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REVUE
HISTORIQUE
Z3^'^
REVUE
HISTORIQUE
Paraissant tous les deux mois.
N% quid falti audeat, ne quid veri non audêot kitioria,
Cic^RON, de OnU. II, i5.
NEUVIÈME ANNÉE.
TOME VINGT-CINQUIEME
Mai-Août 1884.
PARIS
ANCIENNE LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE et C»
FÉLIX ALGAN, Éditeur
108, BOULEVARD SAINT-OBRHAIN
AU COIN DE LA BUE HAUTBFEUILLB
1884
ÉTUDES ALGÉRIENNES
LA œURSE, L'ESCLAVAGE ET LA RÉDEMPTION
A ALGER.
PREMIÈRE PARTIE : LA COURSE.
Depuis la fondation de la Régence d'Alger, qui eut lieu en
1515, jusqu'au commencement du xix® siècle, personne ne navi-
gua sur la Méditerranée sans courir le risque de tomber entn^ les
mains des Barbaresques, dont les corsaires infestèrent les mers
pendant toute cette période. Celui auquel ce malheur arrivait
devait s*attendre à un dur esclavage, et mourait dans les fers
s'il ne lui était pas possible de payer sa rançon. On sait combien
ce fléau pesa sur Jes populations européennes, et Ton retrouve
aisément la trace de cette préoccupation continue dans la littéra-
ture des XVI® et xvii* siècles. D'un autre coté, on constate avec
étonnement que ce drame trois fois séculaire n'a pas rencontré
d'historien sérieux depuis le P. Dan, qui écrivait on 1037*.
C'est ce qui nous a engagé à entreprendre cette étude, que nous
diviserons en trois parties : La Course, c'est-à-dire : comment
on tombait entre les mains des Barbaresques ; V Esclavage, où
nous dirons dans quelles conditions vivaient les captifs; la
Rédemption, où l'on verra comment on sortait de captivité. Il
ne sera question dans ce travail que de ce qui se pratiquait à
Alger; mais, siu* toute la côte de Barbarie, les errements étaient
1. La Coone et l'EsclaTage n'ont eu que denx historiens : Fray Diego de
Ha^mo {Topoçra/ia e hUtoria gênerai de Argel, Valladolid, 1012, in-S*) et le
P. Dan {Hutoire de Barbarie et de ses corsaires. Paris, 1037, in-4*, réimprimé
eo 1649 aTec quelques additions). Pour la Rédemption, on peut ainsulter les
Bonbreosea BdaUons des religieux de la Merci et de la T. S. Trinité.
Rbv. Hjstor. XXV. !•»• fa»c. \
2 H.-D. DE GRAMMONT.
les mêmes, à peu de nuances près, en sorte que Thistoire d*Âlger
est, à ce sujet, celle de Tanger, Tétouan, Bizerte, Tunis et
TripoU.
La Course.
I.
La piraterie nous apparaît dans Tantiquité en même temps
que la navigation elle-même, et semble en être la compagne insé-
parable. Les premières expéditions maritimes dont les peuples
ont gardé le souvenir ne sont, au fond, que des prises de posses-
sion violentes, et les rives de la Colchide ne furent pas les seules
où de hardis Argonautes allèrent ravir des Toisons d'or. Les
récits de voyagestpii nous sont parvenus nous donnent la cer-
titude que tout étranger était considéré, sur mer, comme un
ennemi, et qu'aucun navigateur ne se faisait scrupule de des-
cendre sur un rivage inconnu et d'y prendre de gré ou de force
ce qu'il y trouvait à sa convenance. Par de justes représailles, le
malheureux que la tempête jetait à terre devenait la proie du rive-
rain, et la plus dure des captivités était le moindre des maux
qu'il eût à craindre. Ce ne fut pas seulement sur les rochers de la
Chersonèse Taurique que se dressèrent des autels où le naufragé
se vit sacrifié à des divinités vengeresses : partout où la côte était
dangereuse, le voyageur courut des risques semblables, et les
sombres droits de bris et d'épaves n'ont pas disparu depuis si
longtemps de nos mœurs que nous n'ayons pu conserver la mé-
moire de ces drames afireux, où la férocité humaine se rendait
complice de la fureur des éléments. Ce fut en vain que les civili-
sations Grecque et Romaine cherchèrent à étouffer le mal ; la
piraterie, un instant comprimée, reprit un nouvel essor vers la
fin de l'Empire, et les flottilles des Normands et des Sarrazins
purent pénétrer jusqu'au cœur de l'Europe. Un peu plus tard, les
Vénitiens, les Génois et les Pisans couvraient la mer de leurs
vaisseaux, demi-marchands, demi-corsaires, et défendaient l'ap-
proche de leurs comptoirs du Levant et de la Crimée avec la
même cruauté jalouse que les Phéniciens avaient jadis montrée
sur le chemin des îles Cassitérides. Plus tard encore, les Portu-
gais et les Espagnols ne durent qu'à des actes d'un hardi brigan-
dage la conquête des trésors de Goa, du Mexique et du Pérou, et
ihUDES ALGÏRIEIflfES. 3
chacuD sait que Tatrocité des moyens employés fut à la hauteur
de l'audace de l'entreprise. En résumé, et sans entrer dans des
détails que le cadre de cette étude ne comporte pas, ce ne fut
guère qu'au siècle dernier que le droit du plus fort cessa d'être la
loi suprême de la mer. Encore ne faut-il pas oublier que les
rivages les plus riches de l'extrême Orient sont infestés de pirates,
et que le temps n'est pas bien éloigné où les forbans de l'Archipel
en rendaient la navigation très dangereuse, alors que M. Alexan-
dre de Laborde racontait plaisamment que les navires de ces
bandits portaient les noms des grands hommes de l'antiquité, et
qu'un de ses amis, après s'être vu ravir ses marchandises par le
Phocion^ avait, deux jours après, laissé sa montre et ses vête-
ments entre les mains du capitaine de YEpaminondas.
Au milieu de tous ces écumeurs de mer, les Algériens se dis-
tinguent par des caractères spéciaux qui veulent être décrits à
part. C'est seulement chez eux qu'on peu t voir la Course élevée à la
hauteur d'une institution sociale, protégée et réglementée par un
gouvernement régulier, qui en fit son seul moyen d'existence
pendant plus de trois siècles, et qui finit par l'absorber et la
monopoliser à son profit. Cette longue durée d'un Etat qui ne
vécut que d'une semblable ressource mériterait à elle seule d'ap-
peler l'attention de l'historien, quand même il ne s'y joindrait
pas un intérêt tout particulier pour nous, qui avons succédé aux
anciens dominateurs du pays.
Les premiers musulmans ne pratiquèrent pas la Course; la
mer les frayait, et d'ailleurs, le Prophète avait dit : « Men
nezel el bahra morreyteni f kad kefer. » (Celui qui s'embarque
deux fois sur mer est un Infidèle.) Mais, après la prise de Car-
thage (698), le vieux Mousa, devenu sultan de Tunis, fit
construire cent galères, en donna le commandement à son fils
Abdallah, et proclama la guerre sainte sur mer. Ce fut alors
qu'ils s'emparèrent de la Sicile, qui devint leur place d'armes,
et d'où ils répandirent leurs ravages sur le reste de la Méditer-
ranée ^ L'énorme butin qui fut fait rendit bientôt ce mode de
guerre très populaire, et les commentateurs du Koran ne tar-
dèrent pas à déclarer que nulle œuvre ne pouvait être plus
agréable à Dieu; que le mal de mer (en Djehad) était aussi méri-
toire que la mort au combat, et, enfin, que c'était Dieu lui-même
1. Skfrta dei Muiulnuini <U SieUia, da Michèle Aman (1854).
4 H.-D. DE GRIMMONT.
qui venait recueillir les âmes de ceux qui étaient tués sur mer,
tandis que, pour les combats terrestres, il se contentait de délé-
guer l'Ange de la Mort. Nous n'avons pas à raconter ici les
ravages commis par les flottes Sarrazines, ni la répression qui
leur fut opposée. U nous suffira de constater, qu'au moment où les
Barberousses s'emparèrent d'Alger, il n'y avait pas une petite
crique du rivage africain qui ne donnât asile à quelques cor-
saires*. Mers-el-Kebir, Bougie, Bizerte et Tunis étaient, à cette
époque, leurs centres de ralliement et de ravitaillement.
Jusqu'au commencement du xvi* siècle , Alger ne joue dans
l'histoire qu'un rôle presque nul. La beauté de son site et la com-
modité d'un petit port naturel avaient excité la tribu des Béni
Mez'ranna à venir s'établir dans la bourgade qui s'élevait sur
l'emplacement de l'ancienne Icosium '. Ils avaient, comme toutes
les populations des côtes barbaresques , quelques barques de
course qui opéraient principalement sur les frontières de mer
d'Espagne, le long desquelles les Africains trouvaient des guides
et des alliés naturels dans la personne des Morisques persécutés.
Voulant mettre un terme aux incursions qui ravageaient son
pays et en détruisaient le commerce, le cardinal Ximenès avait
décidé Ferdinand le Catholique à conquérir le littoral africain, et
avait brillamment inauguré la campagne en s'emparant de Mers-
el-Kebir, d'Oran et de Bougie. Les Algériens, craignant d'être
châtiés à leur tour, firent des offres de soumission et envoyèrent,
en 1511, des ambassadeurs chargés de demander le pardon du
passé. Us durent toutefois l'acheter en consentant à recevoir une
garnison espagnole, que le vainqueur de Bougie, Pierre de
Navarre, fut chargé d'y établir. En avant du front de mer de la
ville et à une distance de cent mètres environ, se trouvait un
groupe de quatre îlots rocheux (El Djezair) ; trois d'entre eux se
suivaient de l'ouest à Test; le quatrième était situé un peu au sud
de l'îlot central, dont la pointe orientale se reliait à la côte par
une série de récifs. Il résultait de cet ensemble une sorte de môle
naturel en forme de T qui présentait aux navires un abri suffi-
sant pour qu'une certaine quantité de corsaires se fussent décidés
à en faire leur escale favorite.
1. Voir, entre aatres, la Chronique de Suaret Montanet {Revue africaine,
1865, p. 251 et suiT.)-
2. Voir leosium, par M. Devoulx (Revue africaine^ 1875, p. 299 et suiy.}.
ETUDES lLGERIE?r?rBS.
Pierre de Navarre jugea opportun de s'emparer de cette posi-
tion et donna ordre à son ingénieur, Martin de Renteria, de for-
tifier l'îlot de l'ouest et celui du centre, et d'y construire un
ouvrage capable de tenir la ville en respect. Les travaux furent
poussés rapidement, et, moins de deux ans après, le port était
commandé par un château-fort composé de deux grosses tours et
de quatre bastions que reliait entre eux une muraille crénelée, et
qu'occupait une troupe de deux cents hommes choisis. Les cor-
saires, fort gênés de se trouver sous le canon Espagnol, abandon-
nèrent peu à peu la route d'Alger : avec eux disparut l'aisance
des habitants, dont le mécontentement s'accrut chaque jour.
Oublieux de leurs anciennes terreurs, ils n'aspiraient plus qu'à
se délivrer de la présence du Chrétien, qui était pour eux, sui-
vant l'énergique expression de l'auteur du R'azaouât, une épine
dans le cceur. Mais, trop faibles et trop peu belliqueux pour
tenter eux-mêmes l'entreprise, ils songeaient à trouver un pro-
tecteur assez puissant et assez audacieux pour l'accomplir.
Celui dans lequel ils mirent leur espoir fut un aventurier que
son intrépidité avait rendu célèbre depuis quelques années déjà :
c'était le fils d'un potier de Mételin ; il se nommait Aroudj : lui
et son frère Kheïr ed Din étaient déjà devenus la terreur de la
Chrétienté par l'audace et le bonheur de leurs entreprises ; les
Reïs les plus hardis s'étaient groupés autour d'eux et reconnais-
saient leur commandement. Ils avaient profité de cet accroisse-
ment de forces pour étendre le cercle de leurs opérations et pour
tendre une main secourable aux Maures d'Espagne que la persé-
cution chassait de leur patrie. Par leur généreuse assistance, les
villes maritimes de l'Afrique du Nord ne tardèrent pas à se peu-
pler de ces réfugiés, dont les récits grandissaient à la fois la gloire
des Barberousses et la haine qu'on portait au nom Chrétien *. En
1515, Aroudj disposait déjà d'une vingtaine de galères bien
armées, et songeait sérieusement à entreprendre quelque chose
de grand. Il était trop intelligent pour n'avoir pas reconnu depuis
longtemps la nécessité de se procurer un bon port qui pût lui
servir d'abri pour ses navires et de centre de ravitaillement : il
l'avait d'abord cherché aux îles Gelves, que lui avait fait aban-
donner la jalousie du souverain de Tunis, puis à Djidjelli, dont
1. Voir, pour toat ce qui précède, XEpiiome de loi Reyes de Argel, de Haëdo,
cap. I.
6 H.-D. DB GEAMMOIIT.
les habitants s'étaient déclarés en sa faveur ; c'est là qu'il se
trouvait lorsque les Algériens l'envoyèrent supplier de venir à
leur secours. Nous n'avons pas à raconter ici comment il se ren-
dit maître d'Alger par le meurtre de Selim Eutemi, ni comment
il fonda la domination turque, que son frère Kheïr ed Din conti-
nua à agrandir après sa mort; nous nous contenterons donc de
constater qu'à partir de 1516, Alger devint le refuge assuré et la
véritable place d'armes de la piraterie. Cependant le Pêflon (tel
était le nom de la forteresse espagnole) existait encore, et les
diverses tentatives qu'avaient faites les Barberousses pour s'en
emparer étaient demeurées infinictueuses. C'est en 1530 seule-
ment que Kheïr ed Din se sentit assez fort pour l'attaquer utile-
ment. Il ne put toutefois s'en rendre maître qu'après une canon-
nade de quinze jours consécutifs, au moyen de laquelle il détruisit
les ouvrages de défense ; encore fut-il forcé, pour avoir raison de
l'héroïque opiniâtreté du capitaine Martin de Vargas, de donner
l'assaut à cet amas de décombres avec des forces dix fois supé-
rieures à celles de l'assiégé. Immédiatement après sa victoire, il
commença la construction du port : il fit raser ce qui restait des
fortifications espagnoles, ne conservant que les deux grosses
tours de l'est et de l'ouest ; cette dernière est celle que domine
encore aujourd'hui le phare. Il employa les captifs chrétiens à
ces travaux, et les matériaux provenant des démolitions ser-
virent à combler les vides que les écueils laissaient entre eux et
à transformer en un boulevard cette ligne interrompue. Dès lors,
la darse se trouva abritée des vents du Nord, si dangereux dans
ces parages, et put offrir aux navires un refuge suffisamment
sûr. Le port fut défendu contre l'ennemi par des batteries cou-
vertes, qui furent installées sur les tours de l'ancienne forteresse,
et par les pièces dont fut armé le front de mer de la ville. A partir
de ce moment, tous les navires de course surent où trouver un
abri contre la tempête ou contre la poursuite d'un ennemi plus
fort qu'eux, une protection assurée et un marché pour leurs
prises. L'aire était construite ; les oiseaux de proie ne tardèrent
pas à s'y rassembler*.
II.
L'histoire de la piraterie algérienne se divise en trois époques
1. Voir Le Penon d'Alger, de M. Berbrugger (Alger, 1860, in-8*).
ETUDES AL€ERIEf!<CES. 7
iHen distinctes : la première pourrait être appelée Tàge héroïque
de la Course; la deuxième, Tâge mercantile; enfin, dans la troi-
sième, OQ ¥oit l'Etat se substituer peu à peu aux particuliers et
devenir lui-même le Grand Corsaire. Il est impossible d'assigner
des dates fixes à chacune de ces périodes : elles ne se terminent
pas brusquement et chacune d'elles enjambe un peu sur l'autre.
On peut cependant se représenter la première comme débutant
avec la Régence elle-même et se terminant vers 1590; la
deuxième dure jusqu'au milieu du xvii® siècle et la troisième
finit seulement avec la domination turque en Algérie.
La Course ne fut, à son origine, qu'une des formes du Djehad
ou Guerre sainte aux chrétiens. C'était un acte méritoire et reli-
gieux; les bannières des navires étaient consacrées dans les mos-
quées et par les prières des croyants ; ceux qui périssaient dans
le combat voyaient s'ouvrir devant eux le paradis du Prophète,
et l'opinion publique entourait les vainqueurs d'hommages sem-
blables à ceux que recevaient en Europe les chefs de nos grands
ordres religieux, alors qu'ils étaient les seuls protecteurs des
populations côtières contre les incursions musulmanes. La popu-
larité dont ils jouiSi3aient ne tardait pas à les désigner à l'atten-
tion du Grand Seigneur, qui choisissait parmi eux les gouver-
neurs de ses provinces et les amiraux de ses flottes. Pendant
presque toute la durée du xvi® siècle, les Pachas envoyés à Alger
furent d'anciens reïs, aussi bien que les chefs suprêmes des forces
maritimes du Sultane Ce n'était pas des hommes ordinaires que
ce Kheïr ed Din, qui, livré à ses propres ressources et entouré
d'ennemis puissants, sut étendre en quelques années sa domina-
tion de la Tunisie au Maroc*; que ce Dragut, qui, devenu de
simple matelot Pacha de Tripoli, allait arracher Malte aux che-
valiers de Sain Wean-de- Jérusalem, lorsque la mort vint l'arrêter
au moment où il entraînait ses soldats à l'assaut du fort Saint-
Ehne«, ni que ce Sala-Reïs, qui osa porter ses armes jusqu'à
1. Les pachas d'Alger du zyi* siècle sont presque tous d'anciens oqiitaines
corsaires: Aroudj (1515-1518), KheYr ed Din (1518-1534), son khalifat Hassan Aga
(1534-1543), Hassan-Pacha (1543-1551, 1557-1561, 156M567), Sala-Reïs (1552-
1556), son fils Mohammed (1567-1568), Euldj-Ali (1568-1571), et ses khalifats
Hassan-Goptan , Arab-Ahmed, Rabadan (1571-1587). Parmi ces pachas, Kheïr
ed Din, Sala-Reïs et Euldj-AU de?inrent capitans-pachas à GonstanUnople.
2. Bpitome de lo$ Reyes de Argel, cap. ii.
3. Voir, entre autres, Vertot, Histoire deê Chevaliers de SaiiU-Jean-de-
Jérusalem, t. Ul (219-492).
8 H.-D. DE GRAMMONT.
Tuggurt et Ouargla, et dans des régions qui passaient jusque-là
pour fabuleuses *.
Il faudrait des volumes pour raconter les hauts faits de ces
grands Reïs, compagnons ou successeurs des Barberousses, qui
remplirent le xvi* siècle de l'éclat de leurs noms *. Nous consa-
crerons cependant quelques lignes à un des plus glorieux et au
dernier d'entre eux, dont la vie nous montre quelles qualités de
commandement révélaient ces hommes que leur valeur faisait
sortir des positions les plus humbles.
Euldj Ali était un pauvre pêcheur Calabrais, lorsqu'il fut pris
dans une descente par le célèbre corsaire Ali Ahmed, qui le mit
à la chiourme de sa galère. Il supporta courageusement pendant
quelques années son misérable destin, jusqu'au jour où, ayant
été frappé au visage par un Turc, il se fit mahométan pour pou-
voir se venger de l'afiFront qu'il avait reçu. Cet acte de vigueur
attira l'attention sur lui, et il ne tarda pas à recevoir un com-
mandement dans lequel il se signala par d'audacieuses prouesses.
Il se mit ensuite sous les ordres de Dragut, auquel il' rendit les
plus grands services en 1560, lors de la reprise des îles Gelves
aux Espagnols, et en 1565 à l'attaque de Malte. Pendant cette
dernière expédition, il se fit tellement remarquer par son cou-
rage, que l'amiral Piali Pacha lui fit obtenir le pachalik de Tri-
poli après la mort de Dragut, des trésors duquel il hérita en
même temps.
En 1568, le Sultan lui donna le gouvernement d'Alger, et, dès
l'année suivante, il justifiait cette faveur éclatante en s'emparant
du royaume de Tunis, soumis au protectorat espagnol depuis
1535. En 1571, ayant reçu l'ordre de rejoindre la flotte turque,
il lui amena 20 galères, avec lesquelles il prit le commandement
de l'aile gauche à la bataille de Lépante. Là, tandis que le reste
de la flotte se faisait battre, il mit en déroute les galères de Malte
qui formaient la droite de l'armée chrétienne, s'empara de l'éten-
dard de la Religion et se retira en bon ordre à la fin du combat,
sans que les vainqueurs osassent le poursuivre. A dater de ce
jour, il reçut le glorieux surnom de Kilidj (l'épée) et le comman-
dement suprême des forces maritimes ottomanes, qu'il conserva
1. Epiiome de lot Reyes de Argeh cap. vu.
2. Tous les récits du temps parlent des Sinan le Juif, des Garcia Diabolo,
Amaule-Reîs, Mami-Reïs, le cruel maître de Cervantes, et tant d'autres qu'U
est impossible d'énumérer.
mniBS ALGElIE^!fES. 9
jasqa^à sa mort. Tdle fat la fortune extraordinaire de cet
bcnome, qui se trouva transporté, en moins de quinze ans, de
TesdaTage le plus misérable au faite des honneurs et de la
Biâi loin de s^endonnir dans les délices du riche palais qu*il
s*était fait construire à Thérapia, il ne se montra jamais plus
actif qu*à partir de ce moment. U reconquit une deuxième fois la
Tunisie, de laquelle Don Juan d*Âutriche s^était emparé après la
victoire de Lépante ; il fortifia les côtes de la mer Noire et les
défilés de la Geoi^e; il conunença le percement de l'Istlime de
Suez*, afin d'arrêter les conquêtes des Portugais dans les Indes,
et il eût mené à bonne fin cette œuvre gigantesque, s'il n*eût été
entravé par l'avarice du sultan, qui se refusa à fournir plus
longtemps les subsides nécessaires. Pendant tout ce temps, il ne
perdait pas de vue l'unification de l'Afrique du Nord en un seul
pachalik, doDt il pensait obtenir le commandement, que la Porte
lui avait fait espérer. C'est pour atteindre ce but qu'il avait fait
envoyer à Alger, à Tunis et à Tripoli des gouverneurs qui n'étaient,
à vrai dire, que ses lieutenants, et qu'il allait entreprendre la con-
quête du Maroc au moment où il mourut, très probablement
empoisonné par Cigala^, qui briguait sa succession. Il eût ainsi
réalisé ce qui avait été le rêve constant de tous les grands Pachas
d'Alger, de Kheïr ed Din, de Hassan-Pacha et de Sala-Reïs.
L'exécution de ce vaste projet eût pu avoir des conséquences
incalculables. Elle eût été immédiatement suivie de l'invasion de
l'Espagne, opération singulièrement facilitée par le soulèvement
simultané de deux millions de musulmans qui s'y trouvaient
encore. On peut s'assurer, par la lecture des mémoires du duc de
Caumont de La Force, qu'ils étaient depuis longtemps préparés et
armés pour la révolte^. Le drapeau de l'Islam eût donc flotté en
1. Voir VEpitome d'Hafido, cap. zviii, et les Négociations delà France dans
le Levant (documents inédits), t. III, p. 186-87.
2. Négociations de la France dans le Levant, t. VI, p. 536 et suiv.
3. Voir VEpitome d'HaMo, cap. zziii, g 2. Il s'agit ici de ce Cigala qoi devint
grand-amiral et grand-?izir sous le nom de Sinan-Pacha, et sur le compte duquel
les Biographies Uni?erselle et Générale ont commis de si singulières erreurs.
C'était le fils du vicomte Scipion Cigala, Génois, qui avait été pris avec lui à
U bataille des Gelves. Il s'était fait musulman et était devenu le favori du
sultan.
4. Mémoires du duc de Caumont de La Force (Paris, 1843, 2 vol. in-8'}, 1. 1,
p. 217 et suiv.
40 H.-D. DE GEiMMOIfT.
même temps sur les Pyrénées et sous les murs de Vienne, et qui
peut dire ce que fût alors devenue la civilisation européenne? Fort
heureusement pour la chrétienté, la défiance jalouse du Divan de
la Porte ne cessa pas de mettre des entraves à la réussite de ce
projet, dans la crainte que les futurs pachas du Gharb ne se ren-
dissent indépendants, et les forces redoutables de l'Afrique du
Nord s'usèrent dès lors en querelles intestines. Après la mort
d'Euldj Ali, tout changea. Le grand Divan n'envoya plus à
Alger que des hommes sans valeur, qui achetaient leur pachalik
par des présents et ne songeaient, une fois en place, qu'à rentrer
dans leurs déboursés et à faire leur fortune dans le court délai de
trois ans qui leur était accordé.
Les Reïs, écartés systématiquement du pouvoir, ne pensèrent
plus qu'à s'enrichir et à se créer dans Alger une influence locale
qui leur permît de se soustraire aux exigences toujours crois-
santes des Pachas et à la turbulence de la milice. A cet effet, ils
s'associèrent et formèrent une puissante corporation qui, sous le
nom de Taiffe, tint en respect les deux autres pouvoirs, et faillit
même un instant les dominer. Le mot Tatffe signifie exactement
faction, parti, et a souvent été employé en parlant d'un groupe
de conjurés quelconque; mais la Taïffe par excellence fut celle
qui se composait des Reïs et des gens qui vivaient sous leur
dépendance. U est nécessaire de jeter un coup d'œil sur l'état
intérieur d'Alger, pour bien s'expliquer l'importance que ne
tarda pas à acquérir cette association.
Depuis le temps des Barberousses, qui avaient exercé une
autorité à peu près absolue, le pouvoir avait été partagé entre un
pacha désigné par la Porte et un Divan composé des principaux
officiers de la milice; quelquefois même, dans les circonstances
graves, tous les janissaires faisaient partie du conseil et déci-
daient, par acclamation, sur les questions en litige. Cette troupe
indisciplinée ne tarda pas à devenir plus puissante que les pachas,
dont l'autorité fut complètement méconnue : la plupart d'entre
eux se résigna à cette usurpation, et cette marque de faiblesse ne
leur épargna pas toujours le destin tragique auquel ils avaient
cru édiapper par leur soumission. Ces soldats ignorants, arro-
gants et brutaux furent les véritables tyrans d'Alger, dont ils
regardaient la population inoffensive comme taillable et cor-
véable à merci, et dont ils étaient l'exécration et la terreur. Peu
payés (la solde d'un janissaire ne dépassait jamais 24 francs par
ETUDES ALGERIENNES. 44
lune, et beaucoup d'entre eux ne recevaient que 4 fir. 80 c.) S ils
jalousaient les richesses des Reïs, auxquels ils se croyaient très
supérieurs, et qu'ils empêchaient soigneusement d'atteindre aux
charges de l'Etat. De leur côté, ceux-ci, alertes, hardis, intelli-
gents, habitués au maniement des armes, ne dissimulaient qu'à
peine le mépris qu'ils avaient pour ces soudards pauvres et rus-
tiques. Ils avaient groupé leurs riches habitations près de la
mer, dans la partie occidentale de la ville, et occupaient un
vaste quartier, habité seulement par eux et leurs équipages, sorte
de forteresse dans laquelle ils se sentaient en sûreté contre un
coup de main de la milice. Ils avaient pour voisins immédiats
toute cette population qui vit de la marine, cordiers, construc^
teurs de bâtiments, fabricants de goudron et de brài, marchands
de biscuits et de poissons salés. Tous ces gens-là étaient leurs
clients, et, pour ainsi dire, leurs vassaux. Un peu plus loin,
se trouvaient les marchands d'esclaves et ceux qui trafiquaient
sur les cargaisons prises.
Au reste, on peut dire en principe que toute la ville vivait
d'eux et ne vivait que par eux. Quand la Course s'arrêtait, la
population mourait littéralement de faim ; le Pacha, privé du plus
important de ses revenus, ne pouvait plus même faire la solde
mensuelle des janissaires; l'émeute éclatait et se terminait le plus
souvent par le meurtre du souverain et de ses conseillers. Le
maintien d'un ordre de choses où l'existence de toute une popu-
lation de cent mille âmes dépendait de la piraterie, depuis la vie
du plus miséi'able fellah jusqu'à celle du chef suprême de l'Etat,
paraît incroyable, et les témoignages sont cependant unanimes.
Depuis Fray Diego de Haëdo, qui écrivait à la fin du xvf siècle,
jusqu'à Shaler, qui publiait son Esquisse de VEtat d'Alger
quelques jours avant le débarquement des Français à Sidi Fer-
ruch, tous les auteurs nous attestent qu'ils n'ont vu dans Alger
ni industrie ni commerce, et que, sans la Course, le peuple ne
pourrait pas vivre, ni le gouvernement subvenir à ses dépenses.
La correspondance de nos consuls* vient confirmer ces asser-
tions, et, quand on leur reproche de ne pouvoir, comme les agents
des autres Échelles, se suffire avec les droits consulaires, leur
r^nse est toujours la même : « Pour que ces droits, disent-ils,
1. Voir Lugier de Tassy, Histoire du Royaume d'Alger (Amsterdam, 17^,
iii-16).
2. Archives de la Chambre de commerce de Marseille. (Art 460 à 508, AA.)
42 H.-D. DE GRiMMONT.
« rapportassent quelque chose, il faudrait qu*il y eût du com-
« merce à Alger, et il n'y en a aucun. » La situation des Reïs
était donc inattaquable, et la Taïffe avait fini par devenir un
troisième pouvoir, puissance occulte et mystérieuse, qui recon-
naissait un chef choisi par elle, et rendait des décrets sans appel
dont l'exécution était confiée à une émeute qu'elle excitait ou
réfrénait à sa volonté. Car, autant les janissaires étaient détes-
tés, autant les Reïs étaient populaires. Toutes les fois qu'une prise
entrait dans le port, il y avait fête à la Marine et dans le fau-
bourg Bab el Oued, et le menu peuple héritait des reliefs du festin
et des objets qui ne valaient pas la peine d'être vendus , tandis
que les armateurs se réjouissaient des gains qu'allait leur rap-
porter l'argent engagé dans l'armement des navires. Sans la
couardise naturelle à la population d'Alger, dont les janissaires
disaient avec mépris : Quand le chien aboie, le baldi (citadin)
se sauve ^j les chefs de la Taïffe n'eussent pas tardé à sup-
planter les deux autres pouvoirs. L'envie ne leur en manquait
pas, et il y eut à plusieurs reprises des commencements d'exé-
cution. On peut citer Mami Amante, qui, après avoir ren-
versé son prédécesseur, se vit lui-même nommé pacha en 1583* ;
Morat-Reïs , qui était le véritable maître d'Alger, au moment
où M. de Brèves y vint ^ , et sans l'influence duquel cet
ambassadeur n'eût pu sortir sain et sauf des mains de la milice,
excitée contre lui par un muphti qu'il avait fait jadis bâtonner à
Constantinople; Soliman Reïs, qui perdit à la fois son pouvoir et
ses richesses en 1621, sous les coups de la croisière commandée
par Philippe-Emmanuel de Gondy^; Coulchelybi, le Chelibi des
1. Les janissaires racontaient qu'un jour les bourgeois d'Alger, excédés par
les pillages des montagnards du Bou-Zaréa, obtinrent du pacha la permission
de se défendre eux-mêmes. Ils organisèrent donc une sorte de milice, et, la
nuit venue, ils s'embusquèrent derrière le lit de l'Oued M'racel, à quelques pas
de la Tille. Soudain, un chien aboya et les citadins, pris de panique, s'enfuirent
en jetant leurs armes. Telle fut l'origine du dicton cité plus haut.
2. Voir VEpitome d'Haedo, cap. zxiv; j'ai fait remarquer dans les notes de
ma traduction (Alger, 1881, in-8*), que Mami-Arnaute n'a?ait jamais été nommé
pacha, et qu'il n'avait fait qu'exercer momentanément le pouvoir lorsque
Rabadan fut choisi, grâce à ses intrigues.
3. Savary de Brèves, chargé par Henri IV d'une longue mission à Constanti-
nople, Smyrne, en Egypte et en Barbarie. Il ne put rien obtenir à Alger, où sa
vie courut de grands dangers. Voir les Voyages de M. de Brèves (Paris, 1620,
in-4*).
4. Voir le Mercure Français, I. VI, p. 470.
ilUDES ALGlfaiENNBS. 43
Pères Rédemptoristes, qui fut assassiné par ses esclaves S au
moment où il commençait à devenir trop à craindre ; et enfin
Ali Bitchnin, le plus connu et le plus célèbre d'entre eux, celui
dont la personnalité est le véritable type des corsaires de la
deuxième période, et qui mérite par cela même une étude spéciale.
Âli Bitchnin, auquel nous conservons le nom que lui donnent la
plupart des écrivains de son temps (quelques-uns le nomment
Pitchlin ou Pegelin, et le Mercure François Pichelingues), se
nommait en réalité Piccinino. C'était, croit-on, un Vénitien,
qui, après avoir longtemps écume la mer pour son propre compte,
avait trouvé prudent de s'assurer un port de refuge; il était venu
à Alger, où il s'était fait musulman, et n'avait pas tardé à deve-
nir un des principaux d'entre les Reïs*. De semblables recrues
n'étaient pas rares et se voyaient toujours bien accueillies. Bit-
chnin put se rencontrer avec les Anglais Sanson et Ëdwart, avec
le Flamand Uver, avec le Rochellois Soliman^, qui se repentit plus
tard et devint Chevalier de grâce de l'Ordre de Malte, et enfin
avec le célèbre Simon Dansa, qui, lui aussi, prit un beau jour en
dégoût la vie de pirate et se retira à Marseille, où il obtint son
pardon, grâce aux riches présents qu'il sut faire et à l'influence
du père Coton, confesseur de Henri IV ^ Ali Bitchnin avait des
visées bien plus hautes. De 1621 à 1645, il fut le chef suprême
de ]a Taïfie, et ne laissa aux souverains qui se succédèrent pen-
dant tout ce laps de temps que l'ombre du pouvoir. Il s'intitulait
Grand- Amiral d'Alger, suivant l'usage qu'avaient adopté les chefs
des Reïs, avec le consentement tacite des Pachas et de la Porte. Ses
richesses étaient immenses. Malgré les pertes énormes qu'il avait
essuyées au combat de la Velone, qui lui avait coûté 8 galères et
plus de 2,000 hommes de chiourme, il possédait encore à lui seul
près de 3,000 captifs, répartis sur sa flotte et sur ses vastes pro-
1. Histoire de Barbarie et de ses Corsaires, déj. cit. (p. 332 et sui?.).
2. Pour tout ce qui concerne Aii-Bitchnin, voir : les Triomphes de la Charité,
par le P. L. Hérault (Paris, 1643, in-8*). — Les lettres du inéroe, adressées à
80D supérieur, le P. Denis Cassel, et citées par l'abbé Orse, Alger pendant
cent ans (Paris, s. d., in-16); — la Relation de la captivité de d'Aranda
(Bruxelles, 1662, pet. in-16) ; — La Vive Foy, du P. Egre?ille (Paris, 1665,
in-8').
3. Pour ces corsaires renégats, voir V Histoire de Barbarie, déj. cit., p. 274,
275, 351 et sui?.
4. Voir les Becherches historiques et critiques du P. Prat (Lyon, 1876, gr.
in^J.
44 H.-D. Df «ftAMMOirr.
priétés, sans compter les cinq ou six cents esdayes qu*il conser-
vait à Alger même, dans le vaste bagne qu'il avait fait construire
près de son palais, non loin de remplacement où se trouve aujour-
d'hui l'église Notre-Dame-des-Victoires. Il ne sortait qu'entouré
d'une cinquantaine de jeunes garçons d'une grande beauté, riche-
ment vêtus de velours et de soie, dont il avait fait ses pages. De
plus, chose que personne n'avait osé faire avant lui à Alger, il
se faisait escorter par une garde de fantassins et de cavaliers,
armés de pied en cap, qu'il entretenait de ses deniers, et qui ne
connaissaient que lui. Cette troupe était entièrement composée de
Kabyles, qu'il avait soigneusement recrutés dans les états du Roi de
Kouko, dont il avait épousé la fille. Une alliance de ce genre avec
un prince qui était en état de révolte quasi permanente eût été à
elle seule un indice des projets qu'il méditait d'accomplir, quand
même il n'eût pas pris soin de les afficher de bien d'autres façons.
Après la défaite de la Y elone, il exhorta les Reïs à se soustraire à
l'obéissance du sultan, qui, disait-il, exposait au danger leurs
personnes et leurs biens, sans qu'il pût en résulter aucun profit
pour eux et qui ne les indemnisait même pas de leurs pertes. Le
résultat de cette harangue fut que les corsaires se refusèrent à se
joindre, en 1643, à la flotte que le grand vizir assemblait contre
les Vénitiens*, et répondirent qu'ils feraient dorénavant la
guerre pour leur propre compte et coname cela leur conviendrait.
L'irritation du Grand Divan se traduisit par l'envoi à Alger
de trois Chaoux, chargés, de réclamer au pacha la tête d'Ali
Bitchnin.
Celui-ci fit appel à la Taïffe, et alluma une révolte si furieuse,
que les Chaoux efirayés se rembarquèrent le lendemain même
de leur arrivée, trop heureux d'avoir pu sortir vivants de la
bagarre. Une seconde ambassade, qui vint deux ans après, n'eut
guère plus de succès. Il fallut parlementer avec Ali comme avec
un souverain : il ne céda rien et se contenta d'envoyer à la Porte
quelques présents, en échange desquels il reçut le caftan d'hon-
neur. Depuis ce temps, personne n'osa plus rien entreprendre
contre lui ; son influence ne fit que s'accroître ; il s'empara du
pouvoir suprême en excitant une insurrection contre Mohammed-
Pacha, et allait être le maître absolu, lorsqu'il mourut subite-
ment en 1646, très probablement empoisonné; telle fut, du
1. Gazette de France, 1643, p. 232.
rfnJUES ALG<lIB!f7nES. 45
HKHDS, k cette ^K)qae, la croyance générale ^ Les Relations des
Rédemptions opérées de son temps parlent de lui à chaque page,
ce qui prouye bien Fimportance du rôle qu*il jouait. Mais c*est
sortoat le récit de la captivité d*Emmanuel d*Aranda qui four-
mille de détails et d*anecdotes sur ce personnage célèbre, vrai
modèle des Reïs renégats de la seconde période. Cest là qu*on
peut le mieux se rendre compte de ce caractère singulier, à la fois
plein de superbe et d'astuce, et faisant succéder des ruses de juif
à des accès d'une générosité princière. Dédaigneux du fanatisme
de la populace, il manifeste hautement le scepticisme le plus
abeoln. Un jour, un de ses esclaves déclare vouloir se faire
musulman^. Ali, peu touché de cette vocation subite, le fait
bétonner sans rémission jusqu'au moment où le malheureux
avoue qu'il n'avait voulu renier sa foi que pour échapper au
travail de la chiourme. « C'est ainsi, dit d'Aranda, que Pegelin
« pouvait dire avoir remis un chrétien dans le christianisme à
« grands coups de bâton. »
Une autre fois, il perd un diamant d'une grande valeur et le
fait rechercher par ses esclaves ^. L'un d'eux le trouve et le lui
rapporte : « Tiens, dit-il, en lui jetant une pièce de monnaie,
« vas acheter une corde pour te pendre, bête brute, qui avais
€ trouvé la liberté et qui n'as pas su la garder. » Avec tout
cela, il y a en lui du gentilhomme. U a le mépris des lâches et le
respect de sa parole.
A un débarquement qu'il fait dans les environs d'Oran, il se
voit accoster par un chef d'une tribu voisine, qui ne tarde pas à
lui avouer que le grand chagrin de sa vie est de n'avoir pas
encore sacrifié un chrétien de sa propre main, action si méri^
toirCy dit-il, et qui plaît tant à Mahomet : « Votre Seigneurie,
€ qui a tant d'esclaves, ne pourrait-elle pas m'en donner un pour
« accomplir une œuvre aussi sainte? » « Volontiers, répond
« Ali ; rendez-vous dans ce petit bois. » Un instant après, le
Maure, qui aiguisait son coutelas, voit apparaître un vigoureux
soldat espagnol, armé de la rondache, de la dague et d'une
bonne épée, et reçoit une charge vigoureuse qui le force à se
réfugier près des vaisseaux, où il est accueilli par des huées
1. Voir l'abbé Orse, loc. dt.
2. D'Annda, Belation d. c, p. 259.
3. Id., p. 216.
46 H.-D. DE GRÀMMOnT.
et par les railleries de Bitchnin^ qui l'encourage moqueusement
à se rendre digne des faveurs du Prophète*.
Un autre jour, un de ses navires s'empare , sur la côte de
Valence, de la âUe d'un riche marchand; le père, désolé, se rend
volontairement à bord et offre rançon pour lui et son enfant.
Ali le taxe à six mille patagons (17,400 fr.). A ce moment, un
renégat intervient et déclare que le marchand est fort riche et
peut payer quatre fois davantage. « Ma parole est ma parole, »
dit Ali, et il fait mettre à terre les deux captifs, moyennant la
somme convenue*. Ces exemples suffisent pour donner une juste
idée de cet homme, bien inférieur comme grandeur aux Dragut
et aux Euldj Ali, mais bien supérieur à la génération qui va lui
succéder.
LesReïs de la troisième période n'offrent pas de types aussi remar-
quables : ce ne sont plus que des écumeurs de mer, moitié mar-
chands, moitié pirates, considérant leur profession comme une
industrie qu'on doit exercer le plus prudemment possible, en évi-
tant, par tous les moyens imaginables, d'avoir à combattre.
Cela en arriva à un tel point, que les Deys furent forcés, à
diverses reprises, de faire châtier très rudement des Reïs con-
vaincus de lâcheté, et de renvoyer à la mer, en leur défendant
l'entrée du port d'Alger, ceux qui revenaient sans avoir fait de
prises '. Les causes de cette décadence furent multiples : en pre-
mier lieu, l'accroissement des forces maritimes des nations euro-
péennes gêna l'expansion de la course et en rendit l'exercice
impossible aux petits bâtiments ; en même temps, les navires de
commerce prirent l'habitude de ne plus voyager isolément et se
groupèrent en caravanes, auxquelles les Gouvernements don-
naient une escorte de vaisseaux de guerre. Mais, en réalité, le
coup mortel porté à la piraterie barbaresque fut la fin de la lutte
séculaire de la France et de l'Espagne. En effet, tant que la
guerre avait duré, la France avait fermé les yeux sur les dépré-
dations Algériennes, et s'était bien gardée de ruiner une puis-
sance qu'elle considérait avec raison comme une plaie vive atta-
chée aux flancs de sa rivale. Lorsqu'elle n'eut plus ces motifs de
patienter, les croisières de l'escadre du Levant ne cessèrent pas
1. D'Aranda, Relation d. c, p. 278.
2. D'Aranda, Relation d. c, p. 25t.
3. Voir Laugier de Tassy, déj. cit., p. 263.
ETUDES ALGERIENNES. H
de couvrir la mer, et firent subir aux corsaires des dommages
tellement considérables, que les armateurs se dégoûtèrent bientôt
d'un métier qui ne leur rapportait plus que des pertes. La corpo-
ration des Reïs disparut peu à peu et s'effaça devant le Beylik,
qui devint le grand constructeur et presque le seul armateur de
navires.
Les Deys organisèrent une marine de l'Etat, placée sous la
surveillance de l'Oukil el Hardj, l'un des cinq grands dignitaires
qui, sous le nom de Puissances, remplacèrent l'ancien Divan
dans l'administration de la Régence. Nous verrons un peu plus
loin par quels moyens ils parvinrent, pendant un certain temps,
à suffire aux dépenses de l'Etat, malgré le déficit causé par la
diminution de la Course. Disons toutefois, dès maintenant, que
vers le commencement, du xix® siècle, la position était devenue
insoutenable; que, chaque année, les embarras financiers allaient
en s'accroissant, et qu'au moment de l'arrivée des Français, il y
avait déjà de nombreuses années que le budget de la Régence ne
s'équilibrait plus et qu'il fallait se servir des richesses amassées
autrefois dans le Trésor public. Déjà les villes du littoral, que la
Course avait jadis enrichies et peuplées, tombaient en ruines, et
n'avaient plus que quelques habitants autour de leurs ports
déserts ; le même sort ne pouvait manquer d'atteindre Alger, et
le canon de M. de Bourmont ne fit que devancer de quelques
années l'œuvre inévitable du temps.
III.
Ce n'est pas seulement dans les dissensions des nations chré-
tiennes et dans l'incurie de leurs gouvernements qu'il faut cher-
cher la raison de la longue impunité des Algériens et celle des
succès qu'ils obtinrent pendant plus de trois cents ans : ils en
furent surtout redevables à leurs coutumes maritimes, qu'ils
conservèrent presque sans altération depuis le temps des Barbe-
rousses.
Pendant toute la durée du xvf siècle, la Course se fit exclusi-
vement avec des galères ou galiotes. Ces deux sortes de navires
se manœuvraient à la rame et ne se servaient de leur voilure que
pour faire route et croiser en attendant leur proie. Aussitôt qu'on
avait connaissance de l'ennemi, soit qu'il s'agît de le poursuivre,
soit qu'on jugeât prudent de prendre chasse, la mâture était
Rbv. Histob. XXV. 4«' fasc. 2
'IS H.-D. DE GRAMMONT.
abattue et la chiourme commençait son ofSce. C'est là qu'éclatait
l'incontestable supériorité de la marine Algérienne. Tandis que
les bâtiments chrétiens, trop élevés au-dessus de la ligne de flot-
taison, pourvus d'une pesante artillerie, alourdis par des amas
de munitions, de vivres et de rechanges, augmentaient encore la
diflBculté de la traction par le poids des riches ornements de leur
avant et par la résistance qu'opposait à la vitesse la hauteur exa-
gérée du château de poupe, les galères des Reïs, étroites, basses
sur l'eau, déchargées de tout ce qui n'était pas rigoureusement
nécessaire, volaient sur les flots coname des oiseaux de mer, et
ne mettaient que peu d'instants à s'approcher ou à s'éloigner de
ceux qu'il s'agissait de distancer ou d'atteindre. On peut lire
dans les lettres adressées au cardinal de Richelieu, à Colbert et à
M. de Seignelay par les intendants des galères les plaintes inces-
santes que font à ce sujet les Brodart, les Arnoul, les de Vauvré
et bien d'autres administrateurs de grande expérience et de bon
conseil. Mais ni les objurgations des ministres, ni les ordres du
Roi lui-même ne parvinrent à imposer la simplicité aux chefis
d'escadre, ni seulement aux capitaines de vaisseaux ^ On voit
encore aujourd'hui, dans les riches collections du Louvre, les
modèles réduits de ces superbes navires, où le goût de la France
et le génie de la sculpture ornementale furent largement prodi-
gués à ces monuments de l'architecture navale, au grand détri-
ment des qualités de vitesse qu'il eût été plus sage de rechercher.
A Alger, on ne voyait rien de pareil. La galère était aussi
basse que possible, à un tel point que, pour peu que la mer fût
houleuse, le pont était perpétuellement lavé par les lames. A
l'avant, se trouvait un canon de longue portée. C'était ordinaire-
ment toute l'artillerie du bord. Quelquefois, on plaçait une cou-
leuvrine à l'arrière pour servir de pièce de chasse. La proue était
basse, étroite, et surmontée seulement d'un tendelet d'étofiie sous
lequel se tenaient le Reïs et les principaux officiers ; ce tendelet
lui-même était abattu aussitôt que le travail de la chiourme com-
mençait. La charge était réduite au plus strict nécessaire; en
fait de vivres, on embarquait du biscuit pour 50 jours, durée
maxima de la course, quelques jarres d'huile, d'olives et de vinai-
1. Voir Jal, Abraham Duquetne et la Marine de ion temps, t. I, p. 252,
et son Dictionnaire critiqvte et hittoriquef articles Girardon et Sculpture des
navires.
ETUDES ALG^RTE^mES. 49
gre ; la ration journalière se composait de trois biscuits et d'une
mesure d*eau vinaigrée. Les bailles d*eau servaient de lest. Les
rameurs avaient pour tout bagage une couverture; ils étaient
enchaînés à leur place et n'en bougeaient jamais pendant la
manœuvre. Lorsque la galère allait à la voile, on les déferrait
escouade par escouade, et il leur était permis d'aller respirer
quelques instants à l'avant, sous la garde des soldats de marine.
Ceux-ci ne touchaient pas d'autre ration que les forçats, et dor-
maient comme eux sur le banc qui leur était assigné et duquel
ils ne pouvaient bouger sans permission ; on leur accordait l'em-
barquement d'une petite quantité de provisions destinées à amé-
liorer le frugal ordinaire du bord ; ils emportaient le plus souvent
des oignons, du fromage, des figues et quelque peu d'eau-de-vie.
Le tout était renfermé dans un couffin qu'ils devaient amarrer
avec soin au-dessous de leur banc. C'est encore là qu'ils pla-
çaient la poudre et le plomb que chacun d'eux recevait lors de
son embarquement. À ce moment, ils ne conservaient comme
armes que leurs cimeterres ; les mousquets étaient déposés dans
la chambre de l'arrière, d'où ils ne sortaient que lorsqu'on se
trouvait en vue de l'ennemi.
La discipline du bord était terrible. Le Reïs était le maître
absolu ; qu'il fût Maure, Nègre ou Colourli, il commandait sou-
verainement à tous, même aux janissaires turcs embarqués en
qualité de volontaires, et c'était la seule occasion dans laquelle
un Turc consentît à recevoir des ordres d'hommes étrangers à sa
race. A partir du moment où les rames trempaient dans l'eau, il
était interdit, sous les peines les plus sévères, de faire le moindre
mouvement, de crainte de déranger l'équilibre de la galère et de
£aire perdre une partie de la vitesse. Seul, le comité courait sur
la traverse du milieu, de la poupe à la proue, marquant la
mesure et réchauffant à grands coups de fouet le zèle de ceux des
rameurs qui lui semblaient manquer d'énergie. Le Reïs, debout à
l'arrière, donnait ses ordres et guidait la marche. Avant le
départ, il avait surveillé l'arrimage, qui était fait avec le soin le
plus scrupuleux ; le navire n'avait pas été mis à l'eau sans avoir
été, au préalable, entièrement flambé, espalmé et suiffé à neuf;
ces précautions étaient prises pour chaque traversée, et toujours
renouvelées, quelque courte qu'eût été la course précédente. Tous
ces soins faisaient de la galère d'Alger une machine de guerre
très supérieure à celles que possédaient les autres nations. Elle
20 U.-D. DE GRAMMONT.
tirait surtout un grand avantage de la puissance de sa chiourme.
Tandis que les lourds bâtiments chrétiens parvenaient à peine à
réunir six à huit rameurs par banc, les Algériens n'en avaient
jamais moins de dix, tous gens de mer, alors que les équipes
Européennes étaient recrutées dans les prisons, parmi le rebut
des malfaiteurs des villes et des campagnes, gens auxquels man-
quait toujours la connaissance du métier et, le plus souvent, la
force physique nécessaire au dur travail de la rame, € fatigue
incroyable y dit dJAranda^ à ceux qui ne Vont pas éprou-
vée^. »
Il est à peine nécessaire de faire ressortir l'importance qu'avait
à cette époque une bonne équipe de rameurs. C'était elle qui per-
mettait de choisir sa route par tous les temps, et de braver le
calme ou les vents contraires. Par cela même, et par la supério-
rité de vitesse qu'elle assurait, elle. tenait les navires à voiles à sa
merci; c'était, en un mot, la vapeur de ce temps-là. La galère de
vingt bancs, qui était le type communément adopté à Alger,
avait une chiourme de 200 rameurs et portait une centaine de
combattants volontaires. Ni les uns ni les autres ne recevaient
de solde, et les corsaires n'avaient à compter que sur leurs parts
de prises. La coutume l'avait voulu ainsi, afin que chacun fût
plus excité à coopérer au succès.
Il est aisé de comprendre, d'après la description que nous
avons faite des navires à rames, que leur structure ne leur per-
mettait pas de braver les gros temps ; aussi la Ck)urse était-elle
interrompue pendant l'hiver, depuis la lune d'octobre jusqu'à
celle d'avril^. Lorsque cent années de ravages continuels eurent
ruiné le commerce et les côtes de l'Italie et de l'Espagne, et que
les corsaires durent aller chercher fortune dans l'Océan, ils se
virent donc forcés de renoncer aux galères pour la navigation de
long cours ; ils construisirent alors des bâtiments à voiles, qu'on
appelait à cette époque des vaisseaux ronds. Ce fut, dit-on, le
célèbre corsaire Simon Dansa ^ qui leur en apprit l'usage. Ces
navires étaient à peu près semblables à ceux des autres nations
et ne s'en distinguaient que par une forme un peu plus allongée.
1. Relation f d. c, p. 258.
2. Pour tous les détails ci-dessus, voir UaCdo, le P. Dan, d'Aranda, Laugier
de Tassy et Peyssonel.
3. BisU de Barbarie, d. c, p. %7h.
une fins grande hauteur de mâture et Tabsence complète d'orne-
ments inutiles. Plus tard encore, les Deys d'Alger firent cons-
truire quelques vaisseaux de guerre absolument semblables h
ceux des flottes royales de France et d'Angleterre.
A Alger, tout homme de condition libre avait le droit d'entre-
prendre la course, et, par le fait, tout le monde s'en mêlait plus
ou moins. Lors de la fondation de l'Odjeac, il avait été défendu
aux janissaires de prendre du service à bord; mais, en 1568,
Mohammed ben Salah-Reïs avait été forcé de lever cette inter-
diction*, qui avait déjà causé de nombreuses révoltes delà milice.
Celui qui possédait une galère bien armée, munie de sa chiourme
et de ses approvisionnements, la commandait et la dirigeait à son
gré; d'autres s'associaient pour équiper un navire à frais com-
muns; les petits marchands et les citadins se cotisaient souvent
pour Caire un armement, dont la direction était confiée par eux
h quelque capitaine connu par son audace et le bonheur de ses
entreprises. Le plus souvent, celui qui pouvait se procurer à bas
prix une misérable barque, partait au gré de la fortune avec
quinze ou vingt de ses amis, et se dirigeait au hasard sur les
côtes de l'Italie, de la Sardaigne, de la Corse ou de TEspagne,
cherchant aventure, se cachant dans les criques et les récifs,
attendant le moment d'enlever des pêcheurs attardés ou de piller,
à la faveur de la nuit, quelques habitations isolées. Si le succès
couronnait son entreprise, il achetait à son retour un navire un
peu plus grand, et continuait de la sorte jusqu'à ce qu'il fût pro-
priétaire d'un bâtiment de guerre. Bien rares étaient les timides,
comme celui dont parle d'Aranda ', qui, ayant gagné 30,000 pa-
taquès (87,000 fr.) dans la première course qu'il fit avec une
petite barque, ne voulut jamais se remettre en mer, disant qu'il
avait maintenant de quoi vivre, et qu'une pareille chance n'arri-
vait pas deux fois à un homme.
Lorsque le navire et la chiourme avaient été trouvés à prix
d'argent, il fallait recruter les combattants volontaires. A cet
effet, le Reïs faisait arborer au grand mât un pavillon vert, et
plantait sur le port, en face de son bâtiment, un mâtereau
orné d'une banderole de la même couleur. C'est là que se faisaient
les engagements. Lorsque le personnel était au complet, on ame-
1. Epilome de los Reyes de Argel, d. c, cap. xyii, | 1.
2. Relation, d. c, p. 263.
22 H.-D. DE GRAMMONT.
nait les bannières et rembarquement commençait. Chaque volon-
taire devait être pourvu d*un mousquet (au commencement, d'un
arc de fer), d'un cimeterre et d'un coutelas ; le bord ne lui ftrar^
nissait que les munitions et le biscuit ; il lui était loisible, comme
nous l'avons déjà dit, d'emporter pour son usage quelques vivres
et une couverture, mais rien de plus. La veille du départ, le Reïs
et les principaux de l'équipage allaient visiter un des marabouts
en renom qui leur remettait quelques amulettes et un mouton
destiné à être sacrifié pour se rendre la fortune et la mer favo-
rables. Ce don, fait par le saint homme, était récompensé au
retour par des présents d'une valeur proportionnelle aux prises
faites.
L'appareillage se faisait avec pompe; la bannière d'Alger,
verte, aux croissants et aux étoiles d'argent sans nombre, flottait
en haut du grand mât : ces bannières étaient d'un grand luxe, et
le Père Dan assure en avoir vu quelques-unes dont le prix dépas-
sait 1,200 livres * ; le navire était pavoisé, et, à la sortie du port,
le canon et la mousqueterie saluaient la kouba de Sidi Betka, le
grand marabout qui avait jadis soulevé la tempête pour anéantir
les flottes de Charles-Quint. Aussitôt après le départ, l'étendard
national était amené et remplacé par un pavillon aux couleurs
d'une nation chrétienne quelconque '. Le Reïs donnait ensuite la
route vers les parages où il croyait avoir le plus de chance de
rencontrer des vaisseaux marchands. Quelques-uns s'en remet-
taient au hasard, faisaient tourner sur le pont un poignard ou
une flèche, et mettaient le cap sur la direction qui leur avait été
indiquée par la pointe de l'arme. On naviguait ainsi jusqu'à ce
qu'on fût en présence d'un navire chrétien ; si le corsaire se croyait
assez fort pour l'amariner, la chasse commençait immédiatement.
Quand on se trouvait à portée de mousquet, il le sommait de se
rendre, et, la plupart du temps, ne rencontrait pas de résistance.
On ne peut guère avoir une meilleure idée de la manière dont
les choses se passaient dans ce cas-là, qu'en lisant le pittoresque
récit que fait René Chastelet des Boys de la prise qui le réduisit
en esclavage. Ce gentilhomme angevin a publié, sous le titre
d'Odyssée^, une narration fort intéressante de ses aventures à
1. Histoire de Barbarie, d. c, p. 259.
2. /rf., id.
3. L'Odyssée, ou diversité d'avantures, retuontres et voyages en Europe,
ÉTUDES ALGÉRIEICKES. 23
Alger, où il fut captif en 1642 et 1643. Laissons-lui donc un
instant la parole ^ :
« Les bannières bigarrées des Hollandais disparaissent et le
« haut des mâts se trouve en même temps ombrage de pavillons,
« taffetas de toute couleur, enrichis et brodés d'étoiles, de soleils,
« d'épées croisées, et de devises et d'écritures inconnues. Leurs
« galiotes, montées de 38 pièces de canon et 6 grands pierriers,
« nous avaient déjà tiré quatre volées avec un cri confus, inar-
« ticulé, et sans attendre le compassement de nos mèches, quand,
« redoublant les hurlements épouvantables de mena perros^,
« elle donna la volée entière et fracassa notre beaupré d'une
« balasse (c'est une courte barre de fer, dont les deux extrémités
« aboutissent en demi-boulet)'. Le cri de : Brébréy mena perros
« s'élève de plus en plus, quand ils s'avoisinèrent de si près, que
« de leur escopeterie ils blessèrent un de nos matelots et tuèrent
« l'un de nos camarades étrangers. Le reste de l'équipage, épou-
« vanté, baisse les voiles et montre les mouchoirs pour marque
«de demande de composition. La soldatesque, encore moins
« résolue, met les armes bas ; le tillac et l'entre-deux des ponts se
« désertent, et le fond de la cale se peuple de fuyards. Les cha-
« loupes du vaisseau se mettent à la mer et nous investissent.
« Ces barbares et bigarrés aventuriers, dont elles étaient rem-
« plies, se précipitent et se prennent à l'abordage de notre désolée
« patache et à l'escalade de nos murailles de bois, sans aucune
« résistance, quelques matelots leur tendant la corde du bord, à
« fin de meilleur quartier, et de sauver la vie après la perte de
« la liberté, dont l'imminence fit naître une passion fervente de
« conserver ce que l'on pouvait de pécule. L'or s'enveloppe et se
« resserre de diverses manières ; les uns s'en font des bracelets,
« afin de s'en entourer les bras, et obscurcir son éclat à l'ombre
« d'une manche de chemise, et aveugler la clairvoyance des cor-
« saires. Il s'en trouva qui le voilèrent dans le plus profond de
« leurs chausses, se persuadant ralentir l'avarice des barbares par
« la honte. D y en eut qui en firent des ceintures qu'ils crurent
« mettre en bonne cachette sous leurs cheveux, ne sachant pas
«jusqu'où va l'invention dans la recherche de la Toison d'Or.
Àtie et AfriqvLe, divisée en quatre parties, par le sieur Du Chastelet des Boys
(U Flèche, 1660, in-8').
1. /cf., xxui* rencontre.
%. Chiens, rendez-tous!
24 H.-D. DE GRAMMONT.
< Quelques-uns avalèrent des pistoles, ècus d'or et autres pièces
« de monnaie qui plus facilement se plient et se bossellent. Enfin,
« la chrysophagie fut si commune, que, nonobstant l'abondance
« confuse d'un chagrin désespéré qui assiégeait toutes les facultés
« de mon âme , et principalement ma mémoire, il me souvint,
« pour me consoler, de l'hémistiche : « Auri sacra famés. »
« Ces écumeurs montent à notre bord, crient, errent, cherchent
< çà et là sur le tillac, entre deux ponts et à fond de cale; les
< coffres se rompent à coups de haches et l'on prend les mieux
< minés à la gorge. A mon égard, apercevant un grand Maure,
« le bras retroussé jusqu'au coude, tenant le sabre en mains large
< de quatre doigts, s'approcher, je restai sans paroles ; et la lai-
« deur de ce charbon animé de deux pilules d'ivoire, hideusement
« se mouvant avec la lueur pirouettante d'un court, large et bril-
le lant fer, m'effraya bien davantage que ne le fut le premier des
« humains à l'aspect de l'épée flamboyante du portier du paradis
« terrestre. >
Aussitôt la prise effectuée, le vainqueur faisait passer l'équi-
page à son bord, ne laissant sur le bâtiment chrétien que le
nombre de captifs strictement indispensable à la manœuvre du
navire capturé, sur lequel il envoyait bon nombre de ses soldats
turcs et quelques-uns de ses officiers; après quoi, il reprenait
immédiatement la route d'Alger. Dès qu'il était en vue, il pavoi-
sait son vaisseau, et entrait dans le port en tirant des salves de
réjouissance auxquelles répondait le canon des batteries et des
forts. Cependant, toute la population était accourue sur le port;
car, depuis plusieurs heures déjà, les vigies du Bou-Zaréah
avaient signalé l'arrivée d'une capture. Le débarquement avait
lieu au milieu des cris de joie de la foule; le Reïs, escorté de ses
officiers et suivi par la troupe des captifs enchaînés, se dirigeait
vers le palais du Pacha, auquel il présentait l'inventaire de la
prise, dressé par l'écrivain du bord. Aucune partie du butin, si
petite qu'elle fût, ne devait être détournée; tout devait revenir au
partage. Chaque infraction à cette loi était punie par la bastonnade
et par la privation de la part qui eût incombé au délinquant.
Malgré cette dure pénalité, plus d'un cherchait à faire sa main,
depuis le simple matelot, qui pillait au moment de l'abordage,
jusqu'au chef lui-même, qui s'assurait à prix d'or la complicité
du khodja.
Dans l'origine, la carcasse du bâtiment capturé était consi-
ETUDES ALGERIENNES. 25
déree comme anne de guerre, et appartenait en cette qualité à
TEtat ; plus tard, on reconnut les inconvénients de cette mesure,
et le navire fit partie intégrante de la prise. En effet, sous l'em-
pire de l'ancienne loi, les corsaires ne se donnaient plus la peine
de ramener un vaisseau qui ne devait rien leur rapporter, et se
contentaient de transborder le butin et les captifs, abandonnant
ensuite ou incendiant la coque. Il ne subsista de l'ancienne cou-
tume que le droit de karaporta, en vertu duquel les agrès, depuis
le grand mât jusqu'au beaupré, furent dévolus aux gardiens du
port*.
Le reste de la prise*, butin, marchandises, esclaves, était
vendu à l'encan ; le Pacha avait sur le tout les droits de réemp-
tion et de retrait. Le partage s'opérait ainsi qu'il suit : on préle-
vait d'abord douze pour cent pour la part du Pacha, plus un pour
cent pour l'entretien du môle du port, et encore un pour cent
pour les mosquées. Le reste était divisé en deux parties égales;
la première était donnée moitié au Reïs, moitié aux armateurs ; il
va sans dire que, lorsque le navire et son armement apparte-
naient au capitaine, toute cette part lui revenait de droit.
La seconde était attribuée à l'équipage, dans les proportions
suivantes : quinze parts au Reïs en qualité de capitaine de galère
(la première portion qui lui avait été dévolue était son droit comme
chef de l'expédition) ; trois parts aux officiers du bâtiment et à
ceux des volontaires, aux maîtres canonniers, au pilote et au
chirurgien; deux parts aux janissaires, au calfat, au maître
charpentier, et une au reste de l'équipage ; les rameurs esclaves
étaient compris dans la répartition, mais pour leurs maîtres,
qui recevaient l'argent : toutefois, il était d'usage de leur en
laisser une petite partie : cette coutume fut régularisée sous les
Deys, et la chiourme du Beylick reçut dès lors le tiers de la somme
pour laquelle elle avait été comprise dans le partage. Ces cou-
tumes restèrent en vigueur pendant toute la durée de la Régence
sans recevoir de modifications importantes; en 1579, Hassan le
Vénitien, le terrible pacha qui fut le maître et le bourreau de
Cervantes, voulut exiger pour sa part le cinquième du butin 3;
cette innovation n'eut pas de succès, et excita une révolte terrible
1. Voir Laogier de Tassy, d. c, p. 272.
2. Id., p. Î70.
3. Entame de loi Re^es de Argel, d. c, cap. xxi, | 3.
26 H.-D. DE GRIMMONT.
de la Taïffe, qui porta ses plaintes jusqu'à Ck)nstaDtinople, fit
rappeler le décret et remplacer son auteur ; ce fut la seule tenta-
tive de ce genre, et T importance des prises faites par les corsaires
dut suffire, dès lors, à satisfaire la cupidité des Pachas.
IV.
La Course n'avait pas tardé à prendre un développement
incroyable. Fray Diego de Haëdo nous apprend que, dès 1580*,
les Algériens possédaient 35 grandes galères et une trentaine de
brigantins, sans compter une grande quantité de barques, tar-
tanes, chebeks, seyties et bertons, petites embarcations qui ne
s'éloignaient guère des côtes et faisaient ce qu'on pourrait appe-
ler la piraterie de cabotage. En 1634, le Père Dan comptait de
ses propres yeux une trentaine de galères et 70 gros vaisseaux
de la force de 25 à 40 pièces de canon ; il estimait la valeur des
marchandises prises dans les trente dernières années à plus de
vingt millions, et à plus d'un million le nombre des captifs faits
pendant la même période, ce qui représenterait une valeur de
cinq cents millions au moins *. L'appréciation du Père Dan est
plutôt au-dessous qu'au-dessus de la vérité, en ce qui concerne
la valeur des prises ; nous avons sous les yeux un rôle des dom-
mages occasionnés aux Français par les pirates d'Alger pendant
les huit premiers mois de l'année 1616, rôle établi par M. Chaix,
vice-consul à Alger ^, et qui évalue les pertes à 1,800,000 écus ;
encore faut-il remarquer que la nation française était la moins
maltraitée de toutes. Les côtes d'Italie, de l'Espagne et des îles
du bassin occidental de la Méditerranée furent ravagées d'une
façon inimaginable. Ce fut un pillage périodique, renouvelé
chaque année, et souvent plusieurs fois par an, ainsi qu'il est
facile de s'en assurer en consultant la collection du Mercure
français et celle de la Gazette de France. On ne peut, à cette
lecture, se défendre d'un sentiment douloureux en pensant aux
soufiFrances des misérables populations de ces rivages, et l'on
admire en même temps la vitalité des races qui ont pu survivre
à de semblables épreuves. Pendant plus de deux cent cinquante
1. Topografia, cap. xxii.
2. Histoire de Barbarie, d. c, p. 282.
3. ArchÎYes de la Cbambre de commerce de Marseille, AA, art. 462.
27
ans, les côtes de la Sicile, de la Calabre, de la PouiUe, des Etats
Pontificaux, de la Sardaigne, de la Corse et de l'Espagne furent
mises en coupe réglée, et l'aridité actuelle de quelques-unes de
ces régions jadis si fertiles montre encore aujourd'hui combien la
nature est lente à réparer le mal que font les hommes. Ce fut en
vain que tous ces rivages se hérissèrent de tours de guet dans
lesquelles veillaient des gardes chargés de prévenir, par le son
de la cloche, les populations riveraines de l'approche des pirates.
Ceux-ci apprirent à déjouer cette surveillance en n'abordant que
de nuit, guidés par un captif originaire du lieu de la descente,
qui se laissait séduire par l'appât de sa liberté et d'une riche
récompense.
La France, garantie par son ancienne alliance avec le Sultan
et par la bravoure de ses marins, eut bien moins à soufiFrir de ces
incursions; cependant les environs de Saint-Tropez, d'Antibes,
de Martigues, d'Agde et de Narbonne reçurent à plusieurs
reprises de ces terribles visites pendant la durée du xvu** siècle.
Au mois de février 1647, trois corsaires eurent la hardiesse de
débarquer près de Saint-Tropez et d'envahir la Chartreuse d'Ar-
gentière, dans laquelle ils comptaient s'emparer de l'évêque de
Toulon, qui s'y trouvait en ce moment en tournée épiscopale; ce
prélat eut le temps de s'enfuir, ainsi que la plupart des char-
treux : trois d'entre eux seulement tombèrent aux mains des
Algériens*. Le 6 août 1653, le célèbre cardinal Antoine Bar-
berini fut attaqué par deux galères d'Alger à sa sortie du port de
Marseille ; il eut le bonheur de parvenir à s'échouer sous le canon
du fort de Monaco, où les pirates n'osèrent pas le poursuivre, et
durent se contenter de capturer la tartane qui portait les riches
bagages de ce Prince de l'Eglise*, avec sa suite, composée de
70 personnes. Barberini fut tellement impressionné par cette
aventure, que, quand il dut retourner en France au mois de juin
1655, rien ne put le décider à faire la courte traversée de Savone
à Toulon : il préféra prendre la route de terre ^. Il ne consentit
même à s'embarquer le 1®' novembre 1657 qu'en compagnie du
marquis de Martel, qui lui fit escorte avec son escadre jusqu'à
Civita-Vecchia *.
1. Gazette de France y 1647, p. 186.
2. /d., 1653, p. 764.
3. /d., 1655, p. 708.
4. /<<., 1657, p. 1161.
28 H.-D. DE GRIMMOTT.
Il est vrai de dire que, pendant tout le cours de cette même
année 1657, les mers de Provence étaient peuplées de pirates,
qui avaient poussé l'audace au point de faire une descente à trois
lieues seulement de Toulon, d'y saccager plusieurs habitations et
d'y enlever une trentaine de personnes*. En 1661, 'ils recommen-
cèrent cette expédition à deux reprises différentes, et, au mois
d'août, s'emparèrent devant le Chàteau-d'If d'une barque sur
laquelle se trouvaient une cinquantaine d'habitaijts *, entre les-
quels plusieurs dames de haut rang, qui allaient en pèlerinage à
la Sainte-Baume. Au mois de juillet 1662, dix-huit de leurs bâti-
ments avaient choisi les îles d'Hyères pour quartier général, et
jetaient la consternation dans le commerce de Marseille^; les
croisières du duc de Beaufort et du commandeur Pol éloignèrent
ces hôtes incommodes.
Leur audace était devenue excessive. Laissant leurs galères
écumer la Méditerranée, ils allaient au loin chercher fortune sur
l'Océan avec leurs vaisseaux de haut bord. Ils avaient toujours
devant le détroit de Gibraltar et dans les eaux des Açores quel-
ques croiseurs qui attendaient les galions des Indes ; l'embou-
chure du Tage était perpétuellement visitée par eux, ainsi que le
canal de La Rochelle et l'entrée de la Manche. En 1645, sept
d'entre eux avaient débarqué sur les côtes de CornouaiUes, où ils
avaient enlevé 240 habitants et un énorme butin *, En 1650^, ils
étaient venus prendre des bâtiments marchands jusque devant
Plymouth, et ils avaient fait de même, en 1654, à l'embou-
chure de la Severn ^. En 1617, ils avaient envahi l'île de Madère,
qu'ils pillèrent à fond, emportant jusqu'aux cloches des églises,
et emmenant en captivité plus de douze cents personnes^. En
1634, Morat-Reïs avait écume les côtes d'Angleterre et d'Irlande et
y avait fait une descente près d'une petite ville nommée Baltimore,
où il avait fait 237 captifs*. Mais aucun d'eux n'égala l'audace
aventureuse de Come Morat, qui osa pousser jusqu'en Islande, où
1. Gazette de France, 1657, p. 956.
2. /rf., 1661, p. 376, 760, 794.
3. /rf., 1662, p. 729.
4. Id., 1645, p. 851.
5. /d., 1650, p. 1133.
6. /d., 1654, p. 99 et 171.
7. Histoire de Barbarie, d. c, p. 276.
8. /d., p. 276.
ETUDES ALGÉRIENNES. 29
il débarqua en 1627, et où il s'empara de 800 habitants, seul
butin que put lui offrir cette région désolée *.
Le fléau augmentait de jour en jour, et le nombre des pirates
s'accroissait en même temps que leur intrépidité. Comment en
eût-il été autrement? Quelle raison eût pu empêcher tout homme
énergique d'embrasser une carrière dans laquelle on avait tout à
gagner et presque rien à perdre? Quelle excitation au mépris du
danger que la vue quotidienne de tous ces Reïs gorgés de richesses,
qui traînaient quelques années auparavant une existence misé-
rable, et qui goûtaient maintenant les douceurs du kief dans leurs
somptueux palais d'Alger ou dans les villas toujours vertes qui
couronnent les coteaux voisins de la ville I Pour devenir leur égal,
que fallait-il? Un peu de bonheur et un peu de courage. On se
racontait les histoires de ces hommes favorisés par le destin, qui
avaient conquis une fortune dès le premier jour de leur première
aventure.
On citait le Reïs, appelé le Grand More, qui, en 1635, avait
pris à l'abordage, pour son coup d'essai, le grand galion de Na-
ples*, chargé de blé, de 10,000 paires de bas de soie, 20 caisses
de fil d'or, 10 caisses de brocatelle, 76 canons, 10,000 bou-
lets et 130 captifs; Hamida ben Negro^, qui, en 1656, avait
failli prendre Don Juan d'Autriche et s'était emparé de la galère
la Sainte-Agathe, sur laquelle il avait trouvé 800,000 réaux,
les riches bagages du marquis de Serra, tué dans le combat, et
un nombre infini de captifs de qualité qui durent payer d'énormes
rançons pour recouvrer leur liberté; Kara Oges, qui, en 1660,
se dégoûta de son métier de portefaix à la Marine, radouba, à
l'aide de quelques amis, une vieille barque abandonnée, prit la
mer au hasard et s'empara, quelques jours après, du vaisseau
marseillais Notre-Dame-de-la-Garde^y dont la cargaison fut
vendue 400,000 livres. Les moins favorisés prenaient des barques
chargées de blé, de vin ou de poissons salés; mais leur part se
montait encore à quelques milliers de livres, et c'était une for-
tune dans un pays * où l'on pouvait acheter la viande de mouton
à un sou la livre, celle du bœuf à huit deniers, où la poule ne
1. Histoire de Barbarie, d. c, p. 276.
2. Gazette de France, 1635, p. 233.
3. Id,, 1656, p. 390, 439, 463.
4. Gazette de France, 1660, p. 56, 1222 et 1661.
5. Histoire de Barbarie, d. c, p. 90.
30 H.-D. DB GRiimOIfT.
coûtait que deux sous, une perdrix six blancs, un lièvre trois
sous, et où le pain, dit le Père Dan, était tellement bon marché,
que l'homme le plus affamé ne pouvait pas en manger pour plus
de huit deniers par jour. Aussi le corsaire indigène se bornait
généralement à une ou deux courses fructueuses et se retirait
ensuite des affaires, satisfait de jouir d*une médiocrité dorée dans
l'oisiveté chère aux Orientaux. Les renégats ne pensaient point
ainsi : ils apportaient dans l'exercice de leur profession l'ardeur,
l'activité et l'âpreté au gain des races septentrionales. Ils entas-
saient richesses sur richesses et prenaient peu de repos ; aussi
composaient-ils l'immense majorité de la corporation des Reïs.
Quelques-uns d'entre eux continuaient la course jusqu'à un âge
fabuleux. Le 24 juin 1665, lorsque le duc de Beaufort * vint atta-
quer audacieusement les vaisseaux algériens sous le canon même
de la (joulette, le capitaine Des Lauriers, qui commandait
V Étoile, se trouva en face d'un bâtiment corsaire de 50 canons
et de 600 hommes d'équipage, et l'aborda bravement. Le capi-
taine algérien était un renégat portugais, nommé Barbiere Has-
san : il était âgé de cent cinq ans ! Le combat, qui ne se termina
que par l'incendie du pirate, fut terrible; les deux commandants
y trouvèrent la mort, ainsi que le chevalier de Loire ; l'enseigne
Riquetti se trouva cité parmi les nombreux blessés de cette rude
affaire.
Ces Reïs renégats constituèrent, pendant les deux dernières
périodes, la force vive de la Régence. Ils y apportèrent, en même
temps que leur énergie, des connaissances nautiques qui man-
quaient aux Turcs, et perfectionnèrent la construction et l'arme-
ment de leur marine. De plus, enchaînés par leur première
défection et sachant qu'ils n'avaient pas de grâce à attendre s'ils
étaient pris, ils montrèrent le plus souvent un courage indomp-
table et firent avorter la plus grande partie des tentatives que fit
la Chrétienté pour purger les mers de ce fléau qui rendait la
navigation presque impossible. Ce fut à leur force de résistance
qu'Alger dut d'échapper au sort que firent subir aux corsaires de
Tripoli, de Sainte-Maure et de Bizerte les Chevaliers de l'ordre de
Saint-Jean-de-Jérusalem .
Cet ordre, institué en 1099 pour donner des soins aux malades
et aux blessés de la Croisade, s'était vu entraîné par la force des
1. Gazette de France, 1665, p. 389-404.
ntTMS ALGâUK!fHES. SI
choses k modifier ses statuts, et, dès Faimee 1118, abandonnant
aux Frères Savants les soins hospitaliers, les Chevaliers avaient
repris les armes à l'instigation de leur deuxième Grand Maître.
Leurs exploits n'avaient pas tardé à les rendre célèbres et à atti-
ra* sur eux le courroux des princes musulmans. Successivement
expulsés de la Palestine, de Chypre et de Rhodes, ils avaient fini
par trouver dans Tile de Malte un abri, grâce auquel ils purent
résister victorieusement aux efforts de la Porte. Leurs galères
redoutables, toujours prêtes à offrir ou à accepter le combat,
sillonnèrent la Méditerranée par une croisière perpétuelle, et
firent subir au conmierce et aux rivages de l'Islam le sort que les
Algériens infligeaient aux Chrétiens. Ces cadets de famille,
dressés dès leur plus tendre enfance au métier des armes, trou-
vèrent dans la guerre sans relâche qu'ils firent aux Infidèles la
satisfaction de leurs appétits belliqueux, l'accomplissement de
leurs vœux religieux, les honneurs, la gloire et quelquefois la
fortune. Lorsque, brisés par l'âge ou les blessures, ils devenaient
incapables de continuer leurs dures campagnes, ils trouvaient
une sûre et honorable retraite dans une des nombreuses Comman-
deries que les souverains chrétiens s'étaient plu à fonder ou à
enrichir de leurs dons. Ceux qui étaient encore valides servaient
dans les fiottes royales, auxquelles ils fournissaient un nombreux
contingent d'excellents officiers. Tous ces avantages étaient plus
que suffisants pour attirer sous la bannière de l'Ordre une ardente
jeunesse qui ne tarda pas à devenir l'effroi des côtes barba-
resques.
11 faudrait des volumes pour raconter leurs exploits contre les
seuls Algériens depuis le jour où, sous les ordres de Charles-
Quint, ils vinrent enfoncer leurs dagues dans la porte Bab-
Azoun^ jusqu'au 20 juillet 1784, quand les flottes alliées les
saluèrent de leurs acclamations enthousiastes au moment où,
sous le feu terrible de la place, ils descendirent sur le môle pour
y accrocher les chaînes d'attache des brûlots incendiaires de Don
Antonio Barcelo*. Les corsaires d'Alger purent longtemps con-
server le souvenir du chevalier de Valence qui, monté sur une
hourque de six canons et de cinquante hommes d'équipage, se vit
entouré, le 25 novembre 1633, par cinq vaisseaux de guerre qui
1. Marmol, 1. V, f» 218, etc.
2. GazeUe de France, 1784, p. 310 et saif .
22 H.-D. DE GRAMMONT.
nait les bannières et rembarquement commençait. Chaque volon-
taire devait être pourvu d*un mousquet (au commencement, d'un
arc de fer), d'un cimeterre et d'un coutelas ; le bord ne lui ùmr-
nissait que les munitions et le biscuit ; il lui était loisible, comme
nous l'avons déjà dit, d'emporter pour son usage quelques vivres
et une couverture, mais rien de plus. La veille du départ, le Reïs
et les principaux de l'équipage allaient visiter un des marabouts
en renom qui leur remettait quelques amulettes et un mouton
destiné à être sacrifié pour se rendre la fortune et la mer favo-
rables. Ce don, fait par le saint homme, était récompensé au
retour par des présents d'une valeur proportionnelle aux prises
faites.
L'appareillage se faisait avec pompe; la bannière d'Alger,
verte, aux croissants et aux étoiles d'argent sans nombre, flottait
en haut du grand mât : ces bannières étaient d'un grand luxe, et
le Père Dan assure en avoir vu quelques-unes dont le prix dépas-
sait 1,200 livres ^ ; le navire était pavoisé, et, à la sortie du port,
le canon et la mousqueterie saluaient la kouba de Sidi Betka, le
grand marabout qui avait jadis soulevé la tempête pour anéantir
les flottes de Charles-Quint. Aussitôt après le départ, l'étendard
national était amené et remplacé par un pavillon aux couleurs
d'une nation chrétienne quelconque *. Le Reïs donnait ensuite la
route vers les parages où il croyait avoir le plus de chance de
rencontrer des vaisseaux marchands. Quelques-uns s'en remet-
taient au hasard, faisaient tourner sur le pont un poignard ou
une flèche, et mettaient le cap sur la direction qui leur avait été
indiquée par la pointe de l'arme. On naviguait ainsi jusqu'à ce
qu'on fut en présence d'un navire chrétien ; si le corsaire se croyait
assez fort pour l'amariner, la chasse commençait immédiatement.
Quand on se trouvait à portée de mousquet, il le sommait de se
rendre, et, la plupart du temps, ne rencontrait pas de résistance.
On ne peut guère avoir une meilleure idée de la manière dont
les choses se passaient dans ce cas-là, qu'en lisant le pittoresque
récit que fait René Chastelet des Boys de la prise qui le réduisit
en esclavage. Ce gentilhomme angevin a publié, sous le titre
à' Odyssée^ y une narration fort intéressante de ses aventures à
1. Histoire de Barbarie, d. c, p. 259.
2. /rf., id.
3. L'Odyssée, ou diversité d'avantures, rencontres et voyages en Europe,
ÉTUDES 1LGÉRIE!IKES. 23
Alger, où il fut captif en 1642 et 1643. Laissons-lui donc un
instant la parole ^ :
« Les bannières bigarrées des Hollandais disparaissent et le
« haut des mâts se trouve en même temps ombragé de pavillons,
« taffetas de toute couleur, enrichis et brodés d*étoiles, de soleils,
« d'épées croisées, et de devises et d'écritures inconnues. Leurs
« gaUotes, montées de 38 pièces de canon et 6 grands pierriers,
« nous avaient déjà tiré quatre volées avec un cri confus, inar-
« ticulé, et sans attendre le compassement de nos mèches, quand,
« redoublant les hurlements épouvantables de mena perros^y
« elle donna la volée entière et fracassa notre beaupré d'une
« balasse (c'est une courte barre de fer, dont les deux extrémités
« aboutissent en demi-boulet)'. Le cri de : Brébréy mena perros
< s'élève de plus en plus, quand ils s'avoisinèrent de si près, que
« de leur escopeterie ils blessèrent un de nos matelots et tuèrent
« l'un de nos camarades étrangers. Le reste de l'équipage, épou-
« vanté, baisse les voiles et montre les mouchoirs pour marque
< de demande de composition. La soldatesque, encore moins
« résolue, met les armes bas ; le tillac et l'entre-deux des ponts se
« désertent, et le fond de la cale se peuple de fuyards. Les cha-
« loupes du vaisseau se mettent à la mer et nous investissent.
« Ces barbares et bigarrés aventuriers, dont elles étaient rem-
« plies, se précipitent et se prennent à l'abordage de notre désolée
« patache et à l'escalade de nos murailles de bois, sans aucune
« résistance, quelques matelots leur tendant la corde du bord, à
« fin de meilleur quartier, et de sauver la vie après la perte de
« la liberté, dont l'imminence fit naître une passion fervente de
« conserver ce que l'on pouvait de pécule. L'or s*enveloppe et se
« resserre de diverses manières ; les uns s'en font des bracelets,
« afin de s'en entourer les bras, et obscurcir son éclat à l'ombre
« d'une manche de chemise, et aveugler la clairvoyance des cor-
« saires. Il s'en trouva qui le voilèrent dans le plus profond de
« leurs chausses, se persuadant ralentir l'avarice des barbares par
« la honte. D y en eut qui en firent des ceintures qu'ils crurent
« mettre en bonne cachette sous leurs cheveux, ne sachant pas
« jusqu'où va l'invention dans la recherche de la Toison d'Or.
Àwke et AfriqvLe, diTisée en quatre parties, par le siear Da Chastelet des Boys
(U Flèche, 1660, in-S').
1. /d., xxm* rencontre.
*L Ohiens, readez-tousl
32 H.-D. DE GRAMMO^IT.
le sommèrent de se rendre. Il répondit en commençant le feu, se
battit dix heures de suite et parvint à ramener au port de Leu-
cate son petit bâtiment, percé de plus de 200 coups de canon et
ne contenant plus que quinze hommes en état de combattre^; des
deux frères de Villages qui, au mois d'octobre 1635, se défen-
dirent héroïquement avec leurs deux galères contre quinze gros
vaisseaux*; du chevalier de la Perrière qui, en 1650, assailli
par trois navires ennemis, en coula un, brûla Tautre et prit le
troisième ^.
La Gazette de France est remplie de faits de ce genre. Le
29 janvier 1650 ^ un corsaire d'Alger rencontre en mer le Saint-
Jean-Baptiste y vaisseau marchand de Hambourg, et se lance
sur lui, croyant Tamariner sans combat ; mais il se trouvait à
bord 22 chevaliers de Malte , passagers français ; ils mettent
répée à la main, repoussent sept abordages consécutifs, sou-
tiennent un combat de cinq heures, au bout desquelles le cor-
saire, rebuté par ses pertes, se retire, laissant le vaisseau se
diriger vers Malte, la coque percée de plus de cent coups de
canon. En 1660, c'est M. de Saintôt^ qui soutient à lui seul un
combat de huit heures contre sept bâtiments ennemis ; plus tard,
c'est l'infatigable chevalier de Valbelle, toujours en lutte et
toujours vainqueur, et le chevalier Pol, et le comte de Veriie,
et tant d'autres, la terreur des pirates et la gloire de leur ordre.
Cependant tout cet héroïsme ne servit qu'à arrêter un peu les
progrès du mal, sans parvenir à le couper dans sa racine ; il eût
fallu pour une pareille œuvre l'entente et l'effort simultané des
marines européennes; les conditions de rivalité dans lesquelles
elles se trouvèrent pendant presque toute la durée de la Régence
d'Alger rendirent cet accord impossible.
V.
Nous avons vu, en effet, que, pendant le xvi« siècle et la pre-
mière moitié du xvii% la France avait fermé les yeux sur les
exactions des Algériens, qui ne l'atteignaient que fort peu, tandis
1. Gazette de France, 1634, p. 6.
2. Jd.y 1636, p. 170.
3. Id.y 1650, p. 931.
4. /(/., id., p. 589.
5. id., 1660, p. 320.
ETUDES ALGERIENNES. 33
qu'elles ruinaient TEspagne, sa rivale; celle-ci s'était donc trou-
vée seule avec Venise pour combattre la Course dans la Méditer-
ranée.
Les Anglais et les Hollandais, dont le commerce avec le
Levant était alors peu considérable, n'eurent point à se préoc-
cuper de cette question. Du reste, leurs bâtiments marchands
avaient pris, de bonne heure, l'habitude de ne sortir que bien
armés et de traiter les pirates avec une extrême rigueur. Près de
la côte, on les pendait ; au large, on les faisait sauter par-dessus
le bord, le tout sommairement et sans jugement.
Cependant, vers 1620, leurs déprédations étaient devenues
tellement nombreuses, que tout le monde s'émut. L'expédition
des galères de France commandées par M. de Gondy S celle de
la compagnie des vingt vaisseaux anglais qui canonna Alger en
1621 *, et celle de 1624, sous le commandement de l'amiral hol-
landais Lambert^, furent les débuts de cette longue série de
répressions qui allait durer pendant deux siècles sans pouvoir
aboutir à rien. Ce fut en vain que la France envoya successive-
ment le comte d'Harcourt *, l'amiral de Mantin ^, le duc de Beau-
fort*, Duquesne^, Tourville*, le maréchal d'Estrées* et tant
d'autres, appuyer ses justes plaintes par le canon de ses flottes ;
l'Angleterre n'eut pas plus de succès, malgré les efforts du duc de
Sandwich*® et du chevalier Spragg ", non plus que la Hollande
avec des hommes comme Ruyter, Tromp et Binker**. Nous
n'avons pas à entrer ici dans le détail des expéditions dirigées
par ces grands hommes de mer; il suffit de dire que toutes se res-
semblaient et qu'elles eurent toutes le même insuccès. Toutes ces
flottes, après une croisière plus ou moins heureuse, arrivaient
t. Mercure François, t. VI, p. 470.
2. Mercure François^ l. VII, p. 179.
3. Sander Rang, Précis analytique de l'Histoire d'Alger. (Tableaa des éta-
blissements français en Algérie, 1834.)
4. En 1635.
5. En 1637.
6. En 1663, 1664, 1665.
7. En 1682 et 1683.
8. En 1679 et 1681 .
9. En 1685.
10. En 1661, 1662.
11. En 1669-1671.
12. En 1661-1664.
Rev. TIifiTOR. XXV. I»' FA se. 3
34 H.-D. DE 6RAMM0RT.
devant Alger et se mettaient à canonner ou à bombarder la ville.
Au bout de quelques jours de feu, les pachas ou les deys, craignant
le soulèvement de la population, demandaient à entrer en pour-
parlers. Après de longues tergiversations, ils feignaient de con-
sentir à se laisser arracher un traité, qui était toujours violé dès le
lendemain du départ de la flotte. Le résultat le plus clair qu'on pût
obtenir était la délivrance de quelques misérables captifs^ qui
se trouvaient payés au delà de leur valeur par les présents qu'il
était d'usage de faire en pareille occasion. Les choses se passèrent
ainsi pendant toute la durée de la Régence, et eUes ne pouvaient
pas se passer autrement. Le tort des gouvernements européens
fut de ne rien comprendre à la situation intérieure d'Alger et de
considérer les pachas et les deys comme des souverains, alors
qu'ils n'avaient aucun pouvoir effectif. Ils n'eussent certainement
pas mieux demandé que d'avoir la paix et d'observer les traités;
car leur tête était mise en jeu à chaque bombardement ; mais
ils ne le pouvaient pas. Ils étaient complètement impuissants à
empêcher la Course, qui, comme nous l'avons dit, était la seule
industrie de la ville et le seul moyen d'existence de la population
tout entière. La première tentative de ce genre eût soulevé contre
eux une émeute de la Taïffe dans laquelle ils eussent perdu la
vie; les janissaires eux-mêmes, qui savaient très bien que leur
solde n'était assurée que par les revenus provenant des prises,
eussent participé à la révolte. Il existe à ce sujet des réponses
bien caractéristiques faites à nos consuls et à nos chargés d'af-
faires : en 1685, c'est Mezzomorto, qui, ayant appris de M. Dus-
sault* combien avait coûté le double armement de Duquesne,
s'écrie : « Gloire de Dieu, pour ce prix-là, j'aurais brûlé moi-
même la ville tout entière! »; en 1734, Ibrahim Kasnadji
répond à M. Lemaire, qui l'engageait à faire punir quelques
Reïs : « Je n'ai qu'une tête et je tiens à la conserver. »
Ces deux réponses donnent la véritable clef de la situation :
elles montrent combien les pachas et les deys se montraient indif-
férents aux dommages que pouvaient éprouver leurs sujets, et
combien toute innovation eût été à craindre pour eux. Voyant à
la fin qu'elles n'avaient rien à gagner de ce côté, les nations
chrétiennes s'adressèrent à la Porte et la sommèrent d'intervenir en
1. M. Dussault était goarernear du Bastion et avait été chargé de préparer
un traité avec Alger.
ETUDES ALG^RIESINES. 35
qualité de suzeraine. C'était encore montrer une profonde igno-
rance de l'état d'Alger et des relations qui liaient cette puissance
au Grand Divan. Depuis la fin du xvi* siècle, la Régence ne
recevait plus d'ordres de Constantinople, ou tout au moins elle n'y
obéissait que lorsque cela lui faisait plaisir, et, depuis le combat
naval de la Velone, les Reïs refusaient de se joindre aux flottes
ottomanes, à moins d'être indemnisés d'avance des pertes qu'ils
pourraient faire. C'est ainsi que le Sultan, pour les décider à
sortir de leur port, dut leur faire parvenir 16,000 sultanins d'or
en 1646* et 50,000 en 1651 •; encore trouvèrent-ils le marché
onéreux, et ce fut la dernière fois qu'ils l'acceptèrent. En même
temps, la milice, lasse de se voir envoyer des Pachas qui ne son-
geaient qu'à profiter de leurs trois ans de règne pour s'enrichir,
refusa de les laisser gouverner à partir de 1659 et finit par ne
plus les recevoir du tout. Il n'y avait donc plus aucun lien
d'obéissance entre le Divan d'Alger et celui du Grand-Seigneur.
Cependant, la Porte, trop orgueilleuse pour avouer cette
situation aux nations chrétiennes, accueillait leurs réclamations
et les appuyait à Alger par l'envoi de quelques Chaoux, généra-
lement assez mal reçus. Déjà, en 1604, Mustapha Aga, qui avait
accompagné M. de Brèves, faillit être massacré par la milice^;
en 1660, il ne fut pas même permis aux envoyés du sultan de
débarquer*; en 1725, l'envoyé de l'empereur d'Autriche, qui
avait obtenu l'escorte de la flotte ottomane, se vit bafouer en
plein Divan en même temps que l'amiral turc lui-même*^, et
comme celui-ci reprochait aux Algériens leur peu de déféreûce
aux ordres du Grand-Seigneur : « Il nous a laissé bombarder
trois fois sans nous porter secours, » lui fut-il répondu; et le
peuple criait sur le passage des Capidjis : < De quoi le Sultan
veut-il que nous vivions, s'il faut avoir la paix avec tout le
monde? Nous l'avons avec les Français et les Anglais, et c'est
déjà trop. »
C'est qu'en effet la population algérienne en était arrivée à ce
point que l'exercice de la piraterie lui paraissait être un droit
naturel et une sorte de propriété qu'on était fort mal venu à
1. Gasêtte de France, 1646, p. 344.
2. /d., 1651, p. 375.
3. Voir les Voyages de M. de Brèves, d. c.
4. D'Aranda, Relation, d. c, p. 157.
5. Voir, entre autres, la Gazette de France, 1724, p. 324, et 1725, p. 539.
36 H.-D. DE GRABfMONT.
tenter de lui ravir. Cette appréciation peut paraître extraordi-
naire et même paradoxale, mais les exemples ne manquent pas
pour la justifier. Au mois de mai 1740 ^ le roi des Deux-Siciles
demanda à conclure un traité avec Alger, et envoya à ce sujet le
chevalier Finochietti, porteur d'un firman du Sultan. Un grand
Divan fut réuni pour délibérer et refusa de faire la paix, moti-
vant ses conclusions sur ce que toutes les nations demandaient à
traiter; que la marine n'avait plus de quoi s'occuper; que les
revenus du Trésor baissaient de jour en jour, et qu'il serait beau-
coup plus opportun de rompre les anciens traités que d'en con-
clure de nouveaux. L'envoyé de Naples ne se rebuta pas et revint
au mois d'août avec une deuxième lettre du Grand Vizir ; on lui
demanda alors quelle indemnité il offrait en dédommage-
ment des pertes que ce traité causerait à la Régence; et on
lui fit des propositions tellement exorbitantes qu'il dut se retirer
sans avoir rien avancé.
En 1747, la République de Venise fut traitée absolument de la
même manière, et ne put conclure la paix que vingt et un ans plus
tard, moyennant un tribut annuel de 12,000 sequins d'or et un
présent de 22,000 sequins fait à Baba Ali ^.
Nous avons vu précédemment que, depuis l'avènement des
Deys, la marine avait été reconstituée sous le patronage de l'Etat,
qui était devenu propriétaire de presque tous les gros vaisseaux
de guerre. Les reïs de ces bâtiments étaient choisis par l'Oukil el
Hardj de la marine, qui les tenait à sa discrétion, et pouvait
obtenir d'eux une obéissance presque complète. Ils devaient se
faire présenter par les capitaines de vaisseau des nations amies
les passeports algériens dont ceux-ci devaient être pourvus, et
s'arrogeaient en même temps le droit de visiter les navires mar-
chands pour s'assurer de la provenance de la cargaison et de la
nationalité de l'équipage. On comprend combien ce droit de
visite était onéreux et à combien de tracas et d'injustices il expo-
sait les capitaines marchands.
D'un autre côté, ceux-ci ne se croyaient pas tenus à la moindre
loyauté en ce qui concernait les passeports, et en faisaient un
trafic continuel au profit des nations qui n'avaient pas pu obtenir
la paix. Tout cela formait une cause permanente de chicanes, de
1. Gazette de France, 1740, p. 398, 443, etc.
2. GazetU de France, 1767, p. 181.
ÉTUDES ALGÉRIENNES. 37
mauvais procédés et de ruptures, dont les Deys étaient d'autant
plus prodigues, que chaque nouveau traité était pour eux la
source de cadeaux personnels.
Depuis qu'ils avaient fait admettre en principe que toutes les
nations qui voudraient garantir leur commerce contre la Course
devaient payer un tribut proportionnel aux pertes qu'elles auraient
pu faire, toute l'Europe s'était soumise successivement, à l'excep-
tion delà France, de l'Angleterre et de l'Espagne. La Hollande en
avait donné l'exemple, bientôt suivi par la Suède, le Danemark
et les villes anséatiques, puis plus tard par les petites puissances
de la Méditerranée. On a souvent qualifié ces transactions de
honteuses, sans vouloir se rappeler que les nations qui les avaient
faites s'étaient épuisées en vains efforts pendant de longues
années pour se débarrasser par les armes du joug qui pesait sur
elles ; ce ne fut qu'après avoir reconnu l'inutilité de leurs tenta-
tives, qu'elles se courbèrent sous un impôt devenu moins ruineux
pour elles que les démonstrations belliqueuses restées jusqu'alors
inutiles. Ce qu'il y eut de véritablement répréhensible dans la
conduite de la Hollande, du Danemark et de la Suède, fut la faci-
lité avec laquelle ces trois pays consentirent à acquitter leur
tribut en munitions de guerre et en approvisionnements de
marine, se faisant ainsi les véritables pourvoyeurs de la pira-
terie. C'est ainsi qu'en 1680*, la Hollande fournissait à Alger
8 pièces de canon de cinquante livres de balles avec les acces-
soires, 40 mâts, 500 barils de poudre, 5,000 boulets et un vais-
seau plein de câbles et d'agrès divers, s'engageant à faire le
même présent tous les ans. En 1711 *, ils donnèrent 8 canons de
bronze, 16 de fer, 24 affûts, 7,000 boulets, 600 milliers de
poudre, 800 fusils, 400 lames d'épée, 25 mâts et 8 gros câbles.
En 1731 3, la Suède envoyait 800 barils de poudre, 8 gros câbles,
50 mâts, 800 fusils, 800 sabres, 40 pièces de canon et 6,000 bou-
lets. Cet excès de complaisance ne les mettait pas à l'abri des
avanies du Divan : en 1747 S le roi de Danemark ayant offert des
mortiers au Beylik, on les lui renvoya en constatant qu'ils étaient
en fonte : il lui fut déclaré qu'on n'acceptait que des mortiers de
bronze et qu'on lui donnait six semaines pour réparer son erreur.
1. GazeUe de France, 1680, p. 300.
2. /d., 1711, p. 59.
3. /d., 1731, p. 224.
4. /d, 1747, lettre d'Alger du 14 décembre.
38 H.-D. DE GRlMMOirr.
Mais, ce qui dépasse tout le reste et arrive à une sorte de gran-
deur picaresque, fut la conduite qu'ils tinrent avec la Suède en
la même année 1747 *. Le gouvernement de cette nation avait
fait charger les présents annuels qu'il faisait au Dey et à la
Régence sur un navire napolitain nommé la Conception Mira-
culettse, qui tomba entre les mains des Algériens. Bien que les
caisses fussent dûment étiquetées et portassent l'adresse des desti-
nataires, la Régence les déclara de bonne prise, comme ayant
navigué sous pavillon ennemi, et les conserva à titre de capture,
faisant savoir à l'intéressé qu'il eût à renvoyer un nouveau pré-
sent dans le plus bref délai, et, cette fois , sous pavillon ami, si
on ne voulait être exposé au même sort .
De semblables avanies n'étaient pas rares, et les Consuls y
étaient fréquemment exposés, particulièrement ceux des nations
faibles. A l'origine, la France seule avait eu des agents à Alger,
l'Angleterre et la Hollande vinrent ensuite, puis la Suède, le
Danemark et les Etats de l'Italie. A vrai dire, il est assez diflBcile
de comprendre à quoi pouvaient servir ces petits chargés d'affaires,
qui coûtaient fort cher, et dont les réclamations n'étaient jamais
écoutées : ceux de France et d'Angleterre avaient déjà beaucoup
de peine à obtenir justice de temps en temps ; encore fallait-il
qu'ils fussent armés d'une patience à toute épreuve et d'une fer-
meté rare, qu'ils déployassent une très grande habileté et qu'ils
prodiguassent les présents. Il est nécessaire de dire un mot de
ces donatives, qui jouent un si grand rôle dans l'histoire des
relations consulaires de l'Europe avec la Régence.
Nos premiers Consuls évitèrent avec soin de faire des présents
à époques fixes aux Pachas et aux grands dignitaires. Us avaient
été mis en garde par les rapports de nos ambassadeurs contre
ce trait particulier du caractère turc qui transforme en droit
acquis toute habitude prise ; en sorte que celui qui a reçu deux
fois de suite un cadeau à une époque ou dans une occasion
déterminée, le considère comme lui étant dû à la même époque
ou dans une occasion semblable, et le réclame impérieusement si
on oublie de le satisfaire '.
Ce fut pour avoir négligé de s'informer de cette particularité
que les représentants de l'Angleterre et de la Hollande se virent
1. Voir la note précédente.
2. C'était le droit de coutume (Aouaid).
ÉTUDES ALGÉRIEN?rES. 39
entraînés à des dépenses considérables qui se renouvelaient à
ravènement des Deys, au commencement de chaque année, à la
fin du Ramadan, à la naissance ou à la circoncision d*un fils du
Souverain, et dans vingt autres occasions engendrées par la cupi-
dité naturelle de la race à laquelle ils avaient affaire. Les con-
suls finançais, pour ne pas laisser ceux des nations rivales s'em-
parer de la faveur des grands, furent forcés de suivre leur
exemple, après avoir longtemps résisté. Ce fut en 1743 que
M. Thomas fit des présents pour la première fois. C'est une étude
très curieuse à faire que celle de ces donatives, et on y voit
se dévoiler la mendicité arrogante des Deys et des Puissances. Il
n'y a pas une seule lettre de nos consuls qui ne contienne quelque
nouvelle requête faite par eux *. Ils ont envie de tout ce qu'ils
voient et de tout ce dont ils entendent parler. La variété des
choses qui font l'objet de leurs demandes est incroyable. Je ne
parle pas des armes, des vêtements dorés, des pendules ni des
bijoux : ce sont là les présents d'usage ; mais ils ne craignent
pas de réclamer des bouteilles de liqueurs et d'eau de la reine de
Hongrie, des pommades, du sucre candi, des bougies, des confi-
tures, des pommes, des châtaignes, des jouets d'enfant, et jusqu'à
des meubles d'un usage tellement intime, que le consul se trouve
embarrassé pour transmettre cette étrange pétition. Et ce n'est
pas tout : ils chicanent sur la quantité et la qualité; ils renvoient
les vêtements et en demandent d'autres, parce que la doublure
ne leur a pas plu ; les caisses de fruits, parce qu'il s'en trouve
quelques-uns avariés; l'eau de la reine de Hongrie, parce qu'elle
est d'une qualité inférieure à celle du dernier envoi, et ainsi
de suite. Le tout, sans se départir un instant de leur gravité
orgueilleuse : à les entendre, ce n'est pas pour la valeur du
cadeau, dont ils se soucient fort peu; mais ils ne peuvent pas
supporter ce manque d'égards ; ils veulent bien croire qu'on n'a
pas eu l'intention de les offenser, mais on fera bien d'y faire
attention désormais ; et là-dessus, les menaces arrivent, et l'in-
terruption des relations, et quelquefois de plus mauvais procédés
encore. Il faut toute la fermeté de nos agents, leur amour du bien
public et la certitude qu'ils ont des dommages irréparables qu'une
rupture causerait au commerce français, pour ne pas éclater d'in-
1. Voir, aux archives de la Chambre de commerce de liarseille, les lettres
des consuls d'Alger.
40 H.-D. DE GRAMMONT.
dignation devant des exigences semblables. La lecture de leurs
lettres nous apprend qu'ils sont bien loin d'y être insensibles, et
que les dangers que courraient leurs personnes ne les arrêteraient
pas s'ils n'étaient retenus par de plus hautes considérations.
C'est une intéressante histoire que celle de ces hommes dévoués ;
depuis M. de Vias, qui, enchaîné au bagne, écrivait à Henri IV :
< Ma personne n'est rien et le bien du royaume est tout, » jus-
qu'à M. Vallière, qui, en 1794, sauvait une partie de la France
de la. famine par des envois continuels de grains, qu'il faisait
arriver en dépit des croisières ennemies, et qui trouvait moyen
de négocier auprès du dey un emprunt sans intérêt de cinq mil-
lions, à un moment où la République n'eût pas pu trouver un
écu dans toute l'Europe. Cette histoire est très lionorable pour
notre pays, ainsi que pour la belle ville de Marseille, dont
presque tous ces hommes furent natifs ou originaires, et qui peut
s'enorgueillir à bon droit d'avoir été pour l'Etat, pendant près
de trois cents ans, une pépinière d'agents zélés pour le bien de la
patrie, d'une haute intelligence, d'une grande probité, et parmi
lesquels on en voit qui poussèrent l'abnégation jusqu'au sacrifice
le plus complet de leurs biens personnels.
Plusieurs d'entre eux (chose triste à dire) ne furent pas récom-
pensés comme ils auraient dû l'être, et moururent dans la misère
après avoir dépensé leur avoir au service du roi. Ni ces exemples
fâcheux, ni la mort tragique des Le Vacher, des Montmasson et
des Piolle, attachés à la bouche du canon, ne purent ralentir le
zèle de leurs successeurs, qui restèrent vaillamment sur la brèche
jusqu'au jour où le canon de 1830 vint venger d'un seul coup
toutes les injures accumulées.
VL
La chute d'Alger, qui n'avait été si longtemps retardée,
comme nous l'avons dit plus haut, que par les dissensions euro-
péennes, était devenue un fait fatalement prochain depuis les
événements de 1815 et l'établissement de la Sainte-Alliance. Il
était en effet impossible que l'Europe pacifiée continuât à sup-
porter le joug d'une poignée de brigands et à leur payer tribut;
les Algériens allaient être les premiers à supporter le contre-
coup du trop plein d'activité que laissait la paix aux forces vives
du continent. Les États-Unis avaient, depuis quelques années
irrwKS iLCÉiiE^niES. 41
déjà, signifié aa Dey qu'ils ne payeraient plus aucune redeTance,
el qu^ tireraient une yengeance éclatante de tout acte d*hos-
tHiié commis sur leurs oatiooaux. Les Hollandais firent la même
déclaration en 1816, et, quelques jours après, leurs vaisseaux,
romis à la flotte anglaise, bombardaient Alger sous le comraan-
dînent de l'amiral Exmouth, qui avertissait le Divau de u*avoir
plus à compter même sur les donatives. La France n'en four-
nissait plus depuis le consulat de Jean Bon Saint-André, qui
avait su habilement profiter de la firayeur qu'avaient causée aux
Bart>aresques les victoires de Bonaparte, et qui put dire avec
raison à son successeur : € J*avais trouvé ici la France à genoux,
je vous la laisse debout ^ » Il ne restait donc plus à la Régence,
en liait de ressources extérieures, que les tributs, très irrégulière-
ment payés, de la Suède, du Danemark, de Hambourg et de la
Toscane: aussi le déficit croissait-il de jour en jour; tous les ans,
on était forcé de puiser de plus en plus dans le trésor de l'Etat,
que rien n'alimentait plus : on vivait sur le passé. La misère
était extrême ; l'armement des forts était plus qu'insuffisant, et il
avait été impossible de remplacer les pièces mises hors de service
dans l'attaque de lord Exmouth ; les vivres et les munitions man-
quaient ; il n'y avait dans le port que quatre bâtiments en état
de combattre; la milice, que le Père Dan avait vue en 1628 forte
de vingt-deux mille hommes, n'en comptait plus que quatre mille
au moment du recensement officiel ordonné par Mohammed Kas-
nadji, et encore, sur ces quatre mille soldats, on n'en avait
trouvé que trois mille trois cents qui fussent valides. Cette troui)e,
irr^ulièrement soldée, était dans un état d'insurrection perma-
nente et se payait par ses propres mains en pillant les habitants
de la ville, et principalement les juifs, les seuls commerçants
d'Alger, qui se décidaient à émigrer en masse.
Ce fut en vain qu'en 1817 Ali Khodja, appuyé sur sa garde
Kabyle et sur les Coulourlis, essaya de se débarrasser de cette
horde indocile ; après en avoir fait massacrer douze ou quinze
cents, il eut la faiblesse d'entrer en composition avec le reste,
ineptie qu'il eût sans doute payée de sa tête s'il n'eût été emporté
par la peste quelques mois après.
Le vieux navire faisait eau de toutes parts : les Deys, qui le
sentaient sombrer, attendaient le dernier moment avec la rési-
t. FréeU analytique de Saader Rang, d. c.
42 H.-D. DE GRAMMOlfT. — l^TUDES ALGBRIBIfxtES.
gnation du fatalisme oriental : enfermés dans la Casbah, dont ils
n'osaient presque plus sortir, vivant sous le coup d'embarras
financiers continuels et de conjurations incessantes, leur exis-
tence était certainement bien peu digne d'envie : ils s'en ren-
daient très bien compte, et, lorsque le célèbre coup d'éventail fut
venu précipiter la marche des événements, on dit que Hussein-
Dey, une fois rassuré sur son propre sort, ne se montra pas
médiocrement satisfait d'une solution qu'il jugea être tout à son
avantage; on ajoute même qu'il ne cacha pas cette manière de
voir aux émissaires d'une nation qui, pour susciter des embarras
à la France, lui laissait entrevoir l'espérance d'être aidé dans le
cas où il eût consenti à se mettre à la tête d'un mouvement
insurrectionnel.
Aujourd'hui, la Méditerranée est entièrement purgée du bri-
gandage maritime qui l'a désolée si longtemps : peut-être reste-
t-il encore, sur les rivages du Riff, quelques barques de marau-
deurs, qui osent à peine s'attaquer de temps en temps aux
embarcations de pêche, et dont le nombre décroît de jour en jour
depuis que la citadelle de la Course est tombée entre les mains de
la civilisation.
H.-D. DE Grabimont.
{Sera continué. )
MÉLAN&ES ET DOCUMENTS
RELATIONS
DE LA FRANCE ET DE LA FRANCHE -COMTÉ
PEpn)APrr la fronde.
NÉGOCIATIONS DE JEAN DE MAIRET.
L'antique Séquanie, la Franche-Comlé moderne^ est une lorro
essentiellement française. Incorporée par une assimilation lente et
douloureuse à la nation dont les nécessités politiques et les affinités
les plus évidentes l'appelaient à faire partie, elle a subi des rigueurs
qui l'ont obligée longtemps à lutter contre sa destinée; mais les
malentendus et les répugnances passées ont fait place au dévouement
le plus sincère, etTancienne force de résistance est devenue l'éncrglo
défensive qui se retournerait au besoin contre les ennemis de la mère
patrie. Adossée au Jura, placée en face de la trouée de Belfort, elle
garde, sur la frontière la plus menacée, le rempart le plus indispen-
sable à la sécurité commune, au service de laquelle appartiennent
sans retour le courage héréditaire et la ténacité proverbiale de ses
enfants. Nulle province n'occupe dans notre histoire militaire une
place plus honorable. Les noms de Moncey, de Lecourbe, de Piche-
gru, de Pajol, pour n'en pas citer d'autres, attestent la puissance
des aptitudes qui, chaque année encore, y donnent de nombreuses
recrues aux grandes écoles dans lesquelles se préparent les meilleurs
éléments de La défense nationale.
Dans l'ordre^ purement intellectuel, sa mission n'est pas moins
manifeste ni sa nationalité moins fortement accusée. Aucune popu-
lation ne s'est montrée plus tôt et plus profondément imprégnée de
l'esprit français. Dans tous les genres d'écrire on l'a vue marcher au
pronier rang et tracer la voie que d'autres devaient suivre avec plus
de bonheur. Avant Corneille, elle nous a donné dans Mairet une pre*
44 Ml^LANGES ET DOCUMENTS.
mière idée de la véritable tragédie. Avant les grands explorateurs du
passé de la France au xtii" siècle, elle a produit dans Pierre Matthieu
le poète de la ligue et Thistorien d'Henri IV; avant Bossuet, elle
nous a fait voir, dans le P. Lejeune, une première image de la haute
éloquence sacrée. Le goût des sciences exactes s'y associe, dans une
heureuse mesure, aux qualités de l'imagination. Sans parler des
savants et des philosophes qui l'ont associée à leurs spéculations,
témoin Jouffroy, Pouillet, Cournot, Pasteur, sans rappeler la liste
déjà longue des peintres et des sculpteurs comtois, on peut dire en
général qu'elle unit à l'esprit d'indépendance qui la distingue ce
mélange de sagesse et de témérité qui forment le trait saillant de
notre caractère. Quand s'est produit de nos jours un essai puéril à
certains égards et si puissant à d'autres de rénovation littéraire, elle
a donné à l'armée romantique G. Nodier pour éclaireur et V. Hugo
pour chef. Partout, même dans les recherches aventureuses que sus-
cite rétat inquiet d'une société travaillée par le souci du lendemain^
c'est à la Comté que revient l'honneur de poser les problèmes ou de
hasarder les solutions; quelles que soient celles que formulera
l'avenir, il ne pourra le faire sans évoquer le souvenir de Proudhon
et de Fourier. Cette province est donc française, même dans la géné-
rosité de ses illusions, et tout, jusqu'à l'erreur, y porte le cachet de
la race.
D'où vient donc qu'une nationalité si nettement attestée fut si
longtemps méconnue de ceux-là même qui devaient, autant et plus
que d'autres, l'honorer et s'en faire honneur? D'où vient qu'elle a
tant tardé à entrer dans le système auquel sa position géographique,
sa langue et ses mœurs la rattachaient si étroitement? Il faut en
accuser la politique, surtout celle qui subordonne le sort des peuples
à des alliances et à des intérêts dé famille, et plus encore la situation
d'une contrée limitrophe entre deux grands États presque constam-
ment ennemis l'un de l'autre. Depuis le jour où le traité de Verdun
découpa dans l'héritage de Charlemagne la longue zone de terre qui
devait ajouter la Lotharingie au domaine d'un de ses petits-fils, la
Franche-Comté ne -cessa d'être l'appoint des héritages et des traités
de paix. Englobée d'abord dans le royaume de Provence, formé des
débris du grand empire, quand il se désagrégeait entre les mains
de Charles le Chauve, puis dans celui de Bourgogne supérieure à la
chute de Contran Bozon, léguée par le dernier possesseur de cette
souveraineté factice à l'empereur Conrad, et plus tard par son der-
nier comte, Othon IV, à Philippe le Bel; française sous ce prince,
sous Philippe le Long, son fils, et sous Jean le Bon, qui tous deux
épousèrent les héritières de la Comté, aliénée de nouveau par le
Nl^GOCIATIONS OE JBAIV DE MAIRET. 45
second des Valois au profil du fondateur de la puissante maison qui
devait disparaître avec Charles le Téméraire dans les fossés de Nancy,
rejetée par la politique oppressive de Louis XI et le mariage de son
fils du côté de TAllemagne; à partir du traité de Senlis, en ^493,
elle passa sous la domination de TAutriche, qui la laissa jouir d'une
autonomie presque complète. Marguerite d'Autriche, abandonnant la
Bourgogne, héritage de sa mère, à son infldèle fiancé Charles VIII,
gouverna souverainement la Franche-Comté au nom de son neveu
Charles-Quint, avec l'assistance d'un enfant du pays, le cardinal
Grandvelle, et cette heureuse époque mérita d'être appelée « l'âge
d'or » de la province. Philippe II suivit en partie ces traditions, ne
la gouverna que par des intermédiaires, et son despotisme ombra-
geux n'y produisit d'autres effets que ceux qui répondaient le mieux
aux sentiments du pays. Isabelle-Claire-Eugénie, fille de Philippe II,
et Albert d'Autriche, son époux, lui firent connaître à leur tour, pen-
dant un quart de siècle, les bienfaits d'une administration douce et
paternelle. En ^62^, Philippe IV reprit pour son compte la souve-
raineté déléguée par ses prédécesseurs à des princes de leur sang ;
mais il l'exerça sans intervenir dans les affaires du pays, sans en
tirer d'impôts, y faisant passer au besoin l'argent nécessaire à la
répression des ennemis du dehors, se bornant à ratifier la nomina-
tion de son chef militaire * et les actes de son parlement investi de la
puissance publique, toujours attentif à ménager ce que les Comtois
estimaient par-dessus tout, leur foi religieuse et leurs franchises.
Sa mort ouvrit pour eux des perspectives nouvelles et posa la ques-
tion d'annexion à la France. L'époux de Marie-Thérèse, le petit-fils
de Philippe III, l'héritier de ces Capétiens et de ces Valois dont le
sang s'était mêlé à celui de leurs comtes héréditaires et dont une
branche avait occupé glorieusement le trône ducal des deux Bour-
gognes, Louis XrV réclamait les droits de sa femme sur cette partie
de rhéritage paternel, et pouvait tenir le même langage que lui prê-
tait peu d'années auparavant un de ses conseillers qui répondait aux
gouverneurs ^ des intentions pacifiques du roi : « Sa Majesté ayant
« toujours eu pour première fin de faire savoir à ceux du comté
« qu'elle a la même affection pour eux que leurs anciens comtes qui
« étaient sortis de la maison de France ^. »
D'où venaient donc, à la veille d'une réunion si naturelle et si
1. Il était proposé au choix du roi par le gou?erneur général des Pays-Bas.
2. C'était la commission du parlement de Dôle chargée du détail de l'admi-
nistration.
3. Lettre du comte de Loménie de Brienae, datée de Blois, le 21 mars 1652.
46 tf^LANGES ET DOCUMENTS.
probable, les difDcultés et les projets de résistance? Peut-être d'an
goût naturel pour l'indépendance en partie conservée sous la souve-
raineté de l'Espagne, ou d'une loyauté chevaleresque envers des
maîtres généreux et menacés; plus sûrement encore du souvenir des
maux que l'occupation française avait déchaînés sur laprovinee. Par
une singulière fortune, c'est à des princes allemands, à la domina-
tion plus lointaine et plus étrangère encore de l'Espagne que la
Comté avait dû la libre possession d'elle-même, la paisible jouis*
sance des trésors de la plaine et de la liberté des montagnes. C'est
au contraire de ses alliés naturels, d'un peuple frère par la race, la
langue et l'esprit qu'étaient venus l'oppression et le ravage, en
attendant Theure de la réconciliation tardive et de l'inévitable ftision.
Louis XI, après l'avoir débarrassée des écorcheurs, la livre aux
cruautés du sire de Craon et de Georges d'Amboise.' Henri FV y
envoie six mille hommes de troupes lorraines et la punit, par les
mains de Biron, de sa connivence avec Mayenne et le connétable de
Castille. Richelieu, pour lui faire expier l'hospitalité accordée à
Charles IV de Lorraine et à Gaston d'Orléans, hospitalité dont le
président Boy vin avait prévu les funestes conséquences ^ et surtout
pour obéir aux conseils de son patriotisme impatient d'accélérer
l'œuvre du temps, déchaîne sur elle les calamités de la guerre de dix
ans qui dévaste la province, y propage la peste, la famine et l'in-
cendie, provoque ce long exode qui dispersa les habitants sur tous
les chemins de Texil, et ne laisse subsister de vivant que la partie
centrale protégée par le quadrilatère de Gray, Besançon, Dôle et
Salins. Vint enfin le règne réparateur de Louis XIV. D'une main
prodiguant les largesses, de l'autre ordonnant des sièges rapidement
et heureusement conduits, il fixa par une conquête abandonnée en
^668, recommencée et devenue définitive en ^674, les destinées
longtemps incertaines et agitées de la Comté de Bourgogne, enfin
rendue à sa destination de frontière française, à ses relations natu-
relles et à ses premières affections.
Ce résultat était indiqué depuis longtemps. La noblesse comtoise
aspirait à trouver dans l'armée française l'emploi et le prix de sa
valeur, à la cour de France les modèles du savoir-vivre et le théâtre
le plus favorable à son ambition. Tout ce qui brillait par l'esprit
et les talents se tournait du côté de Paris pour y chercher l'inspi-
1. Parlant de Tescorte armée qui entourait Gaston d'Orléans fugitif : c II y
en a bien peu, écrivait Boyvin, pour faire peur A la France, mais trop pour
nous faire du mal : hospitibus, non Kostilnu tnetuendi, » (Lettre du 21 sep-
tembre 1631.)
!rf60aATI05S DE JBA^T DE VAIRET. 47
ration ou j conquérir la renommée ^ . C^était à la France que la
jeune noblesse allait demander le complément de son éducation
Uttéraire et mondaine, et le plus âpre défenseur de l'indépendance
oomtcHse, le vieil historien Girardot de Blanchemain, ne peut s'em-
pêcher d'en fkire Taveu^. Il n'est pas étonnant que des gens d'esprit
et de qualité aient joué le principal rôle dans l'œuvre de Tannexion
définitive ou dans les transactions qui la préparèrent. La conquête
de 4668 fut accomplie en quinze jours « moins par la stratégie du
grand Gondé que par celle de l'abbé de Watteville ^. »
Mais les sages et les habiles avaient pu jouer, avant l'époque de
la conquête, un rôle plus généreux, plus conforme à la loyauté de
leurs ancêtres, moins entaché surtout du soupçon de convoitise et
des apparences de la défection, c'était celui qui consistait à négocier
et à défendre la neutralité si nécessaire au repos de la province,
indispensable garantie d'une existence régulière pour ses habitants,
entre les maîtres que la politique leur avait donnés et les voisins de
même race dont la guerre les eût séparés le plus souvent, au préju-
dice des intérêts et des relations de chaque jour.
Ce système de la neutralité répondait si bien aux nécessités de
cette situation complexe, qu'il avait été indiqué et suivi par les plus
illustres hommes d'État. Gharles-Quint Timposait à ses ministres et
le recommandait à ses successeurs. Henri IV, après la défaite de
Mayenne, avait signé, en 4595, un nouveau pacte de neutralité fidè-
lement observé pendant son règne, et renouvelé quand Philippe II
reprit pour lui la souveraineté directe de la Franche-Comté. Déchiré
1. Voir dans Mademoiselle de Scudéry, sa vie et sa correspondance^ etc.,
par MM. Rathery et Boutron (Paris, Techener, 1873) les lettres de Tabbé Boisot,
le correspondant assidu de SaphOy l'un de ses confidents et amis les plus intimes.
— Voir aussi notre monographie sur ce savant personnage dans les Mémoires
de la Société d'émulaUon du Doubs, année 1874, page 455 et sq.
2. € La jeune noblesse qui, du passé, faisoit ses exercices dans les terres du
roi et dans les terres espagnoles où elle apprenoit la patience et le travail (lois
fondamentales du bien-être de la noblesse), avoit commencé d'aller aux acadé-
mies de Paris où la bienséance et les points d'honneur s'enseignoient délicate-
ment, et soubs de belles apparences se glissoient les vices de France aux
esprits prompts de notre jeune noblesse; si que les Espagnols, je diz plusieurs
années ne nous rece voient plus dans leurs terres, par crainte d'affection, et
MK» de côté estions contraints de tenir la bride plus courte aux esprits
remuants et délicats. — Richelieu donc, pour jeter la division en ce pays,
s'adressa A la noblesse. » — \\ dit plus loin que le ministre et le prince de
Coadé € Temboachoient par discours et moyens impercepUbles. » Histoire de
dix ans de la Franche-Comté de Bourgogne, livre IV.
3. La Franeke-Opmté et le pags de MontbéUard, par A. Castan. Paris, Delà-
grave, 1877, page 84.
48 tfA«A!fGBS ET DOCUMBBfTS.
par la violence quand Richelieu la livra aux armes du prince Otto-
Louis, du maréchal de la Force et de Bernard de Saxe-Weimar, au
lendemain de ce conflit terrible, il apparut aux meilleurs esprits
comme le seul remède à sa désolation. Le héros du siège de Dôle en
4636, le président Boyvin, qui, de concert avec le vieil archevêque
Ferdinand de Rye et le maître de camp de Verne, avait organisé la
résistance devant laquelle, après un bombardement formidable, le
père du grand Condé dut plier bagage et précipiter sa retraite, Boyvin
ne vit, après la mort de Richelieu, d'espérance de repos et de réta-
blissement pour la Comté que dans un nouveau traité de ce genre.
Ce traité fut le premier acte de l'administration de Mazarin. Il stipu-
lait pour vingt-neuf ans la neutralité entre les deux Bourgognes. La
Comté donnait en gage la ville de Gray et consentait à la démolition
du Château de Grimont-sur-Poligny. C'était une petite place plus
souvent occupée par l'ennemi que par les indigènes, un moyen d'op-
pression plutôt que de défense, et le sacriflce en était facile. En
attendant les ratiflcaUons, une surséance d'armes était accordée jus-
qu'au mois d'avril >I644.
Mais toutes ces conventions étaient facilement éludées et, sans
violation formelle, ouvraient la porte à mille vexations quotidiennes.
Elles avaient en outre le défaut de coûter fort cher, sans en être
mieux garanties. C'est pourquoi, en 4648, au moment où le traité de
Westphalie rendait la paix à l'Europe et rouvrait pour la France
l'ère des discordes intestines, Boyvin résolut d'asseoir sur de meil-
leures bases un nouveau pacte de neutralité et de donner la charge
de le conclure à un intermédiaire habile, également bien vu des deux
parties contractantes. Ce négociateur fut Jean de Mairet. L'auteur de
Sophonisbe était, en effet, l'homme qui pouvait le mieux remplir
cette mission délicate. Né le 9 mai 4604 *, à Besançon, élevé à Paris,
au collège des Grassins, il avait été adopté de bonne heure par la
société polie comme un sujet d'élite et un poète à la mode. Sa Sylvie
improvisée, ou peu s'en faut, sur les bancs du collège, avait passé
1 . Cette date n'a jamais élé fixée arec précision. M. Bizos, auteur d'une étude
fort complète sur la vie et les œuvres de Jean de Mairet (thèse soutenue
devant la faculté de Paris, en juillet 1877), se contente de dire qu'U naquit
« en 1604 au mois de janvier. » Voici son acte de naissance ou plutôt celui de
baptême qui, A cette époque, en tenait lieu : « Joannes, fUius Joannis Maret
(sic) et ^usdem uxoris Maria Clerget, t>aptisatus fiUt die décima mai;
ttnno Dominé miUesimo sexeentesimo quarto, cujus patrinus fuit dominus
doctor Sauget et matrina Joanna Cler. » (Extrait des registres de baptême
de la paroisse Saint-Pierre — mairie de Besançon.) Si le baptême a en lieu,
suivant l'usage, au lendemain de la naissance, Mairet est né le 9 mai 1604.
K£GOCUnO!IS DB iBl!f DE lUIlET. 49
pour une mareilie, et les dialogues semés de poinles de cette pré-
tentieuse pastorale faisaient les délices de la cour et roruenient do
toutes les mémoires. Après s'être exercé dans ce genre maniéré, il
avait abordé la haute poésie dramatique et frayé la route à Corneille
dans sa tragédie de Sophonisbe, Il était un des cinq auteurs qui tra-
vaillaient sous les ordres du cardinal de Richelieu, mais avant de
remplir auprès du redoutable ministre cet emploi de collaborateur à
gages, il avait eu pour protecteur Henri de Montmorency, dont il
honora toujours la mémoire et ne craignait jamais de rappeler les
bienfaits, puis le comte d'Averton de Belin qui le recevait en ami
dans son château voisin de Blois, et le prince de Gondé. Sa querelle
avec Corneille au sujet du Cid^ en montrant Mairet trop sensible à
TofiTense et trop accessible à la jalousie, montre aussi sa réputation
assez solidement acquise pour que la lutte ne parût point inégale
entre ces deux adversaires, et, s'il y mit do l'emportement, nul ne le
taxa de présomption. Un reproche plus fondé pèse sur sa mémoire.
On s'étonne qu'un fils de la Franche-Comté se soit tenu loin du
théâtre de la guerre, et qu'il ait joui sans remords de l'hospitalité
d'une nation dont les armées faisaient tant de mal à son pays. On
peut répondre qu'il était né à Besançon, Tune des trois villes rele-
vant directement de l'empire, et qui n'entra sous la domination de
l'Espagne, comme partie intégrante de la Comté, qu'au traité de
Westphalie. On peut ajouter que le patriotisme, plus subordonné
que de nos jours aux questions dynastiques et aux droits personnel»
des souverains, revêtait alors d'autres formes qu'aujourd'hui et se
manifestait d'une autre manière. L'exemple de notre poète suffirait
à le prouver. Volontairement étranger aux maux de la province
ravagée par la guerre, il fut, après le rétablissement de la fiaix, le
plus dévoué serviteur de ses intérêts et le gardien vigilant de son
repos mal assuré.
Ce rôle lui fut déféré d'un commun accord par les plus fidèles et
les plus vaillants défenseurs du pays. M. de Baufi*remont, baron de
Scey, gouverneur militaire de la Comté, le proposa, comme négr)cia-
teur et agent accrédité auprès du gouvernement français, au marquis
de Castel-Rodrigo, gouverneur des Pays-Bas espagnols, et transmit
cette proposition à la cour de France. Le l)aron de Lisola, savant
publiciste qui devait opposer son Bouclier d'État et dejmtice aux
revendications de Louis XIV et aux apologies anticif)ées de la ajn-
quète, obtint de Mairet son assentiment a ce projet. Le président
Boyvin agit dans le même sens. En le pressant d'accepter CÀt rôle
pour le repos de sa terre natale si horriblement foulée et dévastée
par la guerre de dix ans, Boyvin ne dissimule fioint a Mairet qu'il
Rbt. Hinoa. XXV. !«' fabc. \
50 irfLANGBS ET DOCUMENTS.
doit chercher pour la sécurité de la province des garanties plus
solides et en traiter à des conditions moins onéreuses que par le
passé. Dans sa lettre datée du V février '1648, il lui prescrit de
« s'attacher à obtenir la neutralité plutôt qu'une simple suspension
d'armes, que Ton mettait d'ailleurs à un si beau prix et que Ton
faisait acheter si cher à la province, qu'elle n'était plus en état d'y
pourvoir. » Il se montrait d'ailleurs plein de confiance dans « Tadresse
et le zèle du négociateur » et l'événement justiOa ses prévisions.
Le 3 mars '1649 fut arrêté et signé par Mairet et le maréchal de
Villeroy, général de l'armée française en Lorraine, un premier traité
dont les effets devaient subsister jusqu'à la fln de l'année '165'!. Le
prince de Condé en fut l'intermédiaire, et le bienfait de son inter-
vention fut reconnu par un don de cinquante mille livres. Quand il
s'engageait en retour à maintenir la Franche-Comté à l'abri de toute
dévastation, le héros de Rocroy, le vengeur de l'autorité royale et le
vainqueur de la Fronde promettait ce qu'il pouvait tenir. On pouvait
compter de sa part sur l'efDcacité d'une protection loyale, une sécu-
rité complète du côtié do la Bourgogne et les bons effets d'un crédit
alors prépondérant. Il n'en fut plus de même après « cette fatale
prison dont, » au témoignage de Bossuet, Condé lui-même a dit
(( qu'il y était entré le plus innocent de tous les hommes et qu'il en
était sorti le plus coupable. » Quel appui la Comté pouvait-elle
attendre du prince annihilé par sa disgrâce et son emprisonnement
de treize mois, ou absorbé depuis sa mise en liberté par des pensées
de vengeance et de redoutables intrigues? Elle-même était suspecte
de « branler au manche » et d'être accessible à des influences qui,
partant des Pays-Bas espagnols, la portaient du côté de la Fronde.
La situation devint plus tendue encore en 465'!, lorsque Condé, se
souvenant de l'appui doimé à ses partisans dans le Midi de la France
et de l'asile que sa femme et son fils avaient trouvé à Bordeaux,
demanda à échanger les gouvernements de Bourgogne et de Berry
contre celui de la Guienne déjà retiré au duc d'Épernon. Mairet
sentit le péril de cette substitution et se hâta d'en prévenir les gou-
verneurs par la lettre suivante * :
A Paris, ce 19 may 1651.
. Messeigneurs,
Après beaucoup d'irrésolutions et de changements d'opinions dans le
Conseil et dans les affaires du Hoy très chrestien, enfin il est aujourd'huy
constant que Monseigneur le prince de Condé a preste le serment de
fidélité en qualité de nouveau gouverneur de Guyenne et que Monsieur
1. Archives du département du Doubs. B 4058.
IOEgOGUTIONS de JEAN DE MIIRBT. 54
le duc d'Espernon s'est veu contraint, par un effait ou de sa mauvaise
conduite ou de sa mauvaise fortune, d'en faire autant pour le duché de
Bourgongne : mais dans Teschange de ces deux gouvernements, il y a
cette notable différence que son Altesse de Condé retient toutes les
places dans lesquelles il avait mis garnison pour le Roy, sans en excep-
ter mesme le chasteau de Dijon. C'est une nouvelle, Messieurs, de
laquelle j'ay creu estre obligé de vous donner ad vis incontinent, ainsy
que je feray tousjours fort soigneusement de toutes les choses de par
deçà qui regarderont le service de la province ou le vostre, n'ayant
point de plus forte ny de plus légitime passion que celle de tesmoigner
à toutes épreuves,
Messeigneurs,
Vostre très humble et très obéissant serviteur,
Mairet.
Quelque modération que simpose ici Mairet, quelque soin qu'il
mette à ne pas se prononcer sur les causes de l'échange opéré entre
M. le prince et le duc d'Épernon, on voit assez qu'il n'était à l'avan-
tage ni de ce dernier, ni de ses nouveaux administrés. D'Épernon avait
laissé en Guicnne un nom détesté * . Cette province avait lassé la cour
et le parlement de Paris des députations qu'elle leur envoyait pour
obtenir sa révocation. On ne pouvait oublier ni le parlement de Bor-
deaux constamment humilié par le père et les coups de canne donnés
à l'archevêque Escoubleau de Sourdls, ni l'orgueil du (ils, sa hauteur
et sa rapacité. Soupçonné du meurtre de sa première femme, fille
naturelle d'Henri IV, ayant affiché pour la seconde, Marie de Cam-
bout, nièce du cardinal de Richelieu, le plus scandaleux mépris,
objet d'une haine héréditaire dans son ancien gouvernement, Ber-
nard de Nogaret s'annonçait à la Franche-Comté comme un voisin
dangereux et d'un commerce difiicile. Mairet en jugea ainsi dès la
première entrevue qu'il eut avec lui à Paris. Se posant comme un
intermédiaire naturel entre la province limitrophe de la sienne et le
gouvernement français, principal intéressé d'ailleurs dans les con-
flits que ce voisinage pouvait faire naître et les transactions destinées
à les prévenir, d'Épernon s'offrait, sinon pour continuer la mission
1 . On en trouve la preuve indirecte même dans le compliment de bienvenue
qae Bossaet lai adressait du haut de la chaire, dans son premier sermon sur
la Providence, prêché à Saint-fiénigne de Dijon en 1656. Parlant des trophées
élevés en Gaienne à la gloire de d'Épernon : « L'envie, disait-il, n'a jamais pu
les abattre. Elle les a peut-être couverts pour un temps, mais enfin tout le
monde a ouvert les yeux ; l'éclat solide de votre vertu a dissipé l'illusion de
quelques années. • L'envie équivaut ici sans doute à Vinvidia des Latins; elle
désigne la haioe publique désarmée, selon toute apparence, par la disgrâce et
le départ de celui qui l'avait provoquée.
54 MELANGES ET DOCUMENTS.
paquets du Comté est le courrier de Brisac^ ; c'est pourquoy je prie le
R. P. Dom Jacques d'envoyer nn homme exprès à Dole où l'on aura
soin de le satisfaire de ses peines. Les Gascons sont fort curieux et les
Cîomtois sont deffîants.
Le Gascon si curieux de lire les lettres qui ne lui sont pas
adressées, c'est le duc d'Ëpernon toujours prêt à exploiter dans son
intérêt la peur qu'il inspire ou les secrets interceptés. Quant à la
personne qui rit de ses fanfaronnades et déjouera ses menées, c'est
évidemment le comte deBrienne, secrétaire d'État et membre du con-
seil, avec lequel Mairet arrêtait les bases du traité qui devait faire
suite au précédent et en renouveler les effets pour une période d'an-
nées à déterminer. C'est « Tarticle du temps » mentionné dans la
lettre précédente. Le texte que nous donnons plus loin de la conven-
tion signée le 24 septembre fixe le terme de cette période à l'époque
où sera conclue la paix générale entre les deux couronnes. Cette
détermination si large et si précise à la fois épargna bien des
maux à la province et lui garantit une sécurité à peu près constante
jusqu'à la paix des Pyrénées, ou plutôt jusqu'à l'année qui devait,
en ouvrant la succession de Philippe IV, marquer pour la Franche-
Comté la fin de son autonomie. Si les derniers jours de son existence
indépendante s'écoulèrent dans une tranquillité relative, elle le doit
au négociateur qui fit introduire dans le traité de '165^ cette clause
tutélaire et ne cessa d'en réclamer l'application.
Pour mener à bonne fin cette entreprise, Mairet dut s'assurer des
auxiliaires. Les plus actifs furent la comtesse de Brienne, née Louise
de Béon de Luxembourg, et Dom Jacques, chartreux à Dijon. On ne
sait rien de ce dernier, son nom même est resté inconnu. Le cata-
logue des prieurs, procureurs et religieux du monastère depuis sa
fondation jusqu'en n82, mentionne un certain Jacques Brisconi
comme ayant prononcé ses vœux à la fête de l'Assomption de
l'année HiO^, Est-ce le collaborateur de Mairet? U est impossible de
1. On verra plus loin que la garnison de Brisach et son commandant Ghas-
tenois réclamaient à la Comté un subside autrefois payé par la province aux
garnisons impériales qui les défendaient de ce côté. Cette ville fut prise par
Weimar en 1638 « et, dit un historien comtois, se trouva nostre Bourgongne
« comme une isle au milieu de ses ennemys, ne pouvant plus estre secourue
« d'aucune part; aussi, peu avant le siège de Brisach, un seigneur de France,
« qui alloit à cette entreprise et passoit par la Lorraine, dit en discourant de
a son voyage, qu'il alloit en Brisach quérir les cleft de Bourgongne. » (Girar-
dot de Noseroy, Histoire de dix ans de la Franche^Comté de Bourgongne,
1. XI. II.)
2. Ces renseignements sont dus à l'obligeance de M. Garnier, conservateur
des archives de la C6te-d'0r.
?rÉGOCUTIO!fS DE JEi5 DE MilMT. 55
l'affirmer. Quoi qu*il en soit, en '1650, au moment où Mazarin con-
duisit en Bourgogne la reine mère et le jeune roi pour assurer par
la prise de Seurre ou Bellegarde la pacification de cette province, un
procès fut intenté aux Chartreux par la ville de Dijon pour la pos-
session d'une source et la clôture d'un étang, qui sans doute en
absorbait les eaux. Le maire de Dijon, dans un mémoire qu'il (It
paraître sur ce sujet en '1674, allègue en termes assez emphatiques à
Tappui de sa réclamation « la nécessité de conserver la santé et la
vie à tout un peuple. » Les Chartreux, ajoute-l-il, sentirent la force
de cette raison et, pour éluder l'argument, mirent en œuvre « le
crédit qu'avait ce fameux Dom Jacques sur Tesprit de la reyne, à
laquelle il promettait des récompenses éternelles pour en recueillir
de temporelles. » Cette épigramme, qui parait dictée surtout par le
besoin de produire un effet oratoire, atteste au moins l'influence que
le religieux exerçait sur l'esprit de la reine. II en usait au profit de
son couvent, mais il savait aussi l'employer dans l'intérêt du bon
droit et de l'humanité. Non content de faire passer la correspon-
dance de Mairet à l'abri des indiscrétions du gouverneur de la Bour-
gogne, il parait prendre une part très active aux négociations, il en
attend le résultat avec impatience et il en est le premier instruit par
la lettre suivante :
Le R. P. Dom Jacques, Chartreux à Dijon.
Mon très bon père,
Enfin les prémises de la paix ne seront point troublées, puisque vostre
fidèle assossié sen retourne après avoir achevé son affaire heureusemeni
quoy qu'avec beaucoup de peines et de difficultés qu'il a fallu vaincre.
Nous pouvons croire que les personnes que vous savez s'y sont employées
de la bonne sorte. Il en faut rendre grâces à Dieu. C'est un eflect de la
bonté du Roy et de la Reyne, dont elle a bien sujet d'attendre do ces
Messieurs du Comté quelque reconnoissance et discrétion pour entre
employée à quelque chose quelle m'a dit. M. Mairet en est chargé de
bouche et je ne double point qu'il n'en prenne soin ainsy que de tout le
reste. C'est un habille etzellé négociateur. Il vous dira toutes nouvelles
et moy je vous diray seulement que je suis, etc.
Louise OB B^:oN.
La paix signée aux conditions qu'avait stipulées Mairet et les rati-
fications échangées, l'œuvre du diplomate n'en était encore qu'à son
début, et Pexér^tion du traité allait soulever des difficultés toujours
renaissantes. Appuyé des mêmes auxiliaires, toujours prompt à inté-
resser les amis de son pays au maintien de la paix, à prévenir l'effet
56 M1ÎLAN6E8 ET DOCUMENTS.
des collisions qui la compromettent, à rappeler les engagements
d'honneur qui lient le gouvernement français, à écarter les soupçons
que peuvent &ire naître ses relations ou celles de ses commettants,
à circuler entre les lignes de l'armée royale ou de celles des princes
pour obtenir la réparation des injures commises ou les ordres qui en
préviendront le retour, Mairet déploya, dans l'accomplissement de
cette partie de sa tâche, une activité d'autant plus méritoire que sa
voix était couverte par le bruit des armes, et ses démarches constam-
ment entravées par les désordres de la guerre civile, comme il s'en
plaint dans la lettre suivante, datée du 2^ juin 4652 :
Je ne cesse de réitérer mes instances et mes escritures auprès de
Monsieur le Comte de Brienne qui respondant ne respond point à pas
une de mes lettres. Hier, en présence du R. P. Dom Jacques, je fis
encore une recharge et envoyay votre dernière depesche, qui marque la
continuation des courses et pilleries que font sur nos terres les mauvaises
garnisons du Roy qui nous avoisinent, à Madame la Comtesse de Brienne,
avec très humble et très pressante prière de la faire voir à la Reyne et à
M. son Mary... le P. dom Jacques en escrivit amplement et dans un
style véhément à ma dite dame de Brienne et à Madame la marquise
de Senecay en attendant qu'il puisse aller auprès de la Reyne qui le
demande et le désire ; il faut attendre en patience l'efifait de ces der-
nières lettres.
Madame de Brienne ne se montrait ni moins active, ni moins
dévouée-, quelques jours plus tard, le 28 juin, elle écrivait à son
tour « à Messieurs de la cour du parlement de Dole » et leur rendait
compte comme il suit des efforts tentés par elle, de concert avec
Mairet, pour le maintien de la paix fragile et menacée qu'avait signée
son mari :
J'ay esté bien ayse de me rencontrer à la Cour pour apuier de mes
solicitations celles de M. Mairet et maintenir comme j'ay fait de tout
mon possible la justice de votre cause auprès de leurs Majestés et par-
ticulièrement la Reyne, laquelle a eu la bonté de faire recommander au
Roy et de recommander elle-même la pronte expédition des lettres que
j'ay remise es mains do M. Mairet tant pour Monsieur le duc d'Ëpemon
que pour Monsieur le marquis d'Uxelles par lesquelles il me semble,
Messieurs, que les volontés de Sa Majesté pour la continuation du repos
des deux bourgogne et lexacte observation du dernier traité sont expli-
quées en des termes sy presis qu'il y a tout subject de croire que vos en
seres pleinemant satisfais ainsy que je souhaite.
Votre très humble et très affectionné servante,
Louise DE Béon de Luxembourg.
Le même jour, Mairet annonçait aux gouverneurs qu'il avait
3rJG0aATI0!fS DB JElIf DE mihet. 57
reçu les lettres indiquées dans celles de M"* de Brienno, et ren-
dant un nouveau témoignage au dévouement de ses auxiliaires, il
ajoutait :
Le R. P. Dom Jacques partit hyer avec les députés du parlement
pour aller encore une fois exhorter leurs Majestés à la paix que los doux
tiers du monde m'ont assurée eu cette ville. Le reste eu doute avec plus
de raison. Je sois du nombre des derniers, bien que je sois des preiniors
à la souhaiter. Mais il m'est impossible do la croire que je no voyo
leurs Majestés dans Paris et M. le Cardinal hors du royaume. II y a
bien des choses à dire là dessus. Pour revenir à nos afTairos vous voyox,
Messeigneurs, qu'il y a des gens de bien auprès do leurs Majestés qui
sont bien persuadés de la sincérité de nostre conduite et do la justice
de nos plaintes contre ceux qui nous ont attaqués. 8*il y a oncom
quelque dihgence à faire, vous me trouverez tousiours prost à sorvir ma
chère patrie et à suivre vos ordres sans réserve, etc.
Le nom de Dom Jacques se retrouve encore dans une lettre datée
du '14 juillet, où Mairet nous le montre prêt à partir avec lui pour
rejoindre la cour à Melun, en traversant au péril de sa vIcî des cam-
pagnes infestées de brigands \ et y faire entendre des plaintes
auxquelles l'autorité publique, paralysée par le désordre universel,
n'était pas toujours en état de satisfaire. En revanche, elle éUiit fort
exacte à réclamer, tantôt avec la courtoisie d'un solliciteur beso-
gneux^, tantôt avec la rudesse d'un créancier qui ne veut pas attendre,
l'annuité de cent mille livres promise par le traité du 24 septembre.
Le baron de Scey, gouverneur de la Comté, d'une part, Mairet de
l'autre, ont fort à faire pour expliquer les délais de paiement et faire
opérer les versements en mains sûres ou en tirer de valables ({uit*
1. t Si nonobstant les paMeportt, écrit ailleara Mairet, la licence effrénée
des gens de gaerre, tant de l'an que de l'autre party, et le détetpfiir de* pay-
sans ne faisoient souvent courir fortune de la vie à t/ius ceui qui vont et
Tiennent de Paris à la cour, à moius que d'avoir une puissante eMvyrte de
cavalerie, je fusse allé moy-mesme dire vos plaintes à Leur» Majestés; fn«U
après les funestes accidents que n<ias voyons arriver joumelleifient a UmUm
sortes de personnes, je n'ai pu taire mieui que de remettre tmm pjk|uet «a
fite de M. le comte de Brienne. » Lettres du 7 juin W/l (Archives du Iloubs,
B40S9).
t. c Outre la cy-jointe de M. le comte de Brienne, j'ay mtAt d^rpuis une
bewe sealenent une lettre de cachet du roi trevchresUeo, par Ut^wAUi Ha
Majesté me mande que je lai leray chose très aifpréahle et imp*frU$iUi a «/m sef'
vice si, sans reiardemeot et en ams^uemtje de* condition* ^Hik*% àMh% le der-
nier traité d'accwmodt t nt qse j'ai sigoé ^yit€ M« le c^/mle de Htiamm. |e
pais dêfivrer le» ceat mille firres qoe mp«* devoss a LyoA^ an porteur 4e U
prtseate. » tMIrt ém 9 mrrti \&t n^vL).
58 M1ÎLAN6BS ET DOCUMEIfTS.
tances ^ . Cette grosse dette acquittée, de nouvelles exigences se pro-
duisent. C'est la reine mère qui, comme l'écrivait M"*' de Brienne
annonçant à Dom Jacques la conclusion du traité, « attend de ces
Messieurs de la Comté quelque reconnoissance et discrétion. » Une
discrétion c'était, en diplomatie comme au jeu, la somme à payer au
gagnant, selon la générosité du partenaire. Un M. de Brisacier, qui
travaillait sous les ordres du comte de Brienne, reçoit en deux fois
2^9 pistoles d'Espagne ou 2,500 livres. M™' de Brienne réclame pour
le sieur Pinet, secrétaire de son mari, une avance de 20 pistoles;
d'autres employés, les sieurs Butin et Spinaise, reçoivent 25 pistoles
sur 50 promises aux commis. Le comte de Brienne, à son tour, ne
dédaigne pas de tendre la main. La Franche-Comté y dépose une
gratification dont on ne dit pas le chiffre, mais que son sage et avisé
représentant ne délivre qu'en échange des dépêches de la cour qui
contiendront sa réponse aux doléances des gouverneurs.
Ces dépêches de la cour, que Mairet réclamait en échange de la
gratification promise à M. de Brienne, étaient trois lettres de cachet
assurant de trois côtés la sécurité de la province. L'une était adressée
au maréchal de la Ferté pour la Champagne, la seconde au comte
d'Harcourt pour la Lorraine, la troisième au maréchal de Villeroy
pour le Lyonnais, le tout expédié aux gouverneurs par l'entremise de
Dom Jacques. Je prends cette voie, disait Mairet dans sa lettre du
5 janvier -1652, « ad majorem cautelam, » c'est-à-dire par crainte du
duc d'Epernon qui semble avoir voulu, par ses mauvais procédés,
tenir les Comtois dans une salutaire inquiétude et leur faire payer le
plus cher possible sa déférence aux ordres de son gouvernement. Il
est vrai de dire que ce gouvernement semblait l'y autoriser en recon-
naissant que le plus sûr moyen d'obtenir que ses ordres fussent
accomplis était d'en payer l'accomplissement à celui qui était chargé
de les faire observer. Si Mairet annonce, le 20 mars '1652, une lettre
1 . Par une lettre du parlement de Dôle, datée de Scey-sur-Saône, le 13 mars
1652, le gouTerneur, M. de Bauffremont, indiquait la réponse à faire aux récla-
mations de la cour de France, et chargeait Mairet de lui faire observer « que,
s'il se rencontroit quelque retardement au paiement du premier terme accordé
pour notre suspension d'armes, il ne nous doit estre nullement attribué, puisque
nous sommes tout prêts d'y satisfaire, et que nous en ayons jà donné les ordres
nécessaires de nostre costé, mais que ce retardement proTiendra de ce qu'on
ne nous a pas encore fait savoir de la part du comte de Brienne ni d'ailleurs
à qui il a voit donné pouvoir de recevoir en la ville de Lyon la somme dont il
s'agit et en faire valable quittance. »
On voit par deux lettres de Mairet, du 12 et du 18 avril, que cet intermé-
diaire c fut un sieur Colbert, dit de Vandière, homme de condition, » qui partit
être le père du grand ministre.
irfCOaATIONS DE JEAIf DE MAIBET. 59
du roi au duc d*Epernon^ lettre qui, sans doute, avait pour objet de
réprimer son humeur entreprenante, une autre lettre du comte de
Brienne, datée du jour suivant, fait savoir aux gouverneurs que « le
roi a été très content d'apprendre ce qu'on se propose de faire pour
M. d'Espernon, et qu'il le témoignera en assurant le repos de la
Comté. » Ainsi Sa Majesté commande à son représentant de respecter
les traités, pourvu qu'au préalable on ait acheté son obéissance. 11
faut ajouter qu'il ne la mettait pas à si haut prix que la première fois.
Ce fler duc, qui s'était vanté de ne pas être marchand, consent pour-
tant à un rabais, et son intendant Thévenin vient, au commencement
de l'année 4653, déclarer à Mairet que son maitre veut bien accepter
les offres qu'on lui a faites pour le don gratuit, c'est-à-dire appa-
remment les 30,000 livres que celui-ci avait pris sur lui d'offrir
au nouveau gouverneur de Bourgogne, en prévision des services
qu'il pourrait rendre pour la conclusion de la paix. Le négocia-
teur du traité de 4654 applaudissait à cette façon d'en assurer le
maintien, et volontiers sans doute il se fût écrié :
Voici dans cette affaire un accommodement.
c M. de Brienne, écrit Mairet à la date du 10 janvier 1653 <, témoigne
t qu'il seroit ravy que la province, pour son propre repos, donnât
ff contentement à M. d'Espemon, affia de lui ester par là tout sujet de
c plainte contre nous. »
Ainsi rançonnée du côté de la Bourgogne, la Franche-Comté se
voyait menacée de l'être du côté de l'Alsace. Elle avait entretenu de ses
deniers la garnison de Brisach, au temps où cette ville, appartenant à
l'Empire, couvrait sa frontière de l'Est et lui assurait du côté de
l'Allemagne de précieuses communications. Conquise par Bernard de
Saxe-Weimar en 4638, elle passa pour quelques années au pouvoir
de la France. De même que le duc d'Epernon réclamait à titre de
précédent et de droits acquis l'équivalent des sommes payées à Condé
pour de réels services, le gouvernement français exigeait pour la gar-
nison de Brisach et son commandant, M. de Chastenois, le même
traitement qui avait été fait à leurs devanciers et réclamait de ce chef
des arrérages s'élevant à la somme de 45,000 livres ^. Les salines de
1. Archives du département du Doubs, D 4061.
2. Le comte de Brienne écrit aux gouferneurs, le 21 mars 1652 : c Ceux de
la garnison de Brisach m'ont fait entendre que la Comté étoit redcTable aux
garnisons d'Alsace d'une somme de quinze mille livres. » — Mairet, dans une
lettre datée de la veille, rappelle un mémoire adressé par lui à ce sujet au
comte de Brienne, trois mois auparavant. 11 sollicite du parlement l'envoi d*un
60 MIÎLANGES ET DOCUMENTS.
Franche-Comté paraissaient un trésor inépuisable et chacun voulait
y puiser. Un peu plus tard, le 2i février 4654, c'est le maréchal de la
Ferté-Senecterre qui réclame i ,200 pistoles en termes cavaliers. « La
raison de vos indigences, écrit-il aux gouverneurs, n'étant point
valable auprès d'une personne qui connoit vos puissances comme
moi ; » puis il ajoute : « Quoique ce ne soit pas ma coutume de men-
dier les choses que je crois mériter en quelque façon, je ne laisse pas
de vous envoyer le sieur de la Neuville pour recevoir les 4 ,200 pis-
toles. » Celui-ci vient les prendre avec un présent pour lui-même. Le
prétexte ou le motif de cette largesse était un accommodement qui devait
éloigner les troupes du comte d'Harcourt du voisinage de la province.
On voit par une autre lettre du 24 mars 4654, adressée aux gouver-
neurs par leur agent de Salins \ que le comte de Boutteville (le futur
maréchal de Luxembourg), qui occupait Bellegarde pour le prince de
Condé, son cousin, s'était fait livrer directement 4,000 pistoles par le
caissier des saulneries.
Ainsi s'écoulait en prélèvements opérés de gré ou de force le plus
clair des revenus de la Franche-Comté, ce qui faisait déjà dire au
président Boyvin, dans sa lettre du 4" février 4648, que la « province
n'étoit plus en état d'y fournir. » En vérité, dans l'étal de dépendance
où la tenaient les exigences des uns et les menaces des autres, sans
compter les appréhensions d'une future conquête, elle aurait pu
s'appliquer en un certain sens ce que Tacite a écrit de la Bretagne :
« Servitutem suam quotidie émit, quotidiepascit^. »
Tous ces sacriOces consentis ou ratifiés ne protégeaient qu'impar-
faitement une paix toujours caduque. La ville de Seurre ou Bellegarde,
en particulier, par sa forte position sur les bords de la Saône, en
amont de Dole, était pour la province un perpétuel sujet d'inquiétude
et donnait lieu à des plaintes partant des points les plus opposés.
Tantôt c'est le parlement qui fait dénoncer par son résident à Paris
les ravages de la garnison \ tantôt c'est Épernon, chargé par le roi
d'assiéger cette place en état de rébellion pour la cause des princes,
qui se montre fort irrité des secours qu'elle a reçus ou qu'elle attend
du côté des Comtois et qui les menace de reporter a la guerre au cœur
second mémoire analogue et il ajoute : c Je sçay bien que nouA fondons notre
refus sur la paix de l'empire et réyacuation des garnisons de Montbéliard, où
estoit le bureau des contributions que nous payons alors à l'Alsace. » Alors
c'est sans doute avant le traité de Westphalie, quand l'Alsace protégeait la
Comté contre les ravageurs d'outre-Rhin.
1. Tontes ces lettres et celles qui seront citées plus loin sont conservées aux
archives du Doubs, années 1652 et 1653, B 4059 à 4062.
2. Tacite, Agricola,ZO.
5i£0CUT10!fS DE JCA.5 DE XÂIIET. 61
de la profinee atec tous les malheurs qui la suivent * . » Bellegarde et
AaxoDoe reparaissent incessamment^ au cours de la correspondance,
comme des foyers d'où partent à chaque instant des étincelles
capables de rallumer la guerre. Lorsque la première de ces villes a
été reprise sur les partisans de Condé, le marquis de Saulx-Tavanes-
Mirebel^ qui Toocupe au nom du roi, écrit à son tour à « MM. du
parlement du comté de Bourgogne, n pour leur demander compte de
Tappoi donné aux maraudeurs qui ravagent les environs de Belfort^.
Un peu {dus tard, au mois de septembre, il oppose au progrès du
mal une proclamation qui s'adresse indistinctement à tous les fauteurs
de désordre et les rappelle au respect de la neutralité jurée '.
Les dissentiments et les collisions ne cessaient sur la frontière de
Bourgogne que pour renaître du côté de la Lorraine. Après le marquis
de Saulx-Tavanes, c'est le maréchal de la Perté-Senecterre, gouver-
neur de Lorraine et Barrois, qui fait entendre ses plaintes à M. de
BauiTremont et à MM. du parlement de Dole « touchant les infrac-
tions qui ont été faites à la neutralité par les Francs-Comtois, et les
subjects qu'il a de s'opposer à la continuation de ladite neutralité'*. »
1. Lettre du 18 mai 1653. — Le duc d'Épernon, à qui des soldats sortis de
Bellegarde ont dit qu'on y attend des secours de Franche-Comté, écrit au par^
lement : t De quelque façon que cette place rebelle puisse tirer du secours du
comté de Bourgogne, cest déclarer la guerre au roi mon seigneur et vous
atUrer de la perte et un préjudice très notable, o — Il écrit de nouveau, le
28 du même mois : c ... J'ai su que M. le baron de Savoyeux devait entre-
prendre la chose. De quelque façon qu'on veuille donner ce secours, soit par
hommes détachés des garnisons du comté, soit par nouvelles levées, il est
impossible que vous n'ayez la guerre dans le cœur de votre province, etc. »
2. c Y ayant quelque genre d'hommes disposés naturellement à être gouvernés
populairement, et d'autres par des personnes principales, je vous écris en l'opi-
nion que le pais où vous rendez la justice estant ce dernier, vous y avez le
pouvoir d'y maintenir ou rompre l'entière neutralité... Nous savons que il y a
quelques gens assemblez au-delà de vos confins au château de Belfort, et aussy
les moyens, sy ils se avancent, de les empescher de faire plus grand effet que
de causer de la mésintelligence entre nous, etc. De Seurre, ce 13 août 1G53. •
3. Cette proclamation, datée de Seurre, le 23 septembre 1053, fait défense
c à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu'elles soient, sur les
fronUères du duché et du comté de Bourgogne, d'y faire aucune course n'y
chose qui y puisse intéresser la suspension d'armes consentie entre les deui
couronnes... Elle enjoint aux prévosts des mareschauds, communautés, syn-
dics, et habitans des villes et des villages de s'y saisir de tous mutinez, déser-
teurs, vagabons, bandis, voleurs, et où ils ne le pourront, de. . . donner avis de
leurs retraites et passages... »
4. Voici l'énoncé de ses plaintes et griefs tels que les formule une pièce non
datée de l'année 1654 :
1* On lève en sûreté des troupes et l'on prend le temps de son absence
62 MELANGES BT DOCUHEIITS.
Décidémeat l'œuvre du négociateur était fragile et menacée. Malret
multipliait ses efforts pour la préserver et conjurer un péril toujours
renaissant. On le voit tenter chaque jour de nouvelles démarches
auprès des protecteurs intéressés au maintien de la neutralité pro-
mise et si mal observée, ou même s*efforcer de parvenir jusqu'à la
reine mère et à son fils pour leur faire entendre lui-même Je gémis-
sement des peuples affligés, mais de tous côtés les obstacles se
dressent devant lui. Il lui faut affronter ou « le désespoir des paysans »
ou la violence des gens de guerre « qui pillent indifférenunent toutes
sortes de personnes » ou les complications produites par rapproche
des troupes de Lorraine, qui passent la Seine à Gharenton pour se
joindre à Tarmée de la Fronde * . Ne pouvant obtenir justice et pro-
tection du coté de la cour, le négociateur se retournait du côté de
Gondé -, il le priait d'intervenir pour réprimer Thumeur agressive de
la garnison de Seurre^, jusqu'à ce qu'enfin, las de tant d'eflbrts
impuissants et de promesses éludées, découragé par le silence obstiné
des uns, par l'impuissance avérée des autres, il fût réduit à penser
que dans le désordre universel chacun devait pourvoir à sa propre
défense et repousser la force par la force. Le 7 juin 4652, il écrivait
pour pa&ser en Lorraine hostilement, comme, il y a deux ans, le baron de
Lestoille ;
2* Les Francs-Comtois faTorisent les ennemis du roy en toute rencontre; ils
ont donné, il y a trois ans, retraite aux fuiarts des troupes du comte de Ligne-
ville, après que M. le Maréchal de la Ferté les eut desfaites en Loraine, et
aux troupes commandées par le baron du Chastelet après la bataille de Réthel ;
3* La Lorraine est quasi déserte par le refuge que les habitans de la
Frauche-Gomté donnent dans leur pays aux Lorrains qui s'y retirent pour y
vivre à leur aise, et qu'ainsy le pays n'est plus en estât de payer des contribu-
tions ni de fournir des quartiers d'hiver aux troupes du roy et demeure abso-
lument ruiné et dans l'impossibilité de payer ce qui leur est ordonné pour les
troupes de Sa Majesté.
On voit que le maréchal de La Ferté ne pouvait pardonner aux Comtois leur
hospitalité ni aux Lorrains le crime impardonnable de se dérober à ses exac-
Uons. Si tel était le style du chef suprême d'une armée française, celui des
capitaines était moins courtois encore, témoin le billet suivant :
Laforest a m** de Mouncour.
c De Saint-Loup, près Luxeuil, 5 janvier 1655.
c Tous les habitans de Bollignie se sont retirés chez vous avec tous leurs
biens. L'espéranse que l'on m'a donnée aujourd'huy qui retornerois (qu'ils
retourneraient) au lieu a empêché qui n'est pas en pousier (qu'il ne soit pas en
poussière). Sinon je vous promest que je coureray votre village de Moulincour
et feray assommé tout ce que je trouveray devant moy. » Telle était la guerre,
même sous le régime protecteur de la neutraUté garantie par des traités.
1. Lettre du 7 juin 1652.
2. Lettres du 23 août 1652 et du 29 octobre 1653.
xfeoCUTIOnS DE JEllf DE MAIEBT. 63
aux gouTerneurs de la Franche-Comté : « C'est à votre prudente con-
« duile de pourvoir désormais à la sûreté de vos frontières, soit en
« repoussant l'injure par la force, soit en vous mettant en état de ne
« plus la souffrir impunément. » Mais il revenait bien vite aux moyens
connus pour arrêter les actes d'hostilité de ceux qu'il appelait « nos
« mauvais voisins et encore plus mauvais sujets du roy très chrétien,
« puisqu'ils obéissent si mal à ses ordres ^ » Il proposait d'intéresser
au succès d'une nouvelle requête des Comtois opprimés « quelque
personne puissante dans le Conseil où les négoces de semblable nature
ne peuvent arriver à leur fin que par cette voye^, » c'est-à-dire par
la voie des largesses et gratifications. Il assiégeait le comte de Brienne
de ses sollicitations « pour l'afljaire d'Ëpernon, » il mettait en œuvre
le crédit de M"' de Brienne auprès de la régente et pouvait écrire, le
24 février 4653, u qu'elle avoit vu la reine et lui avoit déduit bien au
« long les piileries et violences que les trouppes du duché faisoient à
« nos pauvres peuples. »
La Franche-Conlté ne donnait-elle lieu à ces attaques incessantes
que par sa faiblesse et sa proximité ? On devine assez, par la corres-
pondance de Mairet, qu'elle était soupçonnée de pencher du côté des
princes, et d'avoir, comme tant d'autres provinces d'une fidélité
chancelante, quelques affinités avec la Fronde. Il est certain que dans
le tableau que Mairet a tracé de ses opérations, tableau très exact et
qui correspond parfaitement au récit qu'en a fait le savant historien
de la minorité de Louis XIV, M. Chéruel, son impartialité n'exclut
pas une certaine préférence. Protégé de Montmorency, l'oncle de
Condé, très bien vu de celui-ci, dont il reçut, le jour même où il
quittait Paris pour s'engager sans retour dans le parti de la révolte,
un accueil très bienveillant et la promesse de faire respecter la neu-
tralité violée par la garnison de Seurre, Mairet note avec un soin qui
trahit quelque sympathie les succès de la rébellion^. Il s'intéresse
1. Lettre du 14 juillet 1652.
2. Lettre du 21 février 1653.
3. c Le propre jour que M. le prince de Condé sortit de cette ville je pris le
leinps de l'aborder au palais d'Orléans, comme il y estoit pour prendre congé
de S. A. R.y et luy fis voir la lettre par laquelle tous me faisiez vos plaintes
touchant les emportements de sa garnison de Bellegardc dont dabord il me
témoigna par son geste et par ses paroles qu'il estoit extrêmement déplaisant,
et m'assura qu'il en feroit escrire à M. le comte de Bouteville, son cousin. En
effait, Messeigneurs, je rencontrai le lendemain Girard (ancien secrétaire du
prince chargé d'écrire ce^te lettre), etc. •
P. S. — c La manière d'agir du conseil du roy. jointe à la retraite de Son
A. d*Orléans et au retour de Son Éminence, ne donne pas aux Parisiens toute
la satisfaction qu'Us t'estoient promise en la venue de Sa Majesté, de qui la
64 irfLANGBS BT DOCUMENTS.
au duc de Nemours passant la Seine à Mantes, pour rejoindre en
Beauce le duc de Beaufort et Tarmée du duc d^Orléans, pendant que
« la Cour est à Saumur fort empêchée de sa contenance ^ » Il les
retrouve à Vendôme, empêchant le roi de passer à Orléans ; il montre
cette ville refusant obstinément ses portes au Cardinal Mazarin, et
« la Cour fort incommodée et embarrassée du refus des Orléanois qui
tire à conséquence ^. » U note la marche de Condé en Guienne, et
dans le Nord celle des troupes ou des bandes formidables que le duc
de Lorraine amenait au secours des princes^.
La Franche-Comté n'était pas, nous Favons vu, à l'abri du soup-
çon de favoriser ces mouvements. Le marquis de Saint-Martin,
héritier et neveu d'un gouverneur de ce nom, de vaillante et que-
relleuse mémoire*, recevait de Bruxelles des lettres où le comte
de Fuensaldagne le poussait à d'imprudentes prises d'armes. Ces
lettres, interceptées, donnèrent beaucoup de peine à Mairet pour
détruire, avec l'aide du comte de Brienne, les soupçons qu'elles fai-
saient naître sur les intentions paciQques et la loyauté de son gou-
vernement*.
déclaration snr ramnistie générale a été accompagnée à l'instant d*ane antre
qui chasse et interdit quantité de personnes de condition, tant de l'épée que de
la robbe. M. le duc d'Orléans se retire à Blois avec une manière d'accomode-
ment piastre qui ne promet rien de solide ni de durable. Toutes les forces de
Flandres ont joint M. le prince en Champagne qui commande seul une armée
de 23 mille hommes effectifs. Celle du roi n'est pas de 8 mille. Mademoiselle
est allée trouver M. le prince. On appréhende les Anglois. Barcelonne s*est rendu
dès le 15. Casai est perdu comme tous devez savoir. On dit même la citadelle.
Avec tout cela j'apprends que M. le comte d'Harcourt nous attaque. Il est foible
et quereleux. Si je reçoy vos plaintes sur ce faict, Je les pousseray bien loin. »
(Lettre du 29 octobre 1652.)
1. !•' janvier 1652.
2. 20 mars 1652.
3. Lettres du 18 avril, du 24 mai, do 7 juin et du 14 juUlet 1652.
4. Celui dont un ambassadeur d'Espagne écrivait en 1637 « que le roy don-
neroit un gouverneur à la Bourgonge qui parleroit hors de ses dents. • (Girardot
de Beauchemin, Histoire de dix ans, etc., VlU, L)
5. Une lettre de Mairet, datée du 9 mai 1653, laisse assez entendre qu'il
existait déjà des projets de conquête auxquels les imprudentes provocations
du marquis de Fuensaldagne pouvaient offrir l'occasion de se manifester. l\
n'était pas dupe des protestations de désintéressement qu'on opposait à ses
craintes et témoignait de sa clairvoyance à ce sujet, tout en attestant avec
énergie la fidélité de ses commettants à respecter leurs engagements, c 11 (M. de
Brienne) me jura que s'il découvroit quelque chose qui tendist à la rupture
de nostre accommodement, il l'empescheroit de tout son pouvoir, et mesroe
qu'il me donneroit advis en homme de bien, s'il apprenoit qu'il se tramât
quelque surprise ou supercherie contre la province. Sur quoy je lui repartis en
NEGOCIATIONS DE JEAN DR MAIEBT. 65
Aa milieu de ces embarras et de ces appréhensions, les intérêts de
son pays loi étaient toujours présents, et, dans le désordre croissant
des événements, il cherchait à tirer avantage pour la Comté de toutes
les solutions possibles. Il écrit, le ^9 juillet^ après le massacre de
rb&tel de ville : « Les aflaires se disposent de plus en plus ou à
la paix générale ou à la continuation d'une forte guerre civile, de
sorte que Tune ou Tautre doit faire le repos de notre province. Je
souhaite et prie Dieu que ce soit par la première voye, afin que tout
le monde y trouve son compte et sa satisfaction. » Il voit approcher
cette solution, hâtée par « la déclaration du Roi touchant Téloigne-
ment sans retour et sans équivoque du cardinal Mazarin hors du
royaume, accompagnée d'une amnistie générale et de Tesloignement
des troupes tant de Paris que des environs de Bordeaux'. » Mais
FamnisUe est soumise à des réserves qui remettent tout on question ^.
Le clergé de France et le légat s'émeuvent en faveur du Cardinal de
Retz, le parlement pour ses membres exilés, Bordeaux traite avec les
Anglais ou met sa soumission à des conditions inacceptables ; Mairet
s'étonne avec raison de ces emportements, avant-coureurs des révo-
lutions de l'avenir. « On appréhende, écrit-il le 9 mai ^653, que le
corps de ce grand État ne souffre en plusieurs endroits solution de
continuité, principalement du costé de la Guienne, du Poitou et de la
Champagne. Les dogues d'Angleterre sont surtout à craindre et la
députation solennelle de Bordeaux à Londres est d'une étrange et
redoutable conséquence. » Il revient, le -16 mai, sur l'alliance présu-
mée des Bordelais et des Anglais, coïncidant avec la dissolution du
long parlement par Gromwell. « Encore une fois, conclut-il, je vous
annonce que la campagne sera terrible et les révolutions seront
rapides et surprenantes en ce royaume. Dieu nous donne une bonne
paix ; c'est le souhait de tous les gens de bien. »
C'était le sien surtout, mais il ne lui fut pas donné d^cn voir
l'accomplissement comme témoin immédiat et partie intéressée.
Mazarin était rentré à Paris le 3 février ^653. Le sort de la province
était fixé. En 4654, Mairet fut banni sous un prétexte frivole. Il avait
défendu l'honneur du roi d'Espagne accusé de n'avoir accueilli Condé
que dans Tintention de le trahir. Le soupçonneux ministre redoutait-il
«
ioabsriant : Ifonsiear, je ne doute point de la sincérité de tos parole», mais le
passé DOQS rend un peu deffiants pour le présent et pour l'adrenir; et de pins
ie pense que ceux qui voudroient entreprendre de troubler nostre paix sans
aacun sujet de nostre part, le feroient sans fostre parUcipaUon, estant trop
iHen instruits de nostre probité. »
1. Lettre du ^ août 1652.
t. Lettre citée plus baot du 29 octobre 1652.
R«V. HiSTOB. XXV. \*r FA8C. ' 5
66 miLASGIS Cr BOCUMEflS.
dans Mairet on Êuniiier de la maison de Boorbon^ et seoUil^]
comme un levain de Fronde sons cet empressement à délendre son
ebef coupable et disgracié ? On peut le croire. Peut-être aussi Toufaît-
il se dé&jre d'un surveillant incommode, en éloignant celui qat ses
services désignaient pour le poste élevé de résident de l'eicptrenr
d'Allemagne à Pâiris. U fallait écarter un serviteur de la maisoii
d'Autriche, plus capable que tout autre de pénétrer rarrière-peiisée
de la maison de France. Elle se fait jour dans quelques kUrcs oon-
serrées aux archives du Doubs. Dans Tune de ces lettres, la rnne
mère recommande un comte de Coux au parlement de Dole, à W
sion d'un procès qu'il doit soutenir devant cette compagnie. « 5
aurions cru lui faire tort, dit Anne d'Autriche, si nous n'avions joint
notre recommandation à celle du Roi pour vous témoigner la joie que
nous aurons d'apprendre l'issue favorable de son procès, vous con-
viant de lui conserver toute la justice qu'il peut espérer de son bon
droit, ne doutant point de votre zèle et de votre affectUm. > Ce ton
flatteur et bienveillant peut s'expliquer par lorigine espagnole de la
reine. Le roi écrit à son tour ^ pour obtenir l'extradition de quelques
meurtriers, et l'on devine, en lisant cette lettre, combien, sous le
couvert de la neutralité, l'annexion morale a déjà fait de chemin. La
requête est rédigée en style officiel, mais le désir de plaire et d'inspi-
rer la confiance perce à travers les formes convenues du protocole.
Rien n'est plus simple que de réclamer d'un peuple voisin son con-
sentement à l'exécution d'une sentence judiciaire, mais, en demandant
cet acte de justice internationale aux membres du parlement de Dôle,
Louis XIV semble déjà les traiter comme siens. Rapprochée de la
1. A MM. LES PEisiDBNTS ET CONSEILLERS DU PARLEMENT DE DÔLE.
Très chers et biea amés. Désirant que 1 assassinat commis en la personne da
feu sieur lugurta d'Orologne et sur ses enfants Tivants nos subjetz, ne demeure
iropuny, et que . les sentences données par nostre prévost des mareschaux et
baUly d'Angers, obtenues par feu M. François JulÛot, vivant notre conseiller
magistrat au siège présidial de notre ville de Chaumont en Bassigny, pour
dame Catherine d'Orologne, sa veuve, et le parealis que nous leur en avons
accordé soyent pleinement exécutés contre les cy-desnommez, Nous avons bien
voulu vous escrire cette lettre dans la certitude qui nous a esté donnée qu'ils
sont dans votre juridiction, pour vous prier de laisser exécuter les sentences
de parealis selon leur forme et teneur, permettant d'arrester les condamnés et
d'agir à rencontre d'eulx par la voie accoutumée; à quoy nous assurant que
vous serez bien disposez puisque vous savez la chose qui nous sera très
agréable, nous prions Dieu qu'il vous ait, très chers et bien amez, en sa sainte
garde.
Écrit à La Fère, le xx juillet 1656.
Louis.
NEGOCIATIONS DE JEAN DE MURET. 67
leltre du comte de Brienne citée plus haut, celle-ci laisse entendre
que Ton considère les Comtois comme des sujets acquis à la natio-
nalité française et qu'on entend même les traiter en sujets privilégiés.
Le langage du jeune roi laisse pressentir l'annexion future, et sous
la courtoisie des termes elle a bien l'air d'une prise de possession
anticipée. La conquête était faite et ratifiée par avance, au moins
dans la partie la plus ambitieuse et la plus éclairée de la population.
TlVlER.
«
Traité de neutralité entre la France et la Franche-Comté.
Le Comte de Brienne, Conseillier du Roy en ses conseils, chevalier
de ses ordres, Secrétaire d'Estat et des commandements de Sa Majesté,
ayant esté par elle commis pour examiner et resouldre les conditions de
neutralité ou suspension d'armes proposée et demandée par le sieur
Jean de Mairet, gentilhomme bourguignon de la cité de Besançon,
envoyé exprès en cour par les sieurs commis du Roy catholique au
gouvernement de la Franche-Comté de Bourgongne, ayant d'eux suffi-
sant pouvoir, a accordé les traittés et articles suyvants soubs le bon
plaisir de Sa Majesté, dont il a promis de fournir l'acte de rattifîcation
en bonne forme dans un mois.
Qu'il y aura neutralité ou suspension d'armes entre ceux du duché de
Bourgongne, Bresse, Bassigny et aultres pays adjacents du gouverne-
ment dudit duché, et ceux de la Franche-Comté de Bourgongne
(Besançon compris) jusqu'au terme et temps qu'il plaise à Dieu nous
donner la paix générale entre les deux couronnes de France et d'Espagne.
Que les troupes et gens de ladite Majesté, de quelque nation qu'elles
puissent estre, soit en corps d'armée ou aultrement, n'entreront point
dans ladite Franche-Comté de Bourgongne (Besançon compris) et n'y
feront aucune course, siège, surprinse de place ny pillage ou vexation
quelconque, et ne s'y commettra aucun acte d'hostilité, et le semblable
sera religieusement observé par ceux de la Franche-Comté, ainsy que
tout a esté cy-devant exécuté de part et d'aultre par les traittés pré-
cédents.
Que Sa Majesté s'employera sérieusement envers ses alliés à ce qu'ils
ne nous troublent point aussy le repos et la tranquillité de ladite
Franche-Comté de Bourgongne.
Et d'autant qu'en faveur et en conséquence du dernier traitté d'acco-
modement qui expire au dernier jour de la présente anuée, il s'en est
fait un autre en forme de déclaration et par lettres patentes des deux
Roys qui permet la jouissance mutuelle des biens des vassaux et subjets
des deux partis, situés en France et dans la Franche-Comté,
Sa Majesté d'une part et lesdits sieurs Commis au gouvernement de
la Franche-Comté de Taultre, consentent la continuation de ladite
jouyssa)ice réciproque.
68 iriuifGES ET DOCUMEm'S.
En considération desquelles choses ledit sieur de Mairet promet et
s*oblige, en vertu de sa procuration, de payer la somme de cent mille
libvres tournois par chascun an, par forme de contribution, en un seul
payement qui se fera par advance à la manière accoustumée dans la
ville de Lyon, d'année en année, le premier jour du mois d'apvril de
cbascune desdites années, à commencer le premier payement par Tannée
prochaine mil six cent cinquante deux.
Et à raison et en faveur de ladite somme et contribution générale
faitte au Roy, toutes les autres contributions particulières cesseront et
demeureront compensées et amorties, et à Tesgard du cbasteau de
Gourlaon, il est convenu que lesdits Comtois lu y donneront la somme
de trois cent libvres par mois, pour Tentretient et subsistance de la
garnison que sa Majesté y veut estre entretenue.
Lesdits sieurs Commis par Sa Majesté catholique au gouvernement du
Comté de Bourgongne pourront tenir dez à présent, si bon leur semble,
soit à la cour ou à Paris, une personne de créance en qualité de résident,
tant pour les interests particuliers de la province dont il aura soing que
pour avoir Tœuil à tenir la main à Tobservance plus exacte des condi-
tions, circonstances et dépendances du présent traitté.
Et en cas que la paix ou la trefue à longues années entre les couronnes
de France et d'Espagne soit signée et rattihée, lesd. Comtois seront
tenus quittes et deschargez entièrement des payements qui resteroient à
faire, bien que l'exécution des articles de ladite paix ne suyvit pas
incontinent la rattification d'icellc qui sufilroit en tous cas à les acquit-
ter de la contribution à laquelle ils sont obligez par le présent traitté
duquel ledit sieur de Mairet promet fournir aussy la rattificatiou en
bonne forme dans un mois après celle de Sa Majesté.
Fait à Paris, le vingt-quatrième jour de septembre mil six cent cin-
quante et un, signé sur l'original de Brienne et J. de Mairet et scelé à
double sceau de cire d'Espagne.
S'ensuyt la ratiGcation du traité cy-dessus En témoignage de quoy
ladite Majesté a signé la présente de sa main et y a fait apposer son
scel secret à Paris, le vingt-cinquième jour de septembre mil six cent
cinquante et un. Signé sur ledit original Louys et son scel royal y
apposé et au bas d'iceluy la signature de Guénegaud.
NoTB. La somme remise à M"** de Brienne par la reine mère (voy. p. 58) fut
de 1,000 pistoles pour la reine et 20,000 1. pour elle (voy. )e reçu aux Arch. du
Doubs). Mairet n'avait reçu d'abord que 450 pistoles; il s'en plaignit dans le
reçu qu'il donna le 17 oct. 1651 : c en attendant qu'il plaise à messeigneurs les
conseillers-gouverneurs de m'ordonner une récompense plus digne d'eux et des
services que j'ay rendus à la province. > Le 22 novembre fut donné ordre a de
payer à M. Mairet ... la somme de 1,000 pistoles d'Espagne. >
U FRl^rCE ET LA PRUSSE (1763-4769). 69
LA FRANCE ET LA PRUSSE
1763-1769.
RÉTABLISSEMENT DES RAPPORTS DIPLOMATIQUES
APRÈS LA GUERRE DE SEPT ANS*.
Les rapports diplomatiques se renouèrent assez promptement
entre les puissances qui avaient pris part à la guerre de Sept Ans.
Les cours de Berlin et de Versailles firent exception ; elles ne se
renvoyèrent pas de ministres et ne rétablirent point de correspon-
dance officielle avant Tannée 4769.
Louis XV gardait rancune à Frédéric II de l'alliance qu'il avait
contractée avec TAngleterre et du concours qu'il lui avait prêté dans
une lutte désastreuse pour la puissance coloniale de la France. Fré-
déric, malgré ses succès militaires, ne pardonnait pas à Louis XV
de s'être ligué avec l'Autriche et d avoir laissé remettre en question
la possession de la Silésie. En 4 763, le roi de Prusse paraissait bien
résolu à traiter la cour de Versailles avec toute la supériorité d'un
vainqueur et à attendre ses ouvertures ; mais l'intérêt, ce premier
mobile de la politique, ne pouvait manquer à la longue de faire
sentir sa puissance.
En Allemagne, dans toutes les classes de la société, et surtout
parmi les princes protestants^ on ressentait très vivement, au lende-
main de la guerre, le besoin de renouer avec la France des relations
de bon voisinage et beaucoup désapprouvaient, sans oser élever la
voix, la politique d'abstention dans laquelle Frédéric se renfermait à
l'égard de Louis XV.
Rien ne nuisait davantage à la situation de la Prusse qu'un état de
choses qui rendait impossible tout rapport d'affkires avec la cour de
Versailles. Faute d'agents diplomatiques, les questions touchant au
commerce étaient forcément réservées. Elles demandaient cependant
une solution rapide. Macaulay, dans sa vie de Frédéric, trace un
tableau saisissant de l'état intérieur du royaume prussien, où lagri-
culture et le commerce semblaient pour longtemps ruinés.
Les désastres privés, dit-il, la détresse de toutes les classes sociales
étaient de nature à épouvanter Tesprit le plus ferme... Les champs
1. D'après les correspondances du dépôt des Affaires Étrangères.
70 MELANGES ET DOCUMElfTS.
étaient restés sans culture. Le blé de semence avait même été dévoré
dans l'égarement de la faim. La famine et les maladies contagieuses
engendrées par la famine avaient anéanti les troupeaux et le bétail, et
il y avait lieu de craindre qu'une grande épidémie ne vînt frapper la
race humaine à la suite de cette effroyable guerre En sept ans, la
population du royaume avait diminué dans la redoutable proportion de
dix pour cent. Un sixième des hommes en état de porter les armes
avait péri sur les champs de bataille. Dans quelques districts, on ne
voyait dans les champs, au moment de la moisson, point d'autres tra-
vailleurs que des femnies Tout le système social était bouleversé.
L'armée était elle-même désorganisée. On pouvait à peine espérer que
trente ans de repos et d'industrie pussent réparer le mai cauBé par
sept années de carnage *.
Frédéric ne pouvait se dissimuler retendue du mal. De tous côtés,
son attention était sollicitée par de redoutables problèmes. En ^53,
un traité de commerce avait été conclu avec la France pour une
période de dix années. Ce traité venait d'expirer. Si ses effets ces-
saient brusquement, le commerce prussien recevait ime atteinte
grave. La France était, en effet, le débouché habituel des produits de
la Prusse. On y vendait les laines et les lins de la Silésie, et ces
matières, à leur entrée, bénéficiaient du tarif conventionnel de i 753.
Il y avait un grand intérêt pour la Prusse à ce que rien ne fût
changé à ce régime. En France, les fermiers généraux se préoccu-
paient de la question de savoir quel tarif il faudrait appliquer
désormais aux marchandises de provenance prussienne et deman-
dèrent des instructions à ce sujet au conseil du roi pour les ports
de Bordeaux et de Nantes. Les députés du commerce se pronon-
cèrent pour le renouvellement du traité. Il fut maintenu, mais
seulement à titre provisoire.
A la même époque, Frédéric songeait à rétablir, sur des bases nou-
velles et plus larges, la Compagnie d'Embden^, dont les opérations
avaient été entravées pendant la guerre; mais là encore il ren-
contrait une difOculté et la France seule pouvait le tirer d'embarras.
La Prusse manquait de capitalistes assez entreprenants pour sub-
venir rapidement aux avances qu'exigeait une aussi vaste entreprise.
Il fallait les demander à l'étranger. Notre pays était alors en état de
fournir à la Prusse des financiers expérimentés et des commerçants
instruits. Tôt ou tard Frédéric devait se trouver amené à foire appel
à leur concours.
1. Macaulay, Essais historiques et biographiques, Frédéric le Grand. Tra-
duction de G. Guizot.
2. Compagnie fondée en 1751 pour le commerce des Indes orientales.
LA FBINCE ET LA PRUSSE (^763-^769). 7\
Dès Tannée 4764, des démarches secrètes avaient été entreprises
auprès du duc de Praslin, ministre des affaires étrangères, pour
faciliter le rétablissement des rapports. Un certain de Pinto s'était
chargé de sonder les intentions de la cour de Versailles. Il avait écrit
au ministre qu'il se sentait encouragé à l'informer de ce qui se
passait à Berlin à ce sujet, et il lui avait communiqué des lettres échan-
gées entre le prince Wilhelm d'Anhalt et l'un de ses amis. Dans
cette correspondance, évidemment préparée pour être mise sous les
yeux du duc de Praslin, on laissait entendre qu'aussitôt que le départ
du ministre français serait fixé, la cour de Prusse ne manquerait pas
de désigner le sien et qu'il dépendait de Versailles de faire réussir
la négociation. Le ministre du roi de France ne crut pas devoir
accueillir une suggestion qui ne présentait pas un caractère suffi-
sant d'autorité et qui, d'ailleurs, demandait à la France de prendre
rinlUative. Il renvoya au sieur Pinto ses papiers, tout en ayant soin
pourtant d'en garder copie.
De son côté, au surplus, le cabinet français comprenait tout l'in-
térêt d'un rapprochement. On en trouverait au besoin la preuve dans
un rapport que le duc de Choiseul adressait au roi en février i 765.
Je ne répondrais pas, disait-il, que dans quelques années les projets
singuliers du roi de Prusse, l'habitude qu'il a contractée de la guerre,
les vues d'inquiétude et d'agrandissement qu'il n'a cessé d'avoir, ne
l'engageassent, s'il se porte bien, dans une nouvelle guerre. C'est à
empêcher cette guerre, dans laquelle Votre Majesté serait obligée par
son traité de soutenir l'impératrice, qu'il est important que toute la
sagacité de votre ministère s'emploie pour que celui qui sera chargé
d'affaires à Berlin dirige sur cet objet toute son attention. Je crois
qu'avec de la douceur, et quelquefois en inspirant de la crainte, il
serait possible de faire faire des réflexions et d'arrêter ce prince dange-
reux. Rien n'est si instant pour cet objet que de renouer la correspon-
dance avec Berlin, dès qu'on en trouvera le moyen sans blesser la
dignité de Votre Majesté.
Quelle que fût la justesse de ces considérations, le cabinet de Ver-
sailles crut néanmoins de sa dignité de ne point faire les premiers
pas, et il attendit avec une rare persévérance que l'initiative vint de
Berlin.
Dans le courant de l'année n65, des personnages sans caractère
officiel essayaient de s'interposer pour aplanir les difficultés. Grimm
et Helvétius, fort désireux de voir cesser un état de malaise dont
souffraient les rapports djes lettrés et des philosophes, pensèrent que
la duchesse de Saxe-Gotha, très écoutée à Postdam, pourrait inter-
venir utilement auprès de Frédéric pour ouvrir la voie aux négocia-
72 irfLANGES ET DOCUMENTS.
lions. Grimm en écrivit à Tun de ses correspondants de France, le
6 mai 4 765 :
J'ai pensé, disait-il, que, supposé qu'on eût le projet de se rapprocher
du roi de Prusse, on trouverait difficilement un meilleur canal que
celui de M™« la duchese de Saxe-Gotha : 1* parce que tous les princes
protestants d'Allemagne désirent vivement ce retour de liaison; 2* parce
que la princesse dont j'ai l'honneur de vous parler est attachée à la
France et aime la nation par goût et par choix ; 3» parce que c'est une
princesse des plus éclairées, d'une sagesse et d'une prudence reconnues
et douée de toutes les grandes qualités qu'on attend de ceux qui gou-
vernent, et qui sont nécessaires à bien conduire une négociation délicate
oii il ne faudrait compromettre personne; j'en parle avec connaissance
de cause, parce que je suis honoré de ses bontés et de sa confiance
depuis douze ans, pendant lesquels j'ai fait deux séjours à sa cour;
4» parce que cette princesse est sans contredit la personne de l'Europe
qui a le plus d'ascendant sur l'esprit du roi de Prusse, et que ce prince
a pour elle la plus haute considération et entretient avec elle un com-
merce de lettres très suivi ; 5* parce que, par ce moyen, quelles que
fussent ses dispositions à l'égard de la France, on aurait du moins
l'avantage de les connaître avec sûreté et sans détour; il n'en emploie-
rait sûrement pas avec M"« la duchesse de Saxe-Gotha, et si cette
princesse se chargeait de quelques négociations, on pourrait s'attendre
de sa part à une bonne foi et un zèle sans réserve
Helvétius eut la même pensée et se montra plus hardi que Grimm.
Voici la lettre qu'il adresse au mois de juin i 765 à la duchesse :
Pour user de mon privilège de tout dire, il faut que je dise à Votre
Altesse un projet qui m'a passé par la tête. Je suis las de voir le froid
qui subsiste depuis la paix entre deux anciens alliés; j'aimais mieux
une belle haine bien déclarée comme en 1757. D'ailleurs, je suis trop
bon Français, et j'ai trop de bonnes raisons de l'ôtre, pour ne pas
désirer que le grand Frédéric ait en ce pays-ci encore d'autres liaisons
que celle du philosophe d'Alembert ^ et la mienne. Je sais depuis long-
temps qu'il estime M. le duc de PrasHn; j'ai appris depuis qu'il fait
cas de M. le duc de Choiseul. A quoi tient-il donc qu'on ne rétablisse
entre les deux cours cette correspondance qui subsiste entre les cours
les moins liées et dont l'interruption m'ennuie depuis longtemps? Si
tout cela ne tient qu'à une petite cérémonie pour savoir qui nommera
le premier son ministre, il faut convenir qu'on s'arrête à bien peu de
chose, mais cela arrive souvent en politique. Moi je me suis mis en
tête que Votre Altesse doit se mêler de cette affaire; que vous satis-
ferez également, madame, et votre goût pour la France et votre amitié
pour le grand Frédéric en faisant finir un frgid qui a trop duré, et que
1. D'Alembert était allé à Postdam eo 1763.
LA FIANCE ET LA PRUSSE (^63-4 769). 73
Totre sagesse trouYera pour cela aisément ce que les Italiens appellent
t il mezzo termine. > Si vous me demandez, madame, de quoi je me
mêle, je dirai que je voudrais que toutes les choses bien faites fussent
votre ouvrage.
n était difficile d'offrir à la duchesse de Saxe-Gotha une occasion
plus belle d'employer son crédit. Sa réponse à Helvétius témoigne
de ses bonnes dispositions :
Comptez, lui écrivit-elle, que si je pouvais contribuer à obtenir le but
que vous me proposez, j'emploierais avec ardeur, avec transport, avec
zèle toutes mes facultés ; je ferai sûrement l'impossible pour le succès ;
ridée seule m'en cause une joie infinie, car c'est là précisément ce que
mon cœur désire depuis longtemps, et je ne crois la chose nullement
impossible. Je sais positivement que le héros aime la France d'incli-
nation et l'a toujours aimée ; de plus, avec son esprit et sa sagesse, il
ne saurait méconnaître ses véritables intérêts. Il ne serait donc question
que de lui en faire venir l'idée promptement et à propos. Vous savez
que, dans la plupart des événements de ce monde, tout dépend du
moment, et je saisirais sûrement le premier moment favorable, si je
pouvais espérer de remplir des vues utiles et réelles.
De telles assurances avaient leur valeur, et notre philosophe dut
se féliciter de les avoir provoquées ; mais en même temps Helvétius
avait trouvé le moyen d'agir personnellement et directement sur le roi
lui-même. Il s'était rendu à Berlin à l'invitation de Frédéric. Ayant eu
l'occasion de rentretenir à ce sujet, il sut le sonder adroitement. Bien
que le cabinet de Versailles se soit toujours abstenu avec soin de
laisser voir qu'il encourageait ces démarches, on doit croire qu'il ne
les désapprouvait pas. Voici dans quels termes Helvétius rendit compte
à M. d'Argental, ministre du duc de Parme en France, et ami
particulier du duc de Ghoiseul, des entretiens qu'il avait eus avec
Frédéric. Cette lettre est datée de Gotha, le 4 juin ^765.
Monsieur le comte, j'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur
de m'écrire. J'ai saisi toutes les occasions d'assurer le roi de Prusse de
l'attachement de MM. les ducs de Praslin et de Ghoiseul. Je me suis
vanté auprès du roi des bontés que vous aviez pour moi; il m'a parlé
de vous de la manière la plus obligeante. Mais, m'a-t-il dit, son amitié
pour M. de Voltaire ne l'aurait-il pas éloigné de moi? Je lui ai répondu
comme je le devais que vous admiriez avec toute l'Europe les ouvrages
de votre ami, mais que vous ne vous donniez point pour le défenseur
des torts qu'il pouvait avoir eus avec Sa Majesté. Dans la suite de
cette conversation, j'ai eu occasion de lui faire sentir l'intérêt réci-
proque que les deux cours de Versailles et de Postdam avaient d'être
bien ensemble. Voici sa réponse :
74 MIÎLANGBS ET DOCUMENTS.
La cour de France a eu avec moi les plus grands torts, elle le sait.
Elle m'a attaqué à Rosbach. Elle m'a fait la guerre apparemment pour
faire un cardinal. Je ne lui connais point d'autre intérêt. Gomment
est-il possible qu'après avoir démoli les places des Pays-Bas, sans
doute pour s'en emparer plus facilement, elle se soit alliée avec cette
puissance au moment qu'elle pouvait la combattre avec le plus d'avan-
tages.
J'ai éprouvé tant de mauvais traitements de la part de la France que
ce serait bas à moi de faire les avances, et, d'ailleurs, pourquoi les
ferais-je? Quelles sont nos deux positions?
Je suis bien avec la Russie ; mes derrières sont assurés. La France
est trop loin de moi pour m'a'ttaquer, et la reine de Hongrie seule ne
l'osera jamais.
La France, au contraire, sera certainement dans peu obligée de faire
la guerre à l'Angleterre. Ce n'est que par la prise des Pays-Bas qu'elle
peut s'indemniser des prises que les Anglais lui feront peut-être sup-
porter par mer; elle a donc intérêt d'être bien avec moi; il y a de plus
du froid entre l'Angleterre et la Russie ; la France peut en profiter pour
conclure un traité de commerce avec l'impératrice, d'autant plus avan-
tageux qu'il serait plus nuisible aux Anglais. La France n'ignore pas
que je puis la servir en Russie. La France a donc plus besoin de moi
que je n'ai besoin d'elle. Répondez-moi : est-ce à celui qui a le moins
de besoin à faire les avances?
J'ai répondu au roi ce que le peu d'esprit et le peu de connaissance
que j'ai des affaires m'a suggéré dans le moment. Le résultat de ma
conversation, c'est que je suis chargé de la part du roi de Prusse de
faire à MM. les ducs de Praslin et de Choiseul une proposition qui, je
crois, leur sera agréable, et qui ne compromet l'honneur d'aucune des
deux cours. Si on l'accepte, l'affaire est finie. Si on ne l'accepte pas, je
doute qu'on puisse jamais renouer avec ce roi.
Je vous écris tout ceci, afin que vous ayez la bonté d'en prévenir
MM. les ducs de Praslin et de Choiseul et de les prier de vouloir bien
me donner, à mon retour à Paris, un quart d'heure d'audience...
Quelle était cette proposition « agréable » dont Helvétius parle
encore avec discrétion et qui devait avoir tant d'excellents effets, si
elle était accueillie à Versailles ? Elle se résumait dans la nomination
simultanée des deux ambassadeurs ou envoyés, à un jour donné,
dont on conviendrait des deux parts. Helvétius s'acquitta de sa mission,
mais le ministre ne la trouva pas suffisamment définie. Il exigea
qu'elle fût au moins autorisée par un écrit de Frédéric. Helvétius en
référa à Berlin. On lui répondit que, si l'on autorisait sa mission par
une lettre, il était à craindre que la cour de France ne se vantât des
avances qu'aurait faites le roi de Prusse.
Helvétius s'en explique dans une lettre au duc de Praslin en date
LA FRANCE ET LA PEUSSE (4763-4769). 75
du mois d'août 4765, el suggère même à ce propos une combinaison
qui, d'après lui, aurait aidé à tourner la difficulté.
On a soupçonné à Berlin, monseigneur, que votre intention, en
demandant que ma mission fût autorisée par une lettre du prince, était
de publier que le roi de Prusse faisait des avances à la France. Ce
soupçon peut être aisément détruit, et, si vous croyez que l'alliance du
roi de Prusse puisse nous être avantageuse, qu'il soit important de
connaître ses vraies dispositions et de savoir si, depuis mon départ, il
n'aurait pas pris quelqu'autre engagement, il est je pense facile de le
mettre au pied du mur. J'imagine un moyen que je soumets à vos
lumières supérieures.
M. le comte d'Haussonviile est actuellement sur les lieux. Si on le
chargeait de parler au roi de Prusse en particulier et de lui dire que la
cour de France nommera un ambassadeur le même jour que la cour de
Berlin nommera le sien, que lui, comte d'Haussonviile, sera cet ambas-
sadeur, qu'il en recevra les patentes qu'il ne datera que du jour où Sa
Majesté aura nommé son envoyé, il me semble que, par ce moyen,
l'honneur de la France ne serait pas compromis. Sa bonne foi serait
constatée et le roi de Prusse dans la nécessité de déclarer ses vraies
intentions. Peut-être M. le comte d'Haussonviile ne voudrait-il pas
accepter cette place, mais ne pourrait-on pas lui promettre de lui
envoyer six semaines après un successeur et lui dire que le bien de
rËtat exige qu'il se charge seulement pendant ces six semaines d'une
place qu'il peut regarder comme au-dessous de lui.
Mandez-moi, monseigneur, vos intentions; je vous adresse copie
d'une lettre destinée pour la Prusse et qu'on montrera au roi. Je l'en-
verrai si vous l'approuvez * .
La suggestion ne fut pas acceptée à Versailles. On n'en crut pas
moins à Berlin que le comte d'Haussonviile, qui s'était rendu en
Prusse pour des affaires d'intérêt privé, était chargé d'une mission
du gouvernement français, et nous trouvons la trace de cette impres-
sion dans une dépêche de l'agent d'Angleterre Burnet au cabinet de
Londres.
On ne voit pas que l'intervention de la duchesse de Saxe-Gotha
dans cette négociation se soit manifestée par aucun fait précis. Elle
avait suspendu toute démarche en apprenant la mission qu'Helvétius
avait reçue du roi de Prusse. C'est du moins ce qui résulte d'une
lettre d'Helvétius lui-même, du mois de septembre 4 765, au duc de
Praslin :
Vous savez, lui dit-il, que la princesse de Gotha ainsi que toute
l'Allemagne protestante souhaite ardemment de voir la bonne intelli-
i. Une lettre analogue a été adressée par BelTétius au duc de Choiseul.
76 MKUNGBS BT DOCUMENTS.
gence établie entre les deax cours de Versailles et de Berlin. Je sais
môme que cette princesse aurait entamé cette négociation si elle ne
m'en avait pas cru chargé de la part du roi de Prusse. Si cette alliance
nous est utile, ne pourrait-on pas profiter de ses bons offices ?
Le cabinet de Versailles ne se départit pas de sa réserve et le nom
de la duchesse de Saxe-Grotha ne reparait plus dans les pourparlers
ultérieurs.
On était en 4766. Du côté de la France, on désirait toujours
beaucoup le rétablissement des rapports diplomatiques; mais on
avait appris par la correspondance d'Helvétius que le désir de Fré-
déric II n'était pas moins vif. On croyait avoir tout intérêt à attendre
des ouvertures mieux définies. Frédéric constatait de son côté, non
sans inquiétude, qu'il n'avait encore rien fait pour le renouvellement
de ce fameux traité de commerce expiré depuis 4763. La situation
devenait chaque jour plus critique. Il fallait enfin aviser. Voici l'ex-
pédient auquel le roi de Prusse eut recours.
Le 29 novembre 4766, M. de Finkenstein, ministre d'État en
Prusse, annonce au duc de Choiseul que le roi a chargé un certain
comte de Barberin de quelques commissions de commerce pour son
service particulier, que, dans ce but, M. de Barberin doit se rendre
en France, et qu'un sieur Mény a été investi du caractère d'agent
pour le même objet. Le comte de Finkenstein ajoutait que son sou-
verain avait l'espoir que le duc de Choiseul voudrait bien protéger
ces messieurs relativement aux commissions qui leur étaient confiées.
On répondit de Versailles que le roi se ferait un plaisir d'accorder sa
protection la plus spéciale au comte de Barberin ainsi qu'au sieur
Mény, et que M. de Finkenstein pouvait compter sur l'assistance que
les « commissionnaires » du roi de Prusse trouveraient en France.
L'année suivante (23 mai 4767), c'est un sieur Mettra qui, en
vertu de lettres patentes délivrées par Frédéric, est nommé agent
« pour différentes commissions concernant le commerce, » et cela en
considération de ses connaissances étendues et de son expérience
dans le commerce.
Nous requérons, disait-on dans ces lettres patentes, signées par le roi
et contresignées par MM. de Finkenstein et de Hertzberg, tous ceux à
qui il appartient, de le reconnaître en qualité de notre agent pour diffé-
rentes commissions concernant le commerce, d'accepter ses mémoires,
lettres et instruments, de conférer avec lui sur tout ce qui peut avoir
rapport au commerce de nos États et de lui donner toutes sortes d'aide
et d'assistance, comme aussi de le laisser jouir de toutes les immunités,
privilèges et prérogatives dont les autres agents de commerce des rois
jouissent.
LA nUXCE ET LA PRUSSE (^63-^69). 77
Barberin, Hény, Mettra, tels sont les hommes que Frédéric envoie
en France et quMl a chargés d'étudier la question commerciale aussi
bien que le terrain politique. Il lui était aisé de désavouer leurs
démarches s'il les jugeait trop hardies. C'est en nos que le fond de
sa pensée se révèle définitivement dans un document officiel, par
Fentremlse de son agent Mény.
Monsieur le duc, écrit de Paris ce dernier à Choiseul le 17 juin,
comme agent de S. M. prussienne en France, où j'ai l'honneur d'être
accrédité en cette qualité, j'ai cru pouvoir lui proposer un renouvelle-
ment du traité de commerce entre ses sujets et ceux de S. M. très
chrétienne. Cet objet devenant de plus en plus intéressant pour les
deux nations, S. M. prussienne vient de m*autoriser, pendant son
séjour à Vezel, à remettre à Votre Excellence les articles ci>joints, sur
lesquels les cours de Berlin et de Versailles pourraient entrer en négo-
ciations par des ministres plénipotentiaires nommés et envoyés de part
et d'autre en même temps. Je vous prie, monsieur le duc, de vouloir
bien me marquer vos dispositions et celles du roi à cet égard, afin que
je sois en état d'en rendre compte à 8. M. prussienne, dont j'attendrai
ici les ordres ultérieurs.
Ce projet de traité au sujet duquel on proposait d^entamer
des pourparlers avec la France par Tintermédiaire de ministres
respectivement nommés, contenait certaines stipulations particu-
lières. Frédéric demandait que le roi de France s'engageât à lui
faciliter la conclusion d'un traité de commerce avec TËspagne et
de Portugal et qu'il autorisât ses sujets à s'associer entre eux
pour fournir les fonds nécessaires au rétablissement de la Com-
pagnie d'Embden. Il promettait de son côté de faire jouir les
négociants français des privilèges les plus étendus et de réclamer en
temps de guerre leurs bâtiments qui navigueraient sous pavillon
prussien et qui seraient pris ou insultés par les ennemis de la
France.
Cette fois, Choiseul n'eut garde de repousser les ouvertures de Fré-
déric. Elles étaient positives et sérieuses. La politique française souf-
frait elle-même de la gêne et de Taigreur qui s'étaient maintenues dans
les relations des deux cabinets. Sans doute la proposition faite au nom
du roi de Prusse n'écartait pas toutes les difficultés de forme, nées
des susceptibilités réciproques*, mais les intérêts parlaient trop haut
pour que Ton ne cherchât pas à accommoder les amours-propres.
Choiseul ne laissa pas échapper Poccasion favorable, il répondit au
sieur Mény que le roi était disposé à négocier sur les bases indiquées,
sauf quelques réserves, par Tentremise de ministres plénipotentiaires
78 MIÎLANGBS ET DOCUMENTS.
qui seraient à nommer. II ajoutait que les deux cours ne pourraient
mieux faire que de confier à leurs représentants à la Haye, MM. de
Breteuil et de Thulemeyer, le soin de combiner l'exécution de cet
envoi respectif.
Mény dépêcha à Berlin le sieur Mettra, avec une lettre qui conte-
nait la réponse et les vues du duc de Ghoiseul. Le 8 juillet, Frédéric
écrivit à Mény qu'il avait reçu ses communications.
Mettra, qui vient d'arriver, m'a expliqué, dit-il, quelle était, au sujet
de renvoi réciproque des ministres, l'intention de la cour de France.
Selon ce qu'il m'a dit, je crois qu'il sera facile de s'arranger, et voici
ce qui sera le plus simple et le plus acceptable de part et d'autre. Dès
que l'ambassadeur de France sera arrivé à La Haye, il pourrait se
trouver en tiers avec le sieur de Thulemeyer chez l'ambassadeur d'Es-
pagne, sans que cela soit des déclarations ministérielles, et là, par
manière de propos, celui d'Espagne, qui se trouve autant intéressé à
cette affaire que celui de France, pourrait dire qu'il était singulier que
ces deux cours n'entretenaient point do ministres les uns chez les
autres. Le ministre de France pourrait appuyer fortement là-dessus, le
tout pour donner à Thulemeyer l'occasion de dresser une dépêche dont
j'ai un besoin indispensable dans la situation où je me trouve, par
l'usage qu'il me convient d'en faire, qui n'est pas fort difficile à deviner
si vous y faites attention. Cette relation arrivée, on pourrait d'abord
échanger les noms des ministres, régler leur départ, etc., sans que
l'affaire pût rencontrer de plus grandes difficultés. Pour ce qui regarde
le traité de commerce, vous comprenez que. Mettra n'étant arrivé
qu'hier, il m'est impossible de vous envoyer aujourd'hui tout le projet;
mais comme je ne suis pas chicaneur de mon métier et que mes
demandes ne sont ni outrées ni injustes, je ne crois pas que l'exécution
pourra rencontrer de grandes difficultés. En gros, cela roulera de notre
part sur l'échange des bois, des toiles et certaines étoffes de laine
contre des vins de France et l'eau-de-vie...
Le roi avait ajouté un post-scriptum :
« Les pleins pouvoirs seront envoyés de notre part immédia-
tement après l'arrivée de la relation, pour que cela n'ait pas un air
précipité, rien ne convenant moins en politique que de se jeter en hâte
à la tête de ceux dont on veut se rapprocher. La France ne doit pas
s'étonner que j'aie cette délicatesse ; les événements m'ont mis dans une
situation qui m'empêche d'en faire davantage. >
Frédéric, on le voit, veut s'entourer jusqu'au dernier moment de
toutes les précautions. Il va jusqu'à faire répéter à Mény par son
secrétaire de cabinet, M. de Galster, d'avoir bien soin de ne mettre
sous les yeux du duc de Ghoiseul que celle de ses lettres qui fût
ostensible, encore devait-il la montrer « comme par inadvertance. »
LA FRANCE KT LA PRUSSE (n63-4769). 79
Et M. de Galster ajoute : « Vous cacherez qu'un exprès vous â été dépê-
ché. » Mais le point qui préoccupe avant tout Frédéric, c'est ce rapport
détaillé qu'il attend de M. de Thulemeyer et dans lequel se trouvera
reproduit l'entretien où M. de Breteuil aura déclaré devant le ministre
prussien à Tambassadeur d'Espagne que son souverain est disposé à
rentrer en correspondance avec le roi de Prusse. Frédéric exige cette
dépêche dont il compte se servir pour répondre plus tard à ceux qui
pourraient lui reprocher d'avoir pris l'initiative dans la question du
rapprochement avec la cour de Versailles.
Une procédure aussi compliquée, l'interposition d'un tiers, tout
cet appareil destiné à laisser à M. le baron de Breteuil la responsa-
bilité apparente des premières démarches révélait bien la pensée
de Frédéric. Choiseul déclina l'expédient. La présence de l'ambas-
sadeur d'Espagne dans cette affaire ne lui parut pas acceptable;
mais , allant droit au but, il déclara que M. de Breteuil recevrait
l'ordre de faire lui-même à M. de Thulemeyer une ouverture qui
permit à l'envoyé prussien de rédiger son rapport.
La négociation s'engagea dans ces conditions à la grande satisfac-
tion de Frédéric. Voici ce qu'il écrivait à Mény, le ^0 août n68 :
Ce n'est pas vanité bourgeoise qui nous a fait exiger ces pourparlers
de la part du ministre de France. Cette démarche nous était nécessaire
vis-à-vis de nos alliés. Les pleins pouvoirs et tout le reste seront aussitôt
expédiés de notre part, et je no prescrirai pas à la cour de France qui-
conque elle voudra nommer ministre à ma cour, me confiant dans le
bon choix qu*elle fera, et je suis sûr que ce sera une personne qui
n'aura point l'esprit tracassier et difficile. Pour moi, disait Frédéric en
terminant, j'ai fait choix du colonel baron de Goltz, qui est un homme
sage, réservé, et qui a déjà donné des preuves de sa capacité dans
d'autres pays où il a été envoyé.
Si avancés que fussent les pourparlers entamés à la Haye entre
MM. de Breteuil et de Thulemeyer, et bien que Frédéric eût déjà
prononcé le nom de son futur ministre en France, on voit reparaître
ses susceptibilités. A un moment, il se fâche, parce qu'il a appris
qu'on est informé en Angleterre de la négociation ouverte entre Berlin
et Versailles : « Je ne sais pas comment cela s'est fait, écrit-il à
Mény, mais je sais bien que ce n'est pas d'ici qu'on a pu l'ap-
prendre. Je soupçonne que là où vous êtes on n'a pas mis assez de
circonspection dans cette affaire. » Et, comme s'il eût voulu adoucir
la rudesse de cette observation et réveiller le zèle de Mény, le roi
ayoute de sa main au bas de la lettre : a Nous voici au dénouement
de la pièce ; nous verrons incessamment si le sieur Mény est un
80 1I1ÎUR6ES ET DOGUMEIfTS.
maladroit ou un des célèbres agents que la politique ait employés
dans ses opérations. »
A la fin d'octobre 4768, on était tombé d'accord sur le choix des
ministres. C'était, pour la France, le comte de Guines, favorablement
connu de Frédéric ^ Ce nom fut bien accueilli à Berlin. Quoique la
nomination de Guines ne fût point encore définitive, Mény, qui pour
sa part n'en pouvait plus douter, fit remarquer au duc de Choiseul
qu'il serait à désirer que son envoyé se rendit à Berlin, de manière à
voir le roi pendant son séjour dans ia capitale et à entamer direc-
tement la négociation dont il serait chargé. Frédéric venait de
Postdam à Berlin chaque année vers le 20 décembre. Il n'était point
d'usage que les ministres étrangers allassent à Postdam sans y être
demandés. Mény, dans son zèle, comptait sans les difficultés' qui
se présentèrent au dernier moment et retardèrent encore l'événe-
ment si impatiemment attendu.
Voici dans quels termes le baron de Breteuil rend compte à Choi-
seul, le 25 octobre 4768, de cet incident :
J'ai dit au ministre de Prusse, écrit M. de Breteuil, ce que vous
m'avez ordonné de lui annoncer sur la nomination de M. le comte
de Guines en qualité de ministre plénipotentiaire de S. M. auprès
du roi de Prusse, sur Tépoque de son départ, sur la satisfaction que le
roi ressent du parfait rétablissement de la correspondance avec Berlin.
M. de Thulemeyer m'a répondu sur tout cela dans les termes les plus
convenables. Je lui ai ensuite proposé de publier, chacun de notre côté,
la nomination respective des ministres de nos maîtres, mais j'ai eu lieu
d'être surpris, lorsque M. de Thulemeyer m'a dit qu'il ne pouvait se
prêter à cette démarche authentique, qu'au préalable nous n'eussions
signé un acte par lequel il serait dit que les deux cours étaient conve-
nues de s'envoyer réciproquement des ministres et nous avaient auto-
risés à rendre public leur choix. J'ai fait remarquer à M. de Thule-
meyer que cette proposition de sa part avait d'autant plus droit de me
surprendre, que non seulement il n'avait jamais été question entre
nous de la nécessité de cet acte, mais qu'il ne m'avait jamais môme
témoigné que son maître le désirait, lorsqu'il y a dix jours il m'a pro-
posé de rendre publique la nomination des ministres de nos deux
cours, et que je n'avais été arrêté dans cette démarche que par l'igno-
rance où j'étais alors du choix du roi. Je lui ai dit que, n'ayant pu pré-
voir cet incident, je n'avais aucun ordre qui y fût relatif, et que je ne
1. Le comte de Guines était allé à Berlin, en 1766, pour assister aux
manœuvres de l'armée prussienne. Il n'est pas vraisemblable que sa mission
fût exclusivement militaire ; mais il n'y est fait aucune allusion dans les doco-
ments analysés ci-dessus.
LA FRANCE ET LA PRUSSE (4763H769). 8^
pouvais remplir ses vues, sans que vous eussiez eu la bonté de me
faire connaître les intentions du roi à cet égard. M. de Thulemeyer
s'est excusé de ne m'avoir pas parlé de Tordre qu'il avait de signer cet
acte avant de rendre public notre rapprochement : 1* sur ce qu'il
n'avait pas douté que ce préliminaire ne fût convenu entre les deux
cours; 2o qu'il n'avait eu ordre d'y insister absolument que par la der-
nière poste. J'ai représenté à M. de Thulemeyer l'inutilité de cet écrit.
Je lui ai fait sentir qu'il paraîtrait annoncer une méfiance peu conve-
nable au principe des deux cours, et je ne lui ai pas caché qu'elle serait
aussi peu conforme à l'empressement que le roi de Prusse nous a
témoigné qu'à celui avec lequel nous y avons répondu. J'ai marqué au
ministre prussien le regret que j'avais que cette formalité inattendue
retardât le plaisir que je savais que le roi et son ministre se faisaient de
penser que notre correspondance était absolument rétablie. M. de Thu-
lemeyer m'a paru frappé comme moi de tout ce raisonnement; mais il
m'a avoué qu'il ne pouvait s'écarter de la précision de ses ordres sur la
signature dudit acte. Au moyen de quoi, nous sommes convenus de
garder encore le silence sur l'envoi des ministres respectifs, jusqu'à ce
que nous eussions nos dernières instructions sur cet objet. Dans la
suite de la conversation, M. de Thulemeyer m'a dit qu'il savait que le
roi de Prusse avait exigé et observé celte forme d'acte vis-à-vis de l'An-
gleterre après le froid qui a suivi leurs liaisons intimes. Il est vrai, m'a
ajouté M. de Thulemeyer, que le cas était diflérent, car le roi mon
maître se souciait peu de renouveler ses rapports avec l'Angleterre, et
il n'a cédé sur cela qu'aux plus pressantes instances, au lieu qu'il est
très sincèrement occupé et empressé de voir renouer sa corrrespondance
avec la France. J'ai cru devoir plutôt retirer de ce détail confiant et
poli la certitude que le roi de Prusse a ordonné à son ministre de
ne laisser échapper aucune occasion de me montrer combien peu
il tient à l'Angleterre, que d'en inférer qu'il craignait de se trouver
embarrassé vis-à-vis de la cour de Londres, s'il n'observait pas avec
nous la même forme qu'il a suivie avec elle dans un cas pareil. Quoi
qu'il en soit, le roi de Prusse persiste dans le désir de cet inutile préli-
minaire.
Choiseul fit cette dernière concession à Tamour-propre de Fré-
déric et Ton procéda de part et d^autre à la nomination définitive
des ministres. Le comte de Guines venait d'arriver de Corse, où il
exerçait un commandement dans Tarmée, et son départ pour Berlin
ne put s'elTecluer aussi rapidement que Teût souhaité Mény. Il Jut
convenu qu'il se mettrait en route le même jour que le baron de
Goltz, et la date du 2 janvier 4769 fut fixée d'un commun accord.
Les deux envoyés se croisèrent à la Haye le n. « Je suis arrivé ici,
écrit le comte de Guines, à peu près à la même heure que M. de
Goltz. 11 compte y passer quelques jours et ne se rendra à Paris qu'à
Rbv. Histoi\. XXV. i«' FASc. 6
82 mfUNGBS ET DOGUmifTS.
répoque de mon arrivée à Berlin, i Tout était calculé pour que M. de
Goltz ne devançât pas le ministre de France et pour que leur entrée
dans les deux capitales eût lieu autant que possible le même jour.
Frédéric tenait à cette coïncidence, afin qu*on ne pût reprocher à son
représentant d'avoir mis plus d'empressement que celui du roi de
France à se rendre à destination. Le 29, Guines était à Hambourg;
le i*' février, Goltz entrait à Paris; Guines n'arriva à Berlin que
le 2, à quatre heures du matin.
Il ne parait pas, toutefois, que Frédéric ait attaché aucune impor-
tance à cette différence de quelques heures dans l'arrivée des deux
agents à leur poste, et, à Berlin comme à Versailles, on ne songea
qu'à se féliciter d'un rapprochement désiré par les deux cours.
Robert Himmond.
DOCUMENTS SUR LE PREMIER EMPIRE.
(Suite et fin.)
Napoléon savait assez bien à quoi s'en tenir à l'égard de la Prusse,
mais il croyait bon de l'épargner. « Je ne ferai pas la guerre à la
Prusse, dit-il au colonel Krusemarck, parce que j'ai besoin de mes
troupes ailleurs et que je ne veux pas me brouiller avec la Russie * . »
Cependant l'impossibilité de suffire aux exigences des finances aggrava
la situation du gouvernement prussien de jour en jour. L'empereur
demanda péremptoirement le payement des sommes dues en disant :
« Si le roi ne peut pas payer, il n'a qu'à me céder la Silésie^. » Le
ministère prussien n'était pas capable de découvrir d'autre expédient
qu'une cession territoriale. Dans cette crise terrible, le roi Frédéric-
Guillaume voulut recourir aux talents de son ancien serviteur, le
baron de Hardenberg, banni de la cour par ordre de l'empereur. Les
dépèches du comte de Saint-Marsan permettent de croire que l'idée de
la révocation du baron de Hardenberg date déjà de l'année 4809.
J'ai trouvé dans sa correspondance diplomatique les notices qu^on
va lire :
1. Ranke : Hardenberg, /. c, p. 142.
2. Ranke, /. c, p. 145.
DOCTMETrS sut LE PIEMIEB BMPIIB. 83
« Le % juillet 1809... Les bons Prussiens et les personnes sensées,
qui sont malhearensement en petit nombre dans la classe de celles qui
ont de Tinfluence, gémissent de tout ce qui a été fait et dit... Ils pré«
tendent qu'il (le roi) n'est pas satisfait de la composition de son ministère
actuel, J'ai même lieu de croire qu'on a voulu me sonder pour savoir si Sa
Majesté l'Empereur ne désapprouverait pas que M, de Uardenberg reprit le
timon des affaires... •
« Le 4 août 1809... Je ne peux pas douter que Sa Majesté le roi de
Prusse désire replacer le baron de Hardenberg au ministère. Elle
voudrait le nommer président du conseil des iinances et il serait du fait
premier ministre ; mais ce projet, qui existe à Tinsu du ministère,
n'aura lieu qu'en tant que le roi pourrait croire que Sa Majesté l'empe-
reur ne le désapprouverait pas, et le baron de Hardenberg, de son côté,
ne s'y prêterait pas sans cette persuasion... i
Le 11 novembre 1809, Saint-Marsan parle de Taclivité des amis de
Hardenberg :
c Us dirent (ils sont sans doute chargés de me dire) que cet ancien
ministre... a dit à ses amis que, s'il reprend le timon des affaires, il ferait
tous ses efforts pour obtenir de Sa Majesté l'empereur et roi d'admettre
le roi de Prusse dans la confédération du Rhin, i
Le 14 février 4810, il rend compte d'une conversation qu'il a eue
avec le roi :
... Sa Majesté a continué en disant : c Je me trouve aussi à peu près
sans coopérateurs pour mon travail intérieur, car mes ministres sont
en général de très honnêtes gens, mais de bons buralistes et rien do
plus, aucun n'a des vues, aucun n'a ni assez ma confiance ni celle du
public pour agir convenablement dans les moments actuels et pour
diriger l'opinion publique. Ce sont tous des gens nouveaux pour les
afTaires en grand, tous mes anciens ministres sont hors d'activité, les
uns par leur faute et les autres par les circonstances qui ne permettent
plus qu'ils prennent part aux affaires. J'avoue que celui que je regrette
le plus, parce que je suis intimement convaincu, malgré tout ce qui
s'est passé, qu'il est véritablement pénétré de la vérité que le seul inté-
rêt de la Prusse est l'union intime avec la France, c'est le baron de
Hardenberg, c'est un homme d'esprit, qui a la confiance générale, il
ranimerait le crédit et aiderait plus qu'aucun autre à rétablir mes
affaires. Certainement, je ne penserai jamais m'en servir de la manière
la plus indirecte tant que je ne serai pas assuré que les impressions
fâcheuses que Sa Majesté a reçues sur son compte ne sont pas dissipées
et lui-même, je puis dire qu'il me fait crainte de me compromettre.
Mais je vous serai très reconnaissant, M. le comte, de faire connaître à
votre auguste souverain ce que je viens de vous en dire. J'espère que
l'Empereur n'y verra qu'une marque d'entière confiance ; je sais qu'il a
permis qu'on donnât des passeports au baron de Hardenberg [>our les
84 uéLAnOES ET DOCUMBPTTS.
pays occupés par les troupes françaises, j*ai lu dans des journaux fran-
çais des éloges de son administration dans les pays qui ont été de son
département, et au surplus, si Sa Majesté impériale s'inclinait à appro-
fondir les sentiments du baron de Hardenberg, je verrais avec le plus
grand plaisir qu'Ëlle lui permît d'aller à Paris en simple voyageur,
qu'elle daignât l'entendre, et ensuite, si Elle l'approuvait, sans le placer
aux affaires étrangères, je le nommerais président du conseil où toutes
les affaires se discutent et je me croirais sûr alors que la ligne de con-
duite que je me suis tracée serait exactement suivie dans tous les
dicastères... i
Je n'ai pas à raconter, d'après les dépêches du comte de Saint-
Marsan, rhlstoire de la révocation de Hardenberg et des commence-
ments de son administration en iSiO, On y trouverait cependant des
traits caractéristiques qui compléteraient le récit de Ranke. Celui-ci
a publié (/. c, p. ^57) un fragment de la lettre adressée par Harden-
berg au comte de Saint-Marsan. Qu'il me soit permis de l'insérer
ici in -extenso jd'après Toriginal (sans signature) conservé aux
archives des affaires étrangères. Le comte rapporte le 8 mai 4840 :
c ... M. de Hardenberg... m'a fait dire hier au soir qu'il aurait désiré
m'entretenir un moment et me remettre lui-même une lettre qu'il
m'écrirait sur sa position personnelle ; je l'ai rencontré dans une maison
hier, il m'a remis la petite note que je joins ici en original et sa com-
munication n'a roulé que sur l'objet qu'elle contient... i
Voici la note de Hardenberg du 5 mai 4840 :
« Lorsque vous eûtes la bonté de me donner mes passeports, M. le
comte, j'eus l'honneur de vous entretenir sur les événements qui m'ont
attiré le mécontentement de S. M. l'Empereur Napoléon en 1805, sur la
manière dont il fut manifesté lors du traité de Vienne et depuis lors
des négociations de Tilsit, sur la conduite enfin que j'ai cru de mon
devoir d'adopter en conséquence. Vous n'ignorez pas que je me suis
tenu entièrement à l'écart de tout ce qui concerne les affaires et qu'à
l'époque de l'arrivée du roi, je me suis éloigné afin d'éviter tout contact
et l'occasion d'y être mêlé. Maintenant vous avez sans doute connais-
sance aussi des discussions qui viennent de me forcer à quitter ce rôle
entièrement passif, le Roy m'ayant demandé, quoique je fusse absent,
mon avis sur les questions des finances et sur différents plans agités pour
satisfaire à ses obligations vis-à-vis de la France. Le moyen de m'y
refuser sans blesser mes devoirs envers mon souverain et les sentiments
qui m'attachent à tant de titres à son auguste personne ? Me voilà donc
occupé à m'informer de tout pour pouvoir donner mon avis avec con-
naissance de cause. Mais le puis-je sans craindre que cela ne fasse sur
l'esprit de S. M. Impériale une impression nuisible ? Je serais à jamais
DOcmnLTTS srft le peemiek emphe. 85
inconsolable si ma concarrence pourrait servir à augmenter les griefs
qu'EUe a contre le roi, et mes appréhensions s'accroissent par le silence
qui a suivi les ouvertures que le roi vous a chargé de faire de sa |>art
sur son désir de me replacer à la tète des affaires, démarche faite entiè-
rement à mon insu et que je n*ai apprise qu'à mon retour.
• Ces considérations étant de la plus grande importauceje suis d'autant
plus reconnaissant de ce que vous avez bien voulu m'accorder un entre-
tien, M. le comte. J'ose vous demander conseil avec confiance, et per-
suadé comme je le suis que toute espèce d'influence que je pourrais
exercer dans les affaires n'entraînerait que des malheurs pour la Prusse
dès qu'elle déplairait à S. M. l'Empereur et Roi, je vous prie de m'éclai-
rer, s'il vous est possible, sur cet objet et de prendre môme à la source
des informations, s'il en est besoin. Les intentions de 8. M. Impériale
et Royale régleront absolument ma conduite. Mon inclination me porte
vers le repos et la retraite, mais mon devoir m'appelle à vouer mon exis-
tence au Roi et à l'État du moment oùje puis devenir utile dans la position
critique où nous nous trouvons. Il me paraît absolument impossible
qu'aucun homme sensé et bien pensant, quelle qu'ait été son opinion
antérieure, puisse vouloir faire adopter à la Prusse tout autre système
que celui de s'attacher de bonne foi à celui de l'Empereur et de n'attendre
son salut que de lui. Je ne m'étendrai donc point sur ma profession de
foi politique, satisfaire à nos obligations et mériter la conGance de H. M.
Impériale et Royale pour ma conduite franche, loyale et conséquente,
qui resserrera les liens malheureusement encore trop relâchés entre la
France et la Prusse, voilà les bases sur lesquelles nous devons sans
contredit rétablir notre édifice, voilà à quoi doivent tendre tous nos
soins. Rien ne sera négligé pour remplir nos engagements, tous les
moyens imaginables vont être employés avec zèle pour atteindre ce but.
L#e Roi se propose de consulter sur cet objet les meilleures tètes des
provinces et grandes villes de la monarchie. Ha Majesté voudrait me
charger de présider à cette convocation qui cherchera dans nos dernièreg
ressources les moyens de satisfaire 8. M. Impériale et Royale, et
dont les membres, de retour chez eux, faciliteront, en opérant sur
l'opinion publique, les sacrifices qu'exige l'acquittement de notre dette
à la France.
• Mais oserai-je me charger même de ce rôle sans agir contre les inten-
tions de l'Empereur? Ce ne sera qu'après en avoir acquis la certitude
que je pourrai m'y vouer avec l'espoir de faire au moins quelque chose
pour le système salutaire dont je viens parler, quoique sans doute je
répondrais bien mieux du succès si le roi pourrait me remettre publi-
quement à la tête des affaires en me munissant de l'autorité nécessaire.
Je n'ai pas besoin de faire observer à un homme aussi éclairé que voas,
M. le comte, la grande différence qu'il y a d'un conseil donné ou d'une
concurrence pour tel ou tel objet, à la faculté de tenir œn^tamment la
main et de veiller à l'exécution scrupuietise et ainséqnente d'an système
adopté. Je n'ai pas besoin de détailler les incooTénients qui doivent
86 MéUNGBS ET DOGUMENTS.
naître d'une influence sans responsabilité publique et sans pouvoir qui,
en môme temps, rendrait ma position intiniment pénible.
c Que S. M. Impériale daigne [se] prononcer sur la part que je pourrai
prendre aux affaires. Ce sera donner au roi une preuve essentielle du
retour de sa confiance et de ses bontés ! Il se conformera aux hautes
intentions de l'Empereur et d'après celles-ci, ou bien je me renfermerai
dans la retraite ou je travaillerai avec ardeur à rétablir sur des fonde-
ments solides ce système dont dépendent la guérison. des profondes
playes de la Prusse et son existence future. »
La décision de Tempereur ne se fit pas attendre. Le comte de Saint-
Marsan reçut rinstruction suivante :
a Sa Majesté vous laisse la faculté d'approuver la rentrée de M. le
baron de Hardenberg au ministère si, après avoir mûrement examiné
la position actuelle des choses, vous jugez que la présence de ce minis-
tère dans les conseils du roi puisse être utile aux intérêts de l'Empire, i
Hardenberg rentra au ministère et il se hâta de faire parvenir à
l'empereur une lettre conservée en original aux archives des affaires
étrangères :
« Sire,
c Votre Majesté Impériale et Royale a honoré ma rentrée au service du
Roi, mon auguste souverain, de son approbation. Qu'elle daigne rece-
voir avec bonté l'hommage respectueux du sentiment que j'en éprouve !
Intimement convaincu que la Prusse ne peut être régénérée et n'assurer
son intégrité et son bonheur futur qu'en suivant loyalement votre sys-
tème. Sire, heureux de ne remplir les intentions du Roi qu'en m'appli-
quant de tous mes moyens à gérer les affaires dans ce sens, ce sera pour
moi le comble de la gloire de mériter par là le suffrage de Votre Majesté
Impériale et Royale et sa haute confiance.
« Je suis, avec le plus profond respect de Votre Majesté Impériale et
Royale, le plus humble et le plus obéissant serviteur,
c Le baron de Haroenberq,
c Chancelier d'État de Sa Majesté le Roi de Prusse.
t A Berlin, le 7« de juin 1810. •
U serait superflu, après tout ce que Duncker et Ranke en ont dit,
de suivre ici les péripéties de la politique extérieure de la Prusse,
depuis le moment de la rentrée du baron de Hardenberg jusqu'à la
conclusion du traité du 24 février 4842. Je me borne à détacher des
très nombreux documents conservés aux archives des affaires étran-
gères, à Paris, les trois suivants qui me semblent offrir un intérêt
particulier :
DOGUMETTS SUft LE PREMtER EMPIRE. 87
Instructions générales pour M. le comte de Saint^Marsan,
(Minute.)
22 octobre 1811.
Lorsqu'à Tilsitt 8a Majesté rendit à la Prusse ses États et presque
toutes ses places, Elle fut déterminée par cette considération que,
déchue désormais et pour toujours du rang de puissance de premier
ordre, la Prusse n'aurait à l'avenir d'autres intérêts que ceux de la
France, ne se bercerait plus d'espérances qui ne devaient se réaliser
jamais et substituerait aux illusions de la grandeur et à l'orgueil des
grandes armées le désir de rendre son peuple heureux et de jouir, à la
tête des monarchies de second ordre, de la sécurité et de l'indépendance
que lui assurerait une politique sage, sans ambition et conforme à ses
nouvelles destinées.
Tel paraissait être, en effet, depuis quelques années, le système de la
Prusse. Nous l'avons vue exclusivement livrée aux soins de son gouver-
nement intérieur, chercher avec persévérance à fonder la prospérité
publique sur le crédit, l'ordre et l'économie, et n'ambitionner que ces
conquêtes paisibles que les États secondaires peuvent entreprendre avec
succès et sans danger, parce qu'elles n'excitent ni jalousie ni haine et
qui sont le fruit assuré d'une bonne administration.
Elle n'avait point à craindre d'être détournée par la France d'un but
si digne de l'approbation de Sa Majesté.
Les incertitudes qui se sont élevées tout à coup sur le maintien de
la paix du continent Tont conduite à reporter ses regards sur sa situa-
tion politique. Placée entre deux grands empires qui réunissaient de
nombreuses armées à la proximité de ses frontières, elle a senti qu'elle
ne pouvait conserver son existence qu'en cherchant dans l'alliance de
Tune de ces puissances la garantie et la protection qu'elle ne trouvait
pas en elle-même.
Elle a alors tourné ses espérances vers la France : Sa Majesté, dis-
posée à se rendre à ses vœux, autorise son ministre plénipotentiaire
près la cour de Berlin à entrer à cet effet en négociation.
Cette négociation aura-t-elle pour objet l'accession de la Prusse à la
confédération du Rhin ou la conclusion d'une alliance offensive et
défensive ?
Cette question est la première qui se présente à l'examen.
L'accession de la Prusse à la confédération du Rhin la mettrait, à
l'égard de la France, dans des relations parfaitement d'accord avec sa
situation réelle. Elle serait ainsi naturellement placée dans la catégorie
des puissances secondaires qui trouvent dans la protection de la France
le complément de force dont elles ont besoin pour maintenir leur indé-
pendance contre les efforts des puissances du premier ordre qui pour-
raient la menacer. Son existence serait garantie par le lien fédéral qui,
en imposant à la France les obhgations de puissance protectrice, lui
S8 MéUNGBS BT DOCUHEIVTS.
donnerait en même temps le droit d'intei'venir dans les affaires inté-
rieures de la Prusse, droit que Sa Majesté n'a pas voulu exercer jusqu'à
ce jour, mais qui n'en tient pas moins à l'essence de la confédération
môme. On croit avoir lieu de penser que cette manière de s'unir étroi-
tement à la France n'est pas étrangère aux désirs de la Prusse, et cet
objet est le premier sur lequel il y a lieu de s'entendre dans la négo-
ciation à ouvrir.
Mais, soit que l'alliance entre la Prusse et la France doive résulter
d'un acte d'accession à la confédération ou d'un traité d'alliance offen-
sive et défensive qui produirait les mômes effets pour la Prusse, sans
donner à l'empereur le droit de se môler de ses affaires intérieures,
l'alliance, sous quelque forme qu'elle existe, serait-elle dans l'intérêt de
la France ? serait-elle dans l'intérêt de la Prusse ? L'examen de cette
double question est essentiel, puisqu'il ne peut y avoir d'engagements
durables entre deux États que lorsqu'ils sont cimentés par des intérêts
réciproques.
La France, dans l'état actuel de sa puissance, de ses relations poli-
tiques, de l'établissement de ses forces militaires, est bien loin sans doute
d'attacher à l'alliance un intérêt de même nature que celui de la Prusse,
qui est un intérêt de conservation. La question serait donc posée d'une
manière plus exacte relativement à la France si elle l'était dans ces
termes : f La France a-t-elie intérêt à ne point s'engager dans une
c alliance dont le principal but serait d'assurer et de garantir Texis-
« tence de la Prusse? »
La France n'a aucun intérêt à ce qu'une autre maison que celle de
Hohenzollern règne en Prusse, si celle-ci prend avec sincérité pour
base de son système politique de ne rien faire qui soit contraire à la
France. S'il en était autrement, la France n'aurait aucun motif pour
s'allier avec la maison d'Hohenzollern et cette alliance serait sans
garantie pour la Prusse, puisque la France, qui l'aurait contractée sans
intérêt^ n'aurait point d'intérêt à la maintenir.
Si, au contraire, les ports de la Prusse sont fermés, si le système
continental y est établi, observé comme en France, si l'alliance a pour
la France, en cas de guerre avec l'Angleterre, le même résultat que si
les côtes de la Prusse lui appartenaient, la France n'aura aucune raison
pour désirer que ces cêtes n'appartiennent pas à la maison de Hohen-
zollern.
Si, en cas de guerre contre une puissance du continent, les armées
françaises peuvent traverser les états de la Prusse avec une entière
sécurité, si elles y trouvent pour leurs opérations, pour leur subsistance
des ressources dont on n'userait toutefois qu'avec ménagement, si le
système solidement établi en Prusse offre à la France les mêmes
résultats que si le pays lui appartenait, elle n'aura aucune raison pour
désirer que le pays n'appartienne pas à la maison de Hohenzollern.
Elle aura, au contraire, intérêt à ce que la monarchie prussienne
soit maintenue telle qu'elle existe et à s'engager dans une alliance
DOCUMENTS SUR LE PREMIER EMPIRE. 89
dont le principal but serait d'assurer et dç garantir l'existence de la
Prusse.
Voyons maintenant quel sera l'intérêt de la Prusse.
Lorsque la France aura la guerre avec l'Angleterre, l'intérêt de la
Prusse sera de rester neutre et même d'être amie avec l'Angleterre.
En cas de guerre entre la France et la Russie, la Prusse aura intérêt
à rester neutre et à ce que son territoire soit inviolable.
Dans ces deux suppositions, la Prusse a donc un intérêt opposé à une
alliance offensive contre l'Angleterre et la Russie.
Mais ni dans l'une ni dans l'autre de ces deux suppositions elle ne
peut agir selon le sens de son intérêt absolu : elle ne peut rester
neutre.
Si la France a la guerre avec l'Angleterre, le système continental doit
être établi sur les ports et sur les côtes de la Prusse par la Prusse ou
par la France.
Si la guerre a lieu entre la France et la Russie, la situation du terri-
toire de la Prusse est telle qu'elle ne peut éviter d'y prendre part. Les
deux armées ne peuvent s'atteindre que sur son territoire ou après
l'avoir traversé. Elle ne tenterait pas d'arrêter la marche de toutes les
deux, elle ne pourrait s'opposer à l'une qu'en s'unissant à l'autre. La
Saxe, la Poméranie, le Mecklembourg, le duché de Varsovie, le pays
de Danzig la laissent sans frontière. Il lui est impossible de se défendre
en deçà ou au-delà de l'Oder, et même en deçà ou au-delà de la Vis-
tule, sans appeler un secours auxiliaire.
La question n'est donc pas de savoir si la. Prusse doit vouloir rester
neutre, ce serait son intérêt, mais si, ne pouvant rester neutre, elle
prendra parti pout la France ou pour la Russie.
Or, cette question ne paraît pas douteuse au ministère de Berlin ;
elle ne l'est pas même pour la Russie, elle ne peut l'être pour aucune
puissance.
En effet, au premier coup de canon, si la Prusse est l'alliée de la
Russie, ou l'armée prussienne doit passer la Yistule, laissant des corps
isolés à Golberg et en Silésie, et abandonnant dès lors les cinq sixièmes
de la monarchie à la France, ou elle doit appeler une armée russe au
camp de Spandau et fixer le théâtre de la guerre aux portes de la
capitale.
L'abandon des cinq sixièmes de la monarchie sans combat serait sans
doute un immense malheur. Mais tenter la lutte pour défendre Berlin
serait un malheur plus grand, et cette dernière supposition, l'opinion
de la Prusse même la repousse. Elle ne repousserait pas la première
avec moins d'effroi. Les peuples humiliés et mécontents méconnaî-
traient un gouvernement qui les aurait sacrifiés à son imprévoyance
ou à ses passions. Ils l'accuseraient d'ingratitude, et, se voyant après
quatre ans exposés aux mêmes désastres, tous leurs liens avec lui
seraient rompus, et la France obtiendrait de la fausse politique de la
90 M^LiRGES ET DOCUMENTS.
Prusse le résultat immense de ne plus compter d^ennemis entre la Vis-
tule et le Rhin.
Il n'est donc pas de Tintérêt de la Prusse de s'unir, en cas de guerre,
à la Russie. Nous disons plus, il n'est pas même de l'intérêt soit poli-
tique, soit militaire de la Russie de faire cause commune avec la
Prusse. Sous le point de vue politique, la Prusse est un état intermé-
diaire dont l'existence et la conservation importent essentiellement aux
intérêts à venir de la Russie. Cette vérité n'a besoin que d'être exprimée
pour être démontrée. Or, rien ne pourrait compromettre davantage
l'existence de la Prusse que son alliance avec la Russie. Sous le point
militaire, la Russie, engagée par une alliance à faire entrer dans ses
combinaisons les intérêts de son allié, ne pourrait se dispenser de com-
prendre le territoire de la Prusse dans son système de guerre. Or, il
n'est aucun militaire en Europe qui no soit persuadé que, la France
disposant de Dantzig et du duché de \^arsovie, la Russie seule se
trouvera plus forte sur un champ de bataille derrière le Niémen,
qu'elle ne le serait sur la gauche de l'Oder réunie aux troupes prus-
siennes.
Après avoir ainsi établi que la Prusse a intérêt à s'allier avec la
France et que la France n'a point d'intérêt contraire à cette alliance, il
reste à examiner quels avantages la France pourrait en retirer dans le
cas très hypothétique où la guerre viendrait à éclater entre elle et la
Russie.
L'alliance de la Prusse avec la France est utile à la France si la
Prusse est sincère et si, dans la supposition de la guerre, elle assure
à la France le concours et les avantages d'un pays ami et d'un allié
fidèle.
La Prusse fournira 20,000 hommes et son alliance dispensera la
France de laisser 20,000 hommes en Silésie : 15,000 sur Colberg et
5,000 sur Graudentz. A la vérité, 20,000 Prussiens ne vaudraient que
10,000 Saxons. Ils auront autant de discipline, de courage et d'honneur,
mais on ne peut espérer que, dès la première campagne, ils soient animés
du même esprit. Les 40,000 hommes qu'il aurait fallu laisser en Silésie
et devant les places ne seraient pas du nombre do ceux sur lesquels la
force de l'armée française est fondée et que l'empereur mettrait en
ligne contre les Russes. Enfin la confiance ne sera pas telle qu'on ne
soit obligé, pendant quelque temps, d'avoir un corps sur l'Elbe pour
observer les corps prussiens qui seront restés devant Colberg et en
Silésie ; cette partie des avantages de l'alliance est affaiblie sans doute
par ces considérations, mais elle offrira toujours à la France une aug-
mentation de force réelle qui mérite d'être mise en ligne de compte.
Ce n'est pas que l'alliance avec la Prusse n'ait aussi ses désavan-
tages. On renoncerait, en cas de guerre, aux immenses ressources que
la Silésie pourrait offrir à l'armée et la France laisserait échapper l'oc-
casion d'organiser pour jamais un état ami, fidèle et allié nécessaire
sur le territoire dont elle deviendrait maîtresse et sur les ruines d'une
DOCrXEXTS set LE PlKMIBl EHPIIE. 91
monarchie qni s'est montrée si fréquemment disposée à faire cause
commune avec nos principaux ennemis.
Cette comparaison des avantages et des désavantages de Talliance ne
laisse pas l'esprit sans incertitude.
Cependant, après de profondes réflexions, on croit pouvoir regarder
comme constant :
i* Qu'il serait de l'intérêt de la Prusse d'être neutre, mais qu'elle ne
peut pas Tètre ;
2* Que, se trouvant dans la nécessité de s'allier à une puissance,
elle doit s'allier plutôt à la France qu'à la Russie;
3<> Que, quanta la France, les avantages et les désavantages de ralliance
sont balancés, mais que, cependant, la balance des avantages peut pen-
cher du côté de Talliance si la Prusse agit avec confiance, avec sincé-
rité, avec abandon; si elle n'a en Silésie et devant Colberg que le
nombre de forces strictement nécessaire pour ne donner aucune inquié-
tude à la France et si elle remplit les deux objets importants de placer
ses côtes et son territoire dans la même situation que s'ils apparte-
naient à la France. Une alliance qui ne garantirait pas ces résultats
dans toute l'étendue dont ils sont susceptibles serait inutile, dange-
reuse, contraire aux intérêts de la France et ne pourrait être conclue.
A mesure que les nuances se fortifient ou s'affaiblissent dans Vun ou
l'autre sens, la balance change à l'avantage ou au désavantage do
l'alliance. Si par exemple l'alliance avait lieu sans que la France eût
les places de l'Oder; si les armées françaises ne pouvaient passer à
Berlin et étaient obligées de marcher par des détours; si les réquisi-
tions ne devaient être faites que par les autorités prussiennes qui pour-
raient compromettre le salut de l'armée dans des moments importants;
si les commandants français, sur les lignes d'opération, devaient avoir
sur leurs derrières des corps plus forts que les corps français, il <lovien-
drait alors certain qu'il serait plus avantageux à la Franco d'avoir la
Prusse pour ennemie dans une guerre contre la Russie que de l'avoir
pour alliée à de telles conditions, car il n'y a qu'un imprudent comme
Belle-Isle qui puisse s'aventurer dans un pays sans en occuper les for-
teresses et sous la garantie d'une puissance étrangère.
Mais les places de l'Oder sont dans nos mains et cette difficulté
n'existe point. Graudentz est effacé par Modlin et surtout par Dantzig
et il est indifférent à la France que la Prusse remette cette place ou la
conserve. Ainsi l'occupation des places de l'Oder, qui paraissait si
calamiteuse à la Prusse, est pour elle une circonstance de salut, car il
faudrait qu'elle les remit pour première condition do ralliance ou
qu'elle souscrivit sa ruine en se décidant à la guerre.
Une alliance avec la Prusse n'est donc favorable pour la France
qu'autant que la possession des places de l'Oder donne une entière
sécurité sur les lignes d'opération, qu'à l'exception de la Bilésie et de
Colberg, il n'y a dans tout le pays d'autres troupes que les milices et
que les gouverneurs ont pour instruction de faire tout ce qui est uécet*
92 HéUNGBS ET DOCUMENTS.
saire pour faciliter les opérations de Tannée. Avec ces conditions, les
inconvénients de Talliance disparaissent, elle concilie tous les intérêts
et elle peut produire tous les avantages dont elle est susceptible. C'est
cette alliance que Sa Majesté autorise à négocier et à conclure.
La Prusse étant alliée de la France, ce qui est dans l'intérêt de la
France est dans Tintérôt de la Prusse. Si les corps de Silésie et de Col-
berg sont peu nombreux, si tout seconde l'empereur, il arrivera avec
toutes ses forces et comme un torrent sur le Niémen. La lutte sera
bientôt décidée, la Prusse n*aura supporté qu'un fardeau passager et le
poids de la guerre pèsera tout entier sur le pays conquis.
Si, au contraire, la France est obligée de laisser de gros corps pour
observer la Silésie et Colberg, Tempereur ne fera qu'en deux ou trois
campagnes ce qu'il peut faire en une seule, et la prolongation de la
guerre sera toute au détriment de la Prusse.
La Prusse doit avoir confiance en l'empereur, qui lui a déjà restitué
ses provinces, mais il ne serait pas raisonnable d'exiger de Tempereur
la môme confiance en la Prusse et de vouloir qu'il fût assez imprudent
pour laisser entre ses frontières et son armée des centaines de lieues
d'un pays dont la conduite ne lui serait pas solidement garantie. Il ne
demandera point ce que ferait la Prusse si elle se trouvait dans la
même position qu'en 1740, mais il demande que, pour son propre
intérêt, la Prusse évite tout ce qui pourrait laisser sur ses sentiments
la plus légère incertitude.
Sa Majesté aurait pu détruire la Prusse, elle ne Ta pas voulu. Elle
n'a pas intérêt à le vouloir, si la Prusse ne sort pas de sa position
naturelle. Enfin, elle ne le veut point parce qu'elle veut former un
système qui mette la Prusse au premier rang des puissances de second
ordre. Les avantages de ce système lui sont démontrés, et c'est pour
les obtenir que Sa Majesté, fermant les yeux sur toute autre considé-
ration, consent à l'alliance que la Prusse a désirée.
La Prusse veut-elle être puissance de prenâier ordre? Qu'elle fasse la
guerre, si la guerre lui offre une seule chance pour parvenir à son but!
Veut-elle, dans l'attitude d'une puissance de second ordre, attendre
les avantages que peuvent lui procurer les vicissitudes des choses
humaines ? Qu'elle soit calme et sincère et qu'elle se persuade bien que
si, contre toutes les espérances qu'il est permis de concevoir, la guerre
se déclarait en effet entre la France et la Russie, les circonstances
deviendraient tellement fortes qu'une seule démarche équivoque de la
part de la Prusse donnerait à la question un tout autre aspect. Elle
pourrait forcer la France, pour son propre intérêt et pour le salut de la
guerre, à faire ce qu'elle n'a pas fait et que, dans la situation des
choses telles qu'elles doivent être, elle n'aura jamais ni l'intérêt ni la
volonté de faire.
WNXVE!ITS Sn LE PUDIIIl BXPIIB. 93
Instructions particulières pour M, U comU de Saint-Marsan.
(Minute.)
22 octobre 1811.
Les relations politiques actuelles de la France et de la Prusse sont
établies par le traité de Tilsitt et la convention de Paris.
Traité de Tilsitt (9 juillet 1807).
Art. il. c Jusqu'au jour de l'échange des ratifications du futur traité
c de paix définitive entre la France et TAngleterre, tous les pays de la
c domination de S. M. le Roi de Prusse seront, sans exception, fermés
c à la navigation et au commerce des Anglais. »
c Aucune expédition ne pourra être faite des ports prussiens pour les
c ports britanniques, ni aucun bâtiment venant de l'Angleterre ou do ses
c colonies être reçu dans les dits ports, i
(Articles secrets.) Art. 2. « Sa Majesté le roi de Prusse s'engage à
« faire cause commune avec la France contre l'Angleterre, si, au premier
« décembre, l'Angleterre n a point consenti à conclure la paix à dos
c conditions réciproquement honorables pour les deux nations et con-
• formes aux vrais principes du droit maritime, et alors il sera fait
« une convention spéciale pour régler l'exécution de la stipulation ci-
c dessus. 1
Convention de Paris (8 septembre 1808).
Art. 15. c Sa Majesté l'Empereur et Roi garantit à Sa Majesté le roi
a de Prusse l'intégrité de son territoire moyennant que Sa Majesté le
c Roi de Prusse reste le fidèle allié de la France, i
(Ârt«* secrets.) Art. 5. « En retour de la garantie stipulée dans le
c traité de ce jour et comme condition de l'alliance contractée avec la
€ France, Sa Majesté le Roi de Prusse promet do faire cause commune
c avec Sa Majesté l'Empereur des Français, si la guerre vient à se
c déclarer entre lui et l'Autriche, et, dans ce cas, de mettre à sa dispo-
« sition une division de seize mille hommes, tant infanterie que cava-
c lerie et artillerie. »
La convention spéciale mentionnée par le 2* article secret du traité
de Tilsitt n'a pas été conclue.
Par un acte du 1«' décembre 1807, le roi de Prusse a déclaré t que,
c jusqu'au terme d'un accommodement général et du rétablissement de la
c paix définitive entre les puissances belligérantes, il n'y aura plus
c aucun rapport entre la Prusse et l'Angleterre, i
Il résulte de ces dispositions ci-dessus :
1* Que le roi de Prusse est déjà engagé a se conformer au système
continental ;
2* Que l'intégrité de ses États est déjà garantie ;
3* Que les deux puissances se trouvent déjà en état d'alliance.
Mais la convention spéciale qui devait régler la manière dont la
Prusse ferait cause commune avec la France contre l'Angleterre n'a
94 néUNGBS BT DOCUMBNTS.
point encore été conclue et le cas de l'alliance qui résulte de la convention
du 8 septembre 1808 n'existe plus.
C'est dans cette situation de choses que le roi de Prusse a témoigné
le désir de resserrer d'une manière plus étroite et plus générale ses liens
avec la France ^ Il a proposé une alliance offensive et défensive pour
toutes les guerres qui ne seraient pas étrangères aux intérêts de sa
monarchie et où la France se trouverait engagée soit en Allemagne,
soit sur les confins de la Prusse, et il a présenté, comme pouvant former
les conventions de cette alliance, les propositions suivantes :
1* L'intégrité de l'état actuel des possessions prussiennes serait
garantie ;
2<* 8a Majesté assurerait à la Prusse l'assistance et les secours néces-
saires toutes les fois qu'ils seraient réclamés ;
3** Elle ferait entrer dans l'alliance les membres de la Confédération du
Rhin et le duché de Varsovie ;
A^ La Prusse fournirait un corps de troupes auxiliaires dont la force
serait convenue ;
5<» Les troupes seraient sous le commandement et les ordres d'un offi-
cier supérieur de leur nation et sous les ordres immédiats du comman-
dant en chef de l'armée alliée ;
fio Les troupes françaises qui traverseraient la Prusse marcheraient
par les routes militaires stipulées conformément aux conventions
eidstantes ;
7o Sa Majesté Impériale aurait égard à la réclamation de la restitu-
tion de Glogau qui, aux termes des traités, est en ce moment dans le
cas d'être évacué ;
8* Pour la mise sur pied du corps auxiliaire,' Sa Majesté accorderait
au roi de Prusse une remise proportionnée de la contribution, et sa
cessation entière dès que la guerre éclaterait en effet.
9« L'article de la convention du 8 septembre 1808, qui empêche
l'augmentation de l'armée prussienne, serait révoqué.
10» L'Empereur consentirait à ce qu'une partie de la Silésie voisine
des États autrichiens fût déclarée neutre, pour servir, en cas de néces-
sité, d'asile au soi de Prusse et à sa famille. Sa Majesté s'emploierait à
cet effet partout où il serait besoin.
11" Quant à la participation de la Prusse aux avantages qui résulte-
raient de la guerre, en cas de succès, le Roi s'en remet à la justice et à
l'amitié de l'Empereur.
Sa Majesté est disposée à accéder aux vœux du roi de Prusse pour
l'alliance ; mais elle envisage la question sous un rapport plus étendu,
et elle juge convenable que la négociation à intervenir renouvelle, pour
1. Cf. Ranke : Hardenberg, /. c„ p. 192-194, M. Duncker, l. c, p. 360. La
première communicatioQ du chancelier d'État de Hardenberg vis-à-vis do comte
de Saint-Marsaa datait du 22 mars 1811. V. la dépêche du comte de Saint-
Marsan du 24 mars 1811.
DOCCTMEXTS SUR LE PREMIER EMPIRE. 95
leur donner ane exécution plus complète, les engagements d'une alliance
contre l'Angleterre, non d'une alliance pour la guerre actuelle seulement,
telle qu'elle existait, mais pour toutes les guerres à venir dans lesquelles
TAngleterre aurait pour but de faire prévaloir les principes destructeurs
des droits des neutres et de la souveraineté des puissances du continent,
et renouvellerait ainsi l'injuste entreprise qu'elle soutient aujourd'hui.
Cette alliance doit être le premier objet, l'objet immédiat et ostensible
de la négociation.
La situation actuelle des affaires à Tégard de la Russie permettant
encore à Sa Majesté l'espérance d'éviter la guerre et ses sentiments la
portant à ne pas compromettre cet espoir, elle ne se détermine à entrer
dans les arrangements d'une alliance éventuelle contre la Russie que par
les motifs qui sont déjà connus de son ministre.
La partie de la négociation pour l'alliance contre l'Angleterre doit être
établie sur les principes du système continental. L'obligation de fermer
les ports aux vaisseaux et au commerce anglais sera renouvelée. La
prohibition des marchandises anglaises et des denrées coloniales sera
établie et exécutée avec encore plus d'exactitude et de sévérité qu'elle
ne l'a été jusqu'à ce jour. Il sera particulièrement stipulé que les mar-
chandises anglaises et les denrées coloniales seront repoussées de la
frontière de Russie par une surveillance active et efficace.
Les dispositions relatives à ce premier objet de la négociation n'étaient
pas comprises dans les premières propositions faites par le roi de Prusse ;
mais elles ne peuvent éprouver aucune difficulté, puisqu'elles ne feront
que constater et compléter ce qui existe, et qu'elles constitueront pour
ainsi dire la convention spéciale qui devait être faite pour l'exécution de
l'article 2 des articles secrets du traité de Tilsitt;
Quant au second objet de la négociation, il se rapporte précisément
aux propositions du roi de Prusse, et il pourra donner lieu à quelques
discussions, puisque les intentions de Sa Majesté difl'èrent sur plusieurs
points des propositions du roi. Il convient en conséquence d'entrer dans
des développements plus étendus.
Les conditions désirées par le roi de Prusse se composent de onze
propositions distinctes et telles qu'elles ont été établies ci-dessus.
Les deux premières, qui ont pour objet d'assurer au roi l'intégrité de
ses possessions et l'assistance de Sa Majesté Impériale en cas de besoin,
ne sont susceptibles d'aucune difficulté.
La troisième, par laquelle le roi demande l'accession à l'alliance des
membres de la Confédération, est sans objet, puisque l'alliance, avec
l'Empereur comme protecteur de la Confédération, assurant, en cas de
nécessité, l'emploi de tous les moyens dont il peut disposer, il arriverait
toujours, comme dans la guerre de Russie, si elle doit avoir lieu, que
les membres de la Confédération concourraient à la défense de sa cause
que l'alliance aurait rendue commune. Il sera d'ailleurs facile do faire
sentir à la Prusse que l'alliance de Sa Majesté lui offre une garantie
96 lfâ.lNGB8 ET DOCUMEIITS.
si puissante qu'elle n'a pas besoin de recourir à aucune autre inter-
vention.
La quatrième et la cinquième proposition sont relatives au corps de
troupes auxiliaires qui serait fourni par la Prusse. Elle désirerait que
ce corps fût sous les ordres d'un officier général prussien, qui serait lui-
même sous les ordres du commandant général de l'armée. Ce désir a été
exprimé dans la supposition que Sa Majesté exigerait que le corps auxi-
liaire fût d'une force assez considérable pour exister par lui-même
comme corps et pour faire la guerre dans une situation indépendante.
Sa Majesté, au contraire, pour ménager la Prusse et ne pas l'entraîner
dans des dépenses au-dessus de ses moyens, se contenterait d'un corps
de vingt mille hommes, savoir : douze mille d'infanterie, six mille de
cavalerie et deux mille d'artillerie avec cent pièces de canon. L'emploi
d'un corps aussi faible ne peut être prévu d'avance. Il ne peut donner
lieu à aucun engagement spécial. Il doit pouvoir être employé de la
manière que les différentes circonstances de la guerre feront juger la
plus favorable.
Par la sixième proposition on voudrait que l'armée française ne pût
marcher que par les routes militaires qui ont été stipulées. Cet engage-
ment apporterait des entraves aux combinaisons de la guerre. Les
routes stipulées ne se prêteraient pas à toutes les opérations que les
circonstances pourraient rendre nécessaires. Si la guerre a lieu et si de
nouvelles routes militaires sont indispensables, l'administration de
l'armée prendra, selon les circonstances et d'accord avec l'administration
prussienne, des mesures qui ne peuvent être dans l'intérêt d'une des
deux parties sans être en même temps dans l'intérêt de l'autre.
L'objet de la septième condition est la restitution de Glogau.
Dans la supposition de l'alliance, l'occupation des places par les
troupes françaises ne peut porter aucun ombrage à la Prusse. Dans la
supposition de la guerre, tout ce qui peut être jugé convenable pour le
succès de la guerre et la défense du pays entre dans l'intérêt de la
Prusse. Il doit lui suffire que le but de l'alliance soit atteint. Toute dis-
position de cette nature est toujours déterminée par les opérations et les
circonstances du moment et ne peut former l'objet d'un engagement
pris d'avance.
La huitième et la neuvième proposition ont été faites comme Ta été
la cinquième dans la supposition que le corps auxiliaire de Prusse serait
un corps d'armée.
On conçoit en effet que, dans ce cas, Sa Majesté aurait voulu ajouter
aux moyens de la Prusse en allégeant le poids de ses engagements, mais
Sa Majesté étant portée à ne demander qu'un corps de vingt mille
hommes pour mesurer les services qu'elle attend de la Prusse aux res-
sources de cette puissance et ne demandant réellement qu'une partie de
l'armée que la Prusse entretient aujourd'hui, le nombre d'hommes qui
prendront part à la guerre ne sera pas un nouveau fardeau pour elle et
les moyens dont elle dispose ne seront pas détournés de leur emploi.
DOCUMENTS Sn LE PlEVIEl EMFIEE. 97
La demande de la Prusse est d'ailleurs étrangère à la négociation de
l'alliance et aux avantages que s'en proposent les deux parties dans un
intérêt commun.
Quant à la révocation de l'article de la convention, qui fixe la force do
Tannée prussienne à 42,000 hommes, il est inutile de prendre cette
proposition en considération, parce que letat militaire actuel de la
Prusse suffit pour le moment et qu'on n'exige pas comme condition de
l'alliance qu'elle augmente son armée.
Le roi de Prusse demande que la partie de la Silésie voisine des États
autrichiens soit déclarée neutre pour servir d'asile à lui et à sa famille.
C'est l'objet de la 10« proposition.
On comprend difficilement comment la Silésie pourrait être déclarée
neutre. Il faudrait à cet effet le concours de toutes les puissances belli-
gérantes et on ne peut entrevoir le moyeu de procurer à la Prusse
l'assentiment de la Russie.
Sa Majesté ne fera aucune difficulté de s'engager à ne pas faire entrer
les troupes françaises en Silésie. Elle accède ainsi au désir du roi do
Prusse en ce qui dépend d'elle. Elle ne peut prendre que les engagements
qu'il est en son pouvoir de remplir.
Par sa dernière proposition, le roi s'en remet à la justice et à l'amitié
de l'Empereur sur les avantages qu'il pourrait obtenir si la guerre avait
une heureuse issue. Sa M. I. accepte ce témoignage de la confiance do
son allié.
Cet examen des conditions proposées par la Prusse a non seulement
fait connaître celles qui ne peuvent être admises ou devraient être modi-
fiées, mais on a pu voir déjà sur quelles bases S. M. pense que la
négociation peut être ouverte.
Les deux projets d'articles ci-joints ont été rédigés pour présenter avnc
plus de clarté dans leur ensemble et dans leurs détails les conditions qui
pourraient être admises.
Ces deux pièces consistent :
1« Dans un projet de traité d'alliance générale qui embrasse tous les
cas où Talliance peut avoir lieu ;
2<> Dans un projet de convention pour l'application de l'alliance dans
le cas d'une guerre avec la Russie.
Le projet de traité se compose de plusieurs parties distinctes.
Premièrement. Les conditions générales de l'alliance ofTensive et
défensive (art. i et 2).
Secondement. Les engagements réciproques pour le cas do la guerre
actuelle contre l'Angleterre (art. 3, 4, et 5).
Troisièmement. Les engagements à exécuter dans le cas des guerres
futures contre l'Angleterre (art. 6, 7, 8, 9 et 10).
Les dispositions de ces trois premières parties sont fondées sur des
principes reconnus et déjà établis entre les deux puissances par les
traités antérieurs, et ne peuvent être susceptibles de discussion que
quant à la forme et à la rédaction.
RbV. HlSTOK. XXV. \*' FASC. T
98 MéLANGES ET DOCUMBIfTS.
Quatrièmement. Les stipulations relatives au cas de guerre de Tune
ou l'autre des deux puissances contre rAutriche (art. 11).
Les dispositions de cet article ne diffèrent de celles déjà stipulées par
l'article cinquième des articles secrets de la convention du 8 sep-
tembre 1808 qu'en ce que le contingent à fournir par la Prusse est
porté de 16 à 24,000 hommes.
Cinquièmement. Le renvoi à des conventions spéciales pour l'appli-
cation de Talliance dans le cas de guerre contre la Russie ou contre
toute autre puissance (art. 12).
Sixièmement. La détermination des forces qui seront employées par
Sa Majesté dans tous les cas de Talliance (art. 13), Sa Majesté s'enga-
geant à employer toutes les forces disponibles. Cet article offre un tel
avantage à la Prusse qu'il doit être encore plus que les précédents à
l'abri de toute discussion.
La seconde pièce jointe aux instructions a été rédigée pour l'appli-
cation de l'article 12 du projet de traité au cas de guerre contre la
Russie. Les détails dans lesquels on est entré dans les articles de cette
convention et les instructions soit générales, soit particulières, rendent
tout développement superflu.
Après avoir lu ces instructions avec attention, il ne pourra rester à
M. le comte de Saint-Marsan aucune incertitude sur les intentions de
Sa Majesté.
Si l'empereur consent à une alliance offensive et défensive, c'est sur-
tout pour satisfaire au vœu exprimé avec tant d'instance par le roi de
Prusse. C'est aussi afin de rendre à ce prince la confiance dont il a
besoin pour ne pas se jeter dans de fausses démarches qui entraîne-
raient inévitablement sa perte.
Si Sa Majesté est dans la nécessité de faire la guerre. Elle y suffira
elle-même et Elle n'a pas besoin de l'armée prussienne. Elle ne veut
trouver pour la guerre d'autre avantage dans l'alliance que la sécurité
de ses mouvements dans un pays ami et la facilité de nourrir ses
troupes dans des provinces dont les ressources seront conservées et où
l'administration ne sera point désorganisée, comme cela arriverait
nécessairement dans les premiers moments de la guerre si le pays était
ennemi.
Il faut donc parvenir à désabuser le cabinet prussien de cette manie
militaire qui porterait le roi à transformer tous ses sujets en soldats. Il
doit être facile de faire entendre aux ministres qu'un ordre de choses
qui dispense d'un grand établissement militaire est le seul favorable au
rétablissement du crédit et au succès d'une bonne administration.
Le but de la négociation doit être que la Prusse entre dans l'alliance
avec le moins de troupes possible et qu'elle conserve toutes ses res-
sources afin de pourvoir le plus possible aux besoins de l'armée.
Ce dernier objet obtenu ne sera pas, à la vérité, le seul avantage que
procurera l'alliance, si elle engage le roi de Prusse plus étroitement
que jamais à garantir ses vastes côtes et ses frontières de terres des
DOCUMEIfTS SUR LE PEEMIER EMPIRE. 99
irruptions du commerce anglais. La Prusse est appelée par sa situation
à rendre d'importants services au système continental. C'est sous ce
rapport que son alliance est réellement utile à la France, et cette utilité
qu'on ne peut s'empêcher de reconnaître, et qu'elle reconnaît sans doute
elle-même, doit, autant que l'alliance, dissiper ses craintes sur les dis-
positions de Sa Majesté à son égard.
M. le comte de Saint-Marsan, après avoir reçu ces instructions, fera
connaître au ministre qu'il a les pouvoirs pour traiter et qu'il est prêt
à entrer en négociation. Si les propositions du roi lui sont de nouveau
présentées, il en fera l'objet de ses observations. Il les discutera dans
l'esprit de ses instructions, il développera ensuite successivement les
conditions que Sa Majesté Impériale croit pouvoir accorder. Il portera
dans la discussion beaucoup de formes et d'égards. Il ne précipitera
rien. Il laissera aux ministres prussiens tout le temps de s'expliquer, et,
loin de les presser, il mettra ses soins à favoriser leur lenteur naturelle.
Il rendra compte chaque jour de la situation de la négociation. Lors-
qu'il sera au moment d'arriver à la conclusion, il rédigera les projets
de traité et de convention qui doivent passer plusieurs fois sous les
yeux de Sa Majesté.
Tandis que le gouvernement de la Prusse, cerné par un réseau de
troupes françaises, attendait avec une anxiété bien naturelle le résultat
définitif des négociations entamées, un membre de la noblesse prus-
sienne saisit le moment favorable pour faire parvenir au chancelier
d'État de Hardenberg ses conseils, opposés directement aux intentions
des adversaires patriotiques de la domination française. C'était le
prince de Hatzfeld, jadis gouverneur de Berlin. On sait qu'après
rafTaire de son arrestation et de sa mise en liberté, en 4806, il s'était
rapproché des autorités françaises. Accusé par le gouvernement
prussien à cause de sa conduite antérieure * , l'empereur le mit sous sa
protection en déclarant qu'en attaquant le prince de Hatzfeld on s'atta-
querait à lui-même. Ni le roi ni le chancelier d'État ne lui étaient
&vorabIes, mais ils le chargèrent après la naissance du roi de Rome
de porter à Paris des félicitations officielles. Le comte de Saint-Marsan
ne savait pas assez se louer de sa fidélité. Vers la fin de l'année 4844
il espéra, ses dépêches en font foi, le voir ministre des affaires
étrangères. En transmettant la pièce qu'on va lire^ à Paris, il écrit au
duc de Bassano (le 30 janvier 4842) :
c Le baron de Hardenberg a eu la complaisance de me lire en entier
le rapport que M. de Krusemarck a fait au roi de la longue conversa-
tion que Sa Majesté l'empereur a daigné avoir avec lui'... J'ai pris cette
1. On imputa au prince de Hatzfeld la perte de 20,000 faftils enlevéft par les
Français après roccopation de Berlin en 1806.
2. 17 décembre 1811.
400 MELANGES BT DOCUMBlfTS.
occasion pour lui dire, d'une manière tout à fait confidentielle, que,
pour éviter le risque que Tesprit du roi soit ramené à des craintes per-
nicieuses et à de fausses démarches, il fallait éloigner les intrigants et
placer à la tête des dicastères des hommes fermes et vraiment attachés
à leur pays. Il m'a paru qu'il est déterminé à y travailler. Le prince
d'Hatzfeld lui a donné un mémoire à cet objet, dont Votre Excellence
trouvera copie ci-jointe. Le tableau que le prince y fait est, on peut
dire, d'une grande vérité, à part quelques exagérations qui peuvent
avoir été dictées par la manière de voir du prince qui a été personnel-
lement persécuté par quelques-uns de ces messieurs... Votre Excellence
verra aisément, par ce mémoire même, que le prince Hatzfeld vise au
ministère des affaires étrangères... »
C'est de ce mémoire que parle une lettre de Louis d'Ompteda
adressée au comte de Munster (à Berlin, ce 4" février 4842) ^ :
c En attendant, le parti français prenait toujours plus de consis-
tance, et se croyait si sûr de sa victoire, que le prince Hatzfeld avait
déjà formé une liste de proscription de plusieurs personnes actuellement
dans l'administration. Il l'avait remise au baron de Hardenberg et le
ministre de France en avait aussi pris copie. Le comte Goltz se trouve
parmi les rayés et sa place ne fut pas remplacée par un autre nom. Il
est très probable que le prince Hatzfeld y vise, n'ayant cependant, pour
aspirer à cette place, d'autre mérite que celui d'avoir une fortune très
considérable, et de s'être voué bassement à la France.... »
Voici le mémoire émané de la plume du prince de Hatzfeld. Je
corrige les fautes du copiste qui souvent n*a pas su déchiffrer les noms
propres K Après avoir renvoyé les lecteurs français aux manuels his-
toriques et biographiques, je me dispense d'accompagner la pièce
suivante d'un commentaire spécial :
Copie d'un projet d'organisation intérieure pour la Prusse, après la con^
clusion de Valliance avec la France, donnée au chancelier d'état, baron
de Hardenberg, par le prince de Hatzfeld,
6 janvier 1812.
Nos relations avec la France étant sur le point d'être fixées d'une
manière déterminée et une alliance étroite de système et d'intérêt
devant en être la suite, il me paraît que les personnes employées dans
les places marquantes du gouvernement prussien ne peuvent et ne
doivent se cacher que la perte de la Prusse est inévitable, si après
1 . y. Politischer Nachlass des hannoverschen Staats-und Cabinets Ministers
Ludwig von Ompteda aiu den Jahren 1804 bis 1813, verœ/fentlicht durck
F. von Ompteda. léna, Frommann, 1869, II, 206.
2. Il écrit par exemple Gruhner au lieu de Gruner, cf. la notice biogra-
phique sur Jostoft de Gruner (1777-1820) dans VAllgemeine deutsche Biographie,
T. X.
DOCUMENTS SUB LE PIEMIEE EMPIEE. 401
Talliance signée Ton pouvait une seule fois encore vaciller dans ce sys-
tème adopté par convention et par choix, et qu'il n'y a qu'un abandon
total et lojral, sans regret pour le passé, sans inquiétude pour l'avenir,
qui puisse faire espérer de cette alliance des résultats heureux pour la
Prusse.
Je crois ne pas me tromper lorsque je mets en avant qu'aujourd'hui
Sa Majesté l'Empereur est portée à nous accorder de la confiance, et
qu'elle s'est convaincue que nous pouvons devenir vraiment utiles à
ses intérêts, mais nous ne devons pas nous cacher que, par notre faute
et par les faits précédents, cette confiance n'a pas, à beaucoup près,
encore acquis le degré de consistance auquel il faut tâcher de parvenir,
et que c'est surtout à notre manière d'agir après la signature qui fixera
son opinion à cet égard.
Notre avenir dépend du plus ou moins de confiance que nous obtien-
drons, voilà ma conviction bien prononcée; si nous la gagnons en
entier, si dès ce moment nous sommes ce que nous devons être après
le pas décisif que nous allons faire, les destinées de la Prusse peuvent
encore devenir glorieuses, il n'existe pas un autre moyen de recouvrer
une partie de l'éclat et de la grandeur qui nous environnaient autrefois
et je pense que, là-dessus, tous les gens sensés exempts de passion et
de préjugés ne peuvent avoir qu'une opinion. Cette vérité une fois
établie, il est absolument nécessaire :
1* Que d'abord, après la signature des traités, que tous ceux qui sont
employés dans notre gouvernement, et sur lesquels l'opinion est fixée à
Paris de manière à être connus par leur haine exaspérée contre la
France et pour être membres de la secte fanatique connue sous la
dénomination de frères de la vertu, soient éloignés sans la moindre
exception et sans délai, non seulement de toute influence d'affaires,
mais aussi de Berlin même, où ils ne peuvent qu'être nuisibles sous
tous les rapports.
Cette mesure me parait d'autant plus urgente, que nous devons pré-
voir que, si nous manquions le moment de nous faire un mérite réel de
cette mesure que notre position intérieure réclame tout autant que
notre position extérieure, puisque jamais ces gens ne cesseront de
remuer, la demande nous en serait peut-être faite plus tard comme
absolument nécessaire au système adopté, et qu'alors Sa Majesté le roi
serait compromise.
2« Que dans toutes les places marquantes et influentes dont il faudra
composer le gouvernement prussien, après l'éloignement de ceux-ci, il
n'y en ait plus une seule sur laquelle l'opinion de la France et du
public se soit établie de la manière la moins douteuse, non seulement
quant à leurs opinions politiques, mais aussi quant à la sagesse de
leur conduite dans les factions intérieures.
Ces deux mesures, qui doivent marcher de front, prouveront plus
que toute autre chose à Sa Majesté Impériale que la Prusse a pris son
parti irrévocablement, et elles auront l'avantage de prouver aux fana-
402 MELANGES ET DOGUMEIITS.
tiques de tous les partis que Sa Majesté le roi est déterminée enfin à
faire punir sévèrement tous ceux qui seraient encore tentés d'avoir la
folie de sauver la Prusse à leur manière.
Les personnes en place qui, d'après mon opinion, devraient être éloi-
gnées des affaires et de Berlin sans délai, sont :
Le général Scharnhorst, faisant jusqu'ici les fonctions de ministre
de la guerre, que Topinion publique et générale nomme comme l'un
des chefs de la secte qui a fait tant de mal à ce pays-ci et dont les
ramifications sont déjà connues dans les pays étrangers. M. de Scharn-
horst s'est fait d'ailleurs connaître dans toutes les occasions par un
acharnement sans bornes contre la France, et l'homme d'état qui se
laisse ainsi emporter par la passion est à coup sûr incapable de con-
duire aucune affaire dans notre position actuelle.
Le conseiller (Tétat Sack, sur lequel je ne puis que répéter ce que je
viens de dire de M. de Scharnhorst, et qui déjà, lors de l'occupation fran-
çaise, s'est fait connaître à tous les employés du gouvernement français
d'une manière si désavantageuse que, d'après l'esclandre qui a eu lieu
alors*, je n'ai jamais pu concevoir comment il était possible de le laisser
en évidence et de lui donner la direction d'un département dans lequel
il n'a pas laissé échapper une seule occasion de prouver combien peu il
connaissait les intérêts politiques du roi et de la Prusse.
Le conseiller d'état Gruner, directeur de la police secrète, connu pour
être un membre marquant de la secte et noté pour sa haine contre la
France. Son éloignement est nécessaire puisqu'il faut enfin savoir ce
qui se passe, mettre fin au jacobinisme allemand qui nous tourmente
depuis si longtemps, ce qui est impossible, comme les faits l'ont prouvé,
tant que M. Gruner conservera sa place et qu'on lui permettra d'in-
fluencer impunément l'opinion.
Le colonel Gneisenau, connu pour être un homme de tête et d'esprit,
mais lié intimement avec M. de Scharnhorst et avec tout ce qu'il y a
de plus marquant dans la secte, sectaire lui-même d'après l'opinion
générale, fanatique dans sa haine contre la France et suspect par toutes
ses liaisons. Son éloignement est d'autant plus pressant que c'est le
seul dont le nom est marqué par quelques talents, et que, par là même,
il est plus dangereux que les autres pour l'opinion publique, qui,
aujourd'hui, ne doit pas avoir d'autre direction que celle du gouverne-
ment.
M. de Boyen, aide de camp du roi, créature aveugle de la secte, ne se
donnant pas même la peine de cacher ses opinions et sa haine contre
la France ; il a fait dans les derniers temps tout ce qui était en son pou-
voir (voilà au moins l'opinion générale et publique) pour paralyser les
ordres précis du roi et pour amener des faits qui, par leur nature.
1. Sar le conflit de Sack et de Dam éclaté en 1808, voyez Hassel, L c,
p. 168-171.
DOCDMEPITS SDR LE PREMIER EMPIRE. 403
devaient immanquablement provoquer la ruine et la dissolution de ce
pays.
Le conseiller d'état Stsgemann, placé par M. de Stein, son ami et son
protecteur. 11 en a toujours suivi fidèlement les principes et la marche.
Il s'est rendu suspect par quelques étourderies assez virulentes qui ont
été connues à Paris, et, si môme depuis quelque temps il est devenu
plus prudent, il est vraisemblable au moins que son opinion ne chan-
gera jamais. Sa place, à la vérité, est peu influente, mais, lorsque déjà
on s'occupe à purifier le terrain, il vaut mieux faire la chose en
entier.
Je ne puis pas juger de ses talents, que je n'ai jamais été dans le cas
d'apprécier, mais, à en juger d'après l'opinion publique, je devrais
croire qu'il ne sera pas très difficile de le remplacer.
Plus tard, il y aura bien encore dans l'intérieur plusieurs éloigne-
ments nécessaires à faire, comme, par exemple, les deux directeurs de
police à Francfort-sur-rOder et à Breslau, de môme que le président
Merckel à Breslau, Tun des frondeurs les plus déterminés et les plus
audacieux que nous ayons dans le pays, mais cela s'arrangera bien vite
lorsque la nouvelle organisation intérieure sera fixée et que les chefs
qui seront à la tète des différents départements feront la recherche des
individus qui y sont employés, et lorsqu'enfin, après une connaissance
plus exacte, ils pourront proposer les mesures nécessaires et propres à
éloigner des affaires, môme dans les postes subalternes, tous ceux qui
pourraient encore être influencés par la secte.
J'en viens maintenant à notre organisation intérieure sous le rapport
de l'alliance contractée avec la France et celui des changements néces-
saires pour asseoir un système stable et conservateur, qui fera marcher
la machine stagnante aujourd'hui dans une grande partie de ses détails,
et qui puisse prouver enfin à la nation, toujours invariable dans son atta-
chement pour le souverain et toujours prête aux sacrifices nécessaires,
que, si môme plusieurs anciennes institutions avaient besoin d'une espèce
de régénération, il n'est cependant pas dans la volonté du roi de boule-
verser tout ce qui était bon autrefois, parce que M. de Stein, dans
quelques accès de sa folie, a rêvé un bonheur poétique pour la Prusse,
dont les suites ont été trois fois plus funestes pour elle que tous les
maux réunis de la guerre et toutes les privations qui l'ont suivie. Si la
Prusse doit redevenir heureuse, il faut prouver qu'avec M. de Stein son
système entier a disparu et qu'aujourd'hui les sectaires ou, pour m'ex-
primer d'une manière plus claire, nos jacobins allemands, joueraient un
jeu trop dangereux en saisissant le brandon jeté à l'aventure pour arri-
ver, sous le masque du patriotisme, à un but qui aujourd'hui ne peut
plus être un secret pour personne.
Je n'entrerai point en détail sur les difl'érents défauts que j'ai souvent
entendu reprocher à notre administration intérieure, je crois qu'il y a
tout autant de vrai que d'outré dans ces jugements et je pense que la
\énté est au milieu. D'ailleurs je suis de l'opinion de ceux qui pensent
\0A MISUXGES ET DOCUMBTrS.
que la régénération politique de la Prusse a dû précéder sa régénéra-
tion intérieure, et ce n'est qu'après Talliance que les gens calmes ose-
ront se permettre un jugement.
La grande faute qui paraît exister aujourd'hui, sur laquelle toutes
les voix se réunissent et qui, par sa nature, doit entraver toute la
marche du gouvernement, c'est Taugmentation vraiment incroyable et
disproportionnée des chefs à demi-pouvoir connus sous le nom de con-
seiller d'état intime et conseiller d'état que l'on a placés, avec des
appointements énormes, au moment de notre plus grande détresse
financière, qui, à leur tour, ont fait augmenter d'une manière tout
aussi énorme les employés subalternes, pour la plupart créatures de
leurs opinions politiques et qui, marchant tous d'après leurs idées per-
sonnelles, n'ont presque aucune responsabilité, parce que le chancelier
d'état, baron de Hardenberg, le seul qui puisse les surveiller, est
constamment occupé par des objets plus importants et ne peut impos-
siblement suffire à une besogne qui surpasse les forces humaines.
La Prusse, dès les plus beaux jours de sa gloire, n'avait que cinq
ministres avec le nombre proportionné des subordonnés et tout prospé-
rait ; les temps étaient autres, à la vérité, mais les pouvoirs étaient
fixés, les états financiers de chaque département étaient précis et ne
pouvaient être dépassés ni pour la recette ni pour la dépense, et, si,
alors comme aujourd'hui, il avait existé un chancelier d'état au lieu
des secrétaires du cabinet qui étaient une monstruosité politique depuis
la mort de Frédéric II, je crois que nulle autre organisation n'eût pu
mieux convenir à la Prusse que celle-là. Dans notre position actuelle,
où la force du gouvernement doit être beaucoup plus concentrée, parce
qu'il existe des factions et des fanatiques dangereux qui peuvent nous
perdre par une seule imprudence, dans ce moment où il est urgent que
le système politique du roi soit soutenu par tous les ministres auxquels
il daigne accorder sa confiance, cette organisation est encore la seule
qui nous convienne, la seule qui pourra faire prospérer le système que
nous venons d'adopter, la seule qui puisse donner à tous les actes du gou-
vernement l'énergie dont il a besoin après une longue époque d'impunité
et de désordre. Le chancelier d'état doit être, d'après la nature do son
emploi, le chef et le surveillant de tous les ministres, avec lesquels il doit
discuter et préparer tous les grands intérêts de l'état à soumettre à la
sanction du roi, et ce n'est qu'ainsi que le secret couvrira enfin les opéra-
tions du gouvernement. Mais il me parait que le chancelier d'état ne
devrait point se mêler des détails des différents ministères, il ne faut
point que les subordonnés des départements puissent communiquer avec
le chancelier d'état par un autre canal que celui de leurs chefs , il faut
que les ministres aient un grand pouvoir et une grande responsabilité ;
sans cela, il ne peut exister que confusion et désordre, et sans le pouvoir
nécessaire pour opérer le bien, aucun homme de talent et de tête ne se
résoudra à accepter un ministère quelconque. En un mot, il faut que le
nouveau ministère, que je vais proposer comme une simple idée à moi,
DOCUMENTS SUR LE PREMIEE EMPIRE. ^105
soit composé de gens entièrement dévoués au système que Sa Majesté
le roi va adopter à présent, qu'ils soient personnellement attachés au
chancelier d*Ëtat qu'ils doivent épauler de tout leur pouvoir dans les
mesures concertées, qu'ils aient pour eux l'assentiment de la France
et l'opinion du public, et que surtout leurs possessions dans le
royaume les attachent par leur propre intérêt au bonheur de ce pays.
D'après mon opinion, le gouvernement devrait être composé :
Du chancelier d'état, baron de Hardenberg , chef de tous les dépar-
tements ;
Du ministre des affaires étrangères ;
Du ministre de l'intérieur ;
Du ministre des finances ;
Du ministre de la guerre ;
Du ministre de la justice.
Si j'avais un conseil à donner, je proposerais :
Pour ministre des finances , l'ancien ministre d'état, baron de Voss,
le seul homme ici que je crois capable de remplir dignement cette
place, n a pour lui l'opinion de la France et celle du public, il est
grand travailleur avec une grande routine d'affaires, il est attaché à ce
pays par la grande fortune qu'il possède, il a donné dans plusieurs
occasions des preuves de dévouement, et j'ajouterai que la voix
publique l'appelle depuis longtemps à ce poste. Le chancelier d'état
croit qu'il trouvera en lui un antagoniste à son système, sur l'attache-
ment duquel il ne pourra jamais compter, et il se trompe.
Le chancelier d'état ne peut pas douter de ma sincère amitié pour
lui, je lui en ai donné des preuvres trop réelles, et je réponds de M. de
Voss et de ses sentiments pour le chancelier d'état comme des miens.
Il y a, à la vérité, plusieurs choses dans l'arrangement actuel de l'admi-
nistration actuelle que M. de Voss désapprouve, je partage ce sentiment
avec lui et je n'ai jamais caché, là-dessus, mon opinion. Que le chance-
lier d'état et M. de Voss se voient une seule fois en ma présence, qu'ils
s'expliquent avec cette franchise loyale qui les caractérise tous les
deux, comme des hommes qui, tous deux, veulent le bien de la patrie,
et ils s'entendront bientôt, j'en suis bien convaincu.
Le département des affaires étrangères se trouve aujourd'hui dans les
mains du comte de Goltz, qui est vraiment le plus honnête des hommes
et qui a des principes excellents.
Cependant, si les choses doivent marcher selon le nouveau système
que l'on vient d'adopter, avec cette vigueur et ce secret qui deviennent
absolument nécessaires, ce département ne peut pas, à ce qu'il me
parait, rester dans les mains du comte de Gultz, qui a la faiblesse de
ne savoir absolument rien cacher à personne et surtout à sa femme, et
est au surplus d'une apathie qu'aucun événement ne peut émouvoir, et
depuis son dernier voyage entrepris dans un des moments les plus
décisifs, il a perdu la considération dans le public*.
1. Le comte de Goltz avait mené les négociations à Erfurt en 1808.
"106 MELANGES ET DOGOMENTS.
Si j'avais un conseil à donner, je nommerais le comte de Goltz qui,
d'ailleurs, n'a pas démérité, ministre à Vienne. J'en rappellerai M. de
Humboldt que l'intrigue et la secte y ont placé, d'autant plus qu'il ne
sera jamais par conviction dans le nouveau système. Je rappellerais de
Pétersbourg M. de Schladen, qui a intrigué dans tout ce qui s'est fait
à Kœnigsberg dans le temps où l'on travaillait à entraîner le roi dans
une nouvelle guerre contre la France, et je le rappellerai avec d'autant
plus de raison qu'il a demandé tout à l'heure un congé dans un moment
où, avec un peu de tact, il n'aurait jamais dû en concevoir l'idée.
M. de Humboldt, si toutefois Ion trouve nécessaire de le conserver,
pourrait alors être nommé à Pétersbourg, où désormais nous n'aurons
pas des objets d'un grand intérêt à traiter. Je ne propose pas l'homme
qu'il faudrait mettre à la place du comte de Goltz, parce que, pour le
moment au moins, je ne sais pas trouver celui qui a les qualités
requises pour ce ministère. Je pense qu'il serait bon de donner à celui
que l'on nommera à la place du comte de Goltz la direction de la
police secrète non seulement à Berlin, mais aussi dans l'intérieur du
royaume.
Pour ministre de l'intérieur ^ je proposerais le conseiller d'état intime
Schuckmann, qui est un homme ferme avec d'excellents principes; il
est bon travailleur, il a du talent, il connaît le pays parfaitement, il
sert depuis longtemps, il doit une grande partie de sa carrière au chan-
celier d'état, qui pourra compter sur lui à toute épreuve.
Le ministère de la justice est dans les mains de M. de Kircheisen,
qui est un homme d'une grande probité, étranger aux sectes et à
l'intrigue ; il a le défaut d'être faible, mais, à coup sûr, il ne gâtera
rien.
Le ministre de la guerre doit être un homme très ferme, capable d'en
imposer au mauvais esprit qui a gagné les jeunes officiers et de rétablir
cette discipline sévère sans laquelle il n'existe pas d'armée. Il faut que
ses principes politiques pour le système actuel soient bien constatés, il
faut qu'il soit connu comme tel en France et dans le public, et per-
sonne ne réunit à un plus haut degré toutes ces qualités que le lieute-
nant général de Grawert, gouverneur en Silésie, qui jouit d'une très
grande considération méritée dans l'étranger et dans l'armée.
Ce n'est qu'à la hâte que j'ai tracé ce petit aperçu sur notre position
extérieure et intérieure ; je ne sais si je me suis trompé dans mes
aperçus, mais ma conviction intime est qu'un ministère composé de
cette manière peut seul nous valoir la confiance entière de la France,
rétablir enfin le calme dans notre intérieur.
C'est au baron de Uardenberg, à l'ami qui m'a vu le môme dans
toutes les occasions et qui doit être convaincu de mon attachement,
que je confie ces pensées qui ne doivent être que pour lui ; il sait que,
depuis la paix de Tilsitt, j'ai poursuivi sans relâche le but que je
croyais seul capable de sauver mon pays, il sait que j'ai dit hautement
mes opinions, malgré les persécutions inouïes que l'on m'a fait éprouver,
DOCUMENTS SUR LE PREMIER EMPIRE. 'lOT
et, dans ma position, j'ai au moins la présomption qu'aucun autre
intérêt secondaire ne peut influer mes opinions.
Berlin, le 6 janvier 1812.
Signé : Le prince de Hatzfeld.
C'était à peu près un an plus tard, au commencement de Tannée 4843,
que Tauleur de ce mémoire, chargé de nouveau d'une mission diplo-
matique, revint à Paris où, deux ans auparavant, il avait vu Tempe-
reur, après la naissance d'un fiLs, au comble du bonheur. Que les
temps étaient changés ! La grande armée avait disparu, la Prusse
commençait à secouer le joug que le traité du 24 février 4842 lui
avait imposé, et les chefs patriotiques, que le mémoire du prince
Hatzfeld avait dénoncés, travaillaient énergiquement à Tœuvre de la
délivrance.
Alfred Stern.
LES PAPIERS DE SOULAVIE.
Bien que Fauteur des Mémoires de Richelieu et de ï Histoire de la
Décadence de la Monarchie française ne jouisse plus de la bruyante
renommée qu'il avait encore au commencement de ce siècle, on sait
généralement que Soulavie ne fut pas seulement un fabricatcur de
mémoires apocryphes, mais qu'il fut aussi un grand collectionneur
et que, dans sa bibliothèque riche en ouvrages rares, en plaquettes
introuvables et en estampes historiques, il possédait une grande masse
de documents authentiques et de lettres autographes précieuses,
fruits de ses vols dans les collections publiques et privées à la fin du
règne de Louis XVI et pendant la Révolution. On ignora longtemps
ce qu'étaient devenues ces collections considérables; la biographie
Michaud affirma qu'elles avaient été saisies par ordre de l'empereur
à la mort de Soulavie, en 4843, et déposées aux archives des Affaires
étrangères; plus tard, en 4862, M. Feuillet de Couches nia formel-
lementcefait importantetdéclara qu'il n'y avait dans ces archives qu'un
seul volume provenant du cabinet de Soulavie^ *, M. Baschet, dans son
excellente Histoire du Dépôt des Affaires d/ran^èrc5, établit qu'au moins
une partie des papiers de Soulavie était entrée dans ces riches archives;
mais on sait que l'admirable livre de M. Baschet est un merveilleux
tour de force et qu'il fut écrit presque' entier sur des documents
1. Causeries dun Curieux^ Paris, 1862, ia-8% tome U^ p. 472.
98 IIIÎLANGES ET DOGUMBIfTS.
Quatrièmement. Les stipulations relatives au cas de guerre de Tune
ou l'autre des deux puissances contre rAutriche (art. 11).
Les dispositions de cet article ne diffèrent de celles déjà stipulées par
l'article cinquième des articles secrets de la convention du 8 sep-
tembre 1808 qu'en ce que le contingent à fournir par la Prusse est
porté de 16 à 24,000 hommes.
Cinquièmement. Le renvoi à des conventions spéciales pour l'appli-
cation de Talliance dans le cas de guerre contre la Russie ou contre
toute autre puissance (art. 12).
Sixièmement. La détermination des forces qui seront employées par
Sa Majesté dans tous les cas de Talliance (art. 13), Sa Majesté s'enga-
geant à employer toutes les forces disponibles. Cet article offre un tel
avantage à la Prusse qu'il doit être encore plus que les précédents à
l'abri de toute discussion.
La seconde pièce jointe aux instructions a été rédigée pour l'appli-
cation de l'article 12 du projet de traité au cas de guerre contre la
Russie. Les détails dans lesquels on est entré dans les articles de cette
convention et les instructions soit générales, soit particulières, rendent
tout développement superflu.
Après avoir lu ces instructions avec attention, il ne pourra rester à
M. le comte de Saint-Marsan aucune incertitude sur les intentions de
Sa Majesté.
Si l'empereur consent à une alliance offensive et défensive, c'est sur-
tout pour satisfaire au vœu exprimé avec tant d'instance par le roi de
Prusse. C'est aussi afin de rendre à ce prince la confiance dont il a
besoin pour ne pas se jeter dans de fausses démarches qui entraîne-
raient inévitablement sa perte.
Si Sa Majesté est dans la nécessité de faire la guerre, Elle y suffira
elle-même et Elle n'a pas besoin de l'armée prussienne. Elle ne veut
trouver pour la guerre d'autre avantage dans l'alliance que la sécurité
de ses mouvements dans un pays ami et la facilité de nourrir ses
troupes dans des provinces dont les ressources seront conservées et où
l'administration ne sera point désorganisée, comme cela arriverait
nécessairement dans les premiers moments de la guerre si le pays était
ennemi.
Il faut donc parvenir à désabuser le cabinet prussien de cette manie
militaire qui porterait le roi à transformer tous ses sujets en soldats. Il
doit être facile de faire entendre aux ministres qu'un ordre de choses
qui dispense d'un grand établissement militaire est le seul favorable au
rétablissement du crédit et au succès d'une bonne administration.
Le but de la négociation doit être que la Prusse entre dans l'alliance
avec le moins de troupes possible et qu'elle conserve toutes ses res-
sources afin de pourvoir le plus possible aux besoins de l'armée.
Ce dernier objet obtenu ne sera pas, à la vérité, le seul avantage que
procurera l'alliance, si elle engage le roi de Prusse plus étroitement
que jamais à garantir ses vastes côtes et ses frontières de terres des
DOCUMEIfTS SUR LE PEEMIER EMPIRE. 99
irruptions du commerce anglais. La Prusse est appelée par sa situation
à rendre d'importants services au système continental. C'est sous ce
rapport que son alliance est réellement utile à la France, et cette utilité
qu'on ne peut s'empêcher de reconnaître, et qu'elle reconnaît sans doute
elle-même, doit, autant que Talliance, dissiper ses craintes sur les dis-
positions de Sa Majesté à son égard.
M. le comte de Saint-Marsan, après avoir reçu ces instructions, fera
connaître au ministre qu'il a les pouvoirs pour traiter et qu'il est prêt
à entrer en négociation. Si les propositions du roi lui sont de nouveau
présentées, il en fera l'objet de ses observations. Il les discutera dans
l'esprit de ses instructions, il développera ensuite successivement les
conditions que Sa Majesté Impériale croit pouvoir accorder. Il portera
dans la discussion beaucoup de formes et d'égards. Il ne précipitera
rien. Il laissera aux ministres prussiens tout le temps de s'expliquer, et,
loin de les presser, il mettra ses soins à favoriser leur lenteur naturelle.
Il rendra compte chaque jour de la situation de la négociation. Lors-
qu'il sera au moment d'arriver à la conclusion, il rédigera les projets
de traité et de convention qui doivent passer plusieurs fois sous les
yeux de Sa Majesté.
Tandis que le gouvernement de la Prusse, cerné par un réseau de
troupes françaises, attendait avec une anxiété bien naturelle le résultat
définitif des négociations entamées, un membre de la noblesse prus-
sienne saisit le moment favorable pour faire parvenir au chancelier
d'État de Hardenberg ses conseils, opposés directement aux intentions
des adversaires patriotiques de la domination française. C'était le
prince de Hatzfeld, jadis gouverneur de Berlin. On sait qu'après
l'airaire de son arrestation et de sa mise en liberté, en 4806, il s'était
rapproché des autorités françaises. Accusé par le gouvernement
prussien à cause de sa conduite antérieure * , l'empereur le mit sous sa
protection en déclarant qu'en attaquant le prince de Hatzfeld on s'atta-
querait à lui-même. Ni le roi ni le chancelier d'État ne lui étaient
favorables, mais ils le chargèrent après la naissance du roi de Rome
de porter à Paris des félicitations officielles. Le comte de Saint-Marsan
ne savait pas assez se louer de sa fidélité. Vers la fin de l'année 4 84 4
il espéra, ses dépêches en font foi, le voir ministre des affaires
étrangères. En transmettant la pièce qu'on va lire^ à Paris, il écrit au
duc de Bassano (le 30 janvier 4842) :
c Le baron de Hardenberg a eu la complaisance de me lire en entier
le rapport que M. de Krusemarck a fait au roi de la longue conversa-
tion que Sa Majesté l'empereur a daigné avoir avec lui'... J'ai pris cette
1. On imputa aa prince de Hatzfeld la perte de 20,000 faftils enlevés par les
Français après l'occnpaUon de Berlin en 1806.
t. Î7 décembre 1811.
'lOO MELANGES BT DOCUMENTS,
occasion pour lui dire, d'une manière tout à fait confidentielle, que,
pour éviter le risque que Tesprit du roi soit ramené à des craintes per-
nicieuses et à de fausses démarches, il fallait éloigner les intrigants et
placer à la tête des dicastères des hommes fermes et vraiment attachés
à leur pays. Il m'a paru qu'il est déterminé à y travailler. Le prince
d'Hatzfeld lui a donné un mémoire à cet objet, dont Votre Excellence
trouvera copie ci-jointe. Le tableau que le prince y fait est, on peut
dire, d'une grande vérité, à part quelques exagérations qui peuvent
avoir été dictées par la manière de voir du prince qui a été personnel-
lement persécuté par quelques-uns de ces messieurs... Votre Excellence
verra aisément, par ce mémoire même, que le prince Hatzfeld vise au
ministère des affaires étrangères... »
C'est de ce mémoire que parle une lettre de Louis d'Ompteda
adressée au comte de Munster (à Berlin, ce 4*' février 4842) * :
c En attendant, le parti français prenait toujours plus de consis-
tance, et se croyait si sûr de sa victoire, que le prince Hatzfeld avait
déjà formé une liste de proscription de plusieurs personnes actuellement
dans l'administration. Il l'avait remise au baron de Hardenberg et le
ministre de France en avait aussi pris copie. Le comte Goltz se trouve
parmi les rayés et sa place ne fut pas remplacée par un autre nom. U
est très probable que le prince Hatzfeld y vise, n'ayant cependant, pour
aspirer à cette place, d'autre mérite que celui d'avoir une fortune très
considérable, et de s'être voué bassement à la France.... »
Voici le mémoire émané de la plume du prince de Hatzfeld. Je
corrige les fautes du copiste qui souvent n'a pas su déchiffrer les noms
propres 2. Après avoir renvoyé les lecteurs français aux manuels his-
toriques et biographiques, je me dispense d'accompagner la pièce
suivante d'un commentaire spécial :
Copie d'un projet d'organisation intérieure pour la Prusse, après la con-^
clusion de l'alliance avec la France, donnée au chancelier d'état, baron
de Hardenberg, par le prince de Hatzfeld.
6 janvier 1812.
Nos relations avec la France étant sur le point d'être fixées d'une
manière déterminée et une alliance étroite de système et d'intérêt
devant en être la suite, il me paraît que les personnes employées dans
les places marquantes du gouvernement prussien ne peuvent et ne
doivent se cacher que la perte de la Prusse est inévitable, si après
1 . y. Politischer Nachlass des hannoverschen Staats-und Cabinets Ministers
Ludwig von Ompteda a%u den Jahren 1804 bis 1813, verœff'entlicht durck
F. von Ompteda. léna, Frommann, 1869, II, 206.
2. U écrit par exemple Grtihner au lieu de Gruner, cf. la notice biogra-
phique sur Justus de Gruner (1777-1820) dans VAllgemeine deutsche Biographie*
T. X.
DOCUMENTS SUR LE PREMIER EMPIRE. 404
l'alliance signée Ton pouvait une seule fois encore vaciller dans ce sys-
tème adopté par convention et par choix, et qu'il n'y a qu'un abandon
total et loyal, sans regret pour le passé, sans inquiétude pour l'avenir,
qui puisse faire espérer de cette alliance des résultats heureux pour la
Prusse.
Je crois ne pas me tromper lorsque je mets en avant qu'aujourd'hui
Sa Majesté l'Empereur est portée à nous accorder de la confiance, et
qu'elle s'est convaincue que nous pouvons devenir vraiment utiles à
ses intérêts, mais nous ne devons pas nous cacher que, par notre faute
et par les faits précédents, cette confiance n'a pas, à beaucoup près,
encore acquis le degré de consistance auquel il faut tâcher de parvenir,
et que c'est surtout à notre manière d'agir après la signature qui fixera
son opinion à cet égard.
Notre avenir dépend du plus ou moins de confiance que nous obtien-
drons, voilà ma conviction bien prononcée; si nous la gagnons en
entier, si dès ce moment nous sommes ce que nous devons être après
le pas décisif que nous allons faire, les destinées de la Prusse peuvent
encore devenir glorieuses, il n'existe pas un autre moyen de recouvrer
une partie de l'éclat et de la grandeur qui nous environnaient autrefois
et je pense que, là-Klessus, tous les gens sensés exempts de passion et
de préjugés ne peuvent avoir qu'une opinion. Cette vérité une fois
établie, il est absolument nécessaire :
1* Que d'abord, après la signature des traités, que tous ceux qui sont
employés dans notre gouvernement^ et sur lesquels l'opinion est fixée à
Paris de manière à être connus par leur haine exaspérée contre la
France et pour être membres de la secte fanatique connue sous la
dénomination de frères de la vertu, soient éloignés sans la moindre
exception et sans délai, non seulement de toute influence d'affaires,
mais aussi de Berlin même, où ils ne peuvent qu'être nuisibles sous
tous les rapports.
Cette mesure me parait d'autant plus urgente, que nous devons pré-
voir que, si nous manquions le moment de nous faire un mérite réel de
cette mesure que notre position intérieure réclame tout autant que
notre position extérieure, puisque jamais ces gens ne cesseront de
remuer, la demande nous en serait peut-être faite plus tard comme
absolument nécessaire au système adopté, et qu'alors Sa Majesté le roi
serait compromise.
2® Que dans toutes les places marquantes et influentes dont il faudra
composer le gouvernement prussien, après l'éloignement de ceux-ci, il
n'y en ait plus une seule sur laquelle l'opinion de la France et du
public se soit établie de la manière la moins douteuse, non seulement
quant à leurs opinions politiques, mais aussi quant à la sagesse de
leur conduite dans les factions intérieures.
Ces deux mesures, qui doivent marcher de front, prouveront plus
que toute autre chose à Sa Majesté Impériale que la Prusse a pris son
parti irrévocablement, et elles auront l'avantage de prouver aux fana-
402 Mlf LANGES ET DOCUMBIITS.
tiques de tous les partis que Sa Majesté le roi est déterminée enfin à
faire punir sévèrement tous ceux qui seraient encore tentés d'avoir la
folie de sauver la Prusse à leur manière.
Les personnes en place qui, d'après mon opinion, devraient être éloi-
gnées des affaires et de Berlin sans délai, sont :
Le général Scharnhorst, faisant jusqu'ici les fonctions de ministre
de la guerre, que Topinion publique et générale nomme comme l'un
des chefs de la secte qui a fait tant de mal à ce pays-ci et dont les
ramifications sont déjà connues dans les pays étrangers. M. de Scharn-
horst s'est fait d'ailleurs connaître dans toutes les occasions par un
acharnement sans bornes contre la France, et l'homme d'état qui se
laisse ainsi emporter par la passion est à coup sûr incapable de con-
duire aucune affaire dans notre position actuelle.
Le conseiller d^état Sack, sur lequel je ne puis que répéter ce que je
viens de dire de M. de Scharnhorst, et qui déjà, lors de l'occupation fran-
çaise, s'est fait connaître à tous les employés du gouvernement français
d'une manière si désavantageuse que, d'après l'esclandre qui a eu lieu
alors ^, je n'ai jamais pu concevoir comment il était possible de le laisser
en évidence et de lui donner la direction d'un département dans lequel
il n'a pas laissé échapper une seule occasion de prouver combien peu il
connaissait les intérêts politiques du roi et de la Prusse.
Le conseiller d'état Gruner, directeur de la police secrète, connu pour
être un membre marquant de la secte et noté pour sa haine contre la
France. Son éloignement est nécessaire puisqu'il faut enfin savoir ce
qui se passe, mettre tin au jacobinisme allemand qui nous tourmente
depuis si longtemps^ ce qui est impossible, comme les faits l'ont prouvé,
tant que M. Gruner conservera sa place et qu'on lui permettra d'in-
fluencer impunément l'opinion.
Le colonel Gneisenau, connu pour être un homme de tête et d'esprit,
mais lié intimement avec M. de Scharnhorst et avec tout ce qu'il y a
de plus marquant dans la secte, sectaire lui-même d'après l'opinion
générale, fanatique dans sa haine contre la France et suspect par toutes
ses liaisons. Son éloignement est d'autant plus pressant que c'est le
seul dont le nom est marqué par quelques talents, et que, par là même,
il est plus dangereux que les autres pour l'opinion publique, qui,
aujourd'hui, ne doit pas avoir d'autre direction que celle du gouverne-
ment.
M. de Boyen, aide de camp du roi, créature aveugle de la secte, ne se
donnant pas même la peine de cacher ses opinions et sa haine contre
la France; il a fait dans les derniers temps tout ce qui était en son pou-
voir (voilà au moins l'opinion générale et publique) pour paralyser les
ordres précis du roi et pour amener des faits qui, par leur nature.
1. Sur le conflit de Sack et de Daru éclaté en 1808, voyez Hassel, /. c,
p. 168-171.
DOCDMEIfTS SUR LE PRBMIEE EMPIRE. 403
devaient immanquablement provoquer la ruine et la dissolution de ce
pays.
Le conseiller d'état StsBgemann, placé par M. de Stein, son ami et son
protecteur. Il en a toujours suivi fidèlement les principes et la marche.
Il s'est rendu suspect par quelques étourderies assez virulentes qui ont
été connues à Paris, et, si même depuis quelque temps il est devenu
plus prudent, il est vraisemblable au moins que son opinion ne chan-
gera jamais. Sa place, à la vérité, est peu influente, mais, lorsque déjà
on s'occupe à purifier le terrain, il vaut mieux faire la chose en
entier.
Je ne puis pas juger de ses talents, que je n'ai jamais été dans le cas
d'apprécier, mais, à en juger d'après l'opinion publique, je devrais
croire qu'il ne sera pas très difficile de le remplacer.
Plus tard, il y aura bien encore dans l'intérieur plusieurs éloigne-
ments nécessaires à faire, comme, par exemple, les deux directeurs de
police à Francfort-su r-rOder et à Breslau, de môme que le président
Merckel à Breslau, Tun des frondeurs les plus déterminés et les plus
audacieux que nous ayons dans le pays, mais cela s'arrangera bien vite
lorsque la nouvelle organisation intérieure sera fixée et que les chefs
qui seront à la tète des différents départements feront la recherche des
individus qui y sont employés, et lorsqu'enfin, après une connaissance
plus exacte, ils pourront proposer les mesures nécessaires et propres à
éloigner des affaires, môme dans les postes subalternes, tous ceux qui
pourraient encore être influencés par la secte.
J'en viens maintenant à notre organisation intérieure sous le rapport
de l'alliance contractée avec la France et celui des changements néces-
saires pour asseoir un système stable et conservateur, qui fera marcher
la machine stagnante aujourd'hui dans une grande partie de ses détails,
et qui puisse prouver enfin à la nation, toujours invariable dans son atta-
chement pour le souverain et toujours prête aux sacrifices nécessaires,
que, si môme plusieurs anciennes institutions avaient besoin d'une espèce
de régénération, il n'est cependant pas dans la volonté du roi de boule-
verser tout ce qui était bon autrefois, parce que M. de Stein, dans
quelques accès de sa folie, a rêvé un bonheur poétique pour la Prusse,
dont les suites ont été trois fois plus funestes pour elle que tous les
maux réunis de la guerre et toutes les privations qui l'ont suivie. Si la
Prusse doit redevenir heureuse, il faut prouver qu'avec M. de Stein son
système entier a disparu et qu'aujourd'hui les sectaires ou, pour m'ex-
primer d'une manière plus claire, nos jacobins allemands, joueraient un
jeu trop dangereux en saisissant le brandon jeté à l'aventure pour arri*
ver, sous le masque du patriotisme, à un but qui aujourd'hui ne peut
plus être un secret pour personne.
Je n'entrerai point en détail sur les difTérents défauts que j'ai souvent
entendu reprocher à notre administration intérieure, je crois qu'il y a
tout autant de vrai que d'outré dans ces jugements et je pense que la
vérité est au milieu. D'ailleurs je suis de l'opinion de ceux qui pensent
404 Mlf LANGES ET DOGUHBfrrS.
que la régénération politique de la Prusse a dû précéder sa régénéra-
tion intérieure, et ce n'est qu'après l'alliance que les gens calmes ose-
ront se permettre un jugement.
La grande faute qui parait exister aujourd'hui, sur laquelle toutes
les voix se réunissent et qui, par sa nature, doit entraver toute la
marche du gouvernement, c'est l'augmentation vraiment incroyable et
disproportionnée des chefs à demi-pouvoir connus sous le nom de con-
seiller d'état intime et conseiller d'état que l'on a placés, avec des
appointements énormes , au moment de notre plus grande détresse
financière, qui, à leur tour, ont fait augmenter d'une manière tout
aussi énorme les employés subalternes, pour la plupart créatures de
leurs opinions politiques et qui, marchant tous d'après leurs idées per-
sonnelles, n'ont presque aucune responsabilité, parce que le chancelier
d'état, baron de Hardenberg, le seul qui puisse les surveiller, est
constamment occupé par des objets plus importants et ne peut impos-
siblement suffire à une besogne qui surpasse les forces humaines.
La Prusse, dès les plus beaux jours de sa gloire, n'avait que cinq
ministres avec le nombre proportionné des subordonnés et tout prospé-
rait ; les temps étaient autres, à la vérité, mais les pouvoirs étaient
fixés, les états financiers de chaque département étaient précis et ne
pouvaient être dépassés ni pour la recette ni pour la dépense, et, si,
alors comme aujourd'hui, il avait existé un chancelier d'état au lieu
des secrétaires du cabinet qui étaient une monstruosité politique depuis
la mort de Frédéric II, je crois que nulle autre organisation n'eût pu
mieux convenir à la Prusse que celle-là. Dans notre position actuelle,
où la force du gouvernement doit être beaucoup plus concentrée, parce
qu'il existe des factions et des fanatiques dangereux qui peuvent nous
perdre par une seule imprudence, dans ce moment où il est urgent que
le système politique du roi soit soutenu par tous les ministres auxquels
il daigne accorder sa confiance, cette organisation est encore la seule
qui nous convienne, la seule qui pourra faire prospérer le système que
nous venons d'adopter, la seule qui puisse donner à tous les actes du gou-
vernement l'énergie dont il a besoin après une longue époque d'impunité
et de désordre. Le chancelier d'état doit être, d'après la nature de son
emploi, le chef et le surveillant de tous les ministres, avec lesquels il doit
discuter et préparer tous les grands intérêts de l'état à soumettre à la
sanction du roi, et ce n'est qu'ainsi que le secret couvrira enfin les opéra-
tions du gouvernement. Mais il me paraît que le chancelier d'état ne
devrait point se mêler des détails des différents ministères, il ne faut
point que les subordonnés des départements puissent communiquer avec
le chancelier d'état par un autre canal que celui de leurs chefs, il faut
que les ministres aient un grand pouvoir et une grande responsabilité ;
sans cela, il ne peut exister que confusion et désordre, et sans le pouvoir
nécessaire pour opérer le bien, aucun homme de talent et de tête ne se
résoudra à accepter un ministère quelconque. En un mot, il faut que le
nouveau ministère, que je vais proposer comme une simple idée à moi,
DOCUHBFTTS SUR LE PREHIBE EMPIRE. 405
soit composé de gens entièrement dévoués au système que Sa Majesté
le roi va adopter à présent, qu'ils soient personnellement attachés au
chancelier d^État qu'ils doivent épauler de tout leur pouvoir dans les
mesures concertées, qu'ils aient pour eux l'assentiment de la France
et l'opinion du public, et que surtout leurs possessions dans le
royaume les attachent par leur propre intérêt au bonheur de ce pays.
D'après mon opinion, le gouvernement devrait être composé :
Du chancelier d'état, baron de Uardenberg, chef de tous les dépar-
tements ;
Du ministre des affaires étrangères ;
Du ministre de l'intérieur ;
Du ministre des finances ;
Du ministre de la guerre ;
Du ministre de la justice.
Si j'avais un conseil à donner, je proposerais :
Pour ministre des finances , l'ancien ministre d'état, baron de Voss,
le seul homme ici que je crois capable de remplir dignement cette
place. Il a pour lui l'opinion de la France et celle du public, il est
grand travailleur avec une grande routine d'affaires, il est attaché à ce
pays par la grande fortune qu'il possède, il a donné dans plusieurs
occasions des preuves de dévouement, et j'ajouterai que la voix
publique l'appelle depuis longtemps à ce poste. Le chancelier d'état
croit qu'il trouvera en lui un antagoniste à son système, sur l'attache-
ment duquel il ne pourra jamais compter, et il se trompe.
Le chancelier d'état ne peut pas douter de ma sincère amitié pour
lui, je lui en ai donné des preuvres trop réelles, et je réponds de M. de
Voss et de ses sentiments pour le chancelier d'état comme des miens.
Il y a, à la vérité, plusieurs choses dans l'arrangement actuel de l'admi-
nistration actuelle que M. de Voss désapprouve, je partage ce sentiment
avec lui et je n'ai jamais caché, là-dessus, mon opinion. Que le chance-
lier d'état et M. de Voss se voient une seule fois en ma présence, qu'ils
s'expliquent avec cette franchise loyale qui les caractérise tous les
deux, comme des hommes qui, tous deux, veulent le bien de la patrie,
et ils s'entendront bientôt, j'en suis bien convaincu.
Le département des afTaires étrangères se trouve aujourd'hui dans les
mains du comte de Goltz, qui est vraiment le plus honnête des hommes
et qui a des principes excellents.
Cependant, si les choses doivent marcher selon le nouveau système
que l'on vient d'adopter, avec cette vigueur et ce secret qui deviennent
absolument nécessaires, ce département ne peut pas, à ce qu'il me
parait, rester dans les mains du comte de Goltz, qui a la faiblesse de
ne savoir absolument rien cacher à personne et surtout à sa femme, et
est au surplus d'une apathie qu'aucun événement ne peut émouvoir, et
depuis son dernier voyage entrepris dans un des moments les plus
décisifs, il a perdu la considération dans le public ^
1. Le comte de Goltz avait mené les négociatioDS à Erfurt en 1808.
UÂ Mlf LINGES ET DOCUMBIfTS.
ai délivrée * . » Buisson se refusa sans doute à entreprendre une aussi
grosse affaire et Soulavie laissa à sa mort quelques volumes manuscrite,
qui, suivant son habitude, étaient inachevés et qui, sous le titre de
Mémoires de Choiseul, contenaient seulement un canevas et des frag-
ments d^un ouvrage à peine ébauché.
Ces Mémoires de Choiseul, fabriqués par Soulavie, se trouvaient
encore aux Archives du ministère des Affaires étrangères avant 4 848 ;
car M. Jobez possède aujourd'hui une copie de fragments du second
volun^e faite avant cette époque. M. J. s'en servit dans son Histoire
du règne de Louis XV et, avec une extrême générosité, il en laissa
prendre des copies à M. Yatel , qui en tira le fragment signalé plus
haut, et à moi-même. Ni H. Jobez, ni M. Vatel ne doutèrent un seul
instant de l'authenticité de ces fragments d'origine obscure ; pour moi,
il me fut impossible de partager leur confiance. Mes soupçons furent
immédiatement éveillés par la préface que mit en tête de ces extraits
la personne qui en fit la copie sur Texemplaire autrefois conservé aux
Archives du ministère des Affaires étrangères. Voici ce qu'il en dit :
(c L'idée qui le déterminait à écrire se marque dans les premières
lignes; quand cette idée est remplie, sa plume languit et souvent elle
lui tombe des mains. Les firagments ne sont donc pas finis ; il y a
plus-, le plus grand nombre est informe. Les morceaux ont deux, huit
et quatre pages d'écriture; quelques-uns en ont davantage ; aucun n'a
une certaine mesure qui le rende intéressant. Il y en a cependant
quelques-uns qui, malgré leur brièveté et leur imperfection, con-
tiennent quelquefois des faits et des jugements intéressants. » Ce
jugement pourrait s'appliquer à la plupart des ouvrages de Soulavie,
qui le plus souvent sont écrits sans suite et sans soin ; parfois seule-
ment on y trouve de brillants fragments. La façon dont on parle de
Louis XV dans ces mémoires ressemble étrangement à celle dont
use Soulavie dans ses divers ouvrages. Ces analogies de composition,
de style et d'idées me font croire que ces Mémoires attribués à Choi-
seul sont ceux que Soulavie avait commencé à rédiger en i 790 et dont
il avait annoncé la publication en 4794 et 4792. Cette conjecture est
d'autant plus vraisemblable que les papiers de Soulavie sont presque
tous entrés aux Archives des Aflàires étrangères, d'où cette copie est
tirée, tandis que les papiers de Choiseul sont encore aujourd'hui entre*
les mains de ses légitimes héritiers et qu'on ne s'explique pas com-
ment, pourquoi et quand les Mémoires de ce ministre, s'ils étaient bien
réellement l'œuvre des loisirs de sa retraite, seraient arrivés dans ce
dépôt des Archives des Affaires étrangères.
t. Mémoires de Richelieu, t. IX, p. 508.
LES PAPIERS DE SOULA VIE. U^
Ce n'est, dira-t-on, qu'une conjecture ; mais en l'absence du manus-
crit, sur lequel a été prise la copie de ces Mémoires, et en l'absence
de l'inventaire détaillé des papiers de Soulavie, terminé et signé le
6 mai -I8^3, manuscrits qui tous deux ne se trouvent plus aujour-
d'hui aux Archives des Affaires étrangères, il est impossible d'arriver
à des résultats absolument certains.
C'est pourquoi en terminant j'appelle à nouveau l'attention des
historiens et des chercheurs sur cet inventaire.
* Jules Flammbrhont.
Bapport du comte d'Hauterive au duc de Bassano.
Je vais mettre brièvement sous les yeux de Votre Excellence tout ce
qui est relatif à des papiers récemment mis sous le scellé par un juge
de paix à la réquisition d'un commissaire de son ministère.
A la nouvelle de la mort de M. Soulavie, je me rappelai tout ce qui
a été dit et tout ce qu'il a publié lui-même sur l'importance de ses
papiers que, dans des mémoires particuliers et dans la plupart de ses
ouvrages, il déclare avoir recueillis dans les maisons des hommes en place
ou revêtus de grandes dignités, dans les dépôts publics et jusque dans
le cabinet particulier du feu roi Louis XYI ; je me rappelai en même
temps que. Tannée dernière, sur la demande qu'il osa faire au gouver-
nement de lui vendre la collection de ses manuscrits dont il ne craignait
pas de lui exposer sans déguisement la nature et l'origine, 8. Ex. M. le
ministre de la police fit faire chez lui la saisie de ses papiers ; et, conjec-
turant néanmoins que cette mesure pouvait n'avoir eu qu'un résultat
incomplet, je proposai à V. Ex. de requérir la mise des scellés dans le
cabinet de M. Soulavie.
Ces scellés ont été apposés et en même temps M. le ministre de la
police a consenti à faire remettre aux archives la partie des papiers
saisis par son ordre et qui ont paru devoir appartenir au ministère.
J'ai examiné ces manuscrits ; ils composent une collection faite sans
choix, sans ordre, sans intelligence et dans laquelle, au milieu d'une
foule de pièces tronquées, incomplètes, indifférentes, on rencontre sou-
vent des documents d'un assez grand intérêt. Un grand nombre de
pièces de cette dernière espèce ont déjà été publiées dans des compila-
tions qui, généralement, ont eu peu de succès. M. Soulavie se proposait
probablement de publier le reste, quand l'établissement de la censure
est venu mettre un terme à ses indiscrètes publications.
Je regarde néanmoins comme important de ne pas laisser subsister
hors des dépêts publics les manuscrits même des pièces imprimées,
attendu que le discrédit personnel de M. Soulavie avait attiré une telle
défiance sur l'authenticité de ses publications qu'elles n'ont fait aucune
espèce de sensation et que la connaissance et la communication des
44$ wiLAXSS Wl BOGTMITrS.
pièces origiiiales pourraient donnera ses scandaleux ouTrages on crédit
qu'il importe de ne pas leur laisser prendre. Il est d'ailleurs éyident, à
la première inspection de ces pièces, qu'elles appartiennent presque
toutes à des établissements publics, d'où les unes ont été illégalement
soustraites, où les autres auraient dû, aux termes des règlements, être
déposées par leurs premiers possesseurs, et où celles qui ne sont que
des copies ont été indirectement et irrégulièrement transcrites.
U m'a paru cependant que quelques-uns de ces papiers pouvaient être
regardés comme des productions purement littéraires, et, par là même,
que la famille de M. Soulavie a le droit de les réclamer ; mais ces papiers,
étant confondus et reliés dans le même volume avec les pièces d'admi-
nistration et de gouvernement, ne peuvent être distingués et distraits de
la collection que par le moyen d'un inventaire ; et, comme un très grand
nombre de parties de cette collection se compose de feuilles détachées
appartenant à des cahiers perdus et tronqués, que d'autres sont des
brouillons insignifiants, reliés et classés dans le seul objet de leur don-
ner une importance apparente, il devient d'autant plus nécessaire de
faire de la collection entière un inventaire exact et détaillé que, malgré
le droit incontestable que le gouvernement me semble avoir de retenir
toutes ces pièces pour prévenir l'abus qui peut en être fait, il y a néan-
moins un fondement plausible à la demande d'indemnité qui peut être
adressée par la famille de M. Soulavie pour les peines et soins que cette
collection a pu coûter et pour le bonheur de l'avoir conservée ^
Je joins à mon rapport deux copies que j'ai fait faire dans la partie
de la collection de M. Soulavie, qui a été rétablie aux archives par l'au-
torisation de 8. Ex. M. le Ministre de la police. La première est faite
sur un manuscrit relatif au Masque de fer; la deuxième sur un manus-
crit de Louis XVI.
C'est à la vue de la première de ces deux pièces que j'ai senti à
quel point l'examen d'un manuscrit ayant quelques caractères d'origi-
nalité pouvait donner de l'authenticité et de l'intérêt à une publication
auparavant dédaignée. J'avais lu dans les mémoires de Richelieu, sans
y ajouter aucun degré de foi et sans en recevoir aucune impression,
l'histoire du Masque de fer telle qu'elle a été publiée par M. Soulavie.
Je no crois pas que cette lecture ait fait sur d'autres lecteurs plus d'im-
pression que sur moi ; mais, on voyant le manuscrit de ce chapitre
conservé sur un papier vieilli, écrit d'un caractère presque décoloré et
avec l'orthographe du temps, j ai éprouvé que cette lecture faisait sur
t. Je supprime quelques pa^ pleines de détails techniques et juridiques sur
U niiftsioD do Bftudard.
LES PAPIERS DE SOULA VIE. Ml
moi une impression toat à fait nouvelle et je n*ai pu me défendre
d'attacher une croyance presque entière à la sincérité de ce récita
Je ferai une observation analogue sur le second manuscrit. La collec-
tion de M. Soulavie ne présente qu'une simple copie, mais les caractères
informes, exagérés et difficilement lisibles donnent tous les indices d'une
transcription extrêmement rapide, et prouvent en même temps que
l'écrivain qui n'a eu qu'un temps très court pour consommer ce larcin
d'une nouvelle espèce, n'a pas eu celui de fabriquer un écrit dont la
rédaction est très soignée et offre à chaque page des observations inté-
ressantes, judicieuses et qui sont fort au-dessus de la portée de M. Sou-
lavie.
D'Hauterive.
Paris, le 7 avril 1813.
1. Soolavie a publié ce récit au tome 111 des Mémoires de Richelieu, p. 74 à
84, sons ce titre : Relation de la naissance et de l'éducation du prince infor»
tunéf soustrait par les cardinaux de Richelieu et de Mazarin à la société et
renfermé par l'ordre de Louis XIV, Ce mémoire serait l'œuvre du gouYcmeur
de ce jeune prioce, qui ne serait autre qu'un frère jumeau de Louis XIV, né
huit heures après ce roi. Le mémoire en question aurait été donné par le régent
à Mademoiselle de Valois sa fille, qui, elle-même, l'aurait donné à son amant,
le duc, plus tard maréchal de Richelieu. Soulavie l'aurait pris dans les papiers
de ce dernier avec un grand nombre de lettres de Mademoiselle de Valois à son
amant. Gfr. Mémoires de Richelieu, UI, 73-92, et VI, 8-53.
BULLETIN HISTORIQUE
FRANCE.
NécROLOGiE. — Au moment où ce Bulletin allait être mis sous
presse, nous avons appris la mort du doyen des historiens français,
M. F. MiGifET. Il avait survécu à ses illustres contemporains, Aug.
Thierry, Guizot, Michelet, Thiers, et Ton peut dire qu'avec lui se
ferme une des périodes les plus brillantes de l'historiographie fran-
çaise. Dans les années même où la Révolution changeait la consti-
tution politique et sociale de la France, naissaient des hommes qui
allaient exercer une influence profonde et novatrice sur notre littéra-
ture historique. Les cinq historiens que je viens de nommer sont
nés en effet entre 4787 et 4798. Parmi eux, M. Mignet est sans doute
celui qui eut la renommée la moins retentissante, mais c'est celui
peut-être chez qui se trouvaient dans le plus harmonieux équilibre
les qualités essentielles de l'historien. Il était philosophe sans être
aussi systématique que M. Guizot; il ne manquait pas d'imagination
ni de chaleur de cœur, mais son imagination et ses sympathies per-
sonnelles étaient mieux contenues chez lui par l'esprit critique qu'elles
ne le furent toujours chez Aug. Thierry et chez Michelet; il était un
admirable narrateur, plus sobre, plus précis et plus incisif que Thiers.
Ce n'est pas quMl faille le placer au-dessus de ses illustres émules ;
Guizot, Michelet, Thierry étaient des hommes de génie, qui l'em-
portent de beaucoup sur M. Mignet par la puissance créatrice, par la
fécondité et la profondeur des vues historiques ; mais avec des qua-
lités moins éclatantes, M. Mignet a su donner à tout ce qui est sorti
de sa plume la solidité qui vient de la conscience dans les recherches
et de la justesse des jugements, la beauté qui vient de l'équiUbre dans
la composition et de l'harmonie entre le style et les pensées. Le plus
connu de ses ouvrages, V Histoire de la Révolution, n'est pas, à mes
yeux, le meilleur; car il fut écrit à une époque où M. Mignet était
engagé dans la polémique politique quotidienne. Sous l'impartialité
apparente du récit, admirable de concision et de force, on sent un
FRA!fCB. 119
parli pris sinon d'apologie, du moins d'atténuation. Marie Stuarty
qui est un chef-d'œuvre au point de vue littéraire, a beaucoup
perdu de sa valeur historique depuis les recherches faites dans les
trente dernières années sur la malheureuse reine d'Ecosse, et pour-
tant nous persistons à croire que le portrait de Marie tracé par M. Mignet
est plus vrai que les peintures embellies et affadies de ses apologistes.
Les grandes qualités d'historien de M. Mignet brillent surtout dans
une œuvre restée malheureusement inachevée, les Négociations rela-
tives à la succession d'Espagne^ et dans ses essais sur la Germanie,
sur le Gouvernement de Genève au xvi« s., sur la formation territo-
riale de la France, qui semblent des fragments d'œuvres de longue
haleine restées à l'état de projet. Personne, sauf peut-être M. Ranke,
n'a su au même degré que M. Mignet manier les documents diplo-
matiques sans se laisser accabler par leur longueur ni par leur
nombre, y démêler d'emblée les choses essentielles, les éclairer par
une pénétrante intelligence des caractères et y faire circuler la vie.
A l'espritcritique, aux vues larges et impartiales de Thistorien, s'ajoute
chez lui l'expérience pratique de l'homme d'État ; mais s'il raconte
avec l'animation d'un acteur contemporain, il juge avec une sérénité
que rien n'altère. Ranke a une plus grande richesse de connaissances
et d'idées, Mignet est plus artiste et plus grand écrivain. Tous deux
ont donné les meilleurs modèles de la méthode qu'on doit appliquer
à l'étude de l'histoire moderne, de l'esprit dans lequel on doit la
comprendre, du style dont on doit l'écrire. Il est parvenu à la vieil-
lesse sans rien perdre de la lucidité ni de la fermeté de son esprit ;
la nature, qui l'avait doué de tous les dons qui peuvent rendre la vie
heureuse, brillante et facile, est restée généreuse envers lui jusqu'à
son dernier jour ; les écrits qu'il nous laisse conservent pour la pos-
térité cette sérénité harmonieuse, cet air de bonheur qui faisaient le
charme du beau et noble visage de M. Mignet
Là loi de aECRDTEMBlIT MILITAIRE ET L'El^fSBIGXEHEnT SUPERIEUR. —
Cet air de bonheur pouvait convenir à ceux qui ont vu la France se
relever de ses ruines et panser ses blessures au lendemain de la chute
de Napoléon, et qui ont été entraînés, portés par le grand mouve-
ment intellectuel de la Restauration ; il ne serait point de mise sur
le front de ceux qui, après avoir vu la patrie démembrée, peuvent se
demander si la France ne va pas perdre par la faute des Français
eux-mêmes tout espoir de grandeur intellectuelle et scientiflque. Nous
nous sommes fait une règle de ne jamais laisser pénétrer ici aucon
écho de la politique contemporaine ; mais nous ne pouvons garder le
silence quand une loi sauvage menace tous les intérêts scientiflques
qui nous sont chers ^ d'ailleurs une loi militaire est par sa nature ou
4 20 BULLETIN HISTORIQUE.
devrait être indépendante de toute préoccupation politique. Toute
la France a applaudi quand on a établi le service militaire obli-
gatoire et universel, quand on a voulu faire concourir tous les
citoyens à la défense de la patrie, quand on a imposé même à
ceux qui se destinent aux carrières libérales une année de ser-
vice, aussi profitable à leur développement moral qu'à leur déve-
loppement physique; mais, à la bonne volonté qu'a rencontrée la
première loi de recrutement de la République, succédera une pro-
testation unanime de tout ce que le pays compte d'hommes éclai-
rés, si l'on vote la loi aujourd'hui proposée au Parlement, laquelle
impose à tous, sans exception^ trois ans de service effectif. Cette loi,
qui, si elle était appliquée, ferait sourire de pitié et rire de joie nos
plus cruels ennemis, rendrait bien inutiles les sacrifices faits depuis
dix ans pour l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur,
à moins qu'elle ne rende inutiles tous les sacrifices faits pour l'armée
elle-même. Si cette loi était votée, on se trouverait entre deux alter-
natives : ou bien on réussirait à l'appliquer et alors c'en serait fait
de tout ce qui rend la France digne d'être aimée, de la France artis-
tique, littéraire, scientifique; ou bien, ce qui est plus probable, la
loi soulèverait une telle réprobation que le service de trois ans
bientôt serait réduit à un an, et que l'armée française serait organisée
sur le modèle de l'armée suisse. C'est là évidemment l'idéal que rêvent
beaucoup des partisans de la nouvelle loi. Pour nous, nous concevons
autrement le rôle de la France^ nous la voulons grande et forte à
l'extérieur, comme nous la voulons brillante par les arts, les lettres
et les sciences, riche par le commerce et l'industrie. La loi qu'on veut
nous donner porterait atteinte à Pâme même de la France et c'est
déjà trop qu'elle ait pu être proposée et discutée.
Publications. Documents. — La compétence nous manque pour
apprécier la traduction de la Chronique dite de Nestor que vient de
nous donner M. L. Léger (Leroux; publication de l'École des langues
orientales vivantes), mais nous savons que les meilleurs juges en ont
loué l'exactitude, et nous sommes reconnaissants au savant profes-
seur de l'École des langues orientales d'avoir mis à la portée de tous
les historiens ce document d'une importance capitale pour l'histoire
russe et pour l'histoire byzantine, qui est en même temps un docu-
ment littéraire de la plus étrange et savoureuse originalité. On regret-
tera peutr-être que M. Léger n'ait pas dans son introduction donné
plus de développement à ce qu'il dit des sources et de l'autorité de la
chronique, et l'on ne trouvera pas très convaincantes les raisons par
lesquelles il refuse d'en attribuer la composition à l'hégoumène Syl-
vestre, mais on lui sera reconnaissant des services que rend pour la
lecture du texte son Index explicatif et critique (auquel il donne le
titre peu exact dlndex chronologique^ Il y a là sous une fornoo
modeste de précieux renseignements et les résultats de sérieuses
recherches.
M. P. Metei, après avoir faiit pendant de longues années du poèino
provençal de Girart de Roussiiion un des objets fovoris do ses études,
s'est décidé à en donner non une édition critique, mais une traduc-
tion accompagnée d'une introduction très étendue (Champion). Je ne
sais s'il réussira, comme il l'espère et comme l'ouvrage le mérite, à
le ^re Ure en dehors du cercle des érudits, mais les historiens et les
littérateurs lui sauront gré d'avoir mis à leur portée dans une traduc-
tion qui n'est pas seulement fidèle, mais remarquablement expres-
sive, un des poèmes les plus remarquables que le moyen âge nous ait
laissés, un poème qui ne le cède en intérêt qu'à la chanson de Roland
et à Garin le Lohérain. Je dis en intérêt et non en mérite littéraire;
car il y a dans Girart plus de talent, de verve poétique que dans
Garin; on y trouve des sentiments délicats et passionnés et même de
l'esprit. Dans son introduction, M. Meyer a démêlé avec une admirable
sagacité les transformations de l'histoire de Girart, constatant, grâce
à une vie latine publiée par lui dans lo t. VII de la Romania, l'étroite
ressemblance que devait oflfrir le texte primitif du xj« s. avec lo texte
du XII* que nous possédons, et suivant ensuite les traces de la légende
dans les poèmes et les chroniques du moyen âge, et ses déforma-
tions dans le roman en alexandrins du xrv* s., dans le Girart de
Roussiiion de Jean Wauquelin *, et dans une Histoire de Charles
Martel encore inédite. D a aussi replacé à côté du Girart du poème,
ce vassal rebelle et téméraire du fourbe et violent roi Charles, lo
Girart de l'histoire dont l'existence est constatée depuis 849 jusqu'à
879, qui est comte de Paris sous Louis le Pieux, qui combat à Fon-
tenai dans les rangs des partisans de Lothaire, gouverne la Provence
pour Charles, fils de Lothaire, de 853 à 863, puis la partie de la
Provence soumise à Lothaire II, livre en 870 Vienne à Charles le
Chauve et meurt à Avignon en 879. Il est comme le Girart du poème
le fondateur des monastères de Pothièrcs et de Vézelai ^. M. Meyer a
complété cette étude historique et littéraire en montrant ce que le
poème fournit à l'historien pour la connaissance des institutions et des
t. Publiés en 1880 par M. L. de MonUile poor la Société d'archéologie, d'hit-
toire et de littératare de Beaune.
2. C'est M. Longnoo qui a fixé la plupart de ces poiots dans son artirle de
la Bmme historique (VIII, 251), mais M. Meyer a complété ou rectifié sur plo-
ùemn poiots ses cooclnsions.
4 22 BULLETIN HISTORIQUE.
mœurs. Ce chapitre, un des plus intéressants de TintroducUon, aurait
pu aisément être augmenté et fournir la matière d'un travail spécial.
Ce qui rend cette recherche difficile et délicate, c'est que le poème
que nous possédons n'a pas une parfaite unité. Non seulement je n'y
vois pas avec M. Heyer une composition régulière et habile, mais on
y trouve des traits d'une époque relativement plus raffinée à côté de
traits d'une sauvagerie toute primitive. Les poèmes comme Girart
et Garin se sont formés au x* s. dans l'imagination des poètes : leur
roi est un Charles de convention dont les éléments sont pris à Charles
Martel, à Charlemagne et à Charles le Chauve, et la société qu'ils nous
peignent est l'anarchie carolingienne où la féodalité s'établit sur les
ruines du pouvoir royal. Mais dans Garin la barbarie des mœurs et
la simplicité des sentiments ont été mieux conservées que dans Girart.
Peut-être aussi l'auteur de Girart qui écrit sur les frontières du pays
provençal vivait-il au midi dans une société dont les sentiments
étaient plus compliqués, plus rafQnés que dans le nord.
M. ÉJie Berger vient de compléter la publication du premier volume
des Registres d'Innocent IV (Thorin) par uneexcellenteintroductionsur
la diplomatique du pontificat d'Innocent lY. Ce travail, où M. Berger
a fait ressortir le soin minutieux apporté par la chancellerie pontificale
à la rédaction de ses actes, forme pour ainsi dire la suite et le com-
plément du mémoire de M. Delisle sur les actes d'Innocent EU. Il
tient compte non seulement des registres, mais des actes originaux
qu'il a pu étudier aux Archives nationales et à la Bibliothèque,
et il donne des renseignements précieux sur la constitution, d'ail-
leurs assez irrégulière, des registres du Vatican. On remarquera
ce que dit M. Berger de la formation à partir de Grégoire IV de séries
spéciales de lettres d'un intérêt particulier pour la curie et dites
Lettres curiales; on remarquera aussi ce qu*il nous apprend sur les
fréquentes erreurs dans le calcul des indictions commises par les
notaires pontificaux. Ces erreurs, au xnrs., dans une chancellerie
aussi scrupuleuse que celle de la curie, rendent bien sceptique à
l'égard des dates contenues dans les diplômes des siècles antérieurs
et émanés de chancelleries moins instruites.
Nous ne possédons pas d'histoire de l'Ordre de Saint-Michel, qui
joua pourtant un rôle considérable sous l'ancien régime. Jean-Fran-
çois-Louis d'Hozier avait composé, de 4783 à 4793, un vaste recueil
de notices sur les chevaliers de l'Ordre. Ce recueil en onze volumes
est aujourd'hui à la Bibliothèque nationale. M. G. de Garn^ en a
extrait toutes les notices concernant des nobles bretons, et les a
publiées sous le titre : Les Chevaliers bretons de Saint' Michel ^
depuis la fondation de l'Ordre, en i 469, jusqu'à l'ordonnance de 4 665
FRANCE. 423
{Nantes, Porest et Grimaud). II y a joint une utile préface sur l'his-
toire de l'Ordre et des notes nombreuses qui complètent les rensei-
gnements de J.-P.-L. d'Hozier.
Le troisième volume des Mémoires du marquis de Sourches (Ha-
chette) contient les années 4689, 4690 et 4694. Cet excellent mar-
quis est toujours également ennuyeux, également bien renseigné,
également consciencieux. Son journal est d'un grand prix pour les
historiens, mais la lecture en est laborieuse. A force de naïveté, il
finit pourtant parfois par avoir involontairement de l'esprit. Le
27 février 4689 : « on eut nouvelle qu'on avait encore tué en Viva-
rais 300 huguenots révoltés et quelques ministres, et le roi témoigna
en être fâché, disant qu'il aurait bien mieux valu les prendre et les
envoyer aux galères. Ce sentiment était conforme à sa bonté natu-
relle^ mais, dans la conjoncture présente^ il était plus de son intérêt
d'augmenter sa chiourme que de tuer ces insensés, car il voulait
armer cette année trente galères »
M. Frédéric Masson est un homme heureux. Il a eu le privilège
d'éditer les papiers du cardinal de Bernis-, et voici qu'en parcourant
une collection d'autographes, il y trouve un journal du marquis de
Torcy pendant les années 4 709, 4 74 0 cM 74 4 (Pion, Nourrit), journal
diplomatique et journal intime, document unique dans son genre,
qui nous fait assister jour après jour aux séances du conseil d'en
haut, et même à ces séances qui se tenaient dans la chambre et à
côté du lit de M"* de Maintenon. Ce sont des années tragiques que
ces années qui précèdent la paix d'Utrecht, où Louis XIV abaisse
son orgueil devant les marchands hollandais et les implore pour
obtenir la paix, mais où jamais il n'oublie ni ses devoirs de roi ni la
dignité du pays qu'il représente. Autant la politique de Louis dans
les préliminaires de la guerre de succession d'Espagne fut impru-
dente, vacillante et même déloyale, autant au moment des revers il
montra d'énergie, de lucidité et de grandeur d'àme. Il ne pouvait
avoir un auxiliaire plus honnête ni plus habile que Torcy. Son
journal servira à la gloire du ministre ainsi qu'à celle de son maître.
Nous sommes reconnaissants à M. Masson de nous avoir fait con-
naître, en Tannotant avec soin, ce document d'un prix inestimable.
La publication, par M. A. Michel, de la Correspondance inédite de
Mallet du Pan avec la cour de Vienne^ 4794-4798 (Pion, Nourrit),
a été une moins grande surprise pour les historiens que celle du
journal de Torcy, car on savait que Mallet du Pan avait été un des
correspondants attitrés de la cour de Vienne à l'époque de la Révo-
lution. L'on connaissait même par M. Sayous des fragments de ses
lettres \ mais la publication intégrale de cette correspondance offre
^ 24 BULLETIN HISTORIQUE.
néanmoins un puissant intérêt. M. Taine en a marqué le caractère
dans une préface écrite de sa meilleure plume. On n'est pas étonné
que la lecture de ces lettres lui ait inspiré une admiration et une
sympathie éloquentes, car plus d'une page pourrait, au style près,
paraître empruntée aux Origines de la France contemporaine. Mallet
du Pan^ comme M. Taine, voit surtout dans la France révolution-
naire et y analyse les progrès et les ravages de la maladie égalitaire,
de la fureur jacobine. C'était un caractère intègre, un observateur
attentif, un témoin renseigné par des agents nombreux et intelli-
gents, et il a noté avec sagacité tous les symptômes du mal qui
conduisit la France d'abord à l'anarchie, puis au despotisme. Toute-
fois, n'exagérons rien et ne nous extasions pas avec excès devant la
perspicacité de Mallet du Pan. Cette perspicacité, comme M. Taine
l'indique aux p. 3 et 4 de l'Introduction, il la dut plus encore à sa
situation et à son éducation qu'à la supériorité de son intelligence.
On est en effet étonné de trouver dans ses lettres, à côté de passages
remarquables, des exagérations choquantes et des illusions puériles.
Mallet n'a guère de nuances dans Tesprit et il entre une bonne dose
d'étroitesse dans la rigueur de sa logique. M. de Staël est à ses yeux
un jacobin, M"* de Staël « prodigue son impudence et son immo-
ralité. » Mallet du Pan accepte sans contrôle tous les bruits quand
ils sont défavorables aux révolutionnaires et, par contre, il s'exagère
singulièrement la force du mouvement de réaction monarchique. U
serait curieux de savoir quels étaient exactement ses correspondants
et quel accueil était fait à Vienne à ses renseignements. La préface
de M. Michel ne satisfait pas à cet égard notre curiosité. Sur le pre-
mier point, peut-être la solution est-elle' impossible; mais M. Michel
aurait certainement trouvé dans les archives de Vienne des rensei-
gnements précieux sur les relations de Mallet du Pan avec la cour
impériale. Il laissera à d'autres le soin d'achever une tâche qu'il
était très capable de remplir lui-même tout entière.
Le second volume des Mémoires du baron de Viirolles, publié par
M. FoRGUEs (Charpentier), l'emporte de beaucoup en intérêt sur le pre-
mier. Il comprend la période de la lieutenance de Monsieur pendant
laquelle Vitrolles fut secrétaire du conseil du gouvernement institué
par le comte d'Artois, les premiers temps du gouvernement de
Louis XVllI pendant lesquels relégué, à son grand dépit, dans des
fonctions mal définies de secrétaire d'État, il fut réduit au rôle de
spectateur impuissant, et enfin les Cent-Jours, où il fut l'auxiliaire
courageux et énergique du duc et de la duchesse d'Angoulême dans
leurs efforts pour soulever le Midi contre Napoléon. Le volume
s'arrête au moment où Vitrolles est conduit prisonnier à Vincennes.
FRANCE. ^25
Malgré son esprit chimérique et brouillon, YitroUes, qui était fort
avant dans la faveur de Monsieur et qui était au courant de toutes
les affaires de l'État, est pour nous un témoin précieux, car il est
sincère et intelligent. Il est en hostilité déclarée avec Tabbé de Mon-
tesquiou, en hostilité secrète avec Talleyrand, et il ne perd pas une
occasion de les rendre ridicules ou pdieux. Parmi les curieux récits
dont ce volume est rempli, le passage sur le fonctionnement du
cabinet noir est un des plus caractéristiques. Il ajoute un trait char-
mant à l'histoire de la routine en France, histoire fort riche, comme
on sait. Après la Restauration, quand on crut devoir réorganiser le
cabinet noir, le secrétaire d'État fut fort étonné de ne recevoir com-
munication que de lettres émanant de partisans fanatiques des Bour-
bons. Le cabinet noir avait simplement conservé la liste des suspects
du temps de l'empire et continuait à surveiller les menées des monar-
chistes.
Les Souvenirs sur r émigration^ l'Empire et la Restauration du
comte Alexandre de Puymaigre (Pion) n'apportent aucune révélation
politique et historique et n'ont pas un grand mérite littéraire, mais
ils sont écrits avec une évidente sincérité par un homme qui a été
mêlé de près à d'importants événements et qui les a jugés avec
impartialité. Bien qu'oflîcier de l'armée de Gondé et plus tard servi-
teur dévoué de la Restauration, M. de Puymaigre n'était rien moins
qu'un fanatique; ce n'était même pas un homme de caractère. A
l'armée de Gondé, il fut un brave soldat, mais, comme presque tous
ses compagnons, il donnait au plaisir et au jeu le temps qui n'était
pas pris par la guerre. Nous le voyons échanger des serments
d'amour éternel avec une jeune noble polonaise, puis l'oublier pour
l'as de pique; plus tard, à Paris, en cinq mois il ruine sa santé dans
le désordre, et dépense au jeu jusqu'aux diamants laissés par sa
mère. On pardonnerait encore tous ces désordres en songeant que
c'étaient là les mœurs ordinaires de la haute société du xviii® s.; ce
qui est plus grave, c'est que ce légitimiste entre dans l'administra-
tion impériale au lendemain de l'assassinat du duc d'Enghien; ce
qui est plus grave, c'est que ce légitimiste, qui passe son temps à
déblatérer contre le régime impérial, dénonce un pauvre diable de
marchand de vins qui tenait des propos malséants sur l'empereur;
il pousse M. de Vaublanc, le préfet, à faire un rapport à Fouché, et
le jacobin dénoncé est jeté en prison et menacé de déportation. 11 ne
se donne pas d'ailleurs pour plus courageux ni plus généreux qu'il
n'est; il dit sans vergogne : « Malo quietum seruitium quam peri^
eulosam libertatem, » et raconte comment, lors du choléra de 4832,
il planta là sa terre et ses paysans pour s'en aller chercher refuge en
426 BULLETIN HI8T0RIQUK.
Italie. Tous ces aveux dépouillés d'artifice nous permettent d'accorder
pleine confiance à M. de Puymaigre quand il se dépeint comme le
plus intègre et le plus équitable des fonctionnaires et quand il juge
ses contemporains. Ses récits sur Tarmée de Condé ajoutent plus
d'un trait curieux et pittoresque à ce que nous savons sur la vie et
les sentiments des émigrés. Le récit de son séjour à Hambourg pen-
dant les derniers temps de la domination française est plus impor-
tant encore, et ceux qui voudront juger Davout devront tenir compte
des souvenirs de M. de Puymaigre ; enfin il devra être consulté sur
les hommes de la Restauration qu'il a tous connus et dont il parle
sine ira et studio; il a tant vu de choses et d'hommes qu'il n'est
prompt ni à l'enthousiasme ni à l'indignation, ni à Tétonnement. II
est indulgent et perspicace.
Aktiquité. — La bibliothèque des Écoles de Rome et d'Athènes
vient de s'enrichir d'une série d'ouvrages importants sur l'antiquité
romaine ; ce sont les thèses de M. Bloch sur les Origines du Sénat
romain et sur les Adlecti in ordines functorum magistratuum^ celle
de M. Lafate sur le Culte des divinités d* Alexandrie hors de
r Egypte^ celles de M. de la Blafccheee sur Terracine et sur le Roi
Juba, celles de M. C. Jullian sur les Transformations politiques de
r Italie sous les empereurs romains et sur les Protectores et domestici
Augustorum, Ces thèses seront toutes l'objet de comptes-rendus
spéciaux dans la JRevue. Elles rendent un excellent témoignage de
l'activité de l'École de Rome. Les thèses de MM. Bloch et Jullian en
particulier s'attaquent à des questions très délicates de l'histoire des
institutions romaines, et elles laissent une trace durable.
Je ne citerai que pour mémoire les livres de M. de la Chauyelats
sur VArt militaire chez les Romains (Pion, Nourrit). Gomme il le
dit lui-même, il n'a pas écrit un livre d'histoire en érudit, mais un
livre de tactique pour faire suite aux ouvrages de Folard et de Gui-
schardt sur la matière.
M. de Presse xsé vient de donner une septième édition très rema-
niée de sa Vie de Jésus (Fischbacher). On y trouve une intéressante
introduction sur les plus récents travaux dont la vie du Christ ait
été l'objet. Le livre lui-même, où la prédication religieuse tient natu-
rellement une large place, est une étude consciencieuse, faite à un
point de vue supranaturaliste assez large, des problèmes divers que
soulève la biographie de Jésus. Les historiens seront en désaccord
. avec M. de Pressensé sur plus d'une question de critique. Ils n'ad-
mettront pas que « l'hypothèse des visions pour expliquer Tappari-
tion du Christ se heurte contre les données les plus élémentaires de
la psychologie » et qu'une même hallucination ne puisse se répéter
PiA!iaE. 127
chez plusieurs personnes. Yavons-nous pas vu, en I87â, des habi-
tants de Strasbourg, de Barr et de plusieurs villages alsaciens en
proie à des hallucinations qui leur faisaient voir des soldats français
sur les toits des maisons et dans les champs ? Ils admettront au
contraire comme très vraisemblable qu'un chrétien pieux ait écrit
l'Évangile de Jean, sans croire pour cela commettre un acte coupable ;
ne voyons-nous pas Salvien écrire une Épitre do Timothée et expli-
quer ce titre en disant qu'il a voulu mettre les vérités religieuses
sous le patronage d'un nom vénéré , tandis qu'en la publiant sous
son nom, il aurait agi contrairement à la modestie chrétienne ? Enfln
ils penseront que le désaccord entre les généalogies du Christ
(désaccord que M. de Pressensé n'explique pas), les contradictions
entre les récits des évangiles sur les derniers temps de la vie de Jésus,
le caractère profondément différent des synoptiques et du 4* évangile
ruinent la certitude historique des traditions du Nouveau Testament,
et ils n'admettront pas qu'on cherche à les concilier et à les faire
accepter pour certains par des arguments qu'on n'oserait pas pro-
duire s'il s'agissait d'événements de l'histoire profane. Nous ne
sommes pas de ceux qui rejettent le surnaturel au nom de la raison
et de la philosophie, la vie et le monde sont trop mystérieux pour
qu'on puisse taxer d'absurde aucune des explications qu'on en
donne; mais il n'est pas possible de concilier le surnaturel et la
critique historique; celle-ci s'arrête où le surnaturel commence, car
tous ses raisonnements reposent sur la conviction de l'immuabilité
des lois naturelles, et même, dans une certaine mesure, sur le déter-
minisme.
Moyen âge et temps modernes. — L'abbé Ulysse Ghe?alibr vient
d'achever la première partie de son Répertoire des sciences historiques
du moyen âge (Société bibliographique), celle qu'il intitule Bio-biblio-
graphie, et qui contient tous les noms de personnages connus du moyen
âge avec l'indication des ouvrages où il est fait mention d'eux. Fruit
d'un travail vraiment colossal, cet ouvrage, qui doit encore contenir
deux parties (faits et localités, œuvres littéraires] , n'est pas d'un
usage très commode, mais il est néanmoins très utile et il serait injuste
de chicaner pour quelques erreurs ou omissions le savant qui, au
prix d'un dur labeur, facilite la tâche de tous ses confrères en érudi-
tion et leur épargne un temps précieux.
L'ouvrage de M. Samuel Berger sur la Bible française au moyen
âge n'est pas précisément de notre domaine. 11 mérite cependant une
mention par le rôle que tiennent les livres sacrés dans l'histoire des
idées, de la littérature et des mœurs. Le livre de M. Berger est un
travail de recherches minutieuses et de critique excellente, exposé
^28 BULLETIN HISTORIQUE.
avec beaucoup de méthode et de clarté. Par Tétude d'un nombre con-
sidérable de manuscrits, il est arrivé à ce résultat très intéressant
que toutes les traductions françaises de la Bible, jusques à celle de
Lefèvre d'Étaples inclusivement, ont pour modèle commun la Bible
traduite sous saint Louis à TUniversité de Paris sur le texte latin.
Cette Bible, reproduite en grande partie dans la Bible historiale de
Guy art Desmoulins, mérite la vogue dont elle jouit par ses grandes
qualités littéraires. M. Berger a laissé de côté les Bibles rimées qui
forment Tobjet d'un Mémoire à part de H. Bonnard.
Nous avons déjà eu occasion de parler avec estime des travaux du
D' Gustave Le Bon. Il n'est malheureusement pas écrivain, mais il
apporte à Tétude de vastes et difflciles problèmes historiques une
application et une variété de connaissances qui rendent la lecture de
ses livres toujours profitable. Le grand ouvrage qu'il vient de publier
sur la Civilisation des Arabes (Didot) est le fruit non seulement de
vastes lectures, mais aussi de voyages en Espagne et en Orient, d'où
il a rapporté les éléments d'une illustration originale et intéres-
sante qui est un des principaux attraits du livre. Quant au plai-
doyer chaleureux et convaincu en faveur de la civilisation musul-
mane qui remplit ce beau volume, nous ne saurions y souscrire sans
de nombreuses restrictions. Les Arabes n'ont joué qu'un rôle relati-
vement restreint dans ce que l'on appelle la civilisation arabe. C'est
là un point que M. Renan a bien mis en lumière. Ce sont les Persans
d'un côté, les Berbères de l'autre qui, après la conquête arabe, ont
été au sein de l'islamisme l'élément artistique, scientifique et litté-
raire. Je doute aussi beaucoup que M. Le Bon arrive à persuader
à beaucoup d'occidentaux que la polygamie est une institution excel-
lente que nous devrions nous empresser d'introduire dans nos codes,
que les harems sont les asiles de la moralité et d'une vie de famille
exemplaire, et qu'enfin les femmes musulmanes sont plus heureuses
et plus cultivées que les parisiennes.
M. F. Kunx vient de donner le second volume de son Luther (San-
doz et Thuillier) qui s'étend du séjour à la Wartbourg à la Diète
d'Augsbourg. Gomme l'indique l'auteur, il écrit non une histoire de
la Réforme, mais une biographie, un portrait de Luther. Que le por-
trait soit un peu fiatté, que les faiblesses, les calculs, les alliances
compromettantes de Luther soient atténués, cela ne surprendra per-
sonne ; cependant on ne peut pas dire que M. Kuhn ait un parti pris
d'apologie. Il a cherché à nous montrer un Luther vrai et vivant et
il a réussi à écrire un livre attachant et d'un accent original sur un
sujet sur lequel il est difficile aujourd'hui de dire des choses nouvelles.
Nos lecteurs connaissent déjà la plus grande partie du travail que
M. Hanotaux publie sous le titre àî'Origines de PInstitulion des
intendants des provinces (Champion), mais ils seront heureux de
retrouver œs intéressantes études réunies en volume, complétées et
suivies de nombreuses pièces justificatives. M. Hanotaux a fkit net-
tement ressortir le caractère de ces commissaires extraordinaires qui
de Henri II à Louis XIII furent chargés de missions spéciales et tem-
poraires dans les provinces pour y réparer les maux de la guerre ou
de la mauvaise administration et &iro respecter les volontés royales,
dont le nombre alla toujours en augmentant, et qui finirent par deve-
nir si nombreux sous Richelieu que les historiens ont fkit honneur
à celui-ci de la soi-disant création des intendants. M. Hanotaux
prouve surabondamment que Richelieu n'a nullement créé de 4633 à
4637 un rouage nouveau de gouvernement. Nous croyons même quil
établit entre les premiers commissaires départis et les intendants du
règne de Louis XIV et de ses successeurs une distinction plus mar-
quée que celle qui exista en réalité. Les intendants furent toiyours
les commissaires départis, pris en général parmi les maîtres des
requêtes et qui revenaient ensuite au Conseil pour prendre part au
gouvernement central de TÉtat. Une institution qui, de sa nature,
avait un caractère provisoire, etquijusqu^en 4664 est signalée comme
telle, s'éternisa, parce qu'elle était commode pour le despotisme royal.
C'est là du reste le caractère commun d'une foule d'institutions de
l'ancien régime. Elles sont à Torigine des mesures accidentelles, occa-
sionnelles, transitoires, et elles se perpétuent après que les motifs
qui les ont fkit naître ont cessé d'exister. La France jusqu'en 4789
n'a pas eu d*institutions politiques et administratives proprement
dites, en dehors de la royauté. Elle a été gouvernée d^une manière
provisoire par une royauté absolue et sans contrôle ; aussi cette admi-
nistration provisoire, incohérente et arbitraire, s'est-elle efl'ondrée en
peu de temps sans laisser autre chose que des ruines et aussi, il
faut le dire, de détestables habitudes d'esprit et des mœurs adminis-
tratives dont nous souff'rons encore aujourd'hui.
M. FoRifERON nous raconte les malheurs d^une partie de ceux qui
furent les victimes de Tefibndrement du régime dont ils avaient été
les privilégiés. 11 a écrit une Histoire générale des émigrés pendant
la Révolution française (Pion, Nourrit). M. Forneron est un homme
de talent et un historien de grand mérite. Son Histoire de Philippe II
le prouve et son nouvel ouvrage ne le dément pas. Toutefois on ne
pourra s'empêcher de trouver qu'il a passé bien rapidement du xvi'
au xvin* s. et surtout qu'il s'est trop hâté de donner une Histoire
générale de l'éraigralion, alors que tant de documents d'archives
restent inexplorés. C'est en réalité « Histoire anecdotique de l'émi-
gration » qui serait le vrai titre de l'ouvrage. On trouvera aussi qu'il
était peu utile de refaire après M. Taine et dans la manière de M. Taine
Rev. Histor. XXV. !•' fasc. 9
430 BULLETIN HISTORIQITE.
un tableau de la société de Tancien régime et des premiers excès de
la Révolution. C'était affronter inutilement une comparaison redou-
table. On reprochera enfin à M. Forneron d'avoir dans tout son ouvrage
trop imité la manière de M. Taine. L'imitation d'écrivains d'une ori-
ginalité aussi puissante est toujours dangereuse. Si M. Forneron avait
suivi l'exemple de M. A. Lebon et traité un point du vaste sujet qu'il
a parcouru un peu superficiellement, il aurait peut-être fait un livre
moins amusant, il aurait fait un livre plus utile.
Parmi les familles aristocratiques qui furent victimes de la Révo-
lution, une des plus frappées fut celle de H. de Montmorin, un des
ministres libéraux de Louis XVI dont la fatalité des circonstances fit
un des complices des négociations de Marie- Antoinette avec l'Autriche^ .
La fille de Montmorin, Pauline, comtesse de Beaumont, survécut à
la tourmente, mais brisée de corps et d'âme. Cette femme d'un esprit
délicat et enthousiaste à la fois, d'un cœur tendre, pur et passionné,
restée presque seule et ruinée après la mort des siens et sa sépara-
tion d'un mari indigne, semblait ne plus vivre que pour l'amitié, pour
les joies apaisantes et fortifiantes que pouvait lui donner la société
d'hommes comme Joubert ou Fontanes, quand elle connut Chateau-
briand. Du jour où elle le vit, elle ne s'appartint plus. La gloire, l'œuvre,
lebonheur de Chateaubriand furent sa seule pensée. Le Génie du chris-
tianisme^ Hené^ Atala, qu'il écrivait alors, doivent peut-être à cette
tendresse féminine les accents qui nous touchent le plus aujourd'hui.
L'âme la plus hautaine et la plus personnelle qui fut jamais trouvait
en Pauline de Beaumont l'incarnation du dévouement et de l'oubli de
soi-même, et cette image si pure protège encore sa mémoire contre le
jugement de la postérité. Elle lui fait involontairement un mérite d'avoir
été aimé par un si noble cœur. Ce moment d'enthousiasme et de
bonheur fut court. Pauline avait toujours été délicate; au moment où
Chateaubriand partit pour Rome, elle ne put le suivre et ne le rejoi-
gnit un peu plus tard que pour mourir. Ces derniers jours, immor-
talisés par les Mémoires d'outre-tombe, furent d'une incomparable
poésie et on ferme le livre que M. Bardoux vient de consacrer à -Paw-
Une, comtesse de Beaumont (Lévy), avec une émotion presque reli-
gieuse. Dans le Comte de Montlosier^ M. Bardoux nous avait déjà
donné un chapitre de l'histoire intellectuelle et morale de la France
pendant la Révolution et l'Empire. Le nouveau chapitre qu'il nous
offre aujourd'hui est d'un intérêt plus profond et plus poignant.
Le volume de Souvenirs de jeunesse de Michelet que vient de publier
sa veuve nous transporte à peu près à la même époque. Ce volume
1. M. Bardoax yeat en yain laver Montmorin du reproche d'aToir été membre
actif du comité aatrichien. M. Fianunermont a retrouvé aux Archives de Vienne
des lettres du ministre français.
FRANCE. 434
a été une surprise pour le public ; Michelet a tant mis de son âme
dans ses livres, il s'est tenu si résolument éloigné de la vie publique
qu'on ne pensait pas quMl eût à écrire des mémoires; si l'on avait
songé à des mémoires de lui, on eût imaginé une œuvre colorée,
débordante d'une sensibilité exaltée. Ce qui frappe et charme tout
d'abord dans Ma jeunesse (Lév)), c'est la simplicité du récit. Michelet
est venu au monde à un moment tragique, tragique pour la France
et tragique pour sa famille, il a eu l'enfance la plus sévère, la plus
pénible ; il s^est formé seul, par un labeur héroïque \ il n'a rien dû
qu'à lui-même et à son génie. Nulle part dans son livre on ne trouve
une sensibilité qui s'exalte et se complaît dans le récit de malheurs
personnels ; nulle part l'orgueil ne met de note discordante dans ces
conOdences charmantes où l'amour est si juvénilement pur et timide
et où Tamitié est plus passionnée que l'amour. Il n'y a pas à analyser
ni à juger ces souvenirs que Michelet avait notés sur des feuillets
détachés sans souci de l'ordre chronologique ou de la composition
littéraire, et dont une main pieuse et habile a fait un livre. U faut le
Ure et s'en laisser pénétrer. J'en connais peu d'aussi bienfaisants.
M. Ch. DE Mazade a consacré à Monsieur Thiers (Pion, Nourrit) un
volume où l'on retrouve les qualités ordinaires de l'honorable acadé-
micien. On aurait souhaité peut-être plus de vivacité dans la biogra-
phie de ce petit grand homme, toujours pétillant d'esprit et d'activité,
plus de liberté aussi dans la critique, plus de sévérité à signaler ce
qui a manqué à M. Thiers pour être un vraiment grand homme d'État
et un vraiment grand historien. Malgré ces réserves, on lira avec
intérêt et agrément cette biographie consciencieuse, écrite dans un
esprit sagement libéral et prudemment conservateur.
Signalons en fmissant le livre du P. Didon sur les Allemands (Lévy).
Celte peinture vive, éloquente de la vie scientifique des universités
allemandes, par un homme qui avait vécu jusque-là dans des milieux
tout différents, qui ne connaissait rien de l'Allemagne et qui a été
sévèrement, naïvement frappé de la puissance de l'organisation et de
la vie universitaires, choquera en France plus d'un préjugé, mais fera
réfléchir les esprits sérieux. L'œuvre du P. Didon est une œuvre de
bonne foi, sérieuse, courageuse, patriotique. On y trouvera quelques
exagérations, quelques illusions, des appréciations erronées sur des
points particuliers, sur le rôle de la théologie par exemple ; mais dans
son ensemble le livre est vrai. On voudrait le faire lire aux insensés
qui veulent en ce moment tuer le génie de la France sous un régime
militaire écrasant et inique -, mais cette lecture porterait-elle aucun
fruit sur des hommes assoifés de popularité ou sur des esprits sans
culture scientifique et incapables même de comprendre ce qu'est la
science ? G. Moptod.
4 32 BULLETIN HISTORIQUE.
ANGLETERRE.
Depuis le dernier bulletin relatif aux travaux publiés dans notre
pays sur Tépoque ancienne et sur celle du moyen âge, il est paru
beaucoup de livres importants^ et une masse considérable de docu-
ments, matériaux dont les historiens futurs pourront faire leur profit.
Une simple liste des ouvrages notables publiés pendant ces deux
dernières années demanderait plusieurs pages d'impression ; nous
n*en pouvons indiquer ici qu'un petit nombre. Le regretté M. Richard
Greeih avait entrepris la tâche de récrire en grand détail son Histoire
du peuple anglais, qui a obtenu une si extraordinaire popularité. La
première partie : « Comment s'est faite l'Angleterre \ » fut écrite
avec tout le feu et l'éloquence qui caractérisent les autres ouvrages
de M. Green, et fut heureusement achevée. Quant à la seconde :
« La conquête de l'Angleterre ^, » Fauteur n'a pas assez vécu pour
la revoir ; c'est sa veuve qui eut le devoir de la publier. Ce dernier
livre n'a peut-être pas été écrit d'une façon qui eût satisfait l'auteur;
c'était, en effet, un écrivain plus exigeant pour lui-même qu'on ne
l'est d'ordinaire. Il n'est guère de chapitre qui n'ait été récrit jus-
qu'à cinq fois : de nouveaux faits, de nouvelles découvertes, un
jugement différent sur les événements ou sur les hommes décidèrent
M. Green à refondre chaque fois des parties entières de son livre. Il
était touchant d'apprendre comment M. Green, bien qu'étendu sur
son lit depuis plusieurs années, et consumé par la maladie, garda
jusqu'à la fin son enthousiasme^ et se cramponna pour ainsi dire à
la vie par un violent désir de terminer, de main d'ouvrier, l'entre-
prise qu'il regardait presque comme imposée par Dieu. On se sent
pénétré d'une sympathie secrète en lisant dans son livre le récit de
la mort de Bède : plus le docte vieillard sentait la mort approcher
rapidement, plus il travaillait avec ardeur. « Je ne veux pas que
mes enfants lisent un mensonge, » disait-il ; « je ne veux pas avoir
travaillé pour rien quand je serai parti; » et il ne cessa d'enseigner
pendant tout le jour, disant seulement d'un air joyeux à ses dis-
ciples : « Apprenez le plus vite possible ; je ne sais combien de temps
je durerai encore. » L'aurore se leva après une nouvelle nuit sans
sommeil, et le vieillard appela de nouveau ses disciples autour de
lui et leur dit d'écrire. « Il manque encore un chapitre, dit le scribe,
1. Tke Making of England. Londres, Macmiiian, 1881.
2. The Conquest of England. Ibid., 1883.
13ICLETE11E. 133
lorsque le matin fdt aTancé, et il est pénible pour toi de te questionner
toi-même plus longtemps. » — «Il fôiut que cela se passe, > dit
Bède; « prends ta plume et écris vile. » Ce récit des derniers jours
de Bède est sans contredit vrai historiquement ; mais c'est davan-
tage encore : l'auteur y a fait entrer quelque chose de ses impres*
sions personnelles, et c'est ce qui le rend doublement louchanL Au
moment même où M. Green décrivait cette scène, il était lui-même
dans la situation de Bède, souhaitant ardemment de terminer son
livre avant que la mort vint l'enlever à son lit de souffrance.
A notre époque d'attentive recherche et de spéculation philoso-
phique, M. Green était presque seul un historien de sentiment. Les
sentiments ordinaires du patriotisme qui existent dans tous les cœurs
étaient extrêmes chez lui; c'était de la passion. A ses yeux, la plus
grande grâce qu'un homme pût recevoir do Dieu sur terre, c'était
d'être né Anglais, et il éprouvait un plaisir, une tendresse singulière
à raconter l'histoire des Anglais depuis leurs plus anciennes ori-
gines. Aussi longtemps que ses forces le lui permirent, il parcourait
l'Angleterre en tous sens, longeant les rivières, travei'sant les mon-
tagnes, visitant les endroits sanctifiés par des traditions de la valeur
et de la piété anglaises. Il ne décrit aucun lieu qu'il n'ait visité lui-
même. Quil parle de Lindisfarne, de Wear et do Jarrow, les ber-
ceaux de la science anglaise, de Winchester, d'York et de Londres,
les plus anciennes parmi les principales villes de l'Angleterre, du
Weald de Kent, de la forêt de Sherwood ou de l'OfTa's Dyko, il décrit
des scènes qui toutes lui sont familières. Personne, depuis M. Guest,
n'a autant voyagé que M. Green. Aidé de sa femme, il fît do ses voyages
un compte-rendu spécial, et écrivit la meilleure géographie abrégée
des Iles-Britanniques que nous possédions*; si bref qu'il soit, co
livre ne s'adresse pas seulement aux écoliers ; toute personne qui
voudra étudier M. Green devra le connaître. Les événements de l'his-
toire qu'il raconte dans les deux volumes signalés plus haut, et la
rareté des documents le forcèrent à demander beaucoup à l'archéo-
logie et à la géographie. Il dit dans sa préface : a Des recherches
archéologiques sur les emplacements des villas et des villes, ou le
long des routes et des fossés, nous fournissent souvent des témoi-
gnages plus sûrs que celui des chroniques écrites; le sol lui-même,
où nous pourrons lire les renseignements qu'il nous présente, soit
par l'histoire de la conquête, soit par celle de l'établissement des
envahisseurs en Bretagne, offre les documents les plus complets et
les plus certains. La géographie physique a encore un rôle à jouer
1. Gtoçraphy of ihe British isles. MacmiiUn, 1880.
434 BULLETIN HISTORIQUE.
dans la résurrection écrite de Fhistoire humaine, à laquelle elle
donne tant de son relief et de sa forme. Dans le présent ouvrage, si
imparfait qu'il soit, j'ai essayé de mettre à profit ses renseignements.
Bède lui-même m'a fourni de nouveaux matériaux. Si on Ta mis lar-
gement à contribution pour Phistoire ecclésiastique et politique de
son temps, on n'a pour ainsi dire pas tiré parti des détails dissémi-
nés çà et là sur la société de Tépoque. »
En toutes ces matières, M. Green était un ardent disciple de feu
le Dr. Guest ; il en avait Tenthousiasme, et aussi la puissance de
travail. Il s'indigne que a cette période de notre histoire demeure
relativement inconnue, et que ses luttes, douloureux enfantement de
notre vie nationale, fussent encore, ce qu'elles étaient pour Milton, de
simples combats de corneilles et de milans! » A ses yeux, cette
période a quelque chose de sacré. Plus il s'enfonce dans l'histoire du
peuple, plus il se le représente sans alliage, plus il le voit doué de
qualités réellement anglaises, et par conséquent plus son enthou-
siasme grandit. Peut-être son enthousiasme pour la race anglaise
l'a-t-il conduit à déprécier l'influence exercée par les Celtes, posses-
seurs du sol, sur les envahisseurs (il est encore des gens qui
refusent d'appeler les Angles et les Saxons par le titre générique de
peuple anglais), et il a certainement écrit avec des idées préconçues,
méthode toute contraire à la circonspection qu'on a tant louée dans
Hallam, et qui explique peut-être l'idée très fortement conçue, mais
assez étroite, qu'il s'est faite de cette période. Certes, personne ne
dira d'aucun des ouvrages de M. Green ce que Carlyle disait de ceux
de Hallam : « Eh ! le pauvre squelette décharné de livre ! » M. Green
expédie les préliminaires en un court chapitre, puis il s'élance dans
son sujet. Il s'écrie avec une joie d'enfant : « Avec le débarquement
de Hengist et de sa bande guerrière, commence l'histoire d'Angle-
terre. Nous n'avons plus à suivre des yeux le développement de la
vie romaine sur un sol d'où la vie romaine a été balayée, ni à inter-
roger l'obscure mémoire d'un passé évanoui, dans le vain espoir de
ressusciter la vie qu'ont vécue nos pères dans leur pays originaire,
le long de la Baltique. Du moment où ils mettent le pied sur la grève
de Thanet, nous suivons l'histoire des Anglais dans le pays dont ils
ont fait leur patrie. » Voilà du sentiment, de Tenthousiasme, de la
poésie I Mais, après tout, nous ne sommes pas convaincus qu'on nous
donne là le véritable caractère de la a Conquête anglaise; » nous
nous faisons difficilement une idée de ce qu'ont été les rapports
entre les peuples envahisseurs et les peuples qui se retirèrent devant
eux, au moins pour les premières générations. Nous ne pouvons
nous empêcher de croire qu'il s'est opéré une certaine fusion entre
ANGLETBBRE. ^35
les deux races; ainsi, dans le cas des Hwîccas, M. Green ne sait
guère lui-même à laquelle il doit les attribuer. Nous ne pouvons
nous empêcher de croire que des institutions celtiques et romaines
ont survécu, spécialement dans les villes et dans les modes
de culture. En lisant le livre de M. Green , on éprouve une
vive jouissance; mais les doutes assaillent notre esprit quand
ensuite nous prenons Touvrage de M. Seebohm sur la communauté
primitive de village en Angleterre, et le soupçon nous apprend que
cette brillante peinture est l'œuvre imaginée par un poète, plutôt
que le résultat d'une recherche approfondie et de patientes compa-
raisons. Non, bien que TAngleterre, à cause de sa position insulaire,
ait une histoire plus complète et plus renfermée en elle-même qu'au-
cun autre pays, nous ne pouvons négliger les antécédents du pays
conquis par les races teutoniques, ni la comparaison des envahis-
seurs avec les peuples frères qu'ils ont laissés derrière eux sur le
continent, et nous ne pouvons perdre de vue ces deux facteurs en
étudiant les forces en action dans une période quelconque de notre
histoire. C'est ainsi que récemment, dans ses Romans in Britain,
H. Coote a donné tant de preuves de la persistance de l'influence
romaine dans les institutions anglaises. M. Green suit avec un vif
intérêt la conquête du pays pouce à pouce ; il accompagne pas à pas
ses Angles et ses Saxons bien -aimés le long des fleuves, à travers
les bois, les collines et les plateaux ; tous les lecteurs n'entreront
pas dans ce sujet avec le même enthousiasme. La quantité de détails
qui ne leur sauraient être familiers est extrême, malgré le secours
des cartes insérées dans le volume et plusieurs fois répétées; aussi
plus d^un retoumera-t-il à l'opinion de Milton, que ces luttes anti-
ques sont comme « les combats des milans et des corneilles, » tant
sont obscurs le caractère, le lieu et la date des engagements qu'enre-
gistrent les chroniques de ces âges reculés. Le style de M. Green est
rapide et nerveux, non sans une certaine afljectation de o vieux
anglais, » qui plait tant aussi, on le sait, à son ami M. Freeman.
Terminons par une dernière observation : les cartes, soit du Making
of England, soit de la Short Geography^ sont très insufflsantes -,
celles des Origines celticae de M. Guest sont bien supérieures.
Parallèlement au livre de M. Green, on peut lire celui de M. Fréd.
Seebohm sur la communauté de village en Angleterre * ; mais on y
trouvera des principes tout différents. Avec une modestie qui sonne
1 . The english village community examined in iU relations io ihe manorial
and tribal Systems and to the common or open /ield $y$iem of husbandry.
Londres, Longmans, 1883.
4 36 BULLETIN HISTORIQUE.
comme un reproche aux oreilles du lecteur, M. Seebohm s'excuse de
lui présenter « cet imparfait essai, s auquel il a « consacré plusieurs
années de loisirs. i> Son essai est « une tentative pour mettre This-
toire économique de l'Angleterre dans la vraie direction dès ses débuts
historiques, en étudiant la question toujours ouverte de savoir si
elle a commencé par la liberté ou par le servage de la masse du
peuple, si les communautés de village, vivant dans les « hams » et
les « tons » de l'Angleterre, étaient à Torigine de l'histoire anglaise
des communautés libres, ou des serfs associés sous un propriétaire
de manoir; enfin, quels étaient leurs rapports avec les commu-
nautés de tribu, avec les parties occidentales et moins facilement
conquises de Tile. De la réponse à cette question dépend essentiel-
lement ridée que doivent se faire les historiens (disons aussi les
hommes politiques) sur la nature de révolution économique qui
s'est accomplie en Angleterre depuis la conquête anglaise. D'après
un système, l'histoire économique de l'Angleterre commence par
de libres communautés de village qui ont peu à peu dégénéré pour
tomber dans le servage du moyen âge. D'après l'autre, elle com-
mence par le servage des masses de la population rurale sous le
gouvernement saxon, servage dont il a fallu mille années à l'évolu-
tion économique pour s'affranchir. » L'âme de M. Green eût été
tourmentée à la pensée que de pareilles questions pussent être
posées. Que devient sa noble théorie d'une communauté primitive
d'Angles ou de Saxons Ubres « où tous étaient égaux, ou le oui et le
non d'un homme dans l'assemblée étaient aussi bons que ceux d'un
autre, et où sa forte main droite pouvait aussi bien manier l'épieu
et le « seax » et assurer le respect de sa personne ou de sa terre,
que celle d'un autre? » Cette agréable théorie démocratique a beau-
coup contribué à l'extrême popularité de son histoire, de cette his-
toire que, conformément à sa théorie, il intitula Histoire du Peuple
anglais. Mais, comme le dit M. Seebohm, la question est une ques-
tion ouverte. Un des disciples les plus profonds et les plus sérieux
de cette école, dont MM. Green et Freeraan sont cités d'ordinaire
comme les principaux représentants, M. Stubbs s'exprime lui-même
avec précaution sur le sujet; le problème est discuté en même temps
en France, en Allemagne et en Amérique. M. Seebohm sent très bien
l'opposition fondamentale de ses vues avec celles de M. Green. Il
dit : a Le résultat d'une enquête strictement économique pourrait
bien prouver qu'à la formation de l'Angleterre contribuèrent plus
d'éléments que les envahisseurs anglais de la Bretagne n^en appor-
tèrent dans leurs barques. » Malgré l'absence de témoignages irré-
cusables que regrettait si fort M. Green, on peut admettre comme
▲HGLBTBllB. 437
possible « que Thistoire économique trouve parfois de solides points
d'appui qui permettent d'établir des liens qui manquent dans
Fhistoire constitutionnelle; et il ne s'ensuit pas que la continuité
perdue pour Tune ne puisse pas avoir été conservée pour Tautre. »
Nous ne pouvons mieux exposer la théorie et la méthode de
M. Seebohm qu'en reproduisant ses propres paroles :
c La communauté de village anglaise, comme celle du continent,
habitait un territoire sans clôtures, mais nettement limité : c'est Vopen
fUld System; elle y était curieusement attachée et adoptée et en était en
apparence inséparable, comme le mollusque de sa coquille. Les débris
de cette coquille, après qu'elle eut été brisée, survivent encore dans les
paroisses où aucune loi autorisant les clôtures (Ënclosure Act) ne les a
encore fait disparaître. Le système du territoire commun ou sans clô-
tures peut être aujourd'hui encore étudié sur le terrain môme dans le
village (township) où j'écris (celui de Hitchin), aussi bien que dans
beaucoup d'autres. Il y a encore aujourd'hui des gens qui ont occupé
et exploité des fermes sous ces règles incommodes, qui en comprennent
les termes et les singuliers détails. Profitant de cette circonstance, la
méthode employée dans cet essai consistera d'abord à nous familiariser
avec les noms, caractères distinctifs du système anglais de l'open-field,
de façon qu'on les reconnaisse facilement dès qu'ils se présenteront, puis,
en procédant du connu à l'inconnu, à rechercher ces traits distinctifs
dans le passé aussi loin que les documents nous le permettront. Con-
naissant ainsi l'exploitation du sol, nous étudierons ses habitants ; nous
examinerons comment la communauté de village anglais, réduite au
moyen âge au servage, s'adaptait à la condition de la terre ; puis, allant
de nouveau du connu à l'inconnu, il sera peut-être possible de distin-
guer si, aux temps historiques, elle avait été jamais libre, ou si le ser-
vage y était aussi ancien que l'exploitation môme du sol. »
n va sans dire que, d'après M. Seebohm, le servage était aussi
ancien que ce système même d'exploitation. Il lui importait assez
peu de savoir quels maîtres le pays avait trouvés-, le système agraire
était le même il y a deux mille ans ; il s'est usé peu à peu lui-même
depuis un millier d'années; que la race conquérante et dominante fût
celle des Celtes, des Angles, des Saxons, des Danois ou des Nor-
mands, la communauté ne cessa de pratiquer le même mode de cul-
ture, de tenure et d'habitation, et retomba toujours dans le système
de la génération précédente. C'est encore à M. Seebohm que nous
demanderons de nous exposer les résultats de ses recherches.
« Pendant toute la période qui s'étend de l'époque pré-romaine à
notre temps, nous avons trouvé en Bretagne deux systèmes parallèles
d'économie rurale côte à côte, mais séparés et agissant sur des voies
tout à fait différentes, en dépit des invasions romaines, anglaises et
43S BULLETIN HISTORIQUE.
normandes : celui de la communauté de village dans les districts orien-
taux de File, celui de la communauté de tribu dans les districts occiden-
taux. Aussi loin que Ton puisse remonter à Taide des documents, ces
systèmes présentent deux caractères communs : la communauté et
Tégalité, et chacun était associé à un régime particulier d'exploitation
du sol en commun et sans clôtures (the open or common ûeld System
of husbandry). Ces deux formes différentes du régime d'exploitation
commune se maintinrent tout le temps distinctes et le sont encore dans
ce qui reste d'elles ou qui leur survit.
c Aucun de ces deux systèmes ne parait avoir été introduit en Bre-*
tagne pendant une période historique remontant au moins à deux
mille ans.
c D'une part, la communauté de village des districts orientaux était
liée à un système déterminé de culture qui, antérieur à l'invasion
romaine et amélioré pendant l'occupation romaine, fut continué jus-
qu'à la fin sous cette forme d'exploitation triple et commune (that three-
field form of the open-field System) qui est devenue le champ d'action
de la communauté anglaise de village. L'égalité des parcelles de ter-
rain et la succession indivise qui préservait cette égalité sont des marques
évidentes, non d'une liberté originaire, non d'une répartition allodiale
du sol d'après le système de la c mark i germanique, mais d'un ser-
vage fixe sous l'autorité d'un maître, un mode de tenure à demi servile,
qui impliquait un simple usufruit, concédé seulement à vie ou à la
volonté du seigneur, et qui n'entraînait avec lui aucun droit d'héritage.
Cependant ce servage n'était pas pour la masse du peuple un état de
dégradation ; c'était au contraire un pas en avant hors de l'esclavage
primitif. Pendant les douze cents ans où s'étendent les preuves directes
tirées des documents anglais, la tendance est manifeste vers une liberté
de plus en plus grande. En autres termes, à mesure que le temps a
marché pendant ces douze cents années, le servage de l'ancien ordre de
choses s'est peu à peu brisé sous l'influence de causes quelles qu'elles
soient, qui ont produit l'ordre de choses nouveau. »
Pour appuyer sa théorie, qui ne parait pas d'ailleurs à l'abri de la
critique, M. Seebohm a utilisé un grand nombre de documents; il a
tiré des trésors d'informations des rôles des centaines, des comptes
des baillis et autres comptes Ûe manoirs, dont on n'a que récemment
reconnu l'inépuisable richesse. Mais il semble avoir entièrement
négligé un champ d'observations : plus que les arguments fournis
par le système irlandais et gallois, le système Scandinave aurait fourni
matière à d'instructifs rapprochements. Nous comptons que M. See-
bohm ou quelque autre érudit en fera profiter le monde savant.
En dehors des résultats spéciaux auxquels il est arrivé, M. Seebohm
montre combien peu la conquête successive et les révolutions poli-
tiques ont altéré le caractère national. La destruction de l'heptarchie,
la conquête normande, la rupture avec Rome^ la destruction de la
•
monarchie, riisarpatk>n de CromiireU, laréTolution aristocratique de
4688 n'ont, après tout, agi qa*à la sur^iœ^ ei onl eu beaucoup moins
d'influence sur les dioses que le changement du tra>7iil hebdomadaire
dû par le tenancier à son seigneur, en une redevance en argent. Dans
le passage cité plus haut, M. Seebohm parle de <i ces influences,
quelles qu'elles soient, * qui ont conduit a ladis^xtrition du servage.
Ailleurs, il exprime Topinion que « Tinfluence du christianisme no
peut être appréciée trop haut; mais il y eut aussi une influence pure-
ment économique à l'œuvre : c'est celle des Danois, qui ont laissé des
traces dans les usages particuliers du nord de TAngleterre. M. Seebohm
estime que dans le Domesday book, les Theows et les Servi n'existent
pas dans les parties de l'Anglelerre soumises aux Danois; mais il
n'indique pas combien fut grande l'influence exercée par ces émi-
grants du nord sur la communauté entière. Les Adscripd glebae
étaient inconnus au nord de WaUing Street. Il indique comme étant
l'origine de la communauté de village en Angleterre, non le système
de la « mark » germanique cher à M. Green, mais celui de la « villa »
romaine. Malgré l'originalité de pensée et de recherche dont il a fait
preuve à ce sujet, sa théorie reste très discutable. Le « three-field
System, » qu'il semble vouloir identifier avec l'origine romaine du
village, existait manifestement en Germanie. P. 75, il mentionne
la location de villages aflermés aux villageois, dont il est souvent
question dans le comté danois de Nottingham, mais il ne fait pas
ressortir toute l'importance constitutionnelle de ce fait qui montre
l'origine de la Firma burgi^ et qui explique comment un village a pu
devenir un bourg. Nous regrettions plus haut que M. Seebohm n'eût
pas tiré parti des documents Scandinaves-, il est facile de prouver par
un exemple combien cette omission est fâcheuse : M. W. Arnold, dans
sa Deutsche Urzeit^ a essayé de rattacher les terminaisons des noms
de lieu en ing et en ingen à des étabUssements d'Alemans et de tri-
bus bavaroises, celles en heim ou ham à desétaljiissemenU de tribus
franques, théorie que M. Seebohm est disposé à admettre; mais elle
s'écroule si Ton considère combien les terminaisons en heim et tin
ham sont fréquentes en Scandinave, comme celles en heimr le s^int
en vieux norois, et si l'on se rappelle que ing et ingen 8r>nt encore
aujourd'hui représentés dans les noms de lieu Scandinaves : on Wa
trouverait aussi très (iurilement dans les chartes en vieux m/roi» et,
croyons-nous, dans 1' « Eartb-book » du roi Waldemar, le iKifiw?*-
day-book du Danemark. Quoi qu'il en s^>it de ces critiquer, le livre
de M. Seebohm est dans son ensemble la plus v^ide r/mUifmiif/n ^
rhiâtoire coostitatîonDelle de l'Angleterre qui ait paru fU^êê k irnaâ
ouvrage de M. Stubbs.
440 BOLLETIN HISTOEIQUB.
*
Les plus anciennes explications tentées en Angleterre d'un système
qui tombait déjà en décadence se trouvent au xvr siècle. On a dit
que le sol de TAngleterre a dû être à un certain moment divisé entre
des favoris et des capitaines ; ceux-ci auront ensuite réparti leurs
tenanciers, esclaves pour la plupart, d'après ce singulier mode de
distribution. Nous voyons maintenant les points faibles de cette
théorie. Pourquoi les auteurs du système se sont-ils rencon-
trés à établir partout le même mode de tenure? Comment en
sont-ils arrivés à inventer les règles extrêmement compliquées de la
culture coopérative dont Texistence ne faisait pas doute ? Que signifie
l'organisation d'une administration et d'une juridiction communes
qui se trouve partout où l'on fait la moisson en commun ? Maurer a
répondu à ces questions par sa théorie de la Mark. M. Seebohm aussi
donne une place à la communauté de village et à la culture coopéra-
tive; mais, pour lui, la communauté est encore à son origine une
création du seigneur propriétaire du sol ; les vilains ont été d'abord
des esclaves, ou ne se distinguaient pas de ses esclaves. M. Seebohm
a sans contredit puisé ses renseignements à la vraie source; des
recherches plus approfondies et plus attentives dans les anciens docu-
ments jetteront certainement la lumière sur beaucoup de points encore
enveloppés d'obscurité. Il a enfin exposé avec une abondance de détails
inconnue jusqu'ici le mode étrange d'après lequel on trouve les
tenanciers répartis. La question principale est maintenant de savoir
la situation des tenanciers dans Tétat de villenage. On dit que
M. Seebohm poursuit ses recherches sur le même domaine et qu'il
prépare une histoire du « Manoir » en Angleterre.
M. Seebohm s'est appliqué à éclaircir un seul point de l'histoire
économique. Si l'on veut avoir une vue d'ensemble de l'histoire de
révolution économique en Angleterre, nous pouvons recommander
le livre de M. Cunni.xgham sur le développement de l'industrie et du
commerce anglaise Le sujet est très vaste; l'auteur l'a traité briève-
ment, mais complètement. Cette brièveté ne lui permettait pas d'em-
ployer les documents d'une façon aussi brillante que M. Seebohm l'a
fait dans son livre ; nous ne trouvons pas non plus chez lui la même
originalité de pensée. Il s'est proposé de montrer Faction constante
des influences qui ont conduit de l'ancien état de choses au nouveau,
et aussi les rapports qui existent entre l'histoire industrielle et l'his-
toire politique. Au début, il admets sans hésiter, que la « mark »
germanique est la base sur laquelle repose la communauté anglaise.
1. The growth of english Jndustry and Commerce. Cambridge aniversity
press, 1882.
ANGLETERRE. H\
Son livre a précédé celui de M. Seebohm ; s'il avait pu le connaître,
il n'est pas douteux qu'il n'eût été obligé de remanier ses premiers
chapitres. 11 parait le plus faible justement pour cette époque primi-
tive que M. Seebohm a traitée si complètement ; de là quelque con-
fusion dans ce qu'il dit des origines de la propriété foncière. Tacite,
le Fleta et les coutumes allemandes d'Altenstadt en 4485 par exemple,
ne sauraient être allégués sur le même point. Nous comprenons que
M. Gunningham ne soit pas convaincu par tous les arguments de
M. Goote dans ses « Romains en Bretagne; » mais nous ne pensons
pas qu'après avoir lu le livre de M. Seebohm, il continuât à nier la
théorie de M. Goote, que le système romain de tenure n'a pas cessé
d'exister en Bretagne. « La prétention persistante de ce mode de
tenure, dit M. Gunningham, est incompatible avec l'existence de la
mark; nous pourrions expliquer l'existence d'un système agraire tel
que celui du xvi* siècle, mais non la mark qui l'a précédé, et qui
parait avoir été presque universelle. » M. Gunningham n'a pas fait
attention que le système de la mark n'était pas un fait assuré, mais
tout au plus une théorie acceptable-, il a sacrifié au désir d'être clair
et simple la discussion nécessaire des théories. Gomparez par exemple
ce qu'il dit, p. 44, du système social à l'époque saxonne avec le cha-
pitre de M. Seebohm intitulé « Saxon évidence, » et ce qui dans les
deux ouvragesa trait aux servicesdus par les vilains à Fépoque féodale.
Mais d'autre part, lorsque M. Gunningham est sorti de ces temps
primitifs, que la rareté des documents nous rendent si obscurs, il
devient moins confus, et il termine son livre par un admirable résumé,
où il expose des vues intéressantes sur l'avenir. L'appendice est enri-
chi de plusieurs tables qui montrent la valeur comparative des mon-
naies, des salaires, du blé, etc. ; l'accroissement comparé des revenus
publics et de la dette nationale, de la population et des exportations.
Terminons par une citation sur Guillaume le Roux, où M. Gunnin-
gham se rencontre avec M. Freeman, sur le livre de qui nous revien-
drons plus tard :
« L'histoire des règnes des deux fils de Guillaume le Conquérant met
en pleine lumière l'extraordinaire influence exercée par le caractère de
ce roi sur la condition entière de la société et sur les rapports de la vie
privée. Guillaume le Roux, avec une certaine bienveillance chevale-
resque, mais no craignant ni Dieu ni homme, saisit toutes les occasions
d'exactions que Tingénuité de Ranulf Flambard put lui procurer, pour
entretenir un corps de mercenaires et pour payer la construction des
châteaux et des défenses élevés à Londres, à Garlislo et ailleurs. C'est à
cette époque que le service militaire dû par les tenanciers fut pour la
première fois explicitement demandé ; tout ce qui se trouvait en germe
H2 . BULLBTIH HISTORIQUI.
dans le Domesday book sans y être nettement formulé nulle part reçut
alors ses développements logiques et implacablement exigés. L'impôt
féodal était une aide donnée en cas de nécessité, et l'art des conseillers
de la couronne consista à faire naître ces nécessités; chaque grand
office, auquel étaient attachés des revenus de toutes sortes, fut consi-
déré comme une possession concédée par le roi, qui, en le concédant, pou-
vait fort bien en demander un relief. Quant aux responsabilités publiques
des officiers de la couronne, on n'y songea pas, et Ton oublia que la
mission des évoques était sacrée. »
Bien des gens penseront que ces quelques lignes en apprennent
aussi long que les deux volumes de M. Freeman sur Guillaume le
Roux.
C'est envers les travaux de M. Goest que tous ceux qui se sont
occupés de Thistoire primitive de T Angleterre doivent être et se recon-
naissent comme les débiteurs. Ce fut son exemple et son éloquence
qui dès l'abord enflammèrent ces écrivains du zèle qu'ils ont déployé
depuis dans leurs travaux. M. Guest n^était pas un simple archéologue;
ce n'est pas la simple curiosité qui l'attirait ; d'autre part il ne s'épar-
gnait aucune fatigue dès qu'il y avait la moindre chance de découvrir
un fait isolé de nature à répandre la lumière sur toute question pure-
ment historique. Nous connaissons des spécialistes qui ont candide-
ment offert les trésors de leur science à M. Guest, et qui ont été sur-
pris de voir que le grand antiquaire en savait dix fois autant qu'eux
sur leur propre domaine. Aussi est-ce avec reconnaissance que nous
voyons les travaux disséminés de ce père des historiens réunis en
deux volumes ^ Le titre donné à cette collection : Origines celticae
n'en indique pas le véritable contenu, car la plus grande partie du
t. 11 est occupée par des essais sur l'histoire primitive de l'Angleterre.
Les origines celtiques ne sont par malheur qu'un fragment. M. Guest
semble s'être proposé d'écrire l'histoire de la Bretagne et de ses habi-
tants jusqu'à la fm de la conquête du pays par les Angles et les
Saxons. Par un examen attentif des noms géographiques, des tra-
ditions mythologiques et des associations ethnologiques, joint à des
considérations philologiques et à l'interprétation des anciens monu-
ments, l'écrivain a cru possible non seulement de montrer ce qu'était
la nation dans sa patrie britannique, mais encore de marquer les diffé-
rentes étapes de son mouvement vers l'ouest. Mais il n'a fait qu'en-
tasser des matériaux; sans vie, sans mouvement, presque sans ordre,
ils n'intéresseront que les érudits ; ces matériaux ont cependant assez
de valeur pour que M. Stubbs et M. Deedes aient entrepris de les
1. Origines celticae, 2 vol., llacmillaD, 1883.
▲!fGLBTElEE. 143
publier. M. Guest n'était pas au courant des derniers résultats obte-
nus par la philologie comparée et ignorait la méthode philologique,
néanmoins ses recherches étaient si approfondies que la plupart de
ses conclusions sont correctes. D est parfois sévère pour des écrivains
dont les œuvres ont été largement répandues, ainsi pour le philologue
Isaac Taylor. dont l'ouvrage Words and Places est devenu presque
classique. 11 est inutile de dire que M. Green a, dans son Making of
England, fait entrer toutes les conclusions des mémoires de M. Guest
sur les premiers établissements anglais dans la Bretagne méridionale,
sur la conquête de la vallée de la Severn, sur la chute d'Uriconium,
etc. Ils étaient depuis longtemps à la portée de tout le monde dans
les colonnes du Philological Journal.
MM. GiiRDNER et Spbdding ont aussi réuni en un volume plusieurs
essais épars dans différents recueils ^ M. Spedding expose clairement
la conduite du roi d^Angleterre Jacques V' dans FaiDure de air
T. Overbury, mais il n^a pas de nouvelles preuves externes à nous
présenter pour absoudre le roi. Les essais de M. Gairdner sur les
Lollards et sur Catherine d'Aragon sont bons à lire-, dans le dernier
cas surtout, les pratiques mesquines et rusées qui caractérisent les
négociations diplomatiques au xvi* siècle sont bien mises en lumière.
Mais aucun des écrits qui composent le volume n'ajoute rien de nou-
veau ni n'épuise le sujet.
Les érudits ont depuis longtemps senti le besoin d'un manuel de
littérature historique-, le premier travail spécial sur ce sujet qui ait
été publié en Angleterre est celui de MM. Girdiiier et Mullimgër^;
il a reçu du public l'accueil favorable qu'il méritait ; mais ce livre est
spécial à l'histoire d'Angleterre ^ il y avait lieu d'écrire sur le môme
plan un ouvrage d'un caractère plus étendu. C'est ce qu'a entrepris de
faire M. C. K. Adims, professeur d'histoire à l'université de Michi-
gan'; il a voulu donner « de courtes descriptions des plus impor-
tantes histoires écrites en anglais, en français et en allemand, avec
des indications pratiques sur les méthodes et les progrès de l'his-
toire. » Ce que demande tout homme qui étudie, c'est en effet une
bonne bibliographie. M. Green, dans sa brève histoire du peuple
anglais, a été le premier, autant que nous pouvons le savoir, à indi-
quer avec toute la précision possible, en tète de chaque chapitre, les
principales sources de son récit. Gibbon, le roi des historiens, en
1. Studies in english history. Edimbourg, Douglas, 1882, cf. Rev. hitt., XXI,
248.
2. Introduction to tke studp of englisk history. Kegan Paul, 1881, cf. Rev,
hUi,, XIX, 426.
3. Manual of historical UtUratwre. New- York, Harper, 1882.
.-.-., <«,
T-
'■ 1
A!<rGLETERRE. 445
recherches archéologiques; « mais il s^est proposé encore un aulre
but) celui de montrer comment les événements qui se sont accomplis
aux temps passés ont été dirigés par le Tout-Puissant pour le bien de
Thomme. » Mais, comme la conversion de la Bretagne au christia-
nisme est précisément le sujet sur lequel nous avons les informations
les plus obscures, et comme M. Scarth est naturellement incapable de
nous en apprendre rien de nouveau, il eût bien mieux valu, avant de
songer à interpréter les intentions du Tout-Puissant dans ces événe-
ments, nous dire en quoi précisément ils ont consisté. Le livre de
M. Scarth est cependant assez consciencieux, malgré sa sécheresse;
l'auteur n*a pas cherché, comme on pouvait le craindre, à exécuter sa
menace ni à troubler Tesprit du lecteur de sens commun par des
niaiseries ecclésiastiques-, à la fin seulement il adresse une pieuse
prière à la grâce divine, à la façon des chroniqueurs du moyen âge :
« Puisse-l-elle faire de cette île, autrefois sans importance, le centre
d'un grand empire, veiller sur elle et la protéger toujours : Esta
perpétua ! » Le pharisaisme du moyen âge paraît étrange au xix* s.,
excepté chez un clergyman.
La science est le redressement des erreurs ; cela est vrai surtout de
l'histoire. Les livres de classe fourmillent; chaque grande maison de
librairie en publie sous la direction de très respectables historiens :
M. Green, M. Creighton, miss G. Young, M. Gardiner; ils font tous
de leur mieux pour que ces manuels atteignent au plus haut degré (|e
correction. Dans les écoles on met aux mains des enfants des livres
clairement écrits : « Récits de l'histoire d'Angleterre, » «biographies
historiques, » pour les soulager des dates et des tableaux chronolo-
giques. L'excellente collection des < Époques de l'histoire anglaise »
s'adresse aux classes supérieures ; nous ne voyons pas sans regret
que le vide entre la « Conquête normande » et les « Premiers
Planlagenets » n'a pas encore été comblé. Nous remarquons cepen-
dant avec plaisir qu'on se met à réimprimer pour Tusage des jeunes
gens d'anciens auteurs originaux. La « Pitt press séries i> a déjà
donné l'hisloire de Henry VU par Bacon. La « Cambridge University
press » vient de publier celle de Richard III par More\ avec des
notes et un glossaire suffisant pour des élèves. Nous espérons que
nos écoliers pourront lire un jour une bonne traduction du latin
limpide de Bède.
La chronologie a été traitée d'une façon nouvelle par M. G. T.
autres vol. de la série : Celtic Briiain, par M. Rhys, et Anglo-saxon Britain,
par M. Granl Allen, ont déjà été annoncés par la Rev, kUL, XXII, 214.
1. More's history a f Richard 111. Cambridge aniv. press, 1883.
UeV. UiSTOR. XXV. i«' FA8C. iO
446 BULLETIN HISTORIQUE.
Efcsoe^ Pour aider à la mémoire par les yeux, elle est représentée
comme un tableau. Les principaux événements de toutes les nations
d'Europe el d'Amérique sont indiqués. Les divers pays sont des
lignes horizontales et parallèles -, des lignes verticales et équidistantes
les divisent en décades. On saisit ainsi d'un coup d'oeil tous les évé-
nements accomplis en Europe pendant la même décade. On a apporté
les plus grands soins à faire ressortir les événements d'après leur
valeur relative : on a employé un grand nombre de caractères diffé-
rents, et les plus grands faits se détachent au milieu d'un espace
laissé blanc. Ce livre a demandé dix-sept ans d'un labeur sans relâche.
Beaucoup de salles de lecture sont ornées des cartes historiques de
Sprûner-, la carte de M. Ensor^ rarpenée à une moindre échelle (Pori-
ginal a 54 pieds de long), ferait très bonne figure à côté.
L'histoire locale est actuellement l'objet de très nombreuses publi-
cations. Il y a peu de villes qui n'aient trouvé leur historien :
Londres, Norfolk, Nottingham, Bristol, la liste est presque infinie
des monographies publiées pendant les deux dernières années. Il est
curieux de constater combien d'archéologues n'ont jamais fait autre
chose que d'assembler des matériaux pour l'histoire de leur ville
natale. Un très médiocre spécimen d'histoire locale est tombé entre
nos mains ^. Nous laisserons pour une autre fois ce sujet ainsi que
celui des biographies individuelles ou collectives. Il suffira de dire
que l'ouvrage dont nous parlons est le moins sensé qui nous soit
passé sous les yeux ; ses absurdités ne sont pas même amusantes :
l'auteur a voulu en faire la préface d'une liste des criminels exécutés
au château d'York. Il commence par une table chronologique partant
de la création du monde. C'est assez dire.
Nous terminerons ce bulletin en parlant d^un livre qui tient plus du
roman que de l'histoire : le don Juan d'Autriche, par sir W. Stieling-
MixwELL^. Le secret de la naissance et de l'éducation de don Juan,
la soudaineté avec laquelle il sortit d'une obscurité absolue pour
arriver à jouer le rôle le plus brillant, tout cela ressemble aux aven-
tures de Gil Blas de Santillane. Le récit de sa carrière si accidentée,
de ses combats contre les Maures de Grenade, puis contre les Turcs
à Lépante, semble détaché de l'œuvre de Cervantes, qui, d'ailleurs,
servit à Lépante et assista aux mêmes scènes. Dans son noble et
chevaleresque caractère, don Juan a plus d'un trait de ressemblance
avec le chevalier de la Manche. L^auteur s'est interdit tout portrait
1. Chnmological CKcart Londres, Stanford, 1883.
2. York of York CasUe, by captain Twyford. Griffich of Farran. 1883.
3. Don John of Austria. Longmans. Two vols. 1883.
/
/
ANGLBTEEEE. 447
superflu de ce caractère. « Le lecteur, fait-il observer, aura tiré lui-
même ses conclusions sur le caractère de don Juan d'après le récit
même de sa vie. Ses actes le peignent fidèlement. » Tout ce qui rend
un homme cher aux cœurs de ses compagnons^ don Juan y excellait.
Après la bataille de Lépante, dédaignant tout profit personnel, il
renvoya sans rançon les deux fils de l'amiral turc qui avait été tué,
et annonça le fait à la sœur de Sélim par une lettre qui est un modèle
de sentiments chevaleresques. Comparez la lettre de don Juan avec
celle du brutal Sélim, que nous avons traduite d'après une copie con-
servée au Record Office ; on y voit bien l'opposition du christianisme
et de la barbarie.
Copie d'une lettre de Sélim II à don Juan d'Autriche,
Moi, le grand sultan Sélim, maître de la plus grande partie du monde
habité, de Dandinople (1) et d'Albanie, du grand État de Dalmatie, de
Damas et de Romanie... empereur de Trébisonde, souverain à qui per-
sonne ne peut être comparé à cause de la Garmanie, et dont la Russie
entière doit subir les comms^ndements, empereur du grand Khan et roi
de toute FArménie, maître de toute Jérusalem, que pleurent les chré-
tiens, roi de beaucoup plus d'autres grands royaumes qu'on n'en peut
énumérer ici, empereur et roi des trois parties du monde, dont deux
sont dans ma main. Toi, prince don Juan d'Autriche, toi prince de petit
avoir, jeune homme fortuné... voici que je t'envoie un présent qui est
au-dessus de ta condition ; et je te dis pourquoi je te fais ce présent :
trois longues robes... Tout cela, je te le donne, non pour cause d'ami-
tié, non par la crainte que tes actions pourraient me faire éprouver;
mais je te l'envoie pour mes cousins qui sont avec les fils du malheu-
reux et infortuné Piali Pacha, de si grand pouvoir, nom et renom, que
tu as tué dans ta dernière bataille, qui était mon frère et avait épousé
ma sœur, qui dans ma noble cour était hautement estimé; afin que tu
les traites comme tu dois le faire, qu'ils soient assis à ta table, qu'ils
aillent côte à côte avec toi, et pour que, faisant ainsi, je déclare que tu
es, toi, Jean d'Autriche, un prince d'estimable renom... Et garde-toi
de ma colère et de ma grande puissance; car auparavant mon glaive
dormait, mais prends garde maintenant qu'il ne se réveille de son
sommeil.
Don Juan à la sœur de Sélim,
Noble et vertueuse dame. Lorsque Mahomet bey et Saïd bey, vos
frères, furent conduits dans ma galère après la défaite de la flotte turque
dans le combat, considérant la misère à laquelle est exposée la faiblesse
humaine et l'incertitude de la condition de l'homme, et que ces nobles
jeunes gens étaient sur la flotte plutôt pour leur plaisir et pour tenir
compagnie à leur frère que dans l'intention de nous faire du mal, j'ai
résolu, non seulement d'ordonner qu'ils fussent traités comme il cou-
HH BULLETIN HISTORIQUE.
venait à leur rang, mais de leur rendre la liberté quand j'en trouverai
l'occasion. Mon intention fut grandement fortifiée quand je reçus votre
lettre si pleine de tristesse et d'affection fraternelle, et montrant un si
grand désir pour la liberté de vos frères. Comme j'étais déjà dans Tes-
poir d'être en état de les mettre tous deux en liberté, à mon grand
regret il arriva à Mahomet bey la fin de tous les chagrins, qui est la
mort. Aujourd'hui je rends Saïd bey à la liberté ainsi que les autres
prisonniers pour lesquels il me l'a demandée, comme j'aurais aussi
rendu libre celui qui est mort, s'il était encore vivant. Et croyez, madame,
que c'est pour moi un plaisir particulier qu'il soit en mon pouvoir de
remplir et de satisfaire, en partie du moins, votre désir, tenant, comme
je le dois, en haute estime le caractère que vous portez. Le présent que
vous m'avez envoyé, je ne l'ai pas accepté, mais je l'ai laissé entre les
mains de Saïd bey, non pas du tout parce que j'apprécie peu ce qui me
vient de vos mains, mais parce que ce fut la coutume de mes ancêtres
de ne pas recevoir de présents de ceux qui réclament leur assistance;
au contraire, de conférer des faveurs, et comme telles, je l'espère, votre
frère et ceux qui l'accompagnent seront reçus. Vous pouvez aussi vous
assurer que ceux qui vous appartiennent deviendront mes prisonniers.
Je veux d'aussi bon cœur qu'aujourd'hui leur donner la liberté et faire
tout ce qui peut vous être agréable. De Naples, le 15 de mai 1573.
Don Juan.
Par sa parfaite loyauté à Tégard de son frère Philippe II, qu'aucune
ingratitude ne peut tarir, par ses tendres attentions pour sa nourrice
Magdalena de Ulloa, par sa foi enfantine dans ses différents pères
spirituels, qui semble être une piété toute naturelle, sans aucun
alliage de bigoterie, il commande notre admiration. Les vices qu'il a
contractés étaient ceux de son temps, augmentés par ses maîtres, bas
et fourbes. « Je me défîe de lui à cause de ses manières séduisantes,
disait Guillaume le Taciturne, et je suis d'autant plus sur mes gardes
contre sa force. » Mais le Taciturne lui-même n'était pas au-dessus
de la tricherie et de la trahison qui distinguent les négociations de
cette époque. Tout ce qu'on peut dire, c'est que don Juan parait
avoir été moins dénué de scrupule que tout autre Espagnol de son
temps. Quant à ses amours, elles semblent avoir excité l'admiration
plutôt que le blâme de ses contemporains; l'ambassadeur vénitien
admet qu'il les poursuivit « sans outrage ni pour les pères, ni pour
les maris. »
C'est autour de cette figure maîtresse du xvi* s. que sir W. Stirling-
Maxveell a groupé son histoire. On ne pouvait choisir un caractère
plus séduisant, une carrière plus romanesque, une vie plus pleine
d'aventures, une figure plus dramatique, si brusquement disparue à
la fleur de l'âge. Ce livre est un drame, bien conçu et exécuté avec
ANGLETERRE. 449
un soin et une recherche singulières. La brillante culture de la
noblesse espagnole^ où chaque grand était le roi de sa petite cour,
le dernier effort pour Tindépendance fait par les Maures de Grenade,
la scélératesse des pirates barbaresques et la brutalité générale de la
vie maritime, la prédominance maudite de la barbarie turque en
Orient, la lutte opiniâtre des Pays-Bas pour leur indépendance, et par
dessus tout l'ombre sinistre de Philippe II et de sa bigoterie reli-
gieuse, telles sont les scènes que Fauteur nous a peintes de main de
maître. Ni peine ni argent n'ont été épargnés pour assurer l'exacti-
tude des détails. M. Stirling Maxwell a longtemps résidé en Espagne
même; il possédait sur la littérature espagnole une bibliothèque sans
rivale parmi les collections particulières ; il a dépouillé les archives
deSimancas et mit largement à contribution ses amis. Feu M. Raw-
don-Brown lui a envoyé des copies prises aux^archives de Venise-, le
British muséum et le Record ofQce lui furent de riches mines à
exploiter. Les publications de la commission d'histoire de Belgique
lui ont été naturellement d'un grand secours, mais il parait avoir
examiné aussi les originaux. Pris dans son ensemble, le livre a été
écrit d'après des mss. en grande partie inédits; l'appendice contient
une bibliographie complète et de nombreuses dépêches diplomatiques
imprimées in-extenso. Nous avons rarement vu une monographie
écrite avec plus d'ampleur, de sensibilité et en même temps d'éclat.
L'ouvrage est enrichi de portraits des principaux personnages, avec
une vaste collection de blasons, d'armes, d'œuvres d'armes, de
médailles, de dessins concernant les équipements de l'armée et delà
marine, les galères, les frégates et autres vaisseaux du xvi« s.; avec
une multitude de lettres ornées empruntées aux livres contempo-
rains, qui jettent une pleine lumière sur les mœurs, les habitudes et
les ornements de l'époque. La reliure même est un chef-d'œuvre et
réjouirait le cœur de M. Ruskin lui-même; quant au prix, est-il
besoin de dire qu'il est digne de la beauté du livre? La vie de
Charles-Quint dans son monastère, le siège d'Anvers, don Juan
d'Autriche forment une brillante série à laquelle M. Stirling-
Maxwell aurait sans doute ajouté d'autres numéros, si la mort
n'était venue l'interrompre.
On remarquera que la tendance générale qui s'est manifestée dans
ces derniers temps pousse les historiens vers les questions sociales et
économiques. Les histoires qui se rapportent exclusivement à la per-
sonne des rois ou à la diplomatie des cabinets ne commandent plus
l'attention comme par le passé. A cet égard, M. Green peut être con-
sidéré comme ayant inauguré une nouvelle ère dans la manière
d'écrire l'histoire pour le peuple. Pour ce motif, le Guillaume le
\ 50 BDLLBTIN HISTORIQUE.
Roux de M. Freeman a peu attiré l'attention, et c^est seulement la
richesse avec laquelle a été publié le livre de M. Stirling-Maxwell
qui lui a assuré le succès : un exemplaire de l'édition de luxe, mis
en vente à 25 1., a été vendu récemment dans une vente publique
40 1. (4,000 fr.). L'état d'une. société où M. Bradlaugh et M. George
jouent un si grand rôle contribue aussi à expliquer pourquoi des
ouvrages comme ceux de M. Seebohm et de M. Gunningham sont
publiés et lus avidement ; le livre de M. Seebohm a déjà eu deux édi-
tions. Aujourd'hui, les lecteurs se détournent du récit des brillants
exploits accomplis par nos anciens souverains; ils aiment mieux
connaître par quels moyens on put faire les dispendieuses guerres
avec la Normandie et la France, quelles souffrances elles firent
endurer à la masse du peuple ou quels sacrifices furent imposés à
ceux qui possédaient. De là la popularité d'ouvrages comme celui de
M. Th. Rogers sur l'histoire de l'agriculture et du prix des choses.
C'est un champ en partie encore inexploré. Il est très rare de trouver
dans les livres modernes des renvois aux documents conservés dans
les archives de presque toutes les nations; excepté à nos « State
Papers, » relativement sans importance. Ce sont là cependant les
matériaux qu'il faut mettre en œuvre, si l'on veut produire des idées
nouvelles. Nous savons ce que Niebuhr a pu faire pour l'histoire de
Rome avec un nombre infiniment petit de documents. Les anciennes
archives d'Angleterre attendent quelque Niebuhr qui sache leur
arracher leurs secrets. Les anciens chroniqueurs sont maintenant
relativement bien connus, mais les gens les mieux informés ignorent
encore les vastes richesses cachées dans les archives accumulées par
le temps. La difQculté de les déchiffrer et de les manier demandera
la collaboration des paléographes et des historiens ; de leurs efforts
combinés nous pouvons espérer d'étonnantes découvertes. C'est la
méthode qu'a appliquée M. Seebohm et on peut le suivre comme un
excellent modèle.
0
J. G. Black.
SMITH : THB PR0PHBT8 OF ISBIEL. \5\
COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
W. Robertson Smith. The prophets of Israël and their place
in history to the close of the eighth centory B. G., eight lec-
tures. Edinburgh, Black, 4882; xvi et 444 p. in-S^".
M. Robertson Smith est, si nous ne nous trompons, un des chefs de
la jeune école théologique écossaise, qui s'efTorce d'introduire au pays
du calvinisme rigide les principaux résultats de Texégèse étrangère. Nous
croyons môme que ce propos lui a attiré des désagréments; mais il nous
parait aussi que M. R. Smith est de ces gens qui, ayant la chance de
ne pas être trop en avant de leur entourage pour cesser d'être compris,
compensent par le succès obtenu auprès des cercles libéraux les ennuis
que leur valent les conservateurs obstinés des vieux usages. Non seule-
ment il nous parait, mais la préface confirme expressément ce que nous
8ou{)çonnions. M. Robertson Smith tient pour • le progrès des études
bibliques. • Les livres qui contiennent c notre religion, dit-il, sont des
documents historiques qui réclament, comme tels, le même traitement
dont les fruits ont été si satisfaisants quand on Ta appliqué aux autres
sources de l'histoire ancienne. • Les quelques pages placées en tète du
volume sont écrites sur le ton d'ardeur et de confiance familier aux
réformateurs dans le début d'entreprises dont ils ne soupçonnent
point encore les difficultés. J'ajoute que M. R. Smith se place au
point de vue de l'école critique la plus moderne et admet avec Graf,
Kuenen, Wellhausen et Reuss que les conceptions religieuses des
prophètes se sont formées antérieurement à l'élaboration du code mo-
saïque.
On sait ce que sont les prophètes hébreux pour l'orthodoxie tradi-
tionnelle : de simples porte-voix de la divinité destinés à annoncer,
quelques siècles à Tavance, la venue du Messie et son œuvre. La cri-
tique moderne a rétabli le sens de ceux de leurs écrits qui nous sont
parvenus et restitué le rôle qu'ont eu ces personnages dans les destinées
de la nation israélite. I^es prophètes sont des sortes de conseillers du
peuple et des rois, intervenant dans la conduite des affaires politiques.
L'histoire n'a pas à les reléguer au chapitre de la littérature ou de la
théologie, mais à les mettre au premier plan des événements qu'elle
rapporte.
C'est ce que M. R. 8. a tenté de montrer, particulièrement pour les
plus anciens prophètes sur lesquels nous soient parvenus des rensei-
gnements ou dont nous possédions les écrits. Sa première c lecture •
452 GOMPTBS-RBIVDDS CRITIQUES.
débute par des considérations théologiques dans l'esprit du t protestan-
tisme libéral. » Puis l'auteur expose avec détail la situation du peuple
Israélite dans l'Orient ancien et le caractère de son dieu particulier
Jéhovah (Yahvéh). La seconde lecture, intitulée : Jéhovah et les dieux
des païens, reprend le môme sujet et l'épuisé. Ce n'est qu'avec la troi-
sième : Amos et la maison de Jéhu, que M. R. S entre véritablement
dans son sujet. Les cinq dernières traitent successivement de : Osée et
la chute d'Ëphraïm; le royaume de Juda et les commencements de
l'œuvre d'Isaïe ; les premières prophéties d'Isaïe; Isaïe et Michée sous
le règne d'Ezéchias ; la délivrance d'Assyrie. Nous nous arrêtons donc,
comme le titre l'indique, à la fin du vni« siècle avant l'ère chrétienne.
En présence de ce sujet volontairement restreint, l'auteur s'est trouvé
à Taise et il a pu donner à son exposition toute l'ampleur désirable.
Bien que ce livre soit à proprement parler un livre de vulgarisation
scientifique, il n'est pas dépourvu de qualités originales. Il est remar-
quable, tout d'abord, par la vivacité et l'élégance de l'exposition ; il
témoigne d'une connaissance solide et précise de la littérature du sujet.
Toutefois on y peut signaler, à côté de ces qualités qui ne sont pas
à l'usage du premier venu, certains côtés faibles. Sur nombre de points
l'auteur croit en savoir évidemment trop long. Il ne semble pas se rendre un
compte exact des phases que traversent en ce momentles études hébraïques.
On est étonné de rencontrer côte à côte le dogmatisme de la. vieille école
critique et les procédés beaucoup plus réservés de la jeune école. Avec
cette dernière, M. Robertson Smith place les prophètes avant la loi,
élimine Joël (dont il ne prononce point même le nom, ce qui est un
inconvénient) et le pseudo Zacharie; mais, avec la première, celle
d'Ewald et de Bleek, il tient pour inattaquable l'œuvre d'Amos, d'Osée,
de Michée et de Proto-Isaïe (sauf les morceaux unanimement condam-
nés). Et c'est cette confiance en l'authenticité des écrits attribués à ces
quatre personnages qui peut seule justifier le titre de son ouvrage. Or,
nous doutons que, dans l'état actuel de la critique, un tel système puisse
être tenu pour valable.
Si donc la contribution que la nouvelle production du distingué
théologien écossais apporte à l'histoire scientifique des Israélites est
mince, le livre n'en est pas moins intéressant comme œuvre de tran-
sition. En suivant doucement — et sans se douter lui-môme de la
portée de son action — les remparts derrière lesquels dort une théologie
caduque, M. Robertson Smith et ses congénères frayent la voie aux
méthodes rigoureuses de la critique.
Maurice Yernes.
MiDYiG. L^État romain; sa constitution et son organisation;
traduit par Ch. Morel. Tome I, in-S® de 296 p. (Paris, Vieweg,
4882.)
L'ouvrage de M. Madvig a paru en entier dans l'édition danoise et
MADYIG : L'éTAT ROMAIN. 453
dans Fédition allemande. Il forme, dans cette dernière, deux volumes
de 593 et 801 pages (Teubner, 1881-1882). M. Morcl, qui a entrepris de
le traduire, n'en a encore publié qu'une faible partie, la moitié environ
du premier volume. J'espère qu'il se hâtera de nous donner le reste.
Outre que l'allemand n'est pas accessible à tout le monde, M. Morel a
introduit dans le texte original d'heureuses modifications; il l'aéclairci et
allégé ; il a rejeté au bas des pages une multitude de notes qui l'encom-
braient; il a ajouté par endroits des remarques personnelles, qui,
malheureusement, n'ont pas toujours une grande valeur ; il s'est en un
mot efforcé de présenter au public français une édition vraiment fran-
çaise de l'ouvrage et non une copie de la traduction allemande,
laquelle, semble-t-il, est assez défectueuse.
Le tome I»' de M. Morel contient trois chapitres, dont les titres sont
les suivants : Gh. I. Le peuple romain et son empire. Citoyens et
étrangers. — Ch. IL Organisation intérieure du peuple romain. Ses
subdivisions. Distinctions des classes. — Gh. III. Le gouvernement
républicain, le peuple romain et ses assemblées. Il traite donc de l'état
social de Rome et des comices. On ne s'attend pas sans doute à ce que
l'auteur dise tout sur les questions qu'il aborde; il n'en a pas eu d'ail-
leurs l'ambition. Son but a été de décrire l'Etat romain dans ses traits
essentiels, sans rien omettre de ce qu'il est important de connaître, mais
aussi sans insister sur les petits détails. Il s'est proposé non pas de
rédiger un immense répertoire de faits, comme le manuel de Marquardt et
Mommsen, mais de tracer une image fidèle de la constitution romaine,
de montrer quels en étaient les principaux rouages et d'expliquer com-
ment ils fonctionnaient. Bien qu'il n'y ait pas dans ce livre étalage
d'érudition, on sent qu'il n'a pas été improvisé à la hâte; de l'aveu de
M. Madvig lui-même, il est le résumé d'un long labeur de cinquante
années, et l'on devine ce que l'auteur, considéré par un juge compétent
comme « le premier latiniste de l'Europe, • a su dans cet intervalle
accumuler de faits et d'idées sur l'histoire de Rome. Il a pourtant un
mérite encore plus rare, celui de savoir ignorer, t J'ai eu soin, dit-il dans
sa préface (p. xin), d'indiquer sur chaque sujet ce qui nous est réelle-
ment transmis dans les sources, de marquer la limite où commence le
doute et où il peut être permis d'avoir recours à des hypothèses pour
combler les lacunes; souvent même j'ai signalé sans ambages les points
où s'arrêtent nos connaissances. Cependant j'ai pu assez fréquemment
remédier d'une manière satisfaisante à l'incohérence apparente des récits
traditionnels et en combler les lacunes par simple combinaison, sans
recourir à des hypothèses téméraires ou artificielles. » On voit que, sans
aliéner en rien les droits de la critique, M. Madvig ne procède qu'appuyé
sur les témoignages anciens ; quand les textes manquent, il n'a garde de
suppléer à leur silence, et il se soucie peu d'ajouter un système de
plus à tous ceux qu'a déjà suscités l'incertitude des documents. Aussi
quelques-uns l'ont-ils accusé d'avoir écrit un ouvrage presque dépourvu
de nouveautés. Il leur a répondu d'avance en disant : c Je n'ai voulu
454 COKPTBS-RBirDUS CEITIQUVS.
être original qu'en renonçant à toute recherche systématique de Ton-
ginalité. »
Au reste, il serait injuste de croire que M. Madvig n'a rien à nous
apprendre. Outre qu'il a réussi à porter la lumière sur une infinité de
points de détail négligés ou mal connus avant lui, il a très nettement
déterminé les droits inhérents à la cité romaine, la condition des
peuples vaincus et les divers degrés qui conduisaient de Tassujettisse-
ment à Tégalité. Il a exposé avec force les traits qui attestent le carac-
tère aristocratique de cette société où chaque citoyen avait son rang et
chaque classe ses privilèges. Patriciens et plébéiens, patrons et clients,
centuries et tribus, ordre sénatorial, ordre équestre, tribuni oerortï,
noblesse, affranchis, toutes ces distinctions sociales ont été soigneuse-
ment définies , sans que jamais Tesprit de système altère la vérité
scientifique. Le chapitre III, consacré aux comices, est peut-être un peu
inférieur, parce qu'il est moins complet; il suffit néanmoins pour
donner une notion exacte de ce qu'étaient les assemblées par curies, par
centuries, par tribus sous la république, et de ce qu'elles devinrent sous
l'empire. L'ouvrage, en un mot, vaut autant par les idées générales qu'il
établit que par les faits, toujours bien choisis, qui servent à les
démontrer.
J'ai pu cependant y relever, sinon des erreurs, du moins des asser-
tions qui manquent de preuves et des lacunes qu'il eût été bon de
combler.
P. 17. L'auteur dit que a le système représentatif était absolument
inconnu dans l'antiquité, » et il ajoute en note que lesltaliens, durant
la guerre sociale, tentèrent de l'organiser à Corfinium. Ce dernier point
n'est nullement certain. Il est possible que le Sénat de la ligue se com-
posât de députés élus par les peuples qui la formaient ; mais il semble
que pour délibérer et voter dans les comices souverains de Corfinium,
il fallût résider dans la ville ou s'y rendre exprès. — P. 18, note 5.
M. Madvig nie que Rome sous les rois fût une ville de commerce. Gom-
ment expliquer alors la création du port d'Ostie et surtout le traité de
509 avec Carthage? — P. 89. Pour lui la plèbe n'a qu'une origine,
l'immigration des habitants que la conquête romaine chassait des cités
voisines. Ce ne fut pas là assurément la seule cause qui donna nais-
sance à la plèbe ; il serait aisé d'en citer plusieurs autres, même sans
croire à l'asile de Romulus. — P. 94. M. M. se refuse à admettre que les
mariages mixtes aient été introduits par la loi des xii tables. Le témoi-
gnage de Gicéron (De rep,^ II, 37) est pourtant formel, et nous n'avons
aucun motif pour le rejeter, avec cette réserve toutefois que la loi des
xn tables se borna à confirmer une règle déjà ancienne. — P. 96. Il
n'est pas probable que les plébéiens aient eu accès au Sénat dès l'année
509 ou tout au moins dès l'époque des décemvirs ; on n'a, pour s'en
convaincre, qu'à se reporter aux arguments péremptoiros de M. Willems
(Le Sénat romain, tome I, p. 49 et suiv.). — P. 103. A propos de la
clientèle, il eût été intéressant de rechercher quelle fut l'ohgine de cette
MIDYIG : l'ÉTIT ROMilN. 455
institution. Ce n'est pas assez de savoir c que les clients formaient
l'ancienne population d*ordre inférieur, attachée aux citoyens patriciens
par lesquels ils étaient tenus dans une dépendance qui se rapprochait
du servage. » — P. 110. Contrairement à l'opinion de M. M., rien ne
prouve que les plébéiens aient figjuré, dès le principe, dans les curies ;
la seule raison qu'il invoque à l'appui de cette hypothèse, à savoir
rélection des premiers tribuns par l'assemblée curiate^ outre qu'elle
n'est pas probante, est de plus en contradiction avec un ensemble de
faits bien avérés. — P. 126, note 18. La divergence entre Gicéron, De
rep.f II, 22, et Denys, vu, 59; iv, 20, pour ce qui concerne le
nombre des centuries de la première classe, vient tout simplement de
ce que l'un parle de l'organisation primitive, et l'autre de celle qui
suivit la réforme du iii« siècle avant J.-C. Sur cette réforme, M. M.
adopte le système de Pantagathus; j'ai essayé d'établir ailleurs (Rev.
hist., sept. 1881) que ce système est erroné et que la réforme en ques-
tion n'a pas eu le caractère qu'on lui attribue d'ordinaire. — P. 131,
note 11. Le texte de Gicéron {Philipp, II, 33) me paraît mal interprété.
Ge n'est pas la première classe de la centurie prérogative qu'on appelle
au vote, mais la première classe tout entière qu'on appelle après
le vote de la prérogative. Quant au mot renuntiatur que notre auteur
considère comme interpolé, on a proposé de le remplacer par renun-
tiantur avec suffragia pour sujet. — P. 180. On ne voit pas assez
comment s'est formé l'ordre équestre. — P. 243. M. M. est d'avis que
les comices centuriates furent « dès le règne de Servius TuUius l'assem-
blée souveraine proprement dite. • G'est une pure conjecture. L'organi-
sation de Servius n'eut, semble-t-il, qu'un objet militaire, et les textes
ne nous montrent l'intervention des centuries dans les élections qu'à
dater de 509, dans la confection des lois qu'à dater des décemvirs. —
P. 244. Une seule page traite des élections consulaires; elle est trop
incomplète; certains faits de l'époque primitive méritaient d'y trouver
place. — P. 249-250. Je crains que M. M. se soit trompé sur Vauctorttas
patrum. Les documents nous disent que ce droit de veto appartenait aux
patres. Or, l'assemblée curiate était exclusivement patricienne; quant au
Sénat, il le demeura jusque vers l'année 400 ; les patriciens y possé-
daient encore la majorité en 295 (Willems, 1, 109) et tous ses membres
étaient également qualifiés du titre de patres. Deux hypothèses sont donc
possibles ; le droit de veto dont il s'agit était exercé ou bien par l'assemblée
curiate ou par le Sénat. Mais M. M. ne peut recourir ni à l'un ni à
l'autre, car il pense que les curies étaient ouvertes aux plébéiens et que
le Sénat les admit aussi de très bonne heure dans son sein. Il est par
conséquent obligé d'imaginer que Vauctoritas était réservée aux seuls
patriciens du Sénat; opinion toute factice qui n'a pour elle aucun
témoignage ancien. — P. 252. J'en dirai autant de cette assertion que
l'assemblée des tribus était d'abord purement plébéienne. Elle l'était
peut-être en fait, les patriciens dédaignant d'obéir à la convocation des
tribuns ; elle ne l'était pas en droit, puisque chaque tribu comprenait
.- î 4i . vi.t*. — !-• ^>-6l. D est très vrai que r&cû-
-.^1 ■ ■ ...i": -r fàUc :u [jiiw 1 passer de? comices censchateâ
• ■ ~ : ,!.u.î, 'utii^ M. M. n'en dit pas la vtritahle raison;
l-l: • . a:siiViif.iiJ»fC'. du caractère oligarchi :p:-» qu'avait
.. .;. L-iH. »*,*tr.tî, '.vuïparôe à la seconde, du mcins si l'on
-> ' ^.:.ijii ju.'aiiita >i;:r la réforme du m* «iècle. — P. 263,
' ..i- Liv^i., H. H. ^»arle de la loi Œlia Fufia e:de ïi^un-
. .!> a^:: .u.^iïUf ;t;»e£ SUT Tlmportance de celte pratique. On
.. •. ov. : <uioji-ii ie la considérer comme one simple formalité
_.... -c. 'wa 'jLtC 0 «L'iait un moyen de rétablir par voie détournée
../ li \;^jlI ie ^n;i^ du sk*nat sur les décisions populaires. Le Sénat
^^i ..;'. -Li .'liéù .u^Mîr toule loi entachée d'un vice de forme, et une loi
-: :■ u ai.. :;!--;> :o cas pour peu qu'on eût négligé d'observer les pres-
.:;. ;!..:> :-.^d;i\oadu\au5piceH. Qu'un magistrat compétent déclarât, au
;...i;:;..\.: ia \'. U', que b'S présages étaient défavorables, aussitôt le vote
■Uy- lii ':iL\- îc'uii.s »*t, s'il avait lieu, le Sénat était libre de Tannuler.
Cîcv.'rv:i ld\uui* lui-même dans un curieux passage du De divinatione
11. >ô, . la sciiMice augurale n'avait de son temps qu'un but politique;
c^'LdiL uii ireiu importé à la toute-puissance des comices; c'était un
kl»ucIo apporté au pltMu exercice de la souveraineté populaire, qui,
sdLid cette précaution, eût échappé à tout contrôle.
Paul GUIRAUD.
Oeschichte der rœmischeii Kaiserlegionen von Angnstus bU
Hadrianns, von D^ W. Pfitz^cer. Leipzig, Teiibner, 4884, de
pj». VI-2D0, in-8«.
L'histoire des légions romaines, comme le dit très bien Tauteur de
co Uvre (p. v), n'est pas encore une chose possible; elle exige d abord
la monographie détaillée et complète de chaque troupe, et nous ne pos-
sédons malheureusement de bonne étude de ce genre que celle que
Borgliesi a faite sur les légions du Rhin (Œuvres, IV, p. 182), et la
notici» du D' llenzensur la. Secunda Parthica (ÂJinali, 1867, p. 73). Les
travaux do Grotefend (surtout dans Pauly, Realencycl.^ IV, p. 868) sont
excellents, parce qu'ils nous offrent tous les textes classiques concernant
les légions. Mais la publication du Corpus et les préfaces de Mommsen
(m et vin) et de Ilûbner (vu) les ont rendus, non pas inutiles, mais
incomplets.
L'étude de M. Pûtzner, comme celle M. Stille^, ne va guère au
delà des travaux de Grotefend, c'est-à-dire que les inscriptions n'y
sont utilisées que d'une façon très insufGsantc. Certains recueils épi-
graphiques, comme ceux de Brambach, de Renier, de Wilmanns, n'y
sont pas cités, et pour beaucoup d'inscriptions publiées dans les sept
1. Parue en 1877 ; cf. Bévue historique, XllI, p. 164.
PFITZlfBR : GESCHICflTE DBR ROEWISCHEN KilSERLEGÎOXBIV. ^157
premiers volumes du Corpus, la numérotation d'Orelii est conservée.
Tous les renseignements que Tépigraphie nous fournit sur remplace-
ment des camps des légions y sont négligés : et cela est d'autant plus
regrettable, que les préfaces du Corpus les avaient déjà recueillis. Le
livre de M. Pf. n'est même pas suivi, comme la dissertation de M. Stille,
de la liste des légats et des principaux officiers des légions : voilà qui
aurait été, non seulement très utile, mais encore nouveau, car la liste
dressée de M. St. est loin d'être complète. M. Gauer vient de donner
{Ephemeris Epigraphtca, IV, p. 354) la liste de tous les sous-officiers,
de toutes les légions qui nous sont connus par les textes épigrapbiques :
c'est ce que nous aurions voulu que M. Pf. fit pour les tribuns, les pré-
fets et les légats, et c'est ce qui demeure à faire.
Quant à l'bistoire proprement dite des légions, elle est aussi com-
plète que celle de Grotefend : Dion, Tacite, Suétone y sont largement
mis à contribution, trop peut-être, puisqu'à propos des légions, l'bis-
toire de la contrée même qu'elles défendent nous est racontée. En
revancbe, les travaux exécutés par elles, les routes qu'elles ont cons-
truites, les retrancbements qu'elles ont dressés sont à peine mention-
nés. Le vallwn Uadriani ne fait l'objet que de trois lignes à peine
(p. 214).
Il serait facile de relever un certain nombre d'omissions. Pour se
borner à l'Afrique, M. Pf. omet de nous dire que la III* Augusta appa-
raît pour la première fois en l'an 14 (C. i. l., VIIÏ, 1018-1023), et que
son campement, à cette époque, était à Tbéveste ; la fameuse procla-
mation d'Hadrien [C, VÛI, 2532) ne semble pas connue à l'auteur.
Cependant elle renferme de précieuses données sur les destinées de cette
légion : la phrase : Nostra memoria bis non tantum mutastis castra sed et
nora fecistis, révèle un fait d'une grande importance pour l'histoire
militaire de l'Afrique. Wilmanns (C, VIII, p. 283) a vu là la construc-
tion de deux camps successifs à Lambèse ; Mommsen (id., p. xxi) a
montré avec raison qu'entre l'établissement de Lambèse et l'ancien
campement de Tbéveste, la III* Augusta s'était un instant arrêtée entre
Mascula et Thamugadi, comme le prouvent deux pierres miliaires
iC, VIII, 10186, 10210). La plus ancienne inscription militaire de Lam-
bèse est de 123 Ud., 2592). — M. Pf. ignore qu'en 68 le légat Clodius Macer,
qui voulut rétablir la République, appela cette légion d'abord leg(io) IIl
Augiusta) liberaitrix)^ nom qui se trouve sur les monnaies frappées en
cette année (Mueller, Numism, de l'anc. Afrique, II, 170). En 69, au lieu
de la ///« Augusta liberatrix, nous trouvons la /« Marciana liberatrix :
ce ne peut pas être une seconde légion, comme le croit M. Pf. (p. 199),
mais l'ancienne dont le nom ne pouvait subsister aux yeux du républi-
cain Macer (Mommsen, C, VIII, p. xx) ; d'ailleurs, quand Macer périt,
il n'y avait, comme le dit pertinemment Tacite, qu'une seule légion :
A frics, ac legio in ea (Hist,, 1,11). — Je ne sais s'il faut aussi croire, avec
M. Mommsen, que Galba ait supprimé la ///« Augtuta. Si dans la phrase
de Tacite (flist., 2, 97), legio cohortesque delectae a Glodio Macro mox a
458 G0MPTES-&BNDU8 CRITIQUBS.
Galba dimissae, delectae ne s'entend que des cohortes, il doit en être de
même de dimissae.
Il est inutile de s'étendre plus longuement sur les lacunes de ce livre.
Ajoutons qu'il est d'une lecture difficile; les matières y sont groupées
sous trois rubriques : les légions sous chaque empereur, — la répar-
tition des légions par provinces, — l'histoire de chacune d'elles. Cette
dernière partie suffisait, puisqu'elle seule répond au titre de l'ou-
vrage, et que les deux premiers chapitres ne concernent que l'histoire
des empereurs en des provinces. Cette disposition nuit beaucoup à
l'ouvrage. Telle particularité de l'histoire d'une légion, par exemple de
la //a Adjutrix envoyée en Bretagne par Titus, ne doit être cherchée ni
à son article (p. 225), ni à celui de la Bretagne (p. 210), mais dans le
chapitre de Titus (p. 73). De là, et beaucoup d'omissions et beaucoup
de répétitions. Ce qui fait que le livre, bien que renfermant un grand
nombre de renseignements fort utiles, est à la fois trop long pour un
simple tableau, et trop court pour une véritable histoire des légions
romaines.
Camille Jullian.
Ces lignes étaient écrites lorsqu'ont paru, coup sur coup, les deux
travaux les plus importants qui aient encore été faits sur les légions
romaines, travaux d'ailleurs intimement liés l'un à l'autre. L'un a paru
dans le premier fascicule de VHemies de 1884 et traite du recrutement
des armées de l'empire; l'autre, dans VEphemeris epigraphica (1884,
1«' fasc), est le tableau de tous les soldats légionnaires ou auxiliaires
dont l'épigraphie nous a conservé le lieu d'origine. Il importe de signa-
ler ces deux études, toutes deux de M. Mommsen. — C. J.
P.-E. Fahlbeck. La royauté et le droit royal francs durant la
première période de Texlstence du royaume (486-614). Librai-
rie Glecrup, Lund, 1883, 1 vol. in-8° de xv-346 p.
Livre remarquable et qui fera sensation. Œuvre d'un esprit vigou-
reux et original.
Je résume l'ouvrage dans ses lignes principales : t La royauté héré-
ditaire, c'est là la grande forme des Germains : c'est la royauté qui a eu
raison du vieux monde romain ; c'est elle qui a créé et organisé les
États germaniques. Le droit du roi est en effet la seule force constituante
et conservatrice du royaume franc. Le roi héréditaire possède le royaume
comme un domaine privé : ses droits ne sont pas constitutionnellement
balancés par ceux d'une assemblée populaire. Le peuple franc ne pos-
sède pas d'assemblée générale (p. 19).
c Les éléments qui ont servi à la fondation du royaume franc sont les
uns germaniques, les autres romains ; mais l'édifice lui-môme est entiè-
rement neuf. »
FÀHLBBCK : LA ROTAirrf ET LE DROIT ROTÂL FRANCS. 459
U y a en tout ceci une part de vérité : et la thèse est présentée avec
une conviction, un entrain, une force remarquables. Je ne crois pas
néanmoins que les aperçus généraux les plus personnels et les plus neufs
soient parfaitement conformes à la vérité historique. L^esprit vigoureux
de M. F. ne parait pas s'être exercé sur des périodes assez prolongées,
avoir embrassé toute l'histoire des Francs par exemple ; s'il eût pris la
peine de le faire, non pas d'une façon pour ainsi dire matérielle, mais
en y appliquant tout Teffort de son esprit, n*eût-il pas été conduit,
rencontrant sous les Carolingiens et longtemps après les Carolingiens
l'expression répétée de notions de droit public déjà relevées par Tacite,
n'eût-il pas été invité à ne pas isoler historiquement la période qu'il
étudie, à ne pas en faire une farx)n de monstre historique sans aïeux
et sans postérité ?
Je songe surtout, en écrivant ces lignes^ au rôle des assemblées popu-
laires dont M. F. parait faire si peu de cas. Ont-elles cessé, ces assem-
blées, ont-elles cessé, avant 614, déjouer leur rôle nécessaire dansl'od-
fatkomia*^ ce grand acte juridique tout primitif qui contient le germe et
comme la racine d'institutions diverses : le testament ou adoption par-
devant le peuple, la vente sanctionnée par le peuple analogue à Tacte
romain dont la mancipatio est la réduction juridique ? Et comment peut-
on n'apercevoir absolument aucune trace du rôle politique de ces assem-
blées dans la création de la royauté, alors que Grégoire de Tours écrit
textuellement : c Ibique juxta pages et civitates reges crinitos super se
creavisse de prima et, ut ita dicam, nobiliori suorum familial? » Com-
ment peut-on ne pas apercevoir l'assemblée populaire, l'assemblée poli-
tique jouant quelque rôle dans la confection de la loi, alors que le grand
prologue de la Loi salique porte : c Gens Francorum inclita dicta-
verunt Salica lege, » et qu'en l'an 574 nous voyons encore le roi Chil-
péric mettre ce préambule en tête d'un édit : c Pertractantis in Dei
nomen cum viris magniiicentissimis, obtinentibus vel antrustionibus
et omni populo nostro convenit^? > Sans nul doute, la nation dispersée
se trouvant dans l'impossibilité matérielle de se réunir tout entière, les
grandes assemblées prirent peu à peu un caractère de plus en plus aris-
tocratique. Sans nul doute, la royauté mérovingienne emprunte le plus
d'autorité possible aux traditions romaines et s'empara de toute la force
que lui donnaient naturellement les circonstances. EnGn elle afSfecta un
caractère bien plutôt héréditaire qu'électif.
Mais tout n'est pas dit quand on a constaté ces grands faits. Les rois
héréditaires ne sauraient faire oublier le point de départ de la royauté,
ou, tout au moins, ce témoignage relevé plus haut de l'opinion publique
touchant les origines de la royauté. Les lois émanées de la seule royauté
1. In mallo ante regem vei legitimo mallo publico. — Quod heredis appellarit
pnblici coram populo... (Rehreod, Lex salica, p. 62).
2. Hiii. France, II, 9.
3. Lex salica, édit. Hesseis et Kern, p. 409, l** col.
^60 COMPTES-RENDUS CRITIQinSS.
ne sauraient faire oublier les lois dictées par le peuple ou les témoi-
gnages relatant le rôle du peuple dans la confection de la loi. La con-
science populaire est éminemment conservatrice ; c'est un trésor de tra-
ditions. Elle forme un puissant véhicule : c'est ce véhicule qui charria
l'idée de l'élection du roi depuis Grégoire de Tours jusqu'en plein
moyen âge à travers la période carolingienne. C'est encore la conscience
populaire qui conserva pendant douze siècles la notion des pouvoirs
législatifs du peuple, notion souvent infirme, mais vivante toujours et
apparaissant çà et là jusqu'aux derniers jours.
L'histoire ne ressemble pas à une boîte à surprise : et le critique doit
se défier de lui-même le jour où il croit apercevoir tout à coup des phé-
nomènes nouveaux sans lien et sans attache avec le passé. Je crains
que M. Fahlbeck n'ait été quelquefois le jouet de ces trompeuses appa-
rences, mais je ne saurais proclamer assez haut la valeur et l'origina-
lité singulière de son livre.
M. F. termine ce remarquable ouvrage par une série d' excursus très
importants : les principaux sont intitulés : VAge de la loi salique (sui-
vant M. F., la Loi salique est antérieure à Glovis et remonte à Glodion);
Sur l'histoire des Goths par rapport à l'hérédité de la royauté chez ce
peuple (M. F. conibat la thèse de l'électivité des rois goths; il insiste
sur le peu de crédit dû à Jordanis qui a copié hâtivement Gassiodore);
le Domesticus et l'administration des domaines dans le royaume franc ; la
Constitution de Chlotachaire (discussion excellente).
La thèse suédoise, d'où est sorti ce bon livre français écrit et imprimé
à Lund, contenait quelques autres excursus qui n'ont pas été reproduits.
Paul ViOLLET.
Goûtâmes et institutions de r Anjou et du Haine antérieures au
xvie siècle, textes et documents, avec notes et dissertations par
A.-G.-J. Beadtemps-Beaupré. Première partie, coutumes et styles;
tome IV. — Préface (dut. III). Paris, Pédone-Lauriel, 4 vol. in-8®
de 56^ -i i 3 pages et ^ fascicule de cxxvii pages.
M. Beautemps-Beaupré a terminé la tâche considérable qu'il s'était
imposée : le dernier volume des Coutumes et institutions de V Anjou et du
Maine vient de paraître (t. IV) ; l'auteur a publié en môme temps une
préface destinée au t. III. Une bonne table termine le t. IV et rendra
les recherches faciles.
Voici l'indication des textes publiés dans le tome IV :
{' Coutume rédigée vers 1440, éditée d'après un manuscrit de Rome;
cette coutume dérive, en quelques parties, du Grand Coutumier; 2* cou-
tume de la seconde moitié du xv* siècle ; 3" style de la fin du xv« s.,
dont il existe plusieurs éditions gothiques; 4* quelques fragments
additionnels.
SICEEL : DAS PRlTILEGim OTTONtS. I6l
Ce volume se recommande par les mêmes qualités que les précédents
et termine dignement cette grande publication.
Nous eussions souhaité une introduction plus longue : Tauteur y
accorde une bien faible place aux influences germaniques.
Paul ViOLurr.
Th. SiCKEL. Das Priviloi^um Otto I fUr die rœmisohe kirohe
vom Jahre 962. Innsbruck, Wagner; 482 p. et i bo-similé.
La publication de M. S. doit fixer Tattention de tous ceux qui s'oc-
cupent des rapports de la Papauté et de Tempire au moyen âge : elle
répand en effet une lumière nouvelle sur quelques-unes des parties les
plus obscures de cette histoire et peut servir à modifier des opinions
que beaucoup considéraient trop facilement comme acquises. En môme
temps la sûreté de méthode et la finesse de critique que montre Tauteur
font de ce mémoire un véritable modèle. Un enseignement général qui
tout d'abord s'en dégage c'est qu'il faut savoir, en matière de diplômes,
se garder même dos excès de défiance. Depuis longtemps on s'était
habitué à prodiguer un peu vite les termes « faux, supposé, interpolé, »
et, sous couleur d'hypercriticisme, on a condamné des documents qui
ne méritaient point toujours ce sort. Aujourd'hui cependant on parait
enclin à plus de modération : s'il en est qui s'acharnent encore sans
pitié contre quelques-uns des survivants des exécutions antérieures,
d'autres, au contraire, s*emploient à remettre sur pied les plus intéres-
sants parmi les estropiés. C'est ce que fait M. B. pour le privilège
d'Otto I*** et par contre-coup pour celui de Louis le Débonnaire ; il y a
d'autant plus de mérite qu'il plaide sur certains points contre des con-
clusions dont il s'était fait autrefois le défenseur.
On sait que les deux documents en question sont parmi les plus impor-
tants qu'on possède, pour le ix« et lex« siècle, sur l'étendue territoriale, la
constitution, l'administration de l'État de saint Pierre, en môme temps
que sur les conventions qui réglaient les rapports de la papauté et de
l'empire. Malheureusement la forme sous laquelle on les connaissait
était faite pour éveiller la défiance ; aussi leur authenticité n'était-elle
plus guère défendue que par des écrivains intéressés à l'admettre.
Récemment, cependant, M. Ficker les avait soumis à un examen nou-
veau dont les conclusions étaient plus favorables. Grâce à l'accès que
Léon XIII a ménagé aux savants dans les archives du Vatican, M. B.
a pu étudier et faire reproduire l'exemplaire le plus ancien du privilège
d'Otto, soustrait jusqu'ici aux regards profanes. Il en a joint un fac-
similé à son mémoire. Est-ce l'original? Est-ce une pièce authentique?
M. S. détermine d'abord, par un examen paléographiqoe fort minutieux,
que l'exemplaire du Vatican date du milieu du x* siècle, et il y voit
une copie faite par un Italien d'après l'acte original. Il suppose qu'elle
aurait pu être destinée à être déposée, selon un usage consacré, sur la
Bev. HiSToa. XXV. i*' fasc. 11
^62 GOMPTES-REXDUS CRITIQUES.
confession de saint Pierre et que, par conséquent, elle aurait été exécu-
tée au su de l'empereur et avec son assentiment.
Mais le privilège d'Otto se rattache étroitement à celui de Louis le
Débonnaire en 817, et on ne peut examiner Tun sans s'occuper de
l'autre. Celui-ci nous ne le connaissons que par les reproductions d'une
copie du XI" siècle et nous savons que l'original même n'existait plus
au xin« siècle. M. S. cherche à déterminer la valeur des manuscrits oii
il se trouve, bien que quelques-uns, comme il le reconnaît, niaient pas
encore été étudiés d'assez près. Ce qu'il dit des manuscrits de Gencius
doit être complété et rectifié : le troisième manuscrit, qu'il n'a pu con-
sulter, a été étudié récemment par un membre de notre école de Rome,
M. P. Fabre, qui y reconnaît tout au moins le plus ancien manuscrit
et qui compte nous donner bientôt une bonne édition de Gencius :
Mélanges d'archéologie et d'histoire de V école française de Borne, 1883.
M. 8. croit que toutes les répliques que nous avons du privilège de 817
proviennent de l'œuvre de quelque canoniste, peut-être du cardinal
Deusdedit, qui, dans les dernières années du pontificat de Grégoire VII,
aurait composé un recueil des privilèges de l'église romaine.
Le privilège de 817 devait être au xi« siècle le plus ancien de ce genre
qu'on connût à Rome, et, d'après la reproduction à peu près exacte et
complète du protocole, M. S. suppose qu'il était placé dans le recueil
en tête de la série.
Mais l'auteur du recueil n'était-il point capable de modifier ce docu-
ment au gré des intérêts de la papauté? Depuis 817, tout en gardant
les formes extérieures d'un diplôme impérial, n'avait-il pas subi quelque
atteinte ? Pour répondre à ces questions, M. S. examine la langue, le
style, les formules et le contenu du privilège. Les remarques générales
qu'il présente ici sur la méthode à suivre sont fort justes : comme il le
dit, il ne suffit pas de juger de l'authenticité d'un document d'après des
règles de diplomatique soi-disant fixes et invariables, il faut rechercher
si les circonstances historiques qui ont entouré la rédaction de ce docu-
ment n'expliquent point les particularités qu'il présente et qui le dis-
tinguent des autres pièces du même temps. Les pactes du même genre
qui avaient été conclus au siècle précédent, et que nous n'avons plus,
devaient présenter un fond romain sous des formules franques. De
même le privilège de Louis le Débonnaire s'accorde d'une part avec les
usages de la chancellerie franque au commencement du ix» siècle, tan-
dis que de l'autre il correspond à ce qui s'était fait à Rome au vin* siècle.
Je crois que ce fut là le but que poursuivit la diplomatie pontificale
en 817, elle s'attacha à ce que le privilège de 817 ne fût sur certains
points essentiels que la reproduction des conventions antérieures à 800,
qu'on n'y tint point compte des droits nouveaux et plus étendus que les
Garolingiens auraient pu revendiquer en raison de leur autorité impé-
riale. Le projet du privilège de 817 aurait donc été préparé par la cour
pontificale.
£n résumé, M. S. admet que le style et les formules de ce document
SICKBL : Dis PRIVILEGIUM OTTONIS. 463
tel qu*il nous est parvenu témoignent en faveur d'un original authen-
tique, mais il ne prétend pas cependant que la copie qui en a été faite
au xi« siècle et dont dérivent les autres ait une valeur absolue, qu'elle
soit entièrement exacte et pure de toute interpolation.
Le privilège de 962 se compose de deux parties dont la première
n'est que la continuation de celui de 817. Mais le rédacteur d*0^ a-t-il
connu l'original de L? M. S. le croit. Après avoir étudié les formules
de 0, il passe au contenu, en le comparant d'une manière continue avec
L, et il traite avec beaucoup de soin la question des territoires. D'après
lui, Louis le Débonnaire n'aurait point sanctionné toutes les cessions
promises en 774, il s'en serait tenu plutôt aux conventions ultérieures
conclues sous le règne de son père et dans la suite TËtat de saint Pierre
aurait subi quelques diminutions. Sur deux points importants, des ter-
ritoires indiqués dans L ne se retrouvent pas dans 0. D s'agit d'abord
d'une série de villes de laCampanie, Segni, Ânagni, etc. Faut-il croire
qu'elles ne se trouvaient pas dans l'original de L que le rédacteur de 0
avait sous les yeux ? M. S. ne l'admet pas et avec raison quelque expli-
cation que l'on propose, les villes en question faisaient partie, en 962,
de l'État de saint Pierre. L'omission dans 0 du passage de L relatif à
la Sardaigne et à la Sicile ne s'explique pas de môme façon. Ce serait
grâce à une interpolation que ces îles figurent dans L, opinion qui avait
déjà été admise par les défenseurs sérieux de l'authenticité de cette
pièce. A partir de cet endroit, Tordre d'énumération n'est point le môme
dans les deux privilèges, non plus que toutes les clauses. Gomme il me
serait impossible de suivre ici M. S. dans la discussion de toutes les
questions qu'il traite, je n'insisterai que sur deux points.
A un endroit le rédacteur de 0 reproduit la délimitation géographique
qui se trouve dans le célèbre passage de la Vita Adriani relatif à la
donation de 774. A diverses reprises M. S. s'est vivement préoccupé de
la difficulté d'arriver à des solutions précises sur les donations de Pépin
et de Gharlemagne. Pour expliquer le silence des annalistes du viii* siècle
à cet endroit, il remarque que ceux du x* siècle ne parlent pas non plus
du privilège de 962. Le rapprochement ne me parait pas tout à fait
exact : le privilège de 962 était surtout un acte de confirmation, tandis
que les donations de 754 et de 774, créant une situation nouvelle,
devaient frapper plus vivement l'attention. La vérité est que le silence
des contemporains de Pépin et de Charles n'est pas aussi absolu qu'on
le croit, mais ils se sont contentés d'expressions vagues. Quant au
fameux passage de la Vita Adriani, M. S. surprend chez le rédacteur
l'intention d'être obscur, afin de mieux favoriser les intérêts de la
papauté. S'agit-il des territoires dans leur intégralité, ou seulement,
comme on l'a souvent soutenu, des patrimoines situés dans ces terri-
toires ? Pour M. S., les renseignements que donne la Vita Adriani repré-
1. Pour plus de faciUté j'emprunte les désigoatioDS adoptées par M. S. : 0 a
Pririlèffe d'Otto I**" ; L =» Privilège de Louis le Débonnaire.
^164 COXPTBS-RENDCS CRITIQUES.
sentent non point la réalité, mais les désirs de la cour romaine. Il en
donne cette preuve que depuis Pépin (ainsi qu'on en peut juger par la
Vita Stephani) tous les pactes de donation procédaient à l'énumération
des villes et des territoires : si cette méthode ne se retrouve pas dans la
Vita Adriani, c'est que le rédacteur substitue ses inventions à l'analyse
exacte du pacte de 774 et M. S. essaie môme de déterminer les sources
écrites et les cartes dont il s'est servi. C'est là un argument nouveau et
ingénieux qui mérite d'être mis en sérieuse considération. II y a dans
ces quelques pages des remarques qui éclairent mieux l'histoire des
donations que les trois quarts des dissertations obscures qui se sont
entassées sur ce sujet.
Plus loin, à propos des documents de 824, l'auteur établit, d'après le
privilège de 962, qu'il a dû y avoir alors, outre la Constitutio et la Pro-
missio que nous avons conservées, un pactum qui s'est perdu. Je n'avais
pas encore lu cette partie du mémoire de M. 8. quand j'avais supposé,
dans un article publié ici, qu'une des pièces de 824 s^était perdue : mon
hypothèse se trouve donc confirmée et précisée. J'ajouterai que, si ce
Pactum s'est perdu, c'est probablement parce qu'il sanctionnait le droit
de confirmation impériale. La cour romaine ne devait pas se soucier
beaucoup de conserver ou de produire un pacte qui rappelait une de
ses défaites et qui pouvait être invoqué contre elle. On pourrait objecter
que le privilège de 962 fait des emprunts au Pactum de 824, et que
cependant il n'y est pas question du droit de confirmation, mais du ser-
ment stipulé par la Promissio. Je répondrai que M. S. n'a point établi
que les rédacteurs du privilège de 962 aient employé soit l'original, soit
une copie authentique du Pactum de 824 : on peut croire qu'ils se sont
servis de copies expurgées. Il était d'autant plus facile de procéder à ces
altérations que, ainsi que l'auteur le remarque lui-même, il n'y avait
point d'archives impériales régulières et bien tenues où on pût trouver
une copie authentique de ces actes ; dans les négociations avec le pape,
les représentants de l'empereur étaient presque toujours forcés d'accep-
ter les documents tels que les leur présentait la cour pontificale. Enfin
on peut observer que la plupart des emprunts faits par le privilège d'Otto
aux documents de 824 proviennent soit de la Constitutio, soit de la Pro-
missio. Le Pactum devait pourtant être bien plus développé et contenir,
comme celui de 817, un long passage sur les élections : si les rédacteurs
ne l'ont pas mis plu s largement à contribution, c'est qu'ils ne l'avaient point
in-extenso. M. S. croit que des archichapelains impériaux, Bruno de
Cologne et Guillaume de Mayence, et des dignitaires de la cour romaine
ont participé à l'élaboration du privilège de 962 : dans ce système je sup-
pose que les Allemands ne connaissaient point le texte du pactum de 824,
les Romains, qui ne l'ignoraient point, n'en produisirent qu'un texte
tronqué et supprimèrent ce qui était le plus défavorable à la papauté.
Il faudrait un véritable mémoire pour faire connaître et apprécier
toutes les observations ingénieuses que contient l'étude de M. S. Je
n'ai voulu ici qu'en indiquer l'importance : elle est digne de la haute
réputation scientifique de l'auteur et on peut assurer qu'elle rendra de
CARON : MONNAIES FEODALES FRANÇAISES. 465
grands services à ceux qui s'occupent des mêmes questions, soit qu'ils
en acceptent toutes les conclusions, soit qu'ils s'en écartent sur quelques
points. M. S. est en effet de ces maîtres chez qui la pratique de l'érudi-
tion la plus minutieuse n'altère ni la netteté, ni la justesse, ni l'origi-
nalité da sens historique. G. Baybt.
Monnaies féodales ft^ançaises, par E. Caron. Paris, RoUin et
Peuardent, 4882, in-4*.
L'étude de la numismatique, cette auxiliaire indispensable de l'his-
toire, a été facilitée depuis quelques années par la publication de
quelques livres excellents. J'ai rendu compte, il y a peu de mois, dans
la Revue du volume de M. Hoiïman sur les monnaies françaises de la
troisième race. Je dois signaler aujourd'hui à l'attention des lecteurs de
cette revue un excellent ouvrage de M. Caron, intitulé Monnaies féodales
françaises, et dont le premier fascicule vient de paraître. Ce travail est
destiné à compléter le grand répertoire publié par M. Poey d'Avant
sous le titre de monnaies féodales de France, qui lui-môme avait avan-
tageusement remplacé le traité de Tobiesen-Duby sur les monnaies des
barons paru il y a près de cent ans. Â peine terminé, le catalogue de
M. Poëy d'Avant était devenu incomplet, de plus on lui reprocha des
classifications parfois hasardées et une ignorance de la paléographie et
de lart héraldique qui l'avait entraîné à commettre un grand nombre
d'erreurs; en outre, une recherche attentive dans les collections
publiques ou privées et l'étude de nombreuses trouvailles faites pendant
vingt ans ont permis à M. Caron de réunir un nombre respectable de
monnaies nouvelles et intéressantes. Compléter et rectifier Poëy d'Avant,
tel a été son but; il a suivi son plan, qui, malheureusement, n'est pas
irréprochable, il s'est astreint, bien malgré lui, j'en suis sûr, à ne parler
ni de la Flandre, ni du Cambrésis, de l'Alsace, dp la Lorraine, de la
Savoie, etc., autant de provinces françaises. Il est même moins complet
que son devancier, ayant négligé de s'occuper des princes de Rethel,
Sully, Bouillon, etc., et autres grands seigneurs qui cherchèrent aux
xvi« et xyn« siècle à constituer une féodalité nouvelle et ont affirmé
leurs tendances en frappant monnaie. Ces monnaies sont sans valeur
artistique, mais elles n'en constituent pas moins une des pages les plus
curieuses de notre histoire numismatique. L'ouvrage complet se com-
posera de trois fascicules, et je compte en parler de nouveau et avec
plus de détails quand il sera terminé ; qu'il me suffise, pour le moment,
de l'annoncer aux numismatistes et aux érudits. Le premier fascicule,
le seul paru, contient les provinces suivantes : Ile-de-France, Bretagne,
Anjou, Perche, Berry, Auvergne, Limousin ; plus de 200 monnaies
nouvelles sont décrites dans le texte et les types les plus intéressants
sont gravés sur huit planches. Tous les savants qui possèdent l'ouvrage
de M. Poëy d'Avant devront avoir celui de M. Caron, qui en est le
complément indispensable. J. Roman.
466 GOMPTB»-EBNDUS CRITIQinSS.
Stato e Ghiesa negli Scrittl politlci, dalla fine délia lotta per
le Investiture, sino alla morte di Ludoviôo il Bavaro
(4422-4347), par Fr. Scidcjto. — Florence, Le Monnier, 4882.
Marsilio da Padova, riformatore politico e religioso del
■ecolo xrv, par Bald. Labinca. Padoue, Salmin frères, 4882.
Les maitres de la critique historique en Italie, tels que MM. Yillari,
Malfatti, del Lungo, ont la satisfaction de voir se former derrière eux
une compagnie nombreuse de disciples et de continuateurs fort habiles
à explorer les recoins de l'histoire véritablement originale de la pénin-
sule, à savoir : le moyen âge et le xvp siècle. Les deux monographies
dont je veux rendre compte sont inspirées plus ou moins directement
par les recherches de M. Villari au t. II de son Nicole Machiavelli e i
suoi tempi, L'éminent critique avait retracé , dans un chapitre curieux,
la suite des théories politiques italiennes antérieures au Prince.
MM. Scaduto et Labanca complètent ce tableau et analysent en détail,
le premier, tous les traités écrits soit en Italie, soit en France, depuis le
xn* siècle jusqu'au milieu du xrv«, sur l'origine divine ou humaine des
gouvernements, sur l'Église et l'Empire, leurs prétentions à la primauté
universelle et l'antagonisme de leurs droits; le second, la vie et les doc-
trines de Marsilio de Padoue, le protégé de Louis de Bavière, l'adver-
saire résolu de la suprématie pontificale et le premier parmi tous ces
théoriciens qui ait entrevu dans le consentement universel le fonde-
ment du droit social et de l'autorité politique. Les deux écrivains sont
d'accord sur les idées essentielles de l'œuvre maîtresse de Marsilio, le
Defensor Pacis, sauf une, la plus importante, peut-être, celle de l'État,
entendu à la façon des modernes, l' État-nation, autonome, indépen-
dant de toute souveraineté supérieure ou mystique. M. Labanca affirme
(p. 126-128) que cette notion est clairement exprimée par le réformateur
padouan; M. Scaduto, après M. Villari, est d*un avis contraire (p. 132).
Selon lui, Marsilio n'a point dépassé la notion de l'Ëtat-cité, qu'il em-
prunte à Aristote plus encore qu'à la commune italienne du moyen
âge. Or, cette id^e apparaît déjà chez la plupart des prédécesseurs de
Marsilio, dans le De Regimine Principum de saint Thomas, le De Potes"
taie regia et papali de Jean de Paris. Sur ce point, M. L. me semble
avoir cédé à un enthousiasme qui l'entraîne parfois un peu loin. Ne
nous montre-t-il pas Marsilio comme • prophète de l'avenir, » précur-
seur de la Réforme et de la Révolution française? De la première, parce
qu'il croit à la révélation individuelle du Saint-Esprit dans la conscience
du fidèle et diminue le rôle médiateur du prêtre; de la seconde, parce
qu'il considère le peuple, ou plutôt les citoyens les meilleurs {pars
valentior civium) comme les gardiens les plus sûrs de la loi et les chefs
naturels de la société, dont ils règlent par l'élection l'organisme entier
(p. 220-222). Mais cette doctrine religieuse est au fond du christianisme
même que les Italiens ont façonné selon leur génie propre, et, au
xm« siècle particulièrement, elle s'est manifestée d'une façon éclatante
FÀHLBBCK : LA ROTAirrf ET LE DROIT ROTAL FRANCS. 459
U y a en tout ceci une part de vérité : et la thèse est présentée avec
une conviction, un entrain, une force remarquables. Je ne crois pas
néanmoins que les aperçus généraux les plus personnels et les plus neufs
soient parfaitement conformes à la vérité historique. L'esprit vigoureux
de M. F. ne parait pas s'être exercé sur des périodes assez prolongées,
avoir embrassé toute l'histoire des Francs par exemple ; s'il eût pris la
peine de le faire, non pas d'une façon pour ainsi dire matérielle, mais
en y appliquant tout Teffort de son esprit, n'eût-il pas été conduit,
rencontrant sous les Carolingiens et longtemps après les Carolingiens
Texpression répétée de notions de droit public déjà relevées par Tacite,
n'eût-il pas été invité à ne pas isoler historiquement la période qu'il
étudie, à ne pas en faire une façon de monstre historique sans aïeux
et sans postérité ?
Je songe surtout, en écrivant ces lignes^ au rôle des assemblées popu-
laires dont M. F. parait faire si peu de cas. Ont-elles cessé, ces assem-
blées, ont-elles cessé, avant 614, déjouer leur rôle nécessaire dansl'ad-
fathomia*^ ce grand acte juridique tout primitif qui contient le germe et
comme la racine d'institutions diverses : le testament ou adoption par-
devant le peuple, la vente sanctionnée par le peuple analogue à l'acte
romain dont la mancipatio est la réduction juridique ? Et comment peut-
on n'apercevoir absolument aucune trace du rôle politique de ces assem-
blées dans la création de la royauté, alors que Grégoire de Tours écrit
textuellement : c Ibique juxta pagos et civitates regos crinitos super se
creavisse de prima et, ut ita dicam, nobiliori suorum familial? » Com-
ment peut-on ne pas apercevoir l'assemblée populaire, l'assemblée poli-
tique jouant quelque rôle dans la confection de la loi, alors que le grand
prologue de la Loi salique porte : • Gens Francorum inclita dicta-
verunt Salica lege, • et qu'en l'an 574 nous voyons encore le roi Chil-
péric mettre ce préambule en tête d'un édit : c Pertractantis in Dei
nomen cum vins magniiicentissimis, obtinentibus vel antrustionibus
et omni populo nostro convenit^? > Sans nul doute, la nation dispersée
se trouvant dans l'impossibilité matérielle de se réunir tout entière, les
grandes assemblées prirent peu à peu un caractère de plus en plus aris-
tocratique. Sans nul doute, la royauté mérovingienne emprunte le plus
d'autorité possible aux traditions romaines et s'empara de toute la force
que lui donnaient naturellement les circonstances. EnGn elle afSfecta un
caractère bien plutôt héréditaire qu'électif.
Mais tout n'est pas dit quand on a constaté ces grands faits. Les rois
héréditaires ne sauraient faire oublier le point de départ de la royauté,
ou, tout au moins, ce témoignage relevé plus haut de l'opinion publique
touchant les origines de la royauté. Les lois émanées de la seule royauté
1. In mallo aote regem vel legitimo mallo publico. — Quod heredis appelUrit
publicicoram populo... (Behreod, Lex salica, p. 62).
2. Hiti. France, II, 9.
3. Lex saUca, édit. HesseU et Kern, p. 409, i** col.
468 GOMPTBS-RBNDUS CRITIQUES.
tioDs de Philippe le Bel, sont des scolastiques, indifférents à la réalité,
à rhistoire, possédés et aveuglés par la méthode a priori. Ils édifient
leur doctrine sur deux ou trois axiomes, théologiques pour la plupart,
et en tirent les dernières déductions, sans s'inquiéter des démentis que
les faits donnent sans cesse à la théorie. Ils prennent même, chemin
faisant, des comparaisons pour des raisons. Dante, en son traité de la
Monarchie , semble ébloui par la métaphore des deux luminaires, l'em-
pereur et le pape. Ils rainent, avec une subtilité étonnante, sur les
textes de l'Ecriture, mais ils ne soupçonnent aucune des causes histo-
riques et contingentes qui ont rapproché et mis aux prises les deux
grands pouvoirs : Tétat féodal de la chrétienté, source première du
conflit ; les relations mystiques des deux maîtres du monde, la consé-
cration de l'empereur à Rome, les variations dans le mode d'élection
des papes; l'horrible désordre de l'Italie et de l'Église sous les empe-
reurs saxons; la répugnance de l'Église italienne à l'égard des papes
d'origine allemande ; le profond effort de la péninsule vers l'indépen-
dance, essayé d'abord par des retours éphémères à la royauté italienne,
puis par le mouvement communal, et qui prenait sur le siège aposto-
lique son principal point d'appui. Les doctrinaires de Philippe le Bel
sont peut-être les seuls dont les doctrines soient bien d'accord avec
leur moment historique. Mais il est singulier de voir saint Thomas
relever la théorie de la primauté temporelle des papes, au sens rigou-
reux de Grégoire VII, dans le siècle môme de Frédéric II et de saint
Louis, et Dante évoquer la figure de l'empire œcuménique tel qu'Otton I«'
et Henri III l'avaient imaginé, au lendemain de la mort d'Albert I»»", au
moment même oii le débile Henri YII descendait timidement en Italie.
Certes, après Boniface VIII et Henri VII, l'heure de la' France sonnait
très clairement. Les légistes et les canonistes du roi avaient l'oreille
fine et l'entendirent : plus libres à l'égard de la discipline scolastique,
ils auraient pu fonder la véritable littérature politique et répondre
mieux que par des syllogismes à l'appel de l'histoire.
MM. 8caduto et Labanca terminent Tun et l'autre leur ouvrage par
un aperçu rapide des vues d'Ockam, l'un des esprits les plus indépen-
dants du xjy siècle, et qui a pour nous le mérite d'avoir résumé et
débattu dans ses Octo QuafsHones, comme en une Somme, la plupart des
doctrines antérieures. Les conclusions de ce moine, reproduites dans
son Dialogus inter magistrum et discipulum, sont parfois singulièrement
hardies. Il dépouille le souverain pontife non seulement de toute auto-
rité sur les choses politiques et de tout domaine temporel, mais encore
de tout droit à trancher dogmatiquement en matière de foi et à juger
des hérésies, privilège qu'il réserve au concile général. Il admet sans
embarras le cas où le pape serait lui-même hérétique. Ne lui parlez ni
de l'infaillibilité pontificale, ni de la fameuse donation que le moyen
âge attribuait à Constantin. Ockam a déjà le sens critique; sur la ques-
tion de la translation de l'empire des Grecs aux Francs, comme sur celle
de la royauté universelle des papes, il répond qu'il faudrait vérifier
LÀfiAXCA : MABSILIO 01 PÂI>OYA. ^169
d*abord les documents et privilèges authentiques, registra fide digna. Il
a établi, avec une rigueur de discussion inconnue à ses prédécesseurs,
que la suprême puissance spirituelle et la suprême puissance tem-
porelle ne pouvaient se confondre dans une seule et même personne.
Cette confusion lui parait aussi monstrueuse que le seraient « deux
têtes sur un seul corps. » Ici, c'est toujours contre le saint-siège qu'il
raisonne. Mais, ainsi qu'il arrive à tous les théoriciens du moyen âge,
sa doctrine, limitée par une expérience incomplète de l'histoire, ne sait
pas faire le tour de la question tout entière. Certes, ils ont tous assez
glosé sur la parole sainte : Regnum meum non est de hoc mundo^ afin de
ramener la papauté à sa destination originelle. Mais aucun d'eux ne
songe à examiner la confusion du spirituel et du temporel dans la per-
sonne même de Tempereur. Un seul empereur, sans doute, Frédéric II,
vers la fin de sa vie et dans l'excès de sa passion contre Rome, a tenté
de supplanter le pape et de régner à la façon d'un Antéchrist sur la
chrétienté. Mais, antérieurement à Tempereur souabe, combien de fois
1 empire n'avait-il pas usurpé sur les fonctions spirituelles du saint-
siège I De grands politiques, tels que Charlemagne, Otton I«' et
Henri III, un rêveur mystique tel que Otton III, s'ils nomment ou
déposent des papes, ont aussi la prétention, en vertu de l'onction impé-
riale qui a touché leur front, de parler et d'agir comme vicaires visibles
de Dieu. Quand on lit la véritable encyclique de Charlemagne à toutes
les puissances ecclésiastiques et séculières (Pertz, Monum, Germ. Leg.
I, 53), on se demande quel était alors, de l'empereur ou de l'évêrjuc de
Rome, le pasteur authentique de TËglise. L'histoire troublée de l'Italie
et de l'Occident avait rapproché les deux grands pouvoirs, les avait
rendus nécessaires l'un à l'autre et, par conséquent, jaloux et rivaux
l'un de l'autre. Les philosophes ont cherché la conciliation des deux
autorités dans l'abaissement ou la soumission de l'une d'elles. Il eût
été plus sage de renfermer l'Église et l'État chacun dans son domaine
propre et de creuser entre eux un fossé infranchissable. Mais le moyen
âge était à la fois trop chrétien et trop féodal pour essayer une entre-
prise que les temps modernes n'ont pas encore achevée, et dont la
notion ne fut jamais qu'imparfaitement entrevue par les dialecticiens
politiques du passé.
Emile Gebhart.
Alfred yen Reumott. Kleine historische Schriften. Gotha,
Pr.-A. Perthes. vi-535 p. in-8% ^882.
C*est un spectacle admirable de voir l'énergie et la fraîcheur d'idées
avec lesquelles l'auteur, déjà vieux, de ces petits mémoires historiques,
se livre à ses travaux littéraires. Ces mémoires ne sont pas, en efiet,
tout simplement des articles déjà parus et qu'on s'est contenté de
réunir ensemble; la plupart viennent seulement de paraître, et ceux
47Ù COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
qui ont été déjà publiés sont ici étendus et remaniés; et cependant l'au-
teur les donne lui-même pour de simples intermèdes au milieu de tra-
vaux plus importants ; il y a peu de temps, en effet, il lui a été donné
de pouvoir publier une seconde édition remaniée de son excellente
biographie de Laurent le Magnifique.
On pourrait presque considérer comme se rattachant à ce même sujet
Tétude par laquelle s'ouvre le présent volume. Elle est relative (p. 1-154) à
a Alessandra Strozzi, noble dame florentine du xv^' s. > Après nous
avoir, en matière d'introduction, montré dans M°^« Bartolommea
degli Alberti le type des femmes à la fin du moyen âge, M. de Reu-
mont nous raconte brièvement l'histoire de la famille florentine des
Strozzi, pour y rattacher l'histoire de Matteo Strozzi et de sa veuve
Alessandra dei Macinghi. Matteo Strozzi, élevé à l'école des humanistes,
noble bourgeois de Florence, sans prendre une part éminente à la vie
politique de sa patrie, fut envoyé en exil en 1434 par la faction victo-
rieuse des Médicis, tandis que sa famille était bannie avec la faction
des Albizzi. Avec sa femme et six enfants, Matteo se retira à Pesaro,
où il était interné. Il y mourut l'année suivante. En 1436, M"« Ales-
sandra revint à Florence avec cinq enfants ; elle avait à peine trente ans;
elle y mourut en 1471, après avoir eu la joie de voir ses fils, riches et
considérés, revenir à Florence des pays étrangers. C'est à l'un de ses
fils, Filippo, qu'est dû le puissant palais dont la construction solide et
fière, et cependant belle et élégante, fait revivre aujourd'hui avec le
plus de fidélité l'esprit de la Florence républicaine.
D'après la correspondance qu' « Alessandra Macinghi negli Strozzi >
entretint avec ses parents, et dont M. G. Guasti a publié, en 1877,
soixante-douze lettres avec des annotations, et d'après un grand nombre
d'autres documents plus ou moins importants sur l'histoire du xv« s.,
M. de Reumont a tracé de l'excellente femme et mère un portrait fort
touchant, où se reflète très vivement l'image des pensées et des senti-
ments d'une noble Florentine et de la meilleure des mères. Les soucis
et les joies toujours semblables d'une pieuse mère nous sont si bien
présentés au milieu de la peinture des temps et des lieux, qu'ils doivent
éveiller la sympathie de tout cœur accessible aux sentiments humains.
Comparée à cette première étude vraiment importante, les autres
essais ne peuvent réclamer qu'une place très inférieure. Le second
traité est, il est vrai, plein d'intérêt dramatique; mais il ne procure
pas autant de plaisir que le premier. Il nous raconte l'abdication et la
mort du roi Victor-Amédée II de Sardaigne; comment ce prince
déposa solennellement la couronne le 12 août 1730, comment il s'en
repentit ensuite et voulait s'emparer à nouveau du pouvoir, comment
enfin son fils, le roi Charles-Emmanuel, le fit transporter violemment
au château de Rivoli et l'y fit détenir étroitement jusqu'à ce qu'il
mourût à Moncalieri, le 31 octobre 1755.
Le troisième essai nous décrit, d'après une connaissance personnelle
des lieux et l'étude approfondie des sources historiques dont on peut
SICKBL : DAS PRIVILEGITM OTTONIS. 463
tel qu'il nous est parvenu témoignent en faveur d'un original authen-
tique, mais il ne prétend pas cependant que la copie qui en a été faite
au xi« siècle et dont dérivent les autres ait une valeur absolue, qu'elle
soit entièrement exacte et pure de toute interpolation.
Le privilège de 962 se compose de deux parties dont la première
n'est que la continuation de celui de 817. Mais le rédacteur d*0^ a-t-il
connu l'original de L ? M. S. le croit. Après avoir étudié les formules
de 0, il passe au contenu, en le comparant d'une manière continue avec
L, et il traite avec beaucoup de soin la question des territoires. D'après
lui, Louis le Débonnaire n'aurait point sanctionné toutes les cessions
promises en 774, il s'en serait tenu plutôt aux conventions ultérieures
conclues sous le règne de son père et dans la suite TÉtat de saint Pierre
aurait subi quelques diminutions. Sur deux points importants, des ter-
ritoires indiqués dans L ne se retrouvent pas dans 0. H s'agit d'abord
d'une série de villes de la Gampanie, Segni, Anagni, etc. Faut-il croire
qu'elles ne se trouvaient pas dans l'original de L que le rédacteur de 0
avait sous les yeux ? M. S. ne l'admet pas et avec raison quelque expli-
cation que l'on propose, les villes en question faisaient partie, en 962,
de l'État de saint Pierre. L'omission dans 0 du passage de L relatif à
la Sardaigne et à la Sicile ne s'explique pas de même façon. Ce serait
grftce à une interpolation que ces îles figurent dans L, opinion qui avait
déjà été admise par les défenseurs sérieux de l'authenticité de cette
pièce. A partir de cet endroit, l'ordre d'énumération n'est point le même
dans les deux privilèges, non plus que toutes les clauses. Gomme il me
serait impossible de suivre ici M. S. dans la discussion de toutes les
questions qu'il traite, je n'insisterai que sur deux points.
A un endroit le rédacteur de O reproduit la délimitation géographique
qui se trouve dans le célèbre passage de la Vita Adriani relatif à la
donation de 774. A diverses reprises M. 8. s'est vivement préoccupé de
la difficulté d'arriver à des solutions précises sur les donations de Pépin
et deGharlemagne. Pour expliquer le silence des annalistes du viii* siècle
à cet endroit, il remarque que ceux du x« siècle ne parlent pas non plus
du privilège de 962. Le rapprochement ne me paraît pas tout à fait
exact : le privilège de 962 était surtout un acte de confirmation, tandis
que les donations de 754 et de 774, créant une situation nouvelle,
devaient frapper plus vivement l'attention. La vérité est que le silence
des contemporains de Pépin et de Charles n'est pas aussi absolu qu'on
le croit, mais ils se sont contentés d'expressions vagues. Quant au
fameux passage de la Vita Adriani, M. S. surprend chez le rédacteur
l'intention d'être obscur, afin de mieux favoriser les intérêts de la
papauté. S'agit-il des territoires dans leur intégralité, ou seulement,
comme on l'a souvent soutenu, des patrimoines situés dans ces terri-
toires ? Pour M. S., les renseignements que donne la Vita Adriani repré-
1. Poar plus de facilité j'emprunte les désignations adoptées par M. S. : O a
Pririlège d'Otto V;L^ Privilège de Louis le Débonnaire.
^2 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
derrière les clauses du traité, les adversaires continuèrent de s'observer
avec défiance et à se préparer pour la catastrophe attendue. Considérée
du dehors, cette période, l'histoire préliminaire de la guerre de Trente
ans, est très pauvre en événements; aussi, jusqu'à ces derniers temps,
avait-elle été fort négligée, tout l'intérêt se concentrant sur l'époque
de Luther et sur celle de Gustave- Adolphe. Tant qu'on en est encore à
rechercher les sources non encore utilisées et à les rendre accessibles,
un travail d'ensemble ne peut naturellement pas se produire. Nous
devons d'autant plus apprécier l'étude spéciale de certains points
importants, surtout quand elle est faite avec autant de circonspection
et de mérite que l'ouvrage de M. Lossen.
L'auteur avait pris tout d'abord pour sujet la guerre de Cologne,
c'est-à-dire les troubles qu'excita l'archevêque de Cologne, Gebhard
Truchsess (1577-83), lorsque, malgré son mariage et sa conversion au
protestantisme, il s'efforça de garder la dignité électorale. Après sa
déposition par le pape et le choix d'un successeur, Ernest de Bavière,
l'affaire fut promptement décidée; à l'automne de l'an 1583, Truchsess
fut vaincu et chassé. Mais au cours de son travail, M. Lossen s'aperçut
que cette courte lutte, au sujet de l'archevêché de Cologne, était le
dénouement tragique d*une situation qui durait depuis plus de quinze
ans. Les documents grossirent entre ses mains, aussi le gros volume
qu'il vient de publier n'est-il qu'une introduction à l'histoire de l'évé-
nement dont il porte le nom. A vrai dire, le germe d'intrigues si com-
pliquées dont l'histoire est suivie ici jusque dans les plus petits détails
se trouve dans le projet rêvé par les Wittelsbach de Bavière d'établir
leur hégémonie sur l'Allemagne catholique. Cette situation, pour
laquelle la puissance territoriale de la Bavière n'était pas un fondement
suffisant, devait être obtenue par la réunion d'évêchés aussi nombreux
et importants que possible entre les mains d'un prince bavarois; cette
concentration était d'ailleurs contraire aux principes ecclésiastiques;
mais comme le duc de Bavière était, de tous les princes d'empire,
le plus important des partisans du pape, et comme ses vues se
portaient surtout vers les diocèses menacés par l'hérésie, l'intérêt
dynastique se rencontra avec l'intérêt général de l'Église. M. Lossen
raconte comment ces plans bavarois réussirent à Freising, Hildesheim,
Liège, comment ils échouèrent dans les évêchés westphaliens , à Salz-
bourg et tout d'abord aussi à Cologne; il examine en outre la condi-
tion juridique des propriétés possédées par les chapitres, les intérêts
opposés des princes catholiques et protestants, de la haute et de la basse
noblesse, des premières dynasties catholiques, les Habsbourg et les
Wittelsbach. Le prince bavarois Ernest, qui, dès sa jeunesse, fut des-
tiné à devenir l'instrument de cette orgueilleuse politique religieuse,
est suffisamment mis au premier plan. Les luttes que dans son ardente
enfance il engagea contre le pédantisme de ses gouverneurs, le contraste
de ses sentiments tout mondains avec les fonctions qu'on lui imposait,
ses aventures d'amour et son goût pour la magie, tout cela est bien
DB iOISLISLE : MJMOIIBS DES IJITSTIDlTrS SCI LES GfriliLITCS. 473
propre à animer le train un peu monotone d'une diplomatie passable-
ment mesquine.
C'est surtout Thistoire des mœurs qui gagne à cette peinture foiznée
de Taventureuse jeunesse d*un prélat éminent. Naturellement la situa-
tion politique de Tempire joue un rôle dans les luttes entamées au
sujet des évêchés. La situation indépendante iFreistellung> réclamée
par les protestants, Télection de Tempereur Rodolphe II il5T5i, la der-
nière Diète de l'empereur Maximiiien II sont traitées avec pénétration.
Les efforts déployés par le Palatin et autres princes pour décider Tarche-
véque Salentin de Cologne à recevoir une pension de la France et à
séculariser son archevêché ont permis à lauteur de jeter en passant
un coup d'œil sur Talliance d'une partie des princes protestants avec la
France, leur protectrice traditionnelle.
En fait de précision, d'abondance dans les renseignements sur les
documents employés et les livres utilisés, l'ouvrage de M. Lossen est
un chef-d'œuvre auquel peu d'autres pourraient lui être compares. Il ne
faut pas non plus passer sous silence l'excellente description de l'an-
cienne Yille impériale de Cologne.
F. vos Bezold.
Mémoirea des Intendants snr les GénènUités , dressés pour
rinstnicUoo du duc de Bourgogne. Tome 1, Mémoire de la géné-
ralité de Paris, publié par M. .\. de Boislisle. Paris, imprimerie
Dationale, 4881, io-4^ f Collection des documents inédits surThi»-
toire de Francel.
Qu'on me permette d'exprimer ma pensée sur la nouvelle publication
de M. de Boislisle dans des termes parfaitement vulgaires : la sauce vaut
beaucoup mieux que le p<)isson. Il y avait une foule de bonnes raisons
pour que le gouvernement hésitât à entreprendre l'édition des Mémoires
des Intendants sur les Généralités : i« la publication sera immense et
coûtera cher; 2* ai nous jugeons de ces Mémoires d'après le .«tpécimen
que nous avons sous les yeux, ils sont déplorablement médio<rres : le
plan est médiocre., médiocre l'exposition., et médiocre même l'autorité;
3* ces Mémoires ont ete utilises par la plupart des géographes et des
statisticiens du siècle dernier. On en trouve la crème, «ti je puis dire,
dans Piganiol de la Force, dao.s B^julainvilliers, dans £xpilK% dans
Hesseln, etc.; \* les copies de ces Mémoires :aont extrêmement nom-
breuses, — assez nombreuses même pour que la patiente perspicacité
de M. de Boislisle se s^jit rebutée avant d'arriver à en dresser une liste
complète. On en trouve dans la plupart des grands dépôts de France et
de l'étranger. C'est dire que les reaseignements inédits qu'ils con-
tiennent se trouvent — quoique manuscrits — à la portée de rous les
travailleurs. J ajouterai qu'ils sHjnt en somme à peu près aussi acces-
sibles que cette majestueuse Collection des Docwnents inéditSy qui, par le
^174 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
nombre des volumes dont elle s'accroît journellement, par le poids de
ces volumes, par le mode de distribution qui les fait parvenir aux
mains des lecteurs, se trouve de plus en plus exilée des bibliothèques
particulières et en est réduite à se cantonner sur les amples et solides
rayons des bibliothèques publiques.
Toutes ces raisons une fois exposées, je dois avouer que si j'avais eu
l'honneur de figurer parmi les membres du comité qui a décidé Tim-
pression des Mémoires des Intendants, j'eusse fait comme eux, j'eusse
voté la publication. Et la raison décisive qui, à mon avis, devait
enlever les suffrages, c'est que M. de Boislisle s'offrait pour entre-
prendre le travail.
M. de Boislisle, en effet, est un habile ouvrier. Il est de ceux qui
savent donner du prix à ce quUls touchent. Une fois entre ses mains,
le document le plus terne reluit et devient balai. Tenez, déjà, ces
Mémoires des Intendants, sous leur nouvelle forme on ne les reconnaît
plus.
Quelle opulence dans cette Introduction de xciv pages, dans ces appen-
dices au nombre de xix, occupant 386 pages à deux colonnes, dans ces
additions, dans ces corrections, dans ces tables qui occupent 70 pages
encore ; et par-dessus tout quelle prodigalité dans ce commentaire infa-
tigable! — On s'imagine un serviteur dévoué, agile, vigilant et modeste.
Il accompagne le maître de la plus attentive sollicitude. Il aplanit les
obstacles devant lui. Il corrige ses erreurs, le relève quand il bronche.
Il fait foule autour de lui, l'exalte au bon moment, l'admoneste quel-
quefois doucement, paternellement, et lui donne du moins les allures
d'un grand seigneur par l'illusion d'un si brillant cortège. C'est un
commentaire qui mériterait d'être texte, au rebours de ce que dit Figaro,
qu'aux qualités qu'on exige d'eux, il y a peu de maîtres qui mériteraient
d'être valets.
Le volume dont nous rendons compte a, en tout, 948 pages. Si nous
défalquons de ce total, pour l'introduction, 94 pages, pour les appen-
dices et les tables, 456 pages, pour le commentaire, un cinquième du
texte, c'est-à-dire 80 pages environ, nous arrivons à un total mini-
mum de 630 pages, constituant l'accessoire. Il reste donc pour le
principal 318 pages. N'est-ce pas que ce principal est tout à fait accom-
modant?
Modestie d'ailleurs parfaitement justifiée. Le commentaire fait au
texte beaucoup d'honneur en s'occupant de lui avec une application si
soutenue. Ce n'est pas sans un sentiment d'admiration pour l'opiniâtre
annotateur qu'on le voit réduit à corriger, à chaque pas, les erreurs de
fait ou de chiffres qu'entasse, non moins opiniâtrement, l'auteur du
Mémoire. A la suite de celui-ci, M. de B. en arrive k discuter gra-
vement la question de savoir si « l'Université ayant été autrefois à
Athènes a été transférée à Rome et depuis, s'étant donnée à Gharle-
magne, il la fit venir à Paris ! »
L'introduction du volume, extrêmement nourrie de faits curieux et
SCADDTO : STÂTO E CHIESA (^^22-^347). ^67
parla religion franciscaine et dans le sein de la société joachimite;
quant à la doctrine sociale de Marsilio, où M. L. découvre même les
germes du socialisme moderne, j'y verrais simplement l'application
logique de Tidée dominante du Defensor Pacis, idée que je crois encore
plus péripatéticienne que révolutionnaire. N'oublions pas que Padoue
était au ziv« siècle, pour l'Italie, la forteresse du péripatétisme, comme
Bologne était la métropole du Droit romain. La théorie démocratique
de Marsilio a pour source principale la Politique d'Aristote. J'en trouve
la preuve dans une contradiction assez grave. Si Marsilio écarte T Église
du gouvernement temporel du monde et la fait rentrer, dépouillée de
toute immunité ecclésiastique, dans le droit commun et sous la loi
commune de l'État, il laisse encore au gouvernail le prince œcumé-
nique, l'empereur, qui préside à la direction générale du navire. C'est
lui, par exemple, qui peut seul accorder au pape l'autorisation de
réunir le concile universel. En d'autres passages du Defensor, le prince
n'est plus qu'un monarque élu à vie par le peuple responsable et soumis
au contrôle populaire. Or, si la notion démocratique de Marsilio avait
été inspirée directement par l'expérience historique plutôt que par une
tradition philosophique, par l'exemple des communes italiennes plutôt
que par l'École, cette primauté de l'empire eût-elle ainsi persisté dans
la théorie du réformateur? S'il y eut des communes gibelines, telles
que Pise, leur attachement à l'empereur s'explique beaucoup par la
terreur d'une commune inquiétante, telle que fut longtemps Florence
pour ses voisins. Mais la commune italienne, considérée in abstracto,
qui représente le mouvement d'indépendance des bourgeois et des petits
seigneurs du contado, est hostile au saint-empire, c'est-à-dire à la haute
féodalité, bien plus encore qu'au saint-siège. Enfin, les définitions que
Marsilio donne du peuple, universitas ciuium, coinmunitas civium, uni-
rersitas fidelium, huinanus legislator, répondent plutôt à ce que les his-
toriens du xvi<> siècle appellent VuniversaUf le peuple dans son ensemble
et soumis au niveau égalitaire de la tyrannie du xv<> siècle, qu'à la
société italienne des communes, société toute hiérarchique, dont tantôt
la haute bourgeoisie, tantôt la moyenne bourgeoisie est la classe diri-
geante, où l'individu se noie, non pas dans une foule homogène de
citoyens égaux , mais dans une corporation limitée; où le gouverne-
ment, en temps de paix civile, appartient non pas à la volonté popu-
laire, au suffrage universel tel que Marsilio le conçoit, mais à des
juridictions superposées de conseils et de magistrats élus par des corps
électoraux distincts et fermés.
Nous touchons, il me semble, sur ce point particulier, au trait carac-
téristique de toute la littérature politique du moyen âge. Tous ces écri-
vains sans exception, les partisans de la suprématie ecclésiastique, tels
que saint Bernard, Jean de Salisbury, saint Thomas et son école; les
partisans de l'empire, tels que Dante et Marsilio de Padoue dans son
traité de Translatione imperii; ceux de la France, tels que Pierre
Du Bois, Jean de Paris et plusieurs autres avocats anonymes des préten-
476 COMPTES-RENDUS GRiriQUES.
dans riIe-de-France et non pas à Paris *), est l'année où Richelieu com-
mence à préparer la grande guerre, année de grands remuements de
troupes et de prise de positions sur la frontière.
C'est l'année précisément où le cardinal, désirant, comme il est dit
dans le texte de la commission, c que les troupes subsistent partout
sans apporter beaucoup de foule au peuple, » portait ce Règlement sur
les Etapes dont il se glorifie dans ses Mémoires, et qui nous semble
concorder de tous points avec la commission spéciale donnée au sieur
d'Orgeval,
Je pense qu'en somme, d'après la liste même de M. de Boislisle, il
faut considérer l'établissement à poste fixe des intendants dans la
généralité de Paris comme postérieur à la mort du cardinal de Riche-
lieu.
Le Mémoire sur la généralité de Paris est divisé en quatre parties
disposées dans un ordre à peu près arbitraire. Chacune de ces parties
se trouve contenir un assez grand nombre de renseignements précieux
pour l'histoire, qui, grâce à Texamen minutieux que leur a fait subir
M. de Boislisle, peuvent être considérés désormais comme faisant
autorité.
Le chapitre i**^ est consacré à l'état de l'Église avec un appendice
relatif à Toidre de Malte. Le chapitre ii traite du gouvernement mili-
taire et comprend, outre les détails qu'on peut s'attendre à voir rangés
sous ce titre, des considérations sur le chifire de la population, sur le
nombre des huguenots sortis de la province, enfin sur les poudres et
salpêtres. Le chapitre m est consacré à l'administration de la justice.
Le chapitre iv aux finances. On trouve dans ce chapitre, entassées
pêle-mêle, des notions sur le domaine, 'les impôts, l'agriculture, l'in-
dustrie, le commerce, la voirie, les forêts, les mines.
J arrive en toute hâte et le plus volontiers du monde aux appendices
que M. de B. a cru devoir ajouter à la publication du mémoire. Ces
appendices, je l'ai dit déjà, sont au nombre de xix. Mais chacun d'entre
eux se subdivise en fragments également importants, et l'on ne
s'imagine pas l'abondance et l'intérêt des renseignements qu'on trouve
entassés dans ces huit cents colonnes in-4* imprimées en texte minus-
cule! Ils ne sont pas tous inédits. Mais, par leur rapprochement, ils
forment un ensemble extrêmement instructif. En suivant, un peu
malgré lui, probablement, le plan tracé par l'auteur du Mémoire,
M. de B. a réuni là le fruit de ses longues recherches dans les papiers
du contrôle général, aux archives nationales, au ministère des affaires
étrangères, à la bibliothèque nationale et dans les livres imprimés. Il a
1. En effet, le texte de la commission indique très nettement que l'intendant
d'Orgeval est attaché à titre principal à l'armée de Picardie envoyée en gar-
nison sur la frontière, à titre accessoire dans les provinces de Picardie, de
Champagne et de l'Ile-de-France.
PUBLICiTIONEN ÂUS DEN PRBUSSISGHEN STIATSARGHIVEN. 477
ainsi poussé bien loin le tableau de l'administration sous Tancien
régime, tableau que le Mémoire n'avait fait qu'ébaucher. On peut
regretter peut-être quelques lacunes, par exemple que pour les pre-
mières années du xvip siècle, M. de Boislisle se soit contenté de
reproduire les chapitres un peu rapidement écrits de Daviti, tandis
qu'il reste dans les bibliothèques un grand nombre de documents mss.
et beaucoup plus autorisés ; mais c'est là une tache bien légère sur un
ensemble si brillant. En somme, on ne pourra plus écrire une ligne
sur l'administration de la France sous l'ancien régime sans avoir entre
les mains les appendices de M. de B., comme déjà pour l'histoire géné-
rale il faut avoir ce qui a paru de son édition de Saint-Simon, pour
l'histoire des finances il faut avoir ce qui a paru des papiers du con-
trôle général, pour l'histoire de la magistrature et des comptes il faut
avoir ce qui a paru des papiers de Nicolaî. Ce sont là — sans parier
du reste — de véritables titres de gloire, et nous n'avons plus qu'à
souhaiter longue vie et santé prospère à M. de B., afin qu'il mène à
bonne fin tant et de si honorables entreprises.
G. H.
Publicationen aus den K. Preussischen StaatsarchlTen. lY Band.
i . Memoiren der Kurfurstin Sophie von Hannover. 2. Frédéric II,
Histoire de mon temps. Leipzig, Hirzel, -1 vol. in-8°, 499 p.
On ne saurait trop se féliciter de l'activité que les archives de Berlin
déploient sous l'intelligente et féconde impulsion de leur directeur,
M. de Sybel. Les dissentiments très naturels qui nous séparent sur
certains points de cet éminent historien ne nous ont jamais empêché
de signaler, avec les éloges qu'ils méritent, les services que ses colla-
borateurs et lui rendent à la science historique. Le présent volume
contient deux morceaux d'un caractère très différent.
i<> Mémoires de la duchesse Sophie, plus tard électrice de Hanovre,
publiés par M. G. Kœcher. — Ces mémoires n'ont pas grand intérêt
pour l'histoire politique ; mais ils en présentent infiniment pour l'his-
toire intellectuelle et pour l'histoire des mœurs dans les familles prin-
cières allemandes au xvi<> siècle. Ils ont été commencés à Hanovre
en 1680. Ils embrassent la vie de la duchesse depuis sa naissance
en 1620 jusqu'en 1681. On n'en possède point le manuscrit original,
mais une copie faite par Leibnitz. c Le style paraît simple, écrit
Leibnitz sur cette copie, mais il a une force merveilleuse, et je le
trouve du caractère que Longin appelle sublime, malgré cette négli-
gence apparente. Lors même qu'il semble qu'on ne dit que des choses
ordinaires, elles se trouvent relevées par un certain tour admirable qui
donne occasion de faire des réflexions solides sur les choses humaines. >
LoDgin et son fameux traité sont ici de trop ; il ne faut, ni de près ni
de loin, songer à M"« de Sévigné. Mais il est incontestable que, tOut
Rev. Histor. XXV. 1" FASc. 12
178 » COMPTES-RBUDUS CRITIQUES.
rude et barbare qu'il est, le français de la ducbesse, — elle écrivait en
français, — a de Tallure et de la saveur. Il y a quelques affinités avec
une autre Allemande du Rhin, qui fut son amie, qui joua un grand rôle
et a laissé de curieuses lettres, Madame, mère du régent. La duchesse
Sophie est honnête femme et esprit fort ; elle dédaigne la pruderie. Le
fait est qu'on n'en a point autour d'elle; elle voit d'assez étranges
choses, et elle les dit crûment, comme elle les voit. Mais c'est la crudité
des femmes de Molière, on n'y sent jamais cette complaisance de liber-
tinage et ces arrière-pensées de sensualité qui gâtent trop souvent les
meilleurs morceaux du xvm« siècle. La duchesse aimait son mari, qui
ne lui était guère fidèle ; elle était aimée de son beau-frère, et pour s'en
débarrasser, aussi bien que pour éviter qu'il ne se mariât, elle loi
donna une maîtresse. Il y a là un contrat en forme qui est d'une nature
assez bizarre. Elle raconte ces singulières aventures avec une bonne
humeur cavalière, qui n'est pas sans charme.
Ses impressions de voyage en Italie et en France sont piquantes. En
Italie, l'esprit fort domine. Il y a des traits qui, bien qu'un peu lourds,
sont d'un tranchant très affilé. Bayle et ses amis y auraient trouvé du
ragoût, et notre Allemande s'assimile mieux ce genre d'ironie grave
que ses pareilles du siècle suivant ne feront de l'ironie voltairienne.
En voici des exemples, et je ne choisis pas les plus vifs. A Venise,
« on me fit voir des religieuses qui n'ont d'esprit que pour les
hommes, et puis des églises où il y avait le rendez-vous de ces amou-
reux. » A Lorette, o on s'arrêta un jour en ce lieu-là pour bien consi-
dérer le miracle, qui était effectivement bien grand de voir des gens
assez sots pour venir de si loin pour adorer une si vilaine figure de la
vierge qui avait le nez cassé. On me montra un portrait qu'on disait
être de la main de saint Luc. Si cela était vrai, il était fort méchant
peintre. Ensuite, je vis les écuelles dans lesquelles N.-8. avait mangé
étant petit. Je fis sortir de son sérieux le prêtre qui me le montra, en
le regardant finement d'une manière qu'il vit bien que je n'en croyais
rien. Il avait assurément sujet de nre, de ce qu'il pouvait gagner de
l'argent d'une manière si facile... » L'introduction et les notes histo-
riques sont bonnes. M. K. s'est donné une peine bien inutile pour éta-
blir l'orthographe de son texte. Leibnitz, qui avait eu le manuscrit
original, disait lui-môme : t L'orthographie n'y est pas observée. Il est
vrai que cela n'importe guère. Il en faudrait faire une copie pour y
remédier. > Leibnitz, dans sa copie, y remédia de son mieux. On ne
voit pas pourquoi M. K. s'est astreint à conserver les bizarreries de
l'orthographe de Leibnitz, qu'il corrige d'ailleurs par endroits. Il
aurait dû au moins adopter l'orthographe classique du temps et impri-
mer le texte tel qu'il eût été imprimé si Leibnitz l'avait publié. — Je
relève en finissant une omission dans les notes historiques, p. 34, à
propos de cette phrase : c Ensuite elle m'apprit les quadrains de
Pebrac, » Ce nom est accompagné d'un point d'interrogation. Il s'agit
des quatrains de Pibrac, qui sont pourtant bien connus.
SCHLECHTA-WSSKHRO : DIE REVOLUTIONEîf Iff COJrSTAlfTINOPKL 4 807-8. 4 79
2<> Frédéric II, Histoire de mon temps, rédaction de 1746, publiée par
M. Max Posner.
Frédéric a composé deux rédactions de V Histoire de mon temps; Tune
est de 1746, c'est le premier jet, Fautre est de 1775, c'est le travail
revu à distance, remanié avec les documents, recomposé avec l'expé-
rience de la vie. C'est cette dernière rédaction qui a été publiée dans
les Œuvres. C'est la première, celle de 1746, que nous donne M. Max
Posner. Il a fait des études très approfondies sur la manière d'écrire du
roi historien^, et j'en ai rendu compte dan» cette revue. Il applique à
la reproduction de ce texte primitif, si intéressant pour l'histoire, une
grande connaissance des sources et une critique très judicieuse. Les
notes, qui sont très abondantes, sont excellentes. M. P., suivant en
cela les judicieux précédents de l'Académie de Berlin, a employé l'or-
thographe moderne, tout en respectant scrupuleusement les construc-
tions originales.
Albert Sorbl.
ScHLBCHTA-WssBHRO. Die ReTolutionen in CSonstantinopal in den
Jahren 1807-1808 (extrait des Sitzungsberichte de l'Académie
des sciences de Vienne, 1882). Vienne, Gerold, 228 p. in-8*.
Les « Révolutions » qui ont ensanglanté Constantinople pendant les
années 1807 et 1808, et dont M. le baron de Schlechta nous présente le
récit détaillé, avaient déjà fait l'objet de plusieurs publications tant en
Turquie qu'à l'étranger.
Considérés dans les débuts, comme dans les conséquences finales de
l'entreprise qui les a suscités, ces événements tragiques offrent, en effet,
les éléments d'une étude nettement circonscrite et sont aussi instructifs
qu'intéressants.
Vers la fin du dernier siècle, le sultan Selim Uî avait reconnu la
nécessité de changer les institutions militaires de l'empire pour adopter
les divers perfectionnements en usage dans les États chrétiens. Suivant
ses vues arrêtées, la milice de plus en plus factieuse et indisciplinée
des janissaires, qui formait avec les spahis le noyau de l'armée natio-
nale, devait être remplacée par un corps d'infanterie modelé et exercé
à l'européenne et un fonds particulier, dit trésor de guerre, aurait à
subvenir à l'entretien de la nouvelle troupe dont l'effectif serait porté
tout d'abord à 12,000 hommes.
Ces dispositions, décrétées au commencement de l'année 1793 sous le
titre de Vizami Djehid ou « nouvelle organisation, » n'entrèrent en
pleine vigueur qu'en 1807 et, lorsqu'il s'agit d'en poursuivre l'applica-
tion dans les provinces, une violente opposition se manifesta parmi les
castes féodales et les notables qui, aidés des janissaires de Rouméiie,
1. MUeellaneen zur Geschichte Kanig Friedrichs des Grassen. BerUn, 1878.
480 COMPTBS-EBIIDUS GRITrQUBS.
levèrent l'étendard de la révolte. Bientôt les Jamaks ou gardes du Bos-
phore, corps auxiliaire des janissaires, s'insurgèrent à leur tour, mar-
chèrent sur Ck)nstantinople et imposèrent au sultan le retrait du Vizami
DJehid, puis sa propre abdication en faveur de son frère Mustapha.
Le 31 mai 1807, un décret impérial fut publié, qui désavouait les
• projets inouïs » de Selim, tout en proclamant la ferme volonté du
nouveau souverain et de son peuple c de rentrer dans la bonne voie, »
c'est-à-dire de maintenir Tancien ordre de choses.
Cependant, un pacha de province, le puissant Bairakdar de Roust-
chouk, qui, jusqu'alors s'était associé aux résistances du parti de la
réaction, abandonna brusquement la cause des janissaires et de leurs
nombreux adhérents pour se convertir à la réforme. Il rêva de réinté-
grer Selim m sur le trône et de rétablir le Vizami Djehid. Le 28 juil-
let 1808, il entra à Stamboul à la tète de 15,000 hommes et prononça la
déchéance de Mustapha IV. Selim toutefois fut assassiné par les ordres
de Mustapha et Mahmoud, son frère, ceignit le sabre d'Osman.
Bairakdar, élevé au grand Yizirat, convoqua dans la capitale les hauts
feudataires et les notables de l'empire et, sous les auspices du pacte de
conciliation qui intervint entre les membres de cette assemblée pro-
vinciale, le Vizami Djehid redevint loi souveraine de l'État.
Le succès du pacha de Roustchouk fut de courte darée. Assiégé dans
son palais par les janissaires, il se donna la mort, laissant Mahmoud
aux prises avec les rebelles, c'est-à-dire avec les partisans du sultan
déchu. Mahmoud fit égorger Mustapha et entra en arrangement avec
les janissaires. Le Vizami Djehid fut supprimé pour la seconde fois avec
l'institution des réguliers dont le corps avait d'ailleurs succombé dans
la lutte.
Telles sont les principales péripéties du drame que raconte minutieu-
sement M. le baron de Schlechta, en s'aidant de documents originaux
recueillis dans les archives de la Porte et de l'Internonciature. Sa rela-
tion, aussi consciencieuse que lucide, prendra sans doute place parmi
les plus remarquables monographies qui ont exposé à difiTérentes époques
certaines phases particulières du travail de rénovation sociale, poli-
tique et administrative, connu sous le nom de Tanzimât.
Un diplomate français, M. Ed. Engelhardt, a entrepris récemment
d'écrire l'histoire complète de cette œuvre de réforme qui compte déjà
plus d'un demi-siècle d'épreuves <. Ses premières études 'qui se ter-
minent en l'année 1867, et dont il a été rendu compte dans cette Revue,
ont révélé un fait curieux qu'il n'est pas sans intérêt de rapprocher des
conclusions du narrateur autrichien.
En 1841, le prince de Metternich recommandait aux Turcs « de res-
ter Turcs » et condamnait hautement comme funeste l'introduction dans
1. La Turquie et le Tanzimât ou histoire des réformes dans Vemphre
ottoman. — Cotillon, 1882 et 1884. Paris.
1. DE MlRGERIE : LE COMTE JOSEPH DE MÂISTRE. iSi
l'empire des institutions européennes <. M. le baron de Schlechta,
appréciant dans leur ensemble ces essais d'assimilation dont le Vizami
Djehid de Selim ni n*a été que le prélude, pense au contraire que la
réforme a été aussi opportune qu'utile; il n'y voit sans doute pas pour
la vieille monarchie ottomane un gage assuré de salut; mais il est con-
vaincu qu'elle a eu pour effet de retarder sa chute et ce jugement est
conforme à celui dont s'est inspiré M. Ed. Engelhardt dans la préface
de son ouvrage.
Le comte Joseph de Maistre , avec des documents inédits , par
Amédée de Margerie, doyen de la Faculté catholique des lettres
de Lille. — Paris, libr. delà Soc. bibliographique, ^883, ^ vol.
in-8*, xxn-442 p.
Joseph de Maistre n'a pas conquis d'emblée sa réputation, et on le
comprend. C'était un Français du dehors, qui vécut la meilleure partie
de sa vie sous l'horizon lointain et sans écho de Saint-Pétersbourg, au
service d'un roi déchu ; les idées dont il s'est fait l'apôtre étaient en
opposition directe avec les idées dominantes de son temps, et pour la
plupart n'ont point, de son vivant, affronté sous sa plume la discussion
publique. On le regardait en Russie comme un esprit à la fois entier
et ouvert sur toutes choses, comme un brillant conférencier de salon;
les motifs ne manquaient pas pour le plaindre, l'applaudir ou même
pour le redouter, mais peu de personnes pressentaient sa gloire à venir.
Cependant, depuis sa mort, les traits de cette figure originale, au
lieu de s'efTacer, sont devenus plus nets. Sans parler de la publication
de ses grands ouvrages, qui l'ont érigé en Père laïque de l'Église, la
mise au jour successive d'autres écrits a fait valoir le diplomate et
l'homme privé; et voici qu'on publie aujourd'hui une édition com-
plète de ses œuvres, qui nous apportera encore sur lui des révélations
nouvelles. Magistrat, ambassadeur, serviteur ou confident des rois aux
deux extrémités de l'Europe, J. de Maistre n'a pourtant exercé une action
efficace que dans le monde des intelligences ; ses livres ont passionné
en sens divers quiconque les a lus, et ses doctrines restent pour long-
temps encore un thème de controverse. C'est cette controverse qu'a
continuée M. de Margerie, en prenant parti pour son héros. Il a voulu
seulement préparer ses lecteurs à l'étude des écrits de Maistre (p. 352-
353), en d'autres termes exposer ses idées et en tracer l'apologie,
combattre les objections formulées, il y a cinquante ans, par Ville-
main et de nos jours par M. Franck, tout en marquant lui-même
« quelques points où il y a lieu, ce semble, d'étendre, de restreindre ou
de corriger sa pensée. »
1. Dépèche du prince de Metternich au comte Appony, datée de mai 1841.
^172 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
derrière les clauses du traité, les adversaires continuèrent de s'observer
avec défiance et à se préparer pour la catastrophe attendue. Considérée
du dehors, cette période, l'histoire préliminaire de la guerre de Trente
ans, est très pauvre en événements; aussi, jusqu'à ces derniers temps,
avait-elle été fort négligée, tout l'intérêt se concentrant sur l'époque
de Luther et sur celle de Gustave-Adolphe. Tant qu'on en est encore à
rechercher les sources non encore utilisées et à les rendre accessibles,
un travail d'ensemble ne peut naturellement pas se produire. Nous
devons d'autant plus apprécier l'étude spéciale de certains points
importants, surtout quand elle est faite avec autant de circonspection
et de mérite que l'ouvrage de M. Lossen.
L'auteur avait pris tout d'abord pour sujet la guerre de Cologne,
c'est-à-dire les troubles qu'excita l'archevêque de Cologne, Gebhard
Truchsess (1577-83), lorsque, malgré son mariage et sa conversion au
protestantisme, il s'efforça de garder la dignité électorale. Après sa
déposition par le pape et le choix d'un successeur, Ernest de Bavière,
l'affaire fut promptement décidée; à l'automne de l'an 1583, Truchsess
fut vaincu et chassé. Mais au cours de son travail, M. Lossen s'aperçut
que cette courte lutte, au sujet de l'archevêché de Cologne, était le
dénouement tragique d*une situation qui durait depuis plus de quinze
ans. Les documents grossirent entre ses mains, aussi le gros volume
qu'il vient de publier n'est-il qu'une introduction à l'histoire de l'évé-
nement dont il porte le nom. A vrai dire, le germe d'intrigues si com-
pliquées dont l'histoire est suivie ici jusque dans les plus petits détails
se trouve dans le projet rêvé par les Wittelsbach de Bavière d'établir
leur hégémonie sur l'Allemagne catholique. Cette situation, pour
laquelle la puissance territoriale de la Bavière n'était pas un fondement
suffisant, devait être obtenue par la réunion d'évêchés aussi nombreux
et importants que possible entre les mains d'un prince bavarois; cette
concentration était d'ailleurs contraire aux principes ecclésiastiques;
mais comme le duc de Bavière était, de tous les princes d'empire,
le plus important des partisans du pape, et comme ses vues se
portaient surtout vers les diocèses menacés par l'hérésie, l'intérêt
dynastique se rencontra avec l'intérêt général de l'Église. M. Lossen
raconte comment ces plans bavarois réussirent à Freising, Hildesheim,
Liège, comment ils échouèrent dans les évéchés westphaliens, à Salz-
bourg et tout d'abord aussi à Cologne ; il examine en outre la condi-
tion juridique des propriétés possédées par les chapitres, les intérêts
opposés des princes catholiques et protestants, de la haute et de la basse
noblesse, des premières dynasties catholiques, les Habsbourg et les
Wittelsbach. Le prince bavarois Ernest, qui, dès sa jeunesse, fut des-
tiné à devenir l'instrument de cette orgueilleuse politique religieuse,
est suffisamment mis au premier plan. Les luttes que dans son ardente
enfance il engagea contre le pédantisme de ses gouverneurs, le contraste
de ses sentiments tout mondains avec les fonctions qu'on lui imposait,
ses aventures d'amour et son goût pour la magie, tout cela est bien
LàBANCA : MABSILIO 01 PÂDOYA. ^169
d*abord les documents et privilèges authentiques, registra fide digna. Il
a établi, avec une rigueur de discussion inconnue à ses prédécesseurs,
que la suprême puissance spirituelle et la suprême puissance tem-
porelle ne pouvaient se confondre dans une seule et même personne.
Cette confusion lui paraît aussi monstrueuse que le seraient « deux
têtes sur un seul corps. » Ici, c'est toujours contre le saint-siège qu'il
raisonne. Mais, ainsi qu'il arrive à tous les théoriciens du moyen âge,
sa doctrine, limitée par une expérience incomplète de l'histoire, ne sait
pas faire le tour de la question tout entière. Certes, ils ont tous assez
glosé sur la parole sainte : Regnum meum non est de hoc mundo^ afin de
ramener la papauté à sa destination originelle. Mais aucun d'eux ne
songe à examiner la confusion du spirituel et du temporel dans la per-
sonne même de l'empereur. Un seul empereur, sans doute, Frédéric II,
vers la fin de sa vie et dans l'excès de sa passion contre Rome, a tenté
de supplanter le pape et de régner à la façon d'un Antéchrist sur la
chrétienté. Mais, antérieurement à l'empereur souabe, combien de fois
Tempire n'avait-il pas usurpé sur les fonctions spirituelles du saint-
siège I De grands politiques, tels que Charlemagne, Otton I«' et
Henri III, un rêveur mystique tel que Otton III, s'ils nomment ou
déposent des papes, ont aussi la prétention, en vertu de l'onction impé-
riale qui a touché leur front, de parler et d'agir comme vicaires visibles
de Dieu. Quand on lit la véritable encyclique de Charlemagne à toutes
les puissances ecclésiastiques et séculières (Pertz, Monum. Germ. Leg.
I, 53), on se demande quel était alors, de l'empereur ou de l'évêque de
Rome, le pasteur authentique de l'Église. L'histoire troublée de l'Italie
et de l'Occident avait rapproché les deux grands pouvoirs, les avait
rendus nécessaires l'un à l'autre et, par conséquent, jaloux et rivaux
l'un de l'autre. Les philosophes ont cherché la conciliation des deux
autorités dans l'abaissement ou la soumission de l'une d'elles. Il eût
été plus sage de renfermer l'Église et l'État chacun dans son domaine
propre et de creuser entre eux un fossé infranchissable. Mais le moyen
âge était à la fois trop chrétien et trop féodal pour essayer une entre-
prise que les temps modernes n'ont pas encore achevée, et dont la
notion ne fut jamais qu'imparfaitement entrevue par les dialecticiens
politiques du passé.
Emile Gebuart.
Yon ReuMOifT. Kleine historische Schriffeen. Gotha,
i. Perthes. vi-535 p. in-8% 4882.
ricle admirable de voir l'énergie et la fraîcheur d'idées
\tear, déjà vieux, de ces petits mémoires historiques,
Is littéraires. Ces mémoires ne sont pas, en effet,
V artici déjà parus et qu'on s'est contenté de
«Innai^ viennent seulement de paraître, et ceux
474 GOMPTBS-RBNDUS CRITIQUES.
nombre des volumes dont elle s'accroît journellement, par le poids de
ces volumes, par le mode de distribution qui les fait parvenir aux
mains des lecteurs, se trouve de plus en plus exilée des bibliothèques
particulières et en est réduite à se cantonner sur les amples et solides
rayons des bibliothèques publiques.
Toutes ces raisons une fois exposées, je dois avouer que si j'avais eu
l'honneur de figurer parmi les membres du comité qui a décidé l'im-
pression des Mémoires des Intendants, j'eusse fait comme eux, j'eusse
voté la publication. Et la raison décisive qui, à mon avis, devait
enlever les suffrages, c'est que M. de Boislisle s'offrait pour entre-
prendre le travail.
M. de Boislisle, en effet, est un habile ouvrier. Il est de ceux qui
savent donner du prix à ce qu'ils touchent. Une fois entre ses mains,
le document le plus terne reluit et devient balai. Tenez, déjà, ces
Mémoires des Intendants, sous leur nouvelle forme on ne les reconnaît
plus.
Quelle opulence dans cette Introduction de xciv pages, dans ces appen-
dices au nombre de xix, occupant 386 pages à deux colonnes, dans ces
additions, dans ces corrections, dans ces tables qui occupent 70 pages
encore ; et par-dessus tout quelle prodigalité dans ce commentaire infa-
tigablel — On s'imagine un serviteur dévoué, agile, vigilant et modeste.
Il accompagne le maître de la plus attentive sollicitude. Il aplanit les
obstacles devant lui. Il corrige ses erreurs, le relève quand il bronche.
Il fait foule autour de lui, l'exalte au bon moment, l'admoneste quel-
quefois doucement, paternellement, et lui donne du moins les allures
d'un grand seigneur par l'illusion d'un si brillant cortège. C'est un
commentaire qui mériterait d'être texte, au rebours de ce que dit Figaro,
qu'aux qualités qu'on exige d'eux, il y a peu de maîtres qui mériteraient
d'être valets.
Le volume dont nous rendons compte a, en tout, 948 pages. Si nous
défalquons de ce total, pour l'introduction, 94 pages, pour les appen-
dices et les tables, 456 pages, pour le commentaire, un cinquième du
texte, c'est-à-dire 80 pages environ, nous arrivons à un total mini-
mum de 630 pages, constituant l'accessoire. Il reste donc pour le
principal 318 pages. N'est-ce pas que ce principal est tout à fait accom-
modant?
Modestie d'ailleurs parfaitement justifiée. Le commentaire fait au
texte beaucoup d'honneur en s'occupant de lui avec une application si
soutenue. Ce n'est pas sans un sentiment d'admiration pour l'opiniâtre
annotateur qu'on le voit réduit à corriger, à chaque pas, les erreurs de
fait ou de chiffres qu'entasse, non moins opiniâtrement, l'auteur du
Mémoire. A la suite de celui-ci, M. de B. en arrive à discuter gra-
vement la question de savoir si « l'Université ayant été autrefois à
Athènes a été transférée à Rome et depuis, s'étant donnée à Charle-
magne, il la fit venir à Paris ! »
L'introduction du volume, extrêmement nourrie de faits curieux et
LABilfCi : MIESILIO DI PlDOVi. 469
d'abord les documents et privilèges authentiques, registra fide digna. Il
a établi, avec une rigueur de discussion inconnue à ses prédécesseurs,
que la suprême puissance spirituelle et la suprême puissance tem-
porelle ne pouvaient se confondre dans une seule et même personne.
Cette confusion lui parait aussi monstrueuse que le seraient « deux
têtes sur un seul corps. » Ici, c'est toujours contre le saint-siège qu'il
raisonne. Mais, ainsi qu'il arrive à tous les théoriciens du moyen âge,
sa doctrine, limitée par une expérience incomplète de l'histoire, ne sait
pas faire le tour de la question tout entière. Certes, ils ont tous assez
glosé sur la parole sainte : Regnum meum non est de hoc mundo, afin de
ramener la papauté à sa destination originelle. Mais aucun d'eux ne
songe à examiner la confusion du spirituel et du temporel dans la per-
sonne môme de l'empereur. Un seul empereur, sans doute, Frédéric II,
vers la fin de sa vie et dans l'excès de sa passion contre Rome, a tenté
de supplanter le pape et de régner à la façon d'un Antéchrist sur la
chrétienté. Mais, antérieurement à l'empereur souabe, combien do fois
l'empire n'avait-il pas usurpé sur les fonctions spirituelles du saint-
siège! De grands politiques, tels que Charlemagne, Otton I** et
Henri III, un rêveur mystique tel que Otton III, s'ils nomment ou
déposent des papes, ont aussi la prétention, en vertu de l'onction impé-
riale qui a touché leur front, de parler et d'agir comme vicaires visibles
de Dieu. Quand on lit la véritable encyclique de Charlemagne à toutes
les puissances ecclésiastiques et séculières (Pertz, Monum. Genn. Leg.
I, 53), on se demande quel était alors, de l'empereur ou de l'évêtiue de
Rome, le pasteur authentique de l'Église. L'histoire troublée de l'Italie
et de l'Occident avait rapproché les deux grands pouvoirs, les avait
rendus nécessaires l'un à l'autre et, par conséquent, jaloux et rivaux
l'un de l'autre. Les philosophes ont cherché la conciliation des deux
autorités dans l'abaissement ou la soumission de l'une d'elles. Il eût
été plus sage de renfermer l'Église et l'État chacun dans son domaine
propre et de creuser entre eux un fossé infranchissable. Mais le moyen
âge était à la fois trop chrétien et trop féodal pour essayer une entre-
prise que les temps modernes n'ont pas encore achevée, et dont la
notion ne fut jamais qu'imparfaitement entrevue par les dialecticiens
politiques du passé.
Emile Gbbhabt.
Alfred von Reumont. Kleine historische Schrilten. Gotha,
Fr.-A. Perthes. vi-535 p. in-8», 4882.
C'est un spectacle admirable de voir l'énergie et la fraîcheur d'idées
avec lesquelles l'auteur, déjà vieux, de ces petits mémoires historiques,
ne livre à ses travaux littéraires. Ces mémoires ne sont pas, en effet,
tout simplement des articles déjà parus et qu'on s'est contenté de
réunir ensemble; la plupart viennent seulement de paraître, et ceux
476 GOMPTES-EBNDUS CRCTIQUES.
dans rile-de-France et non pas à Paris <), est Tannée où Richelieu com-
mence à préparer la grande guerre, année de grands remuements de
troupes et de prise de positions sur la frontière.
C'est l'année précisément où le cardinal, désirant, comme il est dit
dans le texte de la commission, c que les troupes subsistent partout
sans apporter beaucoup de foule au peuple, » portait ce Règlement sur
les Etapes dont il se glorifie dans ses Mémoires, et qui nous semble
concorder de tous points avec la commission spéciale donnée au sieur
d'Orge val.
Je pense qu'en somme, d'après la liste même de M. de Boislisle, il
faut considérer l'établissement à poste fixe des intendants dans la
généralité de Paris comme postérieur à la mort du cardinal de Riche-
lieu.
Le Mémoire sur la généralité de Paris est divisé en quatre parties
disposées dans un ordre à peu près arbitraire. Chacune de ces parties
se trouve contenir un assez grand nombre de renseignements précieux
pour l'histoire, qui, grâce à Texamen minutieux que leur a fait subir
M. de Boislisle, peuvent être considérés désormais comme faisant
autorité.
Le chapitre i^i* est consacré à l'état de l'Église avec un appendice
relatif à Tordre de Malte. Le chapitre ii traite du gouvernement mili-
taire et comprend, outre les détails qu'on peut s'attendre à voir rangés
sous ce titre, des considérations sur le chiffre de la population, sur le
nombre des huguenots sortis de la province, enfin sur les poudres et
salpêtres. Le chapitre m est consacré à l'administration de la justice.
Le chapitre iv aux finances. On trouve dans ce chapitre, entassées
péle-môle, des notions sur le domaine,! les impôts, l'agriculture, Tin-
dustrie, le commerce, la voirie, les forêts, les mines.
J'arrive en toute hâte et le plus volontiers du monde aux appendices
que M. de B. a cru devoir ajouter à la publication du mémoire. Ces
appendices, je l'ai dit déjà, sont au nombre de xix. Mais chacun d'entre
eux se subdivise en fragments également importants, et Ton ne
s'imagine pas l'abondance et l'intérêt des renseignements qu'on trouve
entassés dans ces huit cents colonnes in-4* imprimées en texte minus-
cule! Ils ne sont pas tous inédits. Mais, par leur rapprochement, ils
forment un ensemble extrêmement instructif. En suivant, un peu
malgré lui, probablement, le plan tracé par l'auteur du Mémoire,
M. de B. a réuni là le fruit de ses longues recherches dans les papiers
du contrôle général, aux archives nationales, au ministère des affaires
étrangères, à la bibliothèque nationale et dans les livres imprimés. Il a
1. En effet, le texte de la commiasion indique très nettement que l'intendant
d'Orgeval est attaché à titre principal à Tannée de Picardie envoyée en gar-
nison sur la frontière, à titre accessoire dans les provinces de Picardie, de
Champagne et de Tlle-de- France.
PUBLTCiTIONEN iUS DEN PREUSSISCHEIf STIITSAECHIVEN. 477
ainsi poussé bien loin le tableau de Tadministration sous Fancien
régime, tableau que le Mémoire n'avait fait qu'ébaucher. On peut
regretter peut-être quelques lacunes, par exemple que pour les pre-
mières années du xvii« siècle, M. de Boislisle se soit contenté de
reproduire les chapitres un peu rapidement écrits de Daviti, tandis
qu'il reste dans les bibliothèques un grand nombre de documents mss.
et beaucoup plus autorisés ; mais c'est là une tache bien légère sur un
ensemble si brillant. En somme, on ne pourra plus écrire une ligne
sur l'administration de la France sous l'ancien régime sans avoir entre
les mains les appendices de M. de B., comme déjà pour l'histoire géné-
rale il faut avoir ce qui a paru de son édition de Saint-Simon, pour
l'histoire des fmances il faut avoir ce qui a paru des papiers du con-
trôle général, pour l'histoire de la magistrature et des comptes il faut
avoir ce qui a paru des papiers de Nicolaî. Ce sont là — sans parier
du reste — de véritables titres de gloire, et nous n'avons plus qu'à
souhaiter longue vie et santé prospère à M. de B., afin qu'il mène à
bonne fin tant et de si honorables entreprises.
G. H.
Publicationen ans den K. Prenssischen StaatsarchlTen. IVBand.
4. Memoiren der KurfUrstin Sophie von Hannover. 2. Frédéric II,
Histoire de mon temps. Leipzig, Hirzel, i vol. in-8®, 499 p.
On ne saurait trop se féliciter de l'activité que les archives de Berlin
déploient sous l'intelligente et féconde impulsion de leur directeur,
M. de Sybel. Les dissentiments très naturels qui nous séparent sur
certains points de cet éminent historien ne nous ont jamais empêché
de signaler, avec les éloges qu'ils méritent, les services que ses colla-
borateurs et lui rendent à la science historique. Le présent volume
contiei)t deux morceaux d'un caractère très différent.
i» Mémoires de la duchesse Sophie, plus tard électrice de Hanovre,
publiés par M. G. Kœcher. — Ces mémoires n'ont pas grand intérêt
pour l'histoire politique ; mais ils en présentent infiniment pour l'his-
toire intellectuelle et pour l'histoire des mœurs dans les familles prin-
cières allemandes au xvi» siècle. Ils ont été commencés à Hanovre
en iG80. Ils embrassent la vie de la duchesse depuis sa naissance
en 1620 jusqu'en 1681. On n'en possède point le manuscrit original,
mais une copie faite par Leibnitz. c Le style parait simple, écrit
Leibnitz sur cette copie, mais il a une force merveilleuse, et je le
trouve du caractère que Longin appelle sublime, malgré cette négli-
gence apparente. Lors même qu'il semble qu'on ne dit que des choses
ordinaires, elles se trouvent relevées par un certain tour admirable qui
donne occasion de faire des réflexions solides sur les choses humaines, i
Longin et son fameux traité sont ici de trop ; il ne faut, ni de près ni
de loin, songer à M™« de Sévigné. Mais il est incontestable que, tSut
RbV. HiSTOB. XXV. {•' FA8C. 12
478 » GOMPTES-RBIfDUS CRITIQUES.
rude et barbare qu'il est, le français de la ducbesse, — elle écrivait en
français, — a de l'allure et de la saveur. Il y a quelques affinités avec
une autre Allemande du Rhin, qui fut son amie, qui joua un grand rôle
et a laissé de curieuses lettres, Madame, mère du régent. La duchesse
Sophie est honnête femme et esprit fort ; elle dédaigne la pruderie. Le
fait est qu'on n'en a point autour d'elle; elle voit d'assez étranges
choses, et elle les dit crûment, comme elle les voit. Mais c'est la crudité
des femmes de Molière, on n^y sent jamais cette complaisance de liber-
tinage et ces arrière-pensées de sensualité qui gâtent trop souvent les
meilleurs morceaux du xvm« siècle. La duchesse aimait son mari, qui
ne lui était guère fidèle ; elle était aimée de son beau-frère, et pour s'en
débarrasser, aussi bien que pour éviter qu'il ne se mariât, elle lui
donna une maîtresse. Il y a là un contrat en forme qui est d'une nature
assez bizarre. Elle raconte ces singulières aventures avec une bonne
humeur cavalière, qui n'est pas sans charme.
Ses impressions de voyage en Italie et en France sont piquantes. En
Italie, l'esprit fort domine. Il y a des traits qui, bien qu'un peu lourds,
sont d'un tranchant très affilé. Bayle et ses amis y auraient trouvé du
ragoût, et notre Allemande s'assimile mieux ce genre d'ironie grave
que ses pareilles du siècle suivant ne feront de l'ironie voltairienne.
En voici des exemples, et je ne choisis pas les plus vifs. A Venise,
ff on me fit voir des religieuses qui n'ont d'esprit que pour les
hommes, et puis des églises où il y avait le rendez-vous de ces amou-
reux. » A Lorette, « on s'arrêta un jour en ce lieu-là pour bien consi-
dérer le miracle, qui était effectivement bien grand de voir des gens
assez sots pour venir de si loin pour adorer une si vilaine figure de la
vierge qui avait le nez cassé. On me montra un portrait qu'on disait
être de la main de saint Luc. Si cela était vrai, il était fort méchant
peintre. Ensuite, je vis les écuelles dans lesquelles N.-S. avait mangé
étant petit. Je fis sortir de son sérieux le prêtre qui me le montra, en
le regardant finement d'une manière qu'il vit bien que je n'en croyais
rien. Il avait assurément sujet de rire, de ce qu'il pouvait gagner de
l'argent d'une manière si facile... » L'introduction et les notes histo-
riques sont bonnes. M. K. s'est donné une peine bien inutile pour éta-
blir l'orthographe de son texte. Leibnitz, qui avait eu le manuscrit
original, disait lui-même : c L'orthographie n'y est pas observée. Il est
vrai que cela n'importe guère. Il en faudrait faire une copie pour y
remédier. > Leibnitz, dans sa copie, y remédia de son mieux. On ne
voit pas pourquoi M. K. s'est astreint à conserver les bizarreries de
l'orthographe de Leibnitz, qu'il corrige d'ailleurs par endroits. Il
aurait dû au nK)ins adopter l'orthographe classique du temps et impri-
mer le texte tel qu'il eût été imprimé si Leibnitz l'avait publié. — Je
relève en finissant une omission dans les notes historiques, p. 34, à
propos de cette phrase : c Ensuite elle m'apprit les quadrains de
Pebrac... » Ce nom est accompagné d'un point d'interrogation. Il s'agit
des quatrains de Pibrac, qui sont pourtant bien connus.
SCHLECHTl-WSSEHRD : DIE REYOLUTTONEIf r?f CO?fSTiNTIIfOPBL 4 807-8. 4 79
2o Frédéric II, Histoire de mon temps, rédaction de 1746, publiée par
M. Max Posner.
Frédéric a composé deux rédactions de Y Histoire de mon temps; Tune
est de 1746, c'est le premier jet, Tautre est de 1775, c'est le travail
revu à distance, remanié avec les documents, recomposé avec l'expé-
rience de la vie. C'est cette dernière rédaction qui a été publiée dans
les Œuvres. C'est la première, celle de 1746, que nous donne M. Max
Posner. Il a fait des études très approfondies sur la manière d'écrire du
roi historien^, et j'en ai rendu compte dans cette revue. Il applique à
la reproduction de ce texte primitif, si intéressant pour Tbistoire, une
grande connaissance des sources et une critique très judicieuse. Les
notes, qui sont très abondantes, sont excellentes. M. P., suivant en
cela les judicieux précédents de l'Académie de Berlin, a employé Tor-
tbograpbe moderne, tout en respectant scrupuleusement les construc-
tions originales.
Albert Sorbl.
ScHLBCHTi-WssBHRD. Die ReTolutioneii in Gonstantinopel in den
Jahren 1807-1808 (extrait des Sitzungsberichte de l'Académie
des sciences de Vienne, 4882). Vienne, Gerold, 228 p. in-8®.
Les a Révolutions » qui ont ensanglanté Constantinople pendant les
années 1807 et 1808, et dont M. le baron de Scblechta nous présente le
récit détaillé, avaient déjà fait l'objet de plusieurs publications tant en
Tunjuie qu'à l'étranger.
Considérés dans les débuts, comme dans les conséquences finales de
l'entreprise qui les a suscités, ces événements tragiques offrent, en effet,
les éléments d'une étude nettement circonscrite et sont aussi instructifs
qu'intéressants.
Vers la fin du dernier siècle, le sultan Selim III avait reconnu la
nécessité de cbanger les institutions militaires de Tempire pour adopter
les divers perfectionnements en usage dans les États cbrétiens. Suivant
ses vues arrêtées, la milice de plus en plus factieuse et indisciplinée
des janissaires, qui formait avec les spabis le noyau de l'armée natio-
nale, devait être remplacée par un corps d'infanterie modelé et exercé
à l'européenne et un fonds particulier, dit trésor de guerre, aurait à
subvenir à l'entretien de la nouvelle troupe dont l'effectif serait porté
tout d'abord à 12,000 hommes.
Ces dispositions, décrétées au commencement de l'année 1793 sous le
titre de Vizami Djehid ou « nouvelle organisation, » n'entrèrent en
pleine vigueur qu'en 1807 et, lorsqu'il s'agit d'en poursuivre l'applica-
tion dans les provinces, une violente opposition se manifesta parmi les
castes féodales et les notables qui, aidés des janissaires de Roumélie,
1. Miseellaneen %ur Geschkhte Kœnig Medrkhs des Grassen» Berlin, 1878.
480 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
levèrent l'étendard de la révolte. Bientôt les Jamaks ou gardes du Bos-
phore, corps auxiliaire des janissaires, s'insurgèrent à leur tonr, mar-
chèrent sur Gonstantinople et imposèrent au sultan le retrait du Vizamt
DJehid, puis sa propre abdication en faveur de son frère Mustapha.
Le 31 mai 1807, un décret impérial fut publié, qui désavouait les
< projets inouïs > de Selim, tout en proclamant la ferme volonté du
nouveau souverain et de son peuple c de rentrer dans la bonne voie, o
c'est-à-dire de maintenir l'ancien ordre de choses.
Cependant, un pacha de province, le puissant Bairakdar de Roust-
chouk, qui, jusqu'alors s'était associé aux résistances du parti de la
réaction, abandonna brusquement la cause des janissaires et de leurs
nombreux adhérents pour se convertir à la réforme. Il rôva de réinté-
grer Selim m sur le trône et de rétablir le Vitami Djehid, Le 28 juil-
let 1808, il entra à Stamboul à la tète de 15,000 hommes et prononça la
déchéance de Mustapha IV. Selim toutefois fut assassiné par les ordres
de Mustapha et Mahmoud, son frère, ceignit le sabre d'Osman.
Bairakdar, élevé au grand Vizirat, convoqua dans la capitale les hauts
feudataires et les notables de l'empire et, sous les auspices du pacte de
conciliation qui intervint entre les membres de cette assemblée pro-
vinciale, le Vizami Djehid redevint loi souveraine de l'État.
Le succès du pacha de Roustchouk fut de courte durée. Assiégé dans
son palais par les janissaires, il se donna la mort, laissant Mahmoud
aux prises avec les rebelles, c'est-à-dire avec les partisans du sultan
déchu. Mahmoud fit égorger Mustapha et entra en arrangement avec
les janissaires. Le Vizami Djehid fut supprimé pour la seconde fois avec
l'institution des réguliers dont le corps avait d'ailleurs succombé dans
la lutte.
Telles sont les principales péripéties du drame que raconte minutieu-
sement M. le baron de Schlechta, en s'aidant de documents originaux
recueillis dans les archives de la Porte et de Tlnternonciature. Sa rela-
tion, aussi consciencieuse que lucide, prendra sans doute place parmi
les plus remarquables monographies qui ont exposé à différentes époques
certaines phases particulières du travail de rénovation sociale, poli-
tique et administrative, connu sous le nom de Tanzimât.
Un diplomate français, M. Ed. Ëngelhardt, a entrepris récemment
d'écrire l'histoire complète de cette œuvre de réforme qui compte déjà
plus d'un demi-siècle d'épreuves*. Ses premières études -qui se ter-
minent en l'année 1867, et dont il a été rendu compte dans cette Revue,
ont révélé un fait curieux qu'il n'est pas sans intérêt de rapprocher des
conclusions du narrateur autrichien.
En 1841, le prince de Metternich recommandait aux Turcs « de res-
ter Turcs B et condamnait hautement comme funeste l'introduction dans
1. La Turquie et le Tanzimât ou histoire des réformes dans l'empire
ottoman. — Cotillon, 1882 et 1884. Paris.
1. DE HlRGERIE : LE COMTE JOSEPH DE MAISTEB. 4S\
l'empire des institutions européennes i. M. le baron de Schlechta,
appréciant dans leur ensemble ces essais d'assimilation dont le Vizami
DJehid de Selim III n'a été que le prélude, pense au contraire que la
réforme a été aussi opportune qu'utile; il n'y voit sans doute pas pour
la vieille monarchie ottomane un gage assuré de salut ; mais il est con-
vaincu qu'elle a eu pour effet de retarder sa chute et ce jugement est
conforme à celui dont s'est inspiré M. Ed. Engelhardt dans la préface
de son ouvrage.
Le comte Joseph de Maistre , avec des documents inédits , par
Amédée de Margerie, doyen de la Faculté catholique des lettres
de Lille. — Paris, libr. delà Soc. bibliographique, 4883, 4 vol.
in-8', xxn-442 p.
Joseph de Maistre n'a pas conquis d'emblée sa réputation, et on le
comprend. C'était un Français du dehors, qui vécut la meilleure partie
de sa vie sous l'horizon lointain et sans écho de Saint-Pétersbourg, au
service d'un roi déchu ; les idées dont il s'est fait l'apôtre étaient en
opposition directe avec les idées dominantes de son temps, et pour la
plupart n'ont point, de son vivant, affronté sous sa plume la discussion
publique. On le regardait en Russie comme un esprit à la fois entier
et ouvert sur toutes choses, comme un brillant conférencier de salon;
les motifs ne manquaient pas pour le plaindre, l'applaudir ou môme
pour le redouter, mais peu de personnes pressentaient sa gloire à venir.
Cependant, depuis sa mort, les traits de cette figure originale, au
lieu de s'effacer, sont devenus plus nets. 8ans parler de la publication
de ses grands ouvrages, qui l'ont érigé en Père laïque de l'Église, la
mise au jour successive d'autres écrits a fait valoir le diplomate et
l'homme privé; et voici qu'on publie aujourd'hui une édition com-
plète de ses œuvres, qui nous apportera encore sur lui des révélations
nouvelles. Magistrat, ambassadeur, serviteur ou confident des rois aux
deux extrémités de l'Europe, J. de Maistre n'a pourtant exercé une action
efficace que dans le monde des intelligences ; ses livres ont passionné
en sens divers quiconque les a lus, et ses doctrines restent pour long-
temps encore un thème de controverse. C'est cette controverse qu'a
continuée M. de Margerie, en prenant parti pour son héros. Il a voulu
seulement préparer ses lecteurs à l'étude des écrits de Maistre (p. 352-
353), en d'autres termes exposer ses idées et en tracer l'apologie,
combattre les objections formulées, il y a cinquante ans, par Ville-
main et de nos jours par M. Franck, tout en marquant lui-même
« quelques points où il y a lieu, ce semble, d'étendre, de restreindre ou
de corriger sa pensée. •
1. Dépêche daprioce de Metternich au comte Appony, datée de mai t84t.
482 GOHPTES-EBIIDUS CEITIQUBS.
Ce livre a évidemment pour origine des leçons où Ton reconnaît la
manière vive et brillante de l'ancien professeur de philosophie de
Nancy. M. de Margerie y a laissé subsister une certaine disproportion
dans les développements, inséparable de Texposition oratoire; il n'in-
siste que sur quelques parties de la vie de son héros (trois paragraphes
sur huit sont consacrés à ses rapports avec les jésuites), et il a ajouté
après coup à son étude un chapitre complémentaire et deux appen-
dices. C'est donc une série de dissertations polémiques que nous avons
sous les yeux, à Tusage de certains lecteurs, de ceux qui ont déjà foi en
J. de Maistre, mais qui veulent se donner la raison de leur foi. Aussi
nVt-on pas à y relever beaucoup de faits nouveaux relatifs soit à la
personne de l'écrivain, soit au temps où il vivait.
Au chapitre n, plusieurs citations intéressantes sont empruntées aux
lettres connues ou non qui vont prendre place, d'après une classification
nouvelle, dans l'édition définitive. Au chapitre i^ est inséré en entier
un mémoire inédit sur la liberté de l'enseignement, destiné au tsar
et à ses ministres, qui complète les lettres déjà connues sur l'ins-
truction publique en Russie. Au commencement de ce siècle, les chaires
des Universités russes étaient, en dehors des salons bien clos où bril-
lait J. de Maistre, les seules tribunes ouvertes à l'expansion des idées et
des doctrines, et la Compagnie de Jésus, par l'organe de l'envoyé de
Sardaigne, réclamait à Polotsk sa part du monopole universitaire.
P. 267 et suivantes, on trouve un autre mémoire inédit sous forme de
lettre au comte de Blacas, daté de mai 1814, où l'auteur trace à la
royauté restaurée le programme d'un gouvernement selon ses rêves,
révolutionnaire à sa façon contre l'esprit gallican et parlementaire de
l'ancienne monarchie. L'appendice I renferme une lettre assez curieuse ;
c'est le tableau d'une école privée de philosophie qui s'était constituée
à Pétersbourg vers 1810, où le professeur était le jésuite breton Rosaven,
et où les élèves, Nicolas de Serra-Capriola, Rodolphe de Maistre, le
baron de Damas et le prince Pierre Galitzin formaient sous sa direction
une sorte de séminaire aristocratique et cosmopolite.
Le moment serait bien venu, ce semble, pour une biographie com-
plète de J. de Maistre, replacé avec respect, mais sans fausse auréole, au
milieu des hommes et des événements de son époque. Il faut regretter
que M. de Margerie ait restreint volontairement son sujet et se soit
borné à reprendre, sous le couvert de ce nom illustre, avec habileté et
chaleur, la lutte contre les principes déjà contestés par l'auteur des
Soirées. Mais en quel sujet serait-il plus difficile d'appliquer le Scribitur
ctd narrandum de l'écrivain latin ? Bien mal avisés peut-être seront ceux
qui oseront un jour retirer de Maistre de la mêlée où il s'est si bien
complu de son vivant, et le rendre tout simplement à l'histoire, avec
son vif esprit, son grand style et son noble caractère.
L. PlNQAUD.
KEIL : DIE GRÙNDUNG DEfi DEUTSCHBX BDRS€HENSCHAFT IN UNI. 483
Robert und Richard Keil : Die OrOndung der dentschen Bar-
•chenschaft in lena : 2« édition. Jena, Mauke, 440 p. in-8o, 4883.
Ce livre n'est pas un livre nouveau. Mais il acquiert un intérêt véri-
table, et comme une sorte de nouveauté par les circonstances qui ont
déterminé l'un des auteurs à nous en donner une deuxième édition.
On a inauguré au début de Fannée dernière (1883), à léoa, le monu-
ment destiné à perpétuer le souvenir de la grande association des étu-
diants allemands (Burschenschaft) que certain parti en Allemagne
serait trop disposé à oublier. M. Keil a voulu célébrer les vertus et
le patriotisme de Tétudiant de 1813 que le sculpteur avait représonté
en costume du temps, Tépée d'une main, le drapeau de l'association do
l'autre. Il a voulu rappeler le caractère, la valeur, et la portée de Tasso-
ciation au moment où les historiens prussiens et M. de Treitschke en
particulier semblent s'efforcer d'atténuer l'importance du mouvement
libéral et patriotique du 12 juin 1813. Cette seconde édition est une
réponse indirecte au chapitre que M. de Treitschke avait consacré à ce
sujet dans son deuxième volume^ ; c'est une critique analogue à celle
que fit paraître l'an dernier, contre le môme ouvrage, M. Baumgarten,
dans les colonnes de la Gazette d'Augsbourg. Il est bon de remarquer
que les historiens allemands sont très divisés sur tout ce qui touche aux
origines de Tunion germanique. Il faut relever, toutes les fois que l'oc-
casion s'en présente, les opinions qui les divisent.
Au début, MM. Keil ont développé une idée qui, depuis les discours
d'Humboldt et de Savigny, était courante en Allemagne; les universités
allemandes ont été de tout temps les foyers de la pensée allemande, et
comme des images réduites de la grande patrie germanique. M. de
Treitschke avait récemment contesté cette opinion qu'il attribuait à l'or-
gueil, à la vanité des professeurs. Les universités et les professeurs avaient
eu, selon lui, beaucoup d'influence sur les destinées de l'Allemagne, mais
une influence néfaste. Ils avaient répandu le goût de la politique idéa-
liste et des théories vides que la Prusse a eu l'honneur et le mérite de
bannir pour longtemps. M. de Treitschke était particulièrement sévère
pour les professeurs d'Iéna, pour Luden qui fonda la Némesis, pour
Oken qui rédigea l'Isis c sur un ton digne des brasseries, i pour le juris-
consulte Martin qui, chassé d'Heideiberg, se réfugia en Thuringe avec
son Mercure. Cette sévérité pouvait nous étonner de la part du profes-
seur de Berlin qui est à la fois directeur des Preussiscke JahrbQcher. Mais
il y a université et université comme il y a professeur et professeur.
M. de Treitschke, de Berlin, n'a pas pu pardonner aux professeurs d'Iéna
la façon dont ils ont traité les Prussiens en 1815 et accueilli leurs enne-
mis. Ce qu'il leur a reproché surtout c'est d'avoir enseigné dans cette
Thuringe, la patrie bien aimée du particularisme féodal, où par trois
1. H. de Treitftchke. DetUsche Geschichte im XIX}*' Jahrhundert, T. II, ch. 7.
Di€ BiWKhentchaft. Ldipzig, Ilirzel, 1882.
484 COHPTBS-RBIfDUS CRITIQUES.
fois un mouvement s'est produit inutilement en faveur de Tunité ger-
manique.
MM. Keil ont pris la défense de la Thuringe, de l'université d'Iéna
en particulier, des universités, des professeurs et des étudiants en géné-
ral. La Thuringe est le cœur de l'Allemagne, elle est un des organes
essentiels de ia patrie allemande. C'est là que le sentiment national est
peut-être le plus vif. Les malheurs de TAllemagne, au commencement
du siècle, n'ont pas laissé, comme le prétend Treitschke, la Thuringe
indifférente : Luden, dès 1806, avait le courage de faire appel au patrio-
tisme de ses auditeurs. Les étudiants d'Iéna ont combattu pour l'indé-
pendance nationale ; le plus grand ami de Kœrner était Karl Schaeffer
de Weimar. — De plus, la Thuringe, avec ses petits gouvernements et
ses traditions patriarcales, s'est toujours merveilleusement prêtée aux
libres études de l'esprit, léna est une petite ville dans un site charmant
où les étudiants trouvaient plus de liberté pour leurs plaisirs et leurs
travaux, et avaient plus d'influence qu'auprès des universités des grandes
villes. Pour toutes ces raisons et aussi par les soins de Charles Auguste,
l'université d'Iéna était admirablement préparée aux grands enseigne-
ments de la fin du xvni* siècle, aux leçons de Fichte, de Schiller, de
Luden et de tant d'autres. Elle était une école de libéralisme, en môme
temps qu'un ardent foyer de patriotisme. Jamais personne, en Thu-
ringe, ne songeait alors à distinguer la liberté politique de l'indépen-
dance nationale. On luttait pour l'une et pour l'autre contre la domina-
tion et le despotisme de l'étranger, et le soulèvement de 1813 fut à la
fois un grand mouvement libéral et un mouvement national. C'est peut-
être, en dernière analyse, ce que M. de Treitschke n'a pas pardonné à
Charles Auguste, aux Thuringiens qui le rêvèrent, aux professeurs
Luden, Oken, Pries qui ont collaboré et applaudi à ses réformes consti-
tutionnelles, aux étudiants enfin, qui, sous ses auspices, ont fondé leur
grande association aux cris de Freiheit-Vaterland.
M. de Treitschke n'a vu dans cette association qu'un passe-temps de
jeunes gens passionnés d'une façon très vague pour la liberté, pour la
patrie. Ce n'était pas une institution qui pût avoir des conséquences
pratiques. Comme tout ce qui vient en tout temps des universités et de
la Thuringe, c'était une association d'esprits purs, une réunion de mys-
tiques, en deux mots, une forme vide. Ce n'est qu'en se fondant avec
les sociétés de gymnastique, créées parHahn à Berlin, que cette société
a pris corps, et c'est alors seulement qu'elle est devenue viable et utile.
Jusque-là la Burschenschafl restait une association chimérique, mais
funeste, qui, sans la sagesse pratique de la Prusse, n'eût pas vécu et
aurait eu pour l'unité allemande les plus fâcheuses conséquences.
M. Keil persiste, au contraire, à croire que les étudiants d'Iéna ont
contribué, en 1813, pour une large part à délivrer la patrie allemande
et à fonder l'unité germanique. La force n'aurait point suffi à grouper
les patriotes allemands. Il fallait que ces patriotes se fussent formés
d'abord dans les universités en général, et dans une vaste corporation
BERNAIS : DAS GROSSHERZOGTHUM FRANEFURT. 485
sans caractère politique ni religieux. Le professeur d'Iéna proteste avec
chaleur contre les polémistes qui n'ont pas assez d'injures pour les
écrivains de l'école à laquelle il appartient, « l'école historique libérale. >
Les opinions qu'il défend ne sont point « un tissu de fables ridicules, i
Le temps jugera laquelle des deux méthodes vaut le mieux pour con-
server l'unité germanique qui n'est encore qu'ébauchée.
Il y a dans les deux ouvrages des erreurs de détail et des omissions
assez graves. M. de Treitschke ne connaît qu'un seul étudiant prus-
sien qui ait fait partie de la première association d'Iéna. Il aurait dû
consulter les pièces conservées à léna. Il aurait retrouvé parmi les
noms de ceux qui ont rédigé ces statuts, ou dirigé la société au
début, les noms de Berlinois, comme Rodolphe de Wulkewiz, et de
Brandebourgeois, comme Wilhelm ToU. D'autre part, M. Keil parle
bien superficiellement des effets de la domination française en Alle-
magne. Presque rien sur les remaniements territoriaux qui ont tant
contribué à l'unification postérieure de l'Allemagne. Il y a du moins
dans son livre, fait d'après les textes originaux, les registres des associa-
tions, des renseignements très intéressants : particulièrement sur la
lutte des vieilles corporations d'étudiants attachés à l'ancien régime
(Landsmannschaften) avec la nouvelle société libérale (Burschenschaft).
Enfin, ce livre est, comme l'auteur nous le dit lui-môme, une de ces
œuvres que produit heureusement l'école historique libérale pour nous
aider à corriger les erreurs plus ou moins volontaires de l'école histo-
rique officielle.
Emile Bourgeois.
Schlcksale des Orosaherzogthnma Frankfnrt and seiner Tmp-
pen, von Guillaume Bernais. — Berlin, E. S. Mittier und Sohn,
499 p. in-80, 4882.
M. Bemays, l'avocat belge dont la mort tragique a fait tant de bruit
récemment, avait écrit en allemand un ouvrage que vient de publier le
baron d'Ardenne. Malgré son titre qui semble promettre aussi bien une
étude administrative et politique que militaire, ce livre n'est à propre-
ment parier qu'une monographie des contingents fournis à l'armée
d'Espagne ou à la grande armée de 1812 par le grand-duché de Franc-
fort.
Les renseignements ont été puisés aux bonnes sources, et l'auteur a
heureusement combiné les documents officiels déjà connus avec les
papiers des chefs de corps et les relations écrites par des officiers. Le
contingent fourni par le grand -duc de Francfort, Dalberg, prince
primat de la Confédération du Rhin, a pris part à la guerre d'Espagne
de 1808 à la fin et a déserté lorsque l'armée est entrée en France. Une
autre section, envoyée en Russie sur la fin de la campagne, a été désor-
ganisée par le froid presque sans avoir vu l'ennemi. Ses débris ont con-
tribué à former la garnison de Dantzig.
486 GOMPTBS-EBNDUS CRITIQUES.
11 7 a certainement dans ce travail des parties, sinon nouvelles, du
moins intéressantes. Les récits des batailles de Medelin, de Sala-
manque et de Vittoria sont heureusement tracés. La longue marche de
la division princière le long des côtes de la Baltique suscite de curieuses
réflexions sur le patriotisme des Francfortois et de leurs officiers. Mais
on ne peut s'empôcher de trouver à la longue bien monotones ces pages
compactes, sans jours typographiques, ces longs chapitres sans points
de repos.
Ce tableau de la vie militaire montre bien quelles ont été les condi-
tions matérielles de Torganisation, les pertes et les succès des contin-
gents francfortois. Mais il est curieux de constater à quel point il
ressemble aux autres essais du môme genre que nous ont laissés les
officiers français qui ont pris part aux mômes faits de guerre. Si Ton
supprime les réflexions plus ou moins hostiles à la France qui sont du
crû de Fauteur, on constate qu'officiers supérieurs ou subalternes ne
parlent guère que du côté matériel de leur existence : avancement,
revues, gites d'étape, toutes les misères du métier, tel est le fonds
principal de leurs mémoires ou de leur correspondance. On peut dire
sans trop de sévérité qu'il est excessif de consacrer 470 pages à un sujet
aussi mince. L. B.
Andrei Vizanti. Veniamin Gostache mitropolit MoIdoTei ai
SuceTei, epoca, viata si operile sale. Un vol. de 464 pages.
Jassy, 4 884 .
M. André Vizanti, professeur de littérature roumaine à l'Université de
Jassy, vient de faire paraître une biographie très intéressante sur Tun des
promoteurs de la régénération du peuple roumain, le métropolitain de
Moldavie, Benjamin Gostaki. Pour faire apprécier tous les mérites du véné-
rable prélat, il nous faudrait reproduire le tableau désolant que l'auteur
esquisse des derniers temps du régime fanariote. Il ne fallait pas peu
de courage pour entreprendre de protéger la littérature roumaine et
surtout pour essayer de fonder des écoles roumaines dans un temps où
l'idiome national était considéré comme un dialecte barbare, bon tout
au plus pour conduire les bœufs ou prononcer des injures, quand tout
homme, qui se prétendait civilisé, devait connaître le grec, sinon celui
d'Homère, au moins celui des Palikares. Le métropolitain Gostaki
entreprit dans des temps si difficiles la création d'un séminaire destiné
à des prêtres roumains (1803)^ la fondation d'une école d'arpentage
nécessaire pour produire des ingénieurs qui connussent la langue rou-
maine, pour pouvoir délimiter les nombreuses terres en litige, d'après
la teneur des anciens documents (1813). Ce qui fut pourtant plus
remarquable, c'est l'initiative que ce Mécène roumain prit d'intro-
duire dans récriture les lettres latines à la place des lettres slaves
qui avaient servi jusqu'alors, et enfin ses efforts pour la création
RElCHE!<fSPBR6ER : B&LBBN18SB. 487
d'un théâtre roumain. Le premier essai de représentation dramatique
se fit à Jassy, dans la maison du boyard G. Ghyca (en l'année 1813),
où Ton représenta d^abord des pièces françaises, ensuite une pièce
roumaine : La Bergère des Carpaihes^ composée pour l'occasion par
Georges Asaky, l'ami et l'émule du métropolitain dans l'œuvre de
régénération de leur peuple. Quoique les canons de l'église orthodoxe
interdisent à un moine, comme l'était nécessairement le métropolitain,
d'assistcraux spectacles, ce grand esprit, connaissant la profonde influence
de la scène sur la civilisation d'un peuple, non seulement soutint
l'entreprise de toutes ses forces, mais assista même dans une chambre
latérale à la représentation de la pièce roumaine. Toujours d'après
son insistance et en partie à ses frais fut fondé le premier recueil
périodique de la Moldavie, V Abeille, en 1829.
Son action politique fut tout aussi importante, quoique plus cachée.
Il poussa les boyards à protester contre le rapt de la Bessarabie en 1812,
porta des plaintes très amères contre les ravages qae les Russes com-
mirent dans le pays en 1787 et fut destitué par les Russes pendant
l'occupation des principautés par leurs armées. Il revint au trône
archiépiscopal en 1812 et le garda jusqu'en 1842, quand son opposition
manifeste aux abus du prince Stourza le renversa de nouveau et le fit
interner dans un couvent des montagnes, où il finit ses jours (1846),
sans cesser de travailler à cultiver son peuple par sa parole et ses écrits.
M. Vizanti, qui a consulté, pour rédiger son ouvrage, un nombre
considérable d'écrits, tant roumains qu'étrangers, a rendu un véritable
service à l'histoire des Roumains, en mettant dans une pleine lumière
une vie aussi bien remplie que celle de ce noble, pieux et patriote prélat.
A.-D. X.
Peter Reichenspebger. Erlebnisse eines alten Parlementarien im
ReTolutiozifldahre 1848. — Berlin, Springer, 1882.
L'auteur de cet ouvrage est vraiment, comme il le dit, un vétéran
des assemblées prussiennes. Catholique fervent, magistrat à la cour de
Goblentz, il n'a cessé, depuis 1847, d'être le représentant des popula-
tions catholiques du Rhin, et il occupe encore aujourd'hui un siège
du centre à la Chambre des députés de Prusse et au Reichstag alle-
mand.
En 1848, il faisait partie du centre droit qui n'avait pas encore
adopté un programme surtout ultramontain ; invité par les organisi^-
teurs du Parlement préparatoire de Francfort à prendre part à leurs
travaux, il échoua aux élections comme candidat au Parlement germa-
nique, mais il fut élu à l'Assemblée nationale de Berlin.
Son rôle y fut important ;' il présida le groupe dont il faisait partie,
et, dans ces journées troublées, eut plus d'une fois des risques person-
nels à courir en quittant l'Académie de musique où se tenaient les
488 GOMPTES-EBIlDns CRITIQUES.
séances publiques. Plusieurs pages de son livre décrivent d'une manière
saisissante l'aspect du forum berlinois de cette époque, a le bois des
Châtaignes, > qu'il fallait traverser pour se rendre à rassemblée.
Quant aux opinions politiques de l'auteur, aux explications qu'il
présente de diverses résolutions prises, soit par l'assemblée, soit par le
gouvernement, l'autorité dont jouissait alors M. R. leur donne une
grande valeur historique. La ténacité avec laquelle son groupe sut
défendis ses positions, malgré les défaillances quotidiennes du centre
gauche, fait comprendre la politique ferme et habile du gouvernement
prussien d'alors, qui avait ainsi un point d'appui dans cette minorité
respectable. On comparera avec fruit les dépositions de M. R. avec
l'ouvrage du député von Unruh, Esquisses de V Histoire prussienne con"
temporaine, qui joua un rôle très important et fut président du a Par-
lement Croupion > après la prorogation de l'Assemblée nationale.
L. B.
Oliver Gromiw'ell ; the man and his mission, J. Allanson Picton ^
with Steel portrait. Cassell, Petter, Galpin and C*. Londres, Paris
et New- York, ^882, xi-5^6 p. in-8^
Cette biographie se présente d'un air très modeste. Dans la préface,
l'auteur explique qu'il n'a pas la prétention d'avoir fait des recherches
originales. Il s'en tient au livre célèbre de Garlyle, auquel il emprunte
les faits. Dans certains cas seulement, MM. J. Bruce, J. Forster, J. L.
Sanford, S. R. Gardiner lui ont fourni de nouveaux matériaux. On ne
doit cependant pas avoir une médiocre opinion du travail de M. Picton.
Parmi toutes les biographies proprement dites de Cromwell, aucune, si
je ne me trompe, n'égale la sienne. Chacun des chapitres montre que
l'auteur a très profondément étudié les sources, comme les ouvrages
anglais modernes ; à ce double point de vue, la bibliothèque du Musée
britannique lui a rendu d'éminents services. On remarque par' exemple
avec quel soin il a dépouillé la collection qui s'y trouve conservée de
gazettes et de pamphlets appartenant à l'époque de la Révolution
d'Angleterre et connus sous le nom de c King's Pamphlets .» Je men-
tionnerai cependant un pamphlet intéressant qui semble lui avoir
échappé : Efi58. Cf. ma biographie de Milton (Leipzig, 1879, liv. Di,
p. 271). Ces sources, l'auteur les utilise d'après les règles d'une saine
critique; peut-être accorde-t-il ck et là trop de confiance à la compila-
tion suspecte qui porte le titre de Mémoires de Whitelocke.
Quant à ce qui concerne la composition générale du livre, nous pou-
vons déclarer que nous sommes d'accord avec lui sur les points essen-
tiels. L'auteur n'hésite pas à caractériser Cromwell comme « the most
human-hearted sovereign and most impérial man in ail our annals,
since king Alfred's days ; > mais il est loin de le tenir pour impeccable
et pour incapable de faiblesses. 11 a fort bien expliqué que Cromwell,
PICTOn : OLIVER CROMWBLL. 489
comme un homme d'État qui ne ferme pas les yeux devant les faits,
n'était pas habitué à mesurer les choses d*après une théorie politique
déterminée. Ce n'était rien moins qu'un républicain, c Charles I«% dit
M. Picton, représentait une réaction contre le progrès constant du
Selfgovernment. Gromwell, au contraire, représentait une révolution où
les meilleures forces de la nation étaient engagées pour assurer à tout
prix, au prix même d'une dictature temporaire, la victoire sur cette
réaction, i Avec une grande éloquence, M. Picton expose en combien
de choses cette dictature devançait l'esprit du temps ; de là précisément
pour le Protecteur la nécessité de recourir à des moyens violents.
L'enseignement qui ressort de l'histoire de cetto vie grandiose ne peut
être douteux ; l'auteur l'exprime eu ces termes : « Ce n'est pas assez que
par la force des circonstances un peuple s'attache à l'homme le plus
capable et en fasse un despote bienfaisant. Dès qu'il cesse d'être l'exé-
cuteur de la volonté du peuple et qu'il lui impose la sienne propre, la
marche en avant du peuple est arrêtée ; dès lors, pour lui l'ordre et la
prospérité dépendent, non de sa propre sagesse et de son propre contrôle,
non du caractère permanent de la nation, mais d'une force accidentelle
dont la durée est incertaine et nécessairement courte. »
M. Picton aime à interrompre son récit par de semblables considéra-
tions générales qui abordent çà et là le terrain de la politique du temps
présent. On ne peut trouver de contraste plus grand qu'entre cette
manière et la manière calme, exempte de toute allusion, de Ranke, qui,
dans son portrait de Gromwell, révèle toute la supériorité du maître. Je
ne sais si M. Picton a étudié avec le soin qu'elles méritent l'histoire
d'Angleterre de Ranke et celle de la Révolution et de la République
d'Angleterre par Guizot ; en tout cas, ces deux ouvrages lui auraient fourni
les moyens d'améliorer et de compléter ce qu'il dit de la politique exté-
rieure du Protecteur et de ses rapports avec les grandes puissances de
l'Europe. On ne comprend pas pourquoi, p. 409, M. de Bordeaux qui, en
déc. 1652, fut envoyé par Mazarin en Angleterre, est appelé c dnke of
Bordeaux, • et l'époque de son voyage renvoyée en déc. 1653 (cf.
Guizot, Hist. de la Rép. d'Ànglet., Bruxelles, 1854, II, 220). On voudrait
aussi trouver une plus juste appréciation de la paix de Pignerol ; elle
n'est en aucune façon une preuve de la générosité du duc de Savoie
envers ses sujets vaudois ; un diplomate suisse trouva des raisons pour
l'appeler c une honte pour tous les protestants d'Europe. » (Cf. hist,
Zeitschrift, 1878, nouv. série, IV, 89 : t Olivier Gromwell et les cantons
évangéliques de la Suisse •.) Il est regrettable que M. Picton n'ait pu
mettre à profit les plus récentes publications de la Gamden Society ;
elles contiennent une lettre du comte de Manchester, publiée par
M. S. R. Gardiner; elle est très importante pour un biographe de
Gromwell, car elle explique les vrais motifs du conflit qui éclata entre
ces deux personnages.
Alfred Stern.
^190 GOMPTBS-RBIfDDS CRITIQUES.
Ghristophori Varsevicii opuscula inedita, ad illustres viros epis-
tolae, cœteraque documenta vltam ac res gesta ipsius illustrantia...
edidit Th. Wierzbowski. Varsoviae, typîs J. Bergerl, un vol. in-8**
de m-278 p.
Le nom de Yarsevicius est certainement inconnu de la plupart de nos
lecteurs. C'est la traduction latine d'une forme polonaise Warszewicki.
Christophe Warszewicki (1524-1603) était un chanoine de Cracovie qui
fut secrétaire du roi Etienne Bathory et chargé par lui d'une mission
diplomatique en Suède. Orateur habile, publiciste distingué, c'est l'un
des représentants les plus éloquents des idées monarchiques du xvi« siècle.
Son idéal, c'est la monarchie absolue de Philippe II, et vraiment, quand
on songe aux misères oii l'anarchie a conduit la Pologne, on se prend
à regretter que ses théories n'aient pas prévalu. Si l'Espagne était trop
loin pour avoir une influence directe sur la Pologne, la dynastie autri-
chienne représentait également les doctrines absolutistes. Warszewicki
se tournait vers elle et lui demandait d'occuper son pays pour y établir
le principe d'autorité. Il eût volontiers retourné le mot célèbre : Malo
tutum servitium quam periculosam libertatem. Ses ouvrages presque
tous en latin sont fort nombreux; ils ont surtout pour objet des ques-
tions politiques. Un critique distingué, M. Stanislas Tarnowski, a donné
une étude détaillée sur ce curieux personnage dans les mémoires de
l'Académie de Cracovie (année 1874, tome I«').
M. Théodore Wierzbowski se propose de publier prochainement une
monographie plus complète. En attendant, il nous présente les premiers
résultats de ses recherches dans les bibliothèques de Pologne, d'Au-
triche et dltalie. Il a découvert des opuscules inédits ou oubliés de
Yarsevicius, des lettres en polonais, en latin, en italien. Il a établi
une bibliographie compendieuse de ses publications. Elle contient des
pièces intéressantes pour nous (par exemple deux discours adressés en
1574 et 1575 à Henri de Yalois, — l'un d'entre eux a été imprimé à
Paris, chez Robert Etienne).
Les opuscules inédits, tous en latin, comprennent un certain nombre
de discours ou de brochures politiques dont la plupart ont pour but de
soutenir l'élection de Maximilien d'Autriche au trône de Pologne, élec-
tion qui, comme on sait, n'aboutit pas. C'est la môme thèse qui est
soutenue dans un curieux dialogue entre un Polonais et un Tchèque
(Lechitae ac Bohemi colloquium). Le Tchèque y fait un éloge enthou-
siaste de la maison d'Autriche ; il l'appelle : c lumen Europo?, nidum vir-
tutis, honestatis omnis ofGcinam, quœ tôt tamque prseclarorum rerum
omnique œternitate dignissimarum referta monu mentis est, ut nesciam
ecqua ejus similis alia possit familia inveniri. » Mais, réplique le Polo-
nais, tes compatriotes ont été réduits en servitude par les Autrichiens,
ff Mi frater, noli servitutem nostram miserari ! Incertum est utrum, si
optionem mihi quis daret, meam hanc servitutem cum libertate tua
^ssem permutaturus. » Le Bohème de notre auteur est évidemment un
WIERZBOWSEI : CHRISTOPHORI VARSEVICIl OPUSGUU llf EDITA. 494
personnage de paille, un témoin de complaisance. La défenestration de
Prague devait, quelques années plus tard, donner à ces déclarations
optimistes un sanglant démenti. En revanche Warszewicki met dans la
bouche de cet interlocuteur quelques-unes des vérités sévères qu'il ne
veut pas dire lui-même à ses compatriotes : « Vous autres, Polonais,
lui fait-il dire, vous êtes de ces gens qui ne devenez sages qu'après le
dommage (ceci est un proverbe polonais), vous ne mettez votre manteau
que lorsque la pluie vous a mouillés, vous ne fermez la porte de l'écurie
que lorsqu'on a volé les chevaux. »
Parmi les lettres inédites, les plus importantes sont celles que Warsze-
wicki adresse à l'empereur Rodolphe au sujet de l'élection de Maximi-
lien d'Autriche au trône de Pologne. Il semble résulter d'une de ces
lettres que le dévouement de l'auteur aux Habsbourg n'était pas abso-
lument désintéressé. Il parle des frais considérables que doit entraîner
l'élection et réclame le paiement de la pension que l'empereur lui a pro-
mise. Le système électif^ si cher aux Polonais, entraînait malheureuse-
ment avec lui une vénalité à laquelle les patriotes les plus intègres
pouvaient aisément céder, convaincus à tort ou à raison que leurs inté-
rêts se confondaient avec ceux du pays. Du reste, ce n'est pas seulement
aux princes autrichiens que Warszewicki demande des subsides; il
s'adresse aussi à la ville de Danzig qui lui accorde libéralement cent
écus d'or.
Il faut remercier et louer M. Wierzbowski de la patience avec laquelle
il a recueilli et édité ces documents. Je disais dernièrement ici même
que la vie du cardinal Hosius fournirait le sujet d'une excellente thèse
de doctorat; je ferai la même observation pour Varsevicius. Parmi
tous les Polonais qui ont fait leurs études chez nous et qui enseignent
dans nos lycées, ne s'en trouvera-t-il pas un pour nous faire un bon
livre en français sur tant d'épisodes ou d'hommes intéressants de l'his-
toire nationale ? Étudier le passé d'un pays même dans ses fautes ou
dans ses erreurs, c'est encore un moyen de travailler à son avenir.
L. Leoer.
492 RECUEILS PERIODIQUES.
RECUEILS PÉRIODIQUES ET SOCIÉTÉS SAVANTES.
1. — Revue des questions historiques. 1884. i^' avril. — Paul
Allabd. Prudence historien (biographie de Prudence telle qu'on peut
la retrouver dans ses écrits. Témoin important pour l'histoire de Théo-
dose le Grand. Dans quelles circonstances fut écrit le Contra Symma-
chum). — Vicomte G. de Brèmond d'Ahs. La Saint-Barthélémy et
TEspagne, d'après la correspondance de Jean de Vivonne de Saint-
Gouard (pense et montre, contrairement à l'opinion de M. de La Per-
rière, que Saint-Gouard ne connaissait nullement le prétendu plan
arrêté par la cour d'un massacre général des Huguenots. Quand on en
apprit la nouvelle à Madrid, notre ambassadeur ne fut pas un des moins
surpris. Raconte, d'après les dépêches de Saint-Gouard, l'action diplo-
matique de celui-ci ; montre comment, après avoir applaudi à la Saint-
Barthélémy, Philippe II mit tout en œuvre pour empêcher le duc
d'Anjou d'être élu en Pologne). — Pbévost. La vie privée d'un magis-
trat au commencement du xviii" siècle (analyse le registre des menues
dépenses de M. de Golmoulins, président à mortier au parlement de
Normandie, 1720-30). — Abbé Allain. L'œuvre scolaire de la Révolu-
tion. L'école normale de l'an III. — V. Pierre. La persécution religieuse
en Belgique, après Fructidor. — Le R. P. Gh. de Smedt. Les révéla-
tions de sainte Thérèse (un jésuite, le P. G. Hahn, a pris la peine de
prouver que sainte Thérèse était affectée au plus haut degré de la mala-
die hystérique; que ses visions, ses extases, ou tout au moins une partie,
rentrent dans l'ordre des faits pathologiques et nullement surnaturels.
Le R. P. de Smedt admet entièrement ces conclusions. Il rend même
aux catholiques timorés le service de leur rappeler i que les faits mira-
culeux qu'ils doivent croire sont en très petit nombre. Ils se réduisent
à ceux que J.-G. et les apôtres ont présentés comme des preuves de
leur mission divine, et qui se trouvent consignés comme tels dans les
saints livres. •) — P. Fournies. Les institutions juridiques de l'Anjou
et du Maine. =: Bulletin bibliographique : Noguier. Inscriptions de la
colonie romaine de Béziers. 2« édit. (publie 105 inscr.). — Hoches. 32 ans
à travers l'Islam, 1832-64 (très curieux). — Ross. The early history of
landholding among the Germans (très savante étude; a le tort de' ne
tenir aucun compte des renseignements fournis par les Scandinaves). —
Grisar. Galileistudien (important; la condamnation prononcée par la
congrégation de l'index est à la fois doctrinale et disciplinaire ; mais
elle n'a pas le caractère d'une sentence infaillible). — Mémoire pour
servir à la vie de saint Guiraud, évêque de Béziers (ce mémoire est du
RECUEILS PERIODIQUES. 493
xviii« S. ; l'éditeur n'y a ajouté que des notes rares, insignifiantes ou
fausses). — Ledru. Un procès du xvi« s. : le seigneur de Montsoreau et
les habitants de Savigny. — Charvériat, La bataille de Fribourg, 1644
(excell. monographie). — Roy. Turenne (intéress.). — Darsy. Amiens et le
départ, de la Somme pendant la Révolution. T. II (dossier tout préparé
pour celui qui voudra écrire Thist. de la Révol. dans ce départ.). —
Saurel, Hist. de la ville de Malaucène et de son territoire (excell.). —
L. de Piépape. Histoire militaire du pays de Langres et du Bassigny
(bon). — Abbé Dumaine. Tinchebray et sa région au bocage normand
(bon). — Ul. Chevalier, Le dauphin Humbert II et la ville de Romans
(bon). — QueniaU'Lamerie. Titres et documents concernant la comman-
derie de Thévalles, de l'ordre de Malte. — Merlet. Bibliothèque char-
traine antérieure au xix« siècle. — i?. (fo Crèvecœur. Saint-John de
Grèvecœur, 1735-1813. — Brives-Cazes. De la police des livres en
Guyenne, 1713-1785.
2. — Bibliothèque de l'École des chartes. T. XLIV, 1883,
livr. 5-6. — RocQUAiN. Philippe le Bel et la bulle Ausculta fili (parmi
les chroniqueurs de la première moitié du xiv<> s., deux seuls, sans
compter un fragment cité par Dupuy sans indication de provenance :
Bernard Gui et Villani, parlent de la mise au feu de la bulle ; encore
disent-ils qu'elle fut brûlée en présence du roi, peut-être par le comte
d^ Artois, dans un accès de colère ; mais aucun chroniqueur ne dit que
la bulle ait été solennellement brûlée. Cependant une bulle a été détruite
par le feu ; mais c'est celle du 16 mars 1301 et concerne un différend entre
Téglise et la commune de Laon. Il faut donc renoncer à croire que la
bulle Ausculta fili ait été jamais brûlée solennellement, et il est vrai-
semblable qu'elle ne l'a jamais été d'aucune façon). — N. Valois. Le
conseil du roi et le Grand Conseil pendant la première année du règne
de Charles VIII ; fin du texte : appendice. — Omont. Fragment d'une
versio antiqua de l'Apocalypse. — Aug. Molinier. La sénéchaussée de
Rouergue en 1341 (publie une très intéressante liste des noms de villes,
villages et paroisses, avec le nombre des feux de chacune d'elles, pour
la sénéchaussée de Rouergue. Dans Tétude qui précède ce document,
l'auteur, par d'ingénieuses déductions, arrive à constater qu'en 1341 la
population de la sénéchaussée montait à un peu plus de 300,000 âmes ;
aujourd'hui elle est de 427,511 ; mais en 1790 elle était sensiblement la
même qu'en 1341. On était arrivé à des résultats analogues pour la chà-
tellenie de Pontoise. On est donc fondé à conclure qu'avant les guerres
des Anglais la France était à peu près aussi peuplée qu'à la fin du règne
de Louis XVI). — Guilhiermoz. Le droit de renonciation de la femme
noble, lors de la dissolution de la communauté, dans l'ancienne cou-
tume de Paris. = Bibliographie. Diekamp, Die neuere Literatur zur
pœpstlichen Diplomatik (bon résumé). — Boretius, Capitnlaria regum
Francorum, t. I*", pars posterior (la date et l'attribution de nombre de
capitulaires restent encore, même après B., bien incertaines. Travail
RbV. HiSTOR. XXV. 1" FASG. 13
494 EECOEILS PERIODIQUES.
d'ailleurs fort considérable). — Fr. Michel. Le Prince noir, poème
du héraut d'armes Ghandos (la partie la plus intéressante et la plus
originale est celle qui se rapporte à Texpédition du prince de Galles
en Espagne, lorsque; après Najera, il rétablit don Pèdre. Texte en
général bien établi). — R. de Lasteyrie, Inscriptions de la France,
du y siècle au xjrui« siècle; t. V (ce t. V termine heureusement le
grand ouvrage de M. de Guilhermy. Tables excellentes). = Joubert.
Recherches épigraphi^ues : le mausolée de Gatherine de Ghivré. Les
Gaultier de Brullon (bon). — L. de Mas Latrie, Les princes de Morée
et d'Achaïe, 1203-1461 (très-bon).
3. — Le G&binet historique. 1883, juillet-oct. — Ul. Robert. Recueil
de lois, décrets, ordonnances, arrêtés, circulaires, etc., concernant les
bibliothèques publiques, communales, universitaires, scolaires et popu-
laires. — Frizon. Gatalogue des incunables de la bibliothèque publique
de Verdun, 1466-1500; fin.
4. — Revne archéologiqae. 3« série, l** année. 1883, déc. —
B. AuBé. Essai d'interprétation d'un fragment du Carmen apologeticum
de Gommodien ; suite et fin (le Néron persécuteur des chrétiens pendant
trois ans et demi ne peut être, dans la pensée de Fauteur du Carmen^
que l'empereur Yalérien ; les faits qu'il a Tair de prédire, il les raconte
en témoin oculaire. Le Carmen a donc été écrit en 260, avant même
que Gallien eût rendu la paix à rÉglise).— Garapanos. Inscr. de l'oracle
de Dodone, et pierre gravée (représentant Gésar recevant la tête de
Pompée). = 1884, janv. Mùntz. Notes sur les mosaïques chrétiennes
de ritalie ; suite : le triclinium du Latran. Gharlemagne et Léon UL
— Dr. Vercoutrb. Sur la céramique romaine de Sousse. — Bapst. L'or-
fèvrerie d'étain dans l'antiquité ; suite. = Février. Revillout. L'étalon
d'argent en Egypte. — Diehl. Découverte à Rome de la maison des
Vestales. — Lebèqcb. L'Inopus (une inscription découverte par M, Rei-
nach fixe la place du c fleuve s de Délos, qui serpente au pied de la
caverne du Gynthe). — Bapst. L'orfèvrerie d'étain dans l'antiquité. —
Al. Bertrand. L'amentum et la Gateia sur une plaque de ceinture en
bronze, du cimetière gaulois de Watsch, Garniole. — Hedzey. Un nou-
veau roi de Tello.
5. — Revne critique. 1883. N« 51. — Madvig et Ussing. T. Livii his-
toriarum romanarum libri qui supersunt. Vol. II (seconde édition des
livres 26 à 30 ; texte modifié d'après les résultats obtenus par Luchs). —
RœhrichU Testimonia minora de Quinto bello sacro (volume qui con-
tient les extraits de 246 auteurs ; plusieurs fort peu utiles pour l'histoire
de la Groisade. — M. Riant a protesté contre cette appréciation dans le
n' 13 de 1884). — Michelani et Raynaud. Itinéraires à Jérusalem et des-
cription de la terre sainte rédigés en français aux xi% xn« et xui" siècles
(contient 14 textes ou fragments fort bien publiés). = N« 52. Fontaine,
L'armée romaine (bon petit livre de vulgarisation). — Henry, Gorresp.
RBCUBILS PéaiODIQUBS. 495
inéd. de Cîondorcet etdeTurgot, 1770-79. = 1884. Zotenberg, Chron. de
Jean, év. de Nikion ; texte et trad. (cette chroD., écrite à la fin du vii« s.
de notre ère, raconte les événements accomplis depuis l'origine des
temps jusqu'à la fîn de la conquête de l'Egypte par les monuments. Texte
établi avec beaucoup de sagacité et un grand labeur). — Mommsen. Cor-
pus inscriptionum latinarum; t. IX. — Basset. Relation de Sidi Brabim
de Massât (ce texte, qui date de 1854, contient des détails curieux sur
les populations de l'Oued' Sous; traduction soignée, accompagnée
d'excellentes notes philologiques, historiques et géographiques). =N<*2.
Riess, Nochmals das Goburtsjahr Ghristi (l'auteur s'est encore une fois
trompé). — Bohn, Ueber die Heimat der Pr«torianer (bonne histoire
des Prétoriens ; la Gaule n'en fournit presque pas, parce que, pour être
prétorien, il fallait être citoyen romain, et qu'il n'y avait en Gaule,
avant 198, que quelques colonies romaines). — SeeUsnder. Graf Secken-
dorff und die Publicistik zum Frieden von Fiissen von 1745 (très soigné
et très complet). := N° 3. Hartmann. Der rœmische Kalender (très clair,
très précis; beaucoup d'hypothèses, dont quelques-unes seulement sont
admissibles). = N* 6. Beaudouin. Étude sur le Jus italtcum (la plus
complète étude qui ait paru en France sur ce sujet). — Mailly. Hist. de
l'Académie impériale et royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles.
= No 7. Deeke. Die Bleitafel von Magliano (l'auteur est convaincu que
l'inscription étrusque de cette tablette appartient au système des langues
aryennes. C'est une grosse illusion). — Pauli. Altitalische Studien
(M. Pauli croit, lui aussi, que l'étrusque est une langue indo-européenne,
qui se rapproche du groupe slave ou lithuanien. Hypothèse toute gra-
tuite). — Bugge. Ëtruskische Forschungen und Studien (très intéres-
sant et très sûr). = N* 8. Bertrand. Cours d'archéologie nationale. La
Gaule avant les Gaulois (le critique, M. d'A. de J., expose ses idées sur
les caractères dictinctifs de la race celtique et sur sa division en deux
grands groupes : celui d'Irlande et de Grande-Bretagne, et celui de
Gaule). — Schweizer-Sidler. Corn. Tacite Germania (4« édition, excel-
lente). — Schlumbergcr. Documents pour servir à l'histoire des thèmes
byzantins (décrit des sceaux en plomb d'évéques et de fonctionnaires
militaires ou civils des provinces d'Asie). — Id. Sigillographie byzan-
tine des ducs et capétans d'Antioche, des patriarches d'Antioche, des
ducs et capétans de Chypre. --R.de Maulde. Jeanne de France, duchesse
d'Orléans et de Berry (contient beaucoup d'informations précieuses sur
la fin du xv« s.). «= N« 10. Stveder, Beitra?ge zur Kritik der Chorogra-
phie des Augustus. 3* part, (l'auteur suppose l'existence d'une chroro-
graphie romaine, anonyme et officieuse, où auraient puisé Pline et
P. Mêla. Hypothèse gratuite et inutile). — Kervyn de Lettenhove. Les
Huguenots et les Gueux; t. I" (important comme recherches; écrit
dans un esprit très hostile à la Réforme). — Variétés : Lettres inédites
de Lanthenas et de Roland, 1792. = N* 11. Basset. Étude sur l'histoire
d'Ethiopie (texte et traduction d'une compilation rédigée sons le règne
^96 RECUEILS PERIODIQUES.
dlasoQ U, 1729-53, mais qui renferme des fragments d'une époque
antérieure). = N» 12. T. de Larroque, Voyage à Jérusalem du seigneur
de Montant, 1490-91. = N* 13. Dacbert, Sénèque et la mort d'Agrip-
pine (soutient que c'est Agrippine qui a voulu tuer Néron, et qui s'est
suicidée après avoir manqué son coup. Peu vraisemblable).
6. — Bnlletin critique. 1884, 15 février. — Marucchi. Descrizione
del foro romano e guida per la visita dei suoi monumenti (très bon
guide). — Gagnât. Explorations épigraphiques et archéologiques en
Tunisie (textes bien établis, dont plusieurs importants). — Nicolas,
Les budgets de la France depuis le commencement du xix« siècle
(travail consciencieux, contenant 26 tableaux budgétaires, depuis celui
de Fan IX). = 1«' mars. Variétés : Dughesne. Un nouveau père aposto-
lique (analyse un texte ecclésiastique, fort important pour la liturgie
antique et Torganisation des églises du premier âge, que vient de publier
le métropolite de Nicomédie, M. Phil. Bryenne : c'est la Màaxr\ tûv
àirooriXcdv, intitulé '. c Doctrine du seigneur par les douze apôtres, aux
nations). = 15 mars. Report of the commissioners appointed to inquire
into the constitution and working of the ecclesiastical courts (très
important; contient une histoire des cours qui, jusqu'en 1832, ont exercé
en Angleterre la juridiction ecclésiastique; une liste des procès pour
hérésie intentés en Angleterre avant 1533, etc. ; c'est l'œuvre très remar-
quable de M. Stubbs). — Vérité, Giteaux, la Trappe et Bellefontaine au
diocèse d'Angers (histoire non sans valeur du monastère de la Trappe et
Bellefontaine). = 1«'' avril. C, de La Croix. Hypogée-martyrium de Poitiers
(trav. considérable. L'auteur s'est mépris sur le caractère du monument
qu'il a découvert; ce n'est pas un tombeau de martyrs, mais simple-
ment le tombeau de Mellebaudis, abbé, pénitent du Christ; ce per-
sonnage est inconnu ; après sa mort, on y a placé dans son tombeau
d'autres sépultures. Voilà qui est certain; voici ce qui est probable :
l'inscription de Mellebaudis parle de 72 martyrs ; il faudrait entendre
par là que le fondateur de la crypte y réunit un certain nombre de
reliques fournies par les trésors des églises voisines ; ces reliques auront
été déposées dans la capsa de l'autel ; quelques-unes peut-être intro-
duites dans son tombeau ; Tinscr. peinte au-dessus de celui-ci les men-
tionnait en indiquant les jours où les saints figuraient au calendrier.
Cet article, par M. L. Duchesne, est à noter). — Jouin, Antoine Coy-
sevox (critique très sévère de cet ouvrage).
7. — Polybiblion. 1884, févr. — Comte A. de Bourmont. La biblio-
thèque de l'université de Gaen ; 1«' art. : son histoire. 2« art. en mars :
inventaire (rédigé en 1467; il comprend 343 numéros).
8. — Bulletin de correspondance hellénique. 7« année, déc. 1883.
— Dubois. Inscriptions des Sporades (texte et transcription de 16 inscr.
grecques). — Martha. Stèle avec inscriptions trouvée au lac Stymphale
(la seule des inscr. que l'on puisse aujourd'hui déchiffrer assez complè-
RBCUBILS péaiODiQues. 497
tement est un décret de proxénie en faveur d'un habitant de Tégée).
— PoTTiER et Reinach. Fouilles dans la nécropole de Myrina ; suite. —
FoNTRiER. Inscr. d'Asie-Mineure : Philadelphie et Magnésie du Méandre
(10 inscr. transcrites ; la dernière est la fin de 'l'édit d'un gouverneur
romain adressé aux habitants de Magnésie à l'occasion d'une grève des
boulangers de cette ville; il défend aux boulangers de se former en
société et leur enjoint de ne pas interrompre l'exercice de leur industrie).
— FoucART. Bas-relief du Pirée. Culte de Zeus Milichios. — Id. Note
sur l'époque de la fête des *AXb>a à Eleusis (les Haloa se célébraient à
Eleusis pendant le mois de Poséidon). =r 8« année, 1884, janv.-févr.
EuQEL. Choix de tessères grecques en plomb, tirées des collections athé-
niennes. — KouMANOUDis. Inscriptions d'Amorgos. — Dubois. Inscrip-
tions de Calymnos. — S. Reinach. Inscriptions latines de Macédoine.
— Id. Inscriptions de Maronée. — Latichbw. Nouveaux actes d'affran-
chissement à Chéronée et à Orchomène. — Homolle. Les Romains à
Délos. — FoucART. Donation de Philétœros aux muses de l'Hélicon. —
Philippuggi. Inscription archaïque de Samos.
9. — Mélanges d^archéologle et d'histoire (École française de
Rome). 3« année, 1883, fasc. 4 et 5. — P. de Nolhàg. Lettres inédites
de Paul Manuce (ajoutent des traits nouveaux à la biographie du célèbre
imprimeur). — Digard. Boniface VIII et les recteurs de Bretagne (étu-
die, d'après des bulles inédites du pape, les luttes que souleva en Bre-
tagne la perception par les recteurs du droit de tierçage, ou tiers des
biens meubles revendiqué à l'occasion des funérailles; publie 8 bulles
en appendice). — Poisnel. Recherches sur l'abolition de la Vicesima
hereditatium (en 320, Constantin avait entrepris un remaniement presque
complet de la législation qui a pour objet les testaments ; c'est alors que
fut abolie la v. h. ; c'est ce qu'indique par une allusion facile à saisir
un passage du panégyrique de C. par Nazarius. L'abolition de cet impôt
était un dégrèvement; cette perte pour le trésor fut compensée par de
nouveaux impôts qu'énumère Zozime ; ainsi le Follis ou bourse d'or,
et la Praetura ou dons de préture. La, v. h. était tempérée par deux
immunités, l'une pour les proches parents, l'autre pour les successions
pauvres ; le texte de la loi a péri ; mais on retrouve la mention de ces
immunités dans deux lois qui ont, avec la v. h,, un étroit rapport : les
lois Julia et Papia Poppaea), — P. Fabre. Étude sur un ms. du Liber
censuum de Cencius Camerarius (le ms. du Vatican 8486 est le plus
ancien exemplaire connu du Liber censuum; c'est de lui que dérivent
les deux mss. les plus anciens après lui : celui de Florence, et le
ms. 2526 du Vatican; il a dû être rédigé au plus tard dans les pre-
mières années du xiii<' s. Les biographies des papes n'ont pas été intro-
duites dans le recueil de Cencius avant le milieu du xni« s., puisque le
plus ancien ms. du Vatican ne les contient pas. Quant au désordre du
recueil, il s'explique par le mode de composition du ms. ; la différence
des écritures permet d'établir la date approximative de 1 époque où ont
498 RECUEILS PÉRIODIQUES.
été transcrits sur le ms. les cens successivement établis dans le monde
chrétien en faveur de TEglise romaine ; donne en appendice le dépouil-
lement du ms. 8486. Excellente dissertation). — Grousset. Un sarco-
phage chrétien inédit. — Grandjean. Documents relatifs à la légation
du cardinal de Prato en Toscane, mars-août 1304. — Edm. Le Blant.
Les ateliers de sculpture chez les premiers chrétiens.
10. — Archives des missions scientifiques et littéraires.
3« série, t. X. 1883. — R. de La Blanchère. Voyage d'étude dans une
partie de la Maurétanie césarienne (rauteur a parcouru surtout Mascara,
Saïda, Tagremaret, Frenda, ïiaret et les localités voisines. Il note dans
son passage les ruines antiques, romaines ou berbères qu'il y a rencon-
trées, raconte l'histoire du pays et des diverses invasions qui l'ont bou-
leversé. Publie en appendice : 1® 18 inscr. inédites qu'il a recueillies ;
2^ la description des deux nécropoles de Mecherasfa, dont l'une est de
l'époque numide et l'autre de l'époque romaine ; 3* une note sur les
ruines romaines du territoire d'Ammi Mousa. Plus un grand nombre
de cartes et de plans). — Ch. Tissot. Découverte de la Colonia Vcitana
Major, Rapport présenté à l'Institut sur la communication adressée à
l'Académie des inscriptions par le lieutenant-colonel de Puymorin;
avec une carte. — Arbois de Jubain ville. Rapport sur une mission lit-
téraire dans les îles Britanniques (à l'efifet de dresser un catalogue des
mss. irlandais et d'étudier les antiquités celtiques irlaùdaises). — Tissot.
Deuxième rapport adressé à l'Académie des inscriptions sur l'inscrip-
tion de Sidi Amor Djedidi (colonia Zamensis) avec un fac-similé de
cette inscription. — Id. 3« rapport sur une mission en Tunisie de
M. Poinssot (texte et commentaire de 8 inscr., avec une carte très
détaillée de la géographie ancienne du pays compris entre Kairouan,
Macteur, le Kef, Tebournouk et Sidi Amor Djedidi).
11. — Journal des Savants. 1884, janvier. — G. Boissieb. Les
rhéteurs gaulois du iv« s. ; fin en mars (expose très finement dans quel
esprit étaient écrits les panégyriques de ces rhéteurs chargés de faire
l'éloge de l'empereur et des magistrats, ce qu'il y a d'excessif et de faux,
et la part qu'il convient d'y faire à la sincérité et à la vérité). — Dareste.
Les anciens codes brahmaniques (expose les notions qu'ils fournissent
sur les institutions juridiques). — Hauréau. Le premier registre de
Philippe-Auguste. = Mars. Eoger. De quelques publications récentes
concernant Plutarque et ses écrits. — Hauréau. Les registres d'Inno-
cent IV. Le registre de Benoît XI (puise dans ces publications divers
documents relatifs surtout à l'histoire littéraire, au jurisconsulte Ber-
nard Dorna, aux canonistes Hugues de Hermo, Bertrano de Milan,
Jacques de Gutici, à Guillaume de Mâcon, évéque d'Amiens, le plus
intraitable ennemi des religieux mendiants, etc.). — Dumont. Catalogue
des figurines de terre cuite du musée du Louvre.
12. — Revue de l^histoire des religions. 4« année, t. VIU, n» 6.
RECUEILS Pl^RIODIQUBS. 499
nov.-déc. — Beauvois. L'Elysée transatlantique et TEden occidental;
fin : TEden occidental (on avait déjà trouvé dans les Sagas et la relation
des Zeni la preuve qu'il existait une colonie de Gaëls chrétiens sur le
littoral de la confédération canadienne du x" au xiv<* s. ; les légendes
celtiques de Baint-Brendan, de Maelduin, des fils de Ua-Gorra, de
Snedhgus et de Mac-Riaghla, quelque soit le merveilleux dont elles
s'enveloppent, ne permettent pas de douter que les Gaêls du moyen
âge sont allés jusqu'aux Antilles et ont même pénétré dans le golfe du
Mexique. Les Celtes disent avoir passé l'Atlantique pour chercher l'Ely-
sée ou TEden ; d'autre part, les riverains du golfe du Mexique affirment
qu'un peuple venu de l'Orient a traversé la même mer, s'est établi dans
leur pays, et leur a apporté la croyance en un lieu de délices, gouverné
par un vieillard comme on représente Saturne et ouvert aux héros de
leur vivant même. Cette coïncidence est des plus curieuses à constater).
— Ybrmbs. Les débuts de la nation juive ; fin : les Israélites constitués
en nation par Saiil et David.
13. — Revue générale da droit de la législation et de la Juris-
prudence en France et à Tétranger. 8* année, 1*^ livr, 1884, janv.-
févr. — EsMEiN. Note pour l'histoire des institutions primitives (signale
deux textes relatifs à la poursuite du vol. : \^ c'est, dans la Genèse,
Laban poursuivant Jacob et Rachel, qui lui a volé ses dieux domes-
tiques; 2o un passage des saturnales de Macrobe I"*^, vi, fournit un
exemple très ancien aussi de la Quaestio furti per licium et lancem ;
c'est peut-être aussi le seul exemple qu'on trouve chez les Romains du
serment purgatoire dans les delicta privata).
14. — Nouvelle revue historique de droit français et étran-
ger. 1884, janv.-févr. — Arbois de Jubainville. Le Senchus Môr (exis-
tait déjà certainement au xi« s. ; il était à cette époque un texte de
grande notoriété. Il commence par un exemple de saisie; les détails où
il entre prouvent qu'à cette époque la richesse individuelle chez les
Irlandais était exclusivement mobilière et consistait surtout en trou-
peaux, en particulier en bêtes à cornes. L'Irlande est un vaste pâturage;
point de terres cultivées en blé). — Bûche. Essai sur l'ancienne cou-
tume de Paris, aux xin« et xiv« s., !•» art. (intéressante reconstitution
de cette ancienne coutume, d'après les indications conservées dans les
textes postérieurs). — Chassaino. Ordonnance de Louis XI sanction-
nant des articles arrêtés entre les consuls et les habitants du Puy-en-
Velay pour l'administration de cette ville; de Montils-lès-Tonrs,
nov. 1469.
15. — Comité des travaux historiques et scientifiques;
section d^archéologie. Bulletin. 1884. N® 1. — Albanès. Vente du
mobilier d'Avignon Nicolaï, archevêque d'Aix, 1443. — Barbieb de
MoNTAULT. Trois sceaux ecclésiastiques des xiv* et xv« s. (sceaux de
Jean de Peyrelade, de Guillaume le Breton, d'un prieur de Sainte-
200 RECUEILS PERIODIQUES.
Radegonde de Poitiers). — René. Inventaires des églises de Psal-
mody et d'Aigues-Mortes, xv« et xvi* siècles. — Guïffrey. Note sur
la date de la mort et le testament de François Glouet, peintre du roi
(le testament est du 21 septembre 1572; Glouet est mort le lendemain).
16. — La Révolation française. 1884, 14 févr. — Golfavru. Gom-
ment la Gonstituante et la Gonvention avaient résolu la question des
incompatibilités. — Moulin. Le Courrier et le Hasard; dernier épisode
de Tinsurrection de Saint-Domingue en 1793 (rappelle comment le brick
anglais le Hasard a été enlevé à Tabordage par la corvette française le
Courrier, qui portait le brave général de Noailles ; ce simple épisode a
été singulièrement travesti). — Heywood. La maladie de Marat (Marat
était atteint, au plus haut degré, du délire de la persécution). — Penaud.
Le conventionnel Noël Pointe ; suite. — Gomment la royauté a violem-
ment poussé la nation à la désaffection : la commune de Sainte-Glaude,
de 1789 à 1791. — Gharavay. Autographes et documents révolution-
naires. — OsTYN. Le procès de Marie-Antoinette; suite. = 14 mars.
AuLARD. Les portraits littéraires au xviii® s., pendant la Révolution
(attribue à Mirabeau le portrait d7ram&a, dans la Galerie des états géné-
raux). — Advielle. Les portraits de Robespierre et de Lebon au musée
Gama valet (celui de Robespierre, par Bailly, date de 1783, celui de
Lebon, par Doncre, de 1792. Ils ont tous les titres possibles à Tauthen-
ticité). — Gharavay. Lettres de G. Desmoulins et d'A. Dillon.
17. — Revue politique et littéraire. 3« série, 4' année, 1884,
n* 2. — Ledrain. Archéologie assyrienne. Collection Sarzec; une petite
ville d'architectes et de sculpteurs, en l'an 4500 av. J.-G. (il faut admi-
rer l'assurance avec laquelle l'auteur fixe la chronologie sumérienne, et
l'imagination avec laquelle il reconstitue, au moyen de quelques monu-
ments, l'histoire primitive du peuple des Sumirs, et la part qu'ils ont
apportée à l'œuvre de la civilisation). = N- 6. Boissier. Gharles Thurot.
=: N* 10. Paul Deschanel. La société française sous Louis XVI, la
Révolution et le Gonsulat. Pauline de Montmorin, comtesse de Beau-
mont, d'après M. Bardoux. = N* 11. Boissier. Gaule romaine; rhé-
teurs gaulois du iv* s., les panégyristes. = N* 12. Barine. Un Anglais
en France, 1830-48. Le journal d'Henry Greville (Henry est le père de
Gharles Greville, dont les mémoires publiés en 1874 on eu un si grand
retentissement ; attaché à l'ambassade anglaise à Paris, il tint aussi un
« journal • qui vient d'être publié ; on n'y trouve pas de médisances,
mais quelques notes utiles en particulier sur le gouvernement de Juillet).
18. — Revue des Deux-Mondes. 1884, 15 février. — Duc de Bro-
glie. Études diplomatiques. La 1*^ lutte de Frédéric H et de Marie-
Thérèse. 3* art. : mort de Fleury. Louis XV veut gouverner par lui-
môme. 4* art. (1<*' mars). Évacuation de l'Allemagne et bataille de
Dettinguo (très intéressant). — Plaughut. Le royaume solitaire. La
Gorée et les Goréens. = 15 mars. Boissier. L'instruction publique dans
RECUEILS PERIODIQUES. 201
Tempire romain (très intéressante étude; il importe de connaître l'orga-
nisation de cet enseignement, parce que nos écoles de la renaissance
doivent beaucoup à celles du iv* s.). — Vuitry. Un chapitre de l'his-
toire de France. 2* partie : les excès de la spéculation au début du règne
de Louis XV. La Banque de Law et la compagnie des Indes. — Anto-
nin Lefèvre-Pontalis. Une restauration en 1672 : le rétablissement du
stathoudérat en Hollande (intéressant récit).
19. — La Nouvelle Revue. 1884, l" mars. — Duplessis. La vie
parisienne en 1780 (d'après le Tableau de Paris, par Mercier).
20. — Le Correspondant. 1884. 20 février. — Waliszbwski. Une
Française reine de Pologne : Marie d'Arquien-Sobieska, 2* art. et der-
nier le 25 févr. (pendant les 15 premières années du règne de son mari,
la reine participe réellement et directement aux affaires de l'État ; mais
cette influence qu'elle exerce n'est pas due, comme on le répète, à
l'amour que Jean Sobieski avait pour sa femme ; obligé d'être tou-
jours aux camps et à la tête de ses armées, il avait besoin de quelqu'un
de confiance qui le remplaçât, surtout dans ses rapports avec les puis-
sances étrangères. Sa femme lui tint lieu de premier ministre. Mais,
quand devenu vieux, incapable de diriger activement les affaires du
royaume, il eut laissé tout faire à sa femme, celle-ci se montra ce
qu'elle était en réalité : vaine et avide; elle ne s'occupa plus que de
spéculations triviales, les affaires'de l'État devinrent ce qu'elles purent).
— FoRNERON. Le Gid de l'histoire. = 10 mars. Thureau-Danoin. Études
sur la diplomatie de la monarchie de Juillet. La politique extérieure
sous le ministère du 10 octobre. Fin le 25 mars (sur la politique du duc
de Broglie ; son attitude fière et raide à l'égard des grandes puissances
continentales hostiles au gouvernement de Juillet).
21. — Le Contemporain. 1884, 15 février. — Le R. P. Ollivier.
Études hongroises : la sainte Couronne. — Abbé Sicard. L'éducation
morale et civique pendant la Révolution ; les fêtes publiques. — Lecestre.
Les pèlerinages en terre sainte au moyen âge.
22. — Revue de l'Art français. N* 1, 1884, janvier. — J.-J. G.
Date du décès de François Clouet (22 sept. 1572). — Id. Van Dyck en
France (publie une lettre de M. de Béthune Charost datée de Calais,
4 oct. 1641, et adressée à Chavigny où il lui dit que Van Dyck va se
rendre à Paris à petites journées pour être présenté au roi et au cardi-
nal. = No 2. RoNDOT. Les graveurs de la monnaie de Troyes, du xiv«
au xviii« s.
23. — Le Spectateur militaire. 4« série, t. XXIV, 1884, 15 févr.
— E. D. Lettre inédite sur Gembloux-Wavre-Paris (comme le rapport
au maréchal Gérard que nous avons analysé précédemment, cette lettre
est du général Hulot ; elle fut adressée de Donchery, 18 sept. 1819, à
un colonel, à propos de la brochure, qui venait de paraître, du mare-
202 RECUEILS PERIODIQUES.
chai Grouchy. Pour le général, c'est la bataille du 16, Ligny, qui a tout
perdu : c du moment où cette première journée n'aboutissait pas à un
coup de massue sur Tune ou sur Tautre armée ennemie, il restait peu
de chances pour le succès final »). — Dabormida. La bataille de TAs-
siette; suite. = 15 mars. £. B. Documents historiques et militaires
tirés des papiers du lieutenant général baron Etienne Hulot (publie une
lettre au lieutenant général Tholozé où il s'agit du rôle glorieux des
tirailleurs du Pô, que le général Hulot commanda, comme chef de
bataillon, de 1805 à 1807, aux avant-gardes de la grande armée; une
lettre écrite à un rédacteur des Victoires et Conquêtes; enfin un ordre
. du jour remarquable adressé par le général Hulot au bataillon de chas-
seurs à pied qu'il créa en 1839).
24. — Revue afHcalne. 1883, sept.-oct. — Féraud. Notes histo-
riques sur la province de Constantine : les Ben-Djellab, sultans de Toug-
gourt, 16' art. — Arnaud. Voyages extraordinaires et nouvelles agréables
par Mohamed Abou Ras ben Ahmed ben Abd-el-Kader En-Nasci ;
histoire de l'Afrique septent. ; 20' art. — H. de Gramont et Piessb. Les
illustres captifs ; description d'un ms. du P. Dan, 3« art.
25. — Revue de TAgenais. 11* année, livr. 1 et 2. — Andrieu. La
censure et la police des livres en France sous l'ancien régime ; une sai*
sie de livres à Agen, en 1775. — Tholin. Les archives de l'hôtel de
ville d'Agen (introduction à l'inventaire sommaire qui doit paraître pro-
chainement ; l'auteur y signale la valeur de chaque série de documents).
— T. DE Larroque. Trois lettres inédites du président de Sevin à Pey-
resc. — Lauzun. Documents inédits relatifs à l'entrée du duc d'Aiguil-
lon à Agen et à Gondom en 1751. — Le carnet d'un franc-tireur :
nov. 1870-mars 1871.
26. — Revue bourbonnaise. 1884. 15 févr., n* 2. — Miquel. La
porte Fouquet à Montluçon. = 15 mars. Grassoreille. Moulins au
XV» siècle.
27. — Revue historique et archéologique du Maine. T. XIY,
3« livr., 1883, second trimestre. — Vicomte de Bastard d'Estang. Lettre
d'un gentilhomme de l'armée du prince de Gonti sur la bataille de
Graon, le 23 mai 1592. — Triqier. La procession des Rameaux au
Mans ; fin. — Alouis. Les Goesmes, seigneurs de Lucé et de Pruillé,
l'« partie, de 1370 à 1508; suite.
28. — Société historique et archéologique du Gâtinais.
Annales. 1883, 1«' trim. — Bbéan. Pierre tumulaire trouvée à Orléans
(on y lit : L. Gorn. Magnus, curator Cenabensium, etc., non Genaben-
sium; il faut distinguer Genabo -Orléans de Genabum-Gien-le- Vieux).
— Duhamel. Note sur une découverte de monnaies à Mérobert, 8. et O.
(356 monnaies romaines en argent, allant de Garacalla à Posthume père,
211-267; la majorité appartient au règne de Gordien III). — Le Roy.
RECUEILS PERIODIQUES. 203
Topographie du Gastinois aux époques celtique et gallo-romaine, \^ par-
tie ; fin au 2* trim. = 2* trim. Boulé. Chroniques gàtinaises (publie les
notes recueillies sur leurs registres paroissiaux par les curés de La Gha-
pelle-la-Reine, 1740-91, de Fromont, 1741-77, d^Ury, 1614-1792); suite
au 3« et au 4« trim. — 3« trim. Marlet. Le cardinal de Chatillon; fin
au 4« trim. = 4e trim. Le ministre Enoch et Téglise de Montargis,
1567-68 (réédite, d'après le Bull, de l'hist. du Prot., trois pièces relatives
à ce personnage). — Pinson. La guerre d'Estampes, en 1752, par René
Hémard (épisode des guerres de la Fronde).
29. — Revue de Gascogne. 1884, mars. — Abbadib. Roger d'Espenan
et sa famillle (appelle du sévère jugement prononcé par le duc d'Aumale
contre ce capitaine gascon, qui combattit à Rocroy). — Ant. de Lantb-
NAY. Pierre Milhard, abbé de Simorre et prieur de Sainte-Dode. —
ViGNAux. Notes pour l'histoire du couvent des Ursulines de Gimont. —
Abbé Gaubin. Notice sur la paroisse de Saint-Pierre-et-Castets ; suite.
— Gomte 0. de La Hitte. Documents sur les troubles du xvi« siècle en
Gascogne ; suite en avril. = Avril. Paul Durrieu. Les Gascons en Italie :
Jourdain IV, seigneur de Tlsle-Jourdain, à la conquête de Naples (sous
Charles I»' d'Anjou. Jourdain IV mourut en 1288. Étude faite presque
entièrement d'après les registres angevins inédits). — Abbé Ducrue.
Les curés de Gazaubon au xvm» siècle. =: Bibliographie : Lahondès,
Annales de Pamiers, t. II (bon). — Webster. Simon de Montfort et le
Parlement anglais, 1248-65 (pense que S. de M., qui introduit dans le
Parlement anglais la représentation parlementaire des bourgeois, l'avait
apprise et connue d'abord en la pratiquant dans son gouvernement
de Guyenne, en suivant les anciens fueros, coutumes et libertés du
pays. — Gcs conclusions nous paraissent plus que contestables).
30. — Balletin d'histoire ecclésiastique (Romans), 4* année,
3* livr. 1884, janv.-févr. — Roman. Visites faites dans les prieurés de
l'ordre de Gluny en Dauphiné, de 1280 à 1303. — Abbé Toupin. Notice
sur le serviteur de Dieu, Jean Sérane, profès de la comp. do Jésus,
ancien vicaire de 8uze-la-Rousse, mort à Toulouse en odeur de sainteté,
1712-84. — Abbé Blaïn. 2* mémoire de M. Antoine-Amable de Ghan-
temerle, vicaire-général de Valence. — Abbé Cruvellier. Notice sur
l'église de N.-D. du Bourg, ancienne cathédrale de Digne. — Ul. Ghe-
VALiER. Mélanges : pillage et incendie du prieuré d'Eurre, 1331. Entrée
et séjour de Louis XII à Romans, juin 1511. Arrivée du duc de Bour-
bon à Romans, juillet 1511.
31. — Académie des inscriptions et belles-lettres. Séances.
1883, 28 déc. — M. Debjardins annonce que, sur Templacemput de la
ville actuelle de Macteur en Tunisie, M. Letaille a trouvé une inscr.
qui donne le nom ancien de cette ville : Golonia Aelia Aurélia Macta-
ris. = 1884, 18 janvier. M. Bertrand donne des détails sur un trésor
d'objets d'or récemment découvert en Alsace et acquis par le musée de
204 RECUEILS PERIODIQUES.
Saint-Germain ; il parait que ces pièces ont été fabriquées par les Boii,
peuple gaulois qui a donné son nom à la Bohème et à la Bavière. =
25 janv. Les fouilles exécutées à Rome dans la maison des Vestales ont
donné les noms complets des consuls de Tan 214 : L. Valerius Messala
et G. Suetonus Sabinus. On y a de plus découvert un trésor de 855 pièces
diverses et une fibule de cuivre portant le nom du pape Marinus II,
942-946 ; une des pièces est de l'empereur byzantin Théophile, 929-40.
= 15 février. M. Heuzey annonce la découverte d'un nouveau roi de
Tello ou Sirpourla; Tinscr. qui le donne parait appartenir aux plus
anciennes. = 29 janv. M. Oppert propose une traduction de cette
inscr. ; le roi en question vivait environ 3,800 ans avant notre ère. =
7 mars. M. Poinssot a copié à Lambèse et à Timgad environ 150 inscr.
inédites ; une d'entre elles donne des renseignements détaillés sur les
cadres d'une légion et la composition des cohortes. M. J. Havet en
donne la transcription complète dans la Bévue critique, 1884, n» 12. =
14 mars. M. Sénart lit une étude sur le plus ancien édit religieux du
roi bouddhiste Açoka Piyadasi. — M. Desjardins soutient contre
M. Mommsen que Tinscr. de Goptos, découverte par M. Maspero, est de
la fin du second siècle après J.-G., M. M. la croit plus ancienne, peut-
être de l'époque d'Auguste.
32. — Académie des sciences morales et politiques. Gompte-
rendu. 44« année, t. XXI, 1884, février-mars. — Geffroy. L'École fran-
çaise de Rome; ses premiers travaux; fin. — Vigier. La question de
l'alliance anglaise sous le ministère de Richelieu ; ambassade extraor-
dinaire du marquis de Senneterre à Londres, avril 1635, août 1637.
l*"^ art. — Zeller. La bataille de Bouvines ; extrait du t. V de PHistoire
d'Allemagne ; fin. — Nourrisson. Origine des idées politiques de Rous'
seau ; 3« mémoire, par M. Jules Vuy. — V. Duruy. Julien empereur.
La réaction païenne (Julien voulait restaurer doucement le passé ; les
païens profitèrent de ces bonnes dispositions du souverain pour se ven-
ger des longues humiliations que les empereurs chrétiens leur avaient
fait subir; Julien n'ordonna pas ces représailles, elles étaient inévi-
tables. Il ne faut donc point parler de persécution). — Arth. Dbsjardfns.
Le congrès de Paris, 1856, et la jurisprudence internationale (relative
au droit maritime en temps de guerre : abolition de la course, immu-
nité de la propriété ennemie sous pavillon neutre et de la propriété
neutre sous pavillon ennemi, blocus fictifs).
33. — Société nationale des Antiquaires de France. Séance du
30 janvier. — M. Gélestin Port, dans une lettre adressée à M. A. Ber-
trand, communique un titre de 1644 relatif à l'église de 8aint-Jean du
Marillais, en Anjou. L'autorité ecclésiastique y ordonne de supprimer
et de faire boucher « un trou qui est au bas de l'autel pour empêcher
la superstition qu'aucuns commettent, y faisant entrer la tôte de leurs
enfants. » M. Port rapproche cette superstition de celle relative aux
RECUEILS PERIODIQUES. 205
dolmens troués. Plusieurs membres de la Société citent à ce propos des
exemples analogues. = Séance du 6 février. M. Mowat communique à
la Société un dessin colorié de la mosaïque découverte à Nîmes. Le
sujet représente le roi Pelias assis sur un trône au-dessus d'une sorte
d'estrade; à sa droite, sa fille Alceste, debout et demi-vétue. Devant
lui, Admète amenant un char, attelé d'un lion et d'un sanglier, et récla-
mant la main d'Alceste. Dans le fond, un garde casqué à côté d'un
esclave. M. Frossard dit que sous ce titre : la mosaïque du mariage
d'Àdmette, M. G. Mavejol vient de publier, à Nimes, un mémoire très
complet sur ce sujet. La mosaïque, trouvée à 2°* 80 de profondeur sous
l'ancienne maison Mazel, en face des Halles, formait le sol d'un tabli^
num , elle a 30 pieds romains de longueur sur 20 pieds de largeur. =
Séance du 12 mars 1884. Lecture est donnée d'un mémoire de M. de
Linas sur un disque d'or trouvé à Anvers et sur ses rapports avec l'art
oriental. A ce propos, M. A. Bertrand fait remarquer qu'on n'a pas le
droit de refuser aux Gaulois de la vallée du Danube l'honneur d'objets
semblables, et que l'hypothèse d'une origine orientale n'est nullement
nécessaire. — M. l'abbé Thjbdenat annonce qu'on a découvert dans un
champ dépendant de la ferme de Martières, commune de Tremblay,
canton de Gonesse (Seine-et-Oise), un trésor composé de 600 monnaies
en or, en argent et en cuivre. Ces monnaies vont de François !«' à
Henri IV. Les pièces d'argent sont les plus nombreuses.
34. — Société historique. Bulletin. l<-« année 1883. — N» 1. Albert
SoREL. L'influence francise en Europe à la veille de la Révolution. =
N« 4. Bréal. La jeunesse de M. Hase (extraits curieux; la conférence a
été reproduite en entier dans la Revue des Deux-Mondes, 15 mars 1883).
— Callery. La jeunesse de Nicolas Goulas. (Les mémoires de N. G.
ont été publiés par extraits par la Société de l'histoire de France ; des
parties inédites, M. Callery a tiré de piquants détails en ce qu'était une
cour de prince, celle de Gaston d'Orléans, au xvii« s.) — Taine. Le pro-
gramme jacobin. = N* 5. Fr. DE Pressensé. M. Gladstone. — Le R. P. de
La Croix. Les fouilles de Sanxay. = Flammermont. Les archives des
ministères et les papiers d'Ëtat. =: N* 6. R. de Mauldb. Le mariage des
filles de Louis XI. — Colonel Jung. De la publication des documents
historiques (propose de publier les documents d'archives sur feuillets
séparés, se vendant chacun quelques centimes, et que chacun pourrait
se procurer, classer et utiliser suivant ses besoins ou ses goûts). =
N* 7. Rabany. Les Schweighœuser (détails très intéressants pour l'his-
toire des moeurs^ de l'érudition et même de la Révolution française,
dans ces biographies d'illustres hellénistes).
35. — Société de l'Histoire de Paris. Bulletin 1883. — N» 4.
J. GuiFFREY. Testament, scellé et inventaire après décès de Germain
Brice (l'auteur de la Description de Paris, décédé le 18 novembre 1727 dans
une maison de la rue du Vieux-Colombier). — Omont. Inventaire som-
^196 RECUEILS PlfRIODlQUES.
d'Iason II, 1729-53, mais qui renferme des fragments d'une époque
antérieure). = N» 12. T. de Larroque. Voyage à Jérusalem du seigneur
de Montaut, 1490-91. = N* 13. Dachert. Sénèque et la mort d'Agrip-
pine (soutient que c'est Agrippine qui a voulu tuer Néron, et qui s'est
suicidée après avoir manqué son coup. Peu vraisemblable).
6. — Bnlletin critique. 1884, 15 février. — Marucchi. Descrizione
del foro romano e guida per la visita dei suoi monu menti (très bon
guide). — Gagnât, Explorations épigraphiques et archéologiques en
Tunisie (textes bien établis, dont plusieurs importants). — Nicolas,
Les budgets de la France depuis le commencement du xix^ siècle
(travail consciencieux, contenant 26 tableaux budgétaires, depuis celui
de l'an IX). = 1«»" mars. Variétés : Dughesne. Un nouveau père aposto-
lique (analyse un texte ecclésiastique, fort important pour la liturgie
antique et Torganisation des églises du premier âge, que vient de publier
le métropolite de Nicomédîe, M. Phil. Bryenne : c'est la AiôaxT) tûv
àiro(rr6X(i)Vy intitulé : c Doctrine du seigneur par les douze apôtres, aux
nations). = 15 mars. Report of the commissioners appointed to inquire
into the constitution and working of the ecclesiastical courts (très
important ; contient une histoire des cours qui, jusqu'en 1832, ont exercé
en Angleterre la juridiction ecclésiastique; une liste des procès pour
hérésie intentés en Angleterre avant 1533, etc. ; c'est l'œuvre très remar-
quable de M. Stubbs). — Vérité, Cîteaux, la Trappe et Bellefontaine au
diocèse d'Angers (histoire non sans valeur du monastère de la Trappe et
Bellefontai ne). = 1«'" avril. C, de La Croix. Hypogée-martyrium de Poitiers
(trav. considérable. L'auteur s'est mépris sur le caractère du monument
qu'il a découvert; ce n'est pas un tombeau de martyrs, mais simple-
ment le tombeau de Mellebaudis, abbé, pénitent du Christ; ce per-
sonnage est inconnu ; après sa mort, on y a placé dans son tombeau
d'autres sépultures. Voilà qui est certain; voici ce qui est probable :
l'inscription de Mellebaudis parle de 72 martyrs ; il faudrait entendre
par là que le fondateur de la crypte y réunit un certain nombre de
reliques fournies par les trésors des églises voisines ; ces reliques auront
été déposées dans Isl capsa de l'autel; quelques-unes peut-être intro-
duites dans son tombeau ; l'inscr. peinte au-dessus de celui-ci les men-
tionnait en indiquant les jours où les saints figuraient au calendrier.
Cet article, par M. L. Duchesne, est à noter). — Jouin, Antoine Goy-
sevox (critique très sévère de cet ouvrage).
7. — Polybiblion. 1884, févr. — Comte A. de Bourmont. La biblio-
thèque de l'université de Caen ; !«' art. : son histoire. 2« art. en mars :
inventaire (rédigé en 1467; il comprend 343 numéros).
8. — Bulletin de correspondance hellénique. 7« année, déc. 1883.
— Dubois. Inscriptions des Sporades (texte et transcription de 16 inscr.
grecques). — Martha. Stèle avec inscriptions trouvée au lacStymphale
(la seule des inscr. que l'on puisse aujourd'hui déchiffrer assez complè-
RECUEILS PiIeIODIQUES. 197
temeot est un décret de proxénie en faveur d'un habitant de Tégée).
— PoTTiBB et Reinagh. Fouilles dans la nécropole de Myrina ; suite. —
FormiER. Inscr. d'Asie-Mineure : Philadelphie et Magnésie du Méandre
(10 inscr. transcrites; la dernière est la fin de Tédit d*un gouverneur
romain adressé aux habitants de Magnésie à l'occasion d'une grève des
boulangers de cette ville; il défend aux boulangers de se former en
société et leur enjoint de ne pas interrompre l'exercice de leur industrie).
— FoucART. Bas-relief du Pirée. Culte de Zeus Milichios. — Id. Note
sur l'époque de la fête des *AXb>a à Eleusis (les Haloa se célébraient à
Eleusis pendant le mois de Poséidon). = 8« année, 1884, janv.-févr.
EuGEL. Choix de tessères grecques en plomb, tirées des collections athé-
niennes. — KouMANOUDis. Inscriptions d'Amorgos. — Dubois. Inscrip-
tions de Caljrmnos. — S. Reinagh. Inscriptions latines de Macédoine.
— Id. Inscriptions de Maronée. — Latichbw. Nouveaux actes d'affran-
chissement à Chéronée et à Orchomène. — Homolle. Les Romains à
Délos. — FoucART. Donation de Philétœros aux muses de THélicon. —
Philippucci. Inscription archaïque de Samos.
9. — Mélanges d^archéologie et d'histoire (École française de
Rome). 3» année, 1883, fasc. 4 et 5. — P. de Nolhac. Lettres inédites
de Paul Manuce (ajoutent des traits nouveaux à la biographie du célèbre
imprimeur). — Diqard. Boniface VIII et les recteurs de Bretagne (étu-
die, d'après des bulles inédites du pape, les luttes que souleva en Bre-
tagne la perception par les recteurs du droit de tierçage, ou tiers des
biens meubles revendiqué à l'occasion des funérailles; publie 8 bulles
en appendice). — Poisnbl. Recherches sur l'abolition de la Vicesima
herediiatium (en 320, Constantin avait entrepris un remaniement presque
complet de la législation qui a pour objet les testaments ; c'est alors que
fut abolie la v. h, ; c'est ce qu'indique par une allusion facile à saisir
un passage du panégyrique de C. par Nazarius. L'abolition de cet impôt
était un dégrèvement; cette perte pour le trésor fut compensée par de
nouveaux impôts qu'énumère Zozime ; ainsi le Follis ou bourse d'or,
et la Praetura ou dons de préture. La v. h. était tempérée par deux
immunités, l'une pour les proches parents, l'autre pour les successions
pauvres ; le texte de la loi a péri ; mais on retrouve la mention de ces
immunités dans deux lois qui ont, avec la v. h., un étroit rapport : les
lois Julia et Papia Poppaea), — P. Fabre. Ëtude sur un ms. du Liber
censuum de Cencius Camerarius (le ms. du Vatican 8486 est le plus
ancien exemplaire connu du Liber censuum; c'est de lui que dérivent
les deux mss. les plus anciens après lui : celui de Florence, et le
ms. 2526 du Vatican ; il a dû être rédigé au plus tard dans les pre-
mières années du xiii« s. Les biographies des papes n'ont pas été intro-
duites dans le recueil de Cencius avant le milieu du xiii* s., puisque le
plus ancien ms. du Vatican ne les contient pas. Quant au désordre du
recueil, il s'explique par le mode de composition du ms. ; la diiïérenco
des écritures permet d'établir la date approximative de l'époque où ont
498 RECUEILS PÉRIODIQUES.
été transcrits sur le ms. les cens successivement établis dans le monde
chrétien en faveur de l'EgUse romaine ; donne en appendice le dépouil-
lement du ms. 8486. Excellente dissertation). — Grousset. Un sarco-
phage chrétien inédit. — Grandjean. Documents relatifs à la légation
du cardinal de Prato en Toscane, mars-août 1304. — Edm. Le Blant.
Les ateliers de sculpture chez les premiers chrétiens.
10. — Archives des missions scientifiques et littéraires.
3« série, t. X. 1883. — R. de La Blanchèbe. Voyage d'étude dans une
partie de la Maurétanie césarienne (l'auteur a parcouru surtout Mascara,
Saïda, Tagremaret, Frenda, Tiaret et les localités voisines. Il note dans
son passage les ruines antiques, romaines ou berbères qu'il y a rencon-
trées, raconte l'histoire du pays et des diverses invasions qui l'ont bou-
leversé. Publie en appendice : 1» 18 inscr. inédites qu'il a recueillies ;
2<' la description des deux nécropoles de Mecherasfa, dont l'une est de
l'époque numide et l'autre de l'époque romaine ; 3* une note sur les
ruines romaines du territoire d*Ammi Mousa. Plus un grand nombre
de cartes et de plans). — Ch. Tissot. Découverte de la Colonia Vcitana
Major, Rapport présenté à l'Institut sur la communication adressée à
l'Académie des inscriptions par le lieutenant-colonel de Puymorin;
avec une carte. — Arbois de Jubain ville. Rapport sur une mission lit-
téraire dans les îles Britanniques (à l'effet de dresser un catalogue des
mss. irlandais et d'étudier les antiquités celtiques irlandaises). — Tissot.
Deuxième rapport adressé à l'Académie des inscriptions sur l'inscrip-
tion de Sidi Amor Djedidi (colonia Zamensis) avec un fac-similé de
cette inscription. — Id. 3° rapport sur une mission en Tunisie de
M. Poinssot (texte et commentaire de 8 inscr., avec une carte très
détaillée de la géographie ancienne du pays compris entre Kairouan,
Macteur, le Kef, Teboumouk et Sidi Amor Djedidi).
11. — Journal des Savants. 1884, janvier. — G. Boissier. Les
rhéteurs gaulois du iv** s. ; fin en mars (expose très finement dans quel
esprit étaient écrits les panégyriques de ces rhéteurs chargés de faire
l'éloge de l'empereur et des magistrats, ce qu'il y a d'excessif et de faux,
et la part qu'il convient d'y faire à la sincérité et à la vérité). — Dareste,
Les anciens codes brahmaniques (expose les notions qu'ils fournissent
sur les institutions juridiques). — Hauréau. Le premier registre de
Philippe- Auguste. = Mars. Egoer. De quelques publications récentes
concernant Plutarque et ses écrits. — Hauréau. Les registres d'Inno-
cent IV. Le registre de Benoit XI (puise dans ces publications divers
documents relatifs surtout à l'histoire littéraire, au jurisconsulte Ber-
nard Dorna, aux canonistes Hugues de Hermo, Bertrano de Milan,
Jacques de Cutici, à Guillaume de Mâcon, évêque d'Amiens, le plus
intraitable ennemi des religieux mendiants, etc.). — Dumont. Catalogue
des figurines de terre cuite du musée du Louvre.
12. -» Revue de Thistoire des religions. 4« année, t. VIU, n*» 6.
RECUEILS PI^RTODIQUES. 499
nov.-déc. — Beauvois. L'Elysée transatlantiqne et TEden occidental;
fin : l'Eden occidental (on avait déjà trouvé dans les Sagas et la relation
des Zeni la preuve qu'il existait une colonie de Gaêls chrétiens sur le
littoral de la confédération canadienne du x« au xiv« s. ; les légendes
celtiques de Saint-Brendan, de Maelduin, des fils de Ua-Cîorra, de
Snedhgus et de Mac-Riaghla, quelque soit le merveilleux dont elles
s'enveloppent, ne permettent pas de douter que les Gaëls du moyen
âge sont allés jusqu'aux Antilles et ont même pénétré dans le golfe du
Mexique. Les Celtes disent avoir passé l'Atlantique pour chercher l'Ely-
sée ou TEden ; d'autre part, les riverains du golfe du Mexique affirment
qu un peuple venu de l'Orient a traversé la même mer, s'est établi dans
leur pays, et leur a apporté la croyance en un lieu de délices, gouverné
par un vieillard comme on représente Saturne et ouvert aux héros de
leur vivant même. Cette coïncidence est des plus curieuses à constater).
— Verkbs. Les débuts de la nation juive ; fin : les Israélites constitués
en nation par Saûl et David.
13. — Revae générale da droit de la législation et de la Juris-
prudence en France et & l'étranger. 8« année, i^« livr, 1884, janv.-
févr. — EsMEW. Note pour l'histoire des institutions primitives (signale
deux textes relatifs à la poursuite du vol. : 1® c'est, dans la Genèse,
Laban poursuivant Jacob et Rachel, qui lui a volé ses dieux domes-
tiques; 2» un passage des saturnales de Macrobe I«', vi, fournit un
exemple très ancien aussi de la Quaestio furti per licium et lancem ;
c'est peut-être aussi le seul exemple qu'on trouve chez les Romains du
serment purgatoire dans les delicta privata).
14. — Nouvelle revue historique de droit français et étran-
ger. 1884, janv.-févr. — Arbois de Jubainville. Le Senchus Môr (exis-
tait déjà certainement au xi« s. ; il était à cette époque un texte de
grande notoriété. Il commence par un exemple de saisie; les détails où
il entre prouvent qu'à cette époque la richesse individuelle chez les
Irlandais était exclusivement mobilière et consistait surtout en trou-
peaux, en particulier en bêtes à cornes. L'Irlande est un vaste pâturage;
point de terres cultivées en blé). — Bûche. Essai sur l'ancienne cou-
tume de Paris, aux xin« et xiv« s., 1«' art. (intéressante reconstitution
de cette ancienne coutume, d'après les indications conservées dans les
textes postérieurs). — Chassaing. Ordonnance de Louis XI sanction-
nant des articles arrêtés entre les consuls et les habitants du Puy-en-
Velay pour Tadministration de cette ville; de Montils-lès-Tours,
nov. 1469.
15. — Comité des travaux historiques et scientifiques;
section d^archéologie. Bulletin. 1884. N» 1. — Albanès. Vente du
mobilier d'Avignon Nicolaï, archevêque d'Aix, 1443. — Barbier de
MoNTAULT. Trois sceaux ecclésiastiques des xiv« et xv« s. (sceaux de
Jean de Peyrelade, de Guillaume le Breton, d'un prieur do Sainte-
200 RECUBaS PERIODIQUES.
Radegonde de Poitiers). — René. Inventaires des églises de Psal-
mody et d*Aigues-Mortes, xv« et xvi« siècles. — Guiffrey. Note sur
la date de la mort et le testament de François Glouet, peintre du roi
(le testament est du 21 septembre 1572; Glouet est mort le lendemain).
16. — LaRévolation française. 1884, 14 févr. — Golfavru. Gom-
ment la Constituante et la Convention avaient résolu la question des
incompatibilités. — Moulin. Le Courrier et le Hasard; dernier épisode
de insurrection de Saint-Domingue en 1793 (rappelle comment le brick
anglais le Hasard a été enlevé à Tabordage par la corvette française le
Courrier, qui portait le brave général de Noailles ; ce simple épisode a
été singulièrement travesti). — Heywood. La maladie de Marat (Marat
était atteint, au plus haut degré, du délire de la persécution). — Penaud.
Le conventionnel Noël Pointe ; suite. — Comment la royauté a violem-
ment poussé la nation à la désaffection : la commune de Sainte-Claude,
de 1789 à 1791. — Charavay. Autographes et documents révolution-
naires. — OsTYN. Le procès de Marie-Antoinette; suite. = 14 mars.
AuLARD. Les portraits littéraires au xviu^ s., pendant la Révolution
(attribue à Mirabeau le portrait d7ram6a, dans la Galerie des états géné-
raux). — Advielle. Les portraits de Robespierre et de Lebon au musée
Carnavalet (celui de Robespierre, par Bailly, date de 1783, celui de
Lebon, par Doncre, de 1792. Ils ont tous les titres possibles à l'authen-
ticité). — Charavay. Lettres de G. Desmoulins et d'A. Dillon.
17. — Revue politiqae et littéraire. 3« série, 4' année, 1884,
n« 2. — Ledrain. Archéologie assyrienne. Collection Sarzec; une petite
ville d'architectes et de sculpteurs, en l'an 4500 av. J.-C. (il faut admi-
rer l'assurance avec laquelle l'auteur fixe la chronologie sumérienne, et
l'imagination avec laquelle il reconstitue, au moyen de quelques monu-
ments, l'histoire primitive du peuple des Sumirs, et la part qu'ils ont
apportée à l'œuvre de la civilisation). = N* 6. Boissier. Charles Thurot.
= N' 10. Paul Deschanel. La société française sous Louis XVI, la
« 7
Révolution et le Consulat. Pauline de Montmorin, comtesse de Beau-
mont, d'après M. Bardoux. == N* 11. Boissier. Gaule romaine; rhé-
teurs gaulois du iv* s., les panégyristes. = N* 12. Barine. Un Anglais
en France, 1830-48. Le journal d'Henry Greville (Henry est le père de
Charles Greville, dont les mémoires publiés en 1874 on eu un si grand
retentissement ; attaché à l'ambassade anglaise à Paris, il tint aussi un
0 journal • qui vient d'être publié ; on n'y trouve pas de médisances,
mais quelques notes utiles en particulier sur le gouvernement de Juillet).
18. — Revue des Deux-Mondes. 1884, 15 février. — Duc de Bro-
OLiE. Études diplomatiques. La i^ lutte de Frédéric H et de Marie-
Thérèse. 3* art. : mort de Fleury. Louis XV veut gouverner par lui-
môme. 4* art. (!•' mars). Évacuation de l'Allemagne et bataille de
Dettingue (très intéressant). — Plaughut. Le royaume solitaire. La
Corée et les Coréens. = 15 mars. Boissier. L'instruction publique dans
RECUEILS PERIODIQUES. 201
l'empire romain (très intéressante étude ; il importe de connaître Torga-
nisation de cet enseignement, parce que nos écoles de la renaissance
doivent beaucoup à celles du iv« s.). — Vuitry. Un chapitre de l'his-
toire de Franco. 2* partie : les excès de la spéculation au début du règne
de Louis XV. La Banque de Law et la compagnie des Indes. — Anto-
nin Lefèvre-Pontalis. Une restauration en 1672 : le rétablissement du
stathoudérat en Hollande (intéressant récit).
19. — La Nouvelle Revue. 1884, l*' mars. — Duplessis. La vie
parisienne en 1780 (d'après le Tableau de Paris, par Mercier).
20. — Le Gorrespondaut. 1884. 20 février. — Waliszewski. Une
Française reine de Pologne : Marie d'Arquien-Sobieska, 2* art. et der-
nier le 25 févr. (pendant les 15 premières années du règne de son mari,
la reine participe réellement et directement aux affaires de l'État; mais
cette influence qu'elle exerce n'est pas due, comme on le répète, à
Tamour que Jean Sobieski avait pour sa femme; obligé d'être tou-
jours aux camps et à la tète de ses armées, il avait besoin de quelqu'un
de confiance qui le remplaçât, surtout dans ses rapports avec les puis-
sances étrangères. Sa femme lui tint lieu de premier ministre. Mais,
quand devenu vieux, incapable de diriger activement les affaires du
royaume, il eut laissé tout faire à sa femme, celle-ci se montra ce
qu'elle était en réalité : vaine et avide; elle ne s'occupa plus que do
spéculations triviales, les affaires'de l'État devinrent ce qu'elles purent).
— FoRNERON. I-iC Cid de l'histoire. = 10 mars. Thureau-Danoin. Études
sur la diplomatie de la monarchie de Juillet. La politique extérieur
sous le ministère du 10 octobre. Fin le 25 mars (sur la politique du duc
de Broglie ; son attitude fière et raide à l'égard des grandes puissances
continentales hostiles au gouvernement de Juillet).
21. — Le Contemporain. 1884, 15 février. — Le R. P. Ollivier.
Études hongroises : la sainte Couronne. — Abbé Sicard. L'éducation
morale et civique pendant la Révolution ; les fêtes publiques. — Lecestrk.
Les pèlerinages en terre sainte au moyen âge.
22. — Revue de l'Art français. N* 1, 1884, janvier. — J.-J. (i.
Date du décès de François Clouet (22 sept. 1572). — Id. Van Dyck en
France (publie une lettre de M. de Béthune Charost datée de Calais,
4 oct. 1641, et adressée à Chavigny où il lui dit que Van Dyck va se
rendre à Paris à petites journées pour être présenté au roi et au cardi-
nal. = N« 2. RoNDOT. Les graveurs de la monnaie de Troyes, du xin**
au xviii« s.
23. — Le Spectateur militaire. 4« série, t. XXIV, 1884, 15 févr.
— E. B. Lettre inédite sur Gembloux-Wavre-Paris (comme le rapport
au man^chal Gérard que nous avons analysé précédemment, cette lettre
est du général Hulot; elle fut adressée de Donchery, 18 sept. 1819, à
un colonel, à propos de la brochure, qui venait de paraître, du mare-
202 RBGUBIL8 PlffilODIQUES.
chai Grouchy. Pour le général, c'est la bataille du 16, Ligny, qui atout
perdu : c du moment où cette première journée n'aboutissait pas à un
coup de massue sur Tune ou sur l'autre armée ennemie, il restait peu
de chances pour le succès final »). — Dabormida. La bataille de l'As-
siette; suite. = 15 mars. E. B. Documents historiques et militaires
tirés des papiers du lieutenant général baron Etienne Hulot (publie une
lettre au lieutenant général Tholozé où il s'agit du rôle glorieux des
tirailleurs du Pô, que le général Hulot commanda, comme chef de
bataillon, de 1805 à 1807, aux avant-gardes de la grande armée; une
lettre écrite à un rédacteur des Victoires et Conquêtes; enfin un ordre
. du jour remarquable adressé par le général Hulot au bataillon de chas-
seurs à pied qu'il créa en 1839).
24. — Revue afHcaine. 1883, sept.-oct. — Féraud. Notes histo-
riques sur la province de Ck)nstantine : les Ben-Djellab, sultans de Toug-
gourt, 16* art. — Arnaud. Voyages extraordinaires et nouvelles agréables
par Mohamed Abou Ras ben Ahmed ben Abd-el-Kader En-Nasci ;
histoire de l'Afrique septent. ; 20* art. — H. de Gramont et Piesse. Les
illustres captifs ; description d'un ms. du P. Dan, 2^ art.
25. ^ Revue de TAgenais. 11* année, livr. 1 et 2. — Andribu. La
censure et la police des livres en France sous l'ancien régime ; une sai-
sie de livres à Agen, en 1775. — Tholin. Les archives de l'hôtel de
ville d'Agen (introduction à l'inventaire sommaire qui doit paraître pro-
chainement ; l'auteur y signale la valeur de chaque série de documents).
— T. DE Larroque. Trois lettres inédites du président de Sevin à Pey-
resc. — Lauzun. Documents inédits relatifs à l'entrée du duc d'Aiguil-
lon à Agen et à Gondom en 1751. — Le carnet d'un franc-tireur :
nov. 1870-mars 1871.
26. — Revue bourbonnaise. 1884. 15 févr., n* 2. — Miquel. La
porte Fouquet à Montluçon. = 15 mars. Grassoreille. Moulins au
XV* siècle.
27. — Revue historique et archéologique du Maine. T. XIV,
3« livr., 1883, second trimestre. — Vicomte de Bastard d'Estang. Lettre
d'un gentilhomme de l'armée du prince de Gonti sur la bataille de
Graon, le 23 mai 1592. — Trigier. La procession des Rameaux au
Mans ; fin. — Alouis. Les Goesmes, seigneurs de Lucé et de Pruillé,
!'• partie, de 1370 à 1508; suite.
28. — Société historique et archéologique du Gàtinais.
Annales. 1883, 1«' trim. — Bréan. Pierre tumulaire trouvée à Orléans
(on y lit : L. Gorn. Magnus, curator Cenabensium, etc., non Genaben-
sium; il faut distinguer Genabo- Orléans de Genabum-Gion-le- Vieux).
— Duhamel. Note sur une découverte de monnaies à Mérobert, 8. et 0.
(356 monnaies romaines en argent, allant de Garacalla à Posthume père,
211-267; la majorité appartient au règne de Gordien III). — Le Roy.
RECUEILS PlfRIODIQUES. 203
Topographie du Gastinoîs aux époques celtique et gallo-romaino, l'* par-
tie; fin au 2* trim. = 2* trim. Boulé. Chroniques gàtinaises (publie les
notes recueillies sur leurs registres paroissiaux par les curés do La Cha-
peile-la-Reine, 1740-91, de Fromont, 1741-77, d'Ury, 1614-1792); suite
au 3« et au 4« trim. — 3« trim. Marlet. Le cardinal de Ghatillon ; fin
au 4« trim. = 4® trim. Le ministre Enoch et Téglise de Montargis,
1567-68 (réédite, d'après le Bull, de l'hist. du Prot., trois pièces relatives
à ce personnage). ■— Pinson. La guerre d'Estampes, en 1752, par René
Hémard (épisode des guerres de la Fronde).
29. — Revae de Gascogne. 1884, mars. — âbbadie. Roger d'Espenan
et sa famillle (appelle du sévère jugement prononcé par le duc d'Aumale
contre ce capitaine gascon, qui combattit à Rocroy). — Ant. de Lantb-
NAY. Pierre Milhard, abbé de Simorre et prieur de Sainte-Dode. —
ViGNAux. Notes pour l'histoire du couvent des Ursulines do Gimont. —
Abbé Gacbin. Notice sur la paroisse de Saint-Pierre-et-Castets ; suite.
— Comte 0. DE La Hitte. Documents sur les troubles du xvi» siècle en
Gascogne ; suite en avril. = Avril. Paul Durrieu. Les Gascons en Italie :
Jourdain IV, seigneur de l'Isle-Jourdain, à la conquête de Naples (sous
Charles I«' d'Anjou. Jourdain IV mourut en 1288. Étude faite presque
entièrement d'après les registres angevins inédits). — Abbé Ducrue.
Les curés de Cazaubon au xviii« siècle. = Bibliographie : Lahondès.
Annales de Pamiers, t. II (bon). — Webster. Simon de Montfort et le
Parlement anglais, 1248-65 (pense que S. de M., qui introduit dans le
Parlement anglais la représentation parlementaire des bourgeois, l'avait
apprise et connue d'abord en la pratiquant dans son gouvernement
de Guyenne, en suivant les anciens fueros, coutumes et libertés du
pays. — Ces conclusions nous paraissent plus que contestables).
30. — Balletin d'histoire ecclésiastiqae (Romans), 4* année,
3* livr. 1884, janv.-févr. — Roman. Visites faites dans les prieurés de
l'ordre de Cluny en Dauphiné, de 1280 à 1303. — Abbé Toupin. Notice
sur le serviteur de Dieu, Jean Sérane, profès de la comp. do Jésus,
ancien vicaire de Suze-la-Rousse, mort à Toulouse en odeur de sainteté,
1712-84. — Abbé Blaïn. 2* mémoire de M. Antoine-Amable de Chan-
temerle, vicaire-général de Valence. — Abbé Cruvellier. Notice sur
l'église de N.-D. du Bourg, ancienne cathédrale de Digne. — Ul. Che-
valier. Mélanges : pillage et incendie du prieuré d'Eurre, 1331. Entrée
et séjour de Louis X.II à Romans, juin 1511. Arrivée du duc de Bour-
bon à Romans, juillet 1511.
31. — Académie des inscriptions et belles-lettres. Séances.
1883, 28 déc. — M. Desjardins annonce que, sur remplacement de la
ville actuelle de Macteur en Tunisie, M. Letaille a trouvé une inscr.
qui donne le nom ancien de cette ville : Colonia Aelia Aurélia Macta-
ris. = 1884, 18 janvier. M. Bertrand donne des détails sur un trésor
d'objets d'or récemment découvert en Alsace et acquis par le musée de
204 RECUEILS PERIODIQUES.
Saint-Germain ; il parait que ces pièces ont été fabriquées par les Boii,
peuple gaulois qui a donné son nom à la Bohème et à la Bavière. =:
25 janv. Les fouilles exécutées à Rome dans la maison des Vestales ont
donné les noms complets des consuls de Tan 214 : L. Valerius Messala
et G. Suetonus Sabinus. On y a de plus découvert un trésor de 855 pièces
diverses et une fibule de cuivre portant le nom du pape Marinus II,
942-946 ; une des pièces est de l'empereur byzantin Théophile, 929-40.
= 15 février. M. Heuzey annonce la découverte d'un nouveau roi de
Tello ou Sirpourla; Tinscr. qui le donne parait appartenir aux plus
anciennes. = 29 janv. M. Oppert propose une traduction de cette
inscr. ; le roi en question vivait environ 3,800 ans avant notre ère. ^
7 mars. M. Poinssot a copié à Lambèse et à Timgad environ 150 inscr.
inédites ; une d'entre elles donne des renseignements détaillés sur les
cadres d'une légion et la composition des cohortes. M. J. Havet en
donne la transcription complète dans la Revue critique, 1884, n« 12. =
14 mars. M. Sénart lit une étude sur le plus ancien édit religieux du
roi bouddhiste Açoka Piyadasi. — M. Desjardins soutient contre
M. Mommsen que Tinscr. de Goptos, découverte par M. Maspero, est de
la fin du second siècle après J.-G., M. M. la croit plus ancienne, peut-
être de l'époque d'Auguste.
32. — Académie des sciences morales et politiques. Compte-
rendu. 44« année, t. XXI, 1884, février-mars. — Geffroy. L'École fran-
çaise de Rome; ses premiers travaux; fin. — Vigier. La question de
l'alliance anglaise sous le ministère de Richelieu ; ambassade extraor-
dinaire du marquis de Senneterre à Londres, avril 1635, août 1637.
i«' art. — Zeller. La bataille de Bouvines ; extrait du t. V de l'Histoire
d'Allemagne ; fin. — Nourrisson. Origine des idées politiques de Rous"
seau ; 3« mémoire, par M. Jules Vuy. — V. Duruy. Julien empereur.
La réaction païenne (Julien voulait restaurer doucement le passé; les
païens profitèrent de ces bonnes dispositions du souverain pour se ven-
ger des longues humiliations que les empereurs chrétiens leur avaient
fait subir; Julien n'ordonna pas ces représailles, elles étaient inévi-
tables. Il ne faut donc point parler de persécution). — Arth. DESjARorNs.
Le congrès de Paris, 1856, et la jurisprudence internationale (relative
au droit maritime en temps de guerre : abolition do la course, immu-
nité de la propriété ennemie sous pavillon neutre et de la propriété
neutre sous pavillon ennemi, blocus fictifs).
33. — Société nationale des Antiquaires de France. Séance du
30 janvier. — M. Célestin Port, dans une lettre adressée à M. A. Ber-
trand, communique un titre de 1644 relatif à l'église de Saint-Jean du
Marillais, en Anjou. L'autorité ecclésiastique y ordonne de supprimer
et de faire boucher « un trou qui est au bas de l'autel pour empêcher
la superstition qu'aucuns commettent, y faisant entrer la tête de leurs
enfants. » M. Port rapproche cette superstition de celle relative aux
RECUEILS PiRIODIQUBS. 205
dolmens troués. Plusieurs membres de la Société citent à ce propos dos
exemples analogues. = Séance du 6 février. M. Mowat communique à
la Société un dessin colorié de la mosaïque découverte à Nîmes. Le
sujet représente le roi Pelias assis sur un trône au-dessus d*une sorte
d'estrade; à sa droite, sa fille Alceste, debout et demi-vôtue. Devant
lui, Admète amenant un char, attelé d'un lion et d'un sanglier, et récla-
mant la main d'Âlceste. Dans le fond, un garde casqué à côté d'un
esclave. M. Frossard dit que sous ce titre : la mosaïque du mariage
d'Admette, M. G. Mavejol vient de publier, à Nîmes, un mémoire très
complet sur ce sujet. La mosaïque, trouvée à 2<" 80 de profondeur sous
l'ancienne maison Mazel, en face des Halles, formait le sol d'un tabli"
num, elle a 30 pieds romains de longueur sur 20 pieds de largeur. =
Séance du 12 mars 1884. Lecture est donnée d'un mémoire de M. do
Linas sur un disque d'or trouvé à Anvers et sur ses rapports avec l'art
oriental. A ce propos, M. A. Bertrand fait remarquer qu'on n'a pas le
droit de refuser aux Gaulois de la vallée du Danube l'honneur d'objets
semblables, et que l'hypothèse d'une origine orientale n'est nullement
nécessaire. — M. l'abbé Thédenat annonce qu'on a découvert dans un
champ dépendant de la ferme de Martières, commune de Tremblay,
canton de Gonesse (Seine-et-Oise), un trésor composé de 600 monnaies
en or, en argent et en cuivre. Ces monnaies vont de François l*' à
Henri IV. Les pièces d'argent sont les plus nombreuses.
34. — Société historique. Bulletin. \^^ année 1883. —N» i. Albert
SoREL. L'influence fran^^aise en Europe à la veille de la Hévolution. =
N« 4. Brëal. La jeunesse de M. Hase (extraits curieux; la conférence a
été reproduite en entier dans la Revue des Deux- Mondes, 15 mars 1883).
— Callery. La jeunesse de Nicolas Goulas. (Les mémoires de N. G.
ont été publiés par extraits par la Société de l'histoire de France ; des
parties inédites, M. Callery a tiré de piquants détails en ce qu'était une
cour de prince, celle de Gaston d'Orléans, au xvii« s.) — Taine. Le pro-
gramme jacobin. = N' 5. Fr. de Pressensé. M. Gladstone. — Le R. P. de
La Croix. Les fouilles de Sanxay. = Flammermont. Les archives des
ministères et les papiers d'État. = N* 6. R. de Mauldb. Le mariage des
filles de Louis XI. — Colonel Jung. De la publication des documents
historiques (propose de publier les documents d'archives sur feuillets
séparés, se vendant chacun quelques centimes, et que chacun pourrait
se procurer, classer et utiliser suivant ses besoins ou ses goûts). =
N* 7. Rabany. Les Schwcighœuser (détails très intéressants pour l'his-
toire des moeurs^ de l'érudition et môme de la Révolution française,
dans ces biographies d'illustres hellénistes).
35. — Société de THlstoire de Paris. Bulletin 1883. — N» 4.
J. GuiFFREY. Testament, scellé et inventaire après décès de Germain
Brice (l'auteur de la Description de Paris, décédé le 18 novembre 1727 dans
une maison de la rue du Vieux-Colombier). — Omont. Inventaire som*
206 RECUEILS PERIODIQUES.
maire des mss. grecs conservés dans les bibliothèques publiques de Paris
autres que la Bibl. nat. = N* 5. Le Calendrier des loisirs ou les amu-
semens économiques de Paris et des environs. Étrennes agréables, 1776.
— Omont. Une lettre inédite de saint Vincent de Paul, 19 août 1642. —
A. DE M. Le grand hiver de 1481 à Paris (extrait d'une chronique lyon-
naise de Benoit Maillard, grand prieur de l'abbaye de Savigny, qui
s'étend de 1460 à 1506). — Julien Havet. Les Esglizes de Paris (texte
du xvi« s.). = Stein. Inventaire du mobilier de maître Guillaume
As Feives, 1302. — Delachenal. Notes pour servir à la biographie de
Guillaume du Breuil (suspendu de 1330 à 1332, c'est pendant ces loisirs
forcés qu'il composa le Stylus Parlamenti, Après sa mort, il fut absous
de tous les crimes pour lesquels il avait été poursuivi par le procureur
du roi et par l'offîcial de Paris). — Omont. Visite de Peiresc à la
Bibliothèque du roi et à celle de Saint-Germain-des-Prés, 1612 et 1617
(notes sur quelques mss.).
36. — Société de THistoire de France. Annuaire-Bulletin.
Année 1883. Seconde partie : documents et notices historiques. —
Valois. Fragment d'un registre du ^Grand Conseil de Charles VII,
mars-juin 1455; fin. — Aug. Molinier. Fragments inédits de la chro-
nique de Jean de Noyai, abbé de 8aint-Vincent-de-Laon au xiv s. (ren-
seignements intéressants sur certains épisodes de la guerre de Cent
ans, notamment sur les combats dont les pays voisins de Laon furent
le théâtre de 1340 à 1380; beaucoup de détails curieux sur les dix der-
nières années du règne de Charles V). — A. de Boislisle. Notice bio-
graphique et historique sur Etienne de Vesc, sénéchal de Beaucaire ;
6« et dernier art. — Id. Rocroy et Nordlingen (publie : 1* une dépêche
de la reine au duc d'Enghien sur le gain de la bataille de Rocroy,
22 mai 1643; 2' une dépêche du roi au même à propos de celle de Nord-
lingue, août 1645).
37. — Société archéologique de Tarn-et-Garonne. — Mila de
Cabarieu. Un épisode de la domination anglaise en Guyenne : somma-
tion d'évacuer la Guyenne faite au nom de Philippe le Bel par les abbés
de Belleperche et de Grandselve au lieutenant du roi d'Angleterre, 1293
(il est fâcheux que l'on ne donne pas ici le texte complet de cette pièce
et que les fragments publiés ne le soient pas avec plus d'exactitude).
38. — Société de Thistoire da protestantisme français. Bul-
letin 1884, févr. — Gaufrés. Imbert Pécolet (sur l'enseignement aux pre-
miers temps de la Réforme). — Acte de Société de deux libraires du
Béarn, 1580. — Lettre de M. Hamelot à un jeune proposant, écolier à
Saumur, 1683. Relation de la mort de Pierre Durand, 24 avril 1732. —
Ode de M. de Chandieu sur les misères des églises françaises qui ont
esté par si longtemps persécutées. = Mars. J. Bonnet. L*église réformée
de la Calmette ; pages d'histoire locale. — Guérin. Poursuites contre les
réformés d'Alençon, 1533-34. — Puaux. Thomas d'Estorbiac; lettre et
RECUEILS PERIODIQUES. 207
requôte d*an magistrat huguenot au xvu« s. — Lblièvre. La Réforme à
Jersey.
89. — Société des Anciens Textes français. Bulletin 1883. —
N* 2. P. M. Inventaire d'une bibliothèque française de la seconde moitié
du xv« s. (tous livres en langue vulgaire : un ou deux livres d'histoire
égarés au milieu de mss. appartenant à la littérature mondaine et reli-
gieuse. C'est par inadvertance que Tauteur de cette note a parlé de c la
lutte entre Charles de Blois et Simon de Montfort. i)
40. — Société des Antiquaires de TOnest. Bulletin, 1883,
4« trimestre. — Colonel Babinet. Etude de la bataille de Poitiers-Mau-
pertuis ; suite (réunit un grand nombre de récits d*auteurs contempo-
rains ou autres ; avec une carte).
41. — Messager des sciences historiqnes de Belgique. 1884,
1" liv. — Baron Jean B. de V. L ancien couvent des Carmes déchaussés
à Gand. — V*« de Grouchy et G*« de Marsy. Un administrateur au
temps de Louis XIV; suite. — Helbiq. Notice sur Gilles Périander, de
Bruxelles, poète latin du xvi« siècle. — Procès du duc de Wellington
contre l'imprimeur De Busscher.
42. — Historische Zeitschrift. N. F. Bd. XV. Heft 3.— Wohlwill.
La France et l'Allemagne du Nord de 1795 à 1800 (montre, d'après les
documents très bien publiés par M. Bailleu et par d'autres actes, com-
ment fut menacée la neutralité de l'Allemagne du Nord et comment la
Prusse réussit à la garantir). — Langen. Roger Bacon (origine et valeur
de ses conceptions scientifiques. Discours d'apparat plutôt que travail
d'érudition). — Hertzberg. Les palais impériaux de Constantinople. —
Fbuerlein. Les premiers pas de la renaissance philosophique en Europe.
= Bibliographie. Marquardt. Das Privatleben der ROmer (édition con-
sidérablement remaniée et mise au courant). — Bestmann. Geschichte
der christlichen Sitte (fait sans méthode). — Ross. The early history of
landholding among the Germans (connaît très bien les textes, les tra-
vaux publiés sur le sujet; mais interprète mal Tacite et ne réussit pas à
prouver sa thèse que 1 ancienne Germanie connaissait à l'origine seule-
ment la grande propriété foncière possédée par des seigneurs et cultivée
par des esclaves ou des hommes libres). — Zeumer. Formulae mero-
wingici et karolini aevi. — Kugler, Neue Analekten zur Geschichte des
zweiten Kreuzzuges (i* saint Bernard et la seconde croisade; contre
Neumann; croit que la circulaire d'Eugène III pour la croisade est du
!«>' mars 1146; que celle de saint Bernard aux gens de Spire a été
composée peu avant la Diète tenue en novembre 1146; 2* Cinnamus et
la politique de l'empereur Manuel; contre Kap-Herr; estime que le
récit de Cinnamus mérite toute créance; 3* critique le récit de la croi-
sade par Bernhardi dans son Conrad III). — Fischer. Die Theilnahmc
208 RECUEILS PÉRIODIQUES.
der Reichsstœdte an der Reichsheerfahrt, 1254-1376 (excellent). — Geiger.
Renaissance und Humanismus in Italien und Deutschland (ouvrage de
valeur. Une note de la rédaction prend soin de nous avertir que l'ou-
vrage a été jugé bien moins favorablement par les Preussische Jahr-
bûcher, 1. II, 103). — Irmer. Hans Georg von Harnim ais kaiserlicber
Heerfûhrer in Pommem und Polen (bon). — Oncken, Das Zeitalter
Friedrich's des Grossen (bon ouvrage de vulgarisation, malgré des
lacunes et des erreurs). — Fessier. Gescbicbte von Ungarn (nouvelle
édition remaniée et corrigée en 5 vol., très utile). — Doyle. English
colonies in America (excellent).
43. — Forschangen zur deatsohen Geschichte. Bd. XXIV,
Heft 1. — RiBBECK. Gerhoh de Reicbersberg et ses idées sur les rap-
ports entre l'État et TÉglise. (Né vers la fin du xi« s., Gerhoh, chanoine
d'Augsbourg, fut pendant de longues années l'intime conseiller de
l'évoque Hermann, qu'il accompagna à Rome au concile du Latran,
en 1123; en 1132, il fut nommé prévôt de Reicbersberg; il mourut en
juillet 1169. Partisan de l'empereur, il souhaitait aussi ardemment une
réforme dans l'Église, opérée par TÉglise elle-même. Lorsqu'il vit que
l'idéal de sa vie était irréalisable, il se renferma dans la prédication
morale. On l'a comparée saint Bernard; la comparaison est très forcée,
mais Gerhoh appartenait à la môme famille d'esprits.) — Yolkmar.
Les chroniques de Hermann, de Bernold et l'Epitome Sangallensis, pour
les cinq premiers siècles (Bernold a composé ses chroniques à l'aide de
Hermann et de l'Epitome ; puis il a remanié Hermann en Tabrégeant,
mais en utilisant aussi l'Epitome. L'Epitome, pour cette période, est
original et indépendant. Il est rédigé surtout à l'aide de Cassiodore,
puis d'Isidore, peut-être aussi du Ghron. Augustanum ou (^lanisianum,
d'A. Marcellin et de Jordanis ; il ne connaît ni Idace ni les Gesta Pon-
tificum. Hermann a mis à profit le Ghron. Augustanum; il a connu
Prosper et Cassiodore sans les mettre beaucoup à contribution; mais il
ne s'écarte jamais de l'Epitome). — F. Stein. La Franconie orientale
au x« s. (ses limites et les dix-neuf gaue qui la composaient; le margra-
viat franconien, ses rapports avec la Thuringe et la Bavière. Comtes
des gaue et familles nobles; immunités. L'évêque de Wiirzbourg; jus-
qu'à quel point Eichstaedt était-il un évêché franconien?). — Schultze.
Sur les biographies de Majolus (nous avons de ce moine, second succes-
seur d'Odon de Gluny, cinq biographies, plus les fragments d'une
sixième. On n'attache d'ordinaire d'importance qu'à la plus ancienne;
cependant, bien que dérivées, les autres ne sont pas sans valeur). —
Seegk. A quelle époque furent livrés les combats de Pollentia et de
Vérone? (l'examen attentif des œuvres poétiques de Glaudien et des
annalistes du iv« s. prouve qu'il faut placer en 402 et non en 403 la
date de ces batailles). — Kunik. Sur la Viia Anskarii (sur la date du
double voyage d'Ansgar en Suède, et sur la mort de Gauzbert, arrivée
vers 860). — Pfluok-Harttunq. De quelques lettres du moyen âge, et
RECUEILS P1{rI0DIQUB8. 209
en particulier de deux brefs d'Eugène III sur la croisade (ces deux brefs,
relatifs à la seconde croisade, sont authentiques).
44. — GkBttiiiirische gelehrte Anseigen. 1804, n* 3. — Ewald et
Lœwe. Ëxempla scripturae visigothicae xl tabulis expressa. — Philippi et
Walky. Preussisches Urkundenbuck. Bd. I : die Bildung des Ordens-
staats (contient 348 documents allant de 1140 à 1257 ; très nombreuses
critiques de détail). := N* 4. Neumann. Geschichte Roms wœhrend des
Verfalles der Republik (livre très agréable à lire). = N* 5. Seelxnder,
Graf Seckendorff und die Publicistik zum Frieden von Fiissen, 1745
(très intéressants résultats). — Enmann, Eine verlorene Geschichte der
rOmischen Kaiser und das Buch de Yiris illustribus urbis Romae (Fau-
teur pense qu'il y a eu une histoire des empereurs romains sous forme
de biographie, qui est la source principale d'A. Victor et d'Eutrope, et
dont d'importants fragments ont passé dans les Script, hist. aug. Elle
allait d'abord jusqu'à Dioclétien ; une seconde main Ta continuée jus-
qu'à la défaite des Alamans en 357. Ce continuateur a aussi composé
sous la même forme biographique l'histoire des rois et de la Répu-
blique ; ce sont ces biographies que Ton retrouve abrégées dans le De
Viris ; elles ont été utilisées par Ampelius dans son Liber memorialis,
et par Eutrope. Discussion de ces conclusions).
45. — Deutsche Rundschau. 1884, mars. — Noeldeke. Theodoros,
roi d'Abyssinie.
46. — Hermès. Bd. XVIII, Heft 3. 1883. — FRiENKEL. L'An-
tidosis (il ne s'agissait nullement, comme Bœckh le croyait, d*uQ
échange de biens, mais d'un séquestre judiciaire de ces biens jusqu'à
la décision des juges). — Robert. Un antique système de numérotation
et les tablettes en plomb de Dodone (l'usage des lettres comme signe de
numération était en vigueur à Athènes vers le milieu du v* s.) — Blass.
Du fragment sur papyrus de la politique des Athéniens, par Aristote
(correction au texte). = Bd. XIX, Heft 1. 1884. — Mommsen. De la
conscription sous les empereurs (à l'aide d'inscriptions nouvelles^ l'au-
teur constate trois époques différentes : 1* Tordonnance d'Auguste,
d'après laquelle l'Italie et l'Occident latin fournissent les légions occi-
dentales, et rOrient grec les légions grecques ; 2* depuis Vespasien, on
maintient l'ancien système d'Auguste, sauf que les Italiens sont dis-
pensés de tout service militaire régulier; enfin, depuis Hadrien, on
introduit la conscription locale. L'auteur traite ensuite d'une manière
approfondie la conscription des troupes auxiliaires, le mode de cons-
cription, la condition juridique des soldats, etc). — Thalhbui. L'Anti-
dosis (contre l'opinion de Frsenkel exposée plus haut). — De Boor.
Le recueil de Porphyrogénète (modifie souvent l'ordre, la suite et le
rapport des extraits, tels que Nissen les avait adoptés). — Sebck.
Remarques sur la reconstruction de la sceuothèque de Philon (contre
DOrpfeid).
UeV. HlSTOR. XXV. {•^ PASO. 14
240 RECUEILS PERIODIQUES.
47. — Neue Jahrbfioher fur Philologie and Pœdagogik.
Bd. CXXVII et CXXVm , Heft 12. 4883. — Kothe. Sur Téco-
nomie des histoires de Timée (contre Beloch. La valeur historique de
rhistoire de Timée est faible). — Busolt. Sur les sources des Messeniaka
de Pausanias (le cadre pour l'histoire de la première guerre messénienne
est pris de Thucydide et de Xénophon ; le détail a été composé à Taide
des récits des Messéniens et de l'épopée ; les seuls fragments de Tyrtée
ont une valeur historique). — Reuss. L'anabase de Xénophon (expose
en détail sur les évolutions des Grecs à la bataille de Gunaxa et leur
ordre de marche). — Jakoby. Sur Denys d*Halicarnasse (propose des
corrections au texte, d'après une étude attentive des particularités de
style de l'historien). — ScHMmT. L'âge de la Lex Antonia Gornelia de
permutatione provinciarum (le 27 ou le 28 juillet de l'an 44 avant J.-G.).
— Gemoll. Sur le De viris illustribus de Gennadius (correction au
texte). = Bd. GXXIX et GXXX, Heft 1. — Brunn. Pausanias et ses
détracteurs (estime que Pausanias, en parlant d'Olympie, a bien décrit
ce qu'il a vu ; repousse le reproche de niaiserie qui a été fait à cet
auteur). — Brzoska. De canone decem oratorum atticorum (ce canon a
son origine à Pergame). — Eussner. Sur les histoires de Tacite (remar-
ques sur la critique du texte). — Peter. Sur les Scriptores historiae
augustae (corrige quelques leçons).
48. — ZeitschHft fOr deutsche PhUologie. Bd. XY, Heft 4.
1883. — Schepss. Les lettres de Froumoud et Ruodlieb (correc-
tion au texte de l'édition Seiler. Froumond séjourna à Teuchtwangen
et à Wurzbourg; détail sur les écoles allemandes au x« s.). — Matthias.
La chasse dans les Nibelungen (important pour Thistoire des mœurs au
moyen âge).
49. — Jahrbficher ffir die Deutsche Armée and Marine. 1884,
janvier. — La campagne de Frédéric H en 1742; souvenirs (sa cam-
pagne en Moravie et la bataille de Ghotusic, d'après le récit du roi et
les témoignages contemporains). — Von Kaltenborn. Lennart Tors-
tenson; suite en févr. (sa biographie ; réorganisation de l'armée suédoise
en 1641). — Le premier régiment prussien de hussards dans la cam-
pagne de Russie en 1812; suite en février (des opérations sous Macdonald
à l'aile gauche de l'armée). = Compte-rendu : Gerneth. Geschichte des
kôn. bayerischen 5 Infanterie-Regimentes, 1722-1804 (très bon). =
Février. Compte-rendu : Malachowski. Ueber die Entwickelung der lei-
tenden Gedanken zur ersten Campagne Napoléons I«' (très bon).
50. — Militœrische Blœtter. Jahrg. XIII, Bd. XXIV, Heft 1-2.
Berlin, 1884. — Von Czernowsky. La marche de Souvarov à travers le
Saint-ftothard en 1799; suite. « Comptes-rendus : Krause. Die Ent-
wickelung des Brandenburg-preussischen Heeres (bon). — Von Brœckern,
Memoiren aus dem Feldzuge in Spanien, 1808-1814 (bon).
RECUEILS PlfaiODIQUES. 2U
51. — Deutsche Revue. Jahrg. VIII, Bd. IV, 1883. Extraits de
lettres et de mémoriaux d'un ministre allemand (Von Freydorf, ministre
badois, 1866-70). = Jahrg. 1884. Heft 1-2. — Holtzmann. Luther
considéré comme réformateur des universités. — Irsner. Portrait
d^un célèbre aventurier (quelques traits de la vie du colonel autrichien
von der Trenk, assez triste personnage à qui ni la flatterie ni le men-
songe n'étaient inconnus). — Lanokavel. Sur Thistoire de la mode
des différents noms des objets de fourrures).
52. — Aof der Hœhe. Jahrg. III, Bd. IX, 1883, oct. — Reinach.
Léon Gambetta. — Huet. Érasme de Rotterdam. = Dec. Schwicker.
Universités hongroises; fin. — Demetrios. Extraits des mémoires d'une
amie de Mazzini (ces notes traitent du séjour de M. à Londres et des
conspirations qu'il y prépara). = Bd. X, Heft 28. — Hanmbmann.
Les Basques; fin Heft 29 (histoire et ethnographie; l'auteur les fait
venir des Ibères, Turdules et Turdétains). — Schwicker. Un savant
hongrois (article très élogieux sur le livre de J. Schwarcz, Lie Demo^
kratie; fin Heft 29).
53. — Archiv fOr kaiolisches Klrchenrecht. 1884, Heft 1.
— ScHMiTz. Nouvelles contributions à l'histoire des livres péniten-
ciaux (à propos du livre de Seebass : Ueber Columba von Luxeuils
Klosterregel und Dussbuch, Montre que les regulae cœnobiates ne sont
pas des pénitcnciaux, mais seulement des listes de punitions infligées
au couvent; Columba n*a donc pas apporté en France le système de
pénitence usité en Irlande). = Comptes-rendus : Schnûrer. Pilgrim
Erzbischof. Studicn zur Geschichte Heinrich II und Konrad II (bon).
— Bellrsheim. Geschichte der katholischen Kirche in Schottland, von
der Einfûhrung des Christentums, bis auf die Gegenwart (très bon).
54. — Theologische Studlen und Kritiken. 1884. Heft 2.
— IIerino. La Réforme et le paupérisme (la Réforme, en empochant
l'argent d aller à Rome, fut importante en Allemagne au point de vae
économique; ses rapports avec l'insurrection des paysans). ^ Compte-
rendu : De Groot. Beitrœge zur Luther (montre par de nouveaux docu-
ments la haine fanatique de Luther contre Érasme, à qui Luther ne
comprenait rien).
55. — Nord und Sfid. 1883, Heft 10. — Zorn. Stein et la réforme
de l'administration prussienne (ces réformes sont le fondement de
toutes les institutions durables qui ont été édifiées dans ce siècle en
Prusse et en Allemagne). — Geybr. Hohenstaufen et Hohenzollern
(I* histoire du château de Hohenstaufen du moyen Age à l'époque con-
temporaine; 2o histoire du château d'Urach et de ses rapports avec
rhistoire des comtes de Wurtemberg; 3* les plus anciennes mentions
du château de Hohenzollern dans la Chronique Souabe de Martinas
Grusius). = Heft 12. Cantor. Sur l'histoire des universités (organisation
242 RECUEILS PéaiODIQUBS.
intérieure de l'université de Padoue au xyi« s.; ses luttes contre les
jésuites). — La Prusse dans la Hesse électorale (souvenirs d'un vieux
officier prussien dans l'expédition de nov.-déc. 1850. Décrit avec soin
les événements militaires et diplomatiques. Le gouvernement prussien
avait mis tout son espoir dans la conférence ouverte le 23 décembre à
Dresde pour sauver au moins tout ce qui n'était pas encore perdu de sa
politique allemande ; mais là encore elle dut céder devant la politique
énergique et tout à fait consciente de son but du prince Scbwarzenberg).
= 1884. L'ultramontanisme en France sous la Restauration (la théo-
logie et la science; les idées de La Mennais).
56. — Zeltschrift der deutschen morgenlœndischen Gesell-
schaft. Bd. XXXVII, Heft 3-4. 1883. — Mùllbr. Inscriptions
sabéennes découvertes et rassemblées par Siegfried Langer (publie
22 inscr. himyaritiques, précieuses pour la géographie et l'histoire des
mœurs). — Bûhler. Inscr. d'Asoka (publie, traduit et commente deux
édits du roi Priyadisin ou Asoka). — Stigkel. Sur la Sphragistique
orientale (publie et traduit des légendes de sceaux). — ërman. Une
statue égyptienne trouvée en Gilicie (une inscr. la fait remonter au
temps des 11«-13« dynasties). — Mayer. Origine des sept jours de la
semaine. — Garbe. Sur l"Iv6ix^ d'Arrien (l"Epéwe(Ti; de Mégasthène est
le fleuve Varânaù; ce qu'il dit du peuple des Matbai est une erreur ; l'In-
dien qui lui fournit ces renseignements voulait parler de Bénarès). —
EuTiNG. Correction à plusieurs traductions d'inscr. phéniciennes et ara-
méennes. — Hultsch. Inscr. d'Amaràvatî. — Suchau. Sur le N6ji.oc
TeXwvixd; de Palmyre (éclaircissements sur ce texte bilingue très impor-
tant, qui date de Tan 137 ap. J.-C). — BiiHLER. Inscr. d'Asoka (texte,
traduction et commentaire de quatre nouveaux édits de ce roi).
57. — Preussische Jahrbflcher. Bd. LUI, Heft 2. Janvier 1884.
— Lanz. La guerre de l'indépendance américaine au point de vue
anglais (d'après l'ouvrage de Lecky). = Févr.-juill. Sghmidt. L'histoire
universelle de Ranke (analyse du 4« vol. ).=: Comptes-rendus : Treitschke.
Adolf Lutzows Freikorps, 1813-1814 (bon). — Dove. Das Zeitalter Fried-
rich des Grossen und Joseph II (très-bon).
58. — Zeltschrift des Harz-Verelns fttr Geschlchte und
Alterthumskonde. Jahrg. XVI, H. 1. 1883. — Zimmermann. Ernst
Theodor Langer (publie des lettres de Langer, ami de Gœthe
et de Lessing et bibliothécaire de Wolfenbùthel. Destinée de cette
bibliothèque sous le roi Jérôme). — GrcEssLER. Deux contributions
à l'histoire de la Réforme au comté de Mannsfeld (1® circulaire adressée
aux prêtres d'Eisleben en 1571 ; 2® narratio historica de statu ecclesiae
in comitatu Mansfeldensi, par Menzel, surintendant général de Manns-
feld, en 1584). — Id. Explication des noms de heu allemands du district
maritime de Mannsfeld (l'auteur y retrouve des réminiscences nom-
breuses qui rappellent la maison royale de Thuringe, et en particulier
RECUEILS PliaiODIQUES. 243
le roi Bisin). — Punica. Sur Thistoire du couvent de Sainte-Croix à
Brunswick (intéressant pour l'histoire de la vie monacale au moyen
&ge). — Ménadier. Sur les monnaies de notre pays (en étudiant des
monnaies découvertes à Gandersheim, l'auteur parvient à déterminer
un pied monétaire particulier à la Basse-Saxe pendant le moyen âge).
— Contribution à l'histoire de la corporation des menuisiers à Werni-
gerode. — Id. Arten pendant la guerre de Trente ans (publie un docu-
ment de 1628). — Jacod. Le chiffre de la population à Wemigerode
en 1682. — Lindner. Un poème satirique sur Monseigneur de Bellisle
(composé lorsqu'il fut fait prisonnier à Elbingcrode). — Sguell. Les
mines d'autrefois et les privilèges des villes minières du haut Ilarz
(publie divers privilèges accordés par les ducs de Brunswick en 1636
et en 1752).
59. — Zeitschrift des Aachener G^esohichtsvereins. Bd. V,
Heft 3-4. 1883. — Reumont. Cornel Peter Bock (biographie de cet his-
torien distingué, né à Âix-la-Chapelle en 1804 ; liste de ses productions
les plus remarquables, qui se rapportent surtout à l'histoire de l'empire
romain). — Korth. Les voyages du chevalier Arnold von Ilarff en
Arabie, dans l'Inde et dans l'Afrique orientale (une partie seulement
des récits de ces voyages, effectués en 1497 et en 1498, sont d'un témoin
oculaire ; il a emprunté le reste à d'autres descriptions et à Ptolémée ;
son œuvre est cependant fort importante pour l'histoire des villes com-
merçantes de la Méditerranée). — Gross. Sur l'histoire du territoire
d'Aix-la-Chapelle; suite (document copié en 1654, mais d'une origine
plus ancienne ; c'est une ordonnance de la commune de Laurensberg
concernant les échevins, les maîtres d'école, l'assistance publique, etc.).
— MicHKL. Ileinden, lief mouvant de Juliers (les sires de Heiden, de la
famille des chevaliers de Bongart, jusqu'en 1783 ; documents relatifs à
leur histoire). — Pauls. Sorcières brûlées à Aix-la-Chapelle en 1630 et
en 1649. — Reumont. Médaille commémorative de la paix d'Aix-la-
Chapelle en 1668. — Pauls. Restes d'un observatoire romain élevé près
de Friesenrath dans le district d'Aix-la-Chapelle (la découverte de ce
monument permet de préciser la direction de la voie romaine qui tra-
verse la montagne des « hohen Veen »). = Compte-rendu : Dumont.
Geschichte der Pfarreien der Erzdiôcese Kôln. Bd. XXII (très bon).
60. — Jahrbficher and Jahresberichte des Verelns fur mek-
leiibiix*gi8che Geschichte and Alterthomskande. Jahrg. XLVIII.
1883. — WiGQER. La forteresse de Pol (son histoire pendant la
guerre de Trente ans ; son importance pour la formation de la flotte
de Wallenstein. Publie trois documents relatifs au plan et à la cons-
truction de cette forteresse). — Balck. Les Mecklem bourgeois dans les
Universités étrangères jusqu'au milieu du xvn« s. (les Universités les
plus fréquentées par eux étaient celles de Rostock et de Wismar). —
Wilhelmi. Augusta, princesse de Mecklenburg-Giistrow, et les piétistcs
244 RECUEILS PÉRIODIQUES.
de Dargan (origine des communautés piétistes en Mecklembourg au
commencement du xYin" 8. ; luttes qu'elles eurent à soutenir contre les
théologiens de Rostock ; biographie de la princesse Augusta qui soute-
nait les piétistes; sa correspondance avec le duc Gharles-Léopold). —
Erause. Antiquités dans les environs de Rostock (1» rapport sur Tou-
yerture de ce qu'on appelle les tombeaux coniques de Doberan, apparte-
nant à l'âge du bronze. Découverte d'anciennes fortifications wendes
primitives à Test et à Touest de Warnow; 2* rapport sur une décou-
verte importante d'objets de l'âge du fer à Dierkow). — Bbltz. Recher-
ches sur l'âge du bronze en Mecklembourg (au sujet des trouvailles
faites à Tessenow, près deParchim). — Brûgknbr. Anciennes demeures
près de Neubrandenburg (appartiennent à l'âge de pierre). — Grull.
Sur la chronique de l'église de Saint-Nicolas de Wismar, par Michael
Kopmann (notes biographiques sur ce chroniqueur et sur sa famille).
61. — (ïesoliichtsblœtter fur Stadt and Land Magdebnrg.
1883. Heft 4. — Weqener. Coutumes nuptiales du pays de Magde-
bourg. — Wolter. Sur l'histoire de la ville de Magdebourg (arrêté
pris par le gouvernement archiépiscopal en 1599, sur le droit de
transporter le blé par bateau). — Hertel. Lettres sur l'histoire des
archevêques Ernest et Albert Y de Magdebourg (publie la correspon-
dance du comte Botho le Fortuné à Stoilberg, en qualité de lieutenant
des archevêques de Magdebourg, en 1500-1538). = Comptes-rendus:
Schum, Gesta archiepiscoporum Magdeburgensium (fin). — Jacobs,
Geschichte der in der preussiscben Provinz Sachsen vereinigten Lan-
destheiie (bon).
62. — Zeitschrift des histor. Vereins fur Sch^waben and Neu-
barg. Jahrg. X, Heft 1. 1883. — Vogt. La correspondance du
chef de la Ligue souabe aux années 1524 à 1526; fin Heft 2-3
(comprend 904 numéros; ce sont pour la plupart des plaintes élevées
par les communautés après la fin de la guerre contre les paysans, et
des négociations sur le chiffre des amendes. Une table termine cette
publication). — Hoermann. Souvenirs relatifs à l'ancien couvent de
femmes de Sainte-Catherine à Augsbourg; suite (liste des prieures de
1273 à 1802, avec indication des documents où elles sont mentionnées).
63. — 'Wûrttembergische Vierteljahrshefte ftir Landesges-
chichte. Jahrg. VI, Heft 4. 1884. — Klemm. Sur l'histoire de Geis-
lingen et de ses environs; fin (histoire des seigneurs du Spitzenberg,
1083-1314). — BucK. Remarques sur les noms de lieux et d^ per-
sonnes des Codices traditionum Weingartensium, pub. au t. IV du
Wirttemberges Urkundenbuch (explication étymologique des noms
allemands et romains). — Giefel. Le livre de comptes de la ville de
Ravensburg, 1474-1604. — Setz. Une ordonnance impériale pour célé-
brer la victoire de Peterwardein, 1716. — Bossert. De l'origine de
l'évêque de Bamberg, Otton le saint (il était originaire de Souabe et
RECUEILS PERIODIQUES. 245
apparenté avec les comtes de Staufen, Wurtemberg, etc.). — Beck. Un
procès de sorcellerie à Ellingen en moyenne Franconie, en 1590.
64. — Verhandlongen des hisiorischen Vereins ffir Nieder-
baiern. Bd. XXII, Heft 1-2. 1882. — Stadlbacer. Les derniers
abbés du coavent d 'Obérai taich , 1593-1802 (publie un document
sur l'invasion des troupes weimariennes dans le Bayerischer Wald
en 1633). — Mùller. Un code municipal de Landshut du xiv« siècle
(publie une traduction allemande du commencement du xi\* s.). —
Maybrhofer. Vingt documents relatifs à l'histoire ecclésiastique de
Passau, 1457-1638. — Miiller. Lettre de privilège pour le marché de
Kœtzting, par l'empereur Louis de Bavière, 1344. — ScHWiEBL. Georg
Sébastian Plinganser; contribution à Thistoire de la guerre de la suc-
cession d'Espagne en Bavière (biographie de Plinganser, le chef des
Paysans en Basse-Bavière, lorsqu'ils se soulevèrent contre la domina-
tion autrichienne ; s'efforce de prouver qu'il n'a pas manqué à sa parole,
et que son mémoire à l'électeur est digne de foi). — Schreiner. Fouilles
à Eining en 1879-81 (où se trouve un des camps romains les mieux
conservés do toute l'Allemagne). — Schilling. Les anciens bains
romains et la paroisse de Gœcking (histoire de ce village depuis sa plus
ancienne mention en 1128). — Handel-Mazetti. Documents tirés des
archives du château d'Ering sur Inn; fin : 1511-1745. — Dollinger.
Gartulaire de la ville de Neustadt sur le Danube; suite : 1529-1551.
65. — K. Baierische Akademie der 'Wissenschaften. Philo-
soph.-philolog. und historische Classe. Sitzungsberichte, 1883. Heft 3.
— Heigel. L'électeur Joseph Clément de Bavière et le projet d'une
cession de la Bavière à l'Autriche en 1712-1715 (des documents
nouveaux ont permis à Fauteur de tirer au clair les particularités des
négociations entre la Bavière, l'Autriche et la France, au sujet d'un
échange des territoires de l'électeur; l'électeur de Cologne s'y opposa
avec la plus grande énergie. Suivent des lettres à Max Emmanuel et à
Torcy). — Stieve. L'opinion du vice-chancelier do l'empire von Stra-
lendorf sur la succession de Juliers (est apocryphe ; cette pièce a été
composée par le Brandebourg afin de détacher la Saxe de Talliance
impériale). — Gregorovius. La fondation de la colonie romaine Aclia
Capitolina. » Heft 4. Friedrich. Sur laVitasancti Huperti (n'a aucune
valeur. Quant à Rupert, il doit être placé vers l'an 700). — Von Loeher.
L'âge, l'origine et la parenté des Germains (tout montre que les Ger-
mains, lorsqu'ils se trouvèrent en contact avec les Romains, étaient
établis déjà depuis longtemps en Germanie. Si l'hypothèse qui fait de
l'Europe la patrie originaire des peuples ariens était justifiée, les Ger-
mains pourraient élever les meilleures prétentions à être le point de
départ de leurs migrations). = Historische Classe. Abhandlungen,
Bd. XVII. Abt. 1. 1883. Rockinger. Le livre des Rois et le Miroir do
Souabe (rauteur de la chronique intitulée t le livre des rois • était un
246 RECUEILS PERIODIQUES.
clerc de Franconie qui écrivait vers le second tiers du xin* s. H est
possible qu'il ait aussi composé le Miroir de Souabe ; ce dernier nom
serait donc inexact). — Preger. Les traités de Louis de Bavière avec
Frédéric le Beau en 1325 et 1326 (la renonciation de Louis au trône
dont parle le traité conclu avec Frédéric à Ulm en 1326 ne fut faite
que pour tromper le pape, pour éloigner ensuite les princes de Tempire
du candidat français que favorisait le pape, et pour les amener à la
cause de Frédéric. Il est inexact que Louis ait refusé à Frédéric le
titre de co-régent à Innsbruck en 1327. Publie 448 pièces justificatives).
66. — Mittheilungen des Instituts fur œsterreichische Gto-
sehitsforschimg. Ergaenzungsband I, Heft 1. — W. Sickel. Sur Tbis-
toire des institutions politiques de TAliemagne (étudie : 1* TÉtat ger-
manique primitif: les assemblées populaires ; la division des peuples
en groupes multiples de dix ; 2* l'organisation nouvelle de l'État libre :
les cbefs du peuple, les tribunaux et le maintien de la paix publique ;
3* les institutions de l'État non libre). — Fanta. Les traités des empe-
reurs avec Venise jusqu'en 983 (du capitulaire de l'année 805 ou 806
qui accorde aux Vénitiens la paisible jouissance de leurs biens dans
l'empire ; de la forme que revêtit ce capitulaire dans les traités posté-
rieurs auxquels il sert de base. Publie la confirmation donnée par
Charles III à Ravenne le 11 janvier 880). — Th. Sickel, E. von Otten-
TUAL et Fanta. Notes sur les diplômes des Ottons. — Dobenecker. La
bataille de Mùhldorf, 28 nov. 1322, sur le fragment d'une chronique
autrichienne. = Bd. IV, Heft 3. J. Ficker. Commentaires sur l'histoire
de l'empire au xni« s. ; suite : 8* les écrits du pape contre l'empereur
Otton IV, 1210 et 1211. 9* Invasion des États de l'Église par Reinald
de Spolète, 1218. 10* Nomination de l'archevêque de Cologne Conrad,
en qualité de légat, 1249. — O. von Zallinger. Les classes de cheva-
liers dans le droit de la Styrie. — Hùlsen. Sur un cadavre romain
découvert en 1485 près de la Via Appia. — Fanta. Les registres ange-
vins dans l'Archivio di stato de Naples. — Schulte. Le ms. original
de Kœnigshofen. — Cipolla. L'emprisonnement du roi Enzio à Bologne
(le malheureux roi ne paraît pas avoir été trop maltraité en prison : en
1252, il avait un tailleur attaché à sa personne). — Jaksch. Sur la bio-
graphie de J. Unrest, prêtre bavarois du xv« s. = Bibliographie. G. von
Buchtmld. Bischofs- und Fûrsten-Urkunden des XII u. XIII Jahrh.
(très bon). — Rhomberg. Die'Erhebung der Geschichte zum Range
einer Wissenschaft, oder die historische Gewissheit und ihre Gesetze
(l'auteur du livre est du nombre de ces savants qui, tous les jours,
découvrent l'Amérique). — Jœger, Geschichte der landstœndischen
Verfassung Tirols. Bd. II (bon). ^ Heft 4. Diekamp. Sur les bulles des
papes, d'Alexandre IV à Jean XXII, 1254-1334 (suit le texte de quatre
bulles, d'après les originaux de Vienne). — Busson. Sur la Vita Hein-
rici imperatoris. — KoEm.BR. Les opérations de Charles d'Anjou avant
RECUEILS PiaiODIQUBS. 2i 7
la bataille de Tagliacozzo en 1268. Réplique de Jul. Ficker. — Sghalk.
Les monnaies de Vienne dans le premier quart du xv« s. — Zimerman.
Une lettre de Johann Eck au roi Ferdinand I***, 1529. — Bibliographie.
Ludewig, Poppo von Stabio und die Klosterreformen unter den ersten
Saliern (intéressant pour Thistoire de la réforme cluniasienne et de son
influence sur les idées de Grégoire VII). = Bd. V, Heft 1. Redlich.
Sur les livres de traditions et sur les traditions en Bavière (sur l'his-
toire du droit privé). — H. von Kap-herr. Bernardus Marango (n'est
pas, comme Ta pensé Scheffer-Boichorst sur l'autorité de Roncioni,
Fauteur des Annales Pisani). — Lindmer. La bulle d'or et ses expédi-
tions originales (reprend la question après 0. Harnack et arrive à des
résultats tout différents). — Thausing. Michel Wolgemut, et la publi-
cation de la Chronique universelle de Hartmann Schedel (1* la signa-
ture de maître W., qui se rencontre sur un grand nombre de gravures
sur cuivre du xv« s., n'est pas, comme on l'a répété jusqu'ici, le mono-
gramme de l'orfèvre Wenzel d'OImutz, mais bien celle du peintre
nurembergeois Michel Wolgemut. 2* Publie le texte d'un traité passé
en 149 1 pour la publication des Ghronica mundi de Schedel). — E. von
Ottenthal. Rapport sur une mission à Rome (à la recherche de docu-
ments relatifs à Rodolphe I»' et à Albert !•'). — Dibkamp. Une bulle
originale de Léon IX, postérieure au 10 nov. 1049. = Bibliographie.
OEsterley, Historisch-geographisches Wœrterbuch des deutschen Mitte-
lalters (travail matériel très considérable; mais l'auteur n'a pas puisé
ses noms à la seule vraie source : celle des chartes ; aussi son ouvrage
est-il loin de répondre aux exigences de la critique). — Dittnch, Reges-
ten und Briefe des (krdinals (rasparo Contarini, 1484-1542. Sixti IV
Summi Pontiticis ad Pauium III optimum pontificom maximum com-
positionum defensio (des erreurs grossières et des lacunes).
67. — Ax^hiv ffir œterreichische (ïescliichte. Bd. LXV,
Ileft 1. 1883. — DuDiK. Des mesures prises pour défendre la Mora-
vie contre la Hongrie en 1683, et pour approvisionner les auxi-
liaires étrangers. — Loserth. La ruine de la maison Slawnik (elle ne
doit pas être attribuée seulement à des motifs religieux, elle s'explique
par la position indépendante de cette famille dont la puissance égalait
celle des Prezmyslides, et par la tendance qui rapprochait les princes
Slawnick de la Pologne).— Mayer. La guerre des Paysans en Autriche
en 1515 (elle n'eut aucune cause religieuse; elle fut provoquée par le
poids excessif des impôts, causés surtout par la guerre contre les Turcs;
publie d'importants documents). — Glndely. Une contribution à la
biographie du Père Dominicus a Jesu Maria, contemporain de la
bataille de la Montagne Blanche (ce Père entra au conseil de la guerre
avant la bataille, et y exerça une grande influence. Il intervint avec
succès entre l'empereur et le duc de Nevers en 1629). — Huber. Études
sur Thistoiro de Hongrie au temps des Arpad (d'après des documents
récents, en particulier d'après les chartes de la chancellerie hongroise;
248 RECUEILS PEEIODIQUES.
étudie certains points encore mal connus, ainsi les lettres du roi £me-
rich contre son frère André, le meurtre de la reine Gertrude en 1213,
les différends entre Bêla lY et Etienne, les règnes de Ladislas IV et
d'André ni).
68. — Oermania. Jahrg. XXIX, Heft 1. 1884. — Koehler. Sur
la légende de la reine de Saba. — Blaas. Mœurs et coutumes de
la Basse- Au triche. — Von Wagner. Sur la chasse de la grosse bête au
moyen âge (explique les expressions relatives à la chasse, usitées dans
l'ancien droit germanique).
69. — Jahresbericht des Masenm-Vereins za Bregenz.
1882. — Jenny. Les anciennes constructions de Brigantium (rap-
port sur les fouilles qu'on y a opérées, et sur les monnaies, terres
cuites, phalères, qu'on y a découvertes). — Zcesmair. Histoire de la
fondation des monastères du Vorarlberg au moyen âge. — Id. Extraits
de pièces tirées des archives de Hohenems ; suite : 1450-1498. — Zan-
GEMEiSTER. Tablcttcs de plomb de Bregenz (publie, traduit et commente
un de ces monuments qu'on appelle Defixio).
70. — K. K. Akademie der 'Wissenschaften. Sitzungsbertchte.
Phil. histor. Classe. Bd. GIV, Heft 2. 1883. — Hoefler. Antoine de
Lalaing, seigneur de Montigny, Vicenzo Quirino et don Diego de Gue-
vara, considérés comme correspondants du roi Philippe I«' en 1505 et
1506 (les dépêches de Quirino sont de beaucoup les plus importantes
au point de vue des affaires d'État. Montigny est un courtisan qui tait
beaucoup de choses ; Guevara se met à un point de vue étroit ; mais
sa véracité est inattaquable).
71. — Streffleur^s œsterreichische Militœrzeitschrift. Jahrg.
XXV, Bd. I, Heft 1. 1884. — Von Janko. Georg Rimpler et
Ghristof Bœrner, chef du génie et de l'artillerie pendant le siège de
Vienne par les Turcs en 1683 (biographie de ces deux officiers, dont
les noms sont injustement tombés dans l'oubli). = Compte-rendu.
Schrcsder. Der Kampf um Wien, 1683 (très bon).
72. — The Academy. 1884, 23 févr. — Schuyler. Peter the great
(livre impartial et écrit avec beaucoup de soin). — Atkinson. Quarter
sessions records : the North Riding record society; t. I (les documents
de cette nature, trop négligés pendant longtemps, sont fort utiles à
l'histoire ; ceux que publie la Société des archives du Nord Riding dans
ce premier volume se rapportent aux années 1605-09, et jettent une
vive lumière sur la condition des catholiques dans le nord de l'Angle-
terre, sur la langue, les us et coutumes du pays à l'époque d'Elisabeth).
= 8 mars. The Gamden Miscellany, t. VIII (contient 9 mémoires rela-
tifs au xvii® s., dont 5 à la guerre civile). = 15 mars. Buddensieg. John
Wiclifs polemical works in latin. — Loserth. Hus and Wiclif (deux
publications excellentes). — Streatfeild. Lincolnshire and the Danes
RECUEILS PiaiODIQUES. 249
(beaucoup d'erreurs de détail, avec beaucoup de faits précieux pour
rhistoire et la philologie anglaises). =» 22 mars. Pollock, The land laws
(livre de vulgarisation très agréable à lire et très instructif). — Wace et
Buchheim, The 99 thèses and the tree primary works of Dr. M. Luther
translated into english (utile pour l'histoire des origines de la réforme.
L'introduction historique est conçue d'une manière trop ambitieuse).
— Hodgetts, Older England illustrated by the anglo-saxon antiquities
in the Brit. Mus. (l'auteur «e plaint de l'extrême ignorance où se
trouvent ses compatriotes sur les temps primitifs de leur histoire; mais
lui-même montre tant d'ignorance qu'il ne saurait être pris pour
guide). = 29 mars. Roundell. Cowdray ; the history of a great english
house (le château de Ck)wdray fut construit sous Henri III et détruit
pendant la guerre des Barons ; il appartenait alors à Jean de Bohun;
livre charmant).
73. — The Athenaeum. 1884, 9 février. — Playfair, The scourge
of Ghristendom : annals of british relations with Algiers prier to
the french conquest (livre écrit sans art, mais plein de faits). —
Welford. History of Newcastle and Gatheshead in the XIV a.
XV. cent, (travail consciencieux). = 23 février. Griffiths. The chro-
nicles of Newgate, 2 volumes (trop maigre pour le moyen âge, cet
ouvrage fournit pour l'époque moderne les renseignements les plus
curieux et les plus abondants sur l'histoire de la criminalité en Angle-
terre). = {*' mars. Green. Galendar of State papers, domestic séries,
during the Gommonwealth ; vol. X, 1656-57. = 8 mars. Jackson. The
court of the Tuileries, 1815-48 (il serait difficile de trouver un livre
plus mal fait). = 22 mars. Khédives and Pashas (intéressant). =
29 mars. Vedel, Gorrespondance ministérielle du comte Bernstorff,
1751-1770 (fournit beaucoup de faits nouveaux à l'histoire des relations
du Danemark avec les grandes puissances à l'époque de la guerre de
Sept ans ; peu à l'histoire générale). = 5 avril. Davies. A history of
Southampton (bon).
74. — The Nation. 1883, 22 nov. — Buch, Finland und seine
Nationalitaîtenfrage (livre court, mais exact, clair et concis). — 29 nov.
Baker, The diplomatie history of the war of the Union (forme le t. V
des œuvres de W. Leward, secrétaire d'État pour les affaires étran-
gères pendant la guerre civile; important). =6 déc. Anderson. Scotland
in pagan times (intéressant). =: 13 déc. Harvey. Newfoundland ; its
history, its présent condition, and its prospects in future. = 27 déc.
George W. Julian, Political recollections, 1840-72 (souvenirs intéres-
sants d'un des premiers adversaires des esclavagistes et d'un membre
très actif du parti républicain, qu'il a abandonné aujourd'hui pour le
parti démocratique). -= 1884, 3 janvier. Jones, The history of Georgia.
2 vol. (ouvrage très consciencieux. L'auteur a omis de peindre les
mœurs et le caractère des habitants). » 24 jauv. Seebohm, The english
220 RECUEILS PERIODIQUES.
village community. •— Ross, The early history of landholding among
the Germans (ouvrages excellents; Tan et Tautre font la part trop
grande à l'élément aristocratique dans l'ancienne société germanique).
= 34 janv. Tuttle, History of Prussia to the accession of Frederik the
great, 1134-1740 (ouvrage très consciencieux). = 21 et 28 févr. Schlie-
mann. Troja. — Townsend. Anecdotes of the civil war in the United
States (peu intéressant). = 6 mars. Roman, M ilitary opérations of gêne-
rai Beau regard (contient des renseignements nouveaux sur la guerre
civile. Le général Beauregard était un of&cier distingué au service de
la Confédération). = 20 mars. Lea, Historical sketch of sacerdotal celi-
bacy in the Christian church (seconde édition de ce travail, considérable
comme science et comme doctrine). — Seeley. Walpole and his worid ;
sélect passages from his letter.
75. — Arohivio storico italiano. T. XIII, disp. 2, 1884. — Le
Diaire de Palla di Noferi Strozzi; suite: mars 1424-avril 1425. —
GuASTi. Les archives d'un évéque de Volterra, qui assista au concile
de Constance; suite (cf. Rev, hist,, XXIV, p. 455; note des dépenses
journalières faites par l'évèque pour le service du pape ; il y est plu-
sieurs fois question de Jean Huss ; p. 203 : « pro reparatione carceris
loci ubi detinetur Johannes Us hereticus... » P. 206 : « Ego dedi de
pecuniis Registri Jacobo de Cumis servienti armorum, pro vita Us
heretici et custodum fl. 25 • (5 mars 1215) ; etc.). — Cantù. La Tos-
cane sous la république et le royaume d'Italie (publie des rapports sur
, la Toscane adressés par les agents d'affaires de la république cisalpine,
puis du royaume d'Italie, de 1798 à 1813). — Gherardi. Notice nécro-
logique sur Ant. Cosci (notre collaborateur avait publié, outre de nom-
breux articles insérés dans diverses revues, une Storia délie preponde-
ranze italiane, 1530-1789, dans la grande collection entreprise par
l'éditeur Vallardi, de Milan, et une brochure sur Bologna e la lega
lombarda, en 1876). = Comptes-rendus. Sohm. Lex Ribuaria et Lex
Francorum Ghamavorum. — Scritti storici e letterari di F. Lamper-
tico senatore del regno (les écrits historiques se rapportent pour la
plupart à l'histoire de Vicence). — Zanelli, Una legazione a Costantino-
poli nel sec. x (sur l'ambassade de Liutprand envoyé par Otton l*'
auprès de Nicéphon Phocas ; l'authenticité du rapport de Liutprand
est inattaquable quant aux faits ; il les raconte avec une grande pas-
sion, mais en eux-mêmes ils sont exacts). — Stumpf-Brentano. Die
Reichskanzler vornehmlich des X, XI u. XII Jahrh. (achèvement
d'un ouvrage considérable qui contient : l'Les chanceUers de l'empire,
leur histoire et leurs attributions, avec une étude rétrospective sur
la chancellerie mérovingienne et carolingienne. 2o Regestes impé-
riaux des X, XI, xii« siècles, complétés et annotés par Ficker. 3* Acta
imperii inedita de Henri I*' à Henri VI). = A part. Les Papiers
Strozzi; suite.
RECUEILS PîErIODIQUBS. 224
76. — Archivio veneto. Nouv. série, anno XIII, fasc. 52. — Cec-
cHETTi. La médecine à Venise en 1300; fin. — Bogchi. Les déborde-
ments de TÂdige; notes d'histoire économique comparée; suite. —
GiPOLLA. L'histoire de Venise dans des documents anciens de Ravenne
récemment publiés ; fin (pendant Tépiscopat de l'archevêque Jean, qui
se qualifiait • servus servorum Dei, » entre 897 et 914, Ravenne n'a
jamais reconnu comme roi Bérenger, mais Louis de Provence, du
moins depuis 903). — Pinton. L'histoire de Venise de F. Gfrœrer; suite
(rapports de Venise avec les Otton ; organisation primitive de Venise).
— Fantoni. Les archives des notaires à Venise (leur histoire, leur
importance, leur organisation actuelle. Ces archives, réorganisées en
1883, sont, depuis le mois de janvier de cette môme année, sous la
direction de M. Fantoni, l'auteur du présent article). = Compte-rendu.
Pancini. Giro di Varmo-Pers; memorie biografiche (chevalier de l'ordre
de Malte et poète, 1599-1663). = Actes de la R. Deputaziono veneta di
storia patria. Bocghi. Essai sur les études qui ont été faites, sur les
opinions et les idées qu'on a émises dans la suite des temps au sujet
de l'histoire d'Adria, du Polesine de Rovigo, et en particulier de Tâgc
des plus anciens monuments d'Adria.
77. — Archivio storico per le provinoie napoletane. Anno VIII,
fasc. 4. — G. MiNiERi-RiGcio. Généalogie de Gharles II d'Anjou ; suite.
— Maresca. Gorrespondance du cardinal Ruiïb avec le ministre Acton,
janv.-juin 1799 ; fin. — Gariqnani. La représentation aux parlements
de Naples et leurs droits, d'après les Libri praecedentiarum (aux parle-
ments de 1494 et de 1564, on voit les syndics, solennellement élus,
venir au parlement représenter les cités domaniales et les universités
libres ; ce droit do représentation tomba en désuétude au xvn« s.; mais
il est certain qu'aux temps anciens le parlement de Naples comprenait
trois ordres distincts : les barons titrés qui représentaient les grands
fiefs, la petite noblesse et les syndics, qui représentaient les villes et
les universités. Le clergé n'y assistait pas, parce qu'il ne payait pas
l'impôt ; de même le maire de Naples, ville qui en était exempte, elle
aussi. Suit une liste des parlements généraux du royaume, de 1494 à
1642). — H. u'Aloe. Gatalogue de tous les édifices sacrés de la ville et
faubourgs de Naples ; fin. — G. de Blasiis. Un poème latin inédit à la
louange du comte de Samo (Francesco Goppola, 1484). — Document
inédit relatif à Joanpiero Leostello, 1493. — 8. de Bbnedetti. Un ms.
de la Gava en caractères rabbiniques. — Inventaires des pièces sur
parchemin ayant appartenu à la famille Fusco, et aujourd'hui possé-
dées par la Société d'histoire de Naples ; suite : chartes de l'époque
normande : 1169-1183.
78. — Afchivio délia Sooietà romana di storia patria. Vol. VII,
fasc. 1-2. — GuTURi. Les corporations de métiers dans la commune de
Viterbe (comment s'est formée la commune au xiii* s. ; de l'organisa-
222 RBCUEILS PIÎEIODIQUES.
lion des corps de métiers ; les tribunaux et la procédure ; état de la
propriété rurale; police des marchés, etc. Excellent travail, composé
en très grande partie d'après les documents des archives communales,
dont 12 sont publiés en appendice; ils sont du xv« s.). — Lbvi. Le
journal d'un notaire de Nepi, Antonio Lotieri de Pisano, 1459-68
(curieux pour l'histoire des mœurs, dans une petite ville des États
romains, sous le pontificat de Paul II; publie en appendice un mande-
ment de la chambre apostolique en faveur du trésorier, pour les frais
de l'entreprise dirigée contre les fils du comte Everso d'Anguillara,
25 févr. 1467). — Tomassetti. De la campagne de Rome au moyen âge;
suite (donne une liste alphabétique des lieux principaux situés sur le
territoire Goliinense au moyen âge). — Ambrosi db Maoistris. Un
inventaire des biens de la commune d'Anagni en 1321 (textes et notes
importantes pour l'histoire de ces localités). «Bibliographie. DelBadia.
Diario fiorentino del 1450 al 1515 di L. Landucci.
79. — Archlvio storico lombarde. 1883, 31 déc. — Bertolotti.
Expéditions militaires en Piémont, inconnues ou mal connues, de
Galeazzo Maria Sforza, duc de Milan ; fin. — Benvenuti. Riches et
nobles Lombards inscrits sur le livre d'or de la République de Venise.
— TEDEScm. Sur Luciano da Lovrana, architecte du xv« s. — Glaretta.
Les Assandri, patriciens milanais; dissertation historique et généa-
logique. — Ghiron. Bibliographie lombarde; catalogue des mss. relatifs
à l'histoire de la LombaMie qui se trouvent à la bibliothèque nationale
do Brera ; fin. — Canetta. Les épousailles de la maison Sforza avec la
maison d'Aragon, 1465 (publie divers documents sur l'entrée solennelle
à Naples des deux fils du duc François Sforza et de leur sœur Ippolita).
— Ghinzoni. Fausse alarme à Milan, dans la nuit du 28 août 1453 (on
crut à une attaque soudaine des Vénitiens). — Prina. Notice nécrolo-
gique sur Antonio Tiraboschi (il avait beaucoup écrit sur l'histoire de
Bergame; la plupart de ses travaux sont encore inédits). = Bulletin
bibliographique : Âgnelli. Monografia dell' abbazia cistercense di
Gerreto (bon). — Seletti. La città di Bosseto, capitale un tempo
dello Stato Pallavicino. 3 vol. (excellente monographie). — Bram-
billa. Monete di Pavia (très bon). — J. de capitani d'Arzago (bon
essai de science héraldique). = Anno XI, fasc. 1. 31 mars 1884.
— Geriani et PoRRO. Le rôle epistolographe du prince Pio de Savoie
(reproduisent la plupart des textes transcrits sur cet important parche-
min, déjà étudié par M. G. Gipolla dans VArch. veneto ; cf. Rev, hist.,
XXIV, 454. On sait que la publication intégrale de ce curieux monu-
ment paléographique, avec fac-similés, n'a été tirée qu'à 60 ex.). —
Valeri. De la souveraineté de Francesco Sforza dans la Marche, d'après
les mémoires et documents des archives de Serrasanquirico, l*' art.
(publie 26 documents sur ce sujet). — Magistretti. Galeazzo Maria
Sforza et la chute de Négrepont, 1470 (le duc fit tous ses efforts pour
profiter de ce grand revers infligé par Mahomet II à Venise, pour
ascuBiLs ptfaioDiQUis. 223
reprendre à la République les villes lombardes cédées en 1454 : Ber-
game, Brescia et Crème. Ce n'est pas sans peine que Paul U empêcha
d'éclater la guerre et fit conclure une alliance de tous les princes ita-
liens contre le Turc, le 2 dcc. Nombreux documents tirés des archives
de Milan). — Ganbtta. L'église et la tour de S. Giovanni in Conca, à
Milan. — Muoni. Curiosités artistiques dans l'église de FIncoronata,
près Martinengo ; notes et impressions (suivi d'un tableau généalogique
des familles Martinengo et Martinengo-Golleoni). — Paolia. La Casa
giocosa de Vittorino de Feltre à Mantoue (école construite et ornée au
xv« s. par Vittorino à l'imitation des Grecs et des Romains). — Biblio-
graphie. Poggi. Storia d'Italia del 1814 al di 8 agosto 1846. = Vazio,
Relazione sugli Archivi di stato italiani, 1874-82. — Vignati, Statu ti
vecchi di Lodi (ces statuts proviennent d'un ms. du xiii* s. retrouvé
par M. Y. au milieu de papiers sans valeur; il contient 119 documents
importants pour Thistoire de la ligue lombarde).
80. — Archivio storioo siolliano. Nouv. série. Ânno VIII,
fasc. 1-2, 1883. — Tumminello. Giano Vitale, humaniste du xvi« s.
(analyse d'abord les œuvres de ce poète latin du xvi" s., puis sa vie. Né
à Païenne, vers 1485, il passa la plus grande partie de sa vie à Rome.
Encouragé par Léon X, ses meilleures œuvres furent publiées de 1535
à 1559, de Paul III à Pie IV ; ses plus belles ont été dédiées à Jules III.
Il mourut sans doute à Rome vers 1559). — Mondello. De quelques
inscr. de Trapani (inscr. latines arabes et hébraïques du moyen âge).
— Amari. Extraits du Tarih Mansuri ; trad. italienne. Lettre à M. 8tar-
rabba (relatifs à la guerre de Frédéric II contre les Sarrasins, 1223-24,
1229-30). — Macri. Mario Giurba, jurisconsulte sicilien du xvii* s. —
Saunas. Excursions archéologiques en Sicile ; 2* art. : Mussomeli et
Butera. — Camarda. Recueil d'écrits relatifs à la médecine; ms. grec de
la bibliothèque nationale de Palerme. — Lionti. Documents relatifs
aux Hébreux de Sicile : 1^ la synagogue de Marsala; 2^ la roue des
Juifs; publie plusieurs documents inédits en latin et en dialecte sicilien.
Il convient de rapprocher l'étude sur la t rotella rossa • de ce qui a été
récemment écrit sur le même sujet dans la Revue des Études juives), —
Starrabba. De quelques contrats de mariage stipulés à Palerme de
1293 à 1299. — Giov. d'Ajetti. Pantellaria, études historiques. —
CosENTiNO. Un catalogue des actes de Frédéric III d'Aragon (l'auteur de
l'article montre que, si beaucoup de pièces relatives à ce roi ont été déjà
publiées, il en reste beaucoup encore d'inédites dans les archives; il se
propose d'en entreprendre la publication complète). — Laoumina. Notes
sur la Sicile orientale : i^ inscr. hébraïque de San Marco ; 2« inscr.
arabe de Syracuse ; 3^ nouveaux documents sur la porte arabe Bab as
Sudan. — Orlando. Onofrio Panvinio, enseveli daus l'église de Saint-
Augustin, à Palerme (liste des ouvrages publiés par ce fécond historien
du XVI* s.) — G.-B. DE Rossi. Monuments chrétiens de Sélinontc. =
Revue bibliographique : Boglino, Palerme e Santa Cristina. — Al Umarl.
224 RECUERS PERIODIQUES.
Gondizioni degli stati cristiani deir occidente, secondo una relazione di
Domenichino Doria da Genova ; testo arabo con versione italiana e
note di M. Amari (texte curieux et très bien commenté ; l'auteur, Ibn
Fadhl Allah, surnommé Al Umari, naquit à Damas en 1300 etmoumt
de la peste en 1349). — L'Italia descritta nel t Libro del re Ruggero »
compilato da Edrisi ; testo arabo con versione e note da M, Amari e
C. Schiaparelli. — PoggL Storia d'Italia dal 1814 al di 8 ag. 1846
(bonne continuation des histoires de Botta).
81. — Archeografo triestlno. Nuova série, vol. X, fasc. 3-4.
Janv. 1884. — Hortis. Lettres de Giuseppe Tartini, d'après les auto-
graphes conservés aux archives de Pirano, 1725-6S. — Vesnaver.
Notices historiques sur le château de Portole en Istrie; suite. —
Dr. Benussi. Llstrie* jusqu'à Auguste; fin. — Pervanoqlù. La légende
d'Ulysse sur les bords de l'Adriatique. — Kunz. Monnaies inédites ou
rares de fabrique italienne; 6« partie : Ferrare, 1187-1597; suite. —
Marsich. Inventaire des pièces en parchemin conservées aux archives
du révérend issime chapitre de la cathédrale de Trieste; suite: 1500-
1511. — Gregorutti. Inscr. inédites d'Aquilée, d'Istrie et de Trieste;
suite : n" 95-122. — Marchesetti. De quelques antiquités découvertes
à Vermo, près Pisino distrie; note préliminaire. — Pervanoqlù. De
l'inscr. de M. Calpurnius Bibulus (Finscr. publiée au C. L Gr. H, 1880,
et dont l'original, après avoir été gravé à Cîorcyre, se trouve aujourd'hui
à Rovigno, se rapporte bien à ce Calp., consul en 694 et amiral de la
flotte pompéienne, non à un M. Calenus).
82. — Bollettino storico délia Svizzera italiana. Anno VI,
1884, n»» 1 et 2. — D"* Liebenau. Le comte Lodovico Borromeo (prit
une part active aux guerres des Suisses en Italie, dans les premières
années du xvi« siècle; devint bourgeois de Lucerne et de Berne, en
1518). — Curiosités d'histoire italienne du xiv« s., tirées des archives
milanaises; suite. — Les statuts d'Intragna, Golino et Verdasio, de
1469 ; suite. — Les monnaies romaines trouvées dans les fouilles du
grande albergo à Locarno, 1872-73.
CHRONIQUE ET BIBUOGBAPHIE. 225
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE.
France. — V Académie des sciences morales et politiques a décerné à
M. RoGQUAJN un prix de 3,000 fr. pour Tensemble de ses travaux his-
toriques.
— V Académie française a partagé le prix Bordin entre M. Georges
DuRUY, pour son livre le cardinal Carro Caraffa, et M. J. Darmestbter
pour ses Essais sur la littérature anglaise et ses Essais orientaux. Sur le
prix Marcelin Guérin, 2,000 fr. sont attribués à MM. Perey et Mauoras
pour les deux volumes sur la Jeunesse et sur les Dernières années de
Madame d'Épinay.
— M. le général Faidhbrbe a été élu membre libre de F Académie des
inscriptions et belles-lettres en remplacement de M. Th.-H. Martin,
décédé.
— La Société de V Histoire de France a décidé la publication du Liber
querulus de excidio Britanniae composé par saint Gildas au vi* s. M. de
La Borderie, chargé de ce travail, se propose de donner une édition
critique de ce texte si important pour Thistoire des origines armori-
caines, avec une traduction ; en appendice il publiera un texte remanié
au xii« s., sans doute par Robert de Torigny, et contenant d'utiles leçons.
— Nous annoncions dans notre dernier numéro la prochaine publica-
tion de Texcellent manuel des Antiquités grecques do Sghcemann, traduit
par M. Galusky. Le 1" volume vient en etîet d'ôtre mis en vente (Alph.
Picard). — Annonçons à cette occasion la seconde édition très remaniée
du Manuel de philologie classique, par M. 8. Reinagh (Hachette). L'auteur
n'a rien changé à la disposition primitive de son livre ; mais il réserve
les nombreuses additions qu'il se propose d*y faire pour un second
volume. Cet appendice contiendra, outre une bibliographie très étendue,
des renseignements très abondants sur Tépigraphie, Tarchéologie de Tart
et la géographie comparée.
— Le Glossaire des dates, publié par M. de Mas Latrie dans le Cabinet
historique, a paru à part (Champion) ; il fournit l'explication, par ordre
alphabétique, des noms peu connus des jours de la semaine, des mois
et autres époques de Tannée, employés dans les dates des documents du
moyen âge.
— L'utile collection que dirige M. B. Zeller sous le titre de : 17/w-
toirc de France racontée par les contemporains illBicheiie), compte actuel-
lement 14 petits volumes (à 0 fr. 50 c); le dernier paru se rapporte à
Philippe- Auguste et Louis VIII (Luchairk).
Rev. IIihtor. XXV. l*' FASC. 15
220 CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE.
— MM. Louis BocA et A. Rendu, archivistes paléographes, ont publié
le t. I de l'Inventaire sommaire des archives départementales de la
Somme antérieures à 1790. Ce volume est relatif aux archives civiles
et comprend : la série A : actes du pouvoir souverain et domaine
royal, n®* 1 à 66, dont les dates extrêmes vont de 4608 à 1789; série B :
cours et juridictions; bailliages royaux et seigneuriaux, contenant
1,664 articles, de Tan 1441 à 1790. Comme on le voit, ces archives
sont précieuses surtout pour Tépoque moderne ; Thistoire administrative
aura beaucoup à y prendre.
— A partir du 15 mars dernier, parait une Revue poitevine et sainton-
geaise, par fascicules mensuels (Melie, Deux-Sôvres, chez Lacuve; prix :
12 fr. par an). Elle est dirigée par M. Berthelé, archiviste du départe-
ment des Deux-Sèvres, à Niort.
— De la note publiée par M. Morse-Stephenb dans le dernier numéro
de la Revue historique (p. 468), il résulte que le British Muséum possède
quelques cahiers de doléances qu'on ne retrouve plus aujourd'hui en
France. L'assertion est inexacte toutefois en ce qui concerne le cahier
du tiers état des sénéchaussées de Limoges et Saint- Yrieix. Les archives
départementales de la Haute- Vienne en possèdent un exemplaire
imprimé, acquis il y a six mois environ d'un ancien magistrat de la
cour de Poitiers <. Parlant de ce cahier que M. Ghassin croyait perdu,
M. Morse-Stephens trouve « qu'il présente un médiocre intérêt. » Ce
jugement est contestable. Il faudrait plutôt dire que les doléances
sont timides. On ne peut guère relever que les suivantes, comme
tranchant un peu sur les autres par le ton ou par le fond môme :
Art. 1. Les députés devront demander « sûreté de leurs personnes, i
— Art. 10. Ils réclameront également l'abolition des privilèges pécu-
niaires. « Que, s'ils (les ordres privilégiés) tenaient encore à ce sys-
tème, si leur trop longue jouissance était pour eux un prétexte de
chercher à la prolonger, tous pouvoirs de nos députés cesseront. » —
Art. 16. « Jusqu'à présent ce n'est pas seulement l'impôt qui a pesé
sur le tiers état de la province du Limousin ; la manière dispendieuse
de le percevoir, l'injustice dans la répartition en ont doublé la charge ;
l'intrigue, la bassesse, la faveur y ont soustrait une foule de particu-
liers, et la classe indigente a payé pour les protégés. » — Art. 18.
Les députés demanderont « que l'on prenne des moyens sûrs pour
garantir l'innocence. » — Art. 26. Ils demanderont également que
les revenus des abbayes et prieurés royaux soient perçus par les
États des provinces et employés au paiement des dettes de l'État.
Tout cela n'est point bien terrible et l'on s'étonne de cette timidité
1. A Limoges, chez Jacques Farne, imprimeur de l'Hôtel de ville et de la
police. MDCCCXXXIX. 15 pages pour le procès-verbal de l'assemblée préliminaire^
plus 11 pages pour les doléances formulées en 37 articles. L'exemplaire cité par
H. Stephens ne comprend que 22 pages.
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIB. 227
après an préambule tel que celui-ci : c Les maux étaient extrêmes :
le tiers état en était accablé. Il gémissait en bénissant' son maître
et rendant hommage à sa bienfaisance... •
LiYBBS NOUVEAUX. — DOCUMENTS. — Richcrd et Barbier. Inventaire des
archives de la ville de Poitiers; partie antérieure à 1790, dressée en 1842 par
M. L. Rédet. Poitiers, Tolmer. — Inventaire sommaire des archives commu-
nales de la ville de Boulogne-sar-Mer antérieures à 1790. Boulogne, impr.
Simonnaix. — Mavidal et Laurent. Archives parlementaires de 1787 à 1860 :
l'^ série, t. XVI, du 9 juillet au 12 août 1790. Paul Dupont. — Gouvendkn.
Inventaire sommaire des archives communales de la ville de Dijon anté-
rieures à 1790. T. II, l'"^ partie. Dijon, impr. Hersch. — Merlei, Inven-
taire sommaire des archives départementales d'Eure-et-Loir antérieures à
1790. Archives civiles. Série E, t. II. Chartres, impr. Gamier. — Bapst
Testament du roi Jean le Bon et Inventaire de ses joyaux à Londres. Impr.
Lahure. — /. GiUffrey. Scellés et inventaires d'artistes (forme le t. IV, 2* série,
des Nouvelles Archives de l'Art français). Charavay. — A. de Charmasse. Gar-
tulaire de l'évéché d'Autun ou Cartulaire rouge. Pedone Lauriel. Autun, Dejus-
sieu (publ. de la Société éduenne). — Cte Du Ckastel de La Howarderie-
Revireuil, Le livre noir du patriciat tournaisien, ou Mémoires de Pierre de
La Hamayde, écuyer, seigneur de Warnave et de Gamaraige. Dumoulin. —
Bréard. Journal du corsaire Jean Doublet, de Honfleur, lieutenant de frégate
sous Louis XIV. Charavay. — M. de Maupas. Hémoires sur le second empire.
Dentu. — Ch. D'Héricavdt et Bord. Documents pour servir à l'histoire de la
Révolution française. Sauton. ~ Tamizey de Larrogue, Documents inédits pour
servir à l'histoire de la ville de Dax (extrait de la Revue des Basses-Pyrénées
et des Landes). Paris, impr. Hugonis.
Histoire locale. — Biais. Notes sur les anciennes paroisses d'Angouléme
et autres documents inédits empruntés aux archives de l'hAtel de ville. (BuUet.
de la Soc. arch. et hist. de la Charente.) Angoulémc, Goumard. ~ Golmard.
Notice historique sur le village de Pralon et sur son ancienne abbaye de béné-
dictines. Dijon, impr. de l'Union typogr. — Fr. de Chanteau. Documents iné-
dits relatifs à l'histoire de la Révolution dans les Vosges. Bar-Ie-Duc, impr.
de r(Kuvre de Saint-Paul. — Mériel, Gouvernement de Falaise, de 1574 à
1590. Alençon, impr. Lepage. — Thomas. Bibliographie de la ville et du can-
ton de Pontoise (Mém. de la Soc. hist. et arch. du Vexin). Pontoise, impr.
Paris. — Cte de Marsy. Les sceaux picards de la collection Charvet (extrait
de la Pic4u-die, 1883). Amiens, impr. Delattre-Lenoel. ^ P. de Cagny. Notice
historique sur la chapelle-pèlerinage de N.-D.-des- Joies à Ennemain près
Péronne. Ibid. — Fage. Le chAteau de Puy-de-Val, description et histoire.
TuUe« impr. Crauffon. — Meizger. La république de Mulhouse, son histoire,
ses anciennes familles bourgeoises et admises à la résidence jusqu'en 1798.
Lyon, impr. Storck. — Meizger et Vaesen. Lyon en 1792 ; notes et documents.
Jbid. — Frin du Guyboutier. Mémoires concernant la ville de Laval. Laval,
impr. Moreau. — Guigue, Les possessions du prieuré d'Alix en Lyonnais, 1410;
documents en langue vulgaire. Lyon, Georg. — Cte A» de Bourmont. La fon-
dation de Tuniversité de Caen et son organisation au xy* s. Caen, Le Blanc*
llardel. — - Ducotuc-La goutte. Notes et documents pour servir à l'histoire des
juridictions royales en Bas-Limousin, 1462-1790. Tulle, impr. Crauffon. —
Lacoste. Histoire générale de la province de Quercy, t. I. Cahoni, Girrot. —
Abbé Lebouchard. Précieux documents sur N.-D. de Sauvagnac, 2* partie. —
228 CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE.
Servin. Les martyrs da Maine ; épisodes précieui de l'histoire de l'Église pen-
dant la RéToIution française, t. I. Layal, Chaillaud. — Sea%u:o%uin, Histoire
de la principauté d'Yvetot, ses rois, ses seigneurs. Rouen, Métérie. —
M. de Boureulle, L'abbaye de Remiremont et Catherine de Lorraine (extrait
du buUelin de la Soc. philom. vosgienne). — Brassard, Description historique
et topographique de l'ancienne yille de Bourg. Bourg, impr. Authier et Barbier.
— CarleU Description de la Tille de Saint-Jean-de-Losne, suivie de relations
historiques concernant cette Tille. Beaune, impr. Batault. — Abbé G. Chev<i^
lier. Notice historique sur Fixin et Fixey. Dijon, impr. Mersch. — Niepce.
Archéologie lyonnaise : les chambres de merTeilles ou cabinets d'antiquités de
Lyon, depuis la Renaissance jusqu'en 1789. Lyon, Georg. — Dubord. Solomiac;
histoire de cette bastide depuis sa fondation en 1322. Auch, impr. Foix (extrait
de la RcTue de Gascogne), -r- Lecocq. Variétés historiques, archéologiques et
légendaires du dép. d'Eure-et-Loir. Chartres, Pétrot-Gamier. — Thomas.
Numismatique et sigillographie pontoisiennes. Pontoise, impr. Paris.
Biographies. — P. de Fleury, Les Ravaillac d'Angouléme ; notes et docu-
ments inédits (extrait du Bull, de la Soc. arch. et hist. de la Charente, 1882).
Angouléme, impr. Chasseignac. — Foucault» Essai sur Ives de Chartres d'après
sa correspondance. Chartres, Pétrot-Garnier. — Chaper. Mgr le Camus, cardi-
nal, éTéque de Grenoble, de 1671 à 1707; notes pour servir à sa biographie
écrite par lui-même. Montbéliard, impr. Hoffmann. — J. Loth, Les Conven-
tionnels de la Seine-Inférieure. Rouen, Cagniard. — Bouchet. Un chanoine du
xviu* s. : l'abbé Simon, historien du Vendômois. Vendôme, impr. Lemercier.
— Mêlais. Union du litre abbatial de la Trinité de Vendôme à la collégiale de
Saint-Georges, 1780-89; suivi d'une biographie de Mgr de Bourdeilles, 34* et
dernier abbé de la Trinité (extrait du Bull, de la Soc. arch. du Vendômois).
Ibid. — A. Tardieu. Généalogie de la maison du Plantadis dans la Manche
et en Auvergne. Moulins, impr. Desrosiers. — Vatel. Histoire de M"* du
Barry ; t. III. Versailles, Bernard. — Vie de M. Du Guay-Trouin, écrite de sa
main, et dont il a fait présent, lui-même, à la famille de MM. de Lamotte en
Brest. Jouvet. — Mis de Rochambeau. Biographie vendômoise ; t. I. Champion.
— Doinel. Ooncino-Concini, marquis d'Ancre, maréchal de France ; récit de sa
mort par J. Boucher de Guilleville, échevin d'Orléans, témoin oculaire (extrait
des Mém. de la Soc. arch. de l'Orléanais). Orléans, Herluison.
Belgique. — M. R. de Ridder, professeur à l^université de Gand, a
publié, à la demande de la Commission parlementaire d^enquôte sco-
laire, un important mémoire sur V Enseignement professionnel dans ses
rapports avec l'enseignement primaire en Belgique (Bruxelles, Hayez). On
y trouve l'historique des ateliers d'apprentissage, des écoles dentel-
lières et des ouvroirs en Belgique.
— Nous avons reçu, de la part de notre correspondant belge, le deu-
xième fascicule des Travaux du cours pratique d'histoire nationale de
M. Paul Fredericq (Gand, Vuylsteke; La Haye, Nyhofif). Ce deuxième
fascicule contient des dissertations de quatre élèves de M. Fredericq
sur l'histoire des Pays-Bas au xvi« siècle : La politique de Gérard de
Griesbeck, prince-évêque de Liège, pendant le gouvernement de don Juan
d'Autriche dans les Pays-Bas (Henri Pirenne) ; Notice sur Fray Lorenço
de Villavicencio, agent secret de Philippe H (Alfred Journez); Contribu-
tion à V histoire des inquisiteurs des Pays-Bas au XVI^ siècle (Eugène
CnROXIQUB ET BIBLIOGRAPHIE. 229
Monseur); et table chronologique du Registre sur le faict des hérésies et
inquisition des archives royales de Bruxelles (Eugène Hubert).
— M. Max RoosBS, dont nous avons annoncé le magistral ouvrage
sur Christophe Plantin, vient de publier en flamand une monographie
des plus curieuses sur les relations de Rubens et de Balthazar Moretus,
le successeur du grand imprimeur anversois.
— Nous avons déjà signalé ici le discours de M. Gallier, recteur de
l'université de Gand, et la leçon d'ouverture de M. Eug. Hubert, pro-
fesseur de l'université de Liège, sur l'origine des libertés belges. M. Yer-
CAMER, auteur d'une remarquable Histoire du peuple belge et de ses insti'
tutions, vient de publier sur le môme sujet une monographie assez
confuse intitulée : De Vorigine de nos libertés. Réponse au discours pro-
noncé par M. le recteur A. Gallier à l'occasion de la réouverture des
cours de l'université de Gand (Bruxelles, Decq).
— La Ghambre des représentants de Belgique a vu surgir au mois
de mars un débat historique passionné sur la valeur scientifique de la
grande édition des Chroniques de Froissart, publiée aux frais du gou-
vernement par M. Kervyn de Lettenhove (Bruxelles, 1867-1877, 25 vol.).
L'auteur, ancien ministre catholique, a été vivement pris à partie par
ses adversaires politiques, qui ont produit des comptes-rendus sévères
tirés de revues scientifiques, entre autres de la Revue critique, M. Kervyn
a riposté en citant des certificats de spécialistes français et autres. Pen-
dant une couple de séances, la Ghambre ressemblait à une académie
divisée contre elle-même.
— Le Catalogue de la bibliothèque de feu M. Fr. Vergauwen, membre
du Sénat et président de la Société des bibliophiles flamands de Gand
(Bruxelles, Olivier, 2 vol. in-8'»), offre un grand intérêt pour l'histoire,
surtout pour celle des anciens Pays-Bas. Le mauvais état des finances
publiques ayant empêché le gouvernement belge d'acheter cette admi-
rable collection en bloc, la première partie de la vente aux enchères
a eu lieu à Bruxelles en mars dernier. Quelques semaines auparavant,
avait eu lieu à La Haye la vente publique d'une autre bibliothèque de
premier ordre, celle de feu M. G.-P. Lenshoek, bourgmestre à Wol-
faartsdyk en Zélande. Le Catalogue (La Haye, Nyhoff) est aussi un
livre de grande valeur, qui a sa place marquée à côté du Gatalogue
Vergauwen dans la bibliothèque des spécialistes.
— Les origines de la diplomatie et le droit cPambassade jusqu'à Grolius^
par M. Ernest Nys, juge au tribunal de Bruxelles, tel est le titre d'un
important extrait de la Revue de droit international (58 p., Bruxelles,
Muquardt). L'auteur étudie la diplomatie du xv« et du xvi« siècle, sur-
tout celle de Venise et des autres républiques italiennes ; puis il traite
des développements du droit d'ambassade jusqu'à (vrotius et passe en
revue les auteurs qui ont écrit sur la matière depuis l'ouvrage do
M. Martin Garât de Lodi (milieu du xv« siècle) jusqu'au grand juris-
230 CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE.
consulte hollandais. — Ce travail vient compléter Tune des faces du
sujet traité d'une manière remarquable par M. Nys dans son livre Le
Droit de Guerre et les précurseurs de Grotius,
— M. A.-D. Prins, professeur à l'université libre de Bruxelles, a
publié une critique très importante de nos institutions modernes, com-
parées à celles de l'ancien régime, dans son livre La Démocratie et le
régime parlementaire (Bruxelles, Muquardt). L'auteur met en pleine
lumière les qualités des institutions balayées par la Révolution de 1789
et la nécessité de perfectionner notre organisation actuelle en profitant
des leçons que peut nous fournir le passé.
Grande-Bretagne. — On annonce la mort de M. W. Blanghard-
Jerrold, journaliste brillant et fécond, auteur d'une biographie de
Napoléon III, qui est une longue apologie du règne du dernier souve-
rain de la France. Il est décédé le 10 mars dernier.
— Sous le titre de Bibliotheca curiosa, M. Edm. Goldsmid a entrepris
de publier à nouveau divers écrits anciens curieux à divers titres. C'est
ainsi qu'il donne un choix des Political songs, autrefois publiés par
M. Wright pour la Camden Society; ce choix paraît fort arbitraire;
quant aux notes de l'édition primitive, M. Goldsmid les allonge ou les
raccourcit à son gré. Ces remaniements ont entièrement défiguré le
travail primitif (Athenaeum, 15 mars 1884).
— M. Fyffe vient de donner le tome premier d'une seconde édition
de sa remarquable Histonj of modem Europe (Londres, Cassells).
— Les tomes VI, VU et VIII de la History of England, par M. Gar-
diner, nouvelle édition, viennent de paraître (Longmans).
— M. J.-P. Briscoe , conservateur des bibliothèques publiques de
Nottingham, prépare un second volume de son ouvrage Old Nottin"
gharnshire ; le premier a paru en 1881 .
— La 36« publication servie par la Spenser Society à ses membres
contient la Respublica Anglicana, or the historié of the Parliam^nt in
their late proceedings, par George Wither; Londres, 1650, mémoire en
prose, de 56 p. in-4o.
Allemagne. — Notre éminent collaborateur, M. Arnold Sgh/EFer,
dont nous avons annoncé précédemment la mort prématurée, arrivée le
19 novembre dernier, était professeur d'histoire ancienne à l'université
de Bonn. Il était né le 16 octobre 1816 à Seehausen, près de Brème, où
son père était maître d'école. Lorsque les écoles de Brème furent réor-
ganisées, le père fut appelé à diriger une école de la ville ; c'est ainsi
qu'il put faire donner à ses fils une éducation soignée. Ils ont su en
profiter : le frère d'Arnold, son aîné de dix ans, Johann- Wilhelm, est
bien connu par ses travaux sur Thistoire littéraire. Après être sorti du
gymnase, que dirigeait alors un latiniste distingué, W.-E. Weber,
Arnold arriva à Leipzig dans l'automne de 1838 pour y étudier la phi-
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE. 231
lologie et Thistoire. Ses maîtres : Gottfried Hennann, Wachsmuth,
Niedner, Wiener, Drobisch, ne tardèrent pas à reconnaître les qualités
de son intelligence et son travail acharné; aussi, lorsqu'il eut achevé
SCS trois ans d'études et conquis son doctorat, le recommandèrent-ils à
un pédagogue distingué qui dirigeait à Dresde une grande maison
d éducation : le Vitzthumsch^s Geschlcchtsgymnasium (du nom de la
famille Vitzthum, qui Tavait fondée}; à partir de Pâques 1842, il y pro-
fessa rhistoire, la littérature allemande et les langues anciennes. Il y
passa neuf ans ; l'éclat de son enseignement et divers mémoires d éru-
dition, par exemple : Coinmentatio de Ubro vitarum X oratontm et De
locis nonnuUis Ciceronis, Plinii, Frontonis, attirèrent sur lui l'attention
du gouvernement saxon et il fut nommé professeur à l'école régionale
de Grimma (2 déc. 1850); il y enseigna sept ans avec un grand succès;
l'histoire et la langue allemande étaient l'objet de son enseignement ; il
trouva en outre le temps de composer l'ouvrage qui a fondé sa réputa-
tion scientifique : Demosthenes und seine Zeit, en 3 gros volumes, qui
parurent de 1856 à 1858 : il y étudie une des périodes les plus fécondes
en événements de l'histoire grecque, à l'aide des matériaux les plus
divers, œuvres littéraires et inscriptions; et l'on peut dire qu'il a épuisé
le sujet. M. E. Mùllcr, l'éditeur des discours de Démosthènes, en par-
lait en 1875, à la fin de sa préface aux Ausgewxhlte Reden Demosthenes,
comme c d'un ouvrage classique et qu'on ne remplacerait pas do si
tôt. » Cet ouvrage ouvrit à M. Schiefer la carrière universitaire : en
novembre 1857, il fut nommé professeur d'histoire à Greifswald. Il y
resta jusqu'à Pâques 1865, où il passa à l'université de Uonn, Il devait
lui rester fidèle jusqu'à sa mort. On s'étonna que l'historien de Démos-
thènes abordât l'étude de la guerre de Sept ans ; mais il avait une telle
puissance de travail, il avait le sens historique si aiguisé et si com-
préhensif qu'il s'acquitta heureusement de cette nouvelle tâche. Après
de longues années d'études dans les archives de Berlin, de Paris, de
l^ndros et de Vienne, auxquelles il consacra ses vacances, parut lo
premier volume de l'ouvrage; il raconte les débuts de la guerre jusqu'à
la bataille de Leuthen. La première partie du t. II, parue en 1870, com-
prend les événements militaires jusqu'à l'ouverture de la campagne de
1760; la seconde partie, qui forme à elle seule un gros volume, conduit
le récit jusqu'à la fin : l'ouvrage fut entièrement terminé en 1874. En
fait de recherches consciencieuses, d'impartialité, de savante ordon-
nance, il peut être considéré comme un des ornements de la littérature
historique en Allemagne. Si l'on ne peut le comparer à ceux de Hanko
ou de Carlyle pour la vivacité du récit, l'originalité de la pensée ou la
mise en relief des idées maîtresses, il n'en est pas moins le point de
départ de tous les travaux sur cette période de sept années. I^eudant
qu'il y travaillait encore, M. Scliaefer fit paraître, en 1875, un recueil
de mémoires et discours historiques, qui est le meilleur témoignage du
vaste domaine qu'embrassaient ses études : histoire ancienne et moderne,
histoire même du moyen âge, il aborda les sujets les plus divers avec
232 CHRONIQUE ET BIBLIOGKIPHIE.
le même soin et la môme comiaissance approfondie des choses. Le
dernier ouvrage qu'il ait publié est son Abriss der Quellenkunde der
griechischen und rœmischen Geschichte, qui parut en 1881 en deux par-
ties. La première, relative à l'histoire grecque, parut d'abord en 1867 et
eut trois éditions. Les dernières années de sa laborieuse existence
furent employées à remanier la Vie de Démosthènes, et l'on peut
espérer que le résultat de ces suprêmes études sera bientôt commu-
niqué au public.
Si l'on pense que M. SchsBfer, à côté de ces incessants travaux d'éru-
dition, préparait ses leçons avec le plus grand soin et dirigeait avec
activité les travaux de son séminaire, on reconnaîtra aisément en lui le
modèle du professeur allemand, pour qui chercher la vérité et remplir
son devoir sont les seuls biens désirables de l'existence. C'est seulement
pendant les vacances que, dans les dernières années de sa vie, il se per-
mettait quelque repos ; il l'employait alors avec sa femme à de grands
voyages qu'il poussa jusqu'en Orient. Ses élèves lui étaient tout
dévoués et il en forma d'excellents ; on en a la preuve dans ces Histo-
rische Untersuchungen que dix d'entre eux, autrefois ses disciples à
Greifswald ou à Bonn, aujourd'hui professeurs dans diverses univer-
sités, se sont entendus pour publier, à l'occasion du 25' anniversaire de
sa nomination au professorat (30 nov. 1882) ; M. Schœfer n'avait pas
d'enfants, ses élèves lui tenaient d'autant plus au cœur. M. Schaefer,
qui avait en général joui d'une bonne santé, devint malade l'été der-
nier. Pour se rétablir, il alla prendre à l'automne les eaux à Gastein ;
mais le mieux ne dura pas longtemps; il est mort subitement. — 0. H.
— Le 31 janvier dernier est mort à Strasbourg le professeur ordinaire
de sanscrit à l'université de cette ville : M. Siegfried Goldschmidt. Il
n'avait que quarante ans. — Le 10 février est mort à Florence M. Th..
Heyse à l'âge de quatre-vingt-un ans. Il y passa la plus grande partie
de sa vie; il fut chargé par plusieurs savants et par les théologiens
d'Oxford de collationner, dans les bibliothèques de ce pays, des mss.,
soit de pères de l'Église, soit d'auteurs classiques. Il n'a publié sous son
nom que Polyhii historiarum excerpta gnomica in palimpsesto vaticano
Ixxiij (Berlin, 1846). — Le 12 février est mort à Lichtenfeld, près de
Berlin, M. A. Bernstein, auteur de nombreux écrits relatifs surtout à
l'histoire de la constitution allemande. Nous mentionnerons seulement :
Die Mxrz'Tage^ 1848 (Berlin, 1873) ; VerfassungsJuempfe und Kabinetsin-
triguen^ 1849 (1874); Ursprung der Sagen von Abraham, Jsaak und Jaœb
(1871). Il était âgé de soixante-douze ans. — Le 17 février est mort
à Stettin M. H. Berghaus, cartographe, historien et géographe distin-
gué. Son œuvre principale est intitulée Allgemeine Uender-und Vœlker-
kunde, en 5 vol. — Le 19 février est mort à Berlin M. Garl Mùllenhoff,
à l'âge de soixante-six ans. Il était né à Marne, en Ditmarschen (Hols-
tein); professeur à Kiel de 1846 à 1858, il devint en 1858 professeur à
l'université de Berlin et depuis 1864 membre de l'Académie des sciences
du royaume ; c'était un de ceux qui connaissaient le mieux la langue et
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE. 233
les antiquités allemandes. Nous citerons parmi ses nombreuses publi-
cations : Denkmsler Deulscher Poésie und Prosa ans dem VIII-Xïl Jahrh
(en collaboration avec M. W Scherer), et une remarquable Deutsche
Alterthumskunde, dont malheureusement le l"' vol. seul a paru (Berlin,
1870). — Le rabbin Lévy-Herzfeld, connu comme historien et comme
orientaliste, est mort à Brunswick le 13 mars; il laisse une Geschichte
des Volkes Israël en 2 vol. (Nordhawen, 1855-57) et une IJandelsgschichle
der Juden des AUerthums (Brunswick, 1879). — Le 15 mars est mort à
Gotha M. Behm, rédacteur en chef des Petermann's Mittheilungen.
— M. LûDEMANN, professeur à Kiel, a été nommé professeur ordinaire
d'histoire ecclésiastique à l'université de Berne. — M. Pfluqk-Harttunq
a été nommé professeur extraordinaire d'histoire à l'université de
Tubingue, où il était déjà privat-docent. — M. Ebrard , bibliothécaire
de l'université de Strasbourg, a été nommé conservateur de la biblio-
thèque municipale de Francfort-sur-le-Mein.
— Une lettre reçue dernièrement par VAIL Zeitnng apprend que les
travailleurs chargés de déblayer les ruines de l'Acropole à Pergame ont
fait une découverte archéologique d*un grand intérêt. Près du tombeau
qui se trouve après l'entrée dans le temple de Minerve, ils rencontrèrent
une petite porte qui se trouvait dans le mur; cette porte conduit par
un souterrain à un amphithéâtre très spacieux et artistement disposé.
— On a trouvé près de Bretzenheim, en novembre 1882, un trésor de
1,005 pièces d'or des xni« et xiv« s. ; ces pièces proviennent un peu de
tous les pays d'Allemagne et d'Italie. Elles ont été acquises par le
Cabinet des Médailles de Mayence. Une description en a été donnée
par M. P. Joseph à Francfort, dans un écrit intitulé : Historisch^Kri-
tische Beschreibung des Bretzenheimer Goldguldenfundes.
— En février dernier, M. Schliemann a commencé des fouilles sur le
champ de bataille de Marathon, aux collines que la tradition considère
comme les tombeaux des Athéniens tombés dans le combat. Les fouilles
n'ont rien produit qui fût de nature à confirmer cette tradition. Un des
tumuli est un cénotaphe d'une époque beaucoup plus ancienne que le
combat de Marathon; les poteries qu'on y a trouvées ont une grande
ressemblance avec celles que Schliemann avait découvertes dans le ter-
rain de la Troie homérique. Actuellement, M. Schliemann a entrepris
des fouilles à Tyrinthe avec 60 ouvriers ; il n'a pu obtenir du gouver-
nement turc de firman l'autorisant à faire de grands travaux en Crète.
— Depuis le 1" janvier parait comme supplément au Pastoralblatt
fur die Diacese Rottenburg, sous la direction de M. E. Hopele, un Diœ-
cesan^ArcInv ; Blxtter fur Kirchengeschichiliche Mittheilungen und Studien
aus Schwaben, qui se propose de devenir un organe central pour l'his-
toire de l'église catholique en Wurtemberg.
— A la librairie Cotta à Stuttgart, parait par fascicules mensuels une
nouvelle Zeitschrift fur allgeineine Geschichte, Kultur^Literatur^und
Kuntsgeschichte.
234 cMMornooE wt nBUOGftiPflis.
— h'Anznger fOr Kunde der deutschen Vorzeit a cessé de paraître après
la 30« année de son existence. Il est remplacé par VAnzeiger des germa^
nischen Muséums zu NiXrnherg qui contiendra la liste des acquisitions
annuelles du Musée germanique.
— L'Académie des sciences de Prusse a décerné une récompense de
400 m. à M. VON Linoenthal pour l'édition d'un Epitome juris byzantin,
et une de 1,000 m. pour l'édition des bulles des papes à M. Pfldqk-
Harttung. — Dans la séance du 6 mars, M. Virghow a présenté une
série de bijoux en antimoine pur trouvés dans un cimetière de TAnti-
caucase ; autant qu'on le peut savoir, c*est la première fois qu'on trouve
Tantimoine pur employé dans les objets antiques.
— M. DE Treitsghke a reçu le grand prix triennal de 3,000 marks
fondé par Frédéric-Guillaume IV pour Toeuvre historique la plus impor-
tante.
— On doit publier prochainement le 3« vol. des Mémoires de M, von
Friesen, ancien ministre de Saxe, récemment décédé ; ce volume a été
retrouvé dans ses papiers presque entièrement terminé.
— M. BoETHGEN est Chargé par la Deutsche Morgenlwndische Gesellschaft
de publier des Fragments d'historiens syriaques. — M. C. Henkino,
professeur à SchafTouse, a été chargé par la Bctdische historische Com-
mission de rédiger une histoire des Zœhringer jusqu'à la fin de la ligne
ducale; et M. Gothein d'écrire une histoire de la Forêt Noire.
— L'Historia Francorum de Grégoire de Tours, dont M. Arndt pré-
parait le texte depuis si longtemps pour les Monumenta Germaniae hiS"
torica, vient enfin de paraître (Hahn, Hanovre).
— Les quatre dernières livraisons que nous avons reçues (77 à 80) de
VAllgemeine Geschichte in Einzeldarstellungen (Berlin, Grote) con-
tiennent : la 1" livraison des Anglo-Saxons, par M. Ed. Winkelmann ;
la suite de l'histoire de l'Inde ancienne, par S. Lefmann ; la fin de l'his-
toire de Byzance et de l'empire ottoman, par Hertzberq ; la l" livrai-
son de l'Europe occidentale à l'époque de Philippe II, d'Elisabeth et de
Henri IV.
Livres nouveaux. — Histoire générale. — Bergbohm. Die bewaffnete
Neutralitœt, 1780-1783. Berlin, Puttkammer. — Conrat. Die Epitome exactis
regibus ; Sludien zur Geschichte des rœmiscben Rechts im Mittelalter. Berlin,
Weidmann. — Eœald, Die Eroberung Preassens durcb die Deutschen. Buch 3.
Halle, Waisenhaus. — Schletterer. Geschichte der Hofcapelle der franzœsischen
Kœnige. Berlin, Damkœbler. — Vlmann, Kaiser Maximilian I. Bd. I. Stutt-
gart, Cotta. — Kœhler. Zur Schlacht von Tagliacozzo am 23 aug. 1268. Bres-
lau, Kœbner. — Ibach, Der Kampf zwischen Papstthum und Kœnigthuro von
Gregor VII bis Calixt H. Francfort-sur-Ie-Mein, Fœsser. — Leist. Die Urkunde;
ihre Bebandiung and Bearbeitung. Stuttgart, Cotta. — Radke. Verwaltungs-
geschichte Frankreichs unter Ludwig XIV. Kœnigsberg, Beyer. — SchnUd,
Geschichte der Erziehung vom Anfang an bis auf unsere Zeit. Bd. I. Stutt-
gart. Cotta.
GHROinQUE ET BIBLIOGRAPHIE. 235
ANT1QUITJ&. — Hertzberg. Griechische Geschichte. Halle, Waisenhaus. —
Schubert. G«schichte der Kœnige yon Lydien. Breslau, Kœbner. — Herzog.
Geschichte und System der rœmischen SUaUveriassung. Bd. I : Kœnigszeit u.
Repablik. Leipzig , Teubner. — Kxrsi. Kritiscbe Untersucbungen zur Ge-
scbichte des zweiten Samniterkrieges ; ibid. — Schmidt. Die letzten Kaempfe
der rœmischen Republik. Th. I.; ibid. ~ Anonymi de situ orbis libri duo; e
cod. Leidensi nunc primuro edidit M. Manitius. Stuttgart, Cotta. — Bergk.
Beitrffige zur rœmischen Chronologie. Leipzig, Teubner.
HiSTOïKB LOCALE. — H, V. Sckack. BeitraBge zur Geschichte der Grafen und
Herren von Schack. Bd. I, 1162-1303. — F. v. Weech. Codex diplomaticus
Salemitanus, Lief. 5, 1267-74. Karlsruhe, Braun. — llgen et Vogel. Kritiscbe
Bearbeitung und Darstellung der Geschichte des thuringisch-hessischen Erb-
folgekriegs, 1247-64. Harbourg, Elwert. — Ledehurg. Kœnig Friedrich I Ton
Preussen. 2 vol. Schwerin, Schmall. — Kayser. Die Einfûbrung der Reforma-
tion in der Stadt Hildesheim. Hildesheim, Gude. ~ Hartfelder. Zur Geschichte
des Bauernkrieges in Sûdwestdeutschland. Stuttgart, Cotta. — Wyu. Hes-
siscbes Urkundenbuch ; 1* Abth. : Urkundenbuch der Deutschordens-Ballei
Hessen. Bd. II, 1300-59. Leipzig, Hinrichs.
Aatriche-Hongrie. — A Parengo, en Istrie, s'est constituée une
Società Istriana di archeologia e sioria patria, consacrée aux recherches
de tout genre sur l'histoire d'Istrie, depuis l'âge préhistorique jusqu'au
moyen âge. Dans les pays de langue italienne qui appartiennent à
l'Autriche, parait depuis longtemps, comme on sait, VArchivio tries'
tino, dirigé par M. A. Hortis; l'an dernier, s'est fondé VArchivio tren-
tino, qui a déjà donné d'excellents résultats ; on sait enfin que depuis
quelques années un Archivio storico per Triesto, l'Istria e il Trentino
parait à Rome par les soins de MM. Zenati et Morpurgo.
LiY&xs NOUYBAUX. — Krall. Studien zur Geschichte des alten Aegypten.
Bd. II. Vienne, Gerold. — Helferi. Maria Karolina Ton Œsterreich, Kœnigin
Ton Neapel u. Sizilien. Anklagen und Vertheidigung. Vienne, Faezy.
Italie. — Le lieutenant-colonel Mariani, décédé le 20 décembre dernier
à l'âge de soixante ans, avait publié divers ouvrages estimés sur Thistoire
militaire, ainsi : Storia politica^militare délia guerra di Lombardia nel
1648 (Turin, 1854); Délia vita e délie imprese del générale Eusebio Bava
(1854); Sioria délia guerra del 1866 in Germania (Milan, 1868); Il Plu-
tarcho iialiano (2 séries, 1869 et 1875); Lettere di storia patria (2« éd.
1877) ; La guerra delV fndipendenza italiana^ 4 vol. et un atlas (1882).
— Notre collaborateur, M. Ad. IIolm, vient d'ôtre appelé à l'Univer-
sité de Naples ; et notre correspondant, M. Falletti Fossati, à l'Univer-
versité de Palermc.
— M. Guido Baccelli, naguère ministre de l'instruction publique,
a établi à Rome un Instituto storico italiano, et il lui a attribué
la très riche et célèbre bibliothèque Vallicelliana ; le décret royal
de cette fondation porte la date du 25 novembre 1883. L'institut
se compose de 15 membres, dont quatre nommés par le ministre,
et les onze autres élus par les cinq commissions royales d'histoire
provinciale et par les six sociétés historiques existant aujourd'hui
236 CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE.
dans le royaume. Le but de cette institution est indiqué dans le rap-
port présenté au roi par M. Baccelli : a La grande œuvre qui en Italie,
en même temps que Tamour pour les études historiques, a réveillé la
conscience nationale, ... a été commencée par Muratori. En faisant con-
naître dans les Scriptores rerum italicarum les sources de l'histoire, en
les discutant dans les Antiquitates, en les digérant dans les Annali, il a
élevé à la patrie le monument historique le plus considérable dont elle
puisse à bon droit se glorifier... i Puis le rapport insiste sur le travail
analytique commencé par les Commissions royales et les Sociétés
d'histoire, auxquelles on doit aussi des publications périodiques et
des volumes de documents. Il rappelle l'appui que TÉtat a libéra-
lement fourni à de semblables travaux. « Mais, continue le rapport
ministériel, avec les progrès accomplis par la science historique, les
érudits s'aperçurent que, si l'impulsion spontanée des recherches limi-
tées dans un champ bien défini, la liberté et la persistance de la méthode
avaient porté leurs fruits, il était à désirer qu'on s'engageât maintenant
dans une action commune, en appliquant les forces scientifiques des
grandes régions à une œuvre homogène, à l'effet de répandre l'édition des
Scriptores historiae patriae avec des moyens plus larges, et en employant
les instruments et les secours de la critique moderne. Tout en respec-
tant, comme il le fallait, l'initiative des Commissions et des Sociétés
particulières d'histoire provinciale, et en en maintenant fermement l'au-
tonomie ; on a voulu en môme temps que toutes leurs forces s'unissent
pour tendre au but suprême de l'histoire nationale, et que le patrimoine
scientifique de chaque province devienne le patrimoine de toutes. »
Tous les membres de l'Institut ne sont pas encore nommés. Les quatre
à la nomination du ministre sont, à ce qu'on assure, MM. Francesco
Grispi, député, Cesare Gorrenti, Bart. Capasso, directeur des Archives
napolitaines, et Gius. De Leva, professeur à l'Université de Padoue.
La Commission vénitienne a élu M. Fedele Lampertico, sénateur; la
Commission pour la Toscane, les Marches et l'Ombrie, M. Tabarrini,
sénateur; la Société lombarde, M. Giulio Porro; celle de Naples,
M. Ruggero Bonghi; celle de Rome, M. Tommasini; celle de Romagne,
M. Giosuè Garducci.
— Deux nouveaux recueils périodiques consacrés à l'histoire ont
commencé de paraître cette année. M. Ettore Pais, directeur du Musée
des Antiques de Cagliari, a repris la publication du Bullettino archeo"
logico sardo qui avait déjà mené une existence assez brillante de 1855
à 1865 sous la direction du savant archéologue, le chanoine Giov.
Spano. Ce bulletin se propose de décrire les monuments qui existent
au Musée, ou qui leur parviendront, de rendre compte des fouilles
opérées dans l'île et des antiquités qu'on y trouvera, etc. Son domaine
est plus spécialement restreint à l'époque primitive et aux périodes
phénicienne, carthaginoise et romaine, sans cependant s'interdire le
moyen âge. Les articles du premier fasc. sont tous de M. Paisj le pre-
mier est relatif à un passage d'Hérodote (VU, 165) sur les Sardes; le
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE. 237
second à deux colonnes milliaires (de Fan 13-14 et de Tan 46 av. J.-G);
suivent des comptes-rendus, des notices variées, etc.
— L'autre recueil est la Rivista storica italiana (trimestrielle) dirigtH^
par M. G. Rinaudo. La Rivisia ne veut pas être un Arehivio; elle
admettra bien des documents, mais elle se propose surtout de traiter
des questions historiques, et de préférence celles qui présentent un
intérêt général ; elle n'accumulera pas des matériaux, elle tiendra le
lecteur au courant des questions agitées dans la science, spécialement
pour rhistoire italienne, sans distinction de provinces. Dans la pensée
du directeur, toutes les terres italiennes formeront la matière au nou-
veau périodique. Le [^' numéro contient quatre mémoires : le 1«% par
M. Pasq. Villari : « Une nouvelle question sur Savonarole, • où Fauteur
combat avec de solides arguments les doutes élevés par Ranke sur l'au-
thenticité et sur la valeur des plus anciennes biographies de Savonarole.
M.Gius. De Leva traite de « l'Élection du pape Jules III, «dans un article
qui est sans doute un chapitre de son histoire de Gharlcs-Quint, dont la
continuation est attendue depuis tant d'années. Il est bon de rappeler à ce
propos que l'Académie dei Lincei a décerné le prix royal de 10,000 1. au
4* vol. de cette œuvre monumentale, si riche en documents inédits; c'est
en février dernier que ce prix lui a été attribué. Revenons à la Rivista :
le 3« mémoire est de M. Vito La Mantia sur les Gommunes de TËtat
romain au moyen âge; travail d'ensemble, poursuivi jusqu'au xv* s.,
où l'auteur montre que les villes jouissaient de beaucoup d'indépen-
dance et de liberté sous la protection des papes. M. G. Rosa, dans c Les
Franciscains au xni* s., i traite en quelques pages do l'influence exer-
cée sur la Société par cet ordre religieux. Les mémoires sont suivis de
comptes-rendus critiques, des analyses de périodiques italiens et étran-
gers, etc.
— MM. Milziade Santoni, Giuseppe Mazzattini et Michole-Faloci-Puli-
gnani vont entreprendre un Arehivio storico per le Marche e l'Umbria,
imprimé à Foligno; on y donnera une grande place aux documents.
— Également importante sera la Rivista storica mantovana dont on
annonce la prochaine apparition. Les archives et les bibliothèques de
Mantoue abondent en documents précieux, surtout pour l'époque do la
domination, aussi glorieuse que longue, des Gonzague. Gomme on In
voit, cette série de publications nouvelles est de bon augure pour le
progrès des études en Italie.
— M. D. GoMPÀRBTTi vient de faire paraître à Florence (l^cscher) le
le !«>' numéro du Museo italiano di antichità classica; parmi les mémoires
contenus dans ce premier fasc., nous noterons celui de M. G. Pais sur
les Golonies militaires établies en Italie par les triumvirs et par Auguste,
avec le catalogue des colonies italiennes indiquées par Pline.
— Depuis l'assemblée générale tenue à Vicence en 1881, la R. depu-
tazione di storia veneta de Venise a mis en distribution : 1* le t. III
du Codice diplomatico di Padova, qui termine cette importante pubhca-
238 CHRONIQITE ET BIBUOGaAPfllB.
lion ; 2o le t. Il des Miscellanea, qui contient : les StatuH civili e crimi"
nali di Concordia, une Monografia sui principi di Morea, une autre sur
les Popolazioni dei tredici comuni veronesi, une enfin sur les Fonti édite
ed inédite delta storia delta regione veneta ; 3® deux rapports sur la topo-
graphie de la région vénitienne à Tépoque romaine, entreprise par la
Société. Sont sous presse : le t. UI des Cominemoriali, préparé par
M. Predelli ; le t. I des Cronache contenant les Diarii de Leonardo et
Gregorio Amasei, préparés par M. Geruti ; le t. HI des Miscellanea, qui
commence par un mémoire de M. Bertolotti sur les artistes vénitiens
à Rome ; les 3 volumes de la correspondance de Paolo Paruta sont en
préparation : les chroniques de Vérone de Marzagaja, les plus anciennes
chroniques vénitiennes, comme TAltinate et celle de Dandolo, les
Sécréta fldelium de Marine Sanuto Torsello ; les statuts de Trévise. — -
La Société patronne aussi, comme on sait, l'édition des Diarii de
M. Sanuto; la 1" série, de 12 gros volumes, est terminée; il en faudra
58 pour comprendre cette œuvre colossale en entier.
Livres nouveaux. — Nisco. Ferdinaado II ed il suo regno. Naples, Detken.
— Bonghi. Storia romana, t. I, liilan, HœpU. — Tocco. Gli Eretici nel medio
evo ; ibid. — Frezza di San Fdice. Dei camerieri segreti c d'onore del sammo
pontefice; memorie storiche. Rome, Spithœver.
Espagne. — Le P. Fidel Fita vient de publier le ms. inédit jus-
qu'ici des Certes de Barcelone, tenues en 1131 et 1163. L'objet de la
première de ces assemblées, composée d'évéques, d'abbés et de grands
réunis en présence du comte Raimond, concerne surtout les droits
d'asile et de dîme, la protection des marchands et des paysans. La
seconde, où assistèrent en outre des clercs de différents ordres, des
nobles et « autres serviteurs de Dieu, » s'occupe de la paix et de la
trêve de Dieu (Polyhiblion, mars 1884).
Livres nouveaux. — Colmeiro. Cortes de los antigos reinos des Léon y de
Gaslilla. Madrid.
États-Unis. — Le 3« volume de l'édition révisée de la History of
the United States, par M. Bancroft (D. Appleton), va jusqu'en mai 1774;
il contient la série entière des actes législatifs du gouvernement anglais
qui conduisirent à « la crise i finale.
— Le 14* des index préparé par M. Griswold contient une table
alphabétique des matières et noms d'auteurs des volumes 193 à 268 de
la Revue des Deux-Mondes et des 21 premiers volumes de la Nouvelle
Revue (Bangor, Q. P. Index; Londres, Trûbner).
— M. Herbert B. Adams inaugure une seconde série de ses University
Studies, à l'Université de J. Hopkins, par un mémoire sur les nouvelles
méthodes pour étudier l'histoire. La première série comprenait les
mémoires suivants : Freeman : Introduction à l'histoire des institutions
américaines. H.-B. Adams : De l'origine germanique des villes de la
Nouvelle-Angleterre. Shaw : Gouvernement local en Illinois. Gould :
Gouvernement local en Pensylvanie. H.-B. Adams : Les t tithingmen •
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE. 239
saxons en Amérique. Bemis : Gouvernement local en Michigan et dans
le Nord-Ouest. Ingle : Institutions de paroisse en Maryland. Johnson :
Anciens manoirs du Maryland. H.-B. Adams : Constables normands
en Amérique. Le même : Communautés de village de Cape Anne et de
Salem. Johnston ; La genèse de l'État de New-England (Gonnecticut).
Ramage : Le gouvernement local et les écoles libres dans la Garoline
du Sud.
— Il y a un peu plus de deux ans, les autorités municipales de Bos-
ton ont permis la publication du premier volume des SufTolk deeds, et
des actes du comté où est situé Boston. Le second est paru à la un de
Tannée dernière; il est plein d'intérêt pour l'histoire du pays vers le
miheu du xvii« siècle.
— Une Société s'est formée en 4876 à Utica (New- York) : The Oneida
historioal Society, dans le but de recueillir, de préserver et de publier
tout ce qui se rapporte à Thistoire de cette partie de l'État de New- York,
appelée auparavant l'Yrion County, et occupée à Torigine par les tribus
iroquoises d'Oneida et de Mohawks. Le président est M. Horatio Sey-
mour, le secrétaire M. G. W. Darling.
Livres nouveaux. — Bartleti. Sources of history in the Pentateuch. New-
York, Randolph. — Jones. The history of Georgia. Boston, Houghton, Mifflin
et C*. — Julian. Political recoUections, 1840-1872. Chicago, Jansen, Mac
Glug et C*.
Grèce. — Il s'est fondé à Athènes une 'loropixTi xai 'EôvoXoyixTj 'ETaipfa
tii; "EXXofio;, SOUS la présidence de M. Philémon. Gette Société a déjà
publié trois fascicules d'un Bulletin, qui sont intéressants. Nous en ren-
drons compte à l'avenir. — D'autre part, une autre Société littéraire,
le t Parnasse, » a pris l'initiative d'organiser une exposition d'objets
ayant trait à la révolution de 1821; ce sera une espèce de Musée
Garnavalet grec. Gette exposition a été ouverte le 25 mars dernier
(V. st., soit le 6 avril), anniversaire de la Révolution grecque, dans la
rotonde de l'École polytechnique, à côté des salies réservées aux riches
collections de la Société archéologique.
Pasrs-Bas. — Livres nouveaux. — TelUng. Friesische Stadrechten. La
Haye, NijhofT. — Muller. De middlecowsche rechtsbronnen der stad Utrecht.
1-2. Ibid. — J, de Jonge. De opkomst van het nederlandsch gezag in Oost-
Indie. 11* deel. SGrav^nhague, Nijhoff. — De Stoppelaar. Inventaris ?an het
oud archief der sUd Middelburg, 1217-1581. Middelbourg, Altorffen.
Saède. — Livres nouveaux. — Berg. Samlingar lill Gceteborgs historia,
2« fasc. Stockholm, Beijer. — Souden. Nils Bielke och det svenska kavalle-
riet, 1674-79. — Aminson. Bidrag till Sœdermanlands œldre kulturhistoria.
Stockholm, Samson et Wallin. — Edgren. De codicibns oonnullis ineditis qui
in bibliotheca universitatis Lundcnsis àsservantur. Lond, Gleenip. — Berg.
Samlingar till Giiteborgs historia. Stockholm, Beïjer.
240 LISTE DES LITRES D^POS^S AU BUREAU DE LA REVUE.
LISTE DES LIVRES DÉPOSÉS AU BUREAU DE LA REVUE.
(Nous nHndiquofu pas ceux qui ont été appréciés dans les Bulletins
et la Chronique.)
Allard. Esclaves, serfs et mainmortables. Librairie de la Soc. bibliographie.
Coll. à 3 fr. 42 p. in-12. — H. db Fbrron. Institutions municipales et provin-
ciales comparées. Alcan, Larose et Forcel, xm-575 p. in-8'. — Périoot. His-
toire du commerce français. Weill et Maurice, 504 p. in-12. — Thurbau-Dan-
oiN. Histoire de la monarchie de Juillet; t. I et II. Pion et Nourrit. vii-460et
438 p. in-8*. — Vie de Monsieur Du Guay-Trouin, écrite de sa main. Jouvet
et C*. xxi-265 p. in-8*. — Zbllbr. Entretiens sur l'histoire du moyen âge; 1. 1.
Perrin (ancienne maison Didier), in-12.
Dagbbrt. Sénèque et la mort d'Agrippine. Étude historique. Leide, Brill.
Paris, Lechevallier, 236 p. in-8*.
Abbé J. Grbmaud. Documents relatifs à l'histoire du Valais. T. V. 1351-1375
(t. XXXIII des Mém. et Doc. p. p. la Soc. d'hist. de la Suisse romande).
Lausanne, Bridel.
WiJNNE. Négociations de M. le comte d'Avaux pendant les années 1693,
1697 et 1608. T. III, 2* part. (p. pour l'historisch Genoolschap d'Utrecht.
Nouv. série, p. 36). Utrecht, Kemink et fils, cxi-194 p. in-8'.
Bezold. Briefe des Pfalzgrafen Johann Casimir, mit verwandten Schrift-
stiicken. Bd. II, 1582-86. Munich, Rieger. — Brksslau. Konrad II. Bd. II,
1032-39 (Jahrbûcher des deutschen Reiches). Leipzig^ Duncker et Humblot,
x-603 p. in-8». Prix : 13 m. 60. — Brosien. Der Streil um Reichsflandem in
der zweiten Hœlfte des xiiiten Jahrhunderts (appendice au Programm des
Sophiengymnasiums. Pâques 1884). Berlin, Gœrtner. 32 p. in-4*. — Polilische
Corrcspondenz Friedrich's des Grossen. Bd. XI. Berlin, Alex. Duncker. —
IVoLFRAM. Friedrich I und das Wormser Concordat. Marbourg, Elwert. viii-
176 p. in-8«.
Pbralta. Costa Rica, Nicaragua y Panama, en el sigloxvi, 1522-1610; sa his-
toria y sus limites. Madrid, Murillo. Paris, Ferrer, xxni-832 p. in-8''. Prix :
50 pesetas.
L'un des propriétaires^ érants, G. Monod.
Nogent-le-Rolrou, imprhnerie Daupelby-Gouvernsur.
GUILLEM BERNARD DE GAILLAC
ET
L'ENSEIGNEMENT CHEZ LES DOMINICAINS
A LA FIN DU XIIP SIÈCLE.
C'est quatre fois, si nous ne nous trompons, que les auteurs
de l'Histoire littéraire de la France se sont occupés de Guil-
lem Bernard de Gaillac^ Mais ils Tout fait chaque fois en quelques
mots seulement, sans donner la preuve de leurs assertions, dont
plusieurs, à notre avis, ne peuvent être admises, sans paraître
même ajouter à ces assertions une foi absolue. En tout cas, ils
n'ont pas jugé à propos d'accorder à l'écrivain dont il s'agit une
notice particulière. Il ne la méritait peut-être pas moins cepen-
dant qu'un certain nombre de ses contemporains. Beaucoup, aussi
oubliés que lui assurément, et, à ce qu'il semble, plus dignes de
l'être, étrangers même parfois, tandis qu'il était Français après
tout, ont obtenu, malgré leur obscurité, les honneurs d'une biogra-
phie dans ce grand recueil. Pour lui, il fut à la fois écrivain,
professeur dans des enseignements variés, et cela pendant plus
de quarante ans, prédicateur remarquable et reconnu comme tel,
enfin, ce qui est plus extraordinaire au xni* siècle, helléniste
consommé. Selon nous, c'est plus qu'il n'en faut pour que l'on
1. Voir tome XVI, p. 142; tome XIX, p. 248; tome XXIV, pp. 92 et 389. Le
premier et le second des passages indiqués sont tous deux de Daunou. Ils
figurent, l'un dans le Ditcoun sur l'état des lettres au XI W siècle, placé par
cet érudit au début du xyi* Tolume de VHistoire littéraire^ l'autre dans sa
biographie de saint Thomas d'Aquin. Le troisième et le quatrième sont de
J.-V. Le Clerc et se trou?eat dans son Discoure sur l'état des lettres en France
au Xjy siècle (I^ et II* parUes).
ReV. HlSTOR. XXV. 2« PA8C. 16
242 C. MOLINIER.
considère comme insuffisantes au moins les indications auxquelles
les auteurs de V Histoire littéraire de la France ont cru devoir
se borner, et pour justifier l'étude qui va suivre.
Les indications si brèves dont nous venons dé parler ont été
tirées, comme on pouvait s*y attendre, du grand répertoire
des Scriptores ordinis Praedicatorum. Dans ce livre, en effet,
Quétif et Échard ont consacré une notice à leur confrère du
xm^ siècle ^ Mais ils ne nous l'ont pas donnée aussi satisfaisante
qu'il l'aurait fallu, et, nous le croyons également, qu'il était en
leur pouvoir de nous la fournir. Ds ont mentiopné, il est vrai, les
traductions d'ouvrages de saint Thomas d'Aquin en langue
grecque, exécutées par Guillem Bernard. Mais, à cela près, ils
n'ont vu dans celui-ci que le religieux plein de zèle pour la pros-
périté de son ordre et la propagation de la foi. Ils se sont contentés
de marquer l'époque et les principales circonstances des priorats
qui lui avaient été confiés. Ils n'ont considéré en lui ni le profes-
seur, ni le prédicateur, ni même véritablement l'écrivain. A cette
biographie trop abrégée, ils ont ajouté enfin une conjecture qui
ne peut être soutenue, et que nous aurons à réfuter plus loin.
Quoi qu'il en soit, tout ce qu'ils nous ont dit de Guillem Ber-
nard de Gaillac, ils l'ont emprunté, suivant leur propre aveu, à
l'un de ses contemporains, frère prêcheur comme lui-même, à
Bernard Gui. Ce dernier était d'autant mieux en mesure de nous
renseigner sur le moine dont nous nous occupons, qu'il l'avait
connu personnellement et avait passé environ deux ans avec lui.
C'avait été depuis l'année 1292 jusqu'à la seconde moitié de l'an-
née 1294. Guillem Bernard dirigeait alors le couvent d'Albi en
qualité de prieur, et Bernard Gui avait été envoyé dans le même
couvent comme lecteur de théologie. Au mois de juillet 1294,
quand Guillem Bernard avait été relevé de ses fonctions, c'avait
été encore Bernard Gui qui l'y avait remplacé, bien qu'il eût été
désigné d'abord pour aller enseigner la théologie au couvent de
Castres*.
Guillem Bernard de Gaillac n'était donc pas un inconnu pour
l'historien des Frères Prêcheurs. On peut même supposer que,
quand celui-ci le qualifiait « d'homme d'une austérité et d'une
t. Voir Scriptores ordinis Praedicatorum^ I, 460b.
2. Voir Notices et extraits des manuscrits, tome XXVII, 2* partie {Notice sur
les mantucrits de Bernard Gui, par M. Léopold Delisle}, p. 176, et notes 1*4
de la même page.
GUILLEM mXAlD Dl GARLAC. SIS
firugalité remarquables, enflammé de xèle pour prêcher rÉvangile
de Notre-Seigneor Jésus-Christ et pour sauver les nations^ », ce
n*était pas de sa part un éloge banal accordé à son ancien suj^é-
rieur du couvent d' Albi, comme h une foule d*autres représentants
de l'ordre dont il écrivait l'histoire. Il est permis de penser que le
spectacle de ses vertus chrétiennes l'avait profondément touclié,
qu'il l'avait rempli de sympathie pour celui qui l'en n^ulait
témoin, qu'il lui avait inspiré enfin le désir de s'informer assidû-
ment des actes d'un religieux qu'il avait dû admirer. En tout cas,
dans sa compilation sur l'ordre des Dominicains', il a consigné
d'abord tous les renseignements employés par Quétif et Échard.
En outre, dans les actes des chapitres provinciaux, ajouU^s en
appendice à son œuvre, et que les auteurs des Scriptort's n'ont
pas dépouillés, il a noté toute une série d'indications précieuses.
C'est là, en efifet, que nous trouvons, pour ainsi dire d'année en
1. c Hic frater GuiUelmos Tir magne austeritatit et abutinencie in victu
extitit, zeloque predicacionis Eyangelii Domini Jhesu OhrisU ot desiderlo mIu-
Us gencium succensos... > BiblioUièque de la ville de Toulouse, m». 273,
I** «érie, ^ 217 r.
2. Voir, sur ceUe compilation, Notices et extraits des fiumuscrits, ibid,, ut
suprCf pp. 303 et saiv. — La bibliothèque de la Tille de Touloute fioMAdn
du trafail de Bernard Gui trois exemplaires, tous trois du ziv* siècle (inss. 55
et 273, I*^ série; ms. 91, II* série). Ces trois exemplaires représentent des
rédactions assez différentes du même ouvrage. C'est au n* 273 que nous
emprunterons à peu près exclusivement les citations qui doivent faire le fond
de celte notice. Les actes des chapitres provinciaux de l'ordre des Dominicains
pour l'ancienne province de Provence, avant sa division en province de Pro*
vence proprement dite et province de Toulouse au chapitre général de Bologne,
en 1302, puis ceux de la province nouvelle de Toulouse, à partir de cette date,
nous fourniront un assez grand nombre de renseignements. Or, nous ne les
trouvons pas dans le ms. 55, qui nous donne à la place les chapitres généraux
de l'ordre. Dans le ms. 91, les actes, dont nous devons nous servir, s'arrêtent
à l'année 1328, c'est-à-dire au chapitre provincial réuni cette année-U à Tou-
louse. Ce n'est aussi qu'à partir du chapitre provincial de Bordeaui (fête de
l'Assomption, 1311; f* 64 a), que le même ms. nous donne, avec le résumé des
actes, les noms des prieurs relevés de leurs fonctions, les assignations de lec*
leurs, etc. L'ordre de se procurer ces documents, eo les empruntant, sans
doute, à la compilation déjà célèbre de Bernard Gui, et de les conserver avee
soin, avait été donné justement à ce même chapitre de Bordeaui. /Voir Notices
et extraiU des nutnusaits, ibid,, ut supra, pp. 336. 337, et note I de la
page 337.) Les détails, fournis tardivement par le ms. 91, se trou vent au con-
traire dans le ms. 273, dès l'année 1250, date du chapitre provIocUl de Nar*
bonne (f* 284 v*). et ils abondent à partir de celai de Monlpelli^ (121(5;
^ 299 r*). Quant aux actes propreonenl dits, le même ms. aoos en donae les
procès^verbaui Jusqu'au chapitre provincial de Carcaesonne (1342j.
244 C. MOLINIER.
année, les nominations de Guillem Bernard à diverses fonctions de
professeur dans quelqu'une des chaires dont Tordre des Domini-
cains avait pourvu ses couvents du midi de la France comme
ceux de toutes les contrées où il s'était établi. Si l'on joint à cela
l'exactitude et la sincérité reconnues de l'écrivain dont nous par-
lons en ce moment*, il n'y a pas de doute que nous n'ayons, grâce
à lui, les éléments absolument authentiques, sinon complets, de
la biographie que nous avons entreprise.
Cette biographie doit débuter, avant tout, par une remarque
nécessaire. C'est qu'il a existé, dans la seconde moitié du
xin" siècle, deux religieux dominicains portant l'un et l'autre le
nom de Guillem Bernard, Guillelmus ou Willelmus Bernardin
suivant la traduction latine de l'époque. Il faut prendre soin de
les distinguer ; mais cela ne paraît point diflScile, et, d'ailleurs,
les contemporains l'avaient déjà fait. Chacun de ces deux per-
sonnages avait reçu d'eux un surnom tiré du lieu de sa naissance,
et qu'on retrouve assez souvent à la suite de son nom véritable.
L'un était appelé Aquensis : il était originaire, en effet, de Dax*,
en Gascogne ; l'autre Galliacensis^ parce qu'il était né à Gail-
lac^, en Languedoc, dans le diocèse d'Albi.
Les surnoms dont il s'agit ne sont pas, comme on le voit, inu-
tiles à relever. Leur importance est même plus considérable qu'il
ne semblerait au premier abord, car il s'y rattache une question
qu'il nous faut éclaircir sans aller plus loin, et d'où dépend l'au-
thenticité des indications destinées à fournir la matière de cette
notice.
Nous venons de^dire que ces surnoms accompagnaient assez
fréquemment le nom réel des personnages que nous avons
rapprochés. C'est à dessein que nous avons employé cette façon
de parler, parce qu'il s'en faut qu'il en soit ainsi dans tous les
cas. En réalité, ces surnoms suivent toujours, quand il est ques-
tion des deux religieux dominicains dans le corps même de
la compilation de Bernard Gui. Ils manquent, au contraire,
généralement deux fois sur trois, dans les actes des chapitres
provinciaux, qui en sont l'appendice. Ce qui, du reste, se com-
prend sans peine, la compilation affectant une forme étendue et
1. Voir ce que dit à ce sujet M. Léopold Delisie, Notices et extraits des
manuscrits, ibid,, ut supra, pp. 287-291 et 366-371.
2. Sous-préfecture du département des Landes.
3. Sous-préfecture du département du Tarn.
GUILLEH BERNARD DE GAILLAC. 245
presque détaillée, les actes n'étant que des procès-verbaux plus
ou moins sommaires. Mais cette lacune n'est pas faite pour nous
embarrasser, autant qu'il paraîtrait à première vue, dans la
reconstitution de la biographie de Guillem Bernard de Gaillac,
le seul, il va sans dire, dont nous ayons à nous occuper. Elle ne
doit pas surtout nous conduire à rejeter absolument les indi-
cations où nous aurons à la constater.
D'abord, si communs qu'on puisse juger les noms de Guillem et
de Bernard, leur association compose après tout une appellation
particulière, qui n'a pu se présenter qu'assez rarement dans un
espace de temps borné, et dans une réunion restreinte de personnes
telle que Tordre des Frères Prêcheurs, en dehors duquel nous
n'avons rien à chercher. Puis, si nombreux qu'aient pu être
dans cet ordre les docteurs remarquables, ils n'ont jamais dû, en
somme, y composer qu'une minorité comme partout. Il y a donc
bien des raisons de croire que, dans cette minorité, dans la
période assez courte aussi dont nous avons parlé, dans une même
contrée également, car Guillem Bernard, originaire du midi de
la France, ne semble pas en être sorti, si ce n'est pour un grand
voyage, dont nous aurons à nous occuper plus tard, il n'a pu se
rencontrer, à moins d'un hasard surprenant, deux moines domi-
nicains du même nom, ayant fourni tous les deux une carrière à
peu près semblable. Enfin, et ceci paraîtra sans doute décisif, si
l'on met à la suite les unes des autres, dans leur ordre de date, à
la fois les indications où Guillem Bernard de Gaillac se trouve
clairement désigné par la mention du lieu de sa naissance, et
celles où Ton peut douter à la rigueur qu'il s'agisse de lui, cette
mention n'existant pas, voici à quoi l'on arrive. C'est à un
ensemble, comme on le verra, non pas sans lacunes assurément,
mais dans lequel chaque fait prend tout naturellement place à la
date qu'il porte, où aucune date ne se trouve contredite par une
autre. Il y a plus : c'est à la conception bien nette d'une vie tout
entière de dévouement et d'étude, s'inaugurant, se développant,
nous dirions même se terminant aussi suivant certains principes.
Et ces principes ne sont pas simplement ceux d'après lesquels se
réglait l'existence humaine à l'époque où Guillem Bernard a vécu,
ou dans Tordre auquel il s'était attaché. Ce sont ceux-là mêmes
qui semblent lui avoir été pour ainsi dire personnels, et qui donnent
à sa carrière ainsi considérée une unité indiscutable.
Ces remarques, qui étaient absolument nécessaires, une fois
246 C. MOLIIOBR.
épuisées, nous reyenons aux deux religieux dominicains que
nous avons cru devoir rapprocher l'un de Tautre, à cause de
l'identité de leur nom, et aussi parce qu'ils peuvent être regardés
comme contemporains. Il y avait cependant entre eux, on ne
saurait en douter, une assez grande différence d'âge. Mais le plus
âgé était Guillem Bernard de Dax^ Quand il mourut, en 1268
ou 1269*, à Bordeaux, prieur du couvent des Dominicains de
cette ville, son homonyme, natif de Gaillac, devait être un
enfant encore, tout au plus un adolescent, autant du moins qu'on
en peut juger.
C'est là, en effet, une question assez malaisée à éclaircir. Nous
ignorons la date de naissance de Guillem Bernard de Gaillac ;
1. Poarla biographie de Gaiiiem Bernard de Dax, et pour la confirmation de
ce que nous disons de son âge, voir noire travail : L'Inquisition dans le midi
de la France au XUt et au XIV* sièclCy p. 172, et notes 4 et 5 de la même
page. — Voir également, dans la Bibliothèque de l'École des chartes^ année
1881, pp. 129-156, 361-382, l'étude historique et archéologique intitulée :
Najac en Rouergue. — Sur ce moine dominicain, nous n'avons pas de rensei-
gnements à chercher dans Quétif et Échard. Sans doute, ils n'avaient décou-
vert aucun écrit qui pût lui être attribué, et qui, en lui donnant quelque
renom littéraire, fit rentrer sa biographie dans le cadre de leur travail. Cela
nous étonnerait pourtant. Guillem Bernard dut exercer près de dix ans les
fonctions d'inquisiteur. Or, on ne nommait guère à ces fonctions, surtout à
partir de la seconde moitié du xiii*' siècle, que des docteurs réputés pour leur
savoir. Ce qui le prouve, ce sont des nominations comme celles de Jean de
Saint-Benoît, de Simon Duval, de Geoffroi d'Ablis, de Jean de Beaune, de
Bernard Gui enfin, et de beaucoup d'autres, tous célèbres à différents degrés,
avant de devenir inquisiteurs, soit par leur enseignement, soit par leurs
ouvrages, soit par leur éloquence. Selon nous, la véritable raison de l'oubli
que les auteurs des Scriptores ont fait de Guillem Bernard de Dax, c'est qu'ils
l'ont confondu vraisemblablement, et sans trop s'en rendre compte peut-être,
avec son homonyme, né à Gaillac, et qu'ensuite ils n'ont consacré à celui-ci
qu'une notice insuffisante. En tout cas, un indice de la confusion dont il s'agit
se retrouve, disons-le tout de suite, dans cette conjecture qui leur appartient,
et que nous avons mentionnée plus haut, avec promesse de dire ce qu'il faut
en penser, quand le moment sera venu.
2. Les actes du chapitre provincial de Béziers, réuni en 1269, le dimanche
après l'octave des apôtres Pierre et Paul, c'est-à-dire le 7 juillet, portent la
mention suivante : c Fratres obierunt in isto anno... Burdegale, frater Wmus
Bernardi. i Bibl. de Toul., ms. 273, T" série, f" 308 v. — Celte indication pla-
cerait donc la mort de Guillem Bernard de Dax en 1269. Mais Bernard Gui dit
ailleurs expressément qu'il mourut en 1268. Voir ibid,, ut supra, f* 119 v,
et ms. 91, II' série, f" 29 a. 11 semble cependant que, des deux dates, la première
soit la plus probable. Guillem Bernard sera mort, sans doute, avant le 24 mars,
date de la fête de Pâques en 1269, c'est-à-dire en l'année 1268, si l'on s'en
rapporte à l'ancien style.
GUILLEM BE&5AtD DB GAILUC. %Â7
nous ignorons également , ce qui peut paraître plus extraordi-
naire, celle de sa mort. U n*est pas impossible toutefois de fixer
la première d'une Caçon au moins approximative. Un moyen
s'offre pour cela : c'est de comparer l'existence du personnage
que nous étudions à celle d'un religieux du même ordre que lui,
ayant vécu à la même époque, ayant fourni une carrière sem-
blable par certains côtés à la sienne. Bernard Qui, à cause de
tout ce que nous avons rapporté de lui plus haut, nous semble
tout naturellement désigné pour ce rapprochement. Si sa fortune
dépassa de bien loin par la suite la destinée modeste, après tout,
de GuiUem Bernard, il eut des débuts tout pareils, et dont surtout
nous pouvons dater à un an près les différentes phases. Quand il
mourut, en décembre 1331, il était dans sa soixante-dixième
ou soixante et onzième année. Il était donc né en 1261 ou 1262,
et c'est là une chose certaine, bien que l'indication formelle ne
s'en trouve nulle part*. Or, Bernard Gui est chargé pour la pre-
mière fois d'un enseignement, celui de la logique, au couvent de
Brives, en 1284, c'est-à-dire à l'âge de vingt-deux ou vingt-trois
ans. On lui confie un premier priorat, celui du couvent d'Albi, où
il succède, comme nous l'avons vu, à GuiUem Bernard lui-même,
en 1294, c'est-à-dire à l'âge de trente-deux ou trente-trois ans.
Il est nommé prédicateur général de l'ordre des Dominicains, huit
années plus tard, en 1302, à l'âge par conséquent de quarante
ou quarante et un ans*.
Prenons maintenant les mêmes événements dans la vie de
GuiUem Bernard de GaiUac. Il est appelé pour la première fois à
occuper une chaire en 1277, honoré du titre de prédicateur géné-
ral en 1289, investi pour la première fois des fonctions de prieur
en 1290. Qu'on admette qu'U ait été pourvu du premier de ces
titres à vingt-deux ans environ, comme l'avait été Bernard Gui,
cela lui donne trente-quatre ans pour le second, trente-cinq |)Our
le troisième. Ainsi son existence reproduit à peu de chose près,
au moins dans ses commencements, celle de son confrère et con-
temporain. Cela le fait partir aussi pour Constantinople, vers
laqueUe U s'achemine en 1298, dans l'âge de la maturité, dans la
plénitude de ses forces, nécessaire pour les fatigues qu'il va
affronter, à quarante ans environ. Enfin, et c'est la conclusion
1. Voir Notices et exIraU* des fMnuserits, tome XXVII, V ptHie, p. 173.
2. Voir iM., ut supra, pp. 175, 176, 178 et notes corretpondjuitet.
248 C. MOLIIflKR.
qu'il faut établir, cela place avec quelque probabilité la date de
sa naissance vers 1255, ou, si l'on veut quelque chose de moins
arrêté, entre les années 1250 et 1260.
Quoi qu'on puisse penser de ces calculs, c'est, conune nous
venons de le dire, en 1277 que Guillem Bernard de Gaillac est
appelé pour la première fois à occuper une chaire dans un des
couvents de son ordre. C'est aussi la première fois qu'il est fait
mention de lui. Cette mention se trouve dans les actes du chapitre
provincial de Bordeaux, réuni la même année, et dont un des
articles note qu'il fut alors chargé d'enseigner la philosophie
naturelle, avec le titre de lecteur, au couvent de Carcassonne*.
L'année suivante, le même enseignement lui est confié encore,
avec le même titre, mais dans une autre ville, à Perpignan*.
Cette décision est prise au chapitre provincial de Montpellier,
rassemblé le jour de la fête de sainte Marie-Madeleine (22 juillet) .
Trois ans plus tard, en 1281, une autre décision, celle-ci du
chapitre provincial de Marseille, réuni le dimanche après l'octave
des apôtres Pierre et Paul, c'est>-à-dire le 13 juillet, l'envoie au
couvent de Nice ayec un certain nombre de religieux^. Nous le
retrouvons de nouveau professeur, en 1284. Cette année-là, en
effet, au chapitre provincial de Perpignan, il est nommé lecteur
dans la même ville, avec invitation de prendre une part active
aux exercices que doit comporter son enseignements En 1285,
il n'est plus à Perpignan, mais à Toulouse, dans ce couvent le
plus ancien en date parmi tous ceux de l'ordre des Dominicains.
Il y a été envoyé comme sous-lecteur par une décision du cha-
pitre provincial de Condom, réuni le jour de la fête de saint Denis
(9 octobre) ^.
1. c Studia naturalium ponimas : pro vicariis Tholose et Montispessulani,
in coDventu Carcassone; lectorem fratrem W. Bernardi. i Bibl. de TouL,
ms. 273, I"^ série, f* 324 r*. — Le litre des actes du chapitre provincial de
Bordeaux indique qu'il avait été précédé d'un chapitre général rassemblé pour
la première fois dans la même ville. Voir ibid,, ut suprUy f* 323 v.
2. « Assignamus studia naluralium. Primum ponimus in Avinione...; secun-
dum Perpinianum (5tc)> lectorem fratrem G. Bernardi. • Ibid., ut supra,
f» 325 r*.
3. « Assignamus conventui Nidensi : fratres G. Bernardi... • Jbid., ut supra,
f*334 r*.
4. c Assignamus lectores : ... in Pirpiniano, fratrem W. B. Galliacensem^ et
disputet;... » Jbid,, ut supra, î* 337 v».
5. c Assignamus : ... ad secundam lectionem Tholose fratrem W" B. Gallia*
censem. » Ibid., ui supra, P 340 r*.
GUILLEM BBRlIiRD DE GAILLAC. 249
Après ces débuts, modestes encore, la situation de Guillem
Bernard de Gaillac grandit tout d'un coup, grâce sans doute à
Testime que lui ont value ses talents joints à son dévouement
absolu. Dans l'espace de six ans*, il est nommé d*abord prédica-
teur général de son ordre, puis trois fois prieur. La première
de ces nominations date du chapitre provincial de Narbonne,
assemblé en 1289, le jour de la fête de l'Exaltation de la Sainte-
Croix (14 septembre)*. Elle n'empêche pas du reste que, dès Tan-
née suivante, nous retrouvions Guillem Bernard dans l'enseigne-
ment, qui semble avoir été son occupation favorite. En effet, le
chapitre de Pamiers (fête de l'Exaltation de la Croix, 1290) le
replace, comme lecteur, à Perpignan, où il s'était trouvé six ans
plus tôt avec le même titre ^. Mais il ne doit pas être demeuré
bien longtemps dans cette ville, si même il lui a été permis d'y
reparaître, car il est investi presque aussitôt après du premier
priorat qui lui ait été confié, celui de Montauban, et l'exerce
environ une année, dit Bernard Gui. Il en est déchargé, d'ailleurs,
dès le 15 août 1291, au chapitre provincial de Béziers^
1. Entre l'année 1285, date de l'envoi de Guillem Beraard au couvent de
Toulouse comme sous-lecteur, et l'année 1289, où se place sa nomination comme
prédicateur général de l'ordre des Dominicains, nous ne tenons pas compte
|)our sa biof^'aphie de l'indication suivante, que nous fournissent les actes du
chapitre provincial d^Avignon (fête de sainte Marie-Madeleine, 22 juillet 1288) :
c Aftsignamus lectores in theologia : ... in Calurco, fratrem G. Bernardi Albiensis
{sic), » Ibid.f ut supra f f* 347 r*. Cependant, nous pencherions à croire que
dans ce texte il s'agit réellement de Guillem Bernard de Gaillac. Nous avons
pour cela l'ensemble des raisons exposées plus haut, à propos des indications
où son nom ne se trouve pas suivi de la mention du lieu de sa naissance. Il
faut remarquer, en outre, que ce lieu dépendait du diocèse d'Albi, et que c'est
là une circonstance que note deux fois Bernard Gui, dans des passages que
nous reproduisons plus loin, et où il parle de la nomination de Guillem Ber-
nard au priorat de Montauban, puis à celui de Rodez. De là à le qualifier de
natif d'Albi {Albiensis), c'était une confusion assez naturelle. Enfin, dans les
actes des chapitres provinciaux, rédigés assez sommairement, comme nous
l'avons observé, et peut-être parfois un peu à la hâte, des erreurs du même
genre sont assez fréquentes. M. Delisle a pu en relever, par exemple, deux
concernant Bernard Gui. Voir op. cit., p. 175, et notes 4 et 8 de la même page.
2. c Facimus predicatores générales : fratres... Guillelmum B. Galliacensero. »
Bibl. de Toul., ms. 273, I'* série, f^ 351. — Nous ferons remarquer que dans
le ms. 91, II' série de la même bibliothèque, le chapitre provincial de Nar-
bonne porte la date de 1290. Voir f* 49 b.
3. c Assignamus lectores : fratres... Pirpiniani G. B. Galliacensem. > Bibl.
de Toul., ms. 273, l'* série, f* 352 r.
4. c Frater Guillelmus Bernardi Galliacensis, dyocesis Albiensis, successit
250 C. MOLINtRE.
Quoi qu'il en soit, la durée si courte de ce premier priorat, le
peu de temps que Guillem Bernard accorda aux deux autres, qui
vraisemblablement durent lui être imposés, tout cela donnerait
raison à Quétif et Échard, quand ils prétendent qu'il se débarrassa
toujours des fonctions de ce genre le plus tôt qu'il put*. Cette
répugnance, qui semble probable, ne nous édifierait pas seulement
sur sa modestie et son humilité ; elle nous éclairerait encore sur
ses préférences, à propos desquelles il est moins permis eticore de
s'abuser. Nous venons d'en faire à l'instant la remarque, ces
préférences avaient pour objet manifeste l'enseignement. C'est à
l'enseignement qu'il revient, dès qu'il a pu dépouiller ce titre de
prieur, qu'il a porté si peu de temps à Montauban. Le même
chapitre provincial de Béziers, qui lui a rendu sa liberté, le
nomme sans retard lecteur de la Bible à Toulouse*.
Nous ne l'en retrouvons pas moins prieur du couvent d'Albi,
dès la fin de l'année 1292^. Ainsi que nous l'avons déjà remarqué
au début de cette notice, il y est en compagnie de Bernard Gui,
fratri RaymuDdo de Caumbosio. Prefuit anno quasi uno ; fuit autem absolutus
in sequenti provinciali capitule Bitterrensi, anno Domini M*. CG*. nonagesimo. I*. »
Ibid., ut suproy f* 170 r. — c Absolvimus priores... Montisalbani. » Jbid.,
f* 357 r**. Guillem Bernard a pour successeur à Montauban frère Guillem de
Montclar [de Monteclaro), du diocèse de Toulouse. Voir ibid., f* 170 v*.
1. ( ... ad conventuum regimen pluries electus prior, praefuit guidem illis et
profuit, sed lis muneribus se quantocius exol?it. > Script, ord. Praedk., I,
460 b.
2. ( Assignamus... ad lectionem Biblie ibidem (Tholose) G. B. > Bibl. de
Toul., ms. 273, I" série, f- 357 r*.
3. c Sextus prior frater Guillelmus Bernard! Galtiacensis successit fratri
Raimundo Blegerii. • Ibid.^ ut supra, f* 216 v. — Le même texte, reproduit
par Martène et Durand, dans leur AmpUssima collectio, d'après un ms. de
Baluze, donne pour prédécesseur à Guillem Bernard, dans le pnorat d'Albi, non
pas Raimond Blégier, mais Raimond Rotger. Voir tome VI, c. 509. — Quant à
la date de 1292, que nous aTons adoptée comme celle de l'arrivée de Guillem
Bernard à Albi, nous devons avouer qu'elle est contestée par Bernard Gui, qui
met à l'année suivante, au moins dans un passage de sa compilation, le chapitre
provincial de Brives où Raimond Blégier fut relevé de ses fonctions. Mais c'est
là une erreur facile à corriger. D'abord, ce chapitre ayant eu lieu le jour de la
fête de l'Assomption (15 août), il est évident que c'est l'Assomption de 1292 et
non de 1293 qu'il faut entendre, puisque, dès le 12 juillet de cette dernière année,
Guillem Bernard assistait comme prieur d'Albi à la pose de la première pierre
de l'église de son couvent. En second lieu, nous retrouvons la date véritable
dans les actes du chapitre en question. Voir bibl. de Toul., ms. 273, I'* série,
f* 359 r*. — C'est celle aussi que nous donne un texte reproduit dans VAm-
plissima collectio^ à l'article intitulé : Fundatio conventus S. Gaudentii. Tome VI,
c. 518.
GCILLEM lEniBD DE GAILUC. 251
et tous deux assistent» le 12 juillet 1293 (dimanche après Toctave
des apôtres Pierre et Paul), à la pose de la première pierre
de l'église du couvent, où ils vivent alors ensemble. L'èvèque
d'Albi, le célèbre Bernard de Castanet, préside à cette cérémonie.
D doit aider plus tard à la construction de l'édifice, par les mêmes
moyens dont il active les travaux de sa cathédrale de Sainte-
Cécile, c'est-à-dire en y affectant, sous forme de dons, le produit
de certaines confiscations opérées sur les hérétiques de son dio-
cèse*.
Du reste, Guillem Bernard ne fait guère à Âlbi un plus long
séjour qu'à Montauban. En 1294, et vraisemblablement dans la
première moitié de l'année, le chapitre général de Montpellier le
relève des fonctions qui lui pèsent évidemment*. A}>rès cela, le
chapitre provincial, tenu la même année dans la même ville, le
nomme lecteur de théologie à Agen'. Il est cependant chargé
encore, l'année suivante, d'un troisième priorat, celui du couvent
de Rodez. Ce priorat, qu'il garde environ deux ans comme le
second, et qui sera d'ailleurs le dernier, lui est enlevé au chapitre
provincial de Narbonne, réuni en 1296, le jour de la iete de
sainte Marie-Madeleine ^ Foulques de Saint-Georges, qui sera
peu après si célèbre comme inquisiteur, lui succède dans le poste
qu'il abandonne. Pour lui, il reparaît dans l'enseignement : en
1297, comme lecteur de philosophie naturelle à l^iers, sur une
décision du chapitre provincial de Tarascon, rassemblé le dimanche
après la iete de sainte Marie-Madeleine, c'est-à-dire le 23 juil-
let* ; en 1298, comme lecteur ès-arts à Arles, où l'envoie le cha-
1. Le texte curieax où 8e troufeot ces indications a été reproduit par
M. Delisle, op, cit., note 2 de la page 176. — Voir également Amplia. coUect.,
VI, ce. 509.
2. « Absolvimus priores conventuales... Albiensem... > Bibl. de Toul., ms. 55,
l'^ série, f- lilB.
3. a Assignamus lectores théologie fratres:... Agenni G. Bernard! Galliacen-
sem. » Bibl. de Toul., ms. 273, 1'^ série, f^ 365 r:
\. M Tcrtius prior fraler Guillelmus Bernardi Galliacensls, Albiensis dyoc^s,
suc4;essit fratrt Darando predicto (Dorando Salpicati de Petrussia). Prior fuit
annis quasi duobns. Fuit autein ab.wlutus in capitulo provinciali Narbonensi,
anno Domioi M*. CC*. nonagesimo. VI*. i Ibid., ut supra, (• 225 r*. — c Absol-
yimus priores... Rnthenensem... » Ibid., f" 368 v, 369 r. — Voir également
le premier de ces textes dans VAmpliu. eoUecl,, VI, ce. 516, 517.
5. c Assignamus studia naturalium : ... pro convenUbus Grassensi, Niclensi,
etc., ponimas stadiura in Biterris; lectorem fratrem G. B. » Bibl. de Toul.,
ms. 273, I" série, I^ 371 ▼•.
252 C. MOLINIER.
pitre provincial de Cahors (octave des apôtres Pierre et Paul),
6 juillet*. Mais on peut douter qu'il ait paru dans le nouveau
poste qui lui était assigné. En effet, trois mois plus tard, peu
après la fête de saint Michel, c'est-à-dire peu après le 29 sep-
tembre, il part pour Constantinople.
Tout en ne se prolongeant guère au delà de deux ans, à ce
qu'il semble, ce voyage est, sans aucun doute, l'événement le
plus considérable de l'existence de GuiUem Bernard de Gaillac.
Il doit frapper ses contemporains et lui donner à lui-même de la
langue grecque une connaissance, dont la tradition, bien qu'à
peine acceptée des historiens, deviendra son unique sauvegarde
contre un oubli absolu. Bernard Gui l'a noté à trois reprises dif-
férentes, deux fois il est vrai, en quelques mots seulement, mais
aussi nets que possible, une troisième enfin avec des détails pré-
cieux, dont nous croyons devoir insérer ici le texte tout entier.
€ Frère Guillem..., enflammé de zèle, dit-il, pour prêcher
l'Évangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ et pour sauver les
nations, passa en Grèce, et avec ses compagnons parvint à Cons-
tantinople, où il reçut une habitation qui lui permit d'y demeu-
rer. Il y fit aussi de tels progrès dans la connaissance de la langue
grecque, qu'il finit par la posséder à fond et traduisit en cette
langue des ouvrages que frère Thomas avait écrits en latin. C'est
ce que j'ai su des compagnons qui vécurent avec lui dans la même
ville, et que j'ai eu occasion de voir par la suite. Ils attestaient
en même temps sa sainteté parfaite. De Constantinople, Guillem
Bernard se transporta dans la ville qu'on nomme Péra. Il y eut
également une habitation où il séjourna, avec douze religieux de
notre ordre, conformément aux règles de la vie conventuelle,
prêchant la parole de Dieu, combattant les erreurs des Grecs, et
s'exerçant assidûment aux œuvres qui peuvent encore procurer
le salut. C'est en l'année du Seigneur 1298, peu après la fête de
saint Michel, qu'il se mit en route de Toulouse vers Rome; il
partit de Rome l'année suivante, pour passer en Grèce*. »
1. c Assignamus studia arcium : ... pro conventibus Niciensi, Grassensi el
ceteris, ponimus studiutn in Aurelale ; lectorem frairem W" Bernardi. • Ibid.,
ui suprdy f* 373 r.
2. c Hic frater Guillelmus... zelo... predicacionis Ëvangelii Domini Jhesu
ChrisU et desiderio salutis gencium succensus, pertransivit in Greciam, perTe-
nitque cum sociis in Constantinopolim, ubi locum ad habitandum accepit, pro-
fecitqae sic in lingua greca, quod eam plane scivit, et libros latinos fratrift
Thome in grecum transtulit, sicut audiyi a sociis suis, qai ibidem cam ipso
GUILLEM BERNARD DB GAILLIC. 253
Gomme on le voit, les indications que nous a transmises Ber-
nard Gui sur le voyage en Orient accompli par son confrère
Guillem Bernard de Gaillac à la fin du xni* siècle, et sur les résul-
tats qu'eut ce voyage, sont aussi précises que possible. En réa-
lité, deux points seulement y laissent à désirer. Bernard Gui n'a
pas marqué exactement à quelle époque Guillem Bernard avait
pu exécuter les traductions de saint Thomas d'Aquin, que sa con-
naissance de la langue grecque lui avait permis d'entreprendre.
Ce qui est, du reste, une question peu embarrassante, et dont la
solution se tire sans peine du récit que nous avons rapporté.
Mais surtout, il n'a pas nommé les ouvrages du célèbre docteur
que son confrère s'était donné la peine de traduire. C'est là un
oubli fâcheux. Quétif et Échard l'ont relevé, dans leur notice sur
Guillem Bernard, non sans regret apparemment, comme nous-
même'. D'ailleurs, il ne semble pas impossible, ainsi que nous
l'essaierons plus loin, d'y suppléer par conjecture, et cela, à
notre sens, d'unemanière satisfaisante, sinon absolumentcertaine.
fuenint con?ersati, guos ego poslmodum vidi, qui sibi perhibebant testimoniam
sâncUtaUs. De ConstantinopoU vero transivit ultra in Tillam que Tocatur Pera,
ubi similiter locum habuit ad babitandum cum fratribus zii conventualitei^
\erbuin Domini predicaos, et disputans contra errores Greconim, et in aliis
saluUs operibus jugiter se exercens. Arripuit autem iter vereus Romam de Tho-
losa,anno Domini M*. CC*. nonagesimo. VIU", paulo post fcstum sancti Michaelis ;
de Roma vero in Greciam anno sequenti profectus est. » Bibl. de Toul., ms. 273,
I" série, f* 317 r*. — Voir aussi les mêmes renseignements dans ÏAmplUsima
eoUecUo, VI, ce. 509, 510. — Comme nous l'avons remarqué, en dehors du texte
assez long et aussi explicite que possible qui vient d'être reproduit, Bernard Gui
a noté encore à deux reprises différentes le voyage et le séjour de Guillem Ber-
nard à Constantinople. Voici les deux passages de sa compitaUon où se trouve
la mention dont il s'agit, et qui ne concerne, d'ailleurs, que le voyage accom-
pli par le moine dominicain. — 1* c Hic transivit in Greciam pervenitque in
Gonstantinopolim et inde in Peram ad predicandum et dilatandum fidem et
nomen Jesu Christi, iter arripiens de Tholosa versus romanam curiam anno
Domini M*. CG". nonagesimo. VIII*, paulo post festum Michaelis. • Bibl. de
Toul., ms. 273, I*^ série, i^ 170 r*. — 2* « Hic transivit in Greciam et pervenit
Gonstantinopolim, ubi domum accepit ad predicandum gentibus verbum Gru-
cis. Paulo post festum sancti Michaelis versus Romam iter arripuit de Tholosa,
anno Domini M*. CG". nonagesimo. VIII*. » Ibid., ut supra, f* 225 v*. — Notons
enfin, pour terminer, une indication, que nous fournissent Quétif et Échard, sur
les établissements qu'eurent les Frères Prêcheurs à Constantinople au xiii* siècle,
c Jam anno MGCXXX et antea, disent-ils, Gonstantinopoli domum habebat ordo,
sed et postea duas habuit, banc vero alteram Guillemus erexerit. • Script, ord,
Praedic., I, 460b.
1. c Quinam vero ilii libri non indicat », disent-Us. Script, ord. Fraedéc.,
loc. cit.
254 G. MOLINIBR.
Quoi qu'il en soit, et malgré ces lacunes, nous avons entre les
mains, en y ajoutant ce que nous savons déjà de la biographie du
religieux qui nous occupe, de quoi confirmer ou bien réfuter les
assertions présentées par les auteurs de Y Histoire littéraire de
la France, et dont la mention se trouve au début de cette étude.
Pour le faire en toute justice, nous mettrons sous les yeux du
lecteur le texte de trois des passages, très brefe, du reste, aux-
quels nous nous référons. Les voici dans l'ordre des tomes où
ils se rencontrent :
« On rapporte, et un tel fait serait fort remarquable, que
Guillaume-Bernard de Gaillac, au diocèse d'Alby, traduisit de
latin en grec les œuvres de saint Thomas d'Aquin. Un pareil
travail supposerait, dans un habitant de la France méridionale,
une bien grande habitude de la langue grecque. » Tome XVI,
p. 142.
« Saint Thomas vivait encore, lorsque Bernard de Gailhac tra-
duisit en grec la Somme contre les gentils ; Raimond de Pegna-
fort et Urbain IV avaient commandé ce travail : on n'en indique
aucun manuscrit; mais Bernard Guidonis en fait mention, et dit
plus généralement, en parlant de Bernard de Gailhac : Libres
fratris Thomae e latino fecitgraecos. » Tome XIX, p. 248.
€ Guillaume Bernardi de Gaillac, qui était allé prêcher à
Constantinople, avait mis en grec plusieurs traités de saint Tho-
mas. » Tome XXIV, p. 92.
Ainsi qu'on s'en aperçoit, les auteurs de V Histoire littéraire
n'ont connu Guillem Bernard que comme helléniste et traducteur
en langue grecque de saint Thomas d'Aquin. C'est après tout, il
faut bien Tavouer, le côté le plus curieux et en quelque sorte
imprévu de son caractère. Mais il s'en faut encore que, sur ce
point spécial et unique, leurs indications soient réellement satis-
faisantes. Il y a, dans le premier des passages que nous avons
cités d'eux, un doute auquel on ne peut se tenir, dans le troisième
une affirmation sans preuves dont on ne saurait se contenter.
Nous ne nous y arrêterons pas, d'ailleurs. Le texte de Bernard
Gui, que nous avons donné tout au long, dissipe le doute et
donne à l'affirmation présentée toute seule l'appui qui lui faisait
défaut.
Le second de ces mêmes passages nous semble mériter plus
d'attention. On y rencontre un certain nombre d'assertions et de
rapprochements, qu'à notre sens il est impossible d'admettre.
GUaLEM BERNARD DE GkVLLÂC. 255
Saint Thomas, dont il y est parlé, meurt en 1274 ; Raimond dé
Pegnafort un an plus tard; Urbain IV disparaît dès 1264. Si,
comme on peut le croire, il y a quelque vraisemblance dans les
dates sur lesquelles nous ayons fondé la biographie de Guillem
Bernard, celui-ci devait être bien jeune encore au moment où
mourait le pape qui, dit-on, lui aurait commandé de traduire en
grec la Somme contre les Gentils. Qu'on rejette, nous y consen-
tons, la date de 1255, à laquelle nous avons cru pouvoir fixer
approximativement la naissance de notre religieux. Qu'on la
recule à 1250; qu'on la place même dix ans plus tôt, en 1240.
On risquera de se trouver en contradiction avec toute une série
d'autres dates que nous avons relevées, celle de sa première
nomination comme professeur, celle de son titre de prédicateur
général, celle enfin de son premier priorat. Ce sont là cependant
des indications, non seulement d'une authenticité à peu près indis-
cutable, mais encore, nous l'avons démontré par comparaison, abso-
lument conformes aux habitudes qui réglaient ce qu'on pourrait
appeler l'avancement dans l'ordre des Dominicains. Comme der-
nière conséquence, on le fera partir, au seuil de la vieillesse,
pour l'apostolat lointain et assez rude qu'il avait embrassé. Après
tout cela, on ne fera jamais qu'il ait eu plus de vingt ans à
l'époque où il faut bien s'arrêter, en fin de compte, ni qu'un tra-
vail, comme celui dont on parle, ait pu être confié avec quelque
vraisemblance à un jeune homme de cet âge par le docteur
fameux et le pontife dont on invoque le nom*. En résumé, de
toutes ces affirmations, il n'en resterait pour nous qu'une d'ac-
ceptable. C'est que, si les traductions d'ouvrages de saint Tho-
mas d'Âquin en langue grecque exécutées par Guillem Bernard
sont certaines, on n'a pu jusqu'à présent en signaler aucun
manuscrit. Et c'est à la même conclusion que nous ont conduit
nos informations personnelles^ Nous regrettons d'avoir à le
1. Noas ferons remarqaer, d'ailleurs^ que toutes les aflAnnations si nettes,
que nous croyons ne pas de?oir admettre, sont présentées sans Taccompagne-
ment d'aucune preuve.
2. Ces informations se bornent, il est yrai, à la Bibliothèque nationale.
M. Henri Oroont, attaché au département des manuscrits de cette bibliothèque,
a bien touIu faire pour nous dans le fonds grec, dont il s'est occupé spéciale-
ment, un certain nombre de recherches. Comme nous le disions, elles n'ont
malheureusement pas abouti. Nous en résumons cependant ici le résultat :
n- 1235-1237, traduction de la Somme de saint Thomas d'Aquin, par Démé-
trius Cydonius; — n** 1273, 1274, abrégé de la Somme par un anonyme;
256 G. MOLINIBR.
constater, tout en espérant que des recherches plus étendues amè-
neraient peut-être un meilleur résultat.
Quoi qu'il en soit de ce point particulier, il ne semble pas
qu'après avoir repoussé les indications que nous fournissent les
auteurs de V Histoire littéraire de la France sur Tépoque où
auraient été écrites les traductions qui nous occupent, il faille
renoncer pourtant à en fixer la date, et cela presque sûrement.
Comme nous l'avons remarqué, Bernard Gui ne s'explique pas
catégoriquement à ce propos. Mais il nous met en main tout ce
qui est nécessaire, pour que nous établissions nous-mêmes ce
dont il a négligé de nous informer d'une manière précise. De ce
qu'il nous dit il est impossible de ne pas conclure, au moins, que
c'est après son séjour à Constantinople que Guillem Bernard se
mit à traduire en grec certains ouvrages de saint Thomas. On
peut même en inférer qu'il les traduisit en vue de la prédication
qui l'avait amené en Grèce, et, par conséquent, durant son séjour
dans ce pays, c'est-à-dire dans la période comprise probablement
entre les années 1299 et 1301 . C'est aussi ce que pensent Quétif et
Échard, et ils le disent aussi nettement que possible ^
Mais la question que nous venons d'examiner ne va pas seule.
Une autre s'y rattache étroitement, et les mêmes indications dont
nous nous sommes servi pour traiter la première, permettent éga-
lement, sinon de résoudre celle-ci, dumoinsdeTéclaircir. Il s'agit
de savoir quels ouvrages de saint Thomas Guillem Bernard aura
pu choisir de préférence pour les faire passer du latin en langue
grecque. Le second des fragments de V Histoire littéraire de la
France que nous avons cités affirme que ce fut la Somme
contre les Gentils. La chose est possible. C'est là, en effet, un
des traités les plus considérables et les plus fameux du docteur
dominicain. Guillem Bernard, en le choisissant, pouvait espérer
fournir aux sectateurs de la philosophie antique, s'il s'en trouvait
encore réellement à Constantinople à pareille époque, des raisons
d'abandonner leurs doctrines rationalistes et de se rallier à celles
du christianisme. Mais, si l'on se rend compte de ce qui devait avoir
— n* 1868, Summa catholicae fidei contra Gentiles, traduction dont manque
le commencement ; — n** 2027, extraits de saint Tiiomas.
1. Après avoir donné dans un passage emprunté à Bernard Gui, mais d'après
un ros. autre que celui dont nous avons fait usage, et que nous ne connaissons
pas, l'indication du voyage de Guillem Bernard à Constantinople, les auteurs
des Scriptores continuent en ces termes : « ibique in eam rem iibros F. Tho-
GDILLEM BERNARD DE GAILLAG. 257
amené Guillem Bernard en Orient, et devait enflammer son zèle,
à la traduction de la Somme contre les Gentils ^ il faudra ajou-
ter celle d'autres ouvrages de saint Thomas d'Aquin, moins
importants à coup sûr, mais plus directement utiles au but que
se proposait vraisemblablement notre religieux. Les ouvrages
dont il s'agit se trouvent tout indiqués en quelque sorte par leur
brièveté relative et leur caractère pratique autant que par leur
titre. C'est VExposition sur le Symbole des Apâtres, le
Traité des articles de foi et des sept sacrements de l'Eglise,
adressés à l'archevêque de Palerme, Y Abrégé de théologie^
adressé à Renaud de Piperno. C'est aussi l'opuscule intitulé :
Declaratio quorumdam articulorum contra Graecos, Ar-
menos et Sarracenos, C'est surtout le traité Contra errores
Graecorum, en deux livres, dédié à Urbain IV *.
On ne saurait douter, en effet, que ce fût le désir de travailler,
lui aussi, à la conversion de ces Grecs schismatiques, à leur récon-
ciliation et à leur fusion avec l'église latine, qui eût arraché
Guillem Bernard à ses occupations favorites pour le conduire à
Constantinople. Cette conversion, ce retour d'une partie de la
chrétienté sous leur obéissance qu'elle avait abjurée, c'était,
depuis des siècles, le rêve le plus cher, tout au moins le plus cons-
tant, des pontifes romains. Faudrait-il s'étonner qu'un religieux,
renommé pour sa science et son talent de prédicateur, cherchât,
dans la mesure de ses forces, à le réaliser? Il était membre après
tout de cet ordre des Dominicains, qui, dès son origine, avait
pris pour règle de conduite une soumission absolue aux inté-
rêts du pouvoir pontifical, qui, dès le xiii«» siècle, avait pratiqué
avec suite, sinon inventé, ce dévouement aveugle à la cour de
roae de Aquino e lalino graecos fecit. » Loc. cit. Les mots c ibique îd eam rem •
soot en lettres romaines, et expriment la pensée personnelle de Quétif et Ecbard.
Le reste de la phrase est en lettres italiques, et continue la citation empruntée
à Bernard Gui.
1. Voir, sur ces différents ouvrages, Quétif et Échard, dans la partie de la
notice consacrée par eux à saint Thomas d'Aquin où ils ont traité de ses écrits,
ScripL ord. Praedic., I, 283 a-342. — Voir également Fabricius, BiàlMheca
latina mediae et tnfimae aetatis, à l'article : Thomas de Aquino. — Dans
l'édition de Rome (1570, in-f°), dont se sont servis les auteurs, auxquels nous
renvoyons, pour classer les écrits de saint Thomas, la Somme contre les
Gentils se trouve au tome IX ; les cinq opuscules, que nous avons indiqués
ensuite, sont placés au tome XVU. Dans Tédilion de Paris de 1660, la Somme
occupe les tomes XIII et XI V; les petits traités dont il s'agit remplisseot le
début du tome XX, de la page 1 à la page 206.
Rev. H18TOR. XXV. 2« PA8C. 17
258 C. MOLINIER.
Rome, ces visées, jusqu'à ce langage spécial, tout cet ensemble
enfin d'une politique religieuse, que nous croyons volontiers
moderne, et que nous avons appelée Tultramontanisme.
Guillem Bernard eut-il quelque succès dans ses prédications
aux Byzantins? Nous l'ignorons, et, à vrai dire, nous en doutons
fort. Ces Grecs pouvaient bien, dans leurs moments de détresse,
assez fréquents d'ailleurs, pour tirer quelques secours de l'Europe
occidentale, lui faire concevoir l'espérance de leur conversion.
Cela ne leur coûtait guère, car ils devaient avoir en médiocre
estime la clairvoyance des Latins, et ne croire, et pour cause,
qu'à leur brutalité. Mais, ces promesses une fois faites, ils diffé-
raient toujours de les exécuter. Cent cinquante ans plus tard,
après l'assurance qu'eurent un instant les papes Eugène IV et
Nicolas V d'accomplir enfin la conversion tant de fois promise et
perpétuellement retardée, c'était encore une question pendante.
Les Turcs la tranchèrent en installant l'islamisme à Constanti-
nople, sur les ruines du vieil empire, dont la décrépitude et la
disparition s'expliquent non moins par ces affaires religieuses
sans cesse débattues et jamais décidées, que par son antiquité
vraiment étonnante et la nature surannée de ses institutions.
Peut-être Guillem Bernard eut-il le pressentiment d'une pareille
catastrophe, tant de fois annoncée, même avant le siècle où il
vivait lui-même. D'ailleurs, comme nous l'avons déjà remarqué,
son séjour en Grèce dut se borner à deux années environ. Ce qui,
pour le dire en passant, supposerait qu'il aurait eu, avant de
partir pour l'Orient, une connaissance déjà assez complète de la
langue grecque. Sans cela, on s'expliquerait mal qu'il eût trouvé
moyen, en si peu de temps, à la fois d'apprendre cette langue
assez à fond pour la parler et pour l'écrire, et de se livrer à des
prédications assidues, tout en faisant encore les traductions, dont
l'exécution à cette époque, ainsi que nous l'avons montré, paraît
probable. Resterait, il est vrai, une difficulté, celle de savoir dans
quelle école, auprès de quels maîtres de l'Europe occidentale, et
même du Languedoc, qu'il n'avait, à ce qu'il semble, jamais
quitté jusqu'en 1298, il aurait puisé les éléments d'une science si
rare au xiii" siècle, que pour y croire chez lui il faut les preuves
indiscutables dont nous avons parlé*.
1. Si l'on admettait que Guillem Bernard de Gaillac fût Tenu à Paris, ce dont
nous n'avons aucune preuve, mais qui n'est nullement impossible, on aurait à
GDILLEM BERNARD DB 6AILLAC. 259
Quoi qu'il en soit, nous le revoyons en France dès 1301. La
même année, au chapitre provincial d'Agen, tenu le jour de la
fête de sainte Marie-Madeleine (22 juillet), il est nommé lecteur
de philosophie naturelle à Arles*. L'année suivante, le 4 août,
jour de la fête de saint Dominique, le chapitre provincial de Gar-
cassonne le maintient dans le même enseignement, mais en Feu-
voyant à Sisteron, en Provence*. A partir de ce moment, nous
n'entendons plus parler de lui pendant quinze ans, à moins que
nous ne regardions comme le concernant la mention d'un reli-
gieux du même nom, et qui n'aurait été qualifié de natif de Figeac,
FigiacensiSj que par erreur^. Mais, à vrai dire, cette conjecture
ne nous semble guère devoir être acceptée. L'indication dont il
s'agit se trouve dans les actes du chapitre provincial réuni à
Figeac, en 1306, le jour de la fête de sainte Marie-Madeleine.
Or, ces actes ont été revus spécialement, comme le prouve une
note autographe, par Bernard Gui lui-même, dont on ne peut
aisément mettre en doute le soin et l'exactitude ^
donner de sa connaissance du grec, même ayant son départ pour l'Orient, une
explication assez natureUe. Il aurait pu, en effet, en puiser les éléments auprès
de ces clercs d'origine orientale, que les souverains pontifes entretinrent à
l'Université de Paris, pendant tout le ziii* siècle, aux frais des églises et des
monastères de France, et dont la réunion formait peut-être l'établissement mal
connu désigné sous le nom de collège de Constantinople. Voir à ce sujet, dans
la Revue des Sociétés savantes, année 1861, pp. 66-73, un article de M. Ch.
Jourdain intitulé : Un collège oriental à Parit au XlIP siècle,
1. c Assignamus studia naturalium : pro conventibus Avinionensi, Arelatensi,
etc., ponimus studium in Aurelate ; lectorem fralrem G. Bernardi. i Bibl. de
Toul., ms. 273, !'• série, f- 381 r*.
2. c Assignamus studia naturalium : ... pro conTentibus Massiliensi^ Aquensi,
Grassensi, Sancti Maximini, Massiliensis (sic), ponimus studium in Cistarico;
lectorem fratrem G. B. » IMd., ut supra, f* 384 r*.
3. a Isti visitabunt hoc anno : ... conventus Burdegale, Sancti Eroiliani, Bra-
gcriaci, Petragori, et locura Sancti Radulphi {lisez Pardulphi) extra frater
WmuN Bernardi Figiacensis. » IMâ,, ut tupra, f* 396 r*. — Le couvent de femmes
de Saint-Pardoux, dans le diocèse de Périgueux, sur les confins du Limousin,
avait été fondé dans le courant du xiii* siècle ; mais il ne passa que plus tard
entre les mains de l'ordre de Saint-Dominique, par suite d*une acceptation
résolue définitivement au chapitre provincial de Brives, en 1292. On y eoToya
à cette époque un certain nombre de sœurs tirées du monastère de Pronille.
Voir, sur rc couvent, ibid., ut supra, ^ 246 et suiv., tiAmpliss. coUeet,, VI,
rc. 527-529. — Saint-Pardoux est aujourd'hui Saint-Pardoux-la-RiTière, ch.-l. de
canton, arr. de Nontron, dép. de la Dord , sur la rire droite de li
On y Yoit encore les ruines de l'établis ni < ren de i
4. Cette note consiste dans les mots c (o « le
ajoutés, nous le reflétons, de la maii ae j ni i
260 C. MOLINIER.
Ce n'est donc qu'en 1317 que nous rencontrons de nouveau au
sujet de Guillem Bernard de Gaillac un renseignement auquel
nous puissions réellement nous fier. Cette année-là, en effet,
nous lisons encore une fois son nom dans les actes des chapitres
provinciaux de Tordre dont il fait partie. C'est dans ceux du
chapitre de Bergerac (fête des apôtres Pierre et Paul, 29 juin),
dont une décision l'attache comme lecteur à l'enseignement des
arts au couvent delà même ville*. Mais c'est aussi la dernière
fois que les documents auxquels nous avons emprunté la plupart
des éléments de cette biographie nous fournissent la preuve
de son existence. En 1317, si l'on considère comme à peu près
acquise la date de 1255, à laquelle nous avons cru pouvoir
axer sa naissance, il a dépassé l'âge de soixante ans. Que sa
mort ait suivi sans beaucoup tarder, cela n'aurait rien qui dût
nous surprendre.
On ne peut faire moins cependant que de marquer le doute
qui ressort d'une indication assez postérieure, il est vrai, à la
dernière dont il vient d'être question. En 1333, le dimanche avant
la fête de saint Jean-Baptiste, c'est-à-dire le 20 juin, le chapitre
provincial de Figeac nomme sous-lecteur au couvent de Saint-
Junien* un moine du nom de frère Guillem de Gaillac 3. Evidem-
ment, on peut penser que c'est là le religieux dominicain dont
nous avons essayé de reconstituer l'existence, et que l'appellation
qui le désigne est seulement incomplète. Mais, d'autre part, il
faut avouer que cette nouvelle date nous porte bien loin de l'an-
née 1317, à laquelle il poui^rait paraître assez raisonnable de se
borner, eu l'absence d'indications parfaitement précises. Elle
nous force, si nous l'acceptons, à charger un vieillard de soixante-
dix-huit ans de fonctions en quelque sorte au-dessus de ses forces,
à coup sur en désaccol^i, par leur modestie même, avec son âge,
ses longs services, et enfin les honneurs dont il a été investi à
du chapitre provincial de Figeac, dans lequel le copiste les avait oubliés
d'abord. Voir bibl. de Toul., ms, 273, V* série, f^ 395 r.
1. c Assi^namus studia arciura : ... pro couventibus Petragoriceosi et Brage-
riacj, ponimus studium in Bra^seriaco; lertorem fratreni W* Bernardi. > /6id.,
ut supra^ î* \Vi r*.
2. Sur la Vienne; ch.-l. de canton, arr. de Rochecbouari, dép. de la Haute-
Vienne.
3. t Assignamusadlegendurnseeundani lectionem : ... in Sancto Juniano fralrem
Guilheimum de Galhaco. » ~ Bibl. de Toul.. ms. ^73. I'« série, f^ 469 t*. —
Voir, sur le courejit de Saint-Junien, îM., j^ "iiS,
GUILLBM BERNARD DE GAILLAC. 264
plusieurs reprises dans les assemblées solennelles de son ordre.
Ce ne sont peut-être pas là œpendant des difficultés irréfu-
tables. Une longévité comme celle qu'il faudrait admettre n'est
pas si extraordinaire, qu'on ne puisse la supposer chez un reli-
gieux, astreint dès l'adolescence par les lois monastiques à la vie
la plus régulière et la plus paisible, soustrait aux passions et aux
soucis terrestres, assujetti seulement aux travaux intellectuels,
qui n'usent pas toujours autant qu'on veut bien le dire. Quant à
voir une sorte de déchéance dans ces fonctions, plus dignes, selon
nos idées au moins, d'un débutant que d'un personnage presque
célèbre, ayant en tout cas fait depuis longtemps ses preuves, ce
serait avoir mal saisi le fond de cette existence, que nous avons
voulu retracer. Trois vertus y dominent incontestablement, si
vives qu'on pourrait les qualifier de passions, l'amour de la
science, le dévouement, l'humilité. S'il allait donc, à près de
quatre-vingts ans, comme sous-lecteur dans un des couvents les
moins considérables de l'ordre de Saint-Dominique, recommencer
les labeurs de sa jeunesse, Guillem I^rnard satisfaisait à la fois
ce qu'on pourrait appeler tous les besoins de son âme. Ainsi, dans
la décision du chapitre de Figeac, ce n'est pas là ce qui devrait
nous embarrasser. A supposer qu'elle le concerne véritablement,
il pourrait bien se faire que notre religieux l'eût sollicitée lui-
même.
Cette décision est, d'ailleurs, le dernier renseignement qui se
rattache d'une manière plus ou moins certaine à la biographie de
Guillem Bernard de Gaillac, et nous sommes arrivé au bout de
la tâche que nous avions entreprise ^ Il ne nous reste plus qu'à
1. Pour laisser une idée plus nette de cette biographie de Guillem Bernard de
Gaillac, nous croyons devoir réunir dans un tableau chronologique les faits qui
la composent, et que nous avons présentés avec toutes leurs circonstances. Un
point d'interrogation marque ceux dont on peut douter à la rigueur, parce que
les textes qui nous les donnent n'ajoutent pas au nom proprement dit du reli-
gieux dominicain l'indication du lieu où il est né.
Guillem Bernard est, en :
?t277, lecteur de philosophie naturelle au couvent de Carcassonne (décision
du chapitre provincial de Bordeaux);
? 1278, lecteur pour le même enseignement au couvent de Perpignan (décision
du chapitre provincial de Montpellier, 22 juillet) ;
?1281, envoyé au couvent de Nice (décision du chapitre provincial de Nar-
honne, dimanche après l'octave des apôtres Pierre et Paul, 13 juillet) ;
1284, lecteur au couvent de Perpignan (décision du chapitre provincial de
Perpignan) :
262 C. HOLflflEl.
examiner la conjecture dont nous avons parlé en commençant.
Elle est, si l'on s'en souvient, de Quétif et Échard. Au cas où on
l'admettrait, elle ajouterait aux fonctions exercées par le religieux
qui nous occupe celles d'inquisiteur.
« Dans un manuscrit en parchemin du xm* siècle, disent les
auteurs des Scriptores^ manuscrit qui a été autrefois la propriété
de nos frères de Rouen, et qui se trouve aujourd'hui entre les
mains de nos frères du couvent de Saint-Honoré à Paris, il y a
un traité intitulé de practica inquisitiontSj où Ton trouve le
nom d'un frère Guillem Bernard, remplissant les fonctions d'in-
quisiteur de la foi, en compagnie de frère Jean de Saint-Benoît,
1285, sons-lecteur au couvent de Toulouse (décision du chapitre proTincial de
Condoin^ 9 octobre) ;
? 1288, lecteur de théologie au couvent de Cahors (décision du chapitre pro-
Tincial d'Avignon, 22 juillet) ;
1289, prédicateur général (décision du chapitre provincial de Narbonne,
14 septembre);
1290, lecteur au couvent de Perpignan (décision du chapitre provincial de
Pamiers, 14 septembre) ;
1290, 1291 , prieur du couvent de Montauban ; relevé de ces fonctions par déci-
sion du chapitre provincial de Béziers (15 août 129t);
? 1291, lecteur delà Bible au couvent de Toulouse (décision du chapitre pro-
vincial de Béziers) ;
1292-1294, prieur du couvent d' A Ibi ; relevé de ces fonctions par décision du
chapitre général de Montpellier) ;
1294, lecteur de théologie au couvent d'Agen (décision du chapitre provincial
de Montpellier);
1295, 1296, prieur du couvent de Rodez ; relevé de ces fonctions par décision
du chapitre provincial de Narbonne (22 juillet 1296);
? 1297, lecteur de philosophie naturelle au couvent de Béziers (décision du
chapitre provincial de Tarascon, dimanche après la fête de sainte Marie-Made-
leine, 23 juillet) ;
? 1298, lecteur es arts au couvent d'Arles (décision du chapitre provincial de
Cahors, octave des apôtres Pierre et Paul, 6 juillet) ;
1298, il part pour Rome (peu après le 29 septembre) ;
1299, il part de Rome pour Constantinople ;
? 1301, lecteur de philosophie naturelle au couvent d'Arles (décision du cha-
pitre provincial d'Agen, 22 juillet) ;
? 1302, lecteur pour le même enseignement au couvent de Sisteron (décision
du chapitre provincial de Carcassonne, 4 août) ;
? 1306, visiteur au couvent de Saint-Pardoux (décision du chapitre provincial
de Figeac, 22 juillet) ;
? 1317, lecteur es arls au couvent de Bergerac (décision du chapitre provin-
cial de Bergerac, 29 juin) ;
?1333, sous-lecteur au couvent de Saint-Junien (décision du chapitre provin-
cial de Figeac, dimanche avant la fête de saint Jean-Baptiste, 20 juin).
GUILLEM BERNARD DB GAILLAC. 263
dans le territoire de Toulouse vers 1290. Est-ce le même que
celui dont nous nous occupons (Quétif et Echard veulent parler
de Guillem Bernard de Gaillac), c'est affaire aux érudits du pays
même de s'en enquérir*. »
Dans ce passage des Scriptores, il y a une date qu'il est
impossible d'accepter : c'est celle de 1290. Le texte auquel se
rapportent les écrivains dominicains, et que nous reproduisons
en note, parle des comtés et des territoires soumis au comte de
Toulouse. Mais il n'y a plus de comte de Toulouse depuis la mort
d'Alfonse de Poitiers, arrivée le 21 août 1270, et suivie, à trois
jours de distance, de celle de sa femme Jeanne, avec qui s'éteint
pour toujours la race des Raimonds. Il n'y a plus de comté de
Toulouse, depuis la prise de possession, le saisimentum solen-
nel, qu'ordonne dès 1271 le roi Philippe III. D'ailleurs, dans un
autre endroit de leur livre, Quétif et Échard eux-mêmes, mieux
inspirés cette fois, substituent, à propos du même texte, la date
de 1258, qui est acceptable, à celle de 1290, qui, on le voit de
reste, ne peut se soutenir. Mais, pas plus cette fois que l'autre,
ils ne décident s'il s'agit de Guillem Bernard de Gaillac ou d'un
moine son homonyme, qui ne pourrait être que le Guillem Ber-
nard de Dax, dont nous avons dit quelques mots au début de cette
notice*.
1. ff In codice ms. membr. sec. XIII alias Rotomagensium nostroram nunc
Tero Parisiensium ad S. Honorât!, est tractatns de practica inquisiUanis, in
({uo legitur quidam F. Guillelmus Bernardi censoris fidei monere fangens cum
F. Joanne a Sancto Benediclo in parlibus Tolosanis circa MCCXC. An idem sit
mm 00 de quo agimus, disquirant indigenae curiosi. » Script, ord. Praedic, l,
460 b. — Le ms. dont parlent Quétif et Écbard se trouTe aujourd'hui à la biblio-
thèque Mazarine sous le n* 1346. Dans ce ms., le traité qu*ils citent occupe les
f** 193 B-201. D'ailleurs, ce traité tout entier a été publié sous le titre de DoC'
trina de modo procedendi contra haereticos, par Martène et Durand, dans leur
Thésaurus novus anecdotorumy tome V, c^. 1795-1822, vraisemblablement
d'après le ms. connu par les auteurs des Scriptores, Nous croyons deToir
reproduire d'après cette publication le fragment sur lequel s'appuie la conjec-
ture que nous examinons en ce moment, c Poenitentia haereUcorum quando
crédit {sic). — Omnibus Christi fidelibus praesentes litteras inspecturis, fratres
ordinis Praedicatorum, Guillelmus Bernardi et Johannes de S. Benedicto,
Inquisitores haereticae pravitatis in communitatibus (lisez comitatibus) et ter-
ris nobilis Tiri comitis Tholosani, salutem, etc. » Thés, nov, anecdot., \,
c. 1808. La pièce, dont nous ne donnons que le commencement, parce qu'il nous
est seul nécessaire, se continue à la colonne 1809. 11 faut remarquer qu'elle ne
porte aucune date.
2. Cette nouvelle indication se trouve dans la notice consacrée par Quétif et
Ëchard justement à ce Jean de Saint-fienolt, dont le nom ligure égalemeot dans
264 c. MOLiiaER.
C'est bien de ce dernier pourtant qu'il est question. « Frère
Guillem Bernard de Dax, dit Bernard Gui, était pour la seconde
fois prieur (du couvent de Bayonne), l'an du Seigneur 1257, au
mois de mai, quand il fut fait inquisiteur de la perversité héré-
tique, et par conséquent déchargé dupriorat*. » Sa mort, comme
nous l'avons établi, a lieu en 1268 ou 1269. Il était alors prieur
du couvent des Dominicains de Bordeaux, et, pour le devenir, il
avait dû, sans doute, résigner les fooctions inquisitoriales, de
même que, pour être investi de ces fonctions, il lui avait
Mlu renoncer au priorat de Bayonne, ce qui bornerait son pas-
sage dans les tribunaux d'Inquisition à dix années tout au plus.
Est-il bien nécessaire d'insister, après cela, sur l'impossibilité
qu'il y aurait à accorder ces dates avec la chronologie que nous
avons cru pouvoir fixer de l'existence de Guillem Bernard de
Gaillac? S'il y a quelque probabilité dans la conjecture qui nous
a fait placer sa naissance entre 1250 et 1260, on ne saurait
admettre, on le voit, qu'il ait figuré dans ces tribunaux d'In-
quisition, dont l'accès ne semble avoir été ouvert le plus souvent
qu'à des religieux d'âge mûr, et finit même par être interdit au-
dessous de quarante ans^.
le texte que nous cherchons à éclaircir. < In cod. ms. membr. fol. conventus
Rotomagensis laudatur quidam F. Johannes de Sancto Benedicto inquisilor
haerelicae prayitatis In terris nobilis viri comitis Tolosani : an idem sit cumhoc
nostro in theologia maglstro nolîm asserere, cum ille collega dicatur F. Guil-
lelmi Bernardi, qui isto munere fungebalur anno MGCLVllI, sicque antiquior,
quam ut circa MCCLXXX ad agones scholasticos se transferret. » Script, ord.
Praedic, I, 406 b. — Quant au doute exprimé dans les derniers mots de ce pas-
sage, à yrai dire nous ne le comprenons guère. Si on suppose, ce qui est vrai-
semblable, que Jean de Saint-Benoît était âgé de quarante ans vers 1258,
époque où il aurait partagé les fonctions d'inquisiteur avec Guillem Bernard, il
n'en aurait jamais eu de la sorte que soixante tout au plus vers 1280. Ce n'est
pas là un âge qui pût lui interdire ce que les auteurs des Scriptores appellent
agones scholastici. En réalité, dans le texte, qui fait le fond de toutes ces con.
jectures, il n'y a pas les difficultés qu'ils y ont vues.
1. € Frater Guillelmus Bernard! Aquensis prefatus altéra vice erat prior (con-
ventus Baionensis), anno Domini M°. CC". LVir, mense mayo, et tune fac-
tus fuit inquisitor heretice pravitatis, et absolutus consequenter ab officio prlo-
ratus. » Bibl. de Toul., ms. 273, !'• série, f» 138 r*.
2. Cette décision est, il est vrai, assez tardive, puisqu'elle ne date que du
pontificat de Clément V et du concile de Vienne (1311-1312). Voir Corpus juris
canoniciy Clementin., lib. V, Ut. III, cap, II, et Nicolas Eymeric, Dircctorium
inquisitorum, tertia pars, quaestio II. — Qu'elle eût été motivée par les nomi-
nations trop fréquentes de jeunes gens à des fonctions dont leur emportement
naturel n'était pas fait pour tempérer le caractère réellement abusif, cela est
Guillan Bernard de Gaillao ne fut donc |vis imiuisiteur. et
nous nous abstiendrons de le rejrretter jvur lui. IVautr^» jvirt.
1 étude du grec, ses travaux en cette langue, d'un si gnuid inti>*
rèt jour nous, ne Toccui^rent peut-être que jvassî^gtMvment, Il
fut surtout professeur et pmiicateur. Et, plusheurtnix de i^* ivtè
qu'en ce qui concerne ses traductions de siùnl Thomas dWquin»
en dépit également du silence de I>ernar\l (lui qu'on ne s\»xpliq\ie
guère, nous avons dans un certain nomlm^ dWritsle témoignage
de son éloquence et de sc>n enstngnement. I^ bihIiotluH|ue de
Bordeaux possède deux recueils manuscrits du xiv sitVle, n>m-
plis de ses œuvres. L'un, sous le titrt> de Sermones </c»*jiMi<vi/f\v»
renferme, dans sa premièri> partie, une st'»i ••» de si>rmt»ns, qm»
suivent des commentaires sur la GenèsiN le livri* «le Job t»t U\h
Psaumes*. L'autre, daté de 1340, contient encon» d<»s si»rmons,
mais différents des premiers, et intitulés Srrmom*sS de SanriiJi,
auxquels se joignent les mêmes commentain\s que dans lo vohuuo
précédent*. A supposer, comme c'est possible, qu<» vo ne soit p«H
là tout ce qu'il a écrit, ce qui subsisterait donc surtout desoMivnw
de Guillem Bernard deGaillac, ce serait la partie oraloin», I)e la
sorte, il aurait été mieux traité par le Uîinps qu<^ mu (^onfri^ii),
Bernard Gui, prédicateur général de son onlre (*.ommo Iui-môm(«
et dont les sermons semblent avoir disparu^.
C'est à cela que se borne, bien entendu, In HU|)érioriti'» du reli-
gieux, dont nous avons essayé de rec()nHtitu(T la mod^sti^ exin-
tence, sur son contemporain, l'un des n»prêsi»n teints 1i«.h pluM
remarquables à coup sûr de l'ordre des Frênes lYecluMirn. l*!Nt-<!4)
à dire cependant que cette existence, si \Hm (extraordinaire qu'f«n
soit le cours, n'ait pas son prix au point de vue historique, et
qu'en ce sens l'étude que nousavonsjugé devoir en faini ne puiMne
être de quelque utilité? On nous iiermettra d(î ne pan le croire.
évident. Noos n en croyfm» pas moin^ qu'elle ne faiiuilt que r/>nferllr en r^Kl<*
«lèftnilife ce qui était paW le plu» «ourent dan^ la pratique. Hv.rwtu\ iittï, \mr
exemple, ne fut appelé â exercer la justice Inqulsituriale qu'a I'Aki* fl<* quaraiilr.
cinq ou quarante-six ans, en 13^/7, c'est-à-dire antérieurement au dérrel de
Clément V.
t. N-* 20 et 303 du eaUloga<ï de 18S0, iii-4^ %élio, li3 f**,7 col
2. N- 3^12, in-K Ténn, li6 f*% 2 roi.
3. On avait cm les |io«iéder «Uns un ms. de la l»ibli/»tbeque de TemUm^, M
■' 311 de la 1" <»érie. Mais un exâmen plus attentif a fait rec#*nnallr«; que Im
termons &>mposant le Tolntoe dont H s'agit étaient vrais«Mld4l»l«fme«t d« d/iMt-
Bkaio Gai d È«rcax. Voir, sar te point, M. Oellsie, op. céL, p. 33''.
266 C. II0LI1II£R.
Personne n'ignore la place immense que tient, au xiii® siècle,
dans le développement littéraire et scientifique de cette époque,
la grande association religieuse fondée par saint Dominique.
Pour ne citer que les plus illustres, deux noms, ceux d'Al-
bert le Grand et de saint Thomas d'Aquin, suffisent à en don-
ner une idée. On peut penser ce qu'on voudra de leur œuvre, la
déclarer à jamais abolie, ou bien y voir le dernier mot de toute
philosophie humaine, elle n'en demeure pas moins prodigieuse.
Mais, si grands que soient les deux hommes dont nous venons de
parler, ils ne représentent pas seuls l'activité qui illustre leur
ordre. On peut ajouter à leurs noms ceux de leurs émules, frères
prêcheurs comme eux-mêmes, maîtres éminents, tout en leur étant
inférieurs, on n'a pas encore cette activité tout entière. On n'en a
pas surtout le mouvement ordinaire et en quelque sorte quotidien.
Pour le trouver, il faut descendre des grandes universités, où les
religieux de saint Dominique se montrent avec tant d'éclat au
milieu de rivalités ardentes, à leurs écoles conventuelles. C'est là
que, par une méthode savamment graduée, par des exercices
aussi variés qu'assidus, on dégrossit, on arme de toutes pièces les
jeunes esprits, dont un examen attentif a d'abord fait reconnaître
les aptitudes. C'est là qu'enseigne quarante ans Guillem Bernard
de Gaillac, avec un dévouement qui ne devait pas être commun
même autour de lui. De là sort, tel que nous le connaissons, sans
avoir eu d'autre préparation ni d'autres maîtres, Bernard Gui.
Ce que valent ces centres d'étude, ce qui s'y prépare, un avenir
de prospérité ou de décadence, on le sait de reste dans Tordre des
Frères Prêcheurs. Aussi n'y a-t-on pas de préoccupation plus
vive ni plus constante que d'en assurer l'existence et les progrès.
Au chapitre général de Valenciennes, en 1259, une commission
réunit les docteurs en théologie les plus célèbres de l'Université de
Paris, frère Bonhomme de Bretagne, Florent d'Hesdin*, saint
1. Voir sur ces deux Dominicains, réunis dans une même notice avec leur
contemporain, Élie Brunet de Bergerac, Script, ord. Praedic, I, 139 b, 140 a.
— Voir également HisU Hit. de la France^ tome XIX, pp. 103, 104. — Frère Bon-
homme, qualiûé ordinairement de BritOy à cause de son origine, et Florent
d'Hesdin {de nisdino)^ appelé aussi Gallicus, c'est-à-dire le Wallon, par Etienne
de Salanhac, ont été assez souvent confondus en un seul et même personnage.
Le nom de Florent, Floreniius ou même Florentinus en latin, rapproché de
celui de frère Bonhomme, avait fait naître l'opinion que ce religieux était
natif de Florence. Voir, sur cette confusion. Script, ord. Praedic., I, 140a.
GriLLEK lCE.XAt» DE «AlLLiC. â<(7
Thomas d'Aqain. Albert le Grand, Pierre de Tarantaise, plus
tard pape sous le nom dloDoœDt V. Obéissant au mandat qu'ils
ont reçu du maitr&-général, Humbert de Romans '« et dt's ditlini-
leurs du chapitre, ils élaborent tout un pri^jet de réfonm^ ct>ncer-
nant les écoles de leurs couvents dominicains, et. anuuH? ivur lui
donner force de loi, les articles en sont insérés ilans les actes
mêmes de rassemblée*. On imaginerait difficilement une suite de
prescriptions mieux choisies. Ce qu'il faut y admirtT surtout, c'est
la hardiesse de ces moines et leur esprit libre de tout préjugé. On
les croirait préoccupés plus que de tout le reste des obliga-
tions de leur vie claustrale, des exercices de piété qu'elle ci>m[H>rte
naturellement. Avec quelle indépendance ils en parlent et les
réduisent au strict nécessaire^, quand il s'agit d'enseignement et
de science, deux choses qui semblent leur tenir au avnir autant que
la religion même, ou qui leur sont plutôt une seconde n»ligion !
Des dispositions du même genre avaient déjà été prist^s, mais
avec moins d'autorité, dès le chapitre provincial de C-ahors, en
1255*. Au chapitre provincial de Itéziers, tenu en l'année 1261,
le dimanche après Toctave des apôtres Pierre et Paul, c'est-à-ilire
le 10 juillet, sous le priorat du prieur provincial Pons de Saint-
Gilles, les mesures dues au chapitre de Cahors, les prt»scriptions
plus solenneUes édictées à Valenciennes^ sont rappelées dans un
1. Humbert de Romans est maltre-génèral de l'ordre des Dominicains depuis
l>|)oqne du chapitre général de Bude(1254) jusqu'à celui de Londres (1363).
Voir Script, ord. Praedic, I, 142.
2. Voir bibl. de Toul., ms. 55, !•• série, f'« 63 d, 64a, b. — Martène et
Durand ont reproduit, d'après le même manuscrit, dans le tome V de leur
Tkes. nov, anecdot., les actes des chapitres généraux de l'ordre dos Domini-
cains. Voir ce. 1724-1727 les actes du chapitre de Valcnciennes, et ce. 1726,
1727, de Tarticle 18 à l'article 39, les prescriptions concernant la réforme des
études dans les écoles conventuelles de l'ordre. — Voir également, sur cette
réforme, Hist. litL de la France, tome XL\, pp. 1()3, 104 (notice sur frère
Bonhomme, Ëlie Brunetti et Florent d'IIesdin); p. 241 (notice sur saint Thoman
d'Aquin); p. 365 (notice sur Albert le Grand).
3. c Item ad promotionem studii ordinamus hoc, quod lectores non occufien-
tur in ofldciis vel negociis, per que a lectionibus retrahantur. — ... Item quod
teropore lectionis non occupentur in missis cclebrandis vel aliis hujusnuMli... •
— Et cette autre indication, qui montre tous les membres de l'ordre soumis,
sans exception, à la nécessité de s'instruire : c Item quo4l priores vadant ad
scolas slcut ceteri fratres quando comode poterunt. > Bibl. de Toul., ms. 55,
I'' série, ^'63D, 64 a.
4. Voir, pour les actes de ce chapitre, bibl. de Toul., ms. 273, I'* série,
f« 290 ▼•, et ms. 91, 11» série, f* 34 b, g.
268 C. MOLINIER.
résumé qui nous en donne l'essence *. Puis, il est décidé que toutes
ces prescriptions, y compris celles qui sont l'œuvre de l'assemblée
même de Béziers, seront réunies en un tout, dont la lecture se fera
quatre fois chaque année, dans l'intervalle compris entre la fête de
saint Michel et la Pentecôte, et dans chaque couvent de l'ordre, en
présence de tous les religieux qui pourront y assister. Le prieur pro-
vincial et les visiteurs doivent s'enquérir avec soin de la manière
dont toutes ces mesures sont observées. Les maîtres qui dirigent
les études sont invités à renseigner sur ce point leurs supérieurs*.
A tout cet ensemble s'ajoute une lettre curieuse, datée du mardi
suivant (12 juillet), et rédigée par le prieur et les diffiniteurs qui
l'ont assisté au chapitre de Béziers. Elle règle minutieusement
certaines questions relatives aux bibliothèques conventuelles et à
la propriété des livres qui y sont déposés ou peuvent y faire retour
dans certains cas. Le maître-général, Humbert de Romans, pré-
sent aux délibérations dont cette lettre constate le résultat, en a
approuvé la teneur et l'a confirmée de l'autorité de son sceau
particulier 3.
1. Nous reproduisons ici ce résumé, qui fournira une idée des prescriptions
principales de l'année 1259. t Apud Valenlinas, anno Doniini M*. CC*. L*. IX%
de mandato roagistri et diflTinilorum, pro proniotione studii ordinatum est per
fratres Bonumboinineni; Florentinuro, Albertum Theutonicum, Tbomem de
Acquino, Pelrum de Tharantasia, niagistros théologie Parisius, qui interfuerunt
dicto capitulo, quod lectores non occupentur in ofTiciis vel negociis, per que a
lectionibus retrahantur vel disputalionibus. — Item quod diligenter inquirantur
{sic) per provinciales et visitatores de juvenibus aptis ad studium et eos promo-
veant, et quod visitatores singulis annis référant profectus et defectus eorum
capitulo provinciali. — Item quod ad studia generalia non mittantur nisi bene
morigiati (sic) et sani et apti ad profectum. — ... Item quod studentibus vei
aptis ad hoc parcatur à discursibus et occupationibus... — Item visitatores
inquirant singulis annis diligenter et quid et quomodo legerunt et quociens
disputaverunl, eldefl'ectus notabiliores référant capitulo provinciali. — ... Item
in singulis capitulis provincialibusordinetur qualiter studentibus provideatur. »
Bibl. de Toul., mss. 273, P» série, f' 396; 91, II« série, f« 36 b, c.
2. c Item volumus quod ordinationcs facte de studio Valenciis, Biterris et
Catursi condentur in unam, et iila legatur quater quolibet anno, inter festum
beati Michaclis et Penthecoste, in quolibet conventu, presentibus omnibus
fratribus qui poterunt interesse, et prior provincialis et visitatores inquirant
diligenter qualiter dicta ordinatio observetur, et magister sludencium teneatur
denunciare priori provinciali qualiter dicta ordiuatio observetur. > Bibl. de Toul.,
ms. 273, r* série, f" 295 v. Ce passage manque dans le ms. 91, II* série.
3. € Noverint universi quod nos, frater Poncius de Sancto Ëgidio, Fratrum
Predicatorum in proviucia Provincie servus, et diflinilores provincialis capituli
apud Bitterim celebrati, anno Domini M*. CG°. LXI*, ordinamus de consilio et
(ÎUILLEII BERNARD DE C.AILLAC. 2<)i)
Ces assemblées mémorables de Cahors, de Valenciennes surtout
et de l:5éziers, ne marquent pas, d'ailleurs, un élan passager seu-
lement dans Tordre des Frères Prêcheurs. Le mouvement qu'elles
ont fait naître et qu'elles ont réglé se soutient bien au delà, du
moins dans les couvents dominicains du midi de la France. La
preuve nous en est fournie par les actes d'un second chapitre pro-
vincial de Béziers, réuni en 1269, par ceux d'un autre chapitre
tenu à Bordeaux, et dont la date de IIMI nous porte au début du
XIV® siècle*. Ce sont donc cinquante ans d'efforts dirigés sans
interruption dans le même sens que nous avons à constater. Les
conséquences, si elles s'expliquent par une telle opiniâtreté, n'en
sont pas moins merveilleuses. Les arts, c'est-à-dire l'enseignement
multiple désigné sous ce nom à pareille époque, grammaire, rhé-
torique, logique, la philosophie naturelle, l'explication et le com-
aasensu tocius capituli de studio in tiunc modum. Ordinamus quod libri siTC
scripta sive denarii pro scripturis decedentium Icclurum sive actu Icgcncium
tune sive non, exceptis il lis quos a specialibus conventibus habuerunt, us(|ue
ad provinciale capitulum reserventur, ut sicut de aliis libris coinmunitatis per
(triorem provincialcni cum assensu difTinitoruin et consilio ordinetur de cis ;
provideatur autem tantuin de libris hujusiuodi fratribus aptis et positis ad stu-
diuin lectionis, qui sibi aliunde providere non possunt. Libros aulein, quos pre-
dicti lectores defuncti habuerunt a convenlibus, statiin possint dicti conventus
recipcre, ita tainen quod scribant priori provinciali quos libros recuperaverunt
et quo titulo pertinent ad tros. — Item ordinamus atque niandamus, quod, lectore
mortuo, residui libri ejus diligenter conscribantur in presencia prioris et su|>-
prions et consiliariorum et magistri studencium, et diligenter consigncnlur et
sub clavi custodiantur usque de eis per capitulum ordinetur. Volumus autem
quod ordinatio premissa de libris Icctorum duret us({ue ad V. annos, et volu-
mus quod libri et scripta omnia, que per modum istum infra quinqucnnium
habebuntur, cx)mmunitatiprovincie intitulentur. Et ordinamus quod tam isti libri
sive scripta sive denarii sive alii libri coramunitati provincie undecumque acqui-
siti fratribus assignati, ipsisdecedentibus, reserventur usque ad sequcns capitulum
provinciale, et tune per priorem provincialem.cum consilio et assensu didinilorum
de ipsisprovideaturillisqui studentad legendum, sicut superius est expressum et
infra. — Item ordinamus quod in ista ordinatione nichii possil mutari ab aliquo
nisi de expressa licencia et assensu tocius capituli provincialis. — Ista autem
ordinatio a nobis facta fuit, lecta cl a toto capitulo aprobata, coram venera-
bili fratre Humberto, m<igistro ordinis nostri, qui ipsam in presencia dldinito-
nim omnium approbavit et sui sigilli munimine roboravit. Cui etiam ordinationi
ego frater Poncius dictus prior sigillura odicii nostri ap|M)sui in testimonium
veritatis. Datum Biterris, in capitulo provinciali, die martis |>ost octabam
apostolorum Pétri et Pauli, anno Domini M*. CC*. LX*. 1*. » Bibl. de Toul.,
mss. 273, P* série, f 395 v, 390 r% et 91, II* série, f- 36, a, b.
1. Voir, pour les actes du chapitre provincial de Béziers de 1269, bibl. de
Toul., ms. 273, l'* série, f 307 r*, et pour ceux du chapitre de Bordeaux, iàid.,
f> 411 V; ms. 91, II* série, f** 64 d, 65 a. Les actes du chapitre de Béziers
manquent dans le ms. 91.
270 C. MOLINIER.
mentaire des Livres Saints, la théologie morale et dogmatique,
toutes les divisions de la science au moyen âge se trouvent repré-
sentées dans ces écoles conventuelles. Par quels maîtres, nous le
savons, et nous savons aussi quels disciples forment ces maîtres.
En réalité, dans certaines parties de la France, dans la France
méridionale surtout, elles doublent les universités, quand elles ne
les remplacent pas d'une façon absolue, au moins pour quelque
branche de l'instruction. C'est ce qui arrive, par exemple, pour
l'Université de Toulouse, fondée en 1229 au milieu de telles cir-
constances que son développement en demeure arrêté pendant tout
le XIII® siècle, et dans cette université chancelante, pour l'ensei-
gnement théologique, longtemps chez elle le plus faible de tous. En
tout cas, lorsque cette création débile prend, après plus de soixante
ans, un essor inattendu, c'est aux Dominicains encore qu'y appar-
tiennent la plupart des chaires de théologie, et ils leur donnent ce
caractère d'orthodoxie invariable et de fidélité à la cour de Rome,
qui fait le fond de leur histoire*.
Mais ils ne se contentent pas de voir professer dans leurs cou-
vents l'ensemble déjà suffisamment complexe de toutes les divi-
sions de la science, telle qu'on l'entend alors. Ils y ajoutent un
ordre entier d'études, qu'aucune école chrétienne, hormis les
leurs, ne semble avoir possédé dans ce temps, et où ils n'ont véri-
tablement pourrivaux que les rabbins de Languedoc et d'Espagne.
Ce sont l'étude et l'enseignement de l'arabe, de l'hébreu, du chal-
daïque. Un des promoteurs des prescriptions du chapitre de Valen-
ciennes, Humbert de Romans, dès son arrivée aux fonctions de
maître-général de Tordre, s'est occupé de les développer*. Ce
chapitre même a inséré dans ses actes un article qui enjoint au
prieur d'Espagne d'établir à Barcelone, ou dans tout autre couvent
de sa province, une chaire d'arabe et d'y réunir les religieux dont
on pourrait attendre des progrès dans l'étude de cette langue^.
1. Voir, à ce sujet. Histoire générale de LanguedoCj édition Privât, t. VII,
pp. 574, 575 (note LX, Étude sur l'organisation de l'Université de Toulouse, au
quatorzième et au quinzième siècle).
2. Voir Hist, litt. de la France, tome XXIV, p. 92.
3. < Injungimus priori Hispaniae, quod ipse ordinet aliquod studium ad addis-
cendam linguam Arabicara in conventu Barchinonensi vel alibi, et ibidem col-
locet fratres aliquos de quibus speretur quod ex hujusmodi studio possint
proficere ad animarum salutem. Quicumque autem et de quacumque provincia
Yoluerit addiscere linguam Arabicam, scribat hoc magistro. » Thés. nov.
anecdot., V, c. 1725 (article 12 des actes du chapitre de Valenciennes).
GUILLRM BERNARD DE GAILLAC. 274
Mais c'est rillustre Raimond de Pegnafort qui s'attache spécia-
lement à la réalisation de cette œuvre, comme le constate, afin de
lui en faire honneur, la bulle donnée pour sa canonisation en
1601 par Clément VHP. Grâceàlui, les écoles d'arabe et d'hébreu
se multiplient dans les couvents que les Dominicains possèdent
dans la péninsule. Les rois d'Aragon et de Castille en fondent, sur
ses instances, à Murcie et jusqu'à Tunis*. C'est de là que sort le
Catalan frère Raimond Martin, armé de son fameux livre, le
Pugio fidei^. Devenu un maître à son tour, il voit les disciples se
presser en foule autour de lui. L'un d'eux traduit en grec plusieurs
de ses ouvrages. C'est peut-être un dominicain, quoi qu'en
pensent Quétif et Echard, de sorte qu'à la même époque, où vivait
Guillem Iternard de Gaillac, l'ordre aurait compté un helléniste
de plus*.
On doit le reconnaître, il serait difficile d'imaginer une activité
intellectuelle plus diverse de forme et surtout plus infatigable. Ccî
n'est pas que nous devions pourtant nous abuser sur l'esprit dont
elle procède et qui lui donne son élan prodigieux. Cet esprit, il va
sans dire que ce n'est pas le nôtre, avec ses tendances absolument
désintéressées, sa passion de savoir pour le plaisir de savoir, sans
désirer rien de plus, sans chercher à quoi pourra bien servir la
connaissance acquise. Au xiir siècle, les travailleurs prodigieux
qui font notre admiration sont, avant tout, ce que nous appelle-
rions des gens pratiques. Guillem Bernard de Gaillac apprend le
grec, parc^ qu'il veut s'adresser aux dissidents de Constanti-
nople, et qu'il espère peut-être les convertir. Raimond de Pegna-
fort pousse à l'étude de l'hébreu et de l'arabe, Raimond Martin s'y
dévoue, parce qu'ils veulent confondre les rabbins avec leurs
propres textes et évangéliser les mahométans d'Afrique dans leur
langue.
Aussi, ces mêmes hommes nous ménagent-ils souvent d'étranges
surprises. Un seul intérêt les guide, celui de leur foi. Pensent-ils
pouvoir le servir en faisant autre chose que ce qu'ils ont fait
jusqu'alors, les voilà qui renoncent sans hésitera des occupations
que l'habitude et leurs goûts naturels ont dû leur rendre doublo-
1. Voir Bollandiêteft, janTier, I, p. 412, n* 27.
2. Vuir Tourna, Histoire des hommes illustres de Vofdre de Saint-Dominique,
I, p. 35.
3. Voir Script, ord, Praedic., I, 3% b-398.
4. Voir, sur ce fail, iM,, ut supra, \, 398.
272 C. MOLIinER.
ment chères. Bernard Gui s'enferme dans un greflfe d'inquisition ;
il emploie à feuilleter de hideux registres ces mains qui nous ont
recueilli tant de textes précieux ; il s'occupe à préparer des actes
de foi et l'œuvre du bourreau. Pour cela, il prend sur son exis-
tence si féconde et si occupée quinze ans entiers. Il est vrai que
Nicolas Eymeric, un esprit supérieur, lui aussi, y consacrera bien
quarante ans de la sienne. Mais ce n'est pas tout encore : on les voit
longuement déchiffrer et réfuter un livre, qu'ils jugent d'impor-
tance capitale, puis, ce travail achevé, brûler le volume qui leur
a coûté tant de peine, comme ils brûleraient celui qui l'a écrit,
ceux qui le lisent, ceux qui en ont embrassé les doctrines, s'ils
tombaient entre leurs mains*. En fait, c'est toujours le débat
d'Izarn et de Sicart de Figueiras, en face du bûcher*. Izarn,
orthodoxe, invinciblement sûr de la solidité de sa croyance, con-
descend à discuter avec l'hérétique Sicart. Il l'y invite, il l'y force
presque. C'est qu'il pense bien pouvoir lui appliquer, en fin de
compte, l'argument après lequel il n'y a pas de riposte, puisqu'il
étouffe dans les flammes la voix de l'adversaire récalcitrant.
Peu importe, d'ailleurs : ce sont là des efforts inutiles. Dans le
même moment où l'on se flatte de sauver l'orthodoxie par tant de
procédés terribles, un moine, il est vrai que c'est un franciscain,
et son ordre a toujours eu de ces audaces, Nicolas de Lyra, donne,
au sein même de TEglise, la première idée de Téxégèse biblique.
On l'a prétendu de race juive; mais l'instinct du sang ne suffirait
pas à expliquer la hardiesse de son œuvre. L'explication en est
dans le libre esprit qui commence à circuler, malgré toutes les
entraves. Et, quand il s'agit d'en contenir les échappées dange-
reuses, tous ces religieux défont d'une main ce qu'ils font de
l'autre. On les étonnerait bien si on le leur disait; le fait n'en est
pas moins évident. Ecrivains et docteurs pour la plupart, que leur
sert-il d'aller s'enfermer dans des cours d'inquisition, afin d'y
1. Voir, par exemple, au sujet de la destruction des livres juifs par le feu dans (e
courant du xiii* siècle, le travail de M. Noël Valois, Guillaume d'Auvergne^ évêque
de PariSj V* partie, ch. VII, pp. 118-137, mais sans oublier d'y joindre les obser-
vations présentées par M. Paul VioUet dans la Revue historique (année 1883,
pp. 175-178), particulièrement à propos du passage de ce travail qui vient d'être
indiqué. — Voir également, pour la môme destruction continuée au xiv* siècle,
Limborch, Liber senleniiarum inquisiiionis Tkolosanae, f' 136 r*, et Bernard
Gui, Practicoy bibl. de Toul., ms. 267, T* série, f"2iB-22B.
2. Voir ce poème dans l'édition de M. Paul Meycr, 1880 (Extrait de V Annuaire-
Bulle tin de la Société de l'Histoire de france, année 1879).
GriLLEM BBRNl&D DE GlILUC. 273
comprimer la pensée humaine toujours inquiète? Il faudrait
d'abord ne pas l'exciter eux-mêmes en leur personne, ni faire
juger par leur propre exemple de ce que peut son activité. Il
faudrait réteindre chez eux comme chez autrui. Peut-être estime-
t-on que, si elle ne dort pas, du moins se contentera-t-elle éter-
nellement pour toute pâture de cette matière scolastique, maniée
et remaniée depuis deux cents ans, divisée et redivisée à l'infini,
et dont tout suc et toute saveur ont disparu. Qu'on y prenne
garde cependant ; quelques signes donneraient à en douter.
Au début du xui* siècle, pour fournir à cette Université de Tou-
louse, dont nous avons déjà parlé, à cette plante jeune et frêle,
comme le disent leurs bulles, un crédit qui semble devoir lui man-
quer au premier abord, les papes ont pris une résolution hasar-
deuse. Jusque-là, l'étude du droit romain a reçu d'eux peu
d'encouragements. Us Tout interdite à Paris, sous prétexte que, la
France du Nord ayant sa coutume, cette étude y était inutile. En
réalité, ils voyaient, non sans justesse, dans ce droit antique et à
demi païen un rival de leur législation particulière, de leur droit
canonique.Voilà pourtant qu'ilsrinstallentàToulouse,enalléguant
qu'on ne peut en priver des populations, qui, depuis plus de douze
cents ans, l'observent comme la règle de leur existence civile. A
l'attrait de cette nouveauté qui lui est offerte, la jeunesse ne se
laisse que trop prendre. On avait compté avoir dans cette univer-
sité, imposée au Midi par la paix de 1229, une sorte de citadelle
de l'orthodoxie théologique. Mais ce qu'on y enseigne le plus
timidement, ce qu'on y étudie avec le moins d'ardeur, c'est juste-
ment la théologie. La faculté de droit prime toutes les autres. Au
xiv* siècle, sur les quatre recteurs annuels qui se partagent le
gouvernement scolaire, elle en fournit deux à elle seule *. Au début
du même siècle, Honiface éprouve, à ses dépens, les résultats du
mouvement déjà formidable qu'ont décidé eux-mêmes ses prédé-
cesseurs, entraînés par une nécessité passagère, et sans se rendre
bien nettement compte de l'avenir. C'est des écoles, où l'on
enseigne le droit romain remis en honneur, que sort cette nuée de
légistes, qui, conduits par Guillaume de Nogaret, viennent lui
faire subir leur argumentation juridique jusque dans Anagni.
Elle est encore bien embarrassée de tour et de forme ; elle n'en
étonne pas moins l'adversaire et le terrasse, comme il arrive
1. Voir Hisi. gén. de Lang,, édit. PriTat, t. VII, p. 598.
RbV. UlSTOR. XXV. 2« PASC. llJ
274 C. MOLTNIBR. — GUILLEM BERNARD DE GAILLAC.
toujours aux premiers coups portés par une arme nouvelle.
Aussi bien n'est-ce pas là seulement que se manifeste l'essor qui
entraîne les esprits dans toute l'Europe occidentale. Il est univer-
sel ; mais il est aussi et surtout irrésistible , et ce n'est pas la
papauté qui l'arrêtera, après les désastres qui viennent de com-
promettre pour longtemps son prestige et ses forces. Il y a plus :
des auxiliaires qu'elle s'était donnés dans les périls de l'époque
d'Innocent III et d'Honorius, cette papauté affaiblie n'a pas même
à attendre un dévouement sans défaillances. Les Dominicains lui
restent et lui resteront toujours fidèles. Mais les Franciscains,
après l'avoir trop souvent plus inquiétée que servie, semblent
justement alors vouloir se tourner contre elle. Si l'Église, désa-
busée de ses rêves superbes des premiers jours, résolue à se con-
soler de sa chute à Avignon dans la possession et la jouissance des
biens terrestres, a laissé tomber, de découragement, l'idéal de
vertu parfaite, de justice absolue, de mépris généreux de ce monde,
qu'elle a si longtemps porté dans ses mains et proposé aux
peuples, c'est l'ordre de Saint-François qui prétend le relever.
Mais c'est pour l'abandonner en proie à ses mystiques sans
raison, qui vont dissiper ce trésor précieux dans d'extravagantes
rêveries.
Jamais changement aussi profond ne se sera fait plus vite. Que
pouvaient penser, il y a cinquante ans à peine, les chefs du mou-
vement intellectuel, dont l'apogée est au règne de saint Louis, des
époques obscures, déjà reculées de plus de deux siècles dans le
passé? n faut que nous y regardions de bien près, nous autres
modernes, pour démêler dans ce néant les germes indécis de l'ave-
nir réalisé plus tard. Quant à eux, pour ces mêmes temps, était-
ce de la pitié qu'ils nourrissaient ou du dédain? Mais l'un et
l'autre supposent la mémoire et bien certainement alors ces temps-
là étaient oubliés. Cependant le monde a marché, et tous ces doc-
teurs fameux de la scolastique se voient traités par ceux qui les
remplacent, comme eux-mêmes avaient cru devoir traiter leurs
prédécesseurs. En cent ans, car, du seuil du xiv® siècle à son
apparition définitive, on ne saurait compter davantage, l'esprit
nouveau a triomphé, et, comme il arrive toujours, c'est par une
réaction poussée jusqu'à l'aveuglement qu'il marque son triomphe.
Charles Molinier.
MELANGES ET DOCUMENTS
MÉMOIRE ADRESSÉ A LA DAME DE BEAUJEll
SUR LES MOYENS d'uNIH LE DUCHÉ DE BRETAGNE
AU DOMAINE DU ROI DE FRANGE
(1485 OU U86).
Au moment où quelques travaux récents ont attiré l'attention du
public sur le gouvernement de la dame de Beaujeu * et sur les évé-
nements qui préparèrent Tunion de la Bretagne au domaine de la
couronne de France^, on ne trouvera pas hors de propos la publi-
cation d'un mémoire adressé à la sœur de Charles VIII, par un de
ses conseillers, sur les moyens d'assurer au roi la possession du
duché de Bretagne.
J'ai rencontré la copie de ce mémoire à Londres, parmi les manus-
crits du Musée britannique, dans un volume où une main anglaise a
transcrit, au commencement du xvi"* siècle, divers documents relatifs
aux aflaires politiques de la France, de l'Angleterre, des Flandres,
etc.^. Le texte commence et flnit brusquement, sans titre ni préam-
bule et sans péroraison ; rien ne permet de décider s'il est complet
ou si nous n'en avons qu'une copie tronquée. Le manuscrit ne four-
1. P. Pélicier, Essai sur le gouvernement de la dame de Beaujeu (Chartres,
1883, in-8*). — NoCl Valoiâ, le Conseil du roi et le Grand Conseil pendant la
première année du règne de Charles VI II, danA la Bibliothèque de C École des
chartes, t. XLUI et XLIV, 1882-1883.
2. Antoine Dupuy, Histoire de la réunion de la Bretagne à la France
(Paris, 1880, 2 vol. in-8»).
3. Manuscrit Arundei 26, f** 11 T*-16 ▼*. L'écriture des 41 premiers feuillets
de ce manuscrit parait être des premières années du xvr siècle. A partir du
folio 42 on troure une autre écriture, qui peut être du milieu du même siècle.
Pour la liste des pièces contenues dans ce Tolume, Toy. Catalogue of the
manuscripts in the British Muséum, new séries^ toI. I, part I (1894, in-fol.},
the Arundei Manuscripts, p. 7.
276 lliLANGES ET DOCUMENTS.
nit aucune indication sur le nom de l'auteur et sur la date. Celle-ci
peut toutefois être déterminée approximativement. Un rapide exa-
men suffît pour reconnaître que le mémoire est adressé à la sœur de
Charles VIII, Anne, dame de Beaujeu, pendant les premières années
du règne de son frère. Les allusions qui y sont faites à la révolte des
seigneurs bretons contre le duc François II (4484), à leur fuite en
France, à leur raccommodement avec le duc de Bretagne, indiquent
une date postérieure à tous ces événements, dont le dernier est du
42 août 4485. D'autre part, le document doit être antérieur au
-15 mai -i486, jour delà mort de la duchesse de Bretagne, Marguerite
de Foix, femme du duc François II, mentionnée comme une per-
sonne encore vivante dans les premiers paragraphes, et même pro-
bablement au 8 février -i486, époque d'une réunion des états de
Bretagne, où la question de la succession au duché fut traitée et réso-
lue dans un sens contraire aux prétentions du roi de France, et
après laquelle les conseillers de celui-ci n'auraient pu conserver les
espérances qui se manifestent ici. Le document qui va suivre a donc
été écrit, selon toute probabilité, entre le 42 août 4485 et le
8 février 4486. Quant à l'auteur, c'est un conseiller de la cou-
ronne, serviteur dévoué de madame de Beaujeu. U avait été chargé
de recevoir des seigneurs bretons réfugiés en France, à Saumur, un
serment de fidélité au roi (probablement au moment de la conclusion
du traité de Montargis, 22-28 octobre 4484), puis d'exiger d'eux le
renouvellement de ce serment, après leur paix faite avec le duc
(août 4485) et leur retour en Bretagne, à Nantes. Au moment du
traité de Montargis, c'est lui qui avait reçu les articles de l'accord,
écrits de la main d'un des Bretons, le sire de Sourdéac, et qui les
avait transmis à la cour. Or, dans les procès- verbaux des séances du
conseil du roi, moins de quinze jours avant le traité de Montargis,
le 40 octobre 4484, on voit mentionnée une commission donnée à
deux membres du conseil, que le gouvernement envoie pour conférer
avec les seigneurs bretons à Saumur : ce sont le maréchal Pierre de
Rohan, seigneur de Gyé, et Adam Fumée, maître des requêtes*. Il
est assez probable que Tauteur du mémoire est l'un de ces deux
personnages. Pour attribuer ce mémoire avec certitude à l'un des
deux, il faudrait savoir si l'un ou l'autre fut chargé, l'année suivante,
1. c Coppie de la créance de nionsur le maréchal de Gyé et de M* Adam
Fumée, lesquelz sont allez à Saumur. C'est ce que le roy a chargé à monsur le
maréchal de Gyé et à maistre Adam Fumée de dire à madame de Laval, à
moosur le prince d'Orenge et autres barons et nobles du pays de Bretaigne... »
A. Dernier, Procès - verbaux des séances du conseil de régence du roi
Charles VIII, dans ia Collection de documents inédits (Paris, 1836, in-4*), p. 127.
MéMOIRE ADRESSÉ A LA DAME DE BEAUJBU. 277
d'une nouvelle mission, qui l'amena à Nantes après la rentrée des
barons en Bretagne (août fî85).
L*objet du mémoire est d'indiquer les moyens de faire valoir des
droits à la succession de Bretagne, que (iharles VIII avait hérités do
son père et que le gouvernement royal venait de faire reconnaître
par plusieurs dos principaux seigneurs bretons. Kn 4480, Louis XI
avait acheté de Nicole de Blois, fille de Jean de Penthièvre, et de son
mari Jean do Brosses, leur droit vrai ou prétendu à succéder au duc
de Bretagne, François II, si celui-ci ne laissait pas de postérité mas-
culine; or, il n'avait, en effet, d'autres enfants légitimes que deux
filles. La prétention des Penthièvre était fondée sur une clause du
traité de Guérande, conclu en 4365; elle n'était pas reconnue par
les Bretons, qui opposaient au traité de Guérande une sentence do
déchéance rendue par les états de Bretagne contre la maison de
Penthièvre, en 4420, et une renonciation de Jean de Bretagne, comte
de Penthièvre, contenue dans une contre-lettre remise au duc Fran-
çois I" en 4448*. En avril 4484, plusieurs seigneurs bretons, tels
que le maréchal de Ricux, le sire de Sourdéac, etc., à la suite d'un
coup de main tenté en vain par eux à Nantes contre le trésorier
Pierre Landois, ministre tout-puissant du duc François II, avaient
été forcés de s'exiler et de chercher un refuge en terre franç-aise, à
Ancenis d'abord, puis à Angers. Le gouvernement royal s'était
empressé de les accueillir, de leur promettre sa protection, et avait
profité de la circonstance pour leur faire reconnaître les droits de
Charles VIII à la succession de François II (tniité de Montargis,
22-28 octobre 4484). Puis, en 4485, un nouveau complot avait
réussi à renverser, en Bretagne, le trésorier Pierre Landois; le faible
François II, après avoir laissé condamner et exécuter son ministre,
avait rappelé les exilés, par lettres du 42 août 4485, et leur avait
rendu leurs charges et leurs biens confisqués. Le maréchal de Rieux,
l'un des chefs des révoltés, était devenu presque aussitôt l'un de ses
conseillers les plus infiuents^. Ainsi, à la fin de 4485, le pouvoir se
trouvait, en Bretagne, entre les mains de ces mêmes seigneurs qui
avaient reconnu. Tannée précédente, les droits de Charles VIII à la
succession de François II. Telle est la situation que le conseiller
d'Anne de Beaujeu propose a cette princesse d'exploiter, pour assurer
au roi, le plus tût possible et au plus tard à la mort du duc, la pos-
session de la Bretagne.
Le rédacteur du mémoire ne se dissimule pas la difficulté do
1. J'emprunte le résumé de ces faits au lirre de M. Dupuy, t. I, p. 277 et 278.
2. Dupuy, t. n, p. 24-^.
278 MELANGES ET DOCUMEICTS.
l'entreprise. Il sait que l'idée de l'annexion française est très
impopulaire dans le duché, et il craint que même la bonne volonté
des seigneurs, en supposant qu'elle se soutienne, ne sufHse pas à
assurer le succès du roi. Aussi, propose-t-il successivement divers
subterfuges : il parle tantôt de capter l'appui de la duchesse de
Bretagne et celui du favori de François H, Jean de Chalon, prince
d'Orange, pour obtenir qu'ils laissent entrer une garnison française
au château de Nantes, tantôt de marier Charles VUI avec Anne, fille
aînée de François II (c'est le moyen qu'on se décida à employer plus
tard et qui réussit); peut-être même pourrait-on, pense-t-ii, avec
Taide du prince d^Orange, obtenir de François II une abdication
immédiate, qui permettrait de se saisir du duché sans attendre sa
mort. Avant tout, il faut empêcher les seigneurs bretons d'oublier
leurs engagements envers le roi, leur rappeler les bienfaits qu'ils ont
reçus de lui pendant leur exil, le serment qu'ils ont fait de soutenir
ses droits; il faut exiger d'eux une confirmation formelle de leur
promesse et surtout l'assurance explicite qu^aussitôt le duc mort ils
remettront aux troupes de Charles VIII les places dont ils ont le
commandement. Ensuite viennent des conseils sur ce qu'il faudra
faire quand le duc sera mort. Dès que la nouvelle de son décès sera
arrivée à la cour, on devra se hâter d'envoyer en Bretagne une
ambassade et une armée. L^ambassade expliquera aux états de la
province le droit du roi; si les états font difficulté de reconnaître
ce droit, l'armée s'avancera et sa présence suffira peut-être à rame-
ner les Bretons à l'obéissance, surtout si les barons de Bretagne
prennent le parti du roi. Ici vient le plus étrange de tous les avis
contenus dans le mémoire. L'auteur s'avise que, si les nobles
bretons prennent ouvertement le parti de Charles VIII, le peuple de
Ja province et leurs vassaux même pourront considérer leur conduite
comme une trahison et refuser de les suivre. Les barons devront
donc faire semblant d'être contre le roi ; seulement, ils attireront
l'attention des états sur les mesures à prendre pour soutenir la
guerre qui ne pourra manquer d'éclater entre la Bretagne et la France,
et en discutant ces mesures ils feront de la guerre et des dépenses
qu'elle entraine un tableau si effrayant , que les Bretons , après
les avoir entendus, se décideront d'eux-mêmes à céder au roi plutôt
que d'en venir aux mains. Le mémoire contient, tout préparé
d'avance, le texte du discours que devrait adresser aux étaits celui
des barons qui consentirait à se charger de ce singulier rôle. C'est
une longue énumération, où l'orateur mentionne successivement
les diverses espèces de troupes qu'il faudra lever et entretenir, les
armes dont il faudra les pourvoir, les places où il faudra mettre gar-
MiMOlEB ADRESSB ▲ LA DAME DE BEAU/EU. 279
nison, les soins à prendre et les dépenses à fkire pour ces divers objets,
les exigences des gens de guerre et la difficulté de se défendre du
pillage , les maux inséparables de Tintcrvention étrangère , si
1 on appelle à Taide le roi d'Angleterre (et Ton ne pourra guère se
dispenser de l'appeler), etc. C'est le procédé de Scapin, inspirant au
seigneur Argante la terreur des procès, par Ténumération des pièces
et actes de procédure à payer, des gens de loi à satisfaire ^ Le
morceau est curieux et piquant à lire; mais il est difficile de croire
qu'un si singulier raffinement de ruse tortueuse ait jamais pu être
de la bonne politique.
Tous ces calculs reposaient sur la supposition que les barons de
Bretagne resteraient fldèles aux engagements qu'ils avaient pris avec
le roi. Or, dès les premiers jours de février ^486, les barons,
oubliant ces engagements, adhéraient, avec le reste des états de la
province, à une déclaration solennelle qui reconnaissait les filles
du duc François II, Anne et Isabelle, pour héritières du duché'.
Les combinaisons savantes du conseiller d'Anne de Beaujeu deve-
naient ainsi sans objet. Peut-être trouvera-t-on pourtant que le
mémoire où il les avait exposées mérite encore d'attirer quelque
attention, à titre de curiosité historique.
Julien Havbt.
Question^. — Touchant monsi^ le prince^ : c Gomme estes -vous
avecques luy ne quelle sûreté et amour avez-vous avecqucs luy? i
Responce a ce qu'elle vous respondra, — « Il vous fault trouver moien
de gangner mons' le prince et que vous soiez bien sour de luy, afOn
que 8e Dieu faisoit son commandement du duc et que les Bretons vous
voulsissent faire quelque force, qu'il vous aidast a garder le chasteau do
Nantes et vostre personne et mes dames vos' filles. »
Ung advertissement a Ma Dame. — Se Ton voit que la duchesse et
mons'' le prince, ou mons' le prince seul, feust ou feussent bien afToc-
tionez pour le roy, selon que on verroit en eulx. Ton pourroit pratiquer
que après la mort du duc ilz pransissent des gens du roy pour tenir le
1. Molière, les Fourberies de Scapin, acte II, scène 5.
2. ÉtâtA de Rennes, 8-11 février 1486 : Morice, Mérnùkres pour servir de
preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne (Paris, 1742-1746,
3 Tol. infol.), t III, col. 500.
3. Dans l'intenUon de l'auteur, cette question doit être adressée par la dame
de Beaujeu à la duchesse de Bretagne, de même que la réplique qui suit. Il
était donc question, semble-t-U, d'une entrerue entre les deui princesses.
4. Jean de Ghalon, prince d'Orange, nereo de François II et l'un de set prin-
cipaux faToris à partir d'août 1485 (Dupuy, t. II, p. 23 et 83).
'). Manuscrit: mes.
280 MELANGES ET DOCUMENTS.
chasteau de Nantes, sus les lissieres de Bretaigne, pour tout inconti-
nent s'en servir quant il en seroit mestier ; par ce moyen, s'ilz les voul-
loient mectre dedens le chasteau de Nantes, le roy pourroit avoir la
duchesse et ses filles et le chasteau et ville de Nantes et toute la
duchié de Bretaigne.
Aultre moyen. — Si Ton congnoissoit mons' le prince bien affectionné
en ceste matière, et le duc vivroit longuement, on pourroit praticquer
avecques luy d'abréger le terme, mais il fauldroit praticquer ceste
matière selon le temps et que Ton congnoistroit de son affection.
Aultre façon de faire. — Parler a la duchesse de la venue du roy et
de ma dame sa fille et luy remonstrer comme le roy est beau prince de
Taage de xvij ans*, et que sa fille ^ est belle fille, et que, quant ilz se
verront, par avanture ce seroit cause de faire leur^ appointement eulx-
mesmes, etc.
S'ensuit ce qui me semble que on devroit dire et mainctenir aux barons
de Bretaigne. — Premièrement que l'entreprinse qu'ilz firent a Nantes*
ne fut pas par l'ordonnance ne commandement du roy ne de ceulx qui
estoient les plus prochains de luy ne pour faire service au roy ne au
royaume, mais ce qu'ilz en firent estoit pour la grant hayne qu'il[z]
avoi[en]t contre le trésorier de Bretaigne ; touteffois, pource que leur
entreprinse ne vint selon leur intencion, ilz furent constrains de estre
fuytilz hors de la duché de Bretaigne et vindrent a refuge au roy comme
a leur souverain s', luy suppliant qu'il luy pleust de sa grâce tenir leurs
personnes et leurs biens en sûreté en son royaum[e].
Item, au raoien de Ma Dame et de mons*- de Beaujeu, le roy les retint
et tint en bonne seureté en son royaume, contre la vaillance du duc et
les grans princes et grans personnaiges de son royaume.
Item manda a ceulx de la ville d'Angers qu'ilz les receussent et les
gardassent de tort et d'injure comme de sa personne, en façon que son
auctorité n'y feust point foullee.
Item le roy fut adverti que aucunes entreprinses se faisoient sur la
personne du roy (sic^)^ envola des archiers de sa garde pour les garder
comme sa propre personne 6.
Item, quant le roy sceut que le duc menasoit de venir mectre le siège
a Ansenis, il envoia incontinent le s"* de Heusse^ devers le duc luy
faire signiffier que, s'il y venoit mectre le siège, il estoit délibéré de
1. Charles VIII, né le 30 juin 1470, n'avait, entre août 1485 et février 1486,
que quinze ans accomplis ou seize ans commencés.
2. Anne de Bretagne, née le 26 janvier 1477.
3. Manuscrits : leurs.
4. Contre le trésorier Pierre Landois, le 7 avril 1484 (Dupuy, t. II, p. 24).
5. Il faul évidemment entendre : sur la personne des barons.
6. Sur cette tentative contre les réfugiés bretons à Angers, voy. Dupuy, t. II,
p. 34 et 35.
7. M. de la Heuse : Bemier, Procès- ver baux, p. 52.
MEMOIRE ADRBSSé A LA DAVB DE BBiUJBU. 284
secourir les barons* de Bretaigne, en façon que son auctorité et souve-
raineté y seroit gardée.
Item envoia le roy devers lesd. barons leur dire que si le duc leur
couroit sus, qu'ilz ne se souciassent de riens et qu'il les aideroit et
secourroit.
Item, pour celle cause, manda le roy venir mons' de Comynge a
Angers et luy manda qu'il fist tirer celle part des gens d'armes de sa
compagnie, ceulx de mons*" de Labret, ceulx de mess« Gracien de Gare
et d'autres, et luy manda que si le duc venoit mectre le siège a Ance-
nys, qu'il aidast et secourust aux barons, et pour lad. cause vint le
8« de Comynge a Angiers.
Item, quelque requcste que le roy jamais ait eu du duc et de presque
tous les princes de son royaume et d'autres grans personnaiges de sou
conseil que de sa chambre, jamès ne voullut entendre a les remectre
entre les mains du duc.
Item, ce temps pendant qu'ilz ont demeuré pardeça, le roy, pour leur
entretenement, par fourme de pension et estât de luy, leur donnoit
tous les ans xxv ou xxx mille frans^.
Item, par voye de fait et de faveur et de aide, le roy les a renduz a la
duché de Dretaigne, au recouvrement de leurs auctoritez, a leurs hon-
neurs de leur maisons et heritaiges, et oncques puys en ça, eulx estans
en leurs maisons et heritaiges, leurs a tousjours fait des biens et donné
pensions.
Item leur ramentevoir leurs sermens qu'ilz me tirent a Saumur.
Item leur ramentevoir la ratifûcacion du serment qu'ilz me firent a
Nantes, eulx estans a leur franc et libéral arbitre.
Item leur faire et remonstrer que s'ilz veullent bien recongnoistre
les biens et les honneurs que le roy leur a faiz, qu'ilz congnoistront
entièrement qu'ilz tiennent leur vie et leur honneur et leur bien de luy.
Item leur ramentevoir que tout incontinent que Dieu aura faict son
commandement du duc, que le roy est délibéré de leur tenir de point
on point les articles et escriptures escriptes de la main de mons** de
Sourdiac en Baumur, lesquelz ilz me baillèrent et les imWé au roy 3.
Item de savoir d'eulx s'ilz ne sont pas délibérez de luy tenir les ser-
mens qu'ilz ont faiz, et que tout incontinent que le duc sera mort, si
leur intencion n'est pas de mectre leur personnes, leurs places et leurs
biens entre les mains du roy et tout incontinent se declare[r] pour luy
et se mectre en son obéissance, et que s'ilz le veullent faire ainsi, le
roy leur entretiendra de son costc ce qu'ilz me baillèrent par escript
1. Manuscrit : de le secourir les barons.
2. Voir les comptes des pensions payées par le gouvemement français anx
nobles de Bretagne» dans Leroux de Lincy, Vie de la reine Anne de Breiaçne
(Paris, 1860-1861, 4 vol. in-8*), t. III, p. 188 et suivantes.
3. Cf. Godefroy, Histoire de Charles VItt, roff de France, par Guillaume de
Jalignjf, etc. (Paris, 1684, in-fol.}, p. 4S8.
282 MELANGES ET DOCDMEIfTS.
pour porter au roy, escript de la main de mons' de Sourdiac, quelle
chose je baillé au roy a Abbleville^
S'ils respondent en gênerai^ comment Hz ont accoustumé de faire^ qu'ils
tiendront au roy ce qu'il luy ont promis. — Leur remonstrer que après
le décès du duc, que le roy est vray héritier de la duché de Bretaigne,
et que véritablement il est adverty par gens de bien, tant Bretons
que autres, que la contre-lettre que Ton dit est une faulceté, faicte par
Olivier de Cîoetlogon, lequel estoit ung faulsaire^, et, pource que le roy
est seur d'avoir le vray droict en ceste duché de Bretaigne après le
décès du duc, il^ veult savoir d'eulx s'ilz sont délibérez de tenir leur
sermens ou nom.
Item leur dire que le roy ne * demande que la force, l'auctorité et
la souveraineté de la duché de Bretaigne, et que entant que les
offices, les places et les gens d'armes demeurent entre les mains d'iceulx
du pays et que, au regard des deniers, qu'il veult qu'ilz soient distri-
buez au prouffit du pays, tant aux pensions que aux reparacions des
places que aultres affaires qui pourroient survenir aud. pays, et qu'il
est délibéré de les entretenir es droictz, prééminences et previlleiges
dud. pays, tout ainsi que les ducs ont accoustumé de faire, et encore
leur faire mieulx, et que son intencion est de faire tant de bien a tout
le pays qu'ilz auront cause de perpétuellement de prier Dieu pour le
roy, et que des offices, pensions et bien£faiz de luy il a bien espérance
de leur en départir largement, tant que par raison ilz en devroient estre
bien contens de luy ; et leur prier que ilz se délibèrent de franchement
et liberallement, sans contrainctc de force, de se mectre entre les mains
du roy, ainsi que la raison le porte, car il est vray héritier de la duché
1 . Il ne peut être question d'Abbeville en Picardie. Charles VIII ne fit aucun
séjour dans cette ville ni aux environs pendant l'année 1484 [Itinéraire de
Charles VIIJ, de 1483 à 1491, dans le livre de M. Pélicier, p. 285-308). Le fait
mentionné ici dut avoir lieu peu avant le traité de Montargis (22-28 octobre
1484). Or, pendant la première quinzaine de septembre, le roi séjourna, selon
M. Pélicier, à Paris et à Vincennes; il était encore à Paris le 16; à Bois-Maies-
herbes, le 23; à Montargis, à partir du 29. Peut-être s'agit-il ici du village
d*Abbeville, Seine-et-Oise, arrondissement d'Étampes, canton de Méréville.
2. Voir cette contre-lettre, en date du 24 juin 1448, signée : Jehan de
Bretaigne, Olivier de Coetlogon, dans Morice, Mémoires, t. II, col. 1424. En ce
même jour avaient été passés : un traité par lequel Jean de Bretagne, comte de
Penthièvre, renonçait à ses droits de succession au duché ; une lettre ostensible
de François I", duc de Bretagne, qui lui rendait les droits auxquels il venait
de renoncer; et la contre-lettre secrète en question, par laquelle Jean de Bre-
tagne renonçait de nouveau aux droits que le duc lui rendait par la lettre
ostensible. Le gouvernement royal pouvait soutenir, non sans apparence de rai-
son, qu'il y avait quelque chose de suspect dans cette combinaison singulière.
— Olivier de Coëtlogon était secrétaire du duc François I"^; un grand nombre
de lettres de ce duc sont contresignées par lui.
3. Manuscrit : le deces duc duc ilz.
4. Manuscrit : le royaume.
MéMOIRB ADRBSSiS A U DAME DE BBAUJBU. 283
de Bretaigne et leur s** naturel après la mort du duc, ainsi qu'ilz le
peuvent * veoir et congnoistre ; et que, au regarde de la contre-lettre
qu'ilz pourroient dire qui fut contre le droit du roy, il n'est pas a ce
acroire que voullentiers, sans nulle constraincte, l'on quiestat ung tel
droit que d'une duchié de Bretaigne, sans nulle recompence, et que
c'est une affection mauvaise controuvee contre Dieu et raison ; et pource
leur prier qu'ilz obéissent au roy comme a leur s** naturel et droicturier
après le décès du duc.
Item savoir a mons"* de Reux* si, après la mort du duc, il est déli-
béré de se déclarer de servir le roy, comme il a promis et juré; si son
intencion n'est pas de mectre sa place d'Ancenys entre les mains du
roy, le cas avenu.
Item, semblablement, a ma dame de Laval 3, et si elle ne mectra pas
Ghasteau Brian entre les mains du roy, tout incontinent que le duc sera
mort.
S'ensuit ce que le roy doibt faire tout incontinent que le duc sera mort.
— Ënvoier une grosse ambassade, pourveue de bons, grans et notables
personnaiges, devers les estatz de Bretaigne, et sur ce des gens d'armes
quant et quant et bien tost après, pour eu user et s'en servir ainsi que
l'on verroit qu'il seroit neccessaire, et par lesd. ambassadeurs faire
remonstrer aux estatz du pays le droit que le roy a en ceste duché, et
leur prier qu'ilz y vueillent recevoir et obéir comme a leur droicturier
et naturel s', et que en ce faisant il les entretiendra en leurs droictz,
prééminences et preveilleiges du pays, et a espérance de les traicter
mieulx que nulz des ducz de Bretaigne n'ont fait parcy devant, et telle-
ment qu'il espère de leur tenir si bons termes qu'ilz auront cause de
perpétuellement prier Dieu pour luy.
Cecy remonstré par le roy, les Bretons feront monstre d'une conlre-
lectre, quelle contredit au droit du roy, et d'un traictié qui fut faict au
temps de la duchesse Jehanne^; et, par lad. lectre, leurs raisons et
autres choses, vous remonstreront tout le droict du roy et vous voul-
dront remonstrer par leurs raisons que le roy n'a nul droict en ceste
duchié.
Sur ceste contradicion on leur pourra faire responce telle. — « Mess",
vous avez ouy et vous avons remonstré le droict que le roy a en ceste
duché, ainsi comme il est bien délibéré que en luy obéissant au bon
1. Manuscrit : peuit.
2. Jean, seigneur de Rieux, d'Aocenis, etc., maréchal de Bretagne.
3. Françoise de Dinan, femme de Gui XIV, comte de Laval, dame de Châ-
teaub riant.
4. On trouve dans Morice, Mémoires, t. II, col. 701, un traité coocla le
1" janvier 1400, entre la duchesse de Bretagne, Jeanne, veuve de Jean IV,
régente pendant la minorité de son fils Jean V, et le comte de Penthièvre et
d'autres seigneurs ; mais il n'y est rien réglé au sujet de la succesaion au.duché.
284 mtLà^GES BT DOCUMENTS.
droit qu^l y a, de tous entretenir yoz droitz, prééminences et preveiU
leiges et de bien vous traictier et tenir bons termes.
cr Mess'*, les contradictions que vous faictes an droit du roy, a cause
d'une contre-lectre et d'autres raisons, sont fondées sur mauvaise rai-
son, car \c, roy est véritablement adverty par aucuns grans personnaiges
de Dretaigne que Olivier de Ck)etlogan estoit ung faulsaire et &st trois
faulcotez de trois lettres, l'une pour une* archidiaconé, Tautre d'une
aultre chose, et lad. contre-lectre que vous avez monstree et alléguée ;
et aussi il est tout évident que ung homme raisonnable, qui seroit en
son franc et libéral arbitre, ne quicteroit ne ne renonceroit a une si belle
seigneurie comme une duché de Bretaigne, et mesmement sans en
avoir recompense.
0 Mess''*, puys que le duc est mort sans hoir masle procret de luy en
droicte ligne, soiez seur que le roy est le vray s' de ceste duché de
Bretaigne, et pource il vous prie derechief et vous some que vous le
vueillez recopvoir et obéir et mectre en possession de ceste duché, qui
est a luy, et le rccepvoir comme vostre naturel et droicturier s', et en
ce faisant il est délibéré de vous tenir les choses que je vous ay dictes
et déclarées, et si vous vouliez faire le contraire et vous mectre de vostre
droit a vostre tort, le roy vous déclare qu*il n'est pas délibéré de laisser
couiler le bon droit qu'il a en ceste duché, qui est son vray heritaige,
fors ainsi qu'il sera conseillé par mess*'* de son conseil et des estatz de
son royaume. »
Itom, sur cocy, face marcher gens d'armes de tous costez, pour les
cxploicter ainsi qu'il on sera neccessité.
Or, ne sray-on, les barons de Bretaigne pourroient servir le roy, s'ilz
avoient voulontô de ce faire, trop mieulx que si declairoient pour le
roy tout incontinent que le duc sera mort; car, s'ilz se declaroient pour
luy publicquemont, peult estre que ceulx du pais, mesmement leurs
subgoctz et serviteurs, no les vouldroient pas suyvre ne servir en leur
voulontô en la querelle du roy ne faire tout ce qu'ilz vouldroient bien
qu'ilz foissont.
S'cnsuH ce que les barons de, Bretaigne pourront^ après avoir ouy les
amfHissadeurs du roy^ dire aux estais du pays, et prîncipallement morts'
de Laval ou mons^ de lieux encore myeulx. — t Mess", vous avez ouy ce
(|tie moss»** les ambassadeurs du roy ont dit et déclaré en la présence
do tous nous, aussi la n^sponce et^ la contradiction que en leur a faicte,
et apn'^s la responcc avez entendu la roplicque et sommacion que il nous
ont faicte de obéir au roy comme a nostre droicturier s' naturel, et que
autrement il y pourvoira ainsi que il sera conseillé de faire par mess"
de son sang et do son conseil et par les estatz de son royaume.
« Mess"*, il y a long temps que j'ay ouy dire au duc, dont
t. Manuscrit : |H>ur une pour.
î. Manuscrit : csl.
3. Cet Alinéa est intitulé, dans le manuscrit : Responce, et le soivant : ReS'
MEMOIRE ADRESSA A LA DAME OB BEAUJEf. 285
Dieu ait l*ame I que les roys de France avoient une merveilleuse
envye d'avoir uny ceste duché à la couronne, touteffois, quelque bon
droict que nous pensions avoir (il n'y eust jamès roy de France qui
nous en querelast), si ccstuy-cy nous querelle a cause de l'aquisicion
que son feu pcre iist du droict que pourroient avoir ceulx de la maison
de Panthevre en cesto duché ^ toutes les fois que les ducz decodoroient
sans hoir masle procréez d'eulx en droicte ligne, cesto question du roy
et de nous si viendroit par la justice de Bretaigne, a ce que j'ay ouy
dire et déclarer a mons** le chancellier, nous aurions bon droit, mais,
a ce que je voy, cesto question s'en viendra a Tospee et non autrement.
« Mess", vous voiez comment le roy fait mandement gênerai par
tout son royaume que tous ces gens se mectent en armes pour
le servir a voir et garder le droit qu'il a on ceste duché, et par
tout fait remonstrer le droit qu'il a, et ne fait nulle doubto que tous
les estas du royaume ne luy baillent argent et gens tant qu'il leur
en vouldra demander pour cuyder avoir ceste duché unie avecques
le royaume, et pource il fault vous délibérer de luy résister par force
d'armes, ou de luy obeyr a la somacion que il vous a faicto, ou de
envoler une grande ambassade et de grans personnaiges devers luy pour
luy faire responce et pour veoir se on pourroit trouver bonne expedicion
en ceste matière.
a Tant (|uc touche la force, il nous fault veoir et congnoistre quelle
nous l'avons et quel nombre de gens d'armes, gens armés d'armes
blanches, quel nombre de gens de traict, archiers, arbalestriers, coule-
vrinicrs, canonniers, quel nombre de gens armez de brigandynes et
jacquez et d'autre habillement, pour nous servir au faict de la guerre,
gentilz hommes et autres, nous pourrions trouver et finer, qui sont
gens pour emploier pour excister le mestier de la guerre.
« II fault que nous congnoissons comment noz places sont fortiffiees
de murailles, de tours, de fosses et de faulces vrayes (?), de moyaulx,
de bouletz et de choses neccessaires pour fortiflier places, selon le lieu
de leur assiete.
f II fault veoir comment noz places sont pourveuesde vivres, d'artil-
lerie et de pouldrc, d'arbalestres, de trait, de vonges et d'autres choses
a fortifûer places.
c II fault que nous saichons quel nombre de places nous avons qui
nous soient neccessaires d'estre pourveuz de gens de guerre et de garni-
sons, si cas est que nous ayons la guerre, et quel nombre il nous en
fault pour les pourveoir, et quelles gens nous sont plus neccessaires
ptnice des ambassadeurs. Ces titres paraissent avoir été ajoutés à tort. Nous
arons là un seul discours suiri.
1. Voy. ci-dessus. La cession des droits de la maison de Penthièvre ou de
Blois au roi de France, faite en 1480 (Morice, Mémoires^ t. III, col. 343), fut
renouvelée par Nicole de Blois, veuve de Jean de Brosses, en octobre 1485
(ibid., t. III, p. 48G).
286 irfLAUGBS ET DOCUMBlfTS.
pour ce faire, comme, des hommes d'armes, des plus mal montez et les
plus mal armez; et ceuix qui sont mieulx, pour travailler et pour tenir
les champs; de gens de traict, les arbalestriers, les coulevriniers, les
canonniers; et après que aurons veu quel nombre il nous en fault pour
garder noz places, il nous fault veoir quel nombre il nous fault pour
garder les champ [s], pour secourir noz places et pour combatre, se mes-
tier en est.
« Il nous fault veoir Testât de noz fmances et quelle charge nous
povoQs porter, et comme nostre artillerie est montée et pourveue de ce
qui est neccessaire, pour nous en aider et garder que noz places ne
soient prinses par trahison, cautelles et mauvaistiez.
« Item nous fault veoir les antr[o]es de nostre pays, par la ou le roy
nous pourroit plus porter de préjudice si nous fait la guerre, pour y
pourveoir au mieulx que nous pourrons.
c II nous fault veoir l'endroit et le lieu qui nous sera plus seur et
plus prouffitablc d'assembler nostre ost et nos gens, et penser quelle
ordre, quelle pollice, quelle justice nous tiendrons contre Tost, et noz
vivres, et conduire nos gens par pays; comment, au partir de nostre
logis, eu chevauchant, a prandre champ avantageux pour combattre et
ordonner noz batailles ; a nous loger, a fortifûer nostre logis, a prandre
place avantageuse pour combatre ; a sonier noz gens, noz escouttes, et
envoler noz chovaulcheurs sur les champs par le pays et sur les pas-
saiges, afQn que nous ne soions prins au despourveu.
f II nous fault veoir quelles gens nous avons pour faire noz chiefz de
guerre, car tous bons chiefz de guerre doivent estre bons et vertueulx
envers Dieu, saigcs, diiligens en armes, bien atrempez et expers en
faitz d'armes do la guerre ; nous debvons bien prandre garde de noz
personnes et avoir gens bons et loyaux autour de nous et debvons bien
entretenir les grans gens de nostre pays, les villes et le peuple, affin
que si nous en avyons a besongner, qui nous servist de meilleur cueur,
(le meilleure aiTection et de meilleure voulenté.
« Mess«*% si le roy nous court sus et qu'il nous face la guerre, nous
serons assailliz de tous costez, et par mer de navyres de guerres qu'il a
en Nornunidie : par terre, par la Normendie, par le Mens, par Poitu,
par Anjou ; par quoy nous seroit m\;cessité pourveoir a noz navires de
mer, aux places qui sont sur la mer, comme Sainct Malo, Gouez (?),
Orest * ; du cousté de la Normandie, Doul^, qui est grande ville et feble,
mais qui la praudroit elle nous iK)rteroit grant préjudice, Dignan, Ghas-
teau Neuf, Fougien^s, d'autn* coste Viclory, Chasteaubriam et Anche-
nys, Cli«;on''* oi le jkùs de Cli^^onnois, et de Cioberes i?», Nantes, qui est
très neccossairi^ * d'estre bien ganle et pou[r]veu, et pour ce, qu'il nous
1. Aura) (Morbihan\ ou Brest?
"2. Dol (Ule-ol-ViUine).
3. Dintu ^i\Mo»-ilu-Nord) , ChitMuaeuf-^n-Bretagiie. Foogères, Vitré (llle-cl-
Vilaioe), Châtoaubriaat. Ancenis, Clis^^Q ^Loin"- Inférieure),
l. Manuscrit : tre*ne*5osanT.
MEMOIRE ADRESSA A LA DAME DE BEAUJEU. 287
faalt veoir quel nombre de gens et d'autres choses neccessaires pour
pourveoir noz places. »
Sur cela, debatre et savoir quel nombre de gens il leur fault pour pour-
veoir leurs places et après adviser quel nombre il leur en demeure pour
tenir les champs et leur remonstrer ce qu'il s'ensuit :
< Mess", vous voioz le nombre des gens qu'il nous fault pour garder
noz places et voiez ce qu'il nous en demeure pour tenir les champs et
pour combatre, qui nVst pas nombre ne puissance pour résister contre
le roy, parquoy, si nous voulions mainctcnir la guerre contre le roy, il
nous fault aider d'autre puissance que la notre.
« Le feu duc^ qui futung prince saige, obey, craynct et doubté, et
se aida tousjours d'Angleterre et d'Ëspaigne et du duc de Bourgongne,
et du temps que le duc de Bourgongne fut avecques la plus grant partie
de larmee du roy cstoit encorcs en ce temps puissante qu'il eut jamais
devant Beauvais ne a la plus grant partie de l'armée du roy estoit encores
en ce temps la a Ancenys, le roy print Ancenys et la Guyerche sus
nous, le duc ne se Qa pas en sa puissance, mais eut des Anglois
avecques nous, commes vous vistes par expérience a Marceilly, quant
nous y fusmes, nous no pourions avoir secours qu'il nous feust proufli-
table que des Anglois ; ne ne sçay ^ si nous l'aurions aisément, car le
roy a fait ce roy d'Angleterre roy*^; et quant ainsi seroit qu'il nous
vouldroit secourir, il est a présumer qu'il vouldroit avoir de nous meil-
leurs gaiges que la foy, et pays et places entre ses mains pour la seurcté
de luy et de ses gens.
c Si nous nous aidons d'autre puissance que de la nostre, il fauldroit
qui se fist autre charge que noz places (?) ou autrement les paians et
soubdoyans a noz fraiz, mises et despens.
< Il fault que nous paions et souldoyons tous les gens que nous mec-
trons en garnisons dcdens noz places, ou aultrement ilz seront cons-
trains de piller et de mal vivre, parquoy ceulx des villes et des places
se pourroient mectre contre nous.
« Il fault que nos gens qui seront sur les champs soient paiez et souU
doiez ou autrement nous mectrions la pillerie au pays, parquoy noz
deniers et noz tinances fauldront ; nous aurons d'autre costé a porter les
charges du roy, qui nous court sus de tous costez, parquoy noz ûnances
s'en diminuront, etc. {sic). >
1. Les phrases suivantes sont peu intelligibles et éTidemment défigurées par
le copiste; elles paraissent faire allusion aux événements de 1468 : voy. Tail-
landier, Histoire eccl. et cifo. de Bretagne, t. II (Paris, 1756, in-fol.), p. 106 el 107.
2. Manuscrit : ne ne scay ne ne scay.
3. Henri VII, qui vainquit Richard III à Bosworth, le 22 août 1485, avait
reça des subsides du roi de France.
288 uihA^GES BT DOCUMBirrS.
L'ARMEMENT DES NOBLES ET DES BOURGEOIS
AU XVn® SIÈCLE
DANS LA CHAfilPAGNE MÉRIDIONALE.
I.
II n^estpas indifférent de savoir comment les membres des diverses
classes de la société étaient armés aux différentes époques de notre
histoire. L'armement des individus indique le degré de civilisation
et de sécurité dont ils jouissent; il peut être aussi l'indice de leur
état social et politique. Quand les lois générales sont impuissantes à
garantir le droit particulier, Tindividu doit se munir d'armes suffi-
santes pour le faire respecter; le jour où la loi devient protectrice
pour tous, il rejette les armes comme un fardeau inutile et ne les
considère plus que comme un ornement ou une marque de distinc-
tion.
Au moyen âge, le droit de porter les armes fut un privilège ; les
classes supérieures, dans la noblesse comme dans la bourgeoisie,
regardaient ce privilège comme la plus sûre garantie de leur autorité.
Au xvii® siècle, lorsque Richelieu s'efforça d'abaisser la noblesse,
lorsqu'il voulut restreindre les droits des bourgeois des villes, il les
trouva encore armés; quelques châteaux, presque toutes les villes
avaient encore leur arsenal; les murailles des uns et des autres
étaient pour la plupart debout, et l'on vit encore en France des villes
soutenir des sièges contre les armées royales.
Chaque possesseur de fief, on le sait, pouvait être appelé, non
seulement à se rendre, en armes, à l'appel du roi, lors des convoca-
tions du ban et de l 'arrière-ban; il pouvait être contraint de fournir
un ou plusieurs hommes armés. Une ordonnance de -1639 enjoint
a à tous gentilshommes et autres subjects au ban et à l'arrière ban
à fournir un homme de cheval, à armer et soldoyer deux hommes
de pied. » Les deux tiers de ces hommes devaient être « armés de
mousquets garnis do leurs bandolières et [le] surplus de picques,
corseletz et hausse-colz, et chacun de Tespée avec son baudrier et
seroin^. »
1. Registres des mandements du roi enregistrés au bailliage de Troyes, VI,
fol. 54.
L'ARHBMEfTI DES NOBLES ET DES BOURGEOIS àV XVII* S. 280
La puissance d'un seigneur pouvait se mesurer à la quantité
d'armes qu'il possédait. C'est ainsi que le connétable de Lcsdiguiëres
aurait amassé dans son vaste château de Yizille « dix mille mous-
quets, six cents cuirasses, plus de deux mille piques et le reste*. »
Les seigneurs de la (ihampagne n'auraient pu montrer des arsenaux
aussi bien garnis; cependant (juclques-uns d'entre eux pouvaient
armer toute une compagnie d'hommes d'armes. Tel était Charles de
Villemor, seigneur de Saint-Sépulcre : il avait, en 4623, dans le
« cabinet aux armes i> de son « château et maison chevallière » de
Saint-Sépulcre, « trente trois paires d'armes garnies de cuissarts et
brassards, vingt huit borguignottes, quarante deux piques, dix-sept
mouscjuets avec leurs bandouillières, vingt trois harquebuzes, quatre
hallebardes et quatre meschantes espées de Suisse. » Il y conservait
en outre deux tambours de guerre et « un petit barril de pouldre à
canon, estimé 400 sols. » Le reste du mobilier du château était
modeste; mais les moyens de défense étaient sérieux.
Transportons-nous, trente ans plus tard, en 4654, au château de
Chamoy, qui appartient au comte de Chapelaines, bailli de Troyes.
I^e « magasin aux armes » est bondé. On y trouve, en effet, « trente
paires d'armes complettes et assorties de pied en cap, outre quantité
d'autres cuirasses, corceletz, cuisartz, casques, rondaches, brassartz
et ganteletz, ensemble quatre vingt mousquets tant montez que
non montez avec leurs fourchettes, vingt cinq hallebardes, douze per-
tuisannes, six rondaches, deux espadons, six selles d'armes et quan-
tité de morions et autres vieilles armes... » Ces dernières armes sont
sans doute hors de service, mais ce qui est plus formidable, ce sont,
avec douze arquebuses à croc et cinq pièces de fonte verte, « trente
petits canons sur lesquels est écrit le nom de Chapelaine. » Ces
canons sont en état, et l'arsenal renferme deux barils de poudre,
avec laquelle on peut les charger.
A la même époque, le château plus modeste de Marolles, apparte-
nant a Joachim de Lenoncourt, marquis de Marolles, est proportion-
nellement bien garni d'armes et de munitions; il contient quarante
armes à feu, et une « caque de grosse poudre pesant environ cent
livres^ : » quantité peut-être plus propre à faire sauter le château
qu'à le défendre.
Les armes renfermées dans les châteaux servirent encore à Tarme-
ment des paysans, lorsqu'à Tépoque de la Fronde, des troupes de
1. Louis Coulon, Yilytse François, 1643, p. 508, d'tprès Abraham Gœlnitx,
Ulyues Betgico-Gallicus, 1631, p. 440.
2. Archives judiciaires de l'Aube, n"* 1101, 1190, 1106.
Rev. IIïSTon. XXV. 2» fa8C. VJ
290 MÏLAlfGBS ET OOCUMEinrS.
soldats ravagèrent les campagnes et pillèrent les villages. Tandis que
le marquis de Prasiain, lieutenant du roi, menait contre eux les habi-
tants armés de Troyes^ la noblesse du pays, sous les ordres du mar-
quis de Payns, aurait réuni huit mille hommes pour disperser les
pillards. Si ce chiffre est exact, on aurait pu armer huit mille hommes
aux environs de Troyes. On raconte que les vivres vinrent à leur
manquer, et qu'il fallut faire une quête dans la ville pour leur pro-
curer du pain^
A partir du règne personnel de Louis XIV, la sécurité régna dans
les campagnes, si profondément troublées à diverses reprises parles
incursions des troupes françaises et étrangères. Cependant, beaucoup
de châteaux conservèrent leur arsenal, dont les armes, désormais
sans emploi, se rouillaient dans les salles où elles étaient enfermées.
Parmi les arsenaux encore bien garnis, on pourrait citer celui du
château de Saint-Phal, en 4672. U contenait seize armures de fer
complètes et quantités de casques, morions, brassards, cuissards
démontés. Il s'y trouvait en outre six canons sur la terrasse élevée
près de la porte d'entrée. Tout cet armement resta inutile, lorsqu'en
4672, le seigneur de Saint-Phal, Georges de Vaudrey, essaya de
s'opposer par la force à l'exécution d'un arrêt du parlement de Paris,
qui avait fait saisir et vendre son château. Lorsque le lieutenant
général du bailliage de Troyes, accompagné de trente-deux huissiers,
vint en prendre possession au nom du nouvel acquéreur, on refusa
d'abord d'abaisser le pont-levis et de lui ouvrir les portes; des
hommes armés de mousquets se montrèrent sur les remparts -, mais
aucune résistance ne fut tentée, lorsque les huissiers firjent mine de
monter à l'assaut des murailles par les brèches que le défaut d'entre-
lien y avait pratiquées; les portes ne tardèrent pas à s'ouvrir, après
lecture d'une protestation judiciaire^.
A celte époque, les murs des châteaux tombent en ruines; et les
armures féodales sont pour la plupart démontées. Déjà, dans beau-
coup de châteaux, toute apparence de forlitîcation et d'armement
disparaissait; il en était surtout ainsi dans ceux qui avaient été
achetés par des magistrats ou des bourgeois anoblis. Ceux-ci les
acquéraient dans le triple but de faire un placement sûr, de se don-
ner un titre honorifique et d'avoir une résidence à la campagne pen-
dant les mois d'été. Ni par tradition, ni par goût, ils n'avaient les
instincts belliqueux, et, si le roi les convoquait, ils étaient tout prêts
à se lamenter, comme le gentilhomme de l' arrière-ban^ dont Pavillon
a traduit en vers les ennuis.
1. CourUlon, Topographie historique de la ville et du diocèse de Troifes, 1, 191.
2. Arch. judiciaires de TAube, n* 1178.
l'armemeitt des nobles et des bourgeois au xyii^ s. 294
Bien peu de nobles, du reste, à cette époque, se soudaient de
prendre les armes. En 4674, sur deux cent quatre-vingts possesseurs
de fiefs convoqués pour le ban et l'arrière-ban dans le bailliage de
Troyes, quarante-quatre seuls répondent au mandement du roi;
en 4675, il n'en vient que vingt-quatre; en 4690, vingt-neuf. Quelques-
uns invoquent leur âge, la maladie, la gène ; un plus grand nombre
de possesseurs de fiefs ont des enfants à Tarmée active ou y servent
eux-mêmes ; mais la plupart font valoir les fonctions qui les exemptent
et les privilèges des villes de Paris ou de Troyes dont ils sont bour-
geois. Il est assez remarquable que ceux qui consentent à se mettre
aux ordres du roi ne sont pas les gentilshommes les plus riches ou
les plus titrés, mais ceux dont la noblesse a le moins d'éclat, et qui
veulent se faire un titre de leurs services pour appuyer leurs préten-
tions nobiliaires ^
Dès celte époque, les devoirs féodaux ne sont plus compris et
tombent en désuétude pour les gentilshommes; pour ceux-ci, le châ-
teau n'est plus qu'une propriété de produit et d'agrément, et, s'ils y
gardent des armes, ce sont des mousquets, des fusils et des couteaux
de chasse, qui ne sont désormais employés que contre le gibier.
II.
Les murailles des villes de l'intérieur du royaume commencèrent
à tomber en même temps que celles des châteaux. Les progrès de
plus en plus grands de l'unité nationale, de la soumission aux lois
générales, les avaient rendues inutiles. Les bourgeois, à qui la garde
des portes et des remparts avait été partout confiée, étaient tous pour-
vus d'armes pour s'acquitter de la garde et du guet qui leur étaient
demandés-, le nombre et la qualité de ces armes étaient proportionnés
à leur rang et à leur richesse.
A Troyes, les habitants assujettis, sauf de rares exceptions, au
guet et à la garde, se divisaient, au xvi* siècle, en hommes de fer et
en hommes de pourpoint; les premiers recrutés parmi les magistrats,
les hommes de loi et les riches marchands, possédaient des armes
défensives et ofl*ensives; ils portaient la cuirasse et le morion; les
autres, pris parmi les artisans, étaient seulement armés de la halle-
barde ou de la pique, parfois de Tarquebuse et du mousquet 3.
1. Bout lut, Procès-verbal constatant la levée du ban et de l'arrière-ban
dans le bailliage de Troyes en 1674. Annuaire de l'Aube, 1855, p. 9.
2. Voir mon élude sur le guet et la milice bourgeoise à Troyes, mémoire lu
à la Sorbonne, 1878, p. 7.
2il2 véLA!IGES ET DOCCVETTS.
On preacmli, à plusieurs reprises, en 4 474 et en 4 552 par exemple,
l'inventaire des armes que possédaient les habitants de la fille, afin
de savoir s'ils étaient en mesure d'en garder les remparts. En 4474,
on trouva 547 coulevrines, 287 arbalètes et 4,047 épieux. Plus tard,
en 1052, on ordonne aux bourgeois d'avoir leurs armes en bon état*.
\}n règlement de 4509 autorise les officiers de la milice de visiter les
maisons des habitants de leur quartier, « pour veoir leurs armes et
vA\Uu\dre d'eux en quel équipage ils se tiennent, pour estre toujours
prêts à la n^'îcessité. Et où ils ne se trouveront armez selon leur puis-
sance et faculté, leur faire commandement et contraincte de prendre
«ît achepter les armes qui leur seront ordonnez par lesdits capi-
Uiine»^. »
(jCS armes n'étaient pas plus uniformes que les costumes des bour-
geois de la milice. (jC n'est guère qu'au commencement du xviii* siècle
(juo ceux-ci, à l'imitation des régiments de l'armée royale, revêtirent,
les jours de service, des vestes et des habits de même coupe et de
même couleur, ('chacun, au xvii® siècle, se procurait des armes
selon ses moyens-, l'un avait une arquebuse, l'autre un mousquet;
les hommes de pourpoint, qui sont désignés, en 4630, sous le nom
d'hommes de dizaine, se contentaient d'une hallebarde, d'un dard ou
<rune pique.
Dans chîKiue maison de bourgeois ou d'artisan, d'ordinaire dans
la siille basse ou la cuisine, ces armes étaient placées sur un ou deux
« rastolliers. » On peut se rappeler que le nom d'armoire vient des
armes que Ton renlermait dans ce genre de meubles d'une forme
elovéo et peu i>rolbnde. Mais ici les armes sont exposées aux regards
(le tous, (lisi)osoes horizontalement ou verticalement sur les râteliers,
t.et usage existait à Paris connue à Troyes; car Furetière, dans son
Homan bourgeois. ^Kirle d'une cheminée au-dessus de laquelle se
trouve un râtelier chargé d'armes ijui étalent rouillées dès le temps
(les guerres de la Ligue. Il en était de même un peu partout; on
vo\ait souvent, cote à cote, sur les mêmes râteliers, des arquebuses
à mîvho ol des mousquets en bonét;it, à eC>te de hallebardes, d'arba-
lètes et de \leilies etnvs, depuis longtemps hors d'usage.
Tous les habitants de Troyes n'ont ^kis ce[^>endanl des râteliers
garnis d armes ; ou n'en trouve que ^var exception chez les ouvriers
qui lra\aillonl [Huir le e^unpte de maîtres, chez les compagnons qui
sont de^KHirNUs de ilnùls munioi^uux ; m;iis on en rencontre chez des
portolUix cl iio simples lis^*rands. Lu ^K^rtefaix. p;ir exemple, pos-
r «kmiu^. tf*rf.«*nf ^ rtx^^. ni. to:. tvx<, i^:: iv. jc^.
l'aRMEHETT des nobles et des bourgeois au XYIl* s. 293
sède, en 4638, une hallebarde, une arquebuse et une vieille épée.
Chez les maîtres artisans, ces armes sont en plus grand nombre.
Pénétrons en 4629 chez un « aloisnier; » nous y voyons sur deux
petits râteliers de bois « une vieille arquebuse, une épée, un poi-
gnard et un vieil épieu; » chez un maître savetier, il y aura « une
vieille hallebarde, un dard, deux épées, un poignard et un porte épée
de crin ; » presque partout à cette époque, on trouve une hallebarde ;
en outre, chez un maître passementier, on rencontrera deux « vieilles
espées garnies de leur fourreau; » chez un parcheminier, « une
arquebuse à mesche garnye de son fourniment et pulverin, une espéc
et deux bracquetz garnys de leurs fourreaux ; un baston à deux bouts
et un morion. » Il y a encore une arbalète à trait garnie de son ban-
dage, chez un maître charpentier en 4644 ; mais les armes à feu
commencent à devenir plus communes ; ce charpentier, outre deux
épées, a deux arquebuses à mèche. Un autre, en 4648, aura un
mousquet parmi les armes qui garnissent ses deux râteliers-, un
autre, en 4658, possédera deux arquebuses à mèche, un pistolet à
fusil, trois fusils et « un baudrier de bufe. » Chez un amidonnier,
en 4653, nous trouvons une ar([uebuse, un mousquet et deux épées
garnies de leurs fourreaux -, il en est de même, sauf quelques diffé-
rences, chez un maître boulanger, en 46()5; chez un passementier et
un couvreur, en 4676; chez un cordonnier, en 4685; chez un chape-
lier, en 4693. Quelques maîtres ont un assortiment plus complet,
comme ce maître teinturier, qui a chez lui, en 4671, « deux fusils,
un pistolet à fusil, deux mousquets, deux épées, une hallebarde, un
fourniment de cuivre et deux baudriers. »
Quelques artisans étaient officiers dans la milice bourgeoise;
comme tels, ils gardaient chez eux les insignes de leur grade. Tel
était, en 4666, un marchand boucher, qui laissa à son fils aine « une
enseigne militaire de tafetas blanc, rouge et bleu, une pique, un
hausse-col d'argent et une espée à garde ou poignée d'argent. » Le
blanc, le rouge et le bleu étaient les couleurs de la ville de Troyes.
Il me parait probable aussi que Samson Dozière, auneur de draps,
avait été officier de la milice. Il a chez lui, en 4704, <c onze tant mous-
([uets que fusils, deux tambours crevés d'un coté, des piques, une
halebarde*. » Les vieilles armes du xvi* siècle se rencontrent encore
jMirfois. Mais, à mesure que Ton avance dans le xviii^ siècle, le nombre
et la qualité des armes diminue. La milice bourgeoise existe pour-
tant toujours, mais elle a perdu son importance municipale, et son
rôle n'est plus qu'un rôle de police et surtout de parade.
1. Archives judiciaires de l'Aube, n** 1090, 1183, 1214, 1200, 1173, 1129,
1098, 1125, 1185, 1201, etc.
294 MÉLANGES ET OOGUHEIITS.
m.
Les marchands, qui forment une corporation puissante, sont bien
mieux armés que les artisans. Pour la plupart, ils ûgurent au
XTi* siècle, parmi les hommes de fer. Aussi ont-ils parfois chez eux
de véritables panoplies. Bien peu cependant auraient pu étaler dans
leur maison un petit arsenal, comme Tapothicaire Sébastien Sorel,
en \6\6. Si cet arsenal peut être regardé comme une exception, il
semble pourtant qu'il n'est pas sans intérêt de le faire connaître.
Sorel possédait :
« Une armure complète de cuirasse, haulce-col, casque et bras-
sarts, [estimée] 20 1.
Un arrondache de fer à poincte de clous dorés, 6 1.
Une halebarde dorée garnye de franges de soye de crespine d*or, 401.
Une halebarde de forest, 25 s.
Un mousquet avec sa fourchette, 7 1. -10 s.
Une harquebuse à rouet, iO\,
Une harquebuse à mèche, 4 1.
Quatre pistolets, dont un à grand ressort ;
Une espée damasquinée garnye de son fourreau, 40 s.
Une autre espée à garde noire, 30 s.
Un couteiatz garny de son fourreau, 30 s.
Unforniment^ de Milan avec son pulverin et un cordon de lay ne, 20 s.
Un aultre forniment garny de son pulverin de cuivre fasson de
Metz avec son cordon et frange de soye noir, 3 1.
Deux ceintures porte épée et deux poignards, 4 1.
Une cuirassine, 30 1. »
Chez les autres marchands, on ne saurait trouver une pareille
quantité et un pareil luxe d'armes. Certains d'entre eux ne sont pas
mieux fournis que les maîtres artisans. Leurs râteliers contiennent
encore, sous Louis XIII, des arquebuses, des escopettes à rouet, et
des hallebardes. L'un d'eux, en ^03^, a un morionet « un viel four-
niment de corne avec une fourchette à mousquet. » Je trouve plus
lard, en 4072, chez un marchand, trois arquebuses à fusil, une cara-
bine à mousquet et une épée à poignée d'argent. Un marchand dra-
pier drappant possède à la même époque, entre autres armes, trois
pistolets de poche -, on peut en conclure que le marchand doit voyager
et qu'il ne juge pas les routes comme très sûres. Ce qui peut être
1. Le fourniment était un étui à poudre.
L'ARMEME!fT 0£S NOBLES ET DES BOURGEOIS AU XYIl* S. 295
regardé comme une exceplioD, car la plupart des voyageurs sont
d'accord pour louer la sûreté des routes. Encore au commencement
du xviii* siècle, on trouve chez plusieurs marchands quatre vieux
mousquets ou quatre vieux mousquetons, sans compter les pistolets
et lesépées^
IV.
Du marchand au bourgeois proprement dit, la transition est fkcile.
Le bourgeois est un marchand retiré des affaires, ou le fils d'un mar-
chand enrichi. SU est riche, il est bien près de devenir noble par
Tacquisition d'une charge. Sous Louis XIII, il peut avoir un grand
nombre d'armes, qui, au besoin, serviront à ses domestiques. En
4623, la cuisine de Jehan Michelin est garnie de quatre « rastelliers
de bois » où sont placés trois arquebuses, dont deux à rouet et une
à mèche, trois poitrinaux à rouet à grand ressort, à canon « à pandz »
ou « demy rond, » une « escoupette gamye du fourreau de cuyr à
grand ressort, » un autre petit pistolet à rouet à grand ressort, deux
hallebardes à manche en bois, deux épées et un cimeterre, deux
fourniments, dont Tun, accompagné d'un pulverin, est garni de cor-
dons de soie. »
Chez un marchand^ Remy Le Clerc, se trouvent, en 4648, quatre
mousquets, cinq arquebuses à rouet et deux ftisils. Son fils, le bour-
geois Etienne Le Clerc, qui mourut en 4686, possède une telle quan-
tité d'armes qu'il est permis de supposer qu'il les a réunies dans le
but d'en former une collection plutôt que dans celui d'en fkire usage.
Etienne Le Clerc a dans ses galeries quatre trophées d'armes et
quatre « porte-armes, » sur lesquels on peut voir « une espée à garde
damasquinée, huit aultres espées à l'antique, cinq pistolets, dix
mousquets à mèche et sept arquebuses à rouet, vingt-sept piques,
trois hallebardes, huit collets de fer, une caisse ou tambour avec ses
baguettes. » Il y avait de quoi armer une compagnie de milice. Dans
un coffre, Etienne Le Clerc conservait aussi < trois baudriers, l'un
d'iceux à frange noire, l'autre en broderie, le troisième en broderie
d'argent, tous deux à franges noires^ une paire de gans de cerf à
franges d'or et d'argent, le tout d'ancienne mode, et un hausse col
de cuivre doré, orné de troffées en relief. » Le hausse-col était sans
doute l'insigne de la dignité d'officier de la milice dont il était revêtu.
Les magistrats, en général, ont peu d'armes. La robe n'est pas
compatible avec Tépée. Ils ont le droit de requérir la force armée,
1. ArchlTes jadiciaires de l'Aabe, n** 1075, 1113, 1209, 1176, 1105, etc.
296 MELANGES ET DOCUMENTS.
mais non de {^employer eux-mêmes; ils sont aussi exempts du service
de la milice. Il n'en est pas de même des procureurs et des sergents.
Un procureur possède, en 4687, deux arquebuses, un mousqueton et
six mousquets, sans compter six pertuisanes, quatre hallebardes,
deux épées, cinq ceinturons, deux pistolets et deux poignards. U a
de plus une épée à garde d'argent supportée par une écharpe de gui-
pure, un hausse-col de cuivre, un drapeau et un tambour. C'est aussi
à coup sûr un offlcier de milice. Deux autres de ses confrères pos-
sèdent à la même époque, chacun sept lîisils et deux épées. Un autre,
en n04, a une paire de pistolets et cinq épées *, mais chez lui, il n'est
plus question de fusils.
On conçoit mieux que les sergents royaux ou huissiers aient chez
eux un petit arsenal*. Ils étaient quelquefois obligés de s'armer pour
remplir leur ministère. Les trente-deux huissiers, qui accompagnèrent
te lieutenant général de Troyes au château de Saint-Phal, furent sur
le point d'en tenter l'escalade. Une commission du roi Louis XIII,
datée de Perpignan, le 20 mai 4642, avait ordonné de lever une com-
pagnie d'huissiers, par la raison que a leur profession les obligeant,
à cause des captures, à porter quelquesfois les armes, » il pouvait
« se rencontrer parmi eux des hommes capables de servir à la guerre. »
Lo bailliage de Troyes ordonne, le 49 septembre, à tous huissiers et
sergents tant royaux que des seigneurs, de comparoir « avec armes de
guerre d pour qu'il fût dressé un « roolle de ceux qui pourraient
servir sa majesté dans ses armées^. » Aussi ne sommes-nous pas
surpris de trouver chez des sergents des râteliers^ garnis d'armes,
moins nombreuses que celles des procureurs que nous venons de
citer, mais cependant formant un ensemble assez varié et capable
d'inspirer le respect^.
Les tMxlésiastiques n'onl des armes au xnr* siècle que par excep-
tion. Ce n'est plus comme au xv« et au xvi«, où ils étaient souvent
assujettis au service de guet et de garde, L'évêque Raguier, en 4474,
avait une armure complète de couleur blanche; les chanoines por-
taient au besoin la cuirasse et la hallebarde. On trouve encore chez
un chanoine, en 4662, trois ftisils et trois « vielz pistolets, » et chez
un autre, en 4693, deux arbalètes à jalet et un mousqueton. D y
1. Arch. judiciaires de lAubo, n*' 1191, 1104. 1154, 1105, etc.
î. Commission du roy pour assembler les huissiers et sergents et en faire
un rooUey afin de poumir une partie d'iceux sen^r Sa Majesté en ses armées,
Troyes, fvar Antoine Chevillot, 1645, petit in-^" de 16 p.
3. En 1733, un huissier possède un fusil garny de cuivre, un autre fusil gamy
de fer avec un mousqueton (10 1,), une paire de pistolets d'arçon, un pistolet
de poche, etc. (Arch. jud. Aube, n» 11 lî}.
l'aRMBMILNT des \0BLES et des bourgeois ait XVII* 8. 297
avait longtemps qu'on ne se servait plus d'arbalètes, et ces armes
avaient pu être laissées dans la maison canoniale depuis longtemps.
L'abbé de Montier-la-Celle possédait, en K)62, dans sa maison de
ville trois arquebuses, deux fusils et deux mousquets ^ Peut-être,
dans certains cas, voyageait-il escorté de domestiques armés. En
4662, les ecclésiastiques étaient dispensés de tout service militaire
dans les villes.
Les villes de l'intérieur perdent du reste, à cette époque, leur
importance militaire. On leur enlève leur artillerie pour la transpor-
ter aux frontières. Cette opération fut faite à Troyes en 4682. Les
remparts étant dégarnis, la milice n'avait plus sa raison d'être.
Comme elle aurait pu vouloir défendre les privilèges bien diminués
de la cité, l'intendant de Champagne fit enlever les chaînes, qui
étaient encore fixées au coin des rues et qui, en cas de trouble ou
d'alarme, interceptaient la circulation*.
Les compagnies de Tarquebuse et de la milice subsistèrent jus-
qu'à la Révolution, à Troyes comme dans la plupart des villes, mais
avec une importance plus nominale que réelle. Les magistrats et les
riches bourgeois se faisaient exempter; ils dédaignaient les fonctions
d'officiers, parce qu'elles ne donnaient ni prestige, ni autorité. Une
loi générale s'imposait de plus en plus à tous, et supprimait les dis-
tinctions qui dérivaient de la force matérielle des individus. L'aristo-
cratie des villes, comme la noblesse, quittait ses armes offensives et
défensives ; elle comptait sur le pouvoir central pour défendre ses pri-
vilèges. Elle eut sans doute tort de se désarmer ; car on ne défend
bien ses droits que soi-même. La bourgeoisie, comme la noblesse,
ne conserva plus que l'apparence de la force. Que l'on compare aux
collections d'armes des bourgeois de 4623 et de 4686 celle d'un bour-
geois de 4789. Celui-ci a un fUsil à deux coups pour la chasse, une
épée à garde d'argent et une épée de deuil. L'arme n'est plus qu'une
parure, qu'il devient facile d'enlever aux nobles et aux bourgeois, et
dont ils ne se soucieront plus par la suite, parce qu'elle a cessé d'être
pour eux le signe et la garantie de l'autorité.
Albert Babbau.
1. Arch. Judiciaires de TAube, n* 1236, etc.
2. Une de ces chaînes est conserTée aa musée archéologique de Troyes.
298 ■iLlIfG£S ET DOC0]ISinrS.
DIDEROT
ESSAI HISTORIQUE SUR LA POUCE.
Les pages que voici ne sont pas, comme leur titre pourrait le faire
supposer, une étude sur la puissante administration à laquelle La
Reynie et Sartine ont attaché leur nom et qui attend encore un histo-
rien. Diderot a pris ici le mot de police dans Tacception que lui ont
plusieurs fois donnée Pascal, Bossuet, Fléchier, Fénelon, Massillon,
Montesquieu et Voltaire, c'est-à-dire dans le sens d'organisation
politique. Le doute qui pourrait résulter de l'emploi de ce terme
tombé en désuétude serait dissipé d'ailleurs dès les premières lignes.
Ce que Diderot tente ici, ce n'est rien moins qu'une esquisse de notre
histoire féodale et de nos origines parlementaires. Il ne faut, bien
entendu, demander à cette rapide ébauche ni développements appro-
fondis, ni exactitude absolue. Diderot écrivait à huit cents lieues de
son cabinet, très probablement sans livres sous la main, et son but
principal était de montrer à Catherine les dangers que, selon lui, les
réformes de Maupeou faisaient courir à la monarchie française.
L'occasion lui était bonne pour exalter en même temps la sagesse de
sa bienfaitrice, tout occupée alors de donner un code à son empire.
La Récapitulation qui termine cet essai nous en révèle l'instigateur et
nous en fait voir le but; c'est M. de Narishkin qui avait demandé à
Diderot de jeter sur le papier un historique des récentes révolutions
judiciaires de la France, et Diderot se vante d'avoir emprunté les élé-
ments de cet exposé aux actes particuliers et secrets de la magistra-
ture. Gomment se les était-il procurés à Saint-Pétersbourg ? C'est ce
qu'il ne nous dit pas. 11 reconnaît d'ailleurs lui-même qu'il a pu
commettre de légères inexactitudes dans le récit des procédés du
chancellera l'égard d'Aiguillon-, ce n'est point la seule faute sans
doute qu'on pourrait reprendre dans ce résumé. Les préliminaires et
les péripéties de la lutte de Maupeou ont trouvé un récent historien
dans M. Jules Flammermont et c'est à son livre qu'il faudrait cons-
DIDEROT. ESSAI HISTORIQUE SUR LA POLICE. 299
tamment renvoyer le lecteur si Ton entreprenait une critique sérieuse
de ce que le philosophe a dit de ces réformes et de leurs conséquences.
L'avenir, en somme, a donné raison à Maupeou sur plus d'un point;
mais les contemporains n'en jugeaient et ne pouvaient pas en juger
ainsi. Nous applaudissons aujourd'hui à la largeur et à la supériorité
de ses vues; en ms, Maupeou n'était aux yeux d'un grand nombre
qu'un ambitieux, servi par des comparses médiocres ou décriés : pour
apprécier sainement une révolution, il ne faut pas y avoir assisté.
Au moment où celle-ci se produisit, Catherine était, comme elle le
disait elle-même^ en pleine législomanie, et une circonstance presque
puérile, l'embargo mis pendant quelques jours par la censure sur une
traduction de son Instruction aux députés, avait donné encore plus
d'éclat à ces velléités pour lesquelles Voltaire n'avait pas assez de
louanges hyperboliques. S'il est vrai que Catherine faisait de V Esprit
des lois son bréviaire, comme ses flatteurs ne se lassaient pas de le
répéter, elle se l'était si parfaitement assimilé qu'elle en a reproduit
des paragraphes entiers dans sa fameuse Instruction paur la commis-
sion chargée de dresser le projet d'un nouveau code de lois, Diderot
s'en était-il aperçu ? C'est bien prolmblc, mais il n'eut garde de le
dire, car il aurait à cela d'autant plus mauvaise grâce que son éru-
dition historique était, comme celle de presque tous ses contemporains,
en partie puisée dans Timmortcl livre de Montesquieu ; le surplus lui
venait du président Hénault et mémo de Tabbé Dubos.
S'il m'eût fallu relever ici ces plagiats involontaires, ces réminis-
cences ou ces allusions, j'aurais dû placer une note sous chaque
paragraphe, presque sous chaque ligne du texte. Je ne voulais pas
abuser ainsi de l'hospitalité de luRerue historique et j'ai borné mon
commentaire à quelques éclaircissements indispensables. Il me reste
à dire que ces pages, rigoureusement inédites, sont empruntées au
manuscrit dont j'ai donné déjà d'importants extraits dans la Nouvelle
Revue et qui appartient à la Bibliothèque particulière des czars, au
palais de TErmitage.
Maurice Tourneux.
"*
ESSAI HISTORIQUE SUR LA POLICE.
Ce no iionl point des maximes, ce sont des faits.
i. La nation française secoue le joug des Romains. Un héros est élevé
sur un pavois. La loi salique est rédigée dans truis assemblées. I^
prince et la loi sont institués en môme temps.
Sans la loi, rien n'aurait été ûxé. Sans Tautorité, la loi n'aurait point
eu d'exécution.
300 MELANGES ET DOCUMENTS.
Pour assurer rexécution de la loi , les Français déposent entre les
mains du roi toute la puissance publique. Voilà la première faute, le
péché originel. Déposer entre les mains d*un roi toute la puissance
publique, ce n'est pas seulement lui conférer le pouvoir de faire exécu-
ter les lois ou de les ramener à leur pureté, à leur activité première,
quand elles l'ont perdue, c'est lui accorder bien davantage, ainsi que le
temps ne manque jamais de le prouver.
2. Dans le commencement, les rois, convaincus que cette puissance
publique n'était qu'un dépôt, se conduisirent en conséquence ; ils sen-
tirent que toucher à la législation n'était point une affaire d'autorité
souveraine. De là ces conseils nombreux assemblés dès les premiers
âges de la monarchie. Aucune disposition souveraine ajoutée à la loi
salique sans le suffrage des principaux de la nation.
3. Les lois s*anéan tissent dans le déclin de la maison de Glovis.
4. Gharlemagne les renouvelle et tire la loi salique de l'oubli. Il
recueille les décrets des rois. Il y ajoute ses capitulaires. Et qu'est-ce
que ces capitulaires ? Les vœux d'un peuple qui délibère avec son sou-
verain sur des intérêts communs. Victorieux et redouté, quoiqu'il pût
tout, Gharlemagne fit alors ce que Gatherine II fait aujourd'hui. Aussi
ce Gharlemagne de France et cet Alfred d'Angleterre, son contemporain,
n'étaient pas des hommes ordinaires. Si Sa Majesté fait peu de cas du
premier, c'est qu'elle a le droit d'être difficile en grands souverains.
Mais qu 'arrive- t-il ? G'est que les lois périssent sur la fin de la seconde
race.
Sa Majesté Impériale concevra combien la législation mise sous la
sauvegarde d'un seul homme est vacillante et de peu de durée. G'est la
nation même qui doit en être la conservatrice d'âge en âge, condition qui
suppose des lois simples, un code qui puisse être entre les mains des
sujets dès la plus tendre enfance. Les prêtres ont été bien plus adroits
que le roi. Mais peut-être que Gatherine II est la première souveraine
qui ait sincèrement désiré que ses sujets fussent instruits.
5. Des usages suppléent pendant des siècles aux lois oubliées, c'est-à-
dire qu'on en use ainsi, parce qu'on a continué d'en user ainsi ; quelle
singulière base de police et de tranquillité publique !
6. Le droit romain paraît. Je ne sais quel rapport il pouvait y avoir
entre le droit romain et la constitution d'un gouvernement féodal dans
toute sa férocité.
Le fait est que les usages se modifient insensiblement par l'apparition
de ce droit, ainsi que Sa Majesté Impériale voit elle-même les pensées
de ses sujets se modifier par l'apparition de son code ou de son ins-
truction.
Et comment cette modification se fît-elle ? Fût-ce par la connaissance
que la nation ou le souverain prit de ce droit? Nullement. Est-ce qu'une
nation barbare lit? Est-ce qu'une nation policée lit un ouvrage de
droit ? Est-ce qu'un souverain lit ? Oui, une fois, tous les quatre ou cinq
cents ans, sous le pôle.
DIDEROT. ESSAI HISTORIQUE SUR LA POLICE. 304
Les usages furent moditiés par la force des opinions des jurisconsultes.
Je suppose que ces jurisconsultes eussent substitué aux usages les
principes les plus solides sur Tautorité souveraine et sur les privilèges
inaliénables d'une nation, qu'en serait-il arrivé ? Rien. Ces jurisconsultes
ne pouvaient représenter la nation. Ils ne faisaient pas corps. Il ne pou-
vait y avoir d'unanimité dans leurs décisions. La législation ne pouvait
devenir entre leurs mains que ce que la religion devint entre les mains
des schismatiques dans les premiers temps de la Réforme.
7. Les lois sont purement traditionnelles sous Charles VII.
Charles VU fixe leur incertitude.
L'histoire nous apprend qu'il assemble dans chaque partie de son
royaume ceux qui vivaient sous les mêmes coutumes, et qu'il leur dit :
mettez vos lois par écrit.
En bonne foi, était-ce là ce qu'un homme de tête aurait fait ? Charles
ne devait-il pas sentir que cette diversité de coutumes était un très
grand mal ? Ne devait-il pas profiter de ce moment d'oubli pour anéantir
toutes ces coutumes et leur substituer une loi uniforme et générale ? Il
ne le fit pas, et cette faute est sans remède. La France est condamnée
à n'avoir jamais de code. Notre droit coutumier est immense. Il est lié
avec l'état et la fortune de tous les particuliers. Celui qui projetterait le
renversement de ce colosse monstrueux ébranlerait toutes les propriétés.
Il n'achèverait pas son entreprise sans commettre une foule d'injustices
criantes. Il soulèverait infailliblement les différents ordres de l'État. Je
le ferais pourtant, car je pense qu'il faut faire un grand mal d'un
moment, pour un grand bien qui dure.
Tout ce que je vois de mieux dans la conduite de Charles, et c'est le
seul point qu'elle a de commun avec celle de Votre Majesté, c'est qu'il
ne se sert point de son autorité pour consommer son mauvais ouvrage.
Il convoque une assemblée, voilà toute l'étendue qu'il donne à son
pouvoir. Je vois encore que, bonnes ou mauvaises, voilà ses lois sous-
traites et malheureusement soustraites à la mobilité de la tradition,
mobilité qui, à la longue, en aurait ramené l'oubli, et, avec leur oubli,
peut-être la nécessité d'un code uniforme et général. Il y a des circons-
tances où l'extrême du mal est un bien, et où un palliatif qui invétéré
le mal est le plus funeste de tous les remèdes.
Qu'un peuple est heureux, lorsqu'il n'y a rien de fait chez lui ! Les
mauvaises et surtout les vieilles institutions sont un obstacle presqu'in-
vincible aux bonnes. Voilà un roi sage , mais qui manque ou de
lumière, ou de force, ou de courage, qui croit faire le bien, qui en laisse
sa nation convaincue et qui perd tout, sans s'en douter. Puisse Votre
Majesté trouver dans ses sujets un profond oubli de toute ancienne
législation ! S'il y a quelque chose de bien, elle saura bien le conserver.
8. Les enquêtes par turbcs < sont à peine aujourd'hui connues. Elles
faisaient jadis presque tout le fon4s de notre droit français.
1. c On appelle enquête par turbes, dit le Répertoire de jurisprudence de
302 MELANGES ET DOCUMETTS.
N'est-ce pas une chose bien singulière que, par laps de temps, une
nation en soit réduite à s'interroger par turbe, pour savoir et statuer
sur ce que sa législation lui défend ou lui prescrit?
9. Sous la première et la seconde race de nos rois, les lois varièrent
suivant les cantons et suivant les personnes.
Nos princes s'engageaient à conserver à chacune sa loi.
Rien n'a changé en France, sur tous ces points. La même diversité de
lois subsiste. La coutume de Bourgogne n'est point celle qui régit la
Normandie. Le pays du droit écrit a des règles très différentes de celles
du pays coutumier. La loi des roturiers n'est point celle des nobles. Le
clergé a des constitutions particulières à son état. Il en est de même du
militaire, de l'ecclésiastique et du magistrat.
Cependant, est-ce que tous ces gens-là sont autre chose que des sujets
et des citoyens ? Que la nation les récompense de leurs services, cela est
juste; mais que ce ne soit jamais par des privilèges exclusifs, par des
exemptions, par tous ces moyens iniques qui sont autant d'infractions
à la loi générale, et de surcharge pour les hommes utiles et laborieux
qui ne sont point titrés. Pourquoi transmettre à des descendants avilis
la récompense de leurs illustres aïeux? Quelle crainte peut-on avoir de
la bassesse et du déshonneur, lorsque le sang transmet les prérogatives
de la vertu? Que l'illustration remonte, comme à la Chine, et passe des
vivants aux morts, je n'y vois nul inconvénient, mais qu'elle passe des
morts aux vivants, c'est autre chose.
Si j'étais souverain dan? une œntrêe où la noblesse a des franchises,
je serais bien avare de titres de noblesse. Je laisserais j;^asser la vieille
noblesse, je l'honorerais, je la soutiendrais, mais je n'en ferais point de
nouvelle, ce qui ne déplairait à personne.
10. Pendant plus de douze siècles, la formation ce lois locales fui
toujours accompagnée de délil^raiions solennelles. Elles nom jamais
dépendu de la seule volonté du souverain. Les mocanques uni toujours
désiré qu'elles fussent combinées par des represeu tacts. Ils nom pas
même pris sur eux de l»^ inierpreîer, e: le ah re-:nani a lui-même
ordonné plusieurs assemblées lerriiohales pvur p^rieciioaner les cou-
tumes et les rédiger plus clairemeDt.
RtHîiiiées plus clairemoai. eu soiu-el les moins ::r:e5^ Non. N'v re*te-
l-il plus dVbscuriîos ? E»le5 en sont pieines. Os; une s^'Urvv de procès
interminables.
11. Ces îois, telles quelles, ce;?: à I'au:or::o s-juvenine qu'il appar-
tient de les faire exeouier. Le n>i seul a cer.e auîorlie.
Gayot, une osjHH'e d"înf«>rmâtîon qu^ !<* foars >^>yTer*\oe* oniiL>3iui^iit autre-
fois lorsqu'en ji:^T*,int un prvvrihïk il >* trvmvjùt de U d;:^a:ÎU. s*xt sur nue cou-
lume non ëcrile. s<>it sur U iium^n^ dVa us^r l<s:r cifè> vjuî elAÎl rédige*
pir écrit ou sur lo >:>{o d'une jurtdîctk>«« o;i eiidi cvoc^ers^al de:« Itmites ou
une longue poiss^sioa oa sur quel«)*«te aalre jvitat de :xi\ ir.-.{vvn.iaL » L*s dépo-
sitions s'> fjùsdioiit tontes e&seuiNe : c o^'« «^ U -^-z e>: v«ftâe leor tleft-Aïuiiution.
DIDBROT. ESSAI BISTORIQUl SITl LA POLICE. 303
S'en môle-t-il? Non. Gela est presque impossible, il n*y suffirait pas.
Il se fait suppléer, et par qui ? par des citoyens qu'il revêt d'une partie
de son autorité.
Cette portion d'autorité n'a pas été confiée sans règle ni restriction,
et, si un monarque voulait demain s'asseoir sous un chénc, à l'exemple
de saint Louis, et juger lui-môme ses peuples, il le pourrait?
Certainement; cependant je ne pense pas que Louis XV l'eût fait
sans réclamation ; on lui aurait dit l'équivalent de : « Sire, de quoi
vous môlez-vous ? »
Juger sous le chêne, ou évoquer à soi, n'est-ce pas la même xhose ?
Combien toutefois les évocations n'ont-elles pas causé de tumulte! C'est
que, quand on a créé un tribunal souverain, il faut interdire toute évo-
cation. L'évocation est injurieuse, l'évocation affaiblit et l'autorité de la
justice et la crainte de la loi. L'évocation est toujours une marque de
faveur et de grâce.
Ces règles, restrictions, conditions, sont connues sous le nom d'ordon-
nances. Le magistrat jure de s'y conformer, voilà qui est bien jusque-là.
Mais le magistrat a prétendu que ces conditions liaient le souverain
lui-môme, tant qu'elles n'étaient point révoquées.
£t le souverain est-il le maître de les révoquer ou abroger ? Assuré-
ment. Jamais le magistrat n'eût osé dire le contraire. Cependant ces
ordonnances sont devenues un sujet de dissensions perpétuelles entre le
souverain et le magistrat.
D'où il s'ensuit qu'il est de la dernière importance pour un souverain
de ne confier à un grand corps quelconque que la portion de son auto-
rité qu'il ne sera jamais tenté de revendiquer.
Mais aussi, lorsque sa sagesse a bien fixé cette portion, il est de la
plus grande importance de prendre toutes les précautions imaginables
pour que cette aliénation suit éternelle et permanente. Il ne Test pas
moins de bien marquer la limite qui sépare ce que l'on retient de ce
qu'on abandonne.
En revanche, je pense qu'il ne faut jamais appeler un grand corps de
l'État, quand on peut s'en passer ; jamais le faire intervenir dans les
choses étrangères à son institution, parce que les corps sont sujets à se
faire des droits de tout ce qu'on leur a accordé une fois. Plus leur sanc-
tion donne do solennité, plus il faut s'en méfier. C'est comme la volonté
de Dieu qu'il ne faut point employer; il est aisé de faire vouloir Dieu
auprès des peuples, il ne s'agit que de corrompre un prêtre; mais il est
très difficile de le faire cesser de vouloir. Lorsque Homulus eut une fois
ordonné le sacrifice des bestiaux dans la disette, il fallut encore immoler
les bestiaux loi'sque la disette fut passée.
Cette concession, faite par le souverain, d'une partie de son autorite
devient avec le temps la loi fondamentale d'un État, la plus essentielle.
Tant que cette concession subsiste sans atteinte, l'État prospère. Le
peuple se croit libre. L'attaquer est le premier pas du despotisme;
l'annuler en est le dernier, et l'époque la plus voisine de la chute d'un
«304 IfiUNGES TT DOCinfK!ITS.
empire, inirtout si cette innovation se fait sans effosion de sang, car
alors il n'y a plus de nerfs, tout est relâché, tout est avili.
Ha Majesté Impériale ne sera peut-être pas fâchée d'entendre parler
le magistrat, le représentant ou le dépositaire d'une portion de l'autorité
souveraine. 1^ nom ne fait rien à la chose.
a L'autorité légale qui vous reste, Sire, se règle tant sur les lois
« locales et personnelles que sur les ordonnances. Nous n'avons accepté
c nos fonctions qu'à cette condition. Nous n'avons acquis nos charges
a à grands frais, nous ne les avons exercées avec tant de zèle et de peine
c que par l'importance que vous y avez attachée vous-même. Laissez-
c nous tels que nous sommes ou abolissez-nous. >
B'ils avaient osé dire de nos jours « ou coupez-nous la tête, > peut-
être subsistcraicnt-ils encore. Mais, pour parler ainsi, il fallait être des
hommes, et ils n'en étaient pas. Mais, pour parler ainsi, il fallait avoir
pour soi la faveur de la nation, et ils ne l'avaient pas. Mais, pour avoir la
faveur do la nation, il aurait fallu s'être montré dans tous les temps les
protecteurs de la nation, et ils ne l'avaient jamais fait. Mais, pour oser
80 montrer fermement les protecteurs de la nation, il fallait que, nommés
par la nation, elle eût seule le droit de les révoquer, et il n'y avait rien
qui ressemblât â cela; s'ils étaient tels qu'ils se prétendaient, il en fal-
lait prendre acte do bonne heure, et sentir que leur existence dépendait
de ces actes réitérés et suivis sans intermission.
Que 8a Majesté Impériale a été sage, quand elle a abandonné à
chncpio province do ses fttats le choix de son représentant ! Mais aura-
t-ollo la forro do laisser à chacune de ces provinces la liberté de la con-
lirniation ou do la révocation do son représentant ? Ne se mêlera-t-elle
plus (io la conformation du corps et son génie grand et fécond lui
tt-l-il inspiré le moyen d'empêcher aucun de ses successeurs de s'en
niélorl^ «Io no crois pas (ju'il y ait un problème do politique plus difficile
A n'^soudro, mais jo suis bien éloigné do le croire au-dessus de ses forces.
Kilo a fait tant do choses surprenantes qu'on ignore ce qu'elle ne peut
pas faiiv.
Si elle s'ost proposé d'otemiser ses lois et d'élever contre le despo-
tisuio î\ venir une autorité insurmontable, il est certain qu'elle ne peut
rion iiiin^ do mieux.
Il ost bien grand, bien courageux, bien humain dans une souveraine
de former ollo-ménio une digue à la souveraineté. Car c'est très certai-
nomont ce q\î'ollo aura fait si, ap^^^ avoir confié à ses sujets la rédac-
tion <lu ooilo, ollo xvnd la commission j>ermanonte, si elle laisse aux
provinces Io dixùt de perpétuer ou do ca.ss(^r ses représentants, et si elle
Ate ;\ SOS successeurs le ]Hmvoir d'en disjx^ser ou de laneanlir.
Il ne ivstora plus qu'une pn^^Aution à prendre, c'est que cette fonc-
tion de magistrat, de représentant ou de commissaire^ devenant très
imp«^rtanto, ne devienne un objet d'ambition, et que celui qui aspirerai
cette dignité ne corrom|>e ses vassaux, n'achète leurs voix ei n'arrive à
1« c^Mnmission comme on arrive en Angleterre à la deputation.
DIDEROT. ESSAI HISTORIQUE SUR LA POLICE. 305
Il u'y a en Angleterre que la voie de la corruption ; peut-être ici faut-
il y ajouter la voie de la terreur.
Que celui donc qui aura brigué, de quelque manière que ce soit, les
sutVragos, soit à jamais exclu du tribunal. Les petites brigues secrètes
peuvent s'ignorer ; les grandes brigues et colles qui influent sur toute
une province le sont diflicilement. Voilà les seules qui puissent et même
qui doivent être proscrites.
12. I^ promulgation de ces ordonnances des rois ne se fit point sans
formalité, ce ne fut point une étiquette particulière à la troisième race.
Dès le commencement de la monarchie, les perceptions, c'est-à-dire les
onlres ou lettres que le roi adressait aux juges, n'avaient d'exécution
qu'après une vérification scrupuleuse.
13. Si le commencement de la troisième race n'oflre rien de semblable,
c'est qu'alors il n'y avait plus de lois et (|ue le pouvoir légal du souve-
rain, concentré dans ses seuls domaines, ne s'étendit pas sur ceux de
ses vassaux.
Sa Majesté Impériale (à moins que notre vieille histoire ne lui soit
très familière, ce qui no me surprendrait pas) s'étonnera un peu de hre
alternativement : « il y avait des lois ; il n*y avait plus de lois. >
Cela arrivera toujours (indépendamment des circonstances particu-
lières à la France), lorsque l'ordre social et public s\>tablira par hasard
et sans aucun plan ; lorsqu'il ne sera pas le résultat du concours géné-
ral des volontés ; lorsciu'il ne sera que l'effet de la bonne volonté du sou-
verain que son avur, quelquefois bon, et sa tôte, fort souvent très
étroite, aura dirigé. Votre Majesté a la tôte forte, l'âme grande, les
vues étendues. Elle sait vouloir ol vouloir fortement; elle a un plan
formé, elle a appelé dans son conseil toute la nation, elle est aidée de
toutes les lumières dos nations circonvoisines. C'est pour elle, et pour
elle seule, je crois, que Montesquieu a écrit. C'est elle qu'attendaient
les philosophes qui ne méditent que pour le temps où il naîtra un grand
prince. Son ouvrage durera, s'il l'achève, et il l'achèvera, si le malheur
d'une longue suite de victoires n'absorbe pas une partie de la durée de
son règne. Je l'ai déjà dit, je ne regrette pas les hommes, les hommes
se refont ; je ne regrette pas l'or de ses trésors, les trésors se remplissent;
mais qui rendra à ces peuples les années qui s'écoulent? Voilà la vraie
perte, la porto irréparable, la perte qui fait gémir toutes les personnes
honnêtes de l'Europe qui soupirent après le résultat de ses premières
opérations; quoi qu'on soit le succès, elles l'immortaliseront.
H on serait de la Russie ainsi que de toutes les autres nations que
renchaincmeut des ôvonemonts a conduites à une sorte de police, telle
quelle; elle épargnera bien des siècles à son pays.
14. Après quelque interruption. Tordre, l'usage, les formalités
anciennes reparurent sous les successeurs d'Hugues Capet, tandis que
tout était encore soumis à la poUce féodale, et décidé par les guerres ou
par le duel.
Montescjuieu dit que c'est un grand et sublime spectacle que celui du
Rev. Histor. XXV. 2« fasc. 20
306 MELANGES ET DOCUMEITTS.
gouvernement féodal *. Je n'entends pas cela. Le plan s'en exposerait en
dix pages et les maux ne s'en exposeraient pas en mille; mais je
m'incline toutes les fois que je prononce ce nom et je ne me penpaets pas
de discuter.
15. Louis le Gros et son successeur affranchirent les serfs, et créèrent
ainsi une nouvelle classe de sujets par l'érection des communes.
16. Philippe- Auguste étend son domaine et institue des baillis.
17. Louis VIII et saint Louis, devenus plus puissants encore, aug-
mentent le nombre de leurs officiers, sous le même nom de baillis, et
sous celui de sénéchaux.
Quel homme c'aurait été que ce saint Louis ! Je lui passerais, je crois,
son esprit intolérant s'il eût fait par politique ce qu'il fit par sottise
pieuse. Les grands vassaux le suivent en terre sainte, les uns y sont
tués; les autres ruinés ; lui-môme y périt et son successeur devient tout-
puissant.
Si les seigneurs d'une contrée gênaient un souverain, j'imaginerais
bien, je crois, un moyen de se délivrer, avec le temps, de cette espèce
de gène, sans commettre d'injustice, sans attendre le hasard sanglant
de saint Louis et sans recourir à la ressource hypocrite de l'abominable
assassin Louis XI.
Mais heureusement Sa Majesté Impériale peut tout, et, plus heureu-
sement encore, elle ne veut que le bien. Aussi qu'elle est grande ! Com-
bien son nom est révéré chez toutes les nations ! et qu'elle doit être
heureuse!
Les établissements changeront, avant qu'il se soit écoulé un demi-
siècle, toute la face de son empire. Un moyen simple qui achèverait de
lever tout obstacle, ce serait l'acquisition, môme au-delà de la valeur,
de toutes les possessions considérables, dont le dérangement des pro-
priétaires, ou quelqu'autre cause que ce soit, occasionne la vente.
Mais Sa Majesté Impériale dira que ce moyen suscite de l'ombrage.
L'ombrage cessera si elle acquiert, pour gratifier d'honnôles et bons
citoyens, des serviteurs sûrs et zélés à qui ces acquisitions seraient
concédées à vie, sauf môme à en prolonger la jouissance à leurs héritiers.
Ce moyen a môme un double effet, outre celui d'enrichir et de forti-
fier le souverain, et de voir les grands obstacles à ses volontés ; celui
encore d'attacher fortement plusieurs grandes familles au souverain qui
règne, d'assurer la succession, et avec la succession la paix et la tranquil-
lité intérieures.
Ainsi j'acquerrais de ceux qui vendent par indigence ou dérange-
ment; j'enrichirais ceux qui manquent et j'emprunterais de ceux qui
sont riches. Rien de si respectable qu'un débiteur qui paie bien, car il
faut bien payer.
1. Esprit des lois, li?re XXX, ch. i. Montesquieu a consacré à l'examen du
gouverneinent féodal et à la réfutation de l'abbé Dubos {Histoire criti<jfue de
V établissement de la monarchie française dans les Gaules) les deux derniers
livres de son grand ouvrage.
DIDEROT. ESSAI HISTORIQUE SUR LA POLICE. 307
Point de souverain plus en sûreté sur son trône que celui qui doit à
tous ses sujets, s'il paie bien sa dette.
Ces emprunts sont autant de chaînes qui partent du pied du trône et
qui s'étendent jusqu'aux dernières limites do l'Empire.
18. Tous ces officiers de baillis et sénéchaux rendaient compte de leur
administration au roi lui-même, assisté de ceux qu'il jugeait à propos
d'appeler à son conseil.
Sa Majesté Impériale croira sans doute que cela commence à prendre
forme, cependant il n'eu est rien.
i9. Cette juridiction purement fiscale dans son origine et propre aux
domaines particuliers du roi donna lieu dans la suite à l'intervention
des cas royaux et aux appels des sentences de tribunaux postérieurement
érigés, étendit sa compétence de toutes parts et renversa l'ordre judiciaire
du gouvernement de Gharlemagne dont il ne reste de vestiges que dans
les pairs de France.
On a créé un tribunal, on en érige un second, sans abolir le premier,
et l'on ne s'aperçoit pas qu'on suscite en même temps mille conflits de
juridiction.
Plus on multiplie les districts, plus on embrouille l'ordre judiciaire,
parce que, les limites des juridictions n'étant jamais assez tranchées, il
s'élève entre les tribunaux les mêmes contestations qu'entre les rois, les
prêtres et les magistrats, les particuliers sur leurs domaines.
Des tribunaux nombreux, moins de tribunaux diflerents, s'il est
possible.
Et puis je m'arrête pour considérer un moment par combien de vicis-
situdes nous avons été conduits au point où nous en sommes ou plutôt
où nous en étions, et par combien de vicissitudes nous aurions eu
encore à passer pour arriver à quelque chose de bien, en continuant de
nous abandonner aveuglément à ce mouvement obscur et sourd qui nous
tiraille, qui nous tourmente et nous fait tourner et retourner, jusqu'à
ce que nous ayons trouvé une position moins incommode, mouvement
qui agite un empire mal policé, comme il agite un malade 1 Mais nous
avons perdu jusqu'à cette inquiétudeautomate. Nous ne nous sentonsplus.
Il y avait dans le commencement un roi, des seigneurs et des serfs.
Il n'y a aujourd'hui qu'un maître et des serfs sous toutes sortes de noms.
20. Dans une régénération du gouvernement français, les rois s'aper-
çurent que plus leur autorité prenait d'accroissement, plus ils avaient
besoin d'aides dans son exercice.
21. Les baillis rendaient compte au roi, ou plutôt à son conseil. Mais
aucune lettre, aucun ordre no leur était adressé sans l'avis de ce conseil.
Telle est l'origine de la vérification des cours sous la troisième race.
C'est un mot bien singulier que celui de vérification. Je l'expliquerai
ailleurs.
22. La formalité de l'enregistrement est postérieure à la vérification.
Qui croirait que cette formalité de l'enregistrement, cette loi si grande,
si belle, si sacrée; cette loi qui, déposée entre des mains vraiment
308 MELANGES ET DOGUMBIfTS.
patriotiques, aurait suffi pour arrêter toutes les opérations d*un minis-
tère pervers et qui les a quelquefois arrêtées, n*a qu'une origine frivole,
n'a presque produit aucun bien et a servi ou de raison ou de prétexte à
la destruction récente de toute notre magistrature et conséquemment un
renversement de notre gouvernement! Une formalité produite par le
hasard ! Une formalité insignifiante dans son origine 1 Une formalité qui
devient par laps de temps la base d'un empire ! Que l'histoire écrite et
lue sous ce coup d'œil serait une belle chose! Mais l'incertitude ou
l'ignorance des faits s'y oppose.
L'enregistrement n'eut d'autre utilité dans son principe que la con-
servation de la loi dans un registre authentique, en cas de la perte de
l'original.
Dans la suite, il devint une condition sans laquelle aucune volonté du
roi ne pouvait avoir d'exécution. Le roi, par exemple, eût inutilement
levé un impôt sur ses sujets ; celui qui eût osé l'exiger et le percevoir,
avant l'enregistrement, aurait été traité comme concussionnaire, décrété,
appréhendé au corps et peut-être puni capitalement.
Il fallait ou l'enregistrement ou des baïonnettes, point de milieu.
Voici donc ce que l'enregistrement suppose : un souverain qui veut.
Un souverain qui notifie sa volonté à un corps de citoyens chargé
d'examiner si cette volonté n'a rien de contraire aux constitutions fon-
damentales du royaume, au bien de son état et de sa personne, et au
légitime intérêt de ses sujets.
Un corps de citoyens qui approuve et désapprouve la volonté du
souverain.
Un corps de citoyens qui, en cas d'improbation, peut ou ne peut pas
arrêter la mauvaise volonté du souverain.
8i ce corps est bien composé, si les membres en sont de bons, hon-
nêtes et braves citoyens, des patriotes zélés, des hommesjustes et éclai-
rés, la belle chose que ce corps ! Une nation doit se faire égorger tout
entière plutôt que d'en soufifrir l'abolition.
Mais ce corps n'est-ii subsistant, ne doit-il son privilège, sa durée qu'à
la volonté du souverain ; peut-il cesser d'être au moment où le souverain
lui dit : f Vous étiez, parce que je voulais que vous fussiez ; vous n'êtes
plus, parce que je ne veux plus que vous soyez ? •
Ce corps ne peut-il rien par lui-môme?
Ce corps, lorsqu'il fait le mieux son devoir, en est-il réduit à de
vaines remontrances ?
Ce corps est-il obligé, sur des lettres de jussion, de donner la sanction
légale et publique à la volonté unique du maître?
Lorsque ce corps a le courage de désobéir. à des lettres de jussion, sa
désobéissance n'amène-t-elle qu'un lit de justice où le roi saisit la main
du magistrat et lui dit : « Écris ce que je veux que tu écrives, et dis à
« mes sujets que tel est mon bon plaisir, et que tu m'approuves? 9
Ce corps n'a-t-il plus de ressource alors que d'obéir, continuer ou
quitter ses fonctions de remontrants et de magistrats?
DIDEROT. ESSAI HISTORIQUE SUR Li POLICE. 309
Ce corps n'est rien ou peu de chose pour la nation. Ce n'est qu'un
beau fantôme qui la séduit; c'est la voix de la sagesse qui crie inutile-
ment.
Si on lui a vendu et vendu bien chèrement le droit de remontrer, car
ce corps n'est qu'une assemblée de remontrants, s'il quitte ou si on le
casse, il est juste de le rembourser et de le rembourser sur-le-champ et
dans l'espèce qu'on en a reçu, et, si l'on manque d'argent, il ne faut pas
le casser, car, quand cola serait vrai, il ne faut pas dire à une nation qui
n'est pas tout à fait imbécile : « Vous n'avez rien, avez-vous bien entendu ?
Mais rien du tout, car tout m'appartient. »
Un corps pareil ne peut obtenir quelque solidité, quelque vigueur
que de la considération publique, de l'incorruptibilité de ses membres
et d'une confédération solide entre les classes qui le composent, que de
l'immensité de ses fonctions, quand il joint au titre de remontrant celui
de magistrat ; que de l'intérêt que toute une nation prend à sa conser-
vation, et que de la difficulté de le suppléer, si toutes les classes, en
abdiquant la qualité vaine de remontrant, abdiquent en même temps à
la fois la qualité importante de juge, car il est évident que son abdica-
tion générale et subite jette en un instant la nation dans l'anarchie, état
dont la durée est incompatible avec la sécurité du souverain.
Examinons notre corps remontrant sous ces différentes faces.
Jouissait-il de la considération publique? Non. Il n'en jouissait pas,
parce qu'il ne la méritait pas, et il ne la méritait pas, parce que toutes
les résistances aux volontés du souverain n'étaient que de la mômerie ;
que l'intérêt de la nation était toujours sacrifié et qu'il ne se battait
bravement que pour le sien.
Ces classes étaient-elles bien unies? Aucunement. Celle de la capitale,
pleine d'une sotte morgue, dédaignait les autres, et de temps immémo-
rial elle s'était presque privée elle-même de sa principale force, en éloi-
gnant de ses séances journalières les ducs et pairs, ses membres nés,
dont le premier président prenait les avis le bonnet sur la tête, tandis
qu'il se découvrait en prenant les avis de ses confrères, distinction
injurieuse dont ces sots et orgueilleux remontrants n'avaient jamais
voulu se départir, préférant une marque ridicule de prééminence à leur
force et à leur sécurité.
Qu'on juge de l'embarras qu'auraient donné les pairs, formant corps et
cause commune avec eux, par l'embarras qu'ils donnent encore aujour-
d'hui, embarras tel que le ministère ne s'en serait jamais tiré sirintérôt,
la faiblesse et l'ennui ne les avaient subjugués. Ils se sont tous vendus
plus ou moins cher, et quelques-uns ont déjà plié le genou et fait la
révérence aux misérables qui ont remplacé nos anciens magistrats. Il
est donc essentiel à la durée d'un corps de remontrants de pourvoir qu'à
l'avenir une classe ne s'arroge aucune prérogative sur une autre clause,
s'il est partagé en classes ; et que, dans une classe ou dans le corps entier,
il n'y ait aucun individu qui puisse en mépriser un autre. Autre précaution
à prendre, c'est qu'un député, un remontrant, un magistrat n'ait dans
340 MéUNGES ET DOGUMEITTS.
les cas de discussions particulières aucune prépondérance sur le dernier
des citoyens, et que justice se fasse.
Il faut avouer qu'ils avaient donné pour l'acquisition de leurs titres
de remontrant et de magistrat des sommes dont le revenu n'était nulle-
ment proportionné soit à leurs fatigues, soit à leur fortune, soit à leur
dignité, et voilà la base de leur vénalité et de leur esclavage. La cour
les dédommageait dans leurs enfants, qu'elle plaçait dans le militaire et
dans réglise. Ils n'étaient ni assez courageux ni assez riches pour renon-
cer à cette séduction qui les entraîna dès le premier instant et à laquelle
les plus fougueux enthousiastes auraient cédé à la longue, parce que
l'enthousiasme ne peut jamais être qu'un ressort momentané, le ressort
d'un individu et non celui d'un empire.
La nation prenait-elle grand intérêt à ce corps ? Aucun. Il était resté
gothique dans ses usages, opposé à toute bonne réforme, trop esclave des
formes, intolérant, bigot, superstitieux, jaloux du prêtre et ennemi du
philosophe, partial, vendu aux grands, dangereux et incommode voisin,
et cela au point que la propriété qui touchait à la sienne perdait un
quart, un cinquième, un sixième de sa valeur, que même on n'en vou-
lait point; embarrassant tout, brouillant tout, tracassier, petit, tirant à
lui les affaires de politique, de guerre, de finance, ne s'en tendant à rien
hors de sa sphère, et toujours pressé d'en sortir, voyant le désordre
partout, excepté dans ses lois, dont il n'essaya jamais de débrouiller le
chaos, vindicatif, orgueilleux, ingrat, etc
Toutes les classes de corps se sont-elles soulevées à la fois ? Non. Elles
se sont laissé exterminer les unes après les autres, comme des troupeaux
de moutons. Je ne doute pas même que les classes provinciales n'aient
été assez aveugles pour ne pas voir le sort qui les attendait dans celui
de la première classe et assez sottes pour s'en réjouir secrètement.
Mais la destruction de ce corps est donc un bonheur? Non. C'est un
très grand malheur, parce qu'elle a entraîné la ruine de vingt mille
familles, parce qu'elle a annoncé à toute la nation qu'il n'y avait plus
aucune propriété sacrée ; parce qu'on a substitué à des gens illustres
par leur place, leur naissance, leurs alliances, leur fortune, leur impor-
tance, leur grand usage des affaires, sinon leurs lumières, leur ancien-
neté, leur vieux gothique qui conservait encore je ne sais quoi d'auguste,
un ramas de malheureux, de malfaiteurs, de sycophantes, de gueux,
d'ignorants, une misérable canaille qui tient l'urne fatale où nos vies,
notre liberté, nos fortunes et notre honneur sont renfermés ; parce que
cette canaille, vile par elle-même, n'ayant pour toute fortune que son
modique salaire fixe par la cour, doit s'avilir par toutes sortes de bas-
sesses pour conserver cette place dont on peut la chasser comme on
chasse des valets, et travailler à sa fortune par toutes sortes d'iniquités,
parce que les pères ne savent plus que faire de leurs enfants à qui cette
porte honorable est fermée; parce que cette corporation d'hommes
indignes et obscurs empirera plutôt que de s'amender, ne pouvant être
recrutée, du moins de très longtemps, de meilleurs sujets; car quel est
DIDEROT. ESSil HISTORIQUE 8CR U POLICE. 3i\
le père qui pousse son enfant vers un état où il n'y a ni honneur, ni
profit, ni surette ? on en a déjà chassé plusieurs, sans aucune sorte de
formalité. Au reste, s'il s amende jamais, ce ne sera pas do quatre
siècles; en attendant, il perdra la France ; ou, si l'Ëlat et les cours sou-
veraines subsistent encore, ces cours souveraines seront derechef exter-
minées par le monarque, ou le monarque jeté dans les fers par elles.
Si elles étaient capables de quelque vue profonde, avant le milieu du
siècle prochain, elles ramèneraient Tancien temps des états généraux.
Mais ce qu'on ne prévoit pas, c'est qu'elles s'enrichiront avec le temps
et qu'alors leur intérêt se confondant en partie avec l'intérêt général, il
est impossible qu'elles no deviennent pas redoutables. Le man^chal de
Broglie* me répond à cela : « Qu'est-ce que cela me fait? Je n'y serai
pas. » Et vos enfants, monsieur le maréchal, y seront-ils? mais j'en-
tends, vous vous souciez fort peu de vos enfants.
Votre Majesté Impériale dit : « Que les enfants de vos pères n'entrent-
ils dans le militaire? u Le militaire est un état chez nous, où il n'y a
que des coups à gagner et une fortune à perdre. Le militaire achève sa
vie sur des pensions de la cour qui les paie mal. La cour vient de
réduire en rentes viagères les pensions militaires arriérées ; c'est-à-dire
de condamner les petits-enfants de ces militaires à demander l'aumône.
Rien de plus commun dans nos rues qu'une croix ^ qui n'a pas d'ha-
bit; parce qu'il faut payer en rubans, quand on manque d'argent; et
que le ruban s'avilit, en se multipliant.
La nation s'est donc réjouie de l'extinction de ce corps ? Avant que
de connaître les mains infâmes dans lesquelles elle allait tomber, elle
s'en est désolée, et avec raison : il y avait entre la tôte du despote et
nos yeux une grande toile d'araignée sur laquelle la multitude adorait
une grande image de la liberté. Les clair\'oyants avaient regardé depuis
longtemps à travers les petits trous de la toile, et savaient bien ce qu'il
y avait derrière, on a déchiré la toile, et la tyrannie s'est montrée à
face découverte. Quand un peuple n'est pas libre, c'est encore une chose
précieuse que l'opinion qu'il a de sa liberté ; il avait cette opinion, il
fallait la lui laisser; à présent, il est esclave, et il le sent et il le voit;
aussi n'en attendez plus rien de grand ni à la guerre, ni dans les sciences,
ni dans les lettres, ni dans les arts. La philosophie e«t persécutée. Les
lettres ne se soutiennent que par la considération publique d'un peuple
qui s'ennuie et qui ne peut refuser sa faveur à des hommes qui
l'amusent; il n'y a que du danger à écrire et penser hardiment. On ne
peut recueillir de son ouvrage aucun lucre, aucun honneur, parce
qu'on ne peut l'avouer. Le sentiment patriotique vit encore dans les
pères ; il vit môme au fond des cœurs de tous les fauteurs actueU de la
1. Victor-François, duc de Broglie, né le 19 octobre 1718, mort A Mantter
en 1804.
2. Un chevalier de Saint-Loais. Diderot a plasieors fois employé cette abré-
viation, mais je n'en connais pas d'autres exemples cbes ses contemporains.
3i2 MELANGES ET DOCUMENTS.
tyrannie; et c'est par cette raison qu'on n'ose pas tout contre les pères
qu'on ne croit pas disposés à tout supporter. Mais les successeurs de
ces ministres de la tyrannie seront des tigres qui se croiront nés de
tout temps pour déchirer, et nos enfants, des moutons imbéciles qui
se croiront nés de tout temps pour être déchirés.
0 nation si belle, il n'y a qu'un moment! 0 malheureuse nation, je
ne puis m'empêcher de pleurer sur toi !
Il est une haute montagne, escarpée d'un côté et terminée de l'autre
par un précipice profond, entre le côté escarpé et le précipice il y a une
plaine plus ou moins étendue. La nation qui naît grimpe le côté escarpé.
La nation formée se promène sur la plaine. La nation qui déchoit suit
la pente du précipice, et la suit avec une grande célérité ; nous y sommes.
Je présente à Votre Majesté un spectacle grand, mais affligeant; que
son âme tendre et humaine en soit touchée, mais non découragée.
Cependant il a fallu des siècles pour amener notre instant fatal ; et cet
instant pouvait être retardé par des lois et des institutions sages, si
nous en avions eu. Songez, madame, que je vous présente Téboulement
d'un grand amas de grains de sable que des circonstances fortuites
avaient entassés, au lieu qu'il dépend de Votre Majesté de placer la
base de votre pyramide sur le roc, et d'en lier les dififérentes parties par
des crampons de fer. Le roc s'affaisse, il est vrai, les crampons de fer
se relâchent, les pierres se disjoignent, et l'édifice s'écroule à la longue;
mais il a duré cent siècles ; cent siècles d'un bonheur continu et procuré
par les travaux ot le génie étonnant de Votre Majesté, à trente millions
d'hommes, ne suffiront-ils pas à son âme vaste et grande ?
23. Je continue. Sous le règne de saint Louis, le conseil du roi est
partagé en plusieurs départements.
D'abord ce prince, qui voyageait souvent, crut qu'il était utile de
détacher d'auprès de sa personne une partie des officiers de son conseil ;
pour entendre les comptes des baillis, et pour être des dépositaires fixes
et permanents des titres de la couronne, des chartes et des lois.
24. Elle est incroyable, l'importance que des frivolités prennent à la
longue : voilà l'origine de ce sublime et magnifique nom de conservateurs
et défenseurs des lois fondamentales de la nation.
Cette juridiction fut fixée au Temple à Paris.
25. La Chambre des Comptes est le premier corps de magistrature
connu dans notre histoire.
Et à quoi cette Chambre des Comptes doit-elle son origine ? Aux fré-
quents voyages du roi.
Lorsque les institutions les plus graves sont les suites d'un hasard
capricieux qui les amène, comment n'arrivera- t-il pas qu'elles se
croisent et s'entre-détruisent ? Ce ne sont plus les matériaux d'un édi-
fice projeté où l'habile architecte fixe la place à chaque pierre. Ce sont
autant de pierres qui sortent fortuitement de la carrière, qui s'arrangent
d'elles-mêmes, sans concert, sans ordre et sans symétrie, et ne peuvent
former à la longue qu'un bâtiment ridicule.
DIDEROT. ESSAI HISTORIQUE SUR LA POLICE. 343
Et quelle sera la limite de ces institutions, si chaque moment aussi
frivole doit y donner lieu ? Sous un roi non-voyageur, la Chambre des
Comptes rentra-t-elle dans le conseil dont elle était un démembrement?
Point du tout; dans les empires le mal qui se fait par hasard dure quel-
quefois plus que s'il avait été projeté. Le mal projeté s'aperçoit et effraie.
Le mal fortuit ne s'aperçoit pas.
Que Votre Majesté pousse son édifice aussi loin qu'elle pourra, et
qu'elle ait pour sa nation la bonté de tracer elle-même de sa propre
main, à son successeur, la manière dont il convient que cet édifice soit
continué; sans quoi, je crains bien que, si le ciel la rendait à la terreau
bout de deux ou trois siècles, elle n'y tmuvàt des parties bien bizarre-
ment et bien capricieusement surajoutées, t Mais qui m'assurera que
mon successeur se conformera à mes idées ? » Son bon cœur, son bon
esprit, son éducation, vos conseils et votre exemple, et puis Votre
Majesté aura fait tout son possible pour que le bonheur de sa nation se
poursuive selon la sagesse de ses vues. Le reste est abandonné au destin.
20. L'administration des baillis consistait alors presque tout entière
en recette et en dépense.
Ils n'étaient point juges des nobles dans leur institution primitive,
ils avaient seulement le soin de faire rendre les jugements par ceux qui
devaient y procéder dans leurs bailliages.
Il y avait alors deux manières de juger, l'une par les pairs, l'autre
par les prud'hommes ou sages gens.
Les appels des pairs se portaient dans les cours féodales qui étaient
assemblées par semonces.
Les appels des prud'hommes ou sages gens étaient portés dans les
cours des conseils du roi, ou dans celles des grands vassaux et des sei-
gneurs particuliers.
Dans les cours féodales, c'était le combat qui servait de preuve et qui
décidait.
Dans les conseils, c'était la preuve testimoniale introduite par le droit
romain et adoptée par saint Louis.
27. Cette dernière jurisprudence ayant paru préférable aux princes
et aux grands feudataires, la cour du conseil du roi et les cours du
conseil des grands vassaux se trouvèrent chargées de la décision de
presque toutes les affaires. Les barons et les pairs ne furent plus que
très rarement semonces, parce qu*on ne jugea plus par pairs. Ainsi la
cour du conseil du roi, dont l'origine était domaniale et extraordinaire,
devint cour de justice.
28. De même que Philippe- Auguste, en partant pour la terre sainte,
avait recommandé à la reine sa mère de tenir tous les quatre mois une
séance ou assise à Paris, pour entendre les comptes des baillis et les
plaintes qu'on pourrait faire contre eux ; de même aussi saint Louis,
dans les différents voyages qu'il fît, laissa à Paris une partie des offi-
ciers de son conseil pour tenir cette assise.
3\Â MÉLANGES ET DOCUVENTS.
Lors du temps d'assise, ces officiers jugeaient les causes commises, et
celles des commensaux de Paris, usage qui a subsisté longtemps.
Les jours où se tenaient ces assises ne furent point d'abord détermi-
nés. C'était ordinairement après les grandes fêtes. Ce temps s'appelait
le temps du parlement, nom que Ton donnait alors à toute assemblée
dans laquelle on conférait, ou parlementait.
29. Environ deux siècles après, cette commission composée, chaque
année, des personnes que le roi jugeait à propos d'y placer, prit une
consistance semblable à celle de la Chambre des Comptes, elle devint
corps dans l'État ; et le nom de parlement qui désignait un établisse-
ment momentané fut néanmoins conservé à cette séance ou assise deve-
nue perpétuelle.
30. Voilà l'origine du Parlement, tribunal auquel Votre Majesté ne
reconnaîtra certainement aucun des caractères propres à une barrière
projetée pour la défense des peuples contre le pouvoir arbitraire d'un
souverain imbécile ou méchant.
Son institution est aussi fortuite que les autres; ses prérogatives
aussi incertaines; et son existence aussi précaire.
Les enquêtes et les requêtes ne faisaient point alors partie du Parle-
ment. Si dans la suite, ou dans le même temps, on les comprit sous la
même dénomination, c'est qu'ordinairement, c'était parmi eux que le
roi choisissait ceux qui devaient tenir les assises.
31. Le conseil du roi ainsi partagé en différents départements, la
vérification des lettres éprouva le même partage.
La Chambre des Comptes vérifia toutes les lettres particulières, en
matière de gestion de domaines, de finance, de comptabilité et eu géné-
ral de tous les ordres adressés aux baillis.
Si ces baillis y trouvaient de l'obscurité, de l'embarras, ils en infor-
maient les gens des comptes qui, après s'être adressés au roi, leur en
donnaient l'explication ou déclaration.
32. Le roi s'est depuis réservé à lui seul le droit de donner ces déclara-
tions ; et voilà pourquoi ces lettres qui étaient autrefois expédiées par
les gens des comptes s'expédient aujourd'hui à la grande chancellerie.
Le Parlement, les requêtes et les enquêtes furent chargés de la véri-
fication des lettres de justice, chacun en ce qui les concernait.
Ces mots vérifier, vérification sont on ne saurait plus modestes;
on croirait que c'est une pure et simple collation de la volonté écrite du
souverain avec une copie qu'on en aurait faite; tandis que c'est exacte-
ment une confrontation de cette volonté avec la loi de l'État ou du sens
commun.
Lorsque le roi voulut rendre des ordonnances pour la réformation du
royaume, il les fit d'abord avec les barons et de leur consentement.
33. Les barons ayant cessé d'être indépendants, et ayant eu souvent
leur entrée au conseil du roi, ils coopérèrent encore à la formation des
grandes ordonnances.
Elles ont été faites ensuite sur les plaintes et doléances des états, par
DIBEAOT. ESSAI ■ISTOlIQri Sri U POLICE. 315
le conseil du roi, et vérifiées f>ar les f>ar1einents et chambrt^ des comptes.
A regard des afTaires de finances et de domaine, le Parlement a ete
à pen près associé à la Chambre des Ck)mptes pimr la vérification.
Il est même entré d'autant plus facilement en corres{H>ndance, comme
elle, avec les baillis et sénéchaux pour leur fairt^ parvenir les ordon-
nances et les règlements, que les officiers étaient déjà soumis à sa juri-
diction, par les appels des sentences qu'ils rendaient sur les contesta-
tions des particuliers.
34. Enfin la Cour des Aides qui, dans Torigine, n'était point sortie du
conseil, fut néanmoins chargée de vérifier les lettres relatives aux
matières de son département qui est tout financier.
La Chambre des comptes et le Parlement chargés des mêmes fonc-
tions, quoique dans des matières différentes, furent assujettis aux mêmes
devoirs.
Nulle lettre ne devait être passée qu'elle ne fût levée et accordée en
présence de tous sur le Burel.
Lorsque des lettres scellées contre les ordonnances venaient à la con-
naissance des gens des comptes, ils devaient les retenir avant do les
passer ou de les rendre.
Il leur était même enjoint, par tout l'amour et la féauté qu'ils avaient
au roi, de ne les passer, vérifier ou registrer, ni obéir, ni souffrir y
être obéi.
Les obligations des officiers du Parlement ont été les mêmes ; il leur
est en effet ordonné de ne passer les lettres qui seraient contraires aux
lois, de les casser au contraire comme injustes et subrepticos ; et il hnir
est défendu d'obéir à tous commandements de bouche ou par écrit qui
leur seraient faits à cet égard.
L'ordonnance de Louis X, 15 mai 1315, et une multitude d'autres
imposent la môme obligation à leur fidélité.
35. Voilà les révolutions diverses qu'avait subies notre police; et il y
a plus de quatre cents ans qu'elle n'avait souffert de changements
remarquables, lorsqu'elle fut tout à coup bouleversée avec plus do célé-
rité et moins de résistance que le chaume d'une vieille cabauo n'en
oppose à la fureur des vents.
Mais, avant que d'aller plus loin, il est une observation importante à
faire; c'est qu'on voit successivement plusieurs rois sages prendre des
précautions infinies et employer les injonctions les plus fortes pour
engager les remontrants ou magistrats à bien faire leur devoir, à véri-
fier scrupuleusement leurs édits ou volontés, à leur dés()b<'»ir formelle-
ment et à s'exposer à toute leur indignation plutôt «{uo de souscrire à
un ordre nuisible. Cependant qu'en est-il arrivé ? rien de ce qui devait en
arriver; lorsqu'un roi commande de pareilles choses, il n'est jamais
obéi, à moins que ses actions ne montrent bien évidemment qu'il veut
l'être, et quand »e» actions l'ont-elles suffisamment prouvé/ je l'ignore;
et puis son successeur dit : i Mon aïeul le voulait aini<i ; moi, jo ne le
veux pas. t Tels étaient pourtant ou le privilège, ou la pret«*ntion, non
346 M1ÎLAN6ES ET DOCUMENTS.
contestée, de ces remontrants que le roi n'en pouvait dépouiller aucun
de son état, sans lui faire son procès ; ils ne se croyaient amovibles que
par la mort naturelle ou violente.
Pourquoi cela n'a-t-il produit aucun bien? c'est que le tribunal
entier était de la création du monarque seul ; c'est que l'aliénation pré-
tendue de la portion d'autorité publique qui lui avait été faite était
mal cimentée ; c'est que l'homme du palais ne fut jamais l'homme du
peuple et qu'il resta toujours l'homme du roi ; il est inutile de m'étendre
davantage sur ce point que j'ai suffisamment examiné à l'occasion de
l'enregistrement.
36. Nous étions sous un gouvernement ou du moins nous nous
croyions sous un gouvernement vraiment monarchique. Un roi qui peut
tout sur son peuple ; entre ce roi tout-puissant et son peuple, un corps
intermédiaire autorisé à suspendre l'exécution de la volonté du roi ; un
roi qui veut inutilement et qui n'est pas obéi , si sa volonté n'est véri-
fiée, c'est-à-dire déclarée conforme au bien général, par le corps inter-
médiaire; déclaration toujours subséquente à une formalité essentielle,
l'enregistrement, la béte noire des ministres.
Tout à coup il s'élève un homme de rieni, sans grande fortune, sans
grande naissance, sans grand génie, mais suppléant ces qualités par de
la bassesse, de la duplicité, l'esprit de la vengeance, l'ambition et
l'audace.
Cet homme, qui avait trompé son père et le ministre ; son père pour
devenir premier président, son père et le ministre pour devenir chan-
celier, se proposait simplement de rendre au corps des remontrants ou
magistrats, dont il avait été chef, quelques mortifications qu'il en avait
reçues, du moins on le présume; mais semblable au nègre inconsidéré
qui a engagé son bras entre les rouleaux du moulin et qui sent ou qu'il
faut briser la machine ou en être broyé comme la canne, ne balance
pas, et fait bien pour son salut, il brise la machine, moins par sa force,
que par la faiblesse et la sottise de ses adversaires.
Il représente au monarque que ces remontrants le tiennent en lisière.
Il lui fait concevoir qu'il est indigne de lui d'envoyer ses volontés
sacrées à contrôler à de petits particuliers.
Il lui rappelle la multitude de circonstances où cet enregistrement
ridicule a gêné et quelquefois empêché l'exécution de ses ordres suprêmes
et les opérations de son ministère.
Il lui propose d'être maître et roi.
Il lui dit qu'il est temps d'être maître et roi.
Il lui persuade que tout lui appartient par le droit du premier roi qui
s'empara de la contrée, et que ces militaires, ces prêtres, ces magistrats,
tout ce peuple n'ont rien en propre, puisqu'ils ne tiennent ce qu'ils ont
que d'une concession d'un premier aïeul ou prédécesseur contre laquelle
il est toujours temps de revenir, en qualité de souverain absolu, et en
1. René-Nicolas-Charles- Augustin de Maupeou.
DIDEROT. ESSAI HISTORIQUE SUR LA POLICE. 317
qualité de mineur, deux titres incomparables ; mais qu'importe ! un roi
à qui Ton prêche le despotisme n'a pas communément une logique bien
scrupuleuse.
Il fait la peinture la plus hideuse du corps des remontrants ; et il a
beau jeu sur ce point. Les traits vrais donnent la couleur de la vérité
aux traits calomnieux.
Il l'cntéte fortement du funeste principe de la puissance illimitée et
absolue ; c'est-à-dire de l'absolue pauvreté de ses sujets , et par consé-
quent de la sienne.
Il ne s'agit plus que de trouver un moyen de l'affranchir de tout lien.
Il y avait eu une affaire entre un commandant pour le roi dans une
de nos provinces et un célèbre magistrat.
Le commandant, descendant de Hichelieu*, était un homme despote
qui peut-être avait un peu abusé de Tautorité qui lui avait été conûée :
affaire de caractère.
Le magistrat^ était un homme raide, inflexible, sévère, peut-être un
peu trop jaloux des privilèges de son ordre et de sa province. Autre
affaire de caractère.
Le démêlé de ces deux hommes avait été terminé, non juridique-
ment, mais par une évocation au conseil du roi.
L'homme pervers insinue au commandant que revenir des suites
d'une accusation infamante par une évocation, c'est être vraiment
déshonoré ; et il avait raison.
Il détermine le commandant à se faire juger en règle.
Les pièces du procès sont apportées de la province. L'affaire s'instruit.
A l'instigation de l'homme pervers, on comble lo déshonneur du com-
mandant par des lettres d'abolition.
Ces lettres sont toujours contraires au courant de Tordre judiciaire,
et aux vrais privilèges de la justice et des tribunaux. Abolir le délit,
c'est abohr la loi.
Ces lettres d'abolition, il les fallait enregistrées. L'homme pervers ne
doute nullement que le tribunal ne se refuse à l'enregistrement ; voilà
le moment qu'il attendait.
En réponse à la réclamation du tribunal, il lui envoie un édit. Mais,
comme Bon projet était que le tribunal persistât dans son opposition , il
place à la tête de cet édit un préambule insultant qui ne pouvait être
souscrit que par des infâmes. Aussi n'y souscrivirent-ils point. C'est ce
qu'il désirait; et c'est de là qu'il part pour les traduire comme des
rebelles, les anéantir, les dépouiller de leur état, et les disperser aux
extrémités du royaume, dans ces lieux affreux où plusieurs sont morts,
après avoir beaucoup souffert'; cruauté dangereuse et superflue.
t. Armand de Vignerot, duc d'Aiguilloo.
2. La Gbalotais.
3. Voir dans le travail de M. J. FiammennoDt (p. 220 et suiraoteft) le détail
des persécutions subies par divers conseillers et l'inqualifiable dureté du chan-
celier à leur égard.
348 MELANGES ET DOCUMBIfTS.
Ces gens n'ont rien deviné de toute cette manœuvre ténébreuse.
La faute qu'ils avaient coutume de commettre, faute qui les avait
toujours rendus odieux, ils la commirent ; ce fut de quitter leurs fonc-
tions de juges, et de punir ainsi leurs concitoyens d'un mécontentement
auquel ils n'avaient aucune part ; et de mettre le feu à une des ailes du
bâtiment , parce qu'il avait plu à un maître insensé de mettre le feu à
l'autre aile.
Le passé ne leur apprit point que l'avenir réparait tout; et que
le point important était d'attendre cet avenir.
Ils ne virent que le moment. Ils oublièrent qu'il pouvait survenir des
changements favorables dans le ministère, un roi plus disposé à les
favoriser , des régences , des minorités. Us se montrèrent inflexibles et
ils furent brisés.
37. Pour en imposer aux peuples, auxquels on n'en impose point, on
dit qu'on allait rendre la justice gratuite ; et elle devint beaucoup plus
dispendieuse qu'elle ne Tétait auparavant.
On dit q\ie, pour épargner aux plaideurs de longs voyages, de longues
absences et des frais immenses, on allait remplacer les tribunaux anéan-
tis par un grand nombre de cours souveraines où les affaires seraient
terminées en dernier ressort, et dont les membres seraient stipendiés
par l'État; ce qui fut fait, mais en acceptant tous les misérables qui
eurent le front de se présenter, et en les stipendiant pauvrement. Ces
places respectables de la magistrature, je les ai vues colportées de
maison en maison , sans qu'il se trouvât un homme honnête qui en
voulût.
38. Si l'homme pervers avait eu de la tète, c'était là le moment du
rappel des jésuites, et de leurs nombreux affiliés. Cette funeste idée lui
devait sourire d'autant plus qu'il n'ignorait pas qu'il y avait, dans le
corps même des remontrants qu'il détruisait, des places qui apparte-
naient en propre aux jésuites et qui étaient occupées par des prête-
noms.
Dans ce temps, il me vint en tête de lui adresser une petite lettre,
sous le nom d'un avocat bien connu et bien diffamé ^ et le titre de
Projet pour renverser sûrement une monarchie. Je n'en fis rien par deux
raisons : la première, c'est que l'homme pervers était homme à se servir
do mes moyens ; la seconde, c'est qu'il est fou à un honnête citoyen de
s'exposer sans aucun fruit.
39. Afin de bien cimenter la puissance absolue et notre esclavage,
on mit à la tète des tribunaux tous ceux des intendants de province
qui se prêtèrent à cette basse complaisance pour la cour.
Dans la province , l'intendant était toujours l'homme du roi, et sou-
vent ses opérations étaient croisées par le magistrat. Ce contrepoids est
ôté; et dans un moment, nous avons sauté de l'état monarchique
à l'état despotique le plus parfait. Aussi , a-t-on publié en France un
1. Lingnet. Ce passage est la seule trace de cette velléité polémique.
DIDEROT. ESSAI HISTORIQUE SUR LA POLICE. 319
»
petit écrit , où Ton se propose de faire voir que la conduite de Votre
Majesté est exactement le revers de la nôtre* ; et qu'au moment où
elle s'occupe à créer des citoyens, nous nous occupons à créer des
esclaves. Puisse-t-elle réussir aussi promptement et aussi facilement
dans ses vues honnêtes et humaines que l'homme pervers a réussi dans
ses vues injustes, malhonnêtes et cruelles !
40. Il y avait trois ou quatre grandes charges dont les revêtus ou titu-
laires ne pouvaient être dépouillés :
— La charge de chancelier que l'homme pervers occupait ;
— La charge de procureur général ; celle de premier président du
parlement de Paris ; et celle, je crois, de colonel des Suisses et Grisons.
Pour qu'il ne restât pas pierre sur pierre de l'édifice, il fallait encore
rompre cette misérable petite digue.
Que fait-il ? il dit au monarque : c Sire, il ne faut pas dépouiller de
c ces charges ceux qui les possèdent ; cela serait révoltant ; mais, si
c vous n'êtes pas le maître en ce point, vous Têtes d'anéantir les
a charges. Dites aujourd'hui que vous n'avez plus besoin de chance-
€ lier, de procureur général, de premier président. Vous vous raviserez
c demain, vous recréerez les charges anéanties, et vous les conférerez à
c qui bon vous semblera. • C'est un homme charmant que ce chance-
lier ; il trouve des expédients à tout. Celui-ci parut admirable et l'on
s'en servit.
En conséquence, Tordre public ou notre gouvernement a été si par-
faitement détruit que je ne pense pas que la toute-puissance et Tinfînie
bonté du roi, qui n'y pense sûrement pas, pût la rétablir. La confiance
est perdue à présent, un magistrat, un propriétaire de charge savent
qu'ils ne sont rien.
RÉCAPITULATION.
Voici donc à quoi tient le sort d*un grand empire, lorsque sou mo-
ment est venu :
Un magistrat de province rend compte de l'institut d'une société de
moines.
Les moines sont chassés.
Le ressentiment des moines chassés suscite ou fomente la division
entre le commandant de la province et le magistrat.
1. Le Parlement jtuti/ié par l'impératrice de Russie ou Lettre à M*** dans
laquelle on répond aux différents écrits que M. le Chancelier fait dittritmer
dans Paris. S. I. o. d., in- 12, 71 p. Réimpr., tome I, p. 84-1*29, du Maupeou'
ana ou Correspondance secrète, etc. Selon Barbier, l'auteur de cette brochure
fterait un avocat nommé Blonde. Quérard ne la mentionne pas. La partie la plut
importante, celle à laquelle Diderot fait allusion, avait paru dans le Journal
encjfdopédique de mars 1772.
320 MlfLAIiaBS ET DOCUMENTS.
La querelle devient une affaire juridique.
Le souverain assoupit l'affaire.
Un ministre pervers la réveille.
Et la fin de cette affaire réveillée est le passage d'un gouvernement
monarchique à un gouvernement despotique, la ruine d'une nation.
Il y a peut-être quelque légère inexactitude dans la manière dont j*ai
dit que l'homme pervers s'était servi du commandant de la province
pour parvenir à l'anéantissement de la magistrature, parce que les faits
ne me sont pas assez présents.
Je sais seulement que, dans Tédit d'aholition de la magistrature
et des remontrants , l'homme pervers fut un maladroit. Au lieu de les
montrer comme rebelles au roi, j'aurais fait tout le contraire. Je
les aurais montrés comme traîtres à la nation. Et il y avait belle ma-
tière pour cela. Je voudrais bien savoir ce que la nation aurait objecté
à mille traits plus frappants les uns que les autres, par lesquels l'homme
pervers nous aurait démontré la bassesse de nos remontrants, leur cor-
ruption, leur inutilité, nos vrais intérêts sacrifiés en cent circonstances,
et la nécessité de former une plus solide barrière.
Quant à la partie historique , je réponds de la vérité. Je l'ai extraite
moi-môme des actes particuliers et secrets de la magistrature. Peut-être
ces actes seront-ils un jour publiés.
Et je l'ai écrite à la persuasion de M. de Narischkin. Il a pensé que
ce tableau qui l'avait intéressé ne déplairait pas à sa souveraine, et que
des événements, qui ne m'inspiraient que des réflexions ordinaires,
pourraient devenir la source de quelque idée grande et profonde , en
passant sous les yeux d'une femme de génie, car une femme de génie
est celle qui a le jugement sain, la té te forte, une fermeté au-dessus de
tous les obstacles, l'âme honnête, l'amour de ses devoirs et le tact de la
vérité.
De quoi cette femme ne vient-elle pas à bout, quand à ces qualités
elle réunit encore celles qui flattent les hommes, qui les séduisent? Elle
n'a qu'à dire : « Jetez-vous dans le feu pour moi, t et l'on s'y jette.
Qu'un homme qui n'apprécie rien la voie au milieu de ses petits-enfants
dont elle prépare le bonheur par une excellente éducation, les appeler à
elle, les prendre entre ses bras, les caresser, les encourager, il ne verra
dans cette femme qu'une mère excellente. L'homme qui pense verra en
elle la femme qui connaît le grand ressort, et je sais bien ce qu'il
se dira, car je me le suis dit.
Ce tableau démontre au moins le prodigieux avantage d'une nation
qui tend à la police d'après un plan réglé, et d'une nation qui n'y arrive
jamais parfaitement, parce qu'elle suit de siècle en siècle l'impulsion
fortuite des circonstances qui donnent lieu à des institutions folles ,
absurdes, contradictoires. Institutions qui prennent, avec le temps, des
racines si étendues qu'il devient impossible de les couper. D'où il
arrive qu'un peuple paraît policé lorsqu'il est resté barbare et sans
ressource.
BIDEIOT. ESSAI HISTO1IQ0I 801 LA POLICE. 321
Il y a des lois, mais incohérentes. Malgré leur incohérence, qu'on ne
sent fMis d'abord , on s y conforme. Le temps en fait sortir ensuite les
inconvénients et Tabsurdité. On s'en écarte un peu. On s^en écarte
davantage. On les suit ou on ne les suit pas. Il émane d'un jour à Tautro
sur la même matière, d'un même tribunal, des jugements contradic-
toires. On ne prononce plus selon la loi. On prononce selon les per-
sonnes ; c'est-à-dire qu'il n'y a plus de lois, quoiqu'on les cite plus que
jamais.
A Sa Majesté Impériale.
Je prends la liberté d'adresser ces rêveries à Sa Majesté Impériale,
a6n qu'elle sente toute la différence qu'il y a entre les idées d'un pauvre
diable qui s'avise de politiquer sous sa gouttière et ce qui se passe dans
la tète d'une souveraine. Voilà, madame, toute l'étendue de la force de
ce qu'on appelle un philosophe. Souriez-en, et quand vous en aurez
souri, j'aurai obtenu de Votre Majesté toute la justice que je m'en suis
promis. Je puis protester à Votre Majesté que, sans me surfaire, nous
n'en savons tous tant que nous sommes guère plus que cela. Rien n'est
plus aisé que d'ordonner un empire, la tôte sur son oreiller. Là tout va
comme l'on veut. Quand on y est et qu'il s'agit de mettre la main
à l'œuvre, je crois que c'est tout autre chose. Sa Majesté a eu la bonté
de me dire qu'elle avoit souvent la plusieurs volumes pour trouver une
bonne ligne. Je n'ose attendre d'elle que la perte d'un quart d'heure do
plus. Or c'est encore trop.
Je lui présente mon profond respect et mes très humbles excuses.
Je me console un peu de la frivolité de mes réflexions , par la vérité
de l'historique qu'on m'a permis de relever d'après les pièces originales.
Oserois-je prier Sa Majesté Impériale de faire copier ce petit écrit s'il
en vaut la peine et d'en brûler l'original ?
Rev. HisToi. XXV. 2« FASC. 21
822 idUNGES ET DOGUmiCTS.
DOCUMENTS INÉDITS
RELATIFS A L'fflSTOIRE DE MARIE-ANTOINETTE.
Après les publications si considérables des derniers temps, c'esl
chose rare, à coup sûr, de trouver de nouveaux documents sur la reine
de France Marie-Antoinette. Je suis cependant en état d'offrir aux
lecteurs de la Revue historicité quelques pièces relatives à cette his-
toire que j'ai trouvées soit aux Archives de l'État à Vienne, soit aux
Archives de Paris; elles ne paraîtront peut-être pas dénuées d'inté-
rêt, et l'on me saura gré, je l'espère, de les publier ici.
Pour ce qui concerne Torthographe des documents allemands, je
ferai remarquer que je n'ai presque rien changé à la forme originale.
Cependant, comme Mercy n'est pas conséquent dans l'emploi des
majuscules pour les substantifs, je les ai rétablies partout où elles
n^étaient pas. Quant à l'orthographe française, j'ai mis, partout où
l'usage le désire, des accents et des apostrophes, et lorsque l'original
porte, par exemple, « demandés, » j'ai adopté la forme moderne
« demandez. »
Je ne veux pas oublier d'exprimer ici mes plus vifs remerciements
pour l'accès libéral qui m'a été donné aux Archives de Paris comme
à celles de Vienne.
I.
Aux Archives de l'État, à Vienne, ce sont les rapports de l'ambas-
sadeur impérial à Paris, le comte Mercy-Argenteau, qui m'ont fourni
encore un petit butin; ils nous rappellent en même temps que
Marie-Antoinette était, depuis son mariage, devenue si complète-
ment française qu'en >I787 ce n'était pas sans peine qu'elle pouvait
lire une lettre en allemand * . La correspondance déjà publiée de
Mercy avec l'impératrice Marie-Thérèse et son commerce épistolaire
avec la reine- mère ont montré de la façon la plus manifeste
quelle profonde influence ce personnage, le plus considérable peut-
être des élèves du prince Kaunitz, exerça sur la vie de Marie-Antoi-
nette. Aussi ne peut-il être sans intérêt d'insérer ici un portrait
encore inédit de ce diplomate ; il a été tracé par le chargé d'affaires
de France à Vienne, Bérenger.
1. Mercy à Kaunitz. Paris, le 20 janvier 1787. Archives d'Élat à Vienne.
DOCUMEIfTS IlflÎDITS RELATIFS A MARIB-AirronfETTE. 323
Quant au personnel de M. de Merci — écrit Bérenger — vous le con-
naissez ainsi que M. le duc de Ghoiseul de très-longue main, et je
suis persuadé que vous penserez comme moi que, de tous les sujets de
l'impératrice c'étoit celui qui pouvoit le mieux convenir à la mission
agréable qui lui est destinée. Elle faisoit depuis longtemps l'objet
unique de ses désirs et nous devons lui savoir gré de l'empressement
extrême qu'il a témoigné pour Tobtenir. D'ailleurs on ne peut être
dans de meilleurs principes sur l'union intime des deux cours, puisque
M. de Merci n'en a pas d'autres que ceux du prince de Kaunitz qui l'a
toujours regardé et traité comme son fils. C'est un honneste homme et
un homme éclairé, qui joint à beaucoup de franchise et de cœur les inten-
tions les plus pures pour le maintiendu système et nous devons d'autant
plus nous aplaudir du choix de l'impératrice que l'ambassade de France
remplissant toutes les vues de M. de Merci, nous pouvons nous flatter
de le conserver pendant bien longtemps et je suis persuadé, monsieur,
que vous pensez comme moi à tous égards ^
A cette époque, la pensée dominante de la politique autrichienne
était, comme on sait, l'alliance avec la France. Kaunitz voyait dans
Marie-Antoinette la pierre angulaire de cette alliance , et le comte
Mercy avait reçu Tordre d'y employer Tinfluence qu'il exerçait sur
Tesprit de la reine. Lorsque M. de Yergennes viendrait à mourir,
Marie-Antoinette devrait user de son crédit auprès du roi pour faire
nommer un ministre favorable à l'Autriche. Yergennes n'avait jamais
été bien vu de Kaunitz; il avait à Vienne la réputation d'être hostile
à TAutriche et d'être partisan de la Prusse ; plaintes que le ministre,
en >I785, repoussait en ces termes : « On se piait à me croire et à me
dire Prussien; je ne suis cependant que Françx)is, et, dans cette qua-
lité, je ne connols et ne sers que l'intérêt et la gloire de mon maître *, »
Il fallait donc, après la mort de Yergennes, avoir à Versailles un mi-
nistre animé de sentiments moins tièdes envers l'Autriche. En aucun
cas Kaunitz ne voulait pour ministre dirigeant de Rreteuil, dont il
redoutait la politique anti-autrichienne; mais il avisait Mercy d'aller
trouver la reine et la prier d'user de son influence pour faire arriver
au ministère le comte de Saint-Priest, acquis d'avance à l'Autriche et
1. Bérenger à M. le duc de Praslin. Vienne, le 19 mars 1766. Archivea du
ministère des affaires étrangères à Paris. — J'ajouterai ici la réponse du duc
de Praslin à Bérenger. Versailles, le 8 avril 1766. « Vous assurerez en même
tetns le nouvel ambassadeur que, comme M. le duc de Cboiseut et moy le con-
naissons de longue main, nous luy rendons toute la justice qui est due à ses
talens et à son zèle pour le maintien de l'union entre les deux cours, et que
nous ne négligerons rien pour luy rendre son séjour agréable à celle-cy. »
Archives du ministère des affaires étrangères à Paris.
2. Vergennes à Noailles à Vienne. Versailles, le 4 janvier 1785. Archives du
ministère des affaires étrangères à Paris.
326 idLANGES ET DOCUMBUTTS.
appris, il entra dans la plus grande colère, et déclara à la reine qu*il
allait chasser Necker du royaume; la reine voulut s'opposer à cette
résolution, et il y eut, à ce propos, un vif échange de paroles entre
les deux époux. La reine montra quel mauvais effet produirait cette
mesure sur la nation, qui avait toujours beaucoup d'estime pour
Necker ; quelle déconsidération elle jetterait sur le gouvernement, si
Ton persécutait injustement un homme qui avait rendu d'éminents
services, qui était honnête et désintéressé. Ces paroles de la reine
eurent d'abord pour effet d'empêcher le roi de faire exécuter sa déci-
sion sur-le-champ, mais, comme les ennemis de Necker, tout puis-
sants sur l'esprit du roi, ne cessaient de l'exciter contre lui, une seconde
explication très forte eut lieu entre la reine et le roi. Louis XVI pré-
tendit à nouveau que son honneur était engagé, qu'il fallait respecter
ses ordres ; Necker les avait méprisés en répandant son apologie dans
le public ; il devait donc être envoyé en exil. Il voulait bien cependant
adoucir le châtiment en l'envoyant seulement à 20 milles de Paris^
dans un lieu que Necker choisirait lui-même. Mercy terminait son
récit en remarquant que la reine avait inutilement protesté contre
cette résolution <.
Necker entra pour la seconde fois au ministère après le renvoi de
Brienne, l'archevêque de Toulouse ^.
Au début de l'année ^ 789, Mercy annonce à sa cour que Louis XVI
commence à vaincre peu à peu sa défiance à l'égard de Necker; il dit
la même chose de la reine : « Leurs Majestés m'ont avoué qu'ils le
considéraient comme étant le seul capable d'arracher l'État à sa
perte ^. »
Il est intéressant de savoir comment Necker, à la fin de l'année i 788,
s'expliqua devant Mercy sur la question, non encore résolue, de savoir
quel chiffre de représentants on donnerait aux députés aux états géné-
1. Mercy à Kaunitz. Paris, le 17 avril 1787. Archives de l'État, à Vienoe.
2. Sur BrieDne, Mercy fait les remarques suivantes : c Obschou das Zutrauen
des Kœnigs zu den {sic) Prelateo von Ta^e zu Tage merklich zuninirnt, so sind
doch hin^iederum S** Majestœt von Natur aus so unentschlossen und zugleich
auf ihr Ansehen, und dasjenigc was hœchstihr eigenes Haus angeht, so eifer-
sichtig, dass roan nur mit vieler Yorsicht und Behutsamkeit diesen Punkt in
Absiclit auf einzufiihrende Reforroen berilhren kann. o Mercy à Kaunitz. Paris,
le 14 août 1787. Archives de l'État à Vienne.
3. c Auch Ihrc Majestset die Kœniginn sind von der anfangs gefassten Beysorge
gegen die vermeyntliche Herrschsucht dièses Ministers gànziich ab, und zu
seinem Vortheil herbeygekomroen. Hœchstdieselbe geruheten selbst mir soicbes
zu gestehen, mit dem Bcysatz, dass sie denselben fur das einzige geschickte
Subjectum ansehen, der den Staat aus dem Verderben herauszuziehen im Stande
sey. » Mercy à Kaunitz. Paris, le 6 janvier 1789. Archives de l'État à Vienne.
DOCUMBKTTS IFTBDrTS RELATIFS A MARIB-ANTOINETTG. 327
raux. Necker lui conflait qu'il approuvait les vœux du tiers état et quil
les appuierait; car, disait-il, si le roi accueillait les désirs du Tiers
et se jetait dans ses bras, Louis XVI obtiendrait de lui le plus entier
concours pour se sauver lui et TËtat. Gela était d'autant plus à propos
que le roi ne manquerait pas ensuite de moyens pour favoriser le
clergé et la noblesse dans tel ou tel sens, et pour leur rendre tout leur
éclat et leurs privilèges. Si au contraire le tiers état était sacrifié aux
deux autres, on aurait infailliblement une guerre civile. Peu de temps
après ces ouvertures, Mercy eut une conversation avec M"* Necker,
qui, suivant une expression de l'ambassadeur, « possédait le cœur et
toute la conûance » de son mari. Elle lui laissa entendre que Necker,
s'il ne pouvait faire admettre ses idées par le conseil , était décidé à
se retirer, car il ne lui serait plus possible de sauver l'État *.
On sait dans quel sens ce problème fût résolu. Pendant que les
états , assemblés le 5 mai , débattaient la question de la vériûcation
des pouvoirs, une dangereuse cabale travaillait sous main contre
Necker. C'est Mercy qui nous l'apprend dans une dépêche du
4 juillet 4789. On cherchait à le peindre aux yeux des souverains
comme un personnage dangereux, qui voulait mettre à profit sa
grande popularité pour devenir, ce sont les paroles mêmes de Mercy,
le « dictateur de la monarchie, » et « tenir le Roi Très Chrétien sous
sa tutelle. > Les chefs de cette cabale étaient les princes de Condé et
de Conti, Madame Adélaïde, qui avaient attiré à eux le comte d'Ar-
tois, et le faisaient l'intermédiaire de leurs insinuations calomnieuses
auprès des souverains ^. Une autre cabale plus dangereuse encore,
car elle était dirigée contre le roi lui-même et contre la famille
royale, avait pour chef le duc d'Orléans, qui songeait à jouer un rôle
capital à la tète du tiers état'. Telle était, ajoute en terminant
1. Ibidem.
1, Der (Necker) bey seiner erworbeneo groftien PopularitAt nicbU anderes iin
Schild fuhre aU ftich mittelst derselbeo zum Dictator der Monarchie aufzn-
werfen und den Allercbristl. Kœoig gleichtain noter fteiner Vormundftchafl
nacb eigenem Gutbefinden zu leiten. Die H»upter dieser furcbterlicben Kabale
ftind die Herren Prinzen tod Condé, Ton Conti, Madame Adélaïde, welcbe nebst
mebreren voraebmen Staiideft-Pereonen den nicbt weit auMebenden weitbiik-
kenden Herrn Comte d'Artois in ihre Scbtinge gezoben (gezogen) und diesen
Prinzen vorauftgeftcbol>en bal>en, nm ibre scbmllicbe Insinoationen gegen ober-
wttbnten Finanz-Minister bey Ihren Majestasten aaf eine unTerdAcbtige Art ao-
zubringen.
3. Eine aodere weit gef»brlicbere Kabale, die gegen Ihre Allercbriatlicben
Mijeat«ten uod die kœnigliche Familien selbst gerichtet seyn dœrfte, acheiot
jene za seyn, fUr deren Chef der llerr duc d'Orléans aniaseben werden kann,
die aber noch nicht recht ins klare gebracht iat, um etwa» sicherea und be-
328 M^UNGES ET DOCUMENTS.
l'ambassadeur, la situation des choses, lorsque le 27 juin, au matin,
je me rendis à Versailles pour exécuter vos derniers ordres, et qu'a-
près la conférence habituelle, j'eus fait ma cour à S. M. la reine; je
la trouvais dans la plus grande angoisse, que me révélèrent ses yeux
remplis de larmes ; elle me demanda mon avis sur les mesures à
prendre dans des conjonctures aussi critiques. Gomme on avait
négligé de faire tout ce que réclamaient les circonstances, qu'on
avait fait au contraire ce qui ne devait pas se faire, et comme ce qui
était fait ne pouvait pas ne pas avoir été fait, je pris la liberté de
présenter à Sa Majesté quelques idées générales sur la façon dont on
pourrait encore éviter de plus grands malheurs ^
Mercy proposa alors à la reine deux moyens. Il est très intéressant,
à coup sûr, de voir que les conseils de Mercy ont décidé le roi à con-
sentir à la réunion des trois ordres ; il est important aussi de cons-
tater que Marie- Antoinette, représentée alors comme l'adversaire la
plus déclarée et la plus aveugle du tiers état, fut assez sage et assez
intelligente, trop tard il est vrai, pour déterminer le roi à faire décider
ces mesures dans le conseil. Mais écoutons Mercy : il dit à la reine
ou quMl fallait renvoyer Necker, ou qu'il fallait le garder, et alors
faire ce qu'il désirait. Si l'on était résolu à écarter Necker, il était
certain que les amis qui l'avaient poussé à entrer au ministère Ten-
slimrntes schoD dermalen hieTon sagea zu kœnnen. So viel ist gewiss, dass der
von jeher bekanDte geizige Karaktër dièses Prinzen mit seiner seit kurzem her
(cusserndea grossen Freygebigkeit und besonderen PopulariUet Dicht wohl zu
vereinbaren sey, ohne ihn einer hieruiiter versteckten Absicht zu beargwohnen,
die auf nichts weniger abzielen dœrfte, aïs an der Spitze des Tiers Etat einen
dem kœniglichen Ansehen hœchstnachtheilige Rolle zu spielen uad sich wo
inœglich von dem Hofe ganz unabhœngig zu machen ; dièses sind z^ar nar vor-
laiuGge, vielleicht zu weit getriebene Muhtroassungen ; inzwischen ist dennoch
sein bisberiger Betrag so zweydeutig und verdœchtig, dass ernannter Prinz
genau beobachtet und durcb Anwendung kluger Yorsicbtsraittel bey Zeiten
nocb abgehalten werden miissen, das erworbene Zutrauen des Volkes zuin
wesentUchen Nachtheil des Hofes zu misbraucben.
1. Dièses ^ar die Lage der Sacben, als icb am 27 Junius friibe Morgens zur
Ausrichlung der letzterbaltenen gnaedigen Anwcisungen niich nach Versailles
verfuget, und nacb gepflogener Konferenz bey Ihrer Majestaet der Këniginn
meioe Aufwartung gemacbt batte ; icb fand hœcbstdieselbe in grœssester Her-
zensbeklemmung, die Sie mir mit tbrœnenden Augea zu erkennen gegeben,
und micb ura Rath zu fragea gerubeten was, meines Erroessens, bey so kriti-
scber Wendung fur Massregeln einzuscblaegen wœren. Nacbdem roan ail das jenige
was den Umstainden angemessen gewesen waere zu thun unterlassen, dahingegen
nur jenes was unterbleiben solite getban, und das einmal gescbebene nicbt
ungescbeben seyn konnte, so nabro icb mir die Freybeit Ihrer Majestaet einige
allgemeinen Ideen iiber die Art, wie nocb grœsseres Uebel vermieden werden
konnte, vorzutragen.
DOCUMEFTTS INEDITS RELATIFS A MARIB-A?rTOINETTB. 329
gageraient aussi à en sortir. « Dans ce cas, dit très nettement Mercy,
la banqueroute et la faillite étaient inévitables. » Mais, si Ton ne vou-
lait pas écarter Necker, ce qui gagnerait un temps de repos, il fallait
sans arrière-pensée lui accorder sa faveur et sa conflance. Mercy
faisait très justement ressortir qu*une conduite opposée aurait pour
effet, non seulement d'empêcher Necker de rien faire de bon, mais
encore de lui inspirer un mécontentement qui, ensuite, fournirait aux
ennemis de la royauté un prétexte pour montrer que son maintien
était un sacriflce arraché à la cour.
Mercy est assez modeste pour dire qu'il ne voulait pas déterminer
combien ses représentations avaient fait impression sur la reine; mais
il pouvait annoncer avec précision que le même jour le sort de Necker
avait été décidé et que la réunion des trois ordres avait été autorisée * .
Il estime qu'en présence de la grande faiblesse et de l'indécision de la
cour et du ministère, de la fldélité incertaine des troupes, de la pré-
pondérance prise par le tiers état, le roi ne pouvait choisir un
autre parti que celui qu'il prit. 11 est intéressant, cependant, de le
noter : ce même Mercy, que nous venons de voir donner ces sages
conseils, fut, après le coup d'État, désigné publiquement comme
l'homme qui aurait donné à la reine le conseil d'éloigner Necker.
C'est pourquoi son nom fut mis sur la liste de proscription, et pour-
quoi on lui donna de tous côtés l'avis que l'on mettrait le feu à sa
maison. La police elle-même l'en avertit. Tout d'abord, il ne voulut
y donner aucune créance; mais, quand il eut remarqué que rafîaire
devenait sérieuse, que les communications de Paris avec Versailles
étaient interrompues et qu'il ne pouvait plus arriver jusqu'à la reine
pour lui rendre service, il résolut de s^établir dans une propriété
située à six milles français de Paris; il y était à peine arrivé que le
bruit se répandit que Marie -Antoinette avait quitté Versailles et
s'était réfugiée auprès de lui, bruit dont la fausseté ne tarda pas
d'ailleurs à être reconnue *.
Mercy raconte encore que Louis XVI , en rappelant Necker, aurait
voulu ne plus entendre parler de Montmorin ni du comte de Saint-
Priest, parce que le parti de la cour avait réussi à eiciter chez le roi
de la peur et de la méflance à Pégard de ce triumvirat. D'après la
façon dont la reine s'exprima devant lui, Mercy crut pouvoir com-
1. c Zugleich soll ich zum biltigen Lobe der Kœniginn nicht Terbehlen, das»
Ihre Maje^tast an der diesstaBlligen EntschliesAong des Allercbristlicben Kœnig»
8o wiean dem Ansscblag der Sache eioen entacheidenden Antheil gebabt haben. >
Mercy à KaaniU. Paris, le 4 jaillet 1789. Archifes de rÉtat à Vienne.
2. Mercy à Kaunitz. Paris, le 23 juillet 1789. Archires de l'ÉUt à Vienne.
330 MELANGES ET DOGUMBIITS.
prendre que le parti qu'on voulait suivre ne serait aucunement
avantageux ; car Louis XVI ne voulait absolument rien savoir de Hont-
morin et de Saint-Priest. Il le dit à la reine a avec la plus grande
force » (mit grœsstem Nachdruck und Starke); après une heure et
demie d'entretien il réussit, non sans les plus grands efforts, à obtenir
de la reine l'assurance qu'elle ne cherchât pas à faire changer ses
résolutions. Puis Marie -Antoinette congédia l'ambassadeur en le
priant de revenir seulement à onze heures et demie du matin. A
l'heure dite, il fut reçu par la reine qui lui apprit que le roi consen-
tait à suivre ses conseils, et qu'il était disposé à rappeler non seule-
ment Necker, mais aussi Montmorin, puisqu'il ne voulait pas revenir
sans lui au pouvoir ^ c^est ce qui eut lieu en effet.
Cet événement eut pour conséquence la première émigration, c Le
château de Versailles, écrit Mercy après ce départ, ressemble à un
désert; j'ai trouvé Sa Majesté la reine dans une situation qu'il est
facile de s'imaginer, mais elle montre beaucoup de courage et de réso-
lution^. »
Plus loin, Mercy raconte que, pendant le temps où il eut avec
Marie-Antoinette les deux entretiens qu'on vient de rappeler au sujet
du ministère Necker, Louis XVI eut la pensée de se rendre à Paris ;
il était sous le coup de l'impression produite par la prise de la Bas-
tille ; mais la reine craignait que la population parisienne ne retînt le
roi de force, et elle prit la résolution, si ce malheur arrivait, de se
retirer avec le Dauphin soità Valenciennes, soit aux Pays-Bas. Mercy
s'opposa de la façon la plus énergique à ce dessein. C'est seulement,
dit l'ambassadeur à Marie-Antoinette, après que le roi aurait déclaré
à l'Assemblée nationale qu'il avait lui-même contraint la reine à
prendre ce parti, qu'il pourrait, lui, Mercy, approuver ce plan. Sans
cette déclaration formelle, la nation, qui d'ailleurs était déjà sur
pied tout entière, regarderait l'éloignement du Dauphin comme un
rapt véritable. Marie-Antoinette se rendit à ces raisons pressantes.
Cependant Mercy ouvrit un autre avis. Comme on craignait que la
population parisienne ne voulût forcer le roi à signer par contrainte
une capitulation, Louis XVI avait, sur la proposition de Mercy,
donné à son frère les pleins pouvoirs de lieutenant-général du royaume*,
si l'événenienl redouté se produisait, le prince devait se rendre avec la
reine à TAsscmblée nationale, et lui persuader de quitter Versailles et
de transporter ses séances dans une autre ville. L'Assemblée voyant
de mauvais œil la conduite des Parisiens, Mercy était persuadé qu'elle
1. Mercy à Kaunitz. Paris, le 23 juillet 1787; ibid.
2. Id.; ibid.
DOCUMENTS IIVBDITS EBUTIFS A MAEIB-A!<IT01!fETTE. 331
accueillerait favorablement les vues du prince, au cas où l'on oserait
retenir le roi*.
On comprend aisément que les trou))Ies croissants aient rempli
Hercy de la plus grande inquiétude sur le sort de la reine, surtout lors*
qu'elle lui déclara elle-même qu'elle était obligée de le prier de la venir
voir moins souvent^. Le sort de la monarchie ne Taflligeait pas moins
profondément. Cette monarchie, écrit-il de Chennevières près Paris, le
47 août 4789, « craque de toutes parts; la nation manifeste une
cruauté, une sauvagerie qu'on ne lui connaissait pas jusquMci. Les
décrets de l'Assemblée témoignent d'un véritable affolement, d'une
complète ignorance des choses du gouvernement-, ils produisent un
despotisme et des injustices qui, par suite de l'émigration, de ren-
tière disparition du commerce et des arts , doivent mener peu à peu
la France au néant... Le roi ne sent que très imparfaitement la
misère de sa situation. 11 ne montre ni volonté, ni énergie durable
en employant les moyens de salut nécessaires. Le ministère tout
entier ne sait plus se défendre. M. Necker lui-même est hors d'état
d'imaginer de nouveaux moyens de salut. Je le vis dernièrement
tout à fait abattu et il m'avoua ouvertement son impuissance. 11 fau-
drait un miracle pour remettre, même de bien loin, les choses sur le
pied d'une restauration possible^. »
De même que Mercy avait déjà, dans une autre occasion, conseillé
à la reine de traiter de la façon la plus amicale Necker, Montmorin
et Saint-Priest, et qu'elle y avait consenti ^, il trouve maintenant que,
1. Ibid.; idem.
2. Ibid.; idem.
3. 0 Diesse Monarchie l(£ftet sich Ton allen Seiten auf; die Nation œussert
eine an ihr bisher uncrkannte Grausamkeit und Venfvildening; die Entschliefl-
sungen der Landes-Siœnde legen einen wahren Wahnsinn, eine Unwisftenheil in
Regierungft-Sachcn, einen Despotismum und solcho Ungerechtigkeiten an Tag,
die durch Emigrationen und den gœnziirhen Verfall des Handels und der Kunst,
Frankreich nach und nach zu Grand richten iniiftsen. Diesser ganz besondere
Vorfall wird nothwendiger Weisc auf die dermaligen politischen Unistœnde von
Europa einfliessen, und dœrfle Tielleicht dem allerdurclilaurhligAten Erzhaus^e
(Kftterreich sehr weiUchUchtige Combinationen darbietben, die ich der erleuch-
ten Einfticht Euer fiinitlichen Gnaden anheim stellen 8olI. Der Kœnig fûbll nur
ganz unvollkommen seine ungtiickliche Lage: er l^esst wcder Willen noch bin-
Icnglicben Nachdruck durcb Anwendung nœtbiger Rettungs-Mitlel spurcn. Das
ganze Ministerium weiss sich nicbl mehr zu helfen ; ja selbst W Necker ist
ausser Stand weiter llùifsmittel auszusinnen : ich sah thn letzthin ganz nieder-
geschlagen, und er gesland mir seine UnTennœgenheit freymùtbig ein. Ein
Mirackel wûrde es seyn , uro nur auch Ton weitem die Sache auf die Weege
einer moeglichen Herstellung wieder zu bringen. • Mercy à Kaunitz^ le 17 août 1789.
Archives de l'État à Vienne.
4. Lettre citée plus hint du 23 JiiiUet
332 MELANGES ET DOCUMENTS.
dans les circonstances présentes, il ne restait d'autre issue que de
laisser le ministère agir librement et sans entraves. Mercy n'attendait
pas grand'chose de ces mesures ; mais il craignait d'autant plus pour
la sécurité de Marie- Antoinette, si Ton persistait à soupçonner qu'elle
était hostile au ministère. Cependant, il n'a pas encore perdu tout
espoir; il pense que le remède sortira de l'excès du mal et que les
esprits, fatigués du despotisme révolutionnaire, reviendront au gou-
vernement monarchique'. Cependant les nouvelles qu'il envoyait à
sa cour devenaient toujours plus sombres, et l'on peut aisément
s'imaginer l'effet qu'elles produisaient au palais impérial, où Ton
était non seulement inquiet du sort de la reine, mais du désarroi que
CCS troubles jetaient dans la politique extérieure de Joseph II, à l'idée
que le système de l'alliance française allait peut-être s'écrouler,
a Cette cour, entourée de gardes nationaux et dépouillée de tout
réclat qui auparavant signalait la grande puissance de cette monar-
chie, écrit Mercy le 48 novembre 4789, offre l'aspect d'une famille
prisonnière, ce qu'elle est en réalité. Le roi, qui n'avait pas fait
encore un pas hors des murs de Paris, ne veut plus en sortir, parce
que S. M. a été privée de ses gardes du corps. La vie inactive qu'il
mène menace sa santé; son état excite la compassion et la pitié; le
peuple lui témoigne la part qu'il y prend et revient à des sentiments
de plus en plus favorables à la reine ; mais les effroyables cabales
des démagogues tiennent tout enchaîné , surtout par la cruauté de
leurs mesures et en même temps par leur puissance prépondérante...
Selon toute vraisemblance, cette monarchie est pour longtemps ravalée
et restera sans importance; son alliance sera de très peu d'utihté,
peut-être même sera-t-elle plutôt un fardeau et un danger... Je vois
bien l'apparence de quelques partis qui se rapprochent volontiers de
la cour et qui pourraient s'unir avec elle ; mais ces partis sont trop
faibles; ils n'ont ni les moyens nécessaires pour agir, ni des chefs
capables de les conduire. Enfin , si Ton considère le caractère per-
sonnel du monarque, la possibilité de le sauver est si invraisemblable,
que, sans vouloir se tromper soi-même, on ne peut plus rien espérer
de bon de son gouvernement 2. »
1. < Was hiebcy noch eine oder andcreVeraenderung anhoffen inachen kônnte,
ist das innerlich anwachscnde Uebel ; massen ûberhaupt aile Slande des Staats
durch eincn so gewaltigen Despotismum gedruckt und in einer 80 allgemeinen
Verwirrung zulelzt geralhen werden, dass die Gemiilher, uro die Last abzu-
schiitteln, wieder auf die uncndlich vorzuziehende monarchische Regierangs-
form zuriickkoninien und sich derselben in die Armbe werfen dœrflen. »
Lettre citée du 17 août 1789.
2. Nous donnerons ici seulement la seconde partie du texte de cette citation :
DOCUMENTS INEDITS RELATIFS A MARIE-ANTOINETTE. 333
Nous arrêtons ici les extraits des papiers de Mercy. C'était un
homme que la situation de la France et surtout de la reine remplis-
sait du plus profond chagrin. Ce que nous venons de publier prouve
à nouveau combien était injuste le soupçon que l'ambassadeur eût
conspiré contre le nouvel état de choses et donné à Marie-Antoinette
des conseils dans ce sens. La publication faite par M. d'Arneth a
déjà mis en lumière ce fait que Mercy s'efforça d'apporter à la reine
les secours de son expérience. Il y était d'ailleurs encouragé d'une
façon particulière par son gouvernement. Dans une instruction du
3 août 4789, Kaunitz dit que ce serait un réel malheur si l'ambassa-
deur ne pouvait, au moins par voie de correspondance secrète, faire
parvenir ses avis à la reine et au roi ^ Ce n'était point facile. Marie-
Antoinette dut prévenir elle-même le comte Mercy de la venir voir
aussi peu que possible, car elle savait de la façon la plus certaine
que chaque quart d'heure qu'il passerait auprès d'elle serait épié,
découvert et dénoncé. On convint donc d'un échange secret de lettres
entre elle et l'ambassadeur ^ ; il continua encore quand Mercy put
approcher la reine. « J'ai recommencé, écrit-il à Mercy le 48 no-
vembre 4789, à voir le roi en particulier (mots en français dans la
dépêche) ; cependant je continue ma correspondance , au moyen de
laquelle je cherche à communiquer à S. M. les conseils que me dictent
ma fidélité et mon zèle pour sa personne^. >» C'est à cette corres-
pondance que nous devons cette riche mine de renseignements que
M. d'Arneth nous permet d'exploiter en publiant la correspondance
échangée entre la reine et l'ambassadeur autrichien.
c Aller Wahrschetnlichkeit nach, wird diesse Monarchie fur lange Zelt eu Grund
gerichlet und unbedeutend bleiben, so dass ihre Allianz ftir wenigst selir
unniize, viellelcht auch lœstig und Terlegenheitsvoll und eben darum ftchœdiich
werden dœrfte. Zu friihzeiUg wœr es, schon dermalen ein bestiminte Meinung
liieniber feslzusetzen ; mein unverfailschter Diensl-Eifer aber Yerbindet mich
aile die wohlergriindeten Spuren Torlœufig anzuzeigen, welche zu erforden
ftcheinen, dass man ftchon Ton jezo an auf die Ergreiflfung politischer VorAÎchU-
Mittel fiirdenke, oder solche wenigst Ton weitem her rorbereite. Nur ein ganz
einpfundener plœtzlicher Vorfall wœr in Stand diesse Wahrheit abzuœndem.
Ich sehe zwarden Anschein einiger Parteyen, die sich gem dem Hofe naehem,
und sich mit deinselben Tereinigen mwgten; allein dièse Parteyen ftind so
ichwachy der hierzu nœthigen Mittel sowobl als tûcbtiger AnHibrer dergestalt
entblœsst ; zudem ist in Erwegung des persœnlichen Cbarakters des Monarchs
die Mceglichkeit Ibn zu retten so wenig wahrscheinlich, dass man, obne sich
seibst Ueuschen zu wollen, von seiner Regiening nicbts mehr gûnstiges boffen
kan. » Mercy à Kaunitz, le 18 novembre 1789. Archives de l'État A Vienne.
1. Kaunitz A Mercy. Vienne, le 3 août 1789. Archives de l'État A Vienne.
2. Mercy à KauniU. Près Paris, le 23 juillet 1789. Ibidem.
3. Mercy à Kaunitz, le 18 novembre 1789. Ibidem.
334 MELANGES ET DOCtlRlfTS.
II.
J^arrive maintenant aux documents que m'ont fournis les archives
nationales, et surtout les archives du ministère des affaires étranr
gères de Paris. lis se rapportent pour la plupart à la jeunesse de
l'archiduchesse et à son mariagç avec le futur Louis XVI; seuls les
comptes de toilettes sont d'une époque postérieure de la vie de la reine
en France.
M. d'Arneth est le premier qui publia des renseignements sur
la vie de Marie -Antoinette lorsqu'elle n'était encore qu'archi-
duchesse. Avec les lettres de Vermond, il put, par l'intermé-
diaire de M. Faugère, prendre connaissance des rapports, assez secs
d'ailleurs , de Durfort sur elle. Il paraît que Durfort s'en remit à
l'abbé Vermond du soin de rédiger ses propres rapports; ce dernier
n'avait-il pas été chargé de tenir sans cesse Louis XY au courant
des progrès accomplis par Marie-Antoinette? Partant de cette hypo-
thèse, j'ai recherché dans les archives de Paris les rapports de Ver-
mond. Mes recherches sont cependant restées sans résultat. Il est
probable que, si de pareils rapports ont existé, ils n'existent plus.
Nous devons d'autant plus savoir gré à Durfort d'avoir inséré dans
ses dépêches au moins quelques détails sur Marie -Antoinette. Il
paraît que M. Faugère n'a pas fait copier pour M. d'Arneth tous les
passages relatifs à Marie-Antoinette; aussi puis-je faire connaître ici
quelques faits nouveaux. Ainsi M. Faugère avait laissé échapper un
tableau de la cour de Vienne que j'ai publié dans VArchiv fur cester-
reichische Geschichte et qui, selon moi, doit être attribué à Durfort
lui-même. Dans cette description, il se trouve un séduisant portrait
de Marie-Antoinette, le seul que nous possédions d'elle comme archi-
duchesse. Bien que je Taie déjà publié, je crois pouvoir le reproduire
ici. Le voici :
C'est une princesse accomplie tant par les qualités de sa belle âme
que par les agrémens de sa ligure, elle a un discernement infini, de la
bonté dans le caractère, de la gailé dans l'esprit; elle aime à plaire,
dit des choses agréables à un chacun et possède au suprême degré toutes
les qualités qui peuvent assurer le bonheur d'un époux.
Durfort était animé des meilleurs sentiments à l'égard de la cour
de Vienne, quand il y arriva en un moment où les rapports entre PAu-
triche et la France se troublaient un peu. C'étaient surtout les dispo-
sitions de Joseph II qui excitaient l'inquiétude à Versailles. On crai-
gnait qu'il ne restât pas fidèle à l'alliance; sur quoi Kaunitz écrivait
DOCUMEIfTS INEDITS RELATIFS A MlRIB-ANT01?rBTTE. 335
à l'ambassadeur de France, dès le début même, en œs termes : « Il
est vrai, et je lui (à l'empereur) ai dit, qu'il n'est pas assés coquet
pour une maîtresse comme la France-, il n'est pas tendre, mais il est
solide. Je vous parle en ami et en honnête homme; comptez sur ma
parole. Il sent tout le prix de l'alliance et n'y est pas moins attaché
que l'impératrice ^ i Cette parole réjouit Durfort ; il se trouva aussitôt
mêlé à la vie de la cour de Vienne ; la famille impériale surtout lui
plut; il en parle en ces termes : « Cette auguste famille réunit tous
les avantages que la nature et l'éducation peuvent donner^. » Aussi
peut-on comprendre avec quel zèle il s'employa pour le mariage pro-
jeté entre le Dauphin et Marie- Antoinette; mais la cour de Versailles
resta sur la réserve. Lie marquis de Durfort, lisons-nous dans Arneth,
dit à Marie-Thérèse qu'il était chargé d'envoyer au roi de France les
portraits de la famille impériale; Arneth publie aussi la réponse de
l'impératrice ^. Durfort parait cependant avoir dépassé ici les bornes
de sa mission, ainsi que cela ressort de la réprimande que lui adressa
Choiseul. Voici d'abord un extrait de la dépèche de Durfort :
Il m'est revenu par plus d'une voye qu'elle en a parlé et le peintre de
la cour est venu chez moy sous prétexte de me faire sa révérence. Après
avoir discouru un moment avec lui sur son métier, il m'a dit qu'il
savoit que je voulois les portraits de la famille impériale, qu'il m'oITroit
ses talens ; je luy ai donné la commission de les faire, pourvu qu'il me
promit que la cour ne le trouveroit pas mauvais; il m'a assuré que
cela luy feroit au contraire un très-grand plaisir. J'attends, monsieur,
le jugement que vous porterez à cet égard, et j'espère qu'il me sera
favorable, au surplus j'ai dit que j'avois ordre, mais je n'ai pas dit de
qui*.
Voici maintenant la réponse de Choiseul du 24 mai i 767 :
Le roy n'a point aprouvé, monsieur, que vous ayez demandé par
ordre les portraits de la famille impériale. Quoique vous n'ayez pas dit
de quel ordre, il est certain que vous ne pouvez en avoir que de 8a
Majesté et c'est une démarche qui peut tirer à des conséquences qui ne
doivent pas vous échaper. Il est clair que le peintre qui est venu vous
offrir ses services a été envoyé chez vous par l'impératrice. En tout, je
vous prie, monsieur, de ne point vous presser sur tout ce qui peut avoir
trait à uu mariage, à moins que vous ne receviez des ordres de Sa
1. Darfort A Choiseul. Vienne, le 11 février 1767. ArchiTes du ministère des
alTaires étrangères.
t. Idem.
3. Arneth. Maria- Theresia. Vil, 422.
4. Darfort à Choiseul. Vienne, le 11 mars 1767. Archives du ministère des
affaires étrangères.
336 MlfLlNGBS ET DOGUMBIirrs.
Majesté. Au surplus, quoique nous ayons déjà les portraits de la famille
impériale, vous aurez la bonté de m'envoyer ceux que vous faites faire
lorsqu'ils seront achevés*.
Durfort chercha à se justifler en alléguant, ou qu'on avait mal
chiffré la dépêche dans son bureau, ou qu'elle avait dû être mai
déchiffrée à Versailles. Mais laissons-le parler lui-même :
Il faut, monsieur, ou qu'on ait mal chiffré chez moi , ou mal déchif-
fré dans vos bureaux ce que j'ay eu l'honneur de vous écrire sur les
portraits de la famille impériale. Je ne les ai pas demandé, j'ay dit
simplement que j'avois ordre de les chercher. La preuve en existe dans la
réponse qui me fut faite : Vous ne les trouverez pas. Je crois dans ce
moment remplir les ordres que j'ay de saisir toutes les occasions de
plaire en donnant à penser que Sa Majesté auroit autant de satisfaction
d'avoir les portraits des enfants de l'impératrice que cette princesse en
témoignait d'avoir ceux de la famille royalle. Je ne pensais pas qu'il fût
possible de m'interpréter différemment et je ne crus pas qu'il pût en
résulter aucune conséquence. Je suis au desespoir de m'être trompé et je
vous supplie, monsieur, de vouloir bien mettre aux pieds de Sa Majesté
mes intentions et ma peine. J'auray l'honneur de vous envoyer les por-
traits dès qu'ils seront faits.
Les reproches de Choiseul rendirent Durfort plus circonspect, et il
repoussa toutes les avances qui lui vinrent à ce propos. C'est ainsi
qu'il fut tenté par la grande maîtresse de la maison de l'archiduchesse,
la comtesse Lerchenfeld, près de laquelle il se trouva lors d'un diver-
tissement donné à la cour. Durfort en parle en ces termes : « Elle
(la grande maîtresse) chercha à entrer en conversation avec moi, et
elle ne larda pas à la faire tomber sur le caractère, l'esprit, la figure
et les grâces de la jeune princesse; elle ne négligea rien dans le por-
trait qu'elle me fit. Je m'acquittai vis-à-vis de cette dame de tout ce
que l'honnêteté exigeoit, sans m'écarter en rien de la circonspection
que vous m'avez prescrite^. »
Cette réserve de l'ambassadeur fut pleinement approuvée à Ver-
sailles, et Louis XV fit encore recommander au marquis de continuer
dans cette voie. Mais, comme la cour de France désirait, pour le cas
où un mariage serait conclu entre le dauphin et l'archiduchesse,
avoir une copie du contrat de mariage qui avait été rédigé lors du
mariage entre le roi de Naples et l'archiduchesse Caroline, Durfort
1. Choiseul à Durfort. Versailles, le 24 mars 1767. Archives du ministère des
affaires étrangères.
2. Durfort à Choiseul. Vienne, le 19 septembre 1767. Archives du ministère
des affaires étrangères.
DOCITMBFrrS INEDITS RELATIFS A MARlB-AIfTOIlfBTTE. 337
Alt chargé de se procurer celte copie. « Je présume , écrivit Cboiseul
à Durfort , qu'il ne vous sera pas difficile de vous procurer ces actes
en marquant votre désir personnel de les avoir, soit à l'ambassadeur
d'Espagne, soit à celui de Naples. Vous attendrez une occasion pour
me les faire passer ^ » Durfort fut enchanté que sa conduite fût
approuvée du roi , et promit de fournir la copie désirée '.
11 suffît ici de toucher seulement un point qui a déjà été traité par
M. d'Arneth. La seconde femme de Joseph II, avec laquelle il avait
vécu en grande mésintelligence', venait de mourir le 28 mai 4767,
et Ton parla aussitôt d'un nouveau mariage. M. d'Arneth avait déjà
mis en doute * que la cour de France ait eu l'idée de mettre comme
condition au mariage autrichien l'union de l'empereur Joseph II avec
la fille du duc d'Orléans; son opinion est confirmée par les rensei-
gnements suivants : à Versailles , on voulait que la cour de Vienne
fît les premières ouvertures-, c'est ce qu'indique en ces termes le
marquis de Durfort : « Je vous demande instamment d'être persuadé
que je n'ay rien oublié des instructions que vous m'avez données au
cas qu'on me parlât de mariage, et que je ne dirai et ne ferai que ce
qu'elles me prescrivent*. » Ces instructions dont il parle, et qui
ordonnaient, on le voit, de la façon la plus expresse à l'ambassadeur
de se tenir sur la réserve, ont été rédigées avant la mort de la seconde
1. Choifteul A Durfort. Fontainebleau, le 4 octobre 1767. Ibidem.
2. Durfort à Cboiseul. Vienne, le 17 octobre 1767. Ibidem.
3. Une dépêche de Berenger à Cboiseul, Vienne, le 5 août 1766, contient on
passage très curieux sur les relations de Josepb II avec sa seconde femme.
Après avoir dit que l'impératrice se sentait plus mal chaque jour, que les bains
de Baden près de Vienne ne rayaient pas soulagée, et que tout le monde était
convaincu que l'impératrice resterait stérile, il conUnue ainsi : c Cette prin-
cesse n'est regardée dans la monarchie que comme une acquisition désagréable
et odieuse et ne peut devenir intéressante que par ses disgrâces. L'empereur la
traite avec un mépris qui tient à la dureté de son caractère, il ne lui trouve ni
figure ni esprit, et ne perd aucune occasion d'humilier publiquement son amour-
propre par des paraUelles dont il est impossible de manquer l'aplication. Vous
jugerez de sa tendresse par l'anecdote suivante : il disait dernièrement devant
plusieurs personnes à mademoiselle Wallis^ qui s'était jetée tout habillée dans
les bains de Bade pour secourir l'impératrice qui était tombée à la suite d'une
faiblesse, qu'elle s'était fort trompée si elle avait imaginé lui faire sa cour par
cet empressement; qu'il lui aurait su plus de gré si elle s'était épargné ce soin,
puisqu'il aurait pu en être délivré. L'on a de la peine à concevoir l'inhumaine
indécence de ce propos, et j'avoue qu'il me paroltrait incroyable, s'il ne m'avait
été rendu par des personnes à l'abri de tout soupçon de fausseté. • Archives
du ministère des affaires étrangères.
4. Maria Teresia, VII, 423.
5. Durfort à Cboiseul. Vienne, le 4 avril 1656. Archives du ministère des
affaires étrangères. Le texte de la dépêche dans Ameth, VII, 561.
Rev. Histor. XXV. 2« fasc. n
338 MELANGES ET DOCUMENTS.
femme de Joseph II; elles ne pouvaient donc contenir aucun avis
pour le cas où Pempereur viendrait à se remarier. Lorsque Durfort,
quelques jours après la mort de Timpératrice Josepha, par consé-
quent après le 28 mai, annonce à sa cour que, malgré la consterna-
tion générale qui règne à Vienne, on parle d'un nouveau mariage de
l'empereur, et en première ligne qu'on désigne la fille du duc d'Or-
léans comme la future impératrice \ Choiseul lui répond de tenir pour
le moment toutes ces combinaisons comme prématurées, et il ajoute
dans les termes les plus expressifs : « Je vous prie d'éviter avec
grand soin de parler le premier d'aucun mariage^. » Ce passage
montre donc avec la dernière évidence que Pambassadeur ne devait
parler le premier ni du mariage du dauphin avec Marie-Antoinette,
ni de celui de l'empereur avec M"' de Chartres. On n'espérait même
pas à Versailles qu'une démarche officielle fût &ite au sujet du
mariage de l'empereur, c'est ce qui ressort de ces paroles de Choi-
seul : a Si l'on vous en parlait ministérialement, ce que je ne puis
pas croire, vous répondrez que vous n'avez reçu aucun ordre à cet
égard, et que vous allez rendre compte de ce que l'on vous dira^. »
Peut-on penser encore, après tout cela, qu'on ait eu sérieusement
ridée de combiner le mariage, d'une part, de Marie-Antoinette avec
le dauphin, et, d'autre part, de l'empereur avec M"' de Chartres? Si
cependant on demande pourquoi l'on recommandait à l'ambassadeur
une si grande circonspection, la réponse est facile : en voulant que la
cour de Vienne fît les premières ouvertures, on espérait s'assurer
certains avantages ; c'est ce qui ressort clairement des termes où
Choiseul blâme la précipitation de Durfort : « C'est une démarche
qui peut tirer à des conséquences; » c'est-à-dire qu'on renoncerait à
tous ses avantages dans cette négociation, si l'on faisait les pre-
miers pas.
Après des pourparlers dont l'exposé se trouve dans Arneth , on
décida d'envoyer l'abbé Vermond à Vienne comme confesseur de l'ar-
chiduchesse Marie-Antoinette. Dans la lettre de recommandation que
Choiseul lui donna pour Durfort, il dépeint ainsi le confesseur:
a C'est un homme de mérite et d'esprit, qui allie la prudence aux
lumières, et qui remplira certainement à la satisfaction de S. M. l'im-
pératrice-reine les fonctions qu'elle veut bien lui confiera »
1. Durfort à Choiseul. Vienne, le 30 mai 1767. Archives da ministère des
affaires étrangères.
2. Choiseul à Durfort. Versailles, le 18 juin 1767; ibidem.
3. Même dépêche.
4. Choiseul à Durfort, FonUinebleaa, le 24 octobre 1768. fin 1769, il paraît
qu'il fut encore ffuestion d'un mariage de l'empereur Joseph 11; c'est ce
DOCUMETTS I^tfoiTS EELATIFS A MlRIB-UfTOIIfBITB. 389
Cependant Louis XY exprime un vif désir de recevoir les portraits
de la femille impériale ^ Durfort envoya enfln , le 49 avril , par son
flls, le portrait de Marie-Antoinette, et il ajoute ces mots :
Mais ce portrait, au jugement de toutes les personnes qui Tont exa-
miné, n*est pas ressemblant et il est nécessaire de le recommencer
Le sieur Ducreux a peint avec le plus grand succès les têtes de mes-
dames les archiduchesses Thérèse , Christine et Elisabeth et a manqué
précisément celle de madame Antoinette'.
Louis XY n'en fut pas moins enchanté du portrait de Marie-
Antoinette 3. Il décida bientôt de faire un pas de plus et flt deman-
der officiellement la main de Tarchiduchesse pour le dauphin. Yoici
en quels termes il expose ses vues à Timpératrice Marie-Thérèse :
Louis XY a Marib-Thérèsb.
Marly, le 7 juin 1769*.
Madame ma sœur,
Je ne puis retarder plus longtems de marquer à Yotre Majesté la
satisfaction que je sens de Tunion prochaine et plus particulière que
nous allons contracter par le mariage de Tarchiduchesse Antoinette
avec le Dauphin mon petit-fils. Je suis trop tendrement attaché à Yotre
Majesté pour ne pas me flatter qu'elle aprouvera que j'anticipe à cet
égard la demande en cérémonie et que je lui fasse connoitre combien
m'est agréable ce nouveau lien qui va de plus en plus unir nos deux
maisons. Si Yotre Majesté Taprouve, je crois que le mariage pourra se
faire à Yienne dans la semaine de Pâques prochain ; en conséquence ,
j'envoye les ordres à mon ambassadeur pour demander un projetdecon-
tract au ministère de Yotre Majesté. Il ne sera pas aussi long à faire
qui ressort de la dépêche suivante de Durfort, expédiée de Vienne le
18 janvier 1769 : c J'ay remis, Monsieur, le portrait de Madame à la personne
qui me l'avoit demandé pour l'impératrice-reine. Je sais qu'il est chez cette
princesse depuis avant-hier, et j'avois recommandé qu'on le luy apportât
enveloppé et en disant aux femmes de chambre qui le reçurent que c'étoit un
miroir. Son dessein est, dit-on, de le faire voir â l'empereur sans affectation et
comme si ce n'étoit qu'un portrait de fantaisie. > Archives du ministère des
affaires étrangères.
1. Choiseul â Durfort, le 31 mars 1769. Archives du ministère des affaires
étrangères.
2. Durfort â Choiseul. Vienne, le 19 avril 1769. Archives du ministère des
affaires étrangères.
3. Choiseul â Durfort, le 21 mai 1769. Archives du ministère des affaires
étrangères; Ameth, VII, 426.
4. Archives du ministère des affaires étrangères. France, 1769-70. Vol. 75.
Minute.
340 MJLANGBS ET DOCUMBITTS.
que celui de l'archiduchesse Amélie avec mon petit-fils de Parme ^
qui, vu la médiocrité de ses États, demandoit un peu plus d'attention,
mais Votre Majesté et moi nous aurons soin de leur postérité et je ne
puis tfop remercier Votre Majesté de la conclusion de ce mariage qui ,
j'espère, lui donnera de la satisfaction par le personnel de l'infant. Je
ferai ici ce que je pourrai ainsi que le Dauphin pour que l'archiduchesse
Antoinette soit heureuse et que nos familles jouissent comme moi du
bonheur de nos liaisons, ainsi que de l'amitié aussi tendre que durable
avec laquelle je suis....
Marie-Thérèse répondit à cette lettre par la suivante, tout entière
écrite de sa main :
Marie-ThérèS£ a Louis XV 3.
Laxembourg, le 17 juin 1769.
Monsieur mon frère et cousin,
De tous les liens par lesquels j'ai la satisfaction de me voir attachée
à Votre Majesté, c'est celui de l'amitié personnelle dont elle m'honore,
et que je lui rend bien sincèrement, qui m'a toujours été le plus cher
et le plus précieux. La preuve nouvelle de ce sentiment que j'ai retrou-
vée dans la lettre de Votre Majesté du 4 ^ de ce mois, par laquelle de
la façon la plus obligeante, elle a bien voulu anticiper la demande en
cérémonie de ma fille, l'archiduchesse Antoinette, pour le Dauphin, son
petit-fils, n'a pu m'être moyennant cela que très-agréable. Je m'empresse
donc d'en assurer Votre Majesté et, en lui accordant ma tille, qu'elle soit
persuadée que ce nouveau lien qui va unir nos maisons ne m'est pas
moins agréable qu'à elle.
Ce mariage se pourra faire ici selon ses désirs d'abord après Pâques.
On remettra un projet de contrat de mariage à son ambassadeur puis-
qu'elle le souhaite. Jeremercie Votre Majesté de la façon dont elle veut
s'expliquer au sujet de la conclusion du mariage de ma fille avec l'infant,
de môme que des sentiments qu'elle me témoigne eu leur faveur et sur
lesquels je conte très-fort ainsi qu'ils peuvent conter sur toute mon
affection. Il ne me reste qu'à souhaiter que ma fille Antoinette puisse
avoir le bonheur de lui plaire. Je suis bien sûre qu'elle faira tout son
possible pour mériter ses bontés. J'ose la lui recommander, à son âge
on a besoing d'indulgence, de vouloir bien lui servir de père, et en ce
cas elle sera heureuse et moi aussi, ne souhaitant que dans toutes les
occasions de pouvoir lui prouver le sincer attachement avec lequel je
suis et ne cesserai d'être
1. Ferdinand, duc de Parme.
2. Archives du ministère des affaires étrangères.
3. Dans une copie qu'on possède de cette lettre, ou trouve la date réelle du 7.
DOGUMBIfTS Ilf^DITS BEL1TIF8 A MAAIE-lIfTOnrETTB. 344
A ces lettres échangées entre Marie-Thérèse et Louis XV, nous
croyons devoir ajouter la lettre suivante du roi à Joseph IL Celle de
Tempereur à laquelle Louis XY fait allusion ne nous est pas connue :
Louis XV A Joseph II.
Marly, Iel8juini769<.
La tendresse, mon cher petit-fils, que vous me marquez dans votre
lettre, est très-conforme à celle que je ressens pour vous. Tout le bien
que vous me dites de l'infant, duc de Parme, me fait le plus grand
plaisir. L'amitié flatteuse que vous me marquez avoir pour ce jeune
prince fait son éloge; j'espère qu'elle portera bonheur à son union
avec l'archiduchesse votre sœur. Je serai toujours très-empressé à don-
ner à l'un et à l'autre des preuves de ma tendresse. Je vous demande
aussi votre amitié pour mon petit-fils, le Daupbin, dont le mariage avec
votre sœur cadette va se conclure. Il désire que la multiplication des
liens qui unissent nos maisons adoucisse le chagrin de la perte que nous
avons faite Tun et Tautre.
Vous me faites envisager, mon cher petit-fils, l'époque la plus agréa-
ble de ma vie, en me parlant de votre projet de venir en France : vous
ne l'exécuterez jamais aussi vite que je le souhaite. Ce sera pour moi
un plaisir très-vif d'embrasser un prince qui a des titres si multipliés à
mon estime et à ma tendre affection.
La nation française admire déjà vos vertus ; mais elle apprendra par
mon exemple à vous aimer lorsque je pourrai la rendre témoin de la
vivacité et de la vérité do Tinviolable amitié avec laquelle je ne cesserai
jamais d'être
De temps en temps Durfort a, parallèlement à Vermond, certains
détails à donner à sa cour sur Tarchiduchesse. La plus grande partie
de ces rapports , malheureusement beaucoup trop succincts, a été
publiée par M. d'Arneth. Je publierai ici trois dépèches encore iné-
dites de Durfort. Celle du 40 février présente un intérêt particulier.
Dans sa dépêche du 3 janvier 4770, Durfort parle de Texcellente
impression que la jeune archiduchesse produit partout.
Le premier jour de Tan, écrit-il à Choiseul, a été célébré ici selon
l'usage par un grand gala, un dîner public et un appartement à la cour.
Madame l'archiduchesse Antoinette a assisté à toutes les cérémonies de
cette journée, et s'y est fait généralement admirer par sa beauté, les
charmes de sa figure et tous les agrémens dont cette princesse est douée.
8a parure était beaucoup plus riche que celle des autres archidu-
chesses *.
1. Minute. Arcbifes dn ministère des affaires étrangères.
2. Darfort à Choisenl. Vienne, le 3 janvier 1770. Archives dn ministère dei
affaires étrangères.
342 irillNGES ET DOCUMENTS.
Dans la dépêche du 40 février, Durfort annonce un événement qui
rendait le mariage possible : Marie-Antoinette était devenue nubile.
L'ambassadeur écrit à ce propos :
L'impératrice-reine ayant eu la bonté de me faire dire que j'étois le
maître d'aller à tous les cammerfest , je m'empressai mercredi dernier
de me rendre à une de ces fôte^ qu'il y eut ce jour-là. Dès que j'y fus
arrivé, Timpératrice eut la complaisance de me tirer à part et de me
dire : J'ai un secret à vous confier, mais il faut que vous le gardiez.
Ma fille est nubile depuis cet après-midi à cinq heures un quart, j'en ai
un plaisir infini et je suis persuadée que le roi n'en aura pas moins
Le jour même de cet événement, madame Tarchiduchesse Antoinette a
dansé assez longtemps et je ne me suis pas aperçu depuis qu'il y ait eu
le moindre changement dans sa santé. J'ai eu l'honneur de faire sa
partie hier au soir. Cette princesse étoit aussi belle, aussi gaye et aussi
vive qu'elle l'est ordinairement ^
Si à Versailles on avait désiré le portrait de l'archiduchesse Marie-
Antoinette, on comprend qu'en retour on ait envoyé à Vienne le por-
trait du dauphin. On en envoya deux en même temps. Après les
avoir reçus, Durfort s'exprime en ces termes :
A peine furent-ils (les deux portraits) arrivés que j'en fis informer
l'impératrice-reine, qui me fit dire que je devois les lui présenter moi-
même. J'eus cet honneur le lendemain à raidi. Je ne saurois vous rendre,
monsieur, toute la satisfaction que ces portraits ont causée à 8a Majesté
impériale et à madame l'archiduchesse Antoinette. Cette jeune princesse
les a tous les deux dans son appartement et les a fait placer dans la
pièce où elle se tient ^.
Cependant le jour du mariage approchait. A ce propos , Joseph II
écrivait la lettre suivante, toute de sa main, à Louis XV :
Joseph II a Louis XV 3.
Le 19 avril 1770.
Monsieur mon frère et grand-père , puis-je assez témoigner le plaisir
avec lequel je viens de recevoir la lettre que Votre Majesté a bien
voulue m'écrire et qui caractérise si bien son amitié pour moi et ses
sentiments bien consolants pour ma sœure, qui va avoir le bonheur
d'appartenir au Dauphin, son digne petit-fils; la fonction du mariage
1. Durfort à Choiseul. Vienne, le 10 février 1770. Archives du ministère des
affaires étrangères.
2. Darfort à Choiseul. Vienne, le 3 avril 1770. Archives du ministère des
affaires étrangères.
3. Archives du ministère des affaires étrangères. France, 1769-70.
DOCOME^TTS INEDITS RELATIFS A MAEIB-A.fTOItlETTE. 343
par procure vient de se célébrer, si quelque chose pouvoit encore plus
resserrer les liens sans cella formés et rendus indissolubles par la con-
viction et rattachement mutuell, certainement que ce nouveau lien si
tendre et le bonheur d'une sœure qui mérite tant d'estre chérie y met-
troit le comble, croyez, cher< grand-père, que je ne désire rien
d'avantage que de vous en convaincre et de vous faire connoitre en
personne mon cœur et les seutimens d'un fils qui vous respecte et dont
rattachement est à toute épreuve, pour la vie je suis
Le jour qui suivit le mariage, Marie-Antoinette écrivit à [iOuis XV
une lettre autographe, où elle lui promettait d'être toujours sa fille
la plus fidèle et la plus soumise. Voici cette lettre, à laquelle nous
ne changeons pas un root, et dont nous respectons Torthographe :
Marie-Antoinette a Louis XV ^.
Vienne, le ÎO avril 1770.
Monsieur mon frère et très-cher grand-père. Il y a si longtems que je
désire pouvoir témoignera Votre Majesté, au moins en partie, tous
mes sentiments pour elle, que je saisis avec la plus grande satisfaction
la première occasion qui peut m'y autoriser. Que Votre Majesté me
permette donc de lui apprendre que mon mariage avec monsieur le
Dauphin a été célébré ici hier par toutes les cérémonies de l'Eglise
usitées en pareil cas, et que c'est pour moi la plus douce satisfaction de
me voir par la appartenir a Votre Majesté, pour qui, depuis que je
pense, j'ai toujours eue le plus grand respect et le plus vif attachement.
Votre Majesté peut être assurée en conséquence, que je ne serai occu-
pée toute ma vie que du soin de lui plaire et de mériter sa confiance et
ses bontés , et avec de pareilles intentions je crois pouvoir tout espérer
de sa part. Je sents cependant, que mon âge et mon inexpérience pour-
ront peutêtre souvent avoir besoin de son indulgence et j'ose moyennant
cela la lui demander dez a présent avec les plus vives instances et la
supplier en même tems de me ménager aussi d'avance celle de monsieur
le Dauphin et de toute la famille dont je m'en vois avoir le bonheur
d'iHre. Je sais que Votre Majesté est le meilleur des pères ; je me pro-
pose d'être toute ma vie la fille la plus tendre et la plus somisse (sic)
a ses volontés, et je me flatte par conséquent du sort le plus heureux.
J'ose espérer que Votre Majesté daignera recevoir avec la bonté qui lui
est naturelle, cette eflTusion de cœur, a laquelle je n'ai pu me refuser, et je
la supplie de vouloir être persuadée, en attendant, qu'au moment désiré,
ou j'aurai le bonheur de me trouver auprès d'elle , ce sera avec autant
de vérité que de respect et de tendresse que j'aurai l'honneur de lui
repeter de vive voix tous les sentiments avec lesquels je ne cesserai
d'être toute la vie
1. Dans l'orii^iul, il y a c chère. •
2. Àrchivei do ministère des aflaires étrangères.
344 MJUNGES ET DOCOMENTS.
Marie-Thérèse écrivit aussi au roi une lettre autographe au sujet
du mariage -, nous la publions plus loin ; dans une autre écrite
le même jour à Louis XV, elle dit qu'elle lui sera remise par sa
fille elle-même, ou plutôt, comme elle dit, par la fille du roi. Nous
donnons aussi cette lettre autographe. Elle n'est pas datée, mais une
autre main a ajouté : 20 avril illO.
Marie-Thérèse a Louis XV ^
Vienne, le 20 avril 1770.
Monsieur mon frère et cousin, la célébration du mariage de ma fille,
rarchiduchesse Marie- Antoinette, qui a été unie hier en face de l'église
à monsieur le Dauphin a suivi de si près la demande solennelle que
Votre Majesté m'en a fait faire par son ambassadeur extraordinaire, le
sieur marquis de Durfort, que j'ai la satisfaction de pouvoir lui témoi-
gner par mon empressement à lui apprendre que le mariage est fait,
combien la proposition m'en a été agréable. Votre Majesté n'ignore pas
le plaisir que je me suis fait de tous les liens par lesquels nous avons
put unir nos maisons jusqu'ici , et elle peut juger moiennant cela du
degré de satisfaction que doit me causer celui-ci qui nous attache
encore plus directement à la personne de Votre Majesté qui rend jus-
tice, j'espère, à tous mes sentimens pour elle. Je la prie instam-
ment de vouloir bien être le père, le guide et le protecteur de ma fille
qui fera, j'espère, tout ce qu'elle pourra pour lui plaire, mais qui bien
jeune encore ne peut manquer neantmoins d'avoir souvent grand besoin
des bontés et de l'indulgence de Votre Majesté. Je lui demande donc
pour elle l'un et l'autre, et il ne me restera rien à désirer en ce cas que
de pouvoir donner sans cesse à Votre Majesté des preuves de la sincère
et inviolable amitié avec laquelle je suis et serai toute ma vie
Marie-Thérèse a Louis XV 2.
Le 20 avril 1770.
Monsieur mon frère, c'est ma fille, mais plutôt celle de Votre Majesté
qui aura le bonheur de vous remettre celle-ci; en perdant un si cher
enfant toute ma consolation est de la confier au meilleur et le plus
tendre père; qu'elle veuille la diriger et lui ordonner. Elle a la meilleur
volonté, mais à son âge j'ose la prier d'avoir de l'indulgence pour
quelque étourderie, sa volonté est bonne de vouloir mériter ses
bontés par tout ses actions , je la lui recommande encore une fois
comme le gage le plus tendre qui existe si heureusement entre nos États
et maisons, étant toujours
1. Archives du ministère des affaires étrangères. France, 1769-70.
2. Archives du ministère des aflFaires étrangères. France, 1769-70.
DOGDMKFrTS INEDITS EBUTIP8 A MARIE-A^TOIIfETTB. 345
Dans sa lettre du 8 mai 4770, Louis XV exprime à l'impératrice
son contentement et en même temps Timpatience qu'il éprouve de
pouvoir embrasser la Dauphine en France. Nous n'avons de cette
lettre qu'une minute. La voici :
Louis XV a Marie-Thérèse.
Versailles, le 8 mai 1770 «.
Serenissime et très-puissante impératrice, etc.,
J'ai reçu avec la joye la plus vive la nouvelle que Votre Majesté a
bien voulu me donner de la célébration du mariage qui s'est fait en sa
présence de mon cher petit-fils, le Dauphin, avec sa chère fille, l'archi-
duchesse Antoinette. Votre Majesté concevra aisément l'impatience où
je suis de recevoir cette princesse pour lui témoigner toute l'afection
que j'ai pour elle. Le moment de la conclusion d'une alliance, laquelle
est à tant de titres si chère à mou cœur, met le comble à la satisfaction
que me causent les différens liens qui m'unissent déjà à Votre Majesté.
Je ne saurois trop lui répéter la joye que j'en ressens ; elle est aussi
pure et aussi vive que l'amitié que je lui ai vouée pour la vie
Un peu plus tard, le Dauphin écrit à sa belle-mère, l'impératrice
Mario- Thérèse ; il promet de faire tous ses efforts pour assurer le
bonheur de la dauphine, comme il est convaincu lui-même que
Marie-Antoinette fera son bonheur. Nous laissons la parole au Dau-
phin ; cette lettre n'est, elle aussi, qu'une minute :
Le DAUpmN a Marib-Thèràse.
Le 20 mai 1770».
Madame ma sœur, cousine et mère, je ne puis trop vous marquer ma
sensible satisfaction de Theureux lien qui m'attache à votre majesté.
J'espère contribuer au bonheur de madame la Dauphine, comme je suis
persuadé qu'elle fera le mien. Je n'aurai rien à désirer si Votre Majesté
m'accorde les sentiments que mérite un fils bieu tendre, qui admire
les vertus respectables d'une mère aussi chère, qui lui sera attaché
pour toujours et qui désire vivement de lui plaire. Madame la Dau-
phine sera l'interprète de ma tendresse, je n'en puis pas avoir qui soit
plus cher au cœur de Votre Majesté et au mien
Une dépêche de Durfort et deux autres du comte de Noailles nous
permettent d'accompagner la dauphine dans son voyage vers Paris,
et lorsqu'elle était encore sur le sol autrichien, et lorsqu'elle était
1. Archives da ministère des affaires étrangères. France, 1769-70.
2. Archives du ministère des affaires étrangères. France, 1769-70.
346 irfLANGES ET DOCUMfilirTS.
déjà entrée en France. Le mariage avait eu lieu le i 9 avril ; le 24 ,
Marie-Antoinette quittait Vienne. L'empereur Pavait devancée à Melk ,
où il la reçut ; c'est là qu'il se sépara de sa sœur, qu'il devait revoir
plus tard reine de France. De cet endroit, Durfort envoya sa dépêche
au duc de Choiseul, avant le départ de l'empereur; la voici :
Durfort a Ghoiseul^
Melk, le 22 avril 1770.
Madame la Dauphine est arrivée ici en très-bonne santé, monsieur le
duc, elle partit hier de Vienne à neuf heures précises, elle ne se sent
nullement fatiguée de sa marche, elle soupa de très-bon appétit, à ce
que j'ay sceu a passé parfaitement la nuit, elle se remet en route ce
matin à neuf heures. L'empereur s'est trouvé ici à son arrivée pour la
recevoir et faire les honneurs de la maison , il soupa avec madame la
Dauphine. On donna à cette princesse après le souper un opéra allemant
qui fut exécuté par les élèves des religieux, vous jugez aisément de
quelle manière, madame la Dauphine s'y amusa très-bien, c'étoient des
moines qui en habit religieux formoient l'orchestre, qui prennoient
seing des décorations, ils remplissoient les coulisses, ils ont donné aux
augustes spectateurs un tableau tout neuf, on avoit élevé une estrade
sur laquelle on avoit mis un magnifique fauteuil pour madame la Dau-
phine ; l'empereur se plaça à sa gauche au bas de l'estrade sur une
chaise ordinaire, et toute la suite forma un demi-cercle sans aucune
distinction de rang à la réserve de la grande-maîtresse qui étoit placée
derrière madame la Dauphine. L'empereur s'en sépare ce matin, j'es-
père que ce sera sans prendre congé.
Le courrier que vous m'avez renvoyé, monsieur le duc, est arrivé ici
et m'a remis les dépêches dont vous Tavez chargé, je ne perdray pas
un moment à mon retour pour faire expédier l'acte dont vous m'avez
envoyé la forme et je pense que cela ne soufrira aucun retardement.
La résolution édifiente et respectable qu'a prise madame Louise ^ a
surpris et touché l'empereur, madame la Dauphine m'a paru y être très-
sensible. Le tems ne me permet pas de^ détails plus long, je m'empresse
de faire partir mon courrier, je juge que Sa Majesté et monseigneur le
Dauphin désirent savoir des nouvelles de la première journée de marche
de madame la Dauphine
Les deux dépêches du comte de Noailles sont datées de Strasbourg-,
elles contiennent la relation officielle du séjour à Strasbourg. Dans
l'une, du 7 mai, le comte raconte que la Dauphine était arrivée dans
1. ArchlTes du ministère des affaires étrangères.
2. Fille de Louis XV ; elle devint abbesse des Carméliles de Saint-Louis.
DOCDXETTS INEDITS RILATIPS A MlRn-AIfTOINETTE. 347
la ville a une heure précise, que tout s*était passé conformément aux
ordres du roi, que Tescorte autrichienne avait pris congé et que les
présentations avaient commencé. La santé de la Dauphine ne laissait
rien à désirer. Noailles écrit à ce propos :
A juger de la situation de madame la Dauphine par son extérieur, je
ne crois pas qu*on doive prendre d'inquiétude de sa santé. J'espère
qu^elle la conservera de même jusqu'au 14 que j'attends avec une grande
impatience*.
Dans sa seconde lettre, du 8 mai, Noailles raconte les fêles données
par la ville de Strasbourg en l'honneur de la dauphine. La voici :
Le comte de Noailles au duc dk Ghoiseul.
Strasbourg, le 8 mai 1770 2.
Les habitants de cette ville ont reçu madame la Dauphine avec beau-
coup de joie. Il 8*est trouvé plusieurs fontaines de vin à son passage
qu'on avait arrangé par les plus belles rues où les troupes de la garni-
son étoient alignées dans le plus grand ordre. Après son dîner, cette prin-
cesse a été à la comédie. Elle a eu pendant le souper, le coup d'œil d'un
arc de triomphe très-bien illuminé avec de l'artifice en face du palais êpis-
copal, de l'autre côté de l'eau et différens corps de métiers sont venus
successivement danser et chanter vive le roy sur la terrasse. La ville
étoit généralement illuminée. Après souper, madame la Dauphine a été
au bal que M. le maréchal de Gontades a donné dans la salle de la
comédie. Je vais avoir l'honneur de la conduire à Saverne cet après-
midi.
Marie-Antoinette arriva enfln à Gompiègne le 44 mai. Le mariage
fut célébré le 46 à Versailles. Les illuminations et le feu d'artiflce
n*eurent pas lieu parce qu^il pleuvait. Après le s^>uper, eut lieu la
« bénédiction du lit. • « La chemise de Madame la dauphine, dit la
relation officielle que nous suivons ici, lui aura sans doute été donnée
par Madame la duchesse de Chartres, quand Madame la Dauphine a
été couchée'. » Nous savons aujourd'hui que Marie-Antoinette sut,
dès son arrivée en France, s'allier les cœurs par la séduction de ses
manières. Louis XV lui-même a exprimé son impression sur ces
premiers débuts dans des lettres à Marie-Thérèse et à Joseph H. Ces
lettres ne sont pas connues, mais nous possédons les réponses de
t. Noailles à Cboiseal. Strasbonrg, le 7 mai 1770. Archiret du ministère dea
afidrea étrangères.
2. Archires du ministère des affaires étrangères. France, 1769*70.
3. Mariage de Monseigneur le Dauphin dans le mois de mai 1770. Archires
nationales, K. 138.
348 kiSlanges et dogumbivts.
l*emp€reur et de Timpératrice. Celle de Joseph II est conçue en
termes trop généraux pour qu'il y ait intérêt à la publier mot pour
mot. Il se réjouit des sentiments d*amitié qu'a cette occasion lui a
témoignés le roi de France. « Je les tiens, écrit-il, pour le gage le
plus assuré de notre union inaltérable, et nos nouveaux Jiens vont
mettre le sceau au bonheur réciproque et constant de nos sujets ^ »
La lettre de Timpératrice est plus intéressante. Nous la publions ici
en entier. La suscription seule est de sa main.
Marie-Thérèsb a Louis XV 2.
Schônbrunn, le 29 juin 1770.
Monsieur mon frère et cousin,
Je ne puis assez exprimer à Votre Majesté le plaisir que m'a fait la
lettre que le comte de Stainville m'a remise de sa part. La satisfaction
que Votre Majesté me témoigne du début de ma fille et des dispositions
qu'elle paroit lui trouver, me font espérer qu'elle repondra à la bonne
opinion que veut bien en concevoir Votre Majesté. Au moins suis-je
assurée qu'elle sera toujours occupée du soin de plaire à Votre Majesté
et de contribuer au bonheur de monsieur le Dauphin. Je l'abandonne
entièrement aux tendres soins qu'en veut bien prendre Votre Majesté ;
et, si elle veut bien les lui continuer, je suis certaine qu'ils achèveront
l'éducation que j'ai tâché de lui donner. Je souhaite que Votre Majesté
puisse toujours la trouver digne de ses bontés et il ne me restera rien à
désirer si comme je m'en flatte elle est assez heureuse pour contribuer
à cimenter de plus en plus l'union et l'amitié si bien établies entre nos
deux familles. Je suis avec l'amitié la plus sincère et pour la vie
Une fois en France, Marie-Antoinette se jeta, avec tout Temporte-
ment de son caractère, dans le tourbillon des plaisirs de la cour, sans
cependant rien faire qui pût ternir son honneur. Il n'en courut pas
moins sur sa vie privée des histoires scandaleuses, qui ne. reposaient
sur aucun fondement sérieux , mais auxquelles la conduite frivole
et irréfléchie de la Dauphine ne fournissait que trop d'apparences.
Elle prodigua follement l'argent pour ses plaisirs, alors que l'argent
devenait rare dans les coffres de l'État et que les ressources dimi-
nuaient. C'est ce que montrent des comptes encore inédits de la toi-
lette royale. Ainsi , en nSo , un marchand reçut 33,286 hvres pour
des fournitures d'étoffes \ une dame Pompée, 25,527, et M"* Bertier,
la célèbre modiste, 87,597 livres. En tout, la reine dépensa, en 4785,
258,002 livres pour sa toilette : « Cette somme est véritablement
1. Joseph 11 à Louis XV. Vienne, le 25 juin 1770. Archives da ministère des
affaires étrangères. France, 1769-70.
2. Archives du ministère des affaires étrangères. France, 1769-70.
DOCUMEflTS nrioiTS RELATIFS A HARIE-AXTOIXETTI. 349
excessive, » écrit une dame de la cour de la reine, la comlesse d'Os-
sun, dans le mémoire qui accompagne ce compte ^ Cette réflexion
est tout à foitjusliflée, si Ton pense que^ pendant les dix années
précédentes, depuis ^74, les paiements acquittés pour la toilette de
la reine furent loin d'atteindre au chifTre de la seule année 4785.
Depuis 4 77 A , les dépenses de cette nature avaient presque doublé :
en 4 774 , en effet, elles n'avaient été que de 4 20^000 livres ^. D'ailleurs,
voici le compte lui-même, avec le mémoire de la comtesse d'Ossun
qui raccompagne ^.
A Versailles, le 16 juillet 1786.
J'ay rhonneur de vous adresser, monsieur^, l'état général des dé-
penses de la garde-robe de la reine pendant Tannée dernière , montant
à 258,002 livres. Cette somme est excessive; mais, quoii{ue j'aye fait
toutes les diminutions possibles sur les prix, je n'avois pas pu également
diminuer les quantités de certains objets qui par leurs nombres sont la
principale cause de Taugmeutation de ces dépenses. £n mettant cet état
sous les yeux du roy je vous prie de lui dire tout mon regret d*avoir un
aussi fort supplément à lui demander. Je vous prie aussi de vouloir
bien me faire part de l'expédition de Tordonnance ^ de ce supplément
de 138,000 livres lorsque vous l'aurez ordonnée.
Garde-robe de la reine 1785.
État général des dépenses de la garde-robe de la reine faites sous les
ordres de madame la comtesse d'Ossun, dame d'atours de Sa Majesté,
pendant Tannée 1785 :
Les mémoires du sieur le Normand, marchand d'étoiles de soy es, pour
la ditte année 1785 montent à la somme de 33,256 livres.
Ceux du sieur Lefevre, autre marchand d'étoffes, à celle de 8,510 1.
Ceux du sieur Barbier, autre marchand d'étoffes, à celle de 5,393 I.
Ceux du sieur Alabat, autre marchand d'étoffes, à celle de 7,461 1.
Ceux du sieur Marie, autre marchand d'étoffes, à celle de 5,007 I.
Celui de la veuve Sallonis, pour étoffe écarlate, à celle de 540 1.
Celui du sieur Foucard, marchand d'étoffes, à celle de 225 1.
Celui du sieur Ternot, marchand de draps, à celle de 93 1.
Celui du sieur Sauvage, autre marchand de draps, à celle de 337 1.
Ceux de la demoiselle Bertiu, marchande de modes, à la somme
de 87,597 1.
1. M"* d'Otsan était alors tout à fait en fareur auprès de la reine. EUe
était MBur de la duchesse de Grammont et nièce du dac de Choiseal.
2. État de la maison de la reine 1774. Archives nationales, O^ 3793.
3. Les comptes se trouvent aax Archives, O^ 3792.
4. Sans doute M. de Bretenil.
5. Le ftupplément pour la garde-robe, en 1784, s'élevait à 97,652 livres. Archives
naUooales, 0> 3792.
350 iriLANGBS ET 1>0CDMBNTS.
Ceux de la dame Pompée, autre marchande de modes, à celle
de 25,527 1.
Ceux de la dame Hamel, marchande de rubans, à celle de 5,030 i.
Les mémoires du sieur Messin, marchand de rubans, à la somme
de 509 1.
Celui du sieur Bardel , autre marchand de rubans, à celle de 232 1.
Ceux de la demoiselle Mouillard, marchande de modes, à celle de 885 1.
Celui de la dame Noël, autre marchande de modes, à celle de 604 1.
Ceux de la dame Mirvant, marchande de toiles et dentelles, à celle
de 13,822 1.
Ceux de la demoiselle Berlin, pour les dentelles, à celle de 4,350 1.
Ceux de la demoiselle Lavigne, marchande de mousselines, à celle
de 2,410 1.
Celui de la dame Candor, autre marchande de mousseline, à celle
de 1,824 1.
Ceux du sieur Prévost, parfumeur, à celle de 6,402 1.
Ceux du sieur Léonard, coiffeur, à celle de 1,574 L
Ceux du sieur Tissot, parfumeur, à celle de 301 1. 18 d.
Celui du sieur Morlet, foureur, à celle de 518 1.
Celui du sieur Morel, autre foureur, à celle de 512 1.
Celui du sieur Boutard, marchand de bas, à celle de 2,529 1.
Ceux du sieur Eftin, cordonnier, à celle de 2,335 1.
Celui du sieur Antoine, autre cordonnier, à 170 1.
Celui du sieur Pezet, chapelier, à celle de 420 1.
Celui du sieur Desperelles, autre chapelier, à 109 1.
Ceux des sieur et dame Sigly, ouvriers en corsets et en robes, à la
somme de 972 1.
Ceux de la d}^^ Breton , couturière ordinaire, à la somme de 4,411 1.
Celui du sieur Messin, pour fourniture de gands anglois, la somme
de 774 1.
Ceux de la dame Roussel, ouvrière en corsets, la somme de 2,341 1.
Ceux de la demoiselle Le Roy, blanchisseuse des dentelles de jour,
la somme de 2,092 1.
Ceux de la dame Varin, blanchisseuse de dentelles de nuit, la somme
de 957 1.
Ceux de la demoiselle Motte, faiseuse de paniers, à celle de 294 1.
Celui de la demoiselle Desmarais , autre faiseuse de paniers , à celle
de 177 L
Celui du sieur Smith, tailleur d'habits pour monter à cheval, à celle
de 4,097 1.
Ceux de la dame Bonnet, teinturière, à celle de 467 1.
Celui de la dame Berthelot, pour évantails, à celle de 319 L
Celui de la dame Doyen, blanchisseuse des bas, à celle de 203 1. Ils.
Ceux de la Dame Desroches, racommodeuse des bas, à celle
de 154 1. 10 8.
Ceux de la d^i*' Pampelune, bàtisseuse de jupons, à celle de 184 1.
Celui du s' TrufTet, tailleur pour habits d'homme, à celle de 161 1. 14 s.
DOCDHBXTS I^flioiTS RBUTIFS A KARIE-AXTOIXETTB. 354
Celui du sieur Ghapet, teinturier, à celle de 64 1.
Ceux de la demoiselle Larsonnier, chargée du détail de la garde-robe,
y compris les gages du garçon, à celle de 2,331 1. 13 s. 6 d.
Celui du sieur Eioblatre, tapissier, à celle de 117 I.
Celui du sieur Vallet, marchand de bois, à celle de 629 1.
Ceux de la dame Le Tellier, papetière, à celle de 291 I.
l^s mémoires du sieur NoOl, garçon de garde-robe, à celle de 61 1. 7 d.
CjOux du sieur Deshayes, portefaix, à celle de 174 1.
Celui du sieur Stevenot, valet de garde-robe, à celle do 8 1. 12 d.
Celui du sieur Bouchard, pour faux- frais 15 1.
Celui du sieur Dunoyer, pour id., 57 1.
Celui du sieur Loir, pour un coffre à diamants, à celle de 360 1.
Celui pour le prix d'une voiture achetée pour le ser^'ice de la garde-
robe, à celle de 2,000 1.
Celui du sieur Le Bas, secrétaire de la garde-robe, pour ses menues
dépenses, à celle de 283 1. 3 d.
Celui pour les indemnités des frays du voyage de Fontainebleau, à
celle de 396 1.
Et pour les traitements et gratifications ordinaires des employés de la
garde-robe pendant la ditte année 1785, la somme de 15,128 1.
Total des dépenses : deux cent cinquante-huit mille deux livres huit
sols, six deniers, cy 258,0021. 8 s. 6d.
Sur quoi il a été payé, par le trésorier de la maison de la reine pour
les fonds ordinaires do la garde-robe pendant la ditte année 120,000 1.
Il reste dû pour solde dos dittes dépenses lasomme de 138,002 1.8s.6d.
Pour laiiuelle dernière somme madame la comtesse d'Ossun demande
qu'il soit expédié une ordonnance de supplément.
Le compte de Tannée n87 montre déjà une diminution dans les
chifTres des sommes dépensées pour la toilette. La difTérence est d'en-
viron 40,000 livres. La comtesse d'Ossun raccompagne de remarques
intéressantes. Elle écrit de Saint-Gloud le 45 juin 1788 :
J*ay rhonneur de vous adresser, monsieur, Tétat général des dépenses
de la garde-robe de la reine, montant à 217,187 livres 13 s., et en excé-
dent les fonds ordinaires à 97,187 livres 13 sols. Quoique j'aye fait tout
ce qui a dépendu de moi pour modérer ces dépenses, je n*ai pu y
réussir quo sur les six derniers mois, qui ont été d'environ la moitié
moins chers que les six premiers. Mais ces six premiers mois s'étoient
élevés si haut ({ue la diminution que j'ay faite ne paroi t presque pas sur
le total de Tannée. J'espère être plus heureuse dans celie-cy pour los
retranchemens que je continuerai d'y faire, conformément aux inten-
tions du roy et de la reine. Je vous prie de vouloir bien prendre les
ordres de Sa Majesté pour le supplément que je demande et de me faire
part de ceux que vous donnerez eu consé«iuence pour l'expédition de
Tonlonnance de ce supplément.
Etat générai des dépenses de la garde-robe de la reine faites sous les
350 iriLANGBS ET 1>0CDMINTS.
Ceux de la dame Pompée, autre marchande de modes, à celle
de 25,527 1.
Ceux de la dame Hamel, marchande de rubans, à celle de 5,030 1.
Les mémoires du sieur Messin, marchand de rubans, à la somme
de 509 1.
Celui du sieur Bardel, autre marchand de rubans, à celle de 232 1.
Ceux de la demoiselle Mouillard, marchande de modes, à celle de 885 1.
Celui de la dame Noël, autre marchande de modes, à celle de 604 1.
Ceux de la dame Mirvant, marchande de toiles et dentelles, à celle
de 13,822 1.
Ceux de la demoiselle Berlin, pour les dentelles, à celle de 4,350 1.
Ceux de la demoiselle Lavigne, marchande de mousselines, à celle
de 2,410 1.
Celui de la dame Candor, autre marchande de mousseline, à celle
de 1,824 1.
Ceux du sieur Prévost, parfumeur, à celle de 6,402 1.
Ceux du sieur Léonard, coifiFeur, à celle de i,574 l.
Ceux du sieur Tissot, parfumeur, à celle de 301 1. 18 d.
Celui du sieur Morlet, foureur, à celle de 518 l.
Celui du sieur Morel, autre foureur, à celle de 512 l.
Celui du sieur Boutard, marchand de bas, à celle de 2,529 1.
Ceux du sieur Eftin, cordonnier, à celle de 2,335 1.
Celui du sieur Antoine, autre cordonnier, à 170 1.
Celui du sieur Pezet, chapelier, à celle de 420 1.
Celui du sieur Desperelles, autre chapelier, à 109 1.
Ceux des sieur et dame Sigly, ouvriers en corsets et en robes, à la
somme de 972 i.
Ceux de la d^i® Breton, couturière ordinaire, à la somme de 4,411 1.
Celui du sieur Messin, pour fourniture de gaads anglois, la somme
de 774 1.
Ceux de la dame Roussel, ouvrière en corsets, la somme de 2,341 l.
Ceux de la demoiselle Le Roy, blanchisseuse des dentelles de jour,
la somme de 2,092 1.
Ceux de la dame Varin, blanchisseuse de dentelles de nuit, la somme
de 957 1.
Ceux de la demoiselle Motte, faiseuse de paniers, à celle de 294 L
Celui de la demoiselle Desmarais , autre faiseuse de paniers , à celle
de 177 l.
Celui du sieur Smith, tailleur d'habits pour monter à cheval, à celle
de 4,097 1.
Ceux de la dame Bonnet, teinturière, à celle de 467 l.
Celui de la dame Berthelot, pour évantails, à celle de 319 i.
Celui de la dame Doyen, blanchisseuse des bas, à celle de 203 1. 11 s.
Ceux de la Dame Desroches, racommodeuse des bas, à celle
de 154 l. 10 s.
Ceux de la ô}^*^ Pampelune, bàtisseuse de jupons, à celle de 184 1.
Celui du s*^ Truffet, tailleur pour habits d'homme, à celle de 161 1. 14 s.
DOCCMB^ITS I!ni0ITS RIUTIFS A lIARIB-AXTOI!tETTB. 354
Celui du sieur Ghapet, teinturier, à celle de 64 1.
Ceux de la demoiselle Larsonnier, chargée du détail de la garde-robe,
y compris les gages du garçon, à celle de 2,331 I. 13 s. 6 d.
Celui du sieur Roblatro, tapissier, à celle de 117 l.
Celui du sieur Vallet, marchand de bois, à colle de 629 1.
Ceux de la dame Le Tellier, papetière, à celle de 291 I.
Les mémoires du sieur Noël, garçon de garde-robe, à celle de 61 l. 7 d.
Oux du sieur Deshayes, portefaix, à celle de 174 1.
Celui du sieur Stevenot, valet de garde-robe, à celle de 8 L 12 d.
Celui du sieur Bouchard, pour faux-frais 15 l.
Celui du sieur Dunoyer, pour id., 57 l.
Celui du sieur Loir, pour un coffre à diamants, à celle de 360 1.
Celui pour le prix d'une voiture achetée pour le service de la garde-
robe, à celle de 2,000 1.
Celui du sieur Le Bas, secrétaire de la garde-robe, pour ses menues
dépenses, à celle de 283 1. 3 d.
Celui pour les indemnités des frays du voyage de Fontainebleau, à
celle de 396 l.
Et pour les traitements et gratifications ordinaires des employés de la
garde-robe pendant la ditte année 1785, la somme de 15,128 l.
Total des dépenses : deux cent cinquante-huit mille deux livres huit
sols, six deniers, cy 258,0021. 8 s. 6d.
Sur quoi il a été payé, par le trésorier de la maison de la reine pour
les fonds ordinaires do la garde-robo pendant la ditte année 120,000 1.
Il reste dû pour solde dos dittes dépenses lasomme de 138,0021. 88.6 d.
Pour laiiuelle dernière somme madame la comtesse d'Ossun demande
qu'il soit expédié une ordonnance de supplément.
Le compte de l^annéo 4787 montre déjà une diminution dans les
chifTres des sommes dépensées pour la toilette. La difTérence est d'en-
Tiron 40,000 livres. La comlesse d'Ossun raccompagne de remarques
intéressantes. Elle écrit de Saint-Gloud le 45 juin 4788 :
J'ay l'honneur de vous adresser, monsieur, Tétat général des dépenses
de la garde-robe de la reine, montant à 217,187 livres 13 s., et en excé-
dent les fonds ordinaires à 97,187 livres 13 sols. Quoique j'aye fait tout
ce qui a dépendu de moi pour modérer ces déi>enses, je n*ai pu y
réussir quo sur les six derniers mois, qui ont été d*environ la moitié
moins chers que les six premiers. Mais ces six premiers mois s'étoient
élevés si haut que la diminution que j'ay faite ne paroit presque pas sur
le total do Tannée. J'espère être plus heureuse dans celle-cy pour les
retranchemens que je continuerai d'y faire, conformément aux inten-
tions du roy ot de la reine. Je vous prie de vouloir bien prendre les
ordres de Sa Majesté pour le supplément que je demande et de me faire
part de ceux que vous donnerez eu consétiuence pour l'expédition de
lordonnance de ce supplément.
Etat général des dépenses de la garde-robe de la reine faites sous les
352 MELANGES ET DOCUMENTS.
ordres de madame la comtesse d'Ossan, dame d'atours de Sa Majesté,
pendant l'année 1787.
Les mémoires du sieur Le Normand, marchand d'étoffes de soye,
montent à la somme de 20,924 1.
Ceux du sieur Barbier, autre marchand d'étoffes, à celle de 7,992 1.
Ceux du sieur Marie, autre marchand d'étoffes, à celle de 6,051 1.
Ceux du sieur Alabat, autre marchand d'étoffes, à celle de 7,363 1.
Ceux du sieur Robert^ autre marchand d'étoffes, à celle de 5,740 1.
Ceux du sieur T^efebyre, autre marchand d'étoffes, à celle de 2,120 1.
Celui du sieur Yber, autre marchand d'étoffes, à celle de 1,852 1.
Celui du sieur Sauvage, marchand de draps, 450 1.
Celui du sieur Le Comte, marchand d'étoffes, à 367 1.
Celui du sieur Jomard, autre marchand d'étoffes, à 254 1.
Ceux de la demoiselle Bertin, marchande de modes, à la somme
de 60,225 1.
Ceux de la dame Pompée, autre marchande de modes, à celle
de 25,248 1.
Ceux de la demoiselle Mouillard, autre marchande de modes, à celle
de 2,830 1.
Ceux de la dame Hamel, marchande de rubans, à 4,876 1.
Ceux du sieur Renouard, autre marchand de rubans, à celle do 4131.
Celui du sieur Bêche, autre marchand de rubans, à celle de 613 1.
Celui du sieur Comedecerf, autre marchand de rubans, à celle
de 140 1.
Ceux du sieur Gerdret, marchand de toiles et dentelles, à la somme
de 8,811 1.
Ceux de la demoiselle Lavigne, autre marchande de toiles et rubans,
à celle de 1,368 1.
Le mémoire de la dame Candor, marchande de mousselines, à la
somme de 300 l.
Celui de la demoiselle Larsonnier, marchande de toiles, à celle
de 1,624 l.
Celui du sieur Moyse Levy, pour des percales, à celle de 126 1.
Celui du sieur Morlet, foureur, à celle de 1,186 1.
Celui du sieur Morel, autre foureur, à celle de 819 1.
Ceux du sieur Prévost, parfumeur, à celle de 6,294 1.
Ceux du sieur Léonard, autre parfumeur, à celle de 4,063 1.
Ceux du sieur Bataille, autre parfumeur, à celle de 352 1.
Celui d'un payement fait à M. le duc de Dorset, pour des gands
anglais, à colle de 204 1.
Celui du sieur Daufle, bijoutier, à celle de 360 1.
Celui de la dame Berthelot, évantailliste, montant à la somme
de 304 1.
Celui du sieur Adam, mercier, à celle de 37 1. 10 s.
Ceux du sieur Boutard, marchand de bas, à 3,395 l.
Ceux du sieur Eftin, cortlonnier, à celle de 2,353 1.
Ceux du sieur Antoine, autre cordonnier, à celle de 250 1.
DOCUMENTS INI^OÎTS RELATIFS 1 XARIE-ATrOITrBTTE. 353
Ceux du sieur Albert, autre cordonnier, à celle de 79 1.
Celui du sieur Lafabrugos, autre cordonnier, à celle de 27 1.
Celui du sieur Pozet, chapelier, à celle de 610 l.
Celui du sieur Godard, autre chapelier, à celle de 102 1.
Ceux de la demoiselle Breton, couturière, à celle de 5,320 1.
Celui du sieur Smith, tailleur, à celle de 762 1.
Celui du sieur Pujols, autre tailleur, à celle de i,869 I.
Olui du sieur Taillade, autre tailleur, à celle de 433 1.
Celui du sieur Lespiuasse, autre tailleur, à celle de 228 1.
Ceux des demoiselles Le Rov, blanchisseuses des dentelles, montant
à celle de ' 2,796 1.
Les mémoires de la dame Varin, autre blanchisseuse des dentelles, à
la somme de 809 1.
Ceux de la dame Roussel, ouvrière en corsets, à la somme de 2,255 I.
Celui de la dame Lamarre, autre ouvrière en corsets, à celle de 6061.
Celui de la demoiselle Bertin , autre ouvrière en corsets, à celle
de 1,320 1.
Ceux de la demoiselle Omont, couturière, à celle de 744 1.
Celui de la dame Ilenrion, ouvrière on dentelles, à celle de 197 1.
Celui du sieur TrufTet, tailleur, à celle de 366 1.
Ceux de la demoiselle Motte, faiseuse de paniers, à celle de 156 l.
Ceux de la dame Candeley, teinturière, à celle de 290 1.
Ceux de la dame Doyen, blanchisseuse des bas, à celle de 203 1. 5 s.
Ceux de la dame Desroches, ouvrière en bas, à celle de 174 l. 10 s.
Ceux de la demoiselle Pampelune et de la dame Villard, bàtisseuse
des vulans de jupons, à celle de 164 1.
Ceux dos menues dépenses courantes de la demoiselle Larsonnier,
chargée du détail de la garde-robe, y compris les gages du garçon, à la
somme de 1,840 1, 4 s.
Ceux de la dame Le Tellier, papetière, à celle de 160 1. 8 s.
Ceux du sieur Vallet, marchand de bois, à celle de 807 I.
Ceux du siour Roblatre, tapissier, à celle de 235 1.
Olui du sieur Le Bas, secrétaire de la garde-robe, pour différentes
menues dépenses pour le service de la garde-robe montant à la somme
de 501 1. 16 8. 6 d.
Et les traitements ordinaires des employés de la [dernière garde-robe
pour la dernière année 1787, montant à la somme de 14,828 1.
Total des dépenses, la somme de deux cent dix-sept mille cent
quatre-vingt-sept livres treize sols six deniers, cy 217,187 l. 13 s. 6 d.
Sur lacjuelle somme ayant été payé par le trésorier de la maison de
la reine pendant lo cours de la dernière année pour les fonds ordinaires
do la dernière gardo-robo, celle de 120,000 L
Il en reste dû pour solde celle de 97,187 1. 13 s. 6 d.
Pour laquelle madame la comtesse d'Ossun demande (ju*il soit expé-
dié une onlonnance de supplément.
LVspoir exprimé par la comtesse d'Ossun qu'elle pourrait pour
Rev. Histor. XXV. 2* fasc. 23
354 MtfUNGES ET DOCUlfEI<(TS.
Tannée suivante, soit pour 4788, diminuer le chiffre des dépenses,
ne fui pas déçu : celui de 4788 se rapproche beaucoup de celui de
4774, mais il lui est encore supérieur d'environ 70,000 livres. Les
dépenses 4788 montèrent à 490,724 livres. « Cette somme, écrit
Madame d'Ossun (Versailles, le 24 août 4 789), excède les fonds flxes
de garde-robe qui m'ont été délivrés pendant le cours de cette année,
de 70,724 livres, que j'ay besoin de recevoir pour faire achever de
payer cette année 4788. »
État général des dépenses de la garde^robe de la reine pendant
l'année 1788.
Les mémoires du sieur Le Normand, marchand d'étoffes de soye,
montant à 42,085 1.
Ceux du sieur Barbier, autre marchand id., à 5,699 1.
Ceux du sieur Robert, autre marchand id., à 3,470 I.
Ceux du sieur Alabat, autre marchand id., à 4,975 1.
Ceux du sieur Marie, autre marchand id.,à 4,715 1.
Ceux du sieur Le Febvre, autre marchand id., à 708 1.
Ceux du sieur Ybert, pour draps étrangers, à 1,815 1.
Celui du sieur Foucart, pour id., à 704 i.
Celui du sieur Petit, pour id., à 240 1.
Celui de la dame Candor, pour id., à 144 1.
Ceux de la demoiselle Bertin, marchande de modes^ à 61,992 1.
Ceux de la dame Pompée, autre marchande de modes, à 16,691 1.
Ceux de la demoiselle Mouillard, autre id., à 3,329 I.
Ceux du sieur Beauland, autre id., à 202 1.
Ceux de la dame UameL marchande de rubans^ à 2,159 1.
Celui de la demoiselle Gosset, autre id., à 36 1.
Ceux du sieur Gendret, marchand de loilei^ et dentelles, à 7,669 l.
Ceux du sieur Pépin, marchand de deni**lle5, à 9,836 I.
Ceux do la demoiselle La Vigne, marchande de toiles, à 981 I.
Celui de M. de la Reynière, pour une ffamilun? de fourure de
martre, à 3,600 1.
C-t^lui du sieur Morlei, foureur, à 1,166 1.
Cwolui du sieur Morel, autre foureur, à 730 1.
Ceux du sieur Prévost, parfumeur, à 3,470 1.
C^eux du sieur I^^eonard, pour autres parfumeries, à 3,779 I.
Celui du sieur Dauffe^ pour boutons d'acier, à 600 1.
C^elui du sieur Sarrete^ pour id., 300 1.
Le mémoire du sieur Berthelot, e vantail liste, à 320 1.
Ceux du siour Bataille, parfumeur, à 312 l.
Ceux du sieur lV>utard, marchand de bas, à 2,754 l.
Ceux du sieur Eftin, cordonnier, à 1,927 1.
Ceux du sieur Antoine, autre cordonnier, y compris un rembourse-
ment fait à madame la comi-esse, 129 1.
Celui du sieur La venue, autre cordonnier, à 138 1.
DOCDMBTTS IN^DÎTS RELATIFS A KARtE-AlfTOtlfBTTE. 355
Ceux de la demoiselle Ste-Foy, couturière, à 4,622 1.
Celui de la demoiselle Omont, autre couturière, à 226 1.
Celui du sieur Pujols, tailleur, à 2,813 1. 7 s. 6d.
Celui du sieur Lespinasse, autre id., à 342 1.
Celui de la dame Lamare, ouvrière en corsets, à 120 1.
Ceux de la dame Roussel, autre ouvrière id., à 1,948 1.
Ceux de la demoiselle Le Roy, blanchisseuse des dentelles de jour et
des lévites, à 2,983 1.
Ceux de la dame Varin, pour les dentelles de nuit, à 783 1.
Ceux de la dame Henrion, blanchisseuse de dentelles, à 662 1.
Celui de la dame Fauconnier, autre id., à 416 1.
Celui du sieur Trufîet, tailleur, à 554 1.
Ceux de la dame Doyen, blanchisseuse des bas, à 214 1. 12 s.
Ceux de la dame Desroches, pour l'entretien des bas, à 187 1.
Ceux de la demoiselle Motte, faiseuse de paniers, à 207 1.
Ceux de la dame Candcley, teinturière, 282 1.
Ceux de la dame Villard, bàtisseuse de jupons, à 172 1.
Ceux de la demoiselle Larsonnier , pour les dépenses courantes de la
garde-robe, y compris les nourritures du garçon, 1,925 1. 10 s.
Ceux du sieur Noël, garçon de garde-robe, à 148 1.3 s.
Ceux de la veuve Le Tellier, papetière, à 224 1. 10 s.
Ceux du sieur Vallet, marchand de bois, à 707 1.
Celui du sieur Loir, pour étuy à diamants, à 36 1.
Et celui du sieur Le Bas, secrétaire de la garde-robe, pour ses me-
nues dépenses et avances pour le service de la garde-robe, à 645 1. 4 s.
Et finalement pour les traitements ordinaires des employés de la
dernière garde-robe pendant la dernière année 1788, la somme
do 13,828 1.
Total, cent quatre-vingt-dix mille sept cent vingt-une livres six sols
six deniers, cy 190,721 l. 6 s. 6 d.
Sur quoi il a été payé par le trésorier de la maison de la reine pour
les fonds ordinaires de la dernière garde-robe pendant la dernière
année 1788 120,000 1.
Il reste dû pour solde des susdittes dépenses la somme de 70,721 1.6s.6d.
I^our laquelle dernière somme madame la comtesse d'Ossun demande
qu'il soit expédié une ordonnance de supplément.
Ces derniers documents nous ramènent à Pépoque où, à propos de
la triste affaire du collier, se manifestèrent les premiers signes du
déchaînement de Topinion publique contre la reine ; nous nous arrê-
tons là.
Weetheihci.
356 CORRESPONDANCE.
CORRESPONDANCE.
LETTRES DE M. A. PROST ET DE M. FUSTEL DE COULANGES
(a propos de L'iMMUNITé MÉROVINGIENNE.)
18 mars 1884*.
Monsieur,
J'ai reçu le numéro de la Revue que vous avez eu l'attention de me
faire adresser, et dont je vous remercie. J'y trouve, avec les observa-
tions que vous avez bien voulu accueillir, la réponse de M. Fustel de
Ck)ulanges qui me cause quelque étonnement. M. F. de G. parait tenir
beaucoup à écarter l'idée que je puisse être quelquefois d'accord avec
lui, et à montrer que nos opinions sont au contraire plutôt différentes.
Gela pourrait bien être sur certains points, comme je l'ai annoncé;
mais cela n'est pas sur le sens de la locution Causas audire et du mot
fredum, seuls objets des observations auxquelles il veut bien répondre.
Pour l'interprétation de la locution Causas audire, dont le sens est
juger, exercer la juridiction, M. F. de C. ne saurait contester davantage
que nous étions lui et moi d'accord, quoi qu'il en ait dit. Mais cela
importerait peu maintenant, suivant lui, et au moins serions-nous en
dissentiment, il le craint, dit-il, sur le caractère des restrictions édic-
tées par le privilège d'immunité touchant l'exercice de cette juridiction.
Il ne se trompe pas cette fois; car c'est là le point principal des réserves
que j'aurais à faire et que j'ai annoncées sur ses appréciations. J'y
reviendrai.
Pour ce qui est du fredum, M. F. de G. m'a relu, dit-il. Je constat*
cependant qu'il ne me comprend pas encore. La faute en est à moi cer-
tainement; car c'est à moi de m'expliquer assez clairement pour que ma
pensée se présente au lecteur sans ambiguïté. Je vais tâcher de le faire.
M. F. de G. a cru et il croit encore que je rejetais l'interprétation
communément admise pour le mot fredum, et que je voulais en subs-
tituer à celle-là une autre à laquelle je donnerais pour tout fondement
un texte unique, et de plus modifié, dit-il, par moi; autant dire, comme
ne manqueront pas de le faire ceux qui lisent entre les lignes, falsifié
pour les besoins de la cause. Voilà ce que j'ai pu donner à penser. Je
me suis évidemment fort mal expliqué. Voici au contraire ce que je
voulais dire, ce que je crois avoir dit.
1. Cette lettre ayant été égarée par accident, nous n'avons pu la publier en
mai. Voyez la lettre de M. Prost et la réplique de M. Fustel de Coulanges
t. XXIV, p. 357.
CORRBSPOXDAlfCE. 357
i'* Thèse. — Je signalais d'abord, mais sans y insister, parce que
cela ne me semblait pas nécessaire, Tinterprétation communément
admise, et qui n'a jamais été contestée, du mot fredum. Je m'exprimais
ainsi : « Le fredum était la part du fisc dans la compositio due pour un
«c crime, pour un délit ou pour une injure à celui qui en avait été vie-
« time, en réparation du tort qu'il avait subi. Cette part du fisc était
« ordinairement le tiers de la composition »
2« Thèse. — Je rappelais ensuite que le fredum payé ainsi au souve-
rain pouvait être considéré comme une amende pour violation de la
paix publique; opinion généralement admise, disais-je, et fournissant à
ce sujet une justification que M. F. de G. a cru s'appliquer, non à cette
'2« thèse, mais à la première. De là vient son erreur en ce qui me
concerne.
3« Thèse. — Mentionnant alors un texte de la Lex Ripuar. où le mot
fredum ne semble pas s'accorder avec son interprétation ordinaiit^, je
proposais pour ce cas particulier une interprétation spéciale du mot
fredum, en disant d'où pouvait venir cette singularité d'une double
interprétation du même mot. J'essayais ainsi d'expliquer, apn^s l'avoir
préalablement restitué, ce texte évidemment altéré qui, sans ces modi-
fications, est, ce me semble, absolument inintelligible.
Voici le texte en question, avec les changements, entre parenthèses,
que j'ai proposé d'y introduire :
c Nullus judex fiscalis de quacumque libet causa freda non exigat,
c prius quam facinus componatur Fredum autem non illi rille?)
« judici tribuat oui (qui?) culpam commisit, sed illi lille?) qui solutio-
« nem recipit, tertiam partem coram testibus fisco tribuat, ut pax per-
c petua stabilis permaneat. o — Lex Ripuarf — Iktluze, Capitul. I, 52.
Les trois corrections que j'ai cru devoir introduire dans la version
empruntée à Daluzc sont pour ce qui est des deux dernières justifiées
par le même texte reproduit avec ces deux corrections dans un capitu-
laire de Charlemagne, Excerpta ex Icge Longohard,, XXXIL Cf. Baluze,
Capitul. I, 354. La deuxième correction est de plus confirmée encore
{>ar une glose citée dans l'édition de Pertz [Leges, IV, 510, n« 125), et
qui porte : c Non illi judici tribuat scilicet reus qui cul(»am commisit,
c sed ille qui soiutionem recepit. t
C'est, je le répète, pour l'explication particulière de ce texte que j'ai
proposé une interprétatiim spéciale du mot fredum applicable à ce cas
seulement. Il ne s'agissait nullement de substituer à l'interprétation
ordinaire une interprétation nouvelle. Il s'agissait seulement d'intro-
duire celle-ci, à titre d'exception, à côté de la première consenée avec
son caractère général. Cette pensée était clairement exprimée dans le
passage suivant, qui termine la discussion : c Ces considérations ten-
c draient à faire croire que le fredum aurait pu avoir une double ori-
€ gine, dont il subsisterait des traces distinctes dans la législation des
« capitulaires. Dans l'un et Tautre cas, le fredum serait bien le prix de
c la paix, pacis pecunia, friedensgeld comme disent les Allemands;
358 GORRESPONDANGB.
c mais, dans l'un, il s'agirait de la paix publique violée antérieurement,
t dans Tautre, d'une paix privée en quelque sorte, assurée ultérieure-
c ment entre les parties ; t — entre celui qui avait reçu et celui qui
avait été contraint de payer l'indemnité.
Il paraîtrait résulter de là que sous la dénomination unique de fre^
dum se fussent confondues en quelque sorte les mentions de deux per-
ceptions distinctes, analogues d'ailleurs, du fisc, correspondant à des
usages différents, à des dispositions d'origine diverse, dont l'une, tombée
en désuétude, n'aurait laissé de traces que dans le texte que j'ai essayé
d'expliquer, et dont l'autre, restée au contraire en vigueur, se retrouve-
rait dans tous les textes, sauf celui-là, qui mentionnent encore le fredum.
Voilà ce que j'ai dit à propos du fredum. Je souhaiterais beaucoup.
Monsieur, si cela n'était pas indiscret, que vous consentissiez à publier
ces nouvelles observations. Elles pourraient attirer l'attention sur le
texte assurément intéressant que je signale, et dont je ne me flatte pas
d'avoir épuisé la discussion.
Loin de là. Je serais désireux au contraire d'avoir proposé une expli-
cation qui serait, je le déclare, plus satisfaisante que la mienne, si elle
permettait de conserver au mot fredum dans ce cas, de même que dans
tous les autres, sa signification ordinaire.
Veuillez agréer, etc. Aug. Prost.
Baluze, en donnant les Capitul. excerpta ex lege Longobard, (tome I,
p. 350), cite en manchette la Lex Longobard.
Je voudrais bien savoir quelle édition il vise. Je n'en puis trouver
aucune où soient notées, comme il le fait, les Lib. Txt. et Ch.
L'édition de Pertz donne ces indications, mais ses mentions ne cor-
respondent pas à celles de Baluze. A. P.
6 juin 1884.
Cher Monsieur,
Vos lecteurs seront certainement enchantés de lire cette nouvelle
lettre de M. Prost. Je me hâte de me mettre d'accord avec lui en les
engageant à lire aussi son mémoire. Ils le trouveront dans la Revue his-
torique de Droit, année 1882, pages 113-179 et 262-350.
Quant à l'article bien connu de la loi des Ripuaires, j'ai peut-être eu
tort de dire que M. Prost l'avait modifié, puisqu'il dit dans sa lettre
qu'il n'y a fait que • trois corrections. » Il trouvera d'ailleurs l'explica-
tion très simple de cet article dans l'édition de M. Sohm, Monumenta^
Leges, t. V, p. 268, et, mieux encore, dans un document ancien, VExpo-
sitio au liber Papiensis, Kar. M., Jj 125.
Recevez, etc. Fustel de Goulanqes.
BULLETIN HISTORIQUE
FRANCE.
Nbceolot.ib. — Peu de temps après M. Mignel, la mort nous a
enlevé un autre historien, M. le comte d'Haussonville, (|ui, bien
qu'un peu plus jeune, peut être considéré par ses opinions et par
son talent comme appartenant à la même famille intclleeluelle. Il y
avait pourtant chez M. d'Haussonville quelque chose de plus libre,
de plus vif, de moins académique. On sentait qu'on avait aflairenon
à un homme de lettres, mais à un honnête homme au sens du
xTii* siècle, à un gentilhomme né pour se mêler comme un grand
seigneur anglais à la politique de son pays plutôt que pour se livrer
aux travaux de cabinet, et qui avait cherché dans l'histoire une con-
solation aux déceptions que iHAH et 4852 avaient infligées aux esprits
libéraux. On retrouve dans ses œuvres historiques la chaleur d'un
patriotisme que les douleurs nationales ne flrent qu'afl'ermir, l'im-
partialité d'un esprit épris de vérité, libre de préjugés et naturelle-
ment judicieux, la vivacité de convictions libérales qui résistèrent
même à la défaite répétée de la forme gouvernementale à laquelle il
était attaché. Dans le choix des sujets de ses ouvrages, on recon-
naît aussi Fhomme d'action qui se console de l'impuissance à laquelle
il est réduit par des livres qui sont des actes. Monarchiste |)arlemen-
taire, il a écrit V Histoire de la politique extérieure du gouvernement
français de 4830 à 4848; patriote lorrain et patriote firanrais,
il a fait un exposé lumineux, érudit, éloquent, de VHistoire de
la réunion de la Lorraine à la France ; lil)éral iKissionnémcnt hostile
au despotisme militaire et très préoccupé du rôle social des idées
morales et religieuses, il a consacré .son plus bel ouvrage aux rela-
tions de VÉglise romaine et du premier Empire, Je ne sais cepen-
dant si ses Sow>enirs et Mélanges, où se trouve le charmant frag-
ment de Mémoires intitulé « la Vie de mon père », ne donnent pas une
idée plus vive encore de sa flère et originale nature et de son talent
d'écrivain, si aisé et si élégant. On dit que .M. d'Haussonville a laissé
une autobiographie. Nous espérons que cette nouvelle est vraie, car
362 BULLETIN HISTORIQUE.
et ceux qui ont hâte de développer renseignement géographique,
ouvrent dès aujourd'hui à la Sorbonne des cours libres; la loi
les y autorise. Nous pourrons ainsi développer l'enseignement
géographique au fur et à mesure des besoins, à mesure que
les élèves deviendront plus nombreux et que Ton trouvera des
hommes de mérite pour enseigner. Actuellement, il y a une singu-
lière inconséquence à se lamenter sur la pénurie de géographes et
à proposer de créer d'un coup treize chaires de géographie. Quel est
le pays d'Europe qui pourrait en fournir le personnel ?
DocuMEin-s. — Ldi Revue historique a déjà annoncé (XXIV, 436) le
t. I du Recueil des documents concernant le Poitou, contenus dans
les registres de la chancellerie de France^ que publie M. Paul GuiÎRm,
des Archives nationales, pour la Société des Archives historiques en
Poitou ; ce volume comprenait près de deux cents documents adressés
aux agents du Roi en Poitou par Philippe le Bel et ses fils de 4302 à
4333, avec des notices biographiques sur les sénéchaux mis à la tête
de la province. Le tome 11 qui vient de paraître (Poitiers, impr. Oudin;
forme le t. XIII des publications de la Société, pour 4883) ajoute une
cinquantaine de pièces relatives à cette période, et poursuit le dépouil-
lement des registres de la chancellerie royale jusqu'à l'année 4348.
La préface donne la nomenclature des sénéchaux, des lieutenants du
roi, des capitaines souverains et des commissaires envoyés en Poitou,
et résume l'histoire de leur administration. Les documents ne pré-
sentent pas d'ailleurs un intérêt exclusivement local; bon nombre
d'entre eux se rapportent à l'histoire de la guerre contre les Anglais;
c'est ainsi que M. Guérin a refait le récit de l'expédition dirigée par
le comte de Derby en septembre et octobre 4346 contre nos provinces
de l'Ouest, et qui fut désastreuse pour elle. Les textes sont publiés
avec grand soin et abondamment pourvus de notes où l'on rencontre
plus d'un renseignement inédite
Le Cartulaire sénonais de Balthasar Taveau^ publié par M. G. Jul-
LioT sous les auspices de la Société archéologique de Sens, est Tin-
ventaire des chartes communales de cette ville, qui fut rédigé au
\\r siècle par B. Taveau, procureur au bailliage et siège présidial
de Sens, procureur et greffier de la Chambre de ville, de 4555 jus-
qu'à sa mort, arrivée le 22 août 4 586. Cet inventaire, commencé en
4572, est précieux pour nous, parce que plus d'un des documents
analysés par Taveau manque aujourd'hui. M. Julliot l'a reproduit
intégralement, sans y rien ajouter qu'une notice biographique inté-
1. Signalons en particulier la note delà p. 31, relative à un certain Gilles de
Rémi ou de Remin, clerc du roi, sans doute un des trois fils que laissa Beau-
manoir, et à une de ses filles, Marguerite, jusqu'ici inconnue (1312).
nu!VCE. 363
rcssante et des labiés ; il nous promet pour un autre volume le texte
in extenso des pièces relatives à l'histoire de Sens, qu'il a eu la bonne
fortune de retrouver. 11 aura ainsi rendu un double service à ceux
qui s'occupent de l'ancienne histoire municipale de la France. Il con-
vient d'ajouter que le volume est admirablement imprimé (chez
Duchemin, à Sens).
Voici deux livres qui ont entre eux un étroit rapport : Tun est le
Journal du corsaire Jean Doublet de H on fleur, publié d'après le
manuscrit autographe par M. Charles Br^aed (Charavay) ; l'autre,
la Vie de Monsieur Du Guay-Trouin^ écrite de sa main^ et publiée,
diaprés l'autographe également, par M. Emile Voilurd, bibliothé-
caire de la ville de Chaumont (Jouvet et (i**) . Doublet et Duguay-
Trouin sont des contemporains, ils appartiennent tous deux à la
brillante époque de la marine française sous Louis XIV ; leur vie
est remplie des mêmes aventures de course et de guerre ; leur carac-
tère est de la même trempe, c'est à force d'audace heureuse qu'ils se
font un nom et un rang. Duguay-Trouin a pris part à de plus
grandes entreprises-, il eut la gloire de prendre et de ruiner Rio de
Janeiro en HH, et le passage où il raconte cette brillante expé-
dition est une bonne page d'histoire générale ; mais il ne faut pas
oublier que Doublet s'est très honorablement conduit à la défense
de Saint-Malo, la patrie de Duguay-Trouin, attaquée par les Anglais
en 4693. Ce qui nous touche en eux, c'est l'orgueil avec lequel ils
défendent le drapeau français, la générosité qu'ils montrent envers
Tennemi vaincu. Toutes les actions de leur vie ne sont pas irrépro-
chables ', mais le sentiment de l'honneur les empêcha de jamais rien
commettre de fil ni de bas. Leur témoignage est naïf et sincère ; ils
ignorent l'art d'écrire, mais leurs récits sont loin d'èlre privés d'in-
térêt et même de charme. On connaissait déjà les mémoires de
Duguay-Trouin; sans doute l'édition do n40 était plus que défec-
tueuse, puisqu'elle était infidèle, et l'on saura fort bon gré à M. Voil-
lard de nous en faire connaître pour la première fois le texte authen-
tique-, mais enfin le fond n'avait pas été tout à fait altéré. Quant à
Doublet, M. Bréard avait déjà communiqué à la Revue historique
(t. XII) quelques-uns des passages les plus curieux do ses mémoires;
les autres valaient vraiment la peine d'être publiés. Son mariage,
ses démêlés avec les pirates d'Alger, certaine élection d'un pro-
vincial des Franciscains aux ih» Arores, et bien d autres événements
sont racontés avec une bonhomie parfois aiguisée de malice, qui
a son prix. M. Bréard a édité ces mémoires avec un soin extrême ;
il a réussi à reconstituer l'histoire de la famille de Doublet depuis le
XV* siècle jusqu'à nos jours, et l'on ne verra |)eut-ètre pas sans
364 BCTLLETnr HISTOUQUE.
quelque étonnement les noms de M"^ la marquise de Caulaincourt
et de M"* la comtesse d'Andigné terminer le tableau généalogique
de Tobscur corsaire de Louis XJY, fils d'un apothicaire de Honfleur,
qui mourut avant 4678 « aux pals estrangers où il étoit employé
pour le service du roy. »
Comme nous Tavons déjà fait pour les deux premiers volumes,
nous annoncerons ici la 2« partie du t. III et dernier des Négoeia-
tions d^ M, le comte d'Avaux en Suède, pendant les années 4693,
\ 697 et \ 698, publiées par notre collaborateur, M. J.-A. WiJ!rrB, pour
la Société historique d'Utrecht (Utrecht, Kemink et fils). Ce volume
n'offre pas le même genre d'intérêt que les précédents : ce n'est plus
le comte d'Âvaux qui parle ; c'est le roi qui lui adresse ses instruc-
tions ou ses ordres ; aussi cette dernière partie de Touvrage est-elle
d'une lecture moins attachante que les précédentes; mais elle en est
le complément indispensable. M. Wijnne a mis en tête du volume
une savante introduction où il étudie le caractère d'Avaux et son rôle
politique \ il le défend avec succès contre les jugements trop sévères
d'historiens récents qui avaient mis en doute la capacité de l'ambas-
sadeur, et le crédit dont il jouissait auprès de la cour de Suède.
Petit-fils, fils et frère de diplomates distingués, Avaux avait été élevé
à la bonne école et sut rendre à la France, à la Suède même, d'émi-
nents services.
Le t. VIII des Mémoires de Metternich, qui vient de paraître (Pion
et Nourrit), termine ce recueil de documents si précieux pour toute
l'histoire européenne pendant la première moitié de ce siècle. Il con-
tient la fin du journal de la princesse Mélanie, femme de Mettemich,
morte en 4854, cinq ans avant son mari ; la correspondance du
prince avec sa fille Léontine, comtesse Sandor, avec le baron de
Koller, le comte de BuoI et diverses autres personnes, de 4848 à
^85S ; de copieux appendices où l'on retrouve encore de nombreux
extraits du journal de la princesse, et un choix d'écrits divers de
Melternich tirés des archives personnelles de la famille de l'ancien
chancelier d*État. La partie la plus curieuse de ces documents est
sans contredit celle qui se rapporte au séjour forcé que Mettemich,
chassé de Vienne et d'Autriche par la révolution de mars 4848, dut
faire en Antrleterre (< 848-49). Quelle impression produisit sur l'es-
prit du prince, de celui qui, pendant un demi-siècle, représenta en
Europe l'opposition systématique à la révolution et même au libéra-
lisme, le spectacle d'un pays où fonctionnait régulièrement le régime
parlementaire, où l'agitation chartiste était exaspérée encore par les
exemples venus du dehors, où la prospérité matérielle était cepen-
dant extraordinaire? L'effet paraît avoir été considérable; on le
FRANCE. 305
constate à chaque page du journal de la princesse ; Metternich le
note lul*mëme avec plus de force et de pittoresque dans les lettres à
sa fille. Ce sont de vraies « Notes sur l'Angleterre » recueillies par
un observateur qui ne sortait guère de sa maison, mais qui voyait
chez lui tout le monde, (fui observait tout et causait de tout comme
s'il devait le lendemain reprendre la direction des affaires autri-
chiennes (il en était encore l'avocat consultant). Est-il besoin de dire
que l'impression fut seulement superficielle, et qu'après avoir quitté
Londres pour Bruxelles, puis pour son château de Johannisberg,
Metternicli resta ce qu'il était à la veille de la révolution^ toujours
aussi fermement convaincu de l'excellence de sa politique ? Il appar-
tenait à cette race de théoriciens imperturbables que rien n'instruit
ni ne déconcerte ; voyez en quelle estime dédaigneuse et hautaine il
tient Guizot; de quel ton de pédagogue infaillible il prétend lui
démontrer qu'il ne s'est jamais trompé, lui, Metternich ! Ce génie
étroit et pédantesque, mais non sans noblesse ni grandeur, se montre
à nu dans ces pages rarement attrayantes, mais toujours instruc-
tives.
On vient de parler de Guizot. V^oici justement que M"* db Witt
vient de publier un recueil de Lettres de M. Guizot à sa famille et
à ses amis (iiachette) ; c'est le complément naturel et le commentaire
du livre touchant qu'elle a consacré à « M. Guizot dans sa famille et
avec ses amis. » — On n'y trouvera pas de révélations historiques,
on n'y trouvera même pas beaucoup de vues politicfues, car, chose
curieuse, ce grand esprit à qui nous devons des aperçus si lumineux
et si précis sur les origines de notre histoire, quand 11 s'agit des
événements de son temps, de ceux qu'il dirige en partie, s'en tient à
des généralités d'un caractère plus philosophiciue que pratique. Il
raisonne, il moralise sur toutes choses ; il ne calcule ni ne combine.
Par contre, ces lettres nous apprennent beaucoup sur M. Guizot lui-
même, sur son caractère^ et plus nous apprenons à le connaître,
plus nous concevons pour lui, non seulement d'estime, mais de
sympathie. On parle toijgours à propos de lui de raideur protesLinte,
de pédantisme doctrinaire -, je ne dirai piis que ces reproches soient
tout à fait injustes, mais je vois surtout chez lui une constante élé-
vation de pensée et d'âme, une manière toujours noble de considérer
la vie et les choses, la volonté persévérante de conformer sa conduite
à un idéal moral. El à côté de cela, ce qui ajoute le charme à cette
figure un peu austère, une tendresse et surtout une simplicité de
cœur que les épreuves, l'âge, la politique n'arrivent point à affaiblir.
Ce qui ne s'afl'aiblit point chez lui non plus, c'est son indomptable
énergie, cette force qui a sa source plus encore dans sa nature ((uc
366 BULLETIN HISTORIQUE.
dans ses idées et qiii, au lendemain des pires douleurs, lui permet
de se ressaisir, d*agir, d'espérer encore. Il n'y avait chez M. Guizot
aucune petitesse de vanité ni d'amour-propre, et nous croyons qu'il
était non seulement sincère, mais véridique, lorsquMl écrivait à
M"* Lenormant qu'il ne manquait pas d'humilité. Il avait la con-
fiance tranquille d'un homme qui se croit en possession de la vérité
et qui agit conformément à sa foi sans s'inquiéter des conséquences.
Cette assurance n avait rien chez lui qui ressemblât à de la fatuité,
car il était guidé dans sa conduite de ministre-dirigeant moins par
des vues politiques que par des convictions morales. S'il a trop cru
à son infaillibilité, ce n'est point parce qu'il se fiait à la supériorité
de son intelligence, mais parce qu'il savait la droiture de sa cons-
cience. On peut trouver que cela diminue la valeur du politique,
mais cela grandit le caractère de l'homme. D'ailleurs, avant de juger
trop sévèrement la politique intérieure de M. Guizot, nous ne devons
pas oublier que personne depuis un siècle n'a réussi à diriger avec
succès ni d'une manière durable la politique intérieure de la France
et que la faute , par conséquent, en est peut-être imputable à la
France elle-même plus qu'à ses ministres. M. Guizot lui-même,
si sûr qu'il fût de ne s'être jamais trompé, avait au fond un
sentiment très juste de ce qui faisait la vraie grandeur de sa vie
publique. Il écrivait à M. Piscatory en iHQO : « Les deux portions
de ma vie publique auxquelles je tiens le plus sont mon ministère
de l'instruction publique et mon ministère des affaires étrangères. »
Sur le premier point, tout le monde aujourd'hui rend hommage à
M. Guizot -, sur le second, nous croyons que la postérité, tout en
blâmant quelques-uns des actes de sa politique étrangère, lui
accordera plus d'éloges que de blâme. Il nous semble s'être gra-
vement trompé dans l'affaire du Sonderbund -, d'autre part, entraîné
par son admiration pour le parlementarisme anglais et par son ami-
tié pour lord Aberdeen, il a jusqu'en ^1846 trop songé peut-être à
plaire à l'Angleterre, mais on ne peut oublier qu'il a donné à la
France dans le concert européen une place qu'elle n'avait pas eue
avant lui ; que les mariages espagnols, si critiqués, ont été un
triomphe pour notre pays -, enfin que c'est lui qui a donné de la
consistance et de la netteté à notre politique algérienne , lui qui a
jeté sur la côte occidentale de l'Afrique les premiers jalons de
nos futurs établissements coloniaux. Gela compense bien, j'ima-
gine, TafTaire Pritchard, laquelle, grâce aux calomnies de la presse
et de la tribune, a fini par symboliser la politique de M. Guizot.
La vérité est que jamais la France n'a été dans une meilleure situa-
tion diplomatique qu'en -1847 -, quelque honneur doit, je pense, en
FEAV.E. 367
revenir à celui qui dirigeait depuis sept ans sa politique extérieure.
OoYRAGBs DIVERS. ANTIQUITE. -— U u'est porsoune, parmi ceux qui
s'intéressent aux choses de l'antiquité, qui ait perdu le souvenir de
ce pauvre Charles Graux, si tôt et si vite enlevé à la science. A peine
fùt-il mort, que ses amis résolurent de perpétuer son souvenir en
publiant un recueil de travaux dédié à sa mémoire ; un grand nombre
d'érudits français et étrangers, car Graux, dont la complaisance était
inépuisable, avait des amis partout, promirent leur concours à cette
œuvre pieuse. Elle est aujourd'hui achevée. SoixanteH]uinze mémoires
sur des sujets d'érudition classi(iue composent le beau volume des
Mélanges Graux qui vient d'être distribué aux souscripteurs (Thorin).
Il est impossible de faire ici autre chose que d'annoncer un recueil
aussi considérable et aussi divers * ; mais il faut recommander, sur-
tout aux jeunes gens, la lecture de la touchante biographie que
M. Lavisse a consacrée à son compatriote et ami. Ce n'est pas sans
peines et sans déboires que Graux est parvenu à se faire un rang
dans la société et un nom dans la science; mais il avait l'amour du
travail opiniâtre que les insuccès ne découragent pas, la passion des
études sérieuses et désintéressées, la ferme volonté de savoir avant
de commencer à écrire. L'enseignement supérieur, si aveuglément
négligé pendant tant d'années, ne lui offrit au début que des ressources
médiocres, et il fut obligé de tâtonner pendant quelque temps sans
méthode et presque sans maîtres ; il triompha de tous ces obstacles
grâce à sa ténacité, à son esprit d'initiative, grâce aussi aux trans-
formations opportunes qui furent introduites dans les hautes études
1. Nous nous contenterons d^ndiquer en note le titre des mémoires qui
peuvent intéresser les historiens : Beurlier : CampUioctores et Campiductores.
— Châtelain : Recherches sur un ms. d'Icare de Sidoine Apollinaire (le Vatic.
3420). — Coelbo : Sur la forme de quelques noms géographiques de la pénin-
sule ibérique, — ComparettI : Sur une inscr. d'Ilalicamaue. — Rod. Dareste :
Cicéron, pro Flacco, xxiz-xxzii. — Delisle : ilotes sur les anciennes impres-
sions des classiques latins et d'autres auteurs, conservées dans la lilfrairie
royale de Naples. — Desjardins : youtelles observations sur les légions
romaines, sur les officiers inférieurs et les emplois divers des soldats. — Abbé
Duchesne : Les documents ecclésiastiques sur les divisions de l'empire romain
au ly" s. ~ II. Haupt : La marche d'iiannibal contre Rome en 211. —
Humphreys : Observations sur Thucydide, 1, xi. —Jacob : Le classement des
mss. de Diodore de Sicile. — Jullian : Les limites de V Italie sous Vempire
romain. — Mistchenko : .Sur la rogauté homérique. — Mommsen : Officia-
lium et militum Romanorum sepulcretum Carthaginiense, — Mowat : Le
tombeau d'un légat propréteur d'Afrique, à Arles ; origine du nom de la
Camargue (du nom de ce magistrat : A. Annins Camars). — Ch. Robert : Inscr,
laissées dans une carrière de la Haute-Moselle par des légions romaines. —
Robiou : Monuments gréco-égyptiens du Louvre, — Thédenat : Sur une inscr.
inédite conservée au municipe de TarenU,
368 BULLETIN HISTORIQUE.
surtout après la guerre allemande. Les lettres de sa première jeu-
nesse (Graux est mort en janvier 4882 avant trente ans), que publie
M. Lavîsse, nous peignent ingénument Tancienne Sorbonne, si chan-
gée depuis, en même temps qu'elles nous font mieux connaître ce
qu'il y avait en lui de fort et de bon.
Je ne ferai aussi que signaler, sans m'arrêter autrement à cette
belle mais trop lente publication , le 9" fasc. du Dictionnaire des
antiquités grecques et romaines^ publié sous la direction de M. Saglio
(Hachette). Il comprend les mots de Coena à Confiscatio.
M. Ernest Havet termine avec un 4* volume sa remarquable
étude sur Le Christianisme et ses origines (G. Lévy) ; i[ est consa-
cré tout entier à l'examen du Nouveau testament. C'est vraisembla-
blement de toutes les parties de l'ouvrage celle qui soulèvera le plus
de controverses. L'auteur se place en effet au point de vue rationa-
liste pur; comme il le dit lui-même, il reprend la tradition du
XVIII® s., respectueusement hostile à l'égard du christianisme. Il ne
s'adresse pas aux croyants : la critique ne peut rien contre la foi
aveugle, et qui veut rester aveugle. U n'écrit pas non plus pour les
fanatiques d'incrédulité ; s'il est voltairien, il se garde bien d'aller
jusqu'à l'indécence ou au sarcasme. Il ne quitte pas le terrain grave
et désintéressé de la science. Il s'est efforcé de déterminer le degré
de créance que méritent les livres qui composent le Nouveau testa-
ment, et par conséquent ce que l'on peut savoir de certain sur le
fondateur de la religion nouvelle, sur ses premiers disciples, et sur
les origines immédiates du christianisme ; il ne laisse nulle place à
l'hypothèse ni à l'imagination (voy. p. 65) -, il entend ne pas sortir
de la réalité constatée par les seuls textes incontestablement authen-
tiques. Plus d'un, même parmi les gens indépendants de toute
forme religieuse, trouvera peut-être sa critique trop rigoureuse, et
pensera qu'il est bien sévère d'admettre seulement trois épitres de
saint Paul, de nier l'authenticité de la lettre de Pline à Trajan sur
les chrétiens, du récit d'Eusèbe relatif aux martyrs de Lyon et de
Vienne, etc. ; d'autre part aussi la condamnation portée contre l'in-
fluence du christianisme dans la formation des sociétés modernes
ne sera pas admise sans appel ; mais, quelques réserves que l'on
exprime sur les conclusions du livre, on ne pourra s'empêcher de
reconnaître que c'est Tœuvre d'une des intelligences les plus nettes,
d'un des dialecticiens les plus vigoureux de notre temps.
La mort a empêché M. François Lenormant de terminer son
ouvrage si curieux et si intéressant sur la Grande Grèce, Après
avoir visité et décrit la côte italienne depuis Tarente jusqu'à Squil-
lace, il avait pénétré en Galabre, et entrepris d'en explorer toute la
FRAIfCE. 369
cote occidentale, de Catanzaro à Rcggio, puis à Squillace ; il n'a eu
le temps de rédiger que la première partie de son voyage, celle
où il visita Nicastro, le Pizzo, Monteleone et Mileto; c'est la matière
du 3* vol., qui sera le dernier (A. Lévy). On sait avec quelle verve,
quel sentiment du pittoresque, ({uelle abondante connaissance de
rtiistoire ancienne et moderne il raconte ces expéditions archéolo-
giques dans des pays où le (ourisle ordinaire n'a jamais mis le pied.
(Vest ainsi que dans le présent volume, à propos de Nicastro, il con-
sacre un chapitre entier à discuter remplacement des villes anciennes
de Térina et de Témésa. Le Pizzo lui rappelle le souvenir de la mort
de Murât, et il raconte tout au long cette dramatique aventure à
Taide de renseignements en partie nouveaux puisés dans le pays
même. A Mileto, c'est l'histoire de la conquête normande et la lutte
entre Robert Guiscard et son frère Roger qu'il retrace à grands
traits, résumant Tabbé Delarc et le corrig&'int (quelquefois. Il n'est
pas jusqu'au terrible tremblement de terre de <783 (lu'il ne se com-
plaise ù décrire, en exposant d'ailleurs sa théorie personnelle sur les
causes de ces redoutables phénomènes. Le lecteur charmé ne dis-
cute pas : il est tant de livres ennuyeux !
MoTEK AGK. — M. Perrexs a achevé la première partie de son His-
toire de Florence (Hachette). 11 l'a conduite avec le ¥!• volume jus-
qu'à l'année 4435, jusqu'au moment où Cosme de Médicis, devenu
gonfalonnier de justice, transforme le gouvernement de Florence en
une seigneurie, tout en lui laissant la forme républicaine. Dans ce
volume. M. Perrens n'avait pas, comme dans les précédents, à
résoudre de difficiles questions constitutionnelles, (questions sur
lesquelles il a jeté plus de lumière qu'on ne l'avait fait jusqu'ici ;
mais il avait à traiter Thistoire du gouvernement oligarchique depuis
la révolution démocratique des Ciompi jus^iu'à rétablissement du
pouvoir des Médicis, et il a admirablement montré les vices de
régolsme de cette oligarchie amenant la ruine du régime républicain,
malgré les services qu'elle avait rendus à la puissance florentine,
exactement comme le Sénat de la République romaine prépara les
voies à (iésar et à Auguste. On lira avec un intérêt particulier lo
ch. VI du I. XII consaci-é au tableau animé de la vie llorentine, le
ch. V du 1. Xlil consacré au régime économi(]ue de Florence au xiv*
et au XV' siècle. Dans les pages qui servent de conrlusioii aux six
premiers volumes de l'Histoire de Florence, M. Perrens dit adieu à
ses lecteurs jus(iu'au moment où il aura achevé en manuscrit l'his-
toire des Médicis. Avec un travailleur aussi assidu et aussi bien pré-
paré à sa tache, nous avons confiance que ce moment ne se fera pas
attendre. Telle (ju'elle est, son œuvre est assurément un des travaux
UeV. IllSTOn. XXV. 2« FA8C. 2\
370 BULLBTIIf HISTOaiQUI.
les plus importants et les plus méritoires qui aient paru en France
dans ces dernières années, et, malgré la haute distinction qui lui a
été accordée par PAcadémie des sciences morales (prix Jean Rey-
naud), il ne me semble pas qu'on ait suffisamment apprécié dans le
public lettré tout ce qu'elle suppose de recherches patientes, d'atten-
tion et de pénétration historique.
Époque moderihe. — M. Tcetet nous ramène en France, et dans
ces pays de TEst, dont il connaît si bien l'histoire. Son gros ouvrage
sur Les Allemands en France et V invasion du comté de Montbéliard
par les Lorrains en < 587-88 (Paris, Champion j Montbéliard, Bar-
bier) manque d'unité. U traite deux sujets que rattache sans doute
un lien assez étroit, mais qui n'en sont pas moins nettement dis-
tincts : l'un, c'est l'expédition d'une armée de reitres qui, appelés
par les huguenots en -1587, ravagèrent l'Alsace, la Lorraine, et vin-
rent se faire battre par le duc de Guise à Auneau; l'autre, c'est la
campagne que le duc de Guise dirigea par représailles contre le mal-
heureux pays de Montbéliard, où bon nombre de huguenots français
avaient trouvé asile, et dont le souverain, le duc de Wurtemberg,
avait fortement contribué à l'invasion des Allemands en Lorraine.
En réalité, c'est ce second sujet qui était l'essentiel \ et l'on peut
regretter, au point de vue de la composition, que l'auteur ait tant
insisté sur la première partie. Ce défaut est largement compensé
d'ailleurs, j'ai hâte de le dire, par l'abondance et la précision des
détails que M. Tuetey a puisés dans un grand nombre de documents
inédits. Ces documents remplissent tout le second volume. La partie
la plus originale de Touvrage est sans contredit celle que l'auteur a
consacrée aux misères et aux malheurs de la guerre. Les chapitres
intitulés : le meurtre et les tortures ; le viol et le rapt ; les rançon-
nements; les incendies; le pillage, donnent le frisson. On se demande
quelle somme prodigieuse de souffrances les hommes sont donc
capables d'endurer, et comment un pays peut survivre à tant de
désastres.
Un professeur de l'université, décédé récemment, M. Léon Gelet,
a laissé sur un pamphlétaire au service de Richelieu, Fancan, abbé
de Beaulieu et chantre de Saint-Gormain-l'Auxerrois, un curieux tra-
vail qui vient de paraître *. Fancan est bien oublié aujourd'hui, mais
il méritait d'être tiré de son obscurité. 11 avait eu le malheur
de déplaire à Richelieu devenu tout-puissant, après l'avoir habile-
ment aidé de sa plume pendant les dix premières années de sa car-
rière politique (46^7-27), et il est mort à la Bastille (avant -1630,
1. Fancan et la politique de Richelieu, de 1617 à 1627. Paris, L. Cerf.
FRAIfCE. 374
comme le prouve M. Geley) ; quelques lignes dures et infamantes de
Richelieu dans ses Mémoires ont diclé jusqu'à ce jour le jugement
de la postérité : le terrible cardinal n'avait-il pas été injuste ? N'y
avait-il pas lieu à réviser le procès? M. Geley Ta pensé : après avoir
résumé ce que les mémoires du temps nous apprennent sur la per-
sonne même de l'écrivain, il analyse ses pamphlets Tun après Tautre,
il montre la place honorable que Fancan occupait dans le a parti
national » formé par Richelieu pour combattre Tinfluence espagnole
et ultramonlainc, l'ardeur, et, pour mieux dire, la virulence avec
laquelle il attaquait les ennemis du cardinal, de sa fortune et de sa
politique. II n'échappe pas au défaut commun aux biographes, celui
de surfaire son héros. Quelles que soient les raisons pour lesquelles
Fancan devint suspect à Richelieu, et en admettant même que le car-
dinal l'ait traité avec injustice, n'est-ce pas aller bien loin que de
l'appeler un « patriote incomparable, » comme pour faire penser que
Richelieu était à un moindre degré « bon Français »? M. Geley ne
parait pas avoir nettement démêlé les véritables causes de la dis-
grâce du pamphlétaire ; il pense que le Père Joseph n'y a pas été
étranger; c'est affaire au futur historien de TÉminence grise de por-
ter sur ce point la lumière. L'étude n'est donc pas déflnilive, mais
elle plaît. Si le personnage est peu intéressant en dépit de ses mal-
heurs, l'étude de ses écrits importe à la connaissance des idées poli-
liques de Richelieu.
Fénelon est un tout autre écrivain et un tout autre homme ; et
l'on ne saurait dire ce qui touche le plus en lui de l'homme ou de
l'écrivain. Sa vie n'est plus à écrire et ses idées sont bien connues;
cependant M. Emmanuel de Broglik a su composer, sur ce sujet
tant de fois traité et discuté, un livre aimable*. Sans rien apprendre
de nouveau, et en se bornant à dépouiller la correspondance de Féne-
lon pendant les dernières années de sa vie passées à Cambrai, il a
tracé de l'illustre archevêque un portrait de couleurs un peu éteintes,
mais d'un dessin exact et d'une physionomie pleine de charme.
Il faut remercier M. Antonin LEFifRB-PoxTiLis des deux gros
volumes qu'il nous a donnés sur Jean de Witt (Pion et Nourrit).
C'est une œuvre des plus consciencieuses, qui prendra place dans la
bibliothèque dt^s historiens à côté de l'excellente histoire de la Guerre
de Trente ans par M. (jhanériat. M. Lefèvre-PontaUs a mis large-
ment à profit, non seulement les documents imprimés du xvip s.,
mais aussi bon nombre de documents inédits conservés dans les
1. Féndon à Cambrai y d'après m correipiméance , 1699-1715. PIod el
Noarrit.
à7â BULLETIN HISTORIQUE.
archives et dans les bibliothèqpies de Hollande. Il a bien distribué
cette somme considérable de matériaux; son ouvrage, rempli de
faits, se lit cependant sans fatigue ^ son style manque d'éclat, mais
il est toujours clair et précis ; parfois même le simple exposé des
faits touche presque à l'éloquence, comme dans le récit de l'indigne
procès intenté à Corneille de Witt, et de la mort des deux frères; les
jugements que Fauteur porte sur les événements et sur les hommes
sont équitables, inspirés par un libéralisme sincère et sans parti
pris.
Il était aisé d'ailleurs de parler avec sang-froid d'une époque déjà
si loin de nous, et sur laquelle les opinions des historiens sont main-
tenant fixées. L'histoire contemporaine ne connaît pas cette sérénité.
Pour la Restauration, passe encore; il semble que cette époque
appartienne plutôt à l'ancien régime, et qu'on puisse l'étudier sans
passion, comme un passé mort à jamais. Il n'en est pas de même
pour le gouvernement de Juillet ; les hommes ont changé, le pouvoir
s'est déplacé, mais les questions politiques, sociales, religieuses, qui
ont troublé le règne de Louis-Philippe, continuent d'agiter notre
époque et attendent encore une solution durable. Aussi, les histoires
de ce règne que nous possédons jusqu'ici sont-elles toutes plus ou
moins des pamphlets ou des plaidoyers. M. Paul Thureau-Dangin a
pensé que l'on pouvait dès maintenant entreprendre d'écrire sur
cette époque un livre impartial et aussi définitif qu'un livre d'histoire
peut rêtre. Peut-être s'est-il fait un peu illusion : du moins l'œuvre
considérable qu'il a commencée, et dont nous avons les deux pre-
miers volumes \ n'échappe pas entièrement à la loi commune. L'au-
teur prend, en effet, très nettement parti ; il tient pour la monarchie
parlementaire contre la république, et pour les conservateurs contre
les révolutionnaires ; il ne cherche pas à dégager ce qu'il y avait de
juste dans les idées, de légitime dans les réclamations des républi-
cains et même des socialistes. Historien de réelle valeur, il est aussi
un polémiste incisif et agressif; si Ton ne peut dire qu'il ménage ses
amis aux dépens de la vérité, il n'épargne pas ses adversaires. Le
récitygagned'ailleurssingulièrementen vivacité; quelques résistances
qu'on soit tenté d'opposer aux jugements de l'auteur, on se sent
entraîné par lui à travers les scènes les plus variées de la politique
intérieure et extérieure, et l'on y trouve autant de profit intellectuel
que de jouissance littéraire. M. Thureau-Dangin s'arrête à l'année
1. Histoire de la monarchie de Juillet. Pion et Nourrit. La plupart des
chapitres qui composent ces deux volumes ont déjà paru dans le Corres-
pondant.
FRANCE. 373
4836^ après la chute du ministCFe du 44 octobre. Casimir Périer et
le duc de Broglie sont ses héros ; il a peint ces deux grandes figures
de notre histoire parlementaire avec prédilection, et il les a fait res-
sortir dans un relief saisissant. Souhaitons que la suite de cette
remarquable histoire ne se fasse pas attendre. On n'est pas près de
raconter le règne de Louis-Philippe d'une manière désintéressée;
il importe peu d^ailleurs, si Ton nous apporte une étude approfondie
des faits et si on les présente avec sincérité; c'est le cas pour le livre
de M. Thureau-Dangin. Il aura donné un digne pendant au livre si
remarquable de M. K. Hillebrand sur le règne de Louis- Philippe.
Si la mort prématurée de Gambetta a été un deuil, non seulement
pour ses amis et pour la foule de ses admirateurs, mais aussi pour
tous ceux qui s'affligent quand ils voient la France appauvrie d'une
force ou d'un talent, on peut penser par contre que cette brusque et
tragique disparition de l'homme le plus populaire de notre pays a
plutôt servi sa gloire. Sans doute sa riche nature nous réservait
peut-être des surprises; des circonstances heureuses lui auraient
encore permis de rendre à la France les services que rêvait son
patriotisme ; mais peut-être aussi eût-il succombé devant des cir-
constances plus fortes que lui ou devant des défiances que sa supério-
rité même éveillait chaque jour davantage. Aujourd'hui sa renommée
bénéficie non seulement de la sympathie qu'éveille la violente inter-
ruption d'une brillante carrière, des souvenirs de Tannée terrible
qui font de Timage de Gambetta le symbole même de la résistance à
rétranger et du patriotisme exaspéré, mais aussi de ce qu'il a rêvé,
de ce qu'il n'a pas pu accomplir et de ce que d'autres plus heureux
— ou plus sages — ont su accomplir après lui. Depuis ({u'il est
mort, on a mieux vu l'unité de sa vie et de sa pensée ; les injustices
et les préventions nées de la lutte politique quotidienne se sont apai-
sées, et tout en faisant plus ou moins grande dans son œuvre la part
des fautes et des erreurs, tous ceux que le fhnatisme ou la raficune
n'aveuglent pas ont été unanimes à rendre hommage à ses grandes
qualités d'homme public et d'homme privé. M. J. Reixach, qui a pu
assister en observateur attentif et indéf)endant aux drames et comé-
dies politiques de ces dernières années, a beaucoup contribué à faire
juger Gambetta avec équité, à faire comprendre les difficultés qu'il a
eues à vaincre, les impossibilités contre lesquelles il s'est heurté, les
intentions qu'il n'a pu réaliser; il a fait voir en lui, non un chef de
parti, mais un homme d'État préoccupé avant tout des intérêts natio-
naux. Il a publié la collection complète des Discours de Gamiietta,
et un choix de ces mêmes discours ^ ; il a donné dans un volume de
U M. Reinach préptre le recueil complet des dépêches de GambelU tu
374 BULLETHI mSIOlIQUB.
la Bibliothèque utile (Alcan) une courte et vÎTante biographie deGam-
betta, enfin il vient d'écrire une Histoire du ministère Gambetta (Char-
pentier) , aussi remarquable par Tabondance et l'exactitude des rensei-
gnements que par la chaleur et la vivacité du récit. Ce sont des mémoires
d'histoire contemporaine d'une grande valeur. Sans doute c'est le
témoignage d^un ami, sans doute on trouvera que voir en Gambetta
« le plus profond politique du siècle, » c'est décerner une louange
qu'une carrière si tôt interrompue ne peut guère justifier, et que
d'ailleurs la postérité seule a le droit de donner à un homme d'État;
sans doute on pourrait beaucoup critiquer dans les projets de lois
préparés par les membres du cabinet Gambetta, et où M. Reinach
voit le programme réfléchi et cohérent des idées politiques du prési-
dent du conseil, mais en même temps on reconnaîtra que M. Reinach
a bien discerné les intentions générales de Gambetta et les causes
de sa chute, qu'il a bien mis en lumière les raisons de ses actes, et
qu'il a analysé les péripéties de ce drame politique et parlementaire
a?ec beaucoup d'impartialité et de sagacité. La discrétion, le respect
pour les personnes dont il ne s'est jamais départi, ajoutent à la
valeur de son œuvre et à la confiance qu'inspirent ses récits. Ce n'est
pas un livre de polémique qu'il a écrit, c'est le témoignage d'un his-
torien perspicace et bien renseigné.
Ch. BÉMOTT. G. MONOD.
ROUMANIE.
Le 5 juin <883 a eu lieu l'inauguration de la statue d'Élienne le
Grand, élevée à l'aide d'une souscription nationale dans la ville de
Jassy, ancienne capitale de la Moldavie.
(]le prince, dont nous avons relevé le mérite dans un bulletin
précédent* et qui régna de ^457 à 1504, produisit une impression
profonde sur l'esprit de son peuple et vit encore maintenant dans le
souvenir des Moldaves. L'inauguration de la statue de ce héros fut
donc une fùtc vraiment nationale, à laquelle prirent part des dépu-
tations non seulement de toute la Roumanie, mais aussi des pays
habités par les Roumains qui sont sous la domination de FAu-
Gk>ayernement de la défense nationale^ d'^*** il a donné une parUe dans notre
livraison de mars.
1. Voir f TfOL, p. 148.
EOVVA^IE. 375
triche, car le régime russe ne toléra pas la participation des Rou-
mains do la Bessarabie.
La ^'rande place (]ui s'étend en face du palais administratif et au
milieu de laquelle 's'élevait la statue, cachée aux rcfzards par une
couverture en soie, débordait de monde. Il y avait au moins
30,000 personnes. On y voyait des députations venues de tous
les coins du pays, à commencer par celles qui représentaient les
('hambres législatives jusqu'à celles qu'avaient envoyées les com-
munes des endroits illustrés par les victoires du grand général
moldave. Le roi en personne présidait la solennité, quil ouvrit par
un discours éloquent et patriotique; il arracha les larmes à cette
foule immense, lorsqu'il flnit en disant qu'Etienne le Grand retrou-
vait sa patrie indépendante comme il l'avait laissée.
L'aspect de la place, vue du grand balcon du palais, était féerique.
D'immenses tribunes, contenant chacune de 4 à 5,000 personnes,
réservées aux dames, étalaient au soleil des toilettes resplendis-
santes. Au bas se tenaient les hommes, en habit noir; le tout entouré
par l'armée, (|ui formait une ceinture autour de la place.
Quand le roi, à la fin de son discours, donna le signal, le voile qui
couvrait la statue tomba, et la majestueuse flgure du héros, si par-
faitement exécutée par M. Frémiet de l^ris, apparut aux yeux de
tout le monde. Les sept corps de musique militaire qui se trouvaient
réunis sur la place entonnèrent Thymne national, un formidable
hurrah ! partit de toutes les bouches et le canon gronda dans le
lointain.
1^ défdé des députations commença. Chacune d'elles, passant
devant le pavillon où se tenait le roi, le saluait, puis allait déposer
sa couronne au pied de la statue. Le nombre des couronnes ainsi
dé[K)sées dépassa .500. Le roi s'avança ensuite hors du pavillon et
assista, entouré de ses généraux, au défilé de l'armée. Le soir un
grand banquet offert |)ar la commune de Jassy à toutes les députa-
tions, dans la grande salle du théâtre de la ville, termina dignement
r^tte fête nationale.
DocrxFATs SUR LA QrESTioi Df DiniBE. — I^a question du Danube,
(|ui a causé tant de soucis à la diplomatie européenne et dans laquelle
la Roumanie, le pays le plus directement intéressé, a été Injustement
sacrifié, a provoqué une publication historique d une grande valeur,
(lù sont réunis les principaux documents concernant le régime des
eaux fluviales en Kurope, depuis la Révolution française jusqu'à
ce jour. Klle a été faite par le Ministère des affaires étran-
gères do Roumanie, sous la direction spéciale du savant qui se
trouve actuellement à la tète de ce ministère, M. Uémctre Stouiza.
376 BULLETIN HISTORIQUE.
Elle porte le titre de Chestiunea Dundrei^ et contient les actes (rédigés
tous en français) des congrès et conférences suivantes, concernant le
régime appliqué aux diverses rivières et fleuves de l'Europe : Con-
vention nationale, n92; Congrès de Rastadt, ^ 798 ; Traité de paix de
Paris, ^ 8-1 4 ; Congrès de Vienne, ^ 8-1 5 ; Congrès d'Aix-la-Chapelle,
<8<8; Conférence de Vienne, ^ 854-1 857; Congrès de Paris, ^856-
-1857; Conférences riveraines du Danube, 4 856-1 859-, Commission
européenne du Danube, 4865; Conférence de Paris, 4 866; Conférence
de Londres, -1874 ; Congrès de Berlin, 4878 ; Conférence de Londres,
4883. Ce volume, grand in-4° de plus de 900 pages, contient environ
700 actes, traités, mémoires, correspondances diplomatiques entre
les ministres et les agents des différents pays, tous relatifs au régime
des eaux courantes.
C'est toujours la Révolution française, si féconde en résultats
pour le principe de la liberté, qui proclama aussi celle de la naviga-
tion sur les eaux courantes. Elle posa comme axiome que c le cours
des fleuves est la propriété commune et inaliénable de toutes les
contrées arrosées par leurs eaux ; qu'une nation ne saurait, sans
injustice, prétendre au droit d'occuper exclusivement le canal d'une
rivière et d'empêcher que les peuples voisins qui bordent les rivages
supérieurs ne jouissent du même avantage^. Partout où s'étendit la
domination de la République, elle supprima tous les droits de péage
et autres contributions abusives auxquelles étaient soumises les
embarcations qui, en suivant le cours d'une rivière, passaient par
un territoire étranger. Les généraux de la République furent chargés
d'appliquer le principe de la liberté de navigation d'abord sur le
Rhin, ensuite sur la Meuse, et ces idées libérales furent adoptées plus
tard au Congrès de Vienne, quoique la nation qui les avait procla-
mées pour la première fois fut écrasée par le nombre et subit la loi
du vainqueur.
Parallèlement au principe de la liberté de navigation de tous les
pavillons sur les eaux courantes, nous voyons en surgir un autre
qui n'a jamais été enfreint jusque dans ces derniers temps, où il fut
sacrifié par l'Europe entière aux intérêts de TAutriche, celui :
« (jfu aucun État riverain ne soit gêné dan:< l exercice de ses droits de
soutTrainefê, \k\t rapport au commerce, » que la police des cours
d'eau, tout en lievanl être uniforme et ûx(^ d'un commun accord,
1. Ministeriul afacerilor $treine. — Chesdunea OHnàrei, acte si documetUe.
Bncur««ti. 1883.
*2. Extrait des registres des dêlibèratioas du conseil exécatif provisoire da
»0 novembre 179*^ CkesUuHfa IHiHàrri^ p. 1.
BODMAntE. 377
« ne doit point entraver celle que ces États, rn wriu de leur droit
de souveraineté^ sont appelés à exercer sur les rivières *. »
Ce respect des droits de souveraineté des pays que traverse une
rivière, tout en proclamant le principe si salutaire de la liberté de
navigation, détermina le mode de composition des commissions
chargées de veiller aux intérêts du commerce. L'article 2 du Règle-
ment concernant la libre navigation des rivières, annexé au document
du Congrès de Vienne de ^8^5, dispose que : « chaque état riverain
nommera un commissaire pour former la commission centrale. Le
président, qui sans autre prérogative sera chargé de la direction
générale des travaux, sera désigné par le sort *. » On voit bien que
pour le Rhin il ne s'agissait que de la surveillance d'intérêts pure-
ment commerciaux, et que ceux-ci n'étaient pas invoqués comme
prétexte pour exercer une prépondérance politique.
Tous les documents postérieurs à ceux que nous venons de citer
confirment ces principes, aussi justes que profitables aux nations
qui les mirent en pratique, et le volumineux recueil de M. Stourza
n'a pas d'autre but que celui de donner une complète démonstration
historique de la thèse soutenue par l'État roumain : de l'injustice
des prétentions autrichiennes.
L'Église roumaine. — Le patriarche de Constantinople apprenant
que l'huile sainte, que le pays foisait venir auparavant, avec d^assez
grands frais, de Constantinople, avait été cette fois-ci (dans le cou-
rant de 4883) sanctifiée dans le pays, adressa au Métropolitain primat
de Roumanie une admonition assez sévère dans laquelle il impute
aux évé(]ues roumains d'avoir |)orté atteinte aux droits de Téglisc
patriarchale, et les somme de renoncer à cet abus, ainsi qu'à d autres
qui se seraient introduits dans Téglise roumaine, entre autres Tadop-
tion du calendrier grégorien.
Le Métropolitain soumit cette missive au saint Synode roumain,
lequel chargea Mgr MsLCHiséDKK, évêquo de Roman, le plus savant
des prélats roumains, do rédiger une réponse qui mit pleinement en
lumière l'autonomie de l'église roumaine et son indépendance hié-
rarchique à l'égard du siège de CiOnstantinople, avec le(|uel elle
n'aurait qu'une communauté de dogmes.
Mgr Melchisédek, dans une réponse aussi habile que savante.
1 . Protocole de la 2* conférence du congre» de Vienne relatif à la libre navi-
gation de« rivières, 8 février 1815. Chettiunea Dunârei, p. 12 et 13.
2. Règlements concernant la libre navigation de» rivière». Anoeie n* 10 de
l'art, final du Congre» de Vienne du 5 juin 1815, o* 2. Article» ooDGernant la
navigation du Rbin. Art. 11, CkesUunea Dundrei, p. 117.'
378 BULLETIN HISTORIQUE.
réfute tant par le droit canon que par l'histoire les prétentions de
réglise de Constantinople à la suprématie ; sans nous occuper de la
partie canonique, nous allons exposer succinctement, et d'après le
travail deMgrMelchisédek, les faits historiques qui établissent, selon
nous d'une manière victorieuse, l'autonomie de l'église roumaine *.
Le 28^ canon du quatrième concile œcuménique, tenu à Chalcé-
doine en 45-1, dispose que les évêchés des provinces du Pont, de
l'Asie et de la Thrace, ainsi que les évêques desdites provinces qui
se trouveraient au înilieu des barbares, seront soumis au siège patriar-
chal de Constantinople. C'est sur cette disposition que le patriarche
veut surtout fonder ses prétentions à la suprématie du siège de
Constantinople sur les pays roumains, car, dit-il, par les barbares
qui sont compris dans le diocèse de Thrace on ne pourrait entendre
que les peuples de la Dacie et par conséquent les Roumains.
Mgr Melchisédek repousse cette assertion en se fondant sur une
interprétation de ce canon contenu dans la collection des canons de
l'église orthodoxe, le Pidalion^ qui entend, par ces barbares, les
Alains et les Russes, et non les Roumains. Rœsler repoussait aussi
l'interprétation soutenue par le patriarche, mais pour un autre
motif; d'après lui, le canon parle des barbares qui se trouveraient
dans l'intérieur du diocèse de Thrace et non de ceux qui habiteraient
au delà des confins de l'empire ^. Nous pensons que le patriarche a
pleinement raison sur ce point et que les Roumains, qui étaient chré-
tiens encore du temps de la domination romaine^, étaient les seuls
peuples indiqués comme barbares dans le diocèse de Thrace.
Mais, quand même les Roumains de la Dacie trajane auraient été à
l'origine soumis à l'autorité spirituelle du siège de Constantinople,
l'histoire ultérieure de leur église prouve d'une manière évidente
qu'ils ont passé sous une autre autorité religieuse et que plus tard
ils se sont complètement émancipés de toute dépendance spirituelle.
L'empereur Justinien (527-565), voulant relever l'importance de sa
ville natale. Prima Justiniana, située quelque part sur le Danube,
1. Outre la réponse du Saint-Synode, nous utilisons les écrits suivants de
Mgr Melchisédek : Chronica Husului, si a episcopiei eu asemine numire,
Bucuresli, 1865, et Chronica Romanului si a episcopiei de Roman j Bucuresti^
1875. Mgr Melchisédek, ayant été nommé successivement évéque à Housche
et à RomaUj publia d'après les archives de ces deux évéchés leur chronique,
ainsi que celles des villes où ils sont établis.
2. Romxnische Studien, Untersuchungen zur aelteren Geschichte Romaeniens.
Leipzig, 1871, p. 91.
3. A preuve les nombreux termes chrétiens d'origine latine, tels que : inger,
crestin, dumnezeu, crues, àiserica, bUtstem, pacat, pagin, boiez, cuminica-
tura, cUiar, templa, etc.
BODMA!frE. 379
dispose par la Noveile XI que Tévèque de celte ?ille prendrait le
titre d'archevêque et lui soumet plusieurs provinces de la péninsule
balkanique, ainsi que les pays situés au nord du Danube.
Au temps de la conquête de la Mœsie |)ar les Bulgares et après que
ceux-ci eurent été convertis au christianisme, Tarchevéché de Prima
.lustiniana devint un siè^e bulgare dont le titulaire prit le titre de
Patriarche et devint indépendant du chef de l'église grecque de
Gonstantinople ^ Comme la domination des Bulgares s'étendait aussi
sur la rive gauche du Danube, les Roumains arrivèrent à être soumis
à une autre juridiction spirituelle que celle du siège de (ionstanti-
nople, c'est-à-dire à celle de l'église de l'empire bulgare, dont ils
dépendaient aussi politiquement. La capitale du premier empire bul-
gare ftit d'abord Preslaw, ensuite quelques autres villes, et en dernier
lieu Ohrida, quelques années avant la destruction de l'empire bul-
gare par l'empereur Basile II, le Bulgarochtone (iO^H), Ot le ville
était située dans les montagnes de la Macédoine. Voilà pouniuoi on
trouve toujours l'archevêque d'Ohrida portant le titre d'archevêque
de Prima Justiniana, des Bulgares et des pays du Nord *. Ciette même
circonstance explique aussi que, dès les plus anciens temps dont on
ait connaissance, l'église de Valachie tout comme celle de Moldavie
dépendail du patriarche d'Ohrida'. Comme ces pays avaient été
soumis par Justinien à l'autorité de l'archevêque de Prima Justi-
niana, et que cet archevêché l\it changé en un patriarchat bulgare
qui exerçait son autorité aussi au nord du fleuve, les pays roumains
restèrent soumis à son autorité dans tous les endroits où il trans-
porta sa résidence, et en dernier lieu à Ohrida.
Le patriarche de Constantinople essaya plus tard, du temps
d'Alexandre le Bon, d'enlever la Moldavie au siège d'Ohrida, lequel
était alors bien déchu de son ancienne splendeur, et réussit à le faire
pour quelques années *. Mais ensuite le patriarche de (^onstanli-
nople, sollicité |)ar l'empereur, dont le trùne vacillant éUit près de
succomber sous la main victorieuse de Mahomet II, implora le
secours du pape ; celui-ci mit comme condition que l'église d'Orient
serait soumise au siège de Rome. Le concile de Florence devait régler
cette importante affaire (U37). l^es pays roumains refusèrent d'ac-
1. Nicéphore Grégoras, éd. de Bonn, I, p. 27 : • xoi |iY}Tp6iroXt; BovXyspJs;
T)icp«0TY) 'Iov<rrtvtavi^. Comp. Jirecek, Geschickteder Buigaren. PragueJ876, p. 168.
2. Voir le» citation a dans Melchisédek, Chronka Homanului, p. 54 et «ai t.
3. Voir entre autre» : Aeta patriarehatus ConttantinopolitatM, M CGC XV-'
M GCC€II. Ed. Mikloftiftch et Mtiller. Vienne, 18G0, II, p. 230.
4. Emile Picot et Georges Bengesco, Alexandre le Bon, prince de Moldavie
(1401.1433), p. 50.
380 BULLETIFT HISTORIQUE.
cepter cette condition, mais le patriarche, fort de son autorité nou-
vellement acquise sur la Moldavie, fit représenter celle-ci au concile
par un moine, un certain Damien, qui prit le titre de Métropolitain
de Moldavie. Les pays roumains, mécontents de cette conduite,
s'adressèrent alors de nouveau à Ohrida et renouèrent les relations
avec leur ancienne métropole qui elle aussi avait refusé de participer
au concile de Florence. Aussi voyons-nous en -1457 Etienne le Grand,
prince de Moldavie, s'adresser à Ohrida pour la consécration d'un
Métropolitain * , et les pays roumains continuent de rester sous la
dépendance de ce siège jusqu'en ^ 768, où les Turcs le détruisent.
A partir de cette époque le patriarche de Constantinople, qui n'était
plus qu'un instrument docile de la politique des sultans, s'efforça de
ramener à lui les églises moldave et valaque, soutenu dans cette
tentative par les princes grecs (phanariotes) qui régnaient dans les
pays roumains. Mais le siège de Constantinople n'aboutit qu'à
exploiter l'église roumaitie de la manière la plus ignominieuse, sans
jamais acquérir une autorité légitime sur les archevêchés de Bucha-
rest et de Jassy.
La renaissance des Roumains devait travailler à émanciper aussi
leur église du joug grec, sous lequel elle était tombée. Voilà pour-
quoi le premier acte du prince Gouza fut de séculariser les biens des
couvents. Cette mesure rendit TÉtat roumain propriétaire d'une
immense étendue de pays qui était passée de fait, par des moyens
inqualifiables, dans les mains des moines grecs. Depuis lors les
Roumains sont considérés par l'église de Constantinople comme ses
ennemis les plus acharnés, et ces relations si peu amicales expliquent
bien mieux l'encyclique du patriarche que les prétendus droits qu'il
s'arroge sur la Roumanie.
Ajoutons à cet exposé un épilogue assez curieux :
A la nouvelle des dissentiments qui existaient entre l'église rou-
maine et celle de Constantinople, le pape crut peut-être qu'il allait
se produire des scènes de violence, pareilles a celles qui dix années
auparavant avaient amené l'excommunication du peuple bulgare de la
part du patriarche ; il pensa que le moment était venu d'attirer les
Roumains dans le sein de l'église catholique et se hâta d'élever
Mgr Paoli, évêque catholique de Bucharest, au rang d'archevêque.
Il y eut bien quelques personnes qui s'alarmèrent de ce fait et
» 1. Chronique de Moldavie depuis le milieu du xiv^ siècle jusqu'à l'an 1594,
par Grégoire Urèche, texte roumain avec traduction française, notes histori-
ques, tableaux généalogiques, glossaire et table par Emile Picot. Paris, 1878,
p. 90.
BOUMA!fIB. 384
Mgr Melchisédek crut devoir publier un récit des eiïorts tentés par
réglisc catholique dans les pays roumains, depuis les temps les plus
reculés, pour prouver, Thistoire en main, que ses elTorts ont tou-
jours été infructueux K
Travaux de l'Académie roumaine. — L'Académie roumaine com-
prend trois sections, une philologique et littéraire, la seconde histo-
rico-archéologique et la troisième pour les sciences naturelles. La
section historique a, d'après les statuts, les attributions suivantes :
de recueillir, tant dans les pays roumains qu'à l'étranger, toutes
sortes de documents qui intéressent l'histoire des Roumains ;
d'organiser des missions tant dans ce but que dans celui d'explorer
les régions habitées par les Roumains au point de vue archéolo-
gique ; de mettre au concours et accorder des prix aux œuvres
histori(]ues qu'elle jugera utile de populariser.
Grâce à de généreux donateurs^ la collection des documents de
l'Académie, dont plusieurs d'une haute valeur historique, monte déjà
a quelques milliers; elle ne peut pourtant, faute d'argent, être
publiée, car bien ({ue l'Académie possède un certain capital, assez
considérable même pour le court espace de temps écoulé depuis qu'elle
existe, le revenu en suffit à peine à ses dépenses ordinaires et aux
prix qu'elle est tenue, d'après la disposition des testaments faits
en sa faveur, d'accorder à ditférents genres de travaux. L'Académie
ne publie pour le moment que la collection des Documents relatifs
à l'histoire des Roumains^ extraits des Archives de Vienne par feu le
baron bludoxe de Hourmouzaki. Le dernier volume, paru à la fin de
l'année 4882, contient les documents de 4600-4649 au nombre de
629 pièces, qui se rapportent à Tune des époques les plus impor-
tantes de l'histoire des Roumains, celle de Michel le Brave, Basile le
Loup et Matthieu Bassaraba^. Mais cette publication se fait à l'aide
1. Papismulf fti sUrea actuala a bisericei orthodoxe io regatui Romaniei
(le EpiftcopuI Melchisédek. Bucoresli, 1883.
2. Documente privitoarela istoria RomânUor culese de Eudoxiu de llunnu-
zaki. Publicate sut auspiciile Ministeriului cultelor si al in«tructiunei publiée
a a le Acddeiuici roiiiAne. Volumul IV, partea 1, lGOO-1641^. Bucuresti, 1882.
Soccec et Teclu. Un vol. de xxxvi et 708 pages.
Les autres volumes sont les suivants :
Volumul III, 1576-1599, de xxx et 600 pages, contenant 34t documents et un
appendice qui comprend les documents découverts par M. C. Exarho dans les
archives de Venise, relatifs à la même époque, au nombre de 102, avec no
Index.
Volumul VI, 1700-1750, de xxiii et 697 pages, contenant 355 documents, avec
un Index.
Volumul VU, 1750- 1813, de xxxii et 584 pages, contenant 278 docaments avec
un Index. Trois volumes restent encore à publier : I, Il et V.
382 BULLETIH mrOlKlIIB.
d'une subvention du Ministère des cultes, auquel le défunt avait
légué sa collection à la charge de la publier.
Une mission conflée à M. Nicolas Densoughinou, ex^bibliothécaire
de l'Académie, en vue de découvrir de nouveaux documents, a été
particulièrement féconde en résultats. M. Densouchanou était chargé
de rechercher dans les archives et bibliothèques de la Hongrie et de
la Transylvanie ce qui se rapporte à la révolution des Roumains de
ce dernier pays, lorsqu'en \ 785 ils se soulevèrent sous la conduite
des trois chefs : Nicolas Oursou Horia, Jean Closchka et Georges
Crichianou. Cette révolution eut pour cause, on le sait, l'oppression
séculaire dont les Roumains souffraient de la part des nations privi-
légiées de la Transylvanie : les Hongrois, les Szèkles et les Alle-
mands; cependant son caractère fut entièrement faussé par les
écrivains des nations qui avaient intérêt à cacher le véritable motif
du mouvement. On le présenta comme un brigandage organisé pour
dépouiller de leurs biens les gens riches, et Ton passa soigneusement
sous silence l'oppression intolérable dans laquelle vivaient à cette
époque les Roumains de la Transylvanie. Il était temps que ces
martyrs d'une juste cause fussent réhabilités aux yeux de la posté-
rité, et la mission de M. Densouchanou a pleinement atteint ce but.
Une histoire de cette révolution basée sur de nombreux documents
fera taire les passions et laissera libre parole à la vérité *. Les plus
importants de ces documents sont : l'interrogatoire fait par le comte
Jancovits à Nicolas Oursou ou Horia, chef de la révolution de n85,
qui contient US demandes et réponses; l'interrogatoire fait par le
même au capitaine Jean Closchka en ^ 04, demandes et réponses;
l'interrogatoire du capitaine Georges Crichianou en 47 demandes et
réponses-, l'interrogatoire du capitaine Uibar Oursou; celui d'Alexan-
dre Ghendi, le secrétaire de Horia; le testament de Horia et de
Closchka, écrit par le prêtre Nicolas Ratz, d'Alba Julia ; la sentence
prononcée par le comte Jancovits contre Horia et Closchka; les
ordres de Tempereur Joseph II adressés au comte Jancovits, au gou-
vernement de la Transylvanie, à la chancellerie aulique, aux com-
mandants militaires de Bude et de Sibiou, tous ayant pour objet la
révolution de Horia ; les rapports du comte Jancovits, du gouverne-
ment de la Transylvanie et de la chancellerie aulique dans la même
1. M. Alfred Rambaud a exposé Tliistoire de celle révolution des Roumains
de la Transylvanie dans quelques leçons éloquentes faites à la Sorbonne au
commencemenl de celle année 1884. C'esl ainsi que la France s*est chargée de
célébrer lecenlenaire des héros roumains, qui ne saurait être célébré dans leur
propre pays.
ROirMA!fTE. 383
quesUon \ les plaintes des Roumains et celles de la classe féodale
adressées à Tempereur Joseph II et au comte Jancovits ; Tenquéte
faite par le conseiller Michel Bruckenthal sur les causes de cette
révolution ; la liste des Roumains qui à la suite de ces événements
furent éloignés de la Transylvanie et établis dans le district de Pan-
ciova; les rapports où Tévèque roumain Gédéon Nechitici expose
les efforts qu'il fit pour calmer les Roumains ; les circulaires et les
lettres adressées par Horia au peuple et à différentes personnes *.
Le nombre des actes relatifs à la révolution de Horia, copiés par
M. Densouchanou, atteint le chiffre de 7S5 !
En dehors de cette importante collection qui a coûté à M. Densou-
chanou 45 mois de travail assidu, il rencontra au cours de ses
recherches une foule d'autres documents, manuscrits, livres rares
relatifs aux Roumains, entre autres plusieurs manuscrits des chro-
niques roumaines déjà publiées, mais qui contiennent des variantes ou
des additions aux textes connus jusqu'à ce jour, et qui pourraient être
utilisés avec fruit pour une édition critique des chroniqueurs rou-
mains^, l'importante collection de documents qui servit à Georges
Schinkai, à la fin du siècle passé, pour la rédaction de son œuvre
capitale : la Chronique des Roumains; enfin plusieurs traités ori-
ginaux conclus entre les princes des pays roumains et ceux de la
Transylvanie.
La collection entière de M. Deusouchanou se compose de 38 vo-
lumes manuscrits, de documents, extraits, notices, d'un grand nombre
de photographies, de deux tableaux anciens à Thuile, de plusieurs
portraits, dessins et fac-similés, ainsi que de trois copies de la
médaille de Horia ^.
Une seconde collection de documents d'une grande importance a
été recueillie dans les Archives du Ministère des affaires étrangères
de France, par M. A. J. Odobesgou, ex-professeur d'archéologie à
rUniversité de Bucliarest, actuellement premier secrétaire de la léga-
tion roumaine à Paris.
Ces archives contiennent plus de 8,000 volumes in-folio, de
manuscrits, dont la classiQcation en différents fonds a été terminée
par la Commission des archives diplomatiques sous la présidence de
1. Ànalele Aeademiei romane. SerU II, tomul 11. S«dintele ordinare (lia
1877-80, fti sesiuoca generala a auului 1880, Sectianea 1, Partea adminislraUTa
si deftbaUrele. Bucuresti, 1881, p. 104.
2. La seule édition critique d'une chronique roumaine qui eiiste jusqu'à oe
jour est celle qu'a publiée à P«ris M. Emile Picot, professeur dr roumain à
l'école des langues orientales rivantes. Voir plus haut le Uire de l'ouvrage.
3. Analele Aeademiei, p. 117.
384 BULLBTtUr HISTORIQUE.
Tillustre el regretté historien français Henri Martin. Quoique tous
ces fonds puissent contenir des documents relatifs à Thistoire des
Roumains, M. Odobescou s'est arrêté d'abord au fonds turc, lequel
devait attirer particulièrement son attention, à cause de la dépen-
dance dans laquelle se sont trouvées les provinces roumaines durant
une longue période de leur histoire à Tégard de Fempire ottoman.
Ce fonds se compose de 225 volumes in-folio et va de Tannée \ 570^
époque où s'établit la première ambassade française à Gonstanti-
nople, jusqu'en 4 8U, année jusqu'à laquelle les archives sont livrées
au public. Les documents deviennent nombreux et intéressants à
partir de l'année ^1630. M. Odobescou a dû parcourir page à page
tous ces énormes in-folio, car bien souvent les passages qui inté-
ressent l'histoire des Roumains se trouvent intercalés dans les textes
relatifs aux relations de la France avec l'empire Ottoman. Il est
arrivé avec son travail jusqu'en \1^\ et a extrait des ^84 volumes
du fonds turc, consultés jusqu'à présent^ ^,'144 documents ou notices
sur les pays roumains.
D'après ce que M. Odobescou nous dit dans son rapport au
Ministre de l'instruction publique ^, qui Ta chargé de faire ces
recherches, ces documents contiendraient des données d'un haut
intérêt \° sur le rôle politique joué par Matthieu Basaraba, prince de
Valachie (1632-1 654), dans les affaires politiques de l'Orient ; 2* sur
les menées des diplomates français de Gonstanti nople à l'effet de
compromettre aux yeux de la Porte le prince de Valachie Constantin
Brancovanou, lequel fut par la suite décapité; 3° sur l'influence de
la famille des Mavrocordato, dont plusieurs membres furent princes
dans les pays roumains, sur les relations de la Porte avec les puis-
sances occidentales ; 4° sur les succès des Jésuites en Orient à la
suite de leurs liaisons avec cette puissante famille ; 5« sur les rela-
tions de la famille des Ghyca (dont un membre, le prince Grégoire
Ghyca, fut décapité par les Turcs, après Je rapt de la Bucovine par
l'Autriche) avec les ambassadeurs français ; 6*" sur le rôle d'agents
politiques attribué par la Sublime Porte aux princes fanariotes, qui
donna le jour à Timportante correspondance diplomatique du cheva-
lier de Gentz avec les hospodars de Valachie (1813-4828) ^, etc., etc.
M. Odobescou poussera maintenant ses recherches de 4792 à 4844
et il exprime dans son rapport l'espoir que, grâce à la bienveillance
du gouvernement français, il lui sera peut-être permis d'aller jus-
qu'en 4830.
1. Voir le journal Roinànul, n" des 19, 20, 21, 22 octobre 1883.
2. Publiée en 3 volumes par le comle Prokesch-Oslen lils. Paris, Pion, 1877.
BOUMlNtE. 385
Le ministère a fait remettre ces documents à l'Académie ; mais
nous craignons bien qu'ils ne voient le jour que lorsque la collection
de Hourmouzaki sera entièrement publiée.
Parmi les œuvres présentées pour les prix d'histoire que l'Acadé-
mie propose depuis plusieurs années déjà, trois seulement ont pu
obtenir cette distinction -, la première est une Étude sur les peuples
qui ont habité le territoire de la Dacie trajane avant la conquête
romaine^ par M. Grégoire Tocilescoii, directeur du musée d'anti-
quités de Bucharest et actuellement sous-secrétaire d'État au minis-
tère de l'instruction publique. Nous en avons rendu compte dans un
bulletin précédent*. La seconde est une Introduction à r histoire de
r archéologie^ par M. A. J. Udobescou', de qui nous venons de men-
tionner la collection de documents extraits des archives françaises.
Ayant été chargé du cours d'archéologie générale à la faculté des
lettres de Bucharest, il flt imprimer ses leçons, qui par leur forme
attrayante réunissaient, malgré l'aridité du sujet, un nombreux audi-
toire. L^objet de l'archéologie, tel que le détermine M. Odobescou,
est des plus vastes. Il embrasse toute la vie physique, morale et
esthéti(]ue des temps anciens. Après avoir passé en revue l'antiquité,
classé toutes les sources qui peuvent jeter de la lumière sur la vie de
ses peuples et les avoir analysées sommairement, M. Odobescou passe
à la Renaissance. Le tableau qu'il trace du réveil des esprits au con-
tact des restes légués par l'antiquité est aussi savant qu'éloquent.
Les monuments les plus remarquables qui furent tirés par les érudits
et les savants des décombres où ils étaient ensevelis, sont décrits et
analysés de main de maître : la table de Peutingcr avec les savants
commentaires de M. Desjardins, la Notifia dignitatum et adminis-
trationum avec les commentaires de Guido l^nciroli, le tableau des
noces .\ldobrandines avec les études de Winckelmann, la numis-
matique primitive de l'Italie, la peinture religieuse, les masques
anciens, en un mot une foule innombrable de faits se groupent d'une
manière méthodique, et dessinent à grands traits le cadre pour ainsi
dire incommensurable de la science archéologique.
Les dernières leçons sont cons;icrées à la numismatique des xvii«
et XVIII* siècles, aux découvertes des antiquités chrétiennes, cata-
combes, basili(]ues, mosal(]ues, à l'étude des antiquités byzantines
et orientales et à une foule (fautros faits qui complètent autant que
possible le domaine de cet enseignement.
t. Aente historique, tome XIX, p. 153.
2. istoria ArcheUogUi. Sludiu introductiT la accasta stttnta. Pri«Keri tiaute
la tacultatea de litere din Bacaresti de A. J. Odobesca. 1. AnUcitatea. Renatterea.
bucuresU, 1877.
Rev. Uisto». XXV. 2« fABc. '25
886 BULLETIN HISTORIQUE.
Dans le ooursdeson travail, M. Odobesoou n'oublie jamais de men-
tionner tout ce qui peut intéresser d'une manière plus directe la vie
du peuple roumain. Ainsi il analyse les quelques phrases du natura-
liste Pline sur le caractère des Daces ; il étudie dans le plus grand
détail la question du pont de Trajan sur le Danube, les bas-reliefs
de la colonne trajane, les indications relatives à TOrient contenues
dans la Notitia dignitaium. Lorsqu'il traite de la peinture, il n'omet
pas de faire ressortir le caractère spécial de la peinture roumaine
d'images, sur le fonds général de la peinture byzantine. A propos
des Runes Scandinaves il rappelle l'inscription gothique du plateau
d'or massif trouvé à Petroasa près de Buzéou, dans la Valachie, qui
prouve que les Goths ont dû passer par cette région, et ainsi de
suite.
Le troisième ouvrage couronné est une étude sur le Paysan rou-
main par le même M. Tocilesgou, cité plus haut Cet ouvrage doit
contenir des données intéressantes sur l'histoire du paysan rou-
main, mais, comme il n'a pas encore été publié, nous ne pouvons
que l'indiquer.
La section historique de l'Académie a de plus, conformément à ses
statuts, publié des éditions nouvelles ou réimprimé des ouvrages
importants d'histoire nationale. Ainsi elle a publié une édition des
œuvres principales du savant prince de Moldavie Démètre Gantémir.
Ce prince écrivain régna en Moldavie pendant quelques mois de
l'année 4 7^ 4 . 11 prit parti pour les Russes dans la guerre qui éclata
cette année entre ceux-ci et les Turcs à la suite des insistances de
Charles XII, réfugié en Moldavie à Bender, après sa défaite de Pultava.
Les Russes ayant été battus par les Turcs, Gantémir dut se réfugier
en Russie à la conclusion de la paix. Le czar Pierre le Grand l'esti-
mait beaucoup à cause de ses connaissances profondes et variées.
Gomme il vécut en Russie jusqu'à sa mort, tous ses manuscrits se
trouvent conservés dans les bibliothèques de Moscou et de Saint-
Pétersbourg. L'Académie roumaine entreprit des démarches auprès
du gouvernement russe, et, grâce au concours bienveillant de l'agent
diplomatique de Russie à Bucharest, M. Zinoyief, elle obtint commu-
nication d'une partie des manuscrits du prince Gantémir, et pour le
reste la permission d'en tirer des copies. G'est par ce moyen que
l'Académie fut mise à même de pouvoir publier la Description de la
Moldavie dans le texte original latin, qui n'avait jamais été publié
et dont les différentes traductions existantes reproduisaient bien
souvent les idées de l'auteur d'une manière erronée. La publication
du texte latin est due aux soins de M. Papiu Ilarian, membre décédé
de l'Académie. M. Joseph HoDosru, autre membre aussi décédé, en a
ROUMAIflB. 387
donné une traduction nouvelle en roumain, qui n'est pas non plus
exempte de fautes. Ce dernier traduisit aussi en roumain Vllistoire
du progrès et de la décadence de. l'empire Ottoman^ œuvre princi-
pale de Cautémir, qui do son temps eut une réputation européenne
et fut traduite dans presque toutes les langues de TOccident. Les
autres travaux de Cantémir ^ sont une Histoire des familles Canta-
cuzène et Brancovanou^ le Divan ou le procès entre Tàme et le corps
et V Histoire hiéroglyphique, sorte de satire politique. Le septième
volume, qui doit contenir la vie du père de Démètre Cantémir, Cons-
tantin et ses études orientales, n'a pas encore paru. Ce qui nous
étonne c^est que nous ne voyons nullement figurer parmi les œuvres
publiées ou à publier de Cantémir l'ouvrage le plus important peut-
être par rapport aux Roumains, sa Chronique Moldo-Valaque^ écrite
en roumain par l'auteur. Cette chronique a été éditée une fois à
Jassy par Seulescou en ^1835 en deux volumes, mais le manque
absolu de criti<|ue de cette édition rend indispensable la réimpres-
sion de cette œuvre, et TAcadémic avait précisément dans ce but
sollicité et obtenu l'autorisation de tirer une copie du manuscrit
original qui se trouve à la bibliothèque de Moscou.
Parmi les autres publications de l'Académie relatives à l'histoire,
rappelons encore, en dehors du recueil des documents de Hourmou-
zaki, mentionné plus haut, la réédition de \ Histoire des Roumains
sous Michel le Brave, par Nicolas Balgescoc ^, historien et patriote
qui joua un rôle important dans la Révolution de i 848 et qui mourut
1. Operile principelai Dimitrii Cantimir tipariie de «ocietatea académies
romaoa.
Tomu I. Descriptio MMaviae eu harta geogralica a Moldafiei si un fat-
aimil. BucuresU, iSTL
Tomu II. Descrierca Moldaviei^ tradusa dupa texlul original laUnesc aflat
in museul asiatic al academici impériale stiintiflce de la St-Petropole, en
harta Moldaviei si un fac-«imil. BucuresU, 1875.
Tomu 111 fti IV. laioria imperiului otoman, cresterea, si seaderca lui eu
noate foarte instnietive. Tradusa de D' Jos. Ilodosiu. Partea I, BucuresU 1876.
Partca II, BucuresU, 1878.
Tomu V. Partca I, Ecenimentele CantacuzinestUor si Brancovenilor. Par-
tea 11. Divanul. Publicate si insotite en o prefatza si un glosar de G. Sion.
Bneuresti 1878.
Tomu VI. Istoria ierogli/Ua (opéra originala inedita, serisa in limba roma-
neasea in ITOt), eu o preeuTtntare analitica, si un glosar explicator de A. J.
Odobeseu. BucuresU, 1875.
Tomu Vil. Vita Constantini CantimirU si collectanea orientalia (sous presae).
2. istoria Rominilor $ub âtihaiu \oda Viteazul^ urmata de scrieri diverse
de Nieolai Balcescu, publicata dupa decisiunea societatU academiee romane si
insotite en o precurintare si en note de A. J. Odobeseu. Bucuresti, 1878.
388 BULLETIN HISTOUQUE.
à Païenne en 4852. Cette œuvre, écrite sous l'inspiration réyolution-
naire de Tépoque, accorde peut-être au patriotisme plus que ne peut
tolérer Thistoire. Elle n'en reste pas moins un travail remarquable,
tant par la richesse et la variété des sources utilisées, que par les
pages vraiment éloquentes qu'elle renferme et qui en font un monu-
ment littéraire de premier ordre pour les Roumains. L'édition a été
soigneusement revue par M. Odobescou.
Les membres de la section historique ne se sont pourtant pas seu-
lement bornés à encourager et favoriser le mouvement historique.
Ils ont mis eux-mêmes la main à l'œuvre, et les annales de l'Aca-
démie roumaine contiennent déjà plusieurs travaux d'une véritable
valeur sur l'histoire de ce peuple. Nous ne mentionnerons que les
principaux : le plus ancien en date et en même temps le plus riche
en faits historiques est sans contredit celui de M. Papiu Ilirun, sur la
vie, les oeuvres et les idées de Georges Sçhinkài\ Roumain de la Tran-
sylvanie, qui le premier entreprit de régénérer son peuple en lui fai-
sant connaître son histoire. Son ouvrage, à la composition duquel Schin-
kai travailla pendant toute sa vie, est tiré d'une collection de notes et
de documents amassés par lui, qui comprend 44 vol. gr. in-4^, que
M. Densouchanou vient de déterrer dans les bibliothèques de la Tran-
sylvanie, ainsi que nous l'avons rapporté plus haut. Schinkal suit
l'ordre chronologique à partir de l'année 86 après Jésus-Christ jus-
qu'en 4 739. Quoique l'ouvrage fût déjà terminé en 4 808, il ne put être
imprimé qu'en 4853, longtemps après la mort de l'auteur, à Jassy,
sous le règne du prince Grégoire Ghyca, car la censure hongroise
refusa toujours l'autorisation de l'imprimer en Transylvanie. Elle
apostilla même l'ouvrage de Schiniiaï de la manière suivante : « Opus
igné, auctor patibulo dignus. » Edgard Quinet apprécie de la
manière suivante le travail de Schinkal : « Depuis les temps les
plus reculés jusqu'en 4739, l'écrivain roumain reprend, raconte,
discute chaque année en particulier. Chemin faisant, il met aux
prises les historiens polonais, hongrois, russes, et il les con-
traint de rendre jour par jour à la race roumaine le témoignage
qu'ils ont essayé d'éluder. Où ils n'ont été qu'incomplets, il les
achève les uns par les autres-, où ils ont sciemment faussé la
vérité, il la leur arrache avec éclat, et il reprend ainsi sur eux
toutes les dépouilles nationales. Au milieu de trois ou quatre
races ennemies, l'historien conquiert, année par année, jour
par jour, la vérité historique, comme un champ de bataille. »
l. Viata, operile si ideile lui George Sincai din Siw^a, discursul de recep-
tiuin a diui A. Papiu Ilarian. Bucuresli, 1869.
BOdHAIVIE. 389
Que Tauteur au milieu de cette mêlée n'ait jamais été entrainé
par sa religion pour ses pauvres Roumains à des représailles contre
ses adversaires de Pologne, de Hongrie, de Russie, qui pourrait
Taffirmer? Il est seulement constant que par-dessus tout il cherche
la lumière, que, loin de taire les traditions, les systèmes opposés, il
les étale avec complaisance ; qu'il laisse amplement la parole à Ten-
nemi; qu'aucun livre n'est plus nourri do documents officiels,
d'actes, de lettres, de diplômes, de traités, de monuments authen-
tiques; que de tous côtés sont réunis les éléments difers de la
certitude. Le lecteur seul est chargé de porter le jugement, méthode
qui place l'auteur au rang des créateurs de la grande école historique
du xïx"" siècle. Si l'on considère qu'il a été conduit à cette savante
méthode de n50-'l808, c'est-à-dire dans un temps où aucun
des travaux de la critique contemporaine n'avait encore paru, et
lorsqu'un esprit tout différent régnait dans l'histoire, l'admira-
tion s'ajoutera à la surprise*. » Cette appréciation doit être com-
plétée par la remarque suivante. Dans un autre pays, Schinkai
n'aurait eu qu'un mérite scientifique : chez les Roumains, c'est lui
qui par son œuvre les a rappelés à la conscience d'eux-mêmes,
presque étouflee sous le régime abrutissant où ils avaient vécu durant
des siècles. Ailleurs, Schinkal n'aurait créé qu'une science^ chez
les Roumains, il a donné la vie à un peuple.
Une pareille personnalité était donc digne à tous égards de devenir
l'objet d'une élude historique. C'est ce que le savant jurisconsulte
et historien roumain, dont le pays déplore la perte, a exposé avec
une science profonde de l'époque et du pays où Schinkal a vécu.
M. .\lexandre Papadopoulo-Callimiqub a inséré dans les bulletins
de r.\cadémie une étude sur les noms daces de plantes qui sont cités
dans Dioscoride et dans Apulée^. M. Callimaque s'efforce d'identifler
quelques-uns de ces noms avec ceux que l'on trouve encore aiyour-
d'hui dans la bouche du peuple roumain, et de retrouver ainsi dans
le roumain actuel des restes de la langue dace. Les résultats aux-
quels l'auteur arrive sont pourtant bien minces; à peine deux ou
trois noms, parmi plus de trente, qui ont été conserva par les deux
écrivains anciens.
.M. Démètre A. Stodrza, l'auteur de la collection des documents sur
la (luestion du Danube, numismate et grand amateur d'antiquités,
possède la plus riche de toutes les collections connues de monnaies
1. Edgard Qoinet. Œuvres complètes. Ptiis, 1857 : Les Roumains, p. 65.
2. Tiré aussi à part sous le titre de : Diosearides si Apuiehu. (Botanica
daco-getica), de Alexandra Papadopol-Calimak : membru actiial al sodetAtei
academioe romane. Bucoresti, 1875.
390 BULLETIN HISTO&IQUB.
roumaines, ainsi qu'une collection de portraits de princes roumains
qui n'a pas son égale. 11 a pubUé deux études portant sur ses objets
favoris : Une bibliographie de la numismatique roumaine^ qui pour-
suit les traces des monnaies roumaines dans tous les écrits de
numismatique parus jusqu'à ce jour, surtout dans ceux, assez rares,
du moyen âge. L'autre dissertation a pour objet les portraits des
princes roumains^ qu'il étudie tant dans sa collection qu'ailleurs.
M. Athanase MiRuif-MiRiEifEScu a publié, comme complément
à l'étude de Papiu Ilarian , une étude sur la vie et les osuvres de
Pierre Mator*. Ce Roumain de la Transylvanie fut le collègue
d'études et l'ami de Schinkai et concourut à Tœuvre entreprise par
celui-ci de faire connaître aux Roumains leur histoire. Il écrivit
avec beaucoup d'érudition une histoire des origines des Roumains
en Dacie^ ainsi qu'un traité sur la langue des Roumains. Gomme
son étude ne touchait pas aux temps modernes , l'impression en
fut autorisée, et il y en eut deux éditions consécutives dans la capi-
tale de la Hongrie, à Buda-Pesth, la première en 4842, la seconde
en 4835.
M. Pierre Poknariu, membre aussi décédé de l'Académie, a publié
une biographie de Georges Lazare^ ^ Roumain de la Transylvanie, qui
le premier ouvrit à Bucharest, encore soumise au régime des phana-
riotes, une école roumaine. Les Grecs eux-mêmes avaient grand
besoin d'une école qui format des arpenteurs roumains, en état de
lire et de comprendre le sens des anciens documents, pour pouvoir
trancher les nombreux procès en délimitations de terres qm* se pro-
duisaient à cette époque dans les pays roumains. Voilà comment une
école roumaine put voir le jour sous le régime des Grecs du Pha-
nar. Lazare, élevé à l'école de Schinkaï et de Pierre Maior, entre-
mêlait dans ses leçons de mathématiques des cours sur Thistoire
nationale ; c'est ainsi que le réveil des esprits qui s'opérait en Tran-
sylvanie ranima aussi les Roumains de la Valachie à la vie nationale.
La biographie et l'activité de cet apôtre de la régénération roumaine
sont exposées par Poénariu en pleine connaissance de cause, car il
fut son élève à Técole de Saint-Sava.
Nous rappellerons enfin les fouilles importantes entreprises par
M. TociLEScou dans la province nouvellement annexée à la Roumanie,
la Dobroutscha; on y a découvert une foule de monuments romains
1. Tiré à part sous le titre : Gheorgkie Lazaru si scoala romana de P. Poé-
nariu, eu portretul lui Lazaru si anexe, Bucuresli, 1874.
2. Viata si operile lui Petru Maior, de Atanasiu Mariaa Harienescu. Bu-
curesli, 1S83.
DAlfBMi&I. 394
de la plus haute importance, qui sont destinés non seulement à jeter
de la lumière sur les premiers temps de la Dacie, mais aussi à enri-
chir en général la connaissance de Thistoire romaine. M. Tocilescou,
après avoir communiqué ses découvertes à l'Académie, les publia
dans la Remte d'archéologie de Vienne*, ainsi que dans la Revisia
pentru istorie^ archéologie si filologie qui parait à Bucharest sous sa
direction.
A. D. XihopoL.
DANEMARK.
PUBLICITIOXS RELATIVES AU MOTEH AGE ET A l'^POQUE MODErTE.
Le célèbre historien suédois E. G. Geier a dit une fois que Tunion
de Calmar, qui forma un seul royaume des trois États du Nord, était
un accident, qui avait Tapparence d^une pensée. Elle ne résultait
pas d'un rapprochement successif des nations et n'avait pas été assez
préparée pour pouvoir réussir. On peut dire que le professeur
Erslbv, dans son important livre sur la reine Marguerite ', a voulu
prouver la vérité de cette théorie sur l'union des trois États. Il a
voulu démontrer qu'il n*y avait en réalité ni rapport ni ressemblance
entre l'union de Calmar et le scandinavisme moderne; à ses yeux
Tunion de 4397 n'est pas partie de cette pensée que trois peuples
d'une origine commune, de langue et de mœurs si peu différentes,
ne devaient pas se ruiner par des guerres mutuelles, pour devenir la
proie facile des États et des princes étrangers. Ce sont là plutôt les
idées de nos politiques modernes que celles des hommes d'État du
XIV* et du XV* siècle. La question des nationalités ne jouait alors qu'un
r6le secondaire au moyen âge ; par exemple, le but principal de la
politique de Valdemar Atterdag ftit de créer un pouvoir royal ferme
et presque absolu. De même Marguerite chercha à subjuguer les
nobles Danois si puissants, à dompter la haute noblesse suédoise,
à diminuer l'influence du conseil (rigsraad) et à maintenir son
autorité intacte en laissant vacantes les hautes charges de la cou-
1. Archaeolo^ftch-Epigraphische Mittheilun^D fÛr Œtterreich. 1882, Joli.
Imchriflen aus der Dobroudêdu», Ton Gr. G. Tociletai.
2. Kr. ErsleT. Dronning Margrethe og Kalmanimi4mêni GmndUdÇçelm,
1882. Jac. BnleT.
392 BULLETIN HISTORIQUE.
ronne. Les raisons qui poussèrent Marguerite à établir TUnion se
montrent par la manière dont elle Fa mise ensuite à exécution^ ainsi
l'on ne voit pas qu'elle ait jamais songé à réunir les trois nations
en un seul État ^ elle a donné des fiefs et des évéchés en Suède à des
Danois; elle a marié ses vassaux danois à des suédoises, mais
d'autre part elle n'a pas introduit de Suédois en Danemark. Loin de
chercher à éveiller le sentiment national par des guerres contre les
Allemands, elle se servait de vassaux allemands pour soutenir son
pouvoir. C'est la suprématie du Danemark qu'elle a voulu établir
dans les trois pays. Aussi le traité de Calmar, qui conservait l'admi-
nistration et les lois particulières de chaque nation, ne pouvait-il pas
plaire à la reine ; et c'est ce qui explique, d'après M. Erslev, pour-
quoi ce traité n'a jamais été qu'un acte provisoire ; on sait en effet
qu'on n'en a jamais dressé un instrument officiel et détaillé, et que
plusieurs personnes nommées comme témoins ne l'ont pas signé.
Nous doutons fort que le professeur Erslev ait dit le dernier mot
sur l'union de Calmar et sur l'idée qui l'inspira. La crainte de se
laisser influencer par des idées modernes ou trop optimistes semble
avoir inspiré son opinion, qui n'est pas exacte de tout point. Nous
sommes d'accord avec M. Erslev pour admettre que le but principal
de la reine était de fonder un pouvoir royal ferme et puissant ; les
pays Scandinaves en avaient le plus grand besoin et c'est justement
le grand mérite de Marguerite d'avoir mis un obstacle à l'influence
des États allemands dans le Nord en fondant ce pouvoir. Mais la
conclusion que tire l'auteur de son administration après ^ 397, quant
a ses idées principales sur l'union Scandinave, ne nous semble pas
décisive. Rien n'empêche que la reine, pendant qu'elle préparait son
plan, n'ait eu l'idée d'un rapprochement plus intime entre les trois
nations et qu'elle n'ait été obligée de l'abandonner, quand elle eut
fini par régner sur les trois royaumes. Il n'est pas rare dans l'histoire
des hommes d'État, que, arrivés au pouvoir, ils se voient forcés
de changer, au moins pour quelque temps, leurs vues politiques.
Ailleurs, M. Erslev élève trop légèrement des soupçons contre les
intentions et la sincérité de cette grande princesse, et il ne semble
pas avoir bien remarqué à quel degré les récits sur Marguerite et sur
son administration sont dus à des étrangers ou à des personnes hos-
tiles à sa politique. Malgré ces objections l'ouvrage de M. Erslev est
important au plus haut degré ; ses études des sources témoignent
d'une critique très fine, il a fouillé partout dans les archives et dans
les livres pour trouver les matériaux si dispersés et si morcelés sur
lesquels il a fondé son opinion. C'est un ouvrage capital pour toute
cette époque ; on peut le comparer à l'œuvre si solide et si intéres-
DAlflMARK. 393
santé du professeur Schsfer à léna sur les villes hanséatiques et sur
Valdemar Atterdag.
L'architecte Lcefflee a publié un excellent livre sur nos églises
du style roman ^ En dehors de ses beaux châteaux de la renaissance,
le Danemark est représenté au point de vue architectoni(iue surtout
fiar ses églises du style roman bâties pendant la période dite des Val-
demar (H 57-4 241). Après que la nation eut vaincu et expulsé ses enne-
mis, il se produisit un vif mouvement d'activité surtout parmi le
clergé, dont les grands prélats, appartenant pour la plupart à nos
familles les plus nobles, favorisaient toute sorte de culture. Quelques-
unes de nos églises sont plus anciennes, par exemple les belles
cathédrales de Lund, de Ribe et de Viborg, mais la plupart sont de
la même époque. Le pays n'était pas riche en pierre -, il a fallu
employer le granit et le travertin, ou faire venir des pierres des
autres pays. La ville de Ribe faisait un commerce étendu avec les
pays de TOuest; ses navires lui apportèrent le tuf du Rhin. La cathé-
drale de Ril)e ainsi qu'une foule d'églises du voisinage sont cons-
truites avec cette pierre prise à Andernach, et même le style de la
cathédrale est conforme à celui des anciennes églises de Cologne,
d'Andernach, etc. A la fln du xir siècle, nous commencions h cuire
de la brique et à l'employer dans la construction des églises. Au
xiT^ siècle, on bâtit moins, et le gothique n'est représenté chez
nous que par un petit nombre de monuments. La cause en est dans
la décadence du pays. Les villes hanséatiques avaient pris le dessus
dans le commerce. Au moment où celles-ci construisaient leurs
belles églises et leurs intéressants monuments au moyen des richesses
ac(iuises dans le Nord, le Danemark était déchiré par la guerre
civile, et nos ressources i)écuniaires étaient épuisées. Il nous man-
quait aussi une pierre fkcile à tailler comme le grès, (jui aurait pu
servir aux formes multiples du gothique.
Nous relevons un autre trait dans l'histoire de nos églises : assez
souvent, elles ont été construites pour servir en même temps de
forteresses. Cette destination se démontre tout spécialement dans les
églises élevées dans l'Ile Uornholm ; sur ses quinze églises du moyen
âge, il n'en est pas moins de treize qui ont été construites de manière
à pouvoir offrir une défense aussi forte que possible contre l'iMmemi.
Il fout surtout remarquer les (|uatre églises rondes, bâties comme
le donjon du moyen âge, avec leur nef circulaire, un chœur
1. J. B. Lœfner. Vdtigt over Danmarks Kirkêbpgninger fra den lédliçere
Midàêlal<Ur (den romanske Période). Aux frais de la fondation CarUberg. Arec
beaocoap d'ilInatraUons. 1883. (C. A. Reitzel.)
394 BULLBTI!! HISTOBIQUB.
et une abside en demi-cercle ; dans l'une d'elles, on trouve même
une galerie, avec des embrasures et des créneaux. L'ouvrage de
M. Lœfller est aussi intéressant que solide; cet architecte, qui est
aussi un archéologue très savant et très compétent, a étudié de près
chaque monument; dessinateur excellent, il a illustré son livre
par une grande collection de belles figures gravées sur bois.
Le pasteur A. FABaicms a écrit un petit livre sur les rapports des
pays du Nord avec TEspagne dans les temps anciens ^ Il commence
par des études sur l'affinité des Visigoths et des Scandinaves^
puis il nous raconte les expéditions des Normands en Espagne,
les croisades et les pèlerinages des Scandinaves en ce pays.
L'auteur, qui sait l'espagnol et qui connaît bien la littérature
du moyen âge, a recueilli ses notices avec beaucoup de diligence
dans les sources étrangères et dans les sagas et chroniques du Nord.
Nous lui ferons cette objection, qu'il cite quelquefois de seconde
main sans le dire, et que ses explications philologiques ne sont pas
toujours à l'épreuve de la critique. Mais on peut consulter son livre
avec profit, et, s'il ne forme pas un ensemble, il est au moins bon
de trouver recueillis en un seul livre une foule de renseignements
sur les rapports de ces deux pays si éloignés l'un de l'autre.
Pendant les années 4 54 0-4 5, un jeune Danois, Christiern Pedersen,
étudiait à Paris. A son retour en Danemark, il fut nommé chancelier
de l'archevêque de Lund, mais, exilé quelques années plus tard avec
le roi Christian II, il passa quelque temps dans les Pays-Bas. En
4 532, il revint dans son pays et y vécut tranquillement jusqu'à sa
mort (en 4554). Pendant cette vie errante il s'est occupé de travaux
littéraires ; nous lui devons la première édition de Saxo Gramma-
ticus et la traduction de beaucoup de livres romanesques du moyen
âge; il a composé un sermonnaire, un livre d'heures, etc., et tous ces
livres dans sa langue maternelle sont écrits dans un langage aussi
beau que simple et naturel. C'est la première fois que nous possé-
dions en Danemark une littérature danoise en prose. Sans être un
auteur vraiment original ni un profond penseur, il a su éveiller l'es-
prit national et le sens historique -, il a répandu dans le peuple beau-
coup de connaissances religieuses et morales. On voit que Christiern
Pedersen a joué un rôle semblable à celui de Luther en Allemagne
et à celui d'Olaus et de Laurentius Pétri en Suède. Ce n'est pas sans
raison qu'on l'a appelé le fondateur de la littérature danoise. Il
mérite bien la biographie assez étendue que le pasteur Brandt vient
1. A. Fabricius. Forbindelseme mellem Norden og den sparuke Halvœ i
xldre Tider. 1882. (Gad.)
DAlfEMi&I. 395
de lui consacrer '. On n'y trouvera pas beaucoup de faits nouveaux,
mais la rareté des sources rendait presque impossible d'en dire
davantage.
M. Troels Luxd a continué son ouvrage sur le Danemark et la
Norvège à la On du xvi* siècle *. Le vol. IV traite du costume, le
vol. V de la nourriture et des repas. Ces deux volumes sont meil-
leurs que les précédents. L'auteur a mieux su faire son choix parmi
les documents; il ne hasarde pas autant d'opinions mal fondées ; le
volume consacré au costume contient toute une série de belles
illustrations. Le travail est assez consciencieux : Fauteur s'efforce
d'épuiser les sources de cette époque ; mais il connaît mal le moyen
âge, el il ne distingue pas bien les mœurs de notre pays de celles de
rétranger ; de là des erreurs très graves.
On a longtemps cru que l'absolutisme fut introduit en Danemark
pour ainsi dire par suite d'un accident ou d'une ruse. La l)ourgeoisie
et le clergé se sont entendus pour écraser la noblesse, qui s'était mon-
trée si funeste dans les dernières guerres ; mais ils n'ont pu empêcher
le roi d'en profiter pour organiser à l'aide d'une habile manœuvre le
pouvoir absolu. Pendant la diète d'octobre 4060, le roi, grâce à l'as-
sistance des deux États, obtint que son droit fût reconnu héréditaire
et la capitulation de 4648 fut annulée ; il fallait donc organiser un
nouveau gouvernement. Un projet d'ordonnance royale du 4 no-
vembre indique qu'une constitution parlementaire avait été pro-
jetée, et parle de la convocation des États Les affaires prirent
une marche toute différente, et le 40 janvier 4664 une déclaration
fut publiée qui reconnaissait Thérédité royale et le pouvoir absolu ;
le roi eut même le droit de déterminer plus complètement la forme
du gouvernement. Ce document a été signé partout en Danemark el
en Norvé^.
Dans un mémoire très intéressant {Uisiarisk Tidsskrift, vol. II),
le bibliothécaire M. Chr. Bauifii a démontré qu'on a eu tort de croire
que le roi s'était emparé frauduleusement du pouvoir; l'ordon-
nance qu'on a invoquée pour prouver cette allégation n'a jamais
été promulguée. Ce n'est qu'un projet imaginé, comme on en trouve
plusieurs autres, par un simple particulier qui a exposé ses idées
sur une réforme du gouvernement. En réalité l'absolutisme a été
introduit par les cérémonies du 48 octobre et du 44 novembre.
1. C. J. Brandt. Om Lunde-Kanniken ChrisUem Pederten oç hans skrifter,
188t>. (Gad.)
2. Troels Land. Danwuirk» og lYorges Bisiarie i Sluiningen af dêt \6de
Aarhundrede. I. Indre HittArie. Vol. lY-V. 1882-83. (C. A. Reitiel.;
396 BULLETIN HISTORIQUE.
lorsque les quatre États rendirent solennellement hommage au roi
en qualité de monarque héréditaire ; légalement Pabsolutisme date
de la déclaration du 40 janvier. Ces détails n'étaient pas inutiles
pour calmer les gens qui craignaient que cette forme du 'gouverne-
ment, en vigueur pendant deux siècles, n'eût été introduite par une
ruse ou par un accident.
La forme du gouvernement fut finalement fixée dans la Loi Royale
du 44 novembre 4665. L'auteur ou le rédacteur principal est le
célèbre Schumacher, plus tard anobli sous le nom de GrifTenfeld. Le
colonel Vaupkll vient de terminer la biographie de ce grand homme
d'État <.
Depuis longtemps on désirait avoir une étude approfondie et
détaillée sur le caractère, les talents et la politique de GrifTen-
feld, qu^on a toujours admiré, mais plutôt d'instinct, que par
une connaissance profonde de ses idées et de son activité. Âf . Vau-
pell apporte de nouvelles lumières sur son histoire, et il a
enrichi son ouvrage d'une série de documents inédits ; mais il est
loin d'avoir résolu le problème. Il manque de pénétration -, il consi-
dère GrifTenfeld comme un esprit trop droit et trop simple. Il aurait
fallu étudier le développement de son caractère pendant sa jeunesse,
et comment il devint si orgueilleux et si hautain -, de même il oublie
de raconter comment sa longue captivité fit naître en lui l'humilité
et la piété. En outre pourquoi l'auteurne nous peint-il pas les autres
personnes de cette tragédie avec leurs caractères si intéressants et si
différents ? C'est bien d'être enthousiaste, si on possède le contre-
poids nécessaire dans sa critique; mais celle-ci fait défaut chez
M. Vaupell, qui d'ailleurs ne connaît pas assez toutes les voies
secrètes et les menues ramifications de la politique européenne. Dans
un compte-rendu du livre, M. Fridericia a essayé de pénétrer un peu
plus avant dans les idées politiques de Griftenfeld. Il ne croit pas à
la sincérité de ses sympathies pour la Suède ; il prétend que sa poli-
tique ne doit pas être regardée comme ayant préparé ces idées Scan-
dinaves du xvni« ou du xix« siècle. Il lui refuse le mérite de la pré-
voyance ; il définit son talent comme une éminente intelligence de
l'actuel et du possible ; il lui attribue une rare faculté de louvoyer
au milieu des situations difficiles. GrifTenfeld était plein d'ambition
pour son pays et pour lui-même ; il croyait aveuglément à sa bonne
étoile, comme il l'a écrit le 30 mars 4675 à Meyercrone à La Haye :
<( Je m'abandonne aveuglément à mon destin et laisserai faire à ma
1.0. Vaupell. Rigskansler Grev Griffenfeld. El Bidrag Ul Nordens Historié
i det 17de Hundredaar. Vol. I-II. 1880-8'Z. (C. A. Reitzel.)
DA?(E1I1RK. 397
bonne fortune, qui est toujours accoutumée de mener mon vaisseau
dans un bon port. » Sa chute subite aura dû être d'autant plus dure.
Nous ne pensons pas que M. Fridericia ait dit le dernier mot sur ce
personnage ; il avoue lui-même qu'il reste encore trop à étudier,
mais des recherches comme les siennes démontrent comment il aurait
Ëillu entreprendre une telle tache. Du reste nous notons avec plaisir
que le livre de M. Vaupell est écrit d'un style chaleureux et frais et
quelquefois animé par un certain entraînement soldatesque.
A cette même époque et à l'histoire de GrifTenfeld se rapporte la
monographie de M. le pasteur Brasch ^ sur : « Télection royale en
Pologne de 4G74. » Pendant une partie de cette année on travailla
ici et en Pologne pour la candidature du prince George, frère de Chris-
tian V (plus tard époux de la reine Anne) ; mais le prince avait peu
d'inclination pour le catholicisme, et ce plan échoua. Les documents
sur ces négociations ont été publiés dans le bulletin des archives (GeA^i-
mearchivets AarsberetningeTy vol. V). M. Brasch raconte la marche
et le dénouement des affaires ; il donne quelques renseignements sur
les personnages qui y jouèrent un rôle, et c'est justement la peinture
des caractères qu'on cherche en vain dans le livre de M. Vaupell.
Selon l'auteur les débuts de cette négociation ont fourni au roi le
prétexte de choisir subitement GrifTenfeld pour son chancelier et de
le nommer chevalier de l'ordre de l'Éléphant.
Nous arrivons à une autre victime des premiers rois absolus :
Léonore Christine, 011e de Christian IV, épouse du comte d'Ulfeldt
et comme GrifTenfeld condamnée à la prison pendant bien des
années. M. Birket Smith a publié le second volume de sa belle bio-
graphie de cette dame ^, et termine ainsi toute une série de travaux
(|u'il avait commencés , i)ar l'édition du Jammersminde (souvenirs
de mes douleurs). Cette biographie restera longtemps une source
capitale pour l'histoire de cette époque. Dans le second volume nous
voyons les deux époux emprisonnés à Hammershus, la tentative
malheureuse qu'ils firent pour s'échapper, leur séjour en Danemark
après le pardon et leur dernier voyage à l'étranger. Ulfeldt entama
de nouvelles négociations avec les ennemis du Danemark ; mais sa
trahison fut découverte, et il mourut fugitif; il fut enseveli aux bords
du Rhin. Charles II fut assez ingrat pour faire emprisonner Léonore
Christine et la livrer à ses ennemis; pendant vingt-deux ans elle
t. Chr. H. Brasch. DH poUke Kongevalg, 1674. MedHenspn M Prins G^org
af Danmark, 1882. (C. A. ReiUel.)
2. S. Birket Smith. Lûoiwra ChrUUna Grevindê VlfMU Historié. Med
Bidrag tu hendet JSgiefîelles og hendes luemiMte Sl»gts Historié. Vol. Ml.
1879-81. (G>ldeiidal.)
898 BULLETIN HISTORIQUE.
languît dans une prison rigoureuse. Quand enfin la reine mère
Sophie-Amélie, son irréconciliable ennemie, mourut, elle obtint la
liberté et vécut treize ans au couvent de Manbo, toujours active et
occupée d'études littéraires. Sa vie est un roman comme il y en a
peu ; sa captivité décrite par elle-même et le changement que son
caractère y subit, n'en sont pas les parties les moins intéressantes.
M. Smitb a traité ce sujet avec toute la finesse de goût et le sens
psychologique nécessaires. Il ne se contente pas de nous raconter et
de nous expliquer les faits ; il s'efibrce encore de les considérer dans
leurs rapports avec les motifs et les caractères des personnages.
Peut-être y a-t-il un côté de la vie de Léonore Christine que l'auteur
a vu trop en beau, savoir sa conduite en qualité d'épouse d'Ulfeldt.
Sans doute on ne saurait nommer une épouse plus fidèle, plus
dévouée à la fortune bonne ou mauvaise de son mari, mais on peut
cependant se demander si elle ne lui a pas trop obéi. Il est vrai qu'à
cette époque on exigeait de la part de la femme une soumission plus
complète au pouvoir du mari ; mais chez cette âme forte et éclai-
rée on ne peut parler de soumission ; elle a été la compagne libre
de son époux, qui l'aimait en l'admirant. Danoise comme son mari
et fille du roi de Danemark, il semble douteux qu'elle ait trempé
dans les plans d'Ulfeldt contre sa patrie 5 mais on ne voit pas qu'elle
l'en ait empêché. Il est possible, comme l'a dit M. Smith, qu'elle
n'ait rien su des derniers projets d'Ulfedt pour exciter le Brande-
bourg contre les Danois ; à une époque antérieure Ulfedt lui avait
sans doute confié tous ses plans, et elle semble l'avoir suivi aveu-
glément. Son amour pour sa patrie paraît avoir été étouffé par les
mauvais traitements qu'on lui avait fait éprouver -, mais, si Ton pense
à ses souffrances pendant sa longue captivité dans la Tour Bleue, on
est plutôt porté à admirer son héroïsme, son intelligence limpide, sa
piété sincère.
M. Birket Smith a publié un autre livre qui touche en partie à la
même époque ; c'est un recueil formé des études qu'il a faites sur
Pancien drame et sur les auteurs dramatiques du Danemark ^
Parlons aussi d'un poète espagnol, le comte Bernardine de Rebol-
ledo. Cet auteur occupe une place honorable parmi les épigones de
l'âge d'or de la poésie espagnole. Après avoir combattu bravement
dans la guerre de la succession de Mantoue et dans la guerre de
Trente ans, l'empereur le créa comte de TEmpire et se servit de lui
pour des négociations diplomatiques. En 4648, il ftit envoyé par
l. s. Birket Smith. Studier paa dei garnie danske Skue^Us Omraadc, 1883.
(Gyldendal.)
DANEMARI. 399
l'Espagne à la cour de Copenhague, où il passa onze ans. Sans
jouer un grand rôle, il observait plutôt les intrigues, si nom-
breuses alors à la cour de Copenhague, qu'il n'y prenait part.
M. GiGAS, qui est bien versé dans Thisloire littéraire de l'Espagne,
et qui a étudié avec diligence la correspondance de ReboUedo aux
archives de Simancas, a consacré un fort volume ^ à son séjour à
Copenhague. On n'y trouvera pas beaucoup de renseignements nou-
veaux sur la politique, mais le livre est très riche en traits qui pei-
gnent le temps et le poète. ReboUedo a dédié à la reine Sophie-Amélie
son livre Selvas Danicas, qui, à ce qu'il parait, a dû lui plaire beau-
coup ; on a même dit qu'il avait cherché à convertir la cour à la foi
catholique. M. Gigas combat cette opinion. H n'y a pas en effet dans
la correspondance de l'ambassadeur un seul mot sur ce projet. Dans
un de ses poèmes, il invite le roi à faire revivre la vraie croyance
dans les églises danoises, mais c'est plutôt le poète que l'homme
qui parle ainsi. D'ailleurs ses relations avec la cour n'étaient pas
assez intimes pour qu'il pût viser à un tel but. Du moins ne peut-
on parler d'un essai pareil à celui qui fut tenté de conquérir à la foi
catholique la flUe de Gustave-Adolphe, tentative qu'avaient préparée
si longtemps auparavant le pape et la cour d'Espagne. Il est vrai
qu'en 4655 le gouvernement danois promulgua une ordonnance qui
défendait aux prêtres des ambassadeurs de faire des sermons ou de
donner la communion en dehors des palais de leurs maîtres ; mais
cette défense fut motivée par la rencontre accidentelle qui eut lieu
entre un domestique de ReboUedo et un pasteur danois. ReboUedo
semble avoir été d'un naturel sérieux et aimable; c'était un homme
pieux et spirituel; dans ses lettres, il se plaint souvent du mauvais
état de sa santé et surtout de ses flnances.
M. Meiborg a publié un petit Uvre sur la vie et les cérémonies à la
cour de Christian V ^.
Nous avons à parler maintenant d'une œuvre capitale, à savoir Tédi-
tion de la correspondance ministérielle de J. H. E. BernstorfT' et la
biographie de cet éminent homme d'État, par M. P. Vbdbl, directeur
du ministère des aflkires étrangères^. L'auteur est connu par divers
1. Emil Gigas. Grev Bemardino de BeMMo^ tpansk Getandt i Kjcrben»
kavn, 1C48-1G59. 1883. (Schubothe.) Arec un beau portrait du comte et quelques
documents inédits.
2. BUUder af Livel ved Ckristian den femtes Haf, 1882 (Gad.).
3. P. Vedel. Correspondance ministérielle du comte /. H. £. Bemstorff.
1751-70. Vol. MI. Aux frais de la fondation Carlsberg. 1882. (Gyldendal.)
4. P. Vedel. Den xldre Grev Bernstor/fs Minésterium, Indiedning til « Cor-
respondance ministérielle, f Paa Carlsberg Fondens Bekostaing. 1882. (Gyldendal.)
400 iTLLETf?! HISTOUQUI.
traités sur la diplomatie du Danemark au mu* siëde et par son
intéressant recueil de lettres échangées entre Bemstorff et Choiseul.
Cette biographie est digne en tous points d*un homme d'État aussi
supérieur et d'un personnage aussi sympathique que Tétait Bem-
storff. C'était un plus beau caractère que Griflenfeld; sa vie fut
aussi plus heureuse. Il eut enfhi le bonheur de servir un roi moins
jaloux que ne Tétait Christian V, et qui eut au moins le mérite de
savoir choisir pour ministres des hommes de grande habileté et d'une
honnêteté sans tache. Des aventuriers allemands provoquèrent sa
chute en 4770, mais il vécut assez longtemps pour voir leur ruine à
la révolution de janvier 4772; un mois plus tard, BemstorflT mourut.
Sa politique devint celle que suivit le Danemark dans la dernière
partie du siècle.
Quel contraste singulier entre ce livre et la correspondance poli-
tique de Frédéric II, qu'on est en train de publier en Prusse ! Bem-
storff était d'un caractère trop doux pour pouvoir haïr Frédéric U,
mais il n^avait nulle sympathie pour sa politique violente. A une
époque où la diplomatie foulait aux pieds, on peut le dire, avec un
véritable cynisme, Thonneur et les promesses, il est étrange d'en-
tendre un homme d'État déclarer comme un principe que « Thonnê-
t(5té est la meilleure des politiques, » et « qu'une guerre entreprise
sans jusLo cause, je dis plus, sans nécessité, me parait la plus redou-
Uible de toutes les résolutions que les hommes puissent prendre. »
(iCtte opinion n'est pas d'ailleurs une belle phrase, dite pour plaire
jiux philosophes du temps ou pour flatter les philanthropes ^ au con-
Irairc, elle manjue le caractère même de toute la politique de Bern-
storir. De même, TindifTérentisme religieux de Frédéric II n'aurait
pu plaire à un homme aussi sincèrement religieux que l'était Bern-
storir. Le roi de Prusse rendait pleine justice aux talents de ce
ministre, lorsqu'il écrivait en n()2 : « Le Danemark possède Bern-
slorfTet sa Hotte, » mais il le haïssait, et il le dénonça plusieurs fois
auprès de Louis XV comme espion anglais. De son côté, Bemstorff
avait Tœil ouvert sur les projets ambitieux de la Prusse, et il détes-
U'iit la vigueur de son gouvernement militaire. Le 25 février, il écrit
à M. do (ilunisses, à la Haye : « Souvenez-vous que cette monarchie
prussienne, dont vous souhaitez si ardemment la grandeur, a encore
besoin (racoroissenienls pour subsister. L'Autriche, la France, déjà
arrêtées par leur propre poids, ne s'émeuvent plus avec tant de
vivacité ni d'audace. Je les compare à des corps gras et pesants qui
n'ont plus ni Tinquièlude ni la convoitise bien allumées. Leur esto-
mac est rempli juso"*^ «ia té et Iranqu»*''' '•* monarchie prus-
sienne, au conlr 'ps — — » et nerveux, son
DA?(EM1BE. 404
appétit est toujours allumé, ses mouvements sont vifs et violents ; il
cherche à acquérir cet embonpoint, dont ses rivaux jouissent. De
qui le prendra-t-il, monsieur ? — Dernière question. Aimez-vous les
gouvernements militaires et leur despotisme, qui, plus sévère que
ctïlui des cours de l'Asie, supprime toute lil)erté naturelle et civile ?
Trouverez-vous heureux que tout soit guerrier, ou que tout sWace
devant cet intérêt, qu'il n'y ait point d'autre gl(»ire ni fortune que
celle des armes -, aimez-vous qu'un État voisin soit un camp et que
ses voisins soient forcés à le devenir eux-mêmes ? »
Le désir de Bernstorff de protéger le droit des neutres lui fit
conclure le traité de la neutralité armée, par laquelle il revendique
pour le commerce le respect des principes, qui ont fini par être
re(*onnus et adoptés par le droit des gens. Bien que le Danemark
re>stat neutre, il ne voulait pas qu'il se désintéressât de la politique
étrangère. L^armistice de Closter-Zeven montre même que parfois
il s'est risqué presque trop loin \ M. Vedel cherche à défendre sa
conduite sur ce point. Le but principal ({uc se proposait BernstorfT,
c'était de mener à lx)nne fin les querelles avec la maison Holstein-
Gottorp au moyen d'un contrat d'échange. H cherchait à mettre à
\)roi\l toutes les complications de la guerre de Sept ans. On put
croire qu'il allait toucher au but, quand la France, arrêtée par
BenistorfT qui la menaça de se joindre à ses eimemis, s'efforça
d'amener la Russie à une solution définitive. Mais Elisabeth mourut
subitement, et Pierre III monta sur le trône. BernstorfT sentit bien
qu'il allait perdre tout ce qu'il avait pré|)aré. Mais il se montra plus
ferme ({ue jamais ; tout convaincu qu'il est du danger extrême où se
trouvait le pays, il écrit, le 19 février 1762, à M. de Schack, à
Stockholm : « Vous direz à notre ami que dans cette crise il ne s'agit
point de songer à soi-même et de se soustraire aux dangers dont on
pouvait être menacé, mais qu'il faut être ferme et s'ensevelir, si telle
est la volonté de la providence, sous les ruines de sa patrie et de sa
lilierté. » l^as un moment il ne perd courage, et les opérations diplo-
matiques se continuent sans délai. M. Vedel montre les moyens qu'il
a employés, et comment le diplomate russe Saldern, dont BernstorfT
avait entrevu l'habileté, travailla pour la cause danoise. Ainsi la
guerre fht évitée ; les mois d'hiver s'('»coulaient, et BernstorfT prépa-
rait l'armée, ({uand enfin la mort de l^ierre III changea la situation.
BernstorfT aimait mieux voir chez les autres les bonnes qualités
que les mauvaises, et parfois il est trop optimiste. Aussi n*a-t-il pas
toiyours assez finement obser>é l'état intérieur des pays; par
exemple il ne voit pas la faiblesse de la Turquie ou la malheureuse
condition intérieure de la France. M. Vedel aurait pu çà et là blâmer
Rbv. Histor. XXV. 2« fabg. *2G
402 iULLEn^ HI8T01IQUB.
les idées de Bernslorff ; noais en définitive le portrait qu'il nous iraœ
de cet homme d'État est si fin et si bien fondé qu'il mérite de grands
éloges. Remarquons en terminant que le style des dépèches de
Bernstorif est très digne d'attention ; à la fois vigoureux et précis, il
est plein de chaleur et d'esprit et contient souvent des idées d'une
portée générale ; enfin on notera que Bemstorff s'exprime presque
plus facilement en français que dans sa langue maternelle.
Deux auteurs ont traité de la littérature de cette période : feu
Paludaft-Mûller dans son intéressant exposé de l'historiographie au
xviiP siècle (Historisk Tidsskrift^ vol. 4), et M. le professeur Edv.
HoLM, dans ses études sur les idées du temps relatives au pouvoir
royal et à la liberté civile ^ Comment les idées de Voltaire, de Mon-
tesquieu, de Rousseau furent-elles accueillies en Danemark ? Il ne
semble pas que Rousseau ait été l'objet d'une attention spéciale \ d'autre
part Montesquieu a été attaqué par Holberg et par Kofod Ancber.
On croyait que Montesquieu avait songé au Danemark en traçant le
tableau d'un gouvernement despotique, et Ton voulait montrer la
difierence entre un gouvernement absolu et ce despotisme. Le philo-
sophe français a plutôtnpensé h un empire d^Orient ; il a d'ailleurs
parlé d'une manière vague, et sans bien observer les nuances dans
la constitution des monarchies. M. Holm a aussi recueilli diverses
remarques d'étrangers, qui témoignent à quel point notre constitu-
tion était estimée à l'étranger, quoiqu'elle ne répondit pas aux doc-
trines des philosophes. C'étaient surtout le respect pour les lois et le
droit des particuliers qui attiraient l'attention. Tous les sujets étaient
sûrs d'obtenir devant les tribunaux une sentence impartiale, et, par
une règle qui ne souffrait pas d'exception, le roi et l'administration
ne se mêlaient pas des jugements que ces tribunaux rendaient.
C'était autre chose en Autriche et en Prusse, où Joseph II ou Fré-
déric Il annulaient assez souvent les décisions de la justice. — Enfin
M. Stolpk a terminé son livre sur la presse journalière en Danemark
jusqu'au milieu du xvin* siècle^.
Mïi 4799, le poète P. A. Heiberg fut exilé du Danemark à cause de
ses attaques malignes et continuelles contre le gouvernement. D par-
tit pour Paris, où il resta pendant tout le reste de sa vie. Sa connais-
sance des langues étrangères fut utilisée dans les bureaux de Tal-
leyrand, mais son talent, en même temps poétique et politique,
1. E. llolm. Om det Syn paa Kongemagt, Folk og borgerlig Frihed, der
udvikMe sig i den dansk-notske Stat i Midten af IScfe Aarhykndrede(VJhMO),
1883. (Gad.)
2. P. M. Stolpe. Dagspressen i Danmark, Vol. 1 IV. 1878-82.
DAIfKMAU. 403
8e?anouit : il n'écrivit presque rien. Fidèle à ses idées politiques et
religieuses d'autrefois, il s'indignait de son compagnon d'infortunes
Malte-Brun, qui semblait avoir oublié ses opinions antérieures ; il ne
le vit que rarement et vécut assez isolé. Ce n'était non seulement
Texil qui lui inspirait cette amertume; il avait encore éprouvé une
autre douleur très grande. Un an après son départ, sa femme
demanda le divorce ; depuis plusieurs années elle en aimait un autre^
le baron Gyliembourg. C'est seulement à ce moment que Heiberg
sentit ce qu'il allait perdre. Elle avait dix-sept ans quand elle épousa
Heiberg : mais à la longue, l'esprit dur et austère de son mari rebuta
sa complexion délicate et amoureuse. La honte et la douleur de
perdre sa femme, qu'il aimait au fond de son cœur et qu'il estimait,
lui firent faire auprès d'elle diverses tentatives désespérées avant
qu'il consentit au divorce. Elle épousa Gyliembourg. Le flls qu'elle
avait eu de Heiberg^ Johan Ludvig, qui plus tard devait être un
célèbre poète, fut confié au soin d'autres personnes. En 4845, Gyl-
iembourg mourut ; la mère et le Ois se trouvèrent alors rapprochés
pour toujours; enfin elle obtint le pardon de Heiberg. En 4827, son
flls publiait une nouvelle anonyme, dont elle était l'auteur, « une
histoire de la vie journalière, » qui bientôt fut suivie par d'autres;
sans quitter le voile de l'anonyme, elle s'est fait un nom considérable
dans notre littérature moderne. Elle mourut en 4856. Sa belle-flUe
vient de publier toutes les lettres relatives à cette partie de l'histoire
de Thomasine Gyliembourg et de P. A. Heiberg ^ Ces lettres intimes
ont eu un succès prodigieux : elles en sont à leur troisième édition.
Nul roman n'aurait pu peindre d'une manière plus saisissante et plus
dramatique le conflit qui se déclara entre des personnes d'un carac-
tère si différent ; on croit voir devant soi cette maison bourgeoise de
4793, où les envoyés de la République française répandaient les idées
de liberté individuelle et politique. Aussi y a-t-il un charme véritable
dans le langage et dans le style de cette jeune femme naïve et spiri-
tuelle à la fois. On a dit que Téditeur, dans le récit dont elle accom-
pagne ces lettres, s'est montrée un peu trop partiale pour sa belle-
mère. La polémique suscitée i>ar le livre a provoc^ué d'autres livres
et recueils de lettres. Mais, selon nous, ces livres, au lieu de combattre
l'opinion de M*"* Heiberg , prouvent «lu'en général elle a trouvé la
note juste pour apprécier les personnes de ce drame ^.
1. Johanne Luise Heiberg. Peter Andréas Beéberg og Thomasine GgUem-
bourg. 1S82. (Gyldendal.)
2. 1. L. Heiberg. .Brève fira P, A. Heiberg, 1883. (C. A. BdUel.) — Ch.
Thianip. P. A. Heiberg, Seconde édition, 1883. (Thianip.) — Nordisk Tidskrift
404 BULLETni HISTOUQinS.
En fail de publications généalogiques el héraldiques, il a para
plusieurs bons livres: ainsi la première année d'un nobiliaire danois,
par MM. Lore:vtze5 et Thiset^ Outre des renseignements exacts sur
tous les nobles vivants, cet ouvrage contient la liste de toutes les
familles nobles ; le volume de cette année va ainsi de la famille
Abildgaard à celle des Baden. Les tables sont suivies de belles gra-
vures qui représentent les armoiries des familles éteintes. Nous espé-
rons que cette entreprise réussira. Les matières de ce livre sont
recueillies avec beaucoup de soin, et l'ouvrage témoigne d'une grande
connaissance de l'hisloire des anciennes familles.
Le Dr. Henry Pëtersen a commencé un grand ouvrage in-folio
intitulé : Sceaux ecclésiastiques ^ ; nous espérons que ce sera un
traité complet sur les sceaux du moyen âge. Les planches sont soi-
gneusement dessinées, et la description est bonne. Le même savant
auteur vient de nous donner des études intéressantes sur un pavillon
danois suspendu à l'église Notre-Dame de Lubeck, et datant du com-
mencement du XV* siècle, antiquité assez rare pour un tel objet.
L'auteur montre que ce drapeau a été pris aux Danois dans une
bataille navale livrée devant Copenhague, et où les Danois furent
d'ailleurs vainqueurs. Il examine aussi les formes, les flgures et les
couleurs du pavillon danois au moyen âge, ainsi que la signification
des figures. A ce sujet, nous remarquons aussi que M. Lœffler, dans
une élude publiée par VHistorisk Tidsskrift^ vol. II, prouve que le
Danebrog s'est conservé jusqu'à ce jour tel qu'il était dans les armes
de la ville de Reval, capitale de Tancienne province danoise l'Es-
ihonie.
M. llKisKa écrit l'histoire de la famille Rosenkrantz (vol. II); excel-
lent ouvraj^^e, qui traite aussi des questions d'une portée générale ^.
M. UssiNG, professeur à l'université, a raconté ses souvenirs d'un
voyage en Grèce et Asie-Mineure au printemps 4882^. Il y décrit,
siuis aucun apiKireil d'érudition, les nouvelles trouvailles qu'on a
faites dans ce jKiys. Il y mêle aussi des réflexions originales. Ainsi,
il combat l'opinion de l'architecte Bohn, adoptée par le musée de
Berlin, sur la construction de Taulel à Pergame. M. Bohn soutient
ijue l'autel a été entouré d'un mur et en outre d'une colonnade érigée
1883. — s. Birket Smith. TU Bet^sninç af Hterxre Personer i SiutHtngen af
det \Sde og Beg^ndelsen af det 1M« Aarh. (A. F. Hasl.)
1. Hiort Loreutzeu o^ A. Tliis^L Danmarks AdeU Aarbog. 1884. (P. G.
Pliili|>sen.)
2. Ileiin IVterseu. Danske yeistUge SigiUer fra Mtddelaldtrtn. 1 cahiers.
Aux frai* de la foûilaliou Carisberç. IS83. •ReiUel.)
3. A. Heîse. FamilieH Hosemkrumtis iiistorif. Vol. 11. 1882. (Reitzel.}
4. J. L. Issiii^. tra HHUis og LM^msitH i toraaret 188-^ 1883. (Gjldeodal.}
DA?(ElfiRK. 405
sur la grande terrasse que décorait la célèbre frise de la gigantoma-
chie ; M. Ussing soutient au contraire qu'un pareil genre de cons-
truction n'a jamais été employé que dans des monuments funéraires,
et que les autels ont toujours été élevés isolés ou devant un temple.
Il nie aussi que les fouilles exécutées sur la terrasse aient montré les
traces d'une colonnade.
M. ANDEiE a écrit pour le grand public une description de la Via
Appia^
Un beau livre de vulgarisation, où Ton peut relever plusieurs
points de vue originaux, est celui de M. Jckrgbnsb^, intitulé : Quarante
narrations sur l^ histoire du Danemark ^.
Parmi les livres sur l'histoire de notre siècle, nous relèverons
Texact et solide récit du règne de Frédéric VII par Thorscb' et Tim-
portant ouvrage du capitaine Sœrensen : la guerre de 4864^, écrit
sur les documents officiels du ministère de la guerre. — M. Ahnfblt
a publié le journal du prince Christian-Frédéric en Norvège en 4844 *.
— Nous devons au pasteur Petersen une bonne biographie de Ilen-
rik StefTens^. — Parmi les éditions de textes et de documents, nous
signalerons : Kr. Erslev. Aktstykker og Oplysninger fit Figsraadets
og Stxndermœdernes Historié i Kristian IV* s Tid, 4*' cahier (docu-
ments pour servir à Thistoire du conseil et des États), 4883 (Klein).
— H. RcERDAM. Monumenta Historiœ Danicœ. Historiske Kitdeskrif-
ter. Cahiers 4-3, 4882-84 (Gad). — V. A. Sécher. Judicia Placiti
Regûs Daniœ Justitiarii, Samting af Kongens Rettertings Domme,
4595-IC04, 4884-83 (Gad).— 0. Nielsei. Garnie jydske Tingsvidner
(anciens témoignages rendus aux cours de Jutland), 4882. — Voici
les Utres de (quelques ouvrages topographiques : J. Ktfcu. /?t^ Bys
Historié (Gad), 4536-4660. — H. D. Lnu. Nyhoder og dets Bel}oere,
4882 (Klewing-Evers). — H. Dahlerup. Mariager Klosters og Bys
Historié, 4882 (Gyldendal). — Citons enfin un grand nombre d'au-
tobiographies ou de livres sur des auteurs modernes, par exemple :
Fr. VnKEL HoRN. N, F. S. Grundtvigs Liv og Gjerning, 4883. —
Grundtvig og Ingemann. Brevvexting, 1824-59. —H. Marte?ise?i.
Afmit Levnet, vol. I-III.
J. Stbbxstrup.
t. Poul Andr». Via Appia, dens Bistorie og Mindesmxrker. Vol. I. 188*2.
— P. Andne. Senecapaasin ViUa ved den Appiske Vei. 1883. (Gyldendal.)
2. A. D. Jœrgensen. Pyrretyve PorUtlUnger af fxdrelandeU Historié, 1882.
(Gad.)
3. Tborsa*. Kong Frederik den Sgvendes Regering, Vol. I. 1882-84.
4. C. Th. Sœrensen. Den anden Slesvigske Krig. 3 vol. 1881-83. (Gyldeodal.)
5. A. Ahnfelt. Kmg Christian VlWs ùagt>og fra BegenUiden i Norge. 1883.
(Gyldendal.)
6. Richard Peiersen. Henrik SUffens, 1881.
406 co]frrB8-ii?rDUs cimouBs.
COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
Die rœmische Grandsteuer und da^ Vectigalrecht, par Berahard
Matthiass, 4882. Erlangen, Deichert, in-8" de 84 p.
Le livre de M. Matthiass se compose de deux parties bien distinctes.
IjSl dernière, consacrée au Vectigalrecht , est essentiellement juridique :
l'auteur étudie surtout les rapports entre TÉtat et les particuliers au
point de vue fiscal. Nous n'avons pas à examiner ici cette partie. Dans
la première, il s'occupe de la Grundsteuer, du principe de Timpôt chez
les Romains. Il admet que jusque sous Garacalla il y eut un double
principe d4mpôt : l'impôt sur le sol, pour les provinciaux, l'impôt sur
la fortune, pour les citoyens romains. « Les deux systèmes furent con-
servés, parallèlement l'un à l'autre, jusque sous Garacalla. Â partir de
son règne, on commença à appliquer aux provinces le système du
tributum des citoyens romains (page 9). » Au iv* siècle, nous sommes
en présence d'un système unique. Le principe est alors , dans
tout l'empire, comme autrefois à Rome, Timpôt sur le capital. — La
théorie de M. M. est donc entièrement contraire à la théorie générale-
ment adoptée, suivant laquelle l'impôt provincial (foncier et personnel)
aurait été étendu, sous Dioclétien, à l'Italie et aux citoyens romains :
suivant lui, c'est le tributum civium romanorum (sur le capital) qui
aurait été introduit dans les provinces.
M. M. sait beaucoup de choses : il a lu infiniment d'auteurs, et il
serait difficile de rêver une bibliographie plus riche que celle qui remplit
les notes du livre. Mais il a trop étudié les dissertations, et pas assez
les textes. Il en est résulté qu'il a été séduit et égaré par les théories
d'un homme fort habile et do premier mérite d'ailleurs, Rodbertus
Jagetzow. llodbertus est dangereux : ses idées ont toujours quelque
chose d'attrayant, de nouveau, qui gagne au premier abord ; mais elles
sont loin d'être conformes à la vérité historique, à celle qui ressort des
textes. Il on est de môme de celles de M. M., qui en dérivent. Son his-
toire de l'inipùt romain appartient au domaine de la théorie, on serait
presque tenté de dire de l'allégorie. Elle est trop simple pour être
vraie. Otto opposition primitive entre les deux systèmes n'a guère
existé ; les provinces n'ont jamais payé exclusivement l'impôt foncier ;
on no l'a pas appliqué dans toutes les provinces ; le tribut des citoyens
romains n'existe plus au second siècle ; les citoyens qui habitent
la province sont soumis aux impôts provinciaux. Au iv« siècle,
il y a une contribution foncière que les textes distinguent bien des
autres : c'est la terre qui paye et non les personnes ; Timpôt est mis sur
JOéL : BLICiLE I?f DIK RELIGI0!fSGB8CflICHTB. 407
le sol en tant que sol, non pas en tant qu'objet de propriété. Ce qu'il
est très vrai de dire, et M. M. a eu raison de le foire remarquer, c'est qu^,
dans le système financier d'alors, il y a beaucoup de points qui rappel-
lent le système primitif. Mais ces points de contact viennent de ce que,
dès l'origine, l'impôt provincial a ressemblé à l'impôt romain, parce que
les Romains ont le plus souvent gardé le système qui existait avant la
conquête, et que les régimes financiers des États antiques ne différaient
guère les uns des autres.
C. J.
D' M. JoëL. Blicke in die Religionsgeschichte sa Anfuig des
rweiten christiiehen Jahrhaiiderts ; zweite Abtheilung. Der
CiOnflict des Heidenthums mit dem Ghristenthum in seinen Fol-
gen fiir das Judenthum. Breslau et Leipzig, SchotUaender, 4883.
4 vol. in-48, de 490 p.
La première partie du présent travail, parue en 1880, a été accueillie
avec intérêt, comme offrant la preuve d'une curiosité élevée servie par
une investigation abondante et exacte. Voici comment M. Joël justifie
les recherches nouvelles dont il livre aujourd'hui les résultats au public.
La persécution contre le christianisme, qui a duré de la fin du
i*' siècle jusque vers l'achèvement du ii«, a amené les Romains à faire
entre chrétiens et Juifs une différence, que les chrétiens eux-mêmes ne
faisaient pas encore, la rupture véritable entre ceux-ci et les Juifs
n*ayant eu lieu qu'au n« siècle. La littérature chrétienne a pris alors
une attitude hostile à l'égard du judaïsme. Les témoignages sur ou
contre les Juifs que l'on rencontre chez les écrivains chrétiens de cette
époque ne doivent être accueillis qu'avec une extrême défiance. Les
apologistes chrétiens du n« siècle ont recours constamment à des pro-
cédés de fraude pieuse ou de dénigrement pour flatter les empereurs
qui persécutaient leurs coreligionnaires et se concilier l'opinion publique.
Les chrétiens essaient de faire croire qu'ils ont toujours été au mieux
avec le pouvoir et que les empereurs leur ont, de tout temps, témoigné
une vraie sympathie. Toutes les calomnies dont ils ont souffert en divers
temps et lieux viennent des Juifs. M. Joël voudrait établir que le moyen
âge a pris pour tâche de rendre aux Juifs tout le mal qu'ils passaient
|)our avoir fait autrefois aux chrétiens. Il croit pouvoir affirmer que
cette loi du talion fut appliquée selon un programme méthodique. Ainsi
les Juifs étaient assujettis à un impôt sur les dés à jouer, parce que les
soldats avaient tiré au sort la robe de Jésus. Si on les accusait d'em-
ployer du sang chrétien pour les rites de leur religion , c'est qu'ils
avaient accusé les premiers chrétiens de ce crime, etc.
Il est assez difficile de suivre M. Joël dans son excursion un peu irré-
gulière à travers les faits , les livres et les personnes. Sans tenir pour
définitives ces opinions, dont bon nombre ont besoin d'être soumises à
408 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
un nouvel examen et dont quelques-unes frappent par leur caractère
excessif, nous ne lui refuserons point le sérieux mérite d'avoir hardi-
ment posé les termes d'un des problèmes les plus intéressants qui
touchent aux origines mêmes de la société moderne.
M. Vernes.
Konrad von Marbnrg und die Inquisition in Deatschland, aus
den Quellen bearbeilet, von Dr. Balthasar Raltnbr. In-S^, x-498p.
Prag, 4882, Verlag von F. Tempsky.
Malgré tout l'appareil scientifique dont il a pris soin de Tentourer,
le livre de M. K. n'est guère qu'une œuvre de polémique. Les premières
lignes le donnent à penser tout de suite ^, et l'examen le plus rapide ne
laisse aucun doute à ce sujet. Ces remarques préliminaires justifie-
ront à tous les égards, nous l'espérons, le caractère du compte rendu
que nous allons présenter.
Dans ce compte rendu, remarquons-le tout d'abord, nous laisserons
de côté la biographie proprement dite de Conrad de Mar bourg ^. Nous
nous en tiendrons aux points qui, avec le rôle de ce personnage dans
la persécution de l'hérésie, peuvent être considérés comme formant le
corps même du travail que nous étudions, ou du moins en donnant le
mieux l'esprit. Nous voulons dire les principes mêmes sur lesquels se
fonda la justice inquisitoriale en Allemagne comme ailleurs, et surtout
l'indication des doctrines hétérodoxes qu'elle eut à y combattre. Ces
points suffiront, d'ailleurs, amplement à nous occuper, et à fournir
aussi, nous le croyons, la preuve de Tassertion que nous avons émise
en débutant.
Dans cette partie de son livre, comme dans celle que nous laissons de
côté, M. K., il faut le reconnaître, tient ce qu'il a promis. Il remonte tou-
1. Voir Vorworty p. v.
2. Un point important de cette biographie est la question si controversée de
savoir quelle fut la condition véritable de Conrad de Marbourg, s'il fut simple-
ment prêtre séculier ou membre de quelque grand ordre religieux. M. K., au
bout d'une discussion très complète, qui est assurément ce qu'il y a de meil-
leur dans son livre, arrive à conclure que Conrad fut certainement prêtre sécu-
lier, et, dans les derniers temps de sa vie, affilié probablement au tiers ordre
de saint François. Cette conclusion semble fort juste. Voir g 17 : Konrads
Stand, p. 72-8"2. — Voir également, pour les rapports du même personnage
avec la cour de Thuringe et avec sainte Elisabeth de Hongrie, qui l'eut, on le
sait, pour confesseur, V. cap : Konrad als Beichvater der M. Elisabeth am
Hofe von ThUringen, p. 9^ ~^. . : Konrads ThaeUgkeU und seine Sorge
fur die heil. Elisabeth, i ce < concenie enfin le porirmil beau-
coup p flatté, poai ■*'' '•'^ 4e Gonraid * ^ voir
particuj < ^««tMlt^ie* '' ^^:
Charakv
KALTIfBR : KONRAD TON MARBVRG. 409
jours aux sources. ObserN'ons cependant, sans vouloir diminuer son
mérite d'en avoir agi de la sorte, qu'il n'a eu bien souvent pour cela
qu'à repasser par des chemins tout tracés. Pour ce qui concerne notam-
ment l'histoire do Thérésie, môme en Allemagne, et celle de la pénalité
inquisitoriale, les travaux de MM. Ficker et J. Havet, le livre surtout
de Schmidt, qui n'a point vieilli malgré sa date déjà ancienne, ont pu
lui épargner tout embarras et proi^que toute peine dans ses recherches.
Mais, à cet égard môme, nous avons des remarques à faire autrement
importantes que celle-là. Pounfuoi, par exemple, M. K. n'a-l-il pas usé
une seule fois du livre de Moneta, ni du traité de Raiuier Sacchoni,
sous sa forme primitive, celle qu'ont donnée Martène et Durand au
tome V du Thésaurus novus anecdotorum, la seule authentique et réelle-
ment utile? Ce sont là pourtant deux sources capitales d'informations.
Moneta et Rainier étaient Italiens, c'est vrai. Mais M. K. ne s'est pas
fait faute à l'occasion d'invoquer le témoignage de I^aoul Glaber, do
Guibert de Nogent, de Pierre de Vaux-Cernai, de Geoifroi de Vigeois,
de Luc de Tuy^ Les deux écrivains qu'il a négligés pouvaient lui
8er\'ir aussi bien, et môme, pour tout dire, beaucoup mieux que tous
ces chroniqueurs, qui ne sont pas Allemands. Ils ont prétendu tous
les deux donner une idée générale et complète des doctrines dualistes
dans toutes leurs nuances. En fait, pour se servir sans crainte d'erreur
des renseignements fournis par eux, il suffisait d*abord de déterminer
nettement la nature du catharisme germanique.
Disons immédiatement que c'est, à la vérité, un point qui demeure très
vague chez M. K. Penser, comme il le fait, que les cathares allemands
se rattachaient vraisemblablement au dualisme absolu, parce qu'ils
reconnaissaient deux dieux, l'un bon et l'autre mauvais ', c'est donner
de cet avis une raison tout à fait insuffisante. Ces deux dieux, les dua-
listes mitigés les admettaient aussi, bien qu'avec certaines réserves. En
tout cas, ils figuraient dans le système très important de Jean de Lugio
au môme titre que dans le dualisme primitif^.
Il se peut après tout que la nature exacte du catharisme allemand
soit très difficile, sinon impossible à préciser. Mais alors, comment,
ainsi que M. K. le soutient ailleurs^, une secte aussi obscure, et, on a
le droit de le penser, [>ar suite assez faible en Allemagne, aurait-elle
fait courir à l'Église dans ce môme pays un danger plus grand que
dans tout autre? Quelque aide que lui prêtassent pour relaies Vauduis,
et surtout les Lucifériens et les Frères du Libre-BIsprit, d(mt l'auteur
exagère, selon nous, grandement la puissance', la chose demeure invrai-
1. Voir p. 55, 56.
2. Voir p. 49, 50.
S. Voir C. Schmidt, HUtoire et doctrine de ta secte des Cathares o« Atbi-
froif, t. II, p. 53.
4. Voir p. 13.
5, Vdr^ sttr cas deax derolères sectes, H 13 et 14, p. 58-65. En ce qui toacbe
440 COHPTBS-BBIIDUS ClITIQUBS.
semblable. C'était en Italie et dans le midi de la France qu'était à la
même époque le péril le plus menaçant pour l'église de Rome. Nous
n'insisterons pas sur cette remarque. Mais n'y peut-on pas voir déjà
une preuve de ce que nous avons indiqué tout de suite chez M. K., le
parti pris de soutenir une thèse, ce dont nous avons, d'ailleurs, bien
d'autres témoignages et autrement décisifs que celui-là ?
A l'omission absolue de certaines sources qui vient d'être relevée,
s'oppose dans le travail dont nous parlons l'emploi poussé jusqu'à Tabus
de certaines autres. On ne saurait y voir une compensation, car ces
dernières sont aussi défectueuses que sont excellentes au contraire
celles dont M. K. s'est abstenu de se servir. Il s'agit du livre du béné-
dictin allemand Eckbert et de l'amplification du traité original de Rai-
nier Sacchoni, amplification faite en Allemagne dans la seconde moitié
du xni* siècle et désignée par les érudits sous le nom de Pseudo-Rainier.
Or, Eckbert a, de son propre aveu, assimilé perpétuellement les Cathares
de son temps aux Manichéens primitifs. Sous prétexte que les uns et
les autres admettaient deux principes, et que les membres d'une des
sectes manichéennes portaient la dénomination très voisine de Catha-
rùtae, il a cru pouvoir, comme l'a fait aussi le dominicain Etienne de
Bourbon, appliquer aux dualistes du xii« siècle tout ce que saint Augus-
tin a dit de ceux du v«. Il semble enfin le représentant le plus net de
la croyance à l'identité du manichéisme et du catharisme, admise sans
plus ample examen par tous les docteurs du moyen âge, à laquelle les
auteurs modernes n'ont pas tous renoncé encore, dont nous ne jurerions
pas que M. K. lui-même fût entièrement dégagé % mais dont Schmidt
a démontré le caractère insoutenable. Quant au Pseudo-Rainier, c'est la
compilation la plus informe et manifestement la plus absurde qui puisse
se rencontrer. La précison de certains détails, loin de témoigner en sa
faveur, est faite au contraire pour mettre en défiance la critique la plus
débonnaire. M. K. ne pouvait donc plus mal choisir ses auteurs de pré-
dilection. Parmi tous les écrits contemporains du catharisme, il n'y
en a pas probablement qui soit mieux fait pour tromper l'historien sur
la nature réelle de cette doctrine religieuse.
aux Frères du Libre-Esprit, nous remarquerons que M. K. donne au plus célèbre
des disciples d'Amauri de Beynes, David de Dinan, le prénom de Guillaume.
V. p. 63. Nous ne savons sur quelle autorité. Le nom de ville, joint au prénom
de ce David, doit s'écrire également, il semble, Dinan et non Dinant, comme
il le fait.
1. Voir, p. 28, ce qu'il dit des origines du catharisme. La même supposition
peut s'appuyer également de ce qu'il dit de la hiérarchie cathare (p. 53), et
de la fête attribuée aux hérétiques et ' e sous le nom de Malilosa (p. 54).
Mais ce sont là tout des ex i où M. K. a été entraîné pour
avoir accepté a?» ent louif IcJdbert. La hiérarchie, do»*H
par lui et au p' •"'ment manichée'*-' ^ ^^
MalUosi — *fc. «'«^ mi
duali* «J
KALT^IEE : KO^TIAO TO?r MiliUlG. 444
Voilà, si nous ne nous trompons, un certain nombre de défauts assez
graves pour affaiblir notablement la valeur et la portée du livre qui
nous occupe. Mais il y a plus. Nous ne pensons pas trop nous avancer
en affirmant que c'est presque à chaque page qu'il faudrait s'arrôter
pour relever l'emploi d'une source douteuse, remettre un fait dans son
véritable jour, discuter une assertion contestable. On comprendra que
nous n'abordions pas une semblable entreprise. Ce compte rendu ne
sera que trop long sans cela. Nous n'y ajouterons plus qu'un petit
nombre de points, qui mettront définitivement hors de doute, il nous
semble, le parti pris que nous avons déjà signalé à plusieurs reprises
chez l'auteur.
M. K. (p. 27) trouve tout naturel que les juges d'inquisition se soient
toujours refusés à faire connaître aux prévenus les noms de leurs accu-
sateurs. Il ne donne pas, du reste, de cette mesure contraire à tout droit
d'autre excuse que celle dont se sont servis les souverains pontifes
eux-mêmes, ce qui est tout à fait insuffisant. Mais ce n'est là qu'un
détail.
Dans la partie de son livre intitulée : Die Denkwcise des MitUlaliers
ilber die Ketzerstrafen*^ M. K. veut établir qu'en ordonnant de brûler
les hérétiques l'église romaine ne faisait que se conformer au sentiment
même de l'époque où elle ordonnait ces exécutions. Nous ne croyons
pas que son argumentation soit bien péremptoire. Il n'examine pas
si en édictant eux-mêmes un certain nombre de décrets contre l'héré-
sie, en en obtenant ou en en arrachant un certain nombre d'autres des
princes séculiers, en imposant enfin à la société civile le maintien et la
pratique de cette législation pénale, les souverains pontifes n'avaient
pas créé en grande partie lopinion à laquelle ils paraissaient simple-
ment obéir. U ne considère pas davantage si l'esprit manifeste de
l'Évangile leur laissait le droit d'en agir ainsi. £n dehors du droit, il ne
se demande point si l'abandon de cette tradition de clémence, démon-
trée par Limborch et par Schmidt^, et sur laquelle il passe si Iég^rc-
ment, ne constituait pas pour eux un danger plus grand que celui qu'ils
voulaient conjurer par cet abandon même. En y persistant, ils pouvaient
ne pas prendre le moyen le plus énergique de restaurer leur domination
ébranlée. En la répudiant, ils compromettaient à coup sûr leur prestige
moral, c'est-à-dire le fondement môme de leur puissance '.
Au cours de l'argumentation, dont nous venons d'indicpier les lacunes,
M. K. cite, en les déclarant absolument exactes, les paroles suivantes
de M. Dollinger, dans son livre Kirche und Kirchen : « Ces sectes gnos-
tiques ('0, les Cathares et les Albigeois... étaient les communistes et les
socialistes de ce temps-là. Ils attaquaient le mariage, la famille et la
t. i 3. p. 12-17.
2. Voir HUloria inquisUionU, p. 1-4, 16-21, et Histoire et doctrine de ia secte
dès Cathares ou AibigeoU, t. Il, p. 217-220.
3. Voir, à ce propos, Scbmidt, t. II, p. 224.
1^
442 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
propriété. » Quelle manière d'expliquer Thistoire ou plutôt de l'embrouil-
ler ! Il n'y aurait pas lieu, d'ailleurs, de s'arrêter à de pareilles asser-
tions, si elles ne semblaient être la pensée unanime et en qpielque sorte
définitive d'une certaine école historique, si surtout on ne prétendait les
soutenir d'une série de preuves dont il peut ne pas être inutile de mar-
quer rapidement la faible valeur.
Ces preuves, il est vrai, on ne les donne pas pour ce qui concerne les
attaques imputées aux Cathares contre la propriété. L'accusation sur ce
chef en est réduite à faire son chemin toute seule et pour cause. Peut-
être même, en tin de compte, le catharisme n'en est-il chargé que parce
qu'elle se trouve implicitement comprise dans l'appellation .de doctrine
antisociale dont on le flétrit.
L'accusation de ruiner le mariage et la famille a de bien autres pro-
portions. L'origine en est dans la condamnation de Tunion matrimo-
niale par les sectaires. Que penser exactement de cette condamnation,
absolue en théorie, c'est ce que nous n'avons pas le loisir d'examiner
ici. Nous nous contenterons de renvoyer sur ce point aux docteurs, qui
se sont appliqués à autre chose qu'à injurier la secte, et en première
ligne au savant et scrupuleux Moneta^ On verra de reste, à leur embar-
ras, si la question se résout aussi aisément contre le catharisme que
semblent le croire M. K. et les écrivains de la même école. Nous rap-
pellerons également la parole significative d'Etienne de Bourbon :
« Uxore^ electis (= perfectis) eorum prohibentur, auditoribus (= creden-
tibus) conceduntur^, » parole qui nous montre le mariage entendu dans
réglise cathare, en dépit de la théorie, de la même façon que dans
l'église catholique, permis aux fidèles et défendu aux prêtres.
Mais, cetto même condamnation prononcée par les sectaires entrai-
nait-olle les déportements abominables qu'on a voulu lui attribuer
comme conséquences nécessaires, voilà un point auquel nous nous arrê-
terons. Que cette corrélation entre les croyances dualistes et les dépor-
temonts dont il s'agit fût une nécessité inévitable, on ne le voit pas
bien nettement. En tout cas, il faudrait donner de ces mêmes déporte-
monts d'autres preuves que celles dont on a usé pour en établir l'exis-
tence. M. K. en a présenté le résumé : elles y apparaissent dans toute
leur faiblesse 3.
C'est la répétition de toutes les fables toujours identiques qu'a fait
naître l'existence forcément obscure de toutes les sectes persécutées, des
chrétiens eux-mêmes. M. K. ne s'étonne pas, d'ailleurs, de cette simi-
litude monotone. C'est l'attribution aux Cathares des débauches impu-
tées à tort ou à raison aux Manichéens antiques. M. K. trouve la chose
1. Voir p. 31.V34() de son traité. Cf. également Schinidt, t. II, p. 248,
2. Lecoy de la Marche, LegentUs et apologues tirés du recueil inédit d'Etienne
de Bourbon, p. 30î.
3. Voir i V2 : Folgerungen fur die Sittenlehre der Katharer, p. 55-58. —
Cf. Srhmidt, t. II. p. I51-t53.
KÂLTNER : KONRAD TO^ MARBURG. 443
toute naturelle. « Les mêmes principes, dit-il, ne pouvaient-iU et ne
devaient-ils pas produire les mêmes effets* ? • Assurément; mais ce n'en
est pas moins supposer démontré ce qui est en question : d'abord, la
réalité des abominations attribuées aux dualistes du v* siècle, puis
l'identité de doctrines entre ces mêmes dualistes et ceux du xiii*. Or, de
ces deux points, le premier n'est peut-être pas complètement hors de
doute, le second, ainsi que nous l'avons remarqué, est tout ce qu'il y a
de plus contestable.
M. K. aurait-il une prédilection pour le genre de raisonnement que
nous venons de signaler chez lui ? Quelques lignes plus loin, il lui arrive
de nous en offrir encore un exemple à propos du passage suivant de
Pierre de Vaux-Cernai : « Dicebant (haeretici) quod non pecrabat quis
gravius dormiendo cum matre vel sorore sua quam cum qualibft alia^. i
— « Pourquoi, dit-il, et dans quel but aurait-on mis en avant une
pareille excuse ? • Fort bien ; mais qui nous prouve Texactitude du ren-
seignement fourni par le moine de Citeaux»? Le caractère même du
chapitre sur les croyances cathares, auquel il est emprunté, n'est pas
fait pour nous inspirer une confiance absolue. C'est là que se trouve
encore l'indication de cette autre croyance, attribuée par le même histo-
rien à un certain nombre d'hérétiques, a quod nuUus poterat peccare ab
umbUico et inferius. • lia croyance dont il s'agit remonte originairement,
il semble, à la secte antique des Paterniens, et c'est sans doute, comme
le remarque Schmidt^, par confusion des deux noms de Palcrini,
celui-ci synonyme de Cathari, et de Paterniani, que Pierre de Vaux-
Cernai et le PsnidO'Rainier, chez qui se trouve également cette impu-
tation, l'auront lancée contre les dualistes de leur temps.
Schmidt remarque encore que les interrogatoires d'inquisition ne
portent point de traces de ces crimes affreux attribués aux Cathares^.
M. K. répond que cela est tout simple : les inquisiteurs, assure-t-il, ne
s'informaient avant tout que des relations des croyants et des parfaits.
Il est probable que M. K. n'a jamais eu entre les mains aucun des
interrogatoires en question. Il saurait sans cela que la curiosité des
t. Historia Àlbiçensium, cap. ii.
2. On nous permettra de le reproduire ici : a Incestuin natunleni, cum matre
propria vel »orore, aut cum maire (= rommalre), dicunt (haeretiri) esAC mun-
dam fornicationem, dummodo liai ftecundum ritum scctae qui talift est : m quis
ab ipAÎs vult abuti propria matre, dabit ei xvui denarios, aex pro eo quod ron-
fecit eum, sex pro eo quod peperit eum, sex pro eo quod nutriviteum. Kt «ic
soluta loge naturali seu natura, licenter abutitur ea, quia nihil ei attinere
putatur, et omnino liber eflicitur ab omni naturali reverentia matrift, sicut
uccus liber eflicitur a frumento, quando fuerit excuMum. Qui sorore voluerit
abuti, dabit ei sex denarios, qui commalre, dabit ei novem denarios. Et sic
Hcitum esse dicunt incestum sine oroni peccato. • Maxima biàlioîheea Patrum
(édil. de Lyon, 1077), t. X.\V, p. 272.
3. Voir l. Il, p. 152.
4. /M., ut supra.
444 GOMPTES-RBIfDUS C1ITIQUB8.
inquisiteurs ne connaissait point de limites, et qu^elle dépassait de
beaucoup celle môme de nos juges d'instruction modernes.
A tout cet ensemble de preuves s'ajoute naturellement le tarif établi,
suivant le Pseudo-Rainier, pour le rachat des incestes dans la secte
cathare. M. K. en parle sérieusement, comme s'il ne lui inspi-
rait pas l'ombre d'un soupçon. Ëst-il en cela d'une bonne foi entière ?
Quelque atteinte que dût en éprouver notre confiance dans sa sin-
cérité parfaite, nous voudrions presque pouvoir en doutera Mais
ce qui l'emporte peut-être sur le passage du Pseudo-Rainier, c'est un
témoignage fourni par Geoffroi de Vigeois, et sur l'autorité duquel, en
ce qui concerne les abominations qui leur étaient reprochées, M. K.
déclare les hérétiques convaincus par leurs propres aveux. Nous en
détachons la partie la plus écrasante pour la bonne renommée de la
secte. Elle fera juger de ce que vaut le reste. Qu'on veuille bien seule-
ment ou excuser le caractère au moins étrange. Ce n'est pas nous qui
imaginons de faire appel à de semblables textes. « Vierna, conjux
Sicardi de lioyssa et de Granouillet, palam confessa est a quinquaginta
religiosioribus ejusdem ssctae nocte quadam fuisse stupratam, cum ipsa
eisdem, vitae causa sanctions, thoroviri spreto, cor\junxissetK »
Nous terminerons ici. Il ne nous déplaît pas, d'ailleurs, de voir l'in-
quisition ainsi défendue, car c'est d'elle, on ne doit pas Toublier, qu'il
s'agit toujours en cette affaire. Et voilà aussi l'utilité très réelle de livres
comme celui dont nous avons essayé de donner une idée. En employant
do paroils arguments pour justifier le tribunal extraordinaire institué
\^r r Église au début du xiii® siècle, ils démontrent, mieux (ju'on ne
pourrait le faire par aucune autre voie, à quel point la justification en
est difficile.
Charles Molikibr.
t. Le méiue doute nous est inspiré par un autre passa^^ du trarail de
M. K. Cest celui où, daprès une lettre de Grégoire IX du 13 juin 1233
(Potthast, Regesta, u" 92'29}, reproduisant elle-même une communication
de Conrad de Marbourg, de l'archevêque de Mayence et de 1 erêque d'Hil-
desheiu), il décrit les rites secrets des Lucifériens. Ces rites ne sont que
les pratiques supiH>sées d'une sorcellerie répugnante et ab^iinie, accompagnée
bien entendu d'une monstrueuse promiscuité. M. K. déclare pourtant qu'on
ue saurait les mettre eu doute, que la réalité en est fondée sur des £ùts posi-
tifs 4 auf ikatsacken. » Voir p. 16 M W. La lettre de Grégoire IX ligure dans
le Tkesiiurus nocus anecdolorum, t. 1» p. 950-953.
'^ Labbe. yota bibliotkeca manuscriptorum Uàromm, t. U, p. 327.
h>
PUiLlCATIO!fS H0!fGR0ISB8. 445
Aiyoukori ok.inànytar (Codex diplom. haiigarioa8andeir<^Teiisi8).
2« vol. publié par Emerich Nagt. Budapest, 4884.
Magyar orszàggyiilési emlékek (Monumeiita comltialia refl^il Hun-
gariae). T** vol. publié par W. Frik^ioi. Budapest, 4884.
Erdélyi orsziiggyiilési emlékek (Monumeata oomitialla regni Tran-
sylvaniae). 7* vol. publié par Alex. Szilaoyi. Budapest, 4884.
Chacun de ces trois volum(>s publiés au nom df» 1* Académie hougroisi'
par un de ses membres continue une coUectiun do documents histo-
riques. Leur caractère commun est d'intéresser plutôt l'histoire inté-
rieure et administrative du pays que l'histoire des relations extérieures
de la Hongrie qui a fait l'objet de publications parallèles ; exemple, les
Monuments de la diplomatie des rois angevins, édités par M. Wenzel, sur
lesquels nous avons attiré l'attention des lecteurs di^ la Revue à ses
débuts. Aussi, tout en constatant les services rendus par les habiles et
soigneux éditeurs à l'histoire spéciale et détailh'e de leur pays, nous nous
bornerons à indiquer ce qui dans ces recueils nous parait être utile pour
l'histoire générale de la civilisation européenne et de la politique autn-
chienne.
M. Nagy fait mieux connaître l'administratiim de Charles-Robert, le
premier roi de la dynastie d'Anjou pendant les dix dernières années de
son règne de 132*2 à 1332. C'est l'époque où, sous des ruis capétiens, par
les progrès, à la fois de l'autorité royale et d'un régime féodal très sou-
mis à la couronne, la Hongrie, jusque-là seule de son espèce par ses
institutions sociales, entrait dans le concert européen. Un grand nombre
d'actes royaux nous font assister à cette administration énergique, qui
développait par la culture et par l'exploitation encouragée des mines
les richesses du pays, et qui se montrait également résolue à écraser
tout ce qui lui résistait, et à combler de faveurs tout ce qui l'aidait.
Contre les despotes provinciaux qui depuis longtemps étaient les vrais
rois de certaines régions et dont Mathieu Csàk de Trcncséu est resté le
type elTrayanty Charles- Robert déploie toutes les puissances d'habileté
et de haine qui portaient si haut, en Hongrie comme en France et en
Italie, sa glorieuse maison. Sur l'intensité de cette haine, que la ruine
même des adversaires ne désarmait pas, voir les n<>* 137 et 2G0 : il semble
qu'on lit un des actes les plus violents do Charles d'Anjou ou de Phi-
lippe le Bel.
Les deux autres volumes nous transportent dans des époques où la
Hongrie était beaucoup moins puissante, où la conquête ottomane par-
tageait ce royaume mutilé entre trois dominations : celle du musul-
man, celle de l'empereur autrichien, celle du prince de Transylvanie,
qui fut plus d'une fois le seul représentant de la nationalité hongroise,
maif dans un Ëtat particulier. L'éminent secrétaire général de l'Aca-
démie, M. le chanoine Fraknôi, continue à étudier les diètes hongroises
do celte époque, celles qui se tenaient dans le tiers de la Hougrie sou-
mit à la maisoQ d'Autriche. Le tome VII va de 1582 à 1587. Il com-
408 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
un nouvel examen et dont quelques-unes frappent par leur caractère
excessif, nous ne lui refuserons point le sérieux mérite d'avoir hardi-
ment posé les termes d'un des problèmes les plus intéressants qui
touchent aux origines mêmes de la société moderne.
M. Vernes.
Konrad von Marburg und die Inquisition in Deatschland, aus
den Quellen bearbeilet, von Dr. Balthasar Kaltnbr. In-S^, x-498p.
Prag, ^882, Verlag von F. Tempsky.
Malgré tout l'appareil scientifique dont il a pris soin de l'entourer,
le livre de M. K. n'est guère qu'une œuvre de polémique. Les premières
lignes le donnent à penser tout de suite ^, et Texamcn le plus rapide ne
laisse aucun doute à ce sujet. Ces remarques préliminaires justifie-
ront à tous les égards, nous l'espérons, le caractère du compte rendu
que nous allons présenter.
Dans ce compte rendu, remarquons-le tout d'abord, nous laisserons
de côté la biographie proprement dite de Conrad de Marbourg^. Nous
nous en tiendrons aux points qui, avec le rôle de ce personnage dans
la persécution de l'hérésie, peuvent être considérés comme formant le
corps même du travail que nous étudions, ou du moins en donnant le
mieux l'esprit. Nous voulons dire les principes mêmes sur lesquels se
fonda la justice inquisitoriale en Allemagne comme ailleurs, et surtout
l'indication des doctrines hétérodoxes qu'elle eut à y combattre. Ces
points suffiront, d'ailleurs, amplement à nous occuper, et à fournir
aussi, nous le croyons, la preuve de l'assertion que nous avons émise
en débutant.
Dans cette partie de son livre, comme dans celle que nous laissons de
côté, M. K., il faut le reconnaître, tient ce qu'il a promis. Il remonte tou-
1. Voir Vorwort, p. v.
2. Un point important de cette biographie est la question si controversée de
savoir quelle fut la condition véritable de Conrad de Marbourg, s'il fut simple-
ment prêtre séculier ou membre de quelque grand ordre religieux. M. K., au
bout d'une discussion 1res complète, qui esl assurément ce qu'il y a de meil-
leur dans son livre, arrive à conclure que Conrad fut certainement prêtre sécu-
lier, et, dans les derniers temps de sa vie, affilié probablement au tiers ordre
de saint François. Cette conclusion semble fort juste. Voir § 17 : Konrads
Standf p. 72-82. — Voir également, pour les rapports du même personnage
avec la cour de Thuringe et avec sainte Elisabeth de Hongrie, qui l'eut, on le
sait, pour confesseur, V. cap. : Konrad als Beichvater der hl. Elisabeth am
Hofe von ThUringen, p. 97-111; VI. cap. : Konrads Thaetigkeit und seine Sorge
fUr die heil. Elisabeth, p. 112-129. En ce qui concerne enfin le portrait beau-
coup trop flatté, pour ne pas dire davantage, qu'a tracé de Conrad M. K., voir
particulièrement § 38 : Konrads Ansichten iiber die Haeresie, p. 161-165; g 39 ;
Charakter Konrads von Marburg, p. 166-169.
KALTNBR : KOIfRiD TON MIRBURG. 409
jours aux sources. ObserN'ons cependant, sans vouloir diminuer son
mérite d'en avoir agi de la sorte, qu'il n'a eu bien souvent pour cela
qu'à repasser par des chemins tout tracés. Pour ce qui concerne notam-
ment l'histoire de Thérésie, môme en Allemagne, et celle de la pénalité
inquisitoriale, les travaux de MM. Ficker et J. Havet, le livre surtout
de Schmidt, qui n'a point vieilli malgré sa date déjà ancienne, ont pu
lui épargner tout embarras et presque toute peine dans ses recherches.
Mais, à cet égard môme, nous avons des remarques à faire autrement
importantes que celle-là. Pourquoi, par exemple, M. K. n'a-t-il pas usé
une seule fois du livre de Moneta, ni du traité de Rainier Sacchoni,
sous sa forme primitive, celle qu'ont donnée Martène et Durand au
tome V du Thésaurus novus anecdotorum, la seule authentique et réelle-
ment utile? Ce sont là pourtant deux sources capitales d'informations.
Moneta et Rainier étaient Italiens, c'est vrai. Mais M. K. ne s'est pas
fait faute à l'occasion d'invoquer le témoignage de I^aoul Glaber, de
Guibert de Nogent, de Pierre do Vaux-Cernai, de Geoffroi de Vigeois,
de Luc de Tuy^ Les deux écrivains qu'il a négligés pouvaient lui
servir aussi bien, et môme, pour tout dire, beaucoup mieux que tous
ces chroniqueurs, qui ne sont pas Allemands. Ils ont prétendu tous
les deux donner une idée générale et complète des doctrines dualistes
dans toutes leurs nuances. En fait, pour se servir sans crainte d'erreur
des renseignements fournis par eux, il suffisait d'abord de déterminer
nettement la nature du catharisme germanique.
Disons immédiatement que c'est, à la vérité, un point qui demeure très
vague chez M. K. Penser, comme il le fait, que les cathares allemands
se rattachaient vraisemblablement au dualisme absolu, parce qu'ils
reconnaissaient deux dieux, l'un bon et l'autre mauvais', c'est donner
de cet avis une raison tout à fait insuffisante. Ces deux dieux, les dua-
listes mitigés les admettaient aussi, bien qu'avec certaines réserves. En
tout cas, ils figuraient dans le système très important de Jean de Lugio
au môme titre que dans le dualisme primitif^.
n se peut après tout que la nature exacte du catharisme allemand
soit très difficile, sinon impossible à préciser. Mais alors, comment,
ainsi que M. K. le soutient ailleurs^, une secte aussi obscure, et, on a
le droit de le penser, par suite assez faible en Allemagne, aurait-elle
fait courir à l'Église dans ce môme pays un danger plus grand que
dans tout autre? Quelque aide que lui prêtassent pour cela les Vaudois,
et surtout les Lucifériens et les Frères du Libre- Esprit, dtmt l'auteur
exagère, selon nous, grandement la puissance', la chose demeure invrai-
1. Voir p. 55, 56.
2. Voir p. 49, 50.
3. Voir C. Schmidt, Histoire et doctrine de la secte des Cathares ou Allfi-
geois, t. 11, p. 53.
4. Voir p. 13.
5. Voir, sur cas deux deroières sectes, H 13 et 14, p. 58-65. En ce qui toacbe
448 GOMPTBS-KrfDUS ClinQUBS.
fois que les assemblées où se tronyaient des représentants de tontes les
parties de rAUemagne. Ponr bien établir ce dernier point, il n'a eu
d'autre ressource que d'examiner les souscriptions des rares documents
rédigés à l'occasion de ces assemblées, et de considérer la nature de
leurs délibérations, — la qualification de curia generalis, curia sollem-
nis donnée à la plupart des diètes n'ayant point paru garantir toujours
suflisamment le fait de leur généralité.
Dans cette liste des diètes impériales figurent celles de Besançon
(fin oct. 1157) et de Saint-Jean-de-Losne (comm. de sept. 1162) que
M. W. mentionne en indiquant soigneusement, comme toujours, les
diverses sources contemporaines où il en est question.
En résumé, travail très méthodique et qui satisfait de tout point aux
exigences du sujet.
Alfred Leboux.
Dei remoti fattori délia potenza economica dl Firense ne! me-
dlo-evoy conslderazlonl soclali-economlche, del dottor Giuseppe
ToiviOLO, professore di economia politica presso Tuniversità di Pisa.
Milan, Hoepli, 1882. 1 vol. in-S^" de xi-220 p.
Nul ne s'étonnera sans doute qu'un professeur d'économie politique
soit plus économiste qu'historien. On le voit à l'usage, je ne voudrais
pas dire l'abus, de la terminologie plus ou moins barbare où se com-
plaît la science qu'il enseigne, et aussi à la position qu'il prend devant
l'histoire. Il ne prétend point remonter aux sources. Il tient pour auto-
rités des auteurs modernes, MM. Reumont, Hartwig, Lastig, Villari,
Gapponi, Perrens. Il admet comme établi ce qu'il y trouve ; il y prend
les citations, les assertions même, et il bâtit là-dessus ses raisonnements.
C'était son droit, étant donné ce qu'il voulait faire; et, comme il a
beaucoup de lecture, on ne peut pas lui reprocher de bâtir en l'air. Tout
au plus est-il permis de regretter qu'il invoque quelquefois des compi-
lateurs tels que cet Inghirami, étonnant auteur d'une histoire de Tos-
cane, qui prend dans Sismondi ses citations d'Ammirato, et donne bien
d'autres preuves d'un travail superficiel, léger à l'excès.
Il faut donc, et M. Toniolo ne nous en voudra pas, jeter à la mer
l'historien qu'il y a en lui, et ne conserver que l'économiste. Pour jus-
tifier ce procédé, je ne prendrai qu'un exemple dans les passages, d'ail-
leurs assez rares, où notre auteur s'aventure sur le terrain de la critique
historique.
A la p. 60, note 2, M. Toniolo dit : t On admettait jusqu'à présent,
et Perrens l'affirme encore (I, 109), que la première fois où se trouve le
nom de consuls de la ville, c'est dans un document de 1002 sur Pegna...
Ce document n'est pas faux, mais la date est une erreur de copiste ; il
faut lire 1182, comme il résulte d'autres indications du document. »
Voici les observations que suggèrent ces lignes :
TO.flOLO : POTBNZA ECOIlOVICi DI FTREfZE. 449
lo Elles contiennent une erreur que M. Toniolo a lui-même relevée
dans son errata. Il avertit qu'on doit lire 1102 et non 1002^
2* Il indique un passage de M. Perrens, 1. 1, p. 109. Cherchez et vous
ne trouverez rien. Le passage auquel il senSfère esta la p. 120. Il aura
pris le V» pour le r«, aura écrit 119, et laissé son imprimeur impri-
mer 109.
3« Il renvoie à Gino Capponi (I appond.), qui ne donne ni le docu-
ment ni aucune lumière sur le fait dont il 8*agit.
4® Quant au document lui-même, comment admettre une erreur do
copie? Il se trouve non pas dans un, mais dans deux registres des
archives florentines (voy. les indications précises dans Perrens, I, 120).
On voit, au surplus, dans les Delizie degli eruditi toscani (VII, 136-44)
que les consules civitatis ne remontent qu'à 1204. M. Toniolo a donc
plus raison qu'il ne le croit ou ne le dit; mais pourquoi attribuer à
M. Perrens l'erreur commune, si erreur il y a, puisque cet auteur donne
la date de 1204 (p. 211), puisqu'il renvoie aux Delizie, puisque, d'après
les Delizie, il donne dans une note, année par année autant que possible,
le nombre des consuls depuis 1138?
J'ai hâte, on le comprend, de passer à l'économiste. Prenant la science
historique où elle en est, sans s'inquiéter de savoir ce qu'elle sera
demain, ni même de lui faire faire un pas nouveau, il étudie, pour par-
ler sa langue, les facteurs les plus éloignés de la puissance économique
de Florence dans le moyen Age. De là quatre chapitres : 1« facteurs
naturels-territoriaux, ou, en langue commune, d'après la nature du sol ;
2» facteurs ethniques ; 3<» facteurs storico-civils ; 4* fac^urs éthico-éco-
nomiques.
Ive premier chapitre montre fort judicieusement que la configuration
montueuse du sol toscan y a rendu plus durable qu'en d'autres pays la
vie féodale isolée, mais que cette configuration était propre aussi à pro-
longer la vie municipale plus qu'ailleurs, une fois que les communes
avaient vaincu la féodalité. Il est également vrai que la distribution du
sol en montagnes, plaines, côtes maritimes, est cause que la Toscane
était également prédestinée à l'autonomie économique, en même temps
que, par sa position centrale, elle était soustraite à l'isolement.
Mais il faudrait ne point tirer de ces prémisses des conclusions exa-
gérées. De ce que le fractionnement du sol n'empêche pas une certaine
unité dans la région, s'ensuit-il qu'on dût, au xvi* siècle, arriver à
Tunité politique ? Il n'est pas bon, il n'est pas sain de trop soutenir que
ce qui a été devait être. Si la thèse du faulisme historique a eu son
heure de vogue, cette heure est passée, et la critique ne conteste plus
1. Puisque H. Toniolo fait un errata qui est fort nécesuire, ne fût-ce que
poar les incroyables fautes d'impression accumulées dans trois malheureux
vers latins de Donixo, il aurait bien dû corriger Toscana urMearica (p. 21) ea
uHfkaria. Cela lui eût été facile, car il écrit quelques lignes plus bas : Toteana
annonaria, et non aiinanariea.
420 GOMPTES-IBNDUS CRiriQUBS.
au hasard sa part dans les choses humaines. M. Toniolo reconnaît lui-
môme qu'au sud les limites de la Toscane sont mal déterminées. Il y a
donc d'autres raisons que la configuration du sol pour que la Toscane
ait, de ce côté, telles limites plutôt que telles autres. De même, s'il fal-
lait en croire notre auteur, ce serait encore la configuration du sol qui
aurait fait de Sienne la dernière ville toscane à se soumettre. Cependant
les montagnes, si Ton veut donner ce nom ambitieux à de simples col-
lines, ne pouvaient être un obstacle sérieux aux conquérants, une
sérieuse protection pour les pays à conquérir. Celles du Casentino sont
bien autrement élevées, d'un accès bien autrement difficile, et les châ-
teaux forts qui les couronnent ont été soumis bien avant les murailles
de Sienne. A vrai dire, M. Toniolo reconnaît que, pour profiter du
milieu où Ton vit, il faut avoir les qualités nécessaires. Cette observa-
tion judicieuse ouvre heureusement la porte à toutes les exceptions ;
mais comment ce qui précède n'en perdrait-il pas un peu de sa portée ?
Le deuxième chapitre (facteurs ethniques) tend à faire voir comment
les différentes populations qui se sont établies en Toscane ont contribué
au développement industriel et commercial de ce pays. M. Toniolo a
très bien vu que les barbares germains préférant à la Toscane la Lom-
bardie, où ils étaient plus facilement en communication avec la mère
patrie, n'ont pas laissé sur le sol toscan une trace aussi profonde que
les Étrusques et les Latins. Ceux des Germains qui s'y établissent, ce
sont des seigneurs envoyés pour dominer le pays, et dont les instincts
féodaux y trouvent satisfaction. Ils furent ainsi un facteur, malgré leur
petit nombre ; car, installés dans les manoirs ou châteaux de la cam-
pagne, devenus grands propriétaires fonciers sans cesser d'être brigands
(ce que M. Toniolo ne dit peut-être pas assez), ils forcèrent les occu-
pants antérieurs, pour éviter la servitude, à se réfugier dans les villes
et à s'y organiser par le travail pour vivre, par la politique pour se
défendre. Il est quelque peu imprudent de voir là une preuve de la supé-
riorité économique des Italiens sur les Germains, car nous voyons d'une
part ceux-ci créer chez eux la hanse, la ligue hanséatique, d'autre part,
Florence, alors même qu'elle possède Pise et Livournc, ne point devenir
la puissance maritime que Pise a été.
Dans ce chapitre, M. Toniolo touche à la question religieuse ; nous
ne saurions nous associer à ses vues. Nous pouvons lui accorder que
l'Église ayant pour rôle de défendre l'esprit contre la matière, les faibles
contre les forts, était la protectrice naturelle de la démocratie. Mais peut-
on admettre avec lui qu'elle ait transformé les peuples par le sentiment
de l'égalité morale, du respect de la personnalité, de la charité réci-
proque ou fraternité? Il devrait bien nous dire, alors, comment les
classes aristocratiijues sont restées rebelles. Ce qui développa surtout
ces sentiments, ce furent les besoins de la vie en commun ou presque
en commun d'êtres qui vivaient rapprochés les uns des autres, et la
preuve c'est qu'on trouve dans plus d'une ville, avant le christianisme,
le germe des idées nouvelles dont on lui attribuera plus tard tout l'hon-
TO!fIOLO : POTENZl ECOIfOMICA 01 FltB.XZE. 424
neur. Les hobereaux qui vivent isolés n'ont le goût ni de Tégalité ni de
la fraternité.
Passant du général au particulier, M. Toniolo voit dans Florence, au
moyen âge, le centre du mouvement religieux. Il y a ici une confusion
entre la foi religieuse, qui est fort contestable chez les Florentins, et la
religion politique qui fait d'elle la ville guelfe par excellence. On n'ira
pas jusqu'à dire que Florence fût en majorité libre penseuse; mais nulle
part, au xin*, au xiv^ siècle, la libre pensée n'a été si libre, si auda-
cieuse, si impertinente, et soutenue par un si grand nombre d'esprits
indépendants. En outre, cette vive population se laissa toucher par l'hé-
résie, et lui resta toujours douce, tolérante, même après le triomphe de
l'orthodoxie. S'il est vrai, comme le dit M. Toniolo, qu'il y eut à Flo-
rence moins d'hérésies qu'ailleurs, ce qui resterait à démontrer, ce n'est
pas que les Florentins restassent en deçà, c'est qu'ils allaient au delà,
bien entendu en conservant toutes les formes catholiques avec cette
désinvolture italienne qui allie fort bien le matérialisme et la messe, le
poignard et l'hostie consacrée de la communion. Il y a plus de finesse
à remarquer, comme le fait M. Toniolo, que l'hérésie succomba à Flo-
rence, parce que sa haine de la papauté la forçait à être gibeline dans
la ville qui avait mis tout son enjeu sur la carte du guelfisme. Encore
ne serait-il pas hors de propos d'ajouter qu'il dut bien y avoir d'autres
causes, puisque le patarisme ne triompha nulle part, et aussi que le
guelGsme de Florence n'a empêché ni ses querelles avec plus d'un pape,
ni la fameuse guerre contre le saint-siège, dite des Huit-Saints. Rele-
vons encore une erreur d'appréciation. Si les patarins, dit M. Toniolo,
avaient prévalu, ils auraient compromis, avec la foi et la morale, la fibre
économique, comme en Languedoc. Ce n'est pas ici le lieu de dire com-
ment et pourquoi le patarisme a été étouffé en Languedoc ; mais, en ce
qui concerne Florence, j'opposerai M. Toniolo à lui-môme : il dit, en
effet, plus loin que les patarins se plièrent, dans cette ville, à une
grande austérité de vie, jointe à une grande activité, à une grande éco-
nomie, et qu'ils devinrent riches.
Cette question nous a fait mettre un pied dans le troisième chapitre
(facteurs storico-civils) ; mettons-y les deux dès à présent. C'est de beau-
«*oup la plus considérable partie de l'ouvrage, car elle embrasse toute
l'histoire florentine jusqu'au milieu du xni« siècle, et il s'agit de recher-
cher comment les événements de cette histoire ont pu contribuer au
développement économique. Toutefois il y a des longueurs, des hors-
d'ceuvre. A quoi bon, par exemple, nous parler de la construction des
ponts, du pavage de la ville, de l'érection d'un palais pour le podestat
et autres choses semblables? sont-ce donc des facteurs économiques?
Sans doute le trafic a plus ses aises là où il y a des ponts, des pavés,
des routes, des maisons ; mais, comme cela est vrai de toute ville, pas
n'était besoin d'en parler, ou, sur cette échelle-là, il faudrait parler de
tout.
Mais, cette réserve faite, nous reconnaîtrons volontiers que M. Toniolo
/|22 COMPTBS-RBIfDUS CUTIQUB8.
voit, ici, fort juste sur bien des points. Il a raison de montrer le génie
économique éclatant dès les premiers jours chez ces montagnards de
Fiesolo qui viennent s'établir sur les bords de l'Amo dans ces fameuses
villfittê ou magasins d'où sortit Florence. Il a raison de dire que Tim-*
portanco économique de Florence en précéda de beaucoup Timportance
politique et en fut le principal élément générateur; que dans aucune
autre cite d'Italie les événements politiques ne sont aussi étroitement
liés aux faits économiques; que le gouvernement des marquis a pu con-
tribuer à ce succès industriel et commercial, parce que les marquis
étaient supérieurs aux autres gouvernements contemporains et qu'ils
parvenaient à reporter la guerre jusqu'aux frontières de leur État ; que
les nobles eux-mômes furent un facteur de quelque importance, parce
({uo la propri(Ué foncière s^ajoutait, grâce à eux, à la propriété mobi-
lière, et parce qu'ils employaient leurs revenus dans les entreprises du
trafic, soit pour participer aux profits, soit pour suppléer éventuelle-
mont (\ rinsuffisanco de leurs revenus ordinaires. Enfîn, on ne peut
qu'approuver M. Toniolo quand il remarque que Florence, par la pré-
dominance du travail industriel sur le commerce proprement dit, put
jouir d'ime existence propre et, tout ensemble, se mêler à l'existence
des autres Etats, ce que ne firent jamais au môme degré ni Venise,
Gènes, Pise au moyen ftge, ni l'Angleterre dans les temps modernes.
Tout cela est fort bien déduit des faits; il n'y manque que quelques
prouves, quelques textes à Tappui.
Il est biiMi clair, d'aillours, que, touchant à tant de choses, M. Toniolo
fournit ample malièroà la discussion. Je ne puis ici qu'indiquer quelques
points.
Kst-il vrai que Florence soit plus italienne que Sienne et Lucques
pur su population ? Et en admettant que cela put être bien étabh, com-
ment y prétendrait -on voir un motif de soutenir que cette population
ètAÎl plus propn^ au travail ? Los Italiens ne passent pas, que je sache,
pour y être plus anients que les autres peuples. Ne savons-nous pas
qu'une foule d'étrangers, dos Flamands surtout, venaient dans cette ville
olTrir leurs bras à un travail vraiment rémunérateur?
M. Toniolo aflirmo, sur le témoignage des chroniqueurs, que jus-
qu'en l'Mri, sauf outre 1177 ot 1180, les Florentins furent unis. Je ne
crois guère à l'union stable chez un iH»uplo non st^umis à un maître,
«\uf aux bonnes critiques où un grand intonM léf^é réunit momentané-
ment toutes les volontés, imjH^Si^ silence à toutes les oppositions. En ce
qui i^Muvrno Fiorence, quand on connaît son procédé de faire la paix
dans les campagnes, lequel otait de forcer les nobles vaincus à vivre
dans la ville, jo ne puis me i^ersuader qu'il n'en résultât pas des divi-
sions, des agit,-ïtions. Le silentv dos chroniqueurs prouve simplemeni
qu'ils ne parlor.t que dos grandes crises, à forme épique., comme celle
de 1177, où ivlatèrtMit toutes les haines accumulées.
Iwo pou qu on sjiit sur ct^^ |>enodes reci bs De penn^ gnte d^admettre
autn^mont que sou<% bêneâce d' lélÉUir
■szoLD : BiiEFE DES pPAUGurER j.-cisnni. 425
En somme, il faut retenir ce que uoCre auteur »'eH efTorcé de bien
faire ressortir, à savoir que Florence, arrivant pluf tard que les villes
ses voisines sur le champ du travail induslri^l, y a su prendre la pri-
maulé. C'est là un fait ti^s digne d'attention pour l'économiste et aussi
pour l'historien; noua ne sommes point surpris qu'il ail donné à
M. Toniolo l'idée de sa grave élude. Ce docte proresseur a beaucoup
d'idées justes et il fail pcnsir; que peut-on lui demander de plus sur
ce terrain mouvant de l'économie politique? P.
Bri»r« dea PthlKgraTsn Joh&nn Casimir, mit varivandtcn
SctarlfUttlckMi , gesammell und bearbcJtcl von Kricdrich tox
Rbiold. Aur Veranlassung und mit Unlcrsliitzuiig S. M.desKœnigs
von Bayent herauagegeben durcli die Hintoriscke Communion drr
k. Akadnnie der Wissenschaflen. Bd I, 1576-82. Munich, Rieger,
1H82, Till-590 p. iD-8°.
L'ouvrage, dont la rédaction a été confiée à M. Fr. de Dezold, con-
tinue les Briefe <Us Kurfùrslen Friedrichs des Fr^mtneit ; il complète eu
même tamps cet important travail de Kluckhohn, car l'éditeur avaii
à traiter en première ligne de la politique suivie par la cour de Ileidel-
berg. En réalité, Hle chéri de l'électeur Frédéric, l'ambitieux, le helli-
qaoux Jean-Casimir exerça pendant les dernières années du règne de
■on père une influence ezlraordinairc; c'est grilcc à lui que, mi^me
après la Baint-liarthélemy ', les relations furent reprises avec le gouver-
nement français. Après ta mort de rélecteur Frédéric, la jietiie cour de
Jean-Casimir fut le centre de projets guerriers. M. Fr. de Uexold a
déjà montré, dans un remarquable article de VAIIgeinrine deuisclie Bio-
graphif, combien les desseins de ce prince ambitieux étaient mal pro-
portionnés à ses moyens. Son intervention aux l*ays-tlas et en Franci-
lui apporta peu de renommée. Parfois le rôle qu'il joua fut bien près
d'être une trahison envers les intérêts des Réformés. Le mi^me homme
qui a sauvé l'église reformée d'Allemagne d'une crise dangereuse paraîl,
suivant une excellente expression de M. de Beiold, < sur la scène delà
politique européenne comme un acteur maladroit et malheureux- •
[jO t" vol. de ses lettres, bien qu'il embrasse seulement six ann><ei>,
lunlienl déjà des preuves nombreuses de l'exactitude de ce jugement.
Il montre aussi que la vie de ce prince est un très précieux commen-
taire pour l'intelligence de la politique européenne, si compliquée à cette
époque. M. de Ilezold a tout fait pour que le lecteur lui tâche de m
I. Remaniuons en pri<iuni i|ui.- Bi'/uUI n'ji>ilo lui «uisi U lliéarii
ditatlun (p. 87, 88). M. lUuiiiKarIvn • (in uiallra 1 |>n>fit m \- ml
de Jean Casimir pour mo llm H^At Barthnlomautaotiit (tk\
TrUbuer 1882), UndUmrartftrttOÉJ^PBl^'taCociTrage de U. Ueari
424 COMPTES-RENDUS CRITIQUES.
les voyages et par conséquent le service militaire, — pour inspirer,
SOUS sa forme la plus large, le vrai patriotisme. Sans ce qui ouvre Tes-
prit en élargissant les horizons, il n'y a dans la campagne, comme dans
les villes, qu'amour étroit de la localité.
Chose singulière ! n'étant point historien, M. Toniolo devrait, semble-
t-il, se mouvoir à l'aise surtout dans les considérations générales et y
être plus invulnérable ; c'est pourtant dans les considérations particu-
lières, quand il parle de ce qui est proprement florentin, qu'il est le
plus solide ; c'est que son pied se pose alors sur le sol. Il sent bien que
Florence est une ville industrielle plus que commerçante et qu'elle ne
fait le commerce que pour alimenter son industrie, tandis que Venise,
Gênes, Pise sont des puissances vetturiere, des ports de transit. Il voit
bien que, si dans les autres villes les arts ont pu tenir le pouvoir un
moment, Florence est la seule où ils l'aient tenu un siècle et demi, et
où, l'ayant un moment perdu, ils Pont recouvré. Seulement, il ne me
paraît pas plus ici que plus haut tenir un compte suffisant de la distinc-
tion entre les arts majeurs et les arts mineurs, qui sont presque con-
stamment en lutte pendant la plus grande partie de cette histoire. De
plus, il est dupe d'une illusion, quand il semble admettre que tomber
en oligarchie, ce soit pour les arts, même majeurs, recouvrer la prépon-
dérance. Sans doute ce sont leurs chefs qui la reprennent; mais alors,
sous les Albizzi, ils forment une oligarchie de richards qui cessent, pour
le plus grand nombre, de travailler et même de faire travailler. Et c'est
parce que les Médicis eurent, au contraire, le bon esprit de rester dans
les grandes affaires, d'employer tout un monde d'agents et d'artisans,
qu'ils ont acquis une base solide d'opérations et fini par triompher.
On voit que nous faisons la part belle au travail ; il ne faudrait pas
pourtant l'exagérer. Si les Florentins ont eu l'énergie, la flexibilité du
caractère, l'activité dans la liberté, la dignité civique à un plus haut
degré que les autres républiques d'Italie, ce n'est pas parce qu'ils étaient
industriels, comme le dit M. Toniolo ; c'est parce qu'ils étaient Floren-
tins. C'est pour cela qu'ils se sont appliqués à l'industrie et que, quand
ils l'ont empruntée à d'autres, ils l'ont transformée par le génie de l'in-
vention, comme l'art de fabriquer le drap,^venu de Pise, de Lucques,
de Sienne, mais devenu l'art perfectionné, l'art éminemment florentin
de Calimala. Quant aux autres facteurs a éthiques, » l'honnêteté privée,
la sobriété, la parcimonie, dont parle aussi notre auteur, ce sont là, je
le sais, des qualités célébrées par Dante, mais pour glorifier les temps
antérieurs au sien, et au détriment du sien; puis par Villani, mais pour
louer le temps de Dante. C'est toujours l'histoire de l'âge d'or que
placent dans le passé, comme un mirage rétrospectif, toutes les barbes
grises qui se font laudatores temporis acti. Eu tout cas, ces facteurs-là,
s'ils ont servi à fonder la prospérité industrielle et commerciale de Flo-
rence, ce dont je ne voudrais pas jurer, l'homme au bout du compte
étant toujours le même, ils avaient certainement disparu dans la
période du plein développement.
BBZOLO : BRIBFE DKS PF1U6EAFEN J.-CASni». 425
En somme, il faut retenir ce que notre auteur s'est efforcé de bien
faire ressortir, à savoir que Florence, arrivant plus tard que les villes
ses voisines sur le champ du travail industriel, y a su prendre la pri-
mauté. C'est là un fait très digne d'attention pour l'économiste et aussi
pour l'historien ; nous ne sommes point surpris qu'il ait donné à
M. Toniolo l'idée de sa grave étude. Ce docte professeur a beaucoup
d'idées justes et il fait penser; que peut-on lui demander de plus sur
ce terrain mouvant de l'économie politique? P.
Briefe des Pfittlsgrafeii Johann Casimir, mit ▼er^andten
Schriftstflcken , gcsammelt und bearbcitet von Friedrich voit
Rezold. Auf Veranlassung und mit Untersliitzung S. M. des Kœnigs
von Bayem herausgegeben durch die Historische Commission drr
k. Akademie der Wissenschaften. Bd I, 4570-82. Munich, Rieger,
4882, Yiii-590p. iQ-8\
L'ouvrage, dont la rédaction a été confiée à M. Fr. de Bezold, con-
tinue les Briefe des Kurfùrsten Friedrichs dw Frommcn ; il complète en
même temps cet important travail de Kluckhohn, car l'éditeur avait
à traiter en première ligne de la politique suivie par la cour de Ileidel-
berg. En réalité, fils chéri de l'électeur Frédéric, l'ambitieux, le belli-
queux Jean-Casimir exerça pendant les dernières années du règne de
son père une influence extraordinaire; c'est gr&ce à lui que, même
après la 8aint-I)arthélemy *, les relations furent reprises avec le gouver-
nement français. Après la mort de l'électeur Frédéric, la petite cour de
Jean-Casimir fut le centre de projets guerriers. M. Fr. de Bezold a
déjà montré, dans un remarquable article de VAUgemeine deutsche Bio-
graphie, combien les desseins de ce prince ambitieux étaient mal pro-
portionnés à ses moyens. Son intervention aux Pays-Bas et en Franci*
lui apporta peu de renommée. Parfois le rôle qu'il joua fut bien près
d'être une trahison envers les intérêts des Réformés. Le m('*me homme
({ui a sauvé l'église réformée d'Allemagne d'une crise dangereuse parait,
suivant une excellente expression de M. de Bezold, c sur la scène de la
politique européenne comme un acteur maladroit et malheureux. •
Le 1^ vol. de ses lettres, bien ({u'il embrasse seulement six années,
contient déjà des preuves nombreuses de l'exactitude de ci* jugement.
Il montre aussi que la vie de ce prince est un tK's précieux commen-
taire iK)ur l'intelligence de la politiciue européenne, si compliqué*^ à cette
époque. M. de Bezold a tout fait pour que le lecteur lui sache de sa
1 . Remarquons en passant qae Bezold rejette lai aassi la théorie de la prémé-
ditation (p. 87, 88). M. Baumgarten a pu mettre à profit ce 1*' vol. des l(*ttres
de Jean Casimir pour son livre l'or der Bartholonucusnackt ^Strasbourg,
TrUboer 1882), la meilleore réfutation qu'on ait de l'ouvrage de M. Henri Bordier.
426 COMPTES-RENDUS CAITIQUES.
publication le gré quMle mérite. Son introduction, de plus de deux
cents pages, est un modèle; les remarques dont les pièces sont accom-
pagnées en sont un excellent contrôle. Il possède la littérature du sujet
comme on ne pouvait guère l'acquérir ailleurs qu'à Munich, où il avait
à sa disposition une admirable bibliothèque. Lorsqu'il a eu à enga-
ger des polémiques contre d'autres historiens., par exemple contre Groen
van Prinsterer, Motley, Hœusser, Ritter, il l'a fait avec circonspection.
Il n'est pas besoin de dire combien sa publication doit être consultée
pour la critique des sources françaises telles que de Thou et de Serres.
Les historiens français devront aussi accorder leur attention à ce travail
qui traite si particulièrement des événements et des personnages fran-
çais, et cela d'autant plus que l'éditeur a mis à profit leurs propres
recherches. La première campagne en France du jeune comte palatin
Jean-Casimir en 1567-68, où il conduisit des secours aux Huguenots
fort pressés ; les négociations avec le duc d'Anjou qui, élu roi de Pologne,
prit son chemin à travers l'Allemagne; l'alliance conclue par Jean-
Casimir avec Henri de Gondé à Strasbourg en 1574; la seconde cam-
pagne en France de l'ambitieux prince allemand en 1575 et 1576; la
paix de Monsieur; sur tous ces événements, l'introduction de M. de
Bezold jette une nouvelle lumière. Dans les documents publiés à la
suite, les affaires françaises, les négociations de Jean-Casimir avec tous
les partis, les Guises et les Huguenots, le roi et Henri de Navarre, com-
posent peut-être le principal sujet. Il va sans dire que l'histoire de
l'empire allemand reçoit elle aussi, de la présente publication, de nom-
breux éclaircissements; mais même les historiens des Pays-Bas, de la
Suisse \ de l'Angleterre n'y trouveront pas peu de documents qu'aupa-
ravant ils ne pouvaient connaître.
Ce volume aurait été beaucoup plus complet encore si de gros morceaux
de la correspondance politique de Jean-Casimir n'avaient été perdus. Les
archives de l'ancien Palatinat ne contiennent que des fragments de ses
négociations avec l'Angleterre, les Pays-Bas et les cantons réformés de
la Suisse ; il existe aussi plus d'une lacune dans le commerce diploma-
tique de l'infatigable prince allemand avec la France; M. de Bezold,
dans son vif désir de se procurer en dehors de Munich des éclaircisse-
ments plus étendus, a cherché et trouvé dans de nombreuses archives
et bibhothèques d'importants compléments à ce que Munich lui avait
fourni d'abord. Il a été surtout heureux à Marbourg, à Dresde et à
Paris. En ce qui concerne Paris, il ne pouvait lui être possible, à beau-
coup près, de fouiller les grandes masses de documents qui s'y trouvent,
et en particulier à la Bibliothèque nationale; c'est l'affaire des énidits fran-
liais de venir en aide aux travailleurs étrangers par leurs propres publi-
cations. M. de Bezold remarque qu'on ne devrait pas non plus se borner
à Paris. D'après une note de isi France protestante, à laquelle il se réfère
1 . Cf. par exemple une lettre très intéressante de Beutterich à Bèze, 6 sept.
1582, p. 533; elle est conservée aux archives de Genève.
E00SE8 : CHRISTOPHE PLARTI?!. 427
dans sa préface, p. vi, la bibliothèque de Tabbaye de 8aint-Vincont à
Besançon a possédé des parties de la correspondance de Jean-Casimir
avec Gondé. Un séjour accidentel à Venise a fait connaître à M. de
Bezold des copies de dépêches des envoyés vénitiens, qui lui ont été
d'une grande utilité ; il espère, pour les volumes suivants, pouvoir uti-
liser les originaux qui se trouvent à Vienne. Il n'est pas nécessaire
d'énumérer toutes les autres archives et bibliothèques d'où M. de
Bezold a tiré des documents entiers ou do petites notices. Personne no
sait mieux que lui qu'il reste encore dans l'ombre beaucoup do points
importants ; que beaucoup de documents, qui pourraient servir à les
éclairer, sont disparus sans laisser de traces ; mais il parle presque
trop modestement de ce qu'il a fait lui-même. Le mérite de son ouvrage
sera reconnu avec le plus de gratitude par tous ceux qui seront assez
heureux pour combler une des lacunes que sa publication laisse sub-
sister. Nous espérons en recevoir bientôt la suite.
Alfred 8tebn.
Christophe Plantin, imprimeur anversois, par Max Rooses, con-
servatetir du musée Plantin-Moretus. — Anvers, Jos. Macs, iHH2.
(466 pages in-folio. Prix : 400 fr.)
C'est par erreur que ce splendide volume porte la date de 1882. Il a
paru seulement à la fin de 1883, comme le prouve la dédicace de l'au-
teur au bourgmestre d'Anvers, M. Léopold de Wael, datée du {•'^ sep-
tembre de l'année dernière. Aussi pensons-nous être Tun des premiers
à signaler le livre de M. Rooses à l'attention des spécialistes.
On sait qu'il existe à Anvers un musi'e unique, composta des bâti-
ments, du matériel, de la bibliothèque, des tableaux et des archives de
l'ofûcine plantinienne , créée au xvi« siècle par Christophe Plantin et
conservée jusqu'à nos jours avec un soin pieux par ses descendants
anoblis les Moretus. La ville d'Anvers acheta cette admirable collection
avec son local pour la somme de 1,200,000 francs, l'ouvrit au public en
1877 et chargea M. Rooses d'utiliser les milliers de documents contenus
dans la c Maison Plantin. §
M. Rooses, qui a beaucoup écrit en néerlandais, est un critique d'art
et de littérature très estimé en Hollande et dans la Belgique flamande.
8a grande histoire de l'école de peinture anversoise {Geschiedenis der
ÀrUwerpsche Schilderschool , 1879), a été traduite en allemand et devrait
l'être aussi en français. Depuis qu'il est conservateur du musée Plantin,
M. Rooses a produit plusieurs travaux d'érudition relatifs à l'impri-
merie plantinienne. Son Christophe Plantin^ que l'éditeur Maes a publié
avec un luxe digne du sujet, est une œuvre de premier ordre, pleine de
révélations et d'aperçus nouveaux.
Christophe Plantin était Tourangeau. Il naquit dans un village près
de Tours (on ne sait au juste lequel) en 1511 et il était iils d*un dômes-
428 COMPTES-EBXDUS GBITIQUES.
tique. M. Rooses renverse définitivement la légende de son origine
noble que ses descendants imaginèrent plus tard. Plantin fit son appren*
tissage d'imprimeur à Gaen, où il se maria. En 1549, deux ans après
la naissance de son premier enfant, il vint s'établir à Anvers , qui était
alors la ville la plus florissante et la plus opulente du nord de TEurope.
Plantin y exerça d'abord la profession de relieur et de maroquinier.
En 1555, il ouvrit une petite imprimerie. En peu d'années et malgré les
troubles religieux il était devenu le premier imprimeur des Pays-Bas
et avait obtenu de Philippe U le titre d'imprimeur du roi ou d'archi-
typographe de S. M. En même temps sa librairie était Tune des plus
considérables de l'époque. Lorsque le parti du prince d'Orange prit le
dessus pendant quelques années, il devint imprimeur officiel des États-
généraux et, s'étant transporté à Leide , imprimeur de l'université cal-
viniste et des États de Hollande. Après la prise d'Anvers par Alexandre
Farnèse, il revint prendre la direction de ses ateliers, dont il avait
abandonné le soin à son gendre Jean Moretus , et il mourut à Anvers
en 1589.
M. Rooses a dressé une longue liste de tous les imprimeurs et
libraires avec lesquels Plantin eut des rapports (Documents n^ ix). A côté
de ceux des Pays-Bas, on y trouve une multitude de confrères français,
allemands, suisses, anglais, écossais, italiens, espagnols, portugais et
polonais. A partir de 1567, Plantin eut une succursale à Paris. Il eut
aussi des agents en Espagne, puis une succursale à Salamanque. Il
songea à en fonder une à Londres. Une partie de l'édition de la Bible
en hébreu (1566) fut écoulée par un agent spécial en Barbarie. Tous les
ans, Plantin se rendait à la célèbre foire de Francfort ou y envoyait l'un
de ses gendres. Toute sa vie il mit en pratique sa fameuse devise :
Labore et constaniia. Malgré le malheur des temps, malgré des embarras
financiers un instant inextricables et des difficultés incessantes, il laissa
une fortune que M. Rooses ne craint pas d'évaluer à plus d'un miUion
do francs de notre monnaie.
Le livre de M. Rooses nous rappelle ces grandes compositions des maî-
tres hollandais du xvii« siècle, représentant une nombreuse famille: père,
mère, enfants, gendres, brus, petits-enfants, intimes et familiers de la
maison. Toutes ces figures, vues de face, de profil, de trois quarts,
éclairées vivement ou laissées dans la pénombre, ont cependant chacune
leur physionomie propre et toutes sont groupées avec une savante
naïveté autour du chef de la famille. Christophe Plantin est ici le
centre de la composition; mais à ses côtés nous voyons sa vaillante et
simple épouse, Jeanne Rivière, de Gaen, ses nombreuses filles, ses
gendres, parmi lesquels se détachent sur le premier plan les excellents
typographes Jean Moretus et François Raphelengien.
Voici pn^'s de lui le groupe des savants du temps, qui ont eu des rela-
tions suivies et cordiales avec Plantin : le directeur de la fameuse
Hiblc polyglotte, le sympathique Arias Montanus, confesseurde Philippe II,
les grands botanistes du xvi« siècle, Dodonée (Rembert Dodoens) de
ROOSES : CHEISTOPHB PLAIfTI?!. 429
Malines, Charles de TEscluse d'Arras et Mathieu de Lobel de Lille, pour
les ouvrages desquels Plantin a fait dessiner d*après nature et graver
des centaines de planches admirables ; les grands géographes Abraham
Ortelius, d'Anvers, et Gérard Mercator de Rupelmonde ; l'archéologue
Hubert Goltzius, l'un des fondateurs de la numismatique ; le mathéma-
ticien Simon Stévin, de Bruges ; le grand et modeste philologue Kilia-
nus, simple typographe; le cardinal Baronius et surtout Juste-Lipse,
Fami illustre et dévoué de Plantin jusqu*à sa mort.
Mais voici un autre groupe, plus nombreux encore, que M. Rooses a
tiré d^un injuste oubli. Ce sont les artistes que Plantin employait à illus-
trer ses admirables éditions. Il y a là les dessinateurs Pierre van der
Borcht et Crispin van dcn Broeck, de Malines, Godefroi Ballain, de
Paris, Luc d'Heere, de Gand, Martin de Vos et Pierre Huys, d'Anvers ;
les graveurs sur bois Arnaud Nicolaï, Antoine van Leest, Gérard Janseu
de Kampen, Corneille MuUer, Guillaume de Paris, Jean de Gourmont,
de Paris, Marc Duchône, Jean Crisoone ; les graveurs sur cuivre Jean
et Jérôme Wiericx, toujours ivres, toujours en prison ou dans les mau-
vais lieux, d'où il fallait les arracher pour obtenir d'eux des chefs-
d'œuvre, Abraham de Bruyn, Jean Sadeler, Pierre van der Heyden,
Jules Goltzius, Pierre Dufour (Fumius), de Liège, etc.
Cette biographie de Plantin est ainsi une galerie des savants, des
artistes, des imprimeurs et des libraires du xvi* siècle dans les Pays-
Bas. L'énigmatique figure de Philippe II n'y manque môme pas :
M. Rooses nous le montre se faisant envoyer d'Anvers en Espagne une
épreuve de chaque feuille d'impression de la Bible polyglotte, au moment
même où l'administration du duc d'Albe dans les Pays-Bas et toutes
ses autres entreprises lui donnaient cependant tant de soucis, et corri-
geant de sa propre main, en 1571, les instructions très étendues four-
nies à Plantin pour l'impression des livres liturgiques destinés à l'Es-
pagne, changeant certaines dispositions des offices, certaines expressions
des cantiques et des prières, émendantdes erreurs de copiste, se préoc-
cupant de l'emploi d'une vignette, d'une lettre coloriée, en un mot fai-
sant œuvre de correcteur d'imprimerie, c Ainsi, au lieu de Magnifica
beata mater et innupta, comme portait le petit office du samedi, il pro-
posa de dire : Magnifica beata mater et intacta, ce qui vaut évidemment
mieux. Aux mots Domine, salvum fac Regem, il proposa d'ajouter nos^-
trum, parce qu'on dit : Oremus pro Papa nostro, • (P. lôO et 167.)
M. Rooses expose en détail l'origine et les développements de la
législation draconienne que Charles-Quint et Philippe II tirent peser
sur l'imprimerie et sur la librairie dans les Pays-Bas (p. 201 ot suiv.).
Avant d'imprimer ou de réimprimer quoi que ce soit, l'éditeur devait
se pourvoir d'une approbation ecclésiastique et d'un privilège émanant
des autorités civiles. Ces pièces ne s'obtenaient pas sans cadeaux. Dans
SCS comptes de 1565, Plantin mentionne qu'il s'est rendu à Bruxelles
pour solliciter quelques autorisations et qu'il a offert à M. le chancelier
• 4 formages d'Auvergne constants 15 patards pièce, 8 paniers de pru-
430 GOMFTBS-RENDUS CRITIQinES.
neaux et poires à 3 i/2 patards pièces, 1 Bible in-i6« réglée, dorée; i
de plus il a offert au curé de Sainte-Gudale c 2 formages et 6 paniers,
1 Bible 16^ lavée, réglée^ dorée, • et à d'autres personnages, parmi les-
quels se trouve Hopperus, des fromages, des pruneaux, des poires et des
Bibles en proportion de leur influence, sans compter les taxes acquittées
en argent.
Néanmoins Plantin gagnait d'ordinaire de 300 à 400 pour cent sur
les livres qu'il imprimait et éditait. Malgré ce bénéfice énorme, le prix
de vente était remarquablement bas en comparaison de ce que nous
payons actuellement nos livres. Cela s'explique. Les imprimeurs du
XVI* siècle ne payaient presque jamais d'honoraires aux auteurs; le
salaire des ouvriers typographes était si peu élevé qu'il était de beau-
coup inférieur à celui des maçons, des charpentiers et des ardoisiers
(p. 243) ; enfin le tirage était considérable et la consommation impor-
tante à cause de la soif de lecture et de science qui distinguait alors la
classe aisée.
Le livre de M. Rooses nous fait connaître jusque dans ses moindres
particularités l'organisation de l'imprimerie au xvi* siècle, ainsi que celle
de toutes les industries qui s'y rattachent : reliure, papeterie, gravure,
taille des caractères typographiques. Il nous renseigne aussi exactement
sur la condition des ouvriers, la correction des épreuves, les salaires,
l'apprentissage, les rapports entre patron et ouvriers, les grèves des
typographes, les règlements détaillés et très sévères qui étaient affichés
dans les ateliers, la caisse des pauvres, des malades et des ouvriers
voyageant en quête d'ouvrage, le conseil des typographes où le patron
siégeait avec les délégués de l'atelier, etc.
Plantin alla jusqu'à employer 160 ouvriers dans son officine. Il était
très exigeant, mais il semble avoir été juste, compatissant et aimé de
ses inférieurs. Il donnait lui-même l'exemple de l'activité et de l'ardeur
au travail et il élevait très sévèrement ses cinq filles, t Dès leur pre-
mière enfance, il leur faisait apprendre à lire et à écrire, et, chose à peine
croyable, depuis l'âge de quatre à cinq jusqu'à l'âge de douze ans, les
quatre premières de ses cinq filles étaient employées à lire les épreuves
de l'imprimerie, de quelque écriture et dans quelle langue qu'elles fussent.
Dans les intervalles de leurs études et de leurs occupations de correc-
teurs, elles s'initiaient aux travaux à l'aiguille. » (P. 214.)
M. Rooses nous conte par le menu la vie et les mariages de ces filles,
nous décrit leurs repas de noces, nous renseigne sur leurs dots, sur
leurs maris, sur leurs enfants et sur leurs occupations. Il nous présente
même le jeune Christophe Beys, fils d'Egide et de Madeleine Plantin,
qui habitait chez sou grand-père et lui donnait parfois du fil à retordre.
Un jour que la conduite de l'enfant avait laissé à désirer, Plantin, en
guise de pensum, lui fit rédiger une page en latin, dans laquelle le jeune
Christophe, âge de quatorze ans, donne en détail l'emploi de sa journée.
Voici ce curieux document, traduit en français :
ROOSBS : CHRISTOPHE PLAIfTfN. 434
t Occupations de Christophe Beys, le H février i5Sl.
c A six heures et demie, je me suis levé. Je suis allé embrasser mon
grand-père et ma grand mère. J'ai déjeuné ensuite. Avant sept heures
j'allai en classe et récitai bien ma leçon de syntaxe. A huit heures,
j*entendis la messe. A huit heures et demie , j'ai appris ma leçon de
Cicéron et l'ai bien récitée. A onze heures, je suis revenu à la maison
et j'ai appris ma leçon de phraséologie. Après le dîner, je suis retourné
en classe et ai bien récité ma leçon. A deux heures et demie, j'ai bien
récité ma leçon de Cicéron. A quatre heures, je suis allé au sermon.
Avant six heures, je suis retourné à la maison et j'ai lu une épreuve du
Libellus Sodalitatis avec mon cousin François (Raphelengien). Je me
suis montré récalcitrant en lisant les épreuves de la Bible. Avant le
souper, mon grand-père m ayant fait venir pour lui répéter ce que l'on
avait prêché, je n'ai voulu ni aller ni répéter; et môme, quand les
autres m'engageaient à demander pardon à grand-père, je n'ai pas voulu
répondre. Enfin je me suis montré à l'égard de tous orgueilleux , opi-
niâtre et entôté. Après le souper, j'ai écrit mes occupations de la journée
et je les ai lues à mon grand-père. La un couronne l'œuvre i (p. 225).
A l'aide des archives plantiuiennes, M. Rooses est ainsi parvenu à nous
tracer un tableau complet et des plus intéressants de l'intérieur de
Christophe Plantin et de la manière de vivre de cette importante et
nombreuse famille anversoise de la fin du xvi« siècle.
Il est surtout une face de son sujet que M. Rooses a traitée avec soin
et qui méritait d'ailleurs de l'être: les relations de Plantin avec la
Réforme et son attitude au milieu des tourmentes politiques et reli-
gieuses de son pays d'adoption.
Quand Plantin vint s'établir à Anvers en 1549, cette ville était déjà
le foyer de la propagande occulte des protestants dans les Pays-Bas. Or,
en 156*2, tous les biens de Plantin, qui s'était prudemment retiré à Paris,
furent saisis et vendus. Il n'y eut de réservé que les habillements de sa
femme et de ses enfants. Le margrave d'Anvers avait procédé à cette
exécution, parce qu'on avait découvert que Plantin avait imprimé un
livre hétérodoxe. C'était la gouvernante des Pays-Bas, Marguerite de
Parme, sœur naturelle de Philippe II, qui avait ordonné les poursuites.
Le chanoine Josse Ravesteyn, dit Tiletanus, inquisiteur général des
Pays-Bas, avait même fait arrêter toute la famille Plantin y compris
la servante. Christophe Plantin resta absent pendant environ vingt mois.
Étant rentré à Anvers en septembre 1563, il parvint à se justifier tant
bien que mal et rouvrit une imprimerie. Il est à remarquer que tous
ses bailleurs de fonds se distinguèrent dans la suite par leur attache-
ment au culte calviniste.
On avait toujours cru que Plantin avait été secrètement calviniste,
mais M. Rooses prouve qu'il a appartenu successivement à deux sectes
extrêmement bizarres de libertins ou libres-penseurs du xvi« siècle.
432
L'ooe d'*d\f^ f*intitolait c la Famille de la Chanté t et afait pour chef
lieori Nklae». Cétait an mystique dont les omnages sont extrêmement
tif*ïml(fax ; mais sa doctrine offre an o6té très carieiix. Il rapportait Umt
à U prziuiue de la charité et enseignait qae le coite erterieor est sans
ïmitfjrUmf'Ât, « A une époque, dit M. Roo9e&, où Ton gaerroyait sans
trêve ni merci avec les textes bibliqaes^ où on les employait à prouver
ÏHn itynVkmftn les plus contradictoires, où les églises se levaient da jour
au lendr;main comme les champignons dans les bois, où la haine reli-
pHunti mettait les armes à la main et Tinjare à la bouche des chrétiens
dans la plus grande partie de TEorope, une doctrine de paix et de cha-
riU5 qui faisait abstraction de tout esprit sectaire et, en préchant Tamour
du prochain et de Dieu, prenait dans les diflerentes églises ce qu'elles
avaient de œmmun et de plus noble, devait faire des adeptes, même
parmi des esprits d'élite, comme Flantin et certains de ses amis • (p. 65).
D'ailleurs Henri Niclaes permettait à ses disciples de rester fidèles aux
pratiques du catholicisme et lui-même se déclarait fils soumis de Rome.
Tel était le rêveur nuageux qui fut en rapports intimes avec Plantin,
esprit lucide, homme pratique par excellence. M. Rooses a surtout tiré
ces révélations d'un manuscrit conservé à Leide dans la bibliothèque
do la Société de littérature néerlandaise, manuscrit qui lui avait été
signalé par M. P.-A. Tiele, alors bibliothécaire de l'université de Leide,
et (|un Ui savant M. Arnold, actuellement collaborateur de la Bibliotheca
belgica à Oand, a bien voulu transcrire pour M. Rooses.
On y voit (|uo Plantin avait imprimé clandestinement les livres de
Ilonri NiclacK, (;t était rosté en correspondance secrète avec lui jusque
HouK le duc d'Albo, au moment où il sollicitait de Philippe II l'autori-
HalJon d*ô(lit(»r la IHhle polyglotte et où il faisait tant de protestations
^l'()^lho(l()xi(^ Mais il quitta ensuite la secte de Henri Niclaes et s'affi-
lia i\ une communauté dissidente, fondée par Henri tlanssen, plus connu
HouH Ins noms de Barrefelt ot de Iliël. a De môme que Henri Niclaes,
Harroiolt, dit M. Uoosos, se met en opposition complète avec ses con-
UMuporains sur des questions religieuses de haute importance. Dans
un sicVJc où l'autorité divine des Écritures était admise sans conteste
par toutes los églises chrétiennes, où la plus grande importance était
altachtM» aux points les plus subtils de la doctrine et du dogme et oii
los martyrs étaient proclamés les héros de l'humanité, les deux nova-
tours proIVssaiont un dédain à peine déguisé pour la Bible et les dogmes
révélés, el n'éUiiont pas loin de traiter d'égarés et de niais ceux qui
aimaiiMi! niioux sacritior leur vie que de renoncer à leur foi ou de cacher
lours convictions roligiousos » (p. 77 et 78).
Los arohivos do la maison Plantin contiennent beaucoup de lettres
adivsséos par Harrofolt à Plantin lui-même et à son gendre Jean More-
tus; un biou plus grand nombre se sont perdues. De son côté, Plantin
lui écrivait chaque sonuiine just]u'à sa mort ot imprimait en secret ses
ouvrages. Non soulemont il |>arUigoait ses opinions, mais il était le chef
do Si» socto i\ AuNors ot y dirigeait le^ adepte^i, au nombre desquels se
ROOSBS : CHRISTOPHB PLAIfTI!f. 433
trouvaient presque tous les membres do sa famille. Plantin etDarrefolt
employaient un argot de convention dans leur correspondance. La secte
se nommait le commerce, les livres à imprimer étaient des échantillons
à teindre; les presses d'imprimerie s'appelaient des cuves, les imprimeurs
de la secte étaient les teinturiers, les manuscrits à imprimer étaient
désignés sous le nom de bonne laine, etc. « Il fallait des preuves aussi
abondantes et aussi irn^cusables, dit M. Rooses, pour élever au-dessus
de toute contestation le fait étrange que Tarchitypograpbe de 8a Maji^ti'
catholique, qui publia avec les privilèges du pape et du roi d*Rs{>agne
les livres liturgiques de Téglise catholique et l'Index des livres prohi-
bés, ait été Tun des principaux adhérents de deux sectes hétérodoxes
et l'imprimeur des livres qu'elles vénéraient comme leurs Écritures
saintes • (p. 81).
L'attitude de Plantin fut tout aussi énigmatique à l'égard du parti du
prince d'Orange. On sait qu'à la mort de Requesens les soldats (^pa-
gnols, restés sans solde depuis de longs mois, se mutinèrent et com-
mirent une foule d'excès, dont la Furie espagnole^ Taffreux sac d'Anvers
qui dura trois jours (nov. 1576), est le plus célèbre. Pendant ces trois
jours de pillage effréné, Plantin fut rançonné neuf fois et il déclare
(fuelque part qu'il lui eût été plus profitable d'abandonner ses biens et
son ofGcine aux pillards que de les racheter tant de fois de suite. Ces
débordements de la soldatesque soulevèrent les Pays-Bas et les catho-
liques tendirent la main aux calvinistes pour combattre l'ennemi com-
mun (Pacification de Gand), Aussitôt Plantin se mit à louvoyer entre les
partis. Sans se prononcer jamais ouvertement contre l'Espagne, il faisait
ce qu'il pouvait pour ne pas olfusi]uer le parti national et les Réformés.
En 1578, les États généraux le nommèrent leur imprimeur. Il édita leurs
ordonnances ainsi qu'une foule de pamphlets anti-espagnols. De plus,
il combla de dédicaces et de politesses le prince d'Orange, l'archiduc
Mathias et le duc d'Alençon. Parfois les livres trop violents contre
l'Église et Philippe II étaient imprimés à l'aide de ses caractères, mais
publiés sous un autre nom d'imprimeur. En même temps il correspon-
dait activement avec Barrefolt et imprimait en secret ses ouvrages.
Enfin il ne rompait pas pour cela ses relations affectueuses et sa cor-
respondance avec ses protecteurs espagnols, Çayas, secK'taire de Phi-
lippe II, Arias Montanus, son confesseur, et d'autres. Il se justifiait
sans cesse dans les lettres qu'il leur adressait et prétendait n'agir que
contraint et forcé. Pour mettre le comble à sa bizarre situation, il ne
cessait, sous ce régime ultracalviniste, d'imprimer les Pères de l'église
et des Bibles catholiifues sous la direction des professeurs et des théo-
logiens de Louvain.
M. Rooses ne se dissimule pas ce qu'il y a de choquant dans la con-
duite de son héros. Il n'excuse jms, il explique d'aprt's la vraie méthcnle
historique. On )>eut aussi se rallier pleinement à cette reflexion : c Nous
nous permettrons de rappeler que, si le xvi* siècle a compté par milliers
les martyrs de la liberté religieuse et politique, il a compte aussi des
Rev. UisToa. XXV. > fasc. ^28
434 COMPTES-RESTDOS CRITIQUES.
millions d'âmes moins fortement trempées dont les opinions changeaient
avec celles du parti dominant. Dans une époque de terrorisme, la con-
science humaine peut paraître moins scrupnleuse que dans notre temps
de liberté et de calme ; mais qui nous dépeindra le spectacle que nos
contemporains nous offriraient, si ces temps d'angoisse et de tyrannie
devaient revenir ? » (P. 377.)
M. Rooses no fait pas seulement Thistoire de Plantin et de ses con-
temporains, il fait aussi l'histoire de ses livres. Il y emploie des cha-
pitres très fouillés et très curieux. Ainsi le chapitre vi, consacré à la
liible royale ou Bible polyglotte, est une monographie de grande valeur.
On y trouvera dos détails précieux sur les attaques passionnées que sou-
leva cette grande entreprise scientifique et industrielle malgré Tappro-
bation du pape ot du roi. Les ennemis de Plantin et d'Arias Montanus
partaient de ce principe que, la Vulgate ayant été déclarée la version
authentique de rKcriturc sainte par le concile de Trente, il était défendu
de s'en éloigner en aucun point et de recourir jamais aux textes grecs,
iiébreux ou syriaques. Parmi ces théologiens fanatiques, il faut surtout
citer Léon de (Castro, professeur à l'université de Salamanque, et Guil-
laume Lindanus (Vandcr Linden), inquisiteur des Pays-Bas, plus tard
ôvfViuo de Uuremonde et de Gand. Tous deux étaient fort ignorants
dans les langues incriminées.
Au chapitre viii, nous trouvons l'histoire tout aussi détaillée du
fameux Thésaurus teutonicae linguae (1573), du lexique flamand-latin
de Kiliaiiiis ot des autres dictionnaires publiés par Plantin. C'est une
page importante de riiistoire de la philologie néerlandaise, t De 1573,
dit M. Hooses, date, pour ainsi dire, l'acte d'émancipation du néerlan-
dais ; celui-ci devient riiéritier légitime de tous les dialectes qui aupa-
ravant se disputaient la prépondérance. La langue de la Flandre occi-
dentale avait servi d'idiome littéraire pendant la pbase la plus ancienne
de notre civilisation, s'étendaut de 1*200 à 1 i50. La prospérité de nos
contrées, en so déplaçant vers l'Est et vers le Nord, donna, dans le cours
du xvi« siècle, la prépondérance au dialecte du Brabant. C'est la langue
telle qu'elle était parlée à Anvers, le brabançon, la langue du Thésaurus
et du dictionnaire de Kiel (Kilianus) qui, grâce à la situation privilégiée
de notre métropole commerciale et grâce aussi aux travaux de Plantin
et de ses collaborateurs, devint la langue universelle des Pays-Bas. Il
manquait à nos contrées une capitale et une cour pour opérer cette
fusion des dialectes et créer runiformité; l'ofticine plantinienne com-
bla cette lacune; elle servit d'académie où des savants, guidés et encou-
rages juir la vive intelligence de l'imprimeur, effectuèrent un travail
dont nos pères avaient le plus grand besoin et dont nous profilons encore
de nos jours \» (p. 190 . C'est ainsi le Tourangeau Plantin qui a conso-
lidé les bases de la langue utvrlandaise.
lX)u.'.e documents iiuviits et un index des noms propres et des édi-
tions planiuiieunes ter:niuenl Touvrage de M. Rooses, qui est de plus
illusin^ splendideuient j\ar cent planche^ in-folio hors texte et par de:;
ROOSBS : GHBI8T0PHE PLANTlIf. 485
centaines de gravures, de lettrines, de culs-de-lampe, etc., le tout tiré
de l'ofGciue plantinienne elle-même et exécuté à la perfection. Les ama-
teurs de beaux livres peuvent difficilement rêver mieux que le Chris»
tophe Plantin. Il y a là les portraits en phototypie ou en gravure de
Plantin, de sa femme, de ses filles, de Jean Moretus, de Raphelengien
(plusieurs d'entre eux sont d'après Rubens), de Guillaume d'Orange, du
cardinal Granville, de Philippe II, d'Arias Montanus, de Hubert Golt-
zius, de Martin de Vos, d'Abraham Ortelius, du cardinal Baronius, de
Juste-Lipse, etc. Les grands fac-similés des frontispices et des planches
des principaux chefs-d'œuvre de Plantin sont également superbes. Ce
sont des men'eilles qui font honneur à l'éditeur anversois, M. Joseph
Maes.
Je crois en avoir dit assez pour montrer combien le Christophe Plan"
Un de M. Rooses contient de choses neuves et importantes. Il est plein
de révélations sur l'histoire d'une industrie moderne de premier ordre,
sur les savants et les artistes des Pays-Bas au xvi* siècle et sur les mœurs
des Anversois à la grande époque historique de leur ville. Je n'ai qu'une
critique à faire à l'auteur, c'est de n'avoir pas spécifié plus nettement
les documents inédits des archives plantin iennes, qui lui ont servi à
édifier sa belle œuvre. Peut-être un inventaire et un numérotage sys-
tématique de ces pièces n'existent-ils pas encore. En tout cas, sans
indications nouvelles, on pourra difficilement contrôler, sur les pièces
originales, les conclusions de l'auteur. *
Paul Freobricq.
ÈÊàk.
436 RECUEILS PJaiOOIQUES.
RECUEILS PÉRIODIQUES ET SOCIÉTÉS SAVANTES.
1. —Bibliothèque de l'École des chartes. T. XLY, 1884, livr. 1.
— Hauréau. Disputatio mundi et religionis ; poème de Gai de la
Marche (ce Gui était fils naturel de Hugues XII, comte d'AngouIème
et de La Marche). — Em. Molinier. Inventaire du trésor du saint-siège
sous Boniface VIII (1295) ; suite. — Gauthier. Notice sur les mss. de
la bibliothèque publique de Pontarlier. — Al. Pinchart. Lettres mis-
sives tirées des archives de Belgique, concernant l'histoire de France,
1317-1324 (1* lettre écrite au nom de Jeanne, fille de Louis X le Hatin
et de Marguerite de Bourgogne, sur les protestations élevées par le duc
de Bourgogne et autres vassaux de la couronne contre l'avènement de
Philippe V, 1317 ; elle a dû être envoyée à Jean III, duc de Brabant et
de Limbourg. Les deux autres lettres, de l'an 1324, ont trait aux que-
relles incessantes soulevées entre les sujets des rois de France et d'An-
gleterre en Guyenne et ailleurs). =: Bibliographie. Schmitz. Monumenta
tachygraphica cod/ Paris, lat. 2718 ; fasc. al ter (très utile pour les
paléographes). — Luchaire, Histoire des institutions monarchiques de
la France sous les premiers Capétiens, 987-1180 (excellent). — Palustre.
La renaissance en France, 9* et 10« livr. : Normandie (excellent ; ces
deux fasc. terminent le t. II et achèvent la description des monuments
de la renaissance dans tout le nord de la France). — Les Guriositez de
Paris, réimprimées d'après Tédition originale de 1716 (M. de Montai-
glon a prouvé que cet ouvrage a pour auteur Claude Marin Saugrain).
— Corroyer. Guide descriptif du Mont-Saint-Michel (excellent). —
Tamizey de Larroque. Voyage à Jérusalem de Philippe de Voisins,
seigneur de Montant (un passage de cette relation dit qu'à Monteleone
les gens parlaient « gascon ; » c'est grifon qu'il faut lire ; on ne peut
s'étonner que l'on parlât encore grec dans le sud de l'Italie à la fin du
xv« s. ; mais il serait bien invraisemblable qu'on y parlât gascon). =
Livr. 2. Kohler. Note sur un ms. de la bibliothèque d'Arezzo (contient
le De mysteriis, de saint Hilaire de Poitiers, qu'on croyait perdu, deux
hymnes, et un intéressant fragment d'un Voyage en Orient, dont le
rédacteur parait avoir vécu du iv' au v« s.; peut-être est-ce môme
Galla Placidia qui fit ce voyage, et dont nous posséderions ainsi l'iti-
néraire. Intéressante analyse de ce morceau). — Vaesen. Catalogue du
fonds Bourré à la Bibliothèque nationale ; suite. — Welwert. Philippe
le Bel et la maison de Luxembourg (rassemble dans les documents de
Tépoque les principaux faits qui rattachent à la France Henri de
Luxembourg, le futur empereur Henri VII, et son frère Baudouin). —
EBCUBIL8 PERIODIQUES. 437
B188ON DE Sainte-Marie. Testament de Jacques de Tarente, dernier
empereur de Gonstantinople, en faveur de Louis d'Anjou (15 juillet 1383).
= Bibliographie. Thibaudeau. Catalogue of the collection of autograph
letters and historical documents formed between 1865 and 1882 bv
Alfred Morrison (admirable collection ; plus d*un autographe provient
do nos dépôts publics, surtout de celui du ministère des affaires étran-
gères. M. Delisle publie doux documents indiqués dans ce premier vol.
du catalogue ; ils se rapportent au règne de Louis XI ; Tun est le
sauf-conduit accordé à Louis XI par Charles le Téméraire, lors de
l'entrevue de Péronne). — Morts et Blanc. Cartulairo de l'abbaye de
I>rins (travail estimable et utile). — Goifpon, Bu liai re de Tabbaye do
Saint-Gilles (bon). — Lindner, Das Urkunden^esen Karls IV und sei-
ner Nachfolger, 1346-47 (bon).— r/. Robert. Étude historique et archéo-
logique sur la roue des Juifs depuis le xi!i« s. (court mémoire plein
de faits). — Marchegay. Variétés historiques (publie 24 documents,
allant de 1080 à 1794).
2. — Le Cabinet historique. Noav. série. 1883, nov.-déc, n* 6
(Champion). — Recueil de lois, décrets et ordonnances, etc., concer-
nant les bibliothèques publiques, communales, universitaires, scolaires
et populaires ; suite et fin. — Raynaud. Catalogue des mss. anglais de
la Bibliothèque nationale (comprend 95 numéros). — Lois, instructions
et règlements relatifs aux archives départementales, communales et
hospitalières; appendice. Fin. — Louis Gdibert. Les confréries de
dévotion et de charité, et les œuvres laïques de bienfaisance à Limoges
avant le xv« s. (analyse les statuts des confréries de Notre-Dame do
Saint-Sauveur et de Saint-Martial. Cette dernière subsiste encore
aujourd'hui).
3. — Revue critique. 1884, n« 14. — Millier, Âncient inscriptions
in Ceylon (collection de mince intérêt historique; son importance est
surtout paléographique). — Joret. Des rapports intellectuels et litté-
raires de la France avec l'Allemagne avant 1789 (beaucoup de choses
intéressantes). = N* 15. Delattre. Le peuple et l'empire des Mèdes jus-
qu'à la fin du règne de Cyaxare (mémoire qui témoigne de réelles qua-
lités de méthode et de critique ; ajoute peu à nos connaissances posi-
tives sur le sujet). — Millier, Cl. Ptolemaei Geographia; vol. I pars
prima (édition remarquable). — Chuquet. Le général Chanzy (excellent).
= N* 16. Mispoulet. Les institutions politiques des Romains; t. Il :
l'Administration (peu original, mais fort consciencieux et complet; les
renvois sont très défectueux). — Variété. Deux lettres intimes de M. et
M»« Roland (avant, et aussitôt après leur mariage). --- N* 17. Schiller.
Geschichte der rœmischen Kaiserzeit. Bd. 1 (livre tout à fait au courant
des dernières découvertes, qu'il résume ; écrit dans un esprit partial et
exclusif; en somme, bon instrument de travail). — Pélicier. Essai sur
le gouvernement de la dame de Beaujeu, 1483-91 (très bon). » N* 18.
Boissière. L'Algérie romaine (livre très agréable, et qui donne une idée
438 RECUEILS PERIODIQUES.
juste de l'Algérie romaine ; d'ailleurs ni résultats nouveaux, ni érudi-
tion). — F, de Guilhermy et R. de Lasteyrie, Inscriptions de la France,
du v« au xvni» s. ; t. V : ancien diocèse de Paris (M. R. de L. a com-
plété le travail de M. de G. par un copieux supplément et par une
table excellente). — Chuquet, Gœthe ; campagne de France, 1792; édi-
tion nouvelle (excellent). = N' 19. Enmann. Eine verlorene Geschichte
der rœmischen Kaiser, und das Buch De Yiris illustribus urbis Romae
(travail très consciencieux ; prouve qu'Eutrope et Aurélius Victor, dans
son De Gaesaribus, ont eu une source commune pour la période qui
suit Tavènement de Septime Sévère ; et que le De viris est un extrait
d'un livre plus volumineux sur le même sujet). — GauUieur. Histoire
de la Réformation à Bordeaux et dans le ressort du parlement de
Guyenne ; t. I (science solide, exposé intéressant). — Craven, Le prince
Albert de 8axe-Cobourg-GrOtha, d'après l'ouvrage de sir Th. Martin
(indispensable à qui veut étudier Tbistoire contemporaine). — Lamansky,
Secrets d'État de Venise (très curieux).=N* 20. Honwlle, Les Romains
à Délos (excellent et nouveau). — Chastel. Histoire du christianisme;
t. IV et V (digne fin d'un ouvrage rempli de faits et d'idées intéres-
santes). - Gachard. Lettres de Philippe II à ses filles, 1581-83 (apporte
quelques corrections à la traduction de M. Gachard). — Dommartin,
Beaurepaire; épisode de la reddition de Verdun (Beaurepaire s'est
donné la mort le 2 septembre 1792, entre deux heures et demie et trois
heures du matin, non point au sein du conseil de défense, mais seul et
dans l'appartement qu'il occupait à l'hôtel de ville. Il n'était pas noble).
=: N* 21. E. Du Soinm^rard. Musée des Thermes et de l'hôtel de Cluny;
catalogue (excellent remaniement). — Vatel. Histoire de M™« du Barry
(long article, rempli de détails intéressants).= N* 22. Miiller. De demis
atticis (médiocre). — Szanto. Untersuchungen ùber das attische Bur-
gerrocht (beaucoup de bonnes choses). — Hug. Studien aus dem clas-
sischen Alterthum (discours académique, où l'auteur a essayé de
mettre en relief les pensées créatrices « du vrai fondateur de la démo-
cratie athénienne, Clisthène »). = N® 23. Brunot. Un fragment des
Histoires de Tacite. Etude sur le De moribus Germanorum (des vues
ingénieuses ; travail un peu superficiel). — Forneron. Histoire générale
des émigrés pendant la Révolution française (très intéressant, mais
fait beaucoup trop vite. Beaucoup d'erreurs de détail). =N- 24. Gagnai.
Explorations épigraphiques et archéologiques en Tunisie; fasc. 1-2
(d'heureuses trouvailles, fort bien présentées). — Harrisse. Les Gorte
Real et leurs voyages au Nouveau-Monde (étude remarquable, complé-
tée par le fac-similé d'un planisphère composé en 1502). — Hellwald.
Kulturgeschichte in ihrer natùrlichen Entwickelung (livre rempli d'idées
originales et suggestives).
4. — Bulletin critique. 1884, 15 avril. — Gautier. La chevalerie
(important pour l'histoire do la civilisation en France). — Jouin.
Antoine Goysevox ; sa vie, son œuvre et ses contemporains (excellent
art. de M. Ck)urajo<l, qui relève des erreurs nombreuses dans cet
RBC0BIL8 PERIODIQUES. 431*
ouvrage).= !•' juin. Catien, L'égliso métropolitaine et abbatiale Sainct-
André de Bourdeaux, par maître Ilierosme Lopès (bonne réimpression,
avec d'utiles additions et commentaires). — Luchaire. Histoire de»
institutions monarchiques de la France, 987-H80 (excellent). — Grand-
Claude, Jux canonicum juxta ordinem decretalium (excellent commen-
taire des décrétales). — Tamizey de Larroque. Arnauld de Pontac,
évéque de Ikizas, 1572-1605 (réimpression de plusieurs de ses œuvres,
avec des notes aussi copieuses (ju 'instructives). — Sudre, Les finances
de la France au xix* s. (bon).
6. — La Révolution française. 1884, 14 avril. — Aulabd. Des
portraits littéraires au xvni« s. pendant la Révolution ; suite. — Duc
d^Orléans. Traité philosophique, théologique et politique de la loi sur
le divorce. — Adviklle. I^s portraits inédits des révolutionnaires
d'Arras. — Ostyn. Le procès de Marie-Antoinette: suite. Fin le 14 mai.
-- 14 mai. Penaud. Le conventionnel Noël Pointe; suite.
6. — Répertoire des travaux historiques, contenant l'analyse
des publications faites en France et à l'étranger sur l'histoire, les monu-
ments et la langue de la France pendant Tannée 1882. Tome II, n* 4
(Hachette, 1883 ; paru en 1884).
7. — Comité des travaux historiques et scientifiques. Bulle-
tin. Section d'archéologie. 1884, n* '2. — Barbikr de Montault. Inven-
taire des reliques de Tabbaye de Nouaillé (Vienne, au xvii* siècle). —
Castan. L'origine et la qualité du portrait de Pinfante Isabelle-Glaire-
Eugénie, par Van Dyck, au musée du Louvre. — J. Gliffbey. Les
ateliers de tapisseries de Tours. Privilège octroyé à Gomans et de I>a
Planche pour l'établissement d'une manufacture de tapisseries à Tours;
févr. 1613. — Maxe-Werly. Les vitraux de Saint-Nicaise de Reims
(publie un dessin à la plume de ces vitraux, qui ont été détruits de
1760 à 1764; on y lit les noms des enfants de Thibaut II, comte de
Bar, et de Jeanne de Toucy, sa femme). = Section d'histoire et de phi-
lologie. 1883, n* 2. M. de Montkout. Un document relatif au grand-
père do Bugeaud (Simon Bugeaud de la Piconnerie sollicite, en 1769,
une remise sur ses impositions, comme ayant douze enfants à sa
charge).
8. — Revue de i*Histoire des religions. 5* aoné<^ ; nouv. série.
Tome IX, 1884, n' l. — Massebieau. Les sacrilicea ordonnés à Gar-
thage au commencement de la perst»cution de Décius. = N* 2. Boucufc-
Leclercu. Les oracles sibyllins; suite et Gn (traduction inédite du
livre lU).
9. — Revue de géographie. 1884, avril. — L. Drapeyron. Essai
de. psychologie géographique (.ucj. Le caractère byzantin au vu* s. —
Ghirbonneau. Légende territoriale de l'Algérie en arabe, en berbère et
en français; suite.
10. — Nouvelle revue historique de droit firuiçais et étran-
ger. 8' année, 1884. N<» 2. — Glasso.n. I..e8 origines du costume de la
440 lECfJEILS PlflIODIQUBS.
magistrature. — Paou. I^es coutumes de Lorris et leur propagation au
XII* et au XIII* siècle; l^'art.; 2* art. au n* 3 (travail important et bien
fait ; Tauteur n'étudie que la charte de 1155 et les chartes qui en sont
dérivées, laissant de côté la coutume officielle de 1494 réformée en 1531.
Il donne d'abord des renseignements historiques et géographiques sur le
CrAtinais au xi« et au xii« s.; puis analyse le texte de 1155, qui n*est
sans doute qu'une confirmation de la charte de Louis YI. Ce n'est pas
une charte de commune ; c'est une série de privilèges propres à déve-
lopper l'agriculture et le commerce. La royauté cherchait aussi à aug-
menter la population, et par suite ses revenus, dans le Gâtinais. Dis-
tinguo enfin cette charte de franchise de la coutume Lorris- Mon targis,
rédigée à la fin du xv* s. ; montre la différence considérable qui sépare
ces deux textes. Propagation de ces coutumes dans le domaine royal,
dans les domaines des maisons de Gourtenay et de Sancerre, en Cham-
pagne). — Hlondel. Note sur quelques mss. de la bibliothèque royale
(le Dorlin ; coll. llamilton (5 mss. de droit canonique, n^* 132, 31, 345,
279, 181 du catal. de vente; le n» 192, qui renferme le texte français
(lu (irand Coutumier do Normandie en 126 chap. ; le n« 193, qui ren-
ferme lo texte complot des Coutumes de Beauvoisis par Beaumanoir,
Houl ms. illustré de H. jusqu'ici connu, très important pour la constitu-
tion du texte. A la fin de ce dernier ms. est une petite coutume du
Voxin, inédite, et dont lo texte, fort court, est publié en entier ici). —
Hhiinnkr. Note sur une somme française du xiv« s. sur le Code (texte
(lo la i)réraco, on français, d aprôs le ms. du Vatican Reg. 1063, du
\iv sJ. ^ N' I^ Hrr.uK. Essai sur l'ancienne coutume de Paris aux
xin** ot xu» s. : siiito. — AinKRx. Sur la date du Stilus parlamenti, de
(îuillaunio du Hrouil (rédigé on 13*29 ou on 1330). — H. de Ferron. De
la oirct>nscription dos coniniunos par la constitution de 1789 (la Cons-
lituanto n*a pas placo une municipalité dans chaque paroisse, les com-
nuinos do 100 à 300 hal). sont do croation postérieure).
11. — Revue archéologique. ;^ sorio, 2* année, 1884, avril. —
AinK. Tn supploniont aux AcUi sincera de Ruiuart. Actes inédits de
l'oviSiuo do Pauiphylio, Nestor, martyr le 2S fevr. 250. — Bapst. L'or-
iV'^vnTio dVtain dans l'antiquité : suite.
18. — Bulletin d^archéologie chrétienne. Edition française.
V série, 2* auiuv, li\r. 1-2. — KUw anonyme d'un pape, dans le
nvueil t^pigraphique du ms. de IVien^beurg .ce ms., qui provient de
Corbu\ et qui jv^raù tMr\^ de la tin du vni* s., est formé i'.ar la réunion
lie deiï\ o\eiv.i»lair\^s .iun nu^nie rwueU d'inscr. métriques, qui fui
ien\pile à Un^:v.o au mî* s. IV^r.ue, vi a; rvs ct^s deux exemplaires, le
îe\te de Tv^Uk-o sx.SvUî, i;\:î va è:rv prvv>.airîe:::eat publié, avec tout
Tapîv^rxMÎ or.îi :v,;\ v'..Ar.> le \ Il vU\> >;-<."'•. •". — «;. l'^îs R?^iae: c'est le
plus Ion»: :ev:.* : ; urAv :v. ;ue vvr.:v.î ivr.vÎA::: '.os v:u4tnp premiers si^ies
v',e rK^iîs<^ V n;v.î s>.* r.t; :vrî^M-:*. ^ M R ssi sse déclara? fencemeni
xvr.xa.uou v;uo IV^^^^ s -t.'.rs^^sîw au ;\ir»e Lir^^.-v, rri:rs À Renie îe ^4 sep-
RSCUBIL8 ptfRIODIQUBS. 144
tembre 366, et enterré au cimetière de Priscille, au 3« mille de la voie
Salaria nova). — Inscription historique du temps du pape Damasc,
trouvée dans le cimetière de Saint-Hippolyto (complète cette inscrip-
tion mutilée).
13. — Bulletin de correspondance hellénique (École française
d'Athènes). 8* année, mars 1884. — IIeuzbv. Papposilène et le dieu
Bôs. — 8. Rbinagh. Monuments figurés à Délos. — A. Ddmont. Vases
grecs trouvés à Marseille (sont au plus du iii* s. av. J.-C). — Foicart.
Note sur les comptes d'Eleusis sous l'archontat de Képhisophon (publie
le texte d*un second fragment des comptes de l'an 329/8, que l'on vient
de retrouver; suivi d'un curieux commentaire). — Bilgo. Inscription
archaïque de Phocide (c celui qui offre un sacrifice peut dresser une
tente dans l'enceinte des Anak.es; une femme ne doit pas y pénétrer •).
— Haussoullier. Inscr. de l'île de Karyanda (texte, transcription, com-
mentaire. Ce décret a pour objet de régler la distribution de la paie de
l'assemblée.
14. — Journal des Savants. 1884, avril. — Alf. Maury. Les
œuvres de Longpérier. — Miller. 'HiAfpoXoyiov r?i; 'AvorroXf,ç (analyse les
3 vol. parus sous ce titre en 1879, 1883 et 1884. Ce Calendrier de
l'Orient politique, commercial et philologique, contient d'aliondants
renseignements sur le calendrier, la généalogie des souverains de
l'Orient, les descriptions et les statistiques de divers pays : Turquie,
Grèce, Roumanie, etc.). — Hauréau. Les filles du Diable (commente
un passage de Gérald de Barri. Foulques de Neuilly avait es.««ayé de
réconcilier Richard Cœur de Lion et Philippe-Auguste. Richard avait
repoussé durement son entremise, c Roi, dit alors Foulques, vous avez
trois filles qui ne vous permettront pas, tant qu'elles resteront près de
vous, de recouvrer la gr&ce de Dieu : Orgueil, Luxure et Convoitise. —
Ces trois filles, réplique le roi, je les ai depuis longtemps mariées :
Orgueil aux Templiers, Luxure aux moines noirs, et CiOnvoitise aux
moines blancs. » — Ces trois filles sont bien connues des prédicateurs
du moyen Âge : leur père est Satan, qui les eut de sa femme Iniquité,
avec plusieurs autres). = Mai. Eooer. Publications récentes sur Plu-
tarque, 3* et dern. art. — Wallon. Correspondance de M. de Rémusat
pendant les premières années de la Restauration. — IIauréau. Quels
sont les auteurs du 6« livre des Décrétales? (Guillaume de Mandagout,
archevêque d'Embrun, et Rérenger de Frédol, évoque de Rëziers,
assistés de Richard de Sienne. La tradition qui attribue cette œuvre à
Dino de Mugello est erronée.)
16. — Revue des Deux-Mondes. 1884, l'^* avril. — Duc de Bro-
OLiB. Études diplomatiques. La première lutte de Frédéric II et de
Marie-Thért'se, 5* art. : l'ambassade de Voltaire à Berlin ; 6* art.
(!«• mai) : Reprise des négociations de la France avec Frédéric. Départ
de Louis XV pour l'armée; 7« art. (15 juin) : campagne de Flandre;
invasion de l'Alsace. = 15 avril. Vurrav. Un chapitre de l'histoire
442 IIBCUBILS PERIODIQUES.
financière de la France; suite : la chute du système de Law et la
liquidation (le fait général qui se dégage du désordre financier de la fin
du règne de Louis XIV et de la crise qui troubla le début du règne de
Louis XV, c'est qu'à cette époque le gouvernement ne se croyait pas tenu
d'accomplir les obligations résultant des contrats qu'il avait consentis.
Si, de nos jours, des excès de spéculation bouleversent les fortunes privées,
ce n'est que l'abus de la liberté ; c'était alors l'œuvre de l'autorité publique).
:= l«' mai. E.-M. de Vogué. Un compagnon de Gortez. La chronique de
Bernai Diaz. = 15 mai. Colonel Tchbng-Ki-Tonq. La Chine et les Chi-
nois, i*»" art. : Famille, religion et philosophie; 2* art. (!•*• juin) : la
langue, les classes, les lettres, époques préhistoriques ; 3* art. (15 juin):
l'éducation, le culte des ancêtres ; les classes laborieuses ; la société
européenne (contient beaucoup de détails piquants et de première
main). — V. Duruy. Une dernière page d'histoire romaine (brillante
esquisse qui doit servir de conclusion à la grande Histoire des Romains).
— Amaoat. m. Gambetta et son rôle politique. — G. de Variony. La
guerre du Pacifique, 1880-81, 3« art, (campagne de Lima; incendie de
la flotte péruvienne). = l*' juin. Lavisse. Universités allemandes et
universités françaises (examine le livre du P. Didon; montre qu'à côté
d'une grande part de vérité il y a dans ce livre une grosse part d'illu-
sions ; l'histoire de l'Allemagne explique les faits contradictoires que
présente l'étude de ces universités. Expose enfin comment on pourrait
organiser en France de véritables universités semblables à celles de
l'Allemagne, mais appropriées à notre histoire et à notre génie propres).
= 15 juin. A. Duruy. Une page de l'histoire de Hoche; la capitulation
de Quiberon (il n'y a pas eu de capitulation à Quiberon. Hoche n'a
donc pu, comme le dit M. Forneron, la violer; mais il eût pu sauver
au moins la plupart des émigrés pris ; il s'abstint. Il n'a pas manqué
à la foi jurée; il a manqué de générosité. M. Duruy omet d'ajouter que
cette générosité eût été une violation de ses devoirs militaires, et n'eût
pas fait échapper ses prisonniers à la mort).
16. — Le Correspondant. 1884, 25 avril. — Waliszewski. Une
Française reine de Pologne: Marie d'Arquien-Sobieska; fin (mort de
Sobieski ; intrigues de sa veuve contre son propre fils ; son séjour à
Rome et ses dernières années). = 10 juin. V^e de Brémond d'Ars. Les
dernières années de Jean de Vivonne et l'enfance de M™« de Rambouil-
let (mariage du marquis avec la princesse Julia Savelli ; ses relations
avec la princesse Charlotte de Gondé, quand il fut chargé de l'éducation
de son jeune fils Henri ; ses dernières années ; sa mort le 7 oct. 1599).
17. — La Nouvelle Revue. 1884, 15 mai. — Gaqnière. Un Mahdi
au xviii» s. : le prophète Mansour, scheikh Oghan-Oolô (d'après les
papiers des archives diplomatiques de Turin, les mémoires et les cor-
respondances du prophète, 1787).
18. — Le Contemporain. 1884, 15 avril. — Allard. La polémique
contre le paganisme au iv« s., d'après les poèmes de Prudence. —
LoLiÊE. La littérature et les mœurs au moyen âge.
RBCVfTLS PrfUODIQUIS. U 3
19. — La Controverse et le Contemporain. (Cette Rovuo n'est
que la précédente transformée dans son titre, non dans son esprit.)
Nouv. série, t. I, 1»^ livr. i5 mai 1884. — âllard. Les persécutions
au m* s.
80. — Polybiblion. 1884, 4« livraison. Avril. — Bibliographie des
fouilles de Sanxay. »Mai. Poinssot. Publications relatives à TÂfrique:
Archéologie.
21. ' Revue de rBxtrême-Orient. T. II, n« 4, oct.-déc. 1883
(Leroux, 1884). — Marcel. Un épisode de notre histoire coloniale :
l'expédition de Siam en 1687 (complète Tétude de M. Lanier, annoncée
en son temps par la Bev. hist.y XXIII, 377, à Taide de pièces tirées du
ministère des affaires étrangères). — Bons d'Anty. Les grands voyageurs
au Japon. Essais bio-bibliographiques : Engolbcrt Kn^mpfer, 1651-1716.
— CoRDiBR. Mémoires sur le Pégou, tirés des archives de la marine et
des colonies. — Id. Mss. relatifs à la Chine; notes bibliographiques :
6« art. : Londres, British Muséum ; suite.
22. ' Archives historiques dn Poitou. T. XIII (1883). — Gu^:-
RiN. Recueil des documents concernant le Poitou, contenus dans les
registres de la chancellerie de France. 2« partie : 1334-4K (voy. plus
haut, au Bulletin histor.). =T. XIV. Ledatn. lettres adressi'^s à Jean
et Guy de Daillon, comtes du Ludo, gouverneurs de Poitou de 1543 à
1557, et de 1557 à 1585; 2* partie, et (in (ce recueil contient en tout
424 numéros). — G. db La Marqiîe et Ed. de Barth^ilemy. lettres
adressées de 1585 à 1625 à Marc-Antoine Marreau de Boisguérin, gou-
verneur de Loudun (avec une biographie de Boisguérin, un de res
gouverneurs militaires qui prirent une part si active à la guerre civile,
et qui vendirent si cher leur soumission. Mort en 1634. Il était resté
l'ami de Sully, bien qu'il en eût été le débiteur assez peu exact ; ses
lettres d'anoblissement sont publiées en appendice).
23. — Le Spectateur militaire. 1884. !•' avril. — E. B. 1815-
1870. A propos des documents historiques et militaires tirés dos papiers
du général baron E. Hulot (montre qu'en 1870 on n'a pas su profiter
de la leçon de 1815, et qu'on a commis, mais en plus grand, les fautes
de Napoléon I»). = 15 avril, 1«' et 15 mai. Souvenirs militaires du
général baron J.-L. Hulot; suite le l*' et le 15 juin. = 15 mai. Faist-
Li:rion. Guerre turco-russe, 1877-78 : Suleyman-Pacha et son procès :
fin. — 1» juin. Lehautcourt. Campagne de Tarmée du Nord, 1870-71 :
Péronne et Bapaume ; suite le 15 juin.
24. — Balletin de la Rénnion des oiflciers. 1884. 3, 24 mai et
numéros suivants. — L'armée danoise et la défense de Sundevit eu
1864 ; avec cartes.
85. — Bulletin de correspondance afkicaine. (Ecole supérieure
des lettres d'Alger.) 1884, fasc. 1. 15 janvier. — Houdas et R. Basset.
Mission scientifique en Tunisie; 2* partie : bibliographie, l*' art.:
2* art. au n* 2. Masqiteray. Nouvelles recherches de M. Choisnet à
444 RECÏÏERS PERIODIQUES.
Hapidi et inscr. découvertes par M. Charrier sur le Guelala (publie
diverses inscr. intéressantes, dont une longue dédicace à Marc- Aurèle et
à Lucius Vérus). = Fasc. 2. R. de La Blanghère. Malva, Mulncha,
Molochath ; étude d'un nom géographique.
26. — Revne afHcaine. N^ 161. 1883, sept.-oct. — Fébaud. Les
Ben-Djellab, sultans de Touggourt; 16' art.; 17« art. au n« 162. —
Arnaud. Voyages extraordinaires et nouvelles agréables, par Mohamed
Abou Ras ben Ahmed ben Abd el Kader En-Nasri; histoire de l'Afrique
septentrionale ; 20« art. ; 21« art. au n** 162. — H. de Grammont et
PiESSE. Les Illustres captifs ; description du ms. du P. Dan. 3« art. =
N» 162. RiNN. Essai d'études linguistiqpies et ethnologiques sur les
origines berbères, 8« art. — Rodin. Histoire du chériff Bou Bar'la,
12° article.
27. — Bulletin d'histoire ecclésiastique et d'archéologie reli-
gieuse (Romans). 4« année, 4« livr. — Abbé J. Chevalier. Mémoires
des frères Gay, pour servir à l'histoire des guerres religieuses en Dau-
phiné au xvr« s. ; suite. = 5* et 6« livr. D' Francus. Visite des églises
du Bas-Vivarais en 1675-76, par M. Monge, délégué de Tévôque de
Viviers; suite dans la liv. 7«. — Abbé Toupin. Notice sur le serviteur
de Dieu Jean Sérano, mort à Toulouse en odeur de sainteté, 1784. —
Le chanoine Ul. Chevalier. Documents relatifs aux représentations
théâtrales en Dauphiné, de 1483 à 1535; suite dans la 7» livr. — Abbé
Cruvellier. Notice sur Téglise de N.-D. du Bourg, ancienne cathédrale
do Digne ; suite dans la 1* livr. — Abbé Chosson. Chronique du dio-
cèse de Valence; suite dans la 7« livr. — 7* livr. Abbé Fillet. Notice
historique sur les paroisses de Colonzelle et de Margerie.
28. — Revue de TAgenais. 1884, 3« et 4« livr. Tamizey de Lar-
ROQiE. Récit de la conversion d'un ministre de Gontaud, 1629 (il s'agit
du sieur Pompée de Remerville, d'une vieille famille lorraine trans-
plantée en Provence). — J. Andrieu. La censure et la police des livres
en France sous l'ancien régime. Une saisie de livres à Agen en 1775;
fin. — Tholin. Les cahiers du pays d'Agenais aux états généraux ;
suite (étudie les origines et l'histoire des intendants au pays d'Agenais).
— Le carnet d'un franc-tireur, 1870-71; fin. — Martinaud. Note sur
les barons de Valenx au xiv* s. — Lahrunie. Précis d'un mémoire sur
les écrivains de l'histoire de l'Agenais.
29. — Revue de Béarn , Navarre et Landes. Partie historique
de la Revue des Basses- Pyrénées et des Landes. 1" année, livr. 1.
Janv.-mars IS84. — Mgr Piyol. La jeunesse de Pierre de Marca ; fin.
— Brutaîls. Une charte suspecte de Centulle IV (il s'agit de la dona-
tion que ContuUe IV, prenant le titre de comte de Bigorre, aurait faite
aux moines de Saint-Jean de la Pena, d'un serf et de sa famille^
^24 juin 1077). — Jvurgmx. Troisvilles, d'Artagnan et les trois mous-
quetaires ; tin. — DucÉRF. Le théâtre bayonnais sous Tancien régime ;
milite. — B.vtv.ave. Une aventure du maire d'Orthei au rvm* s. ; fin. —
RECUEILS PISRIODIQUES. 445
Gabarra. Pontonx sur l'Âdour et io prieuré de Saint-Gaprais ; suite
(Pontonx sous la domination anglaise). — T. db L. Un naufrage devant
Gapbreton en 1627. — Labrouche. Armoriai général de 1696; généra-
lité de Guyenne : Dax.
30. — Revae de Gascogne. 1884, mai. — Commun a y. Un épisode
de Tamba-ssade du duc de Gramont en Espagne, 1704 (la correspon-
dance du duc est conservée aux archives de Gramont en trois grands
vol. in-fol. Publie une lettre de l'ambassadeur à Torcy, 30 oct. 1704).
— Camoreyt. L'établissement des capucins dans la ville de Loctoure,
1628, 1631. = Bibliographie. Haristoy, Recherches historiques sur les
Pays-Bas; 1. 1 (la 1*^» partie du vol. : la Novempopulanio, est faite sans
critique. La seconde se rapporte à Tallodialité du pays liasque que l'au-
teur s'efforce de prouver. Aucun argument nouveau. La 3* partie, con-
sacrée à des monographies sur les maisons nobiliaires, ne manque pas
de valeur).
31. — Revue historique et archéologique du Maine. T. XV,
{^ livr. (1884). — F. de La Bouillerib. Bazouges-le-Loir; son église
et ses fiefs ; suite dans la 2* livr. — .\bbé Frocher. Nouvelles recherches
sur la famille de Ronsard. Les seigneurs de la Poissonnière et de Gla-
tigny ; suite dans la 2* livr. : les seigneurs de Monchenou et de Beau-
mont. — Dom PiOLiN. Testament du cardinal d'Angennes de Rambouil-
let, év^ue du Mans, 1556-87.— Leoea y. (k)mpagnie du jeu de i^apegault,
au Mans, a 2* livr. Abbé G. Esnaui.t. Le Mans en 1736, d'après le
plan de César Aubry (et avec une reproduction de ce plan).
32. — Revue des Études Juives. 1884, janvier-mars. N<» 15. —
HiLD. Les Juifs à Rome devant Topinion et dans la littérature (on a
exagéré le prétendu mépris des païens éclairés pour les choses et les
hommes du judaïsme ; des mutilations pratiquées depuis le w s. de
Rome sur les monuments de la littérature romaine nous ont privés
des documents les plus décisifs sur ce sujet); l'^*' art. — Kayseblinu.
Richelieu, Buxtorf père et tils et Jacob Roman ; documents pour ser-
vir à l'histoire du commerce do la librairie juive au xvii« s. — R. de
Maulde. Les Juifs dans les États français du pape au moyen âge ;
suite. — Lbvin. Ix)caliU>s illustrées par le martyre des Juifs eu 1096 et
en 1340 (identifie les noms de lieu iudiquésdans les extraits du Memor-
buch de Mayence, publiés par M. Neubauer, et dans le Gontros-Ha-me-
konen, pub. p. M. Jellinek ; ces localités sont toutes situées en Alle-
magne). — Schwab. Inscr. juive du musée de Saint-Germain. — I^es
Juifs dans l'opinion chrétienne aux xvn* et xviti' siècles : Peuchet et
Diderot.
33. — Société des Ëtades Juives. Annuaire. 3* année, 1884 (Dur-
lacher). — Ern. Renan. De Tidentité originelle et de la séparation gra-
duelle du judaïsme et du christianisme; conférence. — Astruc. Ori-
gines et causes historiques de T Antisémitisme; conférence. — L. Kahn.
Histoire des écoles consistoires et communales Israélites de I^aris,
444 RECÏÏEaS PERIODIQUES.
Hapidi et inscr. découvertes par M. Charrier sur le Guelala (publie
diverses inscr. intéressantes, dont une longue dédicace à Marc- Aurèle et
à Lucius Vérus). = Fasc. 2. R. de La Blanghère. Malva, Mulucha,
Molochath ; étude d'un nom géographique.
26. — Revae africaine. N» 161. 1883, sept.-oct. — Féraud. Les
Ben-Djellab, sultans de Touggourt; 16* art.; 17« art. au n« 162. —
Arnaud. Voyages extraordinaires et nouvelles agréables, par Mohamed
Abou Ras ben Ahmed ben Abdel Kader En-Nasri; histoire de TAfrique
septentrionale ; 20« art. ; 21« art. au n** 162. — H. de Grammont et
PiESSE. Les Illustres captifs ; description du ms. du P. Dan. 3« art. =
No 162. RiNN. Essai d'études linguistiques et ethnologiques sur les
origines berbères, 8« art. — Robin. Histoire du chériff Bon Bar'la,
12e article.
27. — Bulletin d'histoire ecclésiastique et d'archéologie reli-
gieuse (Romans). 4» année, 4» livr. — Abbé J. Chevalier. Mémoires
des frères Gay, pour servir à l'histoire des guerres religieuses en Dau-
phiné au xvi® s. ; suite. = 5* et 6« livr. D' Francus. Visite des églises
du Bas-Vivarais en 1675-76, par M. Monge, délégué de l'évoque do
Viviers; suite dans la liv. 7«. — Abbé Todpin. Notice sur le serviteur
de Dieu Jean Sérano, mort à Toulouse en odeur de sainteté, 1784. —
Le chanoine Ul. Chevalier. Documents relatifs aux représentations
théâtrales en Dauphiné, de 1483 à 1535; suite dans la 7« livr. — Abbé
Cruvellier. Notice sur l'église de N.-D. du Bourg, ancienne cathédrale
de Digne ; suite dans la 7« livr. — Abbé Chosson. Chronique du dio-
cèse de Valence; suite dans la 7« livr. ^ 7* livr. Abbé Fillet. Notice
historique sur les paroisses de Colonzelle et de Margerie.
28. — Revue de TAgenais. 1884, 3« et 4« livr. Tamizby de Lar-
roque. Récit de la conversion d'un ministre de Grontaud, 1629 (il s*agit
du sieur Pompée de Remerville, d'une vieille famille lorraine trans-
plantée en Provence). — J. Andrieu. La censure et la police des livres
en France sous l'ancien régime. Une saisie de livres à Agen en 1775 ;
fin. — Tholin. Les cahiers du pays d'Agenais aux états généraux ;
suite (étudie les origines et l'histoire des intendants au pays d'Agenais).
— Le carnet d'un franc-tireur, 1870-71 ; fin. — Martinaud. Note sur
les barons de Valenx au xiv* s. — Lahrunie. Précis d'un mémoire sur
les écrivains de l'histoire de l'Agenais.
29. — Revae de Béarn , Navarre et Landes. Partie historique
de la Revue des Basses-Pyrénées et des Landes, l'» année, livr. 1.
Janv.-mars 1884. — Mgr Puyol. La jeunesse de Pierre de Marca ; fin.
— Brutails. Une charte suspecte de Cen tulle IV (il s'agit de la dona-
tion que CentuUe IV, prenant le titre de comte de Bigorre, aurait faite
aux moines de Saint-Jean de la Pena, d'un serf et de sa famille,
24 juin 1077). — Jaurgain. Troisvilles, d'Artagnan et les trois mous-
quetaires ; fin. — DucÉRÉ. Le théâtre bayonnais sous l'ancien régime ;
suite. — Batcave. Une aventure du maire d'Orthez au xviii* s. ; fin. —
RECUEILS PÉRIODIQUES. 445
Gabarra. Pontonx sur TAdour et le prieuré de Saint-Gaprais ; suite
(Pontonx sous la domination anglaise). — T. de L. Un naufrage devant
Gapbreton en 4627. — Labrouche. Armoriai général de 1696; généra-
lité de Guyenne : Dax.
30. — Revae de Gascogne. 1884, mai. — Gommunay. Un épisode
de Tambassade du duc de Gramont en Espagne, 1704 (la correspon-
dance du duc est conservée aux archives de Gramont en trois grands
vol. in-fol. Publie une lettre de l'ambassadeur à Torcy, 30 oct. 1704).
— Gamoreyt. L'établissement des capucins dans la ville de Lectoure,
1628, 1631. » Bibliographie. Haristoy. Recherches historiques sur les
Pays-Bas; 1. 1 (la l'» partie du vol. : la Novempopulanie, est faite sans
critique. La seconde se rapporte à l'allodialité du pays basque que l'au-
teur s'efforce de prouver. Aucun argument nouveau. La 3* partie, con-
sacrée à des monographies sur les maisons nobiliaires, ne manque pas
de valeur).
31. — Revue historique et archéologique du Maine. T. XV,
l'* livr. (1884). — F. de La Bouillerib. Bazouges-le-Loir ; son église
et ses fiefs ; suite dans la 2* livr. — Abbé Froqier. Nouvelles recherches
sur la famille de Ronsard. Les seigneurs de la Poissonnière et de Gla-
tigny ; suite dans la 2* livr. : les seigneurs de Monchenou et de Beau-
mont. — Dom PiOLiN. Testament du cardinal d' Angennes de Rambouil-
let, évêque du Mans, 1556-87.— Leqea y. Compagnie du jeu de Papegault,
au Mans. = 2* livr. Abbé G. Esnault. Le Mans en 1736, d'après le
plan de César Aubry (et avec une reproduction de ce plan).
32. — Revue des Études Juives. 1884, janvier-mars. N« 15. —
HiLD. Les Juifs à Rome devant Topinion et dans la littérature (on a
exagéré le prétendu mépris des païens éclairés pour les choses et les
hommes du judaïsme ; des mutilations pratiquées depuis le \i^ s. de
Rome sur les monuments de la littérature romaine nous ont privés
des documents les plus décisifs sur ce sujet) ; l'** art. — Kaysbrlino.
Richelieu, Buxtorf père et fils et Jacob Roman ; documents pour ser-
vir à l'histoire du commerce de la librairie juive au xvii* s. — II. de
Maulde. Les Juifs dans les États français du pape au moyen âge ;
suite. — Levin. Localités illustrées par le martyre des Juifs en 1096 et
en 1349 (identifie les noms de lieu indiqués dans les extraits du Memor-
buch de Mayence, publiés par M. Neubauer, et dans le Gontros-Ha-me-
konen, pub. p. M. Jellinek ; ces localités sont toutes situées en Alle-
magne). — Schwab. Inscr. juive du musée de Saint-Germain. — Les
Juifs dans l'opinion chrétienne aux xvii* et xviii« siècles : Peuchet et
Diderot.
33. — Société des Études Juives. Annuaire. 3* année, 1884 (Dur-
lacher). — Ern. Renan. De Tidentité originelle et de la séparation gra-
duelle du judaïsme et du christianisme; conférence. — Astruc. Ori-
gines et causes historiques de T Antisémitisme; conférence. — L. Kahn.
Histoire des écoles consistoires et communales israélites de Paris,
448 IBCimiLS P^EIODIQUIS.
flanc droit une lance effilée ou goesa et une longue épée. Au flanc ganche
élait un poignard à lame de fer à poignée en bronze en forme de X
très allongé surmonté d*une tête humaine en ronde bosse d'un style
tout particulier. (les armes appartiennent à Tart spécial des populations
qeltiques établies dans la région moyenne du Danube. — M. Hûox db
ViLLEFOSSE communique le texte d*une inscription latine très intéress.
découverte à Maktenr. £lle mentionne un fonctionnaire dont on am-
nais^ait lexistence, mais dont on n avait pas encore trouvé le titre
exact dans les documents epigraphiques. Cest le délègue impérial
charge de juger les nombreuses contestations qui s'élevaient entre les
ut'gociants et les chefs des bureaux de douane. Celui qui est mentionne
dans cette inscription était appelé à trancher les différends entre les
Ci^mmercants de la Gaule et les agents de la quadragésime des Gaules.
= 'ît mai. M. BEaraiLXD annonce la découverte de clous-fiches en fer
qui paraissent provenir d*un mur gaulois au Catele d'Avesneile, près
d'Avesue 'Nord'. Cela constituerait «e neuvième oppidum gaulois connu
à l'heure actuelle. Les huit autres sont Vertaux« Murseins* Mozt-Beo-
vrav, Saint-Marcel de Febine« Boviolie* La Seeoorie^ Gosloamier, et
rimpemaî« près Luxeek. — M. Hsaos dc Vellefosse presœte le moa-
Ugv^ d'une inscripùon gauloise en caractères grecs, récemment d^coc-
verte à Malaucène 'Vauduse : eOe contien: les termes Ar«:j%iSf e;
£j^;o^«i. «pii autorisent à la dasser parmi les inscripdoos celsq^es.
Ces; U première .nscriptioa gauloise coanae en caractères greis- ««
:îo "'jiL M S.Hirinxî-o r-^-ntc» uz r^oniîr? d'or iv^^: iz<*Triz<i:-z
37 ~ S«>cietedes Ancieas textes firma^ais. B^l>:iL. !>S.'. =r' 5.
— V. \[r>T* N:::.v i:i 'J2< A t:t ir -i :::>:::ii^rif ir r\:-f^ iiuDf
.wi -.i »^. > . .—...■: -._..._- -t ii.\tc _'. — • ni— « -»_ 4^ L-iT Tw •"Tir* >-^
3S — Sccieti^ de rkistiaire d« protestas^
3S^ — Sc»»e» ^ rHisftJcre «âe Pmris efi Ae n«e-^f-F?mac«
.".■-'S J^l^i'y ÎL .0. ^ -Vf ? "Ll-I'-f . : -S". . .'^'L'Ti LU. ZCl~t:7.H*L TH.
IBCCIILS ptflIODrQCIS. 449
de France. Le texte original est antérieur au xrv* 9. et posterienr
à 1260; il parait être contemporain du livre de Beaumanoir écrit entre
t279 et 1*28*2. Nouvelle édition, d'apn^ l'unique m», de la Bibl. nat.
fr. 19778, accompagnée de notes abondantes et suivie d'un glossaire}.
— Valois. Notes sur la nnulution parisir'nne de 13oO-d?< ; la revancho
des fn'res Braque ilo dauphin Charles y prit une [lart peu honorable
pour sa mémoire». — Fr\nklin. Los armoiries des ror{K)rations ouvrièr«»s
de Paris. — Dr. Le Pailmier. Mondor et Tabarin, seigneurs féodaux
(Philippe Girard, autrement dit .Mondor, le célèbre c operateur » du
Punt-Neuf, acheta, de compte à demi av«»c son frère Antoine, la terre
du Frety et du Couldrois. au bailliage de Sens, en 16*23. A la mort
d'Antoine, sa veuve opousa le valet de Mondor, le joyeux Tabarin,
1628: ce dernier mourut peu avant 1633, sans doute assassiné par \e^
hobereaux du voisinage, qui ne purent supporter ce « pantalon, emlia-
bouineur de badauds. • Mondor mourut après 1616, laissant un tils,
Philandre, sur lequel une pièce intniite donne des détails;. — X. m:
Dion. Les seigneurs de Breteuil en Beauvaisis lessai sur leur généalo-
gie). — Demfle. Documents relatifs à la fondation et aux premiers
temps de TUniversité de Paris (publie 15 pièces importantes, dont Tacte
de fondation de la Sorbonne, fêvr. 1257, avec un fac-similé). — J. J.
GuiFFREY. Nicolas Bataille, tapissier parisien du xiv s.; sa vie, son
(euvre, sa famille lauteur de la pn*cieuse tenture de IWpocalypse con-
ser>'ée dans la cathédrale d'Angers; on i>ossi'de, et Ton a reproduit ici
lo sceau de cet artiste; c'est le seul sceau connu d'un tapissier au
moyen âge; articlo suivi de 51 documents inédits. /= Bulletin, 1 1* année,
2« livr., mars-avril lS8i. Fr. Dblaborde. La légation du cardinal lialue
en 1481 et le F*arlemenl de Paris île Parlement protesta contn» l'eutn^e
solennelle du légat à Paris; le Conseil du roi, que le cardinal Balue
avait su gagner à ses intérêts, le défendit; mais lo [Parlement tint bon.
et le cardinal dut quitter secrètement Paris, ce qui n'empêcha pas le
roi de le combler de faveurs. Curieux exposé des intrigues où s'agita
lancien comptée de Louis \I). — Bapst. Une manufacture de bas de
soie à Paris en 1664.
40. — Société des Antiquaires de Normandie. Bulletin : t. XI :
années 1881 et 1882. — Ciiillocard. Les médecins et la coutume au
moyen Age ide la législation appliquée aux m«Hiecins, qui étaient dure-
ment traités, parfois même subissaient la peine de mort birstju'ils
avaient laissé mourir leur malade). — Chatel. Liste des recteurs de
l'Université de Caen, dressée d'après leurs signatun^s sur les n*gisires
des rectories et autres documents conserves aux archives du Calvailo».
— Despiairies. Note sur liuscr. céramique de Breuil, canton de Tre-
vières icette inscr., mutilée, mentionne plusieurs membres de la famille
de Bacon du Molay^ — l'n ms. des Chroniques de Ni>rmandie lachete
par le comte de Toustain à la vente de Didot; splendide ms. du xv« s.,
orné de 15 grandes miniatures; peut-être exécute pour Philipp** de
Crévecœur, maréchal de France, mort en 1494, dont les armoiries sont
Rev. Histor. XXV.2«fasc. 2'J
450 RECUBaS PéaiOBIQUBS.
dessillées à deux endroits du vol.). — F. db ul Londe. Une mission his-
torique et scientifique envoyée par Golbert à Leptis la Grande sur la
côte d'Afrique vers Tan 1670 (extrait curieux d'une dissertation de
F.-R. de la Londe, érudit normand du siècle dernier). — Gh. Bréaed.
Inventaires de Tabbaye du YaUHicher et de la collégiale de Groissan-
ville dressés en 1790. — Anquetil. Francs-bouchers deBayeux en 1480.
41. — Société de rhistoire de Normandie. Bulletin. Exercice
1883-84; suite. Extraits du journal d*un bourgeois de Rouen; suite,
1711-1720. — Fêtes publiques offertes par la ville de Rouen à Tocca-
sion de la publication de la paix, en nov. 16% et en janv. 1698. —
Bénet. Lettre des habitants de Rouen à ceux d'Évreux, relative à la
confirmation de la charte aux Normands, 1495.
42. — Société archéologique de Tam-et-Garonne. Bulletin
archéologique et historique. T. XI, 1883, 4« trim. — Ed. Forbstié.
Une journée au château de Saint-Roch, Tarn-et-Garonne. — Rbbocis.
Enquéte sur la mouvance du château de Brassac-en-Quercy (texte en
langue vulgaire de Tan 1246). — Duicas de Racly. Analyse d'anciens
registres de notaires de Saint-Antonin.
43. — Société d^émolation de l'Ain. Annales. 1884. Janv.-mars.
— Jarrin. La Bresse et le Bugey. 16« partie : la Réforme; 17* partie :
l'occupation française. — Tiersot. La Restauration dans le département
de TAin ; l'invasion, les Gours prévôtales.
44. — Société d'archéologie lorraine. Mémoires. 3« série,
t. XJ (Nancy, Wiener, 1883). — M. de Riocour. Les monnaies lor-
raines, 1" partie (l'auteur s'est proposé de donner, sous forme de
tableaux faciles à consulter, tous les renseignement? qu'il peut être
utile de posséder sur la valeur de ces monnaies. Dans cette l'« partie,
il recherche la valeur intrinsèque des monnaies réelles ou fictives,
autrefois en usage en Lorraine, et il résume son travail en *2*2 tableaux
destinés à rendre de grands services). — Gh. Gcvox. Les villes neuves
en Lorraine lanalvse treize chartes de fondation de villes neuves:
« l'histoire de la formation des villages lorrains resuite, pour la plaine,
de l'organisation du domaine gallo-germain, du v« au vin* siècle ; pour
la montagne, des acensements des xV et x\i* s. » Dans Tune et dans
l'autre partie de la province, la fondation des villes neuves aux xiii« et
xiv s. n'a ete qu'un accident, et n'a pas exerce d'influence notable sur
les populations urbaines ou rurales^. — Faviek. Coup d'œil sur les
bibliothèques des couvent;> du district de Nancy pendant la Révolution.
Ce qu'elles étaient, ce qu'elles sont devenues. — Eug. MiixTZ. Les
fabriques de tapisseries de Nancy. — Rouver. Nouvelles recherches
biographiques sur Pierre de Blarru ilauieur de la Naaceîde, dont parle
Villon, naquit à Paris en 1437; il y fut reçu maître ès-ans en 1455. Il
fut chanoine de Saint-Die et cure de Saint-Clement en Lorraine, mort
en 1510'. — Henri Lepage. L'assassinat de Philippe-Eglofl" de Lutzel-
bourg, 1617 ice crime eut pour cause les discordes survenues entre
RECUEILS PlfaiODIQUES. 454
Henri II de Lorraine et sou frère le comte de Vaudémont. Cet^i ce der-
nier qui ût tuer le comte do LutzellH>urg). — Wiener. Jean Volay et
les cartiers lorrains. — Authemn. Notice sur le village de Sanxey. —
L. Germain. I^ pèlerinage do la ville de Nancy à N.-I). de Denoite-
Vaux, 1642. — Hretaiine. Description d*un laraire antique trouvé à
Naix (rancien Nasium des Leuci).
46. — Comité d^histoire VoBgienne. 18S4. — Documents rares ou
inédits de l'histoire des Vosges, publies par MM. Ghap<'llier, Chovreux
et(iley; t. VIII (Paris, Dumoulin et Champion; KpinaK Gollot). Ca*
volume contient plus de cent documents compris entre les années l'22i
ot 1790. Il est suivi d'une table détaillée des noms de personnes et do
lieux.
46. — Revue d^Alsace. 1884. Janv.-mars. ~ Biïcber. Recherches
sur le droit d*asile dans l'ancienne république de Mulhouse (dans l'an-
tiquité et au moyen âge; droit d'asile dos bourgeois ot des maisons reli-
gieuses ; droit d'asile accordé aux malfaiteurs étrangers). — Usages ot
traditions populaires (]ui se perdent dans l'Alsace romande (en |>arti-
culier sur les mariages). — Hchmidt et Rcrsch. I^s imprimeurs alsa-
ciens avant 1520; suite dans la livr. suiv. — Tuefferd. L'Alsace artis-
tique; suite dans la livr. suiv. — Benoit. L<*s ex-Ubris dans ces trois
évéchés, 1552-1790; suite. — Gorbis. Recueil alphabétique do croyances
et superstitions qui avaient cours à Belfort et aux onvinms; suite, lin
dans la livr. suiv. = Avril-juin. Ganel. Recherches historiques sur
l'état et le développement de l'instruction primaire à Iléricourt, depuis
la ûu du moyen Âge jusqu'à nos jours.
47. — mstorische Zeitschrift. Neue Folge. Bd. XVI, Heft 1. —
A. VON Druffal. Grotineau-Joly (biographie de cet historien, qui fut
aussi un homme d'action, d'après le livre do Tablié Maynanl). —
Leumann. Une prétendue lettre do Steiu ^adressée au chancelier d'Ëtat
prussien, en déc. 1812; Stein l'invite à se délier du tsar ot des Russes;
elle n'est certainement pas de Stein, mais d'une porsonno du même
nom). — Berner. Les institutions domestiques des Hohonzollern (à
pntpos des lois domestiques dos maisons n*gnantes do T.Xllemagne,
publiées l'an dernier par II. Srhulzo). = Bibliographio. Mùrtiter.
Kurzgefasste Geschichto Babyloniens und Assyriens nach den Keil-
schriftdenkma'lorn (bon manuel, sauf pour la |)artio relative à l'ancienne
liabylonei. — Arnold. Untersuchungen ùber Thoophano»» vnn Mytilone
und Posidonius von Apamoa irechori-he les si»urcos dt»8 Mithitiratica
d'Appion; estinio qu'il a utilis<* surttiut TlHK>phano ot Posidonius;
recherches t^^s approfondies ot minutieuses sur les guerres de Mithri-
date). — H'eUhausi'n. Muhamminl in Médina «adaptation allemando du
Vakidi's Kitab al Maghasio, ou Livre des Gami>agnes|. — S^elJtniUr.
(traf Seckoudorf und die Publizistik zum Priedon von F*^ùsson von 1745
452 EECUBILS PéaiODIQUBS.
(curieux). — Weissenborn. Akten der Erfurter Umversitœt. Th. I. —
Bertolini. Saggi critici di storia italiana (le plus important de ces
mémoires se rapporte à la bataille de Legnano). — Donneaud. Sulle
origini del comune e degli antichi partiti in Grenova e nella Liguria
(contient d'utiles renseignements sur l'histoire des anciens partis poli-
tiques dans la Ligurie, mais se trompe sur les origines des institutions
municipales de Gènes qu'il fait remonter aux Romains). — ffandloike.
Die lombardischen St«dte unter der Herrschaft der Bischœfe und die
Entstehung der Kommunen (trace l'histoire communale de Crémone ;
quant aux idées générales, il adopte celles de Ficker, sans 8*y asservir).
48. — Neues Archiv. Bd. IX, Heft 3. — WArrz. Sur le Gatalogus
Gononianus des papes (étudie deux mss. de ce catalogue important pour
la critique du Liber pontificalis; celui de Vérone, bibl. du chapitre lh,
et celui de Paris, Bibl. nat. 2123, tous deux du ix' s.). — Pfluok-
Harttunq. Bulles fausses au Mont-Cassin, à la Gava et à Nonantola. —
ScHDLTZE. Jean de Gorze a-t-il écrit des ouvrages historiques? (Pertz
attribue à ce personnage, bien connu par les réformes qu'il opéra dans
les couvents lorrains au x« s., 4 ouvrages historiques : le Miracula sancti
Gorgonii, une Vita sanctae Glodesindis et les Miracula sanctae Glode-
sindis, enfin la Vita sancti Ghrodegandi. Un examen attentif ne per-
met pas d'admettre ces conclusions. Les Miracula s. Gorgonii ont été
composés par un moine de Gorze vers 965 ; la Vita et les Mirac. s.
Glod. sont l'œuvre de Jean de Saint- Arnulf, qui composa aussi la vie
de Jean de Gorze; ils ont été écrits en 963. Enfin, la Vita Ghrodegandi
a été composée entre 933 et 964 par un moine de Gorze, peut-être, il
est vrai, parnotre Jean). — Loewenfeld. Huit lettres du temps du roi
Bérenger publiées et commentées par Geriani et Porro dans leur
ouvrage : Il rotolo opistografo del principe Antonio Pio di Savoja ; tra-
duit de l'italien avec des remarques subsidiaires. — Holder-Egger.
Manuscrits de la bibliothèque royale de Munich ; fin. — Than'er. Sur
un ms. d'Humbert (décrit le ms. de la cathédrale de Vich qui contient,
outre le De Virtutibus d'Alcuin, le Liber correptorius du cardinal
Humbert). — Schdep. Critique des Gesta Trevirorum de 1152 à 1190.
— Manitius. Sur le poème intitulé Karolus magnus et Léo papa. —
Lamprecht. Vers et miniatures tirés d'un ms. des évangiles du x« s.,
conservé à la bibliothèque capitulaire de Cologne. — Wattenbach.
Extraits de ms. de la bibl. de Berlin. — Wolff. Une bulle d'Inno-
cent III de 1204 (au sujet d'un différend entre les églises de Sainl-
Martin-de-Cologne et celle d'Aix-la-Chapelle). — Ewald. Sur les plus
anciennes bulles en plomb des papes. — Waitz. Sur les mss. de Munich.
49. — Gœttingische gelehrte Anzeigen. 1884. = N* 6. Leupold.
Berthol von Buchegg, Bischof von Strassburg (bonne monographie sur
l'histoire de l'Alsace et de l'empire au xiv« s.). = N* 8. Waitz, Dahl-
mann's Quellenkundeder deutschen Geschichte. 3« Aufl. — Krumbhoh.
De Asiae minoris satrapis persicis (a réuni avec soin et intelligence
RECUEILS PERIODIQUES. {!>.1
toutes les notions dissominéos un peu partout sur les satrapes et les
satrapies de l' Asie-Mineure. Il reste enc(»re bien des obscurités). —
Hatch. Die GesellschafUverfassuniç der christlichen Kirchen im Alter-
thum (suite de 8 conférences faites à Oxfonl ; traduites en allemand
avec des notes et des appendices par llarnack. L'auteur cherche à
prouver que l'épiscopat n'est pas une créatiim du Christ ni des apôtres,
mais qu'il est le produit des besoins du temps. Son traducteur pn'sente
sur le môme sujet une autre théorie. Ni l'une ni l'autre ne simt satis-
faisantes. I^a lecture de ces 8 conférences présente d'ailleurs le plus vif
intérêt). — Prutz. Malteser Urkunden und Flegesten zur Geschichte
der Tempelherren und der Johanniter (publie des dfKuments impor-
tants tiri's des archives de Malte; retrace l'histoire des deux ordres des
Templiers et des Hospitaliers. Il est fâcheux que l'auteur rroie que les
Templiers aient eu une doctrine secrète et aient ét4'» vraiment entachés
d'hérésie. Les richesses et les privilèges des Templiers étaient si grands
qu'ils portaient ombrage aux rois de France; ils tombèrent sous leurs
coups pour des raisons purement politiques). = N* 9. Ba'lck. (ieschichte
des Montanismus (la faculté théol(»gique de Berlin a eu raison de cou-
ronner cet ouvrage ; mais l'auteur aurait aussi bien fait de ne pas le
publier). = N* 10. Doulcet. Essai sur les rapports de l'église chrétieune
avec TËtat romain (de cet ouvrage, la seule partie qui valût la peine
d'être publiée est le mémoire publié en appendice sur le Martyre de
sainte Félicité et de ses fils).
50. — Deatsche Rondschao. 1881. = Mai. Cortics. Athènes et
Eleusis (discours d'apparat prononcé à l'anniversaire de la fête de l'em-
pereur dans Taula de l'Universiu*). = Juin. Ija marche du major Schill
sur Stralsund, 1809 (d'après les souvenirs f)ersonnels de M. G. von
Scriba, qui faisait alors partie du contingent mecklem bourgeois sous
les ordres de Salvellier de Gandras, baron de la Tour-du-Pré, gouver-
neur français de la Pomeranie; M. C von Scriba est mort en 1868 à
l'Age de quatre-vingts ans). — Seuffert. La législation de Justinien.
51. — GcBrres-Oesellschaft. Jahrg. 1883, Heft 1. — Pohle. An-
gelo Secchi (biographie de cet érudit; étudie surtout les événements de
Rome en 1818 d'après des témoignages contem|>orains et les notes de
Secchi). = Hefl2. Gsuni. Gerhanl G root et ses fondations (biogr. de ce
prêtre néerlandais du xiv« siècle, fondateur de l'école ascétique qui pro-
duisit Thomas à Kempis). — Vereinschrift. Jahrg. 1883. Gardaums. Le
renversement de Marie Stuart (il est faux tfue Marie Stuart ait eu déjà
des rapports avec Ik)thwell avant le meurtre de Damley; la lettre dite
de la cassette de (vlasgow est une grossière fabrication. Itoth^ell prit
part à la conspiration contre Damley pour gagner la main de la reine,
mais il n'était qu'un instrument aux mains du parti de la noblesse,
qui à son tour ne faisait que travailler aux plans secrets de Murray. La
plus grosse faute de Marie fut de consentir à épouser Bothi^ell. Hécil
des intrigues dirigées par Murray avec la connivence des commissaires
454 RECUEILS PERIODIQUES.
anglais contre Marie en Angleterre. = Historisches-Taschehbuch, 6« Folge.
Jahrg. III. Leipzig, 1884. Sgh/Efer. La royauté macédonienne (les rois
macédoniens ne furent jamais considérés que comme les premiers de
la noblesse; aussi la Macédoine, bien qu'elle ait produit de grands rois,
n'eut-elle jamais une forme puissante de gouvernement capable de per-
suader aux États grecs à renoncer à leur liberté pour obéir aux ordres
arbitraires de despotes étrangers). — Bernheim. La légende des dames
fidèles de Weinsberg (elle a été inventée par Tannaliste de la chronique
de Cologne, qui s'est inspiré de la capitulation de Crème et de son éva-
cuation par les habitants). — Wegele. Le chancelier Conrad de Quer-
furt (partisan de l'empereur Henri YI et de Philippe de Souabe, il s*est
déshonoré en trahissant indignement ce dernier; ce fut la cause directe
de sa mort). — KlIiffel. La ligue souabe (histoire des démêlés de la
ligue souabe avec l& Bavière jusqu^à l'entrée de celle-ci dans la ligue;
histoire de la guerre contre les Eidgenossen. Si elle eut une issue aussi
honteuse, c'est à cause de la répugnance qu'avait la ligue à combattre
les Suisses, au seul profit des intérêts autrichiens). — Wenzelburqer.
Johan van Oldenbarnevelt (sa biographie; si injuste qu'ait été sa con-
damnation, elle fut un bien pour le Pays-Bas, parce qu'étant données
les circonstances, sa politique intérieure et extérieure était de nature à
perdre la république). — Althaus. Samuel Hartlib (biographie de ce
puritain allemand naturalisé en Angleterre au temps de Cromwell ; ses
efforts pour régénérer l'enseignement en Angleterre). — Hîiffer. La
république napolitaine de 1799 (la capitulation de Naples n'était pas
valable au point de vue juridique; la conduite de Nelson n'en a pas été
pour cola plus honorable ; les exécutions continuelles doivent être
reprochées à Nelson, au roi et à Acton, mais non à la reine ni à RufiTo,
qui n'avait cessé de conseiller la modération).
52. — Archivalische Zeitschrift. Bd. VIIL Munich, 1883. —
CoNTZEN. Les chartes de l'évêché de Wurzbourg; suite. — Prutz.
Etudes sur l'ordre de Malte ; suite (sur les archives des chevaliers de
Saint-Jean à Malte; publie 6 chartes importantes pour l'histoire de
l'ordre, qui en proviennent). — St.blin. Gommanderies d'hospitaliers
dans le royaume de Wurtemberg (publie des pièces inédites relatives à
6 commanderies). — Rieder. Chartes tirées d'archives municipales dans
la Bavière souabe. — Mayerhofer. Sur le plus ancien ms. de Freising
(rassemble les sources relatives à l'histoire des Agilolfingiens). — Inven-
taire méthodique des archives bavaroises; fin. — Loewenfeld. Études
sur les archives do Normandie (liste d'originaux relatifs à l'histoire des
papes dans les archives de Rouen, Caen, Saint-Lô, Alençon et Évreux).
- - Ermisch. Pièces tirées des archives d'Etat à Stadthagen (publie entre
autres le plus ancien coutumier municipal, qui est de 1344). — Dœbner.
Description des archives municipales de Stadthagen. — Pfannenschmid.
Classement et inventaire des archives communales. — Primbs. Le bla-
son des Wittelsbach, depuis le duc Otton l^^ jusqu'à l'électeur Max III
Joseph (l'aigle est le plus ancien des emblèmes qui composent le blason
RBCUBILS ptfRIODiQCIS. 455
<ie cotio famille). — Von Pfluok-Hartti'no. ï)c la façon dont84>nt mon-
tionnés les noms dans les bulles pontificales (moyen de reconnaître
l'inauthenticité de certaines bulles d'après la façon dont un nom est
mentionné). — Vox Ixcher. Pièces relatives à Thistoirede la civilisation
(les inscr. latines mises sur les tombeaux des Germains chrétiens
appartiennent non k l'époque mérovingienne, mais à Tépoque de Tem-
pirc romain. L'habitude des épitaphes ne pénétra pas en Allemagne
avant Tépoque de Ilohenstaufen ; les inscr. tumulaires que l'on ren-
contre avant cette époque sont falsifiées, ou ce sont de simples épi-
graphes).
53. — Zeitschrift tfkr ngyptische Sprache and Alterthnms-
konde. Leipzig, 1883, Ileft 2. — Lipsius. Sur l'emplacement de
Pithom et de Raemscs (Gosen était situé à Touest de VVadi Tumilât ou
du « pays de Hanises. » La capitale du pays c Hamses • était Pa-tum,
le Patumos d'Hérodote, le Sukkot des Hébreux. La seconde ville, Pa-
Ramses Miamoun ou Raemses, plus tard Heroonpolis, était située sur
remplacement actuel de Maschûtah). — Erman. L*inscr. de Bentresch
(sans valeur historique, car elle se rap{K)rte à une légende religieuse
des derniers temps de l'empire égyptien, rattachée au souvenir divinisé
de Ramsès H). — Id. Les fils de Ramsès HI (les dynasties postérieures
ont cherché a se rattacher de toute manière, par les noms et par les
titres, à la renommée de Ramsès H). — Krall. Analectes historico-
philologiques (!• les • tomoi • ou listes royales contiennent des remar-
ques et des éclaircissements qui n'appartiennent pas à Manéthon, mais
qui lui sont très postérieurs; 2<> le calcul d'Ideler, qui place au 13 juin
la mort d'Alexandre, est confirmé par le Pseudo-C^llisthènes dont les
données proviennent d'une source égyptienne). = Haipt. L'exp«Hlition
d'Assourhanipal en Egypte (publie une relation assyrienne de la défaite
de Targû, mi d'Egypte et d'Ethiopie).
64. — Phiiolosns. D<1. XLHI, Heft 2. CxiHtingue, \SS\. — Unoer.
Renseignements fournis par Apollodore sur Xénophane (ils sont emprun-
tés à Eratosthènes et sont inexacts ; il faut d'ailleurs se défier d'Era-
tosthènes). — Bbloch. Sur la chronologie des dernières années de la
guerre en Péloponèse (admet les conclusions de Dodwell, qui place le
départ de Thrasyllos par llonie en mai 409 et la chute de Sélinonte et
d'Himère en 408). — Hauer. Sur le supplice dtn» mille Mytiléniens
(Contre Miiller-Slrûbing, qui cmit à une interpolation dans le nnzit de
Thucydide). — Unger. Le début du règne de Pyrrhus (n'eut pas lieu,
comme le pense Droysen, en 295, mais au plus tard en 297).
66. — Rheinlsches Moseum Itir Philologie. Bd. XXXIX,
Heft 2. Francfort-su r-le-Mein, 1884. — Kikpp. Sur les guerres syriennes
des premiers Ptolemées et sur la guerre de Seleucos Kallinikos contre
son frère Antiochos Hierax (!• contre Droysen, l'auteur place en l'an-
née 276 av. J.-C. la première guerre de Syrie et la guerre contre Magts.
2* La Qelésyrie appartenait alors, depuis rHolémée Lagus, à l'Egypte.
456 RECUEILS PERIODIQUES.
Récit détaillé de la lutte entre Seleucos et Antiochos). — Beloch. Sur
rhistoire financière d'Athènes (1® la îiwêeXia des inscr. n'est pas autre
chose que le salaire des héliastes qui fut rétabli en 406/405 par les
efforts des démagogues Archedemos et Gléophon. 2° Les dépenses
totales de la guerre de Péloponèse pour Athènes s'élevèrent à environ
35,000 talents. 3o Importance de la charge des Poristes). — Faltin.
Polybe et Tite-Live, sur la bataille de Trasimène (le récit de Polybe
est complet et logiquement composé ; mais Polybe s'est fait une idée
inexacte du champ de bataille. Le récit de Tite-Live, moins détaillé,
doit être cependant préféré à celui de Polybe). — Kgehler. Remarques
critiques et exégétiques sur les fragments d'Antignos de Karystos. —
Stahl. Sur Thucydide et Diodore (les textes de ces deux historiens sur
la colonisation de Potidée peuvent être rectifiés en les comparant Tun
à l'autre). — ëjrghner. Sur Tauthenlicité des documents insérés dans
les discours de Démosthènes (plusieurs données fournies par les dis-
cours contre Stephanos et Lakritos sont confirmées par des inscr. du
temps). — F.-B. Inscr. osque (texte et commentaire ; Tinscr. vient des
environs de Santa-Maria-de-Capoue). — Gardthadsen. Le poisson d'or
de Vettersfelde (c'est une tessera hospitalis échangée par deux princes
Scythes engagés l'un à l'autre par les liens de l'hospitalité).
56. — Zeitschrift fOr vergleichende Rechts^wissenschaft.
Bd. V. Heft 2. Stuttgard, 1883. — Dargun. La propriété ; son origine
et son développement historique (au premier degré de la civilisation,
alors qu'il n'y a pas encore à vrai dire d'organisation politique, la pro-
priété est encore individuelle ; c'est plus tard, avec le développement
des idées politiques, que la communauté agraire se forme ; puis à
mesure que le sentiment de l'individualité se développe, on revient à la
propriété individuelle). — Von Tornauw. Le droit successoral dans
l'Islamisme (Mahomet garda dans ses traits généraux la législation
arabe ; il en modifia certains détails dans un esprit d'humanité).
57. — Archiv fClr katholisches Kirchenrecht. Mayence, 1884,
mai-juin, Heft 3. — Schmitz. Les pénitentiaux conservés dans les biblio-
thèques de Danemark et de Suède (ces livres n'existent qu'à partir de
la seconde moitié du xiii^s.; ils ne contiennent que les Canones poeni-
tentiales Astesani).
58. — Theologische Studien und Kritiken. Jahrg. 1884, Heft 3.
Gotha. — UsTERi. La doctrine de Calvin sur les sacrements et sur le
baptême (Zwingli ni Calvin n'ont sur ce point d'idées originales ; on ne
peut admettre que Zwingli ait à cet égard exercé de l'influence sur
Calvin). — Id. De l'attitude prise par les réformateurs strasbourgeois
Bucer et Capito dans la question du baptême (elle fut peu nette, parce
qu'ils s'efforcèrent de concilier Zwingli, Luther et Calvin). — Koldewey.
La première tentative faite pour justifier la bigamie du landgrave de
Hesse (parle de l'apologie composée par le curé Lening de Melsungen,
qui excita le mécontentement de Luther). — KoESiLmet Buchwald. Sur
IIICUEILS PIÎRIODIQUKS. 157
la dispute avec \(^ chanoinos do Wittembcrg (publ. une lettre de Bugen-
hageo et du magistrat do Wittemberg sur la suppression de la messe
catholique dans cette ville en 1523). = Comptes-rendus critiques :
Kolde. Analecta Lutherana (bon). — Kotde. Luther und der Reichstag
zu Worms, 1521 (bon). — Koldcwey. Ileinz von Wolfenbùttel (bon).
59. — Neoe Beitmge sur Geschlchte des deotschen Alter-
thums (Ilenneberg. alterthumsforschender Verein). Meiningen, 1H83«
livr. 4. Extraits de la chronique du secrétaire de la ville de Mciningen,
Sébastian Gûth, de 1628 à 1677.
60. — Archiv Itir Anthropologie. Bd. XV. Ileft 3. Brunswick «
1884. — Pbnck. L'homme et Tepoque glaciaire (l'Europe était déjà
habitée à cette époque par des êtres humains). — Mkiii.is. Tumuli
fouillés près de Tha^lmassing, dans la vallée de l'Altmùhl (les tombeaux
sont d'époques diverses, mais appartiennent au même peuple dolirlo-
céphale, sans doute de race celtique). — Sophie Mùllkr. Origine et
premiers développements de la civilisation européenne à r<^e du
bronze, d'après les plus anciennes découvertes d'objets de bronze dans
le sud-est de l'Europe). — Naue. Poignards de bronze trouvés dans le
Palatinat et en Crète. — Bartels. Rapport sur les fouilles opérées à
Bologne et sur les objets d'origine ombrienne, étnis^|ue et celtique,
qu'on y a découverts.
61. — Nord nnd Sftd. 1883, Ileft 10. — Zor.n. Stein et la n^forme
de l'administration prussienne (sa législation et ses projets de loi sont
la base de toutes les institutions qui ont pu se maintenir et vivre en
Prusse et en Allemagne dans le cours de ce siècle). — Lùbke. Le culte
de Marie dans les premiers siècles (critique de l'ouvrage de Lehner sur
le même sujet). — Geyer. Hohenstaufen et HohenzoUern (1* histoire du
château de Hohenstaufen du moyen âge à répo<{ue moderne ; 2« his-
toire du château d'Urach ; ses rapports avec l'histoire des comtes de
Wurtemberg ; 3* les plus anciennes mentions du chAteau de Ilohen-
zoUem dans la SchwœbischeChronik de MartinusCrusius). = Iloft 12.
Gantor. Sur l'histoire des universités (histoire inti^rieure de ruuiver-
site de Padouo au xvi« s. ; luttes des Jésuites avec cette université). —
La Prusse dans la liesse électorale, nov.-déc. 1850 (souvenirs d*an ofli-
cier prussien ; détails abondants sur les événements diplomatiques et
militaires. Le gouvernement prussien avait mis tout son espoir dans la
conférence de Dresde ouverte le 23 déc. 1850, pour sauver au moins de
sa politique allemande déjà fort compromise ce qu'on pouvait sauver
encore; mais, là aussi, il dut reculer devant l'énergique attitude du
prince Schwarzenberg. Il ne resta plus à la Prusse d'autre i.nsue qui*
d'adhérer de nouveau à la diète de Francfort, ce qui eut lieu en mai 1851 .
En sacriGant sa considération dans la |)olitique extérieure, la Prusse
eut les mains libres pour travailler à sa réorganisation intérieure, à
laquelle l'auteur attribue les succès de 1866).
68. ^ X. S^ohstoohe OeseUaohaft der Wlseenechaflen.
458 RECUEILS PERIODIQUES.
Berichte ùber die Verhandlungen. Philol. histor. Classe. 1883, Heft i-2.
Leipzig, 1884. — Voigt. Sur la légende de Lucrèce et ees parentés lit-
téraires (suit rhistoire de cette légende à travers Tantiquité et le moyen
âge). — Heydemann. La légende de Niobé et son développement (les
peintres et les sculpteurs romains ont varié le modèle donné par les
maîtres grecs).
63. — Neues Archiv tfkr Sœchsische Oeschichte. Bd. V. Heft i
et 2. — Heller. Les routes de commerce dans ^Allemagne centrale aux
xvi«, xvri® et xvin« s., et leurs rapports avec Leipzig (avec une carte, qui
montre clairement à quel point Leipzig était le centre de tout ce com-
merce). — Kjïothe. Sur l'histoire primitive de la ville de Bautzen jus-
qu'en 1346. — Opel. Les débuts de l'opéra à Leipzig, 1680-1710. — Frhr.
von Welck. Correspondance du duc Jean-Frédéric de Saxe et Ambro-
sius Roth, pasteur de Geithain, 1568 (publie cinq lettres écrites pen-
dant la captivité du duc de Saxe en Autriche). =: Bibliographie : Bach-
mann. Deutsche Reichsgeschichte im Zeitalter Friedrich III und MaxI
(excellent). — Das Kriegsjahr 1683 (analyse de plusieurs ouvrages rela-
tifs au siège de Vienne par les Turcs).
64. — Neaes Laasitzisches Magazin. Bd. LIX. Heft 2. Gorlitz,
1883. — ScHLOBACH. Les frontières méridionales du territoire du monas-
tère de Dabrilugk (déterminées d'après un document nouveau, avec une
carte). — Tzschabran. Rapports de Luther aveclaBasse-Lusace (publie
le rapport des Visiteurs envoyés par Luther pour s'enquérir de la situa-
tion ecclésiastique dans le district de Schlieben, 1529 ; notes historiques
et documents relatifs à cette contrée). — Sohr. La vie de théâtre en
Allemagne au siècle dernier (publie la correspondance du réformateur
des théâtres Grossmann avec Schiller et Goethe). — Korschelt. Evéne-
ments militaires à l'époque de la guerre de la succession bavaroise
(brève esquisse de cette guerre, en ce qui concerne la Lusace ; expose le
violent système de réquisitions et de pillages pratiqué par les soldats
autrichiens et prussiens). — Von Keltsch. Où était situé le Mîegdeland?
(l'apparition de ces amazones du nord remonte aux institutions reli-
gieuses des Celtes. Le culte a son origine en Silésie ; il s'éteignit vers
l'an 900).
65. — Beitrœge zur Anthropologie und Urgeschichte Baierns.
Munich. Bd. V. Heft 4. — Ohlensghlager. Carte préhistorique de la
Bavière (deux planches pour les environs de Wurzbourg et de Schwein-
furt, où sont indiquées les antiquités préhistoriques de toute espèce
qu'on y a découvertes; avec une table). — Id. Sur l'époque, l'origine
ot l'extension des « Hochapcker » en Bavière.
66. — 'Warttembergische Vierteljahrshefte fur Landesges-
chichte. Jahrg. VI. Heft 2. Stuttgart, 1883. — Wagner. De la compo-
sition originaire de la ligue souabe (elle ne fut à l'origine que la réunion
de doux facteurs indépendants : l'association des chevaliers du bouclier
de Saint-Georges et une ligue des villes souabes, que la nécessité con-
RBCUIIL8 PtfRIODIQUBS. 459
traignit à agir de concert). — Bossert. La liste des combattanU tti<>«
au combat de Reatliogen en 1377. — Id. De Torigine de Tévèque do
Bamberg, Otton le Saint (il était d^une famille noble de \Vurtembt*rgK
— Sghnbidbr. Les châteaux et forteresses de Wurtemberg vers Tan 1600.
— OFTsaDiNGER. Histoirc du théâtre à Biberach de 168G jusqu*à nos
jours. — Bossert. Régestes sur Thistoire de la Uaute-Souabe (publie
des extraits de 26 documents des années 1271-1373). — B<.hilling. Trois
sorcières brûlées à Ulm en 1613, 1616 et 1621. — Id. L'évèque Henri
de Bamberg et sa parenté avec Konrad de Schmidelfeld. — Id. Détails
sur le règne du margrave Georges-Frédénc de Brandebourg-Ansbach
(des violences et des injustices que ce prince commit sur le territoire
wurtembergeois). — Buck. Sur Tétymologie de Weinsberg. — Bossbrt.
Sur rhistoire de Bebenburg près de Blaufelden.
87. — DiODcesan-Archlv der Diœoase Freiburg* Bd. XVI. Fri-
bourg-en-B. 1883. — Poinsiohow. Le monastère des Prêcheurs à Fri-
bourg (fondé en 1235 pour servir de défense contre les gens de la Forêt
Noire. Les Dominicains jouirent d'une grande influence dans le pays
jusqu'au commencement du xv« s. ; puis le peuple se laissa gagner par
les idées socialistes, et Tuniversité de Fribourg fit aux religieux une
opi>osition continuelle. Liste nécrologique des moines du monasti^re, de
1253 à 1798). — Trenkle. (Contributions sur l'histoire des paroisses
situées dans les districts de Gernsbach et d'Ettlingen ; suite. — Kœnig.
Les statuts de l'Ordre teutonique, d*après la révision du grand chapitre
de l'Ordre à Mergentheim 1606 (suit la liste des couvents désignés à
rOrdre pour des indemnités en 1802). — Mayer. Contributions à l'histoire
du monastère de Gengenbach (publie la chronique de ce monastère par
Gallus Melzer, et d'autres documents relatifs à cet établissement). ~
Li.NDNBR. (ktalogus possessionum monasterii Rhenaugiensis (publie une
liste ancienne des possessions du monastère de Rheinau, avec un corn*
mentaire et l'identification des noms de lieu). — Vanotti. Histoire de
l'Ordre teutonique dans le diocèse de Rottenburg. — Soh.nell. lii.<toire
du château de Schalksburg (publie 25 doc. des années 1395-1517). —
Staioer. Sur l'histoire du monastère de Wagenhausen.
68. — Archiv fOr Frankf^rts Oesohlchte and Xontt. Bd. VIII.
Francfort-sur-le-Mein, 1882. — Joseph. Monnaies on or des xiv« et
XV* s. (description, classement chronologique et histoire des monnaies
provenant d'un trésor enfoui en l.'iOl près de Disibodenberg et déam-
vert en 1841 ; histoire du gutden de Francfort au xv* s.). — Fro.ni?(g.
Les deux chroniques francfortoises de Johannes F^tomus, et leurs
sources (pour la période antérieure à l'an 1500, elles reproduisent deux
annales francfortoises du xiv* s. dont l'une, d'une grande valeur histo-
rique, est perdue, et dont l'autre nous est parvenue seulement tous une
forme très défigurée). = Bd. IX. Histoire du théâtre à Francfort-su r-le-
Mein (les premières représentations de mystères remontent au xix^ s.
Des comédiens anglais jouent à Francfort de 1600 à 1631. I/Cs
460 RECUEILS PERIODIQUES.
théâtres à Francfort lors du couronnement de Charles Vn, de Fran-
çois l*"' et de Joseph H). := 6d. X. Faulhaber. Histoire de la poste à
Francfort-sur-le-Mein, d'après des pièces d'archives.
69. — Mittheilongen des Vereins fUr Geschlchte und Alter-
thnmslninde in Hohenzollern. Jahrg. XV, Heft 2. Sigmaringen,
1882. — ScHMiD. La plus ancienne histoire de la maison royale et prin-
cière de Hohenzollern ; l'« partie (il est très vraisemblable que les
Hohenzollern descendent des margraves de Rhétie, des Burkardingiens,
qui de leur côté étaient d'origine franque. Histoire de ces ducs et de
leurs possessions en Souabe). — Zinqeler. Chartes inédites concernant
Hohenzollern et Zollernhohenberg, 1285-1457. — Thele. Une ordon-
nance juridique (publie un recueil des droits seigneuriaux et régaliens
du comte de Hohenzollern, composé en 1599 sur les ordres du comte
Frédéric de Hohenzollern). — Locheb. Les seigneurs de Neuneck (docu-
ments des années 1547-85). — Von Lehner. Rapport sur des fouilles
opérées près de Sigmaringen (on y a découvert une construction romaine,
d'un caractère sans doute administratif) .
70. — Historischer Verein za Heilbronn. Bericht fur das Jahr
1882. — DiiRR. Sceaux et armes d'Heilbronn. — JLerle. Événements
militaires de l'année 1693 dans les environs d'Heiibronn (tactique du
margrave de Bade, généralissime de l'armée impériale ; elle a eu ce
résultat de conserver à l'empereur et à l'empire sa dernière armée et
d'empêcher la marche en avant des Français).
71. — Schau in's Land. Jahrg. VH, 1884. — Bader. Le château
et la ville de Staufen (étymologie du nom et histoire de la famille de
Staufen jusqu'à son extinction en 1602). — Kùrzel. Saint-Landolin
(notes sur l'histoire de cette ville et surtout de ses bains, depuis le
xvn" s.). — Maurer. Histoire de la ville de Kenzingen (son histoire est
intimement liée à celle de ses seigneurs d'Ussenberg, jusqu'à son
annexion à l'Autriche. Droits et obligations des bourgeois à l'égard de
leurs suzerains).
72. — Mûnster-Blaetter. Heft 3-4. Ulm, 1883. Dieterich, curé à
Ulm à l'époque de la guerre de Trente ans (les papiers qu'il a laissés
jettent beaucoup de lumière sur la situation religieuse et sociale à Ulm
à cotto époque). — Seuffer. Une charte du xv" s. sur l'histoire de la
cathédrale d'Ulm. — Klemm. Sur deux architectes d'Ulm du nom de
Gcorg Sùrlin, au xv«^ et au xvi« s.
73. — Zeitschrift fur die Geschlchte des Oberrheins.
Hd. XXX\I1. Heft 2-3. Oarlsruhe, 1883. — Von Weech. Cartulaire
«le l'abbayo cistorcionne de Salem ; suite (100 num. de 1267 à 1274). —
WiLLE. Analectos sur l'histoire de la Haute Allemagne, et surtout du
Wurtemberg (publie : 1® les relations de l'envoyé bavarois en Wurtem-
berg, Hans Werner, adressées au ministre bavarois von Eck pour les
années 1533-36, sur les événements religieux et politiques du Wur-
temberg, en particulier sur les rapports entre les ducs Ulrich et
RECUEILS PIÎRIODIQUES. 4(i4
Christopb ; 2* la correspondance d'Ulrich avec le landgrave de Hes8e«
qui s'efforça de réconcilier le duc Ulrich avec son iiU et de gagner ce
dernier à la cause de la Reforme). — Hartfblder. Rovue des livres
parus sur l'histoire du grand-iluché do Bade pour les anm^es 1880-82.
— Wkiss. Les archives d'Adelsheim. — Rapport sur les travaux de la
commission badoise d'histoire.
74. — Annalen des historischen Verains Itir den Niederrhain.
Ueft 37. Cologne, 1882. — Maasscn. I^ voie romaine de Trêves à Wes-
seling sur le Rhin et le canal romain du c Vorgebirge > (les i>oints où
aboutissait ce canal sont Delgika et Bonn ; il servait aux besoins de
25 localités que l'auteur place le long du canal et de la route militaire
de Bonn à Belgika ; le canal a été construit sans doute à reiMH{UP
d'Hadrien). — Floss. Documents relatifs au gouvernement de l'arche-
vôque de Cologne Rermann de Wied, 1543-45 (exposo, en s'appuyant
sur 35 doc, les efforts déployés par le chapitre et le clergé de Cologne
contre les tentatives réformatrices d'IIermann de Wiedi. — lu. (Quatre
documents relatifs aux biens-fonds de l'abbaye de Heisterbach à Ol>er-
kassel en 1335, 1413 et 1566. — Luersch. Sur l'histoire de la seigneurie
do Lœwenberg.
75. — Mittheilangen des Instituts fllr œsteireichische Oe-
schichtsforschong. Bd. V. Heft 2. — Scheffer-Boiciiorst. Les dona-
tions de Pépin et de Charlemagne; contribution à là critique de la Vita
Hadriani (le pa.'tsage relatif à ces donations est certainement d'un con-
temporain; mais c'est une main postérieure qui a ajouté l'indication
précise des limites des pays que les rois francs promettaient de donner
au pape ; le biographe lui-môme nous fournit le meilleur moyen pour
découvrir cette interpolation). — Kaltembrunner. Études sur l'histoin»
de Rome (les registres des papes au xin* siècle; leur composition).
— BucHWALD. Sur la procédure dans les jugements de Dieu ; seamd
article. — Picker. Actes relatifs à l'empereur Henri VI, d'apn's un
registre du notaire Guillaume du Mont-Cassin conservé aux archives
de l'Eut à Gènes, nyi-1206. = Bibliographie : Dahn. DouUche Uraeit
(insuftisant parfois pour ce qui touche l'histoire romaine ou romane, ce
livre est au contraire excellent en ce qui concerne riiistoiro propre
des Germains). — Livres nouveaux parus en 1883.
76. — Mlttheilungen der anthropologisohen Oesellschalt in
'Wien. Bd. XIII (noiiv. série, III). Vienne, 1883. — Wolurich. Sur
l'histoire primitive de la Bohême (à profms de cinq nouveaux camps
retranchés découverts dans le sud de la Bohême, de nonibn^ux tom-
beaux fouillés au nord de Frauenberg, et qui sont antiTiours ù ré|H>que
slave, et d'une imiiortante trouvaille d'objets en bronze déterrés à Kren-
dorf; ces derniers ont beaucoup de ressemblance avec los antiquiU^s
étrusques de Narni et de Valentano ; ils sont seulement de dau* plus
récente. Ce sont les plus anciens objets en bn»nze trouvés jus4|u'ici en
Bohême). — Raiumsky. Htudes d'iiistoin^ primitive dans lesi'uvironsde
462 RBGUEILS P^RIODiaUES.
Wies; dans la Styrîe moyenne. — Tomasghegk. Sur les études
et recherches ethnologiques du docteur Fligier (défend les conclu-
sions de son livre GoUn in Taurien, contre les attaques de Fligier
dont il montre le caractère superficiel et peu scientifique). —
Reyer. Sur remploi des outils de pierre (explique les raisons pour
lesquelles on s'en est servi pendant si longtemps. Ce qu'on appelle
Tàge de pierre ne correspond pas toujours à un degré déterminé de civi-
lisation , car les Orientaux ont connu les métaux résistants alors que
leur culture intellectuelle était faible encore ; le cas contraire eut lieu
chez les Indo-Européens). — Szombathy. Objets préhistoriques provenant
des îles Canaries. — Krauss. Légendes des Slaves du Sud relatives à la
peste. — HocRNES. Tombeaux anciens en Bosnie et en Herzégovine (les
inscriptions et sculptures tombales du moyen âge trahissent une bar-
barie extraordinaire, et l'on comprend que la noblesse ait si facilement
adopté l'islamisme). = Comptes-rendus critiques : Paudel et Bleicher.
Matériaux pour une étude préhistorique de l'Alsace (bon). — Grass, Les
Protohelvètes , ou les premiers colons sur les bords des lacs de Bienne
et de Neuchfttel (bon). — Pigorini. Terramara dell' età del bronzo, situata
in Castione dei Marchesi (très bon). — De Stefano. Nuove scoperte di
antichità nei circondari di Legnago e Sanguinetto (très bon). — Virchow,
Das Graeberfeld von Koban im Lande der Osseten (remarquable).
77. — The Athenaenm. 1884, 12 avril. — Th. Rogers. Six centuries
of work and wages ; the history of english labour (ouvrage très savant et
très instructif. = 19 avr. Hutckinson. The diaryand ietters of his Excel-
lency Th. Hutchinsoncaptain-general in North America (documents rela-
tifs au dernier gouverneur anglais de la colonie de Massachussetts Bay;
important pour l'histoire de la guerre de l'indépendance américaine).
= 26 avril. Streatfeild. Lincolnshire and the Danes (beaucoup de
labeur, des observations justes, mais critique peu exercée en général).
= 3 mai. Storms and sunshine of a soldiers iife : lieut.-gen. Colin
Mackensie, 1825-1881 (biographie d'un brave général de l'armée des
Indes; il échappa comme par miracle au désastre de l'Afghanistan en
1841-1842. Biographie qui serait très intéressante si l'auteur, la veuve
du général, n'avait pas prodigué les dissertations théologiques). =
10 mai. Fitzgerald. The Iife and times of William IV (compilation amu-
sante faite à coups de ciseaux à travers les mémoires qui contiennent la
chronique scandaleuse de l'époque). = 17 mai. Loserth. Hus und Wiclif
(montre combien Hus s'inspira de Wichf; mais exagère en disant que
le hussitisme n'eut rien d'original, et que c'est vraiment les doctrines
de Wiclif qui furent brûlées dans la personne de Hus). = 24 mai.
lirewer. The reign of Henry VIU, to the death of Wolsey (ce sont les
préfaces des volumes des Calendars of State Papers que M. Gairdnera
réunies ici en vol.). = 14 juin. R.-D. Gardiner, The admission registers
of St Pauls school, 1748-1876 (intéressant).
78. — The Academy. 1884, 12 avril. — .4/. GranL The story of the
lECUBILS PIÎRIODÎQUBS. 463
Univereity of Ëdinburgh during ils iiret thrœ hundred years (très iaté-
ressant). — Lettre de Jeanne de Navarre à la Biblioth(H]ue nationale
(5 lettres inédite^;, publiées par M. Gertrudo-Ëverett Green). = 2G avril.
Rogers. Six centuries of work aud wagos; the history of onglisb labour
(excellent). — Maxwell. The histor>' of Old Dundee (bonne histoire
municipale de Dundee dans la seconde nioitit* du xvi« s. et dans la pnv
mière du xvn«). = 3 mai. Omond. The lord advocates of Scotland (tK's
intéressant). = 10 mai. Annstrong. The history of Liddesdale, Kskdali',
Ewesdale, Wauchopedale, and the debateable iand. !'• partie (excellente
histoire du border écossais). — O'Conor, ilistory of the irish people.
2 vol. (remarquable; mais Thistoire économique du pays est seulement
esfjuissée). — Newton. The collection of ancient greek inscriptions in
the British muséum ; 2« partie (contient les iuscr. du Péloponèse, de la
Grèce septentrionale, de la Macédoine, de la Thrace, du Ik)8phore cim-
mérien et des îles de l'Archipel. Le t. 111, qui est sous presse, contien-
dra les inscr. de Priène, Ephèse et Jasos). = 17 mai. The historical
charters and constitutional documents of thecity of Londou (traduction
des principales chartes intéressant Thistoire communale de Londres). —
Watson. Hpanish and portuguese South -America during the colonial
period (bon résumé). — Lady Jackson. The court of the Tuileries, from
the Restauration to the flight of Louis-Philippe isans valeur historique
ni littéraire, mais amusant). = 31 mai. Boss. Scottish history and lito-
rature, to the period of the Reformation (excelleul).
79. — The Gontemporary revieiw. 1881, juin. — Uatch. Les
théories historiques de la (Jlommission chargée de Tenquôte sur les cours
ecclésiastiques (le travail des commissaires est très important au point de
vue historique; leurs conclusions pratiques sont contestables; t aban-
donner le contrôle que la nalion anglaise a ex(>rcé jusqu'ici sur TEgliso
anglaise serait, non pas continuer Thistoiro, mais briser net avec elle •).
— Mary Gladstone. Les lettres de la princesse Alice.
80. —The Nation. 1884, 3 avril. Uutchinson. The diary and the
letters of Thomas Uutchinson |bi*aucoup trop long; livre d'une lecture
diflicile; les documents qui y sont publies apportent peu de chose à
l'histoire, mais contribuent à mettre en lumière une des ligures les plus
intéressantes de la Révolution américaine). = 10 avril. Lowell, The
Uessians, and the other (verman auxiliaries of Great Britain in the
revolutionary war (bon livre, bien informé, consciencieux et wuise). :=
17 avril. Chamberlain. John Adams, the statesman of the American
Révolution (intéressant!. =: 21 avril. Martin. A life of lord Lindhurst
(apologie outrée et fort contestable). — Vhurch. Bacon (oxcelleute
étude sur le célèbre ministre et philosophe anglais). = {•' mai.
Sehuyler. Peter the Great (livre plein de faits, entasses sans ordre;
mais très instructiO- — Todd, The campaigns of the Rébellion
(aae esquisse de la guerre de sécession en 130 pagi\s ne peut guère
464 RBCUBILS PIÎRIODIQUBS.
ôtre utile, fût-elle même exempte de fautes, ce qui n*e8t pas ici
le cas). = 8 mai. Playfair. The scourge of Ghristendom. Annals of
british relations with Algiers prior to the french coaquest (intéressante
histoire d'Alger avant 1830, avec un récit de la prise de la ville par un
témoin oculaire). — Mead. Martin Luther (esquisse passionnée, mais
intéressante). = 22 mai. Dabry-Thiersant. De Torigine des Indiens du
Nouveau-Monde et de leur civilisation (l'auteur estime que la civilisa-
tion fut portée en Amérique par des bandes de Garismiens chassés de
leurs demeures par l'invasion mahométane ; tous les efforts de son éru-
dition n'ont pu réussir à prouver cette thèse au moins singulière). —
Schucfiardt, Kreolische Studien (très curieux).
81. — Archivio storico itaUano. Tome XIII, disp. 3, 1884. —
GuASTi. Les archives d'un évoque de Volterra, qui fut au concile de
(Constance ; suite (publie entre autres quatre documents relatifs au pape
Jean XXIII : « que necessaria esse videntur fieri per papam in prima
sessione »). — Gantù. La république et le royaume d'Italie et la Tos-
cane; suite (documents des années 1804 à 1807. — Paou. Le privilège
d'Otlon I"* pour PÉglise romaine, d'après le travail récent de Th. Sickel.
— Livi. Des rapports des Gorses avec la République de Florence et avec
Giov. de' Medici, des Bandes Noires (introduction à une étude : la Cor-
sica e Cosimo 1 de' Medici, qui doit paraître prochainement). = Biblio-
graphie : Marcellino da Civezza. Storia universale délie missioni fran-
coscaue ; t. VI. — Gaspari. Momorie storiche di Sarrasanquirico. —
JS'ani. Nuova ediziono degli statuti del 1379, di Amedeo VI di Savoia.
— GiralamO'Hossi. Statuti del comune di Castellaro dell'anno 1274. —
Carelta. Sulla famiglia Assandri patrizia milauese.
83. — Archivio storico per le provincie napoletane. Anno IX,
fasc. 1. — Baronk. Los cédules de trésorerie des archives d'État à Naples,
do liOO à ir)Oi ; suite. — Faraglia. Les deux amis de Pétrarque : Gio-
vanni Barili et Marco Barbato (leur biographie, accompagnée de docu-
nuMits). GiAMPiETRO. Un registre aragonais de la Bibliothèque natio-
nalo do Paris; suite. — De Blasiis. Des supplices ordonnés à Naples au
temps dos tumultos do MasanioUo. — Lippi. Une monnaie inconnue de
Tobo Lucana. = Bibliographio : Huffcr. Die neapolitanische Republik
dos Jalm^s 171H> iparlo do la violation de cette capitulation; il en rend
ros})onsaMo lo roi d'abord, puis la reine et Nelson, déchargeant ainsi le
card. UutTo. qui dut s'incliner devant dos volontés .«ouverainesL — Pro-
loço. 1 primi tompi doUa ciltà di Trani, o lorigiuo probabile del nome
dolla stossa (idontilio cotto ville avec lo Turenum de la Table de Peu-
tingor: mais cotto identification est impossible). — Pcpe. Notizie slc»-
riolio od arohoologicho dell' anlica Gnathia ^consciencieux». — Gioia.
Momorio storicho ot documonti sopra Lao, Laino, Sibari, Tobe-Lucana
dolla Magna Gn^ria oiità aniichissime ^dos erreurs et des confusions
nor.îbror.sos^. — F^rriuriùto. 1 Napoletani del 1799 ilv^n» — .Vorrîirfi.
RECCTEILS PéRIOniQrES. 4(>r»
Una bulla di Urbano II e i suoi dctrattori (s'efTorce, sans grand f^ucc^s,
d'établir rauthenticito, fort contestiK», de la bulle d'Urbain II en faveur
de l'église de la Trinité de la Gava, 5 sept. 1092).
83. — ArchiTio storico Siciiiano. Nouvelle série; anno VIII,
fasc. 3-4. — CocJLiTORK. Ktudos liistorico^rchéologiques : Mozia ilrs
passages où il est tjuostioii de l'île et de la cité de Mozia dans les écri-
vains de l'antiquité s'appliquent tous à la petiti» île actuelle de S. Pan-
taleo, située prés de Marsala; dans un prochain article Tauteur étudiera
l'histoire de cette localité). — Bellio. Notes sur les niss. géographiques
de la bibliothèque communale de Palerme. — Laoumina. Les médailh^
et les artistes du séminaire des clercs de Palerme, lors de sa fondation.
— La Colla. L'histoire des munici]>alités siciliennes, et le Libn) n)ss4)
de la ville de Saiemi (note sur ce ms., qui contient 1*25 documents pos-
térieurs à l'an 1314 ; suit une table chronologique et analytique de ces
documents). — Salinas. Sur un registre «le (liov. Majorana, notain^ de
Monte San Giulano, au xni« s. (fournit de curieux renseignements sur
l'histoire du commerce, de l'industrie, de l'armée, des rapports entre le
Mont et Trapani, de 1297 à 1300). — Lionti. Les Juifs et la fête de saint
Etienne, protomarlyr à Marsala (documeut^i de 1399 à 1431). — I)i Gio-
vanni. I^ première Société d'histoire à Palerme, 1777-IK03 |avt>c la table
des mémoires qui y ont été lus sur l'histoire sacrée et la littératuœ ita-
lienne). — Lauumlna. La date de Tinscr. hébraïque de San Marco (elle
est do l'an 1418 de notre ère).
84.— Archivio veneto. Anno XIV, nouv. série, fasc. 53. T. XXVII,
1" ])artie. — Cecchetti. La vie des Vénitiens vers 1300; la ville, la lagune
(à l'aide d'un grand nomhre do documentas d'arrhivesl. — I)4m:ohi. L'Adige
et son débordement, 18 sept. 188*2, à Angiari-I>egnago; notes historiot»-
camomiques comparées; suite et fm. — Pi.nton. L'histoire de Venise
de A. -F. (ifrôrer; l*^ partie : les matériaux de l'ieuvn*; suite et tin. —
(iiOMO. Les rubriques des € Libri niisti » du Sénat, aujounl'hui |>erd us;
suite. — GiURiATO. Montions relatives à Venise dans les monuments de
Home; suite. — R.-F. Giorgio Zorzi; relation de son aml»assade en
Hollande et en France, 1620-29, tinn» des mss. de la bibliolhè(]ue «le Fer-
rare, par le prt^f. Gius. Ferraro (texte de cetu» relation). — Biaukoo.
Muratoriana ^documents relatifs à Muratori). — Berlan. Vn nouveau
document sur Gutenln'rg (discute les conclusions tirées |>ar M. Claudin
de la lettre qu'il a récemment publiée ilans le Livre). ^ Ilibliographie :
Relazione sugli Archivi di stato italiani, 1874-82. — Simvm, «lahrhu-
cher des fnenkischen lieiches unter Karl dem gn>ssen (Iton). ~ <V<j/i/<>-
vani. Lagune (cet ouvrage, qui a été fort loué {»ar plusieurs journaux,
n'est qu'un plagiat effronté de Taine, Ch. Hlanc, Th. (iauthier,
Tôpfler, etc.). = Fulin. Bulletin de bihliographie vénitienne; suite. «
Actes de la R. Deputazione venota di storia patria.
86. — Stadl 6 docomenii dl storia e diritto. Anno V, fas<\ 1-2.
— Talamo. L'esclavage selon Aristoto et les docteurs scolastiqut>s ;
Rev. IIistor. XXV. 2« fasc. 30
ÂC)6 RECUEILS PERIODIQUES.
seconde partie. — Gahurriki. Les mystères et les hymnes de saint Hilaire,
évoque de Poitiers, et un voyage aux lieux saints au iv« s., découverts
dans un très ancien ms. (ce ms., conservé à la bibliothèque de la Fra-
temità de 8. Maria, à Arezzo, est écrit en caractères lombards, et appar-
tient au plus tard à la fin du xi« s.; analyse de ce ms.). — Gatti. Notes
sur des matériaux et des monuments antiques, prises par J.-B. NoUi
en dessinant le plan de Rome , et conservées aux archives du Vatican ;
suite.
86.— BoUetino storico délia Svizzera italiana. AnnoVI, n<» 3 et 4.
— LiEBENAu. Lodovico Borromeo; suite. — Curiosités de l'histoire ita-
lienne au XV* s., tirées des archives de Milan; suite. — Inscriptions his-
toriques du canton du Tessin; suite. — Les statuts d'Litragua, Golino
et Verdasio, de 1469; suite. — N° 5. Les imprimeries du canton du
Tessin ; série alphabétique de leurs publications, de 1800 à 1859. — Bel-
linzone excommuniée en 1483 ; pièce.
87. — Der Geschichtsfreund. Ed. XXXVIII, 1883. — L. Brand-
STETTER. Rôles finaucicrs de la prévôté et de Taumônerie du couvent de
Lucerne. — G. Meyer von Knonau. Coup d'oeil sur l'histoire de la Con-
fédération suisse pendant les premières années du xv« s., 1405-1415. —
K. VON Dbsghwanden. Le repas de Tammann à Nidwalden pendant le
xvii« s. (coutume patriarcale en vertu de laquelle le landammann élu
par la landsgemeinde ordinaire de l'année régalait, le même soir, à l'au-
bergo, tous les citoyens àf^és de plus de quatorze ans). — K. von Hett-
LiNUEN. Gonipte des frais de guerre de la ville de Zurich pendant la pre-
mière guerre de Vilmergen, 165G.
88. — Mittheilungen der antiquarischen Gesellschaft in
Zurich. Bd. XXI. llelt 5, 1884. — H. Zeller-Werdmliller. Monu-
ments de l'épo(|ue féodale dans le pays d'Uri (lecoiïretd'Attinghausen).
89. — Jahrbuch des historischen Vereins des Kt. Glarus.
IlefL XX, 1883. — G. Heer. Histoire de l'instruction publique dans le
canton de Glaris (enseignement secondaire). — Idem. Les fonds scolaires
de Glaris. — N. Tsghudi. La fonderie de fer de Seeriiti. — J.-G. Mayer.
L'établissement des capucins à Naofels, 1674.
90. — Mémoires et Documents publiés par la Société d*his-
toire de la Suisse romande. Tome XXXUI, 1884. — J. Gremaud.
Documents relatifs à l'histoire du Vallais, 5«^ partie, 1351-1375 (avec
une introduction où sont résumées les données que ces documents
renformont sur révêcho, le chapitre et la ville de Sion, les familles féo-
dales du Vallais opiscopal, le Vallais savoyard, etc.).
91. — Musée neuchàtelois. XX« année, n^ 12, déc. 1883. —
A. DaciIet. La question de ^Vinkelried, ou résumé des recherches
faites depuis vingt ans sur l'existence d'Arnold de W. et son exploit
héroïque à Sempach (résumé un peu tardif, dirions-nous plutôt, du
mémoire lu en 1878, à Stans, par M. le pasteur Ochsenbein, avec
RECrBILS PjfMODIQrSS. 407
quelques remarques additioDuelles sur un article plus récent de feu
M. de Stùrler).
92.— Mémoires de rinstitut national genevois. Tome XV, 188;).
— H. Fazy. (îenèvo, le parti hupueiiot oi le traité de Soleure , ITiTi-
1Ô7Î) (Cf. Revue, XXIV, 477). — J. Viy. Chartes inédites du duc de
Savoie Charles III (titrt^ inexact, en ce sens qu'il no s'agit que de
quelques lettres assez insignitiantes do Charles III).
93. — Étrennes genevoises. Hommes et choses da temps
passé, par A. Hookt. vi« série, 1884. — Cent ans en arrière. (îhm-
nique genevoise, 1780-1785. — Pierre lîayle et (îenéve.
94. — Étrennes chrétiennes, publiées par une réunion de pasteurs
et de laïques. XI*" ann<»e, 1884. — A. Rooet. Calvin et les églises de
Pologne. — E. Saint-Paul. La tour de Constance et S4»s prisonnières.
— E. RrrTER. La rentrée de J.-.Ï. Rousseau dans l'Église de (Veuève, 1754.
— P. Vaicher. Notes bibliographiques : Reimarus, Raur, Renan.
95. — G^lehrte Bstnische Oesellschaft. Verhandlungen. Dor-
part, 4881. — IIausmann. Études sur l'histoin? du roi de Pologne Etienne
(expose les données fournies sur ce règne par les sources; presque toutes
les indications du temps sont puisées dans des communications ofli-
cielles du nu, qui était fort désireux de ne laisser parvenir, même dans
l'Europe occidentale, que des récits favorables «î sa {Militique; les rt>n-
seignements les plus indépendants, il faut les chercher dans certains
pamphlets allemands du temps; énumère les plus importants de ces
documents). — IIolzmayer. Osiliana; suite (rapport sur les fouilles op<»-
rées dans les iles d'CKsel et de Mohu, et se rapportant aux années 918
à 12*27 ap. J.-C.). — RupNiEWSKi. Trouvailles faites dans des tombeaux
en Wolhynie (appartiennent à l'Age de pierre). — Sievers. Rap|>ort sur
des recherches archéologiques oik»rées en 1876 (l'auteur attribue à un
peuple de race normande les nombreuses collines tumulain's de l'E^-
thonie ; la préstMice de bijoux bretons de l'i'poque de Marc-Aurt»le est
due à des intrusions fortuites d'ÂnglinSaxons, de Normands, etc., en
Bretagne, d'une époque antérieure à cello que l'on admet d'ordinaire).
— MoLLENHAUER. L'ue souteuauce de doctorat à \Vitt4»mberg en 1544,
sous la présidence do Luther (publie ce texti^ im|K)rtant |>our les idi>es
th(»ologiques de Luther).
^f68 CHBOinQUE ET BTBLIOORAPHIB.
CHRONIQUE ET BIBUOGRAPHIE.
France. — M. le général Faidherbe a été élu membre libre de
l'Académie des inscriptions et belles-lettres.
— M. IIiMLY, doyen de la Faculté des lettres de Paris, a été élu membre
de l'Académie des sciences morales et politiques en remplacement de
M. Mignet.
— M. Jalliffier a été élu membre du Conseil supérieur de l'instruc-
tion publique, en remplacement de M. Manon, qui ne se représentait pas.
— L'Académie française a décerné le grand prix Grobert à Y Histoire
de la chevalerie, par M. Léon Gautier, et le second prix à M. R. de
Maulde, pour son Histoire de Jeanne de France, duchesse d'Orléans et de
Derry ; le prix Halphen à M. A. Lefèvre-Pontalis, pour son histoire de
Jean de Witt, grand pensionnaire de Hollande. Elle a partagé le prix
Guizot entre Rivarol et la Société française pendant la Révolution et l'Émi-
gration, par M. DE Lesgure, et le Maréchal Bugeaud, par le comte
d'Ideville. — Un prix a été décerné à M. Georges Duroy pour son
étude sur le cardinal Garaffa.
— L'Académie des inscriptions et belles-lettres a maintenu le grand
prix Gobert à M. Paul Viollet, éditeur des Établissements de saint Louis
et auteur du Précis de l'histoire du droit français, et décerné le second
prix à M. TuETEY, pour son livre : Les Allemands en France et l'invasion
du comté (le Montbéliard par les Lorrains en 1587-88 (Mémoires de la
Société d'émulation de Montbéliard). — Elle a partagé le prix Ducha-
lais entre M. Garon : Les Monnaies féodales françaises, et M. Ponton
D'AMfc:couRT, pour ses Recherches des monnaies mérovingiennes du Céno-
mannicum, que nous avons maintes fois signalées en analysant la Revue
historique du Maine. — Elle a décerné le prix ordinaire du budget à
M. Neubauer, sous-bibliothécaire à la Bodléienne, Oxford, pour un
mémoire sur ce sujet : classer et identifier les noms géographiques de
l'occident de l'Europe qu'on trouve dans les ouvrages rabbiniques.
— L'Académie des sciences morales et politiques a mis au concours
pour 1886 une étude sur le Père Joseph. Notre collaborateur, M. G.
Fagniez, met en ce moment la dernière main à un ouvrage sur le même
sujet, pour lequel il a réuni de nombreux matériaux tirés tant des
archives privées que des dépôts publics de la France et de Tétranger.
— On a fêté le 20 mai dernier le cinquantième anniversaire de la
fondation de la Société de l'Histoire de France. A cette occasion, la Société
a fait imprimer un volume de yoticcs et Documents dont voici la table
CHRONIQUE BT BIBLIOGRAPHIE. 4(>9
des matières : Omont : Ms8. on lettres oncialos de VUistoria Franrorum
de Grégoire de Tours. — Lononon. Notice sur le plus ancien ohituaira
de l'abbaye de Saint-Oermain-des-Prés. — Lick. I^ continuation d'Ai-
moin et le ms. latin 12711 de la Hibl. nat. — J. Uavkt. Poème r\th-
mi(iue d*Adelman de Liège sur plusieurs savants du xi« s. — Dklihlb.
Les courtes annales du Bec (xii* s.|. — Roman. Le cartulaire de Dur-
bon, lllG-l^lO. — Delaroroe. Vn poème inédit de Pierre Higa sur la
naissance de IMiilippe- Auguste. — .\. Molinikr. Récit en vers di» la
bataille de Muret, 13 septembre 1*213. — Deusle. Iai cbroniijue d'H«»li-
nand, moine de Froidmont, 120 i. — RiAîrr. Déposition de Cbarles
d'Anjou pour la canonisation de saint Louis, 1282. — V. Viollet. Tne
charte de Philippe de Reaumanoir, 27 janv. 1292. — L. de Mas-Latrik.
Le ms. de la Prattica délia mercatura de B. Pegolotti. — E. Dipost.
Trois chartes à vignettes de 1377, 13S9, 1402. — A. de Ik)iSLisLE. Un
épisode de la domination des Armagnacs à Paris, il 10-17. — D. de
BEArcorRT. Cahier de doléances des députés de I^nguedoc, 1428. — A.
DE La Borderie. Correspondance de Charles VIII avec le parlement de
Paris pendant la guerre de Bretagne, 1487-88. — Baschet. Quelques
lettres missives extraites des archives de ta maison de (lonzague, 1494-
1520. — C»' DE LuçAV. I/a succession du connétable di' BourlK)u, 25 août
1531. — Baron de Rudle. 1-a cour des enfants de France sous Franaus I»*,
1531. — Lalanne. I>eux pièces extraites de la collection (io^Iefroy, 1577
et 1645. — Baoi'enault de Puchesse. Tne lettre de Villerov sur l'atten-
tat de Jean Chastel, 1595. — A. db Boislisi.g. I^ntre de laduchess4^ do
I^ Trémoille sur la mort de M"*« Du Plessis-Mornay ; mai 1000. —
G. Picot. Doléances des habitants de Paris aux états-généraux, 1014.
— Tamizey de LARRogtE. Une lettre de Ph. Fortin de La Hoguette à
Louis XIII, 1628. — M'' de Vouiîé. Lettres et discours de Sully sur le
projet de république chrétienne, 1630. — Duc d'Aumale. Cini| lettres de
Turenne au duc d^Enghien, 1643-45. — G.-J. de Cosnac. Mémoire de
Jean du Itouchet sur la charge de maréchal général, 15 mai 1673. —
Ed. DE Barthélémy. Plan d*une invasion en Angleterre, 1759. — Duc
DE Broolie. Mém(»iri' du duc de Praslin sur les atTaires de Pologne,
avec les obserNations du comte de Broglie, 8 mai 1763. — Delislk.
liettres du l)énédictin dom Brial à l'ablH» Lespine, 1790-1801. Ce volume
a ét(* d(Hlié à M. Jules Desnoyers, secrétaire de la Société depuis sa
fondation en 1834.
— IjO congrès annuel des sociétés savantes s'est réuni à la Horbonne
du 45 au 19 avril dernier. Dans la siK*tion d'histoire et de philologie,
on peut noter les communications suivantes : M. Castonnet Desfosses
a annoncé qu'il a découvert une corres(M)ndance iné<iite de Dupleix,
environ un millier de lettn»s, alors qu'il n'était que gouverneur de Chan-
demagor. — M. F<irestié, continuant ses intéres.<antes études sur les
livres de comptes du marchand Bonis, a décrit l'état des dix confn*ries
qui existaient à Montaultan au xiv* s. — M. Deloche a étudié la
manière dont les actes étaient datés à la un du xiir s. et au oommen-
^70 cMÈom^t rt BuuoGiAmE.
muu*ui an xjv« %, dAriii le lioafTfnie, Le Qaercr ei le bis Limousin. Dom
C^fr/jf;rit^ rlAOS VArt (U vérifier Ut dates, aTait dît que les diTcn modes
t\(i mmmtiUCAT V9itïu*^, araient été, dans ces trois pars, ramenés en 1^89
k an iMful, c^Hui de l'Ascension «25 mars«. Cela est vrai pour le Rooergne;
\HiMr le \m» LirnouKÎn, ce n'est exact que depuis 1301 : ponr Le Qoercy,
le fttit n'a pu avoir lieu qu*aprèfi 1316. = Dans la section d'archéologie,
le W. V, de l^a Croix a fait connaître le résultat de ses fouilles dans Les
fi/fcrofKiloN antiques de Poitiers; il a pu y constater vingt et une espèces
diiïéronteN de Hépultures, datant du iv* et du y* s. — On parait avoir
ftonNlaU'i wiu^ année un ralentissement dans les travaux de ce congrès,
comme si la liste den questions proposées par le ministère, au lieu de
rendre les étuden [dus fécondes en les concentrant, avait diminué Fini-
littLive des ditlégués. i)e serait bien dommage, et bien mal comprendre
la poriHée de radtniniHtrati(m, qui n'entend pas lier la liberté person-
nelle h. aucun genre particulier de recherches.
— Le 11 avril dernier, on a inauguré au Collège de France trois
tniMiiiillonH (i(^ hron/.e dostincs à perpétuer le souvenir de Michelet, de
yuinet et do Mickic'wicz, révoqués lors du coup d'État. Nous reprodui-
NouH ici la lin do rallocution prononcée par Tadministrateur du Collège,
M. Honan, i\ cette occasion : «Maîtres illustres, > dit-il, en s'adressant
par la ponsée aux trois amis, « maîtres illustres qui fûtes, au jour de
voire vie tern»Htro, don porteurs de vérité, de cette vérité qui est à la
I'oIk Imiiiôn» «M clialiMir, a|)pnMioz-uous à marcher sur vos traces! Vous
riMioiivclAtoH, (Ml votre tonips, les miracles que vit au moyen âge cette
montagiu» Saiiili^-donovirvo, (juaiid toutes les nations de l'Europe
\«Miaionl autour iTAlK^lard, ou bion au Clos-Bruneau, à la rue du Fouarre,
rluMN'hor les principes de la liborlo dans la communauté de l'esprit
humain . (los hommages qui vieuneut aujourd'hui, de toutes les parties
rogiMiénvs d»^ l'iùiropo, se nuMer à notre ftMe, montrent que votre parole
eut le ijraud caractère du vrai ; elle fut universelle, elle remua toutes
les races. Nous ne sommes pas chanirés. D'autres ont pu changer dans
\\^ monde; niais rassurez -V(>us. nous n^sterons incorrigibles. Nous ne
sepaivrtuis jamais rinterct de la France de celui de la vérité. Jamais
nous n'euMsagcrons la science, la civilisiUion. la justice comme Tœuvre
d'une seule race ou d'un seul peuple. Nous persistea»ns à cn>ire que
toutes les nations v servent, chacune selon s<'>n irenie. Ea ouliivaiit la
science, nous ne dirons jamais notn^ science; le vrai, le bien e: îe ivat:
étant, à Uv^s \e;î\, lai^anace de iv>iîs. Coirme vvus, ncus nous liissS*^
r\ons arracher de notn^ cliairw pîutv'i v:ue vie cliîv iu:r\* chcse -lue ce
eue e.ous avons n^solu vie dir\\ Vo:re cer.!:^ : .mera sur vV< lie-^x^ rlrins
ewvvrx^ de \o:iv îur\\c. l.e seuvcr.ir c.c v.T:^ o. uri^e v; ce v.-^r^ ^LIl^r*
rite, raMNo :v»r ccv.c i;v.ai:e, Uv^v.s >v v.::cr.vLr,i vIa-s .AJCv'Jzr'.iSîï^rir:'*"; i*
Uv^ttv gnw.vî vic\.':r, .t^ c.:>.;^ ,\b>/-i: :; "a v:r::c\ »
% • •
* V. ^ « «
CHEONIQrE ET BIBLIOGRAPHIE. 471
toitil>oaux importants appartenant à Tandon Empire. Il no (Iowî*|»^ri»
pas do porter la lumière dans la période pn^sque entièremenl inconnue
l»our nous qui sépare la ij" de la 11* dynastie ; mais, au milieu des difti*
cultes où se débat aujounriiui la malheureuse l'^ypte, les ressources
dont p<»ut disposer notre illustre compatriote sont devenues tout à fait
insuffisantes. M. Henan a déjà fait ap)»el au public dans b* Jnurnal dru
D('f}ats du il mars. > La conservation de l'Ëgypto depuis (^liampollion,
dit-il, surtout depuis Mariette, a été moralement ilévolue à la France.
Voici un protectorat qu'il nous est |>ermis de réclamer, puisqu'il n'a
que des clauses onéreuses... Mais Tarpent manque... Il faut que toutes
les personnes qui ont à cceur la conservation des monuments du [tassé
ap|K)rtent à M. Maspero leur concours. Quarante siècles ; c'est trop |jeu
dire, soixante siècles d'histoire y sont intéressés. Ajoutons quo l'hon-
neur de la France s'y trouve engagé. » L'appel a déjàéto entendu ; une
première liste a recueilli 1*2,150 fr. La »V<)riV/r' /if5foriV/r/f sVst assorieo de
toutes ses forces à cette souscription nationale. La lirvue htsloriquf la
recommande chaleureusement à la générosité de ses lecteurs. Ajoutons
à ce propos que M. Maspero, din^cteur général des musées d'Fgypte,
vient de faire paraître un excellent Guide du vi$it€ur de lUmlaq iView*^).
— M. E. Baiielon et M. S. Heinach, chargés d'une mission en Tuni-
sie, ont entrepris des fouilles sur l'emplacement de ('^rthage, au lieu
que les Arabes appellent encore aujourd'hui Ciirthagenna ; les antiqui-
tés puniques qu'ils y ont rencontrées sont insignifiantes, ainsi qu'on
devait d'ailleurs s'y attendre après le résultat des fouilles déjà opérées
par M. Boulé; ils ont cependant découvert une statue colossale d'un empe-
nnir romain en marbre, d'un beau travail. I^ UHe mantiue. Ils ont été
plu.s heureux à ENKantara (l'ancienne Maninx, dans file de Djerbai, à
Ik)u-Ghara (l'ancienne Gightis, sur la côte tunisienne en face de I)jerl»a).
et à Zian (anc. Ciparea, entre Zerzis et Matmeur). A Ik>u-(ihara, ils
ont déterre beaucoup d^inscriptions, trois statues do magistrats romains
et une belle tête d'Auguste en pontife romain. A Zian. il ont déblayé
un forum entoun» de grands [Mtrtiques. Ils ont aussi ex pion* Sfax et les
environs. Rappelons en mémo temps les fructueuses exptHliti(ms de
M. (iAONAT, qui a déjà publié deux imftortants fa.>icicules sur S4^s décou-
verte^ (choz Thorin) et de MM. B\sskt et IIoidas qui ont {musse jus-
qu'à Kairouan. I/O lluUrtin de Cur r es f tendance africaine publie les résul-
tats de leur mission.
— Nous sommes heureux d'apprendre que la conservation des colèbres
ruines de Sanxay est enfin assun>e. Oràcc à de généreux donateurs,
l'acquisition des terrains où se trouvent les ruines ehtrhos<Mlès aujour-
d'hui C4»rtaine.
— M. Paul Aij.ARD a n^sumé dans un bref exposa* les notions les plus
générales concernant les Esclaves, serfs et mainmurtahlts (libniirie île la
Soc. bibliogr.). On connaît le p«)inl de vue auquel se plaeo l'auteur et
le rôle tout à fait pnnlomiuant qu'il attribue à IVglise dans l'atTran-
472 CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE.
chissement des esclaves ; il est donc inutile d'y insister autrement. Son
petit livre est d'ailleurs intéressant et au courant des derniers travaux
sur la question. C'est Tœuvre d'un homme de foi qui est aussi un éru-
dit consciencieux.
— Le 3« fascicule du Glossaire archéologique du moyen âge et de la
Renaissance, par M. Victor Gay, vient de paraître (libr. de la Soc. biblio-
graphique) ; il contient les mots Chape à Coutelier. On annonce comme
très prochaine la publication du k^ fasc.
— M. J. JussERAND a fait paraître en volume (Hachette) après l'avoir
remaniée la curieuse étude déjà publiée dans la Revue historique sur la
vie nomade et les routes d'Angleterre au XI V^ s. Il y a ajouté un appen-
dice qui contient une trentaine de pièces ou extraits qui contiennent
de piquants détails sur les mœurs du temps. On sait que M. Jusse-
rand, qui prépare depuis longtemps un grand ouvrage sur Ghaucer,
connaît très bien la vie anglaise au moyen âge.
— M. le vicomte de Gaix de Saint-Aymour a découvert et publié onze
lettres françaises inédites du célèbre Grotius, de qui la Hollande célé-
brait l'an dernier le 3« centenaire (1583-1645). Ginq de ces lettres sont
adressées à Pierre Du Puy, 1624-1632 ; cinq autres au comte de Ghauvi-
gny, 1639-1642. Elles ont été annotées avec soin et précédées d'une
notice biographique (iVotice sur Hugues de Groot; suivie de lettres inédites.
Gharavay).
— M. Raunik a donné dans la bibliothèque Charpentier une nouvelle
(ulition des Mémoires et réflexions du marquis de La Fare sur les princi-
paux événements du règne de Louis XIV, avec des notes abondantes puisées
dans les Mémoires du temps.
— M. lo D'' RouiNET a donné chez Gharavav une 3« édition de son
môinoiro sur la vio privée de Danton. Ou sait que l'auteur, admirateur
passionné de Danton et do son rôle politique, a entrepris de le venger
contro les accusations de vénalité que l'on n'a pas épargnées au célèbre
convontionnol. Il a fourni au procès un grand nombre de pièces impor-
tantes dont il importera do tenir un grand compte, lorsqu'on entrepren-
dra sans aucun parti pris l'histoire de Danton. Danton ne vaut pas la
roputation que lui font ses apologistes, mais il vaut mieux certainement
(juo la réputation que lui ont faite ses ennemis politiques.
— La biographie do Dumouriez par M. A. Monchamn (Ollendorff) n'est
pas uno (inivro d'érudition, ni même un livre au courant des dernières
rochorchos ; c'est un exposé intéressant de la carrière militaire de Dumou-
rioz ; mais lo côté le plus curieux do cotte singulière physionomie est
laisse dans l'onibro. On no se douterait pas à lire ce livre ({ue Dumou-
riez a été un dos plus grands intrigants de son époque; son rôle dans
la diplomatie soorèto n'ost pas indiquo ; rien ou presque rien sur les
vingt dernières années de la vio du général girondin (1793-1823).
— A la séance solennelle de rentrée des ocole* oenl supérieur
CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPBIB. {73
de l'Académie d*Algcr (5 fév. 1884), M. A. de La Blanchèrb a lu un
intôressaut épisode d*histoire coloniale; c*est Thistoire d*un Français do
Madagascar, Le Vacher de La Case; arrivé dans le pays on l(î5(), il
devint Tliôte d'un prince indigène, Dian Rasisatte, seigneur d'AmhouIe,
Taida à triompher de ses ennemis, épousa sa fille, appelée Dian Nong,
la convertit et succéda à son heau-père dans la principauté d'Aml)Oule.
Pendant quatorze ans, il n'attaqua pas d'ennemis qu'il ne vainquit; les
seules difUcultés sériouses qu'il rencontra vinrent de la colonie nflicielle
établie au Fort-Dauphin. Nommé enlin major de Tile par Ix)uis \IV
(nov. 1670), il mourut en juin suivant, après avoir essayé d'organiser un
Etat français qui lui survécut à peine quelques années.
— M. Gaston Raynaud a fait insérer dans le Cabinet Historique et
publier à part le Catalogue des mss, anglais de la Bibliothèque nationale
(Champion); le fonds des mss. anglais, formé en 1860 {tar M. N. de
Wailly, comprend 95 numéros. 11 n'avait pas encore été décrit; c'est
donc un réel ser\'ice que M. Raynaud vient de rendre. La plupart de
ces mss. se rapportent à l'histoire moderne.
— A la môme librairie (Champion), M. Delisle vient de publior un
nouveau volume de l'Inventaire des mss. de la Bibliothèque nationale; il
est tout entier consacré au Fonds de Cluni. M. Delisle fait d'abord This-
toire de la bibliothèque de Cluni; il note les pertes qu'elle a éprouv(*es,
surtout depuis la Révolution : en 1801, on pouvait cataloguer 295 mss.
existant encore à Cluni. En 1829, Buchon n'en trouvait plus que 225;
il n'en reste plus aujourd'hui que 97 qui ont été cédés on 1881 (Mir la
municipalité de Cluni à la Ribliothèque natitmale, moyennant une
indemnité de 20,000 fr. Avec ceux qui, à diverses époques, sont entn»s
au même dépôt, M. Delisle a pu nous donner la notice de 226 mss.; il
a aussi publié en appendice une liste de 198 mss. qui étaient encore à
Cluni en Tan IX et qui ont disparu depuis.
— Le second volume du Nouveau IHrtionnaire de géographie univer-
selle, publié par M. Vivien de Saiîtt-Martim (Hachette), est terminé
aujourd'hui avec le 2i« fascicule. I-ies lettres A à J sont désormais com-
plètes. En même temps a été mise en vente la 4« livraison de V Atlas:
elle contient : la Russie occidentale et la Roumanie, le Mexique, la
région polaire antarctique. On assure que la 5* livraison suivra celle-ci
de très près.
— M. Ch. Pkrioot a publié chez Weill et Maurice une iiitéressant4«
Histoire du commerce français, qui est le résumé du cours professé
depuis plusieurs anm^es par l'auteur à l'École c(»mmerciale de l'avenue
Trudaine et à l'École supi'^rieure de la rue Amelot. C'est un livre excel-
lent à mettre entre les mains des élèves, au même titre que celui do
M. PiuBONNKAU, ({ue uous avons déjà signalé (chez Cerf).
— Nous avons déjà signalé le choix de lectures g(H)graphiques publié
par M. Lanier, chez Belin, à propos du l*'* vol. Wimèrique. Le second
Tient de paraître. Il est consacré à l'Afrique. Nous n'avons plus à dire
474 CHRO?(IQUE ET BIBLIOGEAPfllI.
({ijollo môthodo a 8uivie l'auteur ni à rappeler quelle abondance de
roiiHcignomonts do toutes sortes : bibliographiques, historiques, admi-
nintratifs, statistiques, il nous fournit dans son livre. Nous dirons seule-
mont que la lecture de V Afrique est des plus attachantes, surtout pour
loM KrunraiSf si directement intéressés à l'histoire et à la géographie de
l'Algérie, de la Tunisie, du Gabon, de Madagascar. Le choix de lectures
(•Ht généralement excellent, et les cartes très utiles. Ce n'est pas seule-
ment un livre do classe; le grand public y trouverait aussi beaucoup
<le profit, ot lo travailleur un guide précieux.
— M. Paul Lkcènb, professeur d'histoire au lycée Gharlemagne,
vient de publier, dans la Bibliothèque de la Jeunesse française (librairie
centrale des publications populaires, 45, rue des Saints-Pères), un très
intéressant volume sur Les Marins de la République et de l'Empire, 1793-
1815. (îe n'est pas un simple livre de vulgarisation ; l'auteur s'est livré
à des recherches personnelles aux Archives du ministère de la marine;
il est remonté aux sources ofQcielles des événements qu'il raconte ; il a
nïéuje publié on appendice quelques rapports adressés au gouvernement
sur les conïbats soutenus par nos marins : ceux entre autres de Renau-
diu sur l'AtTuiro du Vengeur, de Ganteaume sur Aboukir, de Lucas sur
Trafalgar, du capitaine Duperré au général Decaen sur Theureuse
endsiéro accomplie par sa division dans l'Océan indien en 1810. La
préface expose les nombreuses causes d'infériorité où nous nous trou-
vions imr rapport aux Anglais ; les récits, composés avec une chaleur
couununioaiive, niontriMit que du moins ce n'est pas Théroïsme qui
faisan iléfaut à nos u\arins. — Dans la même collection ont encore
paru : /t*vV (u'ncriuij: (/<• la République, par M. Guillon, et une Histoire de
Pans, par M. S^v.unkk.
0\\ annonce que M. le duo d'AuniFFRET-PvsQunEiivdoit publier pro-
ohamonuMU une Histoiiy du duc de Richelieu,
— lue ;î* iHliiiou de> Français sur le Rhin |l 79*2-1 Sî4>, par M. Ram-
u\i I», Nient de jkiraîiro oho/. Oidier.
La oonforxMuv que M. G. Hvnotvvx a fiiite à la S<Mri^tf hisîonq**^
>ur Henri Martin Na ^x^raitro on uu Nviume ohe^ L. Ceri .
-- On Nient do rxniuir on volume loai articles critiques publies pdr
Cm i»RAi \ dans divonk^s rvNuos d'orudition; cette édition es: due aux
soins do M. Uonri Ohaux, ><^u '^vr^^ Vîonvo^ .
M. db^ri;. s^Hîs-bibLio'.htHTAin? do ia ville de Bordeaux, vi.?ci d^
publier v.u su;»plouiout au\ vVUNr^^s d.^ Montesquieu ; ce sout t.'vo.î-^ieox
lotin^^s iuç\lLio> do l'autour do v'à'jVii .w:> \'i<. crv-uvo^s dans L^es raziers
do M. do La?aouta:,4:uo, ^uo ':* vvu>^'i^ :uum::pal de B-nitfduJt in^.*ï?m-
luou: Acho:os. Oer.o yubii'.-atiou seri accon^va^uet? de uoczbriciiecaij*
biOsii-Mvbuîuos o;biblvow:Tavcv:u«s j-'.'vvr'cau: -jour la clu^arî deiaméc:*?
><^ur^;e.
— M CK>vavvïi--0»Si>ycssii> X vuj-:^ iaus .tf BvU et àà
CHEONIQDE ET BIBLIOGIAPHIE. 475
académique indo-chinoise, et publié à part (Leroux ; Challemel) une
étude sur Les relations de la France avec le Tong^Kin et la Cochinchine,
d'après les documents inédits du ministère de la marine et des adonies.
— Le président du Conseil, ministre des affaires étrangères, sur la
désignation de la Commission des archives diplomatiques, a chargé
M. Joseph Reinach de publier le Recueil des instructions aus amltassa^
deurs de France à Naples et à Parme : M. de Caix de Saint-Aymoir, le
Recueil des instructions pour le Portugal, et M. Kaulek, souj<-olH»f de
bureau à la division des Archives des affaires étrangères, le Recueil des
instructions pour Venise,
— Dans son Essai sur Vinfluence française (L. CerH, M. Lefkrvre
8aint-Ooan a tracé le programme d'un beau livre. Déterminer quoi le a
été la part de la France dans la civilisation européenne, ce que le
monde a dû à la France ; c'est là une belle tâche, digne d'un historien
et d'un philosophe. M. Saint-Ogan n'a fait que donner des points de
repère pour cette étude, et encore n'a-t-il pas vu que le moment <le
l'apogée de l'influence française est le xiii<» s. et non le xvii* et lexxin*;
mais, tout incomplète et insuffisante qu'elle est, cette étude [)eut sug-
gérer d'utiles réflexions et provoquer d'intéressants travaux.
— M. F. Brunbtière a réuni en volume, sous le titre Histoire et Lit-
térature (C. Lévy), des études publiées par lui dans la Revue des Deux-
Mondes. — Nous y signalerons en particulier aux historiens les articles
intitulés : M*»* de La Vallière; les chansons historiques du xvtii* ». ;
l'enseignement primaire avant 1789; l'impératrice Marie-Thérèse et
M"** do Fompadour ; les philosophes de la Hévolutiou française ; le
Paysan sous l'ancien régime. On peut souvent contredire aux juge-
ments de M. B., mais il est un des rares écrivains de notre temps qui
méritent toujours d'être lus, car il est de ceux qui, après avoir acquis
sur les sujets dont il parle de solides connaissances, se donnent la |)eiue
de penser avant d'écrire et d'écrire d'un bon style, bien à eux. Sou
humeur chagrine et batailleuse, sa franchise [Mirfois un peu rude, nm
hostilité contre les idées courantes et les tendances modernes no Muit
pas pour nous déplaire, même où nous ne l'approuvons point, car il ne
nous laisse jamais inditîérent et nous provoque toujours à la n*flexion
ou à IVtude.
— Le tome I** de V Inventaire de la série E des archives de l'Aube
vient d'iHre terminé par M. Alphonse Roskrot. Kl contient l'analyse de
1,223 liasses et registres relatifs aux familles du départemi*nl et aux
corporations d'arts et métiers de Tn»yes. Parmi les pièces im|K>rtant4*s
qui sont mentionnées et analysées, il faut citer de curieux fragmonU
de la correspondance amimerciale des (^olbert de H(*imi et d<* Troyt*s,
dont Grosley avait parlé au siècle dernit^r; un compte pn*cieux dt* la
chàtellenie de Nogent-sur-Heine, de WVJ à 1426, iri^ mstructif sur le*
JOcaruooi des Anglais et des Armagimcs aux environs de cetti* ville ;
nti délailt sur la vie privée, sur riostruction secondaire aux
N
476 CBRORIQUE ET BIBLIOGHIPHR.
xv*' et xvi* siècles dans des comptes de la seigneurie de Barberey Saint-
Bulpice. D'autres fonds sont particulièrement précieux pour rhistoire
féodale des communes. Il est regrettable que l'auteur n'ait pas été auto-
risé à faire suivre le premier volume d'une table alphabétique, qui est
véritablement indispensable pour les travailleurs. Gela est d'autant plus
regrettable qu'on ne peut conjecturer à quelle époque sera publié le
second volume. Le conseil général de l'Aube a jugé à propos de sup-
primer les fonctions d'archiviste adjoint, qui auraient permis à
M. Roserot de faire l'inventaire du fonds considérable du prince Xavier
do Baxe, frère de la dauphine Marie-Josèphe de Saxe, belle-fille de
Louis XV. Ce fonds a déjà donné lieu à d'importants travaux de
MM. Guignard et Thévenot, mais par la variété, la richesse et l'intérêt
de ses documents, il mérite une description et une analyse métho-
diques.
— M. Arthur Daouin vient de publier un beau volume in-4» de
192 pages sur les Évêques de Langres. C'est une bonne étude épigra-
phique, sigillographique et héraldique. L'auteur a complété les travaux
du père Anselme et de Chevillard sur les armoiries des évêques de
Langres ; il a décrit les tombeaux de ces derniers, rappelé leurs épi-
taphos, fait connaître ceux de leurs sceaux qui existent encore. La pre-
mière partie de son travail est consacrée à des généraUtés sur l'évêché,
sur le diocèse, sur les titres et les droits de l'évêque de Langres, qui,
comme on le sait, était duc et pair. La seconde partie est de beaucoup
la plus importante ; elle se termine par des notices sur les évêques
dP|)uis 980 jusqu'à nos jours, avec de nombreuses gravures sur bois
représentant dos armoiries et des sceaux.
— L'Annuaire de l'Aube pour 1884 contient, comme les précédents,
plusieurs notices historiques, parmi lesquelles nous citerons la Belle
croix de Troijes, par M. A. S. Det, bibliothécaire-adjoint de la ville.
C'est l'histoire d'un monument religieux de Troyes, élevé à la fin du
xv siècle sur la place de l'Hôtel -de- Ville, et • deconstruit • en 1792.
L'auteur a fait connaître des documents d'archives inédits, qui ont
rapport à ce monument.
— La librairie Firmin Didot annonce la publication prochaine de
deux grands ouvrages illustres : la Renaissance en Italie et en France à
rip(Mjue de Charles VIII, par M. Eug. Mu.vrz, et les Mod^:^ et usa^^es au
temps de Marie-Antoinette, par M. le comte de Reiset. qui reproduit, en
y ajoutant des notes et des dessins nombreux, le livre-journal de
^fmc KlotYe, marchande de modes, coulurière-lingère ordinaire de la
reine et des dames de sa cour de 1787 à 1793.
— La seconde partie du t. IV de la nouvelle éiiilion de la Frana:
proltstante iFischbacher) vient de paraître. Elle nous conduit jusqu'à la
fin de la lettre C et contient entre autres articles iinp:Tî.âî:îs : A. Court.
J. Cousin, Crespin, CrussoK Cujas, Cu\ier. Les quaire-\i::r:5 colonnes
daddiiious et corrections, les tables des maùères eî ces persc-nnes sont
M
CHR05IQCB BT BIBLIOGRAPHIK. 177
une preuve du soin admirable avec lequel est conduite Tentreprise do
M. H. BoRDiER. Il est regrcltable que les feuilles 25 à 32 soient impri-
mées dans un caractère diflereul du reste de l'ouvrage.
— M. E. Chastel est aussi au terme de sa grande publication sur
V Histoire du Christianisme (Fisch bâcher). Le i. V est consacn' aux
xviii* et XIX* siècles. Ce résumé des travaux de toute une vie (rensei-
gnement et d'étude tiendra une place très honorable parmi les nom-
breuses histoires ecclésiastiques que nous possédons ; mais on regret-
tera que les renvois aux sources y fassent entièrement défaut et que
Tautcur ait été trop préoccui>é de transformer son histoire en une
démonstration de ses idées théologiques particulières, celles du protes-
tantisme libéral modéré.
— Le t. IX du Chansonnier historique du XVlIh j., contenant les
chansons des années 1774-1780, est un des plus intéressants du recueil.
Le Roi et la Reine, Malesherbes, Saint-Germain, .Maun*pas, Turgot,
Necker, la Guerre d'Amérique, le duc de Chartres y sont chant4*s ou
chansonnés, et de nombreuses pièces sur la littérature et le théâtre
nous renseignent sur la société du temps (Quantin).
— M. H. DE Perro.n vient de publier sous le titre d'Institutions
municipales et provinciales comjmnk's (Alcau) un livre qui mérite Uiute
l'attention des hommes d'Ktat et des historiens. Dans la première {>artie
il trace un rapide tableau de nos institutions municipales et pn)viu-
ciales avant 1789 et étudie leur organisation depuis I71M ; dans la
seconde, il institue une comparaison outre nos institutions et celles des
autres pays européens, comparaison qui est loin d'être toutp à notn*
avantage; dans la troisième, il expose les réformes qui lui semblent
nécessaires et qui ne sont rien moins qu'un système très complot do
décentralisation. Les idées de M. de Ferron sont très dignes d'examen
et les renseignements qu'il a reunis tn>s instructifs.
— On tn)uvera dans le Capitaine ValU, par M. H. Dutasta (Alraii),
une peinture tn's vive, très amusante, du monde semi-lK>na|Mirtihte,
semi-républicain, qui fournissait sous la Restauration le perMUinel dos
conspirations. Quoique par la forme ce n*cit (ionno un peu du roman,
le fond en est exact. Si M. Dutasta avait écrit un li\n* purement histo-
rique, nous lui repn)chenons d'avoir si complètement adopté à l'égard
des Rourbons les idées de son héros; mais cette passion qui l'animo
donne à son «eu vro une saveur et une couleur qui en augnn^itent l'otTot.
— M. STKENAr.KKHS. quj a doj/i publié \'Ui%toire lies Postes et TrU'
graphes pendant le sirge tle Parit, nouH donno avec M. I^e (fon- une
Histoire du gouvernement de la Ih'fmse nationale en proxinc*' ((Char-
pentier). Le preniior volume n(»us n»nduit jusqu'au 9 octobro. On y
trouve beauc4)Up do fantidiinix l»a\ardagert, mais aiisfti lM*aucoup d'anec-
dotes qui ont leur prix, ot lo livre repnHluit ndèlomonl le doHordn*
d'id(*es, de sentiments et d'actions ({ui ri^gnait en France à cetto triste
é{HM|UC.
478 CHRONIQUE BT BIBLIOGHIPHU.
— Les souvenirs de Sylvanbctb sur la Cour impériale à Campiègne
(Charpentier) sont loin d'avoir le même intérêt. Quelques anecdotes
piquantes ne suffisent pas à faire un livre. Ce que ce volume contient
de plus intéressant, ce sont les renseignements sur Torganisation des
Chevaliers de Saint-Jean en Allemagne.
— Nous recommandons à tous ceux qui s'intéressent à notre déve-
loppement colonial le livre très important que viennent de publier
MM. Neuville et Bréard sur les Voyages de Savorgnan de Brazza
(Berger-Levrault). Les auteurs se sont modestement effacés devant des
documents officiels qu'ils ont été admis à publier. A l'exception d'une
courte et substantielle introduction sur l'histoire de la colonisation
européenne entre le Congo et le Sénégal, et une notice sur les missions
européennes dans la même région, le volume ne contient que les docu-
ments officiels relatifs aux deux voyages de M. de Brazza, et en parti-
culier les lettres et rapports du courageux explorateur, et les relations
du voyage de deux missionnaires, le R. P. Augouard et M. Holman
Bentley, à Stanley Pool. — Il est peu de lectures aussi attachantes que
celle des lettres de M. de Brazza. Il est impossible de réunir plus de
courage, d'intelligence et de désintéressement.
Livres nouveaux. — Documents. — Rédei et Richard. Inventaire-sommaire
des archives déparlementales de la Vienne antérieures à 1790. Archives ecclé-
siastiques; série 6. Poitiers, imp. Tolroer. — Ch. Kohler. Les actes religieax
des protestants à Paris pendant les xvn* et xviii* siècles. — Sathas, Monu-
mcnla hisloriae bellenicae ; t. V. Maisonneuve. — Guillotin de Courson.
Pouillé historique de l'archevêché de Rennes; t. V. Rennes, Fougeray; Paris,
Haton. — Chronique du Bec et chronique de François Carré, publiées d'après
les inss. 5127 et 5428, lat., de la Bibl. nat., par l'abbé Porée. Rouen, Métérie
(Soc. (le l'hisl. de la Norm.). — Legeay, Inventaire-sommaire des registres de
l'étal civil, antérieur à 1790, des paroisses d'Aubigné, Coulongé, Lavemat,
Sarcé, Vaas et Verneil-le-Chétif. Le Mans, imp. Leguicheux-Gallienne. — Mer-
let. Cartulaire de l'ahhaye de la Sainte-Trinité de Tiron; t. L Chartres, imp.
Garnier (Soc. arch. d'Eure-et-Loir). — Wurth Paquet et Van Werveke.
Charles delà famille de Reinach. Luxembourg. — /d. Cartulaire ou recueil des
documents diplomatiques et administratifs de la ville de Luxembourg, 1244-
1795; ibid. — Id. Archives de Clervaux; ibid. — Bonnefoy et Perrin, Docu-
ments relatifs au prieuré et à la vallée de Chamonix, Haute-Savoie. Chamonix,
Lachevalier. — Lettres de M. Hageneck au baron d'Alstrœmer sur la période
du règne de Louis XVL Charpentier.
Histoire locale. — C. Baux. Histoire de l'église de Montauban; t. H,
3*" période. Montauban, Georges et Ferrie; Paris, Bray et Retaux. — Bruas.
La Société populaire de Saumur en l'an U et en l'an HI (extrait de la
Revue de l'Anjou). Angers, Germain et Grassin. — Ddmas. Le monastère de
Sainte-Claire-dc-Boisset et sa translation à Aurillac. 1323-1G25. Jouaust el
Sigaux. — Deramecourt. Le clergé du diocèse d'Arras, Boulogne et Saint-
Omer jwndant la Révolution. 17S9-I802: t. \. Arras, imp. Laroche; Paris,
Bray el Retaux. — Gilles, l^s voies romaines et massiliennes dans le dép. des
I^uches-du-Rh6ne. Thorin. — Guyaz. Histoire des institutions municipales de
Lyon avant 1780. Lyon, Georg: Pari*. Dentu. — Prompsault. Histoire de
CHROIfIQUB BT BIBLIOGRAPHTB. 479
Modène (comtit VeDaissio), aTec deMins héraldiques et graToret. Carpentras,
imp. Tourelle. — P. de SmjfUere. La balaille du Val de Casftel, 1328. Lille,
imp. Danel. — Frain. Mœurs el coutumes des familles breloooes avant 1789;
t. ni, 1'* partie : les archives d'un écbevin de Rennes; V partie : les archifcs
d'un échevin à Vitré. Rennes, Plihon. — Lepage. Sur l'organisation el les ins-
titutions militaires de la Lorraine. Berger- Lefrault.
BiooRAPBiBS. -^ J. de Baurrouue de Laffore. Nobiliaire de Guyenne el de
Gascogne, refue des familles d'ancienne cbevalerie ou anoblies de ces pro-
Tinces, antérieures à 1789; t. IV. Bordeaux, Feret; Paris, Champion. — A. de
Boislisle. Histoire de la maison Nicolay. Pièces justificatives, t. I. Nogent-le-
Rotrou, imp. Gouverneur. — Maistre. Histoire de la maison de Dampierrc.
Palmé. — LaUemend et Boinette. Jean Errard, de Bar-le-Duc, premier ingé-
nieur du très chrestien roy de France et de Navarre Henry IV; sa vie, ses
œuTres, sa fortification. — Lagrange. Vie de Mgr Dupanloup. Poussielgue,
3 volumes.
Grande-Bretagne. — La Camden Society a décidé do publier, pour
Texcrcice do 188i>85 : 1» les documents relatifs à la publicaliou du
second Prayer-book d'Cklouard VI, publies par M. Pocock ; '2* les
Mémoires politiques du cinquième duc de Loeds, 1774, publiés par
M. Browning; 3* des Extraits des Lauderdalo papers, t. 11, publit^s par
M. Airy. Aux ouvrages en préparation, on a ajouté un récit de la guerre
d'Irlande après la révolte de 1642, dû à la plume du colonel Plunket,
officier catholique sous les ordres du marquis d'Ormond.
— Le second volume du Calendar of documents relating to Scotland,
préparé par M. J. Bain, va bientôt paraître. Il embrasse tout le règne
d'Edouard i*' et contient un document de grande importance histo-
rique : le Ragman Roll, rouleau où sont enregistrés les hommages
prêtés en 12% par le clergé, les nobles, les propriétaires et les bourgs.
— D'une note publiée par M. Mattuew dans VAcademy du 7 juin
dernier sur l'orthographe véritable du nom de Wyclif, il résulte que ce
nom est, dans les documents du temps, écrit de cinq ou six manières
différentes : Wyclif, Wycliff, Wyckliiï, Wyclifle, WicUf ; une seule
fois peut-être Wyclefo. Voilà qui peut justifier toutes les orthographes
possibles. Le mieu.v serait encore de donner à ce nom sa forme actuelle ;
John (du village de) Wycliffe ; la société chargée de publier les œuvres
du célèbre hérésiarque a pris le nom de Wyclif Society.
— La nouvelle édition des Chronica majora de Mathieu Paris (Holls
séries) est entin terminée : M. Luard vient de publier le t. Vil et der-
nier. Il contient une préface, trop brève à notre gré, sur la composition
de la chronique et sur l'autorité de son témoignage ; un très précieux
index, qui rendra aux historiens les plus grands et les plus durables
services; un glossaire que Ton aurait pu facilement, soit abréger, soit
augmenter; enfin une longue liste ^'Errata et iM Addenda, où Ton pour-
rait se donner le facile plaisir de marquer des lacunes. Mais Tensemble
de ce travail mérite les plus grands éloges.
— M. S. R. Gardiner vient aussi de terminer la nouvelle édition do
excellente Uisiory of England, 1603-1642, en 10 vol. (Longmans).
480 cHmo?riQUE et bibliogiaphib.
— M. Tborold Roobbs vient de donner une sorte de remaniement de
son grand ouvrage sur l'histoire de TAgriculture et des prix en Angle-
terre, sous le titre : Six centuries of work and wages ; il y a supprimé
tout appareil critique et les statistiques qui remplissaient la moitié do
premier ouvrage. Par un artifice de librairie qu'on nous permettra de
trouver au moins singulier, Touvrage est découpé en deux tomes,
bien qu'il n'atteigne pas en tout six cents pages. Le t. I s'arrête à la
page 304, au beau milieu d'une phrase. C'est un moyen ingénieux pour
extorquer aux gens 30 francs au lieu de 15 (Londres, Swan 8on-
nenschein).
— La Hbrairie Longmans vient de faire paraître sous ce titre : À
history of the knights of Malta, or the order of S^ John of Jérusalem,
une nouvelle édition de VHistoire des chevaliers de Malte, due à la
plume du major Whitworth Porter, dont la première édition date
de 1858. Ce résumé de l'histoire de Tordre de Saint-Jean, très favora-
blement accueilli à son apparition, a été réduit en un volume de xiv-
744 p. in-8<^,au lieu des deux volumes qu'il comprenait originairement,
mais le fonds du livre reste le môme, quoique les chapitres aient été
autrement divisés et que la nouvelle édition renferme quelques addi-
tions. L'histoire de cet ordre célèbre a fait, depuis vingt-cinq ans, de
grands progrès, dont l'auteur n'a pas toujours su profiter autant qu'il
l'aurait pu. Quoi qu'il en soit, le public érudit, surtout le public anglais
qui est resté un peu en dehors du mouvement scientifique auquel les
Hospitaliers ont donné naissance, accueillera avec faveur un livre écrit
avec facilité et résumant, dans ses grandes lignes, les fastes d'un Ordre
qui intcrosso spécialement les possesseurs d'une île, dernier séjour des
chevaliers do Saint-Jean.
Allemagne. — Le 17 mars dernier, est mort à Munster le docteur
A. HispiNo, ([ui publia en 1845 les Canaries et décréta s. concUii triden-
tini. — Le 5 avril, est mort à Berlin le directeur du cabinet royal des
médaillos, le 1> Julius Friedlaender. Parmi ses nombreux travaux de
numismatique et d'histoire, notons ceux sur les monnaies de Tordre de
Saint-Jean (Xo. Jérusalem (1843),des Ostrogoths (1844), des Vandales (1849),
sur les monnaies osques (1850), et deux ouvrages récents : Markgraf
Phih'pp voti Hrandenbuvij und die Grxfin Salmour (1881), enfin Die i7a-
lianischcn Scliaumunzen des XV"" Jahrhunderts (1880-82). — De M. G. He-
HOLi), professeur à Munich, décédé le 14 avril à soixante-quatorze ans,
nous avons des ïleiii\rge zur Kenntniss des griechischen Landes und Vœlkes
in liricfrn (1839). — Le 15 mai, est mort à Munich M. Georg Kolb. Né à
Spiro en 1808, il était en 1848 bourgmestre de sa ville natale, et fut
choisi comme député à l'Assemblée nationale de Francfort; en 1849, il
entra au Landtag bavarois, dont il lit partie jusqu'en 1870. Il était
démocrate fédéraliste, et ht une vive opposition à Tunité germanique.
Sans compter plusieurs ouvrages de statistique, il a écrit une Kultur^
(ft'scfiichte dcr Mrnsclilicit, dont on prépare une seconde édition; un
traiti' sur los inconvénients des armées permanentes; un ouvrage (sous
CHIOXIQCB ET BtBLIOGRlPHII. 481
le pseudonyme de Broch) sur Kaspar Hauscr, ce personnage mystérieux
qu'il croyait fermement appartenir à la maison princière de Rade.
— M. W. Maurendrecher , professeur d'histoire à Funiversité do
Bonn, a été appelé à lîorlin. — Le D' W. Sickel a été appelé de la
faculté do droit de Gœttinguc à celle de Marbourg.
— Le 37' congrès des philologues allemands se réunira du !•' au
4 oct. à Dessau.
— La Société Jablonowski de I>eip/jg a couronné un ouvrage de
M. Robert P<iînLMANN, de l'université d'Erlangen, sur les excès dépopu-
lation dans les grandes villes de l'antiquité. La Sociéti» a pn)rogé jus-
qu'en 1885 le concours sur les Regestes des rois de Pologne depuis le
couronnement de Przemislaw II, jus(ju'à la mort du roi Alexandre
(1295-1506).
— Le D''Karl Kehrrach a tracé le plan d'une publication de Monumenta
Germanicae paedagogica ; la première partie doit contenir les décnîls
relatifs aux écoles ; la seconde, les plus estimés parmi les livres sco-
laires ; la troisième, des mémoires, correspondances, etc., relatifs à la
pédagogie d'après le moyen âge; la quatrième, des études approfondies
sur l'histoire de la pédagogie.
— La direction centrale des Monumrnta Gcrmaniae a publié dans le
courant de l'année dernière les Ausonii opusrula, publ. p. C Schenkel
(2* part, du t. V des Script, antiquissimi); (J. Aurclli Symmachi quac
supersttnt, par (). Seeck (l""* part, du t. VI; les Alcimi Kcdicii Avili
Viennenus episœpi opéra, par M. Peiper |2« part, du t. VI). — Dans la
section des Scriptores, le t. l"' des Gregorii Titronensis optera, par
W. Arndt; le t. XIV de l'édition in-fol.; la Yita Anskarii. auctore
Rimberto, pub. par (i. Waitz dans la collection scolaire in-8«. — Dans la
section des Leges, le 2« fasc. du t. V. de ledit, in-fol. — Dans celle des
AnUquitates, le t. II des Poetae latini arvi Carolini, — M. Mommson
a envoyé k rim[)nmeur la s<»conde partie des œuvres de Fortunat.
M. Krusch est chargé de publier FrÎHlègaire. On préjiare pour le t. XV
des Scriptores des Vies de l'époque carolingienne, auquel travaille
M. Ilolder-Lgger. Il est déjà parvenu à constater que la Vita Lulli t^st
l'teuvre de I^mbert de llersfeld, et que la forme primitive de cette bio-
graphie est fournie i»ar un ms. de la biblioth(^]ue de Wallenstein à
Maihingen ; la Vita Henedicti Anianensis, les Gcj/a Ahirici cennmannensis
entreront dans ce volume. On travaillo aussi activement au t. XXVII,
qui doit contenir des extraits de chruniqu(>urs anglais, flamands et ita-
liens du XII* et du xnr s. — Dans la section des Ihplumata, li»s diplômes
d'Otton W, réunis i»ar M. Sickel, soni entièrement imprimés; les tables
manquent encore. M. Fanta est cliargé des diplômes d'Otton II et III.
Le t. II des Acta imjierii, par M. Winkelmann, est pres<}u<» achevé.
— Un nouveau domi-volume de la Deutsche Vcrfassungsgeschichte do
M. Wxrrz vient de paraître; c'est la l'* partie du t. IV, portant le sous-
titre : Uic Verfassung det frankischen Heichs, IW. III, 2« édition : Die
ReV. lllSTOB. XXV. 2* FASC. 3t
/|82 Cfl&O^IQUE ET BIBUOGRÂPHIE.
Karolingische Zeit, 2« partie. Il comprend les chapitres vi : rAdminis-
tration et surtout les finances, et vn : Bénéfices, vassalité, immunité ;
classes de la société. Ce dernier chapitre, comme on le voit, ne traite
rien moins que la grosse question des origines du système féodal. (Ber-
lin, Weidmann.)
— Voici un livre destiné à rendre des services à Thomme d'État, au
jurisconsulte et à l'historien : le Handhuch der deutschen Verfassungen
par le D»" Félix Stcerk, professeur de droit à Greifswald (Leipzig, Dunc-
ker et Humblot) ; c'est le recueil des lois constitutionnelles relatives à
Pempire d'Allemagne et des États confédérés tels qu'ils sont actuelle-
ment constitués. Il est divisé en vingt-quatre chapitres consacrés à l'em-
pire allemand, aux vingt États et aux trois villes libres et hanséatiques
qui le composent ; chacun d'eux précédé d'un court résumé historique,
et suivi du texte môme des lois, sans commentaires.
— La commission de l'Académie royale des sciences de Berlin, char-
gée de publier la correspondance politique de Frédéric le Grand, a
protesté contre l'accusation portée contre elle par le duc de Broglie, dans
la Revue des Deux-Mondes du !«' avril dernier, d'avoir omis à dessein
tout ce qui rappelait Voltaire et son rôle à Berlin. M. le duc de Broglie,
dans une réponse parue le l^'juin, a reconnu que son affirmation était
trop absolue, mais prouvé que son accusation n'était pas tout à fait
injuste.
Livres nouveaux. — Antiquité. — Schœnemann. De cohortibus Roma-
iioruin auxiliariis. 2"^ partie. Berlin, Mayer et Muller — Schleusiïiger . Sludie
zu Caesar's Rheiiibriicke. Munich, Lindaucr. — Reuter. Die Rœmer im Mat-
tiakerland. Wiesbaden, Niedcr. — Thurm, De Romanorura legatis reipublicae
liberae temporibus ad esteras naliones missis. Leipzig, Fock.
Histoire gknérale. — Von Schubert. Die Untcrwerfung der Alamannea
unter die Franken. Strasbourg, Trûbner. — Von Dru/fel. Monumenta Tri-
dentina. Beitraegc zur Gcschichte des Concils von Trient. Munich, Akad. der
"Wissens. — Tk. Fœrster. Ainbrosius, Bischof von Mailand. Halle, Slrien. —
Cuba. Der deutsche Rcichstag, 011-025. Leipzig, Veit. — Millier. Politische
Oeschichte der Gegenwart. Das Jahr 1883. Berlin, Springer. — Zimmer, Kel-
tisclie Studien. 2" fasc. Berlin, W'eidinann. — Meyer. Die Handv^crkerpoiitik
des Grossen Kurfiirsleii und Kœnig Frledrich's \. Minden, Bruns. — Fenner.
Zwingli als Patriot und Poliliker. Frauenfeld, Huber. — Seinecke. Gescbirbte
des Volkes Israël. Thcil II. Gœttingue, Vandenhœck. — Prinz. Studien ïiber
das Verha^llniss Frislands zu Kaiser und Reich ; insbesondere iiber die frisis-
chen Grafen iin Mitlelalter Einden, Haynel. — Kehl. Das Leben und die
Lehre des Muhainmed. Theil I. Leipzig, Schulze.
Histoire locale. — Weissenborn. Aclen der Erfurter UniversittCt. Halle,
Hendel. — Mayer. Die Kirclienhoheilsrechlc des Kœnigs von Bayern. Municb,
Rieger. — Crilnkagen. Gescliichte Schlesiens; livr. 2-4. Gotha, Pertbes. —
Jacobs. Gesrhichte der in der prcussischen Provinz Sachsen vereiniglcn Ge-
biete; livr. 2-3; ibid. — Wachenfeld. Die politischen Bcziehungen zwiscbeii
den Fiirsten von Brandenburg und Hessen-Kassel bis zum Anfange des30ja*hr.
CHRO^aQCE ET BIBLIOGRAPHIB. ^K3
Krieges. Ilenfeld. Hœhl. — tleigd. Kurstùrst Josef Klemen» Ton Kœln, ood
das Project einer Atitretiing Ba}eriis an (Ksterreirh, 1712-15. Monicb, Straub.
— Bissinger. VoïterMchi iihor Urf^eitrliichte und Alterthûmer de» badiiMhen
Landos. Carlsrube, Bielefeld. — Von Weech. Coilex diplotnaticus Salem iUnu».
Urkund(*nhiirh der Gisterzicnsorahtoi Saleni. M. II, 2* Liofer. CarUruhe,
Rrann. — yeuHng. Schlosiens a»ltere Kirclieo und kirrhliche StifliinKen narh
ihren rrùhe^tcn urktindlirhen Erwivhnungen, Rreslau. Max. — Von Grûnhagen,
Regesten zur schlevsiftcben Oeschicbte; ibid. — Fteischfresser. Die |Mditiftcbc
StoUung Ilainburgs in der Zeit des 30 j.rbr. Krieges. Rd. II, 1027-2*,). —
Wœrner et lleckmann. Orts- und Landesbefestigungen des Mittelaltere mit
Rijck&icbt auf Ilessen und die benacbbarten Gebiete. Mayence, Faber.
Aatriche-Hongrie. — Sous los auspices dos arcliiducs Albroclit et
Wilholm, IHs du côlèbro archiduc Charles, paraîtra lûentAt un ouvrage
détaillé sur cet éminent homme de j^erre, [lar des historiens militain^s
distingués : M. \\. von Zeissberg, pour la partie biographique, le major
Angeli, pour les faits militaires. M. Walcher donnera un clioix des écrits
dus à la plume de larchiduc.
LivRE-s NouvBAinc. — RullaHam ordinÎA fratrum minonim S. FranfiAci Tapa-
rinonim; rontinuationis tomus fl. Insbnick, Wagner. — Bellagi, Wallenstein'A
kroatiscbe Arkcbusiere, 1G22-2G. Buda|»eftt, Kilian. — llistnriae hungaricae
fontes domestici. Pars I, Scriptores, vol. III : Chronicon Dubniceose. Leipiig,
Rn)rkbau8.
Belfl^que. — M. Théodore Juste, l'infatigable historien quiestd*une
fécondité sans égale en Belgique, vient de publier deux a»uvre« nouvelles,
La nh'olution brabançonne et La République belge de {190 (Bruxelles,
Lebègue, 326 et 360 p. in-««).
— M. Alph. Waitebs, archiviste de la ville de Bruxelles, poursuit
avec activité ses intéressantes recherches sur l'histoire de l' école flamande
de ]>einture pendant la seconde moitié' du XV^ siècle. Le troisième fascicule
a paru récemment (Bruxelles, Ilayez).
— A l'occasion du cinquantième anniversaire de TUniversité catho-
lique de Louvain, (|ui a eu» fêté solennellement en mai dernier, M. Arthur
Verhaeohkn a publié un liNre a|M>logétique intitulé Les cinquante der^
nières années de l'ancienne l'niiersité de Louvain, embrassant les rèimes
de Marie-Thérèse et de Joseph i)endant le dernier demi-siècle de celte
école fameuse, fond<»<» en 142."» par Martin Vel, supprinnH» en 1797
par la République française, après la conquête de la Belgique (Liège,
Société bibliographique belge).
— L'Académie royale de Belgique a enfin accueilli dans son sein
M. Alexantlre IIennë, l'auteur de V Histoire du règne de Charles^Q^^nt
en Belgique ilO V(»l., ISriH-lKfiO), qui est peut-étn» l'ouvrage historique le
plus important p^iru en Belgique depuis IH30. Le monde savant rali-
liera le vole de l'Académie, qui ne s'ost fait attendre que ln)p longtemps.
— Les (juatre dornières livraisons (4.'» à 4H» de la Itibliothictt Belgica
de MM. Ferd. Vanukr Hakohen , Arnold et Va?(i»e.> BERiiiir. ((land,
J. Vuylsteke) contiennent une élude des plus remanjuables sur la vie
484 CHEO^QITE ET BIBLIOGllPHIB.
et les œuvres de Jean-Baptiste Gramaye, d'Anvers (1579-1635), qni a
écrit une foule d'ouvrages historiques et a eu une existence très mou-
vementée ; elles contiennent aussi une notice tout aussi importante sur
la vie et les écrits de Rembert Dodoens ou Dodonée, botaniste célèbre
du xvi« s. Son fameux Cruijde Boeck (Livre des plantes) fut traduit en
latin, en français et en anglais, et compte parmi les oa\Tages qui ont
fondé la botanique. On trouve encore dans ces livraisons de la Biblio-
theca Belgica la description des œuvres de Grucius, philologue flamand
du xv!** siècle, et de quelques plaquettes curieuses, telles que la nomen-
clature minutieuse des diverses variétés de voleurs et de mendiants (en
flamand, Anvers, 1563) et le Traicté de l'eaue de talcque hlancissanie, fort
propice pour nettoier les faces et les mains des hommes et des femmes :
auquel sont briefvement deduictes plusieurs choses plaisantes à lire des fards
des anciens et des modernes (Anvers, 1606).
— Parmi les savants à qui l'Université catholique deLouvain a décerné
le titre doctoral honoris causa lors de son récent cinquantenaire, nous
remarquons le commandeur de Rossi, conservateur du musée du Vati-
can; Mgr Jean Janssen, professeur d'histoire au gymnase de Francfort;
M. Arthur-Théodore Verhaeghen, l'auteur du livre jubilaire dont il est
question plus haut; et M. Léon Gautier, professeur à l'École des
Chartes à Paris.
— Le second volume de Les Huguenots et les Gueux, par M. le baron
Kervyn de Lettenhove, vient de paraître (Bruges, Beyaert-Storie). Il
embrasse les années 1567 à 1572.
— M. Alp. Vandenpekredoom, ministre d'Etal, qui a déjà consacré les
sept importants volumes de ses Ypriana à retracer des parties notables
do l'histoire d'Ypros, de ses institutions et de ses monuments, com-
monco mainlonant une série nouvelle, intitulée Varia Yprensia. Le
l^»" fascicule contient Ypirs et Warneton, conflit de juridiction au
XV'' slrclc (Bruges, de Zuttoro).
— Le 2" fascicule du tome VIII de la Biographie naiionale^ publiée
aux frais du gouvernement par l'Académie royale de Belgique, va de
Grol)hondonck à Gysen. On y remarque surtout les articles consacrés à
Guillaume le Taciturne et à Guillaume 1*^'', roi des Pays-Bas (Th. Juste),
à Guillaume, l'auteur du Renard flamand (N. de Pauw), et à Groesbeck,
princo-évê(Iue liégeois, contemporain de Philippe II (R. Le Roy).
Italie. — La H. Depulazione di storia patria pour la Romagne a
décidé d'entreprendre une nouvelle série de publications sous le titre de
Documcnti e studi, laquelle contiendra tout ce qui, de sa nature, ne
pourrait entrer dans les séries déjà ouvertes des « Statuti, » des • Carte, >
des « Gronache « ou des « Atti e Memorie. »
— La librairie ZanichoUi (Bologne) va bientôt publier l'importante
correspondance que Magini, professeur d'astrologie, d'astronomie et de
mathématiques à Bologne, do 1588 à 1617, entretint avec les plus
grands astronomes de son temps.
CHROXIQCE ET BIBLIOf.lAPHlE. 485
— Le gouvernement allemand a entrepris de publier les statuts, privi-
lèges et annales de la nation allemande à l'Université de Bologne, du
XIII* au XVI* s. lies pièces seront précédées d'une Histoire de la nation
allemande à F Université, par M. Malagola.
— Le manjuis Fernando Pancialichi Ximenes d*Aragon vient de
faire don aux archives de l'État de Florence d*un grand nombre de
documents manuscrits relatifs à Thistoiro des trois derniers siècles. On
en trouvera l'inventaire très succinct dans VArchivio storicit italiano,
disp. 3de 1884; t. XIII.
— M. Ruggiero Bonqhi vient de publier le l" vol. d'une histoire de
Rome ( Florence, Trêves) ; il comprend la période des rois et celle de la
République, jusqu'à Tan 283 de Rome.
— MM. ViTELLi et C. Paoli ont entrepris, on le sait, un recuoil de
fac-similés destinés à l'étude de la })aléographie et de la diplomatique. Il
doit comprendre environ 300 planches; les documents sont puisés
exclusivement dans les archives et les bibliothèques de Florence. I-.e
i*'' fasc. vient de paraître, sous les auspices du R. Istituto di studi
superiori ; il comprend 2i planches (Florence, I^e Monnier).
Livres nouveaux. — CiolU-Grauo. Del diritto pubbliro Siriliano tl tempo
dci Normtnni. Ptlerme, tip. dello Statuto (extrait de l'Arch. sicil.). — CasaU,
Cronichetta di Lodi dcl set*, zv, annutata. Milan, DuiiioUrd. — Il quarto cen-
tenario di M artino Lutero : la ftua vita, le sue o|)ere, c la sua malelica iofluenia
in Enropa. Païenne, Tamburello (extrait de la Sicllia rattolica). — SHve*tri.
De rébus regni Siciliae, docuinenti inediti. estratti dall* Archivio délia rorona
d'Aragona. Vol. I. Païenne, tip. dello Statuto (publ. par la Société Mcil. di
storia patria). — Josa. Legenda, seu vita et ndrarula S. Antonii de Padua,
saer. xiii ronrinnata, et nuncprimum édita. nol(H{n<^. Mareggiani. — Manfrin.
I Veneti salvatori di Roma. Turin, Docca. — Gnecchi. Le nionete di Mllano
da Carlo Magno a Vittorio Kinanuele II, descritte ed illnttrate. Milan, Dumolard.
— Mariello. La guerra délia independenza italiana. Vol. IV. Turin, Roux et
Favale. — Lodi et Vandini. GataU»go del mss. |H)Meduti dal inarchese Gius.
Càmpori, V et 5* |>arlies. Modène. — Elenco provvisorio rronologiro dei gior-
nali di Torino, 1645-1883. Turin, Paravia et Vigllardi (2* |>artie du I. I de la
Bibliogralia storica degll slati délia monarchia di Saroia). — Cavalhri et
ilolm Topogratia archeologira di Siracusa. Palerme, tip. dello Statuto.
Bspapie. — M. Andres Balaouer y Merino est mort à Barcelone le
r» oct. 1883 à l'Age de trente-cinq ans. On lui doit un grand nombre do
monographies relatives à riiisU)ire et à la littérature aragonaises. On en
trouvera l'indication dans VlUiistrano catalatia de M. Antonio AulesUa,
t. IV, et une analyse dans le Polybiblion d'avril 1884.
Suisse. — I^ dernière livrais4)n (vu, 2) de Vlîistoirr du peuple de
Genève, par M. Amendée RoriET, est pn»cê4iée d'une pn»face de M. P. Vau-
cher, à laquelle nous empruntons les lignes suivantes :
« Kn divisant, comme il l'a fait il y a cinq ans, en deux sections
le plan général de sou livre, Roget prévoyait lui-même (t. V, p. 3) que
la S4H:onde partie de sa tAche ne serait ni moins Ionique ni moins com-
pliquée que la première, et, dans l'abandon de l'intimité, il avouait
ReV. HlSTOl. XXV. î* FASC. 31'
486 CHRONIQUE ET BIBLIOGRAPHIE.
volontiers ne rien savoir du nombre de volumes qui lui serait nécessaire
pour mener à bonne fin Tentreprise. Cette incertitude, dont il n'éprou-
vait aucun souci, était-elle seulement TefiTet d'un mode de publication
défectueux , et des occupations diverses entre lesquelles se partageait
une existence consacrée tout entière au service de la patrie ? Ou bien
tenait-elle à la nature même de ses travaux , à son tempérament et à
ses goûts, à sa manière d'entendre et d'étudier l'histoire? C'est là une
question qu'il serait malaisé de résoudre et qui n'a pas, du reste, une
bien grande importance. Un auteur a toujours le droit de faire ce qu'il
veut et de ne faire que cela , pourvu qu'il fasse en réalité ce qu'il a
promis. Or, il suffit de parcourir les sept volumes de Roget pour
s'assurer qu'ils répondent fidèlement au dessein qu'il avait formé de
tracer un tableau aussi exact, aussi complet, aussi détaillé que possible
de l'histoire de Genève pendant la période la plus agitée et la plus déci-
sive de nos annales.
« L'ouvrage, il faut bien convenir, affecte un peu trop les allures
d'une simple chronique : il a des lenteurs qui sont dues à la reproduc-
tion trop fréquente des documents, des longueurs qui témoignent d'une
singulière indifférence à l'endroit de la composition ; mais, en revanche,
de quels solides mérites ne fournit-il pas la preuve ! Investigation per-
sévérante des sources les plus directes et les plus authentiques; dis-
cussion critique des faits; redressement incessant des erreurs où les
panégyristes et les adversaires de Calvin sont tombés comme à l'envi
les uns après les autres; connaissance exacte du caractère genevois,
de ses qualités et de ses défauts; intelligence très nette des oscillations
perpétuelles que les causes en apparence les plus fortuites peuvent faire
subir au mouvement des partis; originalité des aperçus et indépendance
des jugements : voilà ce que les lecteurs sérieux de ces sept volumes
sont depuis longtemps accoutumés à y rencontrer. Quand on a suivi
pas à pas Roget dans ses infatigables recherches, on possède par le
menu la cité genevoise du xvi* siècle, et l'on a traversé je ne sais com-
bien de petites ou de grosses querelles sans que l'impartialité de l'his-
torien se soit démentie un seul instant en face des sujets irritants entre
tous qui, durant tant d'années, ont constitué le fond ordinaire de ses
récits. Je n'oserais affirmer, il est vrai, que notre excellent ami fût aussi
fort sur les idées que sur les faits, et je doute que la théologie assez
vague à laquelle il inclinait le préparât suffisamment à comprendre la
pensée du réformateur; mais, alors même qu'une critique pointilleuse
trouverait là-dessus quelque chose à redire, il n'en ressortirait pas moins
de l'ensemble du livre que, si Calvin avait plus que personne besoin de
Genève et n'a rien négligé pour la conquérir, Genève, d'autre part, avait
grandement besoin de Calvin , parce qu'elle devait profiter la première
de ce qui a fait dans le monde la valeur morale et la puissance de son
œuvre... »
LISTE DES LIVRIS OiPOSfe AU BUREIO 01 Là RETUE. 487
IJ8TE DES LIVRES DÉPOSÉS AU BUREAU DE LA REVUE.
{Nous n*indiquofu pat ceux qui ont été appréciés dans les Bulletins
et la Chronique.)
Douais. Essai sur l'organisation des études dans l'ordre des Frères Prêcheurs
au xiu* et au xiv* s.. 1216-1342. Paris, Picard; Toulouse, Privât, xti-285 p.
in-8*. Prix : 8 fr. 50. — Gaullibur. Histoire de la Réforme à Bordeaux et
dans le ressort du Parlement de Guyenne. Tome I. t523-63. Champion. ~
Lbabar Gabala. LiTre des inTasions, traduit de irlandais par H. Ligeraj et
W. O'Dwyer. Haisonneure, xxu-255 p. in-8*. — Rothan. Souvenirs diplo-
matiques. L'Allemagne et TlUlie, 1870-71 ; t. I : TAUemagne. C. Lérj. 400 p.
in-S*. Prix : 7 fr. 50.
Bbzold. Briefe des Pfalzgrafen Johann Casimir mit rerwandten Schriftstttcken,
Bd. Il, 1582-86. Munich, Rieger, 476 p. in-8". ~ Borkowsky. Die englische
FriedensTermittlung im Jabre 1745. Berlin, Berggold, 127 p. in-8*. — Brkss-
LAU. Konrad 11. Bd. H, 1032-39 (Jabrbiicher des deutschen Reiches). Leipiig,
Duncker et Uumblot, x-603 p. in-8*. Prix : 13 m. 60. •— IIanssbn. Agrarhis-
toriscbe Abhandlungen. Bd. 11. Leipzig, Hirzel, it-577 p. in-8*. — Kcbchkr.
Geschichte Ton HannoTer und Braunschweig, 1648-1714. Theil I. Ihid., tiu-
742 p. in-8*. — Landau. Rom, Wien, Neapel, wshrend des spanischen Erb-
folgekrieges ; ein Beitrag zur Geschichte des Kampfes zwischen Papstthum
und Kaiserthum. Leipzig, Friedrich. 1885 (île), xx-480 p. in-8*. Piix : 10 m. —
ScHMiTZ. Der englische luTestiturstreit. — ScHmacms. Ilinkmar, Ërzhischof Ton
Reims; sein Leben und seine Schriften. Fribourgen B. Ilerder, xii-588p. in-8*.
Prix : 12 m. 50. ~ Sbpp. Maria Stuart und ihre Anklœger zu York, West-
minster und Hamptoncourt, ort. 1568-j.inT. 1569. Munich, Lindauer, v-167 p.
in-8*. — WnTBKiMBR. Geschichte Œsterreichs und Ungams im ersten Jahr-
zehnt des xixt«n Jabrh. Bd. I. Leipzig, Duncker et llumblol, xxiii-375 p. in-8*.
HuNT. Norman Britain. Soc. for promoting christ, koowledge, 1884. Prix :
2 sh. 6 d.
BiAMOHi. La politica di Massimo d'Azeglio, 1848-59. Documenti. Turin, Roux
et FaTale, 278 p. in-8*. Prix : 5 1. — Chiala. C. Cairour; lettere édite ed iné-
dite. Vol. III; ibid., ix-419 p. in-8*. Prix : 8 I. — A. db Gkrbaix-Sonnaz.
Studi storici sul contado di SaToia e marchesato in Italia. Vol. I, 2* part:
ibid., xii-209 à 522 p. Prix : 6 1.
EIrrata du présent numéro.
Page 152. La dernière phrase de l'art, de M. Vemes doit être lue : En sapant
doucement, ai* lieu de : ea suirant.
Page 184, ligne 37, au lieu de : Haho, lises : Jahn.
Page 185, ligne \, au lieu de: le professeur d'iéoa proteste, lUez : MM. Keil
protestent.
Page 187, au titre de l'oufrage de M. Reichensperger, au lieu de .Parlamen-
tarien, lisez : Parlamentariers.
Page 232, ligne 34, au lieu de : Lichterfeld, lisez : Lichterfdde. — Ajouter
à ce propos que le principal ouvrage de M. Berastein est :
Natilntissenscka/tliehe VolkelHicker, en 20 toI.
AHH TIBLE 0ES HlTlilIS.
TABLE DES MATIERES.
ARTICLES DE FOND.
H. fiK GiAMM05T. Études algérieniies. i'* partie : la course à
Alger !
Ch. M0L151ER. Guillem Bernard de Gaillac et renseignement
chez les Dominicains à la fin du xni« siècle .... 241
MÉLANGES ET DOCUMENTS.
A. Haheau. I>e l'armement des nobles et des bourgeois au
xvii« s. dans la Champagne méridionale 288
.1. Flammehmont. Les papiers de Soulavie 107
]{. Hammonu. Le rétablissement des relations diplomatiques
entre la France et la Prusse après la guerre de Sept
ans 69
J. 11a VET. Mémoire adressé à la dame de Beaujeu sur les
moyens d'unir le duché de Bretagne au domaine du
roi de France 275
A If. Htkun. Documents inédits relatifs au I*"" Empire; fin . . 82
TiviKH. H(îlatioiisd(; la France et do la Franche-Comté pendant
la Kronde. Négociations de Jean de Mairet .... 43
M. TouHNKiJx. Diderot. Essai historique sur la police. . . . 298
K. Wkhtiikimkh. Documonts inédits relatifs à Marie- Antoinette 322
(iORKESPONDANCE.
Loi très de M. Aug. Phost et de M. Fustel de Coulanges sur
rininiunité mérovingienne 357
HULLETIN HISTORIQUE.
Angleterre (moyen âge), par J. -G. Black 132
Danemark, par.l. Steenstrup 391
France, par G. MoNoi) et Gii. Hémont 118,359
Roumanie, par Al. Xknoi'Oi 374
GOMPTES-RENDUS CRITIQUES.
Rkmitkmi's-Beauprî:. Coutumes et institutions de l'Anjou et
(lu Maine antérieures au xvi' s \{\{
Rehnays. Sohicksalo dos Grossherzogthums Frankfurt und
soiner Truppon 185
Rr./.oLi). Rriofo des Pfalzgrafen Johann Casimir 425
RoisLisLE (A. de). Mémoires des intendants sur les généralités 173
Garon. Monnaies féodales françaises 165
TABLI OKS HiTlilBS. 489
Fahlbeck. La royauté et le droit francs (4H6-6!4) 158
Frakmoi. Monumenta comitalia regni Huagariae 415
JoëL. Rlicke io die Religiont^schichte 407
Kaltneii. Konrad v. Marburg u. d. Inquisition in Deutschlaud 408
Keil. Die Grundung der doutschen Durschenschaft in Jena . 1K3
Labanca. Marsilio da Padova 160
L0S8EN. Der Kœlnischo Krieg 171
Madyio. L'État romain 152
Marqerie (A. DE). Le comte Joseph de Maistre 181
Matthiass. Die rœmischc Grundsteuer und das Vectigalrecht 40G
Nauy. Codex diplom. hungaricus andegavensis 4 15
Pfitzmer. Geschichte der rœmischen Kaiscrlegioncn . ... 156
PicTON. Oliver Cromwcll 188
Publicationen aus den k. preussischen Staatsarchiven. IV. . 177
REiCHENSPEaoBR. Erlebuisso eines altcn Parlamentariers im
Revolutionsjahre 1848 187
Reumont (A. von). Kleine historische Schriften 109
RoosEH. Christophe Plantin, imprimeur anven^ois 427
Sgaduto. Stato e chiesa negli scritti politici, 1122-1347 . . . 166
ScuLEGHTA-WssEHRO. Die Revolutiouen in Constantinopel ,
1807-1808 179
BiCKEL. Das Pnvilegium Otto I fiir die rœmischo Kirche, 962. 161
Smith. The prophots of Israël 151
SzitAQYi. Monumenta comitalia regni Transylvaniae . ... 415
ToNioLO. Dei remotti fattori délia potenza cconomica di Firenze
nel medio evo 418
ViKAiiTi. Veniamin Costache, metropolit Moldovci .... 186
Wacker. Der Reichstag unter den Ilohenstaufeu 417
WiERZRowHiu. Christophori Varsevicii opuscuia inodita ... 190
U8TE ALPHABÉTIQUE DES RECUEILS PÉRIODIQUES
ET DES SOCIÉTÉS SAVANTES.
FRANCE.
1. Académie des inscriptions et belles-lettres 203,446
2. Académie des Sciences morales et politiques . . . . 204,4(6
3. Archives des missions scientifiques et littérairet) . . . 19S
4. Archives historiques du Poitou 443
5. Bibliothèque de rÉcole des chartes 193,436
6. Bulletin critique 196,438
7. Bulletin d'archéologie chrétienne 440
8. Bulletin de correspondance africaine 413
9. Bulletin de correspondance hellénique VJf),411
10. Bulletin de la Réunion des Officiers 413
il. Bulletin d*histoire ecclésiastique (Romans) .... 203,444
12. Le Cabinet hisU)rique 194,437
13. Comité des Travaux historiques et scientifiques . . . 199,439
490 TABLE DES MATIERES.
14. Comité d'histoire vosgienne 451
15. Le Contemporain 201,442
16. La Controverse religieuse et le Contemporain . . . 443
17. Le Correspondant 201,442
18. Le Journal des Savants 198,441
19. Mélanges d'archéologie et d'histoire 197
20. La Nouvelle Revue 201,442
21. Nouvelle Revue historique de droit 199,439
22. Polybiblion ... : 196,443
23. Répertoire des Travaux historiques ....... 439
24. La Révolution française 200,439
25. Revue africaine . !^ 202,444
26. Revue archéologique 194,440
27. Revue bourbonnaise 202
28. Revue critique 194
29. Revue de TAgenais 202,444
30. Revue de l'Art français 201
31. Revue de Béarn, Navarre et Landes 444
32. Revue de l'Extrême Orient 443
33. Revue de Gascogne 203,445
34. Revue de géographie 439
35. Revue de l'Histoire des Religions 198,439
36. Revue des Deux-Mondes 200,441
37. Revue des Études juives 445
38. Revue des Questions historiques 192
39. Revue générale de droit 199
40. Revue historique et archéologique du Maine . . . . 202,445
41. Revue politique et littéraire 200
42. Société archéologique de Tarn-et-Garonno 206, 450
43. Société d'archéologie lorraine 450
44. Société d'émulation de l'Ain 450
45. Société de l'Histoire de France 206
46. Société de l'Histoire de Normandie 450
47. Société de l'Histoire de Paris 205,448
48. Société de l'Histoire du protestantisme français . . . 206,448
49. Société des Anciens Textes français 207,448
50. Société des Antiquaires de Normandie 449
51. Société dos Antiquaires de l'Ouest 207
52. Société des Études juives (Annuaire) 445
53. Société historique 205
54. Société nationale des Antiquaires de France .... 204,447
55. Le Spectateur militaire 201,443
ALSACE-LORRAINE.
\ . Revue d'Alsace 451
BELGIQUE.
1. Messager des sciences historiques de Belgique . . . 207
TABLE DES MATlifiES. f^H
ALLEMAGNE.
1. Annalen des histor. Vereins f. Niodorrhein .... 461
2. Archiv fur Anthropolopio 457
3. Archiv fur Frankfurts Geschichte und Kunst. . . . 4.V.»
4. Archiv fur katolischcs Kirchenrecht 21t,45G
5. Archivalirtche Zeilschrift 454
C. Auf diTlIœho 21!
7. Baierische Akadeniio dor Wissonschaften 215
8. lioitni'ge zur Anthropologie und rrgeschichle Baieras. \bS
9. Deutsche Revue ' 211
10. I>eut.<che Rundschau 209,453
11. Dirtîcesan- Archiv der DiœceKc Freiburg 450
12. Forschungen zur deutftchen Cieschiclite 20S
13. (leschichtshhetter fur Magdeburg 214
14. CiaTres-Ciesellschaft 453
15. ria*ttingi.sche gclehrte Anzeigen 200,452
1«. Hermès 200
17. llistorischc Zeilschrift 207,451
IH. Ilislorisclier Verein zu lleillironn 400
10. Jahrbûcher f. die deutsche Armée und Marine . . . 210
20. Jahrbiicher fur Meklemburgischc Geschichte. . . . 213
21. Milita.Tische Dhetter 210
22. Mittheilungen d. Vereins f. Geschichte in llohenzollem 4G0
23. Mûnster-Blœtter 4liO
24. Neue Beitnrge zur Geschichte d. d. Alterthums. . . 457
25. Neue Jahrbûcher f. Philologie u. Panlagogik . . . . 210
2G. Neuos Archiv 452
27. N'eues Archiv f. Sipchsische (ieschichle 45h
28. N'eues Lausitzisches Magazin \l»H
20. Nord und 8ùd 211,457
30. Philologus 455
31. Preussische Jahrbûcher 212
32. Rheinisches .Muséum fur Philologie. 455
33. Sa»chsisohe (W^scUschaft der Wisscnschaften ... 457
34. Srhau in's I^nd \i)i\
35. Tlu^ologische Studien und Kritiken 211,456
3G. Verhandlung«'n d. histor. Ven»ins f. NiMerluiiem . . 215
37. \VûrtU*ml>ergische Viertelsjahrhefte f. Land(H(kunde . 2n,4.'»M
38. Zeitschrift d«'r d. morgeula^nd. (ies4»llsehafl .... 212
30. Zoitschrift dw Aacheui*r (reschichtsvenMns .... 213
40. Zeitschrift des llarz- Vereins f. Geschichte 212
41. Z^ûtschrift des hist. Ven»ins f. SchwalMMi u. Neuburg . 214
42. ZtMtschrift f. iegyptische Alt4Tthuniskunde 213,455
43. ZeitîMrhnfl fur d»»ut«<chi» Philologie* 2lt»
44. Zeitschrift f. d. Geschichte de" Ob(*rrheins 4tiO
45. Zeitschrift fur vergleicboude Rechttwisseoscbaft . . 45(i
492 TIBLK DBS MATlilBS.
Pages
AUTBIGHE-HONOaiE .
1 . Akademie der Wissenschaften (Vienne) 218
2. Archiv fur CBSterreichische Geschichte 217
3. Germania 218
4. Jahresbericht des Maseum-Vereins zu Bregenz ... 218
5. Mittheilungen der anthropol. Gesellschaft (Vienne). . 461
G. Mittheilungen des Instituts f. cesterreichische Gesch. . 216, 461
7. Streffleur's œsterreichische militaBr. Zeitschrift ... 218
ILES BRITANNIQUES.
1. TheAcademy 218,462
2. The Athenaeum 219,462
3. The Contemporary Review 463
ÉTATS-UNIS.
1. The Nation 219,463
ITALIE.
1 . Archeografo triestino . 224
2. Archivio délia Société romana di storia patria . . . 221
3. Archivio storico italiano 220,464
4. Archivio storico lombardo 222
5. Archivio storico per le prov. napoletane 221,464
6. Archivio storico siciliano 223,465
7. Archivio storico veneto 221,465
8. Studi e documenti di storia e diritto 465
SUISSE.
1 . Bollcttino storico délia Svizzora italiana 224,466
2. Ktrenncs chrétiennos 467
3. Etrenues genovoises 467
4. D(»r Goschichtsfreuiid 466
5. Jahrl)uch des histor. Vereins des Kl. Glarus .... 466
G. Mémoiro.s de l'instilut national genevois 467
7. Milthoilungon der antiquar. Gesellschaft in Zurich. . 466
8. Musée neuchâlelois 466
9. Société d'histoire de la Suisse romande 466
RUSSIE.
1. Gelehrto Estnische Gesellschaft 467
Chronique et Bibliographie 2'2r),468
Liste des Livres déposés au bureau de la Revue .... 240, 487
ErraUi 487
L'un des prùprUiaires^gérants, G. Monod.
Nogent-Ic-Rotrou, imprimerie Daupklet-Gouvernkur.