que annet onher Jesu am los unguens,
et am sos pels sos pes li eysuget, de la cal son fraire d'ella era ma-
laut, lo Lazer.
3. Adonc las sorres d'el(las) trameseron a Jesu, disent: « Senher,
ve te aquel que tu amas es malautes. »
4. E Jésus dis lur; «Aquesta malautia non es de mort, mas per
la gloria de Dieu, quel filh de Dieu sia glorificat per el. »
5. Mas Jésus amava Martha e Maria, las sorres del Lazer.
6. Mas per amer d'el istet aqui .ii. jorns.
7. Pueys annet am sos discipol[s] en Judea.
8. E van dire siey discipol : « Maistre, per que vas ara en Judea?
non sabes quel Juzieu te volon allapidar?»
9. E Jésus va respondre:<( Las oras del jorn, non son .xii. ? Si
alcuns ira el jorn non offendra, quar ve la lus d'aquest mont. »
[10. Mas si el ira en la nuech, el offendra, quar la lus non es en
el.]
1 1. Et après ayso lur va dire Jésus : « Lo nostre amix Lazer dorm ;
mas ieu la vauc, que suscite el de son. »
12. Adonc li discipol van dire: « Senher, si dorm, el sera salv.»
13. Mas Jésus avia dich délia mort d'el; mas il cujavan que dor-
mis.
14. Adonc Jésus dis apertaaient : <c Lo Lazer es mortz ;
15. et ieu alegre mi per vos, que crezas, que ieu non era aqui. Mas
annem a el. »
17. E Jésus venc en Betania, et atrobet que . un. jorns avia istat
mort el monument.
18. Mas era Betania prop de Jérusalem.
19. E motz des Juzieus eran vengut a Marta e a Maria, per consolar
las.
20. E Martha auzi que Jésus venia, e corre li acontra, e gitet se a
sos pes, e va li dire :
21 . « Senher, si tu fossas istat aysi, lo mieu fraire non fora mortz.
22. Mas yeu [say] que quai que cauza que tu querras a Dieu, ti
sera donat. »
23. E Jésus li va dire : « Tos fraires resuscitara. »
24. E Martha dis: « Ben say que resuscitara el redier jorn. »
25. E Jésus li va dire: « Yeu suy resurrexio e vida ; qui cre en
mi, ancar si es mort, vioura ;
SAINTE MARIE MADELEINE 277
26. e tutz cil que mi creiran non morran eternalment. Crezes
ayso ? »
27. Et ella dis : « Certas, Senher, ieu cre que tu iest fîlh de Dieu
viou, que venguist en aquest mont.»
28. E cant ac dich aquestas cauzas, annet et apellet sa sorre Maria,
e va li conselhar : « Lo maistre sa es e apella te. »
29. E cant ella auzi, levet se apertament, e venc vers el.
30. E Jésus non era ancara intrat el castel, mas era aqui on Mar-
tha 1 "avia laysat.
31 . Adonc li Juzieu, can viron Maria levar apertament, et issi s'en,
penseron se que annes al monument per plorar sobre son fraire.
32. E can Maria fon aqui on Jésus era, vi lo, e casec si a sos pes,
e va li dir : « Senher, si fossas istat aysi, lo mieu fraire non fora
mort. »
33. Adonx Jésus, can vi plorant Maria, e mot d'autres Juzieus amb
ella, e Jésus fon mogut de pietat.
34. E demandent] li : « On Faves sebelit?» — « Senher, ven, e vei-
ras 0. »
35. E Jésus ploret.
36. Adonc van dire li Juzieu : « Vejas con plora sobre lui, ben
l'amava. »
37. Et alcuns d'els dizian : «Aquest, que uberc los vuels al sec, non
l'agra pogut gardar de mort? »
38. E Jésus frement en si meteis venc al monument.
39. E va dire: « Levatz la peira que es desobre pausada. » E
Martha va dire: « Senher, el flaira, que .un. jorns a istat mortz. »
40. E Jésus va li dir:<c Non t'ayieu dich que, si crezes, veyras la
gloria de Dieu ? »
41. Et adonc van levar la peira. E Jésus levet los (h)vuelh ves lo
cel e dis: « 0 paire, gracias ti fauc quar tu mi auzes.
42. Mas ieu say ben que tu me auzes tota ora ; mas ieu die ayso
per lo pobol que es aysi, que crezan que tu m'as trames. »
43. E con ac dich ayzo, cridet an gran vous: « Lazer, ve défe-
ras. »
44. E tantost aquel, que avia istat mort .iiii. jorns, issic foras, liât
los pes e las mans ; e la cara era liada am lo suari. E Jésus va lur
dire: « Deslias lo, e laysas l'anar. »
45. E mot de Juzieus que eran aqui vengut, [e] viron aquestas cau-
zas que Jésus fasia, crezeron en el,
46. Mas alcu d'ellos anneron as pharisiens, e van lur dire aycellas
cauzas que Jésus fes.
21
278 SAINTE MARIE MADELEINE
CAP. XII
1. Adonc Jésus davaa .vi. jorns délia pascha venc en Betania,
aqui on resuscitet lo Lazer, que avia istat mort.
2. E feron aqui a el cena; e Marta ministrava.
3. E Maria, sa sorre, près lioura d'onguent precios de nart pistât,
et ois los pes de Jesu, et am sos pels los eysujet; e li mayzo fon um-
plidade la odor del onguent.
4. Adonc uns des discipols de lui, Judas Escariot, loquals era a
liourar, lui dis :
5. « Per que aquest unguent non es vendutz ,ccc. deniers, e fos
donat a paures? »
G, Mas el dis ayso, non per so que pertengues a el des paures,
mas car el era laire, e portava borsa, en que metia aycellas cauzas que
eran messas.
7. Adonc Jésus dis a la femna:« Layssa l'onguent, e garda lo en-
tro al mieu sépulcre.
8. Quar vos aures totas oras los paures am vos ; mas mi non au[r]es
totas oras. »
1. Mas u disapte ben mati, venc Maria Magdalena al monument e
vi la peyra vostada del monument.
2. Adoncas correc e venc a Sismon Peyre e ail' autre discipol,
loqual Jésus amava, e dis lur : « Vostat au lo seuhor del monument, e
non sabem on l'an pauzat. »
3. Adonc Peyre e l'autre discipol corregronal monument.
4. E aycel autre discipol corria plus fort que Peyre e venc premiers
al monument.
5. E va se dinar e vi las toalhas pauzadas, pero non la intre[t] .
6. E Peyre venc aprop, e intret el monument, e vi los draps linis
pauzat[z]
7. el suari, loqual avia istat sobre lo cap de Jesu, non pauzat am
loâ draps del li, mas era envolopatz ad autra part.
8. Per so adonc aycel autre discipol que era vengut premiers in-
tret e vi e credet,
9. quar ancar non sabia l'escriptura, que covenges el resuscitar de
mort.
10. Adonc li discipol anneron derescabs a lur meteyzes.
SAINTE MARIE MADELEINE 279
11. Mas Maria istava de foras justa lo monument plorant, e mentre
que ella plorava, regardet ins el monument,
12. e vi dos angels sezent am blancas vestimentas, la on lo cor[s]
de Jesu avia istat pauzat, .i. al cap e autre al[s]pes.
13. E dizian a ella : « 0 femna, per que ploras ? » Et ella respon_
det : « Per so quar n'an portât lo mieu senhor e non say on l'an mes.»
14. E cant ac die ayso, tornet atras e vi Jesum istant, mas non sabia
pas que el fos.
15. E va li dir : « 0 femna, per que ploras? que queres? » Et ella
se pensava que fos ortolans, e dis a el : <( 0 sentier, si vostiest lo
mieu senhor del monument, digas mi on l'as pauzat, e ieu ostaray
lo...
16. E Jésus va dire a ella : « 0 Maria! » E ella respondet: « Rabi »,
que vol dire maistre, e venc ves el corrent, e casec en terra de gauch,
et cuje[t] lo abrasar.
17. E Jésus li va dire :« Non mi vuelhas ancar tocar, quar ieu non
pugiey ancara al mieu paire ; mas vay a mos fraires e digas lur : yeu
pugiey al mieu paire e al vostre, al mieu dieu e al vostre. »
18. E Maria Magdalena venc anunciar as discipols que « ieu vi lo
Senhor e el dis a mi aquestas cauzas. »
II
La légende de sainte Marthe est si étroitement liée à celle de sainte
Madeleine qu'il m'a paru convenable de la donner ici, en provençal,
d'après les deux mss. de la Légende dorée qui m'ont fourni celle de
sainte Madeleine. Sur les rapports de ces deux mss. et les-caractères
linguistiques qu'ils présentent, je renvoie à ce qui a été dit ci-dessus,
t XXVI, p. 106. Je rappelle que je désigne par A le ms. fr. 9759,
qui est celui que je suis principalement, par B le ms. esp. 227, qui
me sert surtout à corriger ou à compléter le premier.
[Fo 196 r"] La Vida de santa Martha
Martha foc hosta de Jhesu Christ. E foc son payre e sa mayre de
linatge real; ffo lo payre de ela duc de Siria e deMaritima, Possesia
santa Martha .ni. castels, so es Magdalo e Bethania e .la. part de
Jherusalem, per heretat de sa mayre, am la sua sor e son frayre La-
280 SAINTE MARIE MADELEINE
zer. Nos troba ' que hanc agues marit ni paria de home. La nobla
[hosta-] se pessava noblament de Jhesu Christ e de la sua sor, (e
donc ^)coma a ela fos [V] a vegiayres [que totz lo mons no abastes '•]
a servir tan gran senhor. Apres la ascensio de Jhesu Christ, et donc
coma fos fâcha persecutio ^ dels disciples, e am lo seu frayre sant
Lazcr e am la sua sor santa Maria Magdalena [e sant Maximi**],
que los avia bateialz e al quai foron coman l.itz per Spirit Sant, ....''
que " per (a)mar ''j Dieus volent, vengron a Marcela, e en après els s'en
aneron en la ciutat d'Aichs '", e aqui els convertiron mot gran re de
gent a la fe de Dieu. Era santa Martha bêla parlera e mot graciosa.
— Era en aquel temps, sobre Rose ", en .1. bosch, entre Arles^- e
Avinho, .1. drach que era mieg peis'^ e mieg bestia, pus gros que
.1. buou e pus long que .1. caval, que avia dens talans coma spasa'*;
e estava en l'ayga quant se volia, e el bosch quant se volia, e aucisia
totz aquels que passavon per lo cami prop del bosch, e aquels*' que
passavon per l'ayga fasia abocar las barquas e aucisia las gens''"'. E
vengut era per la mar de Galicia en sa, e ffoc engenrat en Asya per
Leviatan, que es serpen d'ayga mot feresta '' e cruzel, e de Bonac *",
que es bestia que se fa ''■* en la regio de Galicia, que [ha-^] aytal natura
que aquels 21 que[l] volon encagiar", per spasi de .P.versana-^ geta
1 Leçon de B. A: 710 Irobec, leçon qui semble Indiquer que le copiste
avait sous les yeux nos troba, qu'il n'a pas compris, y voyant un parfait au
lieu d'un présent. Le latin porte niinquam legitur. — ^ Manque dans A;
suppléé d'après B, — ^ eJiB. — " Suppléé d'après le latin [quod ad ser-
viendumtanto hospitinon siifficeret etiam totus mundus). Ba seulement:
que non abastas a servir tant gran senyor. — s Sic b, Lat. dispersio. —
6 Suppléé d'après B, conforme au texte latin. — ' Le latin ajoute : « Multis-
que aliis, ablalis remis, vciis elgubernaculis omnibus aiimenlisque, ratibus ab
infidelibus includuntur. » Lacune commune à nos deux mss. — « qui B. —
0 mar B. — i" Auchs A. — u. Leçon de B. A: reyre. — i* Arlet A etB. —
13 pg,. (p barré) A, pex B, — 1^ B ajoute: « e una corns (corr. n. corns ou
unas cornas ?) de cada part.» Lat.: « binis pariuis ex utraque parte munitus.»
— 15 =: a aquels. — 16 b se tient ici plus près dn texte lalin : « e estant eu
l'ayga amagat el aucisia sels quin passavea e fasia périr les naus. » Abocar
=. renverser, ici submerger. Sur ce mot, qui manque à Rayn., voy. J.-B.
Noulet, Étude sur G. de la Barre, p. 13. — *' Ferest, ta,= sauvage, féroce.
Gel adj., qui manque à Rayn., est dans le dict. catalan de Labernia. — '** bo7i-
fat A, bo7iatB. LslL Bonac ho. — '^ Lat.: « quod Galaliaî regio gignit.» —
^" Suppléé d'après B. — 2' = a aquels.— -- entagiar A, enceguarB. Lat.
insectatores suos. Encagiar n'est du reste qu'une autre forme de encanhar,
exciter, irriter (cf. Azaïs, Dict . des idiomes romans). J'ai vu souvent, au-
trefois, le nom de lieu Antagnac (Lot-el-Garonne) écrit Antagiac. — 23 Lat.
juger is .
SAINTE MARIE MADELEINE 281
la sua faitura > ayssi coma cayrel, e tota res que toca crema ayssi
coma fuoc. A laquai bestia ana santa Martha, et trobec la en lo bos-
catge que mangiava .i. home, e gitec sobre lo drach ayga benezecta
e mostrec li lo senhal de la crotz . E donc mantenent foc - vencut ^
coma ovelha '% e ^ lo liet santa Martha am la sua cencha; e man-
ten[en]t lo poble lo auciron am lanssas e am peyras. Era appellat
[aquel] drach Tarascha*", e per aysso dis hom Tarasco a aquel loc.
Era abans appelât aquel loc Narluc^, que volia dire nègre loc, per
so quant avia grans boscatges nègres. Apres aysso santa Martha
demorec aqui, de licencia de sant Maximi, maestre seu ; e aqui ela
estava en oratio. En loqual loc fec .i. monestier de don[a]s, a honor
de santa Maria Magdalena^; e aqui el[a] fec mot aspra vida, ayssi
que no mangiava sinon pa e ayga ,P. vegada lo jorn, he. c. vega-
das[lo dia he .c. vegadas^] la nueg s'aginolhavaper Dieuspregar. E
donc coma una vegada ela presigues as Avinho, entre la ciutat el fluvi
de Rose *", .i. enfan stava de lay lo fluvi de Rose *", que volia ausir las
suas paraulas, per que veac a ela nadan 'i. Mas soptosament foc negat
e mort. Lo cors del quai foc atrobat lo lendema, per que foc portât
davant santa Martha, per so que lo resuscites. E donc mantenent,
fâcha oratio a Dieu, ela lo près per la ma e leva lo sus ses tôt mal, e
après ela lo bateiec. — Recompta Eusebi en lo .v. libre de las Ysto-
rias eclesiasticas que una femna que perdiasanc perla natura derrere,
pueys que foc guerida, fec far .i=>. ymagena en lo seu verdier, a sem-
blansa de Jhesu Christ, e ayssi [F° 197 r°] vestit coma ela lo avia vist ;
laquai ymagena ela mot honrava, e las herbas que se fazian'- dejotz
aquela ymagena, que no avian davant deguna vertut, foron mot ver-
tuosas ; de lasquals eron gueritzmotz malautes. Dis sant Ambros que
aquela femna foc santa Martha, que guérie*'^ d'aquela malautia. —
Nostre Seuhor revelec a santa Martha la sua mort ans per .i. an •*, e per
tôt l'an ela foc trebalhada per febre, e, al cap dels .viii. dias i^,
ela ausic e vie los angels que portavon la arma de la sua sor santa
Maria Magdalena al cel; per que ela dis als frayres e a las sors del
' fenda (= fr. fiente) B. Lat. .^tercus siium. — - manque dans B. —
i Leçon de B. A: vengiit. Lat. vicfus est. — "coma lo vie lay A; con a feda
B. Lat.:« ut ovis stans.» — * Manque dans B.— * Sic B. A: Tarascli. —
7 NerlucB. — * Sic A et B. Lat.: a ad honorera béate Marie sempervirgi-
nis. » — ' Suppléé d'après B, conforme au texte lat. — i" Sic B. A: Rosa. —
*i Le ms. porte î;en, avec un signe abrév. au-dessus. B:« per que nadan volia
as ela venir », ce qui pourrait suggérer pour A la correction vole a ela venir.
Lat.:« nudatus natare cepit. » — i^ Lat. crescentes, — '^ gueria A; guari
B. Lat.: « quam Dominus sanavit. « — '* Lat.: « ante per annum. » — '* aw.s
del viajten dia B. Lat.: « anle octavum diem. »
082 SAINTE MARIE MADELEINE
monestier: « 0 companhos e vos amicz meus, icu vos pregui queus
[alegretz'] am mi, coma^ sapiatz que ieu hyey ausitz los angels, que
pogiavan l'arma de la mia sor al cel. » En après ela dis : « 0 mot
bcla sor, et mot amada, vivas ^ am lo maestre teu e koste meu en * la
tua sela benaurada ! » E mantenent santa Martha amonestec totz
aquels que li stavon de costa, que stesson am lums costa ela e " que
velhesson entro a la sua mort. E quant foc mieja nueg'' lo(s) vens
que fasia desquantis '^ totz los lums, per que mantenent ela vie
grans companhias de diables, per que ela comensa Dieus pregar, di-
sent: « 0 sant payre meu car, ajustatz se so, per mi a devorar, los
diables que tenon scritz totz los meus defalhimens ; raas tu. Sen-
hor, sias en lo meu adjutorii. » E mantenent ela vie la sua sor que
venc a ela, e portava en la sua ma .la. gran falha cremant, e en-
ses totz los ciris elas iampesas que eronmortas perven^.E dis Jhesu
Christ: « Veyne, hosta mia, car la bon ieu stariey seras tu am mi;
car tu me resaubies en ton hostal, per que ieu te resaub[r]iey en lo
meu cel ; e totz aquels que me pregaran ^ ieu yssausiriey per amer de
tu. » Ayssi coma la hora se propiava de la sua mort, ela se fec por-
tar défera, per so que vigues lo cel ; e mandée se *° pausar sobre cenre
e que hom li tangues la crotz davant, e ausiro " la [orar]'^ en aques-
tas paraulas : « 0 Senhor car, garda aquesta pobreta'^^ e ayssi coma
tu volgues albregar am mi en l'ostalh ^'*, en ayssi tu me recep en lo
règne celestial ! » E santa Martha manda que hom li legis la passio
de Jhesu Christ '3; e quant foc en aquel loc bon se lieg : « Payre, en
las tuas mas comandi lo meu spirit », ela mantenent trames l'espirit
a Dieu. En lo secon dia, que foc dimenge, ayssi coma de costale seu
cors disian lausors losclergues, entorn de tercia, san Fron cantava
messa en Peyregorg^'^, e après la pistola el s'adormic en la cadieyra;
e aqui Dieus li apparec, a el disent: « 0 amat mieu Front, si vols
* Suppléé d'après B. La place de ce mot est en blanc dans A. — 2 Manque
dans B. — •' vives A et B. Lat. vivas. — ■* Sic B. A: a. Lat. ifî sede. — s 0
A. — 6 B ajoute: «que tots dormien. » Lat.: « custodibus somno gravatis. »
— '' Descantir, éteindre, manque dans Rayuouard, qui n'a qu'escanti)-. lo
veyit. ..aiicis B. — » ici une lacune dans A comme dans B. Le texte latin
porte : « Dumque altéra alteram proprio nomine vocaret, ecce Christus adve-
nit, dicens...» — » Sic B. Il faudrait suppléer e7i ton nom, ou corriger te.
Lat. et invocantes te.— *" ânes se A, mana se B. Lat.: « jussitque se in ler-
ram super cinerem poni. b — i* ausira A. — *2 5 a seulement denant,
orn , conformément au latin oravit in hecverha. La meilleure correction
de A serait peut-être e asora en. — ^^ pobi'esa h. paiihrctatB. Lat. pau-
percidam. — '* en lo meu ostal B. — i^ « secumdum Lucara b, ajoute le
texte latin.— "• Perjregorp A. Lat. « apud Petragoricas. »
SAINTE MARIE MADELEINE 283
complir so que nos promesem * a la nostra hosta, leva sus e seguis
me. » Per que de mantenent els vengron a Tarasco, e de costa lo
cors de ela cantans am les autres, disseron tôt lo officii ; el ^ cors
d'ela els meseron am lors mas propias en lo vas. E donc coma en
Peyragorg ^ fos cantatper los cantadors loR^ e Allehiia^, el diague
volgues penre benedictio, per so coma volia dire Tavangeli^, a envi-
das^ pogron despertar lo avesque, perque el lor dis: « 0 frayres
meus, per que m'avetz revelhat^ ? [que Jhesu Christ m'avia amenât
per sebelir la sua osta, e avem la sebelida. Trametetz test la un mi-
satye, quem aport l'anel els guans que comaney en la al sacrista, e
per oblit o he en lagequit, per so cor(s) me despertetz^. » Per que la
aneren los misatyes, e reseberen un guant del sacrista e l'anel, e
l'autre gant aremena ^ lo sacrista per testimoni del feyt. — Miracle,
Dix sent Front que, après la sepultura, un clergue demana a Jhesu
Crist con avia nom ; al quai el no vole respondre, mes que li mostra
un libre que ténia en la ma ubert, en lo quai no avia als escrit si no
aquest verset: « En la memoria perdurable sera la justa osta mia, e
no temera negun mal en lo derer jusesi. » On con aquel gires les
cartes del libre, noy troba als escrit ^''. — Miracle. On con mots mi-
racles se fesen en lo vas de senta Martha, en C(o)lodoveus, rey de
Fransa, qui fo bateyat per sent Remigi, anec la al seu vas, e aqui
el fo guarit de mot grant dolor que sofria als royons. Per la quai
causa el requesi *' aquel loc, e dona als servidors d'aquel loc .m. mi-
1ers de terra en aviro del loc, de totes parts, ab vilas e ab castels, e
fe aquel loc franc. — Senta Marcella, qui era serventa d'ela, escrisc
la sua vida ; laquai en après s'en ana preycar en P'sclavoyna l'avan-
geli de Deu, e après .x. ayns ela s'en ana ha Deu.]
' Lat. pollicitus es. — "^ e ell k. — ^Peragogh A. — * fi barrée, c'est-à-
dire répons. Manque dans B, ainsi que alléluia, qui suit — ^ La traduction,
ici, dans A comme dans B, abrège le texte: « dum... dyaconus, evangelium
lecturus, benedictionem petens, episcopum excitaret » — *^ a en vides A,
asemujdes B. Lat.: « ille vix excitatus. » Le trad. au lieu de à peine, pa-
raît avoir compris avec peine, malgré lui (invilum). Rayn. n'a de cette
locution que la forme toute française a envis. — "> Ici s'arrête A, par suite
évidemment d'une erreur du copiste, qui aura sauté un feuillet ou une page de
l'original. Ce qui suit immédiatement appartient à la Vie de saint Germain. Je
transcris purement et simplement, pour combler la lacune, le texte de B, —
8 Lat.: « quia me tam cito excitastis. » — ' Lat. retinuit .Aremenar est dans
Rayn., mais seulement dans la signification de 7ie pas oublier et non au sens
matériel que ce verbe a ici. — *" Lat.: » cunctis foliis hoc reperit scriptum. »
— 1 = enrequesi (lat. ditavit).
Dialectes Modernes
PARNASSE PROVENÇAL
PAR LE P. BOUGEREL, PRÊTRE DE l'oRATOIRE
(Suite)
NOTES ET ADDITIONS
Explication des abréviations employées pour les ouvrages cités
dans ces Notes et additions
Achard. — Dictionnaire de la Provence et du Comté-Venaissin, t. III
et IV. Marseille. 1786.
Barjavel. — Dictionnaire historique, biographique et bibliographi-
que du département de Vaucluse. 2 vol. in-S". Carpentras, 1841.
Bory. — Catalogue des livres rares et précieux composant labibl.
de J.-T. Bory. Marseille, 1875. (Je cite par n°^)
Burgaud. — Bibliothèque patoise de Burgaud des Marets. Paris,
Maisonneuve et Ce, 1873. (Je cite par n°^)
Essais. — Supplément aux Essays de littérature, 1703, p. 148. Od
y mentionne huit poètes modernes, qui avaient été confondus à tort,
dans les Essays, avec des poètes provençaux anciens, et que je sup-
pose avoir composé en provençal. Cela est sûr, du moins, de l'un
d'eux, Pierre de Chasteuil-Gallaup.
Gaut. — Étude sur la litt. et la poésie provençales, dans le t. IX
des Mémoires de l'Académie d'Aix. Aix, 1867.
Lambert. — Catalogue des mss. de la bibl. de Carpentras, par
C.-G.-A. Lambert. Carpentras, 1862.
Millin. — Essai historique sur la langue et la litt. provençales,
(\^ns\Q Magasin encyclopédique, 1808, t. II.
Noulet, — Essai sur l'histoire littéraire des patois du midi de la
France. I (XVI« et XV1I<^ siècles), 1856; II (XVllle siècle), 1877.
Soleinne. — Bibliothèque dramatique de M. de Soleinne, t. III. (Je
cite par n°*.)
PARNASSE PROVENÇAL 285
Soliers. — Raimond de Soliers, Rerum antiqiiarum et nobiliorum
Provinciœ Commentarii,. ., livre V, chap. 23 : de Poetis qui Provin-
ciali sernione scripserunt. Ouvrage resté inédit, sauf le premier
livre, dont il a été publié, en 1615, une traduction française. Je le cite
d'après le ms. original, qui est à Aix. L'auteur, mort vers 1594,
mentionne dans ce chapitre, comme ayant été célébrés par Jean de
Nostredame, son ami, un certain nombre de poètes provençaux qui
florissaient de son temps (hodiernos viros Provinciales poemate cla-
ros), et dont je n'ai trouvé les noms nulle part ailleurs. Aussi ne leur
donné-je place ici que sous bénéfice d'inventaire.
P. 175, n. 1. Sur le grand ouvrage du P. Bougerai, on
peut voir les Mémoires de littérature et d'histoire du P. Desmo-
lels, p . 77. Sous le titre de « Projet d'une histoire des hommes
illustres de Provence » , le P. Bougerel y fit imprimer une
sorte de prospectus, rédigé par lui-même, de sa publication
projetée. Le titre qu'il y donne à son ouvrage est celui-ci:
« Histoire des hommes illustres de Provence, qui se sont dis-
tinguez par leur sçavoir, par leurs emplois, par leur sainteté,
et par leur habileté dans les beaux Arts; depuis le siècle d'A-
lexandre le Grand jusqu'à présent; avec des dissertations et
des notes. "Voici le seul passage qui, dans ce projet, concerne
les poètes provençaux ; il n'y est pas question des modernes.
(c A la fin du dixième siècle, les Troubadours me fournis-
sent la matière d'un chapitre assez singulier, où je tâche de
montrer que dans le temps que la barbarie et l'ignorance re-
gnoient partout, les Troubadours faisoient fleurir en Provence
les belles lettres et qu'ils sont inventeurs de la rime. Je ne
crois pas devoir donner le détail de leurs vies. Cependant je
ne laisse pas de parler assez au long de ceux qui se sont dis-
tingués par un mérite solide. »
Bellaud de la Bellaudière. p. 176. — Sur ce poète, voy.
Noulet, I, 18-27, et Aug. Fabre, Louis Bellaud de la Bellau-
dière. Marseille, 1861. Une nouvelle édition de ses œuvres se-
rait bien accueillie des philologues et des amis de la poésie
provençale.
On sait que le Bâtard d'Angoulême, grand prieur de France
et gouverneur de Provence, au service duquel fut Bellaud de
286 PARNASSE PROVENÇAL
la Bellaudière, fut tué le l='"juin 1586 par Philippe d'Altovitis,
père de Marseille d'Altovitis, dont il est question plus loin.
Pierre Paul. P. 176. — Cet ami et émule de Bellaud de la
Bellaudière, né vers 1565, mourut après 1615, date de l'une
de ses dernières pièces. Il est qualifié «escujer de Marseille»,
sur le frontispice des poésies qu'il fit imprimer en 1595, à la
suite de celles de son ami, sous le titre de Barbouillados et
fanlazies journalieros de Pierre Pau. Après ce recueil, il en
composa un autre, intitulé VAutounado, qui est encore inédit,
et dont le ms. existe à la bibl. de Carpentras, où il porte le
n° 378. Voy. le catalogue de Lambert, 1, 211.
Jean de Nostradame. P. 179. — Il est fâcheux que le P.
Bougerel ne nomme pas les ouvrages en tête desquels on
trouve, d'après lui, des vers français de Jean de Nostredame.
Je n'en ai pu trouver aucun, malgré mes recherches, et je n'ai
pas été plus heureux quant à ses chansons galantes. Le docte
oratorien n'aurait-il pas ici confondu Jean avec son neveu
César? Ce qu'il dit ensuite de son talent pour la musique et de
son habileté à pincer le luth aide à me le faire croire. César,
en efî'et, fut renommé comme musicien et joueur de luth, tan-
dis qu'on ne lit nulle part ailleurs que Jean ait eu, à cet égard,
quelque réputation.
Il n'en est pas moins certain que Jean de Nostredame fut
poëte et poète provençal. Nous avons de ce fait, outre l'attes-
tation formelle de son ami Raymond de Soliers, qui le qualifie
de poeta egregins, des preuves directes dans les vers assez
nombreux, et évidemment apocryphes pour la plupart, que ce
procureur peu consciencieux met sous le nom des poètes pro-
vençaux dont il prétend raconter la vie.
Jean de Nostredame n'usa pas seulement dans ses vers de la
langue provençale; il l'employa aussi en prose, dans les es-
pèces d'annales qui ont pour titre So que s'es pogut reculhir
dels comtes de Prouvensa et de Forcalquier, et dont le ms. est à
la bibl. de Carpentras (n° 522).
Le a Pierre Antoine Rascas do Bagarris», dans la maison
duquel le P. Bougerel dit que Jean de Nostredame fui élevé,
était sans doute l'aïeul du célèbre personnage de ce nom, qui
fut garde du cabinet des médailles d'Henri IV et qui mourut
en 1620, à Aix, où il était né en 1562. Peut-être y a-t-il eu
PARNASSE PROVENÇAL Î87
erreur sur les prénoms ; ou l'auteur a-t-il voulu dire: la mai-
son d'où est sorti Pierre-Antoine Rascas de B.?
Robert Ruffi ». P. 180.— Outre la pièce ici reproduite, je
connais de Robert Ruffi deux sonnets à la louange de Bellaud
de la Bellaudière, qui sont imprimés dans les Obyos de ce der-
nier, pp. 32 et 41, et une pièce Ijrique, encore inédite, qui se
lit en tête du ms. de VAutounado de Pierre Paul, dans le ms.
de Carpentras mentionné plus haut. Voici la première stance
de cette pièce, qui en a dix-huit :
Quan lou printens et l'autoun
Debatien lou Jsremeiragi,
leou mi troubiou d'escoutoun,
Amagat souto un ramagi,
Auzent d'aqui la rezon
Que l'un e l'autre allegavo,
Car un cadun si donavo
La lauzour en sa sezon.
1 Déjà au XVe siècle, un autre Ruffi (était-il de la même famille?) compo-
sait des vers provençaux. Dans un sermon de Pierre de Marini, confesseur
et prédicateur du roi René, mort en 1467, il est parlé, dit Fauris de S. Vin-
cens {Magasin e?icyclopédique, 1813, t. III, p. 23), d'un religieux nommé
Guillaume Ruffi, âgé de quatre-vingt-dix ans, qui, bien qu'aveugle depuis
vingt-cinq ans, était toujours de la plus grande gaieté. « Marini le trouva un
jour dans sa cellule, riant à gorge déployée ; et, lui ayant demandé le sujet de
sa gaieté, il lui répondit qu'il faisoit une chanson pour être chantée aux fêtes
de Noël (post benedictionem nectaris) » Mos euim tune erat illis qui be-
nedictionem dabant in festo Nativitatis aliquod jucundum componere ut ca;te-
ros ad risum et solatium possent inducere. » Marini rapporte ensuite quatre
vers provençaux de cette chanson. Ils peignent assez naïvement de vieux
moines assis auprès d'un mauvais feu, où ils se disputent le plaisir de ti-
sonner :
Lou payre ambe son baston — tourouret
Remuda lo tison;
Item Frayre Johan an son frogon — tourouret
Cemena lo carbon.
« Au sujet de ces vers du'P. Ruffi, ajoute Fauris de S. Vincens, l'on peut
remarquer que, pendant ce siècle et dans des temps postérieurs, on chantoit
dans les églises des cantiques ou noëls provençaux qui faisoient en quelque
manière partie du culte, quoiqu'ils traitassent souvent de sujets bien profanes.
On chantoit à St-Sauveur, àAix, pendant la ligue, des noëls où les aventures
galantes du duc d'Epernon éloient rapportées.»
288 PARNASSE PROVENÇAL
La « chanson » sur la peste de Tan 1580, que le P, Bougerel
nous a conservée, est remarquable au point de vue de la ver-
sification. Elle est en vers de 10 syllabes coupés après la
sixième, comme dans Gii^art de Rossillon. Mais la syllabe atone,
qui suit la césure, quand celle-ci est féminine, compte toujours
dans l'hémistiche suivant' :
La pesto et la fami | no t'an rouinado;
Et n'an leva la tra | cho das villagis ;
etc. C'est, comme chacun sait, le système italien [Per far una
leggia \ dra sua vendetta, Petrarca), dont les exemples ne man-
quent pas d'ailleurs, quoique assez rares, dans l'ancien proven-
çal et même dans l'ancien français:
Fraire, aquesta eu | ra li faras.
(Raimon d'Avignon.)
et avec la césure à la quatrième syllabe:
La lauzon l'an | gel ab joy et ab chan.
(Pons de Chapteuil.)
Si de respon | dreus troba ben après.
(Peire Vidal.)
1 II ea est de même dans la Tourre de Barhentano, de Frédéric Mistral
(lis Isclo d'or, p. 36), où ce même vers de 6 -f 4 est employé:
Memamen i fenes | tro, dins Ion cas...
A chausi per clavai | re de sa tourre. . .
A l'oumbro de sa tour | re faire mau. ..
Lou calignaire toum | bo sus la roco.
Dans la troisième partie du Tamhour d'Arcolo'.ihid.,^. 62), qui est aussi
en vers de dix syllabes, coupés après la sixième, on trouve encore un exem-
ple,— un seul, — de cette césure enjambau le, comme Boucherie l'appelait.
C'est celui-ci :
Pourtavon : î grands o | me la patrio...
Le contraire a lieu dans un chant populaire du même mètre [Belo Callio),
publié par Damase Arbaud (II, 103). La césure y est partout féminine, mais
partout épique^ c'est-à-dire que la syllabe atone qui suit la 6° ne compte pas
dans la mesure du vers. Despourrins a employé ce même mètre dans une de
ses chansons {La haut sus las inountagnes, vv. 2 et 3 de chaque couplel);
mais la césure, comme la rime, y est partout masculine.
PARNASSE PROVENÇAL 289
Per capita | ni car sei enamic.
(Guiraut Riquier.)
De même, dans les vers de onze sjUabes du comte de Poi-
tiers :
E dirai vos m'entenden ] sa de que es,
à côté de :
Companho tant ai agutz d'avols conres;
et déjà dans la Séquence de sainte Eulalie (dix syllabes) :
Voidrent la vein | tre li Deo inimi,
Voldrent la fai | re Diaule servir ;
et encore (treize syllabes):
Niule cose non la pou | ret omque pleier,
à côté de :
La polie sempre non amast lo Deo menestier.
J'ai remarqué la même coupe dans quelques cantiques im-
primés en Provence au siècle dernier, oîi elle est du reste
beaucoup plus rare que la coupe ordinaire. Exemples :
Braveis enfan me rejouisse fort
Toutei lei via | ge que fan la doutrine.. .
An passa tou | tei jusqu'en Betelen. . .
Diguen plus a | re que sien nialhurous. . .
(H. -H. , curé d'Orgon, Nouveaux Cantiques
spirituels. Avignon, 1748, pp. 127, 135, 136.)
La grande prie | ro que voueli vous faire.
(^Cantiques spirituels des missions des prêtres
séculiers. Marseille, 1787, p. 75.)
Paul-Antoine d'Agar. P. 184. — L. 7-8. On pourrait lire
aussi, comme afaitMillin(p. 77): la helou Paysano, Mignard ou
lou Rasselou. Barjavel a imprimé paysano mignardou, sans vir-
gule ni majuscule, et Lou rasteloun. Outre les pièces en ques-
tion, cet auteur mentionne encore a des stances, en forme de
lamentations, sur les malheurs de Cavaiilon», composées en
1631, c'est-à-dire Tannée même de la mort du poëte. On trouve
un sonnet de lui dans les Marguerites d'Aubert, 1613 (de Ber-
luc-Perussis, du Sonnet, p-H)-
290 PARNASSE PROVENÇAL
Claude Brueys. P. 184. — Le P. Bougerel confond ici, avec
le recueil de Bruejs, un autre recueil qui porte le même titre,
mais qui en est tout différent. Ce second, Jardin deis Mitsos pro-
vençalos, renferme des pièces de divers auteurs, dont l'un même
(Sage) n'est pas provençal. Vojez-en la composition dans Bur-
gaud, n" 1185. Cf. ibid., 1368. Des six ouvrages mentionnés
ici par Bougerel, le premier, seul, est de Brueys. Le Jardin de
ce dernier a été réimprimé par les soins de M. Mortreuil, en
deux vol. in-12 (Marseille, 1843 et 1853), sous le titre de Poé-
sies provençales des XVI'' et XVII^ siècles. Voy. Bory, n'^' 1804,
1805, 1808; Noulet, 1,215.
Raynier de Briançon. p. 185. — L. 5: « Gassendi parle de
lui. ..)) Est-ce bien du môme? Gassendi (p. 125) appelle celui
qui accompagnait Peiresc, revenant de Montpellier en 1010,
Jacobus Raynerius, sans lui donner d'autre qualification que
celle de Aquensis ciois, tandis que le nôtre portait le prénom
de Louis. Il mourut en 1670, âgé de soixante-douze ans. Voy.
son article dans Achard, qui rapporte son épitaphe. Cf. Bory,
n« 1842; Burgaud, n" 1185, 4°.
Barthélémy Fourgeon. P. 187. — Des vers de ce poëte se
trouvent dans le ms.n° 17 du catalogue Bory (p. 299).
Gaspard Zerbin. P. 188. — Ce poëte était mort depuis plu-
sieurs années quand la Perlo deis Musos fut imprimée. 11 était
né, paraît-il, enl590. Son père, Bernard Zerbin, procureur au
siège d'Aix, avait aussi composé des vers provençaux. On
trouve de lui, avec une odelette française, un sonnet provençal,
parmi les pièces liminaires des Passotens de Bellaud de la Bel-
laudière. Voy. l'intéressante préface jointe par J.-T. Bory à la
réimpression de la Perlo dey Musos et coumedies prouvensales,
qui a été faite à Marseille en 1872 (Etienne Camoin, éditeur).
Ce rare volume renferme cinq comédies, dont aucune n'a de
titre particulier, et un Prologue sur r Amour. Roux Alpberand,
les Bues d'Aix, 11, 230; Bory, n«^ 2027, 2028.
François DE Bègue. P. 189.— Cf. Ruffy, Hist. de Marseille,
t. II, p. 388; Burgaud, n" 1185, 6" et S", et les trois lignes qui
suivent; Bory, 1806 et 1842.
Charles Feau. P. 189. — Voy. son article dans Achard.
Il mourut le 8 février 1677. Cf. Burgaud, n° 1185, 7".
N. SEguiN. P. 191. —Un recueil ms, de labibl. de Carpen-
PARNASSE PROVENÇAL 291
tras (no 631) renferme cinq comédies de Seguin : V Empereur
de Maroc ou Glouiou, avec un prologue ; Rolichon, Dardin, les
Gagne- Deniers, le Jardinage. Cette dernière n'est qu'un simple
dialogue entre un maître et son valet. Voy. Lambert, t. I,
p. 431.
Saboly.P. 193. — Sur Saboly, voy., entre autres travaux,
\e%Noêls, par Fabbé Paul Terris, pp. 112-119, et sur les édit.
de ses noëls, Burgaud, n°^ 1561 à 1572.
François Bertet. P. 195. — Les articles annoncés àlafin
de celui-ci, sur Jean-François Bertet et sur Jean Bertet, man-
quent dans le ms., soit que Fauteur ait négligé de les écrire,
soit que la copie d'Aix, comme je l'ai supposé, présente des
lacunes. Il est probable qu'ils figurent l'un et l'autre dans le
grand ouvrage du P. Bougerel . Cela est du moins certain du
dernier, puique l'extrait de cet ouvrage, qui a été publié en
1752 sous le titre de Mémoires pour servir à rhistoire de plu-
sieurs hommes illustres de la Provence, contient sur lui une
assez longue notice. J'en reproduis seulement ce qui intéresse
plus particulièrement notre sujet, renvoyant pour le reste à
ce volume, qui n'est pas très -rare, ou à Achard.
« Jean Bertet naquit à Tarascon en Provence le 22 février
1622. Il etoit fils de François Bertet et d'Anne d'Ise
La vivacité de son esprit, la facilité avec laquelle il s'énonçoit,
sa mémoire prodigieuse le firent rechercher avec empresse-
ment et recevoir dans la Compagnie de Jésus, le 25 janvier
1637.
» '. . .Pendant son séjour à Lyon, il se lia très-étroi-
tement avec le fameux Père Théophile Raynaud. Ils travaillè-
rent ensemble à la revision de tous les ouvrages de ce Père...
Comme Charles Emmanuel, duc de Savoye, fournissoit aux
frais de cette édition, parce que le P. Théophile Raynaud
etoit né dans le comté de Nice, le P. Bertet eut l'honneur
d'être connu de ce prince. Il lui envoya plusieurs poésies la-
tines et un ouvrage en vers françois intitulé: les Empresse-
mens du Parnasse. Le principal personnage est le fameux trou-
badour Arnaud Daniel, qui prononça un Madrigal provençal
assez gaillard, dont j'ai une copie. 11 en reçut des remerci-
mens par des lettres écrites de la propre main de ce prince,
et remplies de témoignages d'estime et d'amitié. . . .
292 PARNASSE PROVENÇAL
» Le cardinal de Bouillon [qui avait obtenu du général des
Jésuites que le P. Bertet demeurât auprès de lui] ayant ac-
compagné le Roi en Flandres pendant la guerre de Hollande,
le P. Bertet fit une chanson provençale qu'il intitula la Cam-
pagno d'HoUando (1672). Elle fit du bruit; le Roi la vit, la
goûta, il voulut en connoître l'auteur. Charmé de l'accueil
gracieux que S. M. lui avoit fait àLikerk, il composa un son-
net italien, qui commence :
Canta il rè mia cansoun {sic) provenzale.
» C'est un morceau achevé, écrit avec toute la délicatesse
du Tasse et de Guarini. La campagne suivante lui fournit une
plus riche matière. Le Roi la commença par le siège de Maes-
tric. Notre poète composa d'abord un sonnet espagnol sur les
mines qu'on fit jouer pendant ce siège Il fit aussi trois
épigrammes latines sur ce sujet. . . . Mais la pièce qui fit le
plus de bruit fut une épigramme provençale sur la prise de
Maestric.
» Pour en sentir toute la beauté, il faut se ressouvenir que
le siège ne dura que treize jours; que le jour de saint Pierre
nos troupes donnèrent un assaut furieux ; que les ennemis
capitulèrent le jour de saint Paul, et se rendirent deux jours
après.
San Peyre eme sa testo raso
Diguot davan Maestric l'autre jour a san Pau :
Per combattre aujourd'hui presto mi toua espazo,
Dins dous jours perintra te presturay ma clau.
)) Il la traduisit aussi en vers latins : elle fut fort goûtée ;
on la lut au Roi. Elle fut encore traduite en vers latins par
M. de Montmor, et par le P. Albert d'Augieres, jésuite; elle
fut cause d'une petite dispute entre plusieurs beaux esprits,
dont on trouvera le détail dans la vie de Pierre de Chasteuil-
Galaup'. . .
» Le succès qu'avoient eu ces petits ouvrages fut un puis-
sant aiguillon pour lui. Il adressa ensuite au Roi une fable
provençale, un madrigal italien, et une épigramme latine sur
les foudres du camp de Mons »
' Voy. ci-après, à l'arl. de Charles du Perier.
PARNASSE PROVENÇAL 293
Louis Puech. P. 196. — Sur ce poëte, voy. Paul Terris, les
Noëls, pp. 109-112.
Antoine Geoffroi de la Tour. P. 199.— Sur ce poëte, on
peut voir une notice de M. Mouan dans les Mémoires de l'A-
cadémie d'Aix, t, VII (1857), p. 207. Cf. Burgaud, n'' 1352, et
Bory, n° 1S46 .
Charles du Perier, P. 202. — L. 6: a Comme on le verra
dans l'article de Pierre de Chasteuil Galaup. « Cet article man-
que. Est-ce encore une lacune du ms. d'Aix, ou l'auteur né-
gligea-t-il de l'extraire de son grand ouvrage, dans lequel
sans doute il figure ?0n peut heureusement y suppléer, grâce
à la notice qu'il publia lui-même sur cet écrivain dans les
Mémoires do littérature et d'histoire du P. Desmolets. Voir
dans la liste alphabétique ci-après, l'article Chasteuil.
Jean Sicakd. P. 202. — Sa traduction ou plutôt sa para-
phrase des Psaumes parut en 1656. Voy. dans Bory, n" 1845,
une minutieuse description de cette première édition et de la
seconde, qui est de 1673.
Gaspard de Venel. P. 203. — AcharJ, qui ne nomme ce
magistrat qu'à l'occasion de sa femme, a consacré à celle-ci
une longue notice (t. IV, p. 300).
Le p. Cameron. P. 260.— Cf. Bory, n° 1854. On s'étonne
que le P. Bougerel n'ait fait que nommer ici en passant le
P. Gautier et qu'il n'ait rien dit des autres PP. de l'Oratoire,
auteurs des Cansous spirituelos dont on a composé, avec celles
de ce dernier, les l'ecueils mentionnés dans Bory, sous les
n**^ 1848, 1849, 1850 Dans son grand ouvrage, il doit y avoir
une notice sur le P. Gautier', et c'est probablement celle-là
même qu'Achard a insérée, avec quelques modifications ou
additions, dans son Dictionnaire de lu Provence, où elle est sui-
vie de ces mots entre parenthèses : Article du Père B., prêti^e
de rOratoire. On y voit que le P. Gautier, né à Digne en 1662,
mourut de la peste, à Marseille, le 11 septembre 1720. En
voici un extrait: « Son esprit et son cœur sont peints au na-
turel dans les admirables caniiques qu'il avoit composés en
françois et en provençal, sur l'air des chansons profanes qui
' La même, vraisemblablement, qui est en lète (de la main du P. Bougerel
lui-même) du ms. 24 du catalogue Bory (p. 300).
22
294 VESPRAS DE TOUSSANTS
avoient cours de son temps, et dont il s'étoit servi avec fruit
dans ses missions On y admire, dit M. Laurensi [dans
son Histoire de Castellanc?J, une théologie saine et profonde,
une piété tendre et solide, un goût de poésie qui enchérit sur
celle des plus célèbres poètes provençaux. Son cantique con-
tre la danse vaut un traité entier sur cette matière. ... Il n'y
a point de ville ni de village en Provence où ces cantiques ne
soient connus, et Ton n'en chante guère d'autres dans les
catéchismes et les missions qui se font dans les paroisses. »
GrROS. P. 206. — Cet article est littéralement reproduit dans
Achard, ou peut-être en a-t-il été extrait. Sur Gros, voj.Nou-
let, II, 61, et une lettre de l'abbé Bentivoglio, datée du 26 jan-
vier 1739, que J. Banquier a publiée dans la Revue, XVlll,
181; sur les éditions de ses poésies, Bory, n"* 1934 à 1940.
C. C.
(A suivre.)
VESPRAS DE TOUSSANTS
A Teodor Aubanel
Aquela pèça a oubtengut una mencioun as Jocs flourals de la Mariténenço
de Prouvcnço, acainpada en vila d'A-z-Ais, lou 13 de jun 1886.
Es nouvembre. Adieu la verdura.
Déjà coumençala frescura.
Lou vent dins lous aubres frémis.
Lou clouquiè lentamen gingoula,
VEPRES DE LA TOUSSAINT
A Théodore Aubanel
Cette pièce a obtenu une meatioo aux Jeux floraux de la [Maùitenance
de Provence), réunie à Aix, le 13 juin 1886
C'est novembre. Adieu la verdure. — Déjà commence la fraîcheur.
• Le vent dans les arbres frémit. — Le clocher lentement se plaint,
VESPRAS DE TOUSSANTS 295
E vous vai jusqu'à la mesoula
Sa crida' que trôna e gémis.
Quana mescladissa bizarra
De blanca e de negra simarra
Sus lou capelan s'espandis!
La voues galoia e lou cor leste,
Disien FAlleluia céleste ;
Ara cantan De profundis.
Ansin dinslou viaje terrestre,
Siegue en vila, siegue au campestre.
Après lou bonur ven lou dôu.
Lou qu'au jour d'ioi troumfla au pinacle
Oufrira deman lou spectacle
De cabussadas que fan pou.
Dins nostres jardis, margaridas,
Restas las darrieiras flouridas,
E dins lous squares de Paris^
— et (il) vous va jusqu'à la moelle — son appel qui tonne et gémit.
Quel mélange bizarre — de blanche et de noire chape — sur le
prêtre se répand! — La voix joyeuse et le cœur léger, — nous di-
sions FAlleluia céleste; — maintenant nous chantons De profundis.
Ainsi dans le voyage terrestre, — soit en ville, soit aux champs.
— Après le bonheur vient le deuil.— Celui qui aujourd'hui triomphe
au pinacle — offrira demain le spectacle — de grandes chutes qui
font peur.
Dans nos jardins, marguerites, — vous restez les dernières fleu-
1 Crida ne veut pas dire cri, mais criée, appel, proclamation d'un acte
quelconque de l'autorité laïque ou ecclésiastique. Le mot publication est ce-
lui qui le traduit le mieux. Pas mal de gens disent encore dans le Midi : « On
les crie, on les a criés dimanche, à la grand'messe », en parlant des futurs
époux. «On les publie» est devenu l'expression courante; mais en langue d'oc
on dit toujours : lous cridou, lous an cridafs dimenche. Voy. dans le t. I,
de la Revice des lançj . romanes: Crides de la Court de Monsieur de Lau-
zère, publiées par Léon Vinas.
2 Diverses plantes de la famille des Synanlhérées (notamment dans les
genres Anthémis, Aster, Chrysanthemum), confondues à tort par plusieurs
296 VESPRAS DE TOUSSANTS
Mais vostra rouiala courouna,
Palla parura de l'autouna,
A soun toui' se fana e mouris.
Adounc tout s'avalis e toumba';
A tout, sus lou bord de la toumba,
Cantan Tinfernau Libéra. . > .
Nani, lou nègre en blanc se muda.
Ausissès, Tourguena préluda
L'hymne divin Pangelingua.
ries, — et dans les squares de Paris. — Mais votre royale couronne,
— pâle parure de l'automne, — à son tour se fane et meurt.
Pour lors, tout disparaît et tombe. — A tout, sur le bord de la
tombe, — nous chantons le Libéra des morts — Non, le noir en
blanc se change. — Ecoutez, l'orgue prélude — l'hymne divin Pangk
LINGUA.
personnes étrangères à la botanique sous l'appellatioa commune de margue-
rites, restent en fleurs dans les jardins publics de beaucoup de villes de
France, et même à Paris jusqu'à la fin de novembre J'avais fait celte remar-
que avant d'avoir lu dans H Fiho d'Avignoun (Mountpelié, Empremarié cen-
trale dou Miejour, li fraire Hamelin, 1885) la jolie pièce la Crisantemo, qui
exprime la même idée, et dont voici les deux premières strophes. Cette pièce
est dédiée à M™<= Elise Hamelin :
La fre vèn, li roso soun morto.
Toute fueio lou vent l'emporte
E Taubre n'es plus canladis;
Dins lou jardin vèuse à brassado.
De la cisampo trecassado,
La crisantemo s'espandis.
Palinello, coumo es poulido,
La crisantemo afrejoulido,
Pauro darriero tlour de l'an !
Sus la fenèstro qu'un rai dauro
A pas tant de souléu que d'auro,
E vous souris en tremoulant.
Je suis heureux d'avoir pu sur ce point, qui est le seul malheureusement
pour moi, suivre les traces du félibre de la Miôugi-ano.
* L'irrégulicr tomba serait peut-être plus conforme à l'usage. L'indicatif
présent du verbe toumba se conjugue en languedocien, tombe, tomhes,
VESPRAS DE TOUSSANTS 297
Bona maire, Gleisa avisada,
Vos faire veire à ta nisada
Que la gau raseja lous plous.
Nous mostrant loui Sants dins sa glori,
Pioi lous que cremou au purgatori,
Mescles la joia elas doulous.
Quana liçou per Finfourtuna!
Ne save mai d'un e mai d'una
Que, sous lou malur escrancat,
Bonne mère, Église avisée, — tu veux faire voir à ta nichée — que
le bonheur touche les pleurs. — Nous montrant les saints dans leur
gloire, — puis ceux qui brûlent au purgatoire, — tu mêles la joie et
les douleurs.
Quelle leçon pour l'infortune! — J'en sais plus d'un et plus d'une
— qui, sous le malheur éreinté, — sanglotte : « Tout est perdu, hé-
tomha, toumhan, toumhas, tombou. Remarquons le retour à la régularité
dans les deux premières personnes du pluriel. Les deux formes tendent à
se confondre, notamment à l'impératif. Deux enfants se battaient. Leurs
camarades, faisant le cercle, leur criaient pour les excitera la lutte: ^oî^to-
ba-loit. S'ils disaient toniha-lmi, conformément à l'usage peut-être, mais
non au radical de l'infinitif, je déclare n'avoir pas pu faire de différence entre
0 et ou. D'ailleurs la forme régulière, que j'ai adoptée, se trouvant dans
Mistral:
Cabusso edavalant à la barrulo, toumbo...
[Lou Roucas de Sisife, Armana prouvençau de 1872.)
et dans Aubanel :
au calabrun que toumbo
S'ausis de voues ........
. . . Lou pas tin di chato à ped descau
Que courron tira d'aigo, e lou ferrât que toumbo,
Et l'ardit campanié toumbo eme la campano.
(Li Fihod'Avignoun, pp. 196, 204, 238),
je n'ai pas cru devoir être plus rigoriste. Les deux formes existent donc. L'ir-
rcgulière est peut-être menacée de disparaître, et le type radical seul survivra.
Ainsi, en physiologie, après quelques générations, on voit souvent les hybrides
remonter à l'atavisme.
298 VESPRAS DE TOUSSANTS
Sousca: « Tout es perdut, pecaire !
Sen aganits. Noui resta gaire
Qu'a parti per l'eternitat, »
De qu'es aquelafe panarda?
Ama trop pauruga, arregarda :
Vieu, l'ausselou que cresiès mort.
Mut e samboutit per l'ourage,
BufFe temps siau, dins lou fiolhage
Repieupa e repren essor.
S'es dich que per reprendre vida
Cal mouri *. Pioi, quand es sourtida,
L'espiga en jun souris au vent,
E quand la vigna es vendemiada,
Souta sa rama enrabalada
Pounchou lous cats per l'an que ven.
En hiver la terra clavada
A ges de flous ; sembla arrasada
Dejoust la tafa de la nèu.
Mais n'es pas morta, es endourmida,
las'! — Nous n'avons plus aucune ressource. Il ne nous reste guère —
qu'à partir pour réternité. »
Quelle est cette foi boiteuse ? — Ame trop poltronne, regarde. —
Il vit, le petit oiseau que tu croyais mort. — Muet et cahoté par
l'orage, — que souffle un temps serein, dans le feuillage — il re-
pépie et reprend essor.
Il a été dit que pour reprendre vie — il faut mourir. Puis, quand il
est sorti, — l'épi en juin sourit au vent. — Et quand la vigne est ven-
dangée, — sous ses feuilles balayées (par le vent) — pointent les
bourgeons pour l'année suivante.
En hiver, la terre fermée à clef — n"a pas de fleurs ; elle semble
ensevelie — sous le linceul de la neige. — Mais elle n'est pas morte,
1 Amen, amen,^dico vobis, nisi granum frumenti cadens in lerram, mortuuiu
fuprit, ipsum solum manet; si autem raorluum fuerit, raullum fruclum affert
(Evang. sec. Joan., xn, 24) Insipiens, tu quod seininas non vivilicalur, uisi
priii? inorialur. (B. Paul. Apost. ad Coriulh Prima, .xv, 36.)
VBSPRAS DE TOUSSANTS 299
Devendra tournamai flourida
Am lou printems e lou soulèu.
Atabé ieu, que la tempesta
Mai d'un cop m'a brandit la testa,
Soui restât ferme au founs dau cor.
Toucarés pas à ma racina.
Crese en la justiça divina,
E contra Satan fau esfor.
Poudès me trissa couma pebre,
Me dire emb' un rire funèbre :
« Nunc morere », couma Pyrrhus'.
Monte dau cros, nouvèu Lazare ;
Permoun revenje m'aprepare.
Mais perque? Vautres ses pas pus.
Adéufe Espagne.
Aspiraa (Eraut), 1 de nouvembre 1885 , 4 houras dau vespre.
elle est endormie. — Elle refleurira — avec le printemps et le soleil .
Et moi aussi, dont la tempête — a plus d'une fois secoué la tête, —
je suis resté ferme au fond du cœur. — Vous ne toucherez pas à ma
racine. — Je crois à la justice divine, — et contre Satan je fais ef-
fort.
Vous pouvez me broyer comme du poivre, — me dire avec un rire
funèbre : — « En attendant meurs ! » comme Pyrrhus. — Je monte de
la fosse, nouveau Lazare ; — pour ma revanche je me prépare, —
Mais pourquoi? vous n'existez plus.
Adelphe Espagne.
' JEneid , II, 550.
A NOUOSTEI FRAIRE LES ENGADIN
Entre lei fiho dei Latin,
Estent que sias qu'uno meinado,
Devèin'èsse la pus amado,
Braves e fidèus Engadin !
Ou sourgènt tudesquc do Tlnn,
Ou founs d'uno fresco valèio,
Fèi flouri lalengo e l'idèio
Dei gràndei fiho dôu Latin.
Roussignôu pardus eilalin
Ounte les aiglofan soun iero,
Cantèi la canson douço e fiero,
La fiero cansoun dei Latin.
Dieu garde lou nis Engadin
Des arpo de l'aiglo prussiano,
E que sèmpre en lengo roumano
Am' eu canten l'inné Latin !
A NOS FRERES LES ENGADINS
Entre les filles des Latins, — comme votre patrie est la plus pe-
tite, — elle doit être la plus aimée, — Engadins bons et fidèles !
Aux sources tudesques de l'inn, — au fond d'une vallée pleine de
fraîcheur, — vous faites fleurir la langue et l'idée — des grandes filles
du Latin.
Rossignols perdus là-haut — où les aigles font leur aire, — vous
chantez la chanson fière et douce, — la fière chanson des Latins.
Que Dieu garde le nid Engadin — des serres de l'aigle prussienne,
— etqu'àjamais en langue romane nous chantions — avec lui l'hymne
de la Latinité 1
A NOUOSTEI FRAIRE LES ENGADIN 301
A M. Caderas, que, par nouôstei fèsto de 1882, noui
mandé un quatrin qu'es escrincela su la pèiro de
uouoste pouont gigant.
Tei vers, su nouoste pouont Latin,
Par nàutréi dien toun amistanço.
Sus toun album, questes estanço
Diran qu'amen les Engadin.
Canounge E. Savy.
Fourcôuquié, 18 d'abriéu 1886.
(Parla fourcôuqueiren . )
 M . Caderas, qai, pour nos fêtes de 1882, nous envoya un quatrain
aujourd'hui gravé sur notre viaduc
Tes vers, sur notre pont latin, — disent ton amitié pour nous. —
Sur ton album, ces stances — diront que nous aimons les Enga-
dins.
Chanoine E. Savy.
Forcalquier, 18 avril 1886.
A LAS ABELHOS DE LOUNGONAUSO
Per las brancos toutes flouridos
Des tilhs qu'an cent ans e mai mai,
Ausissi, sus la fi de mai,
Milanto abelhos aberidos
Brounzi sens s'alassa jamai.
E demest las flous que daurejoun
Al soulelh embabarilhant,
Las chucairos, en travalhant,
De Talbo al soulelh coule virejoun.
Aimi Ihour eissam varalhant !
Pesucos de poulvero audouso,
Un en pr'uno, tournoun al bue,
Per fi d'i pausa le clar chue,
L'ambrousio deliciouso
Que nous pot gari de tout truc.
Coumoulats la bresco, apressados,
Abelhos divos, mouscos d'or!
Mais, pensi pas que de moun cor,
Ount l'amour planto sas fissados,
Vostre mel levé le malcor!
Auguste FouRÈs.
Loungonauso, 31 de mai 1886.
(Languedocien, sous-dialecle de Castelnaudary et de ses environs.)
AUX ABEILLES DE LONGUENAUSE
A travers les branches toutes fleuries — de tilleuls qui ont cent ans
et même davantage, — j'ouïs, sur la fin de mai, — des milliers d'a-
beilles joyeuses — bourdonner sans se lasser jamais.
Et parmi les fleurs qui doraient — au soleil éblouissant, — les su-
ceuses, en travaillant, — de l'aube au soleil couchant vont et viennent.
— J'aime leur essaim bruyant!
Lourdes de pollen odorant, — une à une, elles reviennent à la ru-
che, — afin d'y déposer le clair suc, — l'ambroisie délicieuse — qui
nous peut guérir de tout heurt.
Emplissez vos cellules, empressées, — abeilles déesses, mouches
d'or ! — Mais je ne pense pas que de mon cœur, — où l'amour enfonce
ses coups de flèche, — votre miel enlève la douleur! A. F.
LOU RESCOUNDAL
Quand l'ivèr, al darriè badal,
Clucavo Tel enta Pasquetos,
E qu'as niucs de fe, de brouquetos,
Tournavou 's auzèls del randal,
Endourmits dezempêi Nadal,
Lous jocs renaissiu : — perlinguetos,
Catitorbo, barros, auquetos. . .
Mes s'un quirdavo : « Al rescoundal ! »
Sul cop, — proumpto coumo un esclaire,
Coumo un vol de cardis dins Taire, —
Per lissos, granjos e trastets,
Fujio nostro troupo espandido. . . .
— Jouns de rires e de poutets,
Atal fujès de nostro vido !
Fernan Lodi.
(Languedocien, sous-dialecte de Lacapelle-Livron, par Caylus (Tarn-et-
Garonne).
CLIGNE-MUSETTE
Quand l'hiver, à son dernier souffle, — fermait l'œil vers le temps
de Pâquettes (dimanche de Quasimodo), — et qu'aux nids de foin, de
branchettes, — revenaient les oiseaux des buissons.
Endormis depuis la Noël, — les jeux renaissaient: toupies, —
colin-maillard, barres, jeu des oies. — Mais si lun criait : « A
cligne-musette ! »
Soudain, prompte comme un éclair, — comme un vol de chardonne-
rets dans l'air, — par les haies, les granges et les galetas,
Fuyait notre troupe éparpillée. . . — Jours de rires et de baisers, —
ainsi vous fuyez de notre vie !
F. L.
LA CARRETO
A Auguste Fourès
La carreto pes roudals
Rullo, ruUo, trico-traco,
E, de pajaco en pajaco,
A travès coumbèls, penjals,
Pes rastouls, pes carretals,
Ount cado roc de bijaco,
De sas cardilhos foulhaco
Lous aparres des randals,
Ount va ta requinquilhado?
— As prats. Anèj, pla bilhado,
Fasquen pantaissa 1' parel,
Tournara mounta, pezuco,
Enta l'ouro ount lou sourel
Darrè F pèj fuj e s'arruco.
Fernan Lodi.
(Laaguedocien, sous-dialecte de Lacapelle-Livron, par Caylus (Tarn-el-
Garonne) .
LA CHARRETTE
A Auguste Fourès
La charrette par les ornières — roule, roule, cahin-caha, — et de
flaque en flaque, — à travers vallons et pentes.
Par les chaumes, par les chemins, — où chaque pierre la secoue,
— de ses ridelles bat les branches et eflraye — les moineaux des
buissons.
Où va-t-elle si alerte? — Aux praiiies. Ce soir, bien billée, — faisant
panteler les bœufs,
Elle remontera, lourde, — vers l'heure où le soleil — derrière les
monts fuit et se cache.
F. L.
VARIÉTÉS
BRUSCAMBILLE FABULISTE
Si La Fontaine a rendu un immense service aux fables ésopiques
en leur donnant la forme poétique, pittoresque, exquise, que l'on sait,
ce service n'est pas allé pour elles sans quelque compensation. Elles
y ont gagné la beauté et perdu l'indépendance. Il leur est arrivé ce
qui serait arrivé au loup s'il eût écouté le conseil du chien : le hon-
hoimne lésa choyées, caressées, polies; mais il a mis un collier à leur
cou, qui en est resté outrageusement pelé. Lion et âne, bouc et re-
nard, tous les héros de l'éternelle comédie animale sont aujourd'hui
connus et admirés plus qu'ils ne l'ont jamais été ; on en parle partout,
partout on fait allusion à leurs exploits ; mais ce sont le lion et l'âne,
le bouc et le renard de La Fontaine, et leurs exploits servent à la
gloire de La Fontaine, comme ceux d'un favori des courses servent à
la gloire de son possesseur.
Il en était tout autrement avant que le poëte leur prodiguât ses
soins dangereux. Plus secs, plus maigres, plus misérables, ils cou-
raient du moins où ils voulaient et ne se faisaient pas faute de vouloir
courir ; tous les peuples les ont vus et nous ont conté quelque chose
de leur histoire. Alors les fables ne formaient pas cette armée bien
ordonnée et uniformément vêtue, à laquelle un seul homme a donné la
loi: elles allaient, tantôt isolées, tantôt par groupes, se mettant momen-
tanément aux ordres de qui leur paraissait avoir besoin d'elles ; mais,
après avoir rendu vaillamment service, reprenant bien vite leur li-
berté. C'est ainsi qu'elles avaient combattu pour Esope, pour Démos-
thène, pour Ménénius Agrippa, pour bien d'autres encore, faibles ou
puissants. C'est ainsi que, peu avant d'être séduites par La Fontaine,
elles servaient encore un pauvre diable, le comédien et farceur Brus-
cambille.
On connaît peu la vie, mais on connaît beaucoup le nom du sieur
des Lauriers, dit Bruscambille. Acteur du théâtre de l'Hôtel de Bour-
gogne, il y tenait une place particulière et y exerçait d'importantes
fonctions. C'était pendant ces premières années du XVIIe siècle, qui
préludaient à la noble littérature du grand règne par une formidable
éciosion de facéties, de contes salés, de vers orduriers ; un public tur-
bulent et grossier s'agitait dans la salle de spectacle, aux jours de
représentation. Comment le faire attendre jusqu'à ce que les acteurs
fussent préparés? Comment obtenir de lui le silence et l'attention né-
cessaires ? Bruscambille s'avançait seul sur la scène et lui débitait un
de ses prologues facétieux, un de ses paradoxes, un de ses galima-
306 VARIETES
tias. Esprit et folie, ériiditiou et obscurité, il mettait tout en œuvre
pour le calmer et le rendre docile, et, comme les fables lui offraient
une aide précieuse, il avait aussi recours aux fables.
Tantôt il se contentait de faire à l'une d'elles une allusion rapide,
comme le jour où, louant la pauvreté et les pauvres, il prévenait
ainsi une objection :
(' Vous me direz icy en balançant & haussant vostre teste comme le
contre-poix d'une orloge, que j'en parle pour mon interest particulier,
& comme l'un des snpposts de cette founnilleuse république, & qui
})lus est ad instar lupi Esopici, à l'imitation du loup d'Esope, qui
ayant perdu sa queue sociia suadere volebat ut sibi caudam dénièrent,
leur vouloit, dis-je, persuader de se faire escourter, afin d'estre sans
queue comme luy *. »
Tantôt il empruntait simplement à une autre un point de départ
poiu" un développement nouveau et original :
« Quelque nouvel Adon, imitant la fable du Regnard & du Cor-
beau, & aiin d'avoir part au fromage persuadera à sa maistresse que
sa beauté est incomparable, & elle sera beaucoup plus semblable à une
Méduse, les hideux regards de laquelle metamorphosoient les hommes
en rocher. Il dira "»
Tantôt enfin il en contait quelqu'une, tout au long, à ses auditeurs.
J'en trouve ainsi deux dans ses œuvres, qui valent peut-être la peine
d'en être détachées. La première a été indiquée par M. Moland, dans
son édition de La Fontaine; mais la seconde, qui est la plus intéres-
sante, n'a été connue ni de M. Moland, ni de M. Régnier, le dernier et
le meilleur éditeur de notre fabuliste.
Voici d'abord la fable du Meunier, son Fils et l'Ane; les incidents
en sont ordonnés d'une façon particulière, qui n'est celle ni de Faërne,
ni du Pogge, ni de Racan, ni de La Fontaine, et Bruscambille, plus
réservé qu'on ne l'aurait attendu, n'a pas fait porter l'âne par ses
maîtres .
(c Je tourne à mon premier discours touchant ceux qui s'escriment
mieux de la langue que de l'espadon, pour vous faire paroistre, par un
petit exemple que je vais produire sur le tapis, qu'il est fort difficile
de se gai-antir dos rigueurs de la censure, & conformer ses actions à
toutes humeurs. Un bon viellar nommé Titius ayant un voyage à
' Les Œuvres de Bruscambille, divisées en quatre livres A Paris, chez
Abraliam du Chesne, m. dc. xix, in-12,p.236. (Prologue facecieux de la pau-
vreté.)
2 Prologues taiit sérieux que facecieux avec plusieurs galimatias, par le
sr D. L. A Paris, chez Jean Millot .. IGIO, iii-12, p. 41. (Prologue en fa-
veur du mensonge.)
VARIETES 307
faire, meine son û\s fort jeune avec Iny, monte sur sa jument & le
laisse aller à pié ; mais ils neurent pas faict longue traicte, qu'ils ren-
contrèrent quelques coquillards couches sur le ventre au soleil, qui
luy dirent comment n'avez vous point de honte d'aller ainsi à cheval,
ce pauvre enfant estant à pié. Titius àceste reprehension descend &
fait monter son fils tirant plus outre, mais à peine eurent ils fait un
quart de lieuë que le bon homme fut de rechef attaqué par une vieille
plus ridée qu'une chemise de Flandres qui luy dit qu'il estoit mal
advisé de souffrir un jeune galant fraiz & allaigre estre à cheval,
tandis qu'il battoit la terre de ses pieds, ce que voyant Titius il fait
descendre son fils & chasse la jument devant eux, mais ils furent
encor rencontrez par quelques passevolans, qui blasmerent le père &
le fils, disans vous estes de pauvres gens de laisser ainsi reposervostre
jument qui vous peut aisément porter tous deux. Infortuné s'escria le
bon homme que feray-je en chose si discordante, lors luy & son fils
montent sur la jument, mais voicy bien pis car passant par Vaugi-
rard il leur fut prononcé haut & clair comment n'avez vous point de
honte de fouler ainsi cesle pauvre beste , il est aisé à voir que vous
l'avez desrobee. Je dis cecy pour nos sévères Gâtons lesquels ressem-
blans à ces grosses mouches qui grondent & bourdonnent entre deux
châssis, piquent tout le monde avec l'aiguillon de leur censure. L'un
dira parlant des commediens, celuy-cy est trop amoureux de sa per-
sonne, cet autre ne porte pas bien sa jambe, il semble que cet autre
ait chié dans ses chausses, voy en voicy un qui fait de l'entendu &
du dédaigneux, & une infinité d'autres discours tendans à fin de
beste * . »
Si ce récit ne manque ni de verve ni d'originalité, le suivant en a
plus encore :
« La Fable d'Esope me semble de fort bonne grâce quand elle fait
une digression sur deux pots, dont l'un estoit de fer, & l'autre de
terre. Monsieur le pot de terre ayant un voj'age à faire en un pays
qui n'a point de nom est incontinent accosté de Monsieur le pot de
fer : lequel luy ayant fait une profonde & basse révérence à trois
pieds, & osté son couvercle en forme de bonnet, avec toute cérémonie,
n'oublie rien de tout ce qui estoit requis pour parvenir à une associa-
tion. Et de faict le supplie d'avoir agréable que leur traffic & com-
merce f ust esgalement partagé entre eux. A quoy Monsieur le pot de
terre respond en toute humilité. Ah! Monsieur, mon amy, pares cum
parihus. Je suis un pauvre compagnon, qui n'ay brebis, pigeon, n'oy-
son, & par conséquent, indigne de vostre alliance pour avoir les reins
' (Xuvres, p. 19S--210. (Prologue de la caloraaie.)
308 PERIODIQUES
trop foibles. Vous di jb qui estes gros Bourgeois de cuisine, & moy
simple officier, tous les jours subject à cassation, vous suppliant de
trouver bon que je tiéne quartier à part sans me caresser ou appro-
cher de plus près : car la moindre de vos accolades seroit capable de
ni'estroppier de tous mes membres. Ce qui causeroit ma totalle ruine.
Prudence admirable, & digne d'avoir l'exemple que je vay mettre sur
le tapis pour fidelle interprète, à fin de descouvrir ce qui est caché
soubs cette escorce fabuleuse. ...»
Et voulez-vous savoir quelle est la morale de l'histoire? Bruscam-
bille la tire un peu plus loin, et de façon à contenter toutes les main-
tenances :
« Pour conclusion je soustiens à basse nette, que la plus grande fi-
nesse qu'il y ait en ce monde, est de parler son patois, aller ronde-
ment en besongne, & imitant la fable du pot de terre ne se prendre à
son maistre. ...*.»
Tel est Bruscambille fabuliste. Si nos lecteurs trouvent dans ses
récits quelque agrément, si quelques-uns de ses traits leur rappellent
Marot et sa fable du Lion et du Rat, ils nous pardonneront de leur
avoir présenté un aussi singulier disciple du« philosophe Esope - », un
aussi singulier prédécesseur de La Fontaine.
E R.
PERIODIQUES
Zeitschrift fur romanische Philologie, IX, 2-3. — P. IGl. E.
Mail. Sur r Histoire de la littérature de la fable au moyen âge, ci en
partictdier de l'Esope de Marie de France. D'après l'auteur, qui étudie
depuis longtemps cette question difficile, V Esope de Marie est la tra-
duction d'un ouvrage anglais perdu, composé probablement au com-
mencement du XII"^ siècle ou un peu plus tard. La première partie
était un remaniement ànRomulus deNilant ; la deuxième était formée
d'un choix de récits fait par l'auteur même, et emprunté à des sources
très-diverses et difficiles à déterminer. Les deux recueils latins que
nous connaissons ne sont pas la source de Marie, mais en dérivent.
P. 204. E. Settegast. L'/(ice de l'honneur dans le Roland. Au
XIIP siècle, les chansons de geste charmaient encore les auditeurs,
mais n'excitaient guère en eux d'émotion sincère et durable : l'en-
thousiasme des croisades n'était plus qu'un souvenir. — P. 223, W.
' Prolo(jues tant sérieux.. . ., f. 57-58 et f. G3.
' Expression de Bruscambille.
PERIODIQUES 309
Meyer. Essai de Phonétique et de Morpliologïe romanes (Cf. VIII,
205 sqq.)- Très- important. — P. 268, B. Kraux. Importance de l'ac-
cent dans le vers français . — P. 278. H. J. Heller. La Clémence de
Titus de Métastase . Comparaison entre le texte du célèbre tragique
italien et le libretto mis en musique par Mozart. — P. 287. A. To-
bler. Proverhia que dicuntur super natura fem inarum (189 quatrains
italiens tirés du ms. Hamilton, à Berlin). Contribution intéressante
à la littérature des proverbes et à l'histoire de la satire contre les
femmes. — P. 332. C. Decurtins. Chronique riméeen vieux ladin. —
P. 360. C. Michaelis de Vasconcellos. Extraits de manuscrits portu-
gais. — P. 375. W. Dreser. Additions au Dictionnaire complet de
l'italien et de l'allemand de Michaelis (V. Zeitschr., VIII, 63).— P.
A. Eeifferscheid . Cotip> d'œil sur la carrière académique deFr. Diez.
MÉLANGES. I. Histoire littéraire. 1. P. 406. 0. Schultz. Les
Troubadours génois. — 2. E. Stengel. Développement de Z'alba pro-
vençale. — II. P. 412. Manuscrits. A. Mussafia. Sur Z'Enfant juif
de Wolter. Nouveau teste, tiré du ms. B. N. fs. fr. 818, — III.
Critique des textes. 1. P. 413. A. Tobler. Sur les Poëmes du Ren-
dus de Moiliens. Observations sur l'édition de M. van Hamel. — 2. P.
41 8. A. Tobler Ulrich: Recueil d'exemples en ancien italien (Corrections).
— 3.P. 419,P. Schwieger. Remarques sur AmietAmile. — IV. Lexi-
cologie. P. 425. A. Gaspary. Développement du sens factitif dans les
verbes romans . — V.Etymologie. P. 429. J. Ulrich. Verbes dérivés à
l'aide du suffixe ic dans les langues romanes.
Comptes RENDUS. P. 431. Fr. Habicht. Bertrâge zur Begriindung
der Stellung von Subjeckt und Pradikat im Neufranzosischen. Dis-
sertation d'Iéna, 1882 (A. Schultze).
IX, 4. — P. 437. V. Crescini. Idalagos (voy. plus bas, X, 1). —
P. 480. A. liorning. Etude sur le ivcdlon mof?Ê?'?ie (d'après une ou-
vrière originaire de Seraing, à quelques kilomètres au sud de Liège).
— P. 497. Le même. Étude du dialecte vosgien-lorrain. Ces deux dis-
sertations paraissent soignées ; il est d'ailleurs difficile d'en donner
. une analyse. — P. 513. L. Hirsch. Phonétique et Mor-phologie du dia-
lecte de Sienne. — P. 571. A. Gaspary. Sur le troisième volume des
Anciennes poésies de langue vulgaire publiées par A. d'Ancona et
D. Comparetti (Bologna, 1884).— P. 590. H. Tiktin. La. Place des
pronoms atones et des formes verbales en roumain. — P. 597. W. Meyer.
Etudes franco-itfdiennes. Étude du ras. fr. 1598 de la Bibliothèque
nationale, qui contient les chansons de geste à' Aspremont et à'Anseis
de Cartage.
X, 1 . P. 1. V. Crescini. /rfaZa^os (fin). L'auteur, eu terminant cette
curieuse étude de l'épisode final du Fïlocolo de Boccace, conclut que
l'amante d'Idalagos n'est autre que Maria d'Aquiuo (Fiammetta), l'a-
23
310 PERIODIQUES
mante bien connue de Boccace, dont il faut lire les noms au rebours :
Airam= Marie, Alleiram, Mariella, etc. ; de sorte que nous avons ici
une véritable autobiographie. — P. 22. W. Meyer. Études franco-
italiennes (suite). — P. 56. L. Hirsch. Phonétique et morphologie du
dialecte de Sienne (suite). — P. 71 . P. Scheffer-Boichorst. Encore la
question de Dino Compaqni. — P. 124. Gian Caviezel. Contes du
canton des Grisons. — P. 143. K. Bartsch. Sur Girart de Roussillon.
M. B. rapproche du texte provençal (d'après le ms. d'Oxford) un frag-
ment de traduction allemande du XIV® siècle, récemment découvert
aux archives de Stolberg, par E. Jacob, et publié par M. Steinmeyer
dans la Zeitschrift fur deutsches Altertum. — P. 153. E. Stengel.
Les deux poèmes provençaux du ms. latin 11312 de la Bibliothèque na-
tioncde. M. St. divise les strophes et couplets d'une façon notable-
ment différente de celle du premier éditeur, M. P. Meyer.
MÉLANGES. 1. COMMD.VICATION DE MANUSCRITS. P. 160. E. Stengel.
L'Alba de Peire Espagnol^. — P. 162. II. Critique des textes. 1.
A. Tobler. Sur Joinville, Au paragr. 23 de l'édition de Wailly, il
faut lire: et que je nen uvoie iJoour (au lieu de iwoir) de enyvrer. —
2. Le même. Sur les Lais de Marie de France. Excellentes correc-
tions au texte de l'édition Warnke,pour compléter celles de Mussatia
[Literaturhlatt fUr germ. und rom . Philologie, 1885, 497 sqq.). — 3.
E. Stengel. \° Sur les Serments, \ue: et in aiudha er in cadhuna
cosa (correction déjà faite par notre collaborateur ^I. Clédat dans cette
Revue, t. XXVIII, 309). 2" Sur le Saint Léger. A la strophe 8, où le
ms. donne : Et hune tambien que il en fisl, lire : Et hune (= unquam)
hume tant bien ne fst (un peu arbitraire), et à la strophe 37, c, si li,
au lieu de cil li de l'édition G. Paris (ms. cilli).
III. Êttmoloqie. l.P. 171. W. Meyer. Ètymologies romanes: \i.
abbiaccare, heffa, scilipare, scuppire, sdrajarsi, sisa; esp. esconzado,
Jeja, tobillo ; fr. grolle = 'graula, 'gravula, et non gracula, qui aurait
donné graille {gralha, se rencontre en effet dans plusieurs dialectes
méridionaux); fr. vouge =viduvium, qui traduit oV/i),/» dans les Glos-
saires grecs-latins ; fr. hù (l'auteur préfère l'étymologie de Tobler à
celle de Thomas, Romania, XII, 332). — 2. Grœber. Ital. ansi, v.
fr. ainz. (Réponse à l'article de M. Thomas, àans Romania, XIII,
572.) L. CONSTANS.
1 [ V. 33. Il doit y avoir là une allusion à l'enfaut prodigue. Corr. Car dels
dos fils fo [pel paircl] nietens? Le ms. C, d'après une copie que je possède
des poésies de Peire Espanhol, faite sur ce ms., ne présente pas ici la lacune
indiquée par M. St., et on y lit, non sois, mais fols. — V. 35. Corr. que m'eyi
tanh, en mettant un poiot d'interrogation à la fin du vers *? — C. C. ]
Le Gérant responsable : Ernest Hamelin.
TABLE DES MATIERES
DU TOME QUINZIÈME DE LA TROISIÈME SERIE
(XXIX* DE LA collection)
DIALECTES ANCIENS
Pages.
Recherches sur les chansons de geste et de l'épopée chevale-
resciue italienne (suite) {F. Castets.) 5-105
Documents sur la langue catalane des anciens comtés de Rous-
sillon et de Cerdague (P. Vidal) . 53
Vie de saint Hermentaire (C. Chabaneauj. 157
Paraphrase des Litanies en vers provençaux (C. Chabaneatj). 209
Sainte Marie-Madeleine dans la littérature provençale (suite)
(C.Chabanead). 261
DIALECTES MODERNES
Las Nossos d'or de l'Academio Bezieirenco (F. Donnadieu). 17
Villanelles (P. Fesquet). 23
Super flumimi Bahylonis (P. Fesquet). 25
Lou Vauvenargo d'Enri Pountié (A. de Gagnaud). 28
Sounets amourouses (P. Chassary). 30
Grandeur et décadence du mot méchant au XVIP siècle (E.
Eevillodt) . 77
Déute paga (L. Roumieux). 92
Le mot paire et les mots français qui n'ont pas de singulier
(E. Revillodt). " 133
Contes populaires du Languedoc (suite) (L. Lambert). 143
Parnasse provençal du P. Bougerel (C. Chabaneau). 175-284
Vespras de Toussants (A. Espagne) . 294
A nouostei fraire les Engadin (E. Savy). 300
A las abelhos de Loungonauso (A. Fourès). 302
Lou Rescoundal (F. LoDi). 303
La Carreto (F. Lodi). 304
VARIÉTÉS
Houle (P. Fesquet). 35
De Lombardo et Lumaca (A. Boucherie). 93
312 TABLE DES MATIERES
Pages.
Gandin, gourgandine (A. Boucherie) . 98
Calcaria, tannerie (Puitspelu). 208
Bruscambille fabuliste (E. Rigal) . 305
NÉCROLOGIE
M. Melcliior Barthès (A. Espagne). 36
BIBLIOGRAPHIE
Documents historiques bas-latins, provençaux et français, con-
cernant la Marche et le Limousin, publiés par A. Leroux,
E, Molinier et A. Thomas (C. Chabaneau), 41
Les Littératures populaires de toutes les nations (A. Boucherie). 99
Tradizioni popolari abruzzesi, raccolte da G. Finamore (C.
Chabaneau). 154
Rappresentazioni sacre ncl ïrentino, da Albino Zenatti (C. Cha-
baneau). 154
Ethologiadc Blanes per D. Joseph Cortils yVieta (C. Chaba-
neau). 154
Dictionnaire étymologique latin par Michel Bréal et Anatole
Bailly (J. Brenous). 256
PÉRIODIQUES
Bulletin de la Société archéologique et historique de Tarn-et-
Garonne. 1884, 2e trimestre (C. Chabaneau). 44
Bulletin de la Société des arts et des sciences de Carcassonne,
t. IV, 3^ partie (C. Chabaneau). 46
Bulletin delà Société des études du Lot, t.X.(C. Chabaneau). 47
Mémoires de l'Académie de Nimes. 1883 (C. Chabaneau). 47
Zeitschrift fiir romanische philologie (IX, 2-4; X, 1). (L. CON-
stans). 308
Chronique. . 49-102-155
Table DES matières. 311
Montpellier, Imprimerie centrale du Midi. — Hamelin Frères.
REVUE
DES
LANGUES ROMANES
MONTPELLIER. — IMPRIMEIIII-: CliNTRALE DU MIDI (HAMELIN FRÈRES)
REVUE
DES
LANGUES ROMANES
PAR LA SOCIl^lTE
POUR L'ÉTUDE DES LANGUES ROMANES
Troisième Série
TOME SEIZIÈME
JUILLET 1886
TOME XXX DE I,A COLLECTION
MONTPELLIER
AU BUREAU DES PUBLICATIONS
DE LA SOCIÉTÉ
voua L'ÉrUDK dus LAMOUICS ItOMANKS
RneSt-Guilhem.n" 17
PARIS
Maisonneuve frères et Gh. Leclerc
LIBRAIRES-ÉDITEURS
25, QUAI VOLTAIRE, 25
M Dcnc I.XXXVI
REVUE
DES
LANGUES ROMANES
Dialectes Modernes
GRAMMAIRE GASCONNE
ET FRANÇOISE '
A MONSEIGNEUR
l'illustrissime et REVERBNDISSIME
FRANÇOIS D'ANDIGNÉ
BVÊQUE d'aCQS
Monseigneur,
J'ose espérer de votre bonté, qu'en acceptant cette Grammaire Gas-
conne, que j"ai l'honneur de présenter à Vôtre Grandeur, et que je n'ay
entreprise que pour obéir à ses ordres. Elle me pardonnera les fau-
tes que mon état, mon âge et le désir que j'ay eu de la finir, en peu
de tems, n'ont peu empêcher de s'y glisser. Votre Empressement à
sçavoir la langue vulguaire de vôtre Diocèse, qui est la seule que la
plus grande partie de vos Diocésains entendent, vous a fait souhaiter
1 Cette grammaire, que nous publions d'après une copie qui nous a été
communiquée par M. Charies Leclerc, est loin de réaliser l'idéal de la perfec-
To.ME XV DE LA TROISIÈME SÉRIE. ^ JuiLl.ET 1886. 1
6 GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
d'aprendre cet idiome, pour pouvoir immédiatement, par vous même,
satisfaire aux besoins des peuples et surtout des pauvres comis à vos
soins et l'objet de vôtre sollicitude pastoralle. Je m'estimeray heu-
reux, Monseigneur, d'avoir, en quelque manière, contribué au bonheur
qui leur en reviendra. Plaise au ciel, de 1) 'iiif vos Travaux apostoli-
ques et ceux que leur obscurité et leur pauvreté les empêche de se
produire devant Votre Grandeur, la voyant venir à Eux avec les mar-
ques de bonté et de douceur qui charment tout le monde. Ce sont les
vœux sincères.
Monseigneur,
de Votre très humble, très obéissant et
très soumis serviteur,
Signé : de Grateloup.
A Dacqs, ce 4 juin 1734.
tioa. Nous pensons néanmoins qu'elle pourra rendre quelques services à
nos études. Nous la donnons telle quelle, et sans en rien retrancher, malgré
tout ce qu'elle contient d'inutile. Il s'y trouve assez de renseignements boas
à recueillir pour qu'on ne nous sache pas mauvais gré de lui avoir donné
place dans la Revue. Nous ne savons rien de l'auteur, que ce que nous en
apprend la dédicace de son ouvrage. Nous y voyons seulement qu'il s'ap-
pelait de Grateloup, et qu'il était déjà vieux en 1734. On a donc là un docu-
ment d'une authenticité certiiine pour l'étude morphologique et aussi, — impli-
citement,— pour l'étude phonétique du dialecte des Landes au commencement
du XVIIIe siècle.
Sur la couveiiure de la copie que nous reproduisons, on lit: « Grammaire
gasconne et française copiée sur un manuscrit de M. Grateloup, de Dax.
daté du 4 juin 1734.
» L'introduction ou plutôt la dédicace a été copiée par la main de son
petit-fils, docteur, exerçant la médecine à Bordeaux.
1858-1859,
» Cet exemplaire a été copié exprès pour moi et m'a été donné par M. Gra-
teloup, médecin et savant naturaliste à Bordeaux. »
Le tout de la même main .
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
GRAMMAIRE GASCONNE
ET FRANÇOISE
Le Gascon est une langue vulgaire dont la pluspart des ex-
pressions dérivent de la langue françoise et n'en diffèrent que
de la seule terminaison.
PARTIES D'ORAISON
1.
2.
L'article.
Le nom .
6.
7.
Le participe.
La préposition.
3.
4.
5.
Le pronom.
Le verbe.
L'adverbe .
8.
9.
La conjonction
L'interjection.
DE L'ARTICLE
La première partie de l'oraison est l'article, qui seul se dé-
cline et sert à la déclinaison des autres parties déclinables, à
sçavoir, aux noms, pronoms et participes, n'i ajant d'autre
moyen de connoitre la variation des cas que celuj-la dans les
langues vulguaires.
L'article est compté pour une partie d'oraison, tellement
qu'il y en a neuf, qui est une de plus que parmi les Latins.
Il faut sçavoir qu'il y a trois articles dans le Gascon et de
trois genres, comme les noms : le masculin est Ion, le féminin
est lé, le neutre loû, qui se décline.
DECLINAISON DE l' ARTICLE MASCULIN
Singulier Pluriel
Nom. lou, le loas, les
Gén. dou, du dous, des
Dat. au, au aux, aux
Ace. lou, le lous, les
Abl. dou, du dous, des.
8 GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
DE l'article féminin
Singulier Pluriel
Nom. lé, la les, les
Gén. de lé, delà de les, des
Dut. â lé, a la a les, aux
Ace. lé, la les, les
Abl. de lé, de la de les, des
DE l'usage des articles
L'article loû se met toujours avec les noms du genre mas-
culin, l'article lé se met devant les noms du genre féminin,
quoy qu'en quelques endroits de Gascoigne, l'article se change
en la pour le féminin. L'article lou se met pour le genre neu-
tre.
DES NOMS ET LEURS GENRES
Les noms masculins substantifs se connoitront par l'article
loû pour le masculin, et lé pour le féminin, et loû pour le neu-
tre, comme
lou proféte le prophète
lé planette la planète
lou bey le bien.
DES LÊTRES
Les lêtres en gascon ont leur article différent. L'article
loy s'élide devant une voyelle et devant quelques consonnes.
l'a
lou^
le n
lou l
lou b
l'A
Vo
lou V
lou c
Yi
lonp
Vx
lou d
lou k
lou q
IV
ïe
VI
Vr
Vz.
Vf
Vm
Vs
DES TERMINAISONS DU NOMBRE
Pluriel
Le pluriel des noms ne diffère du singulier que par quelques
consommes adjoutées à la finalle.
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE 9
. Singulier Pluriel
bertad vérité bertats véritez
graci grâce gracis grâces
proucez procez proucès procez
bertut vertu bertuts vertus
animaut animal animauts animaux
bachet bateau bachets bateaux
palle pelle pales pelles
limac limaçon limacs limaçons.
DÉCLINAISO^fS DES NOMS SUBSTANTfFS
Il suffit de sçavoir décliner les articles pour scavoir décli-
cliiier les noms, tant propres que communs, substantifs ou
adjectifs. Les noms propres n'ont point d'article au nominatif,
ni à l'accusatif. Les autres cas ne semblent avoir que des par-
ticules, qui [sont] de véritables prépositions, comme au génitif
d'où, au datif à, l'accusatif comme le nominatif, au vocatif
l'interjection o ou haû, à l'ablatif cCoû.
EXEMPLE DES NOMS PROPRES
Nom. Pierre Cataline
Gên, de Pierre de Cataline
Dat. à Pierre à Cataline
Ace. Pierre Cataline
Yoc. ô Pierre ô Cataline
Ahl. de Pierre de Cataline.
Bat.
Ace.
Yoc.
Ahl.
Dat.
Ace.
Voc.
Ahl.
EXEMPLE DES NOMS COMMUNS
Singulier
Nom. lou paj-
Gên. don pay
au pay
pay
hau pay
dou pay
Nom . lous pais
Gén. dons pais
aûs pais
pais
hau pais
doùs pais
Pluriel
le père
du père
au père
père
ô père
du père.
les pères
des pères
aux pères
pères
6 pères
des pères.
10
GRAMMAIRE GASCO^NE ET FRANÇOISE
NOMS ADJECTIFS
Nom.
lou bon
le bon
Gén.
dou bon
du bon
Bat.
au bon
au bon
Ace.
ou bon
le bon
Yoc.
hau bon
ô bon
Ahl.
dou bon
du bon.
Pluriel
Nom.
lous bons
les bons
Gén.
doùs bons
des bons
Bat.
aux bons
aux bons
Ace.
loùs bons
les bons
Yoc.
hau bons
ô bon-
Abl.
doùs bons
des bons.
Le
eminia
Nom .
lé bonne
la bonne
Gén,
dé lé bonne
de la bonne
Bat.
a lé bonne
à la bonne
Ace.
lé bonne
la bonne
Voc.
hau lé bonne
ô la bonne
Abl.
de lé bonne
de la bonne
Pluriel
Nom .
les bonnes
les bonnes
Gén
dé lés bonnes
des bonnes
Bat.
à les bonnes
aux bonnes
Ace.
les bonnes
les bonnes
Voc.
hau bonnes
ô bonnes
Abl.
de les bonnes
des bonnes
EXEMPLE
DU COMMUN
Sir
gulier
Nom.
loû gran
le grand
Gén.
dou gran
du grand
Bat.
au gran
au grand
Aec.
lôu grau
le grand
Voe.
haù gran
ô grand
Abl.
dou gran
du graml.
PI
uriel
Nom,.
lous grans
les grands
Gén.
doùs_ grans
des glands
Bat.
aus grans
aux grands
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
lous grans les grands
11
Ace.
Voc. hau grans
Abl. dons grans
ô grands
des grands.
Les neutres se déclinent comme les noms c\ dessus.
Nom.
G en.
Dat.
Ace.
Yoc.
Abl.
Nom .
Gén.
Dat.
Ace.
Voc.
Abl.
loû bon
doû bon
au bon
loû bon
hau bon
doû bon
loû gran
doû gran
au g^ran
lou gran
hau gran
doû gran
ce qui est bon
du bon
au bon
le bon
ô bon
du bon.
ce qui est grand
du grand
au grand
le grand
ô grand
du grand.
DES NOMS DIMINUTIFS ET DE CEUX QUI AUGMENTENT
Les Gascons suppriment l'adjectif grand ou petit, pour aug-
menter, et pour diminuer, et pour dire un grand homme, ils
disent ung houmias, unegrande femme, ù hemnasse ; au dimi-
nutif un petit homme, ung houmios, une petite femme, ù hen-
nette.
DES NOMS NlMliRAUX
ung. un
u, une
dux
deux
très
trois
coûate
quatre
cinc
cinq
chies
six
sept
sept
goueït
huit
nau
neuf
dets
dix
unze
onze
doutze
douze
tretze
treize
quâtourze
quatorze
quinze
quinze
setze
seize
1-2
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
dets et sept
dets e goiieit
desenau
bin
trente
quarante
cinquante
soixante
septante
goûeitante
nonante
cen
dus cens
très cens
coiiate cens
cinq cens
cheis cens
sept cens
goûeit cens
naû cens
mille
una: milion
dix-sept
dix-huit
dix-neuf
vingt
tren te
quarante
cinquante
soixante
soixante-dix
quatre-vingts
quatre-vingt-dix
cent
deux oeats
trois cento
quatre cents
cinq cents
six cents
sept cents
huit cents
neuf cents
mille
un million.
DES PRONOMS BK L.V PREMIERE PERSONNE
Nom.
jou
je ou moy
Gén .
dé jou
de moy
Bat.
à jou
à moy
Ace.
jou
moy
Yoc,
hau jou
ô moy
Abl.
de jou
Pluriel
do moy.
Nom.
nous autis
nous
Gén.
dé nous
autis
de nous
Bat.
à nous
autis
à nous
Ace.
nous ai
tis
nous
Yoc.
ô nous
îutis
6 nous
Abl.'
de nous
autis
de nous.
DECLINAISON DU PRONOM DE LA SECONDE PERSONNE
Singulier
Nom .
Gén .
tu
dé tu
toy
de toy
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
13
Bat.
à tu
a toy
Ace.
tu
toy
Yoc.
hau tu
ô toy
AU.
de tu
de toy.
Pluriel
Nom.
- bous autis
vous autres
Gén.
dé bous autis
de vous
Bat.
à Dous autis
a vous
Ace.
bous autis
vous
Yoc.
hau bous autis
ô vous
AU.
de bous autis
de vous.
DÉCLINAISON DU PRONOM DE
LA TROISIÈME
PERSONNE
Singulier
Pluriel
Nom .
et luy
ets
eux
Gén .
d'et de luy
d'ets
d'eux
Bat.
à et a luy
à ets
à eux
Aec.
et luy
ets
eux
Yoc.
ô et ô luy
ôets
ô eux
AU.
d'et de luy
d'ets
d'eux
EN COMPOSITION AVEC « MÉDICH », QUI SIGNIFIE MEME
Nom
joû médich
moy-même
Gén .
déjoû médich
de moy-même
Bat.
à jôu médich
a moy-même
Ace.
joû médich
moy-même
AU.
dé jou médich
de moy-même.
Pluriel
Nom.
nous médich
nous-mêmes
Gén.
de nous médich
de nous-mêmes
Bat.
à nous médich
à nous-mêmes
Aec.
nous médich
nous-mêmes
AU.
de nous médich
de nous-mêmes.
DEUXIÈME PERSONNE
Singulier
Pluriel
Nom
tu médich taj^-même
bous médirh
vous-mêmes
G en
de tu -
— de toy —
de bous —
de vous —
Dut.
a tu
— a toy —
à bous —
a vous —
Ace.
tu
toy -
bous ■ —
vous —
Voc
a tu
— ô toy —
ô bous —
ô vous —
AU
de tu
— de toy —
de bous —
de vous —
14
GRAMMAIRE GASCO^NE ET FRANÇOISE
TROISIEME
PERSONNE
Pluriel
Nom.
et médich
luy-même
ets médich
eux-mêmes
Gén.
d'et —
de luy —
d'ets —
d'eux —
Bat.
aet —
à luy —
à ets —
à eux —
Ace.
et —
luy —
ets —
eux —
AU.
d'et —
de luy —
diets —
d'eux —
DES PRONOMS POSSESSIFS QUI DERIVENT DES PRECEDENTS
Ces pronoms sont loû mey, le mien; ton, tien; son, sien; meis,
miens; tons, tiens; sons, siens.
Les féminins sont semblables, les neutres ont besoin de
l'article loû, qui doit précéder.
Loû mei
le mien
lous meis
les miens
loû ton
le tien
lous tous
les tiens
loû son
le sien
lous sous
les siens.
ne bouil pas perde loû mey
de qui es aco ? mey ou son.
je ne veux pas perdre le mien
de qui est cecy ? mien ou tien.
La déclinaison des pronoms possessifs est semblable à celle
des noms et se fait avec l'article.
Nom. lou mei, le mi
Gén. dou mei, de le mi
Dut, au mei, a le mi
Ace. lou mei, le mi
Abl. doû mei, de le mi
le mien, la mienne
du mien, de la mienne
au mien, à la mienne
le mien, la mienne
du mien, delà mienne.
PRONOMS INTERROGATIFS
de qui ou de quein? de qui ou de quel?
Pluriel
de queins ou de caûaux desquels, desquelles
queignes ou caûaux ? quelles
de qui es aquét chibau? de qui est ce cheval?
de queigne es aquere maison? de quelle est cette maison?
PRONOMS DÉMONSTRATIFS
aqués
celui-cy
aquet
celui-là
aquère
celle-là
aqueres
celles-là
aco
cecy
aquo
cela
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
15
Singulier masculin
Féminin
Neutre
Nom.
aqués
celuy-ci
aqueste celle-cy aco
Gén.
deques
d'aqueste
daco
Bat.
a aqués
à aqueste
a aco
Ace.
aques
aqueste
aco
Abl.
déqués
déqueste
Pluriel
daco.
Notn .
aquets
ceux-là
aquères
celles-là
Gén
dequets
daquères
Dat.
à aquéts
a aquères
Ace.
aquets
aquères
Abl.
daquets
d'aquères
Singulier masculin
Féminin
Neutr
Nom.
et il ou luy
ère elle
aco
Gén.
d'et
d'ère
d'aco
Dat.
a et
a ère
a aco
Ace.
et
ère
aco
Abl.
d'et
d'ère
Pluriel
d'aco
Nom.
ets
eux
ères
elles
Gén.
d'ets
deux
d'ères
d'elles
Dat.
a ets
a eux
ères
a elles
Aec.
ets
eux
ères
elles
cela
DES PRONOMS RELATIFS
Il y a trois pronoms relatifs savoir, quein, que, coiiaû; qui,
que, quel.
Nom.
quein
que
coiiaù
Gén .
de quein
de que
de coiiaû
Dat.
a quein
a que
a coûaù
Aec.
quein
que
coiiaû
Abl.
de quein
de que
Pluriel
de couaû
Nom.
queignes
coûaux
Gén.
de queignes
de couaûx
Dat.
a queignes
à couaûx
Aec.
queignes
couaûx
Abl.
de queignes
de couaûx
16
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
DECLINAISON
DE
COUAU, QUEL
S
ngulier masculin
Féminiû
Nom.
loû conaû
le coûâu laquelle
G en.
doù cou au
de le couaû de laquelle
Dat.
au coùaû
à le coûaû à laquelle
Ace.
loû couaû
le couaû laquelle
Abl.
doù coûaû
de le coûaû de laquelle
Pluriel
Nom
lous coûaûx
les coûaûx
Gén.
doûs coûaûx
de les coûaûx
Bat.
aux coûaûx
à les coûaûx
Ace.
lous coûaûx
les coûaûx
Abl.
doûs coûaûx
de les coûaûx.
DU
VERBE
Le verbe est une partie de Toraison, qui signifie l'action et
la passion.
Il est actif ou passif.
Le verbe, en gascon, a besoin d'être précédé de la particule
que pour sa conjugaison; le que s'élide devant une voyelle.
DU VERBE ABE, AVOIR
INDICATIF
jou qu'ey j'ay
tu qu'as tu as
et qu'a il a
nous qu'aua nous avons
bous qu'ats vous avés
ets qu'an ils ont.
jou qu'abi
tu qu'abèbes
et qu'abôbe
qu'abebem
— abebets
— abeben
PASSE IMPABFAIT
j'avois
tu avois
il avoit
nous avions
vous aviez
ils avoient.
GRAMMAIRL GASCONNE ET FRANÇOISE
17
PARFAIT DEFFINI
qu'aboui
j'eus
— abous
tu eus
— aboii
il' eut
— aboum
uous eûmes
— abouts
vous eûtes
— aboun
ils eurent.
FUTUR
qu'aurei
j'auray
— auras
tu auras
— aura
il aura
— auram
nous aurons
— aurais
vous aurez
— auran
ils auront.
OPTATIF
Diu bouUi
Dieu veuille
qu'aje
que j'aye
— ajis
— tu ayes
— aji
— il ait
— ajim
— nous ayons
— ajits
— vous ayez
— ajin
— ils ayent.
IMPARFAIT CO.NJONCTIF
s'aboussy
s'abousses
s'abousse
s'aboussem
s'aboussets
s'aboussen
SI J'eusse
si tu eusses
s'il eut
si nous eussions
si vous eussiez
s'ils eussent
s'abebi
s'abèbes
s'abèbe
s'abebem
s'abebets
s'abében
encouère
qu'aboussi
— abousses
SI j avois
si tu avois
s'il avoit
si nous avions
si vous aviez
s'ils avoient.
encore
j'eusse
tu eusses
i«
GRAMM\IRE GASCONNE ET FRANÇOISE
il eut
nous eussions
qu'abousse
— aboussem
— aboussets
— aboussen
quen aurey
— tu auras
— et aura
— nous auram
— bous aurats
— et auran
aben
vous eussiez
ils eussent.
quand j'aurai
— tu auras
— il aura
— nous aurons
— vous aurez
— ils auront,
ayant.
Les verbes françois qui se terminent en é à l'infinitif se ter-
minent en gascon presque tous en à.
DU VERBE ESTA, QUI SIGNIFIE ETRE
INDICATIF PRESENT
jou que souy
je SUIS
tu qu'es
tu es
et qu'es
il est
nous que som
nous sommes
bous auts qu'ets
VOUS êtes
ets que son
ils sont.
PASSÉ
MPARFAIT
qu'eri
j'étois
— ères
tu étois
— ère
il étoit
— erem
nous étions
— erets
VOUS étiez
— eren
ils étoyent.
PARFAIT DÉFFI.M
qu'es touy
je fus
— estous
tu fus
— estou
il fut
— estoum
nous fûmes
— estouts
vous fûtes
— estoun
ils furent.
PARFAIT
IiNDÉFFINI
qu'ey estât
j'ay été
— as estât
tu as été
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
19
qu'a estât
il a été
— am estât
nous avons été
— ats estats
vous avez été
— an estât
ils ont été.
PARFAIT
TROISIÈME
quen aboui estât
quand j'eus été
— abous estats
— tu eus été
— abou estât
— il eut été
— aboum estât
— nous eûmes été
— abouts estât
— vous eûtes été
— aboun estât
— ils eurent été.
PLUS-QUE-PARFAIT
qu'abi estât
j'avois été
— abes estât
tu avois été
— abé estât
il avoit été
— abem estât
nous avions été
— abets estât
vous aviez été
— aben estât
ils avoyent été
FUTUR
que serei
je serai
— seras
tu seras
— sera
il sera
— seram
nous serons
— serats
vous serez
— seran
ils seront.
SECOND FUTUR
jou que debi esta
je dois être
tu que deûs esta
tu dois être
et que deu esta
il doit être
nous que debem esta
nous devons être
bous que débets esta
vous devez être
ets que deben esta
ils doivent être.
IMPÉRATIF
sis tu
sois tu
que si et
qu'il soit
— sim
nous soyions
— sits
vous soyiez
— sin
qu'ils soyent.
20
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
OPTATIF
Diu bouilli que si
que sis
— si
— sini
— sits
— sia
Uieu veuille que je sois
que lu sois
qu'il soit
que nous soj'ons
que vous so3'iez
qu'ils soyeat.
IMPARFAIT CONJONCTIF
qu'estoussi je fusse
— estousses tu fusses
— estousse il fut
— estoussem nous fussions
— estoussets vous fussiez
— estoussen ils fussent.
PARF-^IT CONJONCTIF
encouëre
qu'aji estât
tu qu'ajis estât
et qu'aji estât
nous qu'ajim estât
bous qu'ajets estât
ets qu'ajin estât
encore
que j'aye été
— tu ayes été
— il aye été
— nous ayons été
— vous ayez été
— ils ayent été.
PLUS-QUE-PARFAIT CONJONCTIF
encouere
qu'abouissi estât
— abousses estât
— abousse estât
— aboussen estât
— aboussets estât
— aboussen estât
encore que
j'eusse été
tu eusses été
il eut été
nous eussions été
vous eussiez été
ils eussent été.
quen serei
— seras
— sera
— nous seram
FUTUU CONJONCTIF
quand je serai
— tu seras
— il sera
— nnus serons
— bous serats
— '■ ets serau
vous serez
ils seront.
GRÂMMA.1RB GASCONNE ET FRANÇOISE
21
SECOND FUTUa
quen aurei estât
quand j'aurai été
— auras estât
— tu auras été
— aura estât
— il aura été
— nous auram
estât
— nous aurons été
— bous aurats estât
— vous aurez été
— ets auran estât
— ils auront été
esta
être
abé estât
avoir été
debé estât
devoir être
estan
étant.
CONJUGAISON DU VERBE DA, DONNER
INDICATIF PRESENT
jou que daoû
je donne
tu que das
tu donnes
et que da
il donne
nous que dam
nous donnons
bouts que dats
vous donnez
ets que dan
ils donnent.
PASSÉ IMPARFAIT
que dabi
je donnois
— dabes
tu donnois
— dabe
il donnoit
— dabem
nous donnions
— dabets
vous donniez
— daben
ils donnoient.
PARFAIT DEFFINI
que doni
je donnai
— dous
tu donnas
— dou
il donna
— doûni
nous donnâmes
— doûts
vous donnâtes
— doûn
ils donnèrent.
PARFAIT INDEFFINI
qu'ei dat
j'ay donné
— as dat
tu as donné
22
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
qu'a dat
il a donné
— am dat
nous avons donné
— ats dat
vous avez donné
— an dat
ils ont donné.
PARFAIT TROISIÈME
qiien aboui dat
quand j'eus donné
— aboûs dat
— tu eus donné
— et aboû dat
— il eut donné
— nous aboûni
dat — nous eûmes donné
— bous aboûts
dat — vous eûtes donné
— ets aboûn dat — ils eurent donné.
PLUS-QUE PARFAIT
qu'abi dat
j'avois donné
— abes dat
tu avois donné
— abé dat
il avoit donné
— abem dat
nous avions donné
— abets dat
vous aviez donné
— aben dat
ils avoyent donné.
FUTUR
que derei
je donnerai
— deras
tu donneras
— dera
il donnera
— deram
nous donnerons
— derats
vous donnerez
— deran
ils donneront.
SECOND FUTUR
que debi da
je dois donner
— deûs da
tu dois donner
— deû dat
il doit donner
— debem da
nous devons donner
— débets da
vous devez donner
— deben da
ils doivent donner.
IMPÉRATIF
da tu
donne toy
que donquis
tu donnes
— donqui
il donne
— donquim
nous donnons
— donquits
vous donnez
— donquin
ils donnent
GRAMMAIRE GASOONNE ET FRANÇOISE
23
Dia bouilli
que donqui
— donquis
— donqui
— donqui m
— douquits
— donquin
que doussi
— dousses
— dousse
— doussem
— doussets
— doussen
da
Dieu veuille que
je donue
tu dounes
il donne
nous donnions
vous donniez
ils donnent.
IMPÉRATIF CONJONCTIF
je donnasse
tu donnasses
il donnât
nous donnassions
vous donnassiez
ils donnassent.
INFINITIF
donner
CONJUGAISON DU VERBE PARLA, PARLER
INDICATIF PRÉSENT
jou que parlé
tu que parles
et que parle
vous que parlam
bous que parlats
ets que parlen
que parlébi
— parlèbes
— parlèbe
— parlébem
— parlébets
— parlében
que parlei
— parlas
— parla
— parlam
je parle
tu parles
il parle
nous parlons
vous parlez
ils parlent.
IMPARFAIT
je parlois
tu parlois
il parloit
nous parlions
vous parliez
ils parloient.
PARFAIT DEFFINI
je parlai
tu parlas
il parla
nous parlâmes
24
GRAMMAIRK GASCONNE ET FRANÇOISE
que parlats vous parlâtes
— parlai! ils parlèrent.
PARFAIT INDÉFFIM
qu'ei parlât j'ay parlé
qu'as parlât tu as parlé
qu'a parlât il a parlé
qu'am parlât nous avons parlé
qu'ats parlât vous avez parlé
qu'an parlât ils ont parlé.
PAUFAIT TROISIEME
quen ouï parlât
tu oCis parlât
et où parlât
nous oûm parlât
bous oûts parlât
ets oûn parlât
quand j'eus parlé
tu eus parlé
il eut parlé
nous eûmes parlé
vous eûtes parlé
ils eurent parlé.
PLUS-QUE-PARFAIT
rlat
jou qu'abi parl„.
tu qu'abés parlât
et qu'abé parlât
nous qu'abem parlât
bous qu'abets parlât
ets qu'aben parlât
j'avois parlé
tu avois parlé
il avoit parlé
nous avions parlé
vous aviez parlé
ils avoient parlé.
que parleré
— parleras
— parlera
— parleram
— parlerats
— parléran
FUTUR
je parlerai
tu parleras
il parlera
nous parlerons
vous parlerez
ils parleront.
SECOND FUTUR
que debi parla
— deus parla
— deu parla
— debera parla
— débets parla
— deben parla
je dois parler
tu dois parler
il doit parler
nous devons parler
vous devez parler
ils doivent parler.
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
25
IMPERATIF
parlé
parle
que parlis
que tu parles
— parli
— il parle
— parlim
— nous parlions
— parlits
— vous parliez
— parlin
— ils parlent.
OPTATIF
plaçi à Diu
Dieu veuille
que parli
que je parle
— parlis
— tu parles
— parli
— il parle
— parlim
— nous parlions
— parlits
— vous parliez
— parlin
— ils parlent.
IMPARFAIT CONJOXCTIF
que calé
il falloit
que parlassi
que je parlasse
— parlasses
— tu parlasses
— parlasse
— il parlât
— parlassem
— nous parlassions
— parlassets
— vous parlassiez
— ' parlassen
— ils parlassent.
Encouëre
Encore que
qu'aji parlât
j'aie parlé
— ajis parlât
tu aies parlé
— aji parlât
il ait parlé
— ajim parlât
nous aiions parlé
— ajits parlât
vous aiiez parlé
— ajin parlât
ils ayent parlé.
FUTUR INCERTAIN
que parleri
je parlerois
— parleres
tu parlerois
— parléré
il parleroit
— parlerem
nous parlerions
— parlerets
vous parleriez
— parleren
ils parleroient.
26
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
quen pailerei
tu parleras
et que parlera
que parleram
— parlerats
— parleran.
qu'en aurei parlât
tu auras parlât
et aura parlât
nous auram parlât
bous aurats parlât
ets auran parlât
parla
abé parlât
débé parla
parlan
CONJONCTIF
quand je })arlerai
— tu parleras
— il parlera
— nous parlerons
— vous parlerez
— ils parleront
— j'aurai parle
— tu auras parlé
— il aura parlé
— nous aurons parlé
— vous aurez parlé
— ils auront parlé
parler
avoir parlé
devoir parler
parlant.
Liste des verbes en à qui se conjuguent comme le verbe
pm'la.
apera
appeler
se hida
se fier
juna
jeûner
paga
payer
crompa
acheter
pilla
piller
recompensa
récompenser
miaça
menacer
disna
dîner
injuria
injurier
sépara
séparer
affronta
affronter
acomoda
accomoder
bériffica
vérifier
cstupa
éteindre
abentura
aventurer
apaisa
apaiser
hazarda
hasarder
canta
chanter
tua
tuer
ploura
pleurer
pensa
penser
proffita
profiter
pensa û plaguc
panser une plaie
soupa
souper
eschenta
épouvanter
trouba
trouver
Ihcba
lever
gaigna
gagner
suda
suer
contesta
contester
rémédia
remédier
miassa
menacer
coupa
couper
despouïlla
dépouiller
liga
lier
traina carrussa
traîner
foueita
foueter
presta
prêter
escana
étrangler
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
27
estima
estimer
s'apressa
s'approcher
effaça
effacer
jutja ■
juger
laba
laver
condamna
condamner
pana
dérober
daicha
. laisser
baysa
baiser
demonbra
oublier
cruza
creuser
s'opignastra
s'opiniàtrer
cassa
chasser
despensa
dépenser
bessa
verser
acusa
accuser
mouca
moucher
apiria
apprêter
aluca
allumer
mespreza
mépriser
da
donner
mautrecta
maltraiter
estrema
ôter
engatja
engager
lauda
louer
acaba
achever
pardonna
pardonner
lâcha
laisser
miaspla
mâcher
espia
regarder
abala
avaler
déclara
déclarer
camina
marcher
arriba
arriver
recula
reculer
entra
entrer
abança
avancer
embia
envoyer
refusa
refuser
se retira
se retirer
manda
mander
abourda
aborder
trompa
tromper
arronça
jeter
esperreca
déchirer
darrigua
déraciner
dansa
danser
amilla
apprivoiser
mazeda
dompter
présenta
présenter
flata
flatter
représenta
représenter
mia
mener
se meichida
se méfier
martiriza
martyriser
ayda, ajuda
aider
enchanta
enchanter
blasma
blâmer
repausa
reposer
aunoura
honorer
lassa
lasser
barra
fermer
jura
jurer
assiégea
assiéger
pregua
prier
se fâcha
se fâcher
estournuda
éternuer
uza
user
benja
venger
marida
marier
serqua
chercher
ayma
aimer
truqua
battre, heurter
conforma
conformer
permena
promener
bisita
visiter
banta
vanter
ana
aller
s'esloigna
s'éloigner
pouja
monter
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
CONJUGAISON DU VERBE ABÉ OU TIENE, AVOIR OU TENIR
quey
tu qu'as
et qu'a
nous qu'am
bous qu'ats
ets qu'an
qu'abi
— abes
— abe
— abcm
— abets
— aben
INDICATIF PRESENT
tu as
il a
nous avons
vous avez
ils ont.
PASSE IMPARFAIT
j avois
tu avois
il avoit
nous avions
vous aviez
ils avoient
PARFAIT DEFFINI
qu'aboui
— abouis
— abou
— aboum
— abouts
— aboun
j eus
tu eus
il eut
nous eûmes
vous eûtes
ils eurent.
PARFAIT INDEFFINI
qu'ey abut
— as abut
— a abut
— am abut
— ats abut
— an abut
j ai eu
tu as eu
il a eu
nous avons eu
vous avez eu
ils ont eu.
PLDS-QUE-PARFAIT
qu'abé abut
— abes abut
— abe abut
— abem abut
— abets abut
— aben abut
j avois eu
tu avois eu
il avoit eu
nous avions eu
vous aviez eu
ils avoient eu.
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
FUTUR
29
qu aureï
j aurai
— auras
tu auras
— aura
il aura
— auram
nous aurons
— aurats
vous aurez
— auran
ils auront
SECOND FUTUR
que debi abé
je dois avoir
— deus abé
tu dois avoir
— deu abé
il doit avoir
— debem abé
nous devons avoir
— débets abé
vous devez avoir
— deben abé
ils doivent avoir.
UN
TEMPS
COMPOSÉ
que devrai abé
je devrai avoir
— devras abé
tu devras avoir
— devra abé
il devra avoir
— devram abé
nous devrons avoir
— devrats abé
vous devrez avoir
— devran abé
ils devront avoir.
IMPÉRATIF
aje ou tient
aie ou tiens
qu'aji
qu'il aie
— ajim
que nous ayions
— ajits
que vous ayez
— ajin
qu'ils aient.
OPTATIF ET
CONJO.NCTIF
Diu bouilli
Dieu veuille
qu'aji
que j'aye
— ajis
— tu ayes
-aji
— il ait
— ajim
— nous ayions
— ajits
— vous aviez
— ajin
— ils ayent.
IMPARFAIT CONJONCTIF
Encouëre
Encore que.
qu'aboussi
j'eusse
30
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRA^COISB
qu'aboussis
— aboussi
• — aboussim
— aboussits
— aboussin
Encouëre que
aji abut
ajis abut
aji abut
ajim abut
ajits abut
ajin abut
tu eusses
il eût
nous eussions
vous eussiez
ils eussent.
PARFAIT CONJONCTIF
Encore que
j'aye eu
tu ayes eu
il ayt eu
nous ayions eu
vous ayez eu
ils ayent eu.
PLUS-QUE-PARFAIT
s'abofissi abut
s'aboûsses abut
s'aboûsse abut
s'aboûssem abut
s'aboûssets abut
s'aboussen abut
SI j avois eu
tu eusses eu
il eut eu
nous eussions eu
vous eussiez eu
ils eussent eu.
TEMPS INCERTAIN
qu auri
j aurois
— aures
tu aurois
— auré
il auroit
— aurem
nous aurions
— aurets
vous auriez
— auren
ils auroient.
FUTUR CONJONCTIF
quen aurci
quand j'aurai
— auras
— tu auras
— aura
— il aura
— auram
— nous aurons
• — aurats
— vous aurez
— auran
— ils auront.
SECOND FUTUR CONJONCTIF
quen quand
aurei abut j'aurai eu
auras abut tu auras eu
GRAMMA.IRE GASCONNE ET FRANÇOISE 31
aura abut il aura eu
auram abut nous aurons eu
aurats abut vous aurez eu
auran abut ils auront eu.
GÉRONDIF
aben aiant.
CONJUGAISON DU VERBE LEGI, LIRE
INDICATIF PRÉSENT
que léjëchi
je lis
— léjeich
tu lis
— léjëich
il lit
— léjirn
nous lisons
— légits
vous lisez
— léjin
ils lisent.
PASSÉ IMPARFAIT
que legibe
je lisois
— legibes
vous lisiez
— legibe
il lisoit
— legibem
nous lisions
— legibets
vous lisiez
— legiben
ils lisoient.
PARFAIT DÉFFINI
que legi
je lus
— legis
tu lus
— legi
il lut
— légim
nous lûmes
— legits
vous lûtes
— legin
ils lurent.
PARFAIT INDÉFFINI
qu'ei legit
j'ai lu
— as legit
tu as lu
— a legit
il a lu
— am legit
nous avons lu
— ats legits
vous avez lu
— an legit
ils ont lu.
32
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
PARFAIT TROISIEME
quen aboui legit j'eus lu
— abous legit tu eus lu
— abou legit il eut lu
— aboum legit nous eûmes lu
— abouts legit vous eûtes lu
— aboun legit ils eurent lu.
qu'abi legit
— abes legit
— abe legit
— abem legit
— abets legit
— aben legit
que legirai
— légiras
— legira
— légiram
— legirats
— legiran
que debi legi
— deus legi
— deu legi
— debem legi
— débets legi
— deben legi
lejeich
que lejechis
— lejechi
— lejechini
— lejechits
— lejechin
PLCSS-QUE-PARFAIT
j'avois lu
tu avois lu
il avoit lu
nous avions lu
vous aviez lu
ils avoient lu.
FUTDR
je lirai
tu liras
il lira
nous lirons
vous lirez
ils liront.
SECOND FUTUR
je dois lire
tu dois lire
il doit lire
nous devons lire
vous devez lire
ils doivent lire.
IMPERATIF
lis
que tu lises
— il lise
— nous lisions
— vous lisiez
— ils lisent.
OPTATIF ET CONJONCTIF
Enooucre que Ifjechi
que lejechis
Encore que je lise
que tu lises
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
33
que lejechi
— lejechim
— lejechits
— lejechin
qu'il lise
— nous lisions
— ■ vous lisiez
— ils lisent.
IMPARFAIT CONJûNCTIF
Encouëre que lejoussi
que lejousses
— lejousse
— lejoussem
— lejoussets
— lejousseu
Encore que je lusse
que tu lusses
— il lût
— nous lussions
— vous lussiez
— ils lussent.
PARFAIT CONJONCTIF
Encouëre qu'aji legit
qu'ajis legit
— aji legit
— ajim legit
— aiits legit
— ajin legit
Encore que j'aie lu
tu aies lu
il ait lu
nous ayons lu
vous ayez lu
ils aient lu.
PLDS-QUE-PABFAIT
Encouëre qu'aboussi legit
qu'abousses legit
— abousse legit
— aboussem legit
— aboussets legit
— aboussen legit
Encore que j'eusse lu
tu eusses lu
il eût lu
nous eussions lu
vous^eussiez lu
ils eussent lu.
que légiri
— légires
— légiré
— légirem
— légirets
— légiren
TEMPS INCERTAIN
je lirois
tu lirois
il liroit
nous lirions
vous liriez
ils liroient.
FUTUR CONJONCTIF
quen aurei legit quand j'aurai lu
— auras legit — tu auras lu
— aura legit — il aura lu
— auram legit • — nous aurons
34
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
quen
aurats legit
(juand vous aurez lu
auran legit
— ils amont lu.
GÉRONTIF
lejen
lisant.
CONJUGAISON DU VKRBE RESPOUNE, REPONDRE
INDICATIF PRESENT
que respouui
— respons
— respoun
— respounem
— repounets
— respounen
je répons
tu répons
il répond
nous répondons
vous répondez
ils répondent.
PASSE IMPARFAIT
que respounebi
— respounebes
— respounebe
■ — respounebem
— respounebets
— respouneben
je répondois
tu répondois
il répondoit
nous répondions
vous répomliez
ils répoudoient.
PARFAIT DEFFINl
que respounoui
— respounoûs
— respounou
— respounoum
— respounouts
— respounoun
je répondis
tu répondis
il répondit
nous répondîmes
vous répondîtes
ils répondirent,
qu'ei respoun ut
— as respounut
— a respounut
— am respounut
— ats respounut
— an respounut
PARFAIT INDEFFINI
j'ai répondu
tu as répondu
il a répondu
nous avons répondu
vous avez répondu
ils ont répondu. '
FUTUR
que respounerai
— respouneras
je répondrai
tu répondras
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
35
que respounera
— respouneram
— respounerats
— respouneran
respoun
que responni
— respounim
— respounits
— respounin
il répondra
nous répondrons
vous répondrez
ils répondront.
IMPERATIF
réponds
qu'il réponde
que nous répondions
que vous répondiez
qu'ils répondent.
OPTATIF
Encouëre que respouui
que respounis
— respouni
— respounim
— respounits
— respounin
Encore que je réponde
tu répondes
il réponde
nous répondions
vous répondiez
ils répondent.
IMPARFAIT CONJONCTIF
que respounoussi
— respounousses
— respounousse
— respounoussem
— respounoussets
— respounoussen
je répondisse
tu répondisses
il répondît
nous répondissions
vous répondissiez
ils répondissent.
PARFAIT CONJONCTIF
Encouëre que Encore que
aji respounut j'àïe répondu
ajis respounut tu aies répondu
aji respounut il ait répondu
ajim respounut nous ayions répondu
ajits respounut vous ayiez répondu
ajin respounut ils aient répondu.
PLUS-QUE PARFAIT CONJONCTIF
Encouëre
qu'aboussi respounut
— abousses respounut
— abousse respounut
— aboussem respounut
Encore que
j'eusse répondu
tu eusses répondu
il eût répondu
nous eussions répondu
3G
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
qu'aboussets rcspounut
— aboussen respoimut
vous eussiez répondu
ils eussent répondu.
SECOND FUTUR CONJO.NCTIF
quen aurai respounut
— auras respounut
— aura respounut
quand j'aurai répondu
tu auras répondu
il aura répondu.
Respoûnen
GERONDIF
répondant.
LISTE DES VERBES COMME RESPOUNE
escoune cacher bene
prene prendre
vendre
enterprene entreprendre .
CONJUGAISON DU VERBE BOULE, VOULOIR
que bouil
— bos
— boû
— boûlem
— boulets
— boulen
que boulebi
— boulebes
— boulebe
— boulebem
— boulebets
— boulebcn
que boului
— boulous
— bouloû
— bouloum
— boulouts
— bouloun
I^D^CATIF PRESENT
je veux
tu veux
il veut
nous voulons
vous voulez
ils veulent.
IMPAHFAIT
je voulois
tu voulois
il vouloit
nous voulions
vous vouliez
ils vouloient.
PARFAIT DKFFIM
je voulus
tu voulus
il voulut
nous voulûmes
vous voulûtes
ils voulurent.
PLUS-QUE-PARFAIT
qu'abi boulut j'avois voulu.
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
37
que bourrai
— bourras
— bourra
— bourram
— bourrats
— bourran
bouilis
q'-ie bouilis
— bouilli
— bouillim
— bouillits
— bouillin
Eûcouëre que bouilli
que bouillis
— bouilli
— bouillim
— bouillils
— bouillin
je voudrai
tu voudras
il voudra
nous voudrons
vous voudrez
ils voudront
IMPARFAIT
veux
que tu veuilles
— il veuille
— nous veuillions
— vous veuilliez
— ils veuillent.
OPTATIF
Encore que je veuille
tu veuilles
il veuille
nous voulions
vous voulliez
ils veuillent.
IMPARFAIT CONJONCTIF
se boulebi si je voulois
se boulebes si tu voulois
se boulebe s'il vouloit
se boulebem si nous voulions
se boulebets si vous vouliez
se bouleben s'ils vouloient.
Encouëre que bouloussi
que boulousses
— boulousse
— bouloussem
— bouloussets
— bouloussen
LE MEME
Encore que je voulusse
tu voulusses
il voulût
nous voulussions
vous voulussiez
ils voulussent.
PARFAIT CONJONCTIF
Encouëre
qu'aji boulut
Encore que
j'aie voulu.
38
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
PLUS-QUE-PARFAIT CONJONCTIF
s'abi boulut si j'eusse voulu
s'abebes boulut
que bourri
— bourres
— bourré
— bourrem
— bourrets
— bourren
si tu eusses voulu
TEMPS INCERTAIN
je voudrois
tu voudrois
il voudroit
nous voudrions
vous voudriez
ils voudroient.
CONJUGAISON DU VERBE CADE, TOMBER
que cadi
— caits
— cait
— cadem
— cadets
— caden
que cadibé
— cadèbes
que cadoui
— cadous
— cadou
— cadoum
— cadouts
— cadoun
je tombe
tu tombes
il tombe
nous tombons
vous tombez
ils tombent.
PASSE IMPARFAIT
je tombois
tu tombois.
PARFAIT DEFFLM
je tombai
tu tombas
il tomba
nous tombâmes
vous tombâtes
ils tombèrent.
PARFAIT INDEFFINI
que soui cadut je suis tombé
PLUS-QUE-PARFAIT
qu'eri cadut j'ctois tombe
FUTUR
que cairei
— cairas
je tomberai
tu tomberas
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
39
que caira
il tombera
— cairam
nous tomberons
— cairats
vous tomberez
— cairaa
ils tomberont.
SECOND FUTUR
que debi cadé
je dois tomber
— deus cadé
tu dois tomber
— deu cadé
il doit tomber
— debem cadé
nous devons tomber
— débets cadé
vous devez tomber
— deben cadé
ils doivent tomber.
IMPÉRATIF
caï •
tombe
que cadi
qu'il tombe
— cadim
que nous tombions
— cadits
que vous tombiez
— cadin
qu'ils tombent.
OPTATIF
Diu bouilli
Dieu veuille
que cadi
que je tombe
— cadis
— tu tombes
— cadi
— il tombe
— cadim
nous tombions
— cadits
vous tombiez
— cadin
ils tombent.
IMPARFAIT CONJONCTIF
Se cadebi
si je tombois
— cadebes
si tu tombois
— cadebe
s'il tomboit
— cadebem
nous tombions
— cadebets
vous tombiez
— cadeben
ils tomboient.
LE MÊME
que cairi
je tomberois
— caires
tu tomberois
— Caire
il tomberoit
— cairem
nous tomberions
— cairets
vous tomberiez
— cairen.
ils tomberoient.
40
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
Encouëre
(jue si cadut
— sis cadut
s'eri cadut
PARFAIT CONJONCTIF
Encore que
je sois tombé
tu sois tombé.
PLUS-QUE-PARFAIT
si j'eusse tombi
Encouëre
(ju'estouisse cadut
— estousses cadut
— estousse cadut
LE MEME
Encore que
je fusse tombé
tu fusses tombé
il fût tombé
FUTUR CONJONCTIF
que cairei je tomberai
— cairas tu tomberas
— caira il tombera
— cairam nous tomberons
— cairats vous tomberez
— cairan ils tomberont.
SECOND FUTUR CONJONCTIF
quen serey cadut
— seras cadut
caden
quand je serai tombé
tu seras tombé.
GERONDIF
tombant
CONJUGAISON DU VKRBE SABE, SÇAVOIR
que
sei
—
saps
—
sap
—
sabem
—
sabets
—
saben
que
sabi
—
sabes
INDICATIF PRESENT
je sai
tu sais
il sait
nous savons
vous savez
ils savent.
PASSÉ IMPARFAIT
je savois
tu savois
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
41
que sabé
— sabem
— sabets
— saben
que saboûi
— saboûs
— saboû
— saboûm
— saboûts
— saboûn
quen
aboui sabut
abous sabut
aboû sabut
aboûra sabut
aboûts sabut
aboun sabut
qu'abi sabut
quen saurai
— sauras
— saura
— sauram
— saurats
— sauran
que debi sabé
— deûs sabé
— deu sabé
— debem sabé
— débets sabé
— deben sabé
il savoit
nous savions
vous saviez
ils savoient.
PARFAIT DÉFFINl
je savois (sic)
tu savois
il savoit
nous savions
vous saviez
ils savoient.
PARFAIT IIN'DÉFFINI
quand
j'eus'su
tu eus su
il eut su
nous eûmes su
vous eûtes su
ils eurent su.
PLUS-QUE-PARFAIT
j'avois su.
FUTUR
je saurai
tu'sauras
il saura
nous saurons
vous saurez
ils sauront.
SECOND FUTUR
je dois savoir
tu dois savoir
il doit savoir
nous devons savoir
vous devez savoir
ils doivent savoir.
DEUX TEMPS COMPOSEZ
que debebi sabé je d[ev]ois savoir
— deuri sabé tu (sic; lis. Je) d[evr]ois savoir
42
GRAMMAIRE GASCOISNE KT FRANÇOISE
IMPERATIF
sap ou sapis
sache
que sapi
qu'i[l] sache
— sapim
que nous sachions
— sapits
que vous sachiez
— sapin
qu'ils sachent.
OPTATIF ET CONJONCTIF
que sapi
que je sache
— sapis
— tu saches
— sapi
— il sache
— sapim
— nous sachions
— sapits
— vous sachiez
— sapin
— ils sachent.
PARFAIT
CONJONCTIF
Encouëre que s
aboussi
Encore que je susse
que sabousses
que tu susses
— sabousse
— il sût
— saboussem
— nous sussions
— saboussets
— vous sussiez
— saboussen
— ils sussent.
LE MÊME
que sabi
si je savois
— sabes
si tu savois
— sabé
s'il savoit
— sabem
si nous savions
— sabets
si vous saviez
— saben
s'ils savoient.
LE MEME
Encouëre que saboussi Encore que je susse.
que sauri
— saures
— saurc
— saurem
— saurcts
— sauren
TEMPS INCERTAIN
je saurois
tu saurois
il sauroit
nous saurions
vous sauriez
ils sauroient.
GRAMMA-IRB GASCONNE ET FRANÇOISE 43
PARFAIT CONJONCTIF
Eiicouëre qu'aji sabut Eacore que j'aie su
qu'ajis sabut que tu aies su
— aji sabut — il ait su.
PLUS-QUE -PARFAIT CONJONCTIF
s'abebi sabut si j'avois su.
LE MÊME
Encouëre qu'aboussi sabut Encore que j'eusse su.
LE MÊME
s'aboussi sabut si j'eusse su.
FUTUR CONJONCTIF
quen saurei quand je saurai
— sauras tu sauras
— saura il saura
— saurara nous saurons
— saurats vous saurez
— sauran ils sauront.
SECOND FUTUR CONJONCTIF
quen aurei sabut quand j'aurai su
— auras sabut — tu auras su
— aura sabut — il aura su
— auram sabut — nous aurons su
— aurats sabut — vous aurez su
— auran sabut — ils auront su.
GÉRONDIF
saben sachant.
VERBES QUI SE CONJUGUENT COMME SABE
bède voir poudé pouvoir
cabé être contenu debc devoir
recebé recevoir bebe boire
arride rire crède croire
plabe pleuvoir abé avoir.
44
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
CONJUGAISON DU VERBE ENTENE, ENTENDRE
INDICATIF PRÉSENT
qu'enteni j'entends
— entcns tu entends
— enten il entend
— etenem nous entendons
— entenets vous entendez
— entenen ils entendent.
qu'entenebi
— entenebes
PASSE IMPARFAIT
j'entendois
tu entendois.
PARFAIT DEFFINI
qu'entenoui j'entendis
— entenous tu entendis
— entenou il entendit
— entenoum nous entendîmes
— entenouts vous entendîtes
— entenoun ils entendirent.
qu'ei entenut
— as entenut
— a entenut
PARFAIT INDEFFINI
j'ai entendu
tu as entendu
il a entendu.
PLUS-QUE-PARFAIT
qu'abi entenut
— abes entenut
j'avois entendu
tu avois entendu.
qu'entenerei
— enteneras
FUTUR
j'entendrai
tu entendras.
que debe entene
— deus entene
SECOND FUTUR
je dois entendre
tu dois entendre.
DEUX TEMPS COMPOSEZ
que debebi entene
— dcbcbes entene
je devois entendre
tu devois entendre
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
45
que deurai entene
— deuras eutene
je devrai entendre
tu devras entendre.
IMPERATIF
Enten entends
qu'enteni qu'il entende
entenem entendons
entenets entendez
qu'entenin qu'ils entendent.
OPTATIF ET CONJONCTIF
Encouëre qu'enteni
qu'entendis (sic)
— entendi
— entendim
— entendits
— entenden
Encore que j'entende
que tu entendes
— il entende
— nous entendions
— vous entendiez
— ils entendent.
Encouëre qu'entenoussi
qu'entenoûsses
— entenoûsse
— entenoûssem
— entenoûssets
— entenoûssen
IMPARFAIT COWJONCTIF
Encore que j'entendisse
que tu entendisses
— il entendît
— nous entendissions
— vous entendissiez
— ils entendissent.
s'entenebi
s'entenebes
s'entenebe
s'enteuebem
s'entenebets
s'enteneben
qu"enteneri
— enteueres
si j"entendois
si tu entendois
s'il entendoit
si nous entendions
si vous entendiez
s'ils eatendoient.
TEMPS INCERTAIN
j'entendrois
tu entendrois
PARFAIT COiNJONCTIF
Encouëre
(ju'aji entenut
— ajis entenut
— aji entenut
Encore que
j'aie entendu
tu aies entendu
il ait entendu.
46
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
PLUS-QUE PARFAIT CONJONCTIF
s'abebi eiitonut si j'avois entendu
s'abebes entenut
s'abebe entenut
quen entenerei
tu enteneras
et entenera
noue entenorem
bous entenerats
ets enteneran
si tu avois entendu
s'il avoit entendu
FUTUR CONJONCTIF
quand j'entendrai
tu entendras
il entendra
nous entendrons
vous entendrez
ils entendront.
SECOND FUTUR CONJONCTIF
(]u'aurei entenut j'aurai entendu.
GÉRONDIF
[entenen entendant]
CONJUGAISON DU VERBE DISE, DIRE
INDICATIF
PRESENT
que die
je dis
— dits
tu dis
et dits
il dit
que diseui
nous disons
— disets
vous dites
— disen
ils disent.
PASSÉ
IMPARFAIT
que de si
je disois
— dises
tu disois
— dise
il disoit
— disem
nous disions
— disets
vous disiez
— disen
ils disoient.
PARFAIT
DÉFFIM
que digoCiy
je dis
— digoûs
tu dis
— digoû
il dit
— digoûm
nous dimcs
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
47
que digoûts
vous dîtes
— digouQ
ils dirent.
PARFAIT INDÉFFLM
qu'ei dit
j'ai dit
— as dit
tu as dit
— a dit
il a dit
— abem^dit
nous avons dit
— abets dit
vous avez dit
— aben dit
ils ont dit.
PARFAIT TROISIÈME
quen aboui dit
quand j'eus dit
bous aboûs dit
tu eus dit
et abou dit
il eut dit
nous aboum dit
nous eûmes dit
qu'abouts dit
vous eûtes dit
— aboun dit
ils eurent dit.
PLUS-QUE-PARFAIT
qu'abé dit
j'avois dit
— abes dit
tu avois dit
— abé dit
il avoit dit
— abem dit
nous avions dit
— abets dit
vous aviez dit
aben dit
ils avoient diL
FUTUR
que dirie
je dirai
— diras
tu diras
— dira
il dira
— diram
nous dirons
— dirats
vous direz
— diran
ils diront.
SECOND FUTUR
que debi dise
je dois dire
— deûs dise
tu dois dire
— deû dise
il doit dire
— dobem dise
nous devons dire
— débets dise
vous devez dire
— deben dise
ils doivent dire.
48
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
DEUX TEMPS COMPOSEZ
que debebi dise je devois dire
— debebes dise tu devois dire
— debebe dise il devoit dire
— debebem dise nous devions dire
— debebets dise vous deviez dire
— debeben dise ils dévoient dire.
quen deuroi dise
— deûras dise
— deûra dise
— deûram dise
— deûrats dise
— deûran dise
dits
que disis
— disi
— deguim
— deguits
— deti"uia
LE MÊME
quand je devrai dire
— tu devras dire
— il devra dire
— nous devrons dire
— vous devrez dire
— ils devront dire.
IMPÉRATIF
dis
que tu dises
qu'il dise
nous disions
vous disiez
qu'ils disent.
Diu bouilli que digue
que diguis
— digui
— diguim
— diguits
— diofuin
OPTATIF ET CONJONCTIF
que je dise
tu dises
qu'il dise
nous disions
vous disiez
qu'ils disent.
IMPARFAIT CONJONCTIF
se disi ou disébe si je disois
se dises ou disebes si tu disois
se dise ou disebe s'il disoit
se disem ou disebem si nous disions
se disets ou disebets si vous disiez
se disen ou disébeu s'ils disoient.
PARFAIT CONJONCTIF
Eucouëre qu'aji dit
qu'ajis dit
Hiicore que j'aie <Iit
tu aies dit
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRAMGOISB
49
qu' aji dit
— ajim dit
— ajits dit
— ajin dit
il ait dit
nous ayons dit
vous ayez dit
ils aient dit
PLUS-QUE-PARFAIT CONJONCTIF
s'abouissi dit si j'eusse dit
s'abouisses dit si tu eusses dit
s'abouisse dit s'il eût dit
s'aboussem dit si nous eussions dit
s'aboussets dit si vous eussiez dit
s'aboussen dit s'ils eussent dit
LE MÊME
s'abebi dit si j'avois dit
s'abebes dit si tu avois dit
s'abebe dit s'il avoit dit
s'abebem dit si nous avions dit
s'abebets dit si vous aviez dit
s'abeben dit s'ils avoient dit.
TEMPS INCERTAIN
que diseri je dirois
— diseres tu dirois
— diseré il diroit
— diserem nous dirions
— diserats vous diriez
— diseren ils diroient.
FUTUR CONJONCTIF
quen direi quand je dirai
— diseras — tu diras
— disera — il dira
— diseram — nous dirons
— diserats — vous direz
— diseran — ils diront.
SECOND FUTUR CONJONCTIF
quen aurei dit
qu'auras dit
— aura dit
— aurara dit
— aurats dit
— auran dit
quand j'aurai dit
— tu auras dit
— il aura dit
— nous aurons dit
— vous aurez dit
— ils auront dit.
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
disen
GERONDIF
disant.
sus sur
dessus dessus
aban avant
dabun devant
contre contre
darré derrière
PREPOSITIONS
per pour, par
sonque excepté
segoun suivant
prés auprès
entia jusques
chen sans
dap avec
en en
entre entre
enterdemiei parmi
doû constat vers
près près .
EXEMPLES
Repausas bous susjou
dessus loû cap
aban loù jour
per teri'e
sonques ung cop
prés doû bocsq
entia la mourt
chens raison
dap prudence
en poujan
entre loûs bras
enterdemiei lou blat
doû coûstat doû nord
prez doù cazau
dabau la porte
darré la maison
reposez-vous sur moi
sur la tète
avant le jour
par terre
si ce n'est une fois
près du bois
jusqu'à la mort
sans raison
avec prudence
en montant
entre les bras
parmi le bled
du côté du nord
près du jardin
devant la porte
derrière la maison.
DES CONJONCTIONS
Parmi les conjonctions, les unes s'appellent copulatives,
liant les paroles et leur signification, les autres dijonctives,
séparant le sens et joignant seulement les dictions.
et et
encouëre encore
LES COPULATIVES
tabé aussi
ataû ainsi
corn connue
se si
GRAMMAIRE GASCONISE ET FRANÇOISE
51
dap avec
donc hé bien
pieich que puisque
leù bientôt
parceque parce que
per aco pour cela.
EXEMPLES
l'homi et le hemne
Pierre et jou tabé
encouëre que sim sous
que hem atau
com lous auts
se ti bau
que disni dap tu
puich que n'es pas sage
é donc que hets ?
bienets leû
qués aco?
l'homme et la femme,
Pierre et moi aussi
quoi que seuls
nous faisons ainsi
comme les autres
si je vais à toi
je dîne avec toi
puisque tu n'es pas sage
hé bien, que faites-vous ?
venez tôt
qu'est-ce que c'est ?
DU NOM DES JOURS DE LA SEiMAINE
dimenche dimanche
dilungs lundi
dimarcs mardi
dimercres mercredi
dejaun jeudi
dibeis vendredi
dissapte samedi.
ADVERBES
aujourd'hui gouëy
alors labets
à savoir à sabé
à peine détemen [sic)
à tort à tort
à toute heure à touthore
à tout moment cadé moumen
à dessein à dessien [nade
à colin-maillard à la barre pa-
aveuglemeut abuglemen
à mon côté au mei coustat
à ce moment tout are
à moins que a miens que
avec moi dap joû
■Bvec vous dap bous
avec toi dap tu
avec lui dap et
ailleurs aillons
au moins au miens
à peu près a plus près
assez proû
assez de pain proû de pan
autrement autemen
au commencement au cap
à mon gré au mei grat
au pis aller au pis ana
à cette heure adare, aquesthore
à propos à perpaus
à quel propos à quein perpaus
auprès de moi au mei près
auprès de vous au bos près
après despuits
52
GRAMMAIRE GASCONNE ET FRANÇOISE
à quoi peasez-vous à que pen-
ainsi ataû [sats
à condition que à condition
après-midi après mijouru
après-demain aprez douman
après tout aprez tout
à la fin à le fin
à mon insu apanas
à présent adare
au contraire au contrari
assez bien proû plan
au rebours a larrambouhiii
à souhait à grat
aussitôt que taleu que [^rons
aussitôt qu'il viendra nous sorti-
taleu que bira que sourtiram
aussitôt que nous taleu que nous
aussi bien que moi ta plan que
afin de enta [joû
afin que atin que
à l'eutour à lenteur [table
au tour de la table autour de la
à force de lire à force de leji
avant hier abanjé
auparavant depermé
à l'ombre à l'ompre
au soleil au soû
autrefois auts cops
au soir au se
au plus tôt au meleû
à la mode à le mode
assez tôt proû leù
assez souvent proû souben [bez
à tort et à travers à tort et à tra-
à coincouche (= en quinconce?)
de corn à clin
à rebours a l'arraboubiu
aussitôt que nous taleû que nous
aussi bien que moi ta plan com
aussi bien que vous ta plan com
afin que enta ou per ("vous
afin de per
arrière darré
à mon tour au mei tour
à la hâte dehit biste
au lieu de au loc de
autant que moi autant que joû
assurément asséguraderaen
au dépens d'autrui au despens
[des auts
à mes dépens au mei despens
à vos dépens ans bos despens
à tâtons à tastes
à bon marché à bon marcat
à meilleur marché à meille mar-
à la fois tout à cop [cat
à jamais à jamés
au reste à la fin
à la dérobée à panât
à la sourdine tout chouaû
en cachette à Tescounut
à quatre pattes à boucs [pipos
à pet en gueule aux couates
à l'envi a me ha
à mon avis a mon abis
à loisir à louersir
avec qui? dapqui? [parlât
à qui avez-vous parlé? a qui ats
à perte de^vue a perte de biste
à ce que je vois a so que bei
actuellement are medich
après quoi après que
alternativement l'un arron l'aut.
bien bien ou plan
bientôt l)elleû
beaucoup fort
bonnement bonnement
beaucoup meilleur fort meille
(A suivre.)
DOULOU
A moun amie Louvis de Roumiéux
Rouge coumo 1' coustat de Jésus à la Croux,
Le soulelhas s'acato, — e, demest las espigos,
Le cor de grilhs s'ausis,tal qu'unotristo voux.
Doulou, maissanto serp, dins moun amo te ligos !
Uno sourgo de plous de mas perpelhos douts ;
Bràmi mai que le taure al mour frétât d'ourtigos.
Pacans, fasets-m'un trauc qu'aje linsou de pouts,
E vous pouirè fugi, tahinos enemigos!
Pauriero de moun èstre! iéu m'envau fat e folh ;
Soun aro pla soulet, alagat per le dolh;
Trepeji sens relais, coumo un maudit, per orto.
Toumbel, durbis-te dounc ; es, tu, le milhou leit!.
— Esclairats-me de gràcio, al miei d'aicesto neit,
0 maire, flou de lux ! vôli pas que siots morto ! . . .
A. FOURÈS.
LouDgonauso (per Vilomur), 10 de julhet de 1886.
DOULEUR
A mon ami Louis Roumieuz
Rouge comme le côté de Jésus sur la Croix, — le grand soleil
descend, et, au milieu des épis, — le choeur des grillons s'ouït, tel
qu'une voix triste. — Douleur, mauvaise couleuvre, dans mon âme tu
te noues !
Une source de pleurs de mes paupières jaillit ; — je beugle plus
qu'un taureau au muffle frotté d'orties. — Vagabonds, faites-moi un
trou qui ait la profondeur d'un puits, — et je pourrai vous échapper,
tristesses ennemies !
Misère de mon être! moi, je vais éperdu et fou ; — je suis mainte-
nant bien seul, courbé par le deuil; — je piétine sans relâche, comme
un maudit, par les champs.
Tombeau, ouvre-toi donc ; tu es, toi, le meilleur lit!. . . — Eclairez-
moi de grâce, au milieu de cette nuit, — ô mère, fleur de lumière ! je
ne veux pas que vous soyez morte !
A. FouRÈs.
LoDguenause (par Villeniur), 10 juillet 1S86. 3*
ES PAS MORTO
A moun ami Aguste Fourès
As resoun, fraire: noun, ta maire n'es pas morto!
Es qu'une maire déu péri,
Elo qu'en nous pausant au lindau de la porto
D'aqueste mounde tant marrit,
Dins un poutounnous aveja soun amo forte,
Soun cor, soun sang, soun esperit?...
Morto, elo! que nous a degaia touto sorto
De vido, anen! elo mouri!...
Escouto, e Tausiras dins Ter que se respiro,
Dins la font lindo que trespiro,
Dins lou dôu même que te mord . . .
Regarde, ami, regarde, e quand, s'as l'ur de crèire,
Saras seul e voudras la vèire,
Davalo au fin founs de toun cor!. . .
Louis Rou MIEUX.
Mount-pelié (villa di Felibre), 12 de juliet de 1886.
ELLE N'EST PAS MORTE
A mon ami Auguste Fourès
Tu as raison, frère ; non, ta mère n'est point morte ! — Est-ce qu'une
mère doit périr, — elle qui, en nous déposant au seuil de la porte —
de ce monde si mauvais,
Dans un baiser nous a versé son âme forte, — son cœur, son sang,
son esprit? — Morte, elle! qui nous a prodigué toute espèce — de
vies, allons! elle mourir!. . .
Ecoute, et tu l'entendras dans l'air qu'on respire, — dans la source
limpide qui jaillit, — dans le deuil même (pii te déchire. . .
Regarde, ami, regarde, et lorsque, si tu as le bonheur de croire,
— tu seras seul et tu voudras la voir, — descends au plus profond
de ton cœur!., .
Louis RouMiEux.
Montpellier (villa des Félibres), 12 juillet 1886.
BIBLIOGRAPHIE
Gustav Koerting. Eacyclopaedie und Metliodologie der romanischen Philo-
logie. Drilter Theil. xx-838 pages, ia-S». Heilbronn, verlag voa Gebr.
Henninguer, 1886.
Ce volume estle troisième et dernier de l'ouvrage considérable en-
trepris par M. Kôrting et dont nous avons, en avril 1885, annoncé et
loué les deux premiers. Celui-ci mérite les mêmes éloges et ne ren-
dra pas moins de services.
Chacune des langues romanes y est l'objet d'une étude particulière.
C'est le français qui en occupe la plus grande partie, la moitié du vo-
lume environ; il suffira, pour donner au lecteur une idée du plan de
l'auteur et de l'utilité de son ouvrage, de reproduire ici les titres des
chapitres de cette première section. I. Domaine de la langue fran-
çaise.— II. Histoire delà langue française. — III. Histoire de la
philologie française. — IV. Les Dialectes du français. — V, La Phoné-
tique. — VI. Les Mots. — VII. Forme et formation des mots. —
VIII. Syntaxe et stylistique. — IX. Rythmique. — X. Histoire litté-
raire .
Chacune des autres langues est examinée à son tour à ces diffé-
rents points de vue. La bibliographie, dans chaque section, nous a
paru très-riche ; mais on y pourrait relever quelques lacunes, et aussi
quelques confusions. Ainsi, Guiot de Provins figure parmi les auteurs
provençaux; la vie latine de sainte Euphrosyne et le commentaire
sur Virgile, que Boucherie publia, en 1872 et 1874, dans cette Revue,
sont donnés comme des textes provençaux. Mais ce sont là des erreurs
sans grande conséquence, et qui ne diminueront pas l'utilité du livre
de M. Korting pour les lecteurs auxquels il l'a destiné.
C. C.
Le Canzoniere autographe de Pétrarque, Communication faite à l'Aca-
démie des Inscriptions et Belles-Lettres, par Pierre de Nolhac, ancien mem-
bre de l'École de Rome, maître de conférences à l'École des hautes études.
Paris, librairie C. Klincksieck, 1886, in-12, 30 pag.
M. P. de Nolhac a eu l'heureuse fortune de retrouver le ms. auto-
graphe du « Canzoniere » de Pétrarque qui servit à l'édition donnée
en 1501 par Aide Manuce, aidé de Pietro Bembo, ms. qu'on croj-ait
perdu et dont l'existence avait été mise en doute par quelques criti-
ques. C'est de cette précieuse découverte que M. P. de Nolhac rend
compte dans la plaquette que nous annonçons, u Je me propose d'éta-
56 CHRONIQUE
blir, dit-il en commençant: 1" que le ms. d'Aide a existé ; 2" qu'après
avoir appartenu à Bembo, il a passé dans la bibliothèque de Fulvio
Orsini; 3° que c'est aujourd'hui le ms. Vatican Latin 3195. » Et il éta-
blit en effet, et démontre de la façon la plus certaine, ces trois parties
de sa thèse. C'est ce qu'ont déjà reconnu les critiques les plus compé-
tents et les mieux placés pour vérifier ses preuves. Je signalerai tout
particulièrement un article considérable publié par M. Rodolfo Renier
dans le Giornale storico délia letleratura itaUanct (t. VII, p. 403), auquel
fait suite une lettre de M. de Nolhac lui-même, que ne devront pas
négliger de lire ceux que sa découverte intéresse.
Une note du mémoire de M. de Nolhac renvoie d'avance à un livre
qu'il achève sur la Bibliothèque de Fulrio Orsini, et dont ce mémoire,
qui peut en être considéré comme un extrait, fait prévoir l'importance
et l'intérêt. Tous les amis de nos études en hâteront comme moi la
publication de tous leurs vœux, sachant combien cette bibliothèque
était riche en manuscrits romans, et que plusieurs des plus considé-
rables parmi les chansonniers provençaux en proviennent.
C. C.
CHRONIQUE
"Vient de paraître : le Livre d'or du Congrès des félibres d'Aqui-
taine et du Concours de philologie et de littérature romanes, organisé
par la Société ariégeoise des lettres, sciences et arts, ou Recueil de do-
cuments mis en ordre par Louis Lafont de Sentenac, trésorier de la
Société ariégeoise.
Cette brochure, qui doit perpétuer le souvenir de ce concours, le
premier ouvert dans la région, est composée de 88 pages in-8°, di-
visée en trois chapitres, dont voici la matière ;
Chapitre I. — Séance du 18 mai 1880. — Distribution des récom-
penses — Discours. — Liste des lauréats. — Rapport sur le résultat du
Concours, — Compte rendu en patois de cette séance.
Chapitre II. — Le Banquet du 19 mai. — Les Brindes. — Les
Adieux. — Compte rendu en patois du banquet.
Chapitre III. — Documents divers en français et en patois (prose
et poésie). Prix : 2 fr. — Adresser les demandes à M. L. Lafont de
Sentenac, trésorier de la Société ariégeoise des sciences, lettres et arts,
à Foix,
Essai sur le patois normand de la TTague. Sous ce titre, M. Jean
Flcury, lecteur à l'Université de S.-Péterabourg, vient de publier,
CHRONIQUE 57
Ciiez MM. Maisonneuve frères et Ch. Leclerc, un travail considérable,
dont la première partie avait déjà paru dans la, Revue de linguistique,
où elle avait été fort remarquée. La devixième partie, complètement
inédite, est im ample glossaire du patois étudié. Le tout forme un
beau volume in-8° de 368 pag.
M. A. Loiseau, professeur au lycée de Vanves, auteur de V Histoire
des progrès de la grammaire en France, depuis la Renaissance jusqu'à
710S jours, et d'une Histoire delà langue française, qui a obtenu en
1880 une première médaille d'or de la Société des études historiques,
a publié récemment, chez l'éditeur Ernest Thorin(in-12. viii-406 pp.),
une Histoire de la litt. portugaise, depuis son origine jusqu'à nos jours,
qui ne peut manquer d'être bien accueillie des amis des lettres ro-
manes.
MM. Tommaso Casini et Salomone ]\Iorpurgo ont eu l'excellente
idée de publier, à l'occasion des noces d'un ami, selon une gracieuse
coutume italienne qui paraît vouloir s'acclimater en France*, sept
lettres inédites adressées, de 1445 à 1460, par Contessina de' Bardi,
femme de Cosme de Médicis l'ancien, à ses fils Jean et Pierre, et
dans lesquelles on retrouve peinte au vif, selon la juste remarque des
éditeurs. « la cara e buona imagine di quelle gentildonne, che nei son-
tuozi palazzi fiorentini, fra gli splendori dell'arte riunovata, seppero
mantenere nelle famiglie la semplicità del vivere e dello scrivere an-
tico. »
M. Cesare de Lollis, sur le conseil d'un maître qui n'en donnera ja-
mais que d'excellents, notre savant confrère M. Ernest ]Monaci, vient
de publier dans les Mémoires de la Reale Accademia dei Lincei et de
faire tirer à part (Roma, 1886, in-4o) une édition diplomatique, très-
soignée et très-bien conçue, du chansonnier provençal contenu dans
le ms. no 3208 de la Bibliothèque vaticane. Tous les provençalistes se
joindront à nous pour remercier M. de Lollis de ce beau présent, dont
le prix est augmenté par une préface qui complète heureusement les
renseignements déjà fournis sur le ms. 3208 par M]\I. Grûtzmacher et
Bartsch. Un passage de cette préface nous donne lieu d'espérer que
nous posséderons bientôt, reproduits de même, par les soins de M. de
Lollis ou d"aTitres élèves de M. Monaci, les autres chansonniers pro-
vençaux delà Vaticane.
Ne quittons pas l'Italie sans annoncer une intéressante Storia lette-
raria délie donne italtane, publiée à Naples par M. Eduardo Magliani.
1 Nous faisons surtout allusion aux publications du même genre auxquelles
a donné lieu le mariage de M.Gaston Paris (voy. ]a. Roman ia ,1^\\ , 620) et à
la belle édition du Lai de l'Oiselet, que M. Gaston Paris a publiée lui-même,
eu un si charmant volume, en avril 1884, à l'occasioa du mariage d'un de ses
neveux.
58 CHRONIQUE
C'est un élégant volume, petit in-8o de 269 pag., d'une lecture très-
agréable, et que l'on ne fermera pas sans y avoir profité.
M. A. Germain, le savant doyen honoraire de notre Faculté des
lettres, vient de se créer un nouveau titre à la reconnaissance des
érudits et de rendre un nouveau et signalé service aux études histori-
ques, par la publication intégrale du cartulaire des Guillems de Mont-
pellier, connu vulgairement sous le nom de Jfemorial des Nobles, et
dont le titre véritable est Liber mstrumentorum viemorïaUuui . M. Ger-
main ne s'est pas borné à reproduire le texte de ce cartulaire; il en a
soigneusement annoté et daté chaque charte, l'entourant de tous les
éclaircissements nécessaires; il y a joint deux amples tables chrono-
logiques, l'une générale, l'autre par séries de documents, et il a placé
en tête une Introduction historique, où se retrouvent toutes les qualités
qui ont dès longtemps acquis à ses ouvrages l'universelle autorité
dont ils jouissent.
Le Mémorial des Nobles contient im certain nombre de chartes ro-
manes, et nos lecteurs n'ont pas oublié que ces chartes ont paru pour
la première fois dans cette Revue, où notre confrère, M. Achille Mon-
tel, les publia, avec grand soin et au grand profit de nos études, il y
a déjà douze ans et plus. M. Germain, devant les publier à nouveau,
avec les chartes latines dans la masse desquelles elles sont un peu
perdues, a demandé à M. Camille Chabaneau de l'aider dans cette
partie de sa tâche. Notre confrère, pour complaire à sou honoré doyen,
a donc coUationné les copies et lu, avec le ms. original sous les yeux,
lès épreuves des chartes purement romanes et de plusieurs de celles
qui sont seulement farcies de roman*, et il a rédigé ensuite, pour
l'introduction (pp. XLl-LXX),une suite àe remarques, dans lesquelles la
phonétique, la morphologie, le vocabulaire-, les noms propres, sont suc-
cessivement examinés, et qui se terminent par quelques corrections et
éclaircissements.
La nouvelle édition de VHlstoire générale de Languedoc, publiée à
Toulouse par M. Edouard Privât, parmi les nombreuses additions
à l'œuvre primitive, qui, jointes à l'annotation courante du texte des
bénédictins, en font un ouvrage tout nouveau, renferme dans son
t. X, récemment paru, un long travail de notre confrère M. Camille
Cliabaneau, lequel comprend trois parties, d'étendue très-inégale,
dont il a été tiré à part quelques exemplaires', sous les titres ci-
• Quelques feuilles du commencement, spécialement la quatorzième f\. la
quinzième, ont été tirées, sans que M. Chabaneau en ait revu les épreuves sur
l'original. Mais les fautes qui s'y sont glissées ont été corrigées dans les « cor-
rections et éclaircissements. »
- [Le mot stérile, qui se lit à l'article vaciu, et qu'on aurait dû mettre entre
parenthèses et faire suivre d'un point d'inlerro^alion, rend mai l'idée qu'é-
veille le mol provençal. Une XHiciva est, en eff^'t, v\no jeune hrebis <nti n'a
pan encore porté, et non une brebis stérile. Voy. le Dictionnaire béarnais
de MM. Lespy et Raymond, sous bassiu. — C. C]
^ A Toulouse, chez Edouard Privât, rue des Tourneurs, 45.
CHRONIQHE 59
après : 1 . Sur la langue romane du midi de la France, ou le Proven-
çal; — 2. Les biographies des troubadours en langue provençale, pu-
bliées intégralement pour la première fois, avec une introduction et
des notes, accompagnées de textes latins, provençaux, italiens et es-
pagnols, concernant ces poètes, et suivies d'un appendice contenant
la liste alphabétique des auteurs provençaux, avec l'indication de leurs
œuvres publiées ou inédites, et le répertoire méthodique des ouvrages
anonymes de la littérature provençale depuis les origines jusqu'à la
fin du XV' siècle; — 3. Origine et établissement de l'Académie des
Jeux Floraux. Extraits du ms. inédit des Leys d'amors, publiés avec
une introduction, des notes et une table alphabétique des poètes de
l'école de Toulouse. Le tout forme 250 pages grand in-4o, à deux co-
lonnes.
La ville de Lyon contribue depuis quelque temps, plus qu'aucune
autre, au progrès de nos études. Après les remarquables travaux de
M. Nizier du Puitspelu sur le dialecte lyonnais, dont la forme, — qua-
lité rare dans des ouvrages de ce genre, — est aussi attrayante
que le fond en est solide*; après les études de M. Philippon, moins
originales, mais pleines d'intérêt aussi et fort instructives, sur le
même dialecte, nous avons vu paraître, dans l'espace de deux ans,
sous le nom de M. Léon Clédat, deux publications excellentes et des
mieux faites pour propager la connaissance de notre ancienne langue
et le désir de l'étudier, une Grammaire du vieux français et une édi-
tion de la Chanson de Roland^, déjà épuisée; et voilà qu'aujourd'hui,
en même temps qu'il publie de nouveau, revu et corrigé, ce dernier
ouvrage, M. Clédat nous donne encore, pour compléter l'œuvre si
louable de vulgarisation à laquelle il a voué depuis quelques années
ses loisirs, un recueil de « Morceaux choisis des auteurs français du
moyen âge, avec une introduction grammaticale, des notes littéraires
et un glossaire du vieux français^ )>, recueil qui n'est pas appelé à
rendre moins de services que la Chrestomathie de M. Constans, et qu'il
nous est particulièrement agréable de pouvoir recommander aux mê-
mes titres, c'est-à-dire comme un bon livre, et comme l'œuvre d'un
collègue et d'un confrère.
Mais les ouvrages que nous venons d'annoncer ou de rappeler ne
sont pas les seuls qui témoignent de la féconde activité de nos études
dans la cité lyonnaise. Un autre jeune maître de la Faculté des lettres
de Lyon, M. Ferdinand Brunot, comprenant qu'il y avait place, à
côté de la Grammaire du vieux français de M. Clédat, pour un ou-
vrage moins restreint, où l'histoire de la langue serait continuée jus-
qu'à nos jours, et justement pénétré de l'importance du service que
rendrait un pareil livre, a conçu le dessein de compléter sur ce jDoint
notre outillage grammatical, et il l'a réalisé très-heureusement par la
publication, qui vient d'avoir lieu, d'un « Précis de grammaire histori-
que de la langue française, avec introduction sur les origines et le
développement de cette langue », beau volume de vili-692 pag/, qui
i\0Y. Bévue des l. rom., XXVIIF, 149. — "- Ibid., 154.
3 Paris, Garnier frères, 1 vol. in-12 de xxxii-5G0 pag.
♦ Paris, G. Masson, éditeur.
60 chronique:!
obtiendra, nous n'en doutons pas, auprès du public studieux, tout le
succès qu'il mérite.
Encore une bonne nouvelle, pour terminer. Le Dictionnaire léarnais
ancien et moderne de MM. V. Lespy et P. Raymond, annoncé depuis
1876, de la manière la plus favorable, dans un rapport de ]\I. Paul
Meyerau Comité des travaux historiques, vient enfin de paraître. Il
forme 2 vol. in-8"^de plus de 400 pages chacun, qui ont leur place
marquée, selon une formule qui ne fut jamais mieux appliquée, dans
la bibliothèque de tout romaniste. C'est certainement l'un des ouvra-
ges les plus considérables, et par son étendue et par sa valeur scienti-
fique, qui aient été publiés depuis longtemps, dans le domaine de nos
études. Ce n'est pas seulement un vocabulaire de l'idiome moderue: il
donne aussi, comme le titre l'indique, les mots et les formes propres
à l'ancienne langue, et il sera par là d'un très-grand secours à tous
ceux qui, par goût ou par état, ont à lire quelques-unes de ces chartes
gasconnes que le moyen âge nous a laissées en si grand nondjre, et
qui sont une mine aussi précieuse pour le philologue que pour l'iiis-
torien. N'oublions pas de joindre à l'éloge des auteurs, — dont l'un,
hélas ! M. Paul Raymond, est mort longtemps avant l'achèvement de
l'ouvrage, — celui qui est justement dû à leurs imprimeurs. Le Dic-
tionnaire béarnais sort des presses de Vlnipri/nrrie centrale du Midi,
si parfaitement outillée, — matériel et personnel, — pour les travaux
de ce genre, et l'on peut assurer que les directeurs de cet important
établissement, MM. Hamelin frères, à qui l'on doit pourtant déjà tant
de belles et bonnes impressions, se sont surpassés dans l'exécution de
ces deux volumes.
Le Gérant res]}onsahle : Ernest H.\melin.
Montpellier. — Imprimerie centrale du Midi. (Hamelin Frères),
Dialectes Anciens
RECHERCHES
SUR LES RAPPORTS DES CHANSONS DE GESTE
ET DE l'Épopée chevaleresque itaijenne
(Suite)
Le texte que Ton vient de lire ' contient l'histoire de Mau-
gis jusqu'au moment oîi la fée Oriande lui apprend de qui 11
est fils et de quelle geste il est issu.
L'auteur, après avoir annoncé qu'il dira « la droite nation»
de Maugis et
Où il aprist le sens que il sot à foison,
donne d'abord la généalogie de son héros, puis entre en ma-
tière: circonstances de la naissance de Vivien et de Maugis
(2i-86) ; les deux enfants sont enlevés (87-278) : Oriande re-
cueille Maugis et fait son éducation (279-351); Maugis va con-
quérir Bayard dans l'île de Bocan (352-585). Attaque de Ro-
cheflour parles païens: Maugis tue le roi Atenor et conquiert
Froberge (586-932) ; il obtient d'Oriande qu'elle lui révèle quel
est son parentage.
La généalogie de Maugis, indiquée au commencement du
roman (11-19), est présentée plus loin par Oriande d'une façon
complète (958-972). C'est le tableau de la geste de Doon de
Mayence, tel qu'on le trouve avec quelques détails de plus
dans le Gaufrey (79-119) et seulement mentionné dans Doon
de Maience (7992-8011). Cette généalogie a sa raison d'être,
* Après le v. 574, il y a une lacune; — la fin du vers 941 ne donne ni
rime, ni sens; — v. 966, le ras. donne « Eseun.» On lit dans le mêmems., au
commencement de Gaufrey: «Esevin. » Il faut corriger: » Et Sevin. "
Tome xv de la troisième skrie. — Août 1886. 4
62 RECHERCHES
non point dans la réalité des relations de parenté qu'elle sem-
ble résumer, mais dans le besoin qu'éprouvèrent les auteurs
de réunir en une seule geste les nombreux barons qui ne pou-
vaient rentrer ni dans la geste du Roi, ni dans celle de Garin
de Montglane. On l'a déjà remarqué, la geste de Doon « se
» constitua le plus tard et fut aussi le plus complètement l'œu-
» vre des arrangeurs le nojau originaire de cette fa-
» mille, c'étaient les quatre grands représentants de la lutte
«féodale, Beuve d'Aigremont, Aimon d'Ardenne, Doon de
» Nanteuil et Girard de Roussillon, avec leurs enfants'. » On
imagina un ancêtre commun qui aurait eu douze fils-, et l'on
put ainsi établir une parenté entre les personnages dont
l'origine était inconnue ou ne semblait pas assez illustre et
ceux qui étaient déjà acceptés par la tradition poétique.
Le Gaufrey et le Maugis donnent les noms suivants:
Gaufrej, père d'Ogier le Danois;
Doon de Nanteuil, père de Garnier ;
Grifes de Hautefeuille, père de Ganelon^;
Ajmes de Dordonne, père de Renaud, d'Alard, de Guichard
et de Richard ;
Beuves d'Aigremont, père de Maugis et de Vivien ;
Othon, père d'Yvoire et d'Yvon;
Ripeus, qui eutAnséis de la sœur de Charlemagne;
Sevin de Bordeaux, père de Huon;
Le roi Peron, père d'Oriant ou Euriant;
Morant de Riviers, père de Raymond de Saint- Gilles ;
Hernaut de Giron ou de Gironde ;
Girartde Roussillon.
Oï avés les noms des .xii. fix Doon.
' M. G. Paris dans VHistoircpoét. de Charlemagne, p. 77.
2 On en vint même à lui allriijaer douze (illes. G. Paris, ibid., noie.
■> Dans Gaufrey (v. 3999 et suiv ), on a la liste des douze traîtres, fils de
ce Grifes ou Grifon de Hautefeuille :
de li issi puis Guenelon cl Hardrés,
Milon elAuboin. et Herpiu etGondrez,
Pinabel de Sorenche et Tiebaul et Fourrés,
Et llervieu du Lion, qui sot du mal assés,
EtTiebaut d'Aspremont, qui fu moult redoutés.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 63
Résoudre tous les problèmes qui résultent de la réunion de
ces noms n'est pas chose facile. Je me bornerai à quelques re-
marques.
Dans Gaufrey, le vers où paraît le nom de Vivien est mal
placé. Voici le texte :
Et le .Ve. fix fu duc Buef d'Aigremon :
Icheli si fu père Vivien l'Esclavon,
Qui père fu Maugis, qui tant fu bon larron,
Qui puis fist tant d'ennui lemperéor Kallon.
Il est évident qu'à moins d'accepter Vivien pour père de
Maug'is, le second vers doit devenir le dernier.
Dans Maugis, Otlion est appelé Othes d'Espolice. Dans Ag-
meri de Narbonne, on trouve Othon d'Apolice. Dans Gajdon,
Espolice a été donnée par Ganelon à son frère Thibaut d'As-
premont.
Le roi Peron semble être Pierre ou Pierron, qui devint roi
d'Orcanie et eut pour petit-fils, à la cinquième génération, le
roi Loth, père de Gauvain, d'Agravain, de Gaheriet et de
Guerres*. Le nom et le titre sont donc empruntés à un cousin
de Joseph d'Arimathie; mais on lui attribue ici une autre des-
cendance: il est le père d'Oriant, père lui-même du Chevalier
au Cjgne, ancêtre de Godefroj de Bouillon. Pour donner plus
de relief à sa nomenclature, le trouvère va chercher un des
noms des légendes de la Table-Ronde et l'insère dans sa liste
en imaginant un lien de parenté, non-seulement avec les hé-
ros de l'épopée ancienne, mais avec les personnages d'un cy-
cle récent et de nature toute particulière. Dans le roman de
Doon de Maience, nous avons une forme différente de cette
invention. Ce n'est pas le Chevalier au Cygne qui descend de
Doon, mais bien la dame de Nimègue-, dont Hélias se fait le
défenseur et dont il épousera la fille:
La dame de [Njimaie dont parole fu grans,
Le chevalier o chisne fu pour li combatans,
1 Romans de la Table Ronde, par P. Paris, t. 1, p. 318-349: Aventures
de Pierre, son établissement. Descendances.
- Dans le texte imprimé de Doon de Maience, il y a « Vimaie », et le ms.
de Montpellier donne en effet cette leçon, mais elle prouve seulement que le
copiste ne connaissait pas le cycle de la Croisade et a confondu Vn et Vu.
64 RECHERCHES
Quant il sa fille jnist, dont il ot .m. enfans.
Godefrei en sailli
(Doon de Maience, 80U7, suiv.)
Ainsi le cycle de la Croisade se trouve rattaché à la geste
de Doon et en formerait une des branches. L'idée première a
été peut-être suggérée par le passage des Enfances de Go-
defroj, oîi la duchesse de Bouillon rai)pelle à quelle famille elle
appartient:
Mais jo sui del linage Rainait le fil Aimon '.
Cette simple indication suffisait.
Hernaut de Giron ou de Gironde figure dans la liste des
fils d'Aymeri de Narbonne. Dans Maugis, il est appelé le plus
souvent Hernaut de Monder; la duchesse d'Aigremont est
sa fille. Il est dit Hernaut de Vantamise dans un épisode du
Gaufrey, où Arnaud de Beaulande, père d'Aymeri, Girard de
Vienne, Milon de Fouille et Renier de Gennes combattent, en
compagnie de Robastre, à côté des fils de Doon^.
Si Doon de Mayence devient, au point de vue généalogique,
le principal de tous ces personnages, la pensée des roman-
ciers n'en revient pas moins toujours de préférence aux vrais
héros du cycle. Ainsi, dans Aye d'Avignon, il est fait souvent
allusion à la parenté de Garnier de Nanteuil et des quatre
fils d'Aymes. Aubouin et Milon, qui, dans ce roman, sont fils
de Pinabel et n'appartiennent pas à la geste de Doon de
Mayence, s'écrient:
Vos estez de la geste des .un. fiz Aymon,
Qu'il getet a de France, et Maugis le larron-'.
Le roman de Gui de Nanteuil commence par une mention
pareille :
Oï avez de Aye, la bêle d'Avignon,
De Garnier de Nantueil, le nobile baron ;
Près fu de parenté Girart de Roussillon,
Et fu cousin germain Rcgnaut, le fix Aymon ''.
« H'^t lut. de la France, XXII, p. 393. — 2 Gaufrey, v 2541,
;• A'je d'AvUjnon, v. 160, cf. 331, 1312. —' Cf. v. 1665, suiv.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 65
Demême, dans le roman ûe Mmigi's, quand Beiives apprend
que Maugis est son fils, et qu'il écrit à ses parents :
Moult par fii esmaiez le riche ducRevon:
Il fet ses bries escrire à sou clerc Salemon.
Ses valles envoia sans nule arestoison.
L'uQ envoie à son frère Girart de Ronssilloû,
Et l'autre si ira à Nantueil, à Doon,
Et le tiers à Dordouae, clie iort au viel Ayinoii,
Le quart à Vantamise, à Renier le baron.
(Fol. 164 r« b.)
De prime abord, on ne voit pas trop ce que vient faire ici ce
Renier de Vantamise, qui ne figure ]>as sur la liste reproduite
plus haut. Est-il une contre-façon de Renier de Gennes, fils de
Garin de Montglane et père d'Olivier? Nous avons vu déjà le
nom de Hernaut de Gironde, fils d'Ajmeri, attribué à l'un des
fils supposés de Doon de Majence ; mais ce Hernaut, fils de
Doon, est appelé aussi Hernaut de Vantamise '.Qu'est donc
Vantamise ?
Dans la chanson de Jourdain de Blaf'vies, le fidèle Renier est
dit Renier de Vantamise. C'est bien le même mot, à une lettre
près, et l'on sait que Vu et Vn se confondent souvent dans les
manuscrits. L'on a cru reconnaître dans ce nom de lieu Tal-
mont, village situé près de Blaye^ Le personnage de Renier
paraît donc emprunté à la geste d'Amis et d'Amiles, et il le
doit sans doute à la notoriété de son dévouement envers le fils
de Girard et à l'importance du rôle qu'il a d'un bout à l'autre
de Jourdain de Blaivies.
Renier de Vantamise, quelle que soit sa première origine,
et bien qu'il ne soit porté ni sur la liste du Gaufrey, ni sur
* Gnufrey, v. 2541. Dans ce passage sont repris sans ordre les noms des
principaux descendants de Doon de Mayence.
- M. Koch, auleurd'un essai sur Joicrdain de fi/^U'/es (Kœnigsberg, 1875),
croit pouvoir identifier VaI[Vau-]ramise et TaJmont sur Gironde, s Cette
» localité est dite, en latin du moyen âge, Tainnus Burgus: en ajoutant à la
') syllabe radicale Tarn la terminaison ise et en la faisant précéder de Vai, de
■> même que dans l'épopée on place Mont devant Laon, on aurait notre Vau-
» tamise, et j'estime que, vu l'incertitude notoire et la corruption des noms
» de lieu dans les Chansons, cette dérivation n'est pas tirée de trop loin. »
P. 20.
ee RRCHERCHES
celle de Maugis, n'en est pas moins, dansées deux romans, un
fils de Doon de Majence, un treizième fils. Dans Gaufrey, lors
de la conquête des villes qui seront réparties entre les frères,
après la prise de Grellemont, les guerriers les plus vaillants
sont Hernaut de Beaulande, Girard de Vienne, Milon,
Renier le duc de Jennes et le petit Renier,
Qui fix estoit Doon, frère Gaiifrey le fier'.
Plus loin on conquiert Vantamise:
Si Font Renier donnée au petit le menour ;
Renier de Vantamise ot à nom puis chu jour^.
Dans Maugis et Gaufrey, il y a donc un treizième fils de
Doon, ce qui est en contradiction avec les deux listes données
dans ces romans. En comparant ces listes, on reconnaîtra que
celle de Maugis paraît la plus ancienne. Elle donne les noms
dans l'ordre suivant: Beuves, Girard, Aymes, Doon, Otlies,
Gaufroi, Grifes, Morand, Sevin, Ripeus, Peron, Hernaut. Les
quatre célèbres frères sont au premier rang, puis viennent les
personnages que l'auteur croit pouvoir leur adjoindre ; Her-
naut de Monder, dont il est probablement l'inventeur, arrive le
dernier. Sa liste ne s'étale pas en tête du récit avec la solennité
d'une pièce notariée ; elle s'j glisse discrètement, et c'est
Oriande qui la présente; or peut-on exigerqu'une fée ne dise
rien que de vrai? Je crois que Ripeu ou Rispeuset Renier de
Vantamise font double emploi ; chemin faisant, le trouvère ou-
blie qu'il avait inscrit déjàlenomdu père d'Anséis de Cartilage
et lui substitue celui de Renier. L'auteur de Gaufrey ?>emh\er■^ài
avoir emprunté la liste du Maugis, mi2às sans se rendre compte
de la raison de l'ordre suivant lequel les noms y sont placés;
et dans le cours de son récit, trompé par l'exemple de son de-
vancier, il aurait également introduit le personnage de Renier
de Vantamise.
L'hypothèse contraire paraît au premier abord également
admissible; mais il n'en est pas de même lorsque l'on remar-
que que Vivien l'Amachour est mentionné dans le Gaufvey ;
que, dans le Maugis et le T'Viven, Hernaut de Monder et Othes
1 V. 444U, s. —2 V. 4698, s.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 67
cFEspolice lui-même ont un rôle important, tandis que leurs
noms sont simplement cités dans le Gauf'rey, et encore avec
une confusion entre Hernaut de Girone et Renier de Vanta-
tamise'. Je verrais volontiers dans le Maugis le point de de-
part de la conception du cycle de Doon de Mayence, si la
liste d'Oriande donnait le nom du père des douze frères. Cette
omission est singulière. Vient elle de ce que ce nom était
assez connu pour qu'il ne fûtpns nécessaire de le dire ; ou plu-
tôt l'auteur lui-même, après avoir formé sa liste d'éléments si
divers, aurait-il hésité à achever son œuvre dans la crainte
que le nom qu'il proposerait ne déplût? Il serait possible, dans
un travail d'ensemble sur le cycle deDoon de Mayence, d'étu-
dier cette question et d'autres semblables. Il suffit ici de mar-
quer le lien que le Maugis établit entre l'histoire des Fils Ay-
mon et le cycle de Doon.
La moitié des personnages portés sur la liste due à l'érudi-
tion d'Oriande ne figure point dans l'action de Maugis et de
Vivien: Tony retrouve seulement Beuves, Aymes et ses fils,
Girard de Roussillon, Doon de Nanteuil, Othes d'Espolioe,
Hernaut de Monder. Sauf le dernier, ces noms sont déjà dans
Renaud de Montauban'^ . Quant à Renier de Vantamise, peu habi-
tué, semble-t-il, à une parenté qui lui est nouvelle, il oublie
de répondre à l'appel de Beuves.
Maugis est donc fils de Beuves d' Aigrement et de la du-
chesse, fille d'Hernaut de Monder ou de Gironde ; il est le
cousin des fils d'Aymes comme de tous les petits-fils de Doon
de Mayence. L'auteur a donné à Hernaut deux filles: la du-
chesse d'Aigremont et Ysane, qui est enlevée, puis épousée
par le roi Aquilant de Maiogre (Majorque).
J) ans Renaud de Monfauban, les courtes indications qui se-
raient de nature à faire regarder Maugis comme fils de Beuves
n'arrivent que tard dans la suite du récit, incidemment et de
manière à faire douter de leur ancienneté^. Dans la première
1 L'auteur sait mal sa liste. Au vers 1753, on trouve un Foucon aunomi^re
des fils dont Doon de Mayence regrette de s'être séparé.
2 P. 115, on trouve un Oto7i de Police à la cour de Charles.
■'Je parle, bien entendu, du Renaus de Montauban publié par M. Miclie-
lan!, car le texte du ms. de Montpellier en diffère ici comme en bien d'autres
endroits. Je reviendrai sur ce sujet à la fin de l'analyse du Maugis.
68 RECHERCHES
partie du roman, qui est une chanson de geste bien distincte,
la M07H de neuves, il n'est dit en aucun endroit que Beuves
ait un enfant. Ni quand la duchesse essaye de le détourner de
mal accueillir Lobier, ni plus tard quand son corps est rap-
porté à Aigremont, il n'est fait d'allusion à son fils Maugis.
Dans l'histoire proprement dite des fils d'Ajmes, il faut passer
toute la première partie avant que ce nom soit prononcé.
Maugis entre dans l'action quand Renaud et ses frères vien-
nent à Dordonne avant de partir pour la Gascogne. Pour les
accompagner, il interrompt ses larcins. Dès lors il est qualifié
le plus ordinairement de cousin des fils d'Aymes, sans que l'on
insiste davantage sur l'origine de cette parenté. La plupart
du temps, une simple épithète accompagne son nom. Il est dit
tour à tour par ses amis : lerre, faé, séné, le bon larron
prouvé, le ber, le courtois, l'aduré, le nobile baron; et par
ses ennemis : traître, larron desfaé, tirant. On fait ressortir
volontiers les deux principaux traits de son caractère:
Mult par fu preus Maugis et de mult grant renon ;
N'avoit tel chevalier jusqu'en Carfanaon,
Fors Renaut, son cousin, ki tant fu de hait non,
Ne plus aiaistre laron desi el pré Noiron^
Mais on n'associe pas le nom de son père au sien. Si, dès
l'origine, Maugis eût été accepté comme fils de Beuves, le
ressentiment de la mort de son père aurait été la principale
des raisons de son alliance avec ses cousins, et son entrée
dans Faction eût été mieux motivée. Les quelques passages
oîi la parenté de Maugis est définie avec une certaine précision
arrivent tard et ne satisfont pas.
Il dit aux fils d'Aymes :
Vos iestes mi cousin, près nos apartenou ^
Alard donne un détail de plus :
cosins Maugis, ne nos contraliez,
Vos estes dema jeste, fils mon oncle le fier ^.
Mais on ne sait encore de quel oncle il s'agit. Charles reste
dans le même vague quand il dit à Renaud :
1 Ed. Michelant, p. 138. — - P. 201. — ■■> P. 212,
SUR LES CHANSONS DE GESTE 69
Vos me rondres Maugis, vo cousin naturel '.
Maugis dit à l'empereur, en l'attaquant;
La mort Buef d'Aigremont vos voirai demander-.
On ne comprend pas qu'un fils se borne ainsi à une simple
allusion. Ici, comme dans tout le roman, Maugis soutient con-
tre Charles la querelle de ses cousins plutôt que la sienne.
Lorsque Renaud refuse à Charlemagne de s'engager à lui
livrer Maugis, songe-t-il à parler d'une parenté quelconque?
Maugis est mes secors, m'esperance et ma vie,
Mes escus et ma lance et m'espée forbie.
Mes pains, mes vins, ma charz et ma herbergerie.
Mes serganz et mes sire, mes maistres et ma vie,
« Et s'est mes deffensiers vers tote vilonie^.
11 plaide la cause d'un ami dont l'aide lui a été infiniment
utile.
Je concevrais volontiers l'histoire de la légende des Fils Aj-
mon de la façon suivante. Il j aurait eu d'abord deux chan-
sons de geste distinctes, l'une différant peu de la Mort de
Beuves d'Aigremont, telle qu'elle est conservée dans les plus
anciens manuscrits; l'autre ayant pour. sujet la lutte des fils
d'Avmes de Dordonne contre Charlemagne. Celle-ci n'allait
pas plus loin que la prise de Moutessor et la fuite des fils
Ajmon, qui trouvaient peut-être déjà un asile à la cour des
ducs de Gascogne. Un trouvère voulut compléter cette chan-
son en imaginant une seconde guerre des Fils Ajmon contre
l'empereur. Le lieu de l'action est en Gascogne; le siège de
Montauban succède à celui de Montessor. Je crois qu'il faut
attribuer à l'auteur de cette continuation l'introduction de
Maugis dans la légende des Fils Ajmon. 11 craignait que la
seconde partie du récit ne ressemblât trop à la première, et
il j a donné un des principaux rôles à un personnage très-ca-
pable d'intéresser par ses talents surnaturels et son activité
ingénieuse; mais sûrementil s'est inspiré d'une tradition déj'i
existante. La haine implacable de Charlemagne pour Maugis,
• P. 288. — - P. 293. Le nis. de Monipellier donne «vous feroi compe-
rer », mais celte version tient compte du Maugis d'Aigremont. — 3 p_ 337^
70 R'- CHERCHES
racliarnement avec lequel il le réclame au point d'oublier ses
griefs les plus légitimes, les causes vraies de la guerre, c'est-
à-dire les meurtres de son fils Lohier et de Bertolais, me sem-
blent absolument inexplicables si l'on ne suppose qu'entre
Charles et Maugisil y avait guerre ouverte depuis longtemps.
Maugis et Bayard obsèdent la pensée de l'empereur, et il re-
fusera jusqu'au bout de se réconcilier avec eux. Ne pouvant
mettre la main sur Maugis, il voudra satisfaire sa rancune sur
Bajard ; mais celui-là, comme Maugis, lui échappera encore :
leur nature les protège contre ses vengeances. C'est un ad -
versaire de l'empereur qui vient donner son aide aux fils A}'-
mon au moment où ils sont forcés de s'exiler, et son attitude
ordinaire sera plutôt celle d'un allié fidèle que d'un parent. Il
y a dans la geste du Roi un voleur et enchanteur, Basin, qui
sert les intérêts de Charlemagne. Maugis a dû avoir le rôle
contraire ; mais il n'en restait qu'un souvenir confus, ce qui
explique l'absence d'allusions précises à un récit antérieur. On
entrevoit seulement un lutin rusé, taquinant et tourmentant
le chef des Francs et lui faisant la vie dure, se présentant à
lui sous les déguisements les plus divers, le volant, le raillant,
puis disparaissant sans laisser de traces, mais bornant là ses
entreprises, plus impatientant que réellement dangereux'.
C'est en revenant de son pèlerinage à St-Jacques de Galice
que Charlemagne passe devant Montauban, et songe à repren-
1 M. Rajaa emploie les mots « neckisch, schelraisch », pour définir le ca-
ractère des tours que Maugis joue à l'empereur, et cette appréciation est très-
exacte; mais je n'entends pas comme lui le vers:
Il ne volt pas que Karles soit à lui aïrés.
(Ed. Michelant, p.330.)
Maugis comprend que cette fois, en livrant Charles endormi à ses ennemis,
il a dépassé les bornes de la plaisanterie permise. Son droit n'allait pas jus-
que-là. Dès lors, il n'intervient plus dans la lutte. V. Oi'ii) . d. Ep. Fr ,
p. 435 et note, p. 438, note.
M. Rajna n'accepte pas l'opinion de Simrock [Deutsche Mythologie, §125,
p. 430, 4* édition), qui voit dans Maugis une transformation d'Elegast. Cepen
dant, si l'on remarque qu'Elegast ou Basin était l'ennemi de Charles avant
de lui rendre les services rapportés dans divers romans, on sera moins éloigné
d'accueillir l'idée d'une parenté entre Basin et Maugis. V. Rajna, op. t.,
p. 433-431. Cf. G. Paris, Ilist. poétique de Charlemaçine, p. 315-322.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 71
dre la guerre contre Renaud et ses frères. Ce détail ne me
paraît pas une addition postérieure ; il fait corps avec le reste
de la narration; j'en induirais que cette seconde forme de la
légende ne remonte pas au delà de la date de la composition
de la Chronique de Turpin, qui est de la fin du XPou du com-
mencement du XIP siècle.
Le Renaud de Montauban qui nous est parvenu me semble
représenter une troisième époque. La Chanson de geste s'al-
longe du récit du pèlerinage de Renaud à Jérusalem, de son
retour et de sa fin. Maugis, qui avait quitté ses cousins après
leur avoir livré Charlemagne, revient leur dire adieu avant
de partir pour la Terre Sainte. Les deux cousins se retrouve-
ront ensemble à Constantinople, Cette version a été publiée
par M. iVIichelant. C'est elle que j'ai déjà comparée souvent
et que j'aurai encore à comparer avec les textes du manu-
scrit de Montpellier. Un roi chrétien règne à Jérusalem et ré-
siste péniblement aux attaques des mahométans. Maugis n'y
apparaît encore qu'après la prise de Montessor, et, fait digne
de remarque, le «larron faé » a beau se faire accepter dans le
monde des nobles chevaliers, il n'en reste pas moins sans
terre et sans cri de guerre particulier Dans la bataille, son
cri n'est pas Aigremont, mais Montauban. C'est un aventu-
rier.
Le texte de Montpellier donne une quatrième époque. La
Chanson de geste y tourne au roman d'aventures. On a vu quel
développement y prend le récit du pèlerinage. Le nom du
frère de Saladin, Seyfeddin, indique à quelle date peut re-
monter cette version. Les antécédents du sujet sont complétés
par la composition du Maugis d' Aigremont et du Vivien de
Monbranc ; le personnage de Maugis est indiqué dès le com-
mencement de l'histoire des Fils Aymon. Le trouvère ne se
borne pas à des additions; il abrège en plusieurs endroits l'an-
cien texte, dont ildiminue l'importance et modifie le caractère
au profit de ses propres inventions. Comme date de composi-
tion, on peut accepter le commencement du XIIP siècle. Je
ne serais pas éloigné d'admettre que le copiste du texte im-
primé par M. Michelantait connu ce remaniement'. J'aurai à
' C'est une supposition fondée sur les mots relevés déjà: « vous êtes de
72 RKCHËRCHKS
revenir sur les rapports étroits du Maugis d'Atgremont, du
Vivien de Monhranc et de cette quatrième forme de la légende
des Fils Ajmon : ces trois compositions me paraissent l'œuvre
d'un même auteur.
Le trouvère a donc le droit de prétendre que les autres jon-
gleurs ont négligé ce qu'il va raconter: l'enfance de Maugis.
Mais, en le plaçant dans la même geste que les fils d'Aymes. il
ne s'écartait pas de la forme précédente : Maugis était accepté
déjà comme le cousin de Renaud, et il était tout naturel de
lui attribuer pour père Beuves d'Aigremont, qui était mort
sans enfants, et dont la sombre figure domine en quelque sorte
l'histoire des Fils Aymon. Ainsi la logique des choses, par une
évolution insensible, donnait successivement un corps, une
famille, un titre de noblesse, à un personnage qui, pour s'être
mêlé trop souvent des affaires de l'humanité, était condamné à
devenir de plus en plus homme. Comme conclusion dernière,
Maugis, une fois vieux, regrettera son passé et finira ses jours
dans un ermitage. L'on est loin de la mythologie germani-
que.
Restait à expliquer le côté merveilleux de la légende des
Quatre Fils Aymon. Ce merveilleux, résulte du rôle de Maugis
et des dons surprenants de Baj^ard. Supprimez ces deux per-
sonnages et vous aurez la plus classique des chansons de geste.
Le trouvère n'avait qu'à écouter ses contemporains: les ré-
cits bretons étaient dans toutes les bouches; il n'était bruit
que des aventures d'Artus, de Tristan, de G-auvain, de Lancelot,
des amours de Genièvre et d'Iseult. Pourquoi eût-il hésité à
puiser à ces sources si accessibles et si fécondes? Un autre
trouvère n'a-t-il pas dit:
Li conte de Bretaigne sont si vain et plaisant ' ?
L'auteur du Maugis connaissait l'histoire de Lancelot; il sa-
vait comment le fils du roi Ban et ses cousins Lionel et Bolior
avaient été recueillis et élevés par Viviane, la Dame du Lac,
l'amante perfide de Merlin. D'après lui, la duchesse d'Aigre-
ma gesle, mon cousin naturel, fils de mon oncle le fier. » Le nom de Vivien
lui-même, on le verra plus loin, a été de bonne heure introduit dans ce texte.
1 .\u commencement de la chanson des Sesnes.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 73
mont a deux fils qui sont destinés à lui être ravis dés leur ve-
nue au monde. Elle met à l'oreille droite de chacun un anneau
d'or, ce car, nous dit l'auteur, c'est la coutume de ce pays. »
Puis il ajoute qu'un de ces anneaux est garni d'une pierre qui
est une protection sûre contre les démons. Ce détail est "em-
prunté du soin que prend la Dame du Lac de donner à Lan-
celot, quand elle se sépare de lui, un anneau qui conjure tous
les sortilèges et qui ne sera pas inutile au chevalier dans
l'aventure du Val sans retour^. Pendant le combat qui a lieu
entre les chrétiens et les Sarrasins, un espion (Tapinéas, ou
Lapinéas, ou Lapiniaus) s'empare de l'aîné des enfants et le
porte à Monbranc, où l'épouse de l'amiral Sorgalé,Esclarmonde,
l'achète, se charge de lui et lui donne le nom de Vivien:
« Par Mahommet, dist ele, qui ma vie a sauvée,
» Or ait nom Vivien par bonne destinée -. »
Le nom de Vivien existe déjà dans les chansons de geste,
c'est celui du neveu de Guillaume d'Orange, du jeune héros
d'Aliscans; pourquoi notre trouvère l'a-t-il donné au frère
<iu'il attribue à Maugis? Sans doute parce que c'était un des
plus illustres, des plus retentissants, peut-être parce qu'il em-
pruntait aux Enfances Vivien l'idée de faire élever l'un des deux
frères chez les Sarrasins, ou bien encore par une sorte de
réminiscence du nom de Viviane. Toujours est-il que Vivien
d'Aigremont prend dès lors son rang parmi les paladins. Des
textes anciens du Renaud de Montauban l'acceptent. Lorsque
Ogier, dans sa querelle avec Roland, se vante du lignage dont
1 Dans Gaiifrey, Églantine donne à Robastre un anneau possédant des
vertus pareilles :
La pierre a tel vertu que qui la portera,
Anemi ne maufé ja ne 11 méfiera,
Ne en feu ne en eve son cors^ne périra.
(V. 7801, s.; cf. 7865, s,)
2 V. 229. Dans Huo7i de Bordeaux, Esclarmonde est la fille de Gaudisse,
l'amiral de Babylone, et Monbranc est la cité d'Yvorin, frère de Gaudisse.
Elle est située en Orient, non loin de Babylone et d'Aufalerne, d'oiiHuoa s'em-
barque pour Brindes quand il a reconquis Esclarmonde. Dans Bofo d'Antona,
la ville d'où s'enfuient Bovo et Drusiana est Monbrand ; mais ce nom, dans
lesReali, est remplacé par celui (]e Polofiia.
74 RECHERCHES
il est issu, il nomme son oncle Beuves d'Aigremont et un
cousin, qui, d'après la comparaison des manuscrits, ne peut
guère être que Vivien :
« Vivien d'Aigremont fu mes prociens cousins*.»
C'est évidemment une addition au texte primitif; mais cette
interpolation est très-ancienne.
Dans un passage de Gaufrey où il est longuement parlé des
destinées des descendants de Doon de Mayence, après les
noms des fils d'Ajraes, de Maugis le larron, de Beaudouin de
Flandres et de Raimbaut le Frison, arrive
Vivien l'amachour qui moult ot de bontés 2.
Dans Simon de Pouille, Vivien d'Aigremont figure au nom-
bre des barons qui forment la cour de Charlemagne. Dans un
tournoi, il joute avec Olivier^. Mais il apparaît trop tard dans
' L'édition de M. Micheiant, (p. 215) donne « Unnaus d'Aigremont »; mais
il est dit en noie que le ms. B. (Bibl. nationale, 775} a « Viviens. » Le ms.
de Montpellier H 247 a tout naturellement* une leçon plus décisive encore:
«Vivien de Monhranc iert mon cousin germain. » Fol. 196, vo a. On sait
qu'entre unnaus et viviens la confusion est très-facile, car il n'y a de diffé-
rence réelle qu'entre l'a et l'e.
2 V. 2553. 11 y figure aussi dans la généalogie ; mais le vers où son nom
est cité n'est pas, nous l'avons remarqué plus haut, à laplace qu'il doit occu-
per. — Dans la généalogie des Reali, outre le Vivien delV Arrjiento, fils de
Guérin d'Ansidonie (Garin d'Anséune) et petit-fils d'Aimeri de Narbonne, nous
trouvons un Vivien délia faccia grifagna, fils d'Arnaud de Gironde, et enfin
Vivien fils de Beuves d'Aigremont, dit Vlvianodal liabon. Ces qualifications
singulières, destinées sans doute à distinguer les homonymes qui se multi-
pliaient, sont dues à l'auteur des Reali.
•' V. l'analyse de ce roman dans la préface de Fr. Michel à son édition
de Charlemagne , et dans les Ep. y^ationales de M. Gautier, 2^ éi., t. lll,
p. 347. C'est dans Simon de Pouille que Bernard de Clermont figure au
nombre des douze pairs. Les romans qui ont le lieu de leur action en Italie
ou quelque autre lien avec ce pays (ici le nom du fief de Simon) ont eu une
infiuence particulière sur la constitution des légendes et des cycles de l'épo-
pée chevaleresque italienne. Nous en avons ici un exemple. Les auteurs ita-
liens, on Ta remarqué souvent, n'ont pas accepté Doon pour ancêtre de la
geste de Mayence. La raison en est, sans doute, dans la popularité du Beuves
d'Ilanstone, on le traître est précisément un Doou d(; Mayence. Il y avait lieu
à équivoque. L'auteur du Doon de Maience le reconnaît lui-même. Après
SUR LES CHANSONS DE GESTE 75
notre littérature épique, et, bien qu'il ait une chanson de
geste particulière, la place qui lui est faite est petite. Il y avait
trop de grands noms anciens pour qu'il pût sortir du demi-
jour où, dès sa naissance, il nous apparaît à côté de son frère.
Notre trouvère a eu beau lui donner une vigueur et une vail-
lance qui ne sont surpassées par aucun : pour qu'il reste en
évidence, il lui manque dès le premier jour une physionomie
vraiment originale. Ce n'est qu'un nom de plus.
Nous avons déjà dit qu'Ysane, sœur de la duchesse, est
enlevée par Aquilant de Maiogre, qui l'épouse. 11 en aura un
fils, Brandoine, plus tard roi de Valfondu.
Le second enfant a été enlevé par une esclave qui veut
revenir « à Palerne, d'où elle fu robée. » Elle passe la mer
« sans nef et sans dromon' » ; mais, s'étant arrêtée sous Vépine
à la fée pour se reposer, elle est déchirée par un lion et un
léopard. Cette proie ne suffit pas aux deux animaux farouches,
et ils dévoreraient aussi le petit enfant, s'ils ne commençaient
par se le disputer. Tous deux succombent après une lutte
acharnée. Ce récit peut être rapproché de la lutte du lion et
du tigre devant l'enfant Doon"-;mais il est beaucoup plus court.
avoir dit qu'il y a ea plusieurs Charles à Paris, plusieurs Aymeri à Narbonne,
maiût Guillaume à Orange, il ajoute:
Chil Do dont je vous chant, qui chest fet a empris
Contre le roi Kalloa et qui s'est aatis,
Chea ne fu pas chil Do, le traître faillis,
Qui Beuvon de Hantonne cacha de son pais,
Le raari Josïane, la bien feite au clervis.
(V. 6653, s.)
On comprend qu'on ait préféré, pour la geste des loyaux chevaliers, un autre
héros éponyme. Le nom de Bernard de CIermont,se rencontrant dans Simon
dePouille. rappelant la ville où avait été résolue la première croisade, n'étant
revendiqué d'ailleurs par aucune tradition importante, il était tout simple de
le prendre. Telle me semble être l'origine du nom de la geste de Clermont.
Pour les généalogies données par le Fioravante et les Reali, v. P. Rajna,
i Reali di Francia, p. 265 s., et les tableaux à la fin du volume.
1 V. 979. L'auteur est surpris lui-même de la facilité avec laquelle Fesclave
se rend d'Aigremont à Palerme. V. v. 234.
2 Doon de Maience, v. 1474-1650. La lutte des deux animaux sauvages
était devenue un pur lieu commua. Ici, pour que la forme antique fût ob-
servée, l'enfant devrait être enlevé par un lion ou un griiïon bienfaisant, qui
76 RECHERCHES
et a de plus le mérite qu'il est étroitement lié à l'action. C'est,
en effet, grâce à l'abandon de l'enfant sur le sol qu'il est ren-
contré par la fée Oriande. Elle le prend sur ses genoux et le
caresse.
Le lieu où l'esclave s'est arrêtée est dit fespine à la fée, en
souvenir de l'endroit où Viviane obtient de Merlin qu'il lui
communique ses derniers secrets: « Tant qu'il lor avint un jor
» ({u'il s'aloient main à main déduisant par la forest de Brios-
wque; si trouvèrent un buisson d'aubes épines, ha.u.t et he\, tout
» charchié de flors. Ils s'assistrent dessouz, etc. '.» Ces fleurs
d'aubépine sont bien aussi pourquelque chose dans le nom de
Rocheflour donné au château de la fée.
Survient un neveu de la fée qui lui révèle que cet enfant est
fils du duc d'Aigremont. Espiet, ainsi nommé parce qu'il fait
souvent le métier d'espion, est un nain, haut de trois pieds,
âgé de cent ans. 11 court
plus de randon
Que cheval espanois ne mulet arragon.
Ce personnage, tout en étant un «folet séné», un magicien
à ses heures, prend part aux batailles avec autant de courage
et de vigueur que le meilleur chevalier^.
La fée remonte sur son mulet Misaudour et revient à Ro-
cheflour. Là, elle fait baptiser l'enfant et l'appelle Maugis(mal
gisant)
Pour chen qu'il l'ont trouvé u bois à la verdour.
Donc Maugis est élevé par les fées, comme Lancelot auprès
de Viviane. Baudri, frère d'Oriande, qui avait appris à Tolède
l'art des enchantements, est chargé de l'instruction de Fen-
fant. Quand Maugis atteint l'âge d'homme, la fée l'adoube
chevalier et en fait son ami.
l'aurait sauvé des alteinles de quelque bête cruelle; mais le trouvère a mieux
aimé faire intervenir la fée Oriande. Cf. P. Rajua, Or. d. Ep. Fr., p. 44S-
4 i<.).
I P. Paris, R. d.l. T. «., H, p. 184.
- U réunit doncles talents de Galopin, de Picolet, de Maubrun d'Aigremolee.
V. P. Rajna, Or d. Ep. Fr., p. 432-433 (ce Maubrun ne dériverait-il pas lui-
même de Maugis d'Aigrement?); — mais, de plus, il est beau comniti .\uberon.
Nous le verrons à l'endroit où il se présente à Charlemagne.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 7T
Ainsi le trouvère a rempli deux de ses promesses: nous sa-
vons de qui est né Maugis et de qui il tient sa science d'en-
chanteur. Restait à faire connaître les origines de Bayard et
de Froberge.
Rocheflour, le château de la fée, est situé, paraît-il, en Si-
cile, non loin du Mont Gibel ou de l'Etna. En se promenant
sur le bord de la mer avec son amie, Maugis aperçoit une île
d'où s'élève une grande fumée. « C'est Bocan, lui dit la fée,
d'où nous vient le soufre.» Elle lui apprend alors l'existence
du cheval faé, qui est né de l'accouplement d'un dragon et d'un
serpent. Il est gardé par un diable horrible, Raanas.
L'éloge qu'Oriande fait des qualités du cheval faé donne à
Maugis l'idée d'en devenir le maître. Malgré les objections de
son amie, il tentera l'entreprise. Il revêt un déguisement très-
compliqué, formé d'une peau d'ours et d'un cuir de boeuf, sur-
monté de deux cornes et se terminant par une queue de re-
nard. Il emporte son épée et un croc de fer. Ainsi équipé, il se
rend en bateau à Bocan.
Ses cris font sortir le diable Raanas de son four. Le dégui-
sement de Maugis lui semble très-beau, ses vanteries lui plai-
sent, et il laisse celui qu'il croit un confrère s'approcher et
l'enchanter. Mais les choses se passent moins bien avec le
grand serpent Dispeus. Maugis est descendu dans la caverne
du monstre ; il en triomphe après une lutte longue et acharnée ;
mais la nuit est venue, et il est forcé d'attendre le jour au
milieu de toutes sortes d'animaux étranges, pendant que le
feu du volcan et les hennissements de Bayard ébranlent l'île
entière ^
Le jour venu, Maugis conjure le dragon et s'approche de
Bayard; mais celui-ci, effrayé par le singulier costume qu'il
porte, se démène avec fureur. Maugis dépose son déguisement
et apparaît avec son bliaut brodé d'or: Bayard se rassure et
s'agenouille humblement devant le chevalier, dont il sera dé-
sormais le serviteur fidèle. Maugis prend le coursier par le
frein d'or et le mène au grand jour".
1 Maugis, au milieu de ces reptiles, rappelle Gauvaio dans la Tour dou-
loureuse de Karadoc. V.P.Paris, R. d. l. T. R., IV, p. 263, s,
2 «La versioue divulgalasi in Italia, che su per giù, dev' essere quella del
5
78 RECHERCHES
Bocan est Vidcano, une des principales îles Lipari, l'an-
cienne Hiera. L'on y exploite encore le soufre. Toutes ces îles
sont volcaniques. Dans celle de Stromboli est le volcan du
même nom, qui jette de la fumée et des flammes continuelles.
Les indications géographiques du trouvère sont donc d'une
exactitude suffisante; mais d'où lui est venue la pensée de pla-
cer Rocheflour dans les vallées de l'Etna, et pourquoi la fée
Oriande et le cheval Bayard se trouvent-ils dans un pays si
éloigné des forêts de Brocéliande et d'Ardenne?
On sait que de bonne heure Artus, frère de la savante Mor-
gain, fut regardé comme régnant sur le pays de féerie, dont
les limites se déplaçaient et reculaient au gréde l'imagination
des romanciers et du peuple:
II a des lieux faés es marches de Champagne,
Et aussi en a il en la Roche grifaigne,
Et si ci'oi qu'il en a aussi en Alemaigne,
Et ou bois Bersillant par desous la montaigne,
Et non pour quant ausi en a il en Espaigne,
Et tout cil leu faé sont Artu de Bretaigne * .
Donc, si une légende ancienne a transporté Artus en Sicile
et lui a donné le mont Etna pour séjour, il n'y a rien d'éton-
nant à ce que les fées l'y aient suivi et que tout le merveil-
leux de la Bretagne s'étale sous le ciel de Messine et de Pa-
lerme. Or une telle légende a existé, nous en avons plusieurs
témoignages.
Au commencement du XIII" siècle, nous trouvons le récit
suivant de Gervais de Tilbury. Un ôertain jour, le palefroi de
l'évoque de Catane s'étant échappé, le garçon d'écurie le pour-
suivit dans les vallées du mont Etna, que les habitants nom-
» Maugia francese, porta che Bajardo sia il cavallo d'Achille, incantato dalla
" madré in una cavRruaalla morte dell' eroe. Di là lo trarrebb.? Malagigi per
» l'arne donoal cugino. Quesl' incanto nella caverna mi pare aver parentcla
>i colle note Iradizioni intorao ad Uggeri, Carlo, Frederico Barbarossa. Anche
» Scheming, il cavallo di Wittich, provieue vo?i dem berge, giusta un allu-
» sione di un Rosengarten (Grimm, Heldcnx, p. 196); ma si traita di lutl'
» altro. )) P. Rajna, Or. d. Ep. Fr., p. 447, n. 1. M. Rajna renvoie à son
étude sur Rinaldo da Mo7itaUjano, sur laquelle je reviendrai quand je traite-
rai de ce roman italien.
' Hist. littéraire, XXII, p. 349, dans l'analyse de Brun de la Montagne.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 79
ment mont Gibel. Il arriva ainsi « aune vaste plaine remplie
» de délices de toute espèce ; et là, dans un palais construit
«avec un art merveilleux, il vit Arthur étendu sur un lit d^une
«magnificence royale. Arthur, apercevant l'étranger et lui
» ayant demandé le motif de sa venue, n'en fut pas plutôt in-
» formé qu'il fit amener le palefroi perdu, et le fit rendre au
» garçon pour que celui-ci le ramenât à l'évêque. Arthur ra-
» conta alors qu'il se trouvait là depuis longtemps, malade de
» blessures qui se rouvraient tous les ans, et qu'il avait reçues
«dans une bataille contre son neveu Modred et contre Chil-
))déric, chef des Saxons*. » Gervais de Tilbury avait voyagé
en Italie et connaissait particulièrement la Sicile, où vers 1190
il avait été au service du roi Guillaume*.
Cent ans plus tard, Césaire de Heisterbach donne une va-
riante de ce conte. Lors de la conquête de la Sicile par l'em-
pereur Henri (1294), le palefroi d'un doyen de l'église de Pa-
lerme (in ecclesia Palernensi, Pa/erne, d'après l'usage français
du moyen âge) se perdit dans le mont Etna. Le serviteur qui
est allé à sa recherche rencontre un vieillard qui lui apprend
que le cheval est dans le mont Gyber, où Artus (Arcturus) le
retient. Il lui enjoint de faire savoir à son maître qu'il ait à se
rendre dans quatorze jours àla cour solennelle du roi (curiam
sollennem, court pleniere). Le doyen, ayant dédaigné d'obéir
à cette invitation, tomba malade au jour fixé et mourut ^.
1 Cité d'après Fauriel, Dante et les Origines de la langue et de la litté-
rature italiennes, I, p. 289-290. Fauriel est, que je sache, le premier qui ait
remarqué cette légende ainsi que d'autres relatives aux traditions d'origine
clievaleresque qui out été conservées en Italie. Elle est tirée des Otia impe-
rialia, sec. decisio, Leibniz, Scriptores rerum brunsvicensium, 1,921. M. G.
Paris l'a rappelée dans son article la Sicile dans la littérature française,
Rornania, V, p. liO. Cf. l'itrè, le Tradizioni cavalleresche popolari in Si-
cilia, Bomania, XII, p. 391. — M. Graf, dans le Giornale storico délia let'
teratura italiana,N, p. 80-130, a publié récemment, sous le titre A'Appunti
per la storia del ciclo brettone in Italia, un remarquable article où, entre
autres choses, la légende d'Artus en Sicile est traitée d'une façon complète.
Ce travail m'a été très-utile.
2 M. Graf, /. /., p. 87.
3 Caesarius von Heisterbach, Dialogus miraculorum, éd. Strange, 1851,
Bistiyictio XII, c. 12.
80 RECHERCHES
Quand les auteurs latins du moyen âge faisaient des em-
prunts aux légendes poétiques de leur temps, ils les gâtaient
le plus souvent par la lourdeur do leur stjle, le caractère mo-
nacal de leur imagination, enfin par pur pédantisme. C'est le
cas, entre autres, du Pseudo-Turpin et de l'auteur latin du
voyage de Charlemagne en Orient. Il est donc probable que
nous n'avons ici que la reproduction infidèle et décolorée
d'une narration d'un trouvère normand. On l'a dit avec rai-
son, les Normands, quand ils arrivèrent en Sicile, furent tel-
lement surpris de la beauté du pays, qu'ils s'imaginèrent y
retrouver l'île délicieuse d'Avalon, où, suivant Geofroy de
Monmouth, Morgain avait transporté Artus blessé ' . Mais c'est
précisément l'absence de Morgain et de ses compagnes dans
ces deux contes qui avertit qu'il y a eu une suppression vou-
lue. La présence d' Artus dans l'Etna n'a de sens que si les
fées ont transporté sur les sommets de la haute montagne le
séjour où elles recueillirent le roi vaincu et mourant. Ce que
la tradition latine avait omis, la tradition populaire l'a con-
servé, et le nom de la fée Morgane désigne encore une sorte
particulière de mirage qui se produit souvent dans le détroit
de Messine.
Ce n'est donc point l'auteur du Maugis d' Aigremont qui a
eu le premier la pensée de transporter en Sicile le royaume
de féerie. Il suit une légende antérieure. Il accepte sans hési-
tation aucune et comme chose déjà connue qu'Oriande et ses
compagnes ont leur demeure habituelle dans ce pays, au mont
Gibel. Les fées qui avaient élevé Lancelot étaient mieux dési-
gnées encore pour instruire un futur magicien ; et où pouvait-
on plus naturellement trouver le cheval faé, l'étrange Bayard,
qu'aux portes de l'enfer, dans un volcan gardé par un démon
et des monstres affreux? S'il a préféré Bocan au mont Gibel,
c'est sans doute pour dissimuler son emprunt et faire parade
de ses connaissances géographiques. En réalité, Maugis fait la
conquête d'un des destriers d' Artus. Au fond des récits latins
que nous avons cités, on reconnaît la croyance à l'existence
dans la montagne de palefrois appartenant au roi et à sa cour^
' M. Graf, l. Z.,p. 96.
1 CeLte idée paraîtra toute naturelle, si l'on rapproche desiégemles rappoi*-
SUR LES CHANSONS DE GESTE 81
Nous avons jusqu'ici constaté deux données empruntées
p^r notre trouvère au cycle d'Artus : les Enfances de son hé-
ros, le lieu où celui-ci est élevé par les fées. Mais Fauteur du
Maugis d' Aigremont n'est pas le seul qui ait ainsi associé les
Enfances de Lancelot et la légende sur le mont Gibel. 11 y a
dans notre littérature épique un poëme qui commence de la
même manière et se rattache aux mêmes origines: c'est Flo-
riant et Florète. Ce poëme, composé peut-être au XIIP siècle,
plus probablement au XI Ve siècle, n'est pas une œuvre origi-
nale, car tout ou presque tout y semble emprunté aux précé-
dents romanciers et aux dernières chansons de geste; mais il
est bien écrit, d'une lecture agréable, et, comme on l'a remar-
qué', il donne les antécédents des légendes qui placentArtus
en Sicile. Le mont Gibel y devient une sorte de royaume en-
chanté, séjour ordinaire de Morgain et de ses compagnes.
Le récit commence avant la naissance du héros. Elyadus,
roi de Sicile, est tué par le traître Maragot. Celui-ci veut
épouser la reine ; mais elle parvient à s'enfuir avec un vassal
fidèle qui la conduit chez lui à Monréal. Pendant le voyage,
la reine est prise des douleurs de l'enfantement et se délivre,
dans un bois, d'un fils que ses quatre chambrières recueil-
lent. Mais trois fées de la mer viennent à passer, en retour-
nant «du déduit» à leur retraite habituelle. La première
tées par Gervais et Césaire un autre passage de Gervais cité par M. Graf et
qui fait suite immédiatement à celui que Fauriel avait remarqué. « Sed et in
» sylvis Britanniœ majoris aut minoris consirailia contigisse referuntur, nar-
» rantibus nemorum custodibus, quos forestarios, quasi indaginum ac viva-
» riorum ferinorum aut regiorum nemorum, vulgus nominat, se alternis die-
1) bus circa horam meridianam et in primo noctiura conticinio sub plenilunio
» luna lucente, saepissime videre militum copiam venantium et canum etcor-
» nuum strepitum, qui sciscitantibus, se de societate et famiiia Arturi esse
» dicunt. » — jM. Graf (Z. /.) rappelle que l'on nourrissait des chevaux sur
les pentes de l'Etna. Ne pourrait-on pas supposer qu'à des imaginations rem-
plies des légendes bretonnes, il a suffi d'un ciieval égaré et hennissant la nuit
dans les vallées pour que l'on ait cru entendre passer sur la montagne le
cortéfce d'Artus?
1 Floriant et Florète a été publié en 1873 par Fr. Michel, à Edimbourg,
pour le Roxburgh Club. L'édition n'a pas été mise dans le commerce, et,
comme M. Graf, je ne puis parler de ce roman que d'après l'analyse, d'ail-
leurs suffisamment complète, qui en est donnée dans VHistoire littéraire,
XXVill, p. 139-179.
82 RECHERCHES
était Morgain. Elles enlèvent l'enfant et le portent au château
de Mongibel, où il est baptisé sous le nom de Floriant, nom
que l'on trouve déjà dans la geste de Gui de Bourgogne, dans
Gui de Nanteuil, dans Ogier le Danois.
Morgain mit Floriant sous la direction d'un maître qui lui
enseigna « les set ars », les jeux de tables et d'échecs, la
chasse aux chiens et aux oiseaux:
Toute rien qu'apent à franc homme
Li a apris; ce est la somme.
Quand il eut quinze ans, Floriant voulut, à l'exemple de Lan-
celot, savoir qui lui avait donné naissance. La fée se contente
de lui apprendre qu'il est fils de roi et de reine, puis elle l'a-
doube chevalier. Floriant part sur une nef d'ébène, qui le con-
duira suivant son gré. Alors commence pour le jeune prince
une longue série d'aventures. Il est accueilli par le roi Artus,
et avec l'aide des Bretons défait le traître Maragot et son allié
Philemenis, empereur de Constantinople. Il obtient Tamourde
Florète, fille de l'empereur, dans des conditions qui rappel,
lenttel \)a.ssa,ge àe Maugis : un verger, un ami qui veille, etc.,
c'est un lieu commun de ce genre de poésie. Florète se laisse
enlever et l'empereur consent au mariage. Floriant, devenu
emper,eur de Constantinople, touchait à la fin de ses jours;
mais la bienfaisante Morgain l'attire de nouveau dans le sé-
jour enchanté et j fait aussi venir Florète^ sa femme. Artus y
viendra à son tour, à ce que dit Morgain elle-même:
Li rois Artus au defenir,
Mes frères, i ert amenez
Quant il sera à mort menez.
L'auteur du Maugis d' Aigremont a-t-il connu Floriant et
Florète? Au point de vue de l'histoire de l'épopée, la question a
peu d'importance. Ce qui fait l'intérêt du Maugis, c'est l'in-
troduction, dans la légende des Fils Ajmon, d'éléments em-
pruntés au cycle d'Artus, quels que soient les romans dont le
trouvère s'est inspiré. Malgré ces emprunts, le Maugis reste
une chanson de geste, tandis que Floriant et Florète est d'un
bout à l'autre un roman d'aventures. Il est vrai que celui des
SUR LES CHANSONS DE GESTE 83
deux auteurs qui a eu le premier l'idée de combiner les données
que lui offraient l'enfance de Lancelot et la légende d'Artus
au mont Gibel, a le mérite de Toriginalité et a pu servir de
modèle à l'autre; mais il n'est pas aisé de reconnaître auquel
appartient la priorité de l'invention. L'auteur du Maiigis, du
Vivien de Monbranc, probablement aussi àw Renaud de Montau-
ban remanié, qui a été conservé dans le manuscrit de Mont-
pellier, a donné d'autres preuves d'initiative et de conception
personnelle, et on le verra dans la suite de ces études. Il le
montre ici même par le soin qu'il prend de ne rien dire qui rap-
pelle le souvenir de la Table Ronde. Le nom d'Artus n'est pas
prononcé; Morgain change de nom et devient Oriande. Mor-
gain était la sœur d'Artus; Oriande a un neveu, Espiet, nain
et espion à la fois. Rocbeflour est situé sur le montGibel;
mais il n'est pas parlé autrement de la célèbre montagne, et
c'estàBocan queMaugis trouvera Bayard. Oriande est à peine
une fée. C'est le vieux maître Baudri qui apprend la magie à
Maugis. Elle est reine et vit dans un château-fort. Elle a des
ennemis qui lui font la guerre et sa science magique ne lui est
d'aucun secours. Quand Maugis la quitte, elle pleure parce
qu'elle craint de ne plus revoir son ami; mais elle ne sait rien
des aventures qu'il doit rencontrer et ne lui donne aucun con-
seil.
L'auteur suit un chemin à lui et transforme les données qu'il
emprunte de façon à ce qu'elles deviennent siennes. Il s'ap-
plique évidemment à en dissimuler l'origine ; mais il veut sur-
tout éviter l'invraisemblance qu'aurait présentée la persis-
tance d'éléments hétérogènes restés reconnaissablesdans l'en-
semble qu'il a créé en complétant et remaniant l'histoire des
Fils Ajmon. Quelques traits indiquent une imitation directe
du Lancelot du Lac: la naissance des deux enfants, l'anneau
magique, peut-être 1' «épine à la fée» et le nom de Rocbeflour.
Onest frappé de certaines diff'érences: dansFloriantet Florèle,
Morgain est une protectrice; dans Maugis, Oriande s'éprend
du fils deBeuves et devient son amante, trait assez conforme
aux traditions anciennes sur la sœur d'Artus. Floriant reçoit
d'elle ses armes et son cheval, et n'a pas aies conquérir; elle
ne lui révèle que fort tard le nom de ses parents. Il est donc
très-possible que nous ayons ici un exemple de deux imita-
84 RECHERCHES
tions parallèles et indépendantes. D'ailleurs ces deux romans
sont d'importance très-inégale : l'un ne fut qu'un récit d'aven-
tures de plus; l'autre, rattaché avec un plein succès à la lé-
gende si populaire des Fils Aymon, devait avoirune part dans
l'influence que cette légende a exercée sar les transformations
ultérieures de la poésie narrative.
Maugis revient à Rocheflour fort à propos pour repousser
une attaque d'Atenor, amiral ou roi d'Esclavonie ; en compa-
gnie d'Espiet et de Baudri, il fait des prodiges de valeur. Ate-
nor est armé de Froberge, l'épée célèbre qui passera aux
mains de Renaud. Maugis et le païen engagent un duel, où
tous deux déploient autant de vaillance que de vigueur. D'un
coup heureux, Maugis tranche le bras qui portait Froberge,
et, malgré les prières d'Atenor qui le supplie de lui rendre la
précieuse épée, il l'achèverait, si le blessé, en voulant monter
sur Bayard et s'enfuir, n'était renversé et étranglé par le ter-
rible coursier. D'ailleurs le même Bayard, pendant que son
maître était aux prises avec Atenor, a déjà poursuivi, attaqué,
étranglé le cheval du païen. Il se comporte déjà en créature
intelligente et prélude aux combats qu'il soutiendra pour le
compte de Renaud.
Dans les Fils Aymon, pendant le duel de Begesde Toulouse
et de Renaud, Bayard engage de son côté la lutte avec le che-
val du Sarrasin, si bien que, lors de la rentrée triomphale des
vainqueurs, les Bordelais se disaient l'un à l'autre:
(c Aine mais n'avint tel cose à fil d'empercor;
» Baiars prist le cheval et Renaus le segnor '. »
Pendant le combat d'Ogier et de Renaud, quand les deux
chevaliers ont perdu les arçons et continuent la lutte à pied,
les deux chevaux Broiefort et Bayard imitent leurs maîtres
et se jettent l'un sur l'autre avec fureur. Ogier, craignant
pour Broiefort, tire Courtaine et veut frapper Bayard, mais
Renaud ne lui en laisse pas le temps^. De même dans le duel
de Roland et de Renaud, lorsque Roland a été porté à terre
par la faute de son destrier, Bayard d'une forte ruade blesse
» Éd. Michelant, p. 105.
= P. 209.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 85
Veillantin à la tête, le force à briser ses rênes et à s'enfuir.
Roland veut trancher la tête à Bayard :
Quant Renaus Fa veû, ue le tint mie à befe
Et a dit à Roland: « Que est ce que vous testes?
)> Ja est çou vilenie à home de vo geste.
)) Que demandes Baiart? Ja est çou une beste,
» Se vos voles bataille, vers moi le venes querre.
» Vous en aures asses, par les iols de ma teste.
» Laisies moi mon destrier, il n'a meillor en terre ;
» Et si est mes chevaux, bien est droit qu'il me serve'. »
L'origine donnée ici à Froberge n'a rien de fort intéres-
sant, rien qui explique sa puissance merveilleuse. L'érudition
et l'imagination du trouvère ont été à court également. L'au-
teur de Fierabras était mieux renseigné; il savait que Fro-
berge, comme Hauteclaire et Jojeuse, était l'œuvre de Ga-
land, le célèbre forgeron-. Dans Garin le Loherain, son frère
1 P. 241-242.
- Fierabras, V . 654-655:
Et Galans fist Froberge à l'acier atempré,
Hauteclere et Joiouse où moult ot digneté.
Al. Rajna fait, à propos du noms de Floherge, Froberge, Flamberge, les
remarques suivantes: « In Floberge la seconda parle del composlo sarà forse
» hercht, luminoso ; nella prima vedrei dubitalivamente il solito nostro Modo.
« Da confrontare Hauteclere, che potrebb' essere Iraduzione e forse preci-
» saraeute del nostro vocabolo. Froberge àev' essere un' alterazione fonelica;
» in Flamberge suppongo un rawicinamento intenzionale a flamme. Tutt'
» altre ipotesi nel Diez. Et. TV. » — Origini deW Ep. Fr ., p. 444, n. 2. A la
page suivante, note 1,M. Rajna énumère les épées qui auraient été forgées
par Galand, le Wéland ou Wielaud des légendes germaniques.
Dans Doon de Maience, quand Cliarles et Doon s'arment pour se combat-
tre, nous apprenons que, sans doute, Durendal que porte Charlemagne est
l'œuvre de Galan, et qu'elle fut conquise sur l'amiral Braimant; mais que
Merveilleuse, l'épée de Doon, a été aussi forgée dans l'atelier de Galan « le
fix à la fée » par un de ses apprentis. Quand elle fut achevée et trempée,
la mère de Galan, après l'avoir rendue faée par ses oraisons e.t ses conjura-
tions, la laissa sur un andier de fer, le tranchant tourné en des.sous. Le len-
demain, l'épée avait coupé en deux le landier sur lequel elle reposait. De là
elle tint le nom de Merveilleuse. Doon de Maience, vv. 6902-6927. Cf. P.
Michel et Depping, Véland le forgeron; ¥a\. du Méril, Histoire de la poésie
Scandinave, p. 361, s.
86 RECHERCHES
Bègue de Belin possède une épée de ce nom. Mais ce n'est
pointa ces romans que pensait notre trouvère. Il songeait à
imiter l'endroit de Mainet où Charles enlève Durendal à Brai-
mant, et celui des Enfances Ogier où le bon chevalier reçoit
Courtaine des mains du loyal Karaheu et conquiert Broiefort
sur Brunamont:
Là conquist il Broiefort l'aduré,
Courtain s'espée qui tant fist à loer.
N'a homme en France qui l'en ost encontrer,
Pour que d'Ogier le couvenist garer.
Par Broiefort fu Ogier aiosé
Et par les cous de Courtain redouté ' .
Les épces et les destriers des héros de nos chansons de
geste attendent encore leur historien-. On me pardonnera,
quand je rencontre les noms de Courtaine, de Bayard, de Fro-
berge,de ra'arrêter un instant. Nous ne sortons pas de lageste
de Doon de Mayence et nous ne nous écartons guère du
Maugis, qui, en tant que chanson de geste, dérive d'Ogier de
Dancmarche et de Renaud de Montauban.
D'après l'auteur de /'ïeraôras^, Courtaine serait l'œuvre de
Munificans, frère de Galand :
Et Munificans fist Durendal au pui[n]g clcr,
Musaguine et Courtain, ki sont de graut bonté,
Dont Ogiers li Danois en a maint caup donné.
Dans Renaud de Montauban'', Ogier explique ainsi le nom de
son épée:
(( Ens el perron à Ais te fis jo essaier.
» Rolans i feri primes et li cuens Oliviers,
» Et je feri après, s'en trençai demi-pié.
)) Iluec vos brisai jo, le cuer en ai irié.
» Par votre grant bonté vos fis je apointer,
» Por çou aves non corte, nol vos quier à nier. »
» Chcnnlerie Ogier de Danemarche, v. 3089, suiv. Je cite ce passage -ci
d'après le ms. H. 247 de Montpellier. Le quatrième vers manque daas la
version imprimée.
*V. P, Rajaa, Or. d. E. F., p. 443-449. Cf. Gautier, Roland, 11» éd.,
p. 384-386, 305-396. - ^ V. 651-653. — * p. 210.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 87
Mais, dans les Enfances Ogier, la légende de Courtaine est
fort différente. C'est Tépée que ceint Karaheu avant de re-
joindre Ogier dans File du Tibre :
Puis çaintrespée Brumadant' le sauvage,
Cil qui le fist ot à non Escurable,
Il n'en fit plus que celi e un autre,
Plus de vingt fois le fondi e ramasse ;
Et en argent l'esmera trente quatre .
Quand il otfait, si fu mult avenable,
Puis l'empira par mervillous outrage ;
11 l'ensaia sur un pérom de marbre,
Qu'il le fendi de l'un cief dusqu'en l'autre.
Au resachier em brisa plaine palme;
Lors ot tel duel, por un poi que n'esrage.
Lors le regrete come frère fet l'autre :
« Tant mar i fustes, bone épée [doutable]!
» Qui vos ara, ben doit avoir barnage
» Et en son cuer proueche e vasselage. »
Lors le rameure, gentement la rafaite ;
Corte avoit non et tôt por cel afaire^.
Plus loin, Karaheu revêt Ogier de ses propres armes et lui
donne Courtaine, qu'Ogier conservera désormais:
« Ogier, dist-il, je vos donrai m'espée,
» Certain la bone, qui tant est redotée ^. »
Dans la version du Renaud de Monlauban, publiée par
M. Michelant, il n'est rien dit de l'origine de Bajard. Quand
les fils d'Aymes sont adoubés chevaliers, on amène à Renaud
un cheval
qui tos estoit faés ;
Baiars avoit à non, issi fu apelés.
La sele li fu mise et li poitraus fermés.
Onques ne fu tel beste à bors ne à cités.
Evidemment l'auteur de ce roman n'en savait pas plus long
sur l'origine de Bayard que sur celle de Maugis. Quant à Fro •
1 Le ras. de Montpellier, d'ailleurs très-iacomplet en cet endroit, donne
Brunadon, et plus bas doutable, que j'ai imprimé au lieu de boutable.
2 Chevalerie Ogier, v. 1647, s. — 3 V. 2700, s.
S8 RECHERCHES
berge, nous voyons que, dans la cérémonie de l'adoubement,
Ogierceint une épée à Renaud ; mais le nom deFroberge n'ar-
rive que bien tard, lorsque les quatre frères se rendent à
Vaucouleurs, à la p. 173 de la version imprimée, qui remplit
457 pages. On a vu plus haut que, d'après le texte de Montpel-
lier, Renaud a emporté Froberge dans son pèlerinage. Dans le
long récit que nous avons cité au commencement de cette
étude, il est dit qu'il la tenait de Charlemagne *. C'était une
solution simple; on peut supposer que l'auteur se rappelait
ces paroles d'Ogier à Renaud :
« Karles nostro emperere est mult preiis et cortois.
» Ja vos dona il armes voiant tos les François 2. »
Mais il n'j a dans ces vers qu'une allusion à l'adoubement
des fils Ajmon par l'empereur.
L'auteur de Gui de Nanteuil a cru rehausser l'intérêt du
duel de Gui et d'Hervieu de Lion en y mêlant quelques noms
empruntés aux légendes anciennes. L'épéequ'Ayglentine ceint
à Gui est «une dez .111. que Galanfist seur mer ''.«Celle d'Her-
vieu n'est pas moins remarquable:
Ele fu Vivien, si l'ot merveillez chiere ;
Une nuit saint Jehan li embla .1. lechierre'*.
Malgré cette illustre origine, elle se brise dans le bouclier
de Gui. — Si l'épée de Vivien était destinée à si mal finir, que
dire du destrier de Renaud? C'est encore à Hervieu, c'est-à-
dire à l'un des traîtres de la gent Ganelon, que le trouvère a
eu l'étrange idée de le donner:
Baiart li amenèrent, onques n'i ot croupière ;
11 ot sele d"y voire à merveillez legiere^.
Et dans Te combat, quand l'épée d'Hervieu vient de se bri-
ser entre ses mains, Gui deNanteuil, sans plus hésiter,
Au bon cheval Baiart a la teste tolue.
i V. 40(5, — 2 P. 117. - 3 V 951, - " V, 1004. — ^ V. 1009, s.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 89
Le trouvère voj^ait peut-être une leçon de morale dans le t'ait
que Tépée et le coursier perdaient toutes leurs vertus une
fois remis à des mains déloyales ; mais c'est là un point de vue
très-moderne. Mieux valait laisser courir Bayarddans la forêt
d'Ardenne et ne pas toucher àrépée de Vivien.
Pour en revenir à Maugis, je dirai que son duel avec Ate-
nor reproduit souvent les péripéties du combat de Brunamont
et d'Ogier. Le second récit a été inspiré parle premier.
Maugis possède Bayard et Froberge; il sait l'art des en-
chantements; il n'a plus qu'à revenir auprès des siens. Il oblige
Oriande à lui avouer de qui il est fils, quelle est sa famille.
Dès lors, il est destiné à quitter Rocheflour.
Ici commençait pour le trouvère un second sujet: Maugis à
la recherche, en quête de sa famille, employant toutes les res-
sources de sa science et de son courage pour vaincre les ob-
stacles qu'il rencontrera sur son chemin. L'auteur n'était lié
par aucun récit antérieur. Il créait lui-même la matière de son
roman ; il avait libre carrière et pouvait faire preuve d'ori-
ginalité. Dans le long extrait que nous avons donné, on a pu
reconnaître une certaine science de la composition, l'art de
conter sans trop de longueurs ; çà et là, de la vivacité, de l'es-
prit, une naïveté agréable. Ces qualités suffisaient-elles dans
une oeuvre destinée, non pas à rivaliser avec l'épopée grave
et grandiose de l'âge précédent, mais à combiner d'une façon
heureuse des éléments disparates, provenant les uns des chan-
sons de geste, les autres des romans d'aventure et de galan-
terie?
Je crains que la narration que je vais analyser ne satisfasse
qu'à demi notre attente. Ce n'est pas en France que la fusion
des deux genres s'achèvera en une épopée tour à tour noble,
spirituelle et gracieuse. Nous sommes loin encore d'Arioste.
Cependant c'est dans ces obscures origines qu'il faut chercher
les racines du grand arbre qui, à la Renaissance, p.orta de si
belles fleurs.
90 RECHERCHES
III
MAUGIS d'aIGREMONT
Analyse de la suite du texte
[Fol. 158 ro«]. Oriande sait qu'elle va perdre son ami;
elle en ressent une vive douleur. Arrive un messager de Tou-
leile ta grant. Les sages Goulias, Aufaré et Landri, demandent
que Baudri se rende auprès d'eux dans les quinze jours. Us
ont trouvé dans un souterrain un livre que le sage Ypocras y
avait caché. Baudri demande à sa sœur qu'elle lui prête Mau-
gis. Elle y consent, mais sans espoir de revoir son ami.
Maugis s'arme et monte sur Bayard. Oriande charge Espiet
de l'accompagner.
Mez il li venist miex que il fu demourez,
Que Baiart l'estrangla, ch' est fine veritez*.
Les vieux maîtres les accueillent avec honneur; ils instrui-
sent Maugis, qui fait de rapides progrès et reçoit la qualifica-
tion de il/es^re Maugis.
Maugis est donc allé tout simplement prendre ses grades à
l'Ecole de Tolède. Aux yeux du trouvère, les écoles arabes où
l'on étudiait les sciences et la médecine sont purement des
écoles de magie, etHippocrate se trouve être le patron de cet
art. L'événement qui appelle Maugis à Tolède est la décou-
verte d'un livre du célèbre médecin. Nous quittons le domaine
do la sorcellerie populaire et de la féerie du cycle d'Artus: la
magie veut avoir les apparences de la science. La confusion
d'ailleurs remontait loin; on sait les légendes sur Alexandre,
IJippocrate, Virgile. D'après le Pseudo-Turpin, la magie ou
iii''cromancie [w'cjromnnce, ingromance)e^i un art qu'il est per-
mis d'étudier; mais qui ne doit pas être pratiqué, parce qu'il
' A la fui (lu poème, Bayard tueEspiel d'une ruade ; il ne l'étrangle pas.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 91
ne saurait se passer du concours des démons. Les préceptes
en sont formulés dans un livre exécrable [liber sacratus, inimo
execratus). Pour ces raisons, bien qu'il puisse être considéré
comme le huitième des arts libéraux, il ne fut pas représenté
sur les murs du palais de Charlemagne *.
Galafre régnait sur Tolède et sur l'Espagne; il avait deux
fils: Marsire ou Marsile, l'aîné, Baligan, li mainsnés^. Maugis
s'éprend de la femme de Marsile, qui était belle, et lui témoi-
gne en secret son amour. Au mois de mai, Galafre tient sa
cour. Il rappelle à ses barons qu'il est vieux et frêle: il a cent
ans passés. — [158 r° 6] Il est très-inquiet à la suite d'un songe
étrange:
1 Anuit songei .i. songe dont moult sui efFreés,
Quer il m'estoit avis, ains qu'il fust ajournés,
Là dehors en chele isle tout contreval les prés.
Tout iert mon cors d'argent, et mon chief sourorez
Et mi dui pié de pion: ainsi iere formés.
5 Puis nous venoit d'oisiauset debestez plentés
Que onques n'en vit tant homme de mère nés.
.1. lion y avoit qu'estoit descaennez,
Le chief m'ostoit du bu par fine poostés.
1 V. moD édition de Turpin au ch. xxxi : « De septem artibus quas Karolus
depingi fecit in paiatio suo », p. 60; — àproposdes magiciens de Tolède, Mor-
dante, c. XXV, ott. 43:
sendo in Toiletta
Dove ogni negromante si raccozza.
Dans le même chant (ott. 81), Marsile a recours aux sages de Tolède pour
qu'ils interprètent les prodiges qui ont suivi son accord avec Ganelon.
2 Le trouvère connaissait la légende du séjour de Charlemagne en Espa-
pagne. Au fol. 167 v» è, il est parlé d'un haubert que l'empereur avait jadis
conquis sur Braimant. Maugis à la cour de Galafre, défenseur de Marsile, qui
en fait son sénéchal, ressemble fort àMainet; mais ses amours sont moins
excusables V. pour cette légende ancienne mentionnée par le Pseudo-Turpin,
et dont on a la forme la plus agréable dans les Heali, M. G.Paris, Hist. poét.
deCh., ch. m, p. 227, s. L'auteur delà Chronique, si longtemps attribuée à
Turpin, a eu sans doute le premier la pensée de faire de Balugant, l'émir de
Babylone, un frère de Marsile. — De longs fragments du Mainet primitif, envi-
ron 800 vers, ont été retrouvés en 1874 par le regretté Boucherie et publiés
par M. G. Paris dans la Romania, juillet-octobre 1875. Cf. Gautier, Ep. Nat.,
2» éd., III, p. 37-40.
92 RECHERCHES
Apres chele avisoa fa en une autre entrés
10 Que il m'estoit avis que Maugis le sénés
Les oisiaus et les bestez cachoit de clies régnés,
Et de prendre Maugis sunt moult forment penés.
Par lui estoit Marsile mes fix roi couronnés,
Et Baligan en [Perse] iert sus .i. pin montés'.
15 Tuit i furent li arbre du païs aclinés.
Maugis explique le songe. L'empereur de Perse doit venir
attaquer Galafre et le tuera. Maugis secourra les fils de Ga-
lafre. Marsile restera roi d'Espagne et Baligant sera élu roi
de Perse. A peine Maugis a-t-il parlé que le songe se réalise.
L'amiral de Perse campe déjà sous les murs de la ville, Gala-
fre, au premier choc des armées, est tué par l'amiral. —
[158 v° a\ Le géant Escorfaut, armé d'une épée, de cinq
épieux, de cinq dards, de trois couteaux, d'un croc, d'une be-
saiguë et d'une masse, promet à l'amiral de prendre Tolède.
11 commence par enfoncer à coups de masse la porte de la ville ;
mais les assiégés ont le temps de laisser tomber la porte cou-
lante de cuivre sarrazinour . Marsile et Baligant tentent une
sortie; le premier est fait prisonnier par Escorfaut. Sa femme
se désole; Maugis la réconforte. — [158 v» b] 11 s'arme et va
à la rencontre du géant. Après bien des coups donnés et reçus
de part et d'autre, ils échangent quelques paroles, Maugis
apprend à Escorfaut qu'il est fils du duc Beuves. Comme
il se fait tard, le géant propose d'interrompre le combat -.
— [159 r° a] Tous deux vont passer la nuit au camp de l'ami-
ral. Celui-ci s'engage, si Maugis est vainqueur, à livrer son
royaume et sa tête. Les barons de Perse, après avoir vaine-
ment essayer de détourner leur seigneur de cette pensée, con-
sentent à le pleiger envers Maugis. Escorfaut héberge Maugis
et renvoie Marsile à Tolède.
* Ms. « en presse. »
- Cf. le combat d'Ogier et de Braihier. Les deux géants se portent \g doigt
aux dents comiue garantie de leur fidélité à leur parole. Dans Of/ier:
Pour le miex crerre feri son doit au dent;
Ici:
Son doit fiert à sa dent pour iVIaugis miex fier.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 93
Le jaiant moult se paine de Maugis aeisier,
Mes onques n'acointa plus félon losengier.
Le lendemain matin, le combat est repris. Si Maugis vou-
lait adorer Mahomet, Escorfaut lui donnerait en mariage sa
fille.
Escorfaude au vis cler
Qui est assez plus noire qu'errement destrempé *.
Maugis refuse et finit par le tuer. Les barons de Perse tien-
nent leur parole, livrent l'amiral, et Marsile lui tranche la.
tête. — [159 v^a] AquilantdeMaiogre,parent deFamiral, part
pour Valdormant son domaine ; mais les barons de Perse
prennent Baligant pour amiral et seigneur. C'est lui qui se-
courra Marsile contre Charlemagne. Marsile est roi de To-
lède; il prend Maugis pour sénéchal, puis commence la guerre
contre Aquilant, On assiège la cité de Valdormant. La reine
Ysane apprend que Maugis est chrétien et dès lors s'intéresse
à lui; son fils Brandoine et Aquilant font une sortie. — [159
v° b] Maugis tue Aquilant; deuil d' Ysane:
Mes vous l'avez souvent en .i. proverbe oï
Que jenne famé a tost oublié viel mari.
Le siège se continue. Ysane envoie par Espietdes messages
d'amour à Maugis. Celui-ci pénètre la nuit dans la ville par une
fausse posterne et a un entretien avec elle dans un verger pen-
dant qu'Espiet fait le guet. — [160 r" a] Ysane reconnaîtMau-
gis à l'anneau qu'il porte à l'oreille; elle lui apprend qu'elle
est sa tante. Il sort de la ville avec Espiet et rencontre le roi
' Cf. Huon de Bordeaux, v. 6520, s. Le géant Agrapartfait la même offre
à lluou :
« Si te doarai .i. moult rice présent:
» Ma suer germaine, noire est com arement;
» Graindre est de moi, si a .'. piet de dent.»
L'expression si fréquente dans les chansons: noir comme arrement, ou
errement destrempé, noir comme l'encre, s'est conservée dans le franco-
italien : negro cum agrament stemprà. Bovo d'Antona, v. 1160, éd. de
M. Rajna, à la fin des Reali di Francia.
6
94 RECHERCHES
Brandoine : comliat des deux cousins germains. — [160, r" b]
Embarras de. Maugis, qui sait avec qui il se bat. — [160, V a]
Maugis renverse Brandoine, lui révèle leur parenté, et le me-
nace de le tuer s'il ne se convertit pas. Brandoine renie Ma-
homet, et tous deux rentrent dans la ville, où Ysane pleure
à la vue de leurs blessures. — [160 v° b] Après le baptême de
Brandoine la paix est conclue, et Maugis revient à Tolède
avec Marsile, qui a pleine confiance en lui et lui remet son
pouvoir et ses trésors. Maugis n'en continue pas moins ses
amours avec la femme de Marsile; et une nuit, un Sarrasin
les aperçoit tous deux dans la chambre de la reine. — [161
r" a] Marsile est averti; il accourt, frappe à la porte et la fait
enfoncer.
Mais Maugis s'est transformé en un cerf dont les andouil-
1ers sont garnis de pierres étincelantes. Le roi n'en menace'
pas moins la reine. Celle-ci consent à être brûlée vive si elle
a eu avec Maugis d'autres rapports qu'avec la bête que l'on
voit*.— [161 r° b] Maugis raconte sa mésaventure à ses maî-
^ Paulia Paris {Histoire littéraire, XXII, article sur Maugis d'Aifjremont)
a présenté une analyse très-développée des amours de Maugis avec la femme
de Marsile, dont le trouvère oublie de donner le nom (Braraimunde), et avec
Ysane. Il remarque que la surprise des amants et la proposition que fait la
reine de subir l'épreuve du feu sont des emprunts au lAincelot du Lac. En
comparant les citations contenues dans cet article et le texte de Montpellier,
je constate dans ce dernier une lacune au fol. 161 r° b. — On voit dans mon
résumé que, lorsque Maugis et Espietquittent l'Espagne, ils perdent les provi-
sions que les vieux maîtres leur avaient données, puis se réfugient dans un
bois. Mon texte continue ainsi:
A iciieste parole la nuit si les sousprent;
Or personne n'a parlé. L'analyse de VHistoire littéraire permet de remplir
cette lacune. Chemin faisant, Maugis et Espiet ont faim. Maugis demande con-
seil au nain, qui trouve un expédient:
a Sire, dist Espiet, vos parlés malement,
» Désespérer est pire que venins de serpent.
» Meillor larron de vous n'a dus qu'en Orient,
» Je méismes en sai quanque mestier appent;
» Si emblerons assés et donrous largement.
» Tolons denier as riches, donons à povre gent.
)) Jà n'en pèsera Dieu, le'pere omnipotent.»
Dist Maugis: « Tu paroles bel et courtoisement.»
VHistoire littéraire ajoute: « Il faut convenir que les règles de l'honneur
SUR LES CHANSONS DE GESTE 95
très Baudri, Bourias, Ferrant de Rise. Ils lui donnent un bou-
clier d'or et deux mulets chargés de provisions. En compagnie
d'Espiet, il quitte Tolède. Cependant Escorfaut de Monglai a
trouvé dans la chambre de la reine les gants de Maugis et les
a remis au roi. On poursuit Maugis ; mais Espiet et lui se ré-
fugient dans un bois, après avoi'r abandonné leurs deux som-
miers. De là, ils vont offrir leurs services à Tamustant de Mê-
lent.— [161 v° a] L'amustant est en guerre avec Vivien de
Monbranc, Dans la mêlée, les deux frères sont aux prises un
moment ; puis se séparent, et Maugis tue le roi ou amachour
Sorgalan. — [161 v° b] Vivien emporte le corps de Sorgalan à
Monbranc, lui fait de belles funérailles et devient Tépoux
d'Esclarmonde. Il envahit les terres de Beuves d'Aigremont.
Maugis se décide à aller à la recherche de son père et de sa
mère. — [162 r° a] Maugis fait ses adieux à l'amustant de Mê-
lent, qui le comble de présents :
Donner li fist d'avoir carchié .i. arragon;
AEspiez donna .i. bon destrier gascon.
Et o sommier mener li donna .i. garchon
Qui ot non Fousifie ' et est de sa maison.
Un paumier qu'ils rencontrent leur apprend qu'Hernaut
de Monder et Othes d'Espolice sont assiégés dans Monder
par l'empereur Charles depuis un an. Maugis envoie Espiet
à Maiogre, pour demander des renforts à Ysane et à Bran-
doine.
et de la courtoisie oot fait quelque progrès depuis .Maugis et le trouvère qui
l'avait choisi pour son héros. »
M. Rajoa, au sujet de la sympathie dont est entouré le larron Maugis, rap-
pelle que l'auteur du Pienaud, « un peu socialiste », a le soin de nous avertir
que Maugis n'enleva jamais rien aux pauvres:
Mes onques à vilain n'embla un oef pelé. . .
Mes aine n'embla vilain vaillant un esperon.
{Orig. d. Ep. Fr., p. 435.)
' Dans Simon de Pouille, Falsifie est un messager que l'amiral Jouas
envoie au.K chrétiens avec le dessein de leâ faire tomber dans un piège. Fr.
Michel, préface de Chai-lemayne, p. xcvi, Gautier, £/). 7iation.,2<' éd., 111,
p. 349, note.
96 RECHERCHES
La ruse que Maugis emploie pour entrer dans Monder mé-
rite d'être rapportée :
Maugis et Fousifie vont vers l'est de Paris.
Moult par est le bon lerre esmaiez et pensis
Comme il entre en Monder dont li mur sont voutis.
Oes de quelboidie Maugis s'est entremis.
5 De Baiart descendi par dessous .11. olis,
Vistement se desarme, n'i a plus terme quis;
Sus Baiart est monté, le bon destrier de pris,
Maugis vest maintenant .1. moult blanc souplis
Et desus cape close d'un sanguin de Paris,
.10 Et capel rouge aussi avoit en son chief mis ;
.11. gans ot en sez mains plus blanc que flor de lis.
Sus le cheval monta qui fu fort et braidis.
Bien semble cardinal, par foi le vous plevis.
Puis distà Fousifie assez valent avis:
15 ((Chest sommier me menez droit à Monder la cliis.
))Se Franchois t'aresonnent, ne soiez esbahis,
» A qui est chel sommier? — di lor, biau dous amis:
))A .1. cardinal est de Rome beneïs.»
Atant s'en est torné, à la voie s'est mis.
20 Quant départi se fu Maugis de Fousifie,
Al'ost Kallon s'en va toute la voie antie,
Es hébergez entra par une praerie,
Outre s'en va par l'ost, n'i a chil (jui desdie.
Le roi se sist devant seur .1. drapde Roussie,
25 Le sommier voit passer, à haute vois escrie :
«A qui est chil sommier? ne me chelez tu mie. »
Fousifie respont où moult ot de boidie:
«Sire, à .1. cardinal de Romme la garnie,
»Mès larrons orgueilleus, que le cors Dieu maudie,
30 » .XXX clers nous ont mors par lor grant estoutie:
» A ])aine ai amené chesti à garantie .
» Mi sire vient ichi tout seul sans compengnie. »
((Chen poise moi, dist Kalles, se Dex me beneie.»
Adonc monta le roi, il et sa baronie,
35 Encontre le légat vont moult grant compengnie.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 97
Devant le tref rencontrent de soie d'Aumarie.
Maugis lieve la main qu'il ot bêle et fornie,
Et les saigne et assoult de Dieu le fix Marie.
«Sire légat, dist Kalles, mon cuer moult se gramie
40 «Des larrons orgueilleus, que Ihesus maleïe,
» Qui vous ont assailli et votre gent leidie. »
Et Maugis li respont, qui entent la boidie :
<( Sire emperere Kalles, ne leiroi ne vous die,
» Par vous i sunt li lerre qui font la roberie.
45 » Mi sire l'apostole en a bien l'oevre oïe.
))Sus païen deiissiez mener cheste estoutie.
» Or avez cheste terre gastée et essilie. »
« Sire légat, dist Kalles, se Dex me beneïe,
» Il commenclia premier cheste estoutie. »
50 ))Sire roi, dist Maugis, lessiez votre folie,
» Je parleroi o conte et à sa baronnie,
» Quer je i voudroi mes hui prendre hebergerie. »
DistTemperere Kalles: ((Biau sire cardinal,
» Vous en vendrez o moi, moult par me sera bel. »
55 «Non ferai, dist Maugis, ains irai au castel,
» Quar parler vueil au conte et à cheus de Tostel,
» Volentiers abattre la noise et le chembel.»
(( Aies, dist l'emperere, au cors .S. Daniel. »
Et Maugis esperonne, si s'en torna isnel.
60 Devant lui esgarda contreval .i. ruissel,
Fousifie a veii ester sus le ponchel ;
A l'issir des hébergez, u pendant d'un vauehel,
Encontre de vitaille carchié .iiii. poutrel,
De pain, de vin, de char, si i ot maint oisel :
65 Si les conduit Dunaimez, Salemon et Hoel.
Maugis voit les sommiers venir et amener
Que Naymes et Hoel et Salemon le ber
Conduisoient à l'ost pourKallon présenter.
Moult est lie Maugis, le vaillant bacheler,
70 Petit prise son sens s'il nés en peut mener.
.1. encantement fet qui moult fet à loer.
Cheuz qui lez sommiers mainent, a fet si encanter
98 RECHERCHES
Qu'il lor fist du castel les tentez resembler ;
Les sommiers, qui vers Tost prenoient à aler^
75 A fet vers le castel ariere retorner ;
A .II. barons puissans lez fet avant mener.
Quant Francheis l'ont veii, si prennent à crier:
«He! Naimez de Bavière, où devez vous aller?
«Voulez vous donques Kalle guerpir et adosser?»
80 Maugis tint .i. baston, grant coup lor va donner,
Et distli .1. à l'autre : « Or le lessiez aler,
» Chi a mal cardinal, Dex li puist mal donner.
» Ainz mez ne vi à prestre si vilain coup donner. »
Et Maugislor commenche hautement à crier:
85 ((Ales,fix à putain, Kallemaine conter
» Que Maugis le bon lerre l'est venu encanter.
))Fet me sui cardinal pour lui embriconner,
» Asses tost li feroi le siège comperer. »
Maugis entre au château avec Naymes, Hoel, Salomon et
tout son convoi. Après que le comte Hernaut a rassure les
chevaliers français, Maugis se fait reconnaître de son grand-
père, et lui apprend que sa fille Ysane est reine de Maiogre et
qu'elle a deux fils qui viennent d'être baptisés : ils sont aver-
tis du besoin où est le comte, et se préparent à le secourir.
Cependant l'armée des Français attaque Monder. Maugis dé-
sarçonne Ogier. — [162 v° b] Hernaut et ses chevaliers en-
tourent Ogier, qui est fait prisonnier. Le combat redouble de
violence et les Français sont en pleine déroute. Guillemer
l'Escot, avec quinze chevaliers, se réfugie dans un marais d'où
ils ne peuvent plus sortir. Charlemagne fait prendre les armes
à toutes ses forces. En passant près du marais, Hernaut raille
Guillemer et ses Ecossais :
Le quens Hernaut les voit, o le fleuri grenon ;
A Guillemer l'Escot a dit un gap félon:
«Sire Escot Guillemer, peschiez vous as poissons?
))I] i a moult plus rainez que perchez ne saumons.
» Trestous vos Escotois, pleùst Dieu et son non,
» I fussent avec vous etNormans et Bretons' . »
» Cet épisode m'a tout l'air d'avoir été suggéré par les lourdes plaisante-
SUR LES CHANSONS DE GESTE 99
Quand Charlemagne et son ost arrivent sur le champ de
bataille, Maugis rappelle Hernaut et son oncle le roi Othon
d'Espolice. — [163 r° a] Ils rentrent dans Monder. Charlema-
gne fait donner l'assaut à la ville. En voyant Guillemer dans le
marais, Griffes et Charles se moquent de lui au lieu de l'aider.
L'assaut échoue, et Guillemer qui a été oublié est obligé de se
rendre à Hernaut. — [163 r" b] Un messager apporte la nou-
velle queBeuves d' Aigrement, serré de près par Vivien l'ama-
chour, demande d'être secouru. Maugis se déguise en paumier
ou pèlerin :
Le bourdon prent u poing et l'escrepe au costé,
.1. capel ot u chief en trente lieus chité,
Son vis a taint d'une herbe qui est de grant bonté'.
ries que Renaud décoche à Ogier quand celui-ci a dû repasser la rivière :
« Ogier, ce dist Renaus, estes vos pesclieor?
» Se tu as pris anguilesu troites u saumon,
» Fai m'ent tel compaignie, com doit faire frans hom.
» U tu passes ceie ewe, si vien joster à nos. . .
(P. 207, cf. 210-211.)
Renaud, en le voyant sur l'autre bord de la rivière, lui dit en raillant
de lui veiidre les poissons qu'il avait pris, ou bien s'il voulait jouter en-
core contre lui, qu'il allait le joindre de l'autre côté. Bibl. bleue.
1 Ce tour de Maugis n'est qu'une imitation, mais très-abrégée, du passage
si connu du Renaud de Montauban (p. 250-257). La chape fait sans doute par.
lie du costume de paumier, mais le vers du Maugis indique qu'elle avait une
célébrité particulière. Ici, comme en d'autres endroits, l'auteur de la version
publiée par M. Michelant me paraît altérer un texte moins prosaïque. Dans son
récit, Maugis ne se sert guère de son chaperon que pour y mettre les trente
livres que les seigneurs lui donnent; mais il semble que ce costume lui est or<
dinaire, car Richard dit à Ogier (p. 271) :
«Jouai veù Maugis o le chaperon lé.»
J'accepterais volontiers, pour ma part, la supposition de M. Rajna: « In que
» tempo egli (Maugis) possedeva probabilmente una tarnkappe, e poteva a
>) suo piacere rendersi invisibile. » Or. d. Ep. F., p. 435. Dans Gaufrey
(v. 8195, s.), Malabron revêt sa cape quand il veut devenir invisible :
Le folet ot sa cape vestu et endossé ;
Si n'est nul qui le voie, che est la vérité,
Puis que il a sa cape vestu et endossé.
A la page suivante, Malabron couvre Robastre d'un pan de son manteau et
le délie sans que les géants s'en aperçoivent. Dans Garin de Montglane, Per-
100 RECHERCHES
Il se rend au camp des Français ; mais un espion de Charles,
Grafumez, a été témoin de son déguisement et le trahira.
Quand l'empereur voit arriver le pèlerin, il dit à Othon et à
Othoé:
((Ves ichi un paumier, moult a son cors lassé,
» Il pert bien à sa char qu'il a moult loing este. »
Dist Sansez de Borgoigne : « Vous ditez vérité,
))I tiex menues gens aront la majesté.
» Nous, haus homraez, povon moult estre espuanté
«Qui tuon les vilains qui gaaignent le blé.»
Dist l'emperere Kalles: «Vous dites vérité'.»
[163 v° a] Maugis les salue ; il vient des pèlerinages de St-
Jacques et de Rochemadour; il demande à manger. L'empe-
reur tient à le servir lui-même, et, après le repas, lui donne
un hanap d'argent. Au sortir de la tente de Charles, Maugis
rencontre l'espion Grafumez qui l'arrête, lui dit qui il est, ap-
pelle à l'aide. — [163 v° b] Après une lutte violente, Maugis
est amené à l'empereur; on le charge de chaînes. Charles en-
voie Grafumez offrir à Hernaut de lui rendre son petit-fils, si
de son côté il veut se soumettre. Mais Fousifie rencontre
Grafumez, se dit espion lui aussi de Charles, se fait tout ra-
conter, puis assomme à demi le malheureux, que le comte
Hernaut ordonne de pendre à un pin. La colère des Français
est grande. Cependant le messager de Beuves repart pour
Aigrement avec une lettre pour le duc ; on lui fait savoir que
Maugis est son fils, et pourquoi on ne peut lui porter secours.
Le messager tombe entre les mains des Sarrasins ; on trouve
sûr lui la lettre et on la fait lire
A un clerc renoié dont en Tost assez ont.
digon l'enchanteur ayant emprisonné Robastre, Malabron apporte à son fils
la cape invisible d'Auberon. Robastre recouvre sa liberté et s'amuse à jouer
mille tours à ses ennemis et à ses amis. Gautier, Ep. f)-ançaises, 2" éd., IV,
251 — Nous verrons plus loin qu'Espiet se sert d'un capel pour ses enchan-
tements ; est-ce une réduction de la chape en question?
• Nous avons ici la première forme, timide encore, mais déjà éloquente, de
cette protestation contre'Ja dureté féodale que La Bruyère devait exprimer
avec tant d'énern;ie en faveur des paysans, qui méritent « de ne pas manquer
de ce pain qu'ils ont semé. »
SUR LES CHANSONS DE GESTE 101
[164 r" b] Vivien, enchanté de ce qu'il apprend, laisse le
messager rentrer dans Monder. Quand Beuves est renseigné,
il fait écrire à ses frères Girard de Roussillon, Doon de Nan-
tueil, Aymes de Dordonne, Renier de Vantaraise. Pour proté-
ger le départ du messager, Beuves sort de grand matin et
surprend les gardes de Fennemi. Il tue Corfrain et blesse
Danemont d'Abilant. — [164 v° a\ Vivien s'arme et attaque
Beuves. Leurs chevaux sont tués. Beuves est relevé par ses
chevaliers et rentre dans Aigremont. L'amachour est fu-
rieux:
Forment 11 oïssiez le duc Buef menachier,
Mes il fet moult que fol de tel chose afichier :
Par temps li couvendra d'autre Martin pleidier'.
Espiet est arrivé à Valdormant ; sur son avis, Brandoine
réunit son armée, et avec sa mère Ysane part pour secourir
Hernaut de Monder. On campe à quelques lieues de Mon-
der, Brandoine envoie Espiet saluer son aïeul de sa part.
Espiet veut traverser l'ost de Chaiiemagne :
N'ot que .m. piez de lonc, si pot bien randonner;
,1. enfant de .vu. ans semble le bacheler,
Si en a plus de .c. qui n'en veut mesconter,
Et sot trestpus langagez courtoisement parler.
Espiet entre sous la tente de Charlemagne, et, irrité de ce
que Maugis est prisonnier, forme le projet d'effrayer l'empe-
reur. Celui-ci le trouve très-beau et lui demande qui il est-.
I Cf. Gui de Bourgogyie, v. 1402-1404.
- Espiet est beau en souvenir d'Auberon.
Si n'a de grant que .ni. pies mesurés ;
Mais tout à certes est moult grant sa biautés.
Car plus est biaus que solaus en esté.
(Hiwn deBordemix, v 3155, s.)
Quand Aiiberon raconte à Huon comment une fée, après l'avoir condamné
à ne pas grandir, lui accorda par compensation le don de beauté, il dit de
lui-même :
« Autant sui biaus con solaus en esté. »
(V.3512.)
II en dit autant à Charlemague, v. 10400.
Le nain-chevalier de Lancelot du Lac est laid.
102 RECHERCHES
Espiez fu dolent, forment ot grant doulour
Que Maugis en prison estoit à tel doulour ;
Pour chen veut à Kallon fere .i. poi de paour.
Maugis Ta conneli, n'ot mes joie gregnour;
5 Volentiers i parlast, s'il en eiist leisour.
Espiez s'aresta devant l'empereour.
Kalles le regarda, si li dist par amour,
Quer mes si bel enfant n'avoit veû nul jour,
Il li a dit : « Enfes, ditez moi, par amour',
10 » Où aies vous? dont estez? dont sunt vo conditour? »
«Sire, dist Espiez, Ihesu le creatour;
» Mez de mon errement vous dirai la vraiour.
» Je sui nés de Touleite, ôx d'un encanteour;
» De son mestier m'aprist et de ses sens plusour.
15 » Tant en sai que vous onques ne veïstez meillour.
» Je sai bien ostoier .i. faucon osteour
» Et garder par mestrie .i. destrier misaudour.
» De trestous estrumens ne fu tel deduitour :
))Biez sai chanter et lire et sui bon conteour ;
20 » N'onquez ne fu à homme duc, prinche ne contour,
»Se je vueil, que sa famé ne m'emast par amour.
» Or est mon père mort, si vois querrant seignour. »
))Par S. Denis, dist Kalles, tu es de grant valour.
» Ne fust une deschez, à moi fust le séjour.
25 » Monstrez nous de vos giex la mestrie et la flour.
)) Je te donrai assez, se es tel joueour. »
))Sire, dit Espiez, volentiers sans demour.
» Vous en ares assez, mez n'en aiez freour,
» Quer de bons et de biaus en verrez ja plusour. »
Li tref fu large et grant d'un paile de Tudele,
Et laplache fu grant, tous furent en rouele.
Espiez .1. capel fist de gla[y et] de cenele^,
Sel mist sus le jonchel qui fu fresche et nouvele,
Puis a féru dessus du rain d'une canele.
35 .1. encantement fist où ot mestrie bêle,
1 Ms. « mez enfes. »
- Ms. « de gla de cenele. »
SUR LES CHANSONS DE GESTE 103
Quarvis fu àKallon que dessus la rouele
Du capel de bo[n]et qui fu fet à Tudele \
Du capel de bo[n]et qui fu fet à Bordele,
Sailli demaintenant .xxx. et une puchele ;
40 Vestuez sont d'orfrois, petitez les memmeles.
Fol. 165 r"a. L'une cante .i. sonnet, et l'autre une viele.
Onques mes mélodie ne fu veiitant bêle.
L'encantement fu fier, de voir le vous plevis,
Que à tous fu ensemble et à Kallon avis
45 Que tous les semble à estre en gloire en paradis.
Moult s'enrist bonnement le bon lerre Maugis.
Li encantement faut et finement a pris ;
Kalles li emperere en a durement ris,
Onques mes ménestrel ne vit si bien apris.
50 u Segnors, dist Espiez, ne soiez esbahis.
))Ja en verrez .i. autre qui encor vaut tex ,x. »
Il fîert sus le capel, tantost en sunt saillis
.II. grans serpens félons et .iiii. coquatris,
Escorpions et tigrez plus de .lxx.
55 Qui s'entrecombatoient comme deables vis.
N'i vousist l'emperere pas estre pour Paris.
Il reclame S. .Jaque et le ber S. Denis
Que de mort le deffende, que il n'i soit malmis.
Moult par fu orgueilleus ichel encantement,
60 Quer avis fu à Kalle et à toute sa gent
2
Quer laiens ot de bestez si grant c[r]ooullemenl
Que il ne garde Teure que il muire à torment;
Et gietentfeu et flambe issi espessement
Que tout le paveillon en alume et esprent,
65 Et que Kalles meïsme à sa barbe le sent.
A sa main l'a sachié que peus en sache ,c.
1 Ms. ce bovet. » Le scribe n'a pas compris l'expression cliapel de bonnet
qu'il avait sous les yeux ; après avoir d'abord écrit bonnet, il a barré le mot
d'un trait rouge et l'a remplacé par « bovet. »
-Lacune évidente, probablement d'un vers.
:04 RECHERCHES
Il se voue à S. Jaque et au ber S. Vinchent.
Espiezet Maugis en rient bonnement.
Et quant chen fu venu que il prist finement,
70 Kalles ne fu si lie pour Tor de Bonivent,
Et dist à Espiez : « Amis, à moi entent.
»Le matin te feroi paier à ton talent, »
Espiet, maigre sa suffisance, n'invente guère. Sa conversa-
tion avec l'empereur rappelle en bien des points le passage de
Huon de Bordeaux où le chevalier, tombé dans une affreuse
misère pour n'avoir pas respecté les ordres d'Aubcron, ren-
contre Instrument le Jongleur, et va offrir ses services à Yvo-
rin. Parmi les talents dont Espiet se vante, plusieurs sont em-
pruntés à Instrument et à Huon, à l'un ceux de ménestrel, à
l'autre ceux d'élever Tépervier et de se faire aimer des bel-
les dames'. Merlin, de son côté, s'est vanté à Viviane de pos-
séder de grands secrets. Le premier jeu d'Espietest une repro-
duction de celui par lequel Merlin essaj'e d'abord de satisfaire
la curiosité de la jeune fille : « Merlin se tire un peu à l'écart,
» fait un cercle, revient à Viviane et se rassied sur le bord de
)) la fontaine. L'instant d'après, la demoiselle regarde et voit
» sortir de la forêt de Briosque dames et chevaliers, écujers
wetpucelles se tenant main à main et faisant la plus belle fête
)) du monde. Puis jongleurs et jongleresses se rangent autour
» de la ligne que Merlin a tracée, et commencent à jouer du
» tambour et d'autres instruments. Les danses s'ébranlent et
))les caroles, plus belles et gracieuses qu'on ne saurait dire ^w
— Le second jeud'Espiet est d'un tout autre caractère : des
serpents lancent des flammes et épouvantent les assistants.
Plus loin, Maugis y aura recours dans sa lutte avec l'enchan-
teur Noiron. Dans Gaufrey, Malabron l'emploie pour mettre
en déroute les dix géants qui ont enchaîné son fîlsRobastre^.
Maugis, pour accomplir ses plus surprenants prodiges, se
borne à prononcer un charme. Espiet a recours aux procédés
de l'art. 11 trace un cercle comme Merlin, pose un chapeau
' Huon de Bordeaux, v.72i4, s.; 7401, s.
a P. Paris, R. d. l. T. R., Il, p. 177.
■' Gaufre;/, v. 8627, s.
SUR LES CHANSONS DE GESTE T05
sur le sol et frappe dessus comme tout enchanteur bien ap-
pris.
L'empereur garde Espiet à dîner. Le soir venu, le «folet»
enchante Charlemagne et ses barons ; ils sont pris d'un lourd
sommeil. Espiet veut alors délivrer Maugis; mais les fers sont
trop lourds et bien rivés. Maugis prononce un charme ou for-
mule magique, et ses chaînes volent en éclats. Le «folet séné»
lui conseille de partir. — [165 r° b] Sans Espiet, Maugis eût
tué Charles; il se borne à placer dans la main de l'empereur
un gros bâton, barbouille de noir le visage de Milon, coupe
les grenons du comte Elimant et tond Garin. Ils brisent les
coffres, enlèvent tout l'or et l'argent, et en chargent un fort
sommier. Maugis monte sur le cheval de l'empereur. Puis ils
chargent quinze sommiers de provisions. Maugis demande
congé à Charles, et ils s'en vont. Maugis se dirige du côté de
l'armée de Brandoine, tandis qu'Espiet conduit les sommiers à
Monder. Mais Lambert le Berrujer se trouve sur le chemin
de Maugis.— [165 v" a] Il le reconnaît et voudrait l'arrêter.
Maugis le renverse de cheval, puis arrive au camp de Bran-
doine.
Cependant Charles et les quatre seigneurs se sont réveillés;
ils apprennent que Lambert est grièvement blessé, et consta-
tent que la vaisselle d'or et d'argent a été enlevée. — [165
vo 6] De même on a fait main-basse sur tous les vivres du roi.
Landri, un traître, frère d'Amauri (les auteurs de cette guerre
entre Charles et Hernaut), conseille d'assaillir Monder. Les
Français, conduits par Amauri, vont fourrager et mettent le
feu à un des villages d'Hernaut. Ils rencontrent Maugis et
l'avaut-garde de Brandoine. Amauri tue Guinemer de Maio-
gre; mais, légèrement blessé par Maugis, il prend la fuite.
Charlemagne fait prendre les armes à Landri de Vermandois,
frère d'Amauri, et à quinze mille chevaliers. — [166 r° d\
Maugis, dans le combat qui s'est engagé, tue Landri ; mais il
est entouré, et son cheval est tué sous lui. Il sonne du cor,
et Espiet lui amène Bajard. Brandoine arrive à son tour,
suivi de ses barons et de son armée.
[166 r" b] Charles apprend à qui il a affaire. Il se met à la
tête de toute son armée. Hernaut et Othon d'Espolice enva-
hissent le camp, pillent et brûlent tout. Charles, du haut d'une
106 RECHERCHES
montagne, contemple avec effroi l'armée de Brandoine- De son
côté, Maugis a reconnu rorifiamme et le dragon de l'empe-
reur.— [166 V" a] Le combat s'engage, Hernaut de Monder
vient y prendre part. Brandoine et lui se combattent sans se
connaître, et le comte n'est sauvé que par l'intervention d'Es-
piet et de Maugis. L'aïeul et le petit-fils s'embrassent et les
Français sont repoussés. Charles apprend que son camp a été
pillé. — [166 v° 0] Charlemagne voit la victoire de l'ennemi
et prie Dieu de garder la France «qu'elle ne soit honnie.» Le
soleil, qui était haut encore, se couche aussitôt et le combat
s'arrête. L'empereur, découragé, écoute l'avis du ducSanses;
il charge Sanses et trois autres barons de demander à Hernaut
de lui rendre Dunaimez, dont les conseils lui sont nécessaires.
— [167 r* a] A ce moment, Hernaut recevait un secours
d'hommes et de provisions que lui envoyait la fée Oriande. Il
permet aux barons prisonniers d'aller au camp de l'empereur.
— [167 r"/'] Les Français auraient un pauvre repas si Espiet
ne leur amenait de Monder un convoi de vivres. Dunaimez
conseille à l'empereur de s'accorder avec Hernaut. — [167
v° a] Dunaimez expose à Hernaut les conditions de la paix:
l'empereur lui rendra son fief agrandi ; mais, de son côté,
il fera hommage à l'empereur et lui remettra les clefs de son
château.
A lui ires à pié, en braies, trestout nu.
Maugis exige à son tour que l'empereur consente à venir
combattre Vivien l'amachour, qui assiège Aigremont. Charles
accepte. — [167 v° h] Charles reçoit l'hommage de Hernaut,
lui donne le Val de St-Vincentet un riche ijarncment qu'il con-
quit jadis à Tolède, quand il occit Braimant:
Hons, quand il l'a vestu, mal ne douleur ne sent'.
Il y a grande fête à Monder; mais Maugis rappelle la si-
tuation de son père, et Charles donne l'ordre du départ. Un
espion de Vivien court en apporter la nouvelle à l'amachour.
* C'est évidemmeat le haubert merveilleux que^l'Orgueilleux avait ravi à
Auberon, et qu'à son tour Huoq de Bordeaux reprend au géant.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 107
— [168, r° a] Vivien ne s'effraye pas, car tous les Sarrasins
dépendent d'Esclarmonde :
Lors fet ses bries escrire sans nule arestoison,
Et mande sez amis à sa deffension,
Sorbaré d'Aumarie et le viel Faussaron,
Et le grant amu[r]afle de l'isle de Moisson,
L'amiral de Palerne et de NaplezCorbon,
Et de Mase Fabur, et le riche Amadon,
Et Ronflart et Flambart et le roi Rubion.
Avant en Sarragonne manda Matefelon.
A Rise s'asembla la mesnie Noiron.
Les païens sont réunis sous les murs d'Aigremont. Beuves
et la duchesse s'effrayent d'abord en voyant toutes ces tentes
ennemies. Mais du côté du Pid Droon, Beuves aperçoit une en-
seigne suivie de beaucoup d'autres: c'est celle de son frère
Girard de Roussillon.Puis apparaissent les enseignes deDoon
de Nanteuil, du vieux comte Aymes de Dordonne, qui est ac-
compagné de ses filsRenaudin et Alard le blond. — [168 r°6]
Du côté an pui àe Mayence brille l'oriflamme de France. L'ar-
mée de Brandoine vient se ranger à côté de celle de l'empe-
reur. Au loin, Beuves distingue les enseignes de ses frères
Hernautet Othon. L'empereur tient un conseil et décide d'en-
voyer un messager à l'amachour. Ogier s'offre ; mais Charles
ne l'accepte pas. Maugis se charge d'aller proposer à Vivien
de ((guerpir Mahom et ses grans foletés. » — [168 v° a] Mau-
gis rencontre sur son chemin Girard de Roussillon, son oncle,
qu'il désarçonne sans le connaître ; mais les flls d' Aymes et
Doon de Nanteuil accourent, et Maugis s'enfuit. — [168 v" b]
Charlemagne envoie à son secours ; mais on se reconnaît, et
Girard est fier d'avoir un tel neveu. Maugis, arrivé devant
Vivien, le salue suivant la formule ordinaire:
«Chil [Damejdieu de gloire qui en crois fu pené
» Saut et gart le duc Buef d'Aigremont la chité,
)»Et Hernaut de iMoncler, le viel canu barbé,
))Et Kalle l'emperere qui est lor avoué,
»Et chestui amachour et trestuit si privé.»
lOS RECHERCHES
Vivien le reprend courtoisement :
«Amis, dist Tamachour, tu n'es mie séné.
))Du salut que m'as fet ne te soi je nul gré,
«Si laie[n]z com tu Tas souhaidié et oré. »
Quant Maugis Ta oï, si a en haut parlé:
5 « Araachour, de Mahom soiez vous salué ;
» Burgibuz et Pilate et Noiron le desvé
))Vous soient hui ensemble tout à votre costé,
))Et Lucifer ior fix, e trestuit li maufé. »
<( Amis, dist Viviens, or as tu bien parlé ;
10 "Des or mes peustu dire ton bon et ton pensé. »
))Sire, chen dist Maugis, n'en iert mot trestorné.
» Mesagier ne doit estre de noient encombré.
» Je sui mesagier Kalle, le fort roi couronné.
«L'emperere vous mande, qui moult a poosté,
15 » Que lessiez Mahommet, si ferez que séné,
))Que pourchiaus estranglerent quant il fu enivré.»
Vivien s'emporte. 11 a reconnu dans Maugis celui qui a tué
l'amachour Sorgalant. Les païens entourent le chevalier; il
en tue cinq et s'élance sur Bajard, qu'il avait eu le soin de
tenir par la bride. Dans ce danger, il reste fier et menaçant:
Il tint nue Froberge trestoute ensanglantée.
«Amachour, dist Maugis, ch' est vérité prouvée;
))Onques de bonne geste ne fustez engendrée,
» Quant m'as fet assaillir à ta gent mal senée.
» Par la foi que je doi à la vierge henourée,
))Ta mort si est escripte au trenchant de m'espée. »
Pendant que Maugis est ainsi entouré, son père est sorti
d'Aigremont pour aller s'entendre avec ses frères; mais, as-
sailli par les païens, il est obligé de se réfugier dans une grotte,
(( le creus à la guivre », et de là, se couvrant de son bouclier
qui ferme Tonti'ée, il appelle à son secours. Le bruit se ré-
pand parmi les païens que Beuves est mort. Maugis entend ce
cri, et, sans demander congé à Vivien, part [)0ur secourir son
père. Il disperse les Sarrasins qu'il rencontre. — [169 r" b]
Il appelle le duc, le dégage, et celui-ci appren l inie le che-
SUR LES CHANSONS DE GESTE 109
valier qui vient de le sauver est son fils. Après une scène tou-
chante de reconnaissance, tous deux se dirigent sans tarder
vers Aigremont. Un enchantement de Maugis trouble la vue
des païens, qui se jettent en furieux les uns sur les autres.
Beuves et Maugis sont reçus par la duchesse, qui s'afflige à la
vue des blessures de son époux. — [169 v° a] La duchesse
apprend que Maugis est son fils; elle reconnaît l'anneau qu'il
porte à l'oreille; elle est dans la joie.
Cependant les païens ont recouvré le sens, et Vivien se dé-
cide à employer un sien enchanteur qui sera le rival de Mau-
gis. C'est Noiron, un géant tout noir qui sait plus que Simon
Mage. Il commence par lancerune flèche qu'un diable conduit
et qui, sans qu'on la voie venir, va percer un chevalier à côté
de Beuves. En même temps, les assiégés s'imaginent que la
ville est en feu, et courent çà et là. Le désordre est au comble.
— [169 V b] La lutte s'engage entre les deux enchanteurs.
ÎNoiron fait que la porte d'Aigremont saute hors de ses gonds,
et les païens peuvent se répandre dans la ville ; mais Mau-
gis fait apparaître une haute tour à la place de la porte;
celle-ci est rétablie grâce à la surprise des païens. La lutte
se continue donc dans l'intérieur de la place et les deux en-
chanteurs en viennent à se combattre corps à corps. Noiron
est blessé. — [170 r° a] Il trouble l'esprit de Maugis et de ses
alliés. Ils croient que Maugis se noie dans une eau courante,
et les païens en profitent pour en tuer un grand nombre.
Maugis, quand l'enchantement a pris fin, donne à son tour
une preuve qu'il n'a pas oublié les leçons de son maître Bau-
dri. Les païens se croient entourés de flammes, courent au
hasard, se plaignent et se démènent. Maugis profite de leur
désarroi pour trancher d'un coup d'épée le bras gauche de
Noiron. Celui-ci appelle à son secours tous les diables d'enfer;
ils ne peuvent rien contre Maugis qui est protégé parla vertu
de l'anneau. Ils volent pareils à des corbeaux et font un grand
bruit qui effraje les chrétiens. Tout autour de Maugis ils font
jaillii' la flamme des pierres et des cailloux. — [170 r° b] Les
diables ne peuvent sauver Noiron des mains de Maugis, qui
les a conjurés. Ils redoublent leur épouvantable tempête, et,
après avoir mis le feu à trente maisons, vont se poser hors de
la ville, sur une tour occupée par les païens. Elle s'écroule et
7
110 RECHERCHES
trois cents païens sont écrasés. Puis ils prennent leur vol et
passent avec un grand fracas au-dessus de l'armée de Char-
lemagne. Noiron essaye encore son art contre Maugis. Celui-
ci se croit assailli par un serpent:
Noiron li encantierre fu forment abosmé,
Du bras qu'il a perdu a moult le cuer iré.
.1. encantement fist dont il estoit séné,
Qu'avis fu à Maugis, le vassal aduré,
5 C'un serpent li sailloit, merveilleus et cresté,
Qui tantli getoitfeu que tout l'avoitbruUé.
Qui donc veïst Maugis du bon branc aclieré
Escremir tout par li, com s'il fust forsené,
Et reclamer en haut Ihesu de majesté.
10 Qui le veut esgarder, bien semble fursené.
Le duc Buef qui le voit en est tout trespensé.
Guident que li deable l'aient du sens jeté.
Du-Buef ist de la tour, et o lui son barné,
Où il estoient tuit pour li deable entré;
15 Venus sunt à Maugis qui estoit violé
De l'encantement fort qui si l'a estonné.
Dus Buef le cuide prendre, et o lui si privé,
Mes le priraerain a Maugis si assené
Que mort l'a devant li à la terre versé.
20 Adonques fu dus Buef durement aïré ;
Maugis avoit son fix à .S. Jaque voué
Qu'il le meite en son sens se il li vient à gré.
De l'encanteor n'ont tant ne quant avisé,
Querd'un encantement fu pour eus avisé.
25 Quant de l'encantement fu Maugis descombré.
Et son père duc Buef li a dit et conté
Comme il ot son baron orendroit afolé :
«Père, chen dist iMaugis, quer j'estoie encanté.
» Vees vous le glouton qui est à moi mellé?
30 ))Onques mes ne vi homme d'encanter si séné.
» Se chiens ne m'eiist Damedieu amené,
«Parforche vous eiist à l'amachour livré;
» Par lui fust abatue sainte crestienté. »
«Biau fix, chen dist dus Buef, vous ditez vérité.
35 » Beueïte soit l'eure que tu fus engendré. »
SUR LES CHANSONS DE GESTE 111
[170 v*' d\ Maugis fait prendre Noiron et on le lance au
moyen d'un mangonneau dans le camp de Vivien'. Le corps en
tombant tue Rubion de Carthage et s'écrase aux pieds de l'ama-
cliour, qui est couvert de sang. Cependant Maugis et Beuves
se rendent au camp des chrétiens. En chemin, ils dispersent
un corps de païens et font prisonnier le chef, Murgalant
de Perse, qui promet de renier Mahom. Charlemagne tenait
un conseil de ses barons. — [170 v° h] On était inquiet du
sort de Maugis, dont on n'avait plus de nouvelles depuis qu'il
s'était rendu au camp de Vivien. Mais Desier de Pavie voit
venir la troupe des chevaliers d'Aigremont. Maugis raconte
brièvement comment il s'est acquitté de son message. On bap-
tise Murgalant, dont Beuves est le parrain. Charles lui donne
un graudduché en Allemagne ; il s'appelleradésormais Beuves
l'AUemaut. Le nouveau chrétien annonce que les païens atta-
queront le lendemain, et on se prépare à leur résister. Mais
un espion de Vivien court tout lui rapporter, et le matin les
païens prennent les armes.
[171 r°a] Les païens s'avancent dans la prairie. Les Fran-
çais forment sept éa<fl/7/es, l'armée deBrandoine trois. Charles
répartit les batailles entre Brandoine, le roi OLhon d'Espolice
et les quatre frères. Maugis est en tête avec mille chevaliers ;
il porte l'oriâamme. De leur côté s'avancent Vivien et ses ba-
rons. Maugis et son corps s'élancent les premiers. Beuves
d'Allemagne, le nouveau chrétien, se distingue dans la mêlée. —
[171, r° ôj Vivien et son père se rencontrent deux fois. La se-
conde Beuves est fait prisonnier, et Vivien allait lui trancher
' La dame de Hongaefort fait placer dans une perrière le sénéchal de Ga-
lides et un autre chevalier qui ont été vaincus parBohor; ils sont lancés
ainsi dans le camp des assiégeants. P. Paris, R. d. l. T. R., V, p. 130-131.
— Dans Simo7i de Pouille, qui paraît plus moderne que le Maugis (nous
avons vu qu'il place Vivien d'Aigremont à la cour de Charlemagne), les chré-
tiens traitent de même Tristamant qui lésa trahis:
Amont la tour l'enmenent à guise de garçon,
En mangonel le si saichent de rendon.
Si a droit l'ont balancé com se fust un boucton.
Aux piez l'Amirant chiet devant son pavillon
Fr. Michel, préface de Charlemagne, p. lxxxix.
112 RECHERCHES
la tête, quand le fort roi Ysoré lui fait remarquer que la mort
de Beuves exaspérerait les chrétiens et qu'il vaut mieux gar-
der un tel otage à Monbranc. — [171 v° a] Vivien suit ce
conseil. Maugis, quand lisait que son père a été pris, rend au
roi l'oriflamme, qui est confiée à Fagonde Balesgues;puis il se
jette dans le combat, tue le vieux Flambart de l"île des Ténè-
bres, l'amiral Ysoré, Arpatris. Charles et les trois frères com-
battent aussi vaillamment. Brandoinetue Sorbrin, qui portait
l'oriflamme de lagent Apolin, et le roi Alipantin. Vivien essaye
vuiiiement de continuer la lutte.
L'amacbour Vivien voit ses païens mourir,
Tel duel a et tel ire du sens cuida issir ;
,1111. cors d'arain fist et corner et tentir,]
Mez de son grant empire que hui ot à baillir,
5 Ne peut demi millier alier n'acueillir.
Par tout les voit à .c. et à millier gésir,
Et clieus qui sont en vie, voit toutez pars fuir.
Mahommet reclama à plours et à souspir.
((He! duc Buef d'Aigremont, moult par te puis haïr.
10 «Par toi et par ta geste m'estuet le champ guerpir,
» Quer je voi mez gens mors de toutez pars gésir. »
[171 v^i^] Vivien, en quittant le champ de bataille, rencon-
tre et blesse légèrement son aïeul Hernaut. Maugis, monté
sur Bayard, rejoint l'amacbour. Un combat violent s'engage
entre les deux frères. — [172, r° a] Vivien porte à Maugis un
coup qui le renverse, et il allait l'achever, quand un ange
descend du ciel et une lumière éclatante éblouit Vivien. Mau-
gis en profite pour se redresser et recommencer la lutte; mais
son épée s'engage dans les armes de son frère, qui la lui ar-
rache des mains. — [172 r° 0] Maugis désespéré a recours à
son art. Vivien s'imagine qu'il est à Monbranc devant l'autel
de Mahom et de Tervagant. Il s'agenouille et adore Mahom.
Maugis lui enlève Froberge et sa propre épée. Vivien revient
à lui, et après quelques discours se reconnaît son prisonnier.
Il aura sa liberté quand le duc Beuves aura été rendu aux
siens; il refuse de changer de religion et se promet bien de
recommencer plus tard la guerre. Maugis le conduit à Aigre-
mont.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 113
[172 voaJQuandramachour paraît devant la duchesse, elle
reconnaît avec surprise l'anneau d'or qu'il porte à l'oreille. Il
est grand et beau et ressemble à Maugis. Après l'avoir me-
nacé de mort, s'il ne rend le duc Beuves, la duchesse lui de-
mande de qui il est fils. Il sait simplement que la belle Es-
clarmonde l'a acheté sur le rivage et lui a dit qu'il est issu de
haut parage et fils d'un amiral puissant. Maugis interrompt
ces discours. Comment aura-t-on le duc Beuves? Vivien s'off're
pour aller le chercher lui-même et donne sa parole à l'empe-
reur et à tous les assistants. — [172 v° b] La duchesse obtient
la promesse qu'il forcera Esclarmonde à lui révéler le secret
de sa naissance. Il revient à Monbranc, apprend à sa femme et
à Beuves tout ce qui s'est passé et charge Escorfaut de Mon-
glai de ramener le duc sain et sauf à Aigrement. — [173
r" a] Vivien arrache à Esclarmonde la vérité.
L'amachour Vivien courouchié et marri
Enmena Esclarmonde au gent cors segnouri
En la chambre pavée, n'i ot noise ne cri.
Le branc avoit sachié, nel mist pas en oubli.
5 «Dame, dist Vivien, ja m'avez vous nourri
))Et moi pris à segnor, forment vous en merchi ;
)) Or vous pri pour Maliom, gardez n'i ait menti,
» Ditez moi qui je sui et de quel lieu je sui,
))Et, se vous ne le feitez, n'ere pas votre ami. »
10 Quant Esclarmonde l'ot, tout le sanc li frémi,
Paour a que Mahom ne soit pas li guerpi.
«Par Mahommet, dist ele, d'un amiral [Persi]
» Estez né et extrait, dist chil qui vous vendi. »
Il respont : « Par Mahom, vous i aves menti.
15 » Quant fu à Aigrement tout le voir en oï,
))Et, se vous nel me ditez, par foi le vous plevi,
» Orendroit vous feroi de chest siècle partir. »
Et, quand ele l'entent, moult s'en espeiiri.
Guide que d'Aigremont li ait esté gehi.
20 Ele a dit: «Vivien, pour Mahommet merchi!
«Vérité vous diroi, loialment vous affi.
V. 12, Ms. « d'un amiral parti. »
114 RECHERCHES
«Sire, dist Esclarmonde, amachour segnouri,
)) Fix es Buef d' Aigrement qui or torna de clii.
» Mez là où tu fus né ot grant noise et grant cri.
25 » Là t'embla .i. païen qui à moi te vendi.
» Encor en ai le paile, qui est à or sarti,
» Où fus envolepé u maillolet peti
» Quant nasquis de la dame à qui on te toli. »
Quant Famachour oï la dame ainsi parler
30 Qu'il estoit fix dus Buef d'Aigremont dessus mer,
D'ire et de mautalent commonche à aluraer:
«He las ! chetif, dolent, or devroie desver
» Quant ai fet mon chier père traveillier et pener.
» Près ne m'a fet deable dedens enfer aler.
35 » Pour quoi le m'avez fet si longuement clieler?
» Moult le vous couvendra chierement comperer. »
Ja li feïst la teste hors du bu dessevrer,
Mez au pié li chaï pour la merchi crier.
Il l'araa durement, ne la vout adeser,
40 Anchois se prist en sus forment àdoulouser.
Par ire va l'espée à la terre ruer.
Et de ses dras trestous s'est aie desnuer,
N'i laisse fors les braiez ne cauche ne soûler.
Devant lui Esclarmonde aie paile aporté.
45 L'amachour si le prist, sel commenche à ploier.
De la chambre est issu, si commenche à errer.
Esclarmonde ne vout targier ne demorer,
Miex vout ele mourir que de lui dessevrer.
Deli et d'Esclarmonde ne vous vueil plus conter.
A peine Beuves est-il de retour à Aigrement que Maugis
veut que l'on parte pour assiéger Monbranc et se venger de
l'amachour. — [173 r" b] Mais la duchesse intervient: «Vi-
vien est ton frère», dit-elle.
A ce moment apparaissent Vivien et Esclarmonde. Vivien
se jette aux pieds de son père, lui baise la jambe, lui demande
pardon pour tout le mal qu'il lui a fait. Il raconte comment
il a été vendu à Esclarmonde et montre le paile dans lequel il
était roulé quand il fut enlevé par Tapinel. C'est grande fête
SUR LES CHANSONS DE GESTE 115
à Aigremont. Vivien et Esclarmonde sont baptisés. Il gardera
son nom; mais la duchesse donne le sien à sa bru, (jui s'appel-
lera A y /ce. Puis on procède à leur mariage suivant la loi chré-
tienne. On se sépare ; chacun part pour son pays. Alors se pro-
duit un accident qui fait passer Bayard etFroberge des mains
de Maugis à celles de Renaud.
En Aigremont fu grant la joie et li barnés,
Et la feste tenue tant qu'il fu desaubez.
A la loi crestiennes sunt andui espousés.
A .1. lundi matin sunt trestuit aprestés,
5 Chascun va reperier de lan il fu tornés.
Maugis à Espiet a Baiart demandés,
Il li queurt amener parle chanfrain dorés,
Baiart Ta u talon par deriere hurtés
Que le soûler fendi, le sanc en est volés.
10 En son pié fu blechié, si en est aïrés.
Il tenoit .1. basrton, grant coup l'en a donnés.
«Maleoit fils de diable » l'a Espiet clamés.
Baiart Ta entendu, quer il estoit faés.
Sachiez de vérité, il en a moult pesés.
15 11 a escous la teste, si l'a du pié frapés
Que il l'avoit illeuc tout mort agreventés.
Qui donc veist Maugis dolent et abosmez.
Pour l'amour à la fée [l'avoit] si aamés.
Li baron et li prinche ont Maugis confortés.
20 Renaudin son cousin a Maugis apelés.
«Cousin, chen dist Maugis au courage adurés,
» Je vous doins chest destrier de bonne volontés. »
Il a deschaint Froberge au pont d'or neelés,
A Renaut son cousin avoit le branc donnés,
25 Et Renaus l'en avoit bonnement merchiez.
Puis fist par le cheval mainte ruiste fîertez.
Ainsi com vous orrez, se je sui escoutez.
Au duc Buef d'Aigremont ont congié demandés.
Et le duc Buef les a à Ihcsu quémandés.
30 Kalles vers douce Franco est lors acheminés,
Roi Brandoine en ramené [o li] son grant barnés,
Le quensllernaut en rest droit à Monder aies,
116 RECHERCHES
Et Othon d'Espolice, le fort roi couronnés.
Girart à Roussillon a son cheval tournés,
35 EtDoon àNanteuil, ne s'i est demeurez.
ADordonne s'en va Aymez le viel barbés.
Viviens s'en rêva à Monbranc sa chités.
.11. evesques en a ensemble o lui menez
Qui le peuple du resne [ont] tost crestienncs',
40 Et, qui ne vont clien fere, si ot le chief coupez.
Duc Buef à Aigrement est en pes demeurez,
Et Maugis, le sienfix, qu'il avoit aamés.
EXPLICIT LE ROMANS DE MAU. LE VAILLANT
ET DE . W. SON FRERE l'aMACHOUR DE MONBRANC.
IV
LE MAUGIS d'aIGREMONT ET LE RENAIlD DE MONTAUBAN
L'auteur a traité complètement le sujet qu'il s'était tracé,
les Enfances Maugis, et la mort d'Espiet explique suffisamment
pourquoi Maugis ne veut pas conserver Bajard. D'ailleurs le
frère d'Oriande, l'ami fidèle du fils de Beuves ne figurant point
dans les aventures traditionnelles des Quatre Fils Aymon,
mieux valait pour la vraisemblance le supposer mort qu'indif-
férent. Dans Pulci^, Morgante disparaît également au moment
où l'action rentre dans le domaine des traditions consacrées
sur Roncevaux. La morsure d'un crabe a raison du géant in-
vincible.
On a pu remarquer que Renier de Vantamise, ce treizième
fils de Doon, a fini par disparaître du récit sans que l'auteur
s'en soit autrement occupé. On verra dans le Vivien de Mon-
branc, dont nous donnerons plus loin le texte, que les person-
nages qui ne sont point mentionnés dans le Renaud de M on-
tauban meurent tous en temps utile : Hernaut de Monder,
Othon d'Espolice, Brandoino. Le terrain est ainsi dégagé des
fictions ({ue la tradition plus ancienne ignorait, et des romans
' Ms. « a tosL oreslieunes.» ~ - Morgante, c. xx, ott. 50-52.
SUR LES CHANSOMS DE GESTC 117
de date plus récente à la chanson de geste, le passage se fait
tout naturellement et sans effort.
Mais si, dans la rédaction du Mauqis et du TViven, Fauteur
n'a jamais perdu de vue qu'il rédigeait une véritable intro-
duction à l'histoire des fils d'Aymes, et que le plus grand mé-
rite de ses inventions serait d'y respecter les données de la
légende, il a cru néanmoins qu'il pouvait sans inconvénient
remanier le vieux texte, de façon à ce qu'il se reliât sans so-
lution apparente de continuité avec son oeuvre propre. Le
remaniement du Renaud de Montauban, qui a été conservé
dans le manuscrit de Montpellier, ne peut être attribué qu'à
un trouvère intéressé à en faire la suite naturelle du Maugis
dWigremont.
En effet, une fois Maugis reconnu et présenté à tous comme
le fils deBeuves, n'était-il pas étrange qu'il ne fût fait aucune
allusion à son existence dans la première partie du Renaud
de Montauban, partie très-distincte, oi; il ne s'agit que des dé-
mêlés de Beuves d'Aigremont et de Charlemagne? Dans la
version de Montpellier, Maugis est à côté de sa mère, quand le
corps deBeuves, qui a été assassiné par Grifon de Hautefeuille,
est rapporté à Aigrement.
De Testeur sunt partis atantli .x. serjant.
.iiii- lieuez plenierez ala le cors saignant
Que les plaiez ne porent estanchier tant ne quant.
Des jornéez qu'il font ne vos iroi contant.
5 Vindrent à Aigrement à un avesprement ;
La duchoise s'estut as fenestrez devant,
0 lui Maugis son fix que ele aime forment,
Cheus a veiis venir courouchiez et dolent
Qui lor seignor aloient tout adez regretant.
10 Quant la dame l'oï, s'en ot le cuer dolent.
Très parmi la chité la nouvele en ala
Que lor seignor est mort, forment lor en pesa.
La duchoise et Maugis grant duel en démena:
((Sire Dex, [fet Maugis, quel damage chi a!
15 ))Se je vif longuement, Kalles Tacatera. »
((Biau fix, dist la duchoise, ne vous esmaiez ja.
118 RECHERCHES
» Le duc Girart, ton oncle, moult bien vous aidera.
» Ainchiez que li an passe, moult le courouchera
» Et Renaut, ton cousin, que Ajmez engendra, n
Par cette addition, l'accord est rétabli entre les deux ro-
mans, et Maugis apparaît déjà comme le futur vengeur de la
mort de Beuves.
Mais notre trouvère ne pouvait s'en tenir là. L'idée-mère
du Maugis d'Aigremont est Texplication de ce que la légende
des Quatre Fils Aymon offrait d'incomplet et d'obscur. La mort
de Beuves et le Renaud de Montauban une fois réunis par
l'usage en un seul récit, et bien que même dans le manuscrit
de Montpellier la première des narrations se termine par la
formule consacrée « explicit la mort dus Buef d'Aigremont »,
on ne pouvait méconnaître que dans les querelles de la famille
d'Ajmes et de Charlemagne tous les torts n'étaient pas du
côté de l'empereur, ce qui était en contradiction avec la fière
loyauté des quatre fils Aymon. D'autre p?»rt, on pouvait être
choqué de la facilité assez peu naturelle avec laquelle Charle-
magne et le duc Aymes oublient, l'un la mort de son fils, l'au-
tre la mort de son frère. Il y avait trop de meurtres inexpli-
qués dans la première partie, trop de bonne humeur et de
gaîté dans le début delà seconde. Le vieux texte pouvait donc
être corrigé d'une façon utile.
Déjà, dans le Vivien de Monbranc, il y a eu entre Charlema-
gne et Lohier d'un côté, et Beuves et Maugis de l'autre, une
rupture complète dans des circonstances où, on le verra, l'em-
pereur et son fils agissent de la façon la plus blessante pour
les fiers barons. C'était un motif, non suffisant à notre point
de vue, mais du moins un motif de haine entre Charles et
Beuves, et une explication de la colère du duc d'Aigremont,
quand Lohier vient lui apporter les ordres menaçants de l'em-
pereur. Notre trouvère a fait davantage. Il a fondu ensemble
la Mort de Beuves et le commencement du lîenawl de Montau-
ban de la façon suivante.
L'envoi d'un premier message de Charlemagne et la mort
du messager, Enguerrand d'Espolice,sont supprimés'. C'était
1 Celte suppression a été également constatée par M. Rajua, dans le ms.
civ, 3, 16, de \ea\S{^. Rinatdo da Montalhano, p. i'o. D'après les indications
SUR LES CHANSONS DE GESTE 119
un meurtre de moins à la charge de Beuves, meurtre que le
trouvère n'aurait su comment excuser; c'était aussi la sup-
pression d'un double emploi.
On n'était plus sensible à cette sorte de gradation qui plai-
sait aux vieux seigneurs féodaux, aux yeux desquels se char-
ger d'un second message quand les premiers messagers avaient
été mis à mort était le comble de Théroïsme *. Lohier, Tennemi
de Beuves, va le provoquer dans son château, et la mort est
le prix de cette témérité. C'est pendant le voyage de Lohier à
Aigremont, avant que sa mort soit connue et qu'il y ait du
sang entre les deux familles, que l'empereur adoube cheva-
liers les fils d'Aymes. Dans la version plus ancienne, cette ce.
rémonie a lieu après la mort de Beuves, lorsqu'une réconci-
liation est intervenue entre Charles et les frères du duc. Aymes
a pris part aux deux guerres successives entre l'empereur et
sa famille; mais ni l'un ni l'autre n'ont l'air de s'en souvenir,
et Charles comble de caresses Renaud et ses frères. Dans la
version de Montpellier, Aymes et ses fils, qui se sentaient liés
envers l'empereur, n'ont pas soutenu Beuves après l'attentat
qu'il avait commis. Dès qu'ils en reçoivent la nouvelle, ils
quittent la cour de l'empereur et vont à Dordonne. Ils content
à la duchesse tout ce qui s'est passé.
Quant la dame les vit, ses a mis à reson :
((Sire, bien vegniez vous?» — «A Dieu, beneïchon. »
wEstRenaut, mon cher fix, chevalier abandon?»
))Oïl, ma douce dame, le gentil hons respont,
5 » Adoubez nous a tous, l'emperere Kallon;
» Si home devenimez, feeulté li devon;
» Mez j'en dont durement qu'encor nel courouchon. »
((Renaut, chen dist la dame, vous ferez que bricon. »
((Dame, chen dist Renaut, ne sai que nous feron.
données parM. Rajna (p. 6-8), il contient des allusions à la guerre d'Espagne
où Roland s'empara de Nobles.
' Dans Rola?id, malgré la mort de Basan et de Basile (v. 207-209, éd.
Gautier), Naimes, Roland, Olivier, s'offrent pour porter le message à Marsile;
mais l'empereur ne veut envoyer aucun des douze pairs. Il refuse également
d'accepter Turpin. C'est alors que Roland propose son beau-père, et encore
offre-t-il d'y aller a sa place (v. 244-316J.
120 RECHERCHRS
10 » Mêliez sommez à Kalle,ja ne vous cheleron.
«Sanscongie departimez de la court entre nous,
»Querli dus Buef, mon oncle, le sire d'Aigremont,
» Si a ochis Lohier qui eâtoit fix Kallon. »
Quant la dame l'oï, si en ot marison.
15 Bien set de vérité ch'est lor destruction.
La dame Marguerie s'ala moult dolosant,
Qu'ele doute la guerre et le destruiement.
«Biau fix, clien dist la dame, .i. petitet m'entent,
))Sus toute créature va ton seignor servant.
20 »Et vous, sire dus Ajmez, moult me vois merveillant
«Que de Kallon partistes si aïréement. »
Et respont li dus Ajmez, qui le cuer ot dolent,
Que le duc d'Aigremont, mon frère le vaillant,
A mort le fix Kallon à son acherin brant.
25 «Sire, chen dist la dame, pour Dieu omnipotent,
» Ne te va de lor fet pour rien entremetant ;
» Mes aidiez à Kallon, mon seignor le vaillant,
))Mès aidiez à Kallon, ton seignor, loialment. »
Et respont li dus Ajmez : «Si m'aït .S. Amant!
30 » Or soit comme il pourra des ichi en avant. »
Aymes et ses fils suivent les conseils de la duchesse Mar-
guerie* et ne prennent point part aux guerres que Girard de
Roussillon et Doon de Nanteuil soutiennent contre Charles.
Mais, quand la paix se fit, on négligea de s'assurer l'assenti-
ment de Renaud, Alard, Guichard, Richard et Maugis. Cette
négligence ne devait pas rester sans conséquence.
Entoutceci, le trouvère aété préoccupé desaiiverla loyauté
d' Aymes de Dordonne. assez compromise dansFautre version.
La duchesse est l'interprète exact de cette conception nou-
velle de la légende.
Le début de l'histoire des Fils Aymon se trouve par suite
modifié. Charles est bien disposé pour Aymes et ses fils, et
veut les récompenser:
«Dus Aymez, dist le roi, moult par estez preudom;
' Elle est appelée Aye dans rédition de M. Miclielant.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 121
» Je vous aim loialment, de verte le dison.
» Je donrai à vos fix moult bêle pension.
» Je feroi senescal de Renaut le baron,
5 » Aalart et Guichart porteront le dragon,
))EtRichart portera mon estourin faucon. »
Aj-mes s'incline devant la volonté de l'empereur, tout en
rappelant qu'il n'a pas oublié la mort de son frère Beuves.
Renaud, Alard et Guichard expriment des sentiments pareils,
et, après une violente querelle, Charlemagne chasse grossiè-
rement Renaud. Après cette scène, le calme renaît. On dîne;
puis les uns vont behourder, les autres jouent aux tables et
aux échecs. Renaud et Bertelais jouaient ensemble. Le fils de
l'empereur insulte son adversaire et le frappe au visage;
Renaud, d'un coup de l'échiquier d'or, étend Bertelais mort à
ses pieds ' . Alors s'engage un véritable combat, où se distingue
le « vassal Amaugis. » Les quatre frères et « Amaugis, leur
ami», quittent Paris et s'enfuient à Dordonne-. De là les fils
Aymon iront bâtir Montessor sur la Meuse, tandis que Charle-
magne afie leur père, qui a prorais de ne pas les secourir.
La Bibliothèque bleue suit fidèlement le texte du manuscrit
de Montpellier pour tout ce commencement de l'histoire des
fils Ajmon, et ne fait guère que le résumer ou le traduire. A
propos du cheval que, d'après cette version, Renaud avait déjà
quand il fut armé chevalier, elle se conforme à la tradition
créée par le Maugis: « Puis Renaud monta sur son cheval
))Bajard, qui jamais n'eut son pareil; car, pour avoir couru
» dix lieues, il n'était pas fatigué. Ce cheval avait été nourri
1 Cette version des origines de la querelle de Renaud et de l'empereur est
assez conforme au récit que fait Renaud lui-même dans le texte de M.Miche-
lant.p. 227. Cf. aussi dans Ogier Ja mort de Baudouin. Je reviendrai sur tout
ceci à propos du Rinaldo da Montalbano.
^ Une des versions du Renaud de Montauban « fait retenir les trois frères
» de Renaud dans la chartre de l'empereur jusqu'au moment où leur cousin
» Amaugis ou Maugis vient les délivrer, grâce aux sorts qu'il jette autour de
» lui; c'est encore là une pâle imitation de la prison d'Ogier dans la tour de
» Reims, et l'on ne doit pas s'y arrêter. » Bibliothèque 7iatio7i., ms. 7183,
f<>67. Histoire littéraire, XXII, p. 674-675. Le ms. de Venise contient é°-a-
lement cet épisode; mais on ne le retrouve pas dans le Rinaldo da Motital-
bano. P. Rajua, Rinaldo d. M., p. 34
122 RECHERCHES
» en l'île de Blescau, et Maugis,filsduduc Beuves d'Aigremont,
« l'avait donné à son cousin Renaud. »
L'intérêt que présente le remaniement que contient le ma-
nuscrit de Montpellier vient de ce qu'il a été fait par un
homme qui se rendait parfaitement compte des conséquences
des additions et des changements qu'il faisait à la légende. Il
abrège très-souvent ; sa langue épique est de la décadence ;
mais il n'a pas altéré le caractère général du vieux roman et
il a tiré habilement parti des données qu'il possédait. Cela ex-
plique le succès de soii œuvre. J'ai dû faire souvent usage de
ce texte; je crois pouvoir en reproduire un passage assez in-
téressant, qui permettra d'en comparer le stjle avec celui de
la version imprimée'. La Bibliotlibque bleue suit encore ici le
texte de Montpellier.
Le roi Yon expose à ses conseillers que l'empereur exige
que les fils d'Aymes soient remis entre ses mains et leur de-
mande leur avis.
«Segnors, dist [le] roi Yon, .i. conseil vous demani :
«Ne mêle donnes mie du tout à mon talent,
» Mes si que bien en die li petit et li grant.
» Kallemaines de France, l'emperere puissant,
5 » Est entré en ma terre par moult grant mautalent.
» Durement me menache, moi et toute ma gent,
» Se je les fix Ajmon tous .iiii. ne li rent,
» Ne me leira castel, bourc ne vile en estant.
» Mes onques le mien père ne tint du sien .i. gant,
10 ))Non fera ja le fix en trestout son vivant.
» Se il a avec lui Olivier et RouUant,
» Et j'ai Renaut o moi et Richardin l'enfant ;
))Et, se il a dusNaimes, Berenguieret Bruiant,
))J'ai Guichart, Aalart, Amaugis le vaillant;
15 »Et, se il a aussi Ogier le combatant,
» J'ai Guichardin d'Espagne, Godefroi le puissant.
» Se il a .XII. pers, et je en ai autretant ;
1 Dans le texte imprimé, ce passage comprend 218 vers (p. 154-160;. 11
n'y a que ciuq barons dans le conseil du roi ; mais chacun parle longuement,
et il y a deux délibérations successives.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 113
» Se il a .c. mile hommes, de .c. mile me vaut;
» S'il est rois, et je rois, s'il a branc, et je branc.
20 » Je deraant vo conseil, ne le m'aies ehelant;
))(Mez)conseilliesmoi à droit que Dex vous soit aidant.»
Premerain a parlé Godefroi, che m'est vis.
« Je me merveil, dist il, par le cors S . Denis,
» Que vous queres conseil que Renaus soit ochis.
25 ))I1 est votre linge homme et vo carnel amis,
» Et de votre seror a il .ii. fix nourris,
» Et si vous a vengié de tous vos anemis. «
Apres avoit parlé le mal quens d'Avignon ;
Dex li doinst maie honte, il ne dit se mal non.
30 «Riche roi de Gascoigne, entendez ma reson:
»Se vous perdez Gascoigne pour .i. tout seul baron,
»Et vous toutez vos gens donnez pour .i. povre hon,
«Legieu avez perdu par le cors .S. Sjmon.
» Tout li mont vous tendroit à fol et à bricon.
35 «Délivrez lui Renaut qui me semble félon. »
Le quens de Monbendel après lui a parlé :
«Riche roi de Gascoigne, sachies de vérité,
» Enfin vous veut honnir qui chen vous aloé.
)) Quant Renaus vint à vous de segnor esgaré,
40 » Il ne sembla pas homme qui eiist povreté,
» Son mendre escuier iert de [vair] afublé'.
» Àins que Renaus eiist son esperon ostés,
» [II] vous dist moult très bien qu'à Kallon iert mellés.
» Vo serour li donnastez et une ducheé
45 » Acuicié à les marchez et de lonc et de lé.
»Par ichel .S, aposti'C c'on quiert enNoiron pré,
))Ne doit porter couronne ne tenir roialté
» Qui pour paour de mort rent si riche barné .
)) Encor n'avez perdu ne castel ne chité.
50 » Se traïssiez Renaut, trop aves mal ouvré,
» Ms. « de vert afuble. » —Ed. Michelant, p. 157:
Ses pires escuiers iert de gris afublés.
124 RECHERCHES
))Queren trestoutez cours serez au doi monstre.
)) Jamez n'arez heneur en trestout votre aé.
» Judas qui Dieu traï, serez tous jours clamé. »
Apres parla Antiaume à la barbe flourie,
55 Damedieu li doinst mallefix.S. Marie.
«Riche roi de Gascoigne, chestui ne créez mie,
» Enfin vous veult traïr. Ne lerroi ne vous die :
» Les .iiii. fils Aymon sunt de povre lignie,
» Délivrez li Renaut, qui qu'en pleurt ne qui rie.
GO » Miex est qu'il soit honni que vo gent soit perie. )>
Apres parla Guinant, .i. duc qui tint Baione:
«Roi, chil vous veut traïr qui chest conseil vous donne.
«Renaus le fix Ajmon est moult noble personne,
» Plus vaillant que son père n'a il jusqu'en Sessoigne.
05 » Ichil roi ne doit mie à droit porter couronne
» Qui pour paour de mort son baron abandonne. »
Après parla Hunalt qui le poil ot canu,
Et a dit à Guinant: «Tu as le sens perdu.
» Quant tu verras chest règne gasté et confondu
70 » Et brisié maint castel et maint mort abatu,
»Toi ne caudra il gueirez qui soit pris ne vaincu. »
«Assez miex, dist Guinant, si m'ait or Ihesu. »
Apres parla Bernart qui moult ot fier courage,
Le septisme des contez, et dist moult grant outrage :
75 «Riche roy de Gascongne, moult ferez grant folage
» Se vous Renaut tenes contre le fort roi Kalle.
» Kalles est moult cruel et de moult haut parage,
«Rendez [à] li Renaut et tresîout son parage. »
Quant le roi Ys l'entent, si leva le vis;ige.
80 Or le rendra à Kalle et atout le barnage.
Ce morceau est très-supérieur pour le fond et la forme à
ce que nous lisons dans le licnaud de Montauban. Yon parle
ici avec une fierté vraiment royale, et ses conseillers s'expri-
ment avec une éloquente concision. La phraséologie épique de
notre trouvère se ressent d'ordinaire do l'usure du temps; on a
SUR LES CHANSONS DE GESTE 125
donné tant de coups d'épée depuis Roncevaux et Aliscans!
Maisquand il sort de Timitation trop matérielle, quand il n'est
plus gêné par l'embarras des récits de batailles, et que, soit
dans le Maugis, soit dans l'histoire des Fils Ajmon, il exprime
des idées et des sentiments qui lui appartiennent, il devient
intéressant. Le mot de Maugis à Vivien:
Ta mort si est escripte au trenchant de m'espée,
les paroles des barons reconnaissant leur cruauté envers les
pauvres serfs qui gagnent le blé, le sourire du petit Maugis
sur les genoux d'Oriande, bien d'autres passages, nous le mon-
trent capable de prendre tous les tons. Il est d'ailleurs moins
ignorant que la plupart de ses devanciers. Il connaît la Sicile
et ses volcans; il ne sait de l'Orient que ce qu'en rapportaient
les pèlerins; mais du moins les noms propres ne sont pas trop
altérés. Ces qualités ne sauraient remplacer le souffle épique,
l'ardeur héroïque et sincère des premiers âges; mais elles
donnaient le succès présent et permettaient de soutenir sans
trop d'infériorité la rivalité des romans qui dérivaient directe-
ment des légendes bretonnes.
Je voudrais définir le procédé de composition de l'auteur du
Maugis. Il a emprunté au Lancelot du Lac la naissance des fils
de Beuves et l'éducation de Maugis par une fée, et à la lé-
gende d'Artus le lieu où se passe l'enfance de son héros. Quand
il conduit Maugis à la cour de Galafre, en fait le champion de
Marsile et l'amant de la reine, il imite les récits sur la jeu-
nesse de Charlemagne et les amours de Lancelot et de Geniè-
vre. Les fils à la recherche de leurs pères, les combats entre
père et fils avant qu'ait lieu l'inévitable reconnaissance, dé-
rivent des sources germaniques. Dans le personnage d'Espiet,
nous voyons la double influence de Huon de Bordeaux et de la
Table Ronde. De la Table-Ronde vient aussi le caractère ga-
lant de Maugis, qui a des aventures amoureuses tout comme
le bon Gauvain. Mais d'où sortent ces espions qui se hâtent à
travers le récit, renseignant les princes sur ce qui se passe
chez leurs ennemis? Notre auteur a trouvé le type si intéres-
sant qu'il n'a pas hésité à présenter d'abord le neveu d'Oriande
comme un espion, et dans le remaniement des Fils Atjnion,ce
126 RECHERCHES
n'est plus un messager, mais un espion qui apprend à Beuves
les projets deCliarlemagne*.Le sans-façon avec lequel Maugis
se met successivement au service de Marsile et de FAmustant
de Mellent% la remarque que chez les Sarrasins il y avait
maint clerc renégat, indiquent la fin de l'enthousiasme reli-
gieux. Dans les romans italiens, Renaud et Roland se com-
porteront souvent comme le fait ici Maugis dans ses voyages
en pays sarrasin.
Le monde féodal est dépeint tel que nous le voyons dans
Ihnaud de Montauban et les chansons de la même époque. Les
barons faits prisonniers, grâce à la ruse de Maugis, sont très-
satisfaits de l'aventure, parce qu'elle, les dispense de tirer
l'épée au profit de l'empereur dans la guerre qu'il soutient
contre ses vassaux révoltés. Naymes ou Dunaymes ^ est le
conseiller indispensable du roi, comme toujours, etCharlema-
gne est obligé de prier ses ennemis de lui rendre celui sans
lequel il ne sait rien décider. Le roi de Saint-Denis est ce qu'il
restera désormais, très-menaçant, très-violent, très-obstiné,
mais malheureux dans ses entreprises, raillé, vaincu, mais
néanmoins protégé de Dieu quand l'honneur delà France est
en cause. Il finit par avoir l'hommage de ses barons, mais à la
condition de payer leur soumission.
L'opposition des Sarrasins et des chrétiens est en général
marquée des mêmes traits que partout. Cependant on ne voit
* Dans Renaud de Montauban, je n'ai trouvé qu'un espion (p. 220) dont
d'ailleurs Espiet me semble dériver:
lluec ot une espie ki Pinax avoit non,
Et cil estoit de Frise, .xv. pies ot de ionc
Et voloil contrefaire Maugis le fort larron.
Dans le ms. de Montpellier, il est appelé Maupin, éa.VLS la Bibliotlièque
h\s\iç, Pignaut. — Dans Ogier,v. 4877, Gérémie, espion de Didier; v. 7339,
uu espion d'Ogier, v. 9803, un espion de Brehus,
2 Dans Iluon de Bordeaux (v. 7540-8175), Huon devient le champion
d'Yvorin de Monbranc, frère de Gaudisse, et tue Sorbrin; puis il est aux
prises avec Geriaumes, devenu de son côté le champion de Galafre. Les deux
cliréliens font ensemble la conquête d'Aufalerne, et Iluon retrouve Esclar-
monde-
' Nous avons aussi rencontré la forme Du-Buef. En italien, Diisnamo
devint le nom ordinaire du bon duc de Bavière.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 127
plus d'allusion au royaume chrétien de Jérusalem, et les agres-
sions viennent des mahométans. A l'époque de la composition
de ce roman, FefFort des croisades n'aboutissait qu'àdes échecs
et à des revers. Le roi de Jérusalem n'a été conservé, à la fin
du Renaud de Montauban, que par respect pour la tradition
poétique.
Je relèverai un procédé assez important, le dédoublement
des personnages. A côté de Maugis, nous avons Espiet et Vi-
vien, représentant, l'un la science magique, l'autre la vail-
lance chevaleresque. Cela ne suffît pas ; à Maugis est- opposé
un troisième enchanteur, Noiron. D'ailleurs le trouvère ima-
gine, sans hésiter, des personnages nouveaux: Hernaut de
Monder, Ysane, Brandoine ; tantôt il invente les noms, tantôt
il les prend au hasard dans d'autres récits. Il y a en tout cela
plus d'intelligence et de métier que d'originalité; vraie. Ce-
pendant telle page, on a pu s'en convaincre, n'est pas sans
mérite. La plupart des chansons de geste de date récente sont
d'une fatigante prolixité. Ce n'est le défaut ni du Maugis, ni
surtout du Vivien de Monbranc. D'une manière générale, la
narration de notre trouvère est bien composée, et il sait éviter
tout désaccord entre ses conceptions et la légende. En faisant
du Maugis, du Vivien et du Renaud de Montauban, un ensemble
homogène où les faits se suivent dans un ordre clair et natu-
rel, il s'est approprié le plus populaire des récits du moyen
âge.
Je ne sais si le personnage de Maugis a réellement gagné à
devenir l'objet d'un poëme distinct. On a été sévère pour la
facilité avec laquelle il aime successivement Oriande, la reine
épouse de Marsile, sa tante Ysane ^ Ce qui me frappe, c'est
qu'il ne s'attache vraiment à aucune. Il quitte la douce fée,
abandonne la reine, celle-ci au milieu d'un embarras terrible,
sans paraître ému. Sans doute, à la fin du Vivien de Monbranc,
il reviendra à Rocheflour auprès de son amie Oriande; mais il
ne s'éprend d'aucune dame à la façon des chevaliers de la cour
d'Artus. Il devient de plus en plus le guerrier rude et batail-
leur des chansons de geste. En rase campagne ou en champ
clos, il ne redoute personne. Il n'emploie sa puissance magi-
* Histoire littéraire, XXII, p.:701-703.
128 RECHERCHES
que que dans des circonstances graves, dans rintérèt des siens
ou pourdésarmer son frère. Il est, en un mot, très-digne d'en-
trer dans la compagnie de Renaud et de ses frères. Mais, si
nous négligeons l'amusante histoire de son déguisement en
cardinal, il paraît moins inventif, moins gai que dans l'histoire
des Fils Ajmon, Il semble céder à Espiet l'usage d'une partie
de ses dons. Il a la conception prompte, la répartie toujours
prête; mais l'armure de chevalier a fini par alourdir sa dé-
marche. Il n'a plus rien du lutin primitif, car, sa science d'en-
chanteur, il la tient des sages qui l'ont instruit, et, quand il
l'emploie à propos, il ne peut s'empêcher de s'écrier:
bien fist qui me l'aprit!
Remaniée et complétée, l'histoire des Fils Ajmon passa en
Italie et y fut l'objet d'une imitation qui tantôt suit les ver-
sions françaises, tantôt les modifie, tantôt s'en écarte décidé-
ment; mais, avant d'aborder l'examen du Rinaldo da Montal-
bano, je crois devoir reproduire le texte du Vivien de Mon-
branc, tel qu'il a été conservé dans le manuscrit de Montpel-
lier^ Ce petit poëme est une véritable chanson de geste, qui,
pour le fond et la forme, ménage la transition entre le roman
et l'épopée, le Maugis et lelienaud de Montauban.
VIVIEN DE MONBRANC
Dans la trilogie que forment le Maugis, le Vivien et le roman
des Fils Aymon, la seconde de ces compositions a pour objet
de compléter les antécédents de l'histoire des Fils Aymon.
L'hostilité particulière de Beuves d'Aigremont pour Charles
et le meurtre de Lohier y trouvent une explication dans le
mauvais accueil que Beuves et Maugis reçoivent à la cour de
Charles, lorsqu'ils vont demander à l'empereur de secourir
Vivien. Maugis s'annonce déjà comme l'adversaire de l'em-
< Il est à croire qu'on le retrouvera, dans d'autres mss., entre le Maugiii
(ï Aifirernovt e\ l'histoire des Fils Aymon.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 1?9
pereur. L'amitié des fils d'Aymes et de Maugis se forme dans
la lutte qu'ils soutiennent ensemble contre les Sarrasins, et où
le jeune Renaud fait l'épreuve des mérites de Bayard et de
Froberge. Les personnages qui ont figuré dans le Maugis,
mais qui ne devaient pas reparaître dans le Benaud de Montau-
ban, sont définitivement écartés de la scène, soit qu'ils meu-
rent, soit qu'ils s'établissent en pays lointain. Maugis ne re-
viendra à Aigrement qu'après la mort de son père ', et Vivien
ne quittera plus Monbrane, où le bruit de ce qui se passe en
France n'arrive point jusqu'à lui.
Le sujet proprement dit est le siège de Monbrane. Les in-
cidents se succèdent avec assez de variété, mais sans longs
développements, car l'auteur est pressé d'en finir avec cette
sorte de transition et de passer à l'histoire des Fils Aj^mon; à
l'occasion des funérailles des chrétiens, il ne peut s'empêcher
de dire (v. 1061, suiv.):
Ne soi pour quoi le deuil vous seroit racontés,
Je ai trop à fere, ja n'en seroi mellés.
Les qualités et les défauts de la narration sont les mêmes
que dans le Maugis, les ressemblances avec le Gaufrey aussi
fréquentes.
Vivien, malgré sa conversion, a gardé son iiiveà'amachour.
Au point de vue de l'histoire de la légende des Fils Aymon,
le Vivien marque davantage une conception neuve, déjà indi-
quée dans le Maugis. Les célèbres frères Beuves, Doon, Ay-
mes, Girart et les enfants Maugis, Renaud, Alard, sont enga-
gés dans une guerre contre les Sarrasins. Reprise comme elle
l'a été à la fin du Renaud de Montauban- , cette conception con-
stitue une transformation réelle de la légende. Dès lors Re-
naud et son lignage n'apparaissent plus seulement comme des
barons indociles; ils sont aussi, quand il le faut, les défenseurs
de la chrétienté. L'auteur songeait à Roncevaux en écrivant
les dernières laisses de ce court poème.
* Je parle toujours d'après la version de Montpellier, où Maugis est men-
tionné dans la Mort de Beuves et au commencement du Renaud de Montau-
ban.
' V. l'extrait du ms. de Montpellier cité au commencement de ce travail.
130 RECHERCHES
Sommaire
Les Sarrasins, poussés par les prédications de leur apostole Cali-
fre, décident de reconquérir Monbranc et de châtier Vivien et Esclar-
monde.Ii sont conduits par le soudan de Babj^lone, l'amiral de Perse,
le roi de Nubie, le roi Joacab de Claudie, le roi Machabré, le roi de
Barbarie et bien d'autres (1-86).
Ils débarquent au port Alibrandin, à cinq lieues de Monbranc. Ils
marchent sur la ville. Vivien est averti de leur projet et de leur ap-
proche. 11 consulte sa femme, qui lui conseille de faire appel à son
père Beuves, à Girart son oncle, à son frère Maugis et au roi Bran-
doine son cousin. Mais Vivien veut d'abord éprouver ses forces. Dans
un premier combat, il tient tête à l'avant-garde des ennemis ; mais
l'arrivée du soudan sur le champ de bataille l'oblige à s'enfermer
dans Monbranc (87-191).
La reine Avice * engage de nouveau Vivien à recourir à ses parents
et à prier Beuves d'aller demander l'aide de Charlemagne. Le cheva-
lier David est chargé du message. Pour que David puisse passer,
Vivien attaque le camp des Sarrasins. Le messager arrive à Aigre-
mont. Brandoine est d'avis que lui, Girart de Roussillon, Doon, Ay-
mes, Hernaut de Monder et Othon d'Espolice, se préparent sans tar-
der à secourir Vivien, tandis que Beuves et Maugis iront en France
réclamer l'appui que l'empereur doit à ses vassaux ; si Charles est
sourd à leur demande, on lui refusera désormais tout hommage. Beu-
ves et son fils vont à Laon. L'empereur refuse de marcher au secours
de Vivien, parce que l'on ne peut faire la guerre pendant l'hiver ; que
les assiégés s'efforcent de tenir jusqu'à la belle saison. Beuves re-
proche à l'empereur de trahir ses vassaux ; il lui déclare qu'il lui rend
son Jiommage et que toute sa parenté en fait autant. Maugis, de son
côté, annonce à Charles qu'il lui causera de cruels ennuis. Les deux
barons partent ; mais Lohier, que les paroles deMaugis ont rendu fu-
rieux, se met à leur poursuite avec cent chevaliers. 11 échange quel-
ques coups d'épée avec Beuves et Maugis ; mais celui-ci a recours à
un enchantement, et Lohier renonce à sa poursuite et revient à Laon
(192-375).
Beuves et Maugis sont de retour à Aigrement, où déjà leurs parents
ont réuni une puissante armée. On part pour Monbranc. Quand l'on
en est à une demi-journée, on décide d'avertir Vivien. Fousifie sera le
1 On se rappelle que. ce nom a été donné à Esclarrnonde par sa marraine
Avice, la duchesse d'Aigremont.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 131
messager. Les barons se logent clans la plaine. On s'arme, et le com-
mandement de l'avant-garde est confié àMaugis, qui emmène avec lui
les deux fils aînés d'Aymes, Alard et Renaudin. Comme ils ne sont
pas encore chevaliers, ils prennent chacun pour arme un lourd bâton
carré. Renaud monte sur Bayard. Cependant Fousifîe, qui par un en-
chantement s'est transformé en géant, s'avance monté sur un droma-
daire et passe à travers les Sarrasins, qu'il injurie et qui s'enfuient de
toutes parts. Il est reçu à Monbranc et apprend à Vivien l'arrivée de
ses parents. Vivien fait une sortie; après de beaux faits d'armes, il
est désarçonné et fait prisonnier; son destrier Passavant se dégage
et revient à Monbranc. Dame Avice et les chrétiens sont dans le deuil,
quand ils voient que Passavant est revenu sans son maître (.376-
558).
Vivien est entre les mains du Soudan, qui l'insulte et le menace. Le
roi Josué conseille d'envoyer le prisonnier à Babylone. Sorbrin de Ba-
lesgués est chargé de le conduire. Le chartrier aura l'ordre de le
battre et de le frapper tous les jours. Pendant que Sorbrin l'emmène,
Vivien se lamente à haute voix et reproche à sa famille de l'aban-
donner. Maugis l'entend et avertit Renaud que c'est sans doute un
prisonnier chrétien et que la ville est déjà prise. Ils attaquent les
Sarrasins, et Renaud et Alard font merveille avec leurs bâtons. L'ar-
mée du Soudan prend les armes. Cependant Vivien est délivré et se
fait reconnaître. On l'amène au camp chrétien. Il supplie son père de
secourir au plus tôt sa ville, où Avice est eu proie à toutes les inquié-
tudes. Les chrétiens prennent les armes et forment sept échelles.
Beuves, accompagné de Maugis, de Vivien, de Renaud et d'Alard,
commande la première (5.59-672).
Les chrétiens arrivent sous Monbranc. Les païens ont formé dix
échelles. La bataille commence par les exploits de Vivien et de Re-
naudin ; mais le soudan vient au secours des siens, et la première
échelle des chrétiens est repoussée. Girard de Roussillon entre en
ligne. Renaudin brise sa perche en portant un coup qui rompt la tête
à un cavalier et les reins au cheval. Bayard défend son maître. Re-
naud a l'inspiration de tirer Froberge. Tous les corps des chrétiens
sont engagés, les assiégés les rejoignent, et, après une longue et san-
glante mêlée, les Sarrasins sont mis en fuite ; mais Othon d'Espolice
a été tué par le soudan, Hernaut de Monder par l'amiral Clargis,
Brandoine par l'amiral de Perse. Le soudan doit son salut à la vitesse
de son dromadaire et s'embarque avec ce qui reste de son armée. Les
diables leur donnent si bon veut qu'ils arrivent à Babylone sans en-
combre (673-1038).
Les chrétiens enterrent leurs morts et élèvent sur le lieu un mona-
stère où cent moines liront leur psautier. Quant aux restes d'Othon,
132 RECHERCHES
d'Hornaut et de Brandoine, on ensevelit les entrailles à Monbranc,
dans le monastère de la Sainte-Trinité, et les corps, lavés de vin, sont
enveloppés dans des cuirs de cerf. L'armée les rapportera. Chacun
s'en retourne dans son pays. Maugis part pour Rocheflour, où il re-
trouvera Oriande, son amie. Il n'emmène avec lui que son fidèle Fou-
sifie. De son vivant, il ne reverra plus son père. Vivien demeure à
Monbranc, où les païens ne vinrent plus l'attaquer. Désormais Beuves
devait vivre en paix jusqu'au jour où la mort deLohier causa une lon-
gue guerre entre l'empereur et le lignage de Beuves. Et, quand la paix
eut été faite, la guerre recommença entre Charlemagne et les fils
Aymon et Maugis.
Le trouvère remercie les seigneurs et les belles dames pour l'argent
qu'ils lui ont donné àfoison. Il annonce qu'il va chanter l'histoire des
Quatre Fils A ij mon (1039-1097).
Fol. 173 va. CHI COMMENCHE VIVIEN l'aMACHOUR '
Segnors, or escoutez, se Dexvous beneïe,
Bonne canchon qui bien doit estre oïe.
Che est de Vivien de Monbranc la garnie,
Fix dus Buef d'Aigrement à la chiere hardie
5 Et frère Amaugis qui tant sot de boidie.
[Il] et la loi Mahom et Tervagant guerpie
Et crut en Damedieu le fix sainte Marie.
Ja orrez la canchon, mez qu'il ne vous ennuie,
Si comme l'amiral qui iert roi de Persie,
10 Sodant de Babiloine et le roi de Nubie,
Et le roi Joacab qui tint toute Claudie,
Et le roi Maehabré, le roi de Barbarie,
.XXV. amirals de moult grant segnourie,
Asegierent Monbranc la fort chité garnie.
15 Chist autre jougleor ne vous en chantent raie,
Quer il n'en serent pas la monte d'une alie ;
Mes je vous en diroi, j'en soi toute la vie,
La vraie estoire, or vueil qu'el soit oïe.
1 .Te mets entre parenthèses ( ) les lettres ou les mots superflus; entre
crochets [ J,la leçon que je propose en quelques endroits pour remédier aux
erreurs ou aux oublis du copiste.
6. Ms. « Vivien ot.» — 10. Ms.« Sodant. » Dans la suite l'abréviatioa
M Sod., » aux vers 455 et 581 « Soud. »
SUR LES CHANSONS DE GESTE 133
Chen fu à une feste, qui moult estesjoïe,
Du baron ,S. Jehan que len aoure et prie.
Là font païen grant feste en lor mahommerie
De lor dieu Mahommet qui ne vaut une alie,
Pour chen que à chel jor, sachiez le(i) sans boidie,
L'estranglerent les truiez par sa grant glout[on]nie.
25 A ichel jor tint feste, qui moult iei't enforchie,
Sodant de Babiloine qui moult ot courtoisie.
.XXXII. rois i otde la loi païennie,
.XXV. amirals qui Dex n'amoi[en]t mie.
Califre Fapostole de la loi païennie
30 Lor preeicha chel jour lor creanche honnie ;
Aprez si lor a mis tel parole en Toïe
Dont en .:. jor moururent de païen .x*^, mile,
Et maint de nos Francheis i mourut à hasquie,
Ainsi com vous orrez ains l'eure de compile.
35 L'apostole Califre commenche à sarmonner
A la gent sarrasine qui Dex puist mal donner ;
La vie Mahommet loi' commenche à monstrer,
Comment il s'en ala au fort vin enivrer,
Comment il se lessa as truiez estrangler,
40 Quant u fumier ala dormir et reposer.
Dient païen: « Tel dieu fet forment à loer ;
)) Tout le monde le doit servir et henourer. »
Quant ot fet li Califre son sarmon definer,
En une autre manière commencha à parler.
45 En haut a dit à tous, ne le vont pas cheler :
« Moult vous devroit à tous dedens les cuers peser
» De Vivien l'aufage qui s'est fet baptisier
))Et sa famé Eselarmonde qu'est de vos parenté ;
» Aprez furent païen à martire livré[s] ;
50 )) De notre loi destruire se vont forment pener,
» Jamez jour n'amera Sarrasin ni Escler.
))Mahom en a tel duel, je vous di sans fausser,
«Jamez ne le verrez nule joie mener,
)) Ne nul miracle fera, ne nul semblant monstrer. »
49. Ms. « livrer. »
134 RECHERCHES
55 Quant le Sodant l'entent, bien cuide forsener
De chen qu'il ot Califre dire et raconter.
Lors vient à Mahoramet, si commenche à jurer
Qu'il fera sonbarnage venir et assembler ;
Jamez ne finera par terre ne par mer,
60 Tant que devant Monbranc fera ses os jouster ;
Et rois et amiraus li revont afier
Que il voudront lor os et conduire et mener,
Vivien destruiront s'il le peuent trouver.
Le Sodant les en prist forment à merchier.
65 (( Barons, dist le Sodant, n'i devon demeurer,
«Ne devon plus targier à chest fet amender;
» Mez chascun mant ses hommez sans point de l'ares-
«Sire, dient païen, bien fet à greanter. » [ter. »
Sodant de Babiloine fu durement plain d'ire,
70 Où qu'il voit sez mesagez, si lor commenche à dire:
« Alez tost vistement semondre mon empire. »
Li mesagers s'aprestent et chacun d'eus s'atire,
Amiraus et aufagez semonnent tout à tire.
Bien furent .c. milliers qui de prez les revide.
75 Vivien menachoient qui de Monbranc iert sire.
Sodant de Babiloine assemble [le put lin]
A l'issue d'aoust, si commenche ga[a]ing.
Bien [i] furent .c™. du lignage Cayn,
Entresic à la mer ne pristrent onques fin.
80 Dedens les nés font meitre et pain et char et vin,
Fol. 174 ra. Apres i sunt entré tous ensemble à .i. brin.
Li marinier qu'es guie ne sunt mie tapin,
Miex connoissent la mer qu'escrivaiti parchemin.
Tant nagierent ensemble o soir et o matin
85 Que de Monbranc coisirent le grant pales marbrin.
Atant suntarivé au port Alibrandin.
76. Ms. « li glouton de put lin, »
86. Le « port Alibrandin » est calquo sur le « port Alixandriû », dont il
est si souvent question ; mais dans Huoti de Bordeaux, le port voisin de Mon-
branc est Aufalerne.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 13E
Au port Alibrandin sunt païen arivé,
A .V. lieuez petitez de Monbranc la chité,
Puis se sunt vistement fervestus et armé.
90 Sodant de Babiloine si lor a quémandé,
Puis a roi Acarin le Sodant apelé,
Li amiral Joas et le viel Triboé.
«Barons, dist li Sodant, or oiez mon pensé :
«Prenez .xxx™. hommez qui bien soient armé,
95 «Entresic à Monbranc n'i ait resne tiré. »
« Sire, dient li roi, or soit à votre gré. »
Atant se sunt parti, rengié et ordené.
Par le païs s'espandent rengié et ordené.
Si que tout le païs ont à honte livré,
100 N'i remest bonne vile que il n'aient gasté,
Trestout le païs ardent, n'i est rien demeuré.
.1. crestien convers qui les ot avisé,
Vers la chité s'en fust tout le chemin ferré ;
Vivien etsez hommez avoit dedens trouvé.
105 Quant vint devant le roi, si fu si eifreé
Que au roi ne parla ne n'a nul mot sonné,
Ains s'asist devant li, si li a escrié:
«Vivien, gentil sire, mal vous est encontre.
» Païenne gent chevauchent qui aient mal dehé.
110 )>U premier front devant sunt bien .c . armé.»
Quant Vivien l'entent, s'a .i. souspir geté.
Puis dist au mesagier: « Il t'ont espuanté,
))Et si ne t'ont blechié ne plaie ne navré. »
Lors monta en la tour dont li castel sunt lé,
115 Et voit venir païen dont ne [se] sunt gardé.
De Ihesu les maudit, le roi de majesté.
Vivien le convers lez païen avisa,
Moult s'esmaie forment que itant en i a.
Atant est descendu, de sa tour dévala,
120 Où que il voit sa famé, douchement l'apela:
«Dame, conseilliez moi, moult malement me va.
» Païen viennent sus nous d'outre la mer de là. »
Puis la prist par la main, en la tour la mena.
Tout entour le païs la dame regarda,
136 RECHERCHES
125 Ne voit fors Sarrasin dont le païs peupla.
Vivien l'amachour dureoaent s'esmaia.
« Sire, chen dist la dame, ne vous esmaiez ja.
»Vous prendrez .i. raesage qui point n'arestera
» Tant qu'à Aigremont viegne ; ileuc le contera
130 »Au dus Buef li tien père qui secours t'amenra.
)) D'ileuc à Roussillon le message en ira,
))Au duc Girart ton oncle ton besoing nonchera.
wMaugis au roi Brandoine tost savoir le fera. »
Et, quant le roi Tentent, douchement la baisa.
135 «Beneiete soit la dame qui tel conseil donna;
))Mès, s'il vous plest, mon cors, dame, si s'armera,
» Tant que j'aie essaie la forche à cheus de là,
» Et sarai de ma .gent comment el m'aidera. »
Ses armez a demandées, et on li aporta;
140 .III. escuiers l'armèrent, la dame lor aida.
Trois escuiers armèrent Vivien au vis fier,
Et, quant il fu armé, lors se fist il plus fier
Fol. 174 r"6. Que lion ne serpent qui deschent de rochier.
.II. serjans li amainent Passavant son destrier.
145 Vivien i monta par le doré estrier,
Puis fist ouvrir la porte pour sa gent essaier ;
Et Sarrasin commenclient qui ains ains aprechier,
A mains de .un. archiez furent ja li premier.
Quant Vivien les voit, si commenche à huchier :
150 « Diva, qui estez vous, lecheor, pautonnier?
» Qui vous a quémandé à ma terre essillier ?
» Moie est la segnourie, je l'ai à j.ustisier. »
Et Tassinel respont : « Tes toi, faus losengier,
))Sodant de Babiloine sommez gonfauonnicr.
155 » Si alon prendre terre où puist son ost logier,
))Que trestout ton païs voudra il essillier. »
Et respont Vivien: « Chen veil je calengier,
«De votre cors meïsme me vengeroi premier.»
Les .11. os s'entraprechent par milieu d'un vauchel.
141. Ms. H au fier vis. »
SUR LES CHANSONS DE GESTE 137
160 Vivien lesse courre le bon destrier isnel,
Sus l'escu de son col va ferir Tassinel,
Tant corn hanste li dure l'abati du poutrel;
Du caïr que il fist espandi le chervel.
« Outre, dist Vivien, t'ame ait Luciabel. »
105 Puis feri Madiant .i. legier bacheler,
Mort l'a jus abatu pardeles .i, missel.
Et le tiers abat mort qui ot nom Finabel,
Puis escrie ses hommez : « Ferez, franc damoisel. »
A iches[t] mot se fiert ens u greignor tropel,
170 A Tun coupe le bras, à l'autre le musel,
Au tiers coupe la cuisse et au quart le chervel.
Moult fu grant la bataille et la mellée fiere,
Crestiens i ferirent d'angoisseuse manière.
Vivien fu devant, ne se tint pas deriere;
175 Passavant esperonne qui queurt comme levriere,
Va ferir Estifé sus l'elme de Bavière,
Si souef l'abat mort qu'il chai par deriere.
Et, quant païen le voient, ne font pas bêle chiere ;
Lors acueillent nos gens et devant et deriere.
180 Quant Vivien les voit, si fist dolente chiere;
Il escrie « Monbranc! bonne gent droituriere ! »
Il brocha Passavant en la gent pantonniere !
Va ferir Acarin sus la broigne doubliere ;
L'ame s'en est alée en enfer estraiere.
185 Puis esgarde le roi contrevallabruiere,
Lors voit venir Sodant delez la sablonniere.
Il a dit àsez hommez: «Gent de bonne manière,
))Retornon au palez, ne soion pas lanière. »
Vers la chité les maine, mez il va tout deriere.
190 Cheus ouvrirent lez portez qui sunt as murs de pierre,
Et notre gent i entre qui ne fu pas lanière.
En la chité entra Vivien le hardis.
Encontre vint Avice, la bêle au cler vis ;
Puis li demande : «Sire, est vo cors point malmis?»
195 «Nennil, dame, dist il, à Dieu en rent merchis. »
Adonc ont mis les tablez, au raengier sunt assis.
138 RECHERCHES
Et, quant orent mengié li conte et li marcliis,
Vivien le convers est en estant saillis;
D'une part se torna du grant palez voutis,
200 Et avec li mena chevaliers jusqu'à .x..
Et si i fu sa famé qui moult ot cler le vis.
« Seignors qui me loez, dist le prinche gentis,
» Pour secours trametrai à mes prochains amis. »
»Sire, chen dist la dame, chen m'est avis
Fol. 174 V» a. 205 ))Que vous mandez dus Buef et Girart et Maugis,
» Et mandez roi Brandoine qui est votre cousins. »
«Sire, chen dist la dame, envers moi entendes.
» Mandez le roi Kallon, qui tant est redoutés,
» Qu'il vous viengne secorre, que ch'est votre avoués.»
210 «Dame, dist Vivien, bien conseillié m'avés.»
«Sire, chen dist la dame, entendez mon avis.
» Mandez dus Buef vo père, qui tant est de grant pris,
«Qu'il mande Kallemaine le roi de Saint Denis.»
«Chest conseil est moult bon », chen respont Savaris.
215 «Voire, dist Vivien, son cors soit beneïs;
» Mez de mesagier querre sui forment entrepris. »
Là ot .1. chevalier qui ot à nom Davis.
Quant il ot la parole, si est avant saillis.
Puis a dit hautement: « Gentil roi seignouris,
220 «De fere le mesage sui prest (et) amanevis.»
Quant Vivien l'entent, si l'eurent cent merchis.
Le Maigremor li donne qui a le poil flouris.
Mez païen sunt logié enmi le pre flouris.
Environ la chité furent païen logié,
225 Chele nuit se cuidoient estre bien aeisié ;
Mez Vivien le ber autre chose a pensé,
Son barnage apela et si lor a nunchié :
«Or tost courez as armez, n'i ait plus detrié.
» La nuit est bêle et clere, tost seron reperié.
230 «Feitez tant que il soient un petit esveillié.
» Plus nous en douteront li paien renoié.
» Et Davis s'en ira errant à cheminer. »
SUR LES CHANSONS DE GESTE 139
Lors se queurent armer ; n'i ont plus demouré,
Es chevaus sunt montez qui sunt appareillié .
235 Lors s'en issirent tuit moult bien encouragié,
Bien furent .xxx™. qui sunt d'armez prisié.
Vers la tente Sodant se sunt acheminé.
Ichele nuit se sunt païen moult mal gueitié,
Ne se donnèrent garde, si lor a escrié
240 Vivien hautement qui n'i a plus targié :
«Ma[r] n'i avez mon resne gasté ne essillié.w
Lors ont trenchié lez cordez où li pel sunt fichié,
Par lez paveillons ont lez espées lanchié ;
Maint païen ont ochis et maint ont mehaignié.
245 Et Vivien le ber n'en a nul espargnié,
Ochis a Malaquin et Butor Tenforchié,
Maudras et Banient et Foret Tenvoisié;
Florabant et Flohart a il si empirié.
Sodant de Babilonie est par le tref cachié.
250 Atant vindrent païen armez et haubergié.
Vivien nous eussent malement empirié,
Mez Davis dans le mesage li a moult bien aidié,
Et puis s'en est parti, onques n'i prist congié,
Son chemin acueilli, tost se fu esloignié.
255 Lors assembla sez hommez, n'i a plus detrié.
En la chité entrèrent joiant et envoisié.
Nos crestiens entrèrent eu la chité majour,
Et Davis chevaucha la terre parvigour.
Dez jornéez qu'il fist, n'i ferai lonc séjour.
260 Tant erra le mesage dessuz le misaudour
Que il voit d' Aigrement le palez et la tour.
Seignors, oes comment illi avint cheljour.
Leduc Buef tenoit court, onques ne vi greignor;
Atant es vous Davis dessus le misaudour,
265 Tous lez a saluez de Dieu le creatour
Fol. 174 V» 6. De par roi Vivien le hardi pongneour.
241 . Après « Ma », deux lettres ont été grattées ; il reste devant l'î la lettre
n ou ic.
259. Ms. « lonc lonc, »
140 RECHERCHES
)>Segnors, dist le mesage, Dex m'a fet [grant] heuour
» Quant chi vous ai trouvez ensemble à .i. jour.
))Roi Vivien vous mande, à qui Dex doinst honnour,
270 ))Que vousl'alez secourre chascun à son atour,
» Que païen l'ont assis environ et entour,
sSodant de Babiloine et le roi Amaflor
))Et l'amiral Joas à qui Dex doinst tristour,
» Et bien .xxv rois qui sunt superiour,
275 » Qui ont assis Monbranc le palez et la tour ;
» Et si vous mande tous pour Dieu le creatour
» Que vous le secoures, que n'i feitez demour, ^
»Et que vous mandez Kalle le riche empereour
))Que il viengne secourre son home sans demour(e). »
280 Li mesagier abien contée sa reson.
Lors responnent ensemble clerementà haut ton:
a Chertez ne peut faillir au secors li frans hon. »
Au mengier sunt assiz, sans fere lonc sarmon;
Et, quant orent mengié et beli li baron,
285 Buef apelaBrandoine et Girart et Doon
Et Maugis son enfant et Aymez de Dordon
Et Hernaut de Monder, le riche roi Othon.
«Segnors, dist le dus Buef, entendez ma reson.
))Sodant de Babiloine a moult le cuer félon;
290 » S'a forche prent mon fix, jamez ne le verron. »
«Barons, chen dist Brandoine, savez que nous feron?
» Entre nous qui chi sommez notre effors manderon,
))Et le duc Buef mon oncle et Maugis le larron
))Si s'en iront en Franche trostout droità Kallon.
395 » En despit le tendroit, chen seroit mesprison;
»Pour chen seroit reson que nous [le] maudisson,
»Et, s'il ne veut venir secourre le baron,
» Hommage li rendez et lez nos à bandon.
))Mez ne seron sez hommez ne de lui ne tendron. »
300 (iSire, chen dist dus Buef, issi esploiteron, »
Lor chevax furent près, n'i firent lonc sermon.
Onques il ne finerent, si vindrentà Laon;
Kallemaine trouvèrent ens u mestre donjon,
De Dieu le saluèrent qui souffri passion,
SUR LES CHANSONS DE GESTE iU
305 Toute li ont contée Tafere et la lechon,
Puis li monstrent le brief qui est u quarrenon,
Que porta le mesage l'autr' ier en sameison.
Quant Kalles Fentendi, si b.essa le menton ;
Aprez, quant il parla, si a dit à bas ton :
310 (( Segnors, à cheste fois les piez n'i porteron.
» L'ostoier en iver n'est mie de saison.
» Atendez jusqu'à tant que il soit Rouveson;
» Se tant se peut tenir, adonc le secourron. »
Et, quant Maugis l'entent, ne dist ne o ne non,
315 Et le duc Buef son pare en ot grant marisôn.
Il parla hautement que moult ot cuer félon,
Pour poi ne fer[it] Kalle le roi de Monlaon.
Le duc Buef si parole qui mautalent esprent:
» Sire drois emperere, or oez mon semblant.
320 » Vous failliez au secors Vivien mon enfant,
» Et, quant il sera mort, sel serez secourant.
» Dant roi, vous en euvrez com mauvez recréant.
«Puis que vous me failliez, votre hommage vous rent.
n Ne tendroi mes de vous de terre plain .i. gant,
325 ))Ne je ne li mien frère nous n'en tendron noient,
» Ne mon niez roi Brandoine, ne Othon le vaillant,
»Ne Hernaut de Monder le viel o poil ferrant.
» Je le di de par eus, il le vous sunt mandant. »
Quant le duc ot parlé, si saut Maugis avant.
330 Moult hautement parla et dist au roi itant.
« Sire roi, dist Maugis, entendez mon semblant.
» D'une tele vantanche par devant vous me vaut
» Que bien vueil que tuit l'oient li petit et li grant,
«Des or mes vous feroi courouchié et dolent, »
335 « Roi, chen dist le duc Buef, à maufe te quemant. »
Seur les chevax montèrent de grant ire pensant.
311. Dans Gaufrey, l'hiver oblige le roi Danois àJever le siège de /{ocAe-
brune, château de Passerose (v. 7259 suiv.).
312. Cf. Gui de Nanteuil, v. 376: « Ja ne verrez passer première Rou-
voison.» —C'est la fête des Rogations.
317. Ms. « feroi. »
9
14-2 RECHERCHES
Lohier ot les parolez de Maugis le vaillant,
De duel esragera s'il ne se va venjant.
.c. chevaliers manda qui de lui sunt tenant,
340 Puis dist: <i Armez vous tost, feitez, jel vous quemant.
» S'iron aprez dus Buef et Maugis son enfant. »
Aprez Maugis s'en vont à esperon brochant,
Lohier devant les autrez estoit plus d'un arpent.
Le duc Buef d'Aigremont si le vaperchevant;
345 A Maugis le monstra, si se va sousriant.
Atant es vous Lohier qui lor va escriant :
«Arier vendres, lechierre, ne vous ires vantant.»
Puis va ferir Maugis, n'i va plus atendant.
Maugis n'iert point armé, si le douta forment ;
350 Le mante[l] àermin li va tout découpant.
Maugis douta le fet ; et chil l'empaint avant.
Du cheval Tabati, mez il fu en estant,
Puis a treit(r)e l'espée. Et duc Buef maintenant
Fert Lohier [de] sus Telme .i. coup en trespassant;
355 Au bon destrier coupa le chef, Lohier deschent,
Et Maugis remonta dessus son auferran[t].
Puis en vint à son père, si dist: «Alon nous ent. »
Adonc se sunt torné contreval .i. pendant,
Et Lohier remonta, puis va après pongnant.
360 Ja fust il a dus Buef malement croullemeut,
Se ne fust Amaugis qui .i. encantement
A fet, de quoi il set asses et larguement,
Qu'ans chevaliers fu vis qui Falerent sievant,
Que une grant rivière voit après eus bruiant;
365 Bien i cuident noier, si retornent atant.
Et Lohier esperonne qui tous jors fu devant.
Mes tant ne sot aler que ne li soit semblant
Que l'eve soit tous jors aprez lui [ajcourant.
Kalles estoit as très de son palez devant,
370 Et, quant coisi [Lohier], si se va merveillant;
Dedens Laon s'en entre ; et li encantement
Failli à ichele eure et a pris finement.
Et Kalles vint encontre si li va demandant :
341. Ms. « Si iron. »
SUR LES eu AN SONS DE GESTE 143
« Biau fix, dont venez vous? » et il li va contant:
375 «De Maugis encauchier, trop set d'encantement. »
Et Maugis et son père si ont chevauchié tant
Qu'il vindrent (à) Aigrement tout droit à l'ajornant.
Parmi la mestre porte [sunt] entré maintenant :
Encontre sunt aie chevalier et serjant,
380 Puis lor ont demandé com lor est couvenant,
Et il ont respondu : « Moult sommez esmaiant
))Que le roi nous failli tout au commenchement,
» Et li deïsmez bien hautement en oiant
» Que nous de li jamez ne seron fie tenant. »
385 Par devant Aigremont moult fu grant Fasemblée.
Girart de Roussillon à qui proesce agrée
I ot bien .xv™. de gent bien atournée,
Et le duc de Nantueil .xv™. assemblée,
Quens Ajmes de Dordonne .xx™. de bien armée,
75 1° 6.390 Roi Brandoine .xx™. tout par nombre contée,
Et Othon d'Espolice .xiiii™. armée,
Hernaut en ot .xx™. qui bien fu ajournée.
Et Davis a forment sa besoigne hastée ;
Ne sai que je feïsse ici longue arestée ;
395 A la voie se meitent sans fere demourée,
Et Davis les conduit, qui bien sot la contrée,
Asses près de Monbrancà demie journée.
Lors se fu tost li ost (tout) en .i. val esconsée
« Segnors, dist li dus Buef, bonne gent henourée,
400 « [Or] prenon .i. mesage par bonne destinée
))Que nous envoieron en lachité loée. »
«Chertez, chen dist Maugis, chi a reson membrée. »
«Segnors, chen dist Maugis, pour Dieu le fix Marie,
» Cheste reson est bonne, se chascun s'i otrie.
405 ))Le mesagier est prest, se Dex me beneïe,
))Qui sauvement ira en la chité garnie.»
Lors se leva Maugis à la chiere hardie,
378. Ms. « est entre.»
400. Ms. «que prenon.»
401. Ms. « que nous envoieron envoieron.
144 RECHERCHES
Son escuier apele qui otnom Fousifie :
«Amis, venez avant: se Dex vousbeneïe,
410 » En la chité irez qui qu'en plort ne qui rie.
» Salues moi mon frère de par la baronnie. »
Lors se court adouber richement par mestrie.
Or vous leiron ichi à icheste fiée :
A la voie se met que plus ne s'i detrie.
415 Si vous raconteron de la franche lignie
Qui la nuit se loga en une praerie.
En une praerie sunt nos barons logié,
A .V. lieuez se sunt de Monbranc hebergié.
420 Par le conseil Girart et Doon Fenforchié
Firent crier par l'ost que fussent haubergié.
Maugis vint as barons et si lor a nunchié
QueFavangarde àfere li aient otrié.
((Avec moi enmerroi Renaudin le prisié
4'25 )>Et Aalart son frère au courage enforchié.
))S'arai .m. chevaliers de bien fere enheitié. »
Et li baron responnent : (( Si soit à Dieu congié . »
Maugis s'apareilla que n'i a detrié,
Renaut et Aalart ne s'i sunt atargié,
430 .II. grans bastons ont pris et en lor col plungié
Pour chen que il ne furent de noient chevalier.
Baiart ont amené que on ot deslié,
Et Renaut i monta qu'à estrief n'en sot gré.
A la voie se meitent que n'i ont detrié.
435 Et le mesage a tant erré et chevauchié
Qu'il a l'ost des païen de bien près aprechié,
Apres a de sa main son visage seignié.
Fousifie se saigne quant les Turs aveiis,
Puis les avoit maudis de Dieu le roi Ihesus.
440 Adonc a pris une herbe dont s'est apercheûs,
Sus li l'avoit portée bien .xiiii. ans et plus ;
Adonc l'a conjurée etfist son carne sus.
438. Dans le Maugis, Fousifie est donné à Maugis par Vamuxtant de Mcl-
lent. Élail-il cliréLien? L'auleur ne songe pas à nous le dire. On voit d'ailleurs
que Maugis lui a enseigné son art.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 145
Lors fu grant et corsu, quarrés et parcreiis,
Bien ot .xiiii. pies sans la teste et li bus,
445 Et la teste en ot .iiii., bien fu desconneiis ;
Son dromadaire fu si grant et si corsus
Que tref ne paveillon ne breham bien cosus
Ne semble pas si grant as païen mescreiis.
.1. baston il portoit, greille fu et menus;
450 Si sembleit .i. grant quesne esbranchié par dessus.
En icele manière s'est en l'ost embatus;
Fol. 175 v a Et, quant il fu entr'eus, si cria sus et jus :
((Fix à putain, glouton, confonde vous Ihesus.
» Ne vous puet garantir Mahommet ne Cahus,
455 » Les fourques sunt drechiez où Soudant iert pendus. »
Quant païen l'ont oï, chele part sunt courus,
Mez, quant voient qu'il est si grant et si corsus,
Et qu'en son col avoit levé .i. si grant fus,
A lor très se repèrent trestout taisant et mus,
460 Et il s'en passa outre, ne s'i est arestus.
Desi à la chité en est pongnant venus.
A la chité s'en vint Fousifie pongnant,
A sa vois qu'il ot clerc va as murs escriant:
« Ouvrez moi tost la porte, je vous pri et quemant. »
465 Chil des murs le regardent ; quant l'ont veii si grant.
Lors n'i ot si hardi qui ne s'en espuant ;
A haute vois escrient : « Fel ouvert souduiant,
» Ja chïens n'enterrez, se Dex plest le puissant. »
Quant l'entent Fousifie, si se va sousriant,
470 Adonc deffistson carne et son encantement,
Sifu en tel manière escuier corn devant.
Lors l'a reconneii Vivien de Monbranc.
La porte li ouvrirent trestout demaintenant.
Et Fousifie i entre, si les va saluant.
475 Vivien va encontre, si le va acolant.
446. D'où vient ce dromadaire? Dans Gaufrey, Baudrés, messager de
l'amiral Quinart, est monté sur un dromadaire. Tierri le lui enlève, traverse
ainsi le camp ennemi et pénètre dans Greliemont, où étaient assiégés Gaufrey,
ses frères et Robastre (v. 4041 suiv.).
146 RECHERCHES
«Sire, salus vous mande duc Buef le combatant,
» Et tout votre lignage qui vous sunt secourant,
» (Mez) Kallemaines de Franche vous est du tout fail-
«ParDieu, dist Vivien, bien le font mi parent, [lant. »
480 » Pour Tamour du secors qu'il me vont amenant,
» M'en istrai je là hors armé sus Tauferrant. »
Lors fist sonner .i. cor qui fu d'os d'olifant ;
Les chevaliers si s'arment quant le vont entendant.
Ne furent pa[s] .ix™., jel saià essient.
485 Les portez font ouvrir tost et isnelement,
Serréement chevauchent envers le tref Sodant.
Devers le tref Sodant sunt crestien venu.
Païen furent levé, si les ont percheii,
Lor escrient as armez, n'i ont plus atendu .
490 Le Sodant si s'arma sus .i. cuir d'or batu,
Son destrier li amainent c'en clamoit Sancperdu.
Le Sodant i monta qui moult l'a chier tenu .
Et nos crestiens sunt tantost à eus couru,
Maint en ont trebuchié et maint à mort féru
495 Vivien lesse courre parmi .i. pre herbu,
Sus son escu feri .i. païen maloistru.
Les .11. os s'entrapressent contreval la campeingne.
Atant es vous .i. roi qui fu de Burianne ;
Vivien l'abat mort du destrier de Bretaigne.
500 .1. autre en aferu si que il le mehaigne,
Et le neveu Sodant a mis jus de brehaigne,
Au caïr que il fist trestout il le mehaigne.
Moult fu grant la bataille et par mons et par vaus,
Atant es vous Sodant atout .vi. amiraus.
505 Bien furent . xxx"" . qui n'ont pas cuers loiaus.
Es crestiens se fièrent com[me] leu entre aigniaus,
.iiii<=. en abatent à terre des chevaus.
Quant Vivien le voit lors fu ses devers couraus,
A retorner ariere ont torné lez chevaus,
510 Et ses hommez après contreval les costaus.
Moalt [fu] grant la bataille, orgueilleuse et félonne.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 147
Vivien l'amachour maint ruiste coup i donne.
Sodant de Babiloine envers li esperonne.
V" b. Quant Vivien le voit, vers lui son cheval torne,
515 Et fîert si le Sodant sus Felme en la couronne,
Mort Telist abatu de la sele àArgonne,
Mez Sodant recula, quer li vassal ressoigne.
A Vivien escape, dont il ot grant vergonne,
Et li païen félon Vivien avironne.
520 Tant n'en sot trebuchier que il plus n'en foisonne.
Ilatrenchié parmi l'amiral de Valdonne,
Mez li païen de Perse et cheus de Babiloine
L'abatent du destrier c'on li tramist d'Argonne.
Le roi Vivien fu cheii de son destrier
525 Droit devant le Sodant qui gueirez ne l'ot cliier.
Tant s'estoit combatu à la gent l'aversier
Qu'il n'ot nul de sez hommez ne crier ne huchier ;
.iiii. fois crie Monbranc, mez ne li ot mestier.
A forche l'ont seisi li ouvert losengier,
530 Sodant de Babiloine l'ont rendu prisonnier.
Seignors, or escoutez, pour Dieu le droiturier,
S'orrez de Passavant qui moult fist à prisier.
Quant il vit son seignor abatu en l'erbier.
Lors regibe dez pies et fet semblant si fier;
535 Puis a baé la gueule en guise d'aversier
Com se vousist les Turs devourer et mengier.
.1. païen a saisi droit parmi le gosier,
De la sele le levé com .i. raim d'olivier,
Puis le liati à terre aussi com fust legier ;
540 Au chaïr que il fist le fist tout debrisier.
Puis en ferist .i. autre des piez u hanepier
Qu'il li fist lachervele voler et espanchier,
Et au tiers et au quart fist lez costez brisier.
Et Sarrasin forment prennent à eslongnier.
545 Lors le lessent aler, ne l'osent detrier.
A la chit de Monbranc donc vint à l'escleirier.
534. Dans Gaiifreij, \e cheva] de Doon est Regihët, ainsi nommé parce que
son maître seul pouvait rapprocher (v. 219 suiv.).
4
148 RECHERCHES
Quant crestiens le virent sans seignor reperier,
En la chité entrèrent, s'en (i) amènent li coursier.
Crestiens s'en entrèrent en la chité garnie.
550 Pour lor seignor demainent moult grande plorerie,
Et, quant la dame entent la grande plourerie,
Par les degrez avale de la sale perrine,
Ettreuve deschendue la riche baronnie.
Quant la dame les voit, moult fu espeiirie.
555 Quant coisi Passavant, le destrier de Sulie,
Qu'il revint sans segnor, adonc fu esmarie ;
Lors se pasmeladame, moult estoit esmarie.
Fousifie la lieve et puis si la castie.
Chi lerron de la dame et de sa compengnie,
560 Diron de Vivien qui Dex soit en aie.
Mené Font en la tente o Sodant de Perâ;«,
Ses armez li osterent et li .i. d'eus le lie.
En lor très se desarment païen qui Dex mal face;
Sodant de Babiloine ont desarmé sa face.
565 Quant il fu desarmé, si s'asist en la place,
Son prison demanda en moult petit d'espace.
Et il li ont mené sans fere lonc estrace.
Quant le Sodant le voit, durement le menace,
Ses deus poins qu'il ot grans ens es cheveus li lace,
570 Assez li fetde honte comment que il li place,
De sanc vermeil li cuevre et le vis et la face.
Ja l'elist mehaignié ou ochis en la place.
Quant le roi Josué de sez poins li esrace.
Pol. 176 ra. «Sire riche Sodant, dist le roi Josués,
575 n Vous feitez vilennie et forment mesprennés,
» Quant par devant nous tous chest chetif ochiés ;
))Mez, se le mien conseil et mon los en créés,
))Vous le bailleres, sire, Sorbrin de Balesgués,
» Et si le conduira à tout .m. bien armez
580 ))Es tours de Babiloine en vos grans fermetés. »
578. Vers répété.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 149
«ParMahom, dist Soudant, bien conseillié m'avez. »
Lors apela Sorbrin : «Bel ami, chavenés.
«Feitez isnelement et si vous en aies.
» ,M. Sarrasin armez ensemble o vous merrés,
585 » Desi Alibrandin ne vous aresterés,
))Puis passeras la mer, ne vous en douterez,
«Vivien chest chetif ensemble o vous merrés,
))Es tours de Babiloine soit mis et enserrés,
» Au chartrier si me ditez, si chier com vous m'avez,
590 )>Que il soit chascun jour bien batu et frapés. »
Donc l'enmainent païen, de lor très sunt tornez,
Et il reclaime Dieu, le roi de majestez:
«Ha! bêle douce amie, jamez ne me verrez;
» Haj! biau trez dous père, jamez ne [me] verrez;
595 ))Elas! que direz vous, quant vous chest plet sarés?
))Et ma dame vo famé, de qui je sui amés?
))He Dex! et que fet ore mez richez parentez,
» Girart de Roussillon et Ajmez le barbez
»Et Doon de Nantueil et Hernaut de Monder?
600 » Et vous cousin Brandoine, pour quoi tant demourés?
" ))Et vous, Maugis, biau frère, vilainement ouvrés,
))Et vous, roi d'Espolice, oublié vous m'avez. »
Et li païen chevauchent baut et jaiant et liés,
Il puierent .i. mont, li cuvert renoiez,
605 Onques n'en seurent mot, ne s'ont garde donné.
Si lor vint au devant Amaugis le sénés
Qui faisoit l'escargueite atout .m. adoubés;
Bien a oï son frère, comment s'est démentes,
Que li oi regreter son riche parentés;
610 Renaudin apela: «Biau cousin, escoutés. »
« Renaudin, biau cousin, dist Maugis, or entent.
» J'oi chi venir païen que le cors Dieu gravent ;
» Il mainnent .i. prison qui forment va criant,
» Moult va notre lignage et nous tous regretant.
615 ))De mon frère me doute que l'amiral Persant
» N'ait prise sa chité et li mis àtorment.»
605. Ms. « ne sunt garde donnes.»
150 RECHERCHES
«Sire, dist Reuaudin, qu'alon nous atendant?»
Renaudin aies mos oïs et escoutés
Que Maugis li ot dit, lors se sunt acoisiés,
620 L'escargueite feisoit et Aalart l'ainsnés,
Et Maugis les conduit tout .i. chemin ferrés.
Bien orent Vivien comment s'est.dementez.
Quant Renaudin Tentent, si lor a escriés :
«Pix à putain, glouton, le prison me lerrez. »
625 Quant Sarrasin coisirent des armez la clartés,
Lors n'i ot si hardi ne fust espuantés.
Sus l'agait de no gent sunt païen erabatus.
Maugis point le cheval qui saut lez saus menus.
Va ferir .i. païen amont sus son escus,
630 Tant com hanste li dure l'abat mort estendus.
Puis a treite l'espée au brun coutel moulus,
Si en feri .i. autre que parmi Ta fendus.
Renaudin en a .i. de son espié férus
Si fort que tout li froisse et les os et le bus;
035 Et Aalart son frère a d'autre part férus.
Fol. 176 r»6. Chascun feri le sien là où l'a consieûs.
Onques n'i demoura ne cauf ne quevelus,
Fors .III. qui s'enfuïrent le grant quemin batus.
Au Sodant ont conté com lor est avenus .
640 Quant le Sodant l'entent, grant duel en a eus.
Lors escria: « As armez, n'i ait plus atendus. »
Et il si firent tous des qu'il l'ont entendu.
Li Sarrasin s'armèrent à forche et à bandon ,
Bien furent •ii''. mile li encrismé félon.
645 D'eus vous lerroi ichi, si vousraconteron
De Renaut, de Maugis et d' Aalart le blont.
Tost et isnelement s'en vindrent au prison,
Puisli ont demandé son estre et son non,
Et il lor a conté sans point d'aresteison,
650 Quant orent desconfit Persantet Esclavon:
((Je ai nom Vivien, et vous, comme avez non? »
Et Maugis li respont par moult bêle reson :
SUR LES CHANSONS DE GESTE 151
«Je sui Maugis vo frère, et chil dui v;illeton
» Suiit vo cousin germain et fix au viel Ajmon. »
655 Maugis prist Vivien son frère le baron,
Puis le mainent as tentez où furent li baron,
Adonc le conjoïrententour et environ.
«Seignors, dist Vivien, pour Dieu, quel la feron?
» Ma chité ont assise Persant et Esclavon,
660 «Plus sunt de n^, mile ainsi com nous cuidon,
))Et ma famé est dedens en moult trez grantfrichon. »
«Biau fix, clien dist dus Buef, chertez plus n'aten-
Lors furent endossé li haubert fremillon, [dron, n
Tantost furent armé, n'i font demoureson.
665 .VII. eschielez ont feitez de lor gent sans tenchon:
La première si fu au duc Buef d'Aigremont,
La seconde Guichart, la tiercbe au viel Ajmon,
La quarte roi Brandoine, la .v*. Doon
Hernaut a la sisime, la .vu". Othon,
670 Renaut et Aalart et Maugis le larron
Et Vivien son frère qui ot cucr de lion.
Font la première eschele, vont s'en àesperon.
Nos crestiens chevauclient à forche et à vigour,
.vu. eschielez ont feitez chele gent de valeur.
675 A Monbranc chevauchierent, onques n'i ot demour
Tant [qu'il oient] la bruit de la gent païennour,
Qui se furent armé par matinet au jour,
.X. eschielez ont feitez, Sodant ot lamenour.
Et crestiens lor viennent sans fere nul demour,
680 Entreferir se vont, onques n'i ot destour.
Vivien fut devant où moult ot de valour.
Il point et esperonne le destrier misaudour,
Va ferir .i. païen susl'escu paint à flour.
Du destrier l'abat mort empres .i. quarrefour,
685 A haute vois escrie : «Vous mourrez à douleur,
» Le louiervous rendroi comme de tel valour. »
Es près dessous Monbranc commencha la bataille.
676. Ms. « Tant que voient.»
Î5? RECHERCHES
Il n'i acrestien que Sarrasin n'asaille,
Mes dessus tous les autres Vivien s'i imaille.
690 Atant es vous ponirnant Pinabel de Soraille
.1. soudoier feri qui fu de Cornouaille,
Mort Ta jus abatu à terre où il baaille,
Puis apela nos gens : «Chetive garchonnaille,
«Tous i morrez à honte, ne cuit que nul s'en aille. »
095 Quant Renaudin Tentent, cuidiez que ne l'en caille.
Vers lui torna Baiart, cuidiez que il li faille ,
Fol. 176 V" a. De son pel le feri, ne lui caut qui en caille,
Si souef l'abat mort qu'il ne bret ne baaille ;
Puis en refiert .i. autre qu'il li ront lacoraille,
700 Et le tiers et le quart ra il ocliis sans faille,
Puis crie à haute vois : «Segnor, metez en taille. »
Grant fu le capleïs contreval li essart.
Et Renaudin brocha son bon destrier Baiart,
Et fiert .1. Sarrasin dessus son estouart,
705 Autresi le gravente cora se fust .i. poupart;
Puis rochist Malatart, Malaquin et Guimart,
Et Salemon d'Egypte, .i. félon Achopart,
Puis ra ochis Mandoire, .i. amiral gaignart.
Mez le riche Sodant qui fu]|en Jor esgart
710 Revient à lor secors ass[e]z plus que soi[t] tart.
Bien sunt .lx™. et félon et gaignart.
Gautier nous ont ochis et de Senlis Achart,
Et Morant et Tierri et Lambert et Benart
Et Audemer l'Escot et le comte Benart,
715 Aymer de Venise et le courtois Richart,
Et tiex .yc. des autrez qui ne furent couart.
Ja fust dus Buef ochis et s'eschiele matée,
Quant sorvint une eschiele de bonne gent armée ;
Girart de Roussillon l'a conduite et guiée.
720 II crie Roussillon à moult grant alenée,
.1. amiral fiert si sus la targo dorée,
U cors li met la lanche une aune mesurée;
707. «Achopart» Cf. Gaiifrey, v. 3353, 4053, etc. Ogier, v. 796,991.
I
SUR LES CHANSONS DE GESTE 153
Quant Sarrasin le virent, [il font] une assemblée,
Sus le cors veïssiez grant noise et grant criée.
725 Et Girart maintenant si a sachié l'espée,
.1. Sarrasin en flert sus la cheicle dorée,
Mort l'a jus abatu de la sele dorée,
Puis cria «Roussillon! »à haute vois levée.
Quant Renaudin l'entent s'a la perche levée.
730 Chele part adrecha Baiart de randonnée,
Sus le hiaume feri .i. Turc de Valfondée
Qu'à la terre en abat toute la chervelée,
Et au cheval a toute trenchié l'eschinée.
A chel coup est la perche en .ii. moitiez froée.
735 Et quant Sarrasin virent qu'ele fu debruisée
Tost li coururent sus tous à une huée;
Ja eussent la broigne en .xxx. lieus faussée,
Se ne fust le destrier à la croupe tieulée
Qui henit et regibe et fet si grant menée;
740 A. l'un brisa le col, à l'autre l'eschinée.
De païen fist iluec si très grant lapidée,
Merveille est que Renaut ne fist la reversée.
Oez quele aventure Ihesu li a donnée :
De Froberge li membre dont l'alemele est fée,
745 Qui pendoit à l'archon de la sele dorée.
Làfustl'enfez Renaut malement malbaillis
Ne fust chele aventure que Dex li a tramis.
Et le vaillant Renaut qui fu de moult grant pris
Si l'a amont levée qui moult fu engramis;
750 Parmi son elme fiert .i. roi de Moravis,
En .II. moitiez le fentet le cheval de pris.
Lors dient l'un à l'autre :«Chen est .i. Antecris,
» Qu'il atendra à coup il sera tout fenis. »
En fuie sunt torné, si ont le camp guerpis,
755 Se ne fustl'amirant qui sire est des Persis.
Il escrie s'ensengne : « Or avant Sarrasins! »
Lors courent à Renaut plus de .m. Bédouins.
Fol. 176 v h. Jafu mort et ochis, ja n'enescapast vis.
Quant dus Buef et ses hommez et Girart le marchis
760 Lez secoururent bien as bons brans acherins.
Ié4 RECHERCHES
Ja fussent li païen maté et desconfis,
Quant l'amiral Joas et l'amiral Clargis
Et le roi Joacas et l'amiral Persis
Vindrent en la bataille sus les chevax de pris.
765 Et crestiens les ont as bons brans achevins
Trez vigoureusement par ire recueillis ;
Mez tant fu grant la presse de félon Sarrasins,
Ne vausist lor deffense vaillant .11. parisis.
Fuir les couvenist ou remaindre tous vis,
770 Quant Ajmez de Dordonne o le grenon flouris
Et Doon de Nantueil le chevalier hardis
Vindrent en la bataille à .xx™. fervestis
Là oîi Do de Nantueil as païen assembla
Et Ajmez de Dordonne que moult forment ama,
775 Do escrie Nantueil, mie ne se targa,
Puis a brandi la hanste et l'escu acola.
Joas ala ferir que premier encontra,
Chen fu .1. amiral qui onques Dieu n'ama;
Tant com hanste li dure du destrier l'abat.
780 Puis regarda sus destre, .1. païen avisa
Qui .1. de nos barons en .11. moitiez coupa.
Lors fiertsi le païen que en ,11. le coupa,
(Puis flert si le païen que en .11, le coupa).
Atant es vous Sodant qui forment se hasta,
785 Hernaut ala ferir que premier encontra,
Si souef l'abat mort que li espié froissa.
Quant Aymez de Dordonne ot coisi cheus de là,
.1, escuier apele et si li envoia
A Othon d'Espolice qu'ariere lui lessa ;
790 De venir en l'estour durement le hasta,
Et le bon roi si fist quant le mes escouta.
Quant Othon fu venu à ichele envaïe,
Es païen se ferirent trestous à une hie.
783. Vers répété par suite d'une distraction du copiste, qui se perdait dans
cette série de coups d'épée prodigieux.
785. Ce ue peut être Hernaut de Monder, encore vivant au vers 807 s.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 155
Rois Otliez esperonne le destrier de Nubie,
795 Et fiert .i. amiral du resne de Persie;
Parmi le gros du cuer le gonfanon li guie,
De la seleTeslongne une grande brachie.
Et duc Buef d'autre part fièrement s'i manie.
Vivien de Monbranc ses grans cous i emplie.
800 Renaut et Aalart ne s'i oublient mie,
Et Aymez de Dordonne qui pis ne valoit mie
En ochist tant et tue, n'est nus qui nous en die.
Mez tout chen ne leur vaut la monte d'une alie
Que tant i est venus des païen de Larie,
805 N'est bons qui les milliers ne les .c. vous en die.
Ja tornassent les dos, il n'i durassent mie,
Quant au bon conte Hernaut le conta une espie,
Et au bon roi Brandoine qui moult ot grant basquie.
Lors s'escria Hernaut à baute vois série :
810 c(Or avant, biau dous niés, ne vous atargiez mie.»
Chascun dez espérons son bon destrier i guie.
Brandoine voit TefiFors des Sarrasins félons.
Li et le quens Hernaut qui fu de grant renons
Eus enlagregnor presse mainnent lor contencbons,
815 A destre et à senestre fièrent les Esclavons.
A ichele envaïe fu ocbis Clarions
Et Cabrueil et Faussart, Salatre, Licions,
Et Gingados d'Egjpte et le roi Faussarons,
Fol. 177 va. Corberon et Fausirez et l'amiral Ebrons
820 Et bien x'". Turs de lor meillors barons.
Quant le Sodant le voit, plus dolent ne fu bons;
Lors fist sonner .i. cors dont grans estoit li tons,
Et brocbe le cbeval des trencbans espérons.
.1. cbevalier feri qui moult estoit preudons,
825 Trestout le pourfendi desiques es arcbons.
Puis regarda sus destre li amacbour félons,
Et a veù roi Otbez qui sus païen félons
Carpente e[t] de s'espée païen met en fricbons.
Grant duel en ot Sodant, lors fiert des espérons
795. Vers répété, mais barré d'un trait rouge.
156 RECHERCHES
830 Et a treite Tespée et s'en va vers Othons.
Sodant Ta si féru par tel devisions
Que par mi fu coupé et visage et mentons.
Le bon roi chaï mort maintenant dez archons.
L'ame s'en est alée, Dex li faciie pardons.
835 Et le Sodant escrie Babiloine à haut tons :
«Ferez, frans Sarrasin, [quer] mar les redoutons.
» .1. des leur ai ochis, loés en soit Mahons!
«D'Espolice iert rois, Othez estoit ses nons. »
Pour lui sunt li Francheis moult dolent et embrons.
840 Quant Othez fu ochis, grant i fu la douleur.
Crestiens en menèrent et grant noise et grant plour.
Lors ont le cors porté sous .i. arbre sansflour,
En sus de la bataille .i. poi en .i. destour.
Ileuc si le couchierent sus l'escu paint à flour.
845 Tost et isnelement repairenten Testeur,
Es païen se ferirent isnel et sans demour,
Moult i o[n]t abatu ettrebuchié des lour.
Ja fussent desconfit (et) sans terme et sans demour,
Quant l'amiral Clargis qui Dex doinst deshenour,
850 Ala ferir Hernaut sus l'elme paint à flour,
Jusqu'es dens le fendi, onques n'i ot retour.
Quant Francheis l'aperchurent, s'enforchala douleur
Or jut le quens Hernaut parmi le pre flouris.
Chen fu duel et damage du bon baron de pris ;
855 Quant ses hommez le seurent, n'i ot ne gieu ne ris.
HeDex! com le regrete Vivien et Maugis!
Lors couchierent Hernaut desus son escu bis,
Les Othez d'Espolice l'en ont porté et mis.
Puis retornent ariere es u grant fereis.
860 Lors ferirent païen es costez et es pis,
Plus de .X™. en ont aflfolez et malmis,
Vivien de Monbranc fu chevalier eslis,
11 drecha son visage, si a veii Clargis.
Quant Vivien le voit moult en fu asouplis,
865 II ne fu pas si lié pour tout l'or de Paris.
Vivien li tourna le bon cheval de pris.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 157
L'espée tint u poing, si a féru Clargis
Que le cors du païen du tout'espeiiris.
Quant Clargis fu ochis crestiens furent lié,
870 Et Sarrasin dolent et forment esmaié.
Ja fussent desconfit et mortli renoié,
Quant l'amiral Persis, qui le cuer ot iré,
A fet sonner .1. greile, s'a sa gent ralié.
«Seignors, dist l'amiral, mal sommez engignié.
875 » Quant je passai cha outre et je sui arivé,
«Bien cuidai tout conquerre et meitre sous mon pié;
» Mez trop sunt crestien aduré et prisié,
» Ja n'emporteron rien du lor à bon marchié.
Fol. 177 r° b. Lors broche le cheval o poil aplennié
880 Et se fiert en Francheis com deable en moustier.
Roj Brandoine le voit, forment len a pesé,
A l'amiral s'en vient, ne s'i est detrié,
Ja li fera savoir s'il a fet bon marchié.
Roj Brandoine coisi l'amiral Lucien.
885 Quant vois ochis son oncle, moult en ot grant frichon,
Lors brocha le cheval qui Sauterel ot non,
Et tint l'espée nue au pont doré enson.
L'amiral en feri sus son elme roon,
Trestout le pourfendi desiques en l'archon.
890 II a esters son coup, mort l'abat u sablon.
Bien se preuve Brandoine le roi de grant renon,
A plus de .XXV. en fet voidier l'archon.
Ja fussent li païen mis à destruction,
Quant l'amiral Corsuble et le roi Medion
895 Et le roi de Damas et le roi Danemon
Vindrent en la bataille, chascun ot gonfanon.
Et Sodan demeura u mestre paveillon,
Sa gent fet adouber entour et environ.
Et le Sodan monta sans point d'aresteison,
900 Atout .XXX™. hommez s'en ist du paveillon.
Ja eiissent nos gens maie confession,
Quant chil de la chité s'en issentà bandon
10
158 RECHERCHES
Et furent bien .xx™. hardi comme lion.
Fousifie devant porta le gonfanon.
905 Cheus de la chite issirent à esperon brochant,
Bien estoient .xx™. que bourgeis que serjant.
Entre païen se fièrent moult aïréement,
Maint en i ont ochis et livré à torment,
Moult ont bien au Sodan moustré ior mautalent.
910 Et d'autre part estoit le caplement moult grant,
Quant l'amiral Corsuble et le roi Mediant
Et le roi de Damas et le roi Corniquant,
Atout .XXX™. hommez vont les nos aprechant,
Et le fort roi Brandoine les a veiis venant.
915 II broche le destrier, moult le va arguant,
.1. espié vit à terre, si l'en leva errant
Et fiert roi Medeas en son escu devant.
Parmi le gros du cuer li va le fer passant,
Mort le trébuche à terre du bon destrier courant,
920 Puis escria « Maiogre !» à sa vois hautement.
Quant ses hommez l'oïrent, chele part vont tournant;
Là ot maint elme fraint et maint païen senglant.
Atant es vous Corsuble et l'amiral Persant
Et le roi Danemont et le roi Abilant
925 Brandoine vont ferir en son escu devant ;
A terre le couvint caïr de l'auferrant,
Mez tost resailli sus le hardi combatant.
Le fort [roi] Danemont feri à rencontrant,
Les mamelez li trenche, tout va aval glachant,
930 Chilchaï mort à terre du bon destrier courant;
Et Brandoine seisi le destrier auferrant,
De plain vol i sailli Brandoine maintenant.
Mez que li estrief eiist à son talent,
L'ont païen si féru et deriere et devant,
935 Et dessous lui ochis le bon destrier courant.
A la terre le meitent ariere maintenant.
Ja l'eussent ochis et livré à torment,
91G. (I vil ù terre » répélé.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 159
Se ne fust Renaudin qui vint esperonnant,
Entre li et Aalart qui porte le perquant.
940 Ja fust le roi Brandoine et mort et malbaillis,
Se ne fust Renaudin le preus et le hardis.
Il tint nue Froberge dont le pont est massis,
Entre païen se fiert com leu entre brebis,
Le roi de Damas trenche les costez et le pis,
915 Et au roi Clarion a il trenchié le vis,
Puis ra ochis Mandras et Butor etClaudis.
Roi Brandoine ont monté et Font à cheval mis,
Puis l'enmainent d'ileuc vers le grant capleïs.
A l'estour retournèrent Renaut et Aalart
950 Et Brandoine le roi qui les grans cous départ.
Sus païen s'enibatirent qui dedens .i. essart
Orent pris le dus Buef et navré d'un faussart.
Ja Teûssent ochis li félon Achopart,
Se ne fust Renaudin, Brandoine et Aalart.
955 Quant en chele partie s'en vint li dus Girart
Et Doon deNantueil et Ajraez le veillart,
Vivien et Maugis qui ne sunt pas couart,
Là ont ochis maint Turc et maint fort Achopart.
Atant es l'amiral qui torne chele part.
960 L'amiral s' aresta quifu en grant frichon.
Et tint nue l'espée dont doré est le pont,
Entre Francheis s'embat irié comme lion,
Plus de .xiiii. en a abatus u sablon.
Quant le voient Francheis, s'en ont grant marison,
965 Chascun li a fet voie, n'i meitent contenchon.
Que vous iroie je alonguant lacanchon?
Il saisi une lanche à .i. blanc gonfanon,
Si va ferir Brandoine en l'escu au lion,
Parmi le corps li mist le fust et le penon,
970 Tant com hanste lidure l'abat mort u sablon.
Chen fu duel et damage, Dex li fâche pardon !
Là fussent desconfis etNormant et Breton,
Quant dus Buef et Maugis vindrent à la tenchon.
Le roi Brandoine trouvent ochis sus le sablon.
160 RECHERCHES
975 Là, où le roi Brandoine fu à la terre mis,
Vint dus Buef d'Aigrement et le sien fix Maugis,
Vivien d'autre part qui moult estoit marris :
« Cousin, qui vous a mort, il iert notre anemis.
» Ja Ihesu de chest jour ne m'en lest aler vis,
980 » Cousin, se ne vous venge ains que jour soit faillis. »
Lors brocha le cheval des espérons massis
Etfiert leroi Durgant en son escuvoutis.
Mort l'a jus abatu u pendant d'un larris.
De la mort de Brandoine fa le droit ileuc pris.
985 Quant l'amiral le voit, à poi n'esrage vis;
Le destrier esperonne par merveilleus aïr,
Et tint nue l'espée; Vivien va ferir
Amont dessus^son elme, mez nel pot desartir,
L';irchon et le cheval a i coupé par mi.
990 Lors chaï Vivien, ne se pot plus tenir.
Et païen l'avironnent que Ihesu puist honnir.
Desus Vivien fu le capleïs moult grant,
De toutez part le fièrent Sarrasin et Persant,
Et Vivien dubranc vistement se deffent;
995 Mez toute sa deflTense n'i vausist pas .i. gant
Que ne fustmort ou pris ou livré à tourment,
Fol. 177 v». Quant ilja escrié à haute vois « Monbranc. »
Lors l'entendi son père et Maugis son enfant,
Chele part sunt venus à esperon brochant.
1000 Renaut et Aalart vient aprez randonnant.
Tant i fièrent li nostre et tant se vont penant
Que il ont remonté Vivien le vaillant-
Et Girart esperonne le bon destrier courant,
L'amiral va ferir en l'escu à argent,
1005 Devers le les senestre le bon branc li deschent;
L'espaule et le costé trestout entièrement
Abati tout à terre du bon destrier courant;
L'ame s'en est alée en enfer le puant.
« Outre, chen dist Girart, le cors Dieu te gravent! o
1010 Quant Sarrasin le voient moult en sunt esmaiant.
Quant païen voient mort Corsuble sus l'erbier
SUR LES CHANSONS DE GESTE IGI
Et crestiens ferir du riche branc d'achier,
Moult durement se prennent trestous à esmaier.
Lors fuient qui miex miex, n'i voudrent plus ester.
1015 Et quant le Sodant vit ses Turs esparpeillier.
Et il vit crestiens envers lui aprechier,
Lor ne les atendist pour plain .i. val d'ormier.
Des espérons à or abrochié le destrier.
Et crestiens l'encauchent qui Dex gart d'encombrier.
1020 Sodant i convenist demourer prisonnier
Que Fousiâe'l'ot abatu du dest[r]ier,
Mez Sarrasin l'assaillent et devant et derier.
JaTeiissent ochis, n'en peiist reperier,
MèsGrirart i sourvint, o lui maint chevalier;
1025 Et quant le voit Sodant envers lui aprechier,
Dessus le dromadaire monta sans atargier,
Puis s'en torna fuiant par delez .i. rochier.
Et le soleil abesse, si prist à anuitier,
Si demoura la cache, si ont fet redrechier
1030 Fousifie qu'il trouvent à pié les .i. rochier.
Es tentez as païen se vont la nuit couchier
Desi à l'endemain qu'il virent escleirier.
Les païen es ne:^ entrent, les voilez font drechier,
Et deablezlor donnent si bon vent et plenier
1035 Que jusqu'en Babiloine n'i orent encombrier.
D'eus vous lenoi ichi, si vous voudroi nunchier
Des Francheis qui se firent chele nuit aeisier,
Et dormirent la nuit tout à lor desirier.
L'endemain, quant il virent le soleil raier cler,
1040 Lors se font nos barons moult bien appareillier
Et puis si font le champ sus et jus recherquier.
Li baron en la plache firent fera -i. carnier.
Les mors firent dedens jeter et balanchier,
Puis fist on en la plache .i. moustier estorer
1045 Et fere une abeïe qui moult fet àprisier.
Dedens ont mis .c. moingnez qui liront lor sautier.
Quant nos crestiens orent le carnier aprestés
Et tous nos crestiens et mis et enterrés.
Ne mes le roi Othon où tant avoit bontés,
}Q2 RECHERCHES
1050 Et liernaut de Monder, Brandoine le sénés ;
Tous les cors dez .m. prinches ont à Monbranc porté.<
Ens u mestre moustier de Sainte Trinités.
Fu le servise dit, hautement célébrés,
Mes les cors des barons n'i sunt point enterrés,
1055 Fors seulement Tentraille c'on en avoit ostés,
Et puis furent dedens de bon vin bien lavés ;
En .111. bons cuirs de cherf les ont envolepés.
Fol. 178 r a. Chascun vers son païs se sunt acheminés,
Le segnor en reportent chascun en [son] régnez.
lOGO Ne soi pour quoi le duel vous seroit racontés,
Je ay trop à fere, ja n'en seroi mellés.
Aprez s'en retorna chascun en son régnez,
Vivien demoura à joie et à santés,
Et Maugis o s'amie ala par vérités.
1065 Maugis en Rocheflour s'en ala o s'amie.
11 n'enmena o lui ne mes que Fousifie,
La duchoise sa mère alessié moult marrie,
Et le bon duc son père de revenir li prie.
En plourant se départ, le cuer 11 atendrie.
1070 Maugis part de son père, le chevalier membre,
Jamez ne le verra à jour de son aé ;
Et Vivien demeura à Monbranc sa chité,
Moult tint en pes la terre et toute l'erité,
Conques plus de païen ne fu aresonné ;
1075 Et le duc Buef son père aussi en sa chité.
En pes a le duc Buef moult longuement esté,
Entresic à .i. jour que il vous iert conté
Que Kalles l'emperere o le grenon mellé
Tramist à Aigremont Lohier son fix l'ainsné
1080 Pour demander servise au duc Buef le barbé.
Ochis i fu li enfez, si com vous iert conté,
Puis fu àKallemaine tramis et renvoie,
1054 et siiiv. Cf. Rohnid (éd. Gautier), v. 3685-3694, et TiP'pin, ch. xxvii,
de Cori)oribus ynortiiorum aromntibits et sale condilomm.
1062. Ms. <c en sunt régnez. »
SUR LES CHANSONS DE GFSTE 163
Puis en mourut duc Buef, ch' est fine vérité.
1085 Si en fu le lignage en guerre son aé,
Mes puis fu la pes feite de trestout le barné,
Et de tout le lignage prist le roy feeulté,
Ne mez que de Renaut et d'Aalart l'ainsné
Et de Guichart son frère, de Richart le mainsné,
1090 Et de Maugis le lerre où tant ot de bonté.
Par lui fu Kallemaines maintez fois aïré,
Segnors etbelez danaez, Dex vous fâche pardon,
Vous qui de votre argent m'avez donné foison.
Ihesucrist le vous rende qui soufri passion.
1095 Aprez vous chanteron dez .iiii. fiex Ajmon,
Ainsi comme il vengierent le duc Buef d'Aigremont
Que Kalles avoit fet ochirre en traïson.
Ihesus le roi de gloire, par son saintisme non.
Nous otroit par sa grâce de paradis le don.
Explicit
EXPLICIT LE ROMMANS VIVIEN DE MONBRANC
LI AMACHOUR GENTIL QUI TANT FU CONQUERANT.
VI
RINALDO DA MONTALBANO
Deux chants anciens, la Mort de Beiives et l'histoire des
Quatre Fils Aymon, furent d'abord unis dans l'usage ; puis le
second fut augmenté successivement d'une guerre soutenue
en Gascogne contre Charlemagne par Renaud, ses frères et
Maugis, du pèlerinage de Renaud et de Maugis en Palestine
et des faits qui suivirent leur retour en France. Deux poèmes
plus récents, consacrés aux fils deBeuves, vinrent enfin com-
pléter cet ensemble ; et dans le manuscrit de Montpellier, nous
avons constaté qu'un remaniement adroit avait achevé la fu-
sion de ces divers éléments en un tout suflîsamment un et ho-
mogène. Mais les dernières versions ne faisaient pas oublier
les plus anciennes, et l'on peut admettre que les Italiens en
164 RECHERCHES
connaissaient plusieurs quand ils' firent passer dans leur litté-
rature populaire Thistoire de Renaud. Ils ne pouvaient son-
ger à revenir en arrière et à supprimer ce qui s'était greffé
sur les légendes primitives. Ils prirent donc pour objet prin-
cipal de leur imitation l'ensemble formé parle Maugis, le Vivien
et \e Renaud de Montauban,\iZvce (\\\\\& y trouvaient, après une
exposition, trop longue sans doute, mais qui en somme satis-
fait l'esprit, une suite de faits se déroulant clairement et sans
peine, La coexistence de plusieurs versions les autorisait à
puisera leur gré dans l'une ou l'autre, et surtout à modifier
à leur tour la légende et à la remanier encore dans la uiéme
pensée que l'avaient fait leurs devanciers, de façon à lui don-
ner, soit plus d'unité, soit plus d'agrément, soit un caractère
plus moral. En tout cela, ils ne firent que se conformer àl'exem-
ple qui leur avait été donné par nos trouvères. Ceux-ci te-
naient à raconter des choses nouvelles et le proclamaient en
tête de leurs chants; n'était-ce pas inviter leurs imitateurs
étrangers à ne pas reproduire servilement les _textes qu'ils
avaient sous les yeux? Les conteurs italiens 'avaient le droit
de montrer qu'eux aussi ils savaient plus, qu'ils imaginaient
mieux que leurs devanciers. Si dans les poètes lyriques italiens
du Xllle siècle il est souvent fait allusion aux héros des ro-
mans français * , quelle connaissance de ces matières ne devaient
point posséder ceux qui préféraient aux sonnets et aux can-
zones les récits de l'épopée française? Encore aujourd'hui la
passion pour les aventures de nos chevaliers s'est conservée
en Sicile avec une vivacité extrême - ; mais ce qui est de notre
temps une exception curieuse, était la règle générale au XIIP
et au XIV^ siècle, quand le grand nom de Charlemagne était
encore sans rival, quand les guerres entre vassaux et suze-
rains, chrétiens et Sarrasins, étaient choses d'un intérêt tout
contemporain. Je crois donc que cette sorte d'érudition était
* V. Bartoli, i Primi due Secoli délia Letteratiira italiana, c. n, §2: la
Lingua e la Poesia fi'ancesc i?i Italia (p. 92-110), et c. x, p. 279 s. Cf.,
en ce qui concerne le cycle breton, Grà^, Giornale storico, V, p. 102-130.
- J'ai renvoyé déjà à l'article de M. Pitre sur cette question {Romania. XII (,
p. 315-398). Ce maintien en plein XlXe siècle d'une tradition épique si au-
cienne est un dus plus curieux phénomènes de l'histoire littéraire.
SUR I ES CHANSONS DE GESTE 165
assez répandue pour qu'il n'y ait pas lieu d'être surpris des
altérations que les légendes ont subies en Italie, et qu'il ne
soit pas nécessaire de supposer, à chaque modification que l'on
constate, un poëme français ou franco-italien perdu qui en
aurait été l'origine. Les comiques latins faisaient souvent de
deux pièces grecques une seule pièce latine, ce qu'ils appe-
laient contammare fabulas. L'initiative des auteurs me paraît
souvent une explication suffisante. Il était naturel qu'en pré-
sence de récits dont un grand nombre portaientla marque de
remaniements considérables, les Italiens ne se soient pas crus
obligés à faire le métier desimpies traducteurs*. Cette façon
de voir me paraît justifiée parla comparaison du Rinaldo da
Montalbano et des versions françaises de l'histoire des Fils
Ajmon.
Les romans italiens qui ont pour objet les aventures de
Renaud et de sa famille paraissent dériver de deux textes
anciens, l'un en prose, l'autre en vers^ Je les examinerai
1 Dans son étude intitulée la Rotta di Roncisvalle {Propngnatore,yo\.\N ;
tirage à part, Bologna, 1871), M. Rajna examine les formes qu'a prises en
Italie la Chanson de Roland, et il arrive à démontrer par la comparaison des
textes qu'à chaque étape des modifications successives du récit l'on constate
l'imitation de modèles d'âges différents. Dans sa conclusion, il écarte nette-
ment l'opinion que le roman chevaleresque italien se serait déLaché d'un'seul
coup de ses racines françaises: « Dali' esame istituito mi sembra appaia chia-
» rameute che la letteratura cavalleresca délia Toscana s'atliene a quella délie
'1 provincie settentrionali e allresi délia Francia per un numéro di fili ben
» maggiore che forse noD si credesse; le creazioni straniere continuarono ad
« essere note suU' Arno nella loro propria lingua non solo per tutto il tre-
» cento, ma ancora fîno al declinare del secoln XV. d
- Le travail de M. Rajna a été publié d'abord dans le Propiignatore (vol.
III) sous le titre de Rinaldo da Montalbano, puis en tirage a part(Bologna,
1870). C'est à cette seconde édition que je renvoie. Le roman en prose a été con-
servé dans deux manuscrits de la bibliothèque Laurentieune cotés, l'un xlii,
37; l'autre lxxxix, 64. Le premier a été achevé le 15 avril 1506. Il contient
cinq livres. Le second semble de la fin du XV« siècle ou du commencement
du XVI«. Il contient seulement les trois premiers livres du -précédent. Le
poëme se trouve dans un manuscrit de la Palatine (E, 5, 4, 46). Il est divisé
en cinquante-un chants, comprenant en tout 2038 octaves. Le manuscrit paraît
dater du milieu du XVe siècle. Le copiste a laissé en blanc beaucoup de mots
et même des vers entiers. P. Rajna, /. /., p. 3-4. — M. Rajna est convaincu
que tous les romans italiens en vers, où il s'agit de Renaud, dérivent du texte
de la Palatine.
16Ô RECHERCHES
en me servant de l'analyse qui en a été donnée par M. Rajna,
Le roman en prose commence par la description d'une cour
plénière tenue par Charleraagne à l'occasion de la Pentecôte,
quand l'arrogance de Girard de Fratta a été abattue, c'est à-
dire plusieurs années après la guerre d'Aspremont. Charles
est au milieu de ses barons, assis sur sa chaire impériale.
Comme il fait chaud, l'empereur se fait apporter une coupe de
vin. Après avoir bu, il la passe à Ajmes (Amone); mais Ghi-
namo de Bajonne, un duc mayençais, ennemi d'Aymes, qui a
épousé Clarice qu'il aimait, se lève et lui reproche d'oser boire
à la coupe impériale alors qu'il a été déshonoré par sa femme.
Il affirme qu'il a eu les faveurs de Clarice, et que Renaud
et ses frères sont ses fils. Il donne pour preuve la connais-
sance qu'il a d'une tache que la duchesse a sur le corps, et
quelques bagatelles qu'il tient d'une servante qu'il a subor-
née. Aymes part aussitôt pour aller demander des explica-
tions à la duchesse. Cependant Roland envoie un messager à
Clarice pour lui apprendre ce dont Ghinamo s'était vanté, et
il lui fait dire que, si le fait était vrai, elle eût à se tuer: « car,
si le fait est vrai, je te ferai poursuivre par le monde entier, et je
ferai manger aux chiens ton corps et celui de tes enfants ; mais,
s'il nest pas vrai, fuis cette colère et hâte-toi, car A;/mon est
parti et va à Doj^donne pour te tuer. » Clarice effrayée se ré-
fugie dans un de ses châteaux, appelé Monte-Arraino, où elle
reste cinq ans. Après ce laps de temps, Renaud étant en âge
de porter les armes vient dans la chambre de sa mère et la
menace de lui donner la mort si elle ne lui dit de qui il est
fils. Elle se jette à ses pieds et lui jure qu' Aymes est son
père * .
Comme bien d'autres chansons de geste, le Renaud de Mon-
^«wiÇ/aji- commence par une cour plénière, tenue à laPentecôte,
où l'on voit Charles assis sur son faudestueil, entouré de rois,
de chevaliers, d'archevêques, d'abbés; et c'est également dans
une réunion pareille, qui a eu lieu aussi à la Pentecôte, que
* N'ayant sous les yeux qu'une analyse où M, Rajuarae paraît insister sur
les points qu'il juge les plus importants, je ne puis éviter quelques lacunes.
Ici l'on ne sait ni où le duc Aymes est allé, ni ce qu'il a fait.
- Ou plutôt la Mort de Bauves d'Ai<jremont, comme je lai expliqué déjà.
SUR LES CHAIsSONS DE GESTE l67
Tempereur annonce à Ajmes qu'il veut adouber ses fils che-
valiers.
Entre la version imprimée et celle de Montpellier, il y a
de notables différences. Dans toutes les deux, Charlemagne
profite de la réunion de sa cour pour se plaindre de Beuves
d'Aigremont, qui ne daigne pas le servir. Mais la raison de
Fabsence de Beuves, d'après le texte imprimé, est qu'il est
resté l'ennemi de l'empereur depuis que Doon de Nanteuil a
a été chassé de France. Ainsi la querelle du suzerain et du fier
vassal a ses origines dans la légende de Doon. Dans le texte
de Montpellier, Charlemagne, qui sait que, depuis le refus
qu'il a fait de secourir Vivien, il ne peut plus compter sur
l'hommage de Beuves, et qui lui-même ne saurait rappeler
sans inconvénient le vrai motif de son différend avec le duc
d'Aigremont, allègue que Beuves, lors de la guerre des Ses-
nes, a fait cause commune avec les barons qui s'obstinèrent à
ne pas donner leur aide à l'empereur. L'argument n'est pas
mal trouvé, car le père de Vivien aurait eu ainsi les premiers
torts. Je reproduis le commencement de la version de Mont-
pellier.
CHI COMMENCHE LE ROMMANS DEZ .IIII. PIX AYMON
Barons, ces canchon de grant nobilité.
Toute est de vraie estoire, sans point de fausseté,
Onques meillor n'oïstez ains puis [que] Dex fu né.
A Saint Denis en France que Dex a tant amé,
5 Le trouva on u roulle et l'autre auctorité
Comme Kalles de France, le fort roi couronné,
Guerria le duc Buef d'Aigremont la chité.
Et Girart .i. sien frère qui tant ot de bonté,
Et Doon de Nanteuil o le grenon mellé,
10 Et Ajmon de Dordonne le vassal aduré.
Chil .IIII. furent frère et d'un père engendré.
Il n'ot si vaillans hommez en la crestienté.
Kalles les haï moult et vers eus fu iré.
Ainsi com vous orrez se je sui escouté.
15 Che fu à Pentecouste, après l'Ascension,
16? RECHERCHES
Kalles fu à Paris, en samestre meison.
Moult i fu grant la court de chevaliers baron.
Tuit i furent venu chil prinche de renon,
Salemon deBretaigne, [de]* Maus conte Huon
20 Et Yvon et Yvoire, Berengier et Haston,
Et tant des autrez que nombre n'en savon.
A la court est venu dus Aymez de Dordon,
Et avec 11 ses fix qui sunt de grant renon.
Tuit .iiii. sunt vallet, n'ont barbe ne grenon.
25 Kallemaines se lieve, si parla corn preudon.
«Barons, che dist le rois, or oes mareson.
» Tante terre ai conquise et tante région
))Dont li seignor me servent ou il vueillent ou non.
» Je conquis Guiteclin, ichil Sesne félon,
30 ))En Sessoigne la grant que nous outre tenon.
))Là perdi Baudouin, que nous tant amion.
» N'i daignierent venir mi chevalier baron
))Fors le duc des Normans et le roi Salemon.
»Par icheus de Herupe hu ge salvation.
35 ))Le duc Buef d'Aigremont n'i fu pas, chen set on.
» Lambert le Berruier et Rohans le Breton
» Et Gaufrei de Bordele que nous perdu avon,
» Assez i mandai autrez qui sunt de mon roion :
)) N'i daignierent venir, foi que doi .S. Synion.
40 » Je mandai en aide Girart de Roussillon
)' EtDoon de Nanteuil et son frère Bevon:
» N'i daignierent venir, pourvoir le vous dison.
«Barons à vous me plaing, nobile compengnon
)) Mez par icheste barbe qui me pent au guernon,
-45 » Venjance en arai, qui qu'en poist no qui non.
» Au duc Buef manderai, le sire d'Aigremon,
)) Qu'il me viengne servir à coite d'esperon
» Et amaint avec lui .iin<^. compengnon.
» Et se il le refuse, que il die que non,
50 » Je manderoi Francheis de meute et de randon,
))Trametrai li .c". de gent de grant renon
» Qui destruiront sa terre et metront en carbon.
» Qui fera le mesage? barons, or l'eslison. »
1 Ms. .> (lu...
SUR LES CHANSONS DE GESTE 169
Dunajmez conseille au roi de choisir le messager, et, comme
personne ne s'offre, Charlemagne désigne son fils Lohier.
J'ai cité ce passage, non-seulement parce que le fait de rem-
placer la guerre avec Doon par la guerre des Sesnes a donné
l'idée au romancier italien de parler lui aussi d'une guerre in-
téressante pour des Italiens, celle d'Aspremont; mais parce
que nous trouvons ici réunis en un seul vers, les noms d'Yvon,
d'Yvoire, de Bérenger et de Haston.Les Italiens substituèrent
Otton ou Ottone à Haston, et dès lors ces personnages furent
inséparables:
Avino, Avolio, Ottone e Berlinghiere*.
De là à les regarder comme frères, il n'y avait qu'un pas;
on les supposa fils de Najmes de Bavière. Mais cette parenté
n'avait d'autre origine que le hasard qui avait présenté à la
mémoire de nos trouvères une suite de noms formant si na-
turellement un alexandrin :
Et Yvon et Yvoire, Berengier et Haston^.
La nouveauté du début du roman italien consiste dans le
rôle important attribué à Ghinamo. L'idée en soi n'a rien d'ori-
ginal, car la calomnie est une arme employée souvent par le
lignage de Ganelon. Grifes de Hautefeuille, le père de cette
famille détestée, trahit et calomnie ses frères dans le Gaufrey.
Dans Parise la duchesse, douze traîtres de la race de Gane-
lon s'entendent pour accuser Painse d'avoir empoisonné le
frère du duc Rajmond son époux. Amaurj, qui, après avoir
poussé Chariot à attaquer sans raison les fils de Sevin, sou-
tient la cause de l'empereur contre Huon de Bordeaux, ap-
partient à la même famille. Mais la nature du reproche fait au
duc Ajmes sort des habitudes de l'épopée française. Dans nos
chansons, les querelles entre les barons, leurs révoltes contre
Charlemagne, ont d'ordinaire leur origine dans la violation,
alléguée à tort ou à raison, de quelque droit féodal ; il s'agit
tantôt d'un hommage refusé auroi, tantôt d'un fief ardemment
'V. Thomas, Nouvelles Recherches sur l'Entrée de Spagîie, p. 48-49.
^ Dans Gui de Bourgogne même ordre que dans le vers italien: «Ne Yvon
ne Yvoire, Halon ne Berangier». v. 417, cf. 348, et 44t4. Je reviendrai sur
ce roman dans le chapitre suivant.
Î70 RECHERCHES
convoité, tantôt d'actes de pure violence. Ici c'est la vie privée
' qui est en en cause. La femme d'un des plus fiers barons est
accusée d'adultère, et son mari est pour cela jugé indigne de
boire à la coupe du roi. Je vois là un double emprunt aux
romans bretons: d'abord le hanap merveilleux où les dames
chastes pouvaient seules boire sans inconvénient, lianap que
nous retrouvons dans Huon de Bordeaux et qui est bien pour
quelque chose dans le dénoûment de ce poëme.puis Diabitude
d'apprécier la valeur morale des personnes pour d'autres mo-
tifs que les qualités purement guerrières de vigueur et décou-
rage. L'accusation elle-même d'adultère, mais ne visant que la
femme regardée comme coupable, se rencontre dans le Macaire
et le Fioravanle.
Y avait-il quelque indication dans la légende des Fils Ay-
mon qui pût amener l'auteur italien à supposer que l'odieuse
calomnie de Ghinamo ne soulèverait pas la réprobation una-
nime de Cliarles et de ses barons? Je n'oserais l'affirmer, et
je demande que l'on voie surtout dans ce que je vais en dire
le désir de faire connaître les textes dont je dispose.
L'auteur du roman italien en prose connaissait l'histoire
d'Ogier le Danois et l'a même intercalée dans la suite de son
récita Le fait n'a rien d'étonnant, puisque Ogier est de la
même geste que Renaud, et n'a cessé, pendant le siège deMon-
tauban, de donner aux fils Ajmon des preuves de son ami-
tié. Or, si l'on compare dans le manuscrit de Montpellier les
deux récits où sont contées les morts si semblables de Bau-
douinet et de Bertolais, on n'est pas éloigné de penser quede
cette comparaison ait pu naître l'idée de suspecter la légiti-
mité des fils Aj'mon. Dans ce manuscrit, la dispute de Bau-
douinet et de Chariot est beaucoup plus développée que dans
la version imprimée. Chariot vient de perdre la partie, et son
roi est mat dans un coin de l'échiquier:
Le fix le roi fu forment aïrés
Quant il se voit si forment enanglés,
1 Rajna, /. l., p. 42 — Cela était tout naturel, car dans la légende fran-
çaise les noms d'Ogier et de Renaud étaient inséparables. Le cycle de Doon
de Mayence s'est formé autour des histoires de ces deux grands vassaux. En
Italie, Roland, le héros dcRoncevaux, devait faire négliger le bon Danois et
se substituera lui dans Taraitié des fils Avmon.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 171
Baudouinet commenche à ramposner :
«Fix à putain, pour quoi m'as forjouez?
5 ))Ogier ton père, le mien serf racatez,
» Ne m'eust dit mat pour lez membrez couper. »
Bist Baudouin: «Damoisiau, vous mentes.
» Ma mère chertez ne fist aine puteés.
» Ele fu fille le castelain Guirrez
10 »De saint Omer qui tant fist àloer.
» Voir fu, mon père en fist sa volenté:
«Comme haut homme bien en ot poosté.
» En chele dame fa mon cors engendré.
n Ne plot à Dieu qu'il fussent espousé,
15 » Ele n'iert pas de si grant parenté
)) Comme mon père, chen soit de vérité,
» Souventez fois en ai mon cuer iré.
» Famé n'est pute sel n'a homme tué
» Ou son enfant murdri et estranglé. »
20 Kallot l'entent, aine ne l'en prist pité,
Ains saut en piez, s'a l'eschequier combré.
Kallot le fel, qui Dex doinst encombrier,
A .II. mains prent le pesant eschequier ;
Baudouinet en ferit u frontier,
25 Seur le',brun marbre le fet mort trebuchier *.
Dans la version de Michelant, Renaud, insulté et frappé par
1 Voici le texte de rédilion Banois (v. 3109 s.):
« Bastars, dist-il, mult es oulrequidiez,
» Fel et quvers et trop en remanciés.
» Ogier tes pères, li miens hom cavagiés,
» N'en desist tant por tôt l'or desosciel,
» Ardoir en fu, en un conpieg noier.
» Mal le pensastes, vos le comperrés cliier. »
A ses deus mains a saisi Fesqueker,
Bauduinet en feri el fronter,
Le test li fent, s'en sait li cerveler ;
Desus le marbre le fist mort justichier.
On peut comparer le texte de Montpellier avec le passage correspondant
cité par Barrois dans sa préface, p. lxvi, etqui en dérive évidemment.
172 RECHERCHES
Bertolais, va se plaindre à Charlemagne, qui ne veut pas
l'écouter et le traite de mauvais garçon. Renaud reproche
alorsà l'empereur la mort de Beuves d'Aigremont, qui ne doit
pas rester impunie; pour lui, il ne s'associera pas à l'indiifé-
rence de son père et de ses oncles. Charles, irrité, le frappe
de son gant au visage, si bien que le'sang coule à terre. Re-
naud s'en va; mais, au milieu de la salle, il rencontre Berto-
lais, et, dans sa colère, lui fend la tête d'un coup d'échiquier.
Dans le texte de Montpellier, Renaud et ses frères ont été
adoubés chevaliers par le roi avant que l'on sût la mort de
Lohier, et^ni eux ni leur père n'ont pris part aux guerres qui
ont suivi; mais il n'y a pas eu non plus de paix conclue entre
eux et le roi. Aussi, quand Charlemagne offre spontanément
d'honorer les fils Aymon et que leur père lui ^appelle la moi't
de Beuves, Renaud n'hésite pas à intervenir:
«Sire, chen dist Renaut, qui fu li graiudrez hom,
«Chevalier nous feïstez, neer ne le povon;
» Durement vous haon, ja ne vous cheleron,
» Pour la mort au duc Buef le sire d'Aigremon,
5 » Quer à nous ne feïstez pes ne acordoison. »
Kallemaines l'oï, si drechale menton,
Adonques rougi Kalle aussi comme carbon.
«Renaut, fui toi de chi, fix à putain, garchon.
» A moult petit s'en faut, ne te met en prison. »
10 «Sire, chen dist Renaut, ne seroit pas reson.
» Puisque ne l'amendez, à itant nous taison, »
A itant le lessierent li .m. bacheler,
Renaut le fix Avmon lessa atant ester,
Aalart et Guichart le vont reconforter,
15 Et puis aprez mengié alerent behourder.
Et li auquant s'asieent et prennent à jouer.
Renaut et Bertelai si ont pris .i. tablier
Et uns eschez d'ivoire, si pristrent à jouer.
He Dex ! à grant martire les convint dessevrer.
20 Renaut et Bertelai sunt au jouer assis,
Et tant i ont joué que il i ot estris .
SUR LES CHANSONS DE GESTE 173
Bertelai le clama fix à putain chetis,
Et a hauchié la paume, si le feri u vis.
Tel bufe li donna que le sanc est saillis.
25 Et, quant Renaut le voit, si en fu moult marris.
Il saisi Teschequier qui fu à or massis,
S'en feri Bertelai très par mi lieu du vis
Que trestout le fendi entresiques u pis
Mort l'avait étendu, or est levé le cris.
La Bihl/othèque bleue suit assez exactement cette version.
«Renaut dit hardiment au roi qu'il le haïssait, parce qu'il avait
» fait tuer son oncle par trahison ; mais nous en aurons, lui
» dit-il, raison quelque jour. Charlemagne rougitde colère, et
»lui dit: Jeune téméraire, ôte-toi de ma présence; je te jure
» que si je n'avais égard à cette auguste compagnie, j'ordon-
» nerais qu'on le mît dans une prison où tu pourrais te repen-
» tir de ton auda-e. Renaud ne dit plus mot.
» Le dîner étant prêt, ils s'assirent tous à table, excepté
wSalomon et Godefroi, qui servait ce jour-là; mais Renaud ne
«pouvait rien manger en pensant à l'affront qu'il avait reçu,
» et songeait toujours comment il pourrait se venger. Ses frè-
» res le consolaient. A[)rès le dîner, les seigneurs allèrent à la
» récréation, et Bertelot, neveu de Charlemagne, appela Re-
» naud pour jouer aux échecs avec lui.
» Bertelot et Renaud s'assirent pour jouer aux échecs, qui
» êtuient d'ivoire et l'échiquier d'or massif. Ils jouèrent tant
» qu'ils eurent dispute ; de sorte que Bertelot appela Renaud fils
))de catin, et le frappa au visage, dont il sortit du sang. Quand
» Renaud se vit ainsi outragé et blessé, il prit l'échiquier de
» furie et en cassa la tête à Bertelot, qui mourut sur place.
))I1 s'éleva un grand bruit dans le palais que Renaud, fils d'Aj-
))mon, avait tué Bertelot, neveu du roi. »
J'ai cité volontiers cette imitation, parce qu'elle reproduit
avec fidélité tous les traits essentiels du modèle.
J'en reviens à l'injure faite, dans ces deux passages, à Bau-
douinet et à Renaud. Le premier y répond par une justifica-
tion de sa mère qui nous paraît peu satisfaisante, mais qui
prouve que ce mot, trop souvent répété dans nos chansons de
geste, n'était pas toujours une insulte banale. Renaud, dont le
11
174 RECHERCHES
cas est outre, outragé deux fois de suite par Charlemagne et
Bertolais, frappé par celui-ci, tue le neveu de l'empereur.
Est-il impossible que cet outrage, pris au sérieux ûansOg/t'}'
et répété dans les Fils Aymon par Charlemagne et son neveu,
ait engagé un imitateur à en tirer tout un drame? Si Bertolais
qualifie ainsi la mère de Renaud, pourquoi un Ghinamo n'en
dirait-il pas davantage? Cette pauvre invention, qui gâte le
commencement de notre histoire des Fils Aymon, s'explique
d'ailleurs assez par la notoriété des infidélités de trop de belles
•dames du cycle d'Artus, au niveau desquelles allaient descendre
les châtelaines de notre épopée.
Il n'y a de vraiment italien dans le fait de Ghinamo que son
audace à se poser en Don Juan.
Le nom de Ghinamo de Bayonne a déroulé jusqu'ici les con-
jectures. La famille de Ganelon, devenue en Italie la geste
des Mayençais, était cependant assez riche en traîtres [)Our
qu'il ne fût pas nécessaire d'inventer un nom nouveau. Dans
celui-ci, je verrais volontiers une modification par simple
transposition de syllabes du nom d'Amauguin le brun, per-
sonnage de la famille de Ganelon, qui, au commencement
d'Aye d'Avignon, accuse faussement Garnierde Nanteuil d'avoir
comploté la mort de l'empereur. Ce personnage reparaît encore
dans Gui de Nanteuil, et nous retrouvons dans Parise la du-
chesse un Aumaguin, fils de Hardrez, et par conséquent du li-
gnage de Ganelon, qui se déguise en pèlerin pour tromper le
duc Raymond et lui faire croire que Parise a empoisonné son
frère Beuves. Quant à la situation géographique du fief qui
lui est attribué, elle ne surprendra point si l'on songe que des
noms de lieu du midi de la France, tels que Montauban, Avi-
gnon, Valence, reviennent souvent dans les chansons où il est
traité de la geste de Renaud.
Monte-Armino est formé sur le modèle deMontessor, Mon-
bendel, Montauban, Montchevrel, etc.; mais le second des
mots qui le composent décèle une prétention à l'érudition, dont
nous retrouverons des traces beaucoup plus évidentes dans la
suite du roman.
La violence avec laquelle Renaud exige de sa mère qu'elle
lui révèle de qui il est fils a un caractère dramatique ; mais
ce n'est (ju'une répétition de l'endroit du Maugi's où Vivien
SUR LES CHANSONS DE GESTE 175
contraint Esclarmonde à lui avouer que Beuves d'Aigremont
est son père.
L'épouse d'Ajmes est dite Clarice. C'est dame Aye dans la
version imprimée \ Marguerie dans le texte de Montpellier.
L'auteur italien a préféré le nom de Clarice, plus agréable
sans doute à ses oreilles, et qui dans les versions françaises est
celui de la sœur du roi Yon, que son frère donne en mariage
à Renaud. Pour remédier à ce double emploi et s'écarter de
la tradition sans paraître la contredire, on imaginera plus tard
que le roi Yon (Ivone) a une fille du nom de Béatrix qui s'é-
prend de Renaud et finit par l'épouser-.
Le supplice dont Roland menace Clarice et ses fils ne me
semble pas d'origine française ; dans les Chansons, on parle
plutôt de pendre les gens, de les démembrer ou de les brûler
vifs. Je vois ici une simple réminiscence des «chiens dévorants»
dont Jezabel fut la proie.
La présence de Roland à la cour de Charlemagne, dès les
premières pages de la narration, et son intervention dans les
affaires domestiques du duc Aymes, sont les premiers traits
du développement d'une conception nouvelle, beaucoup plus
importante que tout le reste, et dont il est juste de recon-
naître l'originalité.
Dans le Renaud de Montauban, Roland n'apparaît que tard.
Naymes conseillait à l'empereur, revenu de son pèlerinage en
Galice, d'attendre un an avant de recommencer la guerre con-
trôles fils Aymon, quand arrive un jeune garçon accompagné
de trente damoiseaux de gente façon. 11 porte une pelisse
d'hermine, des kueses d'Afrique, des éperons d"or. Son regard
est plus fier que celui d'un léopard ou d'un lion. Il est très-
bien fait et de belle tournure. Il vient au palais, descend au
perron et ne s'arrête que devant Charles. 11 se fait connaître.
On l'appelle Roland; il est né en Bretagne, à Saint-Fagon,
fils de la sœur de Charlemagne et de Milon, le duc d'Angers.
* Renaud de Montauhan, p. 91-92.
2 Dans le Renaud de Montauban, la sœur d'Yon était déjà désignée par
deux noms différents: c'est d'abord « ma seror Aéiis au cors gent », p. 117;
puis « Clarise à la clere façon », p. 223, cf. 226. Ce nom, d'ailleurs, revient
très-rarement dans le récit. Dans le premier passage, la version de Montpel-
lier donne « ma seror qui moult a le cors gent. »
176 RECHERCHES
L'empereur l'embrasse et compte qu'il le vengera de Renaud.
Roland espère bien vaincre celui qui a tué son cousin Ber-
tolais. On apprend alors que les Sesnes assiègent Cologne.
Roland est chargé du commandement de l'armée, et revient
bientôt triomphant, amenant prisonnier le duc des Sesnes,
Escorfaut, que l'on enchaîne soigneusement pour le baptiser
le lendemain. C'est alors que Naymes a l'idée de donner des
courses, afin que l'on trouve pour Roland un cheval aussi bon
que Bajard^
La Bibliothèque bleue n'a rien changé à ce récit, qui nous
montre Roland portant pour la première fois les armes après
la construction de Montauban, et désireux de se faire le cham-
pion de son oncle contre Renaud. Mais l'auteur italien avait
remarqué que l'antipathie de Roland pour le vaillantfilsd' Ar-
mes n'était, pas destinée à durer, et qu'après s'être mesurés ils
deviennent des amis fidèles. D'autre part, il est fait allusion
à la parenté de Charlemagne et d'Ajiuos- ; et, comme le duc
1 P. 119-123.
2 P. 47, 249. M. Riijna ne croit pas qu'il y ait trace d'une parenté entre
Renaud et Roland dans les textes français (/{/?iaWr» da Montall/a7io,p. 14).
Il suflit cependant qu'Aymes et ses fils soient regardés comme du lignage de
l'empereur pour que Roland soit leur cousin. L'impression générale qui res-
sort de la lecture du Renaud de Montaufjini est que la plupart des barons
qui y jouent quelque rôle sont unis entre eux parles liens du sang. La famille de
Grifes de Hautefeuille fait seule exception. Dans Ogier, les chefs des cheva-
liers traîtres qui essayent de livrer leur seigneur à Charlemagne sont Hardrés
et son frère Gontier; les deux qui se présentent à l'empereur sont Hardrés et
Bereugier (v. 8153 s,) Ces deux noms appartiennent au lignage Ganelon ;
mais on ne comprend pas que ceu.x qui les portent aient pu suivre Ogier.
Eu revanche, quand Brehus propose à Ogier de renier sa foi, le fier Danois
répond (v. 11754 s.):
« Or oi plait de bricon:
» Aine n'aparting Hardré ne Ganelon
» Que Deu guerpisse et traïsse Kallon. »
C'est bien dans les Fils Aymoii que se dessine clairement la distinction
entre une geste loyale et une geste des traîtres. Pour la parenté des barons
loyaux entre eux, voici quelques-uns des passages les plus importants. Alard
dit (p. 212):
« El Ogiers li Danois, (ils m'anlaiu par mon clef. »
A la p. 213, Charles, Olivior, Roland, Salomon, Estons, Richard, Ydolon,
sont réunis, et les barons, parlant des lils Aymon, se disent:
SUR LES CHANSONS DE GESTE 177
Aymes et ses frères sont également unis par le sang à la plu-
part des barons de l'empereur, Roland et les fils Ajraon font
partie d'une nombreuse famille qui peut ne pas toujours mar-
cher d'accord, mais qui dans des circonstances graves se re-
trouve parfaitement unie. Tous les barons s'entendent quand
il faut refuser de pendre Richard, fils d'Ajmes, ou obtenir la
liberté de Richard de Normandie.
Pour tirer parti de ces données, l'auteur italien suppose que
Roland avait atteint l'âge d'homme au moment où commence
sa narration, et que, d'ailleurs, il avait droit de s'intéresser à
l'honneur du duc Aymes, son paient. Roland gardera ce nou-
veau rôle. Plus sérieux que Renaud, mais bien disposé pour
lui, il aura toujours sa part d'action dans lavie de son cousin.
Il deviendra son protecteur contre la méchanceté des Mayen-
çais, jusqu'à ce que, par une conséquence naturelle, il y ait
entre les deux chevaliers un échange ordinaire de bons offices
et que leurs noms soient toujours associés. Cette conception,
qui devait être féconde, appartient en propre à l'Italie et ne
pouvait venir à la pensée d'un trouvère français, parce que,
chez nous, l'épopée avait trop bien arrêté les grandes lignes
de la vie du neveu de Charles. Le caractère de Roland ne
devait se modifier qu'en j)ay3 étranger. En Italie, après être
devenu le compagnon des aventures de Renaud, il finit par
imiter ses faiblesses; et si, dans le Mordante, il garde sa gravité
originelle, avec Boiardo et Arioste, il tourne au chevalier er-
rant, et son amour et sa folie sont d'un Tristan ou d'un Lan-
celot.
« Cosin somes germain, près nos apartenon. »
P. 217, Ogier, parlant au nom des douze pairs, explique à Charlemagne qu'ils
ont voulu l'épouvanter:
« Que Richart no cousin feissiez délivrer. »
Dans Oijierdf Danemarche, Ogier esl cousin deTurpiu (v. 9242):
(( Mes cosIds est li gentis dus palais. ->
Cf. 9270. — La parenté d'Ogier, qui supplie Charlemagne de l'épargner,
comprend : Naymes, Guilimer l'Escol, Salomon de Bretagne, le roi Otiioé,
Doon de Nanteuil, Girard de Roussillon. Aymes de Dordonue, Thierry d'Ar-
denne, Geofroy d'Anjou; princes, ducs ou comtes, ils sont soixante (v. 9509 s.,
9526 s.).
178 RECHERCHES
L'auteur, usant de la donnée que lui offraient les courses où
Charlema2:ne espérait découvrir un cheval digne de Roland,
imagine que Clarice, dans l'intention de procurer des armes
excellentes à ses fils, fait annoncer, avec l'autorisation de Char-
lemagne, qu'une grande foire aura lieu à Monte-Armino ; puis
il se reporte à plusieurs années en arrière pour expliquer
l'origine de deux personnages qui paraîtront bientôt en scène *.
La duchesse d'Aigremont, ne pouvant avoir d'enfants, avait
fait un vœu; devenue enceinte, elle partit avec son mari en
pèlerinage pour Saint-Jacques de Galice. En revenant, elle
donne le jour dans un bois à deux jumeaux qui, par suite de
l'attaque soudaine d'une troupe de Sarrasins, restent aban-
donnés. L'un des enfants est recueilli par le roi Abilante, qui
lui donne le nom de Vivien, l'élève comme s'il était son fils,
et lui cache sa véritable origine. Le second, jeté dans un
fossé, en est retiré par la dame de Belfiore, sœur d'Abilante,
qui, en souvenir de l'endroit où elle l'avait trouvé, lui donna
1 Imitation évidente de l'endroit de Renaud de Montanbnn où, sur le con-
seil deNaymes, des courses ont lieu à Paris, afin de procurer à Roland un che-
val digue de lui. P. 123-1,31.
M. Rajna (/{zVio/f/Oj p. 16) croit qu'ici le texte italien ne dérive pas du
Maugis d'Aigremont, \ia.Tce qae Maugis y est élevé en Espagne et non en
Sicile, et qu'il est invraisemblable qu'un écrivain ou chanteur italien ail voulu
transporter en un pays étranger une scène que les sources qu'il connaissait
auraient placée en Italie. Se fondant sur ce que la forme Malagigi se rap-
porte au français Maugis, il suppose que la version italienne dérive d'un texte
plus ancien que le Maugis. Il ajoute que l'absence des aventures amoureuses
de Maugis indique également l'imitation d'un texte plus ancien. J'explique ces
différences uniquement par la manière dont l'auteur italien a compris son su-
jet ; il a voulu écrire à nouveau l'histoire des Fils Aymon, modifiant, ajoutant,
supprimant. Pour donner plus d'unité au commencement de sa narration, il
ne sépare pas les deux enfants, fait d'Oriande la sœur d'Aquilaut; au lieu de
Monbranc et de Rochefiour, il imagine Belfiore. La scène est en Espagne, lieu
ordinaire des guerres entre Sarrasins et chrétiens. Dans le Rinaldo en vers,
la guerre des Sesnes, racontée dans le Renaud de Montauban, devient une
invasion des Sarrasins et n'est reconnaissable qu'au nom de Scrofaido (Escor-
faut). Dans Ogier, Brehus est roi d'Afrique, de Babylone, de Damas et des
Sesnes. De son côté, l'auteur du Viaggio nella Spagna place à la cour du loi
de Portugal l'aventure d'Olivier à Constantinople. La chronique de Turpin
avait donné l'exemple d.; transporter en Espagne la guerre d'Agolant et celle
de Fierabras (Ferracutus).
SUR LES CHANSONS DE GESTE 179
le nom de Malgiaci (Mau-gis); mais on l'appela Malagigi *.La
(hi me élève Tenfant et l'instruit ; mais le malicieux Maugis
apprend plus qu'elle ne voulait et parvient à lui dérober la
connaissance de la magie, art qu'elle possédait à fond. Il s'em-
presse d'user du pouvoir qu'il vient d'acquérir, et contraint
un démon à l'éclairer sur tout ce qui peut l'intéresser. Il sait
ainsi de qui il est né, qu'il est le cousin des fils Aymon et
dans quelle intention Clarice a voulu avoir une foire à Monte-
Armino. Il décide qu'il procurera à Renaud « le meilleur clie-
« val qui soit au monde. Il fit un enchantement et trouva que
» la mère d'Achille, quand elle apprit la mort de son fils,en-
» chanta son cheval dans une montagne, au milieu de la mer
wOcéane, et qu'elle v enchanta aussi les armes et l'épée qui
«avaient appartenu à Achille.» Après avoir obtenu laper-
mission de la dame de Belfiore, Maugis va chercher Bayard
etFroberge (Frusberta-) ; puis, avec d'autres armes et d'au-
tres chevaux, il se rend à Monte-Armino déguisé en vieillard.
Baj'ard plaît à Renaud qui veut l'acheter, et, après de longs
discours, tous deux vont avec Clarice au château, où Maugis
redevient tout à coup un jeune homme, à la grande frayeur de
la dame. Il se fait alors connaître, fait présent à son cousin du
cheval et de l'épée, puis s'en retourne en Espagne, à Bel-
fiore .
Les fils d'Aymes, ayant reçu de Maugis des armes et des
chevaux, partent pour Paris, où leur mère désire qu'ils soient
adoubés chevaliers par l'empereur. Lorsque Ghinamo le sait,
il leur tend un piège, espérant les mettre à mort. Mais le bon
1 « E perché ella (la dame de Belfiore) l'aveva trovato nella fossa che gia-
» cea niale, gli pose nome Malgiaci ; ma egli fue chiamato Malagigi.» Malagigi
me semble venir de la forme Madalijis, que nous trouvons dans Y Entrée de
Spag7ie:
Madalgis le lairon et sou cosin Guioard.
[Bihl. de l'Ec. de.^ Chartes, 1858, p. 255.)
La forme allemande esl Malerjis.
2 Frusberta, comme Malagigi, est une forme résultant d'altérations suc-
cessives (Frosherga. Frosberda, Frusberta). Ces noms s'étaient ainsi modifiés
par suite de la transmission orale, et cela seul donnerait à croire que l'histoire
de Renaud était répandue en Italie longtemps avant la rédaction des versions
du Rinaldo, dont il est traité ci-dessus.
180 RECHERCHES
droit triomphe. Ghinamo est tué jiar Renaud, ses hommes sont
mis en fuite, et les quatre frères reprennent leur route vers
Paris, où ils sont accueillis avec grand honneur et faits cheva-
liers. Surviennent alors les fils de Ghinamo apportant le corps
de leur père. Les barons se divisent, et, sur le conseil de Na}'-
mes, on décide que le cadavre du traître sera pendu et que
Renaud et ses frères seront bannis de la chrétienté jusqu'à ce
qu'ils aient fait un pèlerinage au Saint-Sépulcre*.
Les bannis partent, et Ganelon et Pinabel vont les attendre
dans la forêt de Quintafoglia. Renaud et ses frères sont sauvés
par l'arrivée très-opportune de Roland sur le champ de ba-
taille. Les Mayençais fuient; Renaud, au lieu d'aller en Pa-
lestine, revient à Monte-Armino, etRoland, une fois de retour
à Paris, raconte ce qui s'est passé ; mais, pour éviter le scan-
dale, il ne révèle qu'à l'empereur les noms des traîtres.
Charlemagne ayant un jour fait allusion à la trahison de
Ganelon, celui-ci lui rappelle que depuis huit ans Beuvesd'Ai-
gremont (Buovo d'Agrismonte) ne s'acquitte pas de son devoir
envers la couronne. Les barons s'offrent pour marcher contre
le vassal rebelle; mais Charles veut essayer d'abord un autre
moyen. Un messager, Morando di Normandia(Enguerrand
d'Espolice dans le Renaud de Monfauban imprimé), va à Aigre-
mont. Malgré son langage outrecuidant, Beuves le laisserait
repartir sans lui faire aucun mal, s'il ne tuait un géant gardien
du pont du château^. Il est mis à mort, et un espion de Gane-
lon en apporte la nouvelle à Paris. Elle est accueillie avec in-
crédulité, et Ganelon conseille l'envoi d'un second messager.
A son instigation, Lohier (Alorino) s'offre pour cet office et
1 Naymes ne fait, que proposer, dès le commencement du récit, d'appliquer à
Renaud la peine qui lui est impcsée à la fin de sa guerre avec Charlemagne,
comme l'une des coodilions esseatielles de la paix.
"- « Questa citlàera posta in su 'n uno monte molto dilettoso, e appiè del
» monte correva uno grande fiume che si cliiamava Arginore, e avea un
» grande ponte con due torre; e Buovo vi teneva a guardia uno grande gio-
» gante. Questa cittâ d'Agrcsmonle e queslo ponte fecie fare Giulio Cesare,
» quand' egli acquistô la Spagnia. » [Hinaldo, p. 22-23.) — Quand Gui de
Bourgogne et ses compagnons, se rendant à Montorgueil, ont passé les ri-
vières aimantées, ils trouvent à l'entrée du palais de Iluidelon un géant af-
freux qui garde la porte principale. Gui, pour entrer, est obligé de le tuer {Gici
de Bourrjoijne, v. 1773 18?0).
SUR LES CHANSONS DE GESTE Î81
part avec mille hommes armés. Arrivé devant Beuves, il lui
parle avec violence et le menace de son épée, alors que Beu-
ves s'était résigné à supporter les injures et à rendre hom-
mage à son seigneur. Une lutte s'engage, et Beuves, après
avoir tué malgré lui le fils de Charles, fait embaumer le corps,
qui est rapporté à l'empereur. Charles et sa cour sont dans
le deuil et se préparent à venger Lohier.
Cependant, en Espagne, le cruel roi Abilante confie à Vivien
une armée de soixante mille hommes pour qu'il aille attaquer
Aigremont. Vivien assiège le château et fait prisonnier dans
un combat le duc Beuves. Charles et les Mayençais appren-
nent avec joie la captivité de Beuves, et l'empereur, malgré
Naymes, défend sous peine de mort de secourir Aigremont.
Néanmoins, Roland, Astolphe, Ogier et Olivier, partent secrè-
tement. De son côté, Maugis, ayant eu connaissance de ce qui
se passe, quitte l'Espagne et va à Aigremont. Il a revêtu des
armes enchantées et se donne pour un chevalier en quête
d'aventures. Sa mère l'accepte pour champion, et il a r.u duel
avec Vivien. Après bien des coups donnés et reçus, il ! j fait
connaître à son frère, lui apprend de qui ils sont fils, et le
combat et la guerre sont ainsi terminés. La reconnaissance
des parents et des enfants a lieu avec des transports de joie,
auxquels viennent prendre part Roland et ses compagnons.
Une partie de l'armée de Vivien reçoit "le baptême, les autres
s'en retournent en Espagne, et Roland avec ses amis revient
à Paris, oîi son oncle le reçoit fort mal. Mais le cœur de Charles
s'adoucit bientôt; de sorte qu'il veut voir Maugis et Vivien,
les accueille gracieusement et se décide à pardonner à leur
père.
L'empereur envoie donc des messagers à Beuves, et celui-ci
se met en route pour Paris; mais les fils de Ghinamo, poussés
parGanelon, le surprennent et le tuent pendant son voyage,
puis réussissent à pénétrer dans Aigremont, qu'ils mettent à
feu et à sang, et où ils laissent une garnison. Tls rapportent,
à Paris le corps de Beuves, et Charlemagne paraît plus satis-
fait que mécontent de ce qui est arrivé. Vivien et Maugis le
soupçonnent de complicité, partent avec Girard pour Rous-
sillon et demandent aide et secours à leurs parents et à leurs
amis. Toute la geste se rassemble, et les fils de Ghinamo, que
182 RK CHERCHES
Maugis fait tomberdans une embuscade, y périssent avec deux
mille des leurs; Bayonne est pris et mis à sac, Aigrement re-
couvré. A cette nouvelle, Charlemagne se laisse induire par
Ganelon à attaquerRoussillon. Les rebelles ont le dessus dans
la première rencontre; mais il est trop malaisé de résister au
chef de la chrétienté, et Maugis songe à recourir à son art.
Il laisse à ses parents la garde de la ville, et se fait porter
))Hr son démon Malaterra sur FApennin, où les démons le
fournissent de brefs bien et dûment scellés par le pape. Il se
fait passer pour un cardinal envoyé en France comme légat, en
prend le costume et se fait suivre du cortège requis. En com-
pagnie d'un grand nombre de prêtres, d'abbés, d'évêques et
de chevaliers, il passe en Savoie et de là en Bourgogne, puis
va à Paris, où il fait savoir à la reine que Charles sera excom-
munié s'il ne se conforme immédiatement à un bref qu'il
apporte et par lequel il est interdit de faire la guerre à des
chrétiens. Puis il va présenter ce bref à l'empereur, et les Cler-
montois obtiennent ainsi la paix et leur pardon. Charles re-
vient à Paris et les fils Aymon se préparent à faire le voyage
au Saint-Sépulcre, qui leur a été imposé à la suite de la mort
de Ghinamo.
Renaud et ses frères vont s'embarquer à Valence; mais ils
sont poussés par une tempête jusqu'à l'île Perdue, où régnait
le géant Brunalmonte, fils du roi Uli vante et frère de Mara-
bi'ino. Renaud tue Brunalmonte et donne le gouvernement du
pays à Morando, capitaine du navire ([ui les a portés. Il reprend
la mer et va au château de Gostantino, frère de Brunalmonte,
(|ui. après avoir tué et dépouillé le seigneur du pays, retient
sa fille prisonnière. Après une nouvelle victoire de Renaud,
le château est pris et rendu à un frère du seigneur légitime.
Celui-ci donne à Renaud un nain de belle figure, qui savait
toutes les langues d'Asie et d'Afrique. Renaud, qui se cache
dès lors sous le nom de Brandorde l'île Perdue, lui ordonne de
le conduire avec ses frères dans un paj's où il y ait quelque
guerre, a Le nain traversa la Syrie. A l'entiée Je la Perse, ily
» a une cité appelée Nilibi, sur un fleuve qui avait nom Fosca.
» Le i>ays était couvert de gens, et le Soudan de Perse faisait
» le siège delà ville pour l'enlever à l'Amostant de Perse,
» Renaud se présenta devant le Soudan et lui demanda une
SUR LES CHANSONS DE GESTE 183
)) solde égale à celle de cent chevaliers, et le Soudan dit que
» Roland et Olivier ne méritaient pas une solde pareille, et lui
» permit d'entrerdans Nilibi. » Une fois dans laville, Renaud,
grâce à l'influence de Fiorita, fille de l'Araostant, est fait ca-
pitaine général ', Il justifie cette confiance, car bientôt le sou-
dan est prisonnier et son armée est détruite. Mais le secret
de son vrai nom est révélé par deux espions de Ganelon au
Soudan et par celui-ci à TAmustant. Ce dernier n'hésite point
à jeter en prison les quatre fi-ères et se réconcilie avec ses
ennemis. Fiorita, éprise de Renaud, off're aux captifs de les
faire échapper, si Renaud consent à la prendre pour femme
et à lui donner son amour. Il s'y résigne, et, après avoir passé
la nuit avec elle, il est secrètement rendu à la liberté, et part
en promettant de revenir quand il aura achevé son pèleri-
nage.
Les frères arrivent à la cité de Sorini, où le roi Salione est
assiégé à tort par Chiariello, frère lui aussi de Brunalmonte.
Renaud se charge de le combattre; mais celui-ci, après une
longue défense, voyant qu'il a le dessous, fait déchaîner con-
tre son adversaire un farouche lion. Sa perfidie ne lui sert à
rien ; Renaud les tue tous deux, et son armée, qui avait pi-is
les armes, est taillée en pièces. Cependant des espions de Ga-
nelon étaient venus renseigner Salione; mais celui-ci lésa
fait pendre. Puis il accepte le baptême, et sa fille Guiletta
donne au chevalier, en souvenir du combat, une riche soubre-
veste oîi est brodé un lion. Telles seront désormais les armes
de Renaud. Elle obtient en échange la promesse d'un don à
son choix. Les barons partent, et la jeune fille, les ayant re-
joints sous un costume d'écuyer, rn[ [lelle la promesse qui lui a
été faite et obtient de les accompagner avec ce déguisement.
Ils arrivent à la cité de Valdiiiferna, et le roi Roncano, grand
ami de Chiariello, les fait prisoniiiei's par trahison. Le nain
réussit à s'enfuir et va informer Salione. Cependant «Maugis,
» qui était camérier du roi Charles, avait enchanté un diable
» dans un anneau et l'appelait Suipini le nouveliier (novel-
• Ce passa.ce est imité de celui de la Spagna où Roland demande à Maclii-
dante une solde de trente livres, et, sur le refus du sultao, entre dans la ville
assiégée et offre ses services à Sansonnet et à son père.
184 RECriERCHES
))liere); tous les jours il lui demandait ce que faisait Renaud.
n Quand il sut qu'il était captif à Yal(iinferna », il eut peur et
informa Roland, Olivier et Ogier, Ceux-ci, qu'Astolphe accom-
pagne malgré eux, partent d'Aigues-Mortes, et, poussés par
une tempête au pays deSalione, sont reconnus par le nain à
leurs armes. Le roi les reçoit avec honneur, et ils se rendent
sans se faire connaître à Valdinferna, qui est assiégé par le
Soudan, très-irrité contre Roncano,qui a négligé de se rendre
à sa cour avec la belle Indiana sa femme. Le roi fait sortir de
prison Renaud, qui, sans laisser paraître sa joie de revoir les
paladins, tue le champion du Soudan. Roncano et le Soudan
se réconcilient.
Surviennent pour la troisième fois des espions de Ganelon,
qui apprennent au Soudan les vrais noms de Rolaiid et de ses
compagnons ; mais ceux-ci s'en aperçoivent à tem js, se retirent
et s'enferment dans la place, protégés qu'ils sont par Indiana
pour l'amour de Salomon, qui lui avait fait grand honneur,
quand elle avait été jetée par une tempête sur les côtes de la
Bretagne. Maugis informe Salomon de l'amourd'Indianaet de
la captivité des barons, et obtientqu'il parte secrètement avec
Girard de Roussillon et d'autres chevaliers. Après une longue
chevauchée, ils arrivent à Sorini, ville de Salione. Cei)endant
les vivres manquent dans Valdinferna et les barons en sortent
]i;ir un souterrain ; mais ils sont? découverts et rejoints. Ils
combattent avec valeur, et, secourus à temps par Salomon et
ses compagnons, remportent la victoire, ils rentrent dans la
ville, la saccagent et s'en vont. Indiana est donnée à Salomon,
qui l'emmène avec lui et la fait baptiser sous le nom de Sibilla.
Renaud et ses frères se rendent au Saint Sépulcre, et, quand
les trois années de leur exil sont écoulées, reviennent en
Fi'ance.
Le second livre commence par la querelle de Renaud et de
Bertolais et la mort de celui-ci; il suit assez fidèlement l'his-
toire des Fils Aymon jusqu'à la construction de Montauban, qui
est attribuée à l'art magique de Maugis '. Le roi sarrasin Beges
• Reaaiiil épouse Béatrice, fille du roi Ivoiie. La sœur du roi Yen ('luit
Clarice; mais, ce nom ayant été attribué à la mère des fils Aymon, l'auteu
emprunte celui de la mère de Baudouinet. V. plu? haut, p. 175, n ,2.
SUR LES CHANSONS DE GESTE ' 185
de Toulouse est devenu Mambrino d'Ulivaute, qui envahit la
France pour venger la mort de son frère Brunalmonte, quia
été tué par Renaud, comme on Ta vu. Les livres suivants,
d'après M, Rajna, sont d'invention purement italienne^.
Les vingt-six premiers chants du roman italien en vers dif-
fèrent peu pour le fond des deux livres en prose dont il a été
parlé jusqu'ici ; mais à partir de la construction de Montauban,
les deux récits se séparent et le poëme suit à peu près exac-
tement jusqu'à la fin notre Renaud de Montauhan. Le rôle de
Ganelon a cependant plus d'importance, et Roland, au lieu de
faire ses premières armes contre les Saxons, délivre la Pro-
vence envahie par les Sarrasins; le géant Scrofaldo (Escor-
faut) est fait prisonnier et reçoit le baptême. Dans Renaud de
Montauban, Escorfaus est le nom du duc des Saxons ; mais dans
Maugis, c'est celui d'un géant au service de l'amiral de Perse,
Pendant le siège de Montauban, le roi Gattamogliera arrive
d'Orient pour venger la mort de Mambrino et de ses frères ; il
oflfre son alliance à Charlemagne, qui l'accepte et promet au
païen de renier le Christ s'il le délivre de son ennemi. Lesba-
rons français indignés s'en vont à Montauban. Gattamogliera,
quand le jour est levé, défie Renaud, et ceiui-ci va à sa ren-
contre armé de Durendal. Après un long combat.il tranche la
tête à son adversaire, la présente à Charles et essaye vaine-
ment d'obtenir sa grâce.
Le poëme paraît à M. Rajna de date plus récente que le ro-
man en prose, et il e^iplique la différence si complète de la se-
conde partie des deux récits par l'existence supposée d'un
poëme franco-italien que le prosateur aurait imité jusqu'à la
fin du second livre, et que l'auteur de la version rimée aurait
suivi d'un bout à l'autre -. Cette hypothèse ne me paraît pas
nécessaire, car on peut très-bien admettre que l'auteur du
poëme ait suivi le roman en prose jusqu'à l'endroit où il au-
rait préféré revenir aux versions françaises, dont le caractère
' Rinaldo, p. 33. Cependant plus loin (p. 42), M. Rajna dit que le troi-
sième livre raconte Ihistoire d'Ogier le Danois. Cela est fort important, parce
que l'on retrouve dansla'version française d'O^/e?- plusieurs données qui ont
été utilisées par l'auteur italien dans son Rinaldo. V. plus haut, p. 170, n. 1.
2 Rinaldo, p. 41-42
186 RECHERCHRS
vraiment épique lui semblait peut-être plus digne d'imitation.
Quant à la première partie, alors même qu'il aurait eu entre
les mains les poëmes français dont elle s'inspire, il aurait hé-
sité à abandonner l'arrangement (jue son prédécesseur avait
fait, suivant le goût italien, du Maugis,d\i Vioien et de la Mort
de fieuves. Il est certain qu'avant les deux romans dont il est
question, l'histoire des Fils Ajmon était connue en Italie par
les versions françaises elles-mêmes, et peut-être par de pre-
miers essais qui ont pu être composés, soit dans ce parler
étrange que l'on appelle le franco-italien, soit en toscan. Nous
en avons une preuve dans la forme Malarjigi que le nom de
Maugis avait prise de bonne heure, et que les auteurs res-
pectent, nous l'avons vu, tout en indiquant quelle en devrait
être la véritable traduction italienne. Mais, si l'on considère
que la plupart des romans italiens anciens se bornent à repro-
duire à peu près exactement les textes français, ou s'en écar-
tent complètement au gré de l'imagination, sans qu'il y soit
emprunté aux chants primitifs autre chose que des noms de
lieux ou de personnes', on reconnaîtra que rien n'oblige à
croire qu'un modèle particulier ait guidé l'auteur de la pre-
mière partie dnRinaldo da Montalbano.
C'est ce remaniement qu'il convientd'examiiierde plus près.
L'auteur italien fond en un seul récit les trois poëmes français.
11 change les noms, modifie l'ordre chronologique, introduit
des incidents nouveaux, tantôt d'un caractère très-peu héi'oï-
que, tantôt, rappelant les aventures des chevaliers de la Ta-
ble-Ronde, et semble prendre à tâche de montrer qu'il est
bien l'auteur de ce qu'il conte. Après une introduction d'un
goût douteux, mais qui n'est pas sans conséquence pour ce qui
va suivre, il refait le Maugis dWigremont. Au lieu de la fée
Oriande, nous trouvons une sœur du roi sarrasin Aquilant,
devenu lui-même Abilaute. Belfioie, (]ui reniiiIaceRocheflour,
n'est plus en Sicile, mais en Espagne; et, si Bayard est enchanté
dans une île, ce n'est plus dans le voisinage du mont Etna
qu'il faut la chercher, mais en plein Océan. D'ailleurs, par défé-
rence [)our ranti(juité classique, Bajard est l'ancien coursier
d'Achille, et Frobergo est également l'épée du fils de Thétis.
1 lUnaldo, p. 28.
SUR LES CHA^"SO^S DE GESTE 187
Le traître Ghinamo tend aux FilsAjmonun piège sembla-
ble à celui dans lequel devait succomber Beuves d'Aigrement.
L'antagonisme de la gent de Maveuce et de la geste de Cler-
montse continue d'un bout à l'autre de la narration et tend à
en devenir l'intérêt principal. Cette conception dérive évidem-
ment des poëmes franco-italiens ; mais l'opposition de la famille
d'Aymes et de la geste de Ganelon, composée de traîtres, est
déjà marquée dans le Renaud de Montouban:
En France ot .1. linage cui Dame Dex mal dont:
Ce fu Grif d'Autefeuille et son fils Ganelon,
Béranger et Hardré et Hervi de Lion,
Antiaumes li félon, Fouques de Morillon'.
Nous avons noté que la guerre que se font Charlemagne et
Hernaut de Monder dans le Maugis a été provoquée par la
malignité de Landri et d'Amauri,
Dans Aye d'Avignon et dans Gui de Nanteuil, la geste de Ga-
nelon ne fait que machiner des trahisons contre les barons du
lignage de Renaud.
Lavengeance que Ganelon et les fils de Ghinamo poursui-
vent contre Renaud est conforme à ce qui se passe dans les
romans français. A la fin de Renaud de Monfauban, les fils de
Gr'ifesde Hautefeuille et de Fouques de Morillon, qui avait été
tué à Vaucouleurs, veulent venger sa mort sur les fils de Re-
naud, Yon et Ajmonet. Dans Gui de Nanteuil, Uervieu de Lion,
Amalgré, Sanses etAmauguin, donnent, des raisons pareilles-,
et ne cessent de tendre des embûches à leur adversaire.
C'est ici que nous rencontrons un déplacement de faits qui
est très-important. La Mort de Beuves en entier vient s'inter-
caler dans le récit. Nous avons vu que l'auteur du Vivien a
voulu rendre moins odieux le meurtre du fils de l'empereur en
imaginant des torts que Charlemagne et Lohier auraient eus
envers Beuves, et probablement en supprimant de son récit
la mort d'Enguerrantd'Espolice, pour laquelle il n'y avait pas
d'excuse possible. L'auteur italien, guidé par la même pensée,
mais voulant faire autrement, suppose que le premier messa-
» P. 39.
^ Gui de Nanteuil, v. 250-266, 1542-1543.
188 RECHERCHES
ger est tué parce qu'il a lui-même mis à mort le géant gar-
dien de l'entrée du château, et que.Beuves, dont il fait unmo-
dèle de longanimité, ne tue Lohier qu'à sou corps défendant.
Ce passage permet d'entrevoir que l'auteur italien connaissait
le Vwi'en, la version des Fi/s Aymon qui le suit dans le manu-
scrit de Montpellier, version qui en ce point ne diffère pas de
celle de Venise ', et une version conforme au Renaud de Mon-
t uub an im-çvhïïé. Renonçant à imiter le Vivien d'aussi près que
le Maugis, il ne pouvait reproduire l'endroit où Charlemagne
et Lohier accueillent si mal Beuves et Maugis quand ceux-ci
demandent à l'empereur de marcher au secours de Vivien. Il
revint alors à la version la plus ancienne, mais ne crut pou-
voir la conserver qu'en la corrigeant, ce qu'il fit à l'aide d'un
géant emprunté au cjcle d'Artus' et d'un adoucissement assez
malencontreux du caractère du plus farouche des vassaux.
Vivien assiégeant Aigremont nous ramène au Maugis; mais
ici apparaît une idée nouvelle. Toutes les fois qu'un membre
de la geste de Clerraont est en péril, ceux qui sont à la cour
de Charlemagne partent en secret pour le secourir. C'est pur
emprunt aux usages des chevaliers du cycle d'Artus, qui ne
' Rinaldo, p. 23 24. Je dis en ce point, parce que nous rencontrons plus
loin des dilî(;rences très-importantes. J'ai noté déjà que, d'après cette version
et celle que contient le ms. 7183 de la Bibliothèque nationale, Alaugis délivre
ses cousins, que Charlemagne avait fait emprisonner après la mort de Berlo-
lais. L'auteur italien n"a pas accepté cette invention.
^ Ou à Gui de Bourgogne, comme je l'ai dit plus haut. Dans ce cas, les
rivières aimantées me paraissent inaiquer plutôt une origine arabe. Un pèlerin
décrit Montorgueil de la façon suivante :
« La cité est si noble corn ja oïr porrez :
» .111. eves i acourent devant par les chanez,
» L'une a non Rupane, l'autre Marne des guez,
» Si i cort anviron qui cort à Balesguez;
1) Escarflaires i cort, dont li fioz est levez,
» Et, d'autre part la vile, si cort li flos de mer
» Dedens les clos des vignes, les vignes et les blez.
» Les eves sont si fieres con ja oïr porrez:
» De pierres d'ayma'it i est grans laplentés;
» Onques Diex ne fist homes, s'il i estoit antrez,
» Por coi éust hauberc ne ceint le branc letré,
» Quejaraèsaa issist an trestot son aé. »
(V. 1502-1514.)
SUR LES CHANSONS DE GESTE 189
cessent de se mettre en quête les uns des autres. De là une
série infinie d'aventures auxquelles tous se trouvent associés.
Dans le Maugis et le Renaud de Montavhan, les barons, quand
ils sont mécontents de Fentêtement de Fempereur, n'hésitent
point à s'accorder avec les fils Aymon ; mais ils ne courent
point à leur recherche. L'imitation du cycle d'Artus est donc
poussée plus loin que dans nos romans; mais ceux-ci, en d'au-
ires points, en donnaient l'exemple. L'auteur italien, qui n'a
pas voulu de fée dans sa narration, y accepte les chevaliers
errants.
Le combat de Maugis et de son frère etleur reconnaissance
n'ont rien de particulier; mais on ne peut s'empêcher de re-
gretter Esclarmonde, si belle et si tendre. Elle disparaît comme
Oriande et Ysane. De même les aventures galantes de Maugis
ont été laissées de côté, soit qu'elles parussent indignes de la
gravité de l'épopée, soit parce qu'il était trop facile d"y re-
connaître l'imitation du Mainet.
Du Vivien, il reste peu de chose ', et les guerres entre Char-
lemagne et ses vassaux, racontées dans le Maugis et leBeuves
d'Aigremont, nen font qu'une seule, qui est placée après la
mort du duc. Pour plus de clarté, Je reprendrai les versions
successives de la iMort de Beuves. Dans le Renauil de Montau-
/vanjBeuves tue successivement les deux messagers de Char-
lemagne, Enguerrand d'ïïspolice et Lohier. La guerre éclate
et Beuves est soutenu par ses frères. Une fois la paix conclue,
Beuves va à Paris pour rendre à l'empereur l'hommage (ju'il
lui a promis. Grifes de Hautefeuille, Ganelon etleur lignage,
ofi'rent à Charlemagne de tuer le duc. Leur proposition est
acceptée, et Beuves est assassiné dans la plaine de Floridon.
Les frères de Beuves reprennent les armes ; mais cette seconde
guerre est contée en quelques vers seulement, et se termine
par la paix de Charlemagne et de ses vassaux.
Dans la version de Montpellier, il n'y a qu'un messager,
Lohier, Aymes ne prend point part à la guerre. Elle est suivie
d'une seconde guerre, racontée encore très-brièvement, mais
' Ce romaQ a sa raison d'être dans le cycle français de Renaud, mais il
n'en aurait aucune dans le remaniement italien, où les trahisons des Mayen-
çais deviennent l'explication à peu près unique de tous les événements.
12
190 RECHERCHES
à laquelle Ayraes et ses fils, qui, on s'en souvient, ont déjà été
adoul)és chevaliers par l'empereur, restent étrangers.
Dans la version de Venise, le premier messager est Lohier,
qui est tué ; et Beuves, quand l'empereur lui adresse un second
messager, Enguerrand d'Espolice (il est le premier dans le
Renaud de Montauban), Taccueille avec déférence et part pour
Paris, dans l'espérance d'obtenir sa grâce. C'est alors qu'il est
assassiné. La guerre éclate entre l'empereur et les frères de
Beuves ^ Cette troisième forme est évidemment postérieure au
texte de Montpellier, dont elle paraît une variante. Le désir
d'atténuer la révolte des barons aboutit à sa dernière consé-
quence, il la fait supprimer; car si, dans la version de Mont-
pellier, Ajmes reste étranger à la guerre soutenue par ses
frères, Girard et Doon n'en sont pas moins en faute, tandis que
l'on ne peut que les louer de venger leur frère tué par trahi-
son. Des deux guerres, la première racontée longuement, la
seconde simplement mentionnée, il n'en reste qu'une. Le rôle
attribué à Enguerrand d'Espolice prouve que l'auteur con-
naissait aussi un texte plus ancien ou plus complet que celui de
Montpellier.
L'auteur italien emprunte à la troisième version l'idée de
placer la guerre après la mort de Beuves, et conserve du Re-
naud de Montaubanle message et la mort d'Enguerraml, ap-
pelé Morando dans la prose et Inorante dans le poème. Sa
préoccupation principale a été de commencer par^fondre en
une seule narration les antécédents de l'histoire des Fils Av-
mon, qui dans les versions françaises restaient encore des poè-
mes distincts, 11 a élagué, modifié, transposé, et l'on ne peut
dire que sa façon de conter et son style donnent un grand
agrément à son œuvre. Il n'en est pas moins vrai que la
Mort de Beuves, dont le Maiigis et le Vivien ne sont que des
branches, a fini ainsi par prendre dans l'histoire des Fils Aj-
mon une importance très-grande, parce que l'on j trouvait
l'origine et l'explication de tous les événements suivants.
11 ne sera peut-être pas inutile de compléter ces remarques
en insistant sur les formes qu'a prises le récit de la mort de
Beuves.
'^Rmaldo, p. 23-24.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 191
Dans le roman italien, la guerre éclate par le fait des fils
de Gliinamo, qui, poussés par Ganelon, tuent Beuves et pren-
nent Aigrement. Le corps est rapporté à Paris, où se trou-
vaient précisément Vivien et Maugis, et ce sont les fils de la
victime qui se mettent à la tête de la révolte. Pour rendre la
comparaison plus facile, je dois revenir sur les versions fran-
çaises de la Mort de Beuves.
Dans le Renaud de Montauban^ Charlemagne est réellement
complice de l'attentat. Grifes de Hautefeuille et son lignage
l'ont consulté avant de se risquer à tuer le duc, et, après une
première objection, il leur a répondu :
« mult très bien Totrion.
» Aies delivrement, s'en prendes vengison,
» Se m'en poes venger, je vos donrai grant don. »
Et, quand on lui apporte la tête de Beuves, il ne cache pas
sa joie:
Comme Karles l'oï, sel fist mult bielement.
«Amis, ce distli rois, ci a mult bel présent.»
Dans le texte de Montpellier, que je reproduis ci-dessous,
au lieu d'une proposition faite en commun par les traîtres,
c'est Ganelon qui parle. Il prend décidément le premier rang
aux dépens de son père, qui cependant donnera le coup mor-
tel à Beuves, comme dans la version plus ancienne. Charles,
sans faire d'objection au meurtre de son ennemi, ne veut pas
être compromis dans l'aff'aire, finit par dire que ce serait tra-
hison. Le corps de Beuves est respecté et rendu à ses hommes,
qui le rapportent à Aigrement.
Je rappelle (jue la guerre qui avait suivi la mort de Lohier
ayant pris fin, Girard, Doon et Beuves, s'en étaient retournés
chacun dans son pays; mais ils devaient venir à Paris avant
la Saint-Jean pour servir le roi.
Chen fu à Pentecouste que li pre sunt fleuri,
(Le duc Buef d'Aigrement en son païs verti)^
Devant la Saint Jehan, ainsi com je vous di,
iP.39.
2 Ce vers a été transposé par une distraction du copiste.
192 RECHERCHES
Que Kalles tint sa court en la chit de Paris.
5 Là i turent venus li dus et li marchis,
Le dus Buef d' Aigrement ne s'i est alentis.
Atout .c. chevaliers estd'Aigremont partis,
Et venoit servir Kalle le roi de .S. Denis.
Guenelon apela son neveu Aloris,
10 Fouques de Moreillon i refu autresi,
Hardrez et Berenguier que Dex puist maleïr ;
Chil ont mis à reson KfiUe le fix Pépin.
«Sire, che a dit Guenez, entendez cha, ami,
» Or vous vient li dus Buef à votre court servir,
15 » Et sunt en sa compengne .c chevaliers de pris.
» Moult grant honte est chen, par Dieu qui ne menti,
» Quant vous amez cheli qui Lohier vous murdri.
» Se vous le vouliez, par le corps . S • Rémi,
«Nous Fochirrion, sire, comme votre anemi. »
20 «Barons, dist Kallemaines, par bonne foi Totri ;
» Quoi que vous entachiez, ne soit pas sus moi mis.»
«Sire, dist Guenez, le matin mouveron
»0 .111™. chevaliers aselmez d'Avignon.»
«Guenez, chen dist le roi, chen seroit trahison,
25 » Quer nous avon mult bien donné trievez Beuvon. »
«Sire, chen a dit Guenez, oes autre reson :
»Ja n'i metez (ja) vos mains, emperere frans liom.»
«Guenez, chen dist le roi, or feitez votre bon. »
Adonc en sunt parti Fouques et Guenelon
30 Et Escos et [Hervis]S Aloris et Sanson.
Bien furent .un", de hardi compagnon.
De Paris sunt issus à coite d'esperon.
Le quens Guenez chevauche sur l'auferrant destrier,
Armez d'aubers et d'elmez et d'espeez d'achier,
35 Et ot en sa compengne .iiii"". chevalier.
Dedens .i. val parfont qui fist àresongnier
Encontrerent duc Buef il et si chevalier.
Fouques de Moreillon les escria primier:
1 Ms. « Berhis. »
SUR LES CHANSONS DE GESTE 193
«Duc Buef, mar ochesistez lefix Kalle Lohier ;
40 ))Ainchiez que il soit vespre, l'arois coiuperé cliier. »
Quant le duc Buef Toï, prist soi à merveillier :
«He Dex ! chen dist li dus, qui tout as à baillier,
))Qui se gardera mez de si fat encombrier?
» Je tenoie à loial Kallemaine o vis fier. »
45 Et Guenez esperonne sus Baiart le coursier.
Sus son escu devant ala ferir Richier
Que mort l'a abatu devant li en Ferbier.
Puis escriaen haut: a Ferez i, chevalier!
«Il ont ochis Lohier, si le comperront chier. »
50 Le duc Buef d'Aigremont ne se vont atargier,
Sanson ala ferir qui estoit sus Brehier.
Mort l'avoit abatu que ne li mut pleidier.
((Outre, dist il, cuvert, Dex te doinst encombrier.»
Fiere fu la bataille et greveuse à souffrir.
55 Le duc Buef d'Aigremont, qui fut de grant aïr
N'ot que .c. chevaliers, chil erent .un. mil.
Le champ fu mal partis à ichest envaïr.
Es vous parmi la presse Guenelon de Montir
Fiert Josian de Blois sus Tescu d'or voutis,
60 Mort l'avoit abatu, Dex le puist maleïr.
Puis cria « Hautofeuille ! » bien le peut on oïr.
Moult fu grant la bataille et dure Tenvaie.
La gent au duc Bevon fu moult afebloïe
Qu'il ne furent que .c. à la connestablie ;
65 Encore en sunt .l. es chevax de Nubie.
Et le duc d'Aigreraont qui les semont et prie:
«Barons, quer i ferez, tant com serez en vie.»
Dont hurta le destrier, s'a la lanche brandie.
Sus son escu à or ala ferir Helie,
70 Mort l'avoit abatu en la lande enermie.
Le duc crie « Aigremont! » à une vois série.
Dex! cheli jour i ot tante arme départie.
La valee fubele et le pais igaus.
V][ Grifon d'Autefueille li cuvert desloiax
194 RECHERCHES
75 Fiert le cheval au duc par devant li poitrax,
Si que toute la lanche li bouta es bouiaus.
Mort Tavoitabatu le glout les .i. terraus.
Li dus sailli en piez, tint le branc naturaus
Et a féru Grifon parmi Felme à esmaus.
80 Tout abat en .i. mont chevalier et chevaus,
Lors escrie li dus : « N'i garrez, desloiaus ! »
Le dus Buef d'Aigremont aochis le cheval
Par devant lez archons, res à rez du poitral.
Adonc est trebuchié le traître mortal.
85 Tantost resailli sus que guerez n'i esta,
Et a sachié le branc où ot pont de cristal.
Es les vous assemblez li baron natural.
Le duc Buef d'Aigremont en ot o cuer moult mal;
Bien voit que il mourra, n'enpuet partir par al,
90 Mez il se vendra bien, s'en jure .S. Thomal.
Il referi Grifon parmi l'elme à esmal.
Atant i vint pongnant dessus son bon cheval
Guenelon le sien fix qui n'estoit pas loial.
Une lanche paumoie d'achier poitevinal,
95 Fiert le duc d'Aigremont devers le senestral,
Le fer li a conduit très parmi le costal,
Si l'abati à terre comme anemi mortal.
Or fu féru à mort le vaillant chevalier,
Du coup qu'il a eii le couvint trebuchier.
100 Demaintenant li queurt Grifon li aversier.
Le haubert li souslieve qui est menu maillié,
Dedens le cors li met le branc fourbi d'achier.
L'ame s'en est partie du vaiUant chevalier.
Puis li a dit Grifon: «Or as tu ton louier,
105 «Pour le fix Kallemaine l'emperere au vis fier
)) Que tu feïs ochirre à duel et àpechié.»
Puis monta u cheval auferrant et coursier
Et acueilli la gent au duc Buef le guerrier.
Onques n'en escapa fors que .x. chevalier,
1 1 0 Et chil li ont juré, plovi et affîé
Qu'el castel d'Aigremont l'emporteront arier.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 195
De l'estour sunt partis atant li .x. serjant,
.1111. lieuez plenierez alale cors saignant
Que les plaiez ne porent estanchier tant ne quant*.
On voit que Todieuse conclusion de ce drame, tel qu'il était
rapporté dans la version plus ancienne, a été supprimée. Si
cruels et perfides que soient Ganelon et son père, ils n'osent
outrager les restes de leur ennemi et apporter à Charlemagne
un affreux présent. Quand ils viennent lui conter ce qu'ils ont
fait:
((Bien avez fait, dist il, si m'aït .S. Simon.»
Si l'auteur italien paraît avoir suivi, pour l'ordre de sa nar-
ration de la mort de Beuves, un texte plus récent que celui
de Montpellier, en revanche, il a emprunté à celui-ci l'idée du
déguisement de Maugis en cardinal. L'invention lui a paru
heureuse, et il a voulu en tirer un meilleur parti que son de-
vancier. Il imagine donc que Charlemagne se résignera à faire
la paix, parce que le faux cardinal Maugis lui présentera des
brefs du pape et le menacera de l'excommunication. C'est
dépasser la mesure. Sans doute Maugis, pour entrer dans le
château assiégé de Monder, se déguise en cardinal, et dit à
l'empereur qu'il a grand tort de faire la guerre à des chrétiens,
que le pape en est très-mécontent, et que Charles doit s'ac-
corder avec ses barons; mais tout cela n'est qu'une plaisan-
terie d'un moment. Aussitôt hors de péril, le vaillant chevalier
parle un tout autre langage, et les pauvres hommes d'armes
qu'il rencontre et maltraite ne peuvent que s'écrier : « Ci a mal
cardinal!» Il y a dans toute l'imitation italienne de ce passage
amusant une sorte d'emphase déplaisante: pourquoi faire in-
tervenir le diable, et pourquoi ce diable emporte-t-il Maugis
sur un sommet de l'Apennin;' Je reconnais que Fousifle était
une pauvre escorte pour un cardinal-légat; mais le trouvère
avait parfaitement prévu l'objection, et, sans les larrons qui
dévastent le pays, Maugis, au dire de Fousifie, eût été suivi
• J'ai déjà cité la suite de ce passage à la fin de i'aualyse du Maugis d'Ai-
gremont .
196 RECHERCHES
de trente clercs'. — Mais Charlemagne est très-crédule. —
Soit ; mais, si nous sommes choqués de cette crédulité naïve,
quel intérêt peuvent avoir pour nous, non-seulement les tours
de Maugis, mais tous les prodiges et de Merlin et de la suite
des enchanteurs jusqu'à la belle Armide?
M. Rajna a très-bien fait ressortir l'importance qu'a eue le
Beuves d'Aigremont dans l'histoire de la poésie chevaleresque
italienne, et je ne saurais mieux faire que de reproduire ses
propres expressions:
«Je noterai avant tout que ce roman semble devoir être
«compté au nombre des premiers qui soient parvenus eii Ita-
»lie, de ceux qui, à une époque très-recu!oe, étaient le plus fa-
» miliers aux chanteurs et aux auditeurs de notre pays. En
» fait, qui ne connaît les inimitiés perpétuelles des gestes de
»Clermont et de Majence? C'est sur elles que repose la fable
«d'un grand nombre de nos compositions italiennes, en par-
» ticulier du Morgante, et il n'y en a guère qui [)araissent les
«ignorer. Néanmoins dans les romans français cet antago-
»nisme n'apparaît point, et il serait malaisé de trouver un
«autre acte d'hostilité entre les deux familles que ce meurtre
» de Beuves accompli précisément par des traîtres apparte-
«nant à cette race. Je suis persuadé qu'il faut reconnaître ici
» le germe d'où s'est élevée graduellement une grande plante
» qui malheureusement a envahi peu à peu beaucoup plus
» d'espace qu'il n'était juste, et a enlevé la lumière et la nour-
» riture aux autres parties du cycle. Or, puisque le Beuves
» d'Aigremont, excepté le premier livre du roman en prose et
» les lieux correspondants du poëme de la bibliothèque pala-
» tine, est très-peu connu de nos romanciers, nous aurons ici
» à observer le fait très-remarquable d'une narration tombée de
)) bonne heure dans l'oubli, mais survivant dans ses effets, car
«l'on y trouve l'origine de l'un des caractères les plus saillants
« de notre littérature romanesque. ^»
1 Dans Ogier (v. 9505 p.), lorsque Turpin va demauder à l'empereur de le
charger de garder lui-triême son prisonnier, il est accompagné d"un cortège
composé comme celui de Molaylgi :
Od lui mena chevaliers à plenté,
Vesques et mognes et prious et abés.
- liinaldo, p. 2i,c[. 43-44. A mes yeux, l'ensemble des chansons de gest
SUR LES CHANSONS DE GESTE 197
Charles condamne les fils Aymon à faire un pèlerinage au
Saiat-Sépulci^e. Cette idée est empruntée à la fin du Renaud
de MontaubanK Mais les aventures du cjcle d'Artus atten-
dent nos pèlerins sur la route, et il leur faut relâcher à Tîle
Perdue. Nous retrouvons néanmoins le Maugis avec Espiet,
qui sans doute perd son nom et sa parenté, et ne serait qu'un
nain comme les a.utres s'il ne gardait sa beauté et s'il ne lui
restait de sa science la connaissance des langues d'Asie et
d'Afrique. Les chevaliers au service de Tamustant ou amos-
tante, la guerre contre le Soudan de Perse, la passion de Fio-
rita pour Renaud, sont des emprunts au Maugis et à d'autres
récits. Maugis avait prêté son épée d'abord à Marsile, puis à
l'amustant de Mellent, contre l'amiral Sorgalé, et Florette
dans Floovant^ Floripas dans Fierabras, Fleur d'espine dans
Gaufrey, comme tant d'autres princesses sarrasines, se font
d'emblée les alliées des chrétiens. Mais Renaud paraît ici se
souvenir des amours de Maugis en Espagne, et se laisse aller
à répondre à l'amour de Fiorita.
L'influence des romans franco-italiens est très-reconnaissa-
ble à partir de l'arrivée des paladins chez Salione. L'auteur
s'inspire certainement du voyage que Roland fait en Orient
dans V Entrée de Spagne ou dans une des imitations italiennes
de ce roman. .Je remarque que ce personnage, en se convertis-
sant et en devenant le plus fidèle allié de Renaud, ne fait que
suivre l'exemple de bien d'autres. Nous avons vu dans Maugis
un Beuves le Convers, pour ne parler ni de Brandoine, ni de
Vivien lui-même.
Les espions de Ganelon s'en vont partout révéler les noms
vrais des chevaliers qui, sous divers déguisements, se présen-
tent à la cour des rois sarj-asins. Nous avons rencontré plu-
sieurs espions dans les textes du manuscrit de Montpellier
que nous avons étudiés plus haut: Espiet, Fousifie, Grafumez,
que M. Rajna désigne par le nom de Beuves d' Aif/remont (Maugis, Vivien,
Mort de Beuves) n'est pas le seul exemple de l'influence que des compositions
françaises, dont il n'est plus parlé dans la suite, ont eue sur les premiers essais
du roman italien. Je reviendrai sur ce sujet dans le chapitre suivant, à pro-
pos de VEntrée de Spagne et de ses suites.
1 Je l'ai déjà dit; mais j'ajoule que le propre de la version italienne est de
transformer tout fait impurtaot eu une donnée générale.
198 RECHERCHES
représentent un élément nouveau dans la narration épique.
Dans le roman italien, ces espions sont toujours au service de
Ganelon. Insensiblement, tout ce qui, à un degré quelconque,
a un caractère de bassesse, est attribué à la geste des Majen-
çais. La narration, si Ton veut, y gagne en clarté, et il n'y a
pas de confusion possible entre les deux grandes familles ;
mais toute simplification de cette nature détermine à l'avance
la marche de Faction, supprime des éléments d'intérêt, engen-
dre la monotonie et prête de bonne heure à la parodie.
La famille des géants, Mambrino, Gostantino, Brunalmonte,
peut paraître chose nouvelle, et cependant nous avons aussi
bien des géants dans nos chansons. Le géant Brunalmonte et
la guerre que son frère Mambrino vient faire aux chrétiens,
ne sont qu'une imitation de l'épisode à'Ogïer où le fils de
Gaufre}^ tenu jusqu'à ce moment sous bonne garJe parChar-
lemagne, obtient de combattre Karaheus, puisBrunamont,et,
victorieux, rentre en grâce auprès de l'empereur. C'est égale-
ment dans Ogie?' que nous trouvons le premier emploi d'une
donnée qui devait être féconde, celle de montrer ces géants
mahométans, tous rois dans quelque contrée, venant tour à
tour chercher la vengeance de la mort de l'un d'entre eux qui
est tombé sous les coups des chrétiens*.
1 Brehus envahit la France pour venger Brairnant tué par Cliarlemagne et
Justamont tué par Pépin. 11 s'écrie (v. 9874 s.):
« Je voil aler véir les os Kallon ;
» Prover le voil à traitor félon :
» Braimont ocist par mortel traïson.
» Pépins ses pères si ocist Justamont:
» Vengerai les, foi que jou doi Mahon. »
Cf. 9941-9951, 9993-9995, et Mainet dans la Romania, iv, pp. 319, 329.
Dans l'édition Barrois, la fin du combat d'Ogier et de Brehus est incom-
plète. On peut la reconstituera l'aide du ras. de Montpellier Fol. 135 fù],
dont voici la version:
Le coup trespasse par desseure sa teste,
Bruiant s'en va aussi comme lempeste,
.II. piez ou plus dedens le pre l'enserre;
Et distOgier: a Chi a laide nouvelle.
5 » Se longuez vis, chest ara douleurs cbertez;
SUR LES CHANSONS DE GESTE 199
Maugis, dans les textes français, n'a point la faculté de con-
naître ce qui se passe hors de la portée de sa vue. Il est ren-
seigné par les mêmes moyens que tout le monde, et, dans le
Renaud de Montauhan , c'est grâce à la révélation de l'honnête
Gontard qu'il apprend la trahison du roi Yon. Il n'a aucune
action en distance, et ne vaut que là où il est présent en per-
sonne. Dans le roman italien, grâce aux démons qu'il a sous
ses ordres, il se tient au courant de ce qui se passe en tout
lieu et exerce une influence générale sur les événements. Ce
n'est donc plus un magicien ordinaire, capable seulement de
tours et de prodiges qui font illusion à ceux qu'il veut trom-
per: c'est un enchanteur; tel que le sage Merlin, il est partout
présent. Non-seulement les démons le renseignent, mais ils
» Mes, ains que voies, che cuit, aprechier vespre,
» Aras ostel dedens enfer le pesme,
» Là iras tu avec cheus de ta geste.
» Ne te pris mez vaillant une chenele.
10 » i\"amerai mes ne toi ne ta flavele.
» Cresre dévoies u gloriex celestre,
» Mez, se je puis, je te donroi confesse
» Au branc d'achier dont trenche l'alemele. »
Lor li queurt sus le duc de bonne geste
15 Et tint Courlain qui est et bonne et bele.
Et fiertBrehier qui li ot fet moleste;
Grant coup li donne en travers parmi l'elme,
Les las li trenche, le collier en desserre,
Une hantée en fet voler la teste.
20 Ogier le voit, en crois se giete en terre,
Dieu en merchie le gloriex celestre,
Sa douche mère qui pecheors rapele.
Atant se saigne Ogier de sa main destre,
Et se leva et tint Courtain la bele
25 Qui tainte estoit de sanc et de chervele.
Moult bien l'essuie, o fuerre la renserre.
Pour reposer s'asiet .i. poi sus l'erbe.
Or feitez pès etc..
Ce passage ne comprend que sept vers dans l'édition Barrois (11850-11856);
le texte a été omis du vers 4 au v. 10, par suite de la confusion des rimes
nouvelle pX flavele. Le dernier vers est le v. 19, où il faut corriger hanstée,
d'après la leçon ci-dessus. Le ms. de Montpellier ne peut être pris pour prin-
cipal texte, mais il conviendra de le consulter si l'on veut donner uneboune
édition de l'histoire d'Ogier.
500 RECHERCHES
le portent là où il lui plaît. Il a recours à eux pour la con-
struction de Montauban, qui est achevé en une nuit; et, quand
le matin Charles et Yvon viennent dîner dans le château,
le repas se compose de trente-six plats qui ont été enlevés
aux tables du Soudan, du Pape et d'autres princes*. L'auteur
du Maugis d'Aigremont, dans son imitation du cjcle d'Artus,
n'était pas allé jusque-là. Sans doute, il avait fait de Maugis
un écolier d'Oriande et des sages de Tolède; mais, en expli-
quant ainsi l'origine de sa science, il n'j avait rien ajouté. Il
tient si peu à faire de Fart magique le principal mérite de
Maugis, qu'il place à côté de lui Espiet et Fousifie, qui, à l'oc-
casion, font preuve d'un talent égal au sien. Il oubliait que,
dans l'histoire des Fils Ajmon, Maugis n'est utile que parce
qu'il fait ce que ses cousins ne peuvent faire, et que la geste
de Renaud n'avait pas besoin d'un bon chevalier de plus. L'au-
teur italien, qui voyait d'un coup d'œil d'ensemble les diverses
branches de la légende française, a reconnu que Maugis n'a
d'autre raison d'être que sa puissance d'enchanteur, et, sans
j)lus hésiter, il lui a attribué des dons égaux à ceux de Merlin.
Dès lors, le merveilleux aura dans l'épopée italienne une place
bien plus grande que dans nos chansons de geste, où son ac-
tion est restée épisodique. Une puissance d'ordre surnaturel
planera au-dessus des événements, et son intervention se fera
sentir partout. Mais il est curieux qu'ici encore celui qui a
eompi'is le mieux l'intérêt de l'une des données que lui offrait
son sujet en ait négligé une autre que l'auteur du Maugis
avait acceptée, et que l'importance reconnue au merveilleux
aurait pu faire maintenir. Nous ne rencontrons pas de ces
combats entre enchanteurs où l'on peut retrouver un reflet
des conflits des génies de l'époque mythique. Malgré l'exemple
delà lutte de Maugis et de Noiron,le//?na/rfo ne connaît d'au-
tre magicien que Maugis.
A un autre point de vue, la tradition française s'altère notable-
^ Rinaldo, p. 32-33. ~ Dans la version des Fils Aytnon de Montpellier,
lorsque Renaud et Maugis sont en Palestine, c'est grâce à un enchantement
de Maugis que les deux pèlerins ont à dîner. Dans son admiration pour son
cousin. Renaud s'écrie: «Un deabies vous (isl.» V. io' fraguicQl cité au com-
mencement de celle élude, V. 183-209.
SUR LKS CHANSONS DE GESTE 201
ment. Maugis a pu apprendre le grimoire; mais je ne vois nulle
part qu'il ait recoui's à des démons. Qu'en avait-il besoin, et
n'est-il pas lui-même d'essence assez subtile pour se passer de
l'assistance des maudits? Les païens seuls, adorateurs de Ter-
vagant, de Jupin et d'Apolin, peuvent s'adresser à de tels
auxiliaires.
Rien n'est plus désagréable au bon génie Auberon que d'être
confondu avec la gent diabolique % et dans Gaufrey, Robastre
ajant eu le tort de dire à Hernaut de Beaulande que c'est
grâce à l'aide d'un manfé qu'il a passé la mer, Malabron l'en
blâme très-sévèrement et fait sa profession de foi :
«Je ne sui pas déable ne je ne sui maufé,
« Ains sui de la partie au roi de majesté,
» Qui en cliest siècle m'a issi fet donné
))Que par le monde vois à ma volonté,
» Et en toutez manières est bien mon cors mué,
» Mes n'ai lai de maufere homme crestionné-. »
Mais les bons génies, trop souvent associés aux oeuvres des
hommes, tendent à perdre de leur dignité primitive, et peu
à peu ils se transforment en sorciers. Le fils de Beuvesd'Ai-
gremont, entouré d'agents d'aspect désagréable et comman-
dant aux puissances infernales, n'est plus qu'un mage habile
et ne se distingue guère du rivai que les Sarrasins lui opposent
dans le Maugis, du méchant enchanteur Noirou.
Le roi Gattamogiieia, qui entreprend à son tour de venger
Marabrino et ses frères, n'a guère de particulier que son nom^.
Mais la promesse que fait Charlemagne de renoncer au Christ,
si le Sarrasin le délivre des fils Aymon, est tellement étrange,
que l'on ne peut comprendre comment l'auteur du poëme a
pu l'accepter ou l'inventer. Je n'y vois qu'une application
malencontreuse au fils de Pépin d'un des faits de la légende
de Girard de Frette. Cette légende a été conservée dans le ro-
man italien d'Aspramonte, dont elle forme la dernière partie.
^ Huo)i de Bordeaux, v. 3339.
2 Gaufrey, v. 8212, s.
■<' L'étymologie me semble accatta-mogliera, comme Cattabriga pour accatta-
brighe .
202 RECHERCHES
Elle peut être résumée en quelques lignes. — Les chrétiens
étaient revenus d'Italie, et ce n'étaient partout que fêtes et
réjouissances. Mais un Mayençais, Fiamiggone, tue par trahi-
son un neveu de Girard de Fratta, Buoso (Bois, Boson). Pen-
dant que l'empereur attaque la cité de Fiamiggone, Girard
veut se venger lui-même, et, le jour de Saint-Denis, Paris est
pris et mis à sac. Dèslorslaguerrese continue entre Charles et
Girard. Après divers incidents, l'empereur met le siège devant
Vienne, et Don Chiaro (Claire, Clairon), neveu de Girard, qui
dans la guerre précédente avait vaincu le roi Trojano, tombe
sous les coups de Roland dans un combat singulier qui dure
trois jours. Girard, après avoir ainsi perdu ses deux neveux,
n'est plus maître de lui : dans sa fureur il renie Dieu, brise un
crucifix, quitte Vienne et s'en va en Espagne auprès du roi
Marsile. Là il renie de nouveau le Christ d'une façon solen-
nelle, accepte la foi de Mahomet, et promet à Marsile de le
faire seigneur de Vienne et de tout son duché. Marsile entre
en France ; mais l'invasion des païens échoue, et Girard re-
vient à Vienne auprès de ses fils, qui depuis son abjuration ne
s'entendaient plus avec lui. Charles assiège la ville. Roland et
Olivier, petit-fils de Girard, ont entre eux le combat à la suite
duquel la belle Aude devient la fiancée de Roland. Girard fait
l'empereur prisonnier ; mais ses fils se révoltent contre lui et
le jettent dans une prison où il meurt '.
Un trouvère français, si peu respectueux qu'il fût de la di-
gnité royale, n'aurait sûrement pas supposé que Charlema-
gne, le chef de la chrétienté, le roi toujours protégé par la
main divine, ait pu songer à renier sa foi. Dans le Vivien,
nous avons vu seulement que l'empereur refuse d'aller secou-
rir Monbranc assiégé par les Sarrasins, et que ce refus est
la cause de la rupture de l'empereur et de toute la famille de
Beuves. Mais les légendes françaises, en changeant de pays,
I)erdaient nécessairementdela solidité de leurfond; l'étranger,
' Le Gheranlo da Fratta forme le troisième livre du roman d'Aspramofite,
et va du ch. 223 au cli. 259 et dernier. Pour le résumé ci-dessus, je me suis
servi des rubriques publiées par M. Miclielant dans le Jahvbuch fiir roma-
nische U7id oiglische Literutur de Lemcke, vol. XI, 311-312; XII, G0-G5. Cf.
G. Paris, Hist. poéf. de Ch., p. 324-325.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 203
qui les admirait, n'en avait qu'à demi le sentiment, et le côté
aventureux des récits en faisait l'intérêt principal. Nous som-
mes sur le chemin qui conduit à la parodie de Pulci.
Les guerres entre chrétiens et mahométans, qui font le sujet
d'une partie du Maugis et de tout le Vivt'en, sont représentées
dans le lîinaldo par les invasions sarrasines qui se succèdent
au commencement de ce roman. Mais l'honneur de repousser
les païens est enlevé à Maugis pour être attribué àRenaud.
La part faite à Benaudin dans les chansons françaises, et le
besoin de grandir encore le personnage principal au détriment
des autres, expliquent cette modification, qui concorde d'ail-
leurs avec la fin des versions françaises où Renaud, arrivé à
Jérusalem, reti'ouve toute sa vaillance pour combattre les en-
nemis du nom chrétien. Le duel de Safadin et de Renaud, s'il
a été connu des auteurs italiens, ne pouvait que les engager à
développer l'indication donnée dans le Maugis et le Vivien, et
à faire de Renaud, dès qu'il paraît en scène, le champion de la
chrétienté.
Je ne peux juger de la valeur littéraire de ces deux romans
que par les extraits qu'en a donnés M. Rajna. L'auteur du
roman en prose compose, pense et écrit de la même manière
que celui des Reali: chez tous deux, c'est la même tendance à
ramener les légendes guerrières au convenu de la chronique,
la même préoccupation des souvenirs classiques, la même dé-
marche pesante. Le poëme est de même famille que \a,Spagna
et VOt'lando. On y trouve bizarrement associés les formes de
la phraséologie de nos chansons de geste et les tâtonnements
d'une littérature qui tend à s'élever de la prose d'une conver-
sation vulgaire à la poésie, alliant la platitude et l'expression
figurée, sincère d'ailleurset naïve, etofifranteà etlà d'heureuses
rencontres. L'habitude d'enjprunterles sujets et les sentiments
à des modèles étrangers et d'un autre âge pèse sur le poète,
et il n'apaslalibre alluredenos trouvères; il vole lourdement,
s'élevant parfois, mais revenant bientôt raser encore le sol.
L'épopée populaire italienne n'eut jamais le puissant essor de
nos chansons de geste; elle est tenue par des lisières, et, sans
l'inspiration de la Renaissance qui renouvela tout, elle se fût
éteinte sans laisser de monument digne d'étude.
Le Rinaldo da Montalbano est une adaptation au goût ita-
204 RECHERCHES
lien de la légende des Quatre Fils Aymon, complétée par le
Maugis d' Aigreiaont ei le Vivien de Monbranc. L'auteur, à sup-
poserqu'il n'y en ait eu qu'un, a rais à profit les données très-
variées que lui offraient les dernières versions de cette légende.
L'opposition des gestes de Maj-ence et de Clermont, l'allure
plus romanesque du récit, le remaniement complet de la pre-
mière partie, font du Hinaldo une œuvre d'un aspect fort diffé-
rent de celui que présente l'ensemble formé par nos trois chan-
sons de geste. L'auteur, néanmoins, suivait encore en ceci
l'exemple des trouvères qui avaient successivement modifié et
développé l'antique récit; mais, tout en faisant, lui aussi, des
emprunts au cycle d'Artus, il a craint de le laisser trop paraî-
tre et a renoncé aux éléments d'intérêt que lui offraient à cet
égard certaines parties des Enfances du fils de Beuves d'Ai-
gremont. 11 a accepté la magie de Maugis et a même abusé
(le cette donnée; mais il n'a pas voulu du ro^^aume de féerie.
Le trouvère français lui-même n'avait tiré qu'un médiocre
parti du personnage d'Oriande, qui ne fait qu'apparaître au
commencement du Maugis et dont l'action est nulle dans la
suite du récit; et, si l'auteur italien a supprimé tous les per-
sonnages, sauf Vivien, qui n'avaient point de rôle dans le Re-
naud de Montduhan, il était encore ici conduit par l'exemjjle
de ses devanciei'S. Nous avons vu en effet que, de toute la
famille et de tous les amis créés autour de Mauiiis, il ne reste
personne de vivant au commencement du Renaud de Monfau-
ban. Seuls, Oriande et l'Amacliour sont épargnés, l'une parce
qu'elle est immortelle, l'autre parce que l'auteur l'a si bien re-
légué à Monbranc, que l'on ne songera guère à l'y aller cher-
cher, à moins que le trouvère n'ait conçu de propos délibéré
l'espoir que ce personnage finirait par se confondre avec Vi-
vien d'Anseiine, élevé comme lui chez les Sarrasins.
Pour ne pas augmenter les difficultés de cette discussion,
je ne fais qu'allusion aux poèmes franco-italiens que l'auteur
du Rinaldo connaissait au moins par la Spagna, qui en est une
imitation en octaves et en dialecte toscan, et auxquels il doit
beaucoup pour la conception de son sujet et pour la manière
de le traiter*. Il a fait pour Renaud ce que ses prédécesseurs
' Je dis « l'auteur », parce qu'en somme, le Rinaldo italien est celui des
premiers livres du roman en prose.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 205
avaient fait pour Roland, mais avec moins d'originalité et de
peine, car des additions et des modifications de toute sorte
avaient déjà transformé riiistoire des Fils Ajmon en un véri-
table roman d'aventures. Peut-être avait-il entrevu que ce
roman avait été déjà un des modèles français dont l'auteur de
V Entrée de Spagne s'est inspiré le plus volontiers, et que tel
élément d'intérêt qu'il empruntait à son tour à ses devanciers
italiens avait son origine première dans le Renaud de Montau-
ban et ses branches.
M. Rajna, dont sur plusieurs points j'ai dû me séparer, mais
qui, sans avoir eu sous les jeux les textes que j'ai pu consul-
ter, n'en a pas moins reconnu que le Beuves d' Aigremont et
ses branches prennent dans la version définitivement adoptée
en Italie une importance qui transforme complètement l'his-
toire des Fils Aymon, termine son étude sur le Binaldo da
Montalbano par les remarques suivantes, d'oii il ressort que
l'épopée italienne est en germe dans cette première ébauche.
«La littérature romanesque devra sembler un sujet digne
«d'attention, non-seulement àtous ceux, et ils sont nombreux,
» qui s'adonnent de nos jours à l'étude des littératures, et
"Surtout des littératures populaires, comme aune étude scien-
))tifique, mais tout autant aux amateurs, beaucoup plus nom-
» breux, des études historiques. Que tous supportent donc pa-
))tiemment ce long discours sur. le Rinaldo da Montalbano,
«partie trop importante du cycle carolingien pour qu'il suf-
))fise d'en traiter brièvement. On y trouve, comme je l'ai déjà
» dit, les origines de la plus grande partie des traits caracté-
«ristiques du roman chevaleresque d'invention purement ita-
)- lienne ; c'est la seule partie qui ait été développée à l'excès
» par des additions, des imitations, des continuations de toute
» sorte. Peu à peu les embûches de Ganelon pour ruiner la
» geste de Clermont vont se multipliant outre mesure; ses es-
» pions, que nous avons souvent rencontrés dans la première
)) partie du roman en prose et du poème, courent par le monde
«entier; ses artifices, sa malice, exaspèrent à tout moment
«l'âme ardente du fils d'Ajmes et le forcent àtirerrépée pour
» se défendre dans la salle même de Charles, et l'empereur,
» devenu désormais un aveugle instrument entre les mains
»d'un conseiller perfide, punit avec la plus cruelle sévérité
13
206 RECHERCHES
» celui qui est innocent ou qui du moins estdigne d'indulgence.
» C'est là qu'est l'origine de ces continuels exils de Renaud,
» occasion de longues pérégrinations en Orient et d'aventures
n où viennent se mêlerles autres paladins qui s'inspirent main-
» tenant de sentiments assez semblables à ceux des chevaliers
» errants de la Bretagne. Et avec ces aventures alternent, en
»se répétant d'une façon aussi fastidieuse, les invasions des
«Sarrasins en France. Toutes d'ailleurs finissent, comme celle
» de Mambrino dans notre poëme, par la mort des chefs et la
» destruction des hordes qui les avaient suivis.
» Tels sont les fils principaux dont se forma la pauvre trame
» d'un grand nombre de récits souvent d'une longueur déme-
«surée.Pour ne citer que les titres de ceux qui appartiennent
» proprement à l'histoire de Renaud et en constituent les di-
» verses branches, je nommerai le Dodonello, Baldo di Fiore
» ou l'Ancroia, l'Empereur d'Aldelia, Calidonia, le Château du
» Grand Lac, le Château de Teris, Rubion d'Anferna, les Van-
» teries de Dionesta, D'autres se rattachent étroitement au
»sire de Montauban, comme leRinaldo-et le Tapinello'; d'au-
))tres ne sont guère qu'une imitation de son histoire, ou lui
«laissent le rôle principal. C'est qu'en effet, en Italie, Renaud
«fut l'objet de la sympathie du public plus que les autres pa-
))ladins. Si ceux-ci voulurent garder leur réputation et ne
» pas être mis de côté comme de vieux harnais, ils durent se
«transformer à sa ressemblance et déposer leurs dépouilles
» antiques. En somme, et pour me résumer, le protagoniste
«du roman chevaleresque italien est Renaud, et, par suite,
«c'est dans les récits dont il est l'objet que nous devons et
» pouvons étudier les métamorphoses de la matière qui nous
«avait été transmise par les jongleurs français*. »
1 Parmi les titres énumérés ici par M. Rajna, je relève deux noms qui sont
dans le Maugis. L'on a vu le roi sarrasin Rubion de Cartliagc aux fol. 168 ro,
170 vo. L'espion Tapineas (v. 137; — Lapiniaus au v. 142 est une mauvaise
leçon) est finalement appelé Tapinel à l'endroit où Esclarraonde révèle à Vi-
vien le secret de sa naissance.
- Rinnldo, p. 95-96. — Dans ses articles sur les versions italiennes d'0^«e;'
le Danois [Romania, II, III, IV), M. Rajna a eu l'occasion de parler encore
de la transformation de la légende de Renaud en Italie. La rareté, ou même
l'absence complète de textes imprimés, rendront longtemps encore fort malai-
sée l'étude des questions de ce genre.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 207
VII
REMARQUES SUR l'enTRÉB DE SPAGNB ET SES SUITES
\i Entrée de Spagne^ est formée de deux parties bien dis-
tinctes: Tune a été inspirée par la Chronique de Turpin, la
Chanson de Roland et un récit perdu relatif à la prise de No-
bles ; Tautre est, semble-t-il, purement de l'invention de l'au-
teur; elle a pour objet les aventures que Roland rencontre en
Orient, quand, après l'outrage qu'il a reçu de Charlemagne,
il quitte le camp chrétien. De prime abord, l'on est peu disposé
à reconnaître quelque parenté entre ces récits et les versions
françaises de l'histoire des Fils Ajmon, Cependant, si l'on exa-
mine les passages oîi le caractère d'Estous n'est plus seulement
orgueilleux et violent, suivant la tradition de la plupart des
chansons de geste, mais spirituel et gai; si l'on compare l'épi-
sode de la captivité d'Ysorès et les endroits si curieux de Re-
naud de Montauban où, à propos de Richard, fils d'Aymes, et
de Richard de Normandie, les barons opposent une si ferme
résistance à l'opiniâtreté de Charlemagne, on estporté àcroire
que le poème franco-italien doit bien quelque chose à la chan-
son de geste française. Les aventures de Roland en Orient ont
un tout autre développement que le pèlerinage de Renaud ;
mais, sans méconnaître quelle part est faite aux souvenirs de
la Table-Ronde dans cette nouvelle forme de la légende caro-
lingienne, il est permis de rappeler que telle version des Fils
Ajmon fait de Renaud un véritable champion delà chrétienté
en Palestine, et de trouver naturel que, dans un poème que
' Dans ses Nouvelles Recherches sur V Entrée de Spagnr {hM . des Ecoles
françaises d'Athènes et de Rome, fasc. 25), M. Thomas a prouvé que tel est
le vrai titre de ce roman, mais tel n'est pas le principal objet de ce travail ;
M. Thomas a voulu y démontrer les trois propositions suivantes: l" Nicolas
de Padoue n'existe pas, mais /'Entrée de Spagne est l'œuvre de deux au-
teurs dont le premier était de Padoue et dont le second s'appelait Nico-
las ; le second a continué le poëme laissé inachevé par le premier. — 2° La
Prise de Pampelune /"arf partie intégrante de /'Entrée de Spagne et a pour
auteur Nicolas, — 3o Ce Nicolas n'est autre que Nicolas de Vêro7ie, auteur
de la Passion.
208 RECHERCHES
Fauteur pensait conduire jusqu'à Roncevaux', Roland ait été
chargé d'un rôle pour lequel il était si évidemment désigné-.
Je crois, en un mot, que, sans exagération aucune, l'on est en
droit d'attribuer à l'histoire des Fils Ajmon, telle que l'Italie
l'avait reçue, formant un véritable cjcb, plus variée, plus in-
téressante^ plus populaire que la plupart des autres narra-
tions épiques, une sorte d'influence générale sur la façon dont
l'auteur de V Entrée de Spagne a compris et traité son sujets
Le ressort principal de son action est l'antagonisme de la fa-
mille de Granelon, la geste de Hautefeuille, devenue la geste
de Mayence, et de la geste des vassaux fidèles et loyaux ;
or, comme nous l'avons vu plus haut, cette donnée a été sûre-
ment suggérée par l'hostilité des deux grandes familles ri-
vales, telle qu'elle nous est présentée dans les Fils Aymon, à
partir de la mort de Beuves jusqu'au dernier combat entre les
fils de Renaud et ceux de Fouques de Morillon, telle que nous
la retrouvons dans la plupart des romans qui composent la
geste de Doon de Mayence.
La Prise de Parnpelune est une continuation de YEnlrée de
Spagne. Mais déjà en France l'on avait composé une chanson
de geste qui, dans l'ordre des faits, occupe précisément la même
place que la Prise de Parnpelune: c'est Gui de Bourgogne*.
i Là comensa je, trosque la finisun
Do jusque ou point de l'euvre Ganelon.
(Bibl. de l'Éc. des CJuirtes, IV, p. 221 ("Analyse
de M. Gautier).
^ Dans la chanson à laquelle son nom est attaché, Roland est véritablement
l'cpée de Charlemagne. On n'a qu'à relire le discours qu'il adresse àDurandal
(v. 2316-2337). Ce sentiment Vest conservé même dans la mauvaise imitation
de Turpin: d Per te Sarraceni destruuntur, gens perfida destruitur, le.\ chris-
tiana exaltalur, laus Dei et gloria et celeberrima fama acqiiiritur. 0 quoticns
domini nostri lesu Christi sanguinem per te vindicavi! quotiens Christi inimi-
cos peremi! quotiens Sarracenos trucidavi! (ch. xxii).»
^ On comprendra que je n'examine point ici dans quelle mesure les con-
clusions de M. Thomas sur l'auteur ou les auteurs de l'Entrée de Spagne et
de la Prise de Pampeltine sont fondées; mais j'appelle de tous mes vœux le
moment où le premier de ces poëraes sera publié en entier.
* Jusqu'ici l'on a cru que Gui de Bourgogne, une de nos chansons de
geste les mieux composées et les plus intéressantes, n'a pas été connu à
Ictrauger. Cependant, dans l'un des deux Inventaires du XF* siècle pour
la famille d'Esté, publiés par Pio Rajna dans la Bomania (II, 49), on signale
SUR LES CHANSONS DE GESTE 209
L'auteur de ce roman avait vu dans le ch. m de la Chro-
nique de Turpin que Charlemagne avait maudit quatre villes :
Lucerna,Ventosa, Capparra, Adama, dont la conquête lui avait
coûté trop de peine. Le siège de Lucerne avait duré quatre
mois, et ne s'était terminé que lorsque, Charles ayant invoqué
Dieu et saint Jacques, les murs s'écroulèrent d'eux-mêmes et
un lac s'étendit à la place de la ville La malédiction de Char-
lemagne n'était pas restée sans conséquence, et « ces quatre
» villes, dit Turpin, sont demeurées sans habitants jusqu'à nos
» jours. » D'autre part, l'on remarque dans plusieurs chansons
de geste une tendance à donner aux jeunes chevaliers le pas
sur les vieux héros de l'épopée. Dans la chanson d'Asp remont,
l'empereur, déjà terrassé par Eaumont (le célèbre Almonte de
l'épopée italienne), est sauvé par Roland, qui a rejoint l'armée
en compagnie de ses jeunes amis et malgré Tordre qui leur
avait été donné de rester en France. Après la victoire, on
adoube chevaliers Rolland, Estez de Langres, Haton, Beren-
gier, Ivon, Ivore ' et le Gascon Angelier. D'un rapprochement
tout naturel est sortie l'idée-mère de Gui de [Bourgogne: faire
exécuter par les fils ce que les pères n'ont pu que tenter, leur
donner l'honneur de réduire les cités qui ont tenu en échec
la première armée. La prise de Luiserne sera le couronnement
de l'entreprise. Je remarquerai c[neGin de Bourgogne Si été en
France l'objet d'une imitation au moins. Une des versions des
« libro uno chiamado Guion ia fraocese. s M. Gautier pense qu'il s'agit plu-
tôt de Gui de Na?ifeuil, donl il existe à Venise uq ms. italianisé {Ep. nationa-
les, 2c éd., IV, p. 481, B. 4). L'enchevêtrement des légendes aboutit généra-
lement aune confusion entre les personnages qui portent le même nom. Dans
la tradition française, il y avait deux Gui de Bourgogne et un Gui de Nan-
teuil. En Italie, les deux premiers se confondent en un seul; mais, comme la
qualification de Gui le Sauvage a éfé appliquée au fils de Garnier de Nanteuil
et de la belle Aye (V. A>je d'Avignon, v. 2283), les Italiens attribuent ce nom
à un fils de Renaud, Guidone Selvaggio. Arioste le supposera fils d'Aymon.
M. RainalFonti deW Orl. Fur., p. 265) ne paraît pas regarder le Gui de
Nanteuil comme une suite A' Aye d'Avignon /est-ce parce que ce roman serait
de date trop récente? V. pour l'opinion contraire la préface de l'édition de
M. P. Meyer, p. ix.
* Encore un exemple de la réunion de ces quatre personnages dont j'ai
trouvé aussi les noms formant un seul vers à la fin d'une version des Quatre
Fils Aymon Bibl. nation., 766, f. fr,).
210 RECHERCHES
Quatre Fils Aymon (Bibl. nat., ms. 766) se termine parle ré-
cit d'une guerre contre les Sarrasins où Maugis a le rôle prin-
cipal et où périssent les frères et les fils de Renaud. Or parmi
les rois sarrasins figurent au premier rang Ydelon de Mon-
torgueil et son fils Danemont. Le désastre des chrétiens serait,
d'après l'auteur, la cause de .l'expédition que Charlemagne fit
contre les Sarrasins d'Espagne.
Jetons un coup d'œil sur la. Prise de Pampelune, titre que je
remplacerais volontiers par celui de la Conquête des villes, qui
aurait l'avantage de rappeler le ch. m de Turpin; le cadre
est celui-ci: raconter la conquête des principales villes d'Es-
pagne opérée grâce à un renfort composé nom^lnsdes evfants,
mais des troupes de Didier, roi des Lombards. Le plan diff'ère
peu de celui de Gui de Bourgogne. L'intervention des Lom-
bards a été suggérée par la présence dans l'armée chrétienne
d'un renfort italien amené par quatre marquis* et du corps
commandé par Constantin, préfet de Rome'. Dans Turpin,
Pampelune est prise deuxfois,la première grâce à un miracle
qui rappelle la chute des murs de Jéricho^, la seconde à la
suite d'une grande guerre* : de là l'idée de faire coïncider
l'arrivée du renfort italien avec le siège de cette ville. Comme
Gui de Bourgogne, Didier obtiendra un honneur qui a été re-
fusé à Charlemagne, et Roland dira de lui (v. 291):
Ch'il a fait en un jour plus bontié, sens gaber,
Che en cinc ans n'avons feit.
Le caractère italien de certains détails frappe tout d'abord.
Roland est appelé à plusieurs reprises \e sénateur romain^. Il
commande les troupes que lui a confiées l'Eglise et prend
ainsi la place de Constantin (v. 5827):
A vint mil civalers de sainte Yglise magne
L'avant ■ garde conduit Rolland e sa compagne.
' Turpini Mstoria KaroU cf Rotholandis c. viii,
2 0;j. /., c. XI. — 3 G. 11. — ^ C. vi-xiv.
^ Il n'est pourtant pas le premier à porter ce titre. Maugis, à la fin d'une
des versions des Quatie Fils Aymon (nis. 7G(), fonds fr. de la Bibl. nation.,
ancien 7183), est élu senator de Rome. Lépisode est longuement développé
et dut frapper les Ilaliens.
SUR LES CHANSONS DE GESTE ?11
L'idée de placer les Lombards dans rarmée de Charles, de
leur attribuer un caractère capable d'aller jusqu'à la révolte
ouverte, de les associer à une grande entreprise commune,
est déjà dans l'épisode de la construction du pont sur le Rhin*.
Il y avait là comme un conseil de les relever des imputations
qui pèsent sur eux dans Ogier le Danois (v. 4980):
Vesci Lunbars, poi i a loialtage,
Traïtor sont,
passage auquel Didier songe sans doute quand, pour engager
ses soldats à tenir tête aux Français et" aux Thiois,il leur dit
(v.89):
or feisons si che ao desevremant
Nul jugleour de nous maie çançon ne cant.
Mont-Garzin, les masques que Maoceris fait prendre à ses
soldats-, le personnage d'Altumaj or ^, sont des emprunts faits
à la Chronique. Jonas semble venir de Simon de Fouille,
poëme dont les Italiens ^ ont certainement profité. Mais l'idée
d'un conflit entre les conquérants de Pampelune et les autres
soldats de Charlemagne est due au rapprochement de deux
* V. Chanson des Saisnes, clviii-clxvi.
a V. 1622. Cf. Turpin, c. xviii.
3 V. Turpio, c. IX, xiv,xv, xvm et le supplément de Altumaiore Cordubœ.
V.'G. Paris, de Pseudo-Turpino, p. 37. L'original de ce personnage est Al-
manzor, qui envahit la Galice en 897. La prise et la ruine de Léon, la prise de
Santiago, les défaites des chrétiens, leur victoire à Calataiiazor, formèrent
toute une légende autour du nom du chef maure. V. Espana sayrada de
Florès, XXXIV, p. 293-312; XXXVIII, p. 12. Le supplément, qui place avec
raison les invasions d'Almanzor après le règne de Charlemagne, contredit le
passage du c. xvm, où le Sarrasin vaincu reçoit le baptême et devient vassal
de l'empereur chrétieu : de là l'embarras de l'auteur de la Prise de Pampe-
lune, qui, voyant dans la chronique et les suppléments des documeuts au-
thentiques et ayant tiré de la conversion d'Altumajor un des épisodes les
plus intéressants de son poëme, ne sait comment expliquer qu'un tel cheva-
lier ait pu redevenir un ennemi de la foi chrétienne (v. 5647. s.).
Alour tous li borzois Damnidieu loerent
Seul pour Altumajour : car tous moût l'amoient ;
Mais pues la mort Zarllon asés vilainemeut
Guerpi il Yesu Grist et ovra malement
Ver la giant Crestiaine, se Trepin ne nous ment.
212 RECHERCHES
passages de Gui de Bourgogne. Quand l'armée de renfort est
arrivée, ce sont les Allemands qui doivent lui céder leurs cam-
pements' ; et, à la fin du poëme, une querelle éclate entre Gui
et Roland au sujet du palais d'Aquilant, roi de Luiserne. La
ville a été prise grâce à la valeur de Gui, pendant une absence
de Charlemagne, qui était allé faire ses dévotions à Saint-
Jacques-de-Compostelle, et le jeune chevalier ne veut rendre
le palais qu'il occupe qu'à l'empereur lui-même. Un miracle
termine le débat par la destruction immédiate, et conforme au
textede Turpin, de l'objet de ladispute. Charlemagne demande
au ciel que Luiserne disparaisse:
Dont n'éiissiés vos mie demie liue aiée
Que la citez est toute en abysme coulée,
Et par desus les murs tote d'eve rasée,
Si est assés plus noire que n'est pois destrempée,
Et li mur sont vermeil comme rose esmerée ;
Kncor ce voient cil qui vont en la contrée.
Le combat des Lombards et des Thiois est là comme en
germe; mais le trouvère italien corrige heureusement son mo-
dèle en donnant à Roland l'honneur de rétablir la concorde
entre les chrétiens.
On a encore comme une contre-partie de la prise de Lui-
serne dans celle de Toletèle par Hestous. Pendant que Char-
lemagne et Roland sont fort occupés ailleurs, le fils d'Œdon,
après la mort de Burabel, roi d'Agabie (cf. Turpin, ch. ix),
s'empare de l'enseigne du Sarrasin, la fait dresser, et, grâce à
ce stratagème, entre dans Toletèle sans coup férir. Quand
Charlemagne veut être accueilli dans la place, Hestous lui
répond par un refus, et c'est à Roland seulement qu'il consent
à ouvrir la porte (v. 4838-4880, 5059-5106). Cet épisode semi-
sérieux, semi-plaisant, se rattache au genre mixte, confinant
au roman d'aventures, auquel appartient Gui de Bourgogne.
Autre analogie. Une fois les fils des douze pairs engagés en
Espagne, ils doivent leurs succès au concours fidèle, mais peu
scrupuleux, qui leur est prêté par des Sarrasins convertis.
Huidelon de Montorgueil et ses fils, Danemont et Dragolant,
J V. 1192, s.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 213
font entrer les chrétiens dans la tour d'Augorie en trompant
Ja confiance du roi Escorfaut, et, une fois Escorfaut converti,
il livre Emaudras, roi de Maudrane^àses nouveaux alliés. De
même, Altumajour et Carpent n'hésitent nullement à intro-
duire par ruse les Français dans les villes de leurs frères de la
veille.
On sait qu'il j a une lacune considérable entre la fin du ma-
nuscrit de Venise xxi [Entrée de Spagne) et le point où com-
mence le manuscrit v {Prise de Pampelune). Pour remplir ce
vide, nous avons: 1° la Spagna en vers; 2° les rubriques du
manuscrit perdu de la Spagna en prose, rubriques publiées
par M. Michelant dans le Jahrbuch d'Ebert, t. XII, p. 65-72,
217-232, 396-406; 3° le Viaggio di Carlo Magno m Ispagna per
conqmstare il cammino di S. Giacomo. Or, si l'on examine ces
divers textes, on j trouve un personnage appelé Gione dans
la Spagna en vers, Chirone dans la Spagna en prose, Algi-
rone dans le Viaggio: c'est le Guron de IsiPiisede Pampelune,
et il me semble un très-proche 'parent de Gui ou Guion du
Bourgogne. Lorsque Charlemagne s'est décidé à faireàMarsile
la fière réponse [Entrée de Spagne):
A fere tôt mes venjances veuut est la vigille,
Qi m'ont meffet non dormeut qe Karlons se reville,
pauvrement traduite dans le Viaggio: «EU' è venuta la vigi-
lia di fare le nostre vendette, e chi m'a fatto alcuna onta ne
ingiuria, non dorme, chè Carlo si risvegiia moite fiate», il con-
fie le pouvoir à Anséis de Pontiu, neveu de Ganelon^. Charles
est parti, les années se sont écoulées; le Mayençais conçoit un
jour le projet d'épouser l'impératrice et de s'emparer du trône.
Mais Roland, qui depuis son vojage en Orient a un démon à
son service, avertit Charlemagne, et celui-ci est transporté
à Paris par le démon. Il se fait reconnaître, chasse le traître
Anséis, et revient après avoir confié à Algirone la lieutenance
générale de l'empire. Voici, d'après le Viaggio, la généalogie
de ce personnage: «S'appellavaAlgirone, eerustato figliolo di
Gimongello, fratello dello re Salamone di Bertagna, e Flora-
1 Ansuis de Mayence dans le Viaggio; Macaire, neveu de Ganelon, dans la
Spagna en vers.
214 RECHERCHES
pace, sorella di Florabbrazza, fo sua madré, ed erano diii fra-
telli,e Taltro s'apellava Balduino, dui gioveni infanli di venti
anni^» L'auteur, ayant dans la légende de Gui de Bourgogne,
d'une part, l'histoire de son mariage avec Floripas, sœur de
P^ierabras ; de l'autre, le roman qui porte son nom et oîi nous
le voyons, tout jeune encore, conduire en Espagne l'armée des
enfanls, invente deux fils auxquels il attribuera la part de ces
récits qui ne peut se concilier avec le Fierabras. En effet,
l'impératrice charge les deux frères de conduire une armée
de renfort à Gharlemagne. Les incidents du voj^age diffè-
rent ; mais l'imitation est manifeste.il me suffira de renvoyer
au passage où a lieu la rencontre des deux armées chrétiennes.
Quand le récit du Viaggio atteint la Pinse de Pampelime, on
relève quelques différences. C'est Baudouin, et non Algiron,
qui enlève la couronne de Marsile. Il n'est parlé ni de TAltu-
majour, ni de Carpent. La bataille des Lombards et des Fran-
çais a lieu avant la prise de Pampelune, et il n'est fait aucune
allusion à la plaisanterie par laquelle Gharlemagne accueille
la demande [que fait Didier d'un camp où il puisse loger ses
soldats (Prise de Pampelune, v. 198, s.). La narration est d'ail-
leurs complète et va jusqu'au châtiment de Ganelon. L'auteur
y a intercalé une imitation de Galien le Rétkoré, de manière à
associer le fils d'Olivier et d'une princesse de Portugal (alté-
ration du récit donné dans le Voyage à Jérusalem) à la bataille
de Roncevaux et à la fin de la guerre.
La Spagna en vers prêterait à des observations analogues.
Ainsi l'assaut de Pampelune se fait de la même manière que
celui de Luiserne dans Guide Bourgogne. Roidind attaque d'un
1 Ch. XLi, p. 67, 69. Corap. également le passage correspondant de \nSpa-
(jna en vers. Dans ce poëme, Gione n'a pas de frère. L'auteur de la Spagna
en prose, si l'on en juge par les rubriques, gâte tout cela; v. surtout ch. 138.
La colère de Salomon est beaucoup mieux motivée dans la Spagna en vers.
J'ai déjà dit que, dans le roman en prose, le nom du personnage en question
est Chirone. Dans l'édition des fiea/t, doutje dispose (Venise, 1787, chez
Pietro Marcuzzi), je trouve à la généalogie le passage suivant: dal re Sala-
mon nacquc Lione, il quai -per uso deW arco fu chiamato Chirone. Celte
explication classique est bien conforme aux habitudes de l'auteur des Reali ;
du moins, elle me paraît confirmer la forme Chirone. M. Rajna, dans le ta-
bleau des Geste minori placé à la fin de son étude sur les Reali, donne les
formes Lianes dette Achiron.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 215
côté, son rival de rautre,et c'est seulement après que celui-ci
est entré dans la ville queRolandypénotreàson tour. De même
Gui et Gione peuvent aller, l'un auprès de Huidelon, l'autre à
la cour de Marsile, sans être arrêtés par les Sarrasins, parce
qu'ils s'annoncent comme des messagers de paix. Par contre,
Guron, dans la Prise de Pampelune, ne dit rien de pareil: les
gardes, d'après l'auteur, avaient ordre de laisser passer trois
chevaliers chrétiens, et pas davantage. Il semblerait qu'ici,
comme pour le récit de Roncevaux, le poëme italien remonte
directement aux sources françaises.
Il me paraît dans son ensemble une imitation des deux poè-
mes franco-italiens, plus fidèle tout à la fois et plus indépen-
dante que le Viaggio, qui tantôt traduit littéralement, tantôt
abandonne ses modèles. Je me bornerai à remarquer que les
noms donnés par nos chansons de geste se retrouvent à peu
près tous dans les compositions italiennes. L'Aî^^a/fe n'est que
YAlgalife du Boland et sera VArgalia de Boiardo; Maocéjis,
qui devient successivement Malzarize, Maharix, Mazzarigi,
n'est autre que le beau Margariz de Séville du Roland, que, dans
le texte de Venise nous voyons, percé de quatre épieux, revenir
vers Marsile pour lui annoncer la défaite de ses premiers ba-
taillons, fait rapporté également dans le Viaggio, mais attri-
bué à un Algarixde Séville. La Spagna en vers appliquecette
donnée successivement au roi Bertoco après l'échec de Fal-
sirone, à un roi sans autre désignation, après la défaite de
Grandonio.
Dans ce roman, comme dans le Viaggio, Mazzarigi ou Mal-
zarix meurt de la main de Roland à la fin du combat. Le per-
sonnage a été dédoublé, par suite du rôle important qu'il a
depuis la Prise de Pampelune. Sansonnet et Ysorès, plus tard
Sanso7ieito et Isoliere, existent déjà dans notre épopée. Dans
le Roman de Roncevaux, ils sont du nombre des barons qui,
étant restés auprès de Charlemagne, survivent à la destruction
de l'arrière-garde.Le premier n'est autre que l'émir Balant de
la Chanson d'Aspremoîît. Quand il se convertit, on l'appela
Samson ; il est vrai que le trouvère ajoute qu'il mourut àRon-
cevaux'; mais on ne saurait songer à faire concorder les di-
' Thomas, Nouvelles Recherches, p. 48.
216 RECHERCHES
verses formes de ces légendes. Ysorès, dans notre épopée, est
surtout le nom du personnage qui, outragé dans son honneur
par le roi Anséis, livrera l'Espagne aux mulsumans, nom que
nous retrouvons dans le titre d'une chanson de geste célèbre:
« Ci commence li Moniage Guillaume et si com il tua Ysoré
devant Paris *. » Isolier ne gardera de ses origines que sa
fierté, et représentera surtout la courtoisie chevaleresque.
Mais j'avoue ne pas retrouver un ancêtre français de Çarpent
de la Stoille ou Serpentino délia Stella.
Dans l'épopée de Boiardo, les noms nouveaux ne sont nom-
breux, comme M. Rajna l'a vu ^, que du côté des Sarrasins; les
généalogies des barons chrétiens sont établies depuis trop
longtemps pour que l'on puisse y opérer des changements de
quelque importance. Mais nos trouvères eux-mêmes avaient
donné à leurs successeurs l'exemple de ne se refuser aucune
liberté à l'égard des noms des rois mulsumans : pourvu que ces
noms soient déplaisants ou ridicules, ils n'hésitent point à les
employer. Néanmoins beaucoup des chefs mahométans donnés
parles chansons de geste et la Chronique de Turpin sont con-
servés dans les compositions italiennes. Il y a souvent, il est
vrai, tantôt déplacement d'un personnage, tantôt répétition
d'un même tjpe, tantôt modification d'un caractère. Le roi
Galafre, devenu Galafron, régnera fort loin de l'Espagne, au
Cathaj ; Rodomont viendra se placer à côté de Ferragus, dont
;! prendra à son compte la férocité primitive; du roi Aigo-
lant dérivent d'autres rois, Agramant, Agrican. Boiardo, à
l'occasion de ce dernier, imitera un instant, dans son récit
semi-héroïque, semi-badin, le passage le moins épique de la
Chronique. On se rappelle que Roland et Ferracutus ont en-
semble une interminable discussion théologique, que les au-
1 Une version italienne à! Anséis de Carthaije a été publiée en 1871 par
M. Ceruli. Elle est intitulée la Seconda Spugna. Elle est suivie de YAcquisto
del Ponente ou conquête de l'Espagne par le roi sarrasin Tibaldo. On voit
comment le cycle du Roi est rattaché à celui de Guillaume d'Orange. Le ms.
d'où ont été tirés ces deux romans appartient à l'Ambrosienne et date de la
seconde moitié du XV° siècle. M. Gautier, à ^to\)0?, à' Anséis de Carthage, ne
parle de la Seconda Spagna que d'après les rubriques du manuscrit Albani,
aujourd'hui perdu {Ep. natioji., 2e éd., 111, p. 638-639, note).
2 Rajna, Fonti deW Orlando Furioso, p. 20-21.
SUR LES CHAIsSONS DE GESTE 217
teurs de V Entrée de Spagne et de la. Spagna en vers reprodui-
sent scrupuleusement, mais qui est abrégée dans le Viaggio.
Roland voudrait essayer de convertir Agrican, comme jadis il
a voulu convertir Ferracutus. Agrican, moins conciliant que le
géant, répond qu'étant enfant, il a cassé la tête au maître qui
voulait l'instruire ; qu'il faut laisser la doctrine au prêtre et au
docteur, et que Roland, avec toute sa science et sa sagesse, fe-
rait mieux ou de dormir, ou de parler d'armes et d'amour. Ce-
pendant, une fois blessé à mort, il demande et reçoit le bap-
tême'. L'allusion à la science de Roland serait inintelligible
si l'on ne se rappelait les distiques consacrés dans la Chronique
à l'éloge du vaillant chevalier-. De ce centon, il suffira de ci-
ter deux vers:
Dogmata corde tenens, plenus valut arca libellis:
Quiscjuis quod voluit fonte fluente bibit.
Parfois tel nom ancien est appliqué à un personnage nou-
veau, parce qu'il sonne bien. La belle Bradamante doit pro-
bablement le sien aux transformations suivantes : dans le
Roland, la reine, épouse de Marsile, est appelée Bramimunde
dans la première partie, Braniidonie dans la seconde. Elle est
dite Braïdomme et Braidamonde dans le Roman de Roncevaux.
La Spagna en vers donne Branda ; le liaggio, Braidamonte.
Ce nom parut sans doute trop beau pour être porté par une
Sarrasine. Le quatrième livre du Rinaldo en prose, intitulé
Mombello, a pour sujet les amours d'Aymes et d'une jeune
païenne de la Dacie : de cette union irréguiière naît la coura-
geuse Braidamonte, qui, au sixième livre [Rubione d' Anferna),
sera vaincue par son frère Renaud. La guerre d'Anferna une
fois terminée, elle épouse son oncle Girard de Roussillon.
Arioste la suppose fille de Béatrix, par respect pour la famille
d'Esté \
Boiardo modifie légèrement le nom primititif, de façon à lui
1 Orl. iuJiamorato, 1. 1, c. xvin. ott. 31 ; — c. xix, ott. 16.
- C. XXIV : de Nohilitate, morihus et largitate heuti Hotliolandi martyris.
3 V.P. Rajna, Fonti dell' Ort. fur., p. 46-47 et 516-517. La version du
Rinaldo qui a pour sixième livre le Ru/jiotie est autre que celleque M. Rajna
a étudiée dans le Rinaldo da Montalijano. V. Fonti, p. 45, n. 2.
218 RECHERCHES
donner un sens conforme au caractère du personnage, et la
sœur deRenaud seva,Brand?amanle['A[ma.nt les épées). Arioste
adoucit le mot en Brandajnante. De même àeRodamonte(Tonge-
montagne) il fera Rodomonte, par pur besoin d'euphonie.
Le nain Brunel, plus tard roi de Tingitane en récompense
de ses services, qui se vante de pouvoir accomplir les prodiges
les plus merveilleux et va jusqu'à dire :
Ruberù al Papa il suon de la canipana',
est proche parent du Maugis primitif.
Parmi tous ces personnages, il en est un dont la destinée
est plus particulièrement intéressante.
Dans la Chronique de Turpin, Estous ou Estoult- est un des
principaux chefs de l'armée de Charlemagne, l'égal d'Arnaud
de Beaulande,du roi Arastagnus,du duc Engelier,du roi Gon-
delbuef, d'Ogier et de Constantin. Voici les passages qui le
concernent : Estultus, cornes lingonensis, filius Odonù, cum tri-
bus millibus virorum beliatorum^; \\ est le seul à qui Turpin
attribue un compagnon, Salomon, soci'us Estulli^; dans la
marche sur Pampelune, il conduit le second corps de troupes °;
il figure à la tête de son armée dans la bataille sous Pampe-
lune''; il est enseveli aux Aliscans avec Salomon '.
Estous est un des compagnons de Roland dans la Chanson
d' Aspremont^ ; il doit à la manière dont il a été présenté dans
Guide Bourgogne d'être placé au premier rang dans la Prise
de Pampelune, à côté de Roland et mieux en vue qu'Olivier,
^ 0)'l. innam., 1. Il, c. m, otl. 39-42.
- Estoul est encore, en Languedoc, un nom de famille assez répandu.
^ C XI, p. 17 de mon édition.
" Ihid., p. 18. — '" IbUL, p. 19. — ^ d. xiv, p. 24. — ' C. xxix, p. 55.
8 Estous a déjà attiré raltention. V. Mussafia, Préf. d. 1. P. d. Pampe-
lune; G. Paris, Hist. poét. de Ch., p. 183-189; L. Gautier, Ep. nation.,
2eéd.,ill, p. HT, s.; V\o 'R&inai, Propugnatore , ann. iv, p. 83. Dans la
Chanson d'Aspremont, lorsque Roland demande d'être fait chevalier, il ne
sépare pas sa cause de celle de son ami Estous :
Je ai servi de la cope au raengier,
Estoz de Lengres set devant vos treucliier.
Se moi et lui ne fêtes chevalier,
Autre serjant vos covieot porchacier.
SUR LES CHANSOI^S DE GESTE 219
qui devient de plus en plus un simple reflet de son ami. Si nous
prenons, en effet, non le texte du manuscrit de Tours qu'ont
publié MM. Guessard et Michelant, mais celui du manuscrit
de Londres qu'ils citent souvent dans les notes, nous voyons
que, dès le commencement du roman, c'est le fils cVOdon de
Lengres qui montre le plus de décision et de hardiesse entre
les fils des douze pairs. Quand le fils de Ganelon réclame la
couronne, Estous le fait taire, et, après avoir dit de lui-même
qu'il est trop violent pour faire un roi de France, il s'associe
aux conseils du sage Bertran. Le fils de Ganelon s'étant per-
mis de protester, Estous est sur le point de le frapper d'un bâ-
ton (cf. Otinel, V. 101-108). On choisit pour roi le fils de San-
son. Gui de Bourgogne, et l'on part pour aller secourir les
pères qui soutiennent depuis si longtemps la guerre.
Les premiers incidents du voyage mettent encore en relief
la témérité d'Estous, soit qu'il veuille attaquer l'imprenable
cité de Montorgueil, soit qu'il franchisse un gué pour en venir
aux mains avec les Sarrasins, soit que, dans un grand combat,
il joute avec le chef des païens, Danemont. Il est vrai que, dans
la suite du roman, Gui de Bourgogne devient l'objet unique
de l'attention, et qu'Estons ne se montre plus que rarement,
tantôt pour parler durement à son père qui ignore qui il est,
et qui lui répond :
Tu as mult verai non :
Tu es fel et estous; Estous t'apele l'on;
tantôt pour menacer le roi Huidelon plus vertement encore
que ne l'ont fait Gui et Bertran:
Estous, li fils Œdon, nï volt plus arester,
A sa vois qu'il ot clere commença à crier :
« Huidres de Montorgueil, ne te quier à celer,
» Laissié ont du mesage, mes je t' an voil conter, » etc.;
tantôt (v. 2175) pour réclamer l'honneur do jouter avec le fils
de Huidelon, dans des circonstances auxquelles songeait
l'auteur de la Prise de Pampehme quand il a imaginé de faire
jouter Guron (transformation évidente de Gui ou Guion de
Bourgogne), le messager de Charles, contre deux chevaliers
de Marsile.
220 RECHERCHES
Dans Renaud de Montauban, Estous est sans doute Fun des
barons dont Charlemagne est «onstamment entouré; mais,
bien que le compagnon de Roland, il n'a pas un rôle impor-
tant. Une seule fois il prend la parole de façon à faire connaî-
tre son caractère : c'est dans des circonstances graves. L'em-
pereur a demandé à ses pairs de se charger de pendre l'un
des fils d'Aymes, Richard, qui est prisonnier. Béranger, Yde-
lon, Ogier, Turpin, Salomon, Roland, Geoffroy d'Anjou, Oli-
vier, ont successivement refusé. Charlemagne s'emporte et
rappelle quelle terrible vengeance il a prise des douze pairs
qui avaient comploté sa mort. Puis il s'adresse à Estous et lui
fait les plus belles promesses; s'il veut pendre Richard, il lui
donnera Clermont d'Auvergne, Montferrant, d'autres fiefs. Le
jeune chevalier répond adroitement :
« Sire, ce dist Estous, merci, por amor Dé.
» Ves là Œdon, mon père, qui tient les iretés.
)) Onques n'en ci encor ne chastel ne cité ;
» Ains sui compains Rollans de mes armes porter ;
» Si me vif de mes armes com autre bacelers.
» Mais quant aurai la terre et tenrai l'ireté,
» Adonc ferai je, sire, toute vo volenté. ••
« Par saint Denis, dist Karles, vos i covient aler.
» Je me sui por les autres à vo cors aboutés. »
« Sire, est ce donc à certes que vos issi parles? »
« Oïl, ce dist li rois, si me garisse Dés. )>
(( Par foi, ce dist Estous, or vos oi je jurer ;
» Mais par celé corone que vos deves porter,
» Vos ne voiries estre al caaignon fermer,
» Emperere de France, por .xnri. cités. »
« Oes, sire, dist Guenes, com vos a ramprosné '. »
Ces fières et spirituelles reparties avaient sans doute attiré
l'attention des auteurs de X Entrée de Spagne et de la Prise de
Pampelune. Désormais Estous n'est plus seulement le guer-
rier le plus rude et le plus félon de l'armée, le fils d'un père
oh moult ol estoutie {Gaydon, p. 144). Son caractère est conçu
d'une façon plus complexe et plus riche. Il est aussi rusé
qu'entreprenant, beau parleur, plaisantant volontiers, grand
* Renaud de Montauhmi, p. 267.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 221
ami de Roland, mais moins confiant que le comte de Clermont.
Nous avons vu comment il prend Toletèle et comment il se
permet de gaher aux dépens de l'empereur. Mais déjà, lorsque
Didier, s'étant réconcilié avec Cliarlemagne, lui offre le palais
dont la possession a provoqué un si terrible combat. Estons
n'a pu s'empêcher de dire tout net ce qu'il pense (v. 402, s.):
« Dexii'ier, dist Hestous, de ce ne dubités,
» Qa'il le prendra tre bien, pues que ensi le priés;
» Car de si feites grâces vous feroit il asés.
)) Se je l'ostel eûse eusi corn vous gaagnés,
» Aotre queo duc Hestous [n'i seroit hosteliés].»
Quand l'empereur l'oï, si en list à cief cliniés
E pues dist: « Sire Hestous, por Dieu de maïstés,
» Or prendrai je l'hostel pour fer vous plus iriés.»
« Bien le croi, dist Hestous, sire, nel moi juriés,
)> Car plaisant sempre fustes, courtois, bien costumés.»
Quand Ciiarlemagne se risque à demander aux pairs quel
est celui d'entre eux qui consentira à céder sa [)lace à Mao-
ceris, c'est Estons qui lui répond, et il le fait de- façon à ôter
toute illusion à l'empereur (v. 552, s.):
Primer parolle Hestous, que lieve contre mont
E dist : « Sire emperer, par Dieu le roi dou mont
» Nous ne somes par toi en host ci à cist pont,
)) Mes pour amor de cil que de bien fer est pront,
» Ce est Rolland tuen niés, à cui Danideu dont
)) Acomplir suen voloir, car maint preu en auront.
» Il ne i a nul de nous si bais ne si aou font
» Que ne soit duc ou prince ou grand marchis oucont.
» Mieus amons [nous] mourir ou le cuens de Clermont
» Che tenir quant que vaut Paris jusque en Piémont. »
Il faut toute l'autorité de Roland pour que son ami consente
âne plusse défier de la loyauté d'Isorés,le nouveau chrétien.
Un moment la trahison semble évidente. La douleur d'Isorés,
les reproches qu'Estons fait à Roland, la réponse de celui-ci,
forment une petite scène qui n'est pas sans mérite (v, 4445,
suiv.):
14
222 RECHERCHES
Lour quand Isorés oit celle giant pourçeiie,
De dolour qu'il en oit fist ciere irascue;
Pues encliua le cief e tint sa boce mue.
« Rolland, ce dist Hestous, la couse est avenue
» Que je vous ay huy tant noncee et menteiie.
» La parole d'Hestous ne veut être creiie ;
» Mais ce me reconforte et de parlier m'arglie,
» Che la force aou lion est as las enbatue,
» E la pie est aou broy atainte e retenue.»
« Estons, ce dist Rolland, ancour n'est mie rendue
» La proie as Saracins, ains sera cier vendue
)» Avant que nous crions l'ensagne recreiïe.»
Le silence si expressif d'Isorés, l'ironie d'Estous, la fermeté
confiante et fière de Roland, ne pouvaient être mieux rendus,
et je ne pense pas que l'on me sache mauvais gré d'avoir re-
produit un passage aussi remarquable ; après l'avoir lu, on
comprend que des poèmes composés et écrits, abstraciion
faite de la langue, comme la Prise de Pampelune (je ne parle
pas de V Entrée en Espagne dont, à mon grand regret, je ne
connais que l'analyse, où d'ailleurs les beaux vers ne man-
quent pas), aient pu rendre populaires en Italie des récits d'ori-
gine française.
Ainsi le personnage d'Estous commence à se dégager de
cette série monotone où se répétait à l'infini le type du che-
valier robuste et courageux. En même temps se produit un
fait qui relève de la philologie. Du substantif Zan^res il était
naturel de tirer un adjectif: Estons de Lengres ou de Langles
(cf. angélus, angle, angre), ce qui dans l'usage populaire ne
difi"ère nullement d'Estous de V Angles, sera dit Estous V An-
glais. Cette transformation se fait sous nos jeux dans la Prise
de Pampelune : v. 4408, Hestous l'Englois; v. 4845: E à cinc
çant civalers Englois de sa maison; v. 4870: A cent des siens
Anglois Hestous baud etnovel. — Le fait a lieu pour d'autres
qu'Estous. Sur le conseil de Ganelon, on envoie à Marsile les
deux messagers dont il est parlé si souvent (v. 2547):
Dons civalers de Langles, ond l'un d'eu se noma
Basin, l'autre Basel.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 223
Le premier est appelé ailleurs (v, 459) FEnglois Basin*.
Que restait-il à faire aux poètes italiens ? A préférer au nom
d'Estous ou d'Estoult celui d' Astolfo, qui leur était plus familier ;
et c'est ainsi que le cornes lingonensis de Turpin se transforme
en un beau prince Astolfo inglese, riche, spirituel, aimable,
d'une galanterie qui a son origine dans les aventures amou-
reuses des autres paladins, et en particulier d'Olivier à la cour
de l'empereur de Constantinople.
Il n'est pas sans intérêt de retrouver dans les vieux textes
tel trait que les poètes de la Renaissance ont fait ressortir
avec prédilection. On sait que, dans les romans italiens, Astolfe
est fréquemment désarçonné : ce qui lui vaut les railleries de
ses compagnons, et qu'il n'est à l'abri de cette sorte d'acci-
dents que du jour où le charitable Boiardo met entre ses mains
la lance d'or du frère d'Angélique. Cette légende remonte
haut. Dans la Spagnaen prose 2, nous voyons Astolfe, prison-
nier de Ferragus, en compagnie des autres pairs, moins Ro-
land, commencer déjà à rejeter sur son cheval la chute ma-
lencontreuse qui l'a livré à son adversaire : « Chôme Astolfo
)) molto si schuso dell' essere abattuto, e chôme fue difetto del
» suo chavallo, e chôme Ferraue gli fecie mangiare in sua pre-
wsenza, e poi fecie nella torre in una chamera fare letti per
» loro. »
Il est curieux que le futur possesseur de la lance d'or pé-
risse dans leViaggio précisément parce que son adversaire, le
Vieux de la Montagne, est muni d'un bouclier enchanté qui
aveugle ceux qui ont le malheur de le regarder. Turpin, in-
struit par le malheur d' Astolfe, a soin de fermer les yeux
avant d'aborder le Sarrasin. Il peut ainsi le tuer et lui enlever
le bouclier ; mais cela ne l'empêche pas d'être obligé de fuir
devant Malzarix, Le bond que fit le cheval de l'archevêque
en cette circonstance laissa quatre empreintes sur le sol:
1 M. Thomas, Op. L, remarque que, dans VE7if)-ée de Spayne, Estous est
d'abord, comme dans la légende française, fils d'Odon, duc de Langres;mais
que bientôt une confusion singulière s'introduit, et sous la plume du scribe
et dans l'esprit même du poëte: pour lui, Estous commence à ne plus être
Lengrois ou même Lenglois, mais Englois, et ses soldats sont d'Angleterre.
2 Auch. xxii, d'après les rubriques publiées.
224 RECHERCHES
«anche chi ci va, lo po vedere^ «Boiardo doit peut-être à cet
endroit l'idée de confier la lance enchantée à Astolfe et l'épi-
sode comique où Turpin fuit devant Roger, tombe avec son
cheval dans un ravin et ne doit son salut qu'à la générosité
du jeune chevalier^.
Les romans italiens qui dérivent de Y Entrée de Spagne et de
la Prise de Pampelune se terminent par le récit du désastre
de Roncevaux, et achèvent ainsi de remplir le cadre que l'au-
teur de Y Entrée de Spagne s'était tracé. La. Spagna en vers, la
Spagna en prose, la Rotta di Roncisvalle et les derniers chants
du Morgante, ont été de la part de M. Rajna l'objet d'une
étude minutieuse, d'où il résulte que chacune de ces composi-
tions successives, tout en s'inspirant de celles qui la précé-
daient, présente souvent des traces d'une imitation directe de
la Chanson de lioland et de la Chronique de Turpin, et que, par
conséquent, les textes français ont été connus en Toscane jus-
qu'à la fin du XV^ siècle. L'imitation du Galien, que l'on ren-
contre dans le Viaggio, est une nouvelle preuve à l'appui de
l'opinion de M. Rajna.
Plus l'on étudiera les romans italiens du moyen âge, et plus
Ton y retrouvera la marque d'une connaissance très-étendue
de notre littérature épique. Telle chanson de geste, dont au-
cun texte italien ne fait mention d'une façon expresse, a été
néanmoins récitée sur les bords du Pô et de l'Arno, et l'épo-
pée italienne lui doit plus qu'on ne pense. On ne saurait nier
qu'ylye d'Avignon et Gui de Nanteuil ne forment un ensem-
ble dont aient pu tirer parti des imitateurs intelligents. J'ai
cru y voir dans Amauguin le prototype de Ghinamo ; et, d'ail-
leurs, l'opposition si nettement marquée entrela geste des traî-
tres et le lignage des barons loyaux, le rôle chevaleresque du
Sarrasin Ganor, la variété des aventures, off'rentavecle roman
italien des caractères de ressemblance qu'il suffit d'indiquer.
Restait à trouver dans ces poèmes un endroit qui eût été l'ob-
jet d'une imitation incontestable.
M. Rajna, arrivé aux prodiges qui, dans les compositions
italiennes, suivent la trahison de Ganelon, ajoute: « Aucune
' C. un, p. 187.
2 Orl. innam., 1, III, c. iv, oit. 41-45.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 225
version française ne contient rien de semblable. » La question
est intéressante et mérite d'être étudiée de plus près.
Dans la Chansun de Roland, lorsque Ganelon va recevoir le
gant, le bâton et la lettre, il se produit un t'ait que les Fran-
çais regardent comme un mauvais présage:
Li Emperere li tent sun guant, le destre ;
Mais li quens Guenes iloec ne volsist estre ;
Quant le dut prendre, si li caït àtere:
Dient Franceis: « Deus ! que purrat ço estre?
« De cest message nus aviendrat grant perte'. »
Quand Roland apprend qu'il est chargé du commandement
de Farrière-garde, il reproche durement cette maladresse à
son parâtre.
Plus loin, une tempête et un tremblement de terre se dé-
chaînent sur toute la France au moment oîi Tarmée de Mar-
sile va entrer en ligne, et le trouvère s'écrie- :
C'est la doulur pur la mort de Rollant!
Mais rien de pareil n'a lieu lorsque Ganelon conclut avec
Marsile l'accord qui livre aux Sarrasins Roland et les douze
pairs.
Il en est autrement dans les romans italiens.
Dans la Spagna en vers, avant même que Ganelon et Mar-
sile aient eu d'entretien secret, le ciel avertit le traître qu'il
connaît ses intentions:
Essendo Gano e Marsilio a sedere,
Si com' io dissi nel' altro cantare,
In su una sedia di grande valore,
Clie 'Itradimento vole ordinare,
Dio dimostrô alhora per suo potere
Che quella sedia si vide fîaccare,
Marsilio e Gano caderno in terra.
Il mal pensier perô Gannon différa.
Ganelon est étonné ; mais il n'en reste pas moins résolu à
trahir les Français.
IV, .3.31.— 2 V. 1437.
226 RECHERCHES
Demême que dans la Chanson, Marsile conduit son hôte dans
un jardin; mais Fauteur croit devoir donner une courte des-
cription du lieu :
Aveva in quel giardino una fontana
Coq cierti pomi d'intorno adornata,
Ch' al mondo non è ignuna si sovrana,
D'un prato belle tutta atorniata*.
On apporte le livre où est racontée l'histoire deMahom, et
c'est la main posée sur ce livre que Ganelon jure de trahir
Roland.
Dans la Chanson, les choses se passent autrement. Ganelon
n'oublie pas qu'il est chrétien et jure sur les reliques enfer-
mées dans le pommeau de sonépée:
Sur les reliques de s'espée Murglais
La traïson jurât, si s'est fors faiz ~.
C'est Marsile qui prête serment sur le livre qui contient la
loi de «Mahum et Tervagan. »
Alors le Christ
Voile mostrar miracolo compiuto ;
Che quella fonte d'aqua cosi chiara
Diventô rossa corne sangue [ejaraara;
E gli alberi dell' orto si secaro,
La giente allor maravigliossi molto '.
Je remarque d'abord que dans la Spagna il n'est fait au-
cune mention de la chute du gant, et que Roland n'y réclame
pas contre le choix qui a été fait de lui pour commander l'ar-
rière-garde. Le premier mauvais présage est donc supprimé;
mais, par compensation, nous en trouvons un autre, plus in-
telligible sans doute pour les auditeurs italiens : la chute du
siège où Ganelon et Marsile avaient pris place, siège qui est
bien le fauteuil d'ivoire sur lequel, dans la Chanson, on dépose
le livre sacré des Sarrasins, mais que l'auteur italien a cru
plus naturel d'employer à un autre usage.
1 Texte donné par M. Rajna, d'après le ras. de la Laurenlienne, Rotta di
Rondsvalle, p. 74. — ^ V. 607. — ^ Cité d'après M. Rajua, Op. /., p. 74.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 227
Restent trois détails : la fontaine, le changement de cou-
leur que subissent ses eaux, les arbres qui se dessèchent.
C'est aux romans de la Table-Ronde que remonte l'habitude
de décrire des jardins ornés de fontaines. Mais l'idée de mon-
trer la nature protestant contre un acte odieux de trahison
n'est pas sans exemple dans notre épopée. Dans Renaud de
Montauban, lorsque le roi Yon et ses barons ont décidé de li-
vrer les fils Ajmon à Charlemagne, et que, sur l'avis de Rai-
mon, on convient de les amènera se rendre sans armes dans
la plaine de Vaucouleurs, nous trouvons un prodige de même
nature que le changement de couleur des eaux de la fontaine
de la Spagna * :
Por saint Renaut fist Des illuec grant inonstrison.
Escrist est à Tremoingne, en la fiertre au baron:
La chambre qui fu blanche, en mua sa color ;
Illueques devint inde et perse, corn charbon,
Et li ,1, ne vit l'autre, ains chaïrent trestot.
Une grant pièce jurent illuec en pamison,
Puis issent de la chambre, lor conseil fine ont.
!1 n'y a pas là d'imitation proprement dite, mais une sorte de
transposition. Il semble, d'ailleurs, que l'auteur delà Sparjna
n'a pas voulu s'en tenir à cette seule application d'une donnée
qu'il trouvait heureuse ". D'après lui, pendant que Charlema-
gne est à Saragosse, Ganelon tue le gardien de la prison où il
était enfermé, prend un cheval et s'enfuit; mais Dieu fait des-
cendre un brouillard épais, et, le jour suivant, le traître, qui
n'a pu s'éloigner, est repris par ses gardiens ". Dans le Roman
1 Renaus de Montauhan. p. 160.
' Toutes les littératures, tant qu'elles en sont encore à la période de l'iraita-
tion, ne négligent rien dans les modèles dont elles s'inspirent. On est tout
surpris quand on voit quels emprunts les Latins ont faits aux Grecs: idées,
'mages, coupes de vers, le poète latin reproduit tout avec une sorte de su-
perstition. Dans l'édition que j'ai donnée d'une imitation italienne (// Fiore)
du Roman de la Rose, on peut voir comment aucun mot digne d'attention,
aucun détail intéressant, n'a échappé à l'imitateur, bien que souvent un seul
de ses sonnets soit composé d'emprunts faits sur toute l'étendue du vaste
poëme.
3 Rajna, Rotta di Ronc.,ç.9i.
228 RECHERCHES
de Roncevaux, Ganelon s'enfuit deux fois, d'abord quand les
Français, revenant dans leur pajs, s'arrêtent sur les bords
de la Sorges; le traître est repris, non sans peine, par Othon,
que viennent aider Ysorés et Samsonnet'. Dieu a allégé le
poids des armes d'Othoii pour qu'il puisse rejoindre Ganelon.
La seconde fois, le jugement de Dieu allait décider entre Gon-
drebuef de Frise et Ganelon ; mais à peine celui-ci est-il à
cheval qu'il s'échappe encore ; on le rejoint, et il est ramené
à Montloon. C'est alors que Pinabel se présente pour défendre
la cause de son oncle-. L'auteur de la Spagna réduit ces deux
tentatives d'évasion à une seule ; mais il essaje d'ajouter quel-
que relief à son récit, et, comme il a supprimé la poursuite
d'Othon, il donne à l'intervention divine la forme que l'on a
vue plus haut. Le Viaggio se borne à suivre exactement le ré-
cit du Roman de Roncevaux, si ce n'est que l'on était déjà arrivé
à Blaye quand a lieu la première évasion de Ganelon.
Dans Aye d'Avignon, nous retrouvons les arbres qui devien-
nent stériles à la suite de la trahison de Ganelon.
Bérenger, ne pouvant plus défendre Grellemont, abandonne
la place, mais emmène avec lui Aje d'Avignon, qu'il a enlevée
à Garnier. Quand ils débarquent à Aigremore, le roi Ganor les
fait prisonniers, retient Aye qu'il veut épouser, et envoie les
fils de Ganelon au roi Marsile, qui leur fera bon accueil en
souvenir du service qu'il a reçu de leur père. Bérenger et ses
frères sont donc conduits en Espagne, à Morinde, qui était la
capitale de Marsile* :
Morinde fu assise ou chief de .nn. mons ;
.n. [eves] fors et rades li corent environ,
De par trestote Espengne amainnent garison.
Les murs en furent tous asmans et macedon,
Que tors i ot moult grans entor et environ,
Estre la maistre selle le roi Marcillion
Qui tient très bien de lonc le trait à ,i. bojon.
Çà dehors est la place, estoit droit au perron;
.lui. loriers i a de moult bêle façon.
1 V. 11115-11560. — 2V. 12452-12624.
^ Dans Anséi.-^ de Carthu(/e, lacapitalg de Marsile est cgaleracut iMorinde;
elle est la Mecque dans la Seconda Spagna.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 229
Dec porparla Ganes la mortel traïson
Dont inorurent à glaive li .xii. compaignon.
Signant vertu i fist Damediex por Karlon
Que des loriers qui furent là planté environ
Aine puis n'en porta nul ne foille ne boton,
Et si sont trestuit vert de terre jusq' en son^.
Il est remarquable qu'aucune des données que présentaient
les textes français n'a été négligée : il y a toujours une version
où elle est employée.
La tempête et le tremblement de terre mentionnés par
la Chanson de Roland ont été transportés, par Fauteur de la
Spagna en prose, à l'endroit où il raconte la trahison de Ga-
nelon. A peine Ganelon et Marsile ont-ils promis avec serment,
l'un de livrer l'arrière-garde chrétienne, l'autre de payer le
prix convenu, qui est la couronne de France, qu'un grand vent
s'élève, ébranle la fontaine et fait trembler Ganelon, qu'il est
nécessaire de rassurer; enfin tout se calme, a Dicie Turpino
)) che in questo medesimo di venue e giunse quel vento tra gli
»padiglioni di Carlo, e tutti gli gittô per terra con tutte le
)) loro bandiere e gonfaloni, e massimamente gittô per terra
» quegli del conte Orlando e d'Ulivieri e d'Astolfo e degli altri
))paladini molto più che gli altri, del quale segnio lo re Carlo
» e gli altri signiori presono grande ammirazione, dicendo :
))Iddio ci aiuti. «Ce prodige se renouvelle encore quand, le
troisième jour, Marsile et Ganelon prêtent serment sur le livre
de Mahomet. Cette fois la fontaine s'écroule, ainsi que de nom-
breuses maisons. Les conditions de la paix, qui doivent être
soumises à Charlemagne, sont enfin arrêtées, et la tempête et
le tremblement de terre se re[)roduisent une dernière fois-.
On voit que l'auteur de ce roman, qui reproche si volontiers
à \-a. Spagna en vers de ne pas suivre exactement le récit de
Turpin, c'est-à-dire les versions françaises ou franco-italiennes
de la Chanson de Roland, tient à bien marquer les emprunts
qu'il fait lui-même aux sources anciennes. D'ailleurs, il s'est
ingénié à profiter de tout ce qui avait été négligé par son pré-
décesseur.
M.Rajna a remarqué que les versions italiennes puisent
1 V. 1605 s. — 2 Rotta di Ronc, p. 42-43.
Î30 RECHERCHES
indiiFéremment dans les récits français, la Chronique de Tur-
pin et les poëmes franco-italiens. Voici un exemple où une indi-
cation de Turpin a été Torigine d'un épisode intéressant.
D'après la Chanson, Baudouin, le fils de Ganelon, était resté
en France, et son père, avant de partir pour la cour de Mar-
sile, le recommande à ses compagnons d'armes'.
Dans la Chronique de Turpin, Baudouin figure au nombre
des chefs de l'armée de Charlemagne-. A la fin du combat de
Roncevaux, il se réfugie avec Tliierrj dans une forêt, où ils
se tiennent cachés^. Il reparaît au moment où Roland est sur
le point d'expirer, cherche vainement de l'eau, que le mou-
rant réclamait pour calmer sa soif ardente, le bénit et part
dans la crainte que les Sarrasins ne le surprennent*. Il arrive
devant Charlemagne au moment où Turpin, de son côté, ra-
contait comment il avait appris par une vision la mort de Ro-
land et de Marsile ; il dit tout ce qui s'est passé et qu'il a laissé
Roland agonisant^.
On ne pouvait tirer un plus mauvais parti d'un personnage
doublement intéressant comme fils de Ganelon et frère de Ro-
land. Dans plusieurs versions italiennes, les Sarrasins, aver-
tis de la présence sur le champ de bataille du fils de celui à
qui ils devront la victoire, et le reconnaissant à un signe con-
venu, ont grand soin de l'épargner jusqu'au moment où, sur
le conseil de Roland, il change de costume et ne tarde pas à
succomber.
L'auteur de la Spagna en prose a voulu revenir au texte de
Turpin sans renoncer à l'idée de compter Baudouin au nom-
bre des guerriers qui meurent à Roncevaux. Aucun chrétien
n'a pu échapper aux coups des Sarrasins, excepté le fils de Ga-
nelon, qui s'est armé et s'est enfui vers le camp de Charlema-
gne. Dans sa course, il reçoit plusieurs blessures mortelles.
Il rencontre Salomon et lui raconte le désastre. Le roi de
Bretagne revient sur ses pas, la nouvelle se répand; Baudouin
raconte à Charlemagne la destruction de l'arrière-garde, et,
après avoirmauditla trahison de son père, il tombe et meurt '^.
Pulci a certainement eu raison de s'inspirer du récit de la
> V. 295, s.; 364, s. — 2 c. xi, p. 18. — ^ c. xxi, p. 42; xxii.p. 44. —
1 C. xxni, p. 50. — K C. XXV, p.50. — ^ Rajna, Rotta diRonc, p. 45.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 231
Spagnaen vers, plutôt que de la variante imaginée parle pro-
sateur.
Dans le Viaggio, Ton rencontre ici une singulière contra-
diction qui montre que l'auteur, désireux surtout de former
une compilation plus riche que ses devanciers, oublie parfois
de mettre ses notes en ordre. Dans son récit, Ganelon, en trai-
tant avec Marsile, demande bien que Ton ne fasse aucun mal
à son fils, qui restera dans la vallée avec Roland et qui sera
reconnaissable à son cheval blanc ^ ; mais, dans le combat, il
n'est pas plus question de ce fils que dans nos chansons de
geste. L'auteur a été sans doute embarrassé par l'emploi qu'il
avait déjà fait du nom de Baldovino pour désigner le frère
d'Algiron. Aussi lorsque Roland, à bout de forces, demande
avec instances quelques gouttes d'eau, ce n'est plus à son frère,
mais à l'archevêque Turpin, qu'il s'adresse'. On a, par com-
pensation, Thistoire du fils d'Olivier, Galeant, et l'on ne sau-
rait blâmer l'auteur d'avoir utilisé une des plus heureuses va-
riantes de la Chanson de Roland.
M. Rajna, se fondant sur ce que Baudouin, fils de Ganelon,
se retrouve dans toutes les versions italiennes, tandis que,
d'après la Chanson, il a été laissé tout enfant en France, en
induit que l'introduction de ce personnage dans le combat
est due probablement à l'âge franco-italien •'. La première idée
appartient cependant à la Chronique ; et, dès lors, si l'on songe
que Turpin n'a rien inventé en matière de narration épique,
ne peut-on pas supposer qu'il emprunte cet emploi du per-
sonnage de Baudouin à une version de la Chanson de Ro-
land?
Dans la Spagna en vers, il n'est point parlé de Baudouin
dans l'entretien de Marsile et de Ganelon, et c'est Falserone
qui a l'idée de faire épargner le jeune chevalier. Il avertit ses
barons que Baudouin porte sur son vêtement un faucon d'ar-
gent sur champ d'azur : ce sont les armes de la lignée de
Griff'es de Hautefeuille. Dans le Morgante, c'est Ganelon qui
songe à la sûi'eté de son fils et en fait une des conditions de
son pacte avec Marsile. Le roi sarrasin lui donne sa propre
1 C. xxxvu, p. 127. — 2 G. LUI, p. l'Jl, — •' Rotta di Ronc, p. 81.
232 RECHERCHES
soubreveste, qui empêchera que Baudouin ne soit confondu
avec les autres chrétiens. Dans ce poëme, Roland n'a pas de
lui-même la pensée de conseillera Baudouin de changer d'ar-
mure. Il rencontre Buiaforte, fils de son ancien ami le Vieux
de la Montagne, qui lui apprend quelle trahison a été ourdie
parGanelon, et lui explique pourquoi Baudouin est épargné
par les Sarrasins.
A propos de la Chronique de Turpin, et sur le point de n'en
plus parler, me passera-t-on d'essayer d'y retrouver l'expli-
cation d'une difficulté qui a jusqu'ici embarrassé les critiques?
Le chiffre des soldats que Charlemagne confie à Roland est de
20,000 dans la Chanson^ et dans la Chronique -. Dans V Entrée
de Spagne, cette troupe est fournie par le Pape, ce qui peut
résulter d'une confusion entre les 20,000 soldats de Roland et
les 20,000 autres que le préfet Constantin amène de Rome.
Mais, dans les récits italiens, on trouve le chifi're de 20,600
{Spagna en vers et en prose) et de 20,666 [Viaggio). Le se-
cond nombre n'est qu'un exemple de cette précision d'abord
sérieuse, puis ironique, qui caractérise le roman italien; mais
il n'en est pas de même du premier. Je n'y verrais pour ma
part que le résultat d'une mauvaise lecture. L'on peut admet-
tre que, dans l'expression «cum viginti millibus Christiano-
rum»,ron ait écrit l'abréviation m?'lbus de telle sorte que le b
ait été pris pour un v ou v, et que le signe représentant us se
soit confondu avec le signe !<=. Dès lors on aura cru lire cujn
viginti mil W^ .
Le roman chevaleresque italien du moyen âge aboutit au
Morgante de Pulci; c'est l'œuvre d'un lettré, et dès lors l'épo-
pée populaire cède la place aux inventions plus brillantes,
mais moins sincères, des poètes de cour.
Parmi les motifs que Pulci tient de son devancieranonyme",
l'auteur de VOrland», il en est un, celui de la femme guer-
rière, dont il n'a pas été parlé jusqu'ici. C'est qu'en effet, dans
nos chansons de geste, on ne rencontre pas de châtelaine qui
songe à revêtir une armure et à courir le monde. La Galacielle
àeV Aspramonte est-elle l'aïeule de toute cette famille où bril-
lentBradamante, Marfise et Clorinde? Boiardo et Arioste sem-
IV. 789. — 2C. XXI.
SUR LES CHANSONS DE GESTE 233
blent le reconnaître en lui donnant pour enfants Mai^flse et
Roger'. Sans doute en Italie les réminiscences classiques sont
chose ordinaire, et Penthésilée, Camille, Tlppolita de la Te-
seide, sont sûrement les personnages auxquels les poètes de la
Renaissance songeaient le plus, quand ils jetaient leurs hé-
roïnes dans la mêlée des batailles; mais le moyen âge italien
avait eu aussi des amazones, telles que Meridiana et Antea,
Dans une des suites à'Aye d'Avignon, dans le long roman de
Tristan de Nanteuil, nous vojons Aye, déguisée en chevalier
sous le nom de Gaudion, combattre longtemps dans les rangs
des païens-.
M. Rajna n'accepte pas l'idée émise par P. Paris ^, qu'Ayc
déguisée en chevalier pourrait bien être le premier exemple
de la femme guerrière dans la poésie romanesque. Il distingue
la femme guerrière et la géante*. L'origine de ce tjpe ne me
semble devoir être rapportée à aucun personnage déternjiné.
La chanson de geste tournant de plus en plus au roman, et
les guerres perdant leur gravité primitive pour ressembler à
de simples tournois, les dames, qui sont l'occasion de la plu-
part des querelles, devaient finir par descendre dans l'arène
ou bien se risquer, elles aussi, en quête d'aventures. L'héroïne
du roman est une forme gracieuse du chevalier errant. Les
armures des vieux seigneurs féodaux étaient trop lourdes pour
des châtelaines, et la femme de Beuves d'Aigrement, comme
la femme de Renaud, ne parlent de la guerre qu'avec effroi.
Je voudrais résumer en quelques mots la pensée qui me
paraît se dégager de ces recherches. De l'épopée française
à l'épopée italienne, il n'y a pas de solution de continuité; le
genre se modifie suivant le talent des auteurs et en perdant
insensiblement de sa variété primitive; mais, jusqu'au seuil de
la Renaissance, le roman populaire italien s'applique encore à
rester fidèle à ses origines françaises et ne s'en sépare qu'à
son insu. Au fur et à mesure qu'augmente le nombre des com-
* Orl. hviam., 1. II, c. i, ott. 70-73 ;1. III, o. v, oit. 24 s. Cf. Rajaa, Fonti
deir 0. F., p. 44-45, 447-453.
^ M. P. Meyer, préface de Gui de Nanteuil, p. xix.
■' Histoire littéraire, xxvi, p. 268.
* Fonti deW Orl. Fur,, p. 41-43.
234 RECHERCHES
positions, il devient plus malaisé d'y démêler la part de Fan-
cien et du nouveau, parce que chacune d'elles est à son tour
l'objet de remaniements et le point de départ d'imitations i)lus
ou moins originales, et un fait semblable s'était produit en
France dès la seconde époque de notre poésie narrative. Mais,
tout compte fait, il est peu de données générales, ou même de
détails intéressants, dont l'on ne puisse retrouver l'origine ou
des exemples dans des œuvres françaises.
ADDITIONS
LE MANUSCRIT 766.
Ce manuscrit (ancien 7183) contient le Maugis (T Aigremonl
et une version de l'histoire des Fils Ajmon. Le Maugis, qui
n'est pas suivi du Vivien, est complet, sauf une lacune consi-
dérable (v. 278-444 du texte de Montpellier), et contient en-
viron 8,000 vers. Le texte de Montpellier est écourté en nom-
bre d'endroits, mais me paraît en général donner une leçon
plus ancienne. Les circonstances m'ont empêché de consulter
à temps le texte de Paiis. Je cite l'endroit où est raconté com-
ment Esclarmonde adopte Vivien [F° 3, r° /j]:
Ele reçut l'enfant dcdenz sa geroniiée.
La dame l'esgarda qui fu preuz et senée,
Onques si bêle rien el mont ne fu trouvée.
« Par Mahommet, dist ele, qui mainte ame a sauvée,
» 11 vivra longuement, n'i a mestier celée.
» Or ait non Vivien par bone destinée. )>
Ainsi li a mis non, c'est vérité provée.
Vivien fu clamé tant com il ot durée.
Tant vescu longuement que il l'ot espousée.
Quant Maugis ot la teste à Sorgalant coupée
0 le brant acerin, soz Mêlant eu la prée,
Fu la dame et s'anor à Vivien donnée.
La généalogie donnée par Oriande contient seulement les
SUR LES CHANSONS DE GESTE ?35
noms suivants : Beuves, Girard de Roussillon, AjmesdeDor-
donne, Guion de Nanteuil {sic), Otes de Polise, Hernaut de
Monder; mais j'y relève une bonne leçon:
0 vous passa le Far sans nef et sanz dromon.
Le texte de Montpellier donne la mer, et a supprimé plus
haut l'itinéraire qu'a suivi l'esclave en se dirigeant vers la
Sicile: Milan, Rome, Aspremont. De même, il abrège par trop
la fin du discours d'Oriande :
« Si vous oï plorer tôt sol sans compaignon
» El maillolet petit qui fu de grant renon,
» Et je vous emportai sor le mul arragon.
)) Soavet vous nom aval en ma meson
)) Tant qu'estes chevalier et as armez preudon.
» Mon cors et mon avoir vous ai mis à bandon,
)) Et or vous ai perdu, n'i ai recouvroison. »
Dans le ms. 766, l'on a, si je ne me trompe, un essai de con-
ciliation de la version du Beuves d' Aùjremont de Montpellier
et des versions plus anciennes. Voici le résumé de la partie
la plus importante.
Après la mortd'Enguerrand et de Lohier a lieu une longue
guerre ; puis la paix est accordée à Beuves et à ses frères.
Les traîtres, dont aucun n'est désigné par son nom, conseil-
lent à l'empereur de se venger de celui qui a tué son fils. Il ne
répond rien ; seulement, « tant ont prié le roi qu'il fontotroii-
son. » A cet endroit, le trouvère interrompt sa narration pour
parler des quatre fils Aymon. Ils étaient à Dordonne. Leur
mère leur dit que la paix est faite entre leur père et l'empe-
reur, et leur conseille d'aller à la cour servir Charlemagne. Ils
prennent de beaux vêtements et se présentent à Charles, qui
leur oiîre de les faire chevaliers.
Le jour suivant a lieu l'adoubement de Renaud et de ses
frères. Après une quintaine où Renaud se distingue entre tous,
on rentre à Paris, et le vaillant chevalier distribue de riches
présents.
Cependant les traîtres sont allés à la rencontre du ducd'Ai-
gremont. Le combat a lieu dans les prés sous Bordeaux. Ga-
nelon n'y joue aucun rôle : Griftes de Hautefeuille est seul res-
ponsable du meurtre.
236 RECHERCHES
Pendant que l'on tuait son époux, la duchesse racontait à
ses fils Maugis et Vivien un songe qui Tavait effra3'ée.Maugis
promet que, s'il arrive malheur à son père, il saura le venger.
Arrive le corps. La duchesse s'évanouit. Les messagers disent
ce qui s'est passé et ajoutent ce détail, emprunté à la version
ancienne, que les traîtres ont coupé la tête à leur victime.
On rend les derniers honneurs au duc, et Tévêque tâche de
consoler la duchesse; mais ses deux fils avertissent Girard
(le Roussillon, Tout à la fois, on apprend à Paris la nouvelle de
la mort de Beuves, et Charles reçoit un messager de Girard
qui lui déclare une guerre implacable. Cette guerre néanmoins
est à peine indiquée, et la paix est conclue. Puis Charles tient
sa cour à Paris. Les fils Aymon y viennent, tout en se promet-
tant de venger leur oncle. On joue aux échecs. Bertelès et
Renaud jouent ensemble. Le premier s'irrite, insulte Renaud
dans les termes que l'on sait et le frappe. Mal reçu par Char-
lemagne, Renaud proteste et rappelle la mort de Beuves:
entre lui et Charles il n'y a pas eu d'accord. L'empereur le
frappe au visage, Renaud s'éloigne, rencontre Bertelès et
le tue. Un combat violent s'engage, et les fils Ajmon peuvent
fuir. On les poursuit: Alard, Guichard, Richard sont jiris et
seraient pendus, si Aymes n'obtenîiit qu'ils soient enfermés
dans une charlre où, mal nourris, ils ne pourront vivre long-
temps. Cependant Renaud a rencontré Maugis, et celui-ci, par
un enchantement, tire ses cousins de prison.
Ce remaniement dérive de celui de Montpellier, mais ne le
vaut pas, bien que l'auteur du Rinaldo s'en soit inspiré.
ORIANDE
Ce nom me paraît emprunté à celui que porte, dans le
Mainet, la belle Sarrasine qui deviendra l'épouse de Charlema-
gne: Orionde Galie, La fille de Galafre connaît les arts, sait
prédire l'avenir et consulte le ciel dans un miroir magique.
Plus tard, le nom de Galienne sera attribué à une fée, dans
Gulien le Rhétoré. Peut-être le miroir que Galienne consulte
pour connaître le passé et l'avenir, est-il l'origine du procédé
que Marsile emploie, dans V Entrée de Spagne, pour savoir de
SUR LES CHANSONS DE GESTE Î37
quel côté Charleraagneva conduire son armée. Y. liomania, lY,
l'article de M. G. Paris sur Mainet, p. 311, 312, et l'article de
M. Rajna sur Ogier le Danois, p, 416. Ce nom d'Orionde se-
rait-il la marque de l'application aux Enfances de Charlemagne
d'une variante des légendes germaniques sur Œrwandil et
Orendel? V.Simrock, Deutsche Mythologie, 4"^ édit., 245-247.
Errata
P. 76, 1. 22, lisez : mulet misaudour ; 92, 1. 29, lisez: essayé de
détourner ; 95, 1. 20, corrigez : et [ert] de sa maison ; 96, v. 8, corri-
gez : sorpelis ; 102, v. 9, rétablir: mez ; v. 19, lisez : Bien sai chanter ;
V. 24, le nis. 766 donne: Ne fust une desteches o moi fust le sejor,
corrigez : ne fust mie d'esteches ; 108, v. 3, lisez : Si l'aiez (habeas) ;
1 13, V. 1 1, lisez : par; 122, v. 1, supprimez : [le] ; 123, v. 45, corrigez :
Acui[t]ié ; 132, v. 16, lisez : Quer il n'en sevent pas; 133, v. 20, l'en
aoure; v. 49, supprimez : [s] ; 134, v. 79, 135, v. 95, 162, v. 1077,
lisez : entre si c'; 134, v. 82, lisez : ques guie ; 136, v. 135, Beneeite ;
137, V. 182, pautonniere ; 139. v. 241, supprimez : n' ; 139, v. 252, sup-
primez : dans ; 146, v. 508, lisez : lors fu ses deus couraus ; 152,
V. 710, plus que soi cart; 153, v. 733, trenchie ; v. 753, Qui l'atendra;
154, V. 765, acherins ; 156, v. 859, corrigez: e[n]s u grant fereis ; 157,
V. 881, lisez: l'en; v. 885, corrigez : voit; v. 887, lisez: en son; 168,
V. 19, cor rigez : du. Mans conte Huon; 171, v. 16, lisez: chen soi de
vérité; v. 18, s'el ; 174, 1, 1, lisez: autre.
15
VARIÉTÉS
DIE XIII JUNII M.IIIl" LV*°. REQUESTA REDDITA DOMINIS CONSU-
LIBUS PER HONESTUM VIRUM LUDOVICUM d'aNDREA'.
IHS
Espausa per davantvos, messenhoslos cossolsde la présent
villa de Monpellier-, Loys d'Andréa que en Fan m cccc xlvii,
per ordenansa de S"". Jaques Cuor, allora argentier e con-
selhier del rej nostre senhor, e de voluntat e consentiment de
vostres predecessos, merchans e habitans vostres, e aquels
consentens e non contradisens, fonc ordenat de far fajre una
logia en la présent villa de Monpellier e en la plassa comuna-
mentapellada las Taulas, e parelhament una fontajna de foras
la présent villa, près de la glieysa dels Carmes, apelada la Font
Putanella; laqualla logia e fontajna se dévia fayre de serta-
nas grassias o remessions que lo dict Jaques Cuor avia pro-
mesas de far donar per lo Rey nostre senhor alla dicha villa,
sobre la cotta e porsion toquant alla villa tant de las talhas
precedens que aquellas a venir ; es ansi que, per comensar los
dict[s] obrages e aquels a finir, lodict Jaques Cuor, avent totta(s)
poysansa, hordenet al dict spausant, loqual era luoctenent de
[1 Ce documeat, concernant la Font Putanelle (Cf. Revue IV, 142), nous a
été communiqué par M. Adolphe Ricard, qui l'a extrait autrefois des archives
municipales de Montpellier (aujourd'hui portefeuille DD). Outre l'intérêt histo-
rique qu'il reçoit du nom de l'homme illustre qui s'y trouve mentionné, il en
offre aussi un autre, simplement philologique, que dos lecteurs apprécieront;
c'est d'être un échantillon authentique du dialecte de Montpellier et de la gra-
phie de ses notaires, au milieu du XV siècle. — Cet article était composé, —
texte et note, — et prêt à paraître dans notre n» de juillet, quand nous avons
appris que M. le docteur Coste allait publier de son côté le même document
eu appendice à un travail important sur les fontaines de Montpellier. Ce tra-
vail a paru dans le dernier Bulletin de la Société languedocienne de géo-
graphie, et on y lit en effet noire document. Nous n'avons pas cru cependant
devoir sacrifier ces trois pages, dont l'intérêt reste entier pour ceux de nos
lecteurs qui sont étrangers à la Société de géographie. — Féd.]
- En abrégé : 77ioplr, avec Vo surmonté d'un tilde, et 1'/ barrée. De même
plus bas. Peut-être vaudrait-il mieux lire Monpeslier
VARIETES 239
Johan de Casaus, ressebedor partiqular en la diocesa de Ma-
ghalona, que dels denyes de sa receppta paguessa e contentessa
tott so que saria necessari toquant los hedifflsse[s] de la dicha
logia e fontayna, per la parelha somma recobrar de la villa, a
causa de lurs grassias o remessions, lasquals se ténia segur de
obtenir ; e en ayssindas es estât acomplit per lo dict spausant,
sans aver alcuna seghurtat, se non tant solament las paraulas
del dict Jaques Cuor, ont la causa es estadaperilhosa. Mays
alla pressutta e gran diligensa del dict spausant, tant per sa
seghurtat que de la villa, affac sercar aquellas grassias o re-
messions, que perlo dict senhor se desia estre autregiadas alla
présent villa, an gran cost e despens, lasquals atrobadas affac
levar per lo secrettari e de aquellas ne a rendut conte en la
cambra dels conte[s]. Een' las dichas lettras de grassias eracon-
tengutt que aquel que faria receppta saria tengut en rendre
conte ali huffissies reals e reliqua e averaquit de vos, messen-
hos, o precuros vostres, coma plus a plem se pot veser per las
dichas lettras.Es entrevenghut que monss'lo precuror gêne-
rai perlo reynostre senhor, comessari sobre la receppta e des-
pensa de la présent logia tant solament, estant en la présent
villa de Monpellier, a compellit lo dict espausant de en ren-
dre conte per davant el, tallament que se es atrobat per final
conte estre débita de cccxx f. xii s., de laquala somma lo dict
spausant avolguttrebatrelasommade cmixxvf. xii s., a causa
de la despensa fâcha alla dicha Font Putanela, laquala somma
non a volgutt amettre, disent que alla villa apertenia de o pa-
ghar e que la dicha resta apertenia al rey a causa de la plassa.
Item talament es estât procesit avant que righorosament et de
fact,per capption de personnae de bens, es estât compellit lo
dict espausant a delieurarebaylar a monss'^Otto Castelan, ar-
gentier e conselhier del dict senhor, la dicha somma de cccxx
f. XII s.; per lasquals causas lo dict espausant s'es complant a
vostres predecessos e despoys a vos autres, tant a causa de
la dicha fontayna que dels haquitz de las dichas grassias, e far
complimentai paghamen(s) d'aquelas,dont per vostres predeces-
sos et per vos autres, messenhos, es estatt reffusuns o delaj'ans a
son gran pregiudisse e dannage.Eperque a el non puoscaestre
1 iMs. ?ie.
240 VARIETES
enputat, per temps endevenidor, que lo ben e utilitatde la villa
e causa publica que a sa estansia sia estada lesida e agravada
per los pregiudisses [que] en poirian seguir,vos suplica que vo
plasa de lo far contentar so que ly es degutt de resta de las
dichas grassias, affln de vos faj're vostras quitansas. E pare-
Ihament que el sia quitat de las dichas grassias e ajsso a con-
fermation vostra, a causa de vostre dret que aves eu la dicha lo-
gia, e d'altra part, atendutt non aves volgutt défendre ne prene
degun carghe a causa de la dicha fontajna e que ella reman
alla villa e a servitut d'aquela e comuna a hung cascun,tant ha-
bitaus que strangies, que vos plassa de Ij paghar la dicha soma
de c un XXV f. xii s., que monta la dicha despeiisa an tottz dans
e enteresses. Car non es rasonàble ella sia sobre el ne del
sieu 0 degia paghar. E en aquesta e en totas altras causas vos
plassa de donar talla provesion que el non agia causa de estre
malcontent de vos autres. Altrament, en cas que per vos, mes-
senhos, fosses en aysso reffusant o delayans, protesta contra
vos autres e contra la comunitat e bens d'aquela, en la mjlhor
forma e maniejra que de justissia pott ne deu,e de averrecors
aquiont apertendra assa seghurtatperlas causas sobredichas,
e d'aysso vos en demanda a vos, nottari, estre fac esturment
public. — En la presensia de vos testimonis ayssi presentz.
Datum pro copia originali per me J, Sici not. (Seing
du notaire).
COPIA DE LA RESPONSA QUE FAN LOS SENHORS CONSOLS A LA
CEDULA DESSUS.
Vistaper messenhors los consols de la présent villa de Mont-
pellier certana requesta, renduda et baylada per lo honorable
home S"" Lo^^s d'Andréa, borges de ladita villa, et aquela re-
questa consultada ara plusors senhors doctors borgeses licen-
tias e merchans habitans de ladita villa, respondon losdits sen-
hors consols, per délibération del conselh dels dits senhors, a
ladicharequesta, en laformaetmanejra que s'en sec. Permiey-
rament quant au regart de la Font Putanella, per la reparaciori
ethedefticacionde laqualapretentlodich d'Andréa aver despen-
dut la somma de cini xxvf. xii s., laquala somma demanda et
(
VARIÉTÉS 241
requier a luy estre pagada per la villa, car dis que ladicha fon-
taina es de la villa et a l'asatge de la villa, respondon losdits
senhors consols, am deliberacion que dessus, que ad els non
par ponch que lodich d'Andréa aia jamais agut mandament
de lurs predecessors senhors consols, o de la vila. de far la
reparacion pretenduda, laquai reparacion es estada volunta-
ria. Perque aia recors lodich S'' Lojs d'Andréa contra aquel o
aquels que Tan fach far aquela despensa. Totas vetz losdits
senhors consols se hueffron que, al cas que ad els sia remonstrat
que lodich d'Andréa aia avut mandamen de la villa de far la
pretenduda reparacion, que els faran so que fai- deuran per
rason et justissa. En après quant al regart de la quictansa o
certiffication, que demanda lodich d'Andréa luj estre fâcha
per losdits senhors consols de las gracias lasquals preten avei-
convertidas en hedifficacion delà logia, respondon losdits sen-
hors consols, am deliberacion que dessus, que els non podon
ne devon far quittansa o certiffication de so que non sabon ne
lur appai' en alcuna raanieyra. Perque, rendutz que sian los
comptes de ladita lotga et vist aquels per losdits senhors con-
sols, tant sus la requesta de las dichas gracias coma sus la
despensa de ladichalotga, etpostquamreliquafueruntrestituta,
losditz senhors consols faram so que de drech et per rason far
deuran. Non consentons en alcuna manieyra a las protesta-
cions faittas en ladicha requesta tant que poyrian prejudicar,
e d'aisso demandan a vos, notari, estre fach e retengut instru-
ment public.
Die XXIII junii miiii'^ lv . . .magistri Jacobi Alaroti et Medici
tradiderunt supradictam responsionein mihi Johanni Cicj no-
tarii ad fines inserendi in instrumente requeste.
THÉODORE AUBANEL
« Aujourd'hui, s'écriait Mistral en adressant un dernier
adieu à la dépouille mortelle d'Aubanel, aujourd'hui, ô Poé-
sie! ô Provence ! ô ville d'Avignon ! vous pouvez prendre le
deuil ! )) Et la foule qui l'entourait s'associait par ses larmes
à ces éloquentes paroles. C'était bien là un deuil universel :
une ville entière attestait par sa douleur que la mort venait
de frapper un de ces coups qui font dans le monde des vivants
un vide que rien ne saurait remplir.
Théodore Aubanel était, en effet, un de ces poètes chez qui
l'art et le sentiment personnel sont si intimement unis que,
pour eux, on ne saurait séparer l'œuvre, de l'ouvrier lui-même.
La note que ces inspirés ont fait entendre, tout en laissant
après elle un écho qui ne se tait plus, ne saurait plus être re-
dite, parce qu'elle était une portion même de leur âme, de
leur cœur et de leur vie. On a voulu, pour donner une idée
de sa poésie, le rapprocher de Pétrarque et d'Alfred de Mus-
set ; ces rapprochements ne sont guère fondés que sur une
vague similitude entre les sujets de leurs œuvres: Aubanel
fut, comme eux, un de ces poètes de la tendresse et de l'amour
qui demeurent chers à tous ceux qui lisent à l'âge où le cœur
s'éveille, parce qu'ils expriment, avec ce charme qui est le
privilège de l'art, un des sentiments les plus puissants et les
plus universels de l'homme. Mais les délicatesses ingénieuses
de Pétrarque et l'ironie blasée d'Alfred de Musset contrastent
avec la passion naïve, intense et d'instinct, qui déborde chez
Aubanel. Ce qui fait la force de cette passion, c'est qu'elle n'a
pas ou à subir l'usure de l'expérience: c'est par là qu'elle est
originale, parce qu'elle est, s'il est permis de m'exprimor ainsi,
saisie au moment même où elle s'échappe brûlante du cœur,
avant qu'elle se soit refroidie au contact de la réflexion.
Pour la rendre, cette passion, comme l'a fait ce primitif du
sentiment qui était en même temps un maitre ciseleur de l'ex-
THEODORE AUBANEL 243
pression et un coloriste inimitable, il lui fallait ce qui man-
que à ses devanciers : une chasteté, non pas donnée par la
nature ou restituée parles épreuves, mais imposée par la vo-
lonté; une chasteté qui n'est défendue et sauvegardée que
par des combats de chaque jour. Ce n'est pas d'aujourd'hui
qne les critiques ont pu remarquer que la passion n'est ja-
mais rendue avec une intensité plus puissante que par ceux
qui ont passé leur vie à en triompher. Mais, s'il fallait une
preuve de cette vérité, on la trouve éclatante dans l'œuvre
tout entière d'Aubanel.
Il était logique que ce poëte d'instinct eût recours, pour
chanter, à une langue que le travail de la réflexion n'a pas
encore raffinée en la subtilisant. Né dans une famille qui était
fixée à Avignon depuis plus d'un siècle, héritier de plusieurs
générations d'imprimeurs justement considérés, vivant dans
le milieu de la bourgeoisie notable d'une ville importante, il
semblait moins naturellement destiné que Roumanille, le fils
du jardinier de Saint-Rémy, ou Mistral, le fils du propriétaire-
cultivateur de Maillanne, à choisir pour langue poétique la
langue des paysans. Tout le monde sait que c'est à Roumanille
que revient l'initiative de la restitution de la dignité littéraire
des idiomes de la langue d'oc. Aubanel fut des premiers à
s'associer à ce mouvement de renaissance; il collabora au
recueil intitulé li Prouvençalo et figura parmi les sept poètes
provençaux qui, à Font-Segugne, fondèrent le félibrige. C'est
que, des premiers, il avait deviné quel instrument nouveau
ces idiomes, rappelés à la conscience de leur valeur littéraire,
apportaient à la poésie dans tous les genres et sous toutes ses
formes ; c'est que lui, qui avait senti dans ses premiers es-
sais en français quelle difficulté il v avait à serrer de près
la nature dans la langue que trois siècles de trituration litté-
raire avaient usée, il comprenait combien mieux le génie de
l'idiome provençal correspondait à la nature de son émotion
poétique; et, laissant de côté ses ébauches d'écolier écrites
en langue française, il révéla dès son début un maître dans
la langue provençale.
Ses premières pièces se retrouvent en partie dans le se-
cond livre de la Miôugrano : rEntre-lusido. On y retrouve la
même langue pure et sans recherche, le même instinct de
244 THEODORE AUBANEL
la poésie pittoresque, le même sentiment des harmonies et
de la puissance de la couleur, que dans les chefs-d'œuvre qui,
depuis lors, ont consacré sa renommée. Mais on n'y voyait
pas encore apparaître le fonds propre dans lequel était pui-
sée cette poésie si sincère : le cœur du poëte lui-même. C'est
dans le premier livre de la Miôugrano que cette poésie, si vi-
vante dans la forme par la mise en action du sujet et l'inten-
sité de la lumière, se dévoila avec ce caractère de subjecti-
vité intime qui lui prête un charme si attrayant.
On connaît l'histoire des origines de ce livre. Aubanel, ar-
rivé à l'adolescence, avait vécu à côté d'une jeune fille dont la
beauté et les grâces innocentes exerçaient sur son àme une
influence souveraine. C'était dans le milieu même où la poésie
nouvelle renaissait dans tout son éclat que ces relations de
tous les jours l'attachaient si fortement, et sans qu'il en eût
conscience, à cette amie de sa jeunesse. Un amour ignoré de
tous et de lui-même grandissait dans son cœur, et la vérité
ne lui fut révélée que par un coup aussi irréparable qu'im-
prévu. Zàni était devenue fille de la Charité et partait pour
l'Orient, où elle allait, appelée par une vocation irrésistible,
devenir l'humble et fidèle servante des pauvres, des malades
et des orphelins. Le même jour il sentit qu'un amour profond
s'était emparé de son âme, et que cet amour était sans es-
pérance. Sept ans il pleura de cette douleur qui ne pouvait
avoir de remède, et, comme l'a dit Mistral, « lou rcgounfle de
soun amour de liuen en liuen gisclavo en un desbord de poueûo.
Avie près per deviso : quau canto, soun mau encanto, e chasco
fès que lou regret ie trasié 'no lancejado, lou paure drôle trasié
^no plagnitudo. »
Ce sont ces plaintes, continue le confident de notre poëte,
ces jets poignants d'amour, qu'à la prière de tous ses amis
Théodore Aubanel se décida enfin à publier sous ce titre :
le Livre de V Amour, le premier des trois livres de la Miôu-
grano enlreduberlo.
Outre lou Libre de l'Amour et VEntrelusido, la Miôugrano
se compose d'un troisième livre : lou Libre de la Mort. Dans
l'amertunio de sa douleur, Aubanel se tourna vers tous ceux
qui souffraient ici-ljas, et «flagella en vers âpres et mordants
tous les instruments du sort inique, toutes les tyrannies de
THEODORE AUBANïïL 245
ce monde. » Dans une série de tableaux chargés d'ombre et
de mélancolie, il retraça les infortunes qui tenaient ici-bas
compagnie à sa souffrance ; la plupart de ces tableaux ont
une renommée qui dépasse même les limites du territoire de
notre langue. Il n'est pas une anthologie de la littérature
méridionale, publiée en Italie, eu Allemagne, en Espagne,
oi\ iou 9 Thermidor, par exemple, n'occupe une place d'hon-
neur.
La publication de la Miôugrano entreduberto eut un reten-
tissement considérable. Désormais, la renommée plaça à la
tête de la renaissance provençale une trinité indivisible :
Roumanille, Mistral, Aubanel. On ne s'attend pas à trouver
ici un parallèle entre ces trois maîtres; nous nous bornerons
à dire que chacun d'eux a des mérites et un génie qui lui
demeurent propres; mais que si la meilleure part, sinon la
plus haute, est réservée, au sein des admirations de ce monde,
à ceux qui pénètrent le plus profondément dans le sanctuaire
intime d'où jaillissent les sources vives de la tendresse et de
l'amour, Aubanel n'a pas eu à se plaindre de sa destinée lit-
téraire.
Aubanel conquit de bonne heure sa place dans la poésie
contemporaine, même auprès de l'aréopage tout-puissant qui
exerce en France le ministère de la critique littéraire. Son
œuvre tout humaine ne présente pas, comme les œuvres du
père et celles du chef du félibrige, ce caractère militant qui
a excité contre eux des luttes et même des révoltes. La lan-
gue provençale est pour eux inséparable de la Provence, de
son passé, de son avenir; chez Aubanel, elle apparaît surtout
comme un instrument poétique, celui qui convient le mieux à
son tempérament de poète et qu'il impose à ses lecteurs par
l'excellence même des œuvres qu'il permet d'exécuter. Essen-
tiellement artiste, accessible aux impressions de l'art sous
toutes ses formes, subissant toutes les préoccupations artis-
tiques d'une époque où l'art s'est fait une si grande place
dans le monde, amené par cela même à se mêler au milieu
parisien, où les questions d'art sont agitées dans une com-
plexité qui va jusqu'à la confusion, Aubanel avait beaucoup
d'amis à Paris, et, comme ses poésies ne soulevaient d'autres
problèmes que ceux qui sont uniquement du domaine de l'art,
246 THEODORE AUBANEL
on l'y admira pour son talent, en voulant bien ne pas lui
faire un crime de l'avoii' tel qu'il l'avait. Cette critique, re-
belle à la résurrection de la langue provençale, qui a si sou-
vent réédité les objectio:;s patriotiques les plus fantaisistes
et répété les calomnies philologiques les plus banales, et qui
n'a enfin été réduite au silence que depuis bien peu d'années,
cette critique malveillante de parti pris désarma de bonne
heure devant la sympathie universelle qui faisait accueil à
Aubanel. — Théophile Gauthier le salua grand poëte et maître
dans l'art de la couleur et de la forme ; Alphonse Daudet, qui,
né parmi les félibres, n'a pas toujours émoussé pour eux la
pointe de ses épigrammes, n'a eu pour lui qu'une affection
sans défaillance, a Quand je sens s'éteindre en moi le senti-
ment de la lumière, je relis li Fabre, et il se rallume soudain
à cette flamme incandescente », disait un jour un des maîtres
de notre jeune littérature. Quel plus bel éloge pourrait rêver
le coloriste le plus ambitieux !
La Revue des langues romanes eut la bonne fortune de faire
connaître au public un grand nombre de petits poèmes ex-
quis, que Théodore Aubanel a composés depuis la publication
de la Miôugrano. Quelques autres ont paru çà et là dans di-
vers recueils, avec l'autorisation de l'auteur ; mais la publicité
du livre ne leur a pas été accordée. Ces poëmes cependant
sont nombreux, et le talent d'Aubanel y apparaît avec une ma-
turité puissante. Le sentiment de la couleur y atteint une in-
tensité que nul n'a dépassée, et on pourrait dresser une liste
de ceux qui méritent, sans qu'on puisse nous taxer d'exa-
gération, le nom de chefs-d'œuvre. Plusieurs, bien qu'inédits
ou presque inédits, ont acquis une réputation qui n'est due
qu'au souvenir ineffaçable d'une audition fugitive. La Venus
d'Arle, la Venus d' Avignoun, li Fabre, li Noço de fio, etc., etc.,
sont des modèles achevés de poésie, où l'émotion revêt une
forme vivante, poussée jusqu'à l'action dramatique, et où
l'imagination est parée de couleurs éblouissantes.
Aubanel avait réuni la plupart de ces poëmes en recueil.
L'Imprimerie centrale du Midi avait imprimé ce recueil sous
le titre : li Fiho d'Avignoun (1885). 11 n'était pas destiné au
public, mais seulement aux amis de l'auteur, et chaque exem-
plaire portait le nom de celui à qui il était destiné. Bien peu
THEODORE AUBANEL 247
de ces destinataires ont reçu l'exemplaire imprimé pour eux.
Des scrupules sur lesquels nous n'avons pas à porter de ju-
gement déterminèrent Aubanel à suspendre la distribution
des Fiho d'Avignouyi. Mais ces scrupules tenaient à des con-
ditions que la mort du poëte a fait disparaître, et il y a lieu
d'espérer que, d'un commun accord, tous ceux qui ont des
droits sur la publication des poésies d'Aubanel auront à cœur
de restituer dans sou entier l'œuvre du poëte. Cette œuvre
comprend, outre ta Miôugrano et li Fiho d'Avignoun, des poé-
sies encore absolument inédites, comme la chanson qui a ce
refrain :
Li jjàuri vièi
Que soun en purgatôri
Espinchoun de sa bôri
Li jouine que soun rèi ;
tableau endiablé de jeunesse et de folle joie, qui semble avoir
été peint avec le pinceau puissant d'un Rubens. Cette œuvre
comprend en outre les drames d'Aubanel, et ces drames en
constituent une des parties les plus saisissantes.
Aubanel a écrit trois drames : lou Pastre, que l'on nomme
quelquefois Cabrai, du nom de son personnage principal ; lou
Pan dôu Pecat et lou Raubatàrï.
Lou Pastre est un drame bizarre et étrange, qui a pour cadre
ces hautes solitudes alpestres où des troupeaux nombreux
paissent en paix loin de toute autre figure humaine que celle
du berger qui les garde ; il met en opposition, d'une part, un
pâtre sauvage, ignorant de toutes les lois des sociétés, livré
par la nature à l'impulsion de ses instincts qui ne connaissent
aucun frein, et, d'autre part, un type virginal déjeune fille
qui se donne la mort pour sauver sa pureté. C'est une sorte
d'idylle sauvage, touchante et furieuse à la fois, telle qu'à ma
connaissance il n'a jamais rien été ébauché de semblable.
Lou Pan dôu Pecat se conforme mieux aux perspectives de
la scène ; mais son originalité n'en est pas moins incontes-
table. Une jeune Ai'lésienne, habituée aux triomphes que rem-
portait sa beauté sur la beauté de ses compagnes, est amenée
par son mari dans une ferme, où désormais elle doit vivre
absorbée par les soins du ménage, au milieu de sa famille
248 THEODORE AUBANEL
prospère et à côté d'un époux qui l'adore. Au bout de quel-
ques années, les souvenirs de ces années brillantes que les
devoirs et les soucis de la mère de famille n'ont pu effacer,
ces souvenirs qui séduisent encore son imagination assou-
pie, viennent à se réveiller ; le premier galant qui se trouve là
leur donne un corps, et, comme par un coup de foudre, voilà
la jeune et modeste fermière livrée à la folie d'une passion
d'autant plus irrésistible qu'elle est comme le résumé de longs
regrets inavoués et injustifiables : l'épouse coupable aban-
donne sou mari et ses enfants et fuit avec son complice vers
ce pays qui sert de refuge à tous les criminels du midi de la
France. Le mari outragé poursuit les fugitifs; mais, quand il
les retrouve, le mépris et le dégoût l'envahissent, et, rayant
désormais du livre de sa vie celle qui a déshonoré son nom,
il ne songe plus qu'à une chose, effacer à jamais même son
souvenir et inspirer à leurs enfants l'horreur de celle qui les
a délaissés. A cette idée horrible, dans l'épouse adultère la
mère se retrouve soudain : elle accourt suppliante et, devant
le légitime et hautain mépris avec lequel elle est reçue, elle
cherche dans la mort un châtiment qui puisse expier sa faute.
Le sujet est de tous les temps et a figuré sur toutes les
scènes ; mais l'atmosphère de poésie inspirée et sincère où
flotte, pour ainsi dire, le drame tout entier; l'énergie de la
passion, la dignité du rôle du mari outragé et sa noblesse
rustique, le milieu provençal si vivant, la langue admirable
surtout, qui permet au poète, sans être infidèle aux exigences
de l'art, de toucher aux dernières limites de la réalité ; cette
langue qui porte, pour ainsi dire, sans fléchir, le poids d'an
réalisme qui eût écrasé un drame écrit dans un idiome moins
naïf et moins vivant : voilà ce qui fait le prix de cette œuvre
dont s'est occupée à maintes reprises la presse parisienne, et
ce qui lui valut un succès éclatant sur le théâtre de Montpel-
lier, où elle fut représentée pour la première fois, au cours
des Fêtes latines célébrées dans cette ville. Le souvenir de
cette représentation est resté gravé dans la mémoire de tous
les amis de notre renaissance méridionale.
Le comité des Fêtes latines avait résolu de jouer un des
drames d'Aubanel. Le poète, consulté, avait choisi pour être
représenté son troisième drame, lou Raubatàri, qui n'est qu'un
THEODORE AUBANEI. 249
remaniement du Pastre, remaniement où Ton n'a conservé
que le squelette de ce drame, en faisant disparaître ce qu'il y
avait de sauvage et de bizarre, mais aussi d'original, dans la
conception primitive. Celui des membres du comité qui était
chargé de préparer la représentation n'acceptait qu'avec re-
gret l'idée d'Aubanel : il connaissait les autres drames, il
savait qu'on ne pouvait faire affronter la scène à Cabrât, mais
il pria Aubanel de vouloir bien consentir à laisser représen-
ter lou Pan dôu Pecat. La permission fut accordée.
Il s'agissait de monter la pièce, et d'abord de trouver des
acteurs. Ce fut le félibre Arnavielle qui, avec le dévouement
et le feu qu'il met d'ordinaire au service de la causo, se char-
gea de cette mission, et elle n'était certes pas sans difficultés.
Avec le concours du félibre Gaussen, il chercha dans Alais,
qu'il habitait alors, parmi les admirateurs d'Aubanel (et dans
les jeunes adeptes du félibrige on sait s'ils sont nombreux),
des acteurs de bonne volonté. Gaussen se chargea du rôle de
Véranet; Laval, de celui du mari, Malandran. Il fallait trou-
ver une actrice capable de jouer le rôle de Fanette, rôle
écrasant, hérissé de difficultés et qui exige l'art des nuances
le plus consommé. Le hasard mit en présence du directeur
improvisé une de ces actrices qui jouent, sur les théâtres fo-
rains, les drames les plus touff'us du répertoire moderne après
deux ou trois répétitions. Etait-il croyable qu'une actrice ha-
bituée à toutes les exagérations de cette scène foraine pût
jouer, même d'une manière supportable, un rôle tel que celui
qu'on lui proposait? J'ai peine à concevoir comment la Mar-
guerite conventionnelle de la Tour de Nesle, ou la Lucrèce
hurlante au milieu des orgies des Borgia, pût devenir cette
Fanette que nous avons vue naturelle, modeste, touchante et
pudique encore, même dans les élans les plus abandonnés de
la passion. Ce problème n'admet qu'une solution : c'est à la
langue dans laquelle le drame est écrit que l'on doit faire re-
monter le mérite de cette transformation. M"*^ Robert était
Provençale ; après avoir usé tous les procédés de la conven-
tion banale dans l'improvisation de cette scène dévorante à
laquelle il faut chaque soir ses cinq actes nouveaux de drame
bourré de coups de théâtre; après s'être habituée âne con-
naître de la langue française que ce qu'il est d'usage qu'on en
250 THEODORE AUBANEL
extraye pour faire face à des situations étiquetées et classées
d'avance, tout à coup elle s'est trouvée transportée dans un
monde nouveau: un monde vrai, qu'elle connaissait depuis son
enfance, où l'on parlait un langage qu'elle ne pouvait ramener
à des formules de convention, et qu'elle sentait être le langage
d'êtres vivants et non d'abstractions dramatiques. Cette lan-
gue nouvelle lui a révélé un art nouveau, et, grâce à elle,
elle a compris le drame et l'a rendu avec un art et un tact
que je n'imagine pas qu'on puisse surpasser. Secondée d'une
manière remarquable par Laval, qui fit ressortir tout ce qu'il
y a de fierté simple et mâle dans le rôle de Malandran, et par
Gaussen, emporté et ardent comme un gardian de dix-huit
ans, elle assura le succès de la pièce.
Il me souvient notamment des appréhensions que causaient
à celui qui avait provoqué la représentation du Pan dôu Pecat
certaines scènes des plus passionnées du drame, notamment la
scène vi du second acte. « Jamais, disait-il àAubanel, cela ne
passera à la représentation. » Et Aul)anel, toujours facile, dans
samodestie, à recevoir des conseils, consentit à remanier la
scène. — Mais, au moment de la répétition générale, quand il
fallut jouer en suivant le texte nouveau, la troupe entière re-
fusa de l'adopter. «Nous avons appris le drame, dirent Laval,
Gaussen et M""^ Robert d'une voix unanime, tel qu'il était
écrit; nous l'avons compris tel qu'il était sous sa forme pre-
mière, avec ses emportements et ses coups do soleil, nous ne
pourrions pas le jouer autrement; qu'on nous le laisse tout
entier et sans y rien changer. » Et il fallut bien en passer par
là : le drame fut joué sans changement. Mais, quand on en vint
à la fameuse scène, le public sympathique qui jusque-là avait
manifesté à chaque instant son impression favorable, le public,
surpris tout à coup de cette audace nouvelle, qui semblait bri-
serles moules convenus, et qui se jetait en pleine vie, sans se
soucier des ménagements auxquels il était habitué, le public
tout à coup fit un silence profond, comme s'il s'interrogeait
pour savoir s'il fallait protester ou applaudir. Cette surprise
qui s'emparait d'une salle entière, ce moment d'hésitation
silencieuse qui révélait l'impression inconsciente de specta-
teurs désorientés dans la banalité de la marche ordinaire de
leur admiration, ne durèrent pas longtemps ; les applaudisse-
THEODORE AUBANEL 251
ments éclatèrent tout à coup, longs et retentissants, et, de-
puis ce moment jusqu'à la chute du rideau, ce ne fut qu'un
succès d'émotion et de larmes.
Aubanel avait gardé un profond souvenir de cette soirée.
Il était fier de ce succès, et ce n'était pas sans raison. Il est
malaisé de prédire l'avenir qui attend la renaissance proven-
çale ; comme l'a dit Mistral,
D'uno raço que regreio
Sian bessai li proumié grèu. . . .
D'un vièl pople fier e libre
Sian bessai la fînicioun.
Mais, en tout cas, lou Pan dôu Pecat a démontré tout ce
que peut, pour prêter à l'art des puissances nouvelles, l'in-
strument nouveau que lui a restitué cette renaissance dont
Roumanille a été l'initiateur, et dont Mistral et Aubanel de-
meurent les deux maîtres-ouvriers.
Lou Pan dôu Pecat, publié à un petit nombre d'exemplai-
res, portant chacun le nom de son destinataire, a été imprimé
parles frères Hamelin (1882), et, plus heureux que li Fiho
d'Avignoun, a pu être distribué. Mais il n'est pas parvenu jus-
qu'au grand public, et une édition des œuvres d'Aubanel qui
ferait connaître lou Pastre, lou Pan dôu Pecat et lou Baubatôti,
est attendue avec impatience par tous les amis de notre litté-
rature méridionale.
Les ennuis qu'avait causés à Aubanel cette publication in-
time d'une partie de ses oeuvres inédites, avaient développé en
lui le goût de la vie intérieure, qui était, du reste, un de ses
sentiments naturels. Sa famille et ses amis lui faisaient un
monde dont l'horizon étroit suffisait à sa modestie. Il trou-
vait à son foynr domestique le bonheur le plus complet, au-
près d'une épouse qui appartenait à l'une des familles notables
de Vaison, qui savait le comprendre et dont l'aff'ection absorba
toute sa vie : auprès de son fils, dont il voyait, avec une légi-
time fierté qu'il ne dissimulait pas, le caractère généreux et
ferme, se former sous ses yeux. Privé, par une mort préma-
turée, du concours que lui apportait son frère Charles dans la
direction de la maison Aubanel frères, il se faisait une joie de
transmettre à son neveu et à ce fils doué dès l'adolescence
252 THEODORE AUBANEL
des sérieuses qualités de l'homme mûr, cette maison dont la
vieille réputation recevait un nouveau lustre de sa gloire
poétique. Cœur d'enfant et cœur d'artiste, son âme avait tou-
tes les naïvetés et toutes les effusions qui attirent et enchaî-
nent la sympathie. Il était adoré de ses amis, et Tàmitié, chose
rare à ses yeux, était pour lui le plus précieux des biens ; il
en était pour ainsi dire affamé. Mais, de ce côté -là, il n'eut
rien à regretter; personne ne fut jamais tant et si bien aimé.
Il était devenu à Avignon le centre d'une réunion d'hommes
distingués, qui se réunissaient à des époques périodiques et
qui se désignaient entre eux sous le nom de Miôugranié. Il
existe d'Aubanel une plaquette excessivement rare, formée
de sonnets dont chacun des Miôucjranié ioMvmi le sujet. Là se
rencontraient ensemble les docteurs Alfred Pamard et Cassin,
le peintre Grivolas, le poète Mouzin, auteur de VEmpereuv
d'Arles, l'architecte Pascal, Dumas, Delpon, etc., etc. Souvent
l'île de la Barthelasse les voyait assis encà de l'oste Satrayno,
autour d'une table en plein air sur les bords du Rhône, en
face du panorama d'Avignon découpant sur l'azur sombre du
ciel les dentelles de ses créneaux et de ses tours.
Souto lou grand cèu blanc
L'oundado negro
Miraio en barulant
La luno alegro ;
Dou goutique Avignoun
Palais e tourihoun
Fan de dentello
Dins lis estello !
A cette table venaient s'asseoir tour à tour les félibres
avignonnais : Félix Gras et Brunet, et les amis étrangers à
Avignon: Alphonse Daudet, Paul Arène, Charles Monselet(de
Paris), Mariéton (de Lyon), Auguste Marin (de Marseille),
Roumieux et G-laize, Auzière, Chassary, Marsal, Brissaud (de
Montpellier), etc., etc. Heureuses journées, dont le souvenir
ne s'effacera jamais du cœur de ceux qui les ont vécues. . . .
Ce lien de l'amitié, si fort pour Aubanel, le rattachait à
doux villes importantes du Midi: Marseille, où habitait Lu-
dovic Legré, un des dépositaires de ses manuscrits, et Mont-
THEODORE AUBAKEL 253
pellier, où était fixé son ami, cher entre tous, Louis Rou-
mieux, qui avait reçu un dépôt identique, et à qui il était uni
par une mutuelle affection, cimentée par un dévouement à
toute épreuve. C'est à Montpellier qu'avait été représenté
lou Pan dôu Pecat; c'est à Montpellier qu'on lui avait offert un
banquet pour célébrer sa nomination dans l'ordre de la Lé-
gion d'honneur; c'est à Montpellier qu'il aimait souvent à ve-
nir compléter ce quïl appelait soji trio, le trio fraternel où il
étanchait sa soif d'affection intime; le trio composé, avec lui,
deRoumieux et de l'auteur de ces lignes, pour qui son amitié
fut et demeurera toujours un trésor inestimable ; c'est Mont-
pellier qui a eu sa dernière pensée poétique. Il devait j venir
dans les premiers jours de novembre, et se proposait, pour
sui'prendre une famille amie qui l'attendait, de célébrer dans
un sonnet un mas bâti sur les collines qui bordent le Lez; un
sonnet dont, écrivait-il le 26 octobre, « la chute chantait déjà
à son oreille !.. . .»
Ce fut le dernier chant que la muse lui ait murmuré ; le
29, atteint par un mal terrible dont il avait triomphé dans un
premier assaut, il était frappé mortellement.
Animé d'une foi religieuse qui n'avait jamais connu le
doute, Aubanel.ne craignait pas la mort; mais les images hi-
deuses qu'elle suscite lui répugnaient: n'était-ce pas lui qui
avait écrit ce vers, dont on pouvait faire la devise du poète:
Luse tout ço qu'es bèu ; tout ço qu'es laid s'escounde?
Aussi en écrivant, quelques années auparavant, sa chanson
li Set Poutoun, avait-il adressé à la Mort une invocation trop
vaine, hélas!
Tu que fas que galoupa
E ti grands os fan 11 clincleto
Sus toun chivau, Mort-peleto,
Regarde ma porto e l'arrestes pas !
Mais la faucheuse impitoyable avait regardé la porte : elle
était entrée ; elle avait frappé un coup que ni les soins les
plus assidus des docteurs Cassin et Pamard, ni la tendresse
dévouée des siens, ne purent détourner. Le 31 octobre, à
16
254 THEODORE AUBANEL
deux heures do Taprès midi, Aubanel expirait sans souffrance
entre les bras de sa femme et de son fils, assisté jusqu'au
dernier soupir par son fidèle ami Roumieux. qui, accouru à
la hâte, ne voulut pas le quitter jusqu'au moment où la terre
devait le recouvrir.
Ce fut le 2 novembre, jour consacré aux morts, qu'au milieu
d'un deuil universel, les restes d'Aubanel furent conduits à
]eur dernière demeure. En tête du cortège, Roumanille et
Mistral portaient un drap en l'honneur de celui dont le nom
était uni au leur par une gloire dans laquelle ils ne seront
jamais séparés; venaient ensuite deux des premiers maîtres
sortis de la nouvelle école poétique : Roumieux, qui marchait
avec le deuil; Félix Gras, qui accompagnait Roumanille et
Mistral. Anselme Mathieu, Tavan, Crousilhat, les seuls sur-
vivants, avec ces deux derniers, des sept félibres de Font-
Segugne, n'avaient pu arriver à temps pour accompagner leur
illustre compagnon de luttes et de triomphes poétiques. Le
temps fut beau tant que dura la cérémonie ; les pluies torren-
tielles, qui, depuis plusieurs jours, préparaient tant de désas-
tres au Midi, s'arrêtèrent durant quelques heures; le cortège
funèbre put se dérouler le long des vieux remparts et s'avan-
cer vers la cité des morts, sous les allées de pins mélancoli-
ques, à travers les brassées de fleurs qui jonchaient le sol,
comme si les morts eux-mêmes avaient voulu rendre un su-
prême hommage à cette âme exquise depoëtc dont la dépouille
terrestre venait habiter parmi eux.
A. Glaize.
CHRONIQUE
La Société pour l'étude des langues romanes vient de faire une
nouvelle et bien cruelle perte : Théodore Aubanel est mort le 31 oc-
tobre. A la nouvelle de ce funeste événement, le i^résident de la So-
ciété, M. le docteur Espagne, s'empressa d'envoyer par télégramme à
la famille de notre illustre confrère l'expression de notre douleur et de
notre sjnnpathie. Plusieurs membres de la Société assistèrent à ses
funérailles, et parmi eux M. Antonin Glaize, qui nous a rendu, dans
les pages émues qu'on vient de lire, mieux qu'aucun autre d'entre
nous n'aurait pu le faire, la physionomie du grand poëte que nous
pleurons.
M. Louis Havet, professeur de philologie latine au Collège de
France, vient de faire paraître à la libraire Hachette un Abrégé de
grainmaire latine à l'usage des classes de grammaire^ . On voit avec
plaisir un érudit aussi versé dans les découvertes les plus récentes
de la philologie en France et à l'étranger s'inspirer de la méthode du
vieux Lhomond, qu'il met au courant de la science moderne, pour
nous donner un livre élémentaire à la fois très-savant et très-simple;
il s'en explique dans sa préface en ces termes :
« La grammaire que j'ai le plus j^ratiquée en composant celle-ci,
c'est la grammaire de Lhomond, livre qui a certains défauts voyants,
mais dont il ne faut pas se moquer vite. Je l'ai étudiée ligne à ligne
avec le plus grand fruit, et je m'en suis inspiré beaucoup
» De toutes les modifications essayées dans ce livre, la plus grande,
celle qui commande le plan tout entier, n'est que le développement
d'une tentative de Lhomond.
» Cette modification consiste à rejeter la division traditionnelle des
grammaires en deux parties, contenant l'une la morphologie et l'autre
la syntaxe.»
Dirons-nous que c'est une réhabilitation de la vieille grammaire de
Lhomond ? Au fond, M. Havet, qui en a vu tous les défauts, ne se-
rait pas de notre avis.
Mais, dans tous les cas, ce patronage empêchera M. Havet d'être
traité de novateur à outrance, alors qu'il entreprend de donner aux
enfants des classes élémentaires, avec une clarté admirable et dans
un ordre logique, les règles essentielles de la langue latine.
Sur l'Enjambement de la strophe et du vers en ancien français. Tel
est le sujet que M. Eduard Stramwitz, docteur de l'Université de
' Un vol. in-16, cartonné, 1 fr. 50.
256 CHRONIQUE
Grreif swald, a choisi pour sa dissertation inaugurale ' . Il l'a traité avec
soin, iiiétliode et clarté. Son travail, où les exemples abondent et dans
lequel les divisions et subdivisions qu'il y a introduites permettent de
s'orienter facilement, sera utilement consulté par ceux qui s'adonnent
à l'étude de la versification et aussi de la syntaxe française.
L'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres a décerné, cette an-
née, à M. Camille Chabaneau, le prix fondé par le marquis de La
Grange. Voici le passage du discours de M. Gaston Paris, président
de l'Académie, qui concerne notre confrère:
a Comme Stanislas Julien, notre confrère le marquis de La Grange
a voulu fomenter après sa mort les études qu'il avait aimées pendant
sa vie. Il a fondé un prix en faveur de la publication d'une œuvre
inédite des anciens poëtes de la France ; à défaut d'une telle publica-
tion, le prix peut être donné au meilleur travail sur d'anciens poëmes
déjà publiés. Le lauréat de cette année, M. Camille Chabaneau, réu-
nissait ces deux titres. L'année dernière, il publiait, d'après un ma-
nuscrit de Montpellier, le roman en vers de Fanuel. étrange légende,
d'origine certainement orientale, sur les ancêtres de la Vierge Marie,
et en même temps il donnait une édition des Biographies des trou-
badours, accompagnée d'un commentaire bien conçu et d'une très-
utile bibliographie de tous les monuments de l'ancienne littérature
méridionale. M. Chabaneau s'est d'ailleurs acquis une juste réputa-
tion par des travaux déjà nombreux, dans le domaine de la philologie
française et provençale, où se montrent partout uue érudition de pre-
mière main, une grande sagacité critique, un goût fin et un esprit ju-
dicieux. Nous sommes heureux d'avoir une occasion de lui témoigner
publiquement notre estime.» . ^ ,|
Sous le titre de las Festos ilel Felibrit/e, notre confrère M. le vi-
comte de Margon vient de publier un très-agréable poëme, où, dans
un cadre aussi ingénieux que simple, il a su grouper habilement toutes
les gloires et la plupart des illustrations du félibrige. Ce poëme est
dédié à M.Frédéric Donnadieu ; présenté au public sous le patronage
d'un maitre au goût si sûr, l'ouvrage de M. de Margon ne saurait man-
quer de trouver partout le meilleur accueil. Ajoutons qu'il forme un
volume grand in-18 de l'aspect le plus élégant, imprimé avec grand
soin, en beaux caractères et sur beau papier, par MM. Hamelin
frères.
* Ueber Strophemind Vers-Enjambement im Alfranzoesischen. Greifs-
wald, Druck von JuiiusAbel, 188G, iu-S". 190 pages.
Le Gérant responsable : Ernest Hamhlix.
Montpellier, Imprimerie centrale du Midi (Hamelin Frères)
Dialectes Anciens
DOCUMENTS
SUR LA LANGUE CATALANE
DES ANCIENS COMTÉS DE ROUSSILLON ET DE CERDAGNE
(de 1311 à 1380)
(Suite)
XXVII
PERMISSION DE CONSTRUIRE UNE SCIERIE DANS LA « COMA
DEL LANCER », ACCORDÉE A DEUX HABITANTS DE PRATS-DE-MOLLÔ
Dissapte vu. dies de desemb'>'e layn deu. ccc. xiiii. — EnP.de
Bardoyl, procurador del molt ait senjor rej de Majorches ab
concejl dEn R. Rog, balle de Pratz', dona licencia e autori-
tat an R. Verneda e an Jacme Miralles de Pratz, que els que
pusquen fer e tenei' .1. molin serrador en la coma del Lancer
dels termes de Pratz e que ad us del dit molin pusquen penre
assatz dels ajbres del bosclis - de la dita coma, sotz condicio
que quasqun jorn que obraran ho serraran ab lo dit molin do-
nen al dit S. Rey xx. dr. Bar. los quais degen pagar en lo
darrer die de quasquua setmana que hauran serrât o feyt ser-
rar 0 obrar ab lo dit molin, e que no pusquen obrar ni serrar
ab lo dit molin de nuj'tz ab lum.
Els davant dits R. Verneda e Jacme Mirai es, rehebentz lo
dit atorgament del dit P. de Bardojl, procurador, sotz les con-
dicious e retendons sobre dites, promejren al dit procurador
que els daran los dits xx dr. Bar., et totes les altres causes
dessus dites promeyren tenir e servar e complir, e per ajsso
1 Prals-de-Mollo, chef-lieu de cantOQ de l'arrondissement de Céret
^ Sic, pour bosch.
Tome xxx de la troisième série. — Décembre 1886. 17
25S DOCUMENTS
attendre e complir obligueren* lo dit molin ab ses milorers
feytz e fasedors e totz lors bens.
Test. Jacme sobira, scriva, R. Rog, balle de Pratz, P. Ca-
pell, sag-.
(Arch. des Pyr.-Or., B. 94, Proc. real, rég. xvii, fo 27 vo.)
XXVIII
NOMINATION d' ARBITRES POUR REGLER LA SUCCESSION DU JUIF
SALOMON SULLAM DE PORTA (1314)
Com lo molt ait senyor rey En Jacme ^ de bona memoria
bagues regonegut deure an Salamo Sotlam de Porta, Juseu
sa enrera *de Vilafrancha de Penedes^ x. mill. sol. los quais
vole e manalo dit senyorRey que fossen pagatz als pus prus-
mes del dit Sotlam qui milor dret hi haguessen par ordonacio
del dit S. Rey, e per assignacio feyta per En Bonjuses Asday
e per En Jusseif Léo, fil dEn Bon Juses dElna, exsecudors del
testament del dit Salamo qui ladoncs vivien, fossen assignats
pagadors dels ditz x.mill. sol. so es saber:aNa Dolssa muler
del dit Salamo m. mill. sol. dins ii. ayns, pagant cada ayn la
terssa part, e an Salamo Sotlam de Porta, frare del dit Salamo,
II. mill. sol dins II. ayns primers venentz,no feyta neguna altra
mencioni ordinacio dels altres romanentzv. mill. sol, — segons
que aysso en lo libre ordinari dEn Ramon Plasensa, ladoncs
thesaurerdel ditsenyorRey del ayn de m.ccc.vii. en lo Capi-
tol de Paga dedeuies pus largament es contengut ; e, pagatz los
ditz v.mill sol segons la ordinacio damunt dita, dels quais nos
Arn.de Codalet, thesaurer del molt ait senyor Rey en Sanxo,
pagam a la dita Dolssa la derrerapagua, e es cert quel dit En
Ramon Plazensa en son libt^e ordinari derrer que leixa après
la mort del dit seiiyor Rey de bona memoria can hac reddut
compte, la bon regonech deure en la fin del libre los deutes
quel dit S. Rey de bona memoria dévia, no feu alquna mencio
ni regon exensa dels ditz v. mill. solromanents a pagar dois
dits x."5;
* Sic, pour ohlifiuen. — - Sag, liuissier. — 3 Jacques 1er de Majorque. —
•* Autrefois, par le passé. — s ViUafranca del Penedès, ville d'Espague, au
sud-ouest de Barcelone.
SUR LÀ LANGUE CATALANE 259
Per que, lo dit senjor Rey en Sanxo asso no contrastan,
auda delibej-acio al) lo discret Arn. Trauer, jutge seu, de so
que de dret e de ralio si degues fer, volch e mana dimartz à
xiii. jorns de febrer, per descarrech de la anima del dit senjor
Rey de bona memoria pare seu, que no contrastant si be la
ditaregon exensa no era estada escrita perlo ditR.Plazensa,
quels ditz v.™ sol fossen pagatz, com no apparegues que fos-
sen estatz pagatz. Ecom los ditz marmessors del dit Salamo Sotz-
lam fossen mortz, e ejl agues ordonat en son testament que,
mortzlos ditz marmessors, los secrataris de laAljamadels Ju-
seus de Barsalona els secrataris de lAljama de Vilafranchade
Penedes* poguessen constituiraltres marmessors per complir
la sua derrera volentat e la ordonacio del dit testament, los
demont ditz seeretaris establiren e constituiren en logar dels
diîz manemessors, so es assaber Eu Sotlam Astruch juseu, fil
dEn Astruch Sollam de Poi'ta saenrera, e En Samuel Sollam
juseu fil den Sollam Sammuel de Porta saenrera e en Sollam
Mosse de Porta juseu, als quais donaren plen poder de de-
manar e de rehebre totz doutes e altres bens pertanyentz al
dit Salamo, e encara de distribuyr aquels segons la sua der-
rera volentat, segons que aq.uestes coses plus largament son
contengudes en una publica carta feyta per auctoritat dEn P.
des Coj!, notari public de Barssaloua iii°. kls junii anno dhi
M. CGC. XI1°.
Les quais coses complides, los ditz juseus constituitz en lo-
gar- dels ditz manemessors soplegaren al dit senyor Rej que
fos de sa merce que manas pagar los ditsv.™ sol. per complir
la derrera volental del dit Salamon Sotlam. E finalment fo
covengut entrel dit senyor Rej en Arn.de Codalet, thezaurer
seu de i" part, el dit Sollam Mosse per nom de si e dels altres
mermessors ab el ensems de laltra, quels dilz v™ sol remanentz
à pagar fossen pagatz en aquesta manera, so es assaber, ara
de présent l. Ib, e cada ayn per adenant altres l, Ib estro ^ los
ditz V.™ sol fossen entegrament paguatz. Per la quai causa lo
dit, Sotlam Mosse, per nom propri e per nom damont dit, feu
* Valjama, «la réunion des juifs», indique la communauté ']\i\\q de Perpi-
gnan. Le call était le quartier séparé qu'ils habitaient, appelé f/hetto en
Provence et en Italie. — - En lieu et place. — ^ Sic, pour entra.
260 DOCUMENTS
a nos dit Arn. de Codalet carta de regoneixensa de la primera
pagua que arals fem'; e encara se obligaren de retre los ditz
dines, si per adenant aparia negun qui melordret lii agues que
els, 0 que aver nols deguessen, o que fossen ja paguatz. E axi
luiram al dit Sotlam Mosse, que li liura per nos En Nicholau
de Sent Just, nombrantz, lo demont dit die dedimartz-. Delà
quai escriptura nos dit Arn. de Codalet manam donar translat
al dit Sollam Mosse sagelat ab nostre sagel, corn ne fossem
request per el, per raho de les altres romanentz pagues.
Apres aquestes causes quo fos nada questio entre la dita
Dolssa demanan délai* part el ditSamiel Sullam en Astruch,
juseus, de Vilafratichade Penedes, mauumissors del testament
de dit Salamon Sullam establitz per lAlgama dels juseus de
Barssalona e per lAlgama dels juseus de Vilafrancha de Pene-
des a qui en lo dit testament era donat poder destablir altres
manumissors sils primers manumissors morien, de laltra part
deÊfenentz, sobre aysso so es saberquar la dita Dolssa disia e
affermava que ad ela solament e no ad altra los ditz iiii.™ sol.
pertanyien per raso de la dot que al dit marit seu aporta en
temps lur matrimonial e per donacio per nupcies. Los ditz
empero Samiel Sullam e Astruch en contrari disentz que ad
els aixiquanta manumissors delditSalamo se pertanyien eno
ad altre, disens que a la dita Dolssa es plenerament satisfeyt
per lereter del dit Salamo en la dita dot e donacio per nupcie?.
Finalment les dites partz, volentz venir a fi e a pau de la dita
questio, compromeyren sobre aquela en les discretz Bû Daui,
cavaler, balle de Perpenya, en Hue de Belvesi,savi en dret e
on Vidal Benevist, juseuhabitador de Vilafrancha de Penedes,
als quais donaren pie e libéral poder e auctoritat aixi quant ad
arbitres arbitradors ho amigables composidors de diffinir e de
termenar la dita questio, aixi quant a lur discrecio sera vist
fasedor . Los quais arbitres, ausides les rasons de les dites partz ,
pronunciaren entre les dites partz en aquestamanera,so es sa-
ber que la dita Dolssa dels ditz iiii™ sol. haga tant solament
sexanta Ibr, so es saber ara x. Ibr e les romanentz l. Ibr en
la tei'ssapaguafasedoraper los ditz Procuradors del ditseiiyor
* A)-aL^ fcrn, pour ara los hi fem, « que nous leur faisons maintenant. »
2 13 février 1313.
SUR LA LANGUE CATALANE 261
rejcontenguda en la dita carta del dit S. Rey. Los romanentz
emperoii^DCCC. sol. sien pagatz als ditz Samiel Sullam c Sul-
lam Astruc manumissors per les pagues e termes contengutz
en la dita carta del dit S. Rej. Laquai pronuciacio dessus dita
les dites partz lausaren, atorgueren ^ e flfermaren e aquela pro-
meyi^en- tenir et servar eno contrevenir aixi quant en i^ carta
daqui feyta idus julii anno dm Mccc.xnit en poder dEn Jo-
lian Barrau, scriva public de la cort del balle de Perpenya, es
contengut.
Deuem retenir dels juseus dessus dits la paga de febrer de
Mcccxiiii. tro quis sien avengutz ab en P. Feliu, escrivan de
la cort de so que li deuen per justicia.
Fo feyta composicio entre lo dit P. Felui els juseus, segons
que diu Bii Messeger ax.lbr.
Foren retengudes.
(Arch. des Pyr.-Or., B. 94, Pi-oc. real, reg, xvii, f» 27 )
XXIX
RÈGLEMENT POUR LES « SCRIVANIES » DE LA COUR DU BAILLI DE
PERPIGNAN, DE LA COUR DES APPELLATIONS DU CHATEAU ROYAL
ET DU « TAULER » OU BUREAU DU VIGUIER DE ROUSSILLON
Divenres a xxYi. dejuliol de m.ccc.xiiii. — En P, de Bardoyl
en Huch de Cantagril, procuradors del senyor rey de Mayor-
ques, ordonaren que per be e utilitat comune, lescrivan qui
tindra e régira les scrivanies de la cort delbatle de Perpenya
e del tauler del viguer deRosseylo e enquare de la cort de les
appellecions del casteyl, dega prometre e jurar que el fara
be e lialment son offici e que no pendra ni pendre fara cor
VI. d. per cascuna fuyla de paper, de acte, e que en la dita
fuyla 0 lenque dege aver xx. régions en cascuna plagene al
meyns, e quel paper sie de forma migane e que los spays dels
costats de la plagene nohagen entrendos cor-^ mig quarto de
cane de Perpenya ^.
1 Sic. — 2 Sic. — ■' Seulement que. — ^ <> Demi-carton » de canne de
Perpignan.
26-2 DOCUMENTS
E encare, que negun région no pusque esser comptât per
raglon, si nos es terç région o mes^
E entenen enquare que lescripture sia ben continuade e
sens frau, en axi que no hage masse espay de la una diccion -
en laltre. E que lescriva no dega donar a negun hom trelat de
neguna scriptura si no nés request, ni dega aver re de neguna
scriptura de recepcion de testimonis ni daltre, sinodels tre-
lats que dara. E enquare juren que en los processos a ordonar
no meten ni dicten paraules sobreflues, e que agen encorporar
als libres los libelles e les sentencies^.
Arch. des Pyr.-Or. B. 9i, Proc. real,Teg. xvii, fo33 v».)
XXX
DÉFENSE d'arroser FAITE PAR LES PROCUREURS DU ROI A
DIVERS HABITANTS DE PERPIGNAN
Divenres xxvi. dies de juliol en layn de mcccxiiii. — En P.
de Bardoyl en Hue de Cantagril, procuradors del molt al se-
njor rej de Majorches, empara* an R. Castelon, sartre, laj^-
gua del rech qui passa prop i. ort seu que ha en los termes
de Maloles, e mana al dit R. de part del S. Rey que de layga
del dit rech no no ° gaus regar ni fer regar lo dit ort sotz pena
de L. s. per aytantes veguades quon ne regara on fara regar.
Test. Jacme Sobira e Jacme Bocanova.
Item a xxvii. de juliol, ditz procuradors empararen an Jo-
han Torrent, ortola, lajgua del dit rech, e manaren que el no
rech ni fassa regar i. ort que ha logat dEn Roer, prop lo dit
rech, sotz ladita pena. Foli donada licencia quen pusca regar
daj'si à Sant-Michel de setembre primer venent, e mes i. ajn
seguent; e haguemne ^ entre so que ja havia regat tro ad are e
so dessus dit que regara vi. s.
1 Région et raglon, rayure, ligne. — ' Diccion, mot. — 3 Ce document
semble avoir été copié vers 13o0. — * Sic, \)0\n empararen, saisirent. —
B Sic. — "^ « El que nous en ayons, que nous en retirions, entre ce qu'il avait
arrosé jusqu'à présent et ce qu'il arrosera, marqué ci-dessus, six sous. '>
SUR LA LANGUE CATALANE 263
Item dissapte m. dies del mes dahost empararen an P. Cof-
folent maheler, lajgua del dit rech, e manaren axi com da-
ment que no gaiis regarla possessio sua que ha comprada den
Boteler, sotz pena de l. s. Testimonis, P. Capel, saig-, P.Re-
cort, forester, Jacme Bocanova.
(Arch. des Pyr.-Or., B 94, Proc. real, reg. xvii, f» 28 ro.)
XXXI
AUTORISATION DE CONSTRUIRE UNE (( MOLINE DE FER » OU FORGE
ET UN MOULIN A FARINE DANS LE TERRITOIRE DE PRATS-DE-
MOLLO.
A XXVIII. del mes duytubri layn de mcccxiiii. — En P, de
Bardojl, procurador delmoltalt senyor rejde Mayorches, do-
neren* licencia an R. Rog de Pratz e an P. des Boix de Cam-
predon e anJohan Segui de Vilafrancha e an P. Oliver de
Saorra, que pusquessenferi''molinade ferr enfre la coma ape-
lada Yla-longua e la coma apelada Lancer, ho en quai daque-
les mes lor plaura. E qie pusquen penre ad us de la dita mo-
lina dels aybres dels boschs que son en les dites comes, ex-
ceptatz avetz vertz e bes vertz^ e adero e freixa, dels quais no
degen penre ni taylar, salvant que pusquen penre dels avetz
ad ops de cobrir les cases que faran per la dita molina e ad us
daquela, e no altrament.
Encara que [n] pusquen portar e penre en los retorns de les
besties que tenran ad us de la dita molina sens tôt forestatge.
Item lor dona licencia que pusquen fer i. moli blader a moire
los blatz ques despendran ad us de la dita molina.
Lo quai atorgament fe lo dit procurador als dessus ditz sotz
aytal condicio que de tôt lo ferr ques fara en la dita molina
donen al S, Rey ho a cuy el voira, lo dotz en quintal, lo quai
ferr degen pagar al S. Rey lo darrer ^ die de quasquna setmana
que hauran obrat o feyt obrar en la dita molina.
Item fo covinensa entrais ditz procuradors e rehebedors de
Sic, pour dona. — - Bes, bouleau blanc. — 3 sic. Voyez p. 264.
264 DOCUMENTS
la dita molina, que si la dita molina per deffaliment ho per
ineportunitat^ de lenja fasia a mudar, que ho [iuguen fer; e
encara, que pusquen ab aquela mudar lo dit molin blader.
Les quais causes los dessus ditz rehebedors de la dita molina
lausaren e atorgaren aixi quo pus largament es contengut en
I» carta notada per En Jacme Sobira en la nota de la Thesau-
reria.
(Arch. des Pyr.-Or., B. 94, P}-oc. real, reg. xvii, fo 26 vo.)
XXXII
« AYSO ES l'ordonament feyt dels peixoners »
Eyi layn de m.cccxvii. — Fo adordonat per R. Creyxels,
batle de Perpenya, cavaler, de conseyl dEn Huguet Sabors e
dEn Perpenya Roma e dEn Jehan de Corneyla e dEn G. Tho-
mas e dEn Berthomeu Fontfreda eonsols, e dels prohomes de
Perpenya, de manament especial del molt altsenyorEnSanxo,
per la gracia de deu rey de Malorches, quels manaments sotz
scrits sien servatz sotz les pênes que pausades hi son.
Ara auj^atz que mana el Veguer el balle del S. Rey, als dins
e als de fora-, que totz los pescadors o mercaders, ode qual-
que loch que sien de la terra del dit S. Rey o de fora, qui pes-
quen en les mars, o en estayns qui son de la Vayl de Baynuls
tro a la Thet^, degen e sien tengutz de portar e de vendre
los ditz peyxes en la terra del dit S, Rey
1 « Incommodité de faire du bois (?) .«
2 a A ceux de dedans et de dehors. »
3 « La vallée de Banyuls », resserrée au voisinage de la mer par les co-
teaux des anses de Perafîta et des Elmes, s'élargit intérieurement et forme,
pour ainsi dire, un éventail dont les arêtes sont dessinées par les ravins de Vall
Auger, de la Roma, de Carpila et de Vall Auria. Dans les actes du moyen
âge, Banyuls porte indistinctement les noms de /?a/«eo/(B, BainuUs de Mari-
timo, de Marcdina et Banyuls del Marende. On dit aujourd'hui «Banyuls-
sur-Mer» eu français el a Banyuls de la iMarenda» en catalan. Le droit de pè-
che, de Roses au grau d'Argeles ou « jusqu'à laTet», appartenait d'abord
aux comtes d'Empories-Roussillon, et, jusqu'au XVII» siècle, il fut pratiqué
presque exclusivement par les pêcheurs d'Empories, Roses, Cadaquers el
SUR LA LANGUE CATALA.NE 265
Item si, en los ditz peyxes quis pescliaran en mar o en es-
tajns, eren per aventura una o dos persones o mes, pescha-
dors o mereaders, que els no degen ni gausen eyxaug'uar' los
ditz peixes adiners; mes, que caschunqui part na^vuyla aver
sa part, e que nofassa tornes de diners la un al altre. Eaquels
qui part ne volran aver, degen esser aqui presentz personal-
nient, o lurs missatges qui estien ab ejls en lurs alberchs...
Item que tôt hom qui port o fassa portar peix freschs^ per
vendre a lavila de Perpenja, se gart quel peix no puda ni sia
corromput; E degen pausar los ditz peyxes en la plassa
del maseyl vell, dreta via, axi quo venran ; els homes es-
trayns en la plassa de la Peyxoneria nova davant lo rech\ E
aytant tost quols ditz peyxes seran en les taules, de mante-
nent degen aquel trere buydar a les taules, en tal manera que
tôt hom los puscha veser clarament, e que nols tenguen ama-
guatz ab neguna causa. . . .
(Arch. des Pyr.-Or., B. 94, Proc. real, reg. xvii.)
XXXIU
ETABLISSEMENT d'uN ÉCRIVAIN PUBLIC A TORREILLES
Divenres xxvii. dies dejuijnm. ccc.xv. — G.Alamayn, pre-
vere de Torreles,promes en poder dels senj'ors en P. de Bar-
doyl en Huchde Cantagril,procuradors del senyor rey, que el
Collioure ; de sorte que la population de Banyuls, qui s'y livre aujourd'hui avec
tant de succès, y est demeurée complètement étrangère jusqu'aux deux der-
niers siècles.
1 Signifie ici épuiser, acheter, c'est-à-dire acheter tout le poisson. Cette
expression se trouve dans « l'ordonament e establiment del peix » de 129S,
donné par Alart. Sur ce mot, voy. Revue des langues romanes, VI, p, 320.
^ Sic, pour ne.
3 Sic.
^ Sur ia place Neuve, qui porte encore le même nom. Le ruisseau dont il
est ici question est le ruisseau Comtal, qui aineuait l'eau au moulin du roi, si-
tué à côté de la Poissonnerie. Ces eaux descendaient ensuite, comme aujour-
d'hui d'ailleurs, par la rue de la budellaria, appelée rue de VAnge actuelle-
ment.
266 DOCUMENTS
be e fidelment fara e servira lo offici de la escrivania e les al-
tres escriptures que rehebra axi com escriva en la vila e ter-
mes de Torreles\ de la primera passada festa de sent Johan
de juyn a ii. ayns sotz pena si la cometia deL. Ibr per les
quais obliga sos bens.
G. Emengau de Sent Laurens en Laurens Corberade Torre-
les perprecs del dit G. Alamayn intraren fermanses al senyor
rej per la dita pena ab el e senes el, e obligaren cascun lurs
bens e renunciaren a tôt dret ad els aiudan.
{Ibidem, fo 31 v».)
XXXIV
NOMINATION DE GARDES DU RUISSEAU ROYAL DE THUIR
Dimartz viii. de Jultol m. ccc.xy. — En P. Mauran, fil den
Mauran de Rodes, promes e jura en poder dels senyors En P.
de Bardoyl en Huch de Cantagril, procuradors del molt ait
senyor rey de Malorches, que el be e fiselment gardara da-
quest présent die a i. ayn lo rech de Toyr, e aquel per son po-
der tenra condret de la presa de laygua tro al forn de la caus
que fo feyt prop Vinya Bremona, en ay tal raanera que tôt so que
y fassa adobar e el ho pot complir de sa persona, que ho deu
fer sens altra manobra. Empero, si tal trench o enbarch- lii
endevenia que per si en leixs ^ adobar no ho pogues, pot y mè-
tre manobra axi quant mesterhi fara, e aquela deu pagar lo
senyor Rey, e deu aver per cascun die, axi fasener com per
festa, vi"'' dr.
Empero, pot fer lesfasenes en so del seu ab que ^cascun die
sia a cerch'^ tôt lo rech mati e vespre.
De lesquals paguam al dit P, Mauran comptans a xxii. de
setembre — ii. Ibr.
1 Toreilles, commune du canton de Rivesaltes.
2 Enbarch, « empêchement, embarras. »
3 Si enleixs, «que par lui tout seul il ne put l'arranger. »
* Ab que, a pourvu que. »
• Cerch,\\sei cecft ou sech.
SUR LA LANGUE CATALANE 267
E nos doiiem al dit P, Mauran per xxiiii. dies de juliol e
per aliost, setembre e per utubfi per ii. diesdel mes denohem-
bre en que ha .cxvi. jorns tro al die que foren livatz los exau-
gadors e no correch lo rech, a vF" dr per die — ii. Ibr
XVIII. s.
Et aixi resten que li avem a tornar xviii. ^, les quais pa-
guem al dit P. Mauran a xviii. de jujn m.ccc.xvi. P. Triles
de Muntela S habitant de Bula, jura e promes de garder e
tener condret lo rech de Tojr del dit forn de caus tro al
torrent de Castelnou, sotz aquela forma desus escrita an P.
Mauran en tôt e per tôt, e pren aixi meteix vi^° dr per die. Em-
pero comensa cap de ajn a xii.de juliol M.ccc.xv.De les quais
paguamal dit P. Triles que lidonem comdantz a Perpenyadi-
gous iiii. dies del mes de setembre. — ii Ibr. E nos deuem al
dit P. Triles per xviiii. dies de juliol e perlo mes de ahost, se-
tembre, utubri e per .11, dies de nohembre en que ha c.xii.
jorns entro al die que foren livatz los exaugadors el rech no
correch a vi®" dfir per die 11. Ibr. xvi. s.
Et aixi resta que li ha hom a tornar daquest comdexvi. s.
Los quais paguam al dit P. Triles que li donem a viii. de
dehembre m.cccxv^.
(Arch. des Pyr.-Or., B, 94, Proc. real, reg. xvn, fo 32 ro.)
XXXV
DÉSIGNATION DES (( CARRERES » OU CHEMINS PUBLICS DU TERRITOIRE
DE SALSES
Kls marci anno dhi m.ccc.xv" Dominus Petrus de Bardollin
et Hiiguetus de Cantagrillo procuratores dni Régis Mayoric. exis-
1 Le scribe avait mis 'd'abord d'Orbanija, qui a été barré. Muntda, que
nous avons déjà rencontré, était un hameau de la vallée de Nohèdes ; il n'en
reste plus rien aujourd'hui.
2 II n'est pas possible de fixer par des pièces authentiques la date du pre-
mier établissement du ruisseau de Thuir. Primitivement établi, sans doute,
pour le seul territoire de Thuir et l'entretien des usines de cette petite ville,
il fut continué vers Perpignan avant la fin du XII*^ siècle; car, dès l'année
16S DOCUMENTS
tentes in villa de Salssis, ad instanciam et requùicionem Pétri
Tores ' et Johannis Geraldi consulum, nmndavit Berengario Ri-
(jaldi baiulo dicti loci et Ffcrrario de Gadujudici dicti loci, quod
infrascripta facerent scribi in libro curte de Salssis et dicti
haiulus et judex mandaverunt Berengario Jaufredi scriptori pn-
blico de Salssis scribi in dicto libro ea que secuntur, videlicet
quod carrerie terminorum de Salssis sint inperpt-tumn ut secun-
tur. Et dicti procuratores de mandalo dicti diii régis visis omni-
bus locis dictorum terminorum dixerunt quod carreria que est
loco vocato camp del sola de Vespela^, desa el Roue deves
Salsses pausan terme a la garriga del senjor rey, e laltre
terme a la carrera dEn Carbonel, e prenen del laurat de "Ves-
pela è ha la carrera vi. canes de Montpesler dample.
/tema.\ cortalden Bn Porcell de Garrius*, dessus laRoue a
la rota del fabre de Tura* en un. lochs termenals, e ha la
carrera VI. canes de Montpesler dample.
Item I. terme pausat entre i. camp de Vespela, e del dit
fabre de Tura que ha vi. canes de Montp. dample.
Jtetn I. terme pausat dessus la carrera deGrajleres, a vi.
canes de Montpesler dample.
I/em I. terme pausat entre la rota ^ del dit P. Tura e del dit
Vidal, e ha la carrera vi. canes, etc.
1172, nous trouvons à Perpignan des moulins qui ne pouvaient être alimen-
tés que par une déviation importante de ce canal. La p)'esa de Vayrpia, ou
origine du ruisseau de Thuir, était située au-dessus de Vinça. ViiiyaBremona,
dont il est question ci-dessus, devait se trouver dans le territoire de Boule
Ternère (Bula), actuellement dans le canton de Vinça. Le torrent de Cas-
teilnou (petite commune du canton de Thuir) passait sous le canal pour aller
rejoindre la Tet.
* Peut-être faudrait-il lire Cors.
2 La grange de Vespella (entre Salses et Opoul) fut donnée à l'abbaye do
Fontfroide en vertu de divers actes (XII" siècle). Elle fut inféodée aux jésuites
en 1669.
■' Garrius, village situé sur les bords de l'étang de Salses et à 2 kilom. sud-
ouest de la petite ville de ce nom. Aujourd'hui, hameau désigné sous le nom de
Garrieiix, dans les cartes.
'* Tura, village situé sur la rive gauche de l'Agli, en face de Rivesaltes ; au-
jourd'hui complètement disparu.
^ Rota ; les documents rédigés en latin écrivent rupta et rida. 11 y a près
de la mer, et non loin de Cornella-de-Vercol, un endroit appelé las Routas,
ainsi désigné en 1315 : loco vocato a les Rotes. Je lis dans un document de
SUR LA LANGUE CATALANE ^GO
Item altre terme entrel dit P. Tura e En P. Fferrer de Ri-
besaltes.
Item altre terme entre Bii Durande Salsses el dit P. Fferrer
de Ribesaltes entre En R. Rogde Tura e va tota serra e ve a
la coma de Grayleres, e de la dita coma al Rouanell et aqui
son pausatz ii. termes a la rota den Brg Moner de Tura e va
la carrera tro al Rouanel e ha vi. canes de Montpesler dam-
ple.
Item altre terme al camp de Vespela que va al Rouanell e
ha VI. canes de Montp. dample la carrera e ve tro a la rota
den Cavalera e aqui es pausat i. terme que ve al Rouanelle
daqui es pausat altre terme al camp de Vespela el Rouanell, e
va ferir a la rota den P. Joher de Turae aqui son pausatz ii.
termes.
Item altre terme pausat a la rota dEn Matfre e ha vi. can.
de Montp. dample la carrera entro sus al Roanel,e d'aqui son
pausatz II, termes a la rota den R. Cabaner de Tura.
Itemi. terme pausat al camp den Johan Lansol entro al
Roanell e ha vi. canes de Montpesler dample '.
Item iiii. termes pausatz a la rota den R. Cabaner e ha vi.
canes entro al Rou[anell] e que daqui en aval dels ditz iiii.
termes pausatz a la ditarota del ditR. Cabaner nujl altre hom
no haga a rompre entro al Roue.
(Arch. des Pyr.-Or., B. 94, Procuracio real, reg. xvii, fu 15 vo).
XXXVI
AUTORISATION ACCORDÉE A ARNALD TRAUER DE PRENDRE DE'l'eAU
AU RUISSEAU DE CLAYRA POUR SES MOULINS DE SAINT-HIPPO-
LYTE.
Aquesta es la ordonacio feyta e contenguda en la carta
quel senjor Rej fe a micer Arn. Trauer sobre la recepcio de
1378: « Quey puscha tenir bestiar de dos apers per laurar e per rowpre les
dites terres e rotes. »
♦ La canne de Montpellier se trouve usitée en Roussiilon, comme mesure de
longueur, dès la fin du XIII* siècle. Elle s'y était probablement introduite à
l'époque où les deux seigneuries passèrent dans la main du même prince.
2:0 DOCUMENTS
la aygua del rech dels molis de Clajra que decorr als molis de
sent Ypolit/ .
Primerament dona e autorga lo dit senjor vej al dit micer
Arn. Trauere als seus en pertotz temps que tota aquela ay-
gua la quai eP dit S. Rey fara menar e decorrera als molis seus
de Clayra, de continent après los dits molis, el dit micer Arn.
Trauer reheba erehebre pusca franchament a son plaserfran-
chament, et menar aquela aygua e fer menar, pereyl ho per los
seus als molis de sent Ypolit per eyl fazedors e als termes del
dit loch de sent Ypolit e en altre loch ques vuyla eyl els seus
Cl a regar les possessions quais que quais e en tôt altre us. En
ayxi empero que quan que quan et quantesque veguades la
dita aygua, la quai el els seus rehebran sotz los ditz molis de
Clayra, sera necessaria en tôt ho em ^ partida als molis que En
R. Nègre ha a Ssent Laurens ho a regar les possessions de
sent Laurens, el dit R. Nègre els seus tenentz los ditz molis
seus de sent Laurens pusquen aqui meseys de jos los ditz mo-
lis de Clayra rehebre e penre e fer penre e menar al fluui del
Aygii, sobre la resclausa sua, per alqun rech que nos hi fa-
rem fer, aqui après los ditz molis de Clayra entro al dit fluvi,
lu dita aygua que decorrera dels ditz molis de Clayra, en tôt
ho en partida ayxi com sera necessaria als ditz seus molis de
sont Laurens etareguarles possessions de Sent Laurens, en
ayxi* si laygua que decorrera per lo dit fluvi del Aygli, entro
sus a la dita resclausa del dit R. Nègre no b istava als ditz seus
molis e a regar les possessions de sent Laurens, per les quais
coses no entenem en alcuna manera mermar ni deteriorar".
Daqui avant vol lo senyor Rey quel dit micer Arn. Trauer
els seus tenentz los molis de sent Ypolit aga e sia tengut de
pagar e contribuir la quarta part de totes les despeses les
quais per temps al s. Rey e als seus fer convenra, segons les
condicions de sus dites, feytes enfre el dit s. Rey el monestir
1 Clayra, Saint-Hippolyle, Saint-Laurent-de-la-Salanque, communes du can-
ton de Rivesaltes.
- El ne peut pas être ici pour la conjonction e et l'article lo, comme plus
bas {el dit micer Ar?i. Trauer, etc.). El est donc, du moins dans le cas pré-
sent, article lui-même, quoiqu'on dise BofaruU (Sistema f/ramatical, p. 7y).
^ Pour e)}. — ^ Sic.
^ Mermar, « diminuer. » On trouve souvent mirmar avec le même sens.
SUR LA LANGUE CATALANE 271
de Frontfreda per refleccio ho reparacio de la resclausa lio
reclauses, sobre la quai ho les quais lo dit monestir de Font-
freda rehebra ajgua del dit fluvidel Ajgli, alslursmolis de
Tura, el S.Rej per conseguent els seus als molis de Clajra, e
daqui enant el dit micer Arn. Trauer als seus molis de sent
Ypolit. Et sotz les condicions e retendons de sus dites totz
temps salves el dit S. Rej autrega la dita aygua als molis del
dit micer Ar, Trauer e als seus.
(Arch. des Pyr.-Or., B. 94, Procuracio real, reg. xvii, f» 56 ro.)
XXXVII
ORDONNANCE AU SUJET d'uN BARRAGE A ETABLIR SUR l'aGLI
POUR LES MOULINS DE TURA *
Aquesta es la ordonacio feyta et contenguda en i* carta de-
vedida per ABC, sobre la pajxerael rech dels molis de Tura,
la quai fo fejta entre el molt ait senjor En Sanxo per la
gracia de deu rey de Malorches, el honorable religios, frare
Jacme per la gracia de deu abbat del monestir de Sca M'' de
Fontfreda- vi. kls inarcii anno dhi m.ccc. xv. per ma deu
Jacme Sobira et sots escrita per ma den Laurens Plasenssa
sabentras ^ scriva publich del dit sehjor Rey.
Primo es contengut* en la dita carta, quel senyor Abbat el
monestir daquel muden lo[s] ditz lurs molis de Tura en loch
plus ait que ara no son, ja désignât, e que la payxera sia mu-
dada en lo loch désignât, et que sia feyta de comunesdespeses
del S. Rey e del dit monestir mig per mig, aytan quant ara
* Il existe [Arch. des Pyr-Or., B. 13) une copie de cette ordonnance faite
au XVe siècle. La copie écrit ordinacio, fou, fêta, pexera, molins, honora-
bles, scrita, aquell, destruida, Acjlin, adonchs, au lieu de ordojiacia, fo,
feijta, payxera, ho7irable, escrita, aquel, destroida, Aygli,adoncs, qui sont
dans l'original.
2 Les biens que possédait l'abbaye de Sainte Marie de Front-Froide en
Roussijlon étaient considérables. M. E. Cauvet en a dressé une liste exacte
dans son Étude historique sur Fontfroide. Montpellier, Félix Seguin, 1875,
liv. V, ch. XVI. — 3 Omis dans la copie — * Convengut dans la copie.
072 DOCUMENTS
te el flum del Ajgii e daqui avant se estendra e sera neces-
sari Et que de non la dita pajxera sia crescuda. Et si la dita
pajxera era destroida en tôt, sia fejta a messions comunes
mig per mig, daqui avant. Mes en lareparacio de la dita pay-
xera, ho si era destroyda en part, adoncs lo dit S. Rey meta
en les despeses la terssa part, el dit monestirles romanentz
II. partz, en aytant quant es sobre el[s] molis del dit mones-
tir.
hem el recli dels molis sia feyt per lo dit monestir a lurs
despeses, entro al casai del molis del dit monestir ; el dit S.
Rey fassa lo dit rech sotz los ditz molis de Tura complidament
ab ses despeses, en ayxi quels molis de sus ditz del dit mones-
tir nos pusquen engorgar, mes que a messions comunes mig
per mig el dit rech sia tengut condret, et sobre el dit casai
dels ditz molis et de jos pertot lo terme de Tura solament.
Item que en la part davayl dels ditz molis vulgarment ape-
lada Caquil, sia pausat senyal ad eternal memoria, en ayxi
que nuls temps laygua del rech desus dit no pusca pugar oltra
el dit senyal, et en ayxi el dit rech sia tengut curât per les
dites partz, et aquel senyal totz temps romanguaen son esta-
nient.
llem quels homes de Tura per tôt lo terme del dit castol
].>usquen penre aygua del dit rech a regatiu, segons quel mo-
nestir a adordonate ordonara, ses ^ contradiccio del dit S, Rey
et ses successors, el dit monestir aga regatiu daquels.
Item que sia donat sufficient sait als ditz molis, so es assa-
ber de xii. palms de cana de Monpesler de canal, e que el dit
monestir sia tengut de ferel casai del[s] ditz molis a lurs mes-
sions, et en lo dit casai pusca fer v. rodes ho mes sis vol a sa
volontat.
Item quel monestir pusca fer els- molis ho deprop exauga-
dors, I, ho moltz, la hon se vorla e li playra, e quan et ay-
tantes veus com li playra ho voira.
Item quel dit S. Rey ho els sens no pusquen fer casai de
molins en tôt lo dit rech, sino prop lo castel seu de Clayra,
per III, ho per un, balestades, vers lo terme de Tura,
Itentsl pont era neeessari sobre el torrent apelat /orren/rfe/
' Comme suns ou senes, « sans. » — ^ Lisez «/.•>■ .
SUR LA. LANGUE CATALANE 273
Roue, en ayso quel dit rech dels ditz molis se fassa, el monestir
sia tengut de fer la primera veu. Mes si après per alqun cas
era destrojt ho fraytura va de reparacio r veu ho mes, sia
fejt e réparât e sia tengut condret a messions comunes del
dit S. Rej e del monestir mig per mig totz temps daqui
avant.
Item Si el Prior del Mas de la Garriga ' volia haver regatiu
del dit rech, si pren ajgua del rech desus dit sotz los molis
del dit monestir, tôt lo regatiu sia del S. Rey. Si empero pre-
nia la dita ajgua sobre els molis, aj^o no pusca fer senes vo-
lentat daquels del dit monastir-, et adoncs lo dit regatiu sia
cornu del dit S. Rej et del dit monestir. Ajso empero sia fejt
ses prejudici dels molis d'En R. Nègre e de totz los altres ha-
vens alous en los termes del castejl de SentLaurens,
Item fo feyta covinenssa entre les dites partz quel dit mo-
nastir sia tengut de satisfer als lauradors daqueles terres que
son sobrels ditz molins del espasi lo quai sera necessari en lo
dit rech e en les ribes daquell, el S. Rejsatisfassa axi metex
als lauradors de les terres que son dejos los ditz molins, per
tôt lo terme del dit castell de Tura ; mes del dit espasi no sia
tengut alguna causa donar lo dit S. Rej al dit monastir, per
raso de dreta senjoria o per altra manera, quant ques esquart
al monastir damont dit.
Item si les partz se convenien que lapaixera que ga es fejta
bastes per lo rech e per los ditz molins fasedors, adoncs la dita
paixera, la primera veguada sia reparada e fortifflcada e cre-
guda ^ a despeses comunes de casquna part mig per mig; mes
depux en la reparacio daquela lo monastir paus los docs partz
el S. Rej la terssa part. Si enpero les partz se convenien que
la paixera que ara es no bastes, mes que altra de non ne fos
feyta, adoncs les pères de la dita paxeria que ara es sien pre-
ses dementre que sen hi poran trobar. E si no bastava, adoncs
a comunes despeses de les partz sien portades e ahudes a la
dita paxeria de nou fasedora e sien hi meses e pausades.
* Le Mas de la Garriga, sur l'Agli, à 1 kilom. et demi à l'est de Rivesalle?,
é'.ait un prieuré dépeudaut de Sainte-Marie-de-Villelongue (Carcasses), de
l'ordre de Cîteaux.
2 Sic. — ■' Cveguda, « accrue, augiueulée. »
18
274 DOCUMENTS
Item la paxera que en lo comensament sera feyta de rama e
lenjes e cavalons' a comunes desposes mig per mig.
Item quel dit S. Rej pusca fer casai de molins en los termes
del dit castejl seu deClayra axi cant es dit, en lo loc ga dési-
gnât, e ad aquels penre ajgadel rech dels ditz molins de Tura,
dejos aquels molins de Tura.
E cant lo dit senj^or abat del monastir de Fontfreda o son
couent el monastir no podien mostrar, requetz, alqun titol
per lo quai poguessen penre del dit flum del Ajgli aygua als
ditz seus molins de Tura, sino possessio longua la quai sobre
ajso allegaven, lo dit senjor Rej nostre de Malorques per si
els seus successors quais que quais conferma e atorgua al dit
senyorabat présent e resebent e al seu monastir la dita ajgua
del dit flum delAjglin^ als ditz seus molins de Tura empertotz
temps, sotz les formes e covenenses damont dites. En testimoni
enpero e fe pus plenera de totes les dites causes, axi lo dit
senyor nostre Rej com lo dit senjor abat en aquesta présent
carta manaren pausar lurs sagels.
(Arch. des Pyr-.Or,, B. 94, Procuracio real, reg. xvii, fo55.)
XXXVIII
ÉTAT DES CONTRIBUTIONS DES VILLES ET LIEUX ROYAUX
DU ROUSSILLON POUR LE SALAIRE DES JUGES FORAINS
1316 (?) Ayso es la forma en quai manera deuen pagar los
castels del senyor Rey lur part al celari dels jutges forans e
del avocat, e monta per tôt L .x. Ibrs.
1 Cocliure ^ viii. 1. x. s xii. 1.
1 Cai;a/07js, troncs d'arbre qui jouent le rôle de soutiens.
2 Dès le X» siècle, ce fleuve porte le nom d'Aquilinum dans sa partie in-
fi'rieure, comme près de sa source (non loin du pic deBugaracli, département
do l'Aude) au XII«, et ce nom se montre dès l'an 1278 sous la forme actuelle
de l'Agli. On trouve un lieu de Monte Aglino, dans le pays de Fenouillet,
mentionné en 1211.
•• Les cliiffres de la première colonne ont été barrés, on ne sait à quelle
époque, el remplacés par les chiffres correspondants de la seconde colonne.
SUR LA LANGUE CATALANE
2 Argilers vi. 1. x. s
3 Mont Esquiu m. 1. x. s....
4 Volo III . 1
5 Maurelans x . s .
6 Taltahuyl i. 1. x. s
7 Milars vi. 1
275
X.
un
VI.
III.
VI.
iiii. d.
8 Estagel i. 1. x.
9 Toyr viiii. 1
10 Toluges i,
11 Lauro m. 1, x. s x.s.
12 Sent Esteve viii
13 Salses viii
14 Opeu I
15 Clajra vi
16 Sen Laurens vi
17 Torreles vi,
18 Tressena *
S' pertot c. Ibr.
(Arch. des Pyr.-Or., B. 94, Procuracio real, reg. xvii, fo79 v"
1. v. s. .
1. X. s. .
1, X. s..
1. VIII. s.
1. X. s. .
1. X. s..
1
1. VI. s.
XII.
I.
III.
X.
II.
X.
X.
X.
X.
1 1, Collioure; 2, Argelès; 3, Montesquieu; 4, le Boulou ; 5, Maurellas;
6, Tautavel; 7, Millas; 8, Estagel; 9, Thuir; 10, Toulouges; 11, Liauro;
12, Saiot-Estève; 13, Salses; 14, Opoul; 15, Clayra ou Claire; IG, Saint-
Laurent-de-la-Salanque; 17, Torreilles; 18, Tresserres.
NOTICE SUR ROBERT DE BALSAC
SÉNÉCHAL d'aGENAIS ET DE GASCOGNE
Robert de Balsac fut à la fois un homme de guerre et un écrivain,
ce qui aurait dû, semble-t-il, lui assurer une double réputation ; il
n'en a même pas obtenu une toute simple, tout ordinaire, car on l'a
oublié dans tous nos recueils biographiques, et, en dehors d'un petit
nombre de spécialistes, personne ne le connaît ; aucune notice de quel-
que étendue ne lui a jamais été consacrée. Aussi réclamerai-jc des
lecteurs, en faveur des imperfections de mon essai, l'indulgence par-
ticulière que l'on doit toujours accorder à celui qui s'avance sur un
terrain inexploré :
Âvia. .. peragro loca, nullius ante
Trita solo.. A.
Du reste, je le déclare avec une reconnaissante joie, j'ai été aidé,
dans ma lutte contre les difficultés d'un sujet entièrement neuf, par
d'excellents confrères: iM. J.-B.-E. de Jaurgain, qui m'a transmis
diverses notes prises d'une main aussi sûre que complaisante parmi
les manuscrits de la Bibliothèque nationale ; M. François Moulenq, le
savant secrétaire général de la Société archéologique de Tarn-et-
Garonne, auquel je dois la communication d'un important document
inédit, dont on trouvera dans l'appendice de considérables extrait? ;
M. Emile Picot, qui m'a gracieusement permis de tirer parti d'un des
plus rares volumes de la magnifique bibliothèque du très-regretté
baron James de Rothschild; M. Paul Desjardins, professeur au col-
lège Stanislas, qui a mis tant d'obligeance et d'exactitude, — ce sont
là chez lui des vertus de famille, — à transcrire, d'après l'exemplaire
dont je viens de faire mention, le texte du Chemin de l'Ospital ; enfin
M. Camille Chabaneau, dont la vieille amitié, — notre première ren-
contre dans la bibliothèque de Marmande date déjà d'une quarantaine
d'années, — m'a fourni de précieux secours pour l'annotation philo-
logique du petit traité de morale de Robert de Balsac.
La maison de Balsac est originaire de l'Auvergne ; elle a pris son
nom d'une localité située dans le département de la Haute-Loire (ar-
rondissement et canton de Brioude, commune de Saint-Gérond)^. Cette
* Lucrèce, de Rerum Natura, lib. iv, vers 1-2.
' Balsac est h 10 kilomètres de Brioiuie. Il faut naturellement écrire le nom
de la famille comme on a toujours écrit le nom de la localité qui a été son
berce.ui. La forme Balsac est, du reste, généralement adoplée dans les ma-
NOTICE SUR ROBERT DE BALSAC 277
maison ne semble pas avoir été très-ancienne, car les auteurs sérieux,
ceux qui ne nous rappellent pas, par leurs illusions voulues ou non
voulues, que généalogie rime avec mythologie, ne remontent pas plus
haut que la seconde moitié du XlVe siècle, où vivait, comme s'expri-
ment les rédacteurs du Dictionnaire de Moréri (édition de 1759),
(( Jean de Balsac, seigneur d'Entragues, lequel aida le roi Charles Vil
de tous ses biens contre les Anglais*, et épousa Jeanne de Chaban-
nes, fille de Jacques de Chabannes^. «
nuscrits comme dans les imprimés. D'autres familles qui portent le nom de
Balzac diffèrent de la famille dont nous nous occupons, et se rattachent, l'une
à une localité de la Charente (commune de Balzac, canton d'Angoulème, à
10 kilomètres de cette ville), l'autre à une localité de l'Aveyron (Balzac, com-
mune de Clairvaux, canton de Marcillac, arrondissement de Rodez). M. de
Barrau [Documents historiques et généalogiques sur les familles du Rouer-
gue, t. m, 1857, p. 692) constate que « les comtes d'Entraygues du Rouer-
gue n'ont rien de commun avec les comtes d'Entraygues qui furent en grande
faveur sous le règne d'Henri Ilt.« Ceux-ci, ajoute-t-il, étaient d'Auvergne, et
Enlraygues, dont ils étaient seigneurs, était une paroisse annexe d'Enazat,
dans le diocèse de Clermont, élection de Gannat. » On connaît en France
quatre localités qui portent le nom d'Entraigues ou Entraygues, et qui em-
pruntent ce nom au voisinage de quelque cours d'eau: la première dans l'A-
veyron, chef-lieu de canton de l'arrondissement d'Espalion, au confluent delà
Truyère et du Lot; la seconde dans l'Isère, arrondissement de Grenoble, can-
ton de Valbonnais, près de la Bonne; la troisième dans le Puy-de-Dôme, ar-
rondissement de Riom, canton d'Ennezat, sur le Bédat; la dernière dans Vau-
cluse, arrondissement et canton de Carpentras, à 12 kilomètres de cette ville,
sur une branche de la Sorgue. Dans la curieuse publication de .M. Faugère-
Dubourg [Nos pères sous Louis XIV. Extraits des Mémoires sur la géné-
ralité de Bordeaux concernant UAgenais, etc. Textes rédigés à Vinten-
dance en 1715; Agen, 1885, grand in-S», p. 85), l'origine auvergnate du
nom d'Entraygues a été méconnue, et l'intendant donne du mot cette fantas-
tique explication: « On l'appelle d'Entragues à cause des baronnies de Cler-
mont et de Dunes, que la rivière de Garonne sépare, qui appartenoient à cette
maison: en latin de inter aquas, en gascon Entraygos. »
1 Je ne pouvais consulter sur ce point un auteur plus compétent que M. le
marquis de Beaucourt, au bel ouvrage duquel l'Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres vient de décerner si justement sa plus magnifique récompense,
le grand prix Gobert. L'historien de Charles Vil n'a trouvé dans ses immenses
recherches aucun document du temps relatif aux services rendus par Jean de
Balsac au roi. Voici le seul renseignement que fournissent les dossiers bleus
du Cabinet des titres (n° 1253) et qu'il m'a bien amicalement transmis :« Jean
de Balsac, fils de Ruffec, fut chevalier, seigneur d'Antragues, Montagu et
Marcoussis, vidame de Launoi, conseiller du Roy et grand maistre d'hostel de
France. 11 feit bastir et fonda le mouastère des Celestins de iMarcoussis et en
hayne des bons et fidelles services par luy rendus au roy et au royaume de
278 NOTICE SUR ROBERT DE BALSAC
Robert de Balsac fut le second suivant les uns, le troisième sui-
vant les autres, des enfants issus de ce mariage ^. On ignore le lieu
et l'année de sa naissance. Comme on avait prétendu que son père
fut sénéchal d'A gênais et Gascogne '% on a supposé qu'il vit le jour
à Agen''. Mais, malgré tout le désir que j'aurais d'ajouter un nom
de plus à la liste des célébrités agenaises, de longueur assez respec-
table déjà, la vérité devant être mise au-dessus de tout et devant
l'emporter même sur le patriotisme^, je suis obligé de déclarer que la
France fut par les rebelles et ennemis de Sa Majesté injustement mis à mort
gnoniinieusement la veille de Saint-Luc, 17 d'octobre 1409, et fut inhumé au
monastère. »
' M. Jules de Bourrousse de Laffore [Généalogies des maisons de Fahri
et d'Ayrenx, Bordeaux, 1884, in-S", p. 54) a transformé Jeanne de Chahan-
?ies,mentionnée partons les généalogistes, en Agnès d'Entragues. Cette inad-
vertance d'un aussi consciencieux travailleur nous rappelle à tous, comme le
pulvis es du mercredi des Cendres, notre extrême fragilité. Qui donc est sûr
de sa mémoire et de son attention? Les bénédictins eux-mêmes, nos maîtres
si vénérés, n'ont-ils pas, eux aussi, commis de gros péchés en matière d'érudi-
tion? D'après le document du Cabinet des titres, cité dans la note précédente,
le père de Jeanne de Chabannes portait, non le prénom de Jacques, mais le
prénom de Robert; il était seigneur de Charlus. La mère de Jeanne était
Élips de Bord.
3 Voici l'énumération des titres du fds aîné, telle que la donne le P. An-
selme (t. II, p. 437): « RufTec de Balsac, seigneur de Glisenove, Bensac,
Saint-Araand, Prélat, Paulhac, Rioumartin, Sévérac, Rosières, Cusset, Mont-
morillon, Saint-Clément, Chàtillon-d'Azergues, Bagnols, la Rigaudière, séné-
chal de Niraes et de Beaucaire, capitaine de dix hommes d'armes, gouverneur
du Pont-Saint-Esprit, qualifié conseiller, chambellan du roi dans le don à lui
fait par Louis XI, en 1471, des seigneuries de Cassaignes et de Marsillac, con-
fisquées sur Jean V, comte d'Armagnac. » Rufîec de Balsac mourut le 25 oc-
tobre 1473 et fut enterré à Saint-Julien-de-Brioude.
* Aucun des textes anciens que j'ai pu voir ne confère à Jean de Balsac le
titre de sénéchal. Ce sont les généalogistes seulement qui ont prêté ce titre
tantôt à Jean et tantôt à son fils aîné,
^ M. Jules Andrieu a bien voulu me communiquer la feuille du premier
volume de \i\ Bibliographie générale de l'Age?inis i?.Q\is presse), où il s'occupe
(p. 39-40) de R. de Balsac, né, dit-il, « très-probablement à Agen vers 1440. »
Si Robert n'appartient pas à l'Agenais par sa naissance, il lui appartient, en
quelque sorte, par son long séjour (plus d'un quart de siècle), et nul ne blâ-
mera le si zélé et si habile chercheur d'avoir introduit dans son ouvrage le
nom du sénéchal-moraliste.
" M. Gaston Paris (la Poésie du moyen âge. Leçons et Lectures. Paris,
Hachette, 1886, la Chanson de Roland) a dit avec autant de raison que
d'éloquence: « La science n'a d'autre objet que la vérité, et la vérité pour
elle-même. Celui qui, par un motif patriotique, religieux etmêmemoral, se per-
NOTICE SUR ROBERT DE BALSAC 279
conjecture ne me paraît pas recevable. Résignons-nous, jusqu'à la dé-
couverte de quelque document décisif, à laisser indécises les questions
relatives au lieu et à l'époque de la naissance de Robert.
On ne possède pas de détails sur sa jeunesse. La première mention
que nous rencontrions de lui est dans un acte par lequel Charles de
France, duc de Guyenne, lui fait donation, le 23 février 14G3, de la
terre de Clermont-Dessus, laquelle forme aujourd'hui la commune de
ce nom ^ Le nouveau possesseur de Clermont-Dessus ne tarda pas
cà aller guerroyer en Italie. Voici la lettre de recommandation qu'en
faveur du protégé de son frère, Louis XI écrivit, le 27 mai 1464 ,
« A nostre très cher et très amé oncle le Duc de Milan :
» Loys, par la grâce de Dieu, roy de France. Très cher et très
amé oncle, pour ce que entre noz serviteurs, avons en especial re-
commandacion nostre bien amé serviteur, Robert de Balsac, escuier,
et pour ce que ledit de Balsac, comme nous a dit, a grant désir et
affection d'aler veoir le monde et de sy employer en fait de guerre
soubz aucuns de nos parens et espetiaulx amis ; que sommes informés
deuement que ledit Robert est de bonne maison et noble et bien ex-
pert au fait de la guerre, et qu'il est homme pour bien servir, et que
vouldrions son bien et avancement, nous désirerions bien que ledit
Robert vous peust faire aucun bon service. Pourquoyvous prions bien
affectueusement que, pour amoui- et contemplacion de nous, vous le
vueilliés prendre et employer en vostre service, et l'avoir pour espe-
met dans les faits qu'il étudie, dans les conclusions qu'il tire, la plus petite
dissimulatioD, l'altération la plus légère, n'est pas digne d'avoir sa place dans
le grand laboratoire où la probité est un titre d'admission plus indispensable
que l'habileté. »
I Département de Lot-et-Garonne, arrondissement d'Agen, canton de Puy-
mirol, à 20 kilomètres d'Agen et à 18 kilomètres de Puymirol. Voir Coutumes
de Clermont-Dessus en Agenais, 1262, publiées parHippolyte Rebouis (Paris,
Larose, 1881, in-8o, p. 6); Documents historiques sur le Tcam-et-Garonne,
par M. François Moulenq (Montauban, 1881, in-8o, p. 61). M. Moulenq, dont
le recueil, aujourd'hui formé de trois volumes, est si bien fait et a tant d'im-
portance, comme j'ai eu grand plaisir à le constater trois fois de suite dans
la Revue des questions historiques, cite ainsi, en note, le document sur
lequel il s'appuie: « Original aux archives de Madame la comtesse Marie de
Raymond. » Cet original devra désormais être consulté, avec grand nombre
d'autres manuscrits et plusieurs centaines d'ouvrages historiques et généalo-
giques de haute valeur, dans le fonds Rayinond, légué aux archives dé-
partementales de Lot-et-Garonne. Voir ma notice sur Madame la comtesse
Marie de Raymond {kuch, 1886, in-8o), et aussi et surtout la notice publiée
sur cette femme d'élite par MM. Ad. Magen et Georges Tholin (Agen, 1886,
in-8o).
280 KOTICE SUR ROBERT DE BALSAC
cialement recommandé, comme vouldriés que eussions ung de voz
serviteurs en cas semblable. Et, ce faisant, nous ferez singulier plai-
sir. Donné à Paris, le xxvii' jourde may. — Loys. — De Reilhac*. »
Nous ignorons les circonstances et la durée du séjour de Robert
en Italie. Nous le retrouvons, en 1468, au service du frère de Louis XI,
auquel le roi de France, à la suite de la guerre dite du Bien public,
avait cédé le duché de Normandie, qu'il devait bientôt lui reprendre:
<( En présence de Jehan Chambellan, secrétaire de Mgr le duc de
Normandie, Robert de Balsac, ecuyer, étant au service dudit seigneur,
a confessé avoir receu de mestre Pierre Morin, trésorier gênerai dudit
seigneur, 420 livres tournois en 280 reaulx que ledit seigneur a or-
donnés tant pour lui que pour 4 hommes d'armes et 18 archers étant
sous lui au service dudit seigneur, pour leurs gages de deux mois finis
au dernier jour de juillet. . .^. »
J.-F. Boudon de Saint-Amans, dans le tableau fort incomplet des sé-
néchaux de l'Agenais (Histoire ancienne et moderne du département
de Lot-et-Garonne, t. I, 1836, p. 304) fait commencer le sénéchalat
de Balsac d'Entragues à la fin de 1467^. Pour moi, c'est seulement
dans un document de 1469 que je trouve Robert revêtu du titre de sé-
1 Original aux archives de Milan, reproduit dans les Lettres de Louis XI,
roi de France, publiées pour la Sociélé de l'Histoire de France par MM. Jo-
seph Vaesen et Etienne Cbaravay, t. II, 1885, p. 183.
2 Bibliothèque nationale, pièces originales, vol. 178, no 6. Dans le même
manuscrit, sous le no27, on conserve la lettre suivante de R. de Balsao, non
datée, mais qui doit appartenir à jl'époque où nous place le document pré-
cédent: « Monsgr le thesaurier, je me recommande à vous tant quejepeux_
Nague[re]s que vous escripts par Florimonl du Monteil que iii'e[u]voyssez
l'argent de mes gages, il ne vous trouva point jusques avant qu'il s'en venoit
et par ainsi ne m'en apporta point; mais je vous prie que par le bastard de
Bedeur, porteur des présentes, m'envoyez mes gages des moys de juillet et
aoust derniers passez desquelz j'ay passé la quittan[ce] es mains de raaislre
Denys et j'ay espérance d'est[re] d'ycy à vu ou vui [jours?] dev[er]s Monsg'
et me paierez le reste et je vous baiileray quictan[ce] de toute l'année. [Je
n'ajoute pas?] autre chose, mays je pry nostre Seigneur Monsg' le thesau-
r|ier]qui vous doint ce que desirez. Escript à Clermont-Sobiran le xxvi» d'oc-
tobre. Le tout vostre Robbert de Balsac.» Clermont-Dessus, dans les cou-
tumes de i262,sappeUeClar)non-Sobeira. La Chenaye-Desbois (t. II, p. 249)
a séparé en deux le dernier mot et adopté l'étrange forme : Clermont Sous-
Diran .
•' Le pré(l(icesseur de Robert de Balsac fut ou, pour mieux dire, paraît
avoir été Pierre de Raymond, sieur de Folmonl, sénéchal d'Agenais et de
Quercy (1462-1467). (Saint-Amans, Tai/eflu déjà cité; Généalogie manu-
scrite de la maison de Raymond, etc.).
NOTICE SUR ROBERT DE BALSAC 281
néchal d'A gênais et de Gascogne. J'emprunte aux Procès-verbaux de
la réintégration des terres usurpées sur le domaine du duc de
Guyenne ' le début du Pareatis de Monsieur le seneschal d'Age-
710 is : (( Robert de Balzac, sieur du Rieu-Martin^, conseiller et
chambellan de très hault, très puissant et excellent prince, Monsei-
gneur, duc de Guyenne, et son senechal d'Agenois et de Gascoigne à
tous justiciers et officiers de notre dite senechaucee et leurs lieute-
nants et autres qu'il appartiendi'a, salut^.» ,
Le nouveau sénéchal de l'Agenais prit part avec son frère aîné,
Ruffec de Balsac, sénéchal de Beaucaire ^, à la facile conquête du
comté d'Armagnac, entreprise (mai 1469) par l'ordre de Louis XI et
sous le commandement du comte de Dammartin, pendant que Jean V
cherchait un refuge en Espagne. Robert obtint, dans les dépouilles
du fugitif, les terres de Dunes (commune de Tarn-et-Garonne, arron-
dissement de Moissac, canton d'Auvilars), de Malauze (canton de
Moissac) et de Tournon (Lot-et-Garonne, arrondissement de Ville-
neuve). Les documents déjà mentionnés de V Appendice renferment
d'abondants renseignements sur les terres octroyées au sénéchal de
l'Agenais, reprises, un peu plus tard, à main armée par Jean V, et qui
furent l'objet d'un débat porté devant deux commissaires chargés par
le roi de procéder à une enquête sur les réclamations du châtelain
dépossédé».
' Ce documeat, considérable par soq étendue comme par sa valeur, a élé
communiqué aux Archives historiques du département de la Gironde (t. V,
1863, p. 339-376), par le docteur Jules de Bourrousse de Laffore.
2 C'est Rioux-MartJQ, commune du département de la Charente, arrondis-
sement de Barbezieux, canton de Chalais, à 52 kilomètres d'Angoulême. Je
ne vois pas d'autre localité eu France dont le nom se rapproche de celui-là.
3 Dans le recueil des Chartes extraites des archives municipales d'Agen,
publiées par MM. A. Mageu et G. Tholin (Villeneuve-sur-Lot, 1876, in-4o), le
seuéchalat de Balsac {Robertus de Balsuco, dominus de Interaquis et Cla-
riraontis superio)is, consiliarius et cambellanui domininostri régis, ejus-
que senescallus Agennensis et Vasconie] apparaît pour la première fois en
1478-79.
* Mal à propos appelé Geoffroy dans les dossiers bleus déjà cités,
n„ 12535.
» Écrit que produisent le procureur genrral du roy et Robert de Bal-
sac, escuycr et seneschal d'Agenois, der/iendeurs, contre messire Charles
d'Armagjiac, deffeiideur, par devaiit nobles et puissans seigneurs mes-
sires Jean d'Estuer, chevalier, seigneur de Labarde, seneschal de Lion,
lieideiiant du roy nostre Sire ez Marches de par deçà et Monsieur maistre
Bernard de Saint-Félix, docteur en chasque droit, conseiller du roy en
la court de Parlement de Tholoze et commissaire en cette partie. L'avocat
28Î NOTICE SUR ROBERT DE BALSAC
Énuméroas rapidement diverses pièces relatives aux premières an-
nées du sénéchalat de R. de Balsac : Du 27 février 1470 (v. st. ), « En
lirésencede Jehan Vachereau, secrétaire de Mgr le duc deGuyenne»,
quittance de 66 livres 13 sols 4 deniers tournois est par lui donnée
pour ses gages de chambellan du duc de Guyenne pendant ledit
mois de février '. Du 6 février 1471 (n. st.), rôle de la compagnie de
20 hommes d'armes et de 40 archers- sous la charge de R. de Balsac,
écuyer, seigneur de Rieumartin, conseiller et chambellan du duc de
Guyenne et son sénéchal d'Agenais^. Du 23 septembre 1471, en pré-
sence de Denis de Sablou, « secrétaire de Mgr le duc de Guyenne»,
quittance de 60 livres tournois donnée par ce noble homme Robert
de Balsac, conseiller et chambellan de Mgr, sénéchal d'Agenais et de
Gascogne, capitaine de 20 lances des ordonnances dudit seigneur,
pour ses gages et droits de capitaine desdites 20 lances pour le
quai'tier d'avril, mai et juin dernier passés '*. » Du même jour, en
présence du même Denis de Sablon, quittance de 66 livres 13 sous
4 deniers tournois, donnée par le même pour ses gages de chambel-
lan d'avril dernier passé ^. Du 24 novembre 1471, montre à Agen de
10 hommes d'armes et 20 archers sous la charge du même •'. Du 19 dé-
ccmbèe 1471, montre àPonsen Gascogne (sic) de 20 hommes d'armes
et 40 archers sous la charge du même''.
Un acte du 16 juillet 1471, passé devant le notaire Jehan Leroux,
nous apprend que le chambellan du duc de Guyenne était à cette
date capitaine de l'importante forteresse de Puymirol: « Honorable
homme messire Bernard de Gotz, docteur en droictz, procureur du
noble et puissant seigneur Robert de Balsac, écuyer, seigneur de
Rieumartin, etc., a reçu 50 livres tournois pour les gages de la ca-
qui a rédigé le mémoire en faveur des intérêts de R. de Balsac s'appelait
Laurel.
' Bibliothèque Nationale. Pièces originales, vol. 178, no 10.
2 Ces 40 archers me rappellent que certain auteur, parlant du frère aîné de
Robert, s'est livré par mégarde à une multiplication singulière et a trans-
formé les 40 archers de Ruffec de Balsac en 4,000 archers. A une poignée
d'hommes, c'est substituer une armée.
3 Bibliothèque Nationale. Collection Clairambault, vol. 235, n° 145. —
Autre montre, le 18 avril 1471 après Pâques, àRaveael,de 20 hommes d'ar-
mes et 40 archers (même collection, vol. 120).
♦ Pièces originales, vol. 178, no 11. Ravenel est une commune du déparle-
ment de l'Oise, arrondissement de Clermont, à 37 kilomètres de Beauvais.
5 Ihid., no 12.
6 nolleclion Clairambault, vol. 235, no 161.
■' Ifji'd., vol. 120. Poiis en Gascogne n'est autre que Pons en Sainlonge
(chef-lieu de canton de l'arrondissement de Saintes).
NOTICE SUR ROBERT DE BALSAC 583
pitaincrie de Puyinirol dont ledit seigneur est capitaine, de l'an fini
le jour de la Saint-Jean Baptiste dernier passée
Avant même le décès du duc de Guyenne, dès le 10 mai 1472, Ro-
bert s'intitule « conseiller et chambellan du Roi et son sénéchal d'A-
genais -. » Etait-ce un acte de courtisanerie empressée? Ou le bruit
de la mort du malheureux frère de Louis XI s'était-il répandu trop
tôt?
La guerre entre Louis XI et Jean V d'Armagnac ayant recommencé,
R. de Balsac fut un des principaux chefs de la nouvelle armée envoyée
par le roi de France en Gascogne ; il s'y fit remarquer par sa bouil-
lante ardeur. Mais joua-t-il, dans les dramatiques événements qui
suivirent la prise de Lectoure (5 mars) '5, le rôle odieux que divers
écrivains lui ont attribué? Est-il responsable, comme on l'a tant dit
et redit, des perfidies et des cruautés de cette lamentable journée?
Se retrouvant en face de l'adversaire contre lequel il avait plaidé, et
se montrant aussi féroce que rapace, a-t-il donné le signal de l'assas-
sinat du comte d'Armagnac, en criant à ses soldats Tue! tue! On
voudrait croire que Balsac n'a pas commis un crime aussi lâche et
aussi infâme que celui de faire égorger un ennemi sans défense. 11
s'est trouvé, de nos jours, un historien judicieux et instruit qui n'a
pas craint de réhabiliter le prétendu complice du sénéchal d'Agenais,
le commandant en chef de l'armée, Jean de JoufFroy, évêque d'Albi,
que l'indignation populaire avait surnommé le diable d'Arras '*. Je
n'irai pas aussi loin en ce qui regarde Balsac, et je me contenterai
d'observer que les récits contemporains sont contradictoires, que les
jugements des historiens sont divers, qu'au milieu de la demi-obscu-
rité formée par tant de témoignages et d'appréciations opposés, il
serait téméraire de se ranger du côté des accusateurs, et que la jus-
* Pièces originales, vol. 178, no 13
2 Ibid., vol. 178, no 15.
3 Plusieurs historiens indinneat le 6 mars. Les rédacteurs de ['Art de vé-
rifier les dates ont d'il (C hro no loijie iiKtorique des rois de France): « Cet
horrible événement est du 5 iiar-i »; ils ont vé^éié [Chronologie historique
des comtes d'Armagnac):^ C t hoirible ovéaement est du vendredi 5 (et non
6) mars 1473. »
4 Le cardinal Jean Jouffroy. Etude historique, par Ch. Fierville, doc-
teur es lettres, censeur des études au lycée de Coutances. Paris, Hachette,
1874, in-8o, p- 202-206. Ou trouvera dans cet ouvrage d'abondantes indica-
tions bibliograpiiiques, l'auteur n'ayant oublié aucun des chroniqueurs du
XV" siècle et ayant cité bon nombre d'historiens postérieurs, notamment Jean
de Serres, Henri de Sponde, Mariana, .Mézeray, Dom Bernard de Montfaucon,
La Faille, Duclos, Dom Vaissète, le chanoine Monlezun, etc.
Î84 NOTICE SUR ROBERT DE BALSAC
tice veut que, dans le doute, oq s'abstienne de prononcer une sen-
tence définitive '.
Robert de Balsac se maria, le 3 octobre 1474, avec Antoinette de
Castelnau, qui appartenait aune vieille famille du Quercy et qui était
fille d'Antoine, seigneur de Castelnau et de Bretenoux, frère aîné de
l'évêque de Cahors, Jean de Castelnau 2; il en eut cinq enfants, deux
fils et trois filles. L'aîné de ses fils, Pierre, seigneur d'En tragues et de
Dunes, chevalier de l'ordre du roi, gouverneur de la haute et basse
Marche, épousa sa cousine, Anne Malet, dame de Montagu, fille de
1 Les graves auteurs de l'Âi't de vérifier les dates n'ont pas hésité à ab-
soudre par leur silence R. de Balsac. Voici leur bref et saisissant récit:» Les
troupes du roi étant entrées dans la ville, le comte, par ordre et en présenre
df! MontfaucoD, l'un de leurs chefs, ppt poignardé entre les bras de sa femme;
les habitants sont massacrés, la ville est livrée aux flammes. » Legrand (His-
toire de Louis XI, t. II, p. 783, ms. de la Bibliothèque Nationale) attribue
aussi le meurtre du comte d'Armagnac à Guillaume de Montfaucon, lieute-
nant du sénéchal deBeaucaire: « Monfaucon commanda à Pierre Gorgias de
faire ce qu'il avait promis, et cet archer donna trois coups de poignard dans
l'estomac du comte. »
' Antoine de Castelnau s'était marié, en 1436, avec Catherine de Chavigny.
Voir l'Histoire générale de la province de Quercy, par Guillaume Lacoste
(ea cours de publication, t. III, p. 420). Le beau-frère de Balsac, Jean de
Castelnau, a été accusé d'avo'r empoisonné la veuve du comte d'Armagnac,
captive dans le château de Castelnau-de-Bretenoux (arrondissement de Figeac).
Voir Essais historiques sur le Rouerç/ue,pa.c\p.h&TOD de Gaujal (t. I,p.96).
D'autres ont raconté que Jeanne de Foix périt tragiquement dans le château
de Buzet, près de Lectoure. La vérité est que la veuve de Jean V paraît avoir
longtemps survécu à son époux, et que, comme l'affirme Olhagaray, l'historien
du pays de Foix, elle mourut de mort naturelle à Pau. Voir les observations
de Dom Vaissète (Histoire générale de Lanç/uedoc, t. V, p. 44-50) et de
l'abbé Monlezun (Histoire de la Gascofj7ie. t. IV, p. 375). Il résulte de tout
ceci que les auteurs de VArt de vérifier les dates ont eu grand tort de dire:
« Elle [Jeanne] le [Jean V] suivit au tombeau peu de jours après dans la pe-
tite ville de Castelnau de Bretenoux en Querci, où elle avait été transportée.
On prétend que sa mort fut l'effet d'un breuvage qu'on lui donna pour la
faire avorter. » Il en résulte encore que G. Lacoste a eu grand tort d'attribuer
à Jean de Castelnau (p. 435) « la mort barbare de la comtesse d'Armagnac »
et d'ajouter que, « comme pour racheter le crime qu'il venait de commettre «,
ce seigneur « fit bâtir l'église de Castelnau, l'enrichit de vases et d'ornements
sacrés et y mit des chapelains.» Ceux qui ne seraient pas trop effrayés par une
page où se déploie, au milieu de métaphores échevelées, une sensiblerie mé-
Indrainalique, pourront lire, dausVHistoire du midi de la France par Mary
LaTon (l, III, p. 2i9) le récit de l'entrevue du « sombre cardinal Jouffroy »
el de Vin fortunée forcée par lui « à boire un breuvage pour détruire, après
l'Armagnac mort, celui qui ne vivait pas encore. »
NOTICE SUR ROBERT DE BALSAC 385
Louis, seigneur de Graville, amiral de France', qui lui donna deux
fils: Guillaume, dont les descendants devinrent marquis de Clermont
d'Entragues, et Thomas, d'où provint la branche des seigneurs de
Montagu -.
Après son mariage, le sénéchal d'Agenais passa plusieurs années
encore dans cette province. S'il la quitta en 1475, — (il était à Ve-
zelay avec ses archers au commencement de juin)^, — nous le re-
trouvons en Agenais avant la fin de cette même année, prenant, en
1 Bernard de la Monnoye rappelle, dans une note de la Bibliothèque
française d'Antoine Duverdier (t. V, 1773, p. 416), que Pierre avait enlevé
sa cousine germaine Anne Mallet [c'était la fille de Marie de Balsac, sœur de
Robert] eL l'épousa malgré le père irrité. Il ajoute :u L'Amiral voulut de.shériter
sa fille ; mais le prieur des Célestins de Marcoussis obtint la grâce de la fille
et du gendre, en les présentant à l'Amiral, un Vendredi-Saint, dans l'instant
où celui-ci alloit adorer la Croix. C'est cette Anne Mallet qui porloit pour de-
vise chantepleure, avec ces mots Musas natura, lacrymas fortuna, comme
je l'ai remarqué dans ma note sur la Croix du Maine, à l'article d'yl?i?ie de
Graville, t. 1, p. 83. » En cette page 83, voir d'intéressants détails sur la
traduction en vers que la belle-fille de Robert de Balsac fit du roman de Pa-
lémon et Arcite, dont le manuscrit se voyait, du temps de Duverdier, « en la
librairie de Monsieur le comte d'Urfé >>, arrière-petit-fils de la traductrice, et
passa depuis, dit la Monnoye, dans la Bibliothèque du Roi.
2 Un des fils de Guillaume de Balsac, seigneur d'Entragues, de .Marcoussis,
gouverneur du Havre-de-Grace, Charles, seigneur et baron de Dunes, comte
de Graville. chevalier des ordres du roi, mort en 1599, fut célèbre à la cour
du roi Henri 111, où il était surnommé le bel Entraguet{\o\ï surson duel avec
le comte de Caylus, du 27 avril 1578, les Mémoires-journaux de Pierre de
l'Estoile, édition Jouaust. t. I, p. 243-254). Une petite nièce de Charles,
fille de François de Balsac et de Marie Touchet, fut la trop fameuse marquise
de Verneuil (Henriette de Balsac). Parmi les autres descendants de Guillaume
de Balsac, citons encore Henri de Balsac, marquis de Clerraont-dEntragues,
seigneur de Mezières, qui épousa Louise Luillier, dame de Boullencourt,
mère de Louise, qui épousa le marquis d'Avaugour, et de Marie, qui épousa
le comte de Marchin. La mère et les deux filles, également remarquables par
leur bonté et par leur esprit, occupent une place considérable dans l-s
Lettres de Jean Chapelain, de l'Académie française (t. I, 1880, in-4o,
passirn delà p. 1 à la p. 646); elles furent les protectrices d'Antoine Godeau,
évêque de Grasse et de Vence, et les amies de M"^ Paulet, qui mourut dans
le château de Clermont-Dessus,commeà propos d'un passage des Historiettes
de Tallemant des Réaux sur la Lyonne, je l'ai rappelé en une note de la
Revue de Gascogne (t. XVII, 1876, p. 427).
3 Montre et revue des archers étant sous la conduite du sire de Balsac,
sénéchal d'Agenois, passée à Vezelay le 5 juin 1475 (Bibliothèque Nationale,
fonds français 21,499, f" 260). Communication de M. Slein, archiviste paléo-
graphe.
286 NOTICE SUR ROBERT DE BALSAC
tête d'un mandement relatif au péage de Marmande ', les titres de
seigneur des baronnies d'Entraigues et de Clermont-Sobiran, conseil-
ler et chambellan du roi et son sénéchal d'Agënais et de Gascogne.
Nous l'y retrouvons aussi, deux ans plus tard, recevant, au château de
Clermont, l'aveu et dénombrement de quelques habitants du mas
de Labroa en la personne de noble homme Florimont de Monteilh et
d'honorable homme Jean Dauphin, juge de ladite baronnie de Cler-
mont. On accole là au nom de R. de Balsac les épithètes noble et
jmissatil et les titres de seigneur des baronnies d'Enlragues et de
Clermont-Dessus {Clarimontis superioris, car le document est en
langue latine) et seigneur de Saint-Amant, conseiller et chambellan
du roi et son sénéchal d'Agënais et de Tarascon {sic) ^. En 1482, le
22 juin, il donne quittance de 800 livres tournois « qui lui ont été
ordonnés pour sa pension et son entretien au service du roi pendant
l'année commencée le P"" octobre passé ^. » Le 14 avril 1483, il signe
à Condom, en qualité de sénéchal d'Agënais et Gascogne, des lettres
pour faire jouir les habitants de Lectoure des privilégesconfirmés
parle roi Louis XI*. »
Ce fut très-peu de temps après que Balsac repartit pour l'Italie.
Veuf d'Antoinette de Castelnau, morte on ne sait en quelle année,
il se remaria (22 octobre (1483) avec Lancie Fabri, fille de Laurent
Fabri, gonfalonier delà république de Florence, et de Louise Alberti.
On ne dit pas s'il y eut des enfants de ce second mariage, qui établit
une lointaine parenté entre le sénéchal d'Agënais, de la fin du XVe siè-
cle, et l'illustre conseiller au parlement de Provence, de la première
1 Bibliothèque Nationale. Pièces originales, vol. 178, nu 16. Le jour et le
mois manquent.
2 Pièces originales. Vol. 178, no 17. Je suppose que Tarascoîi est un
lapsus de copiste, et qu'il faut lire Vascon, abréviation de Vasconie.
3 Ibid., n" 19. Notons, d'après l'ouvrage de M. Moulenq (t. II, p. 59),
que Bernard de Tayac de Villevaire, transigea, le 17 mars 1482, avec Robert
de Balsac, seigneur de Clermont, sur la haute justice du lieu de Golfech
(comraanderie de l'ordre du Temple, puis de l'ordre de Saint-Jean-de-Jéru-
salem, dans le grand prieuré de Toulouse), cette haute justice ayant été
reconnue appartenir au commandeur (Archives de la Haute-Garonne). Voir
encore dans l'inépuisable recueil de M. Moulenq (t. II, p. 191) de curieux ren-
seignements sur Jeanne de Lavilate, qui, après avoir été fiancée, le 21 octobre
14G7, à l'âge de six à sept ans, par Jean V, comte d'Armagnac, à Jean II de
Peclipeyrou, seigneur de Monbarla, fut prise, en 1473, par les soldats deR.de
Balsac, lequel la maria à sou cousin Amalric de Lentilhac.
* Archives liixtoriqices de la Gascogne, fascicule i.x. Archives de la ville
de Lectoure. Coutumes, Statuts et Records. Documents inédits publiés
par P. Druilhet, 1885, p. 96.
NOTICE SUR ROBERT DE BALSAC 287
moitié du XVI1« siècle, Claude Nicolas de Fabri, seigneur de Pei-
resc*.
Je mentionnerai siiïîplement des lettres d'attache pour le sénécha-
lat d'Agenais et Gascogne délivrées à R. de Balsac, le 5 juin 1484,
à cause de l'avènement de Charles VIll (sacré le 30 mai de la même
année) 2 ; mais j'analyserai un document du l^'' novembre 1486 qui
me paraît intéressant pour l'histoire de Clermont-Dessus : procès-
verbal fait par le sieur Tort, commissaire député de la Cour, pour
faire jouir Robert de Balsac des rentes et revenus du lieu de Cler-
mont dus par les habitants dudit lieu, et faire cesser les désobéis-
sances, forces et violences, que commettaient plusieurs malfaiteurs et
gens de guerre étant dans ladite place, et notamment de celles qui
avaient été commises sur la personne de messire Arnault d'Oyenart ^,
qui avait été commis pour lever le péage dudit Clermont, duquel pro-
cès-verbal il résulte que lesdits gens de guerre s'étaient retirés dans
le château de Clermont, d'où ils avaient tiré plusieurs coups et blessé
trois ou quatre hommes delà compagnie dudit commissaire qui avait
mandé lesdits habitants. Se présentèrent seulement Antoine Gast, dit
le Magister, Jean Coderc, Jean Peissiero, Pierre Molinier, Jean Oi-
Ihac, Pierre de Pena, James Brunel, Manault del Bosc, Antoine Pe-
lacuer, Guirault Garrie, Pierre Sage, Jean Solhade et Pierre Galau,
' Généalogies des maisons de Fabri et d'Ayrenx, par Jules de Bour-
rousse de Laffore. Le savant généalogiste indique ainsi (p. 55) les armes de
Robert : d'azur à trois flanquis ou sautoirs d'argent, jjosés deux et U7i;
au chef d'or, chargé de trois ftaiiquis du champ, posés en face. Conférez
une note de M. Joseph Gardères dans la Revue de Gascogne (t. XXVII,
1886, p. 27). L'excellent historien du collège de Condom croit que la belle
leur du XVe siècle qui fait partie de cet établissement, et que j'ai eu le plaisir
d'admirer en sa compagnie l'été dernier [j'écris ceci en mai 1886], a été con-
struite parMondon, écuyer, bâtard de Balsac, lieutenant du sénéchal d'Agenais
et Gascogne, comme semblent Findiquer les armes qui s'étalent dans le fron-
ton d'une des principales fenêtres du monument. Ajoutons que, dans un rôle
de la compagnie de Robert de Balsac dressé en 1499, figurent le bâtard de
Balsac, comme lieutenant de son frère, et un certain Pierre de Balsac, comme
homme d'armes.
* Inventaire sommaire des archives communales, rédigé par MM. Bos-
vieux et G. Tholin, archivistes. Ville d'Agen, 1884, p. 11.
^ De la maison noble d'Oyhenart d'Etcharry, parent de Pierre d'Oyhenart
et de Bernard d'Oyhenart, dit le Basque, qui servaient le premier comme
homme d'armes, le second comme archer, dans la compagnie de Robert de
Balsac. Voir l'étude très-neuve et très-curieuse de M. J.-B.-C. deJaurgain,
intitulée: Arnaud d'Oihenart et sa famille (Paris, Champion, 1885, grand
iû-8o).
288 NOTICE SUR ROBERT DE BALSAC
qui, ayant été requis par M* Pierre d'Aubigny, procureur suffisamment
fondé dudit de Balsac, de payer lesdites rentes, s'y refusèrent de
nouveau. Sur le refus qui en fut fait par ledit Gast comme consul et
parlant pour tous, attendu qu'inhibitions leur en avaient été signifiées
par le procureur de Mgr d'Armagnac, ledit commissaire les fit con-
duire aux prisons du roi àPuymirol*. »
Après avoir signalé une quittance de 000 livres tournois donnée
par R. de Balsac, le 13 janvier 1490 (n. st.), pour ses gages de séné-
chal, de Noël 1488 à pareille fête de 1489 2, et une montre à Ville-
neuve d'Agenois, le 28 août 1492, de 50 lances (48 hommes d'armes et
100 archers) sous la charge du même personnage ^, nous le suivrons
dans son troisième voyage en Italie, àl'époque de cette triomphante
promenade de Charles VIII à travers toute la Péninsule (5 septem-
bre 1494-22 février 1495). Balsac, par l'influence de son beau-frère
Ludovic Fabri, qui aida tant le jeune roi à devenir maître de Pise,
obtint le gouvernement de la citadelle de cette ville et de plusieurs
autres places voisines. J'ai le regret de déclarer quïl se montra fort
indigne de la confiance qui lui avait été ainsi témoignée. Écoutons le
réquisitoire, sévère jusqu'à l'injure, de Philippe de Commynes'*:
« Bien six ou septjours perdit le Roy son temps à la ville de Pise, et
puis mua la garnison, et mit en la citadelle ung appelle Entragues,
homme bien mal conditionné, serviteur du duc d'Orléans; et le luy
adressa Monseigneur de Ligny. . . . Ledict seigneur d'Entragues feit
tant qu'il eut encores entre ses mains Petresaincte [Pietra-Santa] et
une autre place après, appellée Mortron [Mortano]. 11 en eut une aul-
tre appelée Librefacto, près de la ville de Lucques [1495] Une
aultre honte et dommaige luy advint [à Charles VIII]. que ung ap-
pelle Entragues, qui tenoit la citadelle de Pise (qui estoit le fort, et
qui tenoit ceste cité en subjection), bailla ladicte citadelle aux Pi-
sans qui estoit allés contre le serment du Roy qui deux fois jura aux
Florentins de leur rendre ladicte citadelle et aultres places. Pietre-
saincte vendit encores ledict Entragues aux Luçois ", et Librefacto
1 SigQé P. Tort, lieutenant et commissaire susdit, et A. Dabelli, uotaire
royal. Pièces originales, vol. 178, n" 20.
■' Foads français, vol. 25,782, no 113.
* Mémoires publiés pour la Société de l'histoire de France par M''» Du-
pont, t. Il, p. 441 et pp. 544-546.
^ I3'après Sismondi [Histoire des républiques italiennes, t. XH, p. 379),
la vente, faite le 2G février 1496, produisit 24,000 florins. Voir dans le même
volume (p. 377-378) divers détails sur les scandaleux profits que Balsac retira
de la cession au.\ Pisaos de la forteresse, qu'ils s'empressèrent de raser.
NOTICE SUR ROBERT DE BALSAO 289
aux Venissiens ; le tout à la grant honte du Roy, et de ses subjectz,
et dommaige, et consommation de la perte du royaume de Naples. »
On ne peut repousser l'accablant témoignage de Commynes, car ce
témoignage est confirmé parles historiens italiens; et M. de Cherrier,
résumant les récits d'Ammirato, de Guichardin, de Paul Jove, a eu
le droit de flétrir la coupable intrigue qui exerça une influence si
désastreuse sur les opérations de l'armée de Naples et, par suite, sur
les résultats de toute l'expédition '.
L'ex-gouverneur de la citadelle de Pise fut disgracié pendant quel-
que temps 2; mais le roi, qui « dans un transport extraordinaire d'in-
dignation », s'était écrié : 8i je puis mettre la main sur ce traître,
je n'attendrai p)as qu'on auiène le bourreau et je lui couperai moi-
même la tête ; le roi qui avait ajouté: Jamais je ne le recevrai en
graee, autrement ce serait avouer au monde entier que j'ai au-
torisé sa perfidie '^, ce roi allait bientôt mourir (7 avril 1498) ; et,
peu de temps après cette mort, l'inamovible sénéchal put constater
que le roi de France se souvenait des amis du duc d'Orléans, car
il reçut de Louis XII, le 4 juin 1499, la confirmation d'une pension de
deux mille livres tournois à prendre sur le salin d'Agen*. Le docu-
ment qui nous révèle ainsi la bienveillance du nouveau roi pour son
ancien collaborateur nous est parvenu dans un tel état de détério-
ration, que la lecture en est à peu près impossible. Tout au plus
peut-on, à travers les déchirures du .p3.rchemin, reconnaître que
Louis XII a voulu favorablement traiter Robert de Balsac, chevalier,
seigneur d'Entragues et de Saint-Aymant, sou senechal d'Agenoys,
« en considération des grands, vertueux et recommandables services
qu'il a faits à notre dit feu seigneur et cousin^. « On parvient à dé-
J'avais prié M. A. d'Ancona, le très-célèbre professeur de l'Université de
Pise, de me dire s'il existe dans les archives de cette ville quelque document
relatif aux agissements de notre compatriote: l'^éminent érudit a bien voulu
m'apprendre que l'on ne conserve à Pise aucun-manuscrit de cette époque.
1 Histoire de Charles VIII; Paris, Didier, 1860, t. II, p. 332.
2 Pour la première fois après son retour d'Itiilie, on le voit employé en
septembre 1497: il fut chargé d'une mission en Soûle, mission qui nous a été
révélée par M. de Jaurgain {Revue de Béarn et Navarre, livraison de jan-
vier-mars 1885, p. 78).
^ M. de Cherrier rappelle ces paroles, dites par Charles VllI à Lyon aux
ambassadeurs florentins, le 7 février 1496, d'après le recueil des Négociations
diplomatiques (p. 649). Le roi dit encore aux ambassadeurs, sur Balsac, ce
mot qu'il faut rapprocher de l'assertion de Commynes :« Cet homme est au duc
d'Orléans, et non àïnoi. »
* Pièces originales, vol. 178, no 27.
!> La formule officielle semble prendre ici une ironie vengeresse, et quoi de
plus écrasant que l'éloge donné par le scvïh&ainwertueux services d'un traître?
19
20O NOTICE SUR ROBERT DE BALSAC
chiffrer encore les mots que voici, qui semblent attester que Balsac
s'était distingué dans la guerre de Bretagne (1487-1488): « Le roy
Charles que Dieu absolve lui avoit donné. . .en faveur et recongnois-
sance de ses grands et recommandables services., . .de Bretaigne où
il servit vertueusement de oorps et de biens et où il receu [sans
doute : des blessures]. ...»
Pendant les dernières années de sa vie, R. de Balsac s'éloigne sou-
vent de l'Agenais. En février et mai 1499, il est en Champagne, à
Vitry-en-Perthois *; au mois d'août 1499, il est en Artois, à Té-
rouanne^. Après avoir, semble-t-il, touché barre seulement à Agen
eu août 1500^, il revient à Térouanne (février 1501)*. Le 30 juin
de cette même année, il figure pour la dernière fois, comme sénéchal
d'Agenais et de Gascogne, dans une quittance de COO livres tournois
pour ses gages d'une année commencée à la Saint Jean-Baptiste 1500
et finie à pareil jour de l'an 1501, quittance dans laquelle il prend
les titres accumulés de seigneur d'Entragues, de Saint-Amans, de
Juys^, de Dunes ^ et de Clermont''. Le 8 mars de l'année suivante,
* Bibliothèque Nationale, fonds français, vol. 21,505, no 625.
2 Collection Clairambault, vol. 120.
3 Catalogue d'une imporhmte collection de curiosités autographiques,
vendue le 27 mal 1885 (Paris, maison Gabriel Charavay, in-80, p. 4, article G):
R. de Balsac, en une pièce sur vélin, signée le 25 août 1500, à Ageii, mande
au receveur d'Agenois de compter 9 livres tournois à Thomas deLanda, avo-
cat du roi, ainsi qu'à Bernard de Lams, pour neuf jours de voyage; ils se
sont rendus à Marmande pour y interroger, par-devant le juge Maurre, les
témoins produits par le seigneur de Lauzun, dans un procès contre le séné-
chal.
4 Bibliothèque Nationale, fonds français, vol. 25,783, no 28.
' Je ne connais en France qu'une seule localité de ce nom: Juis, dans la
commune de Savigneux, département dell'Ain, arrondissement de Trévoux.
Le château de Juis est-il le château qu'a possédé R. de Balsac?
* Voir d'instructives pages sur Dunes dans le t. III des Documents histo-
riques sur le Tarn-et-Garonne {]^. 371-377). M. Moulenq rappelle (p. 374)
qu'à l'époque où Louis XI fit donation de cette terre à R. de Balsac, ce der-
nier acquit de Raymond-Bernard IV de Durforl, seigneur de Boissières, la
partif? de ladite seigneurie provenant de Régine de Goth, femme de Bernard
do Durfort, sire de Flamarens, et que l'entière barounie de Dunes appartint
ainsi à la maison de Balsac. Puisque nous sommes ramenés en cette note à
la confiscation des biens de la maison d'Armagnac en 1471, ajoutons que R.
de Balsac obtint, en outre, la quatrième partie de la seigneurie d'Astafort
(arrondissement d'Ageu). Voy. Astafort en Agetiais. Notice historique et
Coutumes publiées par Charles Baradat de Lacase \Paris et Agen, 1886,
gr. in-8", p. 40).
' Pièces originales, vol. 179, no 325, R. de Balsac n'était plus sénéchal le
• NOTICE SUR ROBERT DE BALSAC 291
il donne quittance de 120 livres tournois pour son état de capitaine de
40 lances des ordonnances du roi (quartier d'octobre, novembre et
décembre 1501), et son nom apparaît pour la dernière fois le 5 juillet
1503, au bas d'une autre quittance, pour le même état de capitaine,
pendant le quartier d'avril, mai et juin. Déjà le 3 mai, il avait fait
son testament. On ne connaît pas l'époque précise de sa mort ; mais
probablement l'année ne s'écoula pas sans qu'on l'eût inhumé dans
cette église collégiale de Saint-Amand, dont il avait été le fondateur,
dès l'année 1484, y ayant établi six chanoines, six prébendiers et
plusieurs chapelains'.
Nous n'avons que peu de mots à dire de l'écrivain. Robert a lais.sé
deux opuscules seulement, un petit traité d'art militaire (la Nef des
batailles, où est démontré Vordre et train qu'un prince ou chef de
guerre doit tenir, qui veut conquester im pays, ou 2Jasser et tra-
verser les pays des ennemis) et un petit traité de morale (fe Chemin
pour aller a TOspital)-. J'em-pYnni.Q à l'excellent Catalogue des
livres composant la bibliothèque de feu M. le baron James de
Rothschild (Paris, Morgand, 1884, grand in-8°, p. 75, art. 137) cette
intéressante notice sur la satire morale de Balsac: « L'auteur y fait
22 janvier 1503. Son successeur était alors Antoine de Lestranges, que J'en
retrouve encore sénéchal d'Agenais quatre ans plus tard. Le sénéchalat d'A.
de Lestranges est resté ignoré de tous les annalistes de l'Agenais. C'est une
des particularités nouvelles que nous devons en si grand nombre à la remar-
quable publication de M. Léopold Delisle : les Collections de Basfard d'Es-
tang. Catalogue, etc. (Paris, 1885, in-8°, p. 108, n» 978 ; p. 109, n» 983).
1 Selon B. de la Monnoye (note déjà citée de la Bibliothèque fra7içoise
d'Ant. Duverdier), R. de Balsac « mourut vers l'an 1503. » Ce commentateur
ajoute qu'ail fut aimé de Louis XII. »
2 Ces titres sont donnés par Ant. Duverdier, d'après l'édition de Paris par
Philippe le IN'oir, 1525, in-4°. Voir dans le Manuel du Libraire (t. I, col.
1769- 177U, article Champier) des titres beaucoup plus développés, d'après
l'édiliou de Lyon (1502, ia-4o), Symphorien Champier a mis, en tête d'un re-
cueil de pièces en prose et en vers de sa composition, la Nef des princes et
des Batailles de noblesse, etc., de noble et puissant seigneur Robert de
Balsat, consedler et chambrelun du roy nostre Sire, et, à la fin de ce même
recueil, le Chemin de l'hospital et comme il se peut éviter. Je viens de nom-
mer Ant. Duverdier; je ne puis m'empêcher de constater que sa notice de
deux lignes sur Balsac (lui aussi donne la forme adoptée dans toutes les 'si-
gnatures de Robert) semble bien ne viser qu'un pur Auvergnat : « seigneur
d'Antraigues et de S. Amand,ès montaignes d'Auvergne », dit-il en commen-
çant. N'est-ce pas l'indication, peu précise si l'on veut, mais non méprisable,
du lieu d'origine, du 7iid ? Et quand Duverdier ajoute: c sénéchal au pays
d'Agenez et de Gascogne », n'entend-il pas par là qu'il fut dans le Sud-Ouest
un simple oiseau de passage?
292 NOTICE SUR ROBERT DE BALSAC •
une longue énumération des gens qui, placés dans toutes les condi-
tions de la vie sociale, arrivent à la ruine par leurs prodigalités et
leurs folies. Cette pièce paraît avoir eu une grande vogue vers la fin
duXV" siècle et au commencement du XVle siècle. Pierre Gringore
s'en est sans doute inspiré dans les Abus du monde ; le Catholicon
des maladvisez, de Laurens des Moulins, n'en est qu'une amplifica-
tion poétique; enfin d'Adonville, dans &e&Regrets et Peines des mal-
advisez et dans ses Moyens d'éviter merencolie (Montaiglon et
Rothschild, Recueil de poésies françaises, II, 42-76 ; XII, 327-330),
s'est borné à la mettre en rimes. Non-seulement il a suivi pas à pas
son modèle, mais il en a reproduit textuellement certains passages,
comme il l'a fait dans V Honneur des nobles, copie envers du Bla-
son des couleurs, de Sicile (Recueil de poésies françaises, XllI, 68-
428) le Chemin de VOspital a été réimprimé par M. Allut dans
son Étude biographique et bibliographique sur Symphorien Cham-
pier (Lyon, 1859, in-8°, 119-126). Notre édition, qui donne un texte
différent de celui qu'a reproduit M. Allut, a dû être exécutée vers
1525.»
C'est cette différence de texte qui m'a décidé à donner une nouvelle
édition des sentences de l'ancien sénéchal de ma province natale.
Los philologues qui ne connaissent pas la très-rare publication de
M. Allut seront bien aises de se procurer facilement les pages où
Robert de Balsac, devenu vieux et se faisant ermite, a réuni tant de
sages propos ; et ceux qui ont le bonheur de posséder le somptueux
volume de 1859 ne seront pas fâchés de comparer le texte adopté par
l'éditeur lyonnais, avec le texte à peu près inconnu que j'offre aux
amis de la vieille langue, et d'où, si je ne m'abuse, s'exhale vague,
mais encore reconnaissable, une agréable senteur gasconne, Robert
de Balsac n'ayant pu passer tant d'années auprès de la Garonne sans
s'être imprégné de cet air qui (je ne veux pas sortir des limites de
la sénéchaussée) a été si favorable à tant d'écrivains, parmi lesquels
je me contenterai de saluer un prosateur comme Bernard Palissy et
un poëte comme Jasmin.
Ph. Tamizey de Larroque.
P. -S. — M. Antoine Vernière. le savant éditeur à\x Journal de
voyage de Dom Jacques Boyer, Religieux Bénédictin de la Congré-
gation rfe (Sami-Maur (Clermont-Ferrand, 1886, grand in-S"), a l'ama-
bilité de me communi(juer un extrait du Dictionnaire statistique et
historique du département du Can^a/, Aurillac, 1852-1855, t. III,
pp. 109-110), extrait qui fournit un intéressant supplément aux ren-
seignements déjà douués sur Robert de Balsac et qui nous donne,
notanuneut, la date précise de sa mort:
IsOTICE SUR ROBERT DE BALSAC 293
«A peu de distance de ce bourg [St-Chamand, anciennement St-
Amand], on voyait autrefois, sur le mont Constans et sur le terrain de
Long-Puech, une église de style ogival, remarquablement belle à en
juger par les rares débris qui en restent. Robert de Balsac, seigneur
de St-Chamand, dont la vie avait été pleine d'agitations et de trou-
bles, l'avait édifiée en 1483, pour se rédimer, sans doute, des fautes
qu'il avait commises, et l'avait érigée en église collégiale, à laquelle
il avait attaché un chapitre composé de six chanoines et d'un doyen,
à la nomination du seigneur du lieu. La bulle autorisant cette fonda-
tion est de Sixte IV... Robert de Balsac avait assigné des rentes
considérables à l'entretien de cette église et de son chapitre. . .Lors-
qu'on démolit cette église, on trouva, en fouillant près du chœur, son
tombeau, qui portait sur une plaque de cuivre l'inscription suivante :
(( Cy devant gyt noble et puissant seigneur Robert de Balsac, che-
valier, conseiller chambellan du roy nostre sire, et son sénéchal d'Age-
nois et de Gascogne, et capitaine des gendarmes de l'ordonnance et
fondateur de l'église de céans, qui trépassa le ix* jour du mois de may
de mil cinq cent trois.
)) Priez Dieu pour son âme.
» Cy devant gyt noble damoiselle de Castelnau de Bretenoux,
femme et épouse dudit Robert de Balsac, sénéchal d'Agenois, la-
quelle trépassa le ix« jour de septembre, l'an mil quatre cent quatre-
vingt-quatorze. y>
D'après le Guide historique, archéologique, statistique et pitto-
resque des voyageurs dans le département du Cantal, par Henri
Durif (p. 390), ce fut M. Cabanes, maire de St-Chamant, qui, prati-
quant des fouilles dans son jardin (ancien emplacement de l'oratoire
construit près du chapitre et sous le pavé duquel R. de Balsac avait
été inhumé), découvrit en 1839 une plaque en cuivre d'une forme car-
rée, portant en lettres gothiques l'inscription que l'on vient de lire,
laquelle plaque est déposée au presbytère. La date de cette décou-
verte explique comment P. -G. Aigueperse, auteur de la Biographie
ou Dictionnaire historique des personnages d'Auvergne illustres,
etc. (Clermont-Ferrand. 1834, t. I, p. 65), a pu dire: « On ignore
l'époque de sa mort. )> Voici les premières lignes de l'article d'Aigue-
perse, dont je dois aussi la connaissance à mon obligeant confrère,
M. A. Vernière : « Robert de Balsac, fils de Jean de Balsac et d'Agnès
de Chabannes, seigneur d'Entragues et de Saint-Amand, frère de
Roffec de Balsac, sénéchal de Nimes et de Beaucaire, fut sénéchal
de Gascogne et d'Agenois, après son frère, capitaine des châteaux de
Tournon, Port de Penne et de Châtelculhier, an diocèse d'Agen. »
LE CHEMIN DE L'OSPITAL
ET CEULX QUI EN SONT POSSESSEURS
[F° 1 f>] Le chemin de l'ospital et ceulx qui en sont posses-
seurs.
Et premièrement
Ceulx qui ont petit et despendent beaucoup.
Gens qui jouent voulenticrs et perdent souvent.
Gens qui n'ont pas grans prisées', ne rentes et portent draps
de soye et chiers habillemens.
Vieulx gensdarmes qui ont gaudj en leur jeunesse.
Gens qui despendent leurs biens sans ordre ne mesure.
Marchans qui achaptent cher et vendent à bon marché et
crédit.
Gens qui se veulent vengier d'aulcun mal ou desplaisir que
on leur a fait, car tel se veut venger qui souventefFois se de-
servist.
[F" 2 a] Gens qui par sottie et paresse laissent perdre ce
qu'ilz ont gaigné de leurs maistres, pour faulte de le serrer
et demander.
Gens qui se gouvernent par le conseil des folz et meschans
et leur donnent charge de leurs besongnes.
Gens qui portent plus grant estât que leus (sic) biens ne
valient.
Gens qui n'ont travaillé en jeunesse vont en Thospital en
vieillesse.
Gens qui servent leurmaistre à leurs despens.
Marchans et aultres gens qui ont perdu leur crédit.
Gens subtilz et legiers qui font la chose devant que y pen-
ser.
Gens paresseux lasches et negligens.
Gens quinont^ au jour la journée et ne pensent au temps
advenir.
1 C'est-à-dirc « de grands biens. » Litlré n'a pas d'exemple aussi ancien
de ce substantif. — ' Sic; corr. vont?
LE CHEMIN DE l'osPITAL 2^)5
Gens yvrongnes et gourmans.
Gens quelque grans biens et chevance qu'ils * despendent
[F" 2 b] follement et sans raison.
Gens pillars^ et putaniers qui de paillardise font mestier.
Ceulx qui se couchent tost etlievent tard.
Ceulx qui prestentvoulentiers à ceulx qui n'ont dequoy ren-
dre.
Gens plaideurs, harseleurs et nourrisseurs de procès.
Ceulx qui sont opiniastres et incorrigibles.
Gens qui ne trouvent riens cher à créance et payent mal.
Ceulx qui ne sçavent exercer l'office en quoy ilz sont com-
mis.
Gens qui mengent leur blé en herbe ^.
Ceulx de qui serviteurs jouent jusques à la minuyt.
Gens qui entreprennent plus grant chose qu'ilz ne peuvent.
Gens prodigues et grans despendeurs sans mesure.
[F" 3 a] Gens coustumiers de faire œuvre défait* ou folies.
Ceulx qui sont desobeissans à leur prince ou justice^.
Ceulx qui par paresse et faulte de couraige laissent perdre
leurs biens.
Ceulx qui chargent trop grant estât à leurs femmes.
Ceulx qui mainent souvent leurs femmes en voyages.
Ceulx qui font souvent grans banquetz et grandes assem-
blées.
Ceulx qui donnent leurs biens trop excessivement.
Ceulx qui se prisent plus qu'ilz ne valent et à qui semble
que les biens leur sont deuz de rente.
Ceulx qui ne vivent en provision'', mais au jour la journée.
Ceulx qui se despouillent avant que aller coucher ', si n'est
1 Suppl. aient, qui le? — - Sic, pour paillars.
^ Le Roux de Lincy (le Livre des prove7-bes français, seconde édition.
Paris, 1859, t. I, p. 59) ne cite sous cette locution qu'un écrivain postérieur,
Rabelais (liv. m, chap. ii).
* Sic; corr. fat.
s Pour la signification concrète qu'a justice en ce passage, analogue à celle
qu'avait prise potestas, cf. Littré, qui en cite deux exemples du Xlle siècle.
^ Prévoyance. Cf. Littré, à l'historique.
7 C'est-à-dire qui cèdent de leur vivant ce qu'ils possèdent. On connaît
riiistorielte de l'homme qui, ayant eu l'imprudence de donner trop tôt ses
296 LK CHEMIN DE L OSPITAL
à gens qui ' y sojent bien tenus par raison et soient bien seurs
d'eulx.
[F 3° b] Ceulx qui ne vivent que de piller et desrober, et
de choses de mauvais acquest, qui requiert mauvaise fin^.
Ceulx qui despendent beaucoup et g-aignent peu.
Ceulx qui font mal penser leurs chevaux et leurs bestes.
Ceulx qui laissent pourrir leurs tapisseries es murailles et
leurs linges en l'arche.
Ceulx qui sont pièges et cautions pour aultruy.
Compaignons et povres gentilz hommes achaptans et men-
geans choses friandes et chères.
Ceulx qui laissent les prez et les jardins ouvrez sans clorre,
et sans garder, quant les fruitz y sont.
Ceux qui laissent plouvoir sur leurs greniers en leurs mai-
sons et sur les courtines par faulte de les couvrir.
Ceulx qui chantent tousjours gaudeamus et n'ont point de
requiem.
Ceulx qui changent ung bon cheval à ung mauvais.
[F° 4 a] Ceulx qui vendent et engaigent leur chevance sans
grant cause.
Les taverniers qui tiennent bordeau et gens de maulvaise
vie.
Ceux qui font menger en leur mesnage le pain chault et
frians [sic) et qui bruslentle bois verd^
Ceulx qui laissent leurgranche descouverte quant les biens '^
sont dedans.
Ceulx qui ont eu de grans biens, et les ont perdus.
Ceulx qui laissent menger les prez et les bledz pour paresse
d'aller geter le bestail de dedans ou le faire garder.
Ceux qui se laissent brider ou subjuger a leurs prochains .
biens, eut tant à le regretter, qu'il laissa par testament un coffre plein de
pierres destinées à lapider le premier qui imiterait son exemple.
1 Sic; corr. que? — * Bien mal acquis ne profite jamais
* Jôuno fenno, po tendre e bouei vert,
Meten la raeijou 6u désert.
(Proverbe périgourdin.)
* La récolte, les fruits de la terre. Littré n'indique pas cette acception spé-
ciale, bien qu'il en cite un exemple, tiré de Vaugelas. En Limousin, on dit
dans ce sens, be de Di (bien de Dieu).
LE CHEMIN DE L OSPITAL 297
Ceux qui coupent leurs chausses au genoil et descouppent
leurs pourpointz et habillemens.
Ceulx qui vont tard faire leur journée et leur besongne.
Ceulx qui ne pensent depuis qu'il/, lievent' au- lict sinon à
quoj ilz pourront passer temps tout le jour et faire leur lai-
sance ^.
[F° 4è] Ceulx qui laissent leurs caves, garuicrs* et char-
niers ouvers.
Ceulx qui vendent leur chevance pour estre marchans.
Ceulx qui font leur dommaige pour faire plaisir a autruy.
Ceulx qui par faulte de réparation qu'ilz feroient bien lais-
sent cheoirune maison.
Gens qui laissent perdre leur bondroict et procès parfaulte
de poursuivre.
Ceux qui n'ont nullement paour ne crainte de justice.
Ceux qui laissent perdre cent escutz pour paour d'en des-
pendre dix.
Ceulx qui aiment mieulx faire ouir par aultruj les comp-
tes de la despence de leur maison quel'ouir eulxmesmes.
Ceulx qui baillent leurs biens à garder a autruj sans
compte.
Ceulx qui ayment mieulx leur avse et plaisir que leur prouf-
fit et honneur.
Les gens qui font de trop de mestiers,
[F° 5 a] Ceulx qui veullent user de leur voulante plus que
de raison.
Ceux qui dient qu'ilz sont sages sont folz.
Ceulx qui refusent et fuient avoir une bonne charge, et com-
mission pour espargner leur paine.
Ceulx qui prestent leurs bous chevaulx et liabillemens aceulx
qui sont ingratz et de niaulvaise conscience.
Ceulx qui sont si grans b.ibij'.3urs, menteurs et flateurs en
la fin ne sontgueres prisez et si font mal leurs besongnes.
1 Lever, comme laver, et beaucoup d'autres verbes, pouvait s'employer au
sens réfléchi, sans être accompagné du prouora.
2 Corr. du?
3 Pour loisance, synon. de loi!<ir. — ^ Pour graniers (= greniers), par
métathèse.
^98 LE CHEMIN DE L OSPITAL
Ceulx qui ne sont bien advisez et saiges, qui font les choses
legierement sans penser a quelle fin doybvent venir.
Les gens qui sont si glorieulx et qui cuident beaucoup va-
loir et leur semble que jamais bien ne leur faudra.
Ceulx qui n'ont pas grant rente ne revenues*, lesquelz le
seigneur menge a un lieu et la dame en l'autre, et font troys
ou quatre disners l'ung après l'autre.
[F° 5 b] Gens ingratz envers Dieu et qui ne le servent point
mais vivent et mainent mauvaise vie qui tend a mauvaise
fin.
Ceulx qui ont des biens ou chevance en plusieurs lieux et
ne les visitent point.
Ceux qui attendent d'avoirla succession de aulcuns de leurs
parens laquelle ala(sîe) d'aventure ilz n'auront jamais.
Les gens qui exercent bien leuimestier et voyant qu'il {sic)
n'en peuent vivre ilz en doivent prendre ung ou autrement,
etc.
Ceulx qui par négligence laissent pourrir le foin du pré.
Maistres qui se fient et attendent du tout de leurs beso-
gnes a leurs serviteurs sans soy enquérir s'ilz les servent bien
ou mal.
Ceulx qui sont tuteurs ou curateurs d'enfans povres.
Ceulx qui vendent leurs biens pour prester l'argent à aul-
truy.
Gens qui prennent question - pour enfans ou pour commung.
[F° 6 a] Povres gens qui veullent estre bien aises et ne
veuUent rien faire.
Trésoriers recepveurs et despenciers qui demeurent long
temps sans rendre leurs comptes et qui donnent l'argent sans
en avoir bon acquit.
Ceulx qui se font varletz ce de qu'ilz'' sont maistres.
* Nous n'avons plus que la forme masculine de ce substantif, au sens qu'il
a ici. Mais la forme féminine est celle que le moyen âge employait de préfé.
reuce. Yoy. Littre, Revenu, 2, à Thistorique.
- Ce mot paraît signifier ici, si ce n'est pas une faute d'impression, pour
gestion, charge des affaires d'autrui. Cf. Litlré, son?, questeur , à l'histori-
que.
' Sic. Corr. de ceux qu'ilz (pour dont ilz) ?
LE CHEMIN DE L OSPITÀL 299
Ceulx qui reçoivent l'argent cFaultruj et le mettent en leurs
affaires.
Ceulx qui se vantent de faire beaucoup et ne font rien qui
vaille.
Enfans se fient aux biens de leur père qui est riche.
Ceulx qui se meslent d'aultruj" mestier.
Ceulx qui a faulte de couraige et diligence {sic) laissent a
pourchasser et amasser des biens.
Ceulx qui reprennent les aultres et font pis que eux.
Ceulx qui nourrissent mal leurs serviteurs et veuUeut qu'ilz
besongnent bien.
[F° 6 b] Les gens que quant ilz sont bien ajses et font leur
prouffit qui ne se y peuent tenir, mais veulent changer, et
fout leur dommaige.
Mary et femme qui se accordent mal.
Deux maistres en une maison differens et contraires d'oppi-
nion^.
Ceulx qui se fient tousjours trouver leur vie.
Jeunes gens et d'autres quant leurs pareiis leurs {sic) repro-
chent faultes et vices, ils sont mal contens et font pis que de-
vant et ne se veulent corriger et fuient ceulx qui leur conseil-
lent leur proufiît.
Ceulx qui laissent leur tapisserie, couvertes, linceulx,habil-
lemens, qui sontung peu rompus, perdre et qui laissent épan-
cher la plume de leur litz, par faulte de radouber la coeste.
Ceulx qui sur espérance de gens d'église mainent grant
despence.
[F" 7 a] Ceulx qui sont chiches d'une maille et larges d'ung
escu^.
Gens qui sont opiniasu-es, qui ont ung procès, en trouvent
bon apointement et ne lo voul'ent prendre, qui perdent tout
bien souvent.
Ceulx qui ne sçaveni coiduno une bonne fortune quant
elle leur vient ne mettre a exécution, car elle ne vient pas
tousjours.
1 Toute maison divisée périra.
- Nous avons en Gascogne ce diclon pittoresque: Amayne bren, escampe
hai'ie; Il amasse le son et répand la farine. |Ea Auvergne: Omasso bren, es-
uinpo furino; ou encore: Escompo lou froiime7i per garda lo bentelo (la
balle).
300 LE CHEMIN DE L OSPITAL
Ceulx qui laissent ung bon mestier pour ung mauvais.
Gens qui se attendent de faire leurs besongnes de demain
a demain et ne peuvent trouver l'heure. Et tandis le temps
s'en va.
Gens qui ont grant eur et grant auctoritté qui pensent que
ceste fortune dure tousjours.
Ceulx qui congnoissent que leurs besongnes se font mal et
n'y remédient de bonne heure.
Gens qui font grandes despences et mises pour espérance
d'avoir de grans biens d'ung procès qu'ilz ont en justice, car
[F° 7 è] a l'adventure ilz perdront le principal et payeront
les despens.
Ceulx qui pour espargnerung peu de paine et d'argent tom-
bent en inconveniens et plus grant mise et travail beaucoup
de foys.
Gens qui assencent ' leur chevance a bon marché, et maul-
vais payeurs qui en prennent en payement maulvais chevaulx
et pierreries ^ draps plus chers que ilz ne vallent.
Maistres de qui les serviteurs donnent dn meillieur vin a
grans potz et la chair et aultres biens a leurs paillardes, ou
ailleurs.
Ceulx qui laissent le pavé de leurs chambres et les foyers
et cheminées aussy les verrières sans radouber. Car tous les
jours le dommaige y croist et est signe de gens très paresseux.
Et finablement Rogier Bontemps qui ne pense a tomber es
inconveniens et nécessités du temps advenir sont les enfans
aisnés et principaulx héritiers de l'hospital, [F° 8 a] ensemble
tous les dessus nommez, qui pour raison et ^ leurs merittes et
manière de vivre et de faire n'y deivent ne n'y peuvent faillir
Tous ceulx qui feront le contraire de ce qui est dessus
nommé ne auront jamais ne part ne quart ne héritage audit
hospital, mais en seront exceptez et quittes et aussi de l'ordre
de belistrerie et mal gouverne*.
FINIS.
* Qui donnent à cens ou à rente. — ' Suppléez ou? — ^ Sic; corr. de.
' Corr. )nale ou gouvert, qui était la forme masculine, alors usitée, de ce
substantif. Mal Gouvert fut souveut persoûoilié, à celte époque, dans les
ouvrages satiriques.
APPENDICE
Toiirnon '
Et premièrement dient que ledit Tornon est une bastille roialle et
l'une de ceulx que le conte Raymond de Tholose fist bastir en Age-
nois et en signe de ce les armes de la ville et leur seau sont celles
dudit conte Raymond en signiffiance de ce que dit est.
Item que c'est l'une des places fortes, ville et chasteau que soit
en Guienne et de toute ancienneté du dommaine du roy et duché de
Guienne, et de ce est voix et femme {sic) ^ publicque audit Tornon,
au pays d'Agenois et ailleurs.
Item est vray que les roys de France ont donnés de beaux privi-
leiges à ceulx dudit Tornon comme estant de leur dommaine et entre
autres y a privileige qu'ils ne puissent jamais estre aliénez hors de la
couronne de France et dommayne de Guienne.
Item plusieurs ont veu les originaulx desdits privileiges de Tornon
contenant ce que dit est.
Item est vray que le roy Charles septiesme en fut toutjours pos-
* Je rappelle que les documents que l'oa va lire sont extraits de l'enquête
faite par ordre du Conseil du roi, à la requête de Robert de Balsac, dossier
qui appartient aux archives de M. F. Moulenq.
2 De fama, renommée. Reproduisons une note marginale de la partie ad-
verse (écriture dn temps): « Tornon est du domayne du comte d'Arraaignac
tenu ei; possédé comme [mot iUisibli-] par l'espace de tant de temps que n'est
mémoire du conlrere continue et pacifiée excepté le temps que les terres
d'Armaignac ont esté mises eu la main du roy. Aussi ne ont ordoné à plu-
sieurs autres places et villes du comté dArmaignac comme à ceulx de Lec-
tore, d'Aux, Bagalone, Rodez et autres et sic non prohat hoc esse. Le loy
Charles en feul détenteur es temps de toutes les autres terres d'Armaignac et
non plus. Pour ce que le roy Loys mist toutes les terres d'Armaign„c en ses
mains fist donation à Monseigf de Guienne de toutes les terres d'Armaignac
en Guienne, mes après Monseig' de Guienne retourna toutes les terres qu'il
tenet d'Armaignac à Monseigr d'Armaignac et aussi Tornon lequel tenet ledit
Balsac qui par commandement de mondit seigneur de Guienne le bailla et
restitua à mondit segr d'Armaignac qui la tint jusqu'à ce qu'il fust assiégé â
Lecture et ainsi appert que Tornon n'estet ne fut onques du domayce du
roy et pour ce assez respondeu aux trois articles sequens. «
302 LE CHEMIN DE L OSPITAL
sesseur et donna la cappitauerie dudit chasteau à Johachim Roault
lequel y avoit comis un Valentin La Rocques qui la tint jusques au
trespas dudit feu roy Charles.
Item et despuis feu Monss'' de Guienne, frère du feu roy Loys, a
possédé ledit lieu de Tornon et ledit de Balsac, comme cappitaine,
l'a tenu pour ledit duc de Guyenne qui à ce l'avoit comis et aussi pour
ledit feu roy Loys qui, après la mort dudit feu de Guienne, en donna
la cappitainerie audit de Balsac.
Item est vray que après la mort dudit feu roy Loys pour ce que
ledit do Balsac tenoit ladite place afin que ne fut doubte qu'elle ap-
partenoit au roy nostre dit seigneur, les comis i)ar les trésoriers de
France reduirent au domayue dudit seigneur ladite place avecques
tout son revenu.
Item et lesdits commissaires du domaine feirent faire serement de
nouveau aux consuls et habitans de ladite ville terre et seigneurie en
plaine rue d'estre bons et loyauls au roy comme ses vrays subgectz
sans moyen et de ne laisser entrer homme dans leur ville qu'il ne
fut du vouloir et consentement dudit seigneur en Agenois que com-
missaires sur ceste matière avoient estes.
Item et semblable serement firent faire lesdits commissaires à Je-
han Daillac dit lo Moro et à Jehan de Madame comis à garder ledit
chasleau pour ledit de Balsac, cappitaine.
Item non obstant ledit serement sans congié du l'oyou de leur cap-
pitaine ou autres officiers royaulx les aucuns desdits habitans ont mis
au moys de may derenierement passé environ le huytiesme jour de-
dans ladite ville ledit messire Charles d'Armaignac, luy allant au
devant, cryant vive Armaignac et le recepceurent en prossession gé-
nérale comme seigneur contre le serement qu'ils avoient fait au roy
nostre dit seigneur.
Item lesdits habitans incontinent firent ledit serement audit sei-
gneur d'Armaignac de luy estre bons et loyaulx contre tous sans con-
gié ou licence du roy nostre sire ou de leur cappitaine ou ses officiers.
Item après ce que ledit d'Armaignac fut dedans ladite ville avec
bien sept ou huyt cens hommes en habillement de guerre, il fist
mettre le siège aud[it] chasteau tout à l'antour.
Item ledit d'Armaignac luy mesmes en personne sans aucun com-
missaire menaça ceulx qui estoient dedans le chasteau de lad[ite]
phice de Tornon de les pandre par la gorge s'ils ne se randoient et
qu'il les auroit par assault et ainsi demoura devant ledit chasteau
neuf jours.
Item et ledit d'Armaignac coutrainguit plusieurs des habitans et
consuls do lad[ite] ville de aller demander lo chasteau pour luy à
ceulx qui lo tcuoicnt pour le roy, nostre sire.
LE CHEMIN DE l'oSPITAL 303
II
Clermont-Dessus, Dunes, Malauze et Tournon
Et venant à son cas disoit icelluy Lauret qu'il y a trois pla-
ces assises en Agenois, c'est assavoir Dunes, Clermont-Sobiran el
Tournon, et en Quercyune autre place nommée Malause, desquelles
led[it]de Balsac estoit en possession et saisine et d'icelles en estoit
saisy et vray possesseur en temps que led[it] d'Armaignac l'en a des-
pouillé, dessaisy et gecté hors par force, violance et main forte de
gens de guerre, voyre en hostillité, car les susd[ites] places sont
fortes. Et pour remonstrer les tiltres et moyens comme icelluy de
Balsac impétrant les tenoit et possedoit, disoit led[it] Lauret.
Premièrement touchant ledit lieu de Dunes, dit que led[it] lieu de
Dunes est nuement dud[it] de Balsac parles moyens ensuyvans. Car
estoit le temps passé m hiimanis dame Margarite de Terride, dame
dud[it] chasteau et lieu de Dunes, laquelle quand fut au dernier de
ses jours fist testament auquel institua son héritier Amanieu de Lé-
vis auquel substitua Philippe de Lévis et ordonnaque led[it] Amanieu
son héritier mouroit sans masle de son loyal mariatge, icelluy Phi-
lippe fust, à la mort dud[it] Amanieu, son héritier, et légua à da-
moiselle Margarite de Manas led[it] chasteau de Dunes et tout le
droit qu'elle avoit en icelluy lieu. Et en cette voulante lad[ite] Mar-
garite de Terride, testatrice, alla de vie à trespas, après la mort de
laquelle lad[ite] damoiselle Margarite de Manas print son legs et
s,ii\\Q\ii2i possessionem dicii loci de Dunes, et led^it] Amanieu, heretier,
print possession reaile et corporalle de tous et chacuns les biens et
heretaiges de lad[ite] dame Margarite de Terride, lesquels il a tenu
et possédé quamdiu vixit, et puis après est allé de vie à trespas, et
jwst euvi ledit Philippe, substitué aussi, est allé de vie à trespas sii-
peroivente eadem domicella Margarita de Manas, legataria sellon
qu'on dit, laquelle in vim legati sibi facti a tenu et ^osseàé lyaciffice
led[it] lieu de Dunes tantdud[it] Amanieu et Philipes, de leurs here-
tiers et substitués que depuis en ça spacio quinquaginta annorum et
plus pacifficc et quiète, et comme dame et possesseresse dud[it] lieu
de Dunes tant qu'elle vesquit par tous notoirement et pour ce fust
1 Note marginale de l'adversaire : « Parce que dit est par le procès du
Baillif de Mascon et mémoires autr( s fêtes au parlement, intendits de Cler-
mont et Dunes, peut hors prendre response aux articles sequens par laquelle
apparestra que ne contiennent vérité. »
304 LE CHEMIN DE L OSPITAL
repputée. Et puis après lad[ite] damoiselle Margarite de Manas est
allée de vie à trespas relicto sibi et siiperstite ejus filio unico natu-
rale et légitima Johanne Grymoard acherede universale, lequel, ea
defftmcta, s'est tenu et porté pour son heretier, et a tenu après la
mort de sad[ite] mère led[itj lieu de Dunes et possédé par aucun
temps et en a fait et disposé.
Item tousjours estoit respondu par ceulx dud[it] chasteau qu'ils
le tenoient pour le Roy nostre seigneur corne de son vray dommaine,
et que ledit impétrant pour ledit seigneur comme son cappitaine se
tenoit et qu'ils avoient fait serement audit seigneur ou à ses officiers
ne le randre que à luy et que sans leur congié ils ne l'oseroient bailler
car autrement ils seroient traictres et parjures, demandent ung petit
delay pour le faire assavoir audit cappitaine ou atout le moins, aux
officiers du Roy qui estoient Agen et que jamais ne leur fut accordé
par ledit d'Armaignac ny ses gens, mais tousjours contiuuoient en
leurs menaces de leur donner l'assault.
Item adoncques ledit Messg"" Charles fist grant preparatives d'as-
sault come charrettes, faguoz, engins à forces de fustiers, lier char-
rettes et poi'fes et et l'artillerie et d'autres grans instrumens de
guerre.
Item et jour et nuict ledit M esEg"" Charles tenoit ceulx qui estoient
dedans led[it] chasteau assigiez et environnez que pouvoient avoir
aucun secours ne vivres .
Item pourquoy ceulx dud[it] chasteau fui'ent contraints bailler la-
d[ite] place audit d'Armaignac par force, lequel fist prandre, piller
tout ce qui estoit dedans led[it] chasteau aud[it] de Balsac apparte-
nant vaillant jusques à quatre cens livres et plus.
Item ledit d'Armaignac bailla son obligé de randre lad[ite] place
de Tournon à ceulx à qui la luy bailleroient au cas qu'il ne le pleust
au roy qu'il l'a eusse promise.
Item ledit d'Armaignac a fait prandre à ses gens plusieurs biens
appartenans audfitj de Balsac qui estoient à l'ostel de Pelledent, con-
sul dud[it] Tournon, qui les gardoit pour led[it] impétrant vaillans la
somme de cent livres tournois.
Item ledit d'Armaignac vesquit luy et toute sa armée durant ledit
temps aux despens de lad[ite] ville et de la terre.
Item par quoy ceulx de lad[itej terre ont esté contraints mectre une
grande somme de deniers sur eulx sans congié des officiers du roy
pour paier le despens dud[it] d'Armaignac et de ses gens.
Item et despuis ceulx qui ont esté aud[it] chasteau pour led[it]
d'Armaignac ont tousjours vesqu et vivent encores aux despens de
lad[ite] ville et terre sans riens paier, pillent et roubbont et font des
mauls auxdLits]habitans de lad[ite] ville, terre et juridiction.
LE CHEMIN DE l'oSPITAL 305
Item et est bien à noter que ledit de Balsac a esté cappitaine du-
d[it] lieu pour le roy nostre seigneur, il leur a tenu tousjours bonne
justice, n'a rien prins d'eulx sans paier ne luy ne ses gens, les a gar-
dez de foulle et d'oppression de toute sa puissance et souvent amo-
nestez les susd[its] habitans d'estre bons et loyaulx au Roy en leur
remonstrant le grant bien qu'ils avoient d"estre du domraaine et les
advertissoit des maulx qu'ils avoient autresfois eu pour ceste cause.
Item ce que dit est est vray, notoire et manifeste.
A sa volonté plainement et paisiblement comme ung chacun sei-
gneur peut et doit faire de sa chouse propre sans ce que jamais le
conte d'Armaignac ne autres de lad[ite] maison d'Armaignac y aient
rien demandé. Et après aucun temps led[it] Grimoard,_/i/à<A' et hères
de sa dite mère damoiselle Margarite de Manas eust mcstier d'argent
et se retira vers ledfit] de Balzac impétrant auquel il vendit led[it]
lieu et place de Dunes avec tout et chacuns les droiz qu'il y pouvoit
avoir et lui en appartenoient pour certain pris contenu en l'instrument
sur ce fait et passé. Par le moyen de laquelle vendition led[it] de
Balsac a tenu et possède paciffice et qiiiete et sans nulle contradic-
tion icelluy lieu de Dunes par l'espace de neuf ans ou environ et en a
prins et receu tous les prouffiz^ revenus, rantes, droiz et esmolumens
sans que jamais led[it] d'Armaignac ne autres de lad[ite] maison d'Ar-
maignac y aie riens demandé. Et pour ce que ma damme de Crussol,
qui estoit fille dadit Philippe de Lévis, heretier substitué, disoit que la-
d[ite] place de Dunes luy appartenoit meust débat plaitet procès à cause
de lad[ite] place de Dunes aud[it] de Balzac en la court de parlement à
Paris et pourfouyr à débat et question ledit de Balsac s'accorda avec
ques lad[ite] ma damme de Crussol moyennant la somme de quatorze
cens livres tournoises...Lad[ite] damede Crussol quicta, céda et trans-
porta audrit] de Balsac impétrant tous et chacuns les droiz que lui
pouvoient appartenir en lad[ite] place, de quoyfut passé instrument,
lequel accord fut autorisé par arrest de lad[ite] court de parlement...
Et j)ar ses tiltres et moyens icelluy de Balsac a tenu possède led[it]
lieu de Dunes corne dit est.... et l'a tenu jusques au vingtième jour
du moy de may derrenier passé, auquel moys et led[it] jour vint au-
d[it] lieu de Dunes Jehan de Montesquieu, escuyer, seigneur de Mon-
tesquieu, envoyé par led[it] d'Armaignac et lequel se disoit estre
son procureur gênerai avec un nommé Labartete, accpmpaignez de
grand nombre de gens armez lesquels sans commission nulle parvoye
de guerre et fource, et parce que la ville ou lieu de Dunes n'est point
forte, entrèrent dedans icelle et aucuns habitans dudfit] lieu firent
faire serement d'estre bons et loiaulx aud[it] d'Armaignac et les au-
tres s'enfouyrent es villes d'Agen et autres villes prouchaines. Et
quand eurent gaignée lad[ite] ville de Dunes ceulx dud[it) d'Armai;
20
306 LE CHEMIN DE L OSPITAL
gnac et Montesquieu misrent eschelles, approuches et autres habille-
raens poui- assaillir led[it] chasteau de Dîmes au centre d'icelluy chas-
teau et y baillèrent quatre assauts. Et y alla ung nommé maistre Jehan
Molinier ditFoizon, procureur dud[it] de Balsac pour veoir qu'ils fai-
soient et scavoirpour quelle auctorité ils faisoient cella. Lesquels de
Montesquieu, Labartète et ses gens l'estachèrent ou firent estacher à
une charrette et le misrent au devant d'eiilx et en faisoient pavoiz
et le maltraictoient tellement que ceulx qui estoient dedans pour le-
d[it] de Balsac furent contraincts d'eux randre et bailler lad[ite] place,
aians pitié dudit Foizon, procureur, leur compaignon et de fait le ren-
dirent et lesd[its] de Montesquieu, Labartète et leurs gens se misrent
dedans et prindrent des biens, estans dedans lad[ite] place apparte-
nant aud[it] de Balsac jusques à la somme de cent escus et plus. Quoi
voyant led[it] de Balsac s'estoit transporté devers le Roy nostre sou-
verain seigneur et messeigneurs de son sang et de son grant conseil
ausquels il a donné son cas à entendre et entendu et ouye la com-
plainte dud[it] de Balsac luy ont baillé et octroyé lettres contenant la
comission de nous comissaires dessus dits par lesquelles est mandé
que s'il nous appert que led[it] chasteau et lieu de Dunes appar-
tiengue audit de Balsac et qu'il en fut possesseur, corne dit est du
moins tempore dictarum caplionis, spoliationis et intrusionis facla-
rum par lesdits de Montesquieu et Labartète et leurs gens au nom
dudit Moss»" Charles d'Armaignac ou de tant que souffire doye que
led[it]d'Armaignac et aussi led[it] Montesquieu et tous autres soient
contraints de laisser lad[ite] place de Dunes et icelle randre et res-
tituer aud[it] de Balsac impétrant una cum bonis per eos captis et
laissent joyr et user led[it] impétrant des possessions et saisines
d'icelluy, lieu et place de Dunes esquelles il estoit paravant lesdites
prinse, intrusion et violence au temps d'icelles. Et ce par prinse de
corps et de biens et autres voyes deues et raisonnables et aussi par
main armée si mestier est en façon que honneur en demeure au Roy
et qu'il soit obey, disant ledfit] Lauret qu'il avoit fait adjourner le-
d[it] d'Armaignac en personne de son procureur nommé es exploits
pour veoir mectre à deue exécution lesd[ites] lettres de nostre comis-
sion
Lauret touchant le lieu de Clermont-Soubiran dit que led[it] lieu
de Clcrmont est forte place assise sur une montagne sur la rivière de
Garonne ou de pays d'Agenois laquelle place y avoit plusieurs
forteresses et maisons fortes, in quatuor qum'um quilibet condomi-
norum habitabat , come ceulx de Lustrac, de Beaujamont, Roque-
corn et Boyssières, lesquels en estoient coseigneurs. Et pour ce que
estoit belle chouse et est en beau et grant passaige les Anglois affec-
toientmoult de l'avoir et de fait l'eurent; et en la tenant et occupant
LE CHEMIN OE l'oSPITAL 307
firent maints maulx aux subgects du Roj- et fut des dcrreniercs re-
duictes à l'obéissance de la couronne de France ; et icelle retournée à
l'obéissance du Roj, on dit que le feu conte d'Armaignac s'en saisist
jaçoit ce qu'il n'y eust aucun droit, mais ne la tint gueres car tantost
après par la forfaicture dud[it] d'Armaignac contre le Roy coraise le
feu Roy Louis derrenierement trespassé prist et mist à sa main toutes
les terres, places et seigneuries dud[it] d'Armaignac et mesmement
lad[ite] place de Clermont. Et despuis par arrest à Paris ses bien fu-
rent confisqués au Roy qui donna toutes les places qu'il avoit en la
duchié de Guienne à feu Monssgf de Guienne et iccUuy duc donna
audrit] impétrant led[it] lieu de Clermont assis en lad[ite] duchié et
l'en mist enpossession; 2'^(em locian cum suis jurihus imcifficediclus
impetrans qui tanlimi quantum dictus dux vixit, lenuit ac possedit
eteodeffunctole feu royLoys nonimmemor serviciorum sibi etcorone
Franche par ledit de Balsac faiz confirma led[it] don de lad[ite] place
aud[it] de Balsac, seneschal d'A génois, impétrant, lequel de Balsac
aussi despuis ad juris sui corroborationem à beaux deniers comp-
tans a acquis lesdroizque lesd[its]coseigneurs dessus nommés avoient
et leur pouvoient appartenir aud[it] Clermont. Et à ceste cause par
ses titres a esté led[it] de Balsac vray seigneur et possesseur dud[it]
lieu de Clermont et Fa tenu despuis en ça et possédé citm suis juri-
hus et emoliimentis tant per se quam suos officiarios et deputatos
jusques au mois de may derrenier passé auquel temps le viugtiesme
jour d'icellui vint audit lieu le Baillif de Mascon soy disant avoir co-
mission de retourner, bailler et délivrer aud[it]Messire Charles d'Ar-
maignac les fruiz, émolumens et droiz des terres appartenans audit
d'Armaignac, lequel baillif, selon que l'on dit, bailla et retourna à
icelluy d'Armaignac les rantes, prouffiz et émolumens d'icelluy lieu
de Clermont'tant seullement et non pas la place: duquel baillif de
Mascon, comissaire, le procureur dud[it] de Balsac est porté pour
appellant et a esté retenu à Paris, et siib colore de ceste restitution
faicte des susd[ites] rantes aud[it] d'Armaignac, icelluy d'Armaignac
en propre personne avecques trois ou quatre cenz hommes armez et
embastonnez est venu more hostili mectre le siège devant le chasteau
de Clermont et y tint led[it] siège trois ou quatre jours et bailla
troys foiz l'assault tellement que ceulx de dedans qui estoient reti-
rez au domgeon furent contrainctz d'eulx randre et de fait se randi-
rent et entrarent en lad[ite] place led[it] d'Armaignac et ses gens et
prindrent et ravirent'tous les biens qui estoient dedans appartenans
aud [dit] de Balsac vaillans la somme de quatre cens livres tournoises
et plus et vesquit led[dit] d'Armaignac et ses gens tant qu'il fut là et
aussi vivent à présent et ont despuis vescu ceulx qu'il a mis aud[it]
lieu pour la garde d'icelluy aux dcspcus des bonnes gens de la terre
308 LE CHEMIN DE L OSPITAL
et seigneurie de Clcrmont et par force et voye de guerre et prins le-
d[it] lieu et le tient occupé en despoullant led[dit] de Balsac. Pour-
quoy a eu recours au Roy nostre seigneur et à son grand conseil du-
quel a obtenues lesd[ites] lectrescontenans nostre d[ite] comission par
lesquelles nous est mandé quod constat de ce que dit est dessus ou de
tant que souffire doye que soubz la main du Roy icelluy de Balsac
soit reintégré in et de dicta platea restitue modo et forma qu'il es-
toit du temps et paravant lad[ite] violance, intrusion et despuoille.
Et requiert led[it] Lauret pour led[it] de Balsac l'entérinement des
d[ites] lectres et conclud qu'elles sont raisonnables et conclud
comme dessus a esté dit touchant la place de Dunes.
Touchant la place de Malause dit que Malausc est une forte place
assise sur la rivière de Garonne et sur ung roc laquelle est moult
forte et appartenoit le temps passé à Jehan de Durfort et à Ramond
Bernard de Durfort, lesquelz firent leur heretier le seigneur de Boy-
sière come prochain in gradu pareniile qui aussi estoit leur dona-
taire. Lequel, tant come heretier que come donataire d'iceulx de Dur-
fort après leur trespas, fut et a esté seigneur dudit lieu de Malause,
duquel ledit impétrant a acquis tout le droit qu'il y avoit. Et pour ce
que ung bastard de Malause et le feu conte d'Armaignac prétendoient
avoir droit en lad[ite] place de Malause, ledit bastard meust procès
aud[it] conte. Lequel procès fut démené en la court de parlement à
Tholose et par arrest de lad[ite] court fut dit que le[dit] lieu de Ma-
lause seroit mis à la main du Roy, ce que fut fait, et après s'en est
ensuivy ung autres arrest contre led[it] mess'' Charles d'Armaignac
contre lequel aussi fut dit qu'elle seroit mise en la main du roy, ce
que fut fait reallement et de fait et lapsu temporis tous les biens du-
dit conte d'Armaignac furent confisqués au roy. Pourquoy de man-
data re^J5 led[it] de Balsac print lad[ite] place quod moleste gerens
led[it] bastard conquestus est curie parlamenti . . .pour laquelle place
mectre en et soubs la main du roy furent comis Mess''' maistres An-
thoine Boix et Jehan Seguier, conseillers du Roy en lad[ito] court de
parlement lesquels en l'un d'eulx la misdrent en et soubs la main du
Roy et de lad[ite] court, lesquels depuis l'ont tenue soubz la main
dud[it] seigneur jusques audit moys de may derrenier passé auquel
est venu led[it] d'Armaignac impctré accompagné de gens d'armes
et de guerre comme a esté dit qui a mis le siège et prinse lad[ite]
place de Malause par force et main armée ainsi qu'il avoit fait de
Clermont et Dunes et est entré dedans et la tient occupée violando
manum regiani et arresta curie parlamenti et à ceste cause led[it]
de Balsac a eu recours, comme dit est, au roy et au grand conseil et
a obtenu les lectres ci dessus incorporées par lesquelles nous est
mandé que s'il nous appert de ce que dit est que nous ayons à faire
VARIETES 309
réintégrer la main du Roy et qu'elle soit retournée en et soubz la-
d[ite] main in manibus deceulx qui estoient séquestres et la tenoient
tempore captionis, violencie et intrusionis faclorum per dictum de
Arnianhaco . , .
VARIETES
AMBAISSI, AMBIORSES, EN LYONNAIS
Dans un fascicule intitulé Vieilles Choses et Vieux Mots lyonnais,
imprimé à Lyon en 1885, j'ai cité le mot ambaissi, dont l'interpréta-
tion exacte n'avait pas encore été donnée, et j'ai mentionné les tex-
tes suivants:
« Item ambessi de înrmlUc de v'^fais, a l'entra paiera ii gros (Tarif
des droits d'entrée de la ville deLyon, vers 1295') »;
« Item ambessi de furnilli, de v'^ fes lambessi, paiera a l'entra j
gros {Tarif des mêmes droits, du A décembre 1358-]»;
« Eeçu de Michel le pannetier pour une ambaisse de furnillie que
fut taillée au brotel devant Ruanne, pour mettre en la peyssicre du
portail viel. . . (A^-ch. municip. BB, 376, f' 23, v° . 1381) )>;
« Payé pour 426 fais qui ont été employés à l'œuvre de la ïorrete
pour la défense du Ron, achetés de Floret au prix de 6 gros Vambaisse
(Id. ce, 376, cote 3. 1380) »;
« Ils ont concluz que ce Nisies Greysieu vuelt bailler 5 f . de Vam-
besse de la leigne du brotel de la ville {Procès verbaux du Consulat, VF
de février. 1419). »
Il ressortait de ces testes que Vambaissi était une mesure pour les
fagots. Il paraissait y avoir eu plusieurs sortes d'a?nirtîsse,'î, puisqu'on
désignait celle de laquelle il s'agissait; lapins conunune semblait
avoir été de 500 fagots. J'ajoutais que l'orthographe primitive était
certainement ambaissi, transformé en ambesse par homophonie entre
ê et ai, et par l'influence d'oïl qui a substitué la finale en e muet à la
finale lyonnaise i. M. Gras fait mention d'un acte forézien de la fin
du XIIl" siècle, où l'on retrouve la finale i : « Une ambaissi de fur-
nilie de 500 faix Vambaissi. »
1 Cartidaire mimicipal, publié par M. M.-C. Guigne, p. 420.
- Cité par M. Philipon, lUmiaiiia, l. XII, p. 574.
310 VARIETES
N'ayant jusque-là rencontré le mot dans aucun dialecte, ne possé-
dant aucun historique, on ne pouvait présenter que des hypothèses
pour l'étymologie. Introduit sur une fausse piste par l'a initial de tous
les textes lyonnais et foréziens, je proposai timidement le lat. am-
haxia, commission, charge. De là ambaissi, charge d'une ou plusieurs
voitures, par une dérivation de sens inverse à celle qui de charge
« onus )) (de cai'ricare) a fait « vectigal », impôt, redevance. J'ai re-
produit cette hypotlièse dans le Dictionnaire étymologique du j^citois
lyonnais, mais non sans l'accompagner de deux points d'interrogation
successifs, pour indiquer combien j'étais peu convaincu. Cette éty-
mologie avait un mérite, mais c'était le seul : celui de ne pas être ra-
dicalement impossible .
J'ai rencontré, depuis, le mot dans le Dictionnaire de M. Mistral,
qui est une mine si riche et si précieuse. J'y vois que am à lïnitiale,
en lyonnais, est pour en, de m'. Je lis en effet qu'une einhaisso, em-
baicho, signifie l'emballage, les sacs ou cordages qui servent d'enve-
loppes aux marchandises que l'on pèse, et que lis embaisso, las embais-
sos ou embiassos (répondant au lyonnais ambiorses), sont une espèce de
châssis que l'on attache sur un bât, et à chaque bout duquel on pend
un sac ; ce sont encore des cacolets, et aussi de grands cabas en spar-
terie.
Embaisso paraît à M. Mistral venir di' impages ; mais impages n'est
pas possible comme forme et ne s'applique pas au sens. Dans les tex-
tes deVitruve et àeFestuSjimixcges signifie une traverse pour main-
tenir les panneaux d'une menuiserie.
Il est plus facile de casser les montres que d'en faire. Il est plus
facile de démolir les étymologies que d'en établir de bonnes. Je puis
donc modestement craindre que l'étymologie que je vais proposer
n'aille rejoindre ambaxia et imjmges. Elle semble cependant plus pré-
sentable.
Je vois dans Vembaisso l'idée primitive d'un appareil destiné à en-
velopper, à maintenir le faix de la bête de somme. C'est très-exacte-
ment ce que font encore les ambiassos du Languedoc, auxquelles res-
semblent furieusement les ambiorses du Lj'onnais. Nos ambiorses sont,
en effet, un appareil pour le dos des mulets et dans lequel on charge
des javelles. Il se compose de deux cadres rectangulaires fixés au bât,
auxquels sont attachés des filets que l'on noue par-dessus le faix
pour le retenir.
* Tanl il est vrai qu'il ne faut tenir aucun compte de l'orthographe, quand
elle n'est pas fondée sur la prononciation. J'ajoute que l'origine in ne fait pas
doute. L'érudit M. Vachez veut bien rae faire counailre qu'à Riverie on em-
ploie parfois la forme imbiorses.
CHRONIQUE 311
Entraîné toujours sur une fausse piste par la présence de a ini-
tial, j'avais cru reconnaître le radical ambo, à cause du caractère dou-
ble de l'appareil, et je demandais s'il fallait lire ambohursas , réduit
à ambursas * .
Je crois qu'il est plus vraisemblable de lire dans tous ces mots le
radical de bastiim, bât, dont on peut tirer un *m-Z»as/iare, embâter,
attacher à un bât. /mias^^'aj'e donne très-régulièrement prov. e?«iaissa,
lyonn. embaissî. Tiare devient ssi, et a devient aï par l'attraction de
l'yotte de l'hiatus. D'ew&ajssa emèaissî, verbe, se tire un substant. ver-
bal, embaisso, embaissi, appareil pour Vembâfage.
La forme emblassos peut s'expliquer par l'influence de biasso, be-
sace. Embiorses paraît tiré à'embiassos. soit avec l'épenthèse de r,
si commune en lyonnais, soit sous l'influence de bursas. En tous cas,
l'identité des objets, dans le Lyonnais et dans le Languedoc, ne peut
laisser de doute sur l'identité des noms. L'emploi du pluriel pour dé-
signer l'objet est dû au caractère double de l'appareil, comme dans le
ir. jumelles, lunette double.
PUITSPELU.
CHRONIQUE
La Société des langues romanes a fait une nouvelle et bien sen-
sible perte en la personne de M. Louis Bazille, décédé le 27 novem-
bredernier. M. Louis Bazille était, parmi nos confrères, l'un des plus
sympathiques à nos travaux et des plus dévoués à la Société. Sa fa-
mille, qui connaissait ses sentiments et qui a tenu à honneur de s"en
inspirer, a fait remettre à notre trésorier, à titre de souvenir, une somme
de 300 fr.
Encore une autre perte que nous avons le douloureux devoir d'en-
registrer: celle de M. Hippolyte Bousquet, décédé à Bessan le 26 dé-
cembre. M. Bousquet était aimé et estimé de tous ceux d'entre nous
qui le connaissaient. La Revue a publié quelques-unes des poésies
qu'il aimait à composer dans la variété du dialecte languedocien que
l'on parle à Bessan, et nos lecteurs ne les ont certainement pas ou-
bliées.
Dictionnaire étymologique du patois lyonnais.
312 CHRONIQUE
FÊTES DU QUATRIÈME CENTENAIRE
DE LA RÉUNION DE LA PROVENCE A LA FRANCE
Présidents d'honneur
MM. Mistral, président du Félibrige ; de Colomb, général en chef
commandant le XV« corps ; Bessat, premier président à la Cour d'ap-
pel d'Aix ; le Préfet du département des Bouches-du-Pihône ; Azaïs,
général commandant la subdivision d'Aix; Leydet, député des Bou-
ches-du-Rliûne ; Abram, président du Conseil général des Bouches-du-
Rhône ; Naquet, procureur général à la Cour d'Aix ; Belin, recteur
de l'Académie d'Aix ; Debax, sous-préfet d'Aix.
CONCOURS LITTERAIRE ET POETIQUE
PROGRAMME
I. — Histoire et Archéologie
1" Mémoires se rapportant à la réunion de la Provence à la France.
N.B. — On pourra se borner à étudier un point particulier de
cette vaste question, par exemple: examiner les causes ou bien les
conséquences de ce grand événement, ou encore esquisser la biogra-
phie de l'un des princes qui l'ont préparée ou de l'un des hommes qui
y ont contribué.
2° Eloge (en prose) de Palamède de Forbin.
3° Publication ou communication de documents inédits relatifs à
la réunion de la Provence à la France.
A° Monographie d'une localité ou d'un monument de Provence.
II. — Littérature et Poésie
A. Section française
1° Chant populaire à stances semblables, avec refrain, célébrant la
réunion de la Provence à la France.
N.-B. — La pièce qui obtiendra la plus haute récompense sera
mise en musique et chantée solennellement pendant les fêtes.
2" Sonnet sur un sujet intéressant la Provence.
3" Poésies diverses sur des sujets intéressant la Provence.
4" Légendes et contes populaires de la Provence ou d'une des con-
trées du midi de l'Europe (vers).
B. Section provençale
\° Chant populaire à stances semblables, avec refrain, célébrant la
réunion de la Provence à la France.
N.-B. — La pièce qui obtiendra la plus haute récompense sera
mise en musique et chautéu solennellement pendant les fêtes. Tous
les dialectes de langue d'oc, le catalan compris , sont admis à concourir.
CHRONIQUE 313
Il en est de même pour tous les autres prix de cette section, sauf le
n°2.
2» Poésie lyrique en langue d'oc du XII^, du XIIP ou du XIV^
siècle.
3° Sonnet sur un sujet intéressant la Provence.
4° Eloge poétique d'une des illustrations do la Provence.
5° Poésie narrative et contes badins en vers.
6" Poésies diverses sur des sujets intéressant la Provence.
7° Contes en prose.
8° Légendes et contes populaires inédits de la Provence ou d'une
des contrées du midi de l'Europe.
III. — Philologie
1" Recherches sur un des sous-dialectes provençaux au XVe siè-
cle.
N.-B. — Les mémoires devront être écrits en français, et l'on se
conformera, autant que possible, à l'orthographe adoptée par les fé-
libres.
2° Traduction eu langue d'oc d'Ausone, Catalogus nobiblUum ur-
hium : Arelas, Tolosa, Burdigala (en laissant de côté la conclusion
du poëme).
N -B. — Ce concours étant exclusivement destiné aux élèves des
classes supérieures des lycées, collèges et institutions, les proviseurs,
principaux et directeurs, devront adresser eux-mêmes les envois, en
indiquant la classe à laquelle appartiendra l'élève. — Tous les dia-
lectes de la langue d'oc, catalan compris, sont admis à concourir.
Observations générales
Tous les envois doivent être adressés franco avant le 1"^'' mai,
terme de rigueur, à M. L. Constans, professeur à la Faculté des
lettres d'Aix, secrétaire de la Commission des lettres. — Les chants
destinés à être mis en musique devront être envoyés avant le
1" avril.
Chaque pièce (ou mémoire) portera une épigraphe, qui sera répé-
tée sur un billet cacheté, renfermant, avec le nom, le prénom, la pro-
fession et le domicile de l'auteur, la déclaration que la pièce (ou le
mémoire) est inédite et n'a jamais été présentée à un autre con-
cours.
Trois médailles au moins seront attribuées à cliacun des 18 con-
cours institués.
La Faculté des lettres de Lyon se propose de publier, par les
soins de notre savant confrère, M. Léon Clédat, professeur de langue
et de littérature françaises du moyen âge, une reproduction photogra-
phique du célèbre manuscrit connu sous le nom de Bible vaudoise.
Ce manuscrit, qui est, comme on l'a dit, « un des plus beaux orne-
ments )) de la bibliothèque du Palais des Arts, à Lyon, contient une
traduction, en langue vulgaire du XIII" siècle, des quatre Evanfjiles,
des Actes des Apôtres, de V Apocalypse et des Ejiitres de saint Paul,
et se termine par un rituel vaudois ou cathare, qui offre le plus grand
21
314 CHRONIQUE
intérêt au point de vue de l'histoire des tentatives de réforme reli-
gieuse au moyen âge.
La Bible du Palais des Arts a longtemps passé pour être incontes-
tablement vaudoise; M. Reuss, suivi par M. Samuel Berger, y voit au
contraire une œuvre cathare, mais l'iij'pothèse de l'origine vaudoise
paraît reprendre faveur. Quoi qu'il en soit, la publication entreprise
par la Faculté des lettres de Lyon est de nature à faciliter la solution
de la question, en permettant aux savants d'avoir entre les mains la
reproduction exacte du manuscrit, alors que, jusqu'à présent, ils n'ont
pu le connaître que par des extraits : sur près de 500 pages, une cin-
quantaine seulement, contenant l'Evangile de saint Jeau, ont été pu-
bliées eu 1878, par M. Fœrster, dans la Revue des langues romanes.
Le manuscrit mérite assurément le?; honneurs d'une reproduction pho-
tographique, comme le Roland de la bibliothèque d'Oxford, comme
le Mystère de sainte ^(;/iès, de la bibliothèque Chigi. Et cette reproduc-
tion sera d'autant plus utile que l'écriture est fort difficile à lire, par
suite de la multiplicité des abréviatioup. Les professeurs de paléogra-
phie trouveront dans ce volume la plus belle collection d'abréviations
qu'il soit possible de souhaiter.
Quant à l'intérêt philologique du manuscrit, il est trop apprécié
des romanistes pour qu'il soit nécessaire d'y insister.
La bible du Palais des Arts sera produite en photolithographie, par
les procédés de MM. Lumière fils, et formera un beau volume in-8°
de 600 pages. On remarquera que l'éditeur a pu établir un prix infé-
rieur de plus de moitié à celui des publications analogues, bien que
ces dernières soient purement photographiques et, par conséquent,
destinées à s'effacer graduellement.
Le prix de souscription ist fixé à 30 fr. par exemplaire. A la mise
en vente, le prix de l'exemplaire sera porté, pour ceux qui n'auraient
pas souscrit, à 50 fr.
Adresser les demandes à M. Bourgeois, secrétaire du Comité de
publication, à la Faculté des lettres de Lyon, palais Saint-Pierre.
Notre confrère M. Camille Chabaneau a été élu correspondant de
l'Institut, en remplacement de M. Abel Desjardins, dans la séance du
24 décembre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
Nous annoncions dernièrement la publication du Dictionnaire béar-
nais de MM. Lespjr et Raymond. Aujourd'hui, c'est l'achèvement du
Dictionnaire provençal-français (lou Trésor dôu Felibrigejdi^ Frédéric
Mistral que nous sommes heureux d'annoncer à nos lecteurs. La der-
nière livraison de cette œuvre magistrale vient d'être distribuée aux sou-
scripteurs .
En même temps que s'achevait à Aix l'impression de ce vaste ré-
pertoire, indispensable désormais à ceux qui font de la langue d'oc,
ancienne ou moderne, l'objet de leurs études, on commençait à Lyon
celle d'un autre dictionnaire qui ne sera pas moins utile, pour l'étude
CHRONIQUE 315
du franco-provençal et des dialectes français et provençaux voisins
de ce groupe linguistique, que le Trésor clou Felibrige pour l'étude du
provençal proprement dit ; c'est le Dictionnaire éti/mologiqiie du jm-
tois lyonnais, par M. Nizier du Puitspelu. La première livraison, con-
tenant les lettres A, B, C et le commenceirient du D, a déjà paru;
elle forme un fascicule de 1 12 pages grand in-8", à deux colonnes,
qui permet de juger dès à présent de l'importance et de la haute va-
leur de l'ouvrage de notre confrère.
Signalons, en terminant, un très-élégant petitvolume que M. Albert
Tourniervient de publier chez l'éditeur Alphonse Lemerre, à l'occasion
des « Fêtes du Soleil », sous le titre de Chansonnier provençal. C'est
un recueil de 18 chansons choisies parmi les plus remarquables et
les plus populaires des poètes provençaux contemporains : Mistral,
Aubanel, Roumieux, Félix Gras, Paul Arène, Clovis Hugues, Alphonse
Michel.
Le Gérant responsable : Ernest Hamelin.
Montpellier, Imprimerie centrale du Midi. — Hamelin Frères.
TABLE DES MATIERES
DU TOME QUINZIÈME DE LA TROISIÈME SERIE
(XXX' DE LA collection)
DIALECTES ANCIENS
Recherches sur les rapports des chansons de geste et de l'épo-
pée chevaleresque italienne {suite et fin) (F. Castets). 61
Documents sur la langue catalane des anciens comtés de Rous-
sillon et de Cerdague {suite) (P. Vidal). 257
Notice sur Robert de Balsac (Tamizey de Larroque). 276
DIALECTES MODERNES
Grammaire gasconne et françoise (de Gratelodp). 5
£)omZo2« (A. FoDRÈs). 53
Es pas morto (L. Roumiedx). 54
Théodore Aubanel (A. Glaize). 242
VARIÉTÉS
Requesta redd'da per Ludovicuin d'Andréa. 238
Amhaissi, Amhiorses, en lyonnais (Puitspeld). 309
BIBLIOGRAPHIE
G. Koerting, Encyclopœdie und Méthodologie der rntnanischen
Philologie (C. C). 55
P. DE Nolhac, le Canzoniere autographe de Pétrarque (C. C.) 55
Chkoniqde. 56, 254, 311
Table des matières. 316
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Revue des langues romanes
t. 29-30
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